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LES SERGENTS

Bibliothèque Sainte-Geneviève

Bibliothèque Sainte-Geneviève

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LES  SERGENTS

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Dans le Geu saint Denis, quatre sergents païens décapitent saint Denis1 et ses deux acolytes. On ordonne aux exécuteurs de retourner sur les lieux de leur forfait pour jeter dans la Seine le corps des acolytes. En effet, le corps de Denis n’est plus là : le saint, qui ne craint pas le ridicule, est parti en portant sa tête dans ses mains. Une chrétienne veut faire enterrer les cadavres par ses serviteurs ; fine psychologue, elle retarde les quatre bourreaux en leur offrant à boire et à manger, sachant qu’un sergent de Mystère serait bien incapable de refuser pareille aubaine. Les nôtres portent d’ailleurs un nom prédestiné : Hume-brouet2 [buveur de bouillon], Mange-matin [goinfre], Mâche-beignet [gourmand], Happe-lopin3 [pique-assiette].

Source : Paris, bibliothèque Sainte-Geneviève. Ms. 1131, folios 177 rº à 178 vº. Copié au milieu du XVe siècle. Ce manuscrit contient aussi Ung biau miracle et la farce du Brigant et le Vilain.

Structure : Rimes plates.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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                        CATULLE,  bourgoyse.                             SCÈNE  I

        Seigneurs, où alez sy grant erre4 ?

                        HUMEBROUET

        Dame, nous alons cez folz querre,

        Qui sont décoléz5 à Montmartre.

                        CATULLE

        Or, venez mengier6 d(e) une tarte

5      Que je viens trèstout droit de cuire.

                        LEZ  SERGANS

        Dame, Mahommet le vous mire7 !

                        CATULLE

        Or çà, séez-vous ! Vez-cy bon pain,

        Vin de Beaune et de Saint-Poursain8.

        Et sy, arez la tarte entière.

10    Mengiez et faites bonne chière !

        Je voiz pensser de la mesgnie9.

                        LEZ  SERGENS,  en soy asséant à la table.

        Dame, alez ! Mahon vous conduie !

                        Lors, voise à sez varléz.10

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                        Et ilz se assiéent à mengier.

                        HUMEBROUET                                       SCÈNE  II

        Çà, donne-moy de ce mouton !

                        MENJUMATIN

        Mouton ? C’est tarte. Tien, glouton,

15    Boute en ta pance ! Mal feu l’arde11 !

                        HUMEBROUET,  en mengent.

        Il me fausist12 de la moustarde.

                        MENJUMATIN

        Moustarde, à tarte ? Tu es yvre !

        Tu pensses trop bien de ton vivre13 ;

        Je vueil pensser aussy du mien.

                        MASQUEBIGNET

20    Foy que je doy Hustin, mon chien14 !

        Vous monstrez bien qu’el n’est pas arse15.

        Bailliez-moy, çà, et croste et farce16 !

        Je vueil .I. pou17 fourrer ma pance.

                        (Lisiez tout ; ce que bon vous semblera prenez,

                        et l’autre lessiez. Tu aut[em], D[omin]e, etc.)18

                        HAPELOPIN

        À quel pié, dea, va celle dance19 ?

25    Seroy-je mis en oubliète20 ?

                        HUMEBROUET

        Mahommet en mal an te mete21 !

        Fault-il qu’on22 te quière nourice ?

                        HAPELOPIN

        Mais ez-tu bien et glous et nice23,

        Qui menjus tarte sans m’attendre24 !

                        MENJUMATIN

30    Escoute : el est choiste en la cendre25 ;

        N’en pren point se je ne t’en prie.

                        HAPELOPIN

        Est-el de fourmage de Brie26 ?     En prenant.

        Monstre, j’aroy tantost visé27.

                        MASQUEBIGNET

        Esgardez28, il s’est ravisé.

                        HAPELOPIN

35    Que deable est-ce-cy ? C’est tout sel29 !

        Je suis mort au premier morsel30

        Se je ne boif31 : c’est ma coustume.

                        HUMEBROUET,  en ly baillant plain godet de vin.

        Tu bevras .I. estront ! Tien, hume !

                        HAPELOPIN

        Je humeray le mielx du monde.

40    Vécy vez comment, à Vau-Parfonde32,

        Lez nonnains boivent, en couvent.     Cy boive.

                        HUMEBROUET

        Je croy que tu y vas souvent :

        Tu as trop bien retenu l’Ordre33.

                        MENJUMATIN

        Tu sces trop bien humer et mordre34 !

45    Met çà au35 godet : sy béray.

                        HAPELOPIN

        Or tien ! Tent, et je verseray.

                        Lors, mete du vin au godet.

                        MENJUMATIN

        Je vueil tremper36 ma conscience.     Cy boive.

                        MASQUEBIGNET

        Tu es maistre en celle science ;

        Je croy que tu viens de Rouen37.

                        MENJUMATIN,  en ly donnant à boire.

50    Vendenges sunt belles, ouen38.

        Tent, et boy d’autant et d’autel39 !

                        MASQUEBIGNET

        Preste-moy donc .I. buletel40

        Pour le couler parmy ma gorge !

                        MANJUMATIN

        N’as-tu pas veu comment je forge41 ?

55    Fay aussy, tu ne pues faillir42.

                        MASQUEBIGNET

        En l’eure le verras saillir

        Par mau pertuis43 en l’orde granche.     Boive.

                        MANJUMATIN

        L’as-tu bouté dedens ta manche44 ?

        Que dyables est-il devenu ?

60    Tu n’as mestier45 de sel menu

        Pour aguisier ton appétit46.

        Je vueil boire ou grant ou petit :

        A-il riens, dy ? Monstre moy celle pinte47 !

                        En tendant le godet.

                        [MASQUEBIGNET]

        Tu entreras en fièvre quinte,

65    Se tu bois, ou seras éthique48.

                        MANJUMATIN

        Esgar49 ! me lis-tu de phisique50 ?

        Met cy51, met ! Tu me veulz tromper ?

                        MASQUEBIGNET

        Oncques-mais je ne vy ton pèr52.

        Tien, sy boy male palesin53 !     En ly versant.

                        MANJUMATIN

70    Je buray ce jus de roysin ;

        Tu buras, se tu veulz, ton offre54.     Boive.

                        MASQUEBIGNET

        Tire, tire, met en ton coffre55 !     Et puis sy morde56.

                        MANJUMATIN

        N’as-tu  voycy bon vin ! Sans nuls57 remors,

        Or sus, alons noier ces mors :

75    Sy, les mengeront lez goujons.

                        HUMEBROUET

        Vostre58 gibet ! Ne nous boujons :

        Les loups en venront bien à chief59.

                        MANJUMATIN

        J’auray la goute-crampe ou chief60,

        Se je ne dors trèstout mon saoul.

                        MASQUEBIGNET

80    Foy que je doy mon gris chat Raoul61 !

        Et ! je vueil dormir à mon aise.

                        HAPPELOPIN

        Attendre fault nostre bourgoise

        Pour la mercïer, c’est raison.     (Comme[n]cement.)62

                        HUMEBROUET

        C’est bien dit. Or, nous reposon !

                        Cy se acoubtent 63 sur la table

                        comme se ilz dormissent.

        ………………………………….

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                        CATULLE,   aus sergens :                          SCÈNE  III

85    Comment va64, mes bons champïons ?

                        HUMEBROUET

        Dame, nous vous attendïons

        Pour vous mercïer de vos biens.

                        MANJUMATIN

        Ne nous espargniez, Dame, en riens :

        Pour vous, sommes appareilliéz65

                        MASQUEBIGNET

90    Jà ne serons sy traveilliéz66

        Qu’à vous ne soions, tost et tart.

                        HAPPELOPIN

        Dame, le dieu de Mont-Fétart67

        Vous gart [dez reins jusqu’au]68 talon !

                        (Voysent où ilz voulront.)69

                        CATULLE

        Et il vous meine70 au grant galon !

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1 L’un d’entre eux, Mange-matin, préconisait pourtant une punition plus digne de ce chaste personnage : « Or luy coupons doncques le vit ! »   2 « Quel hume-brouet ! Quel dresseur/ De saulce vert ! » Dyalogue pour jeunes enfans.   3 Attrapeur de bons morceaux. « Happeloppins, tourneurs de broche. » Les Sotz fourréz de malice.   4 Si vite.   5 Décapités. « Montmartre » est un anachronisme, puisque cette colline ne fut dénommée Mons martyrum [mont des martyrs] qu’après l’exécution de St Denis et de ses affidés.   6 Ms : mengiez   7 Vous le rende, verbe mérir. Les auteurs de Mystères font de Mahomet (vers 26), ou de Mahon (vers 12), une divinité païenne.  Catulle fait entrer les sergents chez elle.   8 De Saint-Pourçain. Ces deux vins font saliver nombre de personnages de farces : « Vin de Sainct-Porcin,/ Vin de Beaulne. » Le Gaudisseur.   9 Ms : mesgniee  (Je vais m’occuper de la maisonnée, du service.)   10 Que Catulle aille conspirer avec ses valets.   11 Que le feu de l’enfer brûle ta panse !   12 Il me faudrait.   13 À ta subsistance.   14 Par la foi que je dois à mon chien Hutin. Entre autres choses, le hutin désigne les aboiements.   15 Que cette tarte n’est pas brûlée, n’est pas immangeable.   16 La croûte de cette tarte et sa garniture.   17 Je veux un peu.   18 Le copiste n’a pas compris qu’il s’agit là d’une didascalie réservée au meneur de jeu : il la place sous la rubrique, et la transcrit comme du texte. Gabriella PARUSSA* précise : « Tu autem Domine, miserere nobis est une formule conclusive des leçons liturgiques. »  *Le Jeu de Saint Denis. Classiques Garnier, 2023, p. 1487.   19 G. Parussa traduit : « Je ne sais pas sur quel pied danser. » Satan prononce le même vers dans les Miracles de Ste Geneviève, du même manuscrit.   20 Serai-je oublié dans la distribution de nourriture et de boisson ?   21 Te mette dans une mauvaise année, une mauvaise passe.   22 Ms : quen  (Qu’on aille te chercher une nourrice pour te faire manger.)   23 Glouton et stupide.   24 Ms : mẽtẽdre  (De manger cette tarte sans moi.)   25 Elle a chu dans la cendre du four : elle n’est plus mangeable.   26 Jeu de mots : brie = querelle. « De mal, de brie, de mortel gherre. » Godefroy.   27 Montre-la-moi, j’aurai bientôt avisé par moi-même.   28 Regardez.   29 C’est du sel pur : cette tarte me donne soif. La nourriture salée sert d’excuse aux buveurs ; sauf qu’ici, nous avons une tarte sucrée…   30 Dès le premier morceau, la première bouchée.   31 Si je ne bois pas.   32 Les religieuses du couvent de Val-Parfond étaient passablement débauchées : cf. le Tournoy amoureux, vers 14 et note.   33 La règle de cet ordre monastique.   34 Boire et manger.   35 Ms : se  (Verse dans mon gobelet, je boirai. Voir la didascalie du vers suivant.)  Dans le Mystère de saint Clément, le messager Mengumatin [Mange-matin] boit directement à la bouteille.   36 Affermir comme de l’acier trempé. Double sens : Mouiller dans du vin ; cf. Daru, vers 167.   37 Les Rouennais avaient une solide réputation d’ivrognes ; le Dict des pays affirme qu’on trouve les « bons buveurs en Normandie ». « Je m’enivray/ De la servoyse de Rouen. » Le Prince et les deux Sotz.   38 Cette année. Au changement de folio — c’est toujours là que les accidents surviennent —, le copiste a omis les vers 50-53, qui furent ajoutés en bas de page par un correcteur : Bernard James SEUBERT* fait remarquer (sans en tirer les mêmes conclusions que moi) que l’écriture ne correspond pas à celle du premier scribe, et que l’encre est plus foncée.  *Le Geu saint Denis. Droz, 1974, p. 14.   39 Tends-moi ton verre, et bois autant que tu veux. « Ces gentilz hommes buvoient d’autant et d’autel. » ATILF.   40 Un bluteau, une passoire pour filtrer le vin.   41 Comment je m’y prends.   42 Fais de même, tu ne peux pas rater ton coup.   43 Tu vas voir tout de suite le vin sauter par mon « mauvais trou », ma bouche.  La « grange sale » désigne le ventre, l’intestin : « –J’en fourreray avant ma pance./ –Ainssy, Huet, emple [emplis] ta granche ! » Miracles de Ste Geneviève, du même manuscrit.   44 As-tu escamoté ce vin dans ta manche, comme un voleur y escamote une bourse ?   45 Tu n’as pas besoin.   46 « L’appétit de boire. » (Godefroy.) Le sel aiguise la soif : voir ma note 29.   47 N’y a-t-il plus rien à boire ? Montre-moi ce pot ! L’impératif de montrer est encore employé absolument au vers 33.   48 Frappé d’étisie.   49 Prends garde ! Hume-brouet l’emploie aussi : « Esgar ! come il bale [danse] du cul ! »   50 Me donnes-tu un cours de médecine ? « J’ay la jaunice et suis éthique,/ Ne guérir n’en puis par phisique. » Ung biau miracle.   51 Verse dans mon gobelet ! Cependant, Mâche-beignet ne l’emplit qu’à moitié.   52 Jamais je n’ai vu ton pair, ton égal en matière d’ivrognerie. « Point n’avez vostre pèr. » Messire Jehan.   53 Bois une mauvaise paralysie. « Férir les puist [que puisse les frapper] mal palezins ! » Godefroy.   54 La paralysie que tu m’offres.   55 Tire du vin et mets-le dans ton ventre.   56 Ms : mors  (Le scribe a voulu transformer cette indication scénique en un vers qui rime avec les deux suivants. Le correcteur l’a soulignée avec des points, mais n’a pas rétabli le subjonctif original.)  Puis qu’il morde dans la tarte.   57 Ms : mais  (« Je m’en y vays sans nulz remors. » ATILF.)   58 Ms : T ront au  (Allez vous faire pendre ! « Vostre gibet !/ Vous contrefaictes le railleur. » Serre-porte.)   59 Viendront bien à bout de ces charognes sans que nous ayons besoin de les jeter à l’eau.   60 Une névralgie à la tête. Cf. le Testament Pathelin, vers 475.  Les sergents sont ivres.   61 Par la foi que je dois à mon chat gris Raoul. On prononçait « roul » en 1 syllabe. Au vers 20, Mâche-beignet honorait son chien de la même formule blasphématoire.   62 Encore une indication réservée au meneur de jeu. On l’a rajoutée près de la marge droite, entre ce vers et la rubrique suivante, et elle est entourée.   63 Ici, qu’ils s’accoudent, s’affalent.   64 Ms : da  (Cf. le Ribault marié, vers 342.)  Catulle traite ses invités de « champions de taverne », de piliers de bar ; cf. le Sermon joyeux de bien boire, vers 22 et 323.   65 Nous sommes prêts à vous servir. Mais « être appareillé » = être bien équipé sexuellement.   66 Si fatigués.   67 Dans son édition, Achille JUBINAL* rappelle que c’est un des anciens noms de la rue Mouffetard. Pour lui, le dieu de Mont-Fétard pourrait être « une allusion à une ancienne idole, à une statue, ou tout simplement à une enseigne ». La plus illustre enseigne de cette rue annonçait la taverne de la Pomme de pin, chère à François Villon et à l’escholier lymosin.  *Mystères inédits du quinzième siècle, t. I, 1837, pp. 368-9.   68 Ms : lez reins et le  (Protège le bas de votre corps. « Depuys les rains jusqu’au colet. » Le Cousturier et son Varlet.)  G. Parussa conserve la version du copiste, mais traduit : « Le dieu de Mouffetard vous protège des reins jusqu’au talon ! »   69 Nouvelle consigne pour le meneur de jeu : Que les sergents aillent s’asseoir où ils voudront, en attendant leur prochaine intervention.   70 Ms : meint  (Qu’il vous mène au grand galop ! « Et cesti vont toutes-foies au grant gallon. » Marco Polo.)  Cette forme rare est attestée : « Je m’en yrait, fuyant, le pas et le galon./ Ne m’en rancuzez mie, frans chevalier baron. » ATILF.

LES COQUINS

Bibliothèque Méjanes

Bibliothèque Méjanes

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LES  COQUINS

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Les coquins sont des mendiants professionnels qui sont trop paresseux pour travailler. Mais ils dépensent une telle énergie pour mendier qu’ils se fatigueraient moins s’ils exerçaient un métier honnête. Le Miroir des enfants ingrats est une Moralité1 qu’on attribue au musicien Eustorg de Beaulieu (~1495-1552), prêtre catholique, puis pasteur protestant, marié bien qu’homosexuel, divorcé, remarié, et auteur de poèmes érotiques. On lui doit les Plaintes d’un vérollé (qui relatent sa propre expérience), et le Blason du Cul, où le roi Saül tente de sodomiser le jeune David. En bonne logique, ce Blason du Cul précède un tonitruant Blason du Pet & de la Vesse. Amateur de théâtre, Beaulieu constatait : « On n’escoute que les Badins, / Car c’est le meilleur d’une farce. » Fort de ce principe, il confie les 69 premiers vers de sa Moralité à un duo de farceurs, qui n’apparaît nullement dans les sources latines ou françaises de ce conte tiré de la Vie des anciens Pères.

Sources : Le Mirouèr et exemple moralle des enfans ingratz. Bibliothèque Méjanes d’Aix-en-Provence <Vovelle Patrimoine Fonds ancien, Inc. D. 76>. Paris, Jean Saint-Denis, 1525.  —  Réédition revue et corrigée : Le Mirouèr et exemple moral des enfans ingratz. Bibliothèque nationale de France <Rés. Yf. 1587>. Paris, Alain Lotrian et Denis Janot, entre 1529 et 1545. L’édition lyonnaise de 1589 n’apporte rien de nouveau. Je prends pour base la version « Aix », et j’adopte tacitement la plupart des corrections proposées par « BnF ».

Structure : Rimes abab/bcbc, rimes plates, avec 2 rondels doubles. Beaucoup de vers, sans doute apocryphes, échappent au schéma des rimes.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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Deux clochards philosophent en attendant de trouver un pigeon à plumer.

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                     LE  PREMIER  COQUIN,  en chantant.     SCÈNE  I

        Entre vous, folastres coquars2,

        Meschan[te]s gens d(e) orde3 façon,

        Estourdis, coquibus, paillars :

        Entendez à nostre leçon !

                     LE  SECOND  COQUIN

5      Par Dieu ! j’ay entendu le son

        — Se l’armonye n’en est faulce —

        D’aucun4 gentilhomme de Beausse

        Qui se repaist d’une chançon.

                     LE  PREMIER  COQUIN

        Comme l’oyseau en ung buysson,

10    Se repaissent les gallopins

        De chanter5.

                     LE  SECOND  COQUIN

                             Ainsi temps passon ;

        Mais c’est par faulte de lopins6.

                     LE  PREMIER  COQUIN

        Présent7, povres turelupins

        Ont l’entendement fort troublé,

15    Puis que pinars8 et goursfarins9

        Ont ainsi enchéry le blé10.

                     LE  SECOND  COQUIN

        Hé ! tant il en est d(e) assemblé !

        J’entens : du blé qui porte croix11.

                     LE  PREMIER  COQUIN

        Moins de bien12 acquis que d’emblé :

20    Tous larrons13 ne sont pas au bois.

                     LE  SECOND  COQUIN

        En aurons-nous point, une fois,

        Pour prester à usure ?

                     LE  PREMIER  COQUIN

                                           Nous ?

        Ha ! saint Jehan, [des fois] plus de trois14 !

        Mais j’entens que ce seront poux15.

                     LE  S[E]COND  COQUIN

25    Pourquoy ne baille Dieu, à tous,

        Chacun sa part esgalement ?

                     LE  PREMIER  COQUIN

        C’est à quoy je pense par coups ;

        Mais je m’y romps l’entendement.

                     LE  SECOND  COQUIN

        Après le jour du Jugement,

30    Que vauldra toute la pécune

        Que l’on forge d’or et d’argent ?

                     LE  PREMIER  COQUIN

        Tout ne vauldra16 pas une prune.

        Nous serons delà Pampelune17,

        Ou plus loing que Nicomédie18.

                     LE  SECOND  COQUIN

35    Je cherche ma bonne fortune ;

        Mais aucun ne sçay, ou aucune,

        Qui la sache ou qui la me die19.

        Pour quoy20, il fault que je mendie,

        Et vive par prières haultes.

                     LE  PREMIER  COQUIN

40    Corps bieu ! se ne fussent les faultes21,

        Ce seroit une seigneurie

        Que le train de Bélistrerie22 :

        Ung  chacun vouldroit caÿmander23.

        Demandez-vous plus belle vie

45    Que l’avoir pour la demander24 ?

                     LE  SECOND  COQUIN

        Gaultier25, si fault-il regarder

        S’il y a point quelque gourt coys26,

        Là où nous puissons aborder

        Pour avoir du pain et des poys.

50    Quant au regart27 d’escus de poix,

        Il ne nous en fault point charger.

                     LE  PREMIER  COQUIN

        Vray(e)ment, il y auroit danger :

        Larrons courent, aucunesfois28.

                     LE  SECOND  COQUIN

        Ne demandons ne deux, ne troiz

55    Pièces d’or.

                     LE  PREMIER  COQUIN

                           Ho ! pour abréger,

        Quant au regart d’escus de poix,

        Il ne nous en fault point charger.

                     LE  SECOND  COQUIN

        Advis m’est qu’il y a troys moys

        Que je n’euz mon saoul à menger.

                     LE  PREMIER  COQUIN

60    Par Dieu ! si fault-il bien songer

        D’avoir à bauffrer29, toutesfois.

        Quant au regart d’escus de pois,

        Il ne nous en fault point charger.

                     LE  SECOND  COQUIN

        Vray(e)ment, il y auroit danger :

65    Larrons courent, aucunesfois.

                     LE  PREMIER  COQUIN

        S’il venoit quelque gourt sirois30

        De qui nous fussions estrénéz31,

        Pour chascun son double tournoys,

        Nous en serions bien desjeunéz !

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Les mendiants repèrent un homme riche, mais il ne veut donner son argent qu’à son fils. En effet, la « moralité » que défend cette Moralité paraît un peu immorale : il vaut mieux donner ses biens à des escrocs plutôt qu’à ses propres enfants.

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                     LE  PREMIER  COQUIN                          SCÈNE  II

70    Je ne sçay qui nous donnera

        À menger, dont je suis marry.

                     LE  SECOND  COQUIN

        Puis que le pain est enchéry32,

        Je ne sçay que faire on pourra.

                     LE  PREMIER  COQUIN

        Gueux sont au pont33.

                     LE  SECOND  COQUIN

                                           Il en mourra34.

75    Bon Temps, en effect, est péry35.

                     LE  PREMIER  COQUIN

        Je ne sçay qui nous donnera

        À menger, dont je suis marry.

                     LE  SECOND  COQUIN

        Qui le moyen ne trouvera36

        De bien jouer à « Sainct-Marry37 »,

80    On ne sçauroit estre nourry.

        Plus homme ne s’eslargira38.

        Je ne sçay qui nous donnera

        À menger, dont je suis marry.

                     LE  PREMIER  COQUIN

        Puis que le pain est enchéri,

85    Je ne sçay que faire on pourra.

                     LE  SECOND  COQUIN

        Allons-nous-en, qui m’en croyra,

        Veoir ce mangon39, qui des biens tant

        Assemble ; et si, n’a q’ung enfant.

        Prions-le par façon si bonne

90    Qu’aucun peu40 de ses biens nous donne,

        Tant pour Dieu que pour amitié.

                     LE  PREMIER  COQUIN

        Comme41 luy ferons-nous pitié ?

        Advisons quelque floc42 nouveau.

                     LE  SECOND  COQUIN

        Faignons avoir perdu sus l’eau(e)

95    Le nostre43, par force de guerre.

                     LE  PREMIER  COQUIN

        Mais povres laboureurs de terre44

        Qui, par coup de malle45 fortune

        Et feu, plus n’avons chose aucune,

        Et n’avons sceu remédïer

100  Qu’il ne nous faille mendïer.

        On a voulentiers de telz gens

        Pitié, quant ilz sont indigens :

        Car celluy n’y a qui ne soit

        Subgect à Fortune46.

                     LE  SECOND  COQUIN

                                         On le sçait

105  Assez bien par expérience !

        S’il est homme de conscience,

        À nous voir en si piteux point,

        Il ne nous escondira point.

        Faisons tant qu’à luy [nous] parlons !

                     LE  PREMIER  COQUIN

110  Ne disons point que nous allons

        Vers la Basme-à-la-Magdaleine,

        Ne devers Sainct-Hubert-d’Ardaine47 :

        On le dit trop communément.

                     LE  SECOND  COQUIN

        Ne baillons point tant seullement

115  Que [ruses ! Vienne à noz convis]48

        Qui a tout rifflé, [grain, espis]49,

        [En dés, jetons]50 et berlendie[r]s !

                     LE  PREMIER  COQUIN

        Quant au regard des merca[n]die[r]s51,

        Cestuy n’y [enterveroit termes]52.

                     LE  SECOND  COQUIN

120  Il nous fault tenir aultres termes53.

        Jonchons54 ! Le voicy à sa porte.

                     LE  PREMIER  COQUIN

        Jonchons fort ! Et soyons si fermes

        Que sachons quelle bille55 il porte.

.

                     LE  SECOND  COQUIN                             SCÈNE  III

        Bon crestïen, Dieu vous conforte

125  Si vous estes desconforté,

        Et vous tienne en bonne santé !

        Confortez-nous, nudz et desprins56 !

                     LE  PREMIER  COQUIN

        Hélas, nous n’avons pas apprins

        À vivre de mendicité.

                     LE  PÈRE

130  Et dont vient ceste povreté ?

        Pourquoy n’allez-vous besongner ?

        Il me semble, à la vérité,

        Que vous estes gens pour gaigner57.

                     LE  PREMIER  COQUIN

        Monseigneur, ung povre denier

135  Pour Dieu, sans [rien] plus !

                     LE  PÈRE

                                                    C’est cela !

        Ung denier icy, l’autre là.

        Vrayment, s’ainsi les départoye58

        À chascun, peu en garderoye

        Pour mettre mon filz en bon lieu59.

                     LE  SECOND  COQUIN

140  Certes, sire, donner pour Dieu

        N(e) apovrist homme.

                     LE  PÈRE

                                           Saint Anthoine !

        Si n’essairay-je pas l’essoine60.

        J’ayme trop bien mieulx que de quoy

        Trouve mon enfant après moy61,

145  Que qu’il dist62 : « Le dyable y ait part !

        Mon père a fait trop grant départ63. »

        Gaignez ! Chacun de vous est fort.

                     LE  PREMIER  COQUIN

        Et ! sire, quant vous serez mort,

        Qu’esse que vostre bien vauldra ?

                     LE  PÈRE

150  Beaucoup : car mon filz le prendra

        Comme [ung] héritier ordinaire,

        Qui fera mon service faire64.

        Je sçay bien que point n’y fauldra65.

                     LE  SECOND  COQUIN

        Par Dieu ! la journée viendra

155  Que vous maudirez mille foys

        La vie qui vous sourviendra66,

        Et le denier ou le tournois

        Que vous acquistes une fois

        Pour vostre enfant.

                     LE  PÈRE

                                      (Ha, quelz bélistres67 !

160  Tant ilz congnoissent bien les tiltres68

        Des saintz qui font venir argent,

        Pour attraper la povre gent !

        Pas ne suis baud69 de leurs raisons.

        Il n’y a maistre ne régent

165  Qui sceust fournir à leurs blasons70.)

                     LE  PREMIER  COQUIN

        Tout est ars71, granges et maisons :

        Il ne nous est rien demouré.

                     LE  PÈRE

        Je n’en puis mais. J’espargneray,

        Pour mon enfant mettre en hault lieu.

170  Qui vouldroit tout donner pour Dieu,

        Il ne trouveroit de quoy frire72.

                     LE  SECOND  COQUIN

        Sire, j(e) ouÿs une foys dire73

        D’un homme qui vous ressembloit,

        Et pour son enfant assembloit

175  Biens mondains delà et deçà.

        En fin, son enfant le laissa

        Mourir de fain sus ung fumier.

        Advenir peult comme piéçà74 :

        Vous ne serez pas le premier.

                     LE  PÈRE

180  (Mon Dieu ! quel vaillant coustumier75

        Voicy, pour prescher paraboles

        Plus fermement, en ung monstier76,

        Qu(e) Évangiles ou Épistoles77 !)

        Va, va, mon amy ! Tes parolles

185  Me fâchent. Pour conclusion,

        Quérez ailleurs provision !

        Car jà, de chose que vous baille,

        Mon filz n’apovrira de maille78.

        Se j’ay de quoy, il me duyt bien79 ;

190  Pas n’est à celle coquinaille

        Que je doy départir le mien80.

                     LE  PREMIER  COQUIN

        Or eschéquons81, nous n’aurons rien.

.

        Pleust à la Saincte Trinité                                             SCÈNE  IV

        Que le veisse en mendicité

195  Et que son enfant n’en tînt compte !

        Jamais on ne dist tant de honte82

        À homme que luy en diroye.

                     LE  SECOND  COQUIN

        Je croy que son filz sera conte

        (S’il peult), ou baillif, ou viconte83,

200  Par force d’or ou de monnoye.

*

Deux jours après, les mendiants reviennent à la charge avec d’autres arguments. Sous le coup de la colère, ils laissent échapper beaucoup plus d’argot.

.

                     LE  PREMIER  COQUIN                           SCÈNE  V

        Que dis-tu de ce pinart-là84,

        Qui tant, pour son filz, est eschars85,

        Que des biens du monde qu’il a

        Ne veult point conforter ces fars86 ?

                     LE  SECOND  COQUIN

205  Il ne fault point estre couars :

        Retournons à luy hardiment !

        Quelques harpelus87 ou lÿars

        En aurons par beau preschement.

                     LE  PREMIER  COQUIN

        Pour babiller piteusement88

210  Et joncher beau89, c’est mon mestier !

                     LE  SECOND  COQUIN

        Et moy, mentir plus fermement

        Q’un pardonneur en ung monstier90,

        Car c’est le train.

                     LE  PREMIER  COQUIN

                                    Amen, Gaultier !

        Chascun doit estre résolu.

215  Si ne peusmes-nous, devant-hyer,

        De luy, greffir ung harpelu91.

                     LE  SECOND  COQUIN

        Si eussions bien[s]92, s’il eust voulu.

        Mais s(e) ung pinot avoit donné93,

        Il cuideroit l’avoir tolu94

220  À son filz, tant est obstiné !

                     LE  PREMIER  COQUIN

        Brief, si suis-je déterminé

        De luy faire encor ung assault ;

        Car s’il povoit estre affiné95,

        Ce seroit vray tour de marault96.

                     LE  SECOND  COQUIN

225  Entre nous deux, aviser fault

        Quelque floc de nouvalité97

        Pour tirer de luy froit ou chault98 :

        Ce ne sera qu’abilité99.

                     LE  PREMIER  COQUIN

        Desguisons-nous !

                     LE  SECOND  COQUIN

                                     C’est bien chanté100.

.

230  Nous sommes assez desguiséz :

        Pour les habitz de Povreté,

        Nul n’en vit101 de mieulx débriséz.

        Quant Dieu les auroit deviséz102,

        À grant-peine trouveroit-on

235  Habitz plus meschans et briséz103

        Que ceulx que maintenant porton.

                     LE  PREMIER  COQUIN

        Où est qui sus mon hoqueton

        Presteroit cent escus de poix104 ?

                     LE  SECOND  COQUIN

        Mais plustost cent coups de baston !

240  Il ne vault maille ne tournois105.

                     LE  PREMIER  COQUIN

        Si fault-il encore une fois

        Veoir s’il sera point pitéable106 ;

        Des heures sont, aucunesfois,

        Q’un riche est plus chiche q’un dyable.

.

                     LE  SECOND  COQUIN                             SCÈNE  VI

245  Homme de bien, doulx, amÿable107 :

        J’ay ouÿ dire à plus de mille

        Qu(e) estes l’homme plus108 charitable

        Qu’on sache par champs ne par ville.

        Las ! nous n’avons ne croix ne pille109

250  Pour vivre, ne plus froit que l’astre110.

                     LE  PÈRE

        Escoutez comment il babille

        Pour en avoir !

                     LA  MÈRE

                               Han ! quel follastre !

        Il en abatroit plus que quatre,

        Qui le croyroit111.

                     LE  PÈRE

                                       Voire que dix !

255  Il feroit rage d’en abatre,

        Mais que les gens crussent ses ditz112.

                     LE  PREMIER  COQUIN

        Au nom de Dieu de Paradis,

        Qui tant de maulx pour nous souffrit,

        Qui113 par grant charité offrit

260  En une croix son digne corps :

        Aydez à nous retirer hors

        De povreté !

                     LE  PÈRE

                            C’est bien presché !

        Vrayment, je tiendroye à péché

        D(e) aller distribuer114 mon bien

265  À telz gens qui ne vallent rien.

                     LA  MÈRE

        Que ne labourez-vous ès champs,

        Et trouvez de vivre moyen

        Sans vous tenir ainsi meschans115 ?

        Pensez-vous que riches marchans

270  Vous tendent le pain en la main ?

                     LE  PREMIER  COQUIN

        Hélas,  Madame : femmes et enfans,

        En noz maisons, meurent de fain116.

        Or avez-vous des biens tout plain,

        Lesquelz Dieu vous vueille sauver !

275  Donnez-nous, pour avoir du pain :

        Cela ne vous sçauroit grever117.

                     LE  PÈRE

        Ne cuidez pas si beau baver

        Que, de moy, denier puissiez traire118 !

*

Le père marie son fils à la fille d’un noble. Au cours des agapes fut jouée une farce de noces119, qui n’a malheureusement pas été conservée. La farce conclusive est également perdue. Car un spectacle théâtral comprenait un lever de rideau — sottie ou monologue comique —, une moralité, puis une farce qu’on annonçait à la fin de la moralité, comme en témoigne le dernier vers de la Bouteille : « Atendez, vous aurez la Farce.120 » Aussi, la version BnF de notre moralité ajoute ce quatrain final : « Homme ne se tire à l’escart [que nul ne s’en aille], / Mais garde bien chascun sa place ! / Car pour le département gaillard [pour se quitter de bonne humeur], / J’entens que vous aurez la Farce. »

.

                     LE  CURÉ                                                     SCÈNE  VII

        Nous aurons quelque esbatement,

280  Ce croy-je.

                     LE  PREMIER  VOYSIN

                            Quelque farcerie.

                     LE  SECOND  VOISIN

        Feste ne vault rien autrement,

        S’il n’y a farce ou mommerie121.

                     Icy jouent une farce. Et puis, la

                     farce jouée, le seigneur parle.

*

Les mendiants, selon la coutume, ont reçu les restes du banquet de noces. Ils s’en lèchent encore les babines le lendemain.

.

                     LE  PREMIER  COQUIN,  en chantant.     SCÈNE  VIII

             Au joly bosquet 122

             Croist la vïolette.

                     LE  SECOND  COQUIN,  [en chantant.]

285       C’est bien dit, Jaquet !

             Ton cueur se goguette123.

                     LE  PREMIER  COQUIN

        Je me resjouy de la feste

        Qui fut hier faicte.

                     LE  SECOND  COQUIN

                                       Pour le moins,

        Ung lopin m’est cheu entre les mains124,

290  Qui estoit de bon appétit :

        Ce fut de la tarte ung petit125,

        Que j’euz tout soudain avallée.

                     LE  PREMIER  COQUIN

        Comment rosty, tarte, gellée

        Venoit en estat triumphant,

295  Pour la feste de cest enfant !

*

Les dernières nouvelles sont bonnes : le riche avare, qui a tout donné à son fils ingrat, est enfin ruiné. L’heure de la revanche approche ; aussi, nos mendiants astiquent leur plus bel argot.

.

                     LE  PREMIER  COQUIN                           SCÈNE  IX

        Et puis, gaultier : qui se rescaille126 ?

        Qui bruyt127, à présent ?

                     LE  SECOND  COQUIN

                                               Je me marmouse128,

        Car (pardieu) dedans ma fouillouse129

        Il n’y a harpelu ne maille130.

                     LE  PREMIER  COQUIN

300  Qui pire est, le monde se raille,

        Présent, des povres souffreteux131 :

        On les appelle « coquinaille132 ».

                     LE  SECOND  COQUIN

        Il fault que desrisïon saille133

        Tousjours sur les calamiteux.

                     LE  PREMIER  COQUIN

305  Mais ce gros pinart maupiteux134,

        Qui jamais ne fist aucun bien,

        Qui est maintenant marmiteux135 :

        Dont vient cela ?

                     LE  SECOND  COQUIN

                                    Je n’en sçay rien.

        Peult-estre qu’il n’a plus du sien

310  Comme il souloit136 le temps passé.

        Puis il est vieil et ancïen.

                     LE  PREMIER  COQUIN

        Par le corps bieu, c’est bien pensé !

        Ou que son filz l’a délaissé

        De tous poins, et n’en tient plus compte,

315  Après qu’il l’a eu avançay137.

                     LE  SECOND  COQUIN

        S’il est ainsi et je le sçay138,

        Je luy en diray plus de honte

        Que l’eaue de la grant mer ne monte :

        Trop desprisoit mendicité.

                     LE  PREMIER  COQUIN

320  Aussi vray que je [le] raconte,

        Il cherra en nécessité139.

                     LE  SECOND  COQUIN

        Plust à Dieu que ma voulenté

        Fist140 son filz ! Plustost le verroit

        Mourir141 qu’il ne luy donneroit

325  Ung morceau de pain seulement.

        Et si, feroit vray jugement,

        Car jamais ne le vis en lieu

        Qu’il voulsist142 rien donner pour Dieu.

        Mais se jamais vient à ung huis

330  Pour en demander et g’y suis143,

        Lourdement je l’en chasseray !

                     LE  PREMIER  COQUIN

        Aussi feray-je, se je puis.

        Et son filz luy reprocheray.

*

La situation de l’ancien riche s’aggrave, pour le plus grand bonheur des mendiants.

.

                     LE  PREMIER  COQUIN                           SCÈNE  X

        Vélà le mastin144 qui se plaint

335  À sa femme — j’ay entendu —

        Que tout son grant feu est destaint145,

        Et est tout le sien despendu146.

                     LE  SECOND  COQUIN

        Ha, que le vélà esperdu !

        Tousjours avoye en fantasie147

340  De le voir une fois rendu

        À l’Ordre de Bélistrerie148,

        [Ainsi qu’une povre personne.]149

                     LE  PREMIER  COQUIN

        Il s’en va demander l’aumosne

        À son filz.

                     LE  SECOND  COQUIN

                          S’il luy dit : « Adieu,

345  Mon amy, vuidez de ce lieu ! »,

        Ce sera une dyablerie.

                     LE  PREMIER  COQUIN

        Et puis Dieu sçait la mocquerie

        Qui en trotera par les champs,

        Entre bélistres et meschans150,

350  Par emprès151 entre seigneurie !

*

Avec une délectation proche du sadisme, les mendiants interceptent le père et la mère à l’heure où, vêtus de loques, ils vont quémander auprès de leur fils ingrat.

.

                     LE  PREMIER  COQUIN                           SCÈNE  XI

        Quoy ! vous estes tout deschiré.

        Vostre filz vous congnoist-il point ?

        Plus n’avez robe ne pourpoint

        Qui vaille : où est tout demouré ?

                     LE  SECOND  COQUIN

355  Quant serez-vous bien réparé ?

        Dictes, hay, maistre [A]lipentin152 :

        Vous a vostre filz honnoré,

        Et en sa maison retiré153 ?

                     LE  PREMIER  COQUIN

        Ouy dea : [feu] soufflez bien matin154.

                     LE  PÈRE

360  Ha ! le chien, [l’]infâme mastin !

        Père et mère ne recongnoist.

                     LE  PREMIER  COQUIN

        Allez, ord infâme coquin !

        Maintenant, dessus vostre fin155,

        De povreté sçaurez que c’est.

                     LE  SECOND  COQUIN

365  Se vostre filz vous descongnoist,

        Maintenant, il vient bien à lieu156 :

        Car jamais les povres de Dieu

        N(e) aymastes ; il Luy en desplaist.

                     LE  PREMIER  COQUIN

        Jamais n’eustes ung denier prest157

370  Pour faire œuvre de charité.

                     LE  SECOND  COQUIN

        À ceulx qui sçavent le Donnest 158,

        Fault qu’il monstre sa povreté.

                     LE  PREMIER  COQUIN

        Et ! paillart, vous avez esté

        Tant riche, et acquis des biens tant :

375  Où sont-ilz ?

                     LE  PÈRE

                             Las ! j’ay tout bouté

        À avantager mon enfant.

                     LE  SECOND  COQUIN

        Or, allez sçavoir, maintenant,

        S’il a de quoy bien vous pourvoir !

                     LA  MÈRE

        Comment ? Seulement de nous veoir

380  Il est honteux et desplaisant.

                     LE  PREMIER  COQUIN

        C’est la raison, puis qu’il est grant159

        Et qu’il a des biens largement.

        Dire estre filz d’ung caÿmant160 ?!

        Père et mère ne servent rien.

385  Ce seroit honte, voyrement.

                     LA  MÈRE

        Présent161 nous a fait seulement

        De162 pain bis. Bien mauldire dois

        L’heure de nostre engendrement163,

        Enfantement, nourrissement,

390  Et que le conceuz une fois164 !

                     LE  SECOND  COQUIN

        Il a le vostre165, touteffois :

        Allez dire qu’il vous soustienne !

                    LE  PREMIER  COQUIN

        C’est droit (par monsieur166 sainct Françoys)

        Que malle167 povreté vous tienne.

                     LE  SECOND  COQUIN

395  À ceste heure-cy, vous souvienne

        Que jamais vous ne tîntes compte

        Des povres ; mais injures et honte

        [Vous] leur disiez, et qu’ilz perdoient

        Leurs peines quant vers vous alloient.

400  Car jamais n’en eurent denier,

        Quelque beau prier qu’ilz vous ayent168.

                     LE  PÈRE

        Hélas, c’estoit pour espargner

        Pour cest infâme pautonnier169

        Qui me descongnoist et regnie,

405  Maintenant, à mon temps dernier170.

        Se Dieu est juge droicturier171,

        Point ne croy qu’Il ne le mauldie172 !

                     LE  PREMIER  COQUIN

            Allez, plain de villenie,

            Bélistre en bélistrerie,

410      D’huys en autre173 mendïer

            Et demander vostre vie174 !

            On ne peult, par mocquerie,

            Trop fort vous injurïer.

            Car, pour Dieu ou pour prier

415      Qu’on vous sceust approprier175,

            Onc n’eustes la courtoisie

            D(e) ung povre [homme] conseillier176,

            Pour tout bouter [sans cillier]177

            À celluy [filz] qui vous nie178.

.

                     LE  SECOND  COQUIN                             SCÈNE  XII

420          C’est ma prophécie,

                Dont Dieu je mercie

                Que point ne mentoye179.

                Car, par sa folie,

                Convient qu’il mendie

425          Comme je disoye.

*

Le père prodigue est contraint de vendre ses frusques aux deux mendiants, qui sont désormais plus riches que lui. Mais dans les Moralités, bien mal acquis ne profite jamais.

.

                     LE  PÈRE                                                     SCÈNE  XIII

        Or n’ay-je ne denier ne maille,

        Ne chose du monde qui vaille,

        Fors que ce vestement maleureux.

        Encore me le vault-il mieulx

430  Vendre à aucun, ou engaiger180,

        Que la laisser181 en ce dangier

        De mourir de fain.

                     LE  PREMIER  COQUIN

                                       Que dis-tu,

        Meschant coquin, asne vestu182 ?

        Par droit on te deveroit pendre !

435  As-tu argent ?

                     LE  PÈRE

                                 Pas ung festu.

        Et si, [je] n’en sçauroye où prendre183.

                     LE  SECOND  COQUIN

        Vien çà, paillart ! Me veulx-tu vendre

        Ta robe ? Je l’achetteray.

                     LE  PREMIER  COQUIN

       Non feras ! Mais je changeray

440  La mienne à luy, qui ne vault rien184,

        Et argent luy retourneray.

                     LE  PÈRE

        Il me fauldroit sçavoir combien.

                     LE  PREMIER  COQUIN

        Vingt solz tournoys elle vault bien.

        Et se tu veulx que marché tienne,

445  Despouille-toy et prens la mienne :

        C’est droictement ce qu’il te fault

        Pour estre vestu en marault.

        Point plus je ne t’en donneray.

                     LE  SECOND  COQUIN

        Escoute, Gautier, bien mieulx vault ;

450  Mais c’est tout ung : g’y partiray185.

                     LE  PÈRE

        Çà ! de par Dieu, je le feray.186

.

        Dieu m’envoye ce qu’il luy plaira !                               SCÈNE  XIV

        Mais tant de foys je mauldiray

        Le paillart qu’il luy mescherra187.

455  Hé, Jésus ! Qu’esse que dira

        Le monde de ma congnoissance188,

        Maintenant, quant il me verra

        En ceste grièfve doléance189 ?

        Au fort, je fais la pénitance

460  Du grant péché que j’ay commis

        Par orgueil et oultrecuidance

        Pour mettre mon filz à plaisance.

        Je n’ay plus, au monde, d’amys.

.

                     LE  SECOND  COQUIN                             SCÈNE  XV

        Viens çà ! Ne m’as-tu pas promis

465  Qu’à ceste robe auray ma part,

        Rabbatus ce que tu as mis190 ?

                     LE  PREMIER  COQUIN

        Ta fièvre quartaine, paillart !

        Par la chair bieu, pas ung hallart191 !

        C’est à moy ! Je la retiendray,

470  Et à ung fripier la vendray

        Pour y gaigner ung franc [ou deux192].

                     LE  SECOND  COQUIN

        Comment ! Veulx-tu faire du gueux ?

        S(e) une foys j’ay la teste enflée193,

        Garde-toy de moy, se tu veux !

475  Car je maintiendray par les dieux194,

        Devant tous, que tu l’as besflée195 !

                     LE  PREMIER  COQUIN

        Va, va, yvrongne, à ta siflée

        Des pipeurs196, car c’est ton droit lieu197 !

                     LE  SECOND  COQUIN 198

        Et, çà ! Que bon gré en ait Dieu !

480  Fault-il tant de foys caqueter ?

                     LE  PREMIER  COQUIN

        Au larron, qui me veult oster

        Ma robe !!

                     LE  SECOND  COQUIN

                           Je renye sainct Gris199 !

        G’y auray ma part, pour le pris,

        Ou je t(e) assommeray de coups !

                     LE  PREMIER  COQUIN

485  Prens-la, et me baille vingt soulz :

        C’est l’argent que j’en ay donné.

                     LE  SECOND  COQUIN

        Et puis200 ? C’est ung bien entre nous,

        Que Dieu nous avoit amené.

*

1 À la fin de la version BnF, le colophon de l’éditeur l’intitule : Mistère du crapault.   2 Sots. Chanson inconnue : voir H. M. Brown, nº 100.   3 Sale. Idem vers 362.   4 De quelque. La misère des nobles beaucerons était proverbiale ; voir la note 99 de Maistre Mymin qui va à la guerre. Celui-ci se nourrit de chansons, alors que pour Rabelais, « les gentilzhommes de Beauce desjeunent de bâiller ». Gargantua, 16.   5 Les jeunes coursiers, faute de mieux, se nourrissent de notes. « Entre nous, petis gallopins,/ Aurons-nous point quelques loppins [morceaux à manger] ? » ATILF.   6 Par manque de bons morceaux à manger. Idem vers 289.   7 À présent ; idem vers 301. « Turlupin : un fainéant, un homme de rien. » (Le Roux.) Jeu de mots sur « tire-lopin », pique-assiette : « Hume-brouet meine à la dance/ Le maistre des tirelopins. » Geu saint Denis.   8 Depuis que les scélérats. Même terme argotique aux vers 201 et 305. « Tel semble estre bonne personne/ Qui est un très mauvais pinard. » Les Povres deables.   9 En argot, un gourfarin est un amateur de bonne chère. Gourd pharynx = grand gosier. « Bons compaignons, rustres et gourfarins. » A. de la Vigne.   10 Ont rendu le blé plus cher. Idem vers 72.   11 Je veux dire : de l’argent*. La croix est le côté face d’une monnaie, comme au vers 249. En argot moderne, le « blé » symbolise toujours l’argent.  *Ou plus exactement, de l’or, qui a la couleur du blé doré. Dans l’argot de l’époque, les grains désignent des écus d’or.   12 BnF : biens  —  Aix : ble  (Il y a moins d’argent honnêtement acquis que d’argent volé.)   13 Tous les voleurs. Les « brigands des bois » détroussent les voyageurs dans la forêt. On remarquera l’humour de nos deux voleurs, ici et aux vers 53 et 481.   14 Plutôt deux fois qu’une ! C’est une réponse au vers 21. « Et pour mieux passer le temps,/ En ce voyage/ Boiront des foys plus de trois. » Noëls lavallois.   15 Nos grains de blé ne seront pas autre chose que des poux.   16 Éd : vault  (Tout cet argent ne vaudra plus rien.)   17 Au-delà de la patrie des mal nourris, qui mangent le clair de lune faute de mieux. « –Et d’où est-il ? –De Panpelune :/ Le pouvez veoir à ses abitz. » Baudet, Blondète et Mal-enpoint.   18 Jeu de mots sur « comédie ». Les argotiers jouent beaucoup sur les toponymes : Aller à Niort (nier), à Bordeaux (au bordel), à Reims (aux reins d’une femme), à Angoulême (engouler = manger), à Saint-Trottin (trotter en ville), etc.   19 Je ne connais personne qui sache où elle est, ou qui me l’indique.   20 Pour cette raison.   21 S’il n’y avait pas des manques : le manque d’argent, ou de nourriture.   22 Que le métier de la mendicité. Idem vers 341 et 409. « Au monde, n’a plus belle vie/ Que le train de Bélîtrerie. » Hystoire de la vie du glorieulx sainct Martin.   23 Forme argotique de « quémander ». Voir le vers 383. « Gens vagabonds et oyseux [oisifs] : qu’ilz les facent labourer [travailler], et ne les souffrent point caÿmander. » Ordonnance contre les caÿmans et bélistres.   24 Que de gagner sa vie en la demandant. « Car ceste manière de quester est plus utile, pour avoir sa vie, que aultrement. » La Nef des Folz du monde.   25 Compagnon. Idem vers 213, 296 et 449. « Je veulx rebigner [surveiller] le gaultier/ Et, par signes, l’admonnester/ De mignonnement se traicter [se tenir]. » (Mirouèr des enfans ingratz.) Mais il semble bien que nos coquins s’appellent tous deux Gautier, ce nom étant fort répandu chez les voyous : voir Gautier et Martin.   26 Une riche maison. Mots d’argot. « Ung gier coys de la vergne Cygault [de la ville de Paris]. » Villon, Ballades en jargon, 9.   27 En ce qui concerne ; idem vers 118.  Les écus de poids ont le poids réglementaire ; idem vers 238.   28 Les voleurs sont souvent en libertés. Voir la note 13.   29 De quoi bâfrer <argot>. Cf. les Bélistres, vers 312.   30 Quelque riche dupe. Mots d’argot. « Embuschons-nous soubz la feuillée/ Pour attendre quelque syrois. » Les Tyrans au bordeau.   31 Étrenner un commerçant, c’est lui procurer son premier paiement de la journée.   32 Maintenant que le pain est devenu trop cher.   33 « Estre au pont aux asnes : estre confus, estre renversé, ne sçavoir que dire, en demeurer là. » Antoine Oudin.   34 De nombreux gueux mourront.   35 La mort de Bon Temps est le sujet de plusieurs sotties.   36 Si nous ne trouvons pas le moyen.   37 « ‟Jehan Aymes, qui avoit joué aux marelles à six tables, appelé le jeu Saint-Marry.” C’est un jeu de mots qui rappelle la confusion du joueur dupé et ‟marri”. » Lazare SAINÉAN, les Sources de l’argot ancien, t. I, p. 86. Malheureusement, Sainéan n’avait pas lu le Mirouèr des enfans ingratz.   38 Plus aucun homme ne sera large, généreux.   39 Cet accapareur. « Les riches et ces gros mangons, et ces gouffres [goinfres] qui ne demandent qu’à tout ravir. » Godefroy.   40 Qu’un peu.   41 Comment. Les deux filous vont imaginer des histoires émouvantes pour apitoyer leur victime.   42 Une tromperie. Même mot d’argot à 226.   43 Notre argent. Les marchands au long cours pouvaient tout perdre si leur bateau était coulé par la flotte anglaise.   44 Faisons-nous plutôt passer pour des fermiers.   45 Mauvaise. Idem vers 394. Les mendiants qui font croire qu’ils ont tout perdu dans un incendie constituent une catégorie à part entière, qu’on nomme en argot les « riffaudés ».   46 Car il n’y a personne qui ne soit sujet aux revers de Fortune.   47 La grotte de la Sainte-Baume (qui passe pour avoir hébergé Marie Madeleine), et l’abbaye de Saint-Hubert-en-Ardenne. Ces deux pèlerinages drainaient de bons chrétiens, auxquels les autochtones faisaient la charité, mais aussi des « coquillards » qui abusaient de la naïveté ambiante.   48 Aix : de rusfes cheu en nos conais  —  BnF : russes cheu a noz conais  (Qu’il vienne à notre invitation.)  Ce quatrain argotique a dérouté les éditeurs, et sans doute les copistes qui les ont précédés. Je ne garantis pas mes corrections.   49 Aix : grenoys  —  BnF : grenois  (Celui qui a tout bouffé, aussi bien le grain que les épis. Gautier et Martin propose une formule similaire : « Il n’y a plus denier ne maille ;/ Tout est riflé, jusqu’à la paille. »)   50 Aix : Andres petons  —  BnF : Andres yetons  (Les brelandiers tiennent des cabarets où l’on joue au brelan, c.-à-d. aux dés. « Berlandiers, taverniers, cabaretiers, basteleurs & autre personne faisans exercice de jeux dissolus. » Ordonnance royale.)  Je traduis ces 4 vers ainsi : « Ne nous en tenons pas aux ruses. Que suive notre combine celui qui a tout perdu au jeu ! »   51 Les marcandiers accusent un innocent d’avoir volé leur marchandise, puis l’obligent à rembourser le prétendu vol. « Marcandiers : classe de gueux, prétendus marchands qui se disaient avoir été volés. » L. Sainéan, II, 391.   52 Éd : enteneroit harmes  (Ce bourgeois n’y « entraverait » pas un mot, n’y comprendrait rien. « Il le leut, mais n’entervoit que floutière [que dalle]. » Le Jargon de l’argot réformé.)   53 Il nous faut parler autrement qu’en argot.   54 Trompons ! Même verbe argotique aux vers 122 et 210. Cf. Gournay et Micet, vers 216 et 480.   55 Éd : bielle  (En argot, la bille est une monnaie en billon. « De la monnoye, c’est de la bille. » Guillaume Bouchet.)  Les mendiants abordent le riche.   56 Nous qui sommes nus, et dépris de tous biens.   57 Que vous êtes capables de gagner votre vie. Idem vers 147.   58 Si je les répartissais ainsi. Idem vers 191.   59 Dans une bonne situation. Idem vers 169.   60 Je ne prendrai pas ce risque.   61 J’aime mieux que mon enfant trouve de quoi vivre après ma mort.   62 Plutôt qu’il dise.   63 Partage de ses richesses.   64 Qui paiera pour faire dire des messes après ma mort.   65 Qu’il n’y manquera pas.   66 Éd : soustiendra  (Qui surviendra, qui vous adviendra. « Ce qui sourviendra de par delà. » Louis XI.)   67 Mendiants. Idem 349 et 409.   68 Les noms.   69 Éd : beau  (Je ne suis pas avide. « Ribauds/ Qui de tout prendre sont si bauds. » Godefroy.)   70 Il n’y a aucun débatteur qui puisse répondre à leurs discours.   71 Tout ce que je possédais a brûlé. Le 1er Coquin expérimente l’histoire qu’il a imaginée aux vers 96-98.   72 Il n’aurait plus rien à mettre dans sa poêle.   73 Raconter une anecdote.   74 Il peut vous en advenir comme cette fois-là.   75 Ce légiste n’a rien à faire là ; il faudrait un homme d’Église, par exemple un aumônier, ce qui enrichirait le vers suivant d’un calembour : prêcher par oboles.   76 Dans un moutier, un monastère. Idem vers 212.   77 Ou les Épîtres de saint Paul.   78 Pour ce que je vous donnerai, mon fils ne s’appauvrira pas d’un centime.   79 Si j’ai de l’argent, cela me convient bien.   80 Ce n’est pas à cette canaille que je dois partager mon bien.   81 Partons <argot>. Cf. les Tyrans au bordeau, vers 61.  Les coquins s’en vont.   82 On n’aura jamais dit tant d’injures. Idem vers 317 et 397.   83 Comte, baillis ou vicomte.   84 De ce scélérat <note 8>.   85 Avare.   86 Ces farceurs, ces bons vivants que nous sommes. Argot. « Dorelotz et fars/ Qui par usaige, à la vergne [ville] jolye,/ Abrouèrent au flot de toutes pars/ Pour maintenir la joyeuse folye. » Villon, Jargon, 11.   87 Quelques liards : des piécettes. Même terme argotique aux vers 216 et 299. « Un liard : un herpelu. » G. Bouchet.   88 Pour ce qui est de me plaindre pitoyablement.   89 D’user d’une belle tromperie. « Par une fainte,/ Par ung beau joncher évident. » Gournay et Micet.   90 Qu’un marchant de pardons dans un monastère. Voir la farce du Pardonneur.   91 Nous n’avons pu, avant-hier, empoigner un liard de lui. Mots d’argot.   92 Nous aurions des biens.   93 S’il nous avait donné un denier <argot>.   94 Enlevé. Verbe tolir.   95 Trompé. « Affiner/ Et abuser les bonnes gens. » Le Pardonneur.   96 De maraudeur. Idem vers 447. Voir les Maraux enchesnéz.   97 Une tromperie nouvelle. Cf. le vers 93.   98 Ceci ou cela.   99 Ce n’est qu’une question d’habileté. « Ce n’a esté qu’abilité/ À vous. » Mirouèr des enfans ingratz.   100 C’est bien dit. Les deux clochards tirent de leur balluchon des nippes encore plus miteuses que celles qu’ils portent, et ils s’en accoutrent. Voir la note 94 du Pasté et la tarte, une farce où « deux coquins » se déguisent pour retourner voir leur victime sans être reconnus.   101 Éd : voit  (Débrisés = déchiquetés.)   102 Même si c’était Dieu qui les avait divisés, décousus.   103 Plus misérables et lacérés.   104 Où est le fou qui me prêterait 100 écus de poids sur le gage de mon corset ?   105 Ton corset ne vaut ni un centime, ni un denier tournois.   106 Si ce père aura pitié de nous. Cf. L’Andureau et L’Andurée, vers 249. Les deux mendiants retournent frapper à la porte du riche.   107 Aimable. « Il est tant doulx et amÿable ! » Sœur Fessue.   108 Le plus.   109 Ni le côté face, ni le côté pile d’une monnaie.   110 Et nous n’avons rien de plus froid que l’âtre de notre cheminée.   111 Si on le croyait, il raflerait plus de pain que quatre hommes. « Et abatre pain à deux mains. » Villon.   112 Pour peu que les gens croient ses paroles.   113 Éd : Que   114 Éd : diminuer  (« Ses biens distribuer. » ATILF.)   115 Misérables. Idem vers 2, 235, 349 et 433.   116 Assertion destinée à émouvoir une mère. Si nos gueux avaient une maison, une épouse et des enfants, nous le saurions.   117 Cela ne peut pas vous ruiner.   118 Ne croyez pas plaider si bien que vous puissiez tirer de moi un seul denier.   119 Sur ces gaudrioles où toutes les obscénités sont permises, voir la notice de la Présentation des joyaux. La farce de noces du Mirouèr des enfans ingratz fut jouée par notre duo de coquins : tous les personnages ont déjà un rôle dans la scène du banquet, sauf eux ; or ils sont présents, puisqu’on leur distribue les reliefs du festin.   120 Une farce pouvait également succéder à une autre ; à la fin des Hommes qui font saller leurs femmes, on avertit les spectateurs : « Il y a encore la Farce de Pied-à-boulle. »   121 Ou un spectacle au cours duquel on danse la morisque. « Farces, mommeries et sotteries [sotties]. » Brantôme.   122 Sur la faveur théâtrale dont a joui cette chanson érotique, voir la note 106 de Te rogamus audi nos.   123 Exulte. Le 2e Coquin brode sur la suite de la chanson : « Je vis hier Jacquet/ Dire à Michelette. »   124 Un bon morceau a chu entre mes mains. « Pense-tu qu’on te puist bailler/ Tousjours des chappons entre mains ? » Le Capitaine Mal-en-point.   125 Un peu de tarte.   126 Qui fait peau neuve, comme un serpent qui mue.   127 Qui est en vogue ? « –Qui bruit ? –Qui ? Moy ! » Les Sotz qui corrigent le Magnificat.   128 Je grogne. « Que ravissans loups/ M’estranglent se plus je marmouse ! » Le Retraict.   129 Dans ma bourse <argot>. « Nous luy ramplirons sa foulliouse. » Les Deux pouvres.   130 Ni un liard, ni un centime. Note 87.   131 À présent, des pauvres nécessiteux. Effectivement, il y eut une farce du Povre souffreteux, nommée dans les Vigilles Triboullet.   132 Le père a commis cette raillerie au vers 190.   133 Éd : voise  (Il faut toujours que la dérision saute sur les infortunés.)   134 Ce scélérat sans pitié.   135 Pauvre. « Et le povre, et le marmiteux. » L’Aveugle et Saudret.   136 Plus autant d’argent qu’il en avait l’habitude.   137 Après que le père a contribué à l’avancement de son fils.   138 Et si je le sais.   139 Il tombera dans la misère. Verbe choir.   140 Éd : Eust  (Plût à Dieu que le fils du riche fasse selon ma volonté !)   141 Il préférerait alors voir mourir son père.   142 Jamais je ne vis son père en état de vouloir…   143 Si son père vient à une porte pour demander du pain, et si j’y suis déjà.   144 Voilà ce mâtin, ce chien. Idem vers 360.   145 Éteint. « Je destains le feu. » Mallepaye et Bâillevant.   146 Et que tout son argent est dépensé.   147 J’avais toujours à l’idée.   148 Sur cet ancêtre de la Cour des miracles, voir la note 99 des Tyrans au bordeau.   149 Vers manquant. « Par charité et par aulmosne,/ Affin que la pouvre personne/ Y puisse recouvrer santé. » Les Miraculés.   150 Parmi les mendiants et les miséreux.   151 Éd : expres  (Et plus tard parmi la noblesse. « Et par emprès, l’amenèrent en une aultre taverne. » Lettre de rémission.)  Par son mariage, le fils de l’ancien riche fréquente désormais l’aristocratie.   152 Le très rabelaisien saint Alipantin reçut un coup de pied au cul le jour du Mardi gras : cf. les Basteleurs, vers 196 et note. Maître Alipentin paraît être un croisement entre ce vénérable saint Alipentin et le faux savant maître Aliboron. En tout cas, il n’a aucun rapport avec le roi Alipantin, un ennemi du roi Arthur.   153 Accordé une retraite, logé.   154 Vous allumez le feu de bonne heure, comme les riches qui peuvent se payer du bois. « Souffler le feu : pour dire ‟souffler sur le feu pour l’allumer”. » (Dict. de l’Académie françoise.) Cette plaisanterie est cruelle : d’après le vers 336, le couple n’a plus de bois pour se chauffer.   155 Alors que vous allez sur votre fin.   156 Cela tombe bien. « Tout vient à lieu, qui peult atendre. » Proverbe.   157 Contrepèterie, sans doute involontaire : Un dernier pet.   158 Traité de grammaire latine de Donatus : « Où avez-vous mis mon Donnest ? » (D’un qui se fait examiner.) Jeu de mots traditionnel sur « donner » : « Le Donat est pour eulx trop rude. » Villon.   159 Maintenant que c’est un grand personnage.   160 D’un quémandeur, d’un mendiant. Argot. Cf. le Mince de quaire, vers 252 et note.   161 Éd : Presenter  (Il nous a seulement fait cadeau de pain noir, en disant à un domestique : « Varlet, donne-leur du pain bis ! »)   162 Éd : Du   163 De notre accouplement.   164 Et l’heure où je l’ai conçu.   165 Votre argent.   166 Aix : mõseigñr  —  BnF : monseigñr  (« Monsieur sainct Françoys ! Que peult-ce estre ?…./ Les brayes de monsieur sainct François. » Frère Guillebert.)   167 La mauvaise. Idem vers 97.   168 Aussi fort qu’ils vous aient prié.   169 Vaurien.   170 À ma dernière heure.   171 Juste.   172 Les 2 négations s’annulent : Je crois qu’il le maudira.   173 D’une porte à l’autre.   174 Votre subsistance.   175 Qu’on puisse vous rendre favorable à nos demandes.   176 Consoler. « Consoillier les déshéritéz. » Godefroy.   177 Éd : en cellier  (Sans sourciller, sans hésiter. « On lui doibt dire sans cillier :/ Passe delà ! » ATILF.)   178 Qui vous renie.  Les parents du fils ingrat s’en vont.   179 Qu’il ne m’ait pas fait mentir : qu’il ait réalisé ma prophétie.   180 Ou le mettre en gage contre de l’argent.   181 Que de laisser ma femme.   182 Âne habillé en homme. Comme au vers 362, les Coquins traitent de « coquin » l’ancien riche.   183 Et même, je ne saurais où en prendre.   184 La mienne, qui ne vaut rien, contre la sienne, qui est encore luxueuse.   185 Je participerai à l’achat.   186 Le père prodigue échange sa robe contre celle du 1er coquin, puis il s’éloigne en maudissant son fils.   187 Qu’il lui arrivera malheur. Verbe méchoir.   188 Le voisinage.   189 Dans cette cruelle affliction.   190 En soustrayant la somme que tu as mise.   191 Tu n’en auras pas un sou <argot>. « –Argent contan ! –Pas ung halart ! » Moralité de la Croix Faubin.   192 Je comble cette lacune. « Ung franc ou deux pour leur despens. » Ph. de Vigneulles.   193 Si ma tête s’échauffe.   194 Ce juron païen est commun dans les Mystères qui décrivent les temps bibliques ou antiques ; mais notre Moralité se situe en France au XVIe siècle.   195 Extorquée <argot>. Cf. Gournay et Micet, vers 455-6 et 524.   196 Des chasseurs qui sifflent dans un appeau pour attirer les passereaux ; voir la Pippée. Mais un pipeur est aussi un tricheur qui pipe les dés.   197 C’est l’endroit qui te convient le mieux.   198 Il tente d’arracher sa robe au 1er Coquin.   199 St François d’Assise, dont la robe était grise.   200 Et après ? Il s’agit d’une fin de non-recevoir. « –Nous vous avons servy. –Et puis ? » (Les Premiers gardonnéz.)  Les Coquins sortent définitivement ; renonçant aux guenilles et à l’argot, ils vont sans doute jouer les rôles de l’évêque et du pape à la fin de la pièce.

CUISINE INFERNALE

Bibliothèque nationale de France

Bibliothèque nationale de France

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CUISINE

INFERNALE

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Les diables des Mystères sont anthropophages. Quatre siècles et demi avant la Cuisine cannibale de Roland Topor, Claude Chevalet nous met l’eau à la bouche avec leurs recettes les plus savoureuses.

Source : La Vie de sainct Christofle, élégamment composée en rime françoise et par personnages par maistre Chevalet. Imprimé à Grenoble en 1530. Bibliothèque nationale de France, Rés. Yf. 116. Édition critique de Pierre SERVET : La Vie de sainct Christofle ; Droz, 2006. L’édition Servet comporte 19 920 vers ; la mienne en présente le dixième, soit 1 942 vers répartis en six farces : Cuisine infernale, l’Aveugle et Picolin, les Tyrans au bordeau, L’Andureau et L’Andurée, le Fol et la Folle, les Basteleurs.

Structure : Rimes abab/bcbc, rimes plates.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

*

Lucifer, enchaîné devant la gueule béante de l’enfer1, ne peut se déplacer. Il passe donc son temps à faire venir près de lui ses diables (voir la Chanson des dyables), pour leur confier des missions grotesques, et pour les faire corriger par leurs rivaux lorsque lesdites missions échouent. Pour l’instant, il appelle Cerbère ; ce dernier revient de la terre, où il a fourré dans son grand sac l’âme de plusieurs pécheurs.

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                        CERBÉRUS                                              SCÈNE  I

        Que te fault, beste abhominable ?

        J’ay logé dedans ton estable

        Une vieille jument2 prebstresse

        Que j’estranglay hier d’ung gros câble,

5      Comme3 le prebstre disoit messe.

        Si ay, pour luy chauffer la fesse,

        Appresté de fin feu grégoys4,

        Pour luy faire fondre la gresse

        Du cropïon autour du joys5.

10    Et ainsi que je revenoys,

        Ung musnier alla à basac6 ;

        Je le griffay7, comme tu voys,

        Et le fourray dedans mon sac.

        Et puis, pour faire du bo[u]ssac8,

15    Deux bigards9, une papelarde.

        Et encor, au fons du bissac,

        Une grosse putain paillarde :

        Il ne fault jà que l’on la larde10,

        Car ell’ est [bien] grosse et espesse.

20    Le rouge fin feu d’Enfer l’arde,

        L’orde puant lo[u]dière yvresse11 !

        Elle a tant fait la « haulce-besse12 »

        Qu’elle en a le ventre pelé.

        La glace fust d’ung pied espesse13

25    Avant qu’ell’ eust le cul gelé !

                        LUCIFER

        Sanglant clabaud14 démuselé,

        Porte-moy le sac et l’espice15

        Au feu, pour estre desgelé16 !

        Car je vueil que tout se rôtisse

30    Pour Proserpine, celle lysse17,

        Et pour sa belle nourriture :

        Car tu sces bien qu’ell’ est nourrisse18.

        Donne-luy cela pour pasture !

.

                        CERBÉRUS 19                                           SCÈNE  II

        Empoigne cela sans demeure,

35    Beste serpentine20 cruelle !

        Ce sera une bonne cure

        Pour toy conserver la cervelle.

                        PROSERPINE

        C’est pour mon dé et ma chandelle21

        Que j’auray ces frians morceaulx.

.

40    Venez tost, quant je vous appelle,                                SCÈNE  III

        Pour riffler22 trippes et boyaulx !

        Tenez, mes petitz diableteaulx

        Que je tiens et nourris si cher23,

        Esperits faulx24 et desloyaulx :

45    Mengez-moy les otz25 et la chair !

                        MAMMONA

        Nous l’avalerons sans mascher,

        Puis que nous sommes en besoigne26.

        Je n’ay garde de rien lascher,

        Quant je me tiens à la charoigne.

                        ASMODÉUS

50    Je rechigne, je mors, je groigne,

        Quant je me treuve à la pasture ;

        Mais Mammona tousjours me hoigne27

        Quant je vueil faire ma morsure.

.

                        FLÉGÉAS,  à tout [une hotte]28.               SCÈNE  IV

        Lucifer, monstre-moy ta hure,

55    Fronce ton horrible museau !

        J’ay prins ung villain plain d’usure29,

        Qui est plus puant q’ung méseau30 ;

        Mais harsoir31, ainsi qu’ung oyseau,

        J’empoignay32 la caille d’ung vol.

60    Je le vous serray comme ung veau,

        De nuyct, et luy tordis le col !

        Si sera mengé, dur ou mol33,

        Qui m’en croyra34, à la moustarde,

        Avec ung marran35 espaignol

65    Qui est aussi dur q’une oustarde36.

        Ou, s’on les rôtist, qu’on les larde

        Du lart de ce paillart gourmant

        Qui mourust avec sa paillarde

        La nuyt passée, en [son] dormant37 !

70    Ou qu’ilz soient, en grief38 tourment,

        Tous par menus morseaulx hachéz,

        Là où ilz vivront en mourant

        Sans jamais estre relâchéz39 !

.

                        ASTAROT                                                  SCÈNE  V

        J’en apporte deux, attachéz

75    Ensemble a[vec] une cordelle40 :

        Ung ruffien (que vous le sachez),

        Et une vieille macquerelle

        Qui vendit sa fille pucelle

        À ung milor[t]41, argent content,

80    Contre toute amour naturelle

        Quant la mère vent son enfant.

        Mais Dieu — qui tout péché deffent42

        Permist que la vieille mauldicte,

        Plus venimeuse q’ung serpent,

85    Mourust harsoir de mort subite43.

        Si, conseille qu’elle soit fricte

        — Puisqu’ainsi est qu’ell’ est griffée44

        Et, comme des Cieulx interdicte,

        [Soit] mise à la galimafrée45,

90    Et de tous les diables briffée46

        Dedans nostre noire maison.

        Et le ruffien sera, d’entrée,

        Rousty ainsi comme ung oyson.

.

                        BELZÉBUTH                                            SCÈNE  VI

        Lucifer, voicy venoison47

95    Qui ne veult que vin et vinaigre48.

        Je ne sçay s’ell’ est de saison49 :

        C’est ung bigard50 qui est bien maigre.

        Je l’ay empoigné à ce vespre51.

        Si luy fault faire sa raison52,

100  Puisqu’on le tient, le maistre prebstre :

        Car il est pire que poison,

        Pour chanter « Kiriélèyson53 »

        Sur le cul de quelque truande,

        Fust54 Gu[i]llemette ou Alyson.

105  Il ne demandoit55 autre offrande,

        Et disoit nocturne56 et légende

        Tousjours en « parchemyn velu57 »,

        Et tenoit la beste en commande58

        En sa maison, le goguelu59 !

110  De chanter estoit résolu60

        Sur la plume61, soubz les courtines,

        Voyre sur le « livre fendu62 »,

        En lieu de cloches les tétines,

        Dont il sonnoit souvent matines

115  Quant il estoit à son privé63.

        Fussent commères64 ou cousines,

        Tout estoit coigné et rivé !

        Là, despendoit à cul levé65

        Les biens de Dieu et sa prébende.

120  Si le fault[-il] mettre au civé,

        Ainsi que veneyson demande66.

                        LUCIFFER

        Allez, paillars ! Que l’on le pende

        En la grant roue circulaire

        De rouge feu67, chaulde et friande68 !

125  Et luy baillez là ung « clistère69 » !

.

                        BÉLIAL                                                      SCÈNE  VII

        Voicy l’âme d’ung faulx notaire70,

        Rongeur de la Court des excès71,

        Qui scet bien ung seing72 contrefaire

        Et falsifier ung procès73.

130  Il avoit plain sac de procèz74,

        Dont il prenoit à toutes mains75.

        Mais harsoir, d’ung soudain décèz,

        Il se laissa choir en mes mains.

        Il a commis cas inhumains

135  Plus que Judas Ascarïot76 !

        Mais je l’ay serré par les rains

        Et amené sans charïot77.

                        LUCIFER

        Allez-moy acoup78 ce magot

        Par menus morceaux découpper !

140  Et m’en apportez ung gigot

        Farcy de beaux aux79, pour soupper !

*

Appartenant somme toute au genre femelle, Proserpine s’occupe de la cuisine ; Lucifer, qui est pourtant un fin gourmet, le lui reproche parfois : « Sortiras-tu de la cuysine, / Crapaude ? » Proserpine fait un usage très personnel de sa poêle, comme elle va le démontrer sur le pauvre Satan.

.

                        LUCIFFER                                                 SCÈNE  VIII

        Apporte, faulce80 Proserpine,

        La grant poyle de la cuysine,

        Toute rouge81, friande et chaulde !

145  Despêche-toy, acoup, crapaulde !

        Et que nul de vous ne reculle !

        Prenez Sathan ! Qu’on le baculle82

        Acoup, desloyaulx esperitz !

        Que tous puissez estre péritz,

150  Car l’on vous en deust autant faire !

                        CERBÉRUS

        Sathan, ce sera ton sallaire

        Pour ton dé et pour ta chandelle.

                        PROSERPINE

        Tenez ! Empoignez ceste poyle,

        Et luy faictes son petit pain83 !

155  Car c’est ung faulx84 filz de putain :

        J’ay grant joye qu’il soit batu.

                        ASTAROT

        Empoigne delà85 ! M’entens-tu,

        Cerbérus, et toy, Bélïal ?

        Et je jouray, ce86 férïal,

160  De ceste « poyle87 » sur ses fesses.

                        FLÉGÉAS

        Tien ferme, car si tu le laisse[s],

        Tu seras bo[u]tté88 en sa place !

                        BELZÉBUTH

        Tu as beau faire la grimace89,

        Car il te fault par là passer.

                        ASTAROT

165  Tenez bien ! Je voys90 commencer,

        Et compteray sans rien rabatre :

        Ampreux91 ! Et deux ! Et troys ! Et quatre !

        Cinq ! Six ! Sept ! Est-ce point assez ?

                        SATHAN

        A ! traistres !

                        LUCIFFER

                              Sus, recommencez !

170  Et vous gardez bien qu’il n’eschappe !

                        PROSERPINE

        Tenez ferme, que je le frappe,

        Le sanglant yvroigne gourmant !

        Tien, voylà pour ton payement !

        À ce coup, je m’en vengeray.

                        SATHAN

175  Traistres, je vous estrangleray !

        Et deust Luciffer enrager92,

        J’en auray ung93 pour me venger,

        Et le mengeray d’ung morceau !

                        BÉLIAL

        Fuyons tous devant ce pourceau,

180  Car je cuyde qu’il est en ruyt94 !

        S’il entre, il fera beau bruyt !

        En Enfer, si, se fault retraire95.

*

L’âme de deux prostituées vient d’échapper à nos diables. Ces faux jetons accusent Satan d’être responsable du gâchis.

.

                        LUCIFFER                                                SCÈNE  IX

        Usez-vous bien de voz praticques,

        D’avoir laissé hors noz lÿens

185  Aller ces putains malléficques

        Qui n’avoient esbat que des reins ?96

                        FLÉGÉAS

        Si l’on a perdu ces putains,

        Sathan en est cause du faict,

        Qui nous a donné ung banquet,

190  Au relever97 de Proserpine,

        D’ung mès à la saulce Robert98

        Sur ung moyne de grace myne99.

                        CERBÉRUS

        Mais à la saulce cameline100

        En fust la pluspart acoustrée101 ;

195  Et de s[es] piedz, à la dodine102,

        Nous en fîmes belle levée103.

                        BÉLIAL

        « Le saupicquet104, la gratonnée,

        Le haricot105, la sallemine106… »

        De trippes frictes, à l’entrée

200  Mengeasmes, avec pouldre fine107.

                        ASTAROT

        Nous n’avallasmes pas chopine108,

        Mais du meilleur à grans plains potz,

        Qui a tant faict prendre repos109

        À Sathan, ce meschant yvroigne,

205  Lequel tousjours contre nous hoigne110

        Quant nous parlons à Proserpine.

                        BELZÉBUTH

        Nous gardasmes tant la cuysine

        Que fusmes ensaincts d’esthomac111.

        Tous noz potz en sont à basac112.

210  Mais si toy, grant prince des chiens113,

        Fusses [du convive]114, je tiens

        Que nous eussions maint boyau vuyde115 !

                        SATHAN

        Nous pense-tu tenir la bride,

        Vieulx mastin116, contrefaict dragon ?

215  Si nous portons la venaison

        Pour fournir le gouffre infernal,

        Je veulx — estant117 le principal —

        Avoir118 la première lippée.

                        LUCIFFER

        Harou, teste démuselée !

220  Me veulx-tu du Règne119 expulser ?

                        SATHAN

        Te fault-il tant braire et prescher

        Pour la perte de deux putains ?

        S’ilz ont esté souvent à « Rains120 »,

        Elles veullent ores121 repos.

*

1 Pierre Servet explique (note 5983) : « Lucifer attend les diables sur la scène, hors de l’enfer. On peut penser que ceux-ci vont sortir de la gueule d’enfer pour se placer ‟devant”, c’est-à-dire sur l’espace scénique situé devant les structures fixes du décor. »   2 Une femme qui se laisse chevaucher par n’importe qui ; cf. Légier d’Argent, vers 217.  Une prêtresse est la concubine d’un prêtre ; cf. les Chambèrières et Débat, vers 229, 369 et 373.   3 Pendant que.   4 J’ai préparé du feu grégeois. Ce mélange est si corrosif qu’on l’utilise comme bombe incendiaire.   5 Du sexe. « Aussi chault comme feu grégoys,/ Pour t’ardre [te brûler] le trou et le joys. » L’Andureau et L’Andurée.   6 Mourut. « Maladye/ Qui te puisse mettre à basac. » (Digeste Vieille.) Les meuniers commettent tant d’exactions qu’ils sont damnés. La farce du Munyer montre un diable qui recueille dans son sac l’âme d’un meunier pour l’apporter à Lucifer.   7 Je l’agrippai. Idem vers 87.   8 Préparation contenant des épices et du verjus <note 98>.   9 Voici deux bigots, deux hypocrites qui se font passer pour dévots. Idem vers 97. « Bigars et ypocrites. » (ATILF.)  La papelarde est leur version féminine.   10 Il n’est pas nécessaire de la barder avec du lard pour la faire rôtir.   11 La brûle, cette sale pute alcoolique.   12 La hausse-baisse : le va-et-vient du coït.   13 Elle a tellement le feu au cul qu’il faudrait qu’elle s’assoie sur de la glace de 32 cm d’épaisseur…   14 Maudit aboyeur. Les Grecs représentaient Cerbère en chien à trois têtes : voir la note 113.  Démuselé = sans muselière ; idem vers 219.   15 Et son précieux contenu.   16 Déglacé, dégraissé.   17 Cette lice, cette chienne.   18 Qu’elle est enceinte : elle a donc besoin de manger pour deux, elle qui mange déjà comme quatre.   19 Il donne son sac à Proserpine, qui vient d’entrer. Le comédien qui la joue est affublé d’un énorme ventre.   20 Depuis la tentation d’Ève, le serpent est l’animal diabolique par excellence. Proserpine lui est souvent comparée, malgré son abondant système pileux : « Faulce lisse [sournoise chienne],/ Beste hideuse, serpentine. » St Christofle.   21 Pour mes menus plaisirs. Idem vers 152. Cf. l’Aveugle et Picolin, vers 143. Proserpine n’aime que la viande baptisée : « Mais d’ung chrestïen, d’ung ermite,/ Ce seroit viande appétissant…./ Car cela seroit venayson/ Que j’aymerois plus cher que cresme [sperme]. » St Christofle.   22 Bâfrer. Proserpine appelle ses charmants bambins, Mammon et Asmodée, pour qu’ils viennent s’empiffrer. Les deux diablotins sont emmaillotés de langes, et coiffés d’un béguin d’où dépassent leurs cornes ; ils se frappent mutuellement avec un hochet.   23 Tenir cher = chérir. « Estes-vous cy, ma chier tenue ? » St Christofle.   24 Sournois. Idem vers 126, 142 et 155. Un peu plus tôt, ces deux trompeurs se faisaient passer pour les pages de Satan.   25 Mangez ces os. Proserpine tend le sac de Cerbère à ses rejetons, qui s’en disputent violemment le contenu.   26 Maintenant que nous sommes à l’ouvrage.   27 Grogne contre moi. Idem vers 205.   28 Éd : ung mõstre  (Anticipation du vers suivant.)  Avec une hotte sur le dos, pour emporter les âmes damnées. « S’enporteray ceste curie/ D’âmes dampnées en ceste hotte,/ Affin que Lucifer, mon hoste,/ Les festoie de grants tourmens. » Mistère de saint Adrien.   29 Les usuriers ne sont pas damnés pour des raisons morales, mais parce qu’ils spéculent sur le temps, qui n’appartient qu’à Dieu.   30 Qu’un lépreux.   31 Hier soir. Idem vers 85 et 132.   32 Éd : Empoigne  (Tel un oiseau de proie, je pris cette « caille » en plein vol. « Car qui n’entent le jobelin/ N’a garde de prendre la caille. » Les Tyrans au bordeau.)   33 Bon an, mal an. Mais Phlégias prend cette expression au premier degré : qu’il soit dur ou qu’il soit tendre.   34 Si l’on m’en croit.   35 Un marrane est un juif d’Espagne qui fait semblant de se convertir au catholicisme pour ne pas être expulsé.   36 L’outarde est un échassier.   37 Pendant son sommeil, donc sans avoir reçu l’absolution. « La nuit passée, en mon dormant. » (Les Sotz escornéz.) La mort en état de péché mortel est encore évoquée aux vers 85 et 132.   38 Grave, pénible.   39 Sans connaître de relâche, de répit.   40 En des temps plus anciens, les adultères, attachés l’un à l’autre par le sexe, devaient traverser la ville entièrement nus.   41 À un milord, un richard. Cf. Digeste Vieille, vers 274. « Sa mère mesmes la vendra. » Éloy d’Amerval.   42 Défend, interdit. Astaroth prêche la morale chrétienne, sans laquelle l’enfer n’aurait aucune raison d’être. De la même façon, Dieu n’est rien sans les diables : c’est eux qui font régner la justice divine en punissant les pécheurs. Le camp du Bien et le camp du Mal collaborent pour défendre leurs intérêts communs ; dans le Mystère de sainte Agathe, deux anges vont chercher les diables aux enfers pour qu’ils châtient des hommes qui ont « grandement mespris envers Dieu », que Satan s’empresse d’aller venger : « G’y feray tel dilligence/ Qu’ilz reconnoistront bien l’offence ! » L’ambiguïté du discours diabolique s’affiche tout au long du Livre de la deablerie, d’Éloy d’Amerval, où Lucifer et Satan combattent verbalement l’immoralité comme de vieux théologiens.   43 Donc, sans confession <note 37>.   44 Puisqu’elle est entre mes griffes.   45 Cuisinée en fricassée <note 98>.   46 Bouffée.   47 De la venaison, du gibier humain. Idem vers 121 et 215.   48 Ce gibier sera préparé en civet (vers 120) avec du vin rouge, et les épices seront délayées « de verjus et de vin aigre », comme le préconise la recette du « civé de lièvres » de Taillevent.   49 Si elle est opportune.   50 Un bigot <note 9>.   51 Ce soir.   52 Aussi, il faut lui régler son compte. « On leur fera leur raison. » Digeste Vieille.   53 Kyrie eleison. Voir la note 41 du Clerc qui fut refusé.   54 Que ce soit.  Les peu farouches Guillemette et Alison sont deux des Femmes qui aprennent à parler latin.   55 Éd : demãde   56 L’office de nuit. La légende est le récit de la vie d’un saint.   57 Sur le pubis de sa maîtresse. Cf. les Tyrans au bordeau, vers 519-520.   58 La commende est un bénéfice ecclésiastique, tel celui que s’est arrogé l’abbé de Plate Bource dans le Jeu du Prince des Sotz : « Je vueil bien que chascun entende/ Que tiens [l’abbaye de] la Courtille en commande. »   59 Ce godelureau. Cf. la farce de Goguelu, F 45.   60 Il était résolu à dire la messe. « Ton père chante la grant-messe. » Les Miraculés.   61 Sur le lit. Cf. L’Andureau et L’Andurée, vers 449.   62 Sur la fente de sa maîtresse. « Ma belle, à ce concert, gentille,/ Ouvrit son livre allaigrement. » Ung jour que j’accollois m’amie.   63 Chez lui.   64 Que ce soient ses voisines.  Cogner et river = coïter.   65 Il dépensait à coups de cul. « Ces bonnes femmes (…) ont joué du serre-cropière à cul levé à tous venans. » Pantagruel, 17.   66 Aussi, il faut le préparer en civet <note 98>, comme ce gibier l’exige.   67 La mythologie chrétienne ne s’est pas contentée de transformer les faunes et les satyres en diables ; elle a également recyclé Proserpine (l’épouse de Pluton, auquel Lucifer doit beaucoup), Phlégias, Cerbère et quelques autres. Quant à la présente roue enflammée, elle n’est autre que celle du supplice d’Ixion dans les Enfers grecs.   68 Adjectif formé sur le verbe frire. Nous avons à peu près le même vers à 144. « Et luy allez bailler/ Ung clistère chault et friant ! » St Christofle.   69 P. Servet voit là une « allusion à l’empalement ». Mais on pourrait y voir une allusion à la sodomie, comme aux vers 179-180. Sur l’intérêt que Claude Chevalet porte à cette pratique, voir la note 244 des Tyrans au bordeau.   70 D’un officier de justice véreux. En tant que procureur et avocat des Enfers, Bélial fréquente le milieu juridique, où un démon a fort à faire.   71 Cette cour tentait de mettre bon ordre aux excès commis par les clercs. « Son procès/ Plaidoit à la Court des excès./ Et après son tort [sa condamnation], pour refuge,/ Alla monstrer son cul au juge. » La Grant malice des femmes.   72 Une signature, un sceau.   73 Un procès-verbal.   74 Éd : faulcez  (« On appelle sac de procèz un sac où l’on met les pièces d’un procèz. » Dict. de l’Académie françoise.)  L’éditeur a voulu éviter ce qu’il prenait pour une rime du même au même, alors que les deux sens sont différents.   75 De tous les côtés. « Je prens argent à toutes mains. » Le Retraict.   76 Judas Iscariote.   77 Sans recourir à un corbillard : en le portant dans mon sac.   78 Tout à coup ; idem vers 145 et 148.  Un magot est un singe : cf. les Tyrans au bordeau, vers 73.   79 Truffé d’ail.   80 Sournoise <note 24>.   81 Chauffée au rouge.  Friante = bouillante <note 68>.   82 Qu’on lui frappe sur le cul. « Baculer/ Et frapper culs. » Sermon joyeux des Frappe-culs.   83 Faites-lui du tort. « Pour leur faire leur petit pain. » St Christofle.   84 Sournois <note 24>.   85 Tiens-le par là !   86 Éd : du  (En ce jour de fête.)   87 On prononçait pelle. Chevalet transporte à la cuisine l’expression « frapper la pelle au cul » : flanquer une fessée. « Et luy frappa au cul la pelle. » François Villon.   88 Tu seras mis à sa place. Chevalet ne dit jamais « botter les fesses », mais « écorcher d’un patin » (les Basteleurs, vers 197).   89 Satan, tu fais inutilement la grimace.   90 Je vais. Astaroth empoigne la poêle que Proserpine lui tend obligeamment.   91 Et un ! Le même décompte accompagne des bastonnades aux vers 787-791 de l’Aveugle et Saudret, aux vers 226-237 de la Veuve, etc.   92 Et même si Lucifer devait enrager encore plus que d’habitude.   93 J’attraperai l’un d’entre vous. Satan échappe à l’étreinte de ses tortionnaires, et se met à les poursuivre tout autour de Lucifer.   94 En rut : il risque de nous sodomiser. Voir la note 69.   95 Nous devons nous réfugier dans les enfers. Jusque-là, les diables étaient à l’extérieur, auprès de Lucifer ; voir la note 1. Ils sautent donc dans leur terrier, et abandonnent au « rut » de Satan leur chef enchaîné.   96 Il semble manquer un vers en -ains, et un autre en -et.   97 Une accouchée reprenait sa vie ordinaire et sa vie paroissiale après le « banquet de relevailles ». Proserpine, qui était enceinte au vers 32, a donc pondu un nouveau diablotin, dont on ne connaîtra jamais le père.   98 Un mets en sauce épicée ; voir la note 214 du Capitaine Mal-en-point. La rime est faible parce que Chevalet emprunte ce passage culinaire à la Condamnacion de Bancquet (publiée en 1507), qu’on attribue au poète Nicole de la Chesnaye : « –Voz saulces sont-elles bien faictes,/ Escuyer ? –Ma dame honnorée,/ Veez-en cy de trop plus parfaictes/ Que cyvé ne galimaffrée./ Tout premier vous sera donnée/ Saulse Robert et cameline,/ Le saupiquet, la crétonnée,/ Le haricot, la salemine (…),/ Boussac montée avec dodine. »   99 De grasse apparence.   100 Sauce à la cannelle et au gingembre <note 98>.   101 La plus grande partie de son corps fut accommodée.   102 Sauce à l’oignon et au pain grillé <n. 98>.   103 Nous en avons prélevé une belle tranche. D’habitude, le vorace Cerbère n’attend pas que la sauce soit prête et que la viande soit cuite : « Et Cerbérus, ce faulx mâtin [ce perfide chien],/ A mengé le rost en la broche. » St Christofle.   104 La sauce piquante. La crétonnée est à base de grattons de porc. Chevalet recopia ces deux vers dans la Condamnacion de Bancquet : voir ma note 98.   105 Ragoût composé de morceaux de viande harigotés, c.-à-d. coupés en morceaux <n. 98>.   106 Éd : sallequine  (Voir Marthe PAQUANT : Réforme, Humanisme, Renaissance, 2007, nº 65, p.190.)  Plat composé de divers poissons <n. 98>.   107 Mélange d’épices réduites en poudre. Mais dans le Mystère des trois Doms, auquel avait collaboré Claude Chevalet, Pouldrefine est la « putain du bourreau » ; voyant un homme éventré, elle s’écrie telle une diablesse cannibale : « Ha ! quels boyaux à composer andouilles ! » Et devant un autre supplicié : « Bon seroyt pour le mettre au jus. » Quelques spectateurs devaient s’en souvenir, car les Trois Doms furent créés en 1509 à Romans-sur-Isère, et St Christofle en 1527 à Grenoble, non loin de Romans. Notons que dans ce mystère, Proserpine apportait déjà la preuve de ses talents culinaires : voir la note 173 des Trois amoureux de la croix.   108 Une petite chope de vin.   109 Somnoler.   110 Grogne.   111 Nous sommes restés à table si longtemps que notre estomac gonfla.   112 Sont vides. « Voylà nostre bourse à basac. » St Christofle.   113 Ailleurs, ce titre désigne Cerbère : « Toy, Cerbérus, prince des chiens. » Or, le portier des Enfers était présent au banquet de relevailles, comme il le confirme aux vers 193-6. Le seul qui ne pouvait y être à cause de ses chaînes, c’est ce goinfre de Lucifer, qui est donc ici visé ; on le traite d’ailleurs de chien quatre vers plus bas.   114 Éd : de conuoyes  (Lucifer, si tu avais été de ce banquet, glouton comme tu l’es. « Je ne semons [n’invite] en mon convive/ Que tous bons rustres avoyés. » Bon Temps.)   115 Que nous aurions le ventre vide. « Je n’ay mangé que tout à point ;/ Encor y a-il ung boyau vuyde. » La Condamnacion de Bancquet.   116 Un mâtin est un gros chien. Les révoltes contre Lucifer sont fréquentes mais brèves.   117 Éd : estre  (Satan est le diable principal, après Lucifer — dont il est le lieutenant, et qu’il voudrait bien évincer.)   118 Éd : Dauoir  (Je veux en avoir la première bouchée.)   119 Du royaume infernal.   120 Si elles ont été souvent à Reims. Calembour sur les reins du vers 186. Cf. L’Andureau et L’Andurée, vers 467.   121 Désormais.

L’AVEUGLE ET PICOLIN

Bibliothèque nationale de France

Bibliothèque nationale de France

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*

L’AVEUGLE

ET  PICOLIN

*

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Dans sa Vie de sainct Christofle (~1510-1514), Claude Chevalet nous donne en exemple un clochard aveugle et son valet, qui profitent de la naïveté des chrétiens. Ce duo comique intervient dans beaucoup de farces et de mystères : voir la notice de l’Aveugle, son Varlet et une Tripière.

Source : La Vie de sainct Christofle, élégamment composée en rime françoise et par personnages par maistre Chevalet. Imprimé à Grenoble en 1530. Bibliothèque nationale de France, Rés. Yf. 116. Édition critique de Pierre SERVET : La Vie de sainct Christofle ; Droz, 2006.

Structure : Rimes plates, avec 2 triolets.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

*

Deux mendiants — un vieil aveugle et son valet — sont assis par terre, dans la rue. L’aveugle porte une vielle en bandoulière ; Picolin boit à une énorme bouteille, puis il la repose discrètement près de son maître.

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                        PICOLIN                                                   SCÈNE  I

        Nous deussions bien amasser mousse1 :

        On ne bouge plus d’une place.

                        L’AVEUGLE

        Que diable veulx-tu que je face ?

        Tous les jours courons par ces portes2,

5      Mais les aulmosnes sont si courtes

        Que vers nous ne peuvent venir.

                        PICOLIN

        Vous voulez-vous icy tenir

        Pour les avoir ? On les vous forge3 !

        Ne faictes que bailler la gorge4 :

10    Vous aurez vostre compte rond

        Pour avaller…

                        L’AVEUGLE

                             Quoy ?

                        PICOLIN

                                       Ung estront,

        Affin que bien vous le sachez !

        Car (par Dieu !) si vous ne marchez,

        Je ne sçay plus de quel boys tordre5.

                        L’AVEUGLE

15    Et ! comment ? N’avons-nous que mordre

        Ne que boyre en la bouteille ?

        Ce seroit une grant merveille

        Qu’elle fust vuyde, somme toute !

                        PICOLIN

        Il n’en y6 a pas une goutte :

20    Soyez seur qu’ell’ est despêchée.

                        L’AVEUGLE

        Ta gorge l’a ainsi séchée ;

        Elle porte ung mauvais vent.

                        PYCOLIN

        Ou vous la baisez7 trop souvent,

        Dont nous vient celle sécheresse.

25    Cuydez-vous que le vin y croisse,

        De tousjours oster et rien mettre ?

                        L’AVEUGLE

        C’est trop hault parlé à son maistre !

        Pour te déclairer la teneur8,

        Tu ne me porte point d’honneur,

30    Puisqu’il convient que je le die.

                        PICOLIN

        Et quel honneur (maulgré ma vie !)

        Voulez-vous donc que je vous face ?

        Je vous ay servy long espace9 ;

        Et si, n’ay ne denier ne maille10.

                        L’AVEUGLE

35    Je n’ay rien que je ne te baille,

        Soit ou andoulle11 ou jambon.

        Et qui nous donne rien de bon12,

        Tu en as le premier lopin.

                        PICOLIN

        Le premier ? Non ay, par Jupin !

40    Le premier n’a garde de choir :

        Vous le prenez sur mon trenchoir13

        Aulcuneffoys, par souspeçon14.

                        L’AVEUGLE

        Tu es cault15 — j’entens bien le son —,

        Et prens du meilleur qu’on me baille.

45    Mais allons avant, ne te chaille,

        Pour sçavoir s’on nous donra rien16.

                        PICOLIN

        A ! par Dieu, je vous entens bien !

        Vous ne demandez que desbat17.

                        L’AVEUGLE

        Je ne le dis que pour esbat18,

50    Puisque la matière est ouverte19.

        Mais tu as la teste si verte20

        Et si creuse que c’est pitié !

                        PICOLIN

        Vous l’avez pire la moytié,

        Et l’aurez tant que vous vivrez.

55    Despêchez-vous et me suyvez,

        Ou (par Dieu) je vous laisseray.

                        L’AVEUGLE

        Allons ! Car je ne cesseray

        De faire sonner ma vïelle21

        Tant que j[’en] aye ou pied ou hèle22

60    — Dont tu auras tousjours ta part.

.

                        PICOLIN                                                    SCÈNE  II

        Si vostre vï[e]lle fust preste,

        Nous eussions escus à milliers :

        Ne voyez-vous ces chevaliers ?

        Allez leur dire23 une note !

                        L’AVEUGLE

65    Comment dea, « voyr » ? Je n’y voy goutte

        Autant du cul que de la teste24 !

        Mais encores es-tu plus beste

        De me dire que je le[s] voye.

                        PICOLIN

        Disons quelque chançon qu’on oye,

70    Affin que nous ayons argent.

                        L’AVEUGLE

        « Donnez au pouvre indigent

        (Mes beaulx seigneurs) qui ne voit rien,

        Une maille ! »

                        PICOLIN

                               [Ung] estront de chien !

        Demandez plus grosse monnoye !

75    Et parlez hault — qu’on ne vous oye25 —,

        Sans demander denier ne maille26 !

                        L’AVEUGLE

        Et ! cuyde-tu bien qu’on nous baille

        Escus ?

                        PICOLIN

                    Et pourquoy non, beau sire ?

        Il n’en griève non plus à dire

80    « Ung ducat » qu’il fait « ung denier »27.

                        L’AVEUGLE

        Dea ! si tu estois aulmonyer,

        Je ne te cognois point si large

        Qu’on eust de toy escu ne targe28 :

        Tu es trop rouge à la taille29.

                        PICOLIN

85    Et s’il advient qu(e) escus on baille,

        Maistre, les reffuserez-vous ?

                        L’AVEUGLE

        Ce n’est pas monnoye pour nous,

        Si tu entens le jobelin30.

                        PICOLIN

        « En l’honneur du dieu Apolin,

90    Et d’Herculès le fort géant,

        Donnez au pouvre non-voyant

        — Qui a perdu le luminaire31

        À la taverne pour trop boyre —

        De voz ducatz une douzaine ! »

                        L’AVEUGLE

95    Mais ta forte fièbvre quartayne !

        Tu me porte bien peu d’honneur !

        Dy que je suis ung grant seigneur

        Adveuglé par [la] tyrannye32

        Des Turcs au siège d’Albanye :

100  Tu les en debvrois advertir.

                        PICOLIN

        Que gaignerois-je de mentir ?

        « Le vin l’a faict33, sans contredire !! »

                        L’AVEUGLE

        Vérité n’est pas belle à dire

        Tousjours : il y a temps et lieu.

*

Les deux païens ont la chance de tomber sur des nouveaux chrétiens que leur conversion a rendus gâteux. Tous les quatre donnent leur bourse au mécréant Picolin.

.

                        LE  CONTE                                              SCÈNE  III

105  Tien, mon amy : prens cest[e] aulmosne !

                        GRACIEN

        Et moy cela, que je te donne

        En l’honneur de Jésus, mon maistre.

                        FLORIDÈS

        Prens cela ! Pense de le mettre

        En ton sac, pour te secourir.

                        BROADAS

110  Jésuchrist, qui voulut mourir34,

        Veulle [ceste aumosne]35 en gré prendre !

                        L’AVEUGLE

        Juppiter le vous veulle rendre,

        Et Vénus, la belle déesse !36

.

        Je croy qu’il y a grant richesse ? SCÈNE IV

115  Regarde comme cecy poyse37 ;

        Et affin qu’il n’y ai[t d]e noyse,

        Ne me cache rien, somme toute.

                        PICOLIN

        Jamais vous ne fustes sans doubte38

        De moy et de voz compaignons.

120  Ce sont sachèz d’aulx39 et d’oignons

        Qu’on vous a donné[z] pour bien boyre.

                        L’AVEUGLE

        Le me cuyde-tu faire acroire ?

        Encor n’a[s-]tu pas prou vescu40 !

        Je cognoistray mieulx ung escu

125  Que tu ne feras ung patas41.

                        PICOLIN

        Comment se fait cela ?

                        L’AVEUGLE

                                           Au tas[t]42.

        Car, combien que rien je n’y voye,

        Je cognois la bonne monnoye

        Comme le43 lièvre les brachetz.

130  Pour tant44, baille-moy ces sachetz,

        Car je vueil garder le butin.

                        PICOLIN

        Vous ne demandez que hutin45

        Et noyse ! Pour vous advertir,

        Si nous convient noz biens partir46,

135  Puisque n’avez en moy fiance.

                        L’AVEUGLE

        Dea ! n’emporte point la finance !

        As-tu entendu, mon varlet ?

        Car si je te prens au collet,

        Tu auras de moy la secousse47 !

140  Où es-tu, dis ? Hau48 !

                        PICOLIN

                                            En Escosse !

        Attendez-moy jusqu’à demain,

        Car voicy ma dernière main49

        Pour mon dé et pour ma chandelle50.

                        L’AVEUGLE

        Approuche-toy, quant on t’appelle !

145  Me veulx-tu laisser tout seullet ?

                        PICOLIN

        Tu as dit vray, Jehan de Nyvelle ! 51

                        L’AVEUGLE

        Approuche-toy, quant on t’apelle !

                        PICOLIN

        Par noz dieux ! il a la cervelle

        Plus estourdie q’ung mullet.

                        L’AVEUGLE

150  Approuche-toy, quant on t’appelle !

        Me veulx-tu laisser tout seullet ?

                        PICOLIN

        À Dieu, maistre !

                        L’AVEUGLE

                                   Hé, mon varlet !

        Approuche-toy, et n’aye doubte52.

        Tu scez bien que je n’y voy goutte

155  Nen plus53 q’une vielle lanterne.

        Va me mener à la taverne :

        Et là, nous burons ung tatin54,

        Et partirons55 nostre butin

        Ainsi que je deviseray56.

                        PICOLIN

160  Vous partirez ? Je choisiray !

        Avez-vous ouÿ la teneur57 ?

        Car à vous [n’]appartient l’honneur58 ;

        La coustume [n’]est tousjours telle59.

                        L’AVEUGLE

        Tu ne le dis que par cautelle60

165  Et pour me tromper, j’en suis seur.

                        PICOLIN

        Comment ? M’appellez-vous « trompeur » ?

        C’est pour recommencer la noyse !

                        L’AVEUGLE

        Laissons cela, et que l’on voyse61

        À la taverne, je le veulx !

170  Et là, nous despendrons62 tous deux

        Tous les biens qu’on nous a donnéz.

*

Deux prostituées, que nous avons découvertes dans les Tyrans au bordeau, reversent aux mendiants une partie de l’argent qu’elles ont gagné à la sueur de leur… front.

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                        NYCETTE                                                  SCÈNE  V

        Il nous63 fauldroit donner, m’amye,

        L’aulmosne à ces [deux] pouvres gens.

                        AQUELINE

        C’est bien dit, car telz indigens

175  Ne sçavent de quoy desjuner.

                        NYCETTE

        Tien, mon amy ! C’est pour disner.

        Prie pour moy qui le te donne.

                        L’AVEUGLE

        Grant mercy !64

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                                 Juppin, quelle aulmosne !                   SCÈNE  VI

                        PICOLIN

        Mais qu’elle [soit] monnoye exquise65,

180  Elle doit bien estre de mise66,

        Puisqu’elle vient de telle main.

                        L’AVEUGLE

        Ma foy ! j’en vueil faire demain

        Ung brevet67 pour guérir des fièbvres.

                        PICOLIN

        Morbieu ! il feroit sallir68 chièvres

185  Avant qu’ilz69 eussent queue levée.

                        L’AVEUGLE

        Allons ail[l]eurs faire levée70,

        Et jouerons de tricherie.

*

Le bourreau Morgalant et son valet Pascalet <voir L’Andureau et L’Andurée, vers 50-379> ont besoin d’aide pour charger une meule de moulin sur une claie tirée par deux chevaux. Ils aperçoivent les mendiants, au loin.

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                        PASQUALET                                             SCÈNE  VII

        Çà, villain[s] ! Venez sans targer71

        — Avant que je vous aille querre

190  Tous deux — pour charger ceste pierre !

        Acoup ! Et soyez diligens !

                        L’AVEUGLE

        A ! mon varlet, qui sont ces gens ?

        J’ay paour que ce soient gens d’armes.

        S’ilz nous preignent, ce sont les termes

195  De nous endosser de beau boys72 !

                        PYCOLIN,  varlet de l’Aveugle.

        Ce sont deux sergens (je les voys73)

        Qui ont deux chevaulx, et la traŷne74

        Dont au gibet souvent on meyne

        Les larons. Av’ous entendu ?

                        MORGALANT

200  Vien çà ! Que tu soye pendu !

        Me feras-tu mèshuy attendre ?

                        L’AVEUGLE

        Hélas, nous veult-on mener pendre ?

        Fuyons-nous-en, comment qu’il aille75 !

                        PASQUALET

        Qu’en despit de la villennaille76 !

205  Vous fault-il tant de foys requerre77 ?

        Venez, ou je vous iray querre,

        Et tous deux prendray78 au collet !

                        PYCOLIN

        C’est le bourreau et son varlet,

        Mon maistre. Nous sommes perdus !

210  S’il nous prent, nous serons pendus,

        Tant seullement pour la despoulle79.

                        L’AVEUGLE

        Je vouldrois estre en la Poulle80,

        Ou en mer, puis avoir bon vent !

                        MORGALANT

        Avant, de par le Diable, avant,

215  Vostre seigneur et vostre maistre81 !

        Et nous venez ayder à mettre

        Ceste meulle sur ceste traŷne,

        À celle fin que l’on la meyne

        Au Roy, qui nous attent sans doubte82.

                        L’AVEUGLE

220  Hélas, Monsieur : je n’y voy goutte.

        Laissez-moy, en l’honneur des dieux !

                        PASQUALET

        Tu ne m(e) ayderas pas des yeulx83.

        As-tu entendu, mon mignon ?

        Prens delà, et ton compaignon !

225  Aultrement, il y aura noyse.

                        PYCOLIN

        Ventre sainct Gris84, comme elle poise !

        Je me suis quasi rompu l’anche85.

                        MORGALANT

        Prenons chescum une gazanche86,

        Et la bouterons en coulant87.

                        PASQUALET

230  C’est bien dict. Boutte, Morgalant,

        Par cy, et chescum t’aydera.

        Tenez, elle m’eschappera !

        Que maulgré en ait Barratron88 !

                        MORGALANT

        Vous ne valez pas ung estron !

235  Soustenez bien, et ne vous chaille !

        Et ! voylà89 bien, vaille que vaille.

        Mais j’ay cy rompu une veyne.

                        L’AVEUGLE

        Or nous donnez, pour nostre peine,

        Quelque chose en payement !

                        PASQUALET

240  Vous serez payé gayement

        De la monnoye que je porte90 :

        Tenez, tenez ! Voicy la sorte

        Dont on paye telle canaille !

                        L’AVEUGLE

        Pour Dieu, que plus on ne m’en baille !

245  Je vous quitte tout91, de ce pas !

                        PASCALET

        Par noz dieux ! ne l’espargne92 pas :

        Tout est à ton commandement93.

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                        L’AVEUGLE                                             SCÈNE  VIII

        Voylà « payé » trop lourdement !

        Nous avons esté bien batus.

                        PYCOLIN

250  Voyre ? [Mais] vous94, par mon serment !

                        L’AVEUGLE

        Voylà « payé » trop lourdement !

        Et toy ?

                        PYCOLIN

                    Je [m’en fuis]95 vaillamment,

        Aussi hardiment comme Artus96.

                        L’AVEUGLE

        Voylà « payé » trop lourdement !

255  Nous avons esté bien batus.

                        PYCOLIN

        Vous estiez encor plus testus97

        De leur demander de l’argent !

        Car vous sçavez bien q’ung sergent

        N’a rien acoustumé que prendre.

*

1 Allusion au « proverbe commun qui dit que ‟pierre qui roule n’amasse mousse” ». (Jean Boyron.) « Nous n’amassons plus mousse. » St Christofle.   2 Nous mendions d’une porte à l’autre. Rime dauphinoise en -ourtes.   3 Réponse narquoise qu’on fait à une personne trop exigeante. Cf. le Sermon joyeux de bien boire, vers 189.   4 Vous vous contentez d’avancer votre gorge, comme un oisillon qui réclame la becquée.   5 De quel bois faire flèche. Cf. les Tyrans au bordeau, vers 127.   6 Éd : ny   7 Baiser la bouteille = boire. « Me fault ma bouteille baiser. » Mystère de St Clément de Metz.   8 Le point principal. Idem vers 161.   9 Pendant un long espace de temps.   10 Et pourtant, je n’ai ni un denier, ni un centime. Chevalet fait dire le même vers au valet des Basteleurs.   11 De l’andouille.   12 Quand on nous donne quelque chose de bon.   13 Après un banquet, on distribue aux pauvres les tranchoirs (ou tailloirs), épaisses tranches de pain qui ont tenu lieu d’assiettes, et sur lesquelles on abandonne quelques reliefs.   14 En soupçonnant que j’ai raflé le meilleur morceau.   15 Cauteleux, rusé.  J’entends le son = je connais la chanson !   16 Si on nous donnera quelque chose.   17 Vous ne cherchez que des disputes.   18 Que pour plaisanter. « Je ne l’ay faict que par esbat. » Deux jeunes femmes.   19 Puisque le sujet est abordé.   20 Si peu mûre. Cf. l’Arbalestre, vers 152 et note.   21 Éd : uiolle  (La viole est un instrument aristocratique, alors que la vielle est populaire : c’est l’instrument dont les mendiants aveugles s’accompagnent pour chanter dans la rue. Je corrige la même faute au vers 61.)  Si votre vielle était accordée. Dans l’Aveugle, sa Chambèrière et son Varlet (F 45), le valet accorde la vielle de l’aveugle : « Cependant, Gauguelu refait la vielle. / Quant [maintenant que] vostre vielle est refaicte,/ Quelque plaisante chansonnette/ Disons ! »   22 Jusqu’à ce que j’en obtienne une cuisse ou une aile. « Pour Dieu, donnez-moy cuisse ou elle ! » (Conversion S. Denis.) Cette expression culinaire signifie : obtenir quelque chose, si peu que ce soit. « Il en apporte ou pied ou elle. » Gournay et Micet.   23 Leur chanter. Rime dauphinoise en -oute : « Qu’il vous plaise dire une no[u]tte !/ Adieu vous dy, trèstous et toute ! » Le Roy des Sotz.   24 Quand Daru se fait passer pour un aveugle, il chante ceci : « (Je) ne voy où le pied je metz/ Non plus du cul que de la teste. »   25 Renversement de la formule consacrée : « Or parlez bas, qu’on ne vous oye ! » Le Vilain et la Tavernière.   26 Une monnaie trop faible.   27 Cela ne coûte pas plus de demander un ducat qu’un vulgaire denier.   28 Je ne sache pas que tu sois assez généreux pour qu’on ait de toi la moindre monnaie. « Il n’a escu ne targe : s’entend de ceux qui n’ont aucune monnoie. » Claude Fauchet.   29 Trop roublard. « Vous estes trop rouges en la taille. » Les Tyrans.   30 Si tu me comprends à demi-mot. Cf. les Tyrans au bordeau, vers 292.   31 La lumière, la vue. Cf. l’Aveugle et Saudret, vers 328.   32 Rendu aveugle par la barbarie des musulmans vis-à-vis des chrétiens. « Secourir les Christiens, oppresséz de la tyrannie des Turcz. » P. de Saint-Julien.   33 C’est le vin qui l’a rendu aveugle.   34 L’Église cautionne le suicide du Christ et celui des saints, mais elle condamne tous les autres.   35 Éd : laumosne  (Veuille me tenir gré de l’aumône que je vous fais. La charité chrétienne n’est jamais désintéressée : on donne dans cette vie pour que ce don nous soit rendu au centuple dans l’autre vie.)   36 Les mendiants s’esquivent. C’est Picolin qui porte les quatre bourses.   37 Combien cela pèse, vaut.   38 Sans méfiance.   39 Des sachets d’ails. L’ail et l’oignon donnent soif : « L’oignon (…) est inflammatif & provoque la soif. » La Nef de Santé.   40 Tu n’as pas assez d’expérience pour me le faire croire.   41 Que tu ne reconnaîtrais un patac, une pièce de monnaie provençale qui avait cours jusqu’à Grenoble, où fut créé ce Mystère. « Deux deniers tournoys, ou ung patas. » Archives de l’Isère.   42 Au tact, au toucher. « Nostre sens du tast. » ATILF.   43 Éd : la  (Comme le lièvre reconnaît les braquets, les chiens de chasse : à l’oreille.)   44 Pour cette raison.   45 Des affrontements. « Sans noyse et sans hutin. » ATILF.   46 Nous devons partager nos biens. Idem vers 158 et 160.   47 Je te pendrai. Dans ce Mystère, le roi dit au bourreau : « Ne luy donne point la secousse/ Jusqu’à ce qu’on donne l’assault./ Alors fais-luy prendre ung sault/ Au gibet. »   48 Interjection interpellative. « Où es-tu ? Hau ! » Les Basteleurs.   49 Mon ultime vol. « À l’insigne voleur, ô merveille profonde,/ Qui, compagnon d’honneur du Roy de tout le monde,/ Pour sa dernière main luy desroba les cieux. » César Nostradamus.   50 Pour mes menus plaisirs. Cf. Cuisine infernale, vers 38 et 152.   51 Étant donné que Picolin vouvoie toujours son maître, on peut conclure que nous avons ici le refrain d’une des chansons qui furent consacrées à Jean de Nivelle ; voir celle qui ouvre la farce du Pauvre et le Riche. Il en subsiste un vague écho dans le Démon travesti, du chanoine Jacques : « Tu n’es qu’un vray Jean de Nivelle. »   52 N’aie pas peur.  Le vers suivant était prononcé par l’Aveugle de la Vie et passion de monseigneur sainct Didier, de Guillaume Flamang.   53 Pas plus. Cf. les Maraux enchesnéz, vers 258.   54 Nous boirons un coup. Cf. les Basteleurs, vers 227.   55 Nous partagerons (note 46).   56 Comme je le déciderai.   57 Le point principal.   58 L’honneur de partager notre butin ne vous appartient pas.   59 La coutume n’est pas immuable. Louis XII était alors en train de simplifier le droit coutumier ; voir la notice de Digeste Vieille.   60 Par ruse.   61 Et allons.   62 Nous dépenserons.   63 Éd : vous  (Correction de P. Servet.)  Il faudrait que nous donnions.   64 Les prostituées s’en vont. L’aveugle soupèse l’argent (vers 126).   65 Pour peu que ce soit une monnaie recherchée, rare (lat. exquisita). « Partout est la monnoye exquise :/ Le peuple n’a plus maille ne denier. » Eustache Deschamps.   66 Elle doit avoir cours. La monnaie que gagnent les prostituées circule très vite et n’a pas le temps d’être décriée.   67 Je veux pendre cette bourse à mon cou, comme une amulette miraculeuse. « Brevet, ou autre chose, qu’on pend au col (…) pour préserver ou guarir de quelque maladie ou poison. » Godefroy.   68 Saillir, couvrir. Lors de la saillie, les quadrupèdes femelles lèvent leur queue pour que le mâle puisse s’introduire. Picolin sous-entend que l’aveugle va vite en besogne, et oublie encore de partager.   69 Qu’elles.   70 Jouer aux cartes.   71 Sans tarder.   72 C’est la certitude qu’ils nous chargeront le dos de coups de bâtons.   73 Picolin n’y voit pas beaucoup mieux que son patron : les sergents sont immédiatement reconnaissables parce qu’ils portent une « masse » ou une « verge », ce qui n’est pas le cas des bourreaux.   74 La claie. Idem vers 217. Sur la peine infamante de la claie, voir la note 24 de Massons et charpentiers. Le roi Danus, qui est un raffiné, prépare à saint Christophe un supplice plus personnel : « Luy estachez [attachez-lui] une grant meulle/ De moulin (ainsi je le veulx)/ Par le col et par les cheveulx,/ Et le traŷnez par monts et vaulx/ À belles queues de chevaulx ! »   75 Quoi qu’il en soit.  76 N’en déplaise à cette canaille. « Paix, qu’en despit de Saturnus ! » St Christofle.   77 Faut-il vous requérir tant de fois ?   78 Éd : prendre   79 Pour que les bourreaux prennent nos dépouilles, nos vêtements. Cf. Gournay et Micet, vers 468 et 505.   80 Dans la région italienne des Pouilles : loin d’ici.   81 Allons, de par le Diable, qui est votre seigneur et maître !   82 Sans craindre que nous ne venions pas.   83 Tu ne m’aideras pas avec tes yeux mais avec tes bras.   84 Par le ventre de saint François d’Assise. Dans une circonstance analogue, le Fol du mystère a lui aussi recours à ce juron chrétien : « Ventre sainct Gris, comme tu poyse ! »   85 La hanche.   86 Un pieu en bois pour faire levier. « Pour six grosses pièces de chane [chêne] appeléz gazanches pour besoigner esdits fossés de St-Just. » Marthe PAQUANT : Réforme, Humanisme, Renaissance, 2007, nº 65, p.191.   87 En la glissant sous la meule.   88 Les Mystères attribuent ce dieu fantaisiste aux musulmans, et en règle générale aux païens. Βάραθρον = gouffre. « Maulgré Barratron et Mercure ! » St Christofle.   89 Éd : uoyle la  (C’est bien.)  La meule est installée sur la claie.   90 Pascalet, qui tient un des pieux du v. 228, en donne des coups aux mendiants. Picolin s’abrite derrière son maître, lequel reçoit toute la bastonnade.   91 Je vous tiens quitte de tout paiement. « Je vous quitte tout pour sauver ma vie. » Le Nouveau Panurge.   92 Éd : lespargnez  (Ne ménage pas mon paiement. Les hommes généreux disaient toujours : « N’espargnez pas ma bourse ! »)   93 À ton entier service. Les mendiants s’enfuient.   94 Vraiment ? Surtout vous.   95 fais  (Je pris la fuite.)   96 Le roi Arthur ne fuyait jamais.   97 Éd : natus  (« Fussiez-vous encor plus testu. » Le Nouveau marié.)

LES TYRANS AU BORDEAU

Bibliothèque nationale de France

Bibliothèque nationale de France

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LES  TYRANS

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AU  BORDEAU

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Les « tyrans » sont des reîtres de sac et de corde auxquels des notables qui ne veulent pas se salir les mains confient les basses besognes : service d’ordre, tortures, intimidations, meurtres, et tous les coups tordus que peuvent accomplir des miliciens au-dessus des lois. Les tyrans ne croient en rien, mais ils sont prêts à tout pour se procurer l’argent qu’ils dilapident à la taverne ou au bordel. À grand renfort d’argot1, ils mettent une joyeuse animation dans la Vie de sainct Christofle (~1510-1514), de Claude Chevalet : voir les vers 252-389 de L’Andureau et L’Andurée.

Source : La Vie de sainct Christofle, élégamment composée en rime françoise et par personnages par maistre Chevalet. Imprimé à Grenoble en 1530. Bibliothèque nationale de France, Rés. Yf. 116. * Édition critique de Pierre SERVET : La Vie de sainct Christofle ; Droz, 2006. * Lazare SAINÉAN publia mes actuels vers 1 à 215 dans les Sources de l’argot ancien, tome I, 1912, pp. 277-293. Son glossaire figure au tome II (1912), pp. 264-468. * Les mêmes vers se trouvent dans les Études de philologie comparée sur l’argot, de Francisque MICHEL, 1856, pp. xli-xlvi ; son dictionnaire, peu utile, occupe les pages 1-422. * Les vers 1 à 72 furent publiés et annotés par Jacques CHOCHEYRAS : le Théâtre religieux en Dauphiné ; Droz, 1975, pp. 270-272. * À titre de curiosité, ces mêmes vers agrémentaient déjà, en 1747, le tome III de l’Histoire du théâtre françois des frères PARFAICT, pp. 5-9. * Le Dictionnaire des Mystères, de Jules de DOUHET, reproduisit leur travail en 1854, pp. 234-236. Bref, cette longue scène argotique a intrigué beaucoup de monde, et elle le mérite.

Structure : Rimes abab/bcbc, rimes plates, avec 1 triolet.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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Barraquin est un spadassin picard. En l’absence de guerre, les temps sont durs pour les aventuriers de son espèce, qui doivent se reconvertir en « escorcheurs » et autres « routiers » ; aussi, Barraquin est devenu bandit de grands chemins. Ses proies sont elles-mêmes des victimes de la paix : un soudard gascon nommé Brandimas, puis deux mercenaires en vadrouille — le Suisse allemand Fréminaud, et le Lombard Alibraquin. Leur langue commune est l’argot des truands, que l’auteur a surtout puisé dans les Ballades en jargon de François Villon — du moins dans celles qui étaient connues par l’édition de 1489.

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                        BARRAQUIN,  premier tyrant.               SCÈNE  I

        Hé ! Chou2 plais[t] Dieu ? Et qu’esche-chy ?

        N’aray-je jamais de l’aubert3 ?

        Je suis, en ce boys, tout transy.

        Donc, j’ay fait endosse de vert4.

5      Je porte le cul descouvert5.

        Mes tirandes6 sont desquirées ;

        Les passans7 rompus : il y pert.

        Et porte la lyme nouée8.

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                        BRANDIMAS,  deuxiesme tirant.            SCÈNE  II

         Tous mes grains9 ont pris la brouée.

10    Cap de Dio[u]10 ! tout est despendu :

        J’ay mon arbaleste flouée11,

        Et le galier piéçà vendu12.

        Le ront13 est pelé et tondu,

        [Et] mon comble14 est à la tâtière

15    Gagé15. Que ne suis-je pendu ?

        Mon jorget16 n’a pièce entière.

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                        BARRAQUIN,  assaillant.                         SCÈNE  III

        Demeure !

                        BRANDIMAS,  défendant.

                            Tire-toy arrière !

                        BARRAQUIN

        À mort, ribault !

                        BRANDIMAS

                                   Rien de la main17 !

                        BARRAQUIN

        Ha ! crapaudeau18 !

                        BRANDIMAS

                                        Filz de loudière19 !

                        BARRAQUIN

20    Demeure !

                        BRANDIMAS

                           Tire-toy arrière !

                        BARRAQUIN

        Quel mynois !

                        BRANDIMAS

                              Quel(le) fière manière !

                        BARRAQUIN

        Es-tu narquin20 ?

                        BRANDIMAS

                                    Ouÿ, compain21.

                        BARRAQUIN

        Demeure !

                        BRA[N]DIMAS

                           Tire-toy arrière !

                        BARRAQUIN

        À mort, ribault !

                        BRANDIMAS

                                  Rien de la main !

                        BARRAQUIN

25    Broues-tu22 ?

                        BRANDIMAS

                              Je cours le terrain23.

                        BARRAQUIN

        Où vas-tu ?

                        BRANDIMAS

                            À mon adventure.

                        BARRAQUIN

        Tu es deschiré.

                        BRANDIMAS

                                  Tout à plain,

        De dormir vestu sur la dure24.

                        BARRAQUIN

        Et ! par Juppiter, je te jure

30    Que j’en ay de mesme que ty25.

                        BRANDIMAS

        Tout ung ?

                        BARRAQUIN

                         N’ayes paour.

                        BRANDIMAS

                                              Je t’asseure.

                        BARRAQUIN

        Me recognoys-tu point ?

                        BRANDIMAS

                                              Nenny.

                        BARRAQUIN

        « Gaulthier, où as-tu tant dormy ? »26

                        BRANDIMAS

        Hé ! gueux, advance-moy la poue27 !

                        BARRAQUIN

35    Es-tu là ? Hé, hau ! chardemy28 !

                        BRANDIMAS

        Il est bien force que l’on floue29.

                        BARRAQUIN

        Où est Arquin ?

                        BRANDIMAS

                                  Il fait la moue30

        À la lune.

                        BARRAQUIN

                          Est-il au juc31 ?

                        BRANDIMAS

        Il fust gruppé32, et mis en roue

40    Par deffault[e] d’ung allegruc33.

                        BARRAQUIN

        Et toy ?

                        BRANDIMAS

                     J’eus longuement le pluc34

        De pain et d’eau, tenant au[x] gectz35.

                        BARRAQUIN

        Comment eschappas-tu ?

                        BRANDIMAS

                                                 Ce fut

        Pour [perdre] une ance36 et [les fargets]37.

                        BARRAQUIN

45    Le rouastre38 et ses subjectz

        Me mirent aux coffres massis39,

        Par les piedz tenant aux gros septz40.

                        BRANDIMAS

        Y couchas-tu ?

                        BARRAQUIN

                                  J’estois assis41.

        Quant ce vint entre cinq et six42,

50    Dedans les septz laissay ma guêtre43

        Et, de paour d’estre circoncis

        Des ances44, saultay la fenestre.

                        BRANDIMAS

        Cela fust bien ung tour de maistre !

                        BARRAQUIN

        Pourquoy ?

                        BRANDIMAS

                            Hé ! povre bérouart45 :

55    Ta sentence estoit [dé]jà preste ;

        L’on n’atendoit que le télart46

        Pour te pendre hault comme ung lart47,

        Nonobstant tout ton babinage48.

                        BARRAQUIN

        Je m’en brouay au Gourd Pïard 49.

                        BRANDIMAS

60    Et je demouray au passage.

                        BARRAQUIN

        J’eschaquay50.

                        BRANDIMAS

                                Et j’estois en cage.

                        BARR[A]QUIN

        Je piétonnay51 toute la nuict.

                        BRANDIMAS

        Et l’embourreur52, pour tout potage,

        Me mist dehors par saulconduyt53,

65    À torches54 de fer.

                        BARRAQUIN

                                      Quel desduit55 !

                        BRANDIMAS

        Tousjours, quant la guerre est finée,

        L’on trouveroit de pain mal cuyt

        Ainsi que nous une fournée56.

                        BARRAQUIN

        Embuschons-nous soubz la feullée57

70    Pour attendre quelque syrois58.

                        BRANDIMAS

        S’il avoit des grains, à l’emblée59,

        On luy raseroit le mynois60.

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        …………………………….61

                        FRÉMINAUD                                           SCÈNE  IV

        Je mengerois comme ung magot62,

        Maintenant, si j’avoys chair crue,

75    Sans broc ne sans drinc63.

                        ALIBRAQUIN

                                                 Ydïot,

        Espère que le temps se mue64 !

                        FRÉMINAUD

        Bref, j’ayme mieulx que l’on me tue

        Que d’estre tousjours en ce point.

                        ALIBRAQUIN

        Il fera bien chault, se l’on sue,

80    Quant nous n’avons que le pourpoint65.

                        FRÉMINAUD

        A ! capiteine…

                        ALIBRAQUIN

                                  Mal en point66 !

                        FRÉMINAUD

        Qu’avons-nous gaigné ?

                        ALIBRAQUIN

                                            La veyrolle

        Et la caquesangue67.

                        FRÉMINAUD

                                         À point.

        Et la roigne68

                        ALIBRAQUIN

                                Qui nous affolle.

                        FRÉMINAUD

85    Desplumés

                        ALIBRAQUIN

                          Affin qu’on ne volle.

                        FRÉMINAUD

        Sans argent

                        ALIBRAQUIN 69

                          Pour courir les champs.

        Sur la terre, [soit] dure ou molle70,

        Nous dormons, comme chiens couchans71.

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                        BARRAQUIN                                            SCÈNE  V

        Brandimas, voicy des marchans :

90    Il est force qu’on les assaille.

                        BRANDIMAS

        Quelz « marchans » ? Ce sont deux meschans72

        Qui ne vallent pas une maille73.

                        BARRAQUIN

        Sont-ilz affranchis de la taille74 ?

                        BRANDIMAS

        L’on cognoit à leur haucqueton75

95    Que ce ne sont que quoquinaille76

        Qui n’on[t] pas vaillant ung bouton.

                        BARRAQUIN

        L’ung porte la peau d’ung mouton,

        Et sa picque comme une Brode77.

                        BRANDIMAS

        Et l’aultre, mynce78 de coton,

100  Est lombard : regardez sa mode79

                        BARRAQUIN

        Leurs soliers sont liéz de corde.

                        BRANDIMAS

        Ilz sont pendans comme clabaulx80.

                        BARRAQUIN

        Assaillons-les !

                        BRANDIMAS

                                 Je m’y accorde.

                        BARRAQUIN

        Sortons81 sus eulx !

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                        BRANDIMAS                                           SCÈNE  VI

                                       À mort, ribaulx !

                        FRÉMINAUD

105  Tu té riche82 ?

                        BRANDIMAS

                               Ouÿ, de beaulx83 !

                        BARRAQUIN

        Çà84, le baston !

                        FRÉMINAUD

                                  Gon [Goth zenand]85 !

                        BRANDIMAS

        Ilz n’ont ne bonnetz, ne chapeaulx.

                        BARRAQUIN

        Vien çà ! N’es-tu pas allemant ?

                        FRÉMINAUD

        Ya, [ya], verlis86.

                        BRANDIMAS

                                     L’abillement

110  Monstre que c’est ung vray droncart87.

                        BARRAQUIN

        Et cestuy-cy ?

                        BRANDIMAS

                              Par mon serment !

        Je le juge[asse] estre lombart88.

                        ALIBRAQUIN

        Laissé-mé staré89 !

                        BARRAQUIN

                                        A ! coquart90 !

                        BRANDIMAS

        N’est-il pas vray ?

                        ALIBRAQUIN

                                      Messéré, sy91.

                        BRANDIMAS

115  Ne vous tirez point à l’escart !

                        BARRAQUIN

        N’ayez paour !

                        BRANDIMAS

                                 Demourez icy !

                        BARRAQUIN

        Ce sont bléfleurs92.

                        BRANDIMAS

                                       Il est ainsi.

                        BARRAQUIN

        Narquins93.

                        BRANDIMAS

                            De si près échicqués94

        Que leur habit est tout transsy ;

120  Et sont, comme nous, desbifféz95.

                        BARRAQUIN

        Je cognois à leurs afficquetz96,

        En effect, qu’il n’y a que mordre97.

                        BRANDIMAS

        L’on vous poindra, si vous picquez98 !

                        BARRAQUIN

        Approuchez, vous estes de l’Ordre99 !

125  Et pensons comme[nt] nous ressourdre100

        Pour brouer sur le hault verdis101.

                        FRÉMINAUD

        Nous ne sçavons plus quel boys tordre102.

        Les gueux103 sont friz, je le vous dis.

                        ALIBRAQUIN

        La guerre nous eust104 desgourdis.

                        BRANDIMAS

130  Il fault que l’on y remédie.

                        FRÉMINAUD

        Allons-nous-en, comme estourdis,

        Tout droit à la mathe gaudie105.

                        BARRAQUIN

        Va, va ! [tu iras]106 la landie

        Ta mère !

                        BRANDIMAS

                       Nous irons aux changes107.

                        BARRAQUIN

135  As-tu de l’or, teste estourdie ?

                        BRANDIMAS

        Nous en aurons à ces108 vendanges.

                        ALIBRAQUIN

        Se le rouastre109 et ses anges

        Nous trovoi[en]t à la Gourde Pie110

                        BARRAQUIN

        Ilz nous menroient à double renge

140  Liéz, pour faire la croppie111.

                        BRANDIMAS

        Il vault trop mieulx que l’on espie

        Ung bon marchant, et qu’on le guette.

                        FRÉMINAUD

        Mais le prendre par112 la pépie

        Pour luy empoigner sa bougette113.

                        ALIBRAQUIN

145  Embûchons-nous cy !

                        BARRAQUIN

                                          Qu’on s’i mette !

        Et que quelc’um d’entre nous aille

        Pour nous apporter (sans brouette !)

        Pain et vin, et autre victaille114.

                        BRANDIMAS

        Va-y, toy-mesmes.

                        BARRAQUIN

                                    Qu’on me baille

150  Argent !

                        BRANDIMAS

                       Tien, voylà dix deniers.

                        FRÉMINAUD

        Sus, après !

                        BARRAQUIN

                           Je reçoys la taille115 :

        Apportez escuz à milliers !

                        ALIBRAQUIN

        Argent, qui en a ?

                        FRÉMINAUD

                                     Voulentiers

        Tiens ces six deniers !

                        ALIBRAQUIN

                                           Prens ces quatre !

                        BARRAQUIN

155  Et j’en ay quatre tous entiers.

                        BRANDIMAS

        Ce sont deux solz116, sans rien rabatre.

                        FRÉMINAUD

        Prens-toy bien garde du rouastre !

                        ALIBRAQUIN

        Et des anges !

                        BARRAQUIN

                              J[e] les cognois117.

                        BRANDIMAS

        Ilz seroient batus comme plastre,

160  Par noz dieux, si je les tenois !

                        BARRAQUIN

        Ne bougez d’icy ! Je m’en voys118.

        Et quelque chose qu’il adviengne119,

        Ne sortez point dehors du boys

        Jusques à ce que je revienne !

*

En ville, Barraquin apprend que l’empereur de Rome recrute des « aventuriers » pour faire la guerre, et qu’ils seront bien rétribués.

.

                        BARRAQUIN                                            SCÈNE  VII

165  A ! par tous noz dieux ! Voicy rage,

        Pour povres gallans morfondus120,

        Qui ont tous leurs grains despendus

        À la tâtière121, au temps passé.

        ……………………………

        Hé ! Gueux ! Gueux ! Sus ! Bonnes novelles !             SCÈNE  VIII

170  Laissez la feullade grant erre122,

        Et vous en venez à la guerre,

        Que l’Empereur a fait crier

        À son de trompe et publier,

        Dont mon cueur de joye tressaulte !

                        BRANDIMAS

175  Que n’avons-nous chescun sa gaulpe123

        Pour triumpher sur le bigard124 !

                        FRÉMINAUD

        Quelque grosse putain ribaulde

        Prinse au fin fons du cagnart125 !

                        ALIBRAQUIN

        Levons sus !

                        BRANDIMAS

                            Flouons du gigard126 !

                        FRÉMINAUD

180  Saultons !

                        ALIBRAQUIN

                        Aussi hault q’ung chevreau !

                        BRANDIMAS

        Fy de pain bis127 !

                        FRÉMINAUD

                                      Fy de viel lart !

                        BARRAQUIN

        Que veulx-tu ?

                        ALIBRAQUIN

                               Belle chair de veau.

                        BARRAQUIN

        Boyre bon vin.

                        BRANDIMAS

                                 Voyre sans eau.

                        FRÉMINAUD

        Et puys quoy ?

                        ALIBRAQUIN

                               Jouer au « billard128 ».

                        BARRAQUIN

185  Le pain croysé129 vient.

                        BRAN[D]IMAS

                                              Chantons Nau130 !

                        FRÉMINAUD

        Va, ruffïen !

                        ALIBRAQUIN

                              Mais toy, paillart !

                        BARRAQUIN

        Sortons du boys !

                        BRANDIMAS

                                   Laissons ce parc131 !

                        FRÉMINAUD

        Brief132 il nous faul[t] avoir des pages.

                        ALIBRAQUIN

        Il fault attendre, coquillard133 !

                        FRÉMINAUD

190  Et quoy ?

                        ALIBRAQUIN

                       Que nous ayons noz gaiges134.

                        BARRAQUIN

        Nous sommes deffaiz135.

                        BRANDIMAS

                                                Tous sauvages.

                        FRÉMINAUD

        Nous n’avons pièce de harnoys.

                        BARRAQUIN

        Allons, pour trouver avantages,

        À l’Empereur : je le cognois.

                        ALIBRAQUIN

195  N’as-tu rien apporté ?

                        BARRAQUIN

                                          Troys, troys136 !

        Par noz dieux ! j’ay tout oublié,

        Quant j’ay ouÿ à plaine voix

        Qu’on a la guerre publié.

*

En se rendant chez l’empereur, les tyrans croisent la soldatesque, qui fait de même. Ils n’ont pas la conscience tranquille, et sous le coup de l’émotion, Barraquin retrouve son accent picard.

.

                        BARRAQUIN                                            SCÈNE  IX

        Je quie de paour137, par noz dieux !

200  Ces gens viennent pour nous frapper.

        Cheroit-che point le marïeux138

        Qui vient ichy pour nous graffer139 ?

                        BRANDIMAS

        S’il vient, qu’on pense de frapper,

        Et nous deffendons corps pour corps !

205  Si nous nous laissons attraper

        Aux140 raiz, lio[n]z, nous sommes mors !

                        L’ADMIRAL

        Quelz grans ribaulx puissans et fors !

        Regardez-moy leur contenance !

        Ilz sont gens pour faire deffence,

210  S’ilz estoient ung peu mis en point.

        Mais ilz n’ont robe, ne pourpoint,

        [Ne] chausses, ne chemise entière.

        ……………………………….

        Venez-vous-en donc avec moy !

        Et vous aurez sçavez-vous quoy ?

215  Force d’aubert en la follouse141.

*

Les tyrans sont embauchés par l’empereur. Ayant la bourse et les bourses pleines, ils décident d’aller les vider au bordel. Ce lieu et ses pensionnaires sont peints sur le vif par un fin observateur, dans deux scènes dont l’intérêt n’a pas été suffisamment souligné : nous avons là le premier reportage qui donne la parole à des prostituées, sans critique sociale ni condamnation religieuse.

.

                        BARRAQUIN                                           SCÈNE  X

        Nous « besoignerons » de courage142,

        Puisque nous payez voulentiers.

        Et cuyde que les taverniers

        Et les putains y auront part.

                        BRANDIMAS

220  Allons !

                        FRÉMINAUD

                    Cherchons !

                        ALIBRAQUIN

                                       Quoy ?

                        BARRAQUIN

                                                   Le cagnart143.

.

                        BRANDIMAS 144                                      SCÈNE  XI

        Il y a venaisonl45 nouvelle.

                        FRÉMINAUD

        Et que voulez-vous, Damoiselle ?

        Qu’actendez-vous ? Le picotin146 ?

                        AQUELINE

        Je suis icy dès le matin,

225  Et si147, ne treuve point de gaing.

                        NYCÈTE

        Av’ous à faire de putain ?

        Voy-nous cy148, prestes [de] « combatre ».

                        ALIBRAQUIN

        Ouÿ ; mais si nous sommes quatre,

        Trouverons-nous chescum la sienne ?

                   MARRAGONDE,  [maistresse du bordeau149commence.]

230  On sera — de ce vous souvienne —

        À la paille jusques au ventre150.

        Venez hardiment ! Qu’on y entre,

        Mais qu’ayez à force pécune151.

        Ne serviray-je pas pour une ?

235  Je ne suis pas trop affoncée152.

                        BARRAQUIN

        Juppin ! ell’ est si affamée

        Qu’el153 l’avalleroit sans mascher !

                        MARRAGONDE

        Si tu prens bien garde à ma chèr154,

        Tu t’en servirois bien les festes155 ;

240  Car (par mon sacrement) vous estes

        Assez mal séant[z] au mestier.

                        BRANDIMAS

        Mais regardez ce gros fumier

        Qui contrefaict de la mignonne !

                        AQUELINE

        Hé ! quel marault !

                        NYCÈTE

                                      Quel gros yvroigne !

                        MARRAGONDE

245  Pour faire ung ouvrage jà faict156 !

                        FRÉMINAUD

        Allez, paillardes !

                        AQUELINE

                                     Qu’il est lait !

                        ALIBRAQUIN

        Allez, truandes !

                        NYCÈTE

                                    Quel raclet

        Pour souffler poil157 d’ung cul foireux !

                        BARRAQUIN

        Dea ! ilz158 sont de séjour, ces deux !

250  Ilz enragent que l’on n’enrage.

                        MARRAGONDE

        Tirez voz chausses159 !

                        AQUELINE

                                             Au pilliage160,

        Vous n’aurez de nous nul desduit.

                        BRANDIMAS

        Allons !

                        NYCÈTE

                       Pissez161 toute la nuyct,

        Et le ventre se vuydera.

                        FRÉMINAUD

255  Par le sang ! L’on vous frotera,

        Et vous ferons cueillir les poix162 !

                        MARRAGONDE

        Juppiter ! qu’il a bonne voix

        À « combatre » comme vaillant !

                        AQUELINE

        Il [ne] fuyroit, en assaillant :

260  C’est ung valeureux champïon.

                        NYCÈTE

         Il est plus hardy q’ung chappon163 :

        Garde, garde qu’il ne te « frappe164 » !

                        ALIBRAQUIN

        On te batra !

                        MARAGONDE

                             Si je n’eschappe.

                        [BARRAQUIN165]

        Ou si je ne [te]166 couche à terre.

                        BRANDIMAS

265  Ailleurs fault nostre desduyt querre167.

                        FRÉMINAUD

        Nous ne sommes plus de recepte168.

                        AQUELINE

        Pou169, le goulu !

                        NYCÈTE

                                    Pou, la grant beste !

                        ALIBRAQUIN

        Pou, le vil groing !

                        BARRAQUIN

                                      Pou, viel carcas170 !

        [Pou, loudière171 ! Pou, viel cabas172 !]

                        MARAGONDE

270  Fy du belin173 !

                        AQUELINE

                                     Fy du sotart !

                        BRANDIMAS

        Fy du cabas !

                        NYCÈTE

                               Fy du paillart !

*

Au fond de son cachot, saint Christophe refuse d’abjurer le christianisme. Le roi païen Danus va donc le soumettre à la tentation ; pour cela, il ordonne aux tyrans d’aller « quérir deux ou troys jeunes filles / Au bordeau » afin de déconvertir le saint. Naturellement, c’est l’ancien adorateur de Jupiter et de Satan qui va convertir les pécheresses, en deux répliques bâclées auxquelles on ne croit pas. Cette idée risible n’émane pas du mauvais esprit de Claude Chevalet : toutes les hagiographies de saint Christophe en rendent compte.

.

                        FRÉMINAUD                                             SCÈNE  XII

        Nous cognoissons tel marchandise

        Mieulx que nous ne faisons satin174 :

        Elles ont de nostre butin

275  Plus souvent que n’ont pas les prebstres !

        ………………………………..

                        BARRAQUIN

        Vous aurez tantost marée fresche175,

        Puisqu’il fault qu’on s’i détermine ;

        Mais ce n’est pas de la marine176,

        Vous entendez bien la raison.

.

                        BRANDIMAS                                             SCÈNE  XIII

280  Sus, allons à la venaison177 !

        Entendez-vous, mes compaignons ?

        Si nous n’y mettons des oignons,

        Nous y mettrons du « vin » à force178.

                        FRÉMINAUD

        Je n’en donne pas une [e]scorce,

285  Mais179 que la besoigne soit faicte.

.

                        MARRAGONDE,  maistresse du bordeau,  commence.

        Aqueline, et vous, Nycette,                                          SCÈNE  XIV

        Que faictes-vous icy seullettes ?

        Vous sçavez qu’entre vous, fillettes180,

        Debvez — pour avoir bon encontre181

290  Faire de voz corps belle monstre

        Pour amener l’eau au moulin.

        Car qui n’entent le jobelin182

        N’a garde de prendre la caille183.

                        AQUELINE

        Nostre mestier ne vault pas maille ;

295  Et pour cela, tout bien nous fault184.

        Il n’y a si meschant briffault185

        En la ville (c’est la manière)

        Qui n’ait maistresse ou chamb[è]rière,

        Ou toutes deux à ung besoing186.

300  Si ne leur fault pas aller loing

        Pour estre fourny[s] de femelles.

                        NYCETTE

        Voyre. Et puis ces macquerelles

        En fournissent secrètement,

        À bon marché et largement,

305  Et en font tous les jours la vante.

        Il n’est celuy187 qui ne se vante

        D’avoir chair fresche à [son] plaisir.

        Si avons icy bon loysir

        De piller188 le sucre à la porte !

                        MARRAGONDE

310  Allez, le diable vous emporte !

        Tousjours vient-il quelque paillart.

        Si vous ne sçavez faire l’art,

        Serrez189 hardiment la boutique !

        Car il fault faire la praticque190,

315  Au moins, si vous voulez gaigner.

                        AQUELINE

        Huy, je ne gaignay ung denier,

        Maistresse. A[vez-]vous entendu ?

        Et croy que mon « engin fendu191 »

        Me lairra192 mourir de famyne.

                        MARRAGONDE

320  Tu ne vaulx plus rien, Aqueline ;

        Et ! j’ay veu que tu faisois rage193.

        Que ne farde-tu ton visage

        Pour attraper quelque grant blanc194,

        Ou leur monstrer si beau semblant195

325  Que chescum y courre à [grant] haste ?

                        NYCETTE

        Il y a ung point qui nous gaste,

        Maistresse, dont je deviens folle.

                        MARRAGONDE

        Quoy doncques ?

                        NYCETTE

                                    La grosse vérolle196,

        Que l’on [doit aux]197 Neapolitains :

330  C’est ce qui gaste les putains,

        Car chescum s’en cuyde garder198.

                        AQUELINE

        J’ay veu qu’il souloit aborder

        En ce bordeau gens à puissance199 ;

        Mais maintenant, selon l’usance,

335  Des bordeaulx y a plus de mille.

                        MARRAGONDE

        Où sont-ilz ?

                        NYCÈTE

                             Par toute la ville ;

        Et tant, que je ne m’y cognois.

        Chescune200 y fourbit son « harnoys »,

        Et mesmement les vielz escus201.

                        AQUELINE

340  Et puis ces marchandes de culz

        Gastent maintenant le potage.

        C’est ce qui nous porte dommage,

        Maistraisse, je le vous plévis202.

                        NYCETTE

        De ce que je gaigne, je vis.

345  La reste, en l’honneur de [no]z dieux,

        Je donne aux pouvres pour le mieulx,

        Tous les jours ordinairement.

                        AQUELINE

        Et moy aussi, pareillement.

        Je n’en prens rien — voylà la note —

350  Fors que ma vie203, somme toute.

        Aultres biens n’en ay retenus.

        Si, prie la belle Vénus

        De nous donner bonne adventure,

        De laquelle la pourtraicture

355  J’ay to[u]sjours en grant révérence.

                        MARRAGONDE 204

        Or paix, et tenez contenance !

        Et de ce faict, plus ne parlez !

        Car voicy des gens du Palais205

        Qui vous viennent revisiter206.

360  Et pour ce, s’en fault acquiter

        Et entretenir doulcement.

                        NYCETTE

        Laissez-les venir hardiment,

        Car nous leur ferons bonne myne.

        Allons au-devant, Aqueline,

365  Et les recepvons bien et beau !

.

                        ALIBRAQUIN                                          SCÈNE  XV

        Compaignons, voylà le bordeau.

        Les fillettes sont là, à l’huys.

        Si les emmenrons, si je puys :

        Elles ne se peuvent cacher.

                        BARRAQUIN 207

370  Voyre ! Qui les devroit chercher

        Jusques au fin fons du caignart208,

        Nous flouerons sur le bigart209

        En quelque coing, sur la paillade210.

                        BRANDIMAS

        Deux à deux, chescum sa paillarde !

375  Il n’est [pas d’]aultre vie au monde.

.

                        FRÉMINAUD                                            SCÈNE  XVI

        Hau ! Que faictes-vous, Marragonde ?

        Enseignez-moy ce que je cherche :

        S’il y a point céans chair fresche,

        Faictes cy la venir en champt211 !

                        MARRAGONDE

380  Quelz gallans pour tenir le ranc212 !

        Je n’en fais mise ne recepte213.

        Voylà Aqueline et Nycette

        Qui ne demandent que la jouste214.

                        ALIBRAQUIN

        Est-il vray ?

                        AQUELINE

                            Que tu es fin ho[u]ste215 !

385  Tu sces ailleurs où te repaistre :

        Les garces ne sont pas sans maistre,

        Qui tombent dedans ton lïen.

                        NYCETTE 216

        Quant à luy, pour ung ruffïen217

        Il est parfaict, je le suppose.

                        ALIBRAQUIN

390  Mais toy, tu ne vis d’aultre chose !

        Que vas-tu broullant le papier218 ?

                        BRANDIMAS

        Va[-t’en] prendre garde au clappier219,

        Et te prens avec ta pareille220 !

                        MARRAGONDE

        Il n’ayme plus que la bouteille :

395  Son « instrument » est desmanché221.

                        FRÉMINAUD

        Par noz dieux, c’est trop [d]estaché222 !

        Laissons ces argumens cornus223.

                        ALIBRAQUIN

        Marragonde : le roy Danus,

        Par manière de nous esbatre,

400  Nous a cy envoyé tous quatre

        Pour luy mener .II. de voz garces.

                        MARRAGONDE

        A ! Alibraquin, tu te farces ;

        Mais farceurs sont tousjours farcéz.

        Le Roy a de la « chair » assez ;

405  Il ne luy fault rien que du « pain224 »…

                        BARRAQUIN

        Pour vous le dire tout à plain,

        Il dit vray, et je le tesmoigne :

        Le Roy, pour aucune besoigne225,

        Les veult avoir. Voylà le point.

                        MARRAGONDE

410  A ! que mauldict soit le tesmoing

        Qui vient avant qu’on le demande !

                        BARRAQUIN

        Vous mocquez-vous de moy, truande ?

        Que le feu d’enfer vous allume !

        Par tous noz dieux, si je me fume226,

415  Il vous vauldroit mieulx estre à Romme227 !

                        MARRAGONDE

        « Trois Mouches, tenez-moy cest homme »228

        Qui monstre si terrible myne !

                        BRANDIMAS

        Sus, [sus] ! Nycette et Aqueline,

        Venez, car il nous fault aller

420  Tout maintenant au Roy parler.

        Venez-vous-en légièrement229 !

                        NYCETTE

        Mais que nous veult-il, voyrement ?

        Dictes-le-moy ains230 que g’y aille.

                        FRÉMINAUD

        On le vous dira, ne vous chaille,

425  Sitost que serez à la Court.

                        ALIBRAQUIN

        Dépeschez-vous, faictes-le court !

        Venez au Roy à diligence !

                        AQUELINE

        Nous luy ferons obéyssance ;

        Et si, ne dirons point de « non ».

430  Puisque vous venez à son nom,

        Nous y irons sans plus de plait231.

                        MARRAGONDE

        Au moins, quant vous en aurez faict,

        Retournez céans avec elles ;

        Et les rendez232 aussi pucelles

435  Comme céans les aurez prises !

                        BARRAQUIN

        Marragonde, tu en devises

        À ton aise, pour tout potage.

        Mais au regart du pucellage,

        Aussi [bien eusses-tu]233 de cotte !

                        BRANDIMAS

440  Je voys prendre ceste mygnotte.

                        FRÉMINAUD

        Et j’auray ceste-cy pour moy.

.

                        ALIBRAQUIN                                         SCÈNE  XVII

        Or nous en allons vers le Roy,

        Maintenant, à tout nostre espice234.

                        NYCETTE

        Allons, pour luy faire service,

445  Puisqu’ainsi est que vous le dictes.

                        BARRAQUIN

        Nous n’y irons point comme hermites235,

        Ne comme le « faulcon » sans proye236.

.

                        BRANDIMAS                                           SCÈNE  XVIII

        Les dieux veu[i]llent tenir en joye

        Et en to[u]te prospérité

450  Danus — roy de ceste cité —,

        Ses chevaliers et ses barons !

        Chier sire, nous vous amenons

        Ces gracïeuses jouvencelles.

        Pourtant s’elles237 ne sont pucelles,

455  Elles n’en vallent guères mieulx.

*

Le roi explique aux deux prostituées qu’elle vont devoir induire le géant saint Christophe à la tentation. Voyant qu’on ne peut se passer de leurs services, elles tentent d’obtenir une prime de risque.

.

                        AQUELINE                                               SCÈNE  XIX

        Pour vous nous voulons travaillier,

        Et pour avoir des dieux la grâce.

        Mais j’ay paour qu’il ne nous mefface238,

        Puisqu’il est si grant que vous dictes,

460  Et nous sommes femmes petites :

        S’il vient à nous, nous en mourrons.

                        NYCETTE

        Elle dit vray : nous ne pourrons

        Fournir à son esbatement.

        Car s’il a si grant instrument

465  Comme il est grant, je me fais forte

        Que je vaulx une femme morte !

        Ce n’est pas cela que je serche239.

                        NYCOSTRATÈS

        Je n’en vis [onc périr]240 en perche,

        De femmes, quoy que vous di[si]ez.

470  Allez, et ne vous soulcÿez,

        Car de la mort je vous asseure241.

                        ÉPIGRAMUS

        Elle n’a garde qu’elle [en] meure,

        Quelque chose qu’elle en caquette242.

        Mais ell’ est [bien] rusée et faicte243,

475  On le cognoit à son langaige.

                        ORLANT

        S’elles en meurent, si feray-je244,

        N’est-il pas vray ? Vous le sçavez :

        Car je cuyde que vous avez

        Ung bon « engin », pour bien comprendre…

                        SÉRAPION

480  N’ayez soulcy : le cuyr est tendre245

        Mieulx que celuy du pelletier.

        Et sçavez selon le mestier,

        Ma fille, qu’il n’y a nulz ots246.

                        ORLANT

        Par noz dieux ! il seroit bien gros,

485  S’elles en faisoient deux morceaulx247 !

        N’est-il pas vray ?

                        AQUELINE

                                     Ouÿ, de beaulx248 !

        Vous en devisez à vostre aise ;

        Toutesfoys (au Roy ne desplaise),

        Vous ne dictes chose qui vaille.

                        LE  ROY  DANUS

490  Allez-vous-en249, et ne vous chaille !

        Car si les dieux vous donnent grâce,

        Que ma voulenté se parface250 :

        Vous aurez des biens largement,

        Et vous mariray richement,

495  Pour estre de chescum prisées.

                        NYCETTE

        Nous sommes de ce faict rusées251 ;

        Et croy — qui nous y conduyra252 —,

        L’une ou l’aultre le sesduyra,

        Ou je seray bien esbahye.

                        AQUELINE

500  Il sera de nostre abbaye253,

        Et fust-il encor plus bigot !

        Je ne vueil seullement q’ung mot254

        Pour faire lever la « cropière255 ».

                        NYCETTE

        Chescune est si bonne ouvrière,

505  Pour le vous donner à entendre,

        Qu’il ne nous convient rien aprendre256 :

        Nous sommes maistresses du « cas257 ».

*

Le messager Sautereau <voir L’Andureau et L’Andurée, vers 1-41> conduit les filles devant la porte de la prison, gardée par le geôlier Mallepart <L’Andureau, vers 253-380>.

.

                        SAUTEREAU                                           SCÈNE  XX

        Je soulois estre messagier258 ;

        Mais259, je suis ung chasse-marée.

        ………………………………

510  Vous ferez la beste à deux do[u]s260.

                        NYCETTE

        Pensez qu’on met quatre genoulx261,

        Bien souvent, dedans ma chemise.

        Mais si tu apperçoys la prise,

        Corne262 hardiment par-derrière !

                        SAUTEREAU

515  Par noz dieux, tu es fine263 ouvrière !

        Laisse ce264, le diable t’emporte !

.

        Hau ! Mallepar[t] ! Ouvre ta porte                               SCÈNE  XXI

        À ces fillettes de chemyn,

        Qui ont faict sur leur « parchemin

520  Velu »265 souventeffoys escripre !

                        MALLEPART

        Je ne me puis tenir de rire

        Quant je te voy, pouvre lourdeau :

        Es-tu devenu macquereau ?

        Ne scez-tu d’aultre mestier vivre ?

*

1 Sur l’argot dans les Mystères, voir la notice de Gautier et Martin.   2 Éd : chouq  (Dialecte picard : « Cela plaît-il à Dieu ? Et qu’est-ce-ci ? »)   3 De l’argent. Même mot d’argot à 215.   4 En dormant par terre, je me suis fait un manteau d’herbe. « Je seray de verd affublée. » (Les Femmes qui plantent leurs maris.) Jeu de mots sur le vair, une coûteuse fourrure d’écureuil.   5 Mon haut-de-chausses est décousu.   6 Mes chausses, sur lesquelles je tire pour les ajuster : cf. Gournay et Micet, vers 411 et 484.  Desquiré = déchiré. Au vers 27, l’éditeur n’a pas reproduit cette prononciation picarde.   7 Mes souliers.  Il y pert = cela se voit (verbe paroir).   8 Je porte ma chemise nouée. Un loqueteux noue ensemble les lambeaux de sa chemise décousue : « La robe en plusieurs lieux trouée,/ Et la chemise renouée. » Le Capitaine Mal-en-point.   9 Mes écus d’or, dorés comme des grains de blé. Même mot d’argot aux vers 71 et 167.  Prendre la brouée = prendre la fuite.   10 Par la tête de Dieu ! Juron gascon.  Dépendu = dépensé ; idem vers 167.   11 J’ai joué (et perdu) mon arbalète. Même verbe argotique aux vers 36, 179 et 372.   12 Et j’ai depuis longtemps vendu mon cheval.   13 Mon manteau. Cf. Gournay et Micet, vers 372. Sainéan définit ce mot « sou », Chocheyras « visage », et Auguste Vitu « chapeau ».   14 Mon chapeau, qui surmonte l’édifice.   15 Éd : Oray  (Tâtière = taverne ; même mot d’argot à 168. Boire du vin se dit taster.)  Les clients insolvables laissent un vêtement en gage au tavernier : cf. Massons et charpentiers, vers 234, 242 et 312.   16 Mon pourpoint. « (En tant que bourreau,) c’est le fruict de mon bénéfice/ D’avoir le jorget, les tirandes [chausses]. » St Christofle.   17 Tu n’auras rien de ma main.   18 Petit crapaud : nom affectueux que Lucifer donne aux diables. Cf. la Chanson des dyables, vers 22.   19 Fils de pute.   20 « Narquin (…), qui signifie mandian contrefaisant le soldat détroussé. » (Laurens Bouchel.) Même mot d’argot à 118.   21 Compagnon d’infortune.   22 Es-tu en fuite ? Même verbe argotique à 59.   23 Je traverse le territoire. Cf. Gautier et Martin, vers 85.   24 Par terre. Cf. les Maraux enchesnéz, vers 172.   25 Que toi <picardisme>. Cf. le Pasté et la tarte, vers 237 et 278.   26 Nous avons là un « mot du guet », c’est-à-dire une phrase absurde que les soldats utilisent comme mot de passe pour se reconnaître. « Mais nul quidam ne s’apareille/ À me dire le mot du guet. » (La Fille esgarée.) Les deux grognards, qui ont fait la guerre et des pillages ensemble, se reconnaissent.   27 La patte : serre-moi la main. Cf. Gournay et Micet, vers 478.   28 Par la chair de moi ! Juron picard.   29 Que nous jouions aux dés <note 11>, pour fêter nos retrouvailles entre tricheurs.   30 La grimace, comme tous les suppliciés. « Et vous gardez bien de la roue,/ Qui aux sires plante ses gris [ses griffes]/ En leur faisant faire la moue. » Villon, Jargon 6.   31 Perché sur une potence.   32 Capturé.   33 Et roué vif faute de gibet. « Ou par deffaulte du bourreau. » (Saoul-d’ouvrer et Maudollé.) « À la branche du allegruc,/ Pour faire la moue aux planettes. » St Christofle.   34 Le gain. J’ai été emprisonné au pain sec et à l’eau.   35 À cause de mes tricheries aux dés. On jette les dés sur la table : « Par sort et ject des déz vous faictes voz jugemens. » Rabelais, Tiers Livre, 40.   36 En y laissant une oreille <note 44>. On coupe une oreille aux voleurs, et la deuxième aux récidivistes. Le comédien porte donc son bonnet incliné sur une oreille.   37 Éd : lesparges  (En y laissant mes cheveux.)  Par commodité ou pour les humilier, le bourreau tond les condamnés qu’il va essoriller, décapiter ou pendre. « De voz fargés serez bésifles [rasés],/ Tout debout [pendus] et nompas assis [dans une basse-fosse]. » Villon, Jargon 4.   38 Le prévôt, le chef de la police. Même mot d’argot aux vers 137 et 157.   39 Dans leurs cachots aux murs massifs. « Gardez-vous des coffres massis ! » Villon, Jargon 4.   40 Les ceps sont des planches qui entravent les chevilles des prisonniers. Idem vers 50.   41 Les ceps étant horizontaux, ceux qui en sont entravés ne peuvent allonger leurs jambes. « Les piéz ès ceps, qu’il ne se couche. » Mystère de saint Remi.   42 Entre 5 h et 6 h. « Entre sis et sept, c’est bonne heure. » Le Poulier à sis personnages.   43 Le dessus de mes chaussures. Tirer ses guêtres = déguerpir.   44 De peur qu’on me coupe les oreilles, comme aux voleurs <note 36>. « Eschéquez-moy tost ces coffres massis [évitez ces cachots] :/ Car vendengeurs [coupeurs de bourses] des ances circuncis/ S’en brouent [s’enfuient] du tout à néant. » Villon, Jargon 1.   45 Jobard.   46 Le bourreau. « Que le télart et le rouastre [le prévôt]/ Vous estranglent ! » St Christofle.   47 Pour fumer le lard, on le pend à l’intérieur d’une cheminée, suffisamment haut pour qu’il ne fonde pas.   48 Tes aveux.   49 Je m’en allai à la Bonne Pie. « Et brouons à la Gourde Pyenche. » (Les Premiers gardonnéz.) Sur les dérivés argotiques de ce nom de taverne, voir la note 50 de Trote-menu et Mirre-loret. Notre vers 138 en fournit une autre forme : la Gourde Pie.   50 Je me mis à l’abri (Chocheyras). « Et eschicquez tost en brouant [fuyant]. » Villon, Jargon 2.   51 Je marchai. « Et piétonnez au large sus les champs. » Villon, Jargon 1.   52 Le bourreau. Pour tout potage = en tout et pour tout ; idem vers 437.   53 Grâce à un sauf-conduit, une lettre de rémission.   54 À coups de barre. Cf. les Brus, vers 220.   55 Quel plaisir. Idem vers 252 et 265.   56 On trouverait, comme nous, une fournée de pain mal cuit. En temps de guerre, les soudards réquisitionnent ou dérobent le meilleur pain.   57 Embusquons-nous sous la feuillée. Nos détrousseurs se cachent aux abords d’un chemin forestier.   58 Quelque dupe. « S’il venoit quelque gourt [riche] siroys/ De qui nous fussions estrénéz [récompensés]. » Les Coquins.   59 Des écus d’or <note 9>, à la dérobée.   60 On lui couperait la tête. Idem vers 21. Sainéan : « Visage, nez. »   61 Je saute un dialogue d’une vingtaine de vers entre le Suisse allemand Fréminaud, et le Lombard Alibraquin, qualifiés respectivement de 3ème et 4ème tyrans : l’éditeur n’y a visiblement rien compris, et il a fait n’importe quoi.   62 Comme un singe, salement.   63 Sans pain ni sans boisson. Dans son baragouin teuton, le Suisse disait un peu plus tôt : « Je n’ay broc ne drinc, à ceste foys./ Par my foy, je suis mort de fain. »   64 Que les temps deviennent meilleurs : que la guerre revienne enfin.   65 Alors que nous n’avons pas de manteau sur notre pourpoint.   66 La farce du Capitaine Mal-en-point fut écrite peu après 1516. Mais ce capitaine en guenilles était déjà connu de Claude Chevalet, qui avait collaboré en 1509 au Mystère des trois Doms, dans lequel est incluse une farce de Baudet, Blondète et Mal-enpoint.   67 La dysenterie. Les soldats français rapportèrent ces maladies des guerres d’Italie. Nous ne sommes plus à un anachronisme près.   68 La rogne est une maladie de peau due au mal de Naples : « Que la maudicte roigne,/ Grayne de Naples, vous tiengne sans respit ! » André de La Vigne.   69 L’imprimeur descend cette rubrique sous le vers, qu’il répartit pourtant sur 2 lignes.   70 « Et arriva, soit dur ou mol,/ Emprès une grant vieille porte. » Les Repues franches de maistre Françoys Villon.   71 « Comme beaulx chiens couchans,/ (ils) coucheront de nuict par les champs. » St Christofle.   72 Deux misérables.   73 Un centime. Idem vers 294.   74 De nous verser un péage. Idem vers 151.   75 On voit à leur hoqueton. Ce corset militaire n’est visible que si le pourpoint est déchiré.   76 Que des mendiants. Cf. Turelututu et Granche-vuyde, vers 90 et 275.   77 Comme un « lustiger Bruder », un joyeux drille allemand. « Aller rompre la teste à ces Brodes allemandes. » Jean Le Frère.   78 Dépourvu. Cf. le Mince de quaire.   79 Sa dégaine. La « mode lombarde », ou « mode milanaise », n’est pas que vestimentaire : elle symbolise également l’homosexualité.   80 Comme les oreilles d’un chien.   81 Faisons une sortie, une attaque.   82 L’Allemand a peut-être dit : « Unter-Richter ? » C’est-à-dire : « Un sous-juge ? » Quoi qu’il en soit, Brandimas comprend : « Tu es riche ? »   83 Des beaux mots, des promesses ! Idem vers 486. « Vous m’aimez ? Dea, voire, de beaux ! » Les Trois amoureux de la croix.   84 Éd : Sa  (Donne-moi ta pique ! Voir les vers 98 et 123.)   85 Éd : gothzenaud  (Sainéan suggère : « In Gott’s Nam ! ‟Au nom de Dieu !” »)   86 Sainéan suggère : « Ja, währli ‟oui, vraiment.” »   87 Ivrogne. Son habit est taché de vin. « Boyvent mon vin comme droncquars. » (La Condamnacion de Bancquet.) Dans le Mystère, un soudard suisse est nommé Droncart.   88 Je dirais qu’il est lombard. Voir la note 79.   89 Pierre Servet traduit : « Laisse-moi tranquille. »   90 Corniaud.   91 Éd : cy  (« Oui, Monsieur. » Par la suite, Alibraquin fera deux fois la même réponse.)   92 Des tricheurs, des filous. Cf. Gournay et Micet, vers 455 et 524.   93 Des mendiants qui se font passer pour des militaires <note 20>.   94 Tenus en échec, appauvris.   95 En mauvais état. Cf. les Chambèrières qui vont à la messe, vers 68.   96 Éd : esticquetz  (À leurs ornements sans valeur.)   97 Qu’il n’y a rien à nous mettre sous la dent.   98 Si vous nous donnez un coup de pique.   99 Vous appartenez comme nous à l’Ordre de Bélître, ancêtre de la Cour des Miracles. « Qui n’ont ne chausse ne pourpoint :/ C’est selon l’Ordre de Bélistre. » (Le Capitaine Mal-en-point.) La Chanson sur l’Ordre de Bélistrie, de Jehan Molinet, détaille la vie des mendiants.   100 Nous relever, nous rétablir.   101 Pour aller en étant élégants. « Vous estes sur le hault verdus. » Le Monde qu’on faict paistre.   102 Nous ne savons plus de quel bois faire flèche. Cf. l’Aveugle et Picolin, vers 14.   103 Jeu de mots sur « les œufs ».   104 Éd : a  (Nous aurait ranimés.)   105 À la ville joyeuse. « À Parouart [Paris], la grant mathe gaudie. » Villon, Jargon 1.   106 Éd : ie feray  (L’éditeur n’a pas compris cette expression rare. « Jehannin Faulchon dist au suppliant qu’il alast à la landye sa mère. » Godefroy.)  Aller à la landie de sa mère = retourner dans le ventre de sa mère. Nous dirions : Va te faire voir !   107 Nous irons changer notre or contre de la monnaie. À Paris, les changeurs occupaient le Pont-au-Change.   108 Éd : ses  (En argot, un vendangeur est un coupeur de bourse.)   109 Si le prévôt <note 38>.  Les anges sont les sergents ; même mot d’argot à 158.   110 À la taverne <note 49>.   111 Ils nous mèneraient attachés deux par deux pour nous faire accroupir. Le plafond des culs de basse-fosse était si bas que les prisonniers ne pouvaient se tenir debout. (Au sens propre, la croupie est la position du chasseur à l’affût.)   112 Éd : a  (Par la gorge, que la pépie assèche. La lexicographie argotique ignore cette acception.)   113 Sa sacoche.   114 Éd : uictuaille  (Chevalet écrit toujours victaille : « Vous mengez toute la victaille. »)  L’iconographie de l’époque associe la vitaille [les vits] aux brouettes.   115 J’encaisse vos impôts.   116 24 deniers valent 2 sous.  Sans rien rabattre = sans marchander : cf. les Femmes qui font refondre leurs maris, vers 484.   117 On croit plus facilement Barraquin lorsqu’il déplore connaître le prévôt et ses sergents, que lorsqu’il s’enorgueillit de connaître l’empereur, au vers 194.   118 Je m’en vais à la ville pour faire les courses.   119 Quoi qu’il arrive.   120 Frigorifiés.   121 Qui ont dépensé tous leurs écus à la taverne <note 15>.  Barraquin court annoncer la bonne nouvelle à ses complices.   122 Laissez vite votre abri de feuillage.   123 Sa catin. Chacun imagine les pillages et les viols que la guerre va lui permettre d’assouvir.   124 Sur le lit. Même mot d’argot à 372.   125 Prise au fond du lupanar. Même mot d’argot aux vers 220 et 371.   126 Éd : guigard  (Jouons du gigot, de la cuisse : dansons, ou bien copulons. « Remuer le gigot : faire l’acte vénérien. » Antoine Oudin.)   127 Ce pain noir est réservé aux pauvres. « Arrière, pain bis ! » Colinet et sa tante.   128 Pénis. « J’ey un billard de quoy ‟biller” souloye ;/ Mais mon billard est usé par le bout :/ C’est de trop souvent fraper en la raye. » Le Savatier et Marguet.   129 Pain blanc de bonne qualité sur lequel on grave une croix.   130 Noël : poussons des cris de joie. « Il est né, le Messiau !/ Chantons Nau ! » Chantons Nau.   131 P. Servet rappelle que ce mot « est aussi un terme de scénographie médiévale désignant tantôt l’aire de jeu des acteurs, tantôt l’emplacement des spectateurs, tantôt le théâtre dans son ensemble ».   132 Rapidement. Le page est le premier objet de luxe que s’offrent les nouveaux riches. « Ung paige après moy, voire deux. » Mallepaye et Bâillevant.   133 Benêt. Mais un coquillart est aussi un voleur caché parmi les pèlerins qui se rendent à Saint-Jacques-de-Compostelle sous l’insigne de la coquille Saint-Jacques.   134 Que nous ayons reçu notre solde.   135 Mal vêtus.   136 3 écus. Boutade notifiant qu’on n’a rien à donner. « Trois, trois !/ Je le puis bien, de par mon âme ! » (Le Povre Jouhan.) On la rencontre sous d’autres formes : « Trois tous neufs ! » (Daru, la Pippée, Te rogamus audi nos, etc.) « Oui dia, trois ! » (Beaucop veoir, le Dorellot, etc.)   137 « Je chie de peur ! » L’Andureau et L’Andurée.   138 Ne serait-ce pas le bourreau ? Cf. Gautier et Martin, vers 92 et note.   139 Ici pour nous « agrafer ». Cf. Gautier et Martin, vers 84.   140 Éd : O  (Dans ses rets, ses filets. « Ce lion fut pris dans des rets. » La Fontaine.)  Déjà au vers 159, Brandimas menaçait de battre le prévôt et ses sergents.   141 Beaucoup d’argent <note 3> dans votre fouillouse, dans votre bourse. Cf. les Deux pouvres, vers 6. L’amiral parodie le langage des tyrans.   142 Nous copulerons de bon cœur. « J’y ay besongné de courage. » Raoullet Ployart.   143 Le lupanar <note 125>.   144 Les tyrans constatent qu’il y a une fille nouvelle devant la porte ouverte de la maison — les petits-bourgeois n’avaient pas encore inventé les maisons « closes ».   145 Du gibier féminin. Idem vers 280. « Une macquerelle/ Promect, en secrette maison,/ Produyre fresche venaison. » Pour le Cry de la Bazoche.   146 Votre ration de sperme. Cf. le Fol et la Folle, vers 124.   147 Et pourtant, je…   148 Nous voici. Vieux calembour sur « con battre » : copuler. Idem vers 258. « Il ne sçait pas qu’est-ce que de combatre,/ Cil qu’entreprend de plusieurs cons batre. » Gratien Du Pont.   149 Du bordel : mère maquerelle. Je récupère la didascalie du vers 286, qui aurait dû figurer ici.   150 « Estre à la paille jusqu’au ventre : estre fort à son aise. » (A. Oudin.) Mais les prostituées déchues copulent réellement sur une paillasse.   151 À condition que vous ayez quantité d’argent.  La tenancière fait entrer les quatre hommes.   152 Défoncée par mes innombrables amants.   153 Éd : Quil  (Qu’au cours de la fellation préliminaire, elle avalerait notre pénis sans le mâcher.)   154 Si tu regardes bien ma chair, mon physique.   155 Même les jours de fêtes, où l’abstinence sexuelle est pourtant de rigueur : cf. le Sermon pour une nopce, vers 254.   156 Pour ouvrir ce qui est déjà ouvert. Les clients des prostituées s’apparentent aux « dépuceleurs de nourrices ».   157 Quel racleur pour enlever les poils. Aux étuves, les femmes se font raser le devant (et donc le derrière) par un ratisseur.   158 Elles. Idem au vers suivant. Les prostituées — et à plus forte raison les maquerelles — sont jouées par des hommes travestis.  Être de séjour = être reposé.   159 Ce n’est pas là une incitation au déshabillage, mais un ordre de fuite : « N’y reviens plus, se tu es sage !/ Tyre tes chausses ! » L’Aveugle, son Varlet et une Tripière.   160 Par la violence.   161 Éd : Pissant  (Votre bas-ventre se videra sans que vous ayez besoin d’éjaculer.)   162 Nous vous mettrons à genoux, dans une posture érotique passive.   163 Qu’un coq châtré. D’après la rime, on attendait plutôt le héros Jason : « Maint homme, par son blason [sa forfanterie],/ Semble plus hardy que Jason. » Guillaume Haudent.   164 Prends garde qu’il ne te besogne pas ! « Je n’aymeray jamais grant homme,/ Car le petit frappe de près et congne. » Tu as dict que j’en mourrès.   165 Pour des raisons mnémotechniques, les noms des tyrans se succèdent dans le même ordre. Il manque donc ici une réplique de Barraquin.   166 Éd : me   167 Il nous faut chercher notre plaisir ailleurs.   168 Nous ne faisons plus recette.   169 Pouah !   170 Vieux vagin. « Oste-toy d’icy, viel carcas ! » L’Andureau et L’Andurée.   171 Putain. Idem vers 19. Ce mot vient de Picardie, comme Barraquin.   172 Vieux vagin. Idem vers 271. « Vieille loudière [pute], viel cabas ! » Le Raporteur.   173 Du mouton, du nigaud.   174 Nous nous y connaissons mieux en matière de prostituées qu’en matière de satin.   175 « De la marée fraische : une putain. » (Oudin.) Idem vers 509.   176 Ces « morues » ne viendront pas de la mer. « Allez-vous dessus la marine ? » St Christofle.   177 Au gibier <note 145>.   178 En quantité. Le gibier se prépare en civet, avec des oignons et du vin rouge. Mais le vin blanc symbolise le sperme.   179 Pourvu.   180 Filles de joie. Idem vers 367 et 518.   181 Du succès.   182 Celle qui ne connaît pas les finesses du métier. « G’y vays pourvoir,/ Car j’entens bien le jobelin. » (St Christofle.) Le jobelin est aussi l’argot des tyrans ; les ballades dont Chevalet s’inspire ont pour titre : « Le Jargon et jobellin dudit Villon. »   183 N’a aucune chance d’attraper le pigeon, le client.   184 La fortune nous fait défaut.   185 De si misérable crève-la-faim.   186 En cas de besoin. Comme d’habitude, Chevalet décrit les mœurs contemporaines, indépendamment du Mystère.   187 Il n’y a personne. La Fille égarée des Povres deables se plaint aussi de la concurrence déloyale faite par les nombreuses prostituées occasionnelles : « Il n’y a guère rue/ Où il n’y ayt des sœurs secrètes. »   188 Éd : cueillir  (De piler du sucre pour faire des confitures. « Le sucre que vous ferez piller bien petit. » Pour confir des demie-pièces de coings.)  On manipulait le sucre et la farine devant la porte pour ne pas salir la maison. Nos prostituées sans clients n’ont donc rien de mieux à faire que de préparer des confitures.   189 Fermez. La boutique est également le sexe d’une femme. « La boutique est fermée : se dit d’une femme qui ne fait plus d’enfans. » Oudin.   190 Il faut acquérir une clientèle.   191 Mon sexe. « Tu es trop neufve, et ne scez rien./ Ton engin n’est point bien ouvert. » Digeste Vieille.   192 Me laissera.   193 J’ai connu un temps où tu faisais merveille.   194 Une pièce en argent. C’est le salaire des prostituées de bas étage : « Ung beau grand blanc — qui n’est pas trop grant somme —/ Fist le marché. » Les Sept marchans de Naples.   195 Une si belle apparence.   196 La syphilis, par opposition à la petite vérole, ou variole.   197 Éd : dit  (Les soldats français revenus des guerres d’Italie accusaient les prostituées napolitaines de leur avoir inoculé le mal de Naples.)  « Ce mal que les François appellent ‟mal de Naples”, et que les Neapolitains appellent ‟mal françois”. » Charles Sorel.   198 Veut les éviter.   199 J’ai connu un temps où il venait quotidiennement ici des gens en quantité.   200 Éd : Chescum  (Seules les femmes font fourbir leur harnais, leur sexe : « Femme n’estoit, tant preude ou vieille feust, qui ne feist fourbir son harnoys. » Rabelais, Tiers Livre, Prologue.)   201 Les vieilles vulves. « Pource qu’elle avoit trouvé la lance de son champion si grosse, ne luy avoit osé bailler l’escu, doubtant qu’il ne la tuast. » Cent Nouvelles nouvelles, 86.   202 Je vous le garantis.   203 Sauf ce qu’il me faut pour vivre.   204 Par la porte ouverte, elle voit venir les tyrans.   205 Du palais royal.   206 Double sens érotique : « Je vueil perdre cent sous/ Se, dessus et dessoubz,/ N’est bien revisitée. » Les Sotz fourréz de malice.   207 Éd : Alibraquin   208 Même si on devait les chercher au fond du lupanar <note 125>.   209 Nous jouerons sur le lit <note 124>.   210 Sur la paille d’une écurie. « Coucher vestue sur la paillade. » Ung jeune moyne.   211 Faites-la venir sur ce champ de bataille.   212 Le rang des combattants de Vénus. Marragonde reste dans le registre militaire, pour se moquer des faux braves.   213 Je n’en tiens aucun compte. « De toutes ces accusations, je n’en fais ne recepte, ne mise. » J.-B. de Glen.   214 La joute, le combat contre votre lance virile. « Je feroye une jouste seulle,/ Mais ma pouvre lancette ploie. » Jehan Molinet.   215 Une fine mouche. « Que tu es ung fin hoste ! » (Les Enfans de Borgneux.) Rime dauphinoise en -oute : « N’estoient pas si fins houstes. » (La Pippée.) Pour Aqueline, ce « fin hôtelier » tient un hôtel de passe : elle traite Alibraquin de proxénète.   216 Éd : Barraquin   217 Comme maquereau. Idem vers 186.   218 Brouiller le papier, ou le parchemin, c’est causer des embrouilles.   219 Au bordel. « Une garse de plain clappier. » Les Chambèrières et Débat.   220 Va t’en prendre à ta consœur.   221 Débandé. « Soudain que la gouge on emmanche,/ Luy rebailler le picotin [sa ration de sperme],/ Si l’instrument ne se desmanche. » Guillaume Coquillart.   222 Percer de traits (ATILF).   223 Éd : menus  (Ces syllogismes. « De jeune logicien, argument cornu. De jeune médecin, cimetière bossu. » Proverbe.)   224 Il ne lui faut qu’un pénis. « Pour mettre au ‟four” leur pain. » (La Fluste à Robin.)  La note 244 revient sur les mœurs suspectes de celui que Chevalet a malicieusement choisi de nommer le « roi Danus » [roide anus]. Au siècle précédent, le Mistère du trèsglorieux martir monsieur sainct Christofle nommait ce roi imaginaire « Dagus » ; mais l’auteur anonyme dudit Mystère ne brillait ni par son humour, ni par sa liberté de ton.   225 Pour qu’elles accomplissent une certaine besogne.   226 Si je me mets en colère. Cf. L’Andureau et L’Andurée, vers 450.   227 Loin d’ici. « Mieux vaudroit qu’eusse esté à Rome ! » L’Antéchrist.   228 Chevalet connaît bien les pièces de Triboulet, dont il a donné le nom à l’un des messagers du Mystère. Il emprunte ce vers fautif à la première édition du Roy des Sotz, aujourd’hui perdue ; voir la note 24 de cette sottie.   229 Prestement.   230 Avant.   231 De plaidoiries, de contestations.   232 Rendez-les-moi.   233 Éd : loing fusse tu  (Tu aurais aussi vite fait de te payer une cotte, un jupon. « –As-tu le contract ? –Aussi bien eusses-tu l’argent ! » Pierre de Larivey.)   234 Avec notre précieux chargement.   235 Servet traduit : « Aller les mains vides. »   236 Qui n’a pas rapporté de proie au fauconnier. Mais le « faux con » désigne la vulve, qui se repaît de proies phalliques : « Il craind un peu le dangereux faux con. » (Lasphrise.)  Les tyrans et les deux filles entrent dans le Palais royal.   237 Même si elles.   238 J’ai peur que le géant saint Christophe ne nous fasse du mal.   239 Cherche. Le son « s » est très voisin du son « ch ». De même, à la rime suivante, il faut lire « perce » et non « perche ».   240 Éd : õcques peau  (« Mettre une fille en perce : la despuceler. » Oudin.)   241 Je vous rassure : vous n’en mourrez pas.   242 Elle ne risque pas d’en mourir, quoi qu’elle en dise.   243 Experte. La maquerelle du Dorellot se nomme Faicte-au-mestier.   244 J’en mourrai moi aussi, car vous avez un gros engin. Chevalet fait souvent des allusions à la sodomie : voir la note 69 de Cuisine infernale, ou la note 217 de L’Andureau et L’Andurée. Le roi Danus [roide anus], dont les mœurs sont mises en doute au vers 405, a pour chevalier Orlant, qui aime beaucoup les tyrans : c’est lui qui a fait venir de Rome ces « mauvais garsons », et qui a eu l’idée d’envoyer « ces quatre gallans au bordeau ».   245 Mademoiselle, votre peau est élastique.   246 Qu’il n’y a pas d’os dans un pénis.   247 « Il seroit bien gros, par ma foy,/ Si elle en faisoit à deux fois ! » Les Chambèrières qui vont à la messe.   248 Des mots ! Voir la note 83.   249 Allez dans la cellule de Christophe.   250 Que ma volonté s’accomplisse.   251 Bien informées. « Je suis tout rusé de ce fait. » Trote-menu et Mirre-loret.   252 Que si on nous y conduit.   253 De notre religion.   254 Je n’aurai qu’un mot à dire.   255 Son harnais viril. Cf. L’Andureau et L’Andurée, vers 409 et 455.   256 Que nous n’avons plus rien à apprendre.   257 Du pénis (ital. cazzo). « Du temps que mon cas estoit beau,/ Que ma ‟chose” bien se portoit. » Les Sotz fourréz de malice.   258 J’étais jusqu’à présent un messager.   259 Désormais, je suis un amateur de « morues ». Voir cette Ballade, vers 2 et note.   260 La bête à deux dos = le coït. Rime dauphinoise en -ou : « Vous faictes la beste à deux doulx. » Le Badin qui se loue.   261 Les miens et ceux de mon amant. « Tu bouteras tous les coups/ Deulx culz avec quatre genoulx,/ Après que seras maryée. » Les Bâtars de Caulx, LV 48.   262 Si tu vois qu’il me prend sexuellement, pète ! Jeu de mots : corner prise = sonner du cor quand la bête est prise. « Car tous ensemble cornent prise. » (Godefroy.)  Nicette souffle dans la corne que le messager porte en bandoulière.   263 Éd : une  (« Vous avez le bruit [la réputation]/ D’estre encore plus fine ouvrière. » La Pippée.)   264 Laisse cette corne !   265 Sur leur pubis. Cf. Cuisine infernale, vers 107. « –Estudiras-tu bien ?/ –Ouÿ, en parchemin velu. » Pernet qui va à l’escolle.

L’ANDUREAU ET L’ANDURÉE

Bibliothèque nationale de France

Bibliothèque nationale de France

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L’ANDUREAU

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ET  L’ANDURÉE

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La Vie de sainct Christofle (~1510-1514), de Claude Chevalet, contient une sottie (le Fol et la Folle) ainsi que plusieurs farces, dont les Basteleurs et les Tyrans au bordeau. En voici une autre, qui met en scène un couple de paysans. Leur nom — L’Andureau et L’Andurée — provient d’une chanson picarde : « Au chant de ‟Marchons la dureau, la durée”, une chanson vulgaire [populaire] qui lors estoit en bruit. » (Jehan Molinet.) Une autre chanson, que j’ai publiée dans la notice du Bateleur, a pour refrain : « Dureau la duroye. »

Source : La Vie de sainct Christofle, élégamment composée en rime françoise et par personnages par maistre Chevalet. Imprimé à Grenoble en 1530. Bibliothèque nationale de France, Rés. YF 116. Édition critique de Pierre SERVET : La Vie de sainct Christofle ; Droz, 2006.

Structure : Rimes plates avec beaucoup de « troisièmes rimes », et 2 triolets.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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Dans nombre de Mystères, un messager demande sa route à un paysan qui ne veut pas la lui indiquer ; voir, entre autres, le Messager et le Villain.

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                        SAUTEREAU SCÈNE  I

        … Et si, ne cognois où je vois1,

        Bien ou mal, ne quel chemin suyvre.

        Toutesfoys ne suis-je pas yvre,

        Nonobstant que j’aye bien beu2.

5      Voylà ung villain3 que j’ay veu ;

        Si, m’en voys à luy le droit pas4.

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        Hau, bon homme5 !                                                     SCÈNE  II

                        L’ANDUREAU,  villain.

                                         Il n’y est pas6.

                        SAUTEREAU

        Où va ce chemyn, mon amy ?

                        L’ANDUREAU

        Il ne va ne pas, ne demy7 ;

10    Oncques il n’ala nulle part.

                        SAUTEREAU

        Mais où tire-il8 ?

                        L’ANDUREAU

                                     Il n’a point d’arc

        Ne de flesche.

                        SAUTEREAU

                                Quel(le) resverie9 !

        Est-ce le chemyn de Surie10 ?

                        L’ANDUREAU

        Nenny, c’est le chemin publicque.

                        SAUT[E]REAU

15    Voicy ung propos bien oblicque !

        Que broulles-tu le parchemyn11 ?

        Dis-moy : qui suyvroit12 le chemyn,

        Où yroit-on ?

                        L’ANDUREAU

                               Par mon serment !

        Si le chemyn alloit devant,

20    Vous le suyvriez bien une espace13 ;

        Mais il ne bouge de sa place

        Pas pour telz gens comme vous estes.

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                        LA  VIELLE  ANDURÉE 14                    SCÈNE  III

        Est-ce le labeur que vous faictes,

        Viellart rassouté15, estourdy ?

25    Par noz dieux ! vous serez ho[u]rdi16

        Tout maintenant, de chaulde colle17 !

                        SAUTEREAU

        Et ! qu’est cecy ? Estes-vous folle ?

        Fault-il batre vostre mary ?

                        L’ANDURÉE

        Venez-vous au charivary18 ?

30    Par tous noz dieux, vous en aurez19 !

        Tenez !

                        SAUTEREAU

                      Gardez que vous ferez20 !

                        L’ANDURÉE 21

        Empoigne ce coup de queno[u]ille !

                        SAUTEREAU

        Que fera ceste troulle-broulle22 ?

                        L’ANDURÉE

        Mais que fault-il à ce baveur23 ?

                        L’ANDUREAU

35    Il a esté bon24 recepveur,

        Ce messagier.

                        L’ANDURÉE

                               Sus, qu’on besoigne25 !

        Par noz dieux ! si je vous empoigne,

        Je vous feray plus bas parler.

                        SAUTEREAU

        Le diable m’en fit bien mesler !

40    Jamais je ne fus à tel(le) feste26.

                        L’ANDURÉE

        Retourne, tu auras ta reste27 !

*

La ville de Samos est close par un rempart dont la porte reste ouverte sur la campagne. Une tour du guet domine ce mur ; elle est dépourvue d’escalier : on y accède par une échelle qui est ensuite retirée, pour que le guetteur soit en sécurité, ou pour qu’il ne prenne pas la fuite. « Nous ne sçavons par où descendre : / On nous a mis à faire guet. » (Les Rapporteurs.)

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                        LE  CONTE  DE  TRIPLE                      SCÈNE  IV

        Or çà ! qui montera là-hault,

        Sur la tour, pour faire la guette ?

        Il est force que l’on y mette

45    Quelc’um, ce sera le plus beau28.

                        PASQUELON

        Voylà mon voisin L’Andureau :

        Envoyer luy fault tout le pas29.

                        L’ANDURÉE

        Faictes-y monter le bourreau !

                        NYCOLIN

        Montez, mon voisin L’Andureau !

                        MORGALANT,  bourreau.

50    Vielle guêtre30, traŷne-péneau !

        Il y ira, voylà le cas !

                        NYCOLIN

        Voylà mon voisin L’Andureau :

        Envoyer luy fault tout le pas.

                        L’ANDURÉE

        Tu y mentiras !

                        PASQUALET,  varlet du bourreau.

                                  Ha ! Babeau31 !

                        MORGALANT

55    Oste-toy d’icy, viel carcas32 !

                        PASQUELON

        L’Andureau ne seroit pas las,

        S’il y demouroit troys sepmaines33.

                        L’ANDURÉE

        Il fera voz fièvres quarteynes !

        Avez-vous entendu, beau sire ?

60    N’en sçavez-vous ung aultre eslire34

        Sans le venir du guet charger,

        Qui35 n’a pas du pain à menger

        Sans labourer en sa maison36 ?

                        NYCOLY[N]

        On luy fournyra — c’est raison —,

65    Et à vous, sa vie ordinaire37.

        Et si, est force de le faire,

        Car trop chier seroit le deffault38.

                        LE  CONTE  [DE  TRIPLE]

        Sus, Andureau ! Monte là-hault

        Et prens garde de tous costéz,

70    Si39 que noz ennemys mortelz

        Soient apperceuz de bien loing.

                        L’ANDUREAU

        Ne vous chaille, j’en prendray soing.

        Je voys monter dedans la loge40.

        Et quoy41 que j’ay l’œil ung peu roge,

75    Si ay-je encor[e] bonne veue.

                        BROADAS

        Si tu apperçois rien, si hue

        Et cloche menu42 et souvent !

        Puis metz la bannerolle43 au vent

        Contre ceulx que verras venir.

                        L’ANDUREAU

80    Sçav’ous quoy ? Faictes-moy tenir44

        Ou apporter une bouteille :

        Car c’est cela qui me resveille

        Quant ce vient au charivary.

                        ANDROMADÈS

        Tien : empoigne-moy ce barry45,

85    Et fais le guet tant seullement !

*

L’Andurée ramasse du bois devant le rempart, non loin de la tour où veille son mari. Un soldat sort de la ville et s’approche d’elle.

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                        BARDON                                                    SCÈNE  V

        … Çà, m’amye, a[vez-]vous point veu

        Gens de guerre parmy ces champs,

        Allans à pied ou chevauchans ?

        Dictes-le, affin qu’on le sache.

                        L’ANDURÉE

90    Mon mary en est à l’estache46

        — Dont il n’estoit pas grant besoing —

        Hault jusché pour le[s] voir de loing.

        Le grant diable ait part en la guerre47 !

                        BARDON

        Et  que faictes-vous icy ?

                        L’ANDURÉE

                                                Je serre

95    Du boys pour [en] faire ung fagot

        Pour mettre cuyre ung gigot.

        Laissez-m’en paix et passez oultre !

                        BARDON

        Vouldriez-vous point prester le voustre48

        Près ce buysson, en quelque coing ?

                        L’ANDURÉE

100  Mon gigot ?

                        BARDON

                             Voire, ou [le] maujoinct49 :

        Car je vous embrasseray ferme50.

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                        L’ANDUREAU,  au guet.51                       SCÈNE  VI

        Allarme, bonnes gens, alarme52 !!

        Je saulteray par ce créneau !

                        NYCOLIN 53

        Qu’as-tu ?

                        L’ANDUREAU

                         Je voy ung gendarmeau

105  Qui veult ma femme brimballer54.

        Descendez-moy, g’y veulx aller !

        Je pers le sens, je suis deffait.

                        PASQUELON

        N’ayes soussy : c’est peu de fait55.

        Tais-toy, car c’est assez presché !

                        L’ANDUREAU

110  Pour Dieu, que je soye desjuché56 !

                        NYCOLIN

        La raison ?

                        L’ANDUREAU

                            Il me fait cornu.

                        PASQUELON

        Tu y serois trop tart venu57.

                        L’ANDUREAU

        Je saulteray, comme qu’il soit58 !

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                        L’ANDURÉE                                             SCÈNE  VII

        Ostez-vous ! Mon mary me voit,

115  Qui [nous] crie à plaine caboche59.

        Vous luy ferez rompre la cloche60.

        Allez-vous-en sans parler plus !

                        BARDON

        Nous ne ferons pas le surplus,

        Puisque nous sommes descouvers.

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120  Je voy des gens, sur ce renvers61,                                SCÈNE  VIII

        Qui vont crians parmy la plaine.

        Je le voys dire62 au capitaine,

        Affin que l’on y remédie.

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                        L’ANDUREAU 63                                     SCÈNE  IX

        Alarme !!

                        NYCOLIN

                         Qu’as-tu ? Qu’on le die !

                        L’ANDUREAU

125  Il n’est pas temps de se truffer64.

        Alarme !! Que de gens de fer,

        Autant le corps comme les manches !

        Ilz portent de[s] perches ferrenches65

        Pour venir ruer66 ceste ville.

                        PASQUELON

130  Combien sont-ilz ?

                        L’ANDUREAU

                                      Plus de cent mille.

        Alarme, bonnes gens, alarme !!

        Ilz me chevaulcheront ma femme

        Aux champs, atout leur vit d’acier67 ;

        Puis sera grosse d’ung archier68

135  Qui mengera nostre poullaille69.

        Tout est perdu ! Que l’on me baille

        Une eschelle ! Descendez-moy !

*

Quelque temps plus tard, L’Andurée traîne son mari au temple de Jupiter, où la Folle du mystère essaiera bientôt de châtrer le sien.

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                        L’ANDURÉE                                             SCÈNE  X

        Sus ! au Temple (de par le diable,

        Entens-tu ?) pour sacrifier !

140  Le Roy l’a fait partout crier70,

        Et ce paillart-cy n’en tient compte.

                        L’ANDUREAU

        Et ! qu’est-ce cy ? N’a[s-]tu pas honte

        De crier ainsi en la place ?

        Par Juppin ! tu as peu de grâce.

145  Va-y toy-mesmes la première !

                        L’ANDURÉE

        Fault-il tirer le cul arrière71 ?

        Avant72, de par le diable, avant !

        Ne sont pas les hommes devant ?

        Veulx-tu jouer du contrepoint73 ?

                        L’ANDUREAU

150  Scez-tu quoy ? Ne me frappe point,

        Car je voys assez sans toucher74.

                        L’ANDURÉE

        Tout droit ! il ne faut point clocher75.

        Dépesche-toy sans plus parler !

                        L’ANDUREAU

        Tu m’y fais par [la] force aller.

155  Mais je despendray une terne

        De solz, anuyt76, à la taverne,

        Quelque chose qu’il en advienne.

*

Le païen Reprobe — futur saint Christophe — est un géant dont la laideur terrifie tout le monde. Mais il se confesse avec une humilité déjà toute chrétienne :

       Quant je suis soûl, je suis content

       De jeûner tant* que j’aye fain.                      *Jusqu’à ce.

       Mais si je treuve rien* en main                     *Quelque chose.

       Au matin, quant l’appettit touche,

       Je le fourre dedans ma bouche. »

Pour l’heure, il cherche le diable afin de se mettre à son service.

.

                        SAINCT  CHRISTOFLE                         SCÈNE  XI

        Je ne sçay comme je pourroye

        Trouver le Diable, que je quiers.

160  J’en demandasse voulentiers

        À ce villain quelque nouvelle.

.

        Comment est-ce que l’on t’apelle ?…                          SCÈNE  XII

        Parle à moy !… As-tu entendu ?

                        L’ANDUREAU

        A ! Jupiter, je suis perdu !

165  Cest homme-cy me mengera77 ;

        [Et] puis ma femme enragera,

        S(i) une foys je passe le pas78.

        A ! Monsieur, ne me tuez pas !

        Pour Dieu, ayez de moy mercy !

                        SAINCT  CHRISTOFLE

170  Et ! nenny non, n’aye soussy !

        Es-tu yvré79, ou si tu resve ?

                        L’ANDUREAU

        Ne faictes pas ma femme vefve80

        Pour prendre ung aultre mary,

        Car j’en serois le plus marry,

175  Et l’aymeroys beaucoup mieulx estre81.

        Par Jupit[er] qui me fit naistre82 !

        Je serois hors de grant esmoy.

                        SAINCT  CHRISTOFLE

        N’aye plus paour, et parle à moy83,

        Et me respons tout à ceste heure :

180  Scez-tu où le Diable demeure,

        Ne où il fait sa résidence ?

        Je quiers d’avoir son acointance.

        Monstre-le-moy à ma requeste.

                        L’ANDUREAU

        Vous quérez une faulce84 beste

185  Qui a les mâchouères de fer85.

        L’on dit qu’il se tient en Enfer.

        Quérir le diable, c’est simplesse86 ;

        Mais si vous quérez la diablesse,

        Voylà là où elle se cache87.

                        SAINCT  CHRISTOFLE

190  Où est Enfer ? Que je le sache !

        Monstre-moy le chemin grant erre88.

                        L’ANDUREAU 89

        L’on dit qu’il est dedans la terre,

        Mais le chemin ne sçay-je point.

        Et si90, y a ung aultre point :

195  Car je croy qu’il y fait bien chault.

                        SAINCT  CHRISTOFLE

        De tout cela il ne me chault :

        Il n’est chaleur que je n’endure.

        Et si, trouveray (quoy qu’il dure91)

        Le Diable, que je serviray.

200  À tant de gens m’en enquerray

        Que quelc’um m’en dira nouvelle.

        Puisque je sçay comme on l’appelle,

        Je le trouveray, si je puis.

                        L’ANDUREAU

        Vous le quérez et je le fuys :

205  Car l’on dit qu’il a le visa(i)ge

        De bien trente couldées de large,

        Corne devant, corne derrière.

        Quant il fait bransler sa paupière,

        C’est une chose merveilleuse92 !

210  Dedans le trou d’une dent creuse

        Que le paillart a en la gorge93

        A ung mareschal94 et sa forge,

        Qui ferre les chevaulx à glace95.

        ……………………………

                         L’ANDURÉE                                            SCÈNE  XIII

        M’avez-vous appellé « diablesse » ?

215  Par noz dieux, vous serez ho[u]rdy96 !

                        L’ANDUREAU

        Viens-tu ainsi à l’estourdy97

        Frapper sur moy sans dire gare ?

        C’est la journée de malle hare98 !

        Je voy bien qu’il me fault deffendre99.

                        L’ANDURÉE

220  Tu ne perdras rien de m’attendre100.

        Tien, empoigne cela, yvroigne !

                        L’ANDUREAU

        Ne frappe point de la queloigne101,

        Ne des ongles encores moins !

                        L’ANDURÉE

        Je frapperay de toutes mains

225  Tant que je t’en pourray donner !

        Fault-il les femmes blasonner102

        Comme tu fais, sanglante beste ?

                        L’ANDUREAU

        Ne me frappe point sur la teste :

        C’est le pot au vin103. Entens-tu ?

                        L’ANDURÉE

230  Par noz dieux, vous serez batu !

        A ! paillart, vous fault-il hongner104 ?

                        L’ANDUREAU

        Je le voys, [à fouÿr, gaigner]105 :

        Jambes, portez le corps arrière106 !

        Que le diable emport la loudière107

235  Et qui oncques m’en empescha108 !

                        L’ANDURÉE

        Jamais femme mieulx ne torcha109

        Homme que je te torcheray !

.

                        L’ANDUREAU                                         SCÈNE  XIV

        Par Juppin ! je me cacheray

        À quatre piedz, comme ung marmot110.

240  Voicy mon fait111. Ne sonne mot,

        Pour crainte de ceste estourdie !

.

                        L’ANDURÉE                                             SCÈNE  XV

        Qui le sçaura, que l’on me die

        Du112 paillart qui s’en est fouy.

        Je cuyde que je l’ay ouÿ,

245  Ou ung autre qui le ressemble.

.

                        L’ANDUREAU                                          SCÈNE  XVI

        A ! Juppiter, comme je tremble !

        S’elle me treuve, je suis mort.

        Hélas, pour me donner confort113,

        Vueillez-moy estre pitéable114 !

250  Elle est pire que n’est ung diable.

        Cachez-vous, vous serez batus !

*

L’Andureau se propose de suivre des « tyrans » (un douteux ramassis de sergents, bourreaux, tortionnaires et geôliers) qui veulent dévaliser des passants pour aller dîner gratis.

.

                        L’ANDUREAU                                          SCÈNE  XVII

        Dea ! je seray des vostres.

                        ALIBRAQUIN

                                                 Non !

                        MALLEPART

        Vous estes trop couhart aux armes.

                        BARRAQUIN

        Mais foible115.

                        L’ANDUREAU

                                  Et vous aux alarmes !

                        BRANDIMAS

255  Gaillards116 !

                        FRÉMINAUD

                             Dehaitz117 !

                        L’ANDUREAU

                                                O ! quelz gensdarmes

        Pour bien tost assaillir ung pot118 !

                        ALIBRAQUIN

257  Tais-toy !

                        MORGALANT

                       Chut !

                        PASQUALET

                                 Paix !

                        MALLEPART

                                          Gényn le Sot119 !

                        BARRAQUIN

        Garde de desrober plasm[e]use120 !

        L’entens-tu ?

                        L’ANDUREAU

                             Ma121 teste fumeuse

260  Vous fera chevalier passer122 !

                        BRANDIMAS

        Ventre123 !

                        FRÉMINAUD 124

                            Ha ! laissez-le passer :

        Sa coulère est [trop] dangereuse.

                        L’ANDUREAU

        Si j’eschauffe ma teste creuse125,

        Je te batray, dea, comme ung page126 !

                        ALIBRAQUIN

265  Tais-toy, truant !

                        L’ANDUREAU

                                     Vostre courage

        Vous fera une foys mouri[r] !

                        MORGALANT

        Cherchons…

                        PASQUALLET

                            Cherchons ?

                        L’ANDUREAU

                                               Boutte boullir127 :

        Tu y feras de beaulx vacarmes128.

                        MALLEPART

        Si une foys je suis aux armes,

270  Vous me verrez bien advancer129.

                        L’ANDUREAU

        Ilz vous feront maistre passer…

        Auprès du cul de Aqueline130.

                        BARRAQUIN

        Et moy, j’assauldray131

                        L’ANDUREAU

                                               La cuysine.

        Ou quelque souppe grasse au plat.

                        BRANDIMAS

275  Compaignons !

                        FRÉMINAUD

                               Hau132 ?

                        ALIBRAQUIN

                                             Bon guet !

                        MORGALANT

                                                             Eschac133 !

                        PASQUALET

276  J’ay…

                        MALLEPART

                 Quoy ?

                        BARRAQUIN

                            Trop vuyde

                        BRANDIMAS

                                               L’estomac.

                        FRÉMINAUD

277  Les dens

                        ALIBRAQUIN

                      Longues

                        MORGALANT

                                    Comme liépart134.

                        L’ANDUREAU

        Qui leur vouldroit bail[l]er du lart135,

        Ilz en feroient de gros morceaulx136.

                        PASQUALET

280  Prestz,

                        MALLEPART

                  En point,

                        BARRAQUIN

                                Arméz

                        BRANDIMAS

                                           Aux assaulx.

.

                        FRÉMINAUD 137

281  Voicy…

                        ALIBRAQUIN

                     Qui ?

                        MORGALANT

                               Ce que demandons.

                        PASQUALET

282  À luy138 !

                        MALLEPART

                        À luy !

                        BARRAQUIN

                                   Sus !

                        BRANDIMAS

                                           Empoignons !

                        FRÉMINAUD

        Je voys139 devant.

                        ALIBRAQUIN

                                      Et moy derrière.

                        MORGALANT

284  Frappe !

                        PASQUALET

                     Lorgne140 !

                        MALLEPART

                                        Hay !

                        BARRAQUIN

                                                 Assaillons !

                        BRANDIMAS

285  Qu’on cherche…

                        FRÉMINAUD

                                  Quoy ?

                        ALIBRAQUIN

                                              La gibessière141.

.

                        SAINCT  CHRISTOFLE                         SCÈNE  XVIII

        Retirez-vous bien tost arrière,

        Naintz, sotz, couhars, estradïotz142 !

                        MORGALANT

        Baille

                        PASQUALET

                  Çà l’argent !

                        MALLEPART

                                      Ou le dos

        On te secoura, et bien fort !

                        BARRAQUIN

290  À mort !

                        BRANDIMAS

                       À mort !

                        FRÉMINAUD

                                      Villain143, à mort !

                        SAINCT  CHRISTOFLE

        Vous ne serez jà le plus fort,

        Ou je renie Tarvagant144 !

        Par Jupin ! batus serez tant

        Qu’il fauldra que chiez145 vinaigre.

295  Et verrez si ma main est aigre

        Ou bien [est] rude à batre bourre146.

                        L’ANDUREAU

        (Je ne vis oncques mieulx secourre147 !

        Ilz n’ont garde des artisons148.)

                        SAINCT  CHRISTOFLE

        Tenez ! Tenez !

                        ALIBRAQUIN

                                 Nous nous nous rendons !

                        MORGALANT

300  Alarme !

                        PASQUALET

                       Alarme !

                        MALLEPART

                                      Je suis mort !

                        BARRAQUIN

301  Hay ! hay !

                        BRANDIMAS

                          Hay ! hay !

                        L’ANDUREAU

                                             (Quel réconfort !)

                        SAINCT  CHRISTOFLE

        Ce n’est rien, s’il n’y a de plus fort.

        Vient-on cy les gens assaillir ?

        Sang bieu ! je vous feray mourir

305  Cruellement !

                        L’ANDUREAU

                              [De loing] fouyr

        Il me convient149, ou je suis pris.

                        SAINCT  CHRISTOFLE 150

        Ma foy, vous y serez compris,

        Maistre gallant ! Estes-vous cy151 ?

                        L’ANDUREAU

        Monsieur, je vous crye mercy !

                        SAINCT  CHRISTOFLE

310  Tenez, tenez, vilain infâme !

                        L’ANDUREAU

        Ha ! ne faictes point que ma femme,

        Qui [manye si bien les ergos]152,

        Se remarye !

                        SAINCT  CHRISTOFLE

                               Tiens ces coups !

        Es-tu larron ?

                        L’ANDUREAU

                              Hay ! Hay ! le153 dos !

315  Las, je meurs ! Je chie de peur154 !

                        SAINCT  CHRISTOFLE

        Vient-on icy estre aguetteur155

        De chemyn, pour les gens surprendre ?

        Par Jupiter ! je vous voys pendre

        [Tous huyt]156, deussé-je estre bourreau !

                        L’ANDUREAU

320  Si je vous baille mon appeau157,

        N’aurez-vous pas pitié de moy ?

                        FRÉMINAUD

        Quel de profundis158 !

                        ALIBRAQUIN

                                           Quel effroy !

                        MORGALANT

        Il en est fait.

                        PASQUALET

                             Nous sommes friz.

                        MALLEPART

        Nous sommes bien des dieux mauldictz,

325  De nous trouver en telle bende !

                        SAINCT  CHRISTOFLE

        Venez, venez, que l’on vous pende,

        Vilains assailleurs estourdis !

        Et ! serez derechef ho[u]rdis159.

                        BARRAQUIN

        Je meurs !

                        BRANDIMAS

                        Je pasme160 !

                        FRÉMINAUD

                                              Trop hardis

330  Vous fustes à donner l’assault.

                        L’ANDUREAU

        Je vous donray ung gasteau chault

        Et ung tournoys161, pour ma rançon.

                        SAINCT  CHRISTOFLE

        Va, va, tu es mauvais garson162 :

        Tu ne vauls pas que l’on te gaige163.

                        L’ANDUREAU

335  Je suis trop plus heure[u]x que saige,

        Puisque j’ay eschappé sa pate164.

        J’ay quarante et cinq165, l’advantage.

                        ALIBRAQUIN

        Tu es trop plus heureux que saige.

                        MORGALANT

        Si166 as-tu ta part au pillage.

                        PASQUALET

340  Il t’a bien guéry de la gratte167.

                        L’ANDUREAU

        Je suis trop plus heureux que saige,

        Puisque j’ay eschappé sa pate.

                        MALLEPART

        Puisque nous avez rendu matte168,

        Ayez pitié, nous vous prions !

                        SAINCT  CHRISTOFLE

345  Vous avez gaignéz…

                        L’ANDUREAU

                                        Horïons169 ?

                        SAINCT  CHRISTOFLE

        Mais d’estre pendus hault et court !

                        L’ANDUREAU

        (Voylà ung terrible milourt170,

        Quant je regarde son mynois.

        Qu’il seroit bon à cueillir noys !

350  Il ne luy fauldroit point d’eschelle.)

                        SAINCT  CHRISTOFLE

        Rien ne vous sert ceste querelle,

        Car je vous lairay estachéz171.

                        L’ANDUREAU

        Je veulx estre — que le sachez —

        Des vostres : quant vient172 aux effors,

355  Je suis tousjours vers les plus fors.

        N’est-ce pas le meilleur conseil173 ?

                        SAINCT  CHRISTOFLE

        Je te bailleray ung resveil

        Qui te gardera de dormir !

        Va-t’en avec ceulx[-là] gémyr,

360  Si tu ne veulx [col comme]174 grue.

        Par mon serment ! presque je sue

        De tant férir ces truandeaulx175.

.

                        BARRAQUIN                                           SCÈNE  XIX

        Que ferons-nous ?

                        L’ANDUREAU

                                     Brides à veaulx176 ;

        Et si, disnerez aux dîmages177.

                        BRANDIMAS

365  Quelz alarmes !

                        L’ANDUREAU

                                 Vous faisiez rages,

        Quant ce vint l’heure d’assaillir.

                        FRÉMINAUD

        Je me178 cuydé esvanouÿr.

                        ALIBRAQUIN

        Et moy, cuyday passer le pas179.

                        L’ANDUREAU

        Vous valez ung aultre, à fouyr180

370  Quant on combat. Ne faictes pas181 ?

                        MORGALANT

        J’aloys…

                        L’ANDUREAU

                       Plus viste que le pas ;

        Mais il vous a tost recueilly.

                        PASQUALET

        Laissons tout ce charivary !

                        MALLEPART

        Ayde-moy182 !

                        BARRAQUIN

                                Hay ! Et qu’est cecy ?

                        BRANDIMAS

375  Je suis tout las.

                        FRÉMINAUD

                                 Et moy aussi.

                        ALIBRAQUIN

        Je suis boyteux.

                        MORGALANT

                                   Et moy, cassé.

                        L’ANDUREAU

        Vous estes chevalier(s) passé183.

        Tout beau !

                        PASQUALET

                           L’on m’a bien compassé184

        L’eschine, du long et du large.

                        MALLEPART

380  Desliez-nous !

                        L’ANDUREAU

                                J’en ay la charge,

        Cuydé-je : a[llons] les deslier.

        Es-tu le chien au gros collier185

        Qui186 faisois tant de la gendarme ?

                        BARRAQUIN

        Je ne puis aller, par mon âme,

385  Pour le coup que j’ay cy endroit187.

                        L’ANDUREAU

        Tout beau, hau ! Allez ung peu droit !

        Quoy ! me voulez-vous contrefaire188 ?

                        BRANDIMAS

        Allons ! Cherchons aultre repaire

        Pour trouver aulcun secourable189.

*

12 000 vers plus tard, L’Andureau est remonté dans la tour où il exerce « le guet qui est dessus la porte ». Il voit venir une armée. Sa femme est à l’extérieur du rempart, moins effrayée que lui par cette arrivée de violeurs potentiels. Les protagonistes jurent toujours comme des mécréants, mais leurs jurons, s’ils restent aussi orduriers, sont devenus chrétiens : cela est dû à la récente conversion du roi.

.

                        L’ANDUREAU,  villain.                           SCÈNE  XX

390  Saincte Marie, que de gens !

        Que d’estandars ! Que de banières !

        Ilz ressemblent, à leurs manières,

        Que ce soyent diables d’Enfer.

        Ilz portent de[s] robes de fer,

395  Et les bonnetz trèstous de mesmes.

        Par mon serment ! ce sont gensdarmes190

        Tous assembléz à grans monceaulx

        Ainsi comme sont les pourceaulx.

        Tout est perdu ! Alarme, alarme191 !!

400  Et ! par Dieu, s’il[z] treuve[nt] ma femme,

        Ilz luy mettront la « queue » devant.

                        LA  VIELLE  ENDURÉE

        Avant, de par le diable, avant !

        Qu’as-tu trouvé, à si hault braire ?

        La croix Dieu ! on te fera taire,

405  Si tu crye mèshuy192 si hault.

                        L’ANDUREAU

        Alarme, alarme, à l’assault !!

        Tout est pris, qui193 n’y prendra garde.

        Va-t’en cacher, putain paillarde,

        Ou ilz te mettront la « cropière194 »

410  Par devant, non pas par derrière,

        S’ilz peuvent gaigner la muraille195.

                        L’ANDURÉE

        J’ay mon saulconduyt196, ne te chaille,

        Tout prest dessoubz le bout du ventre,

        Et n’ay pas paour que nul y entre

415  Qui n’en saille197 bien à son aise.

                        L’ANDUREAU

        Que le feu fust en la fournaise198

        Aussi chault comme feu grégoys199,

        Pour [t’]ardre le trou et le joys200,

        Et mettre fin à la « beso[i]ngne » !

.

                        NYCOLIN,  bourgeoys.                            SCÈNE  XXI

420  Mais qu’as-tu trouvé, dy, yvroigne ?

        As-tu jà parfaict201 tes vendanges ?

                        PASQUALON

        Je cuyde qu’il a veu les anges202

        Au fons d’ung pot ou en ung verre.

                       L’ANDUREAU

        Armez-vous, car toute la terre

425  Est couverte de gens arméz !

        Et si légier203 vous ne fermez

        Les portes, nous sommes tous frictz.

                        NYCOLIN

        Il a dit vray : les rats sont pris204 !

                        PASQUALON 205

        Paix, puisque dire le convient !

430  Car c’est le secours qui nous vient,

        De cela suis [b]ie[n] adverty206 :

        Ce sont gens de nostre party

        Qui, du Roy (ainsi que j’entens),

        Ensemble207 tous les habitans,

435  Seront receuz à moult grant joye.

                        L’ANDUREAU

        Messeigneurs, la paour que j’avoye

        M’a faict faire ce grant effroy.

*

Malgré ses piètres résultats, le vigneron est à nouveau réquisitionné comme guetteur, sous les quolibets de sa femme.

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                        PASQUALON                                           SCÈNE  XXII

        L’Andureau, il te fault monter

        Pour veoir de loing noz ennemys,

440  Et pour sonner cy pris, cy mis208 :

        Car tu es, à ce faict, propice.

                        L’ANDUREAU

        Laissez-moy, je quitte l’office.

                        NYCOLIN

        La raison ?

                        L’ANDUREAU

                          Car j’ay la veue209 trouble,

        Et n’ay pas le jarret si soupple210

445  Comme j’ay eu le temps passé.

                        L’ANDURÉE

        Bref, il est de gaiges cassé211

        Pour « monter212 », je vous en asseure !

        Si, luy conseille qu’il demeure,

        Pour mèshouan, dessus la plume213.

                        PASQUALON

450  Monte tost, car si je me fume,

        Je te donray une venue214 !

                        L’ANDUREAU

        Je deusse avoir [bien] belle « queue »,

        De juscher215 tous les jours si hault !

                        L’ANDURÉE

        La queue, devant, rien ne vault216,

455  Au moins pour mettre la « cropière » ;

        Quant est de celle217 de derrière,

        Elle sent son dyamerdis218.

                        NYCOLIN

        Monte tost, puisque je le dis !

        Il n’est pas temps de babiller.

460  Et prens garde de bien veiller

        Aux ennemys, car ilz sont près.

                        L’ANDUREAU

        Çà, ma bouteille ! Puis après,

        Je monteray sans plus attendre.

                        L’ANDURÉE 219

        Or tien ! Et monte sans descendre

465  Et sans retour, villain gros-bec220 !

                        L’ANDUREAU

        Va moy attendre au gibet,

        Non pas à « Reins221 », dont tu t’esbas !

        As-tu entendu, viel cabas222 ?

        Que du mau feu soyes-tu arse223 !

                        PASQUALON

470  Monte ! Et puis [tu] jouras la farce224,

        Et ta femme joura du cul.

                        L’ANDUREAU

        Je sçay bien que je suis coqu225,

        Pour dire le cas tel qu’il est ;

        Mais je ne suis pas tout seullet :

475  J’ay des compaignons plus de mille,

        Autant au[x] champs comme à la ville.

        C’est [là] maladie incurable.

                        NYCOLIN

        Monte, villain, de par le diable !

        Fault-il playdoier maintenant ?

                        L’ANDUREAU

480  Estes-vous du Roy lieutenant226 ?

        Attendez, [ne vous en]227 desplaise,

        Et je monteray à mon ayse,

        Puisqu’il est force qu’il se face228.

        Et toy, mauldicte chiche-face229,

485  Va moy aprester à menger !

                        L’ANDURÉE

        Attens-moy là sans te bouger :

        Si auras ung estront tout chault !

                        L’ANDUREAU

        Bren ! De tout cela, ne m’en chault ;

        Masche230 cela sans moy attendre !

*

L’Andureau finit par remonter dans la tour du guet. Cette fois, ce ne sera pas pour rien. Mais il a tant crié au loup qu’il aura du mal à être pris au sérieux.

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                        L’ANDUREAU                                          SCÈNE  XXIII

490  Alarme, alarme !! Que de gens

        Arméz par boys, par préz, par champs !

        Courez tost, bourgeois et marchans,

        Embastonnéz, sur la muraille231 !

                        SAUTEREAU

        Mais qu’a ce fol qui si hault [b]raille232 ?

495  Je croy qu’il a veu les Angloys233 !

                        L’ANDUREAU

        Va tost faire armer les roys

        Tout d’acier, testes, piedz et mains :

        Car voicy venir les Romains.

        Descendez-moy, je meurs de peur234 !

500  Despêchez-vous, ou je suis seur

        Qu’ilz viendront Samos desconfire !

*

1 Et aussi, je ne sais pas où je vais. Un sautereau est un saute-ruisseau, un porteur de messages ; mais le sottereau n’est pas loin : « Soctars, soctereaulx, socteletz,/ Les vrays filz de Haulte Follie. » Les Sotz ecclésiasticques.   2 Bien que j’aie beaucoup bu. Les messagers, qui arpentent des chemins poussiéreux, ont toujours soif : voir la notice du Messager et le Villain.   3 Un paysan. Celui-ci est vigneron (vers 421).   4 Aussi, je vais tout droit vers lui.   5 On surnommait les paysans « Jacques Bonhomme ». Cf. Monsieur de Delà et monsieur de Deçà, vers 148 et note.   6 Je ne suis pas là. Cette insolence est mise en général dans la bouche des valets que leur maître réclame : « –Rince-hanaps ! –Il n’y est pas. » Le Porteur de pénitence.   7 Il ne se déplace ni d’un pas, ni de la moitié d’un pas. Cette plaisanterie était tellement éculée qu’on en faisait des chansons : « –Où va ce chemin qui verdoie ?/ –Tu vois bien qu’il ne se bouge. » (Nicolas Gombert.) Au chapitre 25 du Cinquième Livre, Rabelais parle d’une île où « les chemins cheminent comme animaux…. Les voyagiers, servans et habitans du païs demandoient : ‟va ce chemin ?” »   8 Où mène-t-il ?   9 Quelle folie ! Cf. la Folie des Gorriers, vers 239.   10 De Syrie. Mais la « suerie » est la fournaise dans laquelle on fait suer les vérolés atteints du mal de Naples : « –Fustes-vous oncques à Naples ?/ –Sy ay, sy ay, g’y ay esté./ –Et en Surie ? » Farce de quattre femmes, F 46.   11 Brouiller le parchemin = créer des embrouilles. « C’est un brouilleur de parchemin,/ Un rassoté. » Le Pèlerinage de Mariage.   12 Si on suivait.   13 Un espace de temps, un moment.   14 Cette prétendue « vieille » est beaucoup moins âgée que son mari, qui craint qu’elle ne se fasse engrosser (vers 134). Armée de sa quenouille, elle vient voir si L’Andureau travaille la vigne.   15 Vieillard rassoté : vieux sot.   16 Hourdi, chargé de coups. Idem vers 215 et 328.   17 Sous l’effet de ma colère <χολή = bile>. « Tout enflammé & plein de chaulde cole,/ Subitement prend ses armes & sort. » (Hugues Salel.) L’Andurée administre des coups de quenouille à son mari.   18 Vous mêlez-vous de notre conflit ? Idem vers 83 et 373.   19 « Vous en aurez, de ce baston ! » Serre-porte.   20 Prenez garde à ce que vous faites.   21 Éd : Landureau.  (C’est toujours la femme qui donne des coups de quenouille aux hommes, comme au vers 222.)   22 Une trouille-brouille est sans doute la femme d’un mauvais vigneron. « Leur vin trouillé, brouillé. » Complainte des Bons Vins à l’encontre des maistres de Brouillerie.   23 Ce bavard, ce médisant. Sautereau s’éloigne un peu.   24 Éd : mon  (Il a bien reçu tes coups. « Receveurs du bois [du bâton]. » Le Pasté et la tarte.)   25 L’Andurée donne à son mari l’ordre de travailler.   26 « Il ne fust oncques à tel feste,/ Se je le tenoye ! » (Serre-porte.) Allusion aux coups qu’on assène aux parents de la bru pendant la fête des fiançailles : « –J’ey eu plus de cinq cens/ Gros coups de poing dessus ma teste./ –Et ! c’est à cause de ma feste. » La Veuve.   27 Reviens, tu auras la monnaie que je te dois encore.   28 Ce sera le mieux. Pâquelon fait semblant de comprendre qu’on va choisir le plus bel homme de Samos, et il propose ironiquement le vieux L’Andureau.   29 Il faut l’y envoyer de ce pas.   30 Vieille guenille ! Le bourreau insulte L’Andurée, qui le désignait comme guetteur à la place de son mari. Un traîne-panneaux est un clochard couvert de pans de tissu, de loques. « Vestu de meschans panneaux de mendians. » Godefroy.   31 Diminutif d’Isabeau qu’on inflige aux femmes de mauvaise vie. Voir la note 45 du Fol et la Folle.   32 Le carquois symbolise le vagin dans lequel l’homme introduit sa flèche virile. « Vieulx carcas/ Barbuz à bouter viretons [pour y mettre notre flèche]. » Sermon joyeux des barbes et des brayes.   33 S’il y restait 3 semaines sans devoir supporter cette harpie.   34 Ne pouvez-vous en choisir un autre ?   35 Lui qui.   36 Sans travailler chez lui. Ou bien : Sans labourer sa vigne.   37 Son pain quotidien.   38 Car une défection lui coûterait trop cher.   39 De sorte.   40 Je vais monter dans la guérite de la tour par l’échelle. L’Andureau s’exprime enfin. Pour lui, résider dans la tour n’offre que des avantages : il est débarrassé de sa virago, il n’a plus besoin de travailler, et il peut boire sans qu’on le lui reproche.   41 Éd : puis  (Quoique j’aie les yeux rouges, comme tous les alcooliques. Cf. l’Antéchrist, vers 301.)   42 Si tu aperçois quelque chose, crie, et agite la cloche vivement. À l’approche des ennemis, on sonne le tocsin.   43 Éd : banuerolle  (La bannière de notre roi.)   44 Éd : uenir  (Rime du même au même.)  Faites-moi obtenir. « Faictes-moy tenir du blé & de l’argent ! » Jan de Amelin.)   45 Ce baril de vin. Cf. les Basteleurs, vers 54.   46 Passe pour cela sa tête par un créneau de la tour comme s’il était exposé au pilori. Estache = pilori : « Ilz sont mis à l’estache,/ Ilz n’ont garde de s’en voler. » St Christofle.   47 Que le diable ait sa part de guerre ! « Le diable y ait part, en la guerre ! » L’Aveugle et Saudret.   48 Le vôtre, de gigot, pour que j’y introduise ma broche. « Gigos en brocque. » (Jehan Molinet.) Ce mot désigne la cuisse d’une dame : « Remuer le gigot : faire l’acte vénérien. » Antoine Oudin.   49 Votre mal joint, votre sexe. « Il a donc heurté au maujoint. » Les Queues troussées.   50 Je vous « baiserai » fermement. Cf. Rouge-affiné, vers 235. Bardon enlace L’Andurée, qui ne s’en plaint pas.   51 Voyant que sa femme se laisse peloter par le soldat, il se met à crier tout en secouant la cloche.   52 Ce vers, identique au vers 131, est celui que clame le Fol du mystère quand la Folle veut le châtrer. L’Andureau et L’Andurée sont les substituts du Fol et de la Folle.   53 Nicolin et Pâquelon, les deux habitants de Samos qui avaient refilé la corvée du guet à L’Andureau, montent la garde au bas de la tour. C’est eux qui s’occupent de l’échelle.   54 Secouer, au sens érotique. « Ta femme future brimballant avecques deux rustres. » Rabelais, Tiers Livre, 25.   55 C’est peu de chose, ce n’est pas grave.   56 Descendu de ce perchoir.   57 Tu arriverais en bas trop tard.   58 Je vais sauter, puisqu’il en est ainsi.   59 À tue-tête.   60 Le mari jaloux est en train de sonner le tocsin : voir le vers 77.   61 De ce côté. Bardon voit arriver l’armée romaine, que L’Andureau n’a pas vue, trop occupé à surveiller sa femme.   62 Je vais le dire.   63 En relevant la tête, il aperçoit les ennemis. Il hurle et agite la cloche.   64 De plaisanter. Cf. Massons et charpentiers, vers 276.   65 Des lances ferrées.   66 Éd : tuer  (Abattre. « Tu as rué par terre/ La ville (de) Sainct-Quentin. » La Ville de Calais.)   67 Avec leur pénis couvert d’une armure.   68 Elle sera engrossée par un franc-archer.   69 Les francs-archers sont des voleurs de poules : « J’ay ouÿ poullaille/ Chanter chez quelque bonne vieille. » Le Franc-archier de Baignollet.   70 Annoncer.   71 Reculer. En ce même lieu, et avec les mêmes mots, la Folle retiendra l’homme qu’elle veut châtrer : « Ne tire point le cul arrière ! »   72 En avant ! Même vers que 402.   73 Veux-tu faire autrement que les autres, qui se placent aux premières loges lors des sacrifices à Jupiter ?   74 Je vais assez vite sans qu’on ait besoin de me toucher avec un pique-bœuf. « Il ne fault que toucher noz bestes. » St Christofle.   75 Boiter, marcher de biais. Le vieux paysan est boiteux (vers 386-7).   76 Mais je dépenserai 3 sous, ce soir.   77 On peint souvent saint Christophe avec une tête de chien. Notre Mystère le soupçonne d’anthropophagie : « C’est ung géant (je le cognois)/ Qui menge gens plus dru que noys ;/ S’il nous prent, il nous mengera. »   78 Si je trépasse, dévoré par ce monstre. Idem vers 368.   79 Enivré. Cf. le Messager et le Villain, vers 215 et note.   80 Veuve.   81 J’aimerais mieux être veuf moi-même.   82 Le futur saint use lui-même de ce juron païen : « Par Jupiter qui me fit naistre,/ Et le dieu Mars où je me fonde ! »   83 Le monstre est obligé de se faire annoncer par cette phrase rassurante : « N’ayez paour, et parlez à moy ! » « Parle à moy/ Et n’aye paour ! »   84 Maléfique. Armée de sa quenouille, L’Andurée vient contrôler si son mari travaille, comme au vers 23. Effrayée par le géant, elle se cache derrière un arbre.   85 Dans les Mystères, l’enfer d’où jaillissent les diables est une gueule qui s’ouvre et se ferme.   86 C’est de la simplicité d’esprit, de la bêtise.   87 L’Andureau montre l’arbre qui dissimule sa mégère.   88 Rapidement.   89 Éd : Landuree  (La « diablesse » ne quitte sa cachette qu’au vers 214.)   90 Éd : sil  (Et aussi. Idem vers 1, 66, 198 et 364.)   91 Quel que soit le temps que cela prenne.   92 Effrayante. « C’estoit une chose trop horrible et merveilleuse à racompter ! » Guillaume Tardif.   93 Dans la bouche.   94 Il y a un maréchal-ferrant. Gargantua fit mieux que le diable : il logea dans sa dent creuse « cinquante prisonniers » et « ung jeu de paulme pour esbattre lesditz prisonniers ». Les Grandes et inestimables Cronicques du grant et énorme géant Gargantua.   95 Avec des fers spéciaux qui s’incrustent dans la glace. Le futur saint part en quête de l’enfer, et L’Andurée sort de derrière l’arbre.   96 Chargé de coups (note 16). L’Andurée abat sa quenouille sur la tête de son mari.   97 Sans réfléchir. « Frappons dessus à l’estourdy ! » Les Tyrans.   98 Le paysan confond la male heure [l’heure funeste] avec la male hart [la maudite corde]. « À malle hart soit-il pendu ! » La Confession du Brigant.   99 Qu’il faut que je me défende. « Il nous fault deffendre. » L’Aveugle et Saudret.   100 Tu ne perds rien pour attendre.   101 Éd : quenoille  (Avec ta quenouille. « Or me fault filer ma queloigne. » Godefroy.)   102 Diffamer.   103 « Le moulle du bonnet [le crâne], c’est le pot au vin. » Gargantua, 9.   104 Éd : hougnyr  (Cette forme n’existe pas.)  Devez-vous grogner ? « Vous fault-il hongner maintenant ? » Turelututu et Granche-vuyde.   105 Éd : gaigner a fouyr  (Je vais remporter cette bataille en fuyant.)   106 Pour éviter la castration, le Fol du mystère s’écrie : « A ! jambes, saulvez-moy le corps ! »   107 Cette garce.   108 Et celui qui jamais m’en encombra : celui qui nous a mariés. Les époux, dans les farces, vouent aux gémonies les marieurs et les marieuses ; voir la note 256 des Mal contentes.   109 Ne battit. « Je te torcheray : tien ! » Grant Gosier.   110 À quatre pattes, comme un singe.   111 Voilà ce qu’il me faut. « Vécy nostre fait. » (Les Botines Gaultier.) L’Andureau s’accroupit derrière le socle de la statue de Jupiter, auquel il se met à parler, comme aux vers 246-251.   112 Éd : Le  (Si on le sait, qu’on me dise quelque chose du paillard qui s’est enfui. « Je te prie que tu me die de noz vignes : les copera-l’on ? » Arch. dép. Côte-d’Or.)   113 Réconfort.   114 Veuillez avoir pitié de moi. Cf. les Coquins, vers 242.   115 Et aussi, vous êtes trop faible.   116 Nous sommes vaillants. Cette écriture fragmentée est propre aux sotties ; voir, entre autres exemple, Mallepaye et Bâillevant.   117 Nous sommes joyeux.   118 « Je sçay bien tel qui assaillir/ Oseroit bien ung pot de vin. » Massons et charpentiers.   119 Plusieurs personnages de sotties se nomment Jénin. « Quel glorieulx sot ! Quel jényn ! » Les Coppieurs et Lardeurs.   120 Garde-toi de prendre une gifle. « Donner une plamuse, ou plamouse : un soufflet. » Oudin.   121 Éd : La  (Ma tête coléreuse. Le Fol du mystère a lui aussi une tête fumeuse, au vers 21.)   122 Je vais vous donner un coup sur la nuque, de même qu’on applique une colée au nouveau chevalier. Idem vers 377.   123 Ce juron vient de Gascogne, comme Brandimas.   124 L’imprimeur a interverti cette rubrique et la suivante. Fréminaud se moque des prétentions de L’Andureau.   125 Le Fol du mystère a aussi la tête creuse (vers 20). Teste Creuse est un personnage de sotties.   126 À coups de bâton. « Tendez-vous ung baston ?/ Cela debvez faire à ung paige. » Le Gouteux.   127 Va faire bouillir l’eau ! C’est à Pascalet, l’assistant du bourreau (vers 54), que revient cette charge quand il faut exécuter un faux-monnayeur.   128 Des troubles à l’ordre public. « Amans, prenez les armes !/ On ravit [enlève] Marion./ Faites de beaux vacarmes ! » La Meilleraye.   129 Avoir de l’avancement, monter en grade.   130 Éd : iaqueline  (Dans ce Mystère, Aqueline est une prostituée bien connue des tyrans.)   131 J’assaillirai. Voir le vers 256.   132 Éd : Hault  (« Sus, compaignons ! Hau ! vous dormez ? » St Christofle.)   133 Prise de guerre, rançon. « L’avoir et l’eschac qu’il conquist. » Godefroy.   134 Éd : cheuaulx  (Je suis affamé comme un léopard. « Le lyépart (…) peult nuyre et par dens, & par ongles. » Lancelot du Lac.)   135 Si on leur donnait des lardons, des brocards. « Tant bien sçavez l’art/ De farser gracieusement,/ De baillier aux aultres du lart ! » (ATILF.)  Autre sens figuré : Si on leur donnait du sexe. « Elle a trop bien baillé du lart/ À ung qui portoit grant couronne…./ Chascun l’aura, mais qu’on luy donne. » Jardin de Plaisance. <Guillaume Apollinaire, fin connaisseur de l’érotisme médiéval, reprit cette expression dans ses Mamelles de Tirésias.>   136 Ils en feraient de grosses bouchées.   137 Il voit venir Christophe sur le chemin forestier.   138 À l’attaque ! Cf. le Roy des Sotz, vers 141 et 183.   139 Je vais.   140 Cogne ! Cf. Troys Gallans et Phlipot, vers 489.   141 La bourse en cuir qui est attachée à la ceinture de Christophe.   142 Nains, sots, couards, mercenaires. Voir la note 3 du Fol et la Folle.   143 Bouseux. « –À mort, vilain ! À mort, à mort !/ –‟Vilain”, dictes-vous ? C’est oultrage. » L’Avantureulx.   144 Les fatistes médiévaux inventèrent le dieu païen Tervagant : c’était une rime commode. « Mars, Apolin et Tervagant. » St Christofle.   145 Éd : lõ chie  (Chier du vinaigre = s’enfuir de peur. « Soyez asseuré, de ce glorieux Angloys, que je vous le feray demain chier vinaigre devant tout le monde. » Pantagruel, 18.)  Nous disons aujourd’hui : chier du poivre.   146 Si ma main est faible ou forte pour battre un tapis. « Frappons sur eulx comme sur bourre ! » (St Christofle.) Christophe donne des coups de bâton aux tyrans. L’Andureau se tient à l’écart.   147 Secouer, battre un tapis.   148 Ils ne risquent plus d’avoir des larves de mites sur eux, maintenant qu’on les a battus comme des tapis.   149 Je dois fuir au loin. « Quand vient ainsi une fureur,/ De loing fuïr est bien propice. » Première Moralité.   150 Il attrape L’Andureau, qui s’esquivait.   151 Êtes-vous ici ? Christophe reconnaît le paysan, qu’il appelle d’ailleurs « vilain » 2 vers plus bas.   152 Éd : meyne si bien les argos  (En latin, ergo = donc.)  Dans les écoles, un ergo est un argument spécieux : « Ces gallans trouvent tousjours certains ergos sofistiquéz qui ont apparence de vérité. » Godefroy.   153 Éd : du  (« Hay ! Hay ! la teste ! » Le Povre Jouhan.)   154 Éd : paour  (Ce gag revient dans beaucoup de farces. « J’ay tel paour que je me conchie. » St Christofle.)   155 Éd : agresseur  (Un aguetteur de chemins est un bandit de grands chemins qui se met en aguet pour surprendre les voyageurs. « De brusleurs d’église, de violeurs de femmes et aguaiteurs de chemin. » J. Molinet.)   156 Éd : Touthuyt  (Je vais vous pendre tous les huit.)  Christophe extrait des cordelettes de sa besace, et il attache les tyrans aux arbres : les bandits de grands chemins ficelaient ainsi leurs victimes pour mieux les dépouiller.   157 Mon sifflet de braconnier, avec lequel j’attire les oiseaux. Les campagnards pratiquent toutes les formes de braconnage sur les terres des nobles.   158 Prière qu’on récite pour les défunts : « Ilz auront leur de profundis ! » (St Christofle.)  L’imprimeur a interverti les répliques de Fréminaud et d’Alibraquin, privant de rime le vers précédent.   159 Chargés de coups (note 16). Christophe matraque les tyrans.   160 Je me pâme : je m’évanouis. Voir le vers 367. « Ah ! je pasme, je meurs ! » Racan.   161 Un denier tournois. À titre de comparaison, la rançon de Charles d’Orléans, prisonnier en Angleterre, s’élevait à 220 000 écus d’or.   162 Tu es un misérable.   163 Éd : batte  (Tu ne vaux pas la peine qu’on te mette à rançon. « C’estoit grand honte que eulx deux s’estoient lessiéz gaiger par un seul homme. » ATILF.)  Christophe continue d’attacher les tyrans, mais il épargne L’Andureau.   164 À sa patte. L’imprimeur a interverti ces 2 premiers refrains du triolet ABaAabAB.   165 Éd : eulx  (Au jeu de paume, le score maximal de 45 donne l’avantage. « On dit figurément & par métaphore prise du jeu de paume, qu’un homme a quarante-cinq sur la partie, pour dire qu’il a de grands avantages dans une affaire. » Dict. de l’Académie françoise.)   166 Pourtant.   167 De la gale, en te « frictionnant » la peau.   168 Abattus. « Matte et confus. » ATILF.   169 Éd : Dorions  (Des coups. « Par les horïons qu’ay receu/ Dessus la teste et sur le dos. » Les Drois de la Porte Bodés.)   170 Milord, bourgeois. Ironique : Christophe est un géant hideux.   171 Je vous laisserai attachés aux arbres.   172 Éd : uiẽdra  (Quand on en vient aux hostilités. « Les Grégois [Grecs] sont trop fors,/ Au pris des tiens, quand ce vient aux effors. » Michel d’Amboise.)  Le vieux gringalet boiteux propose son aide au colosse.   173 Avis.   174 Éd : cocque sur  (« La gorge plus longue que le col d’une grue. » ATILF.)  Si tu ne veux pas que je te rallonge le cou en te pendant. Aux vers 318, 326 et 346, Christophe a menacé les tyrans de pendaison. Cette plaisanterie de bourreaux revient dans notre Mystère, quand Morgalant va pendre un condamné : « Je vous feray ung col de grue/ Pour mieulx faire de loing le guet. »   175 De tant frapper ces gueux. Christophe s’en va. Les tyrans sont ficelés aux arbres ; seul L’Andureau est libre.   176 Des cordes pour attacher les imbéciles aux arbres. Mallepart dira de Barraquin : « Mais qui m’a deslié ce veau ? »  Jeu de mots : « On apelle des brides à vaux les raisons qui persuadent les sots, & dont se moquent les gens éclairéz. » Le Roux.   177 Éd : ymages  (Et ainsi, vous mangerez le jour où on engraissera les veaux de dîme dans votre genre.)  La dîme est une redevance que les paroissiens versent à l’église sous la forme d’un veau gras : cf. les Veaux, vers 4. Jeu de mots : « Un veau de disme : un grand sot. » Oudin.   178 Éd : suis  (J’ai cru m’évanouir.)   179 J’ai pensé mourir. Idem vers 167.   180 Vous en valez un autre, pour fuir…   181 N’est-ce pas ? « Vous vous retirez à l’escart/ Là où on fait de bonnes chières./ Ne faictes pas ? » Faulte d’argent, F 47.   182 L’Andureau commence à détacher les tyrans ; ils tiennent à peine debout et ils boitent.   183 Vous avez reçu un coup sur la nuque. Voir la note 122.   184 Mesuré à coups de règle.   185 Le riche notable. « Tu es le chien au gros collier ? » (La Pippée.) Barraquin est attaché à l’arbre comme un chien en laisse.   186 Éd : Que  (Faire la gent d’armes : jouer au soldat, faire le brave.)   187 Que j’ai reçu à cet endroit. Barraquin montre sa braguette.   188 Voulez-vous boiter autant que moi ? Ce verbe n’est pas choisi au hasard : un contrefait désigne un boiteux.   189 Quelqu’un qui nous soignera.   190 Des hommes d’armes. Il faut ici prononcer « genderme » ; le « r » est très amuï, comme aux vers 131, 383 et 399.   191 L’Andureau crie en sonnant le tocsin.   192 Maintenant.   193 Éd : quil  (Si l’on n’y prend pas garde.)   194 Ce harnais qu’on passe sous la croupe d’une jument devient ici le harnais viril, comme au vers 455. Cf. les Tyrans au bordeau, vers 503. « Elle estoit dessoubz son amy, qui faisoit merveille de jouer de la croupière. » ATILF.   195 Atteindre ce rempart.   196 Mon sauf-conduit, mon laisser-passer.   197 Sans en ressortir.   198 En enfer.   199 Le feu grégeois est une bombe incendiaire.   200 Pour te brûler le trou et le sexe. Cf. le Fol et la Folle, vers 60 et note.   201 Achevé. Les vignerons sont les premiers à goûter leur vin.   202 « Je cuyde qu’il a veu les anges/ Qui tumbent du ciel en vendanges. » Les Basteleurs.   203 Rapidement.   204 Nous sommes pris au piège.   205 L’imprimeur a descendu cette rubrique entre les vers 431 et 432.   206 Informé. « J’en suis bien adverty. » Actes des Apostres.   207 En présence de.   208 « Cy prins, cy mis : aussi tost faict que dict. » Proverbe.   209 La vue. Encore un effet du vin : cf. Grant Gosier, vers 194.   210 Pour monter à l’échelle.   211 Il est cassé de gages, mis au rancart, y compris dans le domaine sexuel.   212 Pour monter sur moi. Ou bien : pour avoir une érection. « Ces plaisans visages et doulz tétins font bien souvent monter, tendre et dressier les vi[t]s. » Bruno Roy, Devinettes françaises du Moyen Âge.   213 Pour maintenant, couché sur le lit. Cf. Cuisine infernale, vers 111.   214 Si je me mets en colère, je te donnerai une rouste. « Une venuë de coups : une quantité. » Oudin.   215 De me jucher sur toi. Ou bien : de te pénétrer. « Puis Martin jusche et lourdement engaine. » Clément Marot.   216 Ta queue ne vaut plus rien, quand tu me la mets devant.   217 Éd : cela  (Quant à la queue que tu me mets derrière. Chevalet goûte fort les allusions à la sodomie : voir les vers 199-202 des Basteleurs, ou les vers 476-9 des Tyrans au bordeau.)   218 La merde. « De bran ou de dyamerdys. » Sermon pour une nopce.   219 Elle lui donne une bouteille.   220 Les diseurs d’injures lançaient déjà des « noms d’oiseaux » à leurs victimes. « Ne t’en soulcye point, gros-bec ! » St Christofle.   221 Vieux calembour sur la ville de Reims et les reins. « Te fault-il tant braire et prescher/ Pour la perte de deux putains ?/ S’ilz [si elles] ont esté souvent à Rains,/ Elles veullent ores repos. » (Cuisine infernale.)  S’ébattre = se livrer à des ébats sexuels.   222 Vieille prostituée au sexe trop large. « Vieille loudière [pute], viel cabas ! » Le Raporteur.   223 Que tu sois brûlée par le mal des ardents ! Cf. le Ribault marié, vers 64.   224 Tu feras ton travail. Clin d’œil de l’auteur : tu joueras la Farce.   225 Chevalet emprunte ce vers au Munyer, d’André de La Vigne.   226 Tenez-vous lieu de roi ?   227 Éd : et nen uous   228 Puisque cela doit se faire. « Car il est force qu’il se face. » Le Fossoieur et son Varlet.   229 Dans les Basteleurs, c’est une chèvre que Chevalet compare à ce loup-garou maigrichon ; ici, c’est une femme.   230 On répond ainsi au malotru qui prononce le mot étron. « –Tu ne vaulx pas ung estront ! –Masche ! » (St Christofle.) C’est l’équivalent de l’actuel : « –Merde ! –Mange ! »   231 Courez vite sur le rempart, munis d’une arme. « Armé et embastonné. » St Christofle.   232 Qui brait si fort. Voir le vers 403.   233 Lors de la guerre de Cent Ans, on sonnait l’alarme dès que les Anglais s’approchaient des côtes normandes. L’action que décrit Chevalet se déroule dans l’île de Samos au IIIe siècle ; mais comme tous les auteurs de Mystères, il joue avec les anachronismes.   234 Éd : paour

LE FOL ET LA FOLLE

Bibliothèque nationale de France

Bibliothèque nationale de France

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LE  FOL  ET

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LA  FOLLE

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En dehors des sotties, le théâtre médiéval ne fait guère appel aux folles : les farces s’en tiennent aux fous, et les prétendues « folles » des Mystères ne sont que des hystériques qui se croient possédées par le diable. Pourtant, Claude Chevalet1 dissimula dans sa Vie de sainct Christofle (~1510-1514) une authentique sottie, où une Folle rivalise de hardiesse avec un Fol.

Ce Mystère narre aussi les tribulations d’une troupe de bateleurs itinérants : ils sont à la fois clowns, jongleurs, montreurs d’animaux plus ou moins savants, faiseurs de bons tours, joueurs de mauvais tours, accompagnateurs de danses, marchands de fausses gravures pieuses et de partitions, chansonniers, etc. Leur troupe minable a beaucoup de points communs avec celle de la farce du Bateleur.

Source : La Vie de sainct Christofle, élégamment composée en rime françoise et par personnages par maistre Chevalet. Imprimé à Grenoble en 1530. Bibliothèque nationale de France, Rés. YF 116. Je recommande l’édition critique de Pierre SERVET : La Vie de sainct Christofle ; Droz, 2006.

Structure : Rimes plates, avec 3 triolets, et une ballade sans envoi.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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                        LE  FOL 2                                                  SCÈNE  I

        Gare ! Gare ! Faictes-moy place !

        Reculle-toy, fol ydïot !

        Car je suis ung estradïot3

        Aussi légier4 q’ung lymasson.

5      Pour menger soit cher5 ou poisson,

        Jamais ne m’en treuve malade.

        Seray-je point de l’ambassade ?

        Aray-je perdu mon crédit ?

        Vous sçavez bien que chescum dit :

10    « Souvent, en ung mauvais passage6,

        Ung fol enseigne bien7 ung saige

        Quant le saige voyt qu’il se noye8. »

        Si j’eusse la robe de soye,

        Je m’en yrois en Gastinoys :

15    Car, quant on verra mon mynois,

        On dira que je suis ung Conte9.

        Fait-on testes de folz de fonte,

        Ainsi que l’on fait une cloche ?

        Celuy qui me fit la caboche

20    La me fit ung petit trop creuse10.

                        LA  FOLLE

        Il a dit vray ! Et bien fumeuse11 :

        Elle va tousjours fumassant.

        L’on ne trouveroit, en ung cent,

        Teste que mieulx [vercoquin pille]12 :

25    Elle est ronde comme une bille

        Et légière comme une plume.

                        LE  FOL

        Il fault donc, si ma teste fume,

        Que je porte13 le feu au cul :

        Car en effect, oncque ne fut

30    Fumée qu’il n’y eust du feu14.

        Viens çà ! Il n’y a point de jeu15,

        Car mon cul souffle si souvent

        Que j’ay paour qu’il face, du vent,

        Allumer le feu à la forge16,

35    Qui me sortira par la gorge

        Et me brûlera le museau.

                        LA  FOLLE

        Va-t’en mettre le cul en l’eau

        Prestement en celle rivière :

        Si le feu est en ton derrière,

40    Il sera incontinent mort.

                        LE  FOL

        Je le veulx bien, j’en suis d’acord.

        Viens-moy ayder et sera fait.

                        LA  FOLLE

        Garde-toy bien de faire ung pet,

        Affin que le feu ne s’alume.

                        LE  FOL 17

45    Regarde ! Voy-tu rien qui fume ?

                        LA  FOLLE

        Ne bouge le cul d’une place !

                        LE  FOL

        Ceste eau est plus froide que glace.

                        LA  FOLLE

        Ne te chault : prens en pacience

        Sans bouger.

                        LE  FOL

                              Par ma conscience !

50    Je suis en ung aultre danger :

        Ces poissons me veullent18 menger

        Tout vif 19. Il me fault reculler.

        Et pour me garder de brûler,

        Je ne sçay remède que boire.20

*

                        LE  FOL                                                    SCÈNE  II

55    Qui m’aura emblé21 ma marote,

        Si me la rende incontinent

        Sur peine d’excommuniment22 !

        Ou [bien] j’en feray faire une aultre

        Qui aura la teste de peaultre23,

60    Le cul de fer, d’acier le joys24 ;

        Et l’une de[s] jambes, de boys ;

        Et l’aultre, de pierre de taille ;

        Le bec grant comme une poullaille25,

        Et les tétins de deux molettes26.

65    « Venez achepter ces lunettes27

        (Estront de chien) pour vostre nez !

        Or advancez-vous, advancez

        Pour parler à ce Jehan Testu28 ! »

.

        Holà, ma sotte ! Où es-tu ?                                          SCÈNE  III

70    Je croy que tu fais l’arquimye29.

        Viens çà ! approuche-toy, m’amye :

        Il te fault recouldre le ventre30,

        Car je me doubte que g’y entre,

        Quelque jour, chaussé et vestu.

.

                        LA  FOLLE                                              SCÈNE  IV

75    Me voicy ! Que demandes-tu ?

        Je viens pour te faire merveilles :

        Il te fault coupper les oreilles

        À faire deux manches d’estrilles31.

        Et si, te raseray les « billes »

80    Rasibus du cul32, par-derrière.

        Ne tire point le cul arrière33,

        Car je les auray, par mon âme !

                        LE  FOL

        Alarme, bonnes gens, alarme !

        Gardez-moy qu’elle ne me tue !

85    Elle me veult, dessoubz la « queue »,

        Couper les bataulx34 de la cloche,

        Les oreilles de la caboche35.

        [Hare ! hare]36 ! Qu’elle soit prise !

.

        Seigneurs, je demande franchise37.                              SCÈNE  V

90    Hé ! Jupiter, secourez-moy,

        Et je vous voue38 (sur ma foy)

        Boire tousjours le vin sans eau ;

        Et ne mengeray beuf, ne veau,

        Mouton, chevreau, qui ne soit cuyct ;

95    Et juneray toute toute la nuyct,

        Au moins si je ne me réveille.

        Mesmement39 le jour de la veille

        De vostre grant solemnité40,

        Car je serois déshérité

100  D’avoir perdu ung tel « joyau41 ».

.

                        LA  FOLLE 42                                           SCÈNE  VI

        Où est-il allé, mon luneau43 ?

        Je te44 trouveray, quoy qu’il t’arde.

                        LE  FOL

        Je suis en franchise, regarde !

        N’aprouche point de moy, Babeau45 !

                        LA  FOLLE

105  Je vous auray, ou le feu m’arde46 !

                        LE  FOL

        Je suis en franchise, regarde !

                        LA  FOLLE

        Je te chastieray — quoy qu’il t’arde —

        Tout maintenant, de ce cousteau !

                        LE  FOL

        Je suis en franchise, regarde !

110  N’aprouche point de moy, Babeau !

        Voicy le Temple bon et beau :

        Garde-toy bien de faire noyse !

                        LA  FOLLE

        Qui me garde que je n’y voyse47 ?

        Oncques nul des dieux n’en parla.

115  Et si, vous fault passer par là,

        Au moins s’ilz ne sont les plus fors48.

                        LE  FOL

        A ! jambes, saulvez-moy le corps49,

        Et je vous donray chausse[s] neufves !

        Tu n’as garde que tu me treuves,

120  Et fust la lune en [son croissant]51.

*

                        LA  FOLLE 52                                           SCÈNE  VII

        Hau, follaton ! Viens-moy passer

        Maintenant delà la marine53,

        Car je suis bonne pèlerine

        Qui, pour avoir le « picotin54 »,

125  M’en vueil aller à Sainct-Trotin55,

        Où je gaigneray le pardon56.

                        LE  FOL

        Scez-tu pas bien que mon « bourdon57 »

        Est trop court pour trouver le fons58 ?

        Il est aussi foible que joncs

130  Pour ployer. Entens-tu la note59 ?

                        LA  FOLLE

        Ne sces-tu prendre ta « marotte60 »,

        Celle qui a la teste rouge61 ?

        Approuche-toy, et ne te bouge !

        Il n’est pas temps que l’on rechigne.

135  Je te voys monter sur l’eschine62 ;

        Garde-toy bien de répiter63.

                        LE  FOL

        Mais te garde bien de péter

        Ainsi que tu as de coustume !

        Car, par Dieu, s’il fault que j’en hume,

140  Je sçay bien que nous aurons noyse.

        Ventre sainct Gris, comme tu poyse64 !

        Oncques ne portay tel fardeau.65

                        LA  FOLLE

        Je te rendray ce tour, lourdeau !

        M’as-tu laissé tomber par terre ?

145  Or te metz là, que je te serre66 !

        Ou, par Dieu, je te froteray67.

                        LE  FOL

        Que veulx-tu ?

                        LA  FOLLE

                                 Je remonteray,

        Il ne fault point estre rebelle !

                        LE  FOL

        Il fault donc avoir une eschelle,

150  Ou tout versera, j’en suis seur.

                        LA  FOLLE

        Tien-toy ferme et [n’aye pas peur]68 ;

        Et garde bien de me lascher !

        Je suis bien. Pense de marcher69

        — As-tu entendu ? — fort et rède !

                        LE  FOL 70

155  Aay, ay, ay ! Que ceste eau est froide !

        Elle entre dedans mon soullier.

                        LA  FOLLE

        Sus avant, maistre lymonnyer71 !

        Nous serons tantost au millieu.

                        LE  FOL

        Et ! qu’est cecy ? Bon gré ’n72 ayt Dieu !

160  Paillarde, avez-vous vécy73 ?

        Descendez, et m’attendez cy,

        Que j’aye l’eschine plus forte.74

                        LA  FOLLE

        Alarme, alarme ! Je suis morte,

        Je suis noyée, somme toute.

                        LE  FOL

165  Je luy ay faict de son cul souppe75,

        Non pas en vin mais en bel[le] eau.

        Scez-tu quoy ? Attens-moy, Babeau,

        Et je voy quérir ung cheval76.

        Avez-vous faict le vent d’aval77,

170  Et vescy à vostre privé78 ?

        Vous en avez le cul lavé,

        Affin que l’on y remédie !

.

*

LES  BASTELEURS 79

*

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                        MAULOUÉ80,  basteleur,  commence.      SCÈNE  I

        Où es-tu ? Hau, Mal-assegnée81,

        Apporte-moy tous mes bateaux82,

        Estrilles, focilles, cousteaux83 ;

        Bastons, bacins84, siffléz85, timballe ;

5      Les gobeletz, les noys de galle86 ;

        Le synge, la chièvre, le chien

        Et l’ours (que nous n’oublions rien),

        Avec le mole87 des ymages,

        Pour courir villes et villages.

10    Maufourbie [es]t-elle [où ell’ est]88 ?

        Où est Henriet, mon varlet,

        Pour chanter avec sa guiterne89 ?

                        MAL-ASSEGNÉE

        Il est allé à la taverne.

        Qu’à tous les diables puist tout estre,

15    Autant le varlet que le maistre !

        L’on me laisse cy toute seulle.

        L’ours brayt de fain et le chien ule90 ;

        Le singe dit sa pateno[u]stre91.

        Et si, vous dis encor en oultre

20    Que nous n’avons denier ne maille.

                        MAULOUÉ

        Hé ! nous en aurons — ne te chaille —,

        Quelque jour, de l’argent content…

        S’il en pleust, dea, cela s’entent !

                        MAL-ASSEGNÉE

        Esse donc tout ?

                        MAULOUÉ

                                   Ma [donna, sy]92 !

                        MAL-ASSEGNÉE

25    N’en prendrez-vous autre soussy ?

        Je suis bien de mal heure93 née !

                        MAULOUÉ

        Et ! n’es-tu pas Mal-assegnée ?

        Le nom est de mesme l’ouvrage94.

        Acoup, qu’on charge le bagage !

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30    Henriet, vien çà ! Qu’on se haste !                                SCÈNE  II

                        HENRIET,  varlet.

        Laissez-moy mouller la gargatte95,

        Qui est si sèche, pour le hâle96.

        Qu’en buvant, jamais je ne parle :

        Ma mère me le deffendy.

                        MAULOUÉ

35    Qu’est cecy ? Es-tu estourdy ?

        Dont te vient ce mal, mon varlet ?

        Est-ce point de menger du laict

        Que tu as la couleur vermeille ?

                        HENRIET

        Je l’ay prins en ceste bouteille.

                        MAL-ASSEGNÉE

40    Je cuyde qu’il a veu les anges

        Qui tumbent du ciel en vendanges.

        C’est la douleur qui le travaille97.

                        HENRIET

        Je l’ay pris en ceste bo[u]teille.

                        MAULOUÉ

        Tu as vendangé sans cousteau98.

45    Mais tu y jouras du basteau

        Et99 du bassin, je le conseille.

                        HENRIET

        Je l’ay pris en ceste bouteille.

                        MAL-ASSEGNÉE

        Pour vous guérir de ce farcin100,

        Avallez-moy ce plain bassin

50    D’eau claire ! C’est la médecine,

        Il ne fault point faire la myne101.

        Tenez, et vous lavez la gorge !

                        HENRIET

        Qu’ell’ est froide, bon gré sainct George !

        J’aymoys mieulx celle du barry102.

                        MAULOUÉ

55    Or viens çà ! N’es-tu point guéry ?

                        HENRIET

        Je n’entens point la guérison :

        J’en ay pris une trancheyson103

        Qui me fera les boyaulx fendre.

                        MAULOUÉ

        Sus devant ! Car il nous fault prendre

60    Le chemin tout droit à Damas.

        Mais je ne sçay point que tu m’as

        Fait104, aujourd’huy, de ma trompette.

                        HENRIET

        Voy là cy105, maistre.

                        MAULOUÉ

                                            Qu’on se mette

        En voye, c’est le principal.

65    [Que] chescum preigne son bestial

        Du trein de la bastellerie106.

        N’avons-nous pas d’ymagerie107 ?

        C’est le principal du mestier108.

                        MAL-ASSEGNÉE

        Il en y a ung cent entier109 ;

70    C’est assez pour une sepmaine.

                        MAULOUÉ

        Henriet ! Il fault que tu meine,

        Pour ta part, l’ours avec le chien.

        Garde que nous n’oublions rien,

        Mon varlet ! As-tu entendu ?

                        HENRIET

75    Je vouldrois que tout fust vendu.

        Car incessamment je travaille,

        Et si110, n’ay ne denier ne maille

        Ne, souvent, de quoy me repaistre.

                        MAULOUÉ

        Tais-toy ! Je te passeray maistre111

80    Avant que soit jamais troys moys.

        Et si, auras quatre tournoys

        Toutes les sepmaines pour boyre.

                        MAL-ASSEGNÉE

        Il ne boyt que trop !

                        HENRIET

                                        Voyre, voyre,

        Belle dame, laissez-moy vivre !

85    Si, d’aventure, je suis yvre,

        Je me couche bien tout vestu112.

                        MAL-ASSEGNÉE

        Et de quoy [donc t’esbranles-tu]113 ?

                        HENRIET

        J’ay en la teste la migraine.

        Puis après, il fault que je traîne

90    Ce bestial114 à force de corps.

        Mais, par tous les dieux, si tu mors,

        Tu auras une bastonade !

                        MAULOUÉ

        Nous deussions jà estre à Grenade115,

        Pour le vous dire à brief parler.

95    Avançons, et pensons d’aller !

        Et qu’on me laisse ce desbat !

*

                        MAULOUÉ 116                                          SCÈNE  III

        Dieu gart et le Roy et la Court,

        Les dames et les damoiselles !

                        MAL-ASSEGNÉE

        Ostez vostre chapeau, tout lourt117 !

                        HENRIET

100  Dieu gart et le Roy et la Court !

                        MAULOUÉ

        Nous sommes, pour le temps qui court,

        Mynces118 d’argent et sans rouelles.

                        MAL-ASSEGNÉE

        Dieu gart et le Roy et la Court,

        Les dames et les damoiselles !

                        LE  ROY  DE  DAMAS

105  Scez-tu nulles chançons nouvelles ?

        Voulentiers les vouldrois ouÿr

        Pour la compaignie resjouyr.

        Si tu scez rien119, que l’on le voye !

                        MA[U]LOUÉ

        Je fais, d’une chièvre, blanche120 oye ;

110  D’ung ourseau121, ung molin à vent ;

        Et d’ung franc, dix solz122, bien souvent.

        Henriet, acoup, ma trompette !

        Bran123 ! qu’est cecy ? Ell’ est maulnette124.

        Je cuyde que Mal-assegnée

115  Ou mon varlet l’ont embrenée.

        C’est merde, que vous le sachez.

        Advancez-vous et vous mouchez,

        Petitz enfans125 ! Çà : Maufourbie,

        Que j’ay porté de Conturbie126

120  Pour [y] en faire une levée127 :

        Puisqu’ell’ est ung petit roullée128,

        Ne vous chaille, c’est bien du moins129 !

        [Car] pour une espée à deux mains,

        Au monde n’en a point de telle.

125  Regardez-moy quelle alumelle130 !

        Elle reluyct comme charbon131.

                        HENRIET

        Et ! par tous noz dieux, voylà bon !

        Pourquoy me frappez-vous, beausire ?

        Je ne dis pas pour vous mauldire,

130  Mais tous les diables y ai[en]t part132 !

                        MAULOUÉ

        Et ! par Dieu, voylà bon coquart133 !

        Quant tu cognois134 que je m’esbas

        De Maufourbie [et] hault et bas135,

        Ne te scez-tu tirer arrière ?

135  Tu sces bien que c’est la manière

        [Que] de faire136 à son maistre place.

                        HENRIET

        Bref, je n’en sçay ne gré, ne grâce ;

        Et de vray, n’en suis point content.

        Et vous en desportez à tant137,

140  Car, par Dieu, le jeu ne vault rien !

                        MAULOUÉ

        Or çà ! il fault jouer138 du chien :

        Admeyne-le-moy cy en place.

        Hau ! Le boys tost passe139 !… Repasse !…

        Saultez, et vous ferez que saige140 !…

                        HENRIET

145  Il est en son aprentissage,

        Et n’est pas encores bon maistre141.

                        MAULOUÉ

        Pensez : qui le laissera croistre142,

        Ce sera ung chien tout de mesme143

        Pour menger [du] beurre en Caresme

150  Par faulte de chair144.

                        HENRIET

                                             Hé, caroigne145 !

        Par le sang que Dieu fist ! il groigne.

        Je146 croy qu’il a, de paour, la fièvre.

                        MAULOUÉ

        Çà, le singe !

                        MAL-ASSEGNÉE

                              Mais bien147 la chièvre,

        Qui vous mettra au cul la corne !

                        MAULOUÉ

155  Laisse-la là ; qu’elle séjourne148 :

        Ell’ est ung peu mal disposée149.

                        HENRIET

        Mais faisons-en une espousée,

        Et luy mettons ung couvrechef

        Sur les cornes, dessus le chef,

160  Pour luy donner en mariage

        Le synge.

                        MAULOUÉ

                         Tu devise rage150 !

        Je suis bien content qu’il151 se face.

        Ameine tout !

                        MAL-ASSEGNÉE

                                Quel chiche-face152

        Pour [bien] faire ung charivary !

                        HENRIET

165  L[e] synge, qui est son mary,

        Vouldroit bien qu’elle fust à Can…153

                        MAULOUÉ

        Dancez, madame de Bo[u]can154 !

        Et je vous mèneray la feste155.

                        MAL-ASSEGNÉE

        Hé ! que mauldicte soit la beste !

170  Regardez quelle contenance !

                        MAULOUÉ

        Henriet, tu menras la dance.

        Et me tiens le singe de près156 !

        Et ma femme yra après,

        Qui fera la chièvre dancer.

                        HENRIET

175  Je suis tout prest de commencer.

                        MAL-ASSEGNÉE

        Et moy, de [me] mettre au millieu157.

                        MAULOUÉ

        Or sus ! Hay advant, de par Dieu !

        Et je menray du flajolet158.

                        HENRIET

        Hé ! Dieu, que le synge est lait !

                        MAL-ASSEGNÉE

180  Que la chièvre fait bonne troigne !

                        HENRIET

        Tire avant, teste de mulet159 !

                        MAL-ASSEGNÉE

        Hé ! Dieu, que le synge est lait !

                        HENRIET

        La chièvre tiens par le collet.

                        MAULOUÉ

        Oncques ne vistes tel besoigne.

                        MAL-ASSEGNÉE

185  Hé ! Dieu, que le synge est lait !

                        HENRIET

        Que la chièvre fait bonne troigne !

                        MAULOUÉ

        Elle semble une cygoigne160.

        Hau ! c’est assez, laissez la dance !

        Mal-assegnée, qu’on commence

190  Faire monstre de noz ouvrages :

        Il fault vendre de noz ymages,

        Voylà la cause qui nous meine.

                        MAL-ASSEGNÉE

        Voyez-en cy une douzaine.161

        Desployez tout à l’adventure.

                        MAULOUÉ

195  Seigneurs, voicy la pourtraicture

        Du glorieux sainct Al[i]pantin162,

        Qui fust escorché d’ung patin163

        Le jour de Karesme-Prenant164.

        Après, voicy sainct Pimponant

200  Avecques sainct Tribolandeau,

        Qui furent tous deux d’ung seau d’eau

        Décolléz165, dont ce fut dommage…

        Puis voicy le dévot ymage

        Du glorïeux martir sainct Pran166,

205  Qui fust jadis boully en bran

        Et lapidé de pommes cuyctes167 ;

        Et par ses glorïeux mérites,

        Je le maintiendray devant tous :

        Il guérit les chatz de la touz168,

210  Quant ilz y ont dévotion.

        Si vous avez intention

        De les avoir, je les vous baille

        Les deux pour .III. deniers et maille ;

        Mais toutesfoys, argent content169 !

215  Ung peintre n’en feroit pas tant

        De bonnes couleurs pour .II. francs.

        Avant170, avant, petitz enfans !

        Vous n’en payez pas la façon171.

                        MAL-ASSEGNÉE

        Il [nous] fault dire une chançon172

220  En attendant qu’on les vendra173.

                        MAULOUÉ

        Je le veulx bien. Qui m’aydera ?

                        HENRIET

        Tous deux ensemble, je l’entens.

                        MAULOUÉ  ET  LES  AUTRES

        Resveillez-vous, gentilz gallans,

        Et entendez bien mon latin174 !

225  Gentilz pïons175, mes bons chalans,

        Ne vous levez point trop matin.

        Quant vous aurez beu ung tatin176,

        Cela vous réconfortera.

        Mais si vous mettez d’eau au vin,

230  Le diable vous emportera.

.

        Ne rompez point les huys ouvers177,

        C’est sur peine178 d’estre pendu ;

        Et mettez femmes à l’envers,

        Car cela n’est point deffendu.

235  Joingnez « tendu » contre « fendu » :

        La besoigne se parfera.

        Ou sinon — av’ous entendu ? —

        Le diable vous emportera.

.

        Nourrisses ne dépucellez179 !

240  Vous entendez bien le trippot 180 ?

        Et quant aux tavernes allez,

        Ne payez point deux foys l’escot :

        Car qui mengera ung fagot 181

        Sans boyre, il s[’en] estranglera.

245  Et si vous faictes le bigot,

        Le diable vous emportera.

                        LE  ROY  DE  DAMAS

        Bénédicité ! Marïa !

        Oncques je n’ouÿs chançon telle.

        Je croy qu’il [l’]a faicte nouvelle

250  Tout maintenant dessus les rans182.

        Séneschal, donnez-luy dix francs

        Pour boyre et pour l’esbatement !

                        LE  SÉNESCHAL

        Tiens, prens cela légièrement :

        C’est argent pour crocquer la pie183.

                        MAULOUÉ

255  Chier sire, je vous remercie.

        Je ne gaignay tant de dix jours.

        Tout est vostre : le synge, et l’ours,

        La chièvre, et Mal-assegnée.

        Je vouldrois qu’on l’en [l’]eust menée,

260  Affin d’en estre despêché184 !

        J’en ferois tousjours bon marché,

        Et n’en eussé-je [qu’]une maille185.

*

1 Sur ce fatiste de Vienne, voir la notice des Deux pouvres.   2 Imitant les Sots des sotties, il traite les spectateurs de fous, et les bouscule pour monter sur scène.   3 Un cavalier albanais qu’on envoie en éclaireur. Cf. le vers 287 de L’Andureau et L’Andurée, autre farce provenant du même Mystère. Le Fol chevauche sa marotte.   4 Rapide.   5 De la chair, de la viande.   6 Quand un sage s’est mis dans un mauvais pas.   7 Fait la leçon à. « J’ay souvent ouÿ en proverbe vulgaire [populaire] qu’un fol enseigne bien un saige. » Rabelais, Tiers Livre, 37.   8 Le fou donne une leçon de prudence au sage qui est en train de se noyer, au lieu de le secourir, « comme celuy qui, estant sur le bord d’une rivière, assiste de parolles son amy qui se noye ». (Cardinal de Richelieu.)   9 Il y a bien longtemps que le Gâtinais n’était plus un comté.   10 Un peu trop creuse : ma tête sonne creux comme si c’était une cloche en fonte.   11 Sa tête est bien fantasque. « La teste verte,/ Fumeuse et toute lunatique. » L’Arbalestre.   12 Éd : uerticoquille  (Le ver coquin* est logé dans la tête des gens qui ont une lubie. « Leurs femmes ont mis ce ver coquin amoureux dans leurs testes. » Brantôme.)  Il faut comprendre : Parmi cent personnes, on ne trouverait pas une tête que la folie dévaste mieux.  *Ce Mystère emploie aussi la variante avertin : « Puis qu’elles ont prins l’avertin/ En la teste, tout est perdu. »   13 Que j’aie. Le Vendeur de livres signale une farce de Ceulx qui ont le feu au cul.   14 Il n’y a pas de fumée sans feu. Les Fols des sotties prennent toujours les expressions au pied de la lettre.   15 Il ne faut pas plaisanter.   16 J’ai peur que mon cul ne se transforme en soufflet de forge.   17 Il baisse ses chausses et plonge son postérieur dans la rivière, laquelle joue un rôle prépondérant dans ce Mystère ; nous la retrouverons aux vers 121-172.   18 Éd : uueillent   19 Les spectateurs ont entendu « tout vit », qui se prononce de la même façon : tout mon pénis. « Femmes enseintes/ Qui ont esté au ‟ vif ” atainctes. » Sermon pour un banquet.   20 Le Fol boit, mais pas l’eau de la rivière. La sottie ne reprend qu’au bout de 4 550 vers.   21 Que celui qui m’aura volé.   22 Sous peine d’excommunication. Même vers dans Saincte-Caquette.   23 D’étain. Cf. Ung biau miracle, vers 2751.   24 Le sexe. Cf. L’Andureau et L’Andurée, vers 418. « Pour luy faire fondre la gresse/ Du cropion autour du joys. » St Christofle.   25 Comme le bec d’une poule. Ou bien : comme une poule.   26 Les seins rembourrés par du molleton. « Pour mauvais tétins/ Et pour ceulx qui portent mollettes. » Maistre Pierre Doribus.   27 Sur les fous à lunettes, voir la note 72 du Monde qu’on faict paistre.   28 Pour parler à Jehan le Fol.   29 L’alchimie : que tu es en train de faire l’amour avec un autre. « N’avez-vous pas eu assez temps/ De faire vostre paillardise ?/ Faictes-vous encor l’arquemye ? » St Christofle.   30 Il faut te recoudre le bas-ventre, la vulve.   31 Il faut couper tes oreilles de Sot pour en faire deux manches de brosses.   32 Et aussi, je te trancherai les testicules d’un coup de rasoir, au ras du cul.   33 Ne recule pas. Cf. L’Andureau et L’Andurée, vers 146.   34 Les batteaux : les battants, qui pendent. Ce mot désigne les testicules. « Un bel ‟ouvrier de nature”, fort bandé, qui à bon droit mérite estre appelé membre, accompagné de deux battans au-dessoubs qui luy servent d’ornement. » Nous sommes bluteurs.   35 Les oreilles de ma tête (vers 77). Mais aussi : les testicules de ma verge. « Le membre de Colin, deffaict,/ Se retira, penchant l’oreille. » (Cabinet satyrique.) « Au moyen du vin de Baccus,/ Pour lequel souvent on bat culz,/ Sa grosse caboche dressa. » (Sermon de Billouart.)   36 Éd : Pare pare  (Cri par lequel on excite les chiens pour qu’ils attrapent une proie. « Hare ! hare ! Si me mordez,/ Je le diray à l’empereur. » Daru.)   37 L’asile en zone franche, comme au vers 103. Le Fol se réfugie dans l’inviolable temple de Jupiter.   38 Je vous jure. Ces promesses ne coûtent rien : le Fol boit déjà le vin sans eau, mange déjà sa viande cuite, et il jeûne déjà pendant qu’il dort.   39 Je jeûnerai aussi.   40 « La feste de l’immortel/ Jupiter. » Mystère de sainte Barbe.   41 Mes bijoux de famille, dont j’ai hérité de mon père.   42 Elle pénètre dans le temple de Jupiter.   43 Mon lunatique. « Parlez tout doulx, car il tient de la lune…./ Il est luneau, vous le ferez troublé. » Marchandise et Mestier, BM 59.   44 Éd : le  (Ce vers sert de modèle au v. 107.)  Quoi qu’il t’arde = même si tu es ardent, en érection. Jeu de mots sur deux verbes qu’on distinguait mal : arder [brûler], et arser [bander]. Idem vers 107.   45 La Folle se prénomme Isabeau, dont Babeau est le diminutif, comme à 167. « ‟Certes, je n’y entreray point”,/ Respond à la mère Ysabeau…./ Elle y entra. Babeau se couche. » (Le Banquet des chambrières.) On traite de « Babeau » les femmes de mauvaise vie : cf. L’Andureau et L’Andurée, vers 54. « Approuchez-vous, dame hydeuse !/ Avez-vous entendu, Babeau ? » St Christofle.   46 Ou que le feu de l’Enfer me brûle. La châtreuse poursuit le Fol dans le temple, en brandissant un couteau.   47 Qui m’empêche d’y aller ?   48 Si les dieux ne sont pas plus forts que moi.   49 Courez assez vite pour que je puisse échapper à la châtreuse. L’Andureau, voulant échapper à sa mégère, s’écrie : « Jambes, portez le corps arrière ! »   51 Éd : decroissant  (« De la lune en son croissant. » Ronsard.)  Tu ne risques pas de me trouver, même avec l’aide du clair de lune. La sottie reprend au bout de 3 000 vers.   52 Elle veut passer de l’autre côté de la rivière (vers 38) en montant sur les épaules du Fol. Chevalet parodie la légende de saint Christophe, qui exerce le métier de passeur ; son plus notable client n’est autre que Jésus, auquel il vient de faire traverser la même rivière juché sur ses épaules. Chevalet parodie aussi Tristan qui, déguisé en lépreux, fait franchir un gué à Iseut en la portant sur son dos ; Tristan et Iseut deviennent donc Jean Têtu et Babeau.   53 De l’autre côté de l’eau.   54 Ma ration de sperme. « Sottes qui veulent avoir leur picotin. » Jeu du Prince des Sotz.   55 Pèlerinage où les épouses vont trotter sans leur mari. Dans ce Mystère, un cocu dit à sa femme : « Or va (sans faire le revien)/ Au diable et à Sainct-Trotin ! »   56 Où je commettrai un péché pour faire pardonner les précédents. « En divers lieux (elles) vont gaigner les pardons/ Pour en leurs lacs attraper la ‟vitaille”. » L’Advocat des dames de Paris touchant les pardons Sainct-Trotet.   57 Mon bâton de pèlerin. Double sens : mon pénis. Cf. le Pèlerinage de Mariage, vers 137 et note.   58 Le fond de la rivière. Double sens : le fond de ton vagin. « J’en ay une que j’aime ung peu./ On n’y treuve ne fons, ne rive. » Les Sotz qui remetent en point Bon Temps.   59 Comprends-tu mes paroles ?   60 Ton phallus. La marotte est un emblème phallique composé d’un bâton surmonté d’une tête.   61 Celle qui est munie d’un gland. « Ell’ avoit/ La teste bien rouge devant. » La Confession Margot.   62 Je vais monter sur ton dos.   63 D’exiger un répit, de différer.   64 Ventre de saint François d’Assise, que tu pèses !   65 Le Fol laisse tomber la Folle par terre.   66 Afin que je te serre entre mes cuisses.   67 Je te battrai.   68 Éd : nay paour  (« Et n’ayez peur que je vous faille. » Colin qui loue et despite Dieu.)   69 Je suis bien installée, dépêche-toi de traverser la rivière. « Pense d’aller et de marcher ! » Folconduit.   70 Il entre dans la rivière avec la Folle sur ses épaules.   71 Cheval d’attelage. Elle donne au Fol un coup de cravache avec sa marotte.   72 Aphérèse du pronom en. « Bon gré ’n ait bieu ! » Le Capitaine Mal-en-point.   73 Vessi, lâché une vesse, un pet. Idem vers 170. « Ell’ a du cul vessy. » (La Ruse et meschanceté des femmes.) Les vers 137-8 nous ont informé des problèmes aérophagiques de la Folle.   74 Il laisse tomber la Folle dans la rivière.   75 La soupe est un morceau de pain qu’on trempe dans le vin. « Ilz sont plus ivres qu’une soupe. » Massons et charpentiers.   76 Éd : cheuau  (Je vais chercher un cheval.)   77 Éd : dariau  (En terme de marine, le vent d’aval désigne le vent arrière : « Que désirons-nous ? Vent d’aval. » Gautier et Martin. Dans un registre plus scatologique, on devine d’où provient ce vent de derrière…)   78 Et pété discrètement. Mais les privées sont aussi les latrines : « (Ton père) curoit les privées. » Le Savetier Audin.   79 Cette farce en deux actes est un peu mieux intégrée au Mystère que la sottie.   80 Mal loué, mal considéré.   81 Mal assenée = mal mariée. C’est le nom générique des épouses insatisfaites. La nôtre fit l’objet d’une chanson : « C’est la femme d’un basteleur/ Qu’on apelle Mal-assenée. » (L’Arbalestre. Pour d’autres références, voir la note 60 de cette farce.)   82 Mes accessoires de bateleur. Idem vers 45. « Je susse jouer de bateaux,/ Se j’eusse ung ours ou une chièvre. » Les Menus propos.   83 Pour impressionner le public, on jongle avec des outils ou des armes munis de lames (soigneusement émoussées).   84 Le bâton est une baguette par-dessus laquelle on fait sauter le chien, comme au vers 143. Le bassin, encore nommé à 46, est un récipient qu’on utilise pour la quête : « Et faire cracher au bassin/ Ceulx-là. » Pour le cry de la Bazoche.   85 Éd : soufflez  (Nos clowns sont bardés d’instruments de musique : une guitare, une trompette, un flageolet ; et donc, un sifflet [un mirliton] et une timbale [un tambour].)   86 Les gobelets servent pour les tours de passe-passe ; dans l’Escamoteur, Jérôme Bosch en a peint deux. (Nous remarquerons, au pied du bateleur, son chien savant, qui est assis près d’un cerceau en attendant de sauter au travers.)  La noix de galle sert à faire de l’encre, peut-être pour réaliser les images pieuses que vendent nos baladins. Pour Pierre Servet, « il s’agit sans doute d’un élément de maquillage des jongleurs ».   87 Le moule, le pochoir avec lequel nous confectionnons des images coloriées qui représentent des saints. Voir les vers 191-216. La troupe du Bateleur vend elle aussi des portraits médiocres, mais ils représentent des comédiens.   88 Éd : quellest  (Est-elle à sa place, dans le fourreau que je porte à ma ceinture ?)  Maufourbie = Mal astiquée. C’est le nom que le bateleur donne à son épée, à l’instar d’un archer du Mystère de Saint Louis : « Vécy mon espée, Mal-fourbye. » Voir les vers 118 et 133. Chevalet parodie Excalibur (l’épée du roi Arthur), et Durandal (celle de Roland).   89 En s’accompagnant à la guitare.   90 Hurle.   91 « Quand un homme gronde & murmure entre ses dents, on dit qu’il dit la patenôtre du singe. » Le Roux, Dictionaire comique, satyrique.   92 Éd : donne cy  (Probable refrain d’une de ces chansons que les musiciens français de l’époque composaient sur des paroles italiennes.)   93 À une mauvaise heure, sous une mauvaise étoile. Même vers dans le Nouveau marié, notamment.   94 Le nom correspond à la chose.   95 Mouiller mon gosier. « Arouse souvent la gargatte. » (Philippe Bouton.) Le valet boit à la bouteille ; il titube et sa figure est rouge.   96 À cause de la chaleur du soleil. « Ces pÿons [ivrognes] en avalleront/ Mainte chopine, pour le halle. » St Christofle.   97 C’est là son unique maladie.   98 Tu as tout perdu à la taverne. « Il n’y a plus denier ne maille ;/ Tout est vendangé sans cousteau. » Gautier et Martin.   99 Éd : Cest  (Tu te renfloueras en utilisant nos accessoires de bateleurs, et tu feras la quête pour que le public crache au bassinet.)   100 Vos taches éthyliques ressemblent à une maladie qui affecte la peau des chevaux.   101 La grimace. Mal-assenée pince le nez du valet pour qu’il ouvre la bouche, dans laquelle elle verse l’eau du bassin.   102 Du baril de vin de la taverne. Cf. L’Andureau et L’Andurée, vers 84.   103 Des tranchées intestinales, des coliques. Il est exact que l’eau, pas toujours potable, provoquait un certain nombre de maladies. Les hommes du moyen âge n’ont pas attendu Louis Pasteur pour découvrir que « le vin peut être à bon droit considéré comme la plus saine, la plus hygiénique des boissons ».   104 Ce que tu as fait.   105 La voici. Henriet montre la trompette qui déforme avantageusement le devant de ses chausses tachées de crotte.   106 Que chacun prenne un des animaux de notre ménagerie.   107 D’images représentant des saints. Voir la note 87.   108 C’est ce qui nous rapporte le plus.   109 Une bonne centaine.   110 Et pourtant.   111 Je te ferai accéder au grade de maître bateleur. Ce grade imaginaire est employé comme insulte : « O ! que tu la nous vends trop chère,/ Maistre basteleur ! » Satyres chrestiennes de la cuisine papale.   112 Je ne vous demande pas de venir me déshabiller.   113 Éd : doncques branle tu  (De quoi te mets-tu en peine, pourquoi t’énerves-tu ? « T’esbranles-tu au souffle du vent d’une seulle adversité ? » Jean du Croset.)   114 Cet ours et ce chien. Justement, le chiot se rebiffe.   115 Nous devrions déjà être ailleurs. « Quant il nous aura veu,/ Il vouldroit estre à Grenade ! » St Christofle.   116 La troupe rencontre le roi de Damas et la reine. Mauloué les salue sans retirer son chapeau.   117 Lourdaud. « Il avoit l’entendement tout lourd. » Histoire maccaronique de Merlin Coccaïe.   118 Dépourvus : cf. le Mince de quaire. Une rouelle est une pièce de monnaie : cf. la Confession du brigant, vers 55.   119 Si tu sais quelque chose. Le roi ne s’intéresse qu’aux chansons : voir les vers 247-252.   120 Éd : une  (Une oie blanche est une pucelle ; or, aux vers 157-161, on déguise la chèvre en jeune mariée.)   121 Éd : pourceau  (Nos bateleurs ont une chèvre et un ours, mais pas de porc. « Ourse alaittant ses ourseaux. » ATILF.)   122 Je fais 10 sous, une somme bien moindre.   123 Merde ! Ce juron est bien choisi : Henriet extirpe de ses chausses breneuses une trompette qui ne l’est pas moins, victime des coliques du vers 57.   124 Mal nette, malpropre.   125 Les bonimenteurs commencent toujours par cette phrase afin d’obtenir le silence : cf. le Bateleur, vers 3 et note. Sauf qu’ici et au vers 217, ces « petits enfants » auxquels on parle de merde désignent un roi et une reine. Le saltimbanque dégaine Maufourbie, sa piteuse épée (note 88).   126 Canterbury, qui est rebaptisé « Canthorbie » dans le Messager et le Villain. Les Mystères mettent un point d’honneur à ridiculiser tout ce qui rappelle la perfide Albion.   127 Pour livrer un assaut aux Anglais. « Que les François si ont esté/ Ès Anglois faire une levée. » ATILF.   128 Si elle est un peu rouillée.   129 C’est la moindre des choses.   130 Quelle lame.   131 Mauloué n’ayant pas précisé « comme du charbon ardent », force est de s’en tenir à ce qu’il a dit : Elle reluit aussi peu que du charbon. Le bateleur mime un assaut d’escrime contre son valet désarmé, qu’il touche avec le plat de sa lame.   132 Que tous les diables vous emportent ! Si ce n’est pas une malédiction, qu’est-ce que c’est ?   133 Un bon corniaud.   134 Quand tu as connaissance, quand tu vois.   135 Dans toutes les directions. « Prens tost tes fouetz, et le batz/ Du long, du lé [de long en large], et hault et bas ! » Daru.   136 Que c’est la règle de laisser.   137 Abstenez-vous-en pour le moment. « Je vous prie que vous vous déportez atant de ceste requeste faire. » ATILF.   138 Se servir.   139 Saute par-dessus la baguette ! Naturellement, le petit chien passe dessous. Même jeu dans l’autre sens. Ce gag fut longtemps au répertoire des clowns de cirques.   140 Vous ferez sagement. Le chien repasse sous la baguette.   141 Une œillade aux spectateurs suffit à faire comprendre qu’Henriet ne parle pas du chien mais de Mauloué, qui a prétendu le faire passer maître (vers 79).   142 Si on le laisse grandir.   143 Pareillement.   144 Pour s’adapter à toutes les situations. Pendant le jeûne du Carême, les catholiques ne consommaient ni beurre, ni viande, à moins d’acheter des dispenses à l’Église.   145 Charogne ! Le chiot l’a mordu.   146 Éd : Et  (Je crois que la peur qu’il a eue lui a donné la fièvre.)   147 Mais plutôt. « Les chièvres alloient tout de reng./ La corne de la dèrenière/ Fut mise au cul de la première./ Quelle chièvre pourroit mieulx dire :/ ‟J’ay la corne au cul.” » Les Sotz escornéz.   148 Qu’elle se repose.   149 Elle n’est pas dans de bonnes dispositions. « Il dort, sire :/ Il est un peu mal disposé. » Le Poulier à sis personnages.   150 Tu dis bien.   151 Que cela.   152 Ce loup-garou se nourrit exclusivement d’épouses qui obéissent à leur mari ; voilà pourquoi il est d’une maigreur squelettique. Les charivaris admettent les déguisements les plus bestiaux.   153 Loin de Damas, où la scène se déroule. Henriet est interrompu après avoir prononcé la première syllabe de Cancale, qu’un passage similaire donne en entier : « Mieulx vous vauldroit estre à Cancalle ! »   154 C’est le nom de la chèvre, qui aimerait se faire boucaner, se faire saillir. « Boucaner, ou bouquaner, faire le bouc. » Godefroy.   155 Je mènerai la danse avec ma flûte (vers 178).   156 Par crainte qu’il ne consomme le mariage devant tout le monde. Les singes ont une réputation de lubricité.   157 Éd : meilleu  (Voir le vers 158 du Fol et la Folle.)   158 Je mènerai la danse avec ma flûte champêtre.   159 Avance, tête de mule ! Henriet s’adresse à la chèvre.   160 Couverte par le voile nuptial, elle est blanche en haut et noire en bas, comme une cigogne.   161 On pourrait supprimer ce point en considérant que « déployés » est un participe passé qui se rapporte aux images du vers 191. « Image » était souvent masculin, par exemple au vers 203.   162 Les saints dont nos bateleurs vendent le portrait relèvent de la plus haute fantaisie. On se reportera aux notes de Pierre SERVET, ainsi qu’au Dictionnaire des saints imaginaires et facétieux, de Jacques MERCERON. Rabelais a définitivement rattaché Saint Alipentin à la scatologie : « Le pauvre Lymosin conchioit toutes ses chausses (…), dont dist Pantagruel : “Sainct Alipentin, quelle civette [puanteur] !” » (Pantagruel, 6.)   163 Par une semelle de bois : il reçut des coups de pied au cul qui lui écorchèrent les fesses. « Ung bien vaillant homme/ Qui n’est pas escous [secoué] d’ung patin. » Le Capitaine Mal-en-point.   164 Le Mardi-gras. Tout ce passage a une couleur fortement carnavalesque.   165 Traditionnellement, on jette un seau d’eau pour décoller deux chiens qui s’accouplent sur la voie publique. Ici, on sépare deux hommes dans la même posture. Le Carnaval autorise toutes les inversions. Chevalet évoquera encore la sodomie homosexuelle dans les Tyrans au bordeau (vers 476-9), et la sodomie hétérosexuelle aux vers 456-7 de L’Andureau et L’Andurée.   166 Prends ! On faisait bouillir les faux-monnayeurs, mais pas dans de la merde.   167 « Que j’abatis/ Les chièvres, et que combatis/ Ces marmotes [guenons] de pommes cuytes. » L’Arbalestre.   168 Cette expression revient dans de nombreux textes. Mais ici, Carnaval oblige, nous sommes encore dans la scatologie : « C’est mon cul qui a la toux. » (Chansons des comédiens françois.) On voyait en effet des enseignes représentant un chat qui pète.   169 Vous paierez tout de suite, pour que je ne me fasse pas rouler par vous. Rappelons que Mauloué s’adresse à un roi.   170 En avant, allons ! « Avant, avant, petit naquet ! » (Trote-menu et Mirre-loret.) Les « petits enfants » sont toujours le roi et la reine, comme au vers 118.   171 Pour ce prix-là, vous ne payez même pas le coût de leur fabrication.   172 Ce vers, tel que je le complète, est le vers 565 de la Pippée.   173 Ce n’est pas clair : vont-ils vendre leurs images, ou bien les partitions des chansons ? Les chanteurs des rues vendent la chanson qu’ils viennent d’interpréter : « Il me convient/ De vostre chanson acheter/ Plusieurs coppies. » (L’Aveugle et Saudret.) Au bas de cette planche, sur une estrade, on voit deux chanteurs proposer leurs partitions.   174 Mon langage.   175 Buveurs de vin (vers 254). « Pÿon, yvrongne et sac à vin. » (Le Raporteur.)  Les chalands sont les bons compagnons.   176 Bu un coup. « Va me mener à la taverne ;/ Et là, nous burons ung tatin. » (L’Aveugle et Picolin.) Beaucoup de chansons reprochent aux moines de faire la grasse matinée et de ne se lever que pour boire. Par exemple celle-ci : « L’Ordre ne dit mye de lever matin./ Dormir jusqu’à prime et boire bon vin,/ Et chanter matines sur ung pot de vin. » La Résurrection Jénin à Paulme.   177 N’enfoncez pas les portes ouvertes. Ces « huis » béants désignent le sexe des femmes. « Je suis (celui) qui romps les huis ouvers/ Et despucelle les nourrisses. » Sermon joyeux d’un Dépucelleur de nourrices.   178 Sous peine. « Et sur peine d’estre pendu. » Légier d’Argent.   179 Éd : de pucelles  (Voir la note 177.)  Une nourrice a du lait parce qu’elle a eu un enfant ; malgré quelques précédents illustres, elle a donc peu de chances d’être encore pucelle. « Saint Velu (…)/ Despucella maintes nourrisses. » Sermon de saint Velu.   180 L’affaire. Mais aussi : le coït. « En faisant l’amoureux tripot. » Pernet qui va au vin.   181 Celui qui avalera un fagot. Mais aussi : celui qui dépensera un fagot. Les taverniers facturent aux clients le bois de chauffage (et la chandelle). « Brûler le fagot : aller boire bouteille ensemble au cabaret, & y brûler un fagot pour se chauffer en buvant. » Le Roux.   182 Ici même : qu’il vient de l’improviser.   183 Pour boire du vin. Cf. Te rogamus audi nos, vers 64.   184 Qu’on l’ait emmenée, afin que j’en sois débarrassé.   185 Je la céderais à bas prix, même si cela ne me rapportait qu’un centime.

MASSONS ET CHARPENTIERS

Histoire du Grand Alexandre

Histoire du Grand Alexandre

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MASSONS  ET

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CHARPENTIERS

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À défaut de suivre un plan rigoureux, le Mystère de saint Clément fait la part belle aux architectes : on y voit un maître charpentier, flanqué de son apprenti (Col-de-grue), lesquels sont rejoints par un maître maçon et son apprenti. Puis viendront les charpentiers Guillaume et Garnier, adjoints des maçons Maucoutel et Hermen. On devine déjà que tous ces bâtisseurs d’églises préfèrent les tavernes aux chantiers.

Sources : La Vie et les Miracles de saint Clément, évesque de Metz. Sur les tribulations de ce manuscrit du XVe siècle aujourd’hui perdu, voir la notice du Messager et le Villain. J’emprunte les vers 35-254 à Fritz TINIUS <T> : Studien über das Mystère de Saint Clement. (Greifswald, 1909, pp. 73-78.) Le reste vient de Charles ABEL <A> : Le Mystère de St Clément. (Metz, 1861.) J’utilise les leçons inédites de F. Tinius publiées par Jean-Charles HERBIN <T-H> : Du nouveau sur le Mystère de saint Clément de Metz. (Romania, vol. 132, nº 527-528, 2014, pp. 428-460.) Quelques corrections sont fournies par Frédéric DUVAL <D> : Le Mystère de saint Clément de Metz. (Droz, 2011.)

Structure : Rimes plates.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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                        LE  VARLET

        Maistre, je voy que bonnement

        Ne povez tant d’outils porter :

        Je vous vueil ung peu supporter1,

        Se vostre plaisir s’y adonne2.

                        LE  CHARPENTIER

5      Par Dieu, tu es vaillant personne !

        Or sus, varlet ! sus, Col-de-grue !

        Prenez-moy tost la besaguë3,

        La hache et tout ly aultre outil !

                        Icy, doit le varlet du charpentier

                        prenre tous les outtils.

                        LE  VARLET

        Maistre, regardez cy : est-il

10    [Homme tant]4 bien enharnaché(s) ?

        Sachez : je suis bien empesché(s)

        De les porter. Le col me ront5.

                        LE  CHERPENTIER

        Et ! il fait, sire, ung grant estront !

        Quel beau va[r]let d’estront de chien6 !

                        LE  VARLET

15    Par saint Mor(s) ! Maistre, sachez bien :

        Vous ne sentez mie la mézaise7.

        Dea ! vous devisez à vostre aise.

                        [LE  CHERPENTIER]

        Pour Dieu, cheminez, messag[i]er8 !

                        LE  MESSAGER

        Dites-moy, gentil cherpentier

20    (Car9 aler et parler puet-on) :

        Savez-vous cy près nul masson ?

        Avoir le fault sans nulle essongne10.

                        LE  CHERPENTIER

        Je sçay trop bien vostre besongne11,

        À cela ne pouvez faillir.

                        LE  VARLET

25    Je sçay bien tel12 qui assa[il]lir

        Oseroit bien ung pot de vin,

        Ung petit pâté metre à fin :

        C’est ung ouvrier à trente-deulx13.

                        LE  CHERPENTIER

        Et ! quoise-toy14, quoise, bourdeulx !

30    Dieux vous mette en male sepmaine15 !

                        LE  VALET

        Maistre, sachez chose certaine :

        Huy-mais16, ung seul mot ne diray.

        Une autre fois m’aviseray.

        Pardonnez-moy pour ceste fois.

*

Ici interviennent un maître maçon et son apprenti, Mal-esveillé, qui ne disent rien de drôle. 2 103 vers plus tard, le second fatiste17 présente deux compagnons maçons qui sortent d’une taverne passablement éméchés.

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                        MAUCOUTEL 18

35    Hermen, tu as bien bu jusqu(es) à ivre19 ;

        Saint Mor ! tu ne sces que tu fais20.

        Je n’eusse peu croire jamais21

        Que tu fusse sy grant buvierre22.

                        HERMEN

        Allez chier, allez, tricherre23 !

40    Dieu vous met’ en male sepmaine !

                        MAUCOUTEL

        Mais à vous la fièvre quartaine !

        Truant, pourquoy me maudis-tu ?

                        HERMEN

        Pource que tu dis que j’ay bu

        À outrage. Vous y mentez !

45    Se je devoie estre menés

        En la cruppe24, se vous battrai-ge !

                        MAUCOUTEL

        Hermen, tu n’as pas l’aventaige ;

        Le plus fort, sy, l’enportera25.

                        HERMEN

        Or se revenge qui poura26,

50    Mais vous arez ceste première !

                        MAUCOUTEL

        Hermen, t(u) as la main trop légère.

        Or tien27 ! Et sy, t’en vas dormir !

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                        GUILLAUME 28

        Et ! dont nous29 puet cecy venir ?

        Qu’est cecy ? Dont vient la bataille ?

                        GARNIER

55    Ce sont très mauvaise mardaille30 :

        Ilz sont plus ivres qu’une soupe31.

                        MAUCOUTEL

        Son baston n’estoit pas d’estoupe :

        Il y pert32 bien à mon espaule.

                        GUILLAUME

        Par ma foy ! le vin vous affolle.

60    Encor n’en est pas la pais faite.

                        GARNIER

        Saint Mor ! j’en vueil faire l’enqueste33.

        Pour la paix, s’en mollerons nos bouches34.

        Hermen, vien çà, et cy t’aprouches !

        Dy-moy, je t’en pry, le méhain35.

                        HERMEN

65    Je te tenroie36 jusqu(es) à demain,

        Se je te contoie la manière.

        Mais je le feray à ta prière ;

        Bien brief j’en vueil estre délivre37.

        Il di[s]t : « Tu as bu jusqu’à ivre. »

70    Et m’aloit apeller « buvierre ».

        Sachiez, je l’apellé : « Tricherre !

        Dieu vous met’ en malle sepmaine ! »

                        GARNIER 38

        Dieu vous doint la fièvre quartaine !

        Wardez39 comment il me maudit !

                        HERMEN

75    Enhen, sire ! [Aussy, il]40 me di[s]t :

        « Truant, pourquoy me maudis-tu ? »

                        GARNIER 41

        Truant ? Truant ? Et dont fus-tu42,

        Dy, paillart ? Or tien ceste prune43 !

        El ne charra de ceste lune44,

80    Tant soit le souloil fort ardant45.

                        HERMEN

        Je ne disoie qu’en récitant46,

        Et vous l’avez prins en despit47.

        Toutesfois, se j’avoie dit

        Chose qui vous despleust, Garnier,

85    Jamès ne le vouldroie nier.

        Mais ung peu estes trop fumeus48.

                        MAUCOUTEL

        Je ne vouldroie pas qu’i fist49 mieulx,

        Hermen : vous avez trouvé maistre.

                        HERMEN

        Une aultre fois, pourra bien estre

90    Que je le vous rendré à double…

                        GUILLAUME

        Je vous requier : nul ne se trouble !

        Allons boire par paix faisant50 !

        Je seroie trop desplaisant51

        Se le débat reconmansoit.

                        HERMEN

95    Sire, je veulx bien qu’il en soit

        À vous52, se juger en voulez.

                        GARNIER

        Et moy, mais que ne me foulez53 ;

        Ce ne seroit pas54 conpangnie.

                        MAUCOUTEL

        Hermen a la buffe gaignie55 :

100  Toutesfois, il ara cela.

                        GUILLAUME

        S’ara mon56. Hau, escoutez là !

        Hermen, tu commensas premier57 ;

        [Et Maucoutel]58 ; après, Garnier.

        Vous estes trètous de la feste59.

105  Ne me menez bruit ne temppeste !

        Tous trois paierez cinq solz à boire.

        Une aultre fois, arez mémoire60,

        Se j’ay bien jugé, vraiement.

                        GARNIER

        Il me desplaît61 trop grandement,

110  Guillaume, je le vous dy bien.

                        HERMEN

        C’est « bien dit », Garnier ? Vien çà, vien !

        Cuides-tu ainsy estre quitte ?

        Nennin pas, par saint Jehan Baptiste !

        Il fault baisier le babbouin62.

                        MAUCOUTEL

115  A ! que c’est « bien dit », mon cousin !

        Garnier est prins à la baboue63.

                        GARNIER

        Escoutez : point ne vous avoue64.

        Se je paie, c’est malgré moy.

                        GUILLAUME

        Nous t’en croions bien, par ma foy !

120  Il ne t’y vault le reculer65.

                        HERMEN

        Se nous te deviens despoullier

        Ta robe, sy venras-tu boire66 !

        Il ne te vault pas une poire :

        Trètout ton refus ne vault rien.

                        GARNIER

125  Saint Mor ! il [le] me semble bien ;

        Mais toutesfois, il m’en desplaist.

                        GUILLAUME

        Il me semble que Garnier est

        Mout simple67. Que t’en semble, Hermen ?

                        HERMEN

        C’est mon68, certes. Allons-nous-en,

130  Je vous requier, boire d’autant69 !

                        MAUCOUTEL

        Saint Jehan ! j’en suis bien consentant.

        Je vois devant plus que le trot70.

                        GUILLAUME

        Garnier, vous pa[i]rez mon esquot.

        N’en faites jà sy pute moue71 !

                        GARNIER

135  Escoutez : point ne vous avoue.

        Se je paie, c’est malgré moy.72

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                        MAUCOUTEL

        Hau ! tavernier !

                        LE  TAVERNIER

                                    Hau là !

                        MAUCOUTEL

                                                   [Par foy]73,

        As-tu point de bon vin séans ?

                        LE  TAVERNIER

        Ouy dea, et des pastés frians,

140  Ne doubtez. Vous serez bien aise.

                        MAUCOUTEL

        Or c’est bien dit, par saint Gervaise74 !

        Maishuy n’oÿ75 meilleurs nouvelles.

                        GUILLAUME

        Aportez-nous, en deux escuelles76,

        Deux pastés, et vous ferez bien.

                        HERMEN

145  [Que] deux pastés ? Estront de chien !

        Par saint Mor, sire, il en fault quatre !

                        GARNIER

        Encor[e] te feras-tu batre

        Hermen,  advant que la dance départe77 !

        Entens-tu ?

                        HERMEN

                         De par Dieu, de cela,  quel parte78 !

150  En lair[r]ai-ge pour tant le79 boire ?

        Je n’en perdré jà mon mémoire80.

        Aportez-nous quatre pastés !

                        LE  TAVERNIER

        Voulentiers ! Il sont aprestés.

        Et conbien voulez-vous de vin ?

                        GUILLAUME

155  Par saint Jehan ! c’est bien dit, cousin.

        Aportez-nous-en une quarte !

                        LE  TAVERNIER

        Très voulentiers, par sainte Barte81 !

        [Sept sestiers]82, se vous le voullez.

                        MAUCOUTEL

        Tavernier, allez tost, allez !

160  Garnier, je vous pry : siette[z] cy83 !

                        LE  TAVERNIER

        Mes gentilz amis, voiez cy

        Quatre pastés, ung pot de vin.

        Or le mettez tentost à fin :

        Quant vous vouldrez, g’iray à l’autre84.

                        GARNIER

165  Advisez-moy cy quel apostre85 !

        Il a86 mengé tout mon87 pasté

        Sens que j’en aie oncques tasté.

        Et ! vraiement, tu es bien paillart !

                        HERMEN

        Avisez-moy le pappellart

170  Qui va menger les crucifix88 !

        Sire, se j’en mengoie dix,

        De cella que vouldriez-vous dire89 ?

                        LE  TAVERNIER

        Seigneurs, ne vous mouvez en ire90 !

        Je vous pry : comptez vostre esquot91.

                        GUILLAUME

175  C’est bien dit. Nulz ne sonne mot92 !

        Mettez l’esquot en une somme93.

        Vous me semblez très bon proud’omme :

        Rien ne vouldriez avoir du nostre94 ?

                        LE  TAVERNIER

        Non, sire, par saint Pol l’apostre !

180  Il me souffit de mon escot.

                        GUILLAUME

        Or sus, ami(s), or comptez tost !

        Nous n’avons mestier95 de débatre.

                        LE  TAVERNIER

        Pour96 tout, devez sinq solz et quatre.

        Paiez, je me tenray97 content.

                        GUILLAUME

185  Hau, hau ! Nous ne devons pas tant.

        Je vous pry, comptez par raison.

        Ce compte n’est point de saison :

        Vous n’estes pas léal98 marchant.

                        LE  TAVERNIER

        Par saint Matellin de Larchant99 !

190  Vous n’arez de moy aultre compte.

        Et ! par le corps Dieu, c’est grant honte

        À vous d’en parler100 pour sy peu.

                        GUILLAUME

        Je n’en donroie pas ung cleu101 !

        Pour la « honte », c’est mon dammaige102.

195  Pourquoy doncques n’en parlerai-ge ?

        N’ay-je pas bien raison, Garnier ?

                        GARNIER

        J[e m’]en iroie, avant, plaidier,

        Que vous accordasse la somme103.

                        LE  TAVERNIER

        Vous estes ung merveilleus104 homme !

200  Sire, ne105 voullez-vous paier ?

        Me cuidez-vous doncq esmaier106

        Se vous parlez de « plaidoirie » ?

                        HERMEN

        Vous vous coursiez107, sainte Marie !

        Dittes à ung mot108 : que nous devrons ?

                        LE  TAVERNIER

205  Sinc solz et quatre.

                        MAUCOUTEL

                                         Non ferons !

        Vous nous feriez ainssois109 conbatre.

                        LE  TAVERNIER

        Or sus ! vous n’en pa[i]rez que quatre.

        Je ne veulx point avoir de noise.

                        GUILLAUME

        A, dia ! la parolle est courtoise.

210  Seigneurs, avisez qui paira !

       Voulez-vous où le sort charra110,

        De vous trois, qu’i paie cest esquot ?

                        MAUCOUTEL

        Quant est à moy, je m’y accort.

                        HERMEN

        Et my111.

                        GARNIER

                        Et my aussy. Faites les los112.

215  Mais que chascun ait les yeulx clos,

        De nous trois, et qu’on ne voie goute !

                        GUILLAUME

        Au ! dia, Hermen, estoupe-te113 :

        Il me semble que tu vois clèr.

                        HERMEN

        Non fais, non.

                        GUILLAUME

                             Or çà,  qui tire le premier ?

220  Il fault que ne-sçay-qui commence ;

        Garnier, tu mèneras la dance.

        Il  paie l’esquot qui a le plus lonc.

        Ainsy jouent les enfans ; ne font114 ?

        Garnier, avise bien à traire115 !

                        GARNIER

225  Il ne vous en fault jà tant braire :

        Je tireray à l’aventure…

        J’ay le plus grant, à la malle heure !

        Or sus ! je suis pris à la moue116.

                        HERMEN

        Garnier, c’est pour toy, cest escroue117 :

230  Ami(s), tu n’en paieras jà mains118.

                        GARNIER

        Je te jure par ces deux mains119

        Qu’une aultre fois m’en souvenra120 !

                        TOUS  LES  OUVRIERS  ensemble :

        Adieu ! Cest, issy121, vous paiera ;

        Retenez son122 bien pour le(s) gaige.

.

                        LE  TAVERNIER

235  Saint Jehan, créez que sy ferai-ge123,

        Se, senon124, que je soie paié !

                        GARNIER

        Je ne suis pas bien advoié125 :

        Hélas, je n’ay denier ne maille

        Sur moy, ne chose qui rien126 vaille,

240  Se je n’alloie quérir ma hache127.

                        LE  TAVERNIER

        Or va donc tost, et te despêche !

        Aportes-moy gaige ou argent !128

.

                        GARNIER

        Ouy dea.  Je suis eschappé bel et gent ;

        Il ne me verra de129 sepmaine

245  (Foy que doy), [n’]à la Magdalène130 !

        Je suis eschapé, Dieu mercy !

.

                        LE  TAVERNIER

        Saint Jehan ! je voy bien que je sui

        Bartey131 : mon hoste ne vient point.

        A,  Dieu, quel [des]piesse[ur]132 de pourpoint !

250  Par ma foy ! il s’en est alley.

        Je suis de mon esquot paiey.

        Or sus ! plus que tant ay perdu133 ;

        Je n’en seray jà esperdu

        Pour quatre solz, ne plus ne mains.

*

Quand les ouvriers ne sont pas encore ivres, saint Clément leur fait bâtir des églises. D’un naturel taquin, ils se cachent mutuellement leurs outils, ce qui donne lieu à quelques blaguounettes graveleuses. On aurait tort de croire que les bâtisseurs de cathédrales travaillaient dans un recueillement religieux : ils les ont décorées avec quelques-unes des sculptures et des boiseries les plus obscènes et les plus scatologiques du Moyen Âge, à l’instar des enlumineurs de psautiers qui se défoulaient dans les marges. Ce Mystère nous offre un exemple unique de ce que furent les conversations profanes des artistes sacrés.

.

                        GARNIER

255  À qui est-ce que j’ay presté

        Ma queulx134 ? Ne le sces-tu, Guillaume ?

                        GUILL[AUM]E

        Nennin, par monseigneur saint Cosme,

        Le bon saint qui gist à Luzarches !

        Or, vas voir s’el(le) seroit ès arches

260  Des[s]oux Jouy135, ou là autour.

                        GARNIER

        A, dea ! tu me joues d’un tour ;

        Ce n’est pas la première fois.

        …………………………

                        HERMEN

        Guillaume, tu n’as mie ta soye136 :

        As-tu rien oublié çà bas ?

                        GUILLAUME

265  Ore, tu ne t’en tenrois pas137,

        De toy mocquier ainsy du monde !

        Vraiement, je doubt qu’i ne redonde

        Une scie138 quant à tes despens

                        HERMEN

        Ore, vraiment, je me repens

270  De t’en avoir donné mémoire.

        (Ils ont cuer ainsy qu’une poire139.

        Estront ! on ne leur puet rien dire.)

        ………………………….

                        HERMEN

        Avisez commant il s’atèche140 !

        Maucoutel, warde les lanières141 !

                        MAUCOUTEL

275  Point n’as oublié tes manières :

        Tousjours te truffes-tu142 du monde.

        ………………………….

                        MAUCOUTEL

        Par foy, vécy bonne fontaine143 !

        Hermen, je t’en pri : or y essaie !

                        HERMEN

        Et ! je t’en requier que j’en aie :

280  Sy sauray quel goust elle sent…

        [Dea !] je cuide, à mon essïent,

        Qu(e) ung mort en [re]susciteroit

        Se ung seul godet en buvoit.

        C’est droite eaue à faire vinaige144 !

                        MAUCOUTEL

285  Or (par mon serment) tu dis raige145,

        Hermen : les mors n’en boivent point.

                        HERMEN

        Par saint [Mor146] ! c’est ung aultre point ;

        J’ay bien dit : « S’il en povoit boire. »

                        MAUCOUTEL

        Ton parler ne vault une poire !

290  Je te pri qu’on nous reposons

        Et, tout icy, ung pouc dormons147 ;

        C’est le meilleur tour que g’y voie.

                        HERMEN

        Saint Jehan ! sire, j’en ay grant joie :

        Après menger, on doit dormir.

*

Saint Clément finit par payer les maçons. Ou plutôt, comme il est radin, il les envoie se faire payer par un aubergiste qui retient en gage le marteau d’Hermen. Munis de leur florin, les ouvriers n’ont rien de plus urgent que d’aller boire autre chose que de l’eau : « Mèshuy ne buvrey de fontaine / Tant que ce florin durera. / Maudit soit qui ne buvera / À plain museau de ce bon vin ! » Mais après cette nouvelle beuverie, il faut de nouveau régler la note du tavernier.

.

                        HERMEN

295  Maucoutel, qu’esse que tu dis ?

                        [MAUCOUTEL]

        Nous avons trop esté séans148.

                        LE  TAVERNIER

        Merde149 ! qu’esse-cy ? Quels truans !

        Foy que doy moy150, véci grant honte !

                        MAUCOUTEL

        Nous n’attendons mais que le conte151 ;

300  Mais certes, nous n’osions hurter152.

        Vueillez-vous153 ung pouc déporter,

        Beaux hostes154 : comptez nostre esquot.

                        LE  TAVERNIER

        Vous avez de vin plain ung pot

        — Une quarte à la grant mesure —,

305  Pain, et char, fourmaige[s] en présure155 ;

        [Ou sont moulés : ce]156 sont matons.

        Je suis content que nous comptons.

        Trois soulz pour [tout], vous souffit-il ?

                        HERMEN

        Ouÿ dia, compangnon gentil :

310  Vous avez compté tout à droit157.

        Nulz homs blasmer ne vous saroit158.

        Il vous convient argent, ou gaige ?

                        LE  TAVERNIER

        Or paiez (sy ferez que saige159)

        Tout lïément sans harier160 !

                        MAUCOUTEL

315  Nous ne voulons grain varier161 :

        Vous serez paié, bel cousin.

        Hermen, tire fieur162 le florin !

        Il nous convient avoir du change163.

                        HERMEN

        Ne sçay s’il est cheu de ma mange164

320  Ce seroit bien au pis venir…

        Je la pense brièfment tenir165.

        Çà, beaux hostes, de la monnoie !

                        LE  TAVERNIER

        Voulentiers, se Dieu m’envoit joie !

        Il vous fault à chascun sincq soulz.

                        HERMEN

325  Dieu ! sire, vous estes bien soûlz166 !

        Laissiez-moy les dis soulz venir ;

        Après, m’en laissiez convenir167.

        Vous estes paié, n’estes mye ?

                        LE  TAVERNIER

        Ouÿ. Adieu la compangnye !

330  À Dieu voisiez-vous168, belz enfans !

                        HERMEN

        Alons-en d’écy169, il est temps :

        Nous avons prins nostre repas.170

.

        Maucoutel, ne te cource pas171 :

        J’ay dix soulz qui sont à nous deux.

335  Je les garderay, si tu veux ;

        Ou se, senon172, véci ta part.

                        MAUCOUTEL

        De les p[r]enre seray espart173 :

        C’est pour gouverner le mesnaige.

                        HERMEN

        Dya ! Maucoutel, tu deviens saige

340  D’esparnier, par mon sacrement !

                        MAUCOUTEL

        Coise-toy174 (ce n’est pas souvent) !

        Je doubte trop Mal-assenée175 :

        Il semble qu’el soit forsenée

        Toutes fois que n’aporte argent.

                        HERMEN

345  Je t’en crois bien, par mon serment !

        Hahay, Dieu ! qu’elle est male famme176 !

                        MAUCOUTEL

        Toutefois, elle [a bonne fame]177 ;

        Mais elle parle ung pouc trop hault.

                        HERMEN

        La myenne, tel fois est, m’assault178.

350  Par mon serment, tu ne croiroies !

        Par foy ! s(e) escouter la vouloie

        Et faire tout à son plaisir,

        Je croy qu’il me fauldroit morir.

        Mais je fais du tout au contraire179.

                       MAUCOUTEL

355  Par foy ! ainsy me fault-il faire :

        A, dea ! c’est ung très bon conceil.

        Il me desplaist — et sy, m’en dueil180

        Qu’ainsy subget suis à ma famme.

*

1 Je veux vous aider un peu. « À vous aider et supporter. » Les Esveilleurs du chat qui dort.   2 Si cela vous est agréable.   3 Ma besaiguë. Le maître charpentier refile toutes les corvées à son apprenti, qui est beaucoup plus servile que celui du charpentier Saoul-d’ouvrer.   4 A : Sommes nous  (« Est-il homme tant fol qui se ausast promettre vivre troys ans ? » Rabelais, Tiers Livre, 2.)   5 Se rompt. Col-de-grue, comme son nom l’indique, a un cou long et grêle, et ne peut y colleter des objets lourds, ce qui était pourtant possible du fait que les outils modernes étaient plus légers que les anciens ; le valet du charpentier mis en scène par P. Gringore est moins délicat : « Je viens de mettre/ Noz outilz à point, par saint Pol,/ Et les porter dessus mon col/ (Par Dieu) à la mode nouvelle. » La Vie monseigneur sainct Loÿs.   6 Quel valet de merde ! « Mon beau maistre d’estronc de chien. » Le Cousturier et Ésopet.   7 Mon malaise, ma gêne.   8 Nos charpentiers suivent un messager qu’on a expédié à Metz pour qu’il recrute des ouvriers afin de bâtir une église. C’est le même que dans le Messager et le Villain.   9 T-H : On dit que  (Car on peut parler tout en marchant. « Aller & parler peut-on ; boire & manger, non. » Cotgrave.)   10 Sans essoine : sans retard.   11 J’ai votre affaire.   12 T-H : fel  —  A : tel  (Je connais un maçon.)   13 Qui a 32 dents : qui est vorace. Voir la note de Frédéric Duval.   14 Tiens-toi coi : tais-toi ! Idem vers 341.  Bourdeux = menteur ; cf. la Laitière, vers 313.   15 Dans une mauvaise passe. Même vers que 40 et 72.   16 Aujourd’hui. Nous aurons la forme « maishuy » à 142.   17 Voir la note 4 du Messager et le Villain.   18 Mauvais couteau. Le couteau est un outil qu’on utilise en maçonnerie.   19 Jusqu’à devenir ivre. Idem vers 69.   20 Tu ne sais pas ce que tu fais. « Va, va, tu ne sçais que tu fais ! » Gournay et Micet.   21 Je n’aurais jamais pu croire.   22 Buveur. Idem vers 70. La confusion éthylique est symbolisée par un mélange inextricable de tutoiement et de vouvoiement, y compris dans une même phrase.   23 Tricheur, trompeur. Idem vers 71. « Judas le tricherre. » Godefroy.   24 T : suppe,  (Crupe = croupe. « La cruppe de son cheval. » Raoul Le Fèvre.)  Même si je devais subir la peine infamante de la claie : on attache le malfaiteur sur un treillis, lui-même attaché à la croupe d’un cheval qui le traîne.   25 À 11 reprises, le futur en -ra prend la marque du conditionnel en -rait. Je corrige tacitement cette inutile complication.   26 Vengez-vous si vous pouvez. Hermen donne un coup sur l’épaule de Maucoutel (vers 58) avec sa toise en bois.   27 Il flanque une gifle à Hermen.   28 Deux charpentiers passent dans la rue ; ils reconnaissent les belligérants et les séparent.   29 T : me  (D’où peut nous venir cela ?)   30 De dangereux mendiants. Même vers dans le Messager et le Villain.   31 Plus imbibés qu’un morceau de pain trempé dans du vin. « Tu es plus yvre qu’une soupe. » Ung biau miracle.   32 Cela apparaît. Verbe paroir.   33 Je veux vous interroger.   34 Pour votre réconciliation, nous mouillerons notre bouche : nous trinquerons ensemble. Voir le vers 92.   35 Dis-moi où le bât blesse. « J’iray luy dire mon méhain. » Le Messager et le Villain.   36 Je te tiendrais ici.   37 Délivré. « –Que jamais n’en seras délivre./ –Dictes tout. –Je ne suis pas yvre ! » Mahuet.   38 Il croit qu’Hermen l’injurie.   39 Regardez. Même particularisme lorrain à 274.   40 T : ainsy   41 Il prend pour lui la question d’Hermen, qui ne faisait que citer le vers 42 prononcé par Maucoutel.   42 Et d’où crois-tu venir ? « Dont fus-tu néz, et de quiex genz ? » (Geffroi de Paris.)  Un paillard est un pauvre qui couche sur la paille ; cf. les Miraculés, vers 27.   43 Nous dirions : cette châtaigne. « Empoignez/ Ceste prune ! » (Le Munyer.) Garnier donne un coup sur la tête d’Hermen.   44 Elle ne tombera pas de tout ce mois. « Mais il sera bien ancien :/ Il ne sera de ceste lune. » (St Clément.)  « Charra » est le futur de choir, comme à 211.   45 Même si le soleil est très chaud, il ne fera pas mûrir et tomber la bosse que je viens de te faire.   46 Hermen citait les injures échangées aux vers 35-42.   47 En mauvaise part.   48 Coléreux.   49 T : fust  (Je ne voudrais pas que Garnier ait fait autre chose que de vous frapper.)   50 Ceux qui se sont querellés parce qu’ils ont trop bu iront donc faire la paix devant un verre de vin.   51 Cela me déplairait trop.   52 Que cette affaire d’injures vous soit confiée, Guillaume.   53 Et moi aussi, à condition que vous ne m’accabliez pas.   54 T : par  —  T-H : pas  (Ce ne serait pas confraternel : Guillaume et Garnier sont compagnons charpentiers.)   55 A bien gagné cette baffe. « Tenez ceste buffe au visaige ! » Le Mince de quaire.   56 T : Saramon  (Il l’aura. « Aura-il assez de cecy ?/ Ha ! s’aura mon, par sainct Gobin ! » Les Femmes qui font renbourer leur bas.)  « Mon » est une particule de renforcement, comme à 129.   57 Tu commenças la dispute le premier.   58 T : Maucoutel et  (Puis Maucoutel.)   59 Vous êtes tous à mettre dans le même sac.   60 Vous vous en souviendrez.   61 Cela me déplaît de devoir payer à boire.   62 « Baiser le babouin : rendre obéyssance. » Antoine Oudin.   63 A perdu comme s’il avait joué aux dés. « À d’aulcuns jeux de sort,/ Comme à la baboue ou aux tables [au trictrac]. » (Éloy d’Amerval.) Connivence sonore avec « babouin ».   64 Je ne vous reconnais pas comme arbitre, Guillaume.   65 Ce n’est pas la peine de reculer. « Riens n’y vault le songer. » Le Badin qui se loue.   66 Même si nous devions te dépouiller de ta robe, tu viendrais boire avec nous.   67 Bien bête de ne pas vouloir boire. « Il est simple et novice. » La Veuve.   68 C’est mon avis. Cf. le Fossoieur et son Varlet, vers 168.   69 Boire à la santé les uns des autres. « Allons-nous-en boire d’autant,/ Trèstous ! » Maistre Mimin estudiant.   70 Je vais devant plus vite que le trot. Dans une scène antérieure, Guillaume déclamait le même vers.   71 Une si laide grimace. « Par despit, elle en faisoit/ La pute moe. » Le Vergier d’Honneur.   72 Reprise des vers 117-8. Les ouvriers entrent dans la taverne.   73 T : Foy que tu doy  (Par ta foi ! Voir les vers 277, 351 et 355.)   74 St Gervais, ici féminisé pour la rime, comme au vers 227 du Mariage Robin Mouton.   75 Jusque-là, je n’ouïs jamais de…   76 « É-cuelle » compte pour 2 syllabes : cf. le Messager et le Villain, vers 192. Les taverniers ne servent pas d’assiettes individuelles, mais des plats pour deux ou trois personnes qui s’en partagent le contenu. Guillaume commande deux pâtés, qui sont des pâtes feuilletées farcies de viande hachée ou de poisson et cuites au four.   77 Ne s’achève. « Ains que le jeu depparte. » Le Pourpoint rétréchy.   78 Quelle perte !  (Parte = perte : « Onques ne feismes telle parte :/ Tout avons perdu. » St Clément.)  « Mais, pour Dieu, regardez quel perte/ Ce seroit ! » Deux hommes et leurs deux femmes.   79 T : a  (La boisson, le vin. « Dea, Naudin, tu laisses le boyre ? » Troys Galans et un Badin.)  Renoncerai-je à boire pour autant ?   80 Ma mémoire, qui est renforcée par le vin. « De peur de perdre mon mémoire,/ Je vous prie, donnez-moy à boire ! » Sermon pour une nopce.   81 Sainte Berthe. Pour la prononciation, voir la note 78.   82 T : Ung sepsestier  (Le setier fait environ un demi-litre, ce qui est trop peu pour quatre assoiffés.)   83 Asseyez-vous ici. « Siettez-vous donc. » Glossaire des patois et des parlers de l’Anjou.   84 J’irai chercher l’autre pot.   85 Cette comparaison peu flatteuse vise Hermen. « Voyez quel appostre ! » Les Premiers gardonnéz.   86 T : ait  (Je corrige encore cette désinence gênante à 222.)   87 T : son   88 L’hypocrite qui embrasse publiquement les crucifix. « Ypocrite et vray papelart,/ Ung grant mengeur de crucifix/ Qui jamais bien à nul ne fis. » Éloy d’Amerval.   89 Si je mangeais dix pâtés, qu’auriez-vous à redire ?   90 Ne vous mettez pas en colère. Le tavernier, qui a déjà vu ces ivrognes à l’œuvre, commence à craindre pour sa vaisselle et pour sa rémunération.   91 Préparez votre écot, la part que chacun me doit.   92 Que nul ne prononce un mot !   93 Regroupez les quatre additions en une seule.   94 De notre argent : vous ne voudriez rien nous escroquer ? « Je ne vueil rien du vostre. » Les Trois amoureux de la croix.   95 Besoin.   96 T : Par  (Voir le vers 308.)  Pour l’ensemble, vous me devez 5 sous et 4 deniers ; idem vers 205.   97 Je me tiendrai : je serai.   98 Un loyal, un honnête.   99 C’est le saint patron des fous, notamment de ceux qui se croient possédés par le diable. Voir la Vie de sainct Mathurin de Larchant hystoriée. Montaiglon-Rothschild, XII, pp. 357-414.   100 De discuter.   101 Un clou. Cf. le Messager et le Villain, vers 183 et note.   102 Mon dommage, mon affaire. Réponse au vers 191.   103 Il s’adresse au tavernier : J’aimerais mieux aller plaider en Justice que de vous accorder cette somme.   104 Extravagant.   105 T : que   106 Croyez-vous m’émouvoir, m’impressionner ?   107 Vous vous courroucez. Idem vers 333.   108 Quel est votre dernier mot ? « Quarante solz, tout à ung mot. » Le Gouteux.   109 Avant, plutôt.   110 Que celui sur qui le sort tombera. Voir la note 44. Les buveurs vont tirer à la courte paille. Ce jeu d’enfants (vers 223) est décrit aux vers 63-77 du Jeu du capifol.   111 Moi aussi.   112 Les lots : préparez les pailles que nous allons tirer. Guillaume, le meneur de jeu, ramasse trois fétus de paille — deux courts et un long — et les dispose dans son poing. Le sol des tavernes est jonché de paille, pour absorber les flaques de vin et de vomi.   113 Bouche-toi les yeux. Le rimeur ne s’est pas trop fatigué.   114 N’est-ce pas ?   115 Choisis bien la paille que tu vas tirer.   116 À mes propres grimaces, à mon propre jeu. « Il est prins par sa moue. » Le Pourpoint rétréchy.   117 Ce qu’il y a à payer. L’écroue est le livre de comptes d’une maison princière, où sont notées les dépenses.   118 Jamais moins. Idem vers 254.   119 Façon de prêter serment à la manière des chevaliers.   120 Il m’en souviendra.   121 Celui-ci, cet homme ici.   122 T : le  (Ce qu’il possède. « Faictes arest sur tout son bien ! » Le Marchant de pommes.)  Maucoutel, Guillaume et Hermen quittent la taverne.   123 Croyez bien que je ferai ainsi.   124 Ou sinon. Idem vers 336. « Ou se, se non, mal vous venra/ Et grant ennuy. » (Mystère de saint Crespin.) Laissez-moi quelque chose en gage, ou payez-moi.   125 En bonne voie, en fonds.   126 T : le  (Qui vaille quelque chose. « Et s’il vend chose qui rien vaille. » Sermon joyeux de Mariage.)   127 À moins que je n’aille chercher ma hache pour vous la laisser en gage le temps que je trouve de l’argent. Le tavernier aurait dû se méfier : un charpentier sans doloire ne peut plus gagner d’argent.   128 Garnier s’en va.   129 T : des  (De toute la semaine. « Tu ne me verras de sepmaine. » Grant Gosier.)   130 Ni le jour de la Sainte-Madeleine (22 juillet), qui est un des termes de l’année prévus pour payer les dettes. « À paier aus termes qui s’ensivent, c’est assavoir à la Magdaleine 60 livres tournois, et au jour de Karesme 50 livres tournois. » Arch. nat.   131 « Graphie syncopée de barater. » (F. Duval.) Baratter = faire usage de barat, de tromperie. « Mais par ta flatterie j’ey esté barattée. » Godefroy.   132 Quel dépeceur. Il est si pauvre qu’il vend au détail des morceaux de son pourpoint.   133 J’ai déjà perdu plus que cela. « J’ay assez plus que tant perdu. » Les Gens nouveaulx.   134 Ma pierre à aiguiser. Queue = pénis : « Au moyns serez-vous bien joyeuse/ Quant ma queue verte sentirez. » Les Femmes qui plantent leurs maris.   135 Jouy-aux-Arches, près de Metz, fournit deux calembours grivois : Jouir d’une femme = lui faire l’amour : « Nostre chappellain/ Jouyt de ma femme. » (Ung mary jaloux.)  « Arches » = fesses. Cf. TRIBOULET : la Farce de Pathelin et autres pièces homosexuelles. GKC, 2011, p. 368.   136 Ta scie de charpentier : « Ma grant hache prendrai en l’eure,/ Mon sizel, ma soie, ma congnie. » (St Clément.) Double sens : ta fourrure de porc. « De la soye de pourceau. » (Les Queues troussées.)   137 Tu ne pourrais pas te retenir.   138 A : scay  (Je redoute qu’une scie ne retombe sur tes pendants, sur tes testicules.)   139 Ils ont le cœur aussi dur qu’une poire verte.   140 Comment Maucoutel s’attache. Les couvreurs sont retenus par des sangles. Contre toute logique, ce Mystère ne comporte aucun rôle de couvreur, contrairement à la Tour de babel, où œuvre l’indissociable trio : « Charpentiers, massons,/ Couvreurs de diverses façons. » Il faut croire que Maucoutel s’occupe lui-même de la toiture. Dans l’Invencion du corps de monsieur saint Quentin, c’est le charpentier Taillant et son apprenti qui s’improvisent couvreurs, et non le maçon Brisepierre.   141 Prends garde aux lanières, avec lesquelles on fustige les fesses des cancres.   142 Tu te moques. Cf. L’Andureau et L’Andurée, vers 125.   143 Les maçons viennent d’édifier une fontaine miraculeuse qui leur donne envie de boire de l’eau : saint Clément vient d’accomplir son plus grand miracle !   144 C’est vraiment une eau digne d’en faire du vin. « Petites bouteilles de verre pour mectre le vinage. » ATILF.   145 Tu dis n’importe quoi. Cf. Mahuet, vers 45.   146 Lacune. Saint Mor [St Maur] est nommé aux vers 15, 36, 61, 125 et 146. Hermen fait un calembour sur « mort ».   147 Et que sur ce chantier nous dormions un peu.   148 Nous sommes restés trop longtemps dans cette taverne. Mais le tavernier comprend : Nous avons trop pété ici. J’ai connu l’époque où tous les étudiants en Lettres classiques savaient par cœur ces vers bien innocents de Jean de La Péruse : « Je n’ay que trop esté,/ Repeu du vent de vos promesses vaines. » Je me souviens que notre chouchou était alors Jacques de La Taille, qui fit parler Darius mourant : « ‟Ô Alexandre, adieu, quelque part où tu sois !/ Ma mère et mes enfans aye en recommenda…”/ Il ne peust achever, car la mort l’en garda. »   149 T-H : Me dia  (Conséquence scatologique du vers précédent.)   150 Même juron blasphématoire au vers 275 du Messager et le Villain.   151 Plus que le compte, que l’addition.   152 Heurter notre table avec un pot métallique, pour attirer votre attention. Quelques siècles plus tard, on heurtera la sous-tasse avec une cuillère à café. « Encore nous fault-il ung verre./ S’y fault plus rien, nous hurterons. » St Clément.   153 T-H : nous  —  D : [v]ous  (Veuillez vous écarter un peu. « Vueillez vous déporter un poy. » ATILF.)   154 Bel hôte. Même singulier à 322.   155 De la chair [charcuterie], du fromage caillé.   156 A : On sonuoules, se  (Ou bien ces fromages sont moulés.)  Les matons sont des fromages mous ; cf. le Messager et le Villain, vers 193. Il serait d’ailleurs judicieux de remplacer moulés par mollets : « Fourmaige frais qu’on appelle ‟mollet”. » Fleurs et antiquitéz des Gaules.   157 Avec exactitude.   158 Nul homme ne saurait [pourrait] vous blâmer. Cf. le Messager et le Villain, vers 344 et note.   159 Vous ferez sagement. « Taisez-vous, si ferez que sage. » Le Savetier Audin.   160 De bonne grâce, sans chicaner.   161 Pas du tout nous dédire.   162 Forme lorraine de fors [hors]. « Et soies fieur d’incrédulité » St Clément.   163 Il faut que le tavernier nous rende la monnaie pour que nous puissions nous la partager.   164 Si ce florin a chu de ma manche. Pour inquiéter le tavernier, Hermen fait semblant d’avoir perdu la bourse qu’il gardait dans sa manche : voir les vers 844-9 de l’Aveugle et Saudret.   165 Je pense tenir enfin ma bourse. Hermen donne le florin au tavernier.   166 Soûl. L’hôpital se moque de la charité.   167 Laissez-moi décider de leur usage. Le tavernier donne les 10 sous à Hermen.   168 Que vous alliez à Dieu !   169 Allons-nous-en d’ici.   170 Les deux maçons se retrouvent dans la rue.   171 Ne te courrouce pas.   172 Ou sinon. Idem vers 236.   173 Je serai expert, habile pour prendre les 5 sous qui me reviennent. « Hermen est gracieulx et doulx,/ Et bien espart quant il s’y boute. » St Clément.   174 Tais-toi ! Idem vers 29.   175 Mal-mariée, mon épouse. Voir la note 24 du Messager et le Villain.   176 Elle est mauvaise femme, puisqu’elle parle plus fort que son époux, et qu’elle lui reproche de se ruiner à la taverne. « –(Elle) veult, par son caquet mauldit,/ Estre mestresse comme moy./ –Elle est malle fame pour toy. » Les Drois de la Porte Bodés.   177 T-H : est preude famme  (Rime du même au même. Elle a une bonne réputation. « Elle se dist estre femme de bonne famme et renommée. » ATILF.)   178 Certaines fois, m’agresse.   179 Totalement le contraire de ce qu’elle exige.   180 Et aussi, je m’en plains.

LE MESSAGER ET LE VILLAIN

Bibliothèque nationale de France

Bibliothèque nationale de France

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LE  MESSAGER

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ET  LE  VILLAIN

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Beaucoup de Mystères comportent une scène opposant un messager qui demande son chemin à un paysan, lequel prend un malin plaisir à le « faire marcher » dans tous les sens du terme ; voir par exemple la Vie de sainct Christofle. C’est aussi le cas du Mystère de saint Clément de Metz (~1440), d’où je tire ces trois petites farces indépendantes du drame.

Le messager se nomme ici Mange-matin [goinfre], comme l’un des sergents du Geu saint Denis. Nous le retrouverons dans Massons et charpentiers. À l’instar de tous ses congénères, il fait grand usage d’une bouteille de vin pendue à son col : « Dire vous vueil grande merveille. / Mais premier, me fault ma bouteille / Baiser. » Les paysans n’aiment pas les messagers, ces porteurs de mauvaises nouvelles et ces annonciateurs de guerres qui les traitent avec condescendance et brutalité ; aussi, quand notre laboureur confond saint Félix avec l’un d’entre eux, il s’en excuse vivement.

Sources : La Vie et les Miracles de saint Clément, évesque de Metz. Malheureusement, ce manuscrit du XVe siècle disparut en 1944, après l’incendie du fort qui abritait les incunables de la bibliothèque de Metz. Heureusement, Charles ABEL l’avait publié : Le Mystère de St Clément. <Rousseau-Pallez, Metz, 1861.> Malheureusement, la plupart des 141 exemplaires de cette édition furent victimes d’un nouvel incendie chez l’imprimeur. Heureusement, on en sauva quelques-uns. Malheureusement, l’avocat Charles Abel n’était pas médiéviste, et sa lecture du manuscrit demande quelques améliorations. Heureusement, le philologue Fritz TINIUS en publia des extraits plus corrects : Studien über das Mystère de Saint Clement. <Greifswald, 1909.> Malheureusement, aucun des textes que j’ai choisis n’y figure. Heureusement, Tinius avait recopié tout le manuscrit, et son travail de fourmi est déposé aux Archives de l’Université catholique de Louvain-la-Neuve, sous le nº 218 du Fonds Stengel. Malheureusement, je n’allais pas me taper les 9 220 vers qu’il empile pour n’en garder que 430. Heureusement, Jean-Charles HERBIN a reproduit certaines leçons de Tinius : Du nouveau sur le Mystère de saint Clément de Metz. <Romania, vol. 132, nº 527-528, 2014, pp. 428-460.> Il s’agit là d’un compte-rendu de lecture de l’édition critique fournie par Frédéric DUVAL : Le Mystère de saint Clément de Metz. <Droz, 2011.> J’utiliserai donc prioritairement Tinius revu par Herbin (T-H), puis Abel (A), et enfin les corrections de Duval (D). Lorsque je conserve faute de mieux les « restitutions » d’Abel, je les imprime en bleu clair. Mes modifications personnelles sont toujours entre [ ], et mon relevé des variantes ne tient pas compte des « restitutions », qui ne proviennent pas du manuscrit.

Structure : Rimes plates.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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                        LE  MESSAGER

        Je requiers à Nostre Seignour

        Que grâce me doint d’esploitier1

        À Rom[m]e2 le grant droit sentier.

        Aler me convient, bien le voy ;

5      Et se3, ne sçay (en bonne foy)

        Quel chemin me convient tenir.

        Je voy là ung villain venir,

        Tout bossu et tout contrefait.

        Parler vueil à lui de bon hait4,

10    Savoir s’enseigner me vouldroit

        Lequel chemin est le plus droit

        D’aler en la cité de Romme.

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                        Icy, doit parler le Messager au Villain :

        Dieu vous ait5, Dieu vous ait, proud’omme !

        Dieu vous envoit joie et santé !

15    Je vous requier, par grant bonté,

        Que m’enseigniez le droit sentier

        À Romme, car j’ay grand mestier

        D’esploitier sans faire séjour6.

                        LE  VILLAIN

        Par Dieu ! j’ay à non7 « Jehan Dufour »,

20    Le plus méchant8 de nostre ville.

        Se ma femme heust esté soustille9,

        Nous heussions esté riches gens :

        S(e) heussions mené les vaiches aux champs,

        Je n’eusse pas heu tant de paine.

25    Et ! ce m’est choze trop grevaine10

        De labourer à col tendu11.

                        LE  MESSAGER

        (Se Dieu me gart d’estre pendu,

        Vécy grand rage de cest homme !)

        Proud’on12, où est le chemin à Romme ?

30    Je vous requier en bonne foy

        [Que] ne me faites point d’annoy13 :

        Dittes-le-moy sans varier14.

                        LE  VILLAIN

        Je ne sçay riens de charier,

        Par Dieu, ne de mener chevaulx.

35    Je sçay mieux garder les pourceaulx :

        C’est ung mestier pour reposer,

        Et je n’é mestier de choser15.

        Tu le vois bien à mon maintien.

                        LE  MESSAGER

        [Foy que je] doy saint Gracïen16 !

40    [Vois-je17], maugracïeux villain,

        [Attendre] jusques à demain ?

        [Parlez], villain bossu dérous18 !

        [Je veulx que] puissiez estre cous19

        [Et battu] en une journée,

45    [Se ne dictes]20 sans demourée

        De Romme le chemin ; ou senon,

        [Vous aurez] ung coup de baston21.

        [Vous me fai]tes trop sermonner.

                        LE  VILLAIN

        En quel lieu me veulx-tu mener

50    [Au ser]mon ? Je n’en ay que faire ;

        [Mais qu’il]22 ne te vuelle desplaire,

        [Déjà] je suis bien sermonné :

        [Chez moy], je suis bien23 atourné

        [Quant] je reviens des champs, par m’âme !

55    [Mal-]assenée24, nostre famme,

        [Ne] cessera de rioter25 ;

        Et il me convient le26 porter :

        Autrement, je n’aroie pas paix.

                        LE  MESSAGER

        Je n’eusse peu croire jamais27

60    (Par l’âme qui ou28 corps me bat)

        Que tu sceusses tant de débat,

        Telz truffes29 ne telz mocqueries.

        Je te pry que plus ne varies :

        Il est heure de moy partir.

65    Je t’en pry, dis-moy sans mentir

        Mon chemin le plus droit à Romme.

                        LE  VILLAIN

        À Romme ? Il n’est30, d’essy là, homme

        Qui31 mieux le te sceût enseigner

        Sans toy nullement engigner32.

70    Tu ne povoies mieulx assigner33 :

        Oncques ne feis que cheminer34.

        Par foy35 ! j’en suis trètous bossu.

        J’ay esté fort, et bien ossu,

        Ung tems passé ; et cheminoie

75    À deux piés comme fait une oie36.

        Et il me fault aler à trois37.

                        LE  MESSAGER

        Je vous pry à ung mot courtoix,

        Beau père38 : sans tant sermonner,

        Dittes-moy où je doy tourner.

80    Ou senon, que je m’en revoise39.

                        LE  VILLAIN

        Ho là ! ne faisons plus de noise,

        Nous avons assez estrivé40.

        Tu iras droit à Saint-Privé41.

        Et de Saint-Privé, à Moullins :

85    C’est le chemin des pellerins

        Droit à Boulogne-sur-la-Mer42.

        [Va] à Béthune, à Saint-Thomer43.

        De là, t’en iras sur le Ryn :

        À Coulogne c’est le chemin44.

90    De là, t’en iras à Arras,

        À Bruges ou à Carpantras45,

        [Ou] à l’Escluse46 aux harangs frais.

        Et de là, t’en iras après

        À Callés et à Canthorbie47.

95    Que ton chemin ne perdes mie !

        [Puis iras] tout droit à Rouen ;

        [Ou se tu v]eulx, à Saint-O[u]en.

        [Finiras dr]oit à Montfaulcon48,

        [Où finit] notable maison.

100  [Tu iras à Rains49], à Angiers.

        [Aler tu p]eulx droit à Louviers.

        [De là, à] Troyes-en-Champaigne.

        [Pour que tu] n’aies tant de paine,

        [Vécy ung bien] plus court chemin :

105  [Tu iras] droit à Saint-Quaintin50,

        [À Alen]çon et à Soissons,

        [Puis en Avign]on, à Lyons,

        [En Ber]ry et en Bourbonnois,

        En Brethaigne et en Gathinois51,

110  En Portugal, en Arragon.

        C’est ung chemin notable et bon.

        Puis revendras droit en Bourgogne

        (C’est le [plus] seur52 de ta besongne),

        À Salins, et droit à Saint-Glaude53.

115  Et là, aras-tu une chaude54

        [De] monter le mont des Faucilles55 :

        Autant vauldroit jouer aux guilles56

        Que d’avoir cest ébastement !

        Et là, verras-tu franchement

120  Que jamais ne pourras fa[i]llir

        À ton chemin tout droit tenir

        À Romme, la noble cité.

        Or me suis-je bien acquitté

        De toy montrer la droite sente.

125  Je me fais fort — et sy, me vente57

        Que n’est [nul] homme en la contrée

        Qui58 la voie mieulx t’eust monstrée.

        Quant te plaist, tu t’en pues aler59.

                        LE  MESSAGER

        Deables vous apprist à parler,

130  Or[d]60, vil, sanglant villain derrous !

        Je vous romperé tout de coups !

        M’enseignez-vous donc telle voie

        Où n’ait enseigne ne monjoie61 ?

        Teneis, allez vous reposer !

135  Et s(e) ad ce voullez opposer62,

        Vous aurez cela et tant moins63 !

        Vous m’envoiez de Bruge(s) à Rains,

        En Bourbonnois, en Arragon ?

        Or tenez ce coup de baston !

140  Villain,  deables vous ont cy apporté !64

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                        LE  VILLAIN,  se frottant l’eschine :

        Lasse ! com’ sui desconforté,

        Maleureux et povre méchant !

        Il m’en fault aller tout clochant65

        En la maison Ma[l-]assenée66.

145  Certes, elle sera desvée67

        Et hors du sens, quant me verra.

        Je sçay bien que ne se pourra

        Tenir de moy bien lédenger68.

        Or est-il bien en grant denger,

150  Par m’âme, qui69 est marié !

        Encore en [est-]il harié70.

        Il me convient bien que g’y aille.

        Or avant, sus ! Va[i]lle que va[i]lle,

        [J’iray luy]71 dire mon méhain ;

155  Mais je sçay bien, tout de certain,

        Qu’elle menra jà grant tempeste.

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                        Icy, le Villain doit parler à

                        sa femme, et dire ainsy :

        Je suis venu72. [N’]esse grant feste73,

        Par m’âme : j’en revien clochant.

                        LA  FEMME

        Ha, que tu seras [bon] truant74 !

160  M[on Dieu], est-il bien méhaigné75 !

        [Il a son trav]ail bien waigné76 :

        [Il a] toute la hanche route77.

                        LE  VILLAIN

        [Hélas, Mal-]assenée ! Escoute,

        [M’amie] : je suis tout derrous.

                        LA  FEMME

165  [Par m’âme !] vécy grant courrous,

        [Grant dammage] et grand desplaisance.

        [Par Nostre] Dame de Lience78,

        [Vécy] bien piteuse journée !

        Ô doulce Vierge couronnée !

170  Quelz gens avez-vous rencontré(s) ?

                        LE  VILLAIN

        A ! en mal an79 soit-il entré(s),

        Qui80 ce m’a fait, et en mal jour !

        A ! m’amie, ma suer81, m’amour :

        Ç’a fait un messager, par m’âme !

                        LA  FEMME

175  Ung messager ? Par Nostre Dame,

        C’est82 bien fait ! Dame83 glorïeuse !

        Jamais parolle gracïeuse

        De vostre bouche n’istrera84.

                        LE  VILLAIN

        Je voy bien qu’il me convenra85

180  (Par m’âme) prendre en pacience,

        Et mes maulx mettre en oubliance.

        À ma femme n’en chaut86 que peu ;

        Par Dieu, el(le) ne donrroit ung cleu87,

        S’on me metoit demain en terre.

                        LA  FEMME

185  Or pleust à monseignour saint Pierre,

        Villain, qu’en88 feussiez seppelit !

        Oncques un seul jour n’eus délit89,

        Joie ne soulas, aveuc vous.

        Vous estes bossus et derrous.

190  J’ay toute perdue ma jouvente90.

        Vous n’aurez jamais aultre entente91

        Que d’avoir une grosse escuelle

        De mattons92, et seoir sur la celle

        En l’aatre93, comme un pouppart.

195  Avoir de la joutte94 et du lart,

        Par foy, c’est toute vostre vie.

        Hé, Dieu ! com’ je feis grant folie

        Quand je vous pris ! Je m’en repens,

        Par Dieu ! Si vous viviez cent ans,

200  Tousjours ar[oi]es95 paine et doullour.

        Bien fûtes plein de grant follour96,

        [Et] de sottie, et d’envoiseure97,

        Quant premier meistes vostre cure98

        De prendre femme en mariage,

205  Qui99 ne sçavez riens de mesnage.

        Se bien vous vient, c’est aventure100.

        Bien estes meschant créature.

        Allez[-vous-]en, villain paisant101 !

        À personne n’estes plaisant.

210  Jamais jour102 ne vous serviray.

                        LE  VILLAIN

        A ! ma suer, je m’adviseray103.

        Pour Dieu, ne me délaissiez mie !

        Je suis à la fin de ma vie.

        Par foy ! jamais ne vous diray

215  Desplaisir, se ne suis en ivray104,

        Hors mes sens, ou matelineux105

        [Du tout]106. Encore amé-je mieulx,

        M’amour107, que vous soiez jolie,

        [Gaye, mignote]108 et envoisie.

220  [Je feray] tout vostre vouloir,

        [Quant bien je] m’en deusse douloir109.

        [De moy] ne partez, je vous prie !

        [Se demourez,] ma doulce amie,

        [Je vous feray] assez de bien110.

                        LA  FEMME

225  Loué en soit saint Gracïen !

        Mon mari devient ung peu sage.

        Onc(ques) ne [le] veis en tout son âge111

        Plus gay, plus joly. Tant112 plus vault !

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Un autre jour, le messager demande l’heure au paysan : les hommes des champs vivent au rythme des cloches et savent toujours quelle heure il est, sauf quand ils sont aussi sourds que notre vigneron… Les deux ennemis ne se reconnaissent pas. Pour des raisons pratiques, je continue le numérotage des vers.

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                        LE  MESSAGER

        Dites-moy tost, se vous voullez,

230  Quelle heure il est, je vous en prie113.

                        LE  VILLAIN

        En Brie, compains114 ? Dieu vous conduie !

        Ha, la bonne contrée, par m’âme !

       Je voudroie que moy et ma femme

        Fussiens demourans à Paris.

235  Hé, Dieu ! quant esse bon païs115 !

        Je suis dollant que n’y demourre.

        Toute jour116 me tue et laboure :

        À paine ai-ge pain à mengier ;

        Encore l’ai-ge à grant dengier.

240  Et  se g’y estoie, à l’adventure,

        Je porteroie l’enffeutrure117.

        Au moins, j’aroie118 fructus ventris.

        Se piessà m’en fusse près pris119,

        Il m’en fust mieulx, bien dire l’ose.

                        LE  MESSAGER

245  N’arai-ge de vous aultre chose ?

        Dites, villain ! Parlez à moy,

        Ou (foy que je doy saint Elloy)

        Vous saurez que mon baston poise120 !

                        LE  VILLAIN

        A, dea ! où veulx-tu que je voise121 ?

250  Tu ne sces comment122 je cheminne :

        Par Dieu ! quand je vois123 en la vigne,

        G’y mès, à venir, demi jour.

        Je te requier par fine amour124 :

        Laisse-moy issy, s’y te plaist !

                        LE  MESSAGER

255  Dites-moy doncq quel heure il est !

        Vrament, vessy grant deablerie !

                        LE  VILLAIN

        Quelle heure il est ? Sainte Marie !

        C’est forte chose125 à deviner.

        Or, par ma foy, j’y vueil penser ;

260  Jà tost le te saray à dire126.

                        LE  MESSAGER

        Abrégez-vous127, je vous pry, sire !

        Certes, vessy grant villonnie128 !

                        LE  VILLAIN

        Il est les douze et la demie129.

        Par foy ! il est tems de dîgner130.

265  Dis-moy : où veulx-tu cheminer ?

        La chose est-elle moult hâtive131 ?

                        LE  MESSAGER

        A ! Jésu Crist, quel rétentive132 !

        Tant de fois lui ay recordé133 !

        N’est [homs qui]134 n’en fust alourdé.

270  Huy, ne [luy] demande aultre chose

        Que me meist en135 chemin de Gorze.

        Vessy moult grande ruderie,

        Grant despit et grant mocquerie

        De ce villain. Pendu soit-il !

                        LE  VILLAIN

275  Foy que doy moy136 ! Compains gentil,

        Je vous enseigneré la voie,

        Je vous promés, se Dieu me voie137.

        Je vous diray tout proprement

        Le chemin, par mon sacrement,

280  Aussy droit comme une faucille138.

        N’est pas tout vray comme Euvangille

        Quanque139 je dis, soiez certain.

        Mais, foy que je doy saint Guilain140,

        Tu me sembles fort et habille141.

285  Premier, iras à Thïonville,

        À Luxembourc, à Saint-Hubert.

        Et pour tenir le plus couvert142,

        Le meilleur et le plus commun,

        T’en revenras droit à Verdun,

290  À Clermont [et] ès bos143 d’Argonne.

        Et affin que tu environne

        Le païs144 et qu’i t’en soubviengne,

        Au Neuf-Chastel145 (droit en Lorraine),

        À Widesmont146, à Espinal.

295  Et se tu veulx descendre aval

        Pour trouver la voie plus belle,

        Venras à Chastel-sur-Mézelle147,

        À Thoul et à Vorengéville148,

        À Nensey149 puis à Gondreville,

300  Et (sans faire plus lonc sermon)

        Le grand chemin droit à Mousson.

        De là, ne pourras-tu fa[i]llir

        — Se tu ne veulx plus loing sa[i]llir —

        Que ne voises tout droit à Gorze.

                        LE  MESSAGER

305  Par saint Jehan ! Villain, je m’oppose

        À vos dis et à vo conceil150.

        Deablement avez grant flaveil151 !

        Qu’en mal an et malle sepmaine,

        En maul jour et en male estraine152

310  Soiez-vous mis ! Tenez cela !

        Tenez ! Tenez ! Dormez-vous153

        En attendant que je reviengne154 !

.

                        LE  VILLAIN

        Ay mi155 ! il m’a rompu l’eschigne,

        Tant m’a féru despitement156.

315  Morir puist-il villainement157 !

        Jamais ne pourré labourer.

.

                        LA  FEMME 158

        Je ne veis oncques demourer

        (Par mon serment), qu’i m’en soubviengne159,

        Mon mari sy tart à la vigne.

320  Par foy ! je doubte160 qu’i ne soit

        Malade, voire, ou [bien] qu’il n’ait

        Quelque accident. G’y vueil aler :

        Je n’en puis riens plus supposer161.

.

        Ha, Nostre Dame de Boulogne !

325  Qui vit oncq-mais telle besongne162 ?

        Ha ! Jehan Dufour, ami, quel ch[i]ère163 ?

        Ce n’est pas cy belle manière.

        Ay my, lasse, desconfortée !

                        LE  VILLAIN

        Vous faites la chatte mou[i]llée164.

330  A ! sainte Marie, quel feste !

        Comment ? elle [a] mal en sa teste165 ?

        Par foy ! je sui bien assené166.

        Sytost que j’ay le dos tourné,

        Par foy, vous me faites la nicque167.

335  A ! Nostre Dame, quel pratique !

        Esse bien joué de sa168 dame ?

        Elle fait semblant qu’elle m’ame169 :

        Elle vouldroit que fusse en bière170.

        Mais c’est des femmes la manière :

340  Souvent jouent de passe-passe171.

                        LA  FEMME

        Et que voulez-vous que je fasse ?

        Dittes, sire ! Je vous cuidoie

        Faire joieulx, et y prenoie

        Plaisir plus qu’à nulx homs172 vivant ;

345  Et je voy bien, dorénavant,

        Que j’ay perdu tout mon labour173.

                        LE  VILLAIN

        A ! Dieu, escoutez le bon tour !

        Par foy ! vélà cy bien trouvée.

        Ma femme s’est bien esprouvée174 :

350  Elle m’aime mieux que no prestre175 ?

        Par Dieu ! elle me menroit pestre176

        Bien souvent ; et dit bien et bel,

        Des nues, que ce sont pel de veel177.

        Je suis bien marié, par m’âme !

                        LA  FEMME

355  A ! glorïeuse Vierge, Dame !

        Cest homme est entré en fantosme178.

        Foy que doy monseigneur saint Cosme !

        Jehan Dufour, vécy laide chose.

                        LE  VILLAIN

        Je t’en pry, que point ne me chose179 :

360  Va-t’en d’es[s]y, car tu m’ennuye !

                        LA  FEMME

        Bien doy180 haïr toy et ta vie,

        Méchant villain bossu derrous !

        Bien doy avoir au cuer courrous.

        Quant oncques te veis, fut dammage181.

365  Il geist issy comme une vache ;

        Or, fais du pis182 que tu porras.

        Mais de cest an, ne me verras.

        Je me tenré gaie et jolie183.

*

Saint Félix, à la recherche d’un messager, se renseigne auprès du vigneron sourd, qui le prend lui-même pour un représentant de cette profession exécrée. Il faut vraiment que le saint soit confessé de frais !

.

                        [SAINT]  FÉLIX

        Ho, beau père ! Ho, beau cousin !

370  Parlez ! Dieu vous met’ en bon an184

        [Et vous doint joye et santé !]185

                        LE  VILAIN

                                                             Han186 ?

        [Han ? Han ?] Quel choze [me] dit-on ?

                        [SAINT]  FÉLIX

        Il est en Vermendois, proud’on,

        « Han ». Ne le saviez-vous [donc] mie ?

                        LE  VILAIN

375  Nennin, par la Vierge Marie !

        Ha ! sire, dea, ne vous desplaise :

        Je cuidoie (foy que doy saint Blaise)

        Que vous fussiez ung messager.

        A ! il[z] m’ont, hui, fait enrrager !

380  Ce sont très maulvaise(s) mardaille187 !

                        SAINT  FÉLIX

        Coisiez-vous188, proud’on ! Ne vous chaille :

        Il fault tout prendre en pacïence.

                        LE  VILLAIN

        Par Nostre Dame de Liance !

        Syre, non189 (se Dieu me sequeure),

385  Je ne sçay où elle190 demeure :

        Je ne vous saroie l’enseigner.

                        SAINT  FÉLIX

        Or vessy bien pour soy seignier191 !

        Qui « enseigner » ? Dieu, quel science !

        [Qui « enseigner » ?]

                        LE  VILLAIN

                                           Qui ? Pacience :

390  Ne la demandez-vous pas, sire ?

                        SAINT  FÉLIX

        C’est issy assez pour bien rire,

        Qui aroit bonne voulenté192.

        Adieu ! Dieu vous envoit senté !

        Proud’on,  je m’envois ; à Dieu vous commant193 !

395  Adieu, villain !

.

                                 Mès advisez comment

        Ce proud’on respont aux pensées !

        Il m’eust jà tenu trois journnées,

        Se l’eusse194 voulu escouter.

        Je ne saroie raconter

400  Son parler195 en une heure entière.

        C’est la chansson de la Bergière196 :

        Tousjours est-ce à recommancier.

        ………………………….. 197

        J’ay là trouvé ung pellerin198,

        Ung homme de peu de value ;

405  Il se tient tout enmy la rue ;

        Il ne respont riens à proppos.

                        LE  MESSAGER

        A ! sire, par foy : c’est ung sos199.

        Il respont tout par enbagés200.

                        SAINT  FÉLIX

        Je vous pry que vous201 abrégez !

410  Passons tost, sans nul mot sonner :

        Il nous vouldroit arrésonner202.

        Je sçay bien qu’il ot203 ung peu dur.

        Soiez hardiement tout asseur204,

        Et passez tost et vitement !

                        LE  MESSAGER

415  Voulentiers, par mon sacrement205 !

        Allez devant, tost cheminez !

.

                        LE  VILLAIN 206

        Ho ! syre, sire, revenez !

        A ! dea, vous doubtez le babbou207 ?

                        SAINT  FÉLIX

        [ Or paix, villain !

                        LE  VILLAIN

                                        Harou !! harou !! ]208

                        LE  MESSAGER

420  Or paix, villain ! Demourez là !

        A ! dea, villain, esse cela ?

        Vous mocquez-vous des compangnons ?

.

                        LE  VILLAIN

        Ore (par Dieu ne par ses noms209),

        C’est bien passe[r] en larressin210 !

425  A, quelz esplucheurs de pressin211 !

        Sont-ilz bien passés coiëment212 !

        Or (par Dieu qui ne fault213 ne ment),

        Je cuide, par ma grant science,

        Que c’est cil qui quiert214 Pacience :

430  Il a215 trouvé ce qu’il quéroit.

*

1 De parcourir. Idem vers 18. « Exploitons chemin ! » ATILF.   2 De Rome. Idem vers 17, 29, 66 et 122. Que Dieu me donne la grâce de suivre le bon chemin pour Rome. On voit qu’en dépit du proverbe, tous les chemins ne mènent pas à Rome.   3 Et pourtant.   4 De bon cœur. Le messager et le vilain se sont déjà disputés au tout début du Mystère, mais curieusement, chacune de leurs rencontres annule les précédentes. Il en est de même pour les maçons que le messager recrute à plusieurs reprises comme si c’était la première fois. On pourrait croire que deux auteurs ont travaillé sur cette œuvre indépendamment, ce qui ne serait pas un cas unique : voir le chanoine Pra et Claude Chevalet pour le Mystère des trois Doms.   5 Que Dieu vous aide ! « Dieu vous aist, Dieu vous aist, prod’ome ! » St Clément.   6 J’ai besoin de le suivre sans tarder.   7 J’ai pour nom. Le paysan est très sourd et comprend tout de travers ; il croit que le messager lui a demandé son nom.   8 Misérable. Idem vers 142, 207 et 362.   9 Subtile. Ses frères ont hérité des troupeaux, tandis qu’elle ne recevait qu’une modeste vigne. Voir la note 2 de Raoullet Ployart.   10 Pénible.   11 Avec effort. « Ouvrer vueil à col estendu. » St Clément.   12 Prud’homme, homme sage. Même flatterie injustifiée aux vers 13, 373, 381, etc. « Où est » se prononce « wé » en 1 syllabe : voir ma préface.   13 D’ennui, de difficulté.   14 A : harier  (Sans tergiverser. « Je m’en vais sans plus varier. » St Clément.)  Le sourd a entendu « sans charrier » : sans conduire une charrette attelée.   15 Avec les porcs, je n’ai pas besoin de me quereller. Idem vers 359. « On ne vous devroit mie choser. » (St Clément.) Préférer garder des cochons est le summum de la rustrerie : « Je veulx garder les pors ! » Le Villain et son filz Jacob.   16 Par la foi que je dois à St Gratien. Voir les vers 247 et 283.   17 Vais-je. Idem vers 251 et 394. « Je voys atendre icy devant. » Lucas Sergent.   18 Brisé ; participe passé de dérompre. Idem vers 130, 164, 189 et 362. L’auteur anonyme est lorrain : son vocabulaire et sa graphie s’en ressentent, même s’ils sont imprégnés de picard et de wallon.   19 Cocu : « Les femmes font coux leurs maris. » (Les Esbahis.) Dans les farces, beaucoup de maris trompés sont battus par leur épouse : « Marié, coqu, battu. » Rabelais, Tiers Livre, 20.   20 A : [Vous me] dist  (Si vous ne dites pas sans retard. « Allons-nous-en sans demourée. » Le Mince de quaire.)   21 « Vous aurez cent coups de baston ! » (Le Pasté et la tarte.) Le « bâton » des messagers est une lance au bout de laquelle flotte la bannière de leur patron. Notre messager dit ailleurs : « Ma lance prendrai vistement. » Voir les vers 139 et 248.   22 A : [Por c]eu  (Ne t’en déplaise. « Mais qu’il ne vous vueille desplaire. » Le Médecin qui guarist.)   23 A : tel  (Bien accablé. « Me voicy bien atourné. » Frère Guillebert.)   24 Nom générique des femmes mal mariées : « Mon père avoit nom Rien-ne-vault,/ Et ma mère Mal-assenée. » (L’Aveugle et Saudret.) Voir la note de Duval. L’épouse du laboureur est encore nommée ainsi aux vers 144 et 163. L’autre fatiste baptisera de la sorte la femme d’un pilier de tavernes : cf. Massons et charpentiers, vers 342.   25 De me quereller. Cf. le Ribault marié, vers 116.   26 A : de  (Il faut que je le supporte. « Il m’est mestier [nécessité]/ De le porter pacïemment. » Les Gens nouveaulx.)   27 Je n’aurais jamais pu croire.   28 Au. « Qui ou corps nous ait rendu vie. » St Clément.   29 Plaisanteries. « Sans truffe ou sornette. » Le Testament Pathelin.   30 A : n’y ait  —  D : n’ait  (Il n’y a pas, par ici, un seul homme qui.)   31 T-H : Que  —  A : Qui   32 Sans te tromper aucunement.   33 Mieux choisir.   34 Je ne fis jamais autre chose que voyager.   35 Par ma foi ! Idem vers 196, 214, 264, etc.   36 Par conséquent, il se dandinait d’un pied sur l’autre d’une façon ridicule.   37 Sur trois pieds : avec une canne. Allusion à l’énigme que résolut Œdipe.   38 On attendrait « beau sire » ; mais « beau père » est plus révérencieux quand on s’adresse à un vieil homme. Idem vers 369.   39 Ou sinon, que je m’en retourne.   40 Chicané.   41 Saint-Privé-la-Montaigne se nomme aujourd’hui Saint-Privat-la-Montagne. Cette commune lorraine jouxte Moulins-lès-Metz. L’index nominum de Duval gagnerait à être revu.   42 Qui mène à Boulogne-sur-Mer. Ce n’est évidemment pas là que se trouve le célèbre pèlerinage de Notre-Dame-de-Boulogne, nommé au vers 324 : c’est à Boulogne-Billancourt. Mais le paysan, qui n’a jamais quitté sa vigne, commet des confusions toponymiques.  Abel décale ce vers et le suivant après le vers 89.   43 Nouvelle erreur du paysan : c’est Saint-Omer qui est près de Béthune.   44 C’est le chemin de Cologne, ville allemande traversée par le Rhin. Le laboureur veut sans doute parler de Coblence, qui est en rapport direct avec la Lorraine puisque la Moselle, qui arrose Metz, se jette dans le Rhin à Coblence.   45 Cette ville provençale n’a rien à faire ici. Le paysan la confond peut-être avec le hameau flamand de Capendu.   46 Port de pêche hollandais, non loin de Bruges.   47 Cantorbéry [Canterbury] est une ville anglaise, comme le fut Calais entre 1347 et 1558.   48 À Montfaucon-d’Argonne. Mais le laboureur envoie le messager au gibet de Montfaucon, où ont fini plusieurs fils de famille et leur maison [leur lignée].   49 Le paysan doit nommer Reims quelque part, comme le vers 137 le stipule.   50 À Saint-Quentin, en Picardie.   51 Dans le Gâtinais.   52 Sûr, prudent. « C’est le plus seur. » Saoul-d’ouvrer et Maudollé.   53 Saint-Claude, dans le Jura, non loin de Salins-les-Bains.   54 Tu auras un coup de chaud.   55 On pourrait croire à une nouvelle erreur du paysan, mais ce lieu existe bien, et la Moselle y prend sa source.   56 Forme lorraine de « quilles ». Voir la note de Duval.   57 Et aussi, je me vante. « Et si, me vante sans abus/ De juger eaulx. » Jénin filz de rien.   58 T-H : Que  —  A : Qui   59 Tu peux t’en aller.   60 Sale.  Déroupt = rompu, bossu ; voir la note 18.   61 Ni écriteau, ni croix indicatrice aux carrefours. « Là eut une croix-de-par-Dieu/ Plantée à l’endroit du meillieu,/ Qui aux passans sert de montjoye. » (ATILF.) Mais notre ivrogne songe peut-être aux enseignes de tavernes : « C’est à l’enseigne de l’Estoille/ Que devez boire. » (L’Aveugle et Saudret.) « À l’enseigne du Pot d’estain. » (Le Badin qui se loue.)  Le messager flanque au vigneron des coups avec le bâton de sa lance.   62 Et si vous voulez faire opposition à cela, à ces coups de bâton.   63 À tout le moins. Cette expression accompagne parfois les coups que l’on donne : « –Vous recevrez ce passe-avant [ce coup]/ Et tant moins sur vostre museau !/ –M’as-tu frappée ? » La Laitière.   64 Le messager poursuit sa route.   65 En boitant. Idem vers 158.   66 De Mal-assenée, mon épouse. Génitif archaïque : « À la maison monsieur Benest. » Le Raporteur.   67 Folle de rage. Cf. Frère Guillebert, vers 243.   68 A : le denger  —  D : ledenger.  (Qu’elle ne pourra se retenir de bien m’humilier. « De nous laisser tant lédenger. » Le Poulier à quatre personnages.)   69 Celui qui.   70 Harcelé. La poésie antimatrimoniale fait toujours rimer « harié » avec « marié » (et « mari » avec « marri »).   71 A : Je lui ire  (Où le bât me blesse. « Dy-moy, je t’en pry, le méhain. » Massons et charpentiers.)  Le paysan clopine vers sa chaumière.   72 Me voilà. C’est la formule qu’on prononce quand on rentre à la maison : « Dieu gard, mère ! Je suis venus. » Mahuet.   73 Ce n’est pas une grande joie. « J’en ay grant feste. » Le Brigant et le Vilain.   74 Les truands sont des mendiants qui exhibent une blessure ou une infirmité. « Quel argent ? Tu es bon truant ! » Le Mince de quaire.   75 Blessé.   76 Gagné (graphie lorraine). « Vous l’avez bien waingnié. » St Clément.   77 Rompue. « J’en ay toute la hanche route. » St Clément.   78 Le plus célèbre pèlerinage de Picardie est encore nommé à 383.   79 Dans une mauvaise année. Idem vers 308. « Ha ! Qu’il soit entré en mal an ! » Le Pardonneur.   80 T-H : Que  —  A : Qui  (Celui qui m’a fait cela.)   81 Ma sœur : petit nom que les maris donnent à leur femme. Idem vers 211. « M’a-mi-e » [mon amie] compte pour 3 syllabes.   82 A : Il ait  (C’est une bonne chose qu’il vous ait battu. Quand les épouses des Hommes qui font saller leurs femmes envisagent de bastonner leur mari, l’une d’elles ajoute : « Par ma foy, ce sera bien faict ! »)   83 A : la  (Sainte Vierge ! Idem vers 355. « Je pry la glorieuse Dame. » St Clément.)   84 A : n’istrerait  (Cette désinence du futur, source de confusions avec le conditionnel, est fréquente dans notre Mystère mais pas systématique ; je rétablis donc la forme usuelle, de même qu’à la rime. Issir = sortir.)  Il vous a battu parce que vous l’avez offensé.   85 Conviendra, faudra. Ce futur, qui est notamment lorrain, réapparaît aux vers 289, 297 et 368.   86 Cela n’importe.   87 Elle n’en donnerait pas même un clou. « Je n’en donroie pas ung cleu. » (Massons et charpentiers.) Nous disons toujours : Cela ne vaut pas un clou.   88 A : qu’on vous  (Sepeli = enseveli. « Que brièfment en terre soit mys/ Et sepelis. » St Clément.)   89 Du plaisir, y compris sexuel. La Mariée des Mal contentes se plaint de son époux dans les mêmes termes : « Bref ! jamais je n’y eustz délict. »   90 Ma jeunesse.   91 Désir.   92 De fromages mous. Voir le vers 306 de Massons et charpentiers. « Ma mère, que j’aye des matons ! » Mahuet.   93 Et de vous asseoir sur un siège, devant la cheminée. On scande « a-a-tre » en 3 syllabes.  Un poupard est un nourrisson.   94 De la soupe aux choux.   95 J’aurais. Idem vers 58, où -roie compte aussi pour 1 syllabe.   96 De grande folie. « Folleur seroit que vous détinse/ D’abus. » Colin qui loue et despite Dieu.   97 De sottise et de frivolité.   98 La première fois que vous avez mis votre soin.   99 T-H : Que  —  A : Qui  (Vous qui.)   100 Si vous gagnez de l’argent, c’est par hasard. « Le bien vous vient lors que vous y pensez le moingz. » Blaise de Montluc.   101 Paysan. Prononcer « pè-san » en 2 syllabes, qui rime avec plaisant, comme dans Troys Gallans et Phlipot : « Tu t’abilleras en paisant ;/ Or luy sera le cas plaisant/ De voir que supédicterons/ Le paysant, et demanderons/ Des vivres. »   102 Nul jour.   103 Ma sœur [ma femme], je me corrigerai.   104 Enivré. « –Nous boirons gros comme le bras,/ S’une foys j’en suys délivré./ –Va-t’en, et ne soys pas yvré ! » Le Gallant quy a faict le coup.   105 Atteint de folie, le mal de saint Mathelin. « Tu es matelineux ou yvre. » D’un qui se fait examiner.   106 A : De tout çà  (Totalement. « Si, nous a resjouys du tout. » Les Sotz qui remetent en point Bon Temps.)   107 A : M…..ner  (Voir le vers 173.)  J’aimerais encore mieux que vous soyez jolie, quitte à ce que vous plaisiez aux autres hommes.   108 A : [Mais non] déuote  (Gaie, gracieuse et joyeuse. « Sottes gayes, délicates, mignottes. » Jeu du Prince des Sotz.)   109 Même si je devais m’en repentir.   110 « Soys-moy tousjours loyal, Gaultier,/ Je te feray assez de biens. » Les Sotz escornéz.   111 Je ne l’ai jamais vu, de toute sa vie.   112 A : ne  (Il vaut d’autant mieux. « Tant plus vault le chevalier, et moins se prise. » Clériadus.)  Jeu de mots : mon mari est encore plus veau [bête]. « Et si le mary est si veau. » Les Cris de Paris.   113 Nouveau dialogue de sourds ; le vigneron a cru entendre : « Je vais en Brie. »   114 Compagnon. Idem vers 275.   115 Que c’est un bon coin !   116 Toute la journée, je… « De braire et crier toute jour. » St Clément.   117 Un porteur d’enfeutrure est un porte-faix, dont les épaules sont protégées par du feutre rembourré. Idéal pour ne plus sentir les coups de bâton ! « Porteurs à l’enfeutreure, brou[é]tiers, lyeurs de fardeaulx. » ATILF.   118 T-H : aroi ge  (J’aurais mon fruit de ventre : quelque nourriture à me mettre dans le ventre. « Pour la pitance,/ Pour fructus ventris, pour la pence. » Mallepaye et Bâillevant.)   119 Je comprends : Si je m’y étais pris plut tôt. Cependant, « près pris » signifie encerclé, acculé. Quoi qu’il en soit, le laboureur fait l’apologie de Paris dans un Mystère commandé par des Messins.   120 Combien pèse le bâton de ma lance. « Sçauras que ma main poise ! » Gournay et Micet.   121 Que j’aille. Idem vers 304. Le sourd croit que le messager veut l’emmener avec lui.   122 Avec quelles difficultés.   123 Je vais.   124 Par amitié. « Je vous requiers par fine amour,/ Mon doulx seigneur ! » St Clément.   125 Une chose difficile.   126 Je saurai [pourrai] bientôt te le dire. Le laboureur examine la position du soleil dans le ciel.   127 Taisez-vous ! Idem vers 409. « Abrégez-vous sans plus enquerre [questionner] ! » Jeu du Prince des Sotz.   128 Voilà une grande vilenie, une honte. « Villonie et déshonneur. » (ATILF.) C’est également la condition du vilain, du paysan.   129 Il est midi et demi.   130 De dîner.   131 Urgente.   132 Quelle mémoire il a.   133 Je lui ai rappelé ma question.   134 A : homme  (« Il n’est homs qui n’en fust esbahis. » Les Vœux du Paon.)  Il n’y a nul homme qui n’en soit étourdi.   135 T-H : on  —  A : en  (Gorze est proche de Metz, où les deux interlocuteurs se trouvent. Les Lorrains prononçaient « Gôze », qui rime encore ailleurs avec chose, mais aussi avec oppose.)   136 Même juron blasphématoire au vers 298 de Massons et charpentiers. Un bon chrétien aurait dit plus modestement : « Foy que doy Dieu ! » Serre-porte.   137 Déformation populaire de « si Dieu m’avoie » : si Dieu me conduit. « En Galle allons, se Dieu me voie ! » St Clément.   138 Par des voies sinueuses. « En Paradis yrons/ Aussi droit comme une faucille. » Maistre Jehan Jénin.   139 T-H : Quancq que  —  D : Quancque  (Tout ce que je dis n’est point parole d’Évangile. « Je me desdis/ De très tout quanque je te dis. » L’Aveugle et Saudret.)   140 Duval note : « Jeu de mots sur guile ‟tromperie”. »   141 Habile, apte à marcher longtemps.   142 Pour prendre un chemin forestier. « Nous irons les chemins couvers,/ Que le soleil sy ne nous brûle…./ Sans tenir le sentier couvert. » Le Monde qu’on faict paistre.   143 Aux bois. Cette forêt s’étend dans les Ardennes, près de Clermont-en-Argonne et de Verdun.   144 Que tu fasses le tour de la région.   145 À Neufchâtel-devant-Metz.   146 Erreur du paysan pour Vaudémont, en Lorraine.   147 Tu viendras à Châtel-sur-Moselle. Grave confusion du laboureur : méselle = lépreuse. « Vieille putain méselle ! » ATILF.   148 À Toul et à Varangéville. Nouvelle prononciation fautive du paysan.   149 Nancy. Cette forme était alors correcte ; pour une fois, le vigneron n’a pas failli.   150 À votre assistance.   151 Les lépreux font en permanence cliqueter leur flavel [leurs castagnettes], ici comparé à la langue du paysan. Flaveler = bavarder : le Pourpoint rétréchy, vers 591.   152 Dans un mauvais jour et en mauvaise fortune. « En malle estraine Dieu la mette ! » (Le Testament Pathelin.)  Le messager donne au vigneron des coups avec le bâton de sa lance.   153 Couchez-vous. « Dormez-vous et me laissez faire ! » Le Poulier à sis personnages.   154 Rime en -igne, comme à 318.  Le messager s’en va. Le paysan, blessé, reste couché sur la route.   155 Pauvre de moi ! Idem vers 328.   156 Tant il m’a frappé violemment.   157 D’une manière vile. « Que mourir puist vilainement ! » (Le Brigant et le Vilain.) Mais aussi : à la manière d’un vilain, d’un paysan.   158 Elle est chez elle.   159 Pour autant que je m’en souvienne.   160 Je redoute.   161 A : supporter  (Je ne sais plus quoi penser.)  La femme sort et se dirige vers la vigne. Elle découvre son mari couché par terre.   162 Qui vit jamais une telle affaire ?   163 Comment allez-vous ? « Que dictes-vous, les Sotz ligiers ?/ Quelle chière ? » Les Sotz escornéz.   164 La chattemite. « Je croy (dit le mary, qui la véoit à genoux, plorant et gémissant) qu’elle scet bien faire la chate moillée. Et, qui la vouldroit croire, elle scéroit bien abuser gens. » Cent Nouvelles nouvelles, 61.   165 La femme se tient la tête d’un air désolé. « Car j’ay trèsgrant mal en ma teste. » La Confession Rifflart.   166 Bien loti, avec une épouse pareille. Rappelons que ladite épouse se nomme Mal-assenée.   167 Vous me narguez en faisant un geste obscène de la tête. « Femme qui fornique/ Seult [a l’habitude de] faire à son mary la nique. » Jehan Le Fèvre.   168 A : ma  (Mène-t-elle assez bien son jeu ? Aux échecs, la « dame » est un pion crucial. « G’i ai bien joué de ma dame. » ATILF.)   169 Qu’elle m’aime. Idem vers 217.   170 Que je sois mort et enterré. « Je vouldroys que fussiez en byère ! » Messire Jehan.   171 Elles nous font des tours de passe-passe. Désigne aussi le va-et-vient du coït : cf. les Rapporteurs, vers 177.   172 Nul homme. Cette locution archaïque ne représentait plus que le singulier : « Nulz homs blasmer ne vous saroit. » Massons et charpentiers.   173 Tout mon labeur, tous mes efforts. Mais le labour désigne le coït, comme dans Raoullet Ployart.   174 S’est montrée telle qu’elle est.   175 Elle m’aime plus qu’elle n’aime notre prêtre ? Le mari soupçonne que sa femme couche avec le curé : « Elle va souvent à la messe./ Par Dieu, c’est très bonne coustume./ Mais j’ay trop grand paour qu’elle ne tume [trébuche] :/ Tant va le pot à l’eaue qu’il brise. »   176 Elle me mènerait paître : elle me mystifierait.   177 Que les nuages sont des peaux de veaux : elle me fait prendre des vessies pour des lanternes.   178 En fantaisie, en délire.   179 Je te prie de ne pas me quereller. Voir la note 15.   180 J’ai bien raison de. Idem vers 363.   181 Le jour où je te vis, ce fut pour moi un dommage, un malheur.   182 Calembour sur le « pis » de la vache ; voir la note de Duval. « Va, faitz du piz que tu pouraz. » Le Villain et son filz Jacob.   183 Je me tiendrai avenante pour les autres hommes. La femme reprend à son compte le vers 228.   184 Que Dieu vous donne une bonne année. Cf. Deux jeunes femmes, vers 4.   185 Je comble cette lacune d’après le vers 14.   186 Hein ? « –Il convyent que tu soys baillé/ À quelque maistre pour aprendre./ –Hen ? » (La Bouteille.) Cette question est grossière, même posée par un sourd qui fait répéter son interlocuteur ; Félix feint de croire que le rustaud invoque une ville du Vermandois, Ham, qu’on prononçait « Han ». Voir la note 4359 de Duval.   187 De dangereux mendiants. Même vers dans Massons et charpentiers. « Plus il ne viendra/ À mon huis un tas de merdailles. » Les Esbahis.   188 Restez coi, taisez-vous. « Ho ! coisez-vous, vécy le maistre ! » St Clément.   189 A : ne  (Le sourd croit comprendre que Félix cherche une femme prénommée Patience. Voir la note 4372 de Duval.)  Si Dieu me secourt = que Dieu m’assiste ; cf. la Laitière, vers 67.   190 A : quelle  (« Et le lieu où elle demeure. » Les Trois amoureux de la croix.)   191 Il y a de quoi se signer, face à un tel diable. Le laboureur est encore diabolisé aux vers 129, 140, 256 et 307 : les infirmités (il est sourd et bossu) étaient vues comme des punitions divines.   192 Si on en avait envie.   193 Je m’en vais et je vous recommande à Dieu. Ce vers, tel que je le corrige, est le vers 152 de Jehan qui de tout se mesle.   194 A : j’eusse   195 Je ne saurais répéter ses paroles.   196 D’innombrables pastourelles comportent un refrain cyclique qu’on reprenait en chœur.   197 Félix embauche le messager. Il lui parle du paysan, devant lequel les deux hommes doivent repasser.   198 Un quidam. Cf. la Fièbvre quarte, vers 5. Cette acception existe toujours dans le langage populaire.   199 Un sot. Dans les Mystères, le paysan joue souvent un rôle de fou ; on aimerait savoir s’il en portait le costume.   200 Par ambageais : avec des ambages, des circonvolutions trompeuses. « Il n’y a sy villain huron,/ Sy lourdault ne sy vilag[e]oys,/ Qu’il me responde en ambag[e]oys. » Les Mal contentes.   201 T-H : nous  —  D : vous  (Je vous prie de vous taire, car nous devons passer près de lui silencieusement. Idem vers 261.)   202 Arraisonner, aborder avec des paroles. Cf. les Miraculés, vers 269.   203 Qu’il oit (verbe ouïr) : qu’il est un peu dur d’oreille.   204 Marchez avec assurance.   205 Le messager adopte devant saint Félix un juron chrétien ; mais précédemment, ce païen jurait sur « Mahon [Mahomet], Apolin [Apollon], Tavergant [Tervagant],/ Nos dieux en qui est mon courage [mon cœur] ». Il disait même à un chapelain : « Sire, Mahom vous doint santé ! » Et à saint Clément lui-même : « Vénus, Mahom et Appolin/ Sault et gard ceste compangnie ! » Ou encore : « Se Mahommet m’envoit grant joie ! »   206 À Félix, qui passe près de lui sur la pointe des pieds, suivi du messager.   207 Redoutez-vous la baboue, sorte de croquemitaine invoqué pour faire peur aux enfants. « Une femme nourrice menace son enfant de la baboue. » Godefroy.   208 A : Benou, Benou.  (En bon croquemitaine, le laboureur pousse les mêmes hurlements que les diables de ce Mystère : « Harou ! Lucifer, je revien./ Harou ! harou ! Tout est perdu. »)   209 Les noms de Dieu sont : le Père, le Fils et le Saint-Esprit.   210 En catimini, comme des voleurs. « Et puis s’en ala-il de ceuls de Valenciennes en larrecin. » Godefroy.   211 Cette expression inconnue laisse penser que les éplucheurs de persil (tout aussi inconnus) sont des gens discrets. Mais ne s’agirait-il pas plutôt d’espresseurs de raisin, qui piétinent des grappes dans une cuve au bas de laquelle se trouve un robinet qui laisse passer le jus ? On ne peut davantage exclure que le paysan traite le saint et son acolyte d’escumeurs de latin : voir les Coppieurs et Lardeurs.   212 Silencieusement.   213 Qui ne commet jamais de faute. Cf. l’Aveugle et Saudret, vers 149.   214 Celui qui cherche.   215 A : ait  (Cette graphie gênante est peut-être imputable au copiste.)  Le paysan conclut que le messager se nomme Patience.

LES MIRACULÉS

Bibliothèque nationale de France

Bibliothèque nationale de France

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LES  MIRACULÉS

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Beaucoup de Mystères contiennent des farces intégrales ou des scènes de farces ; voir la notice des Tyrans. Le Mystère de sainte Barbe (dans sa version en cinq journées) ne fait pas exception à cette règle : là comme ailleurs, les mendiants infirmes sont des personnages comiques. Déplorant que leurs dieux païens ne puissent les guérir, ils vont se livrer à un test comparatif entre ces dieux et les saints chrétiens ; ils accorderont à ces derniers la préférence après avoir bénéficié de leurs miracles. Les deux pauvres du Mystère de saint Vincent se livrent aux mêmes calculs : « Ou Jupiter ou Jhésucrist / Il ne me chault que l’en aoure [qu’on adore], / Mais que point en vain ne laboure [pourvu que je ne me fatigue pas pour rien] / Et du meilleur tousjours je boyve. » Aussi, quand un chrétien leur fait la charité : « À boire et à menger avons ; / Jhésus bien aimer nous devons / Mieulx qu’Apolo ne que Mercure. »

L’auteur inconnu du Mystère est picard, mais le scribe qui nous a légué cet unique manuscrit ne l’est pas plus que ses prédécesseurs : tous ces copistes ont introduit des traits bretons, angevins, ou même savoyards. Pour ne pas surcharger de notes mon édition, j’ai sacrifié quelques particularités dialectales propres aux copistes.

Source : Liber beate Barbare. Bibliothèque nationale de France, ms. fr. 976. J’utilise les folios 57 vº à 58 vº (1re journée), 181 vº à 184 rº (3ème journée), et 318 rº à 326 rº (5ème journée). Ce manuscrit étant en réfection jusqu’en 2025, il ne m’a pas été possible d’en obtenir une copie numérique.

Structure : Rimes abab/bcbc, rimes plates, avec 1 rondel double, 2 rondels « doublés en la fin », 4 triolets, 8 dizains ababbccdcd.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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                            STULTUS  loquitur.1                             SCÈNE  I

        Dieux [tous] puissans2, donnez-moy ou vendez

        Ung peu de sens pour en garnir ma teste !

        Je pouroys bien de vos dons amender3,

        S’il vous plaisoit, à ceste grande feste4.

5      Je vis tousjours en deul et en moleste5 ;

        En moy je n’ay ne sens, n’entendement ;

        Je n’ay de vous [nul] bien quel6 d’une beste.

        Ce coup7 aurez, mes dieux, présentement !

                            BRIFFAULT,  demoniacusRetrograde primo.8

        [ Ce coup aurez, mes dieux, présentement !

10    Je n’ay de vous [nul] bien quel d’une beste.

        En moy je n’ay ne sens, n’entendement.

        Je vis tousjours en deul et en moleste.

        S’il vous plaisoit, à ceste grande feste,

        Je pouroys bien de vos dons amende[r].

15    Ung peu de sens pour en garnir ma teste,

        Dieux [tous] puissans, donnez-moy ou vendez ! ]

        ………………………………….

                            MALIVERNÉ9,  aveugle.

        Nos dieulx, vous m’avez fait aveugle :

        En moy, clarté est endormye.

        Si jadis n’eusse fait du10 beugle

20    Et donné vent que je n’ay mye11,

        Vostre grâce me fust amye.

        Dire puis que je n’ay nul bien.

        Vostre bonté m’est ennemye.

        Mauldit soit qui vous donra12 rien !

                            MAUNOURY13,  boyteux.

25    Jadis, vous me feistes bouéteux,

        Mes dieux : ce fut bien [faulx14] vouloir.

        Je suys pouvre, paillart15, gouteux ;

        Je [n’ay] chevance ne avoir16.

        Je vous faiz icy assavoir

30    Qu’à vous je suys bien pou17 tenu ;

        Et pour ce, pour dire le voir18,

        Rien n’aurez de mon revenu !

                            LINART19,  sourt.

        Mes dieux, vous m’avez asourdi :

        Je n’ouay quelle une pier[r]e dure20.

35    Je me treuve tout alourdi.

        Par vous, grant pouvreté j’endure.

        J’eusse [mys] m’amour et ma cure21

        En vous, si vous m’eussez donné

        Ouÿe ; mais vous et Nature

40    M’avez pouvrement ordonné22.

        Du tout23 m’avez abandonné

        À meschef, yver et esté.

        De moy, rien ne sera donné

        En ceste grant solempnité !

                            CLICQUE-PATE24,  pouvre.

45    Pour tant25 que pouvre j’ay esté

        — Vivant en deul et en esmoy,

        Mandïant en grant pouvreté —,

        Les dieux, vous n’aurez rien de moy !

                            MALAISÉ26,  pouvre.

        Tousjours suys en meschant aroy27.

50    Je n’ay, de vous, chose qui vaille.

        Les dieux, vous n’aurez (par ma foy)

        De moy présent, denier ne maille28 !

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                            MALAISÉ,  primus pauper29.               SCÈNE  II

        Hélas ! est-il âme qui donne

        Ung blanc30 aux pouvres créatures ?

55    Nous n’avons argent ne pastures ;

        Tousjours pouvreté nous fouésonne31.

                            CLIQUE-PATE,  secundus pauper.

        Ta voix meschantement32 résonne :

        Desclar[e]s hault33 nos adventures.

                            MALAISÉ 34

        Hélas !! est-il âme qui donne

60    Ung blanc aux pouvres créatures ??

                            CLIQUE-PATE

        Ha, dea ! ceste foiz-là est bonne,

        Affin qu’on oye tes murmures.

                            MALAISÉ

        Pour compter noz malaventures,

        Husche hault35, car raison l’ordonne.

                            CLIQUE-PATE 36

65    Hélas !!! est-il âme qui donne

        Ung blanc aux pouvres créatures ???

        Nous n’avons argent ne pastures !!!

        Pouvreté tousjours nous fouésonne !!!

                            MALAISÉ

        Sang que Dieu fist ! Ha ! tu m’estonne(s)

70    Toute la cervelle, de braire !

        Se tu estoys à Sainct-Lazaire37,

        Si scez-tu bien ton parsonnaige38.

                            CLIQUE-PATE

        Pour gripper fouéson de fourmaige39,

        Force de bribes [ou de trippe]40,

75    Tu faiz la plus terrible lippe41

        Qu’oncques vy faire à compaignons

        De ce mestier.

                            MALAISÉ

                                  Et pour quignons

        À fouéson atrapper de pain42,

        Tu as le cry le plus haultain43

80    Que j’ouÿ [oncques. En ton]44 presche,

        Tu as une voix si griesche45

        Et si farouche que c’est raige !

        Par ma Loy46 ! ce fut grant dommaige

        Que tu ne fuz presbtre ou doyen47.

                            CLIQUE-PATE

85    Pourquoy ?

                            MALAISÉ

                            Tu as ung beau moyen.

                            CLIQUE-PATE

        De quoy, « moyen » ? De quérir pain ?

                            MALAISÉ

        Mais moyen de mourir de fain !

        Nous avons beau commencement48.

                            CLIQUE-PATE

        Je ne voullisse49 seullement

90    Qu’autant d’escuz qu’on en mectroit

        Dedans les sacz que l’on coustroit50

        Des agu[i]lles qui bien poinroient51,

        En ceste place.

                            MALAISÉ

                                 Que feroient

        Les bélistrïens52 compaignons

95    [De tant d’escus]53 ? Nous ne tendrions

        Compte de menue monnoye.

                            CLIQUE-PATE

        Lessez54 la grosse aller sa voye :

        El ne nous est pas si tost55 preste.

        ……………………………….

                            MALAISÉ

        Nous n’avons pain, vin ne pitance :

100  C’est bien cause de lamenter.

                            CLIQUE-PATE

        Héé dieux ! vez cy56 piteuse chance.

        Nous n’avons vin, pain ne pitance,

        Potaige, lait n(e) aultre substance

        Pour nous nourir et substanter.

                            MALAISÉ

105  Aucun57 nous v[u]eille présenter

        Or, argent ou aultre chevance !

        Nous n’avons pain, vin ne pitance.

                            CLIQUE-PATE

        C’est bien cause de lamenter.

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                            BARBARA 58                                        SCÈNE  III

        …………………………..

        Je vous donne ces pièces d’or ;

110  Elles viennent du grant trésor

        Du Roy : vous en serez tous riches.

                            MALAISÉ

        On ne nous donne point telz miches59

        Ailleurs. Nous vous mercïons, Dame !

                            CLIQUE-PATE

        Chez ces usuriers qui sont riches,

115  Dont ce leur est honte et diffame, 60

        On ne nous donne point telz miches.

        Cecy vault myeulx que poilz de bisches

        Ou de cerfs.

                            BARBARA

                             Usez-en sans blasme !

                            MALAISÉ

        On ne nous donne point telz miches

120  Aillieurs.

                            CLIQUE-PATE

                        Nous vous mercïons, Dame !61

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                            MALAISÉ                                              SCÈNE  IV

        Qu’en ferons-nous ?

                            CLIQUE-PATE

                                         Villain infâme,

        Parle bas, qu’on ne nous escoute !

        Allons [deviser sur le coute]62

        Tout à coup, et crocquer la « pie63 ».

125  Et quand la « pie » sera juchie64,

        Le demourant aura conseil65.

                            MALAISÉ

        Tu diz bien. Pour ce, je conseil’

        Que nous en aillons (à brief mot)

        Boire du meilleur vin ung pot

130  Mainctenant, à sang rapaisé.

                            CLIQUE-PATE

        Chemine davant, Malaisé !

        Je te suyvré tantost à haste.

                            MALAISÉ

        Mais où yrons-nous, Clique-pate,

        Despendre deux onces d’or fin ?

                            CLIQUE-PATE

135  Nous en yrons chez ,

                       ,66 et burons du meilleur.

*

                            MALIVERNÉ,  cecus67.                        SCÈNE  V

        Hélas ! Je suys en grant destresse

        Et en engouesseuse tristesse

        De touz les langoreux congneue68,

140  Car j’ay perdu toute ma veue ;

        Et oncques, de moy, ne fut veue

              Quelque clarté.

        En ténèbres suys si69 arté

        Que je ne sçay, par loyauté70,

145        Que c’est lumière71.

        J’ay perdu par ceste misère,

        Par ceste pugnicïon fi[è]re72,

              Joye mondaine.

        Las ! ung crapault et une irraigne73

150  Ont74 une grant joye certaine

              Dont suys privé :

        Car ilz voyent bien, en leur privé,

        Où chascun d’eulx est arivé.

              Pour eulx conduire,

155  Ilz voyent trèsbien le soleil75 luire

        De jour, et la lune reluyre

              Durant la nuyt.

        Je me complains et faiz ung bruit76

        De Nature, qui moult me nuyst

160        Et contrarie :

        Car [à] mainte beste garnye

        De sens, el(le) donne et aparie

              Veue plaisant.

        Mais el a esté reffusant

165  Me donner veue suffisant :

              Je la pers toute.

        Bien pouvre est-il, qui ne voit goute.

        Je saveure bien peu et gouste77

              Des biens du monde.

170  Le sens de veue — où je me fonde

        Selon raisonnable faconde

              Et78 véritable —

        [Est] nommé le plus délectable,

        Plus plaisant ou plus prouffitable

175        Par sa noblesse.

                            MAULNOURY,  claudus79.

        Hélas ! Or suys-ge en grant féblesse

              Et moult débille80 :

        Moy qui deusse avoir corps abille81,

              Fort et puissant,

180  Suys contrefaict et impuissant,

              Tort [et] bouesteux82.

        Je suys de santé souffreteux,

              Et de support83.

        Nature, [tu] me faiz grant tort

185        En cest endroit.

        À quoy tient que je ne voys84 droit ?

              Comme ung estrange85,

        Droit naturel de moy s’estrange86.

              Et, vertueulx,

190  Je suys ung suppost monstrueux

              Et deffectif87 ;

        Je suys ung suppost illusif88

              De touz mocqué :

        Je suys de touz foulx abrocqué89

195        Par mocquerie.

        Nature tout ainsi me lie.

              Corps imparfaict,

        Il semble que j’ay esté fait

              En grant despit

200  D’aulcun90 des dieux, lequel me fist,

              Dont suys dolant.

        Las ! si j(e) alasse à mon tallant91

              Où je voulsisse,

        Je gaignasse par mon service

205        Ma vie humaine.

        Mais à grant-paine je me traîne

              Sur le careau.

        Ung cheval, ung beuf, ung toreau

              Est bien eureux

210  En ce cas, et moy malheureux,

              Qui ne me bouge.

        Hélas ! ung oiseau grix ou rouge

              Peult bien voller,

        Mais je ne puis ung pas aller

215        Ne pas ne cours92.

                            LINART,  surdus93.

        Las ! Jamais je ne me res[c]ours94.

        Je suys nommé ung [des] très lours95

        De ce monde, aussi des [plus] sours

              Et inutille.

220  Je suys plus sourt q’un pot à huille96.

        Ès champs, en chasteau ne en ville,

        Il n’est — pierre, ne boys, ne tuylle —

              Chose plus sourde

        Que moy. J’ay la teste si lourde,

225  [L’oreille tant forte]97 et tant gourde !

        S’on me dit quelque mal ou bourde,

              Je n’entens note.

        Quelque parolle qu’on me note98,

        [Rien n’entens, que chascun le note.]99

230  Je ne sçay, pour prendre ma note,

              Riens que respondre100.

        On me peult mauldire ou confondre,

        Parler ou de fiens ou de pondre101,

        Sermonner de brebiz à tondre

235        Sans quelque entente.

        Je dy que ma vïe patente102

        Est [la] plus mauldicte, impotente,

        La plus meschant, la plus dolante

              Qui soit, ce croy,

240  [De quoy je suys en grant esmoy.]103

        Bien voy ceulx qui parlent à moy :

        Respondre ne sçay cy ne quoy104

              À leur[s] propos105.

        S’on parle bas, je respons gros106 ;

245  S’on me dit « pain », je respons « pos107 » ;

        S’on dit « Bonjour ! » : « [À quel propos]108 ? »

              Ou s’on se taist,

        Rien ne sçay, dont il me desplaist.

        Si, v[u]eil donc conclure, d’effaict109,

250  Que je suys le plus imparfaict

              Qui soit en vie.

                            MALIVERNÉ

        La[s] ! voycy pouvre compaignie :

        Aveugles, bouéteux, aussi sours,

        Et gens de misérable vie.

                            MALNOURY

255  Las ! voycy pouvre compaignie.

        Nature n’est pas nostre amye,

        Qui nous a faiz touz ainsi lours.

                            LINART

        Las ! voycy pouvre compaignie :

        Aveugles, boyteux, aussi sours.

                            MALIVERNÉ

260  Nature : en nous, mal tu resours110 ;

        Tes manières nous111 sont amères.

        Pourquoy du ventre de noz mères

        Veinmes-nous ainsi mal aiséz112 ?

                            MALNOURI

        En113 nous, n’a aucuns bienaiséz

265  Qui n’ai[e]nt de bien excepcïon.

                            LINART

        Il fault114 une perfection

        À chascun de nous, dont c’est perte.

                            MALIVERNÉ

        Malnoury, par demande aperte115,

        Araisonnons ung peu ce sourt.

270  Comment va Linart ?

                            LINART

                                           Dont il sourt116 ?

        Il sourt d’une doulce fontaine

        Qui est assise en une plaine,

        Ainsi comme j’ay ouÿ dire.

                            MALNOURY

        Do[i]nt bon jour117 !

                            LINART

                                           S’il porte navire ?

275  Ouy, .III. ou .IIII. [queues à queues]118.

                            MALIVERNÉ

        De quel boys ?

                            LINART

                                Il y a troys l[i]eues,

        Mais on dit que l’une est petite.

                            MALNOURI

        À quel propos119 ?

                            LINART

                                       De pierre cuite120

        Jusques dedans Paris n’a mye.

                            MALIVERNÉ

280  Beau sire, avez-vous point d’amye

        Par amour ?

                            LINART

                             A ! je lay prestée

        Au curé.

                            MALNOURI

                       Quoy ?

                            LINART

                                    Quoy ? Mon espée,

        Qui est du temps du roy Basac121.

                            MALIVERNÉ

        Où fut-elle faicte ?

                            LINART

                                       En ung sac

285  Qui tenoit bien quatre septiers :

        J’e[n] apporte bien deux milliers

        En mon coul, [sur ma fleur de]122 lis.

                            MALNOURY

        De quoy ?

                            LINART

                         De quoy ?

                            MALIVERNÉ

                                           C’est ung palis123

        Entre son oreille et la nostre.

290  Où est la [chose, qui fut vostre]124,

        De quoy nous parlasmes le plus ?

                            LINART

        Comment ?

                            MALNOURI

                           Comment ?

                            LINART

                                              Il n’en vient plus

        Passé davant la Chandeleur125.

        Ilz prennent l’autr[u]y et le leur126.

295  La ribaudaille ! Je m’en plains.

        Hé ! pardieu, ilz seront restrains127

        Et j’en seray ung jour vengé !

                            MALIVERNÉ

        Par ma Loy, c’est bien vendengé128 !

        Mais il n’y a ne fons, ne rive129.

                            LINART

300  Quand ? Dea ! quand on fait la lessive :

        Lors est ma braye bien lavée.

        A  la crapaudaille soit130 noyée !

        À la laver use mes131 doiz.

                            MALNOURY

        Il lave cy en quoquardoys132

305  Aussi bien qu’oncques laver vy.

                            LINART

        Il n’en seroit pas assovy

        Pour une escullée de mattes133.

                            MALIVERNÉ

        Qui, Linart ?

                            LINART

                               Le prince de Nates134.

                            MALNOURY

        Voycy bon temps pour exploicter135.

                            LINART

310  Demandez-vous s’il est natier136 ?

                            MALIVERNÉ

        On n’en aura mèshuy le bout137.

                            LINART

        Esse de noéz138 ou tout le brout

        Que vous parlez ? Ou d’escaillées139 ?

                            MALNOURY

        Vous luy avez belles baillées140 !

315  Vous en respondez comme saige.

        Adieu, Linart !

                            LINART

                                [Myeulx] ? Et ! que sai-ge :

        Selon que la brunète141 est fine.

.

                            MALIVERNÉ                                        SCÈNE  VI

        Laissons-le cy, car il devine142.

        C’est cy une v[i]eille vïelle143.

320  Il a trop longue kyrïelle144 :

        On n’en auroit le bout145 en piesse.

                            MALNOURI

        Nous avons esté longue pièce146

        En captivité très patente147.

        Nous avons nature impotente,

325  De quoy point nous ne nous louons.

        D’autre part, garir ne povons148

        Par noz dieux : car je sçay, de voir149,

        Qu’ilz n’ont mye tout le povair150

        De garir noz débilitéz151.

330  Maintes foys les ay incitéz

        Par152 prièr[e] qu’ilz me garissent ;

        Mais chascun coup, ilz m’escondissent153.

        Ilz ne m’ont en rien avancé.

        Sy [ay-je] en moy-mesme pencé

335  Que maint beau fait et maint miracle

        Se font ou154 petit habitacle

        Où le corps de Barbe repose.

        Et, partant, du tout je propose

        D’y aller expérimenter155.

340  S’elle fait mon mal absenter

        Et qu’elle me garisse nect,

        Je suys déterminé et prest

        De prendre la Loy qu’el avoit156.

                            MALIVERNÉ

        Tu as trèsbien dit : car on voit

345  Que plusieurs y ont recouvré

        Santé. Ce seroit bien ouvré157

        S’elle nous garissoit tous deux.

                            MALNOURY

        Allons-y !

                            MALIVERNÉ

                          Allons, je le veulx !

        On [ne] peult perdre à essayer.

                            MALNOURY

350  Il ne fault pas hault abaier158,

        Affin que les gens ne nous oyent :

        Car si les Païens advisoi[e]nt

        Nostre bonne dévocion,

        Seroit nostre destruction.

355  Aller tout cayement159 il nous fault.

                            MALIVERNÉ

        Chascun quiert santé, quant luy fault160 ;

        Aussi [sont mes deux yeulx]161 perduz.

        Prendre aymerays myeulx les vertuz162

        Ou d’un homme ou d’une femme

360  Je le vous jure sur mon âme

        Que d’estre aveugle tousjours.

                            MALNOURI

                                                      Âme163

        N’en saura rien, car nul n’aborde

        Où elle est164.

                            MALIVERNÉ

                                Tien donc ceste corde165

        Et me maine à sa sépulture !

                            MALNOURI

365  Or y allons, à l’aventure !

        Quant est à moy, j’ay grant fiance

        Que nous y aurons recouvrance

        De santé et de vallitude166.

                            MALIVERNÉ

        Nous sauron bien la plénitude

370  Du povair que son dieu luy donne.

.

                            SANCTUS  VALENTINUS 167            SCÈNE  VII

        Je voy venir mainte personne

        Débille168, impotent[e] et mallade.

        Au sainct sépulcre doulx et sade169

        De Barbe, que chascun reluyse !

375  Dieu v[u]eille que chascun y puisse

        Recouvrer santé endroit soy170,

        Pour l’acroissement de la Foy

        Et pour le salut des loyaulx171 !

.

                            MALNOURY                                        SCÈNE  VIII

        Je sens bien alléger mes maulx

380  Pource que le lieu aprouchons.

        Je vous pry que nous avancyons :

        Si sera le labour finé172.

                            Maliverné intret in habitaculo

                            sepulcri, et Malnoury cum eo.173

                            MALIVERNÉ

        Vray174 Dieu, je suis enluminé !

                            MALNOURY

        Et moy, je ne suis plus bouéteux !

                            MALIVERNÉ

385  Ton povair est cy désigné,

        Vray Dieu : je suys enluminé !

                            MALNOURI

        Ce lieu dévot est assigné

        Pour garir malades piteux.

                            MALIVERNÉ

        Vray Dieu, je suis enluminé !

                            MALNOURY

390  Et moy, je ne suys plus bouéteux !

                            MALIVERNÉ

        Voycy ung lieu délicïeux

        De très mervoilleuse influence ;

        Il rend les désoléz joyeux,

        Tant a de vertuz affluence175.

395  Voycy une grant apparence

        Pour [en] conclure évidenment

        Que le corps qui segrètement

        Repose en ce tugurïon176

        Est de divin exaulcement

400  Et digne [d’]aprobacion.

                            Dicat genibus flexis : 177

        Ô Barbe, en dignité promeue :

        Humblement je te remercye

        Que tu m’as ma veue rendue,

        Qui davant178 estoit obscursie.

405  M’âme est joyeuse et esclarsie179

        Par celuy miracle divin.

        Pour tant, d’humble cueur et inclin180,

        Je mect[z] ma foy en adhérence181

        À Jésus Crist, ton dieu bénin182 :

410  Tousjours luy feray révérence.

                            MALNOURI

        Voycy eupvre183 miraculeuse,

        Sans charme184, sans enchantement ;

        Ce n’est pas eupvre frauduleuse,

        Ne faicte sophisticquement185

415  [Par des deables, malignement,]

        Car deables n’ont point lieu ycy.

        Nous sommes186 tous sains (Dieu mercy !)

        Par la seulle intercessïon

        De Barbe, dont le corps transsi

420  Repose en ceste mansion187.

                            Dicat genibus flexis :

        Ô digne lieu sainct et dévot,

        Plain de grâce c[é]lestïelle

        Qui es[t] cy mys[e] en ung dépost :

        Je t(e) honnore pour l’amour d’elle,

425  Dont le digne corps sans mamelle188

        Repose189 en toy honnestement.

        Ce puisse estre à l’acroissement

        De la foy que Barbe tenoit :

        Car, de cueur et de pencement190,

430  Je croy en Dieu qu’elle croyoit.

        Pour tant, je me vueil occupper

        À la servir de bon endroit.

        Je puis saillir, coure, trocter191,

        Reculler et aller tout droit.

435  Celuy est foul qui ne vouldroit

        Croire en une vierge si saincte.

        [Je ne faiz plus regret ne plaincte,]192

        Car de santé certain je suys.

        Toute personne forte actaincte193

440  Est garie en entrant à l’uys194.

                            Exeant locum sepulcri.195

.

                            LINART                                                 SCÈNE  IX

        Ha, a ! Que c’est là ? Oncque, puis

        Que Dieu m’estouppa les oreilles196,

        Je ne vy aussi grans merveilles,

        Et si, ne fuz si esbahiz.

445  Ces deux hommes-là sont gariz

        En mains qu’on ne pourroit toussir197.

        Ilz n’ont fait qu’entrer et yssir

        En celle petite maison,

        Et ilz sont sains comme ung poisson.

450  Ne sçay s’il y a là ung mire198

        Qui les gens garist et remire199

        D’erbe, de racine ou d’escorce.

        Ou se c’est par la trèsgrant force

        Et200 vertu du lieu ? J’en faiz doubte.

455  Maliverné ne véoit201 goutte,

        Et il voit myeulx que moy beaucop202.

        Et puis Malnouri, qui fut clop203,

        Qui ne povait avant aller,

        Peult saillir, triper204 et baller,

460  Et courir sans mal endurer.

        Il me convient adventurer

        [Et] aussi bien qu’eulx y entrer,

        Pour veoir se pouray rencontrer205

        Ma santé et me resjouyr,

465  Et ma sourdesse évacuer206.

        Je croy que j’auré beau huer207 !

        Au mains, je sçauray qu’on dira208.

        Et quand Briffault209 me mauldira,

        Luy210 dira[y] « bon jour ! » ou « bon vespre ! ».

470  Je m’y envoys ains qu’il211 avespre,

        En espérance de garir.

.

                            MALIVERNÉ                                        SCÈNE  X

        Malnoury, voy-tu acourir

        Ce sourdault212 à ceste logecte,

        Com nous avons fait ?

                            MALNOURY

                                           Or [m’en] guecte213 :

475  Je cuyde que garir poura.

        Esprouvons un pou s’il orra214

        Comme il [n’]a fait puis215 qu’il fut né.

                            Intret Linart locum sepulcri.

                            MALIVERNÉ

        Linart !

                            LINART.  [Intrent Maliverné et Malnoury]

                                                             in habitaculo sepulcri.

                      Qu’esse, Maliverné ?

                            MALIVERNÉ

        Fièbvre au cueur216, beaussire ?

                            LINART

                                                           Or, prenez

480  Qu(e) ainsi soit217 : qu’en est-il ?

                            MALNOURI

                                                            Tenez !

        Entent-il bien, le chambellan ? 218

        Linart !

                            LINART

                      Hau !

                            MALNOURI

                                 Empoigne mal an219 !

                            LINART

        Baisse-toy et le pran [delà220] !

        Qu’est-ce cy, seigneurs ? Comment, dea !

485  Je  suys hors de périlleuse voye.

        Cuydez-vous que tousjours je n’oye

        Aussi bien que vous ? Si faiz, voir221 !

        Certes je vous [faiz] assavoir

        Qu’aussitost que j’euz mes deux piéz

490  Cy-dedans, j’ouÿ tout sus piéz222

        Aussi bien ou myeulx comme vous.

        La mercy du hault Dieu trèsdoulx

        Que Barbe servoit, et la sienne !

        La gloire, pourtant, n’est pas myenne223 :

495  C’est à Dieu et à la dévote

        Saincte Barbe (que je dénote

        Estre fort224 prévileigiée

        Ou Ciel, où el est cituée).

        Il n’est homme si langoureux,

500  Si maladif, si douloureux,

        Si vil et inhumain pécheur,

        S’i la requiert de dévot cueur,

        Que tantost el ne le sequeure225.

                            MALIVERNÉ

        En petit d’heure, Dieu labeure226 :

505  On le voit par expérience.

                            MALNOURI

        Ce dit227 est vray, je vous asseure :

        En petit d’heure, Dieu labeure.

        Nous sommes gariz sans demeure228,

        Sans phisicque229 ou aultre science.

                            LINART

510  En petit d’heure, Dieu labeure :

        On le voit par expérience.

        Pource, en tant que j’ay audience,

        Je regraciré Dieu mil230 foiz.

                            Dicat Linart, genibuz flexis :

        Ô Jésus, qui sceiz et congnoys

515  Les cueurs des humains au parfond231 ;

        Qui d’un seul regart sceiz et voiz

        Les choses qui furent et sont,

        Et qui ou temps futur seront.

        Tu voiz et congnoys mon désir :

520  Je n’apète riens, ne232 désir’,

        Sinon toy servir et amer233.

        Ne me laisse jamais gésir

        En la Loy qu’on doit diffamer234 !

        Tu m’as gary soudainement

525  Et as mes oreilles ouvertes,

        Dont je te mercy haultement,

        Car davant, el(le)s furent couvertes :

        Tu as les tayes descouvertes 235

        Empeschans mon audicion.

530  Tout [as fait]236 sans succession,

        Qui est eupvre dessus Nature237.

        Nulz homs sans disposicïon238

        Ne sçauroi[e]nt faire telle cure.

        Vierge martire et saincte dame,

535  Entre les sainctes honnorée,

        Je [me commande]239 corps et âme

        En ta main tant qu’auré durée240.

        Vierge de vices espurée,

        V[u]eilles que si bien je te serve

540  Qu’en fin de mes jours je déserve241

        Estre avec toy ès Cieulx logié !

        Et mon esprit tousjours préserve,

        Qu’i ne soit en Enfer plongé !

                           Exea[n]t sepulcrum.

                           MALIVERNÉ

        Allons quérir cest enraigé

545  Briffault, qui est démonïacle242 ;

        Amenons-l(e) en cest habitacle

        Par charité et par aulmosne,

        Affin que la pouvre personne

        Y puisse recouvrer santé.

                            MALNOURY

550  S’i nous avoit ung peu heurté

        De ses fers243, par acord, nous troys,

        Il nous vauldroit myeulx tenir coys :

        [Car] nous n’en aurions aultre chose244.

                            LINART

        Allons hardiment ! Je suppose

555  Que le lieu245 luy prouffitera

        Sitost qu’en [luy] habitera

        [Dessuz l’autel]246 et couverture.

                           MALIVERNÉ

        Il n’a riens, qui ne s’aventure247 ;

        Et s’aucun ne s’aventuroit

560  Pour luy, tousjours ainsi seroit

        Sans recouvrer ce qu’il luy fault.

        Allons hardiement !

.

                            MALNOURY                                         SCÈNE  XI

                                        Çzà, Briffault !

        Nous te mainerons par le braz

        Au sainct lieu.

                            BRIFFAULT,  demoniacus.

                                Tien-toy coy248 ! Feras,

565  Traistre laron, filz de putain ?

                            LINART

        Tantost, santé recouv[r]eras

        Au sainct lieu.

                            BRIFFAULT

                                Tien-toy coy ! Feras ?

        Si tu aproches, tu auras

        Ung coup de mes fers sur le groing249 !

                            MALIVERNÉ

570  Ha[y] avant, hay250 ! C’est à demain ?

        Vous viendrez sans plus de fatras

        Au sainct lieu !

                            BRIFFAULT

                                 Tien-toy coy ! Feras,

        Traistre laron, filz de putain ?

        Va-t’en voir messire Jourdain251,

575  Qui avec ta femme est couché ;

        Ne sçay s’il y aura « loché252 ».

        Bêê, bêê ! Va, jennin253 que tu es !

        Hélas, hélas ! tu as beau nés254.

        Où allez-vous, nostre beau maistre ? 255

580  Par ma foy, on te fait bien paistre !

        Mais au fort, tu en as le brout256.

        Vien çzà, mon cousin ! Par quel bout

        Se desnoue le neu257 d’amours ?

        Alarme, alarme ! Tost, secours !

585  Je voy les deables cy venir.

                            MALNOURI

        A ! il commence [de venir]258

        Et entrer en sa frénaisie.

                            BRIFFAULT

        Si j’ay plus de ma fantaisie259,

        Va y voir, je le te conseille !

                            Cantet : 260

590  Viendras-tu à la veille261,

              Jennin, Jennot,

              Marguin, Margot ?

        Viendras-tu à la veille

              Sus l’escarbot 262 ?

595  Dieu dit que [je] l’esveille

              Huy assez tost

              Sans dire mot.

        Viendras-tu à la veille,

              Jennin, Jennot,

600        Marguin, Margot ?

        Dieu poira263 la chande[i]lle

              Et tout l’escot.

              Ce dit Perrot :

        [Là boirons]264 soubz la treille

605        Chascun son pot.

        Viendras-tu à la veille,

              Jennin, Jennot,

              Marguin, Margot ?

        Viendras-tu à la veille

610        Sur l’escarbot ?

.

        Qu’en dictes-vous, maistre Mignot ? 265

        C’est bien chanté, n’est mye ? N’es[t-]ce ?

        Ton père chante la grant-messe,

        Au dimenche, en nostre parroche266.

                            MALIVERNÉ

615  Pren delà ! Vien, Linart, aproche !

        Empongne-le par le267 braz destre,

        Et puys moy par le braz sénestre.

        Et Malnoury nous conduyra.

                            BRIFFAULT

        Haro268 ! Las ! Et ! on me prendra !

620  Au meurtre, bonnes gens ! À l’aïde269 !

                            MALNOURY

        Vous y serez mené sans bride.

        Avant que vous mangez de pain,

        Vous y vendrez270, paillart villain,

        Hastivement, de chaulde trace271 !

                            Pausa. Ducant eum in habitaculo sepulcri, et

                            sanetur272. Et postea, dicat genibus flexis :

                            BRIFFAULT

625  Ha ! trèsdoulx Dieu, voycy grant grâce.

        Mes fers me sont chuz hors des mains.

        Mirez-vous273 icy, cueurs humains,

        En ces miracles apparens274 !

        J’estoye, a[u] matin, hors du sens,

630  Démonïacle, enraigé, foul ;

        Pendu me fusse par le coul,

        S’on ne m’e[n] eust trèsbien gardé.

        Mais Jésus Crist m’a regardé

        De son œil de quoy il regarde

635  Barbe, son espouse, qu’il garde

        De vice et de toute macule275.

        En moy, n’avoye raison nulle,

        Intelligence qu’en servaige.

        J(e) avoye lors perdu l’usaige

640  De mon petit entendement

        Et de raison totallement,

        De mémoire et de voulenté.

        Car le deable avoit supplanté

        Mon âme, qu’il avoit liée.

645  Mais à présent, est desliée

        Par la puissance et aliance

        De Jésus, en qui j’ay fiance,

        Moyennant276 Barbe la très digne.

        Le deable est277, par elle, en ruÿne,

650  Qui si longuement m’a tenu.

        Parquoy, humblement, le chef nu278,

        Dieu et Barbe je remercy,

        Et vous, mes bons amys279, aussi,

        Qui avez esté le motif

655  De faire garir ce chétif.

        Si, vous prie que me pardonnez

        Les coups que je vous ay donnéz,

        Les mesfaiz, aussi les mesdiz

        Que je vous [ay] ou faiz ou diz,

660  Pour Dieu et pour tous se[s] saincts noms.

                            LINART

        Amy, nous le te pardonnons,

        Et Dieu aussi le te pardonne.

*

1 Le Fou parle. C’est le seul endroit du Mystère où le texte de ce personnage est noté. Ailleurs, on nous dit qu’il parle, mais nous ignorons ce qu’il raconte. Certains médiévistes croient qu’il improvisait en vers, ce qui est impossible, ou en prose, ce qui est improbable. Il devait emprunter des monologues de fous à d’autres Mystères, ou à des sotties, ou à des monologues dramatiques.   2 On lit, quelques vers plus tôt : « Dieux tous puissans résidans sur les cyeulx. »   3 Ms : amendez  (La rime est juste, mais le sens est faux. L’auteur fait mal la différence entre les infinitifs et les participes passés ; je corrigerai tacitement ces dévergondages grammaticaux.)  Je pourrais bien m’améliorer.   4 On célèbre au temple « la feste de l’immortel/ Jupiter, qui est aujourd’huy ».   5 En douleur et en désagrément.   6 Pas plus que. Cette curieuse tournure, qu’on retrouve au vers 34 et encore quatre fois dans ce Mystère, est examinée par Mario LONGTIN : Édition critique de la cinquième journée du Mystère de sainte Barbe en cinq journées. (University of Edinburgh, 2001, p. 99.) C’est Longtin qui a intitulé « farce des miraculés » la comédie que je publie aux vers 137-662.   7 Au lieu de déposer des présents devant la statue de Jupiter, le fou la gifle.   8 Briffaut [gourmand] est un démoniaque possédé par le diable. Il récite en sens rétrograde le couplet qui précède, à partir du dernier vers. Dans cet épisode et dans la 5ème journée, beaucoup d’autres acteurs se livrent à ce jeu de rhétoriciens : le copiste met le couplet normal dans la bouche d’un personnage, puis, sans le récrire, il note que tel autre personnage doit le rétrograder.   9 Mal hiverné, mal ravitaillé pour passer l’hiver. Comme toujours, le nom des mendiants est taillé sur mesure.   10 Ms : ung  (Si je n’avais pas fait l’imbécile, vous ne m’auriez pas rendu aveugle. « Tu es fol,/ Bien lourdault, bien badin, bien beugle,/ D’ainsy me cuyder faire aveugle. » Le Monde qu’on faict paistre.)   11 Et promis ce que je n’ai pas.   12 Ms : dira  (Celui qui vous donnera quelque chose. Notre Mystère emploie souvent cette contraction picarde : « Que Dieu nous donra le povair [pouvoir]. »)   13 Mal nourri. Il marche avec des béquilles.   14 Une mauvaise action. « Et leur faulx vouloir multiplient. » Jeu du Prince des Sotz.   15 Je couche sur la paille. Cf. les Bélistres, vers 57.   16 Ni fortune, ni richesse.   17 Peu. Idem vers 476. Voir L.-F. DAIRE, Dictionnaire picard, gaulois et françois.   18 Le vrai, la vérité. Idem vers 327 et 487.   19 Prénom picard. Voir René DEBRIE, Glossaire du moyen picard.   20 Je n’ois [n’entends] pas plus qu’une pierre dure. Voir la note 6.   21 Mon amour et mon soin.   22 Agencé, pourvu.   23 Totalement. Idem vers 338.   24 Jambe de bois. Ce mendiant est un faux infirme.   25 Pour la raison. Idem vers 407 et 431.   26 Qui ne vit pas dans l’aisance ; voir le vers 263. « Malaisé de biens. » Godefroy.   27 En mauvais état.   28 Ni un présent, ni un denier, ni une piécette.   29 Premier pauvre. Voici un dialogue entre les mendiants professionnels Clique-patte et Mal-aisé. Allergiques au travail, ils laissent croire à sainte Barbe qu’ils sont chrétiens pour obtenir d’elle une aumône, qu’ils iront boire à la taverne, comme les deux bonimenteurs du Mystère des trois Doms après qu’ils ont apitoyé trois saints.   30 Une pièce de 5 deniers.   31 Ms : fouessonne  (Je corrige aussi les vers 68 et 73, d’après le vers 78.)  Nous avons à foison. « Souspeçon tousjours me foisonne. » ATILF.   32 Médiocrement, faiblement.   33 Plus haut, en parlant plus fort, afin que d’éventuels donateurs entendent tes plaintes.   34 En hurlant.   35 Appelle le public avec force. « Hucher » est picard : voir Debrie.   36 En hurlant plus fort que son camarade.   37 Quand bien même tu serais hébergé à Saint-Lazare. On nommait ainsi les lazarets, les léproseries. Leurs pensionnaires, qui n’étaient pas nourris, sortaient pour mendier ; ils faisaient alors beaucoup de bruit en criant et en agitant leurs cliquettes [castagnettes].   38 Tu sais bien ton rôle.   39 Pour attraper foison [quantité] de fromages. On rencontre la métathèse « fourmage » en Picardie : voir Debrie.   40 Ms : je les grippe  (Les mendiants cherchent toujours à se procurer des tripes : voir l’Aveugle, son Varlet et une Tripière, ou la Trippière <F 52>.)   41 Moue, grimace de douleur. Les faux malades qui mendient ont un sens du mime très développé. « Regarde comme il fait la lipe :/ Il lui fault un morssel de tripe. » Le Martyre S. Estiene.   42 Pour resquiller à foison des croûtons de pain.   43 Haut, sonore.   44 Ms : onc que on me   45 Si dure.   46 Par ma religion. Idem vers 298, 343 et 523.   47 Prêtre, ou responsable d’une communauté ecclésiastique : ces deux professions exigent une voix de stentor.   48 Nous avons bien commencé (à mourir de faim).   49 Je ne voulusse, je ne voudrais. La forme picarde correcte est voulsisse, comme au vers 203.   50 Qu’on coudrait avec.   51 Ms : ponroint  (Piqueraient : conditionnel picard de « poindre ».)  Les vers 92-95 sont très abîmés ; je ne garantis pas mes corrections.   52 Ms : palestiens  (Mot inconnu.)  Bélîtrien = bélître, mendiant. « Et ces méseaulx [lépreux], bélistriens,/ Taingneux. » Les Sotz fourréz de malice.   53 Ms : Quel de fieus  (Tendrions : forme picarde de tiendrions. « Quant entre mes bras la tendray [je la tiendrai]. » Les Trois amoureux de la croix.)   54 Ms : Lesser  (Laissez la grossesse aller à son terme : laissez faire les choses.)   55 Ms : toust  (Très souvent, le copiste note « ou » au lieu de « o » : toust, suppoust, chouse, propous, noustre, voustre, dépoust, etc. Je corrige tacitement cette graphie dialectale, qui n’est pas due au fatiste.)   56 Voyez ici : voici.   57 Que quelqu’un.   58 Sainte Barbe est le modèle de la nouvelle convertie intolérante et bornée, qui croit que vandaliser des œuvres d’art gréco-romaines est un acte de foi (en portugais : auto da fe). Profitant de ce qu’elle est la fille du roi*, elle vient de saccager — et de piller — le trésor royal.  *Voir la Chanson en divers son, tirée du même Mystère.   59 De tels dons.   60 Ce n’est pas avec de bons sentiments qu’on fait de la bonne poésie : ce vers apocryphe dénature le triolet ABa(b)AabAB.   61 Sainte Barbe s’éloigne.   62 Ms : diuiser sur le coude  (Discuter en étant accoudés à la table d’une taverne. « Deviser sur le coute, coste le [à côté du] vin. » ATILF.)  La rime exige coute, que le Dictionnaire picard, gaulois et françois de Daire écrit « couste ».   63 Avaler du vin. Cf. Te rogamus audi nos, vers 64.   64 Ms : juchee  (Rime picarde. « Quant la pye est juchie. » Ballade en jargon que Thierry Martin attribue au Picard Colin de Cayeux : VILLON, Ballades en argot homosexuel, Mille et une nuits, 1998, pp. 71-72.)   65 La somme restante fera l’objet d’un vif débat.   66 L’auteur a laissé des blancs pour qu’on puisse ajouter des noms de tavernes selon la ville où se joue le Mystère. Tant bien que mal, un copiste du XVIIIe siècle a résolu ces deux vers de la sorte : « Nous en irons chez Lambotin,/ À la Croix d’or, et burons du meilleur. »   67 Cæcus : aveugle. Voir les vers 17-24. Cet épisode est situé après la mort de sainte Barbe.   68 Connue de tous les malheureux. Idem vers 499.   69 Ms : cy  (« Arté » est une syncope picarde : arrêté, figé. Voir Debrie.)   70 En vérité.   71 Ce qu’est la lumière.   72 Féroce. « Fier comme ung lyon. » Colin filz de Thévot.   73 Le crapaud et l’araignée sont les animaux les plus vils. « Yraigne » est picard : voir Debrie.   74 Ms : A  (La suite est au pluriel.)   75 Ms : soulail   76 Une plainte au sujet.   77 Je savoure peu et je goûte peu.   78 Ms : Est  (Selon l’opinion commune et vraie.)   79 Atteint de claudication, boiteux. Voir les vers 25-32.   80 Je suis très débile, faible. Idem vers 372.   81 Habile.   82 Tordu et boiteux. « Boué-teux » compte pour deux syllabes aux vers 25, 253 et 384.   83 De finances.   84 Que je ne vais pas.   85 Comme si j’étais un étranger.   86 S’éloigne. « Ce faisoit joie estrangier de moi. » ATILF.   87 Défectueux, frappé d’un défaut physique.   88 Illusoire.   89 Embroché, transpercé. Debrie donne abrocqui.   90 Par l’un.   91 Si je pouvais aller selon mon désir où je voulais. Cf. la Complainte d’ung gentilhomme, vers 14.   92 Ni au pas, ni à la course. « Et ne vont jamais les chevaulx, en icelluy pays, que le pas ou le cours. » ATILF.   93 Sourd. Vers 33-44.   94 Je ne me reconstitue, physiologiquement ou financièrement. « Pour me rescourre,/ Iray de bonne heure à la queste. » Les Bélistres.   95 Un des plus accablés. Idem vers 257.   96 Je suis sourd comme un pot.   97 Ms : Loraille tant sorte  (« Oraille » est la graphie du copiste ; je la corrige encore au vers 442, qui rime en -eilles, et à 525.)  J’ai l’oreille si dure et si engourdie.   98 Qu’on m’adresse.   99 Vers manquant. « Je vueil bien que chascun le note. » Jeu du Prince des Sotz.   100 Je ne sais pas sur quelle note je dois chanter les répons des Vigiles. Dans la Chanson en divers son, notre Mystère fait chanter les Vigiles à Lucifer, et leurs répons aux démons. « Chantez, mère, nous respondrons. » (Les Vigilles Triboullet.) L’auteur oublie que Linard est encore païen.   101 Ms : pouldre  (Les références de Linard concernent la ferme : fumier, poules, moutons.)   102 Publique. Idem vers 323.   103 Au changement de folio, le copiste a sauté un vers. « J’en suis en grand esmoy. » Folconduit.   104 Ni ceci, ni cela. « Sans plus dire ne si, ne quoy. » Les Drois de la Porte Bodés.   105 Je rectifie les rimes du copiste : propoux, groux, ouy, propoux. Voir la note 55.   106 Avec une grosse voix.   107 Ms : ouy  (Pots de vin. « Et tousjours du vin à plains pos. » Les Chambèrières et Débat.)   108 Ms : ad ce propoux  (C’est à quel sujet ? Au vers 278, Mal-nourri pose cruellement cette question à Linard.)   109 En réalité. « Ce petit livre, attendu que, d’effait,/ Il est d’un gros et rude stille fait. » (Le Plaisant boutehors d’oysiveté.) Mario Longtin conserve « deffaict ».   110 Tu t’illustres mal. Verbe ressourdre.   111 Ms : nont   112 Sommes-nous venus au monde si mal lotis.   113 Parmi.   114 Il manque (verbe faillir). Idem vers 356 et 561.   115 En lui faisant des demandes pressantes. Nous arrivons au passage obligé : le dialogue de sourds. Voir la notice du Gouteux.   116 D’où ce fleuve tire sa source ?   117 Que Dieu te donne une bonne journée ! « Doint bon jour, ma dame ! » Les Sotz fourréz de malice.   118 Ms : bien breues  (« Queuë à queuë : À la file, immédiatement l’un après l’autre…. Ces bateaux estoient queuë à queuë. » Dict. de l’Académie françoise.)  3 ou 4 navires l’un derrière l’autre.   119 C’est à quel sujet ? Voir la note 108.   120 Ms : forte  (De brique. « Comment pierre cuite/ Fust faite et pollie, et enduite. » ATILF.)  Là où on ne produisait pas de briques, on les faisait venir par transport fluvial.   121 Du sultan Bajazet Ier. « Plus vaillant que Basac. » (Mystère de Ste Barbe.) Voir Mario Longtin, p. 296.   122 Ms : par ma foy du  (On imprimait une fleur de lis au fer rouge sur l’épaule des coupeurs de bourses.)  Le bissac, porté sur le col, pend sur les deux épaules.   123 Il y a une palissade, un mur. Voir Debrie.   124 Ms : housse qui fut voustre  (Le copiste remplace « chose » par « chousse » aux vers 517, 553, etc. La chose dont nous avons le plus parlé. « La chouse de quoy yl estoit le plus marry. » Ph. Duplessis-Mornay.)  Mal-hiverné joue sur le double sens phallique du mot chose : « Dieu luy doinct chose qui se dresse ! » Frère Phillebert.   125 Après le 2 février, qui est une des dates de l’année où se payent les termes.   126 Les collecteurs d’impôts mélangent notre argent avec le leur. « Mectre l’aultruy avec le sien. » Le Temps-qui-court.   127 Limités dans leurs actions, ou limités en nombre.   128 Ms : destenge  (En argot, vendanger = voler. « L’auroys-tu poinct bien vendengée ? » Le Retraict.)   129 Il n’y a aucune limite à leurs exactions.   130 Ms : sote  (Ces crapauds sont les ribauds du vers 295.)   131 Ms : ses  (J’use mes doigts à laver ma braie, ma culotte. Voir le vers suivant.)   132 Comme un fou. « En cocardois, comme fol et infâme. » ATILF.   133 Ms : macres  (Avec une écuelle de lait caillé, nourriture préférée des fous. « Laquelle lui avoit préparé une bonne, belle et grande platelée [platée] de mattes. » Godefroy.)  Escullée = écuellée, contenu d’une écuelle : le Gentil homme et son Page, vers 158.   134 De fesses. Plusieurs pochades carnavalesques nomment ce faux prince désargenté : le Privilège et l’auctorité d’avoir deux femmes, ou les Ordonnances & réformations composées par le grant prieur de Bondeculage & Serrefessier. (Contrairement à ce qu’on dit parfois, il est absent du Monologue des Sotz joyeulx.) Il tiendra un rôle dans le Jeu du Prince des Sotz.   135 Pour réussir. Daire donne esploictier. « Se je puis esploitier, il n’i revenront [reviendront] jamès à temps. » ATILF.   136 Si le prince de Nates est un fabricant de nattes. « Car oncques je ne vy natier/ Qui peust recouvrer grant chevance. » Bien advisé et Mal advisé.   137 On n’en verra pas le bout aujourd’hui.   138 De noix, dont l’enveloppe se nomme le brou : « De broust de noiz. » ATILF.   139 Ms : descaillez  (De noix écalées, extraites de leur coque.)   140 Vous la lui avez baillée belle ! Cf. le Fossoieur et son Varlet, vers 30.   141 Sorte d’étoffe : « Drap de brunette. » (Le Ribault marié.) Mais c’est également une femme réputée pour sa finesse d’esprit : « Or pleust à Dieu qu’il fût ès mains/ De la brunète que tu scez ! » (La Pippée.)  Mal-nourri et Mal-hiverné s’en vont.   142 Il vaticine comme un prophète, il dit n’importe quoi.   143 Rengaine : « –Il en fait plus grant kyrielle…/ –Quelz moutons ? C’est une vïelle ! » (Farce de Pathelin.) Ayons à l’esprit que Mal-hiverné porte en bandoulière la vielle sur laquelle tous les mendiants aveugles s’accompagnent quand ils chantent dans la rue.   144 Suite de phrases absurdes.   145 On n’en verrait jamais le bout.  En pièce = avant longtemps.   146 Longuement.   147 Prisonniers de nos infirmités.   148 Nous ne pouvons guérir. « Garir » est picard : voir Debrie.   149 De vrai. Les Picards prononçaient « vair ».   150 Le pouvoir. Idem vers 370 et 385.   151 Nos infirmités. Cf. le Ramonneur de cheminées, vers 215.   152 Ms : Et de   153 Les dieux m’éconduisent. Voir Jules CORBLET : Glossaire du patois picard ancien et moderne.   154 Au. Même forme picarde (voir Corblet) aux vers 498 et 518.  L’habitacle est la « logette » (v. 473) ou la « petite maison » (v. 448) qui abrite le tombeau de sainte Barbe.   155 D’aller en faire l’expérience.   156 D’adopter la religion chrétienne. Les convictions religieuses de nos mendiants ne relèvent pas de la théologie mais du plus trivial intérêt personnel : ils vont au plus offrant.   157 Œuvré.   158 Aboyer : parler trop fort. Debrie donne abbayer.   159 Jeu de mots sur coiement [silencieusement : voir Daire] et sur cayement, ou caïmant, terme d’argot qui désigne un mendiant ; cf. Daru, vers 44 et note.   160 Quand elle lui fait défaut.   161 Ms : est mon corps  (Le vers est trop court, et l’adjectif est au pluriel.)  « Perdu j’ay les yeulx. » (Daru.) « As-tu perdu les deux yeux/ En jouant de ta vielle ? » Gaultier-Garguille.   162 La sainteté.   163 Aucun païen. « Âme n’y sçauroit contredire. » (Raoullet Ployart.) Ce mot étant relégué au début de la ligne, le copiste a cru que ce vers ne rimait pas ; il a donc rajouté l’inutile vers 360.   164 Nul ne va là où Barbe est inhumée.   165 La corde servait à guider les aveugles, tel celui d’Ung biau miracle : « Le Varlet, en baillant la corde : / Alons, donc ! Tenez bien la corde ! »   166 « État de celui qui est en bonne santé. » Daire, Dictionnaire picard, gaulois et françois.   167 Saint Valentin est le fondateur du tombeau miraculeux de Barbe. Il préfigure le curé vénal qui présente à un public payant la relique de sainte Caquette : « Si pourrons-nous, ce jour, acquerre/ Richesses, dons et grans offrendes :/ Car vécy le peuple à grans bendes. »   168 Débile, faible. Idem vers 177. Mario Longtin préfère lire « De ville ».   169 Agréable.   170 En ce qui le concerne. Cf. les Povres deables, vers 215.   171 Paradoxalement, les « loyaux » sont ici les apostats qui ont abjuré le paganisme.   172 Ainsi notre peine sera finie.   173 Que Mal-hiverné entre dans la loge du tombeau, et Mal-nourri avec lui.   174 Ms : Vroy  (Je corrige la même lubie du copiste aux refrains 386 et 389, ainsi qu’au vers 506.)  Enluminé = qui a recouvré la lumière, la vue : cf. l’Aveugle et Saudret, vers 59, 322, 325, 353.   175 Tant il a une grosse quantité de vertus.   176 Prononciation à la française du latin tugurium : cabane. « Léopaldus (…) se mussoit en ung petit tugurion. » Le Violier des histoires romaines.   177 Qu’il dise avec les genoux fléchis.   178 Qui auparavant. Idem vers 527.   179 Mon âme est joyeuse et éclaircie [éclairée].   180 Pour cela, avec un cœur humble et incliné.   181 En adhésion.   182 Ms : benign  (Bienveillant.)   183 Une œuvre. Idem vers 413 et 531.   184 Sans sortilège.   185 Ni faite dans l’intention de tromper. Le vers suivant est perdu.   186 Ms : suymes  (C’est là, comme au vers 508, une variante bretonne de sommes due au copiste ; l’auteur écrit « sommes » à la rime. Voir Longtin, p. 94.)  Jeu de mots sur « sains » et « saints ».   187 Dans cette demeure.   188 D’après la légende, le bourreau avait arraché les seins à Ste Barbe.   189 Ms : Respuse  (Voir les vers 337, 398 et 420.)   190 De pensée.   191 Sauter, courir, trotter.   192 Vers manquant. « Luy faisant mes regrectz et plainctes. » Monsieur de Delà et monsieur de Deçà.   193 Gravement atteinte.   194 Par l’huis, la porte de la loge.   195 Qu’ils sortent du lieu du sépulcre. Au loin, Linard les voit sortir en bonne santé.   196 Jamais, depuis que Dieu me boucha les oreilles.   197 En moins de temps qu’il n’en faut pour tousser. « Mains » et « toussir » sont picards : voir Debrie.   198 Un médecin (voir Daire). Cf. le Brigant et le Vilain, vers 93.   199 Soigne avec un remire [remède].   200 Ms : De  (Transcription fautive de « & ». « Luy donnent force & vertu. » Pierre de L’Ostal.)   201 Ne voyait.   202 Ms : beaucoup  (Voir Debrie.)  Et maintenant, il y voit beaucoup mieux que moi.   203 Éclopé.   204 Ms : tromper  (Sautiller. « Saulter, tripper, tumber, baler. » Sermon joyeux des quatre vens.)  Baller = danser.   205 Avoir de la chance. Ignorant cette acception picarde, le copiste adjoint à ce mot un vers explicatif.   206 Faire disparaître ma surdité.   207 Crier, implorer. « Vous avez beau huer. » Les Trois amoureux de la croix.   208 Au moins, je saurai ce qu’on dira autour de moi.   209 Ms : Herfault  (Briffaut, possédé par le démon, passe son temps à maudire tout le monde : voir les vers 565 et 577.)   210 Ms : On  (Bon vêpre = bonsoir. Voir Corblet.)   211 Ms : que  (J’y vais avant qu’il fasse nuit. Daire donne avesprir. Beaucoup de chansons de geste offrent la variante : « Ains qu’il soit avespré. »)   212 Ce sourdingue. Cf. le Gouteux, vers 25, 37 et 265. Le fatiste ne trouve pas anormal qu’un ancien aveugle reconnaisse Linard sans l’avoir jamais vu.   213 Je m’en méfie. « Point ne s’en guectent les gallans. » Les Coppieurs et Lardeurs.   214 Vérifions un peu s’il entendra (verbe ouïr).   215 Depuis.   216 Êtes-vous agité ? « Quand sa maistresse avoit la fièvre au cœur. » P. de l’Écluse.   217 Admettons qu’il en soit ainsi.   218 Sans doute un refrain de chanson.   219 Une année de malheur. Cette expression paraît désigner ici un étron. Les temps ont changé : de nos jours, marcher dedans porte bonheur.   220 Mot manquant. Prends-le pour toi ! Voir le vers 615 : « Pren delà ! »   221 J’entends aussi bien que vous, vraiment.   222 Je me mis à entendre sur le champ. « Tout sur piedz m’en feusse vengé. » Les Bélistres.   223 Ne m’en revient pas.   224 Ms : sort  (Fort privilégiée : en bonne place auprès de Dieu.)   225 Ms : secoure  (Même sens, mais les rimes sont en -eure. Voir Daire.)  « Je prie Dieu qu’il me sequeure. » Le Gouteux.   226 En peu de temps, Dieu fait beaucoup de travail. Proverbe courant.   227 Ce dicton, ce proverbe.   228 Nous sommes guéris sans retard.   229 Sans médecine. Cf. le Médecin qui guarist, vers 22.   230 Ms : ma  (Je rendrai grâce mille fois à Dieu. « L’en mercia à tot le mains/ Plus de mil foiz. » Rutebeuf.)   231 En profondeur. Voir Debrie.   232 Ms : de  (Je ne souhaite ni ne désire rien. « Et voi bien que c’est ton désir/ De fère quanque [tout ce que] je désir’. » La Clef d’amors.)   233 T’aimer.   234 Dans la religion païenne.   235 Tu as retiré les taies qui couvraient mes tympans. Au sens propre, la taie [cataracte] recouvre les yeux.   236 Ms : atoy  (Tu as tout fait sans perte de temps.)   237 Ce qui est une œuvre surnaturelle, un miracle.   238 Nul homme dépourvu d’un don divin.   239 Ms : recommande  (Je me recommande. « À Dieu je me commande. » Les Povres deables.)   240 Tant que je vivrai. « Tant qu’aurons au monde durée. » Les Sotz triumphans.   241 Qu’à la fin de mes jours je mérite. « Tu seras payé/ Ainsi comme l’as desservy. » Jéninot qui fist un roy de son chat.   242 Possédé par le démon. Voir les vers 9-16.   243 Les fous dangereux portaient des espèces de menottes ; voir les vers 569 et 626.  Par accord = ensemble : « Alon par acord veoir le bon/ Oudinet. » Le Gallant quy a faict le coup.   244 Ms : chousse  (Car nous n’aurions rien d’autre de lui. « Car il n’en aura aultre chose. » Le Testament Pathelin.)   245 Le tombeau de Ste Barbe.   246 Ms : De soubz loustel  (Une couverture est une pierre d’autel : « La couverture dudit grant autel, qui est moult grant et molt grosse, est la propre couverture du Saint Sépulcre. » ATILF.)   247 Celui qui ne prend pas de risques. Même proverbe dans Resjouy d’Amours.   248 Ms : quoy  (Voir les refrains 567 et 572.)  Tiens-toi tranquille ! Le feras-tu ? « Tais-toy ! Feras ? » Sermon joyeux de bien boire.   249 Ms : croing  (Sur le groin, sur le museau. « Tu prendras cela sur ton groing ! » La Nourrisse et la Chambèrière.)   250 En avant ! « Hay avant, hay ! » (Cautelleux, Barat et le Villain.)  C’est à demain = C’est pour aujourd’hui ou pour demain ? « Trut avant, trut ! C’est à demain ? » Les Frans-archiers qui vont à Naples.   251 Peut-être le curé mentionné au vers 282. Les prêtres des farces débauchent leurs paroissiennes : « À ma femme,/ Messire Jehan aprenoit sa game…./ Messire Jehan, qui la besongnoit. » Les Trois nouveaulx martirs, F 40.   252 S’il l’aura secouée sexuellement.   253 Niais, comme le sont les moutons. Corblet donne janin. « Tant tu es jényn ! » Les Botines Gaultier.   254 Tu es un ivrogne. « Qui a beau nez boit ès bouteilles. » Les Rapporteurs.   255 Ce vouvoiement hors de propos semble indiquer que nous avons là un refrain de chanson.   256 Quelque chose à brouter, à paître. « Gaigner le broust. » Mallepaye et Bâillevant.   257 Le nœud. Cette image peut provenir du Roman de la Rose : « Lors t’auray le neu desnoé/ Que tousjours trouveras noé…./ Amour si est paix haïneuse. »   258 Ms : adeuenir   259 Ms : tenaisie  (Si ma furie augmente. Cf. le Cousturier et Ésopet, vers 260.)   260 Qu’il chante. Cette chanson à boire annonce celle qu’Antonio Gardano publiera en 1539 : « Robin, Robin, viendras-tu à la veille ?/ Si tu i vien, n’oblie pas la bouteille,/ Et tu voirras là chose non pareille. »   261 Le copiste écrit voille ici et aux refrains, et esvoille au v. 595 ; je rétablis la rime en -eille fournie par les vers 589 et 604. Viendras-tu à la veillée ?   262 En chevauchant un bousier, sorte de coléoptère coprophage. Pour la rime, il vaudrait mieux lire : l’escargot. Les fous trouvaient naturel qu’on soit « monté dessus ung lymaçon ». Ung fol changant divers propos.   263 Paiera. Mais aussi : pétera. « S’on l’oit vécir [péter] ne poire. » (Villon.) Les enfants jouaient à éteindre une chandelle avec un pet. « Chandeille » est picard : voir Debrie.   264 Ms : Labourons  (Là, nous boirons sous la tonnelle. « Et furent trère du vin, et burent souz leur treille. » Godefroy.)   265 Ce vers hétérogène pourrait appartenir à la même chanson que le vers 579.   266 Ms : parroyche  (Voir Debrie.)  Dans notre église paroissiale.  Sur les enfants de curés, voir par exemple Jénin filz de rien.   267 Ms : les  (Empoigne-le par le bras droit.)   268 Hurlement que poussent les diables. « Haro ! deables d’Enffer ! » Le Munyer.   269 Rime picarde en -ide. Voir Debrie. « Jamais n’en aurez grant aÿde./ On luy eust bien lasché la bride. » Le Ramonneur de cheminées.   270 Viendrez (forme picarde). Cf. le Brigant et le Vilain, vers 10 et 225.   271 Rapidement, tant que la trace du gibier est chaude et que les chiens peuvent suivre sa piste.   272 Ms : sanatur  (Toutes les didascalies latines sont au subjonctif : elles transmettent des ordres aux comédiens. Pour des raisons qui m’échappent, Mario Longtin lit : sanativo.)  Qu’ils le conduisent dans la loge du tombeau, et qu’il soit guéri. Et après, qu’il dise, en ayant les genoux fléchis.   273 Prenez exemple. « Mirez-vous là ! » (Le Povre Jouhan.) Mario Longtin préfère lire « Ajuréz vous ».   274 Visibles.   275 Tache, péché.   276 Par l’intermédiaire de.   277 Ms : cest   278 La tête nue : en tenant mon bonnet de fou à la main. Dans tous les Mystères, la conversion au christianisme s’accompagne d’un abandon total du sens critique, du sens de l’humour, du sens de la formule, et plus généralement, de l’amour de la vie : un converti ne songe plus qu’à mourir en martyr, après avoir renoncé à tous les plaisirs de l’existence au profit d’un masochisme bouffi d’orgueil : « Mais ces chrestïens sont si folz/ Qu’ilz preignent plaisir qu’on les bate. » La Vie de sainct Christofle.   279 « Dieu mercy,/ Et vous, et tous mes bons amys ! » Le Roy des Sotz.

DARU

Bayerische StaatsBibliothek

Bayerische StaatsBibliothek

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DARU

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Les bourreaux Gournay et Micet apportent une bonne dose d’humour noir au Mistère du Viel Testament ; de même, le bourreau Daru galvanise de son cynisme à toute épreuve les Actes des Apostres (~1470), de Simon Gréban. Voici quelques-unes de ses frasques, disséminées dans les quatre derniers livres du Mystère, qui en compte neuf.

Daru veut dire grossier1. Dans le Miracle de saint Ignace, un sergent cogne sur le saint : « Est-ce bien fort féru [frappé] ? / Ne say vilain, tant soit daru, / Qui n’en fust roupt [rompu]. » Jehan Du Prier, qui avait remanié les Actes des Apostres à la demande du roi René d’Anjou, nomma « Daru » un messager de son Mistère du Roy Advenir.

Sources : Le second volume du magnificque Mystère des Actes des Apostres. Édition parisienne d’Arnoul et Charles Les Angeliers, 15412. <Munich, Bayerische StaatsBibliothek, Res/2 P.o.gall. 27-2.> Je corrige tacitement d’après les éditions de 1538 et de 1540, qui sont beaucoup moins correctes et parfois incomplètes : voir les Bélistres.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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                        DARU

        Qui a3 d’ung bon ouvrier à faire,

        Voicy ung maistre du mestier.

        Si nul de vous en a mestier4,

        Vous voyez : je suis comparu5.

                        LE  PREMIER  PAYEN 6

5      Qui est ce gallant ?

                        DARU

                                         C’est Daru,

        Bon pendeur et bon escorcheur,

        Bien bruslant homme, bon trencheur

        De testes. Pour bailler ès fours7,

        Trayner8, batre par carrefours,

10    Ne doubtez que meilleur s’appère9.

        Le sire grant10 de mon grand-père

        Fust pendu d’ung joly cordeau.

        Ma grant-mère fut au bordeau11,

        S’esbatant et menant grant chère,

15    La supellative12 sorcière

        Dont on ouÿt jamais jangler13

        Pour petis enfans estrangler.

        Mon père fut tout vif bruslé.

        Et mon frère fut décollé14.

20    Fut15 enfouy son aisné filz

        En terre : la fosse luy feiz,

        Et sur le ventre luy sailly16.

        Mon autre frère fut bouilly

        Pour ouvrer17 de faulse monnoye.

25    Et pour ce cas, là je venoye

        Assavoir s’on avoit mestier

        Du meilleur ministre au mestier18

        Qui soit, en ma chair[e]19 occupée.

        Or çà ! regardez mon espée,

30    Cordes, fouëtz et grésillons20.

        J’enrage que nous n’assaillons

        Quelque meschant, à ma venue !

        ……………………………..

                        DARU,  assis.21

        Ne viendra aucun m’enquérir22

        Pour besongner ? Hé ! gentil corps23 !

35    Où sont bussines24, trompes, cors

        Pour la Justice publier ?

        J’ay peur du mestier oublier,

        À moy reposer si long temps.

        S’il fust aucuns seigneurs mettans

40    À Justice quelque gros bis25,

        Je gaignasse tous ses habitz26 :

        Pourpoinct, robe, tout seroit nostre.

        Mais ung sermonneur, ung apostre,

        Ung dessiré27, ung cayemant,

45    À tous les dyables les command28 !

        De despescher telle quenaille29,

        Je n’en donneroys une maille30,

        Car je n’y sentz point de prouffit.

        ………………………………

        Par ma foy, sire, je suis ung

50    Gentil-homme de basse main31.

        Mon frère fut cousin germain

        À l’oncle du nepveu au frère

        De la fille à la seur du père

        De la mère et de mon ayelle32.

55    Et la mienne portoit le voille33

        Pour mieulx la Dame contrefaire.

        ………………………………

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                        LE  PRESTRE  [DE  LA  LOY] 34

        Bateras-tu bien cestuy-cy ?

                        DARU

        Ouÿ, par Dieu ! Et vous aussi35,

        Si monseigneur le me commande.

        ………………………………

                        L’ESCUYER  DE  ASTRAGÈS 36

60    Dea ! tu y mectz bien longuement,

        Pour ung maistre comme tu dis.

        Mais véritables sont les dictz :

        Plus est ung homme grant vanteur,

        Moins est véritable, et menteur37.

65    Daru, Daru, entendz ce mot !

                        DARU

        Par Mars ! j’en auroye plus tost

        Escorché une quarantaine,

        Et bruslé une cinquantaine,

        Et dix traynéz, et vingt pendus,

70    Et en quatre quartiers fendus

        Ung cent38, de ce cousteau tout neuf,

        Que tu n’auroys plumé ung œuf !

                        ASTRAGÈS 39

        Il dict vray. Donne-luy à boire :

        Bien l’a gaigné.

                        DARU

                                  Par ma foy, voire !

                        L’ESCUYER

75    Ha ! comment il est empeschié40 !

        C’est bien ouvré41 !

                        DARU

                                         C’est bien chié42 !

        Et ! beau sire, qu’as-tu affaire

        De tant railler ? Laisse-moy faire !

        Que Dieu te doint la mort amère !

                        ASTRAGÈS

80    Si tu es filz de bonne mère43,

        Prens tost tes fouëtz, et le batz

        Du long, du lé44, et hault et bas !

        Acoup !

                        DARU.  Il frappe sur sainct Bartholemy.

                        Tenez, pour moy esbatre :

        Et ung ! Et deux ! Et trois ! Et quatre !

85    Et cinq ! Et six ! Et sept ! Et huyt !

        Si je ne le rendz de sang vuyd45,

        D’en avoir autant ne m’oppose46.

                        ASTRAGÈS

        Es-tu lassé ?

                        DARU

                              Je me repose

        Regardant ce costé deçà47.

                        L’ESCUYER

90    À luy, ribault !

                        DARU

                                   Çà, maistre, çà !

        Et zif ! Et zef ! Et zof ! Et zaf !

        Et chic ! Et chec ! Et choc48 ! Et taf !

        Et crocq ! Et cracq ! Et maille49 ! Et charge !

                        ASTRAGÈS

        Prens à chascune main la verge,

95    Et autour du corps l’en accolle !

                        DARU

        À l’escolle50, maistre, à l’escolle !

        Juppin51, comme il a la peau dure !

        ………………………………

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        Je suys pied à pied les Apostres

        À celle fin que ne les perde,

100  Comme une truye faict52 la merde.

        ………………………………

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        Mais…53 Mais… Que diroient mes amys

        S’ilz me voyoient en ces habitz ?

        Cecy : « Daru fait du gros bis54. »

        Ha ! par Jupin, ilz n’en ont garde55 !

105  Car quant bien tous je les regarde56,

        Qu’en feray-je ? Il le fault sçavoir57.

        Que semble-il de moy, à me veoir ?

        Ha ! mocque58 qui en ayt envie

        — Soit homme mort ou soit en vie !

110  Je cacheray tous mes oultilz,

        Cordes, cousteaulx, fouëtz gentilz ;

        Et l’aveugle contreferay59.

        En demandant mon pain, feray

        Que quelque argent pourray acquerre60.

        ………………………………

115  Tenir me fauldra mes deux yeulx61

        En ce poinct à demy ouvers,

        Regardant les cieulx de travers :

        Ce m’est advis, ainsi fait-on.

        Ha ! voicy ung propre baston62

120  Pour les aulmosnes requérir.

        ………………………………

        Sçavoir me fault comme il fault dire,

        Et faire bien du marmiteux63 :

        « Mes amys, voicy le piteux.

        À voz aulmosnes me soubmetz.

125  Hé ! seigneurs, perdu j’ay les yeulx. »

        (Aussi beaulx ne64 les euz jamais.)

        « De demander je m’entremetz65,

        Pour avoir66 ma vie. Et proteste

        Que ne voy où le pied je metz

130  Non plus du cul que de la teste.67

        Dieu le te68 rende en ses sainctz Cieulx,

        Peuple, le bien que tu me faictz ! »

        (Mon bien cacheray, c’est du mieulx ;

        Ou mes propos seroient deffaictz69.)

135  « Las ! considérez les effectz

        Dont fault que je porte moleste70 :

        Je ne veoy tables ne buffectz

        Non plus du cul que de la teste.

        Hé ! bonnes gens jeunes et vieulx :

140  En voz maisons, en voz palays,

        Mandez-moy [très bien]71, de voz lieux,

        Par le moindre de voz varletz,

        Du relief aucuns morceletz72

        Dont le povre fera grant feste.

145  Je ne congnois73 beufz ne poulletz

        Non plus du cul que de la teste.

        Donnez-moy des petis brouetz

        Que vous donriez à quelque beste !

        Car veoir ne puis, [dont fais souhetz]74,

150  Non plus du cul que de la teste. »

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                        L’HOSTE 75

        Puisqu(e) avons nostre œuvre parfaicte,

        Dieu vueille qu’elle nous soit bonne !

                        DARU

        Hélas, vostre benoiste aulmosne !

        Dieu vous saulve la claritat 76

155  Et vostre belle luminat,

        Au nom de Dieu en qui je croy77 !

                        L’HOSTE

        Venez, preud’homme ! Suyvez-moy,

        Et je vous donray quelque crouste

        De mon pain.

                        DARU

                                Et ! je n’y voy goutte.

                        L’HOSTE

160  Je vous mènray tout beau, présent78.

                        DARU

        Dieu vous rende ce bon présent

        Et le vous vueille remérir79 !

                        L’HOSTE

        Séez-vous cy ! Je voys80 quérir

        Ung peu de souppe.

                        DARU

                                          Hé ! mon voisin :

165  Et ung petit just de raisin !

        Non pas de bon vin, mais de trempe81,

        Affin que mon pain dedans trempe.

                        L’HOSTE 82

        Tenez, tenez, voylà du bon !

        Et ung morcelet de jambon,

170  Car il n’y a point de potaige.

                        DARU

        Grant mercis ! Puisque le pot ay-je,

        Je boiray bien, ne vous desplaise.

                        L’HOSTE

        Or me dictes — mais qu’il vous plaise —

        Comment ceste adventure advint,

175  De voz yeulx.

                        DARU

                                Des jours n’a que vingt

        Que j’estoye en trèsbel arroy83,

        À gages, eschanson du Roy.

        Et de nuyct, sans chandelle ou lune,

        Comme cil va que nul n’alune84,

180  Dévalle en ce[rtain] creux concave.

                        L’HOSTE

        Ung célier ?

                        DARU

                              C’estoit une cave :

        J’allay quérir du vin vermeil

        Pour le Roy. Ung ray de soleil85

        Me vint réverbérer le front

185  (Près de86 la mâchouère, adonc),

        Si fort que ne vy vin ny eau,

        Et tombay sur ung grant tonneau ;

        Et demouray là, tout confus87.

        Puis l’endemain, si tost que sus88

190  Que le Roy estoit aveuglé…

                        L’HOSTE

        Le Roy ?

                        DARU

                       [J’ay dit]89 ? Je suis janglé90 !

        Vostre vin est fort comme fer ;

        De moy, je ne sçauroye truffer91.

        S(e) ung petit d’eaue j’y92 mettoye ?

195  Lorsque le Roy sceut que j’estoye

        Aveuglé, j’euz tant de brouetz93

                        L’HOSTE,  voyant le bout des fouetz.

        Que faictes-vous de ces fouëtz ?

                        DARU

        Quoy ! les voyez-vous ? Je les tiens

        Au poing, au chemin, pour les chiens ;

200  S’ilz m’abayoient94 soir ou matin,

        Je fais ainsi : « Passe, mastin95 !

        Arrière, arrière ! », quant il mord.

                        Icy, frappe l’hoste et l’hostesse de ses fouetz.

                        L’HOSTESSE

        Que la malle sanglante mort

        Ayt qui96 vous a mis en ce lieu !

                        L’HOSTE

205  Si ne feust pour l’amour de Dieu,

        Ha  croyez que l[’est]ourdisse bien97 !

                        DARU

        Ay-je frappé dessus ung chien ?

        Ha, Patault98 !

                        L’HOSTE

                                 Voz fièbvres quartaines !

        Or sus, sus, cherchez voz mitaines99 !

210  Prenez en gré100 ce peu de bien.

                        DARU

        Et ! comment ? N’en payeray-je rien ?

                        L’HOSTE

        Je n’ay de vostre argent mestier101.

                        DARU

        À Dieu ! Voicy ung bon mestier ;

        De le faire ne me repens.

215  Pendu soys-je si je despens

        À voyage[r] denier ne maille !

        Il est temps qu’en quelque lieu aille

        M’adventurer.

                        L’HOSTE

                                Ha, Fine Myne102 !

        Regardez comment il chemine,

220  Depuis que vin a englouty.

                        DARU,  en soubzriant :

        Le chemin sçay, de ce party103.

        Voyez, le gallant est fringueux104.

                        L’HOSTE

        Par le grant Dieu, c’est ung fin gueux105 !

                        DARU

        Soubz ung gros manteau de bureau106,

225  On donne à boire à ung bourreau

        Qui ung repas entretiendra107

        Quant entre ses gens se tiendra.

                        L’HOSTE

        Quel gros marault ! Faict-on ainsi ?

        ………………………………

                        DARU

        À dormir me suis entremis108,

230  Après le vin du tavernier,

        Qui cuyde estre ung fin lanternier109 ;

        Mais je l’ay bien tost sceu avoir110.

        À Dieu vous dy jusqu(e) au revoir !111

        ………………………………

        Quant mon hoste s’esveillera,

235  Il se verra bien estonné

        D’avoir à ung bourreau donné

        Ung bancquet. Quelle fine espice112 !

        ………………………………

        Seigneurs, s(e) on me vient demander,

        Esveillez-moy tout doulcement :

240  Car je dors si très pesamment

        Que, s’on ne me vient appeller,

        On ne sçaura si bas parler

        Que je ne les entendray jà113.

        ………………………………

        Et ! je croy, si je ne m’esveille,

245  Que nully ne m’esveillera.

        Qui pour soy ne travaillera114,

        Mal yra, à ce que je voys.

        ………………………………

.

        Et ! quel dyable pourroit entendre

        Leurs chantz115 ? Ilz ne font que urler.

250  Ne sçav’ous116 autrement parler ?

        On ne les entend peu ne pou117 :

        L’ung urle en chien, et l’autre en lou ;

        L’ung crye, l’autre parle hébrieu.

        Je ne sçay que118 c’est. En ce lieu,

255  Ce sont dyables : je les conjure119 !

        ………………………………

.

                        Parlant aux veneurs : 120

        Yray-je avec vous, messeigneurs ?

        Je vous ayderay, si vous estes

        Peu hardis à mener les bestes,

        Si elles estoyent en chaleur.

260  Je fuz avec ung bastelleur121

        Qui venoit de Sarrazinesme122 :

        Mais nous deux — avecques sa femme —

        Menasmes ung loup, ung regnard,

        Quinze martinetz, ung pimart123,

265  Ung porc-espic, ung éléphant ;

        À telz enseignes qu(e) ung enfant

        Retraya124 au ventre sa mère !

        Je suis, de les mener, le père125.

        Et si, avions ung sagittaire126

270  Que nous faisions parler et taire

        Ainsi qu’il estoit convenable.

        Je feroye privé127 ung diable !

        Et sans avoir beste battue,

        Si je leur dy : « Sus, ribault, tue !

275  À ly128 ! », voylà ung homme mort.

        ………………………………

                        Icy, ameine le lyépart.129

        Regardez, sire, le voicy !

        Il est dehors, croyez ma voix130.

        Ha ! par tous noz dieux, je m’en vois !

        Je ne seray plus en ce lieu.

        ………………………………

.

                        ÉGÉE 131

280  Et que sçait-il faire ?

                        DARU

                                           Bien pendre,

        Rostir, brusler, escarteller132,

        Batre de verges, descoller,

        Trayner, escorcher, enfouyr ;

        Et si on se combat, f[o]uÿr133

285  Aussi bien qu’oncques feist personne.

        ………………………………

.

                        ÉGÉE 134

        Commectez Daru à la porte

        De la prison où sont tenuz !

                        DARU

        Voire, mais qu’il n’y vienne nulz135.

                        L’ESCUYER  [DE]  ÉGÉE

        Comment ! es-tu si peu hardy ?

                        DARU

290  Ha ! dea, non pas ! Mais je le dy :

        Quant des gens venir nous verrions,

        Et trois ou quatre nous serions,

        La chose yroit plus seurement.

                        LE  PREMIER  CHEVALIER  [DE]  ÉGÉE

        Ne te chault ! Garde hardiment ;

295  Et s’il vient rien136, je t(e) ayderay.

                        DARU

        Mais prenez les clefs seulement.

                        LE  SECOND  CHEVALIER  [DE]  ÉGÉE

        Ne te chault, garde hardiment !

        Où vas-tu ?

                        DARU

                              Gardez vaillamment,

        Par le corps bieu ! Je reviendray.137

        ……………………………….

.

                        L’ESCUYER  [DE]  ÉGÉE

300  Quant ilz me vindrent requérir

        Les clefz, pas je n’estoye asseur138.

                        DARU

        Et de quoy ? En avoys-tu peur,

        Pour veoir ung tas de ribauldaille,

        De hurons139, ung tas de merdaille ?

305  Ba, ba ! il ne fault qu(e) ung revers140,

        Ung montant, ung coup de travers,

        Ung pas avant, deux en arrière.

        Va ! tu n’entendz pas la manière

        Comment en la guerre on s’esbat.

                        ÉGÉE

310  Mettons à demain ce débat,

        Et nous retirons sans effroy.

                        DARU

        Par Mahommet141 ! si Godeffroy

        Venoit, et Rolland de Billon142,

        Et Olyvier, ung papillon

315   N’en donneray143. Bouf ! Baf ! Bif ! Bou !

        « Qui vive là144 ? Où sont-ilz, où ? »

        ………………………………

        Par mon serment ! on dit bien voir145 :

        Ung vaillant homme, où qu’il se treuve,

        Quant en une guerre s’espreuve,

320  Il trouve tousjours à combatre146.

        Mais toutesfois, quant vient à batre

        — Posé qu’au combatre on s’esbat147 —,

        Se, néantmoins, celluy qu’on bat 148,

        Quoyqu’au batre s’est esbatu

325  (Le corps bieu !), quant il est batu149

        Tant qu’il se fault rendre au batant 150,

        Pas n’est jeu, pour estre151 esbatant.

        Quant il y a quelque destour152,

        Tousjours au batre fault153 l’amour,

330  Où est tout plaisir enfouy.

        Et c’est pourquoy je m’en fouÿ154 :

        Car sachez qu(e) ung coup, en bataille155,

        Trop l’eschine156, soubz le bast 157, taille.

        Pour tant158, en la combaterie

335  N’en lieu où y ayt baterie159,

        Mauldit soit qui s’i embatra160 !

        Tant qu’il sache, qu’on161 se batra,

        V(e)ez là162 tout. V(e)ez là mon propos :

        Batailler à voirres163 et potz,

340  À trippes, à pintes, à tasses,

        À culz, à fesses164, à tétasses,

        C’est bataille que je désire.

        Mais toutesfois, il fault que tire

        Vers Égée165, pour enquérir

345  S’il fera personne mourir :

        À cela ne fault contredire.

        ………………………………

.

                        En chantant : 166

        Dieu le vous myre167, myre, myre !

        Dieu le vous myre, frère André !

        Ha ! par ma foy, il me faict rire.

                        TOUS  ENSEMBLE

350  Dieu le vous myre, myre, myre !

                        LE  PREMIER  CHEVALIER

        Puisqu’il nous a tant voulu nuyre,

        De le batre ne me faindray168.

                        LE  SECOND  [CHEVALIER]

        Dieu le vous myre !

                        L’ESCUYER

                                       Myre !

                        DARU

                                                  Myre !

                        ENSEMBLE

        Dieu le vous myre, frère André !

        ………………………………

.

                        DARU 169

355  Et ! j(e) osteray ma heurte-bière170

        Et habitz pour mieulx cheminer,

        Et vers Rommanie trayner

        Mes guestres, au partir d’icy.

        ………………………………

.

        Et ! ne viendra quelque menteur

360  De ceulx qu’à nostre Loy171 s’opposent ?

        Hélas ! mes oustilz se reposent

        Et le maistre ne gaigne rien.

        Je tempeste, je voys172, je vien,

        Je travaille, je quiers, je trace :

365  Et si173, ne puis trouver la trace

        De ceulx qu’à mettre à mort demande174.

        Que faict Néron, qu’il ne commande

        À mettre aucun meschant à mort ?

        Ou Agrippe175, qu’il ne s’amort176

370  À enchercher et enquérir,

        Pour sus quelque meschant courir ?

        Comment despescher le pourrons177 ?

        Où sont meurtriers ? Où sont larrons ?

        Où sont hazardeurs178, crocheteurs,

375  Pendars d’homicides fauteurs179 ?

        Je ne gaigne pas ma despense.

        Venez çà ! Sçav’ous que je pense180 ?

        Qu’à ces corbineurs181 de Justice

        Ne soit venu à leur notice182

380  Quelque larron en jugement,

        Qu’ilz ont perdu secrètement183

        En quelque rue traversière ;

        Aux pendans de leur gibessière

        Seroit-il jamais advenu184 ?

        ………………………………

385  N’y aura-il personne prise185,

        À celle fin que je m’esbatte

        À les pendre, ou que je les batte ?

        Que de Dieu chascun soit mauldict !

        Chut ! Vous ne sçavez qu’on186 m’a dict ?

390  Par le grant dieu ! on m’a compté187

        Bien le sçay, je l’ay escouté.

        Toutesfoys, je ne sçay pas bien

        S’il est vray. Mais n’en dictes rien,

        Voyez-vous ? Certes, si feriez ;

395  Et ! au fort, quand vous le diriez,

        Je diroye à chascun, de vous,

        Que vous auriez menty trèstous

        Par le fin fons de la gargate188.

        Dieu pry189 que le dyable m’abatte

400  S’on ne m’a dict (qui190 ? gens agus

        Et subtilz) que Simon Magus

        Feit l’aultre hier191 à Néron entendre

        Qu’à la mort se faisoit estendre

        Pour soy après ressusciter ;

405  Et sembloit qu’il se feist oster

        La teste dessoubz le menton192,

        Et ce n’estoit fors193 qu(e) ung mouton

        Qu(e) ainsi feit à bon essïen

        Sembler194, par art magicïen.

410  Et moy-mesmes je m’en doubtay :

        Car quand la teste luy ostay,

        Il sembloit qu’il n’y estoit point195

        Comme chair d’homme, n’en tel point.

        Il y a quelque chose à frire196.

415  Ne vous jouez pas à le dire,

        Car à voz dictz contrediray

        Et, par tous noz dieux, je diray

        Que vous-mesmes avez ce dit197.

        Nul n’y peult mectre contredict.

        ………………………………

.

420  Puisqu(e) à ce vostre vueil se fonde198,

        Néron, puissant Impérateur,

        Comme hardy opérateur,

        D’elle vois faire la despesche199.

        La vieille trop le monde empesche ;

425  Voylà son dernier sacrement200 !     Il l’assomme.

                        AGRIPPINE

        Vrays dieux, je meurs injustement ;

        Plaise vous me loger en gloire201 !

                        DARU

        Plus ne jouera de la maschouère202 :

        Elle est morte, la bonne dame.

        ………………………………

.

430  Quant à ma personne regarde,

        J’estoye — si Dieu eust voulu

        Avoir mon corps pour estre esleu203

        Assez homme pour, en arroy204,

        Estre prince, prélat ou roy,

435  Pour en triumphe avoir vescu.

        J’ay les jambes jusques au cu,

        J’ay la cuysse jusqu(e) au tallon205,

        J’ay la barbe jusqu(e) au menton,

        J’ay le ventre jusques au bout,

440  J’ay piedz et mains, et teste, et… tout206.

        Ne suis-je donc homme formé ?

        Et qui seroit207 bien informé

        De la vaillance de mon corps,

        Et seroit de mes faictz recordz208

445  (De209 par le grant dieu), je seroye

        En des lieux où me trouveroye

        Digne d’avoir beaucoup de charge.

        Mais jà ne fault qu’on me descharge210 :

        À ce ne seray-je trouvé.

        ………………………………

.

450  Et Daru, l’appelle-l’on point ?

        Qu’est-ce à dire ? Dea ! demourray-je

        Garder l’hostel211, le cul au siège ?

        Non, non ! Car si à dire s’amord212

        Chose dont on le mette à mort,

455  Quant je m’y vouldray occuper213,

        Il me fauldra le col coupper

        À quelque brebis morfondue214 ;

        Et puis, si la peau est vendue,

        J’en auray quelque peu d’argent.

460  Je ne vueil plus estre targeant215 :

        Jupin au216 grant Conseil m’esleut.

        ………………………………

.

        Ay-je tué une brebis,

        Soubz l’ombre de son faulx prescher217 ?

        Bien, donc : devenu suis boucher !

465  Aussi je ne croyoye point

        Que Dieu l’eust218 laissé, pour nul poinct,

        Entre les grandz et les petitz,

        Décoller à ung apprentis ;

        Je ne le croyray en nul lieu.

470  Or çà ! Et si j’ay tué Dieu,

        Et s’est suscité219 par ses ditz,

        Je suis bourreau de Paradis :

        À ces parolles le voit-on.

        Et si j’ay tué ung mouton

475  Tant bien qu(e) ung aultre laboureur220,

        Je suis boucher de l’Empereur.

        Que voulez-vous ? C’est adventure.

        ………………………………

.

                        Icy, doibvent tous sentir Pierre, &

                        puis faire ung cry et s’enfuir.221

                        DARU  court après.

        Hare222 ! hare ! Si me mordez,

        Je le diray à l’Empereur.

480  Je suis le boucher monseigneur223 ;

        Ce n’est pas moy que demandez.

        ………………………………

.

        Est-ce par don ou flaterie224

        Que Daru est tant ravallé

        Qu’au mistère225 n’est appellé ?

485  Qu’est-ce à dire ? Qu’ay-je meffaict ?

        Qu’i a-il ? Que diable ay-je faict,

        Que ce déshonneur me faict-on ?

        Si j’ay descollé ung mouton,

        Or chut, de par le diable, chut !

490  Par le grant dieu ! il me meschut226,

        En despit de la vanterie227.

        ………………………………

.

                        DARU  soit en ung hault lieu monté.

        Advisez où je suis monté

        Pour regarder Simon Magus.

        Mais je sens des cloux228 si agus

495  Que je n’y voy de secours nul,

        Qui me mettent mon povre cul

        À terrible exécution229.

        ………………………………

        Allons voller ! Allons voller !

        Ha, par le grant dieu ! Sans frivolle,

500  On m’a dict que Symon s’en volle230.

        Ou (comme ay ouÿ réveller)

        Avecq les grues va baller

        En guise231 d’ung oyseau saulvage ;

        Et qu’il n’aura corps ne visage

505  Que tout ne soit de plumes plain232.

        Au Temple voys233 (pour tout certain)

        Veoir s’il vollera gentement.

        ………………………………

.

        Mais à quoy tient que l’on ne tire

        De prison ces huyt loricquars234 ?

510  Il en y eust — que brusléz qu(e) ars235

        Plus de cent, qui les m’eust livréz236 !

        Les auroit Néron délivréz

        Par quelque fallace incertaine237 ?

        Que de forte fièvre quartaine

515  Soit espousé et relié

        Celluy qui s’est humilïé

        À les tenir en seure238 garde,

        Et qui les print239, et qui les garde,

        Et l’Empereur, et Mamertin,

520  Albinus, et sire Paulin,

        Parthémïus, et Migestus,

        Frita, Antipater, Cestus,

        Blascus, Gérïon, Ravissant240 !

        Du sens puisse estre hors yssant

525  Qui241 les garde si longuement !

        Luy fault-il autre jugement

        Que p[r]endre, tirer et mener,

        Baisser la teste242, et ramener,

        De la dolouère bien fermy243 ?

530  Me cuyde-l’on si endormy

        Que ne leur liève les cheveulx244 ?

        ………………………………

.

                        Parlant à Mamertin 245 :

        Et ces gallans qu’on feit bouter

        En cage, ces prescheurs subtilz,

        Mamertin : où dyable sont-ilz ?

535  Les veult-on tenir à séjour

        Longuement ? Depuis l’autre jour,

        On n’en a ouÿ nul mot dire.

                        MAMERTIN

        Il n’y en a (par Dieu) nul, sire.

                        DARU

        Pas ung ? De ton dict je me deulz246 !

540  Sont-ilz pas céans ?

                        MAMERTIN

                                        Troys tous neufz247.

        Et deux que sa mère luy garde.

                        DARU

        Or, prens à ta parolle garde !

        Ou troys tous neufz, ou quatre vieulx248 ?

        Par noz dieux ! il te vauldroit mieulx

545  Mourir, si Justice on rompoit

        Par toy ! Entens-tu ?

                        MAMERTIN

                                          Elle poit249.

                        DARU

        Par le grant dieu ! Je jure, en somme :

        Si Néron, l’empereur de Romme,

        Entend que hors s’en soient alléz,

550  Vous en aurez les os galléz250.

        Car pour les garder esleu feustes251.

                        MAMERTIN

        Aussi quarréz que belles flustes252.

        Que demande ce lanternier253 ?

        Il n’y a (par Dieu) prisonnier

555  En la prison, ne prisonnière

        Demeuré.

                        DARU

                          Par quelle manière,

        Mamertin ? Dis-moy le moyen.

                        MAMERTIN

        Demande-le à Martinien

        Et à son compaignon Procès.

                        DARU

560  Et quoy ! ont-ilz faict leur procès254,

        Ou les ont vuidéz de cëans255 ?

                        MAMERTIN

        Demande s’ilz sont chrestïens,

        Et d’autre chose ne t’enquiers.

                        DARU

        Le sont-ilz ?

                        MAMERTIN

                            Pour vray.

                        DARU

                                             Je requiers

565  Que soyez à la mort livréz

        Si je… Mais sont-ilz délivréz

        De la prison ?

                        MAMERTIN

                                Tant de foys dire !

                        DARU

        Le grant dieu me vueille mauldire

        Si ung esclande256 n’en verras !

570  Mais sont-ilz tous dehors ?

                        MAMERTIN

                                                   Taras257 !

                        DARU

        Ha ! tu me troubles la mémoire.

        Mais s’en sont-ilz alléz ?

                        MAMERTIN

                                                Encoire ?

                        DARU

        Pas ne fault que le train258 je perde :

        Par où vont-ilz, Mamertin ?

                        MAMERTIN

                                                    Merde !

575  Va y veoir et tu le sçauras !

        ………………………………

.

                        DARU  luy couppe la teste.259

        S(e) on dict que je chosme, c’est mon260 ?

        Il n’est pas vray, je le proteste.

        Tenez, Paulin261 : v(e)ez là la teste ;

        Allez en faire des pastéz262 !

        ………………………………

580  Seigneurs, ay-je tort si j’ay soif263 ?

        Ay-je pas ung grand coup baillé ?

        N’ay-je pas assez travaillé

        Pour aller boire choppinette ?

        La tavernière est bien finette,

585  Mais je gage de la tromper ;

        Et s’elle s’en peult eschapper,

        La plus fine sera des femmes !

        ………………………………

.

        Or çà ! S(e) on le mect à martire264,

        Quoy ? Pourpenser fault sur ce pas265.

590  Premier266, on ne le pendra pas :

        Il est roy267, et prévost aussi.

        Le fera-on mourir ainsi268 ?

        Si269, devant, le peuple proteste,

        Jà ne luy osteray la teste,

595  Car trop il pourroit couster cher.

        Çà ! le fauldra-il270 escorcher ?

        Je le vouldroye bien sçavoir.

        Ha ! nenny : il a trop d’avoir271.

        Or çà ! pensez-vous qu’on le noye ?

600  Nenny : il a de la monnoye.

        Je m’abuse. Telz prisonniers

        Eschappent assez pour deniers.

        J’en ay beau parler et beau dire272.

*

1 Ou ventru : cf. Louis Du Bois, Glossaire du patois normand, p. 405.   2 La même année, les mêmes éditeurs publièrent une suite des Actes des Apostres écrite par Loÿs Choquet : l’Apocalypse sainct Jehan Zébédée. On y retrouve Daru. Après la mort de Néron, il quitte Rome sans s’être enrichi « au joly mestier de bourreau », et sans avoir d’illusions : « Si mes faictz estoyent amasséz/ Et sur ung blanc papier trasséz,/ On en feroit une satire. » Il sera tué par deux bandits de grands chemins qu’il avait refusé de prendre comme valets. C’est eux qui le remplaceront auprès du nouvel empereur.   3 Si quelqu’un a. « Ou-vrier » compte pour 2 syllabes.   4 Si l’un de vous en a besoin. Idem vers 26 et 212.   5 Je suis là.   6 Éd : citoyen.  (1538 et 1540 donnent à juste titre : payen.)   7 Éd : sours  (Daru mettra saint Thomas dans un four chaud.)   8 Traîner un condamné sur une claie ; idem vers 69 et 283.  Les carrefours sont les haltes où le bourreau fouettait le condamné, au cours d’une lente traversée de la ville.   9 Ne redoutez pas qu’un meilleur que moi se présente. Verbe s’apparoir.   10 Le grand-père. L’éd. de 1540, dans la marge, commente cette généalogie : « La belle lignée de Daru. »   11 Travailla dans un bordel.   12 La plus grande.   13 Plaisanter. « Tandis que cy avons janglé,/ Le fier lyépart l’a estranglé. » Actes des Apostres.   14 Décapité. Idem vers 282, 468 et 488.   15 Éd : Et  (Son fils aîné fut enterré vivant. Voir le vers 283. « Je puisse estre vif enfouy ! » Les Queues troussées.)   16 J’ai sauté, pour tasser la terre. C’est donc Daru qui enterra vif son propre neveu.   17 Pour avoir œuvré.   18 Si l’on avait besoin du meilleur fonctionnaire dans ce métier.   19 Daru est assis dans la chaire où saint Barnabé vient de prêcher. Dès lors, le portier Barrian, qui le tutoyait, s’amuse à le traiter comme un prédicateur : « Maistre Daru, vers vous venons. »   20 Sortes de grilles où l’on coinçait les doigts des suppliciés.   21 Assis dans la chaire de St Barnabé. « Sus ! qu’il soyt en la chaire assis ! » Le Jeu du capifol.   22 Me chercher.   23 Beau gosse. Le bourreau interpelle ironiquement un des sergents d’Astragès qui gravitent autour de lui.   24 Les buccins. Pour faire venir le peuple, les crieurs publics qui annoncent une exécution prochaine soufflent dans un instrument à vent.   25 Un personnage important. Idem vers 103.   26 Le bourreau garde pour lui les vêtements du supplicié.   27 Un loqueteux dont les habits sont déchirés. En argot, un caïmant est un quémandeur, un mendiant : « Et ! faictes-vous le caÿmant ? » Le Mince de quaire.   28 Je les recommande.   29 Canaille, chiennaille. « Englois, quenaille,/ Pourquoy venez en noz pays ? » La Prise et deffaicte des Angloys.   30 Un seul centime. Idem vers 216. « Je n’en donray pas une maille. » (Guillerme qui mengea les figues.) Daru va changer d’avis, et va se spécialiser dans les apôtres (vers 98-100).   31 De basse extraction. Déformation populaire de « gentilhomme de parchemin ». Plus loin, Daru s’affirmera de nouveau « comme ung gentil-homme ;/ Je dy ‟gentil” de basse main. »   32 De mon aïeule. Ayelle rime avec vèle.   33 Ma mère portait le voile, était religieuse. « Je congnois au voile la nonne. » Villon.   34 Ce païen veut faire torturer saint Barthélemy.   35 Je vous battrai aussi.   36 Du roi des Indes. Il trouve que Daru ne ligote pas assez vite St Barthélemy à un pilier, afin de le fustiger.   37 Moins il est sincère et plus il est menteur.   38 Une centaine.   39 Éd : Lescuyer.   40 Occupé (à boire). « Bien empeschié à saouller et emplir son ventre. » ATILF.   41 Œuvré, travaillé.   42 C’est mal dit. Cf. le Mariage Robin Mouton, vers 30.   43 Daru est le fils d’une religieuse (vers 55) dans le genre de sœur Fessue.   44 De long en large. Cf. Lucas Sergent, vers 255.   45 Si je ne le vide pas de son sang.   46 Je ne m’oppose pas à subir autant de coups. Toutefois, Daru ralentit la cadence.   47 En ce qui concerne ce côté-ci. Le bourreau va s’attaquer à l’autre côté du saint, qui est encore intact.   48 Éd : chot  (1538 et 1540 : sof)   49 Frappe à coups de maillet ! « On congne, on maille. » (Marchebeau et Galop.)  Charger = charger de coups. « Mais de mes coups les chargeray ! » (Les Hommes qui font saller leurs femmes.) Pour la rime, on prononçait « cherge », qui est d’ailleurs la graphie adoptée par 1538 et 1540.   50 On assouplit le cerveau des écoliers en leur donnant des coups de verges sur les fesses.   51 Par Jupiter ! Idem vers 104 et 461.   52 Suit. Effectivement, Daru traverse tous les pays où prêchent les apôtres. Ce personnage capital est le fil rouge qui confère un semblant d’unité à la seconde moitié du Mystère.   53 Daru vient d’exécuter saint Philippe, dont le prévôt lui a donné les riches vêtements (note 26) : « Prens tous ses habitz, ilz sont tiens ! » Émerveillé, le bourreau les contemple un par un.   54 Fait le grand personnage. Idem vers 40. « Ne nous fay jà cy du gros bis ! » Le Capitaine Mal-en-point.   55 Ils ne risqueront pas de le dire.   56 Quand je regarde ces riches habits.   57 Daru enlève son manteau de bure, puis il revêt les habits de St Philippe.   58 Éd : mot que  (Se moque de moi celui qui en a envie !)   59 Beaucoup de mendiants simulaient des infirmités. Pour gagner du temps, les fatistes réutilisaient dans leurs Mystères des œuvres plus anciennes, et en particulier des farces ; Gréban s’efforce donc — d’une manière fort peu convaincante — de refiler un vieux rôle de mendiant à son bourreau, qui n’a aucune raison de troquer un métier lucratif qu’il adore, contre un métier méprisable et dangereux.   60 Acquérir, gagner. Daru tente de cacher ses fouets dans un sac, mais ils débordent.   61 1538 et 1540 intitulent cette farce réchauffée : Daru contrefaict l’aveugle (en marge) ; ou : De Daru qui contrefaict l’aveugle demandant l’aumosne à l’hoste (dans la table des matières).   62 Un bâton propice : l’ancêtre de la canne blanche.   63 Le piteux, l’hypocrite. Cf. l’Aveugle et Saudret, vers 54. Daru chante une ballade : les aveugles gagnaient leur vie en poussant la chansonnette.   64 Éd : que  (Ils n’ont jamais été aussi bien.)   65 Je m’emploie. Idem vers 229.   66 Pour gagner.   67 Je n’y vois pas plus avec mon cul qu’avec ma tête, où sont mes yeux. L’aveugle d’Ung biau miracle chante ceci : « Faites vostre aumosne au povre homme/ Qui ne voit, n’oncques ne vit goute/ Non plus des yeulx qu’il fait du coude. »   68 Éd : vous   69 Annulés. Pour dissimuler ses beaux habits, Daru s’enveloppe dans son grossier manteau de bure (vers 224).   70 Les désagréments.   71 Éd : des biens  (Envoyez-moi vite, de votre cuisine.)   72 Quelques morceaux de vos restes.   73 Je ne reconnais.   74 Éd : dons ne iouetz  —  1538 et 1540 : dont me tais  (Ce que je souhaite. « Et les souhaitz qu’ils avoient faictz. » Les Souhaitz du Monde.)   75 Ce tavernier de Hiérapolis rentre chez lui en parlant avec son épouse. Ils pratiquent la charité chrétienne, et sont donc faciles à berner.   76 Clarita = clarté. Pour rassurer les deux chrétiens, Daru estropie du latin. Au vers suivant, lumina = lumière.   77 Le faux aveugle ne jure plus par Jupiter (vv. 97 et 104), par Mars (v. 66), ou par Mahomet (v. 312) : il jure maintenant par le Dieu auquel il ne croit pas.   78 Je vous mènerai bien, présentement.   79 Payer de retour.   80 Je vais. Idem vers 278, 363, 423 et 506.   81 Du vin mêlé d’eau, dans lequel on trempe du pain. « De vin pur sans trempe. » ATILF.   82 Il place un pot de vin entre les mains du faux aveugle, qui va le vider rapidement.   83 En très bon état.   84 Comme va celui que nul n’allume, n’éclaire. « La lune,/ Qui de sa clarté nous alune. » Mystère de saint Sébastien.   85 Le bourreau parodie la conversion de Saul (futur saint Paul) sur le chemin de Damas : « Alors descend une grande lumière qui faict trébuscher Saulus ; & devient aveugle. » Table indiciaire du premier volume des Actes des Apostres.   86 Éd : entre  (Pour Daru, la mâchoire est le centre vital de l’homme, puisque c’est ce qui lui permet de manger. Voir le vers 428.)   87 « Et tout confuz demoure là. » Pour le cry de la Bazoche.   88 Éd : fus  (Que je sus.)  Ayant trop bu, Daru s’emmêle dans ses explications ; il va se reprendre aux vers 195-6.   89 Éd : Je dis  (C’est ce que j’ai dit ?)   90 Éd : sangle  (J’ai commis un lapsus. Cf. le vers 16.)   91 De moi-même, je ne pourrais plaisanter ainsi. Cf. Troys Galans et un Badin, vers 146.   92 Éd : ie ny  (Et si j’y mettais un peu d’eau ? Daru se garde bien de le faire.)  « Eau-e » compte pour 2 syllabes : cf. l’Amoureux, vers 117 et 174.   93 De bouillons reconstituants que l’on sert aux malades. Cf. le Testament Pathelin, vers 133.   94 S’ils aboyaient contre moi.   95 File, clébard ! Cette expression est surtout appliquée aux humains : cf. Guillerme qui mengea les figues, vers 355.   96 Celui qui. Elle parle donc de son mari.   97 Que je l’assommerais avec plaisir. « Je l’estourdis comme ung poullet. » Les Tyrans.   98 Daru caresse la tavernière en feignant de la prendre pour un chien qu’il a fouetté sans le vouloir. Pataud est un nom de chien.   99 Ramassez vos affaires et allez-vous-en !   100 Vous vous contenterez de.   101 Nul besoin.   102 Petit malin. « Soyez seur/ Que je vous payray, Fine Myne ! » (Dyalogue pour jeunes enfans.) C’est un personnage des Sotz fourréz de malice et des Sotz triumphans.   103 De ce côté : dans ce sens, pour sortir de chez vous. L’aveugle recouvre miraculeusement la vue. Il ôte son manteau de bure, sous lequel il porte le bel habit de St Philippe.   104 Élégant, bien fringué. « Ces fringueux/ Qui ont perrucques à l’envie. » Maistre Doribus.   105 C’est un faux mendiant.   106 De bure, laine grossière dont se couvrent les pauvres et les moines. Cf. le Povre Jouhan, vers 99.   107 Organisera.   108 Je me suis employé.   109 Un dégourdi. Idem vers 553. « Quel lenternier ! » Le Pardonneur.   110 Je l’ai bien eu !   111 Ce vers, qui clôt le 6ème Livre, est un congé au public comme on en trouve à la fin des farces. È finita la commedia : Daru va réintégrer son rôle de bourreau.   112 Quelle fine mouche. « Il nous fault sçavoir en quel part/ Nous trouverons si fine espice. » La Pippée.   113 Ce n’est pas la première fois — ni la dernière ! — que Daru se gargarise avec des phrases dépourvues de sens.   114 Si on n’agit pas pour soi-même.   115 Un temple hindou s’effondre sur les fidèles ; dehors, Daru les écoute geindre au lieu de les secourir.   116 Ne savez-vous. Idem vers 377.   117 On ne les comprend ni un peu, ni un peu : pas du tout. Cf. le Capitaine Mal-en-point, vers 150.   118 Ce que.   119 Le païen Daru fait un signe de croix.   120 Sur ordre d’Urinus, proconsul de Thessalonie, deux chasseurs ont capturé un sanglier monstrueux afin qu’il tue saint André. Le bourreau leur donne des conseils avisés, à la suite desquels l’animal tuera les chasseurs. Dans le Mistère du Roy Advenir (v. notice), le messager Daru est lui-même en relation avec deux veneurs.   121 Parmi les bateleurs, il y avait des montreurs d’animaux exotiques.   122 De Turquie, d’Arabie. « S’il eust esté de Sarrazinesme,/ Il eust payé six mille solz. » Colin filz de Thévot.   123 Éd : pinart  (Un pivert. « Paons, pymars et lorios. » ATILF.)   124 Éd : Estrangla  (Se retira, retourna. « Ilz se retrayèrent en Bourgoingne. » ATILF.)  L’enfant eut si peur qu’il retourna dans le ventre de sa mère. « Un homme peut-il encore entrer au ventre de sa mère & naistre ? » Bible de Genève.   125 Un spécialiste.   126 Et aussi, nous avions un centaure.   127 J’apprivoiserais.   128 « À lui ! » : à l’attaque ! Idem vers 90.   129 Daru fait sortir un léopard de sa cage pour qu’il dévore saint André. Le « dompteur » va fuir, et le félin égorgera le fils du proconsul.   130 Contrepèterie : voyez ma croix. Le païen Daru se signe dès qu’il a peur.   131 C’est le prévôt de Patras. Après ses mésaventures zoologiques, Daru a jugé plus prudent de changer d’air.   132 Daru insistera plus loin : « Batre,/ Pendre, tirer, tuer, abatre,/ Rostir, brusler, escarteler. »  Rôtir = brûler vif ; c’est une des spécialités (au sens culinaire) de notre bourreau, qui s’en vante : « Pour bien rostir ou fricasser,/ Voicy ung rôtisseur venu ! »   133 Fuir. Idem vers 331.   134 Il a fait mettre en prison des chrétiens, parmi lesquels saint André.   135 À condition qu’il ne vienne aucun chrétien pour libérer les autres.   136 Si un infidèle vient.   137 Daru s’enfuit. Ce qui ne l’empêche pas de venir jouer les matamores quand il n’y a plus de danger.   138 Quand ces chrétiens vinrent me demander les clés de la prison, je n’étais pas rassuré.   139 De sagouins : « Il n’y a sy villain huron,/ Sy lourdault ne sy vilageoys. » (Les Mal contentes.)  Les merdailles sont des mendiants : « Il ne viendra/ À mon huis un tas de merdailles. » Les Esbahis.   140 Daru mime des gestes d’escrimeur, avec tellement de maladresse que tout le monde s’écarte.   141 Les païens des Mystères jurent indifféremment sur des dieux mythologiques, musulmans, ou fantaisistes.   142 Daru mélange Godefroid de Bouillon avec Roland et Olivier, les héros de Roncevaux. « Et par Godefray de Billon. » (Les Trois amoureux de la croix.) On reconnaît l’un de ces innombrables anachronismes dont les fatistes truffaient malicieusement leurs Mystères, pour le plus grand plaisir des spectateurs cultivés.   143 Je ne donnerais pas plus cher d’eux que d’un papillon.   144 Cri de sentinelle : cf. les Frans-archiers qui vont à Naples, vers 148. Une fois de plus, Daru se livre à un grotesque numéro de mime.   145 Vrai.   146 À battre un con [le sexe d’une femme]. « Il ne sçait pas qu’est-ce que de combatre,/ Cil qu’entreprend de plusieurs cons batre. » Gratien Du Pont.   147 En admettant qu’on prenne du plaisir à battre un con.   148 Ce con bas. « C’est laide beste que ce villain con bas. » G. Du Pont.   149 « Il y a maintz qu’ont tant de cons batuz/ Qu’en la fin sont vaincuz et combatuz. » G. Du Pont.   150 Au vainqueur. « Ceulx-là qui sont de plusieurs cons batans. » (G. Du Pont.) Ou bien : au battant de la cloche, au pénis. « O ! que vostre batail est trop mol pour ma cloche ! » J. de Schelandre.   151 Éd : sestre  (Pour s’ébattre, prendre du plaisir.)   152 Un obstacle : une perte d’érection.   153 Pendant le coït défaille l’amour (verbe faillir). Au 1er degré, ce dicton vise les maris qui battent leur femme : « Je ne pourrois aimer celuy qui auroit mis divorce entre mon mary & moy, mesmement jusques à venir à coups, car au battre fault l’amour. » Marguerite de Navarre.   154 Je m’enfuis.   155 Lors du coït. « L’inconstant/ Jouvenceau le faict tant,/ Trop chaud à la bataille. » Ronsard.   156 Le pénis. « Et d’une eschine roide au combat préparée,/ (Mon vit) montre que sa colère est à l’extrémité. » Malherbe.   157 Le bas : le sexe de la femme. Cf. les Femmes qui font renbourer leur bas.   158 Pour cela.   159 Un échange de coups.   160 Celui qui s’y fourrera. « Il lui embat jusqu’aus coillons/ Le vit au con. » De la pucelle qui vouloit voler.   161 Tant qu’il pourra, le con. Le Tournoy amoureux narre dans le style épique une guerre entre les cons et les vits ; les premiers gagnent facilement.   162 Voyez là : voilà. Idem vers 578.   163 Contre des verres de vin. « Il vouloit faire guerre/ Encontre ung pot ou contre ung verre. » Le Gaudisseur.   164 « Je ne veulx guerroier qu’aulx fesses. » (Troys Pèlerins et Malice.)  « Les tétons deviennent tétasses. » Guillaume Coquillart.   165 Que j’aille vers le prévôt Égée.   166 Le bourreau et ses complices battent saint André en musique, laquelle n’adoucit pas toujours les mœurs. Dans le même genre, les Actes des Apostres contiennent deux chansons interprétées par des diables.   167 Vous le rende. Verbe mérir : « Dieu vous le myre ! » (Farce du pet.) Cette chanson non retrouvée était probablement grivoise, comme beaucoup de celles où apparaît un moine.   168 Je ne ferai pas semblant. « Mauldict soyt-il qui se faindra/ De fraper ! » Le Raporteur.   169 Suite à de nouvelles aventures peu glorieuses, Daru veut chercher refuge à Rome.   170 Mot inconnu, de même que le hurtebière de 1538 et 1540. On pourrait lire cordelière [ceinture] : cf. les Mal contentes, vers 99. Certains religieux arboraient une cordelière ; or, Daru porte toujours les vêtements de St Philippe.   171 Qui à notre religion.   172 Je vais.   173 Et pourtant.   174 De ceux que je voudrais mettre à mort.   175 Le prévôt Hérode Agrippa, destinataire malgré lui de la 2ème chanson des diables.   176 Qu’il ne s’évertue. Verbe s’amordre. Idem vers 453.   177 Comment pourrons-nous l’expédier ? Idem vers 46 et 423.   178 Les tricheurs, aux jeux de hasard : « Pipeur ou hazardeur de déz. » (Villon.)  Les crocheteurs forcent les serrures : cf. les Tyrans, vers 10-12.   179 Les gibiers de potence faiseurs d’homicides.   180 Savez-vous ce que je pense ? Daru se rapproche des spectateurs et leur parle confidentiellement, tant ce qu’il va dire est grave.   181 Furetière dit qu’au palais de Justice, on appelait « corbineurs ceux qui tiroient la pièce [de l’argent] des plaideurs, & ruinoient des parties ». Daru vise les juges corrompus, comme il le fera encore aux vers 588-603.   182 À leur connaissance. « Lesdiz faiz et cas sont venuz à notice de Justice. » ATILF.   183 Qu’ils ont discrètement laissé fuir.   184 Auraient-ils perdu dans une rue leur bourse ? « Le chevalier avise la bourse, et la prent par le pendant [cordon]. » ATILF.   185 Capturée.   186 Ce qu’on. Sur ordre de Néron, Daru a décapité Simon le Magicien ; mais par un sortilège, ce dernier lui a fait décapiter un mouton à sa place, afin de pouvoir « ressusciter » et passer pour Dieu. L’honorable bourreau est donc devenu un vulgaire boucher ; il ne se remettra jamais d’une telle déchéance.   187 On m’a raconté que… Daru chuchote devant le public l’histoire du mouton de manière inaudible, en mimant la scène.   188 De votre gorge. « Ung estron de chien/ Au milieu de vostre gargate ! » L’Aveugle et Saudret.   189 Je prie Dieu.   190 Éd : ouy  (Aigu = fin, intelligent.)   191 L’autre jour.   192 Il a semblé que Simon se faisait décapiter.   193 Rien d’autre.   194 Qu’il fit ressembler à lui-même.   195 Que cela n’était pas.   196 Éd : dire.  (Gréban n’a jamais commis une rime du même au même avec un sens identique.)  Il y a anguille sous roche.   197 Que vous avez dit cela (l’histoire du mouton).   198 Puisque c’est votre volonté. Néron veut faire tuer sa mère, Agrippine. Cette scène, qui manque dans 1538 et 1540, n’est visiblement pas de Simon Gréban.   199 Je vais la dépêcher, l’exécuter.   200 Éd : testament.  (Voilà son extrême-onction. « Véci ton dernier sacrement ! » Trote-menu et Mirre-loret.)   201 Qu’il vous plaise de me loger aux champs Élyséens, le paradis des païens.   202 De la mâchoire : elle ne mangera plus jamais. « Allons jouer de la mâchouère ! » Le Chauldronnier.   203 Pour que je sois élu échanson des dieux, comme Ganymède, dont Jupiter avait eu le corps.   204 Avec prestige.   205 Daru s’embrouille : j’ai les cuisses jusqu’au cul, j’ai la jambe jusqu’au talon.   206 Daru a failli dire « bout », qui désigne le pénis : « C’est pourquoy les femmes sont si friandes de dire aux hommes : ‟Prestez-moy vostre bout pour boucher mon trou !” » Chansons folastres.   207 Si on était.   208 Et si on se souvenait de mes hauts faits.   209 Éd : Ou   210 On n’aura pas besoin de me démettre de ces hautes fonctions.   211 La maison. « Aussi ne me sers-tu de rien/ Qu’à garder l’hostel. » (Le Cousturier et Ésopet.)  Le siège est peut-être encore la chaire de St Barnabé.   212 Car si Daru se met à dire. Le bourreau parle de lui à la 3e personne aux vers 450 et 483.   213 Quand je voudrai exécuter Daru. La scène est totalement surréaliste.   214 Malade. « Tousser comme brebis morfondues. » Satyre Ménippée.   215 Je ne veux plus m’attarder.   216 Éd : du  (Quand je me serai exécuté moi-même, Jupiter m’intégrera au Conseil des dieux de l’Olympe. Bref, Daru se voit déjà assis à la droite du Père.)   217 À cause des prêches mensongers de Simon le Magicien.   218 Éd : se eust  (1538 et 1540 : eust)  Je ne crois pas que Dieu aurait laissé Simon être décapité par un novice.   219 Et qu’il s’est ressuscité. « Par miracles,/ En suscitant les trespasséz. » ATILF.   220 Aussi bien que n’importe quel autre paysan.   221 Des diables ayant pris l’apparence de chiens viennent flairer saint Pierre, qui les fait fuir. Daru les poursuit pour faire croire qu’il est responsable de leur fuite.   222 Cri par lequel on excite les chiens. Daru l’a déjà employé : « Hare, lévrier ! À luy ! à luy ! »   223 De Néron (génitif archaïque). Voir le vers 476.   224 Est-ce parce que ses ennemis ont répandu des dons financiers ou des flatteries.   225 Qu’aux affaires. Second degré : qu’il ne parle plus dans ce Mystère.   226 Ce fut pour moi une malchance.   227 Quoique je me vante du contraire.   228 Des furoncles aux fesses. Daru n’aurait pas dû s’asseoir dans la chaire de saint Barnabé…   229 Pour un bourreau, le mot est bien choisi.   230 Simon le Magicien va s’envoler, soutenu par des diables invisibles qui le laisseront choir. Daru lui dédiera une oraison funèbre lapidaire : « Bien a vollé, mais il s’est mal tenu :/ Car au tumber, s’est rompu le cerveau. »   231 Il va danser à la manière.   232 Trois des acteurs de la Pippée, qui jouent un rôle d’oiseau, sont eux aussi couverts de plumes.   233 Je vais.   234 Ces fanfarons. Cf. le Nouveau marié, vers 191. Il s’agit bien sûr de chrétiens, parmi lesquels saint Pierre, et saint Paul — que Daru nommera aussi : « le conard, le décepveur fol. »   235 Tant de brûlés que de réduits en cendres. « Il y en eut, que tuéz que brusléz, environ huit mille. » Bible de 1561.   236 Si on m’avait livré les 8 prisonniers, j’aurais brûlé plus de 100 d’entre eux. Décidément, Daru est un bourreau de travail !   237 Par un stratagème douteux.   238 Sûre, vigilante.   239 Et celui qui les captura.   240 Ravisseur. C’est l’écuyer du prévôt Agrippe (vers 369). Tous les hommes susnommés travaillent pour Agrippe ou pour Néron.   241 Puisse-t-il sortir du sens, devenir fou, celui qui…   242 Incliner sur le billot la tête du condamné.  Ramener = asséner un coup : « Entoisa [il leva] sa grosse masse, ramenant un coup foudroyant. » Lacurne.   243 Tenant la doloire [hache] d’une main ferme.   244 On relève ou on coupe les cheveux du condamné avant de le décapiter, pour qu’ils ne gênent pas la manœuvre. Il n’y a pas si longtemps, on coupait le col de sa chemise.   245 Chargé par Néron de surveiller les prisonniers St Paul et St Pierre, il les a libérés contre quelques deniers versés par les convertis Martinien et Procès.   246 Je me lamente. Verbe se douloir.   247 J’ai 3 écus tous neufs. On use de cette boutade pour dire qu’on n’a rien à donner. « Ouy dea, il en a troyz tout neufz ! » (La Pippée.) « J’en ay là trois/ Tous neufz, à compter riffle-à-riffle. » (Te rogamus audi nos.) Bref, Mamertin se moque du bourreau, et répond toujours à côté de la question.   248 Ou 3 écus neufs, ou 4 écus vieux. « Grant planté [quantité] d’escuz vieux. » La Confession du Brigant.   249 Elle pète. « S’il va, s’il vient, s’il dort, s’il poit. » Ung biau miracle.   250 Battus. Cf. Calbain, vers 339.   251 Vous fûtes élu, choisi.   252 « Aussi droit, par Dieu, comme gaulles !/ Quarray comme une belle fluste ! » (Les Coppieurs et Lardeurs.) Non seulement la réponse est absurde, mais en plus, elle dissimule un double sens érotique : aussi érigés que de beaux pénis.   253 Ce dégourdi. Idem vers 231.   254 Les ont-ils jugés puis acquittés ?   255 Ou les ont-ils libérés de cette prison ? « Cians » rime avec « chrétians », comme « escient » rime avec « magician » à 408.   256 Un esclandre.   257 Taratata !   258 Leur trace.   259 Il décapite le converti Martinien (vers 558).   260 Est-ce vrai ?   261 Chevalier aux ordres de Néron (vers 520). Daru lui lance la tête de Martinien comme un ballon.   262 Plaisanterie de bourreaux : « Portez-le bouillir,/ Rostir, ou faire des pastéz ! » Mistère de la Conception.   263 Le bourreau vient d’exécuter plusieurs chrétiens. Mais il n’a pas besoin de cela pour avoir soif.   264 Daru parle d’Agrippe (vers 369) : le prévôt de Rome a osé anticiper un ordre de Néron, et risque donc d’être condamné à mort, s’il ne corrompt pas les juges.   265 Il faut réfléchir à cela.   266 D’abord.   267 Roi des Juifs. Pour ce qui est des prévôts, Gournay et Micet ont bel et bien pendu celui qui leur ordonnait de pendre les autres.   268 Le bourreau simule une décapitation.   269 Éd : Cy  (Le peuple qui assistait aux exécutions prenait quelquefois le parti du condamné.)   270 Éd : fera il   271 D’argent : il pourra donc acheter les juges. « Son père qui, par plusieurs foiz,/ Du gibet l’avoit racheté. » Éloy d’Amerval.   272 J’ai beau râler et j’ai beau dire, ils sont au-dessus des lois. 1538 et 1540 commentent en marge : « Nota contre les mauvais justiciers. »

LES BÉLISTRES

Bayerische StaatsBibliothek

Bayerische StaatsBibliothek

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LES  BÉLISTRES

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Simon Gréban intégra cette farce au troisième livre de son Mystère, les Actes des Apostres, terminé vers 1470. Les bélîtres dont il est question sont des fainéants qui préfèrent mendier — d’une façon parfois agressive — plutôt que de travailler. Ils portent un nom prédestiné : MAUDUIT = mal duit, mal élevé ; les gueux des Maraux enchesnéz se qualifient de « povres enfans mauduytz ». TOULIFAUT, ou Tout-lui-faut = tout lui manque ; le mendiant Saudret a pour « surnom Tout-luy-fault ». TROUILLARD = foireux.

Source : Actes des Apostres. Édition parisienne d’Arnoul et Charles Les Angeliers, 1541. <Munich, Bayerische StaatsBibliothek, Res/2 P.o.gall. 27-1.> En ce qui concerne spécifiquement la farce, les éditions de 1538 (nouveau style) et 1540 sont moins correctes, et surtout beaucoup moins complètes : voir Daru.

Structure : Rimes plates, avec 3 triolets.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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Icy commencent

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les Bélistres.

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                        MAUDUYT,  le premier povre.1               SCÈNE  I

         Bon jour, Tout-luy-fault !

                        TOUT-LUY-FAULT,  .IIe. povre.

                                                  Hé ! Mauduit,

        Mettez là la main !

                        MAUDUIT

                                      Sauf le gant2 !

                        TOULIFAULT

        Il s’entend ainsi.

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                        TROUILLARD                                         SCÈNE  II

                                   Que de bruit !

        Bon jour, Toutlifault ! Hé ! Mauduit,

5      Com’ vous va ? Y a-il rien cuyt3 ?

                        TOULIFAULT

        Mauduit, congnois-tu ce brigant ?

                        TROUILLARD

        Bon jour, Toulifault et Mauduit !

        « Mettez là la main, sauf le gant !4 »

                        MAUDUIT

        Quel appétit ?

                        TROUILLARD

                                Fringant, fringant

10    Pour [soupper d’ung]5 clou de charette.

                        MAUDUIT

        Tu t’en vas donc ?

                        TROUILLARD

                                      Mais je m’arreste

        Pour veoir si vous avez que frire6.

                        TOULIFAULT

        Mais qui est-il ?

                        MAUDUIT

                                   Qui ? Il fault dire

        Que son estat n’est pas meschant7.

                        TOULIFAULT

15    Je cuide que c’est ung marchant

        De quelque estrange8 région,

        Qui a plus d’une légion9

        Du métail10 qui soubz l’ongle crocque.

                        MAUDUIT

        Tu es donc marchant ?

                        TROUILLARD

                                             Il se mocque

20    Des maulx chausséz11.

                        TOULIFAULT

                                            Va te pisser12 !

        C’est, vous dit-on, ung espicier13 :

        Il ne maine autre marchandise.

                        MAUDUIT

        Il y pert14 bien à sa chemise :

        Elle est plus jaulne15 que haran.

                        TROUILLARD

25    Voire soret16.

                        TOULIFAULT

                                 C’est de saffran :

        Il en a tout plain sa bougette17 ;

        Et de paour d’en payer la traicte,

        Il en emplist tout plain ses brayes18.

                        MAUDUIT

        Tu en bailles enseignes vrayes19,

30    Toulifault.

                        TOULIFAULT

                         Quoy ?

                        MAUDUIT

                                     Tu ne mentz point.

        Metz cy le nez sur son pourpoint…

        Que sent-il ?

                        TOULIFAULT

                             Ce n’est pas civette20 !

                        MAUDUIT

        C’est donc pouldre de vïolette ?

                        TOULIFAULT

        Non est ; il tire sur le musch21.

                        MAUDUIT

35    Je croy, pour vray, qu’il soit de Tusc22,

        Ou23 quelque marchant de coton.

                        TOULIFAULT

        Pour cause, [il] faict son hocqueton

        Sentir bon24, je l’ay bien congneu25.

                        MAUDUIT

        Pourquoy ?

                        TOULIFAULT

                           Pour estre bienvenu

40    Entre les dames, le mignon.

                        TROUILLARD

        Si j’ay espice plus qu(e) ongnon,

        Deux chefz d’aulx et une eschalotte26,

        Ne si pour Jehan ne pour Charlotte27

        Meine marchandise du monde,

45    Je suis content28 que l’on me tonde

        Rasibus comme cul de cinge !

                        TOULIFAULT

        [Vis-tu]29 de draps ?

                        TROUILLARD

                                          De draps de linge30.

        Je n’ay, par Dieu, rond que le cu31.

                        MAUDUIT

        Par mon serment, c’est bien vescu !

50    Apprenez, paillard, apprenez !

                        TROUILLARD

        Tel me voyez, tel me prenez.

        Je suis légier comme une plume32.

        Quant j’ay ung double33 ou deux, je hume.

        Qui34 me donne, je tendz la poche.

55    Ung jour voys35 droit, l’autre je cloche.

        Je fais du fol et du raillard.

        Et ! que fault-il à ung paillard,

        Sinon ung bissac soubz l’esselle

        Et deux ou trois marcs de vaisselle

60    De beau boys ? Ainsi l’entend-on.

                        TOULIFAULT

        Quel valeton36, quel valeton !

        Ainsi plain de bonnes humeurs,

        S’il estoit prins des escumeurs37

        Ou d’ung coursaire à ung destroit38

                        MAUDUIT

65    Ha, quel dommaige ce seroit !

        Le pays on verroit destruit :

        Car je croy qu’il fera grant bruit39,

        Cest enfant. Le voyez-vous bien ?

                        TROUILLARD

        Ha ! pensez que j’ay eu du mien40

70    Autant qu(e) homme qui s’appartienne41.

        Mais je suis…

                        TOULIFAULT

                              Quoy42 ? Dieu te maintienne !

        Tu es bien mince de pécune ?

                        TROUILLARD

        Et ! que voulez-vous ? C’est Fortune

        Qui tousjours bons marchans guerroye.

                        TOULIFAULT

75    Ha, dea ! c’est ce que je disoye :

        Il est marchant, ou des facteurs

        D’ung lombard43.

                        TROUILLARD

                                     Vrayement, Messieurs,

        Il y pert44 bien à mon pourpoint.

                        MAUDUIT

        Rien, rien, on ne t’en croira point !

80    Car tu es ung marchant publicque45.

                        TOULIFAULT

        Comment ? J’ay veu en sa bouticque

        De laz46, d’espingles, d’esguillettes,

        De fillet47 noir et des sonnettes

        Pour plus de six blancs48 et demy.

                        TROUILLARD

85    Rien ! Tu t’abuses, mon amy.

        Tu as destourné mon advis.

                        TOULIFAULT

        Je regny sainct Gris49 ! Je te veiz,

        Ou le diable dedans ton jaques50.

                        TROUILLARD

        Quant me veiz-tu ?

                        TOULIFAULT

                                       Ce fut aux Pasques.

                        TROUILLARD

90    Tu n’as pas bien leu ton registre51.

                        TOULIFAULT

        Comment ?

                        TROUILLARD

                            Ce fut à la bésistre52,

        Quant moy et ta fille Maunette

        Allions jouer à l’esguillette53,

        À la bisette54 de l’autonne…

                        TOULIFAULT

95    (S’il est vray ce qu’il me jargonne,

        En fin nous trouverons parens55.)

                        TROUILLARD

        … Quant nous goussasmes56 les harens

        Que nous trouvasmes au caignard57.

                        TOULIFAULT

        Et comment t’appelle-on58 ?

                        TROUILLARD

                                                      Trouillard.

100  Tu le dev(e)rois fort bien sçavoir.

                        TOULIFAULT

        (Mauldit soys-je s’il ne dit voir59 !

        Je ne le sçauroye nyer.)

        Quoy ! tu es grant comme ung pommier60,

        Mais regardez quel loquebault61 !

                        MAUDUIT

105  Pensez que c’est ung beau ribault62,

        S’il estoit bien enharnaché63.

                        TOULIFAULT

        C’est le père, tout fin craché64 :

        Il estoit ainsi laid truant65,

        Qui tousjours pétoit en suant,

110  Et ne fist-il66 que quatre pas.

                        TROUILLARD

        Où prenez-vous vostre repas,

        Compaignons ?

                        MAUDUIT

                                 C’est bien sermonné67 !

        Pource que tu n’as point disné ?

        Tu deis bien ; fais-le-nous acroire68 !

                        TROUILLARD

115  S(e) on me veit huy manger ne boire

        Depuis que je feuz deslogé69,

        Par Dieu, je te donne congé

        De faire de mon cul mittaines70 !

                        MAUDUIT

        Et ! tu fais tes fièbvres cartaines,

120  Paillard infâme, mal en point71 !

                        TOULIFAULT

        Seigneurs, ne vous combatez point !

        Remettez au col le bissac72.

                        MAUDUIT

        Se chargé n’eusse l’estomach73,

        Tout sur piedz74 m’en feusse vengé.

                        TOULIFAULT

125  Trouillard a aussi tant mangé

        Qu’il en a le ventre plus rond

        Qu(e) ung tabourin.

                        TROUILLARD

                                        Mais ung estronc !

        Je suis plus plat qu(e) une punaise75.

                        TOULIFAULT

        Ha ! que tu eusses esté aise,

130  Si tu feusse esté avecq nous !

                        TROUILLARD

        Mais de quel diable76 venez-vous,

        Qui estes en ce point bouffis ?

                        TOULIFAULT

        Luy et moy avons desconfis

        Deux grans plains platz de pois au lard…

                        TROUILLARD

135  Hélas ! que n’y estoit Trouillard ?

                        TOULIFAULT

        … Pastéz, et beaulx oysons petis,

        Chappons, et les connins77 rostis.

        J’en suis encores tout enflé.

                        TROUILLARD

        Comment ! Avez-vous tant rifflé78

140  Sans mettre ung lopin en réserve ?

                        MAUDUIT

        Escoutez comment il enterve79 !

        Et ! par Dieu, c’est bien à propos !

        Tout fut mengé, et chair et os ;

        Il80 n’y demoura que la plume.

                        TROUILLARD

145  Mauduit, c’est tousjours ta coustume

        Que d’estre en ce point sur ta bouche81.

        Et quel vin ?

                        TOULIFAULT

                            Ha ! Dieu scet qu’il touche82 !

        Ung vin qui la rosette efface83.

                        TROUILLARD

        Or, que mau senglant preu vous face84 !

150  J’en ay tel despit que j’en sue.

                        MAUDUIT

        Toulifault, comptes-luy l’issue85,

        Beau sire, pour le resjouir !

                        TOULIFAULT

        Voicy…

                        TROUILLARD

                     Je n’en vueil plus ouïr !

        Car quant je vous en oys parler,

155  Dieu scet comment je fais aller

        Ma langue autour de mes baulièvres86.

                        MAUDUIT

        Encor oublions-nous les lièvres,

        Que nous mangeasmes au civé87.

                        TROUILLARD

        Ung peu trop tard me suis levé ;

160  Et ne me failloit que secourre

        L’oreille88. Mais, pour me rescourre89,

        Iray de bonne heure à la queste.

                        TOULIFAULT

        Attendz-nous, dy, hay, grosse teste90,

        Et nous te tiendrons compaignie.

                        TROUILLARD

165  Maydieux91 ! ce seroit grant follie,

        Puisque mèshuy92 ne mengerez.

                        MAUDUIT

        Nenny, vray(e)ment. Mais vous serez

        Avec nous plus honnestement93

        Que tout seulet.

                        TROUILLARD

                                  Par mon serment !

170  Mèshuy iray seul, si je puis :

        Car tant de povres à ung huys,

        Ce n’est pas bien ce qu’il me fault94.

                        MAUDUIT

        Allons après luy, Toulifault :

        Si, aurons part à son butin.

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                        TROUILLARD,  à la porte de                  SCÈNE  III

                                        Cornélius, centurion.

175  Donnez au povre pèlerin95,

        Au nom de Dieu de paradis !

                        TOULIFAULT

        Hélas ! pour passer son chemin,

        Donnez au povre pèlerin !

        Je ne mengeay puis le matin96.

                        TROUILLARD

180  (Et si, a des fois plus de dix97.)

        Donnez au povre pèlerin,

        Au nom de Dieu de paradis !

                        CORNÉLIUS 98

        Vous ne serez pas esconditz,

        Mes enfans. Car, pour abréger,

185  Vous aurez tous bien à menger,

        Puisque pour Dieu le demandez.

        Émélïus !

                        ÉMÉLIUS

                        Sire ?

                        CORNÉLIUS

                                  Entendez :

        Voilà trois povres à la porte.

        Et pour tant99, je vueil qu’on leur porte

190  À menger assez largement.

        Ilz crient moult piteusement :

        Je pense qu’ilz ont bien grant fain.

                        ÉMÉLIUS

        Voicy de la chair et du pain,

        Seigneur, que je leur vois100 porter.

                        CORNÉLIUS

195   Nous les devons réconforter,

        Mon filz, nous y sommes tenuz ;

        Les revestir quant ilz sont nudz,

        Leur donner à boire et menger,

        Les réchauffer et les loger

200  Quant agravéz sont par traveil101 ;

        Et leur donner aussi conseil

        Qu’ilz prennent tout en patïence,

        Car ce ne seroit pas science

        S’ilz le faisoient tout autrement.

                        ÉMÉLIUS

205  Il sera faict entièrement.

.

        Recevez pour Dieu ceste aulmosne102                        SCÈNE  IV

        Que dom Cornélïus vous donne !

        Ainsi le devez-vous entendre.

                        TROUILLARD

        Je pry Dieu qu’Il luy vueille rendre

210  Lassus103, au royaulme divin.

        Il ne me fault mais que du vin,

        Et je seray trèsbien souppé104.

                        TOULIFAULT

        Voire nous !

                        TROUILLARD

                             J’ay icy happé

        Ung trèsbon lopin, toutesfois,

215  Truffant105, mocquant.

                        MAUDUIT

                                             Mais pour nous trois,

        Je le te dirois106 voluntiers.

                        TROUILLARD

        Et pourquoy ?

                        MAUDUIT

                               Tu n’y as qu(e) ung tiers.

        Tu n’y viendrois jamais à bout.

                        TROUILLARD

        Sainct Jehan ! je sçay bien que j’ay tout.

220  En aille ainsi comme il pourra,

        Mais ce gobet107 me demourra

        Pour soupper, c’est pour abréger.

        Aussi, vous ne pourriez manger :

        Vous estes plains jusques à l’œil,

225  Ce dictes-vous108.

                        TOULIFAULT

                                     (Que j’ay grant dueil

        De ce qu’il a en son bissac

        Nostre soupper !)

                        TROUILLARD

                                     Vostre estomach

        N’en sera mèshuy plus enflé.

                        MAUDUIT

        Quaré 109 ?

                        TROUILLARD

                            Vous avez trop rifflé110 :

230  La dïette vous sera bonne.

                        MAUDUIT

        N’avons-nous pas part à l’aumosne,

        Dy, paillard coquin que tu es ?

                        TOULIFAULT

        Il en y aura de tuéz111

        Avant que d’icy eschappons112.

                        TROUILLARD

235  Quoy113 ! gens qui ont mangé chappons

        Mangeroient voluntiers du beuf ?

                        MAUDUIT

        Par mon âme, tu es bien neuf114 !

        Quant le disner je devisoye115,

        Comment l’entendz-tu ? Je farsoye116,

240  Ouÿ, par le dieu d’Orient !

                        TROUILLARD

        Et ! je fais à bon escïent117,

        Quant à moy : je ne farce point.

                        TOULIFAULT

        Si fais ! Mais pour venir au poinct,

        Tu peulx assez ymaginer

245  Qu’on ne nous eust pas faict disner

        De perdris ne de chappons gras.

                        TROUILLARD

        Comment ?

                        MAUDUIT 118

                           Nous mentons à plain[s] bras :

        Bien suffiroit beuf ou mouton,

        Ou des pois au lard.

                        TROUILLARD

                                         Que scet-on ?

250  Quant à moy, je le croy ainsi119.

                        TOULIFAULT

        Scez-tu quoy ? Départons120 icy,

        Ou bref tu te feras escourre121.

                        TROUILLARD

        Katherine, fourre-luy, fourre ! 122

        S(e) une fois en mes fèbves entre123,

255  Je vous feray et dos et ventre

        Plus platz qu(e) une vieille punaise124.

                        TOULIFAULT

        Et ! fault-il donc que je me taise ?

        À grant-peine je m’y consens.

                        MAUDUIT

        Je te dis qu’il est hors du sens,

260  Et frappe comme ung enragé.

                        TOULIFAULT

        Au diable soit-il hébergé,

        Qu’i l’entraŷne sans retourner125 !

                        MAUDUIT

        Il le nous fault faire adjourner126 :

        Il rendra127 tout, s’il ne le nye.

                        TROUILLARD

265  Je plaideray la main garnye128,

        Vous en devez estre adverty,

        Enfans : beati garniti

        (Comme dit maistre Aliborum129)

        Vault mieulx que beati quorum130.

270  Retenez ceste auctorité !131

        ……………………………..

.

                        TROUILLARD 132                                   SCÈNE  V

        Qui pourroit133 sçavoir en quelz lieux

        Il seroit bon faire la queste,

        J’aurois tantost une requeste

        Despeschée en piteux propoz134,

275  Non par escript mais en doulx motz,

        Ainsi que bien je sçay user135.

                        TOULIFAULT

        Et aussi pour tost abuser

        Tous tes compaignons de l’ostière136 !

                        MAUDUIT

        L’aulmosne emporta toute entière,

280  Que Cornélïus nous donna.

                        TOULIFAULT

        Si finement en ordonna137

        Qu’en la chose à nous impartie

        Ne nous en feit part ne partie138,

        Mais print tout, sauf… nostre deffence139.

                        MAUDUIT

285  Il nous feit une grant offence,

        Dont j’ay empensé me venger,

        J’entens s’il ne se veult renger140

        Comme on doit en fraternité.

                        TROUILLARD

        Croyez, par ma virginité141,

290  Que je ne vous feray jamais

        Maulvais tour, je le vous promectz ;

        Et me pardonnez le commis142 !

                        TOULIFAULT

        Ha ! quel bon « vierge », mes amys !

        Pensez qu’il soit encores « vierge »,

295  Luy qui a esté le consierge

        D’ung bordeau143 plus de quatorze ans ?

                        MAUDUIT

        Voire ! Et si, a faict dix enfans

        À une vieille macquerelle.

                        TROUILLARD

        Je ne veulx point prendre querelle

300  Contre vous : car avant midy

        Je ne me trouve point hardy

        Se, le matin, n’ay résiné144.

        Mais quant j’ay bien mon saoul disné,

        Je ne cherche que l’escarmouche !

                        TOULIFAULT

305  (Garder se fault de ceste mouche,

        Comme j’entens, quant il est yvre.)

                        TROUILLART

        Je vaulx des solz plus d’une livre145,

        Quant j’ay bien la bedaine emplie ;

        Pour ce, de bon cueur vous supplie

310  Que nous aillons tendre la patte146

        En quelque lieu : car j’ay tel haste

        De baufrer que le cueur me fault147.

                        MAUDUIT

        Sçavez-vous que faire nous fault ?

        Voyant que nostre argent est court,

315  Allons-nous-en tous en la Court

        De Gondoforus148, le bon roy.

        Nous y profiterons, je croy,

        Car là est ung sainct aumosnier149.

                        TOULIFAULT

        Il me donna son aumosne, hyer,

320  De quoy m’en repeus150 tout le jour.

                        TROUILLARD

        Allons-y doncques sans séjour151 !

                        MAUDUIT

        Allons !

                        TOULIFAULT

                      Allons sans plus attendre !

        Et que chascun se face entendre

        En contrefaisant le piteux152.

        ……………………………..

.

                        TROUILLARD,  povre.153                      SCÈNE  VI

325  Ha ! très sainct homme, Dieu te rende

        Les grans biens que tu nous as faictz !

                        TOULIFAULT

        Ha ! le plus parfaict des parfaictz,

        Grâces te rendz de cueur entier.

                        MAUDUIT

        Tenir vueil la voye et sentier

330  Que tu presches, à mon povoir154.

        ……………………………..

.

                        MAUDUYT 155                                         SCÈNE  VII

        Hélas !

                        TOUTLIFAULT

                     Hélas !

                        TROUILLART

                                   Hélas ! Hélas !

        Fortune nous est bien contraire156.

                        MAUDUYT

        Perdu avons nostre soulas157.

                        TOUTLIFFAULT

        Hélas !

                        TROUILLART

                      Hélas !

                        MAUDUYT

                                    Hélas ! Hélas !

                        TOUTLIFFAULT

335  Malheur, qui nous tient en ses las,

        Est venu nostre bien substraire158.

                        TROUILLART

        Hélas !

                        MAUDUYT

                      Hélas !

                        TOUTLIFFAULT

                                    Hélas ! Hélas !

        Fortune nous est bien contraire.

                        TROUILLART

        Vers qui nous yrons-nous retraire159 ?

                        MAUDUYT

340  Vers qui yrons-nous à recours160,

        Quant la Mort a nostre secours

        — Pour nostre161 grant malheure — pris ?

                        TOUTLIFFAULT

        C’estoit de charité le pris162,

        Et d’humilité la lumière.

                        TROUILLART

345  Jamais elle n’eut sa première,

        Et jamais n’aura sa seconde163.

                        MAUDUYT

        C’estoit la plus doulce du monde.

                        TOUTLIFFAULT

        C’estoit l’oultrepasse164 en bonté :

        Car oncques ne l’a surmonté

350  Péché, et n’en feit onc approche165.

                        TROUILLART

        C’estoit la Dame sans reproche.

        Et ay ouÿ dire en maint lieu

        Qu’elle a porté le filz de Dieu

        Et conceu166 virginallement.

                        MAUDUYT

355  Je ne le croy point autrement,

        Quoy que les juifz en veullent dire.

                        TOUTLIFFAULT

        Ilz sont si remplis de mesdire

        Que le meilleur d’eulx ne vault rien.

                        TROUILLART

        Jamais ilz ne nous firent bien,

360  Tant sont de perverse nature.

                        MAUDUYT

        Puisque la bonne créature

        Marie nous avons perdue,

        C’est convenable chose, et bien deue167,

        De chercher ailleurs nostre mieulx168.

                        TOUTLIFFAULT

365  Or, regardez donc en quelz lieux

        Nous seroit bon faire demande169.

                        TROUILLART 170

        Les vierges, en troupe bien grande,

        Acompaignèrent le sainct corps.

                        MAUDUYT

        Nous en sommes tous bien records171,

370  Qui fut une excellente chose.

        Parquoy, présent, bien dire j(e) ose

        Que jamais n’a eu sa pareille.

        Parquoy, bien fault qu’on s’appareille

        À chercher pour en trouver une

375  Qui voulentiers, de sa pécune,

        Luy plaise de nous guerdonner172.

                        TOUTLIFFAULT

        On ne voit point souvent donner

        Aux grans bigotz173 ; ny aux bigottes

        Qui, contrefaisant les dévotes,

380  Font souvent de bien sotz ouvrages174.

                        TROUILLART

        Il y a des femmes fort sages,

        Et en charité renommées ;

        Mais elles sont clères semées175 :

        Difficile est trouver leur porte.

                        MAUDUYT

385  Nécessaire est qu’on se transporte

        Tendre la main en aucun lieu176,

        À celle fin qu’au nom de Dieu

        Donner on nous vueille à repaistre.

                        TOUTLIFFAULT

        Par ma loy177 ! j’ay grant désir estre

390  Où il y ait prou à disner :

        Le jeusner me faict indigner

        Et me rompt toute la cervelle.

                        TROUILLART

        Une andouille cuyte nouvelle

        Et ung gros tronson de jambon

395  Avec des pois, seroit-ce bon

        Pour en faire quelque offertoire178 ?

                        MAUDUYT

        Après cela, fauldroit-il boire,

        Pour le remplage du bacquet179.

                        TOUTLIFFAULT

        Or, sans tenir plus long caquet,

400  Allons chercher nostre adventure !

        Possible180, quelque créature

        Nous rencontrera en chemin,

        Qui remplira le parchemin181,

        Lequel est vuyde et bien fort creux.

                        TROUILLART

405  Allons, donc !

                        MAUDUYT

                               Allons !

                        TOUTLIFFAULT

                                            Je le veulx.

        Et chascun de nous ne se faigne

        De182 bien demander, que l’enseigne

        Ne183 soit en commun rapportée

        Telle qu’on l’aura apportée.

*

1 Les deux bélîtres se rencontrent dans une rue. Trouillard les écoute sans être vu.   2 Les gentilshommes ôtent leur gant pour se serrer la main. En réalité, Mauduit sous-entend que Toulifaut pourrait bien lui voler son gant. Nos bélîtres parodient la politesse aristocratique et affectent de se vouvoyer ; leur naturel ne va pas tarder à revenir.   3 Avez-vous pu vous procurer quelque chose à manger ? La nourriture et la boisson constituent le principal sujet de conversation des bélîtres.   4 Trouillard tend la main à ses deux confrères, tout en parodiant leur dialogue du vers 2.   5 Éd : coupper ung  (J’ai assez d’appétit pour manger des clous.)   6 Si vous avez de l’argent. D’après le vers 5, l’expression est prise au premier degré : si vous avez quelque chose que nous pourrions faire cuire.   7 Que sa tenue n’est pas misérable. Ironique : Trouillard est vêtu de loques jaunâtres.   8 Étrangère.   9 D’une multitude.   10 Du métal. On fait sonner une pièce avec l’ongle ou la dent pour vérifier, d’après le bruit obtenu, qu’elle n’est pas fausse.   11 De moi, qui suis mal chaussé.   12 Nous dirions : Va chier !   13 Un riche marchand d’épices.   14 Il y paraît. Idem vers 78.   15 La chemise de Trouillard [foireux] est jaune d’excréments : « Jaulne comme le cul d’ung singe. » Le Capitaine Mal-en-point.   16 Et même, plus jaune qu’un hareng saur. « Harenc soret ! » Les Cris de Paris.   17 Coffret dans lequel les marchands d’épices transportent les produits précieux, en particulier le safran qu’ils vont chercher eux-mêmes en Orient : « Une bougette à espisserie. » Godefroy.   18 De peur de payer la taxe sur les marchandises importées, il cache le safran dans ses braies : voilà pourquoi elles sont jaunes. Mais le public n’ignorait pas que le safran symbolisait les excréments : « C’est saffren ou merde. » Tarabin, Tarabas (F 13).   19 Tu en donnes de vraies preuves.   20 Ce n’est pas du parfum.   21 Cela ressemble plutôt à l’odeur musquée de la merde, comme les draps du bébé dans le Cuvier : « Que ce linge est ort [sale] !/ Il fleure bien le musc de couche. »   22 De Toscane. Les parfumeurs toscans étaient réputés.   23 Ou que ce soit. Le coton brut diffuse une senteur caractéristique.   24 Il parfume son corset.   25 Je m’en suis bien aperçu en y appliquant mon nez.   26 Si j’ai d’autres épices qu’un oignon, deux têtes d’ail et une échalote.   27 Et si pour tel ou telle.   28 Je veux bien. Les singes ont le cul pelé.   29 Éd : Dis tu  (Gagnes-tu ta vie en vendant des étoffes ? « Les habitans vivent de la draperie & d’agriculture. » Lucas Chartier.)   30 De lin. « Sans drap vestir, de linge ne de laine. » Villon.   31 Je n’ai de rond que mon anus. L’adjectif « rond » se rapporte à la forme des pièces de monnaie : « Or, par saint Jaque, n’a plus ront/ En tout mon hostel qu’une bille. » Les Menus propos.   32 Je n’ai rien mangé. Même vers dans le Gaudisseur.   33 Pièce valant 2 deniers.  Humer = boire : « Pour humer un tastin/ De muscat. » Frère Fécisti.   34 Quand on.   35 Je vais. Idem vers 194. Beaucoup de mendiants font mine de boiter pour attirer les dons.   36 Quel gaillard. « Quel valeton ! » Le Prince et les deux Sotz.   37 Par les écumeurs des mers. Les corsaires barbaresques enlevaient des voyageurs chrétiens pour obtenir une rançon.   38 Dans un bras de mer.   39 Qu’il acquerra une grande renommée.   40 De l’argent. « Il n’emportera rien du mien. » La Laitière.   41 Éd : mappartienne  (Qui se respecte.)  Jeu de mots : Qui sa part tienne.   42 Éd : Ouay   43 Ou il fait partie des commissionnaires d’un usurier.   44 Il y paraît. Voir le v. 23.   45 N’ayant pas les moyens de tenir une boutique, tu vends sur les marchés.   46 Des lacets. Toulifaut prétend que Trouillard possède une mercerie.   47 De fil. Les sonnettes sont les grelots cousus au costume et au bonnet des fous. « Mymin à sonnètes ! » Le Monde qu’on faict paistre.   48 Pièces de monnaie valant 5 deniers.   49 Je renie saint François d’Assise. « Je regny sainct Gris ! c’est ung cul ! » Trote-menu et Mirre-loret.   50 Ou le diable avait revêtu ton justaucorps et avait pris ton apparence.   51 Ton calendrier.   52 Éd : belistre  (Le bésistre désigne le jour bissexte, le 29 février.)   53 L’aiguillette est le cordon qui ferme une braguette. Idem vers 82. On devine de quel « jeu » il s’agit.   54 Quand soufflait le petit vent. Les bélîtres font l’amour en plein air, comme en témoigne la Chanson sur l’ordre de Bélistrie, de Jehan Molinet.   55 À la fin, nous nous trouverons parents : il sera mon gendre.   56 Éd : iouasmes  (Les éditions antérieures donnent goussasmes ; pour une fois, c’est elles qui ont raison.)  Mot d’argot : « Gousser, c’est manger. » (Guillaume Bouchet.) Sur l’argot dans les Mystères, voir la notice de Gautier et Martin.   57 « Cagnard, qui est un lieu à l’abri du vent, exposé au soleil, où les vaut-riens & fainéants s’assemblent à rien faire & estre le ventre au soleil. » (Jean Nicot.) Cf. Gautier et Martin, vers 48.   58 Trouillard et Toulifaut ressemblent fort à Paillart et Briffaut, deux vagabonds du Capitaine Mal-en-point : « –Comment m’appelle-t-on ? –Paillart./ –Je puisse mourir enragé/ Se ces parolles ne sont vrayes ! »   59 Vrai.   60 Tu es très grand.   61 Loqueteux. « Ce n’est c’un loquebault. » Le Trocheur de maris.   62 Gaillard.   63 Pour peu qu’il soit bien habillé.   64 C’est le portrait de son père tout craché. On reconnaît la scène où maître Pathelin compare le drapier à son père : « Que resemblez-vous bien, de chière/ Et de tout, à vostre bon père…./ C’estes vous (fais-je), tout crachié. »   65 Mendiant.   66 Même s’il n’avait fait.   67 Question idiote !   68 Tâche de nous convaincre que tu n’as pas dîné.   69 Depuis que je fus expulsé de mon logis.   70 Je te donne l’autorisation de réchauffer tes mains dans mon cul.   71 Cf. le Capitaine Mal-en-point, dont l’un des bélîtres se nomme Paillart. Mauduit pose son bissac pour montrer qu’il veut en venir aux mains avec Trouillard.   72 Le double sac que les mendiants portent sur leur épaule ou sur leur col. Idem vers 58 et 226. « Le povre bélistre,/ Il avoit le bisac au col. » La Mocqueresse mocquée.   73 Si mon estomac n’était pas si chargé, après le festin que Toulifaut et moi venons de faire. Ce festin imaginaire est invoqué pour taquiner Trouillard.   74 Sur le champ. Cf. le Capitaine Mal-en-point, vers 670.   75 Voir le v. 256.   76 D’où diable.   77 Des lapins. Personne n’aurait servi des mets aussi fins à des clochards, comme ils le reconnaîtront eux-mêmes aux vers 244-9.   78 Bâfré. Même mot d’argot à 229.   79 Comment il nous interroge (argot). « Qu’on en enterve/ Puis l’ung, puis l’autre ; et là, orrez/ Se remède trouver pourrez. » Mystère de l’Incarnation.   80 Éd : Quil   81 De ne penser qu’à manger. « C’est laide chose qu’ung servant/ Qui est en ce point sur sa bouche. » Le Capitaine Mal-en-point.   82 Que ce vin va droit au cœur. « Le vin d’Espagne touche au cœur. » Dict. de l’Académie françoise.   83 Qui fait oublier le rosette, un vin blanc du Périgord. « Vin d’Arragon, vin de rosette. » Le Gaudisseur.   84 Que ce vin vous fasse un mauvais profit !   85 Raconte-lui le dessert.   86 Je me lèche les lèvres avec gourmandise.   87 En sauce au vin et à l’oignon (cive). « Voulez-vous ce lièvre au boussac,/ Ou s’on le mectra au civé ? » Le Capitaine Mal-en-point.   88 Il n’aurait fallu que me secouer l’oreille pour me réveiller.   89 Pour me secourir, me reconstituer.   90 Tête de mule. Cf. Ung Fol changant divers propos, vers 177.   91 M’aid Dieu : que Dieu me vienne en aide.   92 Aujourd’hui. Idem vers 170 et 228.   93 Plus honorablement.   94 On se méfiait des mendiants qui opéraient en équipe. « Y n’est poinct plus grand desplaisir/ Que tant de truans [mendiants] à un huys. » Les Mal contentes.   95 Certains mendiants accaparent le titre de pèlerins pour que les bons chrétiens soient tenus de leur faire la charité. Le faux pèlerin des Premiers gardonnéz s’écrie : « (Celui) qui me donne,/ Il fait bien et grant charité. »   96 Depuis ce matin.   97 Et pourtant, Toulifaut a mangé plus de dix fois.   98 Le centurion romain Cornélius, qui va bientôt devenir chrétien, est une dupe idéale pour nos trois filous. Son aide de camp, le chevalier Émélius, paraît un peu moins naïf.   99 Pour cela.   100 Vais.   101 Quand ils sont grevés par les tourments. Les éditions antérieures indiquent en marge que ce prêche emprunte au Psaume 40, à St Luc et au Livre de Tobie.   102 Émélius donne une grosse quantité de nourriture à Trouillard, qui la met dans son bissac (vers 226).   103 Que Dieu le lui rende, là-haut.   104 Nourri. « Vous serez souppéz en plénier [en abondance]. » (Le Capitaine Mal-en-point.) Émélius feint de ne pas entendre, et retourne chez le centurion.   105 Éd : Toussant  (Les éditions antérieures donnent : Touffault.)  L’expression « truffant, moquant », ou « truffant, bourdant », signifie : soit dit sans vouloir vous offenser.   106 Éd : lairrois   107 Ce morceau.   108 D’après ce que vous dites. Trouillard devine enfin que les agapes dont se vantent ses rivaux relèvent de la mystification ; maintenant, c’est lui qui va rire des autres.   109 Pour quelle raison (mot latin). « Dy-moy quaré/ Tu me viens faire ce meschef. » Les Trois amoureux de la croix.   110 Bâfré. Même mot d’argot à 139.   111 Il va y avoir un mort. « Il y en aura de mors :/ Il y moura l’un de nous deulx. » L’Avantureulx.   112 Nous partions. « Jamais d’icy n’eschaperon. » Saincte-Caquette.   113 Éd : Ouay  (Au vers 137, Mauduit et Toulifaut ont prétendu avoir mangé du chapon.)   114 Bien naïf, pour avoir cru nos fanfaronnades. « Vous estes bien neuf ! » Le Dorellot.   115 Je te décrivais.   116 Je plaisantais.   117 Je parle sérieusement.   118 Éd : Maudine.  (Mau dîné = mal nourri. Mais la rime des vers 1, 4 et 7 confirme Mauduit, tout comme les éditions antérieures. Je corrige la même inadvertance aux rubriques 259 et 263.)   119 Je crois que vous avez réellement fait ce banquet.   120 Partageons. « Voicy mignons hardis et promptz/ Pour faire départir ung rost [rôti]. » Régnault qui se marie.   121 Secouer, battre comme un tapis.   122 Probable refrain de chanson. Le 5ème Livre de Rabelais <chap. 32 bis> énumère des chansons réelles, dont l’une, qu’on n’a pas retrouvée, s’intitule Catherine. En outre, il y a peut-être un nouveau clin d’œil à la Farce de Pathelin : « Il luy fault or ? On le luy fourre ! »   123 Si j’entre dans un accès de folie. « Mais ès fèves plus en entra,/ Cuidant par ung désir volaige/ La tourner à son avantaige/ Pour en jouir légièrement. » (Alain Chartier.) C’est là le développement d’un proverbe : « Quand les fèbves sont flories,/ Les sots commencent leurs folies. » Cotgrave.   124 Voir le v. 128. Trouillard tape sur Mauduit (vers 260).   125 Que le diable l’entraîne en enfer sans retour.   126 Nous devons le faire assigner devant un tribunal. On songe à cet escroc de Pathelin qui, lui-même escroqué par un berger, menace de le faire pendre ou emprisonner.   127 Il restituera. Double sens : il vomira. Jeu de mots semblable dans Pathelin : « –Ilz m’ont fait tout rendre…./ –Mes neufz frans ne sont point rendus. »   128 En ayant la main garnie de nourriture, pour soudoyer le juge. Un avocat du Plaidoyer de Coquillart se nomme « maistre Oudard de Main Garnie ».   129 Un maître Aliboron est un conseiller qui masque son incompétence derrière du mauvais latin. « Quel maistre Aliborum !/ Comme il fait ce latin trembler ! » Maistre Mimin estudiant.   130 « On dit proverbialement & populairement : Beati garniti vaut mieux que beati quorum, pour enseigner qu’il faut tâcher d’avoir toûjours la main garnie quand on a à contester quelque chose. » (Furetière.) Le Fol de la Moralité du Lymon et de la Terre (T 19) déclame ce dicton, que Monluc reprendra dans sa Comédie de proverbes.   131 La farce s’interrompt provisoirement. Le vers suivant du Mystère, qui rime avec celui-ci, est prononcé par Jésus.   132 Cet épisode se déroule un peu plus tard. Il ne figure pas dans les éditions antérieures : quand il fallait faire des coupures dans un Mystère, on sacrifiait toujours la farce (voir ma notice de Baudet, Blondète et Mal-enpoint). Pour des raisons pratiques, je numérote ces vers à la suite des précédents.   133 Si l’on pouvait.   134 Je ferais aux dupes une requête énoncée avec des paroles plaintives.   135 Selon mon usage.   136 Argot. Les « gueux de l’ostière » constituent une confrérie de mendiants qui vont de porte en porte. « Par l’artifice des meschans bélistres de l’ostière. » Godefroy.   137 Trouillard s’organisa si finement.   138 Il ne nous en laissa pas une seule part.   139 Nous avons là un superbe zeugma : il prit tout, mais il ne prit pas notre défense.   140 S’il ne veut pas se conduire. Cette Fraternité n’est autre que la confrérie des gueux de l’ostière, dont les règles étaient fort strictes.   141 Dans les farces, un tel serment fait toujours rire. Le prêtre des Povres deables n’hésite pas à jurer : « Et ouy, par ma virginité ! »   142 Le mauvais tour que j’ai commis à vos dépens.   143 D’un bordel, pendant…   144 Si je n’ai bu du jus de raisin fermenté, du vin.   145 Une livre = 20 sous. Mais « sols » se prononçait comme « sots » ; le public a donc pu comprendre : Je vaux mieux qu’une livre de sots. Cf. la Folie des Gorriers, vers 640 et note.   146 Mendier.   147 De bâfrer que mon cœur défaille. Cf. les Coquins, vers 61.   148 Gondopharès, roi des Indes.   149 Encore un pigeon chrétien qu’on va pouvoir plumer. Malheureusement, cette scène a été omise ou supprimée par les trois éditions : voir la note 132.   150 Je me suis repu de nourriture et de vin.   151 Sans délai.   152 En faisant le dévot. Cette revendication du droit à l’hypocrisie va être mise en pratique dès la scène suivante.   153 Saint Thomas donne aux bélîtres une grosse somme qu’il a extorquée au roi, et qu’il accompagne d’un sermon rébarbatif. Trop heureux de remplir leurs poches à si bon compte, les mendiants lui font croire qu’il est parvenu à les convertir au christianisme ; si Paris vaut bien une messe, une aumône importante vaut bien une fausse conversion. Notons que dans le 4ème Livre du mystère, Mauduit et Toulifaut, devenus respectivement sergent et geôlier, persécuteront les chrétiens. Saint Thomas ne l’aurait pas cru !   154 Selon mon (faible) pouvoir.   155 Nous retrouvons les trois bélîtres à la fin du 5ème Livre. Ils déplorent la mort de leur plus généreuse donatrice. Au bout d’un suspense hitchcockien de 23 vers, nous découvrons qu’il s’agit de la Vierge Marie. Cet épisode irrévérencieux, qui ne figure pas dans les éditions antérieures (note 132), est apocryphe : l’orthographe des noms propres a changé ; mais surtout, on ne reconnaît plus le style fluide de Gréban, qui était mort depuis belle lurette quand ses Actes des Apostres parurent, après avoir subi les inévitables retouches induites par les représentations de 1536 et de 1541.   156 Adverse. Même vers dans les Maraux enchesnéz où, comme ici, des bélîtres se plaignent de leur sort.   157 Notre réconfort. Ces plaintes démarquent mot pour mot celles des amants qui ont perdu leur bien-aimée. Sauf que chez nos bélîtres, l’amour de l’andouille et du jambon va bientôt supplanter l’amour de Marie (vv. 393-4).   158 Nous soustraire notre bien.   159 Retirer.   160 Réclamer de l’aide.   161 Éd : nous a  (Quand la Mort a pris notre bienfaitrice, pour notre plus grand malheur. « Ilz s’en départirent à leur grant malheure. » Perceforest.)   162 Le premier prix : elle était le summum de la charité.   163 Nulle ne l’a précédée, et nulle ne lui succédera.   164 La meilleure. Vocabulaire amoureux : « Ma Dame est l’outrepasse des dames. » ATILF.   165 Car le péché ne l’a jamais vaincue, et ne s’approcha jamais d’elle.   166 Et qu’elle l’a conçu.   167 Due, normale.   168 Notre bien.   169 La quête.   170 L’ex-tenancier de bordel (vers 296) a l’esprit ailleurs.   171 Informés. « Tu es par toy-mesme record/ Que deux coquins [mendiants] ne vallent rien/ À un mesme huys. » Le Pardonneur.   172 De nous récompenser.   173 On ne voit pas souvent les bigots donner aux pauvres.   174 Font l’ouvrage de reins. « Je besongne occultement [copule secrètement]/ En contrefaisant la bigotte. » Farce de quattre femmes, F 46.   175 Clairsemées, rares.   176 Pour mendier en quelque lieu.   177 Par ma religion, le paganisme. Cf. Gournay et Micet, vers 85, 96, 319 et 335.   178 Éd : inuentoire.  (Pour nous en faire une offrande. « Pour faire offertoire/ Du pain de vie. » N. Osmont.)  L’imprimeur a dû craindre un amalgame — d’ailleurs voulu par l’auteur — avec l’Offertoire liturgique.   179 Éd : bancquet.  (Pour le remplissage de notre ventre.)   180 Peut-être. Cf. le Poulier à sis personnages, vers 113.   181 La peau de notre ventre.   182 Éd : Si  (Ne feigne pas, ne fasse pas semblant de.)   183 Éd : En  (Afin que notre bissac ne soit pas rapporté aussi vide qu’à l’aller.)  Le bissac est l’enseigne des mendiants, leur emblême : voir la note 72.

BAUDET, BLONDÈTE ET MAL-ENPOINT

Bibliothèque nationale de France

Bibliothèque nationale de France

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BAUDET,

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BLONDÈTE  ET

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MAL-ENPOINT

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Une farce est une pièce comique jouée par un petit nombre d’acteurs. Elle se compose d’une entrée en matière qui « plante le décor », d’un développement qui pousse jusqu’à l’absurde un sujet dérisoire, et d’une conclusion qui se prétend morale sans l’être. C’est donc bien une farce à part entière qui arrive comme un cheveu sur la soupe dans la seconde journée du Mystère des trois Doms. Son action et les 3 personnages qui la font vivre n’appartiennent pas au Mystère ; elle fut d’ailleurs supprimée lors de la création, faute de temps. Il n’était pas rare d’inclure une farce dans un Mystère, pour réveiller les spectateurs : voir la notice des Tyrans. Dans ce cas, et nous le vérifions ici, le début et la fin de la farce riment avec le vers antérieur ou postérieur du Mystère.

Le Mystère des trois Doms, composé par le chanoine Pra, fut créé en 1509 à Romans-sur-Isère. La farce était prévue pour la matinée du 28 mai.

Ce Mystère est d’une totale invraisemblance historique, avec ses anachronismes et ses personnages qui ont vécu à des époques et en des lieux différents — pour peu qu’ils aient existé. Nous assistons à la mort de l’empereur Septime Sévère, en l’an 211 ; mais les actes que le chanoine Pra lui attribue concernent plutôt Marc Aurèle, mort en 180. En tout cas, il faut faire un gros effort d’imagination pour admettre que la farce, où achèvent de rouiller des armures rescapées de la guerre de Cent Ans, se déroule dans la Gaule romaine.

Source : Bibliothèque nationale de France, ms. NAF 18995, folios 115 vº à 120 rº.

Structure : Rimes abab/bcbc, rimes plates, avec 2 poèmes à refrains.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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                        BLONDÈTE,  quoquine1, femme de

                                                    Baudet,  commance.

        Baudet !                                                                       SCÈNE  I

                        BAUDET,  coquin,  commance.

                         Hau ! qu’esse ?

                        BLONDÈTE

        Dormirez-vous toute journée2 ?

        Levez-vous sus !

                        BAUDET

                                    Laisse-moy, laisse,

        Vielhe putain déshordonnée3 !

                        BLONDÈTE

5      La guerre a esté cryée

        De par les empereurs romains4.

                        BAUDET

        C’est bien soufflé5 !

                        BLONDÈTE

                                        Ouy ? Pour ces mains,

        La journée [e]n est assignée6 :

        Ne les tenez pas en paresse.

                        BAUDET

10    Point n’yrey avant la dîgnée7 :

        À moy seroit trop grant simplesse8.

                        BLONDÈTE

        Baudet !

                        BAUDET

                         Hau ! qu’esse ?

                        BLONDÈTE

        Dormirez-vous toute journée ?

        Levez-vous sus !

                        BAUDET

                                    Laisse-moy, laisse,

        Vielle putayn déshordonnée !

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                        MAL-ENPOINT 9,  coquin,  commance.

15    Bonne matinée !                                                          SCÈNE  II

                        BLONDÈTE

        Si10 me soit donnée

        Pour mon passe-temps !

                        MAL-EN-POINT

        Sans querre noyses ny contans11,

        Soucy, chagrin hors je veux mettre.

20    Mars12 gard les gueux !

                        BAUDET

                                             Et à vous, maistre !

                        MAL-ENPOINT

        Qu’est cecy ? Es-tu sus l’embûche13 ?

        Que fais-tu là ?

                        BAUDET 14

                                  Je m’esperluche15.

                        BLONDÈTE

        Il a santy quelque picard16.

                        BAUDET

        Il y demourra, le rifflard17 !

25    Besoing n’est jà que l’on l’embûche18.

                        MAL-ENPOINT

        Que fais-tu là ?

                        BAUDET

                                 Je m’esperluche.

                        BLONDÈTE

        Il a santy quelque picard.

                        BAUDET

        Où va le seigneur, ainssi tart,

        Tenant gravité honnorable19 ?

                        MAL-ENPOINT

30    Je m’en voys20 dessoubz l’estandart

        De Noblesse la favorable.

                        BAUDET

        Vostre parler est raisonnable.

        Estes-vous de la21 Gentillesse ?

                        MAL-ENPOINT

        Voyre : des chouses22 de sa prouesse,

35    Raige j’ay fait par mons et vaux.

                        BAUDET

        Pour fournir deux grans hôpitaux,

        Voustre personne est [bien] propice23.

        Ha ! gentil-homme ?

                        MAL-ENPOINT 24

                                          D(e) haulte lisse25.

                        [BAUDET]

        Gentil-homme de basse taille26

40    Qui, par deffaulte d’une maille27,

        Demourriez seiché28 au gibet.

                        MAL-ENPOINT

        À toy dresse29 le quolibet !

        Esse cy le chemin de Romme ?

                        BAUDET

        Où veult aller vostre personne ?

45    Quérez-vous quelque prélature30 ?

                        MAL-EN-POINT

        Nenny : je vois, à m’avanture31,

        Me présenter à l’Empereur.

                        BAUDET

        Et là, que fère32 ?

                        MAL-ENPOINT

                                      Querre honneur ;

        Je serey des chiefz [de] la guerre.

                        BAUDET

50    De joye tout le cueur me serre.

        Vous serez ung vaillant archier33 !

        Meilleur trongne de pâtissier

        Vous avez34 que de capitayne.

                        MAL-ENPOINT

        Et ! je l’ay ? Ta fièvre cartayne35,

55    Poulieux infâme, ort bellistre36 !

                        BAUDET

        Bien déclairez cy vostre tiltre37.

        Il y pert bien à vous abis38,

        À vous ocqués39, à vous rubis

        Que vous portez sus le visaige :

60    Oncques je ne vis tel ymaige

        Mieulx resamblant à ung yvroigne.

                        MAL-ENPOINT

        Si je puys, feray ma besoigne.

        Pourveu serey40 avant dix jours.

                        BAUDET

        Le[s] poux ont sus vous beaux séjours41.

65    Vostre pourpoint n’est costonné42 :

        Garde n’avez d’estre estonné43,

        [Mais que]44 vous soyez en bataille ?

                        MAL-ENPOINT

        Dix francs [par moys]45.

                        BAUDET

                                                Voire, sans faille46,

        Tout vostre argent est jà conté47 ;

70    Autant en yver qu’en esté,

        Vous serez sus la morte-paye48.

                        MAL-ENPOINT

        Vestu serey49

                        BAUDET

                                   Leynne de soye

        L’on vous gettera sus le doux50.

                        MAL-ENPOINT

        … [D]e draps d’argent.

                        BAUDET

                                             Voyre de « poux51 » :

75    Ce sera vostre couverture52.

                        BLONDÈTE 53

        Endure, pouvre cueur, endure !

        Endurer fauldra meintenant,

        Car je vois mon mary venant54

        Tout seuremant à la guerre à s’avanture55.

                        BAUDET

80    Je cuyde que ma femme pleure ;

        Ou aulmoins, elle en fait semblant.

                        BLONDÈTE

        Que fait le gueulx56 ?

                        BAUDET

                                           Trèstout tremblant

        M’avez randu, à vostre crye57.

                        BLONDÈTE

        Que dit Baudet ?

                        BAUDET

                                    Je dis, m’amye,

85    Que j’ay compaignie de [ma] sorte58

        Qui s’en va — d’où je me conforte —

        À la guerre gaigner pécune.

                        BLONDÈTE

        Et d’où est-il ?

                        BAUDET

                                De Panpelune59 :

        Le pouvez veoir à ses abitz.

                        MAL-ENPOINT

90    Je ne prans garde à blanc n’à bis60,

        Autant vestu comme en pourpoint61.

                        BLONDÈTE

        Et vostre non ?

                        MAL-ENPOINT

                                  C’est Mal-enpoint,

        Le capitaine advanturier.

                        BAUDET

        À luy seray sans varier62,

95    [Mais que bons gaiges]63 il me donne.

                        MAL-ENPOINT

        Garde n’as que nully t’estonne64,

        Mais que tu soyes soubz ma bande65.

                        BAUDET

        C’est, ma foy, tout ce que demande,

        Car estonné ne vouldrois estre.

                        BLONDÈTE

100  Baudet a trouvé cy son maistre,

        Ung capitaine de renon66.

        Vous y yrez ?

                        BAUDET

                                Juppin ! c’est mon67 :

        Refuser ne veulx l’advanture.

                        MAL-ENPOINT

        N’ayez soucy : mays qu’il endure68,

105  Riche sera en peu de temps.

        As-tu armure ?

                        BAUDET

                                   De long temps

        J’ay les arnois69 de mon grant-père.

                        MAL-ENPOINT

        Avoir les fault !

                        BAUDET

                                  Çà, ma commère,

        Y convient cy que vous m’armez.

                        BLONDÈTE

110  Par mon âme ! vous m’estonnez,

        Quant me parlez de tel langaige.

                        BAUDET

        Où est mon jacques70 ?

                        BLONDÈTE

                                              Et que sçay-je ?

        Despuis71 vous, je ne l’ay tenu…

                        BAUDET

        Si en serey-je revêtu ;

115  Apourtez-le-moy, si voulez.

                        BLONDÈTE

        Vestu vrayement en serez.

        Velle cy72, trèsbel et honneste.

                        BAUDET

        Ne seray-je pas de la teste73 ?

        Si seray, dea : çà, ma sallade74 !

                        BLONDÈTE

120  J’ay peur que ne soyez malade,

        De tant vestir d’accoustremans.

                        BAUDET

        Hardy seray !

                        BLONDÈTE

                               Ouy, si ne mans75.

        Par où esse qu’i la76 fault mettre ?

                        BAUDET

        Ma teste dedans fault remettre.

125  Maintenant ell’ est à ma guise.

        Mes gantellés77 !

                        BLONDÈTE

                                     Belle devise78 !

        Vous convient-il armer les mains ?

                        BAUDET

        Mes garde-bras79 !

                        BLONDÈTE

                                        Cella, du moins,

        Trop vous affeublez80, sus mon âme !

130  Hé ! mon amy…

                        BAUDET

                                     Qu’i a, Madame ?

                        BLONDÈTE

        S’on vous frappe sus les… tallons81,

        Que direz-vous ?

                        BAUDET

                                     Mes esperons,

        De quoy serviront-ilz, Blondète ?

                        MAL-EMPOINT

        Est-il en point ?

                        BLONDÈTE

                                   Veez-le cy, preste82,

135  Tout armé comme ung beau saint George.

        Vous y ferez…?

                        BAUDET

                                   Randre la gorge

        À celluy quy ne me doit rien,

        S’il ne baille sces-tu combien ?

        Des escutz une plaine tace83.

                        BLONDÈTE

140  N’obliez pas vostre besasse84,

        Pour réduyre tous ces arnas.

                        BAUDET

        Vestu me verras de damas85,

        Blondète, quant je reviendrey.

                        BLONDÈTE

        Et vostre espée ?

                        BAUDET

                                     Je la larrey :

145  Ce sera pour86 ta saulvegarde.

                        BLONDÈTE

        Et s(i) on vous bat ?

                        BAUDET

                                         En ce cas, garde87,

        Garde n’ay de tant m’approucher !

                        BLONDÈTE

        Vous serez donc bon franc-archier,

        Pour vous tenir à l’uys derrière88.

150  S’on vous assault ?

                        BAUDET

                                       Et ! moy arrière

        Me recullant tout le beau pas89.

                        BLONDÈTE

        Et direz ?

                        BAUDET

                         Que je n’y suys pas90 :

        Aultremant, l’on m’affoleroit91.

                        MAL-ENPOINT

        Départir il nous conviendroit,

155  Car nous pardons avancemant92.

                        BAUDET

        Où yrons-nous ?

                        MAL-EMPOINT

                                   Premièramant

        Yrons à l’Empereur romain,

        Qui nous tendra (ce croy) la main,

        Nous fournissant de quelque place.

                        BLONDÈTE

160  Et s’il93 dîgne ?

                        BAUDET

                                   Bon pro[u] luy face94 !

        Je le verrey aulmoins de l’uys.

                        MAL-ENPOINT

        Je vois davant95.

                        BAUDET

                                     Et je vous suys.

        Hélas, Blondète !

                        BLONDÈTE

                                     Hélas, Baudet !

        Gardez-vous bien !

                        BAUDET

                                        Mon cas est nest96 :

165  À la guerre, ma foy, m’en voys.

.

                        MAL-EMPOINT                                      SCÈNE  III

        Marches avant !

                        BAUDET

                                   Point je97 n’y vois :

        Ceste armure m’ouste la veue98.

                        MAL-EMPOINT

        Si ta personne est cogneue

        Une foys de dedans l’Empire,

170  J’ay peur que ne deveignes pire99 :

        Tu ne recognoistras personne.100

                        BAUDET

        Où est la guerre ?

                        MAL-EMPOINT

                                      Mot ne sonne101 !

        Nous sonmes prestz de l’Empereur102.

        Avant, Baudet103 !

                        BAUDET

                                        Et si104, j’ay peur :

175  Orïons me feront esmay105.

                        MAL-EMPOINT

        As-tu soucy ?

                        BAUDET

                                Ouy, par ma foy !

        Au diable soit la guerre toute !

        Et ! qu’e[s]t cecy106 ? L’on n’y voit goutte.

        Ma femme le me disoit bien.

                        MAL-EMPOINT

180  Veulx-tu venir ?

                        BAUDET

                                    Estron de chien !

        Allez-vous-en là où vouldrez,

        Car d’annuyt107 vous ne m’y tiendrez.

        Je m’en revois108 devers ma femme.

                        MAL-ENPOINT

        Qu’esse qui bruyt109 ?

                        BAUDET

                                            Alarme ! Alarme !

185  Me murtrirez-vous110, en ce point ?

        Bien de guerre [n’]aurey besoing,

        Si jamais je la tourne veoir.

        Esse de quoy l’on scet pourveoir111 ?

.

        Blondète, je retourne toust112.                                    SCÈNE  IV

                        BLONDÈTE

190  Où avez-vous rôti le roust113,

        Quant eschoffé estes si fort ?

                        BAUDET

        Blondète, je n’estois pas fort,

        Pour retourner ces114 coups de lance.

        Si plate m’ont randu la pance115

195  Qu’à peinne povois-je souffler116.

                        BLONDÈTE

        Vous n’aviez garde117 de ronfler.

        Mettez-vous ung peu en repous,

        Et je vous couvrirey le doux118

        Affin qu’esvitez l’esquillance119.

200  Estes-vous bien ?

                        BAUDET

                                     Ouÿ, ce120 pance.

                        BLONDÈTE

        Or, repousez tout à vostre ayse.

.

*

LES  DEUX  POUVRES

*

.

Le Mystère des trois Doms prête la parole à deux autres pauvres qui vivent de mendicité121. Les trois saints du Mystère leur donnent des vêtements et des bijoux en échange de leurs prières. Telle est, du moins, la vision angélique du chanoine Pra. Hélas ! elle va être anéantie par Claude Chevalet, que les commanditaires des Trois Doms ont payé pour revoir la copie du bon chanoine, jugée un peu molle du genou. Ce futur auteur d’une Vie de sainct Christofle épicée d’argot ne patauge pas dans l’eau bénite : les deux mendiants deviennent des bonimenteurs qui se prétendent chrétiens pour exploiter la naïveté des saints. (La Vie de sainct Christofle prêtera le même subterfuge à l’Aveugle et son valet Picolin.) Les deux escrocs commentent leur forfait dans la langue verte des bas-fonds, avant d’aller boire la sainte donation à la taverne, comme Clique-pate et Malaisé buvaient l’argent de sainte Barbe. Voici le dialogue ajouté par Chevalet ; ce brouillon presque illisible fut inséré dans le ms., et folioté tardivement 108 rº et vº. Je ne reproduis pas le premier mot, « debvoir », qui n’est autre qu’un rappel de la rime précédente, prononcée par Exupère.

*

                     LE  PREMIER  POUVRE

        Que te samble de nostre advoir122 ?

        Avons-nous pour fère grant chière ?

        N’esse pas pour fère debvoir123,

        Et gaudir124, brouer sus l’enchière ?

5      Si nostre mille125 n’en est fière,

        Nous luy ramplirons sa foulliouse126.

        Que te samble de la matière ?

                     LE  SECOND  POUVRE

        Je ne scey sus quoy l’on proupose127.

        S’on povoit advoir une [a]louse128

10    Pour aubert qu’on mist sus la dure129,

        Nous serions bien.

                     LE  P[REMIER  POUVRE]

                                      N’est130 aultre chose

        À mordre ? Tu renies ta cure131 !

                     LE  SECOND  [POUVRE]

        Ne sçavez, quant l’on a monture132

        Pour marcher sus les chans à l’aise,

15    Qu’on doit gaudir133 sus la verdure ?

        Et ! ne [regardez, quoy]134 qu’i poise :

        Flascon, bouteille[s] et simaise135

        Devez ramplir jusqu’au bondon136,

        Poulle trouver, aussi pigon137,

20    Puisque vous santez ramplumés138.

                     LE  P[REMIER  POUVRE]

        Parlez plus bas ! Vous m’enfumez

        Le cerveau139 pour y estre jà.

        Oncques mareschal ne forja

        (Ce me samble) telle monoye140 :

25    Pasté de veau, lapereau141, oye

        Maintenant se desgordira142 ;

        Vin de Tornon l’on trouvera

        (Ce me samble), pour la pécune143.

        Allons-an à nostre fortune,

30    Quar j’entens que serons ramplis.

                     LE  S[ECOND  POUVRE]

        Où yrons-nous ?

                     LE  P[REMIER  POUVRE]

                                    La Fleur du Lis144

        Se trouvera assez propice.

                     LE  S[ECOND  POUVRE]

        Vous conviendra-il point d’espice

        Trouver, pour avoir appétit ?

35    J’ay grant peur qu’en ayez despit,

        Si honneur chascun ne vous porte145.

                     LE  P[REMIER  POUVRE]

        Maine-moy jusques à la porte

        Des Trois Rois146, au my de la place ;

        Car il est fort [bon] que j’amasse

40    Aulcune chose pour substance147.

                     LE  S[ECOND  POUVRE]

        Avez-vous fein ?

                     LE  P[REMIER  POUVRE]

                                    Platte la pance :

        Ne le vois-tu à l’estomac ?

        Escoute comme[nt] il fait « flac148 » ;

        Tu dirois qu’il se veult retandre149.

                     LE  S[ECOND  POUVRE]

45    Quant bellîtres ont à despandre150,

        Se voians sus eux six tournois151,

        Il veulle[n]t faire carreaulz fandre152

        Aussi bien que font les bourgois.

*

1 Les 3 personnages sont qualifiés de « coquins », c’est-à-dire de clochards. De bon matin, Baudet ronfle bruyamment près du feu, devant son taudis. Sa femme, Blondette, rapporte du marché des nouvelles alarmantes.   2 C’est exactement ce que la meunière dit à son mari au vers 168 du Poulier à sis personnages.   3 Débauchée.   4 « La guerre/ Que l’Empereur a fait crier/ À son de trompe et publier. » (Claude Chevalet.) L’empereur Septime Sévère a décrété la mobilisation des réservistes gaulois pour défendre Vienne contre les menées de l’usurpateur africain Clodius Albinus, cantonné à Lyon. Par conséquent, les Gaulois se battront aux côtés de l’empereur romain.   5 C’est du vent ! Cf. le Ribault marié, vers 99.   6 Pour vos mains que voici, le jour de la bataille est prévu. Afin de faciliter la lecture, je rétablis le « e » du pronom « en », dont ce manuscrit dauphinois fait souvent l’économie : « La puissance vous n est remise/ De par Jhésus le Rédempteur. »   7 Je n’irai pas à la guerre avant le dîner. En bon personnage de farce, Baudet ne songe qu’à la nourriture.   8 De ma part, ce serait de la simplicité d’esprit. « Ce seroit à moy grant simplesse. » Les Trois amoureux de la croix.   9 Il s’arrête devant le taudis du couple. Chevalet reparlera de lui au vers 81 des Tyrans au bordeau. Quelques années plus tard, une farce anonyme du Capitaine Mal-en-point glorifiera ce vieux rêveur pitoyable ; on y reconnaît de nombreux emprunts à celle-ci.   10 Aussi, qu’elle…   11 Sans chercher des sujets de noise ni de contentieux.   12 Formule de salutation entre vagabonds. Les chrétiens disent : « Dieu gard le gueux ! » (Beaucop-veoir.) Mais le capitaine, qui est gallo-romain, jure par le dieu de la guerre. De même, Baudet jurera par Jupiter au vers 102.   13 En embuscade. Jeu de mots : Être sur la bouche = ne penser qu’à manger. « C’est laide chose qu’ung servant/ Qui est en ce point sur sa bouche. » Le Capitaine Mal-en-point.   14 Il attrape un pou dans sa tignasse et il le jette au feu. Voir la note 61 du Capitaine Mal-en-point.   15 Je m’épluche, je m’épouille. « Soi espeluchier : se débarrasser de la vermine. » (FEW.) C’est là un sens argotique, peut-être influencé par les esperlucats [porteurs de perruque], dont la propreté capillaire n’était pas garantie. La 3e Ballade en jargon de Villon s’adresse aux espélicans [épouilleurs].   16 La piqûre d’un pou. « Des picards : des poüils, parce qu’ils picquent. » (Antoine Oudin.) Ce Mystère est un de ceux qui, grâce à son coauteur Claude Chevalet, contiennent le plus d’argot. Voir l’article de Laetitia SAUWALA : Le jargon dans le Mystère des Trois Doms. Argotica, nº 1 (3), 2014, pp. 178-192. <L. Sauwala rédigea en 2016 une Édition critique du Mystère des trois doms. Cette thèse inédite n’est pas accessible au public, qui s’en tiendra donc à la remarquable édition de Giraud et Chevalier parue en 1887.>   17 Il y restera, ce goinfre ! Encore un mot d’argot.   18 Qu’on l’enchaîne dans un cachot. « Qu’il soyt en prison embûché ! » (Le Marchant de pommes.) Familiers des geôles et de leur jargon, les gueux sont bien placés pour connaître cette acception rare.   19 Le Capitaine Mal-en-point marchera « d’une bonne gravité ».   20 Je vais. Idem vers 46, 162 et 165.   21 Ms : sa  (De la Noblesse. « À Gentillesse est dû honneur. » Gautier et Martin ; notons que ce dialogue argotique composé vers 1500 octroie une particule au « cappitaine de Mal-empoint ».)   22 Des choses, des actes. La farce du Capitaine Mal-en-point racontera ces prouesses guerrières.  Notre manuscrit dauphinois remplace souvent « o » par « ou » : vous = vos ; doux = dos.   23 On emplirait deux hôpitaux avec tous les ennemis que vous avez blessés. Mais les sans-abri, qu’on autorise à se réfugier dans les hôpitaux, ne les emplissent que de poux : « À l’hospital prenons repos./ Puces et gros poux à piccos/ Nous font cent milles playes. » (Molinet, Chanson sur l’ordre de Bélistrie [mendicité].) Les Sotz nouveaulx farcéz résument ce rapprochement : « À l’hospital ! Des poux, des poux ! »   24 Le ms. remonte cette rubrique sous le vers 37, et met ici le nom de Baudet.   25 De haute lignée. Notre Mystère écrit souvent « haut » avec un « h » muet : « Ô Jupiter d’haulte excellence ! » « Nous servirons l’haulte noblesse. »   26 De basse extraction. « La nécessité, qui menasse aussi bien gens de basse taille que les plus grans. » Montaigne.   27 Ms : maillie  (Le ms. n’harmonise pas toujours ce genre de rimes : les acteurs s’en chargeaient.)  S’il vous manquait un seul centime.   28 Ms : caiche  (Resteriez séché. À l’extérieur des villes, on laissait les pendus sur le gibet jusqu’à ce qu’ils tombent. « Et le soleil [nous a] desséchiéz et noircis. » Villon, Ballade des pendus.)  Vous ne seriez pas assez riche pour soudoyer des juges. « Son père qui, par plusieurs foiz,/ Du gibet l’avoit racheté. » Éloy d’Amerval.   29 Adresse-toi ce sarcasme à toi-même.   30 Allez-vous chercher à Rome une sinécure de cardinal ou d’archevêque ? Posée à un païen, cette question est injurieuse.   31 Je vais, pour le meilleur et pour le pire. Le vétéran veut profiter de la mobilisation pour reprendre du service actif.   32 Le Mystère dit deux autres fois : « Et là, que fère ? »   33 Les archers sont des pleutres qui restent toujours derrière et ne s’exposent jamais, comme le stipulent les vers 148-9.   34 Vous avez plutôt une tête de pâtissier.   35 Meurs de la fièvre quarte ! Cf. Science et Asnerye, vers 291.   36 Infâme pouilleux, sale mendiant. « Est-il bellistre !/ Il est poilleux, vellà son tiltre./ Il est villain, ort et infâme. » Mistère du Viel Testament.   37 Votre propre titre de noblesse. « Gentilhomme, c’est ung beau tiltre./ (Ne dictes pas qu’il est bélistre.) » Légier d’Argent.   38 Cela apparaît bien aux taches de vin qui maculent vos habits. « Je suis bien de la morte-paye [au rancart],/ Il y pert bien à mes habitz. » (Les Sotz qui remetent en point Bon Temps.)  Vousvos, comme au vers suivant ; v. la note 22.   39 À vos hoquets éthyliques. Le rubis est une pustule rouge ornant le nez des alcooliques : « Boyre vous fait sortir rubis/ Et illumine le visaige. » Trois Doms.   40 Je serai pourvu d’un poste de commandement.   41 Une belle résidence. Le Capitaine Mal-en-point a tellement de poux qu’il embauchera un gratteur (vers 176-9).   42 A perdu son rembourrage de coton. « Dieu gart le gallant au pourpoint/ Dont on voit saillir le coton ! » Le Capitaine Mal-en-point.   43 Ne craignez-vous pas d’être frappé ? Idem vers 96 et 99.   44 Ms : maisques  (Pour peu que. Idem vers 95, 97 et 104.)   45 Ms : pour moy  (Je gagnerai 10 francs par mois. Anachronisme : le franc ne sera créé qu’en 1360.)  Entre les vers 63 et 74, Mal-enpoint poursuit à haute voix son rêve de gloire, sans écouter les contradictions.   46 Ms : maillie  (Sans faute. « Et je le vous diray sans faille. » Les Frans-archiers qui vont à Naples.)   47 Votre argent est vite compté, puisque vous n’en avez pas. « –Vous ne voyez pas nostre argent./ –Tant il seroit fort [difficile] à conter ! » Le Monde qu’on faict paistre.   48 Vous toucherez une demi-solde, comme les vétérans mis au rancart. Cf. Turelututu et Granche-vuyde, vers 194 ; cette autre farce antimilitariste est incluse elle aussi dans un Mystère.   49 On me donnera un uniforme.   50 On vous jettera sur le dos la « laine » d’un cochon. Le poil rêche des porcs se nomme la soie : « De la soye de pourceau. » Les Queues troussées.   51 Le « pou-de-soie » est une étoffe de soie épaisse et dépourvue de lustre. Mais nous avons là un calembour sur les poux, dont Mal-enpoint est infesté.   52 C’est tout ce qui vous couvrira.   53 Elle se lamente et pousse des cris.   54 Prêt à aller.   55 À son destin. Le ms. dauphinois fait rimer aventure avec pl(e)ure, comme il le fait rimer avec dem(e)ure, avec h(e)ure ou avec lab(e)ure.   56 Les textes argotiques offrent plusieurs variantes de cette formule de reconnaissance, à commencer par les Trois Doms : « Où vont les gueux ? » « Que font les gueulx ? »   57 Avec votre cri. À partir de maintenant, Baudet vouvoie son épouse, jusqu’au vers 130, où il se contraint même à l’appeler « madame », et non plus « vieille putain désordonnée ». Il croit déjà être le héros courtois d’une chanson de geste.   58 De ma sorte. « Pourroys-je trouver quelque part/ Compaignie de ma consorte ? » Trois Doms.   59 Pampe-lune est la patrie des mal nourris, qui mangent le clair de lune faute de mieux. « Je suis venu tout en jergault [en pourpoint]/ De la contrée de Pampelune. » Les Sotz nouveaulx farcéz.   60 Je ne regarde pas ces détails. Jeu de mots : les riches mangent du pain blanc, et les pauvres du pain bis.   61 Que je sois habillé ou que je sois en simple pourpoint.   62 Je serai sous ses ordres sans hésiter.   63 Ms : maisques bon gaige  (Pourvu qu’une bonne solde. « Qui veullent avoir de bons gaiges/ Du capitaine Sot-voulloir. » Maistre Mymin qui va à la guerre.)   64 Tu ne risques pas que quelqu’un te frappe.   65 Pour peu que tu sois sous ma bannière.   66 « Mal-en-point,/ Ung capitaine de renom. » Le Capitaine Mal-en-point.   67 Par Jupiter, c’est mon avis !   68 Pour peu qu’il soit endurant. Ou bien : pour peu qu’il supporte les coups de nos adversaires.   69 Le harnachement, l’armure. Idem vers 141.   70 Mon jaque, mon justaucorps. « Le jacques bien garny de poulx. » Le Capitaine Mal-en-point.   71 Après. Double sens érotique : « Frère Jacques : le membre viril. » (Oudin.) Blondette est beaucoup plus fine que son mari ; elle use d’un langage plein de sous-entendus qu’il ne perçoit pas.   72 Le voici. Blondette donne à son époux un justaucorps en lambeaux, raidi par la crasse. Honnête = propre, décent. « Un habit honneste. » Le Cousturier et Ésopet.   73 Ms : feste  (Ne serai-je pas vêtu de la tête ?)   74 Mon casque.   75 Si je ne mens pas : si je ne m’abuse. « Sy je ne mans,/ Boyre yrons. » Trois Doms.   76 Ms : le  (Par où faut-il vous mettre la salade ? Un sous-entendu rectal n’est pas à exclure de la part de cette finaude.)  Blondette apporte un vieux casque beaucoup trop grand.   77 Le gantelet est un gant d’armure. « Sa salade et ses ganteletz. » Maistre Mymin qui va à la guerre.   78 Beau projet !   79 Partie d’une armure qui couvre l’avant-bras.   80 Vous affublez, vous revêtez. « Il afuble son bassinet [casque]. » La Laitière.   81 Blondette, qui veut surtout protéger les parties viriles de son époux, a failli dire couillons. « Celle qui veid son mary, tout armé/ Fors la braguette, aller à l’escarmouche,/ Luy dist : ‟Amy, de paour qu’on ne vous touche,/ Armez cela, qui est le plus aymé !” » Rabelais, Tiers Livre, 8.   82 Ms : prestz  (Auréolé de prestance.)   83 Bourse. « Prens dix escus en ma tasse. » (Le Ramonneur de cheminées.) Non contents de se livrer au pillage, les soudards mettaient à rançon leurs prisonniers ; ils égorgeaient ceux qui n’étaient pas solvables.   84 Blondette semble dire : Pour y mettre tout cet argent. Mais elle sous-entend que Baudet n’aura besoin d’une besace que pour rassembler son harnachement, son barda.   85 D’étoffe précieuse. « Vestus de damas blanc. » ATILF.   86 Ms : par  (Je la laisserai pour que tu puisses te défendre contre les violeurs. Baudet ne va pas à la guerre pour se battre mais pour s’enrichir.)   87 On croit comprendre : Je garde l’épée. Mais le vers suivant précise la pensée du couard.   88 À la porte de derrière : à l’arrière-garde. Anachronisme : les francs-archers ne seront créés qu’en 1448.   89 Je me reculerai en arrière d’un bon pas.   90 Que je ne suis pas là. Cette excuse de poltron se décline sous plusieurs formes ; par exemple, maître Mymin affirme aux assaillants qu’il s’est enfui de peur (v. 309) et que ce n’est donc pas lui qu’ils ont en face d’eux (vv. 312 et 314).   91 On m’assommerait.   92 Nous perdons notre avance.   93 Ms : ceil  (Et s’il est en train de dîner.)   94 Nous boirons à sa santé. « –Je bois à vous d’autant !/ –Bon preu te face ! » L’Aveugle et Saudret.   95 Je vais devant.   96 Net, sans ambiguïté.   97 Ms : ne  (Je n’y vois pas : mon casque trop grand me tombe sur les yeux.)   98 Ms : vyeue  (M’ôte la vue.)   99 Ms : sire  (« Et la maulvaise en devient pire. » Deux hommes et leurs deux femmes.)   100 Une didascalie précise que, non loin de là, les spectateurs peuvent voir un officier et des sergents conduire à Vienne les trois héros du Mystère. Les Mystères mobilisaient plusieurs plateaux simultanément ; l’attention du public allait vers les endroits où l’on parlait, mais l’œil captait le reste. Voir la notice du Brigant et le Vilain.   101 Ne dis plus un mot !   102 Les deux bravaches n’ont fait que quelques mètres et ne sont donc pas à Rome ; c’est l’empereur Sévère lui-même qui doit venir protéger Vienne : « De vous armer vous fault haster,/ Car l’Empereur s’en va en France. » Trois Doms.   103 C’est le cri que poussent les âniers pour faire avancer leur bête. « Avant, baudet !…./ Hay avant, bodet ! » Cautelleux, Barat et le Villain.   104 Cependant.   105 Les horions que m’assèneront nos ennemis me donneront de l’émoi.   106 Son casque lui est retombé sur les yeux.   107 De tout aujourd’hui. « D’anuyt, besoing n’auront d’estre évantéz. » Trois Doms.   108 Revais, retourne. Dans une circonstance analogue, le jeune troupier Phlipot a la même réaction : « Je m’en revoys cheulx mes amys. »   109 Sous l’effet de la peur — tel qu’il se traduit dans les farces —, Baudet vient de lâcher un pet sonore bien digne de l’animal dont il porte le nom. Mais il croit que Mal-enpoint a entendu venir l’ennemi.   110 Me tuerez-vous ? Aveuglé par son casque, Baudet implore la clémence des prétendus ennemis.   111 Peut-on prévoir le résultat d’une guerre ? Baudet retourne sur ses pas en courant.   112 Plus tôt que prévu. Baudet arrive en sueur.   113 Devant quel feu avez-vous tourné la broche, pour transpirer ainsi ? Les soldats des farces passent plus de temps à rôtir les poules qu’ils ont volées qu’à combattre.   114 Ms : ses  (Pour rendre à mon adversaire.)   115 Ils m’ont tellement affamé, pendant le long quart d’heure que j’ai passé à la guerre. Voir le vers 41 du dialogue que je publie sous la farce.   116 Respirer, avoir un souffle de vie.   117 Vous ne risquiez pas.   118 Le dos. Idem vers 73. Blondette pose sur les épaules de son mari la peau de porc que mentionne le vers 72.   119 L’esquinance, l’angine ; cf. le Roy des Sotz, vers 214. Les femmes des farces déforment systématiquement les termes techniques : voir la note 58 du Vendeur de livres.   120 Ms : se  (Je pense.)   121 Le premier fut d’ailleurs joué par « messire Loÿs de l’Omosne », ça ne s’invente pas !   122 Le 1er Pauvre, qui est aveugle (vers 37), ignore quelle somme vient d’être extorquée aux trois dupes. Son valet minore ce gain commun pour augmenter sa part.   123 Pour boire. « Vien boire avec nous, s’il te plaist ;/ Et fais, comme nous, ton devoir ! » Gournay et Micet.   124 Se réjouir. Idem vers 15. En argot, brouer sur l’enchère = surenchérir.   125 En argot, la mille est une concubine que les gueux se partagent : « Une garse, c’est une mille ; & en bon patois [argot], on dit : ‟River le bis [la vulve] à la mille.” » (Guillaume Bouchet.) « Ha ! mille escus, seroit mon conte rond/ Pour desgordir [pour les engloutir] avecques nostre mille. » (Trois Doms.) Ce mot, qui rime avec Camille et non avec Émile, est une prononciation caricaturale de « mi-e » [amie] : « Ma mÿe, donnons-nous soulas. » Le Pèlerinage de Mariage.   126 Mot d’argot. « Fouille, ou fouillouze : bourse. » (La Vie généreuse des mercelots, gueuz et boësmiens.) « Qui pourroyt ung marchant junchier [tromper],/ L’on desgreveroit [allégerait] sa foulliouse. » Trois Doms.   127 Je ne sais de quoi vous parlez.   128 Une alose, un poisson bon marché. « Autant m’est lamproye qu’alouze. » Trois Doms.   129 Pour le peu d’argent qu’on mettrait sur la table. En argot, l’aubert désigne l’argent : « Mince [pauvre] d’aubbert, quérans fortune. » (Trois Doms.) Et la dure désigne la terre : « On a couru les champs/ Et broué [couru] longtamps sus la dure. » Trois Doms.   130 Ms : cest  (N’y a-t-il pas.)   131 Ta religion. Les chrétiens mangent du poisson les jours maigres, mais les païens ne sont pas concernés.   132 Quand on a les moyens de se payer un cheval.   133 Folâtrer. « Mais que maleur ne nous enchante,/ Nous gauldirons sur la verdure. » Mystère de saint Martin.   134 Ms : regarder que  (Ne regardez pas à la dépense, quoi que cela pèse, coûte. « Non feray, car trop yl me poise. » L’Arbalestre.)   135 Une cimaise, un pot à vin. Cf. le Sermon joyeux de bien boire, vers 86.   136 Ms : donꞥon  (Jusqu’au bouchon.)   137 Et un pigeon.   138 Puisque vous vous sentez remplumé financièrement. Jeu de mots sur les plumes de la poule et du pigeon.   139 Vous m’enivrez. « Le vin débile [faible en alcool] est celui qui moins eschauffe et moins enfume le cerveau. » Godefroy.   140 Une telle nourriture.   141 Ms : lapette  (Le jeune lapin est un mets de choix ; cf. Légier d’Argent, vers 229.)   142 Sera vite expédié. « Je desgourdirois/ Un jambon ! » Le Badin qui se loue.   143 Pour ce prix, on trouvera du vin de Tournon-sur-Rhône.   144 Anachronisme : cette auberge de Romans accueillait des personnalités venues pour le Mystère.   145 Si chacun ne vous porte un toast.   146 Autre auberge de Romans ; nous savons que le chanoine Pra y logeait.  Au my = au milieu de la salle. « Au my de la place. » Mystère de saint Sébastien.   147 Quelque chose pour me sustenter.   148 Onomatopée imitant le bruit flasque produit quand un joueur de paume frappe un éteuf dégonflé.   149 Regonfler.   150 Quand des mendiants ont de l’argent à dépenser.   151 Voyant qu’ils ont sur eux 6 deniers.   152 Ils veulent que la chaleur fende le carrelage qui est devant la cheminée du cuisinier.

MONSIEUR DE DELÀ ET MONSIEUR DE DEÇÀ

Bibliothèque nationale de France

Bibliothèque nationale de France

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MONSIEUR  DE  DELÀ

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ET  MONSIEUR  DE  DEÇÀ

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Roger de Collerye1 composa ce dialogue en 1533. Les affinités avec son Dyalogue de Messieurs de Mallepaye et de Bâillevant sont nombreuses. Toutefois, messieurs de Deçà et de Delà sont moins dégourdis que leurs deux prédécesseurs. Ils ne sont là que pour délivrer un « message » au roi : ils veulent que ce dernier prête main forte à son rival Charles Quint, qui tente de protéger la civilisation contre les Turcs. Mais François Ier, allié des barbaresques, manquera ce rendez-vous avec l’Histoire comme il en a manqué tant d’autres. (Voir la note 19 des Sobres Sotz.) Dans la Satyre pour les habitans d’Auxerre, Collerye réprouvait d’autres compromissions du triste Sire que fut François Ier.

Source : Les Œuvres de maistre Roger de Collerye, publiées en 1536 à Paris, chez la veuve de Pierre Roffet. Collerye a sans doute donné ses manuscrits à l’éditeur, mais n’a certainement pas revu les épreuves, à en juger par le nombre et la gravité des fautes qui gâchent ce livre.

Structure : Quintils enchaînés (aabaa/bbcbb).

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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S’ensuyt ung petit dialogue de

Monsieur de Delà &

de Monsieur de Deçà,

composé l’an mil cinq cens trente-troys.

*

                     MONSIEUR  DE  DEÇÀ  commence.

        Monsieur de Delà !

                     MONSIEUR  DE  DELÀ

                                         Qu’i a-il ?

                     MONSIEUR  [DE]  DEÇÀ

        À vostre advis, plaisant babil

        Est-il estimé ?

                     M.  DE  DELÀ

                                  N’en doubtez !

                     M.  DE  DEÇÀ

        J’ay esté long temps en exil,

5      Et en grant danger de péril

        De ma personne.

                     M.  DE  DELÀ

                                     [Or] escoutez :

        Nous avons esté déboutéz

        Par le moyen2 de tel et telle,

        Monsieur de Deçà.

                     M.  DE  DEÇÀ

                                        Les gens telz,

10    Qui ont rentes, chasteaux, hostelz,

        Nous ont fort nuy3.

                     M.  DE  DELÀ

                                         La chose est telle.

                     M.  DE  DEÇÀ

        J’ay advisé une cautelle4.

        [Ma belle]5 est de haulte entreprise ;

        Se je me trouve de coste elle6,

15    Supposé qu’el(le) n’est immortelle7,

        De mon amour sera surprise.

                     M.  DE  DELÀ

        Une chose qui est bien prise

        Doibt-on louer.

                     M.  DE  DEÇÀ

                                    Et ! ce faict mon8.

        C’est une Dame bien aprise,

20    Laquelle presque autant je prise

        Que le sage roy Salomon.

                     M.  DE  DELÀ

        J’oz9 voluntiers vostre sermon.

        Est-elle dame de respec10 ?

                     MONSIEUR  DE  DEÇÀ

        Voire ! Sans tirer au lymon11,

25    Dè[s] cinquante escuz, son12 moumon,

        Elle le baille chault et sec13.

        Elle a bon recueil et bon bec14,

        Bon maintien et bonne manière.

        De regrectz, el n’en compte ung zec15.

30    À la fleûte, au luc16, au rebec

        Dance tous les jours.

                     M.  DE  DELÀ

                                           Singulière

        Est en ses faictz, et familière,

        Comme je croy.

                     M.  DE  DEÇÀ

                                     Il est ainsi.

        Dueil et chagrin sont mis arière

35    Hors de son cueur ; et est ouvrière17

        De laisser ennuy et soulcy.

                     MONSIEUR  DE  DELÀ

        Ce sont grans choses.

                     M.  DE  DEÇÀ

                                            Et aussi,

        Pour bien diviser18 d’amourettes,

        C’est la nompareille. Transy19

40    Je suis — il n’y a qua ne si20

        De ses façons tant guillerettes.

                     MONSIEUR  DE  DELÀ

        Ses grâces, quelles ?

                     M.  DE  DEÇÀ

                                           Sadinettes21.

                     M.  DE  DELÀ

        Son entretien22 ?

                     M.  DE  DEÇÀ

                                      Délicieux.

        Or brief : entre les godinettes23,

45    En ris et petites minettes24,

        Elle a le bruyt25 jusques aux cieulx.

                     MONSIEUR  DE  DELÀ

        Quel est son regart ?

                     M.  DE  DEÇÀ

                                           Gracieux.

                     M.  DE  DELÀ

        Et son racueil26 ?

                     M.  DE  DEÇÀ

                                      Très excellent.

                     M.  DE  DELÀ

        Son devis ?

                     M.  DE  DEÇÀ

                            Fort solacieux27.

                     M.  DE  DELÀ

50    Et son maintien ?

                     M.  DE  DEÇÀ

                                      Moult précieux.

                     M.  DE  DELÀ

        Son vouloir, quel ?

                     M.  DE  DEÇÀ

                                        Bénivolant28.

                     M.  DE  DELÀ

        Homme n’est point lasche29 ne lent,

        Quant de telle dame jouyt ;

        Et ne sçaroit estre dolent30

55    En la baisant et acollant31.

                     MONSIEUR  DE  DEÇÀ

        Ung jour passé, elle m’ouÿt

        Joyeusement et sans grant bruyt

        Luy faisant mes regrectz et plainctes.

                     MONSIEUR  DE  DELÀ

        Le ravy d’amours s’esbluyt32,

60    Monsieur de Deçà, s’il ne fuyt

        Du dangier d’amours les ataintes.

                     MONSIEUR  DE  DEÇÀ

        Peu vallent amours par contraintes,

        Monsieur de Delà.

                     M.  DE  DELÀ

                                        Pour certain.

        J’en ay congneu [et] maints et maintes

65    Qui ne s’entr’aymoient que par faintes.

                     M.  DE  DEÇÀ

        De vraye amour n’est pas le train33.

                     MONSIEUR  DE  DELÀ

        Laissons ce propos.

                     M.  DE  DEÇÀ

                                          Pour refrain,

        Quel bruyt court en Court34 ?

                     M.  DE  DELÀ

                                                         Je ne sçay.

        Or, d’or ne d’argent je n’ay grain35 ;

70    Et ronger maulgré moy mon frain

        Me fault, comme mule à l’essay36.

                     MONSIEUR  DE  DEÇÀ

        Monsieur de Delà, bague37 j’ay

        Qui vault (sans mentir) quelque chose.

                     MONSIEUR  DE  DELÀ

        De caqueter trop mieulx qu’ung geay

75    Je sçay la façon ; mais je n’ay

        Meuble n’argent, dire je l’ose.

                     M.  [DE]  DEÇÀ

        En ce cas n’y a texte et glose

        Qui vaille38, monsieur de Delà.

                     M.  DE  DELÀ

        L’homme propose et Dieu dispose,

80    Monsieur de Deçà39.

                     M.  DE  DEÇÀ

                                            Je suppose

        Qu(e) avant-hyer on vous en parla40.

                     M.  DE  DELÀ

        Il nous convient passer par là

        Où noz ancestres ont passé.

                     M.  DE  DEÇÀ

        Depuis que mon bruyt41 s’en alla,

85    De chanter « ré my fa sol la »,

        Pour eulx42 je ne puis, n(e) in pacé 43.

                     M.  DE  DELÀ

        Le bon temps n’est pas [tré]passé44,

        Monsieur de Deçà45.

                     M.  DE  DEÇÀ

                                           Et ! non, non,

        Monsieur de Delà. Effacé

90    Et aussi aux gaiges cassé

        Je suys46, et sans bruyt et renon.

                     MONSIEUR  DE  DELÀ

        Dÿomédès, Agaménon47

        Ne firent jamais les prouesses

        Que faict nous avons, ne Ménon48.

                     MONSIEUR  DE  DEÇÀ

95    Cela est tout vray.

                     M.  DE  DELÀ

                                        Nostre nom

        Partout est co[n]gnu.

                     M.  DE  DEÇÀ

                                            Noz largesses49

        Nous font souffrir ennuyctz, tristesses,

        Qui est ung courroux inhumain.

                     M.  DE  DELÀ

        Et de noz parens les richesses :

100  Qui en [a donc]50 eu les adresses ?

                     MONSIEUR  DE  DEÇÀ

        Ilz en donnoient à plaine main.

                     M.  DE  DELÀ

        Noz cousins monsieur de Demain

        Et monsieur d’Aujourdhuy trop plus51.

                     M.  DE  DEÇÀ

        Le[ur] cueur estoit si très humain

105  Que mainct Lombart et maint Rommain

        Les ont fort priséz52.

                     M.  DE  DELÀ

                                           Au surplus,

        Que demandions-nous ?

                     M.  DE  DEÇÀ

                                                 Je conclus

        Qu’il53 fault avanturer noz corps

        Sur ces meschans Mahommetz turcs54,

110  Et sur ces luthérïens55 durs

        À la Foy.

                     M.  DE  DELÀ

                          Ce sont bons accords.

        Mais premier, fault que les discords56

        De nos princes soient aboliz.

                     M.  DE  DEÇÀ

        En ce faisant57, miséricors

115  Dieu nous sera, j’en suis recors58.

                     MONSIEUR  DE  DELÀ

        Ces voulloirs-là treuve joliz.

                     M.  DE  DEÇÀ

        Riches harnoys et bien poliz

        Fait bon voir, et courrir la lance59.

                     M.  DE  DELÀ

        Trop mieulx beaucoup que ces couliz60

120  Pour les malades en leurs lictz,

        Qu’on faict pour amolir leur61 pence.

                     M.  DE  DEÇÀ

        Le très chrétïen roy de France,

        Acompaigné de ses vassaulx

        Et bons gendarmes62, en substance

125  Leur donnera (comme je pence),

        De bien brief63, merveilleux assaulx.

                     MONSIEUR  DE  DELÀ

        J’ay vouloir de faire mes saulx64

        De cueur gay avant que je meure.

                     MONSIEUR  DE  DEÇÀ

        Nous n’avons mulectz ne chevaulx.

                     MONSIEUR  DE  DELÀ

130  Endurer je veulx les travaulx65

        De la guerre.

                     M.  DE  DEÇÀ

                                Je vous asseure,

        Monsieur de Delà : chose est seure

        Que je désire batailler

        Ces infidelles !

                     M.  DE  DELÀ

                                  D’heure en heure

135  J’en66 ay le vouloir.

                     M.  DE  DEÇÀ

                                        Sans67 demeure

        Y voy[s]68, se g’y suis chevalier.

                     MONSIEUR  DE  DELÀ

        Prouvende69, pour avitailler

        Les gendarmes et pïétons70,

        Il y fauldra.

                     M.  DE  DEÇÀ

                             Or sans railler,

140  Turcs nous y verrons détailler71

        Par Françoys, Picards et Bretons !

                     MONSIEUR  DE  DELÀ

        Harnoys, pourpoincts et hoquetons

        Y seront coupéz, détranchéz.

                     MONSIEUR  DE  DEÇÀ

        Comme tourbes de hanetons72,

145  Turquins, laquetz73 et valetons

        L’on voirra aux arbres branchéz74.

                     M.  DE  DELÀ

        Avanturiers plus espanchéz75

        Chez Jacques Bons-homs76 on ne voit.

                     MONSIEUR  DE  DEÇÀ

        De bien près, fort escarmouchéz

150  On les a, et effarouchéz,

        Ainsi que raison le debvoit.

                     MONSIEUR  DE  DELÀ

        Dieu — qui tout sçait et tout pourvoit —

        Les a pugniz ; et nous aussi77.

                     MONSIEUR  DE  DEÇÀ

        Les gens qui sont bons Il pourvoit ;

155  Et les mauvais, Il les renvoit

        À dueil, à tourment et soucy.

                     MONSIEUR  DE  DELÀ

        Pour conclusion, tout ainsi

        Nous nous y trouvons, [en ce point78].

                     MONSIEUR  DE  DEÇÀ

        Or est le temps partir d’icy

160  Pour aller boire à Irency79

        Et engager80 robbe et pourpoint.

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                                                  LA  FIN

*

1 Voir la notice du Résolu.   2 Par la faute.   3 Éd : nuyt.  (Les riches nous ont beaucoup nui.)   4 Une ruse pour obtenir la femme que j’aime.   5 Éd : La quelle  (Ma belle est difficile à conquérir.)   6 À côté d’elle. « Sans cautelle/ Je fuz surprins, devisant de coste elle. » Collerye.   7 À condition que ce ne soit pas une déesse indifférente à l’amour d’un humain.   8 C’est exact. Cf. le Porteur de pénitence, vers 239.   9 J’ois, j’entends.   10 Respectable. « Bergères de respec. » Clément Marot.   11 Sans se fatiguer. Les limons sont les deux branches d’une charrette que tire un cheval. L’imprimé intervertit ce vers et le suivant.   12 Éd : vng  (Son sexe. « Il luy couvra son mommon : il la besongna. » Cotgrave.)   13 Elle le donne avec ardeur. Mais « chaud et sec » est à prendre au premier degré. Collerye utilise les mêmes rimes en -ec dans son Monologue du Résolu, vers 13-20.   14 Elle est accueillante et elle a une bonne bouche.   15 Elle n’en tient pas plus compte que d’une coquille de noix. « C’est tout ung, je n’en donne ung zec. » Collerye, le Résolu.   16 Au luth. Le rebec est un violon à trois cordes. « La fluste, le luc, le rebec. » Collerye, le Résolu.   17 Elle est habile.   18 Deviser, parler.   19 Transporté. « Je suys, de vostre amour, transy. » Lucas Sergent.   20 Déformation populaire de « ni quoi, ni si » : ni ceci, ni cela. « D’estre despit, il n’y a qua ne si. » Collerye.   21 Mignonnettes.   22 « L’amoureulx entretien. » La Pippée.   23 Les mignonnes.   24 En matière de risettes et de minauderies.   25 Elle est réputée.   26 Son accueil, notamment d’un point de vue sexuel. Idem vers 27. « En racueil excellente,/ Joyeuse en dict. » Collerye.   27 Plein de soulas, d’agrément.   28 Bienveillant.   29 Mou. « Un verd gallant bien ataché,/ Et qui ne soyt lâche amanché. » Le Trocheur de maris.   30 Il ne saurait être malheureux.   31 Ces deux verbes ont un sens érotique fort : « Baiser, acoller et fourbir [copuler]. » Le Cuvier.   32 Celui qui est emporté par l’amour est ébloui, aveuglé.   33 Ce n’est pas la coutume du véritable amour.   34 Collerye guettait les nouvelles de la Cour : « Que dict-on en Court ? » Satyre pour les habitans d’Auxerre.   35 Je n’ai pas du tout.   36 Il me faut ronger mon frein malgré moi, comme une mule qu’on met à l’épreuve, qu’on oblige à courir.   37 C’est la première chose que met en gage un homme qui a des dettes. « Engagez bagues et saintures. » Colin qui loue et despite Dieu.   38 Il n’y a pas de solution.   39 Éd : dela  (Même inadvertance à 88.)   40 Deçà se moque de son interlocuteur, qui a l’air de découvrir ce proverbe antédiluvien.   41 Depuis que ma bonne réputation. Idem vers 46 et 91. L’imprimé intervertit ce vers et le suivant.   42 À cause de mes ancêtres, qui ont dilapidé mon héritage.   43 Et je ne peux même pas chanter requiescat in pace. « Vostre pouvoir est trespassé./ Chantez Requiescant in pace,/ Ou aprenez faire autre chose. » Discours sur les pions.   44 « Or est le bon temps trépassé. » Collerye, Dyalogue des Abuséz du temps passé.   45 Éd : dela   46 Je suis mis au rancart. « Que je ne soye cassé aux gaiges. » Les Frans-archiers qui vont à Naples.   47 Diomède et Agamemnon assiégèrent victorieusement la ville de Troie.   48 Ni Memnon, qui fut pourtant l’un des guerriers troyens les plus redoutables.   49 Notre magnanimité.   50 Éd : auoient  (Qui en a eu le renfort, le secours ?)  Nos héritiers de coffres vides poussent les mêmes plaintes que les Gens nouveaulx, vers 77-102.   51 Ces deux cousins donnaient encore plus leurs richesses que nos autres parents.   52 Les usuriers lombards ruinent les nobles : « Et les nobles emprunteront/ À belle usure des Lombars. » (Henri Baude.) L’Église romaine vend des indulgences et des pardons qui ruinent aussi les nobles.   53 Éd : Quid   54 Sur ces damnés musulmans turcs. Voir la note que consacre à l’expansion ottomane Sylvie LÉCUYER : Roger de Collerye. Un héritier de Villon. Champion, 1997, p. 510.   55 Éd : Lhuteriens  (Le prêtre Collerye ne manque pas une occasion de dénoncer les « leuthérïens meschans et hérétiques ».)   56 Les discordes entre Charles Quint et François Ier. « Tant qu’en discord seront princes et roys. » Collerye, Rondeau contre discord.   57 Si nous faisons cela.   58 J’en suis informé, j’en suis sûr. Cf. le Fossoieur et son Varlet, vers 68.   59 Et jouter contre un cavalier ennemi.   60 Cela vaut bien mieux que ces sucs roboratifs. Cf. le Monde qu’on faict paistre, vers 235.   61 Éd : leurs  (Leur panse.)  Pour combattre leur constipation. Dans les farces, la peur suffit à faire déféquer.   62 Gens d’armes, soldats. Idem vers 138.   63 Très bientôt.   64 Mes sauts, mes voltes de cavalier. Le vers 129 s’y oppose.   65 Les épreuves.   66 Éd : 𝖨e y   67 Éd : Mon  (Sans tarder. « Allons-y sans demeure ! » Frère Frappart.)   68 J’y vais. « J’y voys sans songier [tarder]. » Le Pasté et la tarte.   69 Éd : Pourviure,  (Provende, ravitaillement. « Prouvendes de pain. » Godefroy.)  Les deux affamés comptent se faire nourrir par l’armée.   70 Les soldats et les fantassins.   71 Être taillés en pièces.   72 Comme des nuées de hannetons qui se posent sur les arbres.   73 Éd : laqueltz  (Les Turcs, leurs laquais.)   74 Pendus. « Il les fit tous brancher aux arbres. » Godefroy.   75 Éd : espauchez  (On ne voit pas d’aventuriers plus répandus chez les paysans.)  Les aventuriers sont des mercenaires qui pillent la campagne : « Les avanturiers ont bon temps,/ Quant ilz sont parmy ces villages,/ Et font souvent de gros dommages. » Troys Gallans et Phlipot.   76 Jacques Bonhomme est le nom générique du paysan qui supporte tout. « Cessez, cessez, gendarmes et piétons [soldats et fantassins],/ De pilloter [piller] et menger le bon homme/ Qui de long temps Jaques Bon-homs se nomme,/ Duquel blédz, vins et vivres achetons. » (Collerye.) Nos deux utopistes se voient déjà vainqueurs des Turcs : ils troquent désormais le futur de l’hypothèse contre le présent de l’acte accompli.   77 Dieu nous a punis nous aussi.   78 Lacune comblée par Sylvie Lécuyer, p. 259. Nous sommes punis par Dieu autant que les mauvais.   79 Le village d’𝖨rancy, près d’Auxerre (où vivait Collerye), était déjà célèbre pour son vin de Bourgogne.   80 Donner en gage au tavernier.

TURELUTUTU ET GRANCHE-VUYDE

Bibliothèque nationale de France

Bibliothèque nationale de France

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TURELUTUTU  ET

GRANCHE-VUYDE

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J’ai publié plusieurs extraits farcesques du Mistère du Viel Testament : le Fossoieur et son Varlet, Gournay et Micet, la Tour de Babel, Saoul-d’ouvrer et Maudollé. Pour finir en apothéose, voici les aventures de monsieur Turlututu et monsieur de Grange-vide. Ce duo désargenté, composé d’un pique-assiette sans scrupules et d’un nobliau sans terre, annonce déjà messieurs de Mallepaye et de Bâillevant. Comme eux, ils pourraient dire : « En fuitte je suis couraigeux, / Et à frapper je suis piteux. / Je crains trop les coups pour les armes. » Pourtant, ils s’engagent dans l’armée de Nabuchodonosor, non par vocation militaire mais par goût du pillage.

Sources : Je prends pour base le Très excellent & sainct Mystère du Viel Testament, imprimé par Jehan Réal en 1542 ; il reproduit — avec moins de fautes — le Mistère du Viel Testament par personnages, imprimé par Pierre Le Dru vers 1500. L’édition Trepperel, parue vers 1520, propose quelques corrections utiles. Graham A. Runnalls a publié cette partie du Viel Testament chez Droz en 1995 ; il l’intitule Mystère de Judith et Holofernés, et il l’attribue à Jehan Molinet.

Structure : Rimes plates, rimes abab/bcbc, avec 1 triolet.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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                        LE  SÉNESCHAL 1                                  SCÈNE  I

        Vous n’estes pas icy trèstous ?

        Monsïeur Turelututu !

                        MONSIEUR  TURELUTUTU 2

        C’est nostre maistre3.

                        MONSIEUR  DE  GRANCHE-VUYDE 4

                                             Quant à nous,

        [Le prisons autant qu’ung]5 festu.

                        MONSIEUR  TURELUTUTU

5      Parle bas, tu es trop testu :

        Tous deux pourrons bien estre escoux6.

                        MONSIEUR  DE  GRANCHE-VUYDE

        On nous devroit chasser aux loups7,

        De tant endurer.

                        LE  SÉNESCHAL 8

                                    Mal-venu !…

        Vous n’estes pas icy trèstous ?

10    Monsïeur Turelututu !

                        MONSIEUR  TURELUTUTU

        Qu’esse, monsïeur9 ?

                        LE  SÉNESCHAL

                                            Malostru !!

        Me donnez une belle bride10 !

                        TURELUTUTU

        C’est monsïeur de Granche-vuyde

        Qui me contoit de ses beaulx faitz.

                        MONSIEUR  DE  GRANCHE-VUYDE

15    De vous nous sommes bien refaitz,

        Turelututu ! Monsïeur,

        Il humeroit11 [trop] plus d’honneur

        Qu(e) une truye ne feroit12 de laict.

                        LE  SÉNESCHAL

        De vous deux, [ce] n’est rien que plait13 !

20    Il fault aller au Roy.

                        TURELUTUTU 14

                                         À l’aide15 !

        Sus, monsïeur de Granche-vuyde,

        Avance-toy16 ! Hau ! où es-tu ?

                        MONSIEUR  DE  GRANCHE-VUYDE

        Qu’i a-il, Turelututu ?

                        TURELUTUTU

        Qu’i a-il ? La guerre est ouverte17 !

                        GRANCHE-VUYDE

25    Nostre vie est donc recouverte18.

        Acoup, acoup ! tost en besongne !

                        LE  SÉNESCHAL

        Il est saison que l’on besongne :

        Prenez l’estendart19 !

                        TURELUTUTU

                                            Sans songer20 ?

                        LE  SÉNESCHAL

        Mon frain me faictes bien ronger21 !

                        GRANCHE-VUYDE

30    Monsïeur, pas ne tient à moy22.

                        LE  SÉNESCHAL

        (En la malle grâce23 du Roy

        Je seray, et par ces paillars.)

                        TURELUTUTU

        Devant24, monsïeur ?

                        LE  SÉNESCHAL

                                           Quoquillars25 !

        Que chascun soit en ordonnance

35    Pour faire monstres26 à plaisance

        Devant le Roy, nostre cher sire !

                        Icy, cheminent et viennent vers le Roy.27

.

                        NABUGODONOSOR                              SCÈNE  II

        Qu’esse que nous oyons là bruyre ?

                        HOLOFERNÈS

        Cher sire, c’est le séneschal.

                        NABUGODONOSOR 28

        Ce vaillant seigneur cy faict mal

40    Son devoir, veu le cas hastif29 :

        Il a le courage30 craintif

        Pour soy trouver aux horïons31.

                        HOLOFERNÈS

        Si a-il32 de francs champions,

        Preux et hardys, pour gens de guerre.

                        LE  SÉNESCHAL

45    Le plus puissant qui soit sur terre,

        De tous nobles souverain chef,

        Salut !

                        NABUGODONOSOR

                    C’est bien tard venu.

                        LE  SÉNESCHAL

                                                      Bref,

        Autrement ne se povoit faire :

        Il estoit chose nécessaire

50    Que tous mes gens feussent en point.

                        Icy, se mettent par ordre.

                        NABUGODONOSOR

        Çà, çà, il fault vuyder ce point33 :

        Que les monstres acoup soient faictes !

                        LE  MARESCHAL

        Sont les banières bien pourtraictes34 ?

                        LE  CAPPITAINE

        Voyez en l’air quelz estendars !

                        LE  SÉNESCHAL 35

55    Guydons, lances, javelotz, dars !

                        LE  MAISTRE  DE  L’ARTILLERIE

        Bombardes, canons, serpentines !

                        LE  MARESCHAL

        Haubergeons, jaques, brigandines !

                        LE  CAPPITAINE

        Crannequins, arbalestes, ars36 !

                        LE  SÉNESCHAL

        Espées, bistories et faulsars37 !

                        LE  MAISTRE  [DE  L’ARTILLERIE]

60    Fondes38, fusées, ribaudequins !

                        VAGAO 39

        C’est pour festoyer ces hongnars,

        Povres malheureux et coquins.

                        LE  MARESCHAL

        Manches de mailles, gorgerins !

                        LE  CAPPITAINE

        Carquois, cricz40, signolles, raillons !

                        LE  SÉNESCHAL

65    Haches, voulges, becz-de-faulcons !

                        LE  MAISTRE  [DE  L’ARTILLERIE]

        Courtaulx, plombées, chaussetrappes !

                        LE  MARESCHAL

        Biquoquetz, héaulmes, sallades !

                        LE  CAPPITAINE

        Trousses, flesches, vires, dondaines !

                        LE  SÉNESCHAL

        Hallebardes, picques soudaines41 !

                        LE  MAISTRE  [DE  L’ARTILLERIE]

70    Coullars42, veuglaires, gros mortiers !

                        VAGAO

        Pour guérir de fièvres quartaines

        Acoup, ne fault point d’aultres ouvriers.

                        HOLOFERNÈS

        Artilliers, voulgiers, pïonniers,

        Coulevriniers, arbalestiers,

75    Archiers !

                        NABUGODONOSOR

                           Trèsbelle compaignie.

                        LE  MARESCHAL

        Au moins, la mienne est bien fournie

        De ces chappeaulx de Montaubam43.

        ……………………………

.

                        HOLOFERNÈS                                         SCÈNE  III

        Marchons tost sur noz ennemys,

        Tirant vers Mésopotamye44 !

                        TURELUTUTU

80    Quant à moy, je n’y fauldray mye45.

        Sus, Granche-vuyde, monsïeur46 !

                        GRANCHE-VUYDE

        Je prétens, moy, d’avoir honneur

        Et d’acquerre chevalerie47.

                        TURELUTUTU

        Avant, tost à la pillerie !

                        GRANCHE-VUYDE

85    Que tous deux soyons personniers48 !

                        TURELUTUTU

        À butin tous noz prisonniers49 !

                        GRANCHE-VUYDE

        Que nous deux soyons frères d’armes !

                        TURELUTUTU

        Je suis, moy, usité50 en armes.

                        GRANCHE-VUYDE

        Vaillant, hardy sur la poullaille51.

                        TURELUTUTU

90    Tu n’as suyvy que quoquinaille52.

                        GRANCHE-VUYDE

        Dieu ait l’âme de mon grant-père !

                        TURELUTUTU

        Qui fut à53 Rifflandoulle frère.

                        GRANCHE-VUYDE

        Il fist, en son temps, de beaulx faitz.

                        TURELUTUTU

        Dessoubz la cheminée54.

                        GRANCHE-VUYDE

                                                   Paix !

95    Mais à qui parlez-vous, beau sire ?

                        TURELUTUTU

        À ung ouvrier de faire paix55

        Des gentilz hommes.

                        GRANCHE-VUYDE

                                           Sans mot dire56 !

.

        …………………………… 57

                        LE  SÉNESCHAL                                     SCÈNE  IV

        Allez diligemment sommer

        Ceste place58 ! Ou [bien] consommer,

100  Au reffus, du tout les feray59.

                        TURELUTUTU

        Trèsbien dire je leur sçauray.

                        GRANCHE-VUYDE

        Iray-je avec luy, monsïeur ?

                        LE  SÉNESCHAL

        Vistement !

.

                        TURELUTUTU                                         SCÈNE  V

                             Mais qui n’auroit peur

        D’aller seulletz, sans compaignie ?

                        GRANCHE-VUYDE

105  C’est une place bien garnie.

        Ha, quel butin !

                        TURELUTUTU

                                   Bien sotz seront,

        Ou promptement ilz ouvreront :

        Car ilz seront [de coups]60 servis.

.

                        NAGE 61                                                    SCÈNE  VI

        Ilz approchent, à mon advis.

                        NAASON

110  Seurement ilz viennent sur nous.

.

                        GRANCHE-VUYDE 62                            SCÈNE  VII

        Sus, sus, gallans ! Deffendez-vous

        Ou rendez la place, à ceste heure !

                        TURELUTUTU

        Rendez-vous sans plus long demeure,

        Ou acoup nous besongnerons !

                        NAGE

115  Seurement nous nous deffendrons !

        Allez, allez, allez, follastres63 !

                        NAASON

        Vuydez64, vuydez, faulx ydolastres,

        Que n’ayez de nostre service65 !

                        GRANCHE-VUYDE

        L’av’ous66 dit ?

                        TURELUTUTU

                                   Mais qu’on les rostisse67,

120  Ilz changeront bien leur langaige.

                        NAGE

        Quérez ailleurs vostre68 avantaige !

        Le parler n’est pas le plus fort69.

                        GRANCHE-VUYDE

        Je m’en voys faire le rapport

        À monsïeur70.

                        TURELUTUTU

                                Mais moy !

                        GRANCHE-VUYDE

                                                   Mais moy !

                        NAASON

125  Je dy, moy : fy de vostre roy !

.

                        NAGE                                                         SCÈNE  VIII

        Gardons-nous !

                        NAASON

                                  Prenons bon courage !

.

                        TURELUTUTU 71                                    SCÈNE  IX

        Sus, monsïeur72 ! À l’avantage !

                       LE  SÉNESCHAL

        Que disent-ilz ?

                        GRANCHE-VUYDE

                                   Absolument

        Ilz nous ont dit publiquement

130  Qu’ilz n’en feront rien.

                        LE  SÉNESCHAL

                                             À l’assault !

        Avant, compaignons, bas et hault !

        N’espargnez ne femmes, n’enfans !

        Et, sur la hart73, je vous deffends

        Qu’on ne preigne nulz à mercy74 !

                        TURELUTUTU

135  Leur chasteau est fort renforcy75.

                        LE  SÉNESCHAL

        Dedans, dedans !

.

                        Icy, assaillent.                                              SCÈNE  X

                        NAGE

                                    À l’arme, à l’arme !

                        GRANCHE-VUYDE

        À l’assault !

                        NAASON

                             Tout est desconfit.

                        TURELUTUTU

        Il fault icy jouer de charme76.

                        LE  SÉNESCHAL

        Dedans, dedans !

                        NAGE

                                     À l’arme, à l’arme !

                        GRANCHE-VUYDE 77

140  Je suis mort ! quel coup de guysarme !

                        TURELUTUTU

        À butin !

                        GRANCHE-VUYDE

                         À commun prouffit78 !

                        LE  SÉNESCHAL

        Dedans, dedans !

                        NAGE

                                     À l’arme, à l’arme !

                        GRANCHE-VUYDE

        À l’assault !

                        NAASON

                             Tout est desconfit.

        Icy n’y a plus de prouffit.

145  Je m’en fuyray bref, se je puis.

                        Icy, Naason s’en fuyt vers Mésopotamye

                        dire des nouvelles.

.

                        Icy, les gens d’armes destruisent toute la place.

                        LE  SÉNESCHAL                                    SCÈNE  XI

        Au moins, de la place je suis

        Maistre pour la première entrée79,

        Où proesse80 s’est bien monstrée,

        Pour ung coup.

.

                        Icy, Turelututu vient dire des                      SCÈNE  XII

                        nouvelles à Holofernès.

                        TURELUTUTU

                                   Honoré seigneur,

150  La place avons prise, à rigueur81,

        D’assault.

                        HOLOFERNÈS

                          C’est [très] bien besongné.

                        TURELUTUTU

        Aucuns des villains ont hongné82 ;

        Mais de vray, ilz ont faict follie.

                        HOLOFERNÈS

        Sus ! devant Mésopotamie83,

155  Chauldement !

                        TURELUTUTU

                                  Point n’y aura faulte.

                        Icy, Turelututu vient au séneschal.

.

                        Icy, parle Naason en s’enfuyant.                SCÈNE  XIII

                        NAASON

        En nostre faict, a eu deffaulte

        Que n’avons ouvert le passaige84.

        Nonpourtant85, me tiens assez saige

        D’avoir ce danger évité.

160  De par moy sera récité86

        De bref à Mésopotamye.

.

                        TURELUTUTU,  en parlant au séneschal :

        Monsïeur et la compaignie :                                         SCÈNE  XIV

        Holofernès, par moy, vous mande,

        Et par motz exprès vous commande

165  Vers Mésopotamye tirer.

.

        ………………………… 87

                        TURELUTUTU                                         SCÈNE  XV

        Que demandez-vous ?

                        ACHIOR

        Crier mercy, à deux genoulx,

        À Holofernès vostre maistre,

        Affin que nous puissons tous estre

170  En sa grâce.

                        GRANCHE-VUYDE

                              Venez vers luy ;

        Sitost qu’il vous aura ouÿ,

        Vous aurez du tout88 son amour.

.

        …………………………. 89

                        LE  SÉNESCHAL                                     SCÈNE  XVI

        Se chascun se vient ainsi rendre,

        Gens d’armes rien ne gaigneront ;

175  Par ainsi, s’anéantiront

        Et seront de lasche courage.

        De guerre, s’il n’y a pillage,

        Ce n’est riens pour les compaignons.

                        LE  MARESCHAL

        Je n’en donroye90 pas deux ongnons,

180  Si n’y a autre pillerie.

                        LE  CAPPITAINE

        Ce ne sera que poullerie91,

        Se je n’y voy autre butin.

                        LE  MAISTRE  DE  L’ARTILLERIE

        Je n’entens note en ce latin92 :

        Chascun se rend sans coup férir ?

185  J’aymeroye aussi cher93 mourir

        Que de vivre ainsi sans rien faire.

                        TURELUTUTU

        Ha, bref ! je ne m’en sçauroye taire :

        C’est cy, pour nous, peine perdue.

                        GRANCHE-VUYDE

        Se si tost ne se fust rendue,

190  Nous estions riches à jamais.

        ……………………….. 94

.

                        LE  SÉNESCHAL 95                                SCÈNE  XVII

        Hau ! Turelututu !

                        GRANCHE-VUYDE

                                        Il pleure.

                        LE  SÉNESCHAL

        Que vous avez lasches courages !

                        TURELUTUTU

        Riens ne recepvons de noz gages :

        Sommes-nous de la morte-paye96 ?

                        GRANCHE-VUYDE

195  Tout du moins, que l’on nous parpaye…

                        LE  SÉNESCHAL

        Escoutons97 !

                        GRANCHE-VUYDE

                               … le terme passé98.

                        TURELUTUTU

        J’ayme aussi cher estre cassé99

        De tout point que de tant attendre.

                        LE  SÉNESCHAL

        Ha ! villains, on vous fera pendre100 !

200  Vous fault-il hongner101 maintenant ?

                        GRANCHE-VUYDE

        Qu’i a-il ?

                        LE  SÉNESCHAL

                          Tost, hastivement !

                        TURELUTUTU

        Monsïeur, nous sommes tous prestz.

                        LE  SÉNESCHAL

        Par ung commandement exprès

        D’Holofernès, menez ce traïstre

205  — Qui du dieu d’Israël faict tiltre102

        Près de la ville Béthulie,

        Affin qu’avec eulx compaignie

        Tienne103, quant ilz seront destruictz !

                        GRANCHE-VUYDE

        Nous sommes, pour le faire, instruictz

210  Aussi bien que nul de l’armée.

                        LE  SÉNESCHAL

        Dépeschez-vous !

                        TURELUTUTU

                                      Mieulx que fermée

        Sera104, se nous n’entrons dedans.

.

                        GRANCHE-VUYDE                                 SCÈNE  XVIII

        Les juifz sont tant oultrecuydans,

        Rebelles, et tant obstinéz !

215  Sus, sus avant ! Tost, cheminez

        Devant105 !

                        TURELUTUTU

                             Pour doubte qu’il ne fuye,

        Je dy, moy, qu’il fault qu’on le lye ;

        Que t’en semble ?

                        GRANCHE-VUYDE

                                       Tu ditz trèsbien.

        Acoup !

                        TURELUTUTU

                       Acoup !

                        GRANCHE-VUYDE

                                       De ce lÿen

220  Sera lyé, qu’il ne nous morde.

                        TURELUTUTU

        Je suis bien fourny d’une corde.

                        Icy, luy lyent les mains derrière.

                        ACHIOR

        Seigneurs, soyez-moy gracieulx106 !

                        GRANCHE-VUYDE 107

        Il me semble, brief, qu’il vault mieulx

        Que tu soys le « maistre des euvres108 »,

225  Car tu es ouvrier109.

                        TURELUTUTU

                                          En ces euvres,

        Je ne m’y congnois que par toy110.

                        ACHIOR

        Hélas, ayez pitié de moy !

        Laissez-moy aller, je vous prie !

                        GRANCHE-VUYDE

        Quant près serons de Béthulye,

230  Tu seras hors de nostre garde.

.

                        LA  PREMIÈRE  ESPIE 111                   SCÈNE  XIX

        Oy-tu riens112 ?

                        LA  SECONDE  ESPIE

                                    Partout je regarde,

        Mais je ne voy venir personne.

                        LA  PREMIÈRE  ESPIE

        Parlons bas !

                        LA  SECONDE  ESPIE

                              S(e) ung seul mot on sonne113,

        En lieu sommes cy pour l’ouÿr.

.

                        TURELUTUTU                                        SCÈNE  XX

235  Il n’a garde de s’en f[o]uÿr114,

        S’il ne jouoit d’enchanterie115.

        Est-il proprement116 ?

                        GRANCHE-VUYDE

                                              Béthulye,

        Comme j’entens, nous fera riches.

                        Icy, doyvent ceulx de Béthulie getter ung canon

                        ou chose semblable pour espoventer.117

                        TURELUTUTU

        O-tu comme il[z] servent de miches118 ?

240  Il y a dangier !

                        GRANCHE-VUYDE

                                 Voire, près.

                        ACHIOR

        Ayez pitié de mes regretz !

        Hélas, las, saulvez-moy la vie !

                        TURELUTUTU

        Tu seras dedans Béthulie

        Mené, affin que de famine

245  Ta vie misérable termine119.

        On dit souvent : trop parler nuyt.

.

                        LA  PREMIÈRE  ESPIE                         SCÈNE  XXI

        J(e) oy, ce me semble, là ung bruyt.

        Escoute…

                        LA  SECONDE  ESPIE

                          Je l’ay bien ouÿ.

                        LA  PREMIÈRE  ESPIE

        Pour doubte120 que n’ayons ennuy,

250  Que noz fondes121 soient toutes prestes !

                        LA  SECONDE  [ESPIE]

        Faisons devoir !

.

                        GRANCHE-VUYDE                                SCÈNE  XXII

                                   Tant de molestes122 !

        Touchant123 ce malotru icy,

        Pendons-le !

                        TURELUTUTU

                              Tost, tost, sans mercy !

        Car nous ne sommes que nous deux :

255  S’i survenoit cy des coureux124,

        Nous serions mors.

                        GRANCHE-VUYDE

                                        Mors sans remède125.

                        ACHIOR

        Hélas ! et mouray-je sans ayde ?

        Prenez-moy à miséricorde !

                        TURELUTUTU

        Pendu seras de ceste corde

260  À ceste arbre126.

                        GRANCHE-VUYDE

                                     Dépeschons-nous !

        Car bien pourra estre rescoux127,

        Et nous, mis à mort sans mercy.

                        TURELUTUTU

        Pour le plus bref, lyons-le cy,

        Et vienne qu’avenir pourra.

                        Icy, le lient à ung arbre.

                        GRANCHE-VUYDE

265  À glayve128, en ce boys, il mourra.

.

                        LA  PREMIÈRE  ESPIE                         SCÈNE  XXIII

        Gaignons ce boys pour l’adventure,

        Car j(e) oy des gens.

                        LA  SECONDE  ESPIE

                                          C’est ta nature

        Que d’estre tousjours soubsonneux.

.

                        TURELUTUTU                                        SCÈNE  XXIV

        Laissons icy ce malheureux,

270  Et nous enfuyons !

                        GRANCHE-VUYDE

                                        Tu as cause129 :

        Nous pourrions bien trop longue pose130

        Faire en ce lieu, je le congnois131.

                        Icy, laissent Achior et s’en retournent.

.

        ………………………… 132

                        TURELUTUTU                                        SCÈNE  XXV

        Nous sommes riches, à ceste heure !

                        GRANCHE-VUYDE

        Vive133 moy, se je n’y demeure !

        ………………………. 134

                        TURELUTUTU

275  C’est une rude quoquinaille,

        Et sont courageux à merveille.

                        GRANCHE-VUYDE

        Je n’y ay perdu qu(e) une oreille135.

                        TURELUTUTU

        Et moy, qu’ung136 œil tout simplement.

.

        ……………………….. 137

                        TURELUTUTU                                         SCÈNE  XXVI

        Voy-tu rien venir, Granche-vuyde138 ?…

280  Monseigneur !

                        GRANCHE-VUYDE

                                 Turelututu ?

                        TURELUTUTU

        Mais dy, hau ! à quoy pense-tu ?

                        GRANCHE-VUYDE

        Regarde139 : c’est quelque avantage.

                        TURELUTUTU

        C’est une gracieuse ymage.

                        GRANCHE-VUYDE

        Ha ! seurement c’est quelque proye.

                        TURELUTUTU

285  Ilz viennent cy la droicte voye140.

                        GRANCHE-VUYDE

        Sans plus songer, parlons à elle.

.

                        TURELUTUTU                                         SCÈNE  XXVII

        Sus, sus, arrestez, Damoyselle !

                        JUDICH

        Messeigneurs, je suis toute arrestée.

                        GRANCHE-VUYDE 141

        Vous venez espier l’armée ?

                        JUDICH

290  Saulve l’honneur de vous142 !

                        TURELUTUTU

                                                       Pourquoy

        Venez-vous ainsi à requoy143 ?

        Cautelle144 de femme est trop fine.

                        JUDICH

        Messeigneurs, on meurt de famine

        En nostre cité145, seurement ;

295  Parquoy je me suis bellement146

        Issue dehors affin de vivre.

                        GRANCHE-VUYDE

        À chascun la sienne, à délivre147 !

        Qu’en dictes-vous ?

                        JUDICH

                                         L’honneur des dames

        Doit estre préservé de blasmes,

300  Entre les mains de gentilz hommes148.

        De noble lieu, certes, nous sommes,

        Sans vitupère149 et villennie ;

        Parquoy, Messeigneurs, je vous prie

        [Qu’on n’en ait]150 point de déshonneur.

                        TURELUTUTU

305  Venir vous fault à Monseigneur151.

                        JUDICH

        G’iray partout où vous plaira.

                        GRANCHE-VUYDE

        De vostre venue, il sera

        Joyeulx, et vous fera grant chère.

                        JUDICH

        Je suis sa povre chambèrière,

310  S’il luy plaist.

                        TURELUTUTU

                              N’ayez nulle doubte152

        De desplaisir.

                        JUDICH

                               Je ne redoubte

        Autre chose que déshonneur.

.

                        GRANCHE[-VUYDE],  en saluant Holofernès :

        Hault chef, de Noblesse l’honneur,                             SCÈNE  XXVIII

        Salut !

                        HOLOFERNÈS

                     Que disent les seigneurs ?

315  Qui vous maine ?

                        TURELUTUTU

                                      Qui ? Joyeulx cueurs

        Amoureux.

                        HOLOFERNÈS

                             Bien soyez venuz !

        Joyeulx amoureux maintenuz

        Sont dessus tous153, en nostre Court.

                        GRANCHE-VUYDE

        Monseigneur, à le faire court,

320  Nous avons trouvé ceste proye

        Que vous amenons.

                        HOLOFERNÈS

                                         À grant joye

        Soit-elle venue, la mignonne !

                        VAGAO,  en derrière :

        (Elle porte assez bonne trongne,

        Pour ung amoureux afamé.)

.

        ……………………….. 154

                        TURELUTUTU                                         SCÈNE  XXIX

325  Je voy lumière.

                        LE  SÉNESCHAL

        C’est la Dame et la chambèrière

        De Béthulie.

                        GRANCHE-VUYDE

                              Quoy ! de nuyt,

        Passer parmy nous ?

                        LE  SÉNESCHAL

                                          Saufconduit

        De ce faire a de Monseigneur.

                        LE  MARESCHAL

330  Qu’on luy a faict grant mal au… cueur !

                        LE  CAPPITAINE

        Je mettray qu’elle a mal aux… dens.

                        LE  MAISTRE  DE  L’ARTILLERIE

        Il luy tarde qu’el soit dedans155

        Pour conter de ses adventures.

                        TURELUTUTU

        Qu’el marche droit156 !

                        GRANCHE-VUYDE

                                              Quel[s] emboistures157

335  Pour bien porter « lance » en l’arrest158 !

                        LE  SÉNESCHAL

        Monsïeur en a eu le prest159,

        Mais la marchandise le vault.

                        TURELUTUTU

        Il n’y a mal que du deffault160 ;

        Bien trouveroit autre service161 !

                        GRANCHE-VUYDE

340  En ung tel amoureux assault,

        Il n’est si ferré qui ne glisse162.

.

        …………………………. 163

                        Icy, regardent tous la teste de Holofernès.

                        TURELUTUTU                                         SCÈNE  XXX

        Qu’esse-là ?

                        GRANCHE-VUYDE

                             C’est ung piteux jeu !

                        LE  SÉNESCHAL

        Quoy ! la teste de nostre maistre ?

        …………………………..

                        TURELUTUTU

        Hélas ! pleurons tous derechef

345  Ceste douloureuse adventure !

                        GRANCHE-VUYDE

        Hélas ! tous lamentons ce grief

        Et ceste angoisseuse pointure164 !

                        TURELUTUTU

        Gémissons165 sa noble figure,

        Dont nous avions si grant secours !

                        GRANCHE-VUYDE

350  D’amours c’est rigle de droicture166 :

        « Pour une joye, cent doulours. »

.

                        JUDICH 167                                              SCÈNE  XXXI

        Saillez sur eulx !

                        OZIAS

                                     Veu leurs clamours168,

        Ilz n’ont [plus] force ne puissance.

                        Icy, viennent hors de la cité, tous en armes.

.

                        LE  SÉNESCHAL                                    SCÈNE  XXXII

        Fuyons ! il est faict de noz jours169.

                        LE  MARESCHAL

355  Nostre vie est bien en balance.

                        LE  CAPPITAINE

        En ce lieu n’a point de fiance170.

                        LE  MAISTRE  DE  L’ARTILLERIE

        Habandonnons tout, il n’est tel171.

                        BENJAMYN

        À mort !

                        MANASSÈS

                       À mort !

                        TURELUTUTU

                                      Mors, sans doubtance ?

                        GRANCHE-VUYDE

        Ce jour, pour nous, est bien cruel.

*

1 Il passe en revue ses troupes et fait l’appel. Au lieu de lui répondre, Turlututu et Grange-vide observent un garde-à-vous très approximatif et bavardent entre eux. Les 10 premiers vers, avec leurs refrains, sont l’amplification tardive d’un triolet de 8 vers.   2 Ce nom provient d’une chanson qu’évoque la farce du Retraict : « Turelututu, tutu, tutu,/ Turelututu, chapeau poinctu. »   3 Un vrai soldat aurait dit « notre chef ». Mais nos deux anarchistes sont allergiques à toute forme de discipline.   4 Dont la grange est vide : qui n’a plus de blé. Graham Runnalls (p. 16 et 248) traduit « grange » par estomac. « –J’en fourreray avant ma pance./ –Ainssy, Huet, emple [emplis] ta granche ! » Miracles madame sainte Geneviève.   5 Éd : Et puis autant que dung  (Nous l’estimons autant qu’un fétu de paille. « Elle ne me prise un festu. » Le Raporteur.)   6 Secoués, battus comme des tapis.   7 On devrait nous huer, comme quand on veut faire fuir un loup. « Huer/ Tous les jours à ung tas de loups. » Les Sotz qui corrigent le Magnificat.   8 Il continue à faire l’appel. Le soldat Mal-venu n’est pas là, comme son nom l’indique.   9 Il aurait dû appeler l’officier par son grade. Résultat, c’est lui qui va en prendre pour le sien.   10 Un coup de lanière, au sens figuré. « À quelc’un bailleray tel bride/ Qu’il dira : ‟Le dyable y ait part !” » Viel Testament.   11 Il goûterait. « L’honneur humerez. » Gournay et Micet.   12 Ne humerait, ne boirait. « Ils boivent plus de vin qu’une truye de laict. » Brantôme.   13 Des plaids, des disputes.   14 Son casque trop grand lui tombe sur les yeux : il ne voit plus rien. Le même gag revient plusieurs fois dans Baudet, Blondète et Mal-enpoint.   15 On prononce « aï-de », qui rime avec « vuide ». Le Viel Testament donnait déjà ces rimes aux vers 41115-6 de l’édition Rothschild et Picot.   16 Viens m’aider à retirer ce casque.   17 Déclarée, entre les Assyriens et les juifs.   18 Assurée : nous allons nous enrichir. « Ta vye sera recouverte. » Troys Gallans et Phlipot.   19 Le sénéchal confie l’étendard du régiment à Grange-vide.   20 Vous ne rêvez pas ? Vous parlez sérieusement ? « Ce fol ne faict cy que songer. » Le Retraict.   21 Vous m’obligez à contenir ma colère. « Trop long temps on nous fait ronger/ Nostre frain. » Viel Testament.   22 Ce n’est pas mon rôle de porter l’étendard.   23 En disgrâce.   24 Devons-nous marcher au premier rang ?   25 Imbéciles.   26 Pour défiler. Idem vers 52.   27 Les imprimés remontent de quelques vers la plupart des didascalies indépendantes : celle-ci se trouvait sous le vers 32. Prenant exemple sur Graham Runnalls, qui y voit une mauvaise lecture du manuscrit de base par le premier éditeur, je les remettrai tacitement à leur place logique.   28 À Holopherne, en parlant du sénéchal.   29 Il est en retard, vu l’urgence de la situation (la déclaration de guerre). Un peu avant, le sénéchal avait adressé la plus belle réplique de tout le Mystère à Nabuchodonosor, qui lui demandait : « –Séneschal, estes-vous prest ? –Non ! »   30 Le cœur. Idem vers 176 et 192.   31 Sous les coups de l’ennemi.   32 Il a pourtant. Ces champions rappellent plutôt les « champions de taverne » ; cf. le Sermon joyeux de bien boire, vers 22 et 323.   33 Il faut régler ce détail.   34 Bien peintes. Il contemple celle que Grange-vide laisse pendouiller.   35 Ici commence une longue énumération d’armes, d’objets ou de vêtements militaires qui avaient cours non pas à l’époque de Nabuchodonosor mais à celle de Louis XI. Il serait inutile d’accoler une note à chaque mot : ce n’est pas leur sens qui égayait les auditeurs du Mystère, c’est leur accumulation digne d’une sottie.   36 Arcs.   37 Éd : faulcons  (Le faussard est une faux emmanchée sur une hampe. « Dagues, braquemars,/ Espées, rapières et faulsars. » ATILF.)   38 Frondes. Idem vers 250.   39 Le valet de chambre d’Holopherne n’a rien à faire là. Voir la note de l’édition Runnalls, p. 249.   40 Éd : crilz  (Treuils qui servent à tendre les arbalètes à cric.)   41 D’un maniement rapide, car elles sont plus courtes et moins encombrantes que les lances.   42 Couillards : catapultes.   43 Ce casque était à la mode au temps de Louis XI.   44 En allant vers Mésopotamie. L’auteur nomme ainsi une ville de Judée, comme aux vers 143, 154, 161 et 165.   45 Je n’y manquerai pas. Turlututu a trouvé un casque à sa taille, et Grange-vide s’est débarrassé de l’étendard.   46 Ce grade peu réglementaire dont nos soldats d’opérette honorent le sénéchal va devenir entre eux un gag récurrent.   47 De devenir chevalier. Le hobereau veut redorer son blason. Turlututu est beaucoup moins chevaleresque.   48 Parçonniers, partageurs.   49 Exigeons d’eux une rançon.   50 Expérimenté. « Gens de guerre, tous usitéz d’armes. » ATILF.   51 Tu n’es qu’un voleur de poules. « Courant ainsy sur la poulaille. » L’Avantureulx.   52 Que des mendiants, autres voleurs de poules.   53 De. « Du gros cousin/ Qui fut à ma tante parent. » (Pernet qui va au vin.) Ton grand-père était le frère de Rifflandouille. Ce peu recommandable « bouffeur d’andouilles » est une valeur sûre de la littérature comique ; c’est un bourreau dans plusieurs Mystères, et l’un des plus grossiers sergents du Vilain et la Tavernière.   54 Bien au chaud sous le large manteau de sa cheminée.   55 Je parle à un spécialiste de la paix. Les Nobles étaient censés faire la guerre, et non la paix, sauf quand on les soudoyait. Jeu de mots sur « pets ».   56 Taisez-vous !   57 L’armée babylonienne arrive en Judée. Elle met le siège devant le château d’Esdrelon.   58 Allez vite porter à cette place forte une sommation de capituler.   59 Ou s’ils refusent, je les ferai totalement consumer. « La terre toute consommée par feu. » ATILF.   60 Éd : acoup  (Voir le vers 118.)   61 Les sentinelles juives montent la garde sur le rempart du château fort. Nage = fesse : « Pour baiser mon cul et ma nage. » Nicolas Loupvent.   62 Au pied du rempart.   63 Fous. « Allez, allez, villain follastre ! » Les Sotz triumphans.   64 Videz les lieux : partez. Tout au long du Mystère, les fanatiques juifs traitent d’idolâtres ceux qui ont une autre religion que la leur.   65 De peur qu’on ne vous serve des coups.   66 Éd : La vous  (« Av’ous » est une contraction normande : « Av’ous besongné ? » Viel Testament.)  Avez-vous osé dire cela ? « L’avez-vous dit, villain mastin ? » Le Munyer.   67 Éd : sortisse  (Le premier imprimeur a interverti deux lettres et ses imitateurs l’ont suivi.)  Pour peu qu’on les rôtisse : au vers 99, le sénéchal menace de les consumer.   68 Éd : autre  (Votre intérêt. « C’est mal cherché vostre avantaige. » Le Monde qu’on faict paistre.)   69 Le plus difficile n’est pas d’en parler mais de le faire.   70 Au sénéchal. Les deux poltrons s’enfuient ; chacun essaie de courir plus vite que l’autre.   71 Les deux émissaires rentrent au camp.   72 Éd : messieurs  (Il n’y a là qu’un seul officier, le sénéchal, que nos contestataires affectent d’appeler « monsieur ».)  À l’avantage ! = courons au butin !   73 Sous peine d’être pendus à une corde.   74 Qu’on fasse grâce à quiconque. Le sénéchal fait siens les ordres de Nabuchodonosor et Holopherne : « –N’espargnez femme ne enfans !/ –De par vous, ainsi leur deffens/ Qu’ilz ne pregnent nulz à mercy. »   75 Est bien protégé.   76 D’un sortilège pour que le diable nous vienne en aide. « Un charme/ Pour faire venir l’Ennemy. » Maistre Mimin estudiant.   77 On lui donne sur le casque un coup inoffensif avec le plat d’une hallebarde.   78 Partageons le butin ! Il n’en fallait pas plus pour que le soi-disant mort ressuscite.   79 À la première charge.   80 Où notre prouesse, notre vaillance.   81 Par la force.   82 Quelques-uns de ces misérables ont grogné.   83 Allons maintenant assiéger la ville appelée Mésopotamie.   84 Nous avons eu tort de ne pas leur ouvrir la porte de la ville.   85 Nonobstant.   86 Cette défaite sera par moi racontée.   87 En allant vers Mésopotamie, Holopherne convoite la ville juive de Béthulie. Quelques habitants viennent lui demander grâce.   88 Totalement. Idem vers 100.   89 Les troupes d’Holopherne se plaignent que des habitants de Béthulie se soient rendus : elles ne peuvent plus piller ce qui désormais appartient à leur roi, Nabuchodonosor.   90 Donnerais. La guerre ne vaut même plus deux oignons. « Je n’en donroys pas ung oignon. » Le Ramonneur de cheminées.   91 De la pouillerie, de la misère. Double sens bien digne de nos voleurs de poules : une poulerie est un marché aux volailles. « Avoir & tenir pouleries. »   92 Éd : chemin  (Je ne comprends rien à ces palabres.)   93 J’aimerais autant. Idem vers 197.   94 Seuls quelques bourgeois de Béthulie se sont rendus ; on va donc pouvoir assiéger la ville pour dévaliser les autres.   95 Il arrive avec un prisonnier juif, Achior (vers 167-170), que lui a confié Holopherne pour qu’il l’envoie mourir de faim avec ses coreligionnaires dans la citadelle de Béthulie.   96 Faisons-nous partie de ces vieux soldats qui touchent une demi-solde pour garder une place forte ? « Je suis bien de la morte-paye,/ Il y pert [paraît] bien à mes habitz. » Les Sotz qui remetent en point Bon Temps.   97 Éd : A coup tost.  (Cette formule invite un interlocuteur à parler. Le juge de la farce de Pathelin l’emploie pour interroger le drapier : « Or escoutons !/ Estoit-il point vostre aloué ? »)   98 Qu’on nous paye la solde en retard.   99 J’aimerais autant être cassé de gages, révoqué sans solde. « Comment/ Vivront ces gendarmes casséz ? » Les Esbahis.   100 On pendait les déserteurs : cf. Troys Gallans et Phlipot, vers 435.   101 Devez-vous grogner ? Idem vers 152.   102 Fait l’apologie. « Titre » rime avec « traï-tre ». L’Aveugle et Saudret porte exactement les mêmes rimes aux vers 602-3.   103 Afin qu’il tienne compagnie à ses habitants.   104 Il faudra que la porte de Béthulie soit fermée à double tour.   105 Grange-vide et Turlututu poussent Achior dans la forêt qui sépare leur campement et la ville de Béthulie.   106 Faites-moi grâce.   107 À Turlututu.   108 Le « maistre des haultes-œuvres » est le bourreau : cf. Gournay et Micet, vers 521. Le bourreau attache les mains du condamné qu’il va pendre : cf. Gournay et Micet, vers 171 et 336.   109 Habile.   110 Dans ce domaine, c’est toi qui m’as tout appris.   111 Le 1er espion. Dans la forêt, son camarade et lui surveillent les allées et venues des Assyriens.   112 N’entends-tu rien ? Verbe ouïr.   113 Si nos ennemis prononcent un seul mot.   114 Il ne risque pas de s’enfuir. « Et pour m’en fouÿr au besoing. » Viel Testament.   115 Si ce n’est par magie. Turlututu croit à la sorcellerie : voir le vers 138.   116 Est-il comme il convient ? « Est-il enterré proprement ? » Le Fossoieur et son Varlet.   117 Les assiégés tirent un coup de canon.   118 Entends-tu comment ils nous servent des « miches » ? Ces pains ronds désignent ici les boulets de canon. « Miches du convent militaire : des balles, ou boulets. » Antoine Oudin.   119 Si on scande la diérèse « vi-e », comme cela est de règle, termine doit être remplacé par fine. « Moy qui sens ma vïe finer. » Viel Testament.   120 De crainte.   121 Que nos frondes.   122 Que de désagréments !   123 En ce qui concerne. « Touchant ce peuple d’Israël,/ Achior, congnoissez-vous point/ Leur façon ? » Viel Testament.   124 Des éclaireurs à cheval.   125 Le rénovateur du texte a corrigé « remide », qui rimait avec « aïde ». Le Viel Testament donne ces rimes aux vers 43420-1 de l’édition Rothschild et Picot.   126 Ce mot est masculin dans la prochaine didascalie, mais il pouvait être féminin, comme arbor en latin. « Fut mis et pendu en une arbre. » Farce des Coquins, F 53.   127 Libéré par les siens, qui viendront à sa rescousse.   128 D’un coup de glaive. Il sera tué par les « brigands des bois », qui ligotent leur victime à un arbre afin de la détrousser, puis la poignardent pour qu’elle ne puisse témoigner contre eux. Une fois de plus, les deux reîtres désobéissent aux ordres.   129 Tu as bonne cause, tu as raison.   130 Une pause, une halte trop longue.   131 Je le reconnais.   132 L’armée d’Holopherne lance un assaut contre Béthulie.   133 Éd : Voire  (« Vive moy, dit le seigneur Dieu ! Je ne veux la mort de l’impie. » Séraphin de La Croix.)  Que je vive, si je ne meurs pas !   134 La bataille fait rage.   135 Nos deux roublards imputent à la guerre des blessures peu glorieuses qu’ils avaient déjà. Le bourreau avait coupé une oreille à Grange-vide en tant que voleur.   136 Éd : que  (L’alcoolisme pouvait causer la perte d’un œil. « [Il] but tant, se m’aist Dieux,/ Qu’il perdit presque l’ung des yeulx ;/ Et de l’aultre n’estoit pas sain. » Sermon joyeux de bien boire.)   137 Après la victoire d’Holopherne, la juive Judith et sa servante traversent le campement pour l’assassiner. Les deux gardes auraient pu sauver la vie de leur chef, mais c’est eux qui vont lui amener sa meurtrière.   138 Grange-vide, perdu dans la contemplation des deux beautés, n’entend pas cette question.   139 Les imprimés distribuent ce mot à Turlututu. Les deux femmes sont un avantage que des soudards peuvent prendre en nature : la guerre n’a pas pour seul intérêt le pillage, elle autorise aussi le viol.   140 Elles viennent droit vers nous.   141 Il tente d’effrayer les « proies » pour mieux en venir à bout.   142 Sauf le respect que je vous dois ! Formule polie de dénégation.   143 En secret.   144 Ruse.   145 Dans la ville de Béthulie, qui subit votre blocus.   146 Éd : tellement  (Silencieusement. Cf. le Pourpoint rétréchy, vers 186, 231 et 651.)   147 Parmi ces femmes, que chacun choisisse la sienne librement !   148 Judith flatte les deux soudards, qu’elle appelle « Messeigneurs ».   149 Sans honte.   150 Éd : Quen vous nait   151 Dans la tente d’Holopherne. Judith saute sur l’occasion.   152 Crainte.   153 Sont au-dessus des autres courtisans.   154 En pleine nuit, les deux femmes repassent devant le corps de garde. Elles emportent la tête d’Holopherne et une lanterne allumée. Ayant obtenu un laissez-passer, elles ne s’attirent pas d’autre inconvénient que des propos de corps de garde.   155 Dans sa ville de Béthulie.   156 Que sa démarche est raide !   157 Éd : nourritures  (« Emboisture : L’endroit où les choses s’emboistent. » Dict. de l’Académie françoise.)  Au sens propre, l’emboîture n’est autre que « l’arrêt », cheville métallique fixée au côté droit du harnais, et sur laquelle les cavaliers emboîtent leur lance pour qu’elle tienne à l’horizontale. Au sens figuré, les deux femmes sont des ustensiles où des hommes peuvent emboîter leur lance virile.   158 Un pénis en érection. « Mettre sa lance en son arrest. » (Cent Nouvelles nouvelles, 28.) Jeu de mots sur « la raie ».   159 Holopherne en a eu la jouissance.   160 Il n’y a de mauvais que de tomber sur un impuissant.   161 Elle trouverait facilement un autre « serviteur ».   162 Même les chevaux bien ferrés peuvent glisser : tout le monde peut avoir un moment de faiblesse. « Il n’est si ferray qui ne glice. » Les Premiers gardonnéz.   163 Les criminelles retournent à Béthulie, et exposent la tête de leur victime au-dessus de la grand-porte.   164 Cette douleur poignante.   165 Pleurons.   166 C’est une règle immuable de l’amour. En fait, c’est surtout un proverbe bien connu, cité notamment par Villon.   167 Elle pousse l’armée juive à sortir de Béthulie pour profiter du désarroi d’un adversaire privé de son chef.   168 Éd : clameurs  (Cf. les Mal contentes, vers 45, 270 et 422.)   169 C’en est fait de notre vie.   170 De sécurité.   171 Il n’y a rien de tel, il n’y a rien d’autre à faire. Tous les Assyriens prennent la fuite en abandonnant leurs affaires et le butin qu’ils ont accumulé.

SAOUL-D’OUVRER ET MAUDOLLÉ

Bibliothèque nationale de France

Bibliothèque nationale de France

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SAOUL-D’OUVRER

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ET  MAUDOLLÉ

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La farce de Gournay et Micet, qui oppose un maître à son valet, « farcit » le Mistère du Viel Testament. Elle-même est farcie par une autre farce qui oppose encore un maître à son valet : Saoul-d’ouvrer et Maudollé. Si le charpentier est « soûl d’œuvrer1 » [fatigué de travailler], son apprenti est « mal dollé2 » [mal raboté, malpoli], d’où leur relation conflictuelle. Toutefois, le prévôt leur commande un gibet personnel afin d’y pendre le juif Mardochée, qui refuse de lui faire la révérence. Mais le prévôt étrennera lui-même sa potence privée, tandis que sa femme prendra la fuite — et l’argenterie — avec son serviteur.

Enfin, on ne saurait évoquer les artisans du Mistère du Viel Testament sans donner la parole aux plus glorieux d’entre eux, les bâtisseurs de la tour de Babel.

Sources : Je prends pour base le Très excellent & sainct Mystère du Viel Testament, imprimé par Jehan Réal en 1542 ; il reproduit — avec moins de fautes — le Mistère du Viel Testament par personnages, imprimé par Pierre Le Dru vers 1500.

Structure : Rimes plates.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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                        SAOUL-D’OUVRER,  charpentier3.      SCÈNE  I

        Maudollé !

                        MAUDOLLÉ,  varlet.

                             Voycy la relique

        De l’ung des os de sainct Belin4.

                        SAOUL-D’OUVRER

        Viendras-tu à moy ?

                        MAUDOLLÉ 5

                                             C’est bon vin.

        Qui boit bon vin, mieulx en besongne.

                        SAOUL-D’OUVRER

5      Mais regardez-moy quel yvrongne !

        Sans cesser il avalle ou mâche.

                        MAUDOLLÉ

        Quant on a achevé sa tâche,

        Doit-on pas prendre son repas ?

                        SAOUL-D’OUVRER

        Ouÿ ; mais tu ne gaignes pas

10    L’eaue que tu boys, c’est le point6.

                        MAUDOLLÉ

        Par Dieu ! maistre, je n’e[n] boy point :

        Il est bon à veoir à mon nez7.

                        SAOUL-D’OUVRER

        Dea ! mon varlet, vous vous donnez

        Du bon temps.

                        MAUDOLLÉ

                                [Maistre], en doubtez-vous ?

15    Se charpentiers ne sont bien saoulz,

        Jà ne feront bonne journée.

        J’ay ma besaguë retournée8,

        Au matin, son9 devant derrière.

                        SAOUL-D’OUVRER

        Tu fais tous les soirs si grant chère

20    Qu(e) encor en es yvre au matin.

                        MAUDOLLÉ

        Mon maistre, ce n’est que de vin,

        Car je n’ayme ne citre10 ne bière.

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                        BARATHA 11                                           SCÈNE  II

        Si me fault-il trouver manière

        De parler à ce charpentier,

25    Qu’il vienne ouvrer12 de son mestier.

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        Es-tu céans, Saoul-d’ouvrer ?                                     SCÈNE  III

                        SAOUL-D’OUVRER,  charpentier.

                                                         Ouy.

        Pensez que vous ay bien ouÿ

        Crier à haulte voix et forte.

                        BARATHA

        Vien à Monseigneur, et apporte

30    Les ostilz de charpenterie13 !

                        SAOUL-D’OUVRER

        À cella ne fauldray-je mye14 :

        Drille ne gaignay de cest an15.

        N’esse pas à Monseigneur…

                        BARATHA

                                                      Aman.

                        SAOUL-D’OUVRER

        J’entens : monseigneur le prévost.16

35    Allons acop ! Bien tost, bien tost !

        Voicy mes instrumens tous prestz17.

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        Aman, Monseigneur : par exprès18,                            SCÈNE  IV

        Sur tous19 vous vouldroye servir.

        Commandez vostre bon plaisir !

40    Vostre serviteur suis piéçà20,

        Monseigneur le prévost.

                        AMAN

                                                Vien çà !

        Plante-moy une grosse poultre

        Qui soit fort[e] et puissant21 tout oultre.

        Entens-tu bien ?

                        SAOUL-D’OUVRER

                                     Je le feray,

45    Mais où22 ?

                        AMAN

                                Je le te monstreray ;

        Je la23 vueil cy avoir, et estre

        En ma court, devant ma fenestre

        De ma grant chambre principalle.

                        SAOUL-D’OUVRER

        Pour la façon espécïalle24,

50    Monseigneur, la haulteur me fault.

                        AMAN

        De cinquante couldées de hault25.

                        SAOUL-D’OUVRER

        En26 quelle façon, s’il vous plaist ?

                        AMAN

        Ainsi que fault faire ung gibet.

        Faulte n’y ait, ainsi le veulx !27

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55    Ha, hay ! que je seray joyeulx                                     SCÈNE  V

        Quant, à mon coucher et lever,

        Je verray ce juif orgueilleux

        À ce gibet icy bransler28 !

        Matin ne se sçauroit passer

60    Que je ne m’y29 vienne habiller

        Pour Mardochée regarder,

        Que feray en ce lieu lyer.

        …………………………

.

                        SAOUL-D’OUVRER                               SCÈNE  VI

        Voylà tout appointé30.

        Voylà ung beau postel31, je pense.

65    Voylà une belle potence,

        Mais ung gibbet tout eslevé.

        Celluy qui y sera levé32,

        Si n’a garde de desvoyer33,

        Se n’est par faulte du cordier34

70    Ou par deffaulte du bourreau.

        Il est composé bien et beau :

        Le boys est de cueur de noyer.

        On doit telz ouvriers employer !

        Il est bien, à la vérité.

        ………………………..

*

                        BARATHA 35                               SCÈNE  VII

75   Madame !

                        ZARÈS

                         Quoy ?

                        BARATHA

                                       Il fault brouer36 !

                        ZARÈS

        Et ! qu(e) as-tu ? Que tu es esmeu !

                        BARATHA

        Je ne le vous vueil point celer :

        Mon maistre sera huy pendu.

                        ZARÈS

        Tay-toy, Baratha ! Que dis-tu ?

                        BARATHA

80    Ha ! je l’ay ouÿ condampner.

                        ZARÈS

        Ô Fortune, l’as-tu déceu37 ?

                        BARATHA

        On ne sçait comme on doit tourner.

                        ZARÈS

        Le sçais-tu bien38 ?

                        BARATHA

                                           Le cas est tel.

                        ZARÈS

        Il sera pendu ? Quel orreur !

                        BARATHA

85    En ce gibbet, en cest hostel39.

                        ZARÈS

        Que reste-il ?

                        BARATHA

                                 Prendre du meilleur

        Et escarrir40.

                        ZARÈS

                                C’est le plus seur41.

        Tien là !

                        BARATHA

                        Pensez de bien foncer42.

                        ZARÈS

        Ô Fortune !

                        BARATHA

                              Peu de valleur43 :

90    On ne sçait comment doit tourner.

        Ne laissez riens, que vous puissiez44.

                        ZARÈS

        Nenny, Baratha. Tien, emporte !

                        BARATHA

        Brouez au large, escarrissez45 !

        Besoing est d’adviser la porte46.

                        ZARÈS

95    O ! mallement me desconforte,

        Aman, quant ainsi fault finer47.

                        BARATHA

        Dame Fortune est de tel sorte :

        On ne sçait comment doit tourner.

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LA  TOUR

DE  BABEL 48

*

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                        CASSE-TUYLLEAU49,  masson.           SCÈNE  I

        Que veulx-tu dire, Gaste-bois ?

        Sçais-tu rien qui soit de nouveau ?

                        GASTE-BOIS 50,  charpentier.

        Par Dieu ! nenny, Casse-tuilleau :

        Rien de nouveau n’est inventé.

                        CASSE-TUILLEAU

5      Pille-mortier51, Cul-éventé52 !

        Est jà vostre tasche acomplie ?

                        CUL-ESVENTÉ,  [couvreur].

        Ma bouteille n’est point remplie

        De gourde pie53, à ce matin.

                        PILLE-MORTIER

        Trois jours a54 que ne beuz de vin

10    Par faulte d’avoir ung vaisseau55.

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                        CHUS 56                                                   SCÈNE  II

        Sus, Gaste-bois, Casse-tuilleau,

        Cul-éventé, Pille-mortier !

        Ouvrer fault de vostre mestier,

        On a trèsgrand besoing de vous.

                        GASTE-BOIS

15    Nous nous sommes préparéz tous,

        Et noz houstilz pareillement,

        Pour besongner joyeusement

        En maisons, manoirs ou chasteaulx.

                        CHUS

        Bastir fault ouvrages nouveaulx

20    Et édifier quant et quant57.

        Mais je croy que n’estes pas tant

        D’ouvriers que je vueil bien avoir.

                        CASSE-TUILLEAU

        Vous ne sçauriez [bien] concepvoir

        La science que nous avons ;

25    Car tousjours les moyens trouvons

        De parvenir à noz attainctes58.

                        CUL-ESVENTÉ

        Nous ne besongnons point par fainctes59 :

        Car voicy charpentiers, massons,

        Couvreurs de diverses façons,

30    Qui nous congnoissons au mestier.

        Et puis voicy Pille-mortier,

        Qui de nous servir sçait l’usage.

                        PILLE-MORTIER

        Jamais nul homme, s’il est sage,

        À servir massons n’entreprenne !

35    Toutesfois — advienne qu(e) advienne —

        Je suis en leur subjection60.

                        CHUS

        Il fault faire expédition

        De venir par-devers Nembroth,

        Qui veult qu’on luy dépesche tost61

40    Une tour qu’il devisera62.

                        GASTE-BOIS

        Si trèsbien on le servira

        Qu’il n’y trouvera que63 redire.

                        CHUS

        Hastez-vous, car il vous veult dire

        Ce qu’il a entrepris de faire.

                        CASSE-TUILLEAU

45    Tout ce qui sera nécessaire

        Nous ferons, ne vous soucïez.

        Mais que nous soyons advoyéz64,

        Il nous fera beau veoir en face.

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                        CUL-ESVENTÉ                                       SCÈNE  III

        Sire, que vous plaist-il qu’on face ?

                        PILLE-MORTIER

50    Voicy gens pour faire édifices.

        En ce cas ne65 nous monstrons nices

        Mais sommes expers, sans doubtance.

                        NEMBROTH

        À vous veoir, je prens grand plaisance.

        Car je croy — et m’est bien advis —

55    Que vous comprendrez le devis66

        D’une tour que voulons pourtraire67.

                        GASTE-BOIS

        Commandez, et nous laissez faire !

                        NEMBROTH

        Si de la faire prenez charge,

        Il fault qu’elle soit si trèslarge

60    Et de si fors fondemens faicte

        Que, devant qu’elle soit parfaicte68,

        El puisse jusqu(e) au ciel toucher.

                        CASSE-TUILLEAU

        Autres ouvriers ne fault cercher

        Que nous : nous entendons le cas.

                        NEMBROTH

65    Gardez bien que ne faillez pas

        À la faire grosse et massive.

        Je vueil qu’elle soit excessive :

        C’est-à-dire qu’on puisse aller,

        Par elle, au ciel.

                        CUL-ÉVENTÉ

                                    Sans plus parler,

70    Nembroth, nostre souverain maistre,

        En besongne nous allons mettre69,

        Puisque nous l’avez ordonné.

                        Ilz s’en vont besongner.

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                       PILLE-MORTIER                                   SCÈNE  IV

        Si est Nembroth désordonné70,

        De la vouloir faire si haulte.

                        GASTE-BOIS

75    Faicte sera, s’il n’y a faulte,

        Puisque nous y mettons les mains.

                        CASSE-TUILLEAU

        L’entreprise beaucoup je crains ;

        L’ouvrage est fort à assaillir71.

                        CUL-ESVENTÉ

        On ne peult, en fin, que faillir.

80    Besongnons, mais qu(e) on nous paye bien.

                        PILLE-MORTIER

        Telles gens que nous n(e) acroient rien72,

        Mais tousjours sont prestz d’emprunter.

                        GASTE-BOIS

        Si se fault-il diligenter73

        De commencer [l]a nostre ouvrage74.

.

                        NEMBROTH                                            SCÈNE  V

85    Sus, enfans ! Prenez bon courage,

        Et vous serez bien contentéz75.

                        CHUS

        Je vous prie que diligentez :

        Tard m’est que la voye commencée76.

                        GASTE-BOIS

        J’ay jà la manière pensée

90    D’y besongner, n’ayez soucy.

                        NEMBROTH

        Nous reviendrons de bref icy

        Pour veoir vostre façon de faire.

.

                        CASSE-TUILLEAU                                 SCÈNE  VI

        Commencer fault, qui veult parfaire77.

        Gaste-bois !

                        GASTE-BOIS

                              Tu dis vérité.

95    Besongne bien de ton costé,

        Et de moy ne prens nul soucy.

                        CASSE-TUILLEAU

        Cul-esventé !

                        CUL-ESVENTÉ

                               Hau ?

                        CASSE-TUILLEAU

                                           Viens icy !

                        GASTE-BOIS

        Pille-mortier !

                        PILLE-MORTIER

                                 Je voys78 à vous.

        Préparé suis vous servir tous.

100  J’ay jà l’instrument sur le col79.

                        CASSE-TUILLEAU

        Cul-esventé !

                        CUL-ESVENTÉ

                                Hau ?

                        CASSE-TUILLEAU

                                            Gâche mol80 !

                        CUL-ESVENTÉ

        Combien ?

                        CASSE-TUILLEAU

                             Une demye-augée81.

                        GASTE-BOIS

        Çà, du mesrien82 ! Faictz-tu du fol ?

                        CASSE-TUILLEAU

        Pille-mortier !

                        PILLE-MORTIER

                                   Hau ?

                        CASSE-TUILLEAU

                                                Gâche mol !

                        PILLE-MORTIER

105  Délyé83 ?

                        CASSE-TUILLEAU

                           Nenny, de plein vol84.

                        GASTE-BOIS

        Apporte ma large congnie85 !

                        Icy font la tour de Babel.86

                        CASSE-TUILLEAU

        Cul-esventé !

                        CUL-ESVENTÉ

                                 Hau ?

                        CASSE-TUILLEAU

                                             Gâche mol !

                        CUL-ESVENTÉ

        Combien ?

                        CASSE-TUILLEAU

                              Une demye-augée.

                        PILLE-MORTIER

        C’est une droicte87 dyablerie

110  Que servir maçons, au jourd’uy !

                        CUL-ESVENTÉ

        Malheureux est qui sert aultruy

        Pourveu qu’il s’en puisse passer88

                        GASTE-BOYS

        Sus, sus, il se fault advancer !

        Vous aymez trop besongne faicte89.

        …………………………. 90

115  Pille-mortier !

                        PILLE-MORTIER

                                  Hau ?

                        GASTE-BOYS

                                               Es-tu prest ?

                        PILLE-MORTIER

        Ouÿ, de vous donner à boire.

                        CASSE-TUILLEAU

        Cul-esventé ! Tost, sans arrest

        Besongne : si, acquerrons gloire.

        Apporte du mortier !

                        PILLE-MORTIER

                                             Enco[i]re91 ?

                        CASSE-TUILLEAU

120  Despesche-toy ! Dieu te mauldie !

                        PILLE-MORTIER

        Tenez, voylà vostre dolloère92 ;

        Est-elle pas belle et jollie ?

                        CASSE-TUILLEAU

        Çà, du cyment !

                        CUL-ESVENTÉ

                                     Vostre congnie ?

        Je l’ay portée à l’esmoulleur.

                        GASTE-BOYS

125  Ma besaguë !

                        PILLE-MORTIER 93

                                 C’est du meilleur

        Que vous beustes de la sepmaine.

                        GASTE-BOYS

        Dieu te mette en fièvre quartaine !

        Baille-moy acoup mon compas,

        Affin que je ne faille pas

130  De faire ceste tour trèsbelle.

                        CUL-ESVENTÉ

        J’ay apporté vostre truelle ;

        Est-ce pas ce que demandez ?

                        CASSE-TUILLEAU

        Du mortier !

                        PILLE-MORTIER

                                La main tost tendez

        À la tuille qu’ay94 apportée !

                        CASSE-TUILLEAU

135  Du cyment !

                        CUL-ESVENTÉ

                                Je l’ay apprestée,

        L’ardoise, avec le clou à late95.

                        CASSE-TUILLEAU

        Haste-toy, mon mortier se gaste !

                        PILLE-MORTIER

        Voicy ung chevron escarry96 ;

        C’est dommage qu’il est pourry,

140  Veu ce qu’il a la poincte aguë.

                        GASTE-BOYS

        Apporte-moy ma besaguë

        Et mon marteau, que je martelle !

                        CASSE-TUILLEAU

        Elle est belle, vostre truelle :

        Je l’ay de nouveau esclarcie97.

                        GASTE-BOYS

145  Que j’aye ma moyenne congnie !

        Entens-tu, hay, maistre Accippé98 ?

                        PILLE-MORTIER

        Le mortier ? Je l’ay bien trempé :

        Il est aussi mollet que laine.

.

                        CHUS                                                         SCÈNE  VII

        Nembroth, nostre grand capitaine,

150  Mes gens sont quasi affolléz99 :

        Il semble qu’ilz soient désoléz100,

        Et qu(e) ayent perdu l’entendement.

                        NEMBROTH

        Sus ! besongnez incessamment,

        Ouvriers, à tort et à droicture !

                        CASSE-TUILLEAU

155  Çà, du plomb pour la couverture101 !

                        PILLE-MORTIER

        J’ay apporté ung instrument

        Pour commencer le fondement :

        Car il n’a pas faict, qui commence102.

                        JÉTRAN

        Voicy une grande insolence !

160  Maçons, charpentiers, qu’est cecy ?

                        GASTE-BOYS 103

        Orïolla gallaricy,

        Breth gathahat mirlidonnet.

        Juidamag alacro bronet 104 :

        Mildafaronel adaté !

                        NEMBROTH

165  Voyllà nostre ouvrage gasté.

                        CASSE-TUILLEAU

        Quanta, quéso a lamyta105 ?

        La seigneurie la polita.

        Vollé daré le coupe toue106 ?

                        CHANAAN

        Qu’est cecy ? Fault-il qu’on se joue

170  De nous ? Mais d’où vient cest erreur ?

                        CUL-ESVENTÉ

        Bïanath acaste folleur.

        Huidebref, abasténïent.

                        CHUS

        Bref, je ne sçay d’où cecy vient.

        Jamais ne veis tel fantasie.

                        PILLE-MORTIER

175  Rotaplasté a la casie,

        Emy maleth a lacastot.

                        JÉTRAN

        Nous perdons temps icy, Nembroth,

        Car nous povons assez congnoistre

        Que Dieu ne nous veult point permettre

180  Que ceste tour parachevons.

*

1 L’un des Maraux enchesnéz, vagabond professionnel, a aussi pour nom Soudouvrer, de même qu’un des brigands du Mystère de saint Martin, d’André de La Vigne. La chambrière paresseuse de Tout-ménage est surnommée Saudouvray. On signale une « grande Confrarie des Soûlx d’ouvrer et enragéz de rien faire ».   2 D’une façon moins pertinente, le Viel Testament donne aussi ce nom à un bourreau. Dans le Mystère de saint Clément, l’apprenti du charpentier porte aussi un nom ridicule : Col-de-grue.   3 Il entre dans une taverne pour en extirper son valet, qui trône devant une table bien garnie.   4 Le valet ronge un gros os de belin, de mouton. Comme le déplore l’hagiographe du Sermon de sainct Belin, « ung cuisinier plain de grant mal/ En eut le brichet [l’os de la poitrine] et l’espaulle,/ Et les rostist en une gaulle ».   5 Il boit.   6 Voilà le problème. « Eau-e » compte pour 2 syllabes.   7 Il est facile de voir à mon nez rouge que je ne bois jamais d’eau.   8 Un charpentier peut tenir sa besaiguë dans un sens ou dans l’autre, selon qu’il a besoin du ciseau ou du bédane.   9 Sens.   10 Ni le cidre.   11 Serviteur du prévôt Aman. Il a vu Soûl-d’œuvrer s’introduire dans la taverne.   12 Œuvrer. Cf. la tour de Babel, vers 13. Baratha pénètre dans l’obscure taverne et appelle très fort Soûl-d’œuvrer, qu’il ne voit pas.   13 Tes outils de charpentier.   14 Je ne manquerai pas.   15 De toute l’année, je n’ai pas gagné une miette. Cf. la Bouteille, vers 225 et note.   16 Dessous, les imprimés ajoutent en vedette Gasteboys. C’est le nom du charpentier dans l’épisode de la tour de Babel, que je publie à la suite.   17 Baratha et les charpentiers se rendent chez le prévôt. Maudollé n’interviendra plus, mais la construction d’un gibet nécessite au minimum deux ouvriers.   18 Spécifiquement. « Et je serviray par exprès/ Ceste chambèrière joyeuse. » Le Cousturier et son Varlet.   19 Par-dessus tous les autres.   20 Depuis longtemps.   21 Dans cette locution, seul l’adjectif puissant est mixte : « Forte et puissant com ung lyon. » Les Sotz fourréz de malice.   22 Cette question souligne l’ambiguïté de ce que vient de dire Aman : la « poutre » désigne un gros pénis, et « tout outre » veut dire « au travers du corps ».   23 Éd : le  (Aman indique la cour de son palais, devant la fenêtre.)   24 Pour vous la faire spécialement, sur mesure.   25 Les Mystères de la procession de Lille* comportent le même vers dans une scène équivalente, bien que totalement dépourvue d’humour. (*Éd. Alan Knight, Droz, 2004, t. III, p. 429.) Pour une fois, le prévôt ne respecte pas à la lettre les ordres de son épouse : elle réclamait « une bien grant poultre/ De soixante couldées de hault,/ Qui pour ung gibet assez vault ».   26 Éd : Et  (Dans quel style ?)   27 Les charpentiers s’en vont. Dessous, les imprimés répètent la rubrique Aman.   28 Se balancer « puis çà, puis là, comme le vent varie ». Villon, Ballade des pendus.   29 Éd : me  (Sans que je ne vienne m’habiller devant cette fenêtre.)   30 Tout est fait. La potence est installée dans la cour du prévôt.   31 Poteau.   32 Pendu.   33 Il ne risque pas de tomber.   34 Sinon par la faute de celui qui aura tressé une mauvaise corde.   35 Aman est condamné à être pendu chez lui, à son propre gibet. Son serviteur court avertir Zarès, l’épouse du prévôt, qu’elle doit s’enfuir ; cette femme étant a priori une ancienne prostituée, leur conversation a des relents d’argot.   36 Fuir (argot). Idem vers 93. Cf. le Mince de quaire, vers 151 et 259.   37 Trompé.   38 Es-tu sûr de ce que tu dis ?   39 Dans ce palais où nous sommes.   40 Prendre l’or et décamper. Idem vers 93. Cf. les Frans-archiers qui vont à Naples, vers 126.   41 Sûr. Zarès commence à remplir ses poches et celles du serviteur, avec qui elle compte s’enfuir.   42 De soudoyer les gardes. Cf. Marchebeau et Galop, vers 10, 140, 217, 303.   43 Emportez peu de choses difficiles à écouler.   44 Si vous pouvez. « Vous souvienne aussi/ Vous repentir, et de ne laisser rien,/ Que vous puissiez. » Le Plaisant boutehors d’oysiveté.   45 Fuyez au loin, déguerpissez ! « Brouez au large, et vous esquarrissez ! » Villon, Ballades en jargon, 8.   46 De prendre la porte, de partir.   47 Tu dois finir, mourir.   48 J’utilise encore l’imprimé de Jehan Réal, celui de Pierre Le Dru, et celui de Trepperel. Le passage que je reproduis s’intitule De la tour Babel.   49 Les tuileaux sont des briques en argile cuite : « Il nous fault faire des tuilleaux/ Que par feu désormais cuyrons :/ Par ce point, les endursirons. » (Viel Testament.)  Pour plus de clarté, je sépare avec un tiret les noms composés.   50 Qui gâte le bois qu’on lui confie. « Gaste-plastre, Gaste-bois, Gaste-cuirs : se dit des compagnons ignorans qui gastent les matières qu’ils employent. » Furetière.   51 On s’attendrait à ce que le manœuvre des maîtres compagnons fabrique du mortier, mélange de sable et de chaux délayés dans l’eau. Mais pas du tout : d’après son nom, il pile des ingrédients dans un mortier pour faire de la sauce. Rabelais donna ce patronyme à un cuisinier : « Grasboyau, Pillemortier, Leschevin. » (Quart Livre, 40.) Il fut suivi par Bruscambille : « Monsieur Pillemortier : De la manière de faire tourtes. » (Prologues tant sérieux que facécieux.)   52 Ce couvreur (vers 29) travaille sur le toit : il a donc le cul au vent. Avec moins d’à-propos, la Vengance Nostre Seigneur en fait un soldat ; lui aussi a besoin d’être incité au travail : « Cul-esventé, tu ne faits rien :/ Besongne ! »   53 De bon vin (argot). Cf. le Munyer, vers 12.   54 Il y a.   55 Un bassin assez grand pour le contenir.   56 Chus, Jétran, Chanaan et leur chef Nemrod contestent un abus de pouvoir dont ils sont les victimes innocentes. Leur ancêtre Noé, soûl comme un cochon, fut trouvé par terre, dormant avec le sexe à l’air. Cela provoqua l’hilarité de son fils Cham. Contre toute logique, l’obscène poivrot crut devoir punir la future descendance de Cham : elle fut maudite et réduite en esclavage, alors qu’elle n’était pour rien dans les bouffonneries du nouveau Silène. Bref, les quatre victimes de cette injustice approuvée par Dieu veulent bâtir une tour qui monte jusqu’au ciel.   57 Avec nous. Cf. l’Homme à mes pois, vers 407. Cette locution adverbiale est originaire de Picardie : René DEBRIE, Glossaire du moyen picard, p. 329.   58 À notre but. Cf. Chagrinas, vers 350.   59 Nous ne feignons pas de travailler.   60 En leur sujétion : à leurs ordres. Cf. Folconduit, vers 70.   61 Qu’on lui exécute vite.   62 Dont il va tracer le plan.   63 Rien à.   64 Pour peu que nous soyons dirigés.   65 Éd : que  (Nous ne nous montrons pas novices.)   66 Le plan.   67 Construire.   68 Qu’avant qu’elle ne soit achevée.   69 Nous allons nous mettre au travail.   70 Nemrod est un peu détraqué.   71 Est difficile à aborder.   72 Les gens comme nous ne font pas crédit.   73 Il faut faire diligence. Idem vers 87.   74 Ce mot était parfois féminin. « C’est une ouvraige si bien faicte. » Viel Testament.   75 Payés.   76 Il me tarde de la voir commencée.   77 Si on veut en venir à bout.   78 Je vais.   79 Je porte déjà la hache de Gâte-bois sur mon épaule.   80 Délaye du plâtre dans beaucoup d’eau. Les vers 101-108 constituent un triolet.   81 La moitié d’une auge. Cette partie du Viel Testament fut composée par un Picard ; on prononce donc « augie », qui rime avec cognie et diablerie.   82 Du merrain, du bois de charpente.   83 Le plâtre doit-il être bien délayé ?   84 Assez ferme pour que je puisse le jeter à la volée avec ma truelle.   85 Ma cognée, ma hache. Prononciation picarde.   86 Les comédiens hissent sur des montants une fausse tour en toile, comme ceux de la Vengance Nostre Seigneur : « Ilz lèvent icy une tourelle faicte de toille. »   87 Une véritable. « Pas ne ressemblent les [aux] maçons,/ Que servir fault à si grant peine. » Villon.   88 Quand il a les moyens de travailler à son compte. Allusion méprisante au fait que Pile-mortier n’a pas de tels moyens.   89 Le travail qui a déjà été fait. La chambrière paresseuse de Tout-ménage a pour nom Besongne-faicte.   90 Dieu tremble pour ses privilèges ; afin de saboter l’ouvrage des humains, il décide que « charpentiers, maçons,/ En soixante-et-douze façons/ Parleront, et nul n’entendra/ Ce que son compaignon vouldra ».   91 Forme picarde de « encore ». Voir Debrie, Glossaire du moyen picard, p. 165. « Encoire viendra ung déluge (…),/ Par quoy fault faire une tour haulte. » Viel Testament.   92 Votre doloire [hache]. C’est un mot picard : Debrie, p. 153.   93 Il tend une bouteille de vin à Gâte-bois. « C’est du meilleur que je beuz oncques. » Le Gentil homme et Naudet.   94 Éd : quauons  (Prenez ces tuiles.)   95 Clou servant à fixer l’ardoise sur les lattes d’un toit. « Clou à latte pour empléer en la couverture de la pierre ardaise sur troys maisons. » ATILF.   96 Une poutre équarrie qui supporte les lattes et l’ardoise du toit. Il vaut mieux qu’elle ne soit pas pourrie !   97 Je l’ai récemment éclaircie, fourbie.   98 Terme d’injure qui vise les faux savants. « Dictes-vous vray, maistre Accipé ? » (Dyalogue pour jeunes enfans.) « Quel maistre Accipé/ Vécy ! » (Le Capitaine Mal-en-point.) La transcription de Rothschild* est à revoir, et son vers 37200 doit se lire ainsi : « Tenez, tenez, maistre Accipé ! »  *Le Mistére du Viel Testament, t. I, 1878, p. 270. De même, la transcription de la Vie de sainct Didier par J. Carnandet est fautive p. 347, où le ms. porte : « Maistre Accipé de Barbarie,/ Docteur en choppinacion [en soûlerie]. »   99 Devenus fous.   100 Égarés.   101 Pour calfater le toit.   102 Il n’a pas fini, celui qui commence. Les fondements de la tour ont précédé sa construction (vers 60).   103 Le gag de la langue inconnue plaisait aux acteurs : pour s’en convaincre, il suffit d’écouter le Pèlerin de Colin filz de Thévot (vers 245-294).   104 Éd : brouet  (La rime est en -onet. Le « n » à l’envers est la faute d’impression la plus fréquente.)   105 Emanuele ARIOLI vient de publier une étude d’un extrême intérêt : La Tour de Babel dans le théâtre de la fin du Moyen Âge : le Mystère du Vieil Testament. Le médiéviste franco-italien propose de lire ici : Quanta, che so alla metà ? « Pourrait-on comprendre le premier vers comme ‟Combien, car je suis à la moitié” ? Il pourrait se référer à la tour inachevée ou alors à l’auge à moitié pleine (‟Une demye augee”). Pourrait-on entendre le deuxième vers comme ‟Votre seigneurie l’a nettoyée” (‟l’ha pulita” en italien) ? Il pourrait faire allusion à la ‟truelle.. / de nouveau esclarcie”. Dans le troisième vers, ‟volle dare” signifie ‟voulut donner” : faut-il entendre ‟A-t-il voulu rejeter la faute sur toi” ? »   106 En latin, volo dare = je veux donner. Culpā tuā = par ta faute.

LE FOSSOIEUR ET SON VARLET

Bibliothèque nationale de France

Bibliothèque nationale de France

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LE  FOSSOIEUR

ET  SON  VARLET

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Quand on évoque les différentes sortes d’humour qui animent le théâtre médiéval, on oublie toujours l’humour noir. Les danses macabres doivent pourtant beaucoup aux farces et aux Mystères. Voici les extraits les plus « gore » d’une scène de cimetière que nous détaille avec complaisance le Mistère du Viel Testament.

Un fossoyeur et son valet se livrent une concurrence particulièrement cynique. Plus loin, nous verrons la concurrence non moins éhontée que se livrent, dans ce même Mystère, un bourreau et son valet qui n’ont rien à envier au fameux Daru, le bourreau des Actes des Apostres.

Sources : Le passage que je conserve s’intitule « Du débat du Fossoieur et de son Varlet ». Je prends pour base le Très excellent & sainct Mystère du Viel Testament, imprimé par Jehan Réal en 1542 ; il reproduit — avec moins de fautes — le Mistère du Viel Testament par personnages, imprimé par Pierre Le Dru vers 1500. L’édition Trepperel, parue vers 1520, propose quelques corrections utiles.

Structure : Rimes abab/bcbc, rimes plates.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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Du débat du Fossoieur

et de son Varlet

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                        LE  FOSSOIEUR                                         SCÈNE  I

        Mon pic s(e) enrouille1, et si, se gaste ;

        Et ma pelle est toute moysie.

        De besongne[r] n’ay point de haste.

        Mes varletz2 !

                        LE  VARLET  DU  FOSSOIEUR

                                  Le cul me frémie3 !

                        LE  FOSSOIEUR

5      Cuydez-vous comme il s’en soucye ?

        Viendras-tu ?

                        LE  VARLET

                                Bénédicité !

        Ma besongne est piéçà basie4 :

        Besongner n’est nécessité.

                        LE  FOSSOIEUR

        Du temps de la mortalité,

10    Ma bourse d’argent estoit grosse5.

                        LE  VARLET

        Et ! aussi, c’est abilité6,

        Maistre, de bien faire une fosse…

                        LE  FOSSOIEUR

        Où est le temps que Mort escosse7

        Grans et petis, jeunes et vieulx,

15    Aussi drus comme pois en cosse ?

        On s’en cource8, et j’en suis joyeulx.

                        LE  VARLET

        Bref, mon maistre est aussi piteux9

        Comme ung chien mastin enragé :

        Il les enterre deux et deux10.

                        LE  FOSSOIEUR

20    Aussi, c’est le plus abrégé11.

                        LE  VARLET

        Je vouldroye qu’à mort fust jugé12,

        Et qu(e) une fosse je luy feisse :

        Il seroit bien avant13 plongé,

        Affin que j’eusse son office14.

                        LE  FOSSOIEUR

25    Tu es encore trop novice

        Pour si grande charge entreprendre.

                        LE  VARLET

        Pourquoy ?

                        LE  FOSSOIEUR

                              Tu n’as pas la notice15

        Du fosso[y]aige, [à] bien comprendre16.

                        LE  VARLET

        Vray(e)ment, il est fort17 à apprendre !

30    Mon maistre, vous luy baillez belle18.

        Il ne fault seullement que prendre

        Une houe, ung pic, une pelle,

        Et puis bêcher.

                        LE  FOSSOIEUR

                                   La chose est telle.

        Toutesfois, il y a moyen

35    De la faire à façon nouvelle19.

                        LE  VARLET

        Il ne m’en fault apprendre rien20 :

        Quant c’est ung grant homme de bien,

        Il le fault bouter plus avant21

        Q’ung povre homme.

                        LE  FOSSOIEUR

                                            Tu l’entens bien.

                        LE  VARLET

40    Je suis ung maistre poursuyvant22.

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                        LE  SECOND  PARENT 23                        SCÈNE  II

        Nostre maistre, Dieu vous avant24 !

                        LE  FOSSOIEUR

        Et vous aussi !

                        LE  VARLET

                                   Que dictes-vous25 ?

                        LE  FOSSOIEUR

        Tays-toy, ou tu auras des coups !

        De quoy dyable te mesle-tu ?

45    C’est ung26 garson le plus testu

        Que je veis oncques !

                        LE  SECOND  PARENT

                                             Ne vous chaille…

                        LE  VARLET

        Se nous avons rien27 qui vous faille,

        Ne l’espargnez point.

                        LE  FOSSOIEUR

                                             Se je metz

        La main sur toy, je te prometz

50    Q’une bigne28 y viendra, bien grosse !

                        LE  SECOND  PARENT

        Je viens commander une fosse ;

        Dépescher se fault de la faire.

                        LE  VARLET

        De quel aage29

                        LE  FOSSOIEUR

                                      Te sçais-tu taire ?

                        LE  VARLET

        Il fault bien sçavoir la grandeur,

55    La largeur et la profondeur.

        Car à faire « pourpointz sans manches30 »,

        Besongnons festes et dimanches ;

        Et jamais ne sommes repris31.

        Il ne fault point parler du pris32.

60    J(e) y besongne d’entendement33.

                        LE  FOSSOIEUR

        Et ! de quel aage, voirement,

        Est cest homme ?

                        LE  SECOND  PARENT34

                                       De soixante ans.

                        LE  VARLET

        Je m’en voys35 donc chausser mes gans

        Pour besongner à forte main.

65    C’est follie d’attendre à demain

        Ce qu’aujourd’huy on peult bien faire.

                        LE  SECOND  PARENT

        Dépeschez-vous tost de la faire !

                        LE  FOSSOIEUR

        N’en parlez plus : j’en suis records36.

                        LE  SECOND  PARENT

        Après, venez quérir le corps.

70    Et puis on vous contentera37.

                        LE  FOSSOIEUR

        Si bien on y besongnera

        Que vous en serez tous contens.38

.

                        LE  VARLET                                                SCÈNE  III

        Mon maistre !

                        LE  FOSSOIEUR

                                Quoy ?

                        LE  VARLET

                                              Voicy bon temps !

        S’il en mouroit tous les jours quatre,

75    Nous nous [sç]aurions [plus] bel esbatre39

        Et boire tousjours du meilleur.

                        LE  FOSSOYEUR

        Depuis que je suis fossoieur,

        J’en ay enfouy plus de mille.

        Besongne ! Feras40, malabille ?

80    Tenez : il semble qu’il n’y touche41.

                        LE  VARLET

        Attendez ung peu, je me mouche.

        Vous estes mallement42 hastif !

                        LE  FOSSOIEUR

        Il n’est pas temps d’estre tardif :

        Quant l’aquest43 vient, il le fault prendre.

85    Et si, ne fault rien entreprendre

        Qu’on n’en vienne44 à son grant honneur.

        …………………………………. 45

                        LE  VARLET

        Voicy une fosse jolye.

        Se vous estiez mort, mon [doulx] maistre,

        El seroit bonne pour vous mettre :

90    C’est droictement46 vostre mesure.

                        LE  FOSSOIEUR

        Par ma foy, varlet, je n’ay cure

        D’y estre logé !

                        LE  VARLET

                                    Par raison,

        Si aurez-vous une maison

        De cinq47 piedz de long, une foys.

                        LE  FOSSOIEUR

95    Vien-t’en avec moy !

                        LE  VARLET

                                           Bien j(e) y vois ;

        Allez devant, je vous suyvray.

.

        …………………………… 48.                                              SCÈNE  IV

                        LE  FOSSOIEUR

        Seigneur, la fosse est préparée.

        Le corps mort quérir nous venons

        À celle fin que l’enterrons,

100  Ainsi qu’on a acoustumé.

                        LE  TIERS  FILZ

        Raison veult qu’il soit inhumé.

        …………………………… 49

                        LE  SECOND  FILZ

        Qu’il soit bouté en sa tesnière50 !

                        LE  FOSSOIEUR

        Soustien devant !

                        LE  VARLET

                                       Prenez derrière !

                        LE  FOSSOIEUR

        Hardy !

                        LE  VARLET

                       Là, là !

                        Ilz le mettent en la fosse.

                        LE  PREMIER  FILZ

                                     Qu’il soit couvert51 !

105  Dépesche-toy, hay, mal apert52 !

        La pueur53 me vient jà au nez.

                        LE  VARLET

        Mon maistre !

                        LE  FOSSOIEUR

                                 Que veulx-tu ?

                        LE  VARLET

                                                          Prenez

        Ceste pelle, dépeschez-vous,

        Et le couvrez !

        …………………………..

                        LE  FOSSOIEUR

110  Est-il enterré proprement ?

        Il n’a garde de revenir54.

                        LE  PREMIER  FILZ

        Nous ne voulons pas retenir

        Ta vacation55 ne ta peine :

        Voylà pour toy !

                        LE  FOSSOIEUR

                                    Trèsbonne estraine56

115  Vous vueille envoyer le grant Dieu !

                        LE  VARLET

        Vuydons, vuydons hors de ce lieu57 !

.

        Argent avez, c’est le plus fort.                                         SCÈNE  V

        Allons boire nous deux d’accord,

        Car j’ay l’estomac tout haslé58.

                        LE  FOSSOIEUR

120  Tantost y aura bien hallé59,

        Mais que nous soyons sur le banc60.

        De l’argent de61 nostre escot franc

        Nous demourra, mon valetton.

.

        …………………………… 62                                               SCÈNE  VI

                        LE  PREMIER  PARENT

        Où estes-vous ? Hay, Malhabille63 !

                        LE  VARLET

125  Mon maistre, voicy du gaignage64

        Qui nous vient.

                        LE  FOSSOYEUR

                                    Que la malle raige

        Te puisse happer par les dens65 !

                        LE  SECOND  PARENT

        Qui est céans ?

                        LE  VARLET

                                   Entrez dedans !

        Il n’y a que moy et mon maistre.

                        LE  FOSSOYEUR

130  Qu’esse qu’il y a ?

                        LE  PREMIER  PARENT

                                       Il fault mettre

        — Sur la peine66 d’amande grosse —

        Cest homme mort hors de la fosse,

        Et le porter devant le Roy.

                        LE  FOSSOYEUR

        Le déterrer ? Cause pourquoy67 ?

135  Vous vous mocquez !

                        LE  SECOND  PARENT

                                            Sauf vostre grâce

        — Car il est force qu’il se face68 —,

        Bien et beau69 le déterrerez.

        Soubz son arbre70 le porterez,

        En vous payant71 de vostre peine.

.

                        LE  FOSSOYEUR                                       SCÈNE  VII

140  Sus ! dépesche-toy, traîne gaine72 !

        Il fault besongner ric-à-ric73.

                        LE  VARLET

        Prenez la pelle ; j’ay le pic.

        Et regardez se je m’y fains74.

                        LE  FOSSOYEUR

        Besongne ! Hay, comme tu jains75 !

145  Est-il pansu, est-il enflé !

        Voyez comme il est boursouflé !

        Que fais-tu ?

                        LE  VARLET

                               J’estouppe mon nez76.

                        LE  FOSSOYEUR

        Et ! prenez-le par là, prenez !

        Paillart, vous ne sçaurez jà rien ?

                        LE  VARLET

150  Il suffit, puisque je le tien.

                        LE  FOSSOYEUR

        Soustien fort !

                        LE  VARLET

                                  Aussi fais-je pas ?

                        LE  PREMIER  PARENT

        Or, cheminons tout le beau pas77

        Pour faire le vouloir du Roy !

.

        …………………………… 78                                               SCÈNE  VIII

                        SALOMON

        Or sus ! faictes-le transporter

155  Au pied de l’arbre, entendez-vous ?

        Metez-le debout devant nous !

        Puis après, jugement ferons.

                        LE  FOSSOYEUR

        Vostre vouloir accomplirons,

        [Il n’en fault point prendre d’ennuy.]79

160  Dresse !

                        LE  VARLET

                       Haussez !

                        LE  FOSSOYEUR

                                         Tien bien !

                        LE  VARLET

                                                            À luy !

        À grant-peine le remuons.

                        LE  FOSSOYEUR

        Est-il pas bien ?

                        LE  VARLET

                                     Or, le lyons,

        À celle fin qu’il se tienne mieulx.

        Mais je suis mélencolieux

165  Que c’est que80 le Roy en veult faire.

                        LE  FOSSOYEUR

        Beau sire, pense à ton affaire !

        Le voylà ainsi qu’il doit estre.

                        LE  VARLET

        C’est mon81. Vray(e)ment, vous estes maistre :

        Ouvré avez d’entendement82.

.

        …………………………. 83                                                SCÈNE  IX

                        SALOMON

170  Gallans, devant84 qu’il soit plus tart,

        Allez le corps sépulturer !

                        LE  VARLET

        Sire, l’irons-nous enterrer ?

                        SALOMON

        Allez le remettre en son lieu !

                        LE  FOSSOYEUR

        Nous y allons. Çà, de par Dieu !

175  Mais voirement, qui me payera ?

                        LE  PREMIER  PARENT

        Trèsbien on vous contentera.

                        LE  VARLET

        Qu’on ne nous tienne point sur fons85 !

                        LE  PREMIER  PARENT

        Nenny non, je vous en respons.

        Allez l’enterrer tout batant86,

180  Et puis je vous payray content.

                        LE  FOSSOYEUR

        Il suffit, je n’en parle plus.

*

.

.

GOURNAY

ET  MICET 87

*

                        ATACH 88                                                      SCÈNE  I

        Gournay, estes-vous cy dedans ?

                        GOURNAY,  bourreau.

        Ouy. Qui est là ?

                        ATACH

                                      [C’est moy,] Atach.

                        GOURNAY

        Et que te fault-il ? Ung vieil sac

        Pour te getter en la rivière89 ?

                        ATACH

5      Que fais-tu, Gournay ?

                        GOURNAY

                                               Quoy ? Grant chère

        Avecques mon varlet Micet.

                        MICET,  varlet du bourreau.

        Vien boire avec nous, s’il te plaist ;

        Et fais, comme nous, ton devoir.

                        ATACH

        Pas n’ay soif mais, à dire voir90,

10    Content suis de boire une fois.

                        GOURNAY

        Par noz dieux, tu es bon galloys91 !

        Or, tien franc, Atach, et à tâche92 !

                        ATACH

        Voulentiers.

                        MICET

                              Il a fait sa tâche93.

        Ha, a ! quel avalleur94 de vins !

                        GOURNAY

15    Çà ! qu’i a-il, à toutes fins ?

                        ATACH

        Voulez-vous que le cas desqueuvre95 ?

        Gournay, il fault faire ung chief-d’euvre96.

                        GOURNAY

        Et comment ? Quoy ? Je te supplie !

                        ATACH

        Aller fault à la « torterie97 »,

20    C’est-à-dire au jolly gibbet.

                        MICET

        Ha, ha !

                        GOURNAY

                        Y a-il point d’aquest98 ?

        Ne le nous vueille point celer !

                        ATACH

        Or çà ! que voulez-vous donner ?

        Et je vous en diray la fin.

                        GOURNAY

25    Point ne fault de cela doubter :

        Tu en auras quelque loppin.

                        MICET

        Qui, Atach ? A ! il est si fin

        Pour vif bailler ung coup de pelle99 !

        Où il a sellé son Martin100,

30    Il en apporte ou pied, ou elle101.

                        ATACH

        Gournay !

                        GOURNAY

                          Atach ?

                        ATACH

                                        La chose est telle

        Que deux hommes il vous fault pendre

        [Sans] séjour102. N’y fault plus attendre.

        Venez par-devers le prévost103 !

.

                        GOURNAY                                                     SCÈNE  II

35    Nous avons gaigné nostre escot104.

        Dépesche-toy ! Fais-tu le fol ?

                        MICET

        Et ! je ne pourroye plus tost105,

        Se je ne me rompoye le col.

                        GOURNAY

        Garde d(e) oublier ung licol106 !

40    Il en fault bien estre songneux.

                        MICET

        De moy jouez au capifol107 ?

        Dea ! mon maistre, sont-ce beaulx jeux ?

                        GOURNAY

        Pourquoy ?

                        MICET

                             Vous sçavez qu’il[z] sont deux.

                        GOURNAY

        Ha ! que tu es ung rouge gueux108

45    Et ung fin [hoste, ce]109 me semble !

                        MICET

        Les pendrez-vous tous deux ensemble,

        Mon maistre Gournay, d’une corde110 ?

        Il me plaist trèsbien, je l’accorde,

        Se faire le voulez ainsi.

                        GOURNAY

50    Micet, vostre bonne mercy111,

        Qui si bien d’accord voulez estre

        Que de donner congé au maistre.

        Et ! vous n’estes que le varlet.

        Micet !

                        MICET

                       Gournay ?

                        GOURNAY

                                          Tost au gibet !

55    Il ne nous fault plus cy targier112.

.

                        MICET

        Maistre, vous irez le premier ;

        Et puis après, vostre varlet.

        L’honneur humerez113, s’il vous plaist.

        Quant à ce cas seigneurïeux114,

60    S’il nous115 y fault aller tous deux,

        J’en suis d’accord : car, il me semble,

        Si belle perte n’est, que ensemble116.

.

                        ATACH 117                                                     SCÈNE  III

        Dépeschez-vous !

.

                        GOURNAY                                                     SCÈNE  IV

                                     Je vois Atach.

        Micet !

                        MICET

                      Gournay ?

                        GOURNAY

                                         As-tu le sac ?

                        MICET

65    Nenny, je n’ay que la besace.

                        GOURNAY

        Noz dieux te donnent malle grâce118 !

                        MICET

        À vous je suis prest d(e) obéyr.

                        GOURNAY

        Or te garde bien de faillir

        D(e) oublier les cordes, Micet !

                        MICET

70    Ne m’en souvenoit, sans mentir ;

        Je ne portoye que du fouet.

                        GOURNAY

        Que tu es ung fin mitouflet119 !

                        MICET

        Mais vous me raillez en tous temps,

        Gournay.

                        GOURNAY

                         N(e) oublie point mes gans :

75    Tu sçais bien qu’ilz sont nécessaires.

                        MICET

        Mon maistre, il [vous] en fault deux paires :

        Et ! ne pendez-vous pas deux hommes ?

                        GOURNAY

        Cecy120 ! Je ne sçay où nous sommes !

        Tu me veulx, ce croy, faire paistre121 ?

80    Allons légièrement122 !

                        MICET

                                               [Mon] maistre,

        Rien seulement qu’une demande,

        Voire bien honneste.

                        GOURNAY

                                           Demande !

                        MICET

        L’accordez-vous ?

                        GOURNAY

                                       Content en suis123.

                        MICET

        Je vous requiers tant que je puis,

85    Par ma loy124 !

                        GOURNAY

                                   Que de preschement !

        À coup dis125 !

                        MICET

                                  Hélas, Gournay !

                        GOURNAY

                                                             Quoy126 ?

                        MICET

        Ha, [ha], mon maistre !

                        GOURNAY

                                               Seurement

        Demande tost, je te l’octroy.

        Mais…

                        MICET

                     Mais quoy ?

                        GOURNAY

                                          Porte-moy honneur127.

                        MICET

90    Comment diray-je ?

                        GOURNAY

                                           « Monseigneur. »

        Et tu auras…

                        MICET

                               Quoy ?

                        GOURNAY

                                            Une belle office128.

                        MICET

        Hélas !

                        GOURNAY

                     Bien tost129 !

                        MICET

                                            Et ! que je feisse…

                        GOURNAY

        Sus !

                        MICET

                 Vous  m’escondirez.

                        GOURNAY

                                                  Non feray.

        Hardiment !

                        MICET

                             Haa !

                        GOURNAY

                                       Que tu es nice130 !

95    Demande tost, je le t’octroy.

                        MICET

        Par ma loy131 ! vous m’escondiriez.

                        GOURNAY

        Non feray, non.

                        MICET

                                    [Et !] si feriez.

                        GOURNAY

        Et ! non feray, de par le dyable !

        La requeste ?

                        MICET

                                Elle est raisonnable.

100  Héé, héé !

                        GOURNAY

                           Je me cour[rou]ceray.

                        MICET

        Par tous noz dieux !

                        GOURNAY

                                          Est-elle notable ?

        Demande tost, je le t’octroy.

                        MICET

        Hé ! me vouldriez-vous escondire ?

                        GOURNAY

        Ce follastre-cy132 me fait rire.

                        MICET

105  M(e) octroyez-vous donc ma demande ?

                        GOURNAY

        Dépesche-toy, à coup demande !

        Je suis icy tout ennuyé.

                        MICET

        Ou au gibet soyez lié !

                        GOURNAY

        Tu me tennes133, à dire voir.

                        MICET

110  Ou qu’il vous134 puist du corps mescheoir !

                        GOURNAY

        Se je te prens, je me fais fort…

                        MICET

        Ou que le dyable vous emport !

                        GOURNAY

        Par noz dieux, ce coquart est fol !

                        MICET

        Ou qu’on vous puist rompre le col !

                        GOURNAY

115  Je suis icy tout tempesté.

                        MICET

        Ou que jamais n’ayez santé !

                        GOURNAY

        Ce follastre est en ses fumées135.

                        MICET

        Ou qu(e) unze mille charretées

        De dyables, aussi de dyablesses,

120  Se vous ne tenez voz promesses,

        Vous emportent136 et corps et âme !

                        GOURNAY

        Et va, va, va, paillart infâme !

        Encor ne t’ay-je rien promis.

                        MICET

        Je vous requier tant que je puis,137

125  À joinctes mains et à genoux,

        Affin que j’apprengne de vous,

        Que l’ung en pendez, et moy l’autre.

                        GOURNAY

        Que tu y feroys ung beau peaultre138 !

        Tays-toy, tays, pas ne sommes là139 !

                        MICET

130  A, dea ! Je dis, quant là viendra,

        Que j’apprengne vostre labeur140.

                        GOURNAY

        Et ! bien, bien, on y pensera,

        Pour veoir qui sera le meilleur.

.

        …………………………. 141                                               SCÈNE  V

                        GOURNAY

        Sire, je les vois dépescher142.

135  Micet !

                        MICET

                     Gournay ?

                        GOURNAY

                                        Sans tant prescher,

        Monte en hault veoir s’il y fault rien143 ;

        Et regarde se tout est bien,

        Tandis que les appointeray144.

                        MICET

        J(e) y voys. Au moins, j’e[n] apprendray

140  Petit à petit le mestier.

        Ceste eschelle si eust mestier145

        D’avoir de plus fors eschellons ;

        Car quant telz happars eschellons146,

        Il y chiet147 ung trèsgrant dangier.

                        GOURNAY

145  Dépesche-toy ! Tant langagier !

        Dieu te met148 en fièvres quartaines !

                        MICET

        Maistre, pour vous, voicy des chaînes

        Qui sont seurement149 enchaînées.

        …………………………… 150

        Maistre, je vous prie

150  En tant151 que je vous puis prier,

        Que vous me laissez dépescher

        Cest homme-cy de bonne tire152.

                        GOURNAY

        Et va, [va], paillart, va !

                        MICET

                                               Beau sire !

                        GOURNAY

        Tu ne t’y congnoys nullement.

                        MICET

155  Je vous prie si humblement !

                        GOURNAY

        Mais regardez ce coquibus153 !

                        MICET

        Jamais ne vous requerray plus154.

                        GOURNAY

        Que dyable ! tu ne t’y congnois.

                        MICET

        Tant seulement pour ceste fois !

160  Au moins, quant de vous j’apprendray,

        Après vostre mort, je diray

        Que je tiens de vous le mestier.

        Au besoing, s’il estoit mestier155

        — Dont noz dieux vous vueillent garder ! —,

165  Je vous feroye deffiner156

        La vie tout doulx en ce gibet.

        Que je le pende, s’il vous plaist !

        Ne faictes point tant de fatras !

                        GOURNAY

        Çà ! je verray que157 tu feras

170  Pour ung homme158, ne plus ne moins.

                        MICET

        Premier, il fault lyer les mains ;

        Cela, ce n’est pas de nouveau159.

                        GOURNAY

        Va, va, va, va, paillart bourreau !

        Va, va, tu ne sçais que tu fais !

175  Je te donray tant de souffletz

        Que je te rompray le museau.

                        MICET

        Ha ! il ne tient [qu’à ung]160 noyau.

        (Que maudis soient les fouëtz !)

                        GOURNAY

        Et va, va, va, paillart bourreau !

180  Va, va, tu ne sçais que tu fais !

                        MICET 161

        Fais-je bien ?

                        GOURNAY

                                A, que tu es veau !

                        MICET

        N’ay-je pas bien serré les traitz162 ?

                        GOURNAY

        Nenny non, ilz sont trop estroictz163.

                        MICET

        Il fault les rongner d’ung cousteau.

                        GOURNAY

185  Va, va, va, va, paillart bourreau !

        Va, va, tu ne sçais que tu fais !

        Je te donray tant de souffletz

        Que je te rompray le museau.

                        MICET

        Par noz dieux ! il164 est bien et beau,

190  Et mieulx que ne le sçauriez faire.

                        GOURNAY

        Va, va, je te feray bien taire !

        Mais me cuyde-tu faire paistre ?

                        MICET

        Voylà de quoy : puisqu’il est maistre,

        Il n’en fera qu(e) à son plaisir.

        ………………………….. 165

.

                        GOURNAY

195  Micet !

                        MICET

                      Gournay ?

                        GOURNAY

                                        Liève166 mes gans !

        Fièvres te puissent espouser167 !

                        MICET

        Pour vous je les vouldray[s] garder :

        On ne sçait de quel tuille on queuvre168.

        Ou, quant je feray mon chef-d’euvre169,

200  Ilz me viendront trèsbien à goust170.

                        GOURNAY

        Micet !

                        MICET

                     Gournay ?

                        GOURNAY

                                        Or, serre tout171

        Et allons boire ! C’est la somme172.

                        MICET

        Gournay, vous estes trèsbon homme.

        Aussi est faicte la journée.

.

        …………………………….. 173                                          SCÈNE  VI

                        GOURNAY

205  [Hau], Micet ! Hau, Micet !

                        MICET

                                                      Gournay ?

                        GOURNAY

        Il faulsist174 ces meschans despendre.

                        MICET

        Je suis tout fin prest d’y entendre175.

        Iray-je ?

                        GOURNAY

                         Ouy, mais va bien tost

        Demander congé176 au prévost :

210  Car sans congé, je n’oseroye.

                        MICET

        Par mon serment, j’en ay grant joye !

        Et n’y sçavez-vous autre chose ?

                        GOURNAY

        Pourquoy, Micet ?

                        MICET

                                        Je présuppose

        Que j’en viendray à mon attainte177.

                        GOURNAY

215  Par quel moyen ?

                        MICET

                                       Par une fainte :

        Par ung beau joncher178 évident,

        Luy diray que chascun passant

        Se complaignent de ces pendus.

        Quant mes cas aura entendus,

220  En tant qu’ilz sont du chemin près,

        [J’en auray]179 (ne vous souciez)

        Incontinent le mandement180.

        G’y voys.

                        GOURNAY

                         À coup !

                        MICET

                                          Premièrement,

        Mon maistre Gournay, tu m’accordes181

225  Que vous me délivrez les cordes,

        Les fouëtz, et tous les licolz

        Dont ilz sont penduz par les colz.

        Aussi, vous vous donnez au dyable182

        Que vous n’aurez cordes ne châbles183,

230  Car tout cela me sera bon.

                        GOURNAY 184

        Je le vueil bien.

                        MICET

                                     Encor ung don

        Je vous requier, il m’est propice.

                        GOURNAY

        Et quel ?

                        MICET

                         C’est  que je face l’office

        De despendre ces malheureux.

                        GOURNAY

235  Va quérir congé, je le veulx185 !

        J’ay en toy ung trèsbon varlet186 !

                        MICET

        Ho, ho ! J’y voys187.

.

                                           Vive Micet !                                SCÈNE  VII

        Vive Micet ! J’auray honneur :

        Je vois parler à Monsïeur188,

240  Il m’orra189 parler. S’il luy plaist,

        Je luy bailleray d’ung touchet190,

        Ainsi que je l’ay devisé191.

        Micet, tu te es bien advisé.

        Par tous les dieux qui m’ont faict naistre !

245  Je seray, l’autre année192, maistre ;

        J’auray l’office de Gournay.

.

        Cerbérus vous garde d’ennoy193 !                                   SCÈNE  VIII

        Et dame Juno, monsïeur,

        Si vous accroisse vostre honneur !

                        AMAN

250  Micet, qu’i a-il de nouveau ?

                        MICET

        Il n’y a rien que bien et beau.

        Mon maistre, monsïeur, Gournay,

        A entendu (comme je croy),

        Et moy aussi, que les passans

255  Se complaignent que194 ces pendans

        Qui sont penduz à ce gibet

        Sont infectz et puant[z]. De faict,

        S’il vous plaist qu’ilz soient despendus,

        En terre les mettray, tous nudz.

260  S’il vous plaist, congé195 !

                        AMAN

                                                    À comprendre

        Ce que me donnes à entendre,

        Je le vueil bien. Or, va bon erre196 !

        Qu’ilz soient ostéz et mis en terre,

        Et que plus on n’en face frime197.

                        MICET

265  (Par noz dieux ! Gournay198, une mine

        Fera199 longue jusque[s] aux piedz.)

        Monsïeur, à noz dieux soyez !

        Je voys acomplir mon office.

.

        Gournay !                                                                       SCÈNE  IX

                        GOURNAY

                         Micet ?

                        MICET

                                      Quoy ! suis-je nice ?

270  J’ay congé — et n’en parlez plus ! —

        De despendre ces deux pendus

        Qui sont mors à honte villaine.

                        GOURNAY

        Et ! tu as ta fièvre quartaine !

                        MICET 200

        Prenez cela ! Vous m’aiderez,

275  À ce coup, et me servirez.

        Ne voulez-vous pas que j(e) apprengne ?

                        GOURNAY

        Quel follastre !

                        MICET

                                  Se je m’engaigne201

                        GOURNAY

        Que feras-tu ?

                        MICET

                                 J’ay aliance202 :

        M’avez-vous pas donné puissance,

280  Avec le congé du prévost,

        Que hastivement et bien tost

        Soient de par moy despendus ?

        G’y voys bref, et n’en parlons plus.

                        GOURNAY

        Et ! tu feras ton senglant dyable !

                        MICET

285  Sans songer, baillez-moy ung châble203 !

                        GOURNAY 204

        Tu auras ung coup de fouët !

                        MICET

        Que ce neu205 est serré estroit !

        Tirez fort, tirez, qu’il n’eschappe !

                        GOURNAY

        Par le grant dieu ! se je te happe,

290  Il y aura ung grant bissestre206.

                        MICET

        A, je regny207 ! Je seray maistre,

        Quelque chose qu’alliez208 brouillant.

        Il est à terre, le gallant.

        Sus ! à l’autre, qu’il n’y ayt noyse209.

                        GOURNAY

295  Ennuyt sçauras que ma main poise210 !

        Fault-il que serve ce coquin ?

                        MICET

        Ouÿ, vray(e)ment. Je suis bien fin.

                        GOURNAY

        Tu n’entens à demy ton cas211.

                        MICET

        Je suis maistre. Descendez bas

300  Et tirez fort, comment qu’il soit212 !

        Vive le bon maistre Micet,

        Qui est des pendus despendeur !

                        GOURNAY

        Vive Gournay !

                        MICET

                                   J’en ay l’honneur213.

        Sus tost ! il les fault enterrer.

                        GOURNAY

305  Dépesche-toy sans plus tarder !

        Prens cela ! Je te vueil aider :

        Il ne nous fault plus cy baver214.

                        MICET215

        À ce coup, revestu seray216.

.

        …………………………. 217                                               SCÈNE  X

                        ATACH

        Gournay, il te fault labourer218 ;

310  Dépesche-toy bien tost !

                        GOURNAY

                                                 Ha, ha !

        Et qu’i a-il de bon, Atach,

        Ma gracieuse et gente trongne ?

                        ATACH

        O ! il y a grosse besongne.

                        GOURNAY

        Comme quoy ? Dy-le à ung mot.

                        ATACH

315  Il te fault pendre le prévost

        Aman.

                        GOURNAY

                     Haro, que de fredaines !

        Et ! il fait tes fièbvres quartaines !

        Te cuydes-tu railler de moy ?

                        ATACH

        Je te dis tout vray, par ma loy !

320  Ainsi Assuaire le veult.

                        MICET

        Ne nous chault, non. Vienne qui peult219 !

        De ce, ne nous fault entremettre220.

        Mais221 que nous gaignons bien, mon maistre,

        Il souffit bien.

                        GOURNAY

                                  La chose est clère.

325  Par noz dieux ! Fust son propre père222,

        Puisqu(e) ainsi est, il le fault faire.

        Trèstout ce qui est nécessaire,

        Apporte-le en ta besace !

                        MICET

        Gournay, allez saulter en place223 !

330  Cuydez-vous que soye apprentis ?

.

                        GOURNAY 224                                               SCÈNE  XI

        Honneur soit partout !

                        ÉGÉUS 225

                                              Beaux amys,

        Cest homme fault exécuter.

        Il n’y fault point dissimuller :

        Il le convient, propos final.

                        GOURNAY

335  Par ma loy, il m’en fait bien mal !

        Çà, des cordes pour le lier !

                        MICET 226

        De cella ne vous soucïez !

        Manteau227 gaudy, Gournay, tenez :

        Esse assez ?

                        GOURNAY

                               Or me pardonnez

340  Vostre mort, et je vous en prie.

                        AMAN

        Et ! me fault-il perdre la vie

        À mon hostel228 ? Hélas, ouÿ.

        Fortune229 — noz dieux la mauldie ! —,

        Fault-il que je deffine ainsi ?

345  Mardochée, ce gibet-cy

        J’ay fait faire tout neuf pour toy ;

        Hélas ! quel douloureux party :

        J’ay fait faire ung gibet pour moy.

                        GOURNAY 230

        Or montez ! Les dieux de la Loy

350  Dépriez, si ferez science231.

        Mon  seigneur, prenez en pascïence232,

        Vous en mourrez beaucoup plus ayse.

                        AMAN

        Il [le] convient, plaise ou non plaise ;

        Contre je ne puis.

                        GOURNAY

                                        Monseigneur,

355  Se vous avez rien233 sur le cueur,

        Si le dictes tost, pour le mieulx.

        Recommandez-vous à noz dieux,

        Qu’ilz facent de vous leur plaisir.

                        ÉGÉUS

        Gournay, ne le fais point mourir

360  (Entens-tu bien ?) sans congnoissance234.

                        GOURNAY

        Estes-vous à vostre plaisir235 ?

                        ATACH

        (Quel plaisir !)

                        AMAN

                                 Ouy.

                        GOURNAY

                                           N’ayez doubtance236.

                        AMAN

        Promothéus, aye237 bienvueillance !

        Et vous aussi, Deucalïon,

365  Pareillement Démogorgon,

        Où j’ay eu parfaicte fiance238 !

                        GOURNAY

        Noz dieux priez en doléance,

        Qu(e) aux infernaulx soyez propice239.

                        ÉGÉUS

        Il fault faire de la justice

370  Rapport au Roy, j’en ay la charge.240

.

                        GOURNAY

        Micet !

                        MICET

                       Gournay ?

                        GOURNAY

                                         Happe la charge241

        Et entonne ce ront au creux242 !

                        MICET

        Mon maistre, attendez, se tu veulx243.

        Que dyable tu avez grant haste !

375  Nous pierons, en ceste grant mate,

        Gourdement244, voicy chose grosse.

                        GOURNAY

        Or, taillé avons quelque endosse245 ;

        Elle n’est point de juiverie246.

                        MICET

        Gournay, c’est toute [gourde pie]247 :

380  Voicy bon fons pour la pience248.

                        GOURNAY

        Est-il homme de congnoissance

        Où nous le [peussons mettre en plant]249 ?

                        MICET

        Vous soucïez-vous ? Hay avant !

        De ce, point je ne me soucie.

                        GOURNAY

385  Où vas-tu ?

                        MICET

                             À la frèperie250 :

        J(e) y trouveray Martin Marchant251.

        La fourrure en sera gaudie252.

                        GOURNAY

        Où vas-tu ?

                        MICET

                             À la frèperie.

        (Au gibet veulx perdre la vie

390  Se je n’en ay ung grain253 content,

        Gournay, que vous ne sçaurez mie :

        Je ne le vous diray pas, pour tant.)

                        GOURNAY

        Où vas-tu ?

                        MICET

                              À la frèperie :

        G’y trouveray Martin Marchant.

                        GOURNAY

395  À butin254 ?

                        MICET

                               Qui en est doubtant ?

                        GOURNAY

        Revien bien tost !

                        MICET

                                       J(e) y voys de tire255.

                        GOURNAY

        Or va, n’arreste point, beau sire !

        Si yrons croquer ceste pie256.

                        MICET

        À ce, je ne failliray mie :

400  Quant je puis croquer de ce moust257

        Qui me semble de si bon goust,

        Je suis guéry de la pépie258.

.

        Je voys vendre ma marchandie259,                                 SCÈNE  XII

        Et ne seray pas si cosnart260

405  Que je n’en mette ung grain261 à part,

        De quoy Gournay n’en sçaura rien.

        Et au retourner, je sçay bien

        — Ou entré [je] soye en mal an262 —,

        Se j’en ay le georget263 d(e) Aman

410  (Dont ma feulle sera gaudie264)

        Et les tirandes265, sur ma vie,

        Je le feray266, et sans mot dire.

        ………………………… 267

        Il est temps de faire le guet :

        N’y268 a âme entour la Justice ?

415  Je seroye bien tenu pour nice269

        Se je n’avoye le demourant,

        S’il a aux doys quelque brocant270

        Et que de moy soit entendu271.

        Après qu(e) auray trèstout vendu,

420  Gaultier272 en sera souldoyé.

        Aussi, d’autre part, j’ay congé

        D’estre despendeur ceste année.

        Se Gournay sçavoit la traînée273,

        J’auroye de luy ung tour de pelle274.

425  Il fault monter en ceste eschelle

        Et prendre garde au compaignon.

        Ce sera « l’escot du mignon275 ».

        Je croy qu’il [n’]en demourra ung276.

        Ô Aman, comment le commun

430  Tient maintenant de toy son plait277 !

.

                        GOURNAY 278                                              SCÈNE  XIII

        (Mais regardez nostre varlet !

        Fièvres le puissent espouser !

        Ha, ha ! me cuyde-il abuser ?

        J’attendray encor ung tantet279.)

                        MICET

435  Par noz dieux ! ta mort me desplaist,

        Aman. Mais pour venir au point,

        Bien gourt280 me sera ce pourpoint.

        Se Gournay sçavoit ce labour281,

        Il me pourroit jouer d’ung tour.

440  Mais nenny, car la chose est seure.

        Regarder fault, à l’adventure,

        Qu’on ne me voye de quelque part282.

        O nenny !!

                        GOURNAY

                            Héé ! maistre coquart283,

        Me jouez-vous de ce jeu-là ?

445  Sçavez-vous bien faire cela ?

        Quel marchant284 !

                        MICET

                                         Venez-moy ayder !

                        GOURNAY

        Ha, ha !

                        MICET

                        Fault-il tant commander285 ?

        Aydez-moy !

                        GOURNAY

                                 Héé, quel dorellot286 !

                        MICET

        N’ay-je pas congé du prévost ?

450  Si ay. Et vous tenez tout seur

        Que je suis maistre despendeur,

        Et ne vous en courroucez point.

                        GOURNAY

        Voulez-vous avoir le pourpoint ?

        Ha, ha ! quel vaillant serviteur !

455  Par tous noz dieux ! maistre beffleur287,

        Vous venez à la blefflerie288.

        Et ! cuydez-vous, par tromperie,

        Confoncer ceste aumuce gourde289 ?

                        MICET

        Gournay, ne cuydez que me bourde290.

460  Vous sçavez que vous ay servy

        Bien loyaulment jusques icy,

        Tant, que suis maistre despendeur.

        De pendre vous avez l’honneur ;

        Au moins ne puis-je que despendre.

465  Et pour vous donner à entendre,

        Content suis de perdre ma peine291.

                        GOURNAY

        Et ! tu es ta fièvre quartaine !

                        MICET

        Pour vous292 le voulloye despouiller,

        Vrayment. Mais ung tout seul denier

470  Je n’en eusse pris, sans doubtance :

        Car je croy, sur ma conscience,

        Que tout ce qu’il a est à vous.

                        GOURNAY

        Hélas, Micet, que tu es doulx !

        Quel ouvrier, quel amïelleur293 !

                        MICET

475  Je vous dy vray.

                        GOURNAY

                                   Et ! quel seigneur294 !

                        MICET

        Seurement…

                        GOURNAY

                               Je [te] congnois trop.

        Encore en eusses eu295 beaucop,

        Se dessus n’eusse296 mis la poue.

        C’est ung poisson ; mais quoy, il noue297.

480  Ne me jonche298 point ! Quel preudhomme !

                        MICET

        A, dea ! mon maistre, c’est la somme

        Que ce jolly georget299 joyeulx,

        Au vray, appartienne300 à nous deux,

        Et les tirandes301. Sans attendre,

485  Il le302 convient bientost despendre.

        (Souffle303, coquardeau304 ! [Quoy qu’auray]305,

        [Tout en sera bien enfermé]306

        Tant que l’huys en pourra souffrir307.)

        Pour à nostre ayse desvestir

490  Ce corps mort, il le fault despendre.

        Vueillez à ceste eschelle entendre308,

        Et m’aydez tost à l’abréger309.

                        GOURNAY

        Descens, paillart ! Je vueil monter.

                        MICET

        Non ferez, dea, sauf vostre honneur !

495  Se je suis vostre serviteur,

        Si feray-je aujourd’huy le maistre.

                        GOURNAY

        À mau gibet310 te puist-on mettre !

                        MICET

        Maistre, tenez le bout du châble !

                        GOURNAY

        Dépesche-toy, de par le dyable,

500  Qui te puisse rompre le col !

                        MICET

        Se, sera pour vous ce licol311.

        Tirez fort, il est près de terre !…

        Il est bas312.

                        GOURNAY

                                La fièvre te serre !

        Descens tost, il le fault oster313.

                        MICET

505  Vive Micet !

                        GOURNAY

                                Et despouiller

        Il [le] nous convient sans attendre.

                        MICET

        À cela je suis prest d’entendre314.

        Je suis Micet, ce gracïeulx « seigneur315 ».

        Je suis Micet, despendeur bas et hault.

510  Je suis Micet, maistre bourreau d’honneur.

        Je suis Micet, ce gracieulx lourdault.

        Je suis Micet, pour flestrir d’ung fer chault 316.

        Je suis Micet, pour coupper une oreille317.

        Je suis Micet, pour faire ung escharfault 318.

515  Je suis Micet, qui point ne se traveille319.

        Je suis Micet, qui jamais ne sommeille.

        Je suis Micet, bateur sur les carreaulx320.

        Je suis Micet, qui à mal s’appareille321.

        Je suis Micet, le varlet des bourreaulx.

                        GOURNAY

520  Je suis Gournay, ouvrier espécïaulx322.

        Je suis Gournay, à la haulte-œuvre prêt 323.

        Je suis Gournay, qui ay fait maintz assaulx324.

        Je suis Gournay, pour pendre à ung gibet.

        Je suis Gournay, où beffleur[s] vont d’aguet 325.

525  Je suis Gournay, pour coupper une teste.

        Je suis Gournay, pour les brigans [de guet] 326.

        Je suis Gournay, où n’a nulle conqueste327.

        Je suis Gournay, qui fais fouldre et tempeste.

        Je suis Gournay, pour boullir et ardoir328.

530  Je suis Gournay, qui de mal maine feste.

        Je suis Gournay, pillorieux329, de voir,

        Dont maint homme n’est guère resjouy.

*

1 Se rouille, parce que je n’ai plus l’occasion de m’en servir. Les deux fossoyeurs au chômage sont assis sur des tombes.   2 Le fossoyeur oublie que, par ces temps de vaches maigres, il n’a plus qu’un seul valet.   3 Tremble, pète sous l’effet de la peur.   4 Éd : bastie  (Les valets de farces font souvent appel à l’argot, comme au vers 56. Basi = mort. « Le bon maistre Pierre est basy. » Le Testament Pathelin.)  Affirmer que le métier de fossoyeur est mort depuis longtemps relève de l’humour noir.   5 Pendant la dernière épidémie de peste, ma bourse était enceinte d’argent.   6 C’est une question d’habileté, que vous ne possédez pas. « Cela n’est qu’abilité. » Les Enfans de Borgneux.   7 Dépouille. La Mort est personnifiée, comme dans les danses macabres.   8 Le peuple s’en courrouce.   9 A autant de pitié pour les morts.   10 Deux par deux.   11 C’est plus rapide.   12 Il soit condamné.   13 Profondément. Idem vers 38.   14 Sa charge de fossoyeur. Le moindre valet d’artisan rêve de remplacer son patron : ce Mystère nous fournira ensuite une querelle encore plus cynique entre un maître bourreau et son assistant.   15 La connaissance.   16 Tout bien considéré. « À bien comprendre et la matière entendre,/ Chascun doit tendre à tenir cest usaige. » La Condamnacion de Bancquet.   17 Cela est bien difficile (ironique).   18 Le valet adapte une locution proverbiale : « Tu luy bailles belle, Michault ! » Beaucop-veoir et Joyeulx-soudain.   19 Selon la dernière mode. « Ung chaperon faitis/ Qui soit de nouvelle façon. » Les Femmes qui plantent leurs maris.   20 Je n’ai plus rien à apprendre.   21 Il faut l’enterrer plus profondément, pour que les intempéries ou les chiens ne le déterrent pas.   22 Un bon candidat pour devenir maître fossoyeur.   23 Il vient embaucher les fossoyeurs pour enterrer son cousin.   24 Que Dieu vous aide. Cf. Maistre Mimin estudiant, vers 382 et note.   25 Que désirez-vous ? Dans les farces, les valets d’artisans ont le défaut de répondre à la place de leur patron.   26 Le. « C’est un homme le plus testu. » Le Trocheur de maris.   27 Quelque chose. « Si vous avez rien qu’il luy faille. » Farce du Pet.   28 Qu’une bosse.   29 En ces temps de forte mortalité infantile, l’âge du défunt est une indication pour la grandeur de la fosse.   30 Expression argotique pour désigner les suaires.   31 Réprimandés. L’Église interdit de travailler les dimanches et jours de fête ; mais elle est moins sévère pendant les épidémies, où les cadavres contagieux doivent disparaître le plus tôt possible.   32 Du prix : de notre salaire. On trouve ce vers proverbial dans la Pippée, Serre-porte, la Mauvaistié des femmes, etc.   33 Avec bon sens. Idem vers 169.   34 Éd : cousin   35 Vais. Idem vers 95.   36 J’en suis informé. « J’en suis maintenant bien recors. » Le Capitaine Mal-en-point.   37 On vous paiera. Idem vers 176.   38 Le client s’en va. Il n’a pas dit où se trouve le corps : c’est là une convention théâtrale qui permet de gagner du temps.   39 Nous pourrions plus agréablement nous divertir. « Et ne sçavent lieu où ilz s’aillent/ Plus bel esbatre ne desduire. » Bestiaire d’amour rimé.   40 Le feras-tu ? Cette question qui confirme un ordre est souvent suivie d’une insulte : « Habille-toy ! Feras, landroye ? » (Maistre Mimin estudiant.) « Malhabile » est le surnom du valet : voir le vers 124. À 105, on le traite de « malapert » : maladroit.   41 On croirait qu’il n’y connaît rien. Nous dirions : il ne touche pas sa canette.   42 Terriblement.   43 De l’argent à acquérir.   44 Sans qu’on ne s’en tire.   45 Je saute les disputes entre héritiers, qui se déroulent dans la maison du défunt ; mon numérotage des vers n’en tient pas compte. Les fossoyeurs ont fini de creuser.   46 Exactement.   47 Éd : sept  (Les fosses individuelles mesuraient généralement 5 pieds [1,62 m], et non 7 pieds [2,27 m] ! C’est d’autant plus vrai que les gens du peuple n’avaient pas de cercueil, et qu’on leur pliait les genoux pour gagner de la place.)   48 Les fossoyeurs entrent dans la maison du défunt.   49 Les fossoyeurs emportent la dépouille enveloppée d’un linceul, sans cercueil.   50 Dans sa tanière, dans son trou.   51 Recouvert de terre. Idem vers 109.   52 Éd : a part  (Maladroit. Ce qualificatif s’adresse au valet : la chambrière du Gallant quy a faict le coup se nomme Mal-aperte.)   53 La puanteur du cadavre.   54 Il ne risque pas de se transformer en revenant. « Qu’il fût pendu, sans revenir ! » L’Arbalestre.   55 Te retenir ton salaire. Il donne de l’argent au fossoyeur.   56 Bonne fortune.   57 Vidons les lieux. Les fossoyeurs quittent le cimetière.   58 Hâlé, desséché. « Et boyre tousjours ung tatin, (…)/ Car ilz ont l’estomach hallé/ Comme la gueulle d’ung four chault. » Actes des Apostres.   59 Haler du vin = tirer du vin. « Je tire, je hale sans blasme/ D’un verre. » La Veuve.   60 Pour peu que nous soyons assis dans une taverne.   61 Éd : et  (L’écot franc est la part que chaque client paye au tavernier. « Ou bien d’un escot franc payé à la taverne. » F. Remi.)   62 Le roi Salomon, dans sa grande sagesse, ordonne que le corps soit exhumé. Les cousins du défunt vont chercher les fossoyeurs à la taverne.   63 Les cousins, à la porte de la taverne, aperçoivent d’abord le valet, que son patron surnomme « Malhabile » : note 40. Les tavernes, que leurs clients baptisent les « trous », sont des lieux obscurs où on économise la chandelle. Il est donc normal que les gens qui viennent de la rue n’y voient rien. Voir ci-dessous le premier vers de Gournay et Micet.   64 Un gain.   65 Puisses-tu avoir une mauvaise rage de dents ! Le fossoyeur n’aime pas être dérangé quand il boit.   66 Sous peine. « Sur peine de très grosse amende. » Les Drois de la Porte Bodés.   67 Pour quelle raison ?   68 Car il faut que cela se fasse.   69 Bel et bien vous…   70 Sous l’arbre qu’il a planté dans son jardin, et qui est à l’origine de la querelle entre ses héritiers.   71 Vous serez payés. Même vers dans Jehan de Lagny. Les fossoyeurs et les cousins retournent au cimetière.   72 Éd : gaigne  (La gaine est le fourreau d’une épée. Un traîne-gaine est un tire-au-flanc. « Rien-ne-vaulx [vauriens], rustres, challans [compères], hapelopins [pique-assiette], trainne-guainnes. » Gargantua, 25.)   73 Avec une grande rigueur. Cf. le Résolu, vers 15 et note.   74 Si je feins de travailler, si je fais semblant.   75 Tu geins, tu gémis.   76 Je me bouche le nez, à cause de l’odeur de charogne. « Estoupez vos nez ! » Sermon joyeux des quatre vens.   77 D’un bon pas.   78 Les fossoyeurs et leur macabre chargement retournent chez le défunt. Salomon les y attend, avec Bananyas, et ordonne qu’on attache le corps à l’arbre que les héritiers se disputent.   79 Ce vers manque dans toutes les éditions, à moins que le suivant ne soit un ajout d’acteurs. Je lui supplée le vers 477 des Sobres Sotz.   80 Je me demande avec inquiétude ce que…   81 C’est mon avis. Cf. Troys Pèlerins et Malice, vers 58.   82 Vous avez œuvré avec discernement. « Que n’y ouvrez d’entendement. » Les Femmes qui font renbourer leur bas.   83 Salomon rend son jugement, puis ordonne aux fossoyeurs de reconduire le mort au cimetière.   84 Avant.   85 Qu’on ne nous prenne par pour des enfants, comme ces bébés qu’on tient sur les fonts baptismaux. « De tenir sur fons son enfant. » ATILF.   86 Tout droit. Cf. Chagrinas, vers 245.   87 J’utilise là encore l’imprimé de Jehan Réal, celui de Pierre Le Dru, et celui de Trepperel. Le passage que je conserve s’intitule : De Gournay et Micet.   88 L’homme à tout faire du roi de Perse Assuérus ouvre la porte d’une taverne obscure (note 63) qui est le quartier général du bourreau. Ces deux filous se connaissent bien, puisqu’ils partagent les bénéfices de leurs exactions (vers 23-26). « Atach » se prononce Atak ou Ata, selon la rime.   89 On enfermait les gêneurs dans un sac qu’on jetait à l’eau. « Que fust-il, en ung sac, en Seine ! » Martin de Cambray, F 41.   90 Vrai. Idem vers 109 et 531.   91 Un joyeux compagnon.   92 Tenir à tâche = prendre à tâche, s’efforcer de. Jeu homophonique entre Atak et à tâque : ce Mystère provient de Normandie, où « ch » pouvait se prononcer « k » : « Y me vint une taque [tache] oprès le bout du day [doigt]. » La Muse normande.   93 Il a fini son travail, il peut donc manger. « Quant on a achevé sa tâche,/ Doit-on pas prendre son repas ? » Saoul-d’ouvrer et Maudollé.   94 Éd : malleur  (« Je suis bon avalleur de vins. » Les Sotz escornéz.)   95 Que je vous découvre l’affaire.   96 On ne peut devenir maître dans sa profession qu’en accomplissant un chef-d’œuvre. À 199, l’apprenti songe déjà au sien.   97 À la potence (mot d’argot), où l’on emploie des cordes tortes, tressées. « Et que point, à la turterie,/ En l’hurme ne soiez assis. » Villon, Ballades en jargon, 6.   98 Un gain à acquérir.   99 Un coup dans le dos. Idem vers 424. « Or, luy baillez troys cops de pelle ! » La Pippée.   100 Son âne. Cf. le Médecin qui guarist, vers 69 et note.   101 Un pied ou une aile : il parvient à resquiller quelque chose. Cf. le Roy des Sotz, vers 58.   102 Sans délai. Cf. le Raporteur, vers 228.   103 Le vizir, l’officier principal du roi. Atach sort de la taverne.   104 Nos frais de taverne.   105 Je ne pourrais aller plus vite. Le valet porte les sacs contenant le matériel du bourreau.   106 Une corde courte munie d’un nœud coulant. Idem vers 226 et 501. Le maître a tort de réclamer une seule corde alors qu’il y aura deux pendus.   107 Vous me prenez pour un imbécile. Cf. le Jeu du Capifol.   108 Un malin. Sur cette locution argotique, voir le Capitaine Mal-en-point, vers 185 et note.   109 Éd : arbre se  (Un fin renard. « Ma foy, que tu es ung fin hoste ! » Les Enfans de Borgneux.)   110 Avec une seule corde.   111 Merci à vous.   112 Tarder. Les bourreaux quittent la taverne sans payer : encore une convention théâtrale.   113 Vous goûterez. « Il humera d’honneur/ Largement. » Le Capitaine Mal-en-point.   114 En ce qui concerne cette affaire royale.   115 Éd : vous  (Correction de ROTHSCHILD et PICOT : Le Mistére du Viel Testament, t. VI, 1891, pp. 75-177.)   116 On ne perd pas autant de temps et d’énergie quand on est deux.   117 Il est déjà sous le gibet, avec les officiels, et exhorte les deux traînards.   118 Une disgrâce. « En la malle grâce des dieux. » Les Premiers gardonnéz.   119 Hypocrite. C’est le nom d’un personnage du Roy des Sotz.   120 Ça, par exemple ! Cf. la Laitière, vers 337.   121 Tu veux me faire marcher ! Idem vers 192.   122 Rapidement.   123 Je suis d’accord.   124 Par ma religion, le paganisme. Idem vers 96, 319 et 335.   125 Dis-le vite.   126 Les imprimés portent Micet ou Gournay. Correction de Rothschild et Picot.   127 Désigne-moi par un titre honorifique, en l’occurrence « Monseigneur ». Le patron de Saudret exige aussi que son valet l’appelle « Monseigneur mon Maistre ».   128 Micet réclame un office de bourreau ; on ne lui propose qu’une office, le garde-manger d’une cuisine : « Que vous estes bonne à l’office ! » Les Queues troussées.   129 Exprime-toi vite.   130 Éd : mice  (Bête. Idem vers 269 et 415.)   131 Éd : foy  (Note 124.)   132 Ce fou. Idem vers 117 et 277.   133 Tu me tannes, tu me fatigues ; cf. le Sermon joyeux des quatre vens, vers 363.  À dire voir = à vrai dire (note 90).   134 Les imprimés portent me ou puis. (Corr. Rothschild et Picot.) « Il me puisse meschoir du corps/ Se ne commist son bon désir. » Guillerme qui mengea les figues.   135 Dans les vapeurs de l’alcool. Cf. Deux jeunes femmes, vers 101 et note.   136 « Que mille charretées/ De dyables te puissent emporter ! » Ung mary jaloux.   137 Même vers que 84. Le suivant figure dans le Ribault marié.   138 Un mauvais alliage d’étain et de plomb.   139 Nous n’en sommes pas encore là.   140 Votre métier.   141 Les bourreaux s’approchent de la potence, où l’on amène les condamnés.   142 Monsieur le Prévôt, je vais les expédier.   143 Monte en haut de l’échelle pour voir s’il ne manque rien.   144 Pendant que je préparerai les condamnés.   145 Aurait besoin. On fait grimper le condamné sur cette échelle, on lui passe autour du cou une corde extrêmement courte, puis on le pousse dans le vide pour lui rompre les vertèbres cervicales. Une pendaison nécessite la présence d’au moins deux bourreaux.   146 Quand nous faisons monter à l’échelle de tels gibiers de potence. Happer = voler.   147 Il choit, il advient.   148 Subjonctif réservé aux imprécations, pour faire croire qu’elles sont déjà réalisées. « Dieu te met en fièvre quartaine ! » Trote-menu et Mirre-loret.   149 Solidement. Ces chaînes joignent les poteaux du gibet à la poutre horizontale.   150 Gournay pend le premier condamné. Micet exprime à nouveau son amour du travail bien fait et son louable désir d’apprendre un si beau métier.   151 Autant. Idem vers 220.   152 Tout de suite.   153 Ce sot. Cf. le Pasté et la tarte, vers 113.   154 Après, je ne vous demanderai plus rien.   155 S’il en était besoin : si vous étiez condamné vous-même à être pendu.   156 Finir. Idem vers 344. On comparera cette attention délicate avec celle du valet du Fossoyeur qui voudrait que son maître soit pendu pour avoir l’honneur de l’enterrer (vers 21-24).   157 Ce que. Le bourreau cède à son valet.   158 Pour ce seul et unique condamné.   159 Au lieu de tirer du sac une ficelle pour attacher dans le dos les mains du condamné, il en sort un fouet (vers 71). Les vers 173-188 constituent un rondel double.   160 Éd : que a ce  (Cela tient à peu de chose, il s’en faut de peu.)   161 Ayant trouvé la ficelle, il attache les mains du condamné, puis ses chevilles.   162 Les treuils, les entraves qui lient les chevilles du condamné.   163 Trop serrés : il ne pourra pas monter les échelons.   164 Cela : le résultat de mon travail.   165 C’est finalement Gournay qui pend le second condamné.   166 Retire-moi. Micet met les gants du bourreau dans sa propre poche.   167 Saisir. Idem vers 432.   168 Avec quelles tuiles on couvre un toit : on ne sait pas si on aura du bon matériel.   169 Ma plus belle exécution capitale. Note 96.   170 Vos gants me conviendront bien. « Quel train nous viendroit mieulx à goust. » Mallepaye et Bâillevant.   171 Enferme tout notre matériel dans les sacs.   172 C’est l’aboutissement normal. Idem vers 481.   173 Le bourreau veut décrocher les pendus, sans expliquer pourquoi : convention théâtrale.   174 Il faudrait.   175 De m’en occuper avec vous. Idem vers 491 et 507.   176 Une autorisation pour que nous puissions tous deux décrocher les pendus. Micet demandera cette autorisation pour lui-même.   177 À mon but : convaincre le prévôt. Cf. le Faulconnier de ville, vers 133.   178 Une tromperie (mot d’argot). Voir le vers 480.   179 Éd : Je lauray  (J’aurai de lui.)   180 Le commandement, l’ordre.   181 Se croyant déjà l’égal de son maître, le serviteur introduit un peu de tutoiement dans son vouvoiement. Il récidivera aux vers 373-4.   182 Vous me jurez sous serment.   183 Câbles : filins servant à dépendre les corps. Idem vers 285 et 498. J’explique leur utilisation à la note 203.   184 Il croit que Micet va, comme d’habitude, porter les sacs contenant tout ce matériel.   185 Je veux que tu ailles chercher notre autorisation. Micet comprend : Je veux que tu dépendes les corps.   186 Ironique : quel mauvais valet !   187 J’y vais. Micet court chez le prévôt.   188 Je vais parler à monseigneur le prévôt.   189 Il m’écoutera. Verbe ouïr.   190 Je lui toucherai la main.   191 Décidé.   192 L’année prochaine.   193 D’ennui, de contrariété. Dans le Mistère du Viel Testament, Cerbère n’est plus le chien qui gardait l’Enfer gréco-romain : c’est un authentique diable. Micet s’adresse au prévôt, Aman.   194 Éd : de  (Corr. Rothschild et Picot.)   195 Accordez-moi cette permission.   196 Vas-y d’un bon pas.   197 De grimace. « Mais tout portoit paciamment/ Sans en faire semblant ne frime. » ATILF.   198 Éd : iauray   199 Éd : Qui sera  (Gournay fera « une moue longue d’une aune » : sa figure s’allongera.)   200 Il jette à Gournay ses gants.   201 Si je m’énerve.   202 J’ai un allié, le prévôt.   203 Sans perdre de temps, donnez-moi un câble, un filin. Micet grimpe à l’échelle. Il attache le filin sous les aisselles du pendu, et jette l’autre bout par-dessus la poutre principale, afin qu’il retombe par terre de l’autre côté. Gournay n’aura plus qu’à tirer sur ce filin pour que le pendu remonte et que Micet puisse alors défaire le nœud coulant de son cou. Ensuite, il n’y aura plus qu’à dérouler ledit filin pour que le corps descende jusqu’au sol.   204 Il obéit aux ordres de son apprenti, non sans rechigner.   205 Le nœud coulant du pendu.   206 Un grand revers, un malheur. Cf. Ung mary jaloux, vers 252 et note.   207 Je renie nos dieux.   208 Éd : que aillez  (Quoi que vous alléguiez.)  Micet parvient à défaire le nœud du pendu, que Gournay peut alors laisser choir.   209 Pour qu’ils ne se disputent pas.   210 Tu vas savoir aujourd’hui combien pèse ma main. « Ce coup auras auparavant,/ Pour sçavoir ce que ma main poise ! » L’Antéchrist.   211 Tu ne sais pas la moitié de ce qu’il faut savoir. Gournay monte le filin à son serviteur, et l’aide à attacher le buste du second pendu.   212 Quoi qu’il en soit. Gournay redescend et tire sur le filin. Micet défait le nœud coulant du pendu, que Gournay laisse alors tomber par terre.   213 C’est moi qui ai l’honneur d’avoir dépendu ces deux hommes.   214 Bavarder.   215 Trepp. : Aman   216 Je serai revêtu des insignes de maître compagnon.   217 Dans ce vaste jeu de dupes, le prévôt lui-même finit par être condamné à mort. Une fois de plus, l’homme à tout faire du roi Assuérus va chercher les bourreaux à la taverne, leur quartier général.   218 Faire ton labeur, travailler.   219 Peu nous importe, advienne que pourra.   220 Nous ne devons pas nous mêler des bisbilles entre le roi et son prévôt.   221 Pourvu.   222 Fût-ce notre propre père.   223 Allez faire le bouffon ; cf. les Vigilles Triboullet, vers 174. Le serviteur se prend pour un maître, il ne veut plus obéir.   224 Atach et les bourreaux arrivent devant le gibet que le prévôt a fait ériger sous sa fenêtre : il comptait y pendre Mardochée (vers 345), mais c’est ce dernier qui va l’y faire pendre. « D’Aman suis esperdu,/ Qui devant son huis fut pendu/ Au propre gibet qu’il fist faire. » Les Esbahis.   225 Cet eunuque est le gardien du sérail d’Assuérus.   226 Comme cela se faisait toujours, il retire au prévôt son riche manteau, qui gênerait la pendaison à cause de son poids et de son col fourré. Les bourreaux se partageaient légalement les effets du supplicié.   227 Éd : Maistre  (Gaudi = riche. Idem vers 387 et 410. « À Parouart [Paris], la grant mathe [ville] gaudie. » Villon, Jargon, 1.)  Vous tenez déjà un riche manteau.   228 Devant ma maison. Note 224.   229 La roue de Fortune élève ou rabaisse les mortels.   230 Il fait monter le prévôt à l’échelle. Note 145.   231 Priez, vous ferez sagement.   232 Supportez. « Amys, prenez en pacience ! » L’Aveugle et Saudret.   233 Quelque chose.   234 Sans le lui faire savoir au préalable.   235 Êtes-vous préparé ?   236 N’ayez crainte. Gournay passe la corde au cou du prévôt.   237 Éd : en  (Prométhée, aie pitié de moi !)   238 Confiance. Démogorgon fut inventé par Boccace au milieu du XIVe siècle.   239 Pour que vous soyez bien vu des dieux de l’Enfer. « Leurs âmes/ Sont maintenant aux infernaulx. » (Viel Testament.) Gournay pousse le prévôt dans le vide.   240 Les officiels s’en vont. Les bourreaux évaluent le manteau du supplicié. Leurs bas instincts revenant pour l’occasion, ils se chamaillent dans l’argot des truands. Lazare SAINÉAN consacre à ce dialogue les pages 266-269 des Sources de l’argot ancien, tome 1, 1912. Son glossaire est dans le t. 2, pp. 264-468. Je ne suis pas toujours d’accord avec lui, et encore moins avec Francisque MICHEL, qui étudiait en 1856 ce même dialogue aux pages xl-xli de ses Études de philologie comparée sur l’argot.   241 Prends le manteau du prévôt.   242 Enferme ce manteau à la maison. Ront = manteau : « Le ront est pelé et tondu. » (Les Tyrans au bordeau.)  Creux = maison : « Il avoit débridé la lourde [fracturé la porte] du creux d’un rastichon [curé]. » Response et complaincte au grand Coesre.   243 Le valet recommence à mélanger le tutoiement et le vouvoiement. Note 181.   244 Nous boirons beaucoup, dans cette grande ville. Pier = boire de la pie, du vin ; cf. Grant Gosier, vers 81.  Mathe = ville : « Bignez [visez] la mathe sans targer [tarder]. » (Villon, Jargon, 5.)  Gourdement = beaucoup ; cf. Gautier et Martin, vers 140.   245 Nous avons taxé son manteau. Cf. le Dorellot, vers 153.  Tailler = soumettre à l’impôt de la taille ; l’argot moderne connaît toujours « taxer un objet » dans le sens de « le voler ».   246 Éd : miuerie  (« Ju » s’écrivait « iu », d’où la confusion avec « m ».)  Il ne vient pas de chez un tailleur juif. Le prévôt détestait les juifs, et notamment Mardochée, qui a eu sa peau.   247 Éd : gourderie  (C’est parfait pour avoir du bon vin. « Ma bouteille n’est point remplie/ De gourde pie, à ce matin./ Trois jours a que ne beuz de vin. » La Tour de Babel.)   248 Un bon capital pour payer la boisson. Cf. le Gentil homme et Naudet, vers 291.   249 Éd : penson mettre en plaint.  (Connais-tu un fripier chez qui nous puissions l’écouler ?)   250 À la friperie, avec le manteau du prévôt. Les vers 385-394 constituent un « rondel doublé en la fin », qui réunit l’art des Rhétoriqueurs et celui des truands.   251 Nom générique des marchands, comme Martin Garant est celui des commerçants qui font crédit.   252 Le commerce de la fourrure en sera enrichi.   253 « Grain : un escu. » (Le Jargon de l’argot réformé.) Idem vers 405.   254 Vas-tu au butin, au gain ? « À butin tous noz prisonniers ! » Turelututu et Granche-vuyde.   255 J’y vais tout de suite.   256 Puis nous irons boire du vin. Cf. Jehan qui de tout se mesle, vers 10.   257 Boire de ce vin nouveau. Cf. le Brigant et le Vilain, vers 250.   258 De la soif. Cf. Pernet qui va au vin, vers 214.   259 Éd : marchandise  (« Vivoit de l’honeste présent/ Qu’on luy donnoit par courtoisie/ Pour débit de la marchandie. » J.-A. de Baïf.)   260 Si sot. « Faire d’un tel conard un prestre ! » Science et Asnerye.   261 Un écu d’or. Note 253.   262 Ou que je sois entré dans une mauvaise année. « Ha ! qu’il soit entré en mal an ! » Le Pardonneur.   263 Le pourpoint. Même terme argotique au vers 482. « J’euz deux andosses [manteaux], deux georgetz. » Gautier et Martin.   264 Dont ma feuille [ma fouille, ma bourse] sera enrichie. « Jehan, mon amy, qui les fueilles desnoue. » Villon, Jargon, 10.   265 Ses chausses. Même terme argotique au vers 484. « Il n’a tirandes, ne endosse [manteau]. » Les Tyrans.   266 J’irai les vendre. C’est la suite du vers 403, et une anticipation du vers 419.   267 Au retour de la friperie, Micet revient discrètement vers le pendu.   268 Éd : Sil y  (N’y a-t-il personne autour du gibet ? « Il n’y a âme/ Autour de ce jardin. » Viel Testament.)   269 Niais. Note 130.   270 Bague (argot). « Gros braceletz, signetz [chevalières], boucles, brocans. » ATILF.   271 Et que je sois habile. « C’est à toy très bien entendu. » L’Antéchrist.   272 Sans doute un fonctionnaire. On lit ce nom dans quantité de textes en argot ; cf. Gautier et Martin.   273 Mes raisons. « J’entens, à ce coup, la traisnée. » Chagrinas.   274 Des coups. Note 99.   275 La rétribution qu’une femme riche verse à son jeune amant. Micet grimpe à l’échelle, puis il fouille le pendu.   276 Qu’il ne restera plus un bijou à voler.   277 Se livre à des cancans, te maltraite. « Des chambèrières, tous les jours/ Tenez voz plaitz. » La Nourrisse et la Chambèrière.   278 Il vient dépouiller le pendu. Voyant Micet qui tente de défaire le magnifique pourpoint du prévôt, il se cache derrière un poteau du gibet.   279 Un tantinet, un peu.   280 Bon. Même terme argotique aux vers 379 et 458.   281 Ce travail, ce trafic.   282 Micet regarde par terre et aperçoit Gournay. Sous l’effet de la surprise, ses pieds glissent de l’échelle et il se cramponne à la poutre horizontale.   283 L’apprenti voulait devenir « maistre Micet » (vers 301), mais il n’est plus qu’un maître sot : « Je me rys d’ung maistre coquart,/ Le plus follas que je viz oncques. » La Pippée.   284 « C’est un bon marchand : par raillerie, un bon compagnon, un fin drolle. » Antoine Oudin.   285 Tant vous commander, vous supplier.   286 Quel morveux. Cf. le Dorellot.   287 Tricheur. Même terme argotique au vers 524. « Là sont beffleurs au plus hault bout assis [pendus]. » Villon, Jargon, 7.   288 Tricherie. Cette graphie est autorisée par Villon et Claude Chevalet, qui écrivent « bléfleurs ».   289 Confisquer ce riche capuchon. « Confoncer » n’existe ni en argot, ni ailleurs.   290 Ne croyez pas que je plaisante.   291 Je veux bien vous donner ce que j’ai pris la peine de voler.   292 À votre profit je…   293 Quel répandeur de miel pour attirer les mouches : cf. le Prince et les deux Sotz, vers 145-8.   294 Compliment très ironique. « Mais regardez-moy quel seigneur ! » Le Povre Jouhan.   295 Éd : tu  (Tu en aurais eu beaucoup, des bijoux.)   296 Éd : eussez  (Si je n’avais pas mis la patte sur toi. « Ung ange [sergent] mist sur moy la poue. » Gautier et Martin.)   297 Il nage, il nous file entre les doigts. « Et voit poissons par mer nouer. » (Godefroy.) Jeu de mots sur « nouer » : faire un nœud de pendu.   298 Trompe. « Joncheurs jonchans en joncherie,/ Rebignez [regardez] bien où joncherez. » Villon, Jargon, 5.   299 C’est normal que ce pourpoint. Note 263.   300 Éd : appartient   301 Ainsi que ses chausses. Note 265.   302 Éd : les  (Il faut dépendre le prévôt bien vite. Voir le vers 490.)   303 Éd : Huffle  (Cause toujours ! « Souffle, Michault ! » Les Sotz qui remetent en point Bon Temps.)  Nous avons là les deux vers les plus difficiles, sur les 49386 que compte ce Mystère. Je ne garantis pas mes corrections, et encore moins celles de mes prédécesseurs.   304 Éd : coquart de  (Naïf. « C’est la nature/ De tous ces jeunes coquardeaux. » Beaucop-veoir.)   305 Éd : quoqueree  (Quoi que je puisse avoir.)   306 Éd : Vous en serez bien enfermee   307 Tant que la porte du coffre pourra résister à vos coups.   308 Occupez-vous de cette échelle pour que je puisse me rétablir.   309 À en finir avec lui. Gournay remet l’échelle d’aplomb, puis il jette un filin à Micet pour qu’il attache le corps (note 203).   310 Sur un mauvais gibet. Le valet s’y trouve déjà…   311 Plutôt, cette corde vous rompra le vôtre. Gournay tire sur le filin, et Micet défait le nœud du pendu.   312 Le pendu est au sol.   313 Il faut l’enlever de là pour l’enterrer.   314 Cette fois, je suis prêt à vous écouter. Le finale est en décasyllabes, sans doute chantés.   315 Jeu de mots sur saigneur : bourreau. « Seigneur, ‟saigneurs”, ce sont barbiers [les chirurgiens]. » Le Faulconnier de ville.   316 Pour imprimer au fer rouge une marque de flétrissure.   317 On coupait une oreille aux voleurs.   318 Pour dresser un échafaud.   319 Éd : trauaille  (Qui ne se fatigue pas trop. « Le chemin est long à merveille ;/ Si crains que trop ne se traveille. » ATILF.)   320 Qui bat le carreau, le pavé : qui marche beaucoup.   321 Qui s’apprête à faire le mal. Son maître n’est pas en reste : voir le vers 530.   322 Spécial, extraordinaire. Ce pluriel est une licence poétique. « Il fault ouvriers espécïaulx. » (Viel Testament.) Les bourreaux sont fiers de leur art : « C’est moy, c’est moy qui faiz merveilles :/ Je bas de verges, couppe oreilles,/ Je couppe testes, j’escartelle ;/ Et pour monter sur une eschelle/ Quant on veult que je pende ung homme,/ Je croy qu’il n’a, d’icy à Romme,/ Ung tel ouvrier comme je suis. » Pierre Gringore, la Vie monseigneur sainct Loÿs.   323 Éd : faire  (Un bourreau porte le titre de « maistre des haultes-œuvres ». ATILF.)   324 Des assauts sexuels. « Pensez qu’il y a maints assaulx. » Les Premiers gardonnéz.   325 Vers qui les tricheurs ne vont qu’avec une extrême vigilance.   326 Éd : daguet  (À la rime.)  Pour punir ces brigands que sont les « guetteurs de chemins » : cf. les Tyrans, vers 78 et note.   327 Avec qui il n’y a rien à gagner.   328 Pour faire bouillir les faux-monnayeurs, et pour mettre les criminels sur le bûcher.   329 Pilorieur, en vérité. Il expose au pilori les délinquants.

SERMON JOYEUX DES QUATRE VENS

Manuscrit La Vallière

Manuscrit La Vallière

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SERMON  JOYEUX

DES  QUATRE  VENS

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Cette parodie de sermon fut prêchée à Rouen vers 1520, par un acteur déguisé en moine Bénédictin. Examinons les quatre vents qu’il décrit :

1. Le « vent du vin », représenté par Zéphyr. Vers 118-175 (57 vers).

2. Le « vent des instruments » qui font danser, représenté par Éole. Vers 176-227 (51 vers).

3. Le « vent de chemise », qui génère la folie amoureuse. Il est représenté par Notus. Vers 236-313 (77 vers).

4. Le « vent de derrière » : le pet. Il est représenté par Borée. Vers 314-385 (71 vers).

Source : Manuscrit La Vallière, nº 4.

Structure : Rimes plates, abab/bcbc.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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Sermon     joyeux

des   .IIII.   vens

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        In nominé Patrix, et Fili,

        Et Spiritu Santy.1       AMEN !

        Quatuor ventus de mondo

        Faciunt mirabilia.2

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5      Je dis : in diverso modo3,

        Quatre vens au monde il y a,

        Prudente assistence. Il [fault jà]4,

        En ma brefve colation5,

        Vous donner l’exposition6

10    Pour endoctriner homme et femme.

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        Aucuns7 vous preschent le Karesme,

        Les Quatre-temps8 et les Avens.

        Mais je diray9 des quatre vens,

        Lesquelz viennent10 (comme je gage)

15    Pour soufler les gens au visage

        En les faisant haster d’aler,

        Reculer et triquebaler11,

        Voller, tumber, saulter souvent.

        Et pour vous garder de tel vent,

20    J’e[n] diray les propriétés.

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        Mais avant que d’icy partez

        Et que procède plus avant,

        Je vous recommande devant12

        Nostre couvent, qui est oyseulx13 :

25    Nous sommes bons religïeulx,

        Et bien povres moynes reiglés14,

        Aussy chanoynes desreiglés15.

        Vous congnoissez assez l’afaire !

        Et ne voulons jamais rien faire

30    Synon [de] boyre et chopiner16,

        Dîner, réciner, souper,

        Rire, danser, chanter, bouter17

        Soublz nostre nez, à nostre bouche ;

        Et puys dormir sur une couche

35    En blans draps, avec la fillète

        Belle, doulce et mygnonnète18.

        Et pour tant19, par humble manyère,

        Mectez la main à l’amônyère20 !

        Et nous regardez, par concorde21,

40    Des22 gros yeulx de Miséricorde !

        Voylà de quoy vous faictz requeste.

        Dam Phlipot23 vous fera la queste.

        Mais escoutez, sy vous povez :

        Car il convyent que vous ouez24

45    Bons25 Frères par commandement,

        Dont vouécy le commencement.

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               Prions pour marchans de chevaulx26

               Vendans vieux chevaulx et jumens :

               Que s’y ne sont27 trompeurs et faulx

50           — Combien qu’ilz facent des sermens —,

               La gouste28 les tienne en tourmens,

               Ou la forte fièvre quartaine,

               Qui les tienne bien fermement

               Tout du long de la quarantaine29,

55           Ou leur envoye la bosse30 à l’aine,

               La chaulde-pisse ou la [toux] forte,

               Affin qu’il n’en soyt de tel sorte !

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               Nous prirons pour ces gens d[’É]glise

               Qui veulent femmes décepvoir31 :

60           Qu’on les puisse, soublz leur chemise,

               D’unes bonnes verges32 le cul fesser !

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               Pour ces boucher[s] à grosses lipes33,

               Prions qu’i puissent sans arês34

               Estre, de leurs plus ordes35 tripes,

65           Amerdés jusques [aux] jarés36 !

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               Nous prirons pour mu[n]iers37, munières,

               Qui desrobent sactz par les g[u]eulles38 :

               Qu’i puissent choir en leurs rivières39

               Ou qu’i trébuchent entre deulx meules40 !

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70           Nous prirons pour ses barbiers [jurés41]

               Qui font la barbe à la moytié :

               Qu’ilz ayent tous les yeux crevés,

               Sans en avoir nule pityé !

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               Nous prirons pour femmes enceintes,

75           Que quant viendra à enfanter,

               Que leurs fruictz sortent sans contraintes,

               [Aussy doucement qu’à l’entrer]42.

               Aussy, qu’ilz puissent enhorter43

               Leurs maris en telle manière

80           Qu’i leur(s) puissent le cul froter

               Plustost devant que par derière44.

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               Nous prirons singulièrement

               Pour toute fille de village :

               Qu(e) on puisse trouver le moyen

85           Qu’el soyt bientost à mariage45

               [Pour perdre enfin son pucellage !]46

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               ……………………………….

               D’un saq à chaulx et à cherbon47,

               Et d’un gros marteau de chéron48,

               D’un buleteau49 à la farine,

90           D’une braye50 et d’une estamine51,

               Et de la pate d’un griffon52

               Ayez tous la bénédictïon !         AMEN !

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        Notez qu’in diverso modo53,

        Quatuor ventus de mo[n]do

95    Faciont myrabilia :

        Bonnes gens, je dis qu’il y a

        Quatre vens de mode dyverse

        Qui54, chascun, [un] homme renverse,

        Et font en ce monde merveille.

100  Et ! pour Dieu, que chascun s’esveille55 !

        Et n’entrons poinct en grandz argus56 !

        On dict qu’il y a Zéphyrus,

        [Éolus, Notus]57, Boréas ;

        Mais ces quatre vens ne sont pas

105  Bien suffisans pour raporter58

        À ceulx dont je vous veulx conter :

        [Le premier]59 est le vent du vin,

        Qui souvent souffle au chérubin60.

        Et le second, c’est des haultz-vens61,

110  Des flajotz62 et haultz instrumens

        Qui sonnent63, font muer la chèr,

        Marcher, troter, glasser64, glisser.

        Le tiers est du vent de chemise65,

        Qui vault pirs que le vent de bise.

115  Le quart est le vent de derière66,

        Dont on se doibt tirer arière

        À cause du vray sentement67.

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        Dont — en fin que mon « fondement68 »

        Puisse [selon le vent]69 marcher —

120  Je vous vouldray premyer toucher70

        Du plus souef71 vent de l’anée :

        C’est Bacus, dieu de la vinée,

        Qui s’aproprye à Zéphirus72.

        À cela, n’y a poinct d’abus.

125  Et ce vin, tant plus est nouveau,

        De tant plus atainct le cerveau.

        Ce vent est moytié froid et chault ;

        Y sifle, y souffle, y faict un sault.

        Au premier73, y semble qu’i tonne :

130  Il enfondre quasy la tonne74,

        S’il n’a le passage à souhaict.

        Il rend un homme de bon hect75

        En sentant une odeur sy bonne ;

        Il réconforte la personne.

135  Ce vent à plusieurs choses duict76 :

        Il engendre joye et déduict77

        Et oste la mélencolye78.

        Il cause souvent qu’on s’alye79

        Et qu’on faict [des] enffans petis.

140  Il donne divers apétis.

        Y faict croistre bonnes humeurs

        Comme Zéphirus faict80 les fleurs.

        Quant y souffle modérément,

        Il aguise l’entendement.

145  Quant y faict les doulces virades81,

        Il réconforte les malades.

        Mais quant il n’est bien atrempé82,

        Homme n’est qui n’en soyt trompé :

        Il vous faict changer le vyaire83

150  Et faict troubler le lumynaire84 ;

        Y faict ung homme sy hideulx85

        Que, d’une chose, on en voyt deulx.

        Ung homme comme un Célestin86,

        Y vous en faict un chérubin87 !

155  Y faict [les] gens chanter, parler,

        Saulter, tripper88, tumber, baler,

        Abastre un huys89, rompre une porte.

        Y semble c’un deable l’emporte,

        Tant esmeult un térible orage !

160  Ce vent faict faire rouge rage90.

        Sy unne femme en est férue91,

        La clef de son con est perdue92 :

        Car il abat (c’est chose prompte)

        La femme en bas ; puys l’homme [y] monte.

165  Exemple en avon bien avant :

        Lo93 en fut frapé, de ce vent,

        Et en r[e]ceust tel passe-avant94

        Qu’on le veist derière et devant ;

        Et tèlement il chancela

170  Que ses95 deulx filles racola.

        Et tant d’aultres96 que c’est merveille !

        Et pour tant, don, je vous conseille :

        Ne prenez de ce vent qu’à poinct97.

        Et voylà pour mon premyer poinct,

175  Qui touche de ventus vinon98.

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        L’autre vent, c’est d’instrumenton99.

        Oyez, bonnes dévotes gens !

        Ce vent procède des haultz-vens100,

        Lesquelz n’ont poinct les sons hideulx

180  Mais trèsdoux ; tant, qu’au moyen d’eulx

        Sont jeunes et vieux resjouys.

        Il avint un jour que j’o[u]ÿs

        Ce vent de flûtes et de lus101,

        Que j’aproprye ad Éolus102 ;

185  Puys je m’en vins (pour chose honneste103)

        Tout droict en une grosse feste

        Où tout chascun faisoyt merveille.

        Ce vent leur souffla à l’horeille

        Et les faisoyt sail[l]ir en hault,

190  Faire un tour [et] ung souple sault104.

        Jamais — don j’aye souvenance105

        Ne vis plus lourde contenance

        Que ce vent la leur faisoyt faire.

        Un grand Sot, regardant l’afaire106,

195  Les vist aller puys reculler.

        Aucuns faisouent107 les bras branler ;

        L’un marche avant, l’autre s’avance

        Au loing : au meileu108 de la dance

        Se métoyt pour faire virades109.

200  Bien montrouent qu’i n’estouent malades110

        — Car pas n’avoyent esté batus —

        De ce vent ne de ses vertus.

        Tout autant de gens qu’i toucha,

        Chacun d’iceulx le cul haucha111.

205  L’un souffloyt et suet112 de peine,

        L’autre en estoyt [tout] hors d’alaine113 :

        Chacun en estoyt boutiflé114.

        S’il eust plus longuement souflé,

        C’estoyt pour prendre la brigade115

210  De ce vent qui faict ceste ambade116.

        Depuys l’entrée jusqu(es) à l’issue,

        Rend sy grand chaleur qu(e) on [en] sue :

        C’est un vent chault, en vérité,

        Plus que le soleil en esté.

215  Y vous faict esmouvoir les vaines117,

        Y faict suer entre deulx aines118.

        Ce vent est plaisant instrument,

        Car y faict faire ajournement119 ;

        Et bref, yl a120 (comme y me semble)

220  Faict metre homme et femme ensemble.

        De nuict, souvent, y faict merveille :

        Les jeunes filles y réveille121,

        Et sy, les faict toute nuict estre,

        Pour escouster, en la fenestre ;

225  Y les faict sortir hors du lict

        Pour entendre mieulx le déduict.

        Par quoy, c’est mirabilia !

.

        Et pour tant, je dis qu’il y a

        Quatre vens en ce monde ycy,

230  Dont [en] voy(e)là deulx, Dieu mercy !

        Mais avant que soyons partys,

        Verrons122 les deulx aultres partys :

        Ces123 deulx aultres seront notés

        Bien deument124 et bien racomptés,

235  Comme nous avons de coustume.

.

        Et pour tant, en heure oportune,

        Parleron du vent de chemise,

        Aussy froid que le vent de bise :

        Car souvent faict haper l’onglée125,

240  Et faict la personne engelée,

        Qui126 s’en laisse fraper souvent.

        Car y fault noter que ce vent

        Premièrement frape au regard ;

        Et, du regard (se Dieu me gard),

245  Frape au cerveau, et puys au cœur.

        Et oste à l’homme sa127 rigueur,

        Sa franchise et son industrie,

        Et totalement le mestrie128.

        À tort & à travers, y rue,

250  Y faict l’homme courir en rue,

        Et passer, en une saison129,

        Cent foys devant une maison130 ;

        Et s’une foys il ne claquète131,

        Du moins il baise132 la cliquète.

255  Ce vent, souvent (sans soy débatre133),

        Faict soudain un homme s’embatre134,

        Fraper, cresmir135 par fantazie,

        Prendre fièvre par jalouzie.

        Car quiquonques en est souflé,

260  D’engaigne136 en devient boursouflé

        Et n’a, [ne] jour ne nuict, repos.

        Il est pensif à tous propos.

        S’y cuide un petit sonmiler137,

        Ce vent vous le faict réveiler

265  Et faire chasteaux en Espaigne138.

        Il se rapaise, y se rengaigne139.

        Puys s’il espoire aucun délict140,

        Ce vent le soufle sus son141 lict

        Et hors de la maison l’emporte ;

270  S’il ne peult sortir par la porte,

        Y saulte hors par la fenestre,

        Et ne séroyt en nul lieu estre142.

        Y143 le conduict, y le pourmaine,

        Et devant quelque hostel le maine144,

275  Là où il va compter le careau145.

        En lieu de panser146 son cerveau,

        Y menge des poyres d’engoysse147,

        Et soufre très mauvaise engoysse

        En craignant du vent l’accident148.

280  Y vous est tremblant dent à dent149,

        Tant qu’i fault que par force on l’oye150.

        Ce vent le faict chanter sans joye.

        Y va siflant avant le vent151 ;

        Y s’eslongne et revient souvent.

285  Y croquette du doy à l’uys152

        Ou contre une fenestre ; et puys

        S’y est nul qui met153 contreverse,

        Y vient quelqu(e) un154 [qui] luy renverse

        Ung pot à pisser sur la teste155.

290  Puys y jure [et] y se tempeste :

        « Le mal sur mal n’est pas sancté156 ! »

        Le voylà quasy despité.

        N’esse pas une grand pityé ?

        Ainsy, n’y a nule amytié157

295  À ce maudict vent de chemise ?

        Et ! sy a bien158, quant je m’avise :

        Non obstant, je dis qu’entre nous

        Aucuns159 le treuvent sy très doulx ;

        C’est quant y leur soufle au visage

300  En faisant le pèlerinage

        Et le voyage Sainct-Bézet160 :

        On trouve [à] la foys161 quelque esguet,

        Tandy[s] que se passe l’orage…

        Ce vent de chemise faict rage,

305  Pour finalle conclusion.

        Tel [en dict icy maldisson]162

        Qui en peult bien estre frapé.

        Virgille mesme en fut trompé163,

        David164, et son filz Salomon165,

310  Aristote166. Le fort Sanson

        [En traïson]167 fust « circonsit »,

        Et bientost après, on l’ocit.

        Et pour tant, n’en prenez qu’à poinct168.

.

        Et voy(e)là, pour nostre aultre poinct,

315  De  la dernière colatïon :

        Seigneur[s], pour résolution

        De nostre partye dernière,

        Toucheron du vent de derrière,

        Que j’aproprye à Boréas.

320  Ce vent soufle tousjours en bas,

        Rendant souvent un bien lect ton169 ;

        Mais il revient vers le menton

        Fraper tout droict à la narine,

        Sentant plus fort que poix résine170,

325  Procédant de bruyne espoisse171.

        Ce vent a deulx noms : pet, et vesse.

        (D’autre172 pet, donc, n’a pas science.)

        Je vous diray la différence :

        Sachez qu’i produict173 d’un estroict

330  Bien chault, et qu’i tire vers le froit ;

        Et quant froid et chault sont ensemble,

        Voulontiers tonne174, ce me semble.

        Aussy, quant ce vent [chault] s’entonne,

        Y semble proprement qu’il tonne,

335  Ou y resemble à la trompète ;

        Adonc dict-on que ce vent « pète ».

        Mais quant y soufle doulcement

        Sans rendre son aucunement175,

        On l’apelle le vent de « vesse ».

340  Sy je nomme leur non, qu’en esse ?

        Les parolles ne sentent pas !

        Se, non obstant, soyt hault ou bas,

        Touches176 de ces deulx vens, pensez

        Qu’i sont tous deulx puans assez :

345  J’en eustz le sentement orains177 !

        Ce vent procède devers178 Rains,

        Tyrant devers Roye et Cuissy179.

        Entendez bien180 ? Il est, ainsy

        Que luy181, plain de layde bruyne.

350  En passant182 vient une ruyne

        Et une pluye mout espouesse183.

        Et pour cela, bonnes gens, esse

        Que sy [très] puant sentement184

        A, dont y soufle rudement.

355  Et s’esmeult un cruel orage

        Qui luy faict faire rouge rage.

        Mais la bruyne chet185 en bas

        Et cesse ainsy que Boréas.

        Et pour ce, dict-on bien souvent :

360  « Petite pluye abat grand vent.186 »

        Ce vent est doulx ; mais non obstant,

        Yl est sy fort et sy puant

        Que nous en sommes bien tennés187.

        Aussytost qu’i nous frape au nez,

365  L’un en dict « fy ! » et l’autre en crache.

        Entendez188 ? Je veulx bien c’on sache :

        S’y soufle en bonne compaignye,

        Quelc’un189 le faict, chascun le nye ;

        Et faict tirer les gens arière

370  Aussytost qu’i sort du derière.

        S’y soufle entre deulx amoureux,

        Chascun des deulx en est honteux.

        S’y soufle entre l’homme190 et la femme,

        Y répute[nt] l’un l’autre infâme191.

375  Et mesmement, sy c’est au lict,

        Yl  empesche l’amoureux délict192 :

        Car la femme, sentant ce vent,

        Eslongne son mary. Souvent,

        Elle boute du premier sault193

380  La teste hors194, le bec en hault.

        Et pour tant, sy ce vent sentez,

        Estoupez vos nez ! Et notez

        Que les quatre vens dessusdictz

        Sont dangereux — je le vous dictz —

385  À sentir oultrageusement.

.

        Et pour tant, au commencement

        De ceste prédication,

        Ay prins pour ma fondation :

        Quatuor ventus de mondo

390  Faciont myrabilia.

        Je dis qu’in diverso modo195,

        Quatre vens au monde il y a.

        Ainsy, vous sérez qu’il viendra196

        Quatre vens souflans à tous nez.

395  Gardez-vous-en, sy vous voulez :

        C’est cela que je vous conseilles.

        Je vous en ay compté les merveilles

        Et les maulx pour eulx197 avenus ;

        Je prye à Bacus et Vénus

400  Que d’iceulx soyons absentés198.

        Finablement, saulvez199, goustez,

        Notez et retenez mes dis !

        Que Dieu nous doinct son Paradis !

.

                                                   FINIS

*

1 Comme il est de règle dans les farces, le prédicateur ignore le latin. Même le début de la messe lui échappe. In nomine Patris, et Filii, et Spiritus Sancti : Au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit.   2 Quatre vents, au monde, font des miracles.   3 LV : mondo  (Correction d’Émile PICOT : Romania, nº 16, 1887, pp. 462-4. Même faute aux vers 93 et 391.)  Cette locution plus italienne que latine signifie : De plusieurs manières, par différents moyens.   4 LV : y a  (À la rime.)  Il faut maintenant.   5 Dans mon bref sermon. Idem vers 315. Cf. le Sermon pour un banquet, vers 136.   6 LV : lexposision  (Le sujet du sermon.)   7 Certains. Idem vers 196 et 298. Le Carême est un jeûne de 40 jours. Dans les pièces normandes, « femme » rime parfois en -ème : « Sçaichez qu’il n’est homme ne femme/ Qui ne doit jûner en Caresme. » La Confession Rifflart.   8 Jeûne de 3 jours qui revient quatre fois par an. « Lors estoit le jeusne des Quatre-temps. ‟Je n’entens point (dit Panurge) cest énigme : ce seroit plustost le temps des quatre vens, car jeusnant, ne sommes farcis que de vent.” » (Rabelais, Vème Livre, 1.)  L’Avent est la période frugale qui précède Noël.   9 Je prêcherai. Le sermonneur fusionne « Quatre-temps » et « Avent » pour obtenir « quatre vents ».   10 LV : vens  (Correction suggérée par Jelle KOOPMANS : Recueil de sermons joyeux, Droz, 1988, pp. 508-528.)   11 Trinqueballer, chanceler.   12 D’abord. Lorsqu’ils font la quête, les moines mendiants recommandent leur couvent aux donateurs.   13 Oisif. L’oisiveté des moines est régulièrement dénoncée. Longtemps avant le célèbre Couvent des Oiseaux, il y eut donc un couvent des oiseux.   14 Le sermonneur porte le froc des Bénédictins, qui sont astreints à la Règle de saint Benoît.   15 Débauchés. Tout comme les Conards de Rouen, qui dénonçaient sur les planches les derniers scandales, notre sermonneur fait allusion à une « affaire » récente qui implique un chanoine : voir les vers 58-61.   16 D’engloutir des chopines de vin. Il existe un Sermon de la choppinerie.   17 Mettre un verre. « Ont-ilz bien bouté soubz le nez ? » Villon.   18 « Une trèsgente mignonnette/ Qui est belle, doulce et tendre. » Le Mariage Robin Mouton.   19 Pour cela. Idem vers 172, 228, 236, 313, 381, 386.   20 LV : lammayre  (L’aumônière, la bourse. « Je vos donrai amônière de soie. » Godefroy.)  À votre bourse pour en extraire une aumône.   21 Par amitié.   22 Avec les.   23 Le jeune clerc du moine. Le prêcheur du Sermon pour un banquet fait lui-même la quête, car son clerc est absent : « Sy j’avoye frère Alitrotin,/ Y s’en yroit fère la queste. » Émile Picot argumente que ce Phlipot pourrait être un comédien rouennais qui créa vers 1545 les Troys Gallans et Phlipot : Recueil général des sotties, t. III, pp. 171-172.   24 Que vous oyiez (verbe ouïr).   25 LV : vons  (« Je suys un bon frère Frapart. » Sermon pour un banquet.)   26 Les maquignons faisaient passer leurs vieux canassons pour de fringants coursiers ; voir la note 54 de Troys Galans et un Badin. Les vers 47-92, qui raillent des professionnels véreux à la manière des Conards de Rouen, ne font pas partie du sermon original.   27 Que s’ils ne sont pas. L’ironie consistant à feindre de récompenser des actes immoraux porte la signature des Conards : « Nous accordons aux meusniers/ Prendre la quarte pour myne [de confondre à leur profit les unités de poids]…./ Cousturiers,/ S’ilz ne sont fins ouvriers,/ Ne pourront faire bannière [voler du tissu]. » Ordonnances conardes, 1542.   28 La goutte.   29 Pendant 40 jours. C’est la durée du jeûne du Carême.   30 LV : bose  (Inflammation des ganglions due à la peste ou, en l’occurrence, à la syphilis. « Quelque gallant s’y fourrera,/ Qui en aura la boce en l’ayne :/ Et vélà (ce) qu’il y gaignera. » Parnasse satyrique du XVe siècle.)   31 Séduire. Décevèr rime avec fessèr, à la manière normande.   32 Avec des verges : « Unes verges trèsbien poignantes. » (Le Ribault marié.) Les supérieurs condamnent à la fustigation les moines fautifs : « Au couvent,/ Où (il) fut receu myeulx que devant/ Avec des verges et des fouetz. » (Pour le Cry de la Bazoche.) Mais cette proximité entre des verges et un cul peut faire jaser…   33 Les bouchers ont les lèvres enflées parce qu’ils « soufflent » la viande pour la faire paraître plus fraîche et plus grosse : « Ne porront les bouchers souffler ou faire souffler leurs chairs, ne les vendre soufflées. » Godefroy.   34 Sans arrêt : sans retard. Cf. l’Aveugle et Saudret, vers 415 et 703.   35 Merdeuses. Les tripiers, qui vendent des morceaux d’intestins plus ou moins propres, font l’objet d’insultes scatologiques : « Paillart tripier breneux ! » Trote-menu et Mirre-loret.   36 Pleins de merde jusqu’aux jarrets.   37 Meuniers. « Prions pour ces ‟loyaux” muniers,/ Que tous chascun disent larons. » Sermon pour un banquet.   38 Qui prélèvent dans les sacs un peu du blé qu’on leur apporte à moudre. Voir la note 184 du Munyier.   39 Dans la rivière qui actionne leur moulin à eau.   40 Qu’ils soient broyés par les meules de leur moulin. « Ou qu’il soit mis entre meules flotans/ En ung moulin ! » Villon.   41 Mot manquant : la rime est en -és. Les barbiers jurés représentent leur corporation. « Perrot Girard,/ Barbier juré du Bourg-la-Royne. » (Villon.) On leur reproche de prendre plusieurs clients à la fois, de commencer tout et de ne rien finir : cf. Jehan qui de tout se mesle.   42 LV : de leurs ventres sans mal porter  (Ces prières ne peuvent être que satiriques.)  J’emprunte ce vers au Sermon pour un banquet, dont les rapports avec le présent sermon sont multiples : « Prion Dieu pour femmes enseintes :/ Que l’enfant puisse desloger/ Aussy doucement qu’à l’entrer ! »   43 LV : en horter  (Qu’elles puissent exhorter.)   44 La sodomie était un efficace moyen de contraception, mais les femmes ne l’appréciaient pas beaucoup : cf. la Fille bastelierre, vers 177 et note.   45 Au changement de folio, le scribe a omis la fin de cette prière et le début de la suivante. Il a rajouté ce vers après coup au-dessus de la nouvelle colonne du fº 16 vº, mais n’avait plus de place pour noter son pendant, que je restitue d’après la rime et le sens probable. La lacune qui suit ne nous permet plus de savoir à qui s’adresse l’imprécation finale.   46 La jeune fille des Mal contentes rêve de se marier pour perdre le sien.   47 Charbon.   48 De charron, de fabricant de charrettes.   49 Le bluteau sert à tamiser la farine.   50 LV : blraye  (J. Koopmans lit « bleraye ou blaaye », mais le « r » un peu orné de blraye est celui de trompé au v. 148. On reconnaît ce « r » orné tout au long du ms. La Vallière.)  Villon conseille à ceux qui n’ont pas d’étamine ni de bluteau d’utiliser comme tamis des braies merdeuses : « Passez tous ces frians morceaulx/ —S’estamine, sas n’avez ou bluteaulx—/ Parmy le fons d’unes brayes breneuses. » Ballade des langues envieuses.   51 Gaze servant à filtrer des liquides. Cf. Mallepaye et Bâillevant, vers 268-270.   52 Animal mythique aux griffes redoutables. « Quant au griffon coupit la pate. » (Le Capitaine Mal-en-point.) Le sermonneur compare donc cette patte prédatrice à la main d’un curé.   53 LV : mondo  (Note 3.)  Reprise, dans un ordre différent, des vers 3-5.   54 LV : que   55 Se mette en garde contre un tel danger.   56 Ce n’est pas le moment de tomber dans des querelles de langage.   57 LV : eleos nodue   58 Pour les comparer.   59 LV : la premiere  (Correction Picot.)  Le vent du vin désigne les vapeurs d’alcool ; on dit aussi l’esprit du vin, ou les fumées du vin.   60 Au visage. « À cestuy-cy qui a du vin,/ Et si, ne m’en veult point bailler/ Pour arrouser mon chérubin. » Vie de sainct Didier.   61 Le vent des hautbois. Idem vers 178. « Deux autres trompettes et trois hauvens. » ATILF.   62 Des flageolets : des flûtes champêtres.   63 Mes prédécesseurs lisent : souvent. « Icy sonnent les instrumentz. » (Pour le Cry de la Bazoche.)  Chair rime avec glissèr, à la manière normande.   64 LV : glaser  (Glisser comme sur de la glace. « Quant li uns des piés glace, li autre li aide tantost. » Godefroy.)   65 Un vent de folie qui renverse la raison. « Qui a du vent de la chemise,/ Il est tousjours de Dieu bénist. » (Ung Fol changant divers propos.) Le sermon réserve cette expression à la folie amoureuse, qui frigorifie les amoureux vêtus d’une simple chemise et exposés au vent : « En chemise, sur la perchette [dans le poulailler]/ Je fuz trois heures et demy. » Beaucop-veoir et Joyeulx-soudain.   66 « Les quatre ventz auront discord,/ Car l’un doibt souffler par derrière. » Pronostication nouvelle, Montaiglon, XII, 165.   67 De sa senteur, de sa puanteur. Voir la farce du Pet, vers 291 et 304.   68 Donc, afin que le thème de mon sermon. Ce thème est nommé « fondation » au v. 388, comme il se doit ; mais ici, nous avons un jeu de mots sur le « fondement » qui laisse échapper des vents.   69 LV : secondement  (« On dit aussi ‟Aller selon le vent” pour dire : Régler sa navigation sur le vent. » Dict. de l’Académie françoise.)   70 Toucher un mot, parler. Idem vers 175, 318 et 343.   71 Suave, doux. J’ignore ce qu’avait bu Jelle Koopmans pour écrire que « souef » est la forme normande de « soif ». Les Normands disaient « sé », comme en témoignent une infinité de textes : « Il sont mortes de sai pour le trop peu de vin. » (La Muse normande.) Voir la note 33 de Troys Galans et un Badin.   72 Qui s’apparente à Zéphyr. Voir les vers 184 et 319.   73 Au premier saut : de prime abord. Voir le vers 379.   74 Il fait quasiment exploser le tonneau de vin, ou le ventre du buveur.   75 De bon hait : de bonne humeur.   76 Sert.   77 Plaisir.   78 « Se tu es en mérancolye,/ Boy bon vin ! » Sermon joyeux de bien boire.   79 Il fait qu’on s’allie, qu’on s’unit à une femme.   80 Fait croître. La pollinisation est en partie due au vent.   81 Quand il fait tourner la tête.   82 Coupé avec de l’eau. « Du vin molt bien atrempé d’eaue. » ATILF.   83 Le visage. Cf. les Brus, vers 110 et 186.   84 Il rend la vue trouble. Cf. l’Aveugle et Saudret, vers 328.   85 Il fait loucher si hideusement un homme.   86 Un moine paillard. « Ains que ces maistres Jacobins,/ Cordeliers, Carmes, Célestins/ Ne jouent de nature la basse. » Les Rapporteurs.   87 Un ange. Les chérubins, qui ont la figure aussi rouge* que les ivrognes, en sont parfois rapprochés : « –Où seroyent les bons biberons [buveurs] ?/ –Assis auprès des chérubins,/ Car y sont supôs de Bacus. » (Troys Galans et un Badin.)  *« Rouge comme un beau chérubin. » Sœur Fessue.   88 LV : triquer  (L’erreur est due à la proximité du verbe baller [danser] : au vers 17, nous avions triquebaler.)  Sautiller. « Quant je danse, je saulx, je tripes. » Les Menus propos.   89 Une porte, comme le fait l’ivrogne des Sotz fourréz de malice : « Deffait tu as cest huys : Tien ! tien ! »   90 Fait faire des étincelles. Idem vers 356. « Sy très bien que c’est rouge rage. » L’Arbalestre.   91 Frappée, atteinte.   92 Son con ne fermera plus à clé, sera ouvert au premier venu.   93 Loth, que ses deux filles ont enivré pour qu’il leur fasse un enfant.   94 Un tel coup. Cf. la Laitière, vers 263.   95 LV : ces  (Qu’il accola sexuellement ses deux filles. « Soudain se va dresser son chose./ ‟Ma femme sera racollée.” » La Fille bastelierre. Cependant, l’Invitatoyre bachique nous affirme que Loth « bacula » ses filles, qu’il leur martela le cul.)   96 Tant d’autres hommes ivres en ont fait autant.   97 Qu’avec modération. Idem vers 313.   98 Prononciation à la française de ventus vinum : vent du vin. Si le sermonneur avait su le latin, il eût employé le génitif vini.   99 Instrumentum. Les instruments à vent, eux non plus, ne sont pas sans danger pour la morale. D’ailleurs, le haut clergé voyait la danse d’un très mauvais œil.   100 Des hautbois (note 61).   101 De luths, qui sont des instruments à cordes.   102 Nouvelle faute du sermonneur, pour « ad Eolum ».   103 En tout bien, tout honneur. Cf. Deux jeunes femmes qui coifèrent leurs maris, vers 254.   104 Un soubresaut : une cabriole. Cf. le Bateleur, vers 16.   105 Pour autant que je m’en souvienne.   106 Les Sots sont de bons connaisseurs en matière d’instruments à vent et de danses débridées. Il faut dire que leur tête est pleine de vent.   107 Quelques-uns faisaient bouger leurs bras. Cette terminaison dont notre copiste a le secret revient au vers 200 mais pas ailleurs.   108 Au milieu.   109 Des pirouettes.   110 Ils montraient bien qu’ils n’étaient pas malades. Le Moyen Âge connut plusieurs épidémies de danse de saint Guy : sans raison, la population se mettait à danser convulsivement jour et nuit, jusqu’à s’écrouler de fatigue. Parmi les causes invoquées figurait l’influence du vent. Les vers 188-216 décrivent avec une précision clinique le phénomène qui s’abattit sur Strasbourg en 1518. Curieusement, cette source française n’a jamais été signalée, alors que l’auteur raconte ce qu’il a vu.   111 Hocha le cul, se trémoussa.   112 Suait.   113 Essoufflé. « Je suis quasi tout hors d’haleine. » Frère Fécisti.   114 « BOUTIFLÉ : Gros, gonflé, bouffi. » Jules Corblet, Glossaire du patois picard ancien et moderne.   115 J’aurais rejoint la compagnie des danseurs.   116 Cette farandole. « Je faictz petis saulz, gambades/ Et ambades. » Les Mal contentes.   117 Il vous réjouit sexuellement. « Je ‟luteray” corps à corps/ Et m’esmouvray bien les vaines. » Les Botines Gaultier.   118 Entre les cuisses. Saigner une femme entre deux aines, c’est lui faire l’amour : cf. Frère Phillebert, vers 119.   119 LV : laiournement  (Un ajournement de fesses : une promesse de coït. « Le baiser/ De chambrières ou de maistresses,/ C’est un adjournement de fesses. » Les Chambèrières qui vont à la messe.)   120 LV : la   121 Leur amoureux donne sous leur fenêtre une sérénade d’instruments à vent.   122 LV : fron  (Nous verrons les deux autres possibilités.)   123 LV : les   124 Dûment, comme il faut.   125 Il blanchit les doigts. Les hommes que ce vent a rendus fous d’amour passent leurs jours et leurs nuits devant la porte ou sous la fenêtre de leur belle, y compris en hiver.   126 Quand elle.   127 LV : la  (Corr. Leroux de Lincy et F. Michel.)   128 Le maîtrise.   129 En un moment.   130 Devant la maison de la femme qu’il aime.   131 Si l’amoureux ne claque pas des dents à cause du froid. « Et faire claqueter les dens. » Les Sotz fourréz de malice.   132 LV : baisse  (Les amoureux embrassent le heurtoir pendu à la porte de leur belle, en signe d’allégeance. Cf. Troys Pèlerins et Malice, vers 167-175.)   133 Sans conteste.   134 LV : dbatre  (Corr. Koopmans. Le tilde remplace un « n » ou un « m ».)  Se précipiter. « Quant dueil sur moy s’embat. » Villon.   135 Craindre.   136 De dépit.   137 S’il compte sommeiller un peu.   138 Imaginer que sa maîtresse le trompe.   139 Il s’apaise et il se calme. Rengainer = remettre une arme dans son fourreau.   140 S’il espère que sa maîtresse lui donnera un peu de plaisir. Voir le vers 376.   141 LV : un  (Le soulève de son lit.)  « Ung autre vent s’engendrera entre les nuées, tant impétueux et de si grande activité qu’il sourprendra gens en leurs lictz, et transportera hommes et femmes en divers quartiers de ce monde. » Jehan Molinet, Prenostication des quatre vens.   142 L’amant ne saurait rester en aucun lieu loin de sa belle.   143 Ce vent de folie. Le sermonneur oublie de rappeler que ledit vent est représenté par Notus (vers 103).   144 Et le mène devant la maison de son amie.   145 Les pavés, sur lesquels il va faire les cent pas. En Normandie, « où il » se prononçait « wil » en 1 syllabe : voir la note 188 de la Folie des Gorriers.   146 LV : penser  (Au lieu de soigner.)   147 Au sens propre, instrument de torture qui écarte les mâchoires : « Mengier d’angoisse mainte poire. » (Villon.) Au sens figuré, on dirait aujourd’hui : il avale des couleuvres.   148 L’effet.   149 Il claque des dents. « Mon maistre tremble dent à dent. » Le Cousturier et Ésopet.   150 Tellement qu’il faut bien qu’on l’entende claquer des dents.   151 L’amoureux siffle de-ci, de-là. Cf. les Veaux, vers 209 et note.   152 Il toque plusieurs fois contre la porte de sa maîtresse avec son doigt. « Nous prendrons noz esbas/ À luy croqueter sur la teste. » ATILF.   153 LV : le  (Si un voisin engage une controverse parce qu’il fait du bruit.)   154 Le mari de la dame, ou sa gouvernante.   155 Les donneurs de sérénades s’exposent à recevoir sur la tête l’urine d’un pot de chambre, ou le pot lui-même : « J’ay chanté (le diable m’emporte)/ Des nuicts cent foys devant sa porte,/ Dont n’en veux prendre qu’à tesmoings/ Trois potz à pisser, pour le moins,/ Que sur ma teste on a casséz. » Clément Marot.   156 « Mal sur mal, ce n’est pas santé./ Se le mary dit ung seul mot,/ Elle vous prendra tout à coup/ Quelque tison, ou le vieux pot/ À pisser. » Les Secretz et loix de Mariage (Montaiglon, III, 188).   157 Il n’y a aucun avantage.   158 Il y a bien un avantage.   159 Que parmi les moines, certains…   160 Les femmes vont en pèlerinage sans leur mari, mais entourées d’hommes qui guettent une bonne occasion : les vers 219-230 de Régnault qui se marie rendent bien compte de cette promiscuité. Saint-Béset comporte un jeu de mots sur baiser : « À la feste/ De sainct Trotin et sainct Béset. » Tout-ménage.   161 À l’occasion : « C’est je ne sçay quel folye/ Qui à la fois le sang me ronge. » (Ung mary jaloux.)  Un esgait est une hutte d’oiseleurs : « Je me mis en esgais/ Où maint gentil oisel estoient. » (ATILF.) En résumé, les moines profitent d’un orage pour attirer des pèlerines sous une hutte.   162 LV : ne dict icy mal ne son  (Malédiction. « Et cent mille aultres mauldissons/ À chascun coup nous nous disons. » Deux hommes et leurs deux femmes.)   163 Victime de ce vent de folie amoureuse, Virgile resta suspendu dans une corbeille à cause de la femme qu’il allait rejoindre. C’est Folie — elle s’en vante — qui a fait « mectre Virgille en la corbeille,/ Sallomon chevaucher sans selle ». La Folie des Gorriers.   164 Victime de la coquetterie de Bethsabée, « David le roy, sage prophètes,/ Crainte de Dieu en oublia/ Voyant laver cuisses bien faites ». Villon.   165 LV : absalon  (Aucune frasque féminine concernant ce personnage falot ne nous est parvenue.)  Salomon, fils de David, est rangé parmi les victimes de la folie amoureuse : « Folles amours font les gens bestes :/ Salmon en ydolâtria. » Villon.   166 Le Lai d’Aristote, un des poèmes les plus connus du XIIIe siècle, raconte comment le philosophe tombe amoureux d’une allumeuse qui lui met une selle sur le dos et monte dessus pour qu’il la promène dans un verger. Le sage Aristote ne put empêcher « qu’Amour ne l’ait mis à folie ». La farce de Lordeau et Tart-abille lui a rendu justice : « Les hommes en sont bien vengiés :/ Car pour ung qui fut chevauchés/ Une fois par malle meschance,/ Ung seul homme, pour sa vangence,/ En ‟chevauche” deus cens [200 femmes dans] l’anée ! »   167 LV : sision en  (C’est toujours Folie qui a fait « par Dalida, en traïzon,/ Copper les cheveux de Sanxon ». La Folie des Gorriers.)  Circoncire = couper les cheveux : « Je veux circoncire ces cheveux. » Godefroy.   168 Pour cela, ne prenez du vent d’amour qu’avec modération.   169 Un son bien laid. « Et le let ton au cul des brenatiers [foireux]. » (J. Molinet.) « De quel métal est ung pet ? Il est de laiton. » Demandes joyeuses en manière de quolibetz.   170 Poix très odorante issue de la combustion des résineux. « Poix résine de pin. » (Godefroy.) Notons qu’en Normandie, « poix » se prononçait comme « pet ».   171 Épaisse. La bruine désigne un nuage gazeux, comme aux vers 349 et 357. On marque la diérèse : bru-ine.   172 LV : Lautre  (Il n’existe donc pas d’autre pet que ces deux-là.)   173 Que ce vent provient. « Ceulx dont peult produyre/ Et sourdre débat et envie. » (Le Roy des Sotz.)  Un étroit est une ouverture étroite : « Saintré (…) actaint le Turcq, de sa lance, par l’estroit de sa bavière [mentonnière]. » ATILF.   174 On expliquait déjà les orages par une rencontre d’air froid et d’air chaud.   175 Sans produire aucun son.   176 Je vous parle (note 70).   177 La puanteur tout à l’heure.   178 LV : vers les  (Jeu de mots banal sur la ville de Reims et les reins, qu’on prononçait de la même façon : « Il n’est ouvrage que de Rains. » Les Botines Gaultier.)   179 LV : cuysi  (Jeu de mots sur les cuisses féminines : « En la vallée de Cuissy,/ (Il) se lança comme ung estourdy/ Contre le con d’une tripière. » Le Tournoy amoureux.)  La ville de Roye et la raie des fesses avaient la même prononciation : « L’abbesse de Roye. » Les Sotz qui remetent en point Bon Temps.   180 Le sermonneur fait un bruit de pet, comme à 366. Cf. le Bateleur, vers 35-37.   181 Ainsi que le vent dont je viens de vous régaler.   182 Quand il passe. Une ruine est un écoulement : « Il est tenu (…) de faire voye aux esgoux d’icelle bastide quand il vient ruine d’eaues par les conduis desdis esgoux. » ATILF.   183 Une pluie moult épaisse : une diarrhée.   184 LV : sentiment  (Puanteur : v. la note 67. Notre sermonneur ne fait pas dans le sentiment !)   185 Choit, retombe.   186 Rabelais donna lui aussi un tour scatologique à ce proverbe : « Mais ne pouvant Jénin dormir, en somme,/ Tant fort vesnoit [pétait] Quelot et tant souvent,/ La compissa. Puys : ‟Voylà (dist-il) comme/ Petite pluie abat bien un grand vent.” » (Quart Livre, 44 : Comment petites pluyes abattent les grans vents.)  Notre dramaturge, qui a pourtant lu Villon, nous épargne un autre proverbe : « Autant en emporte le vent. »   187 Tannés, incommodés.   188 Nouveau bruit de pet.   189 LV : chascun  (« Et quant est hors, chascun le nye./ Et si [pourtant, il] abreuve la compagnie :/ C’est une vesse toute née. » Adevineaux amoureux.)   190 Le mari. Cf. Deux hommes et leurs deux femmes.   191 Ils s’accusent mutuellement de l’avoir fait, comme dans la farce du Pet.   192 L’amour. « Je la baiseray des foys trente/ En faisant l’amoureulx délict. » Le Poulier à sis personnages.   193 D’emblée.   194 Hors du lit.   195 LV : mondo  (Note 3.)  Reprise des vers 3-6.   196 LV : y a  (Rime du vers précédent.)  Vous sérez = vous saurez ; même normandisme à 272.   197 LV : elles  (Corr. Picot.)  Advenus à cause de ces vents.   198 Que de ces vents nous soyons éloignés. Il vaudrait mieux lire exemptés.   199 LV : saultes  (Sauvez de l’oubli.)

UNG BIAU MIRACLE

Bibliothèque Sainte-Geneviève

Bibliothèque Sainte-Geneviève

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UNG  BIAU

MIRACLE

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Le fatiste inconnu qui composa vers la fin du XIVe siècle les Miracles madame sainte Geneviève a parfaitement rempli son cahier des charges : ce Mystère de 3127 vers1 baigne dans un prêchi-prêcha qui, à l’époque, faisait hausser les yeux vers le Ciel, et qui aujourd’hui ne nous fait plus hausser que les épaules. Mais le naturel comique de cet auteur transparaît à plusieurs reprises, au point qu’il s’éloigne parfois de son austère modèle latin pour faire rire le public. Par exemple, avec une précision d’inquisiteur, sainte Geneviève accuse une nonne de s’être laissé déflorer par le berger de Gautier Chantelou, dans le jardin de celui-ci, très exactement sous un pêcher, le 3 avril, à la tombée du jour. Nul doute que si le bracelet-montre avait existé, la sainte nous eût révélé l’heure du crime ! Ailleurs, on assiste à une bataille entre des anges et des diables qui se cognent dessus en jurant comme des charretiers. Plus loin, deux porchers dialoguent dans le plus pur style de leur profession :

2129  —Foucault, veulz-tu oïr nouvèles ?                                 —Foucaud, veux-tu entendre des nouvelles ?

         —Oïl bien, mèz qu’ilz soiënt tèles                                   —Oui, pourvu qu’elles soient d’une gaîté telle

         Que mon ventre breneus s’en sente2….                            Que mon ventre plein de merde en soit déchargé.

2161  —Tu as le cul tourné au prône.                                        —Tu tournes le cul à l’église.

         Foy que je doy saint Grisogone3 !                                   Par la foi que je dois à saint Grisogone !

         Se tant ne quant tu m’atouchoies,                                    Si tu me touchais si peu que ce soit,

         Jamaiz ne heurtebilleroies4                                             Jamais plus tu ne serais en état de tamponner

         Fame qui soit des[so]uz la lune !                                    Une femme en ce bas monde !

Dans un langage tout aussi fleuri, deux maçons et un charpentier se plaignent d’avoir soif ; sainte Geneviève, égalant Jésus, reproduit pour eux le miracle qu’il avait accompli aux noces de Cana :

2343  Dieu, qui muastes l’iaue en vin                                       Mon Dieu, qui avez transformé l’eau en vin

         Ès nopces chiez Archédéclin5 :                                      Aux noces chez Architriclin :

         Vueilliez cy vostre grâce estandre !                                Veuillez étendre votre grâce jusqu’ici !

Et donc, les trois ouvriers se soûlent grâce à Geneviève :

2412  —Qui oncques-mèz vit tel bevrage ?                             —Qui vit jamais un si bon breuvage ?

         Emplez, pour Dieu, encor ma coupe !                            Remplissez encore ma coupe, par Dieu !

         —Tu es plus yvre qu’une soupe6 :                                  —Tu es plus imbibé qu’une mouillette :

         Comment pourras-tu jà douler ?                                    Comment pourras-tu manier ta doloire ?

         —Je feray les asnes voler7,                                             —Je ferai voler les ânes,

         Mèz que je boive une foys seule.                                    Pour peu que je boive encore un dernier coup.

À propos d’ânes, douze fous (dont l’un est représenté dans le manuscrit) chantent la messe en imitant le braiment de ces quadrupèdes :

2546  Je suis Cordelier, c’est assez                                            Je suis Cordelier, c’est suffisant

         Pour deschanter messe et canon.                                     Pour chanter la messe et le canon.

                     Sy die en chantant :                                                        Qu’il dise en chantant :

         « Hynhan ! » dit l’ânesse. « Hinhan ! » dit l’asnon.         « Hi han ! » dit l’ânesse. « Hi han ! » dit l’ânon.

Ces fous ne se lassent pas de parodier la messe :

2554  —J’ay clère voiz comme .I. tourel ;                                 —J’ai la voix aussi claire que celle d’un taureau ;

         Pour ce, veil-je chanter la messe.                                    Pour cela, je veux chanter la messe.

         —Fyfy8, tu as fait une vesse !                                         —Vidangeur, tu as fait un pet !

                     En chantant au chant de                                                 En chantant sur l’air du

                     « Sanctus » de Requien :                                                 « Sanctus » du Requiem :

         —Sanz-tu9 ? Sanz-tu ? Sanz-tu ? Etc.                             —Sens-tu ? Sens-tu ? Sens-tu ? Sens-tu ?

Nos fous sont possédés par des diables que la sainte va mettre en fuite d’un coup de prière magique. Aussi, les diables s’interrogent à propos de Geneviève :

2509  Sathan, qui est celle viellote                                            Satan, qui est cette petite vieille

         Qui tous jours, en alant, barbote                                     Qui toujours, en allant, marmonne

         Avéz Maras, Patrès Nostrues,                                          Des Ave Maria et des Pater Noster,

         Comme s’el deust voler aux nues ;                                  Comme si elle devait monter aux Cieux ;

         Et se défripe, et fait la lipe,                                             Et se démène, et fait la moue,

         Et me porte fueilles de tripe10                                        Et porte des feuilles de mauvais parchemin

2515  Comme .I. livre, soubz sez essèles ?                                Sous son aisselle, comme un livre ?

         Avec ly, maine .II. pucelles                                             Elle mène avec elle deux jeunes filles

         Qu’el enchante trop fort, en tant                                      Qu’elle ensorcelle trop bien, de sorte

         Que, se tant ne quant vont sentant                                   Que si elles sentent un tant soit peu

         Que je leur eschaufe lez rains,                                         Que je leur échauffe les reins de désir,

2520  Lors me prendront branches et rains                               Elles prendront alors des branches et des rameaux

         De boul, d’osières ou d’orties,                                         De bouleau, d’osier ou d’orties,

         Ou chardons, ou bonnes courgies ;                                  Ou des chardons, ou de bonnes courroies ;

         Batront espaules ou culière :                                            Et elles battront leurs épaules ou leur croupe :

         N’y remaindra jà pel entière.                                           Il n’y restera pas un bout de peau intact.

2525  Dessus leur pis, dez poing[s] tabeurent.                           Elles tambourinent leur poitrine avec leurs poings.

         Orent11, pleurent, veillent, labeurent,                              Elles prient, pleurent, veillent, peinent,

         Cengnent12 cordes, vestent la haire.                                Se ceignent d’une corde, portent la haire.

Satan affirme que Geneviève est « l’abesse de Tirelopines », les turlupins étant des religieux hypocrites connus pour leur liberté sexuelle.

La partie la plus drôle du Mystère, c’est la fin : l’auteur nous dit qu’il va y greffer des scènes de farce pour que ce soit moins ennuyeux. Déboulent alors quelques-uns de ces mendiants infirmes dont riait le théâtre médiéval. Le lépreux réclame de bons petits plats :

2599  .I. tentet de vïande sade !                                                 Donnez-moi un tantinet de bonne viande !

         Halas, chétis ! je suis gasté                                              Las, pauvre de moi ! je suis mort

         Se je n’ay d’un petit pasté                                                Si je n’ai pas un morceau d’un petit pâté

         Et plaine escuèle de boschet                                            Et une pleine écuelle d’hydromel

         Ou, au mains, de vin de buffet.                                        Ou, au moins, de vin de cuisine.

Le bossu est atteint par surcroît d’une maladie vénérienne :

2654  Le chancre m’a rongié le menbre.                                   Un chancre m’a rongé le membre.

         Las, doulant ! Quant je me remembre                            Las, malheureux ! Quand je songe

         Du dueil que ma fame en démaine,                                 Au chagrin qu’en témoigne ma femme,

         C’est mal suz mal, peine suz paine !                                C’est un mal qui s’ajoute à un mal !

L’hydropique a lui aussi de bonnes raisons d’aller consulter une sainte :

2636  J’ay au cul lez esmorroïdes ;                                             J’ai des hémorroïdes au cul ;

         Sy ne puis chier, c’est grant hides !                                  Si je ne peux plus chier, c’est l’horreur !

Ces éclopés, qui n’attendent plus rien de la coûteuse et impuissante « merdefine », viennent se faire guérir gratuitement par Geneviève. Quand on voit à combien d’aveugles elle a rendu la vue, à commencer par sa propre mère, on se demande pourquoi les ophtalmologistes ne l’ont pas choisie comme sainte patronne ! Je publie ci-dessous l’incontournable duo de l’Aveugle et de son Valet, duo dont beaucoup de farces et de Mystères proposent une version à peine différente : voir la notice de l’Aveugle, son Varlet et une tripière. On lira ensuite deux extraits de l’ultime miracle : il concerne une vieille maquerelle qui a subtilisé les chaussures de Geneviève.

Source : Paris, bibliothèque Sainte-Geneviève. Ms. 1131, folios 212 rº à 216 rº. Copié au milieu du XVe siècle. Ce manuscrit contient aussi le Geu saint Denis, dont j’ai extrait les Sergents, et la Vie monseigneur saint Fiacre, qui renferme la farce du Brigant et le Vilain.

Structure : Rimes plates.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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           Miracles de plusieurs malades.

           En farses, pour estre mains fades.

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Ung biau miracle.

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Cy après sont autres miracles de madame sainte Geneviève. Sachiez que chascun emporte13 plusieurs personnages de plus[i]eurs malades, pour cause de briété14. Et a, parmy, farsses entées15, afin que le Jeu soit meins fade et plus plaisans.

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                     L’AVEUGLE                                                                  L’AVEUGLE

2715  Varlet !                                                                             Mon valet !

                     LE  VARLÉ                                                                    LE  VALET

                      Maistre ?                                                                              Mon maître ?

                     L’AVEUGLE                                                                  L’AVEUGLE

                                      Par là m’enpiègne16 !                                                               Empoigne-moi par le bras !

         Il fust temps d’aler en la ville.                                         Il est temps d’aller quêter en ville.

                     LE  VARLET                                                                 LE  VALET

         Maistre, prenez-vous crois, ou pille17 ?                          Maître, quelles pièces accepterez-vous ?

                     L’AVEUGLE                                                                  L’AVEUGLE

         Tez-toy ! Alons !                                                            Tais-toi ! Allons-y !

                     LE  VARLET                                                                 LE  VALET

                                      Où ?                                                                                  Où ?

                     L’AVEUGLE                                                                  L’AVEUGLE

                                                Au pourchas.                                                                    À la quête.

                     LE  VARLET                                                                 LE  VALET

         Petis poissons sont bons pour chas.                                 Les petits poissons, c’est bon pour les chats.

                     L’AVEUGLE                                                                  L’AVEUGLE

2720  Hé ! Diex, quel varlet !                                                    Hé ! Dieu, quel valet !

                     LE  VARLET                                                                  LE  VALET

                                                Diex, quel maistre !                                                        Dieu, quel maître !

                     L’AVEUGLE                                                                  L’AVEUGLE

         Maine-moy, maine, va, chevestre18 !                              Conduis-moi, va, pendard de guide !

                     LE  VARLET                                                                 LE  VALET

         Par où ?                                                                           En passant par où ?

                     L’AVEUGLE                                                                  L’AVEUGLE

                        Par Froit-Vaulx19.                                                                         Par Froids-Vaux.

                     LE  VARLET                                                                 LE  VALET

                                                      Par là ?                                                                                        Par là ?

                     L’AVEUGLE                                                                  L’AVEUGLE

                                                                    Voire.                                                                                          Oui.

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                     LE  VARLET                                                                  LE  VALET

         Chantez, vous estes à la Foire20 :                                    Chantez, vous êtes au Lendit :

         Tout est plain d’ommes et de fames.                               C’est plein d’hommes et de femmes.

                     L’AVEUGLE,  hault et à trait 21 :                                  L’AVEUGLE  chante d’une voix ferme :

2725  « Halas, mez Seignieurs et mez Dames :                         « Las, seigneurs et dames :

         Pour l’amour saint Pere22 de Romme,                            Pour l’amour de saint Pierre de Rome,

         Faites vostre aumosne au povre homme                          Faites l’aumône au pauvre homme

         Qui ne voit n’oncques ne vit goute                                  Qui ne voit et n’a jamais vu mieux

         Nient plus23 dez yelx qu’il fait du coute !                       Avec ses yeux qu’avec son coude !

2730  Ainssy vous vueille Diex aidier ! »                                 Et que Dieu vous le rende ! »     À part :

         Je puis bien seurement plaidier :                                     Je peux bien raconter ce que je veux :

         Il n’y a âme qui responne.                                               Il n’y a personne qui me réponde.

         Diex ! n’y a-il qui riens me donne,                                  Dieu ! nul ne me donnera-t-il rien,

         Ne qui me tende pié ne main ?                                       Même un coup de main, ou de pied ?

2735  Oïl, oïl, c’est à demain24 :                                               Oui, oui, ce sera pour une autre fois :

         Madame va à Bèsençon25…                                           Madame va à Baisançon…

         Je parole de « Cusençon26 ».                                           Je veux dire : à Cul-zançon.

         Nul n’a cure de povre gent.                                              Nul ne se soucie des pauvres gens.

         Se je fusse roy ou régent,                                                 Si j’étais un roi ou un régent,

2740  Ou .I. grant maistre Aliboron27,                                      Ou un grand ministre,

         Chascun ostast son chaperon,                                          Chacun ôterait son chapeau,

         Ou m’enclinast, ou me fist rage ;                                      Ou s’inclinerait, ou me servirait ;

         Je feusse tenu pour trop sage.                                          Je serais tenu pour un grand sage.

         Or me tient-en pour une ordure,                                      Maintenant, on me tient pour une crotte,

2745  Pour .I. fol, pour .I. burelure ;                                          Pour un demeuré, pour un simplet ;

         Il n’y a ne grant ne petit                                                   Il n’y a personne, grand ou petit,

         Qui de moy voir ait appétit.                                             Qui ait envie de me voir. Mon Dieu !

         Diex ! qu’il est povre, qui ne voit28 !                               Qu’il est pauvre, celui qui n’y voit pas !

         S’il va, s’il vient, s’il dort, s’il poit,                                   Qu’il aille, vienne, dorme ou pète,

2750  Autant de l’un comme de l’autre.                                     C’est du pareil au même. L’aveugle

         C’est .I. droit ymage de peautre29.                                  N’est qu’un vil médaillon en étain.    Au valet :

         Hélas, mon filz Hanequinet :                                           Hélas, mon petit Hannequin :

         Meine-moy, en ce matinet,                                              Conduis-moi ce matin

         À celle bonne et sainte dame                                           À cette bonne et sainte dame

2755  Qui de meschief oste maint[e] âme,                                Qui tire de malheur maint homme,

         Que lez gens nomment Geneviève.                                  Et que les gens nomment Geneviève.

                     LE  VARLET                                                                  LE  VALET

         Sire, j’ay tel dueil que je criève                                       Monsieur, j’ai tant de mal que je crève

         De ce que je suis sy gouteus                                            Du fait d’être si goutteux

         Que dez .II. hanches suis boisteus30 ;                              Que je boite des deux fémurs ;

2760  Et ay la tous, maise31 poitrine,                                        Et j’ai la toux, de l’asthme,

         Clous, pous, cirons32, lentes, vermine ;                           Des furoncles, des poux, des pustules, des lentes, des vers ;

         J’ay la rougole et la vérole33 ;                                          J’ai la rougeole et la variole ;

         J’ay, chascun jour, la feinterole34 ;                                  J’ai chaque jour la chiasse ;

         J’ay le jaunice35 et suis éthique.                                      J’ai la jaunisse et je suis squelettique.

2765  Ne guérir n’en puis par phisique.                                     Et je ne peux guérir grâce à la science.

         Merdefins36 et c[h]iurgïens                                             Les merdecins et les chie-rurgiens

         M’ont eu long temps en leurs lïens ;                                M’ont longtemps tenu en leurs filets ;

         Maintenant, quant je n’ay que frire37,                             Maintenant que je n’ai plus que frire,

         Que riens n’a en ma tirelire,                                            Qu’il n’y a plus rien dans ma tirelire,

2770  Par m’âme, il n’ont cure de moy.                                     Ils n’ont plus cure de moi, par ma foi !

                     L’AVEUGLE                                                                  L’AVEUGLE

         Par mon serment, [bien] je t’en croy !                            Je te jure que je veux bien te croire !

         Aussy, Hanequin (sy m’aist Diex38 !),                            Aussi, Hannequin (que Dieu m’assiste !),

         Il m’ont du tout crevé lez yeulz.                                      Ils m’ont complètement crevé les yeux.

         Mengier puissent-il leur[s] boiaus !                                 Puissent-ils manger leurs boyaux !

2775  Je dy ceulx qui ne sont loyaus                                          Je parle de ceux qui n’appliquent pas

         Selonc leur povoir et savoir.                                            Leurs compétences et leur savoir.

         Alons où j’ay dit ! Car là, voir,                                       Allons où je t’ai dit ! Car là, vraiment,

         Nous trouverons miséricorde.                                         Nous trouverons de la pitié.

                     LE  VARLET,  en baillant                                             LE  VALET,  en lui faisant

                                              la corde39 :                                              tenir le bout de sa ceinture :

         Alons, donc ! Tenez bien la corde !                                Allons-y, donc ! Tenez bien ma corde !

*

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                      Sainte Geneviève voise en son oratoire40,                       Que sainte Geneviève aille dans sa

                      et là se tiegne en oroison, et lez autres                            chapelle et s’y tienne en prière, et que

                      où ilz vourront.                                                               les miraculés aillent où ils voudront.

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                     Cy après est  DE  UNE  FAME  À  QUI                        Suit le  MIRACLE  D’UNE  FEMME

                     MADAME  SAINTE  GENEVIÈVE                            À  QUI  SAINTE  GENEVIÈVE

                     RENDIT  LA  VUE,  qu’elle avoit                                  RENDIT  LA  VUE,  qu’elle avait

                     perdue pour ce qu’elle avoit emblé les                              perdue parce qu’elle avait volé les

                     soulers de la dicte vierge.                                                  chaussures de ladite sainte.

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                     LA  VIELLE 41                                                               LA  VIEILLE

2818  Pour lez boiaus sainte Géline42 !                                     Par les boyaux de sainte Géline !

         Vélà dame Genevéline43,                                                Voilà madame Je-ne-sais-lire,

                      (en la monstrant)                                                             (en la montrant)

2820  Qui ne fait que pseaumes broullier44,                              Qui ne fait qu’embrouiller les psaumes,

         Sez yeulx essuier et moullier,                                          Essuyer ses yeux et les mouiller de larmes,

         Qui scet45 trop bien la main où metre.                           Et qui sait bien où tendre sa main.

         Et je puis bien fondre et remetre46 :                               Moi, je peux bien fondre et maigrir :

         Je n’ay que frire ne que daire47.                                      Je n’ai plus rien à frire, ni que dalle.

2825  Lamproiës, luz, barbeaus de Laire                                   Les lamproies, les brochets et les barbeaux de Loire

         Ne me prennent pas à la gorge.                                       Ne risquent pas de m’étrangler !

         À grant paine ay-je du pain d’orge,                                 À peine puis-je avoir du pain noir,

         Qui souloië (las !) sy bien vivre.                                     Moi qui jadis vivais si bien, las !

         Tous jours estoie ou plaine48 ou yvre.                            J’étais toujours bourrée ou ivre.

2830  Et plus me fesoië « coignier 49 »                                    Et je me faisais « cogner » plus souvent

         Qu’il [n’est] de coings en .I. coignier.                              Qu’il n’y a de coings sur un cognassier.

         Coignant coign[é]e onc ne coigna                                   Une cognée cognante ne cogna jamais

         Tant de coing[s] comme on me coigna ;                         Autant de coins que je fus cognée.

         Et lez coigneurs50, qui me coignoient                             Et les cogneurs, qui me cognaient

2835  Le coing51, le52 poing d’or me coignoient.                     Le con, remplissaient d’or mon poing.

         Plus n’y seray de coing53 coignie,                                   Je ne serai plus cognée par un poinçon,

         Car ma coignie54 est descoignie :                                    Car ma cognée n’a plus de « manche » :

         Tant est cuisans, et vielle, et dure,                                   Elle est si sèche, si vieille et si dure

         Qu’il n’est coigneur qui en ait cure,                                 Que nul cogneur n’en a cure,

2840  N’argent n’y veult en[s]55 metre, et « coing ».                Et ne veut y mettre ni son argent ni son poinçon.

                     En monstrant sainte Geneviève.                                       En montrant sainte Geneviève.

         Et vélà Madame, en son coing56,                                   Et voilà Madame, dans son recoin,

         Qui de « coignier » ne sceut onc note                             Qui n’a jamais su l’art de « cogner »

         (Ce dit-on), tant est nice et sote ;                                    (Dit-on), tant elle est naïve et sotte ;

         Qui a de l’argent à poignies                                             Qui a de l’argent par poignées

2845  Com s’en le forjast à coignies57.                                     Comme si on le forgeait à la hache.

         Chascun ly donne tire-à-tire58                                        Chacun lui en donne sans relâche,

         Et tous jours bret, pleure et soupire.                               Et pourtant, toujours elle brait, pleure et soupire.

         Coigne fort son huis et recoigne,                                     Qu’elle claque et reclaque fort sa porte,

         Car je ly baudray tel engroigne59                                    Car je lui flanquerai un tel coup

2850  (Foy que je doy saint Andrieu le Scot60)                         (Par saint André d’Écosse)

         Que je bevray à son escot                                                Que je boirai à ses frais,

         Ou je faurray à faire tente61.                                           Ou j’aurai mal tendu mon piège.

                     Cy62, la regarde, et puis                                                   Ici, qu’elle la regarde, et dise

                     die en hochant la main :                                                              en secouant la main :

         Elle est nuz-piéz. Ho ! j’ay m’entente63.                         Elle est déchaussée. Oh ! j’ai un plan.

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                      Cy, die à sainte Céline et à Margot :                               Ici, qu’elle dise à sainte Céline et à Margot :

         Dieu vous doint bon jour, Damoysèles !                         Une bonne journée, mesdemoiselles !

                     SAINTE  CÉLINE                                                         SAINTE  CÉLINE

2855  Bien veigniez, Dame ! Quelz nouvelles ?                        Bienvenue, Madame ! Qu’y a-t-il ?

                     LA  VIELLE,  en soy asséant.64                                     LA  VIEILLE,  en s’asseyant.

         Je me vueil soèr, ne vous desplaise.                                Je veux m’asseoir, s’il vous plaît.

                     MARGOT                                                                       MARGOT

         Ha ! Dame, estes-vous en malaise ?                                Ah ! Madame, avez-vous un malaise ?

                     LA  VIELLE,  en prenant lez                                         LA  VIEILLE,  en chaussant

                                   soullers secrètement :                                               discrètement les souliers :

         Oïl, j’ay .I. pou mal au cuer.                                           Oui, j’ai un peu mal au cœur.

                     SAINTE  CÉLINE                                                         SAINTE  CÉLINE

         Diex vous doint santé, bèle suer !                                   Que Dieu vous donne la santé, ma sœur !

                     LA  VIELLE,  en soy levant.                                          LA  VIEILLE,  en se levant.

2860  Amen ! Adieu, je suis garie !                                          Amen ! Adieu, je suis guérie !

                     SAINTE  CÉLINE  et  MARGOT                               SAINTE  CÉLINE  et  MARGOT

         Alez à la Vierge Marie !                                                 Allez remercier la Vierge Marie !

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                     Cy, s’en voise  LA  VIELLE,                                          Ici, que  LA  VIEILLE  s’en

                     en monstrant lez soullers et                                             aille en montrant au public

                     en disant :                                                                        les chaussures, et en disant :

         Or, dië Madame sez hinnes !                                          Que Madame récite donc ses hymnes !

         Comment que soit, j’ay sez botines.                                Quoi qu’il en soit, j’ai ses bottines.

         Voist nuz-piéz, s’el veult, par la rue !                              Qu’elle aille pieds nus par la rue, si elle veut.

2865  Et s’el a froit, sy esternue !                                              Et si elle a froid aux pieds, qu’elle éternue !

                     En souriant :                                                                    En souriant :

         Sa pucelle65 me sermonnoit.                                          Sa pucelle me serinait. Les souliers,

         Je lez prins : Diex lez me donnoit.                                  Je les ai pris : Dieu me les donnait.

         Ay-je bien fait ? Oïl, sans doubte !                                 Ai-je bien fait ? Oui, sans doute.

         …………………………… 66                                       …………………………..

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3048  Sire, quant à parler apris,                                                Monseigneur, dès que j’appris à parler,

         À mentir, à jurer me pris,                                               Je me mis à mentir, à blasphémer,

3050  À jouer, chanter et dancier,                                             À jouer aux dés, à chanter et danser,

         À père et mère courouscier,                                            À courroucer mon père et ma mère,

         À embler noiz, poires et pommes,                                  À voler des noix, des poires et des pommes,

         À accoler ces jeunes hommes.                                        À enlacer les jeunes hommes.

         Tantost perdy mon pucellaige.                                        Je perdis bientôt mon pucelage.

3055  J’ay tout honny, et67 mariage.                                         J’ai tout déshonoré, même le mariage.

         Et puis ay-je esté maquerelle,                                         Et puis j’ai été maquerelle,

         Qui trop empire ma querelle.                                          Ce qui aggrave beaucoup mon cas.

         Je suy orguilleuse, envieuse,                                            J’ai commis les péchés d’orgueil, d’envie,

         Gloute, yreuse, avaricïeuse,                                             De gourmandise, de colère et d’avarice.

3060  Mesdisant et de maise affaire,                                         Je suis médisante et de mauvaise compagnie,

         Et paréceuse de bien faire,                                              Et paresseuse de bien faire,

         Janglerresse en oiant lez messes.                                     Et hypocrite en écoutant la messe.

         J’ay veuz enfrains, jeûnes, promesses,                             J’ai enfreint les vœux, les jeûnes, les promesses,

         Les commandemens de la Loy.                                       Et les commandements de la loi divine.

3065  Il n’a ne cuer ne sens sur moy                                          Il n’y a rien en toute ma personne

         Dont je n’ayë Dieu courouscié,                                       Dont je n’aie offensé Dieu,

         Et moy et mon proisme blécié.                                       Et blessé moi et mon prochain.

         Dire ne sauroië la disme                                                 Je ne saurais vous dire le dixième

         De mes péchiéz : c’est ung abisme !                               De mes péchés : c’est un gouffre !

*

1 Je donne les numéros des vers d’après l’édition de Gabriella PARUSSA : Les Mystères du manuscrit 1131 de la bibliothèque Sainte-Geneviève de Paris. Classiques Garnier, vol. II, 2023, pp. 1552-1810.   2 S’en ressente favorablement. L’humour guérissait déjà la constipation.   3 Confusion populaire entre saint Gris [surnom de saint François d’Assise, qui était vêtu de gris], et l’insignifiant saint Chrysogone.   4 Tu ne frapperais, au sens érotique. « Hurtebillier Hennon et Jennette. » Jehan Molinet.   5 Architriclin était le maître d’hôtel des noces de Cana. « Quant le vin fut failly,/ Aux nopces de Archédéclin,/ (Dieu) ne mua-il pas l’eau en vin ? » Sermon joyeux de bien boire.   6 La soupe est un morceau de pain qu’on trempe dans le vin. « Ilz sont plus ivres qu’une soupe. » Massons et charpentiers.   7 Nous dirions aujourd’hui : Je verrais voler des éléphants roses.   8 Sur cette interjection hautement scatologique, voir la note 24 du Savetier Audin.   9 Prononciation à la française du mot Sanctus. La suite parodie, d’une manière qu’on qualifierait aujourd’hui de sacrilège, Dominus Deus sabaoth.   10 « Les feuilles de tripe sont des feuilles de parchemin de mauvaise qualité obtenues de la peau du cochon. » Gabriella Parussa, p. 1761.   11 Ms : Et eurent  (Elles se mettent en oraison. Le v. 3110 dit : « Plorez, orez, jeûnez, veilliez. »)   12 Elles exhibent une corde en guise de ceinture, comme les Cordeliers. La haire est une chemise de crin que les pénitents les plus fanatiques portent à même la peau. On sent que l’auteur désapprouve ce masochisme ostentatoire.   13 Comporte, rassemble. Ce frontispice figure dans l’illustration ci-dessus, où le sous-titre est en rouge.   14 De brièveté. Tous les malades sont réunis dans un seul miracle.   15 Greffées.   16 Ms : mon piegne  (Tous les valets d’aveugles guident leur maître quand il va mendier.)   17 Littéralement : voulez-vous jouer à pile ou face ? En fait, le valet ironise sur la modicité des dons, qui ne laisse aucun choix. Sous ce vers, qui est au bas de la colonne, le ms. ajoute entre des plumes dessinées : degrace   18 Le chevêtre est la bride par laquelle on mène un cheval ou un âne. Par extension, c’est également la corde du pendu, et le gibier de potence qui la mérite : « Tu mens, chevestres ! » ATILF.   19 Froids-Vaux = froides vallées. Cette abbaye mythique désigne un taudis glacial peuplé de clochards. Voir la note 155 du Monde qu’on faict paistre.   20 La foire du Lendit se tenait du 11 au 24 juin près de Saint-Denis, où se déroule cette partie du Mystère. Notre manuscrit l’évoque dans le Geu saint Denis : « Fuions-nous-en (dyables l’emportent !)/ Tout droit à la foire au Lendit. »   21 Fermement. Les mendiants aveugles chantent dans les rues. La chanson qui suit rappelle les vers 127-130 de l’Aveugle et Saudret, une autre farce incluse dans un Mystère.   22 Forme picarde de saint Pierre, le premier pape. « Vous serez sainct Pere de Rome. » Le Chauldronnier.   23 Non plus. Niant est la forme normanno-picarde de néant. En Normandie, coute = coude.   24 Cf. les Botines Gaultier, vers 417 et 479. Dans notre manuscrit, l’aveugle de la Conversion saint Denis entend les mêmes excuses : « –Donnez-moy, pour Dieu, quelque chose !/ –Parlez bas, Madame repose./ –Au mains, me tendez vostre main !/ –Oïl, oïl, c’est à demain ! »   25 Jeu de mots sur « baiser ». Avec un calembour similaire, on dit que les femmes qui sortent rejoindre leur amant vont à Saint-Béset ; cf. Tout-ménage, vers 236. Soulignons que le scribe ne note pas les cédilles, et que l’acteur eût été parfaitement compris s’il avait prononcé « baise en con » et « culs en cons ».   26 Cuisançon = peine, tourment. Mais il y a ici un jeu de mots sur « cul ».   27 Un incompétent qui s’occupe d’une quantité d’affaires auxquelles il n’entend rien. Cf. le Temps-qui-court, vers 180.   28 Dans notre manuscrit, l’aveugle de la Conversion saint Denis fait le même constat : « Il est trop povres, qui ne voit. »   29 C’est une vraie médaille d’étain : un objet dépourvu de valeur.   30 En conformité avec la parabole de l’aveugle et du paralytique, beaucoup de valets farcesques qui guident un non-voyant sont eux-mêmes handicapés : « Faictes quelque bien au boiteux/ Qui bouger ne peult, pour [à cause de] la goucte. » (L’Aveugle et le Boiteux.) Voir aussi l’Aveugle et son Varlet tort, de François Briand.   31 Mauvaise. Même picardisme au v. 3060.   32 Pustules provoquées par un acarien. Les lentes sont des œufs de poux.   33 Il s’agit de la petite vérole, ou variole. La grande vérole, ou syphilis, n’apparaîtra qu’un siècle plus tard.   34 Mot inconnu. Peut-être faut-il lire « fienterole ».   35 Le ms., en dépit de son dernier éditeur, donne ce mot au masculin. « Ceste maladie est dicte vulgalment le jaunisse. » (ATILF.) Étique = amaigri par la maladie. « Oncques pauvre paralitique/ Ne fut tant que je suis éthique. » (Le Gouteux.) Cette accumulation de mots et de maux avait le même effet cocasse que la chanson d’Ouvrard : « J’ai la rate/ Qui s’dilate,/ J’ai le foie/ Qu’est pas droit,/ J’ai le ventre/ Qui se rentre,/ J’ai l’pylore/ Qui s’colore,/ J’ai l’gésier/ Anémié… »   36 Les médecins, qui font leur diagnostic en examinant les excréments des malades, sont des spécialistes de la « merde fine ». Au v. 2659, le personnage du Bossu dénonce leur cupidité : « J’ay despendu [dépensé] tout mon argent/ En merdesfines et en mires [médecins]./ Je croy qu’ou monde n’a gents pires :/ Soit tort, soit droit, hapent, ravissent…./ On ne puet mielx lez gens pillier. » Je rétablis la chuintante normanno-picarde de chiurgien, qui permet un autre calembour scatologique sur « chiure ».   37 Plus rien à mettre dans ma poêle. Idem au v. 2824.   38 Si m’aid Dieu : que Dieu m’assiste !   39 Les pauvres — et les zélatrices de sainte Geneviève — se contentent d’une corde en guise de ceinture. Les aveugles se cramponnaient à celle de leur valet : « Empongnez-moy par la saincture,/ Et nous yrons à l’avanture. » (L’Aveugle, son Varlet et une Tripière.) Voir aussi le vers 360 des Miraculés.   40 Elle l’a fait bâtir à l’Estrée, près de Saint-Denis et du Lendit.   41 Elle est pauvrement vêtue et ne porte pas de chaussures.   42 Jeu de mots irrévérencieux : la Vieille a sous les yeux sainte Céline, une adoratrice de sainte Geneviève. Mais sainte Géline est une poule, sanctifiée par un sermon joyeux, la Vie madame Guéline.   43 En picard, « je ne vé line » = je ne vois pas une ligne.   44 Ce verbe signifie : embrouiller un texte auquel on ne comprend rien ; cf. la Folie des Gorriers, vers 359. Il peut également signifier : salir ; cf. Mahuet, vers 194. D’une manière ou d’une autre, Geneviève fait partie des « brouilleurs de parchemins ».   45 Ms : a  (Qui sait où il faut mettre les mains pour amasser de l’argent.)   46 Ces 2 verbes synonymes vont souvent de pair : « Je ne suis fondu ne remis,/ Que ne le luy face à deux coups. » Frère Frappart.   47 Locution inconnue qu’on retrouve dans ce ms. : « S’il eussent que daire,/ Je leur feisse le bien-veignant. » (Geu saint Denis.) On peut la rapprocher de « n’avoir que raire » : n’avoir plus rien à tondre, à gratter. À la limite, ce pourrait être une contrepèterie argotique sur « n’avoir de caire » : ne pas avoir d’argent. Cf. le Mince de quaire.   48 Soûle. Nous dirions : J’étais pleine comme un boudin.   49 Le verbe cogner et le substantif coin, pris au sens érotique, vont générer 14 vers. Le personnage du Fiévreux s’était livré <vv. 2688-2712> à un jeu tout aussi virtuose sur le radical dur.   50 Les amants. « Il m’a très-bien cognée :/ Jamais je ne veis tel coigneux./ Mais moy qui suis obstinée,/ Pour un coup j’en rendis deux. » Gaultier-Garguille.   51 Ma vulve. « Qui luy frapperoit sus son coing/ D’ung gros ‟martel” pesant et lourt. » Jehan Molinet.   52 Ms : du  (Me graissaient la patte. « Les poins dorés d’argent. » Le Jeu du capifol.)  Dans ce vers, cogner = mettre de force : « Et que dans mon ventre je cogne/ Vin blanc muscat et vin vermeil. » Godefroy.   53 Par un pénis. « Son long coing tremblotant,/ Son coing rouge orangé. » Ronsard, la Bouquinade.   54 Ma vulve. La cognée [hache] possède un trou dans lequel on enfonce le manche. Comme le dit Priape, « coingnée sans manche/ Ne sert de rien ». Rabelais, Prologue du Quart Livre.   55 Dedans. Notre fatiste écrit au v. 1908 : « Ne hors, ne ens. »   56 Sainte Geneviève prie à genoux dans une chapelle ouverte. Elle a laissé ses chaussures à l’entrée, sous un banc où sont assises sa disciple, sainte Céline, et leur servante Margot.   57 À grands coups de hache, sans compter.   58 Cf. le Temps-qui-court, vers 75.   59 Un tel coup sur le groin. « Le villain grongne ?/ Bien luy donray d’une engrongne/ Sur les dentz ! » (Godefroy.) On pourrait lire engaigne : mauvais tour, fourberie. Auquel cas, ce mot rimerait avec « recaigne », à la manière normande.   60 À saint André, le saint patron de l’Écosse.   61 Je faudrai (futur picard de faillir) à poser une tente, un collet tendu. Cf. le Temps-qui-court, vers 114.   62 Ms : Cil  (Voir la prochaine didascalie.)   63 Mon intention. Devant ce mot, les Picards apocopent les pronoms mon et son : « Mais qui n’y met toute s’entente. » Les Femmes qui aprennent à parler latin.   64 Feignant d’avoir un malaise, elle s’assoit sur le banc, juste au-dessus des souliers de Geneviève, qui sont par terre.   65 Peut désigner Céline ou Margot : voir le v. 2516. Pour la Vieille, ce terme est injurieux.   66 Après moult péripéties édifiantes, la Vieille va se confesser à l’évêque de Paris, qui n’en perd pas la foi pour autant, ce qui prouve qu’il est lui-même confessé de frais.   67 Ms : en  (Et aussi.)

LE BRIGANT ET LE VILAIN

Bibliothèque Sainte-Geneviève

Bibliothèque Sainte-Geneviève

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LE  BRIGANT

ET  LE  VILAIN

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Les Mystères étant longs et répétitifs, on y insérait quelquefois une farce pour divertir les spectateurs : voir la notice des Tyrans. La farce que je publie ci-dessous fait partie d’un Mystère à la gloire de saint Fiacre, dont le manuscrit comporte également les Miracles madame sainte Geneviève ; celui qui a pour sous-titre Ung biau miracle est rédigé « en farses, pour estre mains fades…. Et a, parmy, farsses entées, afin que le jeu soit meins fade et plus plaisans. »

Notre farce est imbriquée dans la Vie monseigneur saint Fiacre, avec laquelle elle n’a aucun rapport, si ce n’est sa misogynie. Les deux œuvres sont du même auteur anonyme qui, pour gagner du temps, a repris l’une de ses anciennes pochades. Il n’a même pas fait l’effort de situer les deux actions au même endroit : le Mystère se déroule à Meaux, dans la région parisienne, et la farce aux confins de l’Île-de-France et de la Picardie. Toutefois, le début et la fin de la farce riment avec le vers antérieur ou postérieur du Mystère. Ainsi, le 1er vers rime avec le dernier vers déclamé par saint Faron : pendant toute la durée de la farce, cet évêque préside la veillée funèbre de saint Fiacre, non loin des tréteaux ; le public a sous les yeux ces deux spectacles simultanés. Voir la note 100 de Baudet, Blondète et Mal-enpoint.

Comme le signale Bernard Faivre1, « la pièce est sans doute de la fin du XIVe siècle. C’est donc une des plus anciennes farces que nous possédions et à peu près sûrement la première à porter le nom de ‟ farce ”. » Ses archaïsmes m’ont contraint à lui adjoindre une traduction.

À la suite, on lira des extraits farcesques du Mystère de saint Sébastien qui offrent deux points communs avec le Brigant et le Vilain : ils mettent en scène un paysan et son épouse peu coopérative, et ils se déroulent dans une taverne tenue par une femme. Les tavernières n’étaient pas rares : on en trouve une autre dans la farce du Pardonneur.

Source : Paris, Bibliothèque Sainte-Geneviève, Ms. 1131, folios 63 vº à 67 rº. Copié au milieu du XVe siècle.

Structure : Rimes plates. Comme dans le Mystère, chaque réplique se clôt sur un vers mnémonique de 4 syllabes qui rime avec le 1er vers de la réplique suivante.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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Cy est interposé

une Farsse

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    [ LE  BRIGANT 2

       LE  VILAIN 3

       LE  SERGENT

       LA  FAMME  AU  VILAIN

       LA  FAME  AU  SERGENT

       LA  TAVERNIÈRE ]

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                     LE  BRIGANT 4                                                    LE  FANTASSIN                       SCÈNE  I

       Biau preudom5, je ne sui pas aise :                       Brave homme, je ne suis pas à mon affaire :

       J’ay perduë ma compaignie.                                  J’ai perdu ma compagnie de fantassins.

       Ensaigne-moy — ne [me] ment mie —                Indique-moi sans mentir

       Le droit chemin à Saint-Omer6,                           Le bon chemin pour Saint-Omer,

5      Par Dieu que chascun doit amer !                         Au nom du Dieu que chacun doit aimer !

       De forvoier sui en doubtance,                               Je redoute de me fourvoyer,

       Car oncques-mais ne fu en France                       Car jamais je ne suis venu en Île-de-France

             N’en Picardie.                                                 Ni en Picardie.

                     LE  VILAIN                                                           LE  PAYSAN

       Je mengeray de la boulie,                                      Je mangerai de la bouillie,

10    quant je vendray7 à [la] maison.                       Quand j’arriverai à la maison.

       Mais j’ay perduë ma saison                                  Mais j’ai perdu mon temps

       De tous poins, ceste matinée :                              En tout point, cette matinée :

       Car le prestre8 sy a chantée                                  Car le prêtre a chanté

       Hui au matin trop longue messe.                          Ce matin une messe trop longue.

15    Ne prise le cry d’unne asnesse                              Je n’estime pas plus que le cri d’une ânesse

       Tout quanqu’il pourroit sermonner :                     Tout ce qu’il pourrait prêcher :

       Il ne pensse qu’à organer                                       Il ne pense qu’à chanter

       Pour traire nostre argent de boursse.                    Pour tirer l’argent de notre bourse.

       Aussy tost [tr]aroit9 .I. pet d’oursse                      On tirerait plutôt un pet d’un âne mort

20    Qu’ait riens du mien par son abet,                        Qu’il n’aurait un sou de moi par sa ruse,

       Tant sache chanter au fausset                               Tant sache-t-il chanter en voix de fausset

             N’à haulte alaine !                                           Ni à perte d’haleine !

                     LE  BRIGANT                                                       LE  FANTASSIN

       Bons homs, dy-moy (ne te soit paine)                   Brave homme, dis-moi s’il te plaît

       Par où sont lez brigans passéz.                              Par où sont passés les fantassins.

25    Je sui [d’estriver tout]10 lasséz.                             Je suis las de m’efforcer.

       Ensaigne-moy (que Dieu te voie11 !)                   Avec l’aide de Dieu, indique-moi

       De Saint-Omer la droite voie.                              La bonne route pour Saint-Omer.    À part :

       (Ce vilain [respondre ne daigne]12 ;                     Ce bouseux ne daigne pas me répondre ;

       En mon cuer en ay grant engaigne.                       J’en ai au cœur un grand dépit.

30          Sourt est, je croy.)                                          Je crois qu’il est sourd.

                     LE  VILAIN                                                           LE  PAYSAN

       Queurs-tu13 après .I. palleffroy ?                          Cours-tu derrière un cheval ?

       Tu as robe bien escourtée14 !                               Tu as une robe bien raccourcie !

       Ne15 doubte qu’elle soit crotée.                            Ne crains pas qu’elle soit crottée par la boue.

       Tu sembles moult bien plain d’oultrage.               Tu sembles être bien plein de témérité.

35    Je ne sçay se tu as courage                                   Je ne sais pas si tu aurais le cœur

       De moy férir en nulle guise ;                                De me frapper d’une manière ou d’une autre ;

       Mais en vérité, te devise                                       Mais en vérité, je te préviens

       Que se de toy féru estoie,                                      Que si j’étais frappé par toi,

       De mon houel [je] t’abatroie                                 Avec ma bêche je t’abattrais

40          Le hasterel16 !                                                 La tête !

                     LE  BRIGANT                                                      LE  FANTASSIN,  à part.

       (Ce félon vilain boterel                                          Ce sournois crapaud des champs

       M’entent17 bien ; ne me veult mot dire.                M’entend bien, mais il ne veut rien me dire.

       [A]voir18 me fait au cuer grant yre.                      Il me fait avoir au cœur une grande colère.

       Encore l’araisonneray.)                                          Je vais encore le questionner.    Au paysan :

45    Bons homs, dy par où passeray                             Brave homme, dis-moi par où je passerai

       Pour mez compaignons retrouver.                         Pour retrouver mes compagnons.

       Je le te vouldroië rouver                                        Je voudrais te le demander

             Par courtoisie19.                                             Au nom de la courtoisie.

                     LE  VILAIN                                                           LE  PAYSAN

       Ma fame maine grant mestrie20                           Ma femme a une grande domination

50    Suz moy ; s’en sera tourmentée.                           Sur moi ; mais elle en sera punie.

       Quant je veul pois, n’ay que poirée21.                  Quand je veux des pois, je n’ai que des poireaux.

       Trop me desprise malement !                               Elle me méprise trop durement !

       Sy en ara grief paiëment                                       Elle en aura un douloureux paiement

             En brief termine.                                            Dans peu de temps.

                     LE  BRIGANT                                                       LE  FANTASSIN

55    Faulx vilain ! La male vermine22                         Sale plouc ! Que la mauvaise vermine

       Te puist tenir, et le lampas23 !                              Puisse te tenir, et la fièvre aphteuse !

       Pourquoy ne m’ensaigne-tu pas                             Pourquoi ne m’indiques-tu pas

       Mon chemin ? Chose que je die,                          Mon chemin ? Quoi que je dise,

       Par foy, ne tiens24 qu’à moquerie.                        Par ma foi, tu n’en fais que des moqueries.

60    Je te ferray ains que m’en aille !                           Je te frapperai avant que je m’en aille !

       En fourme de vilain, sanz faille,                           Sans nul doute, à l’image d’un péquenot

             Es bien taillié.                                                 Tu as bien été taillé.

                     LE  VILAIN                                                           LE  PAYSAN

       Se mon pain t’avoië baillié,                                   Si je t’avais confié mon pain,

       Moult mal asseuré en seroie ;                               Je ne serais pas rassuré ;

65    Car ataindre ne te pourroie25,                              Car je ne pourrais pas te rattraper

             J’en sui scëur.                                                 Pour le reprendre, j’en suis sûr.

                     LE  BRIGANT                                                       LE  FANTASSIN

       Par foy ! se n’ëusse pëur                                       Par ma foi ! si je n’avais pas peur

       Que de justice repris fusse,                                   D’être pris par la justice,

       Je te tranchasse la capusse26                                 Je te trancherais la tête

70    De ma coustille, de randon27.                               Avec mon coutelas, de force.    Il prend la cage.

       Mais j’enporteray à bandon                                   Mais j’emporterai en toute liberté

       Ce chapon cras sanz demourée :                           Ton chapon gras sans retard :

       Mengié sera à la vesprée,                                      Il sera mangé au souper,

             Quant l’ay trouvé.                                           Puisque je l’ai trouvé.

                                                                                                                                                        SCÈNE  II

                     LE  SERGENT 28                                                  LE  SERGENT

75    Tu sembles bien larron prouvé.                            Tu sembles bien être un fieffé larron.

       Pas le chapon n’enporteras !                                 Tu n’emporteras pas ce chapon !

       Jà ta29 gorge n’en passeras !                                 Jamais tu n’en satisferas ton gosier !

       Çà30 ! met[z-]le jus, ribault pourry !                    Allons ! mets-le par terre, ribaud pourri !

       À ceulz sera qui l’ont nourry.                                Il sera à ceux qui l’ont nourri.

80    Entre vous, brigans (n’en dout mie),                     Je ne doute pas qu’entre vous, fantassins,

       Ne vivez que de roberie31.                                   Vous ne viviez que de rapines.

       Lesse(z) le chapon sans attendre !                        Laisse ce chapon sans tarder !

       C’on te puist par la gorge pendre,                         Qu’on puisse te pendre par le cou,

             Garsson32 puant !                                           Mauvais garçon !

                     LE  BRIGANT                                                      LE  FANTASSIN

85    En me devroit aler huant33,                                  On serait en droit de me huer,

       Se le chapon pour toy lessoie.                               Si je laissais ce chapon à cause de toi.

       Je le mettray enmy la voie                                    Je le poserai sur le chemin

       Tant que me soië conbatu,                                    Jusqu’à ce que j’aie combattu contre toi,

       Se ton orgueil n’est abatu                                      Si ton orgueil n’est pas abattu

90    Par moy. Chétif sergenterel,                                Par moi. Chétif sergentelet,

       Je ne me prise .I. vielz mérel34                            Je ne vaux pas un vieux jeton

             Se n’as du pire.                                               Si tu n’as pas le dessous.

                     LE  SERGENT 35                                                  LE  SERGENT  abat son épée.

       Tien !! Jamais, sanz conseil de mire,                    Prends ça !! Sans les conseils d’un médecin,

       De ce coup n’auras garison.                                  Jamais tu ne guériras de ce coup.

95    Ta coustille petit prison :                                      Je fais peu de cas de ton coutelas :

       Le chapon n’enporteras mie.                                Tu n’emporteras pas le chapon.

       Petit priseroië ma vie                                            Je serais indigne de vivre

       Se, cy endroit, [fort me ferroies]36.                      Si, en ce lieu, tu me frappais fort.

       En ton païs37, bien le feroies ;                              Dans ton pays, tu le ferais sans risque ;

100  Quant ycy endroit le veulz faire,                           Si tu veux le faire ici,

       Pourtant, en aras tel contraire                               Pourtant, tu en auras une telle riposte

             Que tu mourras.                                             Que tu en mourras.

                     LE  BRIGANT                                                       LE  FANTASSIN

       Jà deffendre ne te pourras                                     Tu ne pourras jamais te défendre

       Contre moy. Se saingne .I. petit,                           Contre moi. Si je saigne un peu par ta faute,

105  Tant ay-je plus grant apétit                                   J’en ai une envie d’autant plus grande

       De moy venger, bien dire l’ose.                            De me venger, j’ose bien le dire.

       Se m’as presté aucune chose,                                Si tu m’as prêté un coup,

       Moult bien m’en saray aquiter.                              Je saurai bien te le rendre.

       Il te convient à moy luitier38.                                Il te faut lutter avec moi.    Il l’empoigne.

110  Puis que je te tiens, tu cherras.                             Maintenant que je te tiens, tu vas tomber.

       Plus, d’espéë, ne me ferras !                                 Tu ne me frapperas plus avec ton épée !

             Petit te prise.                                                   Je tiens peu de compte de toi.

                     LE  SERGENT                                                      LE  SERGENT

       Je sçay bien de luitier la guise :                             Je connais bien l’art de lutter :

       Quant je te tiens, petit te doubte.                          Quand c’est moi qui te tiens, je te redoute peu.

115  Il fault que le chapon te couste                             Il faut que ce chapon te coûte

             Vilainement.                                                   Très cher.

                     LE  BRIGANT                                                      LE  FANTASSIN

       Garde-toy bien ! Prochainement                           Défends-toi bien ! Très bientôt

       Te verras verssé contre terre.                                Tu te verras renversé face contre terre.

       Tu ne scès mië moult de guerre.                           Tu ne sais pas grand-chose de la guerre.

120  Tien cela, et sy, te déporte !                                 Prends ça, et éloigne-toi !

       Mais je te dy bien et enorte                                  Mais je te dis bien et je t’avertis

       Que, de droit, doiz paier ton lit39.                        Que, par droit, tu dois payer ta faute.

       Je m’en yray, s’y t’enbellit40 ;                               Je m’en irai, si cela t’est bel et bon ;

       Et, se il ne t’enbellit mie,                                      Et, même si cela ne t’est pas bel et bon,

125  S’enporteray de ma partie                                    J’emporterai de mon côté

             Le chappon cras.                                            Le chapon gras.

                     LE  SERGENT                                                       LE  SERGENT,  à part.

       (Haro !! il m’a ronpu le bras !                               Aïe !! il m’a rompu le bras !

       De luitier à lui fiz folie.                                         Je suis fou d’avoir lutté avec lui.

       Le chapon a par sa mestrie ;                                 Il a eu le chapon par sa victoire ;

130  S’en pais li ëusse lessié,                                        Si je le lui avais laissé pacifiquement,

       De miex m’en fust. Car abessié                            Je m’en porterais mieux. Car mon renom

       Mon nom grandement en sera :                            En sera grandement rabaissé :

       Bien sçay c’on m’en desprisera.                            Je sais bien qu’on me dénigrera.

       Pour fol le cuidoië tenir ;                                      Je le prenais pour un imbécile ;

135  Meschief m’en devoit bien venir,                          Il devait bien m’en venir un dommage,

       Il est droit41. Tant me sui prisié                           Ce n’est que justice. Je me suis tant surévalué

       Qu’en ay ëu le bras brisié.42)                               Que j’en ai eu le bras brisé.    Au public :

       Véez comme [il] scet bien fouïr !                        Voyez comme il sait vite fuir !

       Je ne le pourroië suïr.                                           Je ne pourrais pas le poursuivre.

140        Voit au dïable !                                               Qu’il aille au diable !

                                                                                                                                                        SCÈNE  III

                     LA FAMME AU VILAIN43                                  LA  FEMME  DU  PAYSAN

       Doulce commère, n’est pas fable :                        Ma douce commère, ce n’est pas une blague :

       Vostre mary est mahengnié.                                 Votre mari est blessé.

       Il cuidoit avoir gaangnié                                       Il pensait avoir gagné

       Contre .I. briguant, par sa foleur,                         Contre un fantassin, par sa folie,

145  .I. cras chapon44 ; mèz grant douleur                   Un chapon gras ; mais un grand mal

       L’en est soursse45, pas n’en doubton.                   Lui en est venu, n’en doutons pas.

       Sy, n’i a conquis .I. bouton                                   Aussi, il n’y a pas gagné un bouton de culotte

             Mais grant contraire.                                      Mais plutôt une grande contrariété.

                     LA FAME AU SERGENT                                    LA  FEMME  DU  SERGENT

       Dieu veulle qu’il puist tel fait faire                       Dieu veuille qu’il puisse commettre un tel crime

150  Que en le pende par la gorge !                             Qu’on le pende par le cou !

       Le glorïeux martir saint George46                       Que le glorieux martyr saint Georges

       Et la doulce Vierge Marie                                    Et la douce Vierge Marie

       Veullent qu’il face47 tel folie                                Veuillent qu’il commette une telle folie

       Que mourir puist vilainement,                              Qu’il puisse en mourir honteusement,

155  Bien tost et bien appertement !                             Bien vite et devant tout le monde !

       Il48 me maine trop dure vie,                                 Il me mène une vie trop insupportable,

       Pour une garsse qui n’est mie                               À cause d’une garce qui n’est pas

       Sy belle comme moy d’assez :                              Si belle que moi, et de beaucoup :

       Il a plus de .III. ans passéz                                   Il y a plus de trois ans passés

160        Qu’i la gouverne.                                            Qu’il l’entretient.

                     LA FAME AU VILAIN                                         LA  FEMME  DU  PAYSAN

       Ma suer, je sçay une taverne                                Ma sœur, je connais une taverne

       Où il a .I. moûlt sy frïant                                      Où il y a un vin nouveau si bon

       Qu’à touz coups49 fait le cuer rïant,                      Qu’à tous les coups il rend le cœur riant,

             Qui en avalle.                                                  Quand on en avale.

                     LA FAME AU SERGENT                                    LA  FEMME  DU  SERGENT

165  Voir, j’ay de duel50 la couleur palle :                    Vraiment, je suis pâle de chagrin :

       Car essoir, fu trop bien batue.                               Car hier soir, je fus trop bien battue.

       Pour tant, louë Dieu et salue                                 Pour cela, je loue et salue Dieu

       Quant mon mary a grief soudée51 :                      Que mon mari ait reçu ce pénible salaire :

       Je ne seray mèshuy frapée                                    Désormais, je ne serai plus frappée

170  De li, puisqu’a52 le bras brisié.                             Par lui, puisqu’il a le bras brisé.

       Du moûlt que tant avez prisié                               Du vin nouveau que vous avez tant vanté

             Veul aler boire !                                              Je veux aller boire !

                     LA FAME AU VILAIN                                        LA  FEMME  DU  PAYSAN

       Commère, c’est vers Saint-Magloire53 ;               Ma commère, c’est vers Saint-Magloire ;

       Alons tost [chiez ces Filles-Dieu]54 !                   Allons vite chez ces filles de joie !

175  Fain ay que soië sus le lieu.                                  J’ai grand désir d’être en ce lieu.

       Ne dout point que batue [en] soie.                       Je ne redoute pas d’être battue pour cela.

       Pour mon mary riens ne feroie :                           Je ne ferais rien pour mon mari,

             Ne me fiert goute.                                          Puisqu’il ne me bat pas du tout.

                     LA FAME AU SERGENT55                                LA  FEMME  DU  SERGENT

       Entrons ens ! Trop le mien redoubte :                  Entrons ! Moi, je redoute beaucoup le mien :

180  Trop me bat, ne s’en peut tenir.                            Il me bat toujours, il ne peut s’en empêcher.

       Male honte li puist venir !                                    Qu’une mauvaise honte puisse lui en advenir !

       Et au brigant soit ajourné                                     Et que se lève sur le fantassin

       Bon jour, qui sy l’a atourné !                               Une bonne journée, lui qui l’a ainsi arrangé !

       Car j’en ay à mon cuer grant joie.                        Car j’en ai au cœur une grande joie.

                                                                                                                                                        SCÈNE  IV

                     Cy parle56 à la tavernière.                                      Ici, qu’elle parle à la tavernière.

185  Tavernière ! Se Diex vous voie,                            Tavernière ! Avec l’aide de Dieu,

       En .I. lieu privé nous métez ;                                Mettez-nous dans un endroit discret ;

       Puis à boire nous aportez                                      Puis apportez-nous à boire

             Et57 bonne chière !                                         Et de quoi faire bonne chère !

                     LA  TAVERNIÈRE                                               LA  TAVERNIÈRE

       En ceste chambre, cy derrière,                             Dans cette salle, là-derrière,

190  Vous séez : lieu y a privé58.                                 Asseyez-vous : il y a un « cabinet » privé.

       Jà à vous n’ara estrivé.                                          Jamais vous n’y serez importunées.

       En l’eure serviës serez                                          Vous serez servies sur l’heure

       De ce que vous demenderez,                                De ce que vous demanderez,

             Sanz demourée.                                              Sans retard.

                     LA FAME AU VILAIN                                         LA  FEMME  DU  PAYSAN

195  Faites que nous soit aportée                                 Faites en sorte que nous soit apporté

       Une pinte59 de moûlt vermeil ;                            Un litre de vin rouge nouveau ;

       Je ne beu ouan60 son pareil                                  De toute l’année, je n’ai pas bu son pareil

             En ceste ville.                                                 En cette ville.

                     LA  TAVERNIÈRE                                               LA  TAVERNIÈRE

       Volentiers l’arez, c’est sanz guille61.                    Vous en aurez volontiers, sans feinte.

200  Je vois querre la pinte plaine.                              Je vais en chercher un plein litre.

                     Cy voise querre du vin, et puis die :                         Qu’elle aille ici chercher du vin, et qu’elle dise :

       Tenez : buvez à bonne estraine,                           Tenez : buvez sous ces bons auspices,

             Paisiblement.62                                              En toute quiétude.

                                                                                                                                                        SCÈNE  V

                     LA FAME AU SERGENT                                    LA  FEMME  DU  SERGENT

       Vous buvrez tout premièrement,                          Vous boirez la première,

       Commère : vous estes l’aînée.                              Ma commère : vous êtes l’aînée.

205  Aussy m’avez[-vous] aportée                               Aussi, c’est vous qui m’avez apporté

       La nouvelle premièrement                                    La première cette nouvelle

       De mon mary que malement                                Que mon mari a été vilainement

       Est atourné. J’en ay grant feste !                           Arrangé. J’en ai une grande joie !

       Je vouldroië qu’ëust la teste                                  Je voudrais qu’il ait la tête

210        Parmy63 brisiée.                                             Brisée de part en part.

                     LA FAME AU VILAIN                                         LA  FEMME  DU  PAYSAN

       Buvez bien, commère prisiée64 !                          Buvez bien, ma commère chérie !

       Que Dieu confonde noz maris !                            Que Dieu anéantisse nos maris !

       Emplons de ce moûlt noz « baris »,                      Emplissons notre « baril » de ce vin nouveau,

             Car il est fin.                                                   Car il est bon.

                     LA FAME AU SERGENT                                    LA  FEMME  DU  SERGENT

215  J’en empliray tant65 mon « coffin »                      J’en emplirai tellement mon « couffin »

       Que seray yvre, bien le pensse.                            Que je serai ivre, je pense.

       Se mon mary me fait offensse                              Si mon mari me fait une offense

       Ou veult estriver de riens66 née,                          Ou veut contester à propos de quoi que ce soit,

       Puis qu’il a [sa] brache67 brisiée,                         Maintenant qu’il a son bras brisé,

220  Contre terre le bouteray.                                      Je le jetterai à terre.

       Jamais ne le déporteray68,                                   Jamais je ne l’épargnerai,

             Se me gart Diex !                                           Si Dieu me garde !

                     LA FAME AU VILAIN                                         LA  FEMME  DU  PAYSAN

       Mon mary fuet en noz « courtiex »69 ;                Mon mari laboure mon propre « jardin » ;

       Oncques ne fut de moy amé70.                            Cependant, jamais il ne fut aimé de moi.

225  Il vendra jà tout affamé71,                                   Il viendra bientôt tout affamé de sexe,

             Mais ne m’en chault.                                      Mais cela ne m’intéresse pas.

                     LA FAME AU SERGENT                                    LA  FEMME  DU  SERGENT

       Buvon ce moûlt friant et chault :                          Buvons ce vin attrayant et chaleureux :

       Mal ait qui bien ne [le] buivra !                            Que celle qui ne le boira pas en ait du mal !

       Je croy que grant bien nous fera ;                         Je crois qu’il nous fera grand bien ;

230  Quant je l’avale, j’en ay feste.                               Quand je l’avale, j’en ai de la joie.

       Il m’est jà monté en la teste ;                                Il m’est déjà monté à la tête ;

       À paine me puis soustenir.                                   À peine je peux me soutenir.

       Et sy, voy mon mary venir72                                Et même, je crois voir mon mari venir

       Tout droit dedens ceste taverne.                           Tout droit dans cette taverne.

235  Assez fièrement se gouverne.                               Il se tient assez fermement.

       Ne semble pas qu’ait bras quassé ;                       On ne dirait pas qu’il a un bras cassé ;

       Il ne semble pas trop lassé…                               Il ne semble pas trop affaibli…   Elle dessoûle.

             Je sui perdue !                                               Je suis perdue !

                     LA FAME AU VILLAIN                                      LA  FEMME  DU  PAYSAN

       Aussy voy-je sanz atendue                                   Je vois aussi venir en toute hâte

240  Le mien droit cy à nous venir.                             Le mien tout droit vers nous.

       Chaude fièvre le puist tenir !                                Qu’une fièvre chaude puisse le tenir !

       Il m’a moult bien aparcëue ;                                 Il m’a bien aperçue ;

       Je croy que je seray batue.                                   Je crois que je vais être battue.

             Il vient des chans.                                          Il revient des champs.

                                                                                                                                                        SCÈNE  VI

                     LE  VILAIN                                                           LE  PAYSAN,  au sergent :

245  Par foy ! je suis bien meschéans :                        Par ma foi ! je suis bien malheureux :

       Aulx chans me tuë chascun jour,                         Je me tue chaque jour aux champs,

       Et ma fame prent son séjour                                Et ma femme prend ses aises

       Ès tavernes ! C’est chose voire :                           Dans des tavernes ! C’est une chose véritable :

       Je la voy là, en présent, boire                               Je la vois là, en personne, boire

250  Le fort moûst. Mèz s’el n’est latrée73,                 Du vin fort. Mais si elle n’est pas bastonnée,

       Riens ne vail.                                                       C’est que je ne vaux rien.   À sa femme :

                               Hé ! gloute74 prouvée,                                                      Hé ! fieffée cochonne,

       Il te convient mon poing sentir !                          Il faut que tu sentes mon poing !

                     Cy bate sa fame.                                                      Ici, qu’il batte sa femme.

       Je [ne] pourroië consentir                                    Je ne pourrais approuver

             Ta lécherie !                                                  Ton incontinence !

                     LA FAME AU VILAIN                                        LA  FEMME  DU  PAYSAN

255  Lasse ! je suis toute estourdie                             Malheureuse ! je suis tout étourdie

             Et afolée.                                                       Et assommée.

                     LE  SERGENT                                                      LE  SERGENT  s’approche.

       Fame, qui t’a cy amenée ?                                    Ma femme, qui t’a amenée ici ?

       Voir, de toy sui petit prisié,                                 Vraiment, je suis peu estimé de toi,

       Combien qu’aië le bras brisié.                              Bien que j’aie le bras brisé.

                     En frapant, et en li                                                  En la frappant de son bras valide,

                     ostant sa coiffe 75 :                                                   et en lui ôtant sa coiffe :

260  S’aras-tu de moy ce mérel76 !                              Aussi, tu auras de moi ce coup !

       N’i ara coife ne bourel                                          Il n’y aura ni coiffe, ni bourrelet de chaperon

             Que ne despiesse !77                                      Que je ne mette en pièces !

                                                                                                                                                        SCÈNE  VII

                     LA FAME AU SERGENT                                    LA  FEMME  DU  SERGENT,  dehors.

       Çà, commère : qu’i vous meschesse !                  Or çà, commère : qu’il vous arrive malheur !

       Quant vous m’avez cy amenée,                            Quand vous m’avez amenée ici,

265  Je n’avoië mië penssée                                         Je ne pensais pas

       Que mon mary me pëust batre.                            Que mon mari pourrait me battre.

       Il me convient à vous conbatre !                           Il faut que je combatte contre vous !

       Autel qu’i m’a fait vous feray :                             Je vous ferai ainsi qu’il m’a fait :

       Car à mez mains, vous pigneray                           Car avec mes mains, je vais vous peigner

270        Voz neufz78 cheveux !                                   Votre perruque !

                     LA FAME AU VILAIN                                         LA  FEMME  DU  PAYSAN

       Foy que je doy tous mez neveus79 !                     Par la foi que je dois à tous mes neveux !

       La bonté vous sera rendue :                                 La politesse vous sera rendue :

       Par terre serez abatue,                                         Vous serez abattue par terre,

             Se le puis faire !                                             Si je peux le faire !

                     LA FAME AU SERGENT                                    LA  FEMME  DU  SERGENT

275  Doulce commère débonnaire,                              Ma douce commère débonnaire,

       Apaisons-nous, et sens sera.                                Apaisons-nous, ce sera plus raisonnable.

       Mal ait qui plus estrivera !                                   Que celle qui querellera encore en ait du mal !

       Et chantons, com desconfortées :                        Et chantons, comme des affligées :

       « Mauvaises coiffes dessirées                              « De mauvaises coiffes déchirées

280        Avons par nous80. »                                      Nous avons par notre faute. »

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CY  FINE  LA  FARSSE.

*

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Voici sept épisodes du Mystère de saint Sébastien, composé dans la seconde moitié du XVe siècle. Ils se passent dans une taverne tenue par une femme. La pièce est nordique, mais le copiste est provençal ; pour ne citer qu’un exemple de ses abus, les rubriques nomment 12 fois « la Tavernière », et 6 fois « la Tavernièra ». Pour des raisons pratiques, je numérote les vers dans la continuité ; mon premier vers correspond au vers 1882 de l’édition du Mystère fournie par Léonard R. Mills (Droz, 1965).

*

LE  VILAIN  ET  LA

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TAVERNIÈRE 81

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                     LE  VILLAIM 82                                                   LE  PAYSAN,  devant la taverne.

       A ! par mon ségnieur saint Martin83,                  Ah ! au nom de saint Martin, sergents,

       Vous me poy[e]rez mon escot !                           Vous me paierez ma part de vin !    Ils entrent.

       Aulà, au ! comère Margot,                                   Holà, ho ! ma commère Margot,

       Boutez la table victemant,                                   Mettez vite la table,

5      Car veyci de gentis gallans                                   Car voici de gentils galants

       Qui, certes, ont bom appétit !                              Qui, certes, ont bon appétit !

       Sc’il y avoit quelque petit                                     S’il y avait un peu

       De quieulque84 tartre [bien] friande                    De quelque tarte bien appétissante

       Ou quelqu’aultre bonne vïande,                            Ou d’une autre bonne nourriture,

10    Nous vous en dépêcherions bien :                        Nous vous en débarrasserions bien :

       Sce sont [des] bien[s] de gens de bien,                 Ce sont là des mets réservés aux gens de bien,

       Pour vous dire la vérité.                                       Pour vous dire la vérité.

                     LA  TAVERNIÈRA                                               LA  TAVERNIÈRE

       Il y a assez apresté,                                              Il y a assez de plats tout préparés,

       Mès qu(e) argent vi[e]gnie sceulemant :              Pour peu que l’argent vienne :

15    Car il me faut argent contant.                              Car il me faut de l’argent comptant.

       Pour tant, pour eulx me respondrez85.                 Pour cela, vous me répondrez de vos invités.

                     LE  VILLAIM                                                        LE  PAYSAN

       Monstrez ça que vous baillierez                           Montrez ce que vous nous servirez

       Acoup, et ne demourez guières.                           Tout de suite, et ne tardez pas.

       Et [moy], je laverey les verres86.                         Et moi, je laverai les verres.

20    Mès despêchez-vous, victemant !                        Mais dépêchez-vous, vite !

                     LA  TAVERNIÈRE                                                LA  TAVERNIÈRE

       Veyci bom pastier de feysam                               Voici un bon pâté de faisan

       (Ou de caillies, ou de mauvys87).                         (Si ce n’est de cailles, ou de grives).

       Ou vey[ci] bom moutom rôtys.                            Ou voici du bon mouton rôti.

       [Ou] bom chapom (et c’est d’une oye88).             Ou un bon chapon (mais c’est de l’oie).

                     LE  VILLAIM                                                        LE  PAYSAN,  en s’attablant.

25    Or parlez bas, qu’on ne vous oye !                       Parlez plus bas, qu’ils ne vous entendent pas !

                     MÂCHECOCHOM 89                                           MÂCHE-COCHON

       Que Dieu le mal jour [si t’envoye]90,                  Que Dieu t’envoie une mauvaise journée,

       Villaim : [tu es]91 assis premier.                         Cul-terreux : tu t’es assis le premier.

                     LE  VILLAIM                                                        LE  PAYSAN

       L’oustesse ne veut que monoye92.                       Notre hôtesse ne veut que ma « pièce ».

                     TAILLIEBODIN                                                     TAILLE-BOUDIN

       Servez-nous bien, Damme Maroy[e] !                Servez-nous bien, par la Vierge Marie !

                     LE  VILLAIM                                                         LE  PAYSAN

30    Elle m’a dit que c’est d’une oy[e].                       Elle m’a dit que c’est de l’oie.

                     RIFLANDOILLIE 93                                            RIFFLE-ANDOUILLE

       [Que] Dieu le mal jour si t(e) envoy[e] !             Que Dieu t’envoie une mauvaise journée !

                     LE  VILLAIM 94                                                    LE  PAYSAN  mastique.

       Elle m’a dit que c’est d’une oye                           Elle m’a dit que c’est de l’oie

       Mès, par Dieu, c’est d’ung gro[s] sangler.           Mais, par Dieu, c’est du grossier sanglier !

                     MAL-FERAS 95                                                     MAL-FERAS

       Que Dieu le mal jour [si] t(e) envoye,                Que Dieu t’envoie une mauvaise journée,

35    Villaim : tu es assis premier.                              Cul-terreux : tu t’es assis le premier.

                                                 *

                     LE  VILLAIN 96                                                    LE  PAYSAN

       Outesse, je vous ame tant                                   Tavernière, je vous aime tellement

       Que, par Dieu, ne le pouriez croyre.                   Que vous ne pourriez pas le croire, par Dieu !

       Tyrons nous deulx [plain bort]97 de verre,         Remplissons, tous deux, nos verres à ras bord,

       Et puis dirons une chansom.                               Et puis nous chanterons une chanson.

                     Bibant.                                                                     Qu’ils boivent.

40    Vous avez si belle façom                                     Vous avez de si belles manières

       Que c’est ung plèsir de vous vouèr.                      Que c’est un plaisir de vous voir.

       Par Dieu ! j’eusse trèsgrant vouloir                       Par Dieu ! je voudrais bien

       Que vous m’amissiez unng petit :                          Que vous m’aimiez un peu :

       Dictes, ariez-vous appétit                                      Dites, auriez-vous envie

45    D’avoir ung amy par98 amours ?                          D’avoir un petit ami ?

       Je vous feroye deulx ou troys to[u]rs                    Je vous ferais deux ou trois « tours »

       Qui sont de novelle façom :                                  À la nouvelle mode :

       Je suis encour beau compagniom.                         Je suis encore un beau gaillard.

       Et [puis, se]99 je suis bien channu,                       Et puis, si j’ai les cheveux blancs,

50    Si n’ay-je pas ung poil au Q100.                           Je n’ai pas un seul poil au cul.

       Beysez-m(e)101 une foys, belle damme !              Embrassez-moi une fois, belle dame !

                     LA  TAUVERNIÈRE                                            LA  TAVERNIÈRE  le repousse.

       Alez-vous-en ver[s] vostre femme !                      Allez-vous-en vers votre femme !

       Que male estrenne vous doint Dieulx !                 Que Dieu vous donne un cadeau empoisonné !

       Agardez102 là quel amoreulx !                             Regardez quel amoureux voilà !

55    [Alez ! Je veulx perdre cent sous,]103                  Allez ! Je veux bien perdre cent sous

       Par Dieu, se104 n’en dyray deulx mous                 Si je n’en dis deux mots

       À vostre femme, et voyre quatre !                        À votre femme, et même quatre, par Dieu !

                     LE  VILLAIM                                                        LE  PAYSAN

       Ventre tieu105 ! vous m’y feriez baptre,               Ventrebleu ! vous me feriez battre,

       Ma mye : gardez-vous-y bien !                             Mon amie : gardez-vous-en bien !

60    Quant la putanasse106 me tient,                           Quand cette putasse me tient,

       Elle me bat tout à som eyse.                                 Elle me bat tout à son aise.

       L’autre jour, la faulce puneyse107                         L’autre jour, cette sale traîtresse

       Me batit tant les deulx jarés108                            Bastonna tellement mes deux jarrets

       Que, despuys, je ne fus arés109.                           Que, depuis, je ne fus plus en érection.

65    Et quant me cudis110 revanchier,                         Et quand je crus prendre ma revanche,

       Adom se prenit111 à crier ;                                   Alors elle se mit à crier ;

       Et s’em montast [sa haute gamme]112.                 Et elle monta sur ses grands chevaux.

       Et puis crioit : « Alarme ! Alarme !                      Et puis elle criait : « À l’aide ! À l’aide !

       Cestuy larom me veust forcier113 ! »                    Ce larron veut me violer ! »

70    Mès n’avoye gardes d’arécier114 :                         Mais je ne risquais pas de bander :

       Car, par Dieu, je m’en115 sens encoure(s).           Car je me ressens encore de ses coups, par Dieu !

.

                     LA FEMME DU VILLAIM116                            LA  FEMME  DU  PAYSAN  arrive.

       Le mal de sanc Jham vous estoure117 !                Que l’épilepsie vous affecte !

                     Verberet eum.                                                           Qu’elle le frappe.

       Coquin malereulx que vous estes,                         Maudit vaurien que vous êtes,

       Ne ferez qu’a[nter]118 les tavernes                       Vous ne ferez que fréquenter les tavernes

75    Tout le jour, sen[s] rien begsonnier ?                   Toute la journée, sans besogner du tout ?

       Vous y avez esté dès119 yer.                                 Vous y êtes déjà allé hier.

       Que malestreyne120 vous doint Dieu !                  Que Dieu vous donne un cadeau empoisonné !

       Et vous, comère ? Si m’est121 Dieu !                    Et vous, ma commère ? Que Dieu m’assiste !

       Ne vous est pas trop bel honneur.                         Ce n’est pas un trop bel honneur pour vous.

                     LA  TAVERNIÈRE                                                LA  TAVERNIÈRE

80    Vous avez santi la challeur,                                  Vous avez pris un coup de chaud,

       Belle comère, de par le dyable !                           Belle commère, par le diable !

       Le feu saint Anthoyne vous arde                          Que le mal des ardents vous brûle

       Le bec122 : si affillé l’avez !                                  Le bec : il est si affilé !

       Alez vous fère chivauchier,                                   Allez vous faire chevaucher,

85    Faulce punaise123 malereuse !                              Sale traîtresse maudite !

                     LA  FEMME                                                          LA  FEMME

       Hé ! faulce putaim venimeuse :                            Hé ! sournoise putain médisante :

       Ne fus-tu [onc] trouvée au fet,                             Ne fus-tu jamais prise sur le fait,

       Quant vostre varlet t’en124 feysoit                        Quand votre valet te faisait l’amour

       Toutes les foys qu’il [eust vouloir]125 ?                Toutes les fois qu’il en avait envie ?

                     LA  TAVERNIÈRE                                               LA  TAVERNIÈRE

90    Vous ne dictes mye vouèr,                                   Vous ne dites pas la vérité,

       Très fellonne enchanteresse !                               Très déloyale sorcière !

                     LA  FEMME                                                          LA  FEMME

       Je dis bien, et [fais] mon devoir.                          Je dis vrai, et je suis fidèle à mon mari, moi.

                     LA  TAVERNYÈRE                                              LA  TAVERNIÈRE

       Vous ne dictes mye vouèr !                                  Vous ne dites pas la vérité !

                     LA  FEMME                                                          LA  FEMME

       Ne le m’aprent[s] pas à sçavoir,                            N’essaie pas de m’en convaincre,

95    Faulce putaim [et] menteresse !                            Sournoise putain et menteuse !

                     LA  TAVERNIÈRE                                               LA  TAVERNIÈRE

       Vous ne dictes mye vouèr !                                  Vous ne dites pas la vérité !

                     Verberent se.                                                            Qu’elles se frappent mutuellement.

       Très fellonne enchanteresse !                               Très déloyale sorcière !

                     LE  VILLAIN                                                         LE  PAYSAN  les sépare.

       Or çà, que Dieu ’n126 ait male feste(s) !               Allons, que Dieu en soit mal fêté !

       Faulces putains, vous bactre[z-]vous ?                  Sournoises putains, vous battrez-vous ?

100  Comère, [elle vous]127 a soull[é]e.                       Commère, ma femme vous a souillée.

       Qui tendroit128 la mer au[x] deulx boulx,            Même si on étendait la mer par les deux bouts,

       À quatre cordes esthachée,                                   Attachée sur quatre fils à linge,

       Et aroit la peau de deulx loups,                            Et si on avait la peau de deux loups,

       …………………………129                                  ………………………….

       Dessus une jument pelée,                                     Sur une jument pelée,

105  Avecques de la cher130 salée.                              Avec de la poitrine salée.

       [À tout]131 la science d’unng ho[u]rs,                 Si l’on avait la technique d’un ours,

       Avec ces femmes forcenée[s],                              Avec ces femmes forcenées,

       L’om prendroit les lièvres à co[u]rs.                     On prendrait les lièvres à la course.

                                                 *

                     LE  VILLAIM                                                        LE  PAYSAN,  devant la taverne.

       Par la mort tieu ! j’ay132 fet ung pet                    Morbleu ! j’ai fait un pet

110  Ou une vesse : je le sens.                                      Ou une vesse : je le sens.    Il entre.

.

       Au ! Margot, estes-vous scians133 ?                     Ho ! Margot, êtes-vous là ?

       Donnez-moy [à] boyre une foys !                         Donnez-moi un coup à boire !

       Et puis je parlerey tyoys134,                                Et puis je parlerai allemand,

       Mès que j’ay[e] bien copiné135.                          Pour peu que j’aie bien chopiné.

                                                  *

                     MÂCHECOCHON 136                                         MÂCHE-COCHON

115  Alons emsemble chiez Brouchet,                         Allons ensemble à la taverne Brochet,

       Car vray[e]mant je meur de soif.                         Car vraiment je meurs de soif.

                     TAILLI[E]BODIN                                                 TAILLE-BOUDIN

       Par la cher tieu137 ! De cestuy moys,                   Palsambleu ! De tout ce mois-ci,

       Je n’eulx si grant désir de boyre138.                     Je n’ai pas eu un aussi grand désir de boire.

                     RIFFLANDOILLIE                                              RIFFLE-ANDOUILLE  entre.

       Çà, Margot, lavez toust les verres !                       Allons, Margot, lavez tout de suite les verres !

120  Et vous dépêchez victemant !                               Et dépêchez-vous, vite !

                     MAL-FERAS                                                         MAL-FERAS

       Aportez du vim largemant,                                   Apportez du vin abondamment,

       Commant qu’il soit, [ou bel ou let139] !               Qu’il soit bon ou mauvais !

                     LA  TAVERNIÈRE                                               LA  TAVERNIÈRE

       Veyci du mellieur vim claret                                Voici du meilleur vin clairet

       Qui soit, par Dieu, en ceste ville !                        Qui soit en cette ville, par Dieu !

125  De tous je boys au plus abille,                              Je bois au plus habile de vous tous,

       Affin que j(e) aye mellieur cueur.                        Afin que j’aie plus de cœur à l’ouvrage.

                                                  *

                     LA FEMME [DU VILLAIN]                               LA  FEMME  DU  PAYSAN,  dehors.

       Et ! je voys « tirer » de la pie140,                         Eh ! je vais « tirer » un canon de rouge

       Par Dieu, avecques ma comère.                           Avec ma commère, par Dieu !    Elle entre.

.

       Je [vous] pri que nous alons boyre,                      Je vous prie que nous nous mettions à boire,

130  Belle comère, entre nous deulx141.                      Ma belle commère, toutes les deux.

                     LA  TAVERNIÈRA 142                                         LA  TAVERNIÈRE

       Par Nostre Damme ! je le veulx.                          Sainte Vierge ! je le veux bien.

       Seyez-vous143 cy à couté moy,                             Asseyez-vous ici à côté de moi,

       Puis vous dyray je ne scey quoy                           Puis je vous dirai je ne sais quoi

       Que j’ey ouÿ dire de vous144.                               Que j’ai entendu dire sur vous.

                                                  *

                     LE  VILLAIM 145                                                 LE  PAYSAN,  devant la taverne.

135  Je cuide que je voys « tyrer »                               Je crois que je vais « tirer »

       Aus[s]i [ung trait]146 à la taverne.                       Aussi un canon de rouge à la taverne.    Il entre.

.

       Vendez-vous poim de la moterde147,                   Ne vendez-vous pas de la moutarde,

       Dictes, [ma] comère Brouchète148 ?                    Dites, ma commère Brochette ?

       [Quoy ! vous y]149 estes, Jaquinète ?                   Quoi ! vous êtes là, Jacquinette ?

140  Je vous estoye [venue cherchier]150.                    J’étais justement venu vous chercher.

                     LA FEMME [DU VILLAIM]                              LA  FEMME  DU  PAYSAN

       Ma comère m’a [fet] sonne[r]                              Ma commère m’a fait appeler

       Pour venir boyre avecques elle151.                       Pour que je vienne boire avec z’elle.

                     LA  TAVERNIÈRE                                               LA  TAVERNIÈRE

       Ne festes jà tant le rebelle !                                  Jacquier, ne faites pas tant le rebelle !

       Vous samblez estre corocé.                                   Vous semblez être courroucé.

145  Venez boyre avec nous, venez !                            Venez boire avec nous, venez !

       Et puis dirons une[s]152 chansons.                       Et puis nous chanterons des chansons.

                     LE  VILLAIM                                                        LE  PAYSAN

       Par ma foy ! mès nous j[o]uerons                        Par ma foi ! nous jouerons plutôt,

       Entre nous troys, si vous voulez.                          Tous les trois, si vous voulez.

       Si vous perdez, vous poy[e]rez ;                           Si vous perdez, vous paierez le vin ;

150  Et (par Dieu) si je pers, aus[s]i.                           Et si je perds, je le paierai de même, par Dieu.

                     LA  FEMME                                                          LA  FEMME

       Je scey unng jeu le plus fétis                                Je connais le jeu le plus agréable

       Que vous vissiez à vostre vie ;                              Que vous ayez vu de toute votre vie ;

      Et n’y a poim de villanie153.                                 Et ce n’est pas un jeu de « vilain ».

      Nous le ferons, si vous voulez.                              Nous y jouerons, si vous voulez.

                     LE  VILLAIM                                                        LE  PAYSAN

155  Ouÿ bien ! Or le devisez,                                     D’accord ! Décrivez-le-nous,

       Et puis après nous le ferons.                                 Et puis après nous y jouerons.

                     LA  FEMME                                                          LA  FEMME  sort un œuf de sa poche.

       Je vous dyray que nous ferons.                             Je vais vous dire ce que nous ferons.

       Vez cy demïe154 père d(e) eulx.                          Voici la moitié d’une paire d’œufs.

       Vous le mectrez, entre vous deulx,                       Tous deux, vous mettrez cet œuf quelque part

160  Sus mon mari pour le(s) mucer ;                          Sur mon mari pour le cacher ;

       Et si je ne le puis trouver,                                    Et si je ne peux pas le trouver

       Quant je viendray, au premier cop,                     Du premier coup quand je viendrai,

       Par Dieu, je poyerey l’escot                                 Par Dieu, je paierai l’addition,

       Et quarte de vim pour goûter.                              Et en plus un quart de vin pour notre goûter.

                     LE  VILLAIM                                                        LE  PAYSAN

165  Sanc Jham ! tu t’yras dom cachier                        Saint Jean ! tu iras donc te cacher les yeux

       Si bien que tu n’y verras goute.                             Si bien que tu n’y verras goutte.

                     LA  TAVERNIÈRE                                                LA  TAVERNIÈRE

       Comère, vous [ne burrez]155 goute                      Ma commère, vous ne boirez plus une goutte

       Jusques nous les aurons [l’œuf] caché.                  Jusqu’à ce que nous ayons caché l’œuf.

                     LA  FEMME                                                          LA  FEMME

       Estront de chient, c’est bien chié156 !                   Crotte de chien, c’est bien chié !

170  Nenny ?                                                                Je ne boirai pas ?

                     [LA  TAVERNIÈRE]                                             LA  TAVERNIÈRE

                        Ne le vous dy-je pas ?                                                    Ne vous l’ai-je pas dit ?

                     LE  VILLAIN                                                        LE  PAYSAN

       Or, va-t’en plus toust que le pas                            Maintenant, va-t’en plus vite que ça

       Boucher [de ton giron, ma]157 femme !               Te cacher les yeux avec ta robe, ma femme !

                     LA  FEMME                                                          LA  FEMME  s’éloigne un peu.

       Foy que je doy à Nostre Damme !                       Par la foi que je dois à la Vierge !

       Je le veulx bien.                                                   Je le veux bien.    Elle remonte sa robe.

                     LA  TAVERNIÈRE                                               LA  TAVERNIÈRE

                                 Y  vouyez-vous rien ?                                       Voyez-vous quelque chose ?

                     LA  FEMME                                                          LA  FEMME

175  Nenny, par le corps saint Julien !                         Non, par les reliques de saint Julien !

                     LE  VILLAIM 158                                                 LE  PAYSAN

       [Le feu t’arde]159 si tu y voy(s) !                          Que le feu de l’Enfer te brûle si tu y vois !

                     LA  FEMME                                                          LA  FEMME

       Sanc Jham ! mès fasse bien à toy !                       Saint Jean ! qu’il te brûle plutôt toi-même !

.

                     LA  TAVERNIÈRE 160                                         LA  TAVERNIÈRE,  au paysan :

             Il faut adviser,                                                Il faut décider,

             Mon amy très chier,                                       Mon très cher ami,

180        Oùt nous le métrons.                                       Où nous cacherons cet œuf.

                     LE  VILLAIM                                                        LE  PAYSAN

             Il le faut muicer                                               Il faut le musser

             Si bien que poyer161                                       Si bien que nous fassions tout payer

             Tout nous luy fassons.                                     À ma femme.

                     LA  TAVERNIÈRA                                               LA  TAVERNIÈRE

             Il le faut fichier                                               Il faut le mettre

185        Dans vostre brayer162,                                    Dans votre braguette,

             Avec vous coillions.                                        Avec vos couilles.

                     LE  VILLAIM                                                        LE  PAYSAN

             Ce seroit dangier                                            Il y aurait danger

             De mon vit casser :                                         D’entailler mon vit, si l’œuf se brisait :

             Jà ne le ferons !                                              Nous ne ferons jamais cela !

                     LA  TAVERNIÈRA                                                LA  TAVERNIÈRE

190        Compère Jaquier163,                                      Mon compère Jacquier,

             Il le faut quachier                                           Il faut le cacher

             Dens vostre bonnet.                                        Sous votre bonnet.

                     LE  VILLAIM                                                        LE  PAYSAN

             C’est bien devise[r].                                        C’est bien dit.   Il met l’œuf sous son bonnet.

             Nostre fet est net.                                           Notre affaire est réglée.

                     LA  TAVERNIÈRE                                                LA  TAVERNIÈRE

195        N’en164 doultez pas unng pet.                        N’en doutez pas.

.

                     LA  FEMME                                                          LA  FEMME

       N’en165 arez-vous, [pour] mèshuy, fet ?               N’aurez-vous pas fini, pour l’heure ?

                     LA  TAVERNIÈRA                                               LA  TAVERNIÈRE,  au paysan :

       Or, festes bien le bom varlet166.                           Maintenant, Jacquier, faites bien le gracieux.

       Venez, comère, il [en] est fet !167                        Venez, ma commère, c’est fait !

       Advisez bien, que ne perdez.                                Réfléchissez bien, que vous ne perdiez pas.

                     LE  VILLAIM                                                        LE  PAYSAN

200  Par ma foy ! vous ne chercherez                          Par ma foi ! vous ne chercherez l’œuf

       Forqu(e)168 en ung lieu tant sceulemant.             Qu’à un endroit seulement.

                     LA  FEMME                                                          LA  FEMME  casse l’œuf.

       Ne dictes mot, j’en suis contant169.                     Ne dites rien, j’en suis content.

                     LE  VILLAIM                                                        LE  PAYSAN

       Ha ! que Dieu vous mecte [en] mal am170          Ha ! que Dieu vous mette en malheur,

       Que si bien m’avez conchié !                               De m’avoir si bien jauni !

                     LA  TAVERNIÈRA                                               LA  TAVERNIÈRE

205  Sanc Jham ! sire, vous poyerez                            Saint Jean ! beau sire, vous paierez

       [Vim], puisque vous avez perdus171.                   Le vin, puisque vous avez perdu.

                                                  *

                     LE  VILLAIM                                                        LE  PAYSAN

       Sanc Jham ! vous deulx m’avez trompé ;              Saint Jean ! toutes les deux, vous m’avez trompé ;

       Mès, par Dieu, je vous tromperey !172                Mais, par Dieu, je vous tromperai aussi !

       Et si, [je] vous arouserey                                      Et ainsi, je vous arroserai de vin

210  Si bien que il n’y faudra rien.                                Si bien qu’il ne vous en manquera pas.

                     [LA  TAVERNIÈRE]                                             LA  TAVERNIÈRE

       En vostre gorge estron de chient !                        Une crotte de chien dans votre bouche !

                     [LE  VILLAIM]                                                     LE  PAYSAN

       Qui vous puisse les dens casser173 !                     Qu’elle puisse vous casser les dents !

                                                  *

1 Répertoire des farces françaises. Imprimerie nationale, 1993, p. 78. Bien sûr, B. Faivre ne répertorie pas les extraits du Mystère de saint Sébastien que je publie plus bas ; mais il évoque cette œuvre dans un article capital : Martyrs, bourreaux et spectateurs. Littératures classiques, vol. 73, nº 3, 2010, pp. 121-132.   2 Ce mot désignait alors un fantassin armé sommairement et rattaché à une brigade. « Quinze cens archiers et trois mille brigans à piet. » ATILF.   3 Le paysan. Il s’agit plutôt d’un Fol, tel que le nomment d’autres Mystères. Notre manuscrit expose un stultus au folio 118 rº.   4 Il marche en direction de la Picardie, et croise un paysan qui porte au marché de la ville un chapon en cage.   5 Beau prud’homme. Le fantassin fait preuve d’une politesse condescendante. Beaucoup de Mystères montrent un voyageur qui demande poliment sa route à un paysan, lequel le fait tourner en bourrique : « Preudons, ensaigne-moy la voie,/ Car je suis ung peu esguarés. » La Passion de Semur.   6 En 1396, cette ville picarde accueillit le roi Charles VI flanqué de ses gardes.   7 Je viendrai. Même picardisme au vers 225.   8 Rappelons que pendant cette tirade anticléricale, le public voit saint Faron célébrer en silence les Vigiles des morts devant le cercueil de saint Fiacre.   9 On trairait, on tirerait. « On tireroit aussi tost un pet d’un asne mort : on ne sçauroit avoir de response ou de raison de cet homme-là. » (Antoine Oudin.) L’ourse est mise pour la rime.   10 Ms : destrier tous   11 Voyer = mettre sur la bonne voie, convoyer. Idem vers 185.   12 Ms : ne daigne respondre  (Correction de James F. BURKS, Barbara M. CRAIG et M. E. PORTER : la Vie Monseigneur Saint Fiacre. University of Kansas, 1960.)  Ces trois spécialistes pensent que le Mystère fut joué à Paris par une confrérie dramatique.   13 Le scribe hésite entre « cours-tu » et « quiers-tu ».   14 Le bas de la robe s’usait vite, et les pauvres en coupaient de temps à autre quelques centimètres pour la rajeunir : plus la robe était vieille, plus elle était courte. « La robe est escourtée./ Par bieu ! Si [pourtant] est-elle crotée,/ Non obstant qu’elle soit bien courte. » Les Femmes qui plantent leurs maris.   15 Ms : Naiez  (N’ai-e compterait pour 2 syllabes.)  Douter = redouter ; idem vers 114 et 176.   16 En Picardie, le haterel désigne la nuque. Le hoyau, sorte de houe, est l’arme des paysans : « Se j’eusse mon hoel,/ Je vous férisse el haterel ! » Godefroy.   17 Ms : M etient  (Correction suggérée par Burks, Craig, Porter.)  C’est une réponse au vers 30.   18 Le 2e vers du Mystère confirme ce verbe avoir : « Sachiez que j’ay au cuer grant yre. »   19 Toujours condescendant, le fantassin invoque la « courtoisie » d’un vulgaire paysan, comme le fera Frère Frappart : « Or me dictes, par courtoisie,/ Pour quel cause vous la portiez. »   20 C’est elle qui est le maître. « Sy ta femme te maistrye,/ Va-t’en ! » Le Pèlerinage de Mariage.   21 De la porée, du potage aux poireaux. Gabriella PARUSSA* cite les Lamentations de Mathéolus, traduites par Jehan le Fèvre : « Et se je vueil avoir des pois,/ Elle fera de la porée. »  *Les Mystères du manuscrit 1131 de la bibliothèque Sainte-Geneviève de Paris. Classiques Garnier, vol. I, 2023, p. 743.   22 Ms : courrime  (« Une chartre [prison] plaine de moult malle vermine. » Lancelot du Lac.)   23 Maladie de la bouche des chevaux, appliquée aux hommes par dérision. « –Il a le lempas./ –Tu scès bien qu’il n’est pas cheval. » Le Roy des Sotz.   24 Ms : tieng   25 Les soldats des farces ont la réputation de fuir plus vite que leur ombre. En outre, ce sont des voleurs de poules, et en l’occurrence de chapons.   26 Le capuchon des moines capucins désigne par métonymie ce qui est dessous : la tête.   27 Avec impétuosité, violemment. « Au premier qu’il trouva donna tel horion [coup] (…),/ Et le tiers et le quart abati de rendon. » (ATILF.) Le fantassin prend au paysan la cage qui renferme le chapon.   28 Attiré par les éclats de voix, il s’interpose entre les deux hommes. Le paysan s’éloigne un peu et ne prend aucune part à la dispute ; il sait bien que les sergents sont aussi voleurs que les brigands, et qu’il perdra de toute manière son chapon.   29 Ms : la  (Passer = passer un caprice, satisfaire un appétit. « J’en passeroys mes apétis. » L’Arbalestre.)   30 Ms : Fay   31 Action de dérober. Le sens moderne du mot « brigand » avait déjà cours.   32 Terme péjoratif. « Garson mauldict ! » Le Porteur de pénitence.   33 « Aller » suivi d’un gérondif met en exergue ce dernier verbe : « Tout le monde m’iroit huyant. » Godefroy.   34 Un méreau, un jeton sans valeur. « Or n’ai-ge méreau. » Les Povres deables.   35 Il donne au fantassin un coup sur l’épaule avec le plat de son épée (vers 111).   36 Ms : tort me feroiez  (« Feroiez » est à la rime.)  Nous avons là le verbe férir [frapper], comme aux vers 36, 38, 60 et 111.   37 Dans la région d’où tu viens. Le fantassin n’est pas d’ici, comme il l’avoue aux vers 7 et 8.   38 Lutter. Les deux belligérants s’empoignent. La lutte qu’on qualifie de gréco-romaine fut pratiquée durant tout le Moyen Âge et au-delà.   39 Tu dois expier. « Tu as paiéz ton lit :/ Tu me tenoie or en moult trèz grant despit,/ Maix Jhésu m’aiderait. » ATILF.   40 Si cela te plaît. « Car de dame baisier, par Dieu le droiturier,/ Il ne m’embellist pas. » ATILF.   41 Ms : huy  (Cela est juste. On lit au vers 482 du Mystère : « Il est droit que nous vous paiomes. »)   42 Le fantassin quitte définitivement les lieux d’un pas tranquille, en emportant le chapon.   43 Son époux, témoin de la rixe, lui a raconté comment le sergent s’est fait casser un bras. Elle court apporter cette bonne nouvelle à son amie, la femme du sergent.   44 Le sergent comptait donc s’attribuer le chapon du paysan.   45 Participe passé du verbe sourdre : surgir.   46 Saint patron des sergents.   47 Ms : facent  (Correction Burks, Craig, Porter.)  Que mon mari fasse.   48 Ms : Quil   49 Ms : corps  (« Vous me respondriez à tous coups. » Beaucop-veoir et Joyeulx-soudain.)  Les auditeurs ont pu comprendre « à tous coux » : à tous les cocus.   50 De deuil, de douleur.   51 Soldée : salaire du soldat. « Or pers-je mes soudées,/ Se Jacob ne va à l’escolle. » Le Villain et son filz Jacob.   52 Ms : puis quas  (La paysanne a parlé d’une blessure du sergent, mais pas d’un bras cassé. L’auteur a peut-être pratiqué des coupures dans sa farce, dont plusieurs transitions paraissent pour le moins abruptes.)   53 Le couvent parisien des Filles Saint-Magloire accueillait déjà des Filles-Dieu, c’est-à-dire d’anciennes prostituées. « Et li bon saint des Filles-Dieu/ Et Saint-Magloire. » Petrus Alfonsi, les Moustiers de Paris, XIIIe siècle.   54 Ms : car cest le filz dieu  (La réputation de ces religieuses faisait ricaner : « Je donne aux Filles-Dieu/ Et à toutes nonnains le jeu/ Qui se faict à force d’eschines [à coups de reins]. » Le Testament Pathelin.)  Les tavernes avaient intérêt à voisiner avec les Filles-Dieu, dont la goinfrerie était proverbiale : « Je laisse aux Mendians,/ Aux Filles-Dieu et aux Béguines/ Savoureux morceaulx et frians :/ Flaons, chappons et grasses gélines. » Villon.   55 Les deux femmes arrivent devant la taverne.   56 Toutes les didascalies sont au subjonctif. Dans le texte que je publie ci-dessous, elles seront au subjonctif et en latin.   57 Ms : A  (Confusion fréquente entre « A » et « & » : voir la note 131.)  Les taverniers accompagnent toujours le vin d’aliments salés qui donnent encore plus soif aux clients ; le jambon est l’ancêtre des cacahuètes grillées.   58 Le « lieu privé » désigne le retrait où se trouve la chaise percée. Les restaurateurs parquaient déjà près des toilettes leurs clients mal vêtus.   59 94 centilitres, soit un demi-litre de vin pour chacune.   60 Cet an ; cf. le Sermon pour un banquet, vers 219. La paysanne a donc bu dans toutes les tavernes de la ville.   61 Guile = tromperie.   62 La tavernière se retire définitivement.   63 On pourrait transcrire « par my », qui en patois picard signifie « par moi ».   64 Aimée, chérie. La paysanne, qui n’aime pas les hommes et reste imperméable au plaisir qu’ils procurent (vers 223-6), tente de soûler sa jeune protégée.   65 Ms : sy   66 D’une chose. C’est un mot féminin. Au début du Mystère, le père du futur saint Fiacre dit de son incapable de fils : « Je croy, par Dieu qui lez siens garde,/ Que il ne vauldra jà riens née. »   67 Forme picarde de brasse : bras.   68 Ici, ce verbe a le sens d’épargner quelque chose à quelqu’un, de l’en dispenser. « Je me fusse bien déporté/ D’estre venu en ceste place. » L’Aveugle et le Boiteux.   69 Fouit dans mon « jardin » : me laboure. « Ès courtils puissamment fouoie/ Deux fois ou trois sans demourer [débander]./ Bien y sçavoie labourer/ Et touchier à la molle cuisse. » (Jehan le Fèvre, Lamentations de Mathéolus.) C’est une réponse aux vers 156-160. « No courtieu » est typiquement picard.   70 Ms : amee  (Correction Burks, Craig, Porter.)   71 En rut. « Une fois n’est rien, deux font grand bien, troys c’est assez, quatre c’est trop, cinq est la mort d’un gentilhomme sinon qu’il fust affamé. » Bonaventure Des Périers.   72 La femme pense d’abord que l’alcool lui donne des hallucinations visuelles.   73 Battue à coups de latte. « Liève tost, que je ne te lattre ! » Jéninot qui fist un roy de son chat.   74 Double sens : gloutonne, et femme de mauvaise vie. De même, au vers 254, lécherie signifie à la fois gourmandise et débauche.   75 On connaît bien ce gag du comédien travesti en femme, qui se fait arracher sa perruque et révèle son crâne dégarni : voir la note 69 du Marchant de pommes et d’eulx. Conclusion du gag aux vers 269-270.   76 Ce coup. « Au sénestre costé assena tel mérel. » ATILF.   77 Les deux femmes fuient de la taverne et se retrouvent dans la rue.   78 Ms : nerfz  (Vos cheveux neufs : votre perruque. Dans les bagarres entre comédiens travestis, la perruque est toujours une cible privilégiée : « Puisqu’en ce point tu m’as frappée,/ La parucque te pigneray ! » Les Chambèrières et Débat.)   79 Sans doute un juron de clercs. Boniface IX, pape de 1389 à 1404, fut un grand adepte du népotisme, et avait plus de « foi » en ses cardinaux-neveux qu’en Dieu. « Ce nouveau pape était un assassin qui ne négligea pas la simonie pour remplir les coffres du Saint Siège…. Une bonne partie de cet argent allait à sa mère, à ses frères et à ses prétendus ‟neveux”. » Nigel Cawthorne, la Vie sexuelle des papes. Evergreen, 1999, p. 125.   80 Ms : lez mous  (À cause de nous. « Car aulcun mal par nous n’aurez. » Le Temps-qui-court.)  Ce vers de 4 syllabes rime avec le vers suivant du Mystère, qui est prononcé par Jésus, dont l’entrée dépend donc d’un travesti chauve. L’Aveugle et Saudret, une farce incluse dans le Mistère de la Résurrection, se termine par une scène de taverne dont le dernier vers donne également la parole à Jésus.   81 Bibliothèque nationale de France, NAF 1051. Les passages retenus vont du folio 25 vº au folio 84 rº.   82 Il emmène quatre sergents à la taverne de Margot Brochet, dans l’intention de se faire inviter par eux. Le copiste provençal transcrit en -m les nasales en -n.   83 St Martin est indissociablement lié au vin : voir la note 128 du Sermon joyeux de bien boire.   84 Cette forme dialectale de « quelque » a survécu aux attaques du copiste provençal, qui l’a pourtant corrigée au vers suivant. Tartre = tarte : cf. Te rogamus audi nos, vers 105.   85 Vous serez leur garant au cas où ils ne paieraient pas.   86 La vaisselle n’est pas très fournie, ou n’est pas très propre : on lave encore les verres au vers 119.   87 Ms : pousins  (« Pastéz de merles et mauvis. » Taillevent.)  Il s’agit de pâtés en croûte, composés de viande hachée enrobée de pâte et cuite au four. Les cailles et les grives, pleines de petits os, conviennent moins bien que les faisans, qui rendent donc le pâté plus cher.   88 L’oie est moins coûteuse que le chapon engraissé, qui requiert beaucoup plus de soins : voir la note 132 de Maistre Jehan Jénin. On va découvrir au vers 33 que ce n’est même pas de l’oie mais du vulgaire sanglier. Bref, la tavernière justifierait pleinement qu’on donnât un féminin au mot « escroc ».   89 Ms : machecotom  (Je vois mal pourquoi ce sergent mangerait du coton alors que ses collègues se gavent d’andouilles et de boudins. Plusieurs Mystères le nomment Masquebignet [Mâche-beignet]. Mais restons dans la charcuterie : « Mâche-poullets, mâche-chevreaux, mâche-connils, mâche-cochons : d’autres viandes ne sont alimentéz. » Rabelais, Vème Livre, 14.)  Les noms ridicules des autres sergents reviennent dans plusieurs Mystères, et chez Rabelais : « Pantagruel manda quérir les capitaines Riflandouille et Tailleboudin. » (Quart Livre, 37.) Le paysan s’assoit et se sert avant que les sergents n’aient pris place.   90 Ms : vous envoye  (Les sergents tutoient le paysan. Voir les refrains 31 et 34 de ce triolet quelque peu extrapolé.)   91 Ms : vous estes  (Voir le refrain 35 de ce triolet.)   92 Jeu de mots : que mon oie, que mon pénis.   93 Bouffeur d’andouilles. « Quelz Rifflandouilles/ Pour casser le col d’ung canard ! » Le Capitaine Mal-en-point.   94 Il mastique un morceau de viande avec difficulté.   95 Ce nom a donné « malfrat ». D’autres Mystères l’appellent Mauferas.   96 Le paysan revient seul à la taverne pour séduire l’hôtesse, la patronne.   97 Ms : ung tourt  (Tirer = tirer du vin au tonneau. Idem vers 127 et 135.)  « Verre » rime à la normande avec craire : « De craire qu’une noble aymit un chavetier [savetier]. » La Muse normande.   98 Ms : pour  (« Belle, se vous prenez amy/ Par amour. » Ung jeune moyne.)   99 Ms : puisque  (Même si je suis chenu.)   100 En plusieurs endroits du Mystère, et toujours dans le rôle du Vilain, notre ms. symbolise le cul par la lettre Q, si chère aux farces de collégiens. « Torcher son Q de papier blanc. » Tabourot.   101 Apocope normanno-picarde du pronom moi : « Donne-m’assez de pois pilés ! » Adam de la Halle.   102 Impératif normand. Cf. Sœur Fessue, vers 21 et 25.   103 Vers manquant. « Je vueil perdre cent sous/ Se, dessus et dessoubz,/ N’est bien revisitée ! » (Les Sotz fourréz de malice.) La version originale devait faire rimer « cent so(l)s » avec « deux mots » : le copiste provençal écrit « ou » à la place de « o » (encoure, fourme, toust), et réciproquement.   104 Ms : je   105 Dieu. Même euphémisme aux vers 109 et 117. En provençal, ces mots veulent dire ton ventre : « E benesi lou fru dou ventre tiéu. » Te saludo Mario.   106 Intervention du copiste provençal. L’auteur normand a sans doute écrit « puterelle » : cf. les Botines Gaultier, vers 32.   107 Faux = sournois. Punais = puant.   108 Elle me donna des coups de bâton sur les jarrets pour me contraindre à les ployer, à me mettre à genoux devant elle. « Luy donna un grand coup du talon derrière la joincture du genouil, de sorte que luy faisant par force ployer le jarret, le feit cheoir à la renverse. » Jehan Martin.   109 L’une des nombreuses variantes de « à roid » : en érection. « Que je fo[u]toie quinze fois,/ Mès j’estoie tozjorz aroiz. » Le Roman de Renart.   110 Je me cuidai : je crus.   111 Adonc elle se prit. Cette flexion verbale est plutôt picarde.   112 Ms : sus une barme  (« S’elle monte à sa haulte game,/ Le dyable n’en chevira pas [n’en viendrait pas à bout]. » Les Tyrans.)  La rime -ame / -a(r)me est due à un amuïssement du « r » propre à la Normandie : cf. Colinet et sa Tante, vers 33-34.   113 « Quant ilz trouvoyent à leur chemin/ Des brus, ilz les vouloyent forcer. » Les Brus.   114 D’avoir une érection. « Pour l’ardeur qu’il ot de la bele,/ Convint son membre redrecier :/ Tant fort commence à aressier. » Godefroy.   115 Ms : le  (Je me ressens de ses coups. « –N’en faictes plus, car je m’en sens !/ –Vous serez plus bastu que lard ! » La Veuve.)   116 Elle arrive derrière son époux, qui ne l’a pas vue entrer dans la taverne.   117 Ms : tretoure  (Vous estore, vous garnisse.)  Le mal de saint Jean est l’épilepsie : « Le grant mal sainct Jehan vous embloque/ La peau et les oz ! » Le Povre Jouhan.   118 Hanter = fréquenter : « Plus ne fault hanter la taverne. » (L’Arbalestre.) Le « h » initial est souvent muet, voire facultatif : « Tous cheulx qui le congnoissoient et antoient. » (Godefroy.) La rime est faible ; on peut remplacer « tavernes » par « beuvettes », qui a le même sens.   119 Ms : despuys   120 Male étrenne [mauvais cadeau]. Même vers que 53.   121 M’aid : m’aide. Cf. le Pauvre et le Riche, vers 189.   122 Ms : bec que  (La bouche. Cf. Rouge-affiné, Bec-affillé et Décliquetout.)  Entre 81 et 84, les rimes particulièrement négligées font croire à une intervention extérieure.   123 Ms : putaim  (Anticipation du vers suivant.)  L’époux qualifie lui-même sa femme de « fausse punaise » [sournoise puante] au vers 62. Il ne se fait aucune illusion sur la fidélité de Jacquinette, dont il dit ailleurs : « Je trouvis l’autre jour ma femme/ Couchée avec ung galant/ Qui avoit de vit, vrayemant,/ Bien une aulne et demye [1,77 m]. »   124 Ms : ton  (Votre valet, à toi et à ton mari.)   125 Ms : vouloit  (Le copiste a barré ce vers, croyant qu’il constituait une troisième rime.)   126 Aphérèse normanno-picarde du pronom en. « Maulgré ’n ait bieu des truandelles ! » Saincte-Caquette.   127 Ms : vous elle  (Correction de Michel ROUSSE : Romance Philology, vol. 25, nº 4, mai 1972, p. 465. Le copiste a barré ce vers.)  Elle a souillé votre réputation.   128 Si on étendait.   129 Lacune d’au moins 2 vers. Le paysan veut dire que même si l’on disposait de toutes ces serviettes, on ne pourrait pas essuyer la souillure que son épouse vient d’infliger à la tavernière. Dans le style fatrasique des Fols, il saute du coq à l’âne, du loup à la jument, et de l’ours au lièvre.   130 Ms : mer  (Réminiscence du vers 101. « Et un morceau de chair sallée. » L’Amoureux.)   131 Ms : & toute  (Avec. « J’ay veu sainct Pierre à tout sa clef,/ Et sainct Paul à tout son espée. » La Résurrection de Jénin Landore.)  Les ours attrapent leurs proies à la course.   132 Ms : tuas  (Le paysan retourne seul chez Margot Brochet, la tavernière.)   133 Prononciation normanno-picarde de « céans » : cf. Lucas Sergent, vers 81.   134 En langue tudesque. « Qu’ilz saichent le langaige thioys. » (ATILF.) Les Allemands passaient pour de gros buveurs.   135 Forme picarde de « chopiné » : bu plusieurs chopines de vin.   136 Ms : machecoton  (Voir la note 89.)   137 Par la chair de Dieu ! Voir la note 105. À en croire la littérature joyeuse, Tailleboudin est porté sur la boisson ; au vers 244 des Enfans de Borgneux, il est même négociant en vin.   138 Prononcer baire à la normande, comme au vers 129. « Du meilleur vin y veulent baire. » La Muse normande.   139 Lacune. Qu’il soit beau ou laid. « Je vous ferray [frapperai], soit bel ou let ! » L’Aveugle et Saudret.   140 Jeu de mots. En langage familier, la pie désigne le vin : « Croquer la pie. » C’est également la cible en bois dans laquelle un archer tire sa flèche pour devenir « roi de la pie ». Le Mystère de saint Sébastien fait la part belle aux archers.   141 Toutes les deux. Même normandisme aux vers 148 et 159.   142 D’après les vers qui précèdent, on attendrait plutôt « la Commère », d’autant que la paysanne est fâchée avec la tavernière. Mais Saint Sébastien ne comporte aucun rôle de Commère, et la suite montre qu’il s’agit bien de Margot.   143 Ms : Soyes vous   144 Hélas, le retour intempestif du Mystère nous empêche de profiter de ces croustillants ragots.   145 On vient de donner l’ordre de tirer des flèches sur Sébastien. Le paysan se rend à la taverne.   146 Ms : de larc  (Le copiste a détruit ce jeu de mots, dont la forme courante est « charmer le trait » : voir la note 80 du Pèlerinage de Mariage.)  Le trait désigne la flèche qu’on va bientôt décocher à saint Sébastien, le héros de ce Mystère. C’est également une gorgée de vin : « Ung traict but de vin morillon. » (Villon.) Le paysan pénètre dans la taverne ; il ne remarque pas que son épouse, Jacquinette, est assise à une table.   147 Les tavernes — en particulier les triballes de Rouen — faisaient de la vente à emporter : vin, pâtés, charcuterie, etc. Mais la moutarde a suscité un grand nombre d’expressions ; nous en avons peut-être une ici.   148 La tavernière se nomme Brochet, mais le paysan rêve de la consommer en brochette…   149 Ms : Vouycy vous si  (Le 1er mot est indéchiffrable ; Mills et Rousse lisent Vouay.)  Le paysan aperçoit sa femme.   150 Ms : venus chergier  (Le paysan essaie de justifier sa propre présence à la taverne.)   151 Cette liaison dangereuse offre un jeu de mots sur zèle : « Estant avecques elle,/ Conclure puy d’un franc cueur et vray zelle. » (Clément Marot.) Zèle = appétit : « Que ce vin icy est gaillard,/ En un souper prins d’un bon zelle ! » Le Poulier à sis personnages.   152 Plusieurs. Cf. les Femmes qui se font passer maistresses, vers 67.   153 Attaque personnelle : la vilenie est l’état du vilain, du paysan. « Un païsant, nourist en vilonnie. » Godefroy.   154 Ms : une  (La moitié d’une paire d’œufs = 1 œuf. Cette locution tarabiscotée relève du jargon notarial : « Les remonts ne pourront estre moins que d’une demie paire. » Procès-verbal d’enchère.)  Les Sots des Vigilles Triboullet envisagent eux aussi une partie de « jeu de l’œuf » au vers 30. Ces jeux infantiles servent de fil rouge à plusieurs « jeux » dramatiques : le Jeu du capifol, les Sotz ecclésiasticques qui jouent leurs bénéfices au content, Trote-menu et Mirre-loret (jeu du sot-s’y-met), l’Aveugle et Saudret (jeu de broche-en-cul, auquel on joue aussi dans la farce de Goguelu, F 45).   155 Ms : ny verres  (Forme normanno-picarde : « Vous burez tant. » Le Pourpoint rétréchy.)   156 La paysanne accouple deux jurons scatologiques : « Étron de chien ! » réapparaît au vers 211. « C’est bien chié ! » signifie : C’est mal dit ! Cf. le Mariage Robin Mouton, vers 30.   157 Ms : augiron dune  (Boucher = se cacher les yeux : « Les yeulx fort je me bousche/ Affin de ne vous veoir pas. » Le Badin qui se loue.)  Le gag consiste, pour l’acteur qui joue la femme, à soulever le bas de sa robe afin de se cacher les yeux tout en découvrant ses jambes poilues et sa culotte bien remplie.   158 Le ms. ajoute dessous : Caches la bien   159 Ms : p p / le feu te arde le d  (« Que le feu t’arde ! » Les Trois amoureux de la croix.)   160 Le tête-à-tête de la tavernière et du paysan est symbolisé par des tercets pentasyllabiques en aab.   161 Ms : pouyer  (Voir les vers 2, 149, 163 et 205.)  Le paysan ne se rend pas compte que son épouse va payer la note avec l’argent qu’il a gagné : dans les ménages populaires, c’est la femme qui gère la cagnotte. Comme le dit une des Femmes qui font refondre leurs maris : « On vous payera en beaulx ducatz ;/ Nous-mesmes les avons en garde. »   162 Dans votre bandage herniaire, votre suspensoir. « Les coullions soient soubstenus avec liguature et coeffe joincte au brayer. » (ATILF.) Brayette = braguette.   163 Ms : jamet  (Il faut ici une rime en -ier, ce qui rend douteux le prénom provençal Jamet.)  « Jacquier » désigne un paysan favorable aux jacqueries : voir Godefroy. Le couple Jacquier et Jacquinette n’est pas plus improbable que celui d’Audin et Audette, ou celui de Tarabas et Tarabin (F 13).   164 Ms : Vous ne la  (Ce dernier vers du tête-à-tête doit faire 5 syllabes.)  La négation « pas un pet » s’emploie pour « rien » : « Je n’y en compte pas un pet. » Le Cousturier et Ésopet.   165 Ms : Nõ  (« Nous n’en aurons, pour mèshuy, moins. » L’Antéchrist.)   166 L’homme obligeant. « Et contrefait le bon varlet. » Les Sotz qui corrigent le Magnificat.   167 La femme du paysan baisse sa robe et rejoint les autres joueurs.   168 Variante picarde et flamande de « fors que » : si ce n’est que.   169 La femme aux jambes poilues parle d’elle au masculin*. Elle voit que la tavernière lui désigne discrètement le bonnet du paysan ; elle donne alors un coup de poing dessus. L’œuf se casse et dégouline sur la figure de l’homme.  *Les puritains n’auront qu’à corriger : Sans nul content [sans faire de contentieux]. « Les laissent dedens entrer sans nul content. » Lancelot.   170 En mal an : en mauvaise année. « Dieu te mette en mal an ! » Sermon joyeux de bien boire.   171 Votre femme a deviné que l’œuf était caché sous le bonnet.   172 Le paysan prend sur la table deux pichets de vin et les vide sur les tricheuses.   173 Cette imprécation scatologique est presque toujours dialoguée : « –Bren [merde] ! –Qui vous puist casser les dens ! » Pernet qui va au vin.

TE ROGAMUS, AUDI NOS !

British Library

British Library

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*

TE  ROGAMUS,

AUDI  NOS !

*

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Cette farce fut sans doute écrite à Rouen vers 1540. Sa seconde partie démarque la farce de Pathelin.

Source : Recueil du British Museum, nº 31. Farce imprimée à Paris pour Pierre Sergent, au plus tard en 1547.

Structure : Rimes plates, avec 2 triolets et 5 quatrains à refrain.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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*

Farce nouvelle

trèsbonne
et fort joyeuse

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À trois personnaiges, c’est assavoir :

       LE  CHAULDERONNIER

       LE  SAVETIER

       et  LE   TAVERNIER

*

               TE ROGAMUS, AUDI NOS ! 1

*

                        LE  SAVETIER  commence 2                     SCÈNE  I

        « Souliers vieulx !! Houseaulx3 !! »

                        LE  CHAULDERONNIER

        « Chaulderons à reffaire4 !! »

                        LE  SAVETIER

        « Souliers vieulx !! Houseaulx !! »

                        LE  CHAULDERONNIER

        Par saincte Avoye [et sainct Aquaire5] !

5      Ce savetier crye bien hault !

                        LE  SAVETIER

        Qu’esse que tu ditz, loquebault6 ?

        Te fault-il avoir tant de plet7 ?

                        LE  CHAULDERONNIER

        Qu’esse qu’il te fault, [sottelet8,]

        Très ort savetier députaire9 ?

10    « Chaulderons à reffaire !! »

                        LE  SAVETIER

        « Souliers vieulx !! Houseaulx !! »

        En despit de toy entens-tu10 ?

                        LE  CHAULDERONNIER

        Et de quel aage les veulx-tu11,

        Toy qui cryes en ce point hault ?

                        LE  SAVETIER

15    « Souliers vieulx !! »

                        LE  CHAULDERONNIER

                                              « Argent m’y fault12 !! »

                        LE  SAVETIER

        Il m’en fault aussi !

                        LE  CHAULDERONNIER

                                          Quel corbault13 !

        Veulx-tu faire du rigoleux14 ?

                        LE  SAVETIER

        Voylà : tu faictz, pour ung trou, deux15.

        Et pource16 : tu as tant de plet !

                        LE  CHAULDERONNIER

20    Et ! savetier infaict, pugnays17 !

        Je te prie, beau sire : tays-toy !

                        LE  SAVETIER

        Je ne me tairay pas pour toy.

        Dys18 du pis que tu pourras [dire] !

                        LE  CHAULDERONNIER

        Par bieu ! il me doit bien suffire :

25    M’a desmenty ung savetier ?

                        LE  SAVETIER  frappe

        Je me veulx cy de toy vengier :

        Pren cela, porte-lay19 bouillir !

                        LE  CHAULDERONNIER

        Où est mon [espée et mon bouclier]20 ?

        [Malle Mort te puisse tenir !]21

                        LE  SAVETIER  [frappe]

30    Pren cela, porte-lay bouillir !

                        LE  CHAULDERONNIER,  frappant :

        Pren cela, porte-lay rostir !

                        LE  SAVETIER,  frappant :

        Pren cela et t’en va chier !

        [ Pren cela, porte-lay bouillir !

                        LE  CHAUDERONNIER

        Où est mon espée et mon bouclier ? ]

                        [En frappant] 22 :

35    Tien cela et t’en va menger !

                        LE  SAVETIER

        Que tu es fol !

                        LE  CHAUDERONNIER

                                      Que tu es saige23 !

                        LE  SAVETIER

        Il est aussi ront qu(e) une bille24.

                        LE  CHAUDERONNIER

        Quant je te regarde au visaige,

        Ce me semble la truye qui25 fille.

                        LE  SAVETIER

40    Ton ventre est comme une sébille26 :

        Ce me semble ung pillier qui tremble.

        Oncques [h]uis27 de chesne ou de tremble

        Ne fust plus dur28 : c’est [dure lame]29 !

                        LE  CHAUDERONNIER

        Vien çà, vien, savetier infâme !

45    Veulx-tu dancer, Happe-la-lune30 ?

                        LE  SAVETIER

        Dancer ? Et ! tu n’en sçais pas une31.

                        LE  CHAUDERONNIER

        Tais-toy, que n’ayes sur la teste32 !

                        LE  SAVETIER

        Par bieu ! j’ay couppé mainte teste,

        Depuis que ne fus en bataille33.

                        LE  CHAUDERONNIER

50    Il se mussa34 comme une caille,

        Tant estoit hardy et vaillant.

                        LE  SAVETIER

        Vous y mentez, villain puant !

        C’estoit pour faire l’avant-garde.

                        LE  CHAUDERONNIER

        Voire : au pot35 à la moustarde…

55    « Argent me fault !! Argent m’y fault !! »

                        LE  SAVETIER

        Or çà ! besongner il me fault.

        Commencer me fault à ung bout36.

.

                        LE  TAVERNIER 37                                  SCÈNE  II

        « J’ay moust38, moust !!

        Vin vermeil, [vin] cléret et blanc !!

60    Et si, n’est qu’à ung petit blanc39 !!

        Et si, faict ‟ aller40 ” et parler !! »

.

                        LE  SAVETIER                                         SCÈNE  III

        Mor bieu ! il nous y fault aller.

                        LE  CHAUDERONNIER

        Me veulx-tu tenir compaignie ?

                        LE  SAVETIER

        Puisque c’est pour croquer la pie41,

65    Allons-y trèstout42 maintenant !

.

                        LE  CHAUDERONNIER 43                     SCÈNE  IV

        Sus, tavernier, venez avant !

        Allez-nous bien tost du vin traire44 !

                        LE  TAVERNIER

        Or çà, quel vin voulez-vous boire ?

        Vous en aurez incontinent.

70    Voulez-vous du rouge, ou du blanc,

        Ou de Vanves, ou de Baygneux45 ?

                        LE  SAVETIER

        Nous en burons46 de tous les deux ;

        Ne ferons pas ?

                        LE  CHAUDERONNIER

                                      M’aït Dieux47, voyre !

                        LE  TAVERNIER

        Voylà ung vin tant amoureux48 !

75    Vous diriez « c’est succre », à le boire.

.

                        LE  CHAUDERONNIER                          SCÈNE  V

        J’ay espérance de bien boire.

                        LE  SAVETIER

        Et moy, [j’]en empliray ma pance,

        Car j’en auray meilleur(e) mémoire49.

                        LE  CHAUDERONNIER

        Et moy, meilleure patience.

                        LE  SAVETIER

80    Tais-toy, nous en aurons dispense50.

                        LE  CHAUDERONNIER

        La mort bieu, voicy bien sifflé51 !

                        LE  SAVETIER

        Celluy qu’on boyt en la despence52

        Est bien aultrement baptizé !

                        LE  CHAUDERONNIER

        Par m’âme53 ! tu ditz vérité.

85    Comptons54 !

                        LE  SAVETIER

                                   Je n’ay pas ung tournois55.

                        LE  CHAUDERONNIER

        Par les patins bieu56 ! je n’ay croix.

                        LE  SAVETIER

        Par mon [serment ! et]57 je n’ay pille.

        Tastes-y58, se tu ne m’en croys.

                        LE  CHAUDERONNIER

        Par les patins bieu ! je n’ay croix.

90    Et toy ?

                        LE  SAVETIER

                         Ouy dea : [j’en ay là] trois

        Tous neufz59, à compter riffle-à-riffle.

                        LE  CHAUDERONNIER

        Par les patins bieu ! je n’ay croix.

                        LE  SAVETIER

        Par mon serment ! et je n’ay pille.

                        LE  CHAUDERONNIER

        Tout60 aussi vray que l’Évangille,

95    Nous demourrons (i)cy.

                        LE  SAVETIER

                                                  Çà, ce pot61 !

        Or çà, il nous fault dire ung mot

        De chanson62, et je t’en supplye !

                        LE  CHAUDERONNIER

        Or, commençons à chère lye63

        Tout maintenant ! Gaudéamus64 !

                        LE  SAVETIER,  en chantant 65 :

100  Je requiers au Dieu de lassus66

        Qu’il nous envoye cent mille escus

        Pour boire tousjours à plains potz !

                        LE  CHAUDERONNIER,  [en chantant :]

            Te rogamus, audi nos !

                        LE  SAVETIER

        Tousjours puissons avoir assez

105  De tartres67, râtons et pastéz,

        Rost[z] de perdris et videcoqz68 !

                        LE  CHAUDERONNIER

            Te rogamus, audi nos !

                        LE  SAVETIER

        Sire Dieu, faictz croistre les blédz

        Affin que ne soyons trouvéz

110  En faisant la beste à deux dos69 !

                        LE  CHAUDERONNIER

            Te rogamus, audi nos !

                        LE  SAVETIER

        Jamais ne puisse tavernier

        Vendre son vin plus d’ung denier :

        Si en burons à voulenté.

                        LE  CHAUDERONNIER

115       Libera nos, Domine !70

                        LE  SAVETIER,  en chantant :

        Et quant l’hoste71 viendra compter,

        Qu’il ne saiche nomplus72 parler

        Que faict ung enfant nouveau-né !

                        LE  CHAUDERONNIER

            Libera nos, Domine !

                        LE  SAVETIER

120  Ho ! il suffist, en vérité !

                        LE  CHAUDERONNIER

        Huchons l’hoste73, si compterons.

                        LE  SAVETIER

        Hoste !

.

                        LE  TAVERNIER                                      SCÈNE  VI

                        Qui est là74 ?

                        LE  CHAUDERONNIER

                                                   Nous voulons

        Sçavoir combien devons ensemble.

                        LE  TAVERNIER

        Et ! vous devez (comme il me semble)

125  Six solz, quatre deniers et maille75.

                        LE  CHAUDERONNIER

        Est-il vray ?

                        LE  TAVERNIER

                                 Ouy, sans [nulle] faille76 !

                        LE  SAVETIER

        Çà, mon hoste, je vous diray :

        Demain au matin vous pairay.

        De mon escot, il en est faict.

130  Pensez : j’en seray diligent.

                        LE  TAVERNIER

        Par ma foy ! il m’en fault argent,

        Ne  foy que [je] doy [à] sainct Christofle77 !

                        LE  CHAUDERONNIER

        Foy que [je] doy [à] sainct A[r]nofle78 !

        Vous serez payé tout contant79.

135  Adieu !

                        LE  TAVERNIER

                        Vous aurez ung sergent80,

        Foy que doy à Dieu de lassus !

                        *

                        LE  SAVETIER 81                                     SCÈNE  VII

        Nostre hoste ferons bien camus82,

        Se tu me veulx croyre.

                        LE  CHAUDERONNIER

                                                 Comment ?

                        LE  SAVETIER

        Tu t’en yras hastivement

140  Habiller en guyse83 de femme.

        Et je m’en iray, par mon âme,

        (Entens-tu ?) faire le mallade ;

        Et feray tant par ma ballade84,

        Certes, que le feray desver85.

                        LE  CHAULDERONN[I]ER

145  Or, pensons donc de le tromper.

        Dépeschons-nous, il en est heure86.

.

                        LE  TAVERNIER 87                                  SCÈNE  VIII

        Il me semble que je demeure

        Trop d’aller quérir mon argent.

.

                        LE  SAVETIER                                         SCÈNE  IX

        Despeschons-nous légèrement88 !

150  Voicy nostre hoste icy près.

                        Le chauderonnier vest habit de femme,

                        et le savetier faict l’enraigé 89.

                        LE  CHAULDERONNIER

        Vienne qui vouldra : je suis prês.

                        LE  SAVETIER

        Aussi suis-je, par Nostre-Dame !

.

                        LE  TAVERNIER                                      SCÈNE  X

        Holà !

                        LE  CHAUDERONNIER,  en femme.

                       Qui est là ?

                        LE  TAVERNIER

                                              Dieu gard, dame !

        Vostre mary est-il céans ?

                        LE  CHAULDERONNIER,  [en femme.]

155  Hélas ! il est tout hors du sens.

        Je ne sçay qu’il90 luy peult faloir.

                        LE  TAVERNIER

        Comment ? Pourroit-il bien avoir

        La malladie sainct Aquaire91 ?

                        LE  SAVETIER  vient, comme enraigé.

                                                      Et frappe, et dit :

        [Arrière, arrière, arrière, arrière]92 !

160  Voylà là malle bestïolle93.

        Par la mortbieu, elle s’en volle94 !

        A, dea ! Je l’auray, par ce « point95 ».

                        LE  TAVERNIER

        Beau sire, vous souvient[-il] point

        Qu(e) arsoir96, à soupper, vous prestay97

165  Six soulz, quatre98 deniers ?

                        LE  CHAULDERONNIER,  en femme.

                                                    À qui,  à moy ?

                        LE  TAVERNIER 99

        Vous [b]eustes trois quartes, hïer100.

                        LE  SAVETIER  [comme enraigé.]

        Voylà le clocher Sainct-Sever101

        Qui tremble de senglantes fièbvres ;

        Et vous allez chasser aux lièpvres102 ?

170  Haro103, haro ! Hau, je le voy !

                        LE  CHAULDERONNIER,  en femme.

        Qu’il vous souvienne de la foy

        De Jésus, qui mourut pour nous104 !

                        LE  SAVETIER,  [comme enraigé.]

        Regardez : que de loups-garoux !

                        LE  CHAULDERONNIER,  [en femme.]

        [Et] où sont-ilz ?

                        LE  SAVETIER

                                        En ce quignet105.

                        Le savetier frappe sur le tavernier et sus

                        le chaulderonnier, et dit en chantant :

175  Au jolys boucquet 106

        Tenez : par ma foy, il s’en volle107 !

                        LE  TAVERNIER

        Ha ! tenez-lay, qu’il ne m’affolle108 !

        Morbieu, j’ay eu belle vésarde109 !

                        LE  SAVETIER

        Et ! venez çà, vieille paillarde110 !

                        LE  CHAULDERONNIER,  en femme.

180  [Laissez cela]111, paillart infâme !

                        LE  SAVETIER,  chantant :

        Hé ! faulx villain112, tant tu as belle femme !

        La morbieu ! je seray gendarme113 :

        Je te turay, se tu viens cy !

                        LE  TAVERNIER

        Pour Dieu, tenez vostre mary,

185  Puisqu’il est ainsi enragé !

        La mort bieu ! je seray payé

        Ou jà n’yray hors de céans !

        Prestez vostre argent à telz gens

        Qui n’ont pas vaillant ung festu114 !

190  Encores ay-je esté battu ;

        Qui pis vault, j’ay esté trompé.

                        LE  SAVETIER

        Par ma foy ! je suis eschappé115

        [De luy payer son vin cléret.]

                        LE  CHAULDERONNIER

        Je veulx qu’on m’appelle Huet116

195  Se, de moy, il a jà tournoys !

                        LE  TAVERNIER

        Adieu, Messïeurs ! Je m’en voys117.

.

                        LE  CHAULDERONNIER 118                 SCÈNE  XI

        Par la morbieu ! tu m’as blessé.

                        LE  SAVETIER 119

        [Moy ?] Et comment ?

                        LE  CHAULDERONNIER

                                                 Tu m’as frappé

        Si grant coup dessus la cervelle !

                        LE  SAVETIER

200  Mais ne l’ay-je pas bien farcé120 ?

                        LE  CHAULDERONNIER

        Par mon serment, il l’a [eue] belle121 !

        Je ne sçay comment on l’apelle,

        Se ce n’est Martin de Cambray122.

                        LE  SAVETIER

        Allons-nous-en !

                        LE  CHAULDERONNIER

                                        Où ?

                        LE  SAVETIER

                                                     Je ne sçay.

                        LE  CHAULDERONNIER

205  En ceste rue aurons nouvelles,

        Car le chemin demanderé123.

                        LE  SAVETIER

        [Mais] s’il vous plaist, prenez en gré124 !

        Adieu, dames et damoyselles125 !

.

                                FINIS

*

1 [Seigneur,] nous t’implorons, écoute-nous ! Ce titre sert de refrain aux quatrains des vers 100-111.   2 Il arpente la rue, avec un sac sur le dos, et pousse le « cri » public de sa profession, comme sur cette image. En face de lui, un chaudronnier ambulant fait la même chose, ce qui nous vaut une de ces disputes entre commerçants dont les spectateurs étaient friands : voir par exemple le Pardonneur où, comme ici, les deux rivaux se mettront d’accord en allant boire gratis dans une taverne.   3 Bottes. « Je criray icy : ‟Houseaulx vieulx !/ Soulliers vieulx !” » (Le Savetier Audin.) Dans les farces, les cris de métiers n’obéissent pas toujours à l’octosyllabe.   4 Cri des chaudronniers ambulants. « N’avez-vous chaudron à reffaire ? » Le Chauldronnier.   5 Lacune. Saint Acaire, le patron des fous, est nommé au vers 158. Quant à sainte Avoye, elle devait crier très fort, « étant ‟sainte à voix” », comme nous le révèle Jacques Merceron dans son Dictionnaire des saints imaginaires et facétieux, p. 977. En outre, Merceron signale p. 976 que « saint Avoie (…) est ‟le saint qui a voix” ».   6 Loqueteux. Cf. les Femmes qui plantent leurs maris, vers 578.   7 De plaid, de bagout. Idem vers 19.   8 Lacune. « Maistre sotelet éventé ! » Guillerme qui mengea les figues.   9 BM : pugnais  (De basse extraction. « Bon ribaut députaire. » Le Patinier, F 35.)   10 Est-ce que tu m’entends malgré toi ?   11 De quel âge veux-tu des souliers « vieux » ?   12 C’est le cri des émouleurs, mais il peut servir à tout homme qui manque d’argent. Cf. la Pippée, vers 166, 171, 175 et 181.   13 Quel corbeau, quel croasseur.   14 Prononciation normande de « rigoleur » : mauvais plaisant.   15 Au lieu de colmater un trou dans un chaudron, tu en fais deux. « Je suis si bon ouvrier/ Que, pour un trou, je sçay deulx faire. » Le Chauldronnier.   16 Et pour cause.   17 Punais, puant. Les savetiers, qui manipulent de vieilles semelles et de la poix, sont très sales : « Savetier plain de punaysie. » La Laitière.   18 BM : Fays  (Dis ce que tu pourras dire de plus grave. « Quant on est fasché, on dit du pis que l’on peult. » Pierre Ragu.)   19 Porte-le. Même pronom normand dans la suite de ce triolet, ainsi qu’au vers 177. Nos deux larrons s’expriment comme les bourreaux de plusieurs Mystères : « Portez-le boullir,/ Rostir, ou faire des pastéz ! » Mistère de la Conception.   20 BM : bouclier et mon espee  (Correction d’André TISSIER : Recueil de farces, t. II, 1987, pp. 201-226.)  « Où est » se prononce « wé » en 1 syllabe, et on scandait « bou-clier » en 2 syllabes. Le chaudronnier s’arme d’une cuillère à pot et d’un couvercle de casserole, qui font partie de son attirail professionnel.   21 Il manque le 3e vers de ce triolet lacunaire : AB(a)Aab(AB). Je lui supplée le vers 313 des Trois amoureux de la croix, une autre farce normande dont le vocabulaire présente quelques analogies avec celle-ci.   22 BM : le chauderonnier en femme.  (Cette didascalie n’intervient qu’à partir du vers 153.)   23 Constatation ironique. « –Vous estes fol ! –Vous estes sage ! » L’Arbalestre.   24 Il est obèse à force de boire du vin.   25 BM : que  (La Truie que file est cantonnée au sud de la Loire : Nîmes, Arles, etc. Plus au Nord, on disait « qui ».)  Cette enseigne représentait une grosse truie tenant une quenouille. On la croisait dans d’innombrables villes : Bourges, Arras, Angers, Reims, Paris, Le Mans, etc. La truie qui file donna son nom à plusieurs rues qui existent toujours. À Rouen, elle servait d’enseigne à un tisserand, rue Martainville. Cette cochonne grassouillette prêtait à des comparaisons peu flatteuses ; Charles Fontaine la mit à contribution pour railler le style ampoulé d’un ennemi de Marot : « Quant à part moy je regarde le stille/ De ce Sagon, grand asnier maigre et sec,/ Il me souvient d’une truye qui file. »   26 Une sébile, une coupe ronde.   27 Jamais une porte cochère en bois.   28 BM : dure/   29 BM : une enclume.  (Voir la note d’André Tissier.)  Lame = pierre tombale : « Dessoubz la dure lame/ Fut enterré. » Clément Marot.   30 Ahuri. Cf. la Résurrection Jénin à Paulme, vers 200 et note.   31 Tu ne connais pas une seule chanson pour me faire danser. Le répertoire vocal des savetiers est intarissable : voir par exemple les 36 chansons du savetier Calbain.   32 Que tu ne reçoives des coups. « De mon poing aurez sur la teste ! » Le Raporteur.   33 Depuis la fin de la guerre où j’ai combattu. Les paroisses normandes envoyaient des civils accomplir une sorte de service militaire dans une compagnie de francs-archers : voir la note 27 des Frans-archiers qui vont à Naples. La locution « depuis que ne fus » traduit une action révolue dont l’effet se poursuit encore : « Regardez comme il a changé,/ Depuis qu’il ne fut à nourrice. » (D’un qui se fait examiner.) André Tissier a donc tort de remplacer « ne » par « je ».   34 Il se cacha à l’abri des combats. « Je ne sçay par où je me musse ! » Maistre Mymin qui va à la guerre.   35 Au pot de chambre. La moutarde symbolise les excréments : cf. les Rapporteurs, vers 280 et note. Bref, le savetier eut la « trouille », au sens propre et au sens figuré.   36 Tout de suite.   37 Devant sa taverne, il pousse le « cri » de sa profession.   38 Du moût, du vin fruité. « L’on a crié du moûlt de Rin. » Le Clerc qui fut refusé.   39 Et pourtant, il ne coûte qu’un sou. « Vin blanc,/ Rouge, cléret, tout à un blanc. » (Le Savatier et Marguet.) Le clairet est un vin rosé.   40 Et même, il fait aller à la selle : il combat la constipation. « Au bon vin cler avalle, avalle,/ Qui fait aller et parler. » Ung Fol changant divers propos.   41 Pour avaler du vin. « Le prescheur va croquer la pye. » Sermon joyeux de bien boire.   42 BM : trestous  (Immédiatement. « Je m’y en voy tout maintenant. » Le Tesmoing.)   43 Il s’assied à la table de la taverne, avec son complice.   44 Allez vite tirer du vin au tonneau. Rime avec « baire », à la manière normande : « Du meilleur vin y veulent baire. » La Muse normande.   45 De Bagneux. L’auteur rouennais dénigre ces vins de la région parisienne, qui ne coûtent pas cher parce qu’ils ne valent rien.   46 Nous en boirons. Idem vers 114. Cette forme est notamment usitée en Normandie : cf. les Brus, vers 127.   47 M’aid Dieu : que Dieu m’assiste ! La diérèse est surtout normande : cf. la Confession Rifflart, vers 124, 219 et 265.   48 Digne d’être aimé. « Que dictes-vous de mon vin blanc ?/ Est-il friant et amoureux ? » Le Capitaine Mal-en-point.   49 Le vin est censé augmenter la mémoire. « Me donnez à boyre :/ J’en eusse ung peu meilleur mémoyre. » Trote-menu et Mirre-loret.   50 Une autorisation spéciale. « Bons beuveurs ont dispense. » (Godefroy.) Le savetier vide son gobelet d’un trait.   51 Bu. « À bien sifler ne faulx jamais. » (Le Retraict.) Nous disons toujours : Siffler un verre.   52 À la cave : « Du vin qui est en la despense. » (Sermon joyeux de bien boire.) Dans les collèges et les séminaires, le responsable de la dépense « baptise » le vin en y versant de l’eau : cf. Maistre Jehan Jénin, vers 165-7.   53 BM : mon ame  (Cf. le Pourpoint rétréchy, vers 14, 771, 800, 817.)   54 Comptons l’argent dont nous disposons. Les deux buveurs se fouillent vainement.   55 Un sou. Idem vers 195.   56 Par les semelles de Dieu : euphémisme pour éviter de jurer par les plaies de Dieu. Toujours dans le registre vestimentaire, on jurait aussi « par la tocque bieu ». (La Mauvaistié des femmes.) La croix est une pièce de monnaie dont le côté face est frappé d’une croix.   57 BM : dieu  (Correction Tissier, d’après le refrain de 93.)  N’avoir ni croix ni pile = N’avoir pas un sou. « Je n’ay ne crois ne pille », comme l’avouent les clochards de la farce des Coquins (F 53) lorsqu’ils doivent régler le tavernier.   58 Mets ta main dans ma braguette. Sur la coutume qu’ont les hommes de cacher leur argent dans leur braguette, voir Saincte-Caquette, vers 424 et note.   59 J’ai 3 écus tous neufs. On use de cette plaisanterie pour dire qu’on n’a pas d’argent. « Ouy dea, il en a troyz tout neufz ! » (La Pippée.) Riffle-à-riffle = avec parcimonie. On dit plutôt « ric-à-ric » : cf. le Résolu, vers 15 et note.   60 BM : Pour  (« Tout aussi vray que l’Évangille,/ Elle le fera. » Serre-porte.)   61 Passe-moi le pot de vin. Le savetier le vide jusqu’à la dernière goutte.   62 Nous allons chanter. « Je vous supply que vous et moy/ Nous disons ung mot de chanson. » Deux hommes et leurs deux femmes.   63 Avec une figure épanouie. « Si, vueil chanter à chière lye. » La Confession Rifflart.   64 Réjouissons-nous. « Gaudeamus ! Vive bon temps ! » (Les Sotz qui remetent en point Bon Temps.) Peut-être avons-nous affaire à un titre : beaucoup de chansons d’étudiants s’intitulaient Gaudeamus, et leur refrain était en latin, comme ici.   65 Cette chanson n’est pas connue, mais on en chante une autre aux vers 435-472 du Pèlerinage de Mariage*, avec la même structure en quatrains aabB et le même refrain.  *Cette farce sera jouée en 1556 à Rouen.   66 De là-haut. Idem vers 136. On exigeait de Dieu des espèces sonnantes et trébuchantes : « Dieu gard les gallans ! Et vous doint/ À ung chascun cent mile escus ! » Les Coppieurs et Lardeurs.   67 De tartes : cf. Jehan qui de tout se mesle, vers 144. Les rastons sont des crêpes : « Rastons, tartes, gasteaux. » ATILF.   68 Coqs de bruyère. Ce mot vient de Picardie, de même que le raston du vers précédent et le burons normanno-picard de 114 (cf. le Pourpoint rétréchy, vers 64, 388 et 881) : cette chanson pourrait donc être picarde.   69 Seigneur, fais en sorte que l’herbe soit assez haute pour cacher les couples qui forniquent dans les champs. Ce vers et le refrain figurent dans le Pèlerinage de Mariage : « Qu’aultres ne leur batent les cus/ Et facent leurs maris coqus/ En faisant la beste à deulx dos,/ Te rogamus, audi nos ! »   70 Libère-nous, Seigneur ! Même refrain pour les quatrains 398-434 du Pèlerinage de Mariage, et pour les quatrains 54-65 des Trois nouveaulx martirs (F 40). Les tercets 66-75 de cette farce normande ont pour refrain « te rogamus, audi nos ».   71 L’hôtelier, l’aubergiste. Idem vers 121, 122, 127, etc.   72 Pas plus. « Il ne ramonne plus/ Non plus q’un enfant nouveau-né. » Le Ramonneur de cheminées.   73 Appelons le tavernier.   74 Que désirez-vous ?   75 Et 1 centime.   76 Sans aucun doute. « Que vous sachez sans nulle faille/ Qu’il ne s’en fauldra une maille. » L’Aveugle et Saudret.   77 « Foy que je doy à saint Amant ! » (Les Trois amoureux de la croix.) Même tournure archaïque aux vers 133 et 136.   78 Saint Arnoul, patron des maris trompés. Ce n’est pas un hasard si Molière a baptisé « Arnolphe » le cocu de l’Escole des femmes ; voir la note de Tissier.   79 « Payé en sera tout comptant. » Le Raporteur.   80 Je vais vous faire assigner en justice par un sergent.   81 ACTE 2. Nous sommes le lendemain matin (vers 128 et 164), chez le savetier, puisque c’est lui qui a promis de défrayer le tavernier.   82 Penaud, piteux.   83 En manière. « Vous vestir en guise de prestre. » Les Trois amoureux de la croix.   84 Par mes balivernes. « Que je racontasse bourderies ne des balladeries. » Godefroy.   85 Devenir fou.   86 BM : temps.  (« Metz-moy dedens, il en est heure. » Cautelleux, Barat et le Villain.)   87 L’auteur démarque la scène de Pathelin (vers 498-986) où le drapier se rend chez son emprunteur pour lui réclamer l’argent qu’il lui doit.   88 Rapidement. « Qu’on s’avance/ Légèrement ! Despeschons-nous ! » (La Nourrisse et la Chambèrière.) Le savetier regarde par la fenêtre et voit approcher le tavernier.   89 BM : lenraiger.  (L’enragé, le possédé du diable.)  Le chaudronnier s’approprie la robe et la coiffe de la défunte épouse du savetier, lequel se cache derrière le rideau de fond, après avoir ébouriffé ses cheveux pour mieux jouer le rôle d’un « démoniacle » : voir la note 91 du Cousturier et Ésopet.   90 Ce qu’il.   91 « Mal de saint Acaire : opiniastreté, humeur acariastre. » (Antoine Oudin.) « Du mal monseigneur saint Aquaire/ Puisse-tu estre tourmenté ! » La Mauvaistié des femmes.   92 BM : Aquatre/aquatre/aquatre/  (« Arrière ! » est le cri des charlatans qui attirent la foule en lui faisant croire que ce qu’ils montrent est d’essence diabolique. « Arière, arière, arière, arière ! » Le Bateleur.)   93 BM : bestialle  (La mauvaise bête désigne l’Antéchrist : cf. la Fille bastelierre, vers 90 et note.)   94 On représente les démons avec des ailes de chauve-souris. « Vélà ung moisne noir qui vole ! » Farce de Pathelin.   95 De cette manière. Jeu de mots sur « poing ». Le savetier frappe le tavernier.   96 Que hier soir. « Je beu tant, arsoir, à souper. » Les Maraux enchesnéz.   97 BM : preste  (Je vous prêtai : je vous fis crédit.)  Rime avec « mai », à la manière normande : « –Qui esse là ? –C’est  ! » Messire Jehan.   98 BM : trois  (Voir le vers 125.)   99 BM ajoute dessous : Pas ne le nyez  (L’éditeur parisien, qui n’a pas repéré la rime normande « mai », introduit une rime plus commune, au détriment de la mesure.)   100 BM : de vin  (Vous avez bu 3 pichets hier soir. « Fort vin beustes hïer. » Aye d’Avignon.)   101 BM : sainct seuerain  (L’ancienne église Saint-Sever de Rouen fut terminée en 1538. L’éditeur parisien ajoute 3 lettres à son nom pour former celui d’une église de Paris.)   102 Alors qu’on sonne la messe, vous allez à la chasse ? Double sens : Vous allez vous gaver de viande ? « Faites ces mains chasser aux lièvres,/ L’une au plat et l’autre aux baulièvres ! » Le Capitaine Mal-en-point.   103 C’est un des hurlements que poussent les diables des Mystères. Dans le Munyer, Lucifer s’exclame : « Haro ! deables d’Enffer ! » Voir la note de Tissier.   104 Emprunt à la farce normande du Testament Pathelin, où l’épouse dit au moribond : « Souvienne-vous du Roy des Cieulx/ Qui, pour nous, en croix, mort souffrit. »   105 Dans ce recoin. Les démons hantent volontiers la maison des pécheurs. BM descend cette réplique sous la didascalie.   106 Bosquet. « Au joly bocquet/ Croist la violette. » Pour s’en tenir au théâtre, cette chanson résonne dans la moralité des Enfans de Maintenant (BM 51) et dans celle des Enfans ingratz, ainsi que dans le Mystère de saint Sébastien.   107 Le savetier frappe le tavernier pour l’empêcher de « s’envoler ».   108 De peur qu’il ne m’assomme de coups. Cf. Serre-porte, vers 197 ; dans cette farce où la taverne joue un rôle primordial, un savetier revêt les habits de sa propre épouse et cogne sur des hommes.   109 Frayeur. « J’eusse eu belle vésarde ! » Beaucop-veoir et Joyeulx-soudain.   110 Il tente de trousser sa prétendue femme.   111 BM : Et ca  (Formule de refus que les femmes honnêtes réservent à leur mari : « –Çà, la bouchette !/ –Laissez cela ! » Jolyet.)   112 Paysan matois : « Me marier/ À ce faulx villain. » (La Fontaine de Jouvence.)  Probable rappel d’une chanson de Jehan L’Héritier, publiée en 1530 puis en 1535 : « Jan, petit Jan, quant tu as belle femme,/ Garde-la bien mais n’en soys point jaleux. » Je ne serais pas surpris que le savetier, qui fait tout pour embarrasser son concurrent de la veille, chante : « Tant tu es belle femme. »   113 Soldat. « Je seray gendarme parfaict. » (Troys Gallans et Phlipot.) Le savetier se jette à nouveau sur le tavernier.   114 Qui n’ont pas même un fétu de paille. Le tavernier vient de reconnaître le chaudronnier travesti, et comprend qu’on l’a berné. Il se dirige vers la porte.   115 Dispensé. « Dieu mercy, je suys eschapé/ De craincte et de douleur mortelle. » (Lucas Sergent.) Le vers suivant est perdu.   116 Je veux bien qu’on me traite de nigaud. « Si j’y metz, de l’année, le pié,/ Je vueil qu’on m’appelle Huet ! » (Les Enfans de Borgneux.)  Le chaudronnier retire sa coiffe et recommence à parler de lui au masculin : Guillemette redevient Huet.   117 Je m’en vais. Le tavernier se retire. Son « messieurs » n’est pas destiné aux spectateurs mais au couple d’hommes.   118 BM : sauetier.  (Le chaudronnier a été blessé par son prétendu mari au vers 175.)   119 BM : tauernier.  (Le tavernier vient de partir.)   120 Abusé, ridiculisé.   121 On la lui a baillée belle. « Par le sang bieu, nous l’avons belle ! » Les Botines Gaultier.   122 Les Normands donnaient ce nom à des dupes : cf. les Trois amoureux de la croix, vers 203 et note. Une farce normande s’intitule Martin de Cambray (F 41).   123 BM : demanderons.  (Je demanderai.)  L’éditeur a fait ce que font tous les éditeurs quand ils perdent le dernier feuillet de leur manuscrit de base : il l’a remplacé par la fin d’une autre pièce. Et donc, il a donné les noms de nos personnages à deux maraudeurs sans abri, qui ne connaissent pas la ville dans laquelle ils errent.   124 Ce vers, tel que je le complète, est le vers 94 de Jehan qui de tout se mesle.   125 Après avoir féminisé son compagnon de beuverie, le savetier féminise les spectateurs.

SERMON POUR UN BANQUET

Bibliothèque nationale de France

Bibliothèque nationale de France

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SERMON  POUR

UN  BANQUET

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On ignore comment s’intitulait ce sermon joyeux ; son premier vers inspira au copiste du manuscrit un titre par défaut, Sermon d’un cartier de mouton, titre qu’il a d’ailleurs omis de noter dans la table des pièces. Jelle Koopmans1 l’a rebaptisé Sermon d’un cardier de mouton ; or, il n’y a jamais eu de cardiers de moutons : nous ne connaissons que les cardeurs de laine, et je ne sache pas qu’ils soient comestibles, contrairement aux quartiers de moutons. (Voir par exemple le Sermon de sainct Belin, qui narre les transformations culinaires d’un mouton tué par un boucher.) Notre sermon fut prêché au cours d’un banquet <vers 25> : je l’intitule donc Sermon pour un banquet, sur le modèle du Sermon pour une nopce, qui agrémenta un repas de mariage.

Source : Manuscrit La Vallière, nº 5.

Structure : Rimes plates, rimes abab/cdcd.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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Sermon d’un

cartier de mouton

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        Au non d’un cartier de mouton

        (Pour faire branler le menton2),

        D’un[e] andouille à la cheminée3,

        D’un hastelet4, d’une eschinée,

5      D’un bon pot de vin de Bourgongne

        (Pour refaire, à tous, rouge5 trongne),

        D’une brioche de deulx soublz6 :

        Soyez-vous bénis et a[b]soublz !

        Sy vous avez vos apétis,

10    [O vos omnes]7 qui soupatis :

        [Prio vos quod]8 escoustatis,

        Ouvrant grandos horeillibus9.

        Ego monstrabo lardibus10,

        De bonne11 grâce, vivendy.

15    Hec verba sunt alegandy12

        Devant gentibus de bene13,

        Et vobis [non denegandy]14.

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        Après que j’ey [fort bien]15 dîné,

        Peuple qui as icy soupé,

20    En joye et consolation

        Escouste la prédication

        Que veult faire frère Gaultier16 !

        Je ne presche poinct au moutier17,

        Car je n’y treuve poinct d’aquès18 :

25    Y n’est que prescher aux banquès,

        Car on n’y pert poinct son latin.

        Sy j’avoye frère Alitrotin19,

        Y s’en yroit fère la queste ;

        Car (par ma foy) sy je n’aqueste20,

30    Je ne presche poinct de bon cœur.

        Je ne suys poinct ung recepveur21,

        Ny un plaignart22 en une chaire.

        Je veulx qu’on me face grand chère23

        Sans espargner ne [quart, ne part]24 :

35    Je suys un bon frère Frapart25,

        [Bon] compaignon [et bon]26 gaultier.

        Mais à nous, c’est nostre mestier

        Que d’aler parmy vos maisons

        Pour vous demander des toysons27

40    Quant vient entour la Madalaine28.

        J’ey tant jeûné la triolaine29

        Et mengé la soupe au vinaigre

        Que j’en suys demouré sy mesgre

        Que je n’ay vie30 un jour entier.

45    Je veulx faire un sermon plénier31

        Lequel contiendra deulx parti[e]s.

        Mais premier32 que soyez parti[e]s,

        Femmes, vous direz sans mentir

        Que ma « doctrine » est à tenir33.

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50    Et pour mon « introduction34 »,

        J’ey prins pour ma fondation35 :

        O vos omnes qui soupatis,

        Prio vos quod escoutatis,

        Ouvrant grandis horeillibus36.

55    [Ego monstrabo lardibus,]37

        De bonne38 grâce, vi[v]endy.

        Or çà ! Messeigneurs, je vous dy

        Que je suys bon granmairïen39

        Pour prescher à bon escien :

60    Car (par ma foy) je suys le maistre

        De tous ceulx de nostre cloestre40.

        Les autres ne sont que maroufles41 ;

        Je leur faictz porter mes pantoufles

        Après moy42, comme serviteurs.

65    Un tas de petis preschoteurs,

        De mÿauleurs43, de pÿolars

        Qui contrefont les papelars44

        Afin qu’on leur donne à souper.

        Et sy, ne font que papïer45

70    Comme un chien prins en une bare46.

        Que deable ! ne tiennent-y care47,

        Ou bien la trongne d’un carleur48 ?

        Y semblent à un oyseleur

        Qui [contrefaict cy]49 la pipée :

75    « Ty, ty, ta, ta50 », à l’eschappée,

        Font-y quant y parlent de Dieu.

        Mais quant à moy (par le sang bieu),

        Je desbagoule51 du latin

        Plus dru c’un petit deablotin ;

80    Je le vous trousse par [la goule]52.

        Sytost qu’icy [j’en desbagoule]53,

        J’en tue un chien tout royde mort !

        Ce n’est poinct petit latinor54,

        Ne murmuron55, ne pietarom56 ;

85    C’est : « Grandibus asinorum57

        À brides rouges58, [b]arba factes59 !

        Mora difamus, vocat 60 ‟rates”. »

        Voylà mon latin apresté.

        Je me suys longtemps aresté

90    Pour aruner61 ce beau latin,

        Mais ce n’est pas un picotin62

        De la disme que63 ma science ;

        Vous en vouérez l’expérience

        Avant qu’aiez64 faict la soupée.

95    La pouétrine65 m’est sy enflée

        Du savoir qui est là-dedens

        Que se je ser[r]oys trop les dens,

        Y me sortiroyt par-derière

        Plus espois que n’est lye de bière ;

100  Ou je crèveroys par le ventre66.

        J’ey deigà vescu des ans trente,

        Mais jamais je ne vis prescheurs

        Sy desnués ne sy jeûneurs67

        Comme sont ceulx du temps présent :

105  Personne ne faict plus présent68

        Au pauvre couvent, semydieux69 !

        Et vrayment, un tas de « pourdieux70 »

        Gaignent plus en une journée

        Qu’on71 ne faison en une année ;

110  De quoy nous sommes mal contens.

        Mais d’où vient, aussy, que le temps

        A esté longuement sy cher ?

        Et d’où vient, aussy, que la cher72

        Et les ners sont sy courïaches73 ?

115  D’où vient, aussy, que les filaches74

        Sont [huy75] sy courtes, mes amys ?

        Pourquoy ne prend-on plus de nis76

        Comme on faisoyt au temps jadis77 ?

        C’est Dieu qui l’a ainsy permys.

120  On souloyt trouver des pÿars78,

        Des moyssons79 ou des cornilars,

        Ou des grives80 à fricasser ;

        Maintenant, allez en chercher :

        Vous y serez une sepmaine !

125  Pourquoy n’ont hommes plus de graine81 ?

        Pourquoy sont les noix sy véreuses ?

        Pourquoy sont filles sy fâcheuses,

        Et ont les yeux sy cachieux82 ?

        C’est pour cause qu’on ne faict myeux83

130  À entre nos povres prédicateurs

        [Qui sont de bien dire amateurs.]84

        N’est-il pas dict : « [À Frapabo]85

        « Donate d’un pasté86, preschabo. »

        Voylà du Monde la folye.

135  Et c’est la première partye

        De ma87 belle colatïon.

.

        Mais devant nostre départye88,

        Feron recomandation89.

        Nous prirons pour tous roys et princes,

140  Qu’i puissent maintenir la90 paix

        En tous pays, aussy provinces,

        Et que guer[r]e n’ayon jamais.

        Nous prirons pour ces bons vicaires

        Qui ont ces grosses chambèrières

145  Secrètement, sans qu’on le sache91 :

        [Qu’ils ayent]92, pour leur faire grand[s] chères,

        De l’or tout plain une besache93 !

        Vous érez pour recommand[é]es94

        Femmes qui boyvent leurs fis[é]es95,

150  Et maris qui bastent leurs femmes,

        Et toutes gracieuses dames

        Qui font fourbir leurs babinières96 ;

        Vous érez97 part en leurs prières.

        Nous prirons pour ces taverniers

155  Qui sont [sy souvent]98 coustumiers

        À brasser le [moust du raisin]99 :

        Qu’i puissent estre, en leurs séliers100,

        Noyés aveques leur brassin101 !

        Prions pour ces loyaux muniers

160  Que tous chascun disent larons102 :

        Qu’i puissent aller tous mitrés103

        En Paradis à reculons !

        Prions Dieu pour ces boulengers

        Qui font souvent sy104 petit pain :

165  Qu’i puissent estre tous noyés105

        En l’eau où trempe leur levain !

        Nous prirons, sy le cuir est cher

        Et qu’i ne tienne qu’aux tenneurs106,

        Qu’on les puisse tous escorcher

170  Pour vestir les Frères mineurs107 !

        Pour  séruriers, [mareschaus-ferrans]108,

        Qui sont sur terre tempestans109,

        Qui jour et nuict font des tempestes :

        Qu’i se puissent, de leurs marteaux,

175  L’un à l’autre rompre les testes,

        Et fussent-y tous mareschaulx !

        Nous prirons pour ces bons sergens

        Qui sont aussy doulx qu’éléphans :

        Que Dieu les loge en un cabas

180  En ung grenier, avec les ras !

        Prion Dieu pour femmes enseintes,

        Qui ont esté au « vif110 » atainctes :

        Que l’enfant puisse desloger

        Aussy « doucement111 » qu’à l’entrer !

185  Nous prirons pour tous cousturiers

        Que, de l’ouvrage qu’on leur porte,

        Qu’i112 en prennent tousjours le tiers,

        Ou le grand deable les emporte !

        Nous prirons généralement

190  — Aussy pour moy premièrement —

        Que [vous n’ayez]113 jamais patart

        Que nous n’y ayons nostre part.         AMEN !

.

        O vos omnes qui soupatis :

        Prio vos quod escou[ta]tis !

195  Or çà ! J’ey grand dévotion

        De donner résolution

        De nostre seconde partye :

        De parler j’ey intention

        De l’églentier114, et d’une ortye,

200  Et d’une ronche bien pointye115,

        Et d’autres argumens plusieurs :

        De ceulx qui font mal aux prescheurs,

        Dont Margot l’Orage116 parla.

        Et d’un homme qui dévala

205  En Enfer pour [voir son]117 grand-père,

        Qui le vit en grand vitupère118 :

        …………………………

        Là où il estoyt tout estendu.

        Peu s’en fault qu’i ne fût pendu !

        Et ne tenoyt qu’à un arteil119,

210  Tant seulement pour un verteil120

        Qu’i dérobit, devant121 la messe,

        À122 une bonne fileresse

        Qui filoyt pour nostre couvent.

        –Y l’est123 ?  –Il a le cul au vent.

215  –Mais [à] quel vent ?  –Au « vent de bise124 » :

        Yl a tant honny125 sa chemise

        Qu’il n’a morcel du cul entier !

.

        Une aultre ystoyre, d’un potier126,

        Lequel je127 rencontra[y] ouen

220  Entre Caudebec128 et Rouen,

        Auprès du chesne Sainct-Ytasse129.

        Je luy demanday une tasse130

        Ou un pot à pisser. Un rustre,

        Un vilain, un méchant robustre131 !

225  Sy me va dire vylennye :

        « Or allez vouèr en Savignye132,

        Monsieur, pour vouèr s’on les y donne ! »

        « Et ! mon amy, faict[s] ton aumosne

        (Luy di-ge) au piller133 de la Foy ! »

230  « Vouécy mon cul, fique-y ton doy134

        (Dit-il) ! »

                              « Hélas, viel apostat ! »

        Et je me mais en bon estat

        Pour le maudire et conjurer.

        Je viens tout beau, sans séjourner135,

235  Mectre la main sur sa jument.

        Je le maudis sy fermement

        Que les aureilles luy pelèrent.

        Pos et térines trébuchèrent :

        Tout s’en va bas, paty, pata136 !

240  La povre jument avorta

        Et s’en ala tout droict mourir.

        Le potier s’en cuydoit fuÿr137,

        Mais il n’aloyt qu’à reculons.

        La gouste le138 print aux talons,

245  Et demoura tout estoqué139

        Du péché qu’i s’étoyt moqué

        De moy luy demandant l’omosne.

        Et ! n’est-il pas dict en un prosne :

        « Volaveront 140 con potibus,

250  Terinis et testetibus141,

        Gousta prisys142 in talonnys,

        Et jumentas143 advortatys.

        Pelaveront horeillibus144,

        Et restantes145 borgnatibus,

255  Et brulantes in panistrum146,

        Et [cassatis posteriorum]147. »

.

        Or çà ! Je demande148 responce :

        Asçavoir mon149, sy une ronce

        Et une ortye c’est tout ung.

260  Et certes, je n’en voys pas ung

        Qui sceust ceste questïon souldre150.

        Je voys argüer comme fouldre151,

        Tout fin seulet, les deulx party[e]s :

        Ronchat piquat ; sy font152 orty[e]s.

265  L’un et l’autre piquent-y pas ?

        Ergo, je conclus sur ce pas

        Que c’est tout un, sans plus huer153.

        Or çà ! je m’en voys argüer

        Le contraire de tout cela.

270  Regardons un peu… Or, voylà :

        Des ronches qui ont piquans menus ;

        Et une ortye, el n’en a nus154.

        Par quoy il y a différence

        Bien prouvée, et grand dessemblance155

275  — Ainsy qu’i me semble — entre eux deulx.

        Je prouve tout ce que je veulx :

        D’une ortye, j’en fais ung houx156.

        Ma foy ! je suys trop clerq157 pour vous,

        Puy[s]qu’i fault que vous le déclare.

280  Or, venez çà ! Se je vous hare158

        Ung chien, lequel soyt noir ou blanc,

        Me voulez-vous prouver pourtant

        Qu’i soyt vert ? [Et !] je le vous nye !

        A, dea ! S’il avyent qu’on fournye159,

285  Et qu’i se touille160 à la farine,

        N’est-il pas tout blanc ? Or devine161 !

        Y n’est ne jaulne ny bigaré162 ;

        Et sy, n’est ne vert, ne baré163,

        Comme l’on void en ung proverbe164.

290  Item, s’y se veautrouille165 à l’erbe

        Et il en demeure couvert,

        Par le sang bieu, c’est un chien verd !

        C’est vraye prépositïon166.

        Vouélà pour la conclusion

295  De nostre dernière partye.

.

        Y fault faire ma départye.

        Je ne veulx poinct de patenostres167 ;

        Mais vous jourez de vos menotes168

        Envers moy. Et vous monstrez frans !

300  Vous me donrez .VII. ou .VIII. frans,

        Ou huict ou .IX. gros de Mylen169.

        Dieu vous en doinct la grâce ! Amen170 !

        Celuy qui n’éra jamais fin171

        Vous puisse octroyer telle grâce

305  Com(me) l’écoufle172 fit au poussin

        Ou le regnard à une oue grace173 !

        En vous priant, bon preu vous face174 !

        Toute la noble compagnye,

        Prenez en gré, je vous suplye !

.

                                              FINIS

*

1 Quatre sermons joyeux. Droz, 1984, pp. 67-77.   2 Pour mettre les mâchoires en mouvement.   3 Au nom d’une andouille au gril.   4 D’une viande à la broche. L’échinée est une échine de porc.   5 LV porte un mot abrégé qui rappelle vaguement : nostre  (« La rouge trongne/ D’un Silène ou d’un yvrongne. » Ronsard.)   6 De 2 sous. « Brioche » est un mot normand.   7 LV : os vos onnes  (Même vers que 52 et 193. Parodie des Répons des Ténèbres : « O vos omnes qui transitis. »)  Ô vous tous qui soupez ! Les amateurs de latin de cuisine vont être servis…   8 LV : pre vos qui  (Même vers que 53 et 194.)  Je vous prie d’écouter.   9 En ouvrant grand vos oreilles. Même vers que 54.   10 Je vais vous montrer avec du lard.   11 LV : bene  (Même faute au vers 56.)  De bonne grâce, à vivre.   12 Ces paroles ont été alléguées.   13 Devant des gens de bien. Tout au long du sermon, le prêcheur s’adresse aux « fidèles » que constituent les invités d’un banquet.   14 LV : sont da negandy  (Et à vous, elles ne sont pas refusées.)   15 LV : formy   16 Ce Cordelier lascif et gourmand est un habitué de la littérature anticléricale, et même des chansons gaillardes : « N’allez plus au boys jouer,/ Frère Gaultier,/ Avec Jehanne la moynesse. » Pour s’en tenir aux sermons joyeux qui nous sont parvenus, on le nomme dans Ung Sermon plaisant.   17 Au couvent des Cordeliers de Rouen.   18 Rien à acquérir, à gagner. Les convives des banquets sont beaucoup plus généreux que les paroissiens, qui sont encore à jeun lorsqu’ils entendent la messe matinale.   19 C’est le clerc de frère Gautier, de même que dam Phlipot est celui du prédicateur du Sermon joyeux des quatre vens, ou que frère Jean est le clerc et l’âme damnée du Cordelier frère Frappart. Son nom désigne un de ces moines mendiants qui trottent par les rues. Les dames qui ne sont jamais chez elles disent qu’elles vont « prier saint Trottin » ; voir la note 80 de Tout-ménage. Alitrotin évoque l’exécuteur des basses œuvres Alibraquin : « Argent, qui en a ? » Les Tyrans au bordeau.   20 Si je n’acquiers pas d’argent. À la fin du sermon, le comédien fait effectivement la quête. On pourrait à la rigueur conserver la graphie du ms. : sy je naqueste [si j’accomplis une besogne qui ne rapporte rien]. « Un qui tout temps nacquète/ Ne s’enrichist jamais, et de grands biens n’acqueste. » Godefroy.   21 Un percepteur.   22 Les curés se plaignent toujours que leurs ouailles ne leur versent pas la dîme, le denier du culte.   23 LV : chaire  (« Partout grant chère on me faisoit. » La Résurrection Jénin à Paulme.)   24 LV : fric ne fraq  (Cette expression existe, mais ici, elle ne rime pas.)  Sans rien épargner. « Il n’aura plus ny quart, ny part. » Poncette et l’Amoureux transy.   25 Un Cordelier débauché. Voir la notice de Frère Frappart.   26 LV : de frere  (Frère Gautier est le nom du prêcheur.)  Un bon compagnon et un bon gautier sont de joyeux drilles : « À moy n’est que honneur et gloire d’estre dict et réputé bon gaultier et bon compaignon. » Gargantua, prologue.   27 Des peaux de moutons avec leur laine.   28 Quand on approche de la Sainte-Madeleine, le 22 juillet. À cette date, on achète la laine nouvelle. « Me cousta, à la Magdalaine,/ Huit blans, par mon serment, la laine. » (Farce de Pathelin.) Voir la note de Jelle Koopmans, p. 96.   29 Trois jours de suite. « No[us] fera juner la triolaine. » La Muse normande.   30 LV : bien  (Que je ne vivrai pas un jour entier. « Deux jours entiers en vie ne sera. » Octovien de Saint-Gelais.)   31 LV : entier  (À la rime. Le sens est identique : un sermon en trois points.)   32 Avant. « Premier qu’il partent hors d’icy. » Le Cousturier et le Badin.   33 Est digne d’être suivie. Clin d’œil réservé aux femmes : Que ma verge est digne d’être tenue. « Socrate (…) lui insinuait sa doctrine par l’anus. » Le député cinique.   34 Nouveau clin d’œil aux dames : « Qu’on nous donne/ Ung petit [un peu] d’introduction ! » Les Femmes qui aprennent à parler latin.   35 J’ai pris pour thème. Ce theume a déjà été exposé aux vers 10-14.   36 LV : horilibus  (Voir le vers 12. Je corrige la même graphie divergente à 253. Le comédien parle à des gens du peuple : son intérêt est d’être compris quand il écorche du faux latin.)   37 Je vais vous montrer avec du lard. LV oublie cette reprise du vers 13, indispensable pour la rime.   38 LV : bene  (Note 11.)   39 Rhétoricien, maître en éloquence sacrée. On prononçait grammairïan.   40 Je suis le plus fort de notre cloître, de notre monastère.   41 Que des hommes grossiers.   42 À ma suite.   43 De geignards (normandisme). « Piaulard : Pleurnicheur. » Louis Du Bois, Glossaire du patois normand.   44 Qui jouent les bigots. « Des gros moynes soûlars/ Qui contrefont des papelars. » Les Veaux.   45 Et même, ils ne font que pépier, balbutier. Cf. le Testament Pathelin, vers 172.   46 Derrière une barrière, une clôture.   47 N’ont-ils pas une solide carrure, une forte corpulence.   48 D’un carreleur de chaussures, d’un savetier. « Mestier de carleur. » (Godefroy.) Si l’on en croit les farces, le vin colore souvent la trogne des savetiers. Voir le vers 6.   49 LV : contrefacent  (La pipée est une tactique de chasse où l’oiseleur imite le cri des passereaux pour les attirer. Voir la notice de la Pippée.)   50 Pépiements produits par l’appeau d’un oiseleur. À l’échappée = à la dérobée : « À l’eschappée,/ Voulissons faire une pippée. » La Pippée.   51 Je dégueule. Idem vers 81.   52 LV : goules  (Par la gueule, normandisme. « Il nous fault eschauffer/ Par la goulle. » Les Femmes qui font escurer leurs chaulderons.)   53 LV : desbagoules   54 LV : latinot  (Du petit latin.)   55 LV : mirmyron  (Prononciation à la française de murmurum. En bon latin, on dit simplement murmur.)   56 LV : pietrarom  (Des paroles de piété.)   57 LV : grafitorum  (Grands ânes. Festum asinorum = la Fête des ânes.)   58 LV : rogaste  (Les ânes à bride rouge sont les prêtres tenus en laisse par des cardinaux. « C’est belle chose d’ouÿr braire/ Ung asne qui a rouge bride. » Les Menus propos.)   59 LV : frites  (Ayez la barbe faite, rasez-vous ! Un clerc doit être imberbe. « Clerici qui comam & barbam nutriunt…. Nulla de barba facta mentione. » J. de Chevanes.)   60 LV : vacat  (Les diffamés de mœurs, on les appelle des « rats ».)  Les tonsurés sont des « ras », des rasés ; leur propension à ronger tout ce qu’ils trouvent les fit traiter de rats : « Les ‟ratz” ont fait à Dieu promesse/ Que jamais, sans ouÿr la messe,/ Ilz ne mengeront nulz fromages. » Les Rapporteurs.   61 Pour mettre en ordre. « Plusieurs mos arunés. » Le Monde qu’on faict paistre.   62 Une quantité négligeable. Le picotin est un pourcentage d’avoine qu’on verse pour l’impôt de la dîme.   63 LV : de   64 LV : qu ies  (Avant que vous n’ayez fini votre souper.)   65 LV : poueterine  (Ma poitrine. « C’est au cœur et à la pouétrine. » Frère Phillebert.)   56 Maistre Jehan Jénin, lui aussi, est tellement plein de science qu’on se demande pourquoi il « n’a crevé parmy sa boudine ».   67 LV : hydeurs  (Si affamés. « Car à présent sommes juneurs :/ Le pauvre monde n’a plus croix [argent]. » Regrets et complaintes des gosiers altéréz.)  Dénué = qui vit dans le dénuement ; cf. les Sotz qui remetent en point Bon Temps, vers 276.   68 De présents, de cadeaux.   69 Si m’aid Dieu : que Dieu m’assiste ! Cf. le Chauldronnier, vers 112.   70 De mendiants qui demandent l’aumône en prétendant que ce qu’on leur donne est « pour Dieu ». « C’est belle osmosne, sans doubtance,/ Donner pour Dieu aux souffretteux. » Frère Guillebert.   71 Que nous. Cette tournure est normande : « On ne la voullons poinct. » Troys Pèlerins et Malice.   72 La chair, la viande.   73 Coriaces. La chuintante est normande, comme à la rime.   74 La filasse, la laine autour de la quenouille. « Elle ne se soucie de tirer avec le fuzeau la fillace d’une quenouille. » Histoire maccaronique de Merlin Coccaïe.   75 Aujourd’hui. « Ilz sont huy si parfont [profondément]. » (Éloy d’Amerval.) Dans les ménages pauvres, les femmes vendent leur ouvrage : « Si n’estoit que je file, (…)/ Vous mourriez de fain. » Calbain.   76 On prenait des oisillons dans les nids pour les manger.   77 Ce n’est plus le jeune prêcheur de trente ans (vers 101) qui parle, c’est l’auteur ; et il est aussi nostalgique que le vieillard réactionnaire du Tesmoing : « Comme on faisoyt au temps passé. »   78 On avait l’habitude d’y trouver de petites pies. « Vo sçavez bien coume y veut finement [par traîtrise]/ Mes petits piars avèr injustement. » La Muse normande : Le grand prochèz meu por un nid de pie.   79 LV : moysons  (Des moineaux, normandisme. Cf. la Pippée, vers 94.)  Les cornillards sont les petits de la corneille.   80 LV : tripes   81 De sperme.   82 Chassieux (normandisme). C’est un signe d’alcoolisme : « Sorcière de vin humeresse,/ Chassieuse ! » La Laitière.   83 Qu’on ne donne pas plus d’argent.   84 Vers manquant. « Des prescheurs/ Qui sont de mal dire amateurs. » Le Jeu du capifol.   85 LV : en cracabo  (Un Frappabo est un frère Frappart. « Voécy deulx frères Frapabos. » Les Brus.)   86 LV ajoute : a frater  (Au frère Frappart donnez un pâté et je prêcherai. Jeu de mots sur « pâté » et « Pater ».)   87 LV : nostre  (Collation = sermon : cf. le Pardonneur, vers 145.)   88 Avant notre départ. Idem vers 296.   89 Nous recommanderons à Dieu ceux qui en ont besoin, grâce à nos prières.   90 LV : en   91 Beaucoup de religieux se contentent d’amours ancillaires, plus discrètes que les autres. « Le vicaire/ Eut fait tout ce qu’il vouloit faire/ De sa chambrière. » (Les Chambèrières qui vont à la messe.) La sottie des Veaux dénonce les moines lubriques : « En derière [en secret],/ Ilz ont la grosse chambèrière,/ Laquelle y ‟senglent” jour et nuict. »   92 LV : qui lest   93 La besace est la sacoche des Frères mendiants. Chuintante normande : « De Frère portant la besache. » Les Brus.   94 Dieu, vous aurez en recommandation.   95 Les femmes qui se soûlent avec l’argent qu’elles gagnent en filant leur quenouille. Fisée = fusée, quantité de fil enroulée autour d’un fuseau : « Ce fust assez, en quinze jours,/ Que de filer une fisée. » Tout-ménage.   96 Leurs grandes lèvres, leur vulve.   97 Vous aurez. (Même normandisme à 148 et 303.) Elles vous consacreront une part de leurs prières.   98 LV : souuent sy   99 LV : goust du ressin  (Le moût désigne le jus de raisin non fermenté : on reproche aux taverniers d’en mettre dans leur vin.)  Sans grande originalité, le prêcheur s’en tient aux valeurs sûres de la satire : les hommes d’Église, les femmes, les maris, les taverniers, les meuniers, les boulangers, les tanneurs, les artisans bruyants, les sergents, les couturiers, les pauvres.   100 Dans leur cellier.   101 Leur mixture.   102 « Les meusniers, qui sont ordinairement larrons. » (Tiers Livre, 2.) « Nous prirons pour muniers, munières,/ Qui desrobent sacz par les gueulles. » Sermon joyeux des quatre vens.   103 Certains condamnés marchaient au supplice coiffés d’une mitre en papier sur laquelle était écrit le motif de leur condamnation.   104 LV : ce  (Ils diminuaient la taille du pain, mais pas son prix. En désespoir de cause, on en faisait des chansons : « Je me plains fort des boulengiers,/ Qui font si petit pain. » Le Savetier Audin.)   105 LV : noyers  (Voir le vers 158.)   106 Et que ce soit la faute des tanneurs.   107 L’ordre des Frères mineurs, ou Franciscains, auquel appartient notre Cordelier. « Deux vitz de prescheurs,/ Et deux grans de Frères mineurs. » Le Tournoy amoureux.   108 LV : et meschaus  (Forgerons.)   109 Qui font un bruit de tempête avec leur marteau. On ne dira jamais assez à quel point la rue médiévale était bruyante. Boileau reprendra les mêmes termes au siècle suivant : « Un affreux serrurier, que le Ciel en courroux/ A fait, pour mes péchéz, trop voisin de chez nous,/ Avec un fer maudit qu’à grand bruit il appreste,/ De cent coups de marteau me va fendre la teste. » Satire VI.   110 Par un vit (même prononciation). « Entre deux jambes, le vif amble [trotte] ;/ Entre deux fesses, le vif tremble. » (Joyeusetéz, XI.) Ce sermon offre beaucoup d’analogies avec celui des Quatre vens : « Nous prirons pour femmes enceintes,/ Que quant viendra à enfanter,/ Que leurs fruictz sortent sans contraintes. »   111 Calembour de sages-femmes sur d’ossements. La mère d’une nouvelle mariée dit à son gendre : « ‟Mon amy, traittez-la doucement !” Vrament il le faisoit : il luy bailloit des oussements. Ainsi la traittoit-il d’oussements. Ainsi les sages-femmes l’entendent, quand elles disent aux premières groisses [grossesses] des autres : ‟Consolez-vous, m’amie ; il en sortira plus doucement qu’il n’y est entré.” » Béroalde de Verville.   112 Qu’ils. Idem vers 140, 157, 161, etc. Sur l’étoffe fournie par le client, les couturiers prélevaient discrètement une « bannière » ; cf. le Cousturier et le Badin, vers 16-21. Le prêcheur autorise donc les couturiers à poursuivre leurs exactions. De même, l’Abbé des Conards de Rouen n’interdisait ces abus qu’aux couturiers honnêtes : « Nous voulons que cousturiers,/ S’ilz ne sont fins [rusés] ouvriers,/ Ne pourront faire bannière. » Triomphes de l’Abbaye des Conards, 1542.   113 LV : tous nayons  (Que vous n’ayez jamais une pièce de monnaie sans…)   114 Il ne sera plus question de ce rosier sauvage plein d’épines.   115 LV : քtye  (Pointue. « Tétins poinctifz. » Frère Guillebert.)  Ronche = ronce. Idem vers 264 et 271.   116 Peut-être un personnage de théâtre, comme Margot la Bénigne. Nota : Le tableau de Brueghel l’Ancien que nous appelons « Margot l’Enragée » a pour véritable nom Dulle Griet.   117 LV : voier  (Jénin à Paulme, quant à lui, a vu en enfer sa grand-mère : « Je viens de veoir ma grande toye. »)   118 En grande honte. Jelle Koopmans suppose dessous une lacune de 2 vers, mais elle est beaucoup plus longue.   119 LV : rateuil  (Orteil. « L’arteil du pié. » Jehan Lemaire de Belges.)  Cela ne tenait qu’à un doigt de pied, qu’à un cheveu.   120 LV : vreteuil  (À cause d’un anneau de fuseau. « De beaulx verteilz, quenouilles et fuseaulx. » Les Ditz de maistre Aliborum.)   121 Avant ; idem vers 137. On pouvait aller dans un couvent pour écouter la messe. « Je le vy l’autre jour, vrayment,/ Au moustier, en oyant la messe. » Le Dorellot.   122 LV : en  (À une fileuse, une dame patronnesse qui vend ses ouvrages au profit du couvent.)   123 Il l’est, pendu ? L’acteur s’adonne à l’exercice préféré des comédiens, qui consiste à jouer deux personnages en même temps ; voir la notice d’Ung Fol changant divers propos.   124 Le vent de bise est un pet, en l’occurrence foireux, à cause de la peur d’être pendu. « Je sens icy du vent de bise ! » Trote-menu et Mirre-loret.   125 Sali, encrotté.   126 LV : postier  (Voir le vers 242.)   127 LV : y  (Ouan = cette année.)   128 Caudebec-en-Caux, dans l’actuelle Seine-Maritime.   129 Le chêne millénaire d’Allouville, près de Saint-Eustache-la-Forêt, non loin de Caudebec. En tant que reliquaire, il attirait des pèlerins et donc des marchands.   130 Le moine mendiant demande au potier de lui donner une de ses chopes en argile. Cf. le Sermon joyeux de bien boire, vers 195 et note.   131 Robuste, grossier.   132 À Savigny, dans l’actuel département de la Manche. L’acteur se livre à un nouveau dialogue, où le potier parle avec un fort accent normand.   133 Au pilier, au représentant.   134 Fiches-y ton doigt. Les gens mal élevés disent « ton nez » : cf. le Médecin qui guarist, vers 307.   135 Sans tarder.   136 Patatras ! Le potier dégringole de sa jument, ainsi que les poteries. Le potier de Cautelleux, Barat et le Villain, plus pauvre, ne possède qu’un âne ; mais on lui brise également sa marchandise.   137 Voulait s’enfuir.   138 LV : la  (La goutte le prit.)   139 Il resta pétrifié à cause… « Ô cueurs en constance estocquiéz ! » ATILF.   140 Volaverunt = ils se sont envolés. Comprendre : ils ont effectué un vol plané, ils sont tombés de la jument.   141 LV : tetestibus  (Testet = tesson de poterie. Test = pot de chambre : « Je pisserai/ Au test et ferai mon orine. » Lacurne.)  Ils se sont écrasés au sol avec leurs pots, leurs terrines et leurs urinaux. Ce pastiche de l’Apocalypse traduit les vers 237-245.   142 LV : primys  (La goutte s’étant prise à leurs talons. Voir le vers 244.)   143 LV : jumenton  (Et leurs juments ayant avorté.)   144 LV : horilibus  (Voir le vers 12.)  Leurs oreilles ont pelé.   145 LV : testantes  (Et ils sont restés borgnes.)  Par distraction, le copiste va reproduire les vers 243-257 au début du feuillet suivant. La 2e fois, il a mieux lu son ms. de base, puisqu’il a noté ici borgnatibus, qu’il avait d’abord transcrit brigantibus. Cela démontre une fois de plus le peu de confiance qu’on peut accorder à ce copiste.   146 Et ils ont brûlé dans un four à pain.   147 LV : casatis postanerum  (Et leur postérieur a été cassé.)  Ces trois dernières punitions du Ciel ne figurent pas dans le texte français qui précède : il y manque peut-être des vers.   148 LV ajoute : une question / sy on me veult faire   149 Je cherche à savoir. Cf. le Sermon pour une nopce, vers 21.   150 Résoudre.   151 Je vais argumenter, aussi vite que la foudre.   152 Aussi le font : les orties piquent aussi.   153 Vociférer, disputer.   154 Elle n’a nulle épine.   155 LV : aparence  (Dissemblance. « Entr’eus, dessemblance n’avoit. » Godefroy.)   156 Les feuilles du houx sont piquantes.   157 Trop savant. Il est vrai que les clercs étaient imbattables en matière d’enfumage rhétorique.   158 Si j’appelle un chien. « Ses chiens hue et hare. » ATILF.   159 Fournier = mettre le pain au four : cf. le Cuvier, vers 107. La pâte, saupoudrée de farine, est salissante.   160 Que le chien se souille. Cf. le Gentil homme et Naudet, vers 226.   161 LV : deuigne  (Devine donc ! C’est la conclusion dont les enfants ponctuent leurs devinettes. « –Dy que c’est ! –Or devine. » Les Coppieurs et Lardeurs.)   162 Ni multicolore.   163 « BARRÉ : Tacheté, rayé. ‟C’est un chien barré…. Il a des taches noires sur un fond fauve.” » Dictionnaire du patois normand en usage dans le département de l’Eure.   164 « Je m’en riroye comme ung chien vert. » (Les Cris de Paris.) Voir le vers 292.   165 LV : vuautrouile  (Si le chien se vautre dans l’herbe verte. « Un chien reprent aleine à se veautrouiller par terre. » Godefroy.)   166 LV : preposision  (C’est une supposition exacte.)   167 Spectateurs, ne récitez pas de Pater noster pour moi.   168 Vos petites mains fouilleront dans votre bourse.   169 « Gros de Millan, appeléz testars [testons]. » Ordonnances des Roys de France.   170 Ce mot, prononcé à la française, rime en -an. Voir la note 160 de Régnault qui se marie.   171 Que Dieu, qui n’aura jamais de fin puisqu’il est éternel. Mais aussi : qui n’aura jamais faim.   172 Le milan, sorte d’oiseau de proie. « Il sera prins par bonne guise,/ Mieulx que poussin n’est d’une escouffle. » Le Pourpoint rétréchy.   173 Comme le renard fit à une oie grasse. « Regnars ne mengeront plus d’oyes. » (Les Rapporteurs.) Ces vœux sont tendancieux : on n’a jamais vu un milan ou un renard faire grâce à leurs proies.   174 Que cela vous fasse bon profit : Dieu vous le rendra. Cf. l’Aveugle et Saudret, vers 1179.

ROUGE-AFFINÉ, BEC-AFFILLÉ ET DÉCLIQUETOUT

Bibliothèque nationale de France

Bibliothèque nationale de France

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ROUGE-AFFINÉ,

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BEC-AFFILLÉ  ET

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DÉCLIQUETOUT

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L’auteur de la moralité Mars et Justice émargeait à la Basoche de Paris, dont le répertoire théâtral était considérable. Ce basochien emprunta audit répertoire une sottie composée un an plus tôt par quelqu’un d’autre, et il la mit à la fin de son ennuyeuse moralité, pour finir sur un éclat de rire1. Voulant lier ces deux textes fort disparates, il introduisit maladroitement dans son œuvre les trois Sots de la sottie. Mais ayant écrit sa moralité en alexandrins, il eut le tort de commencer à retranscrire la sottie dans ce mètre qui ne convient absolument pas ; au bout de 25 vers, il se résolut à conserver les autres octosyllabes. Une même tentative, tout aussi désastreuse, défigure le début de la Ruse et meschanceté des femmes.

Alors que Mars et Justice est de 1564 ou 1565, la sottie doit dater de 1563. Les victimes des anecdotes scandaleuses qui la constituent ne sont plus identifiables.

Source : Bibliothèque nationale de France, ms. fr. 24340. Je ne publie que la sottie finale, folios 15 rº à 21 vº. Jean-Claude Aubailly et Bruno Roy ont édité la pièce intégrale dans Deux Moralités de la fin du Moyen-âge <Droz, 1990> ; notre sottie occupe les pages 108-125 et les vers 485-810. Bien entendu, je numéroterai les vers à partir de 1.

Structure : Rimes plates.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

*

                        ROUGE-AFFINÉ 2

        Or sus, Bec-affillé ! Or sus, Décliquetout3 !

        Comptez-nous4 quelque cas ! Comptez-nous jusqu(es) au bout,

        De ces patïonnéz en amour5, les secretz,

        Les plainctes, les souspirs et langoureux regretz !

5      Vous en sçavez beaucoup : il y a jà deux ans

        Que l’on [n’]a point monté sur l’eschaufault6 céans.

        Comme[nt] mon compagnon, le cardinal Le Moyne7,

        Se porte maintenant ?

                        BEC-AFFILLÉ

                                              Il est (par sainct Anthoine !)

        À Romme ce jourd’huy, et a bonne espérance

10    De retourner en paix au roiaulme de France.

                        ROUGE-AFFINÉ

        Ne nous rescript-il point8 ?

                        DÉCLIQUETOUT

                                                      A mandé9, du Sainct-Siège,

        Qu’il voulloit revenir s’esbattre à son collège

        Où, pource qu’il n’y est, tousjours en ce Pallais10

        Les théologïens preignent plaisir aux plaidz11.

                        ROUGE-AFFINÉ

15    Le[s] rioteulx12 procès et la théologie

        Ont diverses humeurs. Laissons mélencolie !

        Mon bon amy aussy, Enry[mé] de Bourgongne13,

        Comment se porte[-t-il] ? Faict-il bien sa besongne ?

                        BEC-AFFILLÉ

        C’est tousjours vostre amy14 !

                        ROUGE-AFFINÉ

                                                            Et le Prince des Sotz,

20    Le pauvre boullenger ?

                        DÉCLIQUETOUT

                                               Ores est en repos15.

        Sa femme, touteffois, la première à la dance

        Fut, à la Sainct-Benoist.

                        ROUGE-AFFINÉ

                                                 N’avoit doncq souvenance

        Du Prince, son mary ?

                        BEC-AFFILLÉ

                                               Encor(es) s’en souvenoit ;

        Mais en dansant, son dueil passer elle voulloit.

                        ROUGE-AFFINÉ

25    Mays que sont devenuz les veaulx16

        De Beauvais17 ?

                        DÉCLIQUETOUT

                                     Ceulx-cy sont nouveaulx.

        Ilz sont en procès tellement

        Qu’ilz se sont lorgnéz18 asprement.

                        BEC-AFFILLÉ

        Ilz ont ung Principal nouveau.

                        ROUGE-AFFINÉ

30    Je croy que c’est19 quelque grand veau.

                        DÉCLIQUETOUT

        Il est vray : car le proviseur,

        Voullant estre le deffenseur

        Du bien du collège loyal 20,

        Se print à ce veau Principal

35    Comme à ung grand perturbateur.

                        ROUGE-AFFINÉ

        L’intention du fondateur21

        Est avoir ung homme sçavant,

        Homme d’Église bien disant

        Pour Principal, qui bien enseigne

40    Sans fère quelque chose indigne.

                        BEC-AFFILLÉ

        Il y a bien aultres nouvelles.

                        ROUGE-AFFINÉ

        Sont-elles pour gaudir22, et belles ?

                        BEC-AFFILLÉ

        Ung beau advocat lyonnois

        — Laissant ses livres et ses loix —,

45    Avec une belle espicière

        Gentille, mignonne et gorrière23,

        Aux faulxbourgs Sainct-Marcel alla,

        Avec une nonain24 ; où là

        Fut surprins.

                        ROUGE-AFFINÉ

                                La relligieuse,

50    L’estoit-elle25 ?

                        BEC-AFFILLÉ

                                     [Ouy], plus heureuse26

        Qu’elle n’eust esté au couvent ;

        Mais comme advient le plus souvent,

        De couverture leur servoict.

                        ROUGE-AFFINÉ

        Comment cela ?

                        BEC-AFFILLÉ

                                       Car on faisoit

55    La « besongne » dessoubz son voile27.

                        DÉCLIQUETOUT

        Le mary descouvrit la toille28

        Et vit le Lyonnois mignard

        Avec[ques] sa femme à l’escart.

        Le Lyonnois, du hault en bas

60    De la chambre29, ne faillit pas

        À se jeter dans les ortyes

        Pour éviter les [grans] furyes

        Du mary, qui voulloit entrer.

                        ROUGE-AFFINÉ

        Quoy ! le vouloit-il30 rencontrer ?

                        BEC-AFFILLÉ

65    Et quoy doncques31 ! Le Lyonnois

        S’esgratigna visaige et doigs,

        Et long temps fut au lict mallade.

        Dont, trouvant la vïande fade,

        Fut visité de l’espicière.

                        DESCLIQUETOUT

70    L’advocat, de mesme manière,

        La visita estant au lict32.

                        [BEC-AFFILLÉ]

        Et pour maintenir son délict33,

        Orenges, grenades, cytrons

        Luy envoioit34, et des marons,

75    Avec chausses à la gréguesque35,

        Ou aultrement à la tudesque.

                        ROUGE-AFFINÉ

        Pourquoy ?

                        DÉCLIQUETOUT

                             Et ! pour les mommeries36.

                        BEC-AFFILLÉ

        Qu’il a fallu d’espiceries37,

        De drogues et de confitures

80    Pour eschauffer ces créatures !

                        ROUGE-AFFINÉ

        La femme est-elle lyonnoise ?

                        DESCLIQUETOUT

        Elle est de Paris, et bourgeoise.

                        ROUGE-AFFINÉ

        Sçais-tu point le menu devis38

        De la grand rue Sainct-Denys ?

                        BEC-AFFILLÉ

85    Je sçais quelque cas d’ung fondeur

        Logié39 par-delà Sainct-Saulveur,

        Au-devant de la Trinité.

        [Ayant au puys le fer jeté,]40

        [Sa main laissa tomber]41 la corde

90    [Tenant le fer]42. Lors se recorde

        D’ung cureux de puys43 ; mais voyant

        Que cinq solz estoit demandant44,

        Luy-mesme au puys voulut descendre.

                        ROUGE-AFFINÉ

        Quelque avarice le vint prendre

95    De se faire descendre là.

                        BEC-AFFILLÉ

        Mais sa femme au puys le laissa45,

        Pour s’en aller « en quelque coing

        Culleter au grenier au foing »46.

        Le mary, de ce tour47, s’ennuye.

100  Tantost hault, tantost bas, s’escrie ;

        Sa femme « putin » il appelle.

        Laquelle, faisant sa querelle48,

        Luy demande en telle manière :

        « En la rue de la Plastrière,

105  Mon mary, avez-vous esté49 ?

        Quoy ! n’avez-vous point bancquetté ?

        En la rue Guérin-Boisseau50

        Avez-vous trempé le « boiau51 » ?

        Puis en la rue de Montmartre

110  Ne vous a-on point veu esbattre ?

        Or, [avant]52 que je vous retire,

        Promect[e]z de ne me riens dire53 ;

        Promect[e]z de me pardonner

        Et de plus ne m’abandonner. »

115  Ce qu’il promect. On le retire.

        Mais en sa grand fureur et yre,

        D’ung gros baston il la caresse.

        Donc, usa de ceste finesse54

        Qu’au lict la mallade elle fist.

120  Et le sergent sans barbe55 dict :

        « Tant l’ay battue qu’elle enrage,

        Et le lict garde daventaige

        Que n’ay gardé. »

                        ROUGE-AFFINÉ

                                        Doncq, [ce] fondeur

        Fut mallade pour la frescheur56 ?

                        BEC-AFFILLÉ

125  Et57 quoy donc !

                        ROUGE-AFFINÉ

                                      Ce58 qui plus affine,

        C’est la finesse féminine.

                        DÉCLIQUETOUT

        Ung clerc du greffe se complainct

        D’ung pensïonnaire59, qu’i[l] craint.

                        ROUGE-AFFINÉ

        Dy-moy la cause de la plaincte,

130  Et semblablement de la crainte.

                        DÉCLIQUETOUT

        Ce clerc estant allé s’esbatre

        Aux champs avec[ques] trois ou quatre,

        Sa femme, sur le soir, renvoye60

        — Et ce pensïonnaire en joye —

135  Pour aller coucher en la ville61.

        La femme, d’ung esprit subtille,

        Avecques ce pensïonnaire

        Toute la nuict feist son affaire.

        Ce clerc du greffe, estant aux champs,

140  Songea qu’ilz estoient combatans

        Soubz la courtine de Vénus62 ;

        Et en sursault ce clericus63

        S’esveille, s’abille et, en peine64,

        Devers la ville s’achemyne ;

145  Vint à sa maison. Oultre plus,

        Et  en son lict les trouva tous nudz ;

        Et, la custode à soy tirant,

        Dict son songe estre vray pour tant65.

        C’est qui cause la doléance66.

                        ROUGE-AFFINÉ

150  De ce, n’en print-il point vengeance ?

                        DÉCLIQUETOUT

        Nennyn.

                        ROUGE-AFFINÉ

                         Pourquoy ?

                        DESCLIQUETOUT

                                               Car il a peur

        Qu’il n’en reçoipve déshonneur.

        Puis il craint le pensïonnaire,

        Qui luy pourroit donner affaire.

                        ROUGE-AFFINÉ

155  Ung bon cueur ce ne souffrira ;

        Mais plustost, il s’en vengera.

        Bec-affillé, ne sçais-tu rien ?

                        BEC-AFFILLÉ

        Ung compte je vous feray bien

        D’ung procureur.

                        ROUGE-AFFINÉ

                                      D’où ?

                        BEC-AFFILLÉ

                                                      De céans67.

160  Lequel, après morceaulx frians

        Voulant jouer de la braïette68

                        ROUGE-AFFINÉ

        Poursuict[s] ! Vien çà, fille69 le reste !

        De tout compter ne faille pas !

                        BEC-AFFILLÉ

        Après avoir pris son repas

165  Au cabaret de Sainct-Martin,

        Où il avoyt beu de bon vin,

        Une sienne amye vint veoir

        Malade au lict.

                        ROUGE-AFFINÉ

                                   C’est le debvoir

        D’ung vray amoureulx charitable.

                        BEC-AFFILLÉ

170  Et ce procureur vénérable,

        Aiant tenu plusieurs propos,

        Pour laisser la dame en repos

        Luy dict doulcement le bonsoir.

        La chambrière, ayant voulloir

175  De bien soullager sa maistresse,

        Avec la clarté [le radresse]70 ;

        Ce procureur, s’aprochant d’elle,

        Souffle vistement la chandelle,

        Et sur une trappe pourrye

180  Vint culleter, digne qu’on rye.

        Si fort il « rembourroit le bas71 »

        Qu’en tombant se rompit le bras.

        On vient au secours, où on treuve

        Monsieur, qui avoyt faict espreuve

185  De son courtault72 dessus la trappe.

                        ROUGE-AFFINÉ

        C’est en ce point comme on attrape73

        Ce[s] procureurs.

                        BEC-AFFILLÉ

                                       Ce n’est pas tout :

        Quant [on le relleva]74 debout,

        On vit sa brayette soulliée,

190  Qui estoit encor(es) destachiée.

                        DESCLIQUETOUT

        La dame mallade, en après,

        Mourut. Et après son décèz,

        Le mary, ainsy qu’il soulloyt75,

        Pour partager venoit, alloit,

195  En la maison du procureur ;

        Lequel s’en fascha : car l’honneur

        Qu’au76 mary faisoict par avant,

        C’estoit pour ce qu’estoit amant

        De la dame, et non point du sire77,

200  Qui ne se peult tenir de dire :

        « Monsieur, ores, ne m’ayme plus.

        Ma femme morte, suis exclus

        De son amytié. Vrayement,

        Il a faulte d’entendement :

205  Il dict qu’il me78 veult trouver femme ;

        Je m’en garde bien, par mon âme !

        Le louage est [moins] dangereux79. »

                        ROUGE-AFFINÉ

        Le vray amour n’est point en ceulx

        Qui ayment pour la paillardise.

210  Mais chacun la vertu desguyse.

                        BEC-AFFILLÉ

        Près Sainct-Germain-de-l’Auxerrois,

        Il y a ung riche bourgeois

        Qui deux chantre[s] pria ung jour

        De soupper.

                        ROUGE-AFFINÉ

                               C’est quelque bon tour,

215  Puisque chantres80 y sont mesléz.

                        BEC-AFFILLÉ

        Pour soupper estans assembléz,

        Feirent ensemble bonne chère.

        Après soupper, trouvent81 manière

        De prendre récréation.

                        ROUGE-AFFINÉ

220  Y eust-il assignation82

        De quelque branslement de fesses ?

                        BEC-AFFILLÉ

        On feist là des jeus de souplesses83 :

        Car les chantres furent d’advis

        Qu’on joue à sur qui je m’assis84,

225  Ce que le bourgeois bien voulloit.

        Et pour sçavoir qui cligneroyt85,

        Ensemble au court festu86 tirèrent,

        Où les chantres se récréèrent :

        Car le plus court vint au bourgeois,

230  Qui fut bandé comme ung cagois87.

        Ne voiant goutte, [il] se promène.

        Sa88 femme prend place certaine ;

        Et ung des chantres, dessus elle

        Voulut « accorder sa vïelle » :

235  Il l’embrasse de bon courage89,

        Et print plaisir à l’affûtaige90,

        Faisant signe à son compagnon

        Qu’après luy, le trouveroit bon91.

        Le mary chercha çà et là92,

240  Et le cul du chantre trouva,

        Lequel à plaisir cull[e]ctoit.

        Car le [bon] mary luy aydoit :

        S’assiant sur le cul du chantre,

        L’affûtage plus avant entre.

245  [Et disoit]93 : « Vous ne gagnez rien ;

        Par les chausses vous congnois bien.

        Partant, [il] est raison qu(e) on alle94

        Se promener parmy la salle

        Ainsy caché95 comme j’estois :

250  Car vous estes prins, ceste fois ! »

        Le chantre respondit à l’heure :

        « Que je suis prins, c’est chose seure.

        En me débattant, l’esguillette96

        Est rompue de ma brayette.

255  Puisqu’ainsy est, je cligneray ;

        Et si puis, guières n’y seray97. »

                        ROUGE-AFFINÉ

        Voilà ung chantre bien apris !

        Mais est-il vray ce que tu dis ?

                        BEC-AFFILLÉ

        Je le sçays de son compagnon,

260  Qui n’y eut point sa portion

        — Qui98 luy en a causé le mal.

                        DÉCLIQUETOUT

        Près Sainct-Jacques-de-l’Hospital99,

        Ung procureur aymant le jeu

        D’amourettes100, près de son feu

265  Voiant tourner sa chambrière101,

        Luy a dict en ceste manière :

        « Jehanne, va-t’en chercher là-hault

        Tout cela qu’à la table fault102 ! »

        Et après, sa femme pria

270  Que pour elle le rost tourna103 ;

        Ce qu’elle feit, car [Jehanne monte]104.

        Et le mary, sans quelque honte,

        S’en  va après elle105, disant : « Tost106 !

        Car ma femme to[u]rne le rost. »

275  Et ainsy comme ilz s’accolloient

        Et leurs instrument[z] affûtoient107,

        La femme le rost délaissa

        Et tout ce beau jeu advisa.

                        ROUGE-AFFINÉ

        Et que dist-elle108 ?

                        DESCLIQUETOUT

                                            Courroucée,

280  A sa collère deschargée

        De parolles sur son mary.

                        ROUGE-AFFINÉ

        Il debvoit estre bien marry

        De ne l’avoir point faict plus tost

        Cependant qu’on tournoit le rost.

                        BEC-AFFILLÉ

285  Il advint que la femme (ung jour)

        D’ung bon procureur de la Court

        Fut trouvée en « dévotion109 »,

        Remuant fort le cropion110

        Sur ung lict vert qu’on oioit braire111,

290  L’esbranlant ung pensïonnaire.

        Le clerc112, les trouvant à l’escart,

        Dict qu’il voulloit avoir sa part.

                        ROUGE-AFFINÉ

        C’est raison : car telle rencontre

        Mérite que faveur on monstre.

295  Mais tu ne nous faictz point certain113

        De la rue.

                        BEC-AFFILLÉ

                           Vers Sainct-Germain

        De-l’Auxerrois ce procureur

        Qui  faict demourance, [il] est tout seur114.

                        DESCLIQUETOUT

        Ung moyne gris115, dernièrement,

300  Avec la femme gayement

        D’ung vendeur de vins s’ébattoit

        Lorsque le mary tracassoit116

        Avec(ques) les marchans dessus l’eau(e).

                        ROUGE-AFFINÉ

        Trouvoit-il ce passe-temps beau ?

                        DÉCLIQUETOUT

305  Le mary, venant de l’estappe117,

        Au marteau de la porte frappe.

        Et le moyne, entendant le bruict,

        Laisse de Vénus le desduict ;

        Car voiant sa vie hazardée118,

310  Il monta en la chemynée119.

        Le mary desjeuner voulut ;

        Parquoy, achepter il fallust

        Des saulcices que l’on feist cuyre120.

        Le moyne, n’ozant ung mot dire,

315  Tout enfumé, se contenoit.

        Mais le clou121 où il s’appuioit

        Se deffit. Tombant, les saulcisses

        Il renversa de ses deux cuisses.

        Et le mary, tout estonné122,

320  Au basteau s’en est retourné.

                        ROUGE-AFFINÉ

        Voilà ung gentil monachus123 !

        C’est assez compter des abuz

        Des amoureux passïonnéz.

        Sus, après ! Trompettes, sonnez !

325  Allons disner, car il est temps

        Que nous prenions noz passetemps.

*

1 « La pièce est double ; la première moitié seule est une moralité (vers 1-480) ; le reste est une sottie. » (Louis Petit de Julleville, Répertoire du théâtre comique en France au Moyen Âge, 1886, p. 82.) L’auteur de Pour le cry de la Bazoche, qui appartient comme celui-ci à la Basoche de Paris, avait également raccroché une sottie pleine de médisances à une moralité sérieuse, pour finir en beauté.   2 Rouge = malin : « Les plus rouges y sont pris. » (Les Coppieurs et Lardeurs.) Affiné = rusé : « C’est un badin afiné. » (Les Sobres Sotz.) Rouge-affiné tient le rôle d’un clown blanc : il n’est là que pour faire parler ses deux acolytes.   3 Un bec affilé est une langue de vipère : « Ces villotières [coureuses]/ Qui ont le bec si affilé. » (Villon.) Un déclique tout est quelqu’un qui parle mal de tout le monde : « As-tu tout dit, desclicque-tout ? » La Nourrisse et la Chambèrière.   4 Racontez-nous. Idem vers 158, 163 et 322.   5 On reparle des « amoureux passionnés » au vers 323. Pourtant, il n’est pas ici question d’amour mais de « paillardise » (vers 209) : la parodie du genre courtois est un des jeux favoris des Sots.   6 Sur l’échafaud, sur les tréteaux du théâtre. Ung Fol changant divers propos se réjouit qu’on ait imposé le même silence aux collégiens du Cardinal-Lemoine : « Ilz ont failly plusieurs années/ À jouer. » Aubailly et Roy précisent p. 77 : « Les Basochiens n’avaient pas joué depuis deux ans vraisemblablement à la suite d’une ordonnance de 1561 qui renouvela un décret de censure datant de 1538. » La présente sottie serait donc de 1563.   7 En matière de théâtre, le collège parisien du Cardinal-Lemoine faisait concurrence aux basochiens : voir la notice des Femmes qui se font passer maistresses. Ce collège servait de défouloir à tous ceux qui se mêlaient de théâtre, et notamment aux autres collégiens : voir la notice d’Ung Fol changant divers propos.   8 Ne nous répond-il plus par écrit ?   9 Il a fait savoir, depuis Rome.   10 Au Palais de justice de Paris, où les basochiens travaillent et font du théâtre.   11 Aux plaidoiries, aux procès.   12 Querelleurs.   13 Henri, du collège de Bourgogne, est une autre tête de Turc des basochiens, qui le surnomment Enrimé [enrhumé, ou en rimes]. « Au ladre Cardinal Le Moyne/ Et au Bourguygnon enfumé,/ Nostre ennemy maistre Enrymé. » (Pour le cry de la Bazoche.) « Ce faulx [sournois] maistre Enrimé,/ Infâme Bourguignon salé. » Ung Fol changant divers propos.   14 Comprendre : votre ennemi. L’ami du vers 17 et le compagnon du vers 7 dissimulent la même antiphrase.   15 Maintenant, il repose en paix : il est mort. Les basochiens prennent leurs désirs pour la réalité : Pierre Derue, ou de Rue, « maistre boulanger » et « prince des Folz de ceste ville de Paris », était encore bien vivant.   16 Les responsables du collège de Beauvais, à Paris. Là aussi, on faisait du théâtre : voir la notice du Mince de quaire. En particulier, on venait d’y reprendre la sottie des Veaux, créée en 1550 à Rouen : Jacques Grévin nous dit que sa comédie la Trésorière fut « mise en jeu à Paris, au collège de Beauvais, après la satyre qu’on appelle communéement les Veaux, le V de février M.D.LVIII [le 5 février 1559, nouveau style]. »   17 Le copiste n’a pas encore vu que l’auteur de Mars et Justice renonce à transformer les octosyllabes de la sottie en alexandrins : il a mis ces 2 mots à la fin du vers précédent.   18 Qu’ils se sont tapé dessus. « Et à grands coups de poing il lorgnoit dessus luy. » Bonaventure Des Périers.   19 Ms : soict   20 Ce jeu de mots sur loyal et royal vise peut-être les bonnes relations théâtrales qu’Henri II, mort en juillet 1559, avait entretenu avec le collège de Beauvais : c’est lui qui avait fait reprendre la sottie des Veaux — il avait assisté à sa création rouennaise —, et c’est lui qui avait commandé la Trésorière à Grévin. On comprend que ce favoritisme fort lucratif ait pu engendrer quelques jalousies, alors que la censure royale persécutait les basochiens.   21 Le cardinal Jean de Dormans, en 1370.   22 Pour rire.   23 Élégante. « Quant la mignonne, la gorrière. » Le Résolu.   24 Cette nonne sert d’alibi au couple adultère que constituent l’avocat et la femme d’un épicier.   25 Ms : Dou estoit elle  (Était-elle vraiment religieuse ?)   26 Et elle était plus heureuse avec eux.   27 Les deux amants coïtaient sous le voile de la religion.   28 Le mari de l’épicière souleva symboliquement ce voile de la religion.   29 En sautant par la fenêtre.   30 Ms : vouloit de  (Le mari voulait-il affronter l’amant de son épouse ? Rencontrer = attaquer : cf. les Maraux enchesnéz, vers 273.)   31 Ms : doncq car  (Et comment donc ! « –Me congnoist-il bien ? –Et quoy doncques ! » Le Capitaine Mal-en-point.)   32 Quand elle était au lit.   33 Son plaisir. Cf. le Pèlerinage de Mariage, vers 230.   34 Elle lui envoyait. Les épiciers vendent des épices, des produits rares et des fruits exotiques.   35 À la grecque. « On s’est mis à en faire sans brayette, que les uns ont appelé chausses à la grégesque. » (Henri Estienne.) Les chausses à la tudesque [à l’allemande], pourvues de rabats, désignent les « grandes & amples chausses à la suisse ». Noël Du Fail.   36 Ms : mõnneries  (Les momeries, spectacles au cours desquels on danse la morisque, requièrent des costumes bizarres.)  « Joueurs de la Basoche, et autres sortes de badins et joueurs de badinages, farces, mommeries et sotteries [sotties]. » Brantôme.   37 D’épices aphrodisiaques, en particulier le clou de girofle et le gingembre.   38 Les potins. Pour le cry de la Bazoche évoque aussi la rue Saint-Denis, aux vers 425-432.   39 Ms : Lequel  (« [Le fondeur] est logé en la ville. » Les Femmes qui font refondre leurs maris.)  Rue Saint-Denis, l’église Saint-Sauveur était voisine du cimetière de la Trinité.   40 Homme de bonne volunte  (Le copiste a remplacé un vers manquant par une banalité hors sujet.)  Les fondeurs plongent le fer rouge dans l’eau froide pour obtenir de l’acier trempé.   41 Ms : La main de fer tenant  (La main du fondeur a lâché la corde qui tenait le fer chaud, lequel est tombé au fond du puits.)   42 Ms : Laissa tomber  (Tous les mots sont là, mais dans le désordre.)   43 Alors le fondeur se souvient d’un cureur de puits.   44 Que ce dernier demandait 5 sous tournois.   45 L’abandonna dans le puits, au lieu de tourner la poulie pour le faire remonter.   46 Pour aller là où elle avait affaire. Aucune déduction scabreuse ne peut être tirée de ces deux vers, empruntés à une épitaphe parodique de Clément Marot : « Alix (…)/ Alloist tousjours en quelque coin/ Culleter au grenier au foin. »   47 Du mauvais tour que sa femme lui joue.   48 Le querellant. Elle n’était donc pas en train de « culeter ».   49 Ms : oste  (Cette rue correspond peu ou prou à l’actuelle rue Serpente, dans le 6ème arrondissement. Elle abritait des prostituées : « En la rue de la Plâtrière,/ Là maint [demeure] une dame loudière. » Le Dit des rues de Paris.)   50 Elle existe toujours, mais très abîmée, dans le 2ème arrondissement.   51 Boyau = pénis. « Ne pouvant dresser [bander],/ Que ce boyau ridé te serve pour pisser ! » Remy Belleau.   52 Ajout d’Aubailly et Roy. Le copiste, ne parvenant pas à lire ce mot dans son manuscrit de base, a laissé un blanc dans le sien. Vu le nombre de petites fautes qu’il commet, son ms. de base devait être difficile à déchiffrer ; mais reconnaissons qu’il n’a pas fait vraiment mieux que son prédécesseur.   53 De ne rien me reprocher.   54 Elle fit usage de cette ruse.   55 Le mari n’est pas sergent mais fondeur. J’ignore à quelle anecdote locale cette expression se réfère, mais un homme sans barbe avait des problèmes de virilité : cf. Cautelleux, Barat et le Villain, vers 180 et note.   56 À cause de la fraîcheur du puits dans lequel il a séjourné.   57 Ms : En  (Et comment donc ! Même interjection qu’à 65.)   58 Ms : Car  (Ce qui trompe le plus.)   59 Étudiant en droit, hébergé en pension chez un juriste auquel il sert de secrétaire. Un autre apparaîtra au vers 290. Nous ne quittons pas la Basoche.   60 Il renvoie à Paris.   61 Il envoie sa femme (et son secrétaire ravi) dormir à la maison.   62 Rêva que sa femme et son secrétaire se livraient aux combats de Vénus. La courtine est un rideau qui masque le lit à baldaquin, comme la custode du vers 147.   63 Ce clerc du greffe.   64 La rime ine / achemine est parisienne, comme ensèigne / indigne aux vers 39-40.   65 Pour cela. Aubailly et Roy expliquent : « Et lorsqu’il tira le rideau du lit, il s’aperçut que son rêve était réalité. »   66 C’est ce qui cause sa plainte, en terme de droit.   67 De ce Palais de justice. Les basochiens sont souvent des clercs de procureurs, comme celui du vers 291.   68 Voulant jouer de la braguette après avoir bien mangé. Par extension (si j’ose dire), la brayette désigne également la verge : « Le procureur, qui avoit la brayette bendée. » (Des Périers.) Bec-affilé s’interrompt et regarde si le procureur n’est pas dans la salle, ce qui n’aurait rien d’impossible : les représentations de la Basoche avaient lieu au Palais. Voir la notice de Pour le cry de la Bazoche.   69 Filer = dévider son fuseau.   70 Ms : la dresse  (Le raccompagne à la porte du rez-de-chaussée avec une chandelle. « Alumer pluseurs fallotz pour radreissier illec Jason et Argos. » ATILF.)   71 Cf. les Femmes qui font renbourer leur bas.   72 De son pénis. « Quand mon courtault eust fait de vostre con estable. » Complainte d’ung gentilhomme à sa dame.   73 C’est comme cela qu’on berne. Les trappes sont des pièges pour capturer les grosses bêtes comme les ours, les loups, et donc les procureurs.   74 Ms : ou le relleue   75 Comme il en avait l’habitude.   76 Ms : Quaut   77 Du cocu.   78 Ms : ne  (Qu’il veut me trouver une autre femme.)   79 La location d’une prostituée est moins dangereuse que le mariage.   80 Ces joyeux compagnons aiment la bonne chère et la bonne chair : cf. Troys Galans et un Badin, vers 159-166.   81 Ms : trouuans   82 Terme de procédure bien digne d’un basochien. « L’assignation de fesses que bailla la nonnette au moysne. » Les Joyeuses adventures.   83 Des acrobaties. Cf. le Capitaine Mal-en-point, vers 201.   84 C’est un des jeux de Gargantua (chap. 22), qui joue « à je m’assis ». Dans cette variante du colin-maillard, les participants sont assis ; un joueur aux yeux bandés s’assoit sur le premier qu’il trouve et doit le reconnaître. Le joueur qui est reconnu remplace l’autre.   85 Ms : cliqueroyt  (Qui fermerait les yeux. Forme correcte au vers 255.)   86 Dans le Jeu du capifol, on tire aussi à la courte paille un joueur qui aura les yeux bandés.   87 Comme un lépreux, qui couvre ses plaies de bandages.   88 Ms : La  (L’épouse du bourgeois s’assied sur le lit.)   89 De bon cœur, notamment dans une situation érotique : « Pour acomplir de bon courage/ Le passetemps de mariage. » Le Nouveau marié.   90 Action de « limer », prise au sens libre. Idem vers 244.   91 Qu’il prendrait sa place. Mais il ne bénéficiera pas de l’aubaine : voir le vers 260.   92 L’époux aux yeux bandés erre dans la pièce, en quête d’un autre joueur sur lequel il pourra s’asseoir. Il se rapproche du lit où batifolent sa femme et l’un des chantres.   93 Ms : En disant  (Le mari disait au chantre, croyant qu’il lui tournait le dos pour n’être pas reconnu.)   94 Aussi, il est juste que vous alliez tâtonner dans la salle avec les yeux bandés. Le chantre doit remplacer le joueur qui l’a reconnu.   95 En ayant les yeux cachés, bandés.   96 L’aiguillette est le lacet qui ferme une braguette. Double sens : la « petite aiguille de la braguette » désigne le pénis du chantre.   97 Si je peux, je ne resterai pas longtemps avant de trouver un successeur.   98 Ce qui.   99 Près de l’hôpital Saint-Jacques-du-Haut-Pas, dans l’actuel 5ème arrondissement.   100 Le coït. « Acomplir le jeu d’amourètes. » Le Poulier à sis personnages.   101 La servante tourne un rôti à la broche devant la cheminée, qui est au rez-de-chaussée.   102 Les couverts en argent sont conservés dans la chambre des maîtres, à l’étage.   103 Qu’elle tourne la broche à la place de sa servante, qui doit monter dans la chambre.   104 Ms : elle monta   105 Monte derrière elle.   106 Faisons vite !   107 Et qu’ils aiguisaient leur sexe l’un contre l’autre.   108 Ms : dict elle  (Le passé simple est préférable. « Quant tu fuz là, que te dist-elle ? » Beaucop-veoir et Joyeulx-soudain. Cependant, l’auteur ne prête aucune attention à la concordance des temps, contrairement à l’auteur de Mars et Justice.)   109 À genoux, avec son amant qui la prenait en levrette. Cf. le Povre Jouhan, vers 330.   110 « Elles font bien leur devoir de remuer du croupion. » L’Escole des filles.   111 Qu’on entendait grincer.   112 Le clerc du procureur.   113 Tu ne nous informes pas.   114 C’est sûr. « Il est tout seur qu’elle a trèsbon babil. » Ch. de la Huèterie.   115 Ms : qui  (Un moine gris est un Cordelier, donc un débauché. « Qu’as-tu, Catin ? T’a-il tatté ta tette [ta poitrine],/ Ce Cordelier, ce meschant, meschant moine gris ? » Chanson anonyme.)   116 Marchandait. Il veut vendre les tonneaux de vin qui sont sur le bateau avant de les décharger.   117 De l’entrepôt. « Et doit chacun courretier de vin comparoir à l’estappe chacun jour pour veoir s’aucuns vins y sont venus pour vendre. » Godefroy.   118 Voyant sa vie en danger.   119 Il se cacha dans le conduit de la cheminée éteinte.   120 On allume donc le feu, tandis que le moine se cramponne dans le conduit de la cheminée.   121 Le grand clou auquel on pend la viande pour la fumer.   122 Frappé par la foudre, terrifié.   123 Moine. « Le monachus crotté. » Pour le cry de la Bazoche.

LE JEU DU CAPIFOL

Ms. La Vallière

Ms. La Vallière

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LE  JEU  DU

CAPIFOL

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Cette moralité normande n’ayant pas de titre, je conserve celui que lui ont opportunément donné Leroux de Lincy et Francisque Michel dans leur Recueil de farces, moralités et sermons joyeux <t. II, pp. 7-16>.

Le jeu du capifol (ou du chapefol, ou du capifou) est une variante du jeu de la main chaude : un des joueurs, assis sur une chaise, a les yeux bandés. Il présente la paume de sa main, dans laquelle un autre joueur donne une tape. On lui demande alors de quel joueur il se plaint, et il doit deviner qui l’a frappé. S’il se trompe, on lui répond qu’il a tort. S’il tombe juste, le frappeur démasqué prend sa place. Dans notre pièce, le joueur aux yeux bandés représente le peuple ; ses partenaires, qui incarnent l’Église et la Noblesse, trichent afin de taper sur le peuple. La question « de qui te plains-tu ? » suscite alors des réponses particulièrement caustiques.

Rions un peu. En 1947, Louis Aragon consacra un article au Jeu du capifol dans le journal communiste l’Humanité. Selon le poète millionnaire, l’auteur de la pièce, « découvrant le véritable moteur de l’histoire humaine, la lutte sociale qui se confond avec la bataille pour le réalisme, est un véritable réaliste ». Que les personnages soient de pures allégories ne gêne pas ce marxiste pratiquant, qui devine dans le ministre de l’Église et dans Noblesse « de prestigieux académiciens, ou de brillants chroniqueurs du Figaro » !

Source : Manuscrit La Vallière, nº 24.

Structure : Sixains aabaab/bbcbbc, rimes plates avec de nombreuses « troisièmes rimes ». 4 triolets.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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Moralité

À quatre personnages, c’est assavoir :

       LE  MINISTRE  DE  L’ÉGLISE

       NOBLESSE

       LABEUR 1

       et  COMMUN

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                        COMMUN  commence                            SCÈNE  I

        Je suys le commun populaire2,

        Marchant sur le climat polaire3,

        En peine et pleur, en crainte et fain.

        Noblesse est sur moy sy colère4 ;

5      [À l’Église ne sçay complaire ;]5

        Labeur me faict quérir6 mon pain.

        J’ey, en corps malade, cœur sain.

        Je suys ainsy c’un povre exain7

        Qu’on chasse, volant d’arbre en arbre.

10    Je n’ay plus, sur moy, chair ne sain8.

        Chascun me descouvre le sain9,

        Me rendant plus froid que [le] marbre.

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                        LE  MINISTRE  [DE  L’ÉGLISE]        SCÈNE  II

        De qui te plains-tu, povre sabre10 ?

        Says-tu pas que je suys ministre

15    De l’Église, qui administre

        Salut, gardant le candellabre11 ?

                        LE  COMMUN

        Je me souhaictes en Calabre12,

        Car parler contre toy je n’ose.

                        NOBLESSE

        Et sur moy, says-tu quelque chose ?

20    Dy hardiment ! Parle, et despesche !

        Vers moy, [ton courage est revesche]13.

                        COMMUN

        Noblesse, à vous je doy hommage ;

        Mais je crains tant [d’]avoir dommage

        Que la vérité n’ose dire.

                        LABEUR

25    Commun, à moy parle, beau sire !

        Voy  en Labeur n’y14 a que redire :

        De luy, prens15 nouriture saine.

                        COMMUN

        [Dieu !] par Labeur, j’ey tant de paine !

        Mais de peur d’encourir sa haine,

30    En bien ne mal n’en veulx parler.

                        LE  MINISTRE  [DE  L’ÉGLISE]

        Commun, rien ne nous doibtz seler16,

        Car nous sommes les Troys Estas ;

        Et sans nous, mal yroyt ton cas.

        Tu voys Noblesse qui te garde,

35    Qui tient espée et halebarde

        Pour débeller17 tes ennemys.

        Tu voys Labeur qui te18 regarde,

        Qui vin et blé te contregarde19

        De peur qu’en terre ne soys mis20.

40    Puys en l’Église suys commys

        À porter sacrés vestemens

        Pour te donner tes sacremens.

                        COMMUN

        Faire ne puys grans parlemens21,

        Car ma bouche dire ne peult

45    Ce que mon cœur dire ne veult.

        Parquoy22 j’ayme mieulx à me taire.

                        NOBLESSE

        Tu seroys donq bon secrétaire23 !

        Mais pour vivre joyeusement

        — Afin de parler librement —,

50    À quelque jeu nous fault jouer.

                        COMMUN

        Je le veulx, par esbatement,

        Afin de parler librement.

                        LABEUR

        Dy-nous dont24 quel jeu, et comment.

                        COMMUN

        Je  ne say à quel sainct me vouer.

                        LABEUR

55    Afin de parler librement,

        À quelque jeu nous fault jouer.

                        LE  MINISTRE  [DE  L’ÉGLISE]

        Je sçay un jeu fort à louer ;

        Et sy, n’y a fraulde ne dol25.

                        NOBLESSE

        Dictes quel jeu ?

                        LE  MINISTRE  [DE  L’ÉGLISE]

                                       Au capifol.

                        LABEUR

60    C’est un jeu à sage et à fol.

        Mais pour veoir qui commencera

        Et comme temps on passera,

        Y nous fault tirer au festu26.

                        NOBLESSE

        Vrayment, c’est trèsbien débatu.

65    Les festus, dont, je [m’en voys]27 faire.

                        LE  MINISTRE  [DE  L’ÉGLISE]

        Le plus long sera mys en chaire28

        Et sera le premier muché29.

                        LABEUR

        Fust-il commun, noble ou vicaire,

        Le plus long sera mys en chaire.

                        NOBLESSE

70    Les festus je viens de parfaire30 :

        Tirez, chascun, c’est trop presché !

        Le plus long sera mys en chaire

        Et sera le premier muché.

                        LE  MINISTRE  [DE  L’ÉGLISE]31

        Voécy pour moy.

                        LABEUR

                                        Et moy aussy.

                        COMMUN 32

75    Voécy le mien. Dieu ! qu’esse-cy ?

        Et  qu’il est long !

                        NOBLESSE 33

                                         Et j’ey le dernier.

        Commun doibt commencer premyer.

        Sus, qu’i soyt en la chaire assis !

                        COMMUN

        M’y voélà droict34, de sens rassis.

80    Sus ! commencez : je suys muché.

        Mais que doulcement soys touché35 !

                        LE  MINISTRE  [DE  L’ÉGLISE]  frape

        De qui te plains-tu36 ?

                        COMMUN

                                                 De l’Église.

                        NOBLESSE

        C’est à tort37.

                        COMMUN

                                  Dont, son coup déguise38,

        Car c’est d’une main délicate ;

85    Et semble, au fraper, qu’elle flate39.

        Mais40 son coup le cœur poinct et mort.

        Elle prend du vif41 et du mort

        Tant, que son honneur trop abaisse.

                        NOBLESSE  frape

        De qui te plains-tu ?

                        COMMUN

                                             De Noblesse.

                        LE  MINISTRE  [DE  L’ÉGLISE]

90    C’est à tort.

                        COMMUN

                               Noblesse me blesse42 :

        Par Noblesse, j’ey toute humblesse43.

        Non pa[r] Noblesse proprement,

        Car Noblesse vit noblement ;

        Mais c’est par ses fins44 oficiers

95    Qui, pour amasser des deniers,

        Trouvent mile traditions45

        Dont, pour leurs grans exactions,

        Mengeüssent46 sur mon dos la layne.

        Je pers sens, biens, force et alayne47.

100  Il me font payer taille et guet48 ;

        Il me font tenir en segret49

        Pendant que mon bien on emporte.

        Puys l’un d’eulx cheulx50 moy se transporte,

        Qui vient veoir sy ma femme est belle.

                        NOBLESSE

105  Tu comptes51 vray. Baille-luy belle !

        Sus, estens la main ! As-tu peur ?      [Il frape.]

        De qui te plains-tu ?

                        COMMUN

                                             De Labeur.

                        NOBLESSE

        C’est à tort.

                        COMMUN

                              De Labeur bien souvent je disne52,

        Et Labeur vient souvent cheulx moy.

110  En quelque lieu que je chemine(s),

        Labeur devant [moy tousjours]53 voy.

        Ne me veuilles plus travailler54 !

                        LE  MINISTRE  [DE  L’ÉGLISE]

        Çà, la main ! Y la fault bailler.      [Il] frape un grand coup.55

                        COMMUN

        O ! que ce coup est inhumain !

115  Dieu, que voélà pesante main !

        Qu’e[l] frape par moyen sinistre56 !

                        NOBLESSE

        De qui te plains-tu ?

                        COMMUN

                                             Du ministre

        De l’Église qui, par [art gent]57,

        Porte les poins dorés58 d’argent.

                        NOBLESSE

120  C’est à tort. Mais dis-nous comment :

        D’en parler es sy résolut !

                        COMMUN

        À tous bons entendeurs, salut !

        Premier, jà il ne chantera59,

        Ne cloche souvent ne fera

125  Sonner sans argent, c’est le premier poinct60.

        S’un povre homme d’argent n’a poinct,

        Et qu’il advienne, à la maleure61,

        Que sa bonne femme luy meure,

        Jà en terre on ne la mectra62.

                        NOBLESSE

130  Qu’as-tu perdu ? Laisse-la là63 !      [Il frape.]

        De qui te plains-tu ?

                        COMMUN

                                             Je me plains

        De Noblesse. Mais mes grefz poinctz64

        Ne la font poinct [tendre à pityé]65.

                        NOBLESSE

        C’est à tort.

                        COMMUN

                               C’est bien babillé66 !

135  Le povre Commun est taillé67,

        Bastu, robé et mutillé68,

        Pillé, tribouillé, barbouillé69 ;

        Et s’y se plainct de tel effort70,

        On luy dira que « c’est à tort ».

                        LABEUR  frape

140  De qui te plains-tu ?

                        COMMUN

                                             De Malheur…

        Se71 doy-ge dire « de Labeur ».

                        LE  MINISTRE  [DE  L’ÉGLISE]

        Vrayment c’est bien adevigné72.

        Sus, Labeur, mes-toy en sa place !

                        LABEUR 73

        M’y voélà deisjà arunné74.

145  Ne me jouez poinct de falace75 !

                        LE  MINISTRE  [DE  L’ÉGLISE  frape.]

        De qui te plains-tu ?

                        LABEUR

                                              Des76 prescheurs

        Qui [sont] de mal dire sont amateurs :

        Et  preschent, par leurs traditïons77,

        De faulces expositions78.

                        LE  MINISTRE  [DE  L’ÉGLISE]

150  Croy toult le bien qu’il te diront,

        Et ne faict[z] le mal qu’i feront.

        En Foy, soys tousjours résolut.

                        LABEUR

        Nostre Foy ne tent qu’à un but79 ;

        Pourquoy preschent-y deulx sentiers80,

155  Fors que81 pour aquérir tribut

        Et amasser force deniers ?

                        NOBLESSE  [frape]

        De qui te plains-tu ?

                        LABEUR

                                             Des gens d’armes82

        Que Noblesse mect sur les champs,

        Qui me font plourer chauldes larmes

160  Tant sont leurs faictz ors83 et meschans.

                        NOBLESSE

        C’est à tort. Noblesse n’entent

        Qu’on pille povres laboureurs :

        Car les prévotz, aulx champs, [font tant]84

        Pour punir tous les malfaicteurs.

165  Tent[s] la main comme un homme abille85 !

                        Commun frape doulcement.

                        LABEUR

        Ce coup est bien foyble et débille86 :

        C’est toy, Commun ?

                        COMMUN

                                               Il est certain :

        Un seul coup j’ey touché ta main,

        Parquoy fault que [je] soys muché.

170  Aussy bien que moy ont touché ;

        Et sy87, ont dict que « c’est à tort ».

                        LABEUR

        Cela me rent triste et fasché.

                        COMMUN

        Aussy bien que moy ont touché.

                        LABEUR

        C’en est autant de despesché88.

175  Au foyble on veoyt porter le fort89.

                        COMMUN

        Aussy bien que moy ont touché ;

        Et sy, ont dict que « c’est à tort ».

                        LABEUR

        Commun, prenons en Dieu confort90.

        Car, en ceste morte saison,

180  Contre équicté, droict et raison,

        De nous jouront au capifol91

        L’un après l’aultre, à leur plaisir.

                        COMMUN

        Jusqu(e) à mectre la hart au col92,

        De nous jouront a[u] capifol.

                        LABEUR

185  Commun, suyvons monsieur sainct Pol93 :

        Prenons confort en desplaisir.

                        COMMUN

        De nous jouront au capifol

        L’un après l’autre, à leur plaisir.

.

        Vous qui avez veu à loysir

190  Nostre Jeu94, sy n’estes contens,

        Excusez les gens ou le temps95.

        Avant que partir de ce lieu,

        Une chanson et puys adieu ! 96

.

                                      FINIS

*

1 LV : le laboureur  (Toutes les rubriques donnent : labeur.)  Ce personnage représente les classes laborieuses, les travailleurs, les artisans, les paysans. Il n’est donc pas hostile au savetier Commun, même s’il l’oblige à travailler sans grand bénéfice. Les Triomphes de l’Abbaye des Conards nous le décrivent : « Labeur, tenant ung fléau & une charrue auprèz de luy. »   2 Le commun peuple. On retrouve ce personnage allégorique dans une autre Moralité du ms. La Vallière : l’Église et le Commun (LV 14).   3 Dans le froid.   4 Est si furieuse contre moi.   5 Vers manquant. « Jamais je ne vous sceu complaire. » (Calbain.) Le peuple se plaint ici des Trois États (vers 32), et par conséquent de l’Église.   6 Gagner à la sueur de mon front.   7 Qu’un essaim d’abeilles qui cherche un abri où sa nouvelle reine pourra pondre.   8 Ni saindoux : ni graisse.   9 Le sein, la poitrine.   10 « Un sabre : un savetier. » Antoine Oudin, l’auteur de cette définition, ajoute : « Mot vulgaire », c.-à-d. populaire (vulgus = peuple). En effet, il appartient au petit peuple rouennais : « Maistre sabre (…) & premier officier en la savate. » La Muse normande.   11 Chandelier en métal précieux que le bedeau garde sous clé. Allusion à l’égoïsme et à l’avarice des grands prélats.   12 Je voudrais être loin d’ici.   13 LV : descherge ton courage  (Envers moi, ton cœur est réticent. « Il n’est point de si revesche courage qui ne s’apprivoise. » Jean-Pierre Camus.)   14 LV : sil y  (Il n’y a rien à reprocher. « Car en luy n’y a que redire. » Le Messaigier d’Amours.)   15 Grâce au travail, tu obtiens.   16 Tu ne dois rien nous celer, nous cacher.   17 Pour vaincre. L’ancienne Noblesse dépeinte ici n’avait plus rien à voir avec la nouvelle, que le peuple considérait alors comme une caste de parasites. Voir la notice du Poulier à sis personnages.   18 LV : le  (Qui veille sur toi.)   19 Te conserve.   20 Pour que tu ne meures pas de faim.   21 Je n’ai pas le droit de parler.   22 C’est pourquoi. Idem vers 169.   23 Vieux jeu de mots sur « secret taire ». « Je suis des dames secrétaire,/ Hault et bas, pour leur secret taire. » Les Secretz et loix de Mariage.   24 Donc. Idem vers 65 et 83.   25 Et pourtant, à ce jeu, il n’y a ni triche ni perte d’argent. La sottie des Sotz ecclésiasticques qui jouent leurs bénéfices au content repose également sur un jeu de société : « –Je sçay ung beau jeu, qui vouldra./ –Quel jeu ? –C’est le jeu du content. »   26 Au fétu, à la courte paille.   27 LV : menuoys  (Je vais.)  Noblesse ramasse quatre brins de paille, puis tourne le dos à ses partenaires.   28 Celui qui aura tiré la plus longue paille s’assiéra sur la chaise : c’est lui qui recevra des coups dans la paume de sa main. On joue aussi à la courte paille aux vers 214-227 de Massons et charpentiers, et là encore, le perdant est celui qui tire le plus long fétu.   29 Mussé : ses yeux seront cachés par un bandeau. Même chuintante normande aux vers 80 et 169. « Ils ont muchié les yeux qui regardoient toutes choses, et cuidoient que cellui qui scet tout ne sceust pas qui c’estoit qui le frapoit. » ATILF.   30 De disposer dans mon poing. Pour piéger Commun, Noblesse a enfoncé la paille longue plus que les autres.   31 Il choisit une des pailles qui dépassent largement du poing de son complice ; naturellement, elle est très courte.   32 Il choisit naïvement la paille qui lui semble la plus courte ; c’est évidemment la plus longue.   33 Il montre la dernière paille, qui est courte.   34 En droite ligne. De sens rassis (participe passé de rasseoir) = posément.   35 Ne frappez pas trop fort dans ma main.   36 Qui a tapé dans ta main ?   37 Tu as tort. Les tricheries commencent.   38 LV : deguisse  (Donc, celui qui m’a frappé a retenu son coup.)   39 LV : frape  (Que l’Église, quand elle frappe, nous caresse.)   40 LV : moins  (Mais son coup pique et mord notre cœur.)   41 De l’homme vivant. Dans le ms. La Vallière, notre Moralité est précédée par une autre où évoluent des personnages similaires : L’Église, Noblesse et Povreté qui font la lessive (LV 23). L’Église avoue : « Du mort et vif, journellement je prens. »   42 Jeu de mots banal. « Noblesse qui blesse./ Povre commun. » Triomphes de l’Abbaye des Conards.   43 Je suis humilié.   44 Ses sournois.   45 Trahisons. (Bas latin traditio : voir Du Cange.) Idem vers 148. « Tant par tradicion comme par force. » Godefroy.   46 Ils mangent. Les Normands affectionnaient ce présent de l’indicatif : « En Karesme mengeüssent chair. » (Le Maistre d’escolle.) « Il se laisse manger la laine sur le dos : il souffre tout. » A. Oudin.   47 Haleine.   48 L’impôt de la taille et la taxe pour le salaire du guet. « Par gabelles, par tailles, par imposicions, par guetz. » ATILF.   49 Au secret dans un cachot.   50 Chez. Même forme normande à 109.   51 Tu racontes, tu dis. « Baille-luy belle : Cela se respond à qui nous dit quelque sottise. » (Oudin.) En outre, c’est un refrain de chanson ; cf. les Queues troussées, vers 43-44.   52 LV : dignes  (Je dîne de labeur : je travaille au lieu de dîner.)   53 LV : tousiours moy  (Correction d’Émile Picot.)   54 Labeur, veuille ne plus me tourmenter !   55 LV met cette didascalie à la suite de la rubrique.   56 D’une façon malveillante. Mais sinistre [sénestre] veut dire « de la main gauche », qui est symboliquement celle des traîtres : « Lorsqu’il fut transpercé par la sénestre joue/ Avec un plomb tiré d’une sinistre main. » Jean Dorat.   57 LV : argent  (À la rime. Correction Picot.)  Par des méthodes spécieuses. « –Le plomb peult devenir argent./ –Ouy da, et tout par ung art gent. » Pour le Cry de la Bazoche.   58 LV : dor et  (Dorer les poings, ou les mains = graisser la patte. « Et peult-estre les mains dorer. » La Mère de ville.)   59 Jamais le prêtre ne dira la messe.   60 C’est la règle. Cf. le Ribault marié, vers 369.   61 Par malheur.   62 Le prêtre refusera de célébrer les obsèques.   63 Qu’est-ce que ça peut te faire ? Ne l’enterre pas.   64 Mes graves douleurs.   65 LV : a pitye tendre  (Compatissante. « Ayez le cueur tendre à pitié et compation ! » Jehan Henry.)   66 C’est bien parlé !   67 Soumis à l’impôt de la taille, nommé au vers 100.   68 Battu, dérobé et mutilé.   69 Soumis à des tribulations et troublé.   70 D’une telle violence.   71 LV : que  (Je veux dire.)  On emploie cette formule d’autocorrection pour rectifier un lapsus : « Se doibtz-je dire ‟Monseigneur”. » Colin filz de Thévot.   72 Tu as deviné. Pour une fois, l’Église et Noblesse ne trichent pas.   73 Il s’assied sur la chaise et il se bande les yeux.   74 Fin prêt. « Aruné me voylà tantost. » Le Cousturier et le Badin.   75 De tromperies. Labeur a vu agir les deux tricheurs.   76 LV ajoute : faulx prelas / et des faulx   77 Par leurs trahisons. Voir la note 45.   78 Des sermons fallacieux.   79 Ne cherche qu’à nous faire gagner le paradis.   80 Deux voies à suivre : une pour les riches, et une pour les pauvres.   81 Si ce n’est. Le tribut est une dîme perçue par l’Église.   82 Des cavaliers qui dévastent les récoltes, et qui pillent les fermes et les villages.   83 Ords, sales.   84 LV : estent  (Les prévôts sont des officiers de justice.)   85 Habile à cela. Noblesse et l’Église n’interviendront plus, sans être sortis pour autant.   86 Faible et sans force.   87 Et pourtant. Idem vers 58.   88 Pour eux, c’est toujours ça de fait. Vers identique dans Troys Galans et un Badin.   89 Inversion d’un adage : « Le fort porte le foible…. Ô modèle parfait de la charité chrétienne ! » Jean Crasset.   90 Consolation. Idem vers 186.   91 Ils nous malmèneront. « Que femme le fait affoller/ Et joue de lui au capifol. » (ATILF.) Cf. la Laitière, vers 425.   92 Jusqu’à nous passer la corde au cou.   93 Imitons saint Paul qui, au milieu des persécutions, faisait contre mauvaise fortune bon cœur.   94 Notre spectacle. Mais aussi, le jeu du capifol.   95 Le mauvais temps, si la représentation a eu lieu dehors. Mais surtout, le temps qui court, dont le peuple se plaint toujours faute de pouvoir en profiter.   96 Ce distique apocryphe est la signature habituelle du copiste de ce manuscrit. La Moralité se termine d’une façon moins légère.

SERMON JOYEUX DE BIEN BOIRE

British Library

British Library

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SERMON  JOYEUX

DE  BIEN  BOIRE

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Cette œuvre débute comme un sermon joyeux1. Mais les spectateurs vont découvrir avec surprise qu’il s’agit en fait d’une farce à deux personnages. Elle raconte l’histoire d’un prêcheur public qui tente de prononcer un sermon alors qu’un trublion veut l’en empêcher. Imaginons la scène : le prêcheur, en habit de moine, est juché sur un tonneau, au milieu d’une place. Complètement ivre, il fait l’éloge du vin, et se cramponne à son lutrin pour ne pas perdre l’équilibre. Il a le nez rouge. Entre deux phrases, il tète le goulot d’une bouteille. Dans le public se tient un de ces rôtisseurs qui vendent sur les places et les marchés. Le nôtre est armé d’une broche et d’un litron. Il est aussi soûl que le prêcheur. Notons qu’un authentique sermon joyeux, le Sermon de la choppinerie <Koopmans, pp. 142-165>, confronte aussi un Sermonneur et un Opposant ; mais il fut probablement joué par un seul comédien.

Source : Recueil du British Museum, nº 23. Publié vers 1545 à Lyon, chez feu Barnabé Chaussard.

Structure : Rimes plates.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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Sermon joÿeux

de bien boire

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À deux personnaiges, c’est assavoir :

       LE  PRESCHEUR

       et  LE  CUYSINIER

*

                        LE  PRESCHEUR  commence

        Bibite et comedite2 !

        (Mathei, [vicesima sexta]3.)

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        Messeigneurs, faictes paix4 ! Holà !

        Les parolles cy proposées

5      Si furent jadis composées

        Dedans le fons d’ung beau sélier5

        (Comme récite Sainct-Valier6),

        Escriptes d’or en lettre jaune

        Sur ung tonneau de vin de Beaune7.

10    Et furent racompt[é]es et dittes

        Du tout8, et de nouveau escriptes

        Au quart livre, ad Epheseos9,

        [Et decimo]10, ad Hebreos,

        Là où dit monseigneur sainct Pou11

15    Qu’on doibt boire jusques au clou12

        Tandis qu’on a denier ne maille13.

        Et puis après, vaille que vaille,

        Dominus providebit 14 nos.

                        LE  CUISINIER

        Et ! qui est ce vuideur de potz

20    Qui nous vient icy empescher

        De chanter ? Voise15 ailleurs prescher !

        Mais avisez quel champïon16 !

        Or est-il le plus franc pÿon17

        Qui soit point d’icy en Bourguoigne18.

                        LE  PRESCHEUR

25    Et ! faictes taire cest yvroigne,

        Que mon sermon puisse parfaire !

                        LE  CUISINIER

        Il y auroit beaucop à faire !

        Me tairé-je pour ung yvrays19 ?

        Quel vaillant prescheur de mes brays20 !

30    Pas ne sçait son Deprofundis21.

                        LE  PRESCHEUR

        Seigneurs, entendez à mes dis :

        Dieu pourvoyra tousjours ceulx-là

        Qui croiront ces articles-là

        Que, qui bien boit (dire le vueil)

35    Tant que la lerme22 vient à l’œil,

        Ceulx23 sont cousins germains de Dieu.

        Com est24 récité en ce lieu :

        « Hebrei sunt 25 ? Et ego ! »

        Dieu le dit de sa bouche. Ergo,

40    Au matin te doibs avancer26

        De boyre, pour bien commencer.

        Et pour mieulx resjouyr ton sang,

        Fay une rostie27 au vin blanc.

        Et puis, pour trouver le goust bon,

45    Prens-moy28 la cuisse d’ung chapon29

        Dont tu mangeras ung petit30 :

        Cela te donra appétit,

        Et en bevras mieulx tout le jour.

        De beau vin claret31, sans séjour

50    Boy, après, jusques à minuyt.

                        LE  CUYSINIER

        Despêche-toy, car il m’ennuyt32 !

        Ne nous fay point long preschement !

        Il a tant beu (par mon serment)

        Qu’il ne scet qu’il faict ne qu’il dit33.

                        LE  PRESCHEUR

55    Or es-tu bien de Dieu mauldit,

        De me destourber34 ma parolle !

                        LE  CUYSINIER

        Tout ce qu’il dit n’est que frivolle,

        Et nous tiendra jusqu’à demain.

                        LE  PRESCHEUR

        Dieu a commandé de sa main

60    Qu’on se doit, au matin, lever

        Pour bien arrouser le gosier ;

        Car « qui bien boit, longuement vit35 ».

        Ainsi que le note David :

        « Media nocte surgebam36. »

65    Pourquoy ? Pour arrouser la dent.

        Car qui veult ès sainctz Cieulx aller,

        Luy convient souvent avaller

        Bonum vinum et optimum37.

                        LE  CUYSINIER

        Escoutez quel vaillant sermon !

70    L’aultre jour, but tant (se m’ait Dieux38)

        Qu’il perdit presque l’ung des yeulx ;

        Et de l’aultre n’estoit pas sain.

        Tenez : quel nés de Sainct-Poursain39

        Enluminé de vin de Beaune !

                        LE  PRESCHEUR

75    Et ! faites taire ce becjaune40

        Qui quaquette tant, là-derrière41 !

                        LE  CUYSINIER

        Il a bien haulcé la bavière42 !

        Tenez : il ne scet où il est43.

                        LE  PRESCHEUR

        Seigneurs, escoutez, s’il vous plaist,

80    Exposer la loy de Vinum44

        Qui est escripte (ce dit-on)

        En Digeste, ou .XII. livre45.

        Ne cuidez pas que je soye yvre !

                        LE  CUYSINIER

        Non, mais il est n[o]yé46. Tenez :

85    Qui luy tordroit47 ung peu le nez,

        De vin rendroit une symaise48.

                        LE  PRESCHEUR

        Tu en parles bien à ton ayse !

        Voyez com il est desvié49 !

                        LE  CUYSINIER

        Mais où a-il si bien pÿé50 ?

90    Il a tant beu qu’il ne voit « goutte ».

                        LE  PRESCHEUR

        Et, paix ! Que vous ayez la goutte !

                        LE  CUYSINIER

        [Ce aura]51 mon prochain voysin.

                        LE  PRESCHEUR

        Tu as bien mangé du raysin52 !

                        LE  CUYSINIER

        Je ne boys fors53 que du meilleur.

                        LE  PRESCHEUR

95    Nostre Dame !

                        LE  CUISINIER

                                     Nostre Seigneur !

                        LE  PRÊCHEUR

        Mourir puisses de malle54 toux !

                        LE  CUISINIER

        Je suis sauvé ; priez pour vous !

                        LE  PRESCHEUR

        Pour Dieu, qu’on face paix, mèshuyt55 !

                        LE  CUISINIER

        Despêche-toy, car il m’ennuyt.

100  Ne nous fay point longue traînée56 !

                        LE  PRESCHEUR

        Dieu te mette en très male année !

        Tu ne deusses point boyre de vin.

        Mais qui tousjours boit du plus fin

        Ne peut avoir que bon courage57.

                        LE  CUISINIER

105  Mourir puisses de malle rage !

        L’autre jour, beut par tel délit58

        Qu’il en chia59 dedens son lict,

        Sauf l’honneur de la compaignie60.

                        LE  PRESCHEUR

        Tu as menty : je le te nye !

                        LE  CUYSINIER

110  Je m’en rapporte à son hostesse61 :

        Car en cuidant faire une vesse62,

        Il fit tant du prim et du gros63

        Qu’il luy fallut64 payer deux gros

        Pour luy avancer de blancz draps.

                        LE  PRESCHEUR

115  Or en dy ce que tu vouldras.

        Mais tu es du tout, en effaict,

        Le plus fort yvroigne parfaict

        Qui soit d’icy en Avignon.

                        LE  CUISINIER

        Et vous estes mon compaignon :

120  Nous povons bien aller ensemble.

                        LE  PRESCHEUR

        Or Messeigneurs, se bon vous semble,

        Ouez65, s’il vous est acceptable,

        Que dit ung bon Docteur notable66 :

        « La loy Vinum n’est pas antique67 ;

125  Elle chet68 souvant, en practique. »

        Se tu es en mérancolye,

        Boy bon vin : et, sans mocquerie,

        Tu seras en bon point tantost.

        (E)spécïalement le moys d’aoust

130  Et aussi en toute saison,

        On doit boyre vin à foyson,

        Sans point y mettre de aqua69.

        Car on70 dit que le rébéqua

        D’y mettre eau, c’est trop [grant] meffaict :

135  Despécer71 ce que Dieu a faict,

        On en doibt bien estre repris.

                        LE  CUISINIER

        Aussi ne l’as-tu pas apris72.

        Soit au disner ou quant on gouste,

        Vray(e)ment, s’il en met une goutte,

140  Je veulx estre tué d’ung vouge73 !

        Il luy pert bien74 à son nés rouge,

        Qui est si trèsplein de bubettes75.

        S’il ne porte encor les cliquettes76,

        Je suis content d’estre tondu77 !

                        LE  PRESCHEUR

145  Va, tu puisses estre pendu !

        [Car] le trèspuissant Roy divin

        Dit qu’on boyve du meilleur vin

        Et nous deffend de boyre l’eau :

        Car autant en faict ung chevau78

150  Quant on le meine à la rivière.

        Et le Prophète nous déclère :

        « Nolite fieri sicut equus et mulus,

        Quibus non est intellectus79. »

        [Puis] le Prophète a desclaré

155  Qu’on boyve muscadet, claré,

        Ypocras et vin de pyneau ;

        Et dit qu’on n’y mette point d’eau,

        Qui jure : « Se tu y [en] metz,

        Vray(e)ment, tu n’entreras jamais

160  En Paradis ! » Croy cest article,

        Car il est escript en la Bible,

        Undecimo, Libri Regum80.

                        LE  CUYSINIER

        Il n’y a, d’icy en Arragon,

        Ung plus fort yvroigne qu’il est.

165  Et aussi, on voyt bien que c’est81 :

        Il fut, en jeunesse, nourry

        De vin tant qu’il en est pourry

        Et resemble [à ung droit]82 méseau.

                        LE  PRESCHEUR

        Tu puisses perdre le museau

170  Et mourir de sanglante83 rage !

                        LE  CUYSINIER

        Mais bien vostre sanglant visaige,

        Car il ne fut anuyt84 lavé !

                        LE  PRESCHEUR

        Cecy ! Et ! vélà trop bavé85 !

                        LE  CUYSINIER

        Regardez ce seigneur notable !

                        LE  PRESCHEUR

175  Or vous taysez, de par le dyable !

                        LE  CUYSINIER

        Qui vous puisse rompre le col !

                        LE  PRESCHEUR

        Et ! qu’on face taire ce fol86,

        [Très ort]87 villain, puant pugnays !

                        LE  CUYSINIER

        Plus honneste suis que tu n’es88 !

180  Le vez-vous là, ce [sainct] Baboyn89 ?

        Vrayement, il put tant le vin

        Que je sens d’icy son alaine90.

                        LE  PRESCHEUR

        Et tu fais ta fièbvre quartaine !

                        LE  CUYSINIER

        C’est bien dit : reliez-vous-la91 !

185  Tenez-vous bien !

                        LE  PRESCHEUR

                                       Cecy !

                        LE  CUISINIER

                                                      Cela !

                        LE  PRESCHEUR

        Tant de mynes92 !

                        LE  CUISINIER

                                         Tant de quaquet !

                        LE  PRESCHEUR

        Je te feray…

                        LE  CUISINIER

                                 Manger ung pet ?

                        LE  PRESCHEUR

        En ton nés !

                        LE  CUISINIER

                               Mais bien en ta gorge93 !

                        LE  PRESCHEUR

        Tais-toy ! Feras ?

                        LE  CUISINIER

                                         On le te forge94 !

                        LE  PRESCHEUR

190  N’es-tu pas content que je presche ?

                        LE  CUISINIER

        Ouÿ bien, mais qu’on se despesche :

        Ne voys-tu pas qu’il est [jà] tard95 ?

                        LE  PRESCHEUR

        Escoutez que dit saint Bernard :

        « De pardon mille quarenteines96

195  Auront ceulx qui grans tasses97 pleines

        De vin boiront tout à ung trait. »

        Aussi je l’ay98 treuvé extrait

        En ung sien livre, où il [est] dit :

        « Bene bibens Deum videbit 99. »

200  Sont toutes parolles dorées100 ;

        En [son livre les]101 ay trouvées,

        Où n’ay mis grant peine à le[s] lire.

        Et pour tant102, vous ose bien dire

        Quod ille qui bene bibat,

205  [Que] par raison bene pissat 103,

        S’il n’a la vessie estouppée.

        Et pour tant, la bonne purée104,

        À  mes amys, je vous recommande.

        À bien boyre chascun entende

210  Tant qu’on pourra finer de croix105.

        [On faict les]106 gosiers si estroictz

        Faulte de bien les arrouser.

        Bevons jusques aux yeulx plourer107 !

        Car qui bien boyt, bien se gouverne.

215  Et qui ne va à la taverne,

        Luy fault envoyer son varlet108.

        S’il est aigre, nihil valet 109,

        [ Dont il fait mal aux bons buveux ;

        Préférer luy fault le vin vieulx ]110

220  À l’avaller délicieux :

        J’en boy si fort que vers les cieulx

        Fays tourner les yeulx de ma teste.

                        LE  CUYSINIER

        Et ! cest yvrongne déshonneste

        Fera-il huy que quaqueter ?

225  Mais que povez-vous conquester111

        À luy ? Le me vez-vous là bien112 ?

                        LE  PRESCHEUR

        Ce dit ung théologïen :

        « Bon vin, selon cours de nature,

        Faict grand bien à la créature113. »

230  Par auctorité je le preuve :

        Je suis si ayse quant je treuve

        Ung trèsbon vin emmy ma voye !

        Ung bon vin jamais ne desvoye114

        Ainsi que faict ung vin petit.

235  Quant j’ay vin à mon appétit,

        Je m’y porte aussy vailla[mme]nt115

        Que fist Olivier et Rollant116

        En bataille qu’ilz firent oncques.

        Or je vous pry : bevons fort, doncques !

240  Et aussi, Dieu nous avisa

        De bien boyre, et nous devisa117

        Et nous dist ce mot : « Sitio118 ! »

                        LE  CUYSINIER

        Et ! ho, de par le dyable, ho !

        Durera mèshuy ce language

245  De parler fors119 que du beuvrage ?

        Le paillart n’a aultre mémoire

        Fors à gourmander120 et à boyre :

        Soit au dîner ou quant on soupe,

        Il est yvre com une soupe121

250  Et s’en va coucher tout vestu.

                        LE  PRESCHEUR

        Mais escoutez ce fol testu122 !

        Comme souffrez-vous tel fol coquart123 ?

        Vous vez que ce n’est q’ung paillart,

        Ung coquillart et ung yvroing124.

                        LE  CUYSINIER

255  Il y pert bien à vostre groing125 :

        Comme[nt] il est enluminé126 !

                        LE  PRESCHEUR

        De la fièbvre soys-tu myné !

                        LE  CUYSINIER

        Mais127 vostre corps et vostre teste !

                        LE  PRESCHEUR

        Je fais à tous humble requeste

260  Que vous ouez, grans et menus,

        Ung proverbe de Martinus128 :

        « Martinus fuit bonus homo,

        Et ad bibendum totus primo129. »

        Chascun n’entend pas mon130 latin,

265  Car il fut faict d’estain trop fin,

        Engendré d’ung viel pot de cuyvre ;

        Nul ne l’entend s’i n’est bien yvre.

        Consommé fut de viel léton131,

        Et le dit132 le docteur Platon

270  En son derrenier quolibet133.

                        LE  CUYSINIER

        Et il fist ton sanglant gibet !

        T’apartient-il prescher en chayre ?

        On te deust en une rivière

        Getter, qui feroit134 son devoir.

                        LE  PRESCHEUR

275  Bonne feste ne peult avoir135

        — Comme je treuve en Réthoricque

        S’il n’y a de bon vin qui picque.

        Vous sçavez que Nostre Seigneur

        A dit qu’on boyve du meilleur ;

280  Je le puis tesmoigner par luy.

        Aussi, quant le vin fut failly,

        Aux nopces de Archédéclin136,

        Ne mua-il pas l’eau en vin ?

        Bonum vinum bibat etiam137 !

                        LE  CUYSINIER

285  Et, paix ! Dieu te mette en mal an,

        Sanglant paillart, yvroignibus138 !

        Il nous tient cy en ces abus,

        Et tout ce qu’il dit ne vault rien.

        Le vez-vous, cest homme de bien ?

290  Aussitost qu’il a ung lyard139,

        Par ma foy, la gorge luy ard140

        Qu’il ne le porte au tavernier141.

                        LE  PRESCHEUR

        Mais toy, qui n’as pas ung denier ?

        À ses142 voysins je m’en rapporte :

295  Avisez quel habit il porte !

        Est-il habille compagnon143 ?

        S[on] amye est en Avignon144 ;

        Ses chausses tirent contrebas145.

        Au fort, laissons tous ces débas.

300  Cathon note et met [en] avant

        Qu’on se doibt tremper bien souvant

        En bon vin, quant il s’avisa

        Dire : « Vino te tempera146.

.

        Or, omnibus, attendite147,

305  Et venons à comedite148 :

        Se voulez ès sainctz Cieulx aller,

        Et non pas embas149 dévaller,

        Se faictes (ainsi que j’entens)

        Que ne jeûnez point en nul temps.

310  S’on ne vous faict jeûner par force.

        Ès croniques du roy d’Escosse

        Il est escript en droit civil

        Qu’il est notable, non pas vil.

        Les jeûnes sont à débouter150

315  Du droit civil, sans en doubter.

        Mais quoy ! Sces-tu que tu feras ?

        À double jeûne doubleras,

        Et feras double[s] tes morceaux151.

                        LE  CUYSINIER

        C’est belle vie de pourceaux !

320  C’est bien, à toy, parlé en beste152 !

                        LE  PRESCHEUR

        Ce ne vous est pas chose honneste

        Q’un tel follastre me gouverne.

                        LE  CUYSINIER

        Quel vray champïon de taverne

        Qui vient cy trancher du sage homme153 !

                        LE  PRESCHEUR

325  Je cuyde que d’icy à Romme,

        Meilleur que moy on ne doibt querre

        Pour bien prescher.

                        LE  CUYSINIER

                                           Au pot et au verre !

        De cela il a bon renon.

                        LE  PRESCHEUR

        Encor(e) ? Mais [te] tayras-tu ?

                        LE  CUYSINIER

                                                            Non !

                        LE  PRESCHEUR

330  Et pourquoy ?

                        LE  CUYSINIER

                                    Il ne me plaist pas.

        À bas154, de par le dyable, à bas !

        Car vous ne sçavez que155 vous dictes.

        Tout son faict ne sont que redictes :

        Tousjours presche156 sur la vendenge.

                        LE  PRESCHEUR

335  S’il convient que de toy me venge,

        Tu le congnoistras par Justice !

                        LE  CUISINIER

        Tu es bien sot !

                        LE  PRESCHEUR

                                      Tu es bien nice157 !

        Laisse-m’achever158 mon sermon !

                        LE  CUYSINIER

        Par ma foy ! si ne feray mon159,

340  Car tu ne dis chose qui vaille.

                        LE  PRESCHEUR

        Que tu as le bec plain de raille160 !

        Faictes-le taire ou je m’en voys !

                        LE  CUYSINIER

        Et dyables après161 !

                        LE  PRESCHEUR

                                              Or, te tays !

        Dire vueil chose souveraine.

                        LE  CUYSINIER

345  Tu feras ta fi[è]bvre quartaine !

        J’ay le cul tout plain de ta noyse162.

                        LE  PRESCHEUR

        Puisqu’il convient que je m’en voyse,

        Par ce paillart, à tel[z] diffames,

        Adieu vous dy, seigneurs et dames !

350  Plus ne demour[r]ay en ce lieu.

                        LE  CUYSINIER

        Adieu, de par le dyable, adieu !

        Le prescheur va croquer la pye163,

        Et je voys prendre la copye164

        Du vin qui est en la despense165.

.

355  Seigneurs et dames d’excellence,

        Je vous supplye, [et] hault et bas,

        Que prenez en gré noz esbas !

.

                                      FINIS

*

1 Jelle KOOPMANS l’a d’ailleurs incluse dans son Recueil de sermons Joyeux. Droz, 1988, pp. 560-580.   2 Buvez et mangez ! « Comedite : hoc est corpus meum…. Bibite ex hoc omnes. » (Matth., 26.) Les sermons joyeux parodient scrupuleusement les sermons sérieux, lesquels se présentent comme une variation sur un thème en latin, ou theume, tiré des Écritures. Voir le début du Sermon pour une nopce.   3 BM : vndecima secunda.  (26ème chapitre de l’Évangile selon saint Matthieu.)  Les copistes, chacun à sa manière, abrégeaient ce genre de chiffres : l’imprimeur a mal résolu les abréviations de son ms. de base, et a donc publié un vers incorrect doublé d’une référence inexacte.   4 Faites silence !   5 D’un cellier, d’une cave à vin.   6 Peut-être le nom d’un tavernier local.   7 L’ivrogne du Testament Pathelin veut être inhumé « en une cave, à l’advanture,/ Dessoubz ung muy de vin de Beaulne./ Puis faictes faire en lettre jaulne,/ Dessus moy, en beau parchemin :/ ‟Cy repose et gist Pathelin.” »   8 Totalement. Idem vers 116.   9 BM met ce vers sous le vers 9. L’Épître aux Éphésiens, attribuée à saint Paul, ne contient pas plus la citation initiale au chapitre 4 que dans les autres. Au contraire, le chapitre 5 condamne l’abus du vin.   10 BM : Undecimo  (Et au chapitre 10 de l’Épître aux Hébreux, attribuée à saint Paul. En fait, la citation initiale ne s’y trouve nulle part.)  Jeu de mots banal — on le retrouve au vers 38 — sur le latin ebriosus [ivrogne] : « Ung visaige il ha d’esbrieu. » Les Sotz qui corrigent le Magnificat.   11 Saint Paul. Mais il existe un Sermon de Monsieur saint Pou ; malheureusement, « sa boisson n’est pas dans le vin ». Koopmans, p. 486.   12 Jusqu’à la dernière goutte. « Quant ils boyvent jusques au clou. » Sermon joyeulx de sainct Raisin <Koopmans, p. 535>.   13 Ou une piécette. « S’il emporte denier ne maille. » Les Tyrans.   14 BM : prouidebis  (Le Seigneur y pourvoira pour nous. Voir le v. 32.)   15 Qu’il aille. Idem vers 347. Le « cri » des marchands ambulants est parfois chanté.   16 Un champion de taverne est un pilier de bars. Voir le v. 323.   17 Le plus grand « croqueur de pie », avaleur de vin. « –Plus boire ne pourroye./ –Hé, franc pion ! » Grant Gosier.   18 Qui soit d’ici jusqu’en Bourgogne, une région célèbre pour son vin.   19 À cause d’un ivrogne.   20 De mes braies. « Quel grant conseillier de mes brayes ! » Le Capitaine Mal-en-point.   21 Le De profundis est une prière de base que tout religieux, même soûl, doit se rappeler.   22 Prononciation parisienne de larme. « Et boy d’autant, vueille ou non vueille,/ Tant que la larme en vient à l’œil. » La Nourrisse et la Chambèrière.   23 Ceux-là. « (Les folz) sont cousins germains de Dieu. » Les Sobres Sotz.   24 BM : il  (Comme cela est dit dans saint Paul. « Comme est récité/ Aulx Hystoires. » Le Testament d’un amoureux.)   25 BM : sont  (Saint Paul, Épître aux Corinthiens, 11.)  Comprenons, d’après la note 10 : Ils sont en état d’ébriété ? Moi aussi !   26 Tu dois t’apprêter.   27 Une tranche de pain grillé qu’on trempe dans le vin.   28 BM : Prenes moy   29 BM : iambon  (« Une cuysse/ De gras chapon. » Le Cousturier et Ésopet.)   30 Un peu.   31 Clairet : vin rosé. Idem vers 155. Sans séjour = sans délai.   32 Je m’ennuie. Même vers que 99.   33 Ce qu’il fait ni ce qu’il dit.   34 Troubler.   35 Réfutation de deux proverbes : « Qui boit et mange sobrement/ Vit, de coustume, longuement. » « Boy par raison, tu vivras longuement. »   36 Je me levais au milieu de la nuit. Psaume 118.   37 Du bon vin et du meilleur. Le prêcheur remplace Dieu par le vin : « Deum bonum et optimum credimus. » (Tertullien.) On prononçait « optimon », à la française.   38 Que Dieu m’assiste ! Nous allons découvrir au fur et à mesure que les deux adversaires se connaissent bien ; sont-ils d’anciens compagnons de taverne ?   39 Quel nez rouge, par allusion au vin rouge de Saint-Pourçain : voir le v. 141. « –Quel visage de Saint-Poursain !/ –Si ont esté ces gros vins rouges/ Qui nous ont paincturé ainsi/ Les narines de cramoysi. » Le Ramonneur de cheminées.   40 Ce béjaune, ce blanc-bec.   41 Derrière les spectateurs. Si le cuisinier était au 1er rang et tournait le dos au public, on ne l’entendrait pas bien.   42 La partie du casque protégeant le menton ; pour boire, les soldats sont obligés de la soulever. Nous dirions aujourd’hui : hausser le coude.   43 BM : nest.   44 On prononçait « vinon ». Cette loi Vinum quod mutuum — dont il est encore question au vers 124 — concerne la façon de rendre du vin qui a été prêté. Elle est connue pour sa niaiserie, et Rabelais ne l’a pas épargnée : « La loy Quinque pedum [5 pieds], la loy Vinum, la loy Si Dominus. » Pantagruel, 13.   45 Au 12e livre du Digeste, titre 1. « Une contestation qu’il eut avec un de ses confrères sur l’intelligence de la Loi Vinum, au Digeste. » Gilles Ménage.   46 Noyé dans le vin. « Quant il sont yvres et noyés. » ATILF.   47 Si on lui tordait.   48 Une cimaise : un plein pot à vin. Cf. Baudet, Blondète et Mal-enpoint, vers 17.   49 BM : dessire.  (Dévoyé. « Dévier, c’est forvoier et aler hors le droit chemin. » ATILF.)   50 Bu. Voir la note 17.   51 BM : Sera a  (C’est mon plus proche voisin qui l’aura. On suppose que ce voisin n’est autre que le prêcheur.)   52 Du jus de raisin fermenté : du vin.   53 Si ce n’est. Idem vers 245 et 247.   54 Male = mauvaise. Idem vers 101, et vers 105, qui est construit sur le même modèle que celui-ci.   55 Maishui, désormais. Idem vers 244.   56 Ne traîne pas !   57 Un cœur vaillant.   58 Il but tellement.   59 BM : pissa  (Voir les vers 111-4.)   60 Sauf le respect que je vous dois. Cette formule excuse les allusions aux excréments : « Le caqua, sauf l’honneur de vous. » Saincte-Caquette.   61 À sa logeuse. Le cuisinier montre une quelconque spectatrice.   62 Un pet silencieux.   63 Du fin et du gros : des excréments.   64 BM : faillit  (Le gros est une pièce de monnaie.)   65 Oyez ; idem vers 260. Écoutez, si vous voulez.   66 Ce que dit un célèbre docteur en Droit. S’il existait vraiment, le prêcheur le nommerait.   67 BM : etyque  (N’est pas très ancienne. « En celle loy antique. » ATILF.)   68 Elle achoppe. Verbe choir.   69 D’eau.   70 BM : il  (Le rébéca = l’abus. Cf. Frère Frappart, vers 152.)   71 Mettre en pièces. Cf. Troys Galans et un Badin, vers 299.   72 Tu n’as pas l’habitude de mettre de l’eau dans ton vin. « Je n’ay point apris que l’on crie/ Devant ma prédication. » Le Pardonneur.   73 Long bâton prolongé par une lame ou une serpe.   74 Cela se voit, est apparent. Même forme du verbe paroir à 255.   75 De petits bubons, de pustules.   76 Les castagnettes, comme un lépreux qui doit signaler sa présence. Le cuisinier traite encore le prêcheur de lépreux à 168.   77 Je veux bien être tondu comme un fou. Cf. le Sourd, son Varlet et l’Yverongne, vers 132 et note.   78 « Son chevau,/ Sa jument, son asne. » Sermon pour une nopce.   79 Ne soyez pas comme un cheval ou un mulet, qui ne sont pas intelligents. Psaume 31, attribué à David. Mais la suite n’est pas de lui, quoi que prétende le prêcheur.   80 Les Livres des Rois n’abordent pas plus ce sujet capital au livre 11 qu’ailleurs. Regum se prononçait « régon ».   81 Ce que c’est, de quoi il s’agit.   82 BM : droit ung  (« Il semble ung droit varlet de cartes. » Le Povre Jouhan.)  Il ressemble à un véritable lépreux.   83 Maudite. Idem vers 171, 271 et 286.   84 Aujourd’hui. Le prêcheur a une telle aversion pour l’eau qu’il ne se lave jamais.   85 Trop bavardé. Cf. Pernet qui va au vin, vers 216.   86 « Faictes taire ce fol ! » Cette réplique est tirée du Pardonneur où, comme ici, deux rivaux veulent se faire taire mutuellement pour capter l’attention des passants.   87 BM : Tresort  (Très sale. « Très ort villain ! » La Laitière.)  Punais = puant. Le cuisinier, lui non plus, ne se passe jamais d’eau sur le corps.   88 BM : nays  (Honnête = propre. Cf. Grant Gosier, vers 22.)   89 Le voyez-vous bien, ce sectateur d’un Ordre bachique ? « Nous sommes de l’Ordre de Saint-Baboyn./ Dormir jusqu’à prime et boire bon vin,/ Et chanter matines sur ung pot de vin. » (La Résurrection Jénin à Paulme.) « Tous ces suppoz de l’Ordre Sainct-Babouyn/ Haront tousjour pertroublé le cerveau,/ Les ungs d’iceulx par trop boire de vin,/ Et la pluspart pour ne boire point d’eau. » Pronostication d’Habenragel.   90 Son haleine.   91 Attrapez-la. « Que de la fièvre cartaine/ Puissez-vous estre relié ! » (Le Povre Jouhan.) Le prêcheur, qui ne se cramponne plus à son lutrin, se met à chanceler.   92 Que de grimaces, de chichis. « Tant de mines ! » Le Dorellot.   93 Dans ta bouche. Les imprécations sont volontiers scatophagiques : « Ung estront/ De chien chié emmy vostre gorge ! » Colin qui loue et despite Dieu.   94 Réponse narquoise qu’on fait à une personne trop exigeante. « –Je vous demande/ Pour six aulnes, bon gré saint George,/ De drap, dame. –On le vous forge ! » Farce de Pathelin.   95 « Despeschez-vous, ma femme,/ Il est jà tard. » Le Testament Pathelin.   96 Les buveurs obtiendront des indulgences qui leur permettront de quitter le Purgatoire avec 40 000 jours d’avance. « Gaignasmes sept ans et sept quarantaines de pardon. » ATILF.   97 De grandes chopes. « Pleine tasse/ De vin. » (Le Capitaine Mal-en-point.) Saint Bernard n’a jamais proféré de telles fredaines.   98 BM : le  (Voir le v. 201.)   99 Qui bene bibit, Deum videbit : Celui qui boit bien verra Dieu. Ce proverbe existait avant saint Bernard.   100 Tellement sages qu’elles valent de l’or.   101 BM : mon liure len   102 Et pour cela. Idem vers 207.   103 Que celui qui boit bien, il pisse bien. On rencontre parfois la variante bene dormiat.   104 Et pour cela, le vin. « Nous beuvons/ De la purée du raisin. » (Pernet qui va au vin.) « La purée des vignes. » (L’Arbalestre.) « Purée septembrale. » (Gargantua, 7.)   105 Tant qu’on pourra trouver de l’argent. Finer de = se procurer : « Tu ne sauroies finer d’ung blanc [un sou]. » (Les Drois de la Porte Bodés.) Les « croix » sont des pièces frappées d’une croix sur leur côté face.   106 BM : Qui faictes  (On rend les gosiers si étroits, si desséchés.)   107 Jusqu’à ce que nos yeux pleurent. Voir le v. 35.   108 Il n’a qu’à y envoyer son valet à sa place.   109 Si le vin est aigre, il ne vaut rien.   110 Lacune. « Les vins sont bien vers, ceste année,/ Dont il fait mal aux bons buveux./ Ceulx qui ont gardé les vins vieulx/ N’y perdront rien. » (Raoullet Ployart.) On préférait le vin vieux au vin nouveau : voir le Testament Pathelin, vers 173-180.   111 Gagner.   112 Le voyez-vous bien, là ? Nous dirions : Regardez-moi ça ! « Vez » = voyez ; idem vers 180, 253 et 289.   113 À l’être humain. Ce prétendu « théologien » ressemble à Guillaume Dufay, le compositeur de la chanson Bon jour, bon mois : « Bon vin/ Pour maintenir la créature saine. »   114 Ne dévoie les intestins, ne cause une diarrhée. Cf. Lucas Sergent, vers 44.   115 Je me comporte aussi bravement. « (Il) se porta si vaillamment qu’il en emporta l’onneur de ladicte jouste. » ATILF.   116 Les deux héros de la Chanson de Roland. Notons que les ivrognes plaignent beaucoup Roland depuis qu’une légende affirme qu’il est mort de soif : cf. le Ribault marié, vers 200 et note.   117 Nous déclara.   118 J’ai soif. C’est l’une des sept dernières paroles du Christ en croix. Rabelais l’a parodiée dans ses Propos des bien yvres : « Le grand Dieu feist les planettes, et nous faisons les platz netz. J’ai la parolle de Dieu en bouche : Sitio ! » Gargantua, 5. Ce passage ne figure que dans la seconde édition, de 1542 : entre-temps, Rabelais avait peut-être vu notre pièce.   119 De ne parler d’autre chose que du breuvage, de l’alcool. « Il n’est beuvraige que de vin. » ATILF.   120 Sinon à faire preuve de gourmandise.   121 La soupe est le morceau de pain qu’on trempe dans le bouillon. Même vers dans Deux hommes et leurs deux femmes.   122 Entêté. « Mais regardez ce fol testu ! » Le Prince et les deux Sotz.   123 Un tel sot.   124 Un imbécile et un ivrogne.   125 Cela se voit à votre museau. « Il y pert bien à mes habitz. » Les Sotz qui remetent en point Bon Temps.   126 Peint en rouge vif. « Il a le groing enluminé. » Le Ramonneur de cheminées.   127 Mais que ce soit plutôt.   128 Saint Martin de Tours (Martinus Turonensis) est fêté le 11 novembre, jour de la fête des vendanges. On le mêle à plusieurs proverbes concernant le vin : « À la Saint-Martin,/ L’on boit le bon vin. » « À la Saint-Martin, bois ton vin/ Et laisse l’eau courre au moulin. » Le Sermon joyeulx de sainct Raisin lui rend hommage : « Prions monseigneur sainct Martin,/ À laquelle feste on boict vin. » Koopmans, p. 534.   129 Martin fut un bon compagnon, et toujours le premier à boire. Quand la rime consiste en un mot latin accentué sur l’avant-dernière syllabe, comme c’est le cas dans le présent distique, la dernière syllabe est atone, ce qui permet d’obtenir un octosyllabe régulier. Même scansion pénultième aux vers 2 et 199.   130 BM : bien  (« Chacun n’entend pas mon latin,/ Car il est faict de fin estaing. » Farce de Guilliod.)  Le prêcheur prend cette expression au pied de la lettre, puisqu’on buvait dans des chopes en étain.   131 Il fut consommé de vieux laiton. Cette phrase n’a aucun sens, et voici pourquoi : les collégiens s’amusaient à transcrire platement le latin prononcé à la française. On devine ici que « consommé fut » transcrit le biblique « consummatum est », et que « viel laiton » transcrit littéralement « vel lætum ». Mais quelle est la phrase latine qui a suscité ce jeu ? En tout cas, elle n’est pas dans les adaptations de Platon en latin.   132 BM : fit  (Le docte Platon. « De ce docteur Platon à teste folle. » François de Fougerolles.)   133 Son dernier « quod libet », son dernier dialogue philosophique. Voir les Demandes joyeuses en forme de quolibet. On ignore quel est le dernier dialogue écrit par Platon, et notre sermon ne renvoie à aucun d’entre eux.   134 Si on faisait.   135 Il ne peut y avoir. Le prêcheur fait croire à un auditoire inculte que la rébarbative Rhétorique d’Aristote exalte les fêtes et le vin.   136 Architriclin était le maître d’hôtel des noces de Cana, où Jésus changea l’eau en vin. Les suppôts de Bacchus n’omettent jamais cette pieuse évocation : « Ce fut qu’il mua l’eaue en vin/ Aux nopces de l’Architriclin. » Sermon de sainct Raisin <Koopmans, p. 533>.   137 BM : illam.  (Le pronom féminin illam ne se rapporte à rien.)  Qu’il boive encore du bon vin. Etiam [encore] se prononçait alors « étian ».   138 Ivrognibus.   139 Un sou.   140 Lui brûle.   141 D’habitude, cette récrimination est faite par les épouses : « Je n’ay mye ung tant seul hardy [sou]/ Qu’il ne le porte à la taverne. » Serre-porte.   142 BM : ces  (Aux gens qui sont actuellement près de lui. Le cuisinier est toujours derrière les spectateurs.)   143 Un habile compagnon : un maître cuisinier.   144 La cité des papes était réputée pour ses bordels. « Ne n’est bourdeau qu’en Avignon. » Le Dict des pays.   145 Descendent sur ses chevilles.   146 C’est un des distiques moraux attribués à Caton : « Vino te tempera : Boy du vin sobrement. Boy par mesure et sans excèz. » D’après le vers 301, le prêcheur traduit tout au contraire : Dans le vin tu te tremperas.   147 Attendez tous. Un collégien d’aujourd’hui traduirait : « Attendez l’omnibus ! »     148 Au verbe manger. C’est le second point du sermon, énoncé dès le 1er vers.   149 En bas, en enfer.   150 Retirer.   151 Les morceaux de viande que tu mangeras pendant les jours maigres. « Si en prenez tout à la foys/ Double morceau ! » Le Capitaine Mal-en-point.   152 « Un hérétique qui ne croit ny Ciel, ny Enfer, ny Diable ; qui passe cette vie en véritable beste brute : un pourceau d’Épicure ! » Molière, Dom Juan.   153 Qui vient contrefaire le sage. « Flater en Court, trancher du saige. » Gautier et Martin.   154 Descendez de votre tonneau !   155 Ce que.   156 BM : parle  (« Prescher sur la vendange : discourir long temps avec le verre à la main. » Antoine Oudin.)  « Certain curé/ Qui preschoit peu, sinon sur la vendange. » La Fontaine.   157 Naïf.   158 Laisse-moi achever. « Laisse-m’aler ! » La Laitière.   159 Je ne le ferai pas. « Mon » est une particule de renforcement. « Par saint Jehan ! ce ne feray mon ! » La Mauvaistié des femmes.   160 De raillerie.   161 Et les diables courront après lui pour l’expédier en enfer.   162 J’en ai plein le cul de ta furie. « Tu me remplis le cul de noyse ! » Trote-menu et Mirre-loret.   163 Avaler du vin. Cf. le Chauldronnier, vers 195 et note. Le prêcheur descend de son tonneau.   164 Je vais avoir la jouissance. « J’auray la copie de ce corps. » Jehan de Lagny.   165 Dans la cave. « Or venez boire, je vous pry,/ En ma despense. » (ATILF.) Le cuisinier s’empare du tonneau que le prêcheur a laissé.

TROYS PÈLERINS ET MALICE

Ms. La Vallière

Bibliothèque nationale de France

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TROYS  PÈLERINS

ET  MALICE

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Cette « farce morale1 » est en fait une sottie. Comme toutes les vraies sotties, elle donne la parole à un trio de Sots. La pernicieuse Malice veut les conduire en pèlerinage chez Désordre. Le mot « malice » avait un sens beaucoup plus négatif qu’aujourd’hui, en référence au Malin, au diable ; voir les Sotz fourréz de malice.

L’œuvre fait allusion à des événements de 1535. Elle est donc contemporaine d’une autre sottie normande conservée dans le même manuscrit, les Sobres Sotz, qui pourrait être du même auteur anonyme.

Source : Manuscrit La Vallière, nº 67.

Structure : Rimes plates, avec 4 triolets, et un douzain d’hexasyllabes en rimes croisées.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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Farce moralle de

Troys Pèlerins

et Malice

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                        [MALICE],  qui commence 2                   SCÈNE  I

        Où sont ces pèlerins des maulx3 ?

        Veulent-il poinct suyvre Malice

        Par chans, vi[l]ages et hameaulx ?

        Où sont ces pèlerins des maulx ?

5      Quoy ! veulent-il estre énormaulx4 ?

        Sortez, ou g’y métray police5 !

        Où sont ces pèlerins des maulx ?

        Veulent-y poinct suyvir Malice ?

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                        LE  PREMYER  PÈLERIN  NOMMÉ       SCÈNE  II

        Quant à moy, j’en tendray6 la lice,

10    Car je ne [m’en] saroye tenir7.

                        LE  IIe  PÈLERIN

        Aussy la veulx-je « entretenir » ;

        Je ne le veulx pas aultrement.

                        LE  IIIe  PÈLERIN,  BADIN 8

        Ne moy aussy pareillement.

        Et sy, ne suys pas sy jénin9

15    Que je ne fache10 du chemin

        Au millieu11 de la compaignye.

                        MALICE

        [Quoy ?] Que dis-tu ?

                        LE  IIIe  [PÈLERIN] 12

                                              A ! je renye

        Sy je faulx13 à courir, troter

        Pour le voyage descroter14 !

20    Car j’ey vouloir, de ma nature,

        Faire voyage à l’avanture ;

        Ne me chault sy je me forvoye15.

                        LE  PREMYER  PÈLERIN

        Premyer que de se16 metre en voye,

        Chantons !

                        LE  IIe  PÈLERIN

                             Mais en nous esbatant,

25    Chemynons tousjours en chantant !

                        LE  PREMYER  PÈLERIN  [chante]

        Vélà bien alé ! Sus avant !

        Marchons et nous métons en ordre17 !

                        MALICE 18

        Or, alons pour voir la Désordre19

        Qui se faict maintenant au monde !

                        LE  IIIe  PÈLERIN

30    Ne me chault, mais que j’aye à mordre20.

        Or, alons [pour voir à la Désordre]21 !

                        MALICE

        Ces22 bras et jambes fault destordre23.

                        LE  PREMYER  PÈLERIN

        Or  chemynons !

                        LE  IIe  PÈLERIN

                                      Alons comme une onde24 !

                        LE  IIIe  PÈLERIN

        Or, alons pour veoir la Désordre

35    Qui se faict maintenant au monde !

                        MALICE

        Sus dont, alez !

                        LE  PREMYER  PÈLERIN

                                    Comme une aronde25.

        Mais en alant, veulx bien sçavoir

        En quel lieu on26 la pourons veoir,

        Et comment el est convertye27.

                        MALICE

40    Taisez-vous, je suys avertye28 :

        Premyèrement, says les contrés29

        Où plusieurs se sont acoustrés

        Et estat de fémynin gerre30.

                        LE  IIIe  PÈLERIN

        A ! ce ne sont poinct gens de guerre,

45    Ne vray[s] supos du dieu Bacus31,

        Car ilz ne bataillent q’aulx cus32.

        [ Comment ilz sont fort embridés !

        Par Nostre Dame ! ilz sont bridés ]33

        Comme ces barbes34 morfondus

50    Qui sont demy mors et fondus

        D’estre senglés parmy les rains.

        Ces hanteurs35 de chemins forains,

        Ces coquars afulés en gresne36,

        Désordre les tient [c]y en renne37

55    Comme un trupelu38, un mymin

        Qui veult devenir fémynin.

        C’est envers eulx qu’elle se tient39.

                        LE  IIe  PÈLERIN

        C’est mon40 ! Désordre se maintient

        Avec telz gens, dont j’en arage41.

                        LE  IIIe  PÈLERIN

60    Il est de trop lâche courage42,

        Qui43 se contrefaict et desguise.

                        LE  PREMYER  PÈLERIN

        Or çà ! n’est-el poinct à l’église44 ?

                        MALICE

        Ouy, car ceulx de « Religion45 »

        Veulent tenir sa région46.

65    Et mesmes grans histoyrïens47

        Veulent estre luthérïens ;

        N’esse pas Désordre, cela ?

                        LE  IIe  PÈLERIN

        Ouy, sceurement !

                        LE  IIIe  PÈLERIN

                                          Et puys voylà

        Pourquoy vient yver en48 esté,

70    Qui nous maintient en pauvreté,

        Et de quoy le grand maleur vient.

        Mais vrayment, quant [il] me souvyent49,

        Justice la détient-el poinct50 ?

                        MALICE

        Quoy donc51 !

                        LE  PREMYER  PÈLERIN

                                   Sainct Jehan ! voy(e)là le poinct :

75    Je veulx venir à cest endroict52.

                        MALICE

        Justice faict [ou] tort, ou droict,

        Voyre, mais c’est à qui el veult.

                        LE  IIe  PÈLERIN

        On veoyt mainct pauvre qui s’en deult53.

                        LE  IIIe  PÈLERIN

        On voyt mainct riche qui s’en rit.

                        LE  PREMYER  PÈLERIN

80    Par argent, Justice s’esmeult54.

                        LE  IIe  PÈLERIN

        On veoyt mainct pauvre qui s’en deult.

                        LE  IIIe  PÈLERIN

        On veoyt qui à grand paine peult

        Se nourir, qui aultre nourist55.

                        LE  PREMYER  PÈLERIN

        On veoyt mainct pauvre qui s’en deult.

                        LE  IIe  PÈLERIN

85    On veoyt mainct riche qui s’en rit,

        Et tel qui en terre pourit :

        Et c’est du tort qu’on luy a faict.

                        MALICE

        Que vous en semble ?

                        LE  IIIe  PÈLERIN

                                               C’est très mal faict.

                        MALICE

        C’est Désordre, n’est pas ?

                        LE  PREMYER  PÈLERIN

                                                     Ouy, ouy !

90    De l’Estat, nul n’est resjouy ;

        Un jour, à l’Audictoyre56, on faict

        Des choses de [bien] grand éfaict

        Qui sont quelquefoys cavilleux57.

        Faire un exploict bien mervilleux.

                        LE  IIe  PÈLERIN

95    L’on58 juge ce cas périlleux ;

        Mais de peur d’en estre hérité59,

        Y fault juger la Vérité :

        Ainsy, Désordre sera mise

        Hors de ceulx qui l’airont submise60

100  Et entour d’eulx entretenue.

                        LE  IIIe  PÈLERIN

        Or çà ! Ne s’est-el(le) poinct tenue

        En marchandise61 ?

                        MALICE

                                            [Où n’est-el]62 don !

                        LE  PREMYER  PÈLERIN

        Pencez-vous qu’el en ayt pardon63,

        Sy Désordre ne s’en retire ?

                        LE  IIe  PÈLERIN

105  Ma foy, nénin ! Et pour vous dire,

        Les faulx sermens, les tricheryes,

        Les regnymens, les tromperyes,

        Les moqueryes64 et faulx marchés

        Qui se font sont tant [myeulx] cachés

110  Entour Désordre.

                        LE  IIIe  PÈLERIN

                                        Dont je dis

        — Et croys — que Dieu de paradis

        Se course à nous65 de telle afaire.

                        LE  PREMYER  PÈLERIN

        Il est vray.

                        LE  IIe  PÈLERIN

                             Çà ! il fault parfaire66.

        En quel lieu peult-el encor estre ?

                        MALICE

115  Je vous le feray acongnoistre

        Devant que de moy séparer67.

                        LE  IIIe  PÈLERIN

        Ne se faict-el poinct aparoir68

        En guerre, par terre ou par mer ?

                        MALICE

        Et quoy donc ! Mainct faict inhumer69

120  Loing d’une église ou cymetière,

        Et sans faire confessïon entière ;

        Et fault qu’i meurent en ce lieu,

        Ouy, sans souvenance de Dieu

        Ne de sa Mère, rien quelconques70.

                        LE  PREMYER  PÈLERIN

125  A ! vrayment c’est Désordre, donques :

        En son71 cas n’a poinct d’amytié.

                        LE  IIe  PÈLERIN

        Mais voicy où est la pityé72 :

        Quant ce vient à donner les coups,

        Ceulx-là qui sont les myeulx secous73,

130  Bras coupés, jambes avalés74,

        C’est la Désordre, allez, alez !

        Dont vérité [je] vous confesses :

        Je ne veulx gu[e]rrïer75 qu’aulx fesses,

        [Abatre une]76 bonne vendenge,

135  Que soufrir sy grosse lédenge77

        D’estre en ce poinct martirisé.

                        LE  IIIe  PÈLERIN

        En la fin, nul n’en est prisé

        De hanter guerre.

                        LE  PREMYER  PÈLERIN

                                         A ! j’espères,

        Sy on [s’en] va sur les luthères78,

140  Employer ma langue pour dire

        Que bien tost leur convyent desdire79 ;

        Ou, par moy80, sans qu’ilz ayent remors,

        De par mes mains seront tous mors !

        Et puys y s’en repentiront,

145  [Ces breneulx]81. Il en mentiront,

        De ce qu’i veulent metre sus82.

                        LE  IIe  PÈLERIN

        En la fin, en seront déceups83.

                        LE  IIIe  PÈLERIN

        Je le voyer[oy]s volontiers84 !

        Mais sur les chemins et sentiers

150  D’Amours, y pouroit-on trouver

        Désordre ?

                        MALICE

                            Ouy, ouy !

                        LE  PREMYER  PÈLERIN

                                                 Y [le] fault prouver,

        Afin qu’en ayons congnoissance.

                        MALICE

        Depuys le jour de ma naissance,

        En amours je l’ay veue85 régner.

                        LE  IIe  PÈLERIN

155  C’est donc mal faict de nous mener

        En tel voyage, mes amys.

                        MALICE

        Quant on a en amours promys

        Et la promaisse ne tient poinct,

        Désordre y est.

                        LE  IIIe  PÈLERIN

                                   Voicy le poinct.

160  Et sy la femme, d’avanture,

        Est mauvaise de sa nature86,

        Qu’el veuille fraper ou mauldire,

        Ou le povre sot escondire :

        C’est Désordre, n’est pas, aussy ?

                        LE  PREMYER  PÈLERIN

165  Ouy, vrayment !

                        LE  IIe  PÈLERIN

                                        Je le croys ainsy.

        Au moins, assez souvent m’y nuict.

                        LE  IIIe  PÈLERIN

        Et sy l’amant, sur la mynuict,

        Est à trembler87 parmy la rue,

        Et que sans cesser son œuil rue

170  Vers la fenestre, fort pensant,

        Baisant la la cliquète88 en passant,

        En danger d’engendrer les mulles89 ;

        Et d’amours n’a nouvelles nulles,

        Synon qu[’a] — la chose est certaine —

175  Bien souvent, la fièvre cartaine90.

        C’est Désordre ?

                        MALICE

                                        C’est mon, ce croi-ge.

                        LE  PREMYER  PÈLERIN

        Et davantage91… Le dirai-ge ?

                        MALICE

        Que feras-tu don ? Ne crains rien(s) !

                        LE  PREMYER92  PÈLERIN

        Sy le mary se doubte bien

180  Que sa femme face un amy :

        N’est-il pas bien sot et bémy93

        De s’en couroucer tellement

        Qu’il en perde l’entendement

        Tant que son bon sens soyt osté ?

                        LE  IIIe  PÈLERIN

185  Y doibt faire94 de son costé,

        Pour éviter plus grans dangers.

                        LE  PREMYER  PÈLERIN

        Aussy messieurs les estrangers :

        Y sont tousjour[s] myeulx soutenus,

        Entretenus et bienvenus,

190  Mille foys plus que nos voésins

        Dans95 les pays circonvoysins.

        Désordre y est-el(le) pas ?

                        LE  IIe  PÈLERIN

                                                      Quoy donques !

        Je n’ay veu nul pays quelconques

        Où on leur face ce qu’on faict96.

                        LE  IIIe  PÈLERIN

195  Vous en voirez l’air sy infaict97

        Qu’en la fin en aurons dommage.

                        MALICE

        Or, achevons nostre voyage.

        Mais retenez tous ces notas98,

        Que Désordre est en tous estas99.

200  Sus ! récréons-nous un petit

        De chanter !

                        LE  PREMYER  PÈLERIN

                                  J’en ay apétit.

                        LE  IIe  PÈLERIN

        Et aussy, pour nous resjouir,

        Chantons !

                        LE  IIIe  PÈLERIN

                                Sus, faisons-nous ouïr !

                        Ilz chantent.

                        LE  PREMYER  PÈLERIN

        Sy j’estoys tout prest d’enfouyr100,

205  De joye seroys res[s]ucité.

                        LE  IIe  PÈLERIN

        Gectons hors toute a[d]versité !

                        LE  IIIe  PÈLERIN

        Gectons hors ennuy et soulcy !

                        LE  PREMYER  PÈLERIN

        Soulcy n’est que simplicité 101.

                        LE  IIe  PÈLERIN

        Gectons hors toulte advercité !

                        LE  IIIe  PÈLERIN

210  Chascun de nous soyt incité

        De chanter !

                        LE  PREMYER  PÈLERIN

                                 Je le veulx ainsy.

                        LE  IIe  PÈLERIN

        Gectons hors toulte advercité ! 102

                        LE  IIIe  PÈLERIN

        Gectons hors ennuy et soulcy !

                        MALICE

        Devant que vous partez d’icy,

215  Sy voirez-vous Désordre en poinct.

                        LE  PREMYER  PÈLERIN

        Chantons ! On ne la voullons poinct103 !

                        MALICE

        Qui commence et ne veult parfaire104,

        C’est mal faict. Voulez-vous pas faire

        Le voyage qu’avez emprins105 ?

                        LE  IIe  PÈLERIN

220  Nénin !

                        MALICE

                         Vous en serez reprins106 !

        Et maintenant, serez surprins

        De Désordre : vous [la voirez]107 !

                        LE  IIIe  PÈLERIN

        Sortez d’icy, car vous errez108 !

        Nous ne voulons poinct de Désordre,

225  Et [vous trouverez qu’on peult]109 mordre !

        Sus, sus, chantons myeulx que devant !        [Il chante :]

        Arière, vilain ! Avant 110, avant !

                        Ilz chassent Malice.

                                                                                           SCÈNE  III

                        LE  PREMYER  [PÈLERIN]  rentre, abillé en

                                                                     Désordre111, qui dict :

              Malice112 est embûchée

              Non pas [bien] loing d’icy.

230        El est mal embouchée :

              C’est sa nature, aussy.

              Mais tout incontinent,

              Chascun de nous labeure113

              — Sans estre impertinent —

235        De la gecter au feurre114 !

              Malice soyt cachée115

              D’entre nous sans mercy,

              Ou qu’el soyt esmouch[é]e116 !

              Sans faire demourée

240        On le voulons ainsy.

                        LE  IIe  PÈLERIN

        C’est bien dict ! Marchons sur la brune117,

        Et parlons des mengeurs de lune118,

        Qui119 ont mengé mainct bon repas

        Et ne séroyent marcher un pas120,

245  Synon « danser121 » aveq fillète.

        Ce sont ceulx qui Désord[r]e ont faicte

        Et f[er]ont tousjours. Mais argent

        Les maintient en leur entregent122.

        L’un saillet, l’aultre regibet123 ;

250  Mais ne vous chaille : le gibet

        Sonnera tousjours son bon droict,

        [Qui met les choses à leur droict.]124

        En prenant congé de ce lieu,

        Une chanson pour dire adieu !

.

                                        FINIS

*

1 Dans sa table des matières, le copiste va même jusqu’à nommer cette pièce Moralité.   2 Elle est devant la maison des trois Sots.   3 De malheur. Calembour sur les pèlerins d’Emmaüs, qu’on prononçait émo : « Au plus fort de mes maulx (…),/ Dieu, qui les pèlerins d’Esmaus/ Conforta. » Villon.   4 En dehors de la norme : être les seuls à ne pas suivre Malice.   5 Sortez de votre maison, ou j’y mettrai bon ordre.   6 Tiendrai (normandisme). Je combattrai pour Malice. Mais « tenir la lice » = se livrer à un combat érotique : « Petiz tétins, hanches charnues,/ Eslevées, propres, faictisses/ À tenir amoureuses lices. » Villon.   7 Je ne pourrais pas me retenir, m’en empêcher. C’est le vers 155 des Femmes qui font refondre leurs maris, avec le même sous-entendu grivois.   8 Les rôles de Badins, sortes de demi-fous, se distinguent des rôles de Sots : les Sobres Sotz confrontent 5 Sots et un Badin.   9 Si niais. Cf. les Botines Gaultier, vers 138 et 438. Mais beaucoup de Badins se nomment réellement Jénin : « Jénin-ma-Fluste, Badin. » Satyre pour les habitans d’Auxerre.   10 Que je ne fasse : au point de ne pas faire. La chuintante est normande : « Car encor que je fache une grande despense. » La Muse normande.   11 LV : milleur  (Au milieu.)  Que je ne vous dépasse tous.   12 Je compléterai tacitement les rubriques abrégées par le copiste.   13 Je renie Dieu si je manque.   14 Expédier rapidement. « Beau despescheur d’Heures, beau desbrideur de messes, beau descroteur de Vigiles. » Gargantua, 27.   15 Si je me fourvoie, si je me trompe de route.   16 LV : me  (Avant qu’on ne se mette en route.)   17 « Marchons et nous ostons d’icy ! » (Seconde Moralité.) Les pèlerins se mettent en route au rythme d’une marche militaire, qui n’a pas été conservée.   18 LV : le iie  (C’est Malice qui sait où se trouve Désordre, et qui propose d’aller en pèlerinage vers elle.)   19 Ce personnage allégorique est ici représenté par une femme. Le mot désordre était rarement féminin.   20 Peu m’importe, du moment que j’ai à manger.   21 LV attribue ces mots à Malice, alors que les refrains 28 et 34 tiennent en un seul vers.   22 LV : cens  (Ces = vos. « Faites ces mains chasser aux lièvres…./ Ployez ces genoulz. » Le Capitaine Mal-en-point.)   23 LV : desteurdre  (Il vous faut déployer vos bras et vos jambes.)   24 Aussi vite que l’eau qui coule.   25 Aussi vite qu’une hirondelle. Cf. Frère Frappart, vers 136.   26 Nous. Même normandisme aux vers 216 et 240.   27 À quoi elle ressemble. Double sens : convertie au protestantisme.   28 Je m’y connais.   29 Je connais les contrées.   30 Genre. « Esse à vous à congnoistre/ Que c’est que du féminin gerre ? » (Les Brus.) La sottie dénonce d’abord le désordre sexuel : les femmes règnent sur des hommes efféminés. François Ier vivait dans une mollesse tout italienne, dominé par sa favorite, Anne de Pisseleu, et surtout par sa mère, Louise de Savoie, qui fut plusieurs fois régente du pays. Voir la préface d’Émile PICOT : Recueil général des sotties, t. II, pp. 299-303.   31 Ni des bons buveurs. « Car y sont supos de Bacus. » Troys Galans et un Badin.   32 Les courtisans efféminés ne s’intéressent qu’aux culs. Jeu de mots sur « cocus ».   33 Il y a ici une lacune qui décrit le corsetage androgyne des courtisans. Je la comble grâce aux vers 425 et 426 des Femmes qui plantent leurs maris.   34 Ces chevaux de Barbarie. « Va tirer mon barbe de l’estable ! » (Godefroy.) Mais la plus célèbre barbe de l’époque était celle de François Ier ; voir la note d’Édouard FOURNIER : le Théâtre français avant la Renaissance, p. 407.   35 LV : senteurs  (« Hanteurs de tavernes. » Godefroy.)  Les chemins forains sont des chemins à l’écart où des homosexuels peuvent se rencontrer.   36 Ces frimeurs affublés de vêtements écarlates. « Deux paires de fines chausses, dont les unes sont de graine. » ATILF.   37 En rêne, en bride.   38 Un naïf ; cf. le Cousturier et son Varlet, vers 204. Un mimin est un sot ; cf. le Monde qu’on faict paistre, vers 189.   39 On appelait la sodomie le « péché désordonné ».   40 C’est mon avis. Idem vers 176.   41 Ce qui me fait enrager. Cf. le Temps-qui-court, vers 238.   42 Il a un cœur lâche. « Ung homme de laische couraige. » Régnault qui se marie.   43 LV : quil  (Celui qui se travestit.)   44 Désordre n’a-t-elle pas perverti l’Église ?   45 De la religion réformée. « Ceulx de religion s’estoient saisiz de la ville et tuent les catholicques. » Consulat de Lyon.   46 Son fief. « Il seroit moult bien digne de tenir région. » ATILF.   47 Les raconteurs d’histoires.   48 LV : y  (Pourquoi nous avons eu du mauvais temps cet été.)  En 1535, la pluie endommagea les récoltes, qui sont la richesse du pays : « L’année fut si pluvieuse, et furent les blédz et vignes coulléz. » Cronique du roy Françoys, premier de ce nom.   49 Maintenant que j’y pense. « Touteffoys, quant il me souvient. » Les Femmes qui se font passer maistresses.   50 Justice (autre personnage allégorique) n’a-t-elle pas emprisonné Désordre ?   51 Et comment donc ! Aujourd’hui, nous dirions : « Ben voyons ! » Idem vers 119 et 192.   52 Je veux parler de cela.   53 Qui s’en plaint, verbe douloir.   54 Se met en branle.   55 Il s’agit des paysans. « On a trouvé, en bonne politique, le secret de faire mourir de faim ceux qui, en cultivant la terre, font vivre les autres. » Voltaire.   56 Au Parlement.   57 Trompeuses. « Chose » était parfois masculin.   58 LV : son   59 LV : irite  (Être hérité de = Devoir supporter les conséquences. « Le mary ne faict que songier,/ Tant est hérité de soucy. » Les Ténèbres de mariage.)   60 Hors d’atteinte de ceux qui l’auront soumise.   61 Désordre ne se tient-elle pas dans le commerce ?   62 LV : quest elle   63 Que le commerce puisse obtenir le pardon.   64 Les duperies.   65 Se courrouce contre nous. « Je croy que Dieu soyt yrité/ De nos fais. » L’Avantureulx.   66 Il faut en finir.   67 Avant que vous ne vous sépariez de moi.   68 Désordre ne se fait-elle pas voir.   69 Désordre fait inhumer maint homme loin de chez lui. Allusion aux guerres d’Italie, où des Français meurent pour rien.   70 Rien du tout. Cf. le Pourpoint rétréchy, vers 409 et 568.   71 LV : ce  (Dans son cas il n’y a aucune excuse.)   72 La chose la plus pitoyable. Le scribe met ce vers entre deux +, comme il le fait quand il veut déplacer un vers.   73 Les plus secoués, malmenés. Cf. les Trois amoureux de la croix, vers 457.   74 Cassées. « À l’un faisoit voler le bras, à l’autre la teste. L’un tombe, une jambe avalée. » Claude Colet.   75 Guerroyer, au sens érotique. Cf. la Nourrisse et la Chambèrière, vers 338.   76 LV : a batre uin  (Boire du bon vin. « De bonne vendange : de bon vin. » Antoine Oudin.)  Dans le même sens, on disait également : « Abattre la rosée. »   77 Injure. Cf. les Sobres Sotz, vers 101.   78 Si on va faire la guerre aux luthériens. Cf. Thévot le maire, Perruche sa femme, et Colin Gendeguerre leur fils, lequel s’en va sur les Turcz.   79 Qu’ils ont intérêt à abjurer bien vite.   80 LV : la  (Par mon œuvre.)   81 LV : ses bronaulx  (Ces merdeux se repentiront d’être morts.)   82 Mettre sur pied une armée.   83 Déçus, bien attrapés.   84 Je verrais cela avec plaisir. « Je le verrois voluntiers ! » La Résurrection de Jénin Landore.   85 LV : faict  (J’ai vu Désordre régner sur les choses de l’amour. « Le mauvais exemple des désordres que nous y avons veu régner en nostre temps. » François Hédelin.)   86 « Elle est de nature maulvaise. » Les Femmes qui font refondre leurs maris.   87 Tremble de froid sous la fenêtre de sa belle.   88 Les amants ont coutume d’embrasser le heurtoir pendu à la porte de leur maîtresse. Cf. le Sermon pour une nopce, vers 176 et note.   89 D’attraper des engelures aux talons. Cf. les Sotz escornéz, vers 57.   90 Si ce n’est qu’il attrape une fièvre quarte.   91 Et en plus. Sous la chape de plomb que fut le règne de François Ier, même les Sots* hésitaient à s’exprimer : « Je le diroys bien, mais je n’ose,/ Car le parler m’est deffendu. » (Les Sobres Sotz.)  *Voir la note 48 du Jeu du Prince des Sotz.   92 LV : iie  (Le 1er Pèlerin termine sa phrase.)   93 Stupide (mot normand). « Ce grand bémy, ce sotelet. » La Veuve.   94 Il doit faire la même chose : être infidèle. « C’est tout un, s’il prend sa lifrée/ De son costé, et moy du myen. » Lucas Sergent.   95 LV : ne  (Mille fois mieux que nos proches voisins ne le sont dans les pays frontaliers de la France.)   96 Où on les traite si bien. Ce reproche vise les Italiens, qui se comportaient chez nous en arbitres des élégances. Les Sobres Sotz déplorent qu’en France, on laisse mourir de faim « le commun [l’autochtone], et non l’estranger ».   97 Vous verrez que l’air sera si infecté par les étrangers. « De telz gens, l’air en est infaict. » (Les Langues esmoulues, LV 65.) Les vers 187-196 sont d’une actualité brûlante.   98 Ces remarques.   99 A investi tous les domaines.   100 Si j’étais à l’article de la mort, près d’être inhumé. Cette chanson n’est pas connue.   101 LV : mendicite  (N’est qu’une preuve de simplicité d’esprit, de bêtise. « Mais ce n’est que simplicité/ D’y penser. » Livre d’Amours.)   102 LV intervertit les refrains 212 et 213 de ce triolet.   103 Nous ne voulons pas la voir. Le 1er Pèlerin s’esquive derrière le rideau de scène afin de se déguiser en Désordre.   104 Celui qui commence et ne veut pas achever.   105 LV : comprins  (Que vous avez entrepris. « Le saint voiage avez empris. » ATILF.)   106 Repris, blâmés. « Et jamais n’en serez reprins. » Les Vigilles Triboullet.   107 LV : le voieres   108 Vous faites erreur, vous déraillez. « On dit qu’errez contre la loy. » Jeu du Prince des Sotz.   109 LV : a la fin vous trouuers quon ne peul  (Et vous allez constater que nous pouvons mordre.)   110 LV : ariere  (Refrain de la chanson anonyme Et quant je suys couchée, publiée en 1532 : « Arière, villain ! Avant, avant !/ Je pleure et maulditz l’heure/ De quoy le villain vit tant. »)   111 Ce déguisement ne coûte pas cher : il suffit de créer du désordre dans ses habits et sa coiffure pour que les spectateurs comprennent le symbole.   112 LV : desordre  (D’après le vers 236, le pèlerin parle de Malice, qui se cache à proximité.)  Embûchée = embusquée.   113 Que chacun de nous s’évertue.   114 LV : vent  (Sur la paille d’un cachot. On dit aussi : « L’envoyer fouler le foin. » Les Premiers gardonnéz.)   115 Chassée (prononciation normande). « Ses ennemys/ Le cachoyent [le chassaient] à grans coups d’espée. » Le Poulier à quatre personnages.   116 Battue. « Pensons de courir/ Devant que quelc’un nous esmouche ! » (Godefroy.) On pourrait traduire émoussée : « Vitement qu’el soyt esmouquée ! » Les Langues esmoulues, LV 65.   117 À la tombée du soir. Cf. les Botines Gaultier, vers 538.   118 Des profiteurs. « Menger la lune à belles dens. » Les Sobres Sotz.   119 LV : quilz   120 Et qui ne sauraient faire un pas, car ils sont ivres.   121 Pour copuler. « À dancer dehors quelque ‟dance”,/ En esté, avec ces fillètes. » La Fille esgarée.   122 Dans leur familiarité avec les grands.   123 Tels des chevaux, l’un sautait, l’autre ruait.   124 Lui qui remet les choses en ordre. « Je suys Ordre,/ Qui mets les choses à leur droict. » (Le Monde qu’on faict paistre.) Notre copiste a remplacé le dernier vers par le distique dont il signe la plupart des pièces du ms. La Vallière.

RESJOUY D’AMOURS

Bibliothèque nationale de France

Bibliothèque nationale de France

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RESJOUY

D’AMOURS

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À défaut d’une farce drôle, nous avons là une drôle de farce. Son personnage principal, Réjoui d’Amour, porte un nom allégorique, mais pas les deux autres. La versification relève de la poésie lyrique, rhétorique ou mythologique, mais pas du théâtre populaire. Bernard Faivre1 résume : « On a un peu le sentiment qu’un érudit, en tout cas un homme de culture, s’est distrait à écrire une farce sans se préoccuper de trop près des nécessités dramaturgiques concrètes : à la fin de la pièce, Gaultier doit brûler tous ses meubles, ce qui n’est pas une réalisation théâtrale très aisée ! » Et Faivre conclut : « Nous avons ici une pièce où personne ne triomphe ; chaque protagoniste sort de l’aventure plutôt amer et dépité. »

Cette farce normande, écrite dans la première décennie du XVIe siècle, campe un procureur et un avocat ; elle pourrait donc être l’œuvre de la Basoche de Rouen, qui fut instituée en 1499 (v. la notice du Raporteur). Toutefois, on voit mal comment l’incendie final, même s’il était plus ou moins symbolique, aurait pu être simulé dans une salle close où la fumée n’était pas bienvenue. Mais nous savons que dans les Mystères, les créateurs d’effets spéciaux et les accessoiristes faisaient preuve d’une imagination qui nous laisse encore pantois.

Source : Recueil de Florence, nº 18.

Structure : Rimes fratrisées, abab/bcbc, rimes plates, pentasyllabes en aabaab/bbcbbc, refrains libres.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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Farce nouvelle
et fort joyeuse de

Resjouy d’Amours

qui révèle son secret à

Gaultier Guillomme, dont il

est mis ou sac aux lettres

de peur d’estre bruslay.

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À .III. personnages, c’est assavoir :

       RESJOUY  D’AMOURS

       GAULTIER  GUILLÔME

       TENDRETTE

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                        RESJOUY  D’AMOURS  commence 2        SCÈNE  I

        Je suis bien en amour3 parfaicte

        Parfaictement mis et assis,

        Assis en doulceur trèsparfaicte.

        Par4 faitz, par balades et ditz

5      Dictés de nobles contreditz,

        [Contre dix, motz je maniroye]5.

        Je m’en iroye moult envis6,

        Se envieux venoient en voye.

                        GAULTIER  GUILLAUME

        Plaisir est bien bon, au premier7.

10    Premièrement quant j’euz ma femme,

        Femme me sembloit ung rousier

        Arousay de si noble fame8.

        Affamé com ung vieulx limier9,

        Lymant10 tousjours en basse game11,

15    [Game essaieray]12 jusqu’au dernier.

        D’errénier13 va mal, sur mon âme !

                        RESJOUY

        Fait-elle ung petit de la Dame14 ?

                        GAULTIER

        Mais assez, de ce ne fais doubte.

                        RESJOUY

        Fait-elle bien la15 passeroute ?

                        GAULTIER

20    Mais trop, de par le dyable, trop !

                        RESJOUY

        Fait-elle bien le « sault », ung cop16 ?

                        GAULTIER

        Aussi plaisant17 comme beau frische.

                        RESJOUY

        Mais habille18 comme une bische ?

                        GAULTIER

        Mais large com ung vieil houzeau19 !

                        RESJOUY

25    Sçait-el bien faire le beaubeau20 ?

                        GAULTIER

        Tant [bien] que c’est chose incréable21 !

                        RESJOUY

        Fait-elle bien de la notable ?

                        GAULTIER

        C’est rouge feu !

                        RESJOUY

                                        Quel embrasée22 !

                         GAULTIER

        El a la gorgecte frazée23,

30    Ung corps faictis24, comme de cire25.

                        RESJOUY

        Aultre chose je ne désire.

                        GAULTIER

        À passer temps, toute saison,

        [Je] ne vueil qu’estre en ma maison :

        Ma vie sera là finée26.

35    C’est rouge feu !

                        RESJOUY

                                       Quel embrasée !

                        GAULTIER

        Touteffois, j’ay ung peu affaire27 :

        Contre elle, souvent, me fault taire ;

        C’est la condicion [la] pire.

                        RESJOUY

        Aultre chose je ne désire.

                        [GAULTIER]

40    Ung corps traictifs28, long, assez plain,

        Tétins rond[s], menuecte main,

        Une chair blanche comme naige.

        Pour belle femme je la plaige29.

                        [RESJOUY]

        Femme d’hommes30 prou désirée ?

                        GAULTIER

45    C’est rouge feu !

                        RESJOUY

                                      Quel embrasée !

                        GAULTIER

        C’est ung soulas31 !

                        RESJO[U]Y

                                            Quelle plaisance !

                        GAULTIER

        C’est ung souhait32 !

                        RESJOUY

                                                Quelle substance !

                        GAULTIER

        C’est ung désir !

                        RESJOUY

                                       Quel vray recours !

                        GAULTIER

        Ung trésor de bien !

                        RESJOUY

                                              Quel secours !

.

                        TENDRECTE,  femme de Gaultier,  commence.33

50    Femme qui est en bon estat                                       SCÈNE  II

        Et qui a mary gracieux,

        Qui ayme bien le doulx « esbat »,

        C’est ung trésor fort précieux34 :

        Car il n’est point, dessoubz les cieulx,

55    De si grant doulceur, quoy qu’on die.

        Jamais on ne doibt quérir mieulx.

                        RESJOUY 35

        (Vélà feu36, sans nul mocquerie !)

                        TENDRECTE

        Nul n’a rien, qui37 ne se marie.

                        RESJOUY

        (Quel beau mirouër à gallans38 !

60    Et a les yeulx estincellans39

        Comme la raye40 du soleil ;

        Je n’en pourroyes oster mon œil.)

                        TENDRECTE

        Ung plaisir assis en raison

        [Est] une excellente doulceur.

65    Qui fait avoir riche maison ?

        Ce fait amours [et] joyeux cueur.

        Car, pour obvyer41 à douleur,

        Femme doict estre gracieuse.

                        RESJOUY

        (Vélà, par mon doulx Créateur,

70    Une chose moult précieuse !)

                        TENDRECTE

        [Et] pour avoir femme à souhait,

        Suis-je bien ?

                        RESJOUY

                                  (Bien ? Vertu sainct Gris !

        Quel joliet musequinet42 !)

                        TENDRECTE

        Suis-je point pour gaigner le pris43 ?

75    Suis-je grossecte ? Suis-je gresle44 ?

        Suis-je bien faicte ? Suis-je belle ?

        Que dit-on en Court45, pour devis ?

        Suis-je bien46 ?

                        RESJOUY

                                     (Bien ? Vertu sainct Gris !

        Je meurs !)

                        TENDRECTE

                              Et mon chapperonnet ?

80    Est-il fait47, dessoubz, le soufflet ?

        Suis-je bien ?

                        RESJOUY

                                  (Bien ? Vertu sainct Gris !

        En point comme ung cheval sellay !

        Hélas ! que se j’avoyes meslay

        Mes billectes48 en ses factras,

85    Aujourd’huy, noz49 deux, bras à bras :

        Tout déduyt50 !)

                        TENDRECTE

                                      Couleur de pommecte

        Qui est ung bien peu vermeillecte,

        Assise en [auc]une blancheur51.

                        RESJOUY

        (Et ! par mon trèsdoulx Créateur !

90    Prenez52 que son fait ne me touche ;

        Pourtant, l’eau m’en vient à la bouche53

        Pour ung seul regard. Quel visaige !)

                        TENDRECTE

        Suis-je bien gencte de corpsaige54 ?

                        RESJOUY

        (Sy trèsgente qu’il n’y fault rien55.)

                        TENDRECTE

95    Mes habitz me si[é]ent-ilz bien ?

                        RESJO[U]Y

        (Si trèsbien que c’est ung plaisir !)

                        TENDRECTE

        Suis-je femme pour bien servir ?

                        RESJOUY

        (Servir ? Que fusse vo56 servant !)

                        TENDRECTE

        Suis-je bien, derrière et devant57 ?

                        RESJOUY

100  (Devant toutes suppellative58 !)

                        TENDRECTE

        Et vive telle femme, vive !

                        RESJOUY

        (Vive Dieu59 ! je meurs de douleur.

        Iray-je, par mon Rétempteur60 ?

        Il n’a rien, qui ne s’aventure61.

105  Hé ! sang bieu, quelle créature !

        Je m’y en voys62, bon gré ma vie !

        Jà couhard63 n’aura bel[le] amye.)64

.

        Vén[u]s, la déesse d’Amours,                                      SCÈNE  III

        Qui est des amoureux secours65,

110  Vueille garder la noble Dame !

                        TENDRECTE

        Et vous, sire !

                        RESJOUY

                                 Et ! sur mon âme,

        Palas a mis tout son povoir

        Pour66 de saigesse [vous] pourvoir,

        Espoir de noble secourance !

                        TENDRECTE

115  Ha, quel raillard !

                        RESJOUY

                                         Toute plaisance

        Et richesse dame Juno67,

        Sans arrester68 ne dire « ho ! »,

        Vous vueille, en [tout] bien, maintenir !

                        TENDRECTE

        Dieu vous vueille bien soustenir,

120  Et si, vous gard69 !

                        RESJOUY

                                          Hélas, m’amye !

        Alétho70, nourrice d’Envie,

        Soit71 mise à mort ! [Et] com on dit,

        Très supellatif72 appétit :

        Tout honneur !

                        TENDRECTE

                                   Voz motz sont haultains73.

                        RESJOUY

125  Ilz sont trèstous de plaisir taints ;

        Mais par leur droit, ilz sont infâmes :

        Je ne sçay saluer les Dames,

        Excusez l’imperfection.

                        TENDRECTE

        [Et] quel est vostre intention ?

                        RESJOUY

130  Seullement tout vostre gré faire.

                        TENDRECTE

        De cela vous povez bien taire74 !

                        RESJOUY

        J’ay tousjours sur vous mon regard.

                        TENDRECTE

        Vous venez ung petit bien tard75.

                        RESJOUY

        Je me tiens vostre serviteur.

                        TENDRECTE

135  Mectez en aultre76 vostre cueur !

                        RESJOUY

        Auray-je point, de vous, secours ?

                        TENDRECTE

        Faictes ailleurs aultres amours !

                        RESJOUY

        Seray-je de vous escond[u]it ?

                        TENDRECTE

        Encore n’estes-vous pas duyt77 ?

                        RESJOUY

140  Ayez pitié du compaignon !

                        TENDRECTE

        Je ne veulx point d’amoureux, non !

                        RESJOUY

        Vostre regard seul est ma joye.

                        TENDRECTE

        Advisez bien tost aultre voye,

        Becjaulne78 ! Où cuidez-vous estre ?

145  Advisez l’huis79 ou la fenestre,

        « Transsi d’Amours », ligièrement80 !

.

                        RESJOUY                                                 SCÈNE  IV

        Ha ! ventre bieu, quel parlement81 !

        On m’a baillié d’ung plat reffus.

        Je ne fus onc aussi camus82,

150  Ce cuyday-je, en mon vivant83.

        Je m’en ira[y], tout de ce vent84,

        Le dire à Gaultier Guillaume.85

.

        C’est la plus belle du royaume.                                    SCÈNE  V

                        GAULTIER

        Raige ?

                        RESJOUY

                       Raige.

                        GAULTIER

                                     Plaisir ?

                        RESJOUY

                                                     Plaisir ?

155  Ung grant désir !

                        GAULTIER

                                        Ung grant désir ?

                        RESJOUY

        Triumphe[r] !

                        GAULTIER

                                   Tu me dis merveilles.

        Dy tout !

                        RESJOUY

                           Unes joues86 vermeilles,

        C’est ung fait trèstout supernal87.

                        GAULTIER

        Tant, dea ?

                        RESJOUY

                              Trésor espécial88.

160  Ung tronc de vertus89, sur mon âme !

                        GAULTIER

        Qu’as-tu ?

                        RESJOUY

                             Quoy ? La plus belle femme

        Qui fut oncques depuis Hélainne,

        Une myne de beaulté plaine,

        Source de parfaicte nature ;

165  C’est la plus belle créature.

        Onc90 mon parler n’y ne peu[s]t souffire :

        Escripvain ne pourroit escripre

        Sa beaulté en quatre cens livres ;

        Elle poise plus, trente livres91,

170  Que femme qui fut oncques veue.

                        GAULTIER

        Comment l’as-tu si bien congneue ?

                        RESJOUY

        Congneue d’ung seul regarder.

                        GAULTIER

        Tu es fin92 hoste ! Sans tarder…

                        RESJOUY

        Tarder ? Je ne sçay que je dis.

175  Elle vous a ung si doulx rids93,

        Ung nez traictifs94, ung œil riant,

        Les doys tous plains de beaulx rubis,

        Le plus gentil museau friant.

        Elle est femme pour avoir pris.

180  Je suis de son amour espris95

        Si trèsfort qu’aller m’y convient.

                        GAULTIER

        Mais dis-tu à bon escient96 ?

                        RESJOUY

        Jamais ne puisse de vin boire

        S’el[le] n’est toute en mon mémoire97

185  Au plus parfond98 de ma cervelle !

                        GAULTIER

        Resjouy d’Amours, qui est-elle ?

                        RESJOUY

        Que je le die ? Pour mourir99 !

        Il m’y fault encore courir :

        Son regard est[e]int tous mes maulx.

190  Mais vélà : certes, se je faulx100,

        Je croy qu’il est fait de mon fait101.

.

        Dieu gard ce trésor, tant parfait                                  SCÈNE  VI

        Que nully ne le peut avoir102 !

                        TENDRECTE

        Qui vous [r]amaine cy103 ?

                        RESJOUY

                                                        Vous veoir.

                        TENDRECTE

195  Esse la cause ?

                        RESJOUY

                                    Pour certain.

                        TENDRECTE

        Que quérez-vous ?

                        RESJOUY

                                           Ung cueur humain.

                        TENDRECTE

        Pour quoy faire ?

                        RESJO[U]Y

                                         Pour me déduyre104.

                        TENDRECTE

        Que servez-vous105 ?

                        RESJOUY

                                                À vous106 conduyre.

                        TENDRECTE

        Aultre chose ?

                        RESJOUY

                                   Tant107 seullement.

                        TENDRECTE

200  Vuidez bien tost d’icy108 !

                        RESJOUY

                                                      Comment !

        Sans avoir…

                        TENDRECTE

                                  Quel « avoir » ?

                        RESJOUY

                                                               Déduyt109.

              Vostre amour me suyt

              De jour et de nuyt.

              Consommez le cas !

                        TENDRECTE

205        Comment tel feu cuist !

              Trop hault parler nuyst :

              Pour Dieu, parlez bas !

                        RESJOUY

              Et ! on dit tousjours

              Des propos d’amours

210        Que femme est piteuse110.

                        TENDRECTE

              Chacun a son cours.

              Vos motz sont trop lours111,

              A  bouche venimeuse.

                        RESJOUY

              [M’en] iray-je ainsi,

215        D’amours tout transsy,

              Sans secours avoir ?

                        TENDRECTE

              C’est peu de soucy.

                        RESJOUY

              Je vous cry mercy !

                        TENDRETTE

              C’est bon à sçavoir :

220        Vous faictes debvoir112.

        Mais je ne sçay pas du salaire.

                        RESJOUY

        Ha ! Fortune, tu m’es contraire113.

        Seray-je tousjours langoureux114 ?

                        TENDRETTE

        Hélas ! Entre vous, amoureux,

225  Vous estes si trèsbeaux parlans,

        Monstrans chières115 et beaulx semblans ;

        Et en derrière116, vous raillez.

                        RESJOUY

        Ha ! quelz fins metz117 vous me baillez !

        Railler, c’est à faire à raillars,

230  Railleurs remplis de raillerie.

                        [TENDRETTE]

        Quelz « raillars » ? Sont-ce pas « paillars » ?

        Ouy ! Et qui fait la raillerie ?

        Jamais, quelque chose qu’on die118,

        Bien n’en viendra, c’est fait notaire119.

                        [RESJOUY]

235  Secourez-moy, je vous en prie !

        Maintenant, il est nécessaire.

                        TENDRETTE

        Or çà, doncques ! Sans point distraire120,

        Se mon cueur à vous s’adonnoit,

        Certes, tout chascun le sçauroit,

240  Dont je seroyes trèspouvre lasse.

                        RESJOUY

        Ha, m’amye ! Que je da[i]ngnasse121

        En dire mot ? La mort, la mort

        Vouldroyes avoir !

                        TENDRETTE

                                         Aussi, grant tort

        Aurez de [le] faire aultrement.

245  Et de cest heure proprement,

        Ma seul[e] amour je vous octroye.

                        RESJOUY

        Grant mercis, le trésort de joye !

        De joye, tout le cueur me serre.

        Serray suis en noble monltjoye122,

250  Monltjoye123 de trèsnoble pierre,

        Pierre précieuse sans terre,

        Terre que nul n’a peu requerre.

                        TENDRETTE

        Au surplus, dictes, mon amy :

        Mis ay en vous tout mon espoir ;

255  Mais pensez que se mon mary

        Le sçavoit…

                        RESJOUY

                                 Oustez ce « sçavoir » !

        Jamais ung seul mot n’en sçaura.

        Tout aussi tost qu’il demour[r]a,

        Viendray124. Adieu, Turelupin125 !

260  Je hay, tant qu’est à moy, hutin126

        [Plus] que ne penseriez jamais,

        Croyez.

                        TENDRETTE

                         Aussi n’est-il que paix127.

                        RESJOUY

        Mais de l’eure il [nous] fault pourvoir.

                        TENDRETTE

        À quatre heures venez me128 veoir

265  — Entendez-vous ? — soit tort ou droit129.

.

                        RESJOUY                                                 SCÈNE  VII

        Je m’en vois, comment que ce soit130,

        À Gaultier Guillaume le dire.

.

        J’ay !                                                                           SCÈNE  VIII

                        GAULTIER

                      Quoy ?

                        RESJOUY

                                       Joye !

                        GAULTIER

                                                     Tu me fais rire.

                        RESJOUY

        Nect, nect !

                        GAULTIER

                                 Dieulx, que tu es joy[e]ux !

                        RESJOUY

270  Plaisamment !

                        GAULTIER

                                   Mais qu’as-tu, dea ?

                        RESJOUY

                                                                       Mieulx :

        Elle m’a desjà baillé l’eure.

        Il ne fault pas que je demeure,

        Ce seroit pour gaster mon fait131.

                        GAULTIER

        Beau sire, dy-moy, s’il te plaist,

275  Qui elle est.

                        RESJOUY

                                De cela, rien, [rien] !

        C’est une très femme de bien132,

        [Très]toute en beauté compassée133.

                        GAULTIER

        Esse point…

                        RESJOUY

                                   Qui ?

                        GAULTIER

                                                 J’ay en pensée

        La chose.

                        RESJOUY

                             N’est pas la « chosecte134 » ?

280  On la nomme, par nom, Tendrette135.

        Qu’il n’en soit mot136 ! Ou, sur mon âme…

                        GAULTIER

        (Ha ! par le corps bieu, c’est ma femme !)

                        RESJOUY

        Sa maison est de bas estage137 ;

        Et si138, est de trèsbel ouvraige,

285  Trèsplaisante, Gaultier Guillame139.

                        GAULTIER

        (Ha ! par le corps bieu, c’est ma femme !)

        Vous y demour[r]ez140, seurement ?

                        RESJOUY

        [Ouy], à quatre heures justement.

        Si141, s’en va Resjouy d’Amours.

                        GAULTIER

290  (On vous baillera d’aultres tours…

        Quel fin varlet142 !)

                        RESJOUY

                                            Je m’y en vois.

.

                        GAULTIER                                              SCÈNE  IX

        Vous aurez visayge de bois143,

        Par sainct Jacques, maistre putier !

.

                        RESJOUY 144                                          SCÈNE  X

        Où est-il ?

                        TENDRETTE

                               Il fait son mestier.

295  Faisons grant chière145, je vous prie !

                        RESJOUY

        Je vous requier, [ma] chière amye,

        Ung baiser pour commencement.

                        TENDRETTE

        Trois pour ung146 !

                        RESJOUY

                                            De l’odorement147

        Seullement, c’est feu, sur mon âme !

.

                        GAULTIER 148                                        SCÈNE  XI

300  Ouvrez l’huys !!

                        TENDRETTE

                                      Hélas, Nostre Dame !

                        RESJOUY

        Qui esse ?

                        TENDRETTE

                               Hélas, Resjouy,

        C’est mon mary.

                        GAULTIER

                                      Sus, tost !!

                        RESJOUY

                                                            Est149 ?

                        TENDRETTE

                                                                              Ouy.

        Que ferez-vous ?

                        RESJOUY

                                         Je suis perdu !

        Mais pourquoy y suis-je venu ?

305  C’est ma fin ; aussi devoit estre.

                        GAULTIER

        Qu’esse-cy ? Seray-je point maistre ?

        Viendra-on point ?

                        TENDRETTE

                                           Tant150 que je puis !

                        GAULTIER

        Par le sang bieu, je rompray l’huis !

                        RESJOUY

        [Hé]las, que je fusse en ung lac151 !

                        TENDRETTE 152

310  Tenez, mectez-vous en ce sac

        Acoup : il ne vous verra point.

                        RESJOUY

        Il me viendra trèsbien à point153 ;

        Ostez les lettres !

                        TENDRETTE 154

                                         Tout est hors.

                        RESJOUY 155

        Mettre y fault [la] teste et [le] corps.

315  Adieu Resjouy : il est mort.

                        TENDRETTE

        Taisez-vous !156

                        GAULTIER

                                     Çà !

                        TENDRETTE

                                                 Vous avez tort !

        Sçavez-vous ung petit attendre157 ?

                        GAULTIER

        Je pry à Dieu qu’on me puist pendre

        S’il n’y a ung gallant céans !

320  Je bouteray le feu dedens :

        S’il y est, je le sçauray bien,

        Mort bieu !

                        TENDRETTE

                                Certes il n’en est rien.

                        GAULTIER

        Par le sang bieu ! je l’ay ouÿ.

                        RESJOUY

        (Or, à Dieu command158 Resjouy.

325  Je suis bien cy tenu de plat.)

                        GAULTIER

        Qu’esse que j’os159 ?

                        TENDRETTE

                                               C’est nostre chat.

                        GAULTIER

        J’ay bien fait, dessus vous, escout160.

                        TENDRETTE

        Et ! laissez !

                        GAULTIER

                                Je brûleray tout :

        Bancs, huches, coffre[s] et fenestres !

                        TENDRETTE

330  Pour Dieu, gardez161 le sac aux lettres !

                        GAULTIER

        Me fera-on chausser les guestres

        Jaques Bonhomme162 ?

                        TENDRETTE

                                                   Nostre Dame !

        [Me faictes-vous si trèsgrant blasme ?]163

        Pour Dieu ! gardez le sac aux lettres,

335  Mon amy : c’est nostre chevance164.

                        GAULTIER

        Et ! je feray [rendre sentence]165,

        C’est tout certain : il n’y a tel166.

                        TENDRECTE

        Jhésus !

                        GAULTIER

                          Ostez-le de l’hôtel167

        Ou, certes, tout je brusleray !

                        TENDRECTE

340  Atendez, je l’e[n] osteray,

        Mon amy. Et pensez à vous168 !

                        GAULTIER

        Je cuidoye bien estre coux169 ;

        Toutesfois, je n’y voy personne.

        Le grant courroux que tu me donne

345  Me fait pis !

.

                        TENDRECTE 170                                    SCÈNE  XII

                                Allez-vous-en tost !

                        RESJOUY

        Je sents desjà ung peu le rost171.

        Adieu, je n’y reviendray plus !

        Et ! par mon âme, je concluds

        [Qu’oncques follie ne feray-je]172

350  D’aller veoir femme[s] en mesnaige173.

                        [TENDRECTE]

        Adieu, Resjouy, pour jamais !

.

                        GAULTIER                                              SCÈNE  XIII

        Certes, je ne suis point en paix.

        Je ne cuidoyes point, sur ma foy,

        Qu’il n’y eust174 quelq’un avec toy,

355  Se le grant dyable ne t’emporte(s) !

                        TENDRECTE

        J’aymeroyes plus cher175 estre morte,

        Gaultier, qu’il176 me fust advenu !

                        GAULTIER

        Onc177 homme ne fut mieulx tenu,

        Tout seurement, qu’il eust estay.

                        TENDRECTE

360  (Le meschant, il s’est bien gastay178 :

        Quant il a eu la belle dame,

        Il l’a dit à Gaultier Guilla(u)me.

        Tenez, quel noble serviteur !

        Il ne sçauroit garder l’honneur

365  À une femme de fasçon179.)

.

                        RESJOUY                                                SCÈNE  XIV

        À Dieu command le compaignon180 !

        Je suis trèsbien à point party.

        Sur ma foy ! j’estoye [jà rousty]181,

        Se Tendrecte ne m’eust ostay ;

370  Et [si, j’]eusse estay bien frotay182 !

        Aussi ay-je fait meschamment183 :

        C’estoit la femme proprement

        Ad cil à qui mon cas disoye184.

.

                        GAULTIER                                              SCÈNE  XV

        Ce n’est pas ce que je cuidoye.

375  Sus avant, allons-m’en disgner185 !

        Aussi, le grant dyable d’Enfer

        M’a bien fait faire cest ouvrage186.

                        TENDRETTE

        Vous avez brûlay le mesnaige :

        N’esse pas grande mesch[é]ance187 ?

                        GAULTIER

380  Vélà : j[e n’]estoie en doubtance188

        De faire maulvaise besongne.

.

        Mais vélà, qui qu’en grongne,

        Nous en allons sans plus d’eslongne189,

        Mes seigneurs. Pour laquelle chose,

385  Nous vous prions [bien] tendrement

        Que vostre vouloir se dispose

        À nous pardonner plainement.

        Jalousye, certainement,

        Faict parfaire maincte follie.

                        TENDRETTE

390  J’ay joué190 assez finement.

        Adieu toute la compaingnie !

.

                                         EXPLICIT

*

1 Répertoire des farces françaises, 1993, pp. 377-9.   2 Cet avocat discute au Palais de justice avec son ami Gautier Guillaume, qui est procureur. Le début aligne péniblement des rimes fratrisées qui sacrifient le sens à la forme ; l’imprimeur n’y a rien compris, et les corrections que je propose valent ce qu’elles valent.   3 Ce mot est féminin, comme au vers 246.   4 F : Fais  (Par mes actes. « Autant par dict comme par faict. » Le Trocheur de maris.)   5 F : Contredit ie men iroye  (Contre dix adversaires, je manierais des arguments rhétoriques. C’est un avocat qui parle.)   6 Bien malgré moi. Cf. le Chauldronnier, vers 86. « I-rai-e » compte pour 3 syllabes.   7 Au premier abord. Cf. les Gens nouveaulx, vers 274.   8 F : femme  (À la rime. « De vous, partout, court si très noble fame/ Qu’on ne vous puet, c’est bien chose informée,/ Assez louer, ma redoubtée dame. » Christine de Pizan.)  Un rosier arrosé d’une si bonne réputation.   9 Affamé de sexe comme un grand chien. En général, le violeur est un loup : « –Nous aurons voz deulx brus par force !/ –Vous mentirez, loups affamés ! » Les Brus.   10 Exécuter un mouvement de va-et-vient. Ce verbe possède encore le même sens libre : cf. le Dictionnaire érotique de Pierre Guiraud, p. 418.   11 En bas étage. Désigne le bas-ventre d’une femme, tout comme les basses marches, la basse contrée, la basse cour, la basse cheminée, la basse bouche, etc.   12 F : Gamay seray  (J’essaierai ma gamme jusqu’à la dernière note : je tirerai le maximum de mon « instrument ».)  La « gamme », ou la « naturelle gamme », est en rapport avec le coït : « Une belle femme/ Qui appétoit le ‟bas mestier”/ En faisant recorder sa game. » Repues franches.   13 De me casser les reins, de devenir impuissant. « (Ce lévrier) couvrit toutes les chiennes du pays, [lui] qui auparavant estoit esréné et de frigidis et maleficiatis [impuissant]. » Gargantua, 42.   14 Ton épouse joue-t-elle un peu à la grande dame ?   15 F : le  (L’insurpassable. « Car entre les hommes parfaictz,/ Cestuy-cy est la passeroute. » Godefroy.)   16 Un coup. Faire le saut = se faire sauter : « Il luy tarde/ Qu’el face le sault Michelet. » Guillaume Coquillart.   17 F : pesant  (Aussi agréable à voir qu’une friche, qu’un terrain vague. « En ung beau frische descouvert. » ATILF.)   18 Est-elle habile. La biche est une fille légère : cf. le Faulconnier de ville, vers 305 et 331.   19 On compare les vagins trop larges à de vieilles bottes. Cf. les Cris de Paris, vers 111-3.   20 Des aboiements contre toi. « Le mastin du logis commence à abbayer, et avec son baubau appelle son maistre. » Godefroy.   21 Incroyable.   22 F : embrassee  (Je corrige la même faute aux refrains 35 et 45.)  Quel embrasement !   23 La poitrine polie. « Mon tendron, ma gorge frazée ! » Raoullet Ployart.   24 Bien fait. « Vous avez le corps tant faictifz. » Les Coppieurs et Lardeurs.   25 Comme s’il était modelé dans de la cire. « Elle vous a ung corps tant gent,/ Et est faicte comme de cire. » Serre-porte.   26 S’achèvera là. « Vi-e » compte pour 2 syllabes.   27 J’ai un peu de tracas.   28 Bien tourné. Idem vers 176. « Ce corps traitif, ces rains toufus. » Les Mal contentes.   29 Je te la garantis.   30 F : comme  (Fort désirée par les hommes.)   31 Un plaisir.   32 F : sorcier  (C’est ce que nous souhaitons tous.)   33 Elle est chez elle et se contemple dans un miroir, devant sa fenêtre ouverte. Une « farce des amoureux » intitulée Tendrette est nommée au vers 266 des Vigilles Triboullet (~1458).   34 F : gracieux  (À la rime.)   35 Il passe devant la fenêtre ouverte, et se fige en découvrant Tendrette. Sans être vu ni entendu, il commente ce beau spectacle.   36 Nous dirions : Elle jette des flammes ! Dans son édition* de cette farce qui s’achève en incendie, Jelle Koopmans a relevé un nombre étonnant d’allusions au feu : vers 28, 57, 205, 299, 320, auxquelles j’ajouterai le vers 180.  *Le Recueil de Florence, Paradigme, 2011, pp. 273-283.   37 S’il. La formule courante est : Nul n’a bien.   38 Quel miroir aux alouettes pour attirer les jolis cœurs.   39 F : tiucellans   40 Les rayons.   41 F : obayer  (Pour parer. « Pour obvier à la surprise. » Pour le Cry de la Bazoche.)   42 Petit museau, minois. Cf. le Faulconnier de ville, vers 278.   43 Le prix de beauté. Idem vers 179.   44 Suis-je trop grosse, ou trop maigre ?   45 F : cueur  (À la Cour de justice, où le mari de Tendrette est procureur.)  On retrouve cette question proverbiale dans la Satyre pour les habitans d’Auxerre : « –Que dict-on en Court ? –Qu’on y dit ? »   46 F répète : en cueur pour deuis / Quen dit on   47 Gonflé. Le bourrelet du chaperon est creux. « Çà, mectez-moy mon chapperon !…/ Il va abatre le soufflet,/ Et il deust estre plain de vent. » Le Povre Jouhan : la coquette de cette farce a beaucoup de points communs avec la nôtre.   48 brmbrectes  (Mes testicules. « Ces fillettes/ Qui ayment le jeu des billètes. » Sermon pour une nopce.)  Les fatras sont les parties cachées des femmes : « S’elz ne monstrent tout le fratras. » Les Sotz qui corrigent le Magnificat. Guillaume Coquillart baptise une prostituée « Olive de Gatte-fatras ».   49 Nous (forme normande). Bras à bras = enlacés : cf. le Povre Jouhan, vers 147.   50 Que du plaisir !   51 Trônant sur une joue blanche.   52 Admettons.   53 F : mouche  (« La salive me vient en bouche :/ Baisez-moy ! » Le Povre Jouhan.)   54 De corps. « De beau corsaige. » Le Povre Jouhan.   55 Qu’il n’y manque rien. Cf. le Pourpoint rétréchy, vers 99.   56 F : vostre  (Apocope normanno-picarde du pronom votre. « La main dans vo pouquette [dans votre poche]. » La Muse normande.)  Que je sois votre servant !   57 « –Assez belle estes par-devant,/ Mais le derrière gaste tout…./ –Suis-je bien ? » Le Povre Jouhan.   58 Supérieure à toutes les autres.   59 F : cueur  (« Vive Dieu ! je feray cecy. » La Somme des péchéz.)   60 Mon Rédempteur = mon Dieu.   61 Celui qui ne prend pas de risques. Sur ce vers proverbial, voir la note 3 de la Mère de ville.   62 J’y vais. Idem vers 266 et 291.   63 Jamais un peureux. L’auteur s’inspire de la farce du Dorellot : «  homme couart/ N’acquerra jamais belle dame./ Iray-je ? Et ouy, sur mon âme :/ Il n’a rien, qui ne s’adventure. » Mais il se souvient également d’un proverbe dont le théâtre fit ses choux gras : « Jà couart n’ara belle amie,/ Car il ne la saroit garder. » Mystères de la procession de Lille.   64 Réjoui d’Amour entre chez Tendrette.   65 Qui est le secours des amoureux.   66 F : De vous  (Pallas Athéna, déesse de la sagesse, est surtout invoquée par les fous : cf. les Sotz escornéz, vers 261.)   67 Junon, l’épouse de Jupiter.   68 F : marrester  (Sans tarder. « Vien tost à moy sans arrester ! » Mahuet.)  Sans dire « ho ! » : sans dire « stop ! » au cheval.   69 Et aussi, qu’il vous garde !   70 Alecto est l’une des Érinyes.   71 F : Est   72 Superlatif, supérieur. Idem vers 100.   73 Trop hauts, trop nobles.   74 Vous feriez mieux de vous taire. « Il s’en peult bien taire ! » Pates-ouaintes.   75 Un peu trop tard, car je suis mariée. Ou bien : car j’ai fini de m’habiller.   76 Dans une autre femme.   77 Instruit de mes volontés.   78 Béjaune, blanc-bec.   79 Prenez la porte, fichez le camp ! « Avisez l’huys de la maison ! » Les Sobres Sotz.   80 F : liguerement  (Rapidement.)  Tendrette parodie le nom de son adorateur ; d’après le vers 301, elle connaît ce nom. Mais voir le vers 215. Réjoui d’Amour s’enfuit.   81 Quel discours. Cf. les Femmes qui se font passer maistresses, vers 32.   82 Penaud. Cf. Gautier et Martin, vers 156.   83 Dans toute ma vie. Cf. l’Aveugle et le Boiteux, vers 23.   84 Les marins disaient aussi « tout d’un vent », ou « tout d’un mesme vent ».   85 Réjoui d’Amour retourne au Palais de justice.   86 Une paire de joues. « Unes joues rondes et vermeilles. » G. Coquillart.   87 Supernel, suprême.   88 Parfait. F ajoute dessous une réplique de Gaultier : Comment   89 Nous dirions : c’est un dragon de vertu.   90 F : Que  (Jamais ma parole ne pourrait suffire à la dépeindre.)   91 Elle vaut 30 livres de plus.   92 F : ung  (Tu es un malin. « Ma foy, que tu es ung fin hoste ! » Les Enfans de Borgneux.)   93 Ris : rire.   94 Bien dessiné. « Elle vous a uns yeulx petis,/ Ung nez mignot assez tratis. » (La Pippée.) « Les yeulx rians, le nez traitifz. » (Les Coppieurs et Lardeurs.)   95 F : surpris  (Enflammé. « Qui est si fort d’amour espris. » Poncette et l’Amoureux transy.)   96 Parles-tu sérieusement ? Cf. les Femmes qui plantent leurs maris, vers 542.   97 Ce mot était parfois masculin : cf. le Pourpoint rétréchy, vers 317 et note.   98 Profond.   99 Plutôt mourir ! Cf. le Chauldronnier, vers 53 et note.   100 F : fault  (Si j’échoue. Cf. la Mère de ville, vers 27.)   101 C’en est fait de mes projets. Réjoui d’Amour quitte le Palais de justice et entre chez Tendrette.   102 F : scauoir  (Que nul ne peut l’avoir.)   103 « Las ! mon amy, qui vous ramaine ? » Frère Guillebert.   104 Pour y prendre du plaisir.   105 F : scauez vous  (Quel est votre métier ? Tendrette vérifie si son prétendant aura les moyens de l’entretenir : cf. le vers 221.)   106 F : nous  (À vous conseiller dans votre intérêt. Les plaignantes de Jehan de Lagny embauchent un avocat : « Messire Jehan Virelinquin/ Est bien homme pour nous conduyre. »)   107 Cela.   108 Videz les lieux, allez-vous-en ! « Se ne vuidez d’icy bien tost. » Le Mince de quaire.   109 Du plaisir.   110 Que les femmes prennent en pitié les mots d’amour.   111 F : cours  (« Pardonnez-moy si mes motz sont trop lourdz. » Clément Marot.)   112 Votre devoir d’amoureux.   113 « Fortune, tu m’es bien contraire. » Les Gens nouveaulx.   114 Atteint de langueur, malheureux. « Ne suis-je pas bien langoureux,/ D’avoir esté si amoureux/ D’une femme qui tousjours pette ? » Poncette et l’Amoureux transy.   115 Faisant bonne figure.   116 Derrière notre dos.   117 Peut-être faut-il lire motz : quels mots caustiques.   118 F : crie  (Voir le vers 55.)  Quoi qu’on en dise. « Ma foy, quelque chose qu’on dye. » Les Femmes qui font escurer leurs chaulderons.   119 C’est un fait notoire.   120 Sans qu’on s’écarte du sujet.   121 Que j’ose.   122 Dans un bonheur suprême.   123 Un tas. Cf. le Pèlerinage de Mariage, vers 197.   124 F : Venir  (Dès que votre mari restera à son travail, je viendrai.)   125 Un turlupin est un religieux hypocrite : cf. la Pippée, vers 441. Ici, nous avons sans doute un refrain de chanson.   126 Quant à moi, je hais le grabuge.   127 Il n’y a que le silence qui importe.   128 F : pour   129 D’une manière ou d’une autre. Cf. l’Aveugle et Saudret, vers 784.   130 Je vais, quoi qu’il en soit. Réjoui d’Amour retourne au Palais.   131 Paraphrase de deux expressions convenues. 1) Les nourrices paresseuses disaient : Cela risquerait de gâter mon lait. 2) Les femmes enceintes disaient : Il ne faut pas gâter mon fruit. Cf. Sœur Fessue, vers 213.   132 « C’est une très-femme de bien. » Estienne Tabourot, Apophtegmes.   133 Façonnée harmonieusement. « Dame en qui compassée/ Sera beauté. » ATILF.   134 Ne penses-tu pas plutôt à la bagatelle, au coït ? Cf. l’Aveugle et Saudret, vers 234 et note.   135 L’auteur oublie que Tendrette n’a pas dit son nom, à moins que des vers n’aient disparu.   136 N’en parle pas.   137 Est de plain-pied.   138 Et pourtant.   139 F : guillome  (La rime normande est en -ame, comme à 362. Cf. le Ribault marié, vers 298 et note.)   140 Vous resterez dans sa maison, elle et toi ?   141 Aussi.   142 F : varler  (Quel sournois ! « Tant il y a de fins varletz ! » Jeu du Prince des Sotz.)   143 « Visage de bois : la porte fermée. » (Antoine Oudin.) Dans un dialogue de l’Escole des femmes tout à fait similaire au nôtre, Molière dira : « La porte au nez ! »   144 Il entre chez Tendrette, et lui demande où est son mari.   145 Lorsqu’un amant va chez sa maîtresse, les réjouissances débutent par un banquet bien arrosé : « Car j’ey préparé le banquet :/ Récréon-nous, faison grand chère ! » (Lucas Sergent.) Mais « grand chère » désigne aussi les plaisirs de la… chair : « Chagrinas vous fait-il grant chère ? » (Chagrinas.) À l’origine, ce vers et le suivant étaient disposés ainsi : « –Je vous prië, faisons grant chière./ –Je vous requier, m’amyë chière… » J’en veux pour preuves les vers 43 et 45 de Frère Frappart, et les vers 86 et 87 du Testament Pathelin.   146 Je vous en rendrai trois quand vous m’en donnerez un. Le couple s’embrasse.   147 Le parfum de vos baisers.   148 Il cogne contre la porte, qui est fermée de l’intérieur. Bien entendu, cette porte est aussi symbolique que l’incendie final.   149 C’est lui ?   150 Aussi vite.   151 Si je pouvais être dans un lac plutôt qu’ici !   152 Elle attrape un grand sac de toile. Les hommes de loi — et donc les procureurs — y fourrent leurs papiers : cf. le Testament Pathelin, vers 10, 28, 41, etc. Entre autres paperasses, lesdits sacs contiennent des lettres : « Vous ne chanteriez que de sacz/ Et de lettres. » Le Testament Pathelin.   153 Ce sac vient à point nommé.   154 Elle vide le sac. Les lettres de procuration jonchent le sol, et c’est elles que Gautier Guillaume, aveuglé par la jalousie, va flamber.   155 Il entre dans le sac. Voir la note 150 du Villain et son filz Jacob.   156 Elle ouvre la porte à son mari.   157 Ne pouvez-vous pas attendre un peu ?   158 F : comment  (Je recommande à Dieu. Voir le vers 366.)   159 Que j’ois, que j’entends. Gautier a perçu les plaintes de Réjoui d’Amour.   160 Je vous ai bien écoutée, quand j’étais derrière la porte. « Je suys en escoust. » (Le Monde qu’on faict paistre.) Gautier prend une boîte d’allumettes ; son épouse tente de la lui arracher.   161 Prenez garde, épargnez.   162 Nom générique des paysans qui se laissent piller : « Je souhaite, dessus Jacques Bon-homme,/ Vivre de hait. » (Les Souhaitz du Monde.) Les paysans ne protégeaient pas toujours leurs sabots avec des guêtres ; il serait donc plus judicieux de lire « les guêtres d’un gentilhomme » : « Ne porte-il pas bien la guestre/ Pour estre ung vaillant gentilhomme ? » (Légier d’Argent.) Auquel cas, l’expression signifierait « être cocu », partant du principe que dans les farces, les nobles le sont bien souvent : cf. le Gentil homme et Naudet, le Poulier à sis personnages, etc. Mais il y eut peut-être une farce des Guestres Jaques Bonhomme, qui ferait pendant à celle des Botines Gaultier.   163 Vers manquant. J’emprunte le vers 142 des Queues troussées.   164 F : cheances  (Notre gagne-pain. « Mon or, mon argent, ma chevance. » Ung jeune moyne.)   165 F : tout une dance  (Je vous ferai condamner par un juge. Les Basochiens raffolent des sentences : « Vous rendre la sentence au poing. » Pour le Cry de la Bazoche.)   166 Il n’y a rien de tel. Cf. Jolyet, vers 20.   167 F : lothel  (Ôtez le sac de la maison.)   168 Pendant qu’il fera attention à lui, le mari ne fera pas attention à ce que fait son épouse.   169 Cocu. Cf. le Pourpoint rétréchy, vers 769 et 838.   170 Elle traîne le sac dans la rue, l’ouvre, et en fait sortir son amant.   171 Je sens le rôti.   172 Vers manquant. « C’onques folie ne fis. » Roman des Sept Sages.   173 Mariées.   174 Qu’il n’y ait pas. Les deux négations s’annulent, comme aux vers 317-8 du Gallant quy a faict le coup. On doit donc comprendre : Je pensais qu’il y avait quelqu’un avec toi.   175 J’aimerais mieux. Cf. l’Aveugle et Saudret, vers 859.   176 Plutôt que ce déshonneur.   177 F : Que  (Jamais. « Onc homme ne fut mieulx souillié. » Les Coppieurs et Lardeurs.)   178 Réjoui d’Amour s’est bien compromis.   179 De qualité. « Vous estes femme de façon. » Les Femmes qui aprennent à parler latin.   180 Je me recommande à Dieu. Voir le vers 324   181 F : a roussy  (« Je suis jà demy rousty. » Pantagruel, 14.)   182 Et aussi, j’aurais été frotté par le bâton de Gautier. Cf. la Laitière, vers 200.   183 J’ai agi maladroitement.   184 À celui auquel je racontais mon affaire.   185 Allons dîner à la taverne.   186 Cet incendie. Ou cette farce.   187 Un grand malheur.   188 Je ne pensais pas.   189 Sans plus de tergiversations. Le congé s’adresse au public masculin de la Basoche.   190 F : iouye

MAISTRE JEHAN JÉNIN

Recueil Trepperel

Recueil Trepperel

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MAISTRE

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JEHAN  JÉNIN

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Beaucoup de farces raillent des fils de paysans qui s’évertuent à bafouiller du mauvais latin pour devenir papes ou cardinaux. Jehan Jénin est parvenu — grâce à des professeurs et des examinateurs aussi nuls que lui — à boucler des études labyrinthiques qui ont transformé ce lourdaud en fou : il ne peut plus distinguer la science de la superstition.

Cette farce de collège fut écrite en Normandie peu après 1510.

Source : Recueil Trepperel, nº 32.

Structure : La plupart du temps, les rimes ne sont que des assonances.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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*

Farce nouvelle de

Maistre Jehan Jénin

Composée de la comette de Flandres

et des songes de sa mère.

[ Maistre Jehan Jénin,

vray ]1 prophète.

*

À deux personnages, c’est assavoir :

       LA  MÈRE  [Jaquette]

       et son filz,  MAISTRE  JEHAN  JÉNIN.  Et ségnéfie les songes sa mère2.

*

                        SA  MÈRE  commence 3                          SCÈNE  I

        Las ! mousieur4 maistre Jehan Jénin,

        Mon doulx filz, mon petit musequin5,

        Mon goguelu6, toute ma joye :

        Où est-il ? Se je le tenoye,

5      Mon cueur seroit tout consolé.

        Las, Dieu ! Où pourra-il boute[r]

        Sa science, cest enfant-là ?

        Il en est tout plain, hault et bas,

        Puis7 la teste jusqu(es) au[x] talons.

10    Je ne sçay comme le pouvre8 homs

        N’a crevé parmy sa boudine9.

        De trologie10 et merdecine,

        Il en scet ce qu’il est possible11.

        [Et] il a tourné, de sa bible,

15    Tous les fueille[t]z bien quatre fois12.

        Et si, a [leu trois]13 fois les Lois.

        Dame ! il se boute tant parfond14

        Que l’on ne peult trouver le fons

        En la science où il se boute.

20    Je doubte15… Je doubte… Je doubte

        Et crains fort, maistre Jehan Jénin,

        Qu’il ne soit fol, en la parfin16.

        Il scet ses Ars relibéraust[z]17,

        Et tout au long [ses Daudrinaulx]18,

25    Ses Principes19, ses Bucquenicles20,

        Et son Chaton21, et sa musicle :

        Son ré my fa joucque22 au plus hault.

        Tredille ! latin [n]e luy fault23.

        Tant chante hault son my fa la,

30    Il fait tout trembler çà et là.

        Quant il veult décliner sa voix,

        Ma foy, il feroit24 plus, trois fois,

        Que les docqueteurs de Paris25.

.

                        MAISTRE  JEHAN  JÉNIN 26              SCÈNE  II

        Que mon esp[e]rit est ravy27

35    (Bénédicité Dominus28)

        Que Flandrions [cauda eius]29

        Dieu ! je ne sçay [plus] où je suis ;

        [Et j’ay tel soif que plus n’en puis,]30

        Tant spécule parfondément,

40    De mon agu31 entendement,

        Cométa septentrionis32.

        La comette où je m’estudie33

        A34 ses significations :

        Elle[s] monstrent35 que les oysons

45    De Flandres menront36 les oy[e]s pestre.

        Et l’on donneroit à leur maistre,

        À taster37, d’ung bordeaulx38 d’Espaigne.

        Et qu(e) une vache auroit grant peine

        À veller deux veaux en ung coup.

50    Et que j’aurois trois fois la toux39

        Et la foire avant que mourir.

        Et qu(e) une souris40 fait son ny

        Dens41 le lit ma mère, de feure.

        Et que ceste année, le beure

55    Sera moult [cher, aussi moult fade]42.

        Ma mère mourra bien malade43 :

        N’esse pas terrible besongne ?

        Pour bien entrepéter44 ung song[n]e,

        Je suis maintenant ung prophète.

60    On peult bien congnoistre à ma teste

        Que je suis grant homme de sens45,

        Et fais de l’honneur largement

        À ma mère. Or çà ! que diront46

        Les voisins, quant ilz me verront ?

65    Dieu ! le curé n’aprochera

        D(e) une lieue, quant [il] me verra

        Sur mes patins47 si hault monté,

        [Où] je tiendray bien gravité48.

        [Le gibet le puist]49 corrigier !

70    Mais50 qui m(e) osera approcher,

        Puisque je suis digne prophète ?

        Ma mère, ferez51 grosse feste.52

.

        Ha ! ma mère, n’aprochez53 point !                           SCÈNE  III

        Dieu vous gard, ma mère, de loing !

                        LA  MÈRE

75    Mon doulx filz…

                        FILIUS 54

                                         A ! vieille dannée55,

        Si vous n’estes bien confessée,

        Ne me touchez ! Je suis prophète.

        Dea ! regardez bien que56 vous faictes.

        À qui vous cuidez-vous jouer ?

                        LA  MÈRE

80    Prophète, mon filz ?

                        FILIUS

                                             Sans doubter.

                        LA  MÈRE

        Mon filz, mon enfant, ma substance :

        Pardonnez ma povre ignorance !

        Pas ne sçavois la dignité57.

                        FILIUS

        Dame ! si vous m’eussiez touché,

85    Les ongles vous fussent tous tombéz.

                        LA  MÈRE

        J’é tousjours dis que [vous] seriez,

        Une fois, ung grant personnage.

        Vous estes de noble lignaige

        Et, [du] tout58, du sang de l’Église.

90    Pour sçavoir la génialogi[s]e59,

        Vostre père et moy fûmes enfans

        De deux curéz riches et puissans.

        Mon père estoit filz d’ung abbé,

        Et cest abbé fut engendré

95    D’ung évesque trèsbon preudhomme

        Qui fut filz du pape de Romme.

        Vélà la généalogi[s]e.

        S’esbahyt-on60 sy, en l’Église,

        Vous estes si [très] hault monté ?

                        FILIUS

100  Je vien d(e) Égipte, où j’ay esté

        Crestien, e[t] sarasin, et juif,

        Ma mère, tout en une nuyt.

        Je suis devin en te[l]s besongnes,

        Et sçay entrepéter les song[n]es

105  Et dire qu’i ségnéfécie61.

                        LA  MÈRE

        Dictes-moy, mon filz, je vous prie :

        En ce pays62 où avez esté,

        Qui vous aprint à exposer

        Les songes ?

                        FILIUS

                                 Folle que vous estes !

110  Et ! je l’é apris de ma teste.

                        LA  MÈRE

        Mon filz, ne vous couroucez pas !

                        FILIUS

        Ha ! ma mère, non foi-ge63, dea.

        Mais vous [n’estimez la comette]64,

        Et avez des questïonnette[s],

115  Dieu, je ne sçay à quel propos !

                        LA  MÈRE

        Dictes-moy, mon filz, quatre motz :

        Que ségnévécie65 la comette ?

                        FILIUS

        « C’est bien dit, ma mère Jaquette66 ! »

                        LA  MÈRE

        [Mon filz, mon enfant67], je vous prie :

120  Dicte-moy que signéfécie.

                        FILIUS

        Signont belloront mulloront 68 :

        C’est que « belles mulles » seront,

        Inter Principès69, de grant pris.

        C’est-à-dire qu(e) à ce Lendit70,

125  « Belles mulles » se vendront bien.

                        LA  MÈRE

        Dame ! mon filz, je vous croys bien :

        Chascun veult71 mulles ou mulons.

        Et bien souvent, les asnes vont

        Sur mulle(s), et souvent sur72 ânesse.

130  Venez çà, mon filz : quel signe esse ?

                        FILIUS

        Que les ânes domineront,

        Et que jeunes ânes seront

        Tousjours les maistres de l’Église73.

                        LA  MÈRE

        Mon enfant, vostre prophécise

135  Est maintenant vérifiée :

        Car l’Église est toute enmerdée

        De ces jeunes enfans mittréz

        Qui ne font sinon [que] menger

        Les offrandes du crucifiz74.

140  Entandez-vous cela, mon filz ?

                        FILIUS

        Dame ! Auxi, il ségnéficie

        Que vous aurez une abbaïe,

        Si n’y avoit empeschemens,

        [Bien] que d’aulcuns qui en tiennent trois75.

                        LA  MÈRE

145  Se  m’aidieux, mon filz, je vo[us] en croys !

                        Ilz font pause76.

        …………………………………..

                        FILIUS

        La vertu saint Gris ! c’estes mon77.

        Cométa signon vent oront 78 :

        Signe est que je seray malade

        Du ventre, se je ne m’en garde.

150  Et pleuv(e)ra souvent au matin

        — [Et plura multum]79, en latin.

        Ce80 sera grant[z] ventations

        Venans de soubz les pellissons81

        [De ces]82 jeunes filles fardée[s].

155  Aussi, sy les grandes gell[é]es

        Ampongne[nt]83 voz povres talons,

        À Dieu qu’a[ille]nt les mulorons84 !

        Et aussi, [dis] qu(e) ung coq chastré

        Ne pondra jamais en esté,

160  Ma mère, dedans ung panier85.

        Or, sus avant, pour abréger !

        Dicamus : secondum signont 86,

        Dame, c’est mortis principium87.

        C’est que mouront ces principaulx

165  [Quant ilz feront]88 mettre des eaulx

        Par messïeulx les despensiers89

        Au vin des povres escoliers :

        Ilz mouront plus dru qu(e) estincelles !

        Aussi mouront ces damoyselles

170  [S’elles teignent]90, le samedy,

        Leur chemise(s) [de] diamerdi 91,

        Bien par-derrière ensafrenée92.

        Item, dénote ceste année :

        Dicamus : aliud signont 93

175  Érat mutatio légont 94.

        On dit que les « moutons liront »,

        Au[x] champs, des leçons au[x] brebis.

        Le pasteur a prins et ravis

        À ceulx de Paris la pasture ;

180  Dieu n’en di[t] mot de la jacture95.

        Moutons, puisque chastréz seront,

        Jamais brebis ne menderont96.

        Et quant les brebis vont au[x] champs,

        La première est97 tousjours devant,

185  Icelle mesme, en sa parsonne98.

        Pour cause que cler(s) mot ne sonne99,

        Les Folz disoi[e]nt la vérité,

        Qui estoit cause de garder100

        De faire [des trafiqs beaucoup]101.

190  Quant brebis rongneuse102 a la toux,

        Ma mère, qui est morfondue103,

        Pour bien la guérir, on la tue ;

        Jamais, depuis104, ne toussira.

        Et aussi, pour guérir ung chat105

195  De collérique passion,

        Lui fault les tripes d’ung siron106,

        Au matin, à son desjuner.

        Dame ! vélà que j’é107 trouvé

        En spéculan[t] à la comette.

200  Or [sus, sus]108, ma mère Jaquette !

        Despêchez-vous tost de parler,

        Car je vous vueil entrepéter

        Vostre109 songe que ségnéfie.

                        LA  MÈRE

        Hélas ! mon filz, je vous en prie.

205  [La nuyt]110 que fustes engendré,

        Sur ma foy, mon filz, j’é songé

        Que j’avoys le ventre rempli

        Et tout enflé de let boully111.

                        FILIUS

        Il ségnéf[ic]ie la clergie

210  De quoy j’ay la teste remplye :

        Que de médicinnacions,

        Et de Loix et décrétorons112,

        De musicle et de trologie,

        Et [de] toute granmairerie113 !

                        LA  MÈRE

215  Puis après ung petit tantet114,

        J’é songé [qu’au ciel on]115 chantoit

        Perronnia116 à haulte voix ;

        Qu’esse à dire ?

                        FILLIUS

                                      Que je seroys

        Ung gros chanoine ou ung abbé,

220  Ou quelque moine ou gros curé,

        Je ne sçay lequel ce sera.

                        LA  MÈRE

        Mon enfant, on escorchera

        Nostre veau pour faire une aumusse.

                        FILIUS

        C’est ce que je demande, [ou capuce117] :

225  Rien ne me sera mieulx loisible118.

                        LA  MÈRE

        Puis [j’ay] songé chose terrible,

        Et fut [le] lendemain des nopces :

        [C’est] que j’avois mittres et croces119

        [Tout] enmy mon ventre, de bois120.

                        FILIUS

230  Dame ! Ma mère, à ceste fois,

        Je seray évesque, c’est fait.

        Le songe que vous avez fait

        Tout au long le signéficie.

                        LA  MÈRE

        Et puis après, je vous affie,

235  Ung jour que j’estoye toute nue,

        Je  cuydoye estre rouge vestue,

        Et que j’avoys ung grant ch[a]ppeau.

                        FILIUS

        Dame !  Je seray cardinal [nouveau121],

        C’est fait. Tost, tost ! [allez], ma mère,

240  Bride[r] vostre vache lectière :

        Et monteray sus à cheval.

                        LA  MÈRE

        Mon filz, vous serez cardinal ?

                        FILIUS

        Da122 ! je vous feray grosse abbesse123,

        Et vous feray chanter la messe

245  Pour le bien (ma mère) publicque124.

                        LA  MÈRE

        [Et] fauldra-il que je m’aplicque

        À dire la grant Évangille,

        L’espître, vespres, et Vigille

        Et tous125 ses petitz respondrez ?

                        FILIUS

250  Vous direz ce que vous vouldrez.

                        LA  MÈRE

        Puis après cela, j’é songé ;

        Et me sembloit que je véoys126

        Ung vieillart barbu enchappé127

        Qui tenoit une grosse clef.

                        FILIUS

255  Tredille ! ma mère, c’est fait :

        Je seray [ung] pape parfait.

        Plus ne me fault qu(e) aller à Romme128.

                        LA  MÈRE

        Pape ? Pape ? Comment ?

                        FILIUS

                                                      En somme,

        Je le seray jusqu(e) ou talon129.

260  Mais allez au sarrusier130, donc,

        Pour [me] faire une grosse clef.

                        LA  MÈRE

        Pape ? Pape ?  Quoy ? Bénédicité !

                        FILIUS

        Vous distriburez les pardons131.

                        LA  MÈRE

        [Qui], moy ? Je confesseray dons ?

                        FILIUS

265  Je vous en donneray la puissance

        De donner des pardons cinquante,

        Ma mère, à nostre jeune oyson.

                        [LA  MÈRE]

        Et aussi à nostre viel chapon

        À qui je crevay les deux yeulx132 ?

                        [FILIUS] 133

270  Nous aurons qui134 vauldra bien mieulx :

        Quelque péché que nous fassions,

        Tout droit en Paradis yrons,

        Aussi droit comme une faucille135.

                        LA  MÈRE

        Rien ne vous sera impos[s]ible.

                        FILIUS

275  Da ! ma mère, je vous pardonne

        Et absous136 tous péché[z], en somme,

        Que vous commettrez137 à jamais.

                        LA  MÈRE

        Grant mercis, mon filz, mille fois !

                        FILIUS

        Il y a bien « Moussieulx », pour vous138 !

                        LA  MÈRE

280  A ! merde139 ! Je [l’]oublie tousjours.

        Pardonnez-le-moy, s’i vous plaist !

                        FILIUS

        Or là, de par Dieu, c’est bien fait.

        La clef n’est elle pas encore faicte ?

        Le sang bieu ! si je romps140 ma teste…

285  Pape ne seray de ma vie ?

        Je perdray la papeterie141

        (De par le grant dyable d’Enfer)

        En deffault d’une clef de fer ?

        Je suis presque tout enragé !

290  Mais n’avez-vous plus rien songé142 ?

        Dicte la vérité, ma mère !

                        LA  MÈRE 143

        Après, j’é songé que saint Pierre

        Estoit tumbé de Paradis.

                        FILIUS

        Le [grant] dyable ayt part du sainct Gris144 !

295  Vélà perdu la papaulté145.

        Le gibet146 vous faisoit songer

        Ce maleureulx songe meschant !

        Tout est bien perdu, maintenant.

        C’est fait, je ne seray point pape.

300  Peu ne me tient que ne vous frappe !

        C’est par vous que cella se pert.

                        LA  MÈRE

        Non est, mon filz !

                        FILIUS

                                           Et ! il apert147.

                        LA  MÈRE

        Non est, mon filz ! [ Puis j’ay songé

        Que le chappeau s’est envolé

305  D’ung coup de vent.148 ]

                        FILIUS

                                                    Encore pis !

        Vélà maistre Jehan Génin fris149 :

        Je ne seré point cardinal.

                        LA  MÈRE

        Puys j’é songé que de son cheval

        Estoit cheut évesque et curé.

                        FILIUS

310  Trésdame ! vé-me-là gelé150 :

        Je n’auré cure n(e) évesché.

        Par  le sang bieu ! je m’en voys prescher

        La foy catholicque aux payens151.

        Jamais ne reviendré cëans,

315  Et ne me verrez de ma vie.

        Adieu, adieu !

                        LA  MÈRE

                                    Je vous [en] prie,

        Faicte[s à] moy relation152

        De tous vos biens qui153 demour[r]ont.

                        FILIUS

        Je vous lairray154 mes Buquenicles,

320  Mon Daudrinal et mes Cronicles,

        Et Pérot155 en gouvernement.

                        LA  MÈRE

        Mon filz, j’estudiray gramment156

        Aussi bien que vous avez fait.

                        FILIUS

        My Dieu ! ma mère, c’est bien fait.

325  Faictes-en [à] vostre appétit.

        Et me  baillez du papier ung petit157

        Pour vous en escripre la lettre.

                        LA  MÈRE

        Tenez, mon filz.

                        FILIUS 158

                                        Que fault-il mettre,

        Ma mère, tout premièrement ?

                        LA  MÈRE

330  Mon filz, escripvez gentement :

        « Moy159 parlan[t] en propre160 personne. »

        Et boutez : « Tout premier161, je donne

        Mes Principes162 et mon Donnes[t],

        Aussi mon petit Chatonnet163,

335  À vous, ma mère, [et] mes Cronicles,

        Mon Dodrinal et Bucquenicles.

        Item, je donne… »

                        FILIUS

                                  Je  vous avez grant tort :

        Pas ne puis escripre si tost164.

        Or là, de par Dieu ! Nomme[z] : qu’esse ?

                        LA  MÈRE

340  Or, boutez : « Item, je vous laisse… »

                        FILIUS

        Dictes165, ma mère, où [vous alez]166.

                        LA  MÈRE

        Nulle part, mon filz. Escrive[z] :

        « Item, je laisse à ma mère

        [Très]tous les signes de la spère167

345  Et [très]tout[e] l’astrologi[s]e. »

                        FILIUS

        Je n’auray168 donc une chemise ?

                        LA  MÈRE

        « Mon Ypocras je luy rasine169,

        Et mes livres de me[r]decine :

        Aviscéna et maistre Alain170. »

                        FILIUS

350  Tredille ! Cecy est tout plain ;

        Il [me] fault tourner le f[u]eillet171.

                        LA  MÈRE

        « Je luy laisse mon Theodolet172

        Pour [fouetter ces]173 petis garsons.

        Puis au[r]a mes décrétorons,

355  Et ma phisicle, et les Ars,

        [L’Embouchoir des maistres en Ars,]174

        Cométa septentrionis,

        Et mon libvre où sont mes per[mi]s175,

        Qui sont gros comme ung manuel176.

360  Cy mis le jour sainct Manuel177. »

        Prou178 vous face, ne vous desplaise,

        Vous estes icy tout à vostre ayse179.

        Preut vous face, ne vous derplaise !

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                                          EXPLICIT

*

1 T : Vary  (Ce long titre est un placard publicitaire de l’éditeur, qui accumule tout ce qui peut attirer les acheteurs friands de merveilleux.)   2 Il explique ce que signifient les songes de sa mère. Les formes dialectales ségnéfier et ségnificier reviennent aux vers 105, 117, 120, 141, 203, 209, 233.   3 Cette paysanne veuve met tous ses espoirs dans son fils, qui vient d’obtenir ses diplômes. Elle est chez elle, seule : Jénin est en voyage.   4 Forme normande de « monsieur ». Idem vers 279.   5 Jeune galant. Cf. les Rapporteurs, vers 59.   6 Godelureau. Cf. la Pippée, vers 377.   7 Depuis : de la tête aux pieds.   8 T : pourre  (Le pauvre homme. « Au povre homs qui se meurt de fain. » Les Premiers gardonnéz.)  Homs se prononce on : voir les rimes 306-7 de Saincte-Caquette.   9 Par sa bedaine. Le prêcheur du Sermon pour un banquet est si plein de savoir qu’il formule la même crainte : « Ou je crèveroys par le ventre. »   10 T : trologue  (Voir le vers 213.)  D’astrologie et de médecine. « J’ay despendu [dépensé] tout mon argent/ En merdesfines. » (Miracles de sainte Geneviève.) Dès que la mère se risque à user d’un terme technique, elle le déforme. Sur ce procédé théâtral indémodable, voir la note 58 du Vendeur de livres.   11 Tout ce qu’il est possible de savoir.   12 Cela ne veut pas dire qu’il les a compris.   13 T : bien quatre  (Réminiscence du vers précédent.)  Et aussi, il a lu trois fois le Digeste.   14 Il s’y plonge si profondément.   15 Je redoute. Cf. le Pourpoint rétréchy, vers 233.   16 À la fin.   17 Ses Arts libéraux : il est donc maître ès Arts, en plus d’être juriste et médecin.   18 T : fes dandrinaulx  (Voir le vers 320.)  Ses doctrinaux, et particulièrement le Doctrinale puerorum d’Alexandre de Villedieu, que les Femmes qui aprennent à parler latin citent à deux reprises.   19 T : princeps  (Je corrige la même latinisation intempestive à 333.)  « Principes et Caton construyre. » Le Maistre d’escolle.   20 Les Bucoliques de Virgile. Idem vers 319 et 336.   21 Les distiques moraux qu’on attribuait à Caton. Idem vers 334.   22 T : ioucques  (Il juche. C’est un verbe normand : « La pie est jouquée. » La Muse normande.)   23 Le latin ne lui fait pas défaut. Le juron « tredille », euphémisme pour « Notre Dame », revient aux vers 255 et 350.   24 T : soit  (Il ferait trois fois plus de bruit.)   25 Que les docteurs en théologie de la Sorbonne.   26 En tenue de voyage, il s’approche de la maison, les yeux plongés dans un livre.   27 Exalté, transporté.   28 Cette prière précède le repas ; voilà pourquoi c’est tout le latin que Jénin peut réciter sans erreur.   29 T : candacius  (« Flandrium cauda eius » : La queue de la comète des Flandres. « Cur cauda ejus præcesserit cometam ante oppositionem cum Sole. » Ephemerides eruditorum.)  En 1456, le passage de la comète de Halley avait suscité une avalanche de déclarations apocalyptiques*. Pour la Belgique, voir par exemple la chronique de Pierre Impens, au chapitre intitulé : Cometes in cœlo videtur, et terræ motus fiunt.  *L’Apocalypse de Jean fait appel aux mêmes images : « Cauda ejus trahebat tertiam partem stellarum cæli. »   30 Vers manquant. J’emprunte le vers 878 du Pourpoint rétréchy. Sur la soif des collégiens, voir les vers 165-7.   31 Aigu, pénétrant.   32 C’est le titre du livre, aujourd’hui inconnu, qu’il tient à la main. Idem vers 357.   33 T : suis  (Réminiscence du vers 37.)  À laquelle j’applique mon étude. « Je m’estudie aus choses qui luy sont moins familières. » (Pontus de Tyard.) Nous dirions aujourd’hui que Jénin « tire des plans sur la comète ».   34 T : Et  (Le ms. de base devait porter « & ».)   35 T : monstroient   36 T : mendont  (Mèneront. Cf. l’Aveugle et Saudret, vers 51 et 340.)  « Les oisons mainnent les oes paistre. » Farce de Pathelin.   37 T : t astes  (À boire. « Qu’il puist prendre ceste bouteille/ Et en taster. » L’Amoureux.)   38 T : morceaulx  (Du vin de Bordeaux. Les vers 44-57 rendent compte des bouleversements que le livre de présages concernant la comète a provoqués dans le cerveau fragile de Jénin.)   39 T : taux  (La coqueluche, dont une grave épidémie avait sévi en 1510. Cf. le Faulconnier de ville, vers 31 et note.)  La foire désigne la diarrhée.   40 T : sourir   41 T : Dedens  (Dans le lit de paille de ma mère.)  Jénin, dont la syntaxe n’est pas meilleure que le vocabulaire, commet un janotisme : le lit de ma mère de paille. Nous en verrons d’autres.   42 T : enchantant  (Les parodies de pronostications jouent sur les truismes : « Ceste année, les aveugles ne verront que bien peu, les sourdz oyront assez mal, les muetz ne parleront guières. » Rabelais, Pantagruéline prognostication.)   43 Si elle est très malade, elle mourra. C’est encore un truisme.   44 Interpréter. Jeu de mots involontaire sur « péter » ; idem vers 104 et 202. Songne = songe ; idem vers 104.   45 T : bien  (De bon sens.)  Jénin est un rôle de Badin ; il porte donc un bonnet d’enfant, qui est rarement la coiffure d’un « homme de sens ».   46 T : dirons  (Je corrige verrons à la rime.)   47 Semelles de bois qui isolent les chaussures du froid et de la boue, et qui permettent à celui qui les porte de gagner quelques centimètres en hauteur.   48 T : gratuite  (Il y a un « t » de trop.)  J’affecterai une attitude grave. « Je tiendray gravité, ma foy ! » Le Porteur de pénitence.   49 T : Que gibet ie suis  (Dans les imprécations, le gibet désigne le diable, comme au vers 296. « Le gibet me puisse confondre ! » Le Raporteur.)   50 T : mes   51 T : me seres vous   52 Jénin entre, et arrête sa mère qui veut l’embrasser.   53 T : naprocher  (Ailleurs, je corrigerai tacitement cette manie qu’a Trepperel de confondre l’infinitif et le participe passé.)   54 Le fils. Étant prophète, il est dorénavant nommé en latin. Il faut dire que son nom n’est guère gratifiant : Jean et Jénin désignent traditionnellement des nigauds. Cf. Jehan qui de tout se mesle et Jénin filz de rien.   55 La mère est « vieille d’années », son fils la traite de « vieille damnée ».   56 Prenez bien garde à ce que.   57 La dignité que Dieu vous a transmise.   58 Totalement.   59 Votre généalogie. La mère écorche de nouveau ce mot savant au vers 97.   60 T : Cestesbaye ton  (Peut-on s’étonner.)   61 T : segneuecie  (Ce que les songes signifient. Voir la note 2.)   62 Les Normands prononçaient parfois « pè », en une syllabe : cf. Pates-ouaintes, vers 11 et 165. Dans une farce un peu scatologique, cela ne nuit pas.   63 Non fais-je : je ne me courrouce pas.   64 T : estes tant sotellete  (Il faut que la mère entende parler de cette comète avant le vers 117.)   65 Que signifie. La mère déforme ce mot compliqué, produisant un jeu de mots involontaire sur vessi [pété] : cf. la Bouteille, vers 112.   66 L’auteur emprunte le vers 43 du Cuvier, une farce qu’il connaît bien. La mère de Jénin se nomme donc Jacquette, comme la mère de Jénin filz de rien. T anticipe dessous les vers 121 et 123 : Que sont bellorontmulloront / Inter principes   67 Je comble cette lacune d’après le vers 81.   68 Prononciation à la française, et fautive pour le dernier mot, de « signum bellorum multorum » [signe de beaucoup de guerres]. On croyait que les comètes annonçaient une guerre : « Hoc signum fuisse multorum bellorum. » (De Prognosticis cometarum.) Jénin lit mulorum au lieu de multorum, puis traduit « bellorum mulorum » par « belles mules ». Tabourot compilera de semblables calembours de collégiens dans ses Bigarrures : « Flandria divertens » = « Flandre y a divers temps ». Voir aussi les calembours franco-latins qui ornent le Sermon de la choppinerie, ou le Moyen de parvenir.   69 Parmi les princes.   70 T : lundi  (Célèbre foire de Saint-Denis ; les paysans normands venaient y vendre ou acquérir des animaux. « J’achetté une vache/ Dernièrement à ce Lendit. » Trote-menu et Mirre-loret.)  Le Lendit se tenait du 11 au 24 juin ; or, d’après le vers 360, nous sommes le 17 juin.   71 T : vous  (Mulon = mulet. « Quar ce qui est bon à mulon,/ Si n’est pas bon à estalon. » ATILF.)   72 T : les  (Les professeurs de théologie de la Sorbonne. Lesdits sorbonagres [onagre = âne sauvage], qui passaient pour des ânes, se déplaçaient à dos de mule. L’ânesse désigne leur concubine.)   73 Jénin compte bien profiter de cette corruption, comme le clerc Johannès dans Science et Asnerye.   74 « C’est un des pointz qui contrainct les enfants,/ Souventes fois, tenir le lieu des saiges./ Lesquelz mittréz, à dire à brefz langaiges,/ Sont inclinéz auprès le cul des dames./ Par quoy, souvent, en choses très infâmes/ Est employé l’argent du crucifix. » Pronostication d’Habenragel.   75 Les abbés commendataires encaissaient les bénéfices de plusieurs abbayes. Cf. les Sotz ecclésiasticques.   76 T : panse  (Cette pause fut introduite par l’éditeur pour masquer une importante lacune ; on a peut-être censuré des attaques trop vives contre la corruption du haut clergé.)  À la reprise, le vers 146 répond à une question qui est perdue.   77 Vous l’êtes. « Mon » est une particule de renforcement : « Se suys mon, se suys mon ! » Le Maistre d’escolle.   78 Prononciation à la française de « cometa sit signum ventorum ». (Aristote, Liber meteorum.) Jénin traduit le dernier mot par « vent aurons » : nous péterons.   79 T : Quem terra ponthus  (Cette hymne est nommée au vers 230 d’Un qui se fait examiner. Malheureusement, ces trois mots ne débouchent sur aucune traduction digne de Jénin.)  « Et plura multum » est le début d’une phrase du Liber conformitatum, de Barthélemy de Pise. Cette hagiographie grotesque a fait crouler de rire plusieurs générations de collégiens ; on finira même par en tirer un pamphlet, l’Alcoran des Cordeliers. Nul doute que Jénin aurait traduit « et plura multum » par « et il pleuvra beaucoup ».   80 T : de   81 De sous la pelisse, la cotte.   82 T : Et ses  (Les filles fardées sont des prostituées.)   83 Empoignent, attaquent.   84 Que les mules aillent au diable ! (Mulorum est le génitif pluriel de mulus : mulet.) Le froid provoque une mule au talon, une engelure : « Nous aurons chascun une mule/ Aulx talons. » Le Monde qu’on faict paistre.   85 T : pagnez  (Je corrige aussi abregez à la rime.)  Les poules — et non les chapons — peuvent pondre dans un panier rempli de paille. Janotisme : ma mère dans un panier. Les spectateurs ont aussi pu comprendre : ma merde dans un panier.   86 Nous disons que le second signe. « Secundum signum est quod sol (…) videtur coloris albi et non ignei. » Thomas d’Aquin, Sententia super meteora.   87 T : principius  (Pour une fois, la faute de latin revient à l’imprimeur : ce mot rime en prinsipion.)  « Cometa quare putatur potius esse signum mortis principium. » (Thomas d’Aquin, Sententia super meteora.) Jénin traduit : la mort des principaux de collèges.   88 T : Que ne font point   89 Les responsables de la « dépense » du collège, pour faire des économies, versent de l’eau dans le vin : « Celluy qu’on boyt en la despence/ Est bien aultrement baptizé [mouillé d’eau]. » Te rogamus audi nos.   90 T : Celle nent  (Si elles tachent. On dansait beaucoup le samedi, et les étudiants en profitaient pour draguer les danseuses.)  T ajoute sous ce vers : pansa. vous estez aussi digne vraymt   91 De merde. Cf. le Sermon pour une nopce, vers 180 et note.   92 Ensafranée : jaunie d’excréments.   93 Nous disons qu’un autre signe. « Aliud signum est. » Thomas d’Aquin, Sententia super meteora.   94 Il y avait un bouleversement des lois. Encore une calamité qu’on attribuait aux comètes : « Visi fuerunt tres cometæ ; & post apparitionem illorum, immediate sequebatur mutatio legum. » (Pierre Tartaret.) Se souvenant inopportunément du verbe legunt [ils lisent], Jénin traduit « mutatio legum » par « les moutons lisent ». Espérons qu’ils lisent mieux que lui…   95 De cette perte.   96 T : demenderont  (Mander = faire venir.)   97 T : va   98 Elle-même, en personne. La suite est rédigée dans le plus pur style « sibyllin » ; elle recèle des allusions locales que les collégiens rouennais de 1511 pouvaient comprendre, mais qui demeurent pour nous bien hermétiques.   99 Parce que je ne prononce pas un seul mot clair. Jeu de mots sur les « clercs », les collégiens, qui faisaient dire leurs vérités par les Fols des sotties, n’ayant pas le droit de les dire eux-mêmes.   100 D’empêcher.   101 T : be aucoup de trafique  (Allusion aux trafics de reliques et d’indulgences, qui empoisonnaient alors l’Église. « Il court tant d’abus et trafficques. » Saincte-Caquette.)   102 Galeuse : atteinte de la fameuse clavelée, qui sert d’excuse au berger de la Farce de Pathelin pour manger les brebis saines de son patron.   103 Elle qui est enrhumée. Nouveau janotisme : ma mère qui est enrhumée, on la tue.   104 T : da puis  (Jamais plus, après, elle ne toussera.)   105 T : cheat   106 D’un ciron, d’un acarien. Ces notations minimalistes sont appréciées : « Vélà encor les trippes/ Des poux qu’as maintenant tuéz. » Les Coquins, F 53.   107 Voilà ce que j’ai.   108 T : sur sur   109 T : Vng  (Je veux vous interpréter ce que signifie votre songe.)   110 T : Lanny   111 De sperme. Cependant, le lait bouilli est un des ingrédients de la littérature prophétique : « Et puis neigea du lait bouilly. » (Les Quinze grans et merveilleuz signes nouvellement descendus du ciel, T 26.) Plus prosaïquement, les médecins conseillaient de nourrir les fous avec des produits laitiers : voir la note 80 de Mahuet.   112 De la Summa decretorum. Idem vers 354.   113 T : granmuerie  (De grammaire.)   114 Après un peu de temps.   115 T : que lon   116 « Et chante le Per omnia. » Pernet qui va à l’escolle.   117 Lacune. L’aumusse est le capuchon fourré que portent les prêtres. La capuce est le capuchon en pointe des capucins ; mais c’est parfois le bonnet à oreilles d’ânes qui coiffe les Fols.   118 T : propice  (Plus convenable. « Il seroit mieulx loisible de traitier la manière de faire à plus petit nombre de gens. » Registres des consaulx de Tournai.)   119 La mitre est le chapeau d’un évêque, la crosse en est le bâton pastoral. Dans Colinet et sa Tante, l’écolier débile qui sait « du latin pleine game » affirme avoir « bonne main pour tenir croce/ Et teste assez pour porter mittre ».   120 Des crosses de bois dans mon ventre. Nouveau janotisme : dans mon ventre de bois.   121 Lacune. « Et plus n’attendoit, en effect,/ Qu’estre cardinal nouveau fait. » Octovien de Saint-Gelais.   122 T : Dame  (Voir le vers 275.)   123 T : feste  (Je ferai de vous la supérieure d’une riche abbaye.)  Allusion au Miracle de l’abbesse grosse, où une mère supérieure se laisse engrosser par un clerc. On peut donc comprendre : Je vous mettrai enceinte.   124 Pour le bien public. Janotisme : pour le bien de ma mère publique. La mère supérieure devient dès lors une mère maquerelle…   125 T : tout  (Les Vigiles alternent des chants et des répons, que Jacquette nomme des répondrez. « Chantes, mère : nous respondrons. » Les Vigilles Triboullet.)   126 Que je voyais.   127 Vêtu d’une chape pontificale.   128 L’étudiant de Colinet et sa Tante se voit lui aussi « pape de Rome ». La mère de Pernet qui va à l’escolle juge que son abruti de fils « seroit digne d’estre pape », de même que celle d’Un qui se fait examiner pour estre prebstre.   129 De la tête aux pieds. Voir le vers 9.   130 Chez le serrurier. Un nouveau pape hérite des clés de saint Pierre.   131 Des indulgences.   132 On aveuglait les chapons après les avoir châtrés, puis on les enfermait dans une « mue », une cage, afin de les engraisser.   133 T : la mere   134 Quelque chose qui.   135 Par des voies sinueuses. C’est le vers 280 du Messager et le Villain.   136 T : a vous   137 T : commettray   138 Appelez-moi « Monsieur ». Là comme ailleurs, Jénin est très influencé par la prononciation dialectale de sa mère, qui dit « Mousieur » dès le vers 1.   139 T : garde  (Jacquette est à l’aise dans le registre scatologique : voir les vers 12 et 136.)  « Merde !/ Taisez-vous, bon gré sainct Remy ! » Le Pet.   140 T : prens  (« À crier je me romps la teste. » Le Gouteux.)   141 Non sans malice, l’auteur fait de la papauté une fabrique de papier.   142 Jénin espère sans doute devenir Dieu, comme le 2e des Sotz ecclésiasticques, lequel partage avec lui l’amour des blasphèmes et des jurons.   143 Volontairement, elle va faire perdre à son fils toutes ses illusions, pour le guérir de sa mégalomanie.   144 Sous le coup de la consternation, Jénin renforce son juron du vers 146 avec son juron du vers 287. Saint Gris est le surnom de saint François d’Assise, qui portait une robe grise.   145 T : paupaulte   146 Le diable (note 49).   147 C’est évident. Verbe apparoir.   148 Lacune. « Peu s’en faillit que ne fus cardinal ;/ Mais ung vent vint, qui m’osta le chapeau. » Les ditz de Maistre Aliborum.   149 Frit, ruiné. Cf. Frère Guillebert, vers 231.   150 Me voilà figé par la stupeur. « Je suis icy gellé ! » Le Mince de quaire.   151 Aux musulmans. « Païans » rime avec « cians », à la manière normande. « Les payans furent vaincuz. » ATILF.   152 Jacquette veut dire « translation » : transfert d’une personne à une autre.   153 T : que  (Qui demeureront ici.)   154 T : laire  (Je vous laisserai mes Bucoliques.)   155 Mon chat. Beaucoup de Badins et de Sots en possèdent un, et le confient à quelque proche lorsqu’ils doivent partir : cf. Mahuet, vers 76-79.   156 T : gentement  (Gramment = grandement, beaucoup ; cf. l’Amoureux, vers 60.)   157 Donnez-moi un peu de papier.   158 Il s’assied à la table, et sort de son écritoire une plume et un encrier. Bien qu’il ait fait du droit, il ignore comment on rédige un testament ; la mère, qui hérita de son défunt époux, en sait plus que l’apprenti juriste.   159 T : mon  (Cette formule équivaut à : Je soussigné.)   160 T : vostre  (Moi-même. « Vez-le cy en propre personne. » Pates-ouaintes et Jénin filz de rien.)   161 T : premierement  (Réminiscence du vers 329.)  C’est la formule initiale des testaments : « Tout premier, à vous, Guillemette… » Le Testament Pathelin.   162 T : princeps  (Voir la note 19.)  Le Donnet est le manuel de grammaire latine de Donatus : cf. D’un qui se fait examiner, vers 69 et note.   163 Caton (note 21). Allusion au chat du vers 321.   164 Si vite. Le maître ès Arts sait à peine écrire. La scène du testament doit beaucoup à la scène du rôlet dans le Cuvier.   165 T : Dieu   166 T : ales vous  (Jénin fait aussi des fautes de traduction en français : il traduit la formule testamentaire « je vous laisse » par « je m’en vais.)   167 De la sphère céleste. « Nostradamus, estant en son estude, regardant une sphère. » Frère Fécisti.   168 T : y auray  (Je ne sauverai pas même ma chemise ?)   169 Je lui résigne [je lui lègue] mon traité d’Hippocrate.   170 Avicenne est l’auteur du Canon Medicinæ. La mère confond maître Alain — qui désigne exclusivement le poète Alain Chartier — avec le médecin grec Galien : « Maistre Ypocras et maistre Galien. » Ms. fr. 12318.   171 Le malhabile Jénin écrit tellement gros qu’il a déjà rempli une page, comme Jacquinot : « Il est tout plain jusqu’à la rive…./ Ce sera pour l’autre costé. » Le Cuvier.   172 Ce recueil paru vers 1490 contient des textes de divers philosophes. Jacquette adopte la prononciation populaire « Tio-do-let », en 3 syllabes.   173 T : bouter ses  (On assouplit le cerveau des écoliers en leur donnant des coups de verges sur les fesses.)   174 Vers manquant. J’emprunte le titre d’un livre qui figure dans la « librairie de Sainct-Victor » (Pantagruel, 7). D’après le vers 23, Jénin est maître ès Arts. Et l’embouchoir est le goulot d’une bouteille, ce qui ne peut lui déplaire.   175 Mes permis d’enseigner la théologie, mes diplômes. « Permissum est docere Evangelium. »   176 T : munuel  (Comme un petit livre.)   177 Mis par écrit le jour de la Saint-Manuel, le 17 juin. Mais Jacquette veut sans doute parler du « seing manuel », le sceau qu’on appose au bas d’un acte officiel : « J’ay signé ces lettres de mon saing manuel. » ATILF.   178 T : Pour  (Grand bien vous fasse ! « Prou vous face ! » Le Pet.)   179 Faites comme chez vous. « Si la mère dict aulx enfans :/ ‟Enfans, venez tout à vostre ayse !” » (Les Cris de Paris.) Jacquette dit à son fils qu’il est ici chez lui, et qu’il peut donc y rester. Elle aura plus besoin d’un gardien de vaches que d’un bachelier au chômage.

LE CHAULDRONNIER

British Library

British Library

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LE  CHAULDRONNIER

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Cette farce, tout comme celle des Drois de la Porte Bodés, traite un sujet aussi peu théâtral que possible : le concours de silence. Dans ces deux pièces, le mari est savetier.

L’œuvre n’est pas imputable à un écrivain mais, selon toute vraisemblance, à une troupe de comédiens picards. Ces joyeux drilles n’ont aucun sens de la versification (les rimes sont fausses, la diérèse n’est presque jamais prise en compte), mais leur efficacité visuelle est redoutable.

Source : Recueil du British Museum, nº 30. La farce fut publiée vers 1550 à Paris, chez Nicolas Chrétien, après avoir circulé pendant un demi-siècle. Dans ce recueil, deux autres farces de chaudronniers encadrent celle-ci : les Femmes qui font escurer leurs chaulderons, et surtout Te rogamus audi nos, qui oppose également un chaudronnier à un savetier, et qui fait aussi l’éloge des tavernes.

Structure : Rimes abab/bcbc et rimes plates, envahies par des vers improvisés. 1 triolet incomplet.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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Farce nouvelle trèsbonne et fort

joyeuse à troys personnages

d’un Chauldronnier

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C’est assavoir :

       L’HOMME  [Guillemin]

       LA  FEMME

       et  LE  CHAULDRONNIER

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                 LE  CHAULDRONNIER

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                        L’HOMME  commence [en chantant] 1        SCÈNE  I

              Il estoit un [bon] homme

              Qui charioit fagotz.2

                        LA  FEMME

        Cestuy sa este[s-]vous3, par sainct Cosme !

        Le plus sot [estes] des plus4 sotz.

                        L’HOMME

5      A ! ma femme, [qu’est-ce que j’os]5 ?

        Vous me voulez suppéditer6 ?

                        LA  FEMME

        Et ! par mon âme, Jehan du Bos7 :

        Denier8 n’avez, ne [mol lit clos]9 ;

        Et se10, voulez tousjours chanter.

                        L’HOMME

10    Ne vault-il point mieulx d’enchanter11

        Que d’engendrer mélencolye ?

                        LA  FEMME

        Il se vauldroit mieulx consoler

        À rabob(e)liner12 voz soulliers

        Que de penser à tel13 follye.

                        L’HOMME

15    Et ! vous voylà bien empeschye14.

                        LA  FEMME

        Et ! se suis mon15, sainct Coquilbault !

                        L’HOMME  [en chantant]

        [Quand sera mariée] no16 truye,

        [Vous en aurez un neuf chappeau.]

                        LA  FEMME

        Maubecq17 !

                        L’HOMME

                               En18 ?

                        LA  FEMME

                                            Bren !

                        L’HOMME

                                                        À vo(z) menton19 !

20    Mais avez ouÿ l’orderon20,

        Comment elle est bien gracieuse ?

                        LA  FEMME

        Mais avez[-vous] ouÿ l’oyson21,

        Comment d’une [sotte] chanson

        Nous fait la notte mélodieuse ?

                        L’HOMME

25    Ma foy,  je cuide qu’elle est envyeuse

        Quand elle m(e) oyt si bien chanter.

                        LA  FEMME

        [Envyeuse ?] Mais22 en[n]uyeuse

        D(e) ouÿr vostre teste glorieuse,

        Comme un asne [gris], ricanner23 !

30    Quand no(z) truye veult porceler24

        Et qu’elle grongne en son estable,

        Sa chanson est aussi notable

        Que la vostre, ny peu, ny main25.

                        L’HOMME  [en chantant]

              A ! c’est bien dit, Hannin.26

                        LA  FEMME  [en frappant]

35    Et [tien27] ! C’est bien dit, Guillemin ?

                        L’HOMME

        Quant28 frappez, ne vous faindez point.

                        LA  FEMME

        Nostre Dame, non !

                        L’HOMME

                                          [En mon poing29]

        Si j’empoigne un [bon gros] baston,

        Je vous feray parler plus bas !

                        LA  FEMME

40    Qui, toy, [pauvre petit] poupon30 ?

        Je te crain bien, pauvre chappon31,

        Ou  chiabrena32 au pourpoint gras33 !

                        L’HOMME

        Pourpoint gras ? Et vous, dame orda34,

        On vous appelle giroffla35.

                        LA  FEMME

45    Et vous, galiffre de Banda36.

                        L’HOMME

        Vous fleurez37 tout le muglia.

                        LA  FEMME

        Et vous, la saulce moustarda38.

                        L’HOMME

        Nice39 !

                        LA  FEMME

                        Mignon40 !

                        L’HOMME

                                             Notrée41 !

                        LA  FEMME

                                                               Mouton42 !         En frappant.

                        L’HOMME

        M’as-tu frappé, vieille [es]dantée43 ?

50    Tien ! [tien ! Happe] ceste testée44 !

                        LA  FEMME

        Happe ce baston !

                        L’HOMME

                                        Et  ce bourdon45 !

        Me vouldroit-elle subvertir46 ?

        Rendz-toy !

                        LA  FEMME

                               Non f(e)ray, pour y mourir47 !

                        L’HOMME

        Sainct Mort48, voicy dure passion !

55    Par sainct Copin49 ! je suis tanné.

                        LA  FEMME

        Victoire et domination !

        Et  bonnet50 aux femmes soit donné !

                        L’HOMME

        [Et ! pour moy et pour toy51], quel blasme !

        Encores est-il plus infâme,

60    Qui se joue[roit] à ton caquet52.

                        LA  FEMME

        Victoire aux femmes ! Et ! dehet53 !

        [En toutes choses je vous passe.]54

                        L’HOMME

        Non  pas en tout.

                        LA  FEMME

                                        Et  à quoy donc sera-ce ?

        À caquetter, ou à mal dire55 ?

65    Par l’âme de moy, validire56 !

        Je ne crain femme [à deviser]57,

        À caqueter ny à playdier58.

                        L’HOMME

        De cela, je ne m’y [re]myre59 :

        Femme le gaigne60 à caqueter.

70    Vous verriez plustost Lucifer

        Devenir ange salutaire

        Qu(e) une femme eust un peu de repos,

        Et soy taire ou tenir propos61.

                        LA  FEMME

        …………………………. 62

        Voire, par bieu, teste d’osière63 !

                        L’HOMME

75    Quoy ! sans remouvoir la testière64 ?

                        LA  FEMME

        Ny [mesme] lèbvre ny paupière.

                        L’HOMME

        Je gaige65 deux patars, [ de vray,

        Que point vous ne vous pourrez taire. ]

        Et  moy-mesme ne66 deviseray.

                        LA  FEMME

80    Sainct Mort ! [moy-mesme] non feray,

        Car tousjours maistresse seray67.

                        L’HOMME

        [Or] dictes donques68.

                        LA  FEMME

                                                 En cest estre69

        Vous demourrez [une heure] assis

        Sans parler à clerc ny à prebstre

85    Non plus que faict ung crucifix.

        Et moy, qui me tais bien envys70,

        [Croyez bien que se je m’y metz,]71

        Je tiendray mieulx [une heure] en paix

        Qu(e) ung clistoire72.

                        L’HOMME

                                               Vélà beaulx dictz73 !

90    Qui perdera74, dam[né]e cervelle,

        Il paye[r]a  [coupe à la]75 Payelle.

                        LA  FEMME

        [Mèshuy76, plus un] mot ! Sans ciller77 !

.

                        LE  CHAUDRONNIER 78                     SCÈNE  II

        Chaudronnier ! Chaudron ! Chaudronnier !

        Qui veult ses poyelles79 reffaire ?

95    Il est heure d’aler crier :

        [Chaudronnier !] Chaudron ! Chaudronnier !

        Seigneurs, je suis si bon ouvrier

        Que, pour un trou, je sçay deulx faire80.

        [ Chaudronnier ! Chaudron ! Chaudronnier !

100  Qui veult ses poyelles reffaire ? ]

        Où esse81 que je me dois retraire ?

        Qu’esse icy ? Voicy ung ouvrier82.

        Hau là, hau !… N’y a-il nully83 ?

        A ! si a, dea : [deux en voicy]84.

105  Dieu gard [la belle85] damoyselle !

        N’avez[-vous] chaudron à reffaire86 ?…

        [Vous fault-il point une cueillère ?…]87

        M’entendez-vous ?… Hau, damoyselle,

        Parlez à nous !… (Est-elle sourde,

110  [Ou bien muette88], ou s’elle e[s]t lourde,

        Me regardant entre deux yeulx ?)

        Hau, damoyselle !… (Semidieux89 !

        Je cuide qu’el(le) soit incensée,

        Et vous aussi, doulce pensée.90)

115  Maistre : n’avez[-vous nul] chaudron

        À rabob(e)liner ?… Hau, patron !

        Estes-vous sourt91, muet ou sot ?…

        (Par la char bieu ! il ne dit mot ;

        Et se, [m’esroulle ses]92 deux yeulx.

120  Mais je regnie mes oustieulx93

        Se je [ne] luy ouvre la bouche !)

        Hau,  Jénin, conquétît[es-vous]94 mouche ?

        Faictes-vous cy du président95 ?…

        (Il ne remue lèbvre ne dent.

125  Ce semble, à [le] veoir, un ymage96.

        Un sainct Nicolas de village97

        Nous en ferons, ou un sainct Cosme.)

        Ha,  vous serez sainct Pere98 de Rome :

        Vous aurez la barbe de fain99,

130  Et puis quelque chose(s) en vo(z) main.

        Et si, voicy vo(z) deasdesme100.

        Et pour une croce101 de mesme,

        Ceste belle cueillère102 aurez.

        Et en l’autre main, porterez,

135  Au lieu d’un livre, un103 pot pissoir.

        Mon Dieu, qu’i le fera beau veoir !

        Car c’est un trèsgracieulx sire.

        Benoist sainct104, gardez-vous de rire :

        Le Miracle105 seroit gasté.

140  Affin qu’i soit mieulx regardé,

        Paindre luy veulx — de mes deux pattes

        Qui sont  si douillet[te]s et délicates —

        Son doulx et précieulx museau106.

        A ! mon [doulx] Dieu, qu’il sera beau !

145  « Sainct Coquibault, je vous adore107 ! »

        (Mais que dyable ont-il en la gorge108 ?

        Il ne se remuent109 point un grain.)

        Hau ! damoyselle [au cueur haultain] 110,

        Qui estes icy si propette111 :

150  Dieu vous y sache, ma brunette !

        Et ! je vous prie, ma godinette112,

        Qu(e) un petit [vous] parlez à my113 ;

        Et si, m’appellez vostre amy

        En souriant… Vous114 voicy fière !

155  (La chair bieu ! je vous feray faire115,

        L’un ou l’autre, comme il me semble.

        A ! par mon âme, elle ressemble

        À Vénus, déesse d’Amour[s] :

        Quel musequin116 ! Dieu, quel rebours117 !)

160  M’amye, [souffrez] que je vous flatte118 :

        Vous avez la chair119 délicate ;

        Et si, estes patiente et doulce.

        (Elle souffre que je la touche

        Plaisamment du [bout de]120 mon nez.)

165  Par bieu ! mon musequin, prenez121 :

        Baiser vous vueil et acoller.

                        L’HOMME 122

        Le dyable te puist emporter,

        Truant paillart !

                        LE  CHAUDRONNIER

                                     À my123 ! Ma teste !

        Il m’a tué.

                        L’HOMME

                             [ J’en ay grand feste.

170  Sainct Jehan, ]124 encore(s) en auras-tu !

                        LA  FEMME

        Tredame125 ! vous avez perdu,

        [Car] je suis demourée maistresse.

                        L’HOMME

        Et ! viens çà, viens [çà], larronnesse126 !

        [Doit-il ton « chauldron » escurer ?]127

175  Pourquoy te laisses-tu baiser

        D’un tel truant paillard [parjure128] ?

                        LA  FEMME

        Et ! [c’est] pour gaigner la gajeure.

        Eussay-je, par impatience129,

        Perdu la gajeure ? C’est bien dit, [quand j’y pense] !

                        L’HOMME

180  Il est vray. Allons boire !

                        LA  FEMME

                                                   Allon(s) !

        Mais j’ordonne, comme [est raison]130,

        Que le chaudronnier y viendra.

                        L’HOMME

        Par l’âme de moy ! non fera.

                        LA  FEMME

        Par l’âme de moy ! si fera,

185  Quelque jaloux que vous soyez !

                        L’HOMME

        Puisqu’ainsi est, [o nous131] venez !

        Mais du baiser vous astenez132 !

                        LE  CHAUDRONNIER

        J’ay tout eu mes os fouldroyéz.

        Mes bonnes gens qui nous voyez133 :

190  Venez, de la gajeure, boire !

        Et annoncez et retenez

        Que les femmes que vous sçavez

        Ont gaigné le pris.

                        LA  FEMME

                                         Dame, voire !

                        L’HOMME

        Allons jouer de la mâchouère

195  Et à l’hostel134 croquer la pye.

        Venez-y tous, je vous emprie !

        Et [vous] partirez, sus et jus135,

        De  deux potz de vin, qui seront deuz136.

        Et prenez en gré, sus et jus !

.

                                           FIN

*

1 Les savetiers rythment leur travail en chantant, ce que leur épouse ne supporte pas : « Mon mary va tousjours chantant,/ Et n’a soucy de prendre peine. » Le Savetier Audin.   2 « Il estoit ung bon homme qui charioit fagot./ Il avoit une fille qu’on appelloit Margot. » Il ne faut pas confondre cette chanson de Petit Jan avec une autre, anonyme, qui dit : « Il estoit ung bon homme/ Qui venoit de Lion. »   3 Vous êtes celui-là ! L’épouse insinue que son mari porte sur sa tête un fagot, c.-à-d. une ramure de cornes.   4 En Picardie, « plus » se prononçait « pu ». (René Debrie, Dictionnaire du moyen picard, p. 327.) Les spectateurs entendaient donc : le puceau des puceaux.   5 BM : a ce que ie voy  (Qu’est-ce que j’entends ? Cf. Lucas Sergent, vers 295.)   6 Fouler aux pieds. Cf. les Femmes qui se font passer maistresses, vers 76.   7 Le mari se nomme Guillemin <v. 35>. Mais en picard, un « Jan » est un cocu, et le « bos » désigne les bois qu’un cerf porte sur sa tête. Ce vers, qui nuit au schéma abab/bcbc, est l’un des nombreux vers improvisés que j’évoque dans ma notice.   8 BM : Argent  (« Vous n’avez denier ne maille. » Farce de Pathelin.)  Commencer ce vers par un D permet de rétablir l’acrostiche CLAUDE, qui signe la farce. À propos de ces signatures en acrostiche au début des pièces, voir la note 5 de Jéninot qui fist un roy de son chat.   9 BM : motz lauos  (Le lit mou et bien fermé passe pour le summum du confort. « Couché en ung lit plain de feurre [paille]/ Aussi molet que le beau lin. » Maistre Mymin qui va à la guerre.)   10 Et pourtant. Idem vers 119.   11 BM : adechanter.  (« Qui les hommes scet enchanter/ Par la douceur de son chanter. » G. de Machaut.)   12 À retaper. Idem vers 116. « Les dames, pour se bien porter, se font rabobliner le ventre. » La Fluste à Robin.   13 BM : leur  (Cf. la Confession Rifflart, vers 46.)   14 Empêchée, embarrassée pour peu de chose. C’est la rime picarde par excellence.   15 Je le suis ; cf. le Maistre d’escolle, vers 87 et note. Saint Coquibaut, ou Couillebaud, est un saint priapique invoqué contre la stérilité. On le retrouve au vers 145.   16 BM : noz  (Les pronoms picards « no » et « vo » remplacent « notre » et « votre ». L’éditeur parisien les affuble systématiquement d’un « z » que je mettrai entre parenthèses.)  « Quand nostre truye sera mariée, vous aurez un chappeau neuf : raillerie pour dire que l’on donnera quelque sorte de récompense. » Antoine Oudin.   17 BM : May becq.  (Maubec = mauvaise langue. Cf. la farce de Maubec, Mallegorge et Mallegueype.)   18 Hein ? « En ? Qu’as-tu veu ? » Le Temps-qui-court.   19 Dans votre bouche. Quand on dit « bran ! » [merde] à quelqu’un, il répond toujours « mange ! », d’une manière ou d’une autre : « –Bren pour toy ! –Et merde en tes joues ! » Le Savetier Audin.   20 La souillon. Orde = sale, comme au vers 43. Cf. l’Amoureux, vers 8.   21 Le petit de l’oie n’est pas réputé pour son chant mélodieux. En outre, un oison est un nigaud ; cf. les Sobres Sotz, vers 235.   22 Mais plutôt.   23 Braire. « Un asne, n’en estant de plus gris en Arcadie, pour bien ricquanner en portant le bléd au moulin. » (Godefroy.) On traite les Cordeliers d’ânes gris : « De corde est lié comme toy./ Tu es vestu de gris, en quoy/ La robe d’un asne tu portes. » Frère Fécisti.   24 Quand notre truie va mettre bas. C’est une réplique au vers 17. Le couple habite au village, puisqu’il a un porc.   25 Ni plus, ni moins.   26 Refrain de chanson : le vers ne fait que 6 syllabes, et le prénom masculin Hannin ne saurait désigner une femme, bien que cette dernière soit jouée par un homme. Ladite chanson paraît être ébauchée dans le Monde qu’on faict paistre : « C’est bien dict, Mymin à sonnètes ! »   27 Lacune. Tiens, reçois ce coup ! Voir le vers 50.   28 BM : Auant  (Vous ne vous feignez pas : vous ne faites pas semblant de taper. Cf. le Nouveau marié, vers 182 et note.)   19 Lacune. « Lors prens mon baston en mon poing. » Le Faulconnier de ville.   30 Bambin. « Un pauvre petit poupon subjet à la nécessité. » François de Sales.   31 Coq châtré. Cf. les Chambèrières qui vont à la messe, vers 154.   32 Locution doublement scatologique (chier + brenner) : cf. le Pèlerinage de Mariage, vers 79 et 396. Ici, on en fait un synonyme de « merdeux ».   33 Signe de négligence ou de pauvreté : « Il doit avoir ung pourpoint gras, celuy qui s’appelle Mal-en-point. » Le Capitaine Mal-en-point.   34 Orde = sale. Inspirés par le « chiabrena » du vers précédent, nos auteurs picards truffent leurs rimes de désinences franco-provençales en « -a » pour parodier les farces en dialecte savoyard, qui avaient alors un certain succès ; la plus connue est lou Curia [le curé], où une sale pisseuse devient une « ourda pissouza ».   35 BM : girofflee  (L’épouse s’enduit de giroflat, une pommade parfumée au clou de girofle, le plus célèbre aphrodisiaque de l’époque.)   36 On vous appelle calife de Bagdad, c.-à-d. barbare : « Quelz deux galiffres de Bandas !/ Je cuide qu’ilz ne prendront pas/ Le lièvre, qui est beste soupple [agile]. » Jehan Molinet.   37 BM : faictes  (Vous puez le musc. « Je sens (…) des aux [de l’ail], ou du muglias./ Tu fleures tout le faguenas [la transpiration]. » Trote-menu et Mirre-loret.)   38 La moutarde désigne souvent les excréments : cf. les Rapporteurs, vers 280 et note.   39 BM : Nico.  (Idiote. Cf. la Laitière, vers 85.)   40 Le « mignon de couchette » est un sodomite passif.   41 « NOTTRÉE : mot d’injure. » Debrie, Glossaire du moyen picard.   42 BM : Gros menton  (Bélier châtré !)   43 Dépourvue de dents. « Vieille esdentée, va te pendre au gibet ! » (Jehan Le Happère.) L’adjectif « vieille » est employé lorsqu’on injurie une femme, y compris quand elle est jeune et belle, comme c’est le cas ici.   44 Prends ce coup sur la tête. « Tien ! happe, happe celle noix !/ (Ilz le batent.) » Cautelleux, Barat et le Villain.   45 Bâton ferré des pèlerins.   46 BM : suppedits  (Renverser. Cf. Pates-ouaintes, vers 177.)   47 Quitte à en mourir. Cf. Pates-ouaintes, vers 147 et 520.   48 Par saint Maur ! Idem vers 80. Passion = torture, par référence à la Passion du Christ.   49 Peut-être faut-il lire « saint Crépin », patron des cordonniers ; le savetier de l’Arbalestre l’invoque au vers 422, quand il se dispute avec sa femme. Tanné = fatigué, exaspéré. « J’en suis tanné. » Les Sotz qui remetent en point Bon Temps.   50 Le bonnet rond des maîtres. Les Femmes qui se font passer maistresses dominent les hommes, et obtiennent donc « ung bonnet ront dessus la teste ». Mais on pourrait lire « bon het » : bon courage, à rapprocher du « de het » de 62. « Il le faisoit de très bon hayt ! » (La Confession Margot.) Voir André Tissier : Recueil de farces, t. III, 1988, p. 101.   51 Lacune. « Ce seroit grans blasmes pour elle, pour moy et pour tout nostre lignage. » Louis de Mâle.   52 Celui qui se mesurerait à ton bavardage.   53 Hardi ! Cf. Gautier et Martin, vers 3, 296, 326 et 351.   54 Vers manquant. Je vous surpasse dans tous les domaines. « Vous passez trèstous noz voisins. » Maistre Mimin estudiant.   55 À médire.   56 Un validire [va lui dire] est un rapporteur ou un entremetteur. « Menteurs, bourdeurs, rapporteurs, validires ! » ATILF.   57 BM : de la ville  (Pour ce qui est de bavarder. Idem vers 79. « Deviser, gaudir, caqueter. » Le Résolu.)   58 Pour plaider, pour discuter.   59 Je ne m’émerveille pas. « Chascun se remire/ En maint livre et en maint beau dicté/ Que tu as fait. » ATILF.   60 BM : gaignera  (Gagne toujours le 1er prix, comme au vers 193. « Tu le gaigneras au courir. » Les Trois amoureux de la croix.)   61 BM : maniere  (Mesurer ses paroles. « Tenez tousjours vostre propos ! » Le Capitaine Mal-en-point.)   62 Lacune de plusieurs vers. La femme dit à son époux que, contrairement à lui, elle pourrait demeurer silencieuse et immobile.   63 Les épouvantails avaient une tête en osier, qu’on dissimulait sous un chapeau de paille, ou sous un casque, comme dans le Franc-archier de Baignollet.   64 Sans remuer la tête. Cf. Légier d’Argent, vers 4. Non seulement les deux parieurs n’auront pas le droit de parler, mais en plus, ils ne pourront faire aucun geste.   65 BM : gaigne  (Je gage, je parie. « Je gage deux escus, non pas un, que je frapperay vostre chappeau. » Romannet Du Cros.)  Le patard est une monnaie flamande : cf. les Femmes qui font refondre leurs maris, vers 505. Le vers suivant est perdu.   66 BM : ie  (Je ne parlerai pas.)   67 Je serai maîtresse de moi-même. Idem vers 172.   68 Dites comment nous allons procéder.   69 En ce lieu. Cf. le Mince de quaire, vers 67.   70 Bien malgré moi. « –Taisez-vous donc, et ne disons,/ Chascun, mot ; et je vous en pry./ –Que je me taise ? Je t’affy/ Que c’est bien envis ! » La Mauvaistié des femmes.   71 Vers manquant. Sachez que si j’en prends la peine. Cf. les Queues troussées, vers 200.   72 BM : chinotoire  (« Si, par ung apoticaire,/ Luy estoit baillé ung clistoire. » Le Gouteux.)  On ne peut garder le contenu d’un clystère dans son ventre pendant une heure, comme le prouve Argan à la 3e scène du Malade imaginaire. D’où l’expression : être pressé comme un lavement.   73 Voilà de belles paroles, dans la bouche d’une femme !   74 Celui de nous deux qui perdra. Le « e » svarabhaktique est picard.   75 BM : la soupe  (En Picardie, beaucoup de tavernes prirent comme enseigne une payelle [poêle à frire]. Ces enseignes ont donné leur nom aux rues et aux chemins de la Payelle qui existent encore dans l’agglomération lilloise et jusqu’en Belgique.)  Le perdant offrira donc une coupe de vin dans une taverne : voir les vers 180, 190 et 195.   76 À partir de maintenant. « Que mèshuy plus ung mot je n’oye ! » Le Munyer.   77 BM : cillet  (Ne remuons plus un cil !)  Les cabotins qui ont écrit cette farce exclusivement visuelle se livrent maintenant à un long numéro de mime.   78 Chargé de son matériel, il s’approche de la devanture du savetier en débitant le « cri » de sa profession.   79 BM : poesles  (« POYELLE : poële à frire. Voyez PAYELLE. » Corblet, Glossaire du patois picard ancien et moderne.)   80 « Tu faictz, pour ung trou, deux. » (Te rogamus audi nos.)  Dessous, je rétablis les refrains ABaAabAB du triolet qui annonce traditionnellement l’arrivée d’un nouveau personnage.   81 Où puis-je m’installer ? Les Picards prononçaient « wesse ».   82 Un artisan. « Ou-vrier » compte toujours pour 2 syllabes. Le chaudronnier regarde par la devanture du savetier.   83 Personne ; cf. l’Aveugle et le Boiteux, vers 29. BM ajoute : ceans   84 BM : en voicy deux   85 Lacune. « Dieu gard les belles damoyselles ! » (Les Mal contentes.) Pour éviter la rime du même au même, on peut écrire : la damoyselle belle.   86 C’est le « cri » du chaudronnier dans Te rogamus audi nos : « Chaulderons à reffaire ! ».   87 Je supplée ce vers manquant d’après le vers 160 des Sotz qui corrigent le Magnificat. Avez-vous besoin d’une cuillère à pot ? Il y en a une parmi les ustensiles que vend le chaudronnier : voir le vers 133.   88 Je comble cette lacune d’après le vers 117. Lourde = stupide ; cf. Frère Fécisti, vers 502.   89 Si m’aid Dieu : que Dieu m’assiste ! Cf. le Savetier Audin, vers 169.   90 Probable refrain de chanson : plusieurs d’entre elles qualifient la bien-aimée de « douce pensée ». Appliquée à un homme par un autre homme, cette locution gagne en humour ce qu’elle perd en courtoisie.   91 « Hau ! mon amy, estes-vous sourt ? » Les Drois de la Porte Bodés (voir ma notice).   92 BM : mescoulle entre  (« Entre deux yeulx » est une réminiscence du vers 111.)  Et pourtant, il roule les yeux en me regardant. « Les ieulx (il) lui esroulla. » (ATILF.) Les Picards employaient plutôt érouiller : « Érouillé bien vo zieu ! » Corblet, Glossaire du patois picard.   93 Mes outils (mot picard). Euphémisme pour : je renie Dieu.   94 Conquîtes-vous. « Les pars occidentalles/ Vous conquestistes, et les orientalles. » (André de La Vigne.) Avez-vous réussi à gober une mouche que vous craignez de laisser fuir en ouvrant la bouche ? Un gobe-mouche est un naïf, de même qu’un jénin.   95 Les présidents, du Parlement ou d’ailleurs, affectaient une rigidité sentencieuse.   96 Une statue. « Un ymage de pierre dure. » ATILF.   97 Un coq de village, un hâbleur. On disait à un messager qui voulait revêtir une cotte d’armes « que c’estoit à faire à ung sainct Nicolas de village de la vestir…. ‟Je croy que vous voulez faire le sainct Nicolas de village.” » (Acte notarié de 1528.) La Satyre Ménippée n’est pas en reste : « [Vous] avez fort bonne mine, remplissez bien vostre place, & ne vous advient point mal à faire le roy…. Vous avez toute pareille façon — sauf l’honneur que je doy à l’Église — qu’ung saint Nicolas de village. »   98 Forme picarde de « saint Pierre », le premier pape ; cf. le Pourpoint rétréchy, vers 224. Grâce aux ustensiles de cuisine en métal qu’il a sur lui, le chaudronnier va transformer le savetier en statue de l’Apôtre.   99 De foin, de paille, qui sert à récurer les chaudrons. Le chaudronnier colle au menton du savetier une barbe de paille, ce qui n’est pas très compliqué puisqu’il s’agit d’un accessoire théâtral. « Faire barbe de paille : tromper, se mocquer. » Oudin.   100 Votre diadème, votre auréole. « Nous faisons dyadèmes aus sains. » (ATILF.) Le chaudronnier pose une casserole sur le crâne du savetier.   101 En guise de crosse. La houlette est l’un des attributs de saint Pierre, comme le livre du vers 135.   102 Cette cuillère à pot, cette louche.   103 BM : au  (Un pot de chambre en métal.)   104 Vous qui êtes désormais un saint béni. Le Jeu de Robin et Marion <vers 441-480> nous fait assister au jeu de « saint Coisne », où le joueur qui tient le rôle de saint Côme ne doit surtout pas rire quand on lui offre un cadeau grotesque. Voir André Tissier, p. 108. Sur les rapports entre Côme et Coquibaut, voir Jacques Merceron, Dictionnaire des saints imaginaires et facétieux, pp. 194-6.   105 Sorte de Mystère qui romance — ou invente — la vie d’un saint.   106 Il noircit la figure du savetier avec la suie qui tapisse le cul d’un de ses chaudrons. Même gag — et même origine de la suie — dans les Coppieurs et Lardeurs, vers 390-415.   107 D’après Gargantua <chap. 22>, ce jeu a pour nom : « Sainct Cosme, je te viens adorer. » Guillaume Bouchet précise qu’on noircissait la figure des perdants : « Cest homme noir (…) estoit quelqu’un qui avoit joué à ‟sainct Cosme je te viens adorer”. » Les Sérées, 29.   108 Qu’est-ce qu’ils ont dans la bouche, qui les empêche de parler ?   109 BM : remuoit  (Ils ne bougent pas d’un pouce.)   110 BM : de haudin  (Là encore, on pourrait faire un rapprochement avec plusieurs chansons. Claude Gervaise publiera en 1550 Celle qui a le cueur haultain.)   111 Si propre, si gracieuse.   112 Ma mignonne. Cf. le Mariage Robin Mouton, vers 20.   113 Que vous parliez un peu à moi. Même pronom picard à 168.   114 BM : Heu  (Vous êtes bien dédaigneuse.)   115 BM : parler  (Je vous ferai faire, à l’un ou à l’autre, ce que je veux.)   116 Petit museau, minois. Idem vers 165. Cf. le Povre Jouhan, vers 137.   117 BM : recour  (Quel derrière ! Le Povre Jouhan est encore plus direct : « Saincte sang bieu, quel cropion ! »)   118 Permettez que je vous caresse. Je comble la lacune d’après le vers 163.   119 BM : chere   120 BM : tout a  (Elle permet que je l’embrasse.)   121 BM : pauez  (Le chaudronnier enlace la femme.)   122 Il frappe à coups de louche <v. 133> sur le chaudronnier.   123 À moi !   124 BM : Sainct Jehan ien ay grand feste  (Avoir grand fête = prendre beaucoup de plaisir.)   125 BM : Nostre dame  (« TREDAME : juron, Notre-Dame. » Debrie, Glossaire du moyen picard.)   126 Voleuse, ou plus largement : femme de mauvaise vie.   127 Vers manquant. Le « chaudron » est la partie la plus chaude de l’anatomie féminine ; voir les Femmes qui font escurer leurs chaulderons.   128 Lacune. Parjure est une insulte indépendante de tout sens religieux. « Paillart infâme ! Ruffien ! Traistre ! Parjure ! » Laurent de Premierfait.   129 Si je m’étais impatientée à cause de ses caresses et de ses baisers.   130 BM : regent  (Comme il se doit. « Obéissant aux dieux, comme est raison. » Hugues Salel.)   131 Lacune. La préposition picarde « o » signifie avec. « Venez boire o nous ! » (Lettre de rémission.) Cf. le Pourpoint rétréchy, vers 340.   132 BM : attenez.  (Abstenez-vous. « Astenez-vous de ce faire. » ATILF.)   133 La troupe invite les spectateurs à venir boire.   134 À l’hôtellerie, à la taverne. « En un hostel ou taverne. » (ATILF.) Voir la note 75. Ce vin d’honneur offert au public semble avoir été de tradition ; l’Antéchrist, une farce contemporaine jouée à Paris, se conclut sur : « Chacun soigne [veuille] à l’hostel se rendre ! » Croquer la pie = avaler du vin ; cf. Serre-porte, vers 6.   135 Et vous vous partagerez, en tous lieux. « Tous deux ensemble les bevront,/ Et partiront esgallement. » Le Pet.   136 BM : beuz  (Qui seront dus, qui ne seront pas payés. « Cent escuz nous sont deubz. » Mallepaye et Bâillevant.)

LE PORTEUR DE PÉNITENCE

Ms. La Vallière

Ms. La Vallière

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LE  PORTEUR

DE  PÉNITENCE

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Le copiste du manuscrit La Vallière, qui est souvent mal informé, intitule cette œuvre : Moralité du Porteur de pacience. Or, ce titre ne veut rien dire. Le héros de la pièce est un pécheur qui porte sa pénitence, comme le stipulent les vers 1-2, 37-38, 117, et 248-249. Contrairement au porteur de patience, qui n’existe pas, le porteur de pénitence est bien attesté : « Ton faiz, qu’entens, n’est pas greveuz / Aus porteurs de pénitance. » (Guillaume Digulleville.)

Le prêtre qui confessait un pécheur ne pouvait l’absoudre sans lui prescrire une pénitence plus ou moins lourde et parfois un jeûne. Les Moralités, pièces allégoriques, prennent les symboles au premier degré ; par conséquent, le pécheur de cette pièce va réellement porter sur son dos des charges qui représentent les pénitences et les jeûnes auxquels le prêtre l’a condamné. Bien sûr, il va vouloir les mettre sur le dos de ceux qui ne pèchent jamais ou, plutôt, qui ont la prudence de ne pas confesser leurs péchés.

Source : Manuscrit La Vallière, nº 25. Cette moralité normande, jouée par des personnages de farces, fut sans doute écrite dans les années 1530.

Structure : Rimes plates, rimes abab/bcbc, avec 8 triolets.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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Moralité du

Porteur de pacience

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À cinq personnages, c’est assavoir :

       LE  MAISTRE

       LA  FEMME

       LE  BADIN  [Rinche-hanaps]

       LE  PREMIER  HERMITE

       LE  IIe  HERMITE

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                        LE  MAISTRE  commence 1                    SCÈNE  I

        Hélas ! tant je portes de jeusnes,

        De charges et de pénitences !

        Troys foys à la sepmaine jeusnes2,

        Hélas, tant je portes de jeusnes !

5      Depuys Pasque3, plus ne desj[e]unes.

        Touchant mai[n]s faictz et circonstances4,

        Hélas, tant je portes de jeusnes,

        De charges et de pénitences !

        À mes requestes et instances,

10    Ma femme en portera sa part :

        Car s’elle vient vers ceste part5,

        Je luy mectray tout sur le dos.

        En elle, n’y a nul propos6,

        Et ne veult entendre à mon cas.

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                        LA  FEMME 7                                          SCÈNE  II

15    Rinche-hanaps8 !

                        LE  BADIN

                                         Y[l] n’y est pas.

                        LA  FEMME

        Toutefoys ay-je ouÿ la voix.

        Viendras-tu pas ?

                        LE  BADIN

                                        Ouy, le grand pas9.

                        LA  FEMME

        Rinche-hanaps !

                        LE  BADIN

                                       Il n’y est pas.

                        LA  FEMME

        Plus ne parle que par compas10 !

                        LE  BADIN

20    Je tiendray gravité11, ma foys.

                        LA  FEMME

        Rinche-hanaps !

                        LE  BADIN

                                      Il n’y est pas.

                        LA  FEMME

        Toutefoys ai-ge ouÿ la voix.

        Sy tu ne viens…

                        LE  BADIN

                                      A ! je m’en voix12.

                        LA  FEMME

        Par Dieu, je te feray jeusner !

                        LE  BADIN 13

25    Jusner ? Dea, jusner ? Saincte Croix !

        Je veulx disner et desj[e]uner ;

        De jeusne ay passé les destroys14.

        Jeusner ? Dea, jeusner ? Saincte Croix !

                        LA  FEMME

        A ! garde-t’en15, se tu m’en croyx !

                        LE  BADIN

30    Je veulx chopiner et charner16.

        Jusner ? Dea, jusner ? Saincte Croys !

        Je veulx disner et desjuner.

                        LA  FEMME

        Mais d’où viens-tu ?

                        LE  BADIN

                                            De besongner17.

        Pour vous le donner à congnoistre,

35    Ma mêtresse, j’ay veu mon maistre

        Qui me sembloyt fort empesché.

                        LA  FEMME

        À quoy ?

                        LE  BADIN

                           À porter son péché,

        Ses jeusnes et ses pénitences.

        En luy, n’y a nules substances18 :

40    Croyez19 qu’il est palle et deffaict.

                        LA  FEMME

        Mon Saulveur ! qu’esse qu’il a faict ?

        Pences qu’il a tué son père

        Ou sa mère ? Tel vitupère20

        Ne luy seroyt venu sans cause.

                        LE  BADIN

45    Vous debvez sçavoir qui le cause21,

        Et qui le rent sy mat et vain22 :

        Car il23 a presté son « levain »,

        Ou fringué24 vostre chambèrière.

        Par ma foy ! mon maistre est un Frère25 :

50    Les génitoyres luy espoingnent26.

        Il est tant aise quant y coignent27

        Sus une chair nouvelle et tendre !

                        LA  FEMME

        Sy veulx-je savoir et entendre

        Dont luy vient ceste honte infâme.

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                        LE  MAISTRE 28                                    SCÈNE  III

55    Las ! je vous crye mercy29, ma femme !

                        LA  FEMME

        Il parle devant30 qu’on l’acuse.

                        LE  BADIN

        Je croys bien : y crainct d’avoir blasme.

                        LE  MAISTRE

        Las ! je vous crye mercy, ma femme !

                        LE  BADIN

        Ne luy faictes aulcun diffame !

                        LA  FEMME

60    Tais-toy ! Je congnoys trop sa ruse.

                        LE  MAISTRE

        Las ! je vous cry mercy, ma femme !

                        LA  FEMME

        Il parle devant qu’on l’acuse.

                        LE  BADIN

        Encor[e] fault-il qu’i s’escuse

        En quelque sorte31, honnestement.

                        LA  FEMME

65    Je pers sens et entendement

        De veoir un homme ainsy âgé

        Estre subject et obligé

        À souffrir sy grosse infamye.

                        LE  MAISTRE

        Hélas ! je n’ay rien faict, ma mye.

                        LE  BADIN

70    Par sainct Jaque ! je le croys bien :

        Mon maistre est [un] homme de bien,

        Lequel ne ment poinct s’y ne parle,

        Et ne paye poinct s’on ne le hale32.

        Somme ! chascun le bénédict33.

                        LE  MAISTRE

75    Voyre34, ou je soyes de Dieu mauldict !

                        LA  FEMME

        Il a esté en varouillage35

        Pour corompre son mariage

        Avec un tas de malureuses

        Qui contrefont les amoureuses,

80    Quant il a escus à planté36.

                        LE  BADIN

        Y fault donc qu’il y ayt esté.

                        LE  MAISTRE

        G’y ay esté ? Beau sire Dieulx !

        O ! qu’on me crève les deulx yeulx

        Sy de luxure m’entremais !

                        LE  BADIN

85    Par ma foy ! y n’y fust jamais.

                        LA  FEMME

        Jamais n’y fust, garson mauldict ?

        Et ! tu sçays bien que tu m’as dict

        Toy-mesmes qu’il s’est mesjeté37.

                        LE  BADIN

        Pardieu, vous y avez esté !

                        LE  MAISTRE

90    G’y ay esté ? Tu as menty :

        Onques ne changay mon party38

        De ma femme, je te promais.

                        LE  BADIN

        Par ma foy ! y n’y fust jamais.

                        LA  FEMME

        Y n’y fust jamais ? Par mon Dieu !

95    S’il n’eust poinct hanté meschant lieu39,

        On ne l’eust poinct sy mal traicté.

                        LE  BADIN

        Y fault donc qu’il y ayt esté.

                        LE  MAISTRE

        Gy ay esté ? Tu es bien fol !

        Le deable me rompe le col

100  S’onques m’en voulus entremectre40 !

                        LE  BADIN

        Par mon serment ! je croys mon maistre.

                        LA  FEMME

        Tu le croys ? Y s’est mesporté41,

        Et plusieurs foys a transporté

        — Par folye et par déraison —

105  Ce qu’i faloyt à la maison42

        À ces meschantes dissolues43

        Qui sont fynnes et résolues

        Entour un homme bien renté44.

                        LE  BADIN

        Ma foy ! vous y avez esté.

                        LE  MAISTRE

110  G’y ay esté ? Vray Dieu des cieulx !

        Sur mon âme ! j’aymeroys mieulx

        Qu’on me décorast45 d’un chevaistre.

                        LE  BADIN

        En bonne foy, je croys mon maistre.

        Sus ! pour en léesse nous mettre46,

115  Disons47 deulx mos à la plaisance.

                        LE  MAISTRE

        C’est bien dict. J’aray espoirance

        D’en porter mieulx ma pénitence.

                        Ilz chantent.

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                        Après la chanson,                                      SCÈNE  IV

                        LE  PR[E]MIER  HERMITE  entre.48

        Vous donnez-vous resjouissance

        Alors qu’il est temps de plourer ?

                        LE  DEUXIESME  HERMITE

120  Av’ous49 de plaisir jouyssance,

        Quant il fault du mal endurer ?

                        LE  P[REMIER]  H[ERMITE]

        Fault-il contre Dieu murmurer ?

        Nennin ! Ô créature humaine,

        Tu te doibtz pour Luy a[m]murer50

125  Et porter douloureuse payne.

                        LA  FEMME

        Qui sont ceulx-cy ? Qui les amaine ?

        Regardez, hau ! je m’en éfrites51.

                        LE  BADIN

        À veoir leur vesture et [leur] layne,

        Ce sont deulx convers52 ypochrites.

                        LE  IIe  HERMITE

130  Nous sommes deulx simples hermites

        Qui nuict et jour portons la haire53.

                        LE  BADIN

        Et ! sainct sang bieu, quel[z] fripelipes54 !

        Jésus ! voécy un maistre haire55.

                        LE  MAISTRE

        Sachez qu’i maynnent vie austère,

135  Et viennent pour nous advertir56.

                        LE  P[REMIER]  HERMITE

        Sans faulte y se fault repentir,

        Sy voulons avoir Paradis

        Avec les anges bénédis,

        En contemplant la Trinité.

                        LE  MAISTRE

140  Frère, vous dictes vérité.

                        LE  IIe  H[ERMITE]

        L’un de l’aultre convyent porter

        Le gros faictz57, et le suporter58

        Par amour et par charité.

                        LE  MAISTRE

        Frère, vous dictes vérité.

                        LE  P[REMIER]  H[ERMITE]

145  Avoir convyent contriction59

        — À tout le moins afliction60

        De nos faultes et nos péchés,

        Desquelz nous sommes empeschés61

        Par folye et témérité.

                        LE  MAISTRE

150  Frère, vous dictes vérité.

                        LE  BADIN

        Dictes : s(y) un mary a ployé62

        Son mariage, ou desvoyé63,

        La femme en doibt-ale64 souffrir ?

                        LE  IIe  H[ERMITE]

        Ouy. Sy le mary vient65 offrir

155  Les charges et cas qu’il a fais,

        La femme portera le fais

        Du tout — ou du moins la moytié —

        Bénignement, par amytié :

        Tenue y est, et a[s]servye.

                        LE  MAISTRE

160  Sainct Jehan ! Dieu vous doinct66 bonne vie !

        De tous maulx m’avez alégé.

        Afin que je soys soulagé

        De ce fardeau et pesant fais,

        Ma femme portera sa foys67.

                        LE  BADIN

165  Non fera, par saincte Marye !

                        LE  P[REMIER]  H[ERMITE]

        Sy fera, d’un vouloir courtoys68.

                        LE  MAISTRE

        Ma femme portera sa foys.

                        LE  IIe  H[ERMITE]

        Jésuchrist porta bien sa crois.

                        LE  BADIN

        C’estoyt bien aultre mercerye69 !

                        LE  MAISTRE

170  Ma femme portera sa foys.

                        LE  BADIN

        Non fera, par saincte Marye !

                        LA  FEMME

        Porterai-ge la menterye,

        Les juremens, la pail[l]ardise

        De mon mary ? Quant je m’avise,

175  J’aymeroys myeulx…

                        LE  P[REMIER]  H[ERMITE]

                                             A ! bonne femme :

        Pour le grand salut de vostre âme,

        Des péchés porterez la somme70

        Qu’on a mise sur le bon homme

        À tort et sans cause.

                        LA  FEMME

                                             Non a71 !

                        LE  BADIN

180  Je sçays bien comment tout tourna72,

        Il ne fault poinct tant de langage.

                        LA  FEMME

        Et ! y rompit son mariage

        Le premier jour qu’il m’espousa.

                        LE  P[REMIER]  H[ERMITE]

        Jamais femme ne refusa

185  À faire le commandement

        De son bon mary.

                        LE  IIe  H[ERMITE]

                                         Non, vraiment :

        Ainsy le dict Saincte Escripture.

                        LE  P[REMIER]  H[ERMITE]

        Toute dévote créature

        Qui veult en gloire73 parvenir

190  Doibt à son mary suvenir74

        Quant quelque empeschement il a.

                        LA  FEMME

        Par Dieu, je ne porteray jà !

                        LE  BADIN

        Non, non, n’en faictes rien, ma dame !

        Qu’av’ous afaire d’avoir blasme

195  Des maulx qu’il a faict et fera ?

                        LA  FEMME

        Par Dieu, je ne porteray jà !

                        LE  IIe  H[ERMITE]

        Sy ferez, pour le contenter

        Et un petit le suporter75 :

        Car son cœur s’en resjouyra.

                        LA  FEMME

200  Par Dieu, je ne porteray jà !

                        LE  MAISTRE

        Sy ferez ! Escoustez, ma mye :

        Et ! à joinctes mains je vous prie

        Que me donnez ayde et secours.

                        LE  P[REMIER]  H[ERMITE]

        Mais à qui doibt avoir recours

205  Un bon mary qu’à sa partye76,

        Quant y luy faict juste partye77

        De son corps et de tous78 ses biens ?

                        LE  BADIN

        Mon maistre n’en fist jamais riens !

                        LE  IIe  H[ERMITE]

        Tu mens : je congnoys79 le contraire.

210  Or çà donques, pour nous atraire80

        À une chose raysonnable,

        Monstrez-vous vers luy pitoyable81,

        Comme raison veult, et droicture.

                        LE  P[REMIER]  H[ERMITE]

        La femme de bonne nature

215  À porter82 sy est tousjours preste.

                        LA  FEMME

        Or çà, donc, que je m’y apreste,

        Combien qu’il me faict83 un grand mal

        De porter la paine et raval84

        Du péché que n’ay pas commys.

                        LE  IIe  H[ERMITE]

220  On doibt souffrir pour ses amys ;

        Pour tant85, cecy vous porterez.

                        LA  FEMME

        An ! Jésus !

                        LE  BADIN

                               Vous la grèverez86 :

        Voyez qu’el est en grand détresse.

                        LE  MAISTRE

        Tout beau, hau ! Vous la blesserez87.

                        LA  FEMME

225  An ! Jésus !

                        LE  BADIN

                                 Vous la grèverez.

                        LA  FEMME

        Je n’en feray plus88.

                        LE  P[REMIER]  H[ERMITE]

                                             Sy ferez !

        Marchez89, marchez, faulce deablesse !

                        LA  FEMME

        An ! Jésus !

                        LE  BADIN

                                 Vous la grèverez :

        Voyez qu’el est en grand détresse.

230  Et ! ne portez plus, ma mêtresse,

        Pourveu qu’il ne vienne à plaisir90.

                        LE  MAISTRE

        Pour vous oster de desplaisir,

        Çà, çà, je vous suporteray91.

                        LA  FEMME

        An ! Nostre Dame, je cherray92 !

235  Me voélà toute plate à terre.

                        LE  BADIN

        Dea ! vous debvez sçavoir et croire93

        Qu’el ne porte94 que sus le ventre ;

        Encor[e] ce « fardeau » luy entre

        Jusqu(es) aulx eschines.

                        LA  FEMME

                                                    Ce faict mon95.

240  Donques, sans faire long sermon,

        Plus n’en feray.

                        LE  P[REMIER]  H[ERMITE]

                                      Sans vous grever,

        Ma mye, il convient achever

        Et prendre tout en pacience.

                        LA  FEMME

        Non feray, par ma consience !

245  Sur le dos ne porteray plus.

                        LE  IIe  H[ERMITE]

        Sy ferez cy96.

                        LE  BADIN

                                   C’en est conclus :

        S’el[le] ne veult, rien n’en fera.

                        LE  MAISTRE

        Mon varlet, donques, portera

        Mes pénitences et mes jeusnes.

                        LE  BADIN

250  Alez chercher qui ce sera !

                        LE  MAISTRE

        Mon varlet, donques, portera…

                        LE  BADIN

        Mauldict soyt-il qui le fera !

        Or, atendez que je desj[e]unes.

                        LE  MAISTRE

        Mon varlet, donques, portera

255  Mes pénitences et mes jeusnes.

                        LE  BADIN

        Le deable m’emport97 sy je jeusnes !

                        LE  P[REMIER]  H[ERMITE]

        Tu porteras !

                        LE  BADIN

                                  Vous me fâchez !

        Qu’ay-je affaire des grans péchés

        Qu’il a faict et voulu commectre ?

                        LE  IIe  H[ERMITE]

260  Veulx-tu poinct ayder à ton maistre ?

                        LE  BADIN

        Nennin, par ma foy !

                        LE  MAISTRE

                                               Mon varlet,

        Voécy la charge d’un mulet ;

        Ayde-moy à la suporter.

                        LE  BADIN

        Le deable me puisse emporter

265  Sy j’en porte brin ne brinnet98 !

                        LE  MAISTRE

        Je te donray un beau bonnet99.

                        LE  BADIN

        Je n’en veulx poinct.

                        LE  MAISTRE

                                             Et ! mon amy,

        Tu auras escu et demy,

        Et la moytié de tout mon bien.

                        LE  BADIN

270  En éfaict je n’en feray rien.

                        LE  MAISTRE

        Tu me voys, en nécessité,

        Porter sy grosse austérité :

        Et ! suporte-moy un petit100 !

                        LE  BADIN

        Et ! je n’en ay poinct d’apétit.

275  Somme, je ne séroys101 jeusner :

        Tous les jours je veulx desj[e]uner

        Dès quatre heures.

                        LA  FEMME

                                           Nostre mary,

        Sans faire sy long charivary102,

        Puysque les cas vous avez fais103,

280  Vous-mesmes porterez le fais :

        Le prestre vous l’a enchargé104.

                        LE  MAISTRE

        Hélas ! serai-ge encor chargé

        De telle payne et tel labeur ?

                        LE  IIe  H[ERMITE]

        Ouy : vous porterez la douleur

285  De la plaisance105 qu’avez eue.

                        LE  P[REMIER]  H[ERMITE]

        Ceste chose est toute congneue

        Que tout pécheur luy-mesme porte

        (Sans que personne le suporte)

        La paine qui luy est enjoincte

290  À confesse.

                        LA  FEMME

                               Ainsy Dieu l’apoincte106

        Par sentence et divin arest.

                        LE  BADIN

        Chascun y pent par son jaret107.

                        LE  MAISTRE 108

        Aydez-moy donques, sainctes gens,

        Et ne soyez pas négligens

295  À estre de mes bienfaicteurs !

                        LE  IIe  H[ERMITE]

        A ! on ne sommes pas porteurs.

                        LE  P[REMIER]  H[ERMITE]

        Non, sans faulte.

                        LE  MAISTRE

                                        Amys honorables :

        Veuilez-moy estre secourables

        Plus que ne sont mes serviteurs !

                        LE  IIe  H[ERMITE]

300  A ! nous ne sommes poinct porteurs.

                        LE  MAISTRE

        Au non de Dieu, souverain roy :

        Amys, ayez pityé de moy

        Ainsy que vrays Frères myneurs109 !

                        LE  P[REMIER]  H[ERMITE]

        A ! on ne sommes poinct porteurs.

305  Et pour dire le cas, en somme,

        Tout pécheur doibt porter la somme110

        De tous les péchés qu’il a fais.

                        LA  FEMME

        Au moins, chascun porte son fais.

                        LE  BADIN

        Chascun y pent par son jaret.

                        LE  MAISTRE

310  Touchant mes délis et mes fais,

        Ainsy, chascun porte son fais ?

                        LE  P[REMIER]  H[ERMITE]

        À ceulx-là qui se sont forfais111,

        Aultruy n’y a nul intérest112.

                        LA  FEMME

        Ainsy, chascun porte son fais.

                        LE  BADIN

315  Chascun y pent par son jaret.

                        LE  MAISTRE

        Chantons donques, sans plus de plaict113.

        J’aray la honte et vitupère

        De mes péchés, puysqu’il114 vous plaict.

        Le filz ne soufre pour le père115.

320  En prenant congé de ce lieu,

        Une chanson et puys adieu !116

.

                                                FINIS

*

1 Il sort de l’église et se traîne vers sa maison, le dos chargé d’énormes sacs.   2 Je dois jeûner 3 fois par semaine. En temps normal, on ne fait maigre que le vendredi.   3 À partir de Pâques. Le pécheur a donc reçu sa pénitence lors de la confession quasi obligatoire qui précède Pâques ; cf. les Chambèrières et Débat, vers 183 et note.   4 À cause du péché de luxure que j’ai commis.   5 De ce côté.   6 Aucune bonne disposition.   7 Dans la pièce principale de la maison, elle appelle son valet, qui s’empiffre dans la cuisine, située derrière le rideau de fond. Ces cuisines ont une porte qui donne sur l’arrière de la maison ; le valet va donc affirmer à sa patronne qu’il est sorti, puis qu’il va s’en aller.   8 Rincer les hanaps = vider les verres. Le valet Rince-hanap est un de ces Badins gourmands, buveurs et insolents, comme on en voit beaucoup dans les farces de Normandie. Rincher comporte une chuintante normande : « Je croy qu’avez rinché les pots [que vous avez bu] ! » Le Tesmoing.   9 Au grand galop. Mais il ne bouge pas pour autant.   10 Désormais, ne parle qu’avec sagesse. « Parlant par compas. » Sermon pour une nopce.   11 J’affecterai une attitude grave. « Tenant gravité honnorable. » Baudet, Blondète et Mal-enpoint.   12 Je m’en vais.   13 Prenant cette menace très au sérieux, il passe la tête par le rideau de fond, la bouche pleine.   14 J’ai franchi le passage pénible du jeûne : le Carême est en train de s’achever, puisque nous sommes la veille de Pâques. Rince-hanap entre dans la pièce principale.   15 Évite que je ne te fasse jeûner : obéis à mes ordres.   16 LV : churner  (Charner = manger de la chair, ne pas faire maigre.)   17 De faire ma besogne. Double sens : de besogner une femme.   18 Aucun signe de subsistance, de vie.   19 LV : voyes  (« Croyez qu’il est bien enserré. » L’Aveugle et Saudret.)  L’épouse et son valet ne voient pas encore le mari, qui n’est pas revenu de l’église ; Rince-hanap l’a juste entrevu dehors.   20 La honte de porter publiquement son péché. Idem vers 317.   21 Ce qui cause sa pénitence.   22 Si abattu et si faible. « Plus n’avez vigueur ne demy,/ Tant est vostre cueur mat et vain. » Le Ribault marié.   23 LV : sil  (« Levain : sperme…. Il fait lever le ventre. » Pierre Guiraud, Dictionnaire érotique.)   24 Culbuté. « Volontiers je vous fringasse,/ Madame, si j’osasse. » Chansons folastres.   25 Est aussi lubrique qu’un moine. Deux Cordeliers vicieux vont entrer au vers 118.   26 Les testicules lui démangent.   27 LV : goignent  (Quand ses testicules cognent. Au vers 72 du Tournoy amoureux, les couilles des Frères tambourinent contre des culs.)   28 Il entre dans la maison, toujours chargé de ses péchés.   29 Pitié.   30 Avant. L’épouse affecte de continuer son dialogue avec Rince-hanap, qui se prête au jeu.   31 Qu’il s’excuse d’une manière ou d’une autre.   32 Et ne paie pas si on ne l’y contraint pas. Haler = tirer.   33 Bref, chacun le bénit, lui accorde sa bénédiction. Idem vers 138.   34 C’est vrai.   35 Il est allé courir le guilledou. « Qui va de nuict en varouillaige. » Le Gentil homme et Naudet.   36 En quantité. « Voylà des escus à planté. » (Les Brus.) Le mari ne se contente pas de la chambrière <v. 48> : il fréquente assidûment les prostituées.   37 Qu’il a dévié de la droite voie, comme une flèche déportée par le vent. Voir les vers 47-52.   38 Je n’ai jamais changé mon statut de mari fidèle vis-à-vis…   39 Fréquenté un mauvais lieu, un bordel.   40 Si jamais je voulus m’en mêler. Idem vers 84.   41 Détourné du bon chemin. Cf. Frère Guillebert, vers 454 et 498.   42 Ce qui était nécessaire à notre ménage : son argent et son sexe.   43 LV : disolutes  (À la rime, je corrige resolutes.)  À ces femmes dissolues.   44 Autour d’un homme riche.   45 LV : decolast  (Qu’on me passe une bride au cou, comme à un âne. Par extension, le chevêtre désigne également la corde du pendu : « Mais ung gibet et ung chevestre/ À vous pendre ! » L’Aveugle et Saudret.)   46 LV : maistre  (Pour nous mettre en liesse, en joie.)   47 Chantons. « Mais disons deulx mos de chanson/ Pour passer nostre marisson./ (Ilz chantent ensemble.) » La Réformeresse.   48 Les deux ermites pénètrent dans la maison, officiellement pour dire la bonne parole et pour mendier. En fait, c’est le mari qui les a payés pour venir le seconder ; voir la note 79.   49 Avez-vous. Même normandisme à 194.   50 Emmurer, cloîtrer dans un ermitage ou un monastère, comme la religieuse des Mal contentes aux vers 401 et 459.   51 Je m’en effraye. Cf. le Marchant de pommes, vers 20 et note.   52 Deux nouveaux moines ; cf. Frère Guillebert, vers 110. L’hypocrisie et la lubricité des ermites sont exposées dans Troys Brus et deulx Hermites, où nous avons aussi affaire à des Cordeliers. Cette farce normande contemporaine, également copiée dans le ms. La Vallière, pourrait avoir été jouée lors de la même session par les mêmes acteurs : en général, on enchaînait une sottie, une moralité, puis une farce.   53 Une chemise de crin que certains pénitents portent à même la peau. Nos ermites font semblant, comme tous les tartufes : « Serrez ma haire avec ma discipline [mon martinet] ! » Tartuffe.   54 Remueurs de lèvres, goinfres. « Humesouppiers, avalletrippes,/ Guettelardons, gros fripelippes. » Godefroy.   55 Un grand dissimulateur. « Hypocrites, bigotz (…),/ Haires, cagotz, caffars empantoufléz. » Gargantua, 54.   56 Pour nous rappeler que le Jugement dernier s’approche. L’Apocalypse imminente était le fonds de commerce des prêcheurs publics.   57 Chacun doit porter le fardeau de l’autre. Faix = fardeau. Idem vers 156, 163, 280, 308. Les ermites révèlent enfin pourquoi le mari les a fait venir.   58 Et l’aider. Idem vers 198, 233, 273, 288.   59 De la contrition, du repentir.   60 LV : afection  (Des remords. « Tous ceulx c’ont affliction,/ De leurs péchiers contriction. » Mistère de la Passion de Semur.)   61 Chargés. « Des sept péchéz/ Mortelz dont tu es empesché. » La Confession Rifflart.   62 Dénaturé. « Rompre son mariage (…)/ Ou le ployer. » Le Pèlerinage de Mariage.   63 LV : remploye  (Ou s’il l’a dévoyé.)   64 Doit-elle. Normandisme : « Baillais-li sen cul à fesser/ (Dit-ale) ! » La Muse normande.   65 LV : vienne   66 Vous donne. Dans Frère Phillebert, ce même vers salue également un faux ecclésiastique.   67 À son tour. « Vous viendrez doncq à son escolle/ Vostre foys. » Maistre Mimin estudiant.   68 Elle le fera, et avec bonne volonté.   69 C’était bien autre chose.   70 Le chargement digne d’une bête de somme : voir le vers 262. « Vertu bieu ! je porte les sommes. » Le Sourd, son Varlet et l’Yverongne.   71 On ne l’y a pas mise sans raisons.   72 LV : va  (Comment tout s’est passé. « Tout tournera à nostre utilité. » Les Sotz escornéz.)   73 À la gloire éternelle. « Pensez en la gloire/ De Paradis. » Le Ribault marié.   74 Subvenir, porter secours. Cf. le Poulier à sis personnages, vers 201 et 303.   75 Et l’aider un peu.   76 Sinon à sa moitié, à sa femme. Cf. Chagrinas, vers 204.   77 Répartition.   78 LV : tout   79 Je sais. Ce vers prouve que les ermites et le mari se connaissaient déjà. Voir la note 48.   80 Pour nous amener.   81 Montrez-vous clémente envers lui.   82 À porter des enfants : « Elle portera filz ou fille. » (Jénin filz de rien.) Mais le double sens érotique du vers 237 n’est pas loin.   83 Bien que cela me fasse.   84 LV : trauail  (La dépréciation, l’humiliation. « Desprisé et mis au raval. » Frère Frappart.)   85 Pour cela. L’ermite enlève un des sacs qui pèsent sur les épaules du mari, et le laisse tomber sur celles de la femme.   86 Vous allez l’accabler.   87 LV : blesers  (Le 1er ermite rajoute un sac. La femme tombe à genoux.)   88 Je ne prendrai plus rien d’autre.   89 Allons ! Fausse = perfide. L’ermite charge encore un sac sur les épaules de la femme, qui se retrouve à quatre pattes.   90 Si vous n’y prenez pas de plaisir.   91 Je vais vous encourager. Effectivement, « çà ! çà ! » est un encouragement qu’on prodigue aux chiens de chasse.   92 Je suis en train de choir. L’épouse tombe à plat ventre.   93 En Normandie « craire » rime avec « terre », comme aux vers 172-3 de la Veuve.   94 Qu’elle ne porte… des hommes.   95 C’est exact. Cf. Monsieur de Delà et monsieur de Deçà, vers 18.   96 Pourtant, vous porterez encore ceci.   97 LV : memporte  (Cf. les Sobres Sotz, vers 112 et 456.)   98 Un brin ni une brindille.   99 C’est le plus beau cadeau qu’on puisse faire à un Badin. L’Amoureux du Badin qui se loue achète ainsi le silence du valet de son amante : « Et un bonnet te donneray. » Le Badin du Retraict réclame de même le prix de sa discrétion : « Donnez-moy un bonnet poinctu ! »   100 Aide-moi un peu.   101 En bref, je ne saurais [je ne peux pas] jeûner. C’est un normandisme : « Sans lard, je ne séroys rien faire. » L’Homme à mes pois.   102 Sans débattre plus longtemps. « Ne fais point long charivary ! » Guillerme qui mengea les figues.   103 Puisque vous avez commis ces péchés. Plus précisément, « faire le cas » = faire l’amour : « Quant venez pour faire le cas/ À la desrobée avec moy. » Le Badin qui se loue.   104 Infligé. « Quant on se confesse,/ On doit tout prendre en pacience/ La pénitance qu’on encharge. » Le Ribault marié.   105 Du plaisir sexuel.   106 LV : la apoincte  (L’ordonne.)   107 « Chascune chièvre par son jarret pant. » Ce proverbe de bouchers signifie : chacun est traité selon son mérite. Il était bien connu en Normandie : « Tu sçais bien qu’un cacun y pend par sen garet. » (La Muse normande.) Rince-hanap, féru de proverbes comme tous les Badins, le répète aux vers 309 et 315.   108 Il tente de convaincre les ermites de porter son fardeau.   109 Les ermites font donc partie de ces Cordeliers à la paillardise proverbiale. « Vits de prescheurs,/ De Carmes, de Frères myneurs…./ Deux vitz de prescheurs,/ Et deux grans de Frères mineurs. » Le Tournoy amoureux.   110 Le fardeau ; voir la note 70. Le mot « somme » revient trois fois en trois vers, et chacun alourdit le précédent.   111 Qui ont fauté.   112 Les autres n’ont rien à rembourser.   113 De plaid, de bavardage.   114 LV : puys que  (Puisque cela vous plaît. « Allons boire, puisqu’il vous plaist. » L’Aveugle et Saudret.)   115 François Ier avait livré ses deux fils aînés de 7 et 8 ans à Charles Quint pour être lui-même libéré des geôles madrilènes après la défaite bien méritée de Pavie. Les petites victimes de la bassesse royale recouvrèrent leur liberté quatre longues années plus tard, en juillet 1530. Le théâtre rendit compte du dégoût suscité par l’attitude du roi : voir par exemple la Satyre pour les habitans d’Auxerre.   116 Ce distique apocryphe est la signature habituelle du copiste de ce ms. La Vallière.

LE POURPOINT RÉTRÉCHY

Bibliothèque nationale de France

Bibliothèque nationale de France

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LE  POURPOINT

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RÉTRÉCHY

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Ce Pourpoint rétréci1 est l’une des nombreuses et excellentes pièces que des fatistes picards composèrent pour Paris2 dans le premier tiers du XVIe siècle : voir la notice du Mince de quaire. Celle-ci a l’ampleur de deux longues farces ; mais si elle commence comme une farce, elle finit comme une tragédie.

Source : Recueil de Florence, nº 44.

Structure : Rimes plates.

Cette édition : Cliquer sur Préface. (Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.) Le nombre considérable de particularismes picards m’oblige à inclure une traduction juxtalinéaire pour ne pas surcharger les notes.

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Farce nouvelle très

bonne et fort joyeuse

À .III. personnaiges3, c’est assavoir :

       RICHARD  [NÉGOCE]

       GAULTIER  [SAULCERON]

       TIERRY  [MÂCHOUE]

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                    LE  POURPOINT  RÉTRÉCHY.

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          La farce du Pourpoint rétréchy, trèsjoyeuse.

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                        RICHART  commence 4                                         RICHARD                          SCÈNE  I

        Sang bieu ! es-tu desjà levé ?                                      Sambleu ! tu es déjà levé ?

        Tu n’as pas encore achevé                                           Tu n’as pas encore achevé

        De dormir ton vin.                                                      De cuver ton vin.

                        GAULTIER                                                            GAUTIER

                                         Tu dis bien.                                                           Tu as raison.

        Et toy, as-tu dormy le tien ?                                        Et toi, as-tu cuvé le tien ?

5       Par le sang de moy ! tu estoyes                                   Bon sang ! tu étais

        Si yvre que tu ne sçavoyes                                           Si ivre que tu ne savais plus

        Dire ne « papa » ne « menmen5 ».                              Dire « papa » ni « maman ».

                        RICHARD                                                               RICHARD

        Maudit soit il qui en men[t] !                                      Maudit soit ce menteur !

                        GAULTIER                                                             GAUTIER

                                                          Amen6 !                                                          Amen !

        Or, prenez qu’ainsi soit il, beau sire :                           Supposez qu’il en soit ainsi, beau sire :

10     Mais que gaignez-vous ad ce dire ?                             Mais que gagnez-vous à l’avouer ?

        Je me fois fort7 qu’il me souvient                                Je me vante de me souvenir

        — Puisque8 dire le me convient —                             — Puisqu’il faut que je le dise —

        De trèstout quanque9 je fais[i]on                                De tout ce que je faisais

        [Arsoir10].                                                                  Hier soir.

                        RICHARD                                                              RICHARD

                             Par m’âme ! je baision11                                       Par mon âme !

15     Plus souvent que chat ne se mouche12                       Plus souvent qu’un chat ne se mouche,

        Les hanaps.                                                                J’embrassais les coupes.

                        GAULTIER                                                            GAUTIER

                               Et voire, o13 la bouche,                                               Et même, avec la bouche,

        Je beu[vion] tant que j’en suis mate14.                        Je buvais tant que j’en suis moite.

                        RICHARD                                                              RICHARD

        Il n’y avoit ne pié ne paste15                                        Il n’y avait personne

        Qui ne fust yvre, à nostre16 feste ;                              Qui ne soit ivre, à notre fête ;

20     Fors moy, qui hurté de la teste                                    Sauf moi, qui me suis cogné la tête

        Tant que je cheu sur les thisons.                                  Au point de choir sur les tisons de l’âtre.

                        GAULTIER                                                            GAUTIER

        Je te prie que nous advisons17                                     Avisons, je te prie,

        Où les gallans desjeuneront :                                       Où nous déjeunerons :

        Car certes le ventre me rompt                                    Car, certes, mon ventre se creuse

25     (Ce m’est advis) par cy endroit.                                  Par ici, à mon avis.

                        RICHARD                                                              RICHARD

        Et, par saint Jaques ! Qui prendroit                            Eh, par saint Jacques ! Si nous soignions

        Du poil de chien18, à ce matin,                                  Le mal par le mal, ce matin,

        Ce ne seroit pas faulx latin19 :                                    Ce ne serait pas abusif :

        Car je me médecine à boyre                                       Car je me soigne en buvant

30     Du meilleur vin, certes.                                               Du meilleur vin, certes.

                        GAULTIER                                                            GAUTIER

                                                  Et ! voire.                                                               C’est sûr.

        Mais il nous [y] faulsist ung tiers20.                            Mais il nous faudrait un troisième.

                        RICHARD                                                              RICHARD

        Cestuy y vendra21 vollentiers,                                     Il viendra volontiers, celui

        D’arsoir.                                                                      D’hier soir.

                        GAULTIER                                                             GAUTIER

                            Qui ? Colin Renbouré22 ?                                         Qui ? Colin le rembourré ?

                        RICHARD                                                              RICHARD

        Hahay ! nenny : je ne pouré                                        Ha ! non : car je ne pourrais pas

35     Assener ung pet en sa joue23.                                     Flanquer un pet entre ses deux joues.

        C’est ce meschant Tierry Mâchoue24 ;                        Je parle de ce vilain Thierry Mâchoue.

        [Moy,] je n’y pou[r]oye advenir.                                 Moi, je ne pourrais pas payer.

                        GAULTIER                                                            GAUTIER

        Tierry ? Il n’y pourroit venir                                       Thierry ? Pardieu ! il ne pourrait venir

        (Se m’aist Dieux25) n’en pièce, n’en pose26.               Ni en personne, ni en peinture.

                        RICHARD                                                              RICHARD

40     Non ? Et pourquoy ?                                                   Non ? Et pourquoi ?

                        GAULTIER                                                            GAUTIER

                                              Il se repose                                                             Il se repose

        En son lict et reposera ;                                               Dans son lit et il continuera ;

        Et dict qu’il ne besongnera                                          Et il dit qu’il ne fera aucune besogne

        Anuyt27 qu’il ne soit près de nonne.                            Aujourd’hui avant midi.

                        RICHARD                                                              RICHARD

        Il a la seconde personne28,                                          Il a le second rôle,

45     Doncques, puisqu’il ne s’est levé ;                               Donc, puisqu’il ne s’est pas levé ;

        Ou il fut, arsoir, abruvé29                                           Ou bien il fut, hier soir, abreuvé

        Ung petit plus qu’i ne soulloit.                                    Un peu plus qu’il n’avait coutume.

        Car j’ay apprins qu’il se soûloit30                               Car j’ai appris qu’il se soûlait

        Tous les jours avant qu’il allast                                  Tous les jours avant d’aller

50     Nulle part31 et qu’il se gallast,                                   Quelque part, ni de s’amuser,

        Ne qu’il entrast en la taverne.                                     Ni d’entrer à la taverne.

                        GAULTIER                                                            GAUTIER

        Dieu scet comment il se gouverne                              Dieu sait comment il se comporte

        Dedans son lit en paillardoys32 !                                Dans son lit, en paresseux !

        Par Dieu ! se tu le regardoys,                                      Pardieu ! si tu le regardais,

55     Je sçay bien qu’il te fero[i]t rire :                                Je sais bien qu’il te ferait rire :

        Il romfle, il soufle [et] il souppire                                Il ronfle, il souffle et il soupire

        Par emblées33 en esternuant,                                      Bruyamment en éternuant,

        Tellement qu’il sent si puant                                        Tellement que ça pue beaucoup

        En sa chambre.                                                            Dans sa chambre.

                        RICHARD                                                              RICHARD

                                      Dort-il encores ?                                                         Dort-il encore ?

                        GAULTIER                                                            GAUTIER

60     Ouÿ, par Dieu ! J’en venoye ores                                 Oui, par Dieu ! J’en venais juste

        Ung peu davant que tu venisse[s].                               Un peu avant que tu n’arrives.

                        RICHARD                                                              RICHARD

        Allons le prendre par les cuisses34                              Allons le soulever par les cuisses

        (Dy-je bien ?), et le traîneron                                      (Dis-je bien ?), et nous le traînerons

        En la taverne : et si, buron                                           À la taverne : et ainsi, nous boirons

65     Sur sa robbe35 trois solz ou quatre.                             À ses frais pour 3 ou 4 sous.

                        GAULTIER                                                            GAUTIER

        Pour le faire bien fort débatre,                                    Pour le faire enrager bien fort,

        Je te pry que nous advisons                                        Je te prie que nous avisions

        Comment bien le cabuserons,                                     Comment nous le bernerons bien,

        Qu’il en soit à long temps mémoire.                            Pour qu’on s’en souvienne longtemps.

                        RICHARD                                                              RICHARD

70     Par saint Mor ! Faisons-luy acroyre                             Par saint Maur ! Faisons-lui croire

        Qu’il a tonné et esparty36                                            Qu’il y a eu du tonnerre et des éclairs

        Si fort, que le ciel est party37 ;                                    Si forts que le ciel s’est ouvert en deux ;

        Et tant, qu’il est bien cheu à terre                                Tellement qu’il est bien tombé sur terre

        Deux cens mille anges ; et saint Pierre                        200 000 anges ; et saint Pierre

75     Chéoit, s’il ne se fust bien tenu                                    Serait tombé, s’il ne s’était tenu

        Au mantel Dieu, qui est venu,                                     Au manteau de Dieu, qui est venu,

        Et en chéant, le releva.                                                Et qui le releva dans sa chute.

        Et dirons que le monde va                                           Et nous lui dirons que tout le monde va

        À miracles véoir les anges                                           Par merveille voir les anges,

80     Pource que ce sont gens estranges.                             Parce que ce sont des gens étranges.

        Et je te prometz qu’il yra.                                           Et je te promets qu’il ira.

                        GAULTIER                                                            GAUTIER

        Voire. Mais quant on luy dira,                                    D’accord. Mais quand on le lui dira,

        Il ne fauldra point que l’en rie.                                    Il ne faudra pas qu’on rie.

                        RICHARD                                                              RICHARD

        Ha ! non, par la Vierge Marie !                                   Ha ! non, par la Vierge Marie !

85     Mais l’afermer38 comme Évangille.                            Mais l’affirmer comme parole d’Évangile.

        C’e[st] qu’ilz estoient bien cent mille                          C’est qu’ils étaient bien 100 000

        Anges au39 mains, ou troys ou quatre,                        Anges au moins, ou trois ou quatre,

        Qui s’aloient arsoir40 esbatre ;                                    Qui allaient hier soir se divertir ;

        Et [tout] ainsi comme ilz courroient,                          Et tandis qu’ils courraient,

90     La nue sur quoy ilz estoient                                        Le nuage sur lequel ils étaient

        Cheut à terre [tout d’une tire41].                                Tomba sur terre tout d’un coup.

                        GAULTIER                                                            GAUTIER

        C’est bien dit. Et luy faudra dire                                 C’est bien dit. Et il faudra lui dire

        Que les povres anges gravissent42                              Que les pauvres anges escaladent

        Les montaignes affin qu’ilz puissent                           Les montagnes afin de pouvoir

95     Arrière remonter ès cieulx.                                        Remonter dans les cieux.

        Et y en a jà sur les haulx lieux                                    Et il y en a déjà sur les hauteurs

        Comme sur les tours Nostre-Dame.                            Comme les tours de Notre-Dame.

                        RICHARD                                                              RICHARD

        Et ! par le péril de mon âme !                                     Eh ! par mon âme !

        C’est si bien dit qu’il n’y fault rien.                             C’est si bien dit qu’il n’y manque rien.

100   Au tertre de Mont Valérien,                                       Au sommet du Mont Valérien,

        Sont jà montés sur l’ermitaige43                                 Sont déjà montés sur l’ermitage

        Tel nombre d’anges que c’est raige,                            Un tel nombre d’anges que c’est fou,

        Si trèsbeaux et si très précïeux.                                  Si beaux et si vénérables.

        Et dirons qu’on voyt Dieu, des cieux                          Et nous lui dirons qu’on voit Dieu,

105   De là-dessus, chantant la messe.                                Du haut des cieux, chanter la messe.

                        GAULTIER                                                            GAUTIER

        Or seroit-ce trop grant simplesse                                Ce serait une trop grande crédulité

        À luy de croyre tel baierie44.                                      De sa part que de croire un tel baratin.

                        RICHARD                                                             RICHARD

        Non seroit, par sainte Marie !                                     Non, par sainte Marie !

        Ne luy fi-ge pas entendant45                                       Ne lui fis-je pas croire

110   Arsoir mesmes, en actendant,                                     Hier soir même, en attendant le vin,

        Que l’en avoit, ceste sepmaine,                                   Qu’on avait cette semaine

        Pesché trois harencs sortz en Seine                             Pêché trois harengs saurs dans la Seine,

        Tous vifs46 ; et devoient deux andoulles                     Vivants, et que deux andouilles devaient

        Jouster contre eulx de leurs queno[u]illes ;                 Jouter contre eux avec leur quenouille ?

115   Et doibt Karesme-prenant47 estre                              Et que Mardi-gras doit être

        Leur juge (aussi est-il leur maistre).                           Leur arbitre, car il est leur maître ?

        Mais il m’en croyoit plainement.                                Mais Thierry me croyait pleinement.

        Et puis luy dis si, proprement,                                    Et puis je lui dis aussi, littéralement,

        Que les .XV. Vings48 appreno[i]ent                           Que les aveugles apprenaient

120   Mestier49, et que les ungs estoient                             Un métier, et que les uns étaient

        Cousturiers et poigneurs50 d’alesne ;                          Couturiers et cordonniers ;

        Et les aultres, clercs de taverne51 ;                              Et les autres, serveurs de tavernes ;

        Et d’aultres — ung grant cariaige —                           Et d’autres — une pleine charrette —

        Si bons barbiers que c’estoit raige ;                             Si bons barbiers que c’était fou ;

125   Et les aultres, faiseurs de greaulx52…                         Et les autres, faiseurs de graux…

                        GAULTIER                                                            GAUTIER

        [Quoy ?] Comment dea ?                                            Quoi ? Comment ?

                        RICHARD                                                              RICHARD

                                                « Graveurs de seaulx »,                                   « Graveurs de sceaux »,

        Et si bons osteurs de sirons53                                      Et si bons piqueurs de pustules

        Que merveille !                                                           Que c’est prodigieux !

                        GAULTIER                                                             GAUTIER

                                      Nous luy dirons                                                         Nous dirons à Thierry

        Une chose plus évident :                                              Une chose plus crédible :

130   Dy-luy que je suis président                                        Dis-lui que je suis président

        En Parlement, ou chancelier,                                       Au Parlement, ou chancelier,

        Et suis mussé en ung cellier                                         Et que je me suis caché dans un cellier

        Pour ce que je ne le vueil estre ;                                  Parce que je ne veux plus l’être ;

        Et par ma foy, le gentil maistre                                   Et par ma foi, notre gentil maître

135   L’yra impétrer pour luy54.                                          Ira demander cette charge pour lui.

                        RICHARD                                                             RICHARD

                                                       Voire,                                                                            Certes,

        Jamais [il] ne m’en vouldroit croire55.                        Jamais il ne voudrait me croire.

        Pensons une aultre tromperie.                                    Pensons à une autre tromperie.

                        GAULTIER                                                            GAUTIER

        Vécy quoy, par saincte Marie !                                   En voici une, par sainte Marie !

        Vien çà : nous lui demanderon                                    Approche : nous lui demanderons

140   Son songe, et l[uy] exposeron                                     De raconter son rêve, et nous lui dirons

        — Quelconque chose qu’il nous dye —                       — Quoi qu’il nous raconte —

        Que c’est signe de maladie.                                         Que c’est un signe de maladie.

        Et si, luy ferons entendant                                           Et même, nous lui ferons croire

        Qu’il s’en yra par le pendant56                                    Qu’il finira pendu

145   — Et que son songe le devise —                                — Et que son rêve l’atteste —

        S’il ne se boute57 en franchise                                    S’il ne se réfugie en religion

        Tantost, tout nud, sans arrester,                                  Bien vite, tout nu, sans tarder,

        Et qu’il se voise apprester58                                       Et qu’il aille se faire prêtre

        Au moustier. Et nous porteron                                   Au monastère. Et nous lui apporterons

150   À lui sa robe.                                                             Sa robe.

                        RICHARD                                                              RICHARD

                                  Non feron :                                                    Nous ne la lui apporterons pas :

        Nous la porteron aultre part59,                                   Nous la porterons ailleurs,

        Et sçaurons chacun d’une part,                                    Et saurons, en ayant chacun sa part,

        Tout au long, ce qu’elle vauldra.                                 Combien elle vaut de haut en bas.

        Mais, par Nostre Dame, il fauldra                              Mais, Sainte Vierge, il faudra

155   Qu’on face bien l’eschauffouray60.                             Que nous menions bien notre attaque.

                        GAULTIER                                                            GAUTIER

        Par le sang bieu ! je ne pourray,                                 Palsambleu ! je ne pourrai

        [Se m’aist Dieux,] moy tenir de rire.                          Me retenir de rire, sans l’aide de Dieu.

                        RICHARD                                                              RICHARD

        Dea, si feras ! Et fauldra dire                                     Mais si ! Et il faudra dire à Thierry

        Que sergens la nous ont emblée61,                             Que des sergents nous ont volé sa robe,

160   Et [qu’ilz] sont jà telle assemblée                               Et qu’il y en a déjà une telle troupe

        Qui le quèrent que c’est merveille !                            Qui le cherchent que c’est fou !

                        GAULTIER                                                            GAUTIER

        Je te donneray ma dextre oreille                                  Je donnerai mon oreille droite

        S’il en croyt rien et s’i le fait.                                       S’il le croit et s’il le fait.

        Ho ! j’ay visé ung62 aultre fait :                                  Oh ! je songe à autre chose :

165   Mais qu’on luy puisse faire entendre                           Si nous pouvons lui faire admettre

        Qu’il est mort, nous luy pourrons prendre                   Qu’il est mort, nous pourrons lui prendre

        Quanqu’il a devant son visaige.                                   Tout ce qu’il possède.

        Et puis, s’il mue son courage                                       Et s’il change d’avis

        En disant qu’il n’est mie mort,                                    En disant qu’il n’est pas mort,

170   Disons-luy qu’il regibe et mort63                                Disons-lui qu’il se rebelle

        Et qu’il est tout mal couraigé.                                      Et qu’il n’a aucun courage.

                        RICHARD                                                              RICHARD

        Voire, et [est] trèstout enragé,                                      Oui, et qu’il est tout enragé,

        Et point64 aux dens comme ung lyon.                          Et montre les dents comme un lion.

                        GAULTIER                                                             GAUTIER

        [Il fauldra que nous le lion]65                                      Il faudra que nous l’attachions

175   Comme s’il estoit forcené ;                                          Comme si c’était un forcené ;

        Et dirons qu’il sera mené                                             Et nous dirons qu’il doit être mené

        À Sainct-Mathurin66.                                                  À l’asile des fous.

                        RICHARD                                                              RICHARD

                                               Je pensoye                                                         Je pensais,

        (Ce m’est advis) trop meilleur voye ;                           À mon avis, à un meilleur moyen ;

        Et si, diras bien qu’elle est bonne.                               Et tu diras bien qu’il est bon.

180   Je ne congnoys guère personne                                   Je ne connais presque personne

        Qui s’en scéust appercevoir,                                        Qui puisse s’en apercevoir,

        Mais qu’on face bien son devoir.                                 Si nous faisons bien notre travail.

                        GAULTIER                                                           GAUTIER

        Et qu’esse ?                                                                 Et qu’est-ce que c’est ?

                        RICHARD                                                              RICHARD

                               Je le te diray :                                                                         Je vais te le dire :

        Tu t’en yras — ou moy g’iray —                                 Tu iras — ou j’irai moi-même —

185   En sa chambre tout67 gentement,                               Dans sa chambre tout doucement,

        Et prendras trèstout bellement68                                Et tu prendras en silence

        Son pourpoint sans ce qu’il s’esveille.                         Son pourpoint sans qu’il s’éveille.

        Et puis fauldra qu’on s’apareille                                  Puis il faudra qu’on se débrouille

        Tellement qu’il en soit osté                                         Tant et si bien qu’on en enlève

190   Troys [bons] doys de chascun costé.                           Cinq bons centimètres de chaque côté.

        Et puis quant il s’esveillera,                                         Et puis quand il s’éveillera,

        Voys-tu bien, et il trouvera                                          Vois-tu bien, et qu’il trouvera

        Son pourpoint ainsi rétroissé                                       Son pourpoint ainsi rétréci

        Sans ce qu’il le voye deffroissé.                                   Sans qu’il le voie en désordre.

195   Et  puis nous le recouldrons arrière,                            Puis nous le recoudrons comme avant,

        Ce croy-je, par ytel(le) manière                                  Je pense, d’une telle manière

        Et si trèsbien qu’il n’y perra69.                                    Et si bien qu’il n’y paraîtra rien.

        Par mon serment ! quant il verra                                Par mon serment ! quand Thierry verra

        Que70 son pourpoint ne pourra joindre,                    Qu’il ne pourra plus fermer son pourpoint,

200   Tu luy verras la chair espoindre71,                             Tu le verras avoir la chair de poule,

        [Et] frémir, et muer coulleur72,                                  Et frémir, et rougir,

        Si fort que ce sera doulleur.                                        À un point que ce sera terrible.

        Et puis fauldra bien qu’on luy dye                               Et il faudra qu’on lui dise bien

        Qu’il est enflé par maladye,                                        Qu’il est enflé par la maladie,

205   Et que, se tantost n’y pourvoie73,                               Et que s’il n’y pourvoit bien vite,

        Qu’il est mort.                                                             Il est mort.

                        GAULTIER                                                            GAUTIER

                                    Se Dieu me doint joye,                                       Que Dieu me bénisse !

        Vécy trèsbon appointement !                                      Voilà un très bon tour.

                        RICHARD                                                              RICHARD

        N’est pas ?                                                                   N’est-ce pas ?

                        GAULTIER                                                            GAUTIER

                             Si est, par mon serment !                                               Oui, par mon serment !

        On ne pourroit mieux deviser.                                    On ne pourrait inventer mieux.

210   Il ne s’en sçauroit adviser,                                           Thierry ne pourrait se douter de rien,

        Par le sang que Dieu m’a donné !                               Par ma vie !

                        RICHARD                                                              RICHARD

        Cuidera il estre empoisonné                                        Il croira avoir été empoisonné

        Par advis74.                                                                 Subrepticement.

                        GAULTIER                                                            GAUTIER

                                 Ouÿ, fermement.                                                           Oui, sûrement.

        Et bauldra75, au commencement,                              Et il nous donnera, dès le début,

215   Argent pour monstrer son orrine76.                           De l’argent pour faire examiner son urine.

                        RICHARD                                                              RICHARD

        Voire, par saincte Katherine !                                     Oui, par sainte Catherine !

        Nous en aurons du moins deux francs                         Nous aurons de lui au moins 2 francs

        Pour bailler aux phisicïens77                                       Pour donner aux prétendus médecins

        — Ou ung escu, que je ne mente.                              — Ou un écu, pour être précis.

                        GAULTIER                                                            GAUTIER

220   Se nous n’en avons plus de trente,                               Si nous n’en avons pas plus de 30

        Des francs, au moins, se tu m’en croys,                      Pour le moins, des francs, crois-moi,

        Je vueil estre tondu en croyx78 !                                Je veux bien être tondu comme un fou !

        [Hier,] il a gaigné tout le nostre                                  Hier soir, il a gagné tout notre argent

        Aux détz.                                                                   Aux dés.

                        RICHARD                                                              RICHARD

                            Par saint Pere79 l’appostre !                                    Par saint Pierre l’apôtre !

225   Tu dis voir ; mais il le rendra.                                     Tu dis vrai ; mais il nous le rendra.

        Or[e] ne sçai-ge où on prendra                                   Je ne sais pas où nous trouverons

        Une [esguille. Et]80 ! en as-tu point ?                         Une aiguille. Hé ! n’en as-tu pas ?

                        GAULTIER                                                           GAUTIER

        Ouÿ. Va querre le pourpoint,                                       Si. Va chercher son pourpoint,

        Ne te soucye d’aultre chose.                                        Ne te soucie pas d’autre chose.

                        RICHARD                                                               RICHARD

230   Par l’âme qui en moy repose !                                     Par mon âme !

        J’y81 voys.                                                                   J’y vais.

                        GAULTIER                                                            GAUTIER

                              Or va tout bellement !                                          Vas-y silencieusement !

                        RICHARD                                                              RICHARD

        Ore, par le Dieu qui ne ment,                                     Maintenant, par Dieu,

        Je doubte qu’il ne dorme pas.                                      Je redoute que Thierry ne dorme pas.

        Mais g’iray si délyé pas                                               Mais j’irai d’un pas si léger

235   Que je croy qu’il ne m’orra goute82.                           Que je crois qu’il ne m’entendra pas.

                        GAULTIER                                                            GAUTIER

        Quant tu seras là, si escoute                                        Quand tu seras à sa porte, écoute

        S’il souppire point, ne s’il hongne.                               S’il ne soupire pas, ou ne grogne pas.

.

                        RICHARD 83                                                          RICHARD

        Vé-le cy. Sus, sus, en besongne !                                Voici le pourpoint. Allons, au travail !

        Descouson84 !                                                            Décousons-le !

                        GAULTIER                                                             GAUTIER

                                   Si dort-il ?                                                                Dort-il ?

                        RICHARD                                                               RICHARD

                                                        Ouÿ,                                                                     Oui,

240   Si fort qu’il ne m’a point ouÿ.                                       Si fort qu’il ne m’a pas entendu.

        J’eusse bien prins toute sa robe,                                   J’aurais pu prendre toute sa robe,

        Par le sang Dieu ! Il ne se hobe                                   Palsambleu ! Il ne bouge

        Ne que fait ung pourceau qui pisse.                             Pas plus qu’un pourceau qui pisse.

                        GAULTIER                                                            GAUTIER

        Par Nostre Dame ! Que je puisse85,                            Sainte Vierge ! Si je peux,

245   Mes co[u]stures ne perront point.                                Mes coutures n’apparaîtront pas.

                        RICHARD                                                               RICHARD

        Coulx-moy, coux86, hardiement bon point !               Couds, cocu, et fais de beaux points !

        Tu coulx tro(u)p pontifficalment.                                Tu couds trop solennellement.

                        GAULTIER                                                            GAUTIER

        Il le fault faire esgallement,                                         Il faut le faire d’une manière égale,

        Qu’il n’apperçoyve la cousture :                                  Pour que Thierry n’aperçoive pas la couture :

250   S’il l’appercevoit d’adventure,                                     S’il l’apercevait par extraordinaire,

        Tout nostre fait se gasteroit87.                                    Toute notre affaire se gâterait.

                        RICHARD                                                              RICHARD

        Le diable s’en adviseroit !                                           Seul le diable la remarquerait !

        Il ne s’en sçauroit adviser.                                           Thierry ne pourrait pas s’en aviser.

                        GAULTIER                                                             GAUTIER

        Pour mieulx nostre fait deviser,                                  Pour mieux organiser notre action,

255   Je te diray qu’il convendra :                                        Je vais te dire ce qu’il faudra faire :

        Je vendray ainsi qu’il tendra                                        J’entrerai tandis que Thierry tiendra

        Son pourpoint, et le hucheray ;                                   Son pourpoint, et je l’appellerai ;

        Et quant je le regarderay,                                           Et quand je le regarderai,

        Je me seigneray88. Voys-tu bien ?                              Je me signerai. Vois-tu bien ?

                        RICHARD                                                              RICHARD

260   Prens-moy ce fil, tu ne fais rien !                                Prends ce fil, tu ne fais rien !

        Enfille ceste esguille, enfille !                                      Enfile cette aiguille, enfile-la !

                        GAULTIER                                                            GAUTIER

        Mais toy ! Tu n’es de rien habille,                               Mais plutôt toi ! Tu n’es bon à rien,

        Se n’est tousjours à deviser.                                         Si ce n’est à toujours bavarder.

                        RICHARD                                                               RICHARD

        Il fault saigement adviser                                             Il faut examiner avec sagesse

265   Comment la besongne en ira.                                      Comment se déroulera notre affaire.

                        GAULTIER                                                             GAUTIER

        Par le sang bieu ! On luy dira                                     Palsambleu ! Nous dirons à Thierry,

        — Quant vendra au faire et au prendre —                 Quand nous viendrons au vif du sujet,

        Tant, qu’il ne sçaura où entendre.                               Tant de choses qu’il en sera perdu.

        Quant tu auras encommencé,                                      Quand tu auras commencé à parler,

270   Mais que tu n’ayes avancé                                           Si tu n’as pas assez avancé

        La besongne sans que g’y soye…                                La besogne sans moi…

                        RICHARD                                                               RICHARD

        Par Dieu ! c’est ce que je pensoye,                             Pardieu ! c’est ce que je pensais,

        [Et] ainsi le voulloy-ge dire.                                        Et je voulais le dire ainsi.

                        GAULTIER                                                            GAUTIER

        Quoy ? Que veulx-je dire, beau sire ?                        Quoi ? Que veux-je dire, beau sire ?

275   Sces-tu ?                                                                     Le sais-tu ?

                        RICHARD                                                              RICHARD

                            Par mon serment, nenny.                                          Par mon serment, non.

                        GAULTIER                                                             GAUTIER

        M’aist Dieux ! je t’en croy. Entens-y                           Dieu ! je t’en crois. Réfléchis-y

        Doncques, et puis tu le sçauras.                                  Donc, et puis tu le sauras.

        Je te dy que quant tu auras                                          Je te dis que quand tu auras

        Sans moy commencé la besongne…                           Commencé sans moi la besogne…

                        RICHARD                                                               RICHARD

280   Par Nostre Dame de Boulongne !                               Par Notre Dame de Boulogne !

        Ce fut bien dit.                                                            C’était bien dit.

                        GAULTIER                                                            GAUTIER

                                     Le quoy, bien dit ?                                         Qu’est-ce qui était bien dit ?

                        RICHARD                                                               RICHARD

        Par le sang que Dieu respandyt !                                 Par le sang du Christ !

        Je ne sçay. Mais [ce devoit]89 estre                            Je ne sais pas. Mais ce devait être

        Bien parlé, et de main de maistre90.                           Bien parlé, et de main de maître.

285   Dy toujours !                                                              Dis toujours !

                        GAULTIER                                                            GAUTIER

                                Or escoutes doncques :                                             Alors écoute donc :

        Quant j’entreray…                                                     Quand j’entrerai dans sa chambre…

                        RICH[A]RD                                                            RICHARD

                                         Je ne vy oncques,                                                                 Je n’ai jamais vu

        Certes, mieulx dire, que je sçaiche !                          Mieux dire, certes, que je sache !

                        GAULTIER                                                             GAUTIER

        Si, ne sces-tu ne q’une vache,                                     Tu ne sais pas plus qu’une vache

        Vrayement, à quel fin je vueil tendre !                       Où je veux en venir, vraiment !

                        RICHARD                                                              RICHARD

290   Ne te chault ! Je n’y vueil entendre                            Qu’importe ! Je n’entends que ceci,

        (Pour Dieu) que, sans plus sermonner,                       Pour Dieu : sans plus de discours,

        G’iray doncques l’araisonner.                                     J’irai donc apostropher Thierry.

        Et puis vien après ?                                                    Et puis après ?

                        GAULTIER                                                             GAUTIER

                                            Et puis g’iray                                                    Et puis je viendrai

        Assez tost après, et diray,                                            Assez vite après toi, et je dirai,

295   Mais que sa chambre ne soit close91…                       Si sa chambre n’est pas fermée…

                        RICHARD                                                               RICHARD

        Que vécy [une] bonne chose !                                    Que voilà une bonne chose !

        Hélas, tu dis le mieulx du monde !                             Ah ! tu parles le mieux du monde.

                        GAULTIER                                                            GAUTIER

        Par sainct Mor ! je vueil qu’on me tonde                   Par saint Maur ! j’accepte qu’on me tonde

        Se tu sces dire ne penser                                            Si tu peux dire ni même penser

300   Ce que je vueil en[c]ommencer !                               Ce que je veux entreprendre !

        Comment sces-tu ce que je pense ?                            Comment saurais-tu ce que je pense ?

                        RICHARD                                                              RICHARD

        Et ! si fais (par ma conscience)                                   Eh ! sur ma conscience, je le sais

        Mieulx que tu ne fais quatre foiz !                               Quatre fois mieux que toi !

                        GAULTIER                                                             GAUTIER

        Tu le sces mieulx que je ne fais ?                               Tu le sais mieux que moi ?

305   Or le dy doncques, et je t’en prie !                              Alors dis-le donc, je t’en prie !

        Que fu-ce ?                                                                 Qu’est-ce que c’était ?

                        RICHARD                                                               RICHARD

                                Par saincte Marie !                                                                 Par sainte Marie !

        Je ne sçay, ny ne m’en souvient.                                 Je ne sais pas, et ne m’en souviens plus.

                        GAULTIER                                                             GAUTIER

        Et ! je te dy qu’il esconvient                                       Eh ! je te dis qu’il vaut mieux

        Que tu ne me die [plus] rien.                                      Que tu ne me dises plus rien.

                        RICHARD                                                              RICHARD

310   Hen, voire, tu dis bien.                                                Oui, vraiment, tu dis bien.

        Je t’entens sans en faillir rien.                                      Je comprends tout sans rien rater.

        Ha ! bien sera bonne devise !                                      Ah ! ce sera un bien bon projet !

        Il sera prins par bonne guise,                                      Thierry sera pris d’une bonne manière,

        Mieulx que poussin n’est d’une escouffle92.                Mieux qu’un poussin par un milan.

                        GAULTIER                                                             GAUTIER

315   Quoy  dea ! tu sembles sainte Pentouffle93 :               Ah ! tu ressembles à sainte Pantoufle :

        Tu responds aux pensées.                                           Tu réponds aux pensées.

                        RICHARD                                                              RICHARD

                                                      Voire :                                                                  C’est vrai :

        J’ay ainsi esgu le mémoire94,                                      J’ai une mémoire si aiguë

        Et l’engin95 si vif que c’est raige !                              Et un esprit si vif que c’est fou !

                        GAULTIER                                                            GAUTIER

        Je sçay bien que tu es trop saige96 ;                           Je sais bien que tu es trop sage ;

320   Mais je te pry, pour Dieu, beau sire,                          Mais pour Dieu, beau sire, je te prie

        Que tu me laisses trèstout dire                                   Que tu me laisses dire tout

        Quanque je pense, se tu veuilx.                                  Ce que je pense, si tu veux bien.

                        RICHARD                                                              RICHARD

        Or, par le sang bieu, je le veulx ;                                Palsambleu ! je suis d’accord ;

        Je ne te destourberay97 point.                                     Je ne te troublerai plus.

                        GAULTIER                                                            GAUTIER

325   Par sainct Mor, et ! Vécy le point                               Par saint Maur ! Voici le moyen

        Comment je l’espoventeray,                                       Par lequel je ferai peur à Thierry,

        Voys-tu ? Vécy que je feray :                                     Vois-tu ? Voici ce que je ferai :

        Or… Par le sainct souleil qui raye98 !                        Donc… Par le saint soleil qui luit !

        Je ne sçay de quoy je parloye ;                                   Je ne sais plus de quoi je parlais ;

330   Tu le m’as fait entr’oublier.                                        Tu me l’as fait oublier.

                        RICHARD                                                              RICHARD

        C’est que nous l’allissons lier                                      C’est que nous allions ligoter Thierry

        Parmy les bras et par99 les cuisses.                            Aux bras et aux cuisses.

                        GAULTIER                                                            GAUTIER

        Or, par le sang bieu ! Que tu puisses,                         Palsambleu ! Alors, si tu peux,

        Homme que toy ne parlera ?                                       Aucun homme, à part toi, ne parlera ?

335   Ho, et ! Vécy qu’il en sera :                                        Oh ! voici ce qui sera fait :

        Pour mieulx nostre fait confermer,                             Pour mieux assurer notre besogne,

        Luy yras100 dire et affermer                                      Tu iras dire et affirmer à Thierry

        Que deux des gallans qui souppèrent                          Que deux des noceurs qui soupèrent

        Et s’esbatirent, et jouèrent                                          Et se divertirent, et jouèrent aux dés

340   Arsoir101 o nous, sont trespasséz ;                             Hier soir avec nous, sont trépassés ;

        Et sont jà les gens amasséz                                         Et que les gens sont déjà rassemblés

        Pour les veoir aller enterrer.                                       Pour aller à leur enterrement.

                        RICHARD                                                              RICHARD

        Se je ne luy fais bien serrer                                         Si je ne lui serre bien

        Le cueur, je vueil que l’en me tonde !                        Le cœur, j’accepte qu’on me tonde !

345   Je le feray le mieulx du monde,                                  Je le ferai le mieux du monde,

        Et diray qu’ilz sont mors d’enflure                              Et je lui dirai qu’ils sont morts d’enflure

        Et de poysons.                                                            Et à cause d’un poison.

                        GAULTIER                                                             GAUTIER

                                   Et ! je t’asseure                                                                      Eh ! je t’assure

        Qu’il aura bien chault, s’il ne tremble102 :                   Qu’il aura bien chaud, s’il ne tremble pas :

        Car puisqu’ilz souppèrent ensemble,                           Car puisqu’ils ont soupé ensemble,

350   Il cuidera estre brouÿ103.                                            Thierry pensera déjà brûler en enfer.

                        RICHARD                                                             RICHARD

        Ce pourpoint est-il bien ?                                           Ce pourpoint est-il terminé ?

                        GAULTIER                                                             GAUTIER

                                                     Ouÿ,                                                                              Oui,

        Si que n’y a que régaller104.                                        Si bien qu’il n’y a plus qu’à se régaler.

                        RICHARD                                                               RICHARD

        Or, entrons cy : je vueil aller                                      Entrons dans sa chambre : je veux aller

        Le remettre sur luy arrière.                                        Remettre le pourpoint chez lui.

                        GAULTIER                                                             GAUTIER

355   Va doncques, par bonne manière.                             Va donc, de la manière qui convient.

        Et garde qu’il ne se resveille !                                    Et prends garde qu’il ne se réveille pas.

                        RICHARD                                                              RICHARD

        Il aura la pusse en l’oreille105,                                    Il aura l’oreille qui siffle,

        Ce croy-ge, ains que le jeu depparte106.                    Je crois, avant la fin du jeu.

                        GAULTIER                                                             GAUTIER

        Et s’il [entroit en fièvre quarte]107                              Et s’il attrapait une jaunisse

360   De [la] peur que nous luy feron,                                 À cause de la peur que nous lui ferons,

        Ou qu’il meure ? Nous en seron                                 Ou s’il en mourrait ? Nous en serons

        Tenus et pugnis laidement.                                         Arrêtés et punis vilainement.

                        RICHARD                                                              RICHARD

        Tais-toy, ce n’est qu(e) esbatement.                            Tais-toi, ce n’est qu’un jeu.

        [Mais] s’il mouroit, nous luy dirion                             Mais s’il mourrait, nous lui dirions

365   Que c’est[oit] jeu, et le ferion                                     Que c’était un jeu, et nous le ferions

        Menger, [pour] qu’il en [p]eust revivre.                      Manger, pour qu’il puisse revivre.

                        GAULTIER                                                            GAUTIER

        Va-t’en doncques, et te108 délivre !                            Vas-y donc, et fais ton travail !

        Metz109 bien le pourpoint en [son] lieu.                     Remets bien le pourpoint à sa place.

.

                        RICHARD 110                                                       RICHARD

        Par les sainctes engoisses bieu111 !                            Par la Passion du Christ !

370   Il dort proprement comme ung lièvre :                      Il dort vraiment comme un lièvre :

        Et ! [il] reuvre ainsi la baulièvre                                Eh ! il ouvre comme ceci la lèvre

        De dessoubz, et a l’œil ouvert112.                              Du bas, et il a un œil ouvert.

                        GAULTIER                                                           GAUTIER

        Et ne l’as-tu pas recouvert                                          Et tu ne l’as pas recouvert

        Du pourpoint, par bonne manière ?                           Avec le pourpoint, comme il se doit ?

                        RICHARD                                                              RICHARD

375   Et quoy donc ?                                                           Et puis quoi, encore ?

                        GAULTIER                                                            GAUTIER

                                    Iras-tu arrière,                                                                    Y retourneras-tu,

        Ou moy qui ira[y] le premier ?                                   Ou est-ce moi qui irai le premier ?

                        RICHARD                                                              RICHARD

        Tu yras ; g’iray le dernier :                                         Tu iras, et j’irai après toi :

        Je me fois fort, par bonne guise113,                           Je sais que selon les bonnes manières,

        Pour Dieu, que la table114 soit mise                           Pour Dieu, la table sera alors mise

380   Pour115 [l’]entremetz.                                                Pour cette surprise du chef.

                        GAULTIER                                                            GAUTIER

                                               Or ne t’en116 doubte !                                                N’en doute pas !

                                                                                                                                                       SCÈNE  II

        Hau ! Tierry ! [Tierry !] Il n’oit goutte.                      Ho ! Thierry ! Thierry ! Il n’entend rien.

        Tierry ! Fais-tu la sourde oreille ?                              Thierry ! Fais-tu la sourde oreille ?

                        TIERRY,  en faisant la croix.117                           THIERRY,  en se signant.

        Quel118 dyable esse-là qui m’esveille                         Quel diable est-ce-là qui m’éveille

        (Amen !), qui est plus noir que meûre ?                     (Amen !), plus noir qu’une mûre ?

                        GAULTIER                                                            GAUTIER

385   Sang bieu, et ! Dors-tu à ceste heure ?                       Sambleu ! Dors-tu à cette heure ?

        [Par ma foy,] es-tu bien fétard119 !                            Par ma foi, tu es bien cossard !

                        TIERRY                                                                 THIERRY

        Mauldit soys-je se, sus le tard,                                   Que je sois maudit si, plus tard,

        Je buray tant que120 ceste année !                             Je bois autant que cette année !

        J’ay la teste si estonnée                                              J’ai la tête si assommée

390   D’arsoir !                                                                   D’hier soir !

                        GAULTIER 121                                                       GAUTIER

                            Ja[ques122] ! Saincte Marie !                                    Saint Jacques ! Sainte Marie !

        Qu’esse-cy ? Vécy deablerie !                                    Qu’est-ce-là ? C’est une diablerie !

        Et ! ne sens-tu point de doulleur ?                             Eh ! ne ressens-tu pas de douleur ?

        [Onc ne fut plus fade coulleur !]123                           On ne vit jamais une couleur plus pâle.

                        TIERRY                                                                  THIERRY

        Va chier, va ! Quel coulleur ai-ge ?                           Va chier, va ! Quelle couleur ai-je ?

                        GAULTIER                                                             GAUTIER

395   Benoiste Dame, quel visaige !                                   Bonne Mère, quel visage !

        Par mon serment, tu m’espoventes !                          Par mon serment, tu m’épouvantes !

        Et ! n’est-il chose que tu sentes ?                               Eh ! ne ressens-tu rien ?

                        TIERRY                                                                 THIERRY

        Ouÿ, [de la seuf]124.                                                  Si, de la soif.

                        GAULTIER                                                            GAUTIER

                                             Ha, sainct George !                                     Ah, saint Georges !

        Taste ton visaige et ta gorge !                                    Tâte ton visage et ton cou !

400   Tant plus te voy, et plus t’empire.                              Plus je te regarde, et plus tu empires.

                        TIERRY                                                                  THIERRY

        Par le sang bieu ! tu me fais rire.                               Palsambleu ! tu me fais rire.

        Mais qu’as-tu, se Dieu te doint joye ?                        Mais qu’as-tu, au nom de Dieu ?

                        GAULTIER                                                            GAUTIER

        Par ma foy ! se Dieu n’y pourvoye,                            Ma foi ! si Dieu n’y pourvoit,

        Jamais ne verras nouveau125 jour.                             Tu ne verras jamais un nouveau jour.

405   Levez-vous126 sans faire séjour,                                 Levez-vous sans tarder,

        Se vous povez, je vous conseille.                                Si vous pouvez, je vous le conseille.

        Vray(e)ment, vécy la nonpareille                               Vraiment, voilà la plus singulière

        Maladie que je vis[se] oncques !                               Maladie que j’aie jamais vu !

                        TIERRY                                                                  THIERRY

        Et si, ne sens-je riens quelconques,                            Et pourtant, je ne sens rien du tout,

410   Se ce n’est ung peu en la teste ;                                  Si ce n’est un peu dans la tête ;

        Mais ce n’est que de la tempeste                               Mais ce n’est dû qu’à la tempête

        Du vin d’ersoir127, je le sçay bien.                            Du vin d’hier soir, je le sais bien.

                        GAULTIER                                                            GAUTIER

        Or escoutez : ne croyez rien                                       Écoutez : ne me croyez pas

        Se vous ne voullez.                                                     Si vous ne voulez pas.

                        TIERRY                                                                  THIERRY

                                            Et ! quel « croire » ?                                                Eh ! quel « croire » ?

415   Je voys me lever : si  yrons [boire],                            Je vais me lever : nous irons boire,

        Et le boire me guérira.                                                Et la boisson me guérira.

                        GAULTIER                                                            GAUTIER

        Dieu scet comment il en ira,                                       Dieu sait comment il en ira,

        Mais je me doubte que non face.                                Mais je redoute que non.

        Ha ! benoiste Dame, quel face !                                  Ah ! bonne Mère, quelle figure !

420   Voz joes ressemblent vrayment                                  Vos joues ressemblent vraiment

        À voz deux fesses proprement,                                   À vos deux fesses, véritablement,

        Tant sont enflées et bouffies.                                       Tant elles sont enflées et bouffies.

                        TIERRY                                                                 THIERRY

        Sang de moy, que tu te soucyes !                               Bon sang, que tu t’inquiètes pour rien !

        Que deable dis-tu ?                                                    Que diable dis-tu ?

                        GAULTIER                                                            GAUTIER

                                            Que je dy ?                                                              Ce que je dis ?

425   Jamais ne verrez vendredy,                                        Jamais vous n’atteindrez vendredi,

        Se tantost [il] n’y est pourveu.                                    Si on n’y pourvoit rapidement.

                        TIERRY                                                                  THIERRY

        Quoy ! que deable ai-ge ? [Qu’as-tu veu]128 ?          Quoi ! que diable ai-je ? Que vois-tu ?

        Et ! suis-je enflé, sans mocquerie ?                            Eh ! suis-je enflé, sans moquerie ?

                        GAULTIER                                                            GAUTIER

        Et ! levez-vous, je vous en prie :                               Eh ! levez-vous, je vous en prie :

430    Si irons aux phisicïens.                                             Nous irons chez le médecin.

                        TIERRY                                                                 THIERRY

        Il soit lié de maulx lïens129,                                       Que je sois enchaîné en Enfer

        Qui en sçau[r]oit rien, que je soye130 !                      Si je suis celui qui le saurait !

        Encore (se Dieu me doint joye)                                 Pourtant (si Dieu m’assiste)

        Croy-ge que tu me veulx tempter :                            Je crois que tu veux me mettre à l’épreuve :

435   Tu le dis pour m’espoventer.                                     Tu dis cela pour me faire peur.

        Je suis enflé ? C’est bon à croire !                              Je suis enflé ? C’est difficile à croire !

                        GAUTIER                                                                GAUTIER

        Vous estes enflé, Jaques ! voire,                                 Vous êtes enflé, par saint Jacques, oui,

        Dont il me poise. Se je peusse                                   Ce qui me peine. Si je pouvais

        Y remédïer…                                                             Y remédier…

                        TIERRY                                                                  THIERRY

                                    Je t’en creusse ;                                                      Je te croirais bien ;

440   Ma[i]s tu es [ung] si fort tromperre131 !                     Mais tu es un si grand trompeur !

        Et ! qu’esse-cy ? Maulgré saint Pere !                         Eh ! qu’est-ce-là ? Par saint Pierre !

        Ce pourpoint icy n’est pas mien.                                 Ce pourpoint-ci n’est pas le mien.

        Hélas ! si est. Or, voi-ge bien                                      Hélas si ! Là, je vois bien

        Que je suis enflé, maintenant.                                      Que je suis enflé, maintenant.

                        GAULTIER                                                             GAUTIER

445   Vous estoit-il goute-prenant132,                                  Votre pourpoint était-il si court

        Avant ce [jour-]cy, par les rains ?                                Sur les reins, avant ce jour-ci ?

                        TIERRY                                                                 THIERRY

        Par le sang dont je fusmes raims133 !                          Par le sang du Christ !

        Nenny. Ançzoys le boutonnoye                                    Non. Avant, je le boutonnais

        Si aise comme je vouloie                                             Aussi facilement que je voulais

450   Sans y tire[r] ne sans sacher.                                        Sans tirer ni arracher. Aujourd’hui,

        Et je ne le sçay tant lascher                                          Je ne peux le détendre assez sans

        Qu’à deux piéz il s’i puisse joindre.                              Qu’il ne manque 65 cm pour le fermer.

                        GAULTIER                                                             GAUTIER

        Sentez-vous point la chair espoindre,                           Ne sentez-vous pas votre chair piquer,

        Et [si], frémir en aulcuns lieux ?                                  Et aussi frémir à certains endroits ?

                        TIERRY                                                                  THIERRY

455   Je croy que je ne sçay. Hé, Dieux !                              Je crois que je ne sais pas. Eh, Dieu !

        Que puis-je avoir ? Suis-je ydroppicque,                     Que puis-je avoir ? Suis-je hydropique,

        [Moy qui mourois de seuf éthique ?]134                      Moi qui mourais d’une soif dévorante ?

        Et si, ne sens mal ne moleste,                                       Pourtant, je ne sens ni mal, ni douleur,

        Se ce135 n’est ung peu en la teste.                                Si ce n’est un peu à la tête.

460   Mais que peult[-ce] estre, Nostre Dame ?                    Mais qu’est-ce que ça peut être ?

.

                        RICHARD 136                                                        RICHARD                           SCÈNE  III

        [Hau !] qui est léans ? Aucune âme ?137                     Ho ! qui est là ? Personne ?

        Dyeux aist à mon amy Gaultier !                                 Que Dieu assiste mon ami Gautier !

        Faisons tantost dire ung psaultier                                Faisons vite dire des psaumes

        Pour l’âme d’eux, nous ferons bien.                             Pour leur âme, nous ferons bien.

                        GAULTIER                                                            GAUTIER

465   Et ! qu’esse-là ? Y a-il rien ?                                       Qu’est-ce-là ? Y a-t-il quelque chose ?

                        RICHARD                                                              RICHARD

        Par ma foy, c’est moult grant dommaige !                  Ma foi, c’est une bien grande perte !

        S’il pleust à Dieu, il estoit saige.                                  Avec l’aide de Dieu, c’eût été un sage.

                        GAULTIER                                                             GAUTIER

        Qui esse ?                                                                    Qui est-ce ?

                        RICHARD                                                              RICHARD

                              Henry l’Atirail                                                            Henri l’Attirail

        — Qui avoit si doulx souppirail                                    — Qui avait une si bonne trappe

470   À mectre vin en son gosier —                                      Pour mettre du vin dans son gosier —

        Est mort. Et Perrot le Closier138                                  Est mort. Et Perrot le Closier

        Est allé à quando celis139.                                            Est allé au Paradis.

        Ilz [seront jà]140 ensevelis,                                           Ils seront déjà ensevelis sans nous,

        Hélas ! Aprestez-vous grant erre :                                Hélas ! Préparez-vous vite :

475   Si serons à les mettre en terre.                                     Nous serons là pour les mettre en terre.

        Ilz estoient bons à tout faire141.                                   Ils étaient bons à tout faire.

                        TIERRY                                                                  THIERRY

        Ha ! beau trèsdoux Dieu débonnaire !                          Ah ! bon Dieu ! Sont-ils morts ?

        Sont-ilz mors ? Hélas ! nous soupasmes                       Hélas ! nous avons soupé

        Arsoir ensemble, et [nous] menasmes                          Hier soir ensemble, et nous avons mené

480   Si bonne vie et si liée142 !                                           Une si bonne et si joyeuse vie !

                        GAULTIER                                                             GAUTIER

        Or n’est-il jour qui ne mesch[i]ée                                Il n’est pas de jour qui ne soit néfaste

        À qui que soit [tout uniment]143.                                À quelqu’un, sans distinction.

                        [TIERRY]                                                                THIERRY

        Vécy grant esbahissement !                                         Voilà une grande stupéfaction !

        Ha ! sainte Royne couronnée !                                    Ah ! sainte Reine des cieux !

                        RICHARD                                                               RICHARD

485   Ceste poison leur fut donnée144                                  Ce poison leur fut donné

        Arsoir, je ne m’en doubte mye.                                   Hier soir, je n’en doute pas.

                        TIERRY                                                                  THIERRY

        Ha ! c’est ce faulx espidimye145                                  Ah ! c’est cette sournoise épidémie

        Qui en cest point les a[ura] mis.                                  Qui les aura mis dans cet état.

                        RICHARD                                                               RICHARD

        Espidimye, beaulx amys ?                                            Une épidémie, mes beaux amis ?

490   Hélas ! n’y a-il aultre chose ?                                       Hélas ! n’y a-t-il pas autre chose ?

        Par mon serment ! je ne vous ose                                Par mon serment ! je n’ose vous

        Dire leur mal et leur martire :                                      Décrire leur mal et leur martyre :

        Il n’est homme, s’i l’oyoit dire,                                     Il n’est nul homme, s’il l’entendait,

        Tant eust le cueur dur, gros ne ferme,                         Tant eût-il le cœur dur, gros et ferme,

495   Qui ne pleurast à chaulde lerme146.                            Qui ne pleurerait à chaudes larmes.

        Oncques-mais je ne vy telz raiges ;                             Jamais je ne vis de telles horreurs ;

        Car, en bonne foy, leur[s] visaige[s]                            Car, en bonne foi, leur visage

        Et le[ur]s corps leur sont eslevéz                                 Et leur corps ont boursouflé

        Et enfléz tant, qu’ilz sont crevéz                                  Et enflé tellement qu’ils ont crevé

500   Par les ventres.                                                            Par le ventre.

                        TIERRY                                                                  THIERRY

                                     Ha, saincte Dame !                                              Ah ! Sainte Vierge !

        Enfléz ? Las !                                                              Enflé ? Las !

                        RICHARD                                                              RICHARD

                                   Voire, par cest âme !                                            Oui, par mon âme !

        Et la femme qui les gardoit147,                                   Et la femme qui les soignait,

        Si comme elle(s) les regardoit                                     Tandis qu’elle les regardait

        Crever148 (mon doux amy loyaux),                             Crever (mon doux ami loyal),

505   Par ma foy, ung de leurs boyaulx                                Par ma foi, un de leurs boyaux

        La [vint assener]149 droictement                                Vint la frapper tout droit

        En l’ung des yeulx, si roidement                                  Dans un des yeux, si fort

        Qu’il est crevé et ne voit goute.                                   Qu’il est crevé et n’y voit plus.

                        TIERRY                                                                 THIERRY

        Hélas ! mes amis, je me doubte                                  Hélas ! mes amis, je redoute

510   Que j[’en] aye des gants des nopces150.                      De subir les mêmes effets qu’eux.

                        GAULTIER                                                            GAUTIER

        Et n’avoient-ilz nulles bosses,                                      Et n’avaient-ils aucun bubon,

        Ne maladie que d’enfleure ?                                        Ni d’autre maladie que cette enflure ?

                        RICHARD                                                               RICHARD

        Nenny, Gaultier, je t’en asseure                                  Non, Gautier, je te le jure sur Dieu.

        Par Dieu. Qui croira [que]…151 Sainct George !       Qui croira que… Saint Georges !

515   Quel gros visaige, et quelle gorge !                             Quel gros visage il a, et quel cou !

        Il est, par le Dieu qui ne ment,                                    Par le Dieu de vérité ! Thierry est

        Enflé comme eulx, pareillement !                               Enflé comme eux, pareillement !

        Ne t’en apperceuz-tu mèshuy ?                                   Ne t’en es-tu pas aperçu avant ?

                        TIERRY                                                                  THIERRY

        Ha ! je voy trop bien que je suy                                  Ah ! je vois trop bien que je suis

520   Mort, tout mort, il n’y a remède.                                Mort, tout mort, il n’y a pas de remède.

                        GAULTIER                                                             GAUTIER

        Ilz ont eu, en porée de bède,                                       Ils ont eu dans leur bouillie de blettes

        Quelque poison, eulx troys ensemble.                         Du poison, tous les trois ensemble.

        Et en bonne foy, il me semble                                     Et en bonne foi, il me semble

        — Sauf meilleur conseil que le mien —,                     — Sauf meilleur avis que le mien —,

525   Tierry, ce ne seroit que bien,                                       Thierry, que ce serait une bonne chose

        Mon doulx amy, d’avoir le prestre152 :                        D’avoir un prêtre, mon doux ami :

        Car vous n’en pourrez que mieux estre.                       Car vous ne pourrez que mieux en être.

        Sy n’avez-vous, si Dieu plaist, garde ?                         N’y prenez-vous pas garde, par Dieu ?

                        RICHARD                                                              RICHARD

        Garde ? Doulce Dame ! Regarde                                Garde ? Bonne Mère ! Regarde

530   Ses [deux] yeulx, son nez et sa bouche.                      Ses deux yeux, son nez et sa bouche.

        Monstrez ce bras, qu(e) icy [je] touche                      Montrez votre bras, pour que je le tâte

        [Et vostre poulx ung peu je taste.]153                         Et que je prenne un peu votre pouls.

        Hélas ! pour Dieu, qu[e l’]on se haste !                       Hélas ! au nom de Dieu, qu’on se hâte !

        Penson qu’il ait son ordonnance154.                            Permettons-lui de recevoir l’extrême-onction.

                        GAULTIER                                                            GAUTIER

535   Comment va ?                                                             Comment va-t-il ?

                        RICHARD                                                              RICHARD

                                    Il est en ballance,                                                        Il est dans un état critique,

        Il en est pic155. Tenez, sentez !                                   Il est fichu. Tenez, sentez son pouls.

                        GAULTIER                                                             GAUTIER

        Beau sire, vous l’espoventez :                                      Beau sire, vous l’épouvantez :

        Parlez bas, qu’il ne vous entende.                                Parlez plus bas, qu’il ne vous entende .

                        RICHARD 156                                                         RICHARD

        Venez çà ! Je veulx qu’on me pende                           Approchez ! Je veux qu’on me pende

540   Par cy se jamais en eschappe !                                   Par le cou si jamais il en réchappe !

        Gardons157 que le Mort ne le happe                          Prenons garde que la Mort ne le happe

        (Entendez-vous ?) soubdainement.                             Sans confession, entendez-vous ?

        Car les aultres, pareillement,                                       Car les deux autres, pareillement,

        Sont mors de telle maladie.                                         Sont morts de la même maladie.

                        TIERRY                                                                  THIERRY

545   Pour Dieu, mes amys : qu’on me dye                          Pour Dieu, mes amis : qu’on me parle

        Tout hault ! Ne me celez plus rien,                             Tout haut ! Ne me cachez plus rien,

        Ne conseillez158 plus ! Je voy bien                             Ne chuchotez plus ! Je vois bien

        Que je meurs.                                                             Que je meurs.

                        GAULTIER                                                            GAUTIER

                                    Non ferez, beau sire,                                                 Mais non, beau sire,

        Se Dieu plaist, s’il ne vous empire,                             Grâce à Dieu, si cela ne s’aggrave pas,

550   Ou qu(e) aulcune bosse vous prenne,                         Ou qu’aucun bubon n’apparaisse,

        Ou que la fièvre vous surprenne                                 Ou que la fièvre ne vous prenne

        Tant que vous perdiez le mémoire.                            Au point que vous perdiez conscience.

        — Dont Dieu vous gard, touteffois !                          — Que Dieu vous en garde, toutefois !

                        RICHARD                                                              RICHARD

                                                                   Voire.                                                                     Certes.

        [Mais] qu’il ne159 faille aucunement                           Mais que Thierry ne manque pas

555   À160 recongnoistre dignement                                    D’honorer dignement

        Son Créateur.                                                              Son Créateur.

                        TIERRY                                                                   THIERRY

                                   Mon trèsdoulx maistre                                              Mon très doux maître

        Richard, je vous requiers le prestre,                            Richard, je vous demande le prêtre,

        Puisque vous voyez qu’il m’enpire.                              Puisque vous voyez que mon état empire.

        Si, ne sens (à vérité dire)                                             Pourtant, à dire vrai, je ne ressens

560   Guères de mal que j’aperçoyve.                                  Aucune douleur perceptible.

                        RICHARD                                                               RICHARD

        Je croy qu’il sera bon qu’il boive,                                Je crois qu’il serait bon qu’il boive

        [Ore,] ung bien petit de triacle161 :                             Maintenant un petit peu de thériaque :

        Il devient tout démonïacle162,                                    Il devient comme un possédé,

        Ce me semble à163 sa contenance.                             Il me semble, à voir son comportement.

                        GAULTIER                                                            GAUTIER

565   Je vous en prie, que l’en s’avance !                             Je vous en prie, avançons !

        Je m’en voys au phisicïen,                                          Je vais chez le médecin,

        Et vous au prestre (di-ge bien ?)                                 Et vous chez le prêtre (dis-je bien ?)

        Sans luy dire plus rien quelconques.                           Sans plus rien dire d’autre à Thierry.

                        RICHARD                                                              RICHARD

        Or avant, venez-vous-en doncques !164                      Allons, Gautier, venez donc !

                                                                                                                                                      SCÈNE  IV

570   Est-il point prins, Tierry Mâchoue ?                          N’est-il pas pris, Thierry Mâchoue ?

                        GAULTIER                                                             GAUTIER

        Prins ? Dea ! il est prins par sa moue165                    Pris ? Il est pris à ses propres grimaces

        Si trèsbien qu’on ne pourroit mieulx.                          Si bien qu’il ne pourrait l’être mieux.

                        RICHARD                                                              RICHARD

        Or, par le sang bieu, se tu v[i]eulx166,                       Palsambleu ! maintenant, si tu veux,

        Nous sçaurons quanqu’il a ou167 ventre.                    Nous saurons ce qu’il a dans le ventre.

575   Mais il convient que l’en y entre                                 Mais il faut qu’on y entre

        Par bonne manière, et soubtille.                                 Par une bonne méthode, et subtile.

                        GAULTIER                                                             GAUTIER

        Ou[ÿ] : s’il y a filz ou fille,                                          Oui : s’il y a dedans un fils ou une fille,

        Il le couvendroit168 doncques fendre.                        Il faudra donc lui faire une césarienne.

                        RICHARD                                                              RICHARD

        Quoy ? Tu ne me sçais [pas] entendre :                      Quoi ? Tu ne me comprends pas :

580   Je te dy que je sçauray bien,                                       Je te dis que je saurai bien,

        Sans faillir, le mal et le bien                                       Sans faute, le mal et le bien

        Qu’il a fait, [ne] pensé, ne dit.                                    Qu’il a fait, ou pensé, ou dit.

                        GAULTIER                                                           GAUTIER

        Et comment ?                                                             Et comment ?

                        RICHARD                                                             RICHARD

                                    S’il ne le me dit,                                                      S’il ne me le dit pas,

        Ou à toy, je vueil qu’on me tonde !                            Ou à toi, je veux bien qu’on me tonde !

                        GAULTIER                                                            GAUTIER

585   Ce seroit le mieulx fait du monde169,                        Ce serait fait le mieux du monde,

        Par l’âme qui en moy repose !                                    Par mon âme !

        Il a fait mainte faulse chose,                                       Il a fait maintes choses mauvaises,

        Je te prometz, puis qu’il nasqui.                                 Depuis qu’il est né, je te le dis.

                        RICHARD                                                               RICHARD

        Il ne fist oncques chose qui                                        Il n’a jamais fait aucune chose qui

590   Ne nous soit ennuyt170 révélé.                                   Ne nous soit aujourd’hui révélée.

        Sans ce qu’il en soit plus flavelé171,                           Sans plus caqueter,

        Je te diray toute la guise :                                          Je vais te dire toutes mes intentions :

        Il fault qu’un172 de nous se desguise ;                        Il faut qu’un de nous deux se déguise ;

        Celluy qui mieux semblera estre                                Celui qui sera le plus ressemblant

595   Se mectra en habit de prestre                                     Se mettra en habit de prêtre

        Et yra pour le confesser.                                             Et ira confesser Thierry.

        Mais il se fault bien bas baisser,                                 Mais il faudra baisser la tête bien bas,

        Qu’il n’apperçoive le visaige173 ;                                Pour qu’il n’aperçoive pas le visage ;

        Et fauldra muer son langaige                                      Et il faudra modifier notre langage

600   (Voys-tu bien ?) le mieulx qu’on po[u]ra.                   Le mieux qu’on pourra, vois-tu ?

        Et riens qui soit ne demourra174                                 Et il ne demeurera rien

        Qu’il ne die en confession.                                          Qui ne soit dit par lui en confession.

                        GAULTIER                                                           GAUTIER

        Se Dieu me doint rédemption,                                    Dieu me pardonne !

        Vécy saigement advisé !                                             Voilà sagement avisé.

605   Tel conseil doyt estre prisé,                                        Un tel conseil doit être estimé,

        Par celuy Dieu qui me fist naistre !                             Par le Dieu qui m’a créé !

        Je sçauré bien faire le prestre,                                     Je saurai bien faire le prêtre,

        Se tu vieulx ; et si, parleré                                           Si tu veux ; et même, je parlerai

        Breton ou picard, et175 feray                                      Breton ou picard, et j’aurai

610   La conten[an]ce si trèsbien                                         Une si bonne contenance

        Que, je croy, qui  ne me fauldra rien,                         Qu’il n’y manquera rien, je crois,

        Tant qu’il [luy] semblera vrayment                             Au point qu’il lui semblera vraiment

        Que c’est le prestre proprement.                                 Que c’est le prêtre en personne.

        Ou [bien] toy-mesmes, se tu vieulx,                           Ou bien toi-même, si tu veux,

615   [Le ferois]176 trèsbien.                                               Tu le ferais très bien.

                        RICHARD                                                              RICHARD

                                                  Se m’aist Dieux !                                              Que Dieu m’assiste !

        Ne me chault lequel d’une177 maille.                         Peu m’importe lequel de nous deux.

                        GAULTIER                                                            GAUTIER

        Par le sang bieu ! Vaille que vaille,                             Palsambleu ! Vaille que vaille,

        Puisqu’ainsi va, je le feray.                                          Puisque c’est comme ça, je le ferai.

                        RICHARD                                                              RICHARD

        C’est bien dit. Je t’abilleray,                                        C’est bien dit. Je t’habillerai

620   Je te prometz, bien proprement.                                 Bien convenablement, je te jure.

                        GAULTIER                                                            GAUTIER

        Hélas ! les habitz, voirement,                                      Mais les habits, vraiment,

        Sont-ilz prestz ?                                                          Sont-ils prêts ?

                        RICHARD                                                             RICHARD

                                     Ouÿ, par saint P(i)erre !                                      Oui, par saint Pierre !

        Actends178 ung peu, je les voys querre.                     Attends un peu, je vais les chercher.

        Despouille-toy, tandis.                                                Déshabille-toi, cependant.

                        GAULTIER                                                           GAUTIER

                                                  C’est bien.179                                                               Très bien.

.

                        RICHARD                                                              RICHARD

625   Sont-ilz bien ? Te fault-il plus rien ?                           Sont-ils bien ? Te faut-il autre chose ?

        Vestz premièr[e]ment ceste robe.                               Enfile d’abord ce froc.

                        GAULTIER 180                                                      GAUTIER

        Sang que Dieu me fit181 !                                          Sambleu !

                        RICHARD                                                               RICHARD

                                                   Dea,  ne te hobe !                             Ne bouge pas sans y voir !

        Je le mectray tantost à point,                                      J’ajusterai ce capuchon tout à l’heure,

        Si qu’il ne te congnoistra point.                                  Si bien que Thierry ne te reconnaîtra pas.

630   Tien cy : sains-moy ceste sainture !                            Tiens : attache cette ceinture.

                        GAULTIER                                                            GAUTIER

        On y danceroit la turlure182                                       Dedans, on pourrait danser la turlure

        (Par le sang bieu) ou la morisque183 !                       Ou la morisque, palsambleu !

        Je suis habillé sur le frisque.                                      Je suis habillé à la dernière mode.

        Je suis bien, devant et derrière ?                                Je suis bien, devant et derrière ?

                        RICHARD                                                             RICHARD

635   Tu es (par monseigneur saint Pere)                            Par l’apôtre saint Pierre ! tu as

        Bien espaullé parmy le ventre184.                              Les épaules sur le ventre.

        Regardon : est-il bon que j’entre                                Réfléchissons : est-il bon que j’entre

        Aussitost que tu entreras ?                                         Chez Thierry dès que tu entreras ?

                        GAULTIER                                                            GAUTIER

        Ouÿ, mais tu te musseras                                           Oui, mais tu te cacheras

640   Pour ouÿr ce qu’il me dira.                                        Pour entendre ce qu’il me dira.

        Mais (par mon serment) qui rira,                               Mais si on rit, par mon serment,

        Ce sera pour trèstout gaster.                                       Cela gâchera tout.

                        RICHARD                                                             RICHARD

        Allons-m’en185, il nous fault haster ;                         Allons-y, il faut nous hâter ;

        Va devant !                                                                Va devant !

                        GAULTIER                                                            GAUTIER

                                 G’iray en présence.                                                 J’y vais à l’instant présent.

645   Mais dy-moy, par ta conscience,                                Mais dis-moi en ton âme et conscience

        Se je semble bien estre prestre.                                  Si je semble bien être un prêtre.

                        RICHARD                                                              RICHARD

        Sembles ? Dea, tu me sembles estre                           Si tu sembles ? Hé ! tu me sembles être

        Ung  espoventail de chènevière186                             Un épouvantail dans une chènevière,

        (Par Dieu qui187 me fist) par-derrière.                      Vu de derrière, par Dieu qui me créa !

650   Va-t’en, entre premièrement !                                    Vas-y, entre d’abord !

                        GAULTIER                                                            GAUTIER

        Vien après, le plus bellement                                     Viens après moi, le plus doucement

        Que tu pouras oncques venir.                                     Que tu pourras venir.

                        RICHARD                                                              RICHARD

        Attens, je ne me puis tenir                                         Attends, je ne peux pas me retenir

        De rire, quant je te regarde.                                       De rire, quand je te regarde.

                        GAULTIER                                                             GAUTIER

655   Si feras, le deable en soit garde !                                Tu te retiendras, au nom du diable !

        Tu gasterois tout. [Or,] va-t’en !                                 Tu gâcherais tout. Maintenant, va-t’en !

                        RICHARD                                                               RICHARD

        Non feray, bon gré [bieu188] ! Aten                           Pas encore, nom de Dieu ! Attends

        Que j’aye avant ris.                                                     Que j’aie ri, avant.

                        GAULTIER                                                            GAUTIER

                                            Ris assez !                                                              Ris suffisamment !

                        RICHARD                                                              RICHARD

        Quant je voy tes soulliers lasséz189                            Quand je vois tes souliers à lacets

660   Dessoubz cest habit prestratif,                                    Sous cet habit ecclésiastique,

        [Et ton visaige potatif,]190                                          Et ton visage aviné,

        Je m’en ry, quant je te regarde.                                   J’en ris, quand je te regarde.

                        GAULTIER                                                            GAUTIER

        Or tu ris191 bien ; or t’en prens garde !                       Ici tu ris bien ; là, prends-y garde !

        Mais je ne doubte que si face.192                               Mais je ne crains pas que tu fasses ainsi.

                                                                                                                                                       SCÈNE  V

665   Ha, mon amy ! Dieu, par sa grâce,                             Ah, mon ami ! Que Dieu, par sa grâce,

        Vous v[u]eille donner patience                                   Veuille vous donner constance

        Et santé, par ma conscience !                                     Et santé, par ma conscience !

        Voicy grant esbahissement193 :                                  Voilà une grande stupéfaction :

        Les deux aultres, pareillement,                                    Les deux autres, pareillement,

670   Sont mors de telle maladie.                                         Sont morts de la même maladie.

                        TIERRY                                                                  THIERRY

        Pour Dieu, sire, que je vous die                                  Pour Dieu, mon Père, il faut que je vous dise

        Quatre motz en confession.                                        Quatre mots de confession.

                        GAULTIER                                                           GAUTIER

        Pensez bien à la Passion                                             Pensez bien à la Passion

        De Jhésucrist, vous ferez bien.                                   De Jésus Christ, vous ferez bien.

675   De vostre corps n’est-il plus rien194 ;                         Il n’est plus rien de votre corps ;

        Dictes-moy ce que vous vouldrez.                              Dites-moi ce que vous voudrez.

                        TIERRY                                                                 THIERRY

        Je ne sçay se vous m’absouldrez,                                Je ne sais si vous m’absoudrez,

        Et se vous avez la puissance :                                     Et si vous en avez le pouvoir :

        Car (par ma foy) dès mon enffance,                           Car depuis mon enfance, par ma foi,

680   Je ne cessay onc de mal faire.                                    Je n’ai jamais cessé de mal faire.

                        GAULTIER                                                            GAUTIER

        Vous me povez dire et retraire                                   Vous pouvez me dire et me raconter,

        Trèstout, en article de mort,                                       Étant à l’article de la mort, tout

        Dont conscience vous remord ;                                  Ce que votre conscience vous reproche.

        Et je vous absouldray, amys.                                      Et je vous absoudrai, mon ami.

                        TIERRY                                                                  THIERRY

685   Hélas, sire ! Péché m’a mis                                        Hélas, mon Père ! C’est le péché qui m’a mis

        En ce point195, je n’e[n] fais pas doubte.                   En ce point, je n’en doute pas.

        A-il âme qui nous escoute ?                                       Y a-t-il quelqu’un qui nous écoute ?

                        GAULTIER                                                           GAUTIER

        Nenny, dictes tout seurement.                                     Non, dites tout sans crainte.

                        TIERRY                                                                THIERRY

        Je suis si trèsfaulx garnement                                      Je suis un si mauvais garnement

690   Qu’il n’est homme qui le sceust dire.                          Que nul homme ne pourrait le dire.

        Hélas ! vous congnoissez bien, sire,                            Hélas, mon Père, vous connaissez bien,

        Ce croy-ge, ces deux jeunes hommes                          Je crois, ces deux jeunes hommes

        Qui me gardent ?                                                        Qui me soignent ?

                        GAULTIER                                                            GAUTIER

                                        Voire : nous sommes,                                                Oui : nous sommes

        Je vous promectz, amys ensemble.                             Amis, je vous l’assure.

                        TIERRY                                                                 THIERRY

695   L’un d’eulx est allé, ce me semble,                             L’un d’eux est allé, me semble-t-il,

        Veoir se vous estiez point venu.                                  Voir si vous n’étiez pas arrivé.

                        GAULTIER                                                            GAUTIER

        Ouÿ dea.                                                                      Oui.

                        TIERRY                                                                 THIERRY

                             Las ! ilz m’ont tenu                                            Las ! ils m’ont tenu

        Et tiennent, en ma maladie,                                        Et me tiennent, pendant cette maladie,

        Tous deux si bonne compaignie,                                Tous deux si bonne compagnie,

700   Comme s’ilz estoient mon frère.                                 Comme s’ils étaient mes frères.

                        GAULTIER                                                            GAUTIER

        Tirez-vous ung petit arrière196 !                                Reculez-vous un peu !

        Dic[t]es tousjours !                                                     Dites toujours !

                        TIERRY                                                                 THIERRY

                                            Et ! par mon âme,                                             Eh ! par mon âme,

        Sire : je n[e  v]oy homme ou197 femme                     Mon Père : je ne vois ni homme ni femme

        — Se ce ne sont eulx — qui me garde198.                 Qui me soigne, si ce n’est eux.

705   Mais ilz ont prins de moy le199 garde,                        Mais ils tiennent à me veiller,

        Com vous povez appercevoir.                                      Comme vous pouvez le voir.

        Et par ma foy, à dire voir,                                           Et par ma foi, à dire vrai,

        Je fusse mort soubdainement,                                     Je serais mort soudainement,

        Tout mort, sans ce qu’aulcunement                             Tout mort, sans que jamais

710   Moy-mesmes l’eusse peu sçavoir.                               J’aie pu moi-même le savoir.

        Certes, je ne cuidoye point avoir                                Certes, je ne croyais avoir

        Aulcun mal, quant ilz m’esveillèrent ;                         Aucun mal, quand ils m’éveillèrent ;

        Mais si tost qu’ilz me regardèrent,                              Mais aussitôt qu’ils me regardèrent,

        Ilz me dirent ma maladie.                                           Ils me dévoilèrent ma maladie.

715   Or est-il temps que je vous die                                   Maintenant, il est temps que je vous dise

        La faulceté, la traïson,                                                La fausseté, la trahison,

        Le mal et la grant desraison                                        Le mal et la grande folie

        Que je leur ay fait à tous deux.                                   Que je leur ai faits à tous deux.

        J’ay esté si acointé d’eulx                                            J’ai été si proche d’eux

720   Que, par ma foy, mon acoinctance                             Que, par ma foi, ma proximité

        Leur a fait [grant] mal et grevence.                            Leur a fait beaucoup de mal et de tort.

        Et voicy la manière, sire :                                           Et voici comment, mon Père :

        Vous avez piéçà ouÿ dire                                            Vous avez déjà ouï dire

        Comment l’ung d’eux si fut batu ?                              Comment l’un d’eux fut battu ?

                        GAULTIER                                                            GAUTIER

                                                                 Voire.                                                                 Certes.

                        TIERRY                                                                  THIERRY

725   Hélas ! il n’eust jamais peu croyre,                             Hélas ! il n’aurait jamais pu croire,

        Veu qu’il cuidoyt que je l’aimasse,                              Vu qu’il pensait que je l’aimais bien,

        Que tel mal je luy pourchassasse200 ;                         Que je lui procurerais un tel mal ;

        Mais [si fu-ge qui]201 le fis batre                                Mais je fus celui qui le fit battre

        À ung soir. Et estions bien quatre                               Un soir. Et nous étions bien quatre

730   Qui frappions [tous] sur luy en tasche202.                  Qui frappions tous sur lui au hasard.

        Le povre Richart n’eut onc(ques) lasche203                Le pauvre Richard n’eut pas de relâche

        Tant que nous fussions tous lasséz                              Jusqu’à ce que nous soyons tous las

        Et cuidions qu’il fust trespasséz ;                                Et que nous pensions qu’il était mort ;

        Et s’il se fust point remué,                                          Et s’il avait remué,

735   Par ma foy, nous l’eussions tué.                                  Par ma foi, nous l’aurions tué.

        Il fut batu plus q’ung vieil chien,                                 Il fut plus battu qu’un vieux chien,

        Tant qu’il ne sera204 jamais bien :                              Tellement qu’il n’ira jamais bien :

        Nous luy baillasmes des coups orbes205                     Nous lui avons donné tant de coups sourds

        Tant qu’il en a tous les rains co(u)rbes,                       Qu’il en garde le dos courbé

740   Et sur luy mainte grosse bosse.                                   Et plusieurs grosses bosses sur lui.

                        GAULTIER                                                             GAUTIER

        Ha ! le povre Richard Négoce !                                  Ah ! le pauvre Richard Négoce !

        Il est venu trèstout venant206                                      Il est venu tout à l’heure

        Moy quérir pour vous. Maintenant,                             Me chercher pour vous. Maintenant,

        Je croy qu’il ne vous en mescroit207                            Je crois qu’il ne vous soupçonne

745   Ne peu, ne goutte208.                                                  Si peu que ce soit.

                        TIERRY                                                                  THIERRY

                                               Hélas ! [il croit]209                                              Hélas ! il croit

        (Par mon serment) tout le contraire ;                         Tout le contraire, par mon serment !

        Et si, fu-ge qui le fist faire,                                         Pourtant, je suis celui qui le fit battre,

        Comme faulx traist[r]e que j’estoye.                          Comme un traître sournois que j’étais.

        Et moy-mesmes le vous frappoye                               Et moi-même je le frappais

750   Tant que je povoye férir.                                            Tant que je pouvais cogner.

        Il a, depuis, fait enquérir                                             Depuis, il a fait chercher

        Qui [ce avoit]210 fait ; mais vrayment,                        Qui a fait cela ; mais vraiment,

        Nous le fismes si caultement                                        Nous l’avons fait si secrètement

        Qu’onques riens n’en a peu savoir.                               Qu’il n’a jamais rien pu en savoir.

                        GAULTIER                                                             GAUTIER

755   Quel haine povoit-il avoir                                            Quelle haine pouvait-il y avoir

        Entre vous deux, ne quel rancune ?                             Entre vous deux, et quelle rancune ?

                        TIERRY                                                                  THIERRY

        Certes, sire, ce fut pour une                                        Certes, mon Père, ce fut à cause d’une

        Femme que j’ayme et que j’aymoye                            Femme que j’aime, et que j’aimais

        Dès lors, dont je le mescréoye211                               Déjà : je le soupçonnais

760   Et cuidoye, pour ce qu’il hantoit                                 Et me méfiais de lui parce qu’il fréquentait

        Avec son mary, et chantoit212,                                   Son mari, et qu’il chantait,

        Et estoient tousjours ensemble.                                   Et qu’ils étaient toujours ensemble.

        Si estoie-je, [à] ce qu’il me semble,                            J’en étais au point, me semble-t-il,

        Que j’en entray en jalousie,                                        Que j’en suis devenu jaloux,

765   Tellement qu’il ne failloit mye                                    Tellement qu’il ne pouvait manquer

        À en avoir de la donnée213,                                       D’en avoir une distribution de taloches,

        Com j’ay dit, de tel randonnée214                              Comme j’ai dit, avec une telle force

        Qu’onques ne sentit mieulx ses coups.                        Que jamais il ne sentit mieux des coups.

                        GAULTIER                                                             GAUTIER

        Or me dictes : le pouvre coux                                     Mais dites-moi : le pauvre cocu

770   À qui vous maintenez215 sa femme,                           Dont vous entretenez la femme,

        En scet-il riens ?                                                         Le sait-il ?

                        TIERRY                                                                  THIERRY

                                       Nenny, par m’âme !                                        Non, par mon âme !

        Il n’en scet riens, ainçzoys se fye                                 Il n’en sait rien, mais il se fie

        Tout en moy, n’il ne se deffye                                     Totalement à moi, et ne se méfie

        Nemplus qu’il feroit de son frère.                               Pas plus de moi que de son frère.

775   Et, par ma foy, c’est chose clère                                 Et, par ma foi, il est clair

        Que216 deux filz qu’il cuide estre siens                       Que deux fils qu’il croit être de lui

        Ne le sont pas, ainçzoys sont miens.                           Ne le sont pas, mais sont de moi.

        Or[e], je vien en repentance,                                      Maintenant, je me repends,

        Et [je] vous requiers pénitance,                                  Et je vous demande une pénitence,

780   Cher sire, et absolucion.                                             Mon bon Père, et l’absolution.

                        GAULTIER                                                            GAUTIER

        Affin que la confession,                                               Pour que la confession

        Mon amy, soit plus entérine,                                       Soit plus entière, mon ami,

        Il fault que l’on me détermine                                     Il faut qu’on me précise

        De tout ce fait-cy la muance,                                      Les détails de toute cette histoire,

785   Et les nons, et la dépendance,                                     Et les noms, et la filiation,

        Affin — s’ilz sont de ma parroisse,                             Afin — s’ils sont de ma paroisse,

        Véez-vous [bien] — que je congnoisse                      Voyez-vous bien — que je connaisse

        Vostre péché plus clèrement.                                     Votre péché plus clairement.

                        TIERRY                                                                  THIERRY

        Le fault-il ?                                                                 Le faut-il ?

                        GAULTIER                                                            GAUTIER

                                Ouÿ, vrayement :                                                      Oui, vraiment :

790   La confession en vault mieulx.                                    La confession en vaut mieux.

                        TIERRY                                                                   THIERRY

        Et ! quant il vous plaist, je le v[i]eulx ;                        Eh ! si cela vous plaît, je le veux bien.

        La chose n’en peut que mieulx estre.                           Notre affaire n’en peut que mieux aller.

                        GAULTIER                                                             GAUTIER

        Puisque c’est oreille217 de prestre,                               Puisque c’est une oreille de prêtre,

        D’aultre ne sera jà scéu.                                               Cela ne sera jamais su par un autre.

                        TIERRY                                                                   THIERRY

795   Ore, vous avez bien véu                                               Aujourd’hui, vous avez bien vu

        Ces deux compaigno[n]s qui me tiennent                    Ces deux compagnons qui me tiennent

        Compaingnie, et [qui] vont et viennent                       Compagnie, et qui vont et viennent

        Partout pour quérir ma santé ?                                    Partout pour garantir ma santé ?

                        GAULTIER                                                            GAUTIER

        C’est voir.                                                                    C’est vrai.

                        TIERRY                                                                  THIERRY

                             Ilz m’ont trèstant hanté                                             Ils m’ont tant fréquenté

800   Qu’il leur en est du218 pis, par m’âme !                      Qu’ils en ont eu du mal, par mon âme !

        L’un d’eulx est mary de la femme                               L’un d’eux est le mari de la femme

        Que je maintien, dont je parloye.                               Que j’entretiens et dont je vous parlais.

        Tirez-vous plus près, qu’i ne l’oye219 !                       Venez plus près, qu’il ne l’entende pas !

        Et je batis l’aultre pour elle.                                        Et j’ai battu Richard à cause d’elle.

                        GAULTIER                                                             GAUTIER

805   Et comment220 esse qu’on l’appelle ?                         Et comment est-ce qu’on l’appelle ?

                        TIERRY                                                                  THIERRY

        La femme ?                                                                 La femme ?

                        GAULTIER                                                            GAUTIER

                                Voire.                                                                         Oui.

                        TIERRY                                                                  THIERRY

                                               Alizon.                                                                     Alison.

                        GAULTIER                                                            GAUTIER

        Alizon !? Venez çà ! Dison                                          Alison !? Approchez ! Disons

        Alizon ; le mary, comment ?                                       Alison ; et le mari, comment ?

        Dictes tost, car en ung moment,                                  Parlez vite, car dans un moment,

810   Par ma foy, nous vous laisseron221.                            Par ma foi, nous vous quitterons.

                        TIERRY                                                                  THIERRY

        Il a non Gaultier Saulceron222,                                   Il a pour nom Gautier Sauceron :

        Qui m’a aujourd’huy esveillé,                                      C’est lui qui aujourd’hui m’a réveillé,

        Et fut trèstout esmerveillé                                           Et qui fut tout ébahi

        Quant il me vit ainsi enflé.                                          Quand il m’a vu enflé.

                        GAULTIER                                                            GAUTIER

                                                     Gaultier ?                                                            Gautier ?

815   Celluy qui est si présentier223 ?                                   Celui qui a si bonne mine ?

                        TIERRY 224                                                            THIERRY

        Et qui est tousjours prest de boire.                               Et qui est toujours prêt à boire.

        Hélas, par m’âme, sire, voire !                                     Hélas oui, mon Père, par mon âme !

                        GAULTIER                                                             GAUTIER

        Voire dea ? Et si, n’ouÿs-je oncques                            Vraiment ? Pourtant, je n’entendis jamais

        À homme n’à femme quelconques                               Homme ou femme que ce soit

820   Dire nul mal ne nul diffame                                         Dire aucun mal ni aucune infamie

        (Qu’il me souvien[n]e) de sa femme.                           De sa femme, à mon souvenir.

                        TIERRY                                                                  THIERRY

        Escoutez : puis cinq ans en çà                                      Écoutez : depuis cinq ans

        Que l’acoinctance commença,                                      Que notre relation commença,

        Par ma foy, je n’euz d’aultre amye.                              Je n’eus pas d’autre maîtresse, ma foi.

                        GAULTIER                                                            GAUTIER

825   Et ! par Dieu, elle n’en a mye                                      Eh ! par Dieu, elle n’en a pas

        Le renon.                                                                     La réputation.

                        TIERRY                                                                THIERRY

                             Je vous en croy bien.                                                       Je veux bien le croire.

                        GAULTIER                                                          GAUTIER

        Demourez illec, je revien ;                                           Restez ici, je reviens ;

        Actendez-moy ung seul petit225 !                                Attendez-moi un petit peu !

.

                        RICHARD                                                               RICHARD                         SCÈNE  VI

        Qu’a-il dit ? J’ay tel appétit                                          Qu’a-t-il dit ? J’ai une si grande envie

830   De le reveoir. Sus ! quelz nouvelles ?                          De le revoir ! Alors, quelles nouvelles ?

                        GAULTIER                                                             GAUTIER

        Maugré bieu ! Ne bonnes, ne belles,                           Nom de Dieu ! Ni bonnes, ni belles,

        Par226 le sang que Dieu respendit !                            Par le sang du Christ !

                        RICHARD                                                              RICHARD

        Et ! qu’esse-là ? A-il rien dit ?                                    Eh ! qu’est-ce ? A-t-il dit quelque chose?

        [As-tu]227 ne sçay quoy entr’ouÿ ?                             As-tu entendu je ne sais quoi ?

                        GAULTIER                                                             GAUTIER

835   S’il a rien dit ? Sainct Jehan ! ouÿ,                              S’il a dit quelque chose ? Saint Jean ! oui,

        Qui m’a jusques au cueur frappé !                              Et qui m’a frappé jusqu’au cœur !

        Haro ! je suis bien attrappé :                                       Hélas ! je suis bien attrapé :

        Je suis coux, il maintient ma femme.                          Je suis cocu, il entretient ma femme.

                        RICHARD                                                              RICHARD

        Que deable dis-tu228 ?                                                Que diable dis-tu ?

                        GAULTIER                                                            GAUTIER

                                                 Par cest âme !                                                     Par mon âme !

840   Confessé le m’a de sa bouche.                                     Il me l’a confessé de sa bouche.

                        RICHARD                                                               RICHARD

        Et n’a-il riens dit qui me touche ?                                Et n’a-t-il rien dit qui me concerne ?

                        GAULTIER                                                            GAUTIER

        Si a : c’est il229 qui te fist tant batre.                            Si : c’est lui qui te fit battre.

        Allons-m’en sans plus nous débatre                             Allons sans plus débattre

        Le tuer, et luy couper la gorge !                                  Le tuer, lui couper la gorge !

                        RICHARD                                                               RICHARD

845   Fist-il230 ce ? Que mau gré sainct George !               Me fit-il cela ? Par saint George !

        Ha ! le senglant traistre prouvé !                                 Ah ! le foutu traître fieffé !

        Je fus231 villainement trouvé !                                   Je suis bien mal tombé !

        Vrayement, nous sommes trop mieulx                       Vraiment, nous sommes beaucoup plus

        Trompéz qu’il n’est232. Mais se tu v[i]eulx,               Trompés qu’il ne l’est. Mais si tu veux,

850   Jamais il ne nous trompera…                                    Jamais plus il ne nous trompera…

                        GAULTIER                                                             GAUTIER

        Mais  je te pry !                                                          Parle, je t’en prie !

                        RICHARD                                                              RICHARD

                                      Vécy qu’il fauldra :                                                  Voici ce qu’il faudra faire :

        Allons le prendre ; et luy diron                                    Allons le chercher ; et nous lui dirons

        Qu’il a mal air cy environ,                                           Qu’il y a un mauvais air par ici,

        Et que le phisicïen mande,                                          Et que le médecin ordonne

855   Comment qu’il soit, et le commande,                          Et commande, quoi qu’il en résulte,

        Qu’il change [d’]air, et qu’on le porte                          Qu’il change d’air, et qu’on l’emporte

        D’illec. Et puis hors de la Porte233                             D’ici. Et puis à l’extérieur de Paris

        (Voys-tu ?), nous l’envelopperon                                (Comprends-tu ?) nous l’envelopperons

        En ung drap, et le gecteron                                        Dans un drap, et nous le jetterons

860   En [la boue dans]234 ung fossé :                                Dans la boue d’un fossé :

        Et là sera-il enfossé235,                                              Et là Thierry sera enfoui,

        Ne jamais n’en sera nouvelle.                                     Et jamais plus on n’en aura de nouvelles.

                        GAULTIER                                                             GAUTIER

        Par saincte Marie la Belle !                                        Par sainte Marie la Belle !

        Tu dis bien. Sus, allons le prendre !                           Tu dis bien. Vite, allons le prendre !

865   [Puis] nous l’irons noyer ou pendre,                           Puis nous irons le noyer ou le pendre,

        Par le sang que Dieu print à Romme236 !                  Par le sang du Christ !

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                        TIERRY                                                                  THIERRY                           SCÈNE  VII

        Hélas ! ne viendra-il [nul] homme ?                           Hélas ! ne viendra-t-il personne ?

        Où povent-ilz [bien] trèstous estre ?                           Où peuvent-ils bien être, tous ?

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                        GAULTIER                                                            GAUTIER                            SCÈNE  VIII

        Oste-moy cest habit de prestre !                                 Ôte-moi cet habit de prêtre !

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                        RICHARD 237                                                       RICHARD                            SCÈNE  IX

870   Que faictes-vous ?                                                      Que faites-vous ?

                        TIERRY                                                                 THIERRY

                                           Ha ! Richard, rien.                                                  Ah ! Richard, rien.

                        RICHARD                                                              RICHARD

        Écoutez : vous n’estes pas bien,                                  Écoutez : vous n’êtes pas bien,

        Cy238. Vostre phisicïen tient                                      Ici. Votre médecin pense

        (Entendez[-vous] ?) qu’il vous conv[i]ent                   (Entendez-vous ?) qu’il vous faut

        Muer l’air et [vuider239] la place.                               Changer d’air et quitter la place.

                        TIERRY                                                                   THIERRY

875   Hélas, mes amys ! Qu’on me face                               Hélas, mes amis ! Faites-moi autant

        Tant de bien que m’en aperçoyve ;                              De bien que je puisse en constater ;

        Mais je vous requier que je boyve,                             Mais par pitié, donnez-moi à boire,

        Car j’ay tel seuf que plus n’en puis.                            Car j’ai si soif que je n’en peux plus.

                        GAULTIER                                                             GAUTIER

        Vous ne bustes autant, depuis                                     Vous n’aurez pas bu autant, depuis

880   Six jours en çà, que vous ferez.                                   Six jours, que vous allez le faire.

                        RICHARD                                                               RICHARD

        Vous burez tant, que vous serez                                  Vous boirez tellement que vous serez

        Guéry de tous maulx, je me vant240.                          Guéri de tous vos maux, je l’affirme.

        Prenez à charrier devant241 !                                      Gautier, prenez-le par les pieds et passez devant !

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                                          FINIS

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D’UNG  COUSTURIER  &  UNG  VICONTE 242

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Jehan Galéace, viconte, fut père de l’ancien duc de Millan, & estoit ung grant homme gras qui voulentiers emplissoyt son ventre de vins & de viandes.

Advint qu’il fist faire à son cousturier ung pourpoint propre243 pour lui. Lequel pourpoint fait, il vestit par ung matin, & le trouva trèsbien.

Quant ce vint au soir, cestuy Jehan — qui avoit accoustumé de faire grant chère — beut & mengea tant, que le ventre luy enfla. Si que son pourpoint luy sembla trop estroit. Si, manda son cousturier, & en le blâmant, luy dist qu’il luy avoit fait son pourpoint trop estroit, et que incontinent il luy allast eslargir. Le cousturier, qui n’osa pas contredire, dist que aussi feroit-il. Et print le pourpoint, & le getta sur la perche244 sans y faire autre chose. Adoncques, les autres serviteurs luy demandèrent pourquoy il n’alloyt eslargir le pourpoint qui contraignoit trop le ventre de Monseigneur. Respondit le cousturier : « Au pourpoint je ne feray riens. Demain, à son lever, après qu’il aura faicte sa digestion & après qu’il aura esté au retrait245, je luy bailleray son pourpoint, & il le trouvera trop large. »

À ce faire ne faillit pas le cousturier, qui vint au lever du seigneur & luy aporta son pourpoint, lequel il trouva assez large, car son ventre estoit désenflé….

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1 « RESTRÉCHIR : rétrécir. » René Debrie, Glossaire du moyen picard.   2 Elle nomme la cathédrale Notre-Dame (v. 97), le Mont Valérien (v. 100), la Seine (v. 112), l’hospice des Quinze-Vingts (v. 119), la chapelle Saint-Mathurin (v. 177), et l’une des Portes de la ville (v. 857).   3 Ce mot est donné par l’édition de Gustave Cohen en 1949, mais a été omis dans celle de Jelle Koopmans : Le Recueil de Florence, Paradigme, 2011, pp. 607-628.   4 Les deux fêtards, encore passablement éméchés, se rencontrent en fin de matinée devant la maison de Thierry, leur compagnon de débauche. Ils ont la gueule de bois, et leurs idées sont loin d’être claires.   5 Ni maman. « Se tu as papa ou memmen. » Sottie des Menus propos.   6 Ce mot, prononcé à la française, rime en -an : voir la note 160 de Régnault qui se marie. Gautier répond en écho au « en ment » de Richard.   7 Je me fais fort = Je me vante. Idem vers 378.   8 F : Puis qua  (« Puisque dire le fault. » Le Povre Jouhan.)   9 Tout quanque = tout ce que. Même picardisme aux vers 167, 322 et 574. Je faision = je faisais. Cette tournure picarde reviendra souvent, à commencer par le prochain vers.   10 Hier soir. Même idiotisme picard aux vers 33, 46, 88, 110, 340, 390, 412, 479, 486.   11 J’embrassais les hanaps : je buvais. Sur cette conjugaison picarde, voir la note 9.   12 Vers proverbial. Le Livre de la deablerie, du Picard Éloy d’Amerval, nous le ressert trois fois.   13 Préposition picarde qui signifie « avec ». Idem vers 340.   14 « MATE, adj., moite. » (Debrie, Glossaire du moyen picard.) L’adjectif mat [abattu] serait au masculin.   15 Ni pied, ni patte : rien ni personne. « Il n’y en a ne pié ne pate. » ATILF.   16 F : la   17 Même vers que 67. L’auteur a laissé passer plusieurs doublons, qui trahissent plutôt des réminiscences qu’un manque de temps.   18 Si on recommençait à boire : voir le vers 416. « Se, pour trop boire, l’endemain/ Vous tremble teste, bras ou main,/ Avoir vous fault, sans contredit,/ Du poil du chien qui vous mordit. » (Recepte pour guérir les yvrongnes.) On dit aussi : « Prendre du poil de la beste : boire le jour d’après que l’on s’est enyvré. » Antoine Oudin.   19 Un abus. « Encor, qui est plus faulx latin,/ Affin de venir plus matin,/ J’ay couché trèstout embasté. » Les Femmes qui font baster leurs maris aux corneilles, F 29.   20 Il nous faudrait un 3e larron auquel nous ferions payer le tavernier.   21 Viendra. Nous retrouvons ce futur picard aux vers 255, 256 et 267.   22 Surnom d’un obèse. « Rembourrer le pourpoint : manger. » Oudin.   23 Dans sa bouche. « Merde en tes joues ! » (Le Savetier Audin.) Colin est si lourd qu’on ne peut pas le soulever pour jouer au pet-en-gueule.   24 F : bachoue  (Mais au vers 570 : Machoue. Ce mot qui dérive de « mâchoire » convient mieux à un solide mangeur.)   25 Si m’aid Dieu : que Dieu m’assiste. Idem vers 276 et 615.   26 Ni après avoir posé pour un portraitiste.   27 Aujourd’hui. Idem vers 590. L’heure de none = midi.   28 Le second rôle. « Jhésus son filz, seconde personne de la Trinité. » Miracle de un marchant et un larron.   29 F : abuure  (« ABRUVER : Abreuver. » Jules Corblet, Glossaire du patois picard ancien et moderne.)   30 F : leuoit   31 F : pert  (Se galer = s’amuser.)   32 En homme qui ne se lève plus de sa paillasse. « Gargantua (…) paillardoit parmy le lict. » Gargantua, 21.   33 Bruyamment. « Faire bien de l’emblée : faire du bruit. » Debrie, Glossaire du moyen picard.   34 Nos deux ivrognes aiment les jeux d’enfants.   35 Les buveurs qui ne peuvent pas payer le tavernier lui laissent un vêtement en garantie.   36 Et qu’il y a eu des éclairs. « Espartir mervilleusement/ Et tonner très horriblement. » ATILF.   37 S’est partagé, s’est ouvert. « Il veoit la mer estre par le mylieu partye. » ATILF.   38 F : lafermes  (Mais affirmer que c’est vrai.)   39 F : ou  (Au mains = au moins. Cf. l’Aveugle et Saudret, vers 396.)   40 F : assoir  (Voir la note 10.)   41 Tout d’un coup. « Tout d’une tire,/ Il m’a bien mis en resverie. » Les Esveilleurs du chat qui dort.   42 F : garnissent  (Correction proposée par J. Koopmans.)   43 Au sommet de cette colline proche de Paris, des ermites avaient construit deux chapelles assez hautes.   44 F : bauerie  (Baierie = discours trompeur. « Je ne vueil plus de ta baierie :/ Paye tost ! » Farce de Pathelin.)   45 Nouvel emprunt à Pathelin : « Me voulez-vous faire entendant/ De vécies que sont lanternes ? » Idem vers 143.   46 Les harengs saurs, qu’on a séchés puis salés, survivent rarement à un pareil traitement. Le Carnaval se clôt sur une bataille entre le maigre Carême (défendu par des harengs saurs) et le gras Charnage (défendu par des andouilles). Voir la note 284 du Résolu. Dans le Quart Livre <chap. 40>, un des cuisiniers qui vont combattre les Andouilles se nomme Aransor.   47 Mardi-gras. « Yl tura Karesme-prenant. » (Le Pèlerinage de Mariage.) La pièce fut peut-être jouée lors des festivités du Mardi gras.   48 Les Quinze-Vingts est un hospice parisien qui nourrissait 300 aveugles.   49 F : Mestrier  (Les aveugles n’ont en général pas d’autre profession que la mendicité : ils chantent dans les rues en s’accompagnant à la vielle.)   50 F : pouigneurs  (Le poigneur d’alêne coud le cuir à l’aide d’un poinçon. « Des poigneurs d’alesne et tanneurs. » ATILF.)  Des aveugles auraient du mal à passer un fil dans le chas d’une aiguille.   51 Les serveurs doivent avoir l’œil pour remplir immédiatement le pichet vide d’un client. Voir le Monologue d’ung clerc de taverne (Montaiglon, XI, 46-54.)   52 En Picardie, les graux sont des égratignures dues à des coups de griffes, d’où l’étonnement de Gautier. Mais Richard a commis une contrepèterie involontaire qu’il va rectifier au vers suivant : graveurs de sceaux. Elle recèle d’autres solutions : graisseurs de faux, fesseurs de gros, etc.   53 Le ciron est une pustule provoquée par des acariens ; on le perce avec une aiguille rougie, ce qui n’est pas un travail d’aveugle. Les femmes ont une autre méthode : « J’ay ung siron sur la motte ;/ Je croy qu’i my rendra morte/ Si je ne le fais oster./ Il y fault de la ‟chair vive”/ Ung tronsson à y bouter./ Mon amy a une chose/ Que je disse (mais je n’ose),/ Qui me le pourroit oster./ Il me la mist dans le ventre./ Entre vous, jeunes fillettes,/ Quant les sirons si vous blessent,/ Faictes-les ainsi oster. » Loyset Compère.   54 Le paysan de Cautelleux, Barat et le Villain est victime d’une blague analogue aux vers 280-405.   55 La cupidité des hauts fonctionnaires est telle que cette histoire ne serait pas crédible.   56 Qu’il finira pendu : « Plusieurs estoient alléz par le pendant, & d’autres avoient esté jettéz en l’eau. » F. de Belleforest.   57 F : bonte  (Se bouter en franchise = se réfugier dans un monastère, sous la protection de Dieu. « [Il] se bouta en franchise au dit moustier. » ATILF.)   58 S’aprester = se faire prêtre. « Il se fist apreisteir/ [Par] l’archevesque de Colongne. » ATILF.   59 Nous la vendrons à un fripier.   60 L’échauffourée. Jeu de mots sur « les chats fourrés » [les hypocrites], que les Picards prononçaient exactement de la même façon : les cots fourrés. Nous disons aujourd’hui : les coups fourrés.   61 F : ostee  (Volée. « Et porte Dismas une robe sur ses espaules comme s’il l’avoit emblée. » Les Tyrans.)   62 F : une  (Visé = avisé.)   63 Regimber et mordre = se rebeller. « Quant je voys d’aulcuns folyer,/ Ou d’aultres regiber ou mordre. » Le Monde qu’on faict paistre.   64 Verbe poindre : piquer, mordre.   65 Vers manquant. Avant l’invention de la camisole de force, on attachait les gens qui étaient « fous à lier ». « Se j’eusse aide, je vous liasse :/ Vous estes trèstout forcené. » Pathelin.   66 Chapelle parisienne, rue des Mathurins-Saint-Jacques, où l’on expédiait les fous pour les guérir. « Envoyer à Saint-Maturin : Faire passer pour fol. » Oudin.   67 F : tant   68 Silencieusement. Idem vers 231 et 651. « Tout bellement,/ Qu’elle ne m’oye [afin qu’elle ne m’entende pas]. » Les Drois de la Porte Bodés.   69 Futur du verbe paroir : paraître. Idem vers 245. Cf. la Laitière, vers 146. Le pourpoint rétréci fait partie des mauvaises blagues, comme le lit en portefeuille. Le Jeu du Prince des Sotz nomme une autre de ses victimes : « Qui est variable en substance [en étoffe],/ Comme le pourpoint (de) Jehan Gippon. »   70 F : Qua  (« Regardez mon pourpoinct :/ Il est beau, fort bien faict, délicatement joinct. » Lasphrise.)   71 F : espraindre  (Lui démanger. « Tout le sang et la chair m’espoint. » ATILF.)  Voir les vers 453-4.   72 Et rougir. « Sans muer couleur en la face. » Le Gallant quy a faict le coup.   73 F : pouruoit  (Voir le vers 403.)   74 Avec subtilité, par traîtrise. Cf. le Tournoy amoureux, vers 94.   75 F : fauldra  (Il nous baillera. « Tu me bauldras/ Mon beau demy escu. » Le Mince de quaire.)   76 Procédure normale. Dans la Seconde Moralité, on apporte un flacon d’urine au médecin, auquel on donne de l’argent pour qu’il en tire un diagnostic sans avoir vu le malade (vers 223-8).   77 Aux médecins. Idem vers 430, 566, 854, 872. « Ces phisiciens m’ont tué. » (Pathelin.) Les Picards prononçaient « physician », comme ils prononçaient bian [bien] ou rian [rien].   78 Dans les siècles précédents, on infligeait aux fous une tonsure en forme de couronne centrée d’une croix. « Si je ne m’en sçay venger, je vueil qu’on me tonde en croix comme ung folz ! » (Ph. de Vigneulles.) Idem vers 298, 344 et 584.   79 Forme picarde de « saint Pierre ». Idem vers 441 et 635.   80 F : esguillette  (L’aiguillette désigne surtout le cordon qui ferme une braguette. Beaucoup plus rarement, c’est une petite aiguille ; mais vu l’épaisseur du pourpoint, il faut une aiguille normale, comme au vers 261.)   81 F : Je  (J’y vais. Cf. l’Aveugle et le Boiteux, vers 175.)   82 Futur de « n’ouïr goutte » : ne rien entendre.   83 Les deux hommes entrent chez Thierry. Gautier reste dans la pièce principale, tandis que Richard va subtiliser dans la chambre le pourpoint du dormeur.   84 F : Descauson  (Décousons le pourpoint pour le couper.)  Les deux hommes s’assoient autour de la table et se livrent à leurs travaux de couture en imitant les propos « décousus » que tiennent les fileuses en pareil cas : voir les Évangiles des Quenouilles.   85 Si je peux. Idem vers 333. Cf. les Frans-archiers qui vont à Naples, vers 102.   86 Jeu de mots sur coux, qui signifie cocu, comme aux vers 769 et 838. Mais Richard ne croit pas si bien dire…   87 F : gastaroit  (Voir le vers 656.)   88 Je ferai le signe de la croix, comme devant un spectacle diabolique. Voir la didascalie du vers 383.   89 F : se deuroit   90 Cette plaisanterie n’était pas nouvelle : « C’est parlé/ Proprement et de main de maistre. » Le Dorellot.   91 Gautier sera dans la pièce principale, et il parlera fort pour être entendu de Thierry, à condition que la porte de sa chambre ne soit pas fermée.   92 Par un milan, un oiseau de proie. « L’escoufle a emporté voz poucyns. » Godefroy.   93 À la mule du pape, qui représente par synecdoque le pape lui-même. Or, le pape avait réponse à tout, y compris aux questions qu’on ne lui posait pas. De là à dire qu’il pensait avec ses pieds…   94 Ce mot était parfois masculin, comme au vers 552 : cf. le Sermon pour une nopce, vers 47. En outre, les Picards employaient l’article « le » au lieu de « la » : voir ma note 199.   95 F : lengen  (L’intellect, du latin ingenium. « Sans engin, science et mémoire. » Marchebeau et Galop.)   96 Dans l’esprit de Gautier, cette phrase est négative : « Jéninot est le nom d’un sot ;/ Mais aussi n’es-tu pas trop sage. » Jéninot qui fist un roy de son chat.   97 « DESTORBER : détourner, embarrasser, troubler. » Debrie, Glossaire du moyen picard.   98 Qui rayonne, qui brille. « Par le soleil qui roye ! » (Serre-porte.) « A ! par le saint soleil qui luist ! » (Goguelu, F 45.)   99 F : parmy  (Voir le vers 62.)  Sous l’effet de l’alcool, Richard oublie la nouvelle tromperie, et en revient à celle des vers 174-7, qui consiste à ligoter Thierry.   100 F : voys   101 F : Assoir  (Voir la note 10.)  « O » = avec. Note 13.   102 « Il aura grand peur, s’il ne tramble. » Le Raporteur.   103 Bruï, brûlé en enfer. « Du feu d’Enfer je suis brouÿ. » Vie de saincte Barbe.   104 F : rigaller  (Qu’à prendre du plaisir. « Ou soit pour rire ou pour galer/ Tant qu’i n’y ait que régaller. » Pierre Chastellain.)   105 « Avoir la pulce à l’oreille : Estre dans quelque appréhension. » (Oudin.) « Qui me met la puce à l’oreille/ Et m’esmoye par tel façon. » Le Capitaine Mal-en-point.   106 Avant que notre jeu (ou notre farce) s’achève. « Devant que nostre jeu départe. » Le Raporteur.   107 F : entre en fieure quartaine  (Cf. la Fièbvre quarte.)   108 Cohen : te  —  Koopmans : le  (Acquitte-toi de ce que tu as à faire. « Je te pri que tu te délivre. » La Confession Rifflart.)   109 F : Metez  (« Je la veulx remectre en son lieu. » Le Poulier à quatre personnages.)   110 Il sort de la chambre de Thierry.   111 « Juron tout à fait original dont je ne connais pas d’autre exemple. » (Jelle Koopmans, p. 616.) « Par les angoisses Dieu, moy lasse ! » (Farce de Pathelin, vers 571.)   112 Autrement dit, il ressemble à un cadavre, dont on doit recouvrir le visage avec un linge.   113 Je suis sûr que dans le respect des bonnes manières. « La table sera tantoust mise/ Et servye de bonne guise. » ATILF.   114 F : chose  (« Que la table soit bientost mise ! » Le Gentil homme et Naudet.)   115 F : Bien  (L’entremets désigne un plat, mais aussi une mauvaise surprise. « Voicy ung piteux entremetz ! » Frère Frappart.)   116 F : tien  (« Tu [te] trouveras/ En grans despens, [or] ne t’en doubte. » Pathelin, ms. fr. 25467.)  Gautier va dans la chambre de Thierry.   117 Il fait le signe de la croix parce que, mal réveillé et mal dessoûlé, il s’imagine voir « le grant dyable plus noir que meûre » (Vie de saincte Barbe).   118 F : Qui  (« Quel deable est-ce-là ?/ Il ne redoubte riens. » Cuvelier.)   119 Fétard — et non fêtard — veut dire paresseux : cf. le Résolu, vers 191 et note.   120 F : de  (Je boirai autant que.)   121 Il feint de découvrir que Thierry a enflé.   122 Par saint Jacques ! Voir le vers 437.   123 Vers manquant. « Vous estes malade :/ Oncques couleur ne fut plus fade. » Le Ribault marié.   124 F : despassay assoir  (Voir le vers 878.)   125 F : plus beau  (Tu ne vivras pas jusqu’à demain.)   126 Gautier vouvoie désormais Thierry, avec le respect qu’on doit à un mort. Il l’oblige à se lever pour qu’il mette son fameux pourpoint.   127 F : dessoir  (Synonyme de « arsoir » : hier soir. Cf. le Gentil homme et Naudet, vers 12.)   128 F : heu  (« En ? Qu’as-tu veu ? » Le Temps-qui-court.)   129 F : lieus  (Ces liens maléfiques sont les chaînes des damnés : « Et les âmes des trespasséz/ Vueillent garder de maulx liens ! » Consolacion de Boèce.)   130 Dans une imprécation, « que je sois qui » = plutôt que je sois celui qui. « Mais pendu soit-il, que je soye/ Qui luy laira escu ne targe ! » (Villon.) « Meschoir puist-il de corps et d’âme,/ Que je soye qui sauroit dire/ Qui a le meilleur ou le pire ! » (Pathelin.)   131 F : trompierre  (Trompeur. « Par saint Pere !/ Il a mon drap, le faux tromperre ! » Pathelin. À la rime, je corrige Pierre d’après les vers 224 et 635.)  Thierry se lève, et tente de mettre son pourpoint.   132 Se dit d’un vêtement trop court, susceptible de nous faire attraper des rhumatismes. « Cornette fourrée du moins,/ Cela est bien gouteprenant. » Guillaume Coquillart.   133 Grâce auquel je suis racheté. Participe passé fluctuant du vieux verbe raiembre : « Tous fusmes raimpns. » ATILF.   134 Vers manquant. La soif étique est une soif dévorante : « Requier avoir un bruvaige autentique (…)/ Pour rafréner d’elle ma soif éthique. » (Eustache Deschamps.) Thierry se plaint régulièrement de la soif : vers 398 et 878. On pensait que l’hydropisie frappait ceux qui buvaient trop.   135 F : si  (Doublon du vers 410.)   136 Il est toujours dans la pièce principale, et fait semblant d’entrer dans la maison.   137 Il va dans la chambre, mais tourne le dos à Thierry, qu’il ne regardera qu’au vers 514.   138 En Picardie, ce mot désigne le concierge d’un domaine. J’ignore s’il s’agit de son patronyme ou de sa profession, mais au Moyen Âge, c’est à-peu-près la même chose.   139 Quando cœli [quand les cieux] est chanté lors de la Messe des morts. « Ou ilz m’envoiroient promptement/ Tout fin droit à quando céli. » Les Menus propos.   140 F : sont desia  (En contradiction avec les 2 vers suivants.)   141 F : feire  (Les personnages de farces qui sont bons à tout faire sont des bons à rien ; voir Jehan qui de tout se mesle.)   142 Pleine de liesse (picardisme). « En faisant bonne chière et liée. » ATILF.   143 F : uraiment  (Sans faire de distinction. « Nature féméninne,/ Qui tout unyement veult aimer. » Villon.)   144 F : donnue  (« Poison » était souvent féminin : cf. le Savatier et Marguet, vers 137 et note.)   145 Peut-être la meurtrière épidémie de coqueluche (ou de grippe ?) qui a sévi en 1510.   146 « LERME : larme. » Debrie, Glossaire du moyen picard.   147 F : regardoit  (À la rime. Voir les vers 693 et 704.)   148 F : creuez   149 F : assena  (« ASSENER : Frapper. » Debrie, Glossaire du moyen picard.)  « Il le vint assener par-derrière le doz. » Galien Réthore.   150 Lors d’un mariage, on chausse ses mains de mitaines, et on donne des petits coups de poing aux parents de la bru, pour leur laisser un souvenir des noces. Au figuré, les gants des noces désignent des conséquences funestes : « Qu’il se consenti à ce qui a esté fait de la dite fille, et n’ot nulz gans des nopces. » Arch. nat.   151 Richard se retourne enfin vers Thierry, et fait un signe de croix en prenant un air épouvanté.   152 Il fallait se confesser avant de mourir.   153 Vers manquant. « Que je taste ung peu vostre poux. » (Chagrinas.) Richard, lui aussi, se met à vouvoyer le prétendu mourant.   154 « Mort s’en ensuy, et (il) eust toutes ses ordonnances. » Godefroy.   155 « Il est perdu, il en est pic. » Arnoul Gréban.   156 Il s’adresse à Gautier, mais suffisamment fort pour que Thierry n’en perde pas un mot.   157 F : Affin  (« Garde que la Mort ne te hape ! » Le Ribault marié.)  En Picardie, « le » = « la ». Voir ma note 199.   158 F : conscilles  (Conseiller : tenir conseil à voix basse.)   159 F : ny   160 F : Et  (Le ms. de base portait &.)   161 Le thériaque est un contrepoison. Cf. les Vigilles Triboullet, vers 149-150.   162 Démoniaque : sous l’emprise du démon. Cf. le Cousturier et Ésopet, vers 230 et note.   163 F : par   164 Les deux trompeurs sortent devant la maison.   165 Être pris par la moue : être abusé par des grimaces. Cf. Chagrinas, vers 320.   166 Si tu veux. Même picardisme aux vers 608 et 614.   167 « OU : Au. » (Corblet, Glossaire du patois picard.) « Aussi sçauray-je bien,/ Par Dieu, [ce] qu’elle a ou ventre ! » Les Sotz fourréz de malice.   168 Conviendrait : il faudrait donc lui fendre le ventre pour en extraire ce bébé.   169 Double sens : Ce serait la meilleure chose du monde si on te tondait.   170 Anuit = aujourd’hui. Idem vers 43.   171 Cliqueté avec notre langue, bavardé. « De trufes [à propos de bêtises tu] flavelles ;/ Tais-toy ! » Miracle de saint Ignace.   172 F : que lun   173 Le faux prêtre aura le haut du visage dissimulé sous un capuchon, et il devra baisser la tête pour cacher le reste.   174 F : demouea  (Ne demeurera.)   175 F : ou  (Autodérision de la part d’un dramaturge et de comédiens qui sont originaires de Picardie.)   176 F : Me fais  (Voir le vers 618.)   177 F : pas de  (Cela ne m’importe pas plus qu’une pièce de 1 centime. « Il ne m’en chault pas d’une maille. » La Nourrisse et la Chambèrière.)   178 F : Actendes  (Dans beaucoup de farces, un des personnages possède providentiellement un habit de prêtre : voir la note 54 du Ribault marié.)   179 Pendant que Gautier enlève sa robe, Richard, qui est un voisin de Thierry, court chez lui et revient vite avec un vieux froc à capuchon, une ceinture, et l’inévitable bréviaire.   180 Il tente vainement d’ajuster le capuchon, qui est beaucoup trop grand et qui lui couvre tout le visage.   181 Même juron abrégé à 627. Des deux amis, c’est celui qui blasphème le plus qui va jouer le prêtre.   182 F : burelure  (C’est une chanson à danser. « La Turelure/ Y chanterons en passant temps. » Les Esveilleurs du chat qui dort. Les vers 27-33 de Calbain en proposent une version.)  Le froc est deux fois trop grand pour Gautier, qui « danse » dedans.   183 Cette bacchanale orientalisante requiert des mouvements très amples.   184 Les épaules de la soutane te tombent sur le ventre.   185 F : Allons nous en  (Allons-y ! Idem vers 843.)   186 Qu’on place dans un champ où l’on a semé des graines de chanvre que les oiseaux risquent de picorer.   187 F : quil  (Voir le vers 606.)   188 Euphémisme pour Dieu.   189 Contrairement aux bourgeois, les prêtres ne portent pas de chaussures à lacets mais des sandales en cuir, avec ou sans lanières.   190 Vers manquant. L’auteur pioche souvent dans la farce de Pathelin ; d’une façon toute arbitraire, je le ferai aussi : « Il n’a pas le visaige/ Ainsi potatif. » Potatif = digne d’un alcoolique, ce qui dépeint parfaitement Gautier.   191 F : dis  (Une fois tu ris bien ; une autre fois, prends-y garde. « Or rit, or pleure. » ATILF.)   192 Gautier rentre dans la maison, suivi par Richard (qui restera dans la pièce principale), et il retourne seul dans la chambre de Thierry. Il enfonce la tête dans son bréviaire et modifie sa voix.   193 Doublon du vers 483. Les deux suivants reproduisent les vers 543-4.   194 Étant presque mort, vous n’êtes plus qu’une âme.   195 Les accidents de la vie étaient vus comme des punitions de nos péchés. Aujourd’hui encore, même les athées s’exclament : Qu’est-ce que j’ai fait au bon Dieu pour mériter ça ?   196 « Probablement, Gaultier feint d’être repoussé par la puanteur de l’haleine de Tierry, mais en fait il a peur d’être reconnu. » J. Koopmans, p. 623.   197 F : ne   198 F : gardent  (Le sujet, « homme » ou « femme », est singulier.)   199 Les Picards employaient l’article « le » au lieu de « la », comme aux vers 317, 541 et 552. Je pioche au hasard dans un poème de Jehan Molinet : « Le basse danse. Vous jousterez à le quintaine. Lever le teste. Le toux, qui fort me diminue. Il a trop fort mors en le gueulle. »   200 Je lui procure. « De pourchasser à aultruy mal. » Les Esveilleurs du chat qui dort.   201 F : se fige quil  (Voir le vers 747.)   202 Sans ordre ni méthode. « Robin danse en tache. » Le Monde qu’on faict paistre.   203 Relâche, répit. « Sans point faire de lâche. » Les Drois de la Porte Bodés.   204 F : fera  (Le « f » et le « ſ » long sont souvent confondus.)  Il ne sera jamais en bonne santé.   205 Contondants, qui ne provoquent pas de plaies ouvertes. « Et luy baillèrent plusieurs coups orbes et sourds. » ATILF.   206 À l’instant. « Il en vient tout venant. » Pathelin.   207 Mécroire = soupçonner. Idem vers 759. Cf. Frère Frappart, vers 278.   208 Pas du tout. « Point ne cesse/ Ne po, ne goute. » ATILF.   209 F : mestoit   210 F : sauoit  (Qui avait fait cela.)   211 Je le soupçonnais d’être lui aussi son amant, ou de vouloir le devenir.   212 Un homme qui chante a une maîtresse : tel est le sujet du Ribault marié, auquel on fait croire aussi qu’il est mourant, et dont un faux prêtre obtient une confession gênante.   213 Un don de coups. « Avoir vous fault de la donnée ?/ Tenez, recevez ce tatin [coup] ! » Godefroy.   214 Avec une telle force. « Frappez ! Bastez de randonnée ! » ATILF.   215 Maintenir une femme : l’avoir pour maîtresse. Idem vers 802 et 838. « Un mary (…)/ Qui gardît bien son mariage,/ Qui n’ayt Thomyne ne Lucette/ À maintenyr. » Le Trocheur de maris.   216 F : De   217 F : a bouche  (Les prêtres doivent respecter le secret de la confession.)   218 F : de  (Du pire. « Fais du pis que tu sçauras faire. » La Nourrisse et la Chambèrière.)   219 Afin que Gautier — qui est censé attendre dans la pièce contiguë — n’entende pas.   220 F : c’nent  (« Et comment esse qu’on apelle/ Une auge à paistrir ? » Jolyet.)   221 C’est une des nombreuses litotes pour dire : Vous mourrez.   222 En Picardie, ce mot désigne sans surprise une écuelle.   223 Qui présente si bien, qui a une si belle prestance. « Quant je estoie jeune et présentier. » (Godefroy.) Gautier se flatte lui-même.   224 F descend cette rubrique sous le vers suivant.   225 Un tout petit peu. Craignant de trahir sa colère, Gautier rejoint Richard dans la pièce principale.   226 F : Ha  (« Par le sang que bieu respendit ! » Beaucop-veoir.)   227 F : A il ie   228 F : distes  (Voir le vers 424.)   229 Lui. « C’est il qui me doit adresser. » Serre-porte.   230 F : Fut il   231 F : fut   232 C’est une variante de la moralité « À trompeur, trompeur et demy », qui conclut tant de farces et de sotties.   233 Les fossés parisiens se trouvaient aux abords des Portes de la ville. « Les fosséz de la Porte Sainct-Honoré. » (Journal d’un bourgeois de Paris sous le règne de François Ier.) Voir le vers 366 des Maraux enchesnéz.   234 F : leau dedans  (Vers trop court, alors que « bou-e » compte pour 2 syllabes. De plus, si Thierry sait nager, il ne mourra pas. Et si on découvre son cadavre flottant sur l’eau, ses meurtriers seront exécutés.)  Comme en témoignent les Maraux enchesnéz, les fossés parisiens sont pleins de boue, et non d’eau : « –En ce bourbier,/ Nestoyez-moy bien ces fosséz !…./ –Nous sommes à la boue,/ Maintenant, jusques aux genoulx. »   235 F : estoffe  (Rime faible et sens douteux.)  Enlisé dans un fossé : « En un fossé,/ Com un larron, l’ont enfossé. » Godefroy.   236 On retrouve ce curieux juron au vers 512 des Trois amoureux de la croix.   237 Il retourne dans la chambre, avec Gautier, qui a remis sa robe personnelle.   238 F : Car   239 Vider, quitter. « Yl conviendra vuyder la place. » Le Sourd, son Varlet et l’Yverongne.   240 Je m’en flatte. Cf. l’Aveugle et Saudret, vers 327 et 1113.   241 Les deux hommes soulèvent leur victime, Gautier par-devant, Richard par-derrière. À la fin de la Laitière, deux furieux décident d’aller noyer un sergent dans une fosse septique ; l’un d’entre eux le porte par-devant, et dit à l’autre : « Je veil (…)/ Que le soustenez par-derrière. »   242 Cet extrait de la 17e Facétie du Pogge, traduite par Guillaume Tardif vers 1492, pourrait avoir fourni l’idée du pourpoint rétréci.   243 Sur mesure.   244 Sur la tringle horizontale où les couturiers accrochent les cintres qui portent les vêtements à retoucher.   245 Au cabinet. Voir la farce du Retraict.

LE GOUTEUX

British Library

British Library

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LE  GOUTEUX

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On pense que maître Mimin et Richard le Pelé, nommés uniquement dans la liste des personnages de cette farce rouennaise, sont les acteurs qui l’ont créée1. Les comédiens s’appropriaient parfois le nom du personnage qui était à l’origine de leur renommée ; par exemple, Pierre le Carpentier se rebaptisa « le Pardonneur » après avoir joué ce rôle dans la farce éponyme, et Pierre Gringore signait couramment « Mère Sotte2 », profitant du succès populaire de ce personnage dont il endossait le travesti. Nous ne savons rien de Richard le Pelé, mais il nous reste deux farces3 — elles aussi normandes — à la gloire de maître Mimin : Maistre Mymin qui va à la guerre, et Maistre Mimin estudiant. La présente pièce étant dépourvue de titre et ne comportant aucun maître Mimin, je l’intitule donc le Goutteux, en conformité avec les rubriques.

Sur l’usage que les farceurs faisaient des dialogues de sourds, voir le Sourd, son Varlet et l’Yverongne, le Marchant de pommes et les Miraculés.

Un valet croit soulager la crise de goutte de son maître en lui racontant les aventures de Gargantua. Il s’agit d’un des volets — d’ailleurs inconnu — des Chroniques gargantuines4, qui parurent sans doute à partir de 1526, et dont Rabelais s’inspira. Notons que dans son prologue de Pantagruel, le docteur Rabelais prescrit le même remède : « Mais que diray-je des pauvres véroléz et goutteux ? Toute leur consolation n’estoit que de ouÿr lire quelque page dudict livre [les Grandes et inestimables chronicques de l’énorme géant Gargantua]. Et en avons veu qui se donnoyent à cent pipes de vieulx diables en cas que ilz n’eussent senty allégement manifeste à la lecture dudict livre. »

Source : Recueil du British Museum, nº 35. Publié à Lyon, en la maison de feu Barnabé Chaussard, entre 1532 et 1550.

Structure : Rimes plates, avec 2 triolets. La versification est extrêmement soignée, malgré un grand nombre d’hiatus qu’on aurait pu combler sans difficulté.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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Farce nouvelle trèsbonne

et fort joyeuse

À troys personnaiges, c’est assavoir :

       [ LE  GOUTEUX,  Philipot 5

       SON  VARLET  SOURD,  Pinsonnet ]

       et  LE  CHAUSSETIER

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                        Cy commence  LE  GOUTEUX 6            SCÈNE  I

        Hé ! Dieu, hélas ! Mauldicte goutte,

        Qui7 tant mon povre cueur desgouste !

        Fault-il que par toy cy je meure ?

        Mon varlet, hau ! Vien çà ! Escouste :

5      Va moy quérir — quoy qu’il me couste —

        Ung médecin, et sans demeure8 !

                        LE  VARLET  SOURD

        Monsieur, quant la grappe fut meûre9,

        Incontinent l’on vendengea.

        Gargantua beut, et mengea

10    À son desjeuner seullement

        Douze-vingt miches de fourment10,

        Ung beuf, deux moutons et ung veau.

        Et si, a mis du vin nouveau,

        À deux petis traictz, dans sa trippe11 :

15    Deux poinçons avec une pipe12,

        En attendant qu’on deust disner13.

                        LE  GOUTEUX

        J’ay bien cause de m(e) indigner

        Contre toy, sourd de Dieu mauldit14 !

        Entens-tu point que15 je t’ay dit ?

20    Va moy chercher ung médecin,

        Ou me viens chauffer ung bacin16.

        Tant tu me faictz crier et braire !

                        LE  VARLET

        Mon serment ! j’en croy le libraire :

        Il m’a cousté six karolus17.

                        LE  GOUTEUX

25    Sourdault18, va quérir ung bolus

        Et ung cyrot bien délyé19 !

                        LE  VARLET

        J’en eusse prins ung relyé,

        Mais il eust cousté davantaige.

                        LE  GOUTEUX

        Faictz-moy faire quelque potaige20

30    Au médecin ! Entens-tu bien,

        Mon varlet sourd ? Va et revien !

        Auras-tu point l’esp(e)rit ouvert ?

                        LE  VARLET

        Vous voulez donc qu’il soit couvert

        De cuyr ou de fort parchemin ?

                        LE  GOUTEUX

35    Hélas ! je suis bien prins sans vert.

        Mourray-je icy, en [c]e termin21,

        Par ce meschant varlet sourdault ?

                        LE  VARLET

        Le libraire n’est point lourdault :

        Couvert sera mignonnement.

40    Tenez-vous tousjours chauldement,

        Car j’entens trèsbien vostre affaire.

        Et du livre laissez-moy faire :

        Vous en aurez du passetemps.

                        Vadit.22

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                        LE  GOUTEUX                                        SCÈNE  II

        De mourir icy je m’atens,

45    Car je n’ay plus sang ne couleur.

        Tu m’agraves bien ma douleur !

        Oncques pauvre paralitique23

        Ne fut tant que je suis éthique24.

        À crier je me romps la teste.

50    Hélas ! ung homme est bien beste

        Qui prent servant à sourde oreille ;

        C’est une teste nompareille,

        Et qui n’entend « ne my, ne gourd25 ».

        Que mauldit de Dieu soit le sourd,

55    Et qui oncques le m(e) adressa !

        Jamais que mal ne me brassa26.

        Il cognoist bien que suis malade,

        Et que nuyt et jour ne repose :

        Il me vient lyre une Balade !

60    Propos ne tient d’aulcune chose27.

        Ha, Nostre Dame de Briose28 !

        Je suis de luy mal rencontré29.

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                        LE  VARLET 30                                       SCÈNE  III

        Or çà ! il est tout acoustré,

        Vostre livre, [et] est bien empoint.

                        LE  GOUTEUX

65    Voyre bien, amaines-tu point

        De médecin pour mon affaire ?

                        LE  VARLET

        Il y a tousjours à reffaire !

        Comment ! est-il cousu trop large ?

        Vrayment, il est de bonne marge

70    Et [est] de belle impressïon.

                        LE  GOUTEUX

        Tant tu me faictz d’oppression !

        M’as-tu faict chauffer ung bassin ?

        Ouÿ dea31 ! Et de médecin ?

        (Autant entent l’ung32 comme l’autre.)

75    Si j’estois sain, t(u) yrois au peaultre33 !

        Sçaurois-tu barbier34 attrapper ?

        (Autant gaignerois à frapper

        Ma teste contre la muraille.)

                        LE  VARLET

        Il m’a cousté sept solz et maille35,

80    Car j’ay baillé demy trézain36,

        Deux solz tournois37 puis ung unzain :

        Autant le convint achapter38.

        Attendez, je m’en vois getter39 ;

        Ung, et deux, et trois : ce sont quatre.

85    Et puis il nous [en] fault rabatre40

        Justement toute la moytié.

        C’est le compte. Sans l’amytié41,

        Je ne l’eusse eu pour le pris.

                        LE  GOUTEUX

        C’est bien à propos entrepris42 !

90    Dieu me doint avoir patience !

                        LE  VARLET

        Il a du livre en la science43,

        À qui bien la sçauroit gouster.

        Or pensez, Maistre, d’écouster44,

        Et vous voirrez icy comment

95    Gargantua faict argument45,

        Lequel estoit bona46 quercus :

        Ung béd[o]uault47 a quinze culz ;

        Or, si par48 ung apoticaire

        Luy estoit baillé ung clistoire,

100  Queritur comment49, et par où ?

        Par quel50 pertuys ou [par] quel trou ?

        Que diriez-vous, sur ce passaige51 ?

                        LE  GOUTEUX

        Tu monstres que tu n’es pas saige.

        Ton livre et toy n’est que follie.

105  Il est plus que fol, qui follye52

        Avec toy. Pour bien conquérir53,

        Fuis-toy d’icy et va quérir

        Ung médecin ! Entens-tu bien ?

                        LE  VARLET

        (Qu’esse qu’il dict ? Qui en sçait rien ?

110  Par Dé54 ! à ce que je puis cognoistre,

        Je croy bien que ce soit le prestre

        Qu’il demande. À vostre advis ?)

        Ha ! j’entens tout vostre devis :

        Demandez-vous pas le curé ?

                        LE  GOUTEUX

115  Hée, Dieu, que je suis escuré55 !

        Nenny non : c’est l’apoticaire.

                        LE  VARLET

        Or bien : le curé ou vicaire,

        Ce vous est ung, ou56 chappelain.

        Vous estes en maulvais pelin57 :

120  Pensez de vostre conscience58.

                        LE  GOUTEUX

        Tu me fais perdre patience

        Par tes responces et lardons59.

                        LE  VARLET

        Ouÿ dea, il y eust60 pardons,

        Se estiez confèz à61 celuy

125  Lequel a chanté aujourd’huy,

        À Rouen62, sa première messe.

        Je le voys quérir, et promesse

        Vous fais qu’il viendra, si le treuve.

                        LE  GOUTEUX

        Voys-en cy une toute neufve63 !

130  Va-t’en, que bon gré en ayt bieu64 !

                        LE  VARLET

        (Trouver me fault en quelque lieu

        Ung chappellain soubdainement.)

        Si faictes quelque testament,

        N’oubliez pas ce qu’il m’est deû65.

                        LE  GOUTEUX

135  Si maistre Jehan Babault66 m’eust veu,

        Il me pourroit tout sain guarir ;

        Et de ma jambe oster le feu.

        Je te supplie, va le quérir !67

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        Hé ! Dieu me vueille secourir.                                   SCÈNE  IV

140  Je croy qu’il m’a bien entendu.

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                        LE  VARLET                                           SCÈNE  V

        Parmy le col68 je soys pendu

        Se je sçay par69 où ce peult estre

        Que je rencontreray ung prebstre,

        Lequel mon maistre ainsi demande.

145  Faire convient ce qu’il commande.

        J’en70 voys chercher tout à ceste heure.

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                        LE  CHAUSSETIER 71                          SCÈNE  VI

        Se ce drap icy me demeure,

        J’en feray des chausses pour moy.

        Plus ne vient marchant72, à ceste heure.

150  Si73 ce drap icy me demeure,

        Je prie Dieu qu’il me sequeure74 !

        Je l’acheptay à la Guibray75.

        Si ce drap icy me demeure,

        J’en feray des chausses pour moy.

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                        LE  VARLET                                           SCÈNE  VII

155  Hau, le chaussetier ! Dictes-moy

        Si m’enseignerez le vicaire

        Où demeure le presbitaire76

        (Que dis-je ?)  Où c’est que peult estre

        Ung bon chapellain pour mon maistre,

160  Qu’il luy pleust77 donner réconfort ?

                        LE  CHAUSSETIER

        Voylà bon drap : ung morquin78 fort,

        De la tainture de Paris.

                        LE  VARLET

        (Il dit vray, il n’y a pas ris79 :

        Sa robe [en] est de la couleur80.)

                        LE  CHAUSSETIER

165  J’en ay encores de meilleur

        Qui n’est point gros, ne trop pressé81.

                        LE  VARLET

        Il demande estre confessé

        Et ne peult venir à l’église.

                        LE  CHAUSSETIER

        Regardez quelle marchandise :

170  C’est ung fin drap comme satin.

                        LE  VARLET

        Dea ! s’il n’eust chanté si matin82,

        Je luy eusse faict avoir messe83.

                        LE  CHAUSSETIER

        Vous estes homme de promesse84,

        Mais je seray payé content85.

                        LE  VARLET

175  Sa douleur le va surmontant ;

        Empiré luy est aujourd’huy.

        Il fault que quelc’ung vienne à luy,

        Puisqu’il veult estre confessé.

                        LE  CHAUSSETIER

        Dictes-vous qu’il est trop pressé ?

180  Voyez qu’il a la lèse grande86.

                        LE  VARLET

        C’est ung prestre que je demande.

                        LE  CHAUSSETIER

        Je le vous dis, je le vous mande :

        Quarante solz, tout à ung mot87.

                        LE  VARLET

        Par Dé ! de ce, suis bien marmot88 :

185  Il n’entend pas ce que je dy.

                        LE  CHAUSSETIER

        Quant vous les aurez ? Samedy.

        Mais vous pay(e)rez ou pinte ou pot89.

                        LE  VARLET

        Qui c’est ? Mon maistre Philipot,

        [Qui ne vivra deux jours entiers.]90

                        LE  CHAUSSETIER

190  Il vous en fauldroit trois quartiers91 ;

        Aultrement, vous tiendroyent trop gourd92.

                        LE  VARLET

        (Mon serment ! je croy qu’il est sourd

        Comme moy.)  Adieu, teste dure !

                        LE  CHAUSSETIER

        Prendre fault, premier93, la mesure :

195  Qu’à besongner nous esbaton94 !

                        LE  VARLET

        Comment ! tendez-vous ung baston

        Sur moy pour demander95 ung prebstre ?

        Je m’en vois le dire à mon maistre !

        Cela debvez faire à ung paige96.

                        LE  CHAUSSETIER

200  Ce n’est donc pas pour vostre usaige ?

        Allons donc sa mesure prendre.97

.

                        LE  GOUTEUX                                       SCÈNE  VIII

        Hélas ! j’ay beau icy attendre

        Pinsonnet98 ou l’apoticaire.

        Mon varlet ne me peult entendre.

205  Hélas ! j’ay beau icy attendre.

        Que la foyre99 le puisse prendre

        Tout royde de mort s’il met100 plus guère !

        Hélas ! j’ay beau icy attendre

        Pinsonnet ou l’apoticaire.

.

                        LE  VARLET 101                                    SCÈNE  IX

210  En luy demandant ung vicaire

        Qui vînt mon maistre confesser,

        Voyez comme(nt) il me veult fesser !

        Je m’en plaindray à la Justice.

                        LE  CHAUSSETIER

        Si la chausse n’est bien faict[ic]e102,

215  J’en attend[e]ray103 le repro[u]che.

        Marche[z] devant !

                        LE  VARLET

                                         Dea, ne me touche !

        (Voicy ung sourd hors de raison.)

                        LE  CHAUSSETIER

        Bevrons-nous point, à la maison ?

        Ouÿ, puisque c’est pour le maistre.

                        LE  VARLET

220  Cité serez à comparoistre,

        À ma requeste, en jugement !

        Demain auray (par mon serment)

        Trefves104 de vous et asseurance !

                        LE  CHAUSSETIER

        Monstrez-moy tost la demeurance105,

225  Car j’ay haste de besongner.

                        LE  VARLET

        Ha ! je vous feray empoigner,

        Car vous me suyvez de trop court106.

.

        Mon maistre, hau ! Voicy ung sourt                           SCÈNE  X

        Qui me veult battre et faire ennuy.

230  Et n’ay onc sceu107 sçavoir de luy

        Où est l’homme que demandez.

                        LE  GOUTEUX

        Au diable soyez commandéz108,

        Tant vous me faictes de laydure109 !

                        LE  CHAUSSETIER

        Prendre fauldroit vostre mesure ;

235  Çà, la jambe ! Bon soir, mon Maistre !

                        LE  GOUTEUX

        Tu me faictz bien besler et paistre110 !

        [Ha !] que mauldit soit le coquin !

                        LE  CHAUSSETIER 111

        Voicy la pièce de morquin

        De quoy bien je le[s] vous feray.

240  Mais, Monsïeur, je vous diray :

        Vostre varlet ne m’entent pas.

                        LE  GOUTEUX

        (Bien voy que suis à mon trespas.)

        Ce n’est pas ce que je demande !

                        LE  CHAUSSETIER

        Une chausse doibt estre grande,

245  Pour y entrer plus à son ayse112.

        Çà, la jambe ! Ne vous desplayse :

        Elles seront prestes matin113.

                        LE  GOUTEUX

        À l’ayde !! Larron !! Chien mastin !!

        Tu m’as bien achevé de paindre114.

                        LE  CHAUSSETIER

250  Le drap, Monsieur115 ? Je l’ay faict taindre

        [En beau pourprin]116, sans faulte nulle.

                        LE  GOUTEUX

        Hélas ! j’avoy icy la mulle117,

        Que ce larron m’a faict seigner.

                        LE  VARLET

        Il ne m’a voulu enseigner

255  La maison, aussi le vicaire

        Où demeure le presbitaire118

        Que vous [me] demandez ainsi.

                        LE  CHAUSSETIER

        Dea ! je fourniray bien aussi

        De doubleure, cela s’entend.

                        LE  VARLET

260  Ma foy, mon Maistre : il prétend

        Tirer de vous je ne sçay quoy.

        Voyre, et ce congnoist autant

        En médecine comme moy.

                        LE  GOUTEUX

        Que j’ay soulcy et grant esmoy

265  Par ces deux sourdaulx119 inscïens !

        Allez-vous-en hors de cëans,

        Que jamais je ne vous revoye !

                        LE  CHAUSSETIER

        Je borderay ung peu la braye

        Et la découperay [dès jà]120.

                        LE  VARLET

270  Par ma foy ! vous n’en bevrez jà,

        Puisque vous m’avez voulu battre.

                        LE  GOUTEUX

        La malle mort vous puisse abatre

        Sans que puissez avoir secours !

        Il n’est point de plus maulvais sours

275  Que ceulx qui ne veullent ouÿr121.

.

        Messeigneurs : pour vous resjouyr,

        Oyons tous [que] la comédye

        Supplyé122 a la maladie.

.

                                        FINIS

*

1 Voir notamment Bernard FAIVRE : Répertoire des farces françaises, 1993, note de la p. 242.   2 Voir son Jeu du Prince des Sotz et Mère Sotte.   3 Nous avons perdu le Testament maistre Mymin, que mentionne le Vendeur de livres : c’était peut-être une œuvre dramatique, comme le Testament Pathelin.   4 Voir Abel LEFRANC : Œuvres de François Rabelais, t. 1, 1913, pp. XXXII-XXXV. La Mère de ville, une autre farce normande, contemporaine de la nôtre, évoque les aventures de Gargantua aux enfers, qui appartenaient sans doute au même livre perdu. Voir André TISSIER : Recueil de farces, t. 5, 1989, p. 68.   5 C’est le nom que lui attribue le vers 188. Le nom du valet se lit au vers 203. À des fins publicitaires, l’éditeur introduit dans ces deux lignes les noms des comédiens, qui ne figurent nulle part dans le texte : Maistre Mimin le gouteux. / Son varlet Richard lepele sourd.   6 « Celui-ci est assis dans une sorte de fauteuil, une couverture lui couvrant les jambes (voir v. 40). » <A. Tissier, p. 79.> Son valet sourd lui résume un exemplaire broché des Chroniques gargantuines.   7 BM : Que  (Qui ôtes à mon cœur le goût de vivre.)   8 Sans tarder.   9 Mûre. Les Chroniques gargantuines font une large place au vin.   10 240 pains de froment.   11 Et aussi, en deux petites gorgées, il a mis du vin nouveau dans son intestin. Du côté de Caen, les chansons à boire cuisinent le mot tripe [intestin] à toutes les sauces : « Ceux qui breuvage d’eau/ Ne mettent dans leur trippe. » (Vaux de Vire.) « De sidre et de bon vin ils se lavaient la trippe. » (Muse normande.)   12 Deux tonneaux et une barrique.   13 Qu’il soit l’heure de dîner. Cette tirade rappelle les vers 139-145 des Vigilles Triboullet.   14 Les infirmités sont vues comme une malédiction divine.   15 Ce que.   16 Une bassinoire de cuivre dans laquelle on dépose des braises et dont on se sert pour « bassiner » le lit ou, en l’occurrence, pour se chauffer les pieds. Idem vers 72. La chaleur était le seul traitement contre la goutte : « Il n’a garde de sentir goute :/ Il est fourré bien chauldement. » (Le Mince de quaire.) Voir le vers 40.   17 60 deniers. Les valets de farces profitent du handicap de leur maître pour l’escroquer : voir par exemple l’Aveugle et Saudret.   18 Sourdingue. Idem vers 37 et 265. Cf. le Sourd, son Varlet et l’Yverongne, vers 87. Le bolus est l’ancêtre de la gélule : « Un homme de quarante ans contracta une chaude-pisse par un atouchement impur. Je lui ordonay au commencement un bolus d’une once de casse avec une dragme de rhubarbe pulvérisée, & autant de cristal de tartre. » François de Boze.   19 Un sirop bien fin.   20 Un bouillon curatif. « En après, donnoit un potaige d’alica [de semoule]. Ces trois remèdes souffisent (…) pour la cure des maladies aguës. » Jehan Canappe.   21 En cet instant. « Véchi grant larrechin/ Que par che chevalier m’avient, en ce termin. » Bauduin de Sebourc.   22 Il s’en va (chez le relieur).   23 Certaines paralysies passaient pour une forme de goutte. L’Aveugle et le Boiteux nous montre un paralytique « qui bouger ne peult pour [à cause de] la goucte ».   24 Ne fut étique [maigre] autant que je le suis.   25 Ni nuit, ni jour. Le goutteux imite la manière dont son valet déforme ses propos.   26 Il ne me mijota jamais que du mal.   27 Il n’a aucune suite dans les idées.   28 De Briouze, en Normandie.   29 Malencontré : mal loti.   30 Il revient de chez le relieur.   31 Cause toujours ! « Me parlez-vous de marier ?/ Ouy dea ! » Le Povre Jouhan.   32 BM : lune  (Je mets entre parenthèses tous les apartés qui s’adressent au public.)   33 Au diable. Cf. Beaucop-veoir, vers 222.   34 Les barbiers pratiquent certains actes médicaux simples.   35 7 sous et 1 centime. Le valet gonfle la facture ; à titre de comparaison, dans l’Homme à mes pois, 13 kg de pois coûtent 7 sous et 1 denier.   36 Le treizain est difficilement divisible par 2. L’embrouillamini monétaire auquel se livre le valet n’a d’autre but que de dissimuler ses prévarications. « Dix-sept solz et un onzain, et vingt-et-cinq solz moings un trézain, combien vallent-ils ? » Bonaventure Des Périers.   37 BM : et trois  (2 sous du monnayage de Tours. « Un cent de souz tournoix. » Le Poulier à sis personnages.)  Le onzain vaut 10 deniers : notre mal-entendant improvise des chiffres qui dépassent… l’entendement.   38 Il a fallu que je l’achète à ce prix-là.   39 Je vais calculer avec des jetons. « Compter et gecter soubz maistre Jehan Blondel, singulier arisméticien. » (ATILF.) Mais on se demande si le valet ne fait pas rouler trois dés par terre : « Ung homme a getté troys déz. » (ATILF.)   40 Soustraire. « Vous comptez sans rabatre. » Farce de Pathelin.   41 BM : lamoytie  (Si je n’avais pas été un ami du relieur, je ne l’aurais jamais eu à un si bon prix.)   42 BM : ilz sont prins  (Voilà qui est fait au bon moment ! « Sur ma foy, c’est bien à propos ! » Jénin filz de rien.)   43 Le valet, qui a tendance à inverser les propositions (v. la note 76), a voulu dire : Il y a de la science dans ce livre. Le prologue de Gargantua parlera de « substantificque mouelle ».   44 BM : degouster  (D’écouter ma lecture. François Ier se faisait lire Rabelais à haute voix.)   45 Les arguments sont les sophismes qu’égrènent les professeurs de logique : cf. les Femmes qui aprennent à parler latin, vers 354-7. Ce passage égratigne l’enseignement sclérosé que dispensait la faculté de théologie de la Sorbonne. Voir Emmanuel PHILIPOT : Revue des Études Rabelaisiennes, t. 9, 1911, pp. 378-9.   46 BM : bonum  (Son argument était solide comme un bon chêne. Quercus est féminin.)  Pietro Bembo créa ce calembour étymologique dans son éloge du pape Jules II, qui s’appelait della Rovere [du chêne] : « Bona quercus honores. » Cette lourde flatterie était connue en France : Du Bellay en enduira l’évêque Jérôme de la Rovère en 1559. Emmanuel Philipot <pp. 382-3> ignorait ces éléments, mais il a pu établir que le « Chêne » dont se moque notre farce est Guillaume Du Chesne, un très rétrograde docteur en Sorbonne que la Farce des Théologastres surnomme « la maxima Quercus » [la grandissime Du Chesne].   47 Un blaireau. « Ces manteaulx de loup et de bédouault. » (Rabelais, Quart Livre, 24.) Un blaireau doté de 15 anus et un donneur de clystères figuraient donc dans cet épisode des Chroniques gargantuines ; on regrette vivement qu’il soit perdu ! Philipot <pp. 382-4> identifie ce bédouault à Noël Béda, syndic de la Sorbonne. Il nous dit que le calviniste Théodore de Bèze, « parlant des deux docteurs Quercus et Béda, les appelle ‟deux grosses bestes qui estoient lors les chefs de cette faculté”. » Bref, la Sorbonne est ici représentée par une tête de bois et un blaireau !   48 BM : pour  (Les apothicaires fabriquent et administrent les clystères.)  Les corrections des vers 98-101 reviennent à E. Philipot, p. 379, note 2.   49 BM : conuient  (Il est demandé comment. Cette question imite le charabia franco-latin de la scolastique sorbonicole, qui n’est guère plus ridicule que le charabia inclusif de la Sorbonne actuelle. « Quæritur comment il y peut remédier. » Charles Loyseau.)   50 BM : quelque  (Pertuis = anus. « Au derrière estoit encores un aultre pertuys. » Pantagruel, 15.)   51 Sur ce point. « Qu’en dictes-vous, sur ce passage ? » (La Confession Margot.) Nous avons là l’archétype des rimes équivoquées : « Tu voids bien que tu n’es pas saige/ D’estre tout nu en ce passaige. » Moralité du Lymon et de la Terre, T 19.   52 Celui qui fait le fou. « Fol qui follie, il n’est follet. » Le Prince et les deux Sotz.   53 Pour acquérir des biens : pour que je t’accorde une prime.   54 Par Dieu. Même euphémisme au vers 184. Cet aparté s’adresse au public.   55 Lessivé, fatigué.   56 BM : quel  (Pour vous, c’est tout un, ou bien un chapelain. Il est question de ce chapelain aux vers 132 et 159.)   57 Le pelain est un bain de chaux vive destiné à faire tomber les poils qui restent sur le cuir. Au figuré : Vous êtes dans une situation délicate. « Brichemers est en mal pelain. » Godefroy.   58 C’est ce qu’on dit aux mourants : « Si près estes de vostre fin,/ Pensez de vostre conscience. » Le Testament Pathelin.   59 Et tes sarcasmes. Cf. la Pippée, vers 46, 481 et 770.   60 BM : a  (Vous gagneriez des pardons, des indulgences.)   61 Si vous étiez confessé par.   62 BM : romme  (En contradiction avec les 2 vers qui suivent. Notre éditeur lyonnais remplace trop souvent les toponymes normands par d’autres plus neutres.)  Un jeune curé qui célèbre sa première messe accorde une indulgence plénière aux fidèles, afin de les attirer. « [Il] chante au jourd’huy sa première messe, à l’assistence de laquelle y a une infinité de grands pardons. » Antoine de Saint-Denis.   63 En voilà une bien bonne !   64 Euphémisme pour « Dieu ».   65 Ce qui m’est dû. Il est d’usage qu’un mourant fasse un petit legs aux serviteurs, afin d’obtenir leurs prières et non leur malédiction.   66 C’est apparemment le nom du médecin. Non loin de là, en Picardie, un babau désigne un nigaud.   67 Le valet se précipite dans la rue.   68 Que par le cou. C’est le vers 366 de Pathelin, auquel notre auteur emprunte beaucoup.   69 BM : pas  (Le valet ignore le chemin qui mène au presbytère. Nous sommes donc à une heure tardive où l’église est fermée : voir le vers 149.)   70 BM : Je y  (Je vais en chercher un. « J’en voys chercher. » L’Arbalestre.)   71 Le fabricant de chausses guette les clients à la devanture de son atelier. Il est aussi sourd que le valet. Contrairement aux couturiers, et surtout aux savetiers, les chaussetiers n’ont pas fait carrière au théâtre ; on ne peut citer que celui des Deux jeunes femmes qui coifèrent leurs maris.   72 De marchandeurs, de clients. Cf. Cautelleux, Barat et le Villain, vers 252.   73 BM : Car  (Refrains corrects aux vers 147 et 153.)   74 Qu’il me secoure : que Dieu me pardonne !   75 Importante foire près de Rouen ; les artisans y achètent leurs fournitures au prix de gros. Guibray rime avec may, à la manière normande.   76 Le valet inverse encore les propositions (note 43) ; il veut dire : Indiquez-moi le presbytère où demeure le vicaire. Il commet le même cafouillage aux vers 255-6.   77 Qui veuille bien lui.   78 Le molequin, ou morquin, est un tissu précieux. Idem vers 238.   79 Il n’y a pas de blague. Les chaussetiers, comme les couturiers, prélèvent discrètement une « bannière », c.-à-d. un lambeau de l’étoffe payée par le client ; puis ils s’en servent pour se confectionner leurs propres habits. Pour une fois, le valet n’a pas été dur d’oreille.   80 Est de la même couleur, preuve qu’il l’a taillée dans le même tissu.   81 On met les draps sous presse afin de les rendre plus unis, mais pas trop longtemps pour ne pas les durcir. Idem vers 179.   82 Si le prêtre ne s’était pas levé aux aurores pour chanter les matines. C’est une moquerie des huguenots contre les moines : « De quoy servent tant de libelles,/ Tant en françoys comme en latin,/ Disant qu’on chante trop matin ? » La Bouteille.   83 Je lui aurais acheté une messe pour mon maître. Sur les ventes de messes — qui étaient aussi dans le collimateur des protestants —, voir la Seconde Moralité de Genève, vers 191-207.   84 De parole : auquel on peut se fier.   85 Comptant. « Tu seras/ Payé content. » L’Aveugle et Saudret.   86 Mon tissu a un grand lé, une grande largeur.   87 C’est mon dernier mot. « –Voulez-vous à ung mot ? –Ouy./ –Chascune aulne vous coustera/ Vingt-et-quattre solz. » Pathelin.   88 Bête (un marmot est un singe). « Je tiens qu’il faut estre marmot/ De vous aymer sans dire mot. » Adam Billaut.   89 Un professionnel travaille en priorité pour un client s’il lui offre à boire ou un pourboire. « Que je paye pinte ou chopine,/ Et que j’en aye pour mon argent ! » Tout-ménage.   90 « Deux jours entiers en vie ne sera. » (Octovien de Saint-Gelais.) Pour remplacer ce vers perdu, BM duplique le vers 193.   91 Trois quarts d’une aune. « Me fault .III. quartiers de brunette [drap]/ Ou une aulne. » Pathelin.   92 Des chausses trop serrées vous gêneraient.   93 Premièrement.   94 BM : esbatons.  (Mettons-nous au travail.)  Le chaussetier empoigne son aune, qui est une longue règle graduée.   95 Parce que je demande.   96 Les pages turbulents peuvent recevoir des coups de règle sur les fesses, comme les cancres : « Ilz font fouetter monsieur du paige. » (Pantagruel, 17.) Le valet s’éloigne.   97 Armé de son aune, le chaussetier emboîte le pas au valet, qui tente de le semer.   98 Ce n’est pas le médecin, qui s’appelle Jehan Babault ; c’est donc le valet. « Petit pinson » convient bien à une tête de linotte.   99 Que la dysenterie.   100 BM : est  (S’il met encore plus de temps à revenir. « Mais où sont-y ? Il mectent trop ! » La Mère de ville.)   101 Il court de plus en plus vite pour échapper au chaussetier, qui lui colle au train en brandissant son aune.   102 Faite sur mesure. « J’ai chauces de Bruges faitices. » D’un mercier.   103 Pour le rythme, j’introduis un « e » svarabhaktique normanno-picard. « De ces choses n’ay jusques icy fet nulle poursuite, mès en atenderay leur plèsir. » Philippe de Commynes.   104 BM : Trefuez  (Une injonction de cesser vos menaces. « [Si, en plaids] ou en assises, aucun demande à avoir trêves d’aucun, le juge doit contendre que donnés feussent. » ATILF.)   105 La demeure de votre maître.   106 De trop près. Le valet s’engouffre dans la maison et se jette aux pieds du goutteux, ou plutôt sur ses pieds ; le chaussetier fait de même.   107 Et je n’ai jamais pu.   108 Recommandés. Cf. Digeste Vieille, vers 474.   109 De douleur. « Vous souffez grant laidure,/ Grant peinne et doleur importune. » ATILF.   110 Faire bêler et paître quelqu’un : le traiter comme un mouton promis à l’abattoir.   111 Il laisse tomber son rouleau de drap sur les cuisses du goutteux.   112 Et surtout, pour que le chaussetier puisse détourner le plus d’étoffe possible à son profit.   113 Demain matin. Le chaussetier manipule sans douceur la jambe malade du goutteux.   114 Tu m’as donné le coup de grâce. « On me puist estraindre/ S’il n’est bien achevay de paindre ! » Le Dorellot.   115 BM : mõseigneur   116 BM : Pour perrin  (En pourpre. « Une thunique de taffetas pourprin. » Jehan Lemaire de Belges.)   117 Un abcès au pied : le fait qu’on le crève explique la guérison miraculeuse du prétendu goutteux à la fin de la pièce. Le cas le plus connu d’une telle guérison est celui de la Papesse Jeanne, dont les protestants faisaient alors des gorges chaudes.   118 Même vers que 157, avec la même inversion des mots vicaire et presbytère.   119 BM : lourdaulx  (Voir les vers 25 et 37.)  Inscients = dépourvus de science, ignorants. Ce mot rime avec « cians », à la manière normande.   120 BM : qui vouldra.  (Vers trop long et rime pauvre.)  Dès à présent. Le valet comprend : Et là, des coupes (de vin) aurai déjà.   121 Jehan de Meung écrivait : « N’est si mal [mauvais] sourd comme cil qui ne veut ouïr goutte. » N’ouïr goutte résume bien cette farce. Le goutteux se lève, et chasse les deux sourds à coups de pied au derrière.   122 Supplyez  (A suppléé la maladie, y a remédié. « Il vous fault un amy gaillard/ Pour supplier à l’escripture. » Frère Guillebert.)  Le goutteux est guéri grâce au théâtre.

LE TEMPS-QUI-COURT

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Ms. La Vallière

Ms. La Vallière

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LE  TEMPS

QUI  COURT

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Le Monde, Plusieurs et Chacun, trois des personnages allégoriques qui animent cette sottie en forme de moralité, représentent le peuple. Ils regrettent le bon vieux temps de l’Âge d’or, mais ils sont prêts à suivre le temps qui court pour en profiter aussi crapuleusement que les autres.

La pièce fut jouée par des Sots lors d’un carnaval : elle peut donc se permettre quelques piques à l’encontre des courtisans. Nous avons là une des sotties protestantes rouennaises du manuscrit La Vallière, comme la Mère de ville ou la Réformeresse. Tiré du même recueil, le Moral de Tout-le-Monde offre des points communs troublants avec ce Temps-qui-court.

Source : Manuscrit La Vallière, nº 43. L’état relativement bon du texte montre qu’il n’était pas écrit depuis longtemps lorsqu’il fut copié dans ce manuscrit, vers 1575. Nous attendions avec impatience l’édition de Jelle Koopmans, Marie Bouhaïk-Gironès et Katell Lavéant : Recueil des sotties françaises, Classiques Garnier, 2022, tome II, pp. 385-410. Hélas ! non seulement cette édition est rachitique (44 notes, pour la plupart inutiles1), mais elle est bourrée de fautes de lecture qu’un débutant n’aurait pas commises : Moralité nouvelle, de ≠ en, envyeulx ≠ ennuyeulx, es ≠ est, y est ≠ y s’est, en ≠ au, veus ≠ vens, ne ≠ me, tresfoulx ≠ tres doulx, le ≠ je, pure ≠ que, temps ≠ lieulx, etc. On a même poussé la désinvolture jusqu’à omettre le vers 342 ! Et pourtant, ce même Jelle Koopmans ne perd jamais une occasion de clouer au pilori Gustave Cohen lorsqu’il oublie un vers dans son édition du recueil de Florence (qu’il ne pouvait pas consulter directement), et se gausse d’Édouard Fournier qui prétend avoir sous les yeux le recueil du British Museum alors qu’il ne l’a jamais vu. Si nos trois farceurs s’étaient contentés de recopier l’édition de cette pièce parue en 1817, comme ils ont recopié l’édition Picot dans leur tome I, le texte eût été moins fautif. En tout cas, pour 49 €, on était en droit d’espérer un vrai travail.

Structure : Rimes plates, abab/bcbc, couplets de pentasyllabes aaab, sixains à refrain unique, 2 triolets.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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Moralité

À quatre personnages, c’est assavoir :

       CHASCUN

       PLUSIEURS

       LE  TEMPS-QUI-COURT

       LE  MONDE

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                        CHASCUN  commence 2                         SCÈNE  I

        Et puys3 ?

                        PLUSIEURS  entre.

                            Comment ?

                        CHASCUN

                                                  Mais quel vent court ?

                        PLUSIEURS

        C’est grand triumphe que d’estre en Court4,

        Car on y voyt grande noblesse.

                        CHASCUN

        A, vertu bieu ! Mais le bâs blesse,

5      Qui5 n’a argent en habondance.

                        PLUSIEURS

        Y n’est thésor6 que de plaisance

        Pour à souhayt, maintenant, vivre.

                        CHASCUN

        On ne sçayt plus quel estat suyvre

        Pour, à présent, s’entretenir7.

                        PLUSIEURS

10    Quant je m’avise et me prens à souvenir

        Du temps passé, auprès du temps qui court,

        Tout [esbahi ce]8 me faict devenir,

        Voyant que tout va en mauvais décourt9.

        Tout bien en mal change10, pour faire court.

15    On va, on vient, on dict, on faict merveilles ;

        On taille, on ronge, on bride11, on coupe et court.

        Et tousjours [ont] gros asnes grans12 oreilles.

                        CHASCUN

        On voyd [des choses]13 nompareilles,

        Aujourd’uy, plus qu(e) onques jamais.

        ……………………………..

                        PLUSIEURS

20    On voyt des choses nompareilles,

        Aujourd’uy, plus qu’onques jamais.

                        CHASCUN

        Le temps, jadis, estoyt bon. Mais

        Tousjours il empire au demain.

        [Voécy un piteulx entremais !]14

                        PLUSIEURS

25    Quant Saturnus — le vieulx doulx et humain,

        L’universel — gouvernoyt15, soublz sa main

        Chascun alors vivoyt à son plaisir.

                        CHASCUN

        Quant Apolo, en beaulté souverain,

        Tua Piton, le [faisant soublz gésir]16,

30    Aulcun n’avoyt de mal faire désir.

                        PLUSIEURS

        C’estoyt alors l’Âge doré17.

                        CHASCUN

        On ne pouvoyt meilleur choisir.

                        PLUSIEURS

        Par l’Argent18 il est empiré.

                        CHASCUN

        L’Âge de fer vint tout saisir.

                        PLUSIEURS

35    Sans de relief avoir loysir19,

        Toute vertu cheust lors à bas.

                        CHASCUN

        Adieu soulas !

                        PLUSIEURS

                                 Adieu plaisir !20

        On ne voyt que noyse et débas.

                        CHASCUN

               Nos esbas sont bas.

                        PLUSIEURS

40           Nos beaulx jeux sont jus21.

                        CHASCUN

               Nos poix crûs sont crus22.

                        PLUSIEURS

               Nos chans23 sont changés.

                        CHASCUN

               Nos mectz24 sont mengés.

                        PLUSIEURS

               Nos ris sont sousris25.

                        CHASCUN

45           Nos saultz sont saillis.

                        PLUSIEURS

               Nos sons sont sonnés.

        Et sommes très mal assignés26

        De joye(e) et de plaisir au monde.

                        CHASCUN

        Sy Dieu (qui tous les péchés monde27)

50    N’y mect briefz Réformation28,

        Tout yra en perdition

        Plus qu’onques ne feust au Déluge.

                        PLUSIEURS

        À Luy seul fault avoir refuge29,

        Car Il conduict jeunes et vieulx.

                        CHASCUN

55    Laissons ces propos ennuyeulx,

        Et prenons le temps comme il vient.

                        PLUSIEURS

        Ainsy le faire mieulx convient30,

        Car n’y pouvons remédïer.

                        CHASCUN

        Ce ne nous faict qu’atesdïer31

60    Sans en avoir aulcun proufit.

                        PLUSIEURS

        Tant grate chièvre que mal gist32,

        Et ne fust onc trop parler bon33.

                        CHASCUN

        Plusieurs en ont receu le bond34,

        Et saulté le sault dangereulx.

                        PLUSIEURS

65    Sy maintenant veulx estre heureulx,

        Escouste, regarde et tais-toy35.

                        CHASCUN

        C’est le poinct, la fin, et le pourquoy36

        Où gist ma seulle intention.

                        PLUSIEURS

        Passer je veulx, conclusion37,

70    Mon temps en plaisir et léesse38.

                        CHASCUN

        Arière, chagrin ne39 tristesse !

        Car par plaisir me veulx conduyre.

                        PLUSIEURS

               Pouroyt-on eslire40

               Plus joyeulx empire

75           Qu’avoir tire-à-tire41

               Léesse et plaisance ?

                        CHASCUN

               Certes, à brief dire,

               Pour jouer et rire,

               Fol est qui désire

80           Meilleure acointance.

.

                        Icy vient le Temps-qui-court 42                 SCÈNE  II

                        par-devant eulx, puys se retire.

                        PLUSIEURS

        O !  qui est-ce-là, qu’en ceste instance43

        Va courant sy légèrement ?

                        CHASCUN

        En ? Qu’as-tu veu ?

                        PLUSIEURS

                                          Certainement

        Qui ce peult estre, ne say pas.

85    Il a sy tost faict son trespas

        Que je ne l’ay peu adviser44.

                        CHACUN

        Bien te le seusse deviser,

        Sy je l’eusse veu45.

                        PLUSIEURS

                                           S’y revient,

        Tu le voéras.

                        CHASCUN

                                 Il le convyent.

                        Icy passe le Temps par-devant eulx en courant.

                        PLUSIEURS

90    Regarde icy ! Hau ! es-tu sourd ?

        Voé-le là !

                        CHASCUN

                            C’est le Temps-qui-court :

        Je le congnoys au vestement.

                        PLUSIEURS

        C’est un saulvage46 habil[l]ement,

        Comme je puys apercepvoir.

95    Mais dy-moy : pourions-nous sçavoir

        Pourquoy y s’est tant travaillé47

        Si48 qu’en ce poinct est abillé ?

        Vrayment, je ne le puys entendre.

                        CHASCUN

        Y nous le convyent donc[ques] prendre

100  Pour en sçavoir la vérité.

                        PLUSIEURS

        Et comment, donc ?

                        CHASCUN

                                          Soyt aresté

        Quant il yra ainsy courant !

        Qu’il soyt prins à un las courant49 !

                        PLUSIEURS

        Mort bieu ! c’est trèsbien proposer.

105  Il nous convient le las poser

        Afin que luy donnons l’arest.

                        CHASCUN 50

        Voécy le las qui est toult prest ;

        Tendre le fault subtilement,

        Qu’i ne le voye aulcunement :

110  Car il congnoistroyt bien le faict.

        Il est tendu.

                        PLUSIEURS

                              C’est trèsbien faict.

        Nous voérons tantost bonne gale51 !

                        CHASCUN

        Tu n’as pas garde52 qu’il s’en aille,

        S’y passe dessus nostre tente53.

115  Tien bien delà !

                        PLUSIEURS

                                    J’ey bonne atente

        Que, de nous, poinct n’échapera.

                        CHASCUN

        Alors voérons-nous qu’il dyra54.

        Voé-le cy ! Il nous fault retraire55.

                        PLUSIEURS

        Retire-toy, laisse-moy faire :

120  Bien le garderay de courir.

                        Icy vient le Temps, et se mect

                        au las ; et ilz l’arestent.

.

                        LE  TEMPS[-QUI-COURT]  entre.       SCÈNE  III

        O ! Dieu, venez-moy secourir !

        Qu’esse-cy ? Je suys atrapé.

                        CHASCUN

        Dea ! maistre, vous estes hapé.

        Aultre que vous nous ne quérion56.

                        LE  TEMPS

125  Qui estes-vous ?

                        PLUSIEURS

                                     Sans fiction57,

        « Plusieurs Gens » chascun nous apelle.

                        LE  TEMPS

        Je pers icy discrétion58.

        Qui estes-vous ?

                        CHASCUN

                                      Sans fiction,

        Croyez, pour résolution,

130  [ Que n’avons prébende ou chapelle.59

                        LE  TEMPS

        Qui estes-vous ?

                        PLUSIEURS

                                     Sans fiction, ]

        « Plusieurs Gens » chascun nous apelle.

                        LE  TEMPS

        Dea ! Plusieurs Gens, je m’émerveille :

        À quelle cause m’avez prins60 ?

135  Ay-ge vers vous, en rien, mesprins61 ?

        Que voulez-vous ? Dictes-le-moy.

                        PLUSIEURS

        N’ayez doubte [d’estre en émoy]62,

        Car aulcun mal par nous n’aurez.

        Reste[z] ! Voulons que déclarez

140  Pourquoy vous courez sy subit,

        Et la raison de vostre habit

        Et tant de hardes63 que portez.

                        LE  TEMPS

        J’en suys très content. Escoustez :

        Sy vous voulez à moy entendre,

145  Me suyvir et mes dictz aprendre,

        Je vous feray vivre à plaisir ;

        Et de tout ce qu’arez désir,

        Vous donray bonne instruction

        Pour en avoir possession.

150  Et pour autant,64 cours sans arest

        De tous costés, çà et là, prest

        Pour trouver gens de ma façon,

        Veuilans65 aprendre ma leçon

        Nouvelle66, bonne et profitable.

                        CHASCUN

155  Sy la chose est[oyt] véritable,

        Très volontiers [m’y donneroye]67.

        Du toult68 à vous je servyroye

        Tant que j’aroys la vye au corps69.

                        PLUSIEURS

        En tel cas ne feroys discorps70,

160  Mais [j’y] metroye entier debvoir.

                        LE  TEMPS

        Nul(e) doubte n’en debvez avoir,

        Car mon sçavoir et ma pratique

        Est sy très grand. Où je l’aplicque,

        J’en ay tout mon vouloir entier.

165  Aussy, je suys de tout mestier71,

        Comment on72 voyt à mes outis.

        Les plus caulx73, rusés et subtis

        Sont par moy trompés et déceups74.

        Rien don n’est que ne viengne au-dessus75.

170  Parquoy, sy vous me voulez croyre,

        Je vous donray honneur et gloire

        Et feray riche[s] brièfvement.

                        CHASCUN

        Que nous sachons, premièrement,

        Dont vient tant de diversité76 ;

175  Car d’en sçavoir la vérité

        Ay grand fantasye. À la teste

        Ce bonnet ront, cornes, cornète77 ;

        Tant de papiers (c’est un grand nombre)78,

        Tant d’engins — l’un droict, l’aultre combre79 :

180  Ce80 semble un maistre Aliborunt.

                        LE  TEMPS

        Pour vous le dire plast et rompt81,

        Estat n’y a82, dessus la terre,

        Dont je ne soys. Mesmes de guerre,

        Qu’est l’un de mes poinctz principaulx :

185  Car j’en discours par mons et vaulx.

        Où je sens guerre pululer,

        Bastre, exiller, tuer, piller,

        Il n’(y) a personne qui me passe :

        J’en prens partout, j’espans, j’amasse ;

190  À force83 prens femmes et filles,

        Brusles chasteaulx, maisons et villes.

        Et — bien que soys de bas lygnage

        Et que, pour estre sy volage84,

        « Escuyer » ou « baron » me nomme —,

195  Sans rente, faictz du gentil homme.

        Force est que le bon homme en baille85 ;

        Ainsy, j’en ay vaille qui86 vaille,

        Me faisant craindre et honorer.

                        PLUSIEURS

        Par ce poinct-là, fault s’assurer

200  De bientost grans thésors avoir.

        Ce bonnet ront ?

                        LE  TEMPS

                                     Debvez sçavoir

        Que sy n’y a guerre ou débas,

        En l’Église prens mes esbas ;

        [Là,] en courant les bénéfices,

205  Je vens dignités et ofices87,

        Force pardons, bules faulcères88.

        Ou, sy je lesses telz affaires,

        Par ma cornète et ma grand robe89

        Gros et menus partoult desrobe,

210  Prenant mon entrée90 et accetz

        Sus brouilerye91 et gros procès.

        L’on92 sçay[t] comme chascun [je] ronge !

        Sur les tromperyes que songe93,

        Du droict faictz tort, et du tort droict.

215  J’en prens de travers et et à droict.

        Voylà comment je me conduys.

                        CHASCUN

        Il (y) a profict en tel[z] déduict[z],

        Et bien y vouldroys passer temps.

        Or çà ! tant de vieulx instrumens :

220  Déclarez-nous que servent-ilz94.

                        LE  TEMPS

        Quant à cela, sont vieus oultilz

        Dont jadis souloyes labourer ;

        Mais depuys qu’ay voulu curer95

        Sur les cas que j’ey racomptés,

225  Faulte d’oulvrer se sont gastés96.

        Aussy, labeur est trop pénible.

        Puys d’aquérir y n’est possible

        Tant de chevance qu’aultrement97.

                        PLUSIEURS

        Je délibère entièrement

230  De vous suyvir toulte ma vye :

        Aussy, je n’eus onques envye

        De labourer.

                        CHASCUN

                               Ne moy aussy !

                        LE  TEMPS

        Vivre vous feray sans soulcy,

        Honneur et gros biens amasser.

                        PLUSIEURS

235  Par moy ne tiendra de poucer98,

        Et ne seray lâche en besongne.

                        CHASCUN

        Puysqu’il convyent que g’y besongne,

        Je croy que j’en arageray99.

                        LE  TEMPS

        Trèsbien je vous récompenseray,

240  Puysque des miens100 vous vous tenez.

        Seulement au cœur retenez

        (Comme ay dict) ma façon de vivre,

        Afin que me puissez ensuyvre

        En faictz et101 dictz, comme je tien.

245  Droict102, au présent, je vous retien,

        Et vous veulx le Monde monstrer.

        Soyez songneulx103 de l’acoustrer

        Selon la façon et manyère.

                        PLUSIEURS

        Je sçay ma leçon toulte entière :

250  Plus n’ay besoing de recorder104.

        Car sy, un coup, puys aborder

        Au Monde, il n’échapera poinct.

                        CHASCUN

        Je luy montreray, en105 tel poinct,

        Que je le tien jà de nos gens.

255  Tant luy donray de mectz changeans

        Qu’il ne sçaura du quel gouster.

        [Nous fauldra des périlz]106 houster,

        Avant qu’on le puisse congnoistre.

                        LE  TEMPS

        Or, que chascun besongne en maistre !

260  Saluons-le [tout] doulcement.

        Voéla107 !

.

                           Le Dieu du firmament                             SCÈNE  IV

        Qui  vous gard d’ennuy, Monde très doulx !

                        Saluant le Monde, qui vient.

                        LE  MONDE

        Dieu gard, enfans ! Qui estes-vous ?

                        LE  TEMPS

        Le Temps-qui-court.

                        LE  MONDE

                                            Et les galans ?

                        PLUSIEURS  et  CHASCUN  ensemble :

265  On nous apelle « Plusieurs Gens ».

                        LE  MONDE

        Vous soyez les très bien venus !

                        LE  TEMPS

        De ce sommes à vous tenus,

        Et vous ofrons et biens et corps108.

                        PLUSIEURS

        Nous ne cherchons noyse ou discors ;

270  Seulement quérons nous esbatre.

        Pour quoy, sy voul(i)ez, sans débatre

        Nous vous tiendrons de compaignye.

                        LE  MONDE

        Vous me semblez noble m[a]ygnye109,

        Joyeulx, mygnons, frisques et gens110

275  Plus que les antïennes gens

        Plains de simplesse111 au temps passé.

                        CHASCUN

        Nous avons le Viel Temps laissé

        Pour adérer au Temps-qui-court,

        Qui est mygnon, gentil et gourt112,

280  Et de façon toulte nouvelle.

                        LE  MONDE

        Vostre gentil esprit m’esveille,

        Et quasy me donne apétit

        D’estre des vostres un petit113.

        Mais premyer, vous vouldroys congnoistre114.

                        PLUSIEURS

285  Sy vous voulez des nostres estre,

        Jamais n’arez douleur pressée115.

                        LE  TEMPS

               Joyeuse pensée,

               Doulce destinée

               Est en moy trouvée116.

290         Je n’ay nul soucy.

               Une matinée,

               Je suys sur la prée117 ;

               Puys, vers la vesprée,

               Je revien icy.

295         Je liève matin,

               Puys du meileur vin

               Je boy un tatin118.

               Ai-ge pas bon temps ?

                        CHASCUN

               Il  ne me chault qu’on dye

300         Que119 n’ay poinct d’envye ;

               Mais que [j’aye ma]120 vye,

               C’est ce que j’atens.

                        PLUSIEURS

               Tout compte rendu121,

               [Sy j’ey]122 entendu,

305         Quant j’ey despendu123,

               Je ne compte rien.

                        LE  TEMPS

               C’est bien entendu !

               Sans estre esperdu,

               Tel las est tendu124,

310         Dont aurons du bien.

                        LE  MONDE

        Toutefoys, quant je pence bien,

        Les gens du passé ne vyvoyent

        De ceste mode, ains il ensuyvoyent 125

        [Simplicité loin de la Court]126.

                        LE  TEMPS

315  Ce n’estoyt que bestialité !

        Tout est, huy, nouveau inventé :

        Et  c’est la façon las du Temps-qui-court.127

                        LE  MONDE

        J’ey veu Justice et toute Équicté 128 ;

        129, tousjours règne en hostilité,

320  Et 130 décadence, et en tout décourt.

                        CHASCUN

        Aujourd’uy, partout y fault prendre,

        À droit, à tort, sans compte rendre :

        C’est la façon du Temps-qui-court.

                        LE  MONDE

        On voy[oy]t tous à labeur tendre131

325  Sans en rien, sur nul, entreprendre132,

        Ny jouer d’aulcun mauvais gourt 133.

                        PLUSIEURS

        Estre subtil, trencher du134 brave,

        Prendre l’autruy comme une espave135 :

        C’est la façon du Temps-qui-court.

                        CHASCUN

330  Et sy quelc’un en parle ou bave136,

        Le tourmenter plus c’un esclave,

        Brûlant maisons, villes et bourgs.

                        LE  TEMPS

        Estre cruel, fier et haultain,

        Combien qu(e) on n’ayt à demy pain137 :

335  C’est la façon du Temps-qui-court.

                        LE  MONDE

        Chascun estoyt, lors, tant humain,

        Pugnyssant partout l’inhumain ;

        Les povres n’estoyent sans secours.

                        LE  TEMPS

        Mectre l’aultruy138 avec le sien,

340  Prendre tousjours, ne donner rien :

        C’est la façon du Temps-qui-court.

        Or bref, et pour le fère court :

        Estre fier et ambicieulx,

        Cauteleux et malicieulx,

345  Sans foy, amour ne loyaulté,

        Traistre, menteur, sans vérité,

        Inventeur et plain de falace139 :

        C’est ce que je veulx [que lors]140 face

        Quiconques veult avec moy vivre,

350  Ses plaisirs en tous lieulx poursuyvre.

        Aultrement faire je n’entens.

                        CHASCUN

        Monde, sy à honneur tu tens,

        Estre te fault de nostre bende.

                        LE  MONDE

        J’en suys content, car je demande

355  Tant seulement vivre à plaisir.

                        LE  TEMPS

        En as-tu donc ferme désir ?

                        LE  MONDE

        Il est certain.

                        LE  TEMPS

                                 Çà donc ! Il fault

        Que tu devienne fin et cault.

        Et afin qu’on ne te congnoisse141,

360  Vestir te fault à la renverse142

        Et prendre, aussy, nostre livrée143.

                        LE  MONDE

        Je n’ay chose tant désirée

        Que de vous complaire en tous lieulx.

                        PLUSIEURS

        Tu t’en trouveras beaucoup myeulx,

365  Je te promais. Tien, [vêts cecy]144 !

                        LE  TEMPS

        O ! que le voélà bien, ainsy !

                        CHASCUN

        Le Monde, [asteure, est]145 renversé.

                        LE  MONDE

        Bien aultre suys que du passé.

        En moy, n’y a a poinct de fyance146.

                        PLUSIEURS

370  Le Monde, par oultrecuydance,

        Est maintenant fol devenu147.

.

                        LE  TEMPS

        C’est icy assez tart148 tenu :

        Faisons d’icy département149.

                        CHASCUN

        Nostre Jeu soyt bien retenu150 !

                        PLUSIEURS

375  C’est icy assez tart tenu.

                        LE  MONDE

        Prions chascun, grand et menu,

        Nous excuser bénignement.

                        LE  TEMPS

        C’est icy assez tart tenu :

        Faisons d’icy département.

380  En prenant congé de ce lieu,

        Une chanson pour dire adieu ! 151

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                                FINIS

*

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BALADE  DE  LA  FAÇON

DU  TEMPS  QUI  COURT

( JEHAN  BOUCHET ) 152

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1      Pourquoy esse que maintes gens

        Qui ont tant de science acquise

        Se tiennent153 souvent indigens,

        Et n’ont vaillant154 une chemise ?

        Mais dont vient celle cornardise155

        Que quelque follastre milourt156

        Treuve pain, vin, et nappe mise ?

        C’est la façon du temps qui court.

.

9      Pourquoy docteurs157, maistres, régens

        Ne sont plus pourveuz en l’Église ?

        Pourquoy macquereaulx émergens158

        Ont tant de biens ? Esse la guise ?

        Pourquoy flateurs plains de fainctise

        Gouvernent les seigneurs de Court ?

        Pourquoy clers ne sont plus de mise ?

        C’est la façon du temps qui court.

.

17    Pourquoy, à gens tant négligens

        Et pervers, police est commise159 ?

        Pourquoy larrons, pillars, sergens160

        Ont de justice l’entreprise ?

        Pourquoy symonie est permise ?

        Pourquoy Barat marche si gourt161 ?

        Pourquoy le monde se desguise ?

        C’est la façon du temps qui court.

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25    Prince : Si follie est admise

        Et vertuz tenue de court,

        S’il ne règne que paillardise,

        C’est la façon du temps qui court.

*

1 Elles consistent à nous dire, au cas où cela nous intéresserait, si Giuseppe Di Stefano a relevé telle ou telle locution dans son dictionnaire. Les difficultés qui eussent mérité une note n’en ont pas.   2 Ces deux personnages habillés en fous sont dehors, dans un lieu indéterminé.   3 Cette question oiseuse amorce plusieurs sotties : le Monde qu’on faict paistre, les Sotz fourréz de malice, les Cris de Paris, etc.   4 D’être reçu à la Cour.   5 Le bât blesse, si on…   6 LV : tehesor  (Il n’est trésor. Idem vers 200.)  Même vers dans la Fille esgarée, dont le ms. La Vallière fait suivre notre sottie.   7 Se nourrir et se vêtir.   8 LV : esbahir  (Dans les moralités, les décasyllabes sont toujours bienvenus. Il y en aura d’autres aux vers 25-30.)   9 Suit un mauvais cours. Idem vers 320.   10 LV : charge  (Le bien se change en mal. « Et bien souvent, en mal change le bien. » Jan de Maumont.)   11 LV : baille  (On empêche de parler.)  Couper court = couper la parole. « Le duc de Bourbon (…) cuida faire atardement de paroles, mais incontinent, le duc d’Acquitaine lui copa court. » ATILF.   12 LV : ont  (Les notables incultes prêtent l’oreille aux flatteurs. On peut aussi comprendre que ce sont des voleurs, et qu’en tant que tels, ils devraient avoir les oreilles coupées.)   13 LV : les chosses  (Je corrige de même le vers 20. Les refrains 18-21 semblent avoir été le début et la fin d’un triolet.)  « Nous verrons merveilles,/ Voire, et des choses nompareilles. » Pour le Cry de la Bazoche.   14 Vers manquant. J’emprunte le vers 247 du Poulier à quatre personnages, qui est aussi le vers 238 de Frère Frappart. Traduction : Voilà un pitoyable divertissement !   15 LV : gouuernement  (Saturne régna sur l’Âge d’or.)   16 LV : serpent inhumain  (« Estre vaincu ou soubs gésir. » ATILF.)  Le dragon Python gardait l’oracle de Delphes ; Apollon le tua pour y mettre une sibylle à ses ordres.   17 Une autre moralité du ms. La Vallière met en scène l’Âge d’or, l’Âge d’argent, l’Âge d’airain et l’Âge de fer (LV 17).   18 Jupiter détrôna Saturne et instaura l’Âge d’argent, qui représente la cupidité.   19 Sans avoir la possibilité de se relever.   20 Sans prévenir, le copiste idiot du ms. La Vallière ajoute ensuite deux pages qu’il avait omises dans le Lazare, la moralité qui précède la nôtre. (Koopmans et sa fine équipe ont tort de dire que ces pages proviennent « d’une pièce non autrement connue » : elle est connue de tous ceux qui ont lu ce manuscrit.) Le Temps-qui-court reprend comme si de rien n’était au folio 241 rº.   21 Sont mis à bas. Les jeux peuvent désigner les spectacles théâtraux, comme au vers 374.   22 Sur les pois crus, voir la note 83 du Capitaine Mal-en-point.   23 Nos chants.   24 Nos mets, nos provisions. Idem vers 255.   25 LV : soublz ris  (Nos rires ne sont plus que des sourires.)   26 Mal partagés.   27 Purifie. « Pour ces péchiéz monder. » ATILF.   28 N’instaure rapidement la Réforme.   29 Les huguenots aimaient mieux s’adresser au bon Dieu qu’à ses saints ou à ses papes.   30 Il vaut mieux faire ainsi. Koopmans et Cie affirment que le ms. attribue cette réplique à Chascun ; un simple coup d’œil sur ce manuscrit les aurait convaincus de leur erreur.   31 Cela ne fait que nous lasser.   32 Le mieux est l’ennemi du bien. Même vers proverbial dans Beaucop-veoir et Joyeulx-soudain et, bien sûr, dans la Ballade des proverbes de Villon.   33 Allusion à la censure, qui devint hystérique au moment de la Contre-Réforme. « Et de trop parler nous gardons. » Pour le Cry de la Bazoche.   34 Les protestants qui ont trop parlé ont fini pendus. Cette expression venue du jeu de paume tient au fait que, par charité chrétienne, le bourreau, après avoir passé la corde au cou du condamné, le pousse dans le vide pour lui rompre les vertèbres cervicales. Comme disent les gibiers de potence Gautier et Martin : « On luy baille le soubresault. » Le vers suivant décrit encore la pendaison.   35 LV : tais toult   36 LV : bout  (La raison. Cf. les Femmes qui font refondre leurs maris, vers 321.)   37 Donc.   38 Liesse : joie. Idem vers 76.   39 LV : ariere  (« Arrière, soucy ne meschance ! » Les Premiers gardonnéz.)   40 Choisir.   41 Sans relâche.   42 Ce personnage traverse la scène en courant. Il passe derrière Chacun, qui ne le voit donc pas. Ses habits sont un empilement de costumes divers ; il tient dans ses mains un gros sac de toile, et des outils de laboureur complètement disloqués. Mestier et Marchandise (LV 73), une autre moralité du ms. La Vallière, fait entrer le même personnage bariolé : « Le Temps-qui-court vient, et est vestu de diverses couleurs. »   43 Qui est-ce qui, en cette occasion.   44 Il a traversé si vite que je n’ai pas pu le regarder.   45 J’aurais su te le dire, si je l’avais vu.   46 Hétéroclite.   47 Il a pris tant de peine.   48 LV : et  (Tant et si bien. « Si qu’en ce point,/ S’amours désir à dous penser adjoint. » Guillaume de Machaut.)   49 À un nœud coulant. Le lacs est un lacet, un collet que les braconniers tendent pour capturer des lapins.   50 Il tend le collet.   51 Galéjade, plaisanterie. Cf. la Veuve, vers 261.   52 Tu ne risques pas : « Tu n’as garde que je me rende ! » (L’Aveugle et Saudret.) La rime est en alle : « Devant qu’elle s’en alle/ Comme à l’accoustumé retrouver son Céphale. » Joseph Du Chesne.   53 Sur notre collet tendu. « Chascune de ces tentes est bonne, mes celle du costé n’est que pour la venue d’une beste d’une part. » (Gaston Phébus, Livre de chasse.) Chacun confie à Plusieurs le bout du lacet pour qu’en le tenant, il empêche de fuir le Temps-qui-court.   54 Nous verrons ce qu’il dira.   55 Nous devons nous retirer, nous dissimuler.   56 LV : querons  (Imparfait du verbe quérir. « Ton père et moy, dolens, te quérion. » Miracle de Théodore.)   57 Sans mentir.   58 Mon discernement : je n’y comprends rien.   59 Que nous ne sommes pas des gens importants. « Ilz ont et chappelle et prébende. » (Guillaume Coquillart.) Il manque les vers 6 et 7 du triolet ABaAabAB.   60 Pour quelle raison m’avez-vous pris au piège ?   61 Ai-je fauté envers vous en quoi que ce soit ?   62 LV : de ce de moy  (Ne redoutez pas d’être dans l’agitation. « Il n’a cause d’estre en esmoy. » Mistère du Siège d’Orléans.)   63 De fournitures : les outils de labourage et le sac à procès.   64 Et pour cela, je…   65 Veuillant : qui veulent.   66 La nouveauté caractérise le Temps-qui-court, comme on nous le répète aux vers 280 et 316. « Le Temps qui court,/ Tout nouveau. » Le Prince et les deux Sotz.   67 LV : madonneroye  (Je m’y adonnerais. « À paine je m’y donneroye. » Les Chambèrières et Débat.)   68 Totalement. « Du tout à Justice me rendz. » (Les Esbahis.) Koopmans et Cie ont lu De toult, mettant de l’équivoque là où il n’y en a pas. Encore heureux qu’au vers suivant ils aient lu la vye et non le vit !   69 Tant que je vivrai. Même vers dans Colin filz de Thévot.   70 Je ne ferais aucune discordance, aucune opposition.   71 Je me mêle de tout et de n’importe quoi, comme Wâtelet de tous mestiers (Montaiglon, XIII, 156-169). Le Temps-qui-court, symbole du temps présent, est un aimable dilettante qui ne fait rien sérieusement, comme certains médiévistes.   72 Comme on le. Le Temps-qui-court tient des outils de labourage délabrés.   73 Rusés. Idem vers 358.   74 Déçus, abusés.   75 Il n’est rien dont je ne vienne à bout.   76 Pourquoi vous avez un costume si disparate.   77 Le bonnet rond est porté notamment par les hommes d’Église. Le chapeau à deux cornes désigne la mitre d’un évêque. La cornette est le chaperon des avocats. Le Temps-qui-court a donc empilé ces trois coiffures sur sa tête.   78 Le Temps-qui-court tient un sac à procès débordant de paperasse.   79 LV : contre  (Tordu. « Faucille combre et torte. » Godefroy.)   80 LV : te  (« Ce semble merde toute pure. » Le Munyer.)  Un maître Aliboron est un incompétent qui s’occupe d’une quantité d’affaires auxquelles il n’entend rien. Cf. les Ditz de maistre Aliborum qui de tout se mesle (Montaiglon, I, 33-41).   81 Plat et rond : tout rond, en un mot.   82 Il n’y a aucune fonction.   83 Par la force.   84 Bien que je sois si inconstant.   85 Que l’homme du peuple me donne de l’argent.   86 Que. Cf. Science et Asnerye, vers 300.   87 Des charges ecclésiastiques. « Tout-le-Monde obtient par argent/ Dignités, prébendes, ofices ;/ Par argent, il a bénéfices. » Moral de Tout-le-Monde.   88 Beaucoup d’indulgences et de fausses bulles pontificales. Nous sommes en plein dans la satire luthérienne.   89 La cornette est la coiffe des avocats. Les magistrats exercent une profession dite « de robe longue ». Les juges et les avocats sont considérés comme des voleurs.   90 LV : entiere  (Ayant accès aux tribunaux. « [Il] trouva moyen d’avoir entrée & accès audict Pape. » Richard de Wassebourg.)   91 Sur des brouilles familiales.   92 LV : lors   93 Que j’imagine. « Trom-pe-ri-es » compte pour 4 syllabes.   94 À quoi ils servent. « Que servent ung tas de nonnains ? » Les Gens nouveaulx.   95 LV : labourer  (À la rime.)  M’occuper. « D’aultre labour ne volt curer. » ATILF.   96 Faute d’œuvrer, mes outils se sont rompus et ont rouillé.   97 En travaillant, il n’est pas possible d’acquérir autant de revenus qu’en ne travaillant pas.   98 LV : pouser  (De dire « pouce ! », de me ménager. « C’est sans poulcer ne soupirer. » Troys Gallans et Phlipot.)  Plusieurs et Chacun vont s’épuiser à ne pas travailler.   99 LV : aracheray  (« Arager » est la forme normande de enrager : faire rage.)   100 LV : menus  (« Vous serez des miens,/ Et [je] vous feray beaucoup de biens. » Le Franc-archier de Cherré.)   101 LV : en  (En actes et en paroles. « En faicts et dicts,/ Vous mocquez-vous ainsi des gens ? » Le Médecin qui guarist de toutes sortes de maladies.)  Comme je tiens = Comme j’en suis d’avis. Cf. Jolyet, vers 230.   102 LV : doibtz  (Sans détour, sans tergiverser.)   103 Ayez soin.   104 LV : racorder  (De réviser. « Me fault recorder ma leçon. » Le Cuvier.)   105 LV : un  (Dans cette circonstance. « En tel poinct, y fault bien entendre/ Qu’i sont estalés çà et là. » Science et Asnerye.)   106 LV : et fauldra des berilz  (Nous devrons nous ôter de tout danger. « Pour soy ouster du péril où il se véoit estre. » Philippe de Commynes.)  Les 3 galants se dirigent vers le Monde.   107 Voilà le Monde. Les 3 galants des Gens nouveaulx s’approchent de lui avec la même circonspection : « Il nous fault gouverner le Monde ;/ Aux anciens n’appartient plus…./ Traicter le convient doulcement. »   108 Nous sommes à vous corps et biens.   109 De noble maisnie, de noble famille.   110 Gais et gents [plaisants].   111 De simplicité. Ce mot est condescendant, sauf dans la moralité Envye, Estat et Simplesse (nº 11 de notre ms. La Vallière).   112 Mot d’argot signifiant riche ; cf. les Tyrans, vers 171, 175 et 185. « Tel mendye/ Qui a esté bien gourt./ Voilà le train, par bieu, du Temps-qui-court. » Marchandise et Mestier (BM 59) ; le Temps-qui-court est un personnage de cette moralité.   113 Un peu.   114 Mais avant, je voudrais vous connaître.   115 Oppressée. Rappel du Psaume 143, cher aux protestants, et que Clément Marot traduisait de la sorte : « Dont mon âme ainsi empressée/ De douleur se trouve oppressée. »   116 LV : trouuer  (Les vers 287-310 sont très corrompus. Le scribe, copiant un manuscrit de base fautif, met deux pentasyllabes par ligne, ce qu’il ne fait pas aux vers 39-46 et 73-80.)  Nous avons là une chanson de bergers bien antérieure au drame, auquel elle se rattache artificiellement par une mention toute symbolique du « lacs tendu ».   117 Sur la prairie.   118 Un coup. Ces 3 vers rappellent la chanson Nous sommes de l’Ordre de saint Babouin : « L’Ordre ne dit mye de lever matin./ Dormir jusqu’à prime et boire bon vin. » La Résurrection Jénin à Paulme.   119 LV : car je  (Peu m’importe qu’on dise que je n’ai pas d’ambition.)   120 LV : au jour la  (Du moment que j’ai assez pour vivre. « Je ne vous demande ny gages, ny récompense ; pourveu que j’aye ma vie, c’est assez. » Charles Sorel.)   121 LV : et rendu  (Tout bien calculé. Voir le vers 322.)   122 LV : relasche et  (Si j’ai bien compris.)   123 Quand j’ai tout dépensé. On songe à Briffaut, qui fait ses comptes — négatifs — au début du Capitaine Mal-en-point : « J’ay tout mon compte…./ Nenny, se j’ay bien entendu :/ Bref, mon argent est despendu. »   124 Notre collet est tendu pour attraper des « pigeons ». Dans la sottie (vers 103-122), ce piège est bien réel, et non symbolique.   125 Mais ils suivaient. Les vers 312-341 développent cinq sixains à refrain qui étaient probablement chantés ; mais cette fois, ils sont de l’auteur.   126 LV : et en tous leurs faictz simplicite   127 Ce refrain est également celui de la Balade de la façon du temps qui court, de Jehan Bouchet, que l’auteur de la sottie avait certainement lu, tant la notoriété de ce poète était grande. Je publie ladite ballade sous la pièce.   128 J’ai vu l’époque où Justice et Équité avaient cours.   129 LV : jey  (Maintenant.)   130 LV : estre en  (Décours = déclin. Idem vers 13.)   131 On voyait tout le monde aimer le travail.   132 Sans rien commettre contre les autres. « Jamais ne te prendroit envie/ D’entreprendre rien sur nourrisses ! » La Nourrisse et la Chambèrière.   133 Ni jouer avec un mauvais dé, un dé pipé. Jehan Rabustel consigna ce mot d’argot dans son interrogatoire des Coquillards de Dijon : « En déz a divers noms, c’est assavoir : madame, la vallée, le gourt… »   134 LV : faire le  (Contrefaire le bravache. « Trencher du brave et du mauvais garson. » C. Marot.)   135 LV : espare  (Comme un objet trouvé, qui appartient à celui qui le ramasse.)  L’autrui, c’est le bien d’autrui, comme au vers 339. « Prendre l’autruy et larcyner [commettre des larcins]. » Science et Asnerye.   136 Ou bavarde sur un ton critique.   137 Bien qu’on n’ait pas assez à manger.   138 Mettre le bien d’autrui (note 135). Koopmans et Cie n’ont pas vu l’article « l’ ».   139 Menteur et plein de tromperie.   140 LV : las que lon  (Que fasse désormais celui qui…)  Une main compatissante avait introduit dans le ms. de base l’interjection « las ! », ici et au vers 317.   141 Qu’on ne te reconnaisse pas.   142 Il faut que tu mettes tes habits sens devant derrière. La scène illustre le code carnavalesque du Mundus inversus, du Monde à l’envers.   143 Un costume de Fou, comme le nôtre. La conviction que le Monde est fou et qu’il marche à l’envers régit une bonne part de la pensée médiévale.   144 LV : vesency  (Revêts ce costume de Fou.)   145 LV : est a ceste heure  (Le copiste a reculé devant un idiotisme normand. « De che qu’on fet et dit, asteure, dans Rouen. » La Muse normande.)   146 On ne peut plus me faire confiance. « Au temps qui court n’y a fiance. » Seconde Moralité ; au vers 299 de cette sottie, on habille en fou le personnage du Monde.   147 À la fin du Moral de Tout-le-Monde, on habille aussi le Monde en fou : « Tout-le-Monde, à l’heure présente,/ Est fol et plain d’abusion [de tromperie]…./ Aujourd’uy, Toult-le-Monde est fol. »   148 LV : se  (Refrains corrects à 375 et 378.)  Nous sommes restés assez longtemps ici.   149 Départ.   150 Retenez la valeur morale de notre spectacle.   151 Ce distique apocryphe est la signature habituelle du copiste du ms. La Vallière.   152 Bibliothèque nationale de France, ms. fr. 17527. Ce poème fut composé avant 1517, date de sa première édition, qui lui donnera son titre définitif : Ballade contre ceulx qui eslièvent les pécheurs.   153 La version du ms. fr. 2206 et les éditions gothiques donnent : treuvent   154 N’ont pas même.   155 Cette extravagance.   156 Qu’un richard à moitié fou. Cf. Digeste Vieille, vers 274.   157 Les docteurs en théologie.   158 Qui sont sortis de la mer. Autrement dit, les proxénètes. « –La terre portera/ Ce que deussent porter les eaux./ –Quoy, du poisson ? –Des maquereaux. » Sottie de l’Astrologue.   159 L’ordre public est confié.   160 On considère les sergents comme des bandits ; voir les vers 469-472 du Testament Pathelin.   161 Pourquoi les trompeurs marchent-ils si fastueusement. Barat est personnifié, comme dans Cautelleux, Barat et le Villain.

CALBAIN

British Library

British Library

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CALBAIN

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Le savetier Calbain n’est pas assez intelligent pour lutter contre sa femme avec des arguments ; aussi, dès qu’elle lui réclame une robe, il chante pour la faire taire. Mais elle va bientôt lui rendre la pareille. Notons que Sandrin, le héros du Savetier qui ne respond que chansons (F 37), fait subir la même censure mélodieuse à son épouse. La farce de Calbain comporte 36 chansons, pour lesquelles je renvoie aux recherches de Howard Mayer Brown : Music in the french secular theater, Harvard University Press, 1963.

Source : Recueil du British Museum, nº 33. La farce, écrite en Normandie au XVe siècle, fut éditée à Lyon en 1548. Elle a donc longtemps circulé : beaucoup de vers sont apocryphes, trop longs, trop courts, et bien des rimes sont approximatives et d’une alternance irrégulière, sauf dans les rares passages où l’œuvre originale a été plus ou moins respectée.

Structure : Rimes abab/bcbc mêlées de rimes plates.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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Farce nouvelle d’ung

Savetier nommé Calbain,

fort joyeuse,
lequel se maria à une savetière.
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À troys personnages, c’est assavoir :

       CALBAIN

       LA  FEMME  [Collette]

       et  LE  GALLAND  [Thomelin]

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                           CALBAIN

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                        LA  FEMME 1  commence                      SCÈNE  I

        On doit tenir femme pour sotte

        Qui mary prent sans le congnoistre,

        Et qui de son servant s’assotte2

        Pour en faire son privé maistre.

5      Quant3 je seroys femme d’ung prebstre,

        Plus jolye seroys et apoinct4.

        De chansons il me veult repaistre ;

        N’esse pas ung dur contrepoint5 ?

        Si je demande à avoir robe,

10    Il semble à veoir que je le desrobe.

        Je n’ay pas ung povre corset6.

        Nul ne congnoist quel discord [c’]est.

        C’est son déduyct7 que de [c]hanter.

        Hélas ! je n’oseroye hanter8

15    Vers  mes voysines en quelque place.

        Pour ses chansons qu’il me présente9,

        Il semble d’une droicte farce10.

        [Las !] je ne sçay plus que je face11.

        Je suis tousjours la plus dolente.

20    Hélas ! je n’estoys pas contente12

        D’ung tant bon et jolys ouvrier

        Qui estoit de nostre mestier :

        C’estoit le meilleur (je me vante)

        Qu’on treuve à coudre13 bobelin.

25    Mais cestuy-cy sans cesser chante,

        N’entent14 n’à Pernet n’à Colin.

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                        CALBAIN,15  en chantant :                     SCÈNE  II

        En revenant du moulin,

             La turelure16,

        En revenant du moulin l’autre matin,

30   J’atachay mon asne à l’huis,

        Regarday par le pertuys17,

             La turelurelure,

        Je regarday par le pertuys l’aultre matin.

        Je veulx aprendre le18 latin,

35    Affin de mauldire ma femme :

        Car quant elle vient à sa game19,

        Bien fault rabesser l’avertin20.

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                        LA  FEMME 21                                       SCÈNE  III

        Calbain !

                         CALBAIN

                          Hau !

                        LA  FEMME

                                      Entens22, Calbain ! Hau !

                        CALBAIN 23

        (Par bieu ! je ne sçay qu’il luy24 fault.

40    J’enrage tout vif que ne chante.) [En chantant :]

        Adieu vous dis, les bourgeoises de Nantes ! 25

        Voz chambrières sont bien, de vous, contentes.

             Çà, des poys ! Çà, des fèbves ! 26

             Çà, des poys ! Çà, des poys !

                        LA  FEMME

45    Calbain, mon amy, parle27 à moy !

                        CALBAIN,  en chantant :

        Jolys moys de may, quant reviendras-tu ? 28

                        LA  FEMME

        Et ! Calbain, hau ! Parleras-tu ?

                        CALBAIN,  [en chantant :]

        Et la beaulté de vous, la gentil fillette.29

                        LA  FEMME

        [Hé]las ! c’est ta femme, Collette.

                        CALBAIN

50    Et,  vray Dieu, que vous estes esmeue !

        D’où venez-vous ?

                        LA  FEMME

                                        De ceste rue,

        De veoir ma commère Jacquette,

        Qui a la robbe la mieulx faicte ;

        Et si, la porte à tous les jours30.

                        CALBAIN

55    A-elle les poignetz de velours,

        De satin ou de taffetas ?

                        LA  FEMME

        Fourréz31, et œuvré[z] par le bas,

        Qui est à la robbe propice.

                        CALBAIN

        Et de quoy sont-ilz ?

                        LA  FEMME

                                           De létisse32 ;

60    Et la bordure33, de jennette.

                        CALBAIN,  en chantant :

        Allégez-moy, doulce plaisant brunette,

             Allégez-moy ! 34

        Allégez-moy de toutes mes douleurs !

        Vostre beaulté me tient en amourettes ;

65         Allégez-moy !

                        LA  FEMME

        Et ! mon amy, parlez à moy,

        Et laissez ceste chanterie.

                        CALBAIN

        Metz35 la nappe, bon gré ma vie !

        Par  le sang bieu ! j’enrage de fain.

                        LA  FEMME

70    Auray-je une robbe demain,

        Fringante36, à la mode qui court ?

                        CALBAIN,  en chantant :

        Ilz sont à Sainct-Jehan-des-Choulx37,

        Les gens, les gens, les gensdarmes.

        Ilz sont à Sainct-Jehan-des-Choulx,

75    Les gensdarmes de Poytou.

                        LA  FEMME

        Je croy, moy, que cest homme est fou.

        Donnez-moy robe, car c’est raison !

                        CALBAIN,  en chantant :

        [Endurez d’estre en no prison]38

        [Et d’estre in gôle]39, Marion !

                        LA  FEMME

80    Allon — et plus ne varion —

        Pour aller ma40 robe achepter,

        Mon amy. Et [je puis jurer

        Que tousjours], pour vous, Dieu priray.

                        CALBAIN

        Mon pourpoint est tout deschiré,

85    Et ma robbe. La fièvre te tienne !

                        LA  FEMME

        Mais regardez ung peu la mienne !

                        CALBAIN,  en chantant :

        Bergerotte savoysïenne41

        Qui gardez les moutons aux boys :

        Voulez-vous estre ma mignonne42 ?

90    Et je vous donray des soulliers,

        Et je vous donray des soulliers

        Et ung joly chaperon, etc.

                        LA  FEMME

        Mon amy, je ne veulx43 sinon

        Q’une belle et cointe44 robette.

                        CALBAIN,  en chantant :

95         M’amour et m’amyette45,

             Souvent je ty46 regrette.

        Hé, [hé] ! par la vertu sainct Gris47 !

                        LA  FEMME

        [Contente suis qu’el]48 soit de gris,

        Mon amy,  ou telle [comme il]49 vous plaira.

                        CALBAIN,  [en chantant :]

100       Et tout toureloura50 !

             La lire, lire51 !

                        LA  FEMME

        Hélas ! je n’ay pas fain de rire52 :

        Je suis bien pouvre désolée.

                        CALBAIN,  en chantant :

        Et voilà le tour de la maumariée53.

105  Toutes les nuictz il m’y recorde54.

                        LA  FEMME

        Mon amy, par ma foy, je m’accorde

        À faire tout  ce que me commanderez55,

        Par tel sy56 que me donnerez

        Une robe grise ou blanche.

                        CALBAIN,  en chantant :

110  Et vive France et son alliance ! 57

        Vive France, et le roy aussi !

                        LA  FEMME

        Hélas !

                        CALBAIN,  [en chantant :]

                     Pouac ! vous avez vessy58.

                     Vertu, qu’elle est puante !

                        LA  FEMME

        Par Nostre Dame ! je me vante

115  Que j’ay reffusé, de la ville,

        Des compaignons des plus habille59

        Qu’on ne trouveroit aux faulx-bours60.

                        CALBAIN

        Par ma foy ! [c’est] tout au rebours

        De ce que vous dictes, m’amye.

                        LA  FEMME

120  Hélas ! vray Dieu, tant il m’ennuye61 !

                        CALBAIN

        Bon gré ma vie !         [En chantant :]

                                      Ma doulce amye,

        De vous je n’ay aulcun confort 62.

                        LA  FEMME

        Et ! vray Dieu, que vous estes fort63

        À avoir, par amour ou prière !

                        CALBAIN,  [en chantant :]

125  Et tricque devant, et tricque derrière ! 64

        Tricque devant, tricque derrière !

                        LA  FEMME

        Mon amy, parlez [à moy, voyre]65,

        [Et] vous aurez tantost à boire.

                        CALBAIN

        Paix, paix !                [En chantant :]

                             Je m’en vois66 à la foire

130  Achepter du cuyr, par mon âme, de vache67.

.

        Ma femme tousjours, sans cesse[r], agache68             SCÈNE  IV

        [Sur] son pouvre mary Calbain.

        Mais  je n’en compte pas ung patin69 ;

        Aussi ne fais je pas ung oygnon70.

.

                        LE  GALLAND 71                                    SCÈNE  V

135  Et puis  que dit-on ? Et que faict-on ? 72

             Chose qui vaille ?

        Chose qui ne vault pas la maille73,

        Non [pas], par mon âme, ung festu74.

        [Si] on demande : « Et que fais-tu ? 75 »

140  On [nous] respond : « C’est vostre grâce ! 76 »

        S’on demande bénédicton77,

        Par ma foy, on va dire grâce78.

        Je ne sçauroys dire qu’on face79.

        Si le maistre mande80 ung baston,

145  Le serviteur aporte de la paille81.

.

        Et que dit-on ? Et que faict-on ?                                  SCÈNE  VI

             Chose qui vaille ?

                        LA  FEMME

        Non, par ma foy ! Des truandailles

        A assez, mais non aultre chose.

150  Aprochez-vous82 !

                        LE  GALLAND

                                        Hélas ! je n’ose,

        [Tant ay] de paour83 des mesdisans

        Qui vont par [les ruës, disans]84

        Des sages, et ne sont que bestes.

                        LA  FEMME

        Il est vray. Car [quoy85] : j’ay la teste

155  Toute rompue, et esservellée

        De crier et mener tempeste

        Pour avoir robe, et86 désolée

        De mon mary, qui chante ainsi.

                        LE  GALLAND,  [en chantant :]

        Vivray-je tousjours en soucy87

160  Pour vous, ma trèsloyalle amye ?

        Non, dea, [car] je ne vivray mye.

        Fy de soucy, pour abréger !

                        LA  FEMME

        Je vous pry de [bien y songer]88

        Et m’y donner vostre conseil.

                        LE  GALLAND

165  Je suis prest, pour [ung] cas pareil,

        [À] faire ce que me direz89.

                        LA  FEMME

        [À ce que diray respondrez]90,

        Et à vous me tiendray tenue91.

        Premièrement, je suis toute nue92,

170  Vous le voyez. Et mon mary,

        Qui est d’yvrongnerie pourry,

        Me despense93 tout mon vaillant.

        Par quoy, homme de cueur vaillant,

        Vous veulx requérir d’une chose.

                        LE  GALLAND

175  C’est vostre dit. Faictes là pose94,

        Escoutez mes parolles, aussi :

        J’entens [à] cest affaire-icy

        Mieulx que [déclarer ne sçauriez]95.

        Allons vers luy, et vous serez

180  (Se je puis) bien [tost] revestue.

                        LA  FEMME

        Je seray donc à vous tenue.

        Vous sçavez bien pateliner96 ;

        Mais pour mieulx l’enjobeliner97,

        Dictes-luy ce qu’il ne fut onc98.

                        LE  GALLAND

185  Je feray le cas tout au long.99

.

                        CALBAIN 100,  [en chantant :]               SCÈNE  VII

        Je viens du marché vendre mes poullettes,

        Mes poullettes et mon cochet 101,

             Nique, nyquettes !

                        LA  FEMME

        Mais parlez102 ! Estes-vous fol[et] ?

190  Cest homme de bien vous demande.

                        CALBAIN,  [en chantant :]

             Je suis allemande,

             Friscande103, gallande,

             Je suis allemande,

             Fille d’ung Allemand.

                        LE  GALLAND

195  Calbain, mon amy : [et !] comment ?104

        Estes-vous fol ? Qu’esse qu’il vous fault ?

                        CALBAIN,  [en chantant :]

        La semelle de cuyr vault

        Troys solz parisis et demy105.

                        LA  FEMME

        Parlez à luy, hau, mon amy !

200  Il fault reffaire ses houseaulx106.

                        CALBAIN,  [en chantant :]

        Voilà le meilleur cuyr de veaulx

        Que jamais puissez-vous avoir107.

                        LA  FEMME

        Il est fol, il est bon à veoir108.

        De luy, n’aurez aultre parolle.

                        CALBAIN,  [en chantant :]

205  Troys solz, tout à une parolle109,

        Vous cousteront, par mon serment !

                        LE  GALLAND

        Calbain, mon amy : [et !] comment ?

        Ne cognoissez-vous110 plus personne ?

                        CALBAIN,  [en chantant :]

        Cr(oy)ez [que la pièce]111 sera bonne,

210  Je vous asseure, et bien cousue.

                        LE  GALLAND

        Quoy ! Vostre femme est toute nue,

        [Pour le vous dire sans séjour :]112

        Que ne luy donnez vous, par amour,

        Une robbe ou113 quelque drap gros ?

                         CALBAIN,  [en chantant :]

215  Collette, çà, [tost] du chief-gros114

        Aporte vistement ! Tost, dépesche !

                        LE  GALLAND

        Calbain, sus, [que l’on me]115 dépesche !

        Je suis vostre amy Thomelin.

                        CALBAIN,  [en chantant :]

        Où dyable est mon bobelin ?

220  Mon alaisne116 ? Ha ! la voicy.

                        LA  FEMME

        Ma foy ! se nous estions icy

        Jusques à  demain, nous n’aurions autre chose117.

                        LE  GALLAND 118

        Or escoustez ung peu ma prose.

        Venez ung petit en secret119 :

225  Je voys bien qu’il n’est [trop] discret.

        Sçavez-vous qu’il120 vous fauldra faire

        Pour mieulx parachever vostre affaire ?

        Vers luy vous vous retirerez,

        Et de rechief bien luy prirez,

230  Comme devant121, pour avoir robbe.

                        CALBAIN

        (Voilà comment je me desrobe :

        Par chanterie122 la tiens en lesse.)

                        LE  GALLAND

        La nappe mettez pour123 qu’il ne cesse,

        Et le priez de desjeuner.

235  Ne le laissez pas trop jeusner

        Que tost ne luy donnez124 à boire ;

        Et puis, [quant] luy [donrez son voirre]125,

        De ceste pouldre126 y mett[r]ez.

        Tandis127 qu’enyvrer le verrez

240  Et que de brief s’endormira,

        Prenez sa bource et ce qu’il y aura

        Dedans. Puis allez achepter

        Une robbe sans plus quêter128.

        C’est le conseil que je vous donne.

                        LA  FEMME

245  Vostre parolle sera très bonne.

        Je vous remercie humblement.129

.

                        CALBAIN,  [en chantant :]                     SCÈNE  VIII

             Je ne sçay pas comment,

             En mon entendement,

             Plus fort je vous aymasse130.

.

                        LA  FEMME                                           SCÈNE  IX

250  Si fault-il [bien], quoy que je face,

        Faire le conseil qu’on m’a dit.

        J’auray une robe mardy

        Ou mercredy tout au plus tard131.

.

        Calbain, mon amy, Dieu vous gard !                          SCÈNE  X

255  Comment se porte la santé132 ?

                        CALBAIN

        M’amye, je ne veulx plus chanter.

        Mais donnez-moy doncques à boire.

                        LA  FEMME

        Je m’y en voys sans accessoire133 :

        [Vin bon]134 aurez tout maintenant.

                        CALBAIN

260  J’en auray à boire, vray(e)ment135 ?!

                        LA  FEMME

        Or vous séez donc à la table.

        [Buvez de ce vin délitable,]136

        Et disnez137 gratïeusement.

                        CALBAIN

        [Ce vin]138 est bon, par mon serment !

                        LA  FEMME

265  Buvez, mengez, faictes grand chère.

                        CALBAIN

        Donnez-moy donc encor(es) à boire.

        [Verra minus]139 minatorès,

        Alabastra dillatorès140 !

        Je suis [fin] saoul de vin, m’amye.

                        [LA  FEMME]

270  Je suis auprès de vous, [ma vye]141.

                        [CALBAIN]

        Je vous pry, couvrez-moy le dos :

        Car, par ma foy, je veulx dodos142.

        [Mes culottes143] couvrez-moy bien.

                        LA  FEMME 144

        Ma foy, s’il y demeure rien

275  En145 bource, je veulx qu’on me pende !

        Ha ! je vous tiens [enfin], galande.

        J’en ay, j’en ay,  des escus, des ducatz !

        Or, allons achepter des draps

        Maintenant, pour me faire une robe.

280  Et  dea ! il fault que je vous desrobe,

        Quant je vous ay de vin mouillé.

                                *

                        CALBAIN,  en se resveillant.146              SCÈNE  XI

        Ha ! je suis tout enquenouillé147,

        Et de mon bon sens fatrouillé.

        Par bieu ! à peu que ne me course148 :

285  Et, Dieu ! où est [passée] ma bource ?

        Et ! qui a ma bource robée149 ?

        Et ! m’amye[tte], ma rosée :

        Rendez ma bource, je vous prie !

                        LA  FEMME

        Il [est] entré en sa folye ;

290  Dieu sçait quel maintien il tiendra.

                        CALBAIN

        Je t’en don(ne)ray une150 de drap,

        Ouÿ, vray(e)ment, et une cotte.

        [Tu as fouillé dans ma culotte :]151

        Ç’a esté quant tu m’as couvert152.

                        LA  FEMME,  en chantant :

295  Ung ruban vert, tout vert, tout vert,153

        Ung ruban vert qu’il my donna.

                        CALBAIN

        (Mauldit soit Calbain, qui nia154

        À sa femme une robe grise !

        Car elle n’eust point sa main mise

300  Sus155 ma bource pour la rober.)

        Mais, m’amye, pour abréger,

        Rendez ma bource, m’amyette.

                        LA  FEMME,  en chantant :

        En cueillant la violette156,

        Mes aygneaulx y sont demeuréz157.

                        CALBAIN

305  Je croy que de moy vous158 raillez.

        Laissez là vostre chanterie159 !

        Rendez moy ma bource, je vous prie ;

        Ou, par bieu, il y aura noyse !

                        LA  FEMME,  [en chantant :]

        Où voulez-vous que je m’en voyse160 ?

310  Jamais je ne vous sceu complaire.

        (Dieu sache qu’il y a affaire

        À161 gouverner cest homme-icy !)

                        CALBAIN

        Par bieu ! vous l’avez prinse icy.

        Le diable y ayt162… Fault-il tout dire ?

                        LA  FEMME,  en chantant :

315  Vous my faictes tant rire, rire,163 etc.

                        CALBAIN

        Par bieu ! je n’y treuve que rire164.

        Me veulx-tu point rendre ma bourse ?

        Sainct Jehan ! s’il fault que je me cource,

        Je te la feray bien[tost] rendre !

                        LA  FEMME

320  Vous ne pensez point d’aller vendre165

        Voz vieulx soulliers parmy la ville ?

        Vray(e)ment, si n’estoit que je fille166

        Aulcune167 fois ung tantinet,

        Vous mourriez de fain, marmouset168 !

                        CALBAIN

325  Ha, ha ! Et  n’en auray-je aultre chose169 ?

                        [LA  FEMME]

        [Ha !] quant vous vous coursez, je n’ose

        Aulcunesfois ung seul mot dire170.

                        [CALBAIN]

        Par bieu, voicy qui n’est pas pire171 !

        Viens çà ! Tandis que je dormoye,

330  M’as-tu pas osté ma monnoye ?

        Dieu172, que tu fais tant la ruzée !

        Regardez qu’elle est affaictée173 !

        Respondras-tu, hau, becquerelle174 ?

                         LA  FEMME,  [en chantant :]

        Av’ous point veu175 la Péronnelle,

335  Que les gensdarmes ont emmené ?

        Ilz l’ont habillée comme ung page :

        C’est pour passer le Daulphiné.

                        CALBAIN

        Vray(e)ment, je suis bien arrivé176 !

        Par bieu, je vous galleray177 bien !

                        LA  FEMME,  [en chantant :]

340       Mauldit soit le petit chien178

             Qui aboye, aboye, aboye,

             Qui aboye et ne veoit rien !

                        CALBAIN

        Je voys bien qu’il me fault courser.

        Par la chair bieu, vieille dampnée,

345  Je vous feray des coups chier !

        Je sçay bien : tu me l’as ostée,

        Ma bourse. J’en ay belle lettre179.

                        LA  FEMME,  [en chantant :]

        Si [vous] my touchez, je vous feray mettre180

             À la prison du Chasteau,

350       Nicque, nicque, nocque !

             À la prison du Chasteau,

             Nicque, nocqueau !

                        CALBAIN

        Sainct Jehan ! me voylà bien et beau.

        Tu sçais qu’il me fault achepter

355  Des souliers181 : fault-il tant prescher ?

        Rendz-moy ma bourse, si tu veulx.

                        LA  FEMME

        Et ! que tant vous estes fascheux !

        Cherchez vostre bourse aultre part.

                        CALBAIN

        Le grant dyable y puisse avoir part !

360  Rendez vistement, dépeschez !

                        LA  FEMME

        Cest homme-icy faict des péchéz

        Assez pour [en] confondre ung aultre182.

                        CALBAIN

        Je te batray comme [l’es]peaultre183,

        Si vistement ne me rendz ma bourse !

                        LA  FEMME

365  Mercy Dieu ! s’il fault que me course…

        Que [grant] dyable esse qu’il vous fault184 ?

                        CALBAIN

        Vous en aurez tout de plain sault185 !

        Çà,  rendez ma bourse vistement !

                        LA  FEMME

        Au meurtre ! Tu m’as vilement186

370  Meurdrie187, vieil coqu, joquessu !

                        CALBAIN

        Mais seray-je tousjours déceu188

        De ceste vieille becquerelle ?

        C’est la plus fascheuse189 femelle

        Que je vis oncques de l’année.

375  Mais, par ma foy, vieille dampnée,

        Je monstreray que je suis maistre !

        Voluntiers [tu] me feroys paistre ?

        Non feras190 !

                        LA  FEMME

                                    Par le jour qui luyt191,

        Plus ne coucheray à ton lict !

380  Voire, jamais ne te feis tort :

        Penses-tu que c’est beau rapport

        Que tu m’appelles « larronnesse » ?

        Je faictz à Dieu veu192 et promesse

        Que je te renonce à jamais !

                        CALBAIN

385  Ha ! taisez-vous, m’amye ! Paix, paix !

        Je cognois bien que c’est ma faulte.

        Mais j’ay la teste ung peu trop haulte193 ;

        Suportez mes contentions194.

        Mais sans plus de dilations195,

390  Qui l’a, se196 vous ne l’avez pas ?

        Mais quant je regarde à mon cas,

        Où la pourray-je bien [l’]avoir mise ?197

.

        —Elle l’a !  —Non a.  —El(le) l’a prinse !                 SCÈNE  XII

        —Au fort, elle l’eust [re]cogneu198.

395  Ce cas me sera incogneu.

        Au grant dyable puist aller la bource !

        —Mais pourquoy l’a el(le) prinse ?  —Pource :

        El(le) ne l’a pas prinse.  —Sy a !

        —Non a.  —Sy a !  —Non a.  —Sy a !

400  Mais  que grant dyable pourray-je faire

        (Je ne sçay) pour mon199 bien parfaire ?

        Je puisse estre envers Dieu infâme

        Se jamais je me fie à femme,

        Car ce n’est qu’altercation.

405  Or, pour toute conclusion,

        Tel trompe au loing qui est trompé.

        Trompeurs sont de trompes200 trompéz.

        Trompant201, trompetez au tromp[é] :

        « [Par trop tromper,] l’homme est trompé202. »

410  Adieu, trompeurs ! Adieu, Messieurs !

        Excusez [femmes et trompeurs]203.

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                                                    FINIS

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Cy finist la farce de Calbain

Nouvellement imprimée à Lyon

en la maison de feu Barnabé Chaussard

près Nostre-Dame-de-Confort

M.D.XLVIII.

*

1 Elle s’approche de sa maison.   2 Et qui s’entiche de celui qui devrait être son serviteur. « L’homme doit estre servant/ De sa femme. » Les Drois de la Porte Bodés.   3 Quand bien même.   4 Élégante. Les concubines des prêtres sont pourtant tenues à une discrétion de bon aloi.   5 Une dure repartie. Jeu de mots musical sur le « contrepoint ». La plupart des chansons de notre farce peuvent être chantées à plusieurs voix, si l’on en juge par les partitions qui nous restent.   6 Un seul corsage. « Se je requiers cote ou corset,/ Nul ne congnoist quel descord c’est. » Les Mal contentes.   7 Son plaisir.   8 BM : chanter  (BM intervertit les deux rimes.)  Hanter quelqu’un, c’est le fréquenter ; cf. les Maraux enchesnéz, vers 232.   9 BM : vient presenter  (La rime correspondante est au vers 19.)   10 Cela ressemble à une vraie farce. L’auteur fait un clin d’œil au public de sa farce, comme au vers 209.   11 Je ne sais plus quoi faire. Tel que je le complète, c’est le vers 211 de l’Aveugle et le Boiteux.   12 Je ne me suis pas contentée. Colette a refusé d’épouser un autre savetier avant Calbain ; aux vers 114-7, elle regrette encore cette occasion perdue.   13 BM : faire  (Pour coudre un carreau de cuir sur une chaussure trouée. Voir le vers 219.)   14 BM : Et ne respond  (Ne s’intéresse ni à Pernet ni à Colin, c’est-à-dire à personne.)   15 Il travaille dans son atelier. Comme tous les artisans, il rythme une chanson avec ses coups de marteau.   16 Turlure, turelure et turlurette servent de refrains à d’innombrables chansons : « La Turelure / Y chanterons. » (Les Esveilleurs du chat qui dort.) Celle-ci est perdue. Brown nº 393 e.   17 Par l’œil-de-bœuf qui se trouve au-dessus de la porte. « –Je voy ung Fol par ce pertuys./ –Où, où ? –Au-dessus de cest huys. » Le Roy des Sotz.   18 BM : a parler  (Les excommunications sont fulminées en latin.)   19 À son idée fixe. « S’elle monte à sa haulte game,/ Le dyable n’en chevira pas [n’en viendrait pas à bout]. » Les Tyrans.   20 Il faut rabaisser sa fureur. « C’est son advertin qui la tient. » Serre-porte.   21 Elle entre.   22 BM : Et  (Écoute-moi. « Entens, Saudret ! » L’Aveugle et Saudret.)   23 BM ajoute : en chantant  (La chanson ne commençant qu’au vers 41, j’ai descendu cette didascalie.)   24 BM : me  (Ce qu’il lui faut, ce qu’elle va encore me réclamer.)   25 Cette chanson gaillarde servit de modèle à un Noël, comme beaucoup d’autres. Brown nº 4.   26 Nous passons à une autre chanson. « –Chà, des fèbves ! –Ilz sont mengées./ –Chà donc, des pois ! –Ilz sont en cosse. » (Le Pont aux asgnes, BM 25.) Brown nº 370.   27 BM : parlez  (Colette tutoie presque toujours son mari : v. le vers 47.)  Parler signifie « ne pas chanter », comme aux vers 47, 66, 127 et 189.   28 Brown nº 230. « Jolis mois de may, quant revenras-tu ?/ Nous estions trois dames couchées soubz un saulx [saule]./ Disions l’une à l’autre : ‟Compaigne, tu dors ?” » En 1478, Louis XI « appella aulcuns de sa garde, et avoecq eulx se print à chanter : ‟Jolly moys de may, quand revenras-tu ?” » (Jehan Nicolay.) Le thème de cette chanson polyphonique deviendra la seconde partie de ténor d’une autre chanson à 4 voix, Soubz les branches d’un beau may.   29 Chanson inconnue. Brown nº 113.   30 Et pourtant, c’est sa robe de tous les jours, qui est donc moins belle que celle des dimanches et fêtes.   31 BM : Ouy  (Œuvrés = ouvragés de broderies.)   32 De fourrure d’hermine. « Trois douzaines de létices à fourrer les poignès de ladicte robe. » ATILF.   33 BM : fourrure  (La bordure est en fourrure de genette, de fouine. « La bordeure de sa robe. » Jean Gerson.)   34 Ici et à 65, cette chanson de Josquin Des Préz dit plus audacieusement : « Sous la boudinette » [au bas du ventre]. Brown nº 9.   35 BM : Boutez  (Mets la table. Voir le vers 233.)  Ces deux vers sont-ils chantés ?   36 BM : Faicte  (Fin de la chanson initiale du Gaudisseur : « Fringant à la mode qui court. »)  Non répertorié par Brown.   37 BM : chaulx  (Refrain correct à 74.)  Pour des raisons agricoles, les Poitevins baptisaient Saint-Jean-d’Angély « Saint-Jean-des-Choux » ; une rue de cette ville se nommait d’ailleurs la rue Plante-Choux. Sous le pseudonyme de Maistre Mitou, Jehan Daniel s’adonna au théâtre : son Franc-archier de Cherré tient toujours la route. Il composa des Noëls poitevins à peine plus sérieux ; dans l’un d’eux, écrit sur l’air de la Belle tyrelire (!), il s’amuse à énumérer des localités du Poitou : « Oul y en vint de Sainct-Génoulx [St-Généroux],/ Et d’autres de Sainct-Jehan-des-Choulx,/ Et cinq ou six vilains tignoulx/ Qui estoient de Saint-Cyre. » Brown nº 180.   38 BM : Endure en destringue en noz maison  (En Picardie, « no » = notre. « Jà vos avons-nos pris et mis en no prison. » Les quatre fils Aymon.)  Je n’ai pas retrouvé la chanson picarde dont il s’agit, mais nombre de complaintes s’apitoyaient sur des prisonnières : voir ici même la note 53 et les vers 334-5. Brown pp. 163-4.   39 BM : En destringole  (D’être dans une geôle. On reconnaît le « g » dur normanno-picard : « C’on me l’emprisonne à la gaule [geôle] ! » La Mère de ville.)  Le pronom « en » est transcrit phonétiquement par l’hyperpicardisme « in » : Vindredi trinte jinvier.   40 BM : une   41 Josquin Des Préz composa cette chanson sur des heptasyllabes. La version « arrangée » par l’éditeur de la farce n’est donc plus chantable. Brown nº 36.   42 L’heptasyllabe original rime mieux : « Dy-moy se veulx estre mienne. »   43 BM : demande  (Je ne veux pas autre chose que. « Je ne veulx sinon ce que me conseillerez. » Rabelais, Tiers Livre, 36.)   44 BM : petite  (Élégante. « Elle veult avoir robe neufve,/ Et sçait si coincte robe faire. » Roman de la Rose, éd. 1529.)   45 Mon amour et mon amie. Le diminutif « amiette » réapparaît aux vers 287 et 302. Brown nº 287.   46 Te. L’éditeur lyonnais a cru restituer des archaïsmes en truffant les chansons de pronoms picards ; nous aurons le pronom « my » [me] aux vers 296, 315 et 348. De plus, il a opéré des coupures qui nuisent à l’interprétation des chansons : « M’amour et m’amiette,/ Ma gente godinette,/ Ma Dame par amours,/ Souvent je vous souhaitte/ En ma chambre secrette/ Pour mieulx jouir de vous. »   47 Par la puissance de saint François d’Assise.   48 BM : Je suis contente quelle  (Je veux bien qu’elle soit en fourrure d’écureuil. « Contente suis de les avoir. » Les Trois amoureux de la croix.)   49 BM : quil  (« Telle comme il vous est advis. » L’Antéchrist.)   50 Tourloura, toureloura et tourelourela sont aussi prisés dans les refrains que la variante turlure (note 16). Brown nº 393 d.   51 Encore un refrain surexploité. Le Savetier qui ne respond que chansons (F 37) fredonne devant sa quémandeuse d’épouse : « C’est la lire, lire, lire, lire. » Brown nº 50.   52 « Chascun n’a pas si fain de rire/ Comme vous. » C’est une première réminiscence de la farce de Pathelin, mais non la dernière.   53 Brown nº 128. Les chansons de mal mariées sont tellement nombreuses qu’elles constituent un genre à part entière. André Tissier* suggère de lire « la tour » ; il est vrai que beaucoup de jaloux ont enfermé dans une tour leur femme, qui leur avait joué un tour.  *Recueil de farces, t. III, 1988, pp. 119-168.   54 Il m’en souvient.   55 « Je m’accorde à ce que tu veulx. » Junien Rabier.   56 À la condition. Cf. les Femmes qui demandent les arrérages, vers 127.   57 Brown nº 400. Cette chanson est beaucoup plus ancienne et beaucoup moins politique qu’on ne le dit. Étienne Pasquier rappelle que son premier vers commençait par « Vive Enfance », et que les enfants la chantaient dans les rues lorsqu’ils reconduisaient le roi de leur école pendant le Carême, souhaitant « que l’enfance & son alliance prospérast avec son Roy ». Commentant ces deux vers, qui figurent dans la très normande Friquassée crotestyllonnée, Prosper Blanchemain précise : « Le même refrain se chantait à Rouen en l’honneur du roi des écoliers, qui était proclamé le jeudi gras, à la suite d’un combat de coqs. » Les Sotz qui remetent en point Bon Temps (1492) baptisent ce roi carnavalesque le « Général d’Enfance », et chantent : « Vive Enffance, garny de Sotz testus ! » Le royal Général répond : « Vive la France en unyon ! » Pierre Gringore s’en souviendra en 1512 dans son Jeu du Prince des Sotz, qui prône l’alliance autour du roi Louis XII, puisqu’il fera dire au Général d’Enfance : « Quoy ! voulez-vous voz esbatz faire/ Sans moy ? Je suis de l’Aliance !…./ Je seray de son Aliance ! »   58 Vessé, pété. Plusieurs farces évoquent cette chanson non retrouvée (et non répertoriée par Brown) ; voir la note 30 de Jéninot qui fist un roy de son chat. Le Savetier qui ne respond que chansons (F 37) dit devant son épouse et sa voisine, qui lui quémandent une robe : « Ces femmes vessent ! » Nous lisons dans Frère Guillebert : « On sent, par Dieu, cy le vessy :/ Vertu sainct Gens, quel puanteur ! » Et dans la Ruse et meschanceté des femmes : « Elle a du cul vessy./ Mais je vous dis puant. »   59 Des compagnons savetiers parmi les plus habiles.   60 Les artisans de la ville sont meilleurs que ceux qu’on a relégués dans ses faubourgs, comme Calbain.   61 Que je souffre ! Mais on peut comprendre : Que mon époux m’ennuie ! « Tant il m’ennuie » sert d’incipit à plusieurs chansons, de même que « Tout au rebours » deux vers plus haut.   62 Réconfort. Brown nº 37. Cette chanson n’est pas aussi inconnue qu’on l’affirme, et ne commence pas là où on le croit : « Ma doulce amye,/ Las ! donnez-moy aulcun confort/ Ou, de brief, mon cueur sera mort,/ N’en doubtez mye. »   63 Difficile. « Vous estes fors à esconduire. » Les Brus.   64 Brown nº 124 et p. 94.   65 BM : et vrayement:  (Voir le vers 66.)   66 Vais. Influence de Pathelin : « Je m’en vueil aller à la foire. » Les foires permettent aux artisans d’acheter leurs fournitures au prix de gros. À Rouen, les principales foires étaient le Pardon et la Guibray.   67 Calbain commet, sinon un cuir, du moins un janotisme : « par mon âme de vache. » On songe à ce vers de Pathelin qui réjouissait Rabelais : « Huit blans, par mon serment de laine. » Calbain sort de la maison.   68 Crie comme une pie. Nous avons là une chuintante normanno-picarde.   69 BM : patain:  (Je n’en donnerais pas une semelle de bois : cela m’est égal.)  « Mais tout ne vault pas ung patin,/ Car tu ne dis chose qui vaille./ Je n’en donray pas une maille. » Guillerme qui mengea les figues.   70 Je n’en donne pas non plus un oignon. « Je n’en donroys pas ung oignon. » Le Ramonneur de cheminées.   71 Ce Galant n’est pas encore l’amant de Colette. Dans la rue, il se dirige vers l’échoppe du savetier.   72 Cette ritournelle revient aux vers 146-7. Au théâtre, l’entrée d’un nouveau personnage est souvent chantée. Après avoir subi les rengaines de son époux, Colette va subir celles de son galant. Brown nº 119.   73 Qui ne vaut pas un centime. « Le long procès n’y vault pas maille. » Ung jeune moyne.   74 Pas même un fétu de paille. Le Galant a les mêmes idées nihilistes que Calbain aux vers 133-4.   75 Question insolente qu’on pose aux gens dont on n’a pas l’intention de suivre l’avis. « Sans luy demander : ‟Que fais-tu ?” » Jeu du Prince des Sotz.   76 Avec votre permission. « C’est vostre grâce : Terme de civilité par lequel on s’excuse de ce que l’on contredit une autre personne. Il est bas, & se dit par corruption pour ‟sauf vostre grâce”. » Dict. de l’Académie françoise.   77 BM : benedicite  (Benedictum est ici prononcé à la française.)  Le bénédicton est le double tournois, une pièce de monnaie qui, depuis Louis XI, a pour légende Sit nomen Domini benedictum.   78 Au lieu de nous donner de l’argent, on va nous réciter la prière des grâces. « Ce sera pour les grâces dire. » Les Botines Gaultier.   79 Ce que nous devons faire.   80 BM : demande   81 Il craint d’être bastonné. Le Galant passe sa tête par la devanture du savetier.   82 Entrez !   83 Tant j’ai peur. « Tant ay de paour que l’on me voye. » Saincte-Caquette.   84 BM : mesdisans  (À la rime.)  Dire de quelqu’un = en dire du mal.   85 Car enfin. « Car quoy ! nous sommes gros et gras. » Les Sotz ecclésiasticques.   86 BM : mais ie suis   87 Claudin de Sermisy mettra ce texte en musique au XVIe siècle. De deux choses l’une : ou ce vieux poème a inspiré des compositeurs de la génération précédente, ce qui serait loin d’être un cas unique, ou bien les éditions Chaussard ont troqué une vieille romance contre un air à la mode, comme elles l’ont souvent fait. Entre parenthèses, cela expliquerait pourquoi tant de chansons se raccordent si mal aux rimes de la pièce. Brown nº 403.   88 BM : venir heberger  (De réfléchir à mon problème.)   89 BM : commanderez.  (« Je suis prest à faire debvoir. » Le Povre Jouhan.)   90 BM : Respondez a ce que diray   91 Je serai tributaire de vous. Idem vers 181. Colette sous-entend qu’elle « récompensera » le Galant de ses services.   92 Je n’ai rien à me mettre. Idem vers 211.   93 BM : despend  (Dépense tout mon bien. « [Il] a perdu tout son vaillant et cellui de sa femme. » ATILF.)   94 BM : prose  (Faites une pause : taisez-vous. « G’iray sans faire poze. » Le Mariage Robin Mouton.)   95 BM : ne scauriez declarer   96 Adopter une attitude pateline. Nouvelle allusion à la farce de Pathelin.   97 L’embobiner avec des flatteries. Cf. le Pèlerinage de Mariage, vers 409.   98 Faites de lui une peinture flatteuse.   99 Je ferai ce qu’il y a à faire d’un bout à l’autre. À la ligne, BM anticipe la prochaine rubrique : Calbain.   100 Il rentre dans son échoppe, sans prêter attention au Galant qui est toujours dehors, devant la fenêtre.   101 Mon jeune coq. Allusion au Galant qui convoite la « poule » de Calbain. Brown nº 225.   102 Ne chantez pas (note 27). Follet = fou : « Fol qui follie, il n’est follet. » Le Prince et les deux Sotz.   103 Frisque, gaie. La Réformeresse paraphrase cette chanson aux vers 88-91. Brown nº 219.   104 Même vers incomplet à 207. « Et ! comment ? Estoys-tu si beste ? » Colin filz de Thévot.   105 3,5 sous de Paris. À partir de maintenant, Calbain colle des mélodies à la mode sur un texte qu’il improvise, ce qui le fait passer pour fou. Brown répertorie cette chanson de circonstance (nº 247) mais pas les autres.   106 Ses bottes.   107 BM : veoir.  (À la rime.)  Le cuir de veau ne convient pas pour les chaussures, comme l’explique le savetier des Queues troussées aux vers 7-10 et 42.   108 C’est facile à voir.   109 C’est mon dernier mot. Calbain imite la prétendue folie de maître Pathelin, tout en adaptant le vocabulaire du drapier : « –Voulez-vous à ung mot ? –Ouÿ./ –Chascune aulne vous coustera/ Vingt-et-quattre solz. »   110 Ne reconnaissez-vous.   111 BM : quelle  (On bouche les trous en y cousant des pièces de cuir, comme l’indique le savetier de la Laitière : « Ung rivet cy fault,/ Et une pièce par cy hault. »)  Croyez se prononce crez : « Et crez, s’il a esté cornart. » La Cornerie des anges.   112 Vers manquant. J’emprunte le vers 228 du Raporteur. Sans séjour = sans délai.   113 BM : de  (À une époque où le prêt-à-porter s’apparente à la friperie, les femmes achètent du tissu et cousent elles-mêmes leur robe ; ou bien elles apportent ce tissu au couturier, qui les habillera sur mesure. Voir les vers 278-9.)   114 Du chégros, du gros fil de cordonnier enduit de poix. Dans le recueil de Londres, notre farce est précédée par celle du Savetier Audin, qui lui aussi se fait servir par son épouse : « Çà, du chefgros, que je besongne ! » Un mastic a fait tomber « tost » au vers suivant.   115 BM : quon  (Occupez-vous de moi. « Despeschez-moy ! » Le Cousturier et son Varlet.)   116 Ma pièce de cuir et mon alêne.   117 Si nous étions encore ici demain, nous n’obtiendrions rien de plus.   118 Il parle à l’oreille de Colette.   119 Venez à l’écart de votre mari. Colette sort rejoindre le Galant.   120 Ce qu’il. « Mais vécy qu’il nous fauldra faire. » Pathelin.   121 Comme précédemment.   122 Tous mes prédécesseurs lisent « chanter je ». Les vers 67 et 306 définissent la chanterie comme la manie de chanter.   123 BM : puis  (Quand il aura la bouche pleine, il cessera de chanter.)   124 Sans que vite vous ne lui donniez.   125 BM : donnez encoire  (Encoire n’est pas normand, contrairement à voirre [verre] : cf. la note 38 des Frans-archiers qui vont à Naples.)  En Normandie, boire se prononce baire : « Du meilleur vin y veulent baire. » (La Muse normande.) Ce mot rime donc ici avec verre, comme il rime avec chère au vers 266. « Ung pot à pisser pour eulx boyre,/ Ung vieil pot cassay et ung voirre. Le Mariage Robin Mouton.   126 Du pavot déshydraté. Le Galant doit être apothicaire ou médecin.   127 BM : Tant  (Quand vous le verrez ivre.)   128 BM : quaqueter  (Sans rien lui demander.)   129 Le Galant s’en va définitivement. Colette reste encore un peu à l’extérieur.   130 Je pourrais vous aimer davantage. Encore une chanson d’amour qui a fini en Noël. Brown nº 212.   131 À cette date, le couturier aura fini de tailler le tissu que je vais lui apporter. Colette rentre dans la maison.   132 C’est le vers 104 de Pathelin.   133 J’y vais sans ajouter de complications. C’est un terme de procédure.   134 BM : Vous en  (« Ceste bouteille de vin bon. » L’Amoureux.)  Colette verse dans un verre du vin et la poudre soporifique.   135 On comprend que Calbain soit surpris : les femmes des savetiers refusent toujours de leur donner du vin. Cf. Serre-porte, vers 155-6.   136 Vers manquant. Délitable = délectable. « Les vins délitables,/ Doulz et amiables,/ Rire et chanter font. » La Bonne vinée.   137 BM : desieunez  (Dînez.)   138 BM : Il   138 BM : Il est bon Terraminus  (Calbain ignore le latin, comme il l’avoue au vers 34. Mais si l’on admet que alabastra [vases d’albâtre] désigne les carafes, on peut lui prêter cette revendication en latin de cuisine : Des verres moins petits, des carafes plus grosses !)   140 BM : pillatores  (Calbain s’affale en arrière contre le dossier de sa chaise.)   141 BM : mamye  (À la rime.)  Formule affectueuse : « Adieu, m’amour ! Adieu, ma vie ! » Mystère de la Passion d’Auvergne.   142 Je veux faire dodo. « Quant n’ont assez fait dodo/ Cez petiz enfanchonnés,/ Il portent soubz leurs bonnés/ Visages plains de bobo. » Charles d’Orléans.   143 Chausses courtes en grosse toile, dont les artisans protègent leur bas-ventre et leurs cuisses. « Une paire de cullottes de velours ras, gris et bas, à attacher. » Huguet.   144 Calbain s’est endormi. Pour la plus grande joie des spectateurs, Colette fouille méticuleusement dans la braguette de son mari pour trouver sa bourse. Sur la coutume qu’ont les hommes de cacher leur argent dans leur braguette, voir Saincte-Caquette, vers 424 et note.   145 BM : A la  (Les épouses piochaient dans la bourse de leur mari : celle de Colin qui loue et despite Dieu « luy tire la bource du sain » pour s’offrir un chaperon.)   146 ACTE 2. Quelques heures plus tard. Colette a eu le temps d’acheter de l’étoffe, de la porter chez un couturier qui a pris ses mesures, et de rentrer les mains vides à la maison.   147 J’ai les idées emmêlées comme le fil d’une quenouille.   148 Peu s’en faut que je ne me courrouce. Idem vers 318, 326, 343 et 365. Calbain voit que sa braguette a été ouverte.   149 Dérobé. Idem vers 300.   150 Je te donnerai une robe.   151 Vers manquant. Tu as fouillé dans la braguette où j’avais caché ma bourse.   152 C’est quand tu t’es penchée sur moi pour me couvrir (v. 273) que tu m’as volé ma bourse.   153 Brown nº 397.   154 BM : ne donra:  (Qui refusa. « Il me nye/ Et drap et argent plainement. » Pathelin.)   155 BM : Dessus   156 Tandis que je faisais l’amour sur l’herbe avec un berger. « [Je] descendis en mon jardin/ Pour cuillir la violette./ Je trouvai le mien amy,/ Qui me coucha sur l’herbette. » (La Povre garce.) Brown nº 93.   157 Mes agneaux ont été mangés par un loup. Cette mésaventure est un thème récurrent dans les chansons de bergères. On dit encore qu’une fille qui a déjà fait l’amour a « vu le loup ».   158 BM : sont  (« Ma mère, de moy vous raillez ! » Le Mariage Robin Mouton.)   159 Au vers 67, c’est Colette qui disait à Calbain : « Laissez ceste chanterie ! »   160 Que je m’en aille. Non répertorié par Brown.   161 Ce qu’il y a à faire pour.   162 Calbain s’interrompt avant de prononcer la malédiction complète : Le diable y ait part ! (Au vers 359, il ne se gênera plus.) Il se souvient d’un autre savetier, Audin, qui souhaite que le diable emporte sa femme, et qui est exaucé malgré lui.   163 Le Savetier qui ne respond que chansons (F 37) est plus disert : « Vous my faictes tant rire, tant rire,/ Madame Margot,/ Vous my faictes tant rire/ Quant j’ay ung gigot. » Brown nº 407.   164 Je n’y trouve pas de quoi rire.   165 BM : rendre  (À la rime.)  Les savetiers vendent leurs « souliers vieux » dans les rues : « Je m’en vays crier, oyez-vous,/ Mes vieulx soulliers parmy la ville. » Le Savetier Audin.   166 Si ce n’était que je file et que je vends mon ouvrage.   167 BM : A chascune  (Quelquefois un peu.)   168 Singe.   169 « Comment ! n’en auray-je aultre chose ? » Pathelin.   170 « Ha ! mon seigneur : vous estes,/ Ce croy-je, courcé d’aultre chose./ Par saint Leu ! mon maistre, je n’ose/ Riens dire, quant je vous regarde. » Pathelin.   171 C’est de mieux en mieux !   172 BM : Puis  (BM intervertit ce vers et le précédent.)   173 Pleine d’affectation, hypocrite. « Affettées, pipeuses, tricherresses. » Roger de Collerye.   174 Fausse bigote. Même mot normand à 372.   175 N’avez-vous pas vu. Cette célèbre chanson normande est nommée au vers 31 du Vendeur de livres. On la chante dans le Savetier qui ne respond que chansons (F 37). Le théâtre lui rendra un dernier hommage en 1640, dans la Comédie de chansons. Brown nº 34.   176 Je suis bien tombé, avec vous ! Même vers dans Frère Fécisti.   177 Battrai. « –Il chante quant je luy en parle./ –Allons à luy, et qu’on le gale ! » Le Savetier qui ne respond que chansons, F 37.   178 On peut entendre la Chanson du petit chien dans le Vendeur de livres et dans le Savatier et Marguet. Brown (nº 207) l’intitule Je m’en allé veoir m’amye.   179 Une grande contrariété. Cf. Raoullet Ployart, vers 142 et note.   180 « Las ! ‟frappez” tout beau, car je suis tendrette./ Si vous my blessez, je vous feray mettre/ En la prison du Chasteau,/ Nic, nic, nic et nique,/ Nic, nic, nic et nau. » Cette chanson grivoise de Pierre Moulu est postérieure à notre farce (v. la note 85). Comme beaucoup d’autres gaillardises, elle fut transformée en Noël. Brown nº 111.   181 De vieux souliers, pour les raccommoder puis les revendre.   182 Il commet assez de péchés pour deux. Confondre = faire descendre en enfer ; cf. Gratien Du Pont, vers 343 et 350.   183 On bat l’épeautre avec un fléau pour en extraire le grain. Possible confusion avec l’expression courante « battre comme plâtre ».   184 Voir le vers 400. « Que grand dyable vous falloit-il ? » Les Femmes qui font escurer leurs chaulderons.   185 Tout de suite. Calbain gifle sa femme.   186 BM : vilainement  (D’une manière vile.)   187 Assassinée. En Normandie, un joque-sus est un niais ; cf. Deux jeunes femmes qui coifèrent leurs maris, vers 109 et 169.   188 Déçu, trompé.   189 BM : dangereuse  (C’est la réponse du savetier à la savetière, qui le trouvait « fâcheux » au vers 357.)   190 BM : ferez pas.  (Tu ne me feras pas paître.)   191 Je le jure sur le soleil. Mais Colette, qui ne veut pas renoncer aux plaisirs nocturnes, dit en réalité : Tant qu’il fera jour.   192 Vœu.   193 BM : chaulde  (Je me monte la tête facilement. « Antonius incontinent leva la teste haulte, et devint redoutable à tous. » Jacques Amyot.)  Avant d’être appliquée aux hommes impétueux, cette expression concernait les cerfs en rut.   194 BM : conditions  (Mes querelles. « Contencions et débas. » ATILF.)   195 BM : temptations:  (Sans délai.)   196 BM : prinse  (Qui a ma bourse, si…)   197 Pendant que Colette fait semblant de remplir son balluchon, Calbain va fouiller dans ses propres affaires en quête de la bourse. Il dialogue avec lui-même, tout comme le drapier dont Pathelin a pris les 6 aunes de drap : « –Il les a eues, vrayement !/ –Non a, dea…. –Il les a eues !/ –Par la mort bieu, non a, ce tiens-je./ –Non a ? Mais à quoy donc en vien-ge ?/ Si a ! »   198 Si elle l’avait prise, elle l’aurait reconnu.   199 BM : le  (Pour reconstituer mon bien.)   200 Les Sotz triumphans qui trompent Chacun symbolisent la tromperie en soufflant dans une trompe.   201 BM : Tronpãt  (Trompeur.)  Trompeter = annoncer avec tambours et trompettes.   202 « Par trop tromper, je suis trompé. » Les Sotz triumphans qui trompent Chacun.   203 BM : le trompeur et sa femme.

LE MARIAGE ROBIN MOUTON

Ambroise Paré, BnF.

Ambroise Paré, BnF.

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*

LE  MARIAGE

ROBIN  MOUTON

*

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Le Mariage de Robin Mouton est peut-être du même auteur que deux pièces écrites à la fin du XVe siècle : Frère Frappart, et les Esveilleurs du chat qui dort. On y reconnaît un style analogue, beaucoup de locutions communes, ainsi qu’une même profusion d’hiatus et de triolets enchaînés.

Nous avons là une farce de noces, dont le but est de donner envie aux jeunes époux de consommer leur mariage avec la même fringale que les plats du banquet. Voir la notice de la Présentation des joyaux.

Source : Recueil de Florence, nº 32.

Structure : Rimes abab/bcbc, suivies de 25 triolets enchaînés !

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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*

Farce nouvelle à quatre parsonnages du

Mariage

Robin Mouton

trèsbonne et fort joyeuse

*

C’est assavoir :

       LA  MÈRE

       ROBIN  MOUTON 1

       SÉBILLE 2

       PEU-FILLE 3

*

                    LA  MÈRE  ROBIN  MOUTON  commence 4      SCÈNE  I

        Penser me fault doresnavant

        De marier Robin Mouton,

        Mon garson ; car au temps venant,

        Il jouera bien de son « baston

5      Au bout rouge5 ». J’entens le ton,

        Et le croy sans point m’en démettre.

        Pour quoy, sans que plus débaton6,

        Je m’en vueil en brief entremettre,

        Car paillart il pourroit bien estre7 ;

10    Par ce moyen l’en garderay,

        S’il plaist à Dieu le Roy célest[r]e8.

        Aujourd’huy g’y besongneray.

        Il est sot9, mais je vous diray :

        Il pourra encor bien aprendre.

15    Touteffois, je le marieray

        Sans plus tarder ne plus attendre.

        Je luy feray avoir et prendre

        Une trèsgente mignonnette

        Qui est belle, doulce et tendre,

20    Et amoureuse godinette10,

        [Qui est] gorgïase11 et honneste,

        Qui l’entretiendra proprement.

        Besongner m’y fault sans arreste

        Ne faire séjour nullement12.

.

25    Robin !                                                                       SCÈNE  II

                        ROBIN 13

                        Hau !

                        LA  MÈRE

                                     Viens çà !

                        ROBIN

                                                        Et comment ?

        Je ne puis : je suis empesché.

                        LA  MÈRE

        Où es-tu ?

                        ROBIN

                            Cy, par mon serment !

                        LA  MÈRE

        Robin !

                        ROBIN

                         Hau !

                        LA  MÈRE

                                     Vien çà !

                        ROBIN

                                                       Et comment ?

                        LA  MÈRE

        Que fais-tu ?

                        ROBIN

                                Par mon sacrement !

30    Je pais14 mon chat.

                        LA  MÈRE

                                          C’est bien chié15 !

        Robin !

                        ROBIN

                        Hau !

                        LA  MÈRE

                                      Vien çà !

                        ROBIN

                                                        Et comment ?

        Je ne puis : je suis empesché.

                        LA  MÈRE

        Avance-toy, c’est trop presché !

        Dire te veulx aucune chose16.

                        ROBIN

35    Certes mon chat [n’est pas]17 couché.

                        LA  MÈRE

        Avance-toy, c’est trop presché !

        Viandras-tu18 ?

                        ROBIN

                                    Mais19 que j’aye cousché

        Mon chat, g’iray sans faire poze20.

                        LA  MÈRE

        Avance-toy, c’est trop presché !

40    Dire te veulx aucune chose.

.

                        ROBIN 21                                                 SCÈNE  III

        Je suis venu sans longue prose22.

        Dictes acoup23 ce que voullez.

                        LA  MÈRE

        Il est bien vray, sans rigollez24,

        Que mectre te veulx en mesnaige.

                        ROBIN

45    Ma mère, de moy vous raillez !

                        LA  MÈRE

        Il est bien vray, sans rigoller,

        Qu(e) une fille pour acoller

        [Il] te fault prendre en mariage.

        Il est bien vray, sans rigoller,

50    Que mectre te veulx en mesnaige.

        Le veulx-tu bien ?

                        ROBIN

                                          Et ! mais que sçay-je ?

        Je ne sçay que25 c’est, par mon âme !

                        LA  MÈRE

        C’est ung orde26 de hault paraige.

        Le veulx-tu bien ?

                        ROBIN

                                         Et ! mais que sçay-je ?

55    Esse une beste sauvaige ?

                        LA  MÈRE

        C’est que tu auras une femme.

        Le veulx-tu bien ?

                        ROBIN

                                          Et ! mais que sçay-je ?

        Je ne sçay que c’est, par mon âme !

                        LA  MÈRE

        Une fille qui sera dame27

60    De tes biens et de ta maison.

                        ROBIN

        À moy ce seroit ung grant blasme !

                        LA  MÈRE

        Une fille qui sera dame

        De l’hostel28, sans quelque diffame.

                        ROBIN

        Varlet serois donc29, par raison ?

                        LA  MÈRE

65    Une fille qui sera dame

        De tes biens et de ta maison.

                        ROBIN

        Pas30 ne feray tel mesprison

        De m’assubjectir en ce point.

                        LA  MÈRE

        Maistre seras, sans achoison31.

                        ROBIN

70    Pas ne feray tel mesprison !

                        LA  MÈRE

        Jamais ung homme ne prison32

        S’en mariage n’est enjoinct.

                        ROBIN

        Pas ne feray tel mesprison

        De m’assubjectir en ce point.

                        LA  MÈRE

75    Robin, tu n’entens pas le point :

        Tu seras maistre par-sus elle33.

                        ROBIN

        De tous telz motz le cueur m’espoint.

                        LA  MÈRE

        Robin, tu n’e[n]tens pas le point :

        Car seurement, sans contrepoint,

80    El t’obeyra34 ; point n’est rebelle.

        Robin, tu n’entens pas le point :

        Tu seras maistre par-sur elle.

                        ROBIN

        Or çà, ma mère : et qui est [c]elle

        Que me voulez donner, sans guille35 ?

                        LA  MÈRE

85    [Une] gente mignonne et36 belle.

                        ROBIN

        Or çà, ma mère : qui est [c]elle

        Que voulez que [j’]aye en tutelle37 ?

        Esse une vielle38 de [la] ville ?

        Or çà, ma mère : qui est [c]elle

90    Que me voulez donner, sans guille ?

                        LA  MÈRE

        Qui c’est, Robin ? Et ! c’est la fille39

        [ De nostre prochaine40 voisine ;

        Je croy qu’on l’appelle Peu-fille41.

        Qui c’est, Robin ? Et ! c’est la fille

95    De nostre voisine Sébille.

        Elle est gorgïase et godine42.

        Qui c’est, Robin ? Et ! c’est la fille

        De nostre prochaine voisine.

.

        …………………………. 43                                               SCÈNE  IV

                        LA  MÈRE

        Robin aura44 ung agnelet ]

100  Pour son trésor, sans point débattre,

        Et ung tournois que trois ou quatre

        M’ont refusay puis45 quinze jours.

        Oultre, [il] aura ung sac à plastre

        Et ung tournois que trois ou quatre

105  N’ont point voulu, [sans rien rabatre]46,

        L’autre jour dedens les faulxbourgs,

        Et ung tournois que trois ou quatre

        M’ont refusay puis quinze jours.

                        SÉBILLE

        Ma fille aura sans [nulz] séjours47

110  Ung vieil pot cassay et ung voirre48.

                        LA  MÈRE

        Sera pour eulz ung grant secours !

                        SÉBILLE

        Ma fille aura sans [nulz] séjours,

        S’e[n] puis trouver en nos destours49,

        Ung pot à pisse[r] pour eulx boyre50.

115  Ma fille aura sans [nulz] séjours

        Ung vieil pot cassay et un voirre.

                        LA  MÈRE

        Il[z] seront51 bien (par sainct Magloire)

        Amesnagés, pour jeunes gens.

                        SÉBILLE

        C’est bien vray, et chose notoire.

                        LA  MÈRE

120  Ilz seront bien, par sainct Magloire !

                        SÉBILLE

        On ne me sçauroit faire acroire

        Qu’on les desgage par sergens52.

                        LA  MÈRE

        Ilz seront bien (par sainct Magloire)

        Amesnagés, pour jeunes gens.

                        SÉBILLE

125  Car il fault estre diligens

        De les espouser sans demeure53.

        Point n’en fault estre négligens,

        Car il fault estre diligens

        De les assembler par artz gens54.

130  [Si, fault-il que chascun labeure,]55

        Car il fault estre diligens

        De les espouser sans demeure.

.

                        LA  MÈRE 56                                          SCÈNE  V

        Approchez, enfans, bonne alleure57,

        Et nous baillez icy voz mains !

                        ROBIN

135  Vélà ma main bonne et seure.

                        [LA  MÈRE]

        Approchez, enfans, bonne alleure :

        [Il sera fait tout à ceste heure.]58

                        SÉBILLE

        Point ne fault avoir les cueurs vains.

        Approchez, enfans, bonne alleure,

140  Et nous baillez icy voz mains !

        Çà, de par Dieu et tous les sains !

        Vous mariez, baillant la main59 !

                        ROBIN

        Je suis content, point ne m’en fains60.

                        LA  MÈRE

        Çà, de par Dieu et tous les sains !

145  Tous les jours, soirs, [nuitz] et matins,

        Vous [vous] aymerez sans desdaing.

        Çà, de par Dieu et tous les sains !

        Vous mariez, baillant la main !

                        ROBIN,  baillant l’aneau à sa femme :

        « De cest aneau (qui est d’estain61)

150  T’espoux, et de mon corps t’onoure62 »,

        Qui n’est pas du tout trop villain.

        De cest aneau, qui est d’estain,

        Se suis ribault, seras putain.

        Chascun, donc, à son fait laboure63.

155  « De cest aneau (qui est d’estain)

        T’espoux, et de mon corps t’onoure. »

                        SÉBILLE

        Il [nous] fault (se Dieu nous secoure),

        Ma voisine, mettre la table.

                        LA  MÈRE

        C’est trèsbien dit : il est bonne heure64.

                        SÉBILLE

160  Il [nous] fault (se Dieu nous secoure)

        Tout apporter sans nul demoure.

        Et — qui nous est trèsconvenable —

        Il [nous] fault (se Dieu nous secoure),

        Ma voisine, mettre la table.

                        LA  MÈRE

165  À ceste feste trèsnotable

        Chascun s’assie pour disner !

                        ROBIN

        Au bout65 seray plus honnorable.

                        LA  MÈRE

        À ceste feste trèsnotable,

        L’espousée sera sortable66 ;

170  Près l’espousé la vueil mener.

        À ceste feste trèsnotable

        Chascun s’assie pour disner !

                        SÉBILLE

        Buvons, mengeons sans mot sonner.

        Puis après, chascun dancera.

                        ROBIN

175  À ce faire fault bien songner67.

                        SÉBILLE

        Buvons, mengeons sans mot sonner.

                        PEU-FILLE

        [J]e m’y sçay trèsbien gouverner :

        Parquoy, nul ne m’en reprenra68.

                        SÉBILLE

        Buvons, mengeons sans mot sonner.

180  Puis après, chascun dancera.

                        ROBIN

        Or sus, dançons ! Qui chantera

        La chançon que nous dancerons ?

                        PEU-FILLE

        Aultre que moy ce ne sera.

                        ROBIN

        Or sus, dançon ! Qui chantera ?

                        PEU-FILLE

185  Il me respondra qui69 vouldra.

        Puis après, coucher nous yrons.

                        ROBIN

        Or sus, dançon ! Qui chantera

        La chançon que nous dancerons ?

                        PEU-FILLE,  en chantant et dançant :

        Du « de profundis » nous joueron[s] 70

190  Aujourd’huy, c’est bien mon entente71.

                        LES  AULTRES  respondent en dançant et en chantant :

        Du « de proffundis » nous jouerons

        Aujourd’huy, c’est bien mon entente.

                        PEU-FILLE,  en chantant :

        Beaucoup plus aises en serons.

                        LES  AULTRES  respondent en chantant :

        Du « de profundis » nous jouerons.

                       PEU-FILLE,  en chantant :

195  Le bout des reins72 nous remuerons,

        C’est une chose bien décente.

                        LES  AULTRES  respondent en chantant :

        Du « de proffundis » nous jouerons

        Aujourd’huy, c’est bien mon entente.

                        SÉBILLE

        Je voys coucher sans plus d’attente73

200  L’espousée. À Dieu [je] vous dy !

                        LA  MÈRE

        C’est trèsbien dit, j’en suis contente.

                        SÉBILLE

        Je vois coucher sans plus d’attente

        L’espousée : [la] « chose » [est] patente74.

                        LA  MÈRE

        Il est temps, point n’y contredy.

                        SÉBILLE

205  Je vois coucher sans plus d’attente

        L’espousée. À Dieu [je] vous dy !75

.

                        LA  MÈRE                                               SCÈNE  VI

        Robin : comme preux et hardy,

        Va-t’en coucher emprès la belle !

                        ROBIN

        Rien, rien !

                        LA  MÈRE

                                Es-tu acouardi76 ?

210  Robin : comme preux et hardy,

        Sans point attendre à lundy,

        En l’accollant, monte sur elle !

        Robin : comme preux et hardy,

        Va-t’en coucher emprès la belle !

                        ROBIN

215  Porter me fault donc une eschelle

        Pour y monter plus à mon aise.

                        LA  MÈRE

        Monter il te fault sans escabelle77.

                        ROBIN

        Porter me fault donc une eschelle,

        De peur de blesser la pucelle.

                        LA  MÈRE

220  Point n’est de mal78, par saint Nicaise !

                        ROBIN

        Porter me fault donc une eschelle

        Pour y monter plus à mon aise.

.

        Or, Messeigneurs, ne vous desplaise !

        À Dieu toute79 la compaignie !

225  S’aucun est marry80, si s’apaise.

        Or, Messeigneurs, ne vous desplaise :

        Je m’en voys veoir (par sainct Gervaise)

        Se je trouveray ma mesgnye81.

        Or, Messeigneurs, ne vous desplaise !

230  À Dieu toute la compaignie !

.

                               EXPLICIT

*

1 On baptise les moutons Robin comme on baptise les ânes Martin : « Robin Mouton qui, par la ville,/ Me suivoit pour un peu de pain. » (J. de La Fontaine.) Appliqué à un homme, ce nom n’est guère plus flatteur que celui de Thibault L’Agnelet dans Pathelin. Rabelais l’utilise comme injure : « –Vous avez, ce croy-je, nom Robin Mouton. –Il vous plaist à dire ! –Vous avez nom Robin Mouton. Voyez ce mouton-là : il a nom Robin, comme vous. » Quart Livre, 6.   2 La sébile est une coupe qui sert à faire la quête ; or, la femme qui porte ce nom est très avare.   3 F : Peu subtille  (Cette jouisseuse est, au contraire, particulièrement subtile. Son nom n’apparaît jamais dans le texte, mais seulement dans 6 rubriques ; je lui restitue ce qui semble bien être son véritable patronyme.)  Pour s’en tenir aux farces, le nom de Peu-fille [peu vierge] est porté par une femme délurée dans Mahuet, dans le Pardonneur, et dans les Trois commères.   4 La mère de Robin est seule dans la maison.   5 Les enlumineurs peignaient le gland en rouge, comme on peut le voir ici, ici, ici, ici, ici, ou bien ici. Les enlumineuses en faisaient autant, comme elles le prouvent ici, ici, ici, ou encore ici.   6 Sans discuter davantage. « Sans que plus débatons,/ Il fault affiner ce galant. » Frère Frappart, qui est peut-être du même auteur que Robin Mouton.   7 Car s’il restait célibataire, il pourrait devenir débauché.   8 Dans Frère Frappart, « le Roy célestre » rime aussi avec « estre ».   9 Robin n’est pas à proprement parler un rôle de Sot, mais plutôt de Badin : « Les badins ne sont pas vrays Fols,/ Mais ilz ne sont ne sots ne sages. » Les Sobres Sotz.   10 Mignonne.   11 Agréable.   12 Sans m’arrêter ni faire nulle halte.   13 Nous ne le voyons pas encore : si la pièce a été jouée lors d’un banquet de noces, il est probablement caché sous une table couverte d’une nappe tombante.   14 Je repais, je nourris. Sur la proximité entre les Badins (ou les Sots) et les chats, voir la note 20 de Tout-ménage.   15 C’est mal dit ! La bouche qui expulse des mots est assimilée à un anus. Cf. Jolyet, vers 139.   16 Je veux te dire quelque chose.   17 F : cest   18 Prononciation dialectale. « Quant viandray,/ Encrouère [accroire] je luy feray/ Que je viens tout droet [droit] d’anfer. » Le Vilein, sa Femme et le Curé.   19 Pour peu.   20 Sans faire de pause.   21 Il se montre enfin.   22 Sans prendre le temps d’écrire un roman.   23 Tout de suite.   24 L’auteur orthographiera correctement « rigoler » aux refrains 46 et 49, mais il a voulu faire ici une transition avec la rime en -lez qui précède. Frère Frappart, qui est peut-être du même auteur, adopte pour la même raison un infinitif en -ez au vers 397.   25 Ce que.   26 L’ordre de Mariage : « En l’orde de saint mariage. » (ATILF.) De haut parage = de haute volée : « Sot de hault paraige. » Les Sotz escornéz.   27 Maîtresse.   28 De votre maison.   29 Je serais donc son valet ?   30 F : Par  (Refrain correct à 70 et 73.)  Je ne ferai pas une action si méprisable. « Se tu te boutes en mesnaige,/ Tu ne fis onc tel mesprison. » Régnault qui se marie.   31 Sans discussion. Les deux misogynes des Cris de Paris voudraient convaincre un Sot de se marier : « Vous serez maistre ! »   32 Nous ne prisons, nous n’estimons. Cf. André de La Vigne, vers 6.   33 Par-dessus ta femme.   34 On scande « t’o-bèy-ra » en 3 syllabes. Cf. Frère Frappart (qui est peut-être du même auteur), vers 227 et note.   35 Sans guile, sans tromperie.   36 F : est   37 En garde. Généralement, c’est l’époux qui est mis en tutelle : « Veulx-tu laisser jeulx et esbatz/ Pour t’aller bouter en tutelle ?…./ Jeune femme tient en tutelle/ Son mary. » Régnault qui se marie.   38 Est-ce une vieille. L’allusion à la lointaine ville et à ses faubourgs (v. 106) confirme que nous avons affaire à des campagnards.   39 À la place de mes vers 92-99, il y a une énorme lacune ; voici ce qu’en dit Jelle Koopmans : « Ici se trouvent deux feuillets (a3 et a4) de la Farce des Trois martyrs (nº XL). Ce qui a incité Lecoy à supposer que les textes viennent du même atelier. Ces feuillets contiennent les vv. 105-282 de la farce en question, si bien que l’on peut croire qu’il nous manque ici, dans la farce de Robin Mouton, au moins 150 vers. » Le Recueil de Florence, Paradigme, 2011, pp. 453-460.   40 Plus proche. « Cheulx vostre prochaine voisine. » (Le Raporteur.) Connaissant les noms de la belle-mère et de la promise, et sachant qu’elles sont voisines des Mouton (v. 158), j’ai complété ce triolet.   41 « Je croys qu’on l’apelle Alyson. » Le Marchant de pommes.   42 Agréable et mignonne. Je m’inspire des vers 20-21.   43 Sébile et sa fille sont venues chez les Mouton pour discuter la dot et le trousseau des mariés. Les deux mères sont de riches veuves très avares. Leur progéniture attend le résultat de ces tractations diplomatiques à l’écart.   44 Apportera pour sa contribution. Chez les paysans, le contrat de mariage mentionnait des animaux de ferme.   45 Depuis. La mère de Robin s’est donc rabattue sur Peu-fille après avoir tenté vainement d’acheter une citadine (v. 106) pour un denier tournois. La mère de Peu-fille accepte ces conditions inacceptables parce qu’il est urgent de marier sa fille, qui est enceinte.   46 F : faisant la tarte  (Sans marchander. « Sans rien rabattre,/ Voylà cinquante escus comptans. » Les Femmes qui font refondre leurs maris.)   47 Apportera en dot, sans délai. On retrouve le curieux pluriel « sans nulz séjours » dans Frère Frappart, qui semble être du même auteur.   48 Un verre.   49 Si je peux en trouver un dans quelque recoin. Cf. la Pippée, vers 347.   50 Un pot de chambre pour qu’ils puissent boire dedans.   51 F : seroit  (Refrain correct à 120 et 123.)  Ils seront bien installés.   52 Qu’on les fera saisir par des huissiers, étant donné qu’il n’y a rien à saisir. « Lequel sergent print l’un après l’autre (…) pour les vouloir despouiller et desgager. » Godefroy.   53 De les marier sans tarder, avant que la grossesse de Peu-fille ne soit trop visible. Jeu de mots : sans qu’ils aient de demeure, de logis. Pendant la lacune (note 39), il a été décidé que les tourtereaux vivront chez la mère de Robin.   54 Par de bonnes méthodes. Jeu de mots : Par de l’argent. Cf. Pour le Cry de la Bazoche, vers 496.   55 Il manque le 6e vers du triolet ABaAabAB. J’emprunte le vers 29 du Monde qu’on faict paistre, qui se traduit de la sorte : Aussi, il faut que chacun y travaille.   56 Elle fait venir les fiancés.   57 À une bonne allure, rapidement.   58 Ce sera vite fait. Je comble ce vers manquant avec le vers 166 du Savetier Audin.   59 Mariez-vous, en vous donnant la main pour sceller votre union : voir les Mal contentes, vers 153. Sans la bénédiction d’un curé, ce mariage n’a aucune valeur ; mais avait-on les moyens d’introduire un 5e personnage dans une modeste farce de noces ?   60 Je ne m’en cache pas (verbe se feindre).   61 Au nom de cette alliance, qui est en étain. Même les familles pauvres faisaient l’effort d’investir dans une alliance en argent. Chez les riches, elle était en or et s’ornait d’une pierre précieuse ou d’un portrait : cf. la Présentation des joyaux, vers 48-50.   62 « De isto anulo te desponso, et de corpore meo te honoro. » Les railleurs déclament cette formule dans un français vieillot : « Il dist ainsi par gaberie [plaisanterie] : De cest annel te espoux ! » (Bérinus.) Digne fils d’une avare, Robin se garde bien d’ajouter la suite : « Et de isto argento te doto. »   63 Labeure, travaille. Mais labourer = copuler. « Le povre mary s’esvertue/ De labourer. » Sermon pour une nopce.   64 La paysanne prononce houre, comme le paysan picard de la Pippée : « Environ ung jour et quatre houres. »   65 Au « haut bout » de la table, qu’on appelle aussi la place d’honneur. « À la table, avoir le hault bout. » (Saincte Caquette.) Les acteurs réquisitionnent une des tables du banquet.   66 Convenable. Cf. Deux hommes et leurs deux femmes, vers 448.   67 Soigner : avoir soin.   68 Forme picarde de « reprendra » : Nul n’y trouvera à redire, car je suis imbattable quand il s’agit de boire et de manger. C’est pour nous la 1ère intervention de Peu-fille, mais elle est arrivée chez son futur pendant la lacune (note 39) et elle a dû se présenter à ce moment-là.   69 Celui qui. Cet encouragement s’adresse au nouveau marié, de même que le vers qui suit.   70 Nous jouerons du cul : « Son noir cul au juge (elle) monstra…./ Mais si mal sa robe acoustra/ Que monstra son déprofondis. » (L’Amoureux passetemps.) La chanson est inconnue, mais pas le jeu qu’elle préconise : « La femme (…)/ Joua tant du de profundis/ Qu’elle fist cocu son mary. » (Guillaume Coquillart.) Il est probable que les musiciens qui sont venus faire danser la noce accompagnent nos chanteurs. La Farce sur un trait qu’a joué un porteur d’eau le jour de ses nopces fait intervenir des « violons » et même des « conviéz » ; ici, de vrais violonistes et de vrais convives jouent leur propre rôle.   71 Mon intention.   72 Le cul. « Femme qui porte les pentoufles/ Joue voulentiers du bout des rains ;/ Elle les a fort doulx et soupples/ Pour porter ces jeunes poulains. » (G. Coquillart.) Remuer le cul = copuler : « En remuant le cul bien vite. » Frère Phillebert.   73 F : attendre  (« J’entris sans plus d’atente. » Le Gentil homme et son Page. Je corrige la même faute aux refrains 202 et 205.)  Je vais coucher la mariée. Cette cérémonie protocolaire consiste à mettre la demoiselle en chemise de nuit, à lui faire accomplir quelques ablutions et à la parfumer, tout en lui expliquant ce qu’elle doit faire pendant la nuit de noces ; mais Peu-fille en sait déjà plus que sa mère, alors que celle de Robin va devoir tout apprendre à son puceau de fils.   74 La chose est évidente. « Dont concludz — la chose est patente —/ Qu’aujourd’uy, Toult-le-Monde est fol. » (Moral de Tout-le-Monde.) Double sens : sa vulve est ouverte. La chose désigne la vulve <Botines Gaultier, v. 184> ; patente = ouverte <Sotz fourréz de malice, v. 374>.   75 Sébile et sa fille vont dans la chambre nuptiale.   76 Rendu couard. Mais aussi : privé de coue, de queue. « Y sera tant acouardy,/ Mais que son bourdon [pour peu que son pénis] soyt lassé ! » Le Pèlerinage de Mariage.   77 F : estre selle  (Sans escabeau.)   78 Il n’y aurait pas de mal à cela. La mère a bien vu que sa belle-fille n’en est plus à son coup d’essai.   79 F : vous dy  (Refrain correct à 230.)  C’est le vers final d’un grand nombre de farces, notamment la Présentation des joyaux et Jolyet.   80 Si quelqu’un est fâché. Jeu de mots sur « mari ».   81 Ma maisnie : mes enfants. « Quant vient la mesgnie,/ Et qu’il convient estre nourice. » (Ung jeune moyne.) Peu-fille est donc enceinte jusqu’aux yeux, et elle risque d’accoucher pendant la nuit de noces. « Ung gros mignon espousa une fille/ Qui acoucha dès la nuyct ensuyvant. » (Mathieu Sohier.) C’est le thème d’une autre farce, Jolyet.

LES ENFANS DE BORGNEUX

Jérôme Bosch, Musée du Prado

Jérôme Bosch, Musée du Prado

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LES  ENFANS

DE  BORGNEUX

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Borgneux est une faute de lecture pour Boigneux (vers 263), qui est lui-même une faute de lecture pour Baigneux. À l’époque, Bagneux était un village agricole au sud de Paris, en pleine campagne. Les Parisiens se moquaient des paysans, qui les nourrissaient, en les affublant d’un accent picard1 : c’est le cas de nos deux habitants de Bagneux, comme ce fut le cas de Mahuet, qui était pourtant « natif de Baignolet ». Bagnolet est d’ailleurs nommé (v. 20), ainsi que d’autres villages proches de Paris2 : Clamard (v. 151), Gentilly (v. 157), Meudon (v. 166).

Jelle Koopmans3 attribue ce dialogue à Guillaume Crétin sur la foi de Charles Estienne, qui écrivait en 1543 : « Et quant aux Françoys, j’y mettray Pathelin avecq sa Guillemette & son drapier (…), Coquillart avecq son Plaidoyer4, Crétin avecq son Thibault Chènevote. » Le problème, c’est que le style emberlificoté de ce Grand Rhétoriqueur est sans le moindre rapport avec le style coulant de notre farce, où Thibaud Chènevotte n’est d’ailleurs que le faire-valoir du personnage principal, Guillot Tabouret, qui déclame 60 vers de plus que lui. Le nom « Thibaud Chènevotte » devait être proverbial : Jehan d’Abundance fit de lui l’un des signataires facétieux de sa Lettre d’escorniflerie (T 26), qui renferme beaucoup d’autres noms proverbiaux. Bref ! si Guillaume Crétin a composé une pièce intitulée Thibault Chènevote, force est de constater que ce n’est pas le présent dialogue.

Source : Recueil de Florence, nº 27.

Structure : Rimes abab/bcbc, rimes plates, aaba/bbcb.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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Farce des

Enfans de Borgneux

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À deux personages, c’est assavoir :

       GUILLOT  TABOURET

       TYBAULT  CHÈNEVOTE

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                        THIBAULT  CHÈNEVOTE 5  commence

        Hay, hay, hay6, Guillot Tabouret !

                        GUILLOT

        Hay, hay, [hay] !

                        TIBAULT

                                      Ventre sainct Canet7,

        Guillot ! Et, que tu es mignon !

                        GUILLOT

        Pourquoy ?

                        TIBAULT

                             Tu as ung beau bonnet

5      Tout fin pinpant.

                        GUILLOT

                                      Michié8 ! c’est mon.

        Et puis ?

                        TIBAULT

                         Tu fays du compaignon.

                        GUILLOT

        Et toy, tu trenches du gorrier9.

        Te marie-tu point ?

                        TIBAULT

                                          Nenny non !

        Me parle-tu de marier ? 10

                        GUILLOT

10    Ha, que tu es ung fin ouvrier11 !

                        TIBAULT

        Ma foy, [que] tu es ung fin hoste12 !

                        GUILLOT

        Tu es légier13 comme ung lévrier,

        Quant il faut piquer de la bocte14.

                        TIBAULT

        Sanc de moy15 ! Je n’y entens nocte

15    En ton fait, Guillot Tabouret.

                        GUILLOT

        Et pourquoy, Thibault Chènevote ?

                        TIBAULT

        Pour ce que t(u) es trop mignolet16.

        Que gibet17 ! Il n’y a varlet,

        Tant sache[-il] bien avoir de quoy,

20    D’icy jusque[s] à Bagnollet,

        Qui soit si bien au mignolet

        [Qui soit]18 si abille que toy.

                        GUILLOT

        Va, va ! Tu te mo(u)cques de moy,

        Mès19 toy, tu fringues comme raige.

                        TIBAULT

25    Non fois[-je], par la vertu goy20 !

        Mès dy-lay tousjours de21 couraige.

                        GUILLOT

        Thibault !

                        TIBAULT

                         Et quoy, [Guillot] ?

                        GUILLOT

                                                          Je gaige

        Que je devineray bien celle

        Que tu auras en mariage.

                        TIBAULT

30    Je gaige que non. Qui est-elle ?

                        GUILLOT

        N’esse pas Dy[ane la belle22] ?

                        TIBAULT

        Nenny non !

                        GUILLOT

                               Et ! si est[-ce], si.

        Quel mestier est-il qu’on la celle23 ?

                        TIBAULT

        Tru, tru ! Tu luy bailleras belle.

35    C’est tout le moins de mon souci.

                        GUILLOT

        Si24, l’ayme-tu bien. [Si fais, si !]

                        TIBAULT

        In Jan ! Aussi fais-tu les ti[e]nnes25 :

        Pour Michelette, Dieu merci,

        Il fault bien que tu l’entretiengnes.

                        GUILLOT

40    Voylà : chascun fait [bien] des siennes26

        Le mieulx qu’il peult.

                        TIBAULT

                                             C’est la façon.

        Te tarde-il point que ne la tienne[s]

        En l’ombre de quelque buisson27 ?

                        GUILLOT

        Tu es ung terrible garson !

45    Il te semble que tu y es.

                        TIBAULT

        Fourby luy as son pelisson28

        Maintes fois.

                        GUILLOT

                              Hée ! bona dïès29 !

        Te souvient-il que tu estiés30,

        L’autre hier31

                        TIBAULT

                                    Où ?

                        GUILLOT

                                              Bénédicité !

50    Ce fut ce jour que vous32 saultiez,

        Qu’il n’estoit plus d’orribleté.

                        TIBAULT

        O ! cela n’est qu’abilité33.

                        GUILLOT

        Par ta foy ! en as-tu jouy ?

                        TIBAULT

        Qu’ey-j[e] ouÿ34 ?

                        GUILLOT

                                        Se t(u) as point joutté35

55    À elle ?

                        TIBAULT

                         In Jaques36 ! ouÿ.

        Mès Dieu scet sy j’ay bien rouy

        Et rauldé37, premier qu’en avoir !

                        GUILLOT

        Tu en es tout fin resjouy.

                        TIBAULT

        Et quoy ! aussy, tu fais ton depvoir

60    [De te faire bien recepvoir]38

        Par la fille Perrin Piquet39.

                        GUILLOT

        Je la fus encor au soir veoir,

        En mectant ses porceaux en tect40.

                        TIBAULT

        La baisas-tu point ?

                        GUILLOT

                                          Ung tantet41.

                        TIBAULT

65    [Estoys-tu]42 aise ?

                        GUILLOT

                                          Ha, Nostre Dame !

                        TIBAULT

        T’estraingnit-elle point le det43 ?

                        GUILLOT

        Sy fit44, par la vertu mon âme !

        Mais de fin maleur, une femme

        Cuida tout gaster45.

                        TIBAULT

                                           Mès le diable !

                        GUILLOT

70    Par le [clair] jour, j’estoys infâme46,

        Si je n’eusse trouvé l’estable47.

                        TIBAULT

        C’est une chose espouventable

        Que d’estre pris en [tel] destour48.

        …………………………………. 49

                        GUILLOT

        C’est mon. Et puis, [dessoubz ung four50],

75    Je  cuidoye estre prins proprement.

                        TIBAULT

        Je te prie, compte-moy comment

        ………………………….. 51

                        GUILLOT

        J’entry [dans l’estable]52, et me cache

        En ung quignet53, [tousjours hardy]54.

        [Quant elle]55 vint tirer la vache,

80    Je la baisé à l’estourdy56.

                        TIBAULT

        Quant fut-ce ?

                        GUILLOT

                                  Ce fut [ung] mardy.

                        TIBAULT

        En ce point57 ?

                        GUILLOT

                                   En ce point, et  voylà.

        Comment [qu’il soit]58, m’y desgourdy

        Ung coup ou deux, et puis haulà !

                        TIBAULT

85    Et là, de par le gibet, là !

        Tu [luy] fis le sanglant pochon59 ?

                        GUILLOT

        Tantoine60 ! nous fismes cela

        En chantant l’Amy Bauldichon61.

        Vint62, de fin maleur, ung cochon

90    Qui me cuida faire faillir ;

        Je luy baillay si grant tourchon63

        Du pied que je le fis saillir64.

                        TIBAULT

        C’estoit assez pour tré[s]aillir

        De frayeur.

                        GUILLOT

                              Ventre sainct Grys65 !

95    [La peur me fit le cueur faillir.]66

        Je cuidoye que tout fust pri(n)s

        Fors que moy.

                        TIBAULT

                                 Hay, hay, hay !

                        GUILLOT

                                                          Tu t’en ry[s] ?

                        TIBAULT

        J’en ry. Et puis, que veulx-tu dire ?

                        GUILLOT

        Mauldy sois-je sy j[e m’]en ry[s] !

100  Ha, dea ! ce n’es[toit] point pour rire.

                        TIBAULT

        Pourquoy cela ? Pourquoy, béchire67 ?

                        [GUILLOT]

        Si j’eusse esté tenu privé68,

        On m’eust mis en prison de tire69

        Comme ung [vil] larron tout prouvé70.

                        TIBAULT

105  Tu estois [très] bien arrivé,

        Qui t’eust veu71.

                        GUILLOT

                                     Je r(e)gny72 mon serment !

        Qui m’eust tenu [ainsi grevé73],

        J’eusse eu des coups [bien] largement.

                        TIBAULT

        Je te pri, conte-moy comment

110  T(u) en eschapas.

                        GUILLOT

                                       Par sainct Michié !

        …………………………….., 74

        J’atendy que tout fut couché.

                        TIBAULT

        Et puis ?

                        GUILLOT

                         Je marché tout fin bellement75.

        Mais en passant par le marché,

        Je fus croté amèrement.

                        TIBAULT

115  Tu en es bien, et gentiment.

        Puisqu’elle t’aime [tout] ainsi,

        [Ce ne sera qu’esbatement.]76

                        GUILLOT

        [Si77 ay-]je le cueur tout transi,

        Béchire : celle fille-cy78

120  Ne m’aime point, [ne donne un zec79

        De ma personne].

                        TIBAULT

                                        Si fait, si !

                        GUILLOT

        Je voue80 à Dieu : j’en suis tout sec.

        Cuides-tu81 ? Le faux traist[r]e bec

        De sa belle ante lui82 jura

125  Que toy, ne moy, ne aultre avec,

        De ce village, ne l’aura.

                        TIBAULT

        Le dyable d’enfer la forga83 !

        Elle vit trop de la moitié84.

                        GUILLOT

        Jamais la vielle ne songa85

130  Que tout mal [faire86].

                        TIBAULT

                                               C’est pitié.

                        GUILLOT

        Si j’y87 metz, de l’ennée, le pié,

        Je vueil qu’on m’appelle Huet88 !

        ……………………………… 89

        Or, va [l’espouser] !

                        TIBAULT

                                           J’en appelle90 !

                        GUILLOT

        J’en auré bien une plus belle

135  Quant je vouldray, voire plus riche.

                        TIBAULT

        Que gibet ! Tu ne tiens riens d’elle ?

                        GUILLOT

        In Jaques ! non, s’il n’est en frische91.

        Mais quelque chose qu’elle disse92,

        Elle et tout le cariage93,

140  S’y fault q’une foys je m’i fiche94,

        Si l’auray-je en mariage !

                        TIBAULT

        Elle t’a donc promis ?

                        GUILLOT

                                         Tay-toy,  je gaige

        [Qu’aussi] j’ay bien intencion

        — Puisque je l’ay mis en [mon courage]95

145  D’avoir une citation96.

                        TIBAULT

        As-tu fait consultacion

        De cecy [touchant nullité97] ?

                        GUILLOT

        J’ay passé proculacion98

        [De] piéçà à l’adversité99.

                        TIBAULT

150  Fu[s-]tu pas, l’autre jour, cité

        Par100 ceste fille de Clamard ?

                        GUILLOT

        Que diable, bénédicité !

        J’en euz ung coup de braquemard101 ;

        Mès je [le] luy rendy gail[l]art :

155  Je n’euz pas couraige failly !

                        TIBAULT

        Ne  fusse pas contre ce paillart

        Colin Guilly102, de Gentilly ?

                        GUILLOT

        Tout juste !

                        TIBAULT

                             Est-il fort ?

                        GUILLOT

                                                 Qui, Guilly103 ?

        Nenny non : ce n’est q’une vache.

160  Il n’oseroit estre assailli

        Contre moy, je vueil qu’il le sache.

        [Et] s’y fault que je m’y atache,

        [Apportez-moy tost ung baston :]104

        Je r(e)gni sy je ne luy arrache

165  Le museau !

                        TIBAULT

                               Non feras[-tu], non.

                        GUILLOT

        Te souvient-il [point] qu’à Meudon

        Je bailly si belle orgemuse105 ?

                        TIBAULT

        À qui ?

                        GUILLOT

                       À ce villain goudon106

        Qui jouoyt de la cornemuse.

                        TIBAULT

170  C’est tout ainsy que j’en use107 :

        Pour ung coup, j’en baille sept.

                        GUILLOT

        Il ne fault point qu’on s’i amuse

        À me dire chose qui soit108 !

                        THIBAULT

        Mais di[s-moy], hay : quant Jehan Gosset

175  Nous vint oster nostre may109,

        Il en eut bien !

                        GUILLOT

                                   Dieu le scet !

        Il en eut à la bonne foy110.

                        THIBAULT

        Combien estiez-vous ?

                        GUILLOT

                                               Jour de moy !

        Il estient111 tout premièrement

180  Jehan Peillon (ce112 maulvais garson),

        Odin Bidault, et Robin Preudhom113,

        Richart Coutet, Gillet Basset,

        [Jehan] Michel. J’estiés114 six ou sept,

        Et si115, [ilz] s’en fuirent trèstous.

                        THIBAULT

185  Mais qui estoit avecques vous ?

                        GUILLOT

        J’estiés moy et toy.

                        THIBAULT

                                         Et qui encor ?

                        GUILLOT

        Et ! que sçay-je ? [Briffault, Paillart116,]

        Tire-Viret117, Martin Couillart,

        Et aussi le grant Guillot.

                        THIBAULT

190  Et ! que c’est ung gentil fillault118 !

                        GUILLOT

        Quelque vent qui puisse venter

        — Je ne dis pas pour me venter —,

        J’avois [sur eux]119 tousjours le bruit.

                        THIBAULT

        Mais j’ay ung point qui me destruit.

                        GUILLOT

195  Et quel point ?

                        THIBAULT

                                  Je suis trop franc.

        Aga120 ! se je n’avoye q’ung blanc,

        Et [que deux deniers tu voulois]121,

        La vertu goy, tu les aurois122 !

                        GUILLOT

        Autant123 te dis ! Il ne pert mie,

200  Aussi, à nostre filomie124,

        Que je n’avons gentil couraige125.

                        TIBAULT

        Vis-tu onc feste126 de village

        Aussi belle que fut la nostre ?

                        GUILLOT

        [La feste ?] Tantoine l’Apostre !

205  Ce fut jusques dedens la ville

        De Paris. Et si estoit habille

        Assez127.

                        TIBAULT

                           J’estïéz bien en point128.

                        GUILLOT

        Avois-je pas ung beau pourpoint ?

                        TIBAULT

        Nos livrées estiés gorrières129.

                        GUILLOT

210  Au ! que ces filles estiés fières,

        Quant je les menïés dancer !

                        TIBAULT

        C’estiés mon. [Pour mieulx trémoucer130,]

        Aussi, j’avès ung bon bedon131

        Qui faisoit si bien « don, don, [don] ».

                        GUILLOT

215  Dansay-je pas bien ?

                        TIBAULT

                                             Et moy, quoy ?

                        GUILLOT

        Oncques[-puis132], par la vertu goy,

        Je ne cessay d’estre amoureux.

                        TIBAULT

        Nous le sommes donques tous deux.

        Car, par le jour qui [sur] nous luit,

220  Onques-puis [je] ne dormi nuit :

        Je ne fais tousjours que songer,

        [Je pers le boire et le menger.]133

                        GUILLOT

        Quant je suis au champ, cuide-tu ?

        J’ay le cueur aussi abatu.

225  C’est grant pitié que de mon fait.

                        TIBAULT

        Sces-tu que134 ceste garce fait ?

        Quant je viens au soir, et je clique

        Mon fouet135, elle, [aussitost s’]136 attricque

        Et m’apporte ung bouquet gaillart.

                        GUILLOT

230  Et ! que mauldit soit le paillard,

        Se je le veulx ! Que tu es aise !

        Et que fais-tu ?

                        TIBAULT

                                    Je la baise

        [À désir137] ung bon horïon.

                        GUILLOT

        Je fay ainsi de Marïon ;

235  Mais [chez elle], elle est si hastive !

                        TIBAULT

        Pourquoy cela ?

                        GUILLOT

                                    Elle est craintive.

        Et puis on la tient trop subjecte138.

        Aulcuneffois139, elle me gecte

        Par la fenestre ung petit brin

240  De lavende ou de rommarin.

        Toutes les fois qu’el(le) me regarde,

        Elle rit. Sainct Anthoine m’arde140 !

        Cuide-tu ? J’en suis tout godin141.

        Mais son oncle, Tailleboudin142,

245  S’en est bien aperceu.

                        TIBAULT

                                             [Or] vien

        Çà : que luy as-tu donné ?

                        GUILLOT

                                                    Rien.

                        TIBAULT

        Et ! dy-le-moy, je te requier.

                        GUILLOT

        Je luy donné ung espinglier143

        Qui m’avoit cousté six tournas144.

                        TIBAULT

250  Mort d’homme, [Guillot], tu en as145 !

                        GUILLOT

        J’ay tousjours [pinte] à desjuner,

        Mon petit demy-cartier [à disner146],

        Et demistier tout [en ung tas]147.

                        [TIBAULT,  en chantant :]

        Cueilly, cueilly, belle bille, beau tas148.

                        GUILLOT

255  J’en ay ung poinson et deux caques149.

                        TIBAULT

        Se tu les gardes jusqu’à Pasques,

        Ilz te vauldront [bonne mémoire]150.

                        GUILLOT

        Mais ce sera — tu peuz bien croire —

        Pour me mettre sur le bon bout151.

                        TIBAULT

260  Je fringuerons152.

                        GUILLOT

                                      À tout153, à tout !

        Je ferons la feste nous deux.

                        TIBAULT

        Voire ! Et on dira partout :

        « Voilà les enfans de Boigneux ! »

                        GUILLOT

        Mais, beau sire, ces amoureux

265  De Paris, ont-il plus beau temps ?

                        THIBAULT

        Il sont plus [que nous maleureux]154,

        Car [aux champs], je sommes contens

        De ce que j’avons.

                        GUILLOT

                                         Je m’atens

        À faire plus, d’ung quarteron

270  D’esguilles155, à [ce que j’entens]156,

        Qu’ilz ne feront d’ung chaperon157.

                        TIBAULT

        Sans fournir158, ilz n’ont rien.

                        GUILLOT

                                                         Jehan159 ! non.

        Cuide-tu ? Les160 femmes de ville

        Ne font riens s’il n’ont, gros et bon,

275  La croix devant161. C’est le s[e]tille.

        C’est bruit qu’ilz ont le corps habille162.

                        THIBAULT

        Michel ! Aussi ont-ilz la main163 :

        Ilz prendront bien, au jourd’uy, mille164

        Bons escus, et autant demain.

                        GUILLOT

280  Ilz ont si beau cul !

                        THIBAULT

                                          Mais beau sain !

                        GUILLOT

        Je ne sçay, moy, dont vient l’usaige.

        Je croy qu’il n’ont point [le] cueur sain,

        D’estre si palles au visage165.

                        TIBAULT

        Par Dieu ! [nos] femmes de village

285  Sont aussi belles, soubz les draps,

        Tant pour tant et gaige pour gaige166,

        Que ceulx qui font tant de fratras167.

                        GUILLOT

        Il168 ont menu corps, menu bras.

        Il font bien, si bien, [les] sucr[é]es169 ;

290  Mon Dieu, [que] c’est fin ypocras170 !

                        TIBAULT

        S’elles171 sont ainsi acoutrées,

        Et fussent-ilz comme bourrées172,

        Il tient à ces façons nouvelles173

        Qu’il ont de ces robes fourées ;

295  Si les font-il devenir belles174.

                        GUILLOT

        Je r(e)gni ! [Ce] sont fines fumelles175.

        Il ont [ungs yeulx si très rians]176 !

                        [T]IBAULT

        J’en voys, au vilage, de telles

        Qui les ont presque aussy frians.

                        GUILLOT

300  L’autre jour vis, en chériant177,

        Celle-là.

                        TIBAULT

                        [Au jeu]178 d’amourettes,

        Il n’est tel plaisir récréant179

        Qu’estre180 aux champs avec les fillètes.

                        GUILLOT

        Aux champs, aux champs ! La ville put181 !

305  Faisons quelque beau vasselage182,

        Et frappons au blanc et au but183 !

        Il n’est amours que de village.

.

                               EXPLICIT

*

1 Halina Lewicka examine les tournures picardes et parisiennes de notre pièce dans ses Études sur l’ancienne farce française, p. 64.   2 Ils en étaient beaucoup plus éloignés qu’aujourd’hui, car la capitale n’était pas encore devenue cette ville tentaculaire qui a phagocyté tous les environs. Plusieurs arrondissements actuels n’étaient alors que des hameaux indépendants.   3 Le Recueil de Florence, Paradigme, 2011, pp. 389-400.   4 Le Plaidoyé d’entre la Simple et la Rusée, de Guillaume Coquillart. Voir l’édition des Œuvres de Coquillart publiée par Michael Freeman, Droz, 1975, pp. 3-55.   5 La chènevotte est du chanvre écorcé qui s’enflamme vite et qui aide le bois vert à flamber.   6 Retranscription du rire, comme au vers suivant et au vers 97.   7 « Ventre sainct Quénet ! Parlons de boire ! » Gargantua, 5.   8 Forme picarde de « par saint Michel » : voir les vers 110 et 277. C’est mon = c’est mon avis ; idem vers 74 et 212.   9 Tu fais l’élégant. Voir le vers 209. C’est dimanche : les deux villageois ne travaillent pas et ont revêtu leurs beaux habits pour plaire aux filles.   10 Même refrain de chanson au vers 448 du Povre Jouhan.   11 Un habile débrouillard, comme ceux qui esquivent une question gênante par une pirouette ou une chanson.   12 Allusion aux finesses que déploient les hôteliers pour se faire payer. « Quel fin hoste ! » Chagrinas.   13 Rapide.   14 Quand il faut fuir, ou esquiver une question embarrassante.   15 Par mon sang ! Cf. les Maraux enchesnéz, vers 65. Je n’y entends note = Je n’y comprends rien ; cf. le Prince et les deux Sotz, vers 58.   16 Mignon, plaisant. « Tu es » se prononce « t’es », à la manière parisienne ; idem vers 54 et 110.   17 Atténuation de : « Que diable ! » Idem vers 85 et 136.   18 F : Ne  (Qui soit aussi habile que toi.)   19 Mais. Idem vers 26, 56, 69, 154. Fringuer = se fringuer avec une élégance tapageuse. Mais aussi : culbuter une fille. « Trois foys il l’a fringuée à l’ombre d’ung buisson. » (Fringuez, moynes, fringuez.)   20 Je ne le fais pas, par la puissance de Dieu !   21 F : bon  (Mais dis-le toujours de bon cœur. « Vous estudïez de couraige. » Pernet qui va à l’escolle.)   22 Je comble arbitrairement cette lacune grâce au Miracle de saint Panthaléon : « Nanil, par Dyanne la belle ! » Les flatteurs baptiseront ainsi Diane de Poitiers : « Pour estre aimé de Diane la belle. » Clément Marot.   23 Quel besoin y a-t-il de taire son nom ? Mais seller une femme, c’est la chevaucher : cf. le Ribault marié, vers 459.   24 Pourtant. Idem vers 118 et 184.   25 Par saint Jean ! Tu aimes aussi les tiennes.   26 Fait avec les siennes, fait avec ses maîtresses. Mais « faire des siennes » = faire des bêtises. « Chascune fera bien des siennes. » Les Femmes qui aprennent à parler latin.   27 La note 40 d’Un qui se fait examiner explore ces buissons à l’ombre propice.   28 Sa fourrure, son pubis. « Pour me fourbir mon peliçon. » Ung jeune moyne.   29 Bonjour. C’est ce qu’on répond ironiquement à celui qui se mêle de nos histoires de fesses comme un curé. « Car mon cul te dit bona diès ! » La Trippière, F 52.   30 Que tu étais. On retrouve ces désinences pseudo-parisiennes aux vers 179, 183, 186, 207, 209, 210, 212.   31 F : iour  (L’autre jour. On scande l’au-trièr en 2 syllabes. « L’autre hyer, revenant de Monmartre. » Le Médecin qui guarist de toutes sortes de maladies.)   32 F : tu  (Que vous dansiez ensemble, tellement qu’il n’était rien de plus horrifique.)    33 Ce n’est qu’une question d’agilité. Cf. le Fossoieur et son Varlet, vers 11.   34 Que dis-tu ?   35 Entrepris une « joute » amoureuse. Cf. le Raporteur, vers 443.   36 Par saint Jacques ! Idem vers 137.   37 Macéré <Queues troussées, v. 253> et galopé <Marchebeau, v. 25>, avant de l’avoir.   38 Vers manquant. « Un très asseuré sauf-conduict pour le faire bien recevoir. » Pyramus de Candole.   39 La fille de P. Piquet, l’éleveur dont Guillot est l’homme à tout faire.   40 En rentrant ses porcs dans leur étable. « Mon mary jainct/ Comme ung pourceau dedans son tect,/ Quant il a foullé ung tantet/ La ‟vendenge”. » Raoullet Ployart.   41 Un tantinet, un peu.   42 F : Et toy  (Voir le vers 231.)   43 F : doy  (Le doigt. « Engrillonné pousses et detz [les pouces et les doigts attachés]/ Comme larron, car il fut des/ Escumeurs que voyons courir. » Villon.)  Serrer le doigt d’un homme est affectueux : « Je le tiens par le doigt./ La nuict, quand je me couche,/ [Il] se met auprès de moy. » (Mon père, aussi ma mère.)  Mais le doigt peut désigner le pénis : « J’ay gaigné la chaude-pisse ;/ Et du doy de quoy je pisse,/ On m’en a coupé le bout. » Chansons folastres.   44 F : fut  (Elle le fit.)   45 Les privautés hors mariage sont souvent gâchées par l’arrivée d’une importune : cf. le Poulier à sis personnages, vers 598-601.   46 En plein jour, j’aurais été déshonoré.   47 L’étable à cochons du vers 63. On ne compte plus les amants qui ont dû « s’en fuyr tout nud,/ Se cacher dedans une estable ». Pour le Cry de la Bazoche.   48 Dans une telle embuscade. « Quant je me treuve en tel destour. » Les Frans-archiers qui vont à Naples.   49 Lacune de 4 vers. L’aventure qui a débuté hier soir (v. 62) s’est terminée ce matin (v. 70). Thibaud rappelle maintenant à Guillot un épisode plus ancien.   50 F met cet hémistiche à la fin du vers 78. Les fours étaient des ouvrages de maçonnerie surélevés, sous lesquels on entreposait le bois de chauffe. Il était donc possible de se cacher dessous provisoirement.   51 Lacune de 3 vers. Thibaud interroge Guillot sur une autre de ses aventures, qui eut lieu un mardi (v. 81).   52 F : la   53 Dans un recoin. « En ung quingnet me mys secrètement. » Octovien de Saint-Gelais.   54 F : dessoubz ung four  (Voir la note 50.)  « Un chien est tousjours hardy sur son fumier. » Proverbe.   55 F : Tant quelle  (Quand la nièce de la tante du v. 124 vint traire la vache.)   56 Je l’embrassai sans réfléchir.   57 C’est tout ?   58 F : ie  (Quoi qu’il en soit, je m’y activai. « Comment qu’il soit,/ Je suis de luy trèsfort content. » Colin qui loue et despite Dieu.)   59 « PAUCHON, s.m., pieu. » René Debrie, Glossaire du moyen picard.   60 Par saint Antoine ! Idem vers 204.   61 « L’amy Baudichon, ma dame, l’amy Baudichon. » Nous avons perdu le texte complet de cette rengaine, mais le titre en fut souvent repris, notamment dans la chanson Une bergerotte : « Robin Taste-motte/ Leva son plisson [sa pelisse] ;/ Par-dessoulz sa cotte,/ Luy tasta son con./ Et luy dist : ‟Chanton/ Notte contre notte/ Et l’amy Baudichon.” »  Sur l’air de la chanson originale, Josquin Des Préz composa pieusement une Missa L’ami Baudichon.   62 F : Mais  (Le cochon, malgré son nom encourageant, fait lui aussi obstacle aux amoureux : « Puis Martin juche, et lourdement engaine./ Le porc eut peur, et Alix s’escria :/ ‟Serre, Martin ! Nostre pourceau m’entraîne !” » Marot.)   63 Coup. « Deschargez sur ce pèlerin/ Torchons plus drus que pois en pot ! » Godefroy.   64 Sortir de l’étable.   65 Par le ventre de saint François d’Assise, qui portait une robe grise.   66 Vers manquant. « La puanteur,/ Hélas, me faict faillir le cœur. » Le Retraict.   67 « BÉCHIRE : beau sire. » (R. Debrie, Glossaire du moyen picard.) Idem vers 119.   68 F : a prime  (Se dit d’un oiseau qu’on met en cage pour l’apprivoiser. « Ce petit oyseau se paist de toute sorte de pasture (…), mais estant tenu privé, il mange volontiers de la navette. » Pierre Belon.)   69 Tout d’un coup. Cf. Cautelleux, Barat et le Villain, vers 351.   70 Comme un fieffé voleur. « C’est un meschant laron prouvé ! » (Le Retraict.) Les vols de bétail étaient sévèrement punis, quand ils n’étaient pas commis par des soldats.   71 Tu serais bien tombé, si on t’avait vu ! « Me voicy trèsbien arrivé ! » Pernet qui va à l’escolle.   72 Je renie. Même contraction euphémique aux vers 164 et 296. Pour tromper le diable, on prononçait « jerni » ou « jarni » : jarnidieu !   73 Si on m’avait trouvé dans cette position de faiblesse. « Neptune seul se tient ainsi grevé. » Jacques Peletier du Mans.   74 Lacune de 2 vers. Guillot sort de l’étable, mais il doit attendre que toute la maison dorme avant de sauter le mur et d’atterrir dans la rue.   75 Une fois dehors, je marchai d’un bon pas. « Il marcheroit si bellement. » Les Femmes qui plantent leurs maris.   76 Vers manquant. J’emprunte le vers 259 de la Satyre pour les habitans d’Auxerre.   77 Pourtant. « Si ay-je merveilleux couraige. » Les Frans-archiers qui vont à Naples.   78 F : la   79 Ne donne pas même une coquille de noix. « Je n’en donne ung zec. » Le Résolu.   80 F : feue  (Je prends Dieu à témoin. « Je voue à Dieu et sainct Martin. » Les Mal contentes.)   81 Le croirais-tu ? Idem vers 223, 243 et 273.   82 F : qui  (La bouche médisante de sa tante lui jura… Cf. l’Antéchrist, vers 16.)   83 Forgea cette tante. Même « g » dur picard à la rime : song[e]a.   84 Elle a vécu deux fois trop longtemps.   85 Jamais cette vieille ne songea, ne machina.   86 « À tout mal faire se déduisoit, & de bien faire ne luy chaloit. » Robert le Diable.   87 F : icy  (Le « c » est de trop.)  Si, de toute l’année, je mets le pied dans son étable.   88 Je veux bien qu’on me traite d’imbécile. « Je veulx qu’on m’appelle Huet/ Se, de moy, il a jà tournoys [un sou] ! » Te rogamus audi nos.   89 Lacune de 5 vers. Thibaud vante les mérites de la nièce ; Guillot lui répond qu’il n’a qu’à l’épouser.   90 Je fais appel, je m’y oppose. Cf. le Marchant de pommes, vers 175. C’est le premier terme juridique d’une longue série.   91 Si son sexe n’est pas en manque. « Povres femmelettes en friche/ Par faulte d’estre ‟labourées”. » G. Coquillart.   92 Qu’elle dise. Les Picards prononçaient « diche » : Debrie, Glossaire du moyen picard, p. 151.   93 Toute sa famille, et notamment la tante, qui refuse de m’accorder sa nièce. « Mon frère est sot et ma seur sote,/ Et moy, et tout leur cariage. » Rondeau.   94 Que je me fourre dans son vagin pour la mettre enceinte.   95 F : ma teste  (Dans mon cœur, dans mon esprit. « Soubdainement, je miz en mon couraige/ De vous escripre. » Michel d’Amboise.)   96 Une citation à comparaître devant elle : d’obtenir un rendez-vous galant. Les deux hommes détournent le jargon judiciaire à des fins érotiques ; le théâtre basochien repose sur de tels détournements. Voir la notice de Pour le Cry de la Bazoche.   97 L’official prononce la nullité d’un mariage qui n’a pas été consommé.   98 F : procultacion  (Procuration. « Porteur et chargé de proculation…. La ditte proculation portant pouvoir au dis Charles Viollet de passer acte en forme de transaction. » Archives de Gournay.)  Jeu de mots sur cul. « Sy vous faictes cullation,/ Mounyère, avec monsieur le brave. » Le Poulier à sis personnages.   99 F : la diuersite  (Depuis longtemps à la partie adverse.)   100 F : Pour  (Cité à comparaître devant l’Officialité, pour l’avoir mise enceinte.)   101 Un coup de semonce, un avertissement. Mais le double sens phallique du braquemart ne tarde pas à émerger.   102 F : guillon  (Le nom de Guilly existe, et il est nécessaire pour la rime du vers suivant.)   103 F : luy   104 Vers manquant. « Apportez-moy tost un baston,/ Que je luy casse le museau ! » Jéninot qui fist un roy de son chat.   105 Un coup. « Tien ! pren celle orgemuse ! » ATILF.   106 On traitait les Anglais de « godons » : cf. les Coppieurs et Lardeurs, vers 225 et note. La cornemuse semble viser les Écossais composant la garde des archers du roi : cf. la Satyre pour les habitans d’Auxerre, vers 129-130.   107 À partir d’ici, beaucoup de vers ne font que 7 syllabes alors que leur sens et leur rime sont satisfaisants, comme si l’auteur n’avait pas eu le temps de les peaufiner. Je n’y toucherai donc pas.   108 Quelque injure que ce soit. On prononce « sè ».   109 Selon une coutume peu catholique — elle remonte aux druides —, le premier mai, on jonchait avec de la verdure (du houx, des branches de hêtre) le seuil de sa promise ou des gens auxquels on voulait porter bonheur. Si ce houx était dérobé, cela portait malheur. Notre dialogue est peut-être l’œuvre des basochiens de Paris qui, le dernier samedi du mois de mai, plantaient un « may » — c’est-à-dire un arbre — dans la cour du Palais de justice.   110 Il eut des coups en toute naïveté. Cf. les Femmes qui font refondre leurs maris, vers 447.   111 Ils étaient : il y avait, du côté de nos ennemis.   112 F : et   113 F : preudhomme  (On prononçait prudon : « Vaillans preudhoms,/ N’oubliez pas ces beaux pardons. » Saincte Caquette.)   114 De mon côté, nous n’étions que 6 ou 7.   115 Et pourtant, nos adversaires…   116 J’emprunte au Capitaine Mal-en-point le nom de ces deux soldats plus enclins à attaquer une cuisine qu’une forteresse.   117 Tire flèche.   118 Un bon compagnon. « Tenez, la belle : ay-je trouvé,/ À ceste heure, ung gentil fillault. » Ung jeune moyne.   119 F : deux  (J’avais l’avantage sur nos ennemis. « [Gens d’entendement] haront le bruit sus eulx certainement. » Pronostication d’Habenragel.)   120 Regarde ! Cette exclamation est plus normande que picarde, comme « dis-lay » au vers 26 ; mais l’essentiel est de faire patoiser les deux paysans.   121 F : tu voulois les deux deniers  (Un blanc vaut 5 deniers.)   122 F : ouroies   123 F : Autel  (J’en ai autant à ton service.)   124 Il ne paraît pas, d’après notre physionomie. « Un beau personnaige représentant ou figurant le Roy, choisi au plus près de sa philomie. » Godefroy.   125 Que nous n’ayons pas un cœur valeureux.   126 F : teste   127 Et elle était très bien organisée.   128 J’étais élégant.   129 Nos costumes étaient pimpants.   130 « Et verrons qui mieulx dencera/ Et qui mieulx se trémoucera. » ATILF.   131 Il y avait un bon tambour. « Ne dancer qu’au joly bedon. » Sermon pour une nopce.   132 Jamais depuis. Idem vers 220.   133 Vers manquant. J’emprunte le vers 82 des Chambèrières qui vont à la messe.   134 Ce que. « Garce », féminin de « gars », n’est pas péjoratif ; voir la notice de Frère Phillebert.   135 Et que je fais claquer mon fouet à bœufs pour lui signaler mon arrivée sans prendre le risque de frapper à sa porte.   136 F : sen  (Elle s’attife.)   137 « Baiser, acoller à désir. » (Les Femmes qui demandent les arrérages.) Je l’embrasse un bon coup. Mais aussi : Je la besogne un bon coup. Baiser = copuler : voir la note 130 du Povre Jouhan et la note 29 du Trocheur de maris.  Horion = coup de pénis : « La dame (…) s’escrye, disant que son ‟escu” n’estoit assez puissant pour recevoir les horions de si gros fust. » Cent Nouvelles nouvelles, 86.   138 Son oncle la traite comme une servante.   139 Parfois.   140 F : tarde  (Que le mal des ardents me consume ! « Que le feu sainct Anthoine m’arde/ Se je ne luy baille sa part ! » La Nourrisse et la Chambèrière.)   141 Réjoui.   142 Ce nom, plébiscité par la littérature joyeuse, est ici donné à un négociant en vin. Traditionnellement, les buveurs se gavent de charcuterie salée parce qu’elle donne envie de boire. « –Et apportez force de vin !/ –Faciem [que je fasse] force de boudins. » Les Sotz nouveaulx farcéz.   143 Un étui à épingles. Guillaume Coquillart regrette l’époque où les femmes se contentaient de si peu : « On aymoit pour ung tabouret*,/ Pour ung espinglier de velours./ Aujourd’huy, il fault le corset,/ Ou bailler dix escus d’ung tret. »  *Guillot Tabouret porte le nom des coffres à bijoux « appelléz tabouretz, sur les couvercles desquelz on mect des espingles ». Godefroy.   144 6 deniers tournois (prononciation picarde).   145 Tu as de l’argent (ironique). Ou bien : tu as des cornes, puisqu’une maîtresse si mal entretenue ne peut que te cocufier.   146 Un demi-quart de vin au dîner. « Pinte à soupper, pinte à disner,/ Et puis chopine à desjeuner. » (Le Capitaine Mal-en-point.) La nièce du marchand de vin veille à ce que son prétendant ne se dessèche pas.   147 F : entier  (Et un demi-sétier de vin en même temps. « Adieu toute ceste assemblée,/ Pelle-melle, tout en ung tas ! » Le Povre Jouhan.)   148 Une grande quantité, un gros tas. Ce décasyllabe hermétique semble provenir d’une comptine.   149 J’ai obtenu d’elle un tonneau et deux barriques. « On ne trouvoit que ung caque de vin, ou ung poinsson tout au plus. » ATILF.   150 F : de bon argent  (Pâques est le moment où l’on se confesse ; il faut alors se souvenir de tous les péchés qu’on a commis dans l’année : « –Si le fault-il dire/ Au confesseur, quant vient, à Pasques./ –Quant j’y suis, il ne m’en souvient. <Les Chambèrières et Débat.> Par chance, le vin développe la mémoire : « –Versez à boyre seullement !/ –Et, aurez très bonne mémoyre. » Deux hommes et leurs deux femmes.)   151 Je vendrai ce vin pour me mettre sur mon trente-et-un. « (Il) m’a mis dessus le bon bout. » Pour le Cry de la Bazoche.   152 Nous frimerons. Idem vers 24.   153 Allons ! « Sus, sus, à tout ! » Les Botines Gaultier.   154 F : maleureux que nous   155 F : Despuilles  (Avec 25 aiguilles : grâce à l’épinglier que j’ai offert à Marion au vers 248.)   156 F : mon intencion  (À mon avis. « À ce que j’entens,/ Ce Caresme, avons eu bon temps. » L’Antéchrist.)   157 En offrant à leur amie un chaperon. Cela suffit pour acheter les faveurs d’une femme ; cf. le Gallant quy a faict le coup, vers 41 et note.   158 S’ils ne fournissent pas d’argent.   159 F : In iaques  (« Jehan ! » = par saint Jean. Cf. le Marchant de pommes, vers 1.)   160 F : des   161 La pièce frappée d’une croix avant toute chose : « Je resemble aux archevesques : je ne marche point si la croix ne va devant. » (Pierre de Larivey.)  C’est le style = c’est la façon de maintenant. « C’est la fasçon, c’est le setille. » Les Coppieurs et Lardeurs.   162 Il est de notoriété publique qu’elles sont habiles de leur corps.   163 Elles ont aussi la main habile quand il s’agit de prendre l’argent de leurs clients.   164 F : mise   165 Guillot fait mine de croire que la pâleur des Parisiennes est due à leur mauvaise santé, alors qu’elle est due au maquillage.   166 En comparaison.   167 Que celles qui font tant de chichis. La forme fratras est correcte : voir par exemple les vers 56 et 63 des Sotz qui corrigent le Magnificat.   168 Les Parisiennes.   169 Les doucereuses. « Je n’ay dueil que des vieilles dogues/ Qui font les sucrées. » Dyalogue pour jeunes enfans.   170 L’hypocras est un vin médicinal dont on ne se méfie pas parce qu’il est très doux, mais qui fait vite tourner la tête.   171 F : Celes  (Si elles. « Leurs culz fourréz cherroient embas,/ S’elles n’estoient ainsi senglées. » Les Sotz qui corrigent le Magnificat.)   172 Si leurs fesses ont l’air d’être rembourrées par un faux cul. « Celles qui deux culs supportent/ Sous les robes qu’elles portent,/ Desquels l’un, de chair, la nuit/ Leur sert à prendre déduict ;/ L’autre, de crins et de bourre,/ Autour leurs fesses embourre. » (Pierre Le Loyer.) F descend ce vers après 294.   173 F : nonuellez  (Cela tient à ces modes nouvelles. Cf. les Femmes qui plantent leurs maris, vers 377.)   174 Leurs robes rembourrées les font devenir belles.   175 Je renie Dieu ! Ce sont des femmes malignes.   176 F : ung yeuly si atirens  (Uns yeux = une paire d’yeux : « Elle vous a uns yeulx petis…./ A ! que vous avez ungs fins yeulx. » La Pippée.)  La rime — et une longue tradition — postule pour l’adjectif riants : « Car il a si très rians yeulx. » Moralité de Fortune.   177 En conduisant ma charrette. Guillot montre une des spectatrices.   178 F : Aga pour parler  (« Alons derière le rydeau/ Acomplir le jeu d’amourètes. » Le Poulier à sis personnages.)   179 F : recouuert  (Il n’est pas de plaisir si divertissant. Les Picards prononçaient « récriant ».)   180 F : Que destre   181 Pue. Les citadins n’ont pas attendu Rousseau pour s’extasier béatement sur une nature dont ils ignorent tout : « Fi, fi, la ville put ! Les champs et les fustaies,/ Le doux chant des oiseaux, ne sont point destinéz/ Pour ceux qui sont tousjours aux villes confinéz. » Claude Gauchet, le Plaisir des champs.   182 Un bel acte de bravoure, ici ramené au domaine sexuel.   183 Tirons dans la cible féminine.

LE MARCHANT DE POMMES ET D’EULX

Ms. La Vallière

Ms. La Vallière

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LE  MARCHANT  DE

POMMES  ET  D’EULX

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Ce Marchand de pommes et d’œufs mêle cinq thèmes comiques qui ont fait leurs preuves séparément : 1> Un paysan madré mais peu doué qui va vendre à la ville. (Voir Cautelleux, Barat et le Villain.) 2> Un sourd qui répond toujours à côté. (Voir le Sourd, son Varlet et l’Yverongne.) 3> Une bagarre de femmes sur un marché. (Voir l’Antéchrist.) 4> Des fonctionnaires de justice corrompus. (Voir Lucas Sergent.) 5> Des bavardes impénitentes. (Voir Saincte Caquette.)

Source : Manuscrit La Vallière, nº 71. L’état relativement bon de cette pièce rouennaise démontre qu’elle n’était pas écrite depuis longtemps lorsqu’elle fut copiée dans ce manuscrit, vers 1575. Beaucoup de rubriques sont abrégées : je les complète tacitement.

Structure : Rimes abab/bcbc, rimes plates, avec 4 triolets.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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Farce nouvelle

À .V. personnages, c’est asçavoir :

       LE  MARCHANT  DE  POMMES  ET  D’EULX

       L’APOINCTEUR

       LE  SERGENT

       et  DEULX  FEMMES

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                        LE  MARCHANT  commence en chantant      SCÈNE  I

        Hélas ! Jehan ! Je ne me puys lever au matin.1

        Y m’est prins à mon avertin2

        D’aller au marché. Dont3, irai-ge ?

        Je ne sçay. Mais, par sainct Martin,

5      Y m’est prins à mon avertin.

        S’y survyent Bardin ou Bertin4,

        Combien marchandise vendrai-ge ?

        Y m’est prins à mon avertin

        D’aller au marché. Dont, irai-ge ?

10    Mais à qui m’en consilerai-ge5 ?

        G’y voys6 : c’est le myeulx, ce me semble.

        Et dont, se g’y voys, porterai-ge

        Mes eux7 et mes pommes ensemble ?

        Ouy, y fault que je les assemble8.

15    Et bien, les voylà amassés.

        Mais de grand peur le cul me tremble9

        De mes eux, qu’i ne soyent cassés.

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                        L’APOINCTEUR 10  commence             SCÈNE  II

        Sommes-nous tennés11 et lassés

        D’amasser et de profiter ?

                        LE  SERGENT  entre

20    L’on ne nous séroyt effriter12,

        Sy nous voyons quelque débat,

        Que nous n’en eussions pour l’esbat,

        Au moins, un bien petit13 d’argent.

                        L’APOINCTEUR

        Voyre pour vous, gentil sergent.

25    De cela ne vous suys flateur14.

                        LE  SERGENT

        Mais pour vous, monsieur l’apoincteur !

        Vous estes tousjours prest de prendre.

                        L’APOINCTEUR

        Ma foy, on ne nous doibt reprendre15

        De prendre : c’est nostre entreprise16.

                        LE  SERGENT

30    Je comprens qu’on doibt nul17 su[r]prendre

        De prendre, qu’on ne nous desprise.

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                        LE  MARCHANT                                    SCÈNE  III

        Que tant marchandise je prise18 !

        Aussy, tout mon bien g’y consommes.

        C’est pourquoy marchandise ay prise

35    Pour la vendre. Adieu, pommes, pommes ! 19

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                        L’APOINCTEUR                                    SCÈNE  IV

        Maintenant au marché nous sommes.

        Y n’est pas qu’i n’y vienne plaict20.

                        LE   SERGENT

        Tournÿons21 un peu, s’y vous plaict,

        Atendans le cours du marché22.

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                        LA  PREMIÈRE  FEMME  entre 23      SCÈNE  V

40    Hay avant ! c’est assez presché,

        Voysine. Voulez-vous venir ?

                        LA  IIe  FEMME  entre

        Mon pié est deisjà desmarché24.

        Hay avant !

                        LA  PREMIÈRE  FEMME

                             C’est assez presché.

                        LA  IIe  FEMME

        Mais que marché ayons cherché25,

45    Achèterons-nous ?

                        LA  PREMIÈRE  FEMME

                                        Tant tenir26 !

        Hay avant !

                        LA  IIe  FEMME

                             C’est assez presché,

        Voysine.

                        LA  PREMIÈRE  FEMME

                        Voulez-vous venir ?

                        LA  IIe  FEMME

        Dea ! quoy qu’il en doybve advenir,

        Au marché veulx bien achater.

50    Et premyer qu’achaster, taster27,

        De peur que je ne soys trompée.

                        LA  PREMIÈRE  FEMME

        Sy d’engin28 je suys atrapée,

        Ce sera le commencement29.

                        LA  IIe  FEMME

        Jamais d’engin ne fus frapée,

55    Que de mon mary seulement.

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                        LE  MARCHANT                                    SCÈNE  VI

        Or voécy quelque assemblement.

        Je voys30 desployer par exprès

        Mes pommes et mes eulx, vrayment.

        Qui en veult ? « À mes beaulx eulx31 frais !! »

                        LA  PREMIÈRE  FEMME

60    Mon amy, qu’esse que tu brais ?

        Que veulx-tu vendre ? Tout cecy ?

                        LA  IIe  FEMME

        Tout cecy ne vault pas…

                        LE  MARCHANT

                                                Mes brays32 !

        Ne les patrouillez poinct ainsy33 !

        L’une34 de vos deulx a vessy :

65    C’est de malice, je m’en gage.

                        LA  PREMIÈRE  FEMME

        La bonne dérée35 est icy ;

       Tout des[so]us, ce n’est que bagage36.

                        LE  MARCHANT

        Ilz sont ponnus37 dens une cage,

        Vous ne cuydez pas sy bien dire.

                        LA  IIe  FEMME 38

70    Voicy une poyre bocage.

                        LE  MARCHANT

        Je ne vous veulx poinct escondire39.

        Tendez40 !

                        LA  PREMIÈRE  FEMME

                            Combien, sans contredire ?

        Mais que vos pommes sont menus !

                        LE  MARCHANT

        Mais vous, me venez-vous mauldire ?

75    Ilz sont vrayment nouveaulx ponnus,

        Voyez.

                        LA  IIe  FEMME

                      Nous sommes bien venus,

        Et ne sarions myeulx adresser41.

                        LE  MARCHANT

        S’y ne sont [dignes de Vénus]42,

        Je veulx estre prest d’escorcher !

                        [LA  IIe  FEMME]43

80    Quans eux pour un blanc44 ?

                        LE  MARCHANT

                                                       Tant prescher !

        Je les plévys de reuvÿel45.

                        LA  IIe  FEMME

        Sont y frais ?

                        LE  MARCHANT

                               Alez en chercher !

        Y46 sont plus doulces que mÿel.

                        LA  PREMIÈRE  FEMME

        Il est sourd.

                        LE  MARCHANT

                              Queuillyes de nou[v]el47,

85    Vous di-ge. Est-il pas bon à voir ?

                        LA  IIe  FEMME

        Combien le cent48 ?

                        LE  MARCHANT

                                           C’est fruyct nouvel,

        De bon goust49, qui en veult avoir.

        Meilleures on n’en peult trouver.

        Mais de vous je suys trop fâché

90    Sy je ne vens comme au marché.

        Pourquoy marchandez-vous à moy

        Sy n’avez argent50 ?

                        LA  PREMIÈRE  FEMME

                                           Tant d’esmoy !

                        LE  MARCHANT

        Troys blans.

                        LA  [PREMIÈRE  FEMME]51

                              Myeulx proposer ne vis.

                        LE  MARCHANT

        Quoy ? Dictes-vous qu’i sont couvys52 ?

95    Vous mentez, c’est chose certaine !

        Tendez, vous en aurez l’étraine53.

        Venez-moy voir une aultre foys.

        [Tendez] ! En preult54, et deulx,55 et troys.

        Y portent leur chucre avec56 eulx.

100  Vos tabliers sont bien estroys.

        Tendez57 ! En preult, et deulx, et troys.

                        LA  PREMIÈRE  FEMME

        Des pommes vous avez le choys58.

                        LA  IIe  FEMME

        Et le choys vous avez des eulx.

                        LE  MARCHANT

        [Tendez ! En]59 preu, [et] deulx, [et] troys.

105  Y portent leur chucre avec eux.

        ………………………….. 60

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                        L’APOINCTEUR                                     SCÈNE  VII

        Maintenant ne sommes pas seulx61 :

        Voycy le marché qui s’assemble.

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                        LE  MARCHANT                                    SCÈNE  VIII

        Servies62 ne sériez estre ensemble ;

        Targez63 un peu.

                        LA  PREMIÈRE  FEMME

                                      Servye seray !

                        LA  IIe  FEMME

110  Aussy serai-ge, ce me semble !

                        LA  PREMIÈRE  FEMME,  remétant les eux 64 :

        Et moy, quoy ?

                        LE  MARCHANT

                                   Je m’en passeray.

                        LA  IIe  FEMME

        Aussy bien que vous [je feray]65 !

                        LA  PREMIÈRE  FEMME

        Sy de ma main je vous atains…

                        LE  MARCHANT

        Là, là !

                        LA  IIe  FEMME

                      Je vous avanceray…

                        LA  PREMIÈRE  FEMME

115  Et quoy ?

                        LA  IIe  FEMME

                          Ma main dessus vos crains66 !

                        LA  PREMIÈRE  FEMME

        Qui, vous ?

                        LA  IIe  FEMME

                              Guères je ne vous crains.

                        LA  PREMIÈRE  FEMME

        Vos fièbvres cartaines, alez !

                        LA  IIe  FEMME

        Mais à vous-mesmes, bien estrains67 !

                        LA  PREMIÈRE  FEMME

        Regardez à qui vous parlez !

                        LE  MARCHANT

120  Hardiment crévechers volez68.

                        LA  IIe  FEMME

        M’a[s-]tu pas toute deffulée69 ?

                        LE  MARCHANT

        Et !  ho ! ho ! Vous vous entre-afolez70.

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                        LE  SERGENT 71                                    SCÈNE  IX

        Corps bieu ! il y aura meslée72 :

        Alons-y comme à la volée,

125  Car il y gist apoinctement73.

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                        LE  MARCHANT                                    SCÈNE  X

        Ma derrée est bien estallée74 !

                        LA  PREMIÈRE  FEMME

        En as-tu75 ?

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                        L’APOINCTEUR                                    SCÈNE  XI

                               Alons vitement !

        Qu’esse-cy ? Hau ! tout bellement76 !

        Je vous envoyray là-dedens77.

                        LA  IIe  FEMME

130  Un coup n’auras pas seulement78 !

                        LA  PREMIÈRE  FEMME

        Tu mentiras parmy les dens79 !

                        L’APOINCTEUR

        Ostez-moy tous ces accidens80 !

        Pourquoy est ainsy meu[e]81 leur noyse ?

                        LE  MARCHANT

        Y82 sentent comme la framboyse ;

135  Mylleures qu’e[ux] ne vistes onques.

                        LA  IIe  FEMME

        Monsieur !

                        LA  PREMIÈRE  FEMME

                            Monsieur !

                        L’APOINCTEUR

                                                Taisez-vous donques83 !

        Sergent, mectez-les en prison !

                        LE  MARCHANT

        Monsieur, je n’en says rien quelconques.

        Je croys qu’on l’apelle Alyson.

                        LE  SERGENT

140  Ce n’est poinct ce qu’on devison84 :

        D’où vient leur débat ?

                        LE  MARCHANT

                                               Par mydieulx !

        Que je soys payé ! C’est raison :

        Ilz85 ont mes pommes et mes eux.

                        LA  IIe  FEMME

        Monsieur !

                        LA  PREMIÈRE  FEMME

                            Et !

                        L’APOINCTEUR

                                     Taisez-vous tous deulx86 !

                        LE  SERGENT

145  Mais pour quoy sont [meus leurs]87 débas ?

                        LE  MARCHANT

        Et de tirer à beaulx cheveulx88 !

        Jamais je ne vis telz esbas.

                        LA  IIe  FEMME

        El m’a faict…

                        LE  MARCHANT

                               Y font les combas.

                        LA  PREMIÈRE  FEMME

        Monsieur, el m’a…

                        LE  MARCHANT

                                         Monsieur, mes pommes,

150  Qui m’en payera ?

                        L’APOINCTEUR

                                        Paix ! Parlez bas !

                        LE  MARCHANT

        Grand mercys !

                        L’APOINCTEUR

                                   Où esse que nous sommes !

        Faictes-vous tel honneur aulx hommes

        Qui sont de Justice ?

                        LE  SERGENT

                                            Paix là !

                        LE  MARCHANT

        J’en avoys envyron deulx sommes89

155  Que j’ey vendus.

                        LA  IIe  FEMME

                                     Monsieur !

                        LA  PREMIÈRE  FEMME

                                                         Elle a…

                        L’APOINCTEUR

        Enda90 !

                        LE  MARCHANT 91

                          La pire, la vélà ;

        Regardez-là entre deulx yeulx.

                        LA  IIe  FEMME

        C’est elle !

                        LA  PREMIÈRE  FEMME

                           Mais elle !

                        L’APOINCTEUR

                                               Hollà !

                        LE  MARCHANT

        Da ! ceste-là tence le myeulx.

                        LE  SERGENT

160  Tous troys ne serez pas joyeulx,

        S’y fault qu’en la prison vous mène92.

                        LA  IIe  FEMME

        Monsieur !

                        LA  PREMIÈRE  FEMME

                             Elle…

                        L’APOINCTEUR

                                        Y sont hors d’alaine.

        Contez vostre cas tout en paix !

                        LA  IIe  FEMME

        Et, Monsieur !

                        LA  PREMIÈRE  FEMME

                                  Monsieur !

                        L’APOINCTEUR

                                                      Paix là !

                        LE  SERGENT

                                                                     Paix !

                        LE  MARCHANT

165  Elle a commencé la premyère.

                        LA  IIe  FEMME

        Monsieur, c’est ma…

                        LA  PREMIÈRE  FEMME

                                           C’est ma commère !

                        LA  IIe  FEMME

        C’est ma…

                        LE  MARCHANT

                           Que payement on m’assine93 !

                        LE  SERGENT

        Paix !

                        LA  IIe  FEMME

                    [Monsieur,] c’est…

                        LA  PREMIÈRE  FEMME

                                                    C’est ma voisine !

                        LE  MARCHANT

        Y m’ont — par Dieu, Monsieur — mauldict,

170  Après qu’ilz ont eu…

                        LA  IIe  FEMME

                                            El m’a dict…

                        LA  PREMIÈRE  FEMME

        C’est elle qui a commencé.

                        LA  IIe  FEMME

        El m’a dict…

                        L’APOINCTEUR

                               Esse assez tencé ?

                        LA  IIe  FEMME

        Je dy : Le deable vous emporte !

                        LA  PREMIÈRE  FEMME

        El(le) m’a frapé.

                        LE  MARCHANT

                                     C’est la plus forte.

                        LA  IIe  FEMME

175  J’en apelle94 !

                        LE  MARCHANT

                                 Atout le mains95,

        Que j’ayes…

                        L’APOINCTEUR

                              Bren ! Métez-y les mains96,

        Sergent, sans faire long caquet.

                        LE  MARCHANT

        Par  ma foy, Monsieur, c’est [peu d’aquêt]97 :

        Au moins, aurai-ge pas argent

180  De mes eux ?

                        LA  PREMIÈRE  FEMME

                                Monsieur le sergent !

                        LA  IIe  FEMME

        Escoustez !

                        LE  MARCHANT

                             Da ! s’elle soupire…

                        LA  PREMIÈRE  FEMME

        Je quiers98 justice !

                        LE  MARCHANT

                                          C’est la pire

        Qui pissa onc de con à terre99.

                        L’APOINCTEUR

        Sergent, c’on les maine grand erre100

185  En la prison !

                        LE  MARCHANT 101

                                 Par Nostre Dame !

        Voyez,  en voécy une qui se pasme.

                        LE  SERGENT

        Entre vos bras vous la prendrez.

                        LE  MARCHANT

        Devant Dieu vous en respondrez,

        Monsieur le juge.

                        L’APOINCTEUR

                                      C’est tout un102 :

190  Tel mal aux femmes est commun ;

        Ce ne sont poinct grans acidens.

                        LE  SERGENT

        Y ly fault déserrer les dens103.

                        L’APOINCTEUR

        Coupez son lacet, y la grefve104.

                        [LA  PREMIÈRE  FEMME]105

        Monsieur !

                        LE  MARCHANT

                            Faictes justice brefve,

195  Et me faictes payer106 !

                        L’APOINTEUR

                                                 Allez !

        Rien n’aurez, puysque vous parlez.

                        LE  SERGENT

        Monsieur, qu’i soyt mys en amende !

                        LE  MARCHANT

        Acomplicez-vous ma demande ?

                        L’APOINCTEUR

        Qu’i soyt en prison embûché107 !

                        LE  MARCHANT

200  A[u] marché, n’y a que marché108.

        Entre nous, marchans, délarrons109

        Le marché : car, messieurs, larons

        Nous serions sans en avoir rien110.

                        L’APOINCTEUR

        Faictes arest111 sur tout son bien

205  Entre vos mains !

                        LE  SERGENT 112

                                      Arest je fais.

                        LE  MARCHANT

        Et ! vous casserez mes eux frais.

        Atendez, prenez garde à elle113.

                        L’APOINCTEUR

        Prenez un petit de chandelle114 :

        Femmes sont assez tost guéris.

                        LE  MARCHANT

210  Y luy tient à son amaris115.

        Mais l’une et l’autre guérira.

        Et puys chascune maudira

        Tout ainsy que pierres amères116,

        Comme font aintelles117 commères.

215  Par la benoiste Madalaine !

        Ceste aultre-cy n’a plus d’alaine118.

        Je m’en voys, je quicte la place.

                        L’APOINCTEUR

        Alons, sergent, que l’on desplace119 !

        Nous n’aurons poinct icy d’aquest120.

                        LE  MARCHANT

220  Juges, sans faire long caquest,

        Faictes raison à tout le moins !

        Plus121 examyner de tesmoings,

        Plus d’arês, de cytations,

        D’intérês, d’amonicions122,

225  Plus d’ajournemens et défaulx123.

        Et puys en fin, juger124 le faulx,

        Tous ceulx qui mengent povres gens

        En la présence des sergens.

        Mais prenez bien garde à ces femmes !

                        LE  SERGENT

230  En la fin, nous serons infâmes125.

        Rien ne gaignons126 d’y faire exployt.

                        L’APOINCTEUR

        Pour petit procès, peu de plet.

        Aultrement, y romprions nos testes.

                        LE  MARCHANT

        Gens de vilages ne sont bestes.

                        LE  SERGENT

235  Dict-il vray ?

                        L’APOINCTEUR 127

                                 Bénédicité !

                        LE  MARCHANT 128

        Regardez que d’aversité129.

                        LE  SERGENT

        Qu’i ferons-nous ?

                        LE  MARCHANT

                                        C’est mal vescu130 ;

        Chascun en fut131 bien incité !

        Regardez !

                        L’APOINCTEUR

                             Que d’avercité !

                        LE  SERGENT

240  Que leur mal nous soyt récité132 !

                        LE  MARCHANT

        Sy en payerez-vous mainct escu.

        Regardez !

                        LE  SERGENT

                             Que d’aversité !

                        L’APOINCTEUR

        Qu’i ferons-nous ?

                        LE  MARCHANT

                                         C’est mal vescu :

        Y n’ont alaine que du cu133.

245  Je m’en voys, y fault détaler134.

                        LE  SERGENT

        Je crains qu’il ne nous soyt mécu135.

        Vitement y s’en fault aler.

                        L’APOINCTEUR

        Qui garde136 femmes de parler,

        Il en sont malades et palles,

250  Et n’en séroyent que pirs valoir137.

        On le voyt, ilz sont ainsy males138.

                        LE  MARCHANT

        Chantons devant139 que je détalles,

        Et ce pendant, y revyendront140.

        Pommes, trongnons, eulx et escalles141,

255  Au marché mèshuy142 ne v[i]endront.

.

                               FINIS

*

1 Chanson inconnue, à moins qu’elle n’estropie Nous sommes de l’Ordre de saint Babouin, que chante Jénin à Paulme : « L’Ordre ne dit mye de lever matin. » Le paysan est encore dans sa ferme, devant une corbeille de pommes et une corbeille d’œufs.   2 Il m’a pris la fantaisie. C’est le vers 31 du Cousturier et le Badin.   3 Donc. Idem vers 12.   4 Un acheteur quelconque. « Gorget Bardin ?/ Y demeure auprès du marché. » L’Homme à mes pois.   5 À qui demanderai-je conseil ?   6 J’y vais. Idem vers 12, 57, 217, 245.   7 Mes œufs. Cette graphie aberrante court tout au long de la pièce.   8 Le marchand mélange des pommes et des œufs dans un panier, ce qui prouve qu’il n’y connaît rien : les pommes risquent de casser les œufs.   9 Mon cul tremble. Cf. Frère Guillebert, vers 233.   10 Ce fonctionnaire juridique est un médiateur qui a le pouvoir de régler des conflits comme ceux qui fleurissent sur les marchés. Pour mieux rançonner les vendeurs et les clients, il fait équipe avec un sergent aussi corrompu que lui. Les deux racketteurs se dirigent vers le marché.   11 LV : venes  (Tanné = fatigué. « Et ! mon Dieu, que je suys tennée. » L’Arbalestre.)   12 On ne saurait nous effrayer. « Ces ordonnances (…) donnèrent quelque terreur, au commencement, aux facilles à effriter. » (Triomphes de l’Abbaye des Conards.) Cf. le Porteur de pénitence, vers 127.   13 Un peu.   14 Je le dis sans vouloir vous flatter.   15 Blâmer. On remarquera les rimes batelées des vers 29 et 31.   16 LV : enteprinse  (C’est notre but.)   17 LV : mal  (Nous devons surprendre quelqu’un en train de voler, pour qu’on ne nous dénigre pas.)   18 Que j’aime le métier de marchand !   19 Sans doute un extrait de chanson. Le paysan arrive au marché, encore désert, et pose son panier.   20 Il n’est pas possible qu’il n’y vienne aucun plaid, aucune dispute.   21 Faisons un tour dans le marché.   22 Un barème était fixé quotidiennement pour les marchandises de base. On l’appelait aussi le prix du marché ; la farce de Mahuet qui donne ses œufz au Pris du Marché dépeint, comme la nôtre, l’incompétence d’un paysan venu vendre ses œufs à la ville.   23 Les deux voisines bavardent dans la rue.   24 Est déjà en marche. Nous dirions : J’ai déjà le pied levé.   25 Si nous trouvons une bonne affaire.   26 Tant rester sur place !   27 Avant d’acheter, je veux tâter la marchandise.   28 Si par la roublardise d’un commerçant. Le double sens phallique du mot « engin » va surgir deux vers plus bas, comme il se doit dans une conversation entre femmes.   29 Ce sera bien la première fois.   30 Je vais. Le marchand tend aux deux femmes ses mains, qui contiennent une pomme et un œuf.   31 Œufs. Ce « cri » convient à tous les marchands : « À mes beaux épinars !…/ À mes belles pommes ! » Les Cris de Paris.   32 Mes braies, ma culotte ! « Quel grant conseillier de mes brayes ! » (Le Capitaine Mal-en-point.) Aujourd’hui, nous dirions carrément : Mon cul !   33 Ne tripotez pas ainsi mes pommes. « Ne les viens poinct cy patrouiller/ Et va-t-en alieurs marchander ! » L’Aveugle, son Varlet et une Tripière.   34 LV : quelcune  (L’une de vous deux a lâché une vesse en se penchant sur le panier qui est posé par terre. Un malheur analogue est le sujet de la Farce du Pet.)   35 Denrée. Même normandisme à 126. La 1ère femme examine les pommes.   36 Ce n’est que de la camelote. « D’argent ? Point : ce n’est que bagage. » (Le Résolu.) Les commerçants mettent les beaux fruits dessus, et les pourris dessous.   37 Pondus. Idem vers 75. « L’œuf d’un moyne/ Qui fut ponnu en Barbarie. » (Le Pardonneur.) Le marchand est sourd : quand on lui parle de pommes, il répond à propos d’œufs, et réciproquement.   38 Elle découvre une poire des bois parmi les pommes. À moins que cette bonne poire villageoise ne soit le marchand lui-même.   39 Éconduire : refuser de vous vendre mes pommes.   40 Tendez-moi la poche de votre tablier, pour que j’y mette vos achats. Idem vers 96 et 101.   41 Et nous ne saurions mieux tomber. Cette remarque est ironique.   42 LV : du lieu deuenus  (Vénus est célèbre — entre autres raisons — pour la pomme d’or qui consacra sa beauté. Les pommes du marchand vont, elles aussi, devenir des pommes de discorde.)   43 LV : lapf  (C’est la 2e femme qui s’intéresse aux œufs.)   44 Combien aurai-je d’œufs pour 5 deniers ?   45 LV : dauyel  (Je vous les garantis comme étant des pommes de rovel : des reinettes rouges. « Pommes de blandurel, de reuviel ou de chaucennin. » ATILF.)   46 Mes pommes. « Mi-el » dissyllabique est une particularité normande : cf. les Femmes qui demandent les arrérages, vers 283 et note.   47 Elles ont été cueillies récemment.   48 La centaine d’œufs. Quand on connaît ce prix rond, il est facile de diviser par le nombre d’œufs qu’on souhaite acheter.   49 LV : houlx  (Qui a bon goût, si vous voulez en avoir. Les Normands prononçaient « avèr », qui rime avec « trouvèr », comme « valèr » rime avec « parlèr » à 250.)   50 LV : marche   51 LV : ii f  (C’est la 1ère femme qui, à son corps défendant, va recevoir les œufs.)   52 Que mes œufs ont été couvés, ce qui les rend immangeables.   53 La première vente de la journée. Le marchand dépose des œufs dans le tablier de la 1ère femme, qui voulait des pommes.   54 Et un ! « Empreu, et deux, et trois, et quatre ! » (Farce de Pathelin.) Le marchant dépose trois pommes dans le tablier de la 2e femme, qui voulait des œufs.   55 LV ajoute : la ii f / contes bien / le marchant  (Ce refrain A du triolet doit servir de modèle aux vers 101 et 104.)   56 LV : auant  (Je corrige la même faute au refrain de 105. « Chucre » est une chuintante normanno-picarde.)  Ces pommes sont naturellement sucrées. « Ce laict (…) porte son sucre avec soy. » Laurent Bouchet.   57 Le marchant dépose encore trois pommes dans le tablier de la 2e femme.   58 Voilà le sujet de la brouille entre les deux voisines : la 1ère voulait des pommes, mais le sourd lui a donné les œufs que sa commère convoitait. La 2e voulait des œufs, mais elle a eu les pommes que désirait sa voisine.   59 LV : cest pepin fanas  (Ce débris de la locution « fatrin-fatras » <Jolyet, v. 58> n’a que faire dans ce refrain A du triolet.)  Le marchant ajoute trois pommes dans le tablier de la 2e femme.   60 Il manque un vers en -eux et un vers en -emble. Chacune des clientes exige d’avoir enfin le produit qu’elle désire, et d’en être servie la première.   61 Seuls. Les Normands prononçaient « seu », qui rime avec « eux ».   62 LV : seruir  (Vous ne sauriez être servies en même temps.)   63 Attendez.   64 Elle repose les œufs dans le panier.   65 LV : danfray  (Elle repose les pommes dans le panier.)   66 Sur vos crins : je vous arracherai les cheveux.   67 Bien virulentes.   68 Vous faites voler vos couvre-chefs. Cf. les Mal contentes, vers 511 et note.   69 Défublée, découverte. Les harpies qui se crêpent le chignon sont jouées par des hommes ; dans un gag très attendu, chacun arrache la perruque de l’autre. Aux vers 148, 162, 169, 170, 244, 249, 251 et 253, l’auteur désignera les deux femmes par le pronom « ils », comme le fit Jehan Le Happère pour ses harengères bagarreuses : « À beaulx cheveux — s’ilz en ont — touz se prennent. » Dans les Chambèrières et Débat, deux servantes jouées par des hommes s’arrachent mutuellement la perruque, si bien qu’un autre personnage peut parler d’elles au masculin : « Je requiers Dieu qu’il me pardoint/ Se sur tous deux ne frapperay ! » Ce « tous deux » désigne les prétendues femmes de notre pièce au vers 144.   70 Vous vous blessez mutuellement.   71 Il entend les hurlements des deux belligérantes.   72 Il doit y avoir une bagarre.   73 Car il y a là de l’argent à gagner.   74 LV : destallee  (Mes denrées sont bien mises en valeur sur leur étal. « En plain marché, le plus souvent,/ J’estalle ma desrée en vente. » Les Mal contentes.)   75 En as-tu assez reçu, des coups ? Cf. la Laitière, vers 270.   76 Tout beau !   77 Je vais vous envoyer dans un cachot. Au service militaire, l’adjudant, auquel je répondais respectueusement en latin, me disait toujours : Je vais vous fourrer dedans !   78 Tu n’auras pas qu’un seul coup.   79 Tu n’auras pas dit la vérité.   80 Tous ces détails secondaires.   81 Mue. De quoi est née leur querelle ?   82 Mes pommes. Au Moyen Âge, les fruits étaient bons s’ils avaient goût à framboise. « Cela sont poyres trop fascheuses :/ Y ne sentent point leur framboyse. » (Le Pèlerinage de Mariage.) Aujourd’hui, tous les aliments sont priés d’avoir un goût de noisette, depuis les huîtres jusqu’au vin, alors que les huîtres devraient avoir un goût d’huîtres, et le vin un goût de vin, nom de Dieu !   83 Ce vœu — maintes fois réitéré — de faire taire les deux plaignantes, porte le dénouement de la pièce.   84 De cela que nous parlons.   85 Elles. Voir la note 69. Le vendeur passe sous silence le fait que les clientes lui ont rendu sa marchandise.   86 Toutes deux. Voir la note 69.   87 LV : meulx / leques  (Voir le vers 133.)   88 Par les cheveux. « Nous veinmes à nous empongner/ À beaulx cheveulx et dépeigner. » Le Pionnier de Seurdre.   89 Deux fois le chargement d’une bête de somme. Le marchand surévalue le contenu de son modeste panier pour en tirer un gros dédommagement.   90 Dans une pièce qui parle des femmes au masculin, quoi de plus normal que de voir un homme user d’un juron strictement féminin ? Voir les vers 5, 113 et 138 des Chambèrières qui vont à la messe, ou les vers 112, 149 et 224 de Frère Guillebert.   91 Il montre la 2e femme.   92 LV : mete   93 LV : me asine  (Qu’on m’assigne [m’accorde] le paiement de ce qu’elles me doivent.)   94 Je fais appel. L’appel est impossible tant que le jugement n’a pas été prononcé.   95 Pour le moins (normandisme).   96 Merde ! Faites-les taire. Mais un esprit mal tourné pourrait comprendre : Mettez vos mains dans la merde.   97 LV : lequet  (Au vers 219, « d’acquêt » rime aussi avec « sans faire long caquet ».)  C’est un petit profit. « Poissonnyères ont peu d’aquest. » (Les Mal contentes.) Mais notre auteur se souvient plutôt de la farce de Pathelin : « C’est Peu-d’aquest. »   98 LV : requiers   99 Qui pissa jamais par terre avec son con. « Puisque son con tel chose pisse. » L’Amoureux.   100 Rapidement.   101 Il soutient la 2e femme, qui s’évanouit.   102 Ce n’est pas grave.   103 On desserrait les dents des épileptiques. Pour les bavardes, ce traitement est contre-indiqué ; dans Saincte Caquette, un mari qui veut faire taire son épouse lui dit : « Mot, mot ! Les dens serrez tousjours ! »   104 Coupez le cordon qui ferme sa robe, il la gêne pour respirer. L’acteur qui joue la 2e femme va donc se retrouver quasiment torse nu.   105 LV : lapoincteur  (C’est malheureusement la dernière réplique déclamée par une des deux femmes.)   106 Faites en sorte qu’elles me payent.   107 Entravé.   108 Les affaires sont les affaires.   109 Nous délaisserons. Menace syndicale : Si vous continuez à nous embêter, nous ne viendrons plus vendre chez vous. Voir le dernier vers de la farce.   110 Nous volerions nos clients sans aucun profit.   111 Un arrêt, une saisie.   112 Il empoigne le panier du marchand.   113 Occupez-vous de la 1ère femme. Elle s’évanouit également. Le sergent repose le panier pour la soutenir.   114 Ne prenez pas beaucoup de chandelle pour la veiller.   115 Cela est dû à sa maladie de langueur. (Louis Du Bois, Glossaire du patois normand, p.382.) Mais les dames ont aussi une défaillance quand elles ne sentent plus leur amant à leur côté dans le lit : « Et puis me prent une faillance/ Quand ne sens point mon amarris. » Les Femmes qui demandent les arrérages.   116 Expression normande : « Les modiront chent fais pu [cent fois plus] que pierres amères. » La Muse normande.   117 De telles.   118 N’a plus de souffle. Croyant que la 2e femme va mourir et qu’il risque alors d’avoir des ennuis, le marchand la laisse tomber par terre.   119 Changeons de place, partons.   120 Nous ne gagnerons rien ici.   121 Vous devez encore plus.   122 D’admonitions : de citations à comparaître.   123 D’assignations en justice et de constats de non-comparution.   124 Condamner.   125 Déshonorés.   126 LV : gaigneron  (Un exploit est une notification de justice. Les Normands prononçaient « explait », qui rime avec « plaid ». Cf. Lucas Sergent, vers 241.)   127 Il voit que le sergent laisse tomber par terre la 1ère femme.   128 Il montre les deux malades étendues sur le sol.   129 Quelle adversité, quelle calamité.   130 C’est une mauvaise chose.   131 LV : est  (Vous avez été mal inspirés. « De ce fustes bien incité ! » La Correxion des Liégois.)   132 Qu’on nous dise de quelle maladie elles souffrent. Ce mal, qui frappe les femmes qu’on empêche de caqueter, « c’est le mal de saincte Caquette », comme le nomme la farce de Saincte Caquette.   133 Elles n’ont plus de souffle ailleurs qu’en leur cul. Le vers 64 confirme ce diagnostic.   134 Ranger mon étal, partir. Idem vers 252. C’est l’origine du moderne « détaler ». Cf. l’Antéchrist, vers 115 et 260.   135 Méchu (forme normande). Je crains qu’il ne nous soit arrivé un malheur. Les deux fonctionnaires pensent que les bavardes qu’ils ont fait taire vont en mourir.   136 Si on empêche les. Jénin Landore a rapporté du paradis le don de « garder les femmes de parler ».   137 Et elles ne peuvent que valoir pis.   138 Elles sont si mauvaises. Mais on peut entendre : Ils sont ainsi mâles.   139 Avant.   140 Pendant ce temps, elles se ranimeront.   141 Œufs et coquilles.   142 Maishui, désormais.

PERNET QUI VA AU VIN

British Library

British Library

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PERNET  QUI

VA  AU  VIN

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Pernet qui va au vin fut sans doute composé par un de ces fatistes picards qui œuvraient à Paris dans le premier tiers du XVIe siècle ; voir la notice du Mince de quaire.

L’auteur, ou plutôt le compilateur, s’inspire de plusieurs sources, quand il ne les recopie pas sans vergogne. La fin (à partir du vers 275) provient d’une autre farce, que le compilateur amalgame sans même prendre la peine de faire rimer la transition. Dès lors, le nom de Pernet n’apparaît plus que dans les rubriques, et ce fruste vigneron devient par miracle un sculpteur de bondieuseries. Les seuls points communs avec la pièce principale sont la présence d’un faux cousin, et celle d’un pâté. On reconnaît d’ailleurs des analogies entre cette conclusion apocryphe et la farce du Pasté (F 19), sans qu’on puisse dire laquelle des deux pièces a influencé l’autre.

Source : Recueil du British Museum, nº 12. Publié en 1548, chez feu Barnabé Chaussard. Cet éditeur lyonnais a gommé plusieurs particularismes picards, mais avec tant de maladresse qu’on peut les reconstituer. La farce de Pernet qui va à l’escolle, nº 46 du même recueil, n’a aucun rapport avec celle-ci.

Structure : Rimes plates.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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Farce nouvelle trèsbonne
et fort joyeuse de

Pernet qui va au vin

*

À troys personnaiges, c’est assavoir :

       PERNET

       SA  FEMME  [Nicolle]

       et   L’AMOUREUX

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                          PERNET

*

                        LA  FEMME  commence 1                      SCÈNE  I

        Hau, Pernet ! Hau ! Respondez-moy !

        Viendrez-vous point ? C’est grant esmoy

        D’avoir mary de telle sorte.

        Hau, Pernet ! Pensez-vous qu’il sorte ?

5      [Et !] il fera sa malle2 mort !

        Jamais ne cesse s’il ne mort3,

        Tant il est friant et gourmant.

.

                        L’AMOUREUX  commence 4                 SCÈNE  II

        C’est grant pitié d’ung pouvre amant

        Qui ne peult jouyr de sa Dame.

10    Brief je m’en voys, sans crainte d’âme5,

        Parlementer avec Nicolle.

        J’enraige que je ne l’acolle

        En lieu secret ung tantinet.

.

                        LA  FEMME                                           SCÈNE  III

        J’ay beau crier « Pernet ! Pernet ! » :

15    Par ma foy, il est endormy.

                        L’AMOUREUX

        Et ! m’amour !

                        LA  FEMME

                                 Monsieur mon amy,

        Dieu vous mette en c[él]este voye !

        Pourveu que Pernet ne vous voye !

        Prendre fault garde sur ce pas6.

20    Aussi, que ne pourchassez pas7

        Mon déshonneur pour récompense.

                        L’AMOUREUX

        M’amye, [tout] le mal que g’y pense

        Vous8 puisse advenir, à la fin,

        [Dans vostre lit !]

                        LA  FEMME

                                      Vous este[s] fin.

                        L’AMOUREUX

25    Nous deux ferons bien noz accordz.

                        LA  FEMME

        Noter vous fault que de mon corps

        N’ay [jà] faict chose qui approche9

        Dont j’aye déshonneur et reproche ;

        Car je ne suis du lieu10 venue.

30    Je vous ditz ma desconvenue11

        Affin que [bien] vous l’entendez12.

                        L’AMOUREUX

        Si vostre grâce [n’]estendez

        Sur moy13

                        LA  FEMME

                             [Dea !] je vous entens bien.

                        L’AMOUREUX

        Vous y acquerrez…

                        LA  FEMME

                                      Et  quoy ?

                        L’AMOUREUX

                                                       Tout bien.

                        LA  FEMME

35    C’est ung dit14.

                        L’AMOUREUX

                                  [Dont verrez]15 l’effait.

                        LA  FEMME

        Mon âme ! Quant [c’]est faict, c’est faict.

        On dit au panier, pour déceptes16,

        Adieu, quant vendanges sont faictes.

        Voylà le bruyt17 qu’il en advient.

40    Mais que dira Pernet, s’il vient ?

        Monsieur, vous me ferez infâme.

                        L’AMOUREUX

        Mon serment ! vous estes bien femme

        Pour luy dresser quelque mestier18.

                        LA  FEMME

        [Et !] à voz ditz19, j’en fais mestier ;

45    Non fais, dea, [non fais] !

                        L’AMOUREUX

                                                   Et ! m’amye,

        Je n’ay bonne heure ne demye20,

        Sinon quant je suis avec vous.

.

                        PERNET  commence 21                           SCÈNE  IV

        Ha ! je le voy. J’en suis jaloux.

        Ventre sainct Gris ! voylà mon homme.

50    Je ne sçay comment on le nomme,

        [Mais] c’est luy, ou je suis déceu22.

.

                        LA  FEMME 23                                       SCÈNE  V

        Monsieur, j’ay Pernet apperceu,

        Qui s’en vient tout droict [du raisin]24.

                        L’AMOUREUX 25

        Adieu, cousine26 !!

                        LA  FEMME

                                        Adieu, cousin !!

                        L’AMOUREUX

55    Adieu, ma cousine, ma seur !!

                        PERNET

        (Ventre sainct Gris ! quel gaudisseur27,

        Et quel embrocheur de connin28 !)

                        L’AMOUREUX

        Adieu, cousine !!

                        LA  FEMME

                                     Adieu, cousin !!

.

                        PERNET 29                                             SCÈNE  VI

        Cousin ? [Et] dea, que de langaige30 !

60    Vous me dressez [ung beau] lignaige

        [De gentilhomme] en peu de temps.

                        LA  FEMME

        Certes, Pernet : comme j’entens,

        C’est vostre [grant] cousin germain31.

                        PERNET

        Cousin [de la sénestre main]32 !

65    Ou il meschait de l’âme.

        Prendre fault garde sur ce point.

                        LA  FEMME

        Dea ! Pernet, je ne pensoye point

        Que soyes33 de gentillesse traict.

                        PERNET

        Gentil34 ? Ung quart moins, pour le trait35 !

70    Gentil [ne] suis, [ne] gentillastre :

        Il suffist bien d’avoir ung astre36

        À se chaufer en la maison.

                        LA  FEMME

        Vous estes gentil par raison :

        Vostre cousin, Monsieur37, me l’a dit.

                        PERNET

75    Gentilhomme ? Dea ! qu’esse-cy ?

        Cela se pourroit-il bien faire ?

                        LA  FEMME

        Pourquoy non ?

                        PERNET

                                 C’est ung [grant] affaire38

        Qui me trouble l’entendement.

        Mon père estoit, premièrement…

                        LA  FEMME

80    Quoy ?

                        PERNET

                      Du villaige vach[ï]er39.

                        LA  FEMME

        [ C’est-à-dire va te chïer.

                        PERNET

        Bren ! ]40

                        LA  FEMME

                          Qui vous puist41 casser les dens !

        Vous estes, dehors et dedans,

        Gentilhomme, vueillez ou non.

                        PERNET

85    Gentilhomme ? C’est donc de nom

        [Que je le seroys], et non d’armes.

        Je ne craindray plus les gensdarmes42

        Comme [je l’]avoys de coustume.

        [Çà ! il fault]43 que je m’acoustume

90    À  porter le bonnet sur l’oreille,

        Et la plume (pour l’apareille44)

        Tout à l’entour de mon bonnet.

                        LA  FEMME

        Certes, mon [bon] mary Pernet,

        Ce ne vous est pas vitupère45.

                        PERNET

95    Je croy bien que, de par mon père,

        Qui espousa sa seur Perrine,

        Ma tante [estoit] sa grant cousine

        [Et fille de nostre voisin.]46

        Ramentez-vous47 du gros cousin

100  Qui fut à ma tante parent.

        Et ! vélà le faict apparent

        Qui esprouve ma gentillesse48.

                        LA  FEMME

        Sans faulte, ung homme gentil esse

        Du cousin49 de quoy je vous parle ;

105  De tous voz parens, c’est la parle50.

        Pour l’amour de vous, sur ma foy,

        [Vous] toucherez vous deux à moy51.

        Ce sont lignaiges tous notoires.

                        PERNET

        Gare le heurt pour les portoires52 !

                        LA  FEMME

110  Je dictz sans mal ne desplaisir.

                        PERNET

        Jehan !  Je croy bien que, pour le plaisir,

        [Vous] joindriez voluntiers ensemble.

                        LA  FEMME

        Certes, Pernet : il vous ressemble,

        Et cela me le faict aymer

115  De bon cueur [doulx].

                        PERNET

                              Tous doulx !  Sans vous blasmer,

        Ma femme, je vous entens bien.

                        LA  FEMME

        Ma foy ! c’est ung homme de bien.

        Il pourtraict53 [autant] à mon filz

        Comme faict Dieu au crucifix.

120  Du père tient54, j’en suis certaine.

                        PERNET

        Et ! il faict sa fièbvre quartaine !

                        LA  FEMME

        Il est tout vray, n’en contredictes.

                        PERNET

        Mais venez çà. Qui est ce cousin que vous me dictes,

        De quoy je suis du lignaige pourveu ?

                        LA  FEMME

125  Et ! C’est celuy que tu as icy veu.

        Pas ne t’engendre55 déshonneur.

                        PERNET

        Et ! au moins, porte-moy honneur

        Comme gentil homme, veulx-tu ?

                        LA  FEMME

        Comment, honneur ?

                        PERNET

                                            Tu me dictz « tu56 »,

130  Et je suis gentilhomme, en somme.

                        LA  FEMME

        Pardonnez-moy, mon Gentilhomme !

                        PERNET

        Gentillesse fault soustenir,

        Qui la pourroit entretenir57.

                        LA  FEMME

        Il vous ressemble, [je le voy].

                        PERNET

135  C’est donc du nez. Qui suis-je, moy ?

        Hau ! Qui ? Quoy ? Quoy ?

                        LA  FEMME

                                                    Cela me fasche.

                        PERNET

        Mais  venez çà : ay-je quelque tache

        De gentillesse58 sus mon corps ?

                        LA  FEMME

        Je vous en ay faict le recorps59

140  Car gentil vous peult establir

        Vostre cousin, et anoblir

        Vous et moy, sans aultre diffame.

                        PERNET

        S’i[l] vous peult anoblir, ma femme,

        Je croy qu’à luy pas ne tiendra.

                        LA  FEMME

145  Dictes-vous ?

                        PERNET

                              Qui l’entretiendra60,

        Tous serons gentilz.

                        LA  FEMME

                                        C’est ainsi.

        Je seray gentilfemme61 aussi,

        Et telle me pourray asseoir62.

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                        L’AMOUREUX 63                                   SCÈNE  VII

        Bon soir, cousin !

                        LA  FEMME

                                    Et !  Monsieur, bon soir !

150  Vous soyez le trèsbien venu.

                        L’AMOUREUX

        Cousin, m’avez-vous mescongneu64 ?

                        PERNET

        Mescongneu ? [Non, je vous promais]65,

        Combien que je ne vous vis jamais.

        Mais toutesfoys, je vous congnois66.

                        LA  FEMME

155  On jugeroit, à vos minoys67,

        Qu(e) estes frères, non pas cousins.

                        PERNET

        Il suffist bien d’estre voisins68,

        Et non cousins, dame Nicolle.

                        L’AMOUREUX

        Çà, cousin, que je vous accolle69

160  [Et baise] icy tout à mon ayse !

        Vous desplaira-il se je baise70

        Ma cousine prés[en]tement ?

                        PERNET

        Et !  que sçay-je ?

                        LA  FEMME

                                    Nennin non, baisez hardiment :

        Comme cousin, le povez faire.

                        PERNET

165  Démaine-l’en71 ainsi l’affaire ?

        J’entens chat sans dire « Minon »72.

                        L’AMOUREUX

        Estes-vous marry73 ?

                        LA  FEMME

                                           Nennin, non ;

        Il faict ainsi quant il luy plaist…

                        L’AMOUREUX

        Dea ! Cousin, s’il vous en desplaist,

170  J’adviseray bien tost la porte.

                        PERNET

        (Que l’Ennemy74 d’enfer l’emporte !

        De ma femme il est trop privé75.)

                        LA  FEMME

        Quoy76 ?

                        PERNET

                         Qu’il soit le bien arrivé !

        Dea ! personne ne luy mesdit.

175  [ (De Dieu puist-il estre mauldit !) ]77

                        LA  FEMME

        Faire fault ce que nous debvons.

                        L’AMOUREUX

        Questïon est que nous beuvons

        De la purée du raisin.

                        LA  FEMME

        Et ! cousin…

                        L’AMOUREUX 78

                              Tenez [çà], cousin,

180  Que ceste gorge soit baignie79.

                        PERNET

        Et, bon gré bieu ! De la lign[i]e80

        On m’appellera Jénin81.

                        L’AMOUREUX

                                               [Là,]

        Tenez, cousin !

                        PERNET

                                 Et ! qu’esse-là ?

                        L’AMOUREUX

        C’est de l’argent : il convient boyre.

                        PERNET

185  Iray-je au vin82 ?

                        L’AMOUREUX

                                     [Et !] voire, voire.

        Allez tousjours, sans faire noyse83.

                        PERNET

        Il vault mieulx que ma femme y voyse84 ;

        Et vous et moy deviserons.

                        LA  FEMME

        Monsieur et moy adviserons

190  Du lignaige, s’il est besoing.

                        PERNET

        Où iray-je au vin ?

                        L’AMOUREUX

                                     Tout  au plus loing.

        Apportez du blanc une quarte.

                        PERNET

        ([Que] la teigne et la fi[è]bvre quarte

        Les puissent tous deux espouser !)

                        LA  FEMME

195  Irez-vous tost ?

                        PERNET

                                  Sans [plus muser]85.

        Vous voyez quelle diligence86.

.

                        L’AMOUREUX 87                                  SCÈNE  VIII

        Çà, m’amye, que je vous agence88

        En faisant [l’]amoureux tripot89.

.

                        PERNET 90                                             SCÈNE  IX

        Sainct Jehan ! j’ay oublié mon pot.

200  J’ay bien courru, au revenir.

.

                        LA  FEMME                                            SCÈNE  X

        Ce villain [n’a nul]91 souvenir,

        [Ou] quelque cautelle il92 nous brasse.

                        L’AMOUREUX

        Çà, m’amye, que je vous embrasse !

        Amour me tient en ses lÿens93.

.

                        PERNET                                                  SCÈNE  XI

205  Et  si  on me dit  le vin est failly94 cëans,

        Où en prendray-je ? Que  dictes-vous ?

                        LA  FEMME

        À tous les dyables le jaloux !

        Et ! marchez, que bon gré sainct George !

.

                        L’AMOUREUX                                       SCÈNE  XII

        Que je manye ceste gorge95 !

210  À cela je prens mes esbatz.

.

                        PERNET                                                  SCÈNE  XIII

        Et  si on me dit : « Le vin est bas96. »

        En prendray-je de frais persé ?

                        L’AMOUREUX

        Il deust estre beu97 et versé.

        Despêchez-vous, j’ay la pépye98.

.

                        LA  FEMME                                           SCÈNE  XIV

215  Mais par despit qu’il nous espie,

        Nous le ferons99 !

                        L’AMOUREUX

                                      C’est trop bavé100.

.

                        PERNET                                                  SCÈNE  XV

        Mon pot [n’]est [pas trop] bien lavé :

        Çà,  de l’eau !

                        LA  FEMME

                               Allez en malle estraine101 !

        Il semble que ce villain traîne

220  Ung boulet102 après ses tallons.

.

                        L’AMOUREUX

        Chantez ! [Pour ce que nous voulons]103,

        Le cueur avez triste et marry104 ?

                        LA  FEMME

        Je songe de mon sot mary :

        Ma foy, il ne vault [pas] ung liart105.

225  Et si106, c’est le plus fin paillart

        Que sçauriez veoir ne rencontrer.

        Qu(e) en mal an puisse-il107 entre[r],

        Et que Mort en face [le change]108 !

.

                        PERNET                                                 SCÈNE  XVI

        Et dea ! s’il n’avoit point de change,

230  [Luy] lairray-je le demeurant109 ?

                        LA  FEMME

        De malle mort soyez mourant !

.

        Ce villain (par saincte Marie !)                                 SCÈNE  XVII

        Ne le faict que par mocquerie.

        Mais en110 fin, nous le tromperons.

235  J’ay advisé que111 luy ferons :

        Sans le batre, meurtrir n(e) ocire112,

        Nous luy ferons chauffer la cire113

        [Tandis que ferons le banquet.]114

                        L’AMOUREUX

        De moy il n’aura autre aquest ;

240  Impossible est qu’il en reschappe.

.

                        PERNET                                                  SCÈNE  XVIII

        Faictes [acoup115] bouter la nappe :

        Je reviendray tantost du vin.

.

                        L’AMOUREUX                                       SCÈNE  XIX

        Que je manye ce tétin !

        Et pensons, [car le jeu j’en prise,]

245  De faire [tost] nostre entrepri(n)se

        Maulgré Pernet qui faict du fin.

.

                        PERNET                                                  SCÈNE  XX

        Est-ce au Pillon ou au Coffin,

        Au Sabot ou [à] la Lanterne116 ?

        J’ay mis en oubli la taverne…

250  Non ay, non ay, il m’en souvient117.

.

                        LA  FEMME                                            SCÈNE  XXI

        Sans cesse il [s’en] va et revient,

        Et ne le fait que par mal songer.

.

                        PERNET                                                   SCÈNE  XXII

        Feray-je apporter à menger ?

        Qui boit sans menger, il se gaste118.

                        L’AMOUREUX

255  J’ay faict mettre ung chappon en paste119,

        Dea, cousin. Mais n’arrestez point120 !

.

                        PERNET                                                   SCÈNE  XXIII

        C’est assez pour venir au point :

        Puisqu’on paye le banqueter,

        Je n’ay plus garde d’arrester ;

260  Au vin iray diligemment.121

.

                        L’AMOUREUX                                       SCÈNE  XXIV

        Baisez-moy, m’amye au cueur gent !

        Amour me tient en ses lactz, [las122] !

                                  *

                        PERNET 123                                             SCÈNE  XXV

        Folye me tient bien en ses latz,

        D’aller au vin [delà, deçà]124.

265  Cecy m’est brassé de piéçà125.

        Que dira-on se on le sçait ?

        [Derrière moy,] on dira : « C’est

        À Pernet [bien] grant vitupère126 ;

        Son cousin [du costé]127 sa mère

270  S’est de sa femme apparenté. »

        Qu’à l’Ennemy soit parenté128,

        Et ma femme soit la parente129 !

        Car je voy bien que la parante130

        Me fera jénin [tout] parfaict131.

.

        ………………………….. 132                                           SCÈNE  XXVI

                        L’AMOUREUX

275  Despeschez-vous, boutez la nappe,

        Car de boyre il me prent envye !

        [Il nous fault mener bonne vie :]133

        Despeschez, le vin [on] approche !

                        PERNET

        Il fault mettre au tonneau [la] broche134.

280  Beuvez-en, il est bon et frais.

        [Ce vin] est-il bon, cousin ?

                        L’AMOUREUX

                                                    Très.

        Or çà, cousin : j’ay pensé [faire]

        [Avec vous] ung subtil affaire

        Dont vous serez riche à jamais,

285  [Car je tiens ce que je promais.]135

                        PERNET

        Riche, cousin ?

                        L’AMOUREUX

                                  Certes, [beau] sire.

        [Il] vous faul[droi]t chauffer [la cire],

        Et [en] faire ung subtil ouvraige136

        Qui vous gardera de dommaige

290  [Auprès de Dieu137,] cousin, beau sire.

                        PERNET

        Me fault-il donc chauffer la cire

        Tandis que vous banquèterez138 ?

        Corbieu ! j’en suis marry. [Bauffrez139,]

        Je croy que ce pasté est bon140.

                        L’AMOUREUX

295  Chauffez et mettez du charbon :

        L’ymaige141 sera proffitable.

                        PERNET

        Vous iray-ge signer la table142 ?

        Je sçay bien le Bénédicité 143.

                        L’AMOUREUX

        Faictes ce que j’ay récité,

300  Dea,  cousin, ne perdez point de temps.

                        PERNET

        C’est ung trèspouvre passetemps,

        De chauffer la cire quant on dîgne144.

        Regardez,  elle est plus molle que [la vigne]145 :

        En la chauffant, rien [je] n’aqueste146.

                        [L’AMOUREUX  conclut. Et qu’on queste.]147

305  Avec la femme je banqueste

        — Combien que je n’e[n] soye le sire148 —,

        Et son mary chauffe la cire.

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                               Cy fine la farce de

                               Pernet qui va au vin.

                               Imprimé nouvellement.

                               M. D. XLVIII.

*

1 Devant sa porte, elle appelle son mari, pensant qu’il est dans la maison.   2 Mauvaise. Ces imprécations sont intraduisibles. « Elle fera ta male bosse ! » Le Poulier à sis personnages.   3 S’il ne mord : Nicole croit que son mari est dans la cuisine, en train de manger. Elle profitera cependant de la gloutonnerie de Pernet aux vers 258-260.   4 C’est un noble. Il se dirige vers la maison de Nicole et Pernet.   5 Je m’en vais vite, sans craindre personne.   6 Il faut prendre garde à cela. Tout ce dialogue va se dérouler devant la porte, car Nicole croit toujours que son mari est dans la maison.   7 Il ne faut pas que vous recherchiez. « Pourchacier vostre déshonnour. » ATILF.   8 BM : Me  (Que tout le mal que je vous souhaite puisse vous arriver.)   9 Une chose approchante, une telle chose.   10 D’un mauvais lieu, d’un bordel. « Je ne suis point du lieu venue ! » L’Amoureux.   11 Ma contrariété.   12 Pour que vous compreniez bien. C’est notamment le vers 411 du Faulconnier de ville.   13 L’Amoureux compare sa dulcinée à la Vierge Marie : « Si sus iceulx n’estendez vostre grâce. » Jehan Lemaire de Belges.   14 C’est un propos en l’air. Cf. les Chambèrières et Débat, vers 236.   15 BM : Cest ung dit / Dõt on verra  (Dont vous verrez la réalisation.)   16 BM : dessertes  (À cause de tromperies. Cf. Pour le Cry de la Bazoche, vers 385 et 638.)  « Adieu panier, vendanges sont faites : pour dire qu’une chose est perdue. » Antoine Oudin.   17 La mauvaise réputation.   18 Pour lui tendre un piège. « Je te dresseray tel mestier. » (La Nourrisse et la Chambèrière.) Effectivement, Nicole s’y connaît en tromperies : vers 234-8.   19 Selon vos dires : d’après vous.   20 Je n’ai pas un seul bon moment, ni même la moitié d’un.   21 Il rentre de sa vigne, et s’immobilise en voyant le couple qui roucoule devant la maison.   22 C’est l’amant de mon épouse, ou je me trompe fort.   23 Elle aperçoit son mari.   24 BM : en ce lieu.  (Qui revient de cultiver son raisin.)   25 Le couple va parler très fort et en articulant, pour que Pernet l’entende.   26 Le cousin du mari devenait de facto celui de son épouse, qui prenait donc le titre de cousine par alliance.   27 Quel plaisantin. Cf. le Gaudisseur.   28 BM : cousine.  (Le connin [lapin] désigne le con, le sexe de la femme. « Car elle avoit parfaict désir/ Que son connin fust embroché. » Sermon joyeulx pour l’Entrée de table.)   29 Il s’approche du couple. L’Amoureux s’enfuit. Pernet et sa femme entrent dans leur maison.   30 BM : plait  (Que de bavardage ! « Allez, allez ! Que de langaige ! » La Femme mocqueresse.)   31 Beaucoup de femmes adultères font passer leur amant pour le cousin du cocu : « C’est vostre cousin,/ Bien prochain de vostre lygnage. » (Le Poulier à quatre personnages.) Celle du Munyer présente le sien comme son « grant cousin germain ».   32 BM : est le mien voisin  (Un cousin de la main gauche est un cousin douteux, issu d’un « mariage de la main gauche ».)   33 BM : fussiez  (Au vers 129, Pernet reproche à sa femme de le tutoyer.)  Que tu sois extrait de la Noblesse.   34 BM : Gtilhõme  (Gentil = gentilhomme, noble. Gentillesse = noblesse.)   35 Enlèves-en un quart, pour atteindre la hauteur marquée d’un trait. Un quart moins = moins un quart : « De manière qu’elles ne soient maintenant haultes que six aulnes ung quart moins. » Revue belge d’archéologie.   36 Un âtre, un foyer.   37 Monseigneur. Idem vers 189.   38 Ce mot est encore masculin à 283.   39 Vacher. La prononciation scatologique est induite des répliques suivantes.   40 BM : Bren bren. / Pernet. / Cestadire va te chier.  (Bran = merde.)   41 BM : puisse  (Que l’étron que vous invoquez puisse vous casser les dents quand vous le mangerez !)  Cette imprécation scatologique se décline sous mille formes : « −Estron de chient !/ −Qui vous puisse les dens casser ! » Le Vilain et la Tavernière.   42 Les paysans craignaient beaucoup les soldats, qui réquisitionnaient, chapardaient, piétinaient les champs avec leurs chevaux, et violaient tout ce qui portait jupon.   43 BM : Sa sa  (Pernet incline son bonnet sur l’oreille, pour imiter les jeunes gens de bonne famille : « Les bonnetz pendans sur l’oreille. » Éloy d’Amerval.)   44 Pour fignoler ces préparatifs. « Despeschons-nous pour l’appareille. » (Les Sotz nouveaulx farcéz.) Mais l’auditeur peut comprendre « pour la pareille » : en attendant que la plume me fasse la même chose. Cf. Jéninot qui fist un roy de son chat, vers 184.   45 Pour vous, ce n’est pas une honte de singer les nobles. Le comique de la situation tient au fait que Pernet arbore l’accoutrement et la démarche d’un vigneron, et qu’il est sans doute affublé d’un fort accent campagnard.   46 Vers manquant. Les généalogies fantaisistes plaisaient aux spectateurs : « Mon frère fut cousin germain/ À l’oncle du nepveu au frère/ De la fille à la seur du père/ De la mère de mon ayeulle. » Daru.   47 BM : Remuez  (Souvenez-vous. « Ramentez-vous de ce mot. » La Somme des péchéz.)   48 Qui prouve ma noblesse. George le Veau <BM 22>, après avoir étalé une généalogie encore plus contestable, se découvre « gentilhomme de nom et d’armes » tout en ayant un « père savetier ».   49 Que le « cousin », c’est-à-dire l’Amoureux.   50 « Parle, s.f., perle. » René Debrie, Glossaire du moyen picard.   51 Vous aurez tous deux une parenté avec moi. Sous-entendu : Vous me toucherez tous les deux.   52 On utilisait ces espèces de brancards pour transporter dans les ruelles certaines marchandises ou matériaux. Le porteur qui marchait devant criait aux passants : « Gare le heurt ! » Comme tous les paysans, Pernet s’exprime par proverbes. « Gare le heurt : Donnez-vous de garde du danger si vous entreprenez inconsidérément. » Oudin.   53 Il ressemble. Ce vers sous-entend que le gentilhomme est le véritable père de l’enfant ; cela contredit les vers 26-29, où Nicole joue les pucelles effarouchées devant ce même gentilhomme. Pour Bernard Faivre*, « il n’est pas impossible que l’auteur de la farce ait cousu ensemble deux morceaux différents ».  *Répertoire des farces françaises, p. 338.   54 Mon fils tient de son père, c.-à-d. de l’Amoureux.   55 BM : test  (Sa parenté ne te déshonore pas.)   56 BM : toy  (Tu te permets de me tutoyer.)   57 Quand on peut la tenir.   58 Cette expression concerne plus particulièrement les chevaux. Cependant, même chez les humains, on interprétait comme des signes positifs ou négatifs les particularités du corps et de la peau.   59 Le récit.   60 Si on l’entretient financièrement. Double sens : Si vous avez des relations avec lui.   61 Ce mot existe, ce n’est pas une blague de l’auteur : « Madame la Daulphine, acompaignée de madame de Beaujeu, madame l’admiralle, et autres dames et gentilzfemmes. » (ATILF.) En 1854, l’unique éditeur moderne de notre farce a lu gentilhomme !   62 Je pourrai m’asseoir au plus haut bout de la table, comme une aristocrate.   63 À partir de maintenant, l’Amoureux est rebaptisé « le Cousin » dans toutes les rubriques, que je ne suivrai pas.   64 Ne m’avez-vous pas reconnu ?   65 BM : ma foy nennin  (« Non, non, je vous promais ! » Le Retraict.)  Je vous le jure.   66 Je vous connais pour être l’amant de ma femme.   67 À vos mines, à vos visages. Il va de soi que les deux comédiens n’ont aucune ressemblance.   68 L’Amoureux n’est pas un voisin, puisque Pernet ne l’a jamais vu auparavant. Mais l’auteur emprunte ce vers au Munyer. Dans cette farce, l’amant se présente aussi au mari comme son cousin : « –Dieu vous doinct bon jour, mon cousin !/ –Il suffit bien d’estre voisin/ Sans estre de si grant lignaige. »   69 Souvenir de Folconduit : « Dame Nicole,/ Approchez, que je vous accole ! »   70 Si j’embrasse. Mais le sens érotique de ce verbe ne trompait personne ; voir la note 130 du Povre Jouhan et la note 29 du Trocheur de maris.   71 Mène-t-on.   72 J’entends venir le chat sans l’avoir appelé. C’est encore un proverbe. « Il entend bien chat sans qu’on dise ‟Minon” : Il entend à demi-mot. » Le Roux.   73 Sous-entendu : Êtes-vous le mari de Nicole ? Vous acquittez-vous de votre devoir conjugal ?   74 Le diable. Idem vers 271.   75 Intime.   76 BM : Que dictes vous.  (Cette réplique menaçante est celle que profère la femme du Munyer quand son époux se plaint d’être cocu, au vers 149.)  Bien arrivé = bienvenu.   77 Vers manquant. J’emprunte le vers 117 de la Laitière, qui est aussi, entre autres, le vers 218 des Queues troussées.   78 Il ouvre sa bourse.   79 BM : benigne  (Pour que mon gosier soit baigné de vin.)  Cette rime et la suivante sont typiquement picardes : « Là où tes mains sont taintes et baingnies/ Dedens leur sang, et durement vengies [vengées]. » Georges Chastellain.   80 « Lignie, s.f., lignée, famille. » R. Debrie, Glossaire du moyen picard.   81 Je serai l’idiot de la famille. Voir le vers 274. BM ajoute dessous : Parmy les rues ca et la.   82 Irai-je acheter du vin dans une taverne ? Comme dit la chanson : « J’ay ung mary qui est bon homme :/ Il prent le pot et va au vin,/ Et puis en boit ung bon tatin/ Tandis que je fais la ‟besongne”. » On voit bien que nous sommes au théâtre, car il est invraisemblable qu’un vigneron n’ait pas quelques bonnes bouteilles en réserve.   83 Sans vous plaindre.   84 Y aille.   85 BM : seiourner.  (L’auteur aime les rimes riches. « Allons-y voir, sans plus muser. » Les Femmes qui font baster leurs maris aux corneilles, F 29.)  Sans perdre plus de temps.   86 Quelle rapidité est la mienne. Pernet sort de la maison, et regarde par le trou de la serrure.   87 Il enlace Nicole.   88 BM : regente  (Que je mette en désordre votre coiffure et vos habits.)   89 Tripotage. Cf. les Povres deables, vers 228.   90 Il rentre sans frapper. Jeu de scène classique : Pernet sort, puis revient sous un vague prétexte pour interrompre les deux amoureux. Le même jeu agrémente le Badin qui se loue.   91 BM : a tousiours  (N’a aucune mémoire.)  Vilain = paysan, comme aux vers 219 et 232.   92 BM : quil  (Brasser une cautèle = ourdir une ruse.)   93 Les Nordiques prononçaient « lians » (Pates-ouaintes, v. 219), qui rime avec « cians » (Lucas Sergent, v. 81).   94 Est épuisé.   95 Votre poitrine. Voir le vers 243.   96 Quand le tonneau est presque vide, le vin s’oxyde au contact de l’air. Il est meilleur — mais plus cher — quand le tonneau vient d’être percé.   97 Ce vin devrait déjà être bu.   98 J’ai soif. Cf. Gournay et Micet, vers 402.   99 Nous ferons l’amour. Idem vers 168.   100 Bavardé : passons aux choses sérieuses. « Vélà trop bavé ! » Sermon joyeux de bien boire.   101 En mauvaise fortune.   102 BM : mortier  (Le mortier est un canon, qui tire des boulets.)  On cadenassait aux chevilles des forçats une « chaîne grosse & pesante, & une grosse boule de fer au bout, beaucoup plus pesante que n’estoit de raison ; et les appelloit-l’on les ‟fillettes du Roy”. » Ph. de Commynes.   103 BM : tout ce que vous pensez   104 Plusieurs chansons contiennent ces mots, notamment On a mal dict de mon amy, dont j’ay le cueur triste et marry. Les farces en conservent de nombreux échos : « Et ay le cueur triste et marry. » (La Résurrection de Jénin Landore.) « Ayant le cœur triste et mary. » (La Fille bastelierre.) « Mais ay le cueur triste et marry. » (Le Ramonneur de cheminées.)   105 Il ne vaut pas un sou. Liard est monosyllabique : « Y ne vault pas un tout seul lyard. » Le Trocheur de maris.   106 Et aussi. Paillard = vaurien, qui couche sur la paille : cf. l’Aveugle et le Boiteux, vers 136.   107 BM : soit il  (Qu’il entre dans une année de malheur. « En mal an puissez entrer ! » Le Cousturier et son Varlet.)   108 BM : la chance.  (Me l’échange contre un autre.)   109 Si le tavernier n’avait pas de monnaie, lui laisserais-je le reste ?   110 BM : a la   111 J’ai trouvé ce que nous.   112 Ni l’assassiner, ni l’occire.   113 Sens figuré : Nous le ferons patienter. Le même double sens est mis en scène dans le Pasté (F 19), où les deux adultères envoient le mari « chauffer la cire » pendant qu’ils mangent un pâté, comme ici.   114 Je reconstitue ce vers manquant d’après les vers 292 et 305.   115 Rapidement. « Sus ! acoup, qu’on mette la nappe ! » Le Résolu.   116 Le Pilon, le Couffin, le Sabot et la Lanterne sont des tavernes parisiennes. Le Sabot eut son heure de gloire en littérature : d’après Furetière, il était tenu par une femme que Ronsard idéalisa sous le nom de Cassandre. « Cassandre n’estoit en effet qu’une grande halebréda [haridelle] qui tenoit le cabaret du Sabot, dans le fauxbourg Saint-Marceau. » Le Roman bourgeois.   117 Aucune taverne n’ayant été préconisée, on voit mal de quel nom Pernet se souvient.   118 Il s’enivre. C’est encore un proverbe.   119 J’ai commandé un pâté de chapon au rôtisseur, qui va nous le livrer. Dans le Badin qui se loue, les amoureux tentent vainement d’écarter le gêneur en l’envoyant quérir un pâté de chapon.   120 Ne tardez pas. Idem vers 259.   121 Pernet, muni de son pot, se rend à la taverne.   122 Ce vers est trop court, et ne peut pas rimer avec le même mot si le sens en est identique. La rime couronnée que je propose a beaucoup séduit les Grands Rhétoriqueurs, dont notre auteur se réclame : « Si Vénus nudz nous tient en ses lacs, las ! » Guillaume Crétin.   123 ACTE 2. Pernet revient de la taverne avec un pot de vin. Sur le chemin du retour, il monologue.   124 BM : deca dela  (Ainsi, la rime est plus digne d’un rhétoriqueur.)   125 Cela m’a été préparé depuis longtemps.   126 C’est une grande honte.   127 BM : a cause de  (Le cousin du côté de sa mère est le cousin germain évoqué au vers 63.)  « Son père estoit messire Robert de la Marche…. & vint aussi ledit adventureux, du costé sa mère, de dame Catherine de Croÿ. » Mémoires du maréchal de Fleuranges.   128 BM : le parent  (Qu’il soit adopté par le diable.)   129 Sa marraine.   130 Que cette parenté. « Qui fut de sa parente. » ATILF.   131 Fera de moi un parfait idiot. « C’est ung droit génin tout parfait. » Cautelleux, Barat et le Villain.   132 Le compilateur colle ici la fin d’une autre farce ; voir ma notice. L’époux est à la maison, et sert de domestique aux amants, qui s’apprêtent à entamer un pâté.   133 Vers manquant. J’emprunte le vers 305 de la Satyre pour les habitans d’Auxerre, qui rime aussi avec « envye ».   134 La cheville qui bouche le tonneau. La farce principale évoquait un pot, et non un tonneau.   135 Vers manquant. J’emprunte le vers 308 du Pèlerinage de Mariage, qui rime aussi avec « à jamais ».   136 Pour modeler une statuette votive en cire, qui représente la Vierge ou l’enfant Jésus.   137 Qui vous permettra d’éviter l’enfer.   138 « Et me fait-on chauffer la cire/ Tandis que le pasté on mange. » Le Pasté, F 19.   139 Bâfrez, mangez. « Il la bauffrera/ Tout seul, et ne t’en gardera/ Jà morceau. » Le Cousturier et Ésopet.   140 « Vostre pasté estoit-il bon ? » (Le Pasté.) L’époux s’accroupit devant la cheminée, d’où il ne bougera plus.   141 L’effigie en cire. « De Nostre Sire [de Notre Seigneur]/ Une bele ymage de cire. » Gracial.   142 Faire le signe de croix avant le repas. « Je viens à bégnir la table. » Le Pasté.   143 Cette prière qu’on récite avant le repas est ébauchée dans la farce du Pasté.   144 Quand les autres dînent.   145 BM : laine  (Le compilateur a dû glisser là une allusion au métier de vigneron qu’exerce Pernet dans la farce principale.)   146 Je n’arrive à rien, car la cire est maintenant trop molle pour tenir.   147 BM : Le cousin. / Conclus & conqueste  (BM présente cette didascalie comme un vers.)  Sur les comédiens qui descendent quêter parmi le public peu avant la fin du spectacle, voir la note 167 des Brus.   148 Bien que je n’en sois pas le maître, l’époux légitime.

LE PÈLERINAGE DE MARIAGE

Ms. La Vallière

Ms. La Vallière

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LE  PÈLERINAGE

DE  MARIAGE

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Nous avons là une des satires antimatrimoniales les plus élégantes. Émile Picot1 nous révèle qu’en octobre 1556, la troupe exclusivement masculine de Pierre le Pardonneur2 donna des représentations à Rouen, mais que le parlement de cette ville les interrompit. Une des causes de cette interdiction tient au fait que les acteurs jouaient « la farce du Retour de Mariage ». Picot identifie ce Retour de Mariage à notre pièce, et présume que la censure lui reprochait de parodier les litanies du samedi saint.

Trois demoiselles (interprétées donc par des hommes) vont en pèlerinage au pays merveilleux de Mariage. Elles croisent un vieux pèlerin qui en revient déçu, et qui pourrait dire comme celui du Pèlerin et la Pèlerine 3 : « Je vien d’un pays bien sauvage / Que l’on appelle Mariage. » Le vieillard se gausse des futures épouses, mais ne tente pas de les dissuader, sachant bien que les femmes gagnent toujours à se marier. En revanche, il voudrait sauver de la catastrophe un jeune pèlerin, qui ne lui en sait d’ailleurs aucun gré, et qui assimile l’expérience du vieil homme au gâtisme. On devine que lui-même, un jour, tiendra le rôle du vieux pèlerin.

Source : Manuscrit la Vallière, nº 19.

Structure : Rimes plates, abab/bcbc, strophes aabba.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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Farce à cinq personnages.

C’est à savoir  :

le Pèlerinage

de Mariage

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       LE  [VIEL]  PÈLERIN

       LES  TROYS  PÈLERINES

       et  LE  JEUNE  PÈLERIN

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                        [LA  PREMIÈRE]4  PÈLERINE  com[m]ence

        Or allons à nostre voyage5                                          SCÈNE  I

        Que l’on apelle Mariage !

        Jeunes filles en ont désir.

                        LA  IIe  PÈLERINE

        D’y aller m’est un grand plaisir ;

5      Et pour tant6, partons de ce lieu !

                        LA  IIIe  PÈLERINE

        Puysque c’est le plaisir de Dieu,

        Je m’y veulx mectre par chem[i]n,

        Gardant [nect nostre]7 parchemin,

        Moyennant volonté7 divine.

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                        LE  VIEL  PÈLERIN 9                           SCÈNE  II

10    Tant plus en ce monde chemine

        — Povre pèlerin douloureux

        De Mariage, langoureux10 —,

        Moins11 je ne puys trouver la fin.

        Et sy, ne sçay12 homme sy fin

15    Qui à cheminer n’en fust las.

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                        LA  IIe  PÈLERINE                               SCÈNE  III

        Ma mye, donnons[-nous] soulas13 :

        Voécy un pèlerin qui vient.

                        L[A]  PREMIÈRE

        Quant je le voy, y me souvyent14

        D’un homme qui est fort lassé.

20    Il a en quelque lieu passé,

        Tant est rompu en ses habis.

.

        Bon soyer15, mon amy !                                             SCÈNE  IV

                        LE  VIEL  PÈLERIN

                                                Et vobis 16 !

                        LA  IIe  PÈLERINE 17

        Cela est latin.

                        LE  VIEL  PÈLERIN

                               J’en faictz rage.

                        LA  PREMIÈRE

        Or çà, de quel pèlerinage

25    Venez-vous ?

                        [LE  VIEL  PÈLERIN] 18

                               Je viens de sy loing

        Qu’i n’est de le19 dire besoing.

                        LA  IIIe 20  PÈLERINE

        Dictes-le-nous !

                        LE  VIEL  PÈLERIN

                                   Le grand voyage

        Que l’on apelle Mariage.

                        LA  PREMIÈRE

        Nous y allons.

                        [LE  VIEL  PÈLERIN]

                                 Dieu vous convoye21 !

                        LA  IIe  PÈLERINE

30    Je vous pry(e), monstrez-nous la voye

        Par où y nous y fault aller.

                        LA  PREMIÈRE  PÈLERINE

        Y fault-y aller sans parler ?

                        LE  VIEL  PÈLERIN

        Nénin ; les femmes pas, au moins22.

                        LA  IIIe  PÈLERINE

        Et les hommes ?

                        LE  VIEL  PÈLERIN

                                     Ne plus, ne moins.

35    Je ne m’y voulus consentir,

        Et sy23, est permys de mentir

        En y alant.

                        LA  PREMIÈRE

                           En Mariage,

        Y parle-l’en mauvais langage ?

        Est-il mal aisé24 à comprendre ?

                        LE  VIEL  PÈLERIN

40    Nénin, vous le pourez aprendre

        Incontinent ; je l’ay ouÿ.

                        LA  IIe  PÈLERINE

        Et qu’i fault-y dire ?

                        LE  VIEL  [PÈLERIN]

                                           « Ouÿ. »

        Y n’y a aultre chose à dire

        Que ce mot-là.

                        LA  PREMIÈRE  PÈLERINE

                                  Escoustez, syre :

45    Y peult-on aler à cheval ?

                        LE  VIEL  PÈLERIN

        Les uns y vont à grand déval25,

        Cuydant trouver leur cas à poste26.

        Mais tel, souvent, y court la poste27

        Qui à pié eust esté trop tost.

50    Mais le voyage est sy dévost

        Qu’i tarde à chascun qu’i n’y soyt.

                        LA  IIIe  PÈLERINE

        Puysque tel bien s’y apersoyt,

        Allons-y !

                        LE  VIEL  PÈLERIN

                           Alez, de par Dieu !

                        LA  PREMIÈRE  PÈLERINE

        Le lieu est-il beau ?

                        LE  VIEL  PÈLERIN

                                         C’est le lieu

55    Où il y a plus de débat28

        Que di-ge ? Non, non : plus d’esbat,

        Qui s’y sçayt bien contretenir29.

                        LA  IIe  PÈLERINE

        Je ne me séroys30 plus tenir

        D’aller31 !

                        LE  VIEL  PÈLERIN

                           Alez à la bonne heure !

60    Se je vis avant que je meure,

        Je vous verray32 en bonne encontre.

                        LA  PREMIÈRE  PÈLERINE

        Mais dictes-nous s’il [s’]en rencontre33

        Qui nous fist le chemin faillir.

                        LE  VIEL  PÈLERIN

        Et ! ouy bien, qui vouldroict saillir34

65    Dehors des termes de Raison.

        Car y fault, en toute saison,

        Aler tousjours le chemin droict :

        Car qui aultre chemin tiendroict,

        Au lieu d’aller à Mariage,

70    On s’en yroit en Malerage35,

        Ou bien cent lieues36 par-delà.

                        LA  IIIe  PÈLERINE

        Dieu nous gard d’aler jusques-là !

        Cela37 fail[l]yroit nos journ[é]es.

                        LA  PREMIÈRE  PÈLERINE

        Trouverons-nous pas des jonchées38 ?

                        LE  VIEL  PÈLERIN

75    Ouy, ouy, d’assez bien adjencées39.

                        LA  IIe  PÈLERINE

        Et de quoy ?

                        LE  VIEL  PÈLERIN

                              De menu[e]s penc[é]es

        Que femmes c[u]euilent, [et jalousie]40.

        Et [des poyres de jalousie]41,

        Chia brena42, tati tata,

80    Je veulx cecy, je veulx cela,

        Tant de parolles ennuyeuses.

                        LA  IIIe  PÈLERINE

        Cela sont poyres trop fascheuses :

        Y ne sentent point43 leur framboyse.

                        LE  VIEL  PÈLERIN

        Et ! mon Dieu, qu’i[l] y a de noyse(s),

85    Sans les noysilles44, les noysètes.

        Non pas avec jeunes fillètes

        Comme vous : poinct on n’y en menge45.

                        LA  PREMIÈRE  PÈLERINE

        Est-il vérité ?

                        LE  VIEL  PÈLERIN

                               Poinct n’en men-ge46.

        Oultre, il est ordonné de Dieu

90    Que pèlerin qui va au lieu

        De Mariage et là s’encline47,

        Y couche48 avec sa pèlerine.

        Les ordonnances en sont telles.

                        LA  IIe  PÈLERINE

        Or çà ! combien se vendent-elles49 ?

                        LE  VIEL  PÈLERIN

95    Combien ? Autant sotes qu’apertes50,

        Quatre51 denyers.

                        LA  PREMIÈRE  PÈLERINE

                                      Non plus ?

                        LE  VIEL  PÈLERIN

                                                         Non, certes,

         Car ainsy est le traict merché52.

                        LA  IIIe  PÈLERINE

        En bonne foy, c’est bon marché.

                        LE  VIEL  PÈLERIN

        Selon les hommes le guerdon53 :

100  Aux uns « ouÿ », aux aultres « non ».

        Selon54 qu’est la femme, je dis :

        Les uns y treuvent paradis,

        Les aultres enfer, par mon âme !

        Et tel, souvent, y crye « à l’arme »

105  Qui l’aloyt assaillir d’emblée55.

.

                        LE  JEUNE  PÈLERIN 56                     SCÈNE  V

        Dieu gard ceste noble assemblée !

                        LA  PREMIÈRE  PÈLERINE

        Et vous !

                        LE  VIEL  PÈLERIN

                       Et vous !

                        LA  IIe  PÈLERINE

                                     Et vous !

                        [ LA  IIIe  PÈLERINE

                                                    Et vous ! ]

                        LE  JEUNE  PÈLERIN

        Où allez-vous ?

                        LA  PREMIÈRE  PÈLERINE

                                   Mais dictes-nous

        Où d’aller avez entreprins.

                        LE  JEUNE  PÈLERIN

110  J’ey, sans penser d’estre reprins57,

        Entreprins le pèlerinage

        D’aler tout droict en Mariage.

        Voy(e)là où gist tout mon soulcy.

                        LA  IIe  PÈLERINE

        Nous l’avons entreprins aussy,

115  Et du chemin nous enquérons,

        Et au pèlerin requérons

        — Qui en vient — qu’i nous die58 que c’est.

        Mais je voys bien qu’i ne luy plaist

        D’y avoir [entre]prins chemin59.

                        LE  JEUNE  PÈLERIN

120  C’est un brouilleur de parchemin60,

        Un ras[s]oté qui n’en peult plus.

        Alez prier Dieu ! Au surplus,

        Nous passerons, doresnavant.

                        LE  VIEL  PÈLERIN

        Hardy, mectez la plume [au vent]61 !

125  Jamais jour62 ne vous cessera.

        Et maudict63 qui se lassera

        Premier qu’i soyt troys ans passés !

                        LE  JEUNE  PÈLERIN

        Ces vieulx sont rompus et cassés ;

        On leur veoyt presque le cerveau saillir.

130  Non, non ! S’on me vient assaillir,

        J’ey bon baston64 pour moy deffendre

        Ferme et fort, pour piquer et fendre.

        A ! je ne crains nul assaillant.

                        LE  VIEL  PÈLERIN

        Il est roullant comme Vaillant65 !

135  Saincte Dame, qu’il est hardy !

        Y sera tant acouardy66,

        Mais que son « bourdon67 » soyt lassé.

        Le mien est rompu et cassé,

        Tout verdmoulu68 depuys long temps.

                        LE  JEUNE  PÈLERIN

140  Sy ces vieulx en sont mal contens,

        Fault-il les jeunes desgouster ?

        Non, non ! Y les fault débouster69

        D’un coup !

                        LE  VIEL  PÈLERIN

                            Regardez que vous ferez70,

        Gentil Hercules ! Demourez71,

145  Atendez jusques à demain.

                        LE  JEUNE  PÈLERIN

        J’ey bon pié, bon œuil, bonne main

        Pour bien sçavoir descroter cotes72 !

                        LE  VIEL  PÈLERIN

        Olivier, baille-luy ses botes73 :

        Y tura Karesme-prenant74.

                        LA  IIIe  PÈLERINE

150  A ! dea, nous avons maintenant

        Qui nous asseure75.

                        LE  JEUNE  PÈLERIN

                                          Ce viellart

        Nous veult user de son viel art76 ;

        Mais y luy fault monstrer les dens.

        Que ne me fourrasse77 dedens ?

155  J’aymeroys myeulx avoir…

                        LE  VIEL  PÈLERIN

                                                    La taigne ?

        Ô gentil78 Artus de Bretaigne,

        Gentil Hector, miséricorde !

        Gardez la noix79 de vostre corde :

        Vous pouriez bien chermer le trect80.

160  S’y veult cheminer sy estroict81,

        Y se lassera à82 complaire.

                        LE  JEUNE  PÈLERIN

        Mariage à chascun doyt plaire ;

        Car je dis que s’il eust despleu

        À Dieu, y ne luy eust pas pleu

165  D’en faire le commendement83.

        Aussy fist-il ce sacrement,

        Au lieu84 de Paradis térestre.

        Par quoy, je dis qu’il ne doibt estre

        En cest estat vespérisé85.

                        LE  VIEL  PÈLERIN

170  Et ! s’il a esté sy prisé

        De Dieu (ce que je ne crus onques),

        Que ne se mariet-il donques ?

        Ma foy, y n’estoyt pas sy nis[s]e86 !

                        LE  JEUNE  PÈLERIN

        Tes-toy87, que Dieu ne te punisse !

175  C’est trop babillé et trop dict !

        Que je soye de Dieu…

                         LE  VIEL  PÈLERIN

                                             Mauldict ?

        [Serez assez]88 de vostre femme.

                        LE  JEUNE  PÈLERIN

        Garde-toy de sumer89 diffame,

        Et n’en dis rien que bien apoinct90 !

                        LA  PREMIÈRE  PÈLERINE

180  Un cœur qui d’amour est espoinct91

        Et peult mariage choisir,

        Je croy que de douleur n’a poinct,

                        Y chantent :

        Puysqu’il est beau à mon plaisir.92

                        LE  VIEL  PÈLERIN

        Vostre  plaisir ? Quant on a le loisir,

185  Mariage est mygnon et gent ;

        On ne séroyt meilleur choisir,

                        Y chantent :

        Mais qu(e) on ne baillast 93 poinct d’argent.

                        LE  JEUNE  PÈLERIN

        D’argent ne fault estre sergent 94.

        Quant telle joye95 est avenue,

190  On prent un plaisir réfulgent96,

                        Y chantent :

        Quant la nuict est venue.97

                        LE  VIEL  PÈLERIN

        La nuyct ? Bien souvent, par la rue,

        [Le mary en]98 sent la froidure ;

        [Sa] femme, [au lict]99, regibe et rue

                        Y chantent :

195  Tant comme la nuyct dure.100

                        LA  IIIe  PÈLERINE

        La nuyct, nul mal on n’y endure :

        C’est de plaisir une montjoye101.

        On n’y séroyt trouver laidure,

                        Y chantent :

        Quant on y prent soulas et joye.102

                        LE  VIEL  PÈLERIN

200  Soulas et joye ? Mais rabat-joye !

        Menasse103 le plaisir affolle.

        Pensez-vous que croi(e)re on vous doye ?

                        Y chantent :

        Nénin, je ne suys pas sy folle.104

                        LA  PREMIÈRE  PÈLERINE

        Sy folle ? C’est simple parolle105.

205  Jà à vostre dict n’entendray ;

        C’est vérité ou parabolle106.

                        Y chantent :

        Ne me chault, mon plaisir prendray.107

                        LE  VIEL  PÈLERIN

        Vostre plaisir ? Je respondray :

        Que  noyse n’y vault rien sans débat108.

210  Autant vauldroict estre enfondré109,

                        Y chantent :

        Sy j’estoys alé à l’esbat.110

                        LA  IIIe  PÈLERINE

        À l’esbat on y va sans sabat111.

        Mais un tas de mal gratieux

        Veulent tous servir au rabat112,

                        Y chantent :

215  Dont y n’en séroyent valoir myeulx.113

                        LE  VIEL  PÈLERIN

        Valloir myeulx ? Et ! compaignon vieulx114,

        L’Ordre de ménage115 est souldaine.

        Je tiens pour fol et glorieulx116

                        Y chantent :

        Celuy qui la tient pour certainne.117

                        LA  IIe  PÈLERINE

220  Pour certaine ? Et ! au [sien] démainne118

        Et au jardin, a bonne chose119 :

        Florist ermerye120, marjolainne,

                        Y chantent :

        Et aussy faict la passeroze.121

                        LE  VIEL  PÈLERIN

        La passeroze ? Et ! je propoze

225  Qu’i122 soyt vray : le dirai-ge ? Ita !

        Tant d’espines, dont chanter n’ose123,

                        Y chantent :

        [Consumo la mia vita]124.

                        LE  JEUNE  PÈLERIN

        Onc bon cœur ne s’en despita,

        Au moins s’y se veult faire veoir125.

230  Qui y entre, son délict a126

                        Y chantent :

        Comme un amoureulx doibt avoir.127

                        LE  VIEL  PÈLERIN

        Avoir mariag’ [il] faict beau veoir ;

        Mais du ménaig’ n’a poinct d’envye.128

        Tousjours donner sans recepvoir,

                        Y chantent :

235  Je croys que j’en perdray la vye.129

                        LA  PREMIÈRE  PÈLERINE

        La vie en vient, on s’en desvye.

        Mon cœur en a [joyeulx esté]130 :

        Car quant l’Ordre est bien [des]servye131,

                        Y chantent :

        Y  raverdist en132 joyeuseté.

                        LE  VIEL  PÈLERIN

240  Joyeuseté ? Tout133 est frété :

        Chagrin y est, je vous promays.

        Sy j’en sors, yver ou esté,

                        Y chantent :

        Jamais ne m’aviendra, jamais134 !

                        LE  JEUNE  PÈLERIN

        Jamais ? C’est un gracieulx mès

245  Que de ris135, à n’en doubte[r] mye ;

        Car g’y chanteray désormais :

                        Y chantent :

        « Mais omblier ne la puys mye. »136

                        LE  VIEL  PÈLERIN

        Mye ? Et  sy ta femme te maistrye137,

        Va-t’en : jà n’yra après toy.

250  Et n[’ay]es pas peur qu’elle te dye :

                        Y chantent :

        « Mon bel amy, atendez-moy ! »138

                        LA  IIe  PÈLERINE

        N’esse pas plaisir, par ta foy,

        Que mariage ? On ne peult myeulx.

        Telle léesse139 au monde je ne voy

                        Y chantent :

255  Pour en avoir son petit cœur joyeulx.140

                        LE  VIEL  PÈLERIN

        Joyeulx ? Joyeulx ? Voy(e)re, jusques aulx cieulx !

        « Hély, hély, [lama sabacthany]141 ? »

        Pauvre, sans142 bien et thésor gracieulx

        E[s]t mon las cœur143, de tout plaisir bany.

260  Et ! je vous pry(e), n’en parlez plus hüy144,

        Vous, ny elle, [ou] elle, ne luy.

        On n’y tient pas ce qu’on promect.

        Car  de grand folye s’entremect

        Qui se chastye par aultruy145.

                        LE  JEUNE  PÈLERIN

265  Sans mariage, on ne feroyt

        Jamais146. Tout bien se desferoyt ;

        On n’auroyt amys ne parens.

        Ce sont termes bien aparens ;

        Qui diroyt que non, fol seroyt !

                        LE  VIEL  PÈLERIN

270  Les uns y vivent à souhaict :

        C’est un mignotis, un jouect147.

        Aultres y vont à la traverse148.

        Contre Fortune la diverse149,

        Un charestier rompt son fouet.

                        LA  PREMIÈRE  PÈLERINE

275  Escoustez que dire je veulx150 :

        Pourquoy fistes-vous donc des veulx151

        Pour, en fin, vous en repentir ?

        [Comme Absalon, sans vous mentir,]152

        Tel fuict qui tient par les cheveulx.

                        LE  VIEL  PÈLERIN

280  [Aucun n’y]153 faict plus qu’i ne peult :

        L’un y est aise154, l’aultre s’y deult ;

        Grison155 y rue, doulx est Moreau.

        Car entre cy et Sainct-Marceau156,

        Chascun n’a pas argent qui veult.

                        TOUTES  III  ENSEMBLE

285  Alons, alons, laissons-lay157 dire !

                        LE  VIEL  PÈLERIN

        Je ne vous en veulx pas desdire.

                        [LE  JEUNE  PÈLERIN] 158

        Or ne m’en viens donc plus parler !

                        LE  VIEL  PÈLERIN

        Et ! sy vous y voulez aller,

        Alez-y donc, n’y alez pas,

290  Courez-y159, marchez petit pas,

        Reculez, avancez-vous fort,

        Fuyez, mectez-vous en effort,

        Et aportez le « pot au laict160 ».

                        LA  IIe  PÈLERINE

        Voécy un térible poullaict161 !

295  Nous yrons en pèlerinaige

        Maintenant !

                        LE  VIEL  PÈLERIN

                               Vous ferez que saige162.

        Mais regardez quelle promaisse

        Vous ferez devant qu(e) ouïr messe,

        À la grand porte de l’église.

                        LE  JEUNE  PÈLERIN

300  Et ! je promectray à la guise163

        Des aultres.

                        LE  VIEL  PÈLERIN

                            Sans tendre gluotz164,

        Y s’y prend beaucoup de dÿotz,

        De coqus et de pauvres buses165.

        Il y fault penser.

                        LA  PREMIÈRE  PÈLERINE

                                   Tu t’abuses !

305  Pour mariage entretenir,

        Ne pouroyt[-il] pas bien tenir

        Foy et loyaulté ?

                        LE  JEUNE  PÈLERIN

                                    À jamais,

        Car je tiens ce que je promais

        Sans rompre.

                        LE  VIEL  PÈLERIN

                              Luy,  jà n’aura courage

310  D’aler rompre son mariage ;

        Garde n’avez qu’i s’y efforce.

        Mais de luy donner quelque estorse166,

        Ou le ployer, je ne dis pas.

                        LA  IIIe  PÈLERINE

        En toy, n’a reigle ne compas167.

315  Sa femme ne fault estranger168 :

        Ne [soys] sy hardy d’en169 changer

        Ne pour pire, ne pour meilleure.

                        LE  VIEL  PÈLERIN

        Changer ? Vray Dieu, à la male heure !

        S’on les changeoyt comme les mulles170,

320  Que de contras et que de bulles171 !

        Les taverniers auroyent bon temps172.

                        LE  JEUNE  PÈLERIN

        [Paix ! C’est]173 trop babillé, entens ?

        [Et !] tu me faictz fol devenir.

                        LE  VIEL  PÈLERIN

        Puys voécy Ménage174 venir,

325  Qui chantera de belles notes :

        Avoir fault175 des robes, des cotes,

        Habis de testes et gorgères176,

        Chaînes qui ne sont pas légères,

        Bordures, carquens177, pierreryes,

330  Et  toute[s] belle[s] orfavre[r]yes.

        Y n’y fault pas faillir à cela.

                        LA  PREMIÈRE  PÈLERINE

        Va, va,  viellard jamais tant ne parla178.

        Fuy-t’en de nous sans plus atendre !

                        LE  VIEL  PÈLERIN

        Puys y fault au[x] repas entendre179 :

335  Pain, vin, chèr, pouesson et cherbon180,

        Boys, poys, fèbves et du lard bon,

        Tables, scabelles et traicteaulx181,

        Chandelles, torches [et] flambeaulx.

        Entendez-vous bien ce que je dix ?

                        TOUS  ENSEMBLE

340  Et ! va, va ! C’est un paradix182.

                        LE  VIEL  PÈLERIN

        Ouy,  sy Dieu y estoyt, et ses anges.

                        LE  JEUNE  PÈLERIN

        Onc ne vis choses sy estranges.

        Tes-toy [donc] !

                        LE  VIEL  PÈLERIN

                                   Rien je ne vous celle :

        Y fault avoir de la vesselle,

345  Pouelles, pouellons, gates, chauldières183,

        Cramill[èr]es et chandelièr[e]s184,

        Escuelles, plas, pintes, ég[ui]ères,

        Trencheur[s], garde-napes185, salières,

        Et la mengeure des chevaulx.

                        LE  JEUNE  PÈLERIN

350  Jà je n’y auray telz travaulx186,

        Ne m’en vien pas cy tracasser !

        Jamais ne me séroyt lasser187,

        J’en suys certain et asseuré.

                        LE  VIEL  PÈLERIN 188

        Je l’avoys en ce poinct juré,

355  Mais…

                        TOUS  ENSEMBLE

                    Quel mais ?

                        LE  VIEL  PÈLERIN

                                        Je ne vous dis rien.

                        LA  IIe  PÈLERINE

        Rien ? C’est un [très] souverain bien

        Que d’aller en pèlerinage

        — À jeunes gens — en Mariage ;

        Nous irons, il [en] est conclus189 !

                        LE  VIEL  PÈLERIN

360  Et  je ne vous en parleray plus.

        Et tout ce que vous en ay dict,

        Ce n’a pas esté par médit190

        Mais affin de vous advertir :

        Sy vous y voullez convertir,

365  Il y a des empeschemens,

        Bien souvent, aulx entendemens191.

        Mais il se fault tourner vers Dieu

        Et, premyer192 qu’entrer au sainct lieu

        De Mariage, il fault crier

370  Et à haulte voix Dieu prier ;

        Et pour prendre possession193,

        Faire bonne194 procession

        Sonnée à très belles sonnètes195.

        Puys nous dirons noz chansonnètes.

                        Ilz chantent tous ensemble une chanson.

.

                        LE  JEUNE  PÈLERIN

375  La procession est sonnée.

        Ceulx qui ont leur amour donnée

        En mariage, entendez bien

        Le profit, l’honneur et le bien

        Qui en ce bel Ordre est requis.

380  Il a assez, qui l’a acquis196.

                        LE  VIEL  PÈLERIN.  La procession commence.197

        Entre nous tous, joyeulx yrons198.

        Entre nous tous, tant las serons.

        Puys après, nous le [maul]dirons.

        Puys  aprèz, nous en repentirons.

385  Sancta Bufecta,

                        TOUS  ENSEMBLE,  en tournant à la salle.

                                   Reculez de nobis199 !

        Sancta Sadinèta200, aprochez de nobis !

        Sancta Quaquèta201, ne parlez de nobis !

        Sancta Fâchosa202, ne faschez poinct nobis !

        Sancta Grondina203, ne touchez [à] nobis !

390  Sancta Fumèta, ne mesprisez204 nobis !

        Sancta Tempestata, ne tempestez pas nobis !

        Sancta Gloriosa205, alez loing de nobis !

        Sancta Mignardosa206, reculez de nobis !

        Sancta Bouffecta207, aprochez de nobis !

395  Sancta Jalousia, reculez de nobis !

        Sancta Chiabréna208, ne fâchez pas nobis !

        Sancta Mérencolia209, n’aprochez de nobis !

                        OMNES,  sancti[s] freneticis 210

        Libéra nos, Dominé 211 !

        De femme plaine de tempeste,

400  Qui a une mauvaise teste

        Et le cerveau embéguiné212,

                        ENSEMBLE

        Libéra nos, Dominé !

        Des hommes qui vont, au matin,

        Aulx tavernes parler latin,

405  Et ont soublz la table uriné,

        Libéra noz, Dominé !

        De femme qui [çà et là]213 court,

        Et tient son mary de sy court

        Comme un Sot enjobeliné214,

410  Libéra nos, Dominé !

        Des hommes qui, par jeulx215 meschans,

        Vendent leurs robes aulx marchans

        Pour estre au jeu trop obstiné,

        Libéra nos, Dominé !

415  De « femme qui a les doys menus,

        Courte[s] mamelles, et nés camus »216,

        Le faict bien sans lict encourtiné217,

        Libéra nos, Dominé !

        Des hommes qui, par un mistère

420  Trop souldain, font leur femme tère

        Et ont le cerveau obstiné,

        Libéra nos, Dominé !

        De femme[s] trenchant du gros bis218,

        Qui despendent tant219 en abis

425  Que le mary est mal dîné220,

        Libéra nos, Dominé !

        D’un homme qui à droict[e] « chevauche »

        Et sa femme « chevauche » à gauche

        (C’est tout à rebours cheminé),

430  Libéra nos, Dominé !

        D’aller sans chandelle aulx retrais221

        Et s’assouèr sus un estron frais

        (C’est pour estre bien embrené),

        Libéra nos, Dominé !

                        Oresmus.222

435  Que nous ayons tous bon courage

        Contre tourmens de mariage,

        Entre nous qui y som[m]es enclos !

        Te rogamus, audi nos 223 !

        Quant la femme tempeste et tence,

440  Que le mary ayt pacience

        Et quelque petit224 de repos !

        Te rogamus, audy nos !

        Que [ces bragueurs]225 esperlucas,

        Coureurs, fringans, esperlucas226,

445  Qui font rage de caqueter,

        Pour bien du tout les arester

        De bref puissent estre des nos227 !

        Te rogamus, audi nos !

        Quant nos femmes nous tenceront,

450  Qu’aux228 injures qu’ilz nous diront

        Qu’il  y ayt quelque peu de repos !

        Te rogamus, audi nos !

        Qu’aultres ne leur(s) batent les cus

        Et facent leurs maris coqus

455  En faisant la beste à deulx dos229 !

        Te rogamus, audi nos !

        Quant nous viendrons de quelque afaire230,

        Que nos femmes se puissent taire

        Et qu’ilz ayent toutes le bec clos !

460  Te rogamus, audi nos !

        Deffens-nous de leur malle231 teste,

        Mulerye232, tenson et [t]empeste,

        De leur bec, grys233, ongle & ergos !

        Te rogamus, audi nos !

465  Que les deulx nouveaulx espousés

        Se trouvent sy bien disposés

        Qu’ilz puissent, en leur mariage,

        Produyre bon et beau lygnage

        Et vivre ensemble longuement !

470  Puys, en la fin, ayent234 saulvement

        Avec Dieu, en céleste enclos235 !

        Te rogamus, audi nos !236

*

1 Nouveau recueil de farces françaises des XVe et XVIe siècles, Paris, 1880, pp. LXII-LXVI. — Recueil général des sotties, t. III, Paris, 1912, pp. 269-299.   2 Cf. le Bateleur, vers 184 et note. Michel Rousse a publié les documents qui touchent cette affaire : Archives et documents datés, Rennes, 1983, pp. 235-236. N’étant pas en France, je n’ai pas pu consulter mes antiques photocopies de la thèse non éditée de M. Rousse concernant le Pèlerinage de Mariage.   3 Cette pièce de Claude Mermet s’inspire occasionnellement de la nôtre, ou d’une source commune.   4 LV : le viele  (Nous avons là trois jeunes filles, comme le stipulent les vers 3 et 86, et elles sont encore célibataires.)  En costume de voyage, les pèlerines se mettent en route vers le pays de Mariage.   5 Notre pèlerinage. Cf. le Grant voiage et pèlerinage de Saincte-Caquette.   6 Pour cela.   7 LV : nostre nect  (Gardant lisible le sauf-conduit que nous a donné le curé. Cf. Colin filz de Thévot, vers 267-304.)  On peut aussi comprendre : Gardant intact notre pucelage. Le parchemin désigne le pubis des femmes : Pernet qui va à l’escolle, vers 25 et note.   8 LV : la verite  (Voir le v. 6.)  La volonté de l’Église était que les filles arrivent vierges au mariage.   9 Vêtu d’un habit de pèlerin très usé, il revient de Mariage.   10 Atteint de langueur, malheureux.   11 LV : dont  (La négation explétive moins ne est admise : « [La plaie causée par la flèche de Cupidon] en est si profonde/ Que d’en trouver la fin ne peux,/ Et la guarir moins je ne veux. » Je n’avois onc senty le dard.)   12 Et même, je ne connais aucun.   13 Accordons-nous un divertissement. « Mi-e » compte pour 2 syllabes.   14 Il me rappelle.   15 Bonsoir !   16 LV : a vobis  (Et vous aussi ! Le Pèlerin, qui s’est marié à l’église, en a retenu la langue.)   17 À partir d’ici, LV abrège Pèlerin et Pèlerine en p. Je ne le suivrai pas.   18 LV : la vielle p  (Je corrige la même bévue à la rubrique du v. 29.)   19 LV : la  (Je corrige la même faute de lecture au 2e mot du vers suivant.)   20 LV : ii  (Entre les vers 10 et 149, le copiste oublie qu’il y a une 3e Pèlerine, à laquelle je vais donc rendre la parole de temps en temps.)   21 Fidèle à ses lubies, le copiste du ms. La Vallière accroche un double « e » à la fin du mot. Je corrige tacitement cette idiotie aux vers 30, et 197-202.   22 Elles ne sont pas logées à la même enseigne que les pèlerines qui se rendent à Sainte-Caquette, lesquelles n’ont pas le droit de parler en chemin, « car c’est ung tel pèlerinage/ Qu’en le faisant, mot on ne sonne ».   23 Et pourtant.   24 LV : esse  (Même bizarrerie à 281.)   25 LV : cheual  (à la rime.)  En dévalant au galop.   26 Au mieux.   27 S’y précipite à cheval.   28 De disputes. Mais le vieux Pèlerin se reprend.   29 Si on sait bien se défendre.   30 Saurais, pourrais. Même normandisme aux vers 186, 198, 215, 352.   31 LV : dy aller  (Mais on peut comprendre : Je ne saurais me retenir plus longtemps d’aller uriner. C’est bel et bien ce qui arrive à la pèlerine de Saincte-Caquette, vers 179-186.)   32 LV : veoray  (Je vous verrai dans une bonne situation.)   33 Si nous risquons de rencontrer un homme. « Il s’en rencontre mesme qui (…) vont jusqu’à proférer ces mots. » Louis Abelly.   34 Si on voulait sortir.   35 « La MALLERAGE : Château de France en Normandie, au pays de Caux. » (Dictionnaire de Trévoux.) La « male rage » et le « mariage » sont plaisamment confondus : « Jamais n’ouÿ, de mon bon eur,/ Sy bien parler de malle rage…/ Dy-je [je veux dire], Sathan, de mariage. » Éloy d’Amerval.   36 LV : lieux  (« Lieu-es » compte pour 2 syllabes.)   37 LV : ca la  (Cela fausserait nos journées de marche.)   38 LV : monnoys  (Fleurs dont on jonchait le sol avant le passage de la mariée. « L’autre amassoit des fleurs et en faisoit jonchées. » La Curne.)   39 LV : adiensses  (Agencées, apprêtées. « Chacun taschoit à s’adgencer. » Guillaume Coquillart.)   40 LV : un petivt  (Cueillent, et des œillets. Sur le double sens floral de « jalousie », voir Saincte-Caquette, vers 317.)  « Pensée » cache aussi un double sens : fleur, et idée triste.   41 LV : tant poyres de chiot  (« –Que mangera, par fantasie ?/ –Poires, poires de jalousie. » Les Cris de Paris.)  Une épouse sert également à son mari des poires d’angoisse : « Amy, garde bien d’y aller (te marier) !/ Car l’on t’y fera avaller/ Souvent mainte poire d’angoisse/ Toute succrée de tristesse. » Le Pèlerin et la Pèlerine <v. ma notice>.   42 Dénomination doublement scatologique (chier + brenner) des embarras causés par les femmes ; voir le v. 396. « Le chiabrena des pucelles. » (Pantagruel, 7.)  « Tati tata » exprime le bavardage féminin : cf. les Botines Gaultier, vers 25.   43 LV : pomc  (Les fruits étaient bons s’ils avaient goût à framboise. « Y [mes pommes] sentent comme la framboyse. » Le Marchant de pommes.)   44 LV noys aussy  (Noisille et noisette sont des diminutifs de noise. « Ces petites noisettes, ces riottes qui, par certain temps, sourdent entre les amans. » Rabelais, Tiers Livre, 12.)   45 Avec vous, on ne mange pas ce genre de « noisettes ».   46 Je ne mens pas. « Se ne dis vray, au moins ne men-ge mye. » Jehan Molinet.   47 S’incline dévotement.   48 Au-dessus de ce mot, qui n’est pas biffé, le copiste a écrit : achete   49 Les ordonnances, ou les pèlerines ?   50 Qu’elles soient sottes ou intelligentes. Les ordonnances, ou les pèlerines ?   51 LV : quatorz e   52 Le trait est marqué : le barème est fixé.   53 On récompense les gens selon leur mérite.   54 LV : synon  (Suivant comment est l’épouse.)   55 Qui allait assaillir le pays de Mariage par surprise.   56 Il arrive derrière les femmes, vêtu d’un habit de pèlerin flambant neuf.   57 Repris, blâmé.   58 LV : dict  (Voir le v. 250.)  Qu’il nous dise ce que c’est.   59 « Trop est personne aventureuse,/ Qui tel chemin ose entreprendre. » ATILF.   60 Un faiseur d’embrouilles. « Messaiger sûr, dont congnoissance avez,/ Debvez plustost envoyer par chemin/ Que ung estrange brouilleur de parchemin. » Guillaume Crétin.   61 LV : auant  (Allez au gré du vent. Cf. Mallepaye et Bâillevant, vers 341 et 347.)   62 LV : jouee  (Nul jour. « Et jamais jour ne cessera,/ Comme faict le las Sisiphus. » Roman de la Rose, éd. 1529.)  Votre mariage ne cessera jamais. Le lien du mariage était indissoluble, et les divorces, vendus par l’Église, pouvaient coûter fort cher.   63 LV : mon dieu  (Que soit maudit celui qui se lassera avant 3 ans passés.)   64 Les pèlerins portent un bâton ferré, le « bourdon ». Voir le v. 137.   65 Inversion ironique — et confirmée par la rime riche — du proverbe : Être vaillant comme Roland. Le neveu de Charlemagne est encore évoqué au vers 148.   66 LV : a couardy  (Privé de coue, de queue. « –Va-t’en coucher emprès la belle !/ –Rien, rien ! –Es-tu acouardi ? » Le Mariage Robin Mouton.)   67 Son bâton de pèlerin. Au second degré : son pénis. « En la main de madame la nonnain (il) mist son bel et trèspuissant bourdon, qui gros et long estoit. » Cent Nouvelles nouvelles, 15.   68 Vermoulu, délabré.   69 Il faut débouter les vieux pèlerins, les repousser.   70 Prenez garde à ce que vous allez faire.   71 LV : desires  (Restez ! « Demourezjusques à demain ! » La Condamnacion de Bancquet.)   72 Les lavandières nettoient les cottes en les frappant avec un battoir. Ici, nous devons lire « vos côtes ».   73 Donne ses bottes de cavalier à notre nouveau Roland ! La Chanson de Roland fait d’Olivier le compagnon de Roland, mais pas son valet.   74 Le Carême-prenant est le Carnaval, qu’on tue symboliquement pour qu’il laisse la place au Carême. Émile Picot signale un Coq-à-l’âne attribué à Marot : « Quand l’espée au costé j’ay ceincte,/ Je turoy Caresme-prenant. »   75 Quelqu’un qui nous défend.   76 C’est une des rimes équivoquées les plus courantes. Elle se combine avec « viel lart » : vieux pénis.   77 LV : fourmasse  (Que je n’aille pas me fourrer dans le mariage ? « Il n’eut autre loisir que de se aller fourrer dedans. » ATILF.)  Double sens érotique : « (Le) bon bergier se fourre dedens…. Tout ce qu’il avoit (il) ensevelit jusques au manche. » Cent Nouvelles nouvelles, 82.   78 Noble, valeureux. Idem vers 144. Le roi Arthur est un parangon du guerrier, de même que le héros troyen Hector. Cf. le Capitaine Mal-en-point, vers 555 et 605.   79 Surveillez la partie mobile de votre arbalète, qui tire la corde en arrière. Cf. l’Arbalestre, vers 466.   80 Dévier votre tir. « Pour ce, nous fault le trait charmer/ Et de traïson nous armer. » (ATILF.) Double sens : Boire d’un trait. « (J’)yroye droit à l’avantgarde chez le tavernier pour charmer le traict. » Pierre Fabri.   81 LV : estroiet  (Si fort. « [Il] gela sy estroict que les résins estant jà meurz flestrirent. » Raymond d’Austry.)   82 LV : pour  (Vers obscur et sans intérêt, à moins qu’il ne recèle un calembour grivois : « De perdre honneurs et biens pour vouloir à con plaire. » Jehan Molinet.)   83 LV : coḿencement   84 En son royaume.   85 LV : vesperisse  (Bafoué.)   86 Si nice, si bête.   87 Tais-toi. Idem vers 343. Le jeune insolent commence à tutoyer son aîné, suivi par les femmes au vers 304.   88 LV : car cest ases  (Vous serez assez maudit par votre femme. « Elle me maudict comme un chien. » L’Arbalestre.)   89 De semer. Cf. la Veuve, vers 22.   90 N’en parle que pour de bonnes raisons.   91 Piqué.   92 Extrait de la chanson On a mal dict de mon amy. Voir Howard Mayer BROWN : Music in the french secular theater, Harvard University Press, 1963. Nº 318.   93 Pourvu qu’on ne donne. Chanson inconnue. LV intervertit ce vers et le vers 191.   94 Serviteur. Même chanson au vers 19 du Savatier et Marguet.   95 LV : joe   96 Éclatant.   97 2e vers de la chanson Il fait bon fermer son huis. Brown nº 174.   98 LV : tout mary on  (Le mari se gèle dans la rue quand il guette l’arrivée de l’amant de son épouse, ignorant que celui-ci est déjà dans la maison.)   99 LV : mule  (Sa femme regimbe [rue] et fait des ruades avec son amant.)   100 Extrait d’une chanson d’Antoine de Févin, Il fait bon aimer l’oyselet, qui est chantée dans le Retraict. Brown nº 173.   101 LV : mont joyee  (C’est un monceau de plaisir.)   102 Extrait de la chanson Réveillez-vous, réveillez. Brown nº 366.   103 La menace de voir le mari débarquer à l’improviste.   104 Refrain de la chanson Je voys, je viens, mon cueur s’en volle. Brown nº 228.   105 Ce sont des mots en l’air.   106 Ou mensonge.   107 Chanson inconnue.   108 Même proverbe dans Guillerme qui mengea les figues et dans Le Sourd, son Varlet et l’Yverongne. La sagesse du vieux pèlerin s’exprime sous forme de proverbes.   109 Être au fond de la rivière.   110 Extrait de la chanson Je le lesray puisqu’il m’y bat. Brown nº 206.   111 Sans bruit.   112 Au jeu de paume, servir au rabat c’est feinter l’adversaire en rabattant l’éteuf vers le sol. « Je le serviray au rabat. » L’Aveugle et Saudret.   113 Chanson inconnue.   114 Mon vieil ami. « Affin aussy que dire adieu je voyse [j’aille]/ À mes amys et mes compaignons vieulx. » (Clément Marot.) Cette incise est narquoise, venant d’un vieillard qui s’adresse à un jeune homme.   115 Le mariage est considéré comme un Ordre monastique. Idem vers 238 et 379. « Entre nous autres, pauvres gens,/ Qui estions si mignons et gents/ Devant qu’en l’Ordre fussions mis. » (Les Ténèbres de Mariage.)  Soudaine = impulsive, changeante.   116 Présomptueux.   117 Chanson inconnue.   118 Dans son domaine.   119 Il y a de bonnes choses.   120 L’armerie [l’œillet] fleurit.   121 Extrait de la chanson L’Amour de moy si est enclose. Voir la note 97 du Savatier et Marguet.   122 En supposant que cela. Ita = oui ; le vieux pèlerin est féru de latin (vers 23).   123 LV : nosses  (Dont je n’ose parler.)   124 LV : consommo lamiee victa  (Chanson composée sur un poème italien par Johannes Prioris. Brown nº 64.)   125 LV : valloir  (S’il veut se montrer sous son meilleur jour. « Un cœur généreux ne doit point desmentir ses pensées ; il se veut faire voir jusques au dedans. » Montaigne, II, 17.)   126 Celui qui y entre y a son plaisir. On faisait la liaison : « délita ».   127 4e vers de la chanson Franc cœur qu’as-tu à soupirer, chantée aux vers 22-25 du Gallant quy a faict le coup. Voir la note 101 de Marchebeau et Galop.   128 Ces deux vers aux élisions suspectes pourraient provenir d’une chanson en vers de 4 syllabes.   129 Chanson inconnue.   130 LV : joyeussete  (À la rime de 239. Voir les rimes 47 et 49 de Marchebeau et Galop.)   131 Quand l’ordre de Mariage a de bons serviteurs. « Ordre » était souvent féminin, comme au vers 217.   132 LV : franc  (Mon cœur reverdit en. « Il les voit reverdir en bonté. » Æmar Hennequin.)  Chanson inconnue.   133 LV : tant  (Fraité = accablé de frais. Un prêtre normand qui « requéroit plusieurs femmes mariées de leur déshonneur » les faisait citer à comparaître dans une autre juridiction « pour les plus fraitier et dommaiger ». Lettre de rémission, 1450.)   134 Ce dernier mot remplace abusivement ma mère. Brown nº 191.   135 Le riz est un gracieux mets, à n’en pas douter. Jeu de mots sur le « ris » : le rire.   136 Je ne puis l’oublier. Cet extrait de la chanson Les Regretz que j’ay de m’amye est chanté au vers 55 du Savatier et Marguet. Brown nº 266.   137 Te maîtrise, fait la loi. Cf. le Maistre d’escolle, vers 108.   138 Extrait de la chanson Vostre beaulté, belle cointe et jolie. Brown nº 405.   139 Une pareille liesse, joie. Nous avons maintenant 7 décasyllabes, sans doute pour cadrer avec la chanson du vers 255 et avec l’emprunt biblique de 257.   140 Chanson inconnue.   141 LV : lassama bethany  (« Eloï, Eloï, lama sabactani ? » Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?)  Rabelais fit de ce psaume 22 un usage beaucoup plus galant : une Parisienne, outrée que Pantagruel l’ait quittée sans lui dire adieu, lui envoie un anneau d’or. « Lors, le regardant, trouvèrent escript par-dedans, en hébrieu : LAMAH HAZABTHANI…. C’estoyent motz hébraïcques signifians : Pourquoy me as-tu laissé ? » Pantagruel, 24.   142 LV : grand  (Thésor = trésor.)   143 Ce cliché traîne dans plusieurs chansons : « Plus chauld que feu ne que métal en fonte/ Est mon las cueur qu’Amours contrainct et dompte. » Plus chauld que feu.   144 Aujourd’hui.   145 Le Sot des Cris de Paris, refusant de se marier, objecte le même proverbe (vers 404-5).   146 On ne viendrait à bout de rien. Mais « faire » = faire l’amour, comme au vers 417.   147 C’est une mignardise, un jouet.   148 De travers.   149 L’inconstante.   150 Ce que je veux vous dire.   151 Pourquoi avez-vous prononcé les vœux lors de la cérémonie du mariage ? Voir les vers 297 et 300.   152 Vers manquant. Dans sa fuite, Absalon accrocha malencontreusement sa longue chevelure à un arbre et fut tué. « Absalon se pendit par les cheveux. » Gargantua, 42.   153 LV : saucun y   154 LV : esse  (Heureux.)  Se douloir = souffrir.   155 LV : grisson  (Grison est le nom habituel des chevaux gris : cf. le Badin qui se loue, vers 73 et note.)  Moreau est le nom des chevaux noirs : cf. Colin qui loue et despite Dieu, vers 515.   156 S’agit-il d’un proverbe parisien ?   157 Laissons-le (pronom normand).   158 LV : la jeune p   159 LV : coures ny   160 C’est le « cri » des laitières ambulantes. Mais le pot au lait désigne les testicules : « Saulve, Tévot, le pot au laict (ce sont les couilles) ! » Tiers Livre, 8.   161 Billet doux. « De ce mesme papier où il vient d’escrire l’arrest de condemnation contre un adultère, le juge en desrobe un lopin pour en faire un poulet à la femme de son compaignon. » Montaigne, III, 9.   162 Vous ferez sagement. Cf. le Savetier Audin, vers 186.   163 À la manière.   164 Les gluaux sont des branchettes qu’on enduit de glu pour capturer les passereaux. Voir la Pippée.   165 LV : bestes  (De pauvres imbéciles.)  Les diots sont des étourneaux et des idiots : cf. l’Arbalestre, vers 67. Les cocus sont des coucous et des maris trompés : v. la note 38 des Mal contentes.   166 LV : escorse  (Une torsion, une entorse. « Solérius a donné une estorse au texte de Dioscoride. » Godefroy.)   167 Ni prudence. « Sans tenir règle ny compas. » Folconduit.   168 Chasser.   169 LV : de la  (N’aie pas l’audace. « Ne soyez/ Si hardy de le vouloir faire. » Les Femmes qui se font passer maistresses.)   170 « Je permétroys changer les femmes/ Comme les chevaulx et les mules. » Troys Galans et un Badin.   171 De certificats.   172 Ils vendraient beaucoup de vin pour ces nouvelles noces.   173 LV : tire  (Voir le v. 175.)  « Paix ! C’est trop babillé. » L’Homme à mes pois.   174 Ce personnage très négatif prélude toujours à l’énumération de tout ce que le pauvre fiancé va devoir acheter, partant du principe qu’il ne possédait jusque-là ni meubles, ni vaisselle, ni linge, et qu’il ne mangeait jamais. La liste que déroulent les Ténèbres de Mariage <Montaiglon, I, pp. 20-21> est très proche de la nôtre : « Mesnage nous vient assaillir…./ Il faut robbes et chapperons. »   175 LV : hault   176 LV : gorgeretes  (Fichus dont les femmes couvrent leur poitrine, non pas pour la dissimuler mais pour la mettre en valeur. « Gorgières de Behaigne pour l’atour de la dite dame. » Godefroy.)   177 Bandeaux précieux, colliers. Cf. Moral de Tout-le-Monde, vers 220.   178 LV : regna   179 Songer.   180 Viande, poisson, et charbon pour faire cuire tout cela. « Il faut du pain, du vin, des noix,/ Du lard, des fèbves et des poix,(…) / Des fagots, chandelles, du bois. » Ténèbres de Mariage.   181 Des tabourets, et des tréteaux pour soutenir les planches qui tiennent lieu de tables.   182 Le mariage est un vrai paradis.   183 Des poêles, des poêlons, des jattes, des chaudrons.   184 Crémaillères, et grands chandeliers.   185 Des tranchoirs [planches à couper la viande ou le pain], des dessous-de-plat.   186 Autant de peines.   187 Le mariage ne saurait me lasser.   188 LV note au-dessus : * tous ensemble *  (Les signes qui bordent cette mention indiquent qu’elle doit être supprimée : elle concerne le vers 355.)   189 L’affaire est conclue. Cf. la Folie des Gorriers, vers 551.   190 Par médisance.   191 Aux ententes, aux accords financiers entre les deux familles.   192 Avant. Idem vers 127.   193 Pour prendre possession de sa femme, il faut.   194 LV : unne   195 Contrairement aux cloches, les sonnettes sont les attributs des fous : « Attache-moy une sonnette/ Sur le front d’un moyne crotté (…) :/ Voylà un Sot de la Bazoche. » (Marot.) Cf. Maistre Mymin qui va à la guerre, vers 186 et note.   196 Celui qui l’a adopté.   197 Les 5 comédiens parodient une procession en défilant tout autour de la salle. La troupe du Pardonneur jouait « en la salle et maison où pend pour enseigne le Port de Salut » : il s’agit d’un cabaret, au nom prédestiné puisque l’auteur d’un discours à la gloire des tavernes de Rouen <Montaiglon, XI, 78>, exactement contemporain de la pièce, nous livre cette contrepèterie : « Changer fault le Port de Salut / Et le nommer Sort de Pallut. » Sortir du palud = sortir de l’enfer.   198 Nous irons joyeusement au pays de Mariage. Puis nous nous en lasserons. Puis nous le maudirons. Puis nous nous repentirons d’y être allés. Toute une vie conjugale est résumée en 4 vers !   199 Sainte Buffette, éloignez-vous de nous ! Buffeter = harceler. La formule officielle des Litanies est : « Ora pro nobis » [prie pour nous] !   200 Sadinette = gracieuse. Dans le Dorellot, c’est le nom d’une prostituée.   201 Patronne des femmes bavardes. Cf. le Pèlerinage de Saincte-Caquette.   202 Fâcheuse.   203 Grondeuse.   204 LV : mesprisses de  (Se fumer = se mettre en colère.)   205 Glorieuse, orgueilleuse.   206 Qui mignarde devant les hommes.   207 La bouffette est un nœud de soie que les élégantes font bouffer dans leur coiffure.   208 Faiseuse d’embarras. Voir la note 42.   209 Mélancolie.   210 LV : frenastises  (Tous ensemble, saisis d’une sainte frénésie, comme les sibylles qui prophétisent. On comprend qu’un tel délire orgiaque ait pu indisposer la censure.)  Mes prédécesseurs font de cette didascalie un vers à part entière.   211 Libère-nous, Seigneur ! Les vers 112-119 de Te rogamus audi nos offrent la même structure en quatrains aabB, et le même refrain. On détournait facilement ces Litanies ; voir par exemple la Letania minor de Jehan Molinet, ou la Létanie des bons compaignons <Montaiglon, VII, 66-69>.   212 LV : contamine  (Enveloppé dans un béguin, i.e. un bonnet d’enfant, ou de Badin de farce : « Habillé en Badin (…) et enbéguyné d’ung béguin. » Maistre Mymin qui va à la guerre.)  « De femme pleine de tempeste,/ Qui a une mauvaise teste/ Et le cerveau embéguiné. » Le Pèlerin et la Pèlerine <v. ma notice>.   213 LV : sa la et   214 Abruti par des flatteries. « De femme qui, par sotte guise,/ Veut faire chauffer sa chemise/ Par son sot enjobelliné. » Le Pèlerin et la Pèlerine <v. notice>.   215 LV : jeutz  (Par la faute des jeux de cartes ou de dés.)   216 « Femme qui a les doigts menuz,/ Courtes mammelles, nez camus,/ Basse motte, petites mains,/ Joue volontiers du bas des reins. » Ms. fr. 22565.   217 Qui fait l’amour sans avoir besoin d’un lit : qui consomme dehors.   218 Faisant les importantes. Cf. les Coppieurs et Lardeurs, vers 247. « De femme tranchant du grobis,/ Qui dépend tant en ses habits/ Que son mary est mal disné. » Le Pèlerin et la Pèlerine <v. notice>.   219 LV : tout  (Qui dépensent tant d’argent en habits.)   220 N’a rien à manger.   221 Aux toilettes. Cf. le Retraict. La farce de Guilliod est moins scatologique : « D’aller de nuict sans lanterne/ Et sans argent à la taverne,/ Et d’estre trop tost marié,/ Libera nos, Domine ! »   222 Prions ! L’orémus est la conclusion des Litanies ; cf. la Létanie des bons compaignons, p. 69.   223 [Seigneur,] nous t’implorons, écoute-nous ! Les quatrains 100-111 de Te rogamus audi nos offrent la même structure en aabB et le même refrain.   224 Et un peu.   225 LV : ses braqueurs  (« Bragueur : as bragard. » Cotgrave.)  Ces frimeurs emperruqués.   226 Ces élégants, ces porteurs de perruque. Esperlucat est ici un substantif : cf. la Veuve, vers 95. C’est un adjectif au vers précédent : cf. le Trocheur de maris, vers 133.   227 Des nôtres. « Qu’elle soit des noz. » (Digeste Vieille.) Qu’ils puissent être cocus comme nous.   228 LV : tant aux  (Ce couplet fait double emploi avec celui de 439-441. Dans ce genre d’accumulations, les ajouts d’acteurs sont fréquents.)   229 Ce sont les vers 110-111 de Te rogamus audi nos. Voir aussi la Létanie des bons compaignons : « Donnes-nous bon pain, bonne chair,/ Et la belle fille au coucher/ Pour faire la beste à deux doz !/ Te rogamus, audi nos ! »   230 Quand nous aurons participé à une affaire douteuse.   231 Mauvaise. Idem vers 70 et 318.   232 Bouderie faite par une tête de mule ; c’est un mot normand. Tançon = querelle ; voir le v. 449.   233 Forme normande de griffes. Cf. la Veuve, vers 6.   234 LV : est   235 Au paradis.   236 Fin de la pièce. Mais le scribe note ici : L’oraison de ceste farce est au costé de ce feuillet premyer qu’i fault tourner, et aussy y est le nombre des lignes qui sont en ladite farce. Or, le recto du folio 95 est entièrement blanc, et son verso comporte un poème sans titre de 24 vers à la gloire du fil à coudre. Ce poème non dramatique se clôt pourtant sur le nombre de lignes — et non de vers — que comporte la pièce (573, un chiffre qui ne tient pas compte du poème), et sur le congé personnel du copiste : En prenant congé de ce lieu, / Unne chanson pour dire adieu ! / FINIS

FOLCONDUIT

Recueil Rousset

Recueil Rousset

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FOLCONDUIT

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La concision inhabituelle de cette moralité normande du XVIe siècle porte à croire que l’éditeur parisien qui l’a modernisée au siècle suivant l’a également raccourcie.

Source : Recueil de plusieurs farces tant anciennes que modernes. Paris, Nicolas Rousset, 1612, pp. 65-75.

Structure : Rimes plates, rimes abab/bcbc.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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Farce nouvelle des

Femmes qui ayment mieux

suivre & croire Folconduit

& vivre à leur plaisir que

d’apprendre aucune

bonne science.

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À quatre personnages, c’est à sçavoir :

       LE  MAISTRE,  [FAIRE-BIEN1]

       FOLCONDUIT 2

       PROMPTITUDE  [À  MAL  FAIRE3]

       TARDIVE  À  BIEN  FAIRE

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                        LE  MAISTRE,  [FAIRE-BIEN] 4         SCÈNE  I

        Je tiens icy le Grand Collège !

        À celle fin que je soulage5

        Par mon sçavoir leur6 conscience,

        Tous amateurs de sapience7

5      Qui veulent à Bien-faire apprendre

        Viennent subit8 à moy se rendre !

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                        PROMPTITUDE  [À  MAL  FAIRE] 9

        Folconduit !                                                               SCÈNE  II

                        TARDIVE  À  BIEN  FAIRE

                              Est-il sourd ?

                        FOLCONDUIT

                                                      Holà !

                        PROMPTITUDE

        Ha ! mon Joanès10, es-tu là ?

                        FOLCONDUIT

        Holà, holà, dame Nicole11 !

10    Approchez, que je vous accole !

                        TARDIVE

        Es-tu sourd ? Ne viendras-tu point ?

                        FOLCONDUIT 12

        Sanbieu ! me voicy, en pourpoint.

        Qu’i a-il ? N’espargnez ma peine.

                        PROMPTITUDE

        Beau sire, il faut que tu nous mène

15    À l’escole de Faire-bien.

                        FOLCONDUIT

        À ce faire ne cognois rien :

        Cherchez conducteur autre part.

                        TARDIVE

        Si sçais-tu la science et l’art

        Des femmes mener et conduire.

                        FOLCONDUIT

20    Ouy, mais non pour à bien les duire13,

        Car sans cesse veulent parler14.

                        PROMPTITUDE

        Autant par terre que par l’air,

        Femme[s] sans cesse parleront.

                        TARDIVE

        Voire. Et quoy qu’on en dise, iront

25    Partout où bon leur semblera.

                        FOLCONDUIT

        Aucunes15 s’en repentiront ;

        Leur cacquet, en fin, leur cuira.

                        PROMPTITUDE

        Quoy ! Folconduit nous desdira16 ?

        Ma commère, il le faut charger17 !

                        TARDIVE,  en le frappant :

30    Le18 sanbieu ! il s’en sentira.

        Mais nous cuide-il icy prescher ?

                        FOLCONDUIT

        Je vous prie, espargnez ma chair !

        Je feray ce qu’il vous plaira.

                        PROMPTITUDE

        Or sus, doncques ! À peu de plaid19,

35    Pense d’aller et de marcher !

        Tant de langage ne me plaist.

                        FOLCONDUIT

        Avez-vous vostre panier20 prest ?

                        PROMPTITUDE

        Ouy, ouy ; mais ne le pille pas,

        Car nous y aurions intérest21.

                        FOLCONDUIT

40    Sans faire en en ce lieu plus d’arrest,

        Venez ! Suivez-moy pas à pas

        Sans tenir règle ny compas22,

        Comme est des femmes la manière.

                        PROMPTITUDE

        Sçais-tu qu’il y a23 ? Parle bas,

45    Et me faits rendre la première24.

                        TARDIVE

        Et moy, demeureray-je arrière ?25

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                        FOLCONDUIT,  parlant au Maistre :     SCÈNE  III

        Ces26 deux femmes je vous ameine,

        Maistre, afin que preniez la peine

        De leur recorder27 leur leçon.

                        LE  MAISTRE

50    Long temps a que sçay28 la façon

        De monstrer et apprendre aux femmes

        Leurs manières, gestes et games29,

        Et à parler de sens rassis30.

                        LES  DEUX  FEMMES  ensemble

        Maistre, mille et mille mercis !

55    Cela nous ne voulons apprendre.

                        LE  MAISTRE

        À quoy donc[ques] voulez-vous tendre ?

        Si voulez, je feray lecture

        Convenable à vostre nature,

        Tous les jours des fois cinq ou six.

                        TARDIVE

60    Maistre, mille et mille mercis !

                        FOLCONDUIT

        Dictes ce qu’elles apprendront,

        Et quelle méthode tiendront,

        Afin que, quand auront rendu31,

        Je puisse entendre au résidu32,

65    Les faisant souvent répéter33

                        LE  MAISTRE

        Leur faut (ce croy-je) interpréter,

        Au commencement, les régimes34.

                        PROMPTITUDE

        De régir sommes légitimes35,

        Sans que personne nous commande.

                        TARDIVE

70    La subjection36 seroit grande,

        S’il nous convenoit37 obéir !

        Ton livre ne voulons ouïr,

        Ains38 commander en tous endroits

        Absolument, suyvant nos droits

75    Que debvons sur tout39 maintenir.

                        LE  MAISTRE

        Si ay-je aux sages veu tenir40

        Que, par raison et bienséance,

        Femmes doibvent obéissance

        À leurs marys.

                        PROMPTITUDE

                                 Leur male rage !

80    Quoy ? Qu’ils nous tinsent en servage,

        Estans nées pour commander ?

                        LE  MAISTRE

        Si ne voulez vous amander

        En ce, le Livre de silence41

        Vous liray, remply de science

85    Moult fructueuse et salutaire.

                        PROMPTITUDE

        M’est Dieux42 ! je ne me sçaurois taire :

        Ce livre-là ne nous duit point43.

                        TARDIVE

        Non, non, ce n’est pas là le point

        Auquel voulons nous amuser.

                        FOLCONDUIT

90    Encore faut-il adviser,

        En fin, quel livre on vous lira.

        Voulez-vous celuy de Lyra44 ?

                        LE  MAISTRE

        Le Blason des folles amours45 ?

                        PROMPTITUDE

        Nous le pratiquons tous les jours ;

95    Ce livre nous est tout commun.

                        FOLCONDUIT

        Lisez[-leur] maistre Jean de Meun46,

        Qui tant bien d’elles a escrit.

                        TARDIVE

        Non ! C’estoit un homme maudit,

        Ayant blasmé nos meurs et faits.

                        LE  MAISTRE

100  Voulez-vous ouÿr les Secrets

        D’Albert le Grand47 ?

                        FOLCONDUIT

                                             C’est très bien dit.

                        PROMPTITUDE

        Nenny, nenny : il a mesdit

        Par trop du sexe féminin !

                        TARDIVE

        Estre ne debvoit si sublin48,

105  Ny parler si ouvertement.

                        LE  MAISTRE

        Nous serons icy longuement,

        Si vous ne déclarez le livre

        Que vous voulez que je vous livre

        Pour vous apprendre ma science.

                        FOLCONDUIT

110  Lisez-leur cil49 d’Obédience.

                        PROMPTITUDE

        Soufflez50 ! J’en suis en grand esmoy ;

        De luy n’ay cure, sur ma foy !

                        LE  MAISTRE

        [Aus]si est-il excellent en ce51

        Qu’apprend à prendre patïence,

115  Qui surmonte et vainc toute chose.

        Voulez-vous que je vous l’expose ?

                        PROMPTITUDE

        Nenny, nenny ! Mais je vous prie52,

        Quel(le) simplesse et nïaiserie,

        De patiemment endurer

120  Sans tancer53, au moins murmurer,

        Chose qui me puisse desplaire !

        Plustost mourir que de m’en taire !

                        TARDIVE

        Cuideriez-vous que sois contente,

        Lorsque mon mary me tourmente

125  Ou ne fait tout à mon désir ?

                        LE  MAISTRE

        Dictes si vous voulez choisir,

        [Sans plus faire de dilatoire,]54

        L’un des livres de ce mémoire55.

        Et premièrement, la Manière

130  Comment maistresse et chambrière

        Se doit par raison gouverner56,

        En laissant — pour vous le donner

        À entendre — habits dissolus,

        Devis et propos superflus ;

135  Sans aussi faire tant les bestes

        Ni monstrer leurs mauvaises testes,

        Principalement à l’hostel57.

                        TARDIVE

        Cure n’avons de livre tel !

        Gardez pour autre sa lecture.

                        FOLCONDUIT

140  Ouy, car c’est toute vostre cure58

        De braver59 et de cacqueter,

        De contredire et contester

        Tant que le dernier60 vous demeure.

                        LE  MAISTRE

        Ne sçay donc que leur lire, à l’heure61,

145  Si ne veulent (propos final)

        Que leur lise le Doctrinal

        D’humaine et divine science62.

                        PROMPTITUDE

        Chose à laquelle moins je pense !

                        TARDIVE

        Et moy aussi. Allons63, allons !

                        LE  MAISTRE

150  Allez ! Mieux vallent les talons

        Que le devant64.

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                        PROMPTITUDE                                    SCÈNE  IV

                                     Sus ! Folconduit,

        Je te prie, prens ton déduit65

        Nous rendre en ton sçavoir instruites.

                        FOLCONDUIT

        Par plaisir vous feustes produites66 :

155  Du plaisir il vous faut donner67.

        Suivez-moy sans vous destourner

        Çà ny là, et vous verrez rage68.

        Et quoy ! seroit-ce pas dommage

        Vos beaux jours, sans plaisir, finer69 ?

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                        LE  MAISTRE                                         SCÈNE  V

160  Ainsi se veulent gouverner

        Toutes femmes par Folconduit70.

        Nulle science ne leur duit ;

        Vérité leur est adversaire.

        Science ne les peut attraire71

165  À se taire ou à peu parler.

        D’ailleurs, veulent tousjours aller

        Par ville ou en pèlerinage72.

        Adieu vous dy, pour ce voiage !

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                                       FIN

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1 C’est le nom que lui donnent les vers 5 et 15.   2 Étant donné la confusion visuelle et sonore qui existe toujours entre « fol » et « sot » [fol et ſot], je pense que l’auteur a écrit Sotconduit, avec un jeu de mots sur le sauf-conduit, qui se prononce de la même manière : « Qui luy a donné saulconduit/ De passer sans me faire honneur ? » (Les Sotz triumphans.) Surcroît de confusion, ce mot peut s’écrire « sof conduit », comme au vers 166 des Premiers gardonnéz.   3 Depuis Ève, la littérature moralisatrice personnifie le Mal sous des noms de femmes : « Prontitude à mal faire & Tardive à bien faire, qui sont descendus pour le péché de Adam. » Pierre Fabri.   4 Devant sa porte, le professeur débite son boniment pour attirer des élèves.   5 Les Normands prononçaient « soulaige », comme au vers 163 des Femmes qui demandent les arrérages. Au-dessus de ce vers, j’ai supprimé un doublon inopportun du vers 147.   6 R : la   7 De sagesse, de raison.   8 Qu’ils viennent subitement. Sous ce vers, on devine une coupure : dans toutes les farces qui ont ce point de départ, une commère entend le bonimenteur et court prévenir ses amies. Voir par exemple les Femmes qui aprennent à parler latin. Ici, la commère a déjà délivré son message.   9 Chez elle, une coquette tâche de réveiller un clerc qui cuve son vin, habillé en Fou. Ce clerc est probablement le secrétaire du mari, comme Johannès dans la Nourrisse et la Chambèrière.   10 « Johannès » est le surnom latin dont on affuble les clercs. Cf. les Femmes qui aprennent à parler latin, vers 35 et note.   11 Encore endormi, le Fou rêve d’une femme. Le rêve à haute voix est un signe de folie : cf. Jéninot qui fist un roy de son chat, vers 211-226. Dame Nicole est l’épouse infidèle de Pernet qui va au vin : « –Il suffist bien d’estre voisins/ Et non cousins, dame Nicolle./ –Çà, cousin, que je vous accolle ! » C’est un nom générique de prostituée : « Enprès est rue de l’Escole ;/ Là demeure dame Nicole. » Guillot de Paris.   12 Il se lève, encore en pourpoint, et enfile sa robe de Fou par-dessus. Dans le Gentil homme et Naudet, l’amant de Lison a lui aussi ôté sa robe pour se coucher en pourpoint.   13 Mais pas pour les induire à quelque chose de bon. « Folconduit » ne peut conduire les femmes que follement.   14 La rime est normande, comme à 31-32. Cf. les Veaux, vers 223.   15 Certaines.   16 Nous contredira (verbe dédire).   17 Il faut le charger de coups.   18 R : La  (Par le sang de Dieu !)   19 En peu de mots.   20 Votre panier de victuailles, comme en portent les écoliers qui ne sont pas pensionnaires. Cf. Pernet qui va à l’escolle, vers 41-47.   21 Un préjudice. Cf. Pour le cry de la Bazoche, vers 519.   22 Ni prudence. « En toy, n’a reigle ne compas. » Le Pèlerinage de Mariage.   23 Ce qu’il y a, ce que je veux te dire. Promptitude parle à l’oreille de son clerc, mais sa commère l’entend.   24 Et fais-moi arriver la première devant le Maître. Promptitude à mal faire porte bien son nom.   25 Après une nouvelle coupure, tout le monde se retrouve devant le professeur. Le clerc, qui a dû être son élève, s’adresse à lui.   26 R : Mes   27 De leur faire réviser : « Me fault recorder ma leçon. » (Le Cuvier.) Le Fou donne dans le double sens érotique : Recorder = copuler (le Raporteur, vers 20 et note). Leçon = coït (les Femmes qui aprennent à parler latin, vers 374).   28 Il y a longtemps que je sais.   29 Leur comportement.   30 Prudent. Participe passé de rasseoir.   31 Quand elles m’auront récité leur leçon. « Çà, mon filz, achevez de rendre. » Pernet qui va à l’escolle.   32 Je puisse m’occuper du reste. Mais le résidu désigne aussi le coït : « Qui fourniroit au résidu ? » Le Ramonneur de cheminées.   33 « L’un la fout en cul, l’autre en con./ Pour s’exercer en ce manège,/ Elle répète sa leçon/ Avecque le Sacré Collège. » Blot.   34 « RÉGIME : Il signifie, en grammaire, l’action d’un mot sur un autre. » (Dict. de l’Académie françoise.) Le professeur montre aux étudiantes un manuel de grammaire particulièrement rébarbatif (vers 72).   35 R : assez dignes  (Nous sommes aptes à régenter les hommes, à régner sur eux.)  Cette retouche est politique : quand Rousset publia la pièce, Louis XIII, encore mineur, n’était pas « légitime » pour régner. Sa mère, Marie de Médicis, exerçait alors la régence ; elle avait aussi peu de scrupules à « régir » que nos deux écolières, dans lesquelles on risquait par conséquent de la reconnaître.   36 Notre sujétion, notre esclavage. Cf. le Cuvier, vers 340.   37 S’il nous fallait.   38 Mais.   39 Que nous devons par-dessus tout. Il s’agit certainement des droits de la Porte Baudais.   40 J’ai vu les sages soutenir.   41 « Maistre Gautier le Sillent traicta et composa ung livre, lequel, à la consonance de son surnom, il nomma le Livre de Silence. » (Lambert d’Ardre.) Le contenu des livres que cite notre auteur n’a aucune importance : il choisit ou invente des titres propres à scandaliser les deux femmes, exactement comme le fait le Vendeur de livres.   42 M’aid Dieu : que Dieu m’assiste !   43 Ne nous plaît pas. Idem vers 162.   44 Le Psaultier avecques l’exposition sur de Lira en françoys, du glossateur Nicolas de Lyra, dont Rabelais s’est moqué à plusieurs reprises : « Povez bien croire ce que dict Nicolas de Lyra sur le passaige du Psaultier où il est escript “et Og regem Basan”. » (Pantagruel, 4.)  Sous ce vers, il semble qu’on ait coupé la réponse des femmes.   45 On doit à Guillaume Alécis un Blason des faulces amours et un Loyer des folles amours. André Tissier* rappelle que « vers 1535, les deux poèmes d’Alecis sont réunis dans un seul titre : Le Blason et Loyer des folles amours. » Et il en conclut que la pièce fut écrite entre 1530 et 1535.  *Recueil de farces, t. X, 1996, pp. 299-322.   46 Il composa la seconde partie, férocement misogyne, du Roman de la Rose.   47 Ce saint bavarois du XIIIe siècle révéla quelques secrets intimes des femmes dans De secretis mulierum. Pour lui, la femme est un animal comme un autre.   48 Il n’aurait pas dû être si ingénieux. « Le plus sublin de tous. » Godefroy.   49 Celui. Obédience = obéissance. Nous n’avons pas conservé ce Livre d’obédience, pour peu qu’il ait existé, mais on connaît des tas d’opuscules qui prétendent insuffler aux femmes l’obéissance à leur époux, la modestie de paroles et de vêture, et un amour immodéré pour les tâches ménagères. Le plus célèbre est le Mesnagier de Paris : « Soyez humble à vostre mary, et à luy obéissant. »   50 Causez toujours ! Cf. les Mal contentes, vers 91 et note.   51 L’éditeur tardif a compromis l’effet d’une de ces rimes en paroxyton mises à la mode par les Grands Rhétoriqueurs : l’avant-dernier mot est tonique, et le dernier ne compte pas dans la mesure. « Bestes saulvaiges en très grant affluance/ Autour du parc, qui tousjours afflue en ce…./ Escript en or. Son nom estoit Prudence,/ Et jardinoit, monstrant estre prude en ce. » (La Déploration des trois estatz de France.) Même type de standardisation au vers 84 de Pernet qui va à l’escolle.   52 Je vous demande un peu !   53 Sans quereller.   54 Vers manquant. Sans plus de délai. « Vous en mourrez sans dilatoire. » ATILF.   55 L’un des textes de ce recueil.   56 Ce doctrinal est inconnu ; mais avec le développement de l’imprimerie, les brochures pédagogiques de ce genre ont proliféré. Certaines furent même écrites par des femmes !   57 À la maison, en présence du mari. « La mienne ne fait que tancer/ Aussitost qu’elle est à l’hostel. » Deux jeunes femmes qui coifèrent leurs maris.   58 Votre occupation.   59 « BRAVER : Se parer. » (Édélestand et Duméril, Dictionnaire du patois normand.) André Tissier note cependant : « Braver pourrait être une faute pour baver : parler à tort et à travers, perdre son temps en bavardage. »   60 Le dernier mot.   61 À cette heure.   62 Non retrouvé, à moins qu’il ne s’agisse du Doctrinal de Sapience.   63 Allons-nous-en ! Les deux femmes se retournent, suivies par le clerc.   64 « J’aime mieux voir vos talons que vostre nez : esloignez-vous de moy, allez-vous en. » Antoine Oudin.   65 Amuse-toi à.   66 Vous êtes nées d’un coït.   67 Il faut vous donner du plaisir. Ou bien : Il faut que vous donniez du plaisir.   68 Ainsi se vante un futur amant. « Puisqu’à labourer suis commis/ Vostre “terre”, je feray raige !/ Oncques ne veistes tel ouvrage. » Raoullet Ployart.   69 De finir vos plus belles années sans plaisir.   70 Sous la conduite de la folie.   71 Ne peut les inciter.   72 Les épouses rencontrent leur amant en ville et au cours des pèlerinages. « Elle s’en va à Saincte-Avoye,/ Ce croy-je, en pellerinage…./ Elle est allée rider [courir] par ville. » Le Povre Jouhan.

LE MAISTRE D’ESCOLLE

Manuscrit La Vallière

Manuscrit La Vallière

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LE  MAISTRE

D’ESCOLLE

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Le manuscrit La Vallière contient plusieurs pièces rouennaises antiprotestantes : la Bouteille, les Povres deables… Mais aucune n’atteint la virulence du Maistre d’escolle. Cette pièce fait 200 vers tout rond, comme si l’auteur avait respecté scrupuleusement le cahier des charges imposé par un commanditaire. Cela expliquerait pourquoi ce modeste tâcheron ne se risque jamais sur le terrain glissant de la contradiction théologique : il n’en avait pas les moyens. À l’heure de la Contre-Réforme, la polémique était la chasse gardée de quelques bretteurs professionnels. Les commanditaires de pièces qui parodient l’enseignement sont presque toujours des collégiens, lesquels se donnaient en spectacle lors de certaines fêtes.

Source : Manuscrit La Vallière, nº 69. Cette sottie moralisée fut sans doute écrite en 1563, ce qui explique qu’elle n’était pas trop abîmée quand on l’a copiée dans ce manuscrit, une douzaine d’années plus tard.

Structure : Rimes aabaab/bbcbbc, abab/bcbc, rimes plates, avec 4 triolets.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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Farce joyeuse

À .V. personnages, c’est asçavoir :

       LE  MAISTRE  D’ESCOLLE,  [MAGISTER]

       LA  MÈRE

       et  LES  TROYS  ESCOLLIERS,  [Socié, Amycé, Quandoqué 1]

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                        LE  MAISTRE  commence 2                    SCÈNE  I

        Je suys recteur3, grand orateur,

        Remonstrant sans estre flateur

        Que Folye4 [faict] les mal pensans.

        Escolliers ne sont en dorteur5 :

5      Chascun d’eulx dispute en docteur.

        Pendant que d’icy sont absens,

        Avoir n’en veulx mill[i]ers ne cens6 :

        Charge trèsgrande n’est pas sens ;

        Moy seul ne les pouroys instruyre.

10    De ce que j’en ay me contens7.

        Leur aprendre Donnest 8 et sens,

        Principes et Caton9 construyre…

        Trop10 sçavoir ne faict que destruyre

        L’homme, s’il ne se veult conduyre

15    De son sçavoir faire debvoir11.

        Sçavoir est bon quant on faict bruyre12

        Le sens que l’homme doibt avoir.

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                        LA  MÈRE  DES  ESCOLLIERS  entre 13

        Maintenant me fault aler voir                                      SCÈNE  II

        Mes enfans de beaulté compris14,

20    Afin que je puisse asçavoir

        S’ilz ont profité et apris.

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                        MAGISTER                                             SCÈNE  III

        Je n’ay poinct peur d’estre repris

        Ne chargé15, en ma concience :

        Car bonne doctrine et science

25    À mes escolliers veulx monstrer.

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                        LA  MÈRE 16                                           SCÈNE  IV

        Dieu gard, Magister ! Peus-je entrer ?

                        MAGISTER

        Ouy dea, entrez sy vous voulez.

                        LA  MÈRE

        Mes enfans veuillez-moy monstrer !

        Dieu gard, Magister ! Peulx-je entrer ?

                        MAGISTER

30    Ne les av’ous sceu rencontrer17 ?

        Ilz sont hors de ce lieu saultés18.

                        LA  MÈRE

        Dieu gard, Magister ! Puys-je entrer ?

                        MAGISTER

        Ouy dea, entrez sy vous voulez.

                        LA  MÈRE

        Où sont vos escollie[r]s alés ?

                        MAGISTER

35    Je les ay envoyés aux19 champs

        Coriger un tas de meschans ;

        Mais y demeurent lo[n]guement.

                        LA  MÈRE

        Y les fault avoir vitement,

        Car je veulx avoir congnoissance

40    S’ilz ont apris.

                        MAGISTER

                                 À grand puissance20.

        Pencez qu’ilz n’ont perdu leur temps.

                        LA  MÈRE

        A ! Magister…

                        MAGISTER

                                     Je les entens :

        Vous pourez voir bientost, au fort21,

        Comme j’en ay faict mon effort.

                        LA  MÈRE

45    De leur bien, Dieu soyt mercÿé !

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                        SOCIÉ,  premyer escollier,  entre.           SCÈNE  V

        Amycé !

                        AMYCÉ,  IIe [escollier],  Badin22entre.

                        Placet 23, Socÿé ?

                        Le IIIe escollyer,  QUANDOQUÉ24entre.

        Vénité ad scolam 25 !

                        AMYCÉ,  Badin26

                                            Non, non !

        [Je ne] suys pas…

                        SOCIÉ

                                     Quoy ?

                        AMICÉ

                                                  Licencié.

                        SOCIÉ 27

        Amycé !

                        AMYCÉ,  Badin

                       Placet, Socïé ?

                        QUANDOQUÉ 28

50    Mais bien plus tost « incensié29 » !

                        AMYCÉ,  B[adin]

        Je n’ay ne veulx aintel regnon30.

                        SOCIÉ

        Amycé !

                        AMYCÉ,  B[adin]

                       Placet, Socïé ?

                        QUANDOQUÉ

        Vénité !

                        AMYCÉ,  B[adin]

                        Ad scolam ? Non, non !

                        LA  MÈRE

        Mon filz !

                        AMYCÉ,  B[adin]

                          Ma mère ?

                        LA  MÈRE

                                               Mon mygnon,

55    Veulx-tu abandonner ton maistre,

        Celuy qui se veult entremaistre

        De t’aprendre toute science ?

                        AMYCÉ,  Ba[din]

        J’en sçay plus (sur ma concience)

        Que vous, luy, toy, moy et nous31 deulx,

60    Vous le savez. Monstrer le veulx :

        Car quant nous avons eu congé

        D’aler jouer32, me suys rengé

        En lieu où j’ey bien aperceu

        Que le monde a esté déceu33.

65    Et premier qu’entrer en propos34,

        Prenon un petit le repos35

        De chanter, pour fère l’entrée36.

                        MAGISTER

        Science soyt à tous monstrée :

        Chantons37 !

                        QUANDOQUÉ

                               Tout sera révoqué38

70    Des39 escolliers de candoque.

        Et pour estre myeulx esjouys,

        Chantons des chansons du pays

        D’où nous venons !40

                        SOCIÉ

                                           Sans contredict,

        Vous n’en serez en rien desdict.

                        Ilz chantent.

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                        LA  MÈRE

75    Magister, vous érez le pris41 :

        Mes enfans avez bien apris42

        En très grand science profonde.

                        MAGISTER

        Toy, premyer, je veulx que te fonde43

        De me déclarer sans rébus44

80    D’où tu viens.

                        AMYCÉ,  Ba[din]

                                  De voir les abus

        Qui se font au monde sans doubte.

                        MAGISTER

        Comme quoy45 ?

                        AMYCÉ,  Ba[din]

                                       Y sont une roulte46,

        Ainsy comme y veulent prétendre.

        Chascun d’eulx veulent faire entendre

85    Le faulx, mais je les feray reux47.

                        LA  MÈRE

        Il est plus grand clerq que vos48 deulx,

        Mydieulx !

                        AMICÉ,  Badin

                             Se suys mon49, se suys mon !

        Or, entrons à nostre sermon

        Plus avant. Mais sans long procès50,

90    Y fault déclarer51 le[ur]s excès,

        Meschantetés, urbanités52,

        Leurs façons, leurs mondanités53,

        Qu’i font par grande déraison,

        Dont on n’en faict poinct la raison

95    Justement54, ainsy qu’on doibt faire.

                        MAGISTER

        À le dire, plus ne difère55.

        Monstrez que suys maistre de sens,

        Qui vous aprens vos petis sens56

        Pour vous garder de ce danger.

                        SOCIÉ

100  Nul de nous n’en est estranger57.

        Il ont faict en nostre pays

        Ce qu’il convient58. Qu’ilz soyent haÿs !

        Vélà le poinct de nos leçons.

                        AMYCÉ,  B[adin]

        Laissez-moy dire leurs façons :

105  En Karesme mengeüssent chèr59 ;

        Sainctz, sainctes cuydent empescher

        Que pour Dieu ne soyent dépriés60.

        Sy d’eulx nous estions maistriés61,

        Ce seroyt une grand horeur.

                        LA  MÈRE

110  Et qui les maine ?

                        AMICÉ,  B[adin]

                                        C’est Erreur62.

        Mais contre eulx me suys despité63,

        Quant j’ey veu leur mondanité

        Et leur méchant gouvernement.

                        MAGISTER

        Il y fault pourvoir aultrement,

115  Car y nous en pouroyt mesprendre64.

                        AMICÉ,  B[adin]

        De leur sçavoir ne veulx aprendre ;

        J’ayme myeulx vos enseignemens.

                        MAGISTER

        Et toy ?

                        SOCIÉ

                       J’ey veu des garnemens65

        Un grand tas, menteurs et flateurs,

120  Malveillans, grans adulateurs,

        Qui preschent non pas l’Évangille

        Mais ont leur(s) engin(s) fort agille66

        De prescher toute abusion.

                        MAGISTER

        Et toy, après ?

                        QUANDOQUÉ

                                 J’ey veu confusion

125  — Qui mainte foys m’a faict seigner67

        De voir les grans mal enseigner68.

        Mais inspiration dyvine

        Viendra (ainsy comme devyne),

        Qui leur monstrera leur ofence,

130  Et fera à chascun deffence.

        Afin que n’ayons nus69 débas,

        Que leur mondanité soyt bas !

        Lors nous aurons, selon ma guise70,

        Bonne garde.

                        MAGISTER

                                Voyre, à l’église71

                        AMYCÉ,  Badin

135  Sommes-nous clers ?

                        LA  MÈRE

                                          Ouy,  ju[s]ques aulx dens72 !

                        SOCYÉ

        Nous avons veu leurs accidens73,

        Leur estat, leurs condicions.

                        QUANDOQUÉ 74

        Voyre, et prins des dis[s]encions75.

        C’est raison qu’en ayons vengance.

                        AMICÉ,  B[adin]

140  Aussy, pour avoir alégance76,

        C’est bien raison que tout soyt dict.

        Mais venez çà ! Abitavit 78

        — Prenez qu’estes78 mon escollyère — :

        Qu’esse, en françoys ?

                        LA  MÈRE

                                              Une brellyère79.

                        AMYCÉ,  B[adin]

145  Habitaculum 80 ?

                        LA  MÈR[E]

                                       Unes brays81.

                        AMYCÉ,  B[adin]

        Sainct Jehan ! Aussy ces marabais82

        Les ont acumulés ensemble83,

        Tant que chascun d’iceulx resemble

        À ceulx de Sodome et Gomore

150  Tellement que leur cas abore84.

        N’esse pas chose trop infâme ?

                        MAGISTER

        Leur mondanité n’est par femme85.

                        QUANDOQUÉ 86

        Leur erreur n’est par bon mynistre87.

                        AMYCÉ,  B[adin]

        Leurs sismes88 et façons m’enflamme !

                        LA  MÈRE

155  Leur mondanité n’est par femme.

                        MAGISTER

        C’est le deable qui les afame

        Du feu d’Enfer.

                        SOCYÉ

                                     Et leur grand tiltre89.

                        QUANDOQUÉ

        Leur mondanité n’est par femme.

                        AMYCÉ,  B[adin]

        Leur erreur n’est par bon mynistre.

160  Confusion tient leur chapitre90.

        Et puys disent, tant sont naïs91,

        Que c’est la mode du pays92.

        Et pour estre plus promps et chaulx

        En leur mal, usent d’artichaulx93.

165  Qu’eussent-il un estron de chien

        Pour chascun mès94 !

                        MAGISTER

                                            Tu dictz trèsbien

        (Je suys d’avys) de ceste afaire.

                        SOCYÉ

        Il en fault aultre chose faire.

                        QUANDOQUÉ

        Et quoy ?

                        SOCIÉ

                           Pour en avoir le boult95,

170  Y fault faire du feu de tout.

        Car ilz s’efforcent en leur guise

        De vouloir rompre nostre Église,

        Dont ce nous est grand punaisie96.

                        MAGISTER

        Qu’on les brulle sans éfigie97 !

175  Car aultrement, s’on ne le faict,

        Vous voyrez le peuple, en éfaict,

        Qui poinct ne se contentera.

        Et cependant qu’on chantera,

        Targez-vous98 ! Vérez, par mistère,

180  Ce qu’on faict, dont je m’en veulx taire.

        Et pour myeulx vous faire ententis99,

        Tous maistres font bons aprentis100.

                        Ilz chantent : 101

        De mal faire, on n’a nul repos…

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                        AMYCÉ

        Magister, donnez-nous quampos102

185  Vistement, et vous despeschez !

                        MAGISTER

        Voycy de très vaillans supos103.

                        TOUS  ENSEMBLE

        Magister, donnez-nous quampos !

                        SOCYÉ

        Neuf y en a104.

                        MAGISTER

                                    C’est à propos105.

                        AMYCÉ,  B[adin]

        Troys vie[u]s.

                        QUANDOQUÉ

                               Troys neufz106.

                        SOCYÉ

                                                        Troys despeschés107.

                        TOUS  ENSEMBLE

190  Magister, donnez-nous quampos

        [Vistement, et vous despeschez !]108

                        MAGISTER

        De bien changler109 vous empeschez !

                        QUANDOQUÉ

        Magister, qui a men pényer110 ?

                        SOCYÉ

        Magister, qui a ma pouquette111 ?

                        MAGISTER

195  Tu me sembles un gros ânyer112 !

        Y n’en fault plus faire d’enqueste.

                        LA  MÈRE

        Magister, vous aurez le pris.

        Priant Jésus de paradis

        Qu’i préserve la compaignye113,

200  Une chanson, je vous suplye114 !

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                                        FINIS

*

1 Ces mots latins sont ici transformés en noms. SOCIE est le vocatif de socius : camarade. Les satiristes en font un latiniseur inculte ; cf. Science et Asnerye, vers 221 et note. AMICE est le vocatif d’amicus : ami. Cf. D’un qui se fait examiner, vers 256. QUANDOQUE = de temps en temps ; ce terme dénigre les dilettantes, comme au vers 70. Cf. les Premiers gardonnéz, vers 211.   2 Le décor représente une salle de classe. Le professeur trône dans sa chaire en attendant que ses élèves rentrent de récréation.   3 On songe au Livre de la Deablerie, d’Éloy d’Amerval, où Bélial est qualifié de « docteur, recteur, maistre d’escolle ».   4 Ce personnage allégorique intervient dans nombre de sotties, par exemple la Folie des Gorriers.   5 Ne restent pas cantonnés dans leur dortoir. Cf. Sœur Fessue, vers 225 et 235. Nous sommes donc bien dans un collège, et non chez un professeur indépendant.   6 LV : sens  (Je vous dirai que je ne veux pas en avoir des mille et des cents.)   7 Je me contente.   8 Le manuel de grammaire latine de Donatus. Cf. D’un qui se fait examiner, vers 69.   9 Les distiques moraux qu’on lui attribuait sont une des bases de l’enseignement médiéval. « Mes Principes, et mon Donnest,/ Aussi mon petit Chatonnet. » Maistre Jehan Jénin.   10 LV : tant  (La curiosité intellectuelle mène au protestantisme ; voir les vers 116-7. « Nos dames calvinistes qui, curieuses de trop sçavoir, lizent les livres des ministres [pasteurs] & prédicans. » La Somme des péchéz.)   11 Ce précepte de Salomon fut beaucoup mieux rendu par Rabelais : « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme. » Pantagruel, 8.   12 Quand on fait s’exprimer.   13 Elle entre en scène, et elle monologue avant de se diriger vers l’école.   14 Remplis. « Une église de Nostre Dame, de merveilleuse beaulté comprise. » Fierabras.   15 D’être blâmé ni critiqué. En ma conscience = selon moi.   16 Elle entre dans la salle de classe.   17 N’avez-vous pas pu les rencontrer en chemin ? « Av’ous » est la contraction normande d’« avez-vous ».   18 LV : a saulter  (Ils sont saillis, ils sont sortis.)   19 LV : sur les   20 (Ils ont appris) de toutes leurs forces. Cf. les Chambèrières et Débat, vers 331.   21 Au reste.   22 Amicé, le 2e écolier, est un rôle de Badin ; cela explique pourquoi c’est celui des trois qui a le plus de texte. La Bouteille, une autre pièce antiprotestante du ms. La Vallière, laisse également le premier rôle à un Badin moralisateur.   23 Plaît-il ? « –Guillerme ! –Placet, Magistrum ? » Guillerme qui mengea les figues.   24 LV : de quandoque  (Les 3 écoliers portent un nom latin. Voir la note 1.)   25 Venez à l’école !   26 LV : p b  (= Premier Badin.)   27 LV : le iiie  (C’est le 1er Écolier, Socié, qui appelle son frère, comme aux refrains 46 et 52.)   28 LV : le iie  (Vu le nombre d’erreurs que le scribe a commises dans la numérotation des trois Écoliers, je me contenterai de donner leur nom, et pas leur numéro. Cependant, les trios de personnages numérotés sont caractéristiques des sotties.)   29 LV attribue ce mot à socie p. Tu es plutôt insensé que licencié.   30 Je n’ai, ni ne veux, un tel renom : la réputation d’être insensé.   31 Peut-être faut-il lire vous.   32 De sortir pour la récréation.   33 Trompé par la propagande luthérienne.   34 Et avant d’entrer dans le vif du sujet.   35 Prenons un peu la permission.   36 L’entrée en matière.   37 La musique était alors une science, comme au vers 77. Elle faisait partie du cursus universitaire : on ne pouvait devenir maître ès Arts sans être musicien.   38 LV : a ceste heure desuoque  (Tous les arrêts favorables à la Réforme seront annulés.)  En 1562, on tenta de révoquer les arrêts défavorables au calvinisme : « Tous édictz, ordonnances & arrests, faicts & publiéz sur le faict de la Religion jusques au jour présent, seront révoquéz & casséz comme de nul effect. » Or, la même année, les calvinistes avaient vandalisé Rouen, ce que les catholiques n’avaient aucune envie de leur pardonner : voir les vers 174-7.   39 Par les. « Escolier de quandoque: qui ne va pas souvent à l’escole. » (Antoine Oudin.) C’est le nom du 3e Écolier.   40 Sur la même ligne, LV anticipe la didascalie : Ilz chantent   41 Vous aurez le premier prix. Même vers que 197.   42 Éduqué.   43 Que tu te proposes.   44 Sans équivoque.   45 C’est-à-dire ?   46 Ils sont une ribambelle. « Vécy une grant route/ De gens. » L’Aveugle et Saudret.   47 Je les laisserai sans voix. « J’en ay fait reus cent fois les maistres/ De nostre escolle. » D’un qui se fait examiner.   48 Vous (normandisme).   49 Je le suis. « Mon » est une particule de renforcement qui étaye le verbe : cf. la Résurrection de Jénin Landore, vers 39.   50 Sans bavardages inutiles.   51 Dénoncer.   52 Leurs marques de politesse hypocrite.   53 Leur attachement aux choses profanes et aux plaisirs du monde. Idem vers 112, 132 et 152.   54 Dont on ne fait pas justice : qu’on ne punit pas assez. Cf. Digeste Vieille, vers 472.   55 Je n’hésite plus.   56 Vos modestes connaissances. « Et de faire en tout mon devoir selon mes petiz sens et puissance. » Jean du Chastel.   57 N’est à l’abri. Lors du Carnaval de 1562, les huguenots avaient agressé les Conards de Rouen et leur avaient jeté des pierres.   58 Ce qu’il leur convient de faire, ce qu’ils ont voulu.   59 Pendant le jeûne du Carême, ils mangent de la chair, de la viande. « Mangeüssent » est un présent de l’indicatif normand : cf. le Jeu du capifol, vers 98.   60 Ils veulent empêcher que les saints soient priés à la place de Dieu.   61 Gouvernés. Cf. le Pèlerinage de Mariage, vers 247.   62 Les polémistes allégorisent souvent « l’erreur de Luther ». Cf. Moral de Tout-le-Monde, vers 34.   63 Révolté.   64 Car cela pourrait nous faire du tort.   65 LV : gouuernemens  (Des mécréants. « Un garnement/ Blasmant de foy malsaine/ Le divin sacrement. » ATILF.)   66 L’esprit agile afin.   67 Signer, faire le signe de la croix. Cf. le Ribault marié, vers 376.   68 De voir les grands de ce monde être mal guidés.   69 Nuls, aucun.   70 À mon avis.   71 En 1562, les protestants avaient pillé ou détruit plusieurs églises de Rouen. Cf. Moral de Tout-le-Monde, vers 174-6.   72 De la tête aux pieds. « J’ay tant fréquenté ces notaires/ Que j’en suis clerc jusques aux dents. » Première Moralité.   73 Leurs défauts.   74 LV : le iie  (Quandoqué est le 3e Écolier.)   75 Mes prédécesseurs ont lu discucions. Prendre des dissensions = être en désaccord. « Karle, avers nous, a pris dissencion. » ATILF.   76 Allégement. Cf. Cautelleux, Barat et le Villain, vers 132.   77 Habitavit = il a habité. (Ce verbe revient souvent dans les Écritures.) Calembour de collégiens sur « habit à vits », qui désigne la braguette. « Habitavit, c’est-à-dire une brayette, quasi “habit à vit”. L’on dira habitaculum, “habit à cul long”, à mesme raison. » Tabourot.   78 LV : gectes  (Supposez, ma mère, que vous êtes mon écolière et que je suis votre professeur de latin. « Prenez que fussiez devenu/ Pauvre. » Le Pauvre et le Riche.)   79 Une braguette. (Mot normand.) « Y ne sera pas jusque z’o chambrière/ Qui ne viennent fiquer leu dais [ficher leurs doigts] dans ta breslière. » La Muse normande.   80 La demeure de l’âme. Calembour de collégiens, favorisé par la prononciation à la française, sur « habit à cul long », qui désigne l’arrière des braies. « Bon latin, habitaculum/ Veut dire : un habit à cul long. » Jacques Corbin.   81 Une paire de braies. « Parmy le fons d’unes brayes breneuses. » Villon.   82 Ces hypocrites. Un marrabais est un juif d’Espagne qui fait semblant d’être converti au christianisme.   83 Ont accolé ensemble leur braguette et l’arrière de leurs braies : ont pratiqué la sodomie.   84 Que j’abhorre leur cas.   85 Leur luxure est due à l’absence de femmes. L’auteur retourne la situation : les femmes étaient beaucoup mieux intégrées dans la nouvelle religion que dans l’ancienne. D’ailleurs, les scandales homosexuels n’éclaboussaient que le Vatican. Les cardinaux s’entouraient de mignons, et nul n’avait oublié l’éloge de la sodomie qu’avait fait paraître en 1537 l’archevêque Giovanni Della Casa : De Laudibus sodomiæ seu pederastiæ. Les catholiques n’ont pu reprocher aux calvinistes qu’un poème de jeunesse où Théodore de Bèze avoue qu’il préfère Germain Audebert, son ami brûlant de désir*, à une femme : « Sed postquam tamen alterum necesse est,/ Priores tibi defero, Audeberte. » Juvenilia (1548).  *Sic Bezæ est cupidus sui Audebertus.   86 LV : le ii escollier   87 Est due au fait qu’ils n’ont pas un directeur de conscience catholique.   88 Leur schisme. On peut aussi comprendre : leur hérésie sexuelle.   89 C’est leur titre de noblesse.   90 Leur congrégation.   91 Naïfs.   92 Cette « mode » est la sodomie : « –Nous allons bien à reculons./ –C’est selon la mode moderne. » (Colin qui loue et despite Dieu.) Notre auteur voudrait faire oublier que cette mode venait de Rome, et non de Genève.   93 Le cœur d’artichaut — qu’on appelait le cul — était aphrodisiaque. « Pour l’artichaut, il m’enflamme/ Je ne vous dis pas comment./ Demandez-le à ma femme :/ Quand j’en mange, elle s’en sent ! » Gaultier-Garguille.   94 Pour tout mets.   95 Pour en voir le bout, pour en finir avec les huguenots.   96 Ce qui est pour nous une grande infamie.   97 Qu’on ne se contente pas de les brûler en effigie, comme ceux qui sont condamnés par contumace.   98 Protégez-vous d’une targe, d’un bouclier. « Soy targer, & ranger pour combattre. » (Antoine Canque.) Les trois écoliers s’arment avec ce qu’ils ont sous la main, pour mener leur croisade contre les hérétiques. Ces clercs déguisés en soldats d’opérette sont aussi ridicules que Maistre Mymin qui va à la guerre atout sa grant escriptoire.   99 Ententifs : pour mieux vous le faire entendre.   100 Je vais moi-même chanter avec vous.   101 LV répète dessous : magister. La chanson est inconnue.   102 Donnez-nous le champ libre. En jargon estudiantin, le campos est la récréation : cf. les Premiers gardonnéz, vers 5.   103 Les suppôts sont les piliers d’une religion. Mais ce sont également les fous de l’Abbé des Conards de Rouen : « Pour mieulx servir l’Abbé et ses suppostz. » Triomphes de l’Abbaye des Conards.   104 Il y a neuf protestants à massacrer. Les écoliers les ont vus pendant la récréation : vers 61-64.   105 Cela tombe bien, puisque vous êtes presque en nombre égal.   106 Trois jeunes.   107 Trois que nous avons expédiés tout à l’heure. « Y l’eust tué et despesché. » Le Poulier à quatre personnages.   108 LV a omis ce refrain B du triolet, identique à celui de 185.   109chanter  (Forme normande de sangler : « Mais leu broudier [leur cul] fut changlay dièblement. » La Muse normande.)  Efforcez-vous de bien les battre ! Sangler = fouetter un écolier à coups de sangles. « Cet escolier a eu bien le fouet, on l’a bien sanglé. » Furetière.   110 Mon panier. Mot normand : cf. la Fille bastelierre, vers 154. Les apprentis mercenaires vont transporter leurs armes dans un cabas. Ces armes sont probablement celles que le maître applique sur leurs fesses : les sangles, les verges, les règles en bois.   111 Ma pochette, mon sac. Encore un mot normand : cf. l’Aveugle, son Varlet et une Tripière, vers 30. Les farces rouennaises qui brocardent un écolier l’affligent toujours d’un accent villageois ; ici, plus on approche de la fin, plus les personnages deviennent risibles. L’auteur serait-il protestant ?   112 Un paysan mal dégrossi. Cf. Science et Asnerye, vers 298.   113 Le bataillon.   114 C’est le dernier vers d’une autre pièce normande du même manuscrit, le Poulier à sis personnages.

DIGESTE VIEILLE ET DIGESTE NEUFVE

Bibliothèque nationale de France

Bibliothèque nationale de France

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DIGESTE  VIEILLE

ET  DIGESTE  NEUFVE

*

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Cette moralité fut sans doute écrite à la fin de 1514 pour la Basoche de Paris1, qui aimait à déguiser les plus réjouissantes cochonneries sous les habits de la Justice. Pour résumer succinctement, la Digeste Vieille représente l’ancienne loi sous la forme d’une prostituée pourvue d’une longue expérience ; la Digeste Neuve représente la nouvelle loi sous la forme d’une débutante inexpérimentée ; la Coutume représente le droit coutumier sous la forme d’une vieille maquerelle qui a servi tout le monde.

Le premier niveau de lecture concerne le droit coutumier. La pièce encourage les efforts de Louis XII pour harmoniser le monstrueux bric-à-brac qu’était la Coutume sur un territoire où le moindre hobereau revendiquait la sienne : « Cognoissans les grandes vexations, longueurs, fraiz et dépens que noz povres sujetz ont euz et soufferts par cy-devant au moyen de la confusion, obscurité et incertitude qui se trouvoit ès Coustumes localles des provinces, bailliages, séneschaussées et autres payz et contrées de nostredit royaume (…), nous voulons et vous mandons que vous contraignez tous et chacuns noz baillifz, séneschaux, juges et autres nos officiers, à icelles Coustumes rapporter et faire rédiger par escript (…), et icelles faites entretenir, garder et observer inviolablement comme loy perpétuelle.2 » Le tout sous la supervision du Parlement de Paris, où il se peut que notre auteur ait émargé, comme tant d’autres écrivains.

Le second degré de la pièce pourrait facilement passer pour le premier : tous les termes qui concernent les livres, la lecture et les études sont porteurs d’un double sens érotique.

La Moralité s’achève sur un adieu au public. Comme s’il ne suffisait pas, quelqu’un a cru bon de plaquer à la suite le congé final d’une sottie jouée par quatre Sots qui, comme d’habitude, portent un numéro en guise de nom : le Premier, le Second, le Tiers, le Quart. La différence de style et de thème entre les deux œuvres saute aux yeux.

Source : Recueil de Florence, nº 43. Vu le nombre anormal d’erreurs phonétiques, on devine que l’éditeur a imprimé un livret que le chef de troupe avait dicté aux comédiens.

Structure : Rimes abab/bcbc, aabaab/bbcbbc et strophes à refrain, le tout saturé de rimes plates et de vers ajoutés par les acteurs.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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*

Farce nouvelle de

Digeste Vieille

et Digeste Neufve

où deux escoliers estudient, lesquelz

ne peuvent trouver moyen d’avoir

argent, si n’est par Coustume et Loix.

*

À cinq personnages, c’est assavoir :

       LE  PREMIER  [ESCOLIER,  Primus]

       LE  SECOND  [ESCOLIER,  Secundus]

       DIGESTE  VIEILLE

       DIGESTE  NEUFVE

       COUSTUME

*

                        LE  PREMIER  [ESCOLIER] 3  commence

        C’est belle chose que d’estude                                   SCÈNE  I

        Et [que] de bien « estudïer4 ».

                        LE  SECOND  [ESCOLIER]

        Suffit5 mais qu’on ayt l’engin rude

        Et qu’il soit trop fort à ployer6.

.

                        DIGESTE  NEUFVE 7                            SCÈNE  II

5      Qui pour8 moy se veult employer,

        On y trouve termes joyeulx.

                        DIGESTE  VIEILLE

        Or çà, Dieu doint « confort9 » aux vieulx !

                        [DIGESTE  NEUFVE]

        Je conclus ma glose et mon texte10

        Que le nouveau temps a le mieulx11.

10    Arrière, la Vie[i]lle Digeste !

                        LE  PREMIER 12

        Vous estes hors de nostre teste.

        Je suis las de « lire » dedans :

        J(e) y pers tous mes « entendemens13 ».

                        LE  SECOND

        Cela je laisse aux ancïens,

15    À ces grans fourés14 chaperons.

        Je me tiens [de ces]15 gens mignons,

        Francz, pollis [et] plains de caquet

        Pour dancer beaux estordïons16.

        Tousjours [au doigt le beau]17 signet ;

20    Le beau chien, le petit braquet18

        Pour courir [sus19] à la perdrix ;

        Et [le] beau lièvre au sopicquet20 ;

        La belle fille à l’apétiz,

        Les beaux tétins trousséz, petis,

25    Le corps mignon, bien fait et mixte21,

        Yeulx vers22, petit nez, le doulx ris :

        C’est le fait d’ung gentil légiste23.

                        LE  PREMIER

        Tousjours — à prime, à tierce, à sixte24

        Je n’ay cesse d’estudïer.

                        LE  SECOND

30    [Sus ! Digeste Neufve m’assiste]25,

        Et pour vray le26 ve[u]il publier.

                        DIGESTE  NEUFVE

        Je sçay bien que vous estes ouvrier27

        D’y « estudïer » promptement ;

        Onc(ques), en ma vie, ne [vis lévrier]28

35    Qui courust plus légièrement.

        Vous estes ouvrier, énémant29 !

        Et pour bien courir par « chemin30 »,

        Vous y courriez légièrement :

        Je m’en raporte au « perchemin31 ».

                        DIGESTE  VIEILLE

40    Dit-on plus de bien de moy ? Nenny :

        Bien voy que je suis abolie.

        Tout mon grant renom est bany,

        Et moy-mesmes je suis banye ;

        Je suis de tous poins abolie :

45    Digeste Vieille plus n(e) a court32.

        Mais ceste [greinne à pomperie]33,

        Elle a, à présent34, le bruyt de Court.

                        LE  PREMIER

        Digeste Vieille fait le sourt35.

                        LE  SECOND

        Digeste Neufve me resveille36 ;

50    Et somme, pour le faire court,

        Prest suis à luy prester l’oreille37.

        Elle me racompte merveille

        De cinquante mille façons.

        [Et moy-mesme, je m’esmerveille]38

55    De ces petis trousséz tétons,

        [De ces]39 menues gentes gorgettes.

        Somme, il n’est que Neufves Digestes

        Pour éveiller40 « espris » nouveaux.

                        LE  PREMIER

        Mignons légistes et loyaulx41,

60    Si42, se veulent bien emploier

        À dire les termes nouveaux,

        Et tout pour bien « estudïer ».

        Je veulx bien cela publier43

        (Nonobstant que j’aye ung vieil « livre44 »)

65    Que, qui veult longuement régner,

        Il n’est que joyeusement vivre45

                        LE  SECOND

        Quant à moy, je suis à délivre46,

        Serein47, alègre de mon corps.

        Je n’ay pas escuz à la livre48 :

70    Dieu mercy, je n’ay nulz trésors.

        Mais vélà tout mon réconfors

        Que j’ay ma Digeste Nouvelle,

        Où je fais souvent mes effors49,

        Cause pourquoy elle dorveille50.

                        LE  PREMIER

75    Cela me [semble estre merveille]51 !

        [……………………… -ance.]

        [Bien voy qu’avec Digeste Vieille]52

        Je ne seray point à plaisance.

        Mais au fort, par Dieu, quant j(e) y pense,

        Veu qu’il est de vieulx « perchemin53 »,

80    Elle n’est point de grand(e) despence54.

        Et si, ne court point par chemin55 ;

        Et si, entent bien son latin56.

        Je la trouve fort entendue57,

        Moyennant que de beau satin

85    Je l’aye tousjours revestue58.

                        LE  SECOND

        La mienne vault mieulx toute nue,

        Quant je la voy entre deux yeulx59,

        Que ne fait la tienne vestue.

        Arrière, ce « parchemin » vieulx !

                        DIGESTE  NEUFVE

90    Han ! vous ne distes60 jamais mieulx.

        Je61 croy que m’avez trouvé telle,

        Et avez esté fort songneux62

        D’estudïer soubz ma cotelle63.

        Ainsi est ma « glose64 » fort belle

95    Et de parfond65 entendement.

        Jà n’est besoing que je le celle :

        Chascun le scet bien clèrement.

                        DIGESTE  VIEILLE

        Pour parler ancïennement,

        Premièrement fus66 à Monsieur,

100  Qui en eust toute la liqueur67.

        Chascun le voit évydamment.

        Quant il m(e) « ouvrist » premièrement,

        Jamais n’avoit « estudïé »,

        Car je fuz son commancement.

105  Depuis, j’ay fort multiplié68,

        Et ay mon « texte » publié69

        Tant que c’est merveilleuse chose ;

        Il en est tellement usé

        Qu’on n’y congnoist plus que la « glose »70.

110  Mais encor, par moy, je suppose

        Qu’on aprent [tout] bien et honneur71.

                        DIGESTE  NEUFVE 72

        Vous n’avez trouvé que saveur

        En moy, et joyeulx esperitz,

        Noz chappitres tous bien escriptz,

115  Mon « texte » bien enluminé73,

        Le « parchemin » blanc relié74

        Par hault, par bas fort bien reiglé75,

        Et mon « bas76 » assez bien stillé.

        Et tousjours ung gentil « engin77 »

120  (Posé qu’il ne soit pas refusé78,

        Si s’usera-il79, à la fin),

        Ma « glose » d’ung joyeux latin80,

        Bien [paraphée et bien escripte]81.

        Arrière, ce vieulx « parchemin » !

125  Or, ce n’est [plus] rien que redicte.

                        DIGESTE  VIEIL[LE]

        Et moy, je suis assez descripte,

        Ung chascun me82 peult bien « congnoistre ».

        Tu estoys encore[s] à naistre

        Alors que j’estoye en mes saulx83.

130  Les escolliers estoient nouveaux84 ;

        Ainsi, je leur ouvry l’engin85.

        Et mes moz leur(s) sembloient si beaulx

        Qu’ilz y ont apris leur latin86.

        Tu deusses menger du papin87 :

135  Tu ne scez que c’est que de bien88.

        Tu es trop neufve et ne scez rien.

        Ton « engin » n’est point bien ouvert ;

        Il est encor ung peu trop vert,

        Et si, est peu enluminé.

                        DIGESTE  NEUFVE

140  Tu as trop longtemps cheminé,

        Et beu soubz mainte cheminée89.

        Ton90 temps sera tantost passé :

        Tu es desjà déterminée91.

        Nul plus ne te preste l’oreille.

145  Tu es [des]jà quasi muée,

        Car tu es la Digeste Vieille,

        À92 mon semblant assez minée93 ;

        [Et je suis]94 la Digeste Neufve.

                        DIGESTE  VIEIL[L]E

        Va, va ! Partout [où tu]95 te treuve,

150  Tu es toute à [commun esquot]96 :

        Chacun t’a, pour payer l’escot97.

        Tu es desjà toute abolye.

                        DIGESTE  NEUFVE

        Je suis ta forte maladye98

        Qui te puisse mettre à basac99 !

155  La pommelée, ou le mautac100,

        La fièvre quartaine te tienne !

        Digeste Vieille et ancïenne,

        Usée comme ungle de101 mullet,

        Il ne te fault q’ung recullet102

160  Pour te mettre, où [vont] les gens yvres.

        [L’]exemple monstre[s] de tes livres

        À ces mignons de jeune enfance,

        [Esquelz sèmes folle]103 cuydance

        Pour dire quelque mot(z) joyeulx.

                        DIGESTE  VIEILLE

165  Pourtant, se mon « engin » est vieulx,

        Usé104 — et non usé sans cause —,

        Ung chacun en a veu la clause105 :

        Je m’en raporte à l’escripture106.

        Digeste Vieille, par sa nature,

170  Est mieulx à priser que la Neufve.

        La Neufve est de belle stature ;

        La Vieille plus de raison preuve107 :

        On [le scet quant elle]108 se treuve

        Devant contes, ou ducz, ou roys109.

175  Par vieulx gendarmes, on apreuve110

        À bien savoir « rompre le bois111 ».

                        PRIMUS 112

        Noz « livres » parlent à dégois113.

                        SECUNDUS

        Noz « livres » dysent à plaisance.

                        PRIMUS

        Noz « livres » disent motz courtois,

180  Chacun selon sa congnoissance.

                        SECUNDUS

        J[e  l’]estudie114 à suffysance,

        Et ne cesse d’estudïer ;

        Mais je ne voy point d’aparence

        Qu(e) argent puisse multiplier.

185  Je deusse boire et triumpher,

        [Je deusse office recevoir,]115

        Je deusse de l’argent avoir

        Pour entretenir la mignonne.

                        PRIMUS

        Je deusse vieil et neuf sçavoir,

190  Et estre plain de tout avoir116,

        Et ne fût que pour ma personne.

                        SECUNDUS

        Je possède la belle conne117

        Qui me gaudist, qui me blasonne118

        Et m’aguise l’entendement 119.

                        PRIMUS

195  Toutes les fois que m’arésonne

        Sur120 ma Digeste, je m’estonne,

        Tant [el] parle autenticquement.

                        SECUNDUS

        J’estudie pacificquement,

        [La] nuyt et [le] jour, promptement ;

200  En mon « livre » j’ay prins plaisance.

                        PRIMUS

        J’estudie, et ne sçay comment :

        Car je ne puis gaigner argent.

        Somme  advocaz en ont abondance.

                        SECUNDUS

        C’est par faulte de confidence121,

205  Ou que tu as trop vieil[le] dance122 :

        Aussi as-tu, on le peult voir.

                        PRIMUS

        [N’es-tu point]123 bien à ta plaisance ?

        Laisse-moy [vivre] en desplaisance.

        Se rien n’ay, ne t’en doit chaloir124.

                        SECUNDUS

210  Tu n’as point « livre » pour valoir125 :

        Il est du tout en nonchaloir126,

        Et son « engin » est tout usé.

                        PRIMUS

        Chacun de nous est abusé :

        Il n’y a celuy127 si rusé

215  Que par « engin » n(e) « entendement »

        Puisse attrapper aucun argent128.

                        SECUNDUS

        Je ne sçay, je m’en esbahis.

        Je voy mignons à l’apétis129,

        Gorgïas, fraséz130, tout plain[s] d’or,

220  Avoir trèstous des biens satis131

        Plus que Nabugodonosor132.

        Je voy que pour avoir trésor133,

        Bagues, [beaulx] signéz134 et aneaulx,

        Escus, saluz, nobles, royaux135

225  (Il n’est [francs que]136 des advocas),

        Reliquaires137, autres joyaulx,

        Et belles chesnes138 autour du bras.

        J’espère que post 139 tenebras

        (Comme dit Job) auray140 lumière.

230  Au fort, si [je] ne gaigne guère,

        Je prends plaisance sur mon « livre ».

                        PRIMUS

        Je ne sçauroye plus141 de quoy vivre.

        Je ne sçay, moy, que ce sera142.

        Quant j’estudie dedans mon « livre »,

235  Tousjours je demeure à quïa143.

                        SECUNDUS

        Je n’y [entends ne sol, ne la]144 :

        Je deusse avoir chiens et oyseaulx145,

        La belle mulle, les beaulx chevaulx,

        La belle blanche hacquenée146

240  Pour bien rire et faire les saulx147.

        À toute joye prédestinée,

        Ma Digeste est enluminée148

        Le149 possible pour gaigner bien.

                        PRIMUS

        J’estudie la nuyt, la150 journée ;

245  Et si, ne puis praticquer rien151.

                        DIGESTE  VIEILLE

        Voullez-vous dire que nul bien

        Ne vous est venu de par moy ?

                        PRIMUS

        Ung bien petit, je n’e[n] dy rien152 ;

        Je n’y ay rien acquesté153.

                        DIGESTE  VIEILLE

                                                     Quoy !

250  Vous plaignez-vous de mon « estude » ?

                        PRIMUS

        Nenny, mais je la treuve rude.

        Je voy que le « texte » s’efface.

                        DIGESTE  VIEILLE

        Ne vous plaignez point !

                        PRIMUS

                                                 Je m’en passe154 ;

        Il m’est advis [qu’il est bien force]155.

                        DIGESTE  VIEILLE

255       Endurez l’estorce156 :

             Vieulx bois qu’on157 escorce

             Rapporte à son maistre.

                        PRIMUS

             Sans fin je m’efforce

             D’estudier à force,

260       Sans rien y congnoistre.

                        DIGESTE  VIEILLE

             Si158, n’y a-il prestre

             Ny moine en [son] cloistre

             Qui ne m’ayme bien.

                        PRIMUS

             Quant je viens à estre

265       Dessus vostre « lettre159 »,

             Je n’y entens rien160.

                        DIGESTE  VIEILLE

             Vous aurez du bien,

             Et par mon moyen161.

             « Estudïez » fort !

                        PRIMUS

270       Cela162 je croy bien ;

             Mais il ne vient rien

             Par quoy j’aye confort163.

                        SECUNDUS

             Je deusse estre en Court,

             Faire du millourt164

275       Et estre165 à plaisance.

             Par vous, rien ne sourt166 :

             On me fait le sourt167,

             Je n’ay point d’avence168.

                        DIGESTE  NEUFVE

             Laissez apparance !

280       Tousjours, sur ma pense169,

             Vous aurez des biens.

                        [SECUNDUS]

             Qui n’a « basse dance170 »

             Tout à souffisance,

             Jamais ne vault riens.

285       Je ne voy moyens

             Pour avoir des biens

             Que par vostre « engin ».

                        [DIGESTE  NEUFVE] 171

             Ne craignez en riens :

             Secret je le tiens172,

290       Car il est fort fin.

                        SECUNDUS

             Ung petit loppin

             De ce « canepin173 »

             Fait acquérir bruit174.

                        DIGE[STE]  NEU[FVE]

             Mon beau musequin175,

295       Mon petit connin176,

             Cela fort y duit.

                        LE  SECOND

             Pour avoir desduit177

             Et passer la nuyt

             Gorgïasement178,

300       Rire à l’appétit,

             Le téton petit :

             C’est vous proprement !

                        DIGESTE  NEUFVE

             C’est mon, énaymant179,

             Mais qu’on ayt souvent

305       Déduit de nature.

                        LE  SECOND

             De cela s’entent,

             Pour estre content

             D’engin à mesure.

                        DIGESTE  NEUFVE

             Belle créature,

310       La belle figure

             Digne de mémoire.

                        LE  SECOND

             ……………………. 180

        Belles filles, et bien à boire ;

        Tétins poignans181, beaux musequins ;

        [Queues d’une]182 sauvage gloire,

315  Qu’el troussent comme baldaquins183.

        Mignon[ne]s portans brodequins,

        [Ayans] les beaulx saphirs aux doiz,

        Petiz piedz et petis tétins184 :

        Vélà le présent cours de loix.

                        LE  PREMIER

320  Avons-nous bien « rompu noz bois185 » ;

        Et bien [avons sanglé]186 noz « livres »,

        Et escarquillés à beaux dois187.

        Regardez [s’en sommes délivres]188 !

                        LE  SECOND

        Par le sang ! nous sommes bien yvres

325  Par trop « estudïer » souvent.

        On despend189 beaucop, en telz « livres » ;

        Et en revient bien peu d’argent.

        Au fort, mais que le corps soit gent,

        Bien pris, à l’engin bien estroit,

330  Je me tiens quasi pour content

        D’estudïer dessus le doit190.

                        PRIMUS

        Je ne sçay, moy, qui ne seroit

        Mal content d’estudïe[r] tant

        Et n’avoir ung denier content191.

335  Le sang bieu ! cela me192 consume.

        Quoy ! nuyt et jour estudïant

        Au « bas », sans gaigner une plume !

                        SECUNDUS

        Autant vauldroit humer le vent193 :

        Il n’y a gresse ne escume194.

.

                        COUSTUME 195                                      SCÈNE  III

340  Encore n’est-il que Coustume.

        Vous avez bel196 « estudïer » :

        Coustume fait bénéficier197

        Plus que ne fait Digeste Neufve

        Ne que la Vieille. Je le preuve

345  [Par] exemple198 : se une belle fille

        Fait souvent fourbir sa coquille199,

        Coustume l’aprent200 au mestier ;

        Car qui ne seroit coustumier

        Et rusé par force d(e) usage,

350  Jamais il ne seroit ouvrier

        Entendu201, [ne quelq’un de]202 sage.

                        DIGESTE  NEUFVE

        Nostre  Dame ! quelle trousse-bagage203

        Pour mener après ung gendarme204 !

                        DIGESTE  VIEILLE

        [El fait]205, de son museau, visage.

355  Elle en parle bien, en beau terme.

                        DIGESTE  NEUFVE

        [Quel vieille ! Tenez : est-el]206 ferme

        Et plaine de grande cautelle207 !

        Elle est pour estre à quelque Carme208

        Pour servir d’une macquerelle.

                        DIGESTE  VIEILLE

360  Pensez, la bonne damoiselle,

        Elle y a gaigné mainte plume209 ;

        Chascun le scet, la chose est telle.

        Ce n’est à présent que la Coustume.

                        DIGE[STE]  NEUF[VE]

        C’est la vieille qui fiert210 l’enclume

365  Pour [forger les cloux de Jhésus]211.

        Laissez-la là, c’est ung abus,

        Se212 vous voullez estre bien aise.

                        SECUNDUS

        Raison ?

                        DIGE[STE]  NEU[FVE]

                         La Coustume est mauvaise

        Qui court maintenant à Paris.

370  Elle fait tromper les maris,

        Elle fait destruire maisons213,

        Elle fait plusieurs gens mar[r]is.

        El n’est digne de nulz guerdons214

        Mais, ym[m]o 215, de villains lardons.

                        DIGESTE  VIEILLE

375  Ainsi en sera-el(le) lardée.

        Tenez, quelle vieille est-elle fardée !

        Aussi elle farde les femmes216.

        Telles Coustumes sont infâmes.

        Touteffois, la Coustume court.

380  Pour attrapper mignons de Court217,

        Ceste vieille farde visaiges ;

        Il semble que ce soient ymages218,

        Quant elles219 passent par ses mains.

                        DIGE[STE]  NEU[FVE]

        Pour esjouir les cueurs humains,

385  Pour contrefaire la mignonne220,

        Coustume, la vieille matrosne,

        Il n’est mauvaitié qu’el(le) ne fache221.

        El(le) fait acroire d’une vache,

        Le plus du temps, que c’est ung veau222.

390  Coustume, [il] n’est rien qu’el ne sache :

        Tousjours [forge] ung terme nouveau

        Et faict d’un moyne ung Gouvernau223,

        D’un Jacobin ung homme d’armes.

                        DIGESTE  VIEILLE

        El(le) fait gentilz [hommes224] de Carmes,

395  Et gens de guerre d’Augustins ;

        À Cordeliers porter guisarmes225,

        [Mantels fendus et]226 brodequins.

                        PRIMUS

        Et ! nous serions bien [grans] coquins227

        D(e) en telle Coustume nous mettre.

400  Raison ? Elle ne congnoist lettre228,

        Et n’y entent ne blanc, ne bis229.

                        SECUNDUS

        Elle fait d’ung varlet ung maistre ;

        Elle fait tout son appétis230.

                        COUSTUME

        Par bieu, mes enfans et amys :

405  Je vous oys231 bien sur vostre « droict ».

                        SECUNDUS

        Il est vray. Mais qui232 vous voudroit

        Maintenir comme on faict à présent,

        On mettroit l’envers à l’endroit233 :

        Chascun le voit [bien] clèrement234.

                        PRIMUS

410  Nous ne vous voullons nullement,

        Car nous sçavons [trop] qui vous estes.

                        COUSTUME

        Messieurs, je vous pry humblement

        Que [je sois avec]235 voz Digestes.

                        SECUNDUS

        Ne nous mettrez-vous point en restes236 ?

                        COUSTUME

415  Nenny ! Jamais ! Aucunement !

        Ym[m]o, tousjours acroissement

        Vous feray237, et avoir pécune,

        Mais238 seullement que je soye une

        De voz petites chambèrières.

420  Coustume congnoist les manières ;

        Par Coustume, en « droit » on se fonde.

        Il n’est rien où el(le) ne responde.

        Il n’est [juge qui bien ne face]239,

        Qui n’a Coustume avant sa face240.

425  De tout ce[la] suis coustumière.

                        LE  SECOND

        Coustume, vous ne parlez guière,

        Mais vous atachez bien voz motz241.

                        DIGESTE  NEUFVE

        Elle parle bien à propos,

        Et me semble qu’elle dit bien.

430  Et pour contente je me tien,

        Quant à moy, qu’elle soit des noz242.

                        LE  PREMIER

        Coustume est [bien] digne de « los243 »,

        Et parle par bonne manière.

                        DIGESTE  VIEILLE

        Retenons-la, à deux briefz motz244 :

435  El(le) sera nostre chambèrière.

                        COUSTUME

        Par mon âme, j’en suis bien fière !

        Je vous serviray de bon cueur245.

                                    *

                        LE  SECOND 246                                    SCÈNE  IV

        Or çà ! nous sommes à honneur.

        Nous congnoissons tout à plaisance,

440  Nous avons biens à suffisance,

        Nous avons Coustumes et Loix.

                        LE  PREMIER

        Nous avons argent à puissance :

        Nous serons faitz gens de finance

        Par « droit », par Coustumes ou Loix.

                        LE  SECOND

445  Nous avons de tout congnoissance,

        Nous avons bruit à suffisance247

        Par « droit », par Coustumes ou Loix.

                        LE  PREMIER

        Nous avons escus et salus248,

        Et plusieurs gracïeux salus249.

450  Et si, ferons250 tout « hault le bois »,

        Et requer[r]ons251 de plus en plus

        Par « droit », par Coustumes ou Loix.

                        LE  SECOND

        Nous aurons petis musequins,

        Mignon[ne]s aux petis yeulx fins.

455  Et si, burons tout à dégois252.

        Et si, parviendrons à noz fins

        Par « droit », par Coustumes ou Loix.

                        LE  PREMIER

        Nous demour[r]ons mignons légistes,

        Gorgïas, fraséz, gens253 et mistes,

460  Humbles, loyaulx, doulx et courtois.

        Et noz raisons seront escriptes

        Par « droit », par Coustumes ou Loix.

                        LE  SECOND

        Vivent gentilz mignons loyaulx,

        Vrais légistes espicïaulx254 !

465  Vive le roy de France, harnois255

        Contre tous les [faulx doctrinaulx]256 :

        Car il leur [a porté]257 des maulx

        Par « droit », par Coustumes ou Loix.

                        LE  PREMIER

        Arrière, gens de fiction258 !

470  Car c’est ma vray[e] intencion

        Que seront pugnis une fois,

        Et qu’on leur fera leur raison259

        Par « droit », par Coustume[s] ou Loix.

                        LE  SECOND

        Je commande260 à Dieu les mignon[ne]s

475  Et aussi toutes voz personnes !

        Adieu vous dis à haulte voix !

        Noz causes doivent estre bonnes

        [Par « droit », par Coustumes ou Loix.]261

.

                                                                        ***

                                      [ FIN  D’UNE  SOTTIE ]

                        LE  PREMIER

        Tel cuyde262 avoir sa maison faicte

480  En peu de temps sans263 demourer,

        Pour sa famille honnourer,

        Qui264 se meurt ains qu’el soit parfaicte.

                         LE  SECOND

        Tel, souvent, abille265 à menger,

        Et puis266 aux autres le départ,

485  Qui267 le plus souvent, pour sa part,

        N’en a que les os à ronger.

                        LE  TIERS

        Tel cuyde, quant [ne sçauroit mie]268,

        Estre maistre et faire les saulx269.

        [On luy livre sy]270 durs assaulx

490  Qu’i n’ose nommer : « Une pie271 ! »

                        LE  QUART 272

        Toute la noble seigneurie,

        Mais  s’i vous plaist, n’ayez nul regré !

        Et vous plaise de prendre en gré

        Se le coqu gaigne la pie !

.

                                        FINIS

*

1 Voir Pour le Cry de la Bazoche. Jelle Koopmans* attribue Digeste Vieille à Pierre Gringore.  *Le Recueil de Florence, Paradigme, 2011, pp. 593-605.   2 Blois, 18 septembre 1509.   3 Les deux étudiants en droit sont vêtus pauvrement ; ils portent un bonnet de clerc, et une écritoire phallique pend au-devant de leur ceinture.   4 De copuler. Idem vers 29, 33, 62, etc. Voir la note 66 des Femmes qui aprennent à parler latin.   5 Suple  (« Il suffit mais que » est une locution figée : « Il suffit mais qu’il aille l’amble. » Le Médecin qui guarist de toutes sortes de maladies.)  L’engin désigne l’intellect (lat. ingenium), mais aussi — et surtout — le pénis. Même double sens aux vers 131, 215 et 308. Cf. les Femmes qui aprennent à parler latin, vers 92. Notons qu’un autre étudiant, Maître Mimin, a lui aussi « l’engin rude » (vers 198).   6 F : ployez  (Je corrigerai tacitement ces fautes d’accord tout au long de la pièce.)   7 Digeste Neuve et Digeste Vieille sont deux personnages allégoriques qui représentent des livres de droit : des pages — imprimées pour Digeste Neuve et manuscrites pour Digeste Vieille — sont épinglées sur leur robe de prostituée. (Dans un même souci de réalisme, les oiseaux de la Pippée sont couverts de plumes.)   8 F : sur  (Si on veut me servir.)   9 Jeu de mots sur con fort [sexe endurant] : « Je pry Dieu qu’il vous doint confort ! » Les Mal contentes.   10 F : teste (« Je n’y entens texte ne gloses. » Colin qui loue et despite Dieu.)   11 Que le droit rénové a ce qui se fait de mieux.   12 Il couche avec Digeste Vieille, alors que son camarade est l’amant de la jeune Digeste Neuve.   13 Mes érections. Idem v. 194. « Je ne vy aussi dur engin/ Comment il a, par mon serment !/ Ha ! il a bel entendement. » Pernet qui va à l’escolle.   14 F : rouges  (Aux vieux juristes. Cf. les Sotz fourréz de malice, v. 131 et note.)  « Et ès fourréz chaperons./ Justice, équité est morte. » (Eustache Deschamps.) « Ad ce jour avoit grant foison de prélas et de fourés chaperons. » (Froissart.)   15 F : des   16 F : estrodions  (Le tordion est une danse aux mouvements lascifs. « Et inventa la bonne dame/ Mille tordïons advenans/ Pour culeter à tous venans. » Clément Marot.)   17 F : aux beaux la  (Le signet est une bague surmontée d’un sceau. Idem v. 223.)  « J’avoye argent, les beaulx signetz. » Beaucop-veoir.   18 Le chien de chasse. Cf. le Faulconnier de ville, vers 396.   19 « Pour courir sus aulx enfans d’Israël. » La Bouteille.   20 En saupiquet, en sauce piquante.   21 Miste : gracieux. Idem v. 459.   22 Vairs : vifs et chatoyants. Voir la note 187 de la Pippée.   23 C’est l’affaire d’un juriste. Idem vers 59, 458 et 464.   24 Aux heures de prime, de tierce et de sexte. Cf. les Mal contentes, vers 431.   25 F : Sur digeste vous assiste   26 F : la  (Je veux attester publiquement que c’est vrai. Voir le v. 63.)   27 Expert. « Car ne suis ouvrier de ce faire. » (Ung Fol changant divers propos.) On scande toujours « ou-vrier » en 2 syllabes.   28 F : vi ouurier  (« Courez com un lévrier ! » Les Botines Gaultier.)   29 Vraiment. Ce juron est réservé aux femmes. Idem v. 303. « Ennément, je n’en sçay rien. » Le Povre Jouhan.   30 Vagin. Faire le chemin = ouvrir la voie, déflorer une fille. Cf. les Botines Gaultier, vers 137.   31 Le parchemin, généralement velu, désigne le pubis des femmes. Idem vers 79, 89 et 124. Cf. Pernet qui va à l’escolle, vers 25 et note.   32 N’a plus cours, telle une monnaie décriée.   33 F : genne a pompelie  (Cette semeuse de syphilis. La maladie ne fut baptisée ainsi qu’en 1530 ; auparavant, on lui donnait toutes sortes de noms : « La grosse vérolle, la galle de Naples, le pourpoint à “boutons”, la brigandine clouée, la gaillardise, la mignonnise, la pomperie. » Le Pourpoint fermant à “boutons”.) On l’appelait aussi « la male graine » ou la « graine de Naples ». Au vers 155, c’est Digeste Neuve qui souhaitera une bonne syphilis à sa concurrente.   34 À présent. Idem v. 407. Elle a désormais l’estime de la cour du Parlement, où se décrètent les lois ; voir le v. 273.   35 Ne veut rien entendre. Idem v. 277.   36 M’excite.   37 Les oreilles symbolisent les testicules : Sermon pour une nopce, vers 72 et 197. Idem v. 144.   38 Vers manquant. J’emprunte le vers 182 de Frère Fécisti.   39 F : Dictes  (Les gorgettes désignent les seins. Cf. les Femmes qui aprennent à parler latin, vers 30.)   40 F : euersiez  (Voir le v. 49.)  Les esprits <épris = enflammés> sont les pénis : « Cavaler les esprits, c’est chevaucher les engins. » Béroalde de Verville.   41 F : nouueaulx  (À la rime des vers 58 et 61.)  Les mignons légistes sont encore loyaux à 460 et à 463.   42 F : Qui  (Ainsi.)   43 Admettre publiquement.   44 Bien que je m’exerce avec Digeste Vieille. Le « livre » qui s’ouvre pour qu’un homme puisse « lire » dedans est une métaphore de la vulve : « Ma belle, à ce concert, gentille,/ Ouvrit son livre allaigrement. » Un jour que j’accollois m’amie.   45 La Basoche de Paris se gaussa du remariage, en octobre 1514, de Louis XII avec la jeune Marie Tudor : le roi mena joyeuse vie pendant trois mois, puis mourut d’épuisement en essayant de lui faire un héritier. Il avait régné 15 ans et demi. « Ceux de la Basoche, à Paris, disoient pour se jouer que le roy d’Angleterre avoit envoyé une haquenée [pouliche] au roy de France pour le porter bientost et plus doucement en enfer ou en paradis. »   46 Je suis libre. Idem v. 323.   47 F : Serre  (« O richesse plaine !/ O ferme sçavoir !/ Quel joye seraine,/ En la vie humaine,/ Povons plus avoir ? » Mistère de la Passion de Troyes.)   48 Pour le poids d’une livre.   49 F : renfors  (Mes assauts sexuels. « Dieu te doint ung bien bon “confort”,/ S’il advient que trop grant effort/ Te face, la nuyt, ton mary ! » Sermon pour une nopce.)   50 F : est fort veille  (C’est la raison pour laquelle elle dort debout. « Elle dorveille en douce paix. » Godefroy.)   51 F : en esmerueille  (C’est incroyable. « Ce semble estre merveilles de beauté. » Bertrandon de La Broquière.)   52 Vers manquant. Voir le v. 41.   53 Vu que son sexe est un vieux parchemin.   54 Elle ne me coûte pas cher.   55 Et de plus, elle ne court pas le guilledou.   56 Et de plus, elle s’y connaît (en matière de technique amoureuse). « Elle entend bien son latin. » Les Mal contentes.   57 Experte dans les choses de l’amour. Idem v. 351. « Vous estes un vaillant champion,/ Et entendu en cest affaire. » L’Amoureux.   58 Les livres précieux avaient une reliure en satin.   59 Dans l’intimité. Nous dirions aujourd’hui : entre quatre yeux.   60 F : dictes  (Vous ne dîtes, au passé simple.)   61 F : Que   62 Soigneux, appliqué.   63 Sous ma cotte courte, sous mon jupon. Cf. le Cousturier et Ésopet, vers 111.   64 Ce mot vient de γλῶσσα, qui signifie langue. Or, la langue désignait le clitoris : cf. le Tournoy amoureux, vers 62 et note. Idem vers 109 et 122.   65 Profond.   66 F : suis  (Je fus d’abord. « Quant premièrement fus louée/ Pour nourrir l’enfant de céans. » La Nourrisse et la Chambèrière.)   67 La force. « Force n’ay plus, substance ne liqueur. » Villon.   68 J’ai multiplié mes conquêtes masculines.   69 J’ai rendu public mon sexe.   70 Qu’on n’y reconnaît plus que le clitoris.   71 « Nul n’en pouvoit dire que tout bien & honneur. » Valentin et Orson.   72 Au Second Écolier.   73 Mon sexe rougi par une activité régulière. Idem v. 139.   74 F : que lie  (Bien joint.)   75 On trace sur les parchemins des lignes horizontales pour guider l’écriture. Double sens : réglée = qui a ses règles.   76 Idem v. 337. Voir les Femmes qui font renbourer leur bas.   77 Mon sexe de femme. Idem vers 137, 165, 212, 287 et 329. Cf. les Femmes qui aprennent à parler latin, vers 129 et note.   78 À supposer qu’on ne le refuse jamais.   79 F : se rusera il  (Voir le v. 108.)   80 En latin, glose se dit glossa, qui transcrit le grec γλῶσσα [langue]. Voir la note 64.   81 F : parapher et bien escripre   82 F : le  (Connaître est pris au sens biblique : forniquer.)   83 En pleine possession de mes moyens (y compris sexuels). « Femme en ses saulx meurt à regret. » Danse macabre des femmes.   84 Puceaux.   85 F : langin  (Je leur déployai le pénis.)   86 Leur science amoureuse.   87 De la bouillie pour les bébés dans ton genre. Cf. Légier d’Argent, vers 81.   88 Tu ne sais ce que c’est que le bien.   89 Tu as bu dans plus d’un foyer.   90 F : Bon  (Tu seras bientôt vieille. « Je vueil soustenir/ Qu’il a desjà son temps passé/ Et qu’il est rompu et cassé. » Ung jeune moyne et ung viel gendarme.)   91 Terminée, finie.   92 F : Et  (À ce qu’il me semble, à mon avis. « Il seroit bon, à mon semblant,/ Mère, d’icy nous despartir. » ATILF.)   93 F : exprimine  (Sapée. « Vertus sont minées. » Le Ramonneur de cheminées.)   94 F : Que ie fuz   95 F : et   96 F : communiquot  (Au tarif de groupe. « François, à l’union [Français, unissez-vous] ! Car que peut un corps tissu & composé de plusieurs parties si à commun escot [regroupées] elles ne (…) luy donnent force & vertu ? » Pierre de L’Ostal.)   97 À condition de payer sa part.   98 Sorte d’imprécation. « Hé ! je suis ta fièvre quartaine ! » La Laitière.   99 À bas. « Argent ? Il est mys à basac. » Gautier et Martin.   100 Que la tuberculose bovine ou une inflammation syphilitique. « Fuyez ce trou que le mau tac confonde ! » Rondeau de la vérolle.   101 F : a  (Comme le sabot d’un mulet. On ferrait les chevaux, mais rarement les mulets.)   102 Qu’un petit coin où l’on fait ses besoins.   103 F : Quelque sens ou quelque  (Dans lesquels tu sèmes l’erreur. « Il trébusche en erreur d’oppinion et de fole cuidance. » ATILF.)   104 F : Ruse  (Voir les vers 108 et 212.)  Usé non sans raisons : il subit beaucoup de frottements.   105 En a vu l’explication.   106 On a beaucoup « écrit » dessus. Les clercs ne se privaient pas de confondre l’écriture avec le coït, le parchemin avec le pubis féminin, la plume avec la verge, l’encre avec le sperme, etc. Dans Frère Guillebert, une épouse cherche « un amy gaillard/ Pour suppléer à l’escripture » de son vieux mari ; voir la note 49 de ladite farce.   107 Prouve, montre. Idem v. 344.   108 F : ne scet pas ou on  (Chaque comté, chaque duché, chaque petit royaume exerçait encore sa propre justice comme à l’époque féodale, que symbolise Digeste Vieille. Voir ma notice.)   109 Jeu de mots sur roids [raides]. « Il n’y a, jusques en Barrois,/ Plus nobles logiz que sont cons,/ Car on n’y peult logier que roix. » Parnasse satyrique du XVe siècle.   110 On éprouve, on expérimente.   111 À rompre la lance dans les batailles (les gens d’armes sont des hommes de guerre). Double sens : À éjaculer. Idem v. 320. « Tiendrez-vous jusques à demain,/ Insatiable créature,/ Dans la maigreur de votre main/ Mon pauvre engin à la torture ?/ Contre vous, il a par dix fois,/ En une nuit, rompu son bois. » François Maynard.   112 Le Premier Écolier. Le Second Écolier devient Secundus.   113 Nos maîtresses parlent avec plaisir. Idem v. 455. « À joie et à dégois. » ATILF.   114 Je besogne Digeste Neuve.   115 Ce vers manquant amorce les sizains en aabaab. « Je deusse estre pourveu présent,/ Avoir bénéfices et cures. » L’Avantureulx.   116 Et je devrais posséder un gros avoir. Pour nos deux étudiants, l’apprentissage du droit n’est valable que s’il mène à un enrichissement rapide. La justice est le cadet de leurs soucis.   117 F : congne  (Diminutif affectueux : « Acollez-moy, ma doulce conne ! » Le Dorellot.)   118 Qui me réjouit, qui me flatte.   119 Qui m’aiguise l’érection. Note 13.   120 Que je m’arraisonne, que je m’entretiens avec.   121 Par manque de confiance.   122 Ou que tu es de la vieille école. « La mère luy dit, qui sceit assez de la vieille dance. » ATILF.   123 F : Cestuy est  (Ce vers, tel que je le corrige, est le 2e de Franc cœur qu’as-tu à soupirer, une chanson franco-italienne d’Antoine de Vigne, qui mourut en 1498 ; fort appréciée des gens de théâtre, cette chanson résonne aussi dans Marchebeau et Galop, dans le Gallant quy a faict le coup et dans le Pèlerinage de Mariage.)   124 Cela ne te concerne pas.   125 Ta Digeste Vieille ne te valorise pas beaucoup.   126 F : mon chaloir  (Elle est totalement négligée. « Ne soyez point en nonchaloir. » ATILF.)   127 Aucun de nous deux.   128 Que grâce à son engin et à son érection il puisse gagner quelque argent.   129 Appétissants. Cf. le Faulconnier de ville, vers 289.   130 Élégants et polis. « Gorgias, mignon,/ Franc, fraiz, frasé comme ung ongnon. » Guillaume Coquillart.   131 Assez (mot latin).   132 Nabuchodonosor II, richissime roi de Babylone.   133 F : trepas  (« D’avoir le trésor de leur père. » Les Sotz qui corrigent le Magnificat.)   134 Signets : bagues surmontées d’un sceau. Voir le v. 19.   135 Ce sont quatre monnaies de grande valeur.   136 F : que francs  (Il n’y a des francs que pour les cupides avocats. Double sens très ironique : Seuls les avocats sont francs.)   137 F : Lapidaires  (Quoi qu’on en dise, ces traités consacrés aux pierres précieuses n’ont jamais désigné les pierres en question.)  Les reliquaires portatifs sont des médaillons creux qui peuvent s’ouvrir : « Petiz joyaulx et reliquaires d’or pendans ou à pendre. » Inventaire de Charles .   138 Bracelets.   139 F : pose  (« Post tenebras, spero lucem. » [Après les ténèbres de la mort, j’espère la lumière.] Livre de Job.)   140 F : auoir   141 Je ne saurais plus trouver.   142 Ce que cela va devenir.   143 En mauvaise posture. Cf. Colin qui loue et despite Dieu, vers 391.   144 F : entendens rien a cela  (Rien du tout. « Tu n’y congnois ne sol, ne la. » Éloy d’Amerval.)   145 F : chieus  (Les oiseaux sont des éperviers avec lesquels les nobles chassent.)   146 Pouliche.   147 Faire des exercices de manège : « Si tost que Burgalant fut sailly sur son destrier, lui fist faire les saulx en l’air. » (Galien Réthore.) Mais la haquenée peut être une femme : cf. le Retraict, vers 340. Cela modifie le sens du vers : « Faire le saut : Obliger une femme à se rendre, la pousser à bout, profiter de sa foiblesse, en jouir. » (Le Roux.)   148 Maquillée.   149 Autant que.   150 F : et a   151 Et pourtant, je ne peux rien gagner. « Sans riens gaigner ne praticquer. » Sermon pour une nopce.   152 Bien peu, inutile d’en parler. « Il suffist, je n’en dy rien, donc. » Maistre Doribus.   153 Acquis.   154 Je m’en contente. Cf. le Ribault marié, vers 267.   155 F : quel est bien forte  (Que j’y suis bien obligé. « Il est bien force/ Que nous endurons ceste endosse. » Les Maraux enchesnéz.)   156 F : lescorche  (Ce coup. « Si flatteurs ont receu l’estorce. » Première Moralité.)   157 F : bien  (L’écorce du chêne-liège rapporte à son propriétaire, d’autant que plus l’arbre est vieux, plus elle est épaisse.)  Le liège ne servait pas qu’à faire des bouchons de bouteilles : on en vendait beaucoup aux fabricants de semelles.   158 F : Sil  (Pourtant.)   159 Sur votre « Q ». Cf. Pernet qui va à l’escolle, vers 179. « Puis nous remurons la lettre qui ensuit après le PÉ. » Béroalde de Verville.   160 Le cul de Digeste Vieille est donc muet.   161 Grâce à moi. « Tu auras encore du bien/ Par mon moyen. » L’Aveugle et Saudret.   162 F : Vela  (Correction proposée par Jelle Koopmans.)   163 Un réconfort financier. Cf. l’Aveugle et le Boiteux, vers 29.   164 Le milord, le riche. Cf. les Tyrans, vers 170 et 182.   165 F : mectre   166 Nul argent ne surgit (verbe sourdre).   167 On refuse de m’écouter.   168 On ne m’avance pas d’argent.   169 Sur ma panse, sur mon ventre : en faisant l’amour avec moi. « Sur l’orifice de la pance/ De leurs femmes. » Frère Guillebert.   170 Le coït. « Mon “flajollet” ne vault plus riens…./ La basse dance doulce et tendre/ Est hors de mon commandement. » Jehan Molinet.   171 F : Dige vi   172 Je cache le mien.   173 Sorte de vélin dont on fait les parchemins. Au second degré, c’est donc le pubis d’une femme.   174 Une bonne réputation.   175 Mon petit museau. Idem vers 313 et 453.   176 Mon con, mon sexe. Cf. le Savatier et Marguet, vers 46.   177 Du plaisir charnel. Idem v. 305.   178 Agréablement.   179 C’est mon avis, vraiment. Note 29.   180 Il manque un tercet en -ure -ure -oire. Du coup, l’enchaînement est un peu abrupt.   181 Pointés.   182 F : Qurest une  (La queue est la traîne cousue au col de la robe. On la trousse pour ne pas la salir ; voir les Queues troussées.)   183 F : cragnequins  (Le baldaquin est le dais qui entoure un lit. Dans la journée, on le trousse pour qu’il laisse passer la chaleur de la cheminée.)   184 F : patins  (L’auteur fantasme sur les petits seins : vers 24, 55, 56, 301.)   185 F : voix  (Nous avons souvent éjaculé. Note 111.)   186 F : assemble  (Les cartables n’existant pas, les étudiants transportaient leurs livres attachés par des sangles de cuir.)  Sangler une femme, c’est la besogner : cf. les Sotz qui corrigent le Magnificat, vers 88.   187 Nous les avons ouverts à pleines mains.   188 F : se en auons de liures  (Si nous en sommes délivrés. Voir le v. 67.)   189 On dépense.   190 Sur le bout du doigt, par cœur. « Mais il fault sçavoir sur le doit/ Ypocras. » (Les Femmes qui aprennent à parler latin.) Double sens : de lutiner Digeste Neuve avec mon doigt.   191 Comptant.   192 F : mer   193 Se nourrir de vent.   194 La soupe est maigre.   195 Vêtue en vieille paysanne de province, et affublée d’un accent campagnard.   196 Vous avez beau.   197 F : verifiez  (Fait obtenir des bénéfices, des postes lucratifs. « Vous avez bénéficié/ Un johannès [un ignare]. » Science et Asnerye.   198 « Cecy, je le preuve par exemple. » ATILF.   199 Sa vulve. « Mes jeunes filles,/ Ne faictes fourbir vos coquilles. » Sermon pour une nopce.   200 F : la rent  (La met à l’apprentissage.)  La maquerelle du Dorellot se nomme Faicte-aumestier.   201 Un coïteur expérimenté. Note 57.   202 F : nest quelqun ne   203 F : trousse a page  (Le trousse-bagage est le laquais d’un capitaine. « Si l’ennemy arrivoit sur le trousse-bagaige. » Loÿs Gollut.)  L’auteur fait plutôt allusion aux filles à soldats qui suivent l’armée : « Quant elle auroit suivy le camp à la Rochelle,/ S’elle a force ducats, elle est toute pucelle. » Mathurin Régnier.   204 À la suite d’un soldat.   205 F : Elle est  (De son museau bestial, elle veut faire un visage humain.)   206 F : Quelle vueille tenes est tel  (Encore et toujours des erreurs phonétiques : voir ma notice.)   207 De ruse.   208 Ces moines ont toujours des femmes chez eux : « Carmes n’ont plus de chambèrière…./ Tousjours Carmes auront freppières. » (Les Rapporteurs.) Villon le constatait déjà : « Carmes chevauchent noz voisines. »   209 Beaucoup d’argent. « Quand on a gagné de l’argent à quelqu’un au jeu ou par quelque adresse, on dit qu’on a eu de ses plumes. » Le Roux.   210 F : fait  (Qui frappe, du verbe férir.)   211 F : sourger les clox des hus  (C’est la vieille Hédroit qui forge les clous de la crucifixion. « Il fault forger/ Des gros cloux pesans et mossus [émoussés]/ Pour aller atacher Jhésus/ Au gibet…./ Icy forge la vieille les cloux. » Jehan Michel, Mistère de la Passion.)  On peut ouïr le langage raffiné d’Hédroit aux vers 194-285 des Tyrans.   212 F : De  (Correction Cohen.)   213 F : mignons  (Des familles entières. « Là se destruict mainte bonne maison. » Marot.)   214 D’aucune récompense.   215 En latin, immo = au contraire. Idem v. 416. Cf. les Sotz nouveaulx farcéz, vers 206. Les lardons sont des sarcasmes dont on larde les gens : cf. la Pippée, vers 46, 481 et 770.   216 Elle les maquille pour les rajeunir. Mais aussi : Elle ternit leur réputation. « Je farderay bien une femme. » Le Roy des Sotz.   217 Pour escroquer les courtisans en leur faisant croire qu’elle leur livre de la chair fraîche.   218 Des tableaux peints.   219 F : ilz  (Quand les prostituées.)   220 F : personne  (« J’ay voulu contrefaire/ Le mignon. » Les Femmes qui plantent leurs maris pour reverdir.)   221 F : sache  (À la rime de 390. « Fache » est la prononciation nordique de « fasse » : « Qui penseret qu’un fieux [fils] d’une si bone mère/ Fache dez actions si remplies de mal ? » La Muse normande.)  Il n’y a aucune mauvaiseté, aucune malice qu’elle ne fasse. Cf. la Mauvaistié des femmes.   222 La viande du veau était plus onéreuse que celle de la vache, que des bouchers peu scrupuleux vendaient pour du veau.   223 F : gouuernan  (Gouvernau fut le précepteur de celui qui allait devenir le roi Arthur ; il l’instruisit dans l’art de la guerre : « Quand l’enfant eut quinze ans, si luy apprint Gouvernau de l’escrime, tant qu’il ne pouvoit trouver son pareil. » Artus de Bretaigne.)   224 En théorie, les nobles guerroyaient au profit du roi.   225 Elle fait porter des hallebardes. Tous ces hommes d’Église transformés en soudards font référence au pape Jules II, qui venait de mourir. Il n’hésitait pas à revêtir l’armure pour monter lui-même à l’assaut. Gringore en a fait la très belliqueuse Mère Sotte dans le Jeu du Prince des Sotz, où ledit prince n’est autre que Louis XII.   226 F : Penthoufles fendues  (Les manteaux militaires sont ouverts du côté gauche, ce qui permet de dégainer l’épée. Ils sont ouverts du côté droit pour les gauchers. « Un mantel fendu à un costé. » ATILF.)  Les brodequins sont ici des godillots militaires.   227 Des vauriens.   228 Elle est analphabète. Les Coutumes étaient souvent orales, d’où la volonté des rois de les mettre par écrit ; voir ma notice.   229 Ni blanc, ne gris brun : elle n’y connaît rien. Cf. les Sotz triumphans, vers 128.   230 F : appetit  (Les vers 23 et 218 donnent « appétis » au singulier.)  Elle fait tout selon son désir.   231 F : ouys  (J’entends vos prétentions. C’est une formule juridique.)  Comme aux vers 421 et 444, le droit désigne le pénis dressé : cf. les Femmes qui aprennent à parler latin, vers 187 et note.   232 F : quil  (Si on.)   233 Tout serait sens dessus dessous, comme au vers 402.   234 Voir le v. 97.   235 F : ce soit auecques   236 Ne nous rendrez-vous pas débiteurs ? « On demeure en reste/ Au tavernier, souvente foys. » La Réformeresse.   237 F : feres  (Au contraire, j’accroîtrai vos gains.)   238 Pourvu.   239 F : iugez que ie ne sace   240 S’il n’a le droit coutumier devant lui, sous ses yeux. « Le signe de la vraie croix (…) mis avant ma face, je recommande mon âme à Dieu. » Jean de Chissey.   241 Vous joignez les paroles à la musique. « Desquelles chansons et oraisons les motz sont icy attachéz. » Tielman Susato, éditeur de partitions.   242 Des nôtres. « Se (tu) veulx estre des noz,/ Ressembler te convient Minos. » Christine de Pizan.   243 De louanges. Calembour sur « l’os », le phallus : « S’aucunes gens vous portent blasmes,/ Mes dames, je vous porte los. » Les Menus propos.   244 En bref. À la fin de la Pippée (vers 931-4), l’un des perdants devient aussi le serviteur des gagnants.   245 L’hypocrite et flatteur Mitoufflet prononce le même vers quand il cherche à entrer au service du Roy des Sotz.   246 ACTE 2. Seuls en scène, les deux ex-étudiants portent un chaperon fourré de juriste. Le droit ancien et le droit nouveau, maintenant qu’ils sont servis par le droit coutumier, les ont enrichis.   247 Une grande réputation.   248 Des saluts : des pièces d’or. Idem v. 224.   249 Tout le monde nous salue gracieusement. C’est à ce détail que les parvenus croient avoir réussi : voir par exemple le clerc d’Ânerie aux vers 249-250 de Science et Asnerye.   250 F : serons  (Cet imprimeur confond très souvent le « f » (f) et le « s » long (ſ) du ms. de base.)  « Faire haut le bois : Souldiors to stop and make a stand, advancing their pikes. » (Cotgrave.) Cf. les Premiers gardonnéz, vers 215. Mais le bois désigne également le pénis, comme aux vers 176 et 320 : « Pour faire sonner le hault boys/ Et faire la chosète. » L’Aveugle et Saudret.   251 Nous ferons des réquisitoires. Ou bien : nous allons requérir les femmes.   252 Et aussi, nous boirons avec joie.   253 Gents. Idem v. 328. Nous avons vu gorgias et frasé (v. 219), et miste (v. 25).   254 Les juges se font payer en épices : cf. Science et Asnerye, vers 207.   255 F : en paix  (On ne peut être en paix contre quelqu’un !)  Le harnois — ou le harnais, qui a la même prononciation — est une armure, une protection contre l’ennemi.   256 F : destriaulx  (Contre les pernicieux manuels d’enseignement.)   257 F : appartient  (Louis XII eut à cœur de simplifier la procédure juridique. Voir ma notice.)   258 Faiseurs de mystifications. Cf. les Premiers gardonnéz, vers 127.   259 Qu’on leur réglera leur compte. « Je luy feray bien sa raison ! » Les Chambèrières et Débat.   260 Je recommande. « Je vous commande à Dieu ! » (Le Cuvier.) Le Second Écolier s’adresse au public pour lui présenter les adieux de la troupe.   261 Ce refrain manquant clôt la Moralité. Voir ma notice. Cette dernière strophe porte l’acrostiche JEAN P., qui pourrait être la signature de l’auteur. On m’objectera que l’orthographe de ce nom était Jehan ; mais au XVIe siècle, on écrivait parfois Jean, ou même Jan. Dans le Badin qui se loue, Janot jure par « saint Jean ».   262 Tel s’imagine. L’accumulation d’idées reçues commençant par « tel » est un des jeux favoris des Sots : voir les vers 337-344 des Povres deables, ou les vers 59-66 des Sobres Sotz.   263 F : pour  (Sans tarder.)   264 F : Quil  (Qui meurt avant qu’elle ne soit finie.)   265 Habille, prépare. « On nous habille ung si beau disner. » (ATILF.) L’écriture en coq-à-l’âne est caractéristique des sotties.   266 F : qui  (Puis le partage entre les autres.)   267 F : Que   268 F : il scaroit  (Alors qu’il en serait bien incapable.)  Cette sottie est composée de quatrains abba.   269 Être maître chez lui, et faire ce qu’il veut de sa femme. Voir la définition de Le Roux à la note 147.   270 Quon luy liure cy   271 La Mauvaistié des femmes a pour sujet un mari qui ne parviendra jamais à mettre une pie dans une cage parce que son épouse veut y mettre un cocu [un coucou]. « –Une pie vous nommerez !/ –Mais ung cocu ! » La sottie devait relater la scène de ménage en question.   272 Il s’adresse au public.

LES FEMMES QUI APRENNENT À PARLER LATIN

British Library

British Library

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LES   FEMMES   QUI

APRENNENT  À

PARLER  LATIN

*

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Cette farce développe la même histoire que les Femmes qui se font passer Maistresses, écrite elle aussi pour un collège parisien, et dont les personnages sont extrêmement proches des nôtres. D’ailleurs, le compilateur du recueil de Florence a regroupé les deux pièces.

Nous avons donc là une farce de collège : les six acteurs que compte la distribution n’auraient pas été gérables — et payables — par une troupe itinérante, alors que de nombreux collégiens ne demandaient pas mieux que de se moquer gratuitement de leurs professeurs. Enfin, cette farce est jonchée de grivoiseries, comme les autres pièces jouées par des escoliers. Les tournures picardes qu’elle contient en grand nombre semblent accuser les élèves du collège de Beauvais, à Paris ; voir la notice du Mince de quaire.

Source : Recueil de Florence, nº 17.

Structure : Rimes abab/bcbc, avec 2 triolets enchaînés. Beaucoup de vers ont été ajoutés a posteriori, et d’autres ont disparu ad vitam æternam, quand ils n’ont pas été déplacés manu militari.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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Farce nouvelle à six
personnages des

Femmes qui aprennent

à parler latin

*

C’est assavoir :1

       LE  PROVINCIAL

       ROBINET 2

       GUILLEMETTE

       ALISON

       BARBETTE

       [MARION]

*

                        LE  PROVINCIAL 3  commence         SCÈNE  I

        Robin, vien çà, mon amy [bon4] !

        Va-t’en vistement attacher

        Au Palais5 et là environ,

        Et aux églises, ce papier !

5      Et n’oublie pas à décliner6

        En plus de cent lieux en Paris

        Que le Provincïal, dès hier,

        Est descendu en son logis.

        Et au[x] Parisïennes, dis

10    — Que j’ayme de tout mon couraige7

        Que j’ay voué et entreprins

        Leur apprendre ung nouveau langaige.

                     ROBINET

        Ha,  monseigneur, ce seroit dommaige :

        On ne les pourroit maistriser8.

                        LE  PROVINCIAL

15    Allez, mastin9 et villain paige !

        Je le vueil ; fault-il répliquer ?

                        ROBINET

        Je vois donc aux Carmes premier10

        Attacher ce petit brevet.

                        LE  PROVINCIAL

        Acoup11, de là, [va] sans tarder

20    À la Montaigne12.

                        ROBINET

                                        Il sera fait.

        Je ne cesseray en effait

        Tant que j’auray point[es]13 en main.

                        LE  PROVINCIAL

        Parisïennes, il me plaist

        Que vous sachiez ung nouveau tra[in]14.

25    Je ne saiche riens plus humain

        Que vous, mes mignonnes doulcet[tes].

                        ROBINET

        Par Dieu ! Provincïal hautain15,

        Vous regardez mal que16 vous faictes.

.

                        LE  PROVINCIAL                                SCÈNE  II

        [Çà, çà, venez]17, mes doulcinettes !

30    Mes parisïennes gorgettes18,

        Viendrez-vous pas à la lesson ?

        Ouy, mes petites rig[o]lettes,

        Soyez subtilles, mignonnettes.

        Venez tost, il en est saison !

.

                        GUILLEMETTE 19                                 SCÈNE  III

35    Johannès20, sire, mon mignon :

        Qu’esse-là ? Qué[rez-]vous service21 ?

                        ROBINET 22

        Se je vueil servir23 ? Nennin non !

        Suis-je « Johannès », vielle lisse24 ?

                        GUILLEMETTE

        Vous avez tort !

                        ROBINET

                                   On m’en punisse !

40    Lisez ces motz : ilz sont escripz.

        Mais fault-il que [je] les vous disse25 ?

                        GUILLEMETTE

        Ouy [dea], s’il vous plaist, jeune filz26.

                        ROBINET

        Or bien, de par Dieu ! Je vous dis :

        « Que toutes femmes en général

45    Qui vouldront mettre leurs esp(e)ritz

        Parler latin orné, exquis,

        Viengne[nt] veoir le Provincïal,

        Adèz27 le plus espécïal

        Maistre qui soit jusques à Romme28. »

                        GUILLEMETTE

50    Latin ? C’est ung bien principal.

        Il fault donc qu’il soit vaillant homme.

                        ROBINET

        Vaillant, puissant, triumphant comme

        Fut jamais Hector et Pâris29.

                        GUILLEMETTE

        [Il veult faire parler, en somme,]30

55    Latin aux femmes de Paris ?

        Latin ? Monseigneur saint Denis31 !

                        ROBINET

        Aussi vray que32 je le devise.

                        GUILLEMETTE

        Chascun en doit estre esjouys.

                        ROBINET

        Ce sera bien nouvelle guise33.

                        GUILLEMETTE

60    C’est bien donc raison qu’on le prise,

        Quant aux34 dames ainsi s’aquitte.

        Par Dieu ! autre ordre sera mise

        Au monde35, et meilleur[e] conduite.36

.

        Ma commère, venez çà ! Dicte(s) :                            SCÈNE  IV

65    Quel(le)s nouvelles ?

                        ALISON

                                         Han,  je ne sçay, moy.

                        GUILLEMETTE

        Comment ? [Je sçay]37 des biens l’éliste.

                        ALISON

        Dictes-moy, qu’esse ?

                        GUILLEMETTE

                                          C’est…38

                        ALISON

                                                         [Et] quoy ?

        Vous me mettez en grant esmoy

        Que je n’entens ceste parolle.

                        GUILLEMETTE

70    C’est (je vous prometz, par ma foy)

        Ung si saige maistre d’escolle

        (Et est vray, ce n’est pas frivolle),

        Qui arriva hier au matin,

        Qui veult que vif on le décolle39

75    S’il ne nous fait parler latin

        [Autant au soir comme au matin,]40

        Argüer par façon légière,

        Lire en papier ou en parchemin

        Et entendre toute matière.

                        ALISON

80    Parler latin ?

                        GUILLEMETTE

                             Vray est, par sainct Pere41 !

        Ne pensez point que je me faigne42.

                        ALISON

        Vous semble-il point qu’il nous affière43 ?

        Le sçavoir, esse chose estraigne44 ?

        Latin, esse chose qu’on craigne ?

.

                        BARBETTE 45                                         SCÈNE  V

85    [Bénédicité ! qu’esse-cy]46 ?

                        GUILLEMETTE

        Dont venez-vous ?

                        BARBETTE

                                       De la Montaigne.

                        ALLISON

        Mais venez çà !

                        GUILLEMETTE

                                 Et acoup !

                        BARBETTE

                                                  Ouy ?

        Dea, mais  qu’esse ?

                       GUILLEMETTE 47

                                           N’avez-vous pas ouÿ,

        [Commère48], parler de ce maistre

90    [Qui nous veult enseigner ?]

                        BARBETTE

                                                       Nenny.

        [Le désir vous me faictes naistre]49

        De [le] voir.

                        ALISON

                             Son engin50 pénètre

        Tout aultre51, riens n’est plus bégnin.

        Il a dit que confus veult estre

95    S’il ne nous fait parler latin.

                        BARBETTE

        Nous viendrons donc à nostre fin.

        Je ne sçay, moy, par quel chemin.

        Il nous est cellé si long temps52.

                        ALISON

        [L’ont cellé ces]53 hommes, affin

100  Qu’ilz ayent audivi 54 plus grans.

                        GUILLEMETTE

        Ha, les villains !

                        BARBETTE

                                    Mais les meschans !

                        ALISON

        Riglés55 seront.

                        GUILLEMETTE

                                    Je m’y consens.

                        BARBETTE

        Ilz sont orguilleux comme paons.

                        ALISON

        Nous les chasserons comme enfans

105  Par fine force d’argumens.

                        GUILLEMETTE

        Il fault qu’ilz [n’]en soient innocens56 :

        Or57, estudïons ce langaige !

                        ALISON

        Aultrement ne seront contens.

                        BARBETTE

        Quant je vois hors58, le mien enrage.

                        GUILLEMETTE

110  Soubz l’ombre de pèlerinage,

        Jusqu(e) à Notre-Dame-des-Champs59

        Nous yrons.

                        BARBETTE

                           C’est le voir60.

                        ALISON

                                                   [Que sai-ge]61 ?

        Ces moiens sont fort souffisans.

                        BARBETTE

        Devant qu’il soit jamais deux ans62,

115  On verra nos maris changer63.

                        GUILLEMETTE

        Nous yrons à la ville, aux champs.

                        ALISON

        Publicquement.

                        GUILLEMETTE

                                   Sans nul dangier.

                        BARBÈTE

        Porteront-ilz point le pannier64 ?

                        ALISON

        Ouy dea !

                        GUILLEMETTE

                          Et les petis poupars65.

                        BARBETTE

120  Et nous yrons estudïer66.

                        ALISON

        Clergesses serons.

                        GUILLEMETTE

                                      Et  eulx, coquars67.

                        BARBETTE

        Serons-nous pas maistresses aux Ars68

        Aussi bien qu’eux ?

                        ALISON

                                          Et pourquoy non ?

                        GUILLEMETTE

        Et régnerons en toutes pars.

                        BARBETTE

125  Ha ! ma seur, ce sera raison.

                        ALISON

        Alons-m’en quérir Marïon,

        Puis nous yrons veoir monseigneur.

                        GUILLEMETTE

        Nostre voisine ?

                        BARBETTE

                                    Et comment donc !

                        ALISON

        Elle a « engin69 » de grant ardeur.

.

                        ROBINET 70                                            SCÈNE  VI

130  Provincïal, soyez tout seur71

        Que j’ay fait voz besongnes bonnes.

                        LE  PROVINCIAL

        Vient-il riens ?

                        ROBINET

                                  Riens ? Vécy la fleur

        Des Parisïennes mignonnes.

                        LE  PROVINCIAL

        Te semble-il qu’elles sont ydoines72

135  À comprendre ce qu’on lira ?

                        ROBINET

        Vous y ferez73 si grant aulmosne

        Que jamais tel bien n’aviendra.

.

                        GUILLEMETTE 74                                SCÈNE  VII

        [Hau !] Marïon !

                        MARION

                                      Et qu’esse-là ?

                        GUILLEMETTE

        Et ! escoutez çà, ma voisine !

                        MARION

140  Hé ! ma voisine, comment va ?

        Comment se porte ma cousine ?

                        GUILLEMETTE

        Bien.

                        ALISON

                 Viendrez-vous ?

                        MARION

                                           Où ?

                        BARBETTE

                                                   Quelle myne !

        Veoir ce maistre de grant proesse75 :

        Il fait merveille.

                        ALISON

                                    Il [dé]termine76

145  Ce que ne fist jamais [ru]desse77.

        Et de fait, il a fait promesse

        De vouloir latin78 enseigner.

.

                        ROBINET 79                                           SCÈNE  VIII

        Monseigneur, regardez cy !

                        LE  PROVINCIAL

                                                     Qu’esse ?

                        ROBINET

        Vécy des femmes ung millier.

                        LE  PROVINCIAL

150  El(le)s ont gant fain d’estudïer,

        Je le voy bien. Fay-leur grant feste.

                        ROBINET

        Vous les verrez tantost plaidier :

        Ce semblera une tempeste !

        Recevoir les fault ?

                        LE  PROVINCIAL

                                        Tais-toy, beste !

155  Elles ne diront plus que ce mot.

                        ROBINET

                                                           Mais raige !

        Elles mettent chascun à mette80,

        De plaider à ung seul langaige81.

.

                        GUILLEMETTE 82                                SCÈNE  IX

        Alons recevoir83 l’héritage

        De nostre maistre.

                        ALISON

                                        Le vélà !

                        BARBETTE

160  Guillemette, comme la plus saige,

        Parlez devant.

                        GUILLEMETTE

                                Mais vous !

                        BARBETTE

                                                    Moy ? Dea !

        Marïon, sus !

                        MARION

                                 Pourquoy cela ?

        C’est à faire aux plus ancïennes84.

.

                        LE  PROVINCIAL                                  SCÈNE  X

        Or çà, çà, mes Parisïennes :

165  Vous régente[re]z85 bas et hault.

                        ROBINET

        Chascune fera bien des siennes86

                        ALISON

        Il dit d’or.

                        GUILLEMETTE

                           C’est ce qu’i nous fault.

                        BARBETTE

        Alons près !

                        GUILLEMETTE 87

                            Devant !

                        MARION

                                            Ne m’en chault :

        [J’ayme mieulx demourer derrière.]88

                        LE  PROVINCIAL

170  Se la mémoire ne me fault89,

        Vous aurez science plain[ièr]e90.

                        ALISON

        Dieu gard, monseigneur !

                        LE  PROVINCIAL

                                                  M’amye chière,

        Bien vegniez, [gracieuse et tendre]91 !

                        ALISON

        Nous monstrerez-vous la matière

175  Du latin ?

                        LE  PROVINCIAL

                          Ouy ; et [sans attendre]92.

        Comment vous le pourrez comprendre.

                        BARBETTE

        Nous le voulons trèsbien entendre.

        [Monstrez-nous à]93 parler aussi.

                        LE  PROVINCIAL

        N’avez-vous point bon cueur d’aprendre ?

                        MARION

180  Ouy, sire.

                        LE  PROVINCIAL

                         Or, n’aiez soucy.

        Il me convient sçavoir cecy :

        Quelle Faculté vous voulez suyvre ?

                        GUILLEMETTE

        Nous voulons sçavoir…

                        LE  PROVINCIAL

                                               Quoy ? [ Hardy94 !

                        ALISON ]

        Et ! pratique de sçavoir vyvre95.

                        LE  PROVINCIAL

185  Voulez-vous ces volumes ensuyvre ?

                        ALISON

        Et qu’esse ?

                        LE  PROVINCIAL

                               Matière de Droit.

                       ALISON

         Le droit 96 ? [Ouy] dea, c’est ung bon livre ;

        Mieulx l’ayme que chose qui soit.

                        LE  PROVINCIAL

        À grant-peine ung homme croiroit97

190  Quel gaing en vient.

                        ROBINET

                                          À plaine paulme98.

                        ALISON 99

        Le droit ? Et ! on le nous celoit ;

        Et si, duist100 si bien à la femme.

                        LE  PROVINCIAL

        Ha, dea ! Je vous diray, ma dame :

        Il y a deux droitz.

                        ALISON

                                      Çà, le bon !

                        LE  PROVINCIAL

195  Ilz sont tous deux bons, sur mon âme !

        L’ung est civil, l’autre est canon.

        Le droit civil est par raison

        Aux séculiers101 ; l’autre, à l’Église.

                        ALISON

        Qui102 les veult tous deux, ne peut-on ?

200  Les entretenir ?

                        LE  PROVINCIAL

                                   Pourquoy non ?

        Si fait, dea.

                        ALISON

                              Ha ! c’est bonne guise.

        Au moins, se je trouve faintise103

        Aucuneffois au droit civil,

        Je recourray104 au fait d’Église,

205  Car j’entens bien qu’il est gentil105.

                        LE  PROVINCIAL

        Acoutez106 : Quant quelque soubtil

        Clerc conse[i]l vous en demandera107

        En disant : « Que vous en semble-il ? »

        Ma dame, quel responce là ?

                        ALISON

210  Je [luy] diray : « Ouy ! »

                        LE  PROVINCIAL

                                                 Mais « ita »,

        En latin.

                        ALISON

                          Bien le sçauray dire.

                        LE  PROVINCIAL

        S’il dit mal, « non » dire [f]auldra.

                        ALISON

        Et ! laissez-m’en faire, beau sire.

                        LE  PROVINCIAL

        Or sus, donc ! Je m’en vois produire108.

215  Plaidez109, ma dame l’advocate,

        En parlant latin.

                        ROBINET

                                      Or, sans rire ?

                        LE  PROVINCIAL

        Et gardez que je ne vous matte110 !

        Séez-vous en mon lieu en haste.

        Il fault les faits111 expédïer :

220  Un cas advint — ce fut la datte

        Du .XV., jour de février —

        Qu’il y eust ung jeune escuier

        Puissant de nom et de linage112

        Qui print fille de chevalier

225  (Ainsi qu’on fait) en mariage.

        Quant ce vint113 après espousage

        Et au mariage acomplir,

        Il n’avoit pas…

                        ALISON

                                Quid ?

                        LE  PROVINCIAL

                                            Ce bagage114.

                        ALISON

        Bénédicité !

                        LE  PROVINCIAL

                             Soyez sage !

230  Et brief, il n’y pouvoit115 fournir.

        La dame se voult116 repentir,

        Et disoit : « Rien ne me sera117 ! »

        Se devoit-elle consentir

        À soy démarier ?

                        ALISON

                                       Ita !

                        LE  PROVINCIAL

235  C’est bien respondu sus cela118 ;

        Vous estes femme de façon119.

        Vécy ung autre cas.

                        ALISON

                                          Or çà !

                        LE  PROVINCIAL

        Naguère(s), il y eut ung mignon120

        Qui trouva ung gentil garson

240  Avec sa femme dans121 son lit ;

        Le deust-il tuer ?

                        ALISON

                                      Certé non !

                        LE  PROVINCIAL

        Et [si]122, il faisoit…

                        ALISON

                                             Sufficit !

                        LE  PROVINCIAL

        Non ? Pourquoy ?

                        ALISON

                                         Natura dédit 123.

                        LE  PROVINCIAL

        Par le [saint] sanc que Dieu me fist !124

245  Je vous ay bien endoctriné.

        Dame légiste, faicte[s] bruit125.

                        ALISON

        Argentum téné 126 !

                        LE  PROVINCIAL

                                          C’est bien dit.

        Vostre suis !

                        ALISON

                               Gratés, [dominé 127] !

                        ROBINET

        Saint Jaques, c’est bien latiné !

250  Et ! ad Dominum 128 !

                        [ LE  PROVINCIAL

                                     Robin, tiens :

        Recueille cest or, in finé. ]129

.

                        BARBETTE 130                                      SCÈNE  XI

        Monseigneur, aprendrons-nous riens ?

                        LE  PROVINCIAL

        Demandez, car j’ay tous moyens

        Pour vous aprendre sans soucy.

                        BARBETTE

255  Nous avons le droit sur tous biens131,

        Comme Alison.

                        LE  PROVINCIAL

                                      Il m’est failly132

                        BARBETTE

        Failly isté 133 ? Sus !

                        LE  PROVINCIAL

                                           Mais134 vécy :

        J’ay bien, pour vous, aultre doctrine.

                        BARBETTE

        Le droit est bien bon.

                        LE  PROVINCIAL

                                              J’ay icy,

260  Pour vous, tout l’art de médecine135.

                        BARBETTE

        Médecine ?

                        LE  PROVINCIAL

                               Ha ! c’est la plus digne

        Entre les sciences qui soi(en)t.

        Car ce qui [n’]est sain, et décline136,

        Par donner137 ung peu de racine,

265  On le138 fait relever tout droit.

        Mais il fault sçavoir sur le doit139

        Ypocras et aussi Galien.

                        BARBETTE

        Certes, j’estudieray en droit !

                        LE  PROVINCIAL

        [La médecine fait grant bien.]140

270  Regardez : voicy le moyen

        Par lequel on fait le couraige141

        Revenir — vous m’entendez bien —,

        Qui142 le pert.

                        BARBETTE

                                Comment ?

                        LE  PROVINCIAL

                                                   Par oultraige143

        S’il avoit beu [trop] de bruvaige144,

275  D’ung récipé 145 fait à demy

        Vous  luy verriez faire feu et raige :

        On ne pourroit durer à luy146.

                        BARBETTE

        Il fault siner147 ce fueillet-cy !

                        LE  PROVINCIAL

        Voyez-en ung aultre plus rade148 :

280  « Item 149, pour faire son mary

        Devenir fol ou fort malade. »

                        BARBETTE

        Mon Dieu, s’en auront une aubade150 !

        Nous sont ces livres deffendus ?

                        LE  PROVINCIAL

        « Pour une vieille orde et fort fade151,

285  Reculer152 de ving[t] ans ou plus. »

                        BARBETTE

        Vécy livres de grans vertus ;

        Il n’est nul plus puissant trésor.

                        LE  PROVINCIAL

        Ha, dea ! latin ne parlez plus ?

                        BARBETTE

        Quoy donc ?

                        LE  PROVINCIAL

                            Latin.

                        BARBETTE

                                      C’est mon vouloir.

                        LE  PROVINCIAL

290  Quant vous irez, matin ou soir,

        Pour mettre quelq’ung en santé,

        Dictes [cler : « Homini]153 dolor ! »

        O quantum commotus vité 154 !

        Tenez-luy le pous155 in fronté.

295  Touchez s’il n’a point grant chaleur ;

        Et s’il est ainsi eschoffé,

        Faictes-le couchier.

                        BARBETTE

                                         Soyez seur :

        Si congnoistre puis la douleur156

        En estudïant en l’orine157,

300  Je le remettray en vigueur.

                        LE  PROVINCIAL

        Que je vous appreigne en ung signe158 :

        Regardez-moy quel médicine

        Vous donrez cy159.

                        BARBETTE

                                           Sancté Déus 160 !

                        LE  PROVINCIAL

        Il est en dangier qu’il ne fine161.

                        BARBETTE

305  Ipsé est multum commotus 162

                        LE  PROVINCIAL

        Vélà bien spéculé [dessus].

                        BARBETTE

        Vénéré 163 multum nocui[t] !

                        LE  PROVINCIAL

        C’est vray, car deux enfans ou164 plus

        Il a forgé en une nuit :165

310  [Jamais nul n’a eu si grant bruit]166

        À Monpellier167, où j’ay esté.

        Ung homme cause de tel fruit168

        Doit-il point recouvrer santé,

        Belle Barbette ?

                        BARBETTE

                                    Ita, certé !

                        LE  PROVINCIAL

315  Vous pourrez régenter sans blâme.

        Faictes-vous169 vaillant, ma beauté :

        Hardiement, vous ne tu[er]ez âme170.

                        BARBETTE

        Ad Dominum !

                        LE  PROVINCIAL

                                   Adieu, ma dame !171

                        ROBINET

        Tuer âme ? J’en suis certain !

320  Médecine est douce, de femme ;

        Médeciner, c’est bien leur train.

        El(le)s ont beau parler172, doulce main :

        La science leur est bien ydoyne173.

                        LE  PROVINCIAL

        Esse tout174 ?

                        ROBINET

                                 Ouy dea. [À] demain !

325  Et175 ! c’est tout, le mal sainct Anthoine !

.

                        GUILLEMETTE                                    SCÈNE  XII

        Hélas, monseigneur, qu’on nous176 donne

        Ung petit177 d’introduction.

                        LE  PROVINCIAL

        Quel est vostre nom, ma mignonne ?

                        GUILLEMETTE

        Guillemette.

                        LE  PROVINCIAL

                               Et vous ?

                        MARION

                                                Marïon.

                        LE  PROVINCIAL

330  Avez-vous Guillemette à nom ?

                        GUILLEMETTE

        Ouy.

                        LE  PROVINCIAL

                     Estes-vous Parisïenne ?

        Guillemette, il me semble bon

        Que vous deveniez Arcïenne178,

        Car vous estes assez ancienne

335  Et saige pour estre régente179.

                        GUILLEMETTE

        C’est ma voulenté.

                        LE  PROVINCIAL

                                        Et la mienne ;

        Joyeux suis que je vous contente.

        Mais qui n’y met toute s(on) entente180,

        Cest labeur est [bien] inutille.

340  Et se ung coup estes prudente,

        Vous  prouverez par raison patente

        De cent escus que ce sont mille181.

        Affin que soiez plus habille182,

        Je vous monstr[er]ay doble voye183.

                        GUILLEMETTE

345  Ne monstrez que la plus subtille.

                        LE  PROVINCIAL

        Je le vueil.

                        GUILLEMETTE

                           Et ! que je les voye.

                        LE  PROVINCIAL

        Regardez, dame simple et coye184 :

        Vécy la voye des royaulx185.

                        GUILLEMETTE

        Il n’est besoing qu’on les desploye.

                        LE  PROVINCIAL

350  Voyez donc celle aux [Ars] nouveaux186.

        Tenez les plus espécïaulx187

        Qu(e) homme verra dedans ung an.

                        GUILLEMETTE

        Certes, les livres sont fort beaux.

                        LE  PROVINCIAL

        Vécy la Logique d’Occan188,

355  Aristote d’or189, Buridan190.

        Lisez-la et notez ces motz

        Subtil[s] contre tout argument.

        Et incorporez ces argotz191.

        Et puis vous tenrez voz192 propos :

360  Concédez peu, nyez souvent,

        Équivoque[z-]moy hardiement

        Par les cautelles193 d’Aristote,

        Desquelles on fait plainement

        Entendre q’un mary radote

365  Et qu’il a [la] teste plus sotte,

        Cent mille fois, qu(e) une brebis.

        Et convient bien que tout on note.

                        GUILLEMETTE

        Matéria[e] defficientis 194.

.

                        MARION                                                 SCÈNE  XIII

        Monseigneur, je n’ay rien aprins :

370  Faictes-moy théologïenne195.

                        LE  PROVINCIAL

        M’amye, j’en seroye reprins196 :

        Vous n’estes pas assez ancienne.

        Je vous feray grant rectoricienne197,

        Et aurez de(s) bonnes « leçons198 ».

375  Robinet, fay qu’elle convienne199

        Avec toy à déclinaisons.

                        ROBINET

        Çà, m’amye ! Que nous lisons

        Quelque chose de bon.

                        MARION

                                               Or sus !

                        ROBINET

        Vécy déclinaisons de noms.

380  Qu’esse  ?

                        MARION

                               Féminéis 200 abus

        Sociabitur, ut dominabus.

                        LE  PROVINCIAL

        Passez oultre, ce sont abus

        De demourer en ce point-là.

        Regardez tout, [et] sus et jus201,

385  Sans estre guères en cela202.

        Et ce que Robinet dira,

        Faictes tout ung, et retenez bien.

        Sic, sit 203 personna seconda ;

        Aultremant, tout ne vauldroit204 rien.

                        MARION

        ………………………… 205

390  Je n’entens point bien ce sens.

                        LE  PROVINCIAL

                                                          Non ?

        Ha ! je trouveray bon moyen.

        Tenez là mon Catholicon 206 :

        Il n’y a mot, tant soit-il bon,

        Qu(e) exposé ne soit par compas207.

395  Or lisez-moy là, Marïon :

        Qu’esse-là, au premier ?

                        MARION

                                                 Abbas 208.

                        LE  PROVINCIAL

        Après ?

                        MARION

                         Abbatis, abbati.

        Monseigneur(s), j’entens bien le cas :

        Car, quant la fille fut à bas,

400  Ma foy, le galant la baty 209.

                        LE  PROVINCIAL

        C’est cela, il est tout ainsi.

        L’autre fueillet !

                        MARION

                                     Hé ! je l’entens :

        Bacus 210.

                        LE  PROVINCIAL

                         Et  son génitif ?

                        MARION

                                                    Bachy,

        Baco, Bacom 211. J’entens le sens.

405  Ceste matière je comprens

        Facillement, et les proverbes212.

                        LE  PROVINCIAL

        Regardez ung peu plus dedens

        Pour veoir la nature des verbes.

                        MARION

        Da  [h]ortandy 213 !

                        LE  PROVINCIAL

                                          Ce sont adverbes ;

410  Regardez ung petit214 plus bas.

        Qu’esse-cy, Marion ?

                        MARION

                                           C’est amo, amas.

                        LE  PROVINCIAL

        Et son prétérit ?

                        MARION

                                      Amavit.

                        LE  PROVINCIAL

        Qu’esse à dire ?

                        MARION

                                   La femme ama vit 215.

                        LE  PROVINCIAL

        Mais comment ?

                        MARION

                                    Nescio 216.

                        GUILLEMETTE

                                                      Dicam 217 !

415  Vécy la raison en escript :

        « Ut matéria appétit formam

        [Sicut et fœmina marem]218. »

        Vécy, Aristote le dit.

                        LE  PROVINCIAL

        [Et] puis ?

                        MARION

                            [Cibo, cibas, cibem]219.

                        LE  PROVINCIAL

420  Et son prétérit ?

                        MARION

                                    Cibavit 220.

                        LE  PROVINCIAL

        Or, faictes-nous ung petit [veoir221],

        De françois en latin, deux motz,

        Comme Dieu les pourez assavoir.

                        MARION

        Dominus 222 cibavit agros.

                        LE  PROVINCIAL

425  C’est bien respondu à propos ;

        Vous estes une vaillant femme.

        [………………………….. -os

        …………………………… -ame.]223

                        MARION

        Adieu, monseigneur !

                        LE  PROVINCIAL

                                             Adieu, ma dame !

                        MARION

        Vélà deux escus pour vo224 paine.

                        LE  PROVINCIAL

        Je n’en prendray rien, par mon âme !

430  J’aymeroye mieulx estre en Sayne225 !

.

        Or çà, [mon] Arsïenne humaine226 :                          SCÈNE  XIV

        Posé que soyes227 vostre mary,

        Tenir vueil que, ceste sepmaine,

        Prins avez228 encore ung amy.

                        GUILLEMETTE

435  Égo négo 229, et prouve ainsi

        Que deux amans ne peux230 avoir.

        Sed, probatum [a simily]231,

        Je gaige de232 vous décevoir :

        Impossible [il] est [de] sçavoir233

440  Mettre icy, en ce chandelier,

        Deux chandelles234.

                        LE  PROVINCIAL

                                           Il est tout voir235.

                        GUILLEMETTE

        Ergo, vray est, sans varier236 :

        Femme mariée d’huy ou d’hier

        Ne sçauroit par nulles cautelles

445  Avoir deux maris de légier237,

        [Comme ung chandellier]238 deux chandelles.

                        LE  PROVINCIAL

        Vélà raisons fort naturelles,

        Venans d’ung engin 239 magnifique.

        Mais toutesfois, la fleur des belles,

450  Je vous feray une réplique :

        Vous avez dit, dame autentique,

        Non povoir deux chandelles [mettre] ?

                        GUILLEMETTE

        Concédo vérum est 240, [mon maistre].

                        LE  PROVINCIAL

        [On n’en peut mettre qu’une, ainsi]241 ?

455  Pourquoy n’y peut, après la mienne

        — Et a[u]près242, ex conséquenti 243

        Ung autre y mettre [aussi] la sienne ?

                        GUILLEMETTE

        À moy, comme Parisïenne,

        Ceste matière n’est point haulte244.

                        LE  PROVINCIAL

460  Et pourquoy ?

                        GUILLEMETTE

                                   C’est par vostre faulte :

        Sy fourbissiez245 le chandelier

        Songneusement, sans le laisser,

        Il n’est clerc (je vous vueil bien dire),

        Tant sceust-il bien « estudïer »,

465  Qui y peût sa chandelle induire246.

                        LE  PROVINCIAL

        Maris ne sçauront247 contredire :

        Ce sont argumens insolus248.

                        GUILLEMETTE

        Non, dea. Ilz n’en feront que rire,

        Disans : « Égo sum contentus 249. »

                        LE  PROVINCIAL

470  Mesdieux250 ! ilz seront tous confus.

                        GUILLEMETTE

        Et  estonnéz comme Johannés251.

                        [ ROBINET

        ………………………… -us

        ………………………… -etz ! ]

                        LE  PROVINCIAL

        Dame, je vueil que désormais

        Vous vous disiez estre clergesse252.

                        BARBETTE,  MARION,

                        GUILLEMETTE,  ALISON.

        [Magister noster, noz bonnetz]253 !

                        LE  PROVINCIAL

475  Mais je vueil que tenez promesse254,

        Et qu(e) en toute vostre255 jeunesse

        Vous soiez doulces en mon nom256.

        Respondez, Barbette, Alison :

        Servirez257-vous mes gens ?

                        GUILLEMETTE  &  MARION

                                                      Ita !

                        LE  PROVINCIAL

480  Leur don(ne)rez-vous pain et vin bon ?

                        ROBINET 258

        Respondez, Barbette, Alison !

                        LE  PROVINCIAL

        Aux grans259 ?

                        ALISON

                                 Ita !

                        LE  PROVINCIAL

                                        Et  aux petis ?

                        BARBETTE

                                                               Non !

                        ALISON

        [Vous verrez bien que]260 ce sera.

                        LE  PROVINCIAL

        Respondez, Barbette, Alison :

485  [Servirez-vous mes gens ?]

                        BARBETTE  &  ALISON

                                                   Ita !

                        LE  PROVINCIAL

        Or, adieu donc !

                        MARION

                                    Bona vita261 !

.

                        GUILLEMETTE                                     SCÈNE  XV

        O Marïa !

                        MARION

                            O Barbéta !

        Or sçavons-nous parler latin.

                        ALISON

        Je traicte le Droit dé causa 262,

490  O Marïa !

                        GUILLEMETTE

                           O Barbéta263 !

                        BARBETTE 264

        Je tiens, de265 droit, Médicina.

                        GUILLEMETTE

        Je me266 soustien par Art bégnin.

                        BARBETTE

        O Marïa !

                        MARION

                             O Barbéta267 !

        Nous sçavons bien parler latin.

                        BARBETTE

495  Aller pourrons268 en tout chemin

                        ALISON 269

        Parler à tous,

                        GUILLEMETTE

                                 Et par clergie,

                        ALISON

        Par le Provincïal bégnin.

                        BARBETTE

        Dieu luy doint faire bonne fin !

                        ALISON

        Ainsi soit-il ! [Dieu le bénie !]

                        GUILLEMETTE

500  Amen !270

.

                                          EXPLICIT

*

1 F ajoute dessous : Le principal  (Ce personnage est partout nommé « le Provincial », sauf dans la première rubrique, qui a généré cette erreur.)  Un provincial est le responsable universitaire d’une province. Dans les Drois de la Porte Bodés, il accorde aussi des privilèges exorbitants aux femmes : « Qui est le hault Provincial/ Qui a esté si libéral/ De vous donner telle franchise [liberté] ? »   2 Diminutif de Robin (vers 1). Mais le robinet véhicule une connotation phallique : le valet « bien envytaillé » que veut épouser la Veuve s’appelle Robinet.   3 F : principal  (Note 1. Il est probable qu’un des collégiens a voulu épingler le Principal de l’établissement.)  Le décor, identique à celui des Femmes qui se font passer Maistresses, représente une salle de classe ; le Provincial trône dans sa chaire.   4 « C’est grand péril à l’homme n’avoir rencontré amy bon & vertueux. » (Guterry.) Le Provincial donne à Robinet, son clerc, une liasse d’écriteaux qu’il va devoir placarder dans des lieux stratégiques. L’affichage publicitaire n’est pas un fléau moderne : voir les vers 43-44 de Maistre Mymin qui va à la guerre, ou le vers 9 de Saincte-Caquette.   5 Le Palais de Justice, dans l’île de la Cité, est un lieu de passage extrêmement couru.   6 De déclarer. Cf. Colin filz de Thévot, vers 297.   7 De tout mon cœur.   8 Même si vous leur enseigniez le latin, on ne pourrait pas leur accorder la maîtrise. Double sens : On ne pourrait plus les maîtriser, les tenir.   9 Un mâtin est un gros chien.   10 Je vais donc d’abord au couvent des Carmes. Robinet est sûr d’y trouver beaucoup de candidates : les Femmes qui se font passer Maistresses, pour se perfectionner en sexologie, vont « estudier aux Jacobins,/ Aux Carmes et aux Augustins ».   11 Immédiatement. Idem v. 87.   12 À la montagne Sainte-Geneviève (idem v. 86) : au Quartier latin, où grouillent les étudiants et, par conséquent, les prostituées professionnelles ou occasionnelles.   13 Des punaises. « Rivé à trois grosses pointes. » ATILF.   14 Mode de vie. Idem v. 321.   15 F : humain  (à la rime.)  Hautain = haut, respecté. Le Prince des Sotz escornéz se nomme Sot Haultain.   16 Ce que. Vous ne réfléchissez pas à vos actes. Robinet sort dans la rue, avec ses écriteaux et ses punaises.   17 F : Sa sa sa   18 Petites poitrines. Cf. Digeste Vieille, vers 56. C’est un surnom affectueux : cf. le Ramonneur de cheminées, vers 203.   19 Dans une rue du Quartier latin, elle racole des étudiants. Elle fait des avances à Robinet.   20 Surnom latin dont on affuble les clercs et les étudiants. Idem vers 38 et 471. Cf. Science et Asnerye, vers 221, 248, 289-291.   21 F : seuruice  (« Que quérez-vous ? » Beaucop-veoir.)  Cherchez-vous les services d’une femme ?   22 Il fait semblant de ne pas comprendre ce qu’on lui propose.   23 Si je cherche de l’emploi comme serviteur ? « Veulx-tu servir ? » Jéninot qui fist un roy de son chat.   24 Vieille lice, vieille chienne. C’est une insulte contre les prostituées. Cf. le Gallant quy a faict le coup, vers 269.   25 Que je vous les dise. Notre future latiniste ne lit pas couramment le français.   26 F : filze  (Jeune homme.)   27 Toujours.   28 Le maître des Femmes qui se font passer Maistresses revient de Rome.   29 Deux héros de la guerre de Troie.   30 Vers manquant.   31 C’est le saint patron de Paris. F remonte ce vers sous le vers 50.   32 F : comme  (Que je vous le dis.)   33 Une nouvelle mode.   34 Envers les.   35 Le monde tournera plus rond. « Ordre » était parfois féminin : cf. les Sotz qui remetent en point Bon Temps, vers 126 et note.   36 Guillemette abandonne Robinet, dont elle emporte un des écriteaux. Elle se dirige vers Alison, qui fait le trottoir dans la même rue. L’une des Femmes maistresses a aussi pour nom Alison.   37 F : cest  (Je sais la meilleure des nouvelles.)   38 Guillemette, pour impatienter la curieuse, délaye son discours avec des suspensions et des incises.   39 Qu’on le décapite tout vivant.   40 Vers manquant. « Autant au soir comme au matin,/ Qu’ils ne parlent rien que latin. » Les Femmes qui demandent les arrérages.   41 Forme picarde de « saint Pierre ».   42 Que je feigne de dire la vérité.   43 Qu’il nous incombe (de parler latin).   44 F : estrange  (« Estraigne, adj. : étranger, extraordinaire. » René Debrie, Glossaire du moyen picard.)   45 Arrivant par l’autre bout de la rue, elle aperçoit ses consœurs.   46 F : Et quesse benedicite   47 Elle lui met l’écriteau sous le nez.   48 Je tâche de combler les nombreuses lacunes de ce passage. « Commère, avez-vous rien ouÿ ? » (Les Femmes qui font escurer leurs chaulderons.)  F, qui n’est plus à une faute près, donne à la rime : maister   49 Vers manquant. « Ces désirs que vous me faictes naistre. » Honoré d’Urfé.   50 Son esprit. Jeu de mots phallique : cf. Maistre Mimin estudiant, vers 29. Aucune des femmes n’a encore vu le Provincial, mais chacune l’embellit de nouveaux détails ; le phénomène du bouche à oreille est bien retranscrit.   51 Pénètre l’« engin » des femmes, c.-à-d. leur sexe, dont il sera question aux vers 129 et 448. Bénin = bienveillant, doux. Idem vers 492 et 497.   52 Le latin nous est caché depuis si longtemps.   53 F : Sont estes ses   54 Un pouvoir. C’est déjà un mot latin ! Cf. les Sotz escornéz, vers 187. Les comédiens, désireux de prolonger une scène qu’ils croyaient drôle, l’ont gonflée avec 5 vers en -ans.   55 Frappés avec une règle, une latte en bois. Cette punition était bien connue des collégiens.   56 Il ne faut pas qu’ils l’emportent au paradis.   57 F : Que   58 Quand je vais dehors.   59 Ce pèlerinage parisien sert d’excuse aux femmes qui veulent sortir sans leur mari. « Puis à Nostre-Dame-des-Champs/ S’en vont avecques les gallans. » Le Povre Jouhan.   60 C’est la vérité. Idem v. 441.   61 F : Quel saige  (« Que sai-ge ? » Le Villain et son filz Jacob, vers 70 et 74.)  Alison cultive le doute, en bon précurseur de Montaigne.   62 Avant deux ans. « On leur fera bien changer poil/ Devant qu’il soit jamais dix jours. » Les Tyrans.   63 Nos maris changeront. Ou bien : On nous verra changer de maris, comme les Femmes maistresses (vers 316-321).   64 Cette expression vise les cocus complaisants qui, tandis que Madame reçoit son amant, « vont à la rôtisserie acheter eux-mesmes la viande, quérir le vin à la taverne, & porter le panier au marché ». (Mateo Aleman.) Nombre de farces les tournent en ridicule.   65 F : gars  (Nos bébés. L’éditeur parisien n’a pas compris ce terme venu de Picardie. Cf. le Glossaire du moyen picard, de R. Debrie.)  Le poupart désigne tout particulièrement l’enfant bâtard que le cocu reconnaît pour sien : « Je seray père du poupart. » Jolyet.   66 Double sens : copuler. Idem vers 150, 268 et 464. Cf. les Femmes maistresses, vers 188 et note.   67 Cocus. Cf. le Munyer, vers 144.   68 Le grade de maître ès Arts correspond à peu près au doctorat ès Lettres. Les Femmes maistresses le convoitent : « Yront-elles délibérer/ Mesme en la Faculté des Ars ? »   69 Un esprit. Mais aussi, un sexe ardent. Idem v. 448. Cf. Sœur Fessue, vers 85 et note.   70 Il rentre au collège.   71 Soyez sûr. (Debrie, Glossaire du moyen picard.) Idem v. 297.   72 Aptes. En Picardie, -oine se prononçait -one, comme aux vers 323 et 325. Voir « ydosne » dans le Glossaire du moyen picard, de Debrie.   73 Vous y gagnerez. Les élèves payaient leur professeur : vers 247, 368 et 428.   74 Elle frappe à la porte de sa cousine Marion.   75 De grande prouesse : de grande valeur.   76 Il accomplit.   77 Un châtiment corporel.   78 F : merueilles  (Réminiscence du v. 144.)   79 Il regarde dehors et voit s’approcher les quatre femmes.   80 Elles réduisent les hommes à l’extrémité. « Par cinq manières de sophismes,/ La femme maine l’omme à methe. » ATILF.   81 Seulement en français. Sous-entendu : Qu’est-ce que ce sera quand elle plaideront en latin !   82 Elle entre dans la salle de classe, avec ses trois commères.   83 F : nous veoir  (L’héritage désigne la transmission du savoir.)   84 Aux plus âgées. Idem vers 334 et 372. Les quatre femmes se poussent mutuellement devant le professeur. Il manque un vers en -a et un vers en -iennes.   85 Vous enseignerez. Mais aussi : vous gouvernerez les hommes, comme les Femmes maistresses : « Vous estes dignes régenter/ Tout partout. » Idem v. 315.   86 En fera de belles.   87 Elle pousse Marion devant elle.   88 Vers manquant. « Ung peu est demouré derrière. » Légier d’Argent.   89 Ne me fait pas défaut.   90 Plénière, totale.   91 F : gracieux attendre  (« Elle est gracieuse et tendre. » Ung jeune moyne.)   92 F : maniere   93 Monstrer a nous   94 Le Provincial encourage Guillemette, qui n’ose parler. Cf. les Coppieurs et Lardeurs, vers 115.   95 F : scauoir suyure  (« Le général & principal chapitre de sçavoir vivre. » Montaigne, III, 12.)   96 Le pénis dressé. Idem vers 191, 255, 259 et 268. « (Les femmes) ayment mieux le droit que le tort. » La Fluste à Robin.   97 F : croira   98 Leur main en sera remplie. Au 1er degré : par de l’argent. Au 2e degré : par un pénis.   99 F : Robinet   100 On nous le cachait. Et pourtant, il convient…   101 F : secoliers  (Aux laïcs.)   102 Si on.   103 Une déception, en l’occurrence sexuelle.   104 F : recouurere  (J’aurai recours.)  La cour d’Église jugeait les affaires de sexe, notamment les cas d’impuissance.   105 Viril. « C’est faict, hélas, du povre outil./ Vray Dieu ! il estoit si gentil. » Frère Guillebert.   106 Écoutez. Debrie, Glossaire du moyen picard.   107 Quand un jeune clerc subtil vous demandera conseil.   108 Je vais énoncer des causes. Ces « causes grasses », où les dames préféraient voir des « arrêts d’Amour », alimentent d’autres parodies juridiques : au théâtre, on peut citer les vers 193-304 du Pèlerin et la Pèlerine, de Claude Mermet.   109 F : Deuant vous   110 Prenez garde que je ne vous fasse échec et mat, que je ne vous cloue le bec. Le Provincial se lève et prête sa chaire à Alison.   111 F : autres  (Il faut exposer les faits. « Mon fait vous veil expédïer. » ATILF.)   112 De lignage.   113 F : dont  (Correction de Jelle Koopmans : Le Recueil de Florence, Paradigme, 2011, pp. 251-267.)  Quand on arriva après la noce et à la consommation du mariage.   114 « Le bagage : le membre viril. » (Antoine Oudin.) Le Provincial, qui est assis de profil par rapport au public, soulève sa robe face à Alison.   115 F : peut  (Cf. le Nouveau marié qui ne peult fournir à l’appoinctement de sa femme.)   116 F : veult  (La dame voulut revenir en arrière. « Il se voult repentir en sa viellesse, et voult faire restitucion à tous. » Colart Mansion.)   117 Il ne sera pas mon mari.   118 F : cetera  (Formule judiciaire, qu’emploie le juge du Pauvre et le Riche : « Or me responds dessus cela. »)   119 De qualité. Cf. Resjouy d’Amours, vers 365.   120 Un courtisan.   121 F : en   122 Et pourtant. Idem v. 192.   123 Nature l’a donné, en est responsable. Alison — et Jelle Koopmans — citent un adage qui a vertu de loi : « Quod natura dedit, tollere nemo potest. » [Ce que la nature a donné, nul ne peut l’enlever.] Mais le dramaturge songe plutôt à Ovide, le poète chéri des collèges : « Vitiis quæ plurima menti femineæ natura dedit. » [Par les vices que la nature a donnés en grand nombre à l’esprit des femmes.]   124 Juron picard. « Par le sainct sang que Dieu me fist/ (Puisqu’il fault jurer en piquart) ! » Éloy d’Amerval.   125 Faites parler de vous.   126 Prenez cet argent.   127 Merci, monseigneur. Calembour sur « grattez » : masturbez. Cf. Marchebeau et Galop, vers 73 et note.   128 Adieu. Idem v. 318.   129 F : roberte  (« Sotin, tien, receuil[le] ces biens ! » ATILF.)  Le Provincial confie l’argent à son clerc. Les grands seigneurs affectaient de ne pas porter de bourse : un page se chargeait de leurs menues dépenses.   130 Elle s’approche du Provincial, qui réintègre sa chaire, tandis qu’Alison s’éloigne un peu.   131 Nous plaçons le pénis droit au-dessus de tout.   132 Mon « droit » a quelques défaillances.   133 Ceci. Même en français, le « ceci » désigne le pénis : « & ce qui est encor pis au “cecy” d’un homme (…) est quand il a perdu les cymbales de concupiscence. » Béroalde de Verville.   134 F : Raige   135 F : madicine  (Voir le vers suivant.)   136 F : deliure  (Ce qui n’est pas en bonne santé, et penche vers le bas.)   137 F : donnes  (Si on donne de la racine de mandragore à l’impuissant.)   138 F : la   139 F : droit  (Sur le bout du doigt. Cf. Frère Fécisti, vers 474.)  Hippocrate et Galien sont deux médecins grecs, traduits en latin pour le meilleur et pour le pire.   140 Vers manquant. Le Provincial montre à Barbette un recueil de formules pharmaceutiques qui énumère des aphrodisiaques et des produits de maquillage, semblable au « registre » de maître Doribus.   141 Le désir vénérien, la vigueur.   142 Chez celui qui.   143 Avec outrance, en excès. « Que de vin boire par outrage. » Godefroy.   144 De breuvage alcoolisé ; cf. le Badin qui se loue, vers 110. L’alcool nuit à l’érection.   145 De cette recette d’apothicaire : « Quelque récipé pour attraire/ À challeur leurs povres maris. » (Maistre Doribus.) Si l’aphrodisiaque fonctionne alors qu’il est fait « à moitié », il serait encore plus efficace s’il était fait à la perfection.   146 Une femme ne pourrait pas tenir contre lui.   147 Il faut mettre un signet, pour ne pas perdre une page aussi précieuse.   148 F : roide  (Puissant. « Il est très fort et rade. » ATILF.)   149 Ce mot introduit une nouvelle formule pharmaceutique.   150 Nos maris en auront un bon tour.   151 F : sade  (Le « f » <f> et le « s » long <ſ> sont presque identiques.)  Sale et ternie. « Item, pour ces vieilles flestries/ Qui ont la coulleur sale et fade. » Maistre Doribus.   152 F : Recouurer   153 F : aux clers nomini  (Dites clairement. « Parle cler ! » Les Coppieurs et Lardeurs.)  « Homini dolor » vient d’Aristote : « Cum contigit homini dolor. » L’auteur en cite la traduction de Michaelus Scotus, comme il le fera aux vers 416-7.   154 F : vlte  (Vitæ = de la vie. Mais la graphie vite nous autorise à comprendre : « Ô combien ému du côté du vit. »)   155 F : pouy  (Le pouls se tâtait sur la tempe, au bord du front.)  Ici, le front désigne le gland : « L’ithiphale gaillard qu’il ne faut amorcer (…),/ Et deux braves tesmoings [testicules] pour me certifier/ Qu’il est prest, bien en poinct, gonflé d’ardeur féconde./ Encores que sa forme enseigne sa valeur,/ Son chef [sa tête], son front, son nez : n’est-ce pas un beau cœur ? » Lasphrise.   156 Sa maladie. Idem v. 292.   157 En regardant ses urines. L’orine désigne également l’origine génétique, et donc le sperme : « Vous n’en ystriez [sortiriez] pas de l’orine/ Du père. » Farce de Pathelin.   158 Par un exemple concret.   159 F : icy  (Le Provincial, toujours assis de profil, soulève sa robe face à Barbette.)   160 F : deux  (Saint Dieu !)   161 Mon sexe risque de finir ses jours.   162 Lui-même est très ému. Commotus avait un sens positif au vers 293, mais il a maintenant un sens négatif : victime d’une commotion, blessé.   163 F : Vecine et  (Venere est l’ablatif de Venus, déesse du plaisir charnel.)  Pour Vénus il a beaucoup souffert.   164 F : ont   165 F met ce vers après 426.   166 Vers manquant. Bruit = réputation. « Qui eust pensé que l’avyron/ Eust eu sy grand bruyct ? » Les Sobres Sotz.   167 Célèbre faculté de médecine : cf. le Médecin qui guarist de toutes sortes de maladies, vers 4 et note. F met ce vers avant 315.   168 Qui a produit de tels fruits, de tels résultats.   169 Faieces vous  (Vaillant = ardente au lit. Idem v. 426.)   170 Personne. Mais on reprochait aux avorteuses de tuer des âmes : voir le v. 319.   171 Barbette s’éloigne un peu.   172 Elles ont un discours séduisant. « Beau parler apaise les gens. » Marchebeau et Galop.   173 Leur va sur mesure. Cette tirade est très ironique.   174 N’y a-t-il pas d’autres candidates ?   175 Mécontent, Robinet voit s’approcher Guillemette, suivie par la timide Marion   176 F : me   177 Un peu. Aussi obsédée que ses devancières, Guillemette confond l’instruction avec l’introduction.   178 Maîtresse ès Arts. Voir le v. 122.   179 Professeur d’université. « Puisqu’aussi nous sommes régentes. » Les Femmes maistresses.   180 Si on n’y met pas toute son application. Devant le mot « entente », les Picards apocopent les pronoms mon et son : « En penser met toute s’entente. » Jardin de Plaisance.   181 Que 100 écus sont en réalité 1000 écus. La faculté des Arts enseigne les arguties rhétoriques, le syllogisme et le discours ambivalent.   182 Habile.   183 Deux voies. On peut comprendre : le double langage.   184 Tranquille. Debrie, Glossaire du moyen picard.   185 La voie royale. Mais les royaux sont des pièces de monnaie : cf. les Trois amoureux de la croix, vers 221.   186 La voie des innovations en matière de sophismes. N’oublions pas que art et artifice ont la même étymologie. « Des simples bergères/ Que, par des ars nouveaulx, ilz ont rendu sorcières. » Fronton Du Duc.   187 Les plus spécieux, les plus trompeurs. Le Provincial donne plusieurs livres à Guillemette.   188 F : dacan  (Guillaume d’Occam, champion de la scolastique au XIVe siècle, séparait les mots de leur sens.)   189 D’après Cicéron, l’éloquence de ce philosophe grec est un flumen aureum [fleuve d’or].   190 Élève puis adversaire d’Occam, et commentateur d’Aristote. Occam fut célèbre pour sa théorie du rasoir, Buridan pour sa théorie de l’âne.   191 Assimilez ce jargon captieux.   192 F : vng  (Vous tiendrez. C’est un futur picard.)  F met ce vers sous 356. À la suite, il semble manquer un vers en -ent et un vers en -otz.   193 Les finasseries, les arguments cauteleux. Idem v. 444.   194 Je n’ai pas d’argent à vous donner. Au sens propre, le défaut de matière est l’érosion du métal dans une monnaie : « Materiæ deficientis in pecunia. » (Martin Garrat.) Mais c’est aussi la maigreur, et en l’occurrence, celle de la verge du Provincial. Guillemette s’éloigne, laissant Marion à découvert.   195 L’une des Femmes maistresses veut aussi « estre avecques théologiens ».   196 Repris, blâmé.   197 Grammairienne. La grammaire était enseignée en latin.   198 De bons accouplements qui, à l’instar des leçons, requerraient deux intervenants. Cf. les Femmes maistresses, vers 198 et note.   199 F : connienne  (Qu’elle dialogue.)  Les traités de grammaire, et notamment le fameux Donat, sont écrits en questions/réponses : le maître interroge, et le disciple répond. La leçon se fait donc à deux.   200 F : Ceteris  (Jelle Koopmans restitue cette phrase au Doctrinale puerorum, d’Alexandre de Villedieu.)  La même phrase — débarrassée de sa faute initiale — introduit le Discours joyeux en façon de sermon, p. 173 de l’édition des Sermons joyeux publiée par Koopmans.   201 En haut et en bas.   202 Sans trop vous occuper de cela.   203 F : fit  (« Præsentis nota tibi sit persona secunda. » Villedieu, Doctrinale puerorum.)  Ainsi, qu’il soit le second interlocuteur du dialogue.   204 F : vouldroit  (Correction envisagée par J. Koopmans.)  C’est le vers 358 des Premiers gardonnéz.   205 Il manque 9 vers, dont F a rassemblé quelques bribes inutilisables : Mais mon amy a maistre certain   206 Le Provincial laisse tomber dans les bras de Marion l’énorme dictionnaire latin de Jean de Gênes. Et je peux vous confirmer qu’il est lourd !   207 Qui ne soit exposé avec une prudence chichiteuse.   208 F : Sibas  (Abbas [abbé] est déductible du vers suivant. Le Catholicon ignore sibas.)   209 Copula avec elle.   210 Inévitable jeu de mots sur Bacchus et bas cul. « Bacchus,/ Par qui est régy le déduict des bas culz. » Roger de Collerye.   211 Le Catholicon s’en tient à Bachus et Bachi ; il ne donne ni le datif Bacho, ni l’accusatif Bachum. Ce dernier mot se prononçait alors comme « bas con », qui désigne le sexe de la femme.   212 Les exemples.   213 Cite-moi des adverbes d’avertissement ! Cette injonction n’est pas tirée du Catholicon mais du Donat : « Da hortandi, pour advertir ! » Mais Marion dit en fait : « Da or, tandis ! » [Donne-moi de l’or, cependant.] Voir la note de J. Koopmans.   214 F : peu  (« Dessendez ung petit plus bas. » Les Vigilles Triboullet.)  Les entorses au schéma des rimes prouvent qu’il n’est pas commode d’y faire entrer une leçon de grammaire latine.   215 Aima le vit.   216 Je ne sais pas. Guillemette, en feuilletant un des livres que le Provincial lui a donnés au vers 351, tombe sur un précepte d’Aristote qu’elle souffle à sa camarade.   217 Je vais vous le dire. C’est la première de 4 rimes en -an, selon la prononciation à la française qui régnait alors.   218 F : Car pour ce faire nous fourmanan  (« La matière recherche la forme comme la femme recherche le mâle. »)  « Marem », accusatif de « mas », rimait en -an.   219 F : Ciba cibar cibam  (« Cibo, -bas, -bavi : cibos dare. » Catholicon.)   220 On peut comprendre : Ici bat le vit. Ou bien : Un si bas vit.   221 Faites-nous voir un peu.   222 F : Deus  (Le Seigneur a nourri les campagnes. « Dominus cibavit me. » Juan Fernandez.)  Il faut comprendre : le Seigneur, si bas vit, a gros ; le vit si bas du Seigneur est gros. Tabourot consacre un chapitre des Bigarrures à ces « équivoques latins-françois ».   223 Sans rime ni raison, F a troqué ces deux vers manquants contre le vers 309.   224 Votre. Cette apocope est picarde. Les femmes sont devenues tellement viriles que c’est elles qui payent les hommes et eux qui font mine de refuser. L’auteur inverse le processus normal : « –Tenez, vélà deux beaux escuz./ –Sans faulte, je n’en auray plus ! » Le Povre Jouhan.   225 Être jeté dans la Seine. « Que fust-il en ung sac en Seine ! » (Martin de Cambray, F 41.) Clin d’œil du comédien : être en scène. Marion s’éloigne un peu. Le Provincial fait revenir son élève favorite, Guillemette, la maîtresse ès Arts.   226 Une femme humaine accepte de coucher le premier jour, contrairement à l’inhumaine, qui nous fait attendre jusqu’au lendemain. « Une mignonne fort humaine. » Le Résolu.   227 À supposer que je sois. Le Provincial joue le rôle du mari cocu pour juger le raisonnement de son écolière.   228 F : auec  (Correction suggérée, mais non appliquée, par Koopmans.)  Vous avez encore pris un amant.   229 Je le nie.   230 F : peut   231 F : assimily  (Mais, cela étant prouvé par l’argumentum a simili. Cet argument étend une loi à un domaine plus éloigné ; on l’invoque par exemple pour qu’une fille bénéficie de droits réservés aux garçons.)   232 F : a  (« Mais je gage de la tromper. » Godefroy.)  Je suis sûre de vous donner tort. Guillemette empoigne le chandelier qui est posé sur la chaire ; il ne comporte qu’un seul orifice.   233 De pouvoir. Idem v. 466. Nos amis Belges ont laissé vivre ce sens.   234 Ces chandelles masculines, qu’on introduit dans un chandelier féminin, sont un symbole transparent. « Tous verds galans devroient, pour t’honorer,/ À deux genoux te venir adorer,/ Tenant au poing leurs flambantes chandelles. » Ronsard.   235 C’est bien vrai.   236 Sans hésiter. Encore un idiotisme picard.   237 Aisément.   238 F : Non plus comme au chandellier / Que vecy mettre  (Comme un chandelier simple ne saurait accueillir deux chandelles.)   239 Note 69.   240 Je vous concède que c’est vrai.   241 F : Ainsi / En vela une le feu sailly  (Ce passage est troublé, tant pour la versification que pour le sens.)   242 Auprès de votre vulve : dans votre anus. Cf. les Femmes qui font escurer leurs chaulderons et deffendent que on ne mette la pièce auprès du trou. Nos collégiens décrivent la posture en « sandwich », où la femme est entre deux hommes : « Il la carressoit par-derrière,/ Et je l’embrochois par-devant. » Chansons des comédiens françois.   243 Par voie de conséquence.   244 Difficile. Les Parisiennes se croyaient déjà plus malignes que les autres. « Aux dames parisiennes,/ De beau parler donnez le pris. » Villon, Ballade des femmes de Paris.   245 F : fournisse  (« Baiser, acoller et fourbir. » Le Cuvier.)  Dans les farces, les dames se font plus souvent fourbir la coquille ou le harnois que le chandelier.   246 Introduire dans notre « chandelier ».   247 F : scarons  (Ne pourront.)   248 F : in salus  (Irréfutables. « Deux arguments tant insolus. » ATILF.)   249 Je suis content. C’est la devise de nombreux cocus.   250 M’aid Dieu : que Dieu m’assiste !   251 C’est le surnom moqueur dont Guillemette affuble Robinet (vers 35). La riposte du clerc est perdue, ou l’éditeur n’a pas osé la reproduire.   252 « Car vous estes grandes clargesses. » Les Femmes maistresses.   253 F : Bone magister noster  (Ayant réussi leur maîtrise, les femmes ont le droit de porter le bonnet rond des Docteurs. « Affin que vous nous baillissez/ Ung bonnet ront dessus la teste. » Les Femmes maistresses.)  Le Provincial les coiffe solennellement d’un bonnet rond.   254 Que vous prêtiez serment. Cf. les Femmes maistresses, vers 274.   255 F : ma  (Tant que vous êtes jeunes.)   256 En souvenir de moi.   257 F : Series  (Servirez-vous mes collégiens ?)   258 F : Guillemette   259 Les collégiens se divisaient en deux groupes : les grands anciens, et les petits nouveaux. On devine que le théâtre était monopolisé par les grands.   260 F : Tous verres bien qua  (Ce vers, tel que je le corrige, est le vers 274 du Roy des Sotz.)  Ce que ça donnera.   261 Bonne vie ! Les quatre femmes sortent de la classe.   262 À juste titre.   263 F : barbara  (Voir le refrain de ce triolet à 487.)   264 F : Marion  (C’est Barbette qui a hérité de la médecine.)   265 F : le  (« Quelz droictz te sont, de droict, eschus ? » La Mère de ville.)   266 F : le  (Je me fonde sur les Arts.)   267 F : barbata   268 F : pourrez   269 F : Barbette  (Corr. Koopmans.)   270 Ce n’est pas la seule pièce dont « Amen ! » constitue le dernier vers, au détriment de la mesure et de la rime : voir par exemple la Confession Margot.

LA BOUTEILLE

Ms. La Vallière

Ms. La Vallière

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                          *

LA  BOUTEILLE

*

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Cette Farce de la Bouteille à 4 ou à 5 personnages n’est pas une farce, ne s’intitule pas « la Bouteille », et ne comporte que 3 personnages. Le titre « la boutaille » fut ajouté après coup par une main plus récente que celle du copiste, et ne se trouve d’ailleurs pas dans la table des matières établie par ledit copiste au début du manuscrit : « Farce joyeuse à .III. ou à .IIII. ou à .V. personnages. »

En revanche, c’est bien notre copiste qui a greffé dans l’index personæ un 4ème comparse, une Bergère, sous prétexte que le vers 285 évoque une bergerie. Et c’est toujours le même copiste qui ajoute un 5ème personnage, un Badin, en dédoublant le rôle du Fils : dans la table des matières, il note « la Mère, le Badin » au lieu de « la Mère du Badin ».

Cette pièce normande, écrite dans les années 1525-1540, n’est pas une farce mais une moralité de propagande. Son but est de convaincre le peuple du danger de la Réforme1, qui progressait à Rouen par la faute du clergé, dont les insuffisances et la corruption agaçaient jusque dans ses propres rangs. Le Badin, personnage comique et populaire, se transforme donc en prêcheur et invoque des entités allégoriques : Police a été tuée par Avarice, et doit être vengée par Justice, bien que celle-ci soit aveugle. Pour que les spectateurs — j’allais dire les fidèles — restent jusqu’au bout, cette moralité fut suivie comme d’habitude par une vraie farce, annoncée au dernier vers : « Attendez, vous aurez la Farce. »

Source : Manuscrit La Vallière, nº 47.

Structure : Rimes plates.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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*

Farce  nouvelle

[de  la  Boutaille]

*

À .III.2 personnages, c’est asçavoir :

       LA  MÈRE  DU  BADIN

       et  LE  VOUÉSIN

       et  SON  FILZ  [Philipin] 3

*

                        LA  MÈRE  commence [en chantant :]      SCÈNE  I

        [Se je ne puis estre joyeuse…] 4

.

        Mon Dieu, qu’est une femme heureuse5,

        Quant il advient que Dieu luy donne

        Un enfant, et puys qu’il s’adonne

5      À estre sage et bien aprins !

        J’en ay tel deuil en mon cœur prins

        Qu(e) impossible est que ne desvye6.

.

                        LE  FILZ  entre à tout 7 unne bouteille.      SCÈNE  II

        Ma foy, ma mère, j’ey envye

        De vous compter aulcune chose8

10    Qui est en mon esprit enclose

        Sy très avant que c’est merveille.

                        LA  MÈRE

        Et quoy, mon Dieu ?

                        LE  FILZ,  BADIN

                                           Je m’émerveille

        Comment un homme fust sy sage

        Qui, par un sy petit passage,

15    Mist ce vaisseau en cest esclisse9.

                        LA  FEMME

        Mon Dieu ! je croy qu’il est éclipse

        Soyt du soleil ou de la lune.

        En est-il, au monde, encor une

        Plus tourmentée que je suys ?

                        LE  FILZ

20    Je ne dy pas sy le pertuys10

        Fust assez grand pour le passer ;

        Mais de luy mectre sans casser,

        Cela me faict trop esbahir.

                        LA  FEMME

        Vray Dieu, que je doy bien haÿr

25    La journée que vins sur terre !

                        LE  FILZ

        Sy le vaisseau ne fust de terre,

        J’estimeroys que ce fust fonte11.

                        LA  FEMME

        A ! mon filz, n’as-tu poinct de honte

        De tout cela te démenter12 ?

                        LE  FILZ

30    Tel cuyde aucunefoys monter

        Deulx pas[s]es13 qui en descent quatre.

                        LA  FEMME

        Regardez : il se va débatre

        D’une chose dont n’a que faire.

                        LE  FILZ

        Ma mère, bien souvent un bon taire14

35    Vault myeulx, dis foys, que tant parler.

                        LA  FEMME

        Il parachève d’afoller !

        Je ne sçay, moy, que ce peult estre15.

.

                        LE  VOÉSIN  entre                                  SCÈNE  III

        Honneur, honneur !

                        LE  FILZ

                                         Dieu vous gard, Maistre16 !

        Vous soyez le trèsbien trouvé17 !

                        LA  FEMME

40    Joyeuse suys qu’estes aryvé,

        À ceste heure, je vous afye18 !

                        LE  VOÉSIN

        Pourquoy cela ?

                        LA  FEMME

                                    A ! je me fye,

        [Et au moins y ay-je espérance,]19

        Que sy vous remontrez l’ofence

45    À ce garson, y vous croyra.

                        LE  VOÉSIN

        Pensez, commère, qu’il fera

        Plustost pour vous que pour un aultre.

                        LE  FILZ

        (Autant pour l’un comme pour l’aultre !

        Je voy bien que perdez vos peines.)

                        LE  VOÉSIN

50    Que dictes-vous ?

                        LE  FILZ

                                       Que les avoynes20

        Seront chères, l’an[n]ée qui vient.

                        LA  FEMME

        Regardez quel propos il tient !

        En vîtes-vous onc de sa sorte ?

                        LE  VOÉSIN

        Ma commère, vous estes sote :

55    Fault-il pas voir ains que pourvoir21 ?

        Alons un peu à luy sçavoir

        Quel estat22 c’est qu’i veult tenir.

        Un jour, il poura parvenyr

        À bien grande perfection.

                        LA  FEMME

60    Hélas, j’avoys intention

        De luy faire métier aprendre.

                        LE  VOÉSIN

        Il est encor[e] jeune et tendre

        Pour luy metre, sy vous voulez.

                        [LA  FEMME] 23

        Beaucoup de gens pensent voler

65    Devant24 qu’il ayent aulcune(s) plume(s).

                        [LE  VOÉSIN]

        Que voulez-vous : c’est la coustume

        Des jeunes gens de maintenant.

                        [LE  FILZ]

        Lors qu’Absalon25 estoyt la main tenant

        Contre David (son père géniteur),

70    Par le vouloir du divin Créateur

        [Sans cordelle ny corde il fust pendu]26,

        Signyfiant que nul, de sa vertu27,

        Ne doibt voler devant qu’il ayt des elles28.

                        LE  VOÉSIN

        [ Ne scays-tu poinct d’aultres nouvelles ?29

                        LA  FEMME

75    À tous les coups son sot sens erre.30 ]

        Ph[i]lipin, voécy mon compère

        Qui te veult dire un mot segret31.

                        LE  FILZ

        Quant Pharaon, par un despit aygret32,

        Fist assembler son ost et [son hostel]33

80    Pour courir sus aulx enfans d’Israël,

        N’estoit-ce34 pas contre Dieu faict ofence ?

        Lors, le Seigneur, par sa digne clémence,

        Feist eschaper les Ébreulx sans danger.

        Et Pharaon et toute sa puissance

85    Au fons de l’eaue furent tous submergés.

                        LA  FEMME

        Tu nous faictz bien icy songer !

        Respons-nous un mot à propos.

                        LE  FILZ,  en chantant :

        Combien les pos ? Combien les pos ? 35

        Deulx liars ? C’est trop.

90    Dancez « les Amourètes » :

        Tel les a qui ne les dance mye,

        Tel les a qui ne les dance pas.

                        LA  FEMME

        [Nulle chose ne respondras]36 ?

                        LE  FILZ

        Ma foy, je ne vous voy[oi]es pas,

95    Ma mère : pardonnez-le-moy.

                        LE  VOÉSIN

        Vien çà, orphelin ! Parle à moy :

        Tu es jà grand et bien taillé ;

        Y convyent que tu soys baillé

        À quelque maistre pour aprendre.

                        LE  FILZ

100  Hen ?

                        LE  VOÉSIN

                    Il convyent que tu soys baillé.

                        LE  FILZ

        A,  il convyent que je soys taillé37 ??

                        LE  VOÉSIN

        Nennyn non !

                        LE  FILZ

                                Faictes-moy donq entendre.

        Je l’avoys ainsy entendu.

                        LA  FEMME

        Tu es tant sot et tant testu

105  Qu’on [n’]entent riens à ton afaire.

                        LE  FILZ

        Tousjours n’est pas temps de se taire.

        Aulcunefoys, fault paroller.

                        LA  FEMME

        Tu ne faictz que crier et braire,

        Et ne sçays de quoy te mesler.

                        LE  FILZ

110  On aura bien à desmeller

        Devant qu’i soyt long temps d’icy38

        Par sainct Jehan ! vous avez vécy39 :

        Qu’esse donc icy que je sens ?

                        LE  VOÉSIN

        Il est encor plus hors du sens,

115  Qui40 prend garde à tout son langage.

                        LE  FILZ

        Salomon, qui fust le plus sage

        De tous les roys, et le plus fin,

        Toutefoys, par mauvais usaige,

        Y fust ydolastre41 à la fin.

                        LA  FEMME

120  Or çà ! que dictes-vous, voésin ?

        Y trouvez-vous ny boult ny ryve42 ?

                        LE  FILZ

        Ceulx de la cité de Nynyve

        Pour43 leurs maulx firent pénytence.

        Qui fist cela ? La remonstrance

125  Que leur fist Jonas le Prophète.

        Combien fauldroict-il de prophètes

        À prescher maintenant le monde ?

        N’esse pas chose bien immunde

        Qu’i faille que le propre père

130  Pourchasse à son filz vitupère44 ?

        Vous le voyez de jour en aultre.

                        LE  VOÉSIN

        Mais laissons cela, parlons d’aultre,

        Orphelin : vous estes troublé.

                        LE  FILZ

        Pleust à Dieu que l’on eust criblé45

135  Le bon grain d’avèques la paille !

                        LA  FEMME

        Nous ne gaignons pas une maille46

        De plus luy cryer à l’horeille.

                        LE  FILZ

        Je suys encor à ma bouteille :

        Mais quant g’y pence, c’est la chose

140  La plus subtillement enclose

        (Sur ma foy) que je vis jamais !

                        LE  VOÉSIN

        Vous dictes vray, orphelin ; mais

        Tout cela ne nous sert de guère.

                        LE  FILZ,  chantant :

        Fauchez, fénez la feugère 47 :

145  S’el est verte, el revyendra 48.

        Vous vouérez un temps qui viendra

        Changer ce49 temps en maincte guise.

                        LE  VOÉSIN

        Faisons-en un homme d’Église :

        Je n’y trouves aultre moyen.

                        LA  FEMME

150  Hélas, compère, y ne sçayt rien :

        Ce ne seroyt que vitupère50.

                        LE  VOÉSIN

        O ! ne vous chaille, ma commère :

        Il en est bien d’aultres que luy

        Qui ne sayvent ny fa ny my 51.

155  Mais qu’il sache son livre lyre52

        Et qu’il puisse sa messe dyre,

        C’est le plus fort de la matyère.

                        LA  FEMME

        Je vous prye donc, mon compère :

        Faictes-en vostre intention.

                        LE  FILZ

160  Cil53 qui trouva l’invention

        De la faire par là passer54,

        Ce ne fust pas sans y penser

        (Le deable m’enport) longue pose55 !

                        LA  FEMME,  plorant.

        Sa povre teste ne repose

165  Non plus que faict l’eau de la mer.

        Ne me doibt cela estre amer,

        De le veoir ainsy assoté56 ?

                        LE  VOÉSIN

        Vous en dictes la vérité ;

        Mais c’est jeunesse qui se passe.

                        LE  FILZ

170  « Assez va qui fortune passe57 »,

        Ce dict-on en commun langaige.

        Thobye escheva58 ce passaige

        Quant [Dieu, par grâce, l’eut]59 conduict

        Vers Raphaël60 (comme il est dict)

175  Pour avoir la61 fille à espouse.

        Toute personne qui dispouse

        De tout son cœur et son entente

        À aymer Dieu, a ! je me vante

        Qu’il viendra à chef de ses fins62.

180  Pensez-vous qu’il est des gens fins63

        Qui [n’observent pas ce]64 grand cas ?

                        LA  FEMME

        Voécy bien un merveilleux cas !

        Il ne respont à nulle chose

        Que nul de nous deulx luy oppose65.

185  Je ne sçay, moy, que c’est66 à faire.

        Entens un peu à mon compère,

        Et faictz tout ce qu’il te conseille !67

                        LE  FILZ

        Alez tout beau, pour ma bouteille !

        À peu68 que ne l’avez cassée.

                        LA  FEMME

190  J’ey la teste sy très lassée

        Que je ne sçay que devenyr.

        Quel estat veulx-tu maintenyr ?

        Il est de le sçavoir mestier69.

                        LE  VOÉSIN

        Sy tu veulx estre de mestier70,

195  Il est saison71 que tu t’avise.

                        LE  FILZ

        Y me fault estre gens d’Église :

        Ce me semble un mestier notable.

                        LE  VOÉSIN

        La chose est toute véritable.

        Mais il fauldroict

                        LE  FILZ

                                      Et quoy ?

                        LE  VOÉSIN

200  Mais72 fauldroict estre cléricus.

                        LE  FILZ

        Je sçay bien mon Avé salus 73,

        Mon Imanus 74, mon Déo75 pars.

        J’en sçay (par Dieu) plus des troys pars76

        Que ne faisoyt maistre Morelles77.

205  Quoy,  je remue bien les escuelles78 ;

        Et sy, say bien les poys eslyre79.

        J’escriptz bien (sy je savoys lyre).

        Je faictz res[s]us[c]iter les mors.

        Tel que je suys, je chye dehors,

210  Puys à la maison voys80 menger.

        Et sy81, aussy bien sçay garder

        Comme [vous-]mesmes les ouésons82.

                        LE  VOÉSIN

        Voy(e)là les plus sotes raisons

        Qu(e) homme pouroyt veoir ne congnoistre !

                        LA  FEMME

215  Regardez : y veult estre prestre,

        Et ne sçayt rien qui soyt, beau syre.

                        Le filz ridet 83 modicum longe.

                        LA  FEMME

        Qu’as-tu ?

                        LE  FILZ

                             Je me suys prins à rire

        Quant j’ey oÿ vostre parolle.

                        LA  FEMME

        Pourquoy cela ?

                        LE  FILZ

                                     Vous estes folle

220  De présumer sy peu de sens

        En moy, veu que [plus de] cinq cens

        Sont aujourd’uy parmy le monde,

        En qui84 tant de richesse abonde

        Du revenu de la coquille85 ;

225  Et toutefoys, il n’y a drille86

        De sçavoir en eulx, somme toute.

                        LE  VOÉSIN

        Qu[oy !] il n’y a poinct…

                        LE  FILZ

                                                Grain ny goute !

        C’est un cas87 tout acerténé.

                        LE  VOÉSIN

        Vous me rendez bien estonné88.

230  Comme se pouroyt cela faire ?

                        LE  FILZ

        Par le moyen d’un beau vicaire89

        Qui prendra le soing et la cure90

        Du bénéfice91 ou de la cure.

        Voylà comme c’est qu’on en use.

                        LE  VOÉSIN

235  Voyre. Mais le curé s’abuse

        De recepvoir le revenu,

        Sy par luy n’est entretenu

        Le divin service ordinaire.

                        LE  FILZ

        De quoy servyroit le vicaire

240  Qu’il auroyt commys en son lieu92 ?

                        LE  VOÉSIN

        Yl prennent donc le bien de Dieu

        Sans en faire [nul] droict quelconques.

                        LE  FILZ

        Et ! comme l’entendez-vous donques ?

        On n’est jamais prins qu’en prenant.

245  Mais autant curés que servant93

        Y fauldra, du94 tout, satiffaire.

        Nous avons eu beaucoup à faire,

        Puys95 la mort de nostre nourisse.

                        LE  VOÉSIN

        Qui estoyt-el ?

                        LE  FILZ

                                  [C’estoyt] Police96.

250  Y n’en fust onq[ues] de la sorte.

                        LE  VOÉSIN

        Police ?

                        LE  FILZ

                        Ma foy, elle est morte :

        Il n’est plus de Police au monde.

                        LE  VOÉSIN

        O ! la meilleure de ce monde,

        Av’ous97 ceste ville laissée ?

                        LE  FILZ

255  C’en est faict :98 elle est trespassée,

        Il est certain, je vous assure.

                        LE  VOÉSIN

        C’est une piteuse avanture,

        D’avoir laissé mourir Police.

        [Et] qui en est cause ?

                        LE  FILZ

                                            Avarice99,

260  Qui, par son art et sa malice,

        L’a abatue et consommée100.

        Et sy de brief el n’est sommée

        De vyder101 hors de ces quartiers,

        Il ne demeurera le tiers

265  Du monde que tout ne consomme102.

                        LE  VOÉSIN

        C’est donq bien [à] droict103 qu’on la somme

        De vyder hors : il est propice104.

                        LE  FILZ

        [Hélas,] qui le fera ?

                        LE  VOÉSIN

                                           Justice ;

        Il n’en fault poinct avoir de doubte.

                        LE  FILZ

270  Justice ?

                        LE  VOÉSIN

                      Voy(e)re.

                        LE  FILZ

                                     El(le) ne voyt goute105.

        Je faictz doubte qu’el(le) ne varye106.

        Celuy ou celle qui charye107

        Soublz la conduicte de la nuyct,

        Bien souvent, aucun cas108 luy nuyct,

275  Qui le faict en bas trébucher.

        Mais celuy qui veult chevaucher

        Par voyes109, champaigne et brierre,

        Ensuyve tousjours la lumyère

        Du jour, afin qu’i ne forvoye110.     Il chante :

280  Las ! je ne puys aler la voye 111

        Pour rencontrer le myen amy.

        Las ! je ne puys aler la voye.

        Et sy, ne puys parler à luy.

        Cestuy-là qui n’entre par l’huys

285  En l’estable de la bergerye 112,

        Il y a quelque cas 113 en luy,

        Puysqu’il ne veult entrer par l’uys.

        De belle nuyct, il [faict saillie] 114

        Par-dessus la massonnerye 115,

290  Et ne veult pas entrer par l’uys

        En l’estable de la bergerye.

                        LA  FEMME 116

        Y revyent à sa rêverye :

        Voécy bien chose nonpareille !

                        LE  FILZ

        Par Dieu, ma mère, la bouteille117

295  Ne fust jamais mal inventée :

        Esse rien de l’avoir boutée

        Là-dedens ainsy bien apoinct ?

                        LE  VOÉSIN

        Sy est, car el(le) ne branle poinct :

        Y n’est, au monde, rien plus ferme.

                        LE  FILZ

300  Elle ne branle grain ne lerme118 ;

        Il semble qu’el soyt chymentée119.

        Sy la Foy fust ainsy artée120

        En l’esprist de toute personne,

        La Foy seroyt [et] juste et bonne ;

305  On n’yroict poinct à reculons.

                        LE  VOÉSIN

        Que voulez-vous ? Sont « papillons121 »

        Qui ont sentu le renouveau122.

                        LE  FILZ

        Tout cest enseignement nouveau

        Ne nous profite123 de deulx melles.

310  De quoy servent tant de libelles

        — Tant en françoys comme en latin —

        Disant124 qu’on chante trop matin ?

        On dict que ce n’est pas bon signe.

                        LE  VOÉSIN

        Je prens congé de vous, voésine.

.

315  Seigneurs, pour la conclusion,

        Servons Celuy qui tous domyne

        De toute nostre affection.

        Fuyons nouvelle invention,

        Qui est dangereuse et perverse :

320  Ce n’est que toute abusion125.

        Atendez, vous aurez la Farce.

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                                   FINIS

*

1 Sur l’utilisation du théâtre dans les polémiques religieuses, voir la notice des Povres deables.   2 LV ajoute : ou iiii  (Au-dessus de la ligne, il ajoute : ou a v)   3 C’est le fils de la Mère, et peut-être celui du Voisin, qui s’occupe de lui paternellement. Son rôle est tenu par un Badin : les Badins, de par leur proximité avec les fous, peuvent distiller quelques vérités que les acteurs ordinaires ne pourraient pas dire. Voir la définition de lui-même que donne le Badin des Sobres Sotz. LV ajoute : et la bergere   4 Beaucoup de farces commencent par le 1er vers d’une chanson à la mode qui rime avec le 1er vers de la pièce : les Mal contentes, Colin qui loue et despite Dieu, le Dyalogue pour jeunes enfans, etc. Notre copiste n’a pas gardé la chanson initiale, qui ne devait plus être à la mode quand il officiait (~ 1575). Pour que le 1er vers ne reste pas orphelin, j’en ai pioché une dans le recueil de Brian Jeffery, Chanson verse of the early Renaissance, t. II, p. 259.   5 Que les autres femmes sont heureuses !   6 Qu’il est impossible que je ne perde pas la vie.   7 Avec.   8 De vous raconter une chose.   9 Mit cette bouteille dans cette éclisse. Pour protéger les bouteilles de bon vin, on tressait tout autour un treillis en osier : « Une bouteille clissée pleine de vin breton. » (Tiers Livre, 45.) Le Fils — qui, comme tous les Badins, comprend tout à l’envers — croit qu’on a introduit la bouteille dans une éclisse déjà faite. Le « vaisseau » désigne, comme au vers 26, une bouteille en terre cuite : « Flacons, potz et vaisseaulx. » (Les Sotz escornéz.) Les amateurs d’anachronismes ont vu dans ce vaisseau une maquette de bateau.   10 Le goulot de l’éclisse.   11 Si la bouteille n’était pas en terre cuite mais en verre, un fondeur de verre aurait pu la souffler à l’intérieur de l’éclisse.   12 Te préoccuper.   13 Deux marches d’escalier. « Les passes à degré de pierre. » ATILF.   14 Un silence.   15 Je ne sais pas ce qui se passe. Même vers dans Frère Frappart, dans le Prince et les deux Sotz, etc.   16 On ignore la profession du Voisin ; mais s’il est qualifié de Maître, il ne garde pas des oies, contrairement à ce qu’insinue le vers 212. Le fait qu’il entre sans frapper chez une veuve laisse croire qu’il est son amant.   17 Le bienvenu.   18 Je vous l’affirme.   19 Vers manquant. J’emprunte le vers 125 de la Confession du Brigant.   20 Les Normands prononçaient « avaines », d’où l’homophonie approximative sur « peines ».   21 LV : scauoir  (à la rime.)  Avant de prendre les mesures nécessaires.   22 Quelle profession. Idem vers 192.   23 LV : le filz   24 Avant.   25 Il entra en guerre contre son père, le roi David. Le théâtre use souvent du décasyllabe dans ses emprunts aux légendes bibliques ou mythologiques, et dans les envolées prophétiques.   26 LV : y fust pendu sans cordes ny cordelles  (Sa longue chevelure s’accrocha aux branches d’un arbre, et les soldats du roi le tuèrent. « Ou aux cheveulx, comme Absalon, pendus. » Villon.)   27 De son propre chef.   28 Avant d’avoir des ailes. « Qui cuydent sans elles voller. » Le Clerc qui fut refusé.   29 Vers manquant. N’as-tu rien de plus intéressant à nous dire ? « –Sces-tu rien ? –Comme quoy ? –Nouvelles./ –Se l’en povoit voller sans elles. » Les Vigilles Triboullet.   30 Vers manquant. J’emprunte le vers 471 de l’Arbalestre.   31 En secret, en particulier.   32 Un peu aigre. Ce roi d’Égypte poursuivit les Hébreux jusqu’à la mer Rouge, qui s’ouvrit pour les laisser passer : l’Éternel, se prenant pour le dieu Éole, avait soufflé du vent pour écarter les flots.   33 LV : sa puissance  (Son armée et sa Cour. « Des plus grans de son hostel et de ceulx de son privé conseil. » E. de Monstrelet.)   34 LV : netoise   35 Cette chanson inconnue rappelle la scène du marchandage des pots dans Cautelleux, Barat et le Villain, vers 200-4.   36 LV : respondras tu aucune chouze  (Voir le vers 183.)   37 Châtré. Les acteurs rajoutaient des vers dans les passages comiques, quitte à les rendre moins drôles.   38 Avant longtemps, nous aurons bien des choses à clarifier. Cette menace vise peut-être la conduite de la Mère par rapport au Voisin.   39 Vessé, pété. Ce reproche injuste est fait aux personnes qu’on veut faire taire : cf. Jéninot qui fist un roy de son chat, vers 69.   40 Si l’on. Ou bien : Celui qui.   41 Influencé par les croyances de ses épouses étrangères, il passa pour idolâtre. « Folles amours font les gens bestes :/ Salmon en ydolâtria. » Villon.   42 Y trouvez-vous quelque chose à quoi vous raccrocher ?   43 LV : et  (Ses habitants avaient fait aux juifs de nombreux maux ; le prophète Jonas les contraignit à s’en repentir.)   44 Qu’un père devenu protestant cherche à outrager son fils resté catholique. Ces drames familiaux trouveront leur apogée dans l’affaire Calas. Bien sûr, le fanatisme était aussi virulent du côté des pères catholiques dont le fils devenait luthérien.   45 Qu’on ait séparé à l’aide d’un crible le bon grain catholique de l’ivraie protestante.   46 Un sou. « Tu n’y gaignes pas une maille. » Les Frans-archiers qui vont à Naples.   47 Coupez et séchez la fougère. Chanson inconnue.   48 Elle reprendra si on la plante.   49 LV : le  (Changer le temps présent de plusieurs manières.)   50 Honte, cause de reproches. Idem vers 130.   51 Qui ne savent rien. « Je n’y entens ne fa, ne my. » Raoullet Ployart, et le Mince de quaire.   52 Pour peu qu’il sache lire son bréviaire.   53 Celui. Le fils contemple à nouveau sa bouteille.   54 De faire passer la bouteille par l’ouverture étroite de l’éclisse.   55 Longue pause : longtemps. Cf. l’Aveugle et Saudret, vers 828.   56 LV : asoty   57 Celui qui échappe à une tempête. « Souspris d’une fortunne/ En laquelle il ne peut passer. » (ATILF.) Ce proverbe bien connu possède une variante qui l’est moins : « Assez fait qui fortune passe, & plus encor qui putain chasse. » (Cotgrave.)   58 LV : acheua  (« Eschever » est la forme normande d’« esquiver » : cf. le Ribault marié, vers 535.)  Tobie esquiva cette chausse-trape. Dieu lui envoya l’archange Raphaël pour l’empêcher de posséder sa future épouse tant qu’elle était possédée par le démon. Cf. le Sermon pour une nopce, vers 143-5.   59 LV : zacarye le  (Le scribe n’a rien compris à cette histoire.)   60 LV : laquelle  (« Que Raphaël fist à Thobye/ Une grant bénédiction. » L’Ordre de mariage et de prebstrise, F 31.)   61 LV : sa  (« Quant est de la fille espouser. » Pour le Cry de la Bazoche.)   62 Qu’il viendra à bout de ses intentions.   63 Retors : des huguenots.   64 LV : ne seruent pas de  (Qui ne suivent pas cette règle capitale.)   65 LV : imposse  (Lui objecte.)   66 Ce qu’il y a.   67 La Mère secoue son fils, qui manque de lâcher sa bouteille.   68 Il s’en faut de peu.   69 Besoin.   70 Les gens de métier sont les artisans.   71 Il est temps.   72 LV : y  (Voir le vers d’acteur qui précède.)  Mais il faudrait être clerc, c’est-à-dire apprendre le latin.   73 « Avé salus ! Dominus pars ! » Les Trois amoureux de la croix.   74 In manus. Le clerc inculte d’Un qui se fait examiner pour estre prebstre commet la même faute : « Je sçay bien mon Rétributor,/ Mon Imanus. »   75 Nouvelle faute pour Dominus : « Ne diront-y Domynus pars ? » La Réformeresse.   76 Je sais trois quarts de choses en plus.   77 L’ancien curé. Est-ce un nom réel ?   78 Je suis un gros mangeur.   79 LV : esluyre  (Et aussi, je sais bien trier les pois. « Ce sont de mestres poys…. / Y n’y a qu’eslire. » L’Homme à mes pois.)   80 Je vais.   81 Et aussi, et même. Idem vers 206 et 283.   82 Garder les oies n’exige aucun génie particulier, comme en témoigne le clerc stupide d’Un qui se fait examiner pour estre prebstre.   83 LV : redet  (Le fils rit, non loin.)   84 Auxquels.   85 Ils vendent des pèlerinages, comme le curé du Pèlerinage de Saincte-Caquette. La coquille Saint-Jacques est l’emblème des pèlerins.   86 Ce mot normand, qui désigne une tranche de pain, est souvent minoratif : Il n’y a pas une miette. « Drille ne gagnay de cest an. » Saoul-d’ouvrer et Maudollé.   87 LV : gras  (C’est une chose certaine.)   88 Cet étonnement n’est là que pour donner la réplique au Badin : le Voisin a lui-même pourfendu l’ignorance des prêtres aux vers 148-157.   89 Ce suppléant du curé pouvait dire la messe en l’absence du titulaire de la cure. Les curés qui avaient obtenu plusieurs cures afin d’encaisser plusieurs bénéfices ne visitaient pas souvent leurs églises.   90 La responsabilité.   91 Du bénéfice ecclésiastique : abbaye, cure, etc. Voir les Sotz ecclésiasticques qui jouent leurs bénéfices au content.   92 À sa place.   93 LV : preuant  (Que le desservant : celui qui assure le service divin.)   94 LV : de  (Il faudra totalement défrayer.)   95 Depuis.   96 L’ordre que fait régner une bonne administration.   97 Contraction normande de « avez-vous ».   98 LV ajoute dessous une réplique du Voisin : pour tout vray   99 Cupidité. Encore un personnage de moralité : cf. Moral de Tout-le-Monde, vers 31.   100 Consumée, détruite. Idem vers 265.   101 De vider les lieux, de partir. Idem vers 267.   102 Sans qu’elle ne le détruise tout.   103 À juste raison.   104 C’est de circonstance.   105 La Justice a les yeux bandés.   106 Je redoute qu’elle ne tergiverse.   107 Qui conduit une charrette.   108 Quelque chose. Les rues, n’étant pas éclairées, dissimulent des trous et des obstacles.   109 LV : voyee  (« Voi-e » compte pour 2 syllabes.)  Par les voies, les plaines et les terres en friches.   110 LV : foruoyee  (Je corrige aussi la rime voyee aux vers 280 et 282.)  Afin qu’il ne se fourvoie pas.   111 Aller mon chemin. Cette chanson de bergère — un genre très prisé des citadins — a fait croire au copiste que la distribution s’était enrichie d’un personnage de bergère.   112 « Nous édifierons icy des estables de bergerie pour noz troppeaux. » Bible de 1535.   113 Il y a un problème.   114 LV : va saillir  (En pleine nuit, il en sort.)   115 En sautant par-dessus le mur.   116 Elle n’est pas intervenue dans les 72 vers de la conversation « sérieuse » entre les deux hommes.   117 LV : boutaille  (La rime est en -eille, comme aux vers 137 et 187.)   118 Ni grain, ni larme : pas du tout. C’est l’équivalent du « ni grain, ni goutte » du vers 227.   119 Cimentée (prononciation normande).   120 Arrêtée, fixée. Syncope normande ; cf. l’Homme à mes pois, vers 335.   121 Des papistes. Cf. le Jeu du Prince des Sotz, vers 539 et note.   122 Qui ont senti un vent de Réforme.   123 LV : profitent  (Ne nous profite pas plus que deux nèfles.)   124 LV : depuys  (Les protestants reprochent aux moines, qui se lèvent aux aurores pour chanter les matines, de réveiller « tout leur voisinage à force de trinqueballer leurs cloches », comme le dit Rabelais.)   125 Tromperie. Ce vers apparaît notamment dans la Ballade des seigneurs du temps jadis, de Villon.

LE SAVETIER AUDIN

British Museum

British Museum

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LE  SAVETIER

AUDIN

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Cette courte farce généra quelques années plus tard une version longue (491 vers) rebaptisée Martin de Cambray <F 41>, dont le délayage nuit à la tension dramatique et à la nervosité du dialogue. Les deux pièces, de même que le Vilein, sa Femme et le Curé1, mettent en scène une imprécation : « Que le diable t’emporte ! » Et dans ces trois œuvres, c’est un curé qui se déguise en diable afin d’enlever l’épouse du mari jaloux. Dans Frère Frappart, une farce très proche de ces deux-là, un autre curé enlève également sa maîtresse par la ruse, et va ensuite consoler le cocu.

Le dernier folio du manuscrit de base a été perdu, comme celui du Vilein, sa Femme et le Curé. Les comédiens nous annoncent la scène où le curé travesti en diable reprend sa pieuse apparence, et va exhorter Audin à prier pour que Dieu lui rende son épouse. Mais le texte s’interrompt au milieu d’un vers. Je publie donc à la suite le dialogue concerné, tel que nous l’a transmis Martin de Cambray. Pour faire croire aux clients que la farce du Savetier Audin était complète, l’éditeur lui adjoignit un congé au public copié sur celui qui conclut D’un qui se fait examiner pour estre prebstre. Et pour faire croire qu’elle atteignait le nombre de pages réglementaire, il a disposé sur deux lignes un grand nombre de vers.

Sources : Recueil du British Museum, nº 32. Publié à Lyon, chez feu Barnabé Chaussard, vers le milieu du XVIe siècle.  —  Recueil de Florence, nº 41 : version longue intitulée Martin de Cambray. Je prends pour base British Museum (BM), que je corrige d’après Florence (F) ; tous les éléments qui proviennent de F sont en bleu clair.

Structure : Rimes anarchiques et vers inégaux. Nous avons affaire à un canevas, ou bien à une reconstitution de mémoire.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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*

Farce joyeuse trèsbonne

& récréative pour rire, du

Savetier.

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À troys personnages, c’est assavoir :

       AUDIN,  savetier

       AUDETTE,  sa femme

       et  LE  CURÉ,  [messire Jehan]

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                        AUDIN  commence [en chantant] 2         SCÈNE  I

             On m’a mis en mesnage,

             On m’a mis en tourment.

             Ma foy ! c’est grant dommage,

             Car j’estoye bel enfant.

                        LA  FEMME

5      Mon mary va tousjours chantant,

        Et n’a soucy de prendre peine3.

                        AUDIN,  savetier.

        Voulez-vous dire qu’en mesnage

        Aulcun4 preigne plus de l’ouvrage5 ?

        Et ! il faict ta fièbvre quartaine !

                        AUDETTE

10    Qui te puisse [aujourd’uy] saisir !

        À toy, n’a soulas6 ne plaisir,

        [Ne] nul esbatement quelconque.

        S(i) a plus de sept sepmaines [qu’oncque]

        [Une fois]7 ne fistes cela.

                        AUDIN

15    Et ! par la vertu bieu, sy a :

        Je vous le feis [six ou] sept fois8

        Sans desmonter9, [le dernier mois].

                        AUDETTE

        Sainct Jehan ! ç’a donc esté du nez10.

                        AUDIN,  [en chantant :]

        Je me plains fort des boulengiers,

20         Qui font si petit pain 11.

                        AUDETTE,  sa femme.

        C’est pour [a]croistre leur butin

        Et leur estat faire braguer,

        Et pour leurs filles marier.

        Mais vous qui estes savetier,

25    Pensez-vous point de la besongne12 ?

                        LE  SAVETIER  AUDIN

        Çà, du chefgros13, que je besongne !

                        LA  FEMME

        Allez tost servir cest yvrongne !

                        LE  SAVETIER

        Par  le corps bieu, vous me servirez !

                        [LA  FEMME]

        [Moy ?] Par sainct Jehan, vous mentirez14 !

                        [LE  SAVETIER]

30    Ferez vous point  ce que je vous commande !

                        LA  FEMME

        Nenny, par bieu ! Je suis trop grande15.

        Mais me cuydez-vous fère pestre16 ?

                        LE  SAVETIER

        Par le corps bieu, je seray maistre !

                        LA  FEMME

        Par le corps bieu, et moy maistresse !

                        LE  SAVETIER

35    Si seray je servy, sur [la messe]17 !

                        LA  FEMME

        Par sainct Jehan, [voyre], et moy aussi !

                        LE  SAVETIER

        Vien, hé ! vien [m’apporter icy

        Du chefgros !]

                        LA  FEMME

                                  Par bieu, non feray !

                        LE  SAVETIER

        Or sus ! donc, je m’en passeray.

40    Je cuyde, moy, que tu te joues.

        Bren18 pour toy !

                        LA  FEMME

                                       Et merde en tes joues19 !

                        LE  SAVETIER

        Mais ce vieulx ort cul  cabas20 breneux !

                        LA  FEMME

        Et [ce] vieulx savetier pisseux21 !

                        LE  SAVETIER

        Ton père houssoit cheminées22.

                        LA  FEMME

45    Et le tien curoit les priv[é]ez23 :

        C’est ung mestier bien amoureux.

                        LE  SAVETIER

        Le tien s’appelloit « ramonneux

        De cheminées », je te le dy.

                        LA  FEMME

        Le tien estoit tousjours breneux

50    Et s’appelloit « maistre Fy-fy24 ».

                        LE  SAVETIER

        Par Dieu ! nous sommes bien et beau,

        [Car] ton grant-père estoit bourreau25.

                        [LA  FEMME]

        Et  le tien tuoit les chiens [rageux26]

        Et les escorchoit en la maison.

                        [LE  SAVETIER]

55    Mort bieu, voicy bonne raison !

        Mais quant je te prins, qu’av[o]ies-tu ?

                        LA  FEMME

        Et toy ? Tu estoys tout [fin] nud27 ;

        Tu n(e) avoys pas ung [seul] niquet28.

                        LE  SAVETIER  AUDIN

        Tu n’avoys vestu q’ung rocquet29 ;

60    Encor estoit-il à rebours30.

                        LA  FEMME  AUDETTE

        Et toy, tu estoys tout plain de poulx

        Qui te mengeoyent tout le cerveau.

                        LE  SAVETIER  AUDIN

        Tu as menty par ton museau,

        Rongneuse, rafleuse mausaingne31 !

                        LA  FEMME  AUDETTE

65    Tu mens, pourry tout plain de taigne !

        On t’e[ust] mené au Sainct-Esprit32.

                        AUDIN  LE  SAVETIER

        Tu [en] as menty, dyable, aspic33

        Enragé et hors de la foy !

        Je te mettray en bel34 arroy,

70    Foy que doys à sainct Pierre de Romme !

                        AUDETTE,  sa femme.

        Et ! par ma foy, tu n’ez pas homme35.

                        AUDIN

        Cecy !

                        AUDETTE

                     Cela !

                        AUDIN

                                  Tais-toy !

                        AUDETTE

                                                    Mais toy !

                        AUDIN

        Madame la Femme !

                        AUDETTE

                                            [Tout coy36,]

        Monsieur l’Homme !

                        AUDIN

                                            [Dea !] qu’esse-cy ?

75    Vrayement, je n’entends point cecy.

        Regardez la, c’est elle !

                        AUDETTE

                                               C’est luy37 !

                        AUDIN

        Par le corps bieu ! vous vous tairez

        Ou je regnye [Dieu] !

                        AUDETTE

                                             Si hardy ?

        La mercy Dieu ! si tu t’y metz

                        AUDIN

80    Et ! belle dame, que j’aye paix !

        C’est tousjours à recommencer,

        [Car vous ne faictes que tancer.]38

                        AUDETTE

        Mais vous-mesmes, qui ne cessez.

        Je vous certifie quavez tort.

85    Et ! tousjours estes en discord.

.

                        LE  CURÉ 39                                            SCÈNE  II

        Las, trèsdoulce vierge Marie !

        Par Dieu, je puis bien dire pie !40

        [Las !] qu’esse que d’estre amoureux,

        Pour [ung] prebstre ou religïeux !

90    Gens d’Église sont en grant peine,

        Et vont et viennent en mains lieux

        Par chascun jour de la sepmaine.

        Je suis amoureux d’une dame ;41

        Et si42, ne puis trouver le tour

95    Comment je peusse (par mon âme)

        Parler à elle, n’à quel jour :

        Son mary si est tant jaloux !

        Mais, par bieu ! il en sera coux43

        Ou, par ma foy, jenrageray !

.

                        AUDIN                                                      SCÈNE  III

100  Audette, [icy] je vous diray :

        Je m’en voys crier44 (oyez-vous ?)

        Mes vieulx soulliers parmy la ville.

        Gardez bien l’hostel, ou l’estrille

        Aurez45. Je m’en raporte à vous.

                        AUDETTE

105  Gardet’en bien ! Tout  comment qu’il soit,

        Par bieu, g’iray à mon affaire.

                        AUDIN

        Gardez bien l’hostel : il me plaist46.

                        AUDETTE

        Mais toy47, se tu en as affaire !

                        AUDIN

        Mort bieu, voicy [ung] beau mystère !

110  Bon gré en ayt Dieu de ma vie !

                        AUDETTE

        Que  mauldit[e] soit la jalousie,48

        Que tant vous en estes féru49 !

                        AUDIN

        Ha ! j’ay bien veu ce que j’ay veu :

        [Par] ma foy, il me touche fort50.

                        AUDETTE

115  J’aymeroys mieux que fussez mort,

        Par celuy Dieu en qui je croys !

        Je suis à ung [homme] à la foys ;

        Je ne suis point femme à cela.

                        AUDIN

        Audette, je croy bien en cela.

120  Mais pour en estre plus asseuré,

        Cy-dedans vous enfermeray

        À la clef, pour m’oster hors de peine.

                        AUDETTE

        Tu feras ta fièbvre quartaine !

        Me cuydes-tu [tenir ainsi]51 ?

                        AUDIN

125  Si vous deviez chier icy52,

        Si y serez-vous enfermée !

                        AUDETTE

        Avant qu’il soit demain vesprée53,

        Par bieu, tu t’en repentiras !

                        AUDIN

        Fais tout du pis que tu pourras.

                        AUDETTE

130  Feray, feray.

                        AUDIN

                               Voyre, hardiment !

                        AUDETTE

        Je prie à Dieu du firmament

        Que rompre te puisse le col !

                        AUDIN,  [en chantant :]

        Autant en emporte le vent 54.

        Qui y prent garde, il est bien fol ;

135  Il ne m’en chault point d’une noix55.

.

                        LE  CURÉ                                                SCÈNE  IV

        Esse pas Audin que je voys

        Sortir dehors de sa maison ?

        Sy est. [J’iray :] à ceste fois,

        J’auray de mon mal guarison56,

140  En despit de tous envieulx.

.

                        AUDIN 57                                                 SCÈNE  V

        Je criray [i]cy. « Houseaulx vieulx !

        Soulliers vieulx ! [Houseaulx !] Soulliers vieulx ! »

.

                        LE  CURÉ 58                                            SCÈNE  VI

        Holà, hau !

                        AUDETTE 59

                        Qui esse là  qui m[’a] appellé ?

                        LE  CURÉ

        [Messire Jehan, vostre curé]60.

                        AUDETTE 61

145  Maintenant ne [vous] puis ouvrir.

                        LE  CURÉ

        M’amye, venez-moy secourir !

                        AUDETTE

        Vous voyez bien que je ne puis :

        Audin m’a icy enfermée.

        Oncques ne fus plus tourmentée.62

                        LE  CURÉ

150  Le sang bieu, je bouteray l’huys63 dedans !

                        AUDETTE

        A ! non ferez. Je vous diray :

        Ung aultre point j’ay advisay64

        Comme vous en pourrez chevir65.

                        LE  CURÉ

        Et comment ?

                        AUDETTE

                                 Il vous fault tenir  premièrement

155  Près de l’huys ; puis [il] vous fauldra

        Guetter Audin66 quant il viendra.

        Il vous fault avoir ung abit

        De deable, il n’y a [nul] respit67.

        Je le mauldiray ; il68 dira :

160  « Le dyable t’emporte ! » Sitost

        Que vous orrez69 [dire] ce mot,

        Incontinent vous me prendrez :

        Sus vostre col70 m’emporterez

        Comme diable tout enragé.

                        LE  CURÉ

165  Par mon serment (c’est bien juré71),

        Il72 sera faict tout à cest heure !

                        AUDETTE

        Ne faictes pas longue demeure73.

.

                        AUDIN 74                                                  SCÈNE  VII

        « Soulliers vieulx ! [Soulliers !] Houseaulx vieulx ! »

        Chascun les porte, semidieux75,

170  À mon advis, plus [neufz que vieulx]76 :

        Nostre mestier ne vault plus rien.

        Ung chascun est praticïen77.

        Je m’en revoys78.

.

                        Audette,  comment te va ?                          SCÈNE  VIII

                        AUDETTE

        Je prie à Dieu (qui tout forma)

175  Que [du mal]79 sainct Lou, et sainct Quentin,

        Du mal sainct Jehan, sainct Valentin80,

        Et de toute aultre maladie,

        De [la] bosse et d’épidimye81,

        De pourpre82 et de tous [les] grans maulx,

180  Du mal dont meurent les chevaulx83

        Puisses-tu estre à terre cheut84 !

                        AUDIN

        Sainct Jehan ! voylà ung beau salut,

        Et très gracïeusement parlé !

                        AUDETTE

        Suis-je femme à tenir soubz clef ?

185  Je prie à Dieu que malle rage…

                        AUDIN

        Taisez-vous, si ferez que sage85.

                        AUDETTE,  en le frappant.

        Tien, tien, villain parfaict dampnable86 !

                        AUDIN

        Je prie à Dieu que le grant dyable

        Te puisse emporter aujourd’uy !

.

                        LE  CURÉ,  habillé en dyable :                SCÈNE  IX

190  Brou87 ! Brou ! Brou ha ha ! Brou ha ha !

                        AUDIN

                                                        Qu[’e]sse-cy ?

        Jésus ! Marie ! Nostre Dame !

        Le grant dyable emporte ma femme.

        Ha ! Nostre Dame, quel[le] rage !

.

                        LE  CURÉ 88                                            SCÈNE  X

        A ! j’ay bien faict mon personnage89.

                        AUDETTE

195  Si bien que nul90 ne sçauroit mieulx.

                        LE  CURÉ

        Puisqu’il n’y a icy que nous deux,

        De vous feray à mon plaisir.

                        AUDETTE

        Je suis toute à vous, semidieux !

        Faire povez tout à loysir.

                        LE  CURÉ

200  M’amye, m’amour, ma godinette91,

        Mon cueur meurt de joye parfaicte.

        Or vous tiens-je icy à mon gré.

                        AUDETTE

        Ce n’est pas, pour92 moy, tout [gagné] :

        Mais  sçavez-vous que j’ay advisé,

205  Pour mon honneur tousjours couvrir ?

                        LE  CURÉ

        Et quoy ?

                        LA  FEMME

                          Il vous convient courir

        Vers mon mary, sçavoir qu’il faict93,

        Faignant que ne sçavez que c’est

        En rien du monde94.

.

*

                               (MARTIN  DE  CAMBRAY) 95

295  En rien du monde.

                        LE  CURÉ

                                          Ho ! il suffit,

        Par le corps bieu ! [Que] c’est bien dit !

        G’y voys96.

                        GUILLEMETTE

                              Gardez d’en faire signe97 !

                        LE  CURÉ

        Nenny, je feré bonne myne,

        Ne vous souciez98. Attendez-moy.99

.

300  Il m’est advis que je le voy ;                                        SCÈNE  XI

        Ou[y], il est bien mar[r]i de100 cueur.

.

        Dieu gart, Martin !                                                     SCÈNE  XII

                        MARTIN

                                         Ha ! Monsïeur,

        Vous soyez le trèsbien venu !

                        LE  CURÉ

        Comment [vous] va ?

                        MARTIN

                                             Je suis perdu !

                        LE  CURÉ

305  Vous me semblez descouraigé :

        Qu’i a-il ?

                        MARTIN

                            Je suis enraigé.

                        LE  CURÉ

        En vostre fait point ne m’entens.

                        MARTIN

        Par ma foy ! je suis hors du sens.

                        LE  CURÉ

        Hors du sens ? Dea, vous avez tort.

                        MARTIN

310  En effait, je suis homme mort.

                        LE  CURÉ

        Quoy ! est malade vostre femme ?

                        MARTIN

        Il y a pis, bon gré saint Jame !

                        LE  CURÉ

        Comment ! est-elle trespassée ?

                        MARTIN

        Le grant deable l’a emportée.

                        LE  CURÉ

315  Ha ! Jésus ! Bénédicité !

        Que dictes-vous ?

                        MARTIN

                                        C’est vérité,

        Par ma foy ! Il l’a prise là.

                        LE  CURÉ

        Comment ! Je ne croy pas cela.

        Que j’entende le cas au vray.

                        MARTIN

320  Ha ! Monsïeur, il est tout vray

        Qu’elle estoit bien peu esbatante101,

        Piteuse et [fidèle, avenante]102.

        Car j’avoye des doutes grans

        Sus elle — dont je m’en repens.

325  Et pour vous dire le meschief103,

        Je l’enfermoye à double104 clef

        Quant je partoye de mon hostel.

        Par mon serment ! le cas fut tel :

        Quant je vins orains105, el(le) crioit ;

330  Et si, trèsfort me mauldis[s]oit

        De plusieurs maulx inmunérable[s]106.

        Alors, si dis : « Que le[s] grant[z] diable[s]

        Vous puissent [bien tost] emporter ! »

                        LE  CURÉ

        C’est mal dit.

                        MARTIN

                                Il [la vint]107 charger

335  Aussitost que j’eu[s] dit le mot.

                        LE  CURÉ

        Et ! par Dieu, vous estes bien sot

        De croire que soit l’Ennemi108.

        Le croyez-vous ?

                        MARTIN

                                     Saint Jehan, ouÿ !

                        LE  CURÉ

        Par Dieu ! vous estes bien déceu109.

                        MARTIN

340  Non suis, par Dieu, car je l’ay veu !

                        LE  CURÉ

        Ne croyez point cecy : c’est bourde110.

        Quelque gabeur111 a fait la fourbe ;

        Et pour l’avoir à son plaisir,

        Par Dieu, si l’est venu quérir.

345  De tout cela, n’en croyez rien.

                        MARTIN

        Dictes-vous ? Se feroit-il bien112 ?

                        LE  CURÉ

        Ouÿ, vrayment, elle est fesable113.

        Ne croiez jamais que le diable

        Soit cy venu : c’est moquerie.

                        MARTIN

350  Hélas ! mon seigneur, je vous prie

        À joinctes mains, et vous requier114

        Que vous le vueillez demander

        En la paroesse115 çà et là.

        Et excommuniez qui l’aura,

355  S’i ne l’apporte ou [la] ramaine.

                        LE  CURÉ

        Il ne tendra point à la peine116 :

        Trèsvoulentiers je le feray.

                        MARTIN

        Par Nostre Dame ! je payray

        Le vin117, je le vous certiffie.

                        LE  CURÉ

360  Or çà donc[ques] !118

                                            J(e) excommunie

        Ceulx qui ont prins, à ce matin,

        La femme mon119 voisin Martin.

        En centense120 [je] le mettray,

        Qui121 l’aura, s(e) il ne dit : « Je l’ay. »

365  Dy-je pas bien ?

                        MARTIN

                                    Par Dieu, ouy122, sire.

        Et aussi — s’il vous plaist à dire —

        Qu(e) on la rapporte tout à faict,

        Au mains quant on en aura faict123.

        Ou j’en feray gecter sentence124.

                        LE  CURÉ

370  C’est bien dit. Or sus !125

                                                  Qu(e) on s’avence

        De la rapporter, qui l’ara126 !

        Ou aultrement, on les fera

        Noirs, ceulx qui l’ont, comme ung dyablot127 !

                        MARTIN

        Il n’y a âme qui die mot128 ?

375  Elle est perdue, pour129 toute rien.

                        LE  CURÉ

        Par Dieu ! on la trouvera bien,

        Ce pancé-je. Mais [devant tous]130

        Mectez-vous [i]cy à genous,

        Et pryez Dieu de voulenté131.

380  Et je m’en voys d’aultre costé

        Le prier aussi de bon cueur.

        Adieu !

                        MARTIN

                       Adieu, mon [bon] seigneur !

        Et, pour Dieu, qu’on [me] la rapporte !

                        LE  CURÉ

        Tantost l’aurez à vostre porte.132

*

                               (LE  SAVETIER  AUDIN)

                        LE  CURÉ

        Nous [vous prions]133, tant hault que bas,

        Que134 prenez en gré noz esbatz,

        Si vous135 avons aulcun [tort faict]136.

                        AUDIN

        Si vous trouvez voz femmes en tel cas,137

        Donnez-les au dyable comme j’ay faict.

.

                                           FINIS

*

1 Publié par Graham A. Runnalls dans Romania, CVI, 1985, pp. 462-480. Depuis, les archives de Digne-les-Bains ont perdu ce précieux manuscrit.   2 Les nombreux savetiers des farces ont toujours une chanson à la bouche. Celle-ci n’est pas connue, quoi qu’en dise H. M. Brown (nº 352).   3 De travailler. C’est la rengaine de toutes les femmes de savetiers : voir les vers 24-25.   4 BM : Chascun  (L’un des deux. Cf. l’Amoureux, vers 91.)   5 BM : peine  (À la rime du vers 6.)  Doive prendre une plus grande part de travail.   6 Avec toi, il n’y a aucun agrément.   7 BM : Que  (Que jamais, une seule fois, vous ne m’avez fait cela [l’amour ; idem v. 118]. « De faire cela ? Ne luy chault,/ Car sa vigueur est amortie. » Les Femmes qui font refondre leurs maris.)  Dans Martin de Cambray <v. ma notice>, le curé dit à sa maîtresse : « Mais premier, fault que je vous face/ Cela…. Acollez-moy ! »   8 « Et puis luy faire aussi cela (…) tous les jours cinq ou six fois. » Le Cuvier.   9 Sans descendre de ma « monture », sans me retirer. « Je la surprens par trahison/ Et y bracque ma grosse “pièce”./ Mais, le “canon” estant planté,/ De malheur il fut desmonté. » Le Labyrinthe d’Amour.   10 Avec votre nez, qui est plus dur que votre pénis.   11 Lorsqu’un savetier veut éluder une remarque gênante de son épouse, il chante ; cf. le Savetier qui ne respond que chansons (F 37). Quantité de chansons, de libelles ou de pièces dénoncent les fraudes des boulangers. « Boulengers font le petit pain. » Troys Galans et un Badin.   12 La femme du savetier Michault incite également son mari au travail : « Vous aurez ung coup de quenouille,/ Aussi, se vous ne besongnez ! » (Les Queues troussées.) Au second degré, la besogne désigne le coït : cf. les Sotz nouveaulx farcéz, vers 208.   13 Du gros fil de cordonnier, enduit de poix. « On poisse de poix un chégros pour coudre souliers. » (Godefroy.) Beaucoup de savetiers se font servir par leur épouse : « Collette, çà, tost, du chief-gros/ Aporte vistement ! » Calbain (cette farce suit la nôtre dans le recueil de Londres).   14 Vous n’aurez pas dit la vérité.   15 Je ne suis plus une enfant, pour qu’on me donne des ordres.   16 Faire marcher. « Mais me cuides-tu faire paistre ? » Les Coppieurs et Lardeurs.   17 BM+F : ma vie.  (J’en jure sur la messe !)   18 Bran, merde.   19 Dans ta bouche.   20 Cette vieille et sale prostituée au sexe trop large. « Tu as menti, ort viel cabas ! » La Laitière.   21 BM+F : breneux.  (À la rime.)  Les savetiers, qui manipulent de la poix, sont poisseux : « Un poissard : un savetier. » (Antoine Oudin.) Cet adjectif peut induire un calembour dialectal sur « pisseux » : la poix se dit pissago en latin, et πίσσα en grec.   22 Les ramoneurs, noirs de suie, étaient mal considérés.   23 Vidangeait les latrines. Cf. la Pippée, vers 616. « Ceulz qui torchent les pos [les pots de chambre] ou qui curent lez privées. » ATILF.   24 « Fi ! fi ! » est l’interjection qu’on lâchait en voyant une crotte. Le « fifi » désigna donc ladite crotte : cf. les Chambèrières et Débat, vers 87. Et « maître Fifi » devint tout naturellement le surnom des vidangeurs de fosses septiques. « Un maistre Fy-fy : un cureur de retraits. » Oudin.   25 Le bourreau et sa famille étaient tenus à l’écart de la société. C’est l’époque où les boulangers posaient le pain du bourreau à l’envers pour qu’il ne soit pas mêlé aux autres.   26 « Quand on est mordu d’un chien, on congnoistra quand il sera rageux par les signes suivants. » (Godefroy.) Le grand-père d’Audin vendait la peau des chiens en tant que fourrure, ce qui était défendu. « Tuer chiens pour avoir la peau. » Maistre Hambrelin.   27 Totalement nu. « Tout fin nu, en belle [simple] chemise. » Guillaume Coquillart.   28 Pas un sou. « Qui me donnast un seul nicquet. » Le Pasté et la tarte.   29 Une blouse. « Vestu d’un roquet de toille. » ATILF.   30 Les vêtements tout d’une pièce peuvent être retournés quand l’extérieur est usé. « J’ay eu ta robbe…./ Mais est-elle point retournée ? » Le Pauvre et le Riche.   31 Galeuse pleine de croûtes et malsaine.   32 Si notre farce est parisienne, il s’agit de l’hôpital du Saint-Esprit-en-Grève, qui accueillait les enfants abandonnés. « Aux povres orphelins du Saint-Esperit-en-Grève. » Arch. nat.   33 Vipère. Depuis Adam et Ève, le serpent est toujours apparenté au diable ; André de La Vigne traite Lucifer de « puant aspic ».   34 BM : tel  (Je te ferai marcher au pas. « En bel arroy se meirent. » ATILF.)   35 Tu es impuissant. Voir les vers 13-18.   36 Restez coi, silencieux ! « Tout quoy ! N’en parlons plus, holà ! » Ung mary jaloux.   37 BM : Regarde le cest il.   38 Vers manquant. « C’est tousjours à recommencer :/ La mienne ne fait que tancer. » Deux jeunes femmes qui coifèrent leurs maris.   39 Sur la route, il s’approche de la maison du couple.   40 Vers manquant, que F ajoute sous le vers suivant. Dire « pie » : dire « j’ai gagné ». Mais on donne toujours à cette locution un sens négatif : cf. les Coppieurs et Lardeurs, vers 81 et note.   41 BM+F remontent ce vers au début de la tirade du curé. Il est chanté sur l’air de : « Je suys amoureulx d’une fille,/ Et sy, ne l’ose dire. » Cf. le Bateleur, vers 51 et note.   42 Et pourtant.   43 Cocu. Cf. les Esbahis, vers 128.   44 Je vais crier ma marchandise. Les vendeurs des rues avaient un « cri » pour attirer la clientèle. Nous entendrons celui-ci aux vers 141-142 et 168. Cf. les Cris de Paris, vers 113.   45 Sinon je vous étrillerai, je vous frapperai. L’hôtel désigne la maison, comme aux vers 107 et 327.   46 C’est mon bon plaisir, mon souhait.   47 Garde-le toi-même !   48 Ce vers, tel que je le corrige, est le vers 18 des Botines Gaultier.   49 Frappé. « (Il) n’estoit pas encores bien asseurétant estoit fort féru du maudit mal de jalousie. » Cent Nouvelles nouvelles, 37.   50 Cela me touche de près. Cf. le Ribault marié, vers 147.   51 BM+F : ainsi tenir.   52 Quand bien même vous devriez chier dedans. Au village, les toilettes se trouvaient dans la cour ou dans le jardin. Quand on ne pouvait pas sortir, on utilisait un pot de chambre.   53 Avant demain soir.   54 J’en ai vu d’autres. Même vers dans les Premiers gardonnéz. Ici, c’est un refrain de chanson ; voir Brown, nº 30.   55 Je n’en tiens pas plus de compte que d’une noix. Audin sort avec son grand sac de savates, et ferme la porte à clé.   56 Guérison, en couchant avec sa femme. BM répète dessous le vers 98, qui ne rime pas : Et par bieu il en sera coqu   57 Il pose son sac sur la place du village.   58 Il frappe à la porte d’Audette.   59 Derrière la porte fermée.   60 BM : Vostre cure messire Jehan.  (Messire Jehan est un des prototypes du curé paillard et sans scrupule. Voir la notice de Messire Jehan.)   61 BM+F ajoutent dessous ce qui semble être un début de chanson : Aymee mauez   62 Vers manquant. J’emprunte le vers 434 de Martin de Cambray.   63 Je vais enfoncer la porte.   64 J’ai songé à un autre moyen. « J’ay advisé ung autre point. » Le Ribault marié.   65 Pour que vous puissiez en venir à bout.   66 F : Martin  (BM compacte les vers 155-165 ; j’adopte le passage correspondant de F, où Audin s’appelle Martin.)   67 Il n’y a pas de temps à perdre. Dans le Vilein, sa Femme et le Curé (v. ma notice), c’est encore la maîtresse qui déguise en diable son amant : « Je vous dyray que vous ferez :/ Ung abit de dyable prendrez. »   68 BM : Puis il respondra et   69 Que vous l’entendrez. Futur du verbe « ouïr ».   70 Sur vos épaules. Cf. Maistre Mimin estudiant, vers 398-9 et didascalie.   71 F : iuge  (Ce vers manque dans BM.)  Nous avons là une vieille plaisanterie — indigne d’un curé — qui consiste à lâcher un juron, puis à faire semblant de s’en repentir. Cf. le Munyer, vers 286. « Par la mort bieu (c’est bien juré),/ Il sera fait ! » La Laitière.   72 Cela.   73 Ne tardez pas. Le curé retourne au presbytère, où il possède par le plus grand des hasards un déguisement de diable. Dans F, qui rallonge tout, il va chercher ledit costume chez un peintre.   74 Dessous, BM cite une bribe du vers 141, qui n’est plus nécessaire : Je veulx icy crier   75 Si m’aid Dieu : que Dieu m’assiste. Idem v. 198.   76 BM+F : vieulx que neufz  (Correction proposée par Jelle Koopmans : Le Recueil de Florence, Paradigme, 2011, pp. 564-577.)  Les clients achètent des chaussures neuves aux cordonniers, et non plus de vieilles godasses aux savetiers.   77 Tous nos villageois sont de riches notables.   78 Je m’en retourne à la maison. Audin ouvre avec sa clé, puis il entre. Le curé, déguisé en diable et le visage noirci, va coller son oreille contre la porte.   79 BM+F : de  (Le mal de St Loup désigne le lupus, l’ulcère. Le mal de St Quentin est l’hydropisie.)   80 Le mal de St Jean et le mal de St Valentin désignent l’épilepsie.   81 Le mal de bosse et le mal d’épidémie désignent la peste bubonique.   82 Ambroise Paré nomme ainsi trois maladies : le polype nasal, une variété d’ « éruptions et pustules », et une « espèce de peste ».   83 Du charbon, ou bien du farcin.   84 Chu, tombé.   85 Vous ferez sagement. « Taysé-vous et ferez que saige. » Le Vilein, sa Femme et le Curé (v. ma notice).   86 Vrai misérable digne d’être damné.   87 Le faux diable fait irruption en poussant des cris infernaux, comme l’amant du Retraict <vers 423 et note>. Messire Jean charge Audette sur ses épaules et sort de la maison.   88 Il cache Audette derrière un arbre — sur lequel il avait préalablement posé sa tenue de curé. Frère Frappart contient une scène tout à fait analogue.   89 J’ai bien joué mon rôle.   90 BM+F : on  (Le curé rejoint sa maîtresse derrière l’arbre ; on les entend toujours, et on voit l’arbre trembler.)   91 Ma mignonne.   92 BM : par  (Tout n’est pas gagné : il y a encore des choses à faire. Cf. les Tyrans, vers 164.)   93 Ce qu’il fait. Frère Frappart dit à sa maîtresse, après l’avoir enlevée : « Aller me fault, sans attendue,/ À vostre mary veoir qu’il fait. »   94 En feignant que vous n’êtes au courant de rien. Je publie sous la farce la scène perdue (v. ma notice) dans la version démesurément boursouflée qu’en donne Martin de Cambray. Le congé du Savetier Audin viendra juste après.   95 Les numéros des vers correspondent à l’édition de Jelle Koopmans. Désormais, Audette est renommée Guillemette, et Audin s’appelle Martin de Cambray. Cette falsification d’état civil est due au fait que la nouvelle farce joue sur l’expression « être Martin de Cambrai » : être une dupe. Voir la note 91 des Trois amoureux de la croix, une farce qui montre aussi un amant déguisé en diable.   96 J’y vais.   97 Prenez garde à ne pas vous trahir.   98 F : soucier   99 Messire Jean se rhabille en curé, nettoie sa figure noircie, puis se dirige vers la maison d’Audin, qui guette le retour de sa femme devant la porte.   100 F : en  (Il a le cœur marri, chagriné. « (Ils) furent en grant perplexité et fort marrys de cœur. » Jehan Molinet.)   101 Peu désireuse de s’ébattre avec d’autres hommes.   102 F : fine a lauenante  (Qu’elle était pieuse et fidèle, aimable : le mari trouve à sa mégère autant de qualités que si elle était morte.)   103 Le méchef, la faute que j’ai commise.   104 F : la  (« Ayant enfermé ce Frère/ À double clef. » J. de La Fontaine.)   105 Tout à l’heure.   106 Innumérables, innombrables. La métathèse n’est pas une erreur de l’inculte savetier : elle est bien attestée, à mon avis sous l’influence du latin munerare.   107 F : a ving  (Le diable vint la mettre sur ses épaules.)   108 Le diable.   109 Trompé, abusé.   110 C’est une blague.   111 F : cabeur  (Moqueur. « Se taisent donc les mesdisans gabeurs ! » Godefroy.)  Le prêtre, sachant à quel point son interlocuteur est borné, prend un malin plaisir à lui dire impunément la vérité.   112 Serait-ce possible ?   113 Cette mauvaise blague est faisable.   114 F : requiers  (Je vous supplie.)  Rime avec l’infinitif en -èr, à la manière normande ; l’Aveugle et Saudret fait rimer requièr avec varièr.   115 Dans la paroisse. Prononciation normande. « La parroesse de Saint-Nicolas de Caen. » Arch. du Calvados.   116 Il ne tiendra pas à ce que j’épargne ma peine.   117 Je vous paierai à boire. Ou bien : Je vous donnerai un pourboire. Cf. les Hommes qui font saller leurs femmes, vers 215.   118 Le prédicateur se tourne vers l’assistance.   119 De mon. Sur ce génitif archaïque, voir la note 1 du Clerc qui fut refusé.   120 En « sentence d’excommunication ». Idem v. 369.   121 F : Quil  (Celui qui l’aura enlevée.)   122 F : ouyr   123 Au moins quand on en aura fini avec elle. Mais faire = faire l’amour.   124 Ou je ferai excommunier le ravisseur. « Assez tost après vint le cardinal à Tournay, et gecta sentence sur les Flamans. » (ATILF.) Un savetier n’a aucune autorité pour fulminer une excommunication, pas plus que le curé au vers 363.   125 Le prédicateur se tourne de nouveau vers l’assistance.   126 Que celui qui l’aura s’empresse de la rapporter.   127 F : dyable  (Un diablotin. Cf. la Chanson des dyables, vers 23 et 110.)  On les couvrira d’ecchymoses. « Qu’il me soyt de coups tout noircy ! » Le Poulier à quatre personnages.   128 Il n’y a personne qui parle ?   129 F : sur  (Pour toute chose, en tout et pour tout. « Car je ne vouldroye, pour toute rien, que l’on me trouvast si povrement. » Lancelot du Lac.)   130 F : iay paour  (Les mortifications, quand elles sont publiques, n’en ont que plus de valeur. « S’est prosterné à genoulx/ Et, d’un son doulx et piteux,/ S’est excusé devant tous. » Pernette du Guillet.)   131 Avec volonté, avec conviction.   132 Martin de Cambray comporte encore 106 vers. Je m’arrête là parce que son ultime scène met en présence le couple sans le curé ; or, le Savetier Audin s’achève — dans l’édition qui nous est parvenue — sur un congé aux spectateurs auquel participent les deux hommes, mais pas le personnage féminin. La farce, telle que je l’ai rétablie, obéit donc à une parfaite logique théâtrale. De plus, la dernière scène de Martin de Cambray n’est là que pour nous expliquer lourdement pourquoi son héros se nomme ainsi : voir la note 95.   133 BM : commencons  (Ce congé apocryphe reproduit celui d’une autre farce, D’un qui se fait examiner : « Nous vous prions, tant hault que bas,/ Que prenez en gré noz esbatz,/ Si vous avons aucun tort fait. »)   134 BM : Si  (Note 133.)   135 BM : nous  (Note 133.)   136 BM : forfaict.  (Note 133.)   137 Ces deux vers débraillés sont dits par un personnage qui n’est plus censé être là, comme les deux vers qui closent D’un qui se fait examiner : « Et qui se trouvera en tel cas,/ Qu’il ne face pis que j’ay fait. »

LES MAL CONTENTES

Ms. La Vallière

Ms. La Vallière

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LES  MAL

CONTENTES

*

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De ce débat normand, nous ne possédons plus qu’un manuscrit copié vers 1575 ; mais il y en avait eu avant 1515 une édition rouennaise, nommée au vers 188 du Vendeur de livres.

Source : Manuscrit La Vallière, nº 61.

Structure : Rimes mêlées, avec 10 groupes de quatrains à refrain et 6 groupes de sixains à refrain. Signalons au titre de bizarrerie une rotrouenge écartelée (vers 242-281).

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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*

Farce joyeuse

À quatre personnages, c’est assavoir :

       LA  JEUNE  FILLE

       LA  MARYÉE

       LA  FEMME  VEFVE

       et  LA  RELIGIEUSE

.

       Et sont  LES  MAL  CONTENTES

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                        LA  JEUNE  FILLE  commence en chantant    SCÈNE  I

        Las ! quant serai-ge maryée ? 1

.

        Dieu m’y veuille réconforter,

        Et de tous mes2 maulx aléger !

        Je croys que mal3 suys fortunée.

5      Et afin que chascun congnoisse

        Pourquoy je faictz chans douloureulx,

        Je suys en la fleur de jeunesse

        Et sy4, je n’ay poinct d’amoureulx.

        J’ey bien des ans quinze5 ou quatorze,

10    Ou plus ; c’est le poinct d’arager6 !

        Et les tétins plus blans que roze

        Pour y toucher sans grand danger7.

        Ne suys-je pas bien mal menée,

        Que ne puys amy rencontrer ?

15    Et sy, sçay mon gent corps monstrer

        Myeulx que personne qui soyt née8.

        Mais voélà : c’est ma destinée,

        C’est le train, c’est la pénitence

        Que je doy souffrir en enfance.

20    Je ne sçay sy mon impotance9

        Ressemble à la vielle arbalestre10,

        Mais on m’a sellé ma quictance11 ;

        Au moins, j’en porte belle lestre12 !

.

                        LA  MARIÉE  entre.                                SCÈNE  II

        Qu’esse-là ? Où cuydez-vous estre ?

25    Mygnonne, d’où vient ce brocart13 ?

        Y sauroyt14-on remède mectre,

        S’on se15 rencontroict à l’écart ?

        Esse poinct quelque sot quocart,

        Oultrecuidé16, jeune mygnon ?

                        LA  JEUNE

30    Par mon âme, moquin mocart17 !

        Je ne congnoys s’on m’ayme ou non.

        L’une foys vient un compaignon

        Qui dict qu’il est mon assoté18.

        L’aultre se tient soublz un pignon19,

35    Qui me regarde de costé20.

        Après, vient un vilain botté21 :

        Voulentiers feroit son plaisir.

        L’aultre foys, un mal raboté22,

        Des héritiers Jehan de Loisir23.

                        LA  MARIÉE

40    Vous avez donques beau choisir24,

        Puysqu’on vous presse jours et nuictz.

                        LA  JEUNE

        Y n’est poinct plus grand desplaisir

        Que tant de truans à un huys25.

        L’un me dict : « Hélas ! je ne puys

45    Vous compter au long mes clamours. »

        L’autre se souhaicte en un puys

        S’y ne joïst de ses amours26.

                        LA  MARYÉE

        Et bien ? Ce ne sont pas des27 tours

        Pour jouyr d’amours bien apoinct,

50    À dames de plaisans atours ?

                        LA  JEUNE

        Encor[e] n’y estes-vous poinct.

                        LA  MARIÉE

        Pourquoy ?

                        LA  JEUNE

                              Vous ne venez au poinct

        Où je prétens planter ma bourne28.

                        LA  MARIÉE

        Comme quoy29 ?

                        LA  JEUNE

                                      Qu’on lesse en ce poinct

55    Fresche desrée30 quant elle est bonne !

        Se l’un y mect31 et l’autre donne

        Pour bien venir à son entente32

        En désirant qu’on s’abandonne33,

        Ce34 n’est poinct où j’ey mon entente.

                        LA  MARIÉE

60    Vous estes donques mal contente ?

                        LA  JEUNE

        Se ne suys mon35 qu’on ne vient au poinct

        Une foys. Trop mal me contente

        D’amours, car jouy n’en ay poinct.

                        LA  MARIÉE

        Est-il vray ?

                        LA  JEUNE

                               C’est le contrepoinct

65    De quoy j’en suys désanuyée36

        Quant la douleur d’amours m’espoinct :

                        (En chantant.)

        Ne serai-ge poinct mariée ?

                        LA  MARIÉE

        A ! fille folle, desvoyée !

        Souhaitez-vous avoir mary ?

70    S’une foys y estes lyée,

        Vous en aurez le cœur mar[r]y.

        Pleust à Dieu et à sainct Mary

        …………………………… 37

        Dont chantent les cocus38 au boys.

        Que le myen vous eust, aulx aboys39,

75    Un jour, [à cœur de fiancer]40,

        Et [des coups eussiez]41 .XX. et troys.

        Et [ce fust]42 à recommencer.

                        LA  JEUNE

        Et ! comment ? Vous l’aymez sy cher43 ?

        Est desjà l’amour recullée ?

                        LA  MARIÉE

80    Je n’ay besoing d’ouÿr prescher :

        Souvent je suys capitulée44,

        Sy je voys tiltre ma télée45

        Sans mener varlet ou méquine46.

        Au retour me rompra l’échine.

                        LA  JEUNE

85    Est-il vray ?

                        LA  MARIÉE

                             Tousjours il rechine47

        Se je requiers cote ou corset.

        Nul ne congnoist quel descord c’est48.

        Il tient à chime et à racine49.

                        LA  JEUNE

        Est-il vray ?

                        LA  MARIÉE

                                Tousjours y rechigne.

90    Sy je demande estre gorierre50,

        Souflez51 ! Il tend le cul arierre52,

        Et le terme à deulx ans m’assigne.

                        LA  JEUNE

        Est-il vray ?

                        LA  MARIÉE

                              Tousjours y rechine.

                        LA  JEUNE

        Et quant y voyt la queue troussée53,

95    Large, espanye, damassée54,

        Et les beaulx pongnés55 de velou(r)s :

        Que dict-il ?

                        LA  MARIÉE

                               Il en est jaloux56.

                        LA  JEUNE

        Les chaînes tant bien avenantes,

        Et ces cordelières57 trainnantes

100  Un pié au-dessoublz des genoulx :

        Qu’en dict-il ?

                        LA  MARIÉE

                                  Il en est jaloux.

                        LA  JEUNE

        Aussy, quant il voyt ces signés58,

        Ces dyamans, ces moulinés59

        Esmaillés dessus et dessoublz :

105  Qu’en dict-il ?

                        LA  MARIÉE

                                  Il en est jaloux.

        Et m’en fault fuÿr tous les coups,

        S’y se monte à son vercoquin60.

                        LA  JEUNE

        C’est donques quelque viel taquin61

        Qui ne peult plus ses rains traŷner ?

                        LA  MARIÉE

110  C’est un droict amyrabaquin62,

        À luy veoir ses mos desruner63.

        Il me voulsit faire aruner64

        À son plaisir, et je ne daigne65.

                        LA  JEUNE

        Vous le voulsissiez gouverner66 ?

115  Je vous entens bien, ma compaigne :

        La chose trop67 plus vous engaigne.

                        LA  MARIÉE

        Pleust à Dieu qu’i fust à Coquengne68,

        En Lombardye ou en Espaigne !

        Tant que je l’alasse quérir,

120  L’ort vilain y deust conquérir

        Et gaigner pavyllons et tentes69.

                        LA  JEUNE

        Je voy bien, sans plus e[n]quérir,

        Que nous sommes des mal contentes.

.

                        LA  VEFVE 70  entre.                               SCÈNE  III

        Comment, mes belles filles gentes !

125  De quel lieu viennent ces complainctes,

        Vos regrés et piteuses plainctes ?

        Dictes-moy dont ce conseil sourt71.

                        LA  MARIÉE

        Par ma foy ! c’est conseil à sourt72.

        Le tiers73 y peult bien davantage.

                        LA  JEUNE

130  Voyez-vous bien ce bel ymage74,

        Ce corps traitif75, ces rains toufus ?

        Un chascun me deust faire hommage ;

        Le moindre76 faict, de moy, refus.

                        LA  MARIÉE

        Jamais sy empoinct je ne fus,

135  Ne sy friande à l’esperon77 ;

        Mais mon courage est tout confus,

        Quant je regarde mon baron78.

                        LA  JEUNE

        Y n’y a sy villain huron79,

        Sy lourdault ne sy vilagoys

140  — N’eust-il ne maison, ne buron80

        Qu’i me responde en ambagoys81.

                        LA  MARY[É]E

        Bref ! je feroye le feu grégoys82

        Et [je porteroys]83 le velou(r)s

        Autant que femme de bourgoys,

145  Sy mon mary [n’]estoyt jaloux.

                        LA  VEFVE

        Comment ! Je m’esbaÿs de vous,

        Ma jeune dame maryée :

        Vous estes mal aparellée84

        Avec ceste jeune mygnonne.

                        LA  MARIÉE

150  Plust à Dieu que je fusse nonne,

        Et je n’usse mary ne maistre !

                        LA  JEUNE

        Mais pleust à Marye la bonne

        Qu’il ne tensît qu’à la main mectre85,

        Et je fusse devant le prestre

155  Pour donner le consentement.

        Sy meschant ne pouroyt-il estre86

        Qu’i n’eust mon acord promptement.

                        LA  VEFVE

        Vous acordez bien durement87 :

        L’une veult son mary blasmer,

160  Et l’aultre meurt entièrement

        Qu’el88 ne trouve qui veult [l’]aymer.

                        LA  MARIÉE

        Que le myen fust gecté en la mer !

                        LA  JEUNE

        Et pleust à Dieu que j’en eusse un !

        Y seroyt bien dur à aymer,

165  Sy ne le mectoye bien à run89.

                        LA  VEFVE

        C’est un proverbe bien commun :

        Deuil de vielle90 n’est pas uny.

        L’un veult du blanc, l’aultre du brun.

        L’une dict « ouy », l’aultre « nenny91 ».

170  L’une souhaicte son mary

        Fringant, joyeulx et esbatant,

        Et l’autre a le cœur fort mar[r]y

        Que son mary luy dure tant.

                        LA  MARIÉE

        Par ma foy, c’est parlé contant92 !

                        LA  VEFVE

175  Hélas ! et j’avoys le meilleur,

        Et l’homme le plus travailleur,

        Bon preudhomme [le jour, vaillant]93

        [De nuict]. Hélas, y m’aymoyt tant !

        Et  quant il se trouvoyt à l’ouvrage94,

180  C’estoyt tout cœur et tout courage.

        Mauldicte puisse estre la Mort !95

                        LA  JEUNE

        Qu’avez-vous ?

                        LA  VEFVE

                                  Hélas ! il est mort.

        Pensez-vous, quant je m’en aloye

        À l’esbat là où je vouloye

185  Cheux mes antes96 ou [cheux] mes nyèces,

        Mais  que je raportasses mes pièces97

        Au soir ? [C’eust esté]98 le plus fort !

                        LA  JEUNE

        Qu’avez-vous ?

                        LA  VEFVE

                                   Hélas ! il est mort.

        Le regret m’en faict le cœur fendre.

                        LA  MARIÉE

190  Taisez-vous, nous ferons plus fort :

        Se voulez à moy condécendre99,

        Y nous le fault bruller en cendre,

        Afin qu’en ayons de l’engendre100.

                        LA  VEFVE

        A ! fille, qu’on te puisse pendre !

195  Tu dis cela pour [la revendre]101.

                        LA  MARYÉE

        Et moy, [ne m’oseroys]102 deffendre ?

               Suys-je d’un tel lieu103 venue,

               Pour estre ainsy court tenue

               De soir et de matin ?

200         Par Dieu qui fist la nue104 !

               J’en auray une venue105.

                        LA  VEFVE

            Elle entend bien son latin106.

                        LA  MARIÉE

               Je ne suys pas sy grue107,

               Sy je rencontre en la rue

205         Quelque beau palatin108,

               Que je ne le salue

               Ou que l’œuil ne luy rue109.

                        LA  JEUNE

           Elle entent bien son latin.

                        LA  MARIÉE

               Puysque je m’évertue,

210         Je seray revestue

               De cote de satin

               Et de robe tyssue ;

               Puys, s’il a deuil, sy sue110 !

                        LA  VEFVE

           Elle entent bien son latin.

                        LA  MARIÉE

215         Que sert oyseau en mue111 ?

               Y fault qu’on se remue

               Pour monstrer ce tétin,

               Ceste face tendue112

               Et facunde113 entendue.

                        LA  JEUNE

220     Elle entent bien son latin.

        Je voy bien à son advertin114

        Qu’el ne vient pas à son entente.

                        LA  MARIÉE

        Je voue à Dieu et sainct Martin

        Sy jamais fus[t] plus mal contente !

225  Et, afin que je vous contente,

        J’ey espousé le plus rongneux115,

        Le plus ort [et] le plus rafleux116

        Qui soyt d’icy à Pampelune.

                        LA  JEUNE

        Des mal contentes, j’en suys l’une.

                        LA  MARIÉE

230  Sy je veuil l’un, y veult de l’autre ;

        Et sy je veulx coucher au peaultre117,

        Y me contrainct coucher au lict.

        Bref ! jamais je n’y eustz délict118 :

        Tout ce que j’ayme luy répugne.

                        LA  JEUNE

235  Des mal contentes, j’en suys l’une.

                        LA  VEFVE

        Mais moy, j’en suys la principalle.

        Hélas ! je n’estoys pas sy palle119,

        Quant y vivoyt, le bon des bons :

        À pou près y faisoyt les bons,

240  De quoy recepvoys la vollée120.

                        LA  MARIÉE

        Y vous fault estre consollée.

                        LA  VEFVE

               Hélas ! j’estoye acollée

                      Et baisée

               Toutes foys qu’il me plaisoyt ;

245         Et  de plaisans mos consollée,

                      Apaisée121

               De ce qu’il me devisoyt.

               Jamais mot122 ne me diso[y]t

                      Nul qui soyt,

250         Ny parolle ne demye123,

               Synon « ma trèsdoulce amye ».

                        LA  MARYÉE

               Et j’ey le plus rigoureulx

                      Et rongneulx,

               Et le plus rébarbatif,

255         Le plus meschant orguilleux

                      En tous lieux,

               Qui soyt en ce monde vif ;

               Le plus ort, le plus poussif,

                      Excessif,

260         Dont en nul124 jour parler j’oye.

               Je n’ay de luy ne bien ne joye.

                        LA  JEUNE

               Hé,  mon Dieu ! [J’envoye ambassades]125

                      Et œuillades

               De mes yeulx rians et vers.

265         Je faictz petis saulz, jambades126

                      Et ambades

               De long, de hault, et  de travers.

               Mais je treuve amans pervers,

                      Au revers

270         De complaire à mes clamours :

               [J’essuye le refus]127 d’amours.

                        LA  VEFVE

               [De deuil suys inconsolable]128,

                      Povre vefve  mysérable

               Qui a son mary perdu.

                        LA  MARIÉE

275         Et  je suys celle [ qui s’acable

                      Que le diable

               Ne l’ayt ]129 au gibet pendu.

                        LA  VEFVE

               A,  dame, c’est mal entendu

                      [Et rendu.]130

                        LA  MARIÉE

280         Pourquoy est ? Mais le myeulx du monde !

               Car  je vous pry qu’on me responde :

        De quoy sert un mary folastre131,

        Le long d’un jour assis en l’astre132,

        À doller à tout son coustel133 ?

                        LA  JEUNE

285  C’est tout empeschement d’ostel134.

                        LA  MARIÉE

        S’on ne va que jusqu(e) à la porte135,

        Y fault que compte on luy raporte

        Que c’est qu’on veult, et tel et quel136.

                        LA  VEFVE

        C’est tout empeschement d’ostel.

                        LA  MARIÉE

290  Et s’on va jusques à l’église,

        Y fault, après, qu’on luy devise137

        Le lieu, la chapelle et l’autel.

                        LA  VEFVE

       C’est tout empeschement d’ostel.

                        LA  MARIÉE

        Ce m’est bien un glève mortel,

295  D’estre sy court tenue ainsy.

                        LA  VEFVE

        Hélas ! il n’estoyt pas aintel138,

        Le mien. Dieu luy face mercy !

        S’il me falloyt cela, cecy,

        Robes, chaperons deulx ou troys,

300  Je n’en estoys poinct en soulcy,

        [Quant mon mary estoyt icy.]139

                        LA  MARIÉE

        J’aroys plus140 tost de la vraye croys !

                        LA  VEFVE

        S’il me falloyt or ou argent,

        Ne joyaul41 qui fust exigent

305  Pour orner le corps ou les doys,

        Luy-mesmes estoyt diligent

        De venir parer mon corps gent.

                        LA  MARIÉE

        J’aroys plus tost de la vraye crois !

                        LA  VEFVE

        Sy j’eusse désiré(e) avoir

310  [De la lune]142, ou Paradis voir,

        Je le cuyde et ainsy le crois

        Que luy-mesmes eust faict debvoir

        D’en chercher et de m’en pourvoir.

                        LA  MARIÉE

        J’aroys plus tost de la vraye croys,

315  Ou des reliques sainct Françoys

        — Qu’on doibt orer143 à deulx genoulx —

        Que je seusse trouver à choys144

        Un145 mary qui ne fust [bon galoys]146.

                        LA  VEFVE

        C’est pire que chasser [aulx loups]147.

                        LA  JEUNE

320  Hélas ! je poursuys et pourchasse148 ;

        Et en chassant, je faictz ma chasse

        Sur les beaulx corps plaisans et doulx.

        Mais, quelque chose que je face,

        Faulx Danger vient149, qui me déchace.

                        LA  VEFVE

325  C’est pire que chasser aulx loups.

                        LA  MARIÉE

        Je chasse devant et dèrière150

        Que mon mary me fist gorière,

        En l’esjouyssant tous les coups ;

        Mais tant plus chasse à sa barière151,

330  Et plus tire le cul arière152.

                        LA  VEFVE

        C’est pire que chasser aulx loups.

        Seurement y tient plus qu’à cloux153,

        L’argent du faulx154 villain infâme.

                        LA  JEUNE

        Vilains de leurs biens ainsy gloux155

335  Ne feront156 jamais bien à femme.

        Non obstant, je prens sur mon âme :

        Ne m’en chauldroyt, fût [droict ou tort]157,

        Crocheu158, contrefaict, laict ou ort159,

        Mais c’un seul m’apelast sa mye.

                        LA  MARIÉE

340  Qui emprunte ne choisit mye160.

                        LA  JEUNE

        Que me chauldroict-il de quel âge,

        De bonne ville ou de village,

        Mais qu’il entretînt mes estas

        Et j’eusse des joyaulx à tas,

345  Avèques la croste et la mye161 ?

                        LA  VEFVE

        Qui emprunte ne choisit mye.

                        LA  JEUNE

        Ce m’est tout un, jeune ou vefvyer162,

        Villain ou portant esprevyer163,

        Mais que j’en menasse un en lesse164.

350  Quant je voy c’un chascun me lesse,

        Je n’ay plaisance ne demye165.

                        LA  MARIÉE

        Qui emprunte ne choisit mye.

                        LA  VEFVE

        Mydieulx  non. Et puys, ma gentil mygnonne,

        Quoy que la derrée soyt bonne,

355  Il y vient sy pou166 de marchans,

        Tant de la ville que des champs,

        Qu’on ne sçayt y167 avoir recours.

        Marchandise n’est poinct de cours168,

        Puys est peu de telle derrée.

                        LA  MARIÉE 169

360  Vous faictes trop de la serrée170 !

        Y fault hanter où on171 les vent.

                        LA  JEUNE

        En plain marché, le plus souvent,

        J’estalle ma desrée en vente.

                        LA  VEFVE

        Vous congnoissez quel vent y vente172 ?

                        LA  JEUNE

365  Je congnoys ce que je congnoys.

                        LA  MARIÉE

        A ! sy j’avoye un tel mynoys…

                        LA  JEUNE

        A ! sy j’avoye un tel corps sage173,

        Je ne donneroys un tournoys

        [D’un homme qui tordît]174 visage.

                        LA  MARIÉE

370  J’ey du voulloir.

                        LA  JEUNE

                                   J’ey du courage.

                        LA  MARIÉE

        J’ey du maintien.

                        LA  VEFVE

                                     Mais du raceuil175.

        Et sy, avez, pour faire rage

        À tous venans, un regard d’euil176.

                        LA  MARIÉE

        Enterré fust-il soublz le seuil !

                        LA  JEUNE

375  Qui ?

                        LA  MARIÉE

                 Qui, dea ?  Le jaloux [contrariant177].

        S’y vouloyt faire tout mon veuil178,

        Mon cœur ne seroyt récréant179 :

        G’yroie jouant, chantant, riant,

        En grans banqués180 et en ris[é]es.

380  Or181, le faulx jaloux mescréant

        Me faict desvyder mes fuzées182.

                        LA  JEUNE

        Sommes-nous pas mal aryvées183 ?

                        LA  VEFVE

        Sommes-nous loing de nos ententes184 !

                        LA  MARIÉE

        À ouÿr nos plainctes pryv[é]es,

385  Nous sommes troys des mal con[ten]tes.

.

                        LA  RELIGIEUSE  entre.                        SCÈNE  IV

        Je voy troys povres pénitentes185,

        Troys povres dames escartées186

        Qui me semblent fort esgarées187,

        À oïr leurs regrés piteux.

390  L’amant seroyt bien merveilleux,

        S’y se trou[v]oyt dessoublz leurs elles188.

.

        Dieu gard les belles damoyselles !                               SCÈNE  V

                        LA  JEUNE

        Et Dieu gard la religieuse !

                        LA  MARIÉE

        Ma belle dame gracieuse,

395  Je pry Dieu qu’il vous doinct confort 189 !

                        LA  VEFVE

        Et vous face victorieuse

        S’un conquérant vous faict effort190 !

                        LA  RELIGIEUSE

        Par Nostre Dame de Montfort !

        Mais vous191, mes trèsgentes mignonnes !

400  Vous sçavez bien qu’entre nos192, nonnes,

        Bénignes dames enmurées193,

        Sommes à tousjours demourées194,

        Sans195 jamais du lieu ne vider.

                        LA  VEFVE

        Ainsy vous veuille Dieu ayder !

                        LA  RELIGIEUSE

405  Vous sçavez qu’au lieu où nous sommes

        Il n’y hante grans gentilz hommes,

        Synon le prestre chantant messe,

        Qui a faict serment et promesse196

        De jamais rien nous demander.

                        LA  JEUNE

410  Ainsy vous veuille Dieu ayder !

                        LA  RELIGIEUSE

        Vous sçavez (ce n’est pas nouvelle)

        Que nous avons au chef le velle197

        Comme espouse[s] de Saincte Église.

        Pour aymer, nus ne nous élise198 !

415  On y auroyt beau procéder199.

                        LA  VEFVE

        Ainsy vous veuille Dieu ayder !

        Ma dame, que vous dictes vray !

        Çà, çà, je vous entretiendray200,

        Puysque vous venez à la bende201 :

420  Par vostre foy, à la prébende

        Ou au monastère d’Amours202,

        De quoy faictes-vous vos clamours203 ?

        Y vous fault chanter [messe] à l’heure.

                        LA  RELIGIEUSE

        Matines sont de chante-pleure204,

425  Des regrés, des soupirs205 d’euillades,

        Des petis remors de ballades206 ;

        Et la messe, de piteux chans ;

        Les Vespres, des regrés perchans207 ;

        Et toute doulleur à Complye208.

                        LA  VEFVE

430  Quoy ! n’est poinct l’église remplye

        De prime, tierce, siste, nonne209 ?

                        LA  RELIGIEUSE

        Il n’y a sy petite nonne

        — Soyt prieure, dame ou novice210

        Qui ne soyt subjecte au service.

435  Nous chantons de jour et de nuict,

        Et levons souvent à mynuict :

        Se fault lever quant le sainct211 sonne.

                        LA  MARIÉE

        Je l’entens bien : c’est en personne.

                        LA  RELIGIEUSE

        Aussytost que le secrétain212

440  Ouvre l’huys, c’est pour tout certain :

        Y fault afluber sa couronne213.

                        LA  VEFVE

        Je l’entens bien : c’est en personne.

                        LA  RELIGIEUSE

        Sy le clerq ou le chapelain

        Veult carilonner tout à plain214,

445  Y fault que secours on luy donne.

                        LA  MARIÉE

        Je l’entens bien : c’est en personne.

                        LA  RELIGIEUSE

        Y ne fault plus qu’on en blasonne215 :

        Il ne tient ny à roy ny à roq216.

        S’une foys, de hanche ou de croq217,

450  Je pouvoys trouver mes partyes218,

        Le voyez-vous, ce maistre froq ?

        Je le gecteroys aulx ortyes219 !

                        LA  VEFVE

        Nous endurrions220 le coup d’estoq,

        S’ainsy nous estions convertyes221.

                        LA  RELIGIEUSE

455  Je vous jures, coquery coq222 !

        Je le gecteroys aulx orties.

        Quoy ! nous sommes plus amortyes223,

        Plus pasles, plus défigurées224,

        Entre nos, povres enmur[é]es,

460  Que se l’âme estoyt hors du corps.

                        LA  MARIÉE

        Le feu n’en est pas encor hors.

                        LA  RELIGIEUSE

        À nous veoir ainsy desguis[é]es,

        Nous sommes des gens desprisées225,

        Et banyes [d’amoureux recors]226.

                        LA  JEUNE

465  Le feu n’en est pas pourtant hors.

                        LA  RELIGIEUSE

        Il y a troys [quartiers de]227 l’an

        Qu(e) on ne veoit que messire Jehan228

        Ou deulx clers qui sont lais et ors229.

                        LA  MARIÉE

        Le feu n’en est pas pourtant hors.

470  Je l’entens bien, dame nonnète :

        Vous voulsissiez que l’eau benoiste230

        Se fist quatre foys la semaine.

                        LA  RELIGIEUSE

        Quoy ! suis-je pas aussy honneste

        Comme est ma cousine germaine ?

475  Aussy femme, et aussy humaine231 ?

        De beaulx membres et de corps sage ?

        Que la senglante Mort amaine232

        Qui premyer en fist le message !

                        LA  VEFVE

        Y n’est estat que mariage.

                        LA  RELIGIEUSE

480  C’est estat de salvation233.

        Mourir puist-il de male rage,

        Qui234 me mist en religion !

                        LA  MARIÉE

        Et, par Dieu ! Soublz corection235,

        Quant tout est bien solicité,

485  On faict bien sa confession,

        Debsoublz le bénédicité236.

                        LA  VEFVE

        On trouve bien l’invention237

        C’un beau Père soyt incité238 ;

        On faict bien sa commission239,

490  Dessoublz le bénédicité.

                        LA  MARIÉE

        Et par bonne excusation,

        Tout le monde est de parenté240

        Pour couvrir la conception241

        Dessoublz le bénédicité.

                        LA  RELIGIEUSE

495  Mon Dieu, que c’est bien récité,

        Fust-il escript en parchemin242 !

        Eussiez-vous, [en sy]243 bon chemin,

        Une année toute acomplye ?

                        LA  JEUNE

        Et  pourquoy ?

                        LA  RELIGIEUSE

                                  Pour aller à Complye

500  Et puys se lever à Matines244.

        Pas n’auriez ainsy les tétines

        Ne les mynes sy reluysans.

                        LA  MARIÉE

        Vresbis245 ! les vos sont plus plaisans,

        Plus petis et myeulx redréchés246

505  Que les nostres.

                        LA  RELIGIEUSE

                                     Vous gaudissez247 !

                        LA  VEFVE

        Quant vous vous trouvez sur les champs248,

        Vos regardz sont aussy perchans

        Et aussy en parfons fichés249

        Que les aultres.

                        LA  RELIGIEUSE

                                    Vous gaudissez !

                        LA  JEUNE

510  Sur vos beaulx yeulx et fins, flambans250,

        Vous avez vos crévechers251 blans

        Là où sont vos cheveulx tressés252.

        Est-il pas vray ?

                        LA  RELIGIEUSE

                                    Vous gaudissez

        De la povre religieuse,

515  La plus triste et [plus] ennuyeuse253

        Qui soyt sur terre, à mon entente254.

                        LA  MARIÉE

        Vous estes donques mal contente ?

                        LA  RELIGIEUSE

        Hélas, mon Dieu ! que suys-je donques ?

        Je le suys bien, s’il en fust onques.

520  Et sy, est mon mal incurable.

                        LA  MARIÉE

        C’est une chose incomparable :

        Voécy ceste belle mygnonne

        Qui se souhaictoyt255 estre nonne

        Pource qu’el n’a poinct d’amoureulx.

525  Et voicy, auprès de nos deulx,

        Une vefve toute esplourée,

        Mal contente et désespoirée

        Qu’elle a perdu son bon mary.

                        LA  RELIGIEUSE

        Et vous, quoy ?

                        LA  MARIÉE

                                   J’ey le cœur mar[r]y

530  Encontre mon vilain jaloux.

        Que fust-il estranglé des loups,

        Et qui256 le premyer m’en parla !

                        LA  RELIGIEUSE

        Ceste maladye tient à tous257 ;

        Ne prenons poinct garde à cela.

                        LA  VEFVE

535  C’est pis que le mal de la toux :

        Y nous fault tous passer par là.

                        LA  RELIGIEUSE

        C’est assez devisé, holà !

        Assez avons de telz parentes258 :

        On trouve deçà et delà

540  Un plat fourny259 de mal contentes.

                        LA  MARIÉE

        S’il y a feste ne banquet

        Où soyent mys pavillons ou tentes,

        Vous y trouverez au caquet260

        Un plat fourny de mal contentes.

                        LA  JEUNE

545  Quant filles sont sur le banquet261,

        S’ilz ne viennent à leurs ententes262,

        Vous lèveriez263, pour un bouquet,

        Un plat fourny de mal contentes.

                        LA  VEFVE

        Ces langues à demy-cliquet264,

550  Plus afil[é]es que serpentes265,

        Y trouvent bien pour un niquet266

        Un plat fourny de mal contentes.

                        LA  RELIGIEUSE

        Poissonnyères ont peu d’aquest267,

        Sy ne parviennent à leurs ventes ;

555  Vous trouverez dens leur baquet

        Un plat fourny de mal contentes.

.

                        LA  VEFVE 268

        Seigneurs, pour éviter caquet,

        Nous vous donrons lestres patentes269

        Qu’on a trouvé en plain Parquet270

560  Un plat fourny de mal contentes.

        En prenant congé de ce lieu,

        Une chanson pour dire adieu ! 271

.

                                     FINIS

*

1 Chanson inconnue, dont nous avons sans doute un deuxième extrait au vers 67. La présence de chansons et le congé final prouvent que ce débat fut joué au théâtre.   2 LV : mais   3 LV : je  (Que je suis malchanceuse. « Mal suis fortunéz. » Le Ribault marié.)   4 Et pourtant. Idem vers 15, 372 et 520.   5 LV : quinse  (« J’ey quinze ans, ce n’est que fleur d’âge. » La Fille esgarée.)   6 Il y a de quoi enrager.   7 Sans risquer de prendre une gifle.   8 Mieux que nulle au monde.   9 LV : inconstance  (Mon incapacité à perdre mon pucelage. « Virginité par impotence de nature. » Oresme.)   10 Les vieilles arbalètes avaient beaucoup moins de puissance que les modernes.   11 On m’a tenue quitte de mes désirs.   12 Une grande contrariété. Cf. Raoullet Ployart, vers 142 et note.   13 Ce sarcasme.   14 LV : scoreoyt   15 LV : le  (Si nous parlions entre nous.)   16 Prétentieux. « Sot oultrecuydé. » Sermon pour une nopce.   17 À malin, malin et demi : Vous êtes plus maline que moi. Cf. les Maraux enchesnéz, vers 115.   18 LV : asote  (Qu’il est fou de moi. Cf. le Dorellot, vers 265.)   19 Dissimulé dans l’ombre du faîte d’une maison. Cf. le Gentil homme et Naudet, vers 13.   20 Qui me reluque du coin de l’œil.   21 LV : boste  (« On appelle un vilain botté un homme de ville qui a des bottes, à cause que cela n’appartenoit autrefois qu’aux nobles qui alloient à la guerre…. On appelle par injure un méchant cavalier un villain botté. » Furetière.)   22 Un malpoli.   23 Un paresseux. « Les personnes qui se trouvent de repos & de la confrarie de Jean de Loisir. » Les de Relais.   24 Vous avez l’embarras du choix.   25 Tant de mendiants devant une porte. On se méfiait de ceux qui opéraient en équipe : cf. les Bélistres, vers 171-2.   26 Noyé dans un puits s’il ne peut jouir de moi.   27 LV : les   28 Ma borne : à quelle hauteur je prétends placer la barre.   29 C’est-à-dire ?   30 Ma fraîche denrée féminine. Idem vers 354, 359 et 363. Cf. le Trocheur de maris, vers 164.   31 Y met de l’argent, me paye. « Je n’y mettroye pas ung niquet. » Cautelleux, Barat et le Villain.   32 Pour parvenir à ses fins.   33 Que je m’abandonne à lui.   34 LV : et  (Ce n’est pas ce que je recherche.)   35 Je le suis. « Se suis mon ! » La Résurrection de Jénin Landore, et Jolyet.   36 Tirée de mon ennui, de ma peine.   37 Il manque un vers en -oys et un vers en -ry.   38 Les coucous. Ce calembour est banal : « En ces boys qui sont si vers (…),/ C’est ung plaisir d’estre à l’envers/ Pour ouÿr chanter le coqu. » Farce de quattre femmes, F 46.   39 Serrée de près.   40 LV : aceuillye a tencer  (Que mon mari ait à cœur, un jour, de se fiancer avec vous.)   41 LV : vous en eusies  (Et vous auriez 23 coups de poing.)  La précision du nombre est comique : « Tu auras des coups plus de huit ! » Grant Gosier.   42 LV : je fuse  (Et ce serait.)   43 Ironique : Vous l’aimez si peu.   44 Chapitrée par mon mari.   45 Si je vais tisser ma toile chez une voisine. Cf. les Femmes qui font refondre leurs maris, vers 160-1.   46 Un valet ou une servante, pour me surveiller. Le vers qui suit est de trop : ces 3 quatrains riment en aabB.   47 Il rechigne, il refuse de payer.   48 LV : set  (Quel désaccord il y a entre nous.)  « Je n’ay pas ung povre corset./ Nul ne congnoist quel discord c’est. » Calbain.   49 Mon mari tient par la cime et par la racine : il est obstiné. « Il i tient à cisme et à racine. » Bib. mun. Lille.   50 LV : porierre  (À être élégante. Idem v. 327.)  La Gorrière est un personnage de la Farce de quattre femmes (F 46), qui n’est pas sans rapport avec la nôtre ; par exemple, la dernière à entrer n’est autre que la Théologienne, comme c’est ici la Religieuse.   51 Causez toujours ! Cf. Deux hommes et leurs deux femmes, vers 368.   52 Il recule. Idem v. 330.   53 La traîne cousue derrière le col de votre robe, et dont le bout est troussé sous la ceinture. Voir les Queues troussées.   54 Épanouie, et tissée à la façon du damas.   55 Les poignets désignent le bas des manches.   56 Il en devient jaloux : il croit que je me pare ainsi pour séduire d’autres hommes.   57 Ces ceintures de soie.   58 Les signets sont des bagues surmontées d’un sceau. Cf. Beaucop-veoir et Joyeulx-soudain, vers 128.   59 Les moulinets sont probablement des broches. « Un petit moulinet d’or garni de perles. » Godefroy.   60 S’il prend la mouche. « Et quant le ver coquin au front le picque,/ Il romproit tout, s’il n’estoit enchêné,/ L’homme enragé. » ATILF.   61 Un vieux grigou. Cf. Jehan de Lagny, vers 294.   62 C’est un vrai barbare, comme le sultan Bajazet Ier. Voir la note 192 des Trois amoureux de la croix.   63 À le voir jeter des mots désordonnés, qui sont le contraire des « mos arunés » (le Monde qu’on faict paistre, vers 390).   64 Il voudrait me ranger. Cf. le Cousturier et le Badin, vers 86. Ceux qui ont lu desrimer et arimer ont mal lu : le scribe n’a pas surmonté ces prétendus « i » d’un accent aigu, comme il le fait partout ailleurs.   65 Je ne l’accepte pas.   66 Vous voudriez le gouverner ?   67 LV : qui  (Vous irrite beaucoup.)   68 Au pays fabuleux de Cocagne.   69 Ce sale bouseux aurait le temps d’y conquérir les campements de tous nos ennemis. Les pavillons et les tentes reviennent au vers 542, mais dans un contexte moins guerrier.   70 La veuve porte un costume de deuil, comme celle qui est coiffée de noir sur cette gravure.   71 La raison de cette assemblée.   72 C’est un dialogue de sourds.   73 Un troisième intervenant.   74 Ce corps de statue. La fille soulève sa robe pour se montrer sous tous les angles à la veuve et au public.   75 Bien tourné. On croirait entendre la belle Heaumière de Villon évoquer son « cler vis traictiz » et « ces larges rains ».   76 L’homme le plus minable.   77 Ni si gourmande d’être chevauchée.   78 Mon époux tyrannique. Voir la note 5 de l’Amoureux.   79 Sauvage. Cf. Daru, vers 304.   80 Ni cabane. « Il n’[y] a ne maison, ne buron. » ATILF.   81 En ambageois = avec des ambages, des circonvolutions trompeuses. « Il respont tout par enbagés. » Le Messager et le Villain.   82 Le feu grégeois, sorte de bombe incendiaire, symbolise la flamme amoureuse. Cf. le Povre Jouhan, vers 133.   83 LV : gouuerneroys  (« Johannès porte le velours. » Science et Asnerye.)   84 Appareillée, assortie.   85 Qu’il ne tienne qu’à mettre ma main dans celle d’un homme pour sceller nos fiançailles. Double sens : Qu’il ne tienne qu’à mettre ma main dans sa braguette. « Elle commença à mettre la main sur son braquemard. » Gabriel Chappuys.   86 Mon fiancé ne pourrait être si misérable.   87 Vous vous accordez bien mal, toutes les deux.   88 LV : quil  (Voir les vers 222 et 524.)   89 Si je ne le mettais au pas. « C’est dommaige/ Que ne mettons villains en run. » Mallepaye et Bâillevant.   90 Chaque vieille femme a son deuil à elle. « Chascune vieille son dueil plaind. » Cotgrave.   91 LV : nennyn   92 Comptant, comme dans la locution « payé comptant ».   93 LV : bon trauaillant   94 Quand il accomplissait « l’ouvraige de rains ». Les Botines Gaultier.   95 La veuve s’évanouit dans les bras de ses compagnes. Ses jérémiades rappellent celles de la Veuve juste avant qu’elle n’épouse son jeune et vigoureux valet : « J’ey le cueur marry (…) de mon deffunt mary,/ Du bon Roger, dont Dieu ayt l’âme !/ Car c’estoyt le meilleur, pour femme. »   96 Chez mes tantes. Cf. l’Antéchrist, vers 16.   97 Que je rapportais à la maison l’ouvrage que j’avais filé, pour prouver à mon mari que je n’avais pas fait autre chose.   98 LV : cestoyt  (La veuve s’évanouit à nouveau.)   99 Si vous voulez me faire plaisir.   100 Nous devons réduire votre défunt en cendres, afin que nous en ayons un autre de la même race que lui. Allusion au phénix, qui renaît de ses cendres. La veuve se redresse brusquement.   101 LV : ta reuenge  (Tu veux revendre la cendre de mon mari aux autres femmes.)   102 LV : je noseroys  (Je n’oserai pas me défendre ?)   103 D’un mauvais lieu, d’un bordel. « Je ne suis point du lieu venue ! » L’Amoureux.   104 Le ciel.   105 Un accouplement. « N’aurions-nous poinct une venue/ D’une de voz brus toute nue ? » Les Brus.   106 Elle connaît ses intérêts. « Nous entendons nostre latin. » Le Capitaine Mal-en-point.   107 Pas si dinde. « Je n’estoye pas si grue. » Les Maraux enchesnéz.   108 Courtisan.   109 Ou que je ne lui jette une œillade.   110 Si mon jaloux en a du dépit, qu’il l’évacue en suant à grosses gouttes !   111 À quoi sert un oiseau en cage ? « Chappons en mue. » Les Sotz ecclésiasticques.   112 Sans rides.   113 Cette faconde, cette éloquence.   114 À sa furie. Cf. Serre-porte, vers 216 et note.   115 Galeux. Idem v. 253.   116 Le plus sale et le plus galeux. « Je suis si ord et si raffloux. » ATILF.   117 Sur une paillasse, pour ne pas devoir partager son lit. « Jényn couchoit au peaultre. » La Résurrection Jénin à Paulme.   118 Je n’y aurais de plaisir.   119 La pâleur des femmes dénote un manque d’activité sexuelle, comme au vers 458. Cf. les Chambèrières qui vont à la messe, vers 68-69 et note.   120 Les bonds et la volée sont des termes du jeu de paume qui sont vite passés dans le langage érotique.   121 LV : y aisee   122 Un mot désagréable.   123 Ni même la moitié d’une. Idem v. 351.   124 LV : un  (Dont j’aie jamais entendu parler.)   125 LV : jauoye balades  (Une ambassade est un clin d’œil. « Vostre œil mignon feriez embassadeur. » Jardin de Plaisance.)   126 Sortes de ruades. « Le cheval (…) vient à faire jambades,/ Bondissementz, soupplessaultz & pennades. » (Guillaume Haudent.) Les ambades sont des farandoles : « De ce vent qui faict ceste ambade. » Sermon joyeux des quatre vens.   127 LV : je suys le resus   128 LV : jesuys de deuil lincomparable   129 LV : coupable / qui souhaicte estre capable / du myen  (Je refais sous toutes réserves ces 3 vers faux et dépourvus de sens.)  « Le grant deable l’en puisse pendre ! » Les Trois amoureux de la croix.   130 Vers manquant. Entendre les plaignants et rendre un jugement sont les deux mamelles de la Justice. « Mais qu’il ayt le cas entendu,/ Tantost sentence aura rendu. » Le Pauvre et le Riche.   131 À moitié fou.   132 Devant la cheminée.   133 En train de sculpter une bûche avec son couteau.   134 C’est un embarras dans la maison. Jeu de mots sur « empêchement d’autel » : en droit, l’empêchement est un fait qui peut empêcher un mariage (à l’autel de l’église).   135 Même si je ne vais pas plus loin que notre porte.   136 Il faut que je lui rende compte de ce que je veux faire, et ceci, et cela.   137 Que je lui précise.   138 Ainsi, tel. Cf. Messire Jehan, vers 95.   139 Vers manquant. (Ces 3 sixains riment en aabaaB.) « Se mon mary estoit icy. » Le Pardonneur.   140 LV : pleust  (Voir les refrains de 308 et 314.)  J’aurais plus vite un morceau de la vraie croix de Jésus.   141 LV : jouyau  (Voir le v. 344.)  « Exigent » était encore un substantif : un exigent est une nécessité.   142 LV : des nues  (« Il auroit plustost de la lune ! » Les Botines Gaultier.)   143 Adorer. Les reliques de saint François d’Assise étaient un sujet de plaisanterie : Frère Guillebert fait s’agenouiller les bigots pour adorer, en guise de relique, des braies puantes qu’il attribue au saint homme.   144 Plutôt que de pouvoir trouver au choix.   145 LV : mon   146 LV : jaloux  (Ces 3 sixains riment en aabaaB.)  Un bon galois est un bon compagnon, généreux. « Tel porte face d’estre chiche/ Qui non pourtant est bon galloys. » Guillaume Alécis.   147 LV : gõloups  (Voir les refrains de 325 et 331.)  Il est encore plus difficile d’attraper un bon mari que d’attraper un loup avec un piège à loups. Cela dit, on peut « prendre un loup par la queue » (Antoine Oudin), tout comme le mari du vers 153.   148 Je recherche.   149 LV : veult  (Ce sournois danger est un personnage très négatif de la poésie allégorique : « Que Faulx Dangier, vostre adversaire. » Rondeau.)   150 Je cherche à obtenir par tous les moyens.   151 Plus je le pousse dans ses retranchements. C’est une expression militaire.   152 Et plus il recule. Idem v. 91. « Ne tire point le cul arrière ! » Le Fol et la Folle.   153 Il tient plus solidement que si sa bourse était clouée.   154 Perfide. Idem vers 324 et 380.   155 Gloutons, avides.   156 LV : seront  (« Et ceulx qui du bien luy feront. » L’Aveugle et Saudret.)   157 LV : tort ou droict  (Correction d’André Tissier : Recueil de farces, t. IX, 1995, pp. 297-364. Ces 3 sixains riment en aabbcC.)  Peu m’importerait que mon ami soit droit ou tordu.   158 Voûté.   159 Laid ou sale. Idem v. 468.   160 « Tel que vous le pourrez avoir./ Qui emprunte ne choisist mye. » Farce de Pathelin.   161 Avec la croûte et la mie : avec tout ce dont j’ai besoin, notamment d’un point de vue sexuel.   162 Veuf.   163 Roturier, ou noble qui chasse en portant un épervier sur son poing.   164 Pourvu que j’en mène un en laisse.   165 Ni même la moitié.   166 Il vient si peu de marchands de maris. On en trouve un dans le Trocheur de maris, la farce qui précède la nôtre dans le ms. La Vallière.   167 LV : en  (Il est possible de corriger : En avoir secours.)  Qu’on ne saurait recourir à eux.   168 Cette marchandise n’a plus cours.   169 À la pucelle.   170 Vous parlez comme une pucelle. « On sçaura qui fait la serrée,/ Et qui franche [libérale] est de sa derrée. » Saincte-Caquette.   171 LV : nous  (Il faut fréquenter les endroits où l’on vend des maris.)   172 Vous savez ce qui s’y passe ? Les foires, où les marchands et les acheteurs allaient sans leur femme, attiraient des prostituées.   173 Le corsage désigne le corps, et plus rarement la poitrine : cf. les Sotz fourréz de malice, vers 220.   174 LV : a homme qui portit  (Je ne donnerais pas un sou d’un homme qui me dédaignerait.)   175 Et même, vous êtes accueillante.   176 Une œillade.   177 Mot manquant. « Et aucuns sont [Il y a des hommes] qui, tout au contraire, sont contrarians en toutes choses. » (ATILF.) Contrariant rime à la manière normande avec récriant, riant et mécriant.   178 Toutes mes volontés.   179 À bout de force. « Je n’avoye cueur récréant ne failly. » Octovien de Saint-Gelays.   180 On reparle au vers 541 de ces banquets où les femmes sérieuses évitent d’aller. Voir Régnault qui se marie, vers 131-5.   181 LV : ou  (Faux = sournois. Mécréant = soupçonneux, qui ne croit pas sa femme.)   182 LV : fuzes  (« Va desmesler tes fuzées ! » L’Antéchrist.)  M’oblige à filer ma quenouille : c’est l’activité principale d’une bourgeoise honnête.   183 LV : aryues  (Mal tombées.)   184 De nos premières intentions.   185 D’après André Tissier, « penitent a ici son sens étymologique latin : “qui est mécontent, qui a du regret” ».   186 LV : esgares  (à la rime.)  À l’écart.   187 LV : esgares  (Perturbées. « Quelque chambèrière esgarée. » Tout-ménage.)   188 Ce serait merveilleux qu’elles trouvent un amant sous leur aile, comme une poule y trouve un poussin.   189 Jeu de mots pour banquets de noces : Que Dieu vous donne un sexe endurant. « Dieu te doint ung bien bon “confort”,/ S’il advient que trop grant effort/ Te face, la nuyt, ton mary ! » Sermon pour une nopce.   190 Si un soldat vous prend de force. La littérature anticléricale montre des nonnes peu effarouchées par l’intrusion de la soldatesque ennemie. « Sœur Monique s’écrie : “Eh bien !/ Quand est-ce donc que l’on viole ?” » J.-F. Guichard.   191 Que Dieu vous l’accorde plutôt à vous !   192 Entre nous. Même normandisme aux vers 459 et 525.   193 LV : amures  (Voir le v. 459.)  Douces dames murées, cloîtrées.   194 LV : demoures  (Nous sommes là pour toujours.)   195 LV : et  (Sans jamais abandonner le cloître.)   196 Vœu de chasteté. Visiblement, notre religieuse ne vit pas dans le même couvent que Sœur Fessue   197 Un voile sur la tête.   198 Que nul homme ne nous choisisse.   199 On aurait beau faire : toutes les tentatives seraient vaines.   200 Je vous pose la question.   201 Puisque vous rejoignez notre coterie.   202 La phraséologie courtoise voyait l’amour comme une dévotion. « (Son Éminence) luy fit demande à son tour/ De quelque prébende d’amour. » Le Mercure burlesque.   203 De quel droit allez-vous vous plaindre ?   204 De plaintes.   205 Des souvenirs.   206 Le regret des ballades que les galants composent pour leur belle. Voir la Réformeresse, vers 243-7.   207 Perçants. Même prononciation normande à 507.   208 Aux complies : à l’office du soir, après les vêpres. Idem v. 499.   209 Les heures de prime, de tierce, de sexte et de none rythment, par les prières qu’on y associe, la vie monotone du couvent.   210 LV : nonne  (Correction Tissier.)  Une novice est une jeune entrante qui n’a pas encore prononcé ses vœux.   211 Le seing, la cloche. « Quant le gros sainct si sonnera,/ Bien temps sera de vous lever. » ATILF.   212 Que le sacristain.   213 LV : guerronne  (Affubler = coiffer : « Affublez ces chappeaulx. » La Folie des Gorriers.)  La couronne désigne le frontelet, un bandeau dont les religieuses ceignent leur front en souvenir de la couronne d’épines. C’est l’équivalent féminin de la couronne [tonsure] des moines.   214 Veut sonner toutes les cloches.   215 Qu’on en plaisante.   216 Cela ne dépend de personne. (Le roi et le roc [la tour] sont des pièces du jeu d’échec.) « Il ne tenoit de roy ne de rot. » ATILF.   217 D’une manière ou d’une autre. Cf. les Tyrans, vers 23.   218 Toucher ma part d’héritage. Les héritiers mâles étaient plus avantagés que leurs sœurs, et les sœurs aînées plus que leurs cadettes. « Filles (…), vous eussiez eu vostre partie, ne fust la fausseté de vostre père, qui vous et moy a mis en grant misère sans fin. » (ATILF.) Les filles spoliées de leur héritage ne pouvaient se constituer la dot qui leur eût permis de trouver un époux ; il ne leur restait plus qu’à entrer au couvent ou au bordel. Ou au service d’un maître qui abusait parfois de ses prérogatives.   219 Je serais défroquée. « Mon froc ay gecté aux ortys. » Les Povres deables.   220 LV : andurions  (Le conditionnel normanno-picard use volontiers du « r » géminé. « Mais ainchoys [plutôt] endurrions-nous le plus grant tourment que oncques gens firent. » Jehan le Bel.)  Nous préférerions endurer un coup d’épée.   221 Si nous étions ainsi converties de force.   222 Cocorico ! Cette interjection belliqueuse représente le coq qui monte sur ses ergots pour attaquer. Cf. le Pardonneur, vers 138 et 156.   223 Plus anéanties.   224 LV : defigures  (Méconnaissables.)   225 LV : desprises  (Nous sommes méprisées par les gens.)   226 LV : damours remors  (Des entretiens amoureux. « Et de Vénus les amoureux recors. » Lancelot Carles.)   227 LV : partys a  (Les trois quarts de l’année. « Par chascun an, et par trois quartiers de l’an. » ATILF.)   228 Partout ailleurs, c’est l’une des incarnation de l’ecclésiastique paillard et sans scrupule. Voir par exemple Messire Jehan.   229 Laids et sales.   230 L’eau bénite désigne le sperme lancé par le « goupillon » du curé. « Vostre eaue béniste bien ne coulle,/ Domne Johannès : jettez fort ! » (Les Chambèrières qui vont à la messe de cinq heures pour avoir de l’eaue béniste.) Les Normands prononçaient « bénète » : cf. le Retraict, vers 429.   231 Tartuffe dira : « Ah ! pour estre dévot, je n’en suis pas moins homme. »   232 Emmène, emporte le premier qui l’a prétendu.   233 Les épouses peuvent accomplir le devoir conjugal tant qu’elles veulent, elles seront sauvées le jour du Jugement dernier.   234 Celui qui. Voir la note 218.   235 Sauf erreur. « Soubz correction, (elle) ne pouvoit dire qu’elle eust esté surprise. » 53e Arrest d’Amours.   236 Sous le secret de la confession. Martial d’Auvergne fait parler un confesseur : « Dire me povez hardiment,/ Cy, soubz le Bénédicité,/ Vostre vouloir et pensement. »   237 On peut bien trouver le moyen.   238 Soit incité à commettre le péché de la chair.   239 LV : confession  (Influence du vers 485.)  L’action de confier ses péchés au confesseur. Double sens : l’action de commettre une faute. La « commission de l’adultère » fut longtemps une des gourmandises du prétoire.   240 Est d’accord.   241 LV : condition  (Le fait d’avoir conçu un enfant.)  À la fin de Sœur Fessue, tout le monde pardonne à la religieuse enceinte, et parodie le texte latin de l’absolution. Un peu avant, les sœurs veulent dire leur Bénédicité ; « o lieu de le dire, y chantent » une chanson paillarde.   242 C’est aussi bien dit que si c’était écrit sur du parchemin. « Toutes deux parlent bon latin,/ Et fust pour mettre en parchemin. » La Nourrisse et la Chambèrière.   243 LV : ansy  (Auriez-vous tenu un an dans les mêmes conditions que moi ?)   244 On chantait les matines avant l’aurore, quelques heures seulement après les complies. Les religieuses conventuelles dormaient très peu, ce qui n’améliorait ni leur caractère, ni leur apparence physique.   245 Euphémisme pour « vrai Dieu » : cf. Jénin filz de rien, vers 338 et 434. Les vos = les vôtres.   246 Redressés (prononciation normande). En principe, les religieuses n’avaient pas d’enfants : leurs seins restaient donc plus fermes que ceux des mères.   247 Vous plaisantez.   248 Hors du couvent.   249 Aussi perçants, et aussi profondément plantés sur les hommes.   250 Étincelants.   251 Prononciation normande de « couvre-chef ». Cf. le Marchant de pommes, vers 120. « Aveuc men crévecher et men biau devantel [mon beau tablier]. » La Muse normande.   252 LV : dreses  (La fille reproche à la religieuse de dissimuler des tresses sous sa coiffe.)  Les moniales n’ont pas le droit de tresser leurs cheveux : tout leur temps doit être consacré à Dieu, et non à des futilités. En outre, la coquetterie leur est défendue.   253 Chargée d’ennui.   254 À mon avis.   255 LV : souhaicte  (En fait, c’est la mariée elle-même qui, au vers 150, aurait voulu être nonne.)   256 Celui qui. Les mal mariées ne pardonnent jamais à leur marieur : « Qu’estranglé soit cestuy des loups,/ Qui nous mist une foys ensemble ! » Les Femmes qui font refondre leurs maris.   257 LV : toux  (à la rime.)  Nous souffrons toutes de mécontentement.   258 Nous avons beaucoup de consœurs de notre sorte.   259 Un plein plat. « (Ils) furent bien serviz de dix-huict ou vingt platz fournys. » N. Volcyr.   260 En train de bavarder. « J’ay fréquenté aussi maint lieu/ Comme festes, convis, bancquetz,/ Où l’on devise des caquetz. » Farce de quattre femmes, F 46.   261 LV : chonquet  (Le banquet, au sens propre, est la banquette sur laquelle s’assoient les convives. « Les Lorains estoient sur ung autre bancquet assis, près du dit bancquet où nos seigneurs estoient assis. » Jehan Aubrion.)   262 Si elles ne parviennent pas à leurs fins en séduisant des hommes.   263 LV : les veries  (Vous captureriez. C’est un terme de chasse.)  Les filles naïves cèdent en échange d’un bouquet : « En un banquet,/ On dance, on donne le bouquet,/ On baise, on parle à son amye. » Marchebeau et Galop.   264 Inconséquentes, qui cliquettent à tort et à travers. « Lors monstrerez que vous aurez cervelle/ Pour déclicquer [bavarder] à ung demy-clicquet,/ Et estes gens où il y a peu d’arrest [de réflexion]. » Pierre Michault. (Cette expression découle de celle-ci : « Leur langue va comme un cliquet de moulin. » Le Roux.)   265 Que des vipères, dont la langue est affilée.   266 Pour un sou.   267 De gain. Les poissonnières, elles non plus, ne sont jamais contentes : voir l’Antéchrist, ou Grant Gosier, ou les Laudes et complainctes de Petit-Pont.   268 Aux spectateurs.   269 Nous vous donnerons des lettres royales décrétant.   270 Dans la salle du tribunal où les plaideuses expriment leur mécontentement. Voir la note 78 de Pour porter les présens.   271 Ce distique apocryphe est la signature habituelle du copiste de ce ms. La Vallière.

CAUTELLEUX, BARAT ET LE VILLAIN

Das Narrenschiff

Das Narrenschiff

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CAUTELLEUX,

BARAT  ET

LE  VILLAIN

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Les personnages allégoriques qui peuplent cette farce normande la font quelquefois classer parmi les Moralités ; mais seule la fin se veut « morale ». Cauteleux veut dire rusé. Barat signifie tromperie. Quant au Vilain, il ne s’agit pas d’un paysan mais, étymologiquement, d’un villageois, qui exerce en fait la profession de potier.

Le clou du spectacle est une scène où ledit Vilain, enfermé à sa demande dans un sac, se fait bastonner. Félix Lecoy1 démontre que ce gag fut exploité dans des contes populaires du monde entier. La source la plus ancienne qu’il en donne est un fabliau en latin du XIe siècle, Unibos. Aujourd’hui, nous pensons d’emblée aux Fourberies de Scapin. Mais Molière s’inspire d’une farce que Tabarin publia en 1624, laquelle semble se référer à la nôtre : « –Je suis icy enfermé dans ce sac à cause qu’on me veut marier à une vieille femme qui a cinquante mille escus. Mais elle est si laide que je ne l’ay point voulu prendre. –Cinquante mille escus sont bons, il ne faut pas regarder à la beauté. Si vous me voulez mettre en vostre place, je prendrois bien ce marché-là ! (Lucas entre dans le sac.) Voicy les parens qui viennent : il n’y a qu’à leur demander la vieille. Contez, parens, contez les cinquante mille escus ! –Vrayment nous te les conterons, et en belle monnoye. Frappons, frappons ! (Lucas est battu.) »

L’épisode initial de l’âne et du licou — dont Félix Lecoy signale qu’il fut repris au XVIIe siècle dans un conte arabe — est parfois très proche du Moine bridé, qu’Alexis Piron composa au XVIIIe siècle.

Source : Recueil de Florence, nº 12. L’auteur de la farce n’est pas un versificateur ; c’est un homme de théâtre aguerri, pour qui l’efficacité des dialogues, le sens du rythme et le naturel des enchaînements n’ont aucun secret.

Structure : Rimes abab/bcbc, rimes plates, avec 2 triolets, et 4 sixains pentasyllabiques.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

.

*

Farce  nouvelle

À t[r]oys personnages, c’est assavoir :

       CAUTELLEUX

       BARAT  [LE  GUEUX]

       et  LE  VILLAIN

*

                        CAUTELLEUX  commence 2                 SCÈNE  I

        Il est bien matin esveillé,

        Auquel je ne [tiendroye le]3 pas.

.

                        BARAT

        Jamais ne suis ensommeillé4.

.

                        CAUTELLEUX

        Il est bien matin esveillé.

.

                        BARAT

5      Soit en repos ou travaillé5,

        Nul ne peult fouïr mes esbatz6.

.

                        CAUTELLEUX

        Il est bien matin esveillé,

        Auquel je ne [tiendroye le] pas.

        Pour tant7, pour avoir mon repas,

10    Je m’en vois8 [cy] à l’adventure,

        Sans bruit mener, vollant9 tout coint

        Par les voyes. C’est10 ma nature

        Est  de frauder toute créature,

        Mais qu’il n’y apperçoyve point.

15    L’en le voit bien à ma nature,

        Qui11 ne dit mot ; mais elle point.

.

                        BARAT

        Par ma foy ! je suis bien appoint

        Pour tost trouver une grant bourde12

        Et, sur plain-champt13, ung contrepoint.

20    Et ne me chault se elle est lourde,

        Gresle, petite, grosse ou gourde14 :

        Mais15 que je trompe, c’est ma vie.

        Et je fais bien la lime sourde16,

        Et joue bien de la toupie17.

.

                       CAUTELLEUX 18

25    Qui est celuy qui nous espie ?

        N’y pourroit-on trouver nul gaing ?

        Ung tour aura de tromperie.19

.

        Ha, ha ! Que Dieu gard le compaing20 !                   SCÈNE  II

                        BARAT

        Et vous aussi, jusqu’à demain,

30    Qui vous bailleroit aultre garde21 !

                        CAUTELLEUX

        Qui vous maine par ce beau plain22 ?

        J’ay grant plaisir, quant vous regarde.

                        BARAT

        Et vous aussi, mais [qu’]on vous garde23.

        Mestre24, vostre non sçavoir veulx.

                        CAUTELLEUX

35    Je suis subtil comme moustarde25 :

        Chascun m’appelle Cautelleux.

        [Et] vostre non ?

                        BARAT

                                     Barat le Gueux26.

                        CAUTELLEUX

        Pétris sommes de mesme paste.

        Touche cy27 ! Nous yrons nous deux28.

                        BARAT

40    Celuy29 n’en scet rien, qui n’en taste.

                        CAUTELLEUX

        Va tout beau, nous n’avons30 point haste ;

        Prenons à loisir le31 chemin.

        Car tel [virera nostre haste]32

        Qui n’y pense pas, mon cousin.

                        BARAT

45    C’est bien exprimé, mon voysin.33

        Vécy besongne qui nous vient ;

        Et pour tant34, [tost] il nous convient,

        Au fort35, penser sur la pratique36.

                        CAUTELLEUX

        Ne te chaille, je la pratique37.

50    Laisse-le venir seulement.

.

                        LE  VILLAIN                                           SCÈNE  III

        Avant, baudet, tout bellement !

        Dieu te gart de mal, je l’en prie !

        Descendre vueil, je le t’afie38,

        Car je te sens estre grevé39.

55    Je te tiens40 si bien esprouvé

        Que tu ne faulx s’il n’y a cause41.

                        Adonc descent de dessus l’asne, et dit :

        Or allons donq(ues) sans faire pause,

        Maintenant quant42 je suis à terre.

        Hahay, baudet ! Allons grant erre43,

60    Car j’é au marché bien affaire.

.

                        CAUTELEUX                                          SCÈNE  IV

        Vécy nostre emprinse44, mon frère :

        Voy-tu cest homme ? Il est balourd45.

                        BARAT

        Je le croy bien. Ho, qu’il est lourd !

        Il n’a guères46 qu’il fut frappé.

.

                        LE  VILLAIN                                           SCÈNE  V

65    Ha ! mon Martinet regratté47,

        Tu m’as trèsbien servi long temps :

        Je cuide qu’il a, huy48, sept ans

        Quant t’achettay [à la Guibray]49.

.

                        CAUTELLEUX 50                                   SCÈNE  VI

        Vien çà ! Par mon âme, je sçay

70    (À mon advis) bonne cautelle51 :

        Nous yrons par ceste sentelle52,

        Le suivant pas à pas, tout beau.

        Puis deschevestr(e)ray53 le museau

        De son asne par bonne guise54.

75    Et après luy, tout en chemise55,

        Chemineray enchevestré56.

                        BARAT

        Ho ! qu’i sera bien empestré !

                        CAUTELLEUX

        Toy57, tu enmèneras son asne.

        Et luy58 diray que suis [une] âme

80    Qui suis parti59 de Purgatoire.

                        BARAT

        Tu le luy feras bien accroire.

        Or avant, donc ! Qu’on se délivre60 !

.

                        LE  VILLAIN                                          SCÈNE  VII

        Il fauldra bien que je te livre

        À dîner. Allons tost, baudet !

85    Tu me mordis trèsbien le doy61,

        Hier matin, quant je le regarde.

        Hay avant, hay ! [Mais] tu n’as garde

        Que je t’en face pis62, Martin.

.

                        BARAT 63                                                 SCÈNE  VIII

        Je ne vis onc homme plus fin

90    Que mon compagnon, par mon âme !

        Au fort, je voy mus[s]er64 cest asne

        Dedens ce boys, qu’il ne revoye65.

.

                        LE  VILLAIN                                           SCÈNE  IX

        Nous n’avons plus guère de voye66.

        Hahay, Martin, tost avant !

95    Hay avant, bodet !…67 Ho !! Jésus !

        Bénédicité Dominus68 !

        Et crédo avé Marïa !

        Agimus tibi gratïas !

        Dieu me gart de tentation69 !

100  De par la saincte Passion

        De Jésucrist, je te conjure

        Que tu ne me faces70 injure,

        Et que tu me dies ton estre71 !

                        CAUTELLEUX

        Je suis vostre [asne] Martin, maistre,

105  Qui vous ay servy des ans sept.

        Or ay ma pénitence fait,

        Qu’on m’avoit ordonné [à faire]72 :

        Sortant du feu de Purgatoire,

        Suis devenu asne sept ans.

110  Mais maintenant fine mon temps73 ;

        Si, m’en vois74 droit au Paradis.

        Là prieray Dieu pour mes amis.

        Si, vous vouldroye bien requérir

        Que pour mon voyage finir

115  — Pour ce que bien vous ay servy,

        Si bien qu’oncques [je] ne failly —,

        Que vous me donnez de vos biens.

                        LE  VILLAIN

        Tu ne faillis jamais en riens.

        Si, te donray en charité

120  Demy-escu prou75 mérité,

        Pour passer chemin jusque çà.

        Or tien, mon Martin, et t’en va.

        À Dieu soyes, qu’i te conduie !

        Celluy chevest[r]e si t’ennuye :

125  Baille-le-moy, mon bon Martin.

                        CAUTELLEUX

        Il m’en fault ung, à celle fin

        Que je ne menge pas l’avaine76

        Des autres ; car je saulx de peine77,

        Dont suis afamé comme ung chien.

                        LE  VILLAIN

130  Or l’emporte, je le vueil bien.

        Dieu te rende, par sa puissance,

        De ta peine grant allégence !

        Commande78-moy à tous les sains,

        Je t’en requiers à joinctes mains,

135  Mon bon Martin ! Or, va à Dieu !

                        CAUTELEUX

        Plus n’aresteray en ce lieu.

        Adieu vous dy, mon trèsdoux maistre !79

.

        Se je ne l’ay assez fait paistre80,                                SCÈNE  X

        Je vueil qu’on le face pour moy !

.

                        LE  VILLAIN                                          SCÈNE  XI

140  O ! doulx Jésus en qui je croy :

        C’est grant fait que de ton81 povoir ;

        Car je voy à l’ueil cler, pour voir82,

        Que ta vertu n’est pas menue.

        Quant  tu as fait une83 beste mue

145  Devenir âme ; c’est grant fait !

.

                        CAUTELLEUX 84                                   SCÈNE  XII

        Il n’y a, au monde, si parfait

        Comme moy. Vouldriez-vous Dieu estre85 ?

        Nous avons l’asne et le chevestre,

        Et de l’argent encore avec.

                        BARAT

150  Et ! tu as ton senglant gibet86 !

                        CAUTELLEUX

        Ouÿ, par mon serment, assez.

                        BARAT

        T(u) as contreffait les trespacés ?

        Or, vrayement, je meurs… de rire !

.

                        LE  VILLAIN                                          SCÈNE  XIII

        Je ne sçay quelle part je tire87,

155  [Ou] à la ville, ou à l’ostel88.

        Par mon serment ! il [n’]y a tel89 :

        Je vois à la ville grant erre90.

        Là, je vendray mes potz de terre,

        Que g’i laissay à l’autre fois91.

.

                        BARAT                                                     SCÈNE  XIV

160  Mon compaignon, se tu me crois,

        Nous irons jouer92 à la ville,

        Et mangerons ung tronc93 d’anguille

        En faisant quelque autre fatras.

                        CAUTELLEUX

        J(e) iray là où tu me menras94 ;

165  Je me gouverne par ton dit.

                        BARAT

        (La fine peau il ne mordit

        Oncques [d’ung cigne]95, ou je le cuide96.)

.

                        LE  VILLAIN 97                                      SCÈNE  XV

        Je voy la place toute vuide.

        Il me fault apprester mes potz.

170  J’yray98 marchande[r] à deux motz

        Tant seullement, mais qu’argent saille99.

.

                        BARAT 100                                               SCÈNE  XVI

        Mais que besongne ne nous faille101,

        Nous parferons nostre journée.

                        CAUTELLEUX

        Nous ne fauldrons jà, ne te chaille,

175  Mais que besongne ne nous faille.

                        BARAT

        Nous en prendrons encor en taille102

        Jusqu(es) il en aura admen[é]e103.

                        CAUTELLEUX

        Mais que besongne ne nous faille,

        Nous parferons nostre journée.

                        BARAT

180  Je voy nostre barbe pelée104,

        L’homme dont nous avons eu l’asne.

                        CAUTELLEUX

        Tu dis vérité, par mon âme !

        Il vend [cy] des potz qu(e) il a fait.

        C’est ung [droit] génin105 tout parfait :

185  Encor luy en fault bailler [d’]une106.

                        BARAT

        Mais de quoy ? Il n’a chose aucune

        Dont il nous peust sortir prouffit.

                        CAUTELLEUX

        Mais107 que nous trompons, il souffit.

        Je te diray que108 je feray :

190  Deux potz marchander droit yray.

        Et tu  viendras, comme [congneu de veue]109,

        Me faire une110 grant bien-venu[e],

        Me disant, quant viendra au fort111,

        Nouvelles que mon père est mort.

195  Et tu verras bonne risée.

                        BARAT

        Tu l’as eu bien tost advisée !

        Or va, je viendray sans attendre.

.

                        LE  VILLAIN                                           SCÈNE  XVII

        Ce marché ne vault riens pour vendre :

        Je ne fis croix112 de ce jour-cy.

.

                        CAUTELLEUX 113                                 SCÈNE  XVIII

200  Combien me coustera cecy,

        Ces deux ? Dictes-moy à deux motz114.

                        Il marchande et en doit prendre deux.

                        LE  VILLAIN

        Or çà, voulez-vous ces deux potz ?

        Vous n’en pa[i]erez que six tournois.

                        CAUTELLEUX

        Six ? Dea ! en voulez-vous [point] troys ?

205  Je n’y mettroye pas ung niquet115.

                        LE  VILLAIN

        Par ma foy ! Avant, demour[r]oit

        L’ouvraige d’icy à Caresme116 !

                        CAUTELLEUX

        Vous estes trop plus cher que cresme117 !

        Advisez : voulez-vous argent ?

.

                        BARAT 118                                               SCÈNE  XIX

210  Dieu gard le compaignon gallant !

        Comme vous va de la santé ?

                        CAUTELLEUX

        Trèsbien, et vous ? Où a esté

        Si longuement le compaignon ?

                        Ilz s’embrassent, puis Cauteleux reprent ses potz

                        BARAT

        J’ay demouré en Avignon,

215  Par tout le pays de là-bas,

        Où j’ay veu, certes, maintz esbatz

        En Arragon et en Espaigne119.

        J’ay esté partout : en Cerdagne120,

        En  Auvergne, Fouez121, Languedoc,

220  Voire à l’Isle de Médoc122,

        À Bordeaux et à La Rochelle.

        De là, [je] m’en vins à Marceille123,

        Et m’en suis venu par-deçà.

                        CAUTELLEUX

        C’est bien trippé124 ! Mais puis, or çà,

225  En nostre païs, que dit-on ?

                        BARAT

        Ung nouveau qui125 n’est pas trop bon ;

        Aussi ne le diray-je mie.

                        CAUTELLEUX

        Barat le Gueux, je vous supplie :

        Dictes-le-moy, ou je mourroye.

                        BARAT

230  Par mon serment ! je n’oseroye.

                        CAUTELLEUX

        Et ! vous le me povez bien dire.

                        BARAT

        Je n’oseroye, par Dieu, beau sire.

                        LE  VILLAIN

        Pourquoy non ? Dictes luy  hardiment !

                        BARAT

        Je vous promet[z], par mon serment,

235  Ami(s), qu’il ne vous plaira mie.

        Vostre père n’est plus en vie :

        Il est trespassé puis septembre.

                        CAUTELLEUX.  Il met les potz

                        contre terre et en casse deux.126

        Est-il mort ? Je n’ay sur moy membre

        Qui se puisse tenir en dresse127.

                        LE  VILLAIN

240  Çà, argent !

                        CAUTELLEUX

                               Ha ! la grant destresse !

                        LE  VILLAIN

        Payez-moy ! De ce, ne me chault.

                        CAUTELLEUX.  Il crie en plorant.128

        A ! Mon [povre] père Michault,

        Dieu te face [à l’âme]129 mercy !

                        LE  VILLAIN

        Paiez-moy, paiez ! Qu’esse-cy ?

                        CAUTELLEUX,  en criant et pleurant.

245  Et Dieu,  j’enrage !

                        LE  VILLAIN

                                         [Vous pairez contans !]130

                        BARAT

        Vous le mectez hors de son sens131 !

                        LE  VILLAIN

        Dea, mon amy, je n’en puis mais132 ;

        Se, je ne l’avoye veu jamais133.

        Je ne doy point perdre le mien134.

                        CAUTELLEUX

250  J’enraygeray135, ce say-je bien.

        Que n’ay-je ung [bon] cousteau tranchant !

                        LE  VILLAIN

        Baille[z-]moy mon argent, marchant136 !

                        CAUTELLEUX,  faisant semblant d’aller à la rivière.137

        Allez-vous-en, villa[i]n dempné138 !

        Je suis, de tout point, condempné139 :

255  Noyer m’en vois de cestuy pas140.

                        BARAT

        Las, mon amy, non ferez pas !

        Vous le ferez tout frénétique141 ;

        Allez garder vostre botique,

        Villain ! Que la fièvre vous tiengne !142

.

                        LE  VILLAIN                                           SCÈNE  XX

260  Celle prune-là sera mienne143.

        Je ne fais fors144 que perdre temps,

        Yci, ainsi comme j’entens.

        Le grant dyable [l’emporte, au]145 fort,

        De cela qu’il est si tost mort !

265  J’aimasse mieux qu’il fust en vie.

.

                        BARAT 146                                               SCÈNE  XXI

        Par Dieu, vécy bonne folie !

        Le bon homme, comme je croy,

        A bien baisé le marmouset147.

        Je ne veis oncques mieux ouvrer148.

270  Qui149 en pourroit encor trouver

        Ung aultre pour faire la fin150,

        Je le151 tiendroye [tout] aussi fin

        Comme, droictement, drap de saye152.

                        CAUTELLEUX

        Je requiers à Dieu que je soye

275  Traisné153 se ne l(uy) en baille encor.

        A ! maistre, vous aurez ung tour,

        Ou154 je brûleray tous mes livres.

        Saint Mor ! il n’en est pas délivre155.

        Je te diray que156 je feray :

280  Dedens ung sac je te mettray

        Et [en plaine voye te lerray]157 ;

        Et puis, quant je l’apparcev(e)ray,

        Je te  siffleray, que tu regardes

        [À bien te tenir sur tes gardes.]158

285  Je luy diray qu’on te159 veult mettre

        Abbé, mais tu ne le [veulx estre]160.

        Et luy prieray qu’il luy plaise

        L’estre, et il sera bien aise

        Trèstout le temps de son vivant.

                        BARAT

290  Certes  onc homme ne fist mieulx avant.

        Metz-moy dedens, il [en] est heure.

                        Cautelleux met Barat au sac.161

.

                        LE  VILLAIN                                           SCÈNE  XXII

        [Et !] par mon âme, je demeure

        Trop de m’en aller ; il est tard.

        Or çà, que Dieu [y] ait bonne part !

295  Ce marché m’a peu prouffité.

        C’est grant pitié, en vérité,

        Que des denrées d’aujourd’huy :

        Ce n’est [plus] que peine et ennuy,

        Au temps qui court162, par mon serment !

300  Or163 je m’en vois hastivement,

        Il ne fault jà attendre plus.164

.

                        Cautelleux siffle.                                        SCÈNE  XXIII

                        BARAT 165

        Saint Jehan ! j’en suis tout résolu,

        Il n’est jà besoing de siffler.

        Il peut bien tout son pain riffler166,

305  Car il boira167 cy ung tatin.

.

                        LE  VILLAIN                                           SCÈNE  XXIV

        Je voy illec168, en ce chemin,

        Ung sac tout rempli de bagaige.

        Qui l’a laissé n’est pas trop saige,

        Car je ne le laisseray mie.

                        Le Villain veult prendre le sac ; et Barat se

                        remue et parle, et le Villain s’en fuit 169.

                        Puis dit  BARAT :

310  Hélas, mes seigneurs ! Je vous prie

        Que vous me laissez en ce point,

        Car estre abbé je ne vueil point.

        Prenez[-en] ung aultre, en bonne heure.

                        LE  VILLAIN

        Ha, Vierge sans nulle blessure170 !

315  Ha, Jésucrist et saint Anthoine !

        Vueillez-moy mettre hors de peine

        Et hors  de toute temptatïon !

        Gardes-moy de dampnation,

        Doulx Jésucrist, je t’en requier !

                        BARAT

320  Vostre office point ne requier(t) ;

        Mettez ung aultre qui mieux face.

                        LE  VILLAIN

        Et ! qu’esse-cy, Royne de grâce171 ?

        Parle se t(u) es chose de bien172,

        Et t’en fuis sans arrester rien

325  Se t(u) es chose de mal affaire173 !

                        BARAT

        Hélas, n’ayez jà peur, mon frère.

        Ouvrez-moy le sac seullement.

                        LE  VILLAIN

        Je n’oseroye, par mon serment !

        Hé, dea ! je ne sçay qui vous estes.

                        BARAT

330  Du lignage suis des prophètes,

        Et suis ung crestien baptisé.

        Pour ce, que  l’on veult que soye prisé174

        Tant qu(e) on veult de moy abé faire.

        Mais je vueil vie solitaire

335  Au boys mener, comme ung hermite.

                        LE  VILLAIN

        Voire ? Saint Jehan ! vous serez quitte :

        Je vous desliray de ce pas.

        Mais pourquoy ne voullez-vous pas

        Estre abé, et estre à honneur ?

                        Barat sault du sac.

                        BARAT

340  A ! grant mercis, mon chier seigneur !

        Pourquoy ? Car je seroie trop aise175 ;

        Mais à mon vray Dieu, jà ne plaise

        Que ne176 mengusse que racines.

                        LE  VILLAIN

        Se je sçavoye mes matines

345  Bien dire, et tout mon [saint] office,

        J’acepteroye ce177 bénéfice.

        Et ! n’est-ce pas grant dignité ?

                        BARAT

        Sire, si est, en vérité ;

        Pourtant ne le veulx-je pas estre.

350  Mais si au sac vous voullez mettre,

        Vous serez abbé tout de tire178.

                        LE  VILLAIN

        Moy ? Je ne sçay lire n’escripre179.

        Et ! par Dieu, je n’y vauldroye rien !

                        BARAT

        Il  ne vous fault sçavoir [nulle rien]180,

355  Sans plus, que faire bonne chière

        Et vous tenir sur une chaire,

        Disant : « Fay cecy, fai cela !

        Tu t’en yras cy, et toy là ! »

        Et vous fera-l’en grant honneur,

360  Disant voulentiers « Monseigneur ».

        Advisez si voullez l’office,

        Car l’en viendra à grant service181

        Icy vous quérir de ce pas.

                        LE  VILLAIN

        Or me dictes donc par quel cas

365  L’en vous a dedans ce sac mis.

                        BARAT

        Le voulez-vous sçavoir, amis ?

        Affin que quant illec seroye,

        Que, se retourner m’en vouloye182,

        Que ne sceusse pas le chemin.

                        LE  VILLAIN

370  Escripvez-moy en parchemin

        Autant de bien183 que leur doy dire.

                        BARAT

        Voulentiers, se vous sçavez lire.

        Il ne fault [que] tant seullement

        Dire : « Baillez-m’en largement184 ! »

375  Entrez, mon amy, il est temps.

                        LE  VILLAIN

        Ha ! par mon âme, je m’attens

        À bien  faire du dom(i)ne Prior185 !

        Ilz viennent ?

                        Le Villain doit entrer dedans le

                        sac. Puis vient Barat, qui le lie.

                        Et dit  BARAT :

                                  Ne font pas [encor],

        Mais je croy qu’ilz sont en [la voye]186.

380  Je pry à Dieu qu’il vous doint joye !

        J’emporte vostre chappeau noir.

                        LE  VILLAIN

        Dieu vous doint Paradis avoir !

        Ouÿ dea, emportez-l[e-m’]en.

.

                        BARAT                                                     SCÈNE  XXV

        Cautelleux, approche ! Vien-t’en !

385  Je l’ay dedans le sac boutté.

                        CAUTELLEUX

        Or çà ! il fault qu’il soit frotté187.

                        Adonc Barat et Cautelleux vont au Villain.

                        BARAT

        Gardons qu’il ne nous saiche entendre :

        [Nous devons une aultre voix prendre.]188

.

        Or çà ! estes-vous advisé189 ?                                    SCÈNE  XXVI

                        LE  VILLAIN

390  Ouÿ : je vueil estre prisé.

        Baillez-m’en, sans plus, largement !

                        CAUTELLEUX

        Cela ferons-nous baudement190.

        Tien ! happe, [happe] celle noix191 !

                        Ilz le batent.

                        LE  VILLAIN

        J’en vueil avoir, à ceste fois :

395  Baillez-m’en, sans plus, ne vous chaille !

                        BARAT

        Si fais-je, d’estoc et de taille.

        Tien, tien icelle male mûre192 !

                        LE  VILLAIN

        À la mort ! Je le veux en l’eure193 !

        Baillez, je ne quiers autre chose !

                        CAUTELLEUX

400  Attens, va, car je me repose.

        Croque cecy194 ! Garde moy cela !

        Ord villain puant, [happe-la]195 !

        Tire à toy ceste quinquenaude196 !

                        LE  VILLAIN

        À la mort ! Monsïeur saint Claude !

405  À l’arme, à l’arme ! Au feu, au feu !

                        BARAT

        Oncques, de l’heure que né fu197,

        Je ne veiz si bonne fredaine.

        Fuyons-nous-en [en] bonne estraine198,

        Affin qu’on ne nous treuve en faulte.

410  [Haster se fault, car l’heure est haulte.]199

.

                        CAUTELLEUX                                        SCÈNE  XXVII

        Cautelleux reffait

        Ce200 que Barat fait,

        Vous le povez voir.

        Il n’est si parfait

415  Ne si contreffait

        Qu’il ne feist devoir.

                        BARAT

        Il n’est autre vie

        Que baraterie201,

        Vous le voyez bien.

420  Mais la fin n’est mye

        Bonne, quoy qu’on die,

        Aussi [le moyen] 202.

                        CAUTELLEUX

        Qui sert en son temps

        (Ainsi que j’entens)

425  De faulce cautelle203,

        Dieu n’est mal contens

        S’il paye contens204

        Punition telle.

                        BARAT

        Seigneurs, je vous prie

430  Que nul ne se fie

        En si mauvais art,

        N’aussi en envie

        (Qui gaste la vie) :

        Feu la brusle et art 205 !

.

                        LE  VILLAIN 206                                    SCÈNE  XXVIII

435  Ha ! que Dieu [y ait]207 bonne part !

        Il me souffit que dehors je saille208.

        Ilz m’ont gasté de ceste part209.

        Or çà ! il fault que je m’en aille.

.

        Mais je vous pry, que  s’il y a faille210

440  Ou deffault en nostre211 apparence,

        Que grandement ne vous en chaille ;

        Mais supportez nostre ingnorance212 !

.

                                            EXPLICIT

*

1 « La Farce de Cauteleux, Barat et le villain. » Mélanges de philologie et de littérature romanes, Droz, 1988, pp. 409-416. Cette étude, déjà parue en 1970, ne comporte malheureusement pas le texte de la pièce.   2 Au bord d’un chemin de campagne, deux citadins qui ne se connaissent pas monologuent chacun de son côté, séparés par un arbre qui les empêche de se voir et de s’entendre.   3 F : viendroye a  (Même faute d’impression au vers 8, due au fait que le ms. de base n’indiquait que les premiers mots des refrains de ce triolet.)  Il serait très éveillé, très malin, celui que je ne manipulerais pas à ma guise.   4 Ma roublardise est toujours en éveil.   5 En plein effort.   6 Fuir mes manigances.   7 Pour cette raison. Idem vers 47.   8 Je m’en vais. Idem vers 91, 157, 255, 300.   9 F : voulant  (Volant lestement.)  Double sens : Voler tout coin = voler des poinçons pour frapper de fausses monnaies.   10 F : car   11 F : Que  (Cauteleux, ce maître de la duplicité, commet un nouveau double sens : Ma nature point = ma verge est en érection. Cf. les Femmes sallent leurs maris, vers 27.)   12 Un mensonge, une mystification. Cf. la Folie des Gorriers, vers 328-337.   13 Sur du plain-chant : sur des victimes malléables. Le contrepoint désigne la ruse : « Il saura bien son contrepoint,/ S’il scet de nous deux eschaper. » Les Sotz triumphans qui trompent Chacun.   14 F : bourde  (Pesante.)   15 Du moment. C’est la devise de Barat. Celle de Cauteleux résonne au vers 188 : « Mais que nous trompions, il suffit. »   16 « On apelle une lime sourde un sournois, un hypocrite qui fait le simple. » (Le Roux.) Double sens : Je peux limer sans bruit les barreaux de ma cellule. « Des lymes sourdes pour lymer cinq ou six barreaulx du treilliz de fer d’une fenestre. » Chronique scandaleuse.   17 Je me tourne et me retourne selon mon profit. Double sens : On me mène avec un fouet, comme celui grâce auquel les enfants font tourner leur toupie. « Est-il fouet compétant pour mener ceste touppie ? » Rabelais, Quart Livre, 9.   18 Il aperçoit Barat.   19 Cauteleux se dirige vers Barat.   20 Le compagnon.   21 F : garce  (Si on vous donnait un autre gardien que Dieu. Sous-entendu : Si on vous donnait un gardien de prison.)   22 Dans cette plaine. Les malfrats qu’on recherche en ville, ou qui en ont été bannis, vont se faire oublier à la campagne.   23 F : tarde  (À condition qu’on vous surveille.)   24 F : Destre  (Maître. « Je seray mestre. » L’Arbalestre.)  « Maistre, comment avez-vous nom ? » L’Aveugle et Saudret.   25 Je prends les hommes par le nez pour les conduire où je veux. « Nous sommes plus fins que moustarde,/ Qui prend les hommes par le nez. » Le Monde qu’on achève de paindre.   26 Le faux mendiant.   27 Tope là ! Cf. l’Aveugle et Saudret, vers 84. F intervertit ce vers et le précédent.   28 Nous ferons équipe.   29 F : Il  (Celui qui n’en fait pas l’expérience n’y connaît rien.)  « Celuy gouverne bien mal le miel, qui n’en taste & ses doigts n’en lèche. » Cotgrave.   30 F : nayons  (Va doucement, nous ne sommes pas pressés.)   31 F : nostre  (« Prenons le chemin. » Grant Gosier.)   32 F : poyera nostre giste  (Se brûlera devant la cheminée pour tourner la haste [la broche] où cuira notre viande.)  Allusion au proverbe : « Tel vire bien l’aste/ Qui jà morceau n’en taste. » On le retrouve dans la farce de Lordeau et Tart-abille : « –Je ne fis, huy, que tourner l’aste./ –Tel la vyre qui jà n’en taste. »   33 Barat voit s’approcher le Vilain, monté sur un âne. Certaines farces employaient un âne vivant ; voir la notice du Médecin qui guarist de toutes sortes de maladies.   34 Et pour cela.   35 Au reste. Idem vers 91 et 263.   36 De penser à la méthode que nous allons mettre en œuvre pour l’escroquer. Cf. le Sourd, son Varlet et l’Yverongne, vers 2.   37 Ne t’en occupe pas, je la connais bien. Cauteleux échafaudera seul cette première tromperie.   38 Je te l’affirme.   39 Accablé.   40 F : sens  (Influence du vers précédent.)  Je te tiens pour si expérimenté.   41 Que tu ne trébuches jamais sans raison. Verbe faillir.   42 Que. Idem vers 68.   43 D’un bon pas. Idem vers 157. Le Vilain marche devant son bourricot, en le tenant par le licol, sans regarder derrière lui.   44 Une entreprise digne de nous.   45 F : sourd  (« C’est un balourt. » Le Trocheur de maris.)   46 Il n’y a pas longtemps, comme une pièce neuve qui n’a pas encore circulé. Les deux trompeurs se cachent derrière l’arbre pendant que le Vilain passe, et ils écoutent ses paroles.   47 F : regrappe  (Qu’on m’a vendu de seconde main. « Garse regratée ! » La Nourrisse et la Chambèrière.)  Martinet : diminutif de Martin, qui est le nom générique des ânes ; voir les vers 88, 94, 104, etc.   48 Je pense qu’il y a, aujourd’hui.   49 F : hay a anthay  (L’éditeur parisien ne connaissait pas la foire rouennaise de la Guibray, où l’on vendait notamment des ânes. « Trotter (…)/ Plus dru qu’à la Guibray ne courent les mazettes [les canassons]. » La Muse normande.)   50 Le Vilain est passé ; les deux trompeurs sortent de derrière l’arbre.   51 Une bonne ruse.   52 Par ce sentier.   53 Je débarrasserai de son chevêtre, de sa bride.   54 Comme il faut.   55 Vêtu d’une longue chemise blanche, pour avoir l’air d’un fantôme. « En chemise et envelopé d’un drap, tout ne plus ne moins comme si c’estoit ung esperit. » Nicolas de Troyes.   56 En ayant au cou la bride dont le Vilain tiendra l’autre bout.   57 F : Voire que   58 F : ie te   59 F : parri  (Les âmes des pénitents devaient faire un séjour plus ou moins long au purgatoire avant de pouvoir gagner le paradis.)  « Tu viens tout droit du Purgatoire…./ Tu es une âme. » Les Trois amoureux de la croix.   60 Qu’on en finisse. Cauteleux ôte sa robe, sous laquelle il est en chemise blanche. Silencieusement, il va détacher l’âne, que son compère emmène derrière l’arbre, et il se met la bride autour du cou.   61 Le doigt. Les Normands prononçaient « dé » : cf. Pernet qui va à l’escolle, vers 148-150.   62 Tu ne risques pas que je te morde le doigt.   63 Il emmène le bourricot derrière l’arbre.   64 Au reste, je vais dissimuler.   65 Pour qu’il ne revienne pas vers son maître.   66 De chemin à parcourir.   67 Le Vilain se retourne. Il découvre le « fantôme », et fait un signe de croix.   68 Tout en se signant, le Vilain débite au hasard les lambeaux de prières qu’il a entendus à l’église.   69 Le Vilain se demande si ce n’est pas le diable qui a pris forme humaine pour le tenter.   70 F : facies  (Faire injure = causer un dommage physique. « Il fault que je vous face injure :/ Je vous battray ! » Le Cuvier.)   71 Que tu me dises ce que tu es.   72 F : affaire  (Rime avec purgataire, à la normande.)  « En pénitence/ Pendant sept ans dans le corps d’un cheval. » Piron (v. ma notice).   73 Ma période de pénitence s’achève. « Et les sept ans de purgatoire…./ Un temps pareil, âne je pouvois être. » Piron.   74 Aussi, je m’en vais.   75 F : pour  (Bien mérité.)   76 L’avoine (prononciation normande).   77 Je sors de ma pénitence.   78 F : Recommande  (« À Dieu vous commande ! » Chagrinas.)   79 Cauteleux s’éloigne pour rejoindre son complice.   80 Assez nourri de salades. « Dieu m’auroit pu sept ans envoyer paître. » Piron.   81 F : mon   82 F : veoir  (Pour vrai, en vérité.)  À l’œil clair = clairement.   83 F : dune  (Une bête muette. Cf. le Povre Jouhan, vers 266.)  Le Vilain décrit avec des mots simples un phénomène que Rabelais nommera « métempsichosie pythagorique ». Ve Livre, 4.   84 Il rejoint Barat (et le véritable Martin), puis remet sa robe.   85 Si vous étiez Dieu, que feriez-vous de plus que moi ? « Encore vouldroy-je estre Dieu. » Les Sotz ecclésiasticques.   86 Imprécation intraduisible qui brode sur le verbe avoir du vers 148. « Cuidez-vous qu’entre nous, Conars,/ Ayons de confesser mestier ?/ Nous avons le sanglant gibet ! » (La Confession Rifflart.) L’invocation du gibet par ces deux gibiers de potence fait la nique au destin.   87 De quel côté aller.   88 Ou à la maison.   89 Il n’y a rien de tel. « Par Nostre Dame ! il n’y a tel. » Jolyet.   90 Je vais d’un bon pas à la ville, où se trouve le marché. « Sur ses pas s’en retourne grand erre. » Piron.   91 Certaines halles louaient un entrepôt où les marchands qui venaient de loin pouvaient stocker des denrées non périssables.   92 Tricher aux cartes ou aux dés. Les tricheurs opèrent en duo.   93 Un tronçon.   94 Où tu me mèneras.   95 F : deux cinges  (Le Viandier de Taillevent et le Ménagier de Paris donnent la recette de l’ « entremez d’un cigne revestu en sa peau atout [avec] sa plume ». Seuls les benêts croyaient que cette peau, crue et couverte de plumage, pouvait se manger. Donc, Barat nous signifie que son comparse est loin d’être un benêt.)   96 Ou du moins, je le crois.   97 Au marché. Le Vilain a récupéré ses deux pots en terre ; il les pose sur un drap.   98 F : Jayray  (Dans le marchandage à deux mots, le vendeur annonce un prix, et le client un autre prix, plus bas, que le vendeur accepte. Voir le vers 201.)   99 Pour peu que l’argent sorte des bourses.   100 Les deux trompeurs sont au marché, où ils ont vendu l’âne.   101 Si le « travail » ne nous fait pas défaut.   102 À crédit.   103 Tant qu’il en viendra. « En basse Normandie, amenée, grande quantité, grand arrivage : Ils sont venus avec une amenée de monde. » Littré.   104 Notre châtré. « En habits desguiséz et la barbe pelée, quia forte castrati [parce qu’ils sont peut-être châtrés]. » Nicolas de Cholières.   105 Un vrai idiot. « La parante [cette parenté]/ Me fera jénin [tout] parfaict. » Pernet qui va au vin.   106 Il faut lui en faire une bien bonne. « Quelq’un qui nous en bailla d’une. » Guillaume Coquillart.   107 Pourvu.   108 Ce que. Même vers que 279.   109 F : incongneu  (Comme si tu me connaissais de vue. « Scipion, à eux bien cogneu de veue. » Ludovic de Birague.)   110 F : ung  (« La royne (…) luy fit une moult grant bien-venue. » Méliadus.)   111 Dans le vif du sujet.   112 Je n’ai pas gagné un sou. Le côté face de certaines pièces était frappé d’une croix.   113 Il se plante devant le stand du potier. À aucun moment ledit potier ne reconnaîtra ses bourreaux : ou il s’agit d’une convention théâtrale (étonnante de la part d’un auteur qui déploie un tel réalisme dramatique), ou le comédien simulait une forte myopie. Dans ce cas, le vers 142 est beaucoup plus drôle qu’on ne le croirait au premier abord.   114 Tout ce marchandage évoque le marchandage de Pathelin et du drapier : « Voulez-vous à ung mot ? »   115 Un centime de plus.   116 Plutôt que de vous vendre ces pots pour 3 deniers tournois, j’aimerais mieux les garder jusqu’à la saint-glinglin.   117 « Drap est cher comme cresme. » Farce de Pathelin.   118 Il fait semblant de reconnaître Cauteleux.   119 Possible allusion à l’expulsion des juifs, en 1492.   120 F : castellonne  (La Cerdagne faisait partie de la Catalogne.)  Barat ne mentionne que des lieux situés au sud de la Loire. C’est dans ces régions lointaines qu’il fait vivre le prétendu père de Cauteleux, afin que la nouvelle de sa mort n’ait pas pu arriver jusqu’en Normandie.   121 Le comté de Foix, où régnaient les comtes de Fouez.   122 F : medor  (Dans l’estuaire de la Gironde, près de Bordeaux.)   123 Marseille. Les Nordiques prononçaient — et parfois écrivaient — Marcelle.   124 Trépigné, agité les jambes.   125 F : quil  (Un fait nouveau qui.)   126 F remonte cette didascalie au-dessus de la rubrique.   127 Debout. Double sens : en érection.   128 F remonte cette didascalie au-dessus de la rubrique.   129 F : crie  (On applique cette formule aux morts : « Ainsi est-elle trépassée…./ Dieu luy face/ Mercy à l’âme ! » Seconde Moralité.)   130 F : Certes vous me le pairez coutant  (Comptant. Au vers 427, l’auteur écrit encore : « S’il paye contens. »)  « Pour en payer ainsi les pots cassés. » Piron.   131 F : sans   132 Je n’y suis pour rien si son père est mort.   133 Et même, je ne l’avais jamais vu, son père.   134 Perdre mon bien. Double sens involontaire : Perdre mon père.   135 F : Jen enraygeray  (Je vais devenir fou.)   136 Marchandeur, client.   137 D’aller se jeter dans la Seine, ou dans le Robec, les deux rivières qui arrosaient Rouen. F remonte cette didascalie au-dessus de la rubrique.   138 Damné.   139 Destiné à mourir. Encore une provocation de truand.   140 Je vais me noyer de ce pas. Cauteleux part en courant.   141 Potier, vous allez le rendre fou.   142 Barat court après Cauteleux.   143 Je garderai ce camouflet. « Quelque prune dure, bien verte,/ Sans dire mot (le mary) avallera. » Le Pèlerin et la Pèlerine.   144 Rien d’autre.   145 F : ou  (« Le grand deable l’emporte ! » Lucas Sergent.)   146 Les deux trompeurs quittent la ville et reviennent sous l’arbre, près du chemin où va repasser le Vilain pour rentrer au village.   147 A perdu son temps. Baiser le marmot, ou le marmouset, est la même expression que « baiser la cliquette » (Sermon pour une nopce, note 90) : attendre pour rien devant la porte de sa belle. On sculptait souvent un marmot [un singe] ou un marmouset [un petit singe] sur le heurtoir des portes. Dans le même sens, nous disons aussi « croquer le marmouset » (Monluc, Comédie de proverbes).   148 Œuvrer.   149 Celui qui.   150 Un autre tour pour finir en beauté.   151 F : te   152 Qu’un drap de soie, véritablement.   153 Attaché par le bourreau à la queue d’un cheval. « Je vous feray traŷner et pendre ! » (Mistère de la Passion de Troyes.) C’est là encore un défi au destin ; nos deux futurs pendus ne manquent pas de panache, contrairement au Vilain, qui est craintif, pleurnichard, bigot, crédule et superstitieux.   154 F : Or  (Sinon, je renoncerai au métier de trompeur.)   155 Délivré, quitte. Cf. l’Arbalestre, vers 40.   156 Ce que. Même vers que 189.   157 F : ie te lieray en plaine voye  (Je te lairrai = je te laisserai. « Je vous lerray pour mieulx courir. » L’Aveugle et Saudret.)   158 Vers manquant. « Je me tien tousjours sus mes gardes. » Lucas Sergent.   159 F : le   160 F : veult mettre  (à la rime.)   161 F remonte cette didascalie sous le vers 289. À propos des personnages qu’on fourre de gré ou de force dans un sac, voir la note 150 du Villain et son filz Jacob. Le sac qui renferme Barat est couché au milieu du chemin. Cauteleux se dissimule derrière l’arbre.   162 La moralité Marchandise et Mestier (BM 59), dont le Temps qui court est l’un des personnages, décortique les mêmes griefs ; mais comme ils sont éternels, on ne saurait y voir un élément de datation.   163 F : Crie  (Le ms. de base portait « Or ie ».)   164 Le Vilain s’engage sur le chemin. Il arrive près de l’arbre. Cauteleux, caché derrière, va siffler pour prévenir son compère, afin qu’il se tienne immobile dans son sac.   165 Une déchirure du sac lui permet de respirer, et d’être entendu et vu par le public.   166 Le Vilain peut bien bâfrer tout son pain, ce qui va lui donner soif. « Menger, riffler et transgloutir. » Pates-ouaintes.   167 F : boura  (Il va « boire » une bonne dose de coups. « En donnant maint coup et tatin/ Aux Angloys. » Godefroy.)   168 Je vois ici. Idem vers 367.   169 Il fait un bond de côté.   170 N’ayant pas subi la rupture de l’hymen. « Ains naquit d’icelle cest benoist enfant sans blessure du corps virginel de nostre Dame. » ATILF.   171 La Reine de grâce est encore la Vierge.   172 Si tu es du côté de Dieu.   173 Si tu es du côté du diable.   174 Investi d’une charge. Idem v. 390.   175 Je vivrais dans le confort, et non dans l’ascétisme religieux. Les abbayes sont un des bénéfices ecclésiastiques les plus lucratifs et les moins contraignants, à tel point que des abbés commendataires en possédaient plusieurs où ils n’allaient jamais : cf. les Sotz ecclésiasticques, vers 165, 186, 306, etc.   176 F : ie  (Que je ne mange.)   177 F : mon  (J’accepterais ce bénéfice ecclésiastique.)   178 Tout d’un coup, sans passer par le protocole. Cf. l’Aveugle et le Boiteux, vers 117.   179 Dans la farce de Guilliod, un faux moine veut mener la douce vie au couvent. Cependant, son ignorance l’inquiète : « Mais je ne sçay ny A ny BÉ. » Heureusement, ses compagnons de réfectoire n’en savent pas plus que lui, et tout finit bien : « Je fays maintenant bonne chière…./ D’asne, je suys venu prieur. »   180 F : nul bien  (Aucune chose. « Mieulx vault sagesse sans grant beaulté avoir/ Que d’estre beau sans nulle riens sçavoir. » Pierre Sala.)   181 En grandes pompes.   182 Si je voulais m’en retourner.   183 Tous les compliments. Le Vilain oublie qu’il ne sait pas lire (vers 352).   184 Donnez-m’en une bonne quantité, comme on dit aux tripières : « Et ! baillez-m’en plus largement ! » (L’Aveugle, son Varlet et une Tripière.) Mais on ne va bailler au Vilain que des coups de bâtons.   185 Du monsieur le prieur. « Cujus vitam, domne prior, credo vos habere. » Chronicon clarevallense.   186 F : chemin   187 Battu. Les deux trompeurs ramassent un bâton.   188 Vers manquant. Je le supplée d’après les didascalies de la fameuse scène du sac des Fourberies de Scapin : « En contrefaisant sa voix, (…) il donne plusieurs coups de baston sur le sac. »   189 Décidé.   190 Vaillamment.   191 Les noms de certains fruits désignent des coups, comme la « mûre » du vers 397. De nos jours, nous dirions une châtaigne, un marron, une pêche.   192 Cette mauvaise bastonnade. Voir la note précédente.   193 Je veux cet office d’abbé tout de suite.   194 Prends ce coup dans les dents. « Croque, croque,/ Mon amy, ceste mitaine [gifle] ! » Le Povre Jouhan.   195 F : et bande  (Happer = recevoir un coup, comme au vers 393. « Happe, cousin, happe cela ! » Le Povre Jouhan.)   196 Cette chiquenaude.   197 F : gu  (Jamais, depuis ma naissance. « Oncques, depuys l’heure que je fu né. » Rondeau.)  Dans plusieurs régions, -eu rimait en -u, comme aux vers 313-4 et 397-8. Le Cuvier fait rimer « feu » avec « battu ».   198 Tandis que tout nous réussit. Les deux trompeurs s’éloignent du sac.   199 Vers manquant. J’emprunte le vers 239 de l’Homme à mes pois, en m’autorisant de ce que dit notre Vilain à 293 : « Il est tard. »   200 F : Cy  (Il est probable qu’on chantait ces 4 sixains. C’est l’avis de F. Lecoy : « Cauteleux et Barat s’esquivent en chantant. »)   201 Tromperie.   202 F : les moyens  (Ni le moyen employé.)   203 Une perfide ruse.   204 Si le trompeur paye comptant.   205 Que le feu de l’enfer la brûle et la consume !   206 Il parvient à s’extraire du sac.   207 F : gart et  (Même vers que 294. « Dieu y puist bonne part avoir ! » ATILF.)   208 Que je sorte du sac.   209 Ils m’ont meurtri tout ce côté du corps.   210 F : faulte  (Correction de Jelle Koopmans : Le Recueil de Florence, Paradigme, 2011, pp. 190-199.)  Le comédien s’adresse au public.   211 F : aultre  (Dans notre démonstration, notre représentation. Cf. Pour le Cry de la Bazoche, vers 24.)   212 Cet aveu de fausse modestie conclut plusieurs congés de farces : « En supportant nostre ignorance. » Gautier et Martin.

L’AMOUREUX

British Library

British Library

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L’AMOUREUX

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Cette farce a vu le jour en Picardie vers 1500. Elle a beaucoup circulé : un grand nombre d’octosyllabes débordent sur deux vers, et ont subi des coupures ou des additions qui perturbent la métrique et les rimes. J’ai tenté de mettre un peu d’ordre dans la versification pour que la pièce redevienne jouable.

Dans les farces, l’Amoureux est un amant ou un futur amant. Il n’est pas là pour parler d’amour à sa dulcinée, mais pour la tringler le plus vite possible pendant que le cocu est dehors. Son caractère est un mélange de fatuité et de lâcheté ; quand le mari débarque à l’improviste, l’Amoureux perd tous ses moyens et dépend totalement de sa maîtresse, qui est la seule à garder son sang-froid. On comprend mal pourquoi la pièce a été baptisée l’Amoureux ; ce personnage falot disparaît définitivement derrière le rideau de fond après le vers 135. Le comédien qui jouait son rôle a probablement tenu, à partir du vers 202, celui de maître Éloi : déjà à moitié nu, il n’avait qu’à mettre une robe et un chapeau de médecin, et à prendre un urinal. Ces doubles emplois étaient monnaie courante : voir la notice des Drois de la Porte Bodés.

Source : Recueil du British Museum, nº 13. Farce publiée vers 1550 par Nicolas Chrestien. Contrairement à ses habitudes, cet éditeur parisien n’a pas traduit les nombreux particularismes picards qui émaillent le texte, sans doute parce qu’il ne les comprenait pas.

Structure : Rimes plates, avec 1 triolet.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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Farce nouvelle trèsbonne

et fort joyeuse d’un

Amoureux

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À quatre personnages, c’est assavoir :

       L’HOMME  [Roger]

       LA  FEMME  [Alison]

       L’AMOUREUX

       et  LE  MÉDECIN  [maistre Éloy]

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                L’AMOUREUX

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                        L’HOMME  commence                            SCÈNE  I

        Ma femme !

                        LA  FEMME

                              Que vous plaist, Roger1 ?

                        L’HOMME

        Et ! venez avant, [orderon2] !

        Vous fault-il [céans] tant jocquer3 ?

        Ma femme !

                        LA  FEMME

                              Que vous plaist, Roger ?

                        L’HOMME

5      À Dinan m’en veulx, sans targer4,

        Aller achepter un chauld(e)ron.

        Ma femme !

                        LA  FEMME

                              Que vous plaist, Roger ?

                        L’HOMME

        Et ! venez avant, orderon !

        Vous fault-il tant jocquer ?

                        LA  FEMME

10    [Or çà]5 ! me voicy, mon baron.

        Que vous plaist-il que je [vous] face6 ?

                        L’HOMME

        Que tu me baille ma besasse ;

        Et de paour d’avoir fain aux dens7,

        Boute un morseau de pain dedans

15    Et un morceau de chair sallée.

                        LA  FEMME

        J(e) y voys8.

                        L’HOMME

                             Pleure ma bien-allée9 !

                        LA  FEMME

        Pleurer, Roger ? Et ! je varye10.

        Que pleust à la vierge Marie

        Que vo11 voyage fût jà fait !

20    Car j’ay le courage deffait

        Incontinent12 que ne vous voy.

                        L’HOMME

        Or bien, Alison, je m’en voy.

        Garde[z] bien [tout], dessoubz, et desseure13 :

        S(e) autrement faicte[s] — soyez seure —

25    Que doit faire [une] preude femme

        [Qui a paour de honte et de blasme,]14

        Je compteray au retourner15 !

                        LA  FEMME

        Mais escoutez[-le] soubsonner16 !

        Que malle sanglante17 journée

30    Vous soit aujourd’hüy donnée !

        Venez çà, Roger, mon amy :

        Avez-vous trouvé faulte en my18,

        Parquoy me devez cela dire ?

        Vous me faictes [tressuer d’ire]19.

35    Je ne suis point du lieu20 venue.

        Me suis-je avecq vous maintenue21

        Autrement qu’e[n] femme de bien ?

                        L’HOMME

        Nostre Dame ! je n’en sçay rien.

        Aussi n’en veulx-je rien sçavoir.

                        LA  FEMME

40    Je ne vouldroye, pour mal avoir22,

        Vous faire telle villennie.

                        L’HOMME

        Alison, je ne le dy mye ;

        [Ains je]23 le croys certainement.

                        LA  FEMME

        Vous souppesonnez moysement24 :

45    À cela ne vous fault arter25.

                        L’HOMME

        Je n’en veulx point trop enquester :

        Je crains bien d’en avoir26, en somme.

                        LA  FEMME

        Vous este(s) une moise27 personne.

        Partez-vous28 tost, je vous requière29 !

                        L’HOMME

50    Or bien,  Alison que j’ay tant chère :

        Baise-moy un peu,  au département30 !

                        LA  FEMME

        Je le veulx bien.

                        L’HOMME

                                    Doulcettement,

        [Baisez-moy31] droit à la bouchette.

        Mon Dieu, que vous estes doulcette32 !

55    Gramercy33 [vous dy], Alison.

        [Adieu !] Gardez bien no(z) maison.

        Je m’en yray jusques yla34 sans paistre35.

        Adieu, no(z) dame !

                        LA  FEMME

                                          Adieu, no(z) maistre !

.

        Il s’en est allé longuement36.                                      SCÈNE  II

60    Je ne plourerois point gramment37,

        Quand38 il ne reviendroit jamais.

.

                        L’AMOUREUX 39                                   SCÈNE  III

        Il est jà temps, je vous prometz,

        D’aller veoir Alison, m’amye.

        Son mary Roger n’y est mye :

65    Je l’ay veu en aller dehors.

.

        Dieu vous gard, belle au gentil corps                           SCÈNE  IV

        Mieulx fait que s’il estoit de cire40 !

                        LA  FEMME

        [Ce seroit]41 pour vous faire occire,

        S’on vous avoit cy veu venir.

                        L’AMOUREUX

70    Nennin, ma foy, mon souvenir42 :

        Il n’y avoit nulluy par voye43.

                        LA  FEMME

        Entrez céans, qu’on ne vous voye,

        Car je crains le parler des gens.

                        L’AMOUREUX 44

        Aussi fais-je. De voz bras gentz,

75    Vous me don(ne)rez à peu de plaist45

        Une acolée, s’il vous plaist

        [Et si le cueur ne vous en deult.]46

                        LA  FEMME

        Sus, de par Dieu : le cueur le veult.

        Acole[z-]moy doncq à deux bras !

                        L’AMOUREUX

80    (Que ne vous tiens-je entre deux draps !

        Je rabaisseroye bien vo(z) quaquet47.)

                        LA  FEMME

        Il [nous] fault faire le bancquet48,

        Mon amy, avant qu(e) on se couche.

                        L’AMOUREUX

        Nous le ferons tantost, ma doulce.

85    Hastons-nous tost d’aller coucher :

        J’ay grand désir à49 vous aprocher

        Entre deux draps, mon joly con50.

        Ceste bouteille de vin bon

        Nous bouterons, par grand délit,

90    Icy auprès de nostre lict,

        Affin — s(e) aucun de nous51 s’esveille —

        Qu’il52 puist prendre ceste bouteille

        Et en taster un sapïon53.

                        LA  FEMME

        Vous este(s) un vaillant champïon,

95    Et bien entendu54 en cest affaire.

                        L’AMOUREUX

        Çà, Alison, qu’est-il de faire55 ?

                        LA  FEMME

        Et ! que sçay-je ? Despouillons-nous56.

                        L’AMOUREUX

        Avant ! tire là57 !

.

                        L’HOMME                                              SCÈNE  V

                                        Mes genoulx

        [S]ont froitz, aussi [s]ont mes menettes58 ;

100  Je les mettray en ma braguette

        Pour estre un peu plus chauldement.

        J’ay [un] si bel entendement59 !…

        Que le sang du cul me rebourse60 !

        Quoy ? [mon Dieu], j’ay perdu ma bourse !

105  Je l’ay laissée en no(z) maison.

        A,  tu y fouilleras, Alison :

        T(u) es femme pour me desrober.

        C’estoit bien [fait] pour m’adober61,

        D’aller marchander sans argent.

110  Il me fault estre diligent

        De retourner tout maulgré my62.

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                        LA  FEMME                                            SCÈNE  VI

        Estes-vous point prest, mon amy ?

                        L’AMOUREUX

        Je n’ay mais que cest[e] esguillette63.

        Couchez-vous tousjours, ma fillette ;

115  Incontinent vous suiveray.

                        LA  FEMME

        (Je ne sçay où je pisseray

        Un peu d’eauë ; voicy merveille !

        Dedans ceste vieille bouteille

        Je pisseray, c’est le meilleur.)64

.

                        L’HOMME                                              SCÈNE  VII

120  Loué en soit Nostre Seigneur !

        Je suis bien près de no(z) maison.

.

        Hau65 ! Où este[s-]vous, Alison ?                              SCÈNE  VIII

        Haulà, hau ! [Ouvrez l’huis ! Hau, hau !66]

                        LA  FEMME 67

        Bucquez bas68, ce n’est point bordeau69 !

125  Que bucquez-vous ? Qu[i] esse-là ?

                        L’HOMME

        C’est Roger, qui vous accolla

        Au soir70, et gaigna le chauldeau.

                        L’AMOUREUX

        Pendre le puist-on d’un cordeau !

        Je suis bien de malheure né71.

130  [Vrayment, je suis tout estonné.]72

        Las ! où me bout(e)ray-je, Alison ?

        Il me tura comme un oyson ;

        S’il me trouve, je suis destruit73.

                        LA  FEMME

        Boutez-vous [icy] soubz no(z) lict ;

135  Cachez-vous soubz no(z) couverture74.

                        L’HOMME

        Ne me ferez-vous point ouverture ?

        Demoureray-je icy ?

                        LA  FEMME

                                          On va à vous.75

.

        Las ! je me meurs,  Roger.

                        L’HOMME

                                            Et ! qu’avez-vous,  m’amye ?

                        LA  FEMME

        Je suis à mon deffinement76.

                        L’HOMME

140  Si tost et si hastivement ?

                        LA  FEMME

        Hélas, voir[e], depuis orains77.

                        L’HOMME

        Et où vous tient ce mal ?

                        LA  FEMME

                                                 Au[x] reims

        Et partout.

                        L’HOMME

                           Voicy grand pitié !

        Ayez le cueur [ferme, et le pié]78 !

145  A, Dieu79 ! Jésuchrist, roy divin !

        Vous yrai-ge quérir du vin80 ?

                        LA  FEMME

        Je ne sçay.

                        L’HOMME

                           [Dea !] c’est le meilleur  de vostre fait.

        N’avez-vous rien dessus81 le cueur

        Qu’à no(z) curé vous vueillez dire ?

150  Le chemin vous convient eslire82 :

        Vous n’en povez que de mieulx estre.

                        LA  FEMME

        Point n’est maladie de prebstre83

        Pour ceste foys-[cy, ce]84 me semble.

        Sentez un peu comment il tremble ;

155  Oncques ne fut en tel mestier85.

                        L’HOMME

        Mon Dieu, que vous devez86 cauquier !

        Ne vous sçaurois-je en rien ayder ?

                        LA  FEMME

        Rien n’y povez remédïer

        Se ne faictes ce que je diray :

160  Ceste bouteille vous prendré,

        Où j’ay laissé de mon excloy87 ;

        La88 porterez à maistre Éloy

        — Qui est médecin bien appert89

        Affin qu’il vous die en espert

165  Dont90 ce grand mal icy me vient.

                        L’HOMME

        J(e) y vois, belle dame,  en tant qu’il m’en souvient91.

        Le vray en sauray droicte voye92.

.

        Hélas ! se ma femme perdoye,                                   SCÈNE  IX

        Je sçay, de vray, que je mourroye :

170  Après elle [je ne vivroye]93.

        Mon Dieu, que j’ay soif, [par mon âme] !

        Sang bieu ! De l’orine94 ma femme

        Me fault icy boire [d’]un traict95.

        Et fust de l’eauë du retrait96,

175  Par la mort bieu, s’en buveray-je97 !…

        [Cecy me semble vin, je gaige.]98

        Quel[le] dyable[rie]99 esse-cy ?

        Quoy ! ma femme pisse-elle ainsi ?

        Foy que je doys au Roy divin !

180  Ce pissat a tel goust de vin…

        C’est vin ! Cecy m’est bien propice.

        Puisque son con tel(le) chose pisse,

        Pour moy, grand dommage seroit

        [Se,] sans mon retour, el(le) mourroit.

185  Il m’en fault encore taster100

        Je veulx la bouteille esgouter101

        Pour sçavoir se plus rien n’y a.

        C’est droit glorïa-filïa102

        Pour laver ses dens ! Alison,

190  Mais103 que je soye en no(z) maison,

        Puisque vous pissez tel(le) vinée104,

        Je veulx, chascune matinée,

        Moy-mesmes vuider vo(z) bassin105.

        Mais que diray-je au médecin ?

195  J’ay tout beu l’orine ma femme.

        Pou, pou ! Je y pisseray moy-mesme

        En la bouteille : il cuydera,

        Quand l’orine regardera,

        Que ma femme l’eust uriné.

200  Je tromperay le domine106

        Bien finement, par ceste sorte.107

.

                        LE  MÉDECIN 108                                  SCÈNE  X

        Quoy ! médecine est-elle morte ?

        El(le) ne me fait plus rien gaigner.

        C’est [bien] assez pour enrager,

205  Tant en suis[-je] fort tourmenté.

        Si109, suis bien espérimenté

        Pour la santé du patïent.

.

                        L’HOMME                                               SCÈNE  XI

        J’ay fait comme un homme sïent110,

        De pisser en ma boutelette111 :

210  [Car] j’apperçoy en la voyette112

        Le médecin, ce m’est advis.

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        Sire, le Dieu de Paradis                                             SCÈNE  XII

        Vous doint paix et bonne santé113 !

        Je vous ay [de l’eaue apporté]114

215  [De ma femme115.] Or, visitez-la116,

        [Pour congnoistre quel mal elle a.]117

                        LE  MÉDECIN 118

        Versez[-la] cy, que je la voye…

        Fy, fy, ruez cela en voye119 !

                        L’HOMME

        Y a-il à dire en son fait ?

                        LE  MÉDECIN

220  C’est [d’]une femme qui a fait

        Cela120 cent foys sans son mary.

                        L’HOMME

        Cent foys cela ? J’en suis marry !

                        LE  MÉDECIN

        Son urine ainsi le descœuvre.

                        L’HOMME

        (Sang bieu ! ce n’est point de mon œuvre,

225  Car je ne m’en mesle plus gouste121.)

        N’en parlez-vous point [dans le]122 doubte ?

                        LE  MÉDECIN

        Nenny, certe(s), il est vérité.

                        L’HOMME

        (Que diable esse-cy ! je suis copauldé123.

        Je ne sçay de qui ce peult estre ;

230  Ne seroit-ce point de vous, no prestre ?

        Vous passez bien souvent par là.)

        Or tenez, médecin : voylà

        Un peu d’argent124 que je vous donne.

                        LE  MÉDECIN

        Gramercy ! Je vous abandonne

235  Tout mon logis entièrement125.

                        L’HOMME

        Je vous remercie grandement126.

.

        Suis-je cocu ? C’est chose voire127.                          SCÈNE  XIII

        Toutesfoys, je ne le puis croire.

        Mais qui en soit le père, [j’en seray] 128 le papa.

240  Jamais femme ne me trompa

        Que ceste-cy, sans nul129 excet.

        Mais130 c’est un bien que nul ne scet

        [Qu’on m’a fait grand honte et diffame,]131

        Sauf132 le médecin et ma femme,

245  Et celuy qui m’a copaud[é]

        Et [est tant]133 fin.

                                        Prenez en gré,

        Seigneurs qui estes en134 présent !

        Prenez en gré l’esbatement !135

.

                                         FIN

*

1 Le couple est chez lui. On songe au début du Nouveau marié, publié vers la même époque par le même éditeur : « –Thomasse ! –Que vous plaist, Roger ? » Ce rapprochement est signalé par André TISSIER : Recueil de farces, t. IV, 1989, pp. 69-109. Son édition est d’autant plus intéressante que, par extraordinaire, lui et moi ne sommes d’accord sur à peu près rien.   2 Venez ici, souillon ! Orderon [orde = sale] n’est noté qu’au refrain du vers 8. « Mais avez ouÿ l’orderon,/ Comment elle est bien gracieuse ? » Le Chauldronnier.   3 Musarder. Sauf rares exceptions, je ne signalerai pas les termes et les tournures issus du patois picard : il y en a trop.   4 Sans tarder. La ville belge de Dinant, proche de la Picardie, avait pour spécialité les articles de « dinanderie » : chaudrons, poêles, etc.   5 BM : Sa  (« Mon baron » est un titre goguenard que les épouses donnent à leur mari tyrannique. Cf. le Bateleur, vers 78.)   6 Que puis-je faire pour votre service ? Cette formule de politesse est réservée aux domestiques : « Que voulez-vous que je vous face ? » L’Aveugle et Saudret.   7 De peur que j’aie faim. Cf. le Capitaine Mal-en-point, vers 151.   8 J’y vais. Idem vers 22 et 166. Alison remplit la besace de son époux, mais elle se garde bien d’y mettre du vin, qu’il a omis de réclamer.   9 Mon départ.   10 Je me retiens. Cf. Frère Guillebert, vers 350.   11 BM : vostre  (Les pronoms picards no [notre] et vo [votre] jalonnent la pièce. L’éditeur parisien a cru bien faire en y ajoutant presque toujours un « z ». Je les signale ici une fois pour toutes. No : vers 56, 58, 121, 134, 149, 190, 230. Vo : vers 19, 81, 193.)   12 Dès.   13 Dessus. Gardez la maison et vous-même. « Gardez bien tout ! » Le Povre Jouhan.   14 Vers manquant. Paour = peur, comme au vers 13. « Il n’est dame nulle qui, en sa pensée, ne vive amoureusement. Et nulle autre chose ne la restraint sinon que elle a paour de honte et de blasme. » Livre de Troïlus.   15 Nous réglerons nos comptes à mon retour.   16 Me soupçonner. La graphie de ce mot est encore plus hétéroclite au vers 44.   17 Qu’une mauvaise et maudite.   18 En moi. Même pronom picard au vers 111.   19 BM : bien tresues de oye  (Transpirer de colère. Cette locution est banale en ancien français, mais inusitée en moyen français, d’où l’embarras de l’imprimeur. « Sa femme, qui d’ire tressue. » Roman du comte d’Anjou.)   20 Du mauvais lieu, du bordel. « De mon corps/ N’ay jà faict chose (…)/ Dont j’aye déshonneur et reproche,/ Car je ne suis du lieu venue. » (Pernet qui va au vin.) Ce rapprochement est signalé par André Tissier.   21 BM : maintenant  (Comportée.)   22 Quoi qu’il m’en coûte.   23 BM : Ainsi  (Mais je.)   24 Vous me soupçonnez mauvaisement, à tort.   25 Arrêter.   26 D’avoir des cornes de cocu.   27 Mauvaise.   28 Partez ! « Partez-moy plus tost que plus tart ! » Le Poulier à sis personnages.   29 BM : requiers  (Forme picarde de l’indicatif. « Si vous requière humblement que vuilhiez recordier… » Jean d’Outremeuse.)  Partez vite, je vous prie !   30 À mon départ. « Baisez-moy, mon doulx plaisir,/ Au moins à vo département. » Le Povre Jouhan.   31 Lacune. « Je baise ung petit [un peu], nu à nue,/ Sa bouchète. » Serre-porte.   32 Les Picards prononçaient « douchette », comme ils prononçaient « douche » au vers 84.   33 Grand merci. Idem v. 234.   34 En latin, illa = par là. Cf. le Badin qui se loue, vers 278.   35 BM : repaistre  (Sans flâner comme un cheval qui broute en chemin.)   36 Pour longtemps.   37 Grandement.   38 Au cas où.   39 Vêtu comme un noble et muni d’une bouteille, il se dirige vers la demeure d’Alison.   40 « Elle vous a ung corps tant gent (…)/ Et est faicte comme de cire. » Serre-porte.   41 BM : Seroit assez  (« Ce seroit pour vous affoller ! » Les Hommes qui font saller leurs femmes.)   42 Mon amour. « Adieu vous dy, mon souvenir ! » Le Povre Jouhan.   43 Personne sur la route.   44 Il entre chez Alison.   45 De plaids : en peu de mots.   46 Vers manquant. Et si votre cœur n’en est pas chagriné. « Le cueur m’en deult, j’en suis marry. » Ung Fol changant divers propos.   47 Cf. le Dorellot, vers 97.   48 La collation qui fortifie les amants avant qu’ils ne passent à l’acte. Cf. Pour le Cry de la Bazoche, vers 589.   49 De. « J’ay désir/ À y aller. » Mistère du Siège d’Orléans.   50 Métonymie par laquelle la partie la plus spécifique de la femme représente la femme tout entière. « Mon con,/ Ne dictes mot ! » Colin qui loue et despite Dieu.   51 Si l’un de nous deux.   52 BM : Vous   53 En goûter une gorgée. L’Amoureux pose à côté du lit sa bouteille, non loin d’une autre qui est vide.   54 Vous vous y entendez. « Gens entenduz en cest affaire. » (Arrests d’Amours.) La question que l’Amoureux va poser montre qu’il n’a pas autant d’expérience qu’il veut le faire croire.   55 Que faut-il faire ? Le gentilhomme est un peu perdu : il n’a pas son valet pour le dévêtir et le déchausser.   56 Déshabillons-nous. Cf. la Fille bastelierre, vers 20.   57 Le gentilhomme tente de retirer tout seul ses houseaux de cavalier. Par habitude, il crie l’ordre qu’il donne à son valet pour que ce dernier le déchausse.   58 Mes menottes, mes petites mains.   59 Présence d’esprit. Double sens involontaire : Pénis. « Je ne vey aussi dur engin/ Comment il a, par mon serment !/ Ha ! il a bel entendement. » Pernet qui va à l’escolle.   60 BM : rebrousse  (Aille à rebours, se retire. « Et mon sens dedens moy rebourse. » J. le Fèvre de Ressons.)  Roger se rend compte que sa bourse n’est pas dans sa braguette. Sur la coutume qu’ont les hommes de cacher leur argent dans la braguette, voir Saincte-Caquette, vers 424 et note.   61 Pour me faire adouber, pour recevoir (symboliquement) des coups d’épée. « S’il n’eust tantost faict le départ,/ Je l’eusse moult bien adoubé ! » ATILF.   62 De retourner à la maison malgré moi. Le mari rebrousse chemin.   63 Je n’ai plus qu’à défaire le cordon qui attache mon haut-de-chausses à mon pourpoint. Voir la note 55.   64 Alison prend la bouteille vide, s’accroupit dessus, vêtue d’une chemise longue, et fait semblant d’uriner. Ce genre d’exhibition, dont nous verrons plus loin l’équivalent masculin, devait plaire au public ; voir les vers 179-186 de Saincte-Caquette.   65 Roger frappe à sa porte.   66 Lacune. « Holà, hau ! Ouvrez l’uys ! » Le Retraict.   67 Derrière la porte fermée.   68 Frappez moins fort. « –Holà, hau ! –Vous buquez bien fort ! » Le Retraict.   69 Ce n’est pas un bordel. BM intervertit ce vers et le suivant.   70 Hier soir. Le chaudeau flamand est un reconstituant que l’on sert aux amants qui se sont surmenés. Roger l’a d’autant plus mérité qu’il ne se mêle plus beaucoup de ces choses, comme il l’avoue au vers 225. Pour se faire ouvrir une porte, il est d’usage de fournir une « enseigne », une phrase de reconnaissance que la personne qui est derrière la porte est seule à pouvoir interpréter.   71 Je suis né à une mauvaise heure, sous une mauvaise étoile.   72 Vers manquant. Étonné = foudroyé par le tonnerre. « Je suis bien de malheure née./ Comment ! je suis toute estonnée. » Le Nouveau marié.   73 Ces jérémiades ressemblent beaucoup à celles que chevrote l’Amoureux du Retraict <vers 238-243>, qui voudrait s’abriter sous le lit de sa maîtresse.   74 La couverture qui pend de chaque côté du lit dissimulera l’Amoureux.   75 Alison ouvre à son mari, et fait semblant de s’évanouir dans ses bras.   76 Je décline.   77 BM : au rens  (Depuis orains = Depuis tout à l’heure. « On t’a hideusement,/ Puis orains, brouillé le visaige. » Mahuet.)   78 BM : fermy  (Ayez aussi le pied ferme. « Et de vous tous, je ne sçay qu’ung/ Où je puisse trouver pié ferme. » Pates-ouaintes.)   79 BM : bien  (Roger pose sa femme sur le lit sous lequel tremble l’Amoureux.)   80 On se soignait avec des vins médicinaux, dont le plus célèbre était l’hypocras. Le vin est le remède favori de l’ivrogne Roger, comme c’est celui de l’ivrogne Pathelin : « Que j’aye une foys de bon vin,/ Ou mourir il me conviendra. »   81 BM : sur  (Il fallait se confesser avant de mourir. Roger se voit déjà veuf.)   82 Vous devez choisir la bonne voie, celle qui mène au Paradis. « Quel chemin vous devez eslire. » G. de Machaut.   83 « C’est-à-dire une maladie mortelle, qui nécessite la présence d’un prêtre pour l’administration des derniers sacrements. » A. Tissier.   84 BM : icy se  (La maladie d’Alison affecte son « con », sur lequel elle pose d’ailleurs la main de son mari.)   85 Mon con ne fut jamais dans un tel besoin.   86 BM : auez  (Que vous devez être meurtrie.)  Double sens involontaire : le verbe cauquier, forme picarde de côcher, signifie copuler. « Cons rechiniés, froissiés et desbauchiés,/ Plus effûtés [disposés] de culer et caucquier. » Jehan Molinet.   87 De mon escloi, de mon urine. « Et estoient tellement martiriiés de soif que il leur convenoit souventesfois boire leur escloyt. » (ATILF.) Alison se trompe de bouteille, et montre à Roger le vin que son amant a posé là.   88 BM : Puis le   89 Habile.   90 D’où.   91 J’y vais, dans la mesure où je m’en souviens. Roger n’a aucune mémoire : il a oublié sa bourse, et il va oublier pourquoi il a besoin d’un médecin.   92 Tout droit, rapidement. Roger sort en emportant la bouteille de vin blanc.   93 BM : il nen fault doubter.  (« S’il estoit ainsi, je ne vivroye sans toy, ma Camille. » F. de Belleforest.)   94 Un peu d’urine de. Idem vers 195 et 198. Roger a oublié de mettre une boisson dans sa besace (vers 12-15).   95 « Pour boire tout d’ung traict/ Ung pot de vin. » Le Gaudisseur.   96 Quand bien même ce serait de l’eau des latrines.   97 J’en boirai malgré tout. Roger boit au goulot.   98 Vers manquant. « Cecy me semble une vessie. » Grant Gosier.   99 Quelle tentation du diable. « Quel diablerie ! » Le Prince et les deux Sotz.   100 Goûter. Il finit la bouteille.   101 BM : escouter  (« A mainct godet et mainct verre esgouté. » R. de Collerye.)   102 C’est un vrai caryophyllum, une giroflée qui a l’odeur du clou de girofle et dont la décoction, prise en gargarisme, atténue la mauvaise haleine.   103 À condition. Roger est complètement ivre, ce qui explique les réactions et les paroles invraisemblables qui vont être les siennes.   104 BM : vrinee  (Un si bon vin. « Mais je pisse cent foiz soir et matin…./ Tel vinée me mettra à la fin [me tuera]. » Eustache Deschamps.)   105 Votre pot de chambre.   106 Le savant. Bien avant Diafoirus, les médicastres se paraient de titres latins.   107 Roger oublie que le médecin ne pourra pas prescrire de remède s’il ne peut déterminer la maladie dont souffre Alison. Il tourne le dos aux spectateurs et urine dans la bouteille. À propos des comédiens qui pissent devant le public, voir la note 50 de la Seconde Moralité.   108 Devant chez lui.   109 Pourtant, je.   110 Scient, avisé.   111 Dans ma petite bouteille. Cf. le Villain et son filz Jacob, vers 77.   112 Dans cette ruelle.   113 BM : vie   114 BM : apporte un peu deaue  (Je vous ai apporté de l’urine.)   115 Lacune. On précise toujours aux médecins, qui ne veulent pas se faire piéger, d’où provient cette urine : « C’est l’eau d’Oudin, mon bon espoulx. » Le Gallant quy a faict le coup.   116 Examinez son urine. Double sens involontaire : Pénétrez ma femme. De fait, Alison et le médecin se connaissent : vers 162-3.   117 Vers manquant. « Je vous apporte ici/ De l’urine de nostre maistre,/ Afin que vous puissiez cognoistre/ Quel mal il a. » Seconde Moralité.   118 Il tend un urinal à Roger pour qu’il y vide sa bouteille, qui n’est pas assez transparente pour être examinée. Le « médecin » qui scrute un urinal ressemble à madame Irma devant sa boule de cristal. Dans Jénin filz de rien, c’est d’ailleurs un devin qui lit dans les urines ; cet art divinatoire se nomme l’uromancie.   119 Jetez cette urine dans la rue. Le charlatan fait comme s’il y avait vu des choses qui heurtent sa morale.   120 L’amour. « Doulces fillettes/ Qui aimez bien faire cela. » Frère Guillebert.   121 Plus goutte, plus beaucoup. Roger est tellement soûl qu’il ne se rappelle plus que l’urine révélatrice est la sienne.   122 BM : en  (Sans savoir. « Dans le doubte & l’irrésolution. » Jean de Silhon.)   123 BM : copault  (Idem v. 245. « Coupauder : Pour faire cocu, planter des cornes. “Parce qu’il étoit sûr que sa femme ne le coupauderoit point.” » Le Roux.)  Roger se parle à lui-même.   124 Roger a retrouvé quelques pièces au fond de sa braguette.   125 « Vous êtes ici chez vous. » A. Tissier.   126 Non, merci. Roger s’en va. Dans son ivresse, il oublie de réclamer un remède pour son épouse ; à moins qu’il n’ait l’intention de laisser mourir cette dépravée.   127 Vraie.   128 BM : Il fault que ien soye  (Cette chanson est chantée dans Régnault qui se marie : « Et qui qu’en soit le père, tu seras le papa. »)  H. M. Brown <nº 273> n’a pas repéré la présente occurrence.   129 BM : nulz  (Sans nul except : sans aucune exception.)  Nous pouvons donc supposer que Roger n’a pas eu d’autre femme avant Alison.   130 BM : Pourtant  (Mais c’est une bonne chose que nul ne sache.)   131 Vers manquant. « M’a fait grant honte et grant diffame. » Le Ribault marié.   132 BM : Se   133 BM : atant  (Et qui est si rusé. « L’omme tant fin/ Dont l’on parle tant. » La Pippée.)   134 BM : icy  (Dans cette phrase, « présent » est un substantif, et non un adjectif, qui serait au pluriel.)  En présent [en personne] figure dans plusieurs congés de farces : « Vous qui estes ci en présent. » Le Mince de quaire.   135 Ce vers conclut beaucoup d’autres congés de farces : les Trois amoureux de la croix, Légier d’Argent, etc.

LE RAPORTEUR

Ms. La Vallière

Ms. La Vallière

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LE  RAPORTEUR

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Le semeur de zizanie qui manipule les personnages de cette farce rouennaise n’a rien à gagner, à part des coups ; il œuvre pour l’amour de l’art, puisque la médisance poussée à un tel degré relève du grand art. Le Raporteur, écrit vers 1510, a de nombreux points communs avec les Chambèrières et Débat, mais il n’en a aucun avec la sottie des Rapporteurs.

En 1499, Louis XII avait institué par lettres patentes la Basoche de Rouen. Cette confrérie studieuse et néanmoins joyeuse, imitant son illustre aînée parisienne, s’adonnait au théâtre ; nous en avons un exemple avec le Ribault marié. En voici un nouvel exemple, si l’on en juge par ses nombreuses références au monde judiciaire. Dans cette farce, nos clercs de procureurs prennent pour tête de Turc un rapporteur, c’est-à-dire un officier de Justice qui rend compte des procès. Ils n’oublient pas non plus d’égratigner leurs rivaux, les Conards de Rouen, qu’ils traitent de cocus à quatre reprises.

Source : Manuscrit La Vallière, nº 30. Beaucoup de vers ont été rayés, expurgés ou rénovés au début du XVIIe siècle, sans doute en vue d’une publication ; je m’en tiens à l’original chaque fois que le ratureur* ne l’a pas rendu illisible. Les éditeurs de 1837 n’ont pas pris tant de peine, et tous ceux qui, faute de mieux, ont lu les 509 vers de leur édition auront d’heureuses surprises s’ils les comparent aux 545 vers non censurés que voici. Mais ne soyons pas médisant.   *C’est le même remanieur qui a sévi dans le Tesmoing et dans l’Arbalestre. En revanche, les vrais chefs-d’œuvre du manuscrit La Vallière n’ont pas eu l’heur d’intéresser les hommes du XVIIe siècle.

Structure : Rimes plates, avec 4 triolets.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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Farce du

Raporteur

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À quatre personnages, c’est assavoir :

       LE  BADIN

       LA  FEMME  [Catherine]

       LE  MARY

       et  LA  VOYESINE  [Janeton]

*

 

                        LE  BADIN  commence 1                         SCÈNE  I

        Trop me desplaist le séjourner2 :

        Je ne fais cy que m’amuser3.

        À perte ou gain, n’a que courage4.

        Sy j’ey jamais femme, je gage,

5      Vous en vouérez tost de mar[r]is.

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                        LA  FEMME 5                                         SCÈNE  II

        Comment ! est-il dict que maris

        Seront maistres en la maison ?

        Nennin, vrayment, pas n’est raison !

        Trop l’ont tenu pour bien aquis.

10    Est-ce le temps et la saison

        Que les femmes n’ont plus saison

        D’estre mêtresses ? Quel devys !

        Seront il mêtresses en la maison.

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                        LE  MARY 6                                            SCÈNE  III

        Voécy ma femme. C’est raison,

15    Y fault bien que je la recorde7.

        Je jouray par-dessus la corde8.

        Cordin, cordel9. Quant me recorde10,

        Concordant je concorderay11.

        À la corde descorderay12 :

20    J’entens recorder13 ma voysine.

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                        LA  FEMME                                            SCÈNE  IV

        Cecy14 me poyse sur l’échyne :

        L’honneur des femmes est mys au croq15.

        Poulle[s] chantront16 devant le quoq

        Avant qu’i soyt la fin de moy17.

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                        LE  BADIN 18                                          SCÈNE  V

25    Dea ! [ma] voy(e)sine, acolez-moy !

        Je suys joyeulx de vostre vue.

                        LA  FEMME

        J’ey bien désiré ta venue,

        Amy : tu soys le bien venu !

        Est-il rien de bon survenu ?

30    Je te pry fort, conte-le-moy !

        Tu m’ôteras de tout esmoy

        De ce  que j’ey.

                        LE  BADIN

                                  Je n’eusses pas pensé,

        Ma commère, [qu’eussiez passé]19

        Le diffame en ceste sorte.

                        LA  FEMME

35    Et  quoy, Jésus ?

                        LE  BADIN

                                     Dèrière la porte,

        ………………………….. 20

        Le trouvys qui se démenoyt ;

        Elle sy fort le tourmentoyt

        [Qu’il me]21 sembloyt (m’estoyt advys)

        Qu’il estoyent plus fors qu’ennemys22.

40    Y sembloyt — ou23 je suys trompé —

        Qu’il estoyt quasy achopé24 :

        Par ma foy ! y n’en pouvoyt plus.

        Y l’ont faict quatre foys ou plus.

        Mais devynez de la matière25.

                        LA  FEMME

45    C’est  mon mary et la chambèrière ?

        Jésus ! je suys désonorée.

        Il en mauldira la journée,

        Et l’en punyray, de ma part !

        Ma foy, je le feray conart26,

50    Ou je le batray bien mon soûl !

                        LE  BADIN

        Encor est-il beaucoup plus foul

        De soy vanter parmy la rue

        Que quatre foys vous a batue.

        Je m’esbaÿs d’u[n tel] diffame.

55    Vous qui estes fille de Dame27,

        Soufrir par un vilain testu

        Que vostre honneur soyt abatu,

        C’est assez pour vif arager28 !

        Sy je ne m’en pou[voy]es venger,

60    Ma foy, je le feroys cocu29.

                        LA  FEMME

        Compère, me conseilles-tu

        Que toult à mon aise le bate ?

                        LE  BADIN

        Escoustez-moy, par saincte Agate !

        Ne pensez pas que je vous mente :

65    Poinct ne suys celuy qui se vante.

        (Pour raporter, ce m’est assez30.)

        Et ! dea, dea ! Vous me congnoyssez,

        Vous savez très bien qui je suys.

                        LA  FEMME

        Las, Nostre Dame ! Je ne puys

70    Penser comme m’en vengeray.

        Je ne say sy je le feray

        Conart, ou sy je l’envoyeray paistre31.

                        LE  BADIN

        Avisez-y. Voécy le maistre32

        Qui vous servira de sa part.

                        LA  FEMME

75    Mais où avoie-ge le regart,

        Quant je prins33 ceste sote beste ?

                        LE  BADIN

        S’yl est adverty de la feste34,

        Ne dictes pas que l’aye dict,

        Car je perdroyes mon crédict.

80    Ou aultrement, mandé seray35.

                        LA  FEMME

        Non feray, non, vous dictes vray.

                        LE  B[A]DIN

        Voy(e)re, mais tenez-moy segret36.

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                        LE  MARY 37                                           SCÈNE  VI

        Voécy bon : j’arage de froid,

        De fain, de soif, et suys malade.

85    Ma femme fect-elle la fade38,

        De moy gecter a remotys39 ?

        Par mon âme ! onques [je] ne vis

        Femme sy mauvaise à servir.

        Mais40, Messieurs, prenez-vous41 plaisir

90    Qu’elle ne me prise un festu42 ?

        Encores croi-ge que coqu

        Je suys. Et j’arage de fain :

        En ma maison n’a poinct de pain,

        Ne chose qui soyt pour menger.

95    N’esse pas bien pour arager,

        [D’estre venu en ceste place ?]43

        Je ne say pas plus que je face44,

        Ne sy [je] doibtz rire ou plourer.

        Rien ne me sert45 de demourer :

100  Je m’en voys droict à mon repère46.

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        Holà, ma femme !                                                      SCÈNE  VII

                        LE  BADIN

                                      Et, mon compère !

                        LA  FEMME

        [Un compère ? Mais un yvrongne]47 !

        Regardez qu’i faict rouge48 trongne !

        Tant  c’est un homme de bonne foy.

105   Venez hardiment, je vous voy49

        Tout  à ceste heure mectre la nape !

                        LE  BADIN

        Vous portez visage de pape50,

        Mon compère. Comme te va ?

                        LE  MARY

        À ceste heure-cy, à ceste heure-là,

110  Léger d’argent51.

                        LE  BADIN

                                      Esse cela ?

        Tu tiens icy bonne grimasse52 :

        C’est toy, c’est toy qui en amasse

        Tous les jours, dehors et dedens !

        Alons un peu rincher nos dens53,

115  Et laissons ceste gravité54.

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                        LE  MARY                                               SCÈNE  VIII

        Ma55 femme t’en a bien compté,

        Mais je ne l’ay pas entendue.

                        LE  BADIN

        Qui ? Ceste vielle refondue56 ?

        Laisse-la pour telle qu’el est,

120  Car tu peulx bien penser que c’est57.

        Je suys mar[r]y qu’el est ta femme.

        Qu’au deable soyt tout son diffamme58,

        Pour ton profict et grand honneur !

                        LE  MARY

        Comment, compère ?

                        LE  BADIN

                                            Pour le seur59,

125  J’en suys aussy mar[r]y que toy.

                        LE  MARY

        Et pourquoy, compère, pourquoy ?

                        LE  BADIN

        Pourquoy, compère ? El te difame,

        Et de son corps se faict infâme.

        Je te le dis cy à l’oreille.

130  Et j’entemps que, jour et nuict, veille

        Pour entretenir toutes gens.

                        LE  MARY

        Je le say il y a long temps,

        Vous ne dictes rien de nouveau.

        Mais qui ?

                        LE  BADIN

                           C’est messire Nicolle Biveau60,

135  Nostre curé, pour chose seure.

        En ta maison vient à toute heure :

        Tousjours, par elle, est [bien] receu.

                        LE  MARY

        Mon compère, as-tu61 aperceu

        Le curé ?

                        LE  BADIN

                           Voyre, le curé ;

140  Ce malheur-là t’a procuré.

        Entens : je ne le diroys pas62.

                        LE  MARY

        Vielle loudière63 ! Viel cabas !

        Je t’avoys bien donné congé

        À tous, fors à nostre curé64.

145  [Or çà]65 ! t’es-tu habandonnée ?

        Corps bieu ! tu en seras frotée66,

        Ou pas ne seray le plus fort67 !

                        LE  BADIN

        Compère, mectez y vostre effort

        À bien pourvoir à vostre cas.

150  Mais escoustez : ne dictes pas

        Que l’ayes dict.

                        LE  MARY

                                  Non, sur ma vye !

        Mais grandement vous remercye

        De ce que m’avez adverty.

        Bien congnoys qu’estes mon amy.

155  Adieu, compère, et grand mercys !

.

                        LE  BADIN 68                                          SCÈNE  IX

        Et la la la69 ! Il est bien pris.

        On luy fera tantost sa saulce70.

        Mais quel gentilhomme de Beaulce71 !

        Que[l] yvrongne ! Quelle tuache72 !

160  Contemplez un peu sa grimasse,

        Comme il s’en va batre sa femme

        En l’apelant « villaine infemme » !

        Mon Dieu, mon Dieu, quelle m[a]ygnye73 !

        Et tant il est fol qu’i se fye

165  Aulx raporteurs plains de méfaict.

.

                        LE  MARY 74                                           SCÈNE  X

        A ! ma femme, me l’av’ous faict75 ?

        Il vous sera bien cher vendu !

        Vous m’avez prins au trébuchet76.

        A ! ma femme, l’avez-vous faict ?

170  Vous l’avez bien faict et refaict,

        Mais c’est à vous mal entendu77.

        A ! ma femme, l’avez-vous faict ?

        Il vous sera bien cher vendu !

.

                        LA  VOYSINE 78                                     SCÈNE  XI

        Tout le bon temps s’en va perdu ;

175  Plus n’est saison de bonne chère.

        Ainsy comme j’ey entendu,

        Tout le bon temps s’en va perdu.

        Le mauvais temps est revenu.

        Vous en sçavez bien la manyère.

180  Tout le bon temps s’en va perdu ;

        Plus n’est saison de bonne chère.

                        LE  BADIN

        Voécy, pour Dieu79, bonne matière !

        Dea ! voisine, amye très chère,

        Dictes-moy un peu la manyère.

185  Ma voysine, je vous en prye :

        D’où vient ceste mélencolye,

        Dont j’ey ouÿ vostre complaincte ?

                        LA  VOISINE

        Du temps présent je me suys plaincte,

        Qui n’a en luy doulceur ne grâce.

                        LE  BADIN

190  (Mais escoustez ceste bécasse !)

        Vous y dussiez mestre police80.

        Sy vous monstrez vostre malice,

        Vous ferez encor[e] plus fort.

                        LA  VOISINE

        Et quoy ?

                        LE  BADIN

                         De bonne paix un grand éfort81.

195  (C’est la nature [de nos]82 femmes :

        Plus sont haultaines que gens d’armes83

        À leurs [amys, mais en tout bien]84.)

                        LA  VOISINE

        Que dictes-vous ?

                        LE  BADIN

                                     Je ne dis rien.

        Tout vient85 de vous.

                        LA  VOISINE

                                           Quoy ? vous mentez !

200  Par sainct Crespin, vous en mour[r]ez !86

        Esse ainsy [myeulx], sote personne ?

                        LE  BADIN

        Ne frapez plus, mot je ne sonne87 !

        (Le cœur me crève de despit.)

                        LA  VOISINE

        Retire-toy, pour ton profit,

205  Et te contente de [ta part]88 !

                        LE  BADIN

        (Le gibet y ayt male89 part !

        Je ne say plus que90 je veuil dire.)

        J’ey veu le temps que souloys rire91,

        Et faisoys du bon compaignon

210  Avec commère Janeton92.

        Mais [quoy], le temps passé n’est plus ;

        Tout s’en va, on n’en parle plus.

        On ne tient compte des amys.

                        LA  VOISINE

        Mon amy93, il m’estoyt advys

215  Que94 je faisoys en bonne foy.

        Et ! dea, voysin, acolez-moy,

        Comment vous [me] dictes95.

                        LE  BADIN

                                                       Comment ?

        À vostre bon commandement,

        Tout fin prest à payer de[mye] carte96

220  Devant que nostre jeu départe97,

        S’il le vous plaist.

                        LA  VOISINE

                                      Dea, grand mersis !

        Vrayment, depuys que ne vous vis,

        Vous me semblez98 jolys et beau.

                        LE  BADIN

        Je say bien chose de nouveau99,

225  [Mais] à vostre grand déshonneur.

                        LA  VOISINE

        Voulez-vous dire ?

                        LE  BADIN

                                      Tout  pour le seur,

        Je vous ay cherché toute jour100

        Pour le vous dire sans séjour101,

        Dont je suys en un gros esmoy.

                        LA  VOISINE

230  Voulez-vous dire [un peu de]102 quoy ?

        Sachons le faict, je vous en prye !

                        LE  BADIN

        Escoustez, commère, ma mye,

        L’orde vilain103 putain qu’el est.

        S’el[l]e m’avoyt dict ou mesfest104

235  Encontre moy de tel façon…

        Aler105 donner tel chaperon

        À telle honneste femme de bien !

                        LA VOISINE

        Perdue je suys, je le voy bien.

        Je cuyde entendre le mistère :

240  C’est la gorière106 qui veult faire

        De la privée107 par-dessus toulte.

                        LE  BADIN

        Voyre. Que la senglante goulte108

        La puisse saisir de despit !

                        LA  VOISINE

        Sav’ous pas bien qu’el109 vous a dict ?

245  Je vous110 prye que je le sache !

                        LE  BADIN

        Sans vous en faire grand relâche111,

        Que vous alez deçà, delà,

        [Et retournez par-cy, par-là,]112

        À la maison monsieur Benest113,

250  Et qu’el est plus belle qu’i n’est114.

        Vostre mary vous faicte[s] conart ;

        Et aussy, y faict le bragart

        Cheulx vostre prochaine voisine115.

                        LA  VOISINE

        Le deable luy rompe l’eschine,

255  L’orde vilain putain qu’el est !

        Esse bien dict ? Esse bien fest

        De difamer femme de bien

        Plus qu’elle n’est (je le say bien)116 ?

        Je luy crèveray les deulx yeulx !

                        LE  BADIN

260  Tousjours jasoit117 de myeulx en myeulx,

        Dont j’avoys le cœur sy mar[r]y.

        Sy ne fust esté son mary,

        Je luy eusse rompu l’eschine.

                        LA  VOISINE

        A ! je luy tiendray bonne myne.

265  Sy la rencontre emmy118 la rue,

        L’heure mauldira qu’el m’a veue !

                        LE  BADIN

        Y fauldra bien que vous jasez,

        Et aussy que vous caquetez119,

        Quant Catherine120 viendra icy.

                        LA  VOISINE

270  Pas n’aray le cœur endurcy121,

        Ne mon caquet, à sa venue !

        Je jure Dieu (qui fist la nue) :

        L’orde vilaine maquerelle

        Comperra122 toute la querelle !

275  [Plus n’en veulx maintenant crier,]123

        Ou je ne pouray pas parler

        Jusques-là.

.

                        LE  BADIN 124                                        SCÈNE  XII

                           A ! ne vous desplaise,

        Y fault — sans que s[o]ies à malaise125

        Parler un peu de mon procès :

280  Car l’autre jour, je fis excès,

        Dont adjourné je suys en126 Court.

.

                        LA  VOISINE 127                                    SCÈNE  XIII

        Je feray sa saulce à la Court128

        Et dens sa maison. Puys après,

        M’en iray parler tout exprès

285  À elle, pour veoir qu’el veult dire129.

.

                        LE  BADIN                                               SCÈNE  XIV

        Voylà assez bon jeu pour rire.

        Vous voérez tantost la bataille

        De femmes par-dessus la paille130.

        Mon Dieu, quel déduict ce sera !

290  Mauldict soyt-il qui se faindra131

        De fraper, s’y puys ariver132.

        Je les ay faictes couroucer :

        Par mon serment ! j’en suys joyeulx.

        Premièrement, encor je veulx

295  Aler cheulx la grand Catherine133

        Pour contempler un peu leur myne

        Et voèr que son mary a fect134,

        S’il est en bon poinct ou défect135 ;

        J’en veulx sçavoir toute la fin.

.

300  Holà, ma commère Catin !                                         SCÈNE  XV

        Dormez-vous ?

                       LA  FEMME

                                   Dieu gard le beau Père136 !…

        Avez-vous veu vostre compère137 ?

        Dictes, où l’avez-vous laissé ?

                        LE  BADIN

        Il semble estre tout couroucé ;

305  Il est bien mar[r]y, ce me semble.

                        LA  FEMME

        Il aura grand peur, [s’il ne tramble]138.

        Quant viendra, il sera repu139.

                        LE  BADIN

        Et ! comment ? N’est-il pas venu

        Dens sa maison ?

                        LA  FEMME

                                       Nennin, nennin.

                        LE  BADIN

310  Nennin ?

                        LA  FEMME

                         [Non, ce n’est qu’un jénin.]140

        [Aussi,] je les despites tous,

        Ces malureulx141 et [ces] jaloux.

        Je ne suys putain ne paillarde.

                        LE  BADIN

        Sy estes, que le feu vous arde142 !

315  Sy dict ainsy vostre voisine.

        Mais vous n’estes pas assez fine

        Pour entendre ce que je dis.

                        LA  FEMME

        El143 l’a dict ?

                        LE  BADIN

                                  Voyre. Et je luy144 dis

        Qu’il145 m’en desplaist bien grandement.

                        LA  FEMME

320  Dictes-moy donc le vray. Comment !

        Ne respondiez-vous146 rien au fect ?

                        LE  BADIN

        Quoy respondre ? Je dis de fect

        Que jamais ne fistes de feste

        Pour coucher avec aultre147 maistre

325  Comme elle [faict].

                        LA  FEMME

                                         Le viel cabas !

        Veult-elle contre moy débas ?

        Je luy feray bien maintenir !

                        LE  BADIN

        El doibt tantost icy venir ;

        Voyons que luy sarons respondre148.

                        LA  FEMME

330  Le gibet me puisse confondre

        Sy ne luy abas149 son quaquet !

.

                        LE  MARY 150                                        SCÈNE  XVI

        Où est ma femme ?

                        LA  FEMME

                                          Ouy dea, niquet151 !

        Vous m’avez joué d’un bon tour.

                        LE  MARY

        Vous m’avez mys la paste au four152 ;

335  Jamais je ne l’usses pencé.

                        LE  BADIN

        Or sus, sus,  c’est assez cabassé153 !

        Laissons un peu tous ces devys ;

        Soyez ensemble bons amys.

        Dictes une chanson plaisante !

340  Et puys en après, qu’on régente154

        Tous les débas de vostre cas155.

                        LE  MARY

        Guères ne me plaist tel fatras,

        Mais [c’est] bien pour l’amour de vous156.

        [Or,] dison un mot157 gay et doulx

345  Pour resjouir la compaignye.

                        Ilz chantent une chanson.158

.

                        LE  MARY

        Ma fem[m]e, quant je suys dehors,

        Le curé159 vous ayme, faict pas ?

                        LA  FEMME

        Mon mary, vous estes amors160

        D’aler monter dessus le corps

350  De la chamb(è)rière, n’êtes pas ?

                        LE  MARY

        Jamais je ne face repas161

        S’el en fust jamais coustumyère162 !

                        LA  FEMME

        Ouy dea, ouy ! Esse la manyère163,

        De dire que je vous faictz conard ?

355  Vous parlez164 là de bonne pard,

        Mon mary, d’aler « besongner »

        Alieurs, et aussy me laisser.

        Par Dieu ! je veulx que vous sachez

        Que mes membres165 sont myeulx dressés

360  Que ceulx de vostre chambèrière.

                        LE  BADIN

        Que sçavez-vous, amye très chère ?

        Y peult estre qu’i n’est pas vray.

                        LA  FEMME

        Sy est, pour vray ! Car je le sçay

        Que ce n’est c’un vilain putier.

                        LE  BADIN

365  (Vous laissez-vous répudïer166,

        Compère, ainsy à167 vostre femme ?)

                        LE  MARY

        Alez, putain puante infâme !

        Méchante layde désonneste !

        Par Dieu, je te rompray la teste !

                        LE  BADIN

370  Tout beau, tout beau, mauvais garson !

        Dea ! vostre père estoyt sy bon.

        [Vous vous mordrez]168 un peu le poulse.

                        LA  FEMME

        Va, vilain puant, barbe rousse169 !

        Mauldict soyt l’heure que170 te vis

375  Et que jamais tu aprochys

        De moy, et que je t’ay congneue !

                        LE  BADIN

        Par Dieu ! vous fustes bien pourveue :

        Sy ne fust luy, vous fussiez morte171.

        Que le grand deable vous emporte !

380  (Dessus, dessus ! Poussez, commère172 !)

                        LE  MARY

        Qu’esse que vous dictes, compère ?

                        LE  BADIN

        O,  je l[uy] ay dict qu’elle se taise,

        Sy el est sage [et qu’il luy plaise]173.

                        LA  FEMME 174

        Va, vilain ! [Va, mauvais garson !]175

385  Va pisser176 dedens ta maison

        Comme tu fais dedens l’église !

                        LE  BADIN

        Ce fust, par Dieu, dens sa chemise177

        Qu’i[l] y pissa le jour [St Flour]178.

        Et ! comment vous faictes le sourt !

390  (Poulsez, commère179, la querelle !)

.

                        LA  VOISINE 180                                   SCÈNE  XVII

        Où est ceste vielle maquerelle

        Qui va disant que suys paillarde ?

.

                        LE  BADIN 181                                        SCÈNE  XVIII

        Commère, montrez-vous gaillarde :

        Sainct Jehan ! voécy vostre voisine.

                        LA  FEMME

395  Par Dieu, je luy rompray l’eschine182 !

        Et ! qu’elle vienne hardyment !

.

                        LA  VOISINE 183                                     SCÈNE  XIX

        [Tu en auras, par mon serment !]184

        Vien çà, putain esservelée !

        Rongneuse à la teste pelée !

        Pÿon185, yvrongne et sac à vin !

400  Viel br[o]yon où meult186 le moulin !

        [Viel] visage tout pertuisé187 !

        Viel haillon tout avant pelé188 !

        Vous avez dict am[m]y189 la rue

        Que suys une putain congnue ?

405  Vous avez menty faulcement !

                        Ilz se batent ensemble.

                        LA  FEMME

        A ! cerveau hors d’entendement !

        Vieulx refuge des hôpitaulx190 !

        Escorcheresse de chevaulx !

        Laide puante au nés crochu191 !

410  Par Dieu ! il te sera meschu192,

        Reliquère193 de vieulx garsons,

        Plaine et garnye de morpïons !

        Maulvaise [rousse abominable]194 !

        Proserpine, mère du deable !

415  C’est vous qui m’avez diffamée.

                        LE  BADIN

        C’est, par bieu, elle.

                        LA  VOISINE

                                         Hau ! maudînée195 !

        Je ne [res]semble à ta cousine,

        Qui est une vielle quoquine

        Et premyer pill[i]er du bordeau196.

                        LE  BADIN

420  (Et son père, qui est méseau197.

        Poulsez, commère !)

                        LA  FEMME

                                           Que t(u) es nyce198 !

                        [LA  VOISINE]

        Jamais ne desroba[y] galice199

        [En contrefaisant le dévot,]200

        Com(me) ton mary.

                        LE  MARY

                                          Vous mentez trop,

425  Madame la putain ! Gardez

        Mon honneur, et vous regardez201

        Autant en yver qu’en esté.

        Vray est que l’avoys emprunté,

        Aveques tous les corporeaulx202.

                        LE  BADIN

430  Et là ! mile maulx, mile maulx ! 203

        (Compère, vous estes trop flac204.)

                        LA  VOISINE

        Que dictes-vous ?

                        LE  BADIN

                                     Rien.  Mais que le sac

        Se deslye, [nous saurons]205 tout.

        (Quoy ! n’en voérez-vous pas le boult ?

435  Sus, sus,  courage, deffendez-vous !)

                        LA  FEMME

        A ! vilaine !

                        LE  BADIN

                               (Cryez : « Mais206 vous ! »

        Courage, prenez bonne alaine !)

                        LA  VOISINE

        Retourne, retourne la layne

        Que tu desrobas au Palais207 !

                        LA  FEMME

440  Mais  toy, retourne rendre le fays

        [De sarments]208 prins aulx Jacopins !

                        LE  BADIN

        Et, la, la ! En ces bons lopins209,

        Alez encontre pour « jouster210 »

        Et vostre langue descliquer211.

445  Gardez-vous bien qu’el ne vous gaigne !

        Vous la ferez vessir d’engaigne212.

        Par  devers elle vous fault aller.

        (Je m’engresse de leur parler213.)

        Sus, ma commère ! Alez la batre !

                        LA  VOISINE

450  Bien le vouldroys, sans plus débatre ;

        Mais elle est plus forte que moy.

                        LA  FEMME

        Dictes, dame, par vostre foy :

        Qui esse qui vous a porté214

        Et ce faict icy raporté,

455  Pour quoy [vous me nommez]215 « cabas » ?

                        LE  BADIN

        (Commère, ne l’escoustez pas !

        Cryez, bréez216 comme une folle !)

                        LA  VOISINE

        Demandez-vous qui, teste folle ?

        Un homme de parmy le monde.

                        LA  FEMME

460  Mais qui ? Dictes !

                        LE  BADIN

                                        (Tout mal abonde

        À elle : ne l’escouste[z] poinct !

        Par bieu ! vous la gaignez d’un poinct.

        À crier, vous estes mêtresse :

        Cryez !)

                        LA  FEMME

                        Et ! venez [çà, deablesse]217 !

465  Qui esse qui le vous a dict ?

                        LA  VOISINE

        Pensez-vous que n’ays pas crédict

        Aussy bien que vous ? Sy ay, sy !

                        LE  BADIN

        (Commère, laissez tout cecy.

        Poulsez, et je vous ayderay.)

                        LA  FEMME

470  Venez [ç]à ! Dictes-moy le vray :

        Qui vous a raporté cela ?

                        LA  VOISINE

        Nostre compère que voélà,

        Lequel le maintiendra de hect218.

                        LE  BADIN

        Moy ? Jésus ! je ne say que c’est.

475  Sy je l’ay dict, je m’en desdis.

                        LA  FEMME

        C’est luy qui est plain de mesdis219 !

        Le voélà, parlez à sa barbe220 !

                        LE  MARY

        A ! je vous jure saincte Barbe

        Qu’autant il m’en a raporté,

480  Et vostre honneur a détracté221.

        Compère, est-il pas vray ? Parlez !

                        LE  BADIN

        Y vault myeulx que vous en alez222.

        Rien n’entens à vostre devise.

                        LA  VOISINE

        Trompés nous a de bonne guise.

485  Voyez-vous, il est bien meschant.

                        LA  FEMME

        Payé en sera tout comptant,

        Le méchant, de ce qu’il a faict.

                        LE  MARY

        Contenté223 sera du méfaict.

        Au malureulx224 ! Dessus ! Dessus !

                        LE  BADIN

490  Que me demandez-vous ? Jésus !

        Quant à  moy, je ne vous demande rien.

                        LA  FEMME

        Et nous, on vous demandons bien :

        Faictes-vous icy de la beste ?

                        LA  VOISINE

        De mon poing aurez sur la teste,

495  Puysque n’ay aultre fèrement225.

                        LA  FEMME 226

        Recepvez donc cest instrument,

        Maistre227 raporteur de parolle !

                        LE  MARY

        Vous en arez228, par mon serment !

                        LA  VOISINE

        Recepvez donc cest instrument !

                        LA  FEM[M]E

500  C’est pour vostre gouvernement

        Et pour la peine de vostre rôle229.

                        LE  MARY

        Recepvez donc cest instrument,

        [Maistre] raporteur de parolle !

                        LE  BADIN

        À la mort !

                        LA  VOISINE

                             A ! teste trop folle,

505  Vous l’avez trèsbien mérité !

                        LE  BADIN

        Pardonnez-moy, en vérité !

        À tous, je vous requiers pardon !

        Et en ce jour, j’auray par don230

        Que plus ne seray raporteur.

510  A ! raporteur[s] plain[s] de maleur :

        Laissez raport231 et faulx parler.

        On n’a que mal de raporter.

        Jésus ! le costé, et la teste !

        Par mon serment ! j’estoys bien beste

515  De me froter en tel ofice232.

        Le métier ne m’est pas propice :

        Je le quicte pour tout jamais.233

.

                        LE  MARY                                               SCÈNE  XX

        Fïer ne vous y fault jamais :

        Car de raport, c’est chose folle.

                        LA  FEMME

520  Il avoyt mal aprins son rolle.

        Or çà, ma gentille commère,

        Pardonnez-moy le vitupère

        Que je vous ay dict à grand tort.

                        LA  VOISINE

        J’ey bien cryé plus hault et fort

525  Que vous n’avez, pardonnez-moy.

                        LE  MARY

        A ! nostre femme, j’aperçoy

        Que vous vivez en loyaulté234.

        Tout ce que j’ey dict a esté

        Par faulx raport, pardonnez-moy.

                        LA  FEMME

530  De bon cœur vous pardonne.

                        LA  VOISINE

        Et moy235.

                        LE  MARY

                             Soyons bons amys, désormais !

                        ENSEMBLE

        Sy serons-nous, je vous promais.

.

                        LE  MARY

        Sans excuser leur ignorance,

        Tous raporteurs sont déchassés.236

535  À eulx, n’y a nule fiance,

        [Sans excuser leur ignorance.]

        Dont ne fault pas que nul s’avance

        Pour raporter : seront cassés.

        [Sans excuser leur ignorance]237,

540  [Tous raporteurs sont]238 déchassés.

        Messieurs, vous avez veu assez

        De quoy vous sert le faulx raport.

        [Que] Dieu nous conduye au bon port

        De Salut, et la compaignye239,

545  Avec sancté240 et bonne vye !

.

                                   FINIS

*

1 Un Badin est une sorte d’autiste dont les idées excentriques peuvent provoquer des catastrophes. Celui-ci traîne dans la rue, désœuvré. Tous les habitants de ce quartier où il habite sont ses voisins et ses amis.   2 De rester ici sans rien faire. C’est l’oisiveté, mère de tous les vices, qui va pousser le Badin à monter les gens les uns contre les autres.   3 Que perdre mon temps. Le vers est très difficile à lire ; non seulement le remanieur rature, mais en plus, il ajoute des signes et des repères qui peuvent passer pour des lettres. Et parfois, il modifie le texte original en le surchargeant avec une encre plus foncée.   4 En admettant que ce vers soit juste, il n’est pas clair. Je comprends : Qu’on perde ou qu’on gagne, il faut avoir le courage de jouer.   5 Elle s’apprête à rentrer chez elle, dans la même rue.   6 LV : badin  (Voyant son épouse entrer dans la maison, le mari préfère rester dehors.)   7 Que je me réconcilie avec elle. On trouve un jeu similaire sur le radical « corde » aux vers 27-33 de Deux hommes et leurs deux femmes.   8 C’est un des coups gagnants du jeu de paume. « Elle jouoit dessus la brune/ En passant par-dessus la corde. » Légier d’Argent.   9 Jeu de mots sur l’expression « C’est corbin et corbel » : c’est bonnet blanc et blanc bonnet. (Le corbin et le corbel sont les anciens noms du corbeau.)   10 Quand il m’en souvient.   11 Je ferai semblant d’être d’accord avec ma femme.   12 Je me déferai du lien du mariage.   13 LV : descorder  (J’ai l’intention de « besogner » ma voisine. « Tousjours (elle) me venoit quérir pour la recorder, que je fus une foys contrainct de la recorder plus de huit foys pour un jour. » Nicolas de Troyes.)   14 LV : sesy  (Cette situation me pèse.)   15 Est mis de côté. « Pendons soucy au crocq. » (Clément Marot.) Il s’agit tout particulièrement du crochet auquel les juges et les avocats pendent les sacs de procès : « Le procès pend au croc, ne se poursuit point. » Le Roux.   16 LV : chantant  (Les versificateurs normands élident le « e » quand ça les arrange : « Je chantray ma première messe. » D’un qui se fait examiner.)  « La poule ne doit point chanter avant le coq…. Proverbe qui signifie que la femme ne doit point parler avant son mari. » Le Roux.   17 Avant ma mort. Jeu de mots sur « la fin du mois ».   18 Il entre chez la femme.   19 LV : que eusies pense  (Rime du même au même.)  Que vous auriez laissé passer un tel déshonneur de cette manière.   20 Il manque 2 vers où le Badin affirme avoir surpris le mari de son interlocutrice avec leur chambrière.   21 LV : qui leur   22 Plus acharnés au « combat » que des ennemis.   23 LV : donc   24 Trébuché.   25 Mais vous devinez de quoi il s’agit.   26 Cornard, cocu. Idem vers 72, 251 et 354. Allusion fielleuse aux Conards de Rouen : voir ma notice.   27 D’une aristocrate. Pour expliquer la mésalliance de la fille, on suppose que le père était un valet.   28 Pour enrager tout vif. Idem vers 83, 92 et 95.   29 Sous-entendu : Vous seriez vengée si vous couchiez avec moi.   30 LV : ases  (Rapporter des mensonges aux uns et aux autres, c’est suffisant.)  Ce vers est dit en aparté.   31 Ou si je l’enverrai balader. Cf. le Retraict, vers 180.   32 Je suis celui.   33 Quand je pris en mariage.   34 De ce qui se trame contre lui.   35 Je serai convoqué au tribunal pour diffamation. Le Badin est un habitué du prétoire : voir les vers 279-281.   36 Secret, à l’écart.   37 Toujours dans la rue.   38 La folle. « Ha ! povres foulx ! Ha ! povres fades ! » Sermon joyeux à tous les foulx, BM 37.   39 LV : remolys  (À l’écart. « Doy-je estre mys a remotis ? » Ung jeune moyne.)  C’est une des expressions latines qui ponctuent les plaidoiries.   40 LV : mes  (Le scribe s’arroge la même fantaisie à 436.)  Le mari prend à témoin les basochiens de l’assistance, qui sont en train de s’esclaffer. Il les invoque une nouvelle fois au vers 541.   41 LV : prenes y  (Est-ce que cela vous fait rire.)   42 Pas plus qu’un fétu de paille.   43 Vers manquant. « D’estre venu en ceste place./ Las ! je ne sçay plus que je face./ Mourir me conviendra de fain. » L’Aveugle et le Boiteux.   44 Je ne sais pas que faire de plus.   45 LV : profite   46 Je m’en vais dans ma maison. Le mari rentre chez lui, où sa femme discute avec le Badin.   47 LV : uostre compere monsieur lyurongne  (Dites plutôt un ivrogne.)   48 LV : bonne  (Anticipation du vers suivant.)  Parmi plusieurs dizaines d’exemples de cette locution figée, en voici un de Ronsard : « Le nez et la rouge trongne/ D’un Silène ou d’un yvrongne. » Notons qu’au vers 399, c’est la sobriété de l’épouse accusatrice qui sera fortement remise en cause.   49 Je vais, pour vous. C’est ironique : la femme n’a plus l’intention de servir son mari.   50 Jeu de mots sur paper [manger] : « Je vais morir, je qui suy Pappes…./ Tu me veux tolir [enlever] le papper ? » (Godefroy.) Le censeur a barré cette référence au pape.   51 Je suis à sec. Cf. Légier d’Argent.   52 LV : grimase  (Tu es hypocrite.)   53 Rincer nos dents (normandisme) : boire un verre.   54 Ce grave discours. Les deux hommes sortent, dans l’intention d’aller à la taverne.   55 LV : la  (Correction du remanieur. Le texte qui transparaît sous la rature est douteux.)  Ma femme t’a raconté des horreurs sur moi.   56 Cette vieille rajeunie, grimée. « Il refondoit les vieilles, les faisant ainsi rejeunir. » Rabelais, Vème Livre, 20.   57 Ce que c’est, ce qu’elle m’a dit.   58 Les actes honteux qu’elle commet. Idem vers 34 et 54.   59 Pour sûr. Idem v. 226.   60 Nicole était souvent un prénom masculin (cf. le Sourd, son Varlet et l’Yverongne, vers 84.) Le censeur du ms. et les éditeurs de 1837 ont pudiquement remplacé le curé par un « jeune veau ». Sous la rature, on peut à la rigueur déchiffrer binyau, ou bivyau, ou bujyau. Si le « y » est mis pour un « e », comme c’est de tradition en Normandie (l’yau = l’eau), nous pouvons lire Biveau, qui rime avec « nouveau ». Ce nom était commun dans la région : voir la note 5 de Jéninot qui fist un roy de son chat.   61 LV : jey   62 Je ne le dirais pas si cela n’était pas vrai.   63 Le mari traite son épouse absente de débauchée, puis de vieille prostituée au sexe trop large. On retrouve ce « vieux cabas » aux vers 325 et 455.   64 Je t’avais autorisé tous les hommes sauf le curé.   65 LV : vienca  (Voir le v. 521.)  Rappelons que l’épouse est restée à la maison.   66 Battue.   67 Ou bien tu seras plus forte que moi. La musculature de cette représentante du sexe faible est encore invoquée au vers 451 : « Mais elle est plus forte que moy. »   68 Il reste dans la rue, entre le domicile des époux et celui de leur voisine. Le mari s’éloigne en direction de sa propre maison.   69 « Et la la la, faictes-luy bonne chière. » Cette chanson de Ninot le Petit, publiée en 1502, revient au vers 442. Les Badins chantent beaucoup.   70 On va l’assaisonner (péjoratif). Idem v. 282. « La pute fausse/ Lui compte toute sa pensée,/ Disant que lui fera sa sausse. » ATILF.   71 Quel pauvre type. Voir la note 99 de Maistre Mymin qui va à la guerre, et la note 244 du Capitaine Mal-en-point.   72 Quel hâbleur (mot normand). « Maint homme, par son blason [sa forfanterie],/ Semble plus hardy que Jason,/ Qui n’est, pour vray, qu’une tuache. » (Guillaume Haudent.) Rime avec le normand « grimache ».   73 Quelle maisnie, quelle maison de fous.   74 Il se dirige vers sa porte.   75 Me l’avez-vous fait : m’avez-vous trompé. La contraction normande « av’ous » ne revient pas aux refrains 169 et 172 de ce triolet : cela est dû au fait que le ms. de base ne donnait que les premiers mots des refrains.   76 Vous m’avez pris au piège comme un oiseau (sans doute un coucou).   77 Vous avez eu tort. Cf. la Confession Rifflart, vers 38.   78 Elle sort de chez elle en chantant une complainte (vers 187). Beaucoup de farces mettent en valeur l’arrivée d’un nouveau personnage par un triolet chanté.   79 LV : rire   80 Vous devriez y mettre bon ordre.   81 Vous ferez (v. 193) un effort pour être en paix avec tout le monde.   82 LV : des bonnes   83 Elles sont plus cruelles à leurs amis que des soldats.   84 LV : anys mais du tout rien  (Rime du même au même.)   85 LV : bien  (Tous vos malheurs viennent de vous.)   86 La voisine frappe le Badin.   87 Je ne dis plus un mot.   88 LV : ton raport  (Influence du titre de l’œuvre.)  Contente-toi de la part de coups que tu viens de recevoir. Dans la Nourrisse et la Chambèrière, quand la nourrice « baille sa part » à Johannès, une didascalie précise : « Elle le bat. »   89 Mauvaise. Que vous soyez pendue !   90 Ce que. Les coups sur le crâne perturbent la mémoire.   91 J’ai connu une époque où j’avais l’habitude de rire.   92 C’est apparemment le nom de la voisine. Pour la reconquérir, le Badin se plaint dans le même ton qu’elle.   93 LV : ame   94 LV : quant  (Que je te frappais à juste titre.)   95 Comme vous me l’avez dit au vers 25. LV répète ensuite : coḿent   96 Une demi-quarte de vin. « Pour payer carte de bon vin. » La Veuve.   97 Avant que notre jeu (ou que notre farce) s’achève. Même vers dans le Mystère de la Passion d’Auvergne.   98 LV : combles   99 Une chose nouvelle.   100 Toute la journée. « Je vous ay toute jour cherché. » Frère Guillebert.   101 Sans délai.   102 LV : compere et  (Voir le v. 184.)   103 LV : vilaine  (Même vers que 255, où on lit « vilain ».)   104 Si elle avait médit ou mal fait.   105 LV : vale  (Un chaperon est un coup sur la tête, ici au figuré. « Il bailla à sa femme dronos [un coup], & chaperon de mesme : He bangde, belammed, thumped, swadled her. » Cotgrave.)   106 La demi-mondaine dont je suis voisine. Cf. Colin qui loue et despite Dieu, vers 534.   107 La familière, l’amie intime. Cf. le Poulier à sis personnages, vers 485.   108 Que la douloureuse goutte. Cf. Serre-porte, vers 221.   109 LV : quil  (« Sav’ous » est une contraction normande ; voir le v. 166.)  Ne savez-vous ce qu’elle vous a dit ?   110 LV : te  (Voir le v. 231.)   111 Sans vous faire attendre, elle dit…   112 Vers manquant, suppléé par le remanieur.   113 La maison de monsieur saint Benoît peut être un couvent de Bénédictins. Mais le benêt, forme normande du benoît [bénit], désigne le pénis : « Après que elle auroit manié son benest (…), il coucheroit avecques elle. » Les Joyeuses adventures.   114 Qu’il n’en est : qu’aucune autre femme.   115 Votre mari fait le fringant chez votre plus proche voisine.   116 Une femme plus honnête qu’elle, je suis bien placée pour le savoir.   117 LV : jasent  (Elle colportait des rumeurs.)   118 LV : parmy  (Voir le v. 403.)   119 LV : naquetes  (Que vous jacassiez. « On jaze, on caquète. » Sermon pour une nopce.)   120 LV : guillemete  (Voir la note 133.)  Les Normands prononçaient Catrine, ou Catline : « La grand Catline dit : “Vraiment,/ J’ay tant pleuré, depis un an.” » La Muse normande.   121 Je n’aurai pas le courage paralysé.   122 LV : comptera  (Me le paiera. « Vous le comperrez ! » Les Femmes qui font refondre leurs maris.)   123 Vers manquant. La voisine craint d’arriver aphone devant son ennemie : « De crier je me rons la voys. » (Le Retraict.) Ce ne sera pourtant pas le cas, d’après les vers 524-5.   124 La voisine s’éloigne. Cette tirade du Badin arrive comme un cheveu sur la soupe ; c’est un clin d’œil aux basochiens qui composent le public.   125 Sans que j’en sois préoccupé. « Que tu ne soies à malaise de la bataille. » Lancelot.   126 LV : tout  (Je suis convoqué au tribunal. « Adjourné en Court de Parlement. » Josse de Damhouder.)  On voit que le Badin n’en est pas à ses premières frasques.   127 Toujours dans la rue, un peu plus loin.   128 Je vais l’assaisonner par mes paroles devant l’Échiquier de Normandie, où siège la cour de Justice.   129 Ce qu’elle aura à dire pour sa défense.   130 Sur la paille qui jonche les rues : elles rouleront par terre.   131 Celui qui fera semblant. « Frappe fort, Gaultier : tu te fains. » La Laitière.   132 Si je peux y arriver.   133 LV : jaqueline  (Au vers 300, « Catin » est le diminutif de Catherine : voir la note 37 de Colin qui loue et despite Dieu. Mais le vers 269, qui est d’ailleurs trop long, l’appelait Guillemette.)   134 Et voir ce que son mari a fait.   135 LV : dehect  (Défait : abîmé par les taloches de sa femme.)   136 La femme croit à une visite de son amant le curé. En ouvrant la porte, elle déchante.   137 Mon mari.   138 LV : se me semble  (à la rime. J’adopte la leçon du remanieur. « Il aura bien chault, s’il ne tremble. » Le Pourpoint rétréchy.)   139 Il sera rassasié de coups.   140 Lacune comblée par le remanieur. Un jénin est un cocu : « Que ma femme m’ayt faict jénin. » Ung mary jaloux.   141 Je les méprise, ces misérables.   142 Vous en êtes une, que le feu de l’Enfer vous brûle !   143 LV : qui   144 LV : le  (Le passé simple « dis » peut rimer contre le présent.)   145 LV : et   146 LV : respondres vous  (Au fait qu’elle m’insultait. « Répondre au fait » se dit d’un avocat qui répond sur le fond à la partie adverse.)   147 LV : le  (Avec un autre homme.)   148 Ce que nous saurons lui répondre.   149 LV : abaise  (Leçon du remanieur. « A ! j’abatray bien ton caquet. » Le Savatier et Marguet.)   150 Il rentre chez lui.   151 Cocu. C’est un dérivé normand de « nice » (vers 421). « Où est » se prononce « wé » en une syllabe, comme à 391.   152 Vous m’avez fait du tort. « Il en portera la paste au four : Il en portera la peine ou le dommage. » Antoine Oudin.   153 LV : cabase  (Vous avez assez mystifié les gens. Venant d’un mythomane, la remarque est savoureuse.)   154 Qu’on règle.   155 De votre cause, de votre procès. Cf. l’Aveugle et Saudret, vers 593-5.   156 Par amitié pour vous. « C’est pour l’amour de vous. » Le Ribault marié.   157 Chantons. « Je vous supply que vous et moy/ Nous disons ung mot de chanson. » Deux hommes et leurs deux femmes.   158 Cette chanson, sans doute trop démodée pour que notre copiste la conserve, commençait par un vers en -ie, et s’achevait sur un vers en -ors.   159 Le censeur et les éditeurs de 1837 ont encore escamoté le curé.   160 Enclin (verbe amordre).   161 Je veux bien me passer de manger.   162 Si elle en a pris l’habitude. Cette dénégation est presque un aveu.   163 Est-ce la nouvelle mode. Cf. Marchebeau et Galop, vers 205.   164 LV : par celle  (De bonne part = de source sûre. « Vous parlez de très bonne part. » Arnoul Gréban.)   165 Mes membres inférieurs, qui sont en l’air quand vous êtes couché sur moi. La phrase est comique parce que ce rôle « féminin » est tenu par un homme, dont le membre pourrait être dressé. Toutefois, le membre désigne aussi le sexe des femmes : « [Ils] avoient efforcé et violé une jeune fille (…), et après, bruslé le poil de son membre honteux. » Journal d’un bourgeois de Paris sous François Ier.   166 Récuser. Encore un terme de procédure.   167 Par. Pour aiguillonner les protagonistes contre leurs adversaires, le Badin donne à certains d’entre eux des encouragements que les autres n’entendent pas. Je mets ces exhortations entre parenthèses.   168 LV : refroides  (« Se mordre les poulces : Se repentir d’un affaire. » Oudin. Nous dirions : Vous vous en mordrez les doigts.)   169 Depuis Judas, les roux ont mauvaise réputation : voir le v. 413. Allusion possible aux frères Barberousse, pirates barbaresques qui, à la même époque, réduisaient en esclavage les Chrétiens.   170 LV : quonques  (Leçon du remanieur.)  « Mauldit soit l’heure/ Que jamais marié je fus ! » Les Cris de Paris.   171 S’il ne vous avait pas épousée, vous seriez morte de faim.   172 LV : encores   173 Lacune comblée par le remanieur.   174 À son mari.   175 Lacune. On a déjà traité le mari de « mauvais garçon » au vers 370.   176 LV : va paser  (Inutile de dire que cette anecdote a été censurée.)  Le Badin croit inventer les calomnies qu’il décoche aux uns et aux autres, mais on va s’apercevoir que la réalité est bien pire que ses affabulations.   177 La chemise, qui descend jusqu’aux genoux, rentre dans le haut-de-chausses ; elle est donc la première exposée en cas d’« accident ». « J’avoys chié en ma chemise. » Les Sotz nouveaulx farcéz.   178 LV : est lours  (Le jour de la Saint-Flour, le 1er juin.)  On respectait le calendrier liturgique plus que les dates chiffrées : « Le lendemain, qui fut le jour sainct Andrieu. » E. de Monstrelet.   179 LV : comences  (Voir les vers 380 et 421.)   180 Elle vient vers la maison où se disputent les autres.   181 En regardant par la fenêtre, il voit débouler la voisine.   182 LV : la mine  (Voir les vers 254 et 263.)   183 Elle enfonce la porte.   184 Vers manquant. J’adapte le vers 498. Tu en auras, des coups.   185 Alcoolique : cf. Grant Gosier, vers 76. « Allez, yvrongne, sac à vin ! » Le Médecin qui guarist de toutes sortes de maladies.   186 Où moud. L’auteur renouvelle l’image du mortier féminin dans lequel s’agite le pilon viril. Les injures qu’il élabore ici sont beaucoup plus originales que celles qu’on trouve dans ce genre de littérature.   187 Percé de trous par la petite vérole, ou par la grosse.   188 Vieille loque au pubis pelé.   189 Parmi, dans. « De la gecter emmy la rue. » Les Maraux enchesnéz.   190 Vieille pensionnaire des établissements qui accueillent les anciennes prostituées.   191 Comme les sorcières, ou comme les juives.   192 Arrivé malheur.   193 Étui dans lequel on met la relique, en l’occurrence le pénis : « Le frère prédicateur despouille ses bragues [ôte ses braies], & approche ses reliques de dame Agathe. » (A. de Saint-Denis.) Ce vers et le suivant ont, bien entendu, été censurés.   194 LV : rouse apomimable   195 Crève-la-faim, clocharde. « Maudisné : Qui a mal dîné. » La Curne.   196 Un pilier de bordel.   197 Lépreux.   198 Idiote.   199 Un calice. Naturellement, ce sacrilège a été censuré.   200 Vers manquant. « En contrefaisant la dévotte. » Farce de quattre femmes, F 46.   201 Regardez-vous. Nous dirions : Balayez devant votre porte.   202 Le corporal est un linge sur lequel on pose le calice contenant les hosties. « Ung grant ribaut saut avant, et tantost prent le calice et les corporaulx, et s’en va. » ATILF.   203 Ce vers doit provenir d’une chanson. Le Badin l’emploie à double sens : Elle a mis le mot = elle a trouvé le mot juste.   204 Flasque, mou : vous vous laissez faire.   205 LV : se sera  (Si chacun vide son sac. Inexplicablement, ces 2 vers anodins ont déchaîné la hargne du censeur.)  Le sac, qui renferme les pièces de la procédure, est l’emblème de la justice médiévale. « Est-il temps que le sac on lie. » Pour le Cry de la Bazoche.   206 LV : mes  (Plutôt vous !)   207 Rapporte la laine que tu as dérobée au Palais du Neuf-Marché. Plusieurs commerçants de Rouen — parmi lesquels des drapiers — occupaient le rez-de-chaussée de ce nouveau Palais de justice. Nos basochiens visent peut-être un voleur particulier.   208 LV : du serment  (Le fagot de sarments que tu as volé chez les Jacobins.)  Les femmes des farces vont dans les monastères pour coucher avec des moines. Sur le couvent des Jacobins de Rouen, voir la note 248 de la Pippée.   209 Morceaux, de viande ou de sexe. « Grant bien leur fissent mains loppins,/ Aux povres filles, ennementes,/ Qui se perdent aux Jacoppins. » Villon.   210 Vous allez jouter contre eux. « Mais qu’elle sente et sache premier de quelles “lances” il vouldra jouster encontre son escu. » Cent Nouvelles nouvelles, 15.   211 Faire cliqueter. « Comment sa langue desclique ! » Les Sotz fourréz de malice.   212 Péter de dépit.   213 De leurs paroles, qui sont effectivement un peu « grasses ».   214 LV : aporte   215 LV : me noḿes vous  (À cause duquel.)  Notons que c’est la femme qui a traité sa voisine de « cabas » au vers 325.   216 LV : brees  (Braillez, du verbe braire.)   217 LV : sa belle deesse  (Au vers 414, la femme comparait déjà sa voisine à la déesse « Proserpine, mère du diable ». Cf. la Nourrisse et la Chambèrière, vers 151.)   218 De hait : volontiers.   219 De médisances.   220 Réprimandez-le.   221 Et qu’il a été le détracteur de votre honneur.   222 LV : ales  (Que vous vous en alliez. Or, c’est le Badin qui est chez ses voisins, et non le contraire.)   223 Remboursé.   224 Sautez sur ce misérable ! Même normandisme au vers 312.   225 Puisque je n’ai pas d’autre arme. Cf. le Moral de Tout-le-Monde, vers 12.   226 Elle brandit un balai.   227 LV : monsieur le  (Je corrige au refrain de 503 la même faute, due à la ressemblance des abréviations de monsieur et de maître sur le ms. de base.)  Le maître rapporteur fait partie du personnel judiciaire. Mais les rapporteurs de paroles sont des faux témoins : « Accuseurs, controuveurs et rapporteurs de parolles en derrière. » G. de Tignonville.   228 Vous en aurez, des coups.   229 Allusion au rôle de l’acteur, comme à 520. Mais le rôle est également le registre où sont inscrites les causes à plaider.   230 J’aurai obtenu du Ciel.   231 La médisance. Idem vers 519, 529 et 542.   232 De me mêler d’une telle besogne.   233 Le Badin s’enfuit.   234 Que vous m’êtes fidèle. Chacun s’empresse d’oublier les manquements des deux autres.   235 Et moi aussi.   236 Le copiste, qui n’a pas compris que nous avions là un 4e triolet, remonte ce refrain B au-dessus du vers précédent, et il loge ici un vers qui ne rime pas : flateurs menteurs et cabaseurs   237 LV : a eulx ny a nule asurance  (Contamination du vers 535 ; mais le refrain A s’impose.)   238 LV : tout par tout seront   239 Ainsi que les basochiens présents. Les 2 derniers vers, un peu trop bachiques, ont été sacrifiés par le censeur et les éditeurs, ce qui a induit en erreur des médiévistes fort estimables.   240 Dans Deulx Gallans et Sancté (LV 12), ce personnage allégorique requinque les jouisseurs : « Puysque Sancté est avec nous,/ Y nous fault prendre esjouyssance…./ Vous nous servirez d’ôtelyère. » Le coït est inséparable de la « bonne vie » : « Et demora la fille à coucher avec luy ; et menèrent bonne vie emsemble ceste nuyt. » Nicolas de Troyes.

LES FEMMES QUI SE FONT PASSER MAISTRESSES

Lucas Cranach l’Ancien

Fondation Bemberg, Toulouse.

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LES   FEMMES  QUI

SE   FONT  PASSER

MAISTRESSES

*

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Une fois de plus1, on a réuni avec plus ou moins de naturel deux farces indépendantes2, même si leur compilateur a fait quelques efforts pour atténuer les dissonances. La première, les Femmes qui se font passer Maistresses, va jusqu’au vers 343. Elle décrit deux femmes prêtes à tout pour obtenir un diplôme leur permettant de gouverner les hommes. Elle fut sans doute écrite vers 1500, pour le collège parisien du Cardinal-Lemoine, où l’on raillait les prétentions intellectuelles revendiquées par certaines femmes ; voir la notice d’Ung Fol changant divers propos.

La seconde farce, intitulée probablement les Femmes qui plantent leurs maris pour reverdir, va du vers 344 à la fin. Elle étrille les hommes qui suivent une mode efféminée. La mode dont il est question nous reporte au dernier quart du XVe siècle, et la présente farce pourrait donc être antérieure à l’autre. À la fin, une épouse plante son mari pour que sa « queue » reverdisse. Comme d’habitude, cette farce illustre au premier degré une expression : planter quelqu’un pour reverdir, c’est le planter là, le laisser. « Courez tost sans faire délay ! / Ou, certes, je vous planteray, / Mais ce sera pour reverdir. » (L’Aveugle et Saudret.) On emploie cette expression lorsqu’une femme abandonne son époux, comme c’est le cas ici. « Elle s’en va, et plante son mary pour reverdir. » (XV Joyes de Mariage.)

Source : Recueil de Florence, nº 16. Notre farce y est suivie par une autre, tout aussi misogyne, qui malmène des « étudiantes » plus douées pour l’éducation sexuelle que pour la théologie : les Femmes qui aprennent à parler latin.

Structure : Rimes plates. 5 triolets dans la première farce. 3 triolets et une ballade sans envoi dans la seconde.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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                                                                         *

Farce nouvelle des

Femmes qui se font

passer Maistresses

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À quatre3 personnaiges, c’est assavoir :

       LE  MAISTRE  [Maistre Régnault]

       LE  FOL

       ALISON

       LA  COMMÈRE

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                        MAISTRE  RÉGNAULT  commence 4      SCÈNE  I

        Dieu bénye ces damoiselles

        Et aussi ces belles bourgoises !

        Je suis venu pour l’amour d’elles.

        Dieu bénye ces damoyselles !

                        LE  FOL

5      Et les hommes ?

                        MAISTRE  RÉGNAULT

                                       Ilz sont rebelles,

        Et font tousjours aux femmes noyses.

        Dieu bénye ces damoyselles

        Et aussi ces belles bourgoises !

        Pource que ces femmes sont courtoyses,

10    Et bénignes5, et gracieuses,

        Et nullement malicieuses

        — À Paris spécïallement6 —,

        Chacun si met son pensement7

        À les tromper et décepvoir.

15    Pour tant8, le pape y veult pourvoir,

        Esmeu de grande9 charité ;

        Et m’a donné auctorité

        Et commandé expressément

        Que je veinse diligemment

20    À Paris pour l’amour des dames,

        Et que je voulsisse les femmes

        À toutes choses supporter10.

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                        ALISON 11                                               SCÈNE  II

        Dieu vous gart, sire Magister !

        Saincte Marie ! dont venez-vous ?

25    Tousjours nous venez conforter.

        Dieu vous gart, sire Magister !

                        MAISTRE  RÉGNAULT

        Je suis venu pour rebouter12

        Ceulx qui vous font tant de courroux.

                        ALISON

        Dieu vous gart, sire Magister !

30    Saincte Marie ! dont venez-vous ?

        [Raffardées tousjours serons-nous]13

        Pour nous oster le parlement14,

        Et tout par le consentement

        De nos maris, qui l’ont fait faire.

                        LE  FOL

35    Et ! vous veulent-il faire taire ?

        Par Dieu ! bien sont Jhénin[s] Cornés15,

        Et béjaunes, et sotinés16 !

                        [ MAISTRE  RÉGNAULT

        Qu’ung bel estront en leur figure ]17

        — C’est très notable18 nourriture —

40    Il leur puisse mésadvenir !

        Veulent-ilz voz langues tenir ?

        Par Dieu ! ilz ont perdu leur peine.

.

                        LA  COMMÈRE 19                                  SCÈNE  III

        Aussi, au Cardinal-Lemoyne20,

        Magister, on nous a fait tort :

45    Il [s’y] dit qu(e) on nous batte fort

        D’ung gros « baston » faitis21 et court,

        Et qu’on nous tienne bien de court22

        De parler et de quaqueter ;

        Aussi, qu’on nous face tourner

50    En ung vaysseau23, se mestier est.

                        ALISON

        Vrayment, je ne sçay pas que c’est24

        Que tousjours ceulx du Cardinal

        Dient des femmes tant de mal.

        Par ma foy ! c’est mal dit à eulx.

55    S’ilz fussent doulx et gracieux,

        L’honneur25 des femmes fust gardé.

        S’ilz avoient bien tout regardé,

        Jamais ilz ne nous farceroient26,

        Mais loyaument nous serviroient,

60    Et nous garderoient nostre honneur.

                        LA  COMMÈRE

        Pour Dieu, Magister, monsïeur,

        Vueillez-nous, s’il vous plaist, donner

        Provision27 pour gouverner

        Nos maris et trèstous ces hommes.

65    Car chascun voit bien que nous sommes

        Par eulx, tous les jours, ravalées.

                        MAISTRE  RÉGNAULT

        V(e)ez cy unes bulles scellées28

        Que j’ay maintenant apportées

        De court de Romme, et impétrées29

70    Pour vous faire toutes Maistresses.

        Car vous estes grandes clargesses30 ;

        Et avez si parfondément

        Estudïé, et si longuement,

        [Et] mise vostre intencion

75    À mettre en subjection31

        Et suppéditer32 vos maris

        — Spécialement à Paris —,

        Qu’il est bien temps que vous soyez

        Graduées33, et que [vous] ayez

80    Sur la teste le bonnet ront34.

                        LE  FOL

        Les femmes [rage ainsi feront]35

        [Comme des mules desbridées,]36

        Puisqu’el(le)s seront auctorisées

        Par bulle, ainsi que vous verrez.

85    Par mon serment ! vous ne pourrez :

        L’Université s’i oppose.

        Car certes, à Paris, on n’ose

        Graduer nulles gens par bulle37.

        Par Dieu ! sire, vostre cédule

90    S’entent des clers38, non pas des femmes.

                        MAISTRE  RÉGNAULT

        Le pape veult qu’elles soient Dames39

        [Et qu’elles soient tost graduées.]40

                        LE  FOL

        Yront-elles ès assembl[é]es

        Qu’on fait en l’Université ?

                        MAISTRE  RÉGNAULT

95    Par Dieu, tu es bien rassotté !

        Elles yront encorporées41.

                        ALISON

        Nous y serons bien honorées,

        Et jouirons des prévillèges.

        Nous saurons bien [tenir] nos sièges

100  Et nos lieux, comme il appartient.

                        LE  FOL

        Touteffoys, quant il me souvient,

        À ung point vous fault labourer42 :

        Yront-elles délibérer

        [Mesme] en la Faculté des Ars43 ?

                        MAISTRE  RÉGNAULT

105  Demandez-leur.

                        ALISON

                                    En toutes pars,

        Magister, [nous] voullons aller.

        Certes, nous sçau[r]ons bien parler

        Dedans44 toutes les Facultés.

                        LA  COMMÈRE

        [Dea !] toutes ces difficultés

110  Si ne sont de nulle valleur.

                         ALISON

        Certes, nous avons grant couleur45

        D’estre avecques theologiens46.

                        LA  COMMÈRE

        Médecins si47 sont bonnes gens.

        Brief, nous serons de tous requises.

                        MAISTRE  RÉGNAULT

115  Vous avez toutes voz franchises48

        Ainsi qu’un Maistre doit avoir.

                        ALISON

        Nous ferons bien nostre debvoir

        De régenter en la mayson.

                        LA  COMMÈRE

        Magister, faictes-nous raison,

120  Puisque le pape le commande.

                        MAISTRE  RÉGNAULT

        Or çà ! Dame[s], je vous demande

        Se vous avez du temps assez49.

                        ALISON

        Il y a jà deux ans passés

        Que je deusse estre mestrisée50 :

125  Depuis que je suis espousée,

        Je ne finay51 d’estudier.

                        MAISTRE  RÉGNAULT

        Je n’y sçauroye remédier,

        Par Dieu, que n’eussez la maistrise52.

                        ALISON

        Nous l’avons de piéçà53 requise,

130  Maistre, au [faulx54] Cardinal-Lemoyne,

        Et en avons prins trèsgrant paine ;

        Mais il nous fait55 tousjours grevance.

                        LA  COMMÈRE

        Nous avons tousjours grant fiance

        En vous, Magister, par mon âme !

                        MAISTRE  RÉGNAULT

135  Vous me semblez bien jeune femme

        Pour estre si tost graduée.

                        LA  COMMÈRE

        Comment ! serai-ge reffusée ?

        Par Dieu, j’ay bonne voulenté !

                        MAISTRE  RÉGNAULT

        Combien y a-il, en vérité,

140  Que vous estes en mariage ?

                        LA  COMMÈRE

        C’est une question sauvaige56.

        C’est assez, puisque je le suis.

                        MAISTRE  RÉGNAULT

        Ha, dea ! m’amye, je ne puis

        Vous graduer se n’avez temps57.

                        LA  COMMÈRE

145  Il y a environ deux ans,

        Maistre, que je suis en mesnage.

                        MAISTRE  RÉGNAULT

        Et sçavez-vous bien tout l’usaige

        Comme(nt) on gouverne ces marys ?

                        LA  COMMÈRE

        Il n’y a femme dans58 Paris

150  Qui le saiche mieulx que je fais :

        Car tous les jours, deux ou trois foys

        Mon mary est trèsbien batu.

        Puis il me dit : « Et ! que fais-tu ?

        M’amye, ce n’est pas bien fait ! »

155  Puis je dis : « Villain contrefait,

        Je te tueray trèstout de coups ! »

        Brief, il n’a point en moy repos59.

        Par Dieu ! il n’oseroit groncer60.

                        LE  MAISTRE  RÉGNAULT

        Vous sçavez assez pour passer

160  Et pour avoir vostre degré61.

                        LA  COMMÈRE

        Maistre, je vous en sçay bon gré ;

        Aultre chose ne demandoye.

        Par Dieu ! Magister, j’atendoye

        Trèstous les jours que venissez,

165  Affin que vous nous baillissez62

        Ung bonnet ront dessus la teste.

                        ALISON

        Par Dieu ! je maine telle feste63

        À celuy de nostre maison :

        Je luy fais de paine à foyson,

170  À celuy que j’ay espousé.

        Il ne seroit pas si osé

        De faire ung pas sans mon congé64.

        Et s’advient65 qu’il n’a point mangé

        Ne souppé, je le fais coucher ;

175  Et si, ne m(e) oseroit toucher,

        Dedans le lit… se je ne vueil.

        Il n’oseroit pas lever l’ueil66,

        De peur qu’il a quant il me voit.

        Brief, Magister, il n’oseroit

180  Faire chose sans le me dire.

                        MAISTRE  RÉGNAULT

        Héé ! vous faictes rage de lire67 !

        Saincte Marie, quel(le)s escollières !

        Vous avez bien leu vos matières.

        Soubz qui avez-vous prins cédules68 ?

                        ALISON

185  A, ha,  Magister, nous n’en avons nulles ;

        Vous nous croirez en [no serment]69.

        Car j’avons70 esté longuement

        Estudier aux Jacobins71,

        Aux Carmes et aux Augustins,

190  Ès Mathurins, et ès Cordeliers,

        Et dessoubz plusieurs séculiers72.

        Je le vous prometz, par ma foy !

                        MAISTRE  RÉGNAULT

        Par Dieu ! m’amye, je vous croy :

        Vous en portez trèsbien la chère73,

195  Et bien pert74 à vostre manière.

        Quel est le livre que vous portez

        Au Maistre lequel vous hantez75,

        Quant il vous dit vostre « leçon76 » ?

                        ALISON

        Certes, nostre Maistre, il a nom

200  Le Livre — [à ce qu’on]77 dit — des prestres.

                        LA  COMMÈRE

        Touteffois dient nos beaux maistres

        Que c’est le Livre de précum78.

                        LE  FOL

        Vous avez eu supra culum79,

        Quant la leçon vous ne sçavez ?

                        ALISON

205  Par Nostre Dame, vous bavez80 !

        Allez, allez !81

.

                                 Esse bien dit ?                                   SCÈNE  IV

                        MAISTRE  RÉGNAULT

        Or, me dictes sans contredit :

        Mistes-vous guères82 à l’aprendre ?

                        ALISON

        Quant mon Maistre y vouloit entendre83,

210  Je l’avoye tantost apris.

                        MAISTRE  RÉGNAULT

        Par Nostre Dame ! j’ay mespris84

        De vous examiner si fort.

        Par Nostre Dame, j’ay grant tort !

        Monstrez voz cédulles, m’amye !

                        LA  COMMÈRE

215  Magister, je vous certifie

        Qu’on les m’a voulentiers seell[é]es85.

                        MAISTRE  RÉGNAULT

        Quel Maistre les vous a baillées ?

        Vous sçavez qu’il vous fault tout dire.

                        LA  COMMÈRE

        Plusieurs les m’ont baillées, sire ;

220  Il ne fault jà les racompter86.

                        MAISTRE  RÉGNAULT

        Vous estes dignes de régenter87

        Tout partout là où vous yrez.

        Par Nostre Dame ! vous aurez

        Le bonnet rond tout présentement.

                        LES  FEMMES  parlent ensemble et respondent :

225  Nous vous mercions humblement,

        Magister, jusqu(es) au déservir88.

                        MAISTRE  RÉGNAULT

        Je vous vueil loyaulment servir :

        La maistrise je vous ottroy89.

.

                        LE  FOL 90                                              SCÈNE  V

        Holà, holà ! Attendez-moy !

230  Il y a opposition :

        Voicy ung mandement du91 Roy.

        Holà, holà ! Attendez-moy !

                        MAISTRE  RÉGNAULT

        Et ! qu’est-ce-là ? [Qu’y a-il ?] Quoy ?

                        ALISON

        Faictes vostre commission.

                        LE  FOL

235  Holà, holà ! Attendez-moy !

        Il y a opposition :

        Je vous fais inhibition92

        De par le Roy ! Et vous deffens

        — Sur peine de payer despens —

240  Et, de par le Roy, fais deffence

        Que ne donnez point93 la li[c]ence

        À ces femmes, ne la maistrise !

                        MAISTRE  RÉGNAULT

        Le pape si la m’a commise

        Par les bulles que vous véez.

                        LE  FOL

245  Le Roy vous mande que ne soyez

        Si hardy de le vouloir faire :

        Voicy lettres tout au contraire,

        Que j’apporte toutes propices.

                        ALISON

        Ces lettres sont [donc] subrétices94,

250  Vostre mandement ne vault rien !

                        LE  FOL

        Or çà, Maistre : vous sçavez bien

        Comment les marys s’i opposent.

                        MAISTRE  RÉGNAULT

       Or, leur dictes qu’ilz se reposent,

       Car on n’en fera rien pour eulx.95

.

255  Et ! comment ? Sont-ilz envieux,

        Se ces povres femmes ont bien ?

        Au regard de moy, je me tien,

        Et le pape96, de leur costé.

                        ALISON

        Et aussi l’Université,

260  Les maistres et les escoliers

        S’ajoindront à nous voulentiers.

        Faictes ce que mande le pape !

                        LA  COMMÈRE

        Et nous fauldra-il une chappe97

        Comme à ung maistre, Magister ?

                        MAISTRE  RÉGNAULT

265  Pourquoy non ? Vous pourrez porter

        Ce qu’il appartient à ung98 Maistre.

                        ALISON

        Et pourrons-nous doncques bien aistre99

        Aucuneffois sur une mulle ?

                        MAISTRE  RÉGNAULT

        Je ne sçay [pas] se ceste bulle

270  En fait point quelque100 mention.

                        LA  COMMÈRE

        Ne faictes point dilation101 :

        Baillez-nous ce que demandons !

                        MAISTRE  RÉGNAULT

        Or çà, doncques ! Or, atendons :

        Il vous fault faire les sermens.

275  Vous jurez que tous les tourmens,

        Tout le travail, toute la peine,

        Nuyt et jour, toute la sepmaine,

        Que vous pourrez et que sçaurez,

        À voz maris procurerez ?

280  Et cela vous voulez jurer ?

                        LES  FEMMES,  ensemble :

        Ouÿ, par Dieu ! Et procurer

        De les mettre à confusion.

        C’est certes la conclusion

        Et la fin à quoy nous tendons.

                        MAISTRE  RÉGNAULT

285  Aussi, vous yrez aux pardons102

        Et là où bon vous semblera ?

                        [LES  FEMMES,  ensemble :]

        [Pour ces]103 maris, on ne fera

        Rien qui soit, mais trèsbien combatre !

                        [MAISTRE  RÉGNAULT]

        Et s’i veullent à vous débatre,

290  Vous commencerez à tencer,

        Vous parlerez sans point cesser

        Si fort que vous les ferez taire ?

                        LES  DEUX  FEMMES  ensemble :

        Magister, nous sçaurons bien faire ;

        Et ferons tant, que nous aurons

295  (Par Dieu !) ce que demanderons.

        Plus ne nous en fault sermonner.

                        MAISTRE  RÉGNAULT

        Il vous fault à genoulx bouter

        Pour avoir absolution.

        En signe de perfection,

300  De ce bonnet rond vous couronne ;

        Et auctorité je vous donne

        Sur tous les maris, et puissance

        De les gouverner, et licence

        Et auctorité de tout dire,

305  Régenter de présent, et dire104,

        Et maistriser105 les aultres femmes

        Affin qu’elles soyent toutes Dames,

        À Paris par espécial,

        Et d’autre part en général.

310  Le pape si le veult aussi.

        In nomine Patris et filii !

                        LA  COMMÈRE

        Nous sommes en trèsgrant soucy,

        Magister, de sçavoir ung point :

        La bulle porte-elle point

315  — Aussi, le povez-vous passer ? —

        Que puissions nos maris laisser

        Quant bon et beau nous sembleroit ?

                        ALISON

        Hélas, Maistre ! Qui le pourroit106,

        On nous feroit une grant grâce.

                        MAISTRE  RÉGNAULT

320  Je suis bien content qu’on le face,

        Ainsi qu’avez acoustumé.

                        ALISON

        Le pape nous a bien amé107,

        De nous pourvoir si grandement.

        Vous serez partout réclamé108.

325  Le pape nous a bien amé.

                        LA  COMMÈRE

        Vous ne serez jamais blasmé.

        Nous vous mercions grandement.

                        ALISON

        Le pape nous a bien aymé,

        De nous pourvoir si grandement.

330  Magister, à Dieu vous comment109 !

        Certes, nous allons commencer.

                        MAISTRE  RÉGNAULT

        Dieu vous doint bon commencement !

                        LA  COMMÈRE

        Magister, à Dieu vous comment !

                        MAISTRE  RÉGNAULT

        Régentez fort et fermement,

335  Et ne faillez pas à tencer !

                        LA  COMMÈRE

        Magister, à Dieu vous comment !

        Certes, nous allons commencer.

                        MAISTRE  RÉGNAULT

        Or vous allez donc avancer.

        Et pensez de tromper ces hommes !

                        ALISON

340  Nostre maistre110, par Dieu, nous sommes,

        À ceste fois, levées sus :

        Nous sommes venues au-dessus.

        De ce, nous avons111 devisé

        ……………………….

.

*

[ LES  FEMMES

QUI  PLANTENT

LEURS  MARIS

POUR  REVERDIR ] 112

*

[ À quatre personnaiges, c’est assavoir :

       MARTIN,  le mary

       LE  FOL

       ALISON

       LA  COMMÈRE ]

*

.

                        MARTIN 113                                            SCÈNE  VI

        [……………………… -ré,]

        Il me fault estre bien tiré114

345  Et habillé mignotement,

        Pour recepvoir joyeusement

        Nostre Maistresse, que je voy.

        Il me fauldra tenir tout quoy115

        Et faire son commandement :

350  Car la bulle dit qu’autrement,

        El(le)s ont povoir de nous changer116.

        Quel habit pourray-ge songer

        À prendre, pour luy faire honneur

        En faisant ung peu du seigneur ?

355  Je feray le dymencheret117

        Pour mieulx faire le dameret118,

        Affin que je luy puisse plaire.

        Je la voy venir à son erre119 ;

        Sur la teste [a] ung beau bonnet.

360  Il me fault estre sadinet

        Et frisque120 comme ung amoureux,

        Et joliet et gracieux,

        Affin que de moy soit contente.

        Cest[e] robe si n’est point gente :

365  Elle est toute racaillefatrée121.

        J’en prend[r]ay une autre cintrée122

        — Devant (par Dieu) que je m’envoise123 —,

        Et la124 pièce portingalloise

        Pour mettre devant ma forcelle125.

                        LE  FOL 126

370  Il contrefait la damoyselle,

        Comme ces mignons de Paris

        Qui sont si songneusement nourris,

        Et sont127 si douilletz que c’est raige.

        Il ressemblent à [ung gent paige]128,

375  Tant sont beaulx, faitis et trétis129.

                        MARTIN

        Il fault ung chaperon faitis

        Qui soit de nouvelle façon130.

                        LE  FOL

        Vous serez ung mauvais garson131,

        Et ce n’est pas ce qu’il vous fault.

                        MARTIN

380  [Ce ceint ne]132 doit aller plus haut :

        C’est la façon de maintenant.

        Ne suis-je pas bien advenant ?

        Il ne me fault [plus] qu(e) une dague,

        Et je ne sçay quel autre bague133

385  Qu’on appelle une gibecière134.

        Mettray-je ma dague derrière135,

        [Pour estre plus gorrièrement ?]136

        Ha, par sainct Mor ! Vécy comment

        La portent ces dimencherés.

                        LE  FOL

390  S’escorchent-il point les jarrés137 ?

        Ceste manière est bien sauvaige !

.

                        ALISON 138                                              SCÈNE  VII

        Nous ne ferons plus le mesnage,

        Puisque le degré nous avons.

        Or, je vous prie que nous soyons

395  Ententives et diligentes

        — Puisqu’aussi nous sommes régentes139

        De faire aujourd’huy ung chief-d’euvre140,

        À celle fin qu’on se recuevre

        De la perte qu’on nous a fait141.

.

                        MARTIN 142                                            SCÈNE  VIII

400  Par mon âme ! je suis bien fait,

        Et mes soulliers bien en gallant.

                        LE  FOL

        Se il treuve ung estront vollant143,

        Par bieu, il luy crèvera l’ueil !

.

                        ALISON                                                   SCÈNE  IX

        Par ma conscience ! je vueil

405  Que mon mary soit atrappé.

.

                        LE  FOL                                                   SCÈNE  X

        Fait-il bien le veau eschappé144 ?

        Et ! je vous prie, faictes-luy place !

                        MARTIN 145

        Je ne sçay pas [quel train]146 luy face ;

        Je ne l’ay pas bien en mémoire.

                        LE  FOL

410  Comment [ce veau] peult-il tant braire ?

        Vécy ung [homme espris]147 d’amours !

        Scet-il pas bien faire ces tours ?

        Jamais ne se doit soussier.

.

                        ALISON 148                                             SCÈNE  XI

        Saincte Marie ! quel escuier149

415  Esse-là que je voy venir ?

        Par bieu ! il me fait souvenir

        De ces [gentils] gorriers de ville.

        Il est moult légier et habille150.

        Est-ce point ung clerc du Palais151 ?

                        LA  COMMÈRE

420  [Non,] il est moult gentil galoys152.

        Je cuyde que c’est ung changeur153.

                        ALISON

        Il doit estre petit mangeur,

        Puisque sa pance est [si] estroicte154.

                        LA  COMMÈRE

        Il semble estre [ung] homme de traicte155 :

425  Comment il est fort embridé156 !

                        ALISON

        Par Nostre Dame ! il est bridé157

        Affin que le froit ne le gaste158.

                        LA  COMMÈRE

        C’est ung escuier fait à haste159.

        Comme il est gent parmy le corps !

430  On voit les talons par-dehors160,

        C’est une chose acoustumée.

                        ALISON

        Ha ! c’est affin que la fumée

        Qui leur vient à cause de chault,

        Qui ne peult yssir par le hault,

435  Viengne161 par là ; car autrement,

        Ne pourroit yssir bonnement.

        Puis leurs pourpoins si fort estreignent162 !

        Aussi leurs chausses s’entretiennent163,

        Atachées si roide et si fort

440  Que, quant ung de leurs poulx164 les mort,

        Il[z] ne sçavent par où le prendre.

        Et aussi, pour faire descendre

        La fumée qui est en eulx,

        Pource qu’ilz sont tant chaleureux165,

445  Ilz ont les talons descouvers.

                        LA  COMMÈRE

        Ilz ont pris leurs habitz divers166

        Et toutes choses sadinètes167.

        Pour quoy leurs façons sont honnestes,

        En la pointe de leurs soulliers168.

                        ALISON

450  C’est pource que les bourreliers

        Veullent vendre trop cher leur bourre169 :

        Car vous voyez qu’aussi170 on fourre,

        À Paris, ces [gros] bourreletz

        De chaperons, qui sont si lais

455  Que la façon si n’en vault guière171.

                        LE  FOL 172

        Par mon serment ! une chauldière

        De deux seaulx y seroit assise173.

                        ALISON

        Mais d’où est venu[e] la guyse

        Que [soubz l]es penthoufles on mette,

460  En lieu du liège, une bûchette174 ?

        C’est le prouffit des savetiers.

                        LE  FOL

        Par sainct Jehan ! mais175 de[s] charpentiers :

        C’est œvre de charpenterie.

                        LA  COMMÈRE

        Et n’est-ce pas grant tromperie,

465  [Des esperons sans]176 chevaulcher ?

                        ALISON

        Vous sçavez qu’un cheval est cher,

        À Paris : n’en a pas qui veult177.

        Et pource que le cueur leur deult

        De veoir les aultres à cheval,

470  Pour appaiser ung peu leur mal,

        Ont pris ceste chevaulcherie.

                        LA  COMMÈRE

        Dictes-moy que ce signifie

        Qu’ilz ont leurs habis si cueillis178 ?

                        ALISON

        Ilz ont grant peur d’estre assaillis

475  Des pourceaulx, comme la pasture

        Qui chet179 ès boys pour nourriture :

        Pour tant se sont-ilz fait cueillir180.

                        LA  COMMÈRE

        Et ! qu’ilz devroient bien hault saillir,

        Puisque la robe est escourtée181 !

                        ALISON

480  Par bieu ! si est-elle crotée182,

        Non obstant qu’elle soit bien courte.

                        LA  COMMÈRE

        Il n’y a celuy qui ne porte,

        Quant je m’avise, la vesture

        Comme ung pourceau183. C’est grant ordure :

485  Cest habit [ord184] n’est point honneste.

                        ALISON

        Et pour tant, on seroit bien beste

        D’aller prendre en mariage

        Ung court-vestu pour son langaige185 ;

        Mais on doit aymer loyaument

490  Et recepvoir joyeusement

        Ceulx qui portent longue vesture.

                        LA  COMMÈRE

        Aussi vault mieulx la couverture186,

        Quant il fait froit, d’ung long habit,

        Que d’un qui est si trèspetit,

495  Ne que de robe découpée187.

                        ALISON

        Il me souvient d’une espousée188

        De ce galant qui se promaine.

        Par mon serment ! il met grant peine

        À se tenir bien cointement189.

500  Et ! vécy bon appointement190 :

        C’est mon mary, par Nostre Dame !!

.

                        MARTIN 191                                           SCÈNE  XII

        Ayez pitié de moy, ma femme,

        Pource qu(e) estes si grant Maistresse !

                        ALISON

        Vous ne povez ployer les fesses,

505  [Tant] vous estes roide attaché.

                        MARTIN

        Par bieu ! je suis si empesché

        De me tenir joliement

        Que je ne puis (par mon serment)

        Faire tout ce qu’il appartient192.

510  Mais dictes-moy ce qu’il convient

        À faire, et [bien] je le feray.

                        ALISON

        J’ay conclud que je vous lairay193,

        Puisque je suis si haultement194.

        Une bulle avons maintenant,

515  De court de Romme, qui enseigne

        Comment le pape veult qu’on preigne,

        Quant les marys sont inutilles,

        Autres — [mais] qu’ilz soient habilles195

        Et qu’il[z] sachent aux dames plaire.

                        MARTIN

520  Pourtant, j’ay voulu contrefaire

        Le mignon et le gracieux.

                        LA  COMMÈRE

        Et ! vous n’avez pas les cheveulx

        En Allemant196 : tout ne vault rien.

                        ALISON

        Aussi est-il dur comme ung chien197

525  Et sec : il ne se peult ployer.

                        LA  COMMÈRE

        S’il estoit verd comme ung osier,

        Il seroit [lors] doux comme ung gand198,

        Et ung trèsgracieux fringant199 ;

        Et les genoulx bien ployeroit200.

530  Et quant par les rues yroit,

        Il marcheroit si bellement

        [Qu’on cuideroit tout bonnement]

        Qu’il ne touchast201 du pied en terre

        Et qu’il eust des patins de voirre202.

535  Ce ne seroit que toute joye.

                        MARTIN

        Ha ! ma203 dame, pour Dieu ! que j’aye

        Provision de reffroidir204 !

                        ALISON

        Planter vous fault pour reverdir205

        Comme ung osier, pour cest yver206.

540  En ce nouveau temps207, pour[rons] veoir

        Se vous serez verd et bien ployant208.

                        MARTIN

        Dictes-vous à bon escient ?

        Pour Dieu, donc[ques], que je le soye !

        Mais par Dieu, se je ne pensoye

545  Avoir la teste et la queue verd209

        Et que je210 fusse plus gaillard,

        Je ne seroye jà planté !

                        LA  COMMÈRE

        Mais que vous soyez bien enté211,

        Par Dieu, tantost reverdirez ;

550  Et belle queue vous aurez,

        Je le vous dis à escient.

        Délivrez-vous appertement212 :

        Il fait trèsbon temps pour enter.

                        MARTIN

        Comment me voulez-vous planter

555  Affin que je soye plus beau ?

                        ALISON

        La teste [en] bas, comme ung pourreau ;

        On verra plus tost la verdure.

                        MARTIN

        Il convient doncques que j’endure

        Et que je soye en terre mis.

560  Or çà ! donc,  puisque m’avez promis

        Que je seray vert cest esté,

        Je suis d’acord d’estre bouté

        En la terre présentement.

        Or me couvrez bien doulcement,

565  Et gardez bien de me blesser.

                        LA  COMMÈRE

        Il fault ceste teste baisser,

        Pour estre bien enraciné213.

        Nous avons cy trop séjourné :

        Sus ! il est temps de la couvrir214.

                        MARTIN

570  Quant me fauldra-il descouvrir215 ?

        Seray-je en terre longuement ?

                        ALISON

        Tant216 que soyez notablement,

        Comme [ung bel] arbre, reverdy.

                        MARTIN

        Et217 seray-je bien desgourdy

575  Et tout vert en ce moys de may ?

                        LA  COMMÈRE

        Ouÿ, par Dieu ! Et aussy gay

        Que pourroit estre ung papegault218.

        Vous n’est[i]ez [rien] q’un loquebault219,

        Mais [pour peu qu’onques je le vueille]220,

580  Vous porterez semblable fueille

        Et telle fleur comme la rose.

                        ALISON

        [Pour ce], il fault bien qu(e) on l’arose :

        Le chault le pourroit bien sécher.

                        LA  COMMÈRE

        Il s’en fault doncques despêcher221 ;

585  Je vois quérir la chantepleure222.

                        MARTIN

        Par Nostre Dame ! je n’ay cure

        D’estre arosé : il fait trop froit.

                        ALISON

        Vous sçavez bien que c’est le droit223

        D’un arbre sec ; [si, l’endurez]224 !

                        MARTIN

590  Voire, mais vous me mou[il]lerez.

        Vrayement, je crains bien la froidure.

                        LA  COMMÈRE 225

        Pource que vostre teste226 est dure,

        Il la fault arroser souvent.

                        ALISON

        Par Dieu ! j’ay grant paour que le vent

595  Ne luy soit, au jourd’huy, contraire.

        Arosez-le bien, ma commère !

        On devient vert pour aroser.

                        LA  COMMÈRE

        Cecy le fera disposer

        À reverdir plus tost [qu’]ung moys.

                        ALISON

600  Arosez-le deux ou trois fois !

        N’espargnez pas l’eaue de Seine.

                        LA  COMMÈRE

        Il a jà une verte vayne227 :

        V(e)ez cy terre [bien] vertueuse !

                        MARTIN

        Au moyns serez-vous bien joyeuse,

605  Quant ma queue verte sentirez ?

                        ALISON

        Par ma foy ! vous reverdirez,

        Puis que la terre228 est labourée…

                        LA  COMMÈRE

        L’esté qui vient, vous fleurirez.

                        ALISON

        Par ma foy ! vous reverdirez.

                        LA  COMMÈRE

610  Quant de terre vous partirez,

        Vous serez vert comme porrée229.

                        ALISON

        Par ma foy ! vous reverdirez,

        Puis que la terre est labourée.

        Je fais trop longue demeurée ;

615  Par Nostre Dame ! je m’en vois.

                        MARTIN

        À Dieu, ma dame honorée !

                        ALISON

        Je fais trop longue demeurée.

                        LA  COMMÈRE

        Verdure est [ce jour] trop prisée230,

        Puis que les marys sont de boys231.

620  [Je fais trop longue demeurée ;

        Par Nostre Dame ! je m’en vois.]

                        ALISON

        Tandres seront comme poulletz232,

        Puisqu’ilz sont mis à la gellée233.

                        LE  FOL 234

        Ilz ont la queue si mouchée235

625  Qu’à peine la peuvent lever.

        Je croy qu’on les a mis couver236 :

        Ilz sont tous couvers [de paillaige]237.

        Par Dieu, v(e)ez cy bon personnage !

        Quant les maris sont bien couvers238,

630  On en va quérir de plus vers

        Ce pendant qu’il reverdiront.

                        ALISON

        Quant vos maris dessécheront239,

        Entre vous, femmes sadinettes,

        Et aussi qu’ilz commenceront

635  À délaisser les amourettes240,

        Pour avoir queues verdelettes,

        Plantez-les tost à la rousée241 !

        Puis alez aux jardins242 seulettes :

        La queue verte est bien prisée.

                        LA  COMMÈRE

640  Quant vous verrez qu’ilz laidiront

        Et seront secz comme espinettes243,

        Et que chose[s] ne vous feront

        Qui soient bonnes et doulcettes,

        Prenez toutes ailleurs244 chosettes

645  Pour faire la chose245 advisée.

        Et si, vous tenez joliettes246.

        La queue verte est bien prisée.

                        MARTIN

        Je croy que mes dois fleuriront :

        Je sens bien venir les fleurettes.

650  Mes genoulx si assouppliront ;

        Aussi feront mes esguillettes247.

        J’auray les jambes bien doulcettes.

        Ma femme sera rapaisée :

        Quant on a belle[s] tétinettes,

655  La queue verte est bien prisée.

                        ALISON

        À Dieu ceste belle assemblée !

        Je m’en voys au jolis bocquet248.

                        LA  COMMÈRE

        Je seray de verd affublée249.

                        ALISON

        À Dieu ceste belle assemblée !

                        LE  FOL

660  Gardez que ne soyez emblée250 !

                        LA  COMMÈRE

        Il ne m’en chault pas d’ung niquet251.

        À Dieu ceste belle assemblée !

        Je m’en vois au jolis bocquet.

.

                        MARTIN                                                  SCÈNE  XIII

        Comment ! seray-je tousjours sec252 ?

665  Par ma foy ! je croy [bien] que ouy.

        Certes, je suis prins par le bec253 :

        On m’a, comme [ung] arbre, enfouy.

        Les maris, si, sont au jourd’huy

        Trèstous pour reverdir plantéz.

670  Et nos femmes vont le pirdouy

        Dancer254, par bieu, de tous costéz.

        Femmes n’en tiennent plus de compte.

        Les maris sont en brief farcéz.

        Je m’en voys o255 ma courte honte.

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                                       EXPLICIT

*

1 Voir la notice de Colinet et sa Tante, ou du Cousturier et le Badin.   2 Dans son édition, Jelle Koopmans est moins catégorique : « Il s’agit d’une pièce en deux temps ; on a même l’impression de la juxtaposition ou de la contamination de deux pièces différentes — la seconde partie n’a qu’un rapport faible avec la première. » Le Recueil de Florence. Paradigme, 2011, pp. 233-250.   3 F : cinq  (La liste des rôles ajoute : Et le mary. Ce rôle n’apparaît que dans la seconde farce, où toutes les rubriques le nomment d’ailleurs « Martin », et non « le mari ».)   4 Arrivant de Rome avec une liasse de papiers, il s’assoit dans une chaire de collège. Son clerc, qui est le personnage le plus sensé de la pièce, porte un habit de fou.   5 Douces.   6 F : especiallement  (Cette attaque visant la liberté de mœurs des Parisiennes resurgit aux vers 77 et 308.)   7 Sa pensée, sa volonté.   8 Pour cela. Idem vers 477 et 486.   9 F : grant  (La grande charité d’Alexandre VI, plus connu sous le nom de Borgia, est sujette à caution. Ce pape fut rappelé à Dieu en 1503, peu de temps après la création de la pièce.)   10 Et que je veuille soutenir les femmes dans tous les domaines.   11 Elle entre dans la salle de classe. Une écritoire d’écolier pend devant sa ceinture comme un pénis. L’aspect phallique de l’écritoire fournissait d’inépuisables jeux de scène : voir la note 45 de Jénin filz de rien.   12 Repousser.   13 F : Et serons nous tousiours raffardees  (Ce vers de retombée doit rimer avec le dernier vers du triolet.)  Nous serons toujours brocardées.   14 Le droit de parler. Cf. Resjouy d’Amours, vers 147.   15 Des imbéciles, puisqu’ils croient parvenir à vous faire taire. Le Fol de la Vie de sainct Didier met ce nom au service de la scatologie : « Jennyn Cornet,/ Veulx-tu point jouer au cornet/ Ou de la [corne]muse par darrière ? »   16 Des blancs-becs et des petits sots. Jaune-bec joue dans la Pippée, et Sottinet dans le Roy des Sotz.   17 Vers manquant. « Mais ung bel/ Estront emmy vostre visage ! » L’Aveugle et Saudret.   18 F : toute   19 Harnachée d’une écritoire phallique, elle entre dans la classe et répond à maître Régnaut, qui vient de s’exprimer. À l’origine, la prétendue Commère portait sûrement un nom, car il n’y a un rôle de commère [de voisine, d’amie] que dans la seconde farce : voir le v. 596.   20 Au collège du Cardinal-Lemoine : voir ma notice. Idem vers 52 et 130.   21 Bien fait. Idem vers 375 et 376. Double sens priapique du « bâton ».   22 Qu’on nous empêche.   23 F : boysseau  (Qu’on nous fasse rouler dans un tonneau, s’il en est besoin.)  Cette brimade était réservée aux matelots, mais une farce jouée au collège du Cardinal-Lemoine l’avait apparemment fait subir à des femmes. Dans le Mystère de Ste Barbe en 5 journées, la sainte sera mise « en ung tonneau, sans demourance,/ Lequel sera cousu de cloux ;/ Son corps sera dedans encloux/ Et puys roullé parmy la rue. »   24 Ce que c’est, pour quelle raison.   25 F : Lhomme  (Voir le v. 60.)   26 Ils ne nous ridiculiseraient dans leurs farces. Idem v. 673.   27 Une permission provisoire. Idem v. 537.   28 Voici des lettres portant le sceau du pape. Voir la note 9. Alexandre VI maria l’une de ses nombreuses maîtresses, Giulia Farnèse, à Orsino Orsini, lequel en fut vite privé. On a dit que pour empêcher l’époux récalcitrant de récupérer son bien, le pape notifia une ordonnance contre lui. Notre pièce fait de cette ordonnance une bulle papale qui autorise les femmes à quitter leur mari.   29 Que j’ai obtenues. La « cour de Rome » transcrit approximativement la Curie romaine. Idem v. 515.   30 Des clercs en jupon.   31 En sujétion, en esclavage. Une épouse est « maîtresse » chez elle quand elle a le dernier mot sur son mari : cf. les Drois de la Porte Bodés, vers 86, 202, 282 et 383.   32 À fouler aux pieds. Cf. le Chauldronnier, vers 6.   33 Que vous obteniez vos grades universitaires, vos diplômes. Idem vers 88, 92, 136 et 144.   34 Le bonnet des Docteurs. Idem vers 166, 224, 300 et 359.   35 F : ragassotiront  (Voir le v. 181. « Ceste marâtre/ Qui faisoit raige ainsi de tous ces gens abatre. » L’Enfer de la mère Cardine.)   36 Vers manquant. Les mules débridées sont des femmes qui ne respectent pas les conventions. Elles sont l’équivalent féminin des veaux échappés (vers 406). « Monstrans leurs tétasses ridées,/ Noz vieilles mules desbridées/ Qui sont, par chevaulx bien souvent,/ Fendues du cul jusqu’au devant. » Clément Marot.   37 Le pape n’intervient pas dans les décisions de l’Université : le roi Louis XII venait de s’affirmer « protecteur et conservateur » de la Pragmatique Sanction, qui limitait drastiquement le pouvoir du souverain pontife dans le Royaume. Voir la note 93. En 1512, une autre pièce de théâtre opposera Louis XII à un pape (Jules II) : le Jeu du Prince des Sotz.   38 Votre brevet s’applique aux clercs.   39 Élevées à une haute dignité. Idem v. 307. Paradoxalement, ce titre français n’est plus porté qu’en Angleterre : « Dame Felicity Lott. »   40 Vers manquant. Je le reconstitue d’après le vers 136.   41 En tant que membres de leur corporation.   42 Travailler.   43 L’une des Femmes qui aprennent à parler latin va devenir maîtresse ès Arts en maniant les arguties « desquelles on fait plainement/ Entendre q’un mary radote ».   44 F : En   45 De bonnes raisons.   46 L’une des Femmes qui aprennent à parler latin veut devenir théologienne.   47 Eux aussi. L’une des Femmes qui aprennent à parler latin veut être médecin, « pour faire son mary/ Devenir fol ou fort malade ». Celle qui se nomme Alison devient avocate, par amour du « droit »…   48 Vos privilèges.   49 S’il y a assez longtemps que vous étudiez. Voir le v. 144. L’ordonnance de Louis XII (voir ma note 93) stipule que les théologiens doivent étudier 10 ans, les docteurs en droit ou en médecine 7 ans, et les maîtres ès Arts 5 ans. Mais elle ne parle pas des sexologues.   50 Que j’aurais dû obtenir ma maîtrise. Même verbe à 306.   51 Je n’ai pas cessé.   52 Je n’y vois pas d’autre remède que de vous accorder la maîtrise.   53 Depuis longtemps.   54 Au perfide.   55 F : font  (Ce collège nous fait toujours du tort.)   56 Barbare. Idem v. 391.   57 Si vous n’y êtes pas depuis assez longtemps. Voir la note 49.   58 F : a   59 De paix. Les Parisiens prononçaient repou.   60 Protester.   61 Votre grade universitaire. Idem v. 393.   62 La nouvelle diplômée aurait dû dire « vinssiez » (comme Régnaut au vers 19), et « baillassiez » (comme le fait une vulgaire pâtissière dans le Pasté et la tarte).   63 Ironique : un tel tapage.   64 Sans mon autorisation.   65 F : souuient  (S’il advient.)   66 Me regarder en face. « Je n’oseroye/ Lever l’œil, quant elle est ainsi. » Le Povre Jouhan.   67 F : dire  (à la rime. Voir le v. 183.)  Vous êtes enragée d’étudier.   68 Sous quels maîtres avez-vous pris vos brevets ? « Sous qui » recèle la même ambiguïté qu’au vers 191.   69 F : nos sermens  (No = notre. Ce pronom picard était descendu jusqu’à Paris.)  Vous nous croirez sur parole.   70 Ce normandisme était lui aussi descendu jusqu’à Paris. Mais tout de même, le langage de nos deux diplômées n’est guère plus châtié que leurs mœurs. Elles sont moins universitaires qu’unies vers Cythère…   71 Chez les moines, les femmes étudient les spécialités érotiques. « Elle estudie sa game/ Avec les clercs de nostre église. » Les Queues troussées.   72 Sous des laïcs. Jeu de mots sur « ces culs liés » : faire l’amour consiste à lier deux culs, à « adjouster deux culz ensemble » (la Présentation des joyaux).   73 Vous avez une tête à faire cela.   74 Il y paraît bien.   75 Que vous fréquentez (y compris au sens sexuel).   76 Lecture d’un texte biblique. Double sens grivois : « L’un la fout en cul, l’autre en con./ Pour s’exercer en ce manège,/ Elle répète sa leçon/ Avecque le Sacré Collège. » Blot.   77 F : que on  (Le Livre des prêtres.)   78 Le Liber precum est un livre de prières. On prononçait précon, le con désignant le sexe de la femme.   79 Des coups de « verges » sur le cul. On prononçait culon : « Il fault qu’ilz ayent supra culons ! » Satyre pour les habitans d’Auxerre.   80 Vous bavardez à tort et à travers.   81 Alison chasse le Fol, qui s’enfuit.   82 Avez-vous mis longtemps.   83 Essayait encore de le comprendre.   84 J’ai eu tort.   85 Qu’on a volontiers apposé le sceau universitaire sur mes brevets. Mais « sceller » = tamponner, au sens érotique : cf. le Mince de quaire, vers 328.   86 Il n’est pas besoin de les énumérer.   87 De commander. Idem vers 118, 305 et 334. « Être digne », suivi d’un infinitif, peut s’employer sans « de » : « Y n’est pas digne/ Vestir un genderme de Dieu. » Troys Gallans et Phlipot.   88 Jusqu’à ce que nous vous rendions la pareille. Cf. le Dorellot, vers 321.   89 Je vous octroie le grade de Maîtresses.   90 Il fait irruption en brandissant un parchemin enroulé.   91 F : de  (L’injonction royale est un deus ex machina qui intervient quand l’auteur ne sait pas comment finir une pièce. C’est le cas dans Tartuffe, où un Exempt tient le rôle de notre Fol.)  Certains rois confièrent des missions plus ou moins diplomatiques à leur fou en titre d’office ; mais Louis XII n’en confia jamais à ses deux bouffons, Caillette et Polite.   92 Défense.   93 Que vous donniez (les 2 négations s’annulent).  En mars 1498, Louis XII avait promulgué une ordonnance confirmant la Pragmatique Sanction. À propos des nouveaux diplômés, il exigea « qu’iceulx graduéz aient estudié par temps suffisant, & qu’ilz soient de la qualité, & aient faict leurs diligences de tout, selon la teneur de ladicte Pragmatique ». Il ne fallait donc pas que les universités « promovent aucun à degré & honneur s’il n’est idoyne, & approuvé de meurs & de science, & qu’il ait mérité ». Par conséquent, même si on avait accepté les femmes, nos deux étudiantes n’auraient pu obtenir de diplôme.   94 Subreptices : obtenues grâce à des déclarations mensongères ou incomplètes.   95 Le Fol quitte la scène définitivement.   96 Ainsi que le pape. On retrouve ce féminisme exacerbé — qui était alors une preuve de faiblesse — dans Deux jeunes femmes qui coifèrent leurs maris, où maître Antitus ressemble fort à maître Régnault, et dans les Queues troussées, où maître Aliborum est lui aussi du côté des dames.   97 Grande cape fourrée que portent les maîtres de l’Université quand ils sortent.   98 F : une   99 Être. Dans les grandes villes aux rues boueuses, la mule était le moyen de transport des élites appartenant à l’université, la magistrature ou le haut clergé.   100 F : de  (La bulle du pape s’en tient probablement aux mules du pape.)   101 De report.   102 Ces pèlerinages servent d’excuse aux femmes qui veulent sortir sans leur mari. « En divers lieux (elles) vont gaigner les pardons/ Pour en leurs lacs attraper la “vitaille”. » L’Advocat des dames de Paris touchant les pardons Sainct-Trotet.   103 F : Et pour  (Voir le v. 148.)   104 Parler dans un amphithéâtre.   105 Être en mesure d’accorder la maîtrise.   106 Si nous le pouvions. Seuls les officiaux [les juges ecclésiastiques] pouvaient accorder aux femmes, et sous certaines conditions, le droit de divorcer.   107 Aimées. Les femmes peuvent désormais parler d’elles au masculin.   108 Invoqué comme un saint.   109 Je vous recommande à Dieu.   110 F : maistresse  (Voir le v. 199.)  Maître Régnaut n’est pas dans la distribution de la 2e farce.   111 F : auans  (Nous avons parlé pendant la pièce que vous venez de voir.)  Le compilateur a supprimé les 3 vers du congé final pour lier les deux farces par une rime, d’ailleurs moins riche que les autres.   112 Ici commence la seconde farce. Pour des raisons pratiques, je continue le numérotage des vers, des scènes et des notes.   113 Le vieux mari d’Alison est chez lui. Il se fait beau, en guettant par la fenêtre le retour de son épouse, qui est allée prendre ses grades universitaires en compagnie de sa commère.   114 Tiré à quatre épingles.   115 Tout coi, silencieux.   116 De changer de mari. Voir la note 28.   117 Le galant endimanché. Idem v. 389. Cf. les Botines Gaultier, vers 500.   118 Le damoiseau. Un dameret n’est pas un modèle de virilité ; mais Martin va renoncer à la sienne, puisque c’est désormais sa femme qui porte le bonnet professoral, et donc la culotte.   119 F : aise  (Avec une allure majestueuse. « Tout à loisir et à son erre. » ATILF.)   120 Gracieux et élégant. Non seulement l’adjectif « sadinet » s’accorde presque toujours au féminin (vers 447 et 633), mais en plus, le sadinet désigne le mont de Vénus : voir la note 2 du Dorellot.   121 Recalfater, ou recalfeutrer = boucher les fissures de la coque d’un bateau ; par extension, l’auteur lui donne le sens de rapiécer. Jeu de mots sur racaille, qui désigne le rebut de la société, y compris d’un point de vue sexuel : « À Dieu soyez, mes frippons et racaille ! » Discours de la vermine et prestraille de Lyon.   122 F : sentree   123 Avant que je m’en aille à la rencontre de ma femme. « Devant que je m’en voyse et que je ne soye plus. » Psaume 39.   124 F : une  (Une pièce de velours que les dames posent sur leur poitrine pour réduire leur décolleté. « Une robbe d’ung gris bien faicte (…),/ La belle pièce à la poictrine. » Guillaume Coquillart.)  La mode portugaise, un peu efféminée, faisait fureur parmi les courtisans : « Habillée à la portugaloise. » (Godefroy.) Sur les rapports entre le Portugal et l’homosexualité, voir la note 149 des Coppieurs et Lardeurs, où un minet plus qu’équivoque se fait traiter d’« amoureux de Portingal ».   125 Ma poitrine. Ce mot ne s’emploie que pour les femmes.   126 Dans la 1ère farce, le Fol participait au dialogue et à l’action. Maintenant, ce n’est plus qu’un fantôme qui n’est ni vu, ni entendu par les autres personnages, comme le Sot du Povre Jouhan, une pièce qui offre beaucoup de points communs avec celle-ci.   127 F : font  (Éternelle confusion entre le « f » et le « ſ » long.)  Douillet = trop doux, délicat.   128 F : une caille  (« Ung très bel et gent page richement habillé. » Antoine de la Sale.)  Tous les aristocrates homosexuels entretenaient un page. Bien avant Chérubin, ces derniers pouvaient être déguisés en filles : « (Elles) desguisèrent les paiges de l’assemblée et les habillèrent en damoyselles bien pimpantes et atourées. Les paiges endamoyselléz (…) se présentèrent. <Rabelais, Quart Livre, 10.> La confusion de notre éditeur est explicable : les cailles ont longtemps représenté les homosexuels, à tel point qu’en 1914, Francis Carco put raconter l’histoire du prostitué Jésus-la-Caille.   129 Bien faits (idem au vers suivant) et bien tournés.   130 À la dernière mode.   131 Vous ressemblerez à un gigolo.   132 F : Cecy  (Ma ceinture.)  Les snobs laissaient glisser leur ceinture au-dessous de la taille, pour être « ceints sur le cul ». La femme de Martin de Cambray <F 41> oblige son époux à suivre cette mode : « –C’est trop hault !/ –Plus bas ? –Voire dea, en ce point !/ Maintenant vous estes en point,/ Fricque, habile et poly…./ Vous en estes “saint sus le cul”. » Cf. le Résolu, vers 112.   133 Accessoire.   134 Bourse en cuir que les hommes accrochent à leur ceinture.   135 Pour les élégants, la dague n’est qu’un bibelot décoratif. Ils la portent donc à l’arrière de leur ceinture : « La renommée court grant erre/ Que dagues ont sur les rongnons [reins]. » Maistre Mymin qui va à la guerre.   136 Vers manquant. Pour être plus à la mode. Le vers 417 compare Martin aux gorriers, ces dandys qui passent leur vie à se pomponner. « Vivez ores gorrièrement ! » La Folie des Gorriers.   137 Quand ils marchent, la pointe de la dague ne leur écorche-t-elle pas les jarrets ?   138 Elle s’approche de la maison, avec sa commère. Toutes les deux sont coiffées d’un bonnet rond, et laissent pendre devant leur ceinture une écritoire en forme de pénis.   139 Un régent, au masculin, est un professeur d’université.   140 Un coup d’éclat dont notre mari sera la victime.   141 Que nous nous remboursions des humiliations qu’on nous a fait subir.   142 Il est toujours dans la maison.   143 F : voulant  (« Un estron volant, enveloppé dans une feuille de papier, & jetté par la fenestre. » Antoine Oudin.)  Ce jeu puéril semble avoir beaucoup plu aux collégiens : cf. les Sotz escornéz, vers 19-20.   144 « Ne fait-il pas bien le veau eschappé ? » John Palsgrave.   145 Il sort, suivi par le Fol ; mais il n’ose pas s’approcher de sa femme.   146 F : quon  (Quel comportement je dois avoir devant elle. « Quel train voulez tenir et faire ? » Les Brus.)   147 F : esperit  (Épris = enflammé. « Comme homme fort espris d’amours. » René d’Anjou.)   148 Elle aperçoit son mari travesti, mais ne le reconnaît pas.   149 Quel sodomite. Jeu de mots sur cul. Idem v. 428. « Et la chair qu’on prend par la bouche,/ L’escuyer luy met par le cu. » François Maynard.   150 Habile. Idem v. 518.   151 Les clercs de la Basoche jouaient des farces dans le Palais de la Cité. Leurs meilleurs ennemis étaient les collégiens du Cardinal-Lemoine. Dans Pour le Cry de la Bazoche, le 1er Suppôt de ladite Basoche veut « laisser le feu sainct Anthoine/ Au ladre Cardinal Le Moyne ». Marot disait déjà : « Que du grief feu de sainct Anthoine/ Soit ars [brûlé] le Cardinal Le Moyne,/ Ennemy des Bazochiens ! »   152 C’est un joyeux compagnon. Ou bien, avec une intention ironique : C’est un bon amant. Cf. Ung jeune moyne, vers 184 et note.   153 Un usurier, tant il a l’air riche. Mais aussi, par déduction : un homme qui change de sexe.   154 Martin a fait comme les élégantes qui, pour avoir la taille plus fine, serrent leur corset au point de ne plus pouvoir respirer : cf. le Povre Jouhan, vers 122-5.   155 F : crainte  (-oi- rime en -ai-, comme aux vers 409, 420, 534, 535, etc.)  Comme le savent encore nos cousins Québécois, un homme de traite est un marchand au long cours. Mais la traite est aussi l’action de tirer : on compare Martin à un cheval de trait.   156 Sa femme doit le tenir par la bride. « Mais quant ils sont mariéz, je les regarde embridéz et abestis mieulx que les aultres. » XV Joyes de Mariage.   157 Saucissonné dans ses vêtements.   158 F : taste   159 Écuyer = sodomite (note 149). « Fait à la haste » recèle un double sens : Habitué à la haste, la broche priapique ; voir le Dictionnaire érotique de Pierre Guiraud.   160 On disait que les chausses des courtisans pauvres étaient trouées aux talons. « Quant la chausse a mauvais talon,/ Il fault avoir des brodequins. » Gautier et Martin.   161 Sorte. La chaleur qui risquerait de leur monter à la tête peut s’évacuer par les chausses trouées, comme aux vers 442-445. Chez les femmes, elle s’évacue par la fente du sexe : Deux hommes et leurs deux femmes, vers 139-145.   162 Les serrent tellement.   163 Leurs bas sont reliés entre eux.   164 Un de leurs morpions.   165 Si chauds. Ce doublon des vers 430-436 est sans doute apocryphe.   166 Bariolés, comme le costume des fous.   167 Mignonnes. Idem vers 360 et 633.   168 Ils ne portent pas les coûteuses chaussures à la poulaine. Mais celles-ci étant démodées, ils portent peut-être les becs-de-cane, qui leur succédèrent : « Quand les hommes se faschèrent de ceste chaussure aiguë qu’on nommoit la “polaine”, l’on fit d’autres souliers qu’on nommoit “à bec de cane”, ayans un bec devant de quatre ou cinq doigts de longueur. » Guillaume Paradin.   169 On rembourrait quelquefois la corne de tissu creuse qui prolongeait les chaussures à la poulaine, réservées aux fous et aux hommes efféminés.   170 F : que   171 F : guerre  (Que leur fabrication ne vaut rien.)  Le bourrelet du chaperon est creux, et se nomme d’ailleurs le soufflet ; lorsqu’il est trop volumineux, on doit le rembourrer pour qu’il ne se dégonfle pas.   172 Toujours invisible et inaudible, il s’approche des deux femmes.   173 Le soufflet de son chaperon est si large qu’on pourrait poser dessus un chaudron capable de contenir deux seaux d’eau.   174 Les « claque-patins » se font remarquer en mettant sous leurs semelles de liège des semelles en bois qui claquent sur le pavé. Cf. Jéninot qui fist un roy de son chat, vers 247-8 et notes.   175 Plutôt.   176 F : Sans esperons de  (Les jeunes gandins désargentés portent des éperons pour faire croire qu’ils ont un cheval.)   177 Racine écrira dans les Plaideurs : « Les témoins sont fort chers, et n’en a pas qui veut. »   178 Si retroussés, pour qu’ils ne traînent pas dans la boue et la poussière. Idem v. 477. « De sa robe cueillie/ L’autre espan[ou]it les plis. » Guy Le Fèvre.   179 Qui choit, qui tombe des chênes. Ils ont peur que les cochons qui déambulent dans les rues de Paris* ne les prennent pour des glands.  *Voir la note 103 des Rapporteurs.   180 C’est pour cela qu’ils ont fait faire un ourlet à leur robe. Le bas de la robe s’usait vite, et on en coupait de temps à autre quelques centimètres pour la rajeunir : plus la robe était vieille, plus elle était courte. Les pauvres étaient donc « cours-vestus d’une vieille soie », comme les gorriers dont se moquent Gautier et Martin.   181 F : escoltee  (Voir le v. 481. « Tu as robe bien escourtée./ Ne doubte qu’elle soit crotée. » Le Brigant et le Vilain.)  Ayant une robe si courte, ils devraient pouvoir sauter plus haut.   182 Elle est pourtant crottée. « Si me fault-il trousser/ Ma robe, qu’el ne soit crottée. » (Saincte-Caquette.) La réplique suivante souligne la crasse volontaire dans laquelle se complaisaient les fils de familles.   183 Chacun d’entre eux porte des vêtements aussi sales qu’un porc. Les jeunes gens à la mode affectaient déjà d’avoir des habits et des cheveux négligés.   184 Sale.   185 En se fiant à ses beaux discours.   186 Il vaut mieux être couvert.   187 Ajourée de fentes qui laissent passer le froid.   188 Il me fait penser à une nouvelle mariée.   189 Gracieusement.   190 Voilà un bon tour. « J’ay pensé bon appointtement. » Farce de Pathelin.   191 Il essaie de faire une révérence, mais son costume trop serré l’en empêche.   192 Ce qui doit être fait en pareil cas.   193 Que je vous laisserai, que je vous quitterai.   194 Puisque j’occupe une fonction si haute.   195 D’autres hommes, pour peu qu’ils soient plus habiles. « Soi-ent » compte pour 2 syllabes, comme au v. 643.   196 Longs et frisés. « Ilz avoient les cheveulx crespeléz [crépus], retorceléz & retortilléz, tout ainsi comme les Allemans les portent jusques aujourd’huy. » Jean Lemaire de Belges.   197 Se dit d’une viande trop dure.   198 Docile. « Ell le rendra doux comme un gand. » Godefroy.   199 Galant.   200 F : playeroit  (Il ferait bien la révérence. « Ployez ces genoulz ! » Le Capitaine Mal-en-point.)   201 F : toucheroit  (Le vers précédent est perdu.)   202 Des patins (note 174) en verre. « Il yroit sur patins de voirre,/ Tant marche mignon le pavé. » Les Coppieurs et Lardeurs.   203 F : saincte  (Voir le v. 616.)   204 La permission de délacer le corset qui m’étouffe.   205 Il faut vous planter pour que vous reverdissiez.   206 Pour maintenant. C’est en hiver que dut être jouée cette pièce de Carnaval où tous les renversements carnavalesques et toutes les « inversions » s’en donnent à cœur joie.   207 Au printemps prochain. « J’ay ung beau kalendrier de bois/ Pour sçavoir les jours et les mois,/ Le Karesme et le nouveau temps. » Arnoul Gréban.   208 F : ployent  (Souple des reins.)   209 Avoir la tête verte = être têtu. « Teste testue, teste vert ! » (Tarabin Tarabas, F 13.) Teste Verte est l’un des Sotz triumphans.  Avoir la queue verte = bander. « De la nature des pourreaux, esquelz nous voyons la teste blanche et la queue verde, droicte et vigoureuse. » (Tiers Livre, 28. Rabelais compare les maris aux poireaux, qui sont plantés la tête en bas : voir le v. 556.)   210 F : ne   211 Pour peu que vous soyez bien greffé dans le sol.   212 Ôtez votre robe rapidement.   213 F : enraciene  (Avec l’aide des femmes, Martin fait le « poirier », la tête en bas. Beaucoup de comédiens étaient d’authentiques acrobates : voir le Bateleur, ou les Sobres Sotz.)  Devenu contre nature, Martin sera planté à l’envers. De même, les enfants d’Antiphysie [de Contre-nature] ont « les pieds en l’air, la teste en bas (…), veu que les cheveulx sont en l’homme comme racines, les jambes comme rameaux. » Rabelais, Quart Livre, 32.   214 De couvrir de terre sa tête. Il y a là un trucage qui nous échappe. Mais on pratiquait des effets spéciaux beaucoup plus complexes : dans nombre de Mystères, le bourreau décapite devant les spectateurs un saint dont la tête, nous dit-on, roule sur le sol !   215 Quand pourrai-je sortir de terre ? Mais dans les traités de médecine, « découvrir » se dit pour « décalotter ».   216 Jusqu’à ce.   217 F : En  (Et serai-je sorti de l’engourdissement hivernal ?)   218 Un perroquet, dont le plumage est vert.   219 Un loqueteux. « Ce n’est c’un loquebault. » Le Trocheur de maris.   220 F : par dieu quiconques ie vueil  (Pour peu que je le veuille jamais.)   221 Acquitter.   222 Je vais chercher l’arrosoir (rime en -ure). La commère entre dans la maison du couple.   223 Le sort.   224 F : et la nature  (Voir le v. 558.)   225 Elle revient avec un arrosoir.   226 F : queue  (Les femmes reprochent au mari d’avoir la tête dure et la queue molle. D’autre part, c’est la racine qu’on arrose, et en l’occurrence, la tête de Martin.)   227 Une raide verge, du latin vena. « Pour aucun des fais de nature,/ J’ay encore une verte vaine. » Ung jeune moyne.   228 Martin ne perçoit pas le double sens : Maintenant que mon vagin est labouré par d’autres que vous. « On labourera bien sa terre…./ Faictes labourer vostre terre ! » Raoullet Ployart.   229 F : porres  (La porée est un potage aux poireaux, de couleur verte. Cette pièce est résolument placée sous le signe du poireau et sous la couleur verte.)   230 La verdeur sexuelle des amants est aujourd’hui très recherchée.   231 Depuis que les maris restent de bois, n’ont plus d’érection.   232 Rime avec le « vais » du vers précédent, comme « bourrelets » rime avec « laids » à 453.   233 Ils sont exposés au gel. Mais aussi : Ils seront mous comme du poulet en gelée.   234 Le compilateur qui a greffé ce personnage à la seconde farce, prenant même la peine d’écrire son rôle en rimes mnémoniques pour soulager la mémoire des autres acteurs, vient de l’oublier pendant 159 vers !   235 Éteinte, comme une chandelle qu’on a mouchée. « Queu-e » compte pour 2 syllabes, comme aux vers 550, 636 et 639.   236 Qu’on leur a fait couver des œufs, tels des Sots.   237 F : dauantaige  (De paille, comme le nid des poules.)  « Pailler des arbres, des figuiers : les envelopper de paille pour les protéger contre la gelée. » Littré.   238 Sont couverts de terre, plantés : voir les vers 564 et 569.   239 F : decherront  (Deviendront secs, impuissants. Voir le v. 664.)   240 À vous faire moins souvent l’amour.   241 À la rosée, à l’aube.   242 Ce sont des lieux où l’on peut « consommer » sur place, comme les bosquets du vers 657. « Te donna-il pas quatre souz/ Pour te le faire dans les choulx/ Qui estoient en vostre jardin ? » Le Mince de quaire.   243 Comme des buissons épineux.   244 F : vos  (La « chose » désigne la verge. « Dieu luy doinct chose qui se dresse ! » Frère Phillebert.)   245 Le coït. « Pour faire la chose joyeuse. » ATILF.   246 Et pour cela, tenez-vous jolies.   247 Les lacets qui ferment ma braguette.   248 Je vais rejoindre mon amant dans un bosquet.   249 Le dos de ma cotte sera maculé par l’herbe verte sur laquelle mon amant va me coucher. Cf. le Résolu, vers 249 et note.   250 Enlevée. Mais on peut comprendre : Gardez-vous d’être amblée [chevauchée]. Le Sot du Povre Jouhan, qui a tant de rapports avec celui-ci, fait le même calembour dans une circonstance analogue : « Je croy qu’elle a esté emblée. »   251 Je m’en moque comme d’une pièce d’un centime.   252 Impuissant, dépourvu de sperme. Idem v. 641. Cf. le Ramonneur de cheminées, vers 330.   253 Elles m’ont pris à mon propre piège.   254 Toutes les danses symbolisaient le coït. « Luxure, accolle-moy, ma seur :/ Si dancerons le pirtouy. » Moralité du Lymon et de la Terre, T 19.   255 F : ou  (O = avec. Cf. les Esbahis, vers 215.)  Martin se remet sur ses pieds.

LE MÉDECIN QUI GUARIST DE TOUTES SORTES DE MALADIES

Recueil Rousset

Recueil Rousset

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LE  MÉDECIN  QUI

GUARIST  DE  TOUTES

SORTES   DE  MALADIES

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Évoquant cette farce — ou plutôt, cet empilement de séquences graveleuses et scatologiques —, Emmanuel Philipot a dit1 : « Le travail d’invention de l’auteur a consisté à choisir dans les Facéties du Pogge six anecdotes en majorité relatives à des médecins, puis à les relier tant bien que mal en les faisant rentrer dans une intrigue rudimentaire. » Philipot cite Montaigne (Essais, II, 10) : « Ceux qui se meslent de faire des comédies (…) entassent en une seule comédie cinq ou six contes de Boccace. » L’auteur de notre farce ne semble pas avoir lu le Liber facetiarum de Poggio Bracciolini dans l’original latin. Il en a plutôt connu la traduction de Guillaume Tardif, parue vers la fin du XVe siècle et souvent rééditée ; c’est donc elle que je citerai.

Le début est très proche de Chagrinas : un charlatan qui se dit médecin vend des remèdes magiques devant sa porte, et veut bien payer de sa personne pour satisfaire ses patientes.

Aux quatre personnages officiels, ajoutons l’âne Martin Baudet, qui tient un rôle non négligeable. Il s’agit, selon toute vraisemblance, d’un âne vivant. Les Mystères de la Nativité en louaient un pour transporter Marie et pour figurer dans la crèche ; or, on incluait dans ces Mystères des farces qui bénéficiaient du même décor et des mêmes accessoires qu’eux : voir la notice des Tyrans.

Source : Recueil de plusieurs farces tant anciennes que modernes. Paris, Nicolas Rousset, 1612, pp. 3-21. La pièce fut donc éditée plus d’un siècle après avoir été écrite.

Structure : Rimes abab/bcbc, rimes plates.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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Farce nouvelle et récréative du

Médecin qui guarist

de toutes sortes

de maladies & de

plusieurs autres.

Aussi fait le nés à l’enfant d’une

femme grosse, & apprend à deviner.

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À quatre personnages, c’est à sçavoir :

       LE  MÉDECIN

       LE  BOITEUX

       LE   MARY

       LA  FEMME

*

                        LE  MÉDECIN  commence                    SCÈNE  I

        Or faictes paix2, je vous [en] prie,

        Afin que m’oyez publier

        La science, aussi l’industrie

        Que j’ay apris à Montpellier3 ;

5      J’en arrivay encore hyer,

        Avec la charge d’un chameau

        De drogues4, pour humilier

        Femmes qui ont mauvais cerveau5.

        J’ay aussi du bausme nouveau

10    Pour guarir playes et fistules.

        Et dedans cest autre vaisseau,

        De toute sorte de pillules

        Pour les basses et hautes mules6,

        Pour fièbvres, chaut mal7 et jaunisse[s],

15    Mal de dents et de mendibules,

        Et de mammelles de nourrices.

        Ouvrier [je suis]8 des plus propices

        Qui soit en ce monde vivant

        Pour renouer9 bras, jambes, cuisses,

20    Soudain et viste comme vent.

        Onc homme on ne vid plus sçavant

        En chirurgie n’en physique.

        Et mieux que ceux de par-devant10

        Je me connois en la practique.

25    J’ay appris d’un devin antique

        Qui se tenoit par-delà Thrace11

        À deviner, guarir colique.

        Je n’en dy plus : l’heure se passe.

.

                        LE  BOITEUX 12                                   SCÈNE  II

        Je pourrirois en ceste place

30    Avant que j’en sceusse13 bouger.

        Hélas ! Monsieur, par vostre grâce,

        Vueillez-moy mon mal alléger !

                        LE  MÉDECIN

        Je désire te soulager.

        Qu’as-tu ? Tu es froid comme marbre.

                        LE  BOITEUX

35    Las ! Monsieur, je suis cheu d’un arbre

        Et me suis desmis [la jointure]14.

                        LE  MÉDECIN

        Sans y mettre oignement n’ointure15,

        Je te la remets et r’assemble16.

                        LE  BOITEUX

        Ha ! Je suis guary, ce me semble.

40    À vous suis tenu grandement.

                        LE  MÉDECIN

        Que donneras-tu franchement,

        Si je t’enseigne de léger17

        À descendre sans tel danger

        (Qui n’est pas petite science) ?

                        LE  BOITEUX

45    Je vous promets en conscience

        De vous payer à vostre gré.

                        LE  MÉDECIN

        Escoute : Soit d’arbre ou degré18,

        Garde-toy de te plus haster

        Que tu n’avois faict à monter,

50    Alors qu’il t’en faudra descendre.19

                        LE  BOITEUX

        Et vous, ne vous hastez de prendre

        Non plus que je faicts de bailler.

                        Il dict en s’enfuyant :

        Il se cuidoit de moy railler ;

        Toutefois, j’ay gaigné le jeu.

.

                        LA  FEMME 20                                      SCÈNE  III

55    Mon mary, pour l’amour de Dieu,

        Menez-moy à ce médecin

        Duquel on parle tant, afin

        De voir s’il me pourra guarir.

                        LE  MARY

        Je vas nostre baudet quérir

60    Pour plus doucement vous mener.

                        LA  FEMME

        Hastez-vous donc de l’amener !

        Je debvrois y estre desjà.

                        [LE  MARY.]  Il va quérir son asne,

                        et monte sa femme dessus. Puis dit :

        Allons, hay, baudet ! Comme il va !

                        LA  FEMME

        Ne le faictes si fort haster,

65    Ou à bas me ferez jetter,

        En danger de me rompre le col.

        Conduisez-le par le licol,

        De crainte qu’il ne vous eschappe.

                        LE  MARY

        Martin21 Baudet, si je vous happe,

70    Je vous donneray tant de coups

        Que vous feray aller tout doux.

        Vous faictes de l’acariâtre ?

                        LA  FEMME

        Il n’est pas saison de le batre

        Maintenant, qu’il nous faut soigner22

75    Allégeance à mon mal donner.

        Il suffit mais qu’il aille l’amble23.

                        LE  MARY

        Arrivéz sommes, ce me semble,

        Où le médecin fait demeure.

        Il est que vous descendiez heure.

80    Arreste, hau, baudet ! [Or, cesse]24 !

                        LA  FEMME

        Aydez-moy, que je ne me blèce.

                        LE  MARY 25

        Dévaller pouvez — embrassée

        Vous tenant — sans estre offencée26.

        Voilà l’huis : heurtez seurement.

                        LA  FEMME

85    Ne vous esloignez nullement,

        Tandis. Et faictes l’asne paistre.

                        Le mary se couche contre terre et

                        s’endort. Tandis, l’asne s’en va.27

.

                        LA  FEMME,  parlant au médecin.       SCÈNE  IV

        J’ay très grand douleur, nostre28 Maistre,

        Depuis le genouil jusqu’à l’aine.

        Voudriez-vous bien prendre la peine

90    De me guérir, en vous payant ?

                        LE  MÉDECIN

        M’amye, j’en suis très content.

        Et vous tenez seure et certaine

        Que pour discerner nerf et veine,

        N’y a nul mieux que moy apris.

95    Ce mal, comment vous a-il pris ?

                        LA  FEMME

        L’autre hyer, revenant de Monmartre29

        (Où allée estois pour m’esbatre),

        Cheus, de malheur, à [la] renverse30.

                        LE  MÉDECIN

        Si voulez que je la redresse,

100  Il convient [qu’el soit manïée]31.

                        LA  FEMME

        Encor(e) que je sois mariée,

        [Il me faudra]32 cela permettre

        Toutefois, pour à mon mal mettre

        Et donner quelque alégement

105  (Ce que ne voudrois autrement).

        Faictes comment vous l’entendez.

                        LE  MÉDECIN 33

        Maintenant, la jambe tendez34 !

        [Je croquerois bien ceste prune.]35

                        LA  FEMME

        Ho ! je ne sens douleur aucune.

110  Guarie suis, ou autant vaut.

        Dictes, Monsieur, ce qu’il vous faut ;

        Ne m’espargnez ne tant, ne quand36.

                        LE  MÉDECIN 37

        De vous je me tiens très content :

        Dresser m’avez faict (c’est assez)

115  Le membre. Ne sçay s’y pensez.

        Prenez que l’un aille pour l’autre.

                        LA  FEMME

        Je comprens l’intention vostre.

        Mais mot38 ! Devisons d’autre chose.

        J’ay opinion d’estre grosse :

120  Diriez-vous bien de quel enfant39 ?

                        LE  MÉDECIN

        Ouy, m’amie, et tout maintenant.

        Çà, vostre main, que je la voye40 !

        Ha ! qu’est-ce-cy ? Dieu y pourvoye !

        J’apperçoy ce qu’oncques ne veis,

125  Ou je perds et sens et advis,

        Tant la chose est extr(a)ordinaire41.

                        LA  FEMME

        Mais qu’il ne vous vueille desplaire,

        Vous me direz s’il y a rien42

        Qui vous semble autrement que bien.

130  Je vous en prie d’amitié.

                        LE  MÉDECIN

        Ma foy ! vous me faictes pitié,

        Vous voyant si jolie et cointe43.

        Car l’enfant dont estes enceinte

        N’a point de nés44, c’est vérité.

                        LA  FEMME

135  Hélas ! Monsieur, par charité,

        Sçauriez-vous à ce mal pourvoir ?

                        LE  MÉDECIN

        Je luy en feray un avoir

        Avant qu’il soit demain ceste heure,

        Si voulez que je vous sequeure45.

140  Ou tardif sera le secours46.

                        LA  FEMME

        J’auray doncques à vous recours

        Pour l’œuvre encommencé parfaire.

                        LE  MÉDECIN

        Un ouvrier vous faut, pour ce faire,

        Qui entende ce qu’il fera ;

145  Autrement, le nés ne tiendra,

        Restant difformé le visage.

                        LA  FEMME

        Je vous donneray si bon gaige47

        Que serez très content de moy,

        Avant que parte, sus ma foy,

150  S’il vous plaist en prendre la peine.

                        LE  MÉDECIN

        Très volontiers, tant je vous ayme,

        Sans que, pour ce, rien vous demande.

        Mais la compagnie est trop grande48

        Pour mettre en ouvrage et effect

155  Ce qu’entens. Cherchons lieu secret :

        Trop de gens entendroient mes tours49.

                        Ils s’en vont ensemble.50

.

                        Et le mary se resveille et dit :                  SCÈNE  V

                        LE  MARY

        Hau, baudet ! Pais-tu pas51 tousjours ?

        Où est-il allé ? Qu’est-ce-cy ?

        S’en est-il point fuÿ, aussi ?

160  L’avez-vous point veu, bonnes gens ?

        L’ont point emmené les sergens,

        Du procès sçachans le trictrac52 ?

        En ce lieu, n’en apperçoy trac53.

        Peut-estre un loup s’en est farcy.

165  Tant tu me donne de soucy

        Et de courroux, maudit sois-tu !

        Encore seray-je battu

        De ma femme, je m’y attens.

.

                        LA  FEMME 54                                      SCÈNE  VI

        J’ay cy esté assez long temps,

170  Monsieur. Faut me remettre en voye,

        Requérant à Dieu qu’il pourvoye

        De nés à mon enfant joly.

                        LE  MÉDECIN

        Il en aura un bien poly,

        Que luy ay faict bien et [à] poinct55.

.

                        LE  MARY                                             SCÈNE  VII

175  Mais ma femme ne revient point,

        Non plus que mon asne, au repaire56.

        Il me faut le malade faire,

        Pour éviter d’estre battu.

                        Il se couche, puis dit :

        Hé ! mon Dieu ! M’amie, où es-tu ?

180  Tant je sens de mal entour moy !

.

                        LA  FEMME                                           SCÈNE  VIII

        Vous me mettez en grand esmoy !

        Qu’avez-vous à vous plaindre tant ?

                        LE  MARY

        S’au médecin ne vas comptant57

        Mon mal, je mourray promptement.

                        LA  FEMME

185  Allez-y doncques vistement

        Tandis qu’il est en la maison.

                        LE  MARY

        Que luy porteray-je ? Un oyson,

        Ou des poulets, ou de l’argent ?

                        LA FEMME

        Il est courtois, honneste et gent.

190  Allez seulement, ne vous chaille.

        Ne portez ny denier, ny maille ;

        Il ne vous demandera rien.

.

                        LE  MARY,  y allant.                             SCÈNE  IX

        Que ce me seroit un grand bien

        Si ma femme devenoit bonne !

.

195  Holà ! Holà ! N’y a-il personne ?                              SCÈNE  X

                        LE  MÉDECIN

        Si a, dea ! Que demandez-vous ?

                        LE  MARY

        Monsieur, las ! J’ay si fort la toux

        Qu’il faut que prenne médecine.

                        LE  MÉDECIN

        Voicy de la pilule fine

200  Qui vaut mieux qu’autant d’or massis58.

        Il t’en faut prendre cinq ou six :

        Cela guarira tous tes maux.

                        LE  MARY  en prend, puis dit :

        Qu’est-ce ? Diable ! ils sentent les aux59.

        Comment il[s] roullent dans mon ventre !

205  Ha ! il faut que mon cul s’esvente60.

.

                        Il va à l’escart pour faire ses « affaires »,

                        où il trouve son asne.61 Puis dit :

        Ha ! baudet, estiez-vous icy ?                                    SCÈNE  XI

        Quel bon médecin ! & sans [nul] si62,

        M’ayant guary, et sans grand queste63,

        Fait aussi retrouver ma beste.

210  Vrayement, je l’en contenteray

        Du premier argent que j’auray.

        Sus, baudet ! À l’hostel64 ! Sus, sus !

.

                        LA  FEMME,  en acouchant.65              SCÈNE  XII

        Hélas ! Mon Dieu, je n’en puis plus.

        Hélas, hélas ! le « cœur66 » me fend.

                        LE  MARY

215  Et quoy ! Ma femme a un enfant ?

        Hé ! m’amie, comment vous est67 ?

                        LA  FEMME

        Bien, Dieu mercy, puisqu’il luy plaist

        Que mon enfant est bien venu.

                        LE  MARY

        J’ay l’entendement tout cornu68

220  De ce qu’accouchée vous voy.

        Treize mois sont, je l’apperçoy,

        Qu’avecques vous je n’ay couché,

        Au moins que ne vous ay « hoché69 ».

        Et si70, dès la première année

225  Qu’avec moy feustes mariée,

        Vous geustes71 au bout de six mois.

                        LA  FEMME

        Vous ne l’aviez plus de trois doigts

        Mis avant72 : et pour ceste cause,

        L’enfant vint sans plus longue pause,

230  N’ayant si long chemin à faire.

                        LE  MARY

        Il s’ensuit par raison contraire

        Que l’y ay fourré trop avant

        À ce coup, puisqu’il a mis tant.

        J’ay peur de vous avoir gastée73.

                        LA  FEMME

235  Non avez, non. Mais la nuictée

        Que vous me feistes cest enfant,

        Je vis une asnesse, en dormant74 ;

        Parquoy, treize mois l’ay porté.

                        LE  MARY

        Il est donc mien, tout doubte osté.

                        Il prent l’enfant et le regarde, puis dit :

240  Il a tant beau nez que c’est rage !

                        LA  FEMME

        Ha ! ce n’est pas de vostre ouvrage :

        Il ne vous estoit souvenu

        Luy en faire. On en est tenu

        Au bon ouvrier qui l’a parfaict.

                        LE  MARY

245  Qui, tous les diables, l’a donc faict ?

        Comment ! faict-on le nez à part ?

        Tenez-le ; j’en quitte75 ma part,

        Et m’en vas à ce médecin

        — Qui, peut-estre, est aussi devin —

250  Sçavoir qui ce nez a refaict.

        Mais mieux me vaudroit en effect,

        Ce croy-je, apprendre à deviner,

        Voire : car j’en pourrois gaigner

        De l’argent. Or vay-je orendroit76

255  M’enquérir de luy s’il voudroit

        M’y apprendre. C’est bon party.

.

        Monsieur, voicy un apprenty                                     SCÈNE  XIII

        Qui vient apprendre la science

        De deviner, comme (je pense)

260  Vous l’apprenez à toute gent.

                        LE  MÉDECIN

        Ouy dea. En me donnant argent,

        Je te l’aprendray, sans doubtance.

        Ne prendras77 pour toute pitance

        Que de ces pilules que j’ay,

265  Dont aussitost qu’auras mangé,

        Tu seras un devin parfaict.

        Regarde à toy ; pense à ton faict.

        Dy-moy : que me donneras-tu ?

                        LE  MARY

        Tout compté et tout rabatu,

270  Voilà un bel escu comptant.

                        LE  MÉDECIN

        Par mon âme ! j’en suis content.

        Mais tu payeras les confitures78,

        Autant les molles que les dures

        (Stercus79 canis, boue de blé)

275  Qu’ensemble ay mis et assemblé.

        Tu en prendras ou deux, ou trois ;

        Cela faict, la première fois

        Que parleras, sois asseuré

        Que ce que diras sera vray.

280  Or, pour ce secret-là t’apprendre,

        Ouvre la bouche : il te faut prendre

        De ces pillules que voicy.

                        LE  MARY 80

        Fy ! Tous les diables ! qu’est-ce-cy ?

        Cela sent plus fort que moustarde.

                        LE  MÉDECIN

285  Devine.

                        LE  MARY

                       Le sambieu ! c’est merde81 !!

                        LE  MÉDECIN

        En ma conscience, c’est mon82.

        Or fais-je veu à sainct Simon

        Que tu es [un] très bon devin.

                        LE  MARY

        Allez, yvrongne, sac à vin !

290  Feussiez-vous pendu par le col !

                        LE  MÉDECIN

        Da ! Ton asne avec son licol

        Estoient perdus, si je ne feusse83 ;

        Et si, mon payement n’en eusse84

        Sans que par subtile façon

295  J’ay[e] tiré ton jaulne escusson85.

        Et la cuisse que j’ay remise

        À ta femme, rien tu ne prise ?

        [Qu’ay-je eu pour avoir terminé]

        Son enfant qui, sans moy, fust né

300  Sans nez, qui t’eust esté grand honte ?

                        LE  MARY

        Vous l’avez donc fait, à ce compte,

        Ce nez ? Monstrez-moy à en faire

        De mesme, il ne vous coustera guère.

        Et si, bien vous contenteray.

                        LE  MÉDECIN

305  Retiens bien ce que te diray :

        Quand un autre enfant tu feras,

        Ton nez au trou du cul mettras

        De ta femme. Et ne sois testu86,

        Mais tiens-l’y bien — et deusse-tu

310  Y estre et jour et nuict aussi —

        Jusques à tant qu’elle ait vessi87.

        Par ainsi, il te souviendra

        Du nez, qui trop mieux en tiendra.

        Fais en la sorte que te dis.

                        LE  MARY

315  Ha ! vertubieu ! En faicts et dicts,

        Vous mocquez-vous ainsi des gens ?

        Si je peus trouver des sergens,

        Je vous feray mettre en prison88 !

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                        LE  MÉDECIN                                       SCÈNE  XIV

        Partir d’icy il est saison ;

320  Retirons-nous à nostre enseigne89.

        Vive tout drôle90 qui enseigne

        À faire le nez aux enfans !

        Adieu vous dy, petis et grands !

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                                    FIN

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XXIX.  UNG  FACÉCIEUX  ET  JOYEULX  CONSEIL  DONNÉ  À  UNG  RUSTICQUE.

Ce rusticque91 monta en ung de ces chastaigniers pour cueillir desdictes chastaignes. Mais il en descendit plus tost qu’il ne cuida, car il se fia à une branche, laquelle rompit dessoubz luy ; et cheut aval l’arbre, & se rompit une des costes de la poictrine.

Et près de là estoit ung plaisant et joyeulx homme nommé Minatius, qui vint pour réconforter ce pouvre malheureux rusticque qui estoit cheut. Et luy dist Minatius — qui estoit homme trèsjoyeulx et plaisant : « –Mon amy, réconforte-toy. Je te enseigneray et te donneray une reigle que, si tu la gardes92, jamais de arbre où tu montes tu ne cherras. –Haa (dist le blécé) ! J’aymasse mieulx que vous me l’eussiez dit devant que je fusse cheut : pas ne me fusse ainsi blécé. Toutesfoys, s’il vous plaist de me conseiller, il me pourra prouffiter au temps advenir. »

Adonc dist Minatius : « Mon amy, quant tu monteras en aulcun lieu hault, faictz que tu soyes aussi tardif93 à descendre comme à monter ; car si tu fusses aussi en paix descendu que tu es monté, jamais tu ne te fusse blécé. »

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LVI.  D’UNG  MÉDECIN  QUI  REDRESSA  LA  JAMBE  À  UNE  TRÈSBELLE  JEUNE  FILLE.

Ung médecin fut mandé pour médeciner une moult belle jeune fille, laquelle, en danssant et saillant94, se estoyt estors95 le genoul.

Quant ce médecin fut venu & qu’il tint la jambe de ceste moult belle jeune fille, & la cuisse plus blanche que neige, molle & tendre, en la maniant, le cueur luy eschauffa ; & se leva le « petit doy96 d’embas » tellement que de son estable97 il sortit. Et est assez vraysemblable que le maistre médecin, veu les préparatoires98, eust voulentiers sanglé le « bas99 » de la belle jeune fille. Et luy faisoit grant mal au cueur qu’il ne luy osoit demander.

Toutesfoys ne luy en dist rien. Mais après qu’il eut fait sa cure100, quant vint au partir, la belle fille, qui sentit sa jambe droicte101 & guarie, demanda au médecin combien elle luy devoit. Et il respondit : « Belle, vous ne me devez rien. Car, se je vous ay dressé ung membre, aussi avez-vous à moy. Ainsi, nous demourrons quittes l’ung vers l’aultre. »

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CII.  DU  FRÈRE  MINEUR  QUI  FIST  LE  NEZ  À  UNG  ENFANT.

Ledict Cordelier se doubtoit et bien appercevoit celle adolescente estre jà enceinte. Et, comme devin & vaticinateur102 des choses futures, en la présence du mary, appella ladicte femme & luy dist : « M’amye, vous estes grosse & enceincte. Et si, suis seur que vous enfanterez aulcune chose103 qui vous aportera moult de tristesse. » Adoncques la femme, suspectionneuse104 que ce fust une fille, dit qu’elle avoit espérance que ce fust une belle fille, gracieuse & amiable. Toutesfoys, le frère Cordelier tenoit ung visaige fort triste & monstrant signe scrupuleux de aulcune maulvaise fortune. Et tousjours gettoit ung triste regard sur ladicte femme, laquelle s’en espouventa et eut grant paour, voyant ce triste regard. Et elle luy pria moult affectueusement qu’il luy pleust luy dire que105 ce pouvoit estre de quoy elle estoit enceincte, & quelle fortune106 elle pourroit avoir. Mais le traistre et cauteleux frère Frappart107 disoit qu’il ne luy diroit point, & que c’estoit une chose trop horrible et merveilleuse à racompter.

Ce nonobstant, la pouvre femme, désirante et envieuse de sçavoir son mal, continua et persista ; et, en derrière de son mary, trouva le moien de parler audict moyne. Et par belles requestes, fist tant qu’il se consentit à luy dire le cas. Si dist : « M’amie, il fault doncques que la chose soit tenue bien secrette ; mais soyez seure que vous enfanterez ung filz qui n’aura point de nez, laquelle chose est la plus villaine qui puisse advenir en face108 d’homme. »

Lors fut la pouvre femme toute espouventée, et commença à dire : « –Hélas, sire ! N’i a-il point de remède à cecy ? Est-il force que l’enfant vienne sur terre sans nez ? Ce seroit ung cruel desconfort. –Taisez-vous (dist le Cordelier), m’amye. Pour l’amour de ce que je doys estre vostre compère109, il y a ung seul remède, que je vous y feray. Mais il fault que ce soit à certain jour & heure que le temps soit bien disposé, car aultrement n’y feroit-on rien. Avecques ce, fauldra-il que je couche avecques vous pour suplier110 la faulte de vostre mary et adjouster ung nez au visaige de vostre enfant. » Cette chose sembla dure à la pouvre femme ; toutesfois, affin que l’enfant ne nacquist ainsi defformé & monstrueux, elle se accorda de aller à ung certain jour en la chambre du maistre moyne, ce qu’elle fist ; et obéit111 à la voulenté de luy ainsi qu’il luy commanda.

Et pour tant que le ribault moyne trouva bon harnois112 entour elle, il luy dist que du premier jour ne pouvoit pas estre le nez bien fait. Et mesmes, quant ceste fille — qui estoit honteuse d’estre soubz ledict moyne — ne se remuoit, il luy disoit qu’elle se remuast affin que par la confrication113, le nez herdist114 mieulx au visaige, & tenist plus fermement.

En fin, ce filz nacquit avecques ung trèsbeau nez & grant, dont la femme s’esjouissoit ; et disoit au frère Frappart qu’elle estoit grandement tenue à luy par tant qu’il avoit mis grant peine à faire ung trèsbeau nez à son enfant…

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LV.  DE  CELLUY  QUI  CONTREFAISOIT  LE  MÉDECIN,  ET  DONNOIT  DES  PILLULES  POUR  TROUVER  LES  ASNES  PERDUS.

Ung pouvre simple homme perdit son asne ; dont il fut en si grande desplaisance que, de la mélancolie qu’il print, il fut constipé. Si pensa en soy-mesmes de se transporter vers ce médecin dont la renommée florissoit, pour sçavoir si, par aulcun art, il luy sçauroit à dire aucunes nouvelles de son asne.

Quant cestuy pouvre homme fut devant le notable médecin, il luy déclaira sa douleur. Et ne demanda pas santé, mais seullement s’il y avoit point de remède à recouvrer son asne que il avoit perdu. Ledict médecin, qui indifférentement de toutes choses se mesloit, respondit que ouy. Et, par le marché faict entre le pouvre homme & luy, ordonna que le bon homme prendroit six pillules ; lesquelles prinses, ledict bon homme s’en alla en sa maison.

Et, ainsi que lesdictes pillules — qui estoient aulcunement115 laxatives — luy eu[ren]t destrempé116 le ventre, contrainct de aler au retrait, il entre en ung petit lieu secret, plain de roseaux, hors le chemin, là où il trouva son asne paissant.

Alors commença le pouvre homme à extoller117 jusques au ciel la science dudit médecin, et les bonnes pillules qui luy avoyent faict trouver son asne…

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LXX.  DE  CELLUY  QUI  DEMANDA  SI  SA  FEMME  PORTOIT  BIEN  EN  DOUZE  MOYS  UNG  ENFANT.

En la cité de Florence fut ung citoyen qui avoit espousé une moult belle jeune femme, laquelle il habandonna pour aller à ung voyaige, là où il fut l’espace de ung an ou plus. Tellement que par sa trop longue demourée, la femme, à qui il ennuya118, avecques l’ayde de Nostre Seigneur Jésucrist — et de ses voysins119 —, fist tant qu’elle engrossa d’ung beau filz, dont son mary la trouva acouchée quant il arriva. Et de première venue, fut moult courroucé & dolent, disant que l’enfant n’estoit pas à luy, car il y avoit bien environ douze moys qu’il ne l’avoit veue.

Si s’en alla à une vieille matrosne qui demouroit auprès de luy120 ; et luy demanda, à bon privé conseil, s’il estoit bien possible que une femme peust bien porter ung enfant douze moys. « –O ! (dist la subtile matrosne), mon voysin, mon amy, ouy ! Sachez que, si le jour que vostre femme conceut, elle vit ung asne, elle a porté autant que porte une asnesse. C’est une chose toute clère, que l’en a par plusieurs foys veue advenir. Et pour tant, si vostre femme a esté douze moys portant enfant, ne vous en esbahissez point, car il vient de cela. » Lors fut le pouvre sotouart tout resconforté…

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LXXXV.  FACÉCIE  DE  CELLUY  QUI  VOULUT  ESTRE  DEVIN.

Advint qu’il y eust ung aultre sot oultrecuydé, disant qu’il luy donneroit ung bon pot de vin s’il luy sçavoit apprendre celle science de deviner. « Vrayement (dist le devin, qui bien apperceut la folie de l’aultre), ouy, mais que tu me donnes bon pris d’argent, et que tu mangeues121 ce que je te bailleray. Car devant122 que ung homme puisse avoir l’entendement assez cler et ouvert pour deviner, il est requis que il soit clarifié123, ce qui se fait en prenant d’une sorte de pilulles confites de toutes choses requises à ce cas. » Le pouvre sotouart respondit qu’il donneroit argent sur le champ, & qu’il mangeroit tout ce qu’on luy bailleroit. Et de fait, tira son argent et le bailla.

Ainsi, ledict devin s’en alla prendre ung peu de grosse urine — c’est assavoir merde —, & en fist une pillule grosse comme une avellaine124. Et la vint apporter à son aprentiz en disant : « Tien, ouvre la bouche pour manger ceste pillule. Et je te prometz que incontinent tu devineras aussi vray que l’Évangile, & sera vray le premier mot que tu diras. » Lors ouvrit ledit sot la bouche, et luy mist l’aultre ceste pillule dedans. Et sitost que le meschant sentit l’oudeur, il commença à vomir, & à dire : « O ! mon Dieu, que est-ce que tu m’as baillé ? Je suis perdu ! » L’aultre luy dist : « –Or devine. –Quoy (dist le sot) ? C’est merde ! –Par le sang bieu (dist le devin) ! Tu as deviné aussi vray que la patenostre. Tu es desjà ung maistre devin. »

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DES  MÉDECINS  &  DE  LA  MÉDECINE. 125

À propos des médecins empiriques (va dire un autre de la sérée126), escoutez deux ou trois vieux contes de ces médecins qui ne sçavent qu’une recepte pour toutes maladies, où vous trouverez plus de sens que de raison.

Il y avoit un pauvre homme qui, ayant perdu son asne, eut recours à un de ces médecins devineurs pour le recouvrer. Ce médecin luy baille cinq pillules, qu’il avala afin de trouver son asne. Ce bon homme retournant en sa maison, les pillules commençans à opérer, il se met hors du chemin pour aller à ses « affaires ». Et là, il trouve son asne, qui sans cela estoit en danger d’estre perdu. Ce qui bailla si grand bruyt à ce médecin, que plusieurs eurent envie de son sçavoir, & surtout pour apprendre à deviner.

Il convint de marché127 avec un ; & ayant prins argent d’avance, il bailla à son escholier, qui vouloit apprendre à deviner, trois pillules communes. Il est vray qu’il y entroit un peu de diamerdis128. Ce médecin, mettant la première pillule en la bouche de son disciple, luy demande : « Que vous ay-je baillé & mis en la bouche ? Devinez que c’est ! » Ce masche-merde129, de peur de perdre son argent, & à cause de la grand envie de sçavoir deviner, n’osa cracher ; mais il ne l’eut pas si tost sur la langue qu’il commença à deviner, & dire à son maistre : « –C’est de la merde.  –Et bien (va respondre son maistre), tu n’as point perdu ton argent : tu devines desjà. Es-tu pas contant ? »

Voilà pas (adjousta celuy qui faisoit le conte) une bonne recepte130, qui faict si tost deviner, encores qu’elle ne soit que sur le bout de la langue ? Regardez, s’il eust masché ceste pillule ou qu’il eust prins les deux autres, que c’eust esté !…

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1 Revue des études rabelaisiennes, t. IX, 1911, pp. 406-410.   2 Maintenant, taisez-vous. C’est l’ordre que les batteurs d’estrades donnent au public avant de commencer leur boniment. « Or faictes paix, ma bonne gent ! » L’Aveugle et Saudret.   3 Là se trouvait une des plus prestigieuses facultés de médecine d’Europe. Rabelais en fut l’élève, mais on y admettait aussi quelques charlatans, comme le futur Nostradamus, qui en fut d’ailleurs expulsé.   4 Avec de pleines malles de médicaments. Le bonimenteur préfère le chameau au mulet parce que l’exotisme conférait aux remèdes venus de loin une touche de mystère, et donc d’efficacité, au moins psychologique.   5 Pour rendre plus humbles les femmes qui ont mauvais caractère.   6 Contre les engelures aux talons ou aux mains.   7 Le chaud mal est la fièvre continue.   8 Éd : aussi  (Je suis un des meilleurs spécialistes.)  « Ou-vrier » compte toujours pour 2 syllabes, comme aux vers 143 et 244.   9 Pour remettre dans leur articulation.   10 Que mes devanciers.   11 Éd : Tharse  (La Thrace est une région de Grèce réputée pour ses sorciers. « Sorciers qui plantèrent si bien la sorcèlerie en la Thrace qu’elle y est demeurée jusques à présent. » Pierre Le Loyer.)   12 En s’appuyant sur un bâton, il clopine vers la maison du « médecin ».   13 Que j’en puisse.   14 Éd : une iambe.  (« Les joinctures des genoulx. » ATILF.)   15 Éd : ny herbe,  (Ni pommade, ni onguent. « Il me gari tout nettement/ Sanz emplâtre ny oingnement/ Mettre y, n’ointure. » ATILF.)   16 Le rebouteux manipule la jambe blessée.   17 Éd : legier,  (Aisément.)   18 Ou d’un escalier.   19 L’imprimé intervertit ce vers et le précédent. L’histoire originale est du Pogge : voir la facétie XXIX en appendice.   20 À la maison, avec son mari. Elle se plaint d’une jambe. Les spectateurs, contrairement au mari, voient qu’elle est enceinte.   21 C’est le nom traditionnel des ânes, bien avant Aliboron. « Martin, tost avant !/ Hay avant, bodet ! » Cautelleux, Barat et le Villain.   22 Qu’il nous faut songer à alléger mon mal.   23 Il suffit qu’il aille au trot alterné.   24 Éd : arreste.   25 Il prend sa femme dans ses bras.   26 Lésée, blessée.   27 La maison du médecin est encadrée par deux petites cours herbues. Le mari fait sa sieste dans l’une d’elles, mais l’âne va paître dans l’autre.   28 Éd : n’estre  (« Nostre maistre, Dieu gard ! » Jehan qui de tout se mesle.)   29 Un de ces pèlerinages où les épouses se rendaient sans leur mari. Dans la Farce de quattre femmes (F 46), on demande à une élégante si elle a coutume « d’aller jouer à Montmartre,/ Au pellerinage de Saint-Mors/ Pour visiter les sainctz corps/ Des moynes, pour vous esbatre ? »   30 Une femme choit à la renverse quand elle se fait culbuter par un homme. Cf. le Poulier à sis personnages, vers 40.   31 Éd : que ie la manie.  (Il faut que votre jambe soit manipulée.)   32 Éd : Qu’il me faille   33 Il masse la cuisse et l’aine de la femme, sous sa robe. Voir la facétie LVI du Pogge, en appendice.   34 Éd : fendez.   35 Vers manquant. « Et vous de croquer ceste prune ? » Beaucop-veoir et Joyeulx-soudain.   36 Si peu que ce soit. Pour la rime, on peut mettre : ne quand, ne tant.   37 L’imprimé remonte cette rubrique avant le vers précédent.   38 Pas un mot !   39 Quel est le sexe de l’enfant.   40 Un vrai médecin aurait tâté le pouls ; le devin se contente de lire dans les lignes de la main.   41 D’après Somaize, on prononçait « extr’ordinaire ». Le Grand Dictionaire historique des Prétieuses.   42 Quelque chose.   43 Gracieuse.   44 De nez. Voir la facétie CII du Pogge en appendice. Bonaventure Des Périers s’en inspirera <Nouvelles récréations et joyeux devis, IX>, mais transformera ce nez phallique en oreille testiculaire : De celuy qui acheva l’oreille de l’enfant à la femme de son voisin. Il sera suivi par La Fontaine, dans un conte ayant pour titre : le Faiseur d’oreilles et le raccommodeur de moules.   45 Éd : secoure  (« Se Dieu me sequeure. » Serre-porte.)   46 Sinon, mon secours arrivera trop tard.   47 Des gages, des émoluments.   48 Le public est trop nombreux.   49 Comprendraient mes actes médicaux. Mais aussi : mes ruses.   50 Ils vont derrière le rideau de fond. C’est souvent là qu’on abrite les scènes de coït : cf. le Poulier à sis personnages.   51 Ne broutes-tu pas.   52 Éd : trictric  (Les finesses. « Le tric-trac du Palais. » Godefroy.)   53 Éd : nul tric,  (Aucune trace. « Grant femme seiche, noire et mesgre,/ Qui veult d’amour suivre le trac. » Guillaume Coquillart.)   54 Elle sort de chez le « médecin ».   55 Double sens : « à point » = en érection. Cf. Frère Guillebert, vers 210.   56 Nous ne sommes pas chez le couple, mais dans une petite cour contiguë à la maison du médecin.   57 Conter.   58 Éd : massif,  (« Ses cheveulx blons comme fin or massis. » ATILF.)   59 Vos pilules sentent l’ail.   60 Que j’aille déféquer. Voir la facétie LV du Pogge en appendice. Un médecin des Cent Nouvelles nouvelles <79> remplace les pilules par un clystère, qui permet aussi au paysan de retrouver son âne. Des Périers <94> confirme l’efficacité du traitement : D’un pauvre homme de village qui trouva son asne, qu’il avoit esgaré, par le moyen d’un clistaire qu’un médecin luy avoit baillé.   61 Le mari se rue dans la seconde cour, où broute son âne.   62 Sans hésitation. « Et je vous jure sans nul sy/ Que loyaument vous serviray. » René d’Anjou.   63 Sans chercher longtemps.   64 À la maison ! Le mari monte sur l’âne et rentre chez lui, où sa femme est déjà arrivée. On suppose qu’il est assis à l’envers sur l’animal : c’est la punition qu’on infligeait aux hommes qui se laissaient battre par leur épouse (vers 167 et 178). Voir la note 30 du Munyer.   65 Nombre de Mystères ou de Miracles montrent une ou plusieurs scènes d’accouchement. La femme porte sous sa robe un poupon maintenu par une ficelle ; il suffit de tirer sur le bout pendant de la ficelle pour que le poupon se détache et tombe.   66 Délicat euphémisme. La femme récupère le poupon, qui est pourvu d’un immense nez.   67 Comment vous sentez-vous ?   68 Perturbé. L’auteur n’a pas mis par hasard le mot « cornu » dans la bouche d’un cocu.   69 Éd : hochée,  (Secouée sexuellement. Cf. Frère Guillebert, vers 359.)   70 Et pourtant. Idem vers 293.   71 Vous avez accouché (verbe gésir). Sur les femmes qui ont un enfant peu après leur mariage, voir Jolyet.   72 Vous n’aviez pas mis dedans plus de 5 cm.   73 De vous avoir blessée.   74 Les rêves et les envies des femmes enceintes influaient sur le physique ou le caractère de leur futur enfant. La gestation de l’ânesse dure 12 ou 13 mois : voir la facétie LXX du Pogge en appendice.   75 Je vous en abandonne.   76 Maintenant. Le mari retourne chez le « médecin ».   77 Éd : prenant   78 Les excréments. « Bouter sa teste au trou du retrait [des latrines], où il fut bien ensensé de la confiture de léans. » Cent Nouvelles nouvelles.   79 Éd : Cucta  (Mélangé à du miel, le « stercus canis officinarum », c.à-d. les crottes de chien, s’appliquait sur une gorge enflammée.)  La boue du blé, c’est le son, avec lequel les gens de théâtre représentaient les excréments : voir la note 187 du Retraict. « Bou-e » compte pour 2 syllabes, et l’imprimeur écrit d’ailleurs « bouë ».   80 Il met une pilule dans sa bouche.   81 Au milieu du XIIIe siècle, déjà, Rutebeuf dépeignait un charlatan qui soignait avec « de la merde de la linote/ Et de l’estront de la putain ». Li Diz de l’erberie.   82 C’est exact. Cf. le Badin qui se loue, vers 302. Voir la facétie LXXXV du Pogge en appendice.   83 Si je n’avais pas été là pour te permettre de les retrouver.   84 Et pourtant, je n’en aurais pas eu le paiement.   85 Ton écu d’or (au vers 270).   86 Ne sois pas cabochard.   87 Qu’elle ait pété.   88 Clin d’œil à la farce de Pathelin : « Se je trouvasse/ Ung sergent, je te fisse prendre./ ….Mésadvenir/ Luy puisse-il s’il ne t’emprisonne ! » Le mari s’en va.   89 Sans doute à l’enseigne d’une taverne, comme l’apothicaire Doribus.   90 Tout mauvais plaisant.   91 Ce paysan. Voici donc les 6 nouvelles que notre fatiste adapta pour la scène. La traduction de Guillaume Tardif s’intitule : les Facécies de Poge, Florentin, translatées de latin en françoys, qui traictent de plusieurs nouvelles choses moralles. Pour racompter en toutes bonnes compaignies.   92 Si tu l’appliques.   93 Lent. « Tardif » est la signature du traducteur.   94 En sautant.   95 Tordu.   96 Doigt = pénis. « Il fut esbahy & honteux que son petit doy ne levoit. » Pogge-Tardif, LIV.   97 De sa braguette.   98 Vu ces préliminaires.   99 Jeu de mots sur le bât et le bas. « Mon père (…) a mille fois sanglé le bas à ma mère. » Pogge-Tardif, LXXX.   100 Qu’il l’eut soignée.   101 Redressée.   102 Annonciateur.   103 Quelque chose.   104 Soupçonnant. On préférait avoir un garçon, qui pourrait reprendre les affaires familiales, plutôt qu’une fille, à qui l’on devrait fournir une dot pour la marier, pour peu qu’elle soit mariable.   105 Ce que.   106 Quel destin.   107 Surnom des moines paillards, notamment des Cordeliers, dont font partie les Frères mineurs nommés dans le titre. Cf. Frère Frappart.   108 Sur une face.   109 Le parrain de votre enfant.   110 Suppléer, réparer.   111 Éd : obtint   112 Allusion à un proverbe. « Car qui a bon harnois, tousjours va-il avant. » (ATILF.) Plus prosaïquement, le harnais désigne le sexe de la femme : « Une jeune femme, laquelle de plusieurs estoit convoitée, non pas pour espouser mais pour prester le harnois. » Pogge-Tardif, CVII.   113 Éd : confacation ou confocation  (Par le frottement réciproque. « Un désir de confrication, qui est la conjonction charnelle. » Godefroy.)   114 Adhère (verbe erdre).   115 Quelque peu.   116 Ramolli.   117 Exalter.   118 Qui se lassa de son abstinence. « Sa femme (…) prioit très humblement et très instamment qu’il s’en retournast vers elle pour payer le tribut de mariage, car il luy ennuyoit. » Pogge-Tardif, LXXVI.   119 Même plaisanterie dans Pogge-Tardif, I : « À l’aide de Dieu — & de ses voisins —, en succession de temps luy fist trois beaulx enfans. »   120 Près de chez lui.   121 Que tu manges.   122 Avant.   123 Éclairé, illuminé.   124 Une aveline, une noisette. Pour rester dans les fruits, Tiel Ulespiegle vend des « prunes de prophétie ». Le devin ne s’y trompe pas : « Cette prune n’est autre chose que merde ! »   125 Voici un extrait du Premier Livre des Sérées, de Guillaume Bouchet, nº X, pp. 677-679. En 1584, cet écrivain regroupa deux anecdotes provenant de notre farce, dont la seule édition aujourd’hui connue paraîtra en 1612.   126 Un des participants à la soirée.   127 Il conclut un marché.   128 De merde. Cf. le Sermon pour une nopce, vers 180 et note.   129 L’élève du devin.   130 Formule pharmaceutique.

LE RETRAICT

Manuscrit La Vallière

Manuscrit La Vallière

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LE  RETRAICT

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L’une des Cent Nouvelles nouvelles, que je publie en appendice, a inspiré cette farce normande. Toutefois, le dramaturge a eu le génie d’y ajouter un rôle de valet, et de le confier à l’un de ces « badins » bornés, goinfres, ivrognes et cupides qui tyrannisent leurs maîtres. Et de fait, le valet Guillot a de nombreux rapports avec les badins Janot ou Jéninot.

Source : Manuscrit La Vallière, nº 54.

Structure : Rimes plates, avec 2 triolets.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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Farce nouvelle

et fort joyeuse

À quatre personnages, c’est asçavoir :

       LE  MARY

       LA  FEMME

       GUILLOT,  [varlet]

       et  L’AMOUREULX  [monsieur Lacoque]

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                        LA  FEMME 1  commence                     SCÈNE  I

        Sy le myen cœur est remply d’ire ?

        Las ! à bon droict je le puys dire.

        J’ey bien raison de me complaindre,

        Et de mon mauvais [sort] me plaindre2 :

5      Car mon mary me tient soublz las3

        De grand rigueur, dont n’ay soulas4.

        En luy, n’a poinct de passetemps.

        Dont bien souvent mauldictz le temps,

        Le jour, et l’heure de ma naissance.

10    Pensez-vous que prenne plaisance

        En luy ? Non, non, je vous promais !

        Sy le servirai-ge d’un mais5,

        Par Dieu, dont pas il ne se doubte.

        Car j’ey mys mon amytié toute

15    En un beau filz6 : voylà, je l’ayme.

        Je mouray plustost à la payne

        Que je ne face son désir.

        J’ey espoir avec luy gésir7,

        Sy mon mary s’en va aulx champs.

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                        GUILLOT,  varlet8en chantant :        SCÈNE  II

20    Hau ! les gans, bergère ! Hau ! les gans, les gans ! 9

                        LA  FEMME

        Par Dieu, voylà de très doulx chans !

        Vien ç[à], Guillot !

                        GUILLOT

                                        Plaist-il, Mêtresse ?

                        LA  FEMME

        Tu mes10 mon cœur en grand détresse,

        Car tu n’es poinct…

                        GUILLOT

                                        Je ne suys poinct ?

                        LA  FEMME

25    Je ne t’ose dire le poinct,

        Tant tu es léger du cerveau.

                        GUILLOT

        Je ne suys pas bon maquereau :

        Esse pas ce que voulez dire ?

                        LA  FEMME

        (Par mon âme ! il me faict [bien] rire.)

30    Ce n’est pas cela, malautru11 !

                        GUILLOT,  en chantant :

        Turelututu, tutu, tutu,

        Turelututu, chapeau poinctu ! 12

                        LA  FEMME

        Ne chante plus, escouste-moy !

                        GUILLOT,  en chantant :

        C’est de la rousée de moy13.

                        LA  FEMME

35    Vien çà, Guillot ! Es-tu tigneulx14 ?

        Comment ! tu n’es poinct gratieulx15,

        Que ne mes16 la main au bonnet.

                        GUILLOT,  [en chantant :]

        Y faict bon aymer l’oyselet 17.

        Parlez-vous du bonnet de nuict ?

40    Quant je le frotes, il me cuyct ;

        Y tient bien fort à mon tygnon18.

                        LA  FEMME

        Tant tu es [un] bon compaignon !

        Sy je te pensoys sage et discret,

        Je te diroys tout mon segret19 ;

45    Mais, par Dieu, tu n’es c’un lourdault.

                        GUILLOT

        D’un baston rond20 comme un fer chault

        Soyez[-vous] batue toulte nue !

        « Lourdault21 » ?

                        LA  FEMME

                                    Voyre : [des]soublz la nue,

        N’a poinct de plus lourdault que toy.

                        GUILLOT

50    Ha, ha ! « Lourdault » ?

                        LA  FEMME

                                              Escouste-moy !

        Sy parfaire veulx mon désir,

        Je te feray tant de plaisir

        Qu’en toy jamais n’aura défault22.

                        GUILLOT

        Vous m’avez apelé lourdault ;

55    Mais, par Dieu, le mot vous cuyra23 !

                        [LA  FEMME]24

        Guillot, laissons ces propos là :

        Plus ne t’en fault estre mar[r]y.

        Vien çà ! Tu sçays que mon mary,

        Aujourd’uy, est alé aulx champs,

60    Ouïr des oysillons les chans25 ;

        Pas ne doibt, ce jour, revenir.

        Et mon amy doibt cy venir

        Pour coucher entre mes deulx bras.

        Tu auras ce que tu vouldras

65    Sy tu veulx guéter à la porte.

                        GUILLOT

        Guéter ? Le deable donc m’emporte !

        Je guèteray en bas, en hault,

        Et vous m’apèlerez gros lourdault ?

        Taisez-vous, c’est tout un !

                        LA  FEMME

                                                    Guillot,

70    Sy j’ey dict quelque mauvais mot,

        Pardonne-moy. Je te promais

        Par la main qu’en la tienne mais26 :

        Ne t’apelleray jà27 lourdault.

                        GUILLOT

        Par Dieu ! vous fistes un lourd sault28,

75    Quant vous me dictes telle injure.

        « Lourdault » ?

                        LA  FEMME

                                  Guillot, par Dieu j’en jure :

        Je le disoys en me riant.

                        GUILLOT

        Apelez-moy plustost Friant29.

                        LA  FEMME

        Et ! bien je te prye, au surplus :

80    Laissons cela, n’en parlons plus.

        Vray est que ce mot ay lasché.

                        GUILLOT

        Sainct n’y a30 qui n’en fust fasché,

        De leur dire sy vilain nom31.

        Ne m’y apelez plus !

                        LA  FEMME

                                          Non, non,

85    J’aymerois plus cher32 estre morte.

        Guillot, va garder à la porte.

        Veulx-tu, Guillot ?

                        GUILLOT

                                       Et pour quoy faire ?

                        LA  FEMME

        Jésus ! n’entens-tu poinct l’afaire ?

        Tant tu es un friant bémy33 !

                        GUILLOT

90    A ! j’entens bien : c’est vostre amy

        Qui doibt venir.

                        LA  FEMME

                                   Ouy. Tu sourys34 ?

                        GUILLOT

        Y vous ostera bien les sourys,

        Tantost, du cul.

                        LA  FEMME

                                   Parle tout doulx !

                        GUILLOT

        Or çà ! que me donnerez-vous ?

                        LA  FEMME

95    Dy-moy en un mot : que veulx-tu ?

                        GUILLOT

        Donnez-moy un bonnet35 poinctu,

        Puys je garderay à la porte.

                        LA  FEMME

        Tien ! en voylà un de la sorte.

        Es-tu content ?

                        GUILLOT

                                  Par sainct Jehan, ouy !

100  Jésus, que je seray joly(s) !

                        LA  FEMME

        Sy ton maistre estoyt36, d’avanture,

        Venant, ne luy fais ouverture

        Sans nous advertir.

                        GUILLOT

                                        Bien, bien, bien.

        Y n’y viendra ny chat37, ny chien.

.

                        L’AMOUREULX  entre 38                    SCÈNE  III

105  Fy d’avoir, qui n’a son plaisir39 !

        Fy d’or, fy d’argent ! Fy de richesse !

        Hors de mon cœur toult déplaisir !

        Fy d’avoir, qui n’a son plaisir !

        Toult passetemps je veulx choisir,

110  Chassant de moy deuil et tristesse.

        Fy d’avoir, qui n’a son plaisir !

        Fy d’or, d’argent ! Fy de richesse !

        Y fault aler voir ma mêtresse.

        Car c’est mon plaisir et soulas.

115  C’est celle qui, de moy, tracas40

        Faict évader.

.

                        LA  FEMME                                         SCÈNE  IV

                              Viendra poinct, las,

        Celuy en qui je me conforte ?

        Guillot, voys-tu rien en la porte ?

        Ne voys-tu nul icy venir41 ?

                        GUILLOT 42

120  Deffendez-vous, car assaillir

        On vous vient par cruel effort !

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                        L’AMOUREULX 43                               SCÈNE  V

        Holà ! hau44 !

                        GUILLOT

                            Qui est là ?  Vous buquez45 bien fort !

        Quoy ? Que demandez-vous ?

                        L’AMOUREULX

                                                          La Dame.

                        GUILLOT

        Monsieur, soyez sûr, par mon âme,

125  Que la Dame n’est pas céans.

                        L’AMOUREULX

        Où est le maistre ?

                        GUILLOT

                                         Il est léans46,

          où il prépare la cuysine

        Avec une sienne voysine47.

                        LA  FEMME

        Ouvre, Guillot ! Et ! tu te moque :

130  C’est mon amy monsieur Lacoque48.

        Faictz-l(ay)49 entrer !

                        GUILLOT

                                            Ouy, mais que je sache

        Qu’il ayt quelque cas en besache50,

        Aussy le vin pour le varlet51.

                        LA  FEMME

        Va, méchant ! Va, vilain ! Va, let52 !

135  Entrez, Monsieur.

                        GUILLOT

                                       Quoy ? Voycy rage !

        Je servyray de maquelerage53,

        Et sy54, ne seray poinct payé ?

        Et « Monsieur » sera apuyé

        Avec Madame sur un lict

140  Où trèsbien prendra son délict55 ?

        Et moy, un povre maquereau,

        Feray la grue56 ainsy c’un veau ?

        Non, non, je ne suys pas sy beste57 !

                        L’AMOUREULX

        Ouvre, ouvre !

                        GUILLOT

                                  Vous me rompez la teste !

145  Pensez-vous que vous laisse entrer

        Sans argent en main me planter58 ?

        A ! non, jamais !

                        L’AMOUREULX

                                       Tien un escu.

                        GUILLOT 59

        Sainct Jehan, voylà très bien vescu60 !

        Je ne demandoys aultre chose.

                        LA  FEMME

150  Guillot, que la porte soyt close !

        Faict[z] bien le guet !

                        GUILLOT

                                             Laissez-moy faire.

        Monsieur, faictes-la-moy61 bien tayre :

        N’avez62 garde de la fâcher.

        Aportez-vous poinct à mâcher63 ?

155  Que je me sente64 du festin !

                        L’AMOUREULX

        Acolez-moy, mon musequin65 !

        Quant je vous voys, je suys transy66.

                        GUILLOT

        Et67 mon Maistre qui n’est icy !

        Mort bieu, comme il riroyt des dens !

                        LA  FEMME

160  A ! mon Dieu amy, entrez dedens

        Hardiment68 : mon mary est dehors

        S’en est alé. Ne craignez fors69

        Que de faire le « passe-temps70 ».

        Mon mary est alé aulx chans71 ;

165  Aujourd’uy pas ne reviendra.

        Par quoy, amy, il vous plaira

        Coucher ensemble entre deulx dras,

        Tous nus, nous tenans par les bras.

        Voulez-vous poinct ?

                        L’AMOUREULX

                                            Ma doulce amye,

170  Vous obéir pas ne dénye72.

                        [GUILLOT]

        Jamais n’us sy grand fain de boyre.

                        [L’AMOUREULX]

        Baisez-moy !

                        LA  FEMME

                                Acolez-moy !

                        GUILLOT

                                                       Et  voyre !

        « Fermy[n]73, sengles-moy le mulet ! »

                        L’AMOUREULX

        Je suys maintenant à souhaict74 ;

175  Jamais ne fus sy à mon aise.

        Venez, ma mye, que je vous baise !

        Tousjours serez mon doulx tétin75.

                        GUILLOT

        Tentost aura son picotin76.

        Et ! ventre bieu, où est mon Maistre ?

180  Je croy qu’i vous envoyret pestre77.

        Regardez bien s’y la mordra.

                        L’AMOUREULX

        Nul, au78 monde, tel temps n’aura

        Jamais, car j’ey tout à pouvoir79

        Ce c’un amoureulx doibt avoir :

185  J’ey belle amye, j’ey or, monnoye,

        J’ey jeunesse, sancté et joye.

                        GUILLOT

        Il est bien vray ; mais j’ey grand peur

        Qu’i n’y ayt tantost du malheur.

                        L’AMOUREULX

        Menger nous fault ceste bécace80.

                        [LA  FEMME]

190  Hélas ! que j’aporte [une casse81].

                        GUILLOT

        Puysque je suys leur maquereau,

        J’en mengeray quelque morceau,

        Y n’est pas possible aultrement.

                        L’AMOUREULX

        [Boyre du bon]82 pareillement.

195  Or sus, ma mye, faisons grand chère !

        Chose je n’ay, tant fust-el chère,

        Qu’elle ne soyt du toult83 à vous,

        Il est ainsy, ma mye.  Je boys84 à vous,

        À Dieu, et à la Vierge Marye !

                        LA  FEMME

200  Grand mercy, syre85 !

                        GUILLOT

                                             El86 est mar[r]ye

        D’estre vis-à-vis du galant.

                        [ L’AMOUREULX

        Je boy à vous !

                        LA  FEMME

                                  Non pas d’aultant87 !

                        GUILLOT ]88

        Or  couraige ! sus, ma Mêtresse !

        Sang bieu, vous pétez bien de gresse89 !

.

205  Monsieur, gardez-la un petit90 :                                SCÈNE  VI

        El a l’estomac fort petit,

        [Trop] plus petit c’unne pucelle.

        Moy, je vous plègeray pour elle91.

        Or regardez : ay-je failly ?

210  Il est dedens, et non sailly

        Au deable92. Laissez faire à moy.

                        L’AMOUREULX

        Tu es bon garson, par ma foy !

                        LA  FEMME

        De boyre, jamais ne reboulle93.

                        GUILLOT

        Monsieur, sy je faulx par la goulle94,

215  Ne vous fiez jamais en beste95.

        Ne laissez poinct à96 faire feste,

        Je voys en la porte.

                        LA  FEMME

                                         Or va !

.

                        LE  MARY  commence 97                       SCÈNE  VII

        Holà, hau ! Ouvrez l’uys !

                        GUILLOT

                                                  Qu(i) est là ?

                        LE  MARY

        Ouvrez ! Le deable vous emporte !

                        GUILLOT

220  Ce deable abastra [donc] la porte,

        [Ou,] par la Mort, vous atendrez !

                        LE  MARY

        Ouvrez, de par le deable ! Ouvrez !

        Ouvriras-tu, meschant folastre ?

                        GUILLOT

        Atendez, je n’ay pas [grand] haste.

                        LE  MARY

225  Par Nostre Dame d’Orléans !

        Sy je [ne] puys entrer léans98,

        Les os je te rompray de coulx99 !

                        GUILLOT

        A ! Dieu gard(e) la lune100 des loups !

        Mais pensez-vous qu’il est mauvais !

                        LE  MARY

230  Ouvriras-tu, méchant punays101 ?

        Par la Mort, je te tu[e]ray !

                        GUILLOT 102

        Dis-moy ton nom103, puys j’ouvriray.

        Pense-tu que je soy[e]s beste ?

                        LE  MARY

        Comment ! tu ne congnoys ton maistre ?

                        GUILLOT

235  Vrayment, vos blés sont bien saclés104 :

        Mon  Maistre, je voys quérir les clés.

.

        Ma Mêtresse, voy(e)cy mon Maistre !                      SCÈNE  VIII

                        L’AMOUREULX

        Vray Dieu ! Où me pourai-ge mestre ?

        Je suys perdu, je suys péry,

240  Puysque voycy vostre mary.

        Conseillez-moy que105 je doy faire.

        Jamais ne fus en tel afaire.

        Hélas ! ma mye, voycy ma fin.

                        GUILLOT

        Tantost arez du ravelin106,

245  Quatre ou cinq grans coups toult d’un traict.

                        LA  FEMME

        Tost mectez-vous en ce retraict107,

        Mon amy. Ne vous soulciez.

        Sy d’avanture vous toussiez,

        Boutez la teste [en ce]108 pertuys.

.

                        LE  MARY                                              SCÈNE  IX

250  Et puys ? Hau ! Ouvriras-tu l’huys ?

.

                        L’AMOUREULX                                   SCÈNE  X

        Voycy, pour moy, piteux délict109.

        Sy me métoys debsoublz le lict,

        Ce seroyt le meilleur, ma mye.

                        LA  FEMME

        Hélas ! ne vous y mectez mye :

255  Car sy dessoublz le lict visoyt110

        Et là caché vous advisoyt,

        Mourir nous feroyt langoureulx111.

                        GUILLOT

        Sus ! au retraict ! Sus, amoureulx !

        Car je [luy] voys ouvrir la porte.

260  Encor j’ey peur qu’i ne me frote112.

        Mais devant113 que céans il entre,

        Ce vin je métray à mon ventre.114

                        L’AMOUREULX

        Las115, Guillot !

                        GUILLOT

                                    Monsieur, qu’on se cache !

        Mêtresse, ostez-moy la bécache116.

265  Sy esse117 que j’auray cecy.

.

                        LE  MARY                                             SCÈNE  XI

        An ! Nostre Dame, qu’esse-cy ?

        De crier je me rons la voys118.

                        GUILLOT

        Holà, mon Maistre, [à vous ge]119 voys.

        Entrez ! Vous soyez bien venu !

270  Vous est-il nul mal avenu,

        Depuys le temps [qu’estiez aux vignes]120 ?

                        LE  MARY

        Je vous romp[e]ray les échignes121 !

        [Vous vous ferez]122 rompre la teste !

                        GUILLOT

        Vous puissiez avoir male123 feste !

275  Rompu vous m’avez le serveau124.

                        LE  MARY

        Dictes-moy quelque cas nouveau :

        Où est ma femme ?

                        LA  FEMME

                                        A ! mon mary,

        Bien voys qu[e vous] estes mar[r]y :

        Le marchant125 ne vous a payé ?

                        LE  MARY

280  Non126.

                        LA  FEMME

                        Ne s’est-il poinct essayé

        De vous faire quelque raison127 ?

                        LE  MARY

        Raison ? Par ma foy, ma mye, non :

        Car trouvé ne l’ay au logis.

        Onques-puys que [je] le logys128,

285  [Je] ne l’ay veu.

                        LA  FEMME

                                   Vierge Marye !

        Je ne fus jamais sy mar[r]ye.

        À tous les deables soyent les meschans

        Qui trompent ainsy les marchans,

        Les gens d’honneur et gens de bien !

                        LE  MARY

290  Et de nouveau y129 a-il rien ?

        Que dict-on de bon ?

                        LA  FEMME

                                            Tout va bien.

                        GUILLOT

        Tout va bien, puysque [on mect] la nappe130.

                        LA  FEMME

        Y fauldra [donc] que je te happe131 ?

                        GUILLOT

        Mon  Maistre, voicy la nape myse.

295  Il[z] ont bien levé la chemyse.

                        LE  MARY

        Qui, Guillot ?

                        GUILLOT

                                 Qui ? Ma foy, personne.132

.

                        LA  FEMME                                          SCÈNE  XII

        Guillot, que [plus] mot on ne sonne133 !

                        GUILLOT

        Qui, moy ? Sy feray, par mon âme !

        Que me donnerez-vous, ma Dame ?

300  Et je n’en diray rien.

                        LA  FEMME 134

                                           Guillot,

        Voylà pour toy. Ne sonne mot !

                        GUILLOT

        Voicy ce que je demandoys.

        Et ! que l’amoureulx est courtoys135,

        D’estre sy long temps au retraict !

                        LA  FEMME

305  Tays-toy ! Auras-tu tant de plet136 ?

.

        Et puys, mon mary ? Comme[nt] esse                     SCÈNE  XIII

        Qu’il vous a joué de finesse,

        Ce méchant, [ce] malureulx homme ?

                        GUILLOT

        Y vouldroict bien [myeulx] estre à Romme,

310  Vostre amoureulx dont n’ose dire.

                        LA  FEMME

        J’ey le myen cœur tant remply d’ire

        De ce sot qui ront137 nos propos !

        Y s’en estoyt alé dehors,

        Ce meschant ?

                        LE  MARY

                                 Ouy, [ne l’ay trouvé]138.

315  C’est un méchant laron prouvé139 !

        Je suys fort las : j’ey tant troté !

                        GUILLOT

        Hélas ! povre Amoureulx140 croté,

        Tu es bien en [un] grand soulcy !

                        LE  MARY

        « [Povre] amoureulx » ? Dea ! qu’esse-cy ?

320  A-il un amoureulx céans ?

                        LA  FEMME

        A ! Nostre Dame d’Orléans !

        Prenez-vous garde à ce qu’i dict ?

                        LE  MARY

        Je puisse estre de Dieu mauldict

        Sy ne j’en sçay la vérité !

325  Vien ç[à ! Dy,] qui t’a incité

        De parler d’un [povre] amoureulx ?

        Je ne seray jamais joyeulx

        Jusques à ce que le séray141.

                        GUILLOT

        Que je l’ay dict, il n’est pas vray :

330  Jamais [je] n’en parlis, mon Maistre.

                        LE  MARY

        Vertu142 bieu ! Que peu[lt-]ce cy estre143 ?

        Je l’ay ouÿ de mes horeilles144.

                        LA  FEMME

        Mon mary, [trop] je m’émerveilles

        Que prenez garde à ce… lourdault.

                        LE  MARY

335  Je l’ay ouÿ dire145 toult hault.

        Vien çà, malhureulx ! Qu’as-tu dict ?

                        GUILLOT

        Rien, ou je soys de Dieu mauldict !

                        LE  MARY

        Rien ? Et de quoy parlès-tu donques ?

                        GUILLOT

        Escoustez que je [dis adonques]146 :

340  Je parloys de la haquenée147,

        Qui a esté bien chevauchée

        D’un aultre bien myeulx que de vous.

                        LE  MARY

        Je prye à Dieu que les maulx loups148

        Te puisse[nt] le gosier ronger !

                        [LA  FEMME]

345  Ce fol ne faict [cy] que songer ;

        Laissez cela.

                        [LE  MARY]

                              Avez-vous rien

        À menger ? Je mengeroys bien :

        Je n’ay mengé puys que partys.

                        GUILLOT

        Quoy ! voulez-vous d’une perdris149 ?

350  Baillez-moy, sans plus enquérir,

        De l’argent : je l’iray quérir.

                        LE  MARY

        Tient,  voylà cinq soublz150.

.

                        GUILLOT 151                                         SCÈNE  XIV

                                                      Voylà la beste.

        A ! mort bieu, je leur en apreste152 !

        Je prens argent à toutes mains153.

355  Voycy pour moy, c’est pour le moins ;

        Je le métray dedens ma bource.154

.

        Mon Maistre cher155, qu’on ne se course156 !          SCÈNE  XV

        Voicy la perdrys, que j’aporte.

                        LE  MARY

        Où l’as-tu prise ?

                        GUILLOT

                                      Où157 ? En la porte.

                        LE  MARY

360  La portoyt-il toute rôtye ?

                        GUILLOT

        Ouy. Et avec [est] la rostye158,

        Que vous voyez icy dessoublz.

                        LE  MARY

        Combien couste-elle ?

                        GUILLOT

                                              Cinq soublz159.

                        LE  MARY

        Sus, sus, mengeons ! Qu’on s’esjouisse !

365  Comment ! qu’est devenu la cuisse ?

                        LA  FEMME

        Par Nostre Dame ! je ne sçay160.

                        LE  MARY

        Qu’en as-tu faict ?

                        GUILLOT

                                       Je [la laissay]161

        Tumber, puys le chat l’a mengée.

                        LE  MARY

        L’auroys-tu162 poinct bien vendengée ?

370  Tu as esté, par Dieu, le chat !

                        LA  FEMME

        C’est pour la paine de l’achat ;

        Cela luy a faict un grand bien.

                        GUILLOT

        Sy mengée l’ay, je n’en sçay rien ;

        Plus ne m’en souvyent, par la mort !

                        LE  MARY

375  Mengez, ma femme ! Tiens, Guillot :

        Mors163 ! Puys après, nous verse à boyre !

                        GUILLOT

        Buvez donc tout [fin] plain le voyr[r]e164,

        Puys après, je vous plègeray165.

        Atendez, je commenceray.

380  Je boys à vous, tous deulx ensemble166 !

        Et puys, mon Maistre : que vous en semble167 ?

        Ay-ge failly ?

                        LE  MARY

                               A ! par Dieu, non !

                        LA  FEMME

        Guillot est un bon compaignon.

                        GUILLOT

        À bien « sifler168 », ne faulx jamais.

.

                        L’AMOUREULX                                   SCÈNE  XVI

385  Je suys servy d’un piteulx mais169.

        Hélas ! je ne séroys issir170.

.

                        LE  MARY                                             SCÈNE  XVII

        Qu[i] esse là que j’os171 toussir ?

                        GUILLOT

        Que c’est ? C’est vostre bidouart172

        Qui a la toux…

                        LE  MARY

                                 Dieu y ayt part173 !

.

                        LA  FEMME 174                                   SCÈNE  XVIII

390  Mon amy, vous nous gasterez175.

        Je vous prye, quant vous toussirez,

        Afin qu’on ne vous oye, [de faict]176,

        Métez la teste [en ce]177 retraict.

.

                        L’AMOUREULX                                  SCÈNE  XIX

        Voycy des mos fort rigoureulx.

395  Hélas ! fault-il c’un Amoureulx

        Mète la teste en sy ort178 lieu ?

        Et ! qu’esse-cy ? Hélas, vray Dieu !

        Las ! je ne puys [r]avoir179 ma teste.

        Voicy, pour moy, dure tempeste.

400  Et oultre plus, la puanteur,

        Hélas, me faict faillir le cœur.

        J’ey le visage plain d’ordure.

.

                        GUILLOT,180  [en chantant :]              SCÈNE  XX

        Endure, povre Amoureulx, endure ! 181

        Parlez plus bas, de par le deable !

                        L’AMOUREULX

405  Voicy un cas fort pitoyable.

        Fault-il que je meures icy ?

                        GUILLOT

        Par la chair bieu ! il a vessy182,

        Au moins, ou183 ne sent guère bon.

        Et vous faisiez du compaignon,

410  Naguères, avec ma Mêtresse.

.

                        LE  MARY 184                                       SCÈNE  XXI

        Guillot !

                        GUILLOT 185

                       Qu’esse ?

                        LE  MARY

                                         Sy grand détresse

        M’est venu[e] empongner sy fort

        Au petit ventre186 ! Que  nul confort

        Trouver ne puys. Y fault d’un traict

415  M’aler esbatre à mon retraict,

        Afin que mon mal s’amolice.

                        GUILLOT

        Et moy, un peu fault que je pisse.

        Et ! je vous tiendray compagnye.

                        LE  MARY

        Hélas, le ventre !

                        GUILLOT

                                     Et ! la vessye !

                        LE  MARY

420  Je croy que tu faictz de la beste.

                        L’AMOUREULX

        Las ! y me chiront sur la teste.187

                        LE  MARY 188

        Et ! qu’esse-cy ? Las ! je suys mort !

                        L’AMOUREULX

        Brou ! [Brou !] Ha ! Ha189 !

                        GUILLOT

                                                      Et ! fuyons fort !

        Gardez bien qu’i ne vous emporte !

                        LA  FEMME

425  A ! Nostre Dame, je suys morte !

                        L’AMOUREULX

        Je vous porteray en Enfer

        Avec le maistre Lucifer,

        Lequel vous romp[e]ra la teste !

                        GUILLOT

        Et ! aportez de l’eau bénoiste190 !

430  Asperges me, Domyne191 !

        Mon Maistre, vous estes danné :

        [L’afreux]192 deable vous vient quérir.

                        LE  MARY

        Et ! doulx Dieu !193

.

                        L’AMOUREULX                                   SCÈNE  XXII

                                        Et ! de [tant] courir,

        De la grand peur, y sont fuÿs.

.

                        LA  FEMME                                          SCÈNE  XXIII

435  De courir, hors d’alaine suys.

                        GUILLOT

        Et moy aussy.

                        LE  MARY

                                 A ! Nostre Dame,

        En vostre garde ayez194 mon âme !

                        GUILLOT

        Et moy la mienne ! Où est-il alé ?

        Je croy qu’i soyt redévalé

440  Là-bas, au grand [puits] infernal195.

                        LA  FEMME

        Qu’i m’a faict de peur et de mal !

                        LE  MARY

        Hélas196 ! doulx Dieu, que pouroit-ce estre ?

                        GUILLOT

        A ! je sçay bien que c’est197, mon Maistre.

                        LE  MARY

        Et quoy ?

                        GUILLOT

                          Au deable les jaloux198 !

445  Il199 vous eust e[n]traîné trè[s]toulx200

        En Enfer, se n’eust esté moy201.

        Escoustez la raison pourquoy :

        C’est que tantost, par cas difame202,

        Avez esté vers203 vostre femme

450  Jaloux, sans cause ny raison.

        Et n’ust esté mon oraison204,

        Le deable des jaloux porté205

        Vous eust là-bas, et transporté.

        Or, ne soyez jamais jaloux.

455  Métez-vous donc à deulx genoulx ;

        Cryez mercy206 à vostre espouse.

                        LE  MARY

        La fièbvre cartaine m’espouse

        Sy  jamais je [ne seray]207 jaloux !

                        GUILLOT

        Métez[-vous donc à deulx]208 genoulx.

                        LE  MARY

460  Je pry Dieu que ravissans loups209

        M’estranglent se plus je marmouse210 !

                        GUILLOT

        Mectez-vous donc à deulx genoulx ;

        Criez mercy à vostre espouse.

                        [LA  FEMME] 211

        Me voylà.

                        GUILLOT

                          Sus ! que l’on ne bouge212 !

465  Ne luy criez-vous pas mercy ?

                        LE  MARY

        Ouy, et me mes213 à [sa] mercy.

        Du toult, à elle m’abandonne.

                        GUILLOT

        Pardonnez-luy !

                        LA  FEMME

                                   Je luy pardonne.

                        GUILLOT

        Voylà vescu honnestement.

470  Vous luy pardonnez ?

                        LA  FEMME

                                            Ouy, vraiment.

                       GUILLOT

        Or sus ! Mon Maistre, levez-vous.

        Vous ne serez jamais jalous,

        Ores214 ?

                        LE  MARY

                        Que je soys donq bany !

                        GUILLOT

        (Voylà un bon Jehan de Lagny215,

475  [La] mort bieu ! Il en a bien d’une216.)

.

                        L’AMOUREULX                                   SCÈNE  XXIV

        J’ey eschapé belle fortune217 !

        Sans ma218 finesse, j’estoys mort.

        Ce n’est pas tout que d’estre fort ;

        Mais c’est le tout (pour abréger),

480  Quant l’on est en quelque danger,

        [Que] trouver fault manyère et stille219

        D’en eschaper, et estre abille220

        En évytant la mort et blâme.

        Messieurs, de peur qu’on ne nous blâme,

485  Disons, au partir de ce lieu,

        Une chanson pour dire adieu !

.

                                FINIS

*

.

..

D’UNG   GENTIL  HOMME  DE  PICARDIE 221

.

Le douloureux222 mary, plus jaloux que nul homme vivant, fut contrainct d’abandonner le mesnaige & aller aux affaires, qui tant luy touchoient que, sans y estre en personne, il perdoit une grosse somme de deniers…. En laquelle gaignant, il conquist bien meilleur butin, comme d’estre nommé coux223, avec le nom de jaloux qu’il avoit auparavant. Car il ne fut pas si tost sailli de l’ostel224, que le gentil homme, qui ne glatissoit225 après aultre beste, vint pour se fourrer dedans ; & sans faire long séjour, incontinent exécuta ce pour quoy il venoit, et print de sa dame tout ce que ung serviteur en ose ou peut demander….

Ce dyable de mary (…) revint le soir, dont la belle compaignie — c’est assavoir de noz deux amoureux — fut bien esbahie….

Nostre povre gentil homme ne sceut aultre chose que faire, ne où se mussier226, sinon que de soy bouter dedens le retraict de la chambre…. Le povre gentil homme rendoit bien gaige227 du bon temps qu’il avoit eu ce jour, car il mouroit de fain, de froit et de paour. Et encores, pour plus engrégier228 son mal, une toux le va prendre, si grande et si horrible que merveille…. La dame, qui avoit l’œil et l’oreille tousjours à son ami, l’entre-ouÿt d’aventure, dont elle eut grant frayeur au cueur, doubtant229 que son mary ne l’ouÿst aussi. Si treuve manière, tantost après souper, de soy bouter seulette en ce retraict ; et dist à son amy, pour Dieu, qu’il se gardast ainsi de toussir….

Quant ce bon escuier se vit en ce point assailly de la toux, il ne sceut aultre remède, affin de non estre ouÿ, que de bouter sa teste au trou du retrait, où il fut bien ensensé (Dieu le sçait !) de la confiture de léans230…. La toux le laissa. Et se cuidoit tirer hors ; mais il n’estoit pas en sa puissance de se retirer, tant estoit avant et fort bouté léans…. Il se força tant, qu’il esracha l’ais percé231 du retrait, et le raporta à son col. Mais en sa puissance ne eust esté de l’en oster….

À tout l’ais232 du retraict à son col, l’espée nue en sa main, la face plus noire que charbon, commença à saillir233 de la chambre. Et de bonne encontre, le premier qu’il trouva, ce fut le dolent234 mary, qui eut de le veoir si grant paour — cuidant que ce fust le dyable — qu’il se laissa tumber du haut de luy235 à terre (que à peu qu’il ne se rompît le col), & fut longuement pasmé236. Sa femme, le voyant en ce point, saillit avant, monstrant plus de semblant d’effrey qu’elle ne sentoit beaucoup237…. Il dist, à voix casse238 et bien piteuse : « –Et ! n’avez-vous point veu ce deable que j’ay encontré ? –Certes, si ay (dist-elle). À peu que je n’en suis morte de la frayeur que j’ay eue de le veoir ! –Et dont peult-il venir céans (dist-il), ne qui le nous a envoyé ?…. »

Et depuis, continua arrière le dyable dessusdit, le mestier que chascun fait si volentiers, au desceu239 du mary et de tous aultres, fors de une chambèrière secrète.

*

1 Chez elle, seule.   2 LV : complaindre  (à la rime.)   3 Sous ses lacs, sous son joug.   4 Plaisir. Idem vers 114.   5 Aussi, je le servirai d’un mets, d’un plat à ma façon. Idem vers 385.   6 Dans un beau garçon.   7 De coucher avec lui.   8 Il entre par le rideau de fond, et accomplit une quelconque tâche ménagère en chantant.   9 Chanson inconnue. Brown, nº 143.   10 Tu mets. Cette graphie du verbe mettre, qui revient aux vers 37 et 466, est propre au copiste.   11 Imbécile. Un Sot des Coppieurs et Lardeurs se nomme Malostru.   12 Les versions actuelles de cette comptine reflètent mal ce que devait être la version originale, certainement beaucoup moins innocente. Le très rabelaisien Philippe d’Alcripe s’en souviendra en 1579 : « Descharge, tu as vendu ! Turlututu, chappeau pointu ! » Le Mistère du Viel Testament en a tiré un personnage ridicule, monsieur Turelututu.   13 Cette chanson normande a pour titre : C’est de la rosée de mai. La « rosée de moi » qu’évoque Guillot s’apparente à la « douce rosée de Nature » que Béroalde de Verville fait couler du « manche de Priape ».   14 Es-tu atteint de la teigne, que tu gardes ton bonnet sur la tête ?   15 Poli.   16 De ne pas mettre. Il faut enlever son bonnet quand on parle à des gens qui nous sont supérieurs. Dans Messire Jehan, on prie un autre badin de s’adresser au curé en ayant toujours « la main au bonnet ».   17 Le petit oiseau. Chanson d’Antoine de Févin, mort en 1512. Le vers 195 du Pèlerinage de Mariage en est tiré. Brown, nº 173.   18 À mon chignon. Mais aussi : à mes plaques de teigne, ce qui répond au vers 35.   19 Mon secret, mon projet.   20 LV : ronge  (« Mais si j’empoigne un baston rond,/ Bien te feray tirer tes guestres ! » Le Cousturier et Ésopet.)   21 Guillot s’indigne de ce mot bénin, alors que sa patronne l’a précédemment traité de cerveau léger, de malotru et de teigneux, et qu’elle va encore le traiter impunément de friand bémi [de glouton niais], de méchant, de vilain, de laid, de sot, de fou, et de… lourdaud (vers 334). Mais Guillot, qui est un grand amateur de chansons, a peut-être en mémoire celle qui s’intitule Lourdault, lourdault, lourdault : je l’ai publiée dans la notice de Régnault qui se marie.   22 Que tu ne manqueras jamais de rien.   23 Vous le regretterez. « Par Dieu, la chanson vous cuyra ! » Le Ribault marié.   24 LV : guillot   25 En fait, il est allé se faire payer les fournitures dont il a fait crédit à un autre marchand.   26 Je te promets sur ma main, que je mets dans la tienne en guise de gage.   27 LV : jamais   28 Un faux pas.   29 Appétissant. C’est bien ce que fera sa patronne au vers 89, mais elle donnera au mot « friand » son autre sens : goinfre. LV ajoute dessous : que lourdault   30 Il n’y a aucun saint, aussi saint soit-il.   31 LV : non   32 LV : chere  (J’aimerais mieux. « J’aymeroye plus cher estre à Romme. » Raoullet Ployart, et l’Aveugle et Saudret.)   33 Un glouton niais. Cf. Lucas Sergent, vers 69.   34 LV : soublz rys   35 Les Badins sont coiffés d’un béguin [bonnet de nourrisson]. Rien ne leur fait plus plaisir que de pouvoir empiler un bonnet d’adulte par-dessus. « Et un bonnet te donneray. » C’est ce que promet au Badin qui se loue l’amant de sa patronne ; voir la note 87 de ladite farce. Notons que le bonnet pointu est l’apanage des juifs, des astrologues et des médecins, trois catégories qui prêtaient à rire.   36 LV : venoyt  (Être venant = venir. « Bien soyez venant ! » ATILF.)   37 LV : chast  (Sous ce vers, il manque un vers en -sir pour amorcer le triolet.)   38 Il est dans la rue, et s’approche de la maison.   39 Peu importe l’argent, si on n’a pas de plaisir.   40 LV : est metresse  (à la rime.)  C’est celle qui fait sortir de mon cœur les soucis.   41 On songe à la Barbe bleue, de Charles Perrault : « Ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir ? »   42 Par la porte entrouverte, il voit venir l’amoureux. Il se dépêche de refermer.   43 Il toque à la porte, chargé d’une besace pleine de victuailles.   44 LV : hola  (Voir le vers 218.)   45 Vous frappez à la porte. Cf. Beaucop-veoir et Joyeulx-soudain, vers 25.   46 Là-dedans. Idem vers 226.   47 LV : voyesine   48 La femme invente ce sobriquet pour ne pas compromettre le noble, qui doit avoir un nom à particule. Dans les Cent Nouvelles nouvelles, le patronyme du gentilhomme picard n’est pas davantage révélé. À tout hasard, on trouvait en Normandie des sieurs de La Cocquerie.   49 Fais-le. Ce pronom normand peut s’élider devant une voyelle : « Alons-nous-en, laissonl(ay) en pais. » Troys Gallans et Phlipot.   50 À condition que je sache s’il a de la nourriture dans sa besace.   51 Du vin en guise de pourboire : ce mot vient de là.   52 Laid. « Soit bel ou let. » L’Aveugle et Saudret.   53 Prononcer « maclerage ». Cette forme métathétique de maquerellage  est bien attestée : « Une de ses femmes, qui sçavoit parfaictement le mestier de macqueleraige. » (Anthoine Le Maçon.) La forme contractée est plus souvent macrelage : « De faire ung secret macrelaige/ Pour ung gueux bien anvitallié. » (Jehan Molinet.)   54 Et pourtant.   55 Son plaisir. Idem vers 251. « Coucher dedens quelque beau lit./ Et là prendrez vostre délit. » Régnault qui se marie.   56 Je ferai le pied de grue, je monterai la garde. Un veau est un imbécile.   57 Guillot vient de se métamorphoser lui-même en trois bêtes : un poisson, un oiseau, un ruminant.   58 Sans que vous me mettiez de force de l’argent dans la main.   59 Il laisse entrer l’amoureux, et il met l’écu dans sa bourse.   60 Voilà de bonnes manières. Idem vers 469.   61 LV : faictes le moy  (Faites-lui l’amour. « Pour la bien faire taire,/ Il luy fault prendre ung bon “clystère”…./ S’el prent médecine par “bas”,/ Jamais tu n’auras nulz débas. » Deux hommes et leurs deux femmes.)  Guillot, près de la porte, se livre à des commentaires qui prennent à témoins les spectateurs ; le couple est trop loin pour l’entendre.   62 LV : vous maues  (Vous ne risquez pas.)   63 Quelque chose à manger.   64 Que je me ressente, que je profite.   65 Museau, minois : jolie fille. Cf. les Tyrans, vers 202.   66 LV : transye  (Je suis transporté. Cf. Lucas Sergent, vers 282.)   67 LV : ou est  (Et dire que mon maître n’est pas là !)   68 Pénétrez-moi, puisque mon mari en est sorti.   69 Ne vous souciez pas d’autre chose.   70 « L’amoureux passe-temps. » La Ruse et meschanceté des femmes.   71 Aux champs : dans un lointain village. C’est la litote qu’emploient les marchands qui ont rendez-vous avec un gros client : voir les vers 48-49 et la note 79 d’Ung Mary jaloux.   72 Je ne refuse pas de vous obéir.   73 Firmin. « Fermyn de Mésan. » (Débat de deux gentilz hommes espagnolz.)  Sangler une femme, c’est la besogner : cf. les Sotz qui corrigent le Magnificat, vers 88.  « Mulet » joue sur le latin mulier [femme] : « Sanglée comme ung beau mulet. » Le Povre Jouhan.   74 J’ai tout ce que je souhaite.   75 Terme affectueux. Cf. Jolyet, vers 57.   76 Le mulet du vers 173 aura bientôt sa ration d’avoine. Mais la femme aura bientôt sa ration de sperme : cf. le Jeu du Prince des Sotz, vers 15 et note.   77 Qu’il vous enverrait paître, avec le même sens qu’aujourd’hui. Cf. le Raporteur, vers 72. Les amants s’embrassent.   78 LV : en ce   79 LV : souhaict  (J’ai à mon entière disposition.)   80 L’amoureux tire de sa besace un papier dans lequel est enveloppée une volaille rôtie, pour la collation qui précède traditionnellement le coït : « J’aporteray pour le repas/ Un gras chapon avec une oie. » (Le Poulier à sis personnages.)  LV ajoute dessous : ma mye   81 Il faut que j’apporte une casserole. (Cf. le Munyer, vers 437 et note.) La femme en prend une et pose le gibier rôti dedans. LV reporte le mot casse au début du vers suivant.   82 LV : voyre du don  (Il nous faut aussi boire du bon vin. « Que je perds les biens et la veue/ À force de boire du bon. » Olivier Basselin.)  Le galant tire de sa besace une bouteille.   83 Totalement. Idem vers 467.   84 LV : vous  (« Je bois à vous, à vostre santé. » Furetière.)   85 Tout comme dans les Cent Nouvelles nouvelles, l’amant est un gentilhomme : « –Je boys à vous ! –Grand mercy, sire ! » Le Poulier à sis personnages.   86 LV : quel   87 Pas autant que moi. « Maistre, je bois à vous d’autant ! » L’Aveugle et Saudret.   88 LV met ce fragment sous le vers 204.   89 Vous pétez de santé. L’enfant Gargantua <chap. 11> « pettoyt de gresse » et, comme au vers 228, « gardoyt la lune des loups ». Guillot abandonne la porte et rejoint les deux buveurs.   90 Épargnez-la un peu.   91 Je vous ferai raison à sa place, en vous portant des toasts. Idem vers 378. Guillot boit le verre de sa patronne.   92 Le vin n’est pas ressorti de mon estomac.   93 LV : reculle  (Jamais il ne rechigne. « Et ce firent sans rebouler. » Godefroy.)   94 La gueule (normandisme). « Il nous fault eschauffer/ Par la goulle. » (Les Femmes qui font escurer leurs chaulderons.) Faillir par la gueule, ou par le bec, c’est être à court d’arguments. Mais Guillot sous-entend : si ma bouche a une défaillance au moment de boire.   95 En aucune créature. Ou bien : En aucun idiot.   96 Ne cessez pas de.   97 Il tape à la porte, derrière laquelle se trouve Guillot. Le couple est trop loin pour entendre leur dialogue.   98 LV : dedens  (Là-dedans.)   99 De coups. « Coux » signifie cocu, comme dans les Cent Nouvelles nouvelles.   100 LV : quenee  (Que Dieu nous protège ! « Les enfans de Dieu peuvent bien dire à tous leurs ennemis ce qu’on dit en commun proverbe : Dieu gard la lune des loups ! » Pierre Viret.)   101 Puant.   102 LV : le mary guillot   103 LV : non  (Feignant de n’avoir pas reconnu la voix de son patron, Guillot en profite pour le tutoyer.)   104 Sarclés. « Sacler blés. » (Godefroy.) Vos affaires vont bien.   105 Ce que. « Conseillez-moy que faire doy. » Jeu du Prince des Sotz.   106 Vous aurez du ravaut, du bâton. Voir la note d’André Tissier : Recueil de farces, t. I, 1986, pp. 179-242.   107 Dans les cabinets, qui sont fermés par une porte.   108 LV : dens le  (Je corrige de même le vers 393.)   109 Un pitoyable plaisir.   110 S’il regardait sous le lit.   111 Bien malheureux. Cf. Poncette et l’Amoureux transy, vers 81.   112 Qu’il ne me frotte les reins avec un bâton. L’auteur normand amuït le « r » de « po(r)te », comme celui de « sa(r)clé » à 235 ; ce phénomène d’amuïssement explique les rimes des vers 30, 145, 223, 234, 313, 374.   113 Avant.   114 Guillot boit le verre de l’amoureux.   115 LV : helas   116 La bécasse (prononciation normande).   117 Il est certain. Guillot arrache une cuisse et la mange. La femme pose la casserole compromettante sur le bord extérieur de la fenêtre.   118 Je me casse la voix.   119 LV : gy  (Je vais à vous. « À vous je vois. » L’Aveugle et Saudret.)  Guillot ouvre la porte.   120 LV : que ne vous vimes  (Les vignes représentent un village campagnard, comme les champs des vers 19, 59 et 164.)   121 L’échine. « Rom-pe-rai » compte pour 3 syllabes, grâce au « e » svarabhaktique normanno-picard, comme à 428. « Je te romperay le museau ! » Jéninot qui fist un roy de son chat, et les Chambèrières et Débat.   122 LV : me faictes vous  (« Vous vous ferez bien batre ! » Le Mince de quaire.)  Le maître tape sur la tête de son valet.   123 Une mauvaise.   124 Ce n’est pas une grosse perte : Guillot était déjà « léger du cerveau » (vers 26).   125 LV : mechant  (Le mari, qui est grossiste, avait rendez-vous avec un commerçant qui devait lui payer des marchandises achetées à crédit ; mais ce dernier lui a posé un lapin.)   126 LV : nom   127 N’a-t-il pas essayé de vous faire réparation ?   128 Depuis que je l’ai logé ici. Sur la route des foires, les commerçants trouvaient plus économique — et moins risqué — de loger chez un confrère.   129 LV : et  (Le copiste a confondu le « y » du manuscrit de base avec une esperluette « & ».)  Y a-t-il quelque chose de nouveau ?   130 « On dit aussi qu’on met la nappe, quand on reçoit la compagnie chez soy, lorsque les autres apportent de quoy manger. » Furetière.   131 Que je t’attrape. Cf. le Pardonneur, vers 226.   132 Le mari va chercher ses bagages, qu’il a laissés devant la porte.   133 Ne dis plus rien. « O ! que plus mot on ne me sonne ! » L’Arbalestre.   134 Elle donne de l’argent au valet, qui le met dans sa bourse.   135 LV : je croys  (Cette remarque est ironique : il était discourtois de monopoliser les toilettes.)   136 De plaids, de bavardages. Le mari revient.   137 Qui interrompt.   138 LV : pour vray  (Au vers 283, le mari disait déjà : « Car trouvé ne l’ay au logis. »)   139 Un fieffé voleur. « Tu sembles bien larron prouvé ! » Le Brigant et le Vilain.   140 Extrait d’une chanson non identifiable que Guillot reprend au vers 403.   141 Jusqu’à ce que je le sache. Même forme normande à 386.   142 LV : vert tu  (« Vertu bieu ! qu’esse à dire ? » Le Poulier à quatre personnages.)   143 Qu’est-ce donc ? « Que peult-ce estre ? » Frère Guillebert.   144 Quoi qu’on en dise, ce « h » initial est bien attesté : voir par exemple le v. 257 des Povres deables, le v. 93 de la Mère de ville, ou le v. 15 de l’Aveugle, son Varlet et une Tripière.   145 LV : y disoyt   146 LV : vous comptes  (Ce que je dis maintenant.)   147 De votre jument. Mais aussi : De votre femme. Voir la ballade intitulée Une haquenée atout le doré frain, dont le refrain est : « Ainsi que dient ceulx qui l’ont chevauchée. » Poésie homosexuelle en jobelin, GKC, 2007, pp. 98-100.   148 Que les maudits lupus, que les ulcères. « Les loups luy mangent les jambes : il a les jambes mangées d’un mal que l’on appelle loups. » Antoine Oudin.   149 C’est encore une perdrix au vers 358, mais c’était une bécasse aux vers 189 et 264. Les versificateurs étaient soumis à la tyrannie de la rime…   150 5 sous.   151 Il sort, et prend sur la fenêtre la casserole où se trouve la volaille, amputée d’une cuisse.   152 LV : baille  (Confusion avec « apprêter des bayes [des moqueries] ». « Et luy apprestois bien des bayes. » Frère Fécisti.)  En apprêter à quelqu’un = lui préparer un mauvais tour.   153 De tous les côtés : cf. les Povres deables, vers 166.   154 Guillot met les 5 sous dans sa bourse, et porte la casserole dans la maison.   155 LV : grand chere   156 Ne vous courroucez pas. Cf. Beaucop-veoir et Joyeulx-soudain, vers 237.   157 LV : cy  (Le rôtisseur ambulant passait devant notre porte.)   158 La tranche de pain grillé sur laquelle coule la graisse de la volaille. C’est encore la recette de la caille sur canapé.   159 Guillot va donc garder pour lui les 5 sous, en plus de l’écu qu’il a extorqué au galant comme droit d’entrée (vers 147), de l’argent grâce auquel l’épouse a acheté son silence (vers 301), du bonnet dont elle lui a fait cadeau pour le soudoyer (vers 96). Et je ne compte pas la nourriture et la boisson, ni le plaisir qu’il a dû prendre à se moquer de tous ces gens supérieurs qui le traitent de lourdaud.   160 LV : scays  (Voir les vers 324, 373 et 443.)   161 LV : lay laissee  (Cf. l’Avantureulx, vers 56.)   162 LV : laires tu  (Vendanger = voler. Le Badin Guillerme, qui a gobé une des deux figues que le curé lui a confiées, lui montre la dernière, s’attirant cette remarque : « Il n’y en a qu’une ?/ Je croy que l’autre est vendangée. »)   163 LV : mort  (Le mari donne à Guillot l’os de la seconde cuisse pour qu’il morde dedans.)   164 Ce verre bien plein.   165 Je vous ferai raison (note 91).   166 Guillot boit les verres de ses patrons.   167 « Et puis, m’amour, que vous en semble ? » Deux hommes et leurs deux femmes.   168 Boire. « Siffler le vin en abondance. » (Parnasse des Muses.) Nous disons toujours : Siffler un verre.   169 D’un pitoyable aliment.   170 Je ne saurais sortir. Le galant tousse.   171 Que j’ois, que j’entends tousser.   172 LV : haquenee  (Un bidouard est un petit cheval : cf. le Gaudisseur, vers 86. Mais c’est également un des noms du pénis, qui tousse quand il est trop vieux.)   173 Que Dieu lui vienne en aide !   174 Elle entre dans les toilettes.   175 Vous nous ferez découvrir par mon mari.   176 LV : en efaict  (En pratique. « De faict,/ Y me fault aler au retraict. » Lucas Sergent.)   177 LV : dens le  (Note 108.)  La femme retourne à table.   178 Sale. L’amoureux plonge sa tête dans le trou.   179 Récupérer. Mahuet, aux vers 117 et 220, ne peut « ravoir » sa main, qu’il a coincée dans un bocal de crème.   180 Il entre dans les toilettes, en chantant pour couvrir les plaintes de l’Amoureux.   181 Voir la note 140. Nous ne possédons plus cette rengaine, qui a dû finir dans un retrait, mais des quantités d’autres serinent les mêmes clichés ; voir par exemple celle qui figure aux vers 28-35 du Povre Jouhan.   182 Il a vessé, pété.   183 LV : on   184 En se tenant le ventre, il essaie d’ouvrir la porte des toilettes, que Guillot a fermée de l’intérieur.   185 Sans ouvrir la porte.   186 Au bas-ventre. Cf. les Chambèrières qui vont à la messe, vers 23.   187 L’amoureux se relève en arrachant la planche, qu’il porte autour de son cou comme un pilori. Sa figure est noire d’excréments. Pour ce genre de « maquillage », on utilisait du son mouillé, qui a la consistance et la couleur voulue ; voir la note 204 du Munyer.   188 Il parvient à ouvrir la porte, et tombe nez à nez avec un diable noir qui brandit son épée en hurlant. Voir l’illustration des Cent Nouvelles nouvelles. John Harington, le poète (car il en fallait bien un pour cela) qui inventa la chasse d’eau en 1596, publia une gravure où le diable fuit un homme assis sur un retrait. Nous devons cette trouvaille à Jody Enders, la traductrice américaine de notre farce : Holy Deadlock and further ribaldries. University of Pennsylvania Press, 2017, pp. 59-99.   189 Dans les Mystères, c’est le hurlement traditionnel des diables. « Brou ! Brou ! Ha ! Ha ! Puissans deables iniques ! » (Mystère de saint Martin.) Dans les Trois amoureux de la croix, un amoureux déguisé en diable profère ce cri au vers 429.   190 De l’eau bénite, pour l’exorciser. Les Normands prononçaient « bénète » : « Dame nonnète,/ Vous voulsissiez que l’eau bénoisteLes Mal contentes.   191 Tu m’aspergeras, Seigneur ! (Psaume 51.) Même vers dans les Chambèrières qui vont à la messe de cinq heures pour avoir de l’eaue béniste.   192 LV : lamoureulx  (La confusion tient au fait que c’est l’Amoureux qui fait le diable.)   193 Le mari, la femme et Guillot s’enfuient de la maison. Le mari a complètement oublié son besoin pressant ; il s’est peut-être conchié de peur, comme tant d’autres personnages de farces.   194 LV : prenes   195 « Puys infernal, dampné gouffrineux roc !/ Deable d’Enfer, que vault ton villain croc ? » (Mystère de saint Martin.) Là-bas = en bas, en enfer. Idem vers 453.   196 LV : et   197 Ce que c’est, de quoi il retourne.   198 Quand on voue les jaloux au diable, il les emporte en enfer.   199 LV : qui  (Le diable.)   200 Tout entier.   201 Si je n’avais pas été là pour le faire fuir à coup de latin (vers 430).   202 Infâme.   203 Envers.   204 Ma conjuration latine.   205 LV : emporte  (Voir le vers 426.)   206 « À jointes mains et à genoux,/ (Ton mari) te crira mercy. » Le Ribault marié ; ledit ribaud, du moins, implore à genoux le pardon de son épouse parce qu’il l’a trompée, et non pas parce qu’elle l’a trompé avec la complicité intéressée du confesseur.   207 LV : suys  (Voir le vers 472.)  Dans Martin de Cambray <F 41>, un amoureux déguisé en diable emporte la femme d’un jaloux, qui promet alors de ne plus l’être : « M’amye, je vous cri mercy !/ Jamais, nul jour, ne le seray ! » Le vers précédent, qui provient des Chambèrières et Débat, perturbe le triolet.   208 LV : metes vous a  (Même refrain que 455 et 462.)   209 Des loups ravisseurs. « De ces loups ravissans remplis de cruauté. » La Chasse du loup.   210 Si je grogne encore. Cf. les Coquins, vers 297.   211 LV : le mary   212 La rime est anormalement faible, sauf si Guillot prononce « bouse », pour se moquer du peureux qui s’est chié dessus.   213 Et je me mets.   214 LV : or non  (Désormais.)   215 Un homme velléitaire, qui n’a aucune suite dans les idées. Voir la notice de Jehan de Lagny.   216 On lui en a fait une bien bonne. « Tu m’en bailles bien d’une ! » D’un qui se fait examiner.   217 Je l’ai échappé belle.   218 LV : la  (Sans ma présence d’esprit.)   219 Style. Qu’il faut trouver l’art et la manière.   220 Habile.   221 Voici des extraits de la 72e des Cent Nouvelles nouvelles, qui a fourni le sujet de la farce.   222 Le fâcheux.   223 Cocu.   224 Sorti de sa maison.   225 Qui ne chassait.   226 Se musser, se cacher.   227 Remboursait avec les intérêts.   228 Aggraver.   229 Redoutant.   230 Qui était là-dedans.   231 Qu’il arracha la planche percée sur laquelle on s’assied. Ladite planche, qu’on appelle aujourd’hui la lunette, se nommait l’anneau : voir la 11e nouvelle de l’Heptaméron, de Marguerite de Navarre.   232 Avec la planche.   233 À sortir.   234 Le fâcheux.   235 De toute sa hauteur.   236 Évanoui.   237 Affichant plus d’effroi qu’elle n’en éprouvait.   238 Faible (féminin de l’adjectif cas). « J’ay la voix, dit-il, ung peu casse. » ATILF.   239 À l’insu.

CHAGRINAS

Musée du Louvre

Musée du Louvre

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CHAGRINAS

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Comme le Capitaine Mal-en-point ou Marchebeau et Galop, cette farce écrite pour Paris est l’œuvre d’un Picard. Paris entretenait des liens universitaires avec la Picardie, grâce à la « Nation picarde » et au collège de Beauvais : voir la notice du Mince de quaire.

La farce met en scène une fille jeune qui vient d’épouser malgré elle un vieil impuissant, que l’auteur a eu la malice de baptiser Trubert : c’est le titre d’un fabliau de Douin de Lavesne, dont le héros peut faire l’amour « anuit treize foiz ». Le voisin du couple est un apothicaire douteux qui se prétend médecin ; au lieu de vendre un de ses aphrodisiaques au mari, il préfère administrer un « clystère barbarin » à l’épouse.

Source : Recueil de Florence, nº 28.

Structure : Rimes plates, avec 3 triolets.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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Farce nouvelle trèsbonne

et fort joyeuse

d’une femme à qui son

voisin baille ung clistoire

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À .III. parsonnages, c’est assavoir :

       T[R]UBERT  CHAGRINAS

       FRIGALLÈTE,  sa femme

       DOUBLET,  son voisin

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                          CHAGRINAS

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                        DOUBLET,  médecin,  commence 1      SCÈNE  I

        Eaue de vie qui soustient vie2

        Et ziques-zaques au verd-jus3 !

        J’ay, contre toute maladie,

        Eaue de vie qui soustient vie !

5      Çà, çà ! Qui en veult, si le die

        Tandis que dure le surplus4 !

        Eau de vie qui soustient vie

        Et zicques-zacques au verd-jus !

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        Il me convient mettre cy jus5 ;

10    C’est le mieulx que je m’y estable6.

        Je dresseray icy ma table

        Pour veoir s’il viendra point d’acquest7.

        Je tiendray icy mon bacquet8,

        Aussi esbahi q’ung escouffle9.

15    Vécy pour guérir du froit10 souffle

        (Qui procède du mal des rains)

        Avec[ques] des salutz gauldins11

        Et ung peu d’uille génitaine12,

        Qui donne la fièvre quartaine13

20    À ung homme transi d’amours.

        Si feray qu’il sera trois jours

        Tous saisi de la fantaisie14,

        Avec ung peu de jalousie

        Qui luy viendra soubdainement.

25    J’ay encor d’ung aultre oingnement15

        À ung baril mis à costé,

        Qui est de tel propriété

        Que la femme dit à tous coups

        L’eure que son mary est coux16

30    Aussi bien que sçait le devin.

        Vez-en cy17 qui est fait de vin

        Pour faire les visaiges frais ;

        Qui en vouldra se tire près18 :

        Sa besongne sera tost19 faite.

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                        TRUBERT  CHAGRINAS 20               SCÈNE  II

35    Estes-vous céans, Frigallette21 ?

                        FRIGALETTE

        Ha ! je m’en voys22 à vous, Trubert.

                        TRUBERT

        Viendrez-vous point ?

                        FRIGALLECTE

                                           Dieux ! je m’apreste.

                        TRUBERT

        Estes-vous céans, Frigallète ?

        Apportez-moy…

                        FRIGALLETTE

                                    Quoy ?

                        T[R]UBERT

                                                  Ma sellette23.

40    Si tiendray mon ouvrouèr24 ouvert.

        Estes-vous céans, Frigallette ?

                        FRIGALLETTE

        Ha ! je m’en voys à vous, Trube[r]t.

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                        DOUBLET 25                                         SCÈNE  III

        Comment mon voysin est expert

        D’entendre à faire son prouffit !

45    [Par le] saint sang bieu que Dieu me fist26 !

        Sa femme est [bien] mal assenée27,

        Qui à tel villain est donn[é]e,

        Pour la mener si rudement

        Sans fournir à l’appointement28.

50    C’est assez pour avoir la toux29.

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                        TRUBERT                                               SCÈNE  IV

        Çà, Frigalète, viendrez-vous ?

                        FRIGALETTE

        Me vécy, Trubert. Que vous fault ?

                        TRUBERT

        N’oyez-vous point le cry si hault ?

                        FRIGALETTE

        Et pourquoy criez-vous ainsi ?

                        TRUBERT

55    Je vueil que vous soyez icy

        Encoste moy30 où je besongne,

        Et que fillez vostre quelongne31 :

        Il vous fault penser à l’ouvraige.

                        FRIGALETTE

        Esse le bien de mariage,

60    Trubert, que vous m’avez promis ?

        Vous distes à tous mes amys32

        Que [vous] me feriez tant de bien ;

        Je ne m’en apperçoys de rien :

        Je me liève comme je couche33.

.

                        DOUBLET                                             SCÈNE  V

65    Saint Anthoine ! le cas luy touche.

        J’entens à ce coup la traisnée34 :

        Elle est nouvelle mariée,

        Et c’est dont viennent les débatz.

        Elle veult qu’on besongne au « bas35 »,

70    Et il veult ouvrer à sa selle.

        Par ce moyen, son « cas36 » chancelle

        Et est de choir [en] grant danger.

.

                        TRUBERT                                              SCÈNE  VI

        Frigalette, pour abréger,

        Je [ne] vueil point qu’on se repose.

75    S’il vous plaist, faictes quelque chose !

        Le ferez-vous ?

                        FRIGALETTE

                                   Et que feray-je ?

                        TRUBERT

        Pensez…

                        FRIGALETTE

                         À quoy ?

                        TRUBERT

                                         [À vo]37 mesnage.

        Allez laver vos escuelles !

                        FRIGALETTE

        Elles sont la moitié trop belles38.

                        TRUBERT

80    Si nettoyez39 vostre maison !

                        FRIGALLECTE

        Il n’est point maintenant sayson40.

                        TRUBERT

        Mettez donc les mains à la paste41 !

                        FRIGALETTE

        Attendez, vous n’avez pas haste42.

                        TRUBERT

        Allez faire boullir le pot43 !

                        FRIGALETTE

85    Ne vous chaille, g’iray tantost.

                        TRUBERT

        Allez acoup44 faire voz litz !

                        FRIGALETTE

        Ha ! que vous chargez de broullis45 !

                        TRUBERT

        Vous vous deussiez bien avancer46.

                        FRIGALETTE

        Aussi deussiez-vous bien penser

90    À aultre chose, Chagrinas.

                        TRUBERT

        Et à quoy ?

                        FRIGALLECTE

                            Dieulx, tant de harnas47 !

                        TRUBERT

        Fais-je point ce qu’il appartient48 ?

                        FRIGALETTE

        Je sçay bien où le mal me tient ;

        J’ay bien cause de m’en douloir.

                        TRUBERT

95    Si faictes donc à mon vouloir,

        Et puis nous serons à recoy49.

                        FRIGALETTE

        Et ! que ne faictes-vous à moy,

        Aussi bien, à ma voulenté,

        En ung cas de nécessité,

100  Comme vous voulez que je tasche

        À besongner pour vous à tâche50 ?

.

                        DOUBLET                                             SCÈNE  VII

        A ! ventre saint Gris, quel brocart51 !

        Se [je] vous tenoye à l’escart

        En l’hôtel, sur52 quelque cous[s]in,

105  Je secourroye53 mon voisin

        En ce cas-là, je vous asseure !

.

                        TRUBERT                                              SCÈNE  VIII

        Frigallette, tout de ceste heure54,

        Allez nous quérir à disner,

        Car je suis las de tant jeûner.

110  Et faictes que je vous revoye55 !

                        FRIGALETTE

        Si feray-je.56

.

                               Que froide joye                                  SCÈNE  IX

        Puis[t-]il avoir de ses genoulx,

        Qui57 nous assembla, moy et vous,

        Pour avoir tousjours tant de peine !

115  Le villain, toute la sepmaine,

        Ne cesse tousjours de hongner58 ;

        Et jamais ne veult « besongner59 ».

        Mais ung jour, s’en repentira.

.

                        DOUBLET                                              SCÈNE  X

        Dieu vous gard, voisine ! Comment va ?

120  Chagrinas vous fait-il grant chère60 ?

                        FRIGALETTE

        Pleust à Dieu qu’eust61, en la rivière,

        Six piéz d’eau62 dessus les esselles !

                        DOUBLET

        Sainct Jehan ! ce sont maises63 nouv[e]lles.

        Et ! qu’i a-il ? Dont64 vient le cas ?

                        FRIGALLETTE

125  Et ! com[m]ent ? Ne voyez-vous pas

        Comment Chagrinas me chagrinne ?

                        DOUBLET

        Ne vous chaille, c’est pour doctrine65.

        Il fault endurer, se m’ai Dieux66 !

                        FRIGALLETTE

        Endurer ? J’aymeroye mieulx

130  Qu’il fust mort de senglante mort !

                        DOUBLET

        Et ! certes, vous n’avez pas tort.

        J’ay bien tout le débat ouÿ :

        Encor suis-je tout esbaÿ

        Commant vous avez enduray

135  Tant que le jour si a duray67

        La grande peine de son plait68.

                        FRIGALLETTE

        Cuidez-vous, mon voisin Doublet,

        Qu’il me parle d’esbatement ?

        Nenny ! Tousjours, incessammant,

140  Je suis en peine et [en] traveil69.

                        DOUBLET

        Se voullez croire mon conseil,

        Croyez que ferons par decoste70

        Bien noz « besongnes ».

                        FRIGALETTE

                                               (Quel fin hoste71 !

        [Mais je suis encore plus fine.]72)

                        DOUBLET

145  Ha ! dea, entendez, ma voisine :

        Laissez Chagrinas chagriner,

        Et entendez à vous donner

        Du bon temps [tout] à vostre entente73.

                        FRIGALETTE

        Sur mon âme, j’e[n] suis contente !

                        DOUBLET

150  Soit blanc, soit noir comme charbon,

        Pour tant que74 vous semblera bon,

        Prenez-le tandis qu’estes jeune.

                       FRIGALLETTE

        Mauldicte sois-je se j’en jeusne75 !

                        DOUBLET

        Se vous avez mestier76 de moy,

155  Je suis tout vostre, par ma foy,

        Pour vous « servir77 » soir et matin.

                        FRIGALLETTE

        Et ! certes, c’est dit78 de voisin.

                        DOUBLET

        Sçavez-vous comment vous ferez ?

        Quant [à vostre hostel vous viendrez]79,

160  S’il veult entrer en son propos,

        Hardiment tournez-luy le dos

        Et luy dictes (pour abréger)

        Que vous estes en grant danger ;

        Et, qui brief ne remédiera80,

165  [Que vous vous mourrez]81 de cela :

        Une maladie soubdaine,

        Qui tient jeune femme si vaine82

        Qu’elle en chiet83 [très]toute pasmée

        Vingt et deux fois en la journée,

170  Qui n’y remédie à l’ostel84.

                        FRIGALLETTE

        Le [moyen fera-l’on ytel]85.

                        [DOUBLET]

        [Pour entendre]86 au fait principal,

        Je luy diray que tout ce mal

        Est dangereux, en la saison.

175  [Si] que87 luy-mesme(s), en ma maison

        Vous envoira tout deschappé88

        Pour vous bailler ung récipé 89.

        Et par ce moyen, bien et beau90

        [Nous] le ferons franc macquereau91,

180  [En] faisant grant chère au surplus.

                        FRIGALLETTE

        Ouy, il souffist, n’en parlez plus :

        J’entens où vous voullez venir.

        La fièvre le puisse tenir,

        Qui92 bien ne tiendra sa promesse !

185  Adieu, mon voisin ! Je vous laisse.

                        DOUBLET

        Adieu, ma voisine, m’amye !

        Mais, pour Dieu, ne m’oubliez mye93 !

        Je suis vostre.

                        FRIGALLETTE

                                J’entens assez.

                        DOUBLET

        Nous luy en baillerons.

                        FRIGALLETTE

                                               Pensez !

                        DOUBLET

190  Tout au long du bras.

                        FRIGALLETTE

                                           N’en doubtez !

                        DOUBLET

        Que vous baise, pour tous recors94 !

                        FRIGALLETTE

        Je vous baille la foy du corps95

        Que jamais ne luy feray bien.

                        DOUBLET

        Se vous voulez, par mon moyen,

195  Nous luy ferons menger de l’oue96.

                        FRIGALLETTE

        Adieu, mon voisin ! Je m’en broue97

        Pour luy dresser son entremetz98.

        Ne vous doubtez99 : puisque m’y metz,

        Je luy en bauldray100 bien avant.

.

                        TRUBERT                                              SCÈNE  XI

200  Quant je m’avise, maintenant,

        Frigallette ne revient point ;

        Et si101, est bien dessus le point

        D’une heure qu’elle [s’]est partie102.

        L’homme est heureux qui a partie103

205  Qui ne luy contredit de rien.

.

                        FRIGALLETTE                                     SCÈNE  XII

        Dieu y soit ! Trubert, je revien.

        Par mon serment ! je suis bien matte104.

        Je feusse cheute toute plate.

        Se n’eust esté [ma bonne Agathe]105,

210  Qui106 de son bien m’a secourue,

        Je fusse cheute enmy la rue107

        Tout soudainement sur les dentz108.

                        TRUBERT

        Je cuide que guaires de gens

        Ne meurent de tel maladie ;

215  Mais il souffist bien qu’on le die,

        Pour faire ung peu [de] la mignotte109.

                        FRIGALLETTE

        Vélà de quoy110 ! Tousjours riote

        Vostre corps111.

                        TRUBERT

                                    Ayez pacience !

                        FRIGALLETTE

        Ha ! Nostre-Dame-de-Lience112 !

220  Sainte Marie Magdalène !

        Je [me] meurs ! Je n’ay plus d’alaine113 !

        Ma maladie si me vient114.

                        TRUBERT

        Esse donc à bon escïent115 ?

                        FRIGALLETTE

        À bon escïent ? Ha ! Trubert,

225  Vous m’aymez bien peu, il y pert116,

        Quant vous me voyez au mourir

        Et ne me voulez secourir

        En mon mal, qui117 est nécessaire.

        Au moins, se ne le voulez faire,

230  Appellez-moy le médecin.

                        TRUBERT

        Je voys donc hucher118 mon voisin.

                        FRIGALLETTE

        Allez, ou mourir [je m’en voys]119.

.

                        TRUBERT                                              SCÈNE  XIII

        Hélas, mon voisin ! Ceste foys,

        Aydez-moy, ou je je suis infâme120 !

                        DOUBLET

235  Qu’i a-il ?

                        TRUBERT

                           Qu’il y a ? Ma femme

        Taillée est qu’elle se mourra121,

        Qui bien brief ne la secourra122.

        Elle m’a dit que la peine

        Est tant grièfve et tant soubdaine

240  Qu’elle en est presque au mourir.

        Pour Dieu ! venez la secourir,

        Mon voysin, je vous en requiers !

                        DOUBLET

        G’y vois, certes, trèsvoulentiers.

        Pour vous, feroye plus que tant123.

                        TRUBERT

245  Pour Dieu, allons-y tout batant124 !

                        DOUBLET

        Hastons-nous !

                        TRUBERT

                                  Mais je vous en prie !

.

                        DOUBLET                                              SCÈNE  XIV

        Or çà, ma voysine, m’amye :

        Comment se porte la santé125 ?

                        FRIGALLETTE

        Laissez-moy !

                        DOUBLET

                                 Bénédicité !

250  Jhésucrist soit avecques vous !

        Que je taste ung pou vostre126 poux…

        Elle a maladie grevaine127.

                        TRUBERT

        Comme quoy ?

                        DOUBLET

                                  La bate luy vaine128

        Terriblement en plusieurs lieux.

                        TRUBERT

255  Comment ? Le temps est dangereux129.

        Vécy [bien] terrible adventure !

                        DOUBLET

        Le mal luy vient130 d’eschauffeture,

        Et luy procède de courroux.

                        TRUBERT

        Ha ! mon voisin, que dictes-vous ?

                        DOUBLET

260  C’est maladie conjonctive131

        — Et aulcunement132 narative

        D’abundans superfulités133

        Qui luy espraint134 tous les costés.

        Elle en chet en grant litargie135.

265  S[e] elle en veult estre allégie136,

        Il convient, tout au long de l’an,

        Qu’el use du dëadragan137

        Confit avec dïaculun138.

                        TRUBERT

        Hélas, mon voisin, calculon139

270  Quel maladie ce peult estre.

                        DOUBLET

        Dieu ait l’âme de mon bon Maistre140,

        Qui trèstous ses biens aprins m’a !

        Brief, el(le) ne meurt que de cela141.

        Se voulez qu’en santé la tienne,

275  Qu’avecques moy elle142 s’en vienne ;

        Et je lui bauldray ung clistoire

        Qu’on dit « barbarin143 ».

                        TRUBERT

                                                    Hélas, voire,

        Mon voisin, c’est dit de bon homme.

        Mais je ne sçay manière144 comme

280  Elle se pourra soustenir.

                        FRIGALLETTE

        Me ferez-vous b[e]a[u]coup languir ?

        Ha ! las, Nostre Dame, le cueur145 !

                        TRUBERT

        Frigallette, prenez bon cueur146 :

        Il vous fault lever, ma doulcine.

285  Si prendrez cy la médecine

        Que mon voisin vous veult donner.

                        FRIGALETTE

        Hastez-vous de m’y147 enmener,

        Ou je me mourray en ce lieu.

                        DOUBLET

        Or, sus donc, allons ! De par Dieu,

290  J’espoir que vous amenderez148.

        Adieu, voisin ! Vous la verrez

        En bonne sancté au retour.

                        TRUBERT

        Je vous prie par [fine] amour149,

        Voysin : faictes vostre devoir.

                        DOUBLET

295  Je le feray à mon povoir,

        Tout ne plus ne moins (par mon âme !)

        Que s’elle estoit ma propre femme.

        [Il est temps de se mettre en route.]150

        Adieu !

                        TRUBERT

                      Adieu !

.

                        DOUBLET                                              SCÈNE  XV

                                     Ronge la crouste151 !

300  Çà ! Nostre Dame, quel lambert152 !

                        FRIGALLETTE

        Par ma foy ! il est bien trubert153,

        De [moy laisser]154 venir seullette.

                        DOUBLET

        Ne vous en chaille, Frigalette :

        Nous nous dégoiserons155, nous deux.

                        FRIGALLETTE

305  Et ! sur mon âme, je le veulx,

        [Mon] amy !

                        DOUBLET

                              Ma plaisance entière !

                        FRIGALLETTE

        Mon souverain !

                        DOUBLET

                                     M’amye chère !

        Ma mignonne !

                        FRIGALECTE

                                   Mon dorelot156 !

                        DOUBLET

        Mon cueur doulx !

                        FRIGALETTE

                                        Mon petit falot157 !

                        DOUBLET

310  M’amour !

                        FRIGALLETTE

                            Et mon esbatement !

                        DOUBLET

        Passons le temps joyeusement,

        Puisque nous sommes à gogo158.

.

                        TRUBERT                                              SCÈNE  XVI

        Et ! certes, je suis bien dendo159.

        Dando ? Mais bien plus : que dandinastre160 !

315  Dandinastre ? Mais vray folastre161

        Folastreusement affollé,

        Que je ne m’en suis pas allé

        Avec[ques] ma femme, en coquoys162.

        Se mon voisin « crousle ses pois163 »,

320  J’en seroye prins par la moue164.

        Touteffois, ainsi qu’on se joue165,

        Je m’en iray, par bon advis,

        À l’uys166 escouter leur devis,

        Et sçauray toute leur façon.

.

                        DOUBLET                                              SCÈNE  XVII

325  Je vous requier que nous fasson167

        Bonne chère.

                        FRIGALLETTE

                                 Mais j’en supplie !

                        DOUBLET

        Comment vous portez-vous, m’amie ?

                        FRIGALETTE

        À vostre plaisir, mon amy.

        Quant je pense : se168 mon mary

330  Venoit icy pour nous ruser,

        Je ne [me] pourrois excuser169 ;

        Je seroye déshonnorée.

                        DOUBLET

        Vécy com(me) serez excusée :

        Lundy, quant vous prendrez la voye

335  De venir droit à Saincte-Avoye170,

        Vous trouverez par le chemin

        Une chambre par Saint-Martin171.

        Garde [il] n’aura de vous trouver ;

        Il ne vous fauldra soucier

340  Que l’ung ou l’autre vous y voye.

                        FRIGALECTE

        Sur ma foy, ce sera ma voye !

.

                        TRUBERT                                              SCÈNE  XVIII

        Trubert Chagrinas, entens-la !

        Ha ! ventre bieu, esse cela

        De quoy on m’a tousjours servy ?

345  Se [je] ne m’en venge aujourd’uy,

        Je vueil estre mort ou tué172 !

.

                        DOUBLET                                             SCÈNE  XIX

        Touchez là173 !

                        FRIGALLETTE

                                   Il en est sué174 :

        Je ne fauldray point175. À lundy !

                        DOUBLET

        Et par ce moyen que je dy,

350  Nous parvendrons à nos attaintes176.

.

                        TRUBERT                                               SCÈNE  XX

        Vous ferez vos malles attaintes177,

        Dont vous soyez tous deux farcys !

.

                        DOUBLET                                              SCÈNE  XXI

        Ne faillez pas !

                        FRIGALLETTE

                                    À mes périlz,

        G’y serai, comment qu’il en voise178.

.

                        TRUBERT                                              SCÈNE  XXII

355  Revenez-vous, nostre bourgoise179 ?

        Le sang bieu, vous serez servie !

                        FRIGALLETTE

        Regardez : vécy belle vie !

        Tousjours vostre corps tencera.

                        TRUBERT

        Avez-vous plus mal de cela ?

                        FRIGALLETTE

360  Je n’en ay plus, la Dieu mercy !180

                        TRUBERT,  en frappent :

        Saint Jehan ! vous aurez de cecy :

        C’est remède contre cela.

                        FRIGALLETTE

        Ha ! faulx meurdrier, tu m’as meurdry !

                        TRUBERT

        Saint Jehan ! vous aurez de cecy.

                        FRIGALLETTE

365  Au meurdre !

                        TRUBERT

        Avez-vous plus mal de cela ?

                        FRIGALLETTE

        Je n’en ay plus, la Dieu merci !

                        TRUBERT,  en frappant :

        Saint Jehan ! vous aurez de cecy :

        C’est remède contre cela181.

                        FRIGALLETTE

370  Ha ! faulx traistre, tu m’as meurdry182 !

                        TRUBERT

        Saint Jehan ! vous aurez de cecy.

                        FRIGALLETTE

        Au meurdre !

                        TRUBERT,  en frappant :

                                 Je criray aussi !

                        FRIGALLETTE

        Vous me tuez ! Pour Dieu, holà !

                        TRUBERT,  en frappant :

        Saint Jehan ! vous aurez de cecy :

375  C’est remède contre cela.

.

                        DOUBLET 183                                       SCÈNE  XXIII

        N’ay-je pas entendu delà

        Frigallette, qui crie si hault ?

.

        Et ! qu’esse, voisin, qu’il vous fault ?                        SCÈNE  XXIV

        Comment vous allez combatant !

                        TRUBERT

380  Saint Jehan ! vous en aurez autant,

        Puisque vous trouvez en ma voye184 !

                        En frappant :

        Tenez ! portez à Sainte-Avoye

        Ceste chandelle pour offrande !

                        DOUBLET

        Je m’en vois. À Dieu vous commande185 !

385  Comment il fiert186 à descouvert !

        De m’en aller, je suis expert.

.

        Vous priant trèstous, hault et bas,

        Que prenez en gré nos esbatz,

        Je vous en prie sans villenye :

390  Adieu toute la compaignie !

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                                       EXPLICIT

*

1 Devant chez lui, l’apothicaire fait de la réclame pour vendre ses aphrodisiaques. Il est chargé d’une tablette pliante et de diverses fioles. « Doublet », comme son nom l’indique, fait preuve de duplicité ; l’épouse adultère de Raoullet Ployart se nommera Doublette.   2 Jeu de mots sur le vit : le pénis. « Sa femme est seiche et tarie,/ Et n’a pas de vie plein poing. » (Guillaume Coquillart.) Cette eau de vie est donc un aphrodisiaque.   3 Au sperme. « Remuer la pille [le pilon] au verjus. » (La Fluste à Robin.) Faire zic-zac [faire le va-et-vient] = faire l’amour : cf. Frère Guillebert, vers 13.   4 Qu’il le dise tant que j’en ai en réserve.   5 Je vais tout poser ici.   6 F : estalle  (Que je m’y établisse.)  Le bonimenteur dresse un stand dans la rue, devant sa maison, qui jouxte l’atelier du sellier Chagrinas.   7 Quelque chose à acquérir, à gagner.   8 Le bac qui contient les fioles magiques.   9 Les yeux aussi ronds que ceux d’un oiseau de proie. L’écoufle est d’un naturel voleur, si l’on en croit le roman homonyme de Jean Renart.   10 F : poil  (Le souffle froid, c.-à-d. une ventosité trop faible, empêche l’érection.)  Avant la découverte de la circulation sanguine, on croyait que le pénis était déployé par un souffle d’air chaud. « Celle ventosité enfle le vit & le dresse…. Car se le vit ne tendoit, le sperme ne se pourroit espandre en la matrice. Et pour ce, ventosité y est nécessaire. » (Bernard de Gordon.) D’après le docteur Rabelais, avoir « vent en pouppe », c’est être en érection (Pantagruel, 1).   11 Des salutations féminines plaisantes.   12 L’huile génitale doit être une de ces huiles épicées dont on frictionnait les hommes souffrant d’un problème érectile. « Oindez l’espine du dos et les reins, & les coillons & le vit, & entour le cul, & la plante des piés, de huille de béen ou de huille de poivre. » B. de Gordon.   13 Le soi-disant médecin confond la fièvre quarte, qui revient tous les quatre jours, avec la fièvre blanche, qui est le désir érotique. Cf. Beaucop-veoir et Joyeulx-soudain, vers 340 et note.   14 De l’envie de copuler.   15 Une pommade.   16 À quelle heure elle a cocufié son mari. « Les femmes font coux leurs maris. » Les Esbahis.   17 Voyez-en ici : en voici un, d’onguent.   18 Que celui qui en voudra s’approche !   19 F : toue  (Il aura vite la figure rouge.)   20 Le fabricant de selles est dans son atelier, voisin de l’officine du charlatan.   21 Ce mot signifie appétissante (le Gaudisseur, v. 189) et gourmande.   22 Vais. Idem vers 231, 232, 243, 384.   23 Mon tabouret.   24 Mon ouvroir. Certains ateliers d’artisans s’ouvrent sur une large baie où s’accoude la clientèle.   25 Il s’approche de l’éventaire de ses voisins.   26 Juron picard. Halina Lewicka, qui examine les régionalismes de notre pièce dans ses Études sur l’ancienne farce française <pp. 129-132>, cite Éloy d’Amerval : « Par le sainct sang que Dieu me fist/ (Puisqu’il fault jurer en piquart) ! » Le Livre de la deablerie.   27 Mal mariée. Cf. le Clerc qui fut refusé, vers 16.   28 Au devoir conjugal. Cf. le Nouveau marié qui ne peult fournir à l’appoinctement de sa femme.   29 Le sexe d’une femme tousse quand aucun homme ne le réchauffe : « Vostre con a la toux, commère. » (Journal d’un bourgeois de Paris.) Le remède est évident : « Son “vraibis” en prit la toux./ Il luy faut faire un potage/ Batu à quatre genoux. » (Il estoit une fillette.)   30 À côté de moi.   31 Et que vous filiez votre quenouille.   32 À mes parents. Cf. le Gallant quy a faict le coup, vers 338.   33 Je suis aussi vierge le matin que le soir.   34 Les raisons profondes. « La bonne dame savoit bien la trainnée. » Cent Nouvelles nouvelles, 72.   35 Jeu de mots sur le bât [la selle], et le bas [le sexe des femmes]. Cf. les Femmes qui font renbourer leur bas.   36 Sa vulve : cf. la Fille esgarée, vers 38 et note. Quand le « cas » d’une femme risque de choir, il faut qu’un homme le sangle, ou le recouse avec son aiguille. « C’est pour fort retenir le “bas” :/ Leurs culz fourréz cherraient embas,/ S’elles n’estoient ainsi “senglées”. » (Les Sotz qui corrigent le Magnificat.) « –La belle fille,/ J’aperçoy que vostre “quoquille”/ A bien métier [besoin] de resserrer./ –Et vous voulez considérer/ Que s’elle tumboyt, d’avanture,/ Que ce seroyt double enfouture ? » (Jehan de Lagny.)   37 F : Au  (En Picardie, vo = votre. Cf. Jehan Molinet, vers 18, 32, 34, 40.)  La rime ai-je / ménage est picarde ; voir H. Lewicka, p. 130.   38 Elles sont déjà deux fois trop étincelantes.   39 F : nettoys  (Jody Enders* a remarqué un détail frappant : « This is the only play of our entire collection in which all characters use the courteous vous form throughout. »  *The Farce of the Fart and other ribaldries. University of Pennsylvania Press, 2013, pp. 194-218 et 432-436.)   40 Ce n’est pas le moment.   41 Pétrissez du pain, ou un pâté.   42 Ça ne presse pas.   43 Préparez le pot-au-feu.   44 Tout de suite.   45 D’embrouilles, de complications. Cf. les Sotz qui corrigent le Magnificat, vers 136.   46 Vous devriez prendre de l’avance, par rapport au ménage.   47 Tant de bruit pour rien ! C’est une expression picarde : « Pourquoy fait-on tant de harnas ? » Jehan de Wissocq.   48 Ce qu’il faut faire.   49 En paix.   50 Avec application.   51 F : bracart  (Quelle pique ! « Ha ! ventre bieu, quel broquart ! » G. Coquillart.)  Saint Gris est le surnom traditionnel de saint François d’Assise, qui portait une robe grise.   52 F : de  (Dans ma maison, sur un édredon.)   53 Je lui porterais secours, je le seconderais.   54 La rime asseure / heure est picarde. Voir Lewicka, p. 130.   55 F : renuoye  (Que je vous revoie vite.)   56 Elle sort dans la rue.   57 Qu’il puisse avoir la goutte aux genoux, celui qui… « Bien froide joye/ Puissiez-vous avoir des genoux ! » Les Drois de la Porte Bodés.   58 De grogner.   59 Copuler. Idem vers 69.   60 Vous traite-t-il bien, notamment au lit.   61 F : qui fust  (Qu’il ait.)   62 F : par  (Frigalette aggrave une expression : « Ils estoient en l’eaue jusques aux esselles. » ATILF.)   63 F : mauuaises  (Locution picarde. Voir Lewicka, p. 58.)  « Que tart ne peut venir à porte,/ Qui maises nouvelles aporte. » ATILF.   64 D’où. Idem vers 68.   65 C’est pour vous endoctriner, vous former.   66 Si m’aid Dieu : que Dieu m’assiste !   67 A duré : toute la journée. F intervertit ce vers et le précédent.   68 De son plaid, de son radotage.   69 En travail, en souffrance. René Debrie, dans son Glossaire du moyen picard, donne la même graphie. « Qui souffrirent ce jour paine et traveil à merveilles. » ATILF.   70 À l’écart.   71 Quel malin ! Cf. la Pippée, vers 892 et note. Cette tirade est dite en aparté.   72 Vers manquant. J’emprunte le vers 503 des Botines Gaultier.   73 Comme vous l’entendez.   74 Pour autant que le plaisir.   75 F : iensn  (Si je m’en prive.)   76 Besoin.   77 « Qui la vouldroit/ Servir à gré, il luy fauldroit/ Houer [labourer] sa “vigne” jour et nuyt. » Raoullet Ployart.   78 C’est une parole. Idem vers 278.   79 F : vous viendres a vostre hostel  (Correction suggérée par Jelle Koopmans : Le Recueil de Florence, Paradigme, 2011, pp. 401-411.)   80 Si on n’y remédie pas rapidement.   81 F : Qua vous moures  (Voir le vers 288.)   82 Si affaiblie. « Car vostre puissance est trop vaine/ Pour bien faire vostre devoir. » Ung jeune Moyne.   83 Qu’elle en tombe (verbe choir, comme à 264). Pâmée = évanouie.   84 Si on n’y remédie dans la maison, ou bien dans une hôtellerie, comme au vers 337.   85 F : meyen fera hon y tel  (Itel = tel, ainsi. « Jamais je ne vis cas ytel. » Grant Gosier.)  On suivra ce conseil.   86 F : Dentendre  (« Et pour entendre le propos. » Troys Gallans et Phlipot.)   87 Si bien que. Cf. le Tournoy amoureux, vers 71 et 75.   88 F : eschappay  (Sans prendre le temps de mettre son chapeau. « Lorsqu’il fauldra que la mort vous deschappe. » Godefroy.)   89 Une formule pharmaceutique. Cf. Maistre Doribus, vers 12, 81, etc.   90 « Bien et biau : Bel et bien. » Debrie, Glossaire du moyen picard.   91 F : malquereau  (Nous en ferons un vrai maquereau, puisqu’il m’aura livré sa femme lui-même.)   92 Celui de nous deux qui.   93 F : pas  (« Ma mye,/ Et ! pour Dieu, ne m’oubliez mye ! » La Fille bastelierre.)   94 Pour sceller notre contrat. Doublet embrasse Frigalette.   95 Je vous jure.   96 Nous le tromperons, comme maître Pathelin trompa le drapier quand il promit de lui faire manger de l’oie. « Je luy feray manger de l’oue ! » Serre-porte.   97 Je m’en vais. C’est un terme d’argot : cf. Gautier et Martin, vers 73.   98 Ce mauvais divertissement. Cf. Frère Frappart, vers 238.   99 Ne craignez rien.   100 Baillerai. (Même futur picard à 276.) Nous dirions aujourd’hui : Je la lui mettrai bien profond. N’oublions pas que le rôle de Frigalette est joué par un homme.   101 Et pourtant.   102 Il y a bien une heure qu’elle est partie. Cf. Raoullet Ployart, vers 232.   103 Quand il a une compagne. Jeu de mots involontaire : l’impuissant est souvent contredit par sa partie virile. « Garde bien que t’amye/ N’ayt pas faulte de ta partie,/ Ou tu t’en feras mespriser. » Le Conseil du nouveau marié, BM 1.   104 Abattue. « Dolente et mate. » Godefroy.   105 F : mon bon voisin  (Le voisin n’est pas censé connaître la maladie de Frigalette. D’autre part, son empressement à la soutenir eût donné des soupçons au jaloux Trubert.)  On supposera qu’Agathe est une voisine de Frigalette, une de ces « commères » toujours prêtes à jouer les faux témoins pour duper un mari.   106 F : Que   107 J’aurais chu dans la rue. « Cheute » est picard : voir Lewicka p. 130, et le Glossaire du moyen picard, de Debrie.   108 F : rencz  (Sur les dents = à plat ventre. « Je crains qu’elle ne se trouve si haracée (…) qu’elle ne soit contraincte de tomber sur les dentz. » Duc de Nevers.)   109 L’élégante. Les dames de l’aristocratie trouvaient distingué d’avoir des vapeurs et de s’évanouir à tout bout de champ.   110 Nous y voilà ! « –Encore aurez-vous trop de bien./ –Vélà de quoy ! » Le Patinier, F 35.   111 Vous cherchez toujours des querelles.   112 Invocation au plus célèbre pèlerinage de Picardie. Même vers dans les Frans-archiers qui vont à Naples, et (avec la variante plus récente « Liesse ») dans la Laitière.   113 D’haleine, de souffle.   114 La crise revient. Frigalette s’écroule sur une chaise.   115 Est-ce donc vrai ? La rime est picarde.   116 Cela est apparent. Verbe paroir.   117 Ce qui pourtant.   118 Je vais appeler. Voir le Glossaire du moyen picard, de Debrie.   119 F : me conuient  (Sinon, je vais mourir. « Ton œil, meurtrier de moy,/ Me mect en tel esmoy/ Que mourir je m’en vois. » Ton amour, ma Maistresse.)   120 Laisser mourir son épouse était somme toute assez mal vu.   121 Est susceptible de mourir.   122 Si on ne la secourt pas rapidement. Jeu de mots involontaire : Si on ne la « secoue » pas. Cf. le Sermon pour une nopce, vers 159-166. « L’un des clercs la secouoit, dis-je [je veux dire] la secouroit au besoin. » (Bonaventure Des Périers.) Les 3 vers suivants sont trop courts d’une syllabe.   123 Je ferais plus que cela. Cf. les Gens nouveaulx, vers 215.   124 F : bataut  (Tout droit. Cf. Mahuet, vers 41 et 142.)   125 L’apothicaire du Testament Pathelin prononce le même vers, qui apparaît d’ailleurs dans une pléthore de farces.   126 F : son  (Un pou = un peu : cf. la Laitière, vers 105. On admirera l’allitération avec « pouls ».)   127 Pénible.   128 Le guérisseur veut dire : La veine [le pouls] lui bat. Mais il ignore les termes techniques.   129 Cette saison — en général le printemps — est propice aux maladies : voir le vers 174. « Ne vous courroucez point,/ Car le temps est trop dangereux. » Le Povre Jouhan.   130 F : vient  (Lui vient de la colère.)   131 F : viue  (« Des maladies de la conjonctive qui sont, en nombre, treize. » Gui de Chauliac.)  Jeu de mots sur la conjonction, le coït.   132 F : aultrement  (Et quelque peu révélatrice.)   133 Encore un terme médical déformé. « Superfluité de menstrues. » ATILF.   134 Qui lui comprime.   135 Elle en tombe dans une grande léthargie.   136 F : allegee  (Je rétablis la rime picarde. Voir Lewicka, p. 130.)   137 Nom vulgaire du diadragum, un remède à base de gomme adragante. « Autre médecine que dyadragan. » ATILF.   138 Sur cet emplâtre, précurseur de la vaseline, voir le vers 488 du Testament Pathelin, ou le vers 376 des Sotz fourréz de malice. À la française, diaculum se prononce dïaculon, d’où son franc succès dans la littérature grivoise.   139 F : calculun  (Calculons, diagnostiquons.)   140 Lequel ? Nous avons le choix entre maître Doribus, maître Aliboron, maître Macé, maître Accipé, maître Grimache, etc.   141 De ne pas pouvoir faire l’amour. Idem vers 362. « De faire cela ? Ne luy chault,/ Car sa vigueur est amortie. » (Les Femmes qui font refondre leurs maris.) Cette maladie mortelle se nomme la « trop-fille » ; voir la notice de Frère Phillebert.   142 F : quelle   143 À une chambrière atteinte de trop-fille, frère Phillebert prescrit « un bon clistère barbarin ». Ce qualificatif remonte aux barbares turcs, qui passaient pour des sodomites indécrottables. Mais on pouvait aussi « donner un barbarin clystère/ Par devant, et non par derrière,/ À quelqu’une. » Le Pasquil des cocus.   144 F : ma mere  (De quelle manière. « Or me dy la manière comme/ Tu es venu cy en ce lieu. » Les Trois amoureux de la croix.)   145 Dans Frère Phillebert, la chambrière atteinte de trop-fille se plaint aussi du cœur : « Han ! Dieu, le cœur ! » Mais le savant praticien rectifie : « Le cul ! »   146 Courage !   147 F : moy   148 J’espère que vous guérirez.   149 Ce vers, tel que je le complète, est le vers 87 de Colin qui loue et despite Dieu. « Pri-e » compte pour 2 syllabes.   150 Vers manquant.   151 Contente-toi de la croûte, car c’est moi qui aurai la mie. Chez Doublet, Frigalette retrouve instantanément sa bonne santé.   152 Dans les Miracles, Lambert est un serviteur ou un sergent alcoolique. « Alez devant, alez, Lambert !/ Et ne faictes pas le trubert [le fou]. » Miracle de sainte Bautheuch.   153 Fou. « Robert,/ C’on tient pour fol et pour trubert. » Miracle de Robert le Dyable.   154 F : mon plaisir   155 Nous nous ébattrons.   156 Mon mignon.   157 Mon plaisant. « Ton dorelot,/ Ton mignon, ton petit fallot. » Le Dorellot aux femmes.   158 À notre aise. « Mieulx aimassent, à gogo,/ Gésir sur molz coissinés [coussins]. » Charles d’Orléans.   159 Idiot. « Tant tu es dando ! » (Mystère de l’Incarnation.) Mais également, cocu : cf. le Vendeur de livres, vers 100 et note.   160 Triple idiot. Jody Enders, p. 434, rappelle que le personnage de Molière « George Dandin is a famous cuckold ».   161 Fou. Les Fols des sotties n’auraient pas parlé plus follement : « Ces folâtres affolemens/ Affollés de folle affolance. » Les Vigilles Triboullet.   162 En catimini : cf. les Coppieurs et Lardeurs, vers 43. Mais le mot « cocu » n’est pas loin.   163 La secoue sexuellement. L’expression est inconnue ; je pense qu’il faut lire « crocque ses nois », comme dans cette ballade picarde : « Le galant, qui l’eut rebrassye [retroussée],/ Si luy print à croquer ses noix/ Si bien qu’elle en fut esbahye. » J’ay vit et couillons tout d’un drap.   164 Je serai abusé par leurs grimaces. « Il en sera par la moue pris. » Les Trois amoureux de la croix.   165 Tandis qu’ils s’amusent.   166 À l’huis. Trubert va écouter à la porte du voisin.   167 F : faison  (« Tous hommes de haulte façon,/ Quelque chose que nous fasson,/ Ont grandement dames chéries. » Apologia mulierum.)   168 F : a   169 Je n’aurais aucune excuse.   170 Le lundi, des Parisiennes désireuses de rejoindre leur amant prétendaient aller faire leurs dévotions dans cette chapelle. « Tant aller trotant par ville à jeunes femmes, au lundy à Saincte-Avoye, au jeudy je ne sçay où, au vendredy à Saincte-Katherine, & ainsi ès autres jours. » (Christine de Pizan.) Cf. le Povre Jouhan, vers 190-2.   171 Saint-Martin-des-Champs, près de Sainte-Avoie. Jody Enders, p. 195, y voit « the medieval equivalent of getting a motel ».   172 F : tuay  (Cette plaisanterie n’était pas neuve : « Si je ne suis mort ou tué. » Arnoul Gréban.)   173 Topez là ! Traditionnellement, le comédien met alors la paume de sa main devant sa braguette : cf. le Gallant quy a faict le coup, vers 40 et note.   174 F : tout suay  (L’affaire est réglée. « Je suis mort, il en est sué. » La Laitière.)   175 Je ne vous ferai pas défaut.   176 Nous viendrons à nos fins. « Je parviendray à mes actaintes. » Mistère de la Passion de Troyes.   177 Vous serez atteints par de funestes maladies. « Pour préserver les cœurs de male actainte. » ATILF.   178 Quoi qu’il en soit.   179 Bourgeoise, avec un « g » dur picard.   180 L’imprimeur, ou le manuscrit qu’il avait sous les yeux, anticipe un doublon fautif et incomplet du triolet 368-375.   181 Les coups de bâton sont un remède contre les démangeaisons sexuelles.   182 Sournois meurtrier, tu m’as tuée.   183 Entendant crier sa maîtresse, il vient aux nouvelles.   184 Puisque vous vous trouvez sur mon chemin.   185 Je vous recommande. Cf. la Laitière, vers 75.   186 F : sert  (Verbe férir.)  Comme il frappe des parties du corps qui ne sont pas protégées par une armure ou un casque ! « Et le fiert à descouvert tellement qu’il l’abat à terre, mort. » Guy de Warvich.

LA LAITIÈRE

Recueil Trepperel

Recueil Trepperel

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LA   LAITIÈRE

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Les savetiers, bons vivants qui passent leur temps à boire et à chanter, incarnent la profession artisanale la plus prisée des farces. Les sergents y représentent la profession la plus méprisée. Quant aux peu farouches laitières, malgré leur bagout et leur sens de l’injure, elles ne furent mises à l’honneur que dans cette pièce picarde1 écrite à la fin du XVe siècle.

Source : Recueil Trepperel, nº 31.

Structure : Rimes plates, avec 9 triolets.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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Farce nouvelle

À trois personnages, c’est assavoir :

       LE  SAVETIER  [Gaultier la Haire]

       LE  SERGENT

       et   LA  LAITIÈRE  [Thomasse]

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                        LA  LAITIÈRE

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                     LE  SAVETIER  commence en chantant : 2     SCÈNE  I

        Bon vin, je ne te3 puis laisser ;

        Je t’ay m’amour donnée.

        Hen, par la Vierge couronnée4 !

        C’est grant bien de boire au matin,

5      Et est chose bien ordonn[é]e.

        Hen, par la Vierge [couronn]ée !

        Ma voix est a[u]ssi enroullée5

        Comme est l’antrée d’un vieil patin6.

        Hen, par la Vierge [couronn]ée !

10    C’est grant bien de boire au matin ;

        On en parle meilleur latin,

        Et si, en chante-l’en trop mieulx :

        « Souliers vieulx ! [Souliers] ! Houseaux vieulx !7 »

        Hau ! Bellet8, estes-vous léans ?

15    Hau ! Par Saincte-Croix d’Orléans !

        Je croy qu’elle soit au moustier9.

        Reprendre10 me convient mestier

        Et besongner de bonne guise,

        Affin au moins — s’elle m’advise —

20    Que je ne soye pas tencé.

                        Il chante :

        Mainte follie avez pensé,

        Ma gracieuse godinette11.

        Se j’eusse encor[e] choppinette,

        Je la baisasse12 volentiers.

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                        LE  SERGENT 13                                 SCÈNE  II

25    Foy que [je] doy à mes rentiers14 !

        Je m’en voys sus15 Gaultier la Haire,

        Luy porter mes soulliers reffaire.

        Sang bieu, et ! qu’ilz sont dessiréz16 !

        Saint Jehan ! ilz sont fort empiréz

30    D’avoir esté en mon service.

        Il ne m’est point chose propice17,

        Toutesfois ; je ne m’en ris point.

        Bien envis18 les voys en ce point.

        Auffort, par Dieu, tel les payeroit19

35    Que jà bon gré ne m’en sauroit.

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        Hau ! Dieu te gard, amy Gaultier !                          SCÈNE  III

        Comment te va-il, puis l’autrier20 ?

        Est point le broullas21 abatu ?

        Or me dy : me refferas-tu

40    Ces souliers que tiens en ma main ?

        Et bien payé par sainct Germain22

        Incontinent tu en seras.

                        LE  SAVETIER

        De ce, ne me soucye pas.

        Monstrez çà… Ung rivet cy fault,

45    Et une pièce par cy hault.

        En cestuy-cy, fault ung quarreau23 ;

        Et [i]cy endroit, ung barreau24.

        Se vous voullez, je le feray.

                        LE  SERGENT

        Sainct Jehan ! bien content en seray,

50    Mais qu’ilz soient bien et beau25 fais.

        Qu’en pairai-ge ?

                        LE  SAVETIER

                                     Par sainct Gervais26,

        Vous en payrez .XV. deniers :

        Ilz ne tiennent ne que paniers27,

        Chacun le peult apparcevoir.

                        LE  SERGENT

55    Ha, dea ! je te fais assavoir

        Que s’ilz28 fussent sains et entiers,

        Ilz passeroient mains sentiers

        Avant que je te les apportasse.

        Je te dyray — le temps se passe — :

60    Tu auras deux blans et choppine29.

        Mais je te pry par amour fine

        Que tu ne les me gaste point.

                        LE  SAVETIER

        Je les mectray en si bon point

        Qu’on n’y trouvera que redire.

65    Revenez les quérir, beau sire,

        Et burons30 d’icy à une heure.

                        LE  SERGENT

        Voulentiers ! Se Dieu me sequeure31,

        Je  revienderay32 tantost bon pas.

                        LE  SAVETIER

        Dea ! toutesfois, n’oubliez pas

70    D’apporter argent avec vous ;

        Ne m’estrénez pas, amy doulx,

        De coquilles33, à ce lundy.

        Entendez-vous ?

                        LE  SERGENT

                                    Adieu te dy !

        De cela, point ne te soucye.

.

                        LE  SAVETIER,  en chantant :              SCÈNE  IV

75    Je la commende34 à Dieu, m’amye,

        En ce printemps nouvellet.

.

                        LA  LAITIÈRE 35                                 SCÈNE  V

        Hau[là] ! Qui veult de ce bon let ?

        Venez au let ! Venez, nourrice36 !

                        LE  SAVETIER 37

        Ma femme, où est le pot au let38 ?

                        LA  LAITIÈRE

80    Haulà ! Qui veult de ce bon let ?

                        LE  SAVETIER

        Estes-vous céans, [h]au, Bélet ?

        Nous sommes bien : ma dame pisse39.

                        LA  LAITIÈRE

        Hau[là] ! Qui veult de ce bon let ?

        Venez au let ! Venez, nourice !

85    Par mon âme ! je suis bien nice40

        D’avoir passé le savetier.

        G’y vois41.

                            Il [me] fault raffaictier42

        Ung[s] soulier[s] qu’ay en ma besace43 ;

        Les ferez-vous ?

                        LE  SAVETIER

                                     Ouÿ, Thomasse,

90    Trèsvolentiers. [Mais] où sont-il ?

                        LA  LAICTIÈRE

        Se Dieu me gard[e] de péril,

        Tout maintenant les monstreray.

        Mais  premier, mon let dessenderay

        À terre, [de] dessus ma teste44.

                        LE  SAVETIER

95    Dame, Dieu en ait mal[e] feste45 !

        Cuidez-vous que cecy me plaise ?

                        LA  LAITIÈRE

        Hélas ! pour Dieu, ne vous desplaise !

        Pas ne l’ay fait à essïent46.

                        LE  SAVESTIER

        Ne m’alez point cy47 essuyant,

100  Mort bieu, c’est villainement fait !

        Monstrez-moy bien tost vostre fait,

        Car j’ay bien autre chose affaire.

                        LA  LAITIÈRE 48

        Tenez. Il leur fault bien reffaire

        [Le nez]49, Gaultier : vécy ung trou.

105  Il le fauldra recoudre ung pou50,

        Et mettre cy ung contrefort ;

        Et là, ung rivet bon et fort.

        Or, les faictes (avez ouÿ ?),

        Car j’en ay bon besoing.

                        LE  SAVETIER

                                               Ouÿ.

110  J’entens bien quant on [me] dit : « Tien51 ! »

        Ilz seront reffais bel et bien,

        Mais sçavez-vous que52 j’en auray ?

                        LA  LAITIÈRE

        Nennil, mais de vous le sçauray :

        Qu’en paierai-ge ?

                        LE  SAVESTIER

                                      À ung brief mot,

115  Seize tournois.

                        LA  LAITIÈRE

                                  Par saint Bergot53,

        Vous en aurez six parisis.

                        LE  SAVETIER

        De Dieu puist-il estre mauldis,

        Dame, qui le vous y fera54 !

                        LA  LÈTIÈRE

        Amen ! Et qui plus en donra,

120  Que je soie, ne croix [ne] pille55 !

                        LE  SAVETIER

        J’aymeroie mieulx, par saint Gille56,

        Que dedans ung feu vous boutasse !

        Et ! comment dea ? Dame Thomasse,

        Vous moquez-vous ainsi des gens ?

                        LA  LÈTIÈRE

125  Je voy que tu es hors du sens,

        Qui57 me veulx ainsi ravaler.

        Scez-tu plus doulcement parler

        Qu(e) ainsi me maudire [de m’arde]58 ?

        Scez-tu qu’il est59, Gaultier ? Se perde

130  Ne veulx du tien, plus ne m’en dy60 !

                        LE  SAVETIER

        Par le sang que je61 respandi !

        Je suis bien taillé62 de plus dire.

        Hé ! dame, me doi-ge bien rire,

        S’ainsi [ravalez le mestier]63

135  D’ung aussi64 noble savetier

        Et honneste que je [le] suy ?

                        LA  LAICT[I]ÈRE

        Glorieuse Dame du Puy65 !

        Regardez quel homme honnorable !

        Quelles mains66 pour servir à table

140  Ou au menger d’u[n] grant seigneur !

                        LE  SAVETIER

        Foy que je doy nostre Sauveur !

        Se d’icy ne vous en allez,

        Et plus67 ainsi me ravalez,

        Très68 orde vieille maquerelle,

145  Je vous donray telle querelle

        Sur vostre nez qu’il y perra69 !

                        LA  LAYCTIÈRE

        Par le corps bieu70 ! il te cuira,

        Ce que tu as dit, savetier.

        Fy de toy et de ton mestier !

150  Tu es si ort que tu pus71 tout.

                        LE  SAVETIER

        Ha ! vie[i]lle [loudière au cul rout]72,

        Sorcière de vin humeresse73,

        Chassïeuse, [orde] estrangleresse

        De petis enfans, [vieille] estrie74 !

155  Je te diray villenn[er]ie75

        Plus [qu’il ne]76 court d’eau au molin.

        Dy, ne congnois-tu point Colin

        Gaïsse77, ce paillart cahu78 ?

                        LA  LAICTIÈRE

        Très ort villain pourry, bahu79,

160  Savetier plain de punaysie80

        Plus que le trou [d’une aaisie]81 !

        Ribault, houlier82 et maquereau !

        Tu ne parles pas du pourceau

        (Te souvient-il ?) que tu emblas83.

                        LE  SAVESTIER

165  Tu as menti, ort viel cabas84 !

        Tu ne di pas parolle vraye.

        Véez ma dame de la Haye85,

        Comment simplement se démaine !

                        LA  LAICTIÈRE

        Hé ! je suis ta fièvre quartaine !

170  « Dame de la Haie » ? [Faulx86] garson,

        Tu mens, je suis de bon regnon87.

        On me congnoit bien, en ma ville.

                        LE  SAVESTIER

        Va là au bordeau88 de Vernon !

                        LA  LAICTIÈRE

        Tu mens, je suis de bon regnon.

                        LE  SAVESTIER

175  Et quoy ! tu fus à Rougemon89,

        Et à d’autres encore mille.

                        LA  LAICTIÈRE

        Tu mens, je suis de bon regnon ;

        On me congnoit bien, [en] ma ville.

        Mais toy, tu es, par Abbeville90,

180  Infâme et de maulvais affaire.

                        [LE  SAVESTIER]

        Par Dieu ! tu pourras bien tant faire

        Qu’elle te tour[n]era la noise91.

.

                        LE  SERGENT 92                                   SCÈNE  VI

        Je croy qu’il est temps que je voise

        Sur93 Gaultier la Haire, sçavoir

185  Se mes souliers pourray avoir.

        Il doit maintenant avoir fait.

.

                        LA  LAICTIÈRE                                    SCÈNE  VII

        Ort savetier lait et infect !

        Çà94, mes souliers ! Si, m’en iray.

        Car, par ma foy, je te feray

190  Adjourner95 avant qu’il soit nuit,

        Ou te soit bel, ou s’il te nuit96.

        Car de cela, point ne me chault.

                        LE  SAVETIER

        Je ne te crains ung est[r]ont chault97

        De chose que [tu] puisses faire.

195  [Et] t’en va hors de mon repaire

        Légèrement98, se tu m’en crois.

                        LA  LAICTIÈRE

        [Très] ort savetier plain de poix,

        Les t’ai-ge99 donc ainsi baillés ?

        Par Dieu ! tu es trop bien taillés

200  De te faire trèsbien froter100.

        Croix bieu ! je te feray101 troter

        Avant long temps devant le juge.

.

                        LE  SERGENT 102                                 SCÈNE  VIII

        J’oy sus Gaultier moult103 grant déluge.

        Il m’est advis que l’on y tence.

205  Aler m’y fault. Sus ! je m’advence104.

.

        Hé ! qu’esse-cy ? Quel tencement,                            SCÈNE  IX

        Foy que doy [à] mon sacrement !

        On vous oyt d’une lieue braire.

        Dictes-moy [cy], sans nul contraire105,

210  Quel noise c’est, ou mal pour106 vous !

                        LE  SAVESTIER

        Or entendez là, amy doulx.

        Vous y mouillerez107 vostre coste.

        Je le diray, quoy qui me couste.

        Ceste bourgoise108 est cy venue

215  — Qui de parler est dissollue —,

        Qui vouloit109 ses souliers reffaire.

        [Et moy,] ne vous vueille desplaire,

        Seize tournois, pour cuir et paine

        Lui demandoy. Mais elle de mal a toute plaine,

220  Sy m’en offrit six parisis,

        Dont pour le cuir en y est dix110,

        Et fût-il d’un cheval venu111.

        Je ne sçay se je suis tenu

        De luy refaire la besongne

225  Pour néant. Et sans [nulle eslongne]112,

        Je dis que point ne les feroie,

        Ou que113 plus paié en seroye.

        Et tout sur piéz114, sachez, de voir,

        Qu’elle a fait si bien son devoir

230  De tencer qu’il n’y a que dire115 ;

        Et n’y a injure, beau sire,

        Je vous prometz, villainement…

                        LA  LAITIÈRE

        Il a menti maulvaisement

        Parmy sa gorge116 diffamée !

235  Car il a la noise entamée117,

        Et m’a tant dit de desplaisir

        Que point n’en auriez de plaisir.

        Car [aus]si, vous le saurez118 bien :

        Il n’enportera rien du mien119,

240  Par Dieu, que je ne le pugnisse !

                        LE  SERGENT

        Je suis ung menbre de Justice

        Et devant moy le démentez ?

        Et encore, vous120 vous vantez

        Que vous-mesmes le pugnirez ?

245  Par sainct Jehan ! vous l’amenderez121.

        Et ! comment dea ? Esse la guise ?

        Je vous adjourne de main mise122

        Contre Gaultier, de relevée123.

                        LA  LAITIÈRE

        Qui es-tu, que m’as adjournée ?

250  Monstre de quoy124 ! Tu es sergent ?

        Veulx-tu abéjaunir la gent125 ?

        [Ha !] certes, tu es bien taillé126 !

        Va aillieurs humer du caillé127,

        Car moy et mes biens te deffens.

                        LE  SERGENT

255  Sanglante128 vie[i]lle hors du sens !

        Vous mocquez-vous ainsi de moy ?

        En prison venrez129, par ma foy !

        Gaultier, ayde[z] à la mener !

        Et puis la lerron130 démener

260  À son gré, ceste131 forcenée.

                        LE  SAVETIER

        Main[é]e ? Tu y seras traînée !

        Avant, vieille, passez ! Avant,

        Vous  receverez ce passe-avant132

        Et tant moins133 sur vostre museau.

                        LA  LAITIÈRE

265  M’as-tu frapp[é]e, ord vil méseau134 ?

        La  croix bieu ! je le te rend[e]ray :

        Car  tout en présent, te fenderay

        Mon pot au let dessus la teste.

        [Oncques ne fut telle tempeste.]135

270  Tien ! En as-tu ? Je croy que ouy.

                        LE  SAVETIER

        Haro ! Je suis tout esblo[u]y136.

        Mais bientost je m’en vengeray :

        Car jamais je ne mengeray

        Ou j’abatray137 (mais que le tienne)

275  Mon pot au noir138 dessus la tienne.

        Ay-ge failly139 ? Nenny, je croy.

                        LE  SERGENT

        Haro ! Et ! qu’esse-cy ? &  pourquoy

        M’as-tu [donc] baillé ceste offrande ?

        Dieu veil[le] que je le te rende !

280  Aveugle suis certainement140.

        Il te coustera bien chèrement,

        Se tu ne t’enfuys du Royaume.

        M’as-tu afublé [de ce]141 heaulme ?

        Il te coustera de l’avoir142.

285  Encore ne le puis-je avoir143.

        Tu es bien mauvais savetier !

                        LE  SAVETIER

        Le sergent veult aler gaitier144 :

        Il la afuble son bas[s]inet145.

        Mais il aura ung loppinet146

290  De ce baston pour luy oster147.

        Je luy ay bien sceu assener148.

                        [LA  LAITIÈRE]

        La male nuyt, [lors, il]149 voit bien.

                        LE  SERGENT

        Et ! vous aurez cecy du mien150,

        Orde vieille ! Et vous, savetier,

295  Des horïons serez rentier151

        Tout vostre sa[o]ul. Tenez, tenez !

        Et si, serez tous deux menéz

        Par moy dedans bonne prison.

                        LE  SAVETIER

        Dea ! vous faictes grant mesprison152,

300  De me frapper ainsi souvent :

        Car je vous prometz et [me vant]153

        Que gecter [le] cuidoye154 sur elle ;

        Mais la faulce155 vieille rebelle

        Si sceut bien [se] tourner de coste156.

                        LE  SERGENT

305  Pour tant compterez-vous à l’oste157

        L’un et l’autre, je le vous jure !

        Avez-vous commis tel injure

        À la personne d’un sergent ?

        Il vous coustera de l’argent

310  Plus que mèshuy vous n’en tenrez158.

        Par le sang bieu ! vous en venrez159

        Tout présent en prison, tous deux.

                        LE  SAVETIER

        Par Dieu ! tu en seras bourdeux160 ;

        [ Car, quant à moy, je n’iray mye.

315  Si mettre en prison tu me veulx,

        Par Dieu, tu en seras bourdeux ! ]161

                        LE  SERGENT

        Sy ferez, par les sains de Dieux162,

        Sans tarder heure ne demye !

                        LA  LAITIÈRE

        Par Dieu ! tu en seras bourdeux ;

320  Car, quant à moy, je n’iray mye.

                        LE  SAVETIER

        Scez-tu quoy, Thomasse, m’amye ?

        Ne souffrons point qu’i nous y maine.

                        LA  LAITIÈRE

        Il fera sa fièvre quartaine !

        Cuide-il gou[v]erner le trosne163 ?

                        LE  SERGENT

325  Trotez164 devant, vieille matrosne !

        Vous y venrez165, veillez ou non !

                        LA  LAITIÈRE

        Se tu me dis pis que mon non166,

        Je te merqueray167 tellement

        Que tu mour[r]as mauvaisement.

330  Laisse-m’aler, se tu m’en croys.

                        LE  SERGENT

        Se je ne suis pendu en croix,

        Avec luy en prison iras.

                        LA  LAITIÈRE

        Par la croix bieu ! tu mentiras168 :

        Je n’iray pas pour ta puissance169.

                        LE  SERGENT

335  Sus, villain ! Premier partiras.

                        [ LE  SAVETIER

        Par la croix bieu ! tu mentiras.

                        LE  SERGENT ]

        Cecy170 ! Fault-il tant de factras ?

        Villain, tu mayneras la dance.

                        LE  SAVETIER

        Par la croix bieu ! tu mentiras :

340  Je n’iray pas pour ta puissance.

                        LA  LAITIÈRE

        Nous cuide-tu faire nuysance ?

        Par Dieu, tu y es bien taillé171 !

        Tu pourras bien estre fouaillé172,

        Se tu vas guères caquetant.

                        LE  SERGENT

345  A ! dea, alez-vous barbetant173 ?

        Je vous y feray bien aller :

        Marchez devant sans plus parler,

        Et prenez autant moins174 cecy.

                        LA  LAITIÈRE

        Qu’esse cy ? Ose-tu faire ainsi ?

350  La croix bieu ! puisque c’est acertes175,

        Payé seras de tes dessertes176.

        Prens ung baston, amy Gaultier :

        Cy luy aprenons son saultier177,

        Et luy faisons chanter la gamme !

                        LE  SAVETIER

355  Or[t] vieil villain puant, bigame :

        Vous jouez-vous donc à nous bastre ?

        Et ung !

                        LA  LAITIÈRE

                      Et deux !

                        LE  SAVETIER

                                     Et trois !

                        LA  LAITIÈRE

                                                    Et quatre !

        Frappe fort, Gaultier : tu te fains178.

                        LE  SERGENT

        Hélas, je me rens ! Hay, les rains !

360  Je vous cry, à tous deux, mercy !

                        LE  SAVETIER

        La char bieu179 ! vous serez fourby

        Tout vostre soûl. Frappe, Thomasse !

                        LA  LAITIÈRE

        Ne te chault, je ne suis pas lasse,

        Puisque je suis enbaufumée180.

365  Nous luy donrons une bourrée181

        Pour luy eschauffer son p(e)lisson182.

                        LE  SERGENT

        Las, vécy bien dure lesson !

        Je vous cry mercy, c’est assez !

                        LE  SAVETIER

        Tu [te fais]183 rebelle, hérisson ?

                        LE  SERGENT

370  Hélas, vécy dure le[s]son !

                        LA  LAICTIÈRE

        De ce baston sarez184 le son,

        Or[t] vi[ei]l villain185. Tenez, passez !

                        LE  SERGENT

        Las, vécy bien dure leçon !

        Je vous cry mercy, c’est assez !

375  J’ay les menbres [très]tous casséz.

        Hélas ! pour Dieu, laissez-m’aler !

                        LE  SAVETIER

        La char bieu ! tu as beau parler :

        Tu ne mourras que par noz mains.

                        LA  LAICTIÈRE

        Non [fais186] ? Par la croix bieu ! au moins,

380  [Je te batray plus que vieulx plastre :]187

        Tien, meschant188 villain chalemastre !

        Regarde se j’en suis maistresse.

                        LE  SERGENT

        Ha ! Nostre-Dame-[de-Liesse]189 !

        Faulces gens, vous m’avez tué.

385  Je suis mort, il en est sué190.

        Par Dieu il vous sera rendu191.

                        LE  SAVESTIER

        Escoute : l’as-tu192 entendu ?

        Le truant encore menasse193.

                        LA  LAICTIÈRE

        Que dis-tu194 ?

                        LE  SERGENT

                                  Je vous cry[e] grâce195.

390  Lessez-moy aller.

                        LE  SAVETIER

                                      Feray ?

                        LE  SERGENT

                                                     Ouy !

                        LE  SAVESTIER

        Char bieu ! ne l’as-tu pas ouÿ ?

        Le gecterons-nous en ung puis ?

                        LA  LAYCTIÈRE

        Je te prie tant que je puis

        [Que d’ung point]196 tu me veilles croire,

395  Affin que plus n’en soit mémoire197 :

        C’est qu’en ton sac198 nous le mectons

        Bien lyé, et puis le gectons

        Au fons d’une [orde] chambre coie199.

                        LE  SAVETIER

        Saint Jehan ! je veil que crevé soie.

400  Que noyé fust-il en ung lac200 !

        Tiens-le, je vois quérir mon sac

        Où il sera mis, par saint Pierre !201

                        LA  LAICTIÈRE

        Avant, villain plus dur que pierre !

        Dedens ce sac vous fault bouter.

                        LE  SERGENT

405  Hélas ! veillez-moy escouter :

        Vous m’avez fait ung grant diffame202.

        Lessez-moy aller à ma femme ;

        En l’honneur Dieu [je vous requier]203 !

                        LE  SAVESTIER

        Foy que [je] doy à saint Riquier204 !

410  Ribault, vous y serez bouté.

                        LA  LAICTIÈRE

        Je te dosseray205 le costé,

        Se tant ne quant206 tu te deffens.

                        LE  SERGENT

        Hélas ! ma femme [et] mes enfans207,

        Adieu vous di : je voys mourir.

                        LE  SAVETIER

415  Sus, villain, boutez-vous dedens !

                        LE  SERGENT

        Hélas, ma femme et mes enfans !

                        LA  LAICTIÈRE

        Se le sac tout au long ne fens208,

        Nous te garderons bien de courir.

                        LE  SERGENT

        Hélas ! ma femme et mes enfans,

420  Adieu vous dy : je vois mourir.

        Hé ! vray Dieu, veillez regarede

        Mon âme, à ce départir.

                        LA  LAICTIÈRE

        Sus, sus, il est temps de partir !

        Gaultier, troussons-le sus ton col.

                        LE  SAVETIER

425  Il fault jouer au chappifol209 :

        Danssons sur le sac ung petit210,

        Car il m’en est prins appétit.

        Esbatons-nous-[y, en]211 tandis.

                        LA  LAICTIÈRE

        Je le veil. Quant tu l’entendis212,

430  Par saint Jehan, à ce fait pensoye.

                        LE  SERGENT

        À la mort ! Hélas ! que je soye

        Bien tost gecté où je doys estre

        Sans tant languir213.

                        LE  SAVETIER

                                         Ha ! dea, beau maistre,

        Vous aurez absolution :

435  Après [vo confirmation]214,

        C’est bien raison que vous l’aiez.

                        LA  LAICTIÈRE

        Dea ! il fault que vous essaiez

        Aussi bien du mal que du bien215.

                        LE  SERGENT

        Maugré ma vie ! je le scez bien.

                        LE  SAVETIER

440  Escoutez là, il veult prescher.

                        LA  LAICTIÈRE

        Sus, sus ! il le fault deppescher216

        De tout poins, c’est trop attendu.

        Il fault qu’il ait le test217 fendu :

        Autrement, il ne moura mye.

                        LE  SERGENT 218

445  Par ma foy ! je suis mort, ma mye.

        Je ne di mot. Vous avez tort.

                        LE  SAVESTIER

        Frappe tousjours tant219 qu’il soit mort,

        Et puis nous ferons le surplus.

                        LE  SERGENT

        Je suis mort, je ne parle plus.

450  Par Dieu ! je suis oultre piéçà220.

                        LA  LAICTIÈRE

        Mort221 seras-tu, il est conclus.

                        LE  SERGENT

        [Je] suis mort, je ne parle plus.

                        LE  SAVETIER

        Frappez, frappez tousjours dessus !

        Il se remue par-deçà.

                        LE  SERGENT

455  Je suis mort, je ne parle plus.

        Par Dieu ! je suis oultre piéçà.

                        LA  LAICTIÈRE

        Scez-tu qu’il est, Gaultier ? Vien çà :

        Il est mort. Trousser le nous fault

        Sur ton col.

                        LE  SAVETIER

                              Or sus, liève hault !

460  Encor(e) ! Saincte sang bieu, qu’il poise222 !

        Ha, dea ! Je veil (comment qu’il voise223)

        Que le soustenez par-derrière.

                        LA  LAICTIÈRE

        Que fust-il dedans la rivière224 !

        Encore se remust-il fort.

                        LE  SERGENT

465  Par Dieu, non fais ! Ay ! à la mort !

        Je suis jà mort passé troys jours225.

                        LE  SAVETIER

        Frappe bien [ce mort] : il me mort226.

                        LE  SERGENT

        Par Dieu, non fais ! Ay ! à la mort !

                        LA  LAICTIÈRE

        Le dyable vit-[il oncq]227 tel mort ?

470  La croix bieu ! il parle tousjours.

                        [ LE  SERGENT

        Par Dieu, non fais ! Ay ! à la mort !

        Je suis jà mort passé troys jours.

                        LA  LAICTIÈRE ]

        Il a [fini ses]228 derniers jours.

        Or, sans faire plus de procès,

475  Gectons-le au fons des retrais229

        Ainsi qu’avons délibéré.

                        LE  SAVETIER

        Par la mort bieu (c’est bien juré),

        Il sera fait ! Or sus, laictière !

        Aide-moy et soustiens derrière.

480  Alons le porter audit lieu.

        Qu’il poise, bon gré en ait bieu !

.

        ………………………. 230

        Messieurs, et aussi raconter.

        Je pry(e) Dieu que puissez trouver

        Par-delà231, en corps et en âme,

485  Tous [deux] ensamble, par mon âme,

        Le sergent et le savetier.

        Adieu, Messieurs ! Je [vois pyer]232.

.

                                             EXPLICIT

*

1 Ses précédents éditeurs l’ayant qualifiée de normande, je donnerai en notes les raisons pour lesquelles je pense qu’elle a été conçue dans la région d’Abbeville.   2 Par anticipation, Trepperel a déjà placé cette didascalie avant le titre et la gravure. Dans les farces, beaucoup de savetiers commencent en chantant. Celui-ci est chez lui, accoudé à l’éventaire de son échoppe, qui donne sur la rue. Derrière lui, on devine son logis, où sa femme (qui n’apparaîtra pas) est censée vaquer à ses occupations.   3 T : le  (Cette chanson est notée dans le ms. de Bayeux.)   4 T : honoree  (Pour la rime et pour la mesure, je corrige aussi les refrains 6 et 9, qui comportaient la même négligence : le manuscrit de base n’indiquait que les premiers mots des refrains de triolets.)  « Nous remercions Dieu,/ Aussi la Vierge couronnée. » ATILF.   5 « ENROUILLÉ : Rouillé. » René Debrie, Glossaire du moyen picard.   6 Semelle de bois qu’on porte sous la chaussure pour l’isoler du froid ou de la boue. Les comparaisons du savetier ne montent pas supra crepidam.   7 Cf. les Sotz ecclésiasticques, vers 176. Ce cri public des savetiers ambulants était parfois chanté.   8 Diminutif d’« Isabelle », comme au vers 81. « Je congnois Biétris [Béatrice] et Bélet. » (Villon.) Gautier se retourne pour appeler sa femme ; elle n’est pas là. Léans = là-dedans.   9 Au monastère. C’est effectivement là que les épouses délaissées vont chercher un peu d’affection auprès des moines en rut.   10 T : Aprendre  (Il faut que je reprenne le travail.)   11 Mignonne. Cette chanson n’a pas été retrouvée.   12 Baiser la chopine = boire.   13 Dans la rue, avec une paire de vieilles godasses à la main.   14 À ceux qui me payent régulièrement leurs amendes. Les sergents tenaient lieu d’huissiers, une charge dont ils abusaient. Voir Lucas Sergent.   15 Je m’en vais chez.   16 Déchirés.   17 Ce n’est pas une bonne chose pour moi.   18 C’est bien malgré moi que je… Cf. le Ribault marié, vers 222.   19 T : payera  (Je corrige aussi la rime saura.)  Celui qui les achèterait ne m’en remercierait pas.   20 Depuis l’autre jour, où nous nous sommes soûlés dans une taverne.   21 Le brouillard, les brumes de l’ivresse.   22 Saint Germain l’Écossais — dont les reliques reposaient à Amiens, en Picardie — exécute ici un nouveau miracle : il paye les dettes des sergents.   23 Une pièce de cuir.   24 Une fibule pour fermer la chaussure.   25 « BIEN ET BIAU : Bel et bien. » Debrie, Glossaire du moyen picard.   26 Par jeu, Gautier attribue à saint Gervais le miracle que le sergent attribuait à saint Germain (note 22).   27 Pas plus solidement que des paniers d’osier. Gautier prend le public à témoin.   28 T : filz   29 T : chappine  (10 deniers, et une chope de vin à la taverne.)   30 Nous boirons.   31 T : seqineure  (Me secourt, me vient en aide. « Se Dieu me sequeure. » Serre-porte.)   32 L’éditeur parisien a supprimé les « e » svarabhaktiques picards intercalés dans des verbes au futur, et il a donc rallongé d’une syllabe tous les vers amputés par cette suppression. Mais il a omis d’enlever quatre de ces « e » picards, et a néanmoins rallongé les vers où il les a laissés : 68, 93, 263 et 267.   33 T : coruee  (Ne me payez pas de miracles, car vous êtes mon premier client de la semaine. « Bailleur de coquilles : un menteur ou trompeur. » Antoine Oudin.)   34 Je la recommande. « Je vous commande à Dieu. » (Le Cuvier.) Cette chanson est inconnue.   35 Elle pousse le cri public des laitières ambulantes, « sur sa teste ayant un pot au lait/ Bien posé sur un coussinet », comme celle dont La Fontaine narrera la maladresse en concluant : « Le récit en Farce en fut fait ;/ On l’appella le Pot au lait. » Rabelais <Gargantua, 33> affirme que le personnage principal de cette farce aujourd’hui perdue était un cordonnier.   36 Ce cri moqueur veut faire croire que les nourrices, réputées alcooliques, achètent du lait pour le boire. « Il faut du vin pour la nourrisse, affin qu’elle ayt plus de laict. » (Pierre de Larivey.) Voir la Nourrisse et la Chambèrière.   37 Il se retourne en quête de sa femme, Bellet ; mais elle n’est toujours pas revenue du monastère.   38 Notre pot vide que la laitière va remplir. Le versificateur considère « pot-au-lait » comme un mot indépendant qui peut donc rimer avec « lait », de même que « pot-au-feu » peut rimer avec « feu ». Un des cris publics des laitières était : « Aportez le pot au laict ! » Les Cris de Paris.   39 Elle est allée pisser. Adaptation de circonstance du vers proverbial : « Nous sommes bien, ma dame sue. » Voir la note 27 du Dorellot.   40 Bête. La laitière a dépassé l’échoppe du savetier.   41 J’y vais. Idem vers 26, 401 et 414. La laitière se campe devant le savetier.   42 Raffaiter, raccommoder.   43 T : maison  (Uns souliers = une paire de souliers. « Ilz chaussent ungz vielz brodequins. » Guillaume Coquillart.)  Gautier sort de l’atelier pour mieux voir l’ouvrage.   44 Elle attrape son pot de lait ; d’un geste maladroit, elle en renverse une partie sur Gautier.   45 En soit mal fêté. « Çà ! que Dieu en ait malle feste ! » Les Chambèrières et Débat.   46 Je ne l’ai pas fait exprès. Sur l’établi où elle a posé son pot, Thomasse prend un chiffon sale et elle essuie Gautier, qui passe du blanc au noir. Nous verrons que cette farce est une des plus salissantes du répertoire.   47 T : icy  (Ne m’essuyez pas.)   48 Elle tire les souliers de sa besace.   49 T : Venez  (Le bout, la pointe.)   50 Un peu. Cf. Chagrinas, vers 251.   51 Tiens : quand on me parle du paiement. « J’ois trèsbien quant on me dit : “Tien !” » Les Menus propos.   52 Combien d’argent.   53 La plaisanterie sur les saints payeurs de dettes continue. Celui-ci n’est pas identifié ; notre laitière délurée invoque peut-être le phallique saint Bidaut, héros d’un sermon joyeux, le Trespassement sainct Bidault, nommé deux fois dans le Vendeur de livres.   54 Celui qui vous fera les réparations. Mais aussi : Celui qui vous fera l’amour.   55 Et que je sois maudite également si je suis celle qui vous donnera plus que zéro centime. Ni croix ni pile = ni le côté face, ni le côté pile d’une monnaie. Que je sois = si je suis celui (ou celle) : « Il puisse mescheoir à celuy/ Qui vous y menra que je soie [si je suis celui qui vous y mènera] ! » L’Aveugle et Saudret.   56 Une église d’Abbeville lui est consacrée.   57 Toi qui.   58 T : deardre  (Les Picards amuïssaient le « r », comme en témoigne la rime perd(r)e au vers suivant, et leur « a » ressemblait à un « è » : merquer, v. 328. En résumé, la laitière croit dire « Me menacer de me brûler », mais elle dit : « M’enduire de merde. »   59 Sais-tu quoi ? Idem vers 457. « PERDE : Perdre. » Debrie, Glossaire du moyen picard.   60 T : dyt  (Voir le vers 39.)  Si tu ne veux pas perdre de ton argent, ne m’insulte pas plus.   61 Litote permettant de ne pas jurer sur le nom de Dieu. D’autres emploient « bieu » (Beaucop-veoir et Joyeulx-soudain, v. 347), ou même « bœuf » (Serre-porte, v. 467).   62 Je suis de taille à, je suis capable de. Idem vers 199 et 342.   63 T : raualer le mestur   64 T : ainsi  (Influence du vers précédent.)   65 À Abbeville, la confrérie Notre Dame du Puy de la Conception récompensait tous les ans des poèmes écrits à la gloire de Marie. C’était une des concurrentes picardes des palinods de Rouen. Le début de cette farce est lui-même une impitoyable palinodie des poèmes qui concourraient.   66 Les savetiers, qui manipulent de vieilles semelles et de la poix, ont les mains très sales. Cf. la Ruse et meschanceté des femmes, vers 24 et 81. La poix, dont il va être beaucoup question, permet de durcir et de lubrifier le ligneul, le fil en poil de porc qui sert à coudre le cuir.   67 Et si davantage.   68 T : dehors  (A ! très orde vielle truande ! » Le Munyer.)  T intervertit ce vers et le suivant.   69 Qu’une marque apparaîtra (verbe paroir). Cf. le Pasté et la tarte, vers 267.   70 T : bien  (Par le corps de Dieu !)   71 Tu es si sale que tu pues.   72 T : londie au cul rond  (Loudière : mot picard désignant une femme de mauvaise vie. Cf. le Mince de quaire, vers 170, 179, etc.)  Rout = rompu : « Faire bancque route. » Une femme a le cul rompu à force de coïter : « Ma mye, qui as le cul rompu. » L’Homme à mes pois.   73 Buveuse. Voir le vers 253.   74 Stryge, sorcière qui tue les enfants. « C’est une estrie barbelée [barbue]/ Qui a porté “verge” pelée. » Roman de Renart.   75 Des vilenies, des chicanes de paysans. « Ces petites villenneries sont indignes des roys. » Blaise de Vigenère.   76 T : ne qui  (« MOLIN : Moulin. » Debrie, Glossaire du moyen picard.)   77 Nom inconnu. Peut-être faut-il corriger Galisse, qui est le nom picard du calice, un vase à boire : « Elle li présenta un galice plain de venin couvert de vin. » ATILF.   78 Ce chat-huant : ce noctambule.   79 Il peut s’agir d’une faute (mais laquelle ?), ou d’une insulte picarde qui n’a pas prospéré dans la langue écrite, ou du nom propre Bahu, qui semble désigner l’un de ces dieux musulmans qui foisonnent dans les passages les plus injurieux des Mystères : « Truant, paillart maugré Bahu !…./ Maugré en ait Tarvagant ! » Mystère de saint Martin.   80 T : punaysies  (De puanteur. « Puant/ Vilain remply de punaisye ! » L’Aveugle et Saudret.)   81 T : dane asies  (D’un lieu d’aisance. « Aésies (…) par lesquelles ordures, fiens, vuidages de maisons et autres choses arrivoient dans l’abreuvoir. » Arch. mun. Rouen.)   82 Débauché. C’est encore un mot picard.   83 « AMBLER : Voler. » Debrie, Glossaire du moyen picard.   84 Sale et vieille prostituée au sexe trop large. Cf. les Chambèrières et Débat, vers 380 et note.   85 Qui fait l’amour avec le premier venu à l’abri d’une haie. « En l’ombre d’une haye/ Nous ferons nostre tripotaige. » (Régnault qui se marie.) On surnommait les femmes galantes selon leur spécialité ; ainsi, la chambrière du Cousturier et Ésopet devient « madame du Ménage ». Tôt ou tard, elles allaient voir la sage-femme, « madame de Manicon » (A. Oudin).   86 Perfide. « Faux garson, tu m’as affollé. » Mahuet.   87 Renom.   88 Au bordel. Vernon-sur-Seine est en Normandie ; l’auteur a peut-être mentionné la ville picarde de Clermont.   89 T : rougarnon  (Le typographe a confondu le « e » avec un « a », et les 3 jambes du « m » avec les 3 jambes de « rn ».)  Tu te donnas à Rougemont. D’après les généalogistes, « c’est dans le Pas-de-Calais que le patronyme Rougemont est le plus répandu ».   90 T : ceste ville  (À la rime, ce qui est anormal de la part d’un versificateur aussi scrupuleux.)  Abbeville était l’un des centres intellectuels et artistiques de la Picardie.   91 Qu’Abbeville retournera contre toi cette querelle.   92 Près de chez lui.   93 Que j’aille chez (note 15).   94 Rends-moi.   95 Assigner devant un tribunal. Idem vers 247.   96 Que cela te plaise ou non.   97 Je ne crains pas plus qu’un étron chaud.   98 Rapidement.   99 T : taiges  (Te les ai-je donnés, mes souliers que tu refuses de me rendre ?)   100 Tu es de taille à te faire battre.   101 T : seray   102 Dans la rue, pas très loin.   103 T : mouit  (J’entends chez Gautier une grande tempête.)   104 T : mauuence   105 « CONTRAIRE : Adversité. » Jules Corblet, Glossaire étymologique et comparatif du patois picard ancien et moderne.   106 T : par  (Ou cela ira mal pour vous. « Arrière touz !/ Faites-nous voie, ou mal pour vous ! » Miracle de saint Jehan le Paulu.)   107 T : mouleres  (Vous y mouillerez votre cotte : vous en aurez des sueurs.)   108 Cette bourgeoise, avec un « g » dur picard.   109 T : pour   110 Alors qu’il y en a déjà 10 pour le cuir.   111 Ce cuir ne convient pas aux chaussures. En 1562, on interdira aux cordonniers genevois de « mettre quartiers de cuyr de cheval avec le cuyr de vache, et ny faire aulcungs solliers de cuyr de cheval ».   112 T : mille eslongue  (Sans nul délai. « Sotin, approche sans eslongne ! » Le Prince et les deux Sotz.)  Pour néant = pour rien, gratuitement.   113 T : de   114 Sur le champ. Cf. le Capitaine Mal-en-point, vers 670. De voir = de vrai, en vérité.   115 T : deri  (Qu’il n’y a rien à redire. Cf. l’Arbalestre, vers 233.)   116 Avec sa bouche. « Il a menty parmy la gorge. » Les Queues troussées.   117 T : entamdd  (C’est lui qui a entamé la dispute.)   118 T : sauiez   119 Il n’emportera pas les chaussures que je lui ai données à réparer.   120 T : outre   121 Vous me le paierez.   122 Je vous assigne à comparaître par la force. « Je t’institue mon sergent/ Pour les adjourner de main mise. » Le Roy des Sotz.   123 À l’audience de l’après-midi. Le berger de la Farce de Pathelin est lui-même ajourné « de relevée » par un sergent (vers 1032 et 1075).   124 Prouve-le. « Je monstreray de quoy. » Les Femmes qui font refondre leurs maris.   125 Veux-tu rendre les gens béjaunes, les abêtir ?   126 La laitière se moque de ce gringalet. « Pour ung homme moyen,/ Tu es bien taillé ! » La Pippée.   127 Le lait caillé est la nourriture des enfants et des fous. Cf. Troys Gallans et Phlipot, vers 392.   128 Maudite. Cf. Grant Gosier, vers 18.   129 T : verrez  (Vous viendrez. « À jubé venrez. » Les Sotz escornéz.)  Ce futur picard peut effectivement s’écrire verrez, mais ce n’est pas la forme qui figurait à la rime de 311.   130 « LAIRONS : Laisserons. » Debrie, Glossaire du moyen picard.   131 T : cest fort   132 Ce coup. Cf. Grant Gosier, vers 166.   133 À tout le moins. Idem vers 348. « Vous aurez cela [ce coup de bâton] et tant moins ! » Le Messager et le Villain.   134 T : museau  (à la rime.)  Méseau [lépreux] ne servait plus que d’insulte : « Me tueras-tu, traistre larron,/ Méseau pourry ? » La Mauvaistié des femmes.   135 Vers manquant. J’emprunte le vers 123 de la Folie des Gorriers. Thomasse vide son pot sur la tête du savetier.   136 Aveuglé par le lait qui me coule sur la figure.   137 T : ia tairay  (Je fais vœu de ne plus manger tant que je n’aurai pas abattu…)   138 La boîte métallique qui contient la poix. Le savetier rate la laitière et coiffe le sergent avec la boîte renversée, dont la poix dégouline lentement.   139 T’ai-je manquée ?   140 T : entamement  (Le typographe a confondu le « c » initial avec un « e », et les 3 jambes de « in » avec les 3 jambes d’un « m ».)   141 T : le  (M’as-tu coiffé de ce casque ?)  « AFULER : Coiffer, couvrir. » Debrie, Glossaire du moyen picard.   142 De l’argent.   143 Je ne peux le décoller de ma tête. Gautier va l’aider à sa manière au vers 290.   144 Guetter. Les sergents du guet nocturne portent un casque nommé « bassinet ». Cf. la Folie des Gorriers, vers 30.   145 « BASINET : Casque de fer fait en forme de bassin. (Coutumier inédit de Picardie.) » Corblet, Glossaire du patois picard.   146 Un petit coup.   147 Pour lui ôter son casque. En réalité, le savetier l’enfonce d’un coup de bâton.   148 « ASSENER : Frapper. » Debrie, Glossaire du moyen picard.   149 T : y  (Il est maintenant aveugle. « Qu’en malle [mauvaise] nuyct/ Soyez-vous ! » Actes des Apostres.)  Ce vers est dit par la laitière, puisque le sergent lui répond.   150 De mon bâton. Les sergents portent une « masse », un bâton en plomb argenté. Cf. Lucas Sergent, vers 45 et 142.   151 T : rentes  (Vous recevrez mes coups régulièrement, comme une rente.)   152 Une action méprisable. Cf. la Nourrisse et la Chambèrière, vers 228.   153 T : couuient  (Je vous affirme. « Je te promet et si me vant/ Qu’à tous les jours de ton vivant/ Riche seras. » ATILF.)   154 Que je pensais jeter le pot de poix.   155 La perfide. Idem vers 384.   156 Sur le côté. « Planter ung beau rosier cheuz l’oste (…),/ Le bonnet renversé de coste. » G. Coquillart.   157 Pour tout cela, vous paierez le gardien de la prison. Les geôliers des Mystères sont plaisamment comparés à des hôteliers : dans les Tyrans, Braihaut tient une pension (v. 134) où il festoie des marchands (v. 142) que lui confient les sergents : « Allons les loger chez Brayhault,/ Et luy recommandons ces hostes. »   158 Plus que vous n’en tiendrez jamais. C’est encore un futur picard.   159 T : verrez  (Vous viendrez. Sur ce futur picard, voir la note 129.)   160 « BOURDEUX : Menteur. » Corblet, Glossaire du patois picard.   161 L’éditeur a sauté 2 refrains et un vers du triolet A(BaA)abAB.   162 Par tous les saints !   163 Se prend-il pour le roi ?   164 T : Toutesfois  (Voir le v. 347.)   165 T : verrez  (Vous y viendrez, que vous le veuillez ou non.)   166 Si tu m’injuries. « Je te donray des souffletz quatre,/ Se tu me dis pis que mon nom ! » La Nourrisse et la Chambèrière.   167 Je te marquerai, te blesserai.   168 Tu n’auras pas dit la vérité.   169 Quelque force que tu y mettes.   170 Ça, par exemple ! Cf. le Monde qu’on faict paistre, vers 246. Tant de fatras = tant de chichis. Cf. le Mince de quaire, vers 90.   171 T : baille  (Tu es vraiment de taille ! Voir les vers 132 et 199.)   172 T : froulle  (« FOUAILLER : Fouetter, fustiger. » Corblet, Glossaire du patois picard.)   173 Marmonnez-vous ?   174 À tout le moins. Voir le v. 264. Le sergent leur donne des coups avec sa masse.   175 C’est dit sérieusement. « A ! ribault, l’as-tu dit à certe ? » ATILF.   176 Des services que tu nous a rendus. Cf. Frère Fécisti, vers 302.   177 Son psautier : apprenons-lui les bonnes manières.   178 Tu fais semblant (verbe se feindre). « Mauldict soyt-il qui se faindra/ De fraper ! » Le Raporteur.   179 Par la chair de Dieu ! Idem vers 377 et 391.   180 T : en bau fumee  (En colère. « Se maistre Olivier se boffume. » G. Coquillart.)  En Normandie, « embaufumé » = empesté.   181 « BOURÉE : Réprimande. » Corblet, Glossaire du patois picard.   182 Le cuir, la peau.   183 T : tesfais  (Le Mistère du Viel Testament dit : « Aussi rebours que hérissons. »)   184 Vous saurez, quand il résonnera sur votre tête.   185 Sale vieux bouseux. Voir le vers 355.   186 Tu ne meurs pas ? Voir le vers 465.   187 Vers manquant. J’emprunte le vers 138 du Cuvier.   188 T : ort  (Cette correction fut proposée par Eugénie Droz et Halina Lewicka en 1961, puis entérinée par André Tissier en 1994. Un chalemastre est un homme de rien.)  Ici, comme dans le marchandage des vers 114-118, on repère l’influence de la Farce de Pathelin : « Le meschant villain challemastre. »   189 T : quel dieesse  (Invocation au pèlerinage de Notre-Dame-de-Liesse, en Picardie.)  Avec la variante « Lience », qui est plus ancienne, on trouve ce même vers dans les Frans-archiers qui vont à Naples, et dans Chagrinas.   190 C’en est fait de moi. Cf. Beaucop-veoir et Joyeulx-soudain, vers 198.   191 Dieu vous le rendra !   192 T : la/as tu  (Gautier s’adresse à Thomasse.)   193 T : menassy   194 T : dist tu  (Thomasse interroge le sergent.)   195 T : mercy  (« Cri-e » compte pour 2 syllabes.)   196 T : Dung point que  (Que tu veuilles me croire sur un point.)   197 Afin que le sergent sorte définitivement de nos mémoires.   198 Le grand sac où les savetiers ambulants mettent les chaussures. À propos des personnages de farces qui finissent dans un sac, voir la note 150 du Villain et son filz Jacob.   199 T : coies  (Je corrige soies à la rime.)  D’un cabinet d’aisance, d’une fosse septique. « L’évesque (…) fist geter son corps, qui estoit très puant, en une chambre coye. » (ATILF.) La scène finale est faussement dramatique : la laitière et le savetier s’amusent à faire croire au sergent qu’ils vont le noyer dans des excréments, mais ledit sergent ne meurt que de peur. Beaucoup plus inquiétante est la fin du Pourpoint rétréchy, où deux des protagonistes ont réellement l’intention de noyer leur compère dans un fossé.   200 T : bac   201 Gautier attrape dans l’échoppe son sac vide.   202 T : dõmaige  (« Ce sont pour vous de grands diffames. » Les Hommes qui font saller leurs femmes.)   203 T : vous iequier  (Au nom de Dieu je vous le demande. Cf. le Roy des Sotz, vers 374.)   204 C’est lui qui avait évangélisé la Picardie. L’abbaye de Saint-Riquier fut le fondement d’Abbeville, la ville de l’abbé.   205 Frapperai.   206 Si un tant soit peu.   207 Le sergent veut nous apitoyer sur sa famille alors que, d’après le vers 355, il entretient un autre ménage.   208 Si tu ne déchires pas le sac de haut en bas. Notons que la tête du sergent dépasse du sac, pour que le public puisse l’entendre et voir ses grimaces.   209 Le jeu du capifol consiste à donner une tape à un joueur aux yeux bandés, lequel doit deviner qui l’a touché. Le Jeu du capifol met en scène ce jeu d’une manière aussi cruelle que notre farce.   210 Un peu. Thomasse et Gautier piétinent le sac.   211 T : ung  (Cependant. « Va quérir les verges, en tandis. » Le Ribault marié.)   212 Quand tu y songeas.   213 Sans souffrir pour rien.   214 T : vostre confession  (L’éditeur parisien a pu vouloir compléter le pronom picard vo [votre] sans nuire à la diérèse.)  La confession se terminait par la confirmation, un petit soufflet sur la joue qui donnait droit à l’absolution des péchés. Il n’y a pas ici de confession, mais bien une confirmation !   215 Que vous ayez du mal, après avoir eu du bien.   216 Expédier, achever. Mais aussi : « DESPESCHIER : Dépecer. » Debrie, Glossaire du moyen picard.   217 Le crâne.   218 Il tâche de faire le mort.   219 Jusqu’à ce.   220 Je suis depuis longtemps de l’autre côté.   221 T : Moit  (Tu vas mourir, c’est décidé.)   222 Qu’il pèse ! Idem vers 481. La formule « sainte sang bieu » est figée : cf. Mahuet, vers 111.   223 Je veux, quoi qu’il advienne.   224 « Que fussent-ilz à la rivière ! » Le Capitaine Mal-en-point.   225 Depuis plus de 3 jours.   226 Rappelons que la tête du sergent sort du sac.   227 T : oncques  (Vit-il jamais.)   228 T : fait ces   229 Des latrines : vers 398.   230 Les 2 premiers vers du congé au public sont perdus.   231 T : De dela  (Dans l’au-delà : en enfer. « Et les paines de par-delà/ Sont trop plus griefs que ceulx de çà [que celles d’ici]. » ATILF.)   232 T : vins yer  (L’ultime vers d’une pièce peut renfermer une annonce publicitaire de la troupe ; voir par exemple le v. 345 des Queues troussées. Mais ces autopromotions concernent l’avenir, jamais le passé.)  Je vais boire. « PIER : Boire. » Corblet, Glossaire du patois picard. La sottie de Maistre Doribus finit d’une manière analogue : « Car je m’en voys trèstout courant/ Boire une foys à chère lye. »

SCIENCE ET ASNERYE

Ms. La Vallière

Ms. La Vallière

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SCIENCE  ET

ASNERYE

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Cette farce moralisée, écrite en Normandie vers 1499, comporte comme il se doit des personnages allégoriques : Science représente la connaissance théologique (et non pas la connaissance scientifique). Ânerie représente l’arrivisme des ecclésiastiques qui obtiennent les meilleurs postes par la corruption et non par le mérite. Le clerc d’Ânerie est un personnage de farce, un rôle de Badin, nom sous lequel les rubriques le désignent.

L’auteur craint que les bassesses et les insuffisances du clergé ne provoquent un rejet, qui se produira effectivement avec la Réforme. Cet auteur pourrait être Pierre de Lesnauderie (1450-1524), dont on retrouve ici toutes les qualités et tous les défauts. À l’époque où je situe l’œuvre (~1499), il professait à l’université de Caen. Il a signé deux autres pièces de théâtre : la sottie de Pates-ouaintes (1493) étrille les autorités royales et ecclésiastiques qui voulaient nuire aux privilèges fiscaux dont jouissait l’université de Caen. La Cène des dieux (~1497) est une moralité chrétienne jouée par les dieux de l’Olympe ; pour punir le genre humain, ils ne lui envoient pas un inefficace déluge, mais la syphilis.

Source : Manuscrit La Vallière, nº 50.

Structure : Rimes abab/bcbc, rimes plates, avec une ballade initiale et des quatrains à refrain.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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Farce nouvelle

À quatre personnages, c’est asçavoir :

       SCIENCE,

       SON  CLERQ.

       ASNERYE,

       et  SON  CLERQ,  [maistre Johannès], qui est Badin.

*

                        SCIENCE  commence 1                         SCÈNE  I

        Tant de fins tours, tant de finesses2,

        Tant de maulx [et] tant de rudesses,

        Pertes, exès, calamytés !

        Les uns eslevés en richesses,

5      Nobles délaissans leurs noblesses,

        Faisant tort aulx communités3.

        Tant de sos4 mys en dignités,

        Tant de gens plains d’iniquictés,

        Et tant de gens sans consience !

10    Tant de pompes5 et vanités !

        Et toutes ces énormytés

        On faict sans moy, qui suys Science.

.

        J’ey veu que j’estoys florissante,

        Aulx cœurs des princes reluysante ;

15    Qu’on prisoyt mes faictz et mes dis.

        Mais maintenant, suys impotente.

        Mesme l’Église mylitante6

        Ne tient compte de mes édis.

        Asnes mytrés7, sos estourdis

20    Ont mes serviteurs interdis.

        Force m’est prendre en pacience,

        Sans mesprisons8 et contredis ;

        Car vilains, par moyens mauldis,

        Ont faict sans moy, qui suys Science.

.

25    Les philozophes anciens

        Montroyent aulx princes les moyens

        À9 bien leurs subjectz gouverner.

        Mais un tas de praticiens10

        Pires que les magiciens11

30    Veulent aujourd’uy gouverner,

        Tirer à soy et rapiner12,

        Et quelque fraulde machiner ;

        Sans avoir congé ne licence,

        Prendre l’autruy et larcyner13.

35    Telz finesses détermyner

        Ont faict14 sans moy, qui suys Science.

.

        Seigneurs, imaginez comment

        Gens vivent vertueusement,

        Pourveu que je soyes en présence15.

40    [Jugez que]16, sans sçavoir comment,

        Telz finesses certainement

        On17 faict sans moy, qui suys Science.

.

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE  entre       SCÈNE  II

        Y me fault faire diligence,

        Car il est temps et grand saison

45    De me pourvoir18.

                        SCIENCE

                                       C’est négligence

        De croupir auprès du tyson19.

        Et dictes, par vostre raison20 ?

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE  entre

        J’apète21 science aquérir.

                        SCIENCE

        C’est bien parlé. Mais pour poison

50    Se donne22 à qui la va quérir.

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE

        Y ne fault poinct [sy] loing courir :

        Science n’est pas esgarée.

                        SCIENCE

        On m’a cuydé faire mourir.

        J’ey esté quasy séparée

55    De mon lieu.

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE

                              Qu’elle est désolée !

        Dont provyent cecy, noble Dame ?

                        SCIENCE

        J’ey esté blessée et foullée,

        Et navrée23 de corps et d’âme.

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE

        Vostre renom, bruict, los et fame24

60    Est-il mys au bas ?

                        SCIENCE

                                       C’en est faict.

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE

        Par Dieu ! Pour vous, c’est un ort blasme25.

        Qui peult avoir faict ce forfaict ?

                        SCIENCE

        Gens despourveux de bon éfaict26,

        Qui de moy ne font pas grand compte.

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE

65    L’homme ne peult estre refaict27

        S’y n’a Science, en fin de compte.

                        SCIENCE

        Par Science, l’homme hault monte.

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE

        [Il est monté]28, le temps passé ;

        Mais maintenant, on le desmonte.

70    Toult est aultrement compassé29.

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                        LE  CLERQ  D’ÂNERYE,  en Badin30entre.

        ’Nadiès31 ! ’Nadiès !                                                 SCÈNE  III

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE

                                          Dieu gard, clérice32 !

                        LE  BADIN

        Afin que je vous advertisse,

        Cléricé 33 suis-je voyrement,

        À vostre bon commandement !

75    Je sçay mon françoys et latin :

        Vultis vobis, ser[v]os et in34

        Voy(e)là tout mon latin par cœur.

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE

        Méchant, séroys-tu35 faire honneur

        À ceste Dame d’excellence ?

                        LE  BADIN

80    Et qui est-elle ?

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE

                                   C’est Science,

        Combien qu’elle soyt mal en poinct.

                        LE  BADIN

        Bau, bau ! Je ne la36 congnoys poinct.

        Je n’ay poinct de Science envye.

        Je ne la vis onq en ma vye.

85    J’en sçay assez pour mon user37.

        Je ne me veulx poinct amuser38

        Aveq(ues) elle, car gens scïens39

        Sont, pour le jourd’uy, mendiens.

        Je voys40 chercher alieurs pasture.

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE

90    Et où vas-tu ?

                        LE  BADIN

                                À l’advanture41.

        Peult-estre que seray pourveu

        Plus tost c’un grand clerq, dea, pourveu42

        Que j’ay[e] d’aulcune43 la grâce.

.

                        ASNERYE  entre 44                               SCÈNE  IV

        Pour bien jouer de passe-passe45,

95    C’est moy, c’est moy : j’en suys ouvrière46.

        J’en prens, j’en donne, j’en amasse ;

        J’en ay une grande mynière47.

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE

        Qui est ceste grande loudière48 ?

                        LE  BADIN

        N’en dictes mal, je vous en prye !

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE

100  La congnoys-tu ?

                        LE  BADIN

                                      Elle est ma mère49.

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE

        Qui est-elle ?

                        LE  BADIN

                                C’est Ânerye.

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE

        Ânerye ? Vierge Marye !

        Elle taille nos manteaulx cours50.

                         SCIENCE

        Mon amy, je te certifye

105  Qu’Ânerye se tient aulx Cours51.

                         ÂNERYE

        Je voys, je viens, je suys en52 cours,

        J’ey grande domination.

        À mes serviteurs faictz secours,

        Et leur donne provision.

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE

110  C’est une grand irision53

        De voir Ânerye eslevée.

                        SCIENCE

        C’est une malédiction !

        C’est par elle que suys grevée54.

        Elle est maintenant sy privée55

115  De ceulx qui ont gouvernement,

        Qu’el a tant faict que suys privée

        De tous mes droictz.

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE

                                          Dictes comment ?

                        SCIENCE

        Elle estudye incessamment

        À faire inventions nouvelles.

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE

120  Nous congnoissons certainement

        Qu’Ânerye veult voler sans elles56.

                        SCIENCE

        Et qu’el a faict des plays57 mortelles,

        Jadis, dedens noble sité :

        [Elle engendra maintes querelles

125  Au sein de l’Université.]58

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE

        Ânerye ? Bénédicité !

        Qu’elle cause, au pays, de maulx !

                        SCIENCE

        Tant avons eu d’aversité,

        Depuys qu’el a faict ses grans saulx59 !

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE

130  Nous voyons, par mons et par vaulx,

        Courir une estrange saison.

                        LE  BADIN

        Pourveu seray (sy je ne faulx60)

        De bénéfices à foyson.

        Je sçay qui est scriptorium61.

135  A quo, a qua. Non régula62 !

        Da michy bénéficium63,

        [Âneria !]

                        ÂNERYE 64

                          Holà, holà !

        Avoir les bénéfices ? Dea !

        En tel poinct, il fault bien entendre

140  Qu’i sont estalés çà et là.

                        LE  BADIN

        Comment donc ? Les voulez-vous vendre ?

                        ÂNERYE

        Tu n’es pas expert pour entendre

        Ce que j’en veulx détermyner.

                        LE  BADIN

        [ …………………… -endre,

        …………………….. -ner ?

                        ÂNERYE ]

        J’en puys vendre, j’en puys donner.

145  J’en domyne, j’en prens, j’en taille :

        C’est à moy. Pour en ordonner,

        J’en oste à l’un, à l’aultre en baille.

        Je les espars plus dru que paille65

        Pourveu, dea, qu’on face debvoir66.

150  Le plus souvent, y a bataille,

        Car à force67 les fault avoir.

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE

        Dame Science, alons sçavoir

        Sy pouroys, par vostre moyen,

        Estre pourveu.

                        SCIENCE

                                 Je le veulx bien.

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE

155  Ânerye départ68 bénéfices

        En ellevant gens en ofices,

        Ce que jadis vous ay veu faire.

                        SCIENCE

        Je n’en puy[s] mais69, c’est l’ordinaire.

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE

        De nuict, de jour, en diligence70

160  Je vous ay aquise, Science :

        Au moins, que j’ay[e] je ne sçay quoy !

                        SCIENCE

        Bref, il ne tiendra poinct à moy ;

        Avec vous g’iray volontiers.      Parlant à Ânerye :

        Voi(e)cy un de mes famillyers

165  Que j’ey à honneur introduict71.

        De par moy a esté instruict,

        On le voyt par expérience.

                       ÂNERYE

        Je ne vous congnoys.

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE

                                          C’est Science.

                        SCIENCE

        Je le plévys sientifique72,

170  Usant73 de raison politique.

        À luy, n’y a quelque74 insolence.

                        ÂNERYE

        Je ne vous congnoys.

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE

                                            C’est Science.

                        ÂNERYE

        Ayez un peu de pacience,

        Car je suys à aultruy debteur75.

                        SCIENCE

175  Il est digne d’estre pasteur76 :

        Vous luy donnerez, s’y vous plaist,

        Gouvernement77.

                        ÂNERYE

                                      À peu de plaist78,

        Je n’y ay poinct encor pencé.

                        LE  BADIN

        Ânerye, je suys dispencé79

180  D’obtenir quatre bénéfices ;

        Donnez-les-moy, y sont propices

        À mon estat et faculté.

        N’en faictes poinct dificulté :

        Monsieur80 le veult et vous le mande.

                        ÂNERYE

185  Il sera faict, puysqu’il commande.

        Tu me semble bien nouvelet81.

                        LE  BADIN

        Je suys pour son secret valet82,

        Long temps y a, et longue espace.

                        ÂNERYE,  bail[l]ant une amuche83 au Badin :

        Recommande-moy à Sa Grâce84 !

190  Tu es pourveu, voi(e)là pour toy.

                        SCIENCE

        Ânerye, à ce que je voy,

        Vous pourvoyez un tas de sos

        Qui ne séroyent parler deulx mos

        De latin congru, et lessez

195  Plusieurs bons clers intéressés85.

        N’esse pas grosse rêverye ?

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE

        Que voulez-vous ? C’est Ânerye,

        Qui mect en biens ânes et veaulx.

                        SCIENCE 86

        Voi(e)cy des termes bien nouveaulx !

200  Que vendez-vous ?

                        ÂNERYE

                                       Des bénéfices.

        Les uns je despesches gratis87.

        J’en vens de grans et de petis ;

        Les denyers m’en sont bien propices.

                        SCIENCE

        Que vendez-vous ?

                        ÂNERYE

                                        Des bénéfices.

205  Je les dépars, je les eschange,

        L’un à privé, l’aultre à l’estrange88,

        Mès89 que j’aye bonnes espices.

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE

        Que vendez-vous ?

                        ÂNERYE

                                         Des bénéfices.

                        SCIENCE

        A ! beste robuste90, Ânerye,

210  Plaine de toulte tricherye :

        Me veulx-tu abolir ainsy ?

                        ÂNERYE

        Je vis sans soing et sans soulcy

        Malgré vous, Science, ma dame.

                        SCIENCE

        Et ! se faictz mon91, bon gré mon âme !

215  Tu en es92 cousu et taillé.

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE

        Qui, grand deable, vous a baillé93

        Gouvernement ?

                        ÂNERYE

                                    C’est trop raillé !

        On le veult, il vous doibt suffyre.

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE

        C’est pour les bons clers desconfire.

220  Vous avez bénéficié94

        Un johannés 95, un socié 96

        Qui ne sçayt (pour toute devise)

        Dire, quant il est à l’église,

        Seulement un Per omnya97.

                        LE  BADIN

225  Qui, moy ? Qui, moy ? Sy feray, dea !

        Mot98, mot ! J’en voys prendre le ton :

        « Per omnya sécula séculorum !! »

        N’ei-ge pas l’oreille haultainne99 ?

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE

        Va ! Ta forte fièbvre quartaine !

230  Tu n’y entens ny gros, ny gresle100.

                        LE  BADIN

        Sy fault-il bien que je m’en melle,

        Puysque j’ey la pèleterye101.

                        SCIENCE

        Qui t’a apoinct102 ?

                        LE  BADIN

                                         C’est Ânerye.

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE

        Vous voyez bien qu’i ne sçayt rien.

                        ÂNERYE

235  À mon avys, qu’il chante bien103,

        À ce que voy et puys congnoistre !

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE

        Faire d’un tel conard104 un prestre !

        Qu’esse icy ? À qui sommes-nous105 ?

                        LE  BADIN

        J’éray106 cornète de velou(r)s

240  Traînnante jusques à la terre.

                        ÂNERYE

        C’est le moyen pour bruict aquerre107.

        Car, posé108 c’un homme a science,

        S’y ne tient terme d’aparence109,

        On luy laisse ronger son frain110.

                        LE  BADIN

245  On me descongnoistra111, demain,

        Puysque je suys bénéficïé :

        Chascun m’apeloyt « Socié » ;

        J’auray non « maistre Johannés ».

        On engressera les bonnés112

250  Par force de me saluer.

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE

        Y nous fault de propos muer113,

        Et conclure sans alibis114

        Qu’on faict révérence aulx abis,

        Non pas aulx gens siencieulx115.

                        SCIENCE

255  A ! seigneurs conciencieulx,

        Où estes-vous ?

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE

                                  Ilz sont aucteurs116.

                        SCIENCE

        Qui faict nouveaulx expositeurs117

        A[i]nsy gloser glose sur glose ?

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE

        Qui faict les subtilz inventeurs,

260  Maintenant, avoir bouche close ?

        N’avons-nous pas, en belle prose,

        La  Bible en françoys118 ?

                        SCIENCE

                                                   Je suys pérye,

        Car toult se faict par Ânerye.

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE

        Qui faict les bons clers ravaler ?

                        SCIENCE

265  Qui faict Justice mal aler ?

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE

        Qui cause tant d’impôs nouveaulx ?

                        SCIENCE

        Qui faict au monde tant de maulx ?

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE

        Qui entretient la pillerye ?

                        SCIENCE

        Conclusion : c’est Ânerye.

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE

270  D’où vient c’un homme de métier119

        On élève aujourd’uy sy hault ?

                        SCIENCE

        D’où vient qu’en clouestre et moutier120

        On crie comme en guerre à l’assault ?

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE

        Et d’où vient que soufrir y fault

275  Qu’on perde prévilège et droys121,

        Et Justice soyt en défault ?

                        SCIENCE

        Ânerye le veult.

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE

                                   Je vous croys.

        Qui défleure simples pucelles ?

                        SCIENCE

        Qui entretient ces maquerelles ?

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE

280  Qui entretient déception122,

        Larcin, usure, tromperye ?

        Dictes-m’en vostre opinion.

                        SCIENCE

        Conclusion : c’est Ânerye.

                        Nota que le Badin se pourmaine 123,

                        tenant l’amuche sur son bras.

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE

        Qui esse qui ainsy copye124,

285  Tenant termes125 ? Où sommes-nous !

                        ÂNERYE,  parlant au Badin :

        Honneur, Monsieur !

                        LE  BADIN

                                           Dieu vous bénye !

                        ÂNERYE

        Monsieur, comme vous portez-vous ?

                        LE  BADIN

        Gorier, je faictz la barbe à tous126.

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE

        Johannés faict du capitaine,

290  Johannés porte le velou(r)s.

                        LE  BADIN 127

        Johannés ? Ta fièbvre cartaine !

                        SCIENCE

        Il tient termes.

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE

                                 Il se pourmaine.

        Nos deulx128 sommes petis novices,

        Près129 de luy.

                        SCIENCE

                                   Ânerye le mayne.

                        ÂNERYE 130

295  Je repliray mes bénéfices.

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE

        Ânerye, nous sommes propices131

        D’en obtenir.

                        ÂNERYE

                               Rien, pas la maille132 !

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE

        Gros ânyers [et] gens plains de vices

        En ont bien.

                        SCIENCE

                             Or sus ! qu’on nous133 baille

300  Quelque chose, vaille qui134 vaille,

        Au mains135 pour soy entretenir.

                        ÂNERYE

        Ouy dea, de beaulx136 !

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE

                                                Elle se raille.

        C’est perdre temps de nous tenir

        En ce lieu-cy.

                        SCIENCE

                                De revenir

305  Une aultre foys seroyt folye,

        Car il nous peult bien souvenir

        Qu’on pourvoyt gens par Ânerye.

        Une chanson, je vous emprye137 !

        En prenant congé de ce lieu,

310  Une chanson pour dire « à Dieu » !

.

                                              FINIS

*

1 Elle est vêtue de loques : voir le vers 81.   2 De fourberies. Idem vers 35 et 41.   3 À la communauté. Cf. les Sotz escornéz, vers 282.   4 De sots. Idem vers 19 et 192. Les dignités sont les hautes fonctions des dignitaires de l’Église.   5 D’apparat.   6 « L’Église militante : la présente Église catholique, qui milite en combatant contre ses adversaires, qui sont le deable, le monde et la chair. » ATILF.   7 Les ânes coiffés d’une mitre sont les évêques. Lors de la fête de l’Âne, un de ces quadrupèdes est affublé d’une mitre épiscopale.   8 LV : mes raisons  (Sans paroles méprisables. « Depuis vingt ans, sans mesprison,/ J’ay esté tousjours en prison. » Les Sotz qui remetent en point Bon Temps.)   9 Pour. Dans Pates-ouaintes (vers 433-446), Pierre de Lesnauderie opposait déjà l’idéalisme des Anciens au prosaïsme des Modernes.   10 D’experts, ici avec un sens péjoratif.   11 « Ceux qui employent les paroles sainctes & divines à des sorcelleries & effects magiciens. » Montaigne.   12 Tirer l’argent vers eux et se livrer à des rapines.   13 Ils veulent prendre les biens d’autrui et commettre des larcins.   14 Ils ont fait s’accomplir de telles magouilles.   15 En leur présence.   16 LV : juges et   17 LV : ont  (Même refrain qu’au vers 12.)   18 De m’octroyer un bénéfice ecclésiastique ou une cure. On croirait entendre Guermouset, qui appartient pourtant à la catégorie des ânes : « Je deusse estre pourveu présent,/ Avoir bénéfices et cures./ N’est-il pas temps qu’on me pourvoye ? »   19 De rester devant sa cheminée, au lieu d’être utile à la communauté.   20 Quelle raison donnez-vous ?   21 Je désire.   22 LV : nomme  (La science se montre sous une forme amère à celui qui la recherche.)   23 Blessée. Na-vré-e compte pour 3 syllabes.   24 Ces 4 mots ont un même sens : réputation.   25 Un sale, un indigne blâme.   26 Dépourvus d’une bonne influence.   27 Ne peut se corriger.   28 LV : Ie le montys   29 LV : compense  (Agencé. « Tout est mal compassé. » Mallepaye et Bâillevant.)   30 Tout comme cet autre clerc ignorant qu’est Maistre Mymin qui va à la guerre, il est « habillé en Badin d’une longue jacquette, et enbéguyné d’ung béguin, ayant une grande escriptoire ».   31 Les collégiens paresseux abrègent ainsi bona dies [bonjour] par aphérèse. « ’Nadiès, ’nadiès, dominus Totus ! » Tout, Rien et Chascun (BM 56).   32 Clerice est le vocatif (prononcé à la française « cléricé ») de clericus : clerc. Cf. la Résurrection de Jénin Landore, vers 194. Mais le clerc de Science caricature l’ignorance du Badin en prononçant « clérice », qui est la forme locale du prénom féminin Clarisse.   33 LV : clerise  (Je suis vraiment un clerc. Ou bien : Je m’appelle vraiment Cléricé, comme le clerc du curé dans Régnault qui se marie.)   34 Il semblerait — mais par quel miracle ? — que le Badin cite le second livre des Chroniques : « Filios Juda et Jerusalem vultis vobis subjicere in servos et ancillas. » À la française, servos et in se prononce comme « cerveaux éteints ».   35 Ne saurais-tu. Même normandisme à 193.   36 LV : le  (« Bo, bo ! » est une interjection normande. Cf. Lucas Sergent, vers 66.)   37 Pour mon usage personnel. Cf. les Femmes qui font escurer leurs chaulderons, vers 22.   38 Perdre mon temps.   39 Savants. L’idée que le savoir ne nourrit pas son homme était fort commune : « Les clers n’ont riens,/ Pour chose qu’ilz aient leu ne veu…./ Les clers bien lettréz ont des poulx. » Les Sotz ecclésiasticques.   40 Je vais. Idem vers 106 et 226.   41 LV : la vuanture   42 LV : pour voir   43 D’une certaine femme. Le Badin voit arriver Ânerie.   44 Elle a des oreilles d’âne, et elle tient un chiffon noué qui renferme quelque chose.   45 « Si jouerez-vous de passe-passe/ Ou vous le ferez !  » P. de Lesnauderie, Cène des dieux.   46 J’en suis spécialiste.   47 Une mine inépuisable. Cf. Ung Fol changant divers propos, vers 168.   48 Cette pouffiasse. Cf. le Mince de quaire, vers 170, 179, etc.   49 LV : mye  (« Ce sont Resverie et mère Asnerie, et non pas Artifice [technique] ni Science. » Jehan Le Bon.)  « Ignorance est mère de tous maulx. » Proverbe.   50 À cause d’elle, nous sommes court-vêtus.   51 Dans les cours royales, et dans les cours de Justice, y compris la cour d’Église.   52 LV : je  (Je suis en vogue. « Vous estes en cours. » Raoullet Ployart.)   53 Moquerie. « C’est grand déshonneur/ Pour nous, et grande irrision. » ATILF.   54 Accablée.   55 Si intime. Cf. le Poulier à sis personnages, vers 485.   56 Veut péter plus haut que son cul. « C’est folie de vouloir voler sans aile. » Trésor des sentences.   57 Des plaies.   58 2 vers omis (censurés ?). Pierre de Lesnauderie enseignait à l’université de la « noble cité » de Caen, où sévissait l’ânerie : voir Pates-ouaintes. « Le tort qu’il luy faisoit engendra maintes querelles. » Nicolas de Herberay.   59 Ses sauts périlleux, ses bouffonneries.   60 Si je n’y manque pas (verbe faillir).   61 Secrétaire. (À la française, on prononce « scriptorion ».) Dans le colophon de Pates-ouaintes, Lesnauderie se dit « scriba Conservatoris » : secrétaire du conservateur de l’université de Caen.   62 Pas la règle ! Plutôt que d’une règle de grammaire, il doit s’agir de la règle [latte en bois] qui sert à frapper le postérieur des cancres.   63 LV : beneficia  (Donne-moi un bénéfice ecclésiastique !)   64 Elle déploie par terre son chiffon, qui contient une aumusse et d’énormes clés de couleur argentée, ouvrant l’accès à telle ou telle cure. Dans la moralité Hérésye et Frère Symonye (LV 57), cinq personnages armés de telles clés veulent entrer dans l’Église : « C’est une clef d’argent/ Qui faict en tous lieux ouverture/ Et mect les gens en prélature. »   65 Je les distribue plus serrés que des fétus dans une botte de paille. Cf. les Frans-archiers qui vont à Naples, vers 11.   66 Pourvu qu’on me rémunère.   67 Par la force.   68 Distribue. Idem vers 205.   69 Je n’y peux rien.   70 Avec diligence, empressement.   71 Que j’ai initié à l’honneur.   72 Je vous le garantis savant. « Si la vous plévis-ge pucelle. » Maistre Mimin estudiant.   73 LV : lysant   74 Aucune. Dessous, le scribe a recopié par inadvertance le vers 168.   75 Je suis débitrice à d’autres que vous.   76 Curé.   77 Charge d’âmes. Idem vers 217.   78 De plaids : en peu de mots.   79 Autorisé par une dispense spéciale.   80 Peut-être s’agit-il de « Monsieur de Bayeux » : c’est le titre qu’on donnait aux évêques du diocèse. « Le sieur official de Monsieur de Bayeux, en ce siège de Caen. » (Ch. de Bourgueville.) L’évêque Charles de Neufchastel appartenait à une famille de redoutables capteurs de bénéfices ; lui-même fut archevêque de Besançon à 20 ans ! Lesnauderie ne court aucun risque en l’attaquant, puisque cet « âne mitré » venait de mourir en 1498 ; d’ailleurs, l’auteur de Pates-ouaintes n’avait pas craint de tourner en ridicule l’évêque de Chalon, bien vivant. Charles de Neufchastel était en outre chancelier de l’université de Caen, où Lesnauderie professait.   81 Un peu jeunot pour régir quatre cures.   82 Je lui tiens lieu d’entremetteur. « Par son secret varlet, (elle) envoya lettres au chastellain. » Les Amours du chastellain de Coucy.   83 Une aumusse : le capuchon fourré que portent les prêtres. Idem entre les vers 283-284. Cf. les Brus, vers 113.   84 À monseigneur l’évêque (note 80). « S’il plaist à Vostre Grâce. » Grandes Chroniques de France.   85 Lésés. Cf. Régnault qui se marie, vers 288 et note.   86 Elle regarde le chiffon sur lequel sont alignées les clés.   87 J’expédie gratuitement.   88 L’un à un proche, l’autre à un étranger.   89 Mais. C’est la graphie personnelle de Lesnauderie : « Car mès qu’ilz aient le liminaire. » (Pates-ouaintes.) Les épices sont les pots-de-vin grâce auxquels on soudoie les juges.   90 La bête robuste désigne l’âne. « Le plus robuste asne qu’on sauroit trouver. » G. de la Bouthière.   91 Moi aussi. « Sy fayz mon, ouy-dea ! » La Pippée.   92 LV : as  (Tu en es réduite au silence. « Il en est taillé et cousu. » Le Munyer.)  Ce vers inutile et mal accordé, qui introduit une 3e rime, est apocryphe.   93 LV : donne   94 Vous avez pourvu d’un bénéfice. Idem vers 246.   95 Un clerc ignorant. C’est le prénom Jean latinisé. Idem vers 248 et 289. Cf. Pernet qui va à l’escolle, vers 37.   96 Un latiniseur inculte. Idem vers 247. C’est le nom d’un écolier dans le Maistre d’escolle. « Pour farcer ygnares sociéz. » Les Coppieurs et Lardeurs.   97 C’est la prière de base : tous les clercs débutants doivent pouvoir la chanter, ou plutôt la brailler le plus fort possible. Cf. Pernet qui va à l’escolle, vers 1 et 141.   98 Plus un mot ! Prendre le ton = prendre la note. Cf. Maistre Mymin qui va à la guerre, vers 77 et note.   99 Parfaite.   100 Tu n’y connais rien. « Je n’y entens ne gros, ne gresle. » Farce de Pathelin.   101 La fourrure : l’aumusse (note 83).   102 Qui t’a investi (verbe appointer) ?   103 Les mères des futurs prélats sont toujours en extase devant la puissance vocale de leur rejeton : « Il chante bien Orémus,/ Et chante le Péromnia. » D’un qui se fait examiner pour estre prebstre.   104 D’un tel bouffon, pareil aux Conards de Rouen, qui écriront : « Tel est un asne qui pense estre un grand clerc. » Les Asniers remplis d’asnerie.   105 Où sommes-nous ? Même vers dans la Nourrisse et la Chambèrière.   106 J’aurai (normandisme). La cornette est l’extrémité longue du chaperon des docteurs en théologie.   107 Pour acquérir de la réputation.   108 En admettant.   109 S’il ne soigne pas son apparence.   110 On le laisse attendre au lieu de lui donner un poste.   111 On ne me reconnaîtra plus. Cf. le Moral de Tout-le-Monde, vers 306.   112 Mes thuriféraires mettront des traces de doigts graisseuses sur leur bonnet.   113 LV : changer  (« Le roy mua propos à force d’estre pressé du duc de Milan. » ATILF.)   114 Sans mauvaises excuses.   115 Savants. L’idée qu’on respecte davantage les hommes pour la qualité de leurs habits que pour leur intelligence n’était pas nouvelle.   116 L’auteur se classe donc parmi les « seigneurs consciencieux ».   117 Commentateurs, glossateurs de la Bible.   118 En 1498, Antoine Vérard venait de publier la Bible historiée. Bien que cette édition fût supervisée par un évêque, Jean de Rély, elle fit grincer des dents aux scholiastes qui entendaient garder le monopole de l’exégèse biblique. Évidemment, les farceurs ont mis leur grain de sel : « La Théologienne scet tout./ Elle a veu de bout en bout/ La grant Bible en françoys…./ Brief, en tous livres elle glose. » Farce de Quattre femmes (F 46).   119 Qu’un artisan.   120 Que dans un cloître et dans un monastère, où le silence est de règle.   121 C’est le sujet de Pates-ouaintes.   122 La fourberie.   123 Se promène. (Idem vers 292.) Imitant les dignitaires de l’Église, il retrousse avec son bras la longue écharpe de son aumusse.   124 LV : corige  (Se moque de nous. « Je coppiray mains cocardeaulx. » Les Coppieurs et Lardeurs.)   125 Nous tenant tête. Idem vers 292.   126 Élégant, je snobe tout le monde. « Et si, ferez la barbe à tous. » Colinet et sa Tante.   127 Il s’indigne qu’on ne l’appelle pas « maître Johannès » (vers 248).   128 Nous deux (normandisme).   129 LV : aupres   130 Elle replie le chiffon qui contient les clés.   131 Bien dignes.   132 Pas un centime.   133 LV : leur   134 Que. Cf. la Première Moralité de Genève, vers 297.   135 Au moins. Cf. Pates-ouaintes, vers 45.   136 Des beaux mots, des promesses. Cf. les Trois amoureux de la croix, vers 220.   137 LV : suplye  (Ce vers, tel que je le corrige pour la rime, est l’ultime vers de l’Homme à mes pois, du Poulier à quatre personnages, etc.)  Le distique final est la signature habituelle du copiste de ce manuscrit La Vallière.

LE BADIN QUI SE LOUE

British Library

British Library

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LE  BADIN

QUI  SE  LOUE

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Janot, le Badin qui se loue, offre plus d’un rapport avec Jéninot qui fist un roy de son chat : dans ces deux farces nordiques, publiées par le même éditeur et tardivement réunies dans le même recueil, un personnage de Badin, de demi-fou, est embauché comme valet par un couple qui va s’en mordre les doigts.

Le gag principal du Badin qui se loue sert de moteur à d’autres farces (le Pasté, Messire Jehan, Pernet qui va au vin, etc.) : un couple illégitime, pour se débarrasser d’un importun, l’envoie faire une commission à l’autre bout de la ville. Mais le gêneur, qui ne comprend pas — ou fait semblant de ne pas comprendre — ce qu’on lui demande, exécute des va-et-vient ininterrompus qui empêchent le couple de se livrer à un autre genre de va-et-vient.

Beaucoup de vers ne comportent que 7 syllabes, et une bonne quinzaine d’autres, surtout vers la fin, font entre 3 et 5 syllabes. L’auteur1 n’a pas eu le temps, du moins sur le manuscrit que l’éditeur a publié, de « remplir » tous les octosyllabes ; mais il en a sauvé l’essentiel : la signification et la rime.

Source : Recueil du British Museum, nº 11. La pièce, écrite peu avant 1500, fut publiée vers 1550 à Paris par Nicolas Chrestien.

Structure : Rimes plates.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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Farce nouvelle

trèsbonne et fort joyeuse

À quatre personnages, c’est assavoir :

       LE  MARY

       LA  FEMME  [Guillemette]

       LE  BADIN qui se loue  [Janot]

       et  L’AMOUREUX

*

                        LE  MARY  commence 2                        SCÈNE  I

        [Où estes-vous ? Hau,3] Guillemette !

                        LA  FEMME

        Le diable vous rompe la teste !

        Jamais je ne vis un tel homme.

        Il ne fauldroit [plus] faire, en somme,

5      Autre chose qu’estre après vous4.

                        LE  MARY

        Je vous prie, parlez tout doulx !

        Je croy que vous me mengerez5.

                        LA  FEMME

        Par mon serment ! vous louerez

        Une chambrière ou varlet6.

10    Car pensez que cela est laid

        Qu’il faille7 que tousjours je voyse

        Au vin et à la cèr[e]voyse8

        Comme une pauvre chambrière.

                        LE  MARY

        Hé ! mon Dieu, que [tant] tu es fière9 !

15    Fault-il qu’ainsi parles à moy ?

                        LA  FEMME

        Je vous prometz, en bonne foy,

        Que plus si beste ne seray,

        Ne si bien ne vous serviray

        Que j’ay fait par icy devant10.

20    Parquoy, louez quelque servant

        Ou quelque bonne chambrière

        Qui voyse quérir de la bière,

        Du vin et de la cèr[e]voise.

        Il n’y a si pauvre bourgeoyse

25    Qui n’ait chambrière ou varlet.

                        LE  MARY

        Et ! bien, bien, ainsi11 sera fait :

        Vous en aurez un. Sus donc, [beste12] !

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                        LE  BADIN,13  en chantant :                 SCÈNE  II

        Parlez à Binette, dureau la dure[tt]e,

        Parlez à Binette, plus belle que moy.

30    Sang bieu ! je suis en grand esmoy

        Que je ne puis maistre trouver14.

        Et si15, ne cesse de crier :

        « Varlet à louer16 ! Varlet à louer !

        Varlet (tous17 les diables) à louer ! »

.

                        LE  MARY 18                                         SCÈNE  III

35    J’ay là ouÿ quelqu’un crier,

        Ce me semble, en ceste rue.

.

                        LE  BADIN                                             SCÈNE  IV

        Par la mort bieu ! je pette et rue,

        De rage de fain que je sens.

.

                        LA  FEMME                                          SCÈNE  V

        Il semble qu’il soit hors du sens,

40    À l’ouÿr crier et besler.

        Je m’en le vois appeller19.

.

        Venez çà, hé, mon amy !

                        LE  BADIN

        Hen ? Je vous ay bien ouÿ ;

        Je m’en voys à vous parler.

                        LA  FEMME

45    Es-tu pas varlet à louer ?

                        LE  BADIN

        Et ! Jan20, ouy !

                        LA  FEMME

                                  [Sans plus discourir,]

        Se tu me veulx venir servir,

        Assez bien je te traicteray.

                        LE  BADIN

        Bien doncq[ues] : je vous serviray

50    De toute ma puissance, vrayement.

                        LA  FEMME 21

        Il le fault louer vistement,

        S’il est bon à vostre appétit22.

                        LE  BADIN

        Mort bieu, que j’ay bon appétit !

        Pensez que [je] desgourdirois

55    Un jambon, se je le tenois,

        Avecq une quarte de vin.

                        LE  MARY

        Dy-moy, sans faire [icy] le fin23,

        Comme c’est qu[’à droit24] on te nomme.

                        LE  BADIN

        Les aucuns m’appellent « bon homme25 »,

60    Les autres m’appellent Janot.

                        LE  MARY

        Janot26 est le vray nom d’un sot.

        Veulx-tu demourer avecq moy ?

                        LE  BADIN

        Et ! j’en suis content, par ma foy !

                        LE  MARY

        Mais combien, [dy,] te donneray-je ?

                        LE  BADIN

65    Et ! [mais27 que soys nourry,] que sçay-je ?

        Ha ! escoutez,  j’auray six francs pour le moins.

        Et si, ne veulx avoir de groings28,

        Au moins s’ilz ne sont de pourceau29.

                        LE  MARY

        Ha ! par monseigneur sainct Marceau,

70    Tu en auras [bien] davantage !

                        LA  FEMME

        Il fauldra faire le30 mesnage

        Et balier31 nostre maison.

                        LE  BADIN

        Bailleray-je du foing à Gryson32,

        Ou de la fourche sur la teste ?

                        LA  FEMME

75    Je ne [te] ditz pas cela, beste !

        Je dis que ballies la maison33.

                        LE  BADIN

        [Sainct] Jean ! ce n’est pas là raison.

                        LE  MARY

        Voylà la clef de la maison,

        Pour fermer l’huys et la cloison34

80    Quand tu vouldras aller dehors.

                        LE  BADIN

        Ce n’est pas tout ce qu’i fault [lors] :

        Baillez-moy, je vous prie, la clef

        De la cave, et [si]35, du célier,

        Du lard, du pain et de l’argent.

85    Je m’y monstreray diligent :

        J’ay esté frippon36 d’un collège.

                        LE  MARY

        Les femmes ont le privilège

        Porter les clefz en leurs pochettes.

                        LE  BADIN

        J’en auray donc, si vous n’y estes,

90    Privilège de rompre l’huys.

        [Si me nourrissez de pain bis,]37

        Vous me ferez mourir de fain.

                        LA  FEMME

        Tu ne chaumeras38 de pain, de vin,

        Ne d’aucune39 chose quelconque.

                        LE  BADIN

95    Je vous prie, donnez-moy doncque

        À disner, ma bonne maistresse.

                        LA  FEMME

        Tiens40, voylà une grosse pièce

        De pain bis41 : disne si tu veulx.

                        LE  BADIN

        Vous [disiez que seroye]42 heureux,

100  Et que me traicteriez si bien.

                        LA  FEMME

        Si vous n’avez aujourd’huy bien,

        Vous aurez mieulx une autre foys.

        Et ! vous mengez tout à la foys ?

        Il y fault aller gentement43.

                        LE  BADIN

105  Je ne sçauroys, par mon serment,

        Car mes dentz sont trop aguisées.

                        LA  FEMME

        Quel bailleur de billevesées !

        Voyez un peu comment il masche44 !

                        LE  BADIN

        Par la mort bieu ! [fort] il me fasche45

110  Que je n’ay quelque bon bruvage46.

                        LE  MARY

        Pensez à faire le mesnage,

        Car je m’en voys à mon affaire47.

                        LE  BADIN

        Sang bieu ! que [diable] en ay-je affaire ?

        Je demande à boyre du vin.

                        LE  MARY

115  Par  ma foy ! tu en auras demain

        (De cela, très48 bien je t’asseure),

        [Car] je m’en voys tout à cest heure

        À mes affaires pourveoir.

                        LE  BADIN

        Adieu donc(ques) jusques au revoir !

.

                        L’AMOUREUX                                      SCÈNE  VI

120  Si fault-il que je voise veoir,

        Quelque chose que l’on en dye49,

        Se je trouveray mon amye

        Seule50, affin de la gouverner

        Et avec elle raisonner.

125  Je m’y en voys sans [plus] targer51,

        Car riens n’y vault le songer52.

.

        Ma dame et [ma] trèsbonne amye,                           SCÈNE  VII

        Dieu vous doi[n]t bonne et longue vie

        Avec[ques] tous voz bons désirs !

                        LA  FEMME

130  Jésus, le roy de Paradis,

        Vueille acomplir vostre vouloir !

        Je vous prie, venez vous asseoir

        Pour prendre un peu resjouyssance.

                        L’AMOUREUX

        Certes, de toute ma puissance

135  Mettray peine53 à vous obéyr,

        Et feray vostre bon plaisir,

        S’il vous plaist me le commander54.

                        LE  BADIN

        Sang bieu ! vous venez sans mander55.

        Et qui vous a mené icy ?

                        LA  FEMME

140  Te tairas-tu, dy ? [Qu’esse-cy ?56]

        C’est un de noz meilleurs amys.

                        LE  BADIN

        Et ! il aura donc[ques], vraymis57,

        Un bonnadiès58 de ma personne :

        Dieu [vous] gard[e] de santé59 bonne,

145  Monsieur [nostre] meilleur amy !

                        L’AMOUREUX

        À vous aussi, [à vous aussi] !

        M’amye60, dictes-moy, je vous prie :

        Qui vous a ainsi bien garnye

        De ce bon serviteur icy ?

                        LA  FEMME

150  Moy-mesmes, certes, mon amy,

        Pource que beaucoup me faschoit

        Que tousjours aller me failloit61

        Au vin et aux autres prochas62,

        Quant venez pour faire le cas63

155  [À la desrobée64] avec moy.

                        L’AMOUREUX

        Il me suffist. Mais dictes-moy :

        Où est allé vostre mary ?

                        LA  FEMME

        Je vous asseure, mon amy,

        Qu’il est allé à sa besongne.

160  Dieu sçait que c’est [bien], car il hongne65

        Sans cesse, quand il est céans.

                        LE  BADIN

        Ce bonnet vous e[s]t bien céant66,

        Voyre, ou le dyable vous emport67 !

                        L’AMOUREUX

        Par mon serment, vous avez tort !

165  Ne vous sçauriez-vous un peu taire ?

                        LA  FEMME

        Tu gaste[ra]s tout le mystère68 ;

        Je te prie, ne nous dy plus mot.

                        LE  BADIN

        Non feray-je69, par sainct Charlot70 !

        Croyez-moy, puisque j’en jure.

                        L’AMOUREUX

170  Certes, m’amye, je vous asseure

        Que depuis environ huyt jours,

        J’ay fait plus de quarante tours

        Icy entour71 vostre logis ;

        Mais tousjours vostre grand longis72

175  De mary présent y estoit.

                        LA  FEMME

        Il me pense tenir estroit

        Les mains, comme on fait [à] une oye73,

        Voyre dea. Et si, n’ay de joye

        Pas un seul bien, avec[ques] luy.

180  Encor(es) — par nenda74 ! — aujourd’huy,

        Je pensoys qu’il me deust menger.

        Si estroit ne me puis renger75

        Que encores je ne luy nuyse.

                        LE  BADIN

        Quand il vous haulse la chemise76,

185  Vous n’avez garde d(e) ainsi dire.

                        LA  FEMME

        Ha, ha ! vous avez fain77 de rire.

        [Par mon serment]78, c’est bien raison !

                        L’AMOUREUX 79

        Je vous prie, madame Alyson :

        Un doulx baiser de vostre bouche !        Il la baise.

                        LE  BADIN 80

190  Là, là ! [Les yeulx] fort je me bousche

        Affin de ne vous veoir pas.

        Vous n’y allez pas par compas81 ;

        Tout doulx ! tout doulx, et  que dyable faictes-vous ?

        Vous faictes la beste à deux doulx82 ?

195  Je le diray à mon [bon] maistre.83

                        LA  FEMME

        Te tairas-tu, [dy,] filz de prebstre84 ?

                        LE  BADIN

        Je le diray à mon [bon] maistre.

        Je sçay bien que85 je vous ay veu faire.

                        LA  FEMME

        Mercy Dieu ! je te feray taire,

200  Si je metz la patte sur toy.

                        LE  BADIN

        Quoy ? Mort bieu ! [qu’on s’esbatte] o86 moy ?

        Je le diray à mon [bon] maistre.

                        L’AMOUREUX

        Tais-toy ! Si tu me veulx promettre

        Qu(e) aucune chose ne diras

205  À ton maistre, [un don] tu auras,

        Et un bonnet te donneray87.

                        LE  BADIN

        Rien doncques [jà] je n’en diray.

        Mais ne vous mocquez pas de moy !

                        LA  FEMME

        Je te prometz, en bonne foy,

210  Que tu l’auras [bien] promptement.

                        L’AMOUREUX

        Mais tien : va-t’en dès maintenant

        Achepter quelque bon pasté88.

                        LE  BADIN

        Et ! mais89 que je l’ay[e] apporté,

        M’en donrez-vous [un bout90], au moins ?

                        L’AMOUREUX

215  Ouy, toutes plaines tes deux mains91,

        Sans y avoir aulcune92 faulte.

                        LE  BADIN

        Çà donc[ques] ! De l’argent, mon hoste93 !

        Mais escoutez : j’en mengeray ?

                        L’AMOUREUX

        Vrayement je t’en donneray.

220  Tien, hay, [prens] : voylà de l’argent.

                        LE  BADIN

        Hé ! qu’il est [un entregent] gent94 !

        J’en achepteray un pasté.95

.

                        LA  FEMME                                           SCÈNE  VIII

        Ce [fol] folastre96 a tout gasté ;

        Je me repens de l’avoir prins.

                        L’AMOUREUX

225  Ma foy, il a bien fort mesprins97 !

        Et sans luy, nous estions trop bien.

.

                        LE  BADIN                                             SCÈNE  IX

        Hé, mon Dieu ! Je ne sçay combien

        C’est qu’ilz m’ont dit que j’en apporte.

        Je retourneray à la porte.98

.

230  Combien de pastéz voulez-vous ?                            SCÈNE  X

                        LA  FEMME

        Hé ! [quel gaudisseur99,] vray Dieu doulx !

        Apporte-en un. Tant tu es fol !

        Que tu te puisses rompre le col

        Je prie Dieu, en retournant100 !

                        LE  BADIN

235  Je m’y en vois [très]tout courant101 ;

        Et si, je n’arresteray point.

.

                        L’AMOUREUX                                     SCÈNE  XI

        Cecy ne vient pas bien à point.

        Mais rien n’y vault le desconfort :

        Prenez, je vous prie, réconfort102,

240  Et à cela plus ne songez.

.

                        LE  BADIN                                            SCÈNE  XII

        De quel pris esse que voulez,

        [Dictes-le-moy,] que je l’achepte ?

                        LA  FEMME

        Hélas ! mon Dieu, que tu es beste !

        Et ! ne sçaurois-tu marchander ?

                        LE  BADIN

245  Hé ! mais je vous veulx demander

        Comment esse que l’on marchande ;

        Je ne sçay, par saincte Marande,

        Que c’est à dire [de] cela103.

                        L’AMOUREUX

        Mon amy, mais que tu soys là104,

250  Demande un pasté de trois so[u]lz.

                        LE  BADIN

        Bien. Allez ! pour l’amour de vous,

        [Tout maintenant105] je m’y en vois.

.

                        L’AMOUREUX                                     SCÈNE  XIII

        Ma foy, voylà un grand lourdois106 !

        Il a moins d’esp(e)rit qu(e) un thoreau107.

.

                        LE  BADIN                                            SCÈNE  XIV

255  Porteray-je108 un pasté de veau,

        Ou un de poulle, ou de chappon ?

                        L’AMOUREUX

        Ce m’est tout un, mais qu’il soit bon.

        [Mon amy doulx,] dépesche-toy109 !

                        LE  BADIN

        Je n(e) iray ja[mais], sur ma foy,

260  Si ne dictes lequel110 voulez.

                        LA  FEMME

        (Nous sommes certes demouréz111.)

        Demande un pasté de chappon.

                        LE  BADIN

        Je m’y en voys, par sainct Bon112 !

.

                        LA  FEMME                                          SCÈNE  XV

        Voylà un merveilleux113 garson !

265  Je n’en vis oncques de la sorte.

.

                        LE  BADIN                                             SCÈNE  XVI

        Qu’esse que voulez que j(e) apporte ?

                        L’AMOUREUX

        Apporte un pasté de chappon.

                        LE  BADIN

        Mais escoutez : où les vend-on,

        Affin que plus [je] ne revienne ?

                        LA  FEMME

270  Au bout de la rue d’Albène114,

        À l’enseigne du Pot d’estain.

.

        Monsieur, vous estes tout chagrin ;                           SCÈNE  XVII

        Je vous prie, prenez en patience,

        [Mon amy.]

.

                        LE  BADIN                                             SCÈNE  XVIII

                           Silence, silence !

275  J’ay oublié ce que m’avez dit.

        Si ce n’estoit pour l’appétit115,

        Je n’y tournerois116, par bieu, jà !

                        L’AMOUREUX

        Et ! es-tu encore[s] yla117 ?

        Demande un pasté de chappon !

                        LE  BADIN

280  Bien. J’en apporteray un bon.

        Mais le voulez-vous froit ou chault ?

                        L’AMOUREUX

        [Je le veulx] chault.

                        LE  BADIN

                                       N’esse pas au…

        Où [dictes-vous] ?

                        LA  FEMME

                                     Au Pot d’estain !

                        LE  BADIN 118

        Je voy mon maistre en ce chemin,

285  Qui s’en vient cy, par Nostre Dame !

                        L’AMOUREUX

        Adieu vous dy doncques, madame !

        [Adieu donc] jusques au reveoir !119

                        LE  BADIN

        Par bieu ! si veulx-je [tost] avoir

        Mon bonnet, entendez-vous ?

                        LA  FEMME

290  Monsieur, je prens congé de vous,

        Vous priant m’avoir excusée.

                        LE  BADIN

        Soubz telle manière rusée120,

        Perd[e]ray-je ainsi mon bonnet ?

        Et ! je l’auray, par sainct Bonnet,

295  Avant que partiez hors d’icy121 !

                        LA  FEMME

        Je vous prie, rendez-le-luy ;

        Et demain en aurez un autr[e].

                        LE  BADIN

        Ma maistresse, parlez-moy d’autre122 :

        Car, par bieu, il ne l’aura jà !

.

                        LE  MARY                                             SCÈNE  XIX

300  Ho, ho ! Quel bonnet est-ce-là ?

        C’est le bonnet d’un123 grand gallant.

                        LE  BADIN

        C’est mon124, c’est mon : c’est un alland.

        Il a luyté125 à ma maistresse ;

        Mais de prime126 luyte [et] adresse,

305  Il la vous a couchée en bas.

                        LA  FEMME

        Mon mary, ne le croyez pas !

                        LE  MARY

        Je vueil estre informé du cas.

        Que demandoit-il ? Dis-le-moy !

                        LE  BADIN

        Il vouloit faire, com(me) je croy127,

310  Un hault-de-cha[u]sse à ma maistresse,

        Car il regardoit que sa pièce128

        Estoit assez haulte pour elle.

                        LE  MARY

        Vieille paillarde ! Macquerelle !

        Orde souillon ! Salle putain !

315  Vous fault-il mener un tel train,

        Quand je suis hors de ma maison ?

                        LA  FEMME

        N’estes-vous homme de raison ?

        Pourquoy ainsi me diffamez ?

                        LE  MARY

        Et, mort bieu ! fault-il que causez ?

320  Du cas suis assez informé.

        Par Dieu (qui m’a fait et formé),

        Je vous batt[e]ray tout mon saoul !129

                        LA  FEMME

        Fault-il que pour un meschant foul

        Je sois ainsi mal démenée ?

325  Mon Dieu, il m’a presque assommée !

        Je vous [en] prie, abstenez-vous !

                        LE  BADIN

        Hon, hon ! [Ma maistresse,] quelz coups !

                        [LA  FEMME]130

        Ha ! mort bieu, suis-je encore(s) icy131 ?

        Mon mary, je vous crie mercy !

330  Je vous prie que me pardonnez !

                        LE  MARY

        Si jamais vous y retournez,

        Pas ne serez quitte à tel pris.

.

        Si en riens nous avons mespris132,

        Nous prirons à la compagnie

335  Qui est icy ensemble unie

        Qu’i luy plaise, sans reffuser,

        Nous vouloir trèstous excuser.

.

                                     FIN

*

1 Peut-être s’agit-il d’un comédien qui, voulant reconstituer la pièce de mémoire, a surtout retenu les hémistiches rimés.   2 Le couple est chez lui. Pour l’instant, Guillemette est derrière le rideau de fond.   3 Je comble cette lacune en recopiant à l’identique le vers 5 du Testament Pathelin. L’épouse de Pathelin sert d’ailleurs son mari avec autant de mauvaise grâce que celle-ci.   4 Que vous suivre pour vous servir de bonne.   5 Que vous allez me mordre. Idem vers 181.   6 La petite bourgeoisie lorgnait du côté de la grande, et même de la noblesse. « Louez varlet ou chambèrière…./ Je suis assez femme notable/ Pour tenir varlet ou servante. » Les Drois de la Porte Bodés.   7 BM : fault   8 Que j’aille chercher du vin ou de la bière à la cave. Nous avons là une scansion populaire de cervoise, comme au vers 23. « Boire ung pot de cèrevoise. » Les Ordonnances, Édictz, Statuz.   9 C’est une tournure normande : « A ! Cuider, que tant tu es cault ! » La Pippée.   10 Auparavant.   11 BM : /il  (« Ainsi sera faict, Monseigneur. » Actes des Apostres.)   12 J’ajoute pour la rime ce petit mot affectueux qu’on retrouve à la fin du vers 75 ; les maris l’appliquent sans méchanceté à leur femme : cf. le Savatier et Marguet, vers 226.   13 Dans la rue, face à la maison. Il interprète le 3e couplet d’une vieille chanson normande que j’ai publiée dans la notice du Bateleur, où elle est également chantée.   14 Dans le Cousturier et le Badin, le Badin en question cherche de l’embauche comme valet : « –Trouver quelque maistre y me fault…./ –Vous voulez-vous louer à moy ? »   15 Et pourtant.   16 Ce cri public sert de titre à un monologue de Christofle de Bordeaux : Varlet à louer à tout faire.   17 BM : de par tous  (« Que, tous les diables, faictes-vous ? » Pour porter les présens.)   18 Il ouvre la porte.   19 Je m’en vais l’appeler. Guillemette sort devant la porte.   20 Raccourci normand de : « Par saint Jean ! » Cf. Deux hommes et leurs deux femmes, vers 359.   21 Elle fait entrer le Badin, et parle à son époux.   22 S’il est à votre goût, s’il vous convient.   23 Le malin. « Ainsi, sans faire icy le fin. » C. Huguet.   24 Officiellement. « Mais je te nomme à droit Bacus le Vendomois. » Ronsard.   25 Simplet. Cf. Jéninot qui fist un roy de son chat, vers 86.   26 Tous les dérivés de « Jean » désignent des naïfs. « Jéninot est le nom d’un sot. » Jéninot qui fist un roy.   27 Pour peu. Voir le vers 249.   28 Et aussi, je ne veux pas qu’on me fasse la gueule. Cf. les Drois de la Porte Bodés, vers 15.   29 Le museau de porc est un plat réputé. « Groins de pourceaux, et ung gigot farcy d’aulx [d’ail], que le roy donna au Bailly. » ATILF.   30 BM : nostre  (Voir le vers 111.)   31 Balayer. Le soi-disant valet ignore ce mot, qu’il confond avec « bailler » : donner.   32 BM : loyson  (Le couple, qui habite en ville, ne possède pas d’oies. Mais il a sûrement un cheval, comme tous les bourgeois. Grison est le nom dont on baptise spontanément les chevaux gris : « Il a bridé Grison et luy a mis la selle. » Ne sçauroit-on trouver.)   33 Elle donne un balai à Janot, qui ne sait pas comment on doit le tenir.   34 La grille, ou le portail.   35 Et aussi. La clé du cellier intéresse beaucoup les ivrognes, et donc les Badins : « Baillez-moy la clef du chélier. » Le Gentil homme et Naudet.   36 Gâte-sauce, ou plutôt goûte-sauces, toujours prêt à grappiller dans les casseroles. « Un gourmand, un frippon qui guette les morceaux pour les avaler. » Dict. de l’Académie françoise.   37 Vers manquant. Janot sera bel et bien nourri de pain bis au vers 98.   38 Tu ne manqueras. Cf. le Poulier à sis personnages, vers 455. On chôme certains jours fériés en faisant maigre, en ne mangeant presque rien.   39 BM : dautre   40 BM : Tenez  (Au vers suivant, Guillemette continue à tutoyer son valet.)   41 BM : pis/  (Les pauvres et les domestiques se contentent de ce pain noir. Cf. Colinet et sa Tante, vers 24.)   42 BM : diriez que seriez si   43 Il faut manger avec noblesse, modération.   44 BM : me fasche  (à la rime.)   45 Cela me contrarie. « Fort il me fasche/ Quand vous parlez de desloger. » Jacques Jacques.   46 Breuvage alcoolisé. « Quand tu éras gousté de chu bruvage. » La Muse normande.   47 Je m’en vais à mes affaires, à mon travail.   48 BM : et   49 Que j’aille voir, quoi qu’on en dise.   50 BM : Pour  (Gouverner une femme = obtenir ses faveurs, y compris sexuelles. Cf. les Brus, vers 263.)   51 Tarder. « Sans plus targer,/ Vers la croix vais. » Les Trois amoureux de la croix.   52 La rêverie, la perte de temps. « Qu’i vault le songer ? » (Le Résolu.) L’Amoureux toque à la porte de Guillemette.   53 Je m’efforcerai.   54 BM : recommander.  (L’Amoureux entre avec Guillemette, et s’assoit. Près de lui, avec des gestes dangereux, Janot essaie de comprendre le délicat maniement du balai.)   55 Sans y être invité. « Car je suis venus sans mander. » ATILF.   56 Je comble cette lacune d’après Jénin filz de rien : « Te tairas-tu point ? Qu’esse-cy ? »   57 Euphémisme normand pour « vrai Dieu ». Cf. la Farce du Pet, vers 130.   58 En latin de collégiens, bona dies = bonjour. Cf. le Mince de quaire, vers 165.   59 BM : sorte  (Salutation parodique de collégiens : « Dieu vous gard/ De bien et de bonne santé ! » Les Cris de Paris. Le jeune clerc Guillerme s’en gargarise aux vers 177-8.)   60 BM : Mais  (Voir le vers 170.)   61 Qu’il fallait que j’aille toujours.   62 Pourchas, provisions.   63 Pour faire l’amour. Cf. Frère Guillebert, vers 364.   64 En cachette. « Licurgue ordonna que les mariéz de Lacédémone ne se pourroient “prattiquer” qu’à la desrobée. » Montaigne.   65 Il grogne. Cf. le Ribault marié, vers 37.   66 Seyant. Les élégants portent leur bonnet incliné sur l’œil. Les Badins sont coiffés d’un béguin [bonnet de nourrisson] sur lequel ils peuvent mettre un bonnet grotesque : « Et coiffé d’un béguin d’enfant/ Et d’un hault bonnet triumphant. » (Marot : De Jean Serre, excellent joueur de Farces.)   67 Encore une formule de politesse inversée. Un homme bien élevé doit dire : Ou que le diable m’emporte !   68 Ce mot couvre aussi les mystères de la chambre à coucher. « Je gasterois tout le mistère./ J’ayme beaucoup mieulx vous le faire. » Le Gentil homme et Naudet.   69 Cette réponse ambiguë est bien digne d’un Badin. On peut comprendre : « Je ne dirai plus un mot. » Ou, au contraire : « Je ne me tairai pas. »   70 Saint Charles. Le peuple était proche des saints, qu’il invoquait familièrement, avec des diminutifs dénués de toute moquerie.   71 Autour de. L’Amoureux du Poulier à quatre personnages sert les mêmes platitudes à sa maîtresse : « Ma doulce amye, croyez d’un cas/ Que j’ey faict plus de mile tours/ Par cy-devant depuys huict jours..../ Mais tousjours le [votre mari] voyais aler/ Ou venir à l’entour de vous. »   72 Lambin. Voir le Glossaire du patois normand, de Louis Du Bois.   73 On attache les pattes d’une oie qu’on veut aller vendre au marché. Ici, l’oie a des mains ; au vers 200, la femme a des pattes…   74 C’est une des multiples déformations du juron féminin « par mon enda ». « Par ma nanda ! j’en jure la bonne feste de madame la Sainct-Jean ! » Béroalde de Verville.   75 Je ne peux me faire si petite.   76 Quand il vous trousse.   77 Faim, envie. Cf. D’un qui se fait examiner, vers 184.   78 BM : Vrayment  (La patronne du Badin Jéninot dit de son valet : « C’est bien raison ! Par mon serment,/ Ce coquin ne fait que railler. »)   79 Il chante un air à la mode. Sa maîtresse a pour nom Guillemette (vers 1), et non Alison.   80 Il met la main sur ses yeux pour ne pas voir, mais il regarde entre ses doigts.   81 Avec modération.   82 La bête à deux dos. « Et faisoient eulx deux souvent ensemble la beste à deux douz. » Gargantua, 3.   83 Les vers 195-202, avec leur triple refrain, révèlent un vestige de triolet.   84 Beaucoup de Badins ont pour père un homme d’Église : voir Jénin filz de rien, D’un qui se fait examiner pour estre prebstre, Messire Jehan, etc.   85 Janot n’a rien vu du tout, puisque les amants n’ont rien fait. Mais les Badins, qui ont un sixième sens, ne voient pas et n’entendent pas la même chose que nous.   86 Cette préposition normande signifie avec. « Voulez-vous demourer o moy ? » (Les Esbahis.) Janot croit comprendre que sa patronne veut coucher avec lui.   87 C’est le plus beau cadeau qu’on puisse faire à un Badin. Celui du Retraict réclame à sa patronne le prix de son silence : « Donnez-moy un bonnet poinctu. » Le Porteur de pénitence veut soudoyer un Badin en lui disant : « Je te donray un beau bonnet. »   88 De la pâte fourrée de viande ou de poisson et cuite au four. Les taverniers, tout comme les rôtisseurs et les boulangers, en font de la vente à emporter.   89 Pour peu.   90 Un morceau, un quignon. « Envoyez-luy ung bout de rost [de rôti]. » Légier d’Argent.   91 BM : moins  (Le vers précédent rimait en « au mains », à la manière normande : « Si je ne suis payé au mains/ Du labeur qui vient de mes mains. » L’Aveugle et Saudret.)  Tu en auras les mains pleines.   92 BM : nulle  (Sans faute.)   93 Par cette injonction d’hôtelier, Janot réclame de quoi payer le pâté.   94 Comme cet argent est un bon intermédiaire ! « D’entregent gent ont nobles Franchois choix. » (Guillaume Crétin.) Janot complique le jeu en agglutinant un 3e gen au début du vers qui suit ; les Grands Rhétoriqueurs nommaient cette prouesse une « triple équivoque ».   95 Janot sort en laissant son balai par terre. Les amants s’embrassent.   96 Guillemette répond dans le même style, en commettant ce que les Grands Rhétoriqueurs appellent un « vrai kakemphaton ». « Folz folastres, serveaux asserveléz. » Folle Bobance, BM 40.   97 Il a mal agi. Idem vers 333.   98 Janot rentre dans la maison sans frapper, dérangeant les tourtereaux. Ce jeu de scène va se reproduire encore quatre fois.   99 Quel mauvais plaisant. « Quel gaudisseur ! » Moral de Tout-le-Monde.   100 Je prie Dieu pour que tu puisses te rompre le cou, au retour.   101 Immédiatement. « Car je m’en voys trèstout courant. » Maistre Doribus.   102 Du plaisir.   103 Ce que cela veut dire. « Adverty que c’est à dire de ladicte renonciation. » (Le Guidon des practiciens.) Les Badins, vissés à leur propre conception du réel, n’ont aucun sens du marchandage : voir par exemple Mahuet qui donne ses œufz au Pris du Marché.   104 Quand tu seras là-bas, chez le tavernier.   105 Immédiatement. « Je m’y en voy tout maintenant. » Le Tesmoing.   106 Lourdaud (normandisme). Cf. le Trocheur de maris, vers 27.   107 « Vous estes plus lourt q’ung taureau. » Les Queues troussées.   108 BM : Apporteray ie   109 L’amant du Gentil homme et Naudet, pour se débarrasser d’un Badin, l’envoie quérir du vin dans une taverne. Au gêneur, qui revient poser des questions saugrenues, l’amant répond : « Mon amy doulx, despesche-toy ! »   110 BM : quel le  (Correction d’André Tissier.)   111 Retardés.   112 Ce saint normand existe : cf. les Brus, vers 70. Mais pour la mesure, et pour rester dans la nourriture, on peut lui préférer saint Jambon, qui est le héros d’un sermon joyeux. « Par sainct Jambon de Maïance ! » (La Resjouissance des harangères.) Enfin, il serait injuste de ne pas rendre l’hommage qu’il mérite à saint Jean Bon, l’ermite mantouan qui fonda en 1217 l’ordre des Jeanbonites.   113 Un effarant.   114 BM : de bieure  (L’éditeur parisien a remplacé une rue rouennaise par la rue de Bièvre.)  La taverne du Pot-d’étain faisait le coin de la rue d’Albène, prononciation normande et graphie attestée de la rue d’Albane, qui deviendra la rue des Quatre-Vents.   115 BM : un petit  (Janot vante son appétit au vers 53.)   116 BM : retournerois  (« COLIN, en s’en allant : Tu dis vray, g’y tourne. » Colin qui loue et despite Dieu.)   117 En latin, illa = par là. Cf. la Farce du Pet, vers 45 et note.   118 Il se retourne vers la porte ouverte comme s’il allait sortir encore une fois.   119 Je reprends le vers 119.   120 La politesse est une convention étrangère à l’univers des Badins. Nous avons eu des exemples de leur politesse personnelle aux vers 144 et 163.   121 Tandis que l’Amoureux passe devant lui pour fuir, Janot lui arrache son bonnet, et s’en coiffe d’une manière ridicule.   122 Parlez d’autre chose.   123 BM : en   124 C’est vrai. Cf. Lucas Sergent, vers 172. Un allant est un homme à femmes : « Il se dit père, oyez-vous, d’Olivier Galland./ O ! de par Dieu, c’est un allant ! » Godefroy.   125 Lutté corps à corps. « “La belle,/ Jouons-nous et luyttons bien fort !”/ Mais mon maistre est bien le plus fort :/ Il la gette tousjours en bas. » Guillerme qui mengea les figues.   126 BM : la premiere  (De prime lutte = au premier assaut : « Maistre Bidault de Cullebute,/ Chappellain d’Emmanche-Faucille,/ Grant abbateur de prime lute. » Guillaume Coquillart.)  De prime adresse = directement : « De prime adresse jusques en Castille. » ATILF.   127 « La loy punist par glayve, com je croys. » L’Ystoire de Eurialus et Lucresse.   128 BM : brayette  (La pièce est le coupon de tissu dans lequel on taille un haut-de-chausses [un pantalon]. C’est également le pénis : « Vécy des coustures bien faictes :/ J’ay mis la pièce auprès [à côté] du trou. » Les Botines Gaultier.)   129 Le mari ramasse le balai que Janot a laissé par terre, et cogne sur son épouse.   130 BM descend cette rubrique sous le vers suivant.   131 Suis-je encore de ce monde ?   132 Si nous avons fauté en quoi que ce soit.

LUCAS SERGENT

Manuscrit La Vallière

Manuscrit La Vallière

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LUCAS  SERGENT

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Cette farce normande fut composée vers 1519. Son « héros » exerce la profession peu recommandable de sergent, ce qui lui vaut le surnom de Lucas Sergent. Aujourd’hui encore, ce patronyme est porté par des personnes dont un lointain ancêtre était sergent.

Le premier vers évoque une ordonnance royale appliquée à la Normandie en 1518, laquelle confirme plusieurs ordonnances antérieures qui, comme d’habitude, n’avaient pas été suivies d’effet : « En relevant nostre peuple des griefs, exactions & vexations qu’ils ont souffert & souffrent à cause de la multitude des sergens extraordinaires qui sont en nostre pays de Normandie, avons ordonné & ordonnons que le nombre ancien de nosdits sergens par les Bailliages, Vicomtéz & Jurisdictions de nostre pays de Normandie sera réduit & remis, en rejettant tous autres sergens extraordinaires outre ledit nombre, pourveu que ceux qui demeureront esdits Offices de sergent seront de bonne & honneste vie, & sçauront lire & escrire. » Inutile de préciser que notre Lucas ne fait pas partie des sergents « de bonne et honnête vie » qui ont été gardés, même s’il porte encore les attributs de son ancienne profession.

Se rendant compte qu’une seule anecdote n’eût pas rempli les 300 vers réglementaires, l’auteur anonyme de la farce a combiné deux histoires qui circulaient depuis longtemps. Après tout, l’auteur de Sœur Fessue n’a pas fait autre chose. Je n’énumérerai pas les œuvres latines, italiennes ou françaises qui, depuis le XIIe siècle1, ont popularisé la deuxième de ces histoires2 ; les curieux consulteront la préface des éditions Fournier, Mabille et Tissier, ou le Répertoire de Petit de Julleville. Pour le moins, l’auteur connaissait forcément la version qui se trouve dans les Cent Nouvelles nouvelles, et que je publie sous la farce à titre de comparaison.

Lucas le borgne inspira un proverbe : « “Au cas que Lucas n’ait qu’un œil, sa femme espousera un borgne.” C’est une raillerie vulgaire [populaire] dont on se sert lorsque quelqu’un entame un discours par ces mots : au cas que. » (Antoine Oudin, Curiositéz françoises, 1640.) Ce proverbe fut assez durable pour avoir les honneurs du dictionnaire de Furetière en 1690.

Source : Manuscrit La Vallière, nº 53. Cette farce est d’un grand intérêt pour les amateurs de patois normand.

Structure : Rimes plates.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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Farce nouvelle

À .IIII. personnaiges, c’est asçavoir :

       LUCAS  SERGENT,  bouéteulx3 et borgne

       LE  BON  PAYEUR

       et  [AMELINE  FINE]4,   femme du sergent

       et  LE   VERT  GALANT

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                        LUCAS  commence                                 SCÈNE  I

        Puysque sergens ne font plus rien,

        Y me fault chercher le moyen

        De trouver quelque vielle amende

        À mon roulle5 ; g’y ay atente,

5      Il est [bien] vray, par sainct Saulveur6 !

        Mort bieu ! voicy ce Bon Payeur7

        Qui me doibt, il y a long temps8,

        Cinquante [escus] ; dont je prétemps

        Luy9 mectre en son colet la main.

10    Tousjours, de demain en demain,

        Me baille [jour10] pour me bien tenir11 ;

        Mais ce demain, ne peult venir.

        Ce n’est c’un menteur ordinaire.

        Quel remède ? Il est nécessaire

15    Que je le prenne au sault du lict :

        G’y voys12.

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                        [LE  BON  PAYEUR]                            SCÈNE  II

                             A ! mort bieu, quel déduict13 !

        Est-il heure de se lever ?

                        [LUCAS  SERGENT]

        Or sus ! Me veulx-tu poinct payer

        Cest[e] amende que tu me doibtz ?

                        LE  BON  PAYEUR

20    Lucas le borgne ? Hélas ! tu voys

        Que je me lève. Et ! mon amy,

        Je suys encor tant14 endormy

        Que je ne sçay où est ma bource.

        Ce seroyt chose bien rebource15

25    De bailler argent sy matin.

        Mais te16 donray d’un pot de vin

        Tantost, et d’un petit pasté.

                        LUCAS  SERGENT

        Vray Dieu, tant tu es enhasté17 !

        Tu ne traches18 qu’eschapatoyre.

                        LE  BON  PAYEUR

30    Tu voys : pas ne suys prest encoyre19.

        Au moingtz, lesse-moy habiller.

                        LUCAS

        Sy tu ne veulx argent bailler,

        La mort bieu, je prendray des nans20 !

        Te veulx-tu moquer des sergans21,

35    Qui sont les oficiers du Roy ?

                        LE  BON  PAYEUR 22

        Monsieur, nénin, dea, par ma foy,

        Monsieur le sergant ! Mais, de faict,

        Y me fault aler au retraict23 ;

        Par quoy, voulez24 vous retirer.

40    Et puys nous yrons desjuner ;

        Et là, je vous contenteray.

                        LUCAS

        Retirer ? Par Dieu ! non feray

        Jusqu(e) à tant que tu m[’ay]es payé.

                        LE  BON  PAYEUR

        An ! j’ey le ventre desvoyé25.

45    Retirez-vous, sergant à mache26 !

                        LUCAS

        Se tu debvoys faire27 en la place,

        Je ne me retireray poinct.

                        LE  BON  PAYEUR

        An ! vray Dieu, le ventre m’espoinct

        D’une sorte mauvaise et faulce28.

50    Vous me ferez faire en ma chausse29 ;

        Ce ne seroyt pas chose honneste.

        De vous tirer vous admonneste30.

        Et je promais vous advertir

        D’une chose, [avant de partir]31,

55    [Qui vous tient au cœur32.]

                        LUCAS  SERGENT

                                                   Et de quoy,

        Bon Payeur, [de quoy] ?

                        LE  BON  PAYEUR

                                                Par ma foy !

        Guétez-vous33, monsieur le sergant.

                        LUCAS

        De qui « guéter » ?

                        LE  BON  PAYEUR

                                        Du Vert Galant34,

        Car il entretient Ameline,

60    Qui est  ta femme.

                        LUCAS  SERGENT

                                       Saincte Katherine !

        J’en ay ouÿ parler, beau sire.

        À d’aultres35 !

                        LE  BON  PAYEUR

                                Dea ! j’ose bien dire

        Qu’il [l’]entretient, je le sçay bien.

                        LUCAS

        Sy croi-ge, moy, qu’i n’en soyt rien,

65    Car ma femme ne daigneroyt36.

                        LE  BON  PAYEUR

        Daigner ? Bo, bo ! qui s’y firoyt37,

        Le danger n’en seroit jà mendre38.

                        LUCAS

        Sy suis-je assez fin pour entendre

        Le cas : pas ne suys sy bémy39.

                        LE  BON  PAYEUR

70    Le cas40 ? Tu n’y voys qu’à demy ;

        Tu es borgne, et sy, es bouéteulx41.

                        LUCAS

        Myeulx voys d’un œuil que toy de deulx.

        Je me tien tousjours sus mes gardes.

                        LE  BON  PAYEUR

        C’est pour nient42 : car tu ne regardes,

75    La sepmaine43, que de travers.

                        LUCAS

        Tu me sers de mos tant dyvers

        Que tu me cuydes abuser.

        Sçays-tu quoy ? Il te fault payer,

        Ou j’éray des nans44.

                        LE  BON  PAYEUR

                                            C’est raison,

80    Se j’eusse des biens à foyson ;

        Mais de prendre45 ? Rien n’(y) a, cïens46.

        Monstrez-vous des plus paciens,

        Ne soyez pas des plus mauvais.

                        LUCAS  SERGENT 47

        J’auray pos et plas.

                        LE  BON  PAYEUR

                                        Lesse-lays48,

85    Monsieur, y n’y a rien dessus.

                        LUCAS  S[ERGENT]

        Et49 ! comme sergans sont déceuz50 !

        Corbieu, tu viendras en prison !

                         LE  BON  PAYEUR

        Ne vous monstrez pas trop félon,

        Monsieur, ce seroyt mal congneu.

90    Je n’yray pas (par sainct Symon)

        Un pié chaussé et l’aultre nu51.

        Le payment vous52 sera tenu,

        Mais que me prométez d’atendre

        Que [parchaussé soys]53. Sans mesprendre,

95    Je vous payeray incontinent.

                        LUCAS  SERGENT

        Bien donc. Chausse-toy vitement54.

        Je promais que rien ne payeras

        Tant que [parchaussé ne]55 seras.

                        LE  BON  PAYEUR

        Le promectez-vous ?

                        LUCAS  S[ERGENT]

                                           Ouy dea, ouy.

                        LE  BON  PAYEUR

100  Je ne parchausseray mèshuy56,

        Par ma foy, donc ! Ne de sepmaine !

        Non pas de l’an !

                        LUCAS  S[ERGENT]

                                    Dieu, quel(le) fredaine57 !

        Voicy un homme de bien, loing58.

                        LE  BON  PAYEUR 59

        J’apelle les gens à tesmoing :

105  Cela vault une quinquernelle60.

        Ma chausse, à la mode nouvelle

        Je chausseray, sans cousturier61 ;

        Me voylà en advanturier62.

        Je suys quicte, par sainct Saulveur !

                        LUCAS  SER[GENT]

110  Voylà le faict d’un [bon] payeur !

        Il en sçavoyt deulx, j’en ay d’une63.

        Mais s’y plaist à dame Fortune,

        Je luy en bailleray d’un aultre…64

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                        LE  BON  PAYEUR                               SCÈNE  III

        Il est payé. Au peaultre65 ! au peaultre !

115  Me voylà quicte de l’amende.

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                 AMELINE,  femme de Lucas Sergant.       SCÈNE  IV

            Ce beau touflet66 de lavende

            Garny de plusieurs flourètes…

        Je le don(ne)ray, par amourètes,

        À mon amy le Vert Galant.

120  A ! s’il sçavoyt que le sergant,

        Lucas le borgne, mon mary,

        Fust dehors, bien seroyt mar[r]y

        Qu’il ne me viensît67 bientost voir.

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                        LE  VERD  GALANT  entre68.             SCÈNE  V

        Quant à moy, je m’en voys sçavoir

125  Se Lucas Sergant est dehors.

        D’ajourner y faict ses effors69 :

        Il est à l’ofice bien digne70 !

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        Qu’esse-là ? Je voy Amelyne71,                                SCÈNE  VI

        Sa femme, qui fille à son huys72.

130  O ! que tant malureux je suys

        Que je ne suys venu plus tost !

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                        AMELINE  FINE                                  SCÈNE  VII

        Verd Galant, chacoustez73 un mot :

        Mon amy, prenez, par amour,

        Ce touffeau74 faict de maincte flour

135  Par les mains de vostre humble amye.

                        LE  VERD  GALANT

        Je ne le refuseray mye.

        Mais en le recepvant, ma seur,

        Je vous baiseray de bon cœur

        Pour l’amour du présent gentil.

140  Mais vostre mary, où est-il ?

                        AMELINE  FINE

        Où il est ? Hélas, Dieu le sache !

        Sur le vilage, [à tout sa mache]75,

        Où [il tourmente]76 povre gent.

        Il est actif et diligent.

145  Y rend maincte personne effrée.

        À cela, sçayt son entregent.

        Quant ces femmes n’ont poinct d’argent,

        On dict qu’il se paye en dérée77.

        C’est toult un, s’il prend sa lifrée78

150  De son costé, et moy du myen.

                        LE  VERD  GALANT

        Et ! voire, voire : j’entens bien

        Qu’i fault faire de tel pain soupe79.

        Mais quoy ! sy fault-il que je soupe

        Aveques vous par quelque soir,

155  Soyt de la brune ou de noir,

        [Mais80] qu’il soyt dehors.

                        AMELINE  FINE

                                                   Mon debvoir

        Je feray81 de vous advertir.

        Mais présent, nous fault départir82,

        Car incontinent revyendra.

                        LE  VERT  GALANT

160  Adieu donq ! On vous revoyra

        Plus à loisir, ma doulce amye.

.

                        LUCAS  SERGENT 83                          SCÈNE  VIII

        Mais qu’esse-là ? Ne voi-ge mye

        Un galant qui jase à ma femme ?

.

        Esse vostre cas, belle dame,                                     SCÈNE  IX

165  De tenir plet84 à ce jaseur ?

        Vous n’y aquérez poinct d’honneur.

        Et ! aussy, on me l’a bien dict.

                        AMELINE  FINE

        Et ! que de Dieu soyt-il mauldict,

        Qui onq y pensa à désonneur85 !

170  Je croy que c’est le Bon Payeur

        Qui ce faulx blason86 vous raporte.

                        LUCAS  SERGENT

        C’est mon87. Le grand deable l’emporte,

        Car il m’a joué d’un faulx tour88 !

                        AMELINE  FINE

        Et comment ?

                        LUCAS  SER[GENT]

                                Huy89, au poinct du jour,

175  Je le surprins en se cauchant90.

        Je luy dis : « Paye maintenant

        Ceste amende que tu me doibtz ! »

        Lors il me dist, se je vouloys

        Atendre qu’il fust parcauché91,

180  Qu’il me payroit. J’en fis marché,

        Et luy promys sans plus tencer92.

        Par quoy ne se veult parchausser93,

        Afin qu’il ne paye en éfaict.

                        AMELINE  FINE 94

        A ! rien, rien ! Prenez un fouet

185  Bien acoustré de [court baston]95 ;

        Et tout ainsy c’un careton96,

        Faictes-lay devant luy claquer.

        Et puys, s’y ne vous veult payer,

        Taillez-luy chausse(s) au long du cuyr97.

                        LUCAS  SERGANT

190  Bien98 voylà parlé à plaisir !

        J’ey désir d’un fouet trouver,

        Et [de] ton conseil esprouver

        D’une bonne sorte assez fine.

        A ! il n’est c’une femme fine

195  Pour quelque(s) fin tour aviser.99

.

        Et puys, ne veulx-tu poinct [br]aver100,                   SCÈNE  X

        Bon Payeur ? Sus, de par le deable !

        Chaussez vos chaulses, misérable !      Il le fouète.

        Chaulsez-vous !

                        LE  BON  PAYEUR

                                 [Sainct Jeh]an ! Nostre Dame !

200  Jésus ! Je payeray, par mon âme !

        Je me caucheray, sy je peulx.

        Tiens101, voylà cinquante [escus vieulx]102.

.

        C’est mal-encontre d’un bouéteux103 !                     SCÈNE  XI

        Le grand deable emporte le borgne,

205  Que tant d’un mauvais œuil il borgne104 !

        Tromperye tousjours retourne

        À son maistre105.

.

                        LUCAS  SERGANT 106                        SCÈNE  XII

                                       Je les atourne107,

        Ces bons payeurs : c’on me les baille,

        Afin c’une chausse vous taille108

210  Quant y ne viennent à raison !

        Je m’en revoys en ma maison,

        Puysque j’ey receu mon payement.

.

                        AMELINE  FINE 109                            SCÈNE  XIII

        Et puys ? Mon conseil, vrayement,

        Est-il bon ?

                        LUCAS  SERGANT

                            Ouy, par Dieu, de faict !

215  Mais garde d’avoir le fouet :

        On taille110 souvent (l’entens-tu ?)

        Le baston dont l’on est batu.

        Garde d’acouster111, sans long plait,

        Ce Vert Galant : y112 me desplaict.

220  Du temps passé113 je luy pardonne ;

        À l’avenir, mort bieu, j’ordonne114

        — S’ensemble je vous puys trouver —

        Incontinent de vous tuer !

        Il n’y aura poinct de remède.

                        AMELINE  FINE

225  Je ne sçay dont115 il vous procède,

        Synon que c’est par faulx raport116.

        A ! mon mary, vous avez tort

        De m’inputer un tel oultrage.

        Je n’ay poinct un sy méchant courage117.

230  Je suys de gens de bien extraicte,

        Et de ligne118 bonne et parfaicte ;

        Jamais y n’y eust que redire.

        À poy que ne me voys occire119

        Ou gecter en une malière120 !

235  Sy, en devant ny en dèrière,

        Vous voyez en moy déshonneur,

        Ne m’espargnez poinct.

                        LUCAS  SERGANT

                                              Bien, ma sceur121.

        Gouvernez-vous bien, en un mot.

        Maintenant m’en voys au plus tost

240  À dis lieues122 d’icy (ce n’est pas près)

        Pour [y] recorder mes explays123.

        À demain124 ! Gardez bien à l’ostel125 !

.

                        AMELINE  FINE                                  SCÈNE  XIV

        Mais en est-il encor un tel126 ?

        Borgne, boyteulx : Dieu, quel rencontre !

245  Y porte plus grand mal-encontre127,

        Par Dieu, que le boys du gibet !

        Y n’est rien plus ort, ne plus let128.

        Voise129 au deable le malhureulx !

        Ceste nuyct, de mon amoureulx

250  Jouyray, puysqu’il va dehors.

.

                        LUCAS 130                                             SCÈNE  XV

        Y fault mectre tous mes effors

        À me mucher icy endroict131,

        Et voiré tout132 ; car elle croit

        Que je m’en suys dehors alé.

255  J’espiray du long et du lé133,

        Pour voir se le galant viendra.

.

                        AMELINE  FINE 134                            SCÈNE  XVI

        Par Dieu ! en parle qui vouldra135 :

        Je voys atendre icy devant

        Mon cher amy le Verd Galant

260  Pour le fère céans entrer.

.

                        LE  VERT  GALANT 136                      SCÈNE  XVII

        Amour veult mon cœur pénestrer :

        De sa sayète137 noble et digne

        Je suys navré138, sans poinct doubter.

        Icy ne puys plus arester139 :

265  Je veulx aler voir Amelyne140.

.

        La voilà, la gente godine141,

        Mon soulas142, ma joye et plaisance.

        A ! il fault bien que je m’avance

        Pour l’aler saluer souldain.

.

270  Honneur, ma Dame au cœur humain !                      SCÈNE  XVIII

        Où est le faulx143 borgne Lucas ?

                        AMELINE  FINE

        Ceste nuyct ferons nostre cas,

        Car il est alé sur les champs144.

                        LE  VERT  GALANT

        Ainsy que deulx parfaictz amans,

275  Nous ferons bien nostre paquet145.

                        AMELINE  FINE

        En despit des jaloux meschans,

        Passons le temps en ris et chans146.

        Siéchons-nous béquet à béquet147,

        Car j’ey préparé le banquet.

280  Récréon-nous, faison grand chère !

                        LE  VERD  GALANT

        Je n’ey choze au monde sy chère.

        Je suys, de vostre amour, transy148.

                        AMELINE  FINE

        Aussy suys-je de vous, aussy.

        Prenons passe-temps sans esmoy.

                        LE  VERT  GALANT

285  Ma chère amye, baisez-moy

        Pour rassasier149 mon désir.

        Disons quelque mot à plaisir.

        Monstrez qu’avez le cœur joyeulx.

                        AMELINE  FINE

        En despit du borgne boéteulx,

290  Nous prendrons passetens, nos deulx150,

        Tant que la nuyct durera toute.

.

                        LUCAS  SE[R]GA[N]Z 151                   SCÈNE  XIX

        Vous rirez ensemble, vos deulx ?

        Tantost serez bien roupieulx152 !

        Le borgne est près, qui vous escouste.153

                        LE  VERT  GALANT

295  Qu’esse que j’os154 ? Dieu ! qu’on me boute

        Dehors155, car nous sommes perdus !

                        LUCAS  SERGANT

        Mort bieu ! les us156 seront rompus,

        Se tu n’ouvres bien tost, vilaine !

                        AMELINE  FINE

        Jésus ! Benoiste Madalaine !

300  C’est mon mary ! Dieu ! que feray ?

                        LE  VERD  GALANT

        Dictes où je me bouteray.

        Y me tura de mort cruelle.

                        AMELINE  FINE

        J’ouvriray à tout157 la chandelle ;

        Tenez-vous bien dèrière moy158.

                        LE  VERD  GALANT

305  Jésus ! Madame saincte Foy !

        Hélas ! qu’esse que nous ferons ?

                        AMELIN[E]  FINE

        Sy Dieu plaist, nous escamperons159 ;

        Ne vous chaille160, laissez-moy faire.

                        LUCAS  S[ERGENT]

        Ouvre,  ouvre tost !

                        AMELINE  FINE 161

                                      Qu’avez-vous à braire ?

310  Jamais ne fus plus resjouye

        Que quant j’ey vostre voys ouÿe.

                        LUCAS  SERGANT

        Ta male mort !

                        AMELINE  FINE

                                 Je me dormoye ;

        Et en me dormant, je songoye162

       Que Dieu vous avoyt, pour le myeulx,

315  Enlumyné163 tous les deulx yeulx.

        Je n’us oncques aussy grand joye.

        Hélas, mon amy : que je voye,

        Car g’y ay ma crédence ferme164.

        Voyez-vous pas cler, quant je ferme

320  Cestuy-cy qui est destouppé165 ?

                        Elle luy clost l’œuil de quoy il voyt.

                        LE  VERT  GALANT 166

        Dieu mercy, je suys eschapé

        De craincte et de douleur mortelle !

        Voylà la meilleure cautelle167

        Qui jamais peust estre advisée168.

                        LUCAS  SERGENT 169

325  Où est-il170, vilaine rusée,

        Ce paillard à qui tu t’esbas ?

                        AMELINE  FINE

        Lucas, cherchez bien, hault et bas :

        Car céans il n’y a poinct d’homme171.

                        LUCAS  SERGENT

        Bien peu s’en fault que ne t’assomme !

330  Tu m’es venu l’œuil estouper

        Afin de le faire eschaper.

        Tu m’as bien déceu172, en éfaict.

        Je te prendray dessus le faict

        Une aultre foys, sans long babil.

.

                        LE  VERT  GALANT 173                     SCÈNE  XX

335  Combien c’un borgne s[oyt s]ubtil,

        Un bouéteulx cauteleux e[t] fin174,

        [Il] sera conclus175, à la fin.

        Vous avez veu, [quant le temps presse]176,

        Que, pour trouver une finesse

340  Souldain, il n’est que femme fine177.

        Par ceste fin, la farce finne178.

        En prenant congé de ce lieu,

        Une chanson pour dire adieu !

.

                                                  FINIS

*

.

D’UNG  CHEVALIER  DE  PICARDIE 179

.

Créez que l’uys180 n’estoit pas ouvert, à cause du lieu-tenant181, qui tout esbahy fut, et madame aussi, quant monseigneur heurta de son baston ung très lourt coup.

« –Qui esse-là (ce dit madame) ?  –C’est moy (ce dit monseigneur). Ouvrez, ouvrez ! »

Madame, qui tantost a congneu182 monseigneur à son parler, ne fut pas des plus asseurées. Néantmoins, fait habillier incontinent son escuier, qui met peine de s’advancier183 le plus qu’il peult, pensant comment il pourra eschapper sans dangier. Madame, qui faint d’estre encores toute endormie et non recongnoistre monseigneur, après le second heurt qu’il fait à l’uys, demande encores :

« –Qui esse-là ?  –C’est vostre mary, Dame. Ouvrez bien tost, ouvrez !  –Mon mary (dist-elle) ? Hélas ! il est bien loing de cy. Dieu le ramaine à joie, et brief !  –Par ma foy, Dame, je suis vostre mary. Et ! ne me congnoissez-vous au parler ? Sitost que je vous ay ouÿ respondre, je congneuz bien que c’estiez vous.  –Quant il viendra, je le sçauray beaucoup devant184, pour le recepvoir ainsi comme je doy, et aussi pour mander messeigneurs ses parens et amis pour le festoier et convoier à sa bienvenue. Allez, allez, et me laissez dormir !  –Saint Jehan ! je vous en garderay bien (ce dit monseigneur). Il fault que vous ouvrez l’uys. Et ! ne voulez-vous congnoistre vostre mary ? »

Alors l’appelle par son nom. Et elle, qui voit que son amy est jà tout prest, le fait mettre derrière l’uys, et puis va dire à monseigneur :

« –Estes-vous ce ? Pour Dieu, pardonnez-moy ! Et estes-vous en bon point ?  –Oÿ, Dieu mercy (ce dit monseigneur) !  –Or, loué en soit Dieu (ce dit madame) ! Je vien incontinant vers vous, et vous mettray dedans185, mais que je soye ung peu habillée & que j’aye de la chandelle.  –Tout à vostre aise (ce dit monseigneur) !  –En vérité (ce dit madame), tout à ce coup que vous avez heurté, monseigneur, j’estoye bien empeschée d’ung songe qui est de vous186.  –Et quel est-il, m’amye ?  –Par ma foy, monseigneur, il me sembloit à bon escient que vous estiez revenu, et que vous parliez à moy ; et si, voyez187 tout aussi cler d’ung œil comme de l’autre.  –Pleust ores à Dieu (ce dit monseigneur) !  –Nostre Dame (ce dit madame), je croy que aussi faictes-vous188.  –Par ma foy (dit monseigneur), vous estes bien beste ! Et comment se pourroit-il faire ?  –Je tiens, moy (dit-elle), qu’il est ainsi.  –Il n’en est riens, non (dit monseigneur). Estes-vous bien si fole de le penser ?  –Dea ! monseigneur (dit-elle), ne me créez jamais s’il n’est ainsi ! Et pour la paix de mon cueur, je vous requier que nous l’esprouvons189. »

Et à ce coup, elle ouvra l’uys, tenant la chandelle ardant en sa main. Et monseigneur, qui est content de ceste espreuve, et s’i accorde par les parolles de sa femme. Et ainsi le pouvre homme endure bien que madame luy bouchast son bon œil d’une main ; et de l’autre, elle tenoit la chandelle devant l’œil de monseigneur qui crevé estoit. Et puis luy demanda :

« –Monseigneur, ne véez-vous pas bien, par vostre foy ?  –Par mon serment, non (ce dit monseigneur). »

Et entretant que ces devises se faisoient, le lieu-tenant de mondit seigneur sault190 de la chambre sans qu’il fût apparceu de luy.

« –Or attendez, monseigneur (ce dit-elle). Et maintenant, vous me voiez bien, ne faictes pas ?  –Par Dieu, m’amye, nennil (respond monseigneur). Comment vous verroy-je ? Vous avez bouchié mon dextre œil191, et l’autre est crevé passé192 plus de dix ans.  –Alors (dit-elle), or voy-je bien que c’estoit songe, voyrement, qui ce rapport me fist. Mais quoy que soit, Dieu soit loué et gracié que vous estes cy !  –Ainsi soit-il (ce dit monseigneur) ! »

Et à tant, s’entr’acolèrent et baisèrent par plusieurs fois, & firent grant feste…. Et ce fait, se bouta ou lit avec madame, qui le repeut du demourant193 de l’escuier, qui s’en va son chemin lyé194 & joyeux d’estre ainsi eschapé.

*

1 Plusieurs spécialistes nomment parmi les sources un fabliau de la Male dame, ou de la Mauvaise femme. Ce fabliau n’existe pas. Il s’agit d’un exemplum figurant dans la Disciplina clericalis, composée par Petrus Alfonsi au tout début du XIIe siècle. Ce livre fut traduit en français au XIIIe siècle, et l’Exemplum de vindemiatore dont il est question reçut alors pour titre : De la Male feme.   2 Henri Estienne, avant de la narrer à son tour, nous informe de cette popularité : « Je commenceray par un tour lequel il me souvient avoir ouÿ conter cent et cent fois à Paris ; et depuis, l’ay trouvé entre les contes de la roine de Navarre [dans l’Heptaméron, 6]. »   3 Boiteux. Le héros de l’histoire n’a cette particularité que dans notre farce. Le créateur du rôle boitait peut-être, comme l’argumente André Tissier : Recueil de farces, t. VI, 1990, pp. 265-307.   4 LV : fine myne  (Cette confusion se reproduira 2 fois. Fine Mine est le nom d’un jeune Sot dans les Sotz fourréz de malice et dans les Sotz triumphans.)   5 Le « rôle » est ici le registre des exploits, qui catalogue les justiciables condamnés à une amende. Avoir attente = avoir bon espoir.   6 Ce saint providentiel est encore invoqué au vers 109.   7 Lucas lit dans son registre le surnom que les créanciers donnent à ce mauvais payeur.   8 Depuis longtemps.   9 LV : et  (Je prétends lui mettre la main au collet : le capturer.)   10 Il me donne rendez-vous. « Et luy fut baillé jour au vendredi. » Olivier de La Marche.   11 Pour me faire le paiement. Voir le vers 92 : « Le payment vous sera tenu. »   12 J’y vais. Lucas entre chez le Bon Payeur, qui dort, et il le secoue.   13 Tu parles d’un plaisir ! « Quatre frans, sans plus ? Quel déduyt ! » Les Chambèrières et Débat.   14 LV : tout   15 Rébarbative. Cf. les Queues troussées, vers 227.   16 LV : Je  (Le pot-de-vin avait déjà son sens actuel : « Je vous donré ung pot de vin,/ Beau sire, et soyons amys. » La Confession du Brigant.)  La corruption des sergents est proverbiale : « Quant ung larron est attrappé,/ Le sergent qui l’aura happé/ Le lairra, mais qu’il ait argent. » Les Esbahis.   17 Hâtif, pressé de me voir partir. « La mère des deux enfans s’enhasta (…) : elle désiroit à veoir son filz. » Perceforest.   18 Tu ne cherches. « Aller tracher à baire [à boire] à la fontaine. » La Muse normande.   19 Je ne suis pas encore prêt. Inexplicablement, les quatre éditions modernes de cette farce ponctuent après « pas », alors que la même formule, par ailleurs banale, revient à 69. Cf. les Frans-archiers qui vont à Naples, vers 75.   20 Des nants [des nantissements] : des objets personnels à titre de gage. Idem vers 79. « Bons beuveurs ont dispense :/ Sergent, pour nans, ne doit/ Prendre par violence/ Les vaisseaux où l’on boit. » Godefroy.   21 Des sergents. Le « g » dur normanno-picard est fréquent dans cette pièce.   22 Afin de prendre Lucas par la flatterie, il se met à le vouvoyer en l’appelant Monsieur.   23 Au cabinet. Dans ce manuscrit, notre farce est suivie par celle du Retraict.   24 Pour cela, veuillez.   25 Je souffre d’un dévoiement de ventre : de diarrhée.   26 Un sergent à masse a pour attribut un bâton de plomb argenté. Cf. l’Antéchrist, vers 231.   27 Même si tu devais faire tes besoins.   28 Me tourmente d’une manière mauvaise et pernicieuse.   29 C’est une expression courante. En réalité, le Bon Payeur est encore au lit, en chemise longue : il ne porte donc pas de chausses.   30 Je vous adjure de vous retirer.   31 LV : vous aduertir  (à la rime.)   32 Je comble cette lacune d’après le Nouveau marié : « Ce qui me tient le plus au cueur. »   33 Méfiez-vous. « Guettez-vous là/ Que vous n’ayez fructus ventris [que vous ne tombiez pas enceintes]. » Frère Guillebert.   34 Ce sobriquet, dont bénéficiera Henri IV, qualifiait les coureurs de jupons. « Et puis prendre la “raverdie”/ Avecques quelque verd gallant. » Tout-ménage.   35 Racontez ces balivernes à quelqu’un d’autre. « Il n’est à croire [ce n’est pas crédible]./ À d’autres ! » Le Pauvre et le Riche.   36 N’oserait pas. « Cuideriez-vous que ma commère/ Vous fist coqu ? C’est chose clère/ Qu’el ne daigneroit. » Ung Mary jaloux.   37 Quand bien même on se fierait à elles.   38 Moindre. Cf. les Trois amoureux de la croix, vers 2.   39 Naïf. Cf. D’un qui se fait examiner, vers 84.   40 Certains corrigent « Lucas » ; mais les protagonistes répètent souvent, et de manière interrogative, les paroles de leur interlocuteur : vers 42, 58, 66, 141.   41 Et en plus, tu es boiteux.   42 Pour néant, pour rien. Cette forme normande compte pour 1 syllabe : cf. le Clerc qui fut refusé, vers 86.   43 En tout temps.   44 Ou j’aurai des gages. Voir la note 20.   45 Que voulez-vous prendre ?   46 Céans, ici. Cf. l’Homme à mes pois, vers 74.   47 Il saisit des pots et des plats.   48 Laisse-les. Même pronom normand à 187. On pourrait corriger « laissez-les, Monsieur », mais cela gâcherait un effet comique : le débiteur mélange le tutoiement de la familiarité amicale avec le vouvoiement du faux respect. Le Bon Payeur sort du lit en chemise longue, et il commence à enfiler ses chausses, un caleçon long qui est porté sous le haut-de-chausses.   49 LV : cest   50 LV : deceptz  (Voir le vers 332.)  Je suis trompé : les plats et les carafes sont vides.   51 Le Bon Payeur n’a enfilé qu’un côté : l’autre jambe est toujours nue.   52 LV : ne   53 LV : ք chance  (Être parchaussé : avoir mis ses chausses complètement, aux deux jambes. Idem vers 98, 100, 179 et 182. Le copiste ignorait ce mot, qu’il déforme presque toujours. Le « p » tranché abrège notamment la syllabe « par ».)  Sans méprendre = sans faute. Cf. Frère Frappart, vers 180.   54 LV : incontinent  (à la rime.)   55 LV : ք chanse tu   56 Je ne mettrai pas mes chausses aux deux jambes aujourd’hui.   57 Quelle blague. Cf. le Cousturier et Ésopet, vers 320.   58 Vu de loin. « Tu es ung très homme de bien,/ Voire, loing. » Moralité de Pouvre peuple.   59 Il s’adresse au public.   60 Une quinquenelle est un délai de 5 ans qu’on accorde à un débiteur. Cf. la Folie des Gorriers, vers 318.   61 Les couturiers à la mode habillaient les jambes avec des couleurs différentes. Le Bon Payeur va faire mieux qu’eux, puisqu’il n’habillera qu’une seule de ses jambes.   62 Les mercenaires qui n’avaient plus de solde se retrouvaient vite en haillons ; voir le Capitaine Mal-en-point.   63 Il connaissait deux bons tours, j’en ai expérimenté un. André Tissier cite Tahureau : « Vous en sçavez de deux, vous nous en avez baillé d’une. »   64 Lucas s’en va.   65 Au diable ! Cf. les Sotz qui corrigent le Magnificat, vers 321.   66 Bouquet. D’après Tissier, ces deux vers, « qui ont sept syllabes, étaient peut-être chantés ». L’entrée d’un nouveau personnage est souvent mise en valeur par une chanson.   67 Vînt : de ne pas venir bien vite me voir.   68 Il entre en scène, et se dirige vers la maison de Lucas et d’Ameline.   69 Il s’évertue à porter des ajournements, des assignations en justice. Les sergents sont des huissiers aux pouvoirs étendus. Cf. les Botines Gaultier, vers 295.   70 Il est bien digne de cet office méprisable.   71 LV : fine myne  (Note 4.)   72 Qui file sa quenouille devant la porte, pour profiter de la lumière du jour. Nous sommes l’après-midi ; la pièce a commencé le matin, et s’achèvera le soir.   73 Écoutez. « Et chacoutez la nouvelle nouvelle/ Du tret nouviau qui vo[us] sera contay. » La Muse normande.   74 Bouquet. « De gros toufiaux plaquent à leu capel [sur leur chapeau]. » La Muse normande.   75 LV : ou toult marche  (Avec sa masse. Nous trouvons « à tout » [avec] au v. 303, et « mache » [masse de sergent] au v. 45.)   76 LV : ilz tourmentent  (Il rançonne le pauvre peuple.)   77 En denrée féminine, en nature. « Un verd gallant bien ataché/ Et qui ne soyt lâche amanché,/ Quant la derrée sy le vault. » Le Trocheur de maris.   78 Sa ration. « Car tout checun me donnet la lifrée. » La Muse normande.   79 Qu’il faut lui rendre la pareille. « Si on luy faict de tel pain souppe qu’il a faict à autruy. » Antoine Le Maçon.   80 Pourvu. « Il soufist, mais qu’il soit dedans. » Les Femmes qui font renbourer leur bas.   81 Quand c’est une épouse honnête qui dit « je ferai mon devoir », elle stipule qu’elle sera fidèle à son mari.   82 À présent, il faut nous séparer.   83 Il voit le Vert Galant prendre congé d’Ameline et s’en aller.   84 Des plaids, des discussions. Idem vers 218.   85 Celui qui jamais y vit une chose déshonorante.   86 Ce sournois cafardage.   87 C’est vrai. Cf. Maistre Mimin estudiant, vers 361.   88 Un mauvais tour.   89 LV : yer  (Aujourd’hui.)   90 LV : couchant  (En se chaussant : alors qu’il enfilait ses chausses. « Cauchant ses biaux soulliais. » La Muse normande.)  Ma correction prépare le vers 179.   91 LV : ք cauche  (Forme normande de parchaussé. « Ayant cauché leu brais [chaussé leurs braies]. » La Muse normande.)   92 LV : tencher  (Tancer, récriminer. Cette forme en -cher a beau être normande, elle ne rime pas bien. Ou alors, elle rimait avec parcaucher.)   93 LV : ք chauser  (De sorte qu’il ne veut pas finir de mettre ses chausses.)   94 Elle va se venger de son délateur, qui s’était lui-même vengé de Lucas en lui distillant les incartades de son épouse.   95 LV : chareton  (Un fouet nanti d’un manche court cingle plus fort.)  Fou-et compte pour 2 syllabes.   96 Tel un charretier. « Un careton/ Qui enmeine une c[h]aretée. » Godefroy.   97 Taillez-lui la peau à coups de fouet.   98 LV : cors bieu   99 Lucas prend son fouet, puis retourne chez le Bon Payeur, qui n’est toujours pas habillé.   100 « BRAVER : Se parer. » (Édélestand et Duméril, Dictionnaire du patois normand.) « On engageait souliers, corsets, vaisselle/ Pour se braver. » La Muse normande.   101 LV : tenes  (Le Bon Payeur tutoie Lucas aux vers 20-31, 60, 70-75.)   102 LV : deulx  (Voir le vers 8.)  « Et n’ay grant planté [quantité] d’escuz vieulx. » La Confession du Brigant. On avait décrié cette monnaie en 1511. Lucas s’en va.   103 Croiser un boiteux était de mauvais augure : Pluton, le dieu des Enfers, boitait. Talleyrand, le « diable boiteux », n’aura pas non plus une bonne réputation.   104 Il regarde de travers, il lorgne. « Ilz ne pevent personne (…) regarder de droit œil, maiz tousdiz de travers aussi que en borgniant. » ATILF.   105 « À trompeur, tromperye luy vient. » Le Poulier à sis personnages.   106 Dans la rue, il s’adresse au public.   107 Je les habille.   108 Pour que je vous taille une chausse dans leur peau. Voir le vers 189.   109 À son mari, qui rentre, toujours armé du fouet.   110 LV : baille  (« Taillié a le baston/ De quoy il est batu. » ATILF. Nous disons toujours : Tailler le bâton pour se faire battre.)   111 Garde-toi d’écouter. Cf. le Tesmoing, vers 245. Sans long plaid : sans que j’aie besoin de t’en parler longuement.   112 Cela.   113 Pour ce qu’il t’a fait dans le passé.   114 Je suis disposé.   115 LV : donc  (D’où cela vous vient.)   116 C’est à cause d’un hypocrite rapportage.   117 Cœur.   118 D’une lignée. « On dict qu’il est de bonne ligne,/ Et de gens de bien. » La Veuve.   119 Il s’en faut de peu que je n’aille me tuer. « À poy qu’il ne la tua ! » Chronique normande.   120 Dans une marnière, une fondrière. « Icellui Polart (…) avoit esté porté et geté en une mallière. » Godefroy.   121 « Ma sœur » est le titre respectueux qu’on accorde à une religieuse. Ici, c’est un peu ironique.   122 10 lieues normandes = 44,5 km. Lucas veut simplement dire qu’il n’est pas près de rentrer.   123 Pour y signifier mes notifications de justice. « Exploit » rime en -ait, à la manière normande : cf. Jehan de Lagny, vers 91.   124 LV : dieu  (Cf. la Seconde Moralité, vers 271.)  Lucas fait croire à son épouse qu’il sera absent toute la nuit : vers 249, 272 et 291.   125 Gardez la maison. « Garde bien l’hostel, hault et bas ! » (Le Ribault marié.) Lucas s’éloigne un peu du logis.   126 En fait-on encore des comme lui ?   127 Il est encore plus malencontreux qu’un gibet : on a encore moins envie de le rencontrer.   128 Il n’y a rien de plus sale ni de plus laid que lui.   129 LV : voige  (Qu’il aille. « Me veut-elle donc gouverner ? Voise au diable gouverner l’Enfer ! » Le Miroir des mesnagères.)   130 Il se cache près de sa maison.   131 À me musser, me cacher ici même. Cf. Frère Guillebert, vers 230 et 247.   132 Je verrai tout.   133 J’épierai en long et en large. Cf. Daru, vers 82.   134 Elle sort devant la porte, au cas où son amant passerait.   135 Que le Bon Payeur cafarde s’il veut.   136 À l’autre bout du tréteau, il fredonne une chanson d’amour, non identifiée.   137 De sa sagette, de sa flèche. On tombe amoureux parce que le dieu Amour (Cupidon) nous a décoché une flèche dans le cœur. « Cupido a pris l’arc turquois ;/ La saïette trait du carquois. » ATILF.   138 Blessé. Cf. le Gallant quy a faict le coup, vers 150.   139 Rester.   140 LV : fine myne  (Note 4.)  Le Vert Galant se dirige vers la maison de sa maîtresse, laquelle est toujours devant la porte.   141 La mignonne. Cf. Maistre Mimin estudiant, vers 66.   142 Mon plaisir.   143 Le perfide. Paradoxalement, les gens qui n’ont qu’un œil traînent une réputation de duplicité : « Faulse borgne, traître, envieuse ! » (ATILF.) « On apelle aussi un faux borgne un qui fait le niais, qui feint de n’avoir pas bonne vue, & qui toutefois tâche à tromper. » (Le Roux.)   144 Hors du village où nous habitons (vers 142). Cf. Ung Mary jaloux, vers 48. Ameline fait entrer son amant et verrouille la porte.   145 Nos affaires. Allusion graveleuse au « paquet d’Amour » (Béroalde de Verville) et au « pacquet de mariage » (Rabelais).   146 En rires et en chansons.   147 Asseyons-nous bec à bec : l’un en face de l’autre.   148 Transporté. Cf. le Dyalogue pour jeunes enfans, vers 9.   149 LV : rasafier  (Le « f » et le « ſ » long sont à peu près la même lettre.)   150 Tous les deux. Même idiotisme normand au vers 292.   151 Le copiste a d’abord écrit, puis mal rectifié : le verd galant chante  (Cette chanson du Vert Galant, qui devait être aussi niaise que la précédente, a donc été sacrifiée par le copiste.)  Lucas observe par la fenêtre.   152 Honteux, comme quelqu’un qui a la roupie au nez. « Car qui est grup [condamné], il est tout roupieulx. » Villon.   153 Lucas cogne contre la porte avec sa masse.   154 Qu’est-ce que j’ois, que j’entends ?   155 Faites-moi sortir. La couardise de l’amant surpris est un des clichés du genre.   156 Les huis, les portes. « N’a-il pas la clef de nostre us/ De dèrière ? Y n’y passe plus. » Messire Jehan.   157 Avec, en tenant. Une chandelle produit plus d’ombre que de lumière.   158 Dans la version des Cent Nouvelles nouvelles, l’amant prêt à fuir se cache derrière la porte. Mais ici, la porte est stylisée : « C’est pourquoi le galant se cache non derrière cette porte, comme dans le conte, mais derrière Ameline. » (A. Tissier.) Dans le Résolu, l’amant raconte qu’il s’est caché derrière la porte à l’arrivée du mari, mais la scène n’est pas montrée.   159 S’il plaît à Dieu, nous en réchapperons. « Le drille escampe et s’enf[u]it. » La Muse normande.   160 Ne vous inquiétez pas. C’est le vers 356 de Frère Frappart.   161 Elle ouvre à Lucas, tandis que son amant se colle derrière elle, dans son ombre.   162 Je songeais, je rêvais.   163 Rendu la lumière, la vue. Cf. l’Aveugle et Saudret, vers 59, 322, 325, etc.   164 J’ai dans ce rêve prémonitoire une croyance ferme.   165 L’œil qui n’est pas caché par un bandeau.   166 Profitant de ce que le borgne est momentanément aveugle, il s’enfuit par la porte laissée ouverte.   167 Ruse.   168 Put être inventée.   169 Il écarte la main de sa femme.   170 LV : est la   171 Sous-entendu : Vous-même, vous n’êtes pas un homme.   172 Trompé.   173 Dehors, il tire la « morale » de l’histoire.   174 Et qu’un boiteux soit retors. Ici et au vers précédent, je restitue entre [ ] des caractères couverts par une tache d’encre.   175 LV : pour conclure  (Il se fera clouer le bec. « [Le mari,] il sera conclus et vaincu, en la parfin. » XV Joyes de Mariage.)   176 LV : quel finnesse   177 Il n’y a qu’une femme maligne. Reprise du vers 194.   178 Finit. Le dernier distique, apocryphe, est la signature habituelle du copiste de ce manuscrit La Vallière.   179 L’auteur de la farce a pu piocher sa seconde histoire dans la 16ème des Cent Nouvelles nouvelles, dont voici un extrait.   180 Croyez que la porte.   181 De l’amant de la dame, qui lui tenait lieu de mari. Quand le vrai mari débarque à l’improviste, son épouse est au lit avec un écuyer.   182 Qui a tout de suite reconnu.   183 De se dépêcher.   184 Longtemps à l’avance.   185 Je vous ferai entrer.   186 Qui vous concerne.   187 Et aussi, que vous y voyiez désormais.   188 Que vous y voyez.   189 Que nous en fassions l’expérience.   190 Bondit hors.   191 Mon œil droit. Sur la gravure, la femme bouche l’œil gauche.   192 Depuis.   193 Qui le régala avec les restes.   194 En liesse.

LE MINCE DE QUAIRE

The Morgan Library & Museum

The Morgan Library & Museum

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LE  MINCE

DE  QUAIRE

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En argot, un mince de caire est un homme dépourvu d’argent : « Tant est povre et mince de caire. » (Guillaume Coquillart.) La farce contient trois autres termes argotiques : brouer [s’enfuir], caïmant [mendiant], et ance [eau]. Sur l’utilisation de l’argot dans le théâtre médiéval, voir la notice de Gautier et Martin.

Les farceurs — et leur public — aiment les chambrières belliqueuses, qui n’hésitent pas à en venir aux mains, et dont les injures visent toujours sous la ceinture. Ici, elles se rabibochent sur le dos d’un troisième larron, comme dans les Chambèrières et Débat, qui se déroule également au bord d’une fontaine. Les pièces jouées à l’extérieur intégraient parfois le décor naturel : fontaines, fenêtres, porches, arbres, etc.

Halina Lewicka1 écrit : « En dépit des allusions à des lieux parisiens, la farce est d’origine picarde. La version que nous en avons n’est probablement qu’une réfection destinée à un public parisien. Le texte assez déformé a tout l’air d’un “retapage”. » Pour plusieurs raisons que j’examinerai dans les notes, Beauvais est la commune de Picardie qui a le plus de chances d’avoir vu naître le Mince de quaire. Cette ville avait un pied dans Paris grâce à la « Nation picarde », qui dépendait de la Sorbonne, mais dont beaucoup d’étudiants étaient fournis par le diocèse de Beauvais. Toujours à Paris, le Collège de Beauvais accueillait lui aussi des élèves picards, qui jouaient des farces lors de certaines fêtes : la Résurrection Jénin à Paulme, dont le héros est censé avoir appris le dialecte picard en enfer, est signée par « les Enfans de Beauvais ». Les Femmes qui aprennent à parler latin proviennent sans doute de la même officine, et le Pourpoint rétréchy également.

Source : Recueil de Florence, nº 22. Rappelons que les éditeurs parisiens avaient une fâcheuse tendance à « parisianiser » les pièces régionales, qu’elles soient normandes ou picardes, allant jusqu’à modifier les mentions topographiques. Heureusement, leur maladresse et leur inculture nous permettent souvent de décorriger ce qu’ils ont « corrigé ».

Structure : Rimes abab/bcbc, rimes plates.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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Farce nouvelle du

Mince de quaire

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À trois personnages, c’est assavoir :

       BIÉTRIX

       MINCE  DE  QUAIRE

       FRICQUETTE

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                        BIÉTRIX  commence en chantant 2       SCÈNE  I

        La tricoton, coton, la tricotée,3

        La belle et jolie tricotée.

        Dieu mercy, puisque suis levée4,

        Je m’en voys laver mon visaige5.

5      Ne m’en chault se ne suis fardée :

        J’ay le visaige à l’aventage.

        Chacun scet bien que c’est l’usaige

        Qu’entre nous6, filles à marier,

        Devant que partir [du ménaige]7,

10    Il fault le visaige laver.

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                        MINCE  DE  QUAIRE 8                       SCÈNE  II

        Ha ! sang bieu, quel trasse [filer9] ?

        Chanter je veulx, à ce matin.

        Entre Péronne et Saint-Quentin10,

        Trouvay11 pastourelle nommée…

15    Ceste gorge est mal abuvrée12 ;

        Je beusse [trois demys setiers]13 !

        Je verroye cheoir voulentiers

        Quelque pinte14 sur ce gallant,

        Ou quelque [beau] chauldeau flamment15

20    Pour festïer16 le compaignon.

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                        FRICQUETTE 17                                  SCÈNE  III

        Je suis propre comme ung ongnon18 ;

        La queue ne passe pas le germe19.

        Ha,  par ma foy ! se quelque gendarme20

        Me voit, il me voulra21 avoir.

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                        MINCE  [DE  QUAIRE]                       SCÈNE  IV

25    En gros-bis22 je m’en voys [paroir23],

        Et n’en iray de grosse alaine24.

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                        BIÉTRIX                                                SCÈNE  V

        Je veulx aller à la fontaine,

        Au caquet d’entre nous, [les] filles25.

        Foy que doy à monsieur saint Gille[s] !

30    Vécy Friquette qui ci vient ;

        En bel estat el26 se maintient.

        Je vois27 à elle, si je puis.

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        Dieu gard, Friquette !

                        FRIQUETTE

                                            Hay, Biétrix !

        ………………………………. 28

                        BIÉTRIX

        Le mignon ? Il sera mignon.

35    Il fault qu’il ait belle perrucque :

        Quelque mignon qui soit caduque29

        Ne me fera [serve] envers luy30.

        Chia31, chia !

                        FRICQUETTE

                                Et ! fy, fy, fy !

        Fault-il endurer de ces hommes ?

                        BIÉTRIX

40    Ilz ont argent et [baillent pommes]32,

        [Et] veullent qu’on endure d’eulx.

        Et  bren, bren !

                        FRICQUETE

                                 Pour ce, vélà pour eulx :

        S’ilz ne m’en donnent33, j’en prendray.

                        BIÉTRIX

        Par bieu ! aussi, de mon cousté,

45    Aussi fera[y-]ge bien, Fricquette.

        S’ilz veullent que tu soyes subgecte34,

        Je parleray à leur visage !

                        FRICQUETTE

        Je leur feray acroire raige35.

        S’il n’est beau, je n’en vouldray point.

50    [Il y lairra manteau, pourpoint,]36

        Panthoufles et beaux brodequins,

        Quant il sentira ces tétins

        Si douilléz37, si durs, si bien fais.

        Je surporteray bien leur fais38 :

55    Il ne fauldra jà qu’on m’aïde39.

                        BIÉTRIX 40

        Mais regardez quelle [grant] guide

        [Des chemins]41 vient icy vers nous !

        Je vous [en] prie, agenssons-nous42,

        Car il tire43 vers cest endroit.

                        FRICQUETTE

60    Je suis bien, quant à mon endroit44 ?

        Regardez !

                        BIÉTRIX

                           Si bien que c’est rage.

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                        MINCE  [DE  QUAIRE]                       SCÈNE  VI

        Il ne reste que le plumage45

        Que ne soye en point et gorier46.

        Que je suis ung maistre senssier47,

65    Ung maistre bailleur de « bons jours »48 !

        Se quelque dame, par amours,

        Povoye acquérir en cest estre49,

        Je la mectroye à la fenestre50

        Et la lerroye jusqu’au51 matin.

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                        FRICQUETTE                                       SCÈNE  VII

70    Vécy ung gorier, certe(s), affin52.

                        BIÉTR[IX]

        Pour bien la parolle celer,

        Laissons-le [le] premier parler.

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                        MINCE  [DE  QUAIRE]                       SCÈNE  VIII

        Dieu gard, gorières !

                        FRICQUETTE

                                           Et vous, gorier !

                        MINCE  [DE  QUAIRE]

        [À vous servir je suis entier.]53

75    Comment vous va ?

                        BIÉTRIX

                                       Trèsbien.

                        MINCE  [DE  QUAIRE]

                                                      Et vous ?

                        FRICQUETTE

        À vo54 command[ement].

                        MINCE  [DE  QUAIRE]

                                                  Trèstous55 ?

                        BIÉTRIX

        Voire, monsïeur, anémane56 !

                        MINCE  [DE  QUAIRE]

        Je suis bien arrivé, [par m’âme57],

        De trouver si gentes mignonnes !

80    Tenez, vélà chacun58 deux pommes

        En signe d’amourètes franches59.

        Que vous estes belles et blanches60 !

        Que chacune de vous je baise !

                        FRICQUETTE

        Ha ! monsïeur, ne vous desplaise,

85    Sauf vostre honneur !

                        BIÉTRIX

                                          Sauf vostre grâce !

                        MINCE  [DE  QUAIRE]

        [Au moins], baisez-moy61 face à face !

        Hé ! quel prouvignée62 pour la nuyt !

        Sang bieu ! seroit ung beau déduyt,

        Qui63 vous tiendroit entre ses bras.

                        FRIQUETTE

90    Vous vous mocquez !

                        MINCE  [DE  QUAIRE]

                                          Tant de fatras64 !

        Ne fault point faire telz dadées65.

        Sang bieu ! [deux] ou trois accollées

        À vous deux, vous seriez bien aise.

        Çà, m’amye, ne vous desplaise

95    Se vous requiers [d’]aucune chose66,

        Et vous aussi ; car je suppose

        Que vous ne m’escondirez pas.

                        BIÉTRIX

        Laissez-nous aller noz bons pas !

        Ne parlez point de telz parolles.

                        FRIC[QUETTE]

100  Tant de plais67 ne sont que frivolles.

        Laissez-nous aller no chemin.

                        MINCE  [DE  QUAIRE]

        Dea ! vélà ung escu d’or fin

        Pour vous payer avant la main68.

                        FRIC[QUETTE]

        Qu’i a-il ?

                        MINCE  [DE  QUAIRE]

                         V(e)ez-le là69 tout sain :

105  Il n’est ne cassé, ne rompu70.

                        BIÉTRIX

        Vous soyez le trèsbien venu,

        Puisque argent vous [nous] aportez !

                        MINCE  [DE  QUAIRE]

        Il fault doncques que me baisez.

        Acollez-moy, bon preu vous face !

110  Vous, Fricquète71, pareillement.

        Ung doulx baiser (par mon serment)

        Vous fait grant bien, je l’aperçoy.

                        FRIC[QUETTE]

        Tenez-vous [i]cy à requoy72

        Tant que noz seaulx soient puiséz.

                        MINCE  [DE  QUAIRE]

115  Je vous prie, ne me trompez.

                        BIÉTRIX

        Nenny, nenny, n’en aye[z] doubte73.

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                        FRIC[QUETTE]                                    SCÈNE  IX

        Vien çà, dy, Biétrix, [et] escoute :

        De cest escu, g’y ay ma part.

                        BIÉTRIX 74

        Mon serment ! il est bien coquart75.

120  Il en sera, tout du long, ceint76.

                        FRIC[QUETTE]

        C’est pour avoir ung demy-saint77

        Ou ung chaperon de couleur.

                        BIÉTRIX

        Il se tient seurement78, tout seur

        Que nous retournons devers luy79.

                        FRIC[QUETTE]

125  Je n’y entens ne fa, ne my80 ;

        En81 aray-ge pas la moytié ?

                        BIÉTRIX

        L’autre jour, j’avoye songé

        Que mon cul si croquoit noisettes

        Ou avelines82 rondelettes,

130  Et qu(e) en c[hi]assiez les noyaulx.

                        FRICQUETE

        Biétrix, tu fais cy tes aveaux83 ;

        Je partiray84 à ce butin !

                        BIÉTRIX

        L’autre jour, demain au matin,

        Veulx-tu point venir au Registre85 ?

                        FRIC[QUETTE]

135  Tu me bailles bien de ton tiltre86 !

        Je te prie, laisse-m’en paix.

                        BIÉTRIX

        Veulx-tu point venir au Palais,

        Et puis sur le pont Nostre-Dame87,

        Ou en quelque bonne taverne ?

140  Et puis nous en reverrons88 cy.

                        FRICQUETE

        Avant que nous partions d’icy,

        J’auray la moytié de l’escu !

                        BIÉTRIX

        Fricquète, que tu as gros cu !

        Tu as ung maistre boute-hors89 ;

145  Tu t’en dois bien aller dehors,

        Sans faire à l’hostel ton ordure90.

                        FRIC[QUETTE]

        [Entens, dis, que l’an trop me]91 dure.

        [Par] saint Jehan, j’en auray ma part !

.

                        MINCE  [DE  QUAIRE] 92                   SCÈNE  X

        Saint Jacques, je suis bien coquart !

150  Je ne sçay où ilz93 sont allées.

        Ilz s’en seroient trop bien brouées94,

        Puis je perd[e]ray95 mon escu.

        J’en seroye ceint sur le cu

        Tout du long96, comme frère Pierre.

.

                        FRIC[QUETTE]                                     SCÈNE  XI

155  Dy, Biétrix : foy que doy sainct Pierre,

        Ne te joue point icy de moy.

        J’aray la moytié, par ma foy,

        Ou je te bauldray97 sur ta joue !

                        BIÉTRIX 98

        Il n’est pas temps que je me joue :

160  Las, que la teste me fait mal !

                        FRIC[QUETTE]

        [Que] tu puisses choir du hault mal99,

        De la maladie sainct Frémin100 !

        Affin que ne101 parte au butin,

        Tu dis que malade tu es.

                        BIÉTRIX

165  Veulx-tu avoir ung bona diés102

        Ou ung bon salut de sergent[s] ?

        Tu te mocques icy des gens ;

        Va t’en mocquer où tu vouldras !

                        FRICQUE[TTE]

        Foy que doy saint Germain d’Arras103 !

170  Loudière104, j’en auray ma part !

        Tu veulx cy [me] jouer d’ung art105

        Affin que l’escu soit à toy.

                        BIÉTRIX

        C’est loing du cul, la beste est longue.

        Le cueur me fait mal, par ma foy,

175  Et la teste par icy hault.

                        FRICQUETE

        Que tu le bailles froit106, Thibault !

        Ce que tu dis n’est que mensonge.

        [Que la male rogne te ronge !]107

        Baille[-moy tost] ma part, loudière !

                        BIÉTRIX 108

180  Comme tu tires par-derrière !

        Laisse-moy aller, dy ! Feras ?

                        FRIC[QUETTE]

        Non feray, ou tu me bauldras

        Mon beau demy escu content.

.

                        MINCE  [DE  QUAIRE]                       SCÈNE  XII

        Par Dieu ! je suis bien malcontent

185  Qu’ilz ne retournent (i)cy à moy.

        Je m’en vois à eulx109, par ma foy,

        Affin que ne perde mes erres110.

.

                        FRIC[QUETTE]                                    SCÈNE  XIII

        Par Dieu ! avant qu’il ne soit deux heures,

        Je descouvreray le beau pot111 :

190  Je t’encuseray112 quant Guiot

        Te coucha soubz la mengouère113.

                        BIÉTRIX

        Je te monstreray la manière

        Que tu as faulcement menty !

        Guillaume, du [fort de Remy]114,

195  Te donna-il pas quatre so[u]lz

        Pour [te] le faire dans des choulx

        Qui estoient en vostre jardin ?

        Je te bauldray115 du fil de lin

        Pour faire faire de la toille !

.

                        MINCE  [DE  QUAIRE] 116                 SCÈNE  XIV

200  Sang bieu, ilz la me baillent belle !

        Ce sont motz âpres de117 huart.

        Je me tiendray cy à l’escart,

        Et si, escouteray leurs ditz.

.

                        FRIC[QUETTE]                                    SCÈNE  XV

        Paillarde, qu’esse que tu me dis ?

                        BIÉTRIX

205  Paillarde comme toy, ribaulde !

        Va, va ! Le plus souvent, tu raude118,

        Plus commune q’ung pillory119.

                        FRIC[QUETTE]

        L’ymage bieu120 ! tu as menty

        Par la gorge et parmy les dens121 !

                        MINCE  [DE  QUAIRE]

210  (Quoy ? Je cuydoie avoir les gans122,

        Mais à ce que je voy, j’en suis veufve123.)

                        FRIC[QUETTE]

        Tu fus dedans la maison neufve

        Quant Colinet te vint quérir :

        Il te le fist à beau loisir,

215  Ce m’a-il recongneu124 depuis.

                         BIÉTRIX

        Et si m[’y] a menée, et puis ?

        Coquine, qu’en as-tu affaire ?

                         MINCE  [DE  QUAIRE]

        (Ha ! sang bieu, je les lairray faire ;

        Je n’ay garde d’en aproucher.)

                         FRICQUETE  frappe.

220  Tu es rusée comme ung meurtrier.

        Tien !

                        BIÉTRIX

                    Loudière, ta vie auray !

                        MINCE  [DE  QUAIRE]

        (Plus faire je ne les lairray ;

        Je m’en vois quérir mon escu.)

.

        Artez-vous125 ! Artez !

                        BIÉTRIX

                                              Que dis-tu ?

225  Qu’as-tu affaire de noz guerres126 ?

                        MINCE  [DE  QUAIRE]

        Sang bieu ! je veulx avoir mes erres :

        C’est ce qui m’amaine vers vous.

                        FRIC[QUETTE]

        [Quoy ?] Quelz erres ? Vous mocquez-vous ?

        Loudier127, infâme ruffïen !

                        MINCE  [DE  QUAIRE]

230  (Le sang bieu, j’en suis maistre Jehan128 !)

        Et esse pas ce que je dis ?

        Haro ! pour ung villain pertuis129,

        Me coustera-il ung escu ?

        Saint Jehan, je mangus[se] du cu130 !

235  Par le sang bieu, vous le baudrez !

                        BIÉTRIX

        L’ymage bieu ! vous me lairrez,

        Ou vous aurez dessus la joue !

        Ne cuidez pas que je me joue ;

        Tenez ceste buffe131 au visa[i]ge !

                        MINCE  [DE  QUAIRE]

240  Sang bieu ! il fault que j’en soye plège132

        Maugré mon visage et mes dens133.

                        BIÉ[TRIX]

        Vous mocquez-vous icy des gens ?

                        MINCE  [DE  QUAIRE]

        Quel mocquer ? Me ferez-vous beste ?

        Je vous donray134 dessus la teste,

245  Se ne me baillez mon argent !

                        FRIC[QUETTE]

        Quel argent ? Tu es bon truant135 !

        Par Dieu, tu es bien arrivé !

                        MINCE  [DE  QUAIRE]

        (Sang bieu ! je suis icy gellé136 :

        Je ne m’en saroy où fouïr137,

250  Ne de ce lieu-cy départir

        Sans avoir des horïons138 cent.)

                        BIÉTRIX

        Et ! faictes-vous cy le caÿmant139 ?

        Vous ferez [vo fièvre carteine]140 !

                        MINCE  [DE  QUAIRE]

        Qui vous serre vostre bedaine,

255  Orde141 loudière que tu es !

        Par Dieu ! l’escu vous me bauldrez142,

        En despit de ce que vous dictes.

                        FRIC[QUETTE]

        Vous faictes cy la chattemitte143 ;

        Sus, acoup, brouez à l’esquart144 !

260  Se ne vuidez de ceste part145,

        Vous aurez de l’eaue sur la teste.

                        MINCE  [DE  QUAIRE]

        Suis-je venu en ceste feste

        Pour avoir ma part [du gasteau]146 ?

                        BIÉTRIX

        Se ne vuidez d’icy bien tost,

265  Vous vous ferez [bien] batre à moy !

                        MINCE  [DE  QUAIRE]

        La vertu bieu ! je le r’auray147

        Avant qu’eschappez148 de mes mains.

                        FRIQUETTE

        Au meurdre ! Dy, filz de putains149,

        Lerras-tu [pas] aller Biétrix ?

270  Tu auras d’ung seau d’eau !

                        MINCE  [DE  QUAIRE]

                                                  Et puis,

        Que ne me baille-elle ma pièce ?

                        BIÉTRIX

        Sainct  Jehan ! tu ne l’aras mais en pièce150,

        Pour l’amour de la baterie151.

                        MINCE  [DE  QUAIRE]

        Dy, Biétrix, tu seras m’amye :

275  Rebaille-moy mon escu d’or.

                        BIÉTRIX

        J’aymeroye mieulx, par sainct Mor,

        Que tu fusses au gibet pendu !

                        MINCE  [DE  QUAIRE]

        Biétrix, [ne] me le donras-tu ?

        Par bieu, je ne te feray rien.

                        FRICQUETTE

280  Quel escu ? Il est jà bien loing ;

        Jamais [je] n’en ouÿ parler.

                        MINCE  [DE  QUAIRE]

        Tu me feras agenouller

        Devant toy avant que je l’aye ?152

        Haro ! je cuide que je naye153 !

285  Vertu bieu, comme je dégoute !

                        BIÉTRIX

        Il n’a garde de sentir la goute154 :

        Il est fourré bien chauldement.

                        MINCE  [DE  QUAIRE]

        (Je ne sçauray aller avant :

        J’en ay les chausses toutes plaines.

290  De sanglantes fièvres quartaines

        Soient-ilz actaintes aujourd’huy !

        Il me failloit avoir cecy155,

        Autre chose ne demandoye.

        Je n’ay plus ne or, ne monnoye :

295  Tout mon argent est demouré.)

                        FRICQUETTE

        Vraiement, il est bien esbroué156,

        Depuis qu’il a eu l’eau au dos.

                        BIÉTRIX

        Au moins, c’est ung de noz suppostz157.

        Il luy en souviendra de loing.

                        MINCE  [DE  QUAIRE]

300  (Par le sang bieu ! j’ay bon besoing

        De m’aler chauffer à mon ayse,

        Et bailler là de quelque boyse158

        Et eschapper cahu-caha159.

        Ha ! sang bieu, il m’en souviendra,

305  Se les rencontre en quelque lieu !)160

.

                        FRICQUETTE                                       SCÈNE  XVI

        Nous avons joué ung beau jeu,

        Et bien fait tout nostre mistère.

                        BIÉTRIX

        Il deveroit bien porter la haire161 :

        Il a le dos bien frais, je pense.

.

                        MINCE  [DE  QUAIRE]                        SCÈNE  XVII

310  Ilz m’ont bien baillé de leur ance162 ;

        Je n’ay mestier163 que d’endurer.

        Si me fault-il aller disner,

        Se le puis trouver d’aventaige164.

.

                        BIÉTRIX                                                 SCÈNE  XVIII

        Dy, Fricquette : se tu es saige,

315  Alons-m’en tandis qu’il est heure.

                        FRIQUETTE

         Mon maistre dira que demeure

        Trop à venir de la fontaine.

                        BIÉTRIX

        Aussi ma maistresse, Germaine,

        Dira que m’en seray allée.

                        FRICQUETTE

320  Allons-nous-en droit, sans pensée,

        À l’hostel le mesnage faire.

        Baille-moy, sans plus procès faire,

        Mon beau demy escu.

                        BIÉTRIX 165

                                           [Commère,]

        Tu l’auras. Que dis-tu ?

                        FRICQUETE

                                              Et puis,

325  Que t’en diray-je ?

                        BIÉTRIX

                                     « Grant mercis. »

                        FRICQUETTE

        Esse à toy que [je] le doy dire ?

                        BIÉTRIX

        Je m’en voys sur le chauffe-cire166

        Faire sceller167 trèsbien ma « lectre ».

                        FRICQUETTE

        Et moy, je m’en voys sur168 mon maistre

330  Comme se ne pensoye à rien.

        S’il y venoit des gens de bien,

        Je les serviraye par honneur.

                        BIÉTRIX

        Friquette, adieu du meilleur cueur

        Que j’aye en toute ma pensée !

                        FRICQUETTE

335  Allons-nous-en sans demourée169.

        Adieu, Biétrix !

                        BIÉTRIX

                                  Adieu, Fricquette !

        Se j’ay [chose qui rien]170 te haicte,

        Ne le fais qu(e) à moy [de]mander.

                        FRICQUETTE

        Si veulx171 rien, ne fais que mander :

340  Je feray le commandement.

.

                        BIÉTRIX

        Vous qui estes ci en présent172,

        Dieu vous mecte en bonne sepmaine173,

        Et vous doint tousjours de l’argent

        Tant que vostre bourse soit plaine !

.

                                             EXPLICIT

*

1 Études sur l’ancienne farce française, 1974, pp. 126-129.   2 Elle est dans la rue et tient un seau vide. Son nom est une variante de Béatrice, et il se prononce Bié-tri. Les amuseurs donnent ce nom à des femmes légères ; voir par exemple celle de la Bergerie.   3 Aucun des modèles connus ne correspond exactement à cette chanson. Le 1er vers n’est pas sans rapport avec un refrain de Josquin Des Préz : « La tricoton, la belle tricotée. » Le 2e vers évoque une chanson anonyme conservée à l’Escurial : « La joli tri, la belle Tricotée. »   4 Les domestiques allaient à la fontaine de bon matin. Ce vers a pu faire partie de la chanson, dans la version de l’Escurial : « La Tricotée fut par matin levée. »   5 Je vais laver mon visage à la fontaine.   6 Que nous autres. Cet idiotisme normanno-picard revient au vers 28. Pour la mesure, on élidera le « s » final de filles.   7 F : de la salle  (De la maison. Cf. la Mauvaistié des femmes, vers 200.)   8 Dans la même rue.   9 Quelle piste suivre ? Que faire ?   10 Deux communes au Nord-Est de Beauvais. Nous possédons la musique et les paroles de cette chanson picarde.   11 F : Trouue  (Je reproduis la leçon de la partition.)   12 Abreuvée. Mince de Caire s’interrompt parce qu’il ne peut chanter en ayant la gorge sèche.   13 F : tresuoulentiers  (à la rime.)  « Un demy septier/ Pour elle et mon maistre. » Les Chambèrières qui vont à la messe.   14 F : penie  (J’aimerais qu’on me renverse une pinte de vin sur la tête. « Y gectent la pinte et le pot/ À la teste. » La Veuve.)  Faute de mieux, c’est un seau d’eau que Mince de Caire va bientôt recevoir sur le crâne.   15 Boisson reconstituante qu’on sert aux nouveaux mariés. « Le beau petit chaudeau flamant. » Sermon pour une nopce.   16 Pour festoyer, réjouir.   17 Dans la rue, avec un seau vide.   18 F : ongnom  (L’expression exacte est : Frasée [polie] comme un oignon. Cf. Mallepaye et Bâillevant, vers 207.)   19 Littéralement : Le fils ne vaut pas le père. Poursuivant la métaphore de l’oignon, Friquette veut dire : Rien ne dépasse, tout est parfait. Une friquette est une élégante.   20 Le vers 194 nous apprend que ledit soldat s’appelle Guillaume.   21 Voudra. L’éditeur parisien ne corrigera cet amuïssement picard qu’aux vers 49 et 168.   22 Vêtu comme un homme important. « Ne nous fay jà cy du gros-bis :/ On te congnoist à tes habis. » Le Capitaine Mal-en-point.   23 Je vais paraître, m’exhiber. « Ce qui le faict paroir, ce qui le rend cognu. » Paul Contant.   24 Je ne marcherai pas trop vite, pour que les dames aient le temps de m’admirer. De grosse haleine = essoufflé : cf. les Femmes qui font refondre leurs maris, vers 456.   25 En attendant leur tour, les domestiques échangent des ragots sur les absents.   26 F : et   27 Je vais. Idem vers 4, 25, 186, 223, 327, 329.   28 Il y a là une assez longue lacune, au cours de laquelle les servantes évoquaient l’homme de leurs rêves, riche et beau.   29 F : ia duppe  (Qui ne couvre pas sa calvitie d’une perruque. « Recepte pour quelque mignon/ Qui aura les cheveux caducques :/ Deux onces de pouldre à canon,/ Cela fait enfler les perucques. » Maistre Doribus.)   30 Ne fera de moi sa servante. « J’estoie dame, et on me fait serve. » Pates-ouaintes.   31 Merde ! Au vers 42, Béatrice dira : Bran ! « Chia, chia ! C’est à [c’est pour aujourd’hui ou pour] demain ? » La Vengance Nostre Seigneur.   32 F : le yurongnes  (Mais ils nous payent avec des pommes ; c’est bien ce qui va se produire au vers 80. « Nous les payrons en pommes cuittes. » Gautier et Martin.)   33 S’ils ne me donnent pas d’argent.   34 Leur sujette, leur esclave.   35 Je leur ferai croire n’importe quoi.   36 Vers manquant. « Il foncera [paiera], se je puis,/ Ou il y laissera l’endosse [sa cape]. » (Le Dorellot.) « Lairra » est un futur normanno-picard, comme aux vers 69, 218, 222, 236, 269. « Despouillons-lay (…),/ Car il y lairra la robille [sa robe]. » ATILF.   37 Douillets, doux.   38 Leur faix : le poids de leur corps sur mon ventre.   39 Il ne sera pas nécessaire qu’on m’aide. « Jamais n’en aurez grant aÿde./ On luy eust bien lasché la bride. » (Le Ramonneur de cheminées.) Cette prononciation archaïque avait encore cours en Picardie.   40 Elle voit venir Mince de Caire.   41 F : Qui  (« La grande Guide des chemins : de l’argent. » Antoine Oudin.)   42 Arrangeons notre coiffure et nos vêtements pour le séduire.   43 Il vient.   44 Quant à moi.   45 Le plumet, dont se coiffent les galants. Mince de Caire tente de lui redonner du volume avec ses deux mains.   46 Élégant. Idem vers 70 et 73. Cf. la Folie des Gorriers.   47 Un censier est un percepteur, donc un homme redoutable, qui sait se faire craindre. « Vécy ung terrible censier ! » Le Faulconnier de ville.   48 Un courtisan. Cf. Frère Frappart, vers 145 et note.   49 Je pouvais séduire, en ce lieu.   50 D’après Jelle Koopmans*, « il veut mettre la dame a la fenestre “à l’étalage” », c’est-à-dire la prostituer.   *Le Recueil de Florence, Paradigme, 2011, pp. 329-338.   51 F : quelque  (Et je l’y laisserais jusqu’au matin, pour qu’elle attire un maximum de clients.)   52 Raffiné.   53 Vers manquant. « –À vous servir sommes entiers./ –Il vous fauldroit estre gorriers. » (La Folie des Gorriers.) Mince de Caire s’adresse à Béatrice.   54 Votre. « J’ay bien fait vo commandement. » (Mahuet.) On retrouve l’apocope picarde du pronom personnel aux vers 101 et 253.   55 Vous feriez tous mes commandements ?   56 F : ane mane  (Vraiment ! Le Dyalogue pour jeunes enfans met ce juron féminin dans la bouche de la sœur : « Annémane ! »)   57 Par mon âme ! Cf. Mahuet, vers 240. La rime -ane / -ame n’est pas pire que la rime -one / -ome qui suit.   58 Pour chacune ; mais l’auteur prend un malin plaisir à nous rappeler que ses héroïnes sont jouées par des hommes. Mince de Caire n’a rien dans les mains, puisqu’il les a utilisées pour regonfler son plumet ; par conséquent, il tire les quatre pommes de sa braguette. « Panurge avoit mis au bout de sa longue braguette un beau floc de soye (…), et dedans avoit mis une belle pomme d’orange. » (Pantagruel, 18.) Sur la coutume de loger dans sa braguette « une pomme, une orange ou autres fruicts », voir la note 193 de Saincte-Caquette. Nos deux chambrières, dépitées que ce joli cœur les paye avec des pommes (note 32), ou déçues que son opulente braguette devienne toute plate, se font moins aimables.   59 Gratuites. Mince de Caire, qui ne veut pas sacrifier son dernier écu, espère acheter les servantes avec deux pommes.   60 F : gentes  (Réminiscence du vers 79.)  La blancheur est un critère essentiel de la beauté féminine. « Elle estoit jeune, en bon poinct, belle et blanche. » Clément Marot.   61 « Au moins, baisez-moy une foiz. » Les Femmes qui font renbourer leur bas.   62 F : pourginee  (Quel coït ! « –Qui me laisseroit prouvigner/ En la “vigne” de ma maistresse,/ La terre seroit bien espesse/ Se ma “besche” n’alloit au fons…./ –J’ay espoir que quelque matin/ Ma “vigne” soit bien prouvignée. » Raoullet Ployart.)   63 Pour celui qui.   64 Que vous faites d’embarras ! Cf. le Dorellot, vers 5.   65 F : dadez  (Lewicka cite la moralité du Cœur et des cinq sens : « Jadis ont fait mainte dadée,/ Mainte folie ou vanité. »)  Je corrige accollez à la rime.   66 Si je vous demande quelque chose. « Le roy luy demanda s’elle luy vouloit requerre d’aulcune chose. » Istoire des Neuf preux.   67 De plaids, de discours.   68 D’avance. Cf. l’Aveugle et Saudret, vers 301 et 1262. Mince de Caire donne son dernier écu à Béatrice, en guise d’arrhes qu’il compte bien récupérer quand il aura eu ce qu’il veut ; il ne soupçonne pas encore qu’il a affaire à deux prostituées occasionnelles. À Beauvais, l’enseigne de l’Escu d’or avait donné la rue de l’Écu ; et aux abords de la ville, une fontaine était baptisée « l’Escu ».   69 Le voilà, mon écu.   70 Il n’a pas été limé par des rogneurs de monnaies.   71 L’auteur oublie que Mince de Caire ignore le nom de ses proies.   72 Restez caché ici, le temps que nous revenions de la fontaine.   73 N’ayez crainte. Les deux femmes descendent de l’estrade et vont à la fontaine.   74 Pendant toute la scène, elle feint de ne pas entendre Friquette.   75 Stupide. Idem vers 149.   76 F : saint  (Les vers 153-4 donnent l’expression complète : « J’en seroye ceint sur le cu/ Tout du long. »)  Être ceint sur le cul = se faire entuber, se faire avoir : « Vous en estes saint sus le cul ! » (Martin de Cambray, F 41.) Au sens propre, cette expression veut dire : se faire enculer. « Ce vénérable sodomite (…),/ Il est souvent, sur le cul, ceinct. » Le Pape malade.   77 Pour me payer une ceinture étroite. Cf. Régnault qui se marie, vers 175 et note.   78 Dans une posture assurée, virile.   79 Sûr que nous retournerons vers lui.   80 Je ne comprends rien à ton comportement. C’est le vers 206 de Raoullet Ployart.   81 F : Et  (N’en aurai-je pas la moitié, de cet écu ?)   82 F : arcenicles  (L’aveline est une grosse noisette ronde.)   83 Tes volontés.   84 J’aurai ma part. Idem vers 163.   85 Au registre du minagier, le fonctionnaire qui surveille le marché des grains. À Beauvais, on pouvait consulter ce registre dans une salle qui occupait le rez-de-chaussée du pilori dont parlera le vers 207. Béatrice menace donc Friquette de l’emmener au pilori.   86 Tu montres bien ce que tu vaux.   87 « Dame » ne rime pas avec « taverne » (que l’imprimé orthographie d’ailleurs tauernee). Une des deux rimes est fausse, mais laquelle ? Il y avait en Picardie des ponts qui rimaient en -erne, mais Beauvais possédait bel et bien un pont Notre-Dame, non loin du Palais épiscopal.   88 Nous nous en reviendrons ici (picardisme).   89 F : porte hors  (Bouter hors = déféquer. Le boute-hors désignerait donc le cul. Antoine Oudin n’est pas très loin quand il définit « de bons boute-hors : de grosses jambes. »)   90 Tes excréments sont si gros que tu devrais aller les faire dehors, et non au domicile de ton patron.   91 F : En tandis que lautre  (Sache que je m’impatiente.)   92 Il attend toujours sur la scène.   93 Elles. Ce pronom, très usité en Picardie, revient aux vers 151, 185, 200, 291, 310. Il est d’autant plus justifié que les deux rôles « féminins » sont tenus par des hommes.   94 F : broueez  (J’ai aussi corrigé la rime alleez.)  « Brouer » est encore un terme d’argot : aller, s’enfuir. Idem vers 259. Cf. Gautier et Martin, vers 52, 56, etc.   95 L’éditeur parisien a supprimé le « e » svarabhaktique picard, mais il l’a laissé au vers 308. Cf. Jéninot qui fist un roy de son chat, vers 206.   96 Voir la note 76. Sur frère Pierre, voir la note de Jelle Koopmans : « Il est tentant de lire maistre Pierre pour expliciter l’allusion possible à Pathelin. Il est toutefois préférable d’y lire une allusion possible à Frère Pierre Serre-porte (nº XXXIII), qui est en effet rossé. » Maître Pierre Pathelin s’écrie à propos du drapier, sa victime : « Le meschant villain challemastre/ En est saint sur le cul. » Lui-même sera trompé par le berger. Quant à Serre-porte, il est en effet nommé 8 fois « frère Pierre » (et une fois « maistre Pierre », par erreur). « Frère Pierre » est aussi le nom du cordelier des Chambèrières et Débat, la farce qui inspira la nôtre : « Frère Pierre,/ L’orde puante m’a destruicte. » Mais ce n’est pas lui qui est battu à la fin de ladite farce.   97 Je te donnerai un coup. Ce futur normanno-picard de bailler réapparaît aux vers 182, 198, 235 et 256.   98 Elle fait semblant d’être malade.   99 L’épilepsie. Cf. Tout-ménage, vers 87.   100 Ce saint de Picardie passait pour guérir — ou donner — la gangrène. « Que le feu saint Frémin d’Amiens/ Te puist mignier le rewardure/ (Puisqu’il me fault parler piquart) ! » Éloy d’Amerval.   101 F : ie  (Pour que je ne prenne pas part au butin.)   102 Un bonjour donné par les sergents qui viendront t’arrêter. C’est une nouvelle menace.   103 Encore un saint de Picardie.   104 Femme de mauvaise vie. Idem vers 179, 221 et 255. Ce mot flamand fut usité en Picardie et jusqu’en Normandie : cf. la Nourrisse et la Chambèrière, vers 217.   105 D’un tour de magie.   106 Comme tu mens ! Nous avons là une de ces innombrables locutions qui s’appuient sur des anecdotes ou des œuvres vite oubliées ; nous ne saurons jamais qui était ce Thibaud, et notre fatiste l’ignorait sans doute déjà. Peut-être a-t-il choisi cette expression parce que le créateur du rôle de Béatrice avait pour nom Thibaud ; voir la note 148 des Premiers gardonnéz.   107 Vers manquant. « Que te ronge la male rogne ! » La Métamorphose ridicule.   108 Elle tente d’échapper à Friquette, qui la retient par-derrière.   109 Je vais à elles. Encore un pronom masculin appliqué aux prétendues femmes : voir la note 93.   110 Les arrhes (l’écu d’or) que je leur ai versées. Idem vers 226 et 228. Cf. l’Aveugle et Saudret, vers 824. Mince de Caire descend de l’estrade et va vers la fontaine.   111 Je découvrirai le pot aux roses.   112 Je te reprocherai publiquement.   113 Sous la mangeoire de l’écurie. Le « g » dur, qu’on retrouve à 234, est caractéristique des parlers du Nord : « Fin-Vergus [verjus] de Beauvais. » Le Gentil homme et son Page.   114 F : port de nully  (Neuilly-sur-Seine a été mis là pour les spectateurs parisiens.)  Le fort de Remy se trouvait à 45 km de Beauvais. Guillaume est donc le soldat qu’invoquait Friquette au vers 23.   115 F : bailleray  (Note 97.)  Je vais te flanquer des coups de quenouille.   116 Il se cache près de la fontaine pour écouter les diatribes des deux mégères.   117 F : le  (« Mots aspres ou injurieux. » Mont-de-Piété d’Arras.)  Le cri de l’oiseau de proie nommé huard n’est pas des plus harmonieux, d’où son nom. Jeu de mots sur huer : diffamer.   118 Verbe picard qui signifie : galoper à droite et à gauche après le gibier. Cf. Marchebeau et Galop, vers 25.   119 F : pillery  (Plus fréquentée que le pilori, autour duquel s’assemblent les badauds. À cette époque, le pilori de Beauvais dominait la place du marché.)   120 Par le crucifix ! Idem vers 236.   121 « Vous mentirez/ Par la gorge et par les dens ! » Le Savatier et Marguet.   122 « Avoir les gants : Manière de parler qui signifie avoir le pucelage d’une personne. » (Le Roux.) Cf. le Povre Jouhan, vers 243.   123 Je peux en faire mon deuil. L’adjectif veuve est ici masculin : « Il fust vesve de sa première femme. » (ATILF.) L’auteur féminise l’homme après avoir masculinisé les femmes.   124 Reconnu, avoué.   125 Arrêtez de vous battre. La syncope « arter » nous renvoie au domaine normanno-picard : cf. l’Homme à mes pois, vers 335.   126 F : noyses   127 Débauché (note 104) : cf. la Mauvaistié des femmes, vers 77. Un ruffian est un souteneur ; les vers 66-69 motivent cette injure.   128 Un nigaud. Cf. la Seconde Moralité, vers 10.   129 Pour avoir voulu votre trou. Cf. le Poulier à sis personnages, vers 599.   130 J’aimerais mieux manger un cul plutôt qu’un pertuis aussi cher que le vôtre. « Qui pourra, si boive ou mangusse. » (L’Aveugle et Saudret.) Mince de Caire fouille Béatrice à la recherche de son écu.   131 Ce soufflet. Cf. le Cousturier et Ésopet, vers 250.   132 Pleige, garant d’avoir reçu la gifle.   133 Cette expression courante, qui signifie « malgré moi », est prise ici au pied de la lettre.   134 Je vous donnerai des coups.   135 Mendiant. Cf. Légier d’Argent, vers 52. Friquette cogne sur Mince de Caire.   136 Figé, incapable de bouger à cause des furies qui me tiennent.   137 Je ne sais où fuir.   138 Des coups.   139 Le quémandeur, le mendiant. C’est un mot d’argot, qui ne pouvait que plaire à François Villon : « La femme/ De maistre Pierre Saint-Amant (…)/ Me myt ou ranc de caÿmant. »   140 F : voz fieures carteines  (Ce singulier, voulu par la rime, est confirmé par le singulier du verbe serrer au vers suivant. Sur le pronom picard « vo », voir la note 54.)  « On fera la fièvre quartaine,/ Qui vous puisse serrer la vaine ! » Parnasse satyrique du XVe siècle.   141 Sale.   142 F : baillerez  (Note 97.)   143 L’hypocrite.   144 Filez loin d’ici ! Dans sa 8e Ballade en jargon, Villon donne le même conseil argotique : « Brouez au large, et vous esquarrissez ! »   145 Si vous ne videz pas les lieux dans cette direction.   146 F : si trestost  (Pour recevoir des tartes. « J’ey mengé ma part du gasteau. » Gautier et Martin.)  La fête en question est l’Épiphanie, le 6 janvier : on y mange le gâteau des Rois, cependant que les acteurs et les étudiants reprennent les farces qu’ils ont jouées lors des sessions de décembre. Voir Jéninot qui fist un roy de son chat.   147 Je l’aurai à nouveau, mon écu.   148 F : que eschapper  (Mince de Caire fouille à nouveau Béatrice.)   149 Ce pluriel est singulier !   150 Tu ne l’auras pas avant longtemps. Cf. les Maraux enchesnéz, vers 43.   151 À cause de notre amour de la bagarre. « Injures, bateries et autres excès. » ATILF.   152 Mince de Caire s’agenouille devant Béatrice pour mieux l’implorer. L’ayant à sa hauteur, elle lui vide un seau d’eau sur le plumet.   153 Que je me noie. « Je naye !… L’eau est entrée en mes souliers par le collet. » Rabelais, Quart Livre, 19.   154 La maladie de la goutte, qu’on traitait par la chaleur. Jeu de mots sur la goutte d’eau.   155 Il ne manquait plus que ça ! Mais « avoir le ceci » d’une femme veut dire : posséder son sexe.   156 F : tost broue  (Ébrouer du linge = le faire tremper. « Ne pourra nul mouiller les draps jusques à ce (…) qu’ilz aient prins congié aux boujonneurs [obtenu l’autorisation des jurés] de les esbrouer. » Godefroy.)   157 Un de nos convertis : nous l’avons baptisé en lui versant de l’eau sur la tête.   158 F : soye  (« Oi » rime en « ai », comme aux vers 199 et 265.)  Et leur faire une feinte pour leur fausser compagnie.   159 Cahin-caha.   160 Mince de Caire s’éloigne en pataugeant.   161 La chemise de crin que revêtent les pénitents.   162 F : chance  (En argot, l’ance désigne l’eau. « Pier de l’ance : boire de l’eau. » Guillaume Bouchet.)   163 Je n’ai besoin.   164 Si je peux trouver un dîner gratis. Cf. Serre-porte, vers 556 et note. Le comédien va se changer en coulisses.   165 Elle donne à Friquette son argent.   166 Chez l’officier qui scelle les actes. Beauvais, en tant que ville d’échevinage, avait droit de sceau.   167 Tamponner, au sens érotique. « Je viens d’avecque la femelle :/ J’ay tant scellé que plus n’en puis. » (Les Sotz qui remetent en point Bon Temps.) Le mot « lettre » acquiert de facto un sens érotique similaire à celui du « parchemin velu », que les dames font volontiers sceller.   168 Chez. Mais « sur mon maître » décrit une posture érotique évoquée notamment par Nicolas de Troyes.   169 F : demoeree  (Sans retard. Cf. l’Aveugle et Saudret, vers 782.)   170 F : rien chose qui  (Si j’ai quelque chose qui te plaît tant soit peu. « Tu n’as pas chose qui me haitte. » Jéninot qui fist un roy de son chat.)   171 F : vient  (Si tu veux quelque chose.)   172 Ici présents. Ce congé s’adresse au public.   173 Dans une période faste.

LE GALLANT QUY A FAICT LE COUP

Ms. La Vallière

Ms. La Vallière

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LE  GALLANT  QUY

A  FAICT  LE  COUP

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Pour une fois, le dindon de la Farce est une dinde : c’est l’épouse qui se fait rouler par son mari infidèle, et non le contraire. Cette farce rouennaise naquit avant 1536. Le titre qu’on lui assigne est une expression proverbiale1 sans rapport avec la pièce ; il fut ajouté en marge de la table des matières par une main plus récente que celle du copiste.

Nous avons là l’histoire d’un homme qui, avec la complicité d’un médecin, prétend être « enceint » par la faute de sa femme. Boccace2, lui, avait ridiculisé un homme à qui l’on faisait croire qu’il était enceint : « Tu n’as autre maladie sinon que tu es enceint et engroissié d’enfant vif. » Calandrin, oyant ceste parole, commença doulentement crier, et dire : « Las moy ! Tisse, ma femme, tu m’as fait ceste groissesse car tu veulz tousjours estre au-dessus de nos besongnes et, afin que tu voyes plus loing, tu montes sur moy. Et ! je te disoie bien que cecy en advendroit. » Tisse, doncques, femme de Calandrin, qui honneste estoit, fut moult honteuse.

Heureusement pour Calandrin, son médecin, comme celui de la farce, accomplit des miracles : En trois jours, il l’avoit délivré de grossesse d’enfant.

Nicolas de Troyes semble avoir combiné la nouvelle de Boccace (dont il a d’ailleurs copié la traduction dans son propre recueil3) avec notre Gallant quy a faict le coup. Je ne peux que reprendre ici le commentaire rédigé pour les Trois amoureux de la croix, où se pose un problème similaire : Nicolas de Troyes vit-il une représentation de notre farce ? En lut-il une des copies qui circulaient ? Connut-il une autre source de la même histoire ? Toujours est-il qu’en 1536, le sellier champenois traita le même sujet dans son Grant parangon des nouvelles nouvelles, resté inédit jusqu’au XIXe siècle. Je publie sous la pièce la nouvelle concernée.

Sources : Manuscrit La Vallière, nº 39.  —  L’édition parisienne de 1610 <Bibliothèque nationale de France, Yf. 1701>, établie d’après ce manuscrit, n’apporte rien. Voir ce qu’en dit André Tissier : Recueil de farces, t. VI, 1990, pp. 312-313.

Structure : Rimes plates, avec 6 triolets.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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Farce joyeuse

À quatre personnages, c’est à sçavoir :

       LE  MÉDECIN

       LE  BADIN  [Oudin]

       CRESPINÈTE 4

       LA  CHAMBÈRIÈRE  [Mal-aperte]

*

                        [LA  CHAMBÈRIÈRE]  commence en chantant.5

        Il estoyt unne fillète                                                   SCÈNE  I

        Coincte et joliète

        Qui vouloyt sçavoir le jeu d’amours.

        Un jour qu’el estoyt seullète,

5      De Vénus en sa chambrète

        Je luy en aprins deulx ou troys tours6.

        Après avoir sentu [le goust] 7,

        Elle m’a dict en se riant :

        « Les premiers coups m’y sembloyent lours,

10    Mais la fin m’y sembloyt friant. »

        Il m’enpongne, il m’enbrasse, il me baise8 fort.

                        LE  BADIN

        Me donras-tu poinct réconfort

        De ce que j’ey nécessité ?

                        LA  CHAMBÈRIÈRE

        De quoy, mon maistre ?

                        LE  BADIN

                                              En la cisté

15    De Rouen ne de Houpeville9,

        Il n’y a fille aussy habille10

        Pour servir un maistre que toy.

        Et sy, je te promais ma foy :

        Quant je contemple ta personne,

20    Je n’ay membre qui ne frissonne.

        Ton cœur vient le mien inspirer.

                        LA  CHAMBÈRIÈRE  chante 11

        Franc cœur, qu’as-tu à soupirer ?

        Es-tu poinct bien en ta plaisance ?

        Prens en moy ton esjouyssance

25    [Comme un] 12 amoureulx doibt avoir.

                        LE  BADIN

        Tu me faictz le sang esmouvoir,

        Foy que je doy à Nostre Dame !

        Vien çà ! Preste-moy une drame13

        De ton « service14 » corporel !

                        LA  CHAMBÈRIÈRE

30    Ce n’est pas le droict naturel

        À fille de s’abandonner.

                        LE  BADIN

        Il te fauldra bien gouverner :

        De [ce, auras]15 nécessité.

                        LA  CHAMB[ÈRIÈRE]

        Et, voy(e)re. Mais sy récité

35    Estoyt16, mon maistre, à ma mêtresse,

        Vous congnoyssez17 qu’en ma viellesse

        À jamais seroys diffamée.

                        LE  BADIN

        Tes-toy, tes-toy ! Ta renommée

        Te sera gardée, par ma foy !

40    Touche là18 ! Je te faictz octroy19

        De te donner ung chaperon.

                        LA  CHAMB[ÈRIÈRE]

        Vous estes un bon aulteron20

        Voy(e)re. Mais sy vostre « esperon »

        Faisoyt tant que la pance dresse21,

45    Je veulx que me faciez promesse

        Que me garderez mon honneur.

                        LE  BADIN

        Ne doubtes pas22 le déshonneur :

        S’il advient que rien23 on congnoisse

        Par subtilité ou finesse,

50    Ton honneur te sera gardé.

                        LA  CHAMB[ÈRIÈRE]

        Or bien, donc ! Qu’i soyt regardé,

        De moy, à vostre voulloir faire24.

        Qu’on face tout ce qu’on doibt fère,

        Et qu’i n’en soyt plus [de parole]25.

                        LE  BADIN

55    Or me baise, et que je t’acolle.

        Et puys tout sera acomply.

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                        CRESPINÈTE  entre 26, fem[m]e du Badin.

        Mectre je ne puys en ombly27                                  SCÈNE  II

        Les bonnes gens de ma maison.

        Il y a jà longue saison28

60    Que j’en partys, grâces à Dieu.

        Mais je seray tantost au lieu.

        S’y veoyt mon aparission29

        (Vélà30 où j’ey aff[e]ction),

        Chascun d’eulx se resjouira ;

65    Oudin en fera mention

        En toute place où il yra.

        Vraiment31 Mal-aperte rira,

        S(e) une foys arrivée je suys :

        Certainnement el le dira

70    À grans et petis, d’huys en huys.

        G’iray jusques-là, sy je puys ;

        Dieu m’y veuile conduyre à joye !

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                        LA  CHAMB[ÈRIÈRE]                         SCÈNE  III

        [Man]enda32 ! Bien folle j’estoye

        De fère le33 vostre conseil ;

75    Vous estes homme nompareil,

        On ne s’en pouroyt escombastre34.

                        LE  BADIN

        C’est une joye que de bastre

        Les fessotes35 de ces fillètes,

        Qui sont joinctes comme poullètes36

80    Qui n’urent jamais de poucins.

        [Ces femmes qui ont si grans seins,]37

        On ne peult dormir, auprès d’eulx38.

                        LA  CHAMB[ÈRIÈRE]

        Et sy, par voz faictz vertueulx,

        M’aviez faict un enfant au ventre ?

85    J’aroyes des couroulx plus de trente

        Que ma maistresse sceust le faict.

                                      *

                        LE  BADIN 39

        Par ma foy, ma mye, il est faict ;

        N’en [ayez deuil, à l’advenir]40.

                        LA  CHAMB[ÈRIÈRE]

        O ! malureuse, qu’ai-ge faict ?

                        LE  BADIN

90    Par ma foy, ma mye, il est faict.

                        LA  CHAMBÈRIÈRE

        Par vous j’ey commys le forfaict.

        Las ! que puissai-ge devenir ?

                        LE  BADIN

        Par ma foy, ma mye, il est faict ;

        N’en [ayez deuil, à l’]advenir.

                        LA  CHAMB[ÈRIÈRE]

95    Mon Dieu, je puys bien soustenir

        Que fille suys déshonorée.

        Aler m’en fault sans revenir

        Puysque, pour lors, suys defflorée.

        [Fille je suys déshonorée.]

100  Vierge sur toutes descorée,

        Veuile-toy de moy souvenir !

        Fille je suys déshonorée.

        Aler m’en fault sans revenir.

                          *

                        LE  BADIN 41

        Foy de mon corps ! voécy venir

105  Nostre sage et notable femme.

        A ! la voécy, par Nostre Dame !

        Le deable l’a bien ramenée !

                        LA  CHAMB[ÈRIÈRE]

        À Dieu commant42 ma renommée !

        Mon maistre, loin43 m’en fault aler.

                        LE  BADIN

110  Tu n’es pas encor diffamée.

                        LA  CHAMB[ÈRIÈRE]

        À Dieu commant ma renommée !

                        LE  BADIN

        Tu n’en seras que myeulx aymée.

        Laisse-moy aler et parler.

                        LA  CHAMB[ÈRIÈRE]

        À Dieu commant ma renommée !

115  Mon maistre, [loin] m’en fault aler.

                        LE  BADIN

        Tout beau m’envoys, sans bavoler44,

        Cheulx mon compère le surgien45,

        Qui en sçavoir est diligent.

        Et quant auprès de luy seray,

120  Veu le cas que luy conteray,

        Nuly46 n’en sera abusé.

                        LA  CHAMB[ÈRIÈRE]

        Tant vous estes fin et rusé !

        Se n’eussiez poinct tant aiguisé47

        Vostre ventre contre le myen,

125  Je pence qu’i n’y eust eu rien.

        Et maintenant, je suys destruicte.

                        LE  BADIN

        Je m’y en voys [tout à la suycte]48.

        Je te suply, ne pleure plus.

.

        Voélà mon compère à son hus49.                              SCÈNE  IV

130  Compter je luy voy50 mon affaire.

.

        Honneur ! Dieu vous gard, mon compère !

        Dictes, comme vous portez-vous ?

                        LE  MÉDECIN  entre

        Il m’est bien, grâce(s) à Dieu le Père.

                        LE  BADIN

        Honneur ! Dieu vous gard, mon compère !

                        LE  MÉDECIN

135  Entre51, pour lors, en ce repère.

        Qui te meust de venir cheulx nous52 ?

                        LE  BADIN

        Honneur ! Dieu vous gard, mon compère !

        Dictes, comme vous portez-vous ?

        Sy secouru ne suys de vous,

140  Diffamé suys à tout jamais.

                        LE  MÉDECIN

        Dy-moy les causes.

                        LE  BADIN

                                      Voi(e)re, mais

        Y fault tenir cela secret.

                        LE  MÉDECIN

        Ton héritage, par décret

        Est-il passé53 ?

                        LE  BADIN

                                 Nénin, nennin.

                        LE  MÉDECIN

145  As-tu sur le corps du venin

        Qui cause à ton cœur douléance54 ?

                        LE  BADIN

        Non, non, [c’est bien aultre]55 alégeance

        Que je [cherche à]56 avoir de toy.

                        LE  MÉDECIN

        Et qu’esse ? Subit dy-le-moy.

150  As-tu navré aucun57 à mort ?

                        LE  BADIN

        Par la mère Dieu de Monfort58 !

        Je te diray la vérité :

        Un jour fut que je fus tenté,

        Sans viser à gaigne ne perte59.

155  Lors, je vins trouver Mal-aperte,

        La chambèrière de ma femme.

        En me jouant60, par Nostre Dame,

        Je luy ay forgé un enfant.

                        LE  MÉDECIN

        Il est forgé ?

                        LE  BADIN

                       Mon amy,  il est tout grand :

160  Elle est panchue61 comme une vache.

        Sy de par toy je n’ay relâche62,

        Tous mes plaisirs sont desconfis.

                        LE  MÉDECIN

        Quel jour fusse que tu luy fis ?

        Dis-lay63, que j’en soys plus asseur.

                        LE  BADIN

165  Ce jour, j’estoys tout en sueur ;

        Il estoyt dimenche, ou lundy64.

                        LE  MÉDECIN

        Un homme me semble estourdy,

        D’aler briser son mariage.

                        LE  BADIN

        Ma femme est65 en pèlerinage :

170  Plus je n’en pouvoys66 endurer.

                        LE  MÉDECIN

        Cela est à considérer.

                        LE  BADIN

        Secourez-moy, de vostre grâce !

                        LE  MÉDECIN

        Mais67 qu’el reviengne, et qu’el t’embrasse

        Ainsy comme une pèlerine,

175  Incontinent, la pouéterine

        Tu criras68, et aussy le ventre,

        Faignant qu’e[n] ton cœur douleur69 entre,

        En te chaboulant70 comme un veau.

        Lors, te fera faire ton eau71,

180  Qu’el m’aportera. Et, sans fable,

        Je me monstreray tant fiable72

        Que tu feras ce que vouldras.

                        LE  BADIN

        Nous buron73 gros comme le bras,

        S(e) une foys j’en suys délivré.

                        LE  MÉDECIN

185  Va-t’en, et ne soys par yvré74 :

        Aultrement, seroys misérable.

                        LE  BADIN

        Je criray comme le [grand] deable.

        Compère, adieu jusqu(es) au revoir !

.

                        CRESPINÈTE 75                                   SCÈNE  V

        Dieu mercy, tantost pouray veoir

190  Mon bon mari et ma méquine76.

        Dieu veuille sçavoir quel cuisine

        Il ont faict, à la bien-venue.

.

                        LA  CHAMB[ÈRIÈRE] 77                    SCÈNE  VI

        Hélas ! je suys fille perdue,

        Mon maistre : voécy ma maistresse.

195  Diffamée suys sus ma viellesse.

        Au monde, il n’y a mon pareil78.

                        LE  BADIN

        Je luy brasse un bel apareil79.

        Tais-toy, ne pleure jamais jour80,

        Car tu vouéras le plus fin tour

200  Jouer c’onques jamais vist femme.

.

                        CRESPINÈTE                                        SCÈNE  VII

        Dieu soyt céans, et Nostre Dame !

        Dieu vous envoye jouée et soulas81 !

                        LA  CHAMB[ÈRIÈRE]

        C’est ma mêtresse, par mon âme !

                        CRESPINÈTE

        Dieu soyt céans, et Nostre Dame !

                        LE  BADIN

205  Estes-vous arivée, ma femme ?

        Vostre corps est-il poinct bien las ?

                        CRESPINÈTE

        Dieu soyt céans, et Nostre Dame !

        Dieu vous envoye jouée et soulas !

                        LA  CHAMB[ÈRIÈRE]

        Ma mêtresse, siéchez-vous82 bas,

210  Que vostre corps [soyt reposé]83.

                        CRESPINÈTE

        Et vous, estes-vous disposé

        De sancté, puys ma départye84 ?

                        LE  BADIN

        Et ! ma très loyalle partye85,

        Bien soyez venue en ce lieu !

215  Or çà ! monstrez-moy, de par Dieu,

        Que c’est que m’avez aporté86.

                        CRESPINÈTE

        Je n’ay à vous rien transporté87.

        Vo(e)ylà pour vous.

                        LE  BADIN 88

                                         Quoy ! des ymages ?

        (Et ! que voécy de beaulx bagages !)

220  Et ! acolez-moy fermement !…

        Mère de Dieu89 du firmament !!

                        [CRESPINÈTE]

        Qu’esse-là qui vous vient de prendre ?

                        LA  CHAMBÈRIÈRE

        C’est la Mort qui le vient surprendre.

        Souldain que [l’]on ayt du vinaigre90 !

                        CRESPINÈTE

225  Que ce couroult me sera aigre !

        Mon amy, estes-vous passé91 ?

                        LA  CHAMBÈRIÈRE

        C’est faict, voye-le là92 trespassé.

        Il est aussy royde c’un ais93.

                        CRESPINÈTE

        Hélas ! mon seigneur sainct Servais

230  Luy renvoye sa parole brefve94 !

                        LE  BADIN

        Ma dame saincte Genneviefve,

        Sainct Blaise, sainct Roq, sainct Hubert,

        Sainct Michel et sainct Testevert95

        Me veuile ayder en ce passage !

                        CRESPINÈTE 96

235  Mon amy, vous n’estes pas sage :

        Pensez que Dieu vous a formé

        Et de son sang bien reformé,

        Et faict en sa propre semblance97.

                        LE  BADIN

        Et ! vertu de moy ! Dieu ! la panche98 !

240  Et ! le ventre ! Dieu99, que ferai-ge ?

        Ma femme et ma mye, mourai-ge

        En ce lieu sans estre gary100 ?

                        CRESPINÈTE

        Le cœur de moy est sy mary

        Que je ne say que je doy fère.

245  Mal-esperte101, faictes-luy faire

        [De] son eau dedens ceste fiolle ;

        Et ainsy c’un oyseau qui volle102,

        G’iray sçavoir qu’on103 me dira.

        À ce poinct, on remédira

250  À ceste douleur sy expresse.

                        LE  BADIN

        Et ! que je seuffre de détresse !

        Le ventre ! La panche ! Les rains !

        Je cry mercy à mes parains,

        [Et] à mon père, et à ma mère !

                        LA  CHAMBÈ[RIÈRE]

255  Courage, courage ! Encor vous fault-il faire

        Eau pour porter au médecin104.

                        CRESPINÈTE

        Hélas ! quel merveilleux brassin105

        Nuict et jour106 le pauvre homme endure !

                        LE  BADIN

        Pour Dieu ! portez, à l’adventure,

260  [De107] mon urine à mon compère ;

        Dictes-luy que plus je n’espoyre

        Que la mort, du Dieu de nature108.

                        CRESPINÈTE

        O ! mon Seigneur : ta109 créasture,

        Plus [je] ne la vouéray vivante.

.

                        LE  BADIN 110                                       SCÈNE  VIII

265  Est-el partye ?

                        LA  CHAMB[ÈRIÈRE]

                             Ouy.

                        LE  BADIN

                                     A,  je m’en vante

        Qu’e[ncor] nous rirons plusieurs foys.

                        LA  CHAMB[ÈRIÈRE]

        Vous estes des rusés le choys111,

        Tant en finesse qu’en malice.

                        LE  BADIN

        Taisez-vous, taisez, vielle lisse112 !

270  De bref entendrez ma sentence113.

.

                        CRESPINÈTE 114                                 SCÈNE  IX

        Compère, le Dieu [de] clémence

        Vous veuile garder de fortune115 !

        J’ey une douleur importune116

        Qui me tourmente en mon esprit.

                        LE  MÉDECIN

275  Je vous donray en bref escrit

        Récépissé117, laissez-moy fayre.

        Bail[l]ez-moy vostre eau118.

                        CRESPINÈTE

                                             A,  mon compère,

        C’est l’eau d’Oudin, mon bon espoulx.

        An ! Jésus, Jésus !

                        LE  MÉDECIN

                                       Taisez-vous :

280  Ce jour, le mectray hors de peine.

        Par la benoiste Madaleine !

        Ma commère, voécy grand chose.

                       CRESPINÈTE

        Vray Dieu ! et  qu’esse ?

                        LE  MÉDECIN

                                             Dire ne l’ose.

                        CRESPINÈTE

        Et ! mon amy, dictes-le-moy.

                        LE  MÉDECIN

285  Ma commère, par le vray Roy119,

        Puysqu’il fault que je le vous dye,

        Cestuy qui porte maladye

        Est enchainct120 d’un enfant tout vif.

                        CRESPINÈTE

        Nostre Dame !

                        LE  MÉDECIN

                                Par le Dieu vif121 !

290  La chose est toute véritable.

                        CRESPINÈTE

        Et ! non est. [C’est l’œuvre]122 du deable !

              Qui luy a faict ?123

                        LE  MÉDECIN

        Voy(e)là bien dict. Ç’avez-vous124 faict :

        Car quant vous fustes arivée

295  Du voyage où estiez alée,

              Vous l’acolîtes125 ;

        Et, à l’heure, le resjouîtes

              Sy très avant

        Qu’alors procéda un enfant.

                        CRESPINÈTE

300        Vray Dieu ! j’ey tort.

        Et ! Nostre Dame de Monfort,

        Sainct Cervais, pardonnez-le-moy !

                        LE  MÉDECIN

        Pacience ! Je vous diray

        Comment vostre honneur garderez.

                        CRESPINÈTE

305  Hélas, comment ?

                        LE  MÉDECIN

                                      Vous luy direz

        Qu’i tienne fasson et manière

        Qu’i couche aveq la chambèrière126

        De vostre hostel, s’il est possible.

                        CRESPINÈTE

        Hélas, el n’en vouldra rien faire.

310  L’eng[r]oisse127 luy sera pas[s]ible128.

                        LE  MÉDECIN

        Promectez-luy tout le possible

        Afin qu’elle se laisse faire.

                        CRESPINÈTE

              À Dieu, compère !

                        LE  MÉDECIN

        Adieu, commère ! À Dieu, ma mye !

.

                        LE  BADIN 129                                       SCÈNE  X

315  Et ! le ventre, Vierge Marie !

        Que feray-ge, doulx Jésuschrist ?

        Je ne croys poinct que l’Enthéchrist

        Ne soyt130 dens mon ventre bendé.

                        CRESPINÈTE

        Ne vous est-il poinct amendé131 ?

                        LA  CHAMBÈRIÈRE

320  Il luy empire tous les jours.

.

                        CRESPINÈTE 132                                 SCÈNE  XI

        Qu’en secret je parles à vous.

                        LA  CHAMB[ÈRIÈRE]

        Ouy dea, de133 bon cœur, ma mêtresse.

                        CRESPINÈTE

        Entens134 à moy : de135 ma richesse

        Et des biens que Dieu m’a donnés,

325  À toy seront habandonnés

        Se tu me veulx faire un service.

                        LA  CHAMBÈRIÈRE

        Il n’est plaisir que ne vous fisse,

        Ma chère dame, par ma foy.

                        CRESPINÈTE

        Que ton maistre couche avec toy

330  Deulx ou troys heures seulement.

                        LA  CHAMB[ÈRIÈRE]

        Certes, de cela nulement !

        Jamais je ne seroys d’acord !

                        CRESPINÈTE

        Vrayment, je te faictz cest acord

        Que sy tu me faictz ce service,

335  Ne doubte pas que tu périsse

        En ton vivant136, je t’en asseure.

                        LA  CHAMB[ÈRIÈRE]

        Comment ! Je feroys une injure

        Entièrement à mes amys137.

                        CRESPINÈTE

        Tu os138 ce que je t’ay promys.

340  Pren du bien à mon advys,

        [Prens, présent]139, le bien qui te vient !

                        LA  CHAMB[ÈRIÈRE]

        Mère de Jésus ! S’y convient140,

        Ma mêtresse, que je soys grosse,

        Au moins, vous en érez l’endosse141.

                        CRESPINÈTE

345  L’endosse ? A ! n’en faictz [nulle] doubte142.

        S’il est humain qui te déboute,

        Croy143 qu’on luy fera sembler bon.

        Alon par acord veoir le bon

        Oudinet144 et le secourir.

.

350  Et puys, vous lérez-vous145 mourir ?                        SCÈNE  XII

        Comment se porte le courage146 ?

                        LE  BADIN

        Je ne croy poinct que je n’arage147.

        J’ey le ventre au deable148 fouré.

                        CRESPINÈTE

        Vostre compère a labouré149

355  À ceste urine qu’aviez faicte.

                        LE  BADIN

        Av’ous150 faict lire la recepte ?

        Qu’esse qu’il a naré dedens ?

                        CRESPINÈTE

        Y vous fauldra coucher adens151

        Dessus le ventre à Mal-aperte.

360  Aussy, la pouvre fille honneste

        Aura, s’il luy plaist, pacience.

                        LA  CHAMB[ÈRIÈRE]

        Hélas ! fault-il que je commence

        À faire ce qu’onques ne fis ?

                        LE  BADIN

        Ne doulte pas que tes profys

365  Ne te valent un gros argent.

                        CRESPINÈTE

        De vous coucher soyez diligent.

        Je m’en voys prier Dieu pour vous.

                        LE  BADIN

        Adieu, ma mye152 !

                        LA  CHAMBÈRIÈRE

                                        Nous lérez-vous ?

                        CRESPINÈTE

        Ouy : le troysiesme n’y vault rien153.

                        LE  BADIN

370  Ma mye, quant reviendrez-vous ?

        Adieu, ma [mye] !

                        LA  CHAMB[ÈRIÈRE]

                                     Nous lérez-vous ?

                        CRESPINÈTE

        Gardez le segret entre vous.

        Fille, je vous feray du bien.

                        LE  BADIN

        À Dieu, ma [mye] !

                        LA  CHAMB[ÈRIÈRE]

                                        Nous lérez-vous ?

                        CRESPINÈTE

375  Ouy : le troisième n’y vault rien154.

.

                        LE  BADIN                                             SCÈNE  XIII

        Pour conclusion, je soutien

        Qu’i n’est finesse qu’on ne face,

        Mais qu’on ayt gracieulx155 maintien

        Sans muer couleur en la face156.

380  Je suplys Jésus, de sa grâce,

        Que nous décepvons l’Anemy157

        Qui est sy remply de falace158.

.

        Que nul ne pregne en luy ennuy159 !

        En prenant congé de ce lieu,

385  Une chanson pour dire adieu ! 160

.

                                               FINIS

*

.

D’UNE JEUNE FEMME À QUI ON FIT ENTENDANT QU’ELLE AVOIT ENGROISSÉ SON MARY, ET COMMENT IL REMIST SON ENGROISSURE À SA CHAMBERIÈRE, LAQUELLE IL ENGROISSA PAR LE CONSENTEMENT DE SA FEMME.161

.

Vous devez sçavoir que une foys advint, à Troys-en-Champaine162, que il y avoit ung honneste marchant, jeune, gallant et bien délibéré, lequel se maria à l’ayde de ses parens avec une trèsbelle jeune fille et honneste, et qui avoit bien de quoy ; et se entre-aymoient merveilleusement.

Or est-il ainsi que il[z] avoient une belle jeune fille de chambèrière qui les servoit. Advint ung jour que ledit marchant se jou[o]yt163 avec sa chanbèrière, et tant la persuada et prescha sy bien, que il coucha avec elle. Et par tant de foys y alla, que ung jour, ladicte chambèrière luy dist que elle estoit grosse, dont ledit jeune gallant fut bien estonné et marry.

Et ung jour entre les autres, alla veoir ung sien cousin germain, lequel estoit médecin. Et quant ledit médecin vit qu’i faisoit si mauvaise chère164, luy demanda qu’il165 avoit. Si luy respondit qu’il estoit merveilleusement marry.  « –Et ! qu’i a-il (dist le médecin) ?  –Aa ! mon cousin (dist le marchant), je suis plus marry que je fus jamais en ma vie, car je me suis joué avec ma chambèrière tellement que je l’ay engroissée. Et si ma femme s’en aperçoit aulcunement, jamais je n’aré bien ne joye avec elle ; car son père et sa mère m’en voudront mal, veu et regardé qu’elle m’ayme tant.  –O ! cousin et amy (dist le médecin). Et ! n’y a-il autre chose ? Or ne vous souciez : vrayement, nous mettrons bien remède à tout cela.  –Hélas ! mon cousin et amy (dist le marchant), je m’en recommende à vostre bonne grâce. Et que je paye tout cela qu’i vous plaira.  –Or sçavez-vous (dist le médecin) qu’il y a ? Il n’est point question de payement. Mais j’ay advisé une grande abilité166 que vous ferez, moyennant que me voulez croire. Il fault que vous en retornez en vostre maison, et que faciez le malade ; et ne plaingniez riens167 que les rains et le ventre. Et me envoyez vostre orine168 par vostre femme. Et puis du demorant169 me lessez faire. Et je croy que tout se portera bien, Dieu aydant. »  Alors print congé le marchant de luy, et s’en vint en sa maison sans faire semblant de rien.

Va commencer à faire le malade, et sa pouvre femme le réconfortoit bien doulcement, qui n’y pensoit en nul mal. Et luy disoit :  « –Hélas, mon doulx amy ! Et que avez-vous ? Et qu’est-ce qui vous fait mal ?  –A ! m’amye (dit-il), je pence que je suis mort, car j’ay une si grande douleur au ventre et aux rains que il m’est advis que les chiens me le[s] mangeussent. » Et la pauvre jeune femme luy dist :  « –Mon amy, il fault que vous faciez de vostre eau, et je la porteré au médecin.  –Aa ! m’amye (dit le jeune homme), il n’en est jà mestier170. »  Si fit-elle tant, que il fit de son eaue ; et puis la porta tout en plorant à son cousin le médecin.

Puis, quant il la vit ainsi plorant, luy demanda incontinent qu’elle171 avoit.  « –A ! mon cousin (dit-elle), je pence que vostre cousin, mon mary, se meu[r]t.  –Jésus (dit le médecin) ! Et comment ? Il n’y a pas long temps que je l’ay veu. »  Lors, elle ploroit si trèsfort qu’elle ne povoit ung seul mot dire, mais luy monstra son eau. Alors le médecin la va regarder ; et quant il [l’]eut bien visitée, il va dire :  « –À qui c’onques soit ceste eau, il a une grande douleur de ventre et de rains.  –Hélas (dit la jeune femme), mon amy, samon172 ; car il ne plaint que cela.  –Comment (dit le médecin) ! Ceste eaue que vous m’avez cy aportée est d’une femme qui est ensaincte d’enfent.  –A ! mon cousin (dit-elle), je vous prometz que c’est de mon mary, car j’en suis bien asseurée et luy ay veu faire.  –Comment ! Est-il vray (dit le médecin) ? Le savez-vous bien, et en estes-vous bien asseure173 ?  –Ouy (dit-elle), certainement.  –Or, m’amye, sçavez-vous qu’il y a ? Vostre mary est gros d’enfent.  –Comment (dit-elle) ! Est-il bien possible ?  –Ouy (dit le médecin).  –Or me dicte : mais comme est-il possible que cela se soit fait ?  –Venez çà174, m’amye (dit le médecin). Aulcunefoys, quant il vous a fait cela, et que vous deulx jouant ensemble, ne montistes-vous jamais sur luy ? Ne mentez point, si vous voulez qu’i soyt guéry.  –A ! mon cousin, je vous diré la vérité : je vous promez que il ne m’avint jamais qu’une fois.  –A ! par ma foy (dit le médecin), c’est assez, je n’en demande plus. Il est gros d’enfent, sans point de faulte. »  Et la pouvre jeune femme fut bien désolée, et luy demanda s’il y avoit point de remède.  « –Ouy bien (dist le médecin). Mais sçavez-vous qu’il fauldroit faire ? Il fault que vous trouvez façon et manière de parler à quelque jeune fille pucelle, et que vostre mary couchast avec elle175 une nuyt ou deulx. Et la semence qu’il a en son corps, il la remettroit dedens le corps de la jeune fille ; car la semence que luy avez baillée, qui est sortie de vostre corps, n’est pas encore à convalessance de vertu176, car l’enfent qu’i doit procréer n’a point encore de vie. Et s’il habitoit177 une jeune fille, il luy remettroit tout dedens son corps ; et par ainsi, voillà qui le sauveroit.  –A ! (ce dist la jeune femme), mon cousin, mon amy, je vous remercye. Nous viendrons bien à bout de cela, Dieu aydant. Car j’ay une jeune fille de chambèrière cheulx nous, et croy, moy, que elle est pucelle. Je luy bailleray plustost dix escus pour la contenter, et qu’elle couche avec mon mary affin qu’i soit guéry.  –A ! par ma foy (dist le médecin), voillà qui viendroit bien à point. Et aussi, que le monde n’en fust point abreuvé178, il vaudroit mieulx que cela se fist cheux vous. À tout le moins, personne n’en sçara jà rien ; car si on le sçavoit, on diroit : “A ! voillà la femme qui a engroissé son mary pour avoir monté dessus.” Cela seroit villain. »  Et ainsi fut l’apointement fait. Or, ce dist la jeune femme :  « –Mon cousin, mon amy, je vous prie que le venez veoir pour le réconforter ung petit.  –Ouy dea (dit le médecin), ma cousine : je m’en vois quant et vous179. »

Sy vindrent veoir le pouvre pacient, bien desconforté, Dieu le scet ! Sy luy compta le médecin, secrètement, comme il avoit exploité180 avec sa femme, et qu’il failloit qu’i couchast avec sa chambèrière, et que l’apointement estoit ainsi fait pour le guérir. Dont il fut bien joyeux. Et fit-on venir la chanbèrière pour luy refaire ung peu son lit, à laquelle le maistre compta tout l’affaire : comme sa maistresse devoit parler à elle de cela, et que elle fist ung peu de l’estrange du commencement181, mais qu’à la fin, elle se consentist. Le médecin, après la revisitacion faicte, print congé et s’en alla.

La dame apella sa chambèrière à part, et luy dist :  « –Vien çà, Jehanne, ma mye ! Il fault que tu me face ung service182, et je t’en prie bien fort.  –Ma dame (dit la fille), tout ce qu’il me sera possible de faire pour l’amour de vous, je le feré, mon honneur sauve183 et le vostre, car autrement ne le voudroye faire. »  Sy dist la dame :  « –Jehanne, m’amye, ne te soucie de rien. Je te veulx faire tout plain de service, plus la moytié184 que tu ne pence. Mais il n’y a remède185, et fault que tu couche une nuyt avec ton maistre186, pour quelque maladie secrète qu’il a. Et ne te soucie de rien : il ne te fera point de mal.  –Comment (dit la fille), ma maistresse ? Et ! me voudriez-vous faire ce déshonneur ? Et ! sy ung autre le me conseilloit, vous m’en devriez destorner, à tout le moins si vous estiez femme de bien. A ! je vous prometz (dit-elle) que je aymeroys mieulx estre morte. Et ! si mon maistre me faisoit ung enfent, je seroye fille perdue à tout jamais. »  Or, ce dist la maistresse :  « Jehanne, m’amye, ne te soucye de rien. Je te bailleray dix beaux escus et une bonne robbe. Et si, te mariré, et que tu face cela. »  Après plusieurs disputacions dictes et débattues entre elle[s] deulx, Jehanne se acorda à faire le vouloir de sa maistresse, avec la bonne dévocion qu’elle y avoit.

Sy s’en vint la dame parler à son mary, en la présence du médecin, lequel l’estoit revenu veoir pour sçavoir comme il luy estoit. Et elle luy va commencer à faire sa harengue :  « –Or çà, mon amy (dit-elle), comment vous portez-vous ?  –Semy dieulx187, m’amye (dit le pouvre mary), je croy que je me meurs.  –A ! mon amy (dit-elle), ne dictes jamais cela, vous me rompez le cueur ! Mais on a avisé de vostre sancté, dont je loue Dieu et remercye. Voicy vostre cousin, qui dit que il fault que vous couchez une nuyt ou deulx avec nostre chambèrière.  –Aa ! m’amye (dit le pouvre homme), jamais ne me parlez de cela ! Hélas, mon Dieu ! Et ! vous m’estes tant bonne et tant doulce. Et ! que je vous changeasse pour une autre ? J’aymeroye mieulx estre mort, ma doulce amye. »  Et bref, à l’ouÿr parler, il estoit encore plus fort à ferrer que la chambèrière. Or, ce dist le médecin :  « –Mon cousin, mon amy, il n’y a remède. Nostre Seigneur ne vous en sçara nul mal gré188, puisque c’est pour vostre sancté.  –Hélas ! mon cousin (dit-il), cuidez-vous que je veuille rompre mon mariage ? Et ! j’ay une si bonne femme, et qui m’ayme tant, et me fait tant de service. Elle ne scet quel chère me faire, de l’amour qu’elle a en moy. Bref, j’ayme mieulx morir.  –Or çà (dist le médecin) ! Si vous morez en cest estat, vous estes danpné189 à tous les diables : car vous serez cause de vostre mort, veu que sçavez le remède pour vous guérir à l’ayde de Dieu, et vous ne le voulez pas faire. Je ne scé, moy, à quoy vous pencez.  –Hélas ! mon amy (dit le pacient), il m’est advis que je seroys danpné.  –Et ! non serez, de par Dieu (dit le médecin) ! Vostre femme le veult bien190.  –Je vous prometz que voire (dit-elle), mon amy.  –Or, je vous diré donc ([dit-]il) : vous en prendrez le péché sur vous autres.  –Et bien (dirent-il), nous le voulons bien.  –Or sus (dit-il), donc que on l’amainne ! »  Alors furent-ilz trèstous bien aises…. Et demora la fille à couche[r] avec luy ; et menèrent bonne vie emsemble ceste nuyt, et jouèrent bien des couteaulx191 eux deulx, sans eux copper ne courrecer192.

Le lendemain matin, le médecin vint veoir le pacient, et trouva qu’il faisoit bonne chère193 ; et luy compta tout son affaire, et dist qu’il se trouvoit trèsbien, dont il furent tous joyeulx. Et au bout de catre ou de cinq jours, il dist que le ventre et les rains luy faisoient encore ung peu de mal. Sy dist le médecin que il failloit qu’i couchast encore une nuyt ou deux avec la fille pour l’achever de guérir.  « Et bien donc (ce dist la paouvre jeune femme194), je suis contente : sy seré bien aise qu’i soit bien guéry. »  Ô que c’estoit une bonne femme envers son mary ! Que pleust à Dieu de Paradis que j’eusse autent d’escus comme il s’en trouveroit par le monde qui ne vouldroient pas faire le tour195 ! Je ne vouldroys pas196 estre roy de France.

Le paouvre [mary] eut encore sa chanbèrière à couche[r] avec luy tant197 que il fut bien guéry, Dieu mercy au bon médecin ! Mais la chambèrière devint bien grosse. Mais sa maistresse y mist si bon remède que tout se trouva bien ; et la maria après qu’elle fut relevée de sa couche198, pour ce que elle estoit cause de l’affaire, ce luy sembloit.

*

1 « Le galand qui avoit faict le coup. » (Henri Estienne.) Voir l’intéressante préface de la pièce dans l’édition d’André TISSIER : Recueil de farces, t. VI, 1990, pp. 312-366.   2 Le Décaméron, IX-3, traduit par Laurent de Premierfait en 1414.   3 Le Grant parangon, nouvelle 153 : D’un médecin qui fit acroire à ung paintre, par l’ennortement [à l’instigation] de ses compaignons, qu’il estoit gros d’un enfent.   4 LV : la femme  (Toutes ses rubriques portent Crespinete.)   5 Elle fait le ménage en provocant son maître avec une chanson érotique. Cette célèbre chanson de Clément Janequin, connue dès les années 1530, fut publiée en 1540 par Pierre Attaingnant. H. M. Brown (nº 171) a tort de dire que la 1ère édition est celle de 1542.   6 LV : coups   7 LV : du cours  (Janequin dit « senty » ; cf. la Farce du Pet, vers 19.)   8 LV : baissit  (Nouvelle provocation de Malaperte vis-à-vis de son maître ; Janequin dit : « Je l’empoigne, je l’embrasse, je la fringue fort. »)   9 Si l’auteur élève au rang de « cité » ce village proche de Rouen, c’est peut-être qu’il en est originaire.   10 Habile. En tout cas, ce n’est pas dans son travail que la servante fait preuve d’habileté, puisque son nom, « Malaperte », est synonyme de maladroite.   11 Chanson franco-italienne d’Antoine de Vigne ( 1498). Les deux premiers vers sont chantés aux vers 166-167 de Marchebeau et Galop. Voir Brown, nº 135.   12 LV : ainsy cun  (Ce vers, tel que je le corrige, est chanté dans le Pèlerinage de Mariage.)   13 Une drachme, une petite quantité.   14 De ton trou (terme du jeu de paume). « Il sçait bien du premier coup/ Mettre droit dedans le trou/ Qui se nomme le service. » Voulez ouÿr le plaisir.   15 LV : se quauras  (Tu devras faire de gros efforts si tu veux rester vierge.)   16 Si cela était raconté.   17 LV : congnoyses  (Vous pouvez savoir.)  La vieillesse arrivait de bonne heure, et une servante à la réputation sulfureuse risquait de ne pas trouver d’époux. Malaperte se préoccupe encore de ses vieux jours au vers 195.   18 Tope là ! Le mari met la paume de sa main devant sa braguette, selon une équivoque fréquente : « Marguet, je vous prye, touchez là ! » Le Savatier et Marguet.   19 La faveur. Offrir un chaperon suffit à convaincre les femmes qui font l’amour pour le plaisir et non pour l’argent. Voir le v. 107 de Grant Gosier, le v. 315 des Queues troussées, le v. 232 du Dorellot, le v. 271 des Enfans de Borgneux, etc.   20 En Normandie, un aoûteron est un journalier qui moissonne sur les terres des autres. « Esse pas cy mon aulteron ? » Jehan de Lagny.   21 Que mon ventre gonfle. « En danger que la panse dresse. » La Fille esgarée.   22 Ne redoute pas.   23 LV : sein  —  Éd. 1610 : cen  (Que quelque chose. « Et s’il advient que riens deffaille. » Jehan Le Fèvre.)   24 Veillez à faire de moi selon votre volonté.   25 LV : rien tarde  —  Éd. : rien fardé  (Et n’en parlons plus.)  Le ms. et l’imprimé intervertissent ce vers et le précédent.   26 Elle entre en scène, mais elle est loin de chez elle puisqu’elle accomplit un pèlerinage.   27 Je ne puis oublier (normandisme). « Tu metras vertu en ombly. » Moral de Tout-le-Monde.   28 Longtemps.   29 S’il me voit apparaître à l’improviste. Mais une apparition est aussi la manifestation miraculeuse d’un ange ou d’un saint.   30 LV : de la  (Voilà où est mon désir. « J’ay désir et affection/ De le veoir. » ATILF.)   31 LV : viuement  (Malaperte sera bien joyeuse.)   32 Juron féminin. « L’andouille est belle…./ Que je la manie un petit./ Manenda ! j’y prens appétit. » Sermon de l’Endouille.   33 LV : de  (De suivre votre conseil.)   34 Défendre.   35 De marteler les petites fesses.   36 Comme le croupion des poules.   37 Vers manquant. J’emprunte le vers 361 du Testament Pathelin : « Ces femmes qui ont si grans sains,/ On n’a que faire d’oreillier,/ Quant on est couché avec elles. »   38 D’elles (normandisme).   39 ACTE II, introduit par deux triolets enchaînés. Après plusieurs semaines de coucheries, Malaperte découvre qu’elle est enceinte.   40 LV : soyes a deulx aduenir  (« N’en ayez dueil ne désolation. » Marguerite de Navarre.)  Je corrige également le refrain de 94.   41 ACTE III. Pour faire des économies, on a probablement supprimé un petit rôle de messager. Dans la 1ère Moralité de Genève, la lettre annonçant le retour de Bon Temps est aussi portée par un messager. Oudin brandit une lettre de sa femme, qui annonce son prochain retour. Comme elle est analphabète (vers 356), elle a dû la dicter à un prêtre, ainsi que le faisaient beaucoup de pèlerins.   42 Je recommande. « À Dieu commant nostre souper ! » Le Poulier à sis personnages.   43 LV : y  (Je corrige la même faute au refrain de 115, due au fait que le manuscrit de base n’indiquait que les premiers mots des refrains de triolets.)   44 Je vais vite, sans voleter à droite et à gauche. Cf. les Vigilles Triboullet, vers 58.   45 Chez le chirurgien, le médecin ; cf. le Nouveau marié, vers 67. Un compère est souvent un compagnon de taverne : voir le v. 183.   46 Nul : ni toi, ni moi.   47 LV : amusse   48 LV : toute la fuycte  —  Éd. : toute la suicte  (Le « f » et le « ſ » long sont souvent confondus.)  J’y vais tout de suite.   49 À son huis, devant sa porte. Le médecin est en train de scruter un flacon d’urine à la lumière du jour.   50 Je vais lui raconter.   51 LV : es tu  (En ce repaire = chez moi. Cf. les Premiers gardonnéz, vers 55.)   52 Qui t’a poussé à venir chez moi ?   53 Confisqué. « On nous veult passer par décret/ Nostre héritage. » Le Poulier à sis personnages.   54 De la douleur. Le venin désigne le poison, mais aussi les maladies infectieuses, notamment vénériennes : cf. Frère Guillebert, vers 29.   55 LV : jey bien daultre  (C’est un autre type de soulagement.)   56 LV : cherches  —  Éd. : cherche   57 Blessé quelqu’un.   58 L’invocation à Notre-Dame de Montfort-sur-Risle, près de Rouen, qu’on retrouve au vers 301, est fréquente dans les pièces normandes. Voir André Tissier, p. 324.   59 Sans peser le pour et le contre.   60 En copulant. « Estant en appétit/ De se jouer avec Clérice,/ Il luy mit son “cas” sur sa cuisse. » François Maynard.   61 Pansue (normandisme).   62 Un soulagement.   63 Dis-le (normandisme). Plus assûr = informé plus sûrement.   64 Voilà une réponse bien digne d’un Badin, c’est-à-dire d’un personnage déconnecté des contingences temporelles.   65 LV : estoyt   66 LV : pouroys   67 Pour peu.   68 Tu te plaindras d’avoir mal à la poitrine.   69 LV : en pleur   70 Forme normande de sabouler : se remuer. Cf. Colinet et sa Tante, vers 52.   71 Ta femme te demandera d’uriner dans un flacon.   72 LV : afable  (Si digne de foi, si convaincant.)   73 Nous boirons à la taverne, pour fêter ça.   74 Enivré. « Et enteste beaucoup ceulx qui en boivent par trop, jusques à les yvrer. » Godefroy.   75 Elle approche de sa maison, vêtue et chargée comme une pèlerine.   76 Ma meschine : ma servante. Cf. le Vendeur de livres, vers 155.   77 Par la fenêtre, elle voit venir sa patronne.   78 Il n’y a personne d’aussi malheureux que moi.   79 Je lui concocte un beau stratagème. « Je me repens/ D’avoir brassé cest appareil. » ATILF.   80 Nul jour de ta vie.   81 Joie et plaisir. Double sens involontaire : « jouée » = gifle ; cf. le Cuvier, vers 183. La bigote ne peut prononcer une phrase sans invoquer Dieu ou ses saints.   82 Asseyez-vous (normandisme).   83 LV : se reposse   84 Êtes-vous pleins de santé, depuis mon départ ? « Elle appelle le médecin, alors que mieux elle est disposée de santé. » André du Chesne.   85 Ma moitié, mon épouse. « Ma loyalle partie,/ Ma femme, ma trèsdoulce amye. » Mistère du Viel Testament.   86 Les pèlerins distribuaient à leur entourage des médailles et autres gadgets bénits.   87 Rapporté. Crépinette donne à la chambrière des images pieuses.   88 D’un air faussement admiratif.   89 À cet endroit, le scribe a recopié puis barré les vers 217-218. Oudin se frotte contre le ventre de sa femme ; il fait alors semblant de ressentir une vive douleur et tombe à terre.   90 LV : vin aigre  (On applique du vinaigre sur les tempes de ceux qui ont un malaise. Cf. la 1ère Moralité de Genève, vers 16 et note.)   91 Trépassé.   92 Le voilà.   93 Aussi raide qu’une planche.   94 Lui rende la parole rapidement. La bigote invoque encore saint Servais à 302.   95 LV : tyteuert  (Dans les manuscrits gothiques, le groupe « es » peut être confondu avec la lettre « y », qui est pleine de courbes et de ramifications.)  Un fou des Sotz triumphans se nomme Teste Verte. Dans Tarabin Tarabas (F 13), la rime impose le féminin vert : « Ô mauldicte teste de fer !/ Teste testuë, teste vert ! »   96 Elle sermonne son époux, qui blasphème au lieu de songer à Dieu.   97 À son image.   98 Ma panse ! Même normandisme au vers 252.   99 LV : bieu  (Confusion avec le juron « ventre bieu ». Le Munyer, pris de coliques, se plaint de même : « A ! Dieu, le ventre ! »)  Voir les vers 252 et 315.   100 Guéri.   101 Peu experte. L’épouse est si troublée qu’elle en déforme le nom de sa servante, Malaperte.   102 Aussi rapide qu’une hirondelle. Or, la pèlerine est toujours chargée comme un bourricot.   103 Ce que le médecin.   104 Malaperte tient le flacon dans lequel urine son maître, tout comme la mère de Jénin filz de rien tient l’écuelle dans laquelle urine son rejeton <vers 334-351>. À propos des acteurs qui pissent devant le public, voir la note 50 de la Seconde Moralité de Genève.   105 LV : brasin  (Quelle terrible épreuve.)   106 L’intensité se transforme en durée, comme au vers 320.   107 Ce partitif est presque obligatoire : « Portez de mon urine/ Au médecin ! » Seconde Moralité.   108 Je n’espère de Dieu que la mort. Mais si l’acteur escamote la virgule, on obtient : Je n’espère que la mort de Dieu. Et quelque chose me dit que l’interprète de ce mécréant escamotait la virgule.   109 LV : la  (« Créasture » est une des nombreuses aberrations dues au copiste du ms. La Vallière ; cf. les Povres deables, vers 184.)   110 Il se relève d’un bond dès que sa femme est partie avec le flacon d’urine.   111 L’élite des hommes rusés.   112 Vieille lice : chienne. Cf. les Femmes qui aprennent à parler latin, vers 38. Ici, le mot est amical : vilaine médisante. D’après le vers 78, Malaperte est encore une « fillette ».   113 Bientôt vous entendrez mon diagnostic, le verdict de mon médecin.   114 Elle fonce vers le médecin, qui est toujours devant chez lui.   115 De mauvaise fortune, de malheur.   116 LV : oportune  (Insupportable. « Grant peinne et doleur importune. » ATILF.)   117 Le charlatan commet un lapsus : il veut parler du récipé, qui est une formule pharmaceutique. Cf. Maistre Doribus, vers 12, 81, 85 et 128.   118 Le médecin prend le flacon d’urine, en faisant semblant de croire que c’est celle de Crépinette.   119 Par Dieu.   120 Enceint. « Tu n’as autre maladie sinon que tu es enceint et gros d’un enfant tout vif. » Nicolas de Troyes, nouvelle 153.   121 Vivant.   122 LV : a lheure  (« C’est l’œuvre du diable, ennemy & envieux du bien. » Matthieu de Launoy.)   123 Entre 292 et 313, cinq vers qui se suffisent à eux-mêmes sont réduits à un seul hémistiche. On constate ce phénomène dans la Réformeresse, une pièce normande contemporaine de la nôtre, et qui pourrait être du même auteur calviniste.   124 LV : scaues vous  —  Éd. : Se aues vous  (Cela, vous l’avez fait vous-même.)   125 Vous l’avez accolé (vers 220). Boccace et Nicolas de Troyes diagnostiquent, d’une manière beaucoup plus drôle, que l’épouse a répandu sa semence dans le corps du mari en le chevauchant. Mais le dramaturge ne pouvait pas montrer une pareille scène.   126 Afin que la semence passe du ventre d’Oudin à celui de Malaperte. La nouvelle que je publie sous la farce donne tous les détails de cette opération.   127 La grossesse. « Craignant que celle engroisse ne leur engendrast une vergongne perpétuelle. » Godefroy.   128 « Passible est ce qui est prest et disposé à souffrir. » ATILF.   129 Par la fenêtre, il voit revenir sa femme et il se recouche vite.   130 Je crois que l’Antéchrist est. Les deux négations s’annulent, comme au vers 352.   131 Votre état ne s’est-il pas amélioré ?   132 Elle entraîne sa servante à l’écart du mari.   133 LV : du   134 LV : quant est  (Écoute-moi. « Entends à moy : veulx-tu servir ?…/ Entens à moy, dy, estourdy ! » Jéninot qui fist un roy de son chat.)   135 Une partie de.   136 Ne crains pas de mourir tant que tu seras vivante.   137 À mes parents. « Je vous rendray à voz amys. » Jolyet.   138 Tu ois, tu entends.   139 LV : pendant  (Prends maintenant. « De vous, prenons présent congié. » Mistère du Viel Testament.)   140 S’il advient.   141 Vous en aurez la charge. « Affin que le clerc eust l’andosse/ D’espouser la mère et l’enfant. » Pour le Cry de la Bazoche.   142 « De ce, ne faites nulle doubte. » Les Trois amoureux de la croix.   143 LV : croyt  (Si un homme refuse de t’épouser, crois bien qu’on lui fera trouver de l’intérêt à ce mariage.)  Une bonne dot suffisait à rendre leur virginité aux filles ; c’est d’ailleurs ce qui nous voyons dans la nouvelle que je publie sous la farce.   144 Diminutif de Oudin.   145 Vous laisserez-vous. Idem vers 368.   146 Votre cœur, au sens physiologique et moral.   147 Je crois que je vais enrager. Voir la note 130.   148 Oudin renverse l’expression courante ; voir les vers 317-318. « Il sembloit bien qu’elle eust ung dyable ou ventre, tant luy disoit de villainnes parolles. » Cent Nouvelles nouvelles, 39 : Du chevalier qui, en attendant sa dame, besoingna troys fois avec la chambèrière.   149 A œuvré.   150 LV : a vous  (Lui avez-vous fait lire l’ordonnance à haute voix ? Rappelons que Crépinette ne sait pas lire.)   151 À plat ventre. Cf. Maistre Mymin qui va à la guerre, vers 56.   152 LV : femme  (Je corrige de même les refrains de ce triolet.)   153 Dans le Poulier à sis personnages, un gentilhomme va chez sa maîtresse sans valet, « car le troysiesme poinct n’y fault ».   154 Crépinette s’éclipse avec tact.   155 LV : grace et  (Pour peu qu’on ait l’air honnête et avenant. « Honneste et gracieulx maintien. » Verconus.)   156 Sans rougir.   157 Que nous bernions l’Ennemi, le diable.   158 De ruse.   159 Que nul ne se tourmente. « Sans prendre ennuy ou desplaisance. » ATILF.   160 Ce distique apocryphe est la signature habituelle du copiste du ms. La Vallière.   161 Voici la 4ème nouvelle du Second volume du Grant parangon des nouvelles nouvelles, que Nicolas de Troyes composa en 1536.   162 Troyes-en-Champagne, où vivait Nicolas de Troyes, comme son nom l’indique.   163 Emprunt à la farce, vers 157.   164 Figure.   165 Ce qu’il.   166 Habileté, ruse.   167 Ne vous plaignez de rien d’autre.   168 Votre urine.   169 Pour le reste.   170 Ce n’est plus la peine.   171 Ce qu’elle.   172 C’est vrai. « Je pense que voire, ça mon, vrament. » Godefroy.   173 Sûre.   174 Approchez-vous de moi, pour que personne n’entende.   175 Emprunt à la farce : « Qu’i tienne fasson et manière/ Qu’i couche aveq la chambèrière. »   176 Dans sa pleine puissance.   177 S’il pénétrait. « D’aller habiter femme dont barbier le con panse. » Responce de la Dame au vérolé.   178 Pour que nul n’en soit informé. Le médecin, que les scrupules déontologiques n’étouffent pas, craint pour sa propre réputation.   179 Je m’en vais avec vous.   180 Agi.   181 Qu’elle fasse un peu la distante au début.   182 Emprunt à la farce, vers 326 et 334.   183 À condition que mon honneur soit sauf. « Vostre honneur soit sauve. » ATILF.   184 Et encore plus.   185 Il n’y a pas d’autre solution.   186 Emprunt à la farce : « Que ton maistre couche avec toy. »   187 Si m’aid Dieu : que Dieu m’assiste ! Cf. la Veuve, vers 52 et 150.   188 Ne vous en saura nul mauvais gré, ne vous en voudra pas.   189 Damné. Se laisser mourir équivaut à un suicide, que l’Église condamnait, alors que ses martyrs ne sont rien d’autre que des suicidés.   190 Elle veut bien que vous couchiez avec la servante.   191 Ils s’escrimèrent bien.   192 Sans se couper, ni se courroucer l’un envers l’autre.   193 Bonne figure.   194 L’épouse du « malade ».   195 Plût à Dieu que j’aie autant d’écus qu’il y a de femmes qui ne voudraient pas faire ce qu’elle a fait !   196 Je ne préférerais pas.   197 Jusqu’à ce.   198 Après l’accouchement.

FARCE DU PET

British Library

British Library

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FARCE  DU  PET

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René d’Anjou aimait le théâtre ; voir la notice du Roy des Sotz. Le 4 juin 1476, il fit rétribuer un peintre « pour les paintures des cueurs vollans1, et pour les cha[u]ssons2 de la Farce du Pet ». Entre l’écriture de cette Farce du Pet et son arrivée chez l’imprimeur, 70 ans se sont écoulés ; voilà pourquoi le texte en est si corrompu.

Cette œuvre peut être rangée parmi les « causes grasses », scatologiques ou obscènes, que les clercs de la Basoche s’amusaient à plaider. On la joue encore, parfois, mais sur un livret si défectueux que les comédiens ont beaucoup de mal à apprendre par cœur des vers qui n’ont ni mesure, ni rime, ni sens ; cette nouvelle édition a pour but de faciliter leur travail.

Source : Recueil du British Museum, nº 7. Imprimé à Paris pour Pierre Sergent, entre 1532 et 1547.

Structure : Rimes plates, avec 2 triolets en lambeaux.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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Farce nouvelle et

fort joyeuse du

Pect

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À quatre personnaiges, c’est assavoir :

       HUBERT

       LA  FEMME   [Jehannette Huberte]

       LE  JUGE

       Et  LE  PROCUREUR

*

                        HUBERT  commence 3                           SCÈNE  I

        Jehannette !

                        LA  FEMME

                             Hubert ?

                        HUBERT

                                             Esse tout ?

        Est-il point heure de disner ?

                        LA  FEMME

        Attendez.

                        HUBERT

                          Tout le sang me boult.

        Jehannette !

                        [ LA  FEMME

                             Hubert ?

                        HUBERT

                                             Esse tout ?

        ……………………….. -out

        ……………………….. -ner.

5      Jehannette !

                        LA  FEMME

                             Hubert ?

                        HUBERT ]

                                              Esse tout ?

        Est-il point heure de disner ?

                        LA  FEMME

        Aydez-moy [tost] à destourner

        Ce fardeau, pour la table mettre4.

                        HUBERT

        [ O ! qu’ay-je ouÿ sonner ?

                        LA  FEMME

                                                   Peult-estre ]5

10    Une esguillette6 [s’]est rompue.

                        [ HUBERT

        Une esguillette tant ne pue : ]7

        Par le sang de bieu8, c’est ung pet !

        [Je m’esbahis par qui fut faict ;]9

        Je ne sçay dont il peult venir.

                        LA  FEMME

15    Vous me feriez bien souvenir10

        Qui l’a faict.

                        HUBERT

                            Vous !

                        LA  FEMME

                                        Il n’en est rien.

                        HUBERT

        Par le sang de bieu, je le sçay bien !

        Bon gré en ayt sainct Roytellet11 !

                        LA  FEMME

        Qui premier l’a sentu12 l’a faict.

20    Je n’en ay faict ne sentu nul13.

                        HUBERT

        Non vous14.

                        LA  FEMME

                             Et qui donc ?

                        HUBERT

                                                   Vostre cul.

        Prenez15 qu’il vous soit eschappé.

                        LA  FEMME

        Qu’au gibet soit anuyt16 bouté

        Celuy qui fist pect ne demy17,

25    Ne qui l’a veu, ne [l’a ouÿ]18,

        Ny sentu en quelque manière !

                        HUBERT

        Aussi venoit-il par-derrière :

        Tu n’avois garde19 de le veoir.

                        LA  FEMME

        Il est des gens fort[z ; v]a [sçavoir

30    Où]20 c’est qu’il en [pleut, de ceulx-là]21 !

                        HUBERT

        Toutesfoys, il passa22 par là ;

        Et si, l’ay doulcement senty.

                        LA  FEMME

        Par bieu ! vous en avez menty,

        Puisqu’il [y] fault tant de langaige.

35    Car je suis de meilleur lignaige

        Et plus nette23 que vous ne dictes.

                        HUBERT

        Par bieu ! [je dy que] vous le feistes,

        Le pect. Saichez24

                        LA  FEMME

                                         Je le vous nye !

                        HUBERT

        Comment son cul elle regnie25 !

                        LA  FEMME

40    Tu diras ce que tu vouldras.

        Mais, par bieu ! tu l’amenderas26,

        Le [mien] déshonneur, par Justice.

        Tu ne me tiendras pas si nice27

        Que je doibve endurer de cela.

.

                        LE  PROCUREUR 28                            SCÈNE  II

45    J’entens ung différend il[l]a29,

        Entre ces gens. Il fault sçavoir

        Se gaignage30 y pourroye avoir

        En leur débast.

.

                        LA  FEMME                                          SCÈNE  III

                                  Je soye morte

        Ou que le [grant] diable m’emporte31

50    Se jamais, [nul] jour de ta vie,

        Tu feis [de] plus grande follie,

        Puisqu’il fault que je t[’en] advise.

                        HUBERT

        Se je te faictz citer d’office32,

        Le pect sera bien débatu.

                        LA  FEMME

55    Et par qui le prouveras-tu ?

                        HUBERT

        Je m’en croiray en ton serment33.

                        LA  FEMME

        Brief34 j’entreray en jugement,

        Affin que j’en aye justice.

                        HUBERT

        Et,  pleust à Dieu que je t’y tenisse35 :

60    Pour veoir.  Quelle honte je te feroy !

                        LA  FEMME

        Et de quoy ?

                        HUBERT

                              Et ! quant je diray

        Que tu as faict ung si gros pet.

                        LA  FEMME

        Et je diray que tu l’as faict ;

        J’en36 feray grant serment au Majeur.

                        HUBERT

65    Que n’y a-il icy ung procureur !

        Il sçauroit le faict advenu37.

                        LA  FEMME

        Et  pleust à Dieu qu’il fût jà venu !

.

                        LE  PROCUREUR                                 SCÈNE  IV

        (Il est grant temps de me monstrer.)

        Çà ! qui veult en procès entrer

70    Se vienne vers moy droicte voye38 !

                        LA  FEMME

        A ! Monsïeur39, je vous quéroye.

        Puis que vous sçau[r]ez [qu’on me faict honte]40.

                        HUBERT

        Et ! Monsïeur, que je vous compte41

                        LA  FEMME

        Et ! parlez à moy, s’il vous plaist !

                        LE  PROCUREUR

75    A ! voluntiers. Dictes que c’est42.

        Que l’ung commence !

                        HUBERT

                                              Je me plains…

                        LA  FEMME

        Aussi fais-je, par ces deux mains43 !

                        LE  PROCUREUR

        Et de quoy ?

                        LA  FEMME

                            [ Je le vous vays dire.

                        HUBERT ]

        Et [dea] ! entendez à moy44, sire !

                        LE  PROCUREUR

80    Je croy [bien] que vous me bavez45.

                        HUBERT

        Pour quel46 cause ?

                        LE  PROCUREUR

                                        Vous ne sçavez

        Dire l’ung pour l’autre vostre faict.

                        HUBERT

        Il est vray que ma femme a faict…

                        LA  FEMME

        Non est, vous en avez menty !

                        LE  PROCUREUR

85    Laissez-le dire, [je vous pry] ;

        Et puys après, je vous orray47.

        L’ung et l’autre bien serviray.

                        LA  FEMME

        Ce sera faict48 d’ung homme saige.

                        HUBERT

        Sire, nous avons en mesnaige,

90    Ma femme et moy, ung différend,

        Sans plus. [C’est] pour ung peu de vend

        Que j’ay sentu, dont m’en desplaist.

                        LE  PROCUREUR

        [Et quel chose esse ?]

                        TOUS  DEUX  ensemble

                                            C’est ung pet !

                        HUBERT 49

        Saichez, sire, et mâchez le cas50.

                        LE  PROCUREUR

95    Dont vient-il ?

                        LA  FEMME

                                  Mon mary l’a faict.

                        LE  PROCUREUR

        Et quel chose esse ?

                        HUBERT

                                        C’est ung pet.51

        Il vient d’elle.

                        LA  FEMME

                               Et ! par Dieu, non faict !

        [Une femme n’en feroit pas.]52

                        LE  PROCUREUR

        Et quel chose esse ?

                        HUBERT

                                         C’est ung pet.

100  Sachez, sire, et mâchez le cas.

                        LE  PROCUREUR

        Il fauldroit bien des advocatz

        Pour la « matière » disputer.

        Çà, femme, vueillez-moy compter

        En ce lieu-cy53, secrètement,

105  La façon, manière, et comment

        Le cas est advenu [en voye54].

.

                        LA  FEMME

        Ha ! Monsïeur, je n’oseroye :

        Tout le monde s’en mocquera.

                        LE  PROCUREUR

        Jamais homme ne le sçaura ;

110  Tousjours secret je le tiendray.

        Comment fusse ?

                        LA  FEMME

                                     Je le vous diray :

        En chargeant ung fardeau de draps,

        Je me baissay ung peu trop bas.

        Mon mary si fort me hasta55 !

115  Donc56, quelque chose m’eschapa,

        Se Dieu me garde de péril57.

                        LE  PROCUREUR

        Et vostre mary vous dist-il

        Que chargissiez le fais58, adonc ?

                        LA  FEMME

        Ouÿ, certes.

                        LE  PROCUREUR

                              Il a tort, donc,

120  Car c’est peine extraordinaire59.

        Sitost qu’on plaide à l’ordinaire60

        Tous telz cas, ilz61 sont condampnéz.

                        LA  FEMME

        Se ma querelle bien soustenez,

        Je le vous mériray62 sans faille.

                        LE  PROCUREUR

125  Or taisez-vous, et ne vous chaille63 ;

        Et ne dictes [mot ne demy]64.

.

        Or çà ! après, vous, mon amy65 :

        Dictes vérité, par vostre âme !

                        HUBERT

        Sire, il est [trop] vray que ma femme

130  Fist, vraimys66, ung pet [par malheur]

        Auprès de moy, dont j’euz si peur

        Qu’encores le cul me hallette67.

        Et moy, qui veulx ma maison nette

        Sans y souffrir aulcune ordure,

135  Je vueil qu’el me répare l’injure

        Qu’e[lle] m’a faict en ma maison.

        Voylà tout.

                        LE  PROCUREUR

                            Vous avez raison.

        Quoyque le cas advient souvent68,

        S’elle a lasché iceluy vent,

140  [Supposé qu’à]69 vous soit donnée,

        Bref elle en sera condampnée,

        Comme en pourrez [bien] veoir l’affaire.

                        HUBERT 70

        Et,  parlez bien à Monsieur le Maire71

        Pour moy ! Vous aurez au surplus

145  Demy escu72.

                        LE  PROCUREUR

                                N’en parlons plus73.

        Allons parfaire nostre faict.

                        LA  FEMME 74

        Et  dictes que c’est luy qui l’a faict,

        Pour Dieu, sire !

                        LE  PROCUREUR

                                  Or paix75 de cecy !

        Tenez-vous là, et vous aussi,

150  Et vous orrez que ce sera76.

.

        A ! Monsïeur, bona vita77 !                                      SCÈNE  V

                        LE  JUGE

        Vous soyez les bien venus tous !

        Çà, Messïeurs78, que dictes-vous ?

        [Déclarez-moy bien vostre cas.]79

                        LA  FEMME

155  Ha ! monsïeur sainct Nicolas,

        Soyez-moy, à ce jour, secourable !

                        LE  PROCUREUR

        Et ! taisez-vous, de par le dyable80 !

        Le cas est tel, comme il appert81.

                        [LE  JUGE]

        Comment est vostre nom ?

                        HUBERT

                                          J’ay nom  Hubert.

                        LA  FEMME

160  Et moy, [j’ay nom] Jehannette Huberte.

        À la cause de mon mary…

                        LE  PROCUREUR

                                                 Merde82 !

        Taisez-vous, bon gré sainct Remy83 !

        Voicy Hubert, qui dict ainsi

        Que, luy estant en sa maison,

165  À tort, sans cause et sans raison,

        Luy qui désire d’estre en paix

                        LA  FEMME

        Ce fut par lever84 trop grant fais.

                        HUBERT

        Non est,  il n’en est riens !

                        LE  PROCUREUR

                                                Ne sonnez mot !

                        LE  JUGE

        Abrégez-vous85, Procureur, tost !

                        LE  PROCUREUR

170  [Monsïeur, sauf vostre respect,]86

        Hubert dit qu’il ouÿt ung pet.

                        HUBERT

        Ne vous desplaise, Monsïeur87.

                        LE  PROCUREUR

        Paix, Hubert !

                        LE  JUGE

                                Parlez, Procureur !

                        LE  PROCUREUR

        Hubert s’en plaint88 formellement,

175  Car il vint si subtilement89

        Qu’il en tressaillit de grand peur.

        Secondement, dit que l’odeur

        Luy empuentit sa maison ;

        Et si, luy90 dit que par raison,

180  Il n’apartient point à sa femme

        De jecter quelque ordure infâme

        En la maison de son mary.

                        LE  JUGE

        Que dit Jehannette sur cecy ?

                        LE  PROCUREUR

        Elle dit, touchant au parfaict,

185  Que s’ainsi advenu estoit,

        Toute la charge en donneroit

        À son mary.

                        LE  JUGE

                              Voire ? Et comment ?

                        LE  PROCUREUR

        Pource qu’au [seul] commandement

        De son mary, ung fais leva91 ;

190  Par quoy, le vent qui se leva

        Vint par peine extraordinaire.

                        HUBERT

        Il n’en est rien !

                        LE  PROCUREUR

                                  Vueillez vous taire !

                        LA  FEMME

        Si est, que le grant dyable y ait part !

                        LE  JUGE

        Entre vous92, tirez-vous à part,

195  Et vostre sentence attendez.

.

        Procureur, ung peu entendez :

        Comment ferons-nous ?

                        LE  PROCUREUR

                                        Sire,  c’est raison

        De non souffrir en sa maison,

        Par aultruy, faire aulcune ordure.

                        LE  JUGE

200  Et si93, fault-il que l’homme endure

        Toute l’odeur et puanteur

        De sa femme.

                        LE  PROCUREUR

                                Dea, Monsïeur.

        Hubert [sçait sans] nulle doubtance

        Que ce n’est que une mesme substance94

205  D’eulx deux ; il entend bien cecy.

        Mais s’elle a pété ou vécy95,

        D’y avoir part il s’i oppose.

                         LE  JUGE

        Puisque c’est une mesme chose,

        Hubert doit entendre et sçavoir

210  Qu’en tout il doit sa part avoir :

        Quant il la print96, il la print toute.

                        LE  PROCUREUR

        Voicy qu’en sa deffence il boute97 :

        Il dit qu’il n’est prouvé de nul

        Que jamais espousa le cul

215  De sa femme, et98 mect en effect

        Que si le cul ordu[r]e faict,

        Avoir n’y doibt (comme99 il appert)

        Qu[e]lque part100.

                        LE  JUGE 101

                                     Venez çà, Hubert !

        Levez la main102, et vous aussi.

220  N’espousaste[s]-vous ceste-cy,

        Et prise103 alors tout[e] pour femme ?

                        HUBERT

        Nenny, sire, par mon baptesme !

        Je n’espousay104, ne pris alors

        En mariage que son corps ;

225  Mais d’espouser son cul, arrière !

                        LE  JUGE

        Et s’elle eust esté sans derrière,

        L’eussiez-vous prinse ?

                        HUBERT

                                            Je ne sçay.

                        LA  FEMME

        Monsïeur, je vous prouveray

        Que sitost que fuz espousée,

230  Toute la première journée

        Qu’avecques luy je fuz couchée

        (Ou toute vive on me despièce105),

        Mon cul fut la première pièce

        Par où il me print, somme toute106.

                        HUBERT

235  Aussi [bien] n’y véoit-on107 goutte.

        Croy[-moy] que s’il eust esté jour,

        J’eusse bien tourné à l’entour108

        Avant que t’avoir prins par là !

                        LE  JUGE

        Il suffist ! Çà, boutez-vous là !

240  Puisque le cul qui fist le pet

        Est vostre, il fault que l’ayez faict109,

        Cela est tout cler et notoire110.

        Ce qu’il brasse111, il le vous fault boire.

        Et si, fault, pour  en fin de procès,

245  Que de l’avoir faict congnoissez112.

        C’est ma sentence.

                        HUBERT

                                       Je m’oppose113 !

                        LE  JUGE

        N’esse pas une mesme chose

        Que [de] la femme et son mary ?

        Entendez-vous, [Hubert] ?

                        HUBERT114

                                                  Ouÿ.

                        LE  JUGE

250  Des biens que Dieu [à vous espart]115,

        Chascun en doibt avoir sa part,

        Ne faict pas ?

                        HUBERT

                               Il est vérité.

                        LE  JUGE

        Si l’homme est en mendicité,

        La femme ne l’ayde-elle pas ?

                        HUBERT

255  Ouÿ, sire.

                        LA  FEMME

                          Et en116 d’aultre[s] cas !

                        LE  JUGE

        Si vous avez rien117 qu’il luy faille

        Et elle en veult ?

                        HUBERT

                                    Je luy en baille…

        Quant elle en a nécessité.

                        LE  JUGE

        Et s’elle a [vécy ou pété]118,

260  Ou que du cul luy soyt sorty

        Ung peu [de vent]119 : vous, son mary,

        Nous voulez-vous cy faire accroire

        Que vostre part n’en debvez boyre,

        Soyt en secret ou en commun ?

265  S’il est sorty du cul de l’ung,

        Quoyque de120 pied ou main n’y touche,

        S’il entre au nez ou à la bouche

        De l’autre, par ma conscience,

        Prendre le fault en patience.

                        LE  PROCUREUR

270  Hubert, mon amy, congnoissez

        Que le pet dont [vous] plaid[oy]ez,

        L’avez121 faict, sans quelque deffault.

                        HUBERT

        Par mon Créateur !

                        LE  PROCUREUR

                                      Dieu,  il le fault,

        Supposé122 que pas ne le feistes.

                        HUBERT

275  Or  se je le feis, [comme vous dictes],

        Je prens sur Dieu et sur mon âme

        Que ce fut par le cul de ma femme123 ;

        Car il ne sortit point du myen.

                        LA  FEMME

        Tu [le feis, sainct Jehan, tu dicts]124 bien !

                        HUBERT

280  Et [je feis ta fièbvre quartaine]125 !

                        LE  JUGE

        Vous certifiez que l’alayne126

        Est [vostre] en effect ; [et] le pect

        [Dont vous]127 plaidoye[z], l’avez faict,

        Et en confessez la manière.

                        HUBERT

285  Ouy bien, moyennant128 son derrière.

        Regardez comme129 ordonn[er]ez.

                        LE  JUGE

        J’ordonne que tous mariéz

        Qui doresnavant pectz feront,

        Tous [deux] ensemble les bevront

290  Et partiront130 esgallement

        À portion du sentement131.

        Se l’ung en destourne sa face,

        L’autre luy dira : « Prou vous face132 ! »

        Faictes tost la sentence escripre133 !

                        LA  FEMME

295  A ! Monsïeur, Dieu vous le myre134 !

        Vélà bien jugé, sur mon âme !

                        HUBERT

        [Voire, pour]135 ton profit, ma femme ;

        Mais [pour le]136 myen, Dieu sçait comment !

                        LE  JUGE

        Que dictes-vous ?

                        HUBERT

                                     Certainement,

300  Je dictz que c’est jugé à droict,

        Et bien entendu selon Droict.

                        LE  JUGE

        [Je l’ordonne par mes status :]137

        Accordez les nez et les culz138

        Ensemble à tous [vrays] sentemens139 !

.

305  Seigneurs qui estes cy140 présens,

        Prenez en gré le jugement141 !

.

                                                   FINIS

*

1 Les cœurs volants [volages] sont un motif d’enluminures et de tapisseries. Le roi René, dans son Cuer d’Amours espris (1457), les met entre les mains du futur personnage de théâtre Roger Bon Temps.   2 « Élément de charpenterie faisant partie de la base d’un ouvrage. » (ATILF.) S’il s’agit bien de ce mot, on pourrait conclure qu’un décor peint ornait l’estrade.   3 Le couple est chez lui. Comme beaucoup de farces, la nôtre commençait par un triolet chanté, dont il ne reste plus que des bribes informes.   4 Dans une maison médiévale, les tréteaux et la planche qui tiennent lieu de table sont pliés contre un mur. Avant de « mettre la table », il faut d’abord dégager tout ce qui gêne ; en l’occurrence, il y a par terre un gros paquet de linge qui attend d’aller au lavoir. Hubert et Jeannette se penchent pour soulever le drap noué qui contient ce linge ; c’est alors que Jeannette lâche un pet bruyant.   5 BM massacre ce vers ainsi : Sus donc / O que ayie ouy sonner       La femme / Je ne scay / Peult estre de vous baisser:   6 L’aiguillette est un lacet qui ferme la braguette des hommes. Jeannette veut faire passer le ronflement de son pet pour le claquement d’une aiguillette rompue, mais la rime est pauvre…   7 BM : Ou quelque lasset       Hubert   8 Euphémisme pour « Dieu ».   9 Vers manquant. « Je me demande par qui il fut fait. »   10 BM : deuiner  (« Mais la harangère luy en feit bien souvenir ! » Bonaventure Des Périers.)   11 Le nid de cet oiseau passe pour exhaler la même odeur fécale que les langes des bébés. Les nourrices picardes invoquaient saint Roitelet lorsqu’elles changeaient des enfants. Voir aussi Jacques Merceron : Dictionnaire des saints imaginaires et facétieux, pp. 304-5.   12 Senti. Idem vers 21, 26 et 92.   13 BM : nulz  (Pour ne pas surcharger le texte, je supprimerai tous les « s », les « z » et autres scories greffées par l’éditeur à la fin de certains mots qui en étaient exempts à l’origine.)   14 Ce n’est pas vous qui avez fait ce pet.   15 Admettons. Sans l’obstination de Jeannette, la pièce aurait pu s’arrêter là.   16 BM : celuy  (Anticipation du vers suivant.)  Anuit = aujourd’hui. « Nous ne mangeasmes, anuyt, rien. » L’Aveugle et Saudret.   17 Ou même la moitié d’un. Idem vers 126.   18 BM : apperceu   19 Tu ne risquais pas.   20 BM : seruir / Or   21 BM : peult de cela  (Jeannette se moque du trait d’esprit de son époux.)  « Pour des galants, peu s’en trouvoit ;/ De vieux maris, il en pleuvoit. » La Fontaine.   22 BM : passe  (Ce pet passa.)   23 Plus propre. Une femme de bonne famille ne pète pas.   24 Sachez que. À l’origine, ce mot s’écrivait « sachiez », qui peut s’entendre « çà chiez ! » : chiez ici. Même calembour au vers 94. Hubert va être sans cesse interrompu par sa femme.   25 Comme elle renie son cul, qui a fait ce pet.   26 Tu me le paieras.   27 Si bête.   28 Avocat qui parle au nom des plaignants par procuration ; cf. les Drois de la Porte Bodés, vers 242. Alors qu’en grande tenue, il se rend à une audience, il passe devant la porte ouverte et s’arrête pour écouter.   29 Par là. Le juriste jargonne en latin, comme au vers 151. « –Quel lettre esse-là, s’il vous plaist ?/ –Illa ? –Voyre, là. » Pernet qui va à l’escolle.   30 Si un gain.   31 BM : lemporte  (« Le grant dyable d’Enfer m’enporte ! » Les Chambèrières et Débat.)   32 Citer à comparaître.   33 Quand on jurait sur la Bible, on ne pouvait mentir. Dans Jehan de Lagny, « le Juge faict faire serment à Trétaulde : / Par l’Évangille de la Bible,/ Ne direz-vous pas vérité ? »   34 Bien vite. Idem vers 141.   35 BM : tinsse  (Que je t’y tienne. « Ne point faire comme nos anciens François, qui disoient : Que je tenisse, venisse, etc. » Dictionnaire des rimes françoises, 1587.)   36 BM : Et en  (Le Majeur — le maire du v. 143 — tient lieu de juge.)   37 BM : aduenir  (Il saurait ce qui c’est passé.)   38 Tout droit. Toujours dans la rue, le procureur débite un « cri », comme les marchands ambulants qui vantent leur camelote. Le couple se rue vers lui.   39 Monseigneur.   40 BM : que ce faict monte  (Sans aucune garantie, j’ai rafistolé ce vers hypermètre et incompréhensible d’après le vers 60.)   41 Il faut que je vous raconte. Idem vers 103. BM ajoute : mon cas   42 Dites-moi ce qu’il y a. Cf. l’Homme à mes pois, vers 30.   43 Façon de prêter serment à la manière des chevaliers. Cf. la Pippée, vers 685.   44 Écoutez-moi. Cf. Jéninot qui fist un roy de son chat, vers 34 et 274.   45 Que vous m’embobinez. « Ses disciples (…)/ Qui vous ont sceu si bien baver. » Mistère de la Passion de Troyes.   46 BM : quelque   47 Je vous ouïrai. Idem vers 150.   48 Le fait, l’action.   49 BM met cette rubrique sous la précédente.   50 Le verbe mâcher, tout comme le verbe boire, est inhérent au registre scatologique. « –Je n’y en compte pas un pet !/ –Entre voz dens maschez ses lettres ! » (Le Cousturier et Ésopet.) La note 24 explique le jeu de mots sur « çà chiez ! ».   51 BM répète dessous : le procureur. / Dont vient il / La femme / Mon mary la faict / Hubert   52 Je restitue ce vers manquant du triolet d’après le Savatier et Marguet : « Jamais femme ne fist un pet ! » On m’objectera que Poncette et l’Amoureux transy s’apitoie sur le cas d’une mariée qui pète au lit.   53 BM : lieu icy   54 L’affaire s’est mise en route. Pour n’être pas entendus par Hubert, le Procureur et Jeannette se rapprochent du public.   55 Me hâtait tellement. BM intervertit ce vers et le précédent.   56 BM : Adonc   57 Dieu me préserve !   58 Vous avait-il ordonné de charger le faix, le fardeau de linge.   59 C’est un travail trop pénible pour le sexe faible. Idem vers 191.   60 Dans les procès courants, non criminels. « Plaidons en procès ordinaire. » Ung jeune Moyne.   61 Les maris abusifs.   62 BM : mettray  (Je vous le revaudrai. « Je le vous mériray bien, se Dieu plaist. » ATILF.)  On suppose un clin d’œil aguicheur de Jeannette ; l’épouse de Raoullet Ployart émoustille ouvertement un juge pour obtenir gain de cause contre son mari. En outre, le vers précédent jouait peut-être sur « ma querelle » et « maquerelle ».   63 Ne craignez rien.   64 BM : motz ne demys  (Un mot, ni même la moitié d’un. « Je ne diray mot ne demy. » Saincte-Caquette.)   65 BM : amys  (Jeannette retourne à sa place, et Hubert vient défendre sa cause auprès du Procureur.)   66 BM : vramy  (Euphémisme normand pour « vrai Dieu ». Cf. le Vendeur de livres, vers 44.)  « Et ! il aura doncques, vraymis,/ Un bonnadiès de ma personne. » Le Badin qui se loue.   67 Palpite, mais en parlant du cœur. « De joie le cuer me halète. » (ATILF.) Sous le coup de la peur, Frère Guillebert s’écriera : « Le cul me tremble. » Et il fera un pet dont sa maîtresse revendiquera la paternité pour que le mari ne découvre pas cet amant péteur et péteux.   68 Bien que les femmes pètent beaucoup.   69 BM : Supposez que a  (Voir le vers 274.)  À supposer qu’elle vous ait été donnée en mariage. Cf. les Botines Gaultier, vers 20.   70 Il parle à l’oreille du Procureur.   71 Dans certains villages, c’est le maire qui rendait la justice ; faute de tribunal, il officiait sous un orme. « Monseigneur le Maire,/ Je vous viens demander justice. » (Colin, filz de Thévot le maire.) Voir la note 36.   72 BM : escus  (Hubert donne discrètement une pièce au Procureur.)   73 L’affaire est entendue !   74 Elle vient parler à l’autre oreille du Procureur, tandis qu’il entraîne les plaignants sous l’orme où le juge rend la justice ; cf. Colin filz de Thévot, vers 330 et note.   75 Silence ! Mais ce mot, qui résonne encore aux vers 166 et 173, rappelle étrangement le mot « pet ».   76 Vous entendrez ce qui se dira. Le Procureur s’approche du fauteuil où trône le Juge.   77 Que Dieu vous octroie une bonne vie ! Cf. les Brus, vers 125.   78 Ce masculin n’est pas très galant ; mais on peut imaginer que pour saluer le Juge, le comédien qui joue Jeannette retire sa perruque en même temps que sa coiffe, les deux étant accrochées par des épingles.   79 Vers manquant. J’emprunte le vers 34 de Colin filz de Thévot, prononcé comme ici par le maire-juge.   80 Même vers dans Messire Jehan.   81 La cause est telle, comme cela apparaît. Idem vers 217.   82 Cette rime faible n’est pas d’époque : le juron « merde ! » n’a commencé à concurrencer « bran ! » qu’aux alentours de 1500 : cf. la Résurrection Jénin à Paulme, vers 191. Même longtemps après cette date, les farces en feront un usage modéré : l’Homme à mes pois, vers 94 et 169.   83 Même vers dans Serre-porte.   84 BM : le nez  (Correction d’Anatole de Montaiglon, d’après le vers 189.)  C’est parce que j’ai soulevé un trop lourd fardeau.   85 Soyez bref. « Abrège-toy tost et te hastes ! » Le Jeu du Prince des Sotz, dont le Cri initial est « signé d’ung pet de prude femme ».   86 Vers manquant. Prononcer le mot « pet » devant un juge est irrespectueux ; d’où cette excuse, et celle d’Hubert à 172.   87 Sans vouloir vous déplaire, M. le juge.   88 BM : complaint   89 Car ce pet vint si sournoisement.   90 Et aussi, Hubert dit. Les tirades du Procureur — et dans une moindre mesure celles du Juge — parodient le jargon des prétoires, dans lequel baignaient les Basochiens.   91 Elle souleva ce fardeau.   92 Vous autres (normandisme). Hubert et Jeannette se retirent à l’écart pendant la délibération.   93 Et pourtant. Cf. les Brus, vers 115 et 119.   94 Qu’un seul et même être. Double sens : qu’une même matière fécale.   95 Vessé : lâché une vesse. Idem vers 259.   96 Quand il la prit pour femme. Idem vers 221.   97 « Voici ce qu’il avance pour sa défense. » Note d’André Tissier : Recueil de farces, t. X, Droz, 1996, pp. 23-63.   98 BM : si  (Et il fait valoir.)   99 BM : comment  (Comme il ressort des débats. Idem vers 158.)   100 Il ne doit y prendre quelque part que ce soit : il ne doit pas en subir les conséquences.   101 Il fait revenir le couple.   102 Jurez de dire la vérité.   103 « Et ne l’avez-vous prise… » Note d’A. Tissier.   104 BM : ne lespousay   105 Ou qu’on me mette en pièces si je mens.   106 Jody Enders, dans sa décapante traduction américaine de la pièce*, donne de ce passage une interprétation qui fait réfléchir : « (Jehannette) testifie that, on their wedding night, Hubert first “took her there”, sodomizing her — accidentally, he interjects — because he couldn’t tell which end was up. »  *The Farce of the Fart and other ribaldries. University of Pennsylvania Press, 2013, pp. 65-85.   107 On n’y voyait. « Le diable véoit le gendarme qui ne bougeoit point de là. » Nicolas de Troyes.   108 Jody Enders traduit : « I would’ve turned you right side up. »   109 Que vous ayez fait ce pet, Hubert, puisque le cul qui l’a fait vous appartient.   110 Calembour de Basochiens sur « clair et notoire » et « clerc et notaire ». « Cela est tout cler et notaire. » Le Capitaine Mal-en-point, farce écrite pour la Basoche de Paris.   111 Ce qu’élabore ce cul. « En buvant ce qu’avez brassé. » (Régnault qui se marie.) Sur le pet considéré comme une boisson, voir la Résurrection Jénin à Paulme, vers 233 et note.   112 Que vous reconnaissiez avoir fait ce pet.   113 BM : my oppose.  (Je fais opposition.)   114 Il prend un air dubitatif.   115 BM : vous a espars  (Répand sur vous ; verbe espardre. « En moy espart/ Toute douceur. » Guillaume de Machaut.)   116 BM : aussi  (On devine que ces autres cas où la femme aide son mari concernent le devoir conjugal, surtout s’il a tendance à se tromper de trou.)   117 Quelque chose. « Se nous avons rien qui vous faille. » Le Fossoieur et son Varlet.   118 BM : pete ou vecy   119 BM : deuant   120 BM : le  (Quoiqu’on n’ait rien à voir avec lui, d’une manière ou d’une autre. « Et [qu’]homme, de pied ne de main,/ N’y touche. » Actes des Apostres.)   121 BM : Lauoir  (Vous l’avez fait, sans faute.)  Ces deux vers annoncent les vers 282-3.   122 Il faut le reconnaître, à supposer que.   123 De ma femme. Sur ce génitif archaïque, voir la note 1 du Clerc qui fut refusé.   124 BM : par sainct iehan vous dictes  (Avec un air de triomphe, Jeannette feint de prendre le vers 275 pour un aveu.)   125 BM : faictz tes fiebures quartaines  (Ce vers, tel que je le corrige, est le vers 221 du Ramonneur de cheminées.)   126 L’haleine : l’air qui est sorti du cul de votre femme. Le Juge aussi fait semblant de croire aux « aveux » du mari.   127 BM : que  (Ces deux vers en charpie sont un écho des vers 271-2.)   128 Au moyen de.   129 BM : comment vous  (Prenez garde à la manière dont vous allez statuer.)   130 Les boiront et se les partageront.   131 À proportion de leur senteur. Voir le vers 304.   132 Grand bien vous fasse ! Cf. Jéninot qui fist un roy de son chat, vers 70 et note.   133 Cet ordre s’adresse aux clercs qui composaient l’assistance lors de la création de l’œuvre ; ils n’auraient pas demandé mieux que d’enregistrer officiellement ce nouveau droit de la Porte Baudais.   134 Vous le rende. Verbe mérir, comme à 124. « Dieu le vous mire ! » ATILF.   135 BM : Voir a   136 BM : du   137 Vers manquant. « Par statut, il est ordonné. » Pour le Cry de la Bazoche.   138 Ce jugement ne fait qu’adoucir une imprécation courante : « Mettez donc vostre nez dans mon cul ! » (Béroalde de Verville.) Mais pour conclure dignement cette farce, rabelaisienne avant l’heure, laissons la parole au Maître : « Quand (dist Panurge) tu mettras ton nez en mon cul, sois recors [souviens-toi] de deschausser tes lunettes ! » Tiers Livre, 25.   139 À chaque mauvaise odeur (vers 291). « Le vent de derière,/ Dont on se doibt tirer arière/ À cause du vray sentement. » Sermon joyeux des quatre vens.   140 BM : icy  (Si les Basochiens ont créé la farce dans un lieu de Justice — en pareille occasion, ceux de Paris monopolisaient la grand-salle du Palais de la Cité —, il n’y avait pas de spectatrices.)   141 Ce congé standard se termine toujours par : « Prenez en gré l’esbatement. » Pour des Basochiens, un jugement — fût-ce une condamnation à mort — est un plaisir comme un autre.

LES BRUS

Ms. La Vallière

Ms. La Vallière

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LES  BRUS

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En Normandie, une bru était une fille de joie, comme en témoigne cette mésaventure du savetier Bélot dans la Muse normande :

        Lorsque tout contre ly vint une damoiselle.

        Men Bélot entre en ruth. D’autre part, la donzelle

        Correspondet à ly en gestes et fachons*.                                  * Façons.

        Enfin, dans ses blancs draps se mit ste criature*….                 * Cette créature.

        (Bélot) ly devet sept francs : ch’étet pour sen poyment*.         * C’était pour son paiement.

        « Chlà est vray ! », dit ste bru qu’il avest attraînée.

        « Y m’a presté sen lict, me l’offrant pour refuge ;

        No* n’a pas rien pour rien, coume un caqu’un le sait. »           * On.

Cette farce écrite vers 1536 nous montre deux brus qui viennent d’entrer dans la carrière, et qui accueillent religieusement les sages conseils d’une mère maquerelle que même des moines débauchés ne réussiront pas à détourner de ses devoirs.

Source : Manuscrit La Vallière, nº 37.

Structure : Rimes plates, avec un rondel double, 3 triolets et 4 quatrains à refrain.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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Farce nouvelle

À cinq personnages, c’est asçavoir troys Brus et deulx Hermites.

    [ LA  VIELLE  BRU,  Trétaulde

       LA  PREMIÈRE  BRU

       LA  SECONDE  BRU

       LE  PREMIER  HERMITE,  frère Ancelot

       LE  DEUXIESME  HERMITE,  frère Ancelme ]

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                        LA  VIELLE  BRU  commence [en chantant 1].

        Je suys nommée la vielle bru,                                   SCÈNE  I

        De toutes aultres brus gouvernante.

        Tant à Meulenc comment à Mante2,

        Partout j’ay « moulu » orge et gru3.

5      J’ay eu l’esp[e]rit sy agu4,

        J’ey porté « lance » sy mouvante5.

        J’ey esté sy remuante.

        Homme ne craignoys, plain d’argu.

        Je suys nommée la vielle bru,

10    De toutes aultres brus gouvernante6.

        Gouvernée me suys en temps deu.

        J’ey partout « combat » atendu ;

        J’ey esté à « l’assault » entrante

        Sans poinct desmancher7, je me vante,

15    Ne doubtant 8 corps grand ne menbru.

        Je suys nommée la vielle bru,

        De toutes aultres brus gouvernante.

        Tant à Meulenc comment à Mante,

        J’ey partout moulu orge et gru.

20    Je suys nommée la vielle bru.

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        Çà ! filles, parlez à moy dru !

        Faictes record9 de vostre affaire.

        Quel train voulez tenir et faire ?

        Parlez, vous, la plus congnoissante10.

                        LA  PREMIÈRE11  BRU

25    Ma foy, dame la Gouvernante,

        Tant que je soys fille vivante,

        Je tiendray l’estat de brurye12.

                        LA  VIELLE  BRU

        Et vous ?

                        LA  SECONDE  BRU

                        Soublz vostre seigneurye,

        De brus porteron le guydon13.

30    Mais à vous nous recommandon,

        Qu’il vous plaise nous gouverner,

        Nous instruyre et [nous] enseigner

        Là où bien nous14 nous puissions [p]estre.

                        LA  VIELLE  BRU

        Puysque vous voulez à moy estre,

35    Y fault que ce mot je relate :

        Je seroys bien chiche et ingrate

        Sy par moy n’estiez bien pourveu[e]s.

        De plusieurs vous serez [bien veues]15,

        Et de tous estas16 tâtonnés.

40    Mais jamais ne vous estonnez

        Sy quelqu(e) un vous vient mugueter17 :

        Ne le veuillez pas despiter18 ;

        Gouvernez-lay à son estape19

        Tant qu’il soyt prins à vostre atrape.

45    S’il est de vous bien alêné20,

        Y sera à demy danné

        Le jour qu’i ne vous aura veue21,

        Pensant que22 serez devenue.

        Cuydez-vous que dessoublz la nue

50    Il y a de[ulx] sortes de brus.

        J’en ay veu tropes comme grus23,

        Qui se faisoyent fraper et bastre

        Pour suyvre un povre gentilastre24

        Qui n’a25 rien au pays de Bray.

55    C’est mal entendu sa Guybray26,

        C’est mal excersé son vacat 27.

        J’ey congneu tel esperlucat28

        Et tel griffeur29 de parchemin :

        Quant ilz trouvoyent à leur chemin

60    Des brus, il[z] les vouloyent forcer.

                        LA  PREMIÈRE  BRU

        Ne nous veuillez pas adresser

        À leurs mains, au nom de sainct Gille !

                        LA  V[IELL]E  BRU

        Taisez-vous, ma petite fille :

        Je ne suys pas sy incensée

65    Que vous ne soyez bien pencée30,

        Cheulx l’oste31 où je vous logeray.

                        LA  SECONDE  BRU

        En tout lieu je vous suyviray32,

        Aussy, dame la Gouvernante.

                        LA  VIELLE  BRU

        Je suys assez recongnoissante

70    Pour vous bien loger, par sainct Bon !

        Moy, je sçay bien où il faict bon :

        J’ey esté bru en tout pays

        Là où les brus sont obaÿs33.

        [Car] j’ey esté bru gascongnante,

75    Bru bretonne, bru bretonnante,

        Bru espaignolle34, bru bourguygnonne,

        Bru de Berry, bru de Soulongne35,

        Bru canaise, bru pouétevyne36,

        Bru de Bessin, bru angevyne37,

80    Bru de Touraine et bru guespine38,

        Bru de Calais39 (on nous lopine !),

        Bru prouvencelle, bru lyonnoyse,

        Bru de Marceille, bru navaroyse,

        Bru loraine et bru bourbonnoyse,

85    [Bru beaulceronne et bru cauchoyse,]40

        Bru de [la] Brye et bru troyenne,

        Bru de la Bresse41 et de Rouenne,

        Bru de Melun42 qui est sur l’eau,

        Bru d’Harcourt43 et bru de Bordeau44,

90    Bru d’Évereulx45, de Dreulx, de Chartre,

        Bru de Paris et de Monmastre46,

        Bru de La Roche et de Vernom,

        Bru de Loviers et de Gaillon47,

        Bru de La Bouille et Moulineaulx,

95    Bru des isles par tout les eaulx48,

        Bru [de Sainct-Aubin]49, Dernétal ;

        Bru partout, tant amont qu’aval :

        Bru de Gournay, bru de Beauvais,

        Bru Sainct-Vivien50, bru Sainct-Gervais,

100  Bru de Dieppe, bru du Tréport,

        Bru d’Arques. Sans en dire tort51,

        De Rouen, je n’en parle poinct.

                        LA  PREMIÈRE  BRU

        Et pourquoy ?

                        LA  VIELLE  BRU

                         In Jen !  On [ne démesle]52 poinct

        Les brus d’avec les courtizainnes :

105  Car il font tant les bravouzainnes53

        Que les plus ruzés y54 sont prins,

        Quoy qu’ilz souent55 sages et bien aprins.

        J’ey veu bru demy trésallée56

        Qui, de craincte d’estre hallée57,

110  Portoyt cachenés58 sur son vyaire

        Ainsy c’une mille-souldière59.

        J’ey veu bru (non forte à congnoistre60)

        Qui, de l’amuche61 de son maistre,

        A faict reborder sa costelle62 ;

115  Et sy, contrefaict63 la pucelle.

        J’ey congneue bru garnye d’escus64

        Qui, d’un aful de monacus65,

        A faict abit qu’el portoyt bien ;

        Et sy, faict la femme de bien.

120  J’ey veu bru sy sientifique66 :

        Pour parler à un de pratique67,

        Portoyt procès soublz son esselle68

        Affin qu’il eust accès à elle69.

        Dieu ! qu’el estoyt, en parler, ferme !

.

                        LE  PREMIER  HERMITE                 SCÈNE  II

125  Et ! bonavita70, frère Ancelme !

                        LE  DEUXIESME  HERMITE

        Bon adjournus71, frère Ancelot !

                        LE  PREMIER  HERMITE

        Quant burons-nous jusqu(e) à la lerme72 ?

        Et ! bonavita, frère Ancelme !

                        LE  DEUXIESME  HERMITE

        Aujourd’uy : ce n’est pas long terme73.

                        LE  PREMIER  HERMITE

130  Sans faulte, je boiray74 d’un pot.

        Et ! bonavita, frère Ancelme !

                        LE  DEUXIESME  HERMITE

        Bonajournus, frère Ancelot !

        Que faictes[-vous] cy, mon valot75 ?

        Estes-vous de quelc’un en doubte76 ?

                        LE  PREMIER  HERMITE

135  Je fais le guet ; et sy, escouste

        Trétaulde77 qui instruict des brus.

        Et ! nous qui sommes fort membrus78,

        Au[r]ons-nous poinct l’invention79

        D’en avoir la possession

140  D’une, pour passer nostre envye ?

                        LE  DEUXIESME  HERMITE

        Frère, ce seroyt bonne80 vye.

                        LE  PREMIER  HERMITE

        Nous sommes de vin sy œuillés81,

        Et dedens le corps sy rouillés,

        Que de nous n’est que pouriture.

                        LE  DEUXIESME  HERMITE

145  Faulte ?

                        LE  PREMIER  HERMITE

                        D’opérer de nature82.

                        LE  DEUXIESME  HERMITE

        Par monsieur sainct Bonne-Advanture !

        Frater méy, béné volo83.

        Mais el est sy faicte au haulo84

        Qu’el n’a ne pityé ne pitace85

150  De frère portant la besache86.

                        LE  PREMIER  HERMITE

        Alons saluer la bécace.

        Que fust-el87 au pas de Calais !

                        LE  DEUXIESME  HERMITE

        Testor Déos immortalais88 !

                        LE  PREMIER  HERMITE

        Frater, que venez-vous de dire ?

                        LE  DEUXIESME  HERMITE

155  Je vouldroys qu’el fust à l’Empire89 !

        Par Testor Déos immortalays !

                        LE  PREMIER  HERMITE

        Autant magistral90 que valés,

        Vous blasphesmez les dieulx estranges91.

                        LE  DEUXIESME  HERMITE

        Il n’y a séraphin ny anges92

160  Qui me seussent éberluer93

        Que je ne l’aille saluer,

        Et réciter94 ce que je pence.

                        LE  PREMIER  HERMITE

        Alons-y tous deulx d’atrempence95

        La saluer à nostre guise,

165  Faisant de la langue faintise96

        En donnant accès à noz mos97.

.

                        LA  VIELLE  BRU                                SCÈNE  III

        Voécy deulx frères Frapabos98

        Qui viennent à nous disputer.

        Nule ne se veuil[l]e haster

170  De parler ; car, par sainct Symon,

        Nous séron se99, sur leur poulmon,

        Il100 y a rien d’inestimable101.

.

                        LE  PREMIER  HERMITE                 SCÈNE  IV

        Ma Dame, soyez secourable

        Aulx pauvres frères hermytaulx

175  Qui n’ont pécunes ne métaulx102,

        Et boyvent de l’eau tous les jours103 !

                        LA  VIELLE  BRU

        Frère[s], il n’y a rien pour vous.

                        LE  DEUXIESME104  HERMITE

        A ! thésaurière105 de sancté,

        Je priray sancta et san[c]te106

180  Qu’i vous préserve de la toux.

                        LA  VIELLE  BRU

        Frère[s], il n’y a rien pour vous.

                        LE  PREMIER  HERMITE

        Hélas ! jenne107 bru crestïenne,

        Vous avez la chair tendre et jenne

        Pour faire roidir les… genoulx108.

                        LA  VIELLE  BRU

185  Frère[s], il n’y a rien pour vous.

                        LE  DEUXIESME  HERMITE

        Vous avez le viaire angélique.

        Quel109 embrasser, telle relique,

        Beau regard gratieulx et doulx.

                        LA  VIELLE  BRU

        Alez, il n’y a rien pour vous !

190  Vous estes fors110 à escondire.

                        LE  PREMIER  HERMITE

        Nous avons un mot à vous dire.

                        LA  VIELLE  BRU

        Et quel ?

                        LE  PREMIER  HERMITE

                        S’y vous venoyt à gré111,

        En payant à nostre degré112,

        N’arions-nous poinct une venue113

195  D’une de voz brus toute nue ?

                        LA  VIELLE  BRU

        Alez, grosse beste cornue !

        Alez, grisars114 ! Alez, sousdextre !

        Comment ? Esse à vous à congnoistre

        Que c’est que du fémi[n]in gerre115 ?

                        LE  DEUXIESME  HERMITE

200  Dieu nous a mys dessus la terre,

        Hommes roydes, fors et puissans,

        Et de noz menbres joÿssans

        Comme [d’]aultres, en vérité.

                        LA  VIELLE  BRU

        Pourquoy vouez-vous chasteté116

205  (Faisans d’aultres sermens [c]assés117),

        Et tous voz veulx vous délaissez ?

        Alez, vous estes misérables !

                        LE  PREMIER  HERMITE

        Telz estaz sont dissimulables

        Et dificilles à congnoistre.

                        LA  VIELLE  BRU

210  Retirez-vous en vostre clouestre118,

        Gens remplys de déception119 !

        O ! la malinne invention,

        Que le corps d’un hermite120 chainct

        Soyt [d’]un habit polu et faint121 !

215  Retirez-vous en vostre escorce122 !

                        LE  DEUXIESME  HERMITE

        Nous aurons voz deulx brus par force !

                        LA  SECONDE  BRU

        Vous mentirez123, loups affamés !

                        LE  PREMIER  HERMITE

        S’il ne vous vient de la renforce,

        Nous aurons voz deulx brus par force.124

                        LA  VIELLE  BRU

220  Vaillante seray à la torche125 :

        [Par mes mains serez assommés !]

                        LE  DEUXIESME  HERMITE

        Nous aurons vos deulx brus par force !

                        LA  PREMIÈRE  BRU

        Vous mentirez, loups affamés !

        Pensez-vous de nous estre aymés

225  Malgré la nostre volonté ?

                        LA  VIELLE  BRU

        Vous avez voué chasteté,

        Et semblez gens à demy sainctz.

        Vous estes de cautelles plains126

        Et voulez ravir ces deulx filles

230  Par voz actes ordes et villes127.

                        LE  PREMIER  HERMITE

        Quant nous som[m]es aulx bonnes villes,

        Ne128 faisons les frères Frapars ;

        Mais aux champs, [sommes droictz]129 liépars

        À poursuyvir filles et femmes.

                        LA  VIELLE  BRU

235  Voz actes sont donques infâmes.

                        LE  DEUXIESME  HERMITE

        Quant nous alons par les maisons,

        Nous sommes pâles et deffaictz,

        Disons130 salmes et oraisons

        Pour ceulx qui nous ont des biens faictz ;

240  Mais aulx champs, sommes contrefaictz131,

        Chantant chansons vindicatives

        Avecques paroles laccives.

        Dont, dame la Gouverneresse,

        Faictes-nous de voz brus largesse132,

245  Soyt par force ou par amytié.

                        LA  VIELLE  BRU

        Hermites estes sans pityé.

        Voulant user de félonnize,

        Vous avez sur nous la main mise.

        Enquestes de vous seront faictes133.

                        LA  PREMIÈRE  BRU

250  Nous vous pensions comme prophètes,

        Prédicans134 comme bons enseignemens ;

        Mais voz malingtz desreiglementz135

        Font vostre estat mal estimer136,

        Par quoy nul ne vous peult aymer.

                        LA  SECONDE  BRU

255  J’ay ouÿ dire aulx gentz antïens137

        Que toulx ceulx ne sont pas scïens138,

        Portant habit dissimulé139.

        Par quoy, vostre faict calculé140,

        Pour hermites frans141 je vous prens.

                        LA  VIELLE  BRU

260  De parler à vous j’entreprens,

        Gros grisars, grisons142 grisonniers,

        Gros mesles143, griffons144, gros âniers !

        Voulez-vous les brus gouverner ?

        Alez-vous-ent entavernerl45,

265  Et vous tenez en voz cavernes146,

        Et faictes de vessies147 lanternes !

        Adieu, mes frères cou[v]éteulx148 !

        Sy j’ey des brus, esse pour eulx ?

        Qu’on les149 maine toute la course !

270  Y me fault bien meilleure bourse

        Qu’à telz gens on leur habandonne150 :

        Et ! y n’ont rien, s’on ne leur donne.

                        [LE  DEUXIESME  HERMITE]

        Voy(e)là merveilleux argumens !

                        LE  PREMIER  HERMITE 151

        Poinct d’argent, marchande ? Tu mens !

275  Voy(e)là des escus à planté152 :

        Encor cent et un153, tout compté,

        Pour les payer de leur salaire,

        S’y veulent à noz154 deulx complaire.

        Mais premier qu’on en jouisson155,

280  Y fault c’un petit nous danson

        Un bran156 de quelque inve[n]tion.

                        LA  VIELLE  BRU

        Mectez-moy en possession

        De la bource pécunyeuse.

                        LE  PREMIER  HERMITE

        Tenez, la voy(e)là, plantureuse157.

285  Or çà, ma petite amoureuse,

        Y nous fault un peu piétonner158.

        Et puys nous irons desjuner

        D’un [ouéson à]159 la Petite Oye160.

                        LE  DEUXIESME  HERMITE

        Argent [nous] faict partout la voye161.

                        LA  VIELLE  BRU

290  Qui a argent, il a des brus.

                        LE  PREMIER  HERMITE162

        Tant en Piedmont comme en Savoye163,

        Argent [nous] faict partout la voye.

                        LA  SECONDE  BRU

        Qui porte argent, il porte joye,

        Autant esbarbés164 que barbus.

                        LE  PREMIER  HERMITE

295  Argent [nous] faict partout la voye.

                        LA  VIELLE  BRU

        Qui a argent, il a des brus.

        Aultre choze je ne conclus.

        Avant que partir de ce lieu,

        Un petit bran165 pour dire adieu.

300  Pourtant, s’on166 n’avon poinct musique,

        Pas ne diminuez vos167 don[s].

        À vous nous nous recommandon[s] :

        Jeu nouveau couste à qui l’aplicque168,

        C’est [là] une chose autenticque.

305  En prenant congé de ce lieu,

        Or dansons [bran] pour dire adieu !

.

                               FINIS

*

1 Il est d’usage qu’un poème à forme fixe au début d’une farce soit chanté ; ce rondel double (amplifié tardivement de 4 vers) devait l’être comme les autres. Les trois brus sont sur une place ; tapi dans un coin, le 1er ermite les observe.   2 À Meulan comme à Mantes. Ces deux communes des actuelles Yvelines sont limitrophes de la Normandie. Comment = comme : cf. Maistre Mimin estudiant, vers 374.   3 Et du grain mondé. L’action répétitive du moulin fournit une métaphore du coït : « Ilz s’en allèrent tous deux coucher, & en jouant ensemble & passant le temps, commencèrent à moudre fort & ferme. » Pierre de Larivey.   4 Le désir si aigu. Jeu de mots sur épris : enflammé par le désir. « Elle a l’esperit sy souldain/ Qu’il ne luy fault paille ne grain,/ Mais que souvent on la “baculle”. » Rondeau.   5 Qui bougeait tant. Nous abordons maintenant le registre érotico-militaire.   6 Qu’une même faute soit reproduite dans tous les refrains prouve que le copiste précédent n’a noté que le début des redites, et que le copiste actuel les a complétées d’après un 1er refrain fautif ; c’est encore le cas pour les refrains de 292 et 295, qui reproduisent la faute de 289. Voir la note 91 de Maistre Mimin estudiant, et la note 23 de Régnault qui se marie.   7 LV : desmarcher  (Sans être désarmée.)  Sans perdre le « manche » de mon client. « Soudain que la gouge on emmanche,/ Luy rebailler le picotin,/ Si l’instrument ne se desmanche. » Guillaume Coquillart.   8 Ne redoutant aucun. Membru = bien membré. Idem vers 137.   9 Le récit.   10 La plus âgée des deux.   11 LV : iie  (Pour plus de lisibilité, je numéroterai les personnages en toutes lettres.)   12 Le métier de la prostitution.   13 L’étendard.   14 LV : pour  (L’endroit où nous pourrons bien nous repaître, nous enrichir. « Où nous puissions nous paistre de contes. » Jacques Faye.)   15 LV : veuz   16 Par des hommes de toutes conditions.   17 Conter fleurette.   18 Dédaigner.   19 Prenez-le au piège amoureux. « Amour (…),/ Rends-le-moy pris à ton estappe ! » Antoine Le Maçon.   20 Piqué comme par une alêne, un poinçon. « Ceulx qui par avant l’acolloient (…)/ En sont picqués et alênés. » Moralité à cincq personnages.   21 LV : veuee  (Le jour où il ne vous aura pas vue.)   22 Se demandant ce que vous.   23 Des troupes aussi nombreuses qu’un vol de grues.   24 Gentilhomme de bas étage. Cf. Moral de Tout-le-Monde, vers 139.   25 LV : nauoyt  (Le pays de Bray sépare la Normandie de la Picardie.)  Double sens : Qui n’a rien dans ses braies, dans sa culotte.   26 Cette foire normande donna lieu à quelques expressions : « Trotter (…)/ Plus dru qu’à la Guibray ne courent les mazettes [les canassons]. » (La Muse normande.) Mais celle-ci n’est pas connue. Émile Picot l’interprète : « C’est faire un mauvais marché. » Recueil général des sotties, t. III, pp. 79-97.   27 Sa vacation, son service.   28 Un porteur de perruque, un juge. Cf. le Poulier à sis personnages, vers 70 et note.   29 LV : griffon  (Tel clerc de justice, dont la plume mal taillée griffe le papier. C’est l’origine du verbe griffonner.)  Le parchemin désigne aussi le pubis d’une femme : cf. Pernet qui va à l’escolle, vers 25 et note.   30 Bien pansée, bien traitée.   31 Chez l’hôte : dans la maison de passe.   32 Suivrai (normandisme). Cf. le Gentil homme et Naudet, vers 179.   33 Obéies, respectées.   34 Basque : la bru n’a jamais officié à l’étranger.   35 De Sologne.   36 De Caen (en Normandie), du Poitou.   37 Du pays Bessin (en Normandie), d’Anjou.   38 Orléanaise. On comparait les habitants d’Orléans à des guêpes : « Une dame d’Orléans, gentile et honneste encores qu’elle fust guespine. » Bonaventure Des Perriers,   39 LV : gallere  (Calais était encore occupé par les Anglais ; c’était donc, pour le pouvoir, un sujet tabou que la censure théâtrale expurgeait : voir par exemple la note 29 de Pour le Cry de la Bazoche. En remplaçant Calais par les galères, nos acteurs ont contourné la censure avec une belle insolence.)  On nous lopine = les Anglais vendent la France à la découpe, parcelle après parcelle. « LOPINER : To cut into gobbits, part into cantles, divide into lumps. » Cotgrave.   40 Vers manquant, que chacun remplira selon ses accointances géographiques.   41 LV : bresle  (Rouenne = Roanne.)   42 LV : mil un  (Le cœur médiéval de Melun est une île.)   43 LV : de court  (Harcourt est une commune normande, comme les deux suivantes.)   44 LV : bleau  (Bordeau, dans l’actuel département de Seine-Maritime. Voir le vers 119 de la Fille bastelierre, une pièce de la même époque et de la même région qui égrène souvent les mêmes localités normandes.)  Et n’oublions pas l’inévitable calembour sur Bordeau et le bordeau [le bordel] : « Des femmes de Bordeau. » Les Sotz fourréz de malice.   45 D’Évreux, dans l’Eure.   46 Montmartre était encore un village indépendant de Paris.   47 Louviers et Gaillon, dans l’Eure. Cf. la Fille bastelierre, vers 153.   48 Des îles normandes de la Seine. « À La Bouille et à Moullineaux,/ Et à toutz ceulx d’entour les eaux. » La Fille bastelierre.   49 LV : par tout a  (Saint-Aubin-sur-Mer et Darnétal sont en Seine-Maritime.)  « Tout partout, à mont et à val,/ À Sainct-Aubin, à Dernétal. » La Fille bastelierre.   50 LV : sainct julien  (Saint-Vivien et Saint-Gervais sont deux paroisses populaires de Rouen. Voir le v. 206 des Sobres Sotz, le v. 127 de la Fille bastellière, et le v. 72 du Clerc qui fut refusé.)   51 LV : mot  (Sans en dire de mal.)   52 LV : nen parle  (Contamination du vers précédent.)  On ne distingue pas. « On ne démesle pas aisément le vray dévot d’avec l’hypocrite. » Dict. de l’Académie françoise.   53 Elles font tellement les braves, les élégantes. « Cest habit-là fut coint, joly et court,/ Ainsi qu’on voit aux bravousins de Court. » Le Passetemps et songe du Triste.   54 LV : ilz  (L’expression exacte est : « Que les plus rouges y sont pris. » La Pippée.)   55 Soient. Cf. les Povres deables, vers 264.   56 À moitié morte de vieillesse. Cf. la Mère de ville, vers 177. Nous entrons dans la critique des mœurs rouennaises, telle que la pratiquaient les Conards de Rouen : on leur défendait de nommer leurs victimes, mais ils s’arrangeaient pour qu’elles soient reconnaissables.   57 D’être hâlée, brûlée par le soleil. En fait, elle veut dissimuler ses rides.   58 « Un cache-nez : Un masque de femme. » (Antoine Oudin.) On disait aussi un cache-laid. Viaire [visage] se retrouve à 186 ; cf. Frère Frappart, vers 128.   59 Qu’une riche veuve qui peut dépenser 1000 sous par jour. « Ne connoissez-vous point une vefve apellée Géronte ? Tous ces gens du menu peuple disent qu’elle est mille-soudière, c’est-à-dire, en leur langage, qu’elle a cinquante francs de rente par jour. » Charles Sorel.   60 Pas très difficile à reconnaître. Voir la note 56.   61 En recyclant l’aumusse [le capuchon fourré] du prêtre avec lequel elle couche. « Baillant une amuche au Badin. » Science et Asnerye.   62 A fait border de fourrure sa petite cotte [son jupon].   63 LV : contrefaisoyt  (Le vers 119, sur le même modèle, est lui aussi au présent.)  Et pourtant, elle joue les pucelles.   64 C’est bien ce qu’on lit dans le ms. Les trois éditions modernes ont lu dessus, ou même dessous. « Un gros coquin garny d’escus. » Les Caquets de l’accouchée.   65 Avec le froc d’un moine.   66 Savante.   67 À un juriste. Cf. les Povres deables, vers 132.   68 Elle portait sous son bras les pièces d’un procès.   69 Pour qu’il ait une occasion de l’aborder.   70 Bonne vie ! Les deux ermites, qui sont en fait des moines cordeliers*, pratiquent le jargon de ces anciens collégiens que sont les clercs. Ancelot, qui est en train d’espionner les brus, salue Anselme qui vient vers lui.  *Dans le même manuscrit, le Porteur de pénitence met en scène deux ermites qui sont de « vrays Frères myneurs », c’est-à-dire des Cordeliers. On les traite d’ailleurs selon leur rang : « Ce sont deulx convers ypocrites…./ Quelz fripelipes [goinfres] ! »   71 Bonjour ! On peut lire cette salutation de collégiens sous une forme à peine plus tolérable au vers 21 de la Résurrection de Jénin Landore.   72 Quand boirons-nous jusqu’à ce que les larmes nous en viennent aux yeux ? « Il avoit beu par tel compas/ Qu’il avoit les larmes à l’ueil. » Le Gaudisseur.   73 Nous boirons aujourd’hui, ce n’est pas un délai trop long.   74 LV : donray   75 Mon compagnon.   76 Avez-vous peur de quelqu’un, pour vous être caché de la sorte ?   77 C’est le nom de la maquerelle. Et c’est également le nom d’une fille facile dans Jehan de Lagny.   78 Sur le grand manche des Cordeliers, voir la Folie des Gorriers, vers 267 et note.   79 Le moyen. Cf. le Jeu du Prince des Sotz, vers 407.   80 LV : demy  (C’est la traduction du bona vita de 125. Cf. Colin qui loue et despite Dieu, vers 178.)   81 Aouillés : remplis jusqu’à l’œil [jusqu’à la bonde], en parlant de tonneaux. « Qui aoillé furent de vin. » Godefroy.   82 Faute de copuler. « Ainsi n’est-il de ton bragmard [braquemart] : car par discontinuation de officier et par faulte de opérer, il est, par ma foy, plus rouillé que la claveure d’un vieil charnier. » Rabelais, Tiers Livre, 23.   83 Mon frère, je veux bien (copuler).   84 Trétaude est si habituée à commander. « Ilz sont tous à la poste [aux ordres] de la dame, qui les a faits au holo. » XV joyes de Mariage.   85 Augmentatif plaisant de pitié. « Je n’en ay pitié ne pytasse. » ATILF.   86 Les moines des ordres mendiants mettent ce qu’on leur donne dans une besace.   87 Si elle pouvait être chez les Anglais ! Il n’y avait « pas de Calais », puisque cette ville n’appartenait plus à la France ; voir la note 39.   88 Testor deos immortales !  [J’en atteste les dieux immortels.] Cette invocation quelque peu païenne de Sénèque réjouissait les collégiens de France et d’Italie.   89 Chez l’empereur Charles Quint, qui était alors le pire ennemi de François Ier.   90 LV : magistraulx  (Aussi maître en théologie qu’un valet.)   91 Étrangers, païens. « Dieu dit en ce lieu : “Tu n’auras point de dieux estranges !” » Jean de Lavardin.   92 Dessous, le copiste a noté puis biffé les vers 187-191. Ils sont d’ailleurs moins fautifs dans cette version, que je garderai plus bas. Ces variantes prouvent une fois de plus que le scribe du La Vallière ne respectait pas l’orthographe de son manuscrit de base.   93 Qui puissent m’éblouir au point. « La clarté (…)/ L’aveugle et l’esberlue. » Godefroy.   94 Et lui dire.   95 En douceur.   96 LV : faintisse  (Des feintes, des fausses promesses.)   97 En libérant nos paroles.   98 Des frères Frapparts, comme au vers 232 ; c’est-à-dire des moines paillards. Cette injure vise principalement les Cordeliers : voir la notice de Frère Frappart.   99 LV : que  (Nous saurons si, dans l’aumônière qui pend à leur col, à hauteur de leur poumon.)  « Nous en sérons très bien l’usage. » Sottie normande de Troys Galans et un Badin.   100 LV : sil   101 LV : disnimable  (S’il y a quelque chose de précieux.)   102 Ni pièces de métal précieux.   103 Et n’ont pas de quoi s’offrir du vin. Par chance, les brus n’ont pas entendu les vers 127-130 et 142. Les Normands amuïssaient le « r » de jou(r)s.   104 LV : p   105 Trésorière, dispensatrice. La Vierge Marie était la « thésorière de grâce ».   106 Anselme veut latiniser l’expression « prier saintes et saints ». Mais il s’empêtre dans une formule qui signifie « sainte, et saintement » : « Matrimonium est res sancta, et sancte tractadum. »  « Ista sancta, et sancte pudica domus. »   107 Prononciation normande de « jeune », comme à la rime du vers suivant. Voir la note 51 de la Résurrection de Jénin Landore.   108 Ancelot a failli dire « les plus mous ».   109 Tel. À telle relique, tel baiser. Les pèlerins embrassaient les reliques des saints : cf. le Dyalogue pour jeunes enfans, vers 65.   110 Difficiles. Cf. Pernet qui va à l’escolle, vers 213 et note.   111 LV : grey  (Je corrige la même fantaisie du copiste à la rime.)  Si vous l’acceptiez.   112 Selon nos moyens.   113 LV : estendue  (Un coït. « N’aurai-ge poinct une venue/ De la femme de mon mounyer ? » Le Poulier à sis personnages.)  Cf. la Fille bastelierre, vers 21.   114 LV : grissars  (Grisard est une insulte contre les Cordeliers, qui sont vêtus de gris. Idem vers 261.)  Un soudestre est un soudard, un mufle : cf. le Trocheur de maris, vers 44.   115 Ce qu’est le genre féminin, ce qu’est une femme. « Où plusieurs se sont acoustrés/ En estat de fémynin gerre. » Troys Pèlerins et Malice.   116 Faites-vous vœu de chasteté.   117 Rompus, non tenus. « Qui tant de sermens ont casséz. » ATILF.   118 Dans votre cloître, votre monastère.   119 De fourberie.   120 LV : habit  (Anticipation du vers suivant.)  Soit ceint, soit revêtu. La prononciation chuintante est normande : « Vostre robe (…) chainte ou troussée. » Le Gentil homme et Naudet.   121 LV : sainct  (Correction d’Émile Picot. Le « f » gothique [f] est souvent confondu avec le « s » long [ſ].)  Impur et hypocrite.   122 Dans votre coquille, comme les Sots, qui naissent dans des œufs.   123 Vous n’aurez pas dit la vérité.   124 LV intervertit ces 3e et 4e vers du triolet. Et il oublie le 6e.   125 À vous donner des coups. « Si ne craignois d’avoir la torche,/ Je vous dirois quelque finesse. » (Le Badin, la Femme et la Chambrière, BM 16.) J’ajoute dessous un vers pour compléter le triolet ABaAabAB.   126 LV : plainctz  (Pleins de ruse.)   127 Sales et vils.   128 LV : nous  (Nous ne nous comportons pas comme des satyres.)  « Hermite suis, frère Frapart / Qui maint “connin” broche sans lard. » Les Triomphes de l’Abbaye des Conards.)   129 LV : droictz demy  (Ce vers sert de modèle au vers 240.)  Nous sommes de véritables léopards. Cf. les Sotz triumphans, vers 9.   130 LV : en disant  (Ce vers suit le modèle du vers 232.)  Nous disons des psaumes. Les moines mendiants quémandaient la charité en échange de prières.   131 Fourbes. LV répète dessous le vers 239.   132 Offrande.   133 Vos supérieurs enquêteront sur vous.   134 Prêchant.   135 LV : enseignementz  (à la rime.)  Vos diaboliques débordements. « Des désordres et desreiglemens qui se commettoient dans les monastères. » Archives de Reims.   136 LV : enseigner  (« Qui le face mal estimer & priser. » Christine de Pizan.)  Font mal juger votre statut de moines.   137 Aux anciens. La diérèse est obligatoire : « Aux ancïens n’appartient plus. » Les Gens nouveaulx.   138 Que ces moines ne sont pas tous sages.   139 Qui portent un habit trompeur. En somme, l’habit ne fait pas le moine.   140 Ayant considéré vos actes.   141 Affranchis de votre Règle, défroqués.   142 LV : grissars grissons  (Cordeliers <note 114>, étalons aux cheveux gris. Dans Ung jeune moyne, le vieux rival du moine se compare à un grison qui peut encore « trotter » avec une femme.)   143 Merles : diseurs d’obscénités, comme les merles qu’on met en cage pour leur apprendre à dire « maquereau ».  « Tu parles aussy droyt c’un mesle/ Qui est en la cage. » Messire Jehan.   144 Ravisseurs. « Tendans les mains comme un griffon/ Qui veut ravir quelque pasture. » Vie de sainct Mathurin.   145 LV : en tauerner  (Allez vous cloîtrer dans une taverne. « Mais dame Gloutenie [gourmandise] se fait ore maistresse :/ Gens fait entavrener. » ATILF.)   146 Certains ermites vivaient dans une grotte.   147 LV : vesis  (Transformez votre vessie en lanterne.)   148 Convoiteux (normandisme). Trétaude va s’adresser au public.   149 LV : leur  (Qu’on les emmène au pas de course.)  « Luy-mesme, à l’hospital s’en va toute la course. » Du Bellay.   150 Que celles qu’on abandonne à ces gens.   151 Il sort une bourse.   152 En quantité.   153 101 écus d’or pour deux prostituées, c’est une plaisanterie de l’auteur ou une faute du copiste. Le Mince de quaire loue deux filles pour « ung escu d’or fin » et quatre pommes.   154 Nous (normandisme).   155 Avant que nous jouissions d’elles.   156 Un branle de Normandie. Idem vers 299. « Qui no fezet danser des courante nouvelle,/ Des gavotte et des brans. » (La Muse normande.) Le branle est une danse lubrique parce que les femmes troussent leur robe : cf. le Savatier et Marguet, vers 75 et note.   157 Bien garnie d’argent. Cf. le Résolu, vers 309.   158 Piétiner sur place, danser.   159 LV : gras ouesson  (L’oison est le petit de l’oie. Cf. Maistre Mimin estudiant, vers 392.)   160 LV : ouee  (Je corrige ici et aux 5 rimes attenantes un des tics du copiste de ce ms., qui consiste à redoubler le « e » de la désinence féminine.)  La Petite Oie est une taverne de Rouen. Mais cette locution désigne aussi les caresses préliminaires : cf. la Résurrection Jénin à Paulme, vers 213 et note.   161 LV : voyee  (Nous ouvre partout la voie, y compris dans une acception érotique : cf. les Botines Gaultier, vers 137 et note.)   162 LV : hru   163 « Le style général de la composition ne permettant guère de la placer après le règne de François Ier, il est probable qu’il y a ici une allusion à la conquête de la Savoie et du Piémont par ce prince au commencement de l’année 1536. » Émile Picot, p. 80.   164 Aussi bien les rasés [les ecclésiastiques] que les amoureux. Cf. les Povres deables, vers 14.   165 Un branle à danser, comme au vers 281. Double sens, confirmé par le fait que Trétaude retrousse sa robe pour mieux danser : un petit excrément. Cf. le Munyer, vers 490.   166 Si nous (normandisme). La troupe n’a pas les moyens de s’offrir un musicien. Notre farce n’a donc pas été jouée par les Conards de Rouen, qui ne faisaient rien sans musique.   167 LV : nostre  (Ne soyez pas moins généreux quand nous allons passer parmi vous pour faire la quête.)  Les comédiens du Bateleur quêtent eux aussi parmi le public : « De vos dons, riens ne comprenons…./ Sy on donne peu, c’est tout un. »   168 Une création dramatique coûte cher à ceux qui la montent : il faut faire copier le livret en plusieurs exemplaires, organiser suffisamment de répétitions, se procurer des costumes et créer le décor.

JÉNINOT QUI FIST UN ROY DE SON CHAT

British Library

British Library

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JÉNINOT  QUI  FIST

UN  ROY  DE  SON  CHAT

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Dans beaucoup de farces, les personnages de « badins1 » ne demandent qu’à travailler, mais leur travail subit la même distanciation par rapport au réel que leur vie quotidienne. De plus, ils prennent le langage au pied de la lettre, et sont persuadés qu’ils ont raison et que les autres ont tort.

Cette farce, écrite aux confins de la Normandie et de la Picardie, fut jouée à l’occasion d’une fête des Rois : le 6 janvier, jour de l’Épiphanie, on tirait le « roi de la fève », et les troupes joyeuses montaient des pièces de théâtre. Voir la notice de Pour porter les présens à la feste des Roys.

Source : Recueil du British Museum, nº 17. Cette farce fut peut-être composée vers 1500 ; un demi-siècle plus tard, Nicolas Chrestien l’a publiée à Paris, en la modernisant et en gommant certains particularismes picards.

Structure : Rimes abab/bcbc, rimes plates. L’auteur, qui est certainement un comédien, se satisfait de rimes très incorrectes ou même d’assonances, mais il a un véritable instinct des situations visuelles. Malheureusement, ses comparses ont encombré le texte en y ajoutant des bribes de vers et une infinité d’interjections qui étaient acceptables pour le public, mais qui ne le sont plus pour des lecteurs ; j’ai barré impitoyablement toutes ces marques de cabotinage.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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Farce nouvelle trèsbonne

et fort joyeuse de

Jéninot qui fist

un roy de son chat

par faulte d’autre compagnon, en criant  :

«  Le Roy boit  !  »  Et monta sur sa

maistresse pour la mener à la messe.

*

À trois personnages, c’est assavoir :

       LE  MARY

       LA  FEMME

       et  JÉNINOT

*

                          LE  MARY 2  commence [en chantant :]      SCÈNE  I

        Pourquoy fault-il tant de tourment souffrir,

        En ce monde, pour avoir seulement

        La pauvre vie et à la fin mourir ?

.

        Bref, cela n[e m’]est point plaisant.

5      Je veulx avoir doresnavant

        Un varlet qui me servira3 ;

        Et puis me don(ne)ray du bon temps.

        Advienne ce qu(e) advenir vouldra ! 4

                          LA  FEMME

        Vous dictes trèsbien de cela,5

10    Mon mary. Car en vérité,

        Nous n’aurons pas nécessité6

        (Se Dieu plaist) tandis que vivrons,

        Car assez de biens nous aurons

        Pour nous nourrir honnestement.

15    Mais je vous prie chèrement

        Que nous ayons quelque varlet.

                          LE  MARY

        Nous en aurons un, soit beau ou layt,

        Mais qu’il nous soit bien servïable7

        Autant  à besongner comme à la table8.

20    Car, m’amye, je vous dis bien

        [Que] s’il ne nous servoit de rien,

        D’en avoir un se seroit simplesse9.

                          LA  FEMME

        Il me mèn[e]ra à la messe.

        Et si, gardera la maison.

25    Quand je vouldray aller au sermon,

        Aussi10 me portera ma scelle.

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                          JÉNINOT  entre11 à tout un chat, et

                          luy baille12 sur l’oreille en disant :

        Minault13, vous aurez sus l’oreille !                         SCÈNE  II

        À l’ayde, il me tient aux oreilles !

        [Ha !] saincte sang bieu, quel gallant14 !

30    À peu15 qu’il ne m’a mis16 les dens !

        Que  le diable emporte le minault !

                          LE  MARY

        Voicy [là] tout ce qu’il nous fault.

        Escoutes [çà, hau]17, mon amy !

        Entends à moy : veulx-tu servir ?

35    Déclaire-moy un peu ton fait.

                          JÉNINOT

        Et quoy doncques18, [si] en effect

        Vous voulez bien estre mon maistre.

                          LE  MARY

        Ouy, vrayement je le veulx bien estre,

        Mais que tu soye bon garson

40    Et que tu sçaches la façon

        De faire tout19 sans riens faillir.

                          JÉNINOT

        Je fairay bien le pot bouillir

        Ainsi comme une chambèrière ;

        De cela sçay bien la manière,

45    Sans point mouiller mon pain dedans :

        Cela, c’est à faire à frians20.

        Je me garde de tel affaire.

                          LE  MARY

        Or çà, ditz-moy : que sçais-tu faire ?

                          JÉNINOT

        Je sçay bien [bailler vin]21 à boire,

50    Autant au soir comme au matin.

        Et si, parleray bien latin,

        Voire[ment], mais [qu’on me]22 l’apreigne.

        Je n’en crains [pas] homme qui viengne

        Pour estre bien envitaillé23.

                          LA  FEMME

55    A,  paillard, le fault-il révéler24 ?

        Tu n’as25 pas chose qui me haitte.

                          JÉNINOT

        Quant je tiens une tartelette,

        Un flanet, ou un cassemuseau26,

        Je le fourre soubz mon museau

60    Aussi bien qu(e) homme de la ville.

                          LE  MARY

        Par sainct Jehan, tu es fort habille27 !

        Or çà, dis-moy  combien veulx-tu gaigner ?

                          JÉNINOT 28

        Je vouldroye bien estre habillé,

        Et gaigner dix-huit frans le moys.

65    Mais  aussi, je veulx avoir des noix

        Pour m[’y] aller souvent esbatre29.

                          LE  MARY

        La mal[e] mort te puisse abatre !

        Quel varlet j’é trouvé icy !

                          JÉNINOT

        Mon maistre, vous avez vécy30.

70    [Prou vous fasse]31 ! Saincte Marie,

        Recullez-vous, je vous en prie :

        Jamais chose ne fut si aigre !

                          LE  MARY

        Et ! je faitz ta sanglante fièbvre,

        Villain infâme, larronseau !

75    Je te romperay32 le museau,

        [Se mets]33 la main sur ton collet !

                          JÉNINOT

        Voulez-vous batre vo34 varlet ?

        Vous estes un vaillant monsieur !

        Il m’est venu une sueur

80    Au cul, de la paour35 qu’il m’a fait[e].

        Chanter vouloyt36 de chose infaicte,

        Se n’eusse retraict37 le cornet.

                          LE  MARY

        Que ne parle-tu franc et net,

        Sans te mocquer ainsi des gens ?

                          JÉNINOT

85    Aussi fais-je, par mon serment,

        Mon maistre. Ay ! vous estes bon homme38.

                          LE  MARY

        Se tu te veulx louer, en somme,

        [À moy39], trois francs te don[ne]ray

        Tous les ans, et t’abilleray,

90    Puisque habillé40 tu veulx [doncq] estre.

                          JÉNINOT

        Je vous remercie, mon maistre.

        De vous servir suis bien contend.

                          LE  MARY

        Comment as-tu non vrayement ?

                          JÉNINOT

        Par mon serment,  je croy que j’ay nom Jéninot41.

                          LE  MARY

95    Jéninot est le nom d’un sot42 ;

        Mais aussi n’es-tu pas trop sage.

        Or çà ! laissons [là] ce passage.

        [Or], Jéninot, je te diray :

        Moy et ma femme allons soupper43

100  Chez nostre voysin icy près.

        Souppe-toy44 sans aucun arrest,

        Et garde45 bien la maison ! [Feras46 ?]

                          JÉNINOT

        Voire ; mais s’el s’enfuyt, voylà :

        Fauldra-il que je coure après ?

                          LA  FEMME

105  Mon Créateur, que t(u) es nÿés47 !

        Et ! va, va, elle n’a[ura] garde48.

        [Seulement donne-toy bien garde]49

        Que nul[ly]50 n’entre point céans.

                          JÉNINOT

        De cela je suis recordant51.

110  Mais venez çà, hau ! Voirement,

        [Avant vostre département,]52

        Au moins donnez-moy un gasteau :

        [Ain]si, feray un roy nouveau53

        À ce soir, pour me rigoller.

                          LA  FEMME

115  A ! Jéninot, tu veulx voller54.

        Or sus, tien, voylà un liart55 ;

        Et ne [nous] fais point du criart.

        Va querre56 un gasteau vistement !

                          JÉNINOT

        Aussi voys-je57, par mon serment !

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120  Hon, hon ! J’auray un bon gasteau,                           SCÈNE  III

        Mais je ne bevray que de l’eau.

        Hélas, que servans ont de peine ! 58

.

                          Icy, Jéninot doit avoir un gasteau.

        Or [je] su[i]s en la bonne estraine59 !

        Tout le monde crie « le Roy boit ! » :

125  Je suis tout seul icy endroit.

        Et, par bieu ! je feray un roy.

                          Il couppe le gasteau.

        Et voicy, [tout] premier, pour moy :

        On dit qu’il est fol qui60 s’oublye.

        Par la doulce Vierge Marie !

130  Vous verrez tantost un beau jeu61.

        Or sus ! Après, voylà pour Dieu62.

        Et, dea ! j’ay trop fait d’une part63.

        Par mon âme ! c’est pour le chat :

        Je ne la sçaurois mieulx bailler.

135  Or çà, je [m’en] vois regarder

        Auquel [morceau] c’est qu’est la fève.

        Tel cuyde bien faire qu’il resve64.

        Or  sus ! à l’autre65… Dieu y ayt part,

        Par mon âme : c’est nostre chat !

140  Or voicy bien pour enrager.

        Par bieu ! si me fault-il crier66.

        Par mon âme ! si burez-vous,

        Ou je vous donneray des coups !

        Entendez-vous, monsieur le Roy ?

145  Serez-vous cy mèshuy67, ou quoy ?

        Faictes-nous un peu de raison68.

        Tenez, voylà de la boisson :

        N’espargnez pas ce vin cléret69.

                          Icy, fault qu’il face boire le chat.

        Le Roy boit !! Le Roy boit !! Le Roy boit !!

150  A ! dea, nostre chat boit70. Et puis ?

        [Ne buvez tout, j’en veulx aussi.]

        Que dictes-vous, monsieur le Roy ?

        Je me suis mis en grand desroy71

        Pour en payer la folle enchère72.

155  Or çà, çà, faictes bonne chère :

        Tenez, voylà de la pitance.

        Vous faictes belle contenance.

        Si payerez-vous la royaulté73.

        Et ! non ferez ? En vérité,

160  Vous n’en serez pas ainsi quite :

        Or buvez doncq ! Je vous en quitte74,

        Que n’en soyez plus en esmoy.

                          Icy, fault qu’il face boire le chat.

        Le Roy boit !! Le Roy boit !! Le Roy boit !!

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                          LE  MARY 75                                        SCÈNE  IV

        J’ay ouÿ un terrible bruyt !

                          [ LA  FEMME

165  Qui maine tel desroy76 de nuyct ?

                          LE  MARY ]

        C’est nostre varlet le testu.

        [Et !] dea, Jéninot, que fais-tu ?

        Tu maine[s] un trèsgrand desroy.

                          JÉNINOT

        Mon maistre, nostre chat est roy ;

170  Regardez comme il fait le Mage77.

                          LA  FEMME

        Mon Créateur, que tu es sage !

        Ne sçaurois-tu crier plus bas ?

                          JÉNINOT

        Ma  maistresse, vous ne sçavez pas :

        Nostre chat est roy du gasteau.

175  Ne luy f(e)rez-vous pas un chappeau78

        Pour luy boutter dessus la teste ?

                          LA  FEMME

        Saincte Marie, que tu79 es beste !

        N’as-tu pas souppé, dy, porchier ?

        Despêche-toy, va te coucher !

180  Et te liève de bon matin !

                          JÉNINOT

        Aussi f(e)ray-je, par sainct Martin,

        Devant que je voise pisser80.

        Mais aydez-moy à deschausser,

        Hau, mon maistre, pour la pareille81.

                          LE  MARY

185  Le dyable t’a fait la cervelle !

        Couche-toy tost, c’est trop farcer !

                          JÉNINOT

        Et,  je n’ay point de pot à pisser :

        Ou82 [lict] voulez-vous que je pisse ?

                         LE  MARY

        Mauldict soys-tu ! Quel[le] devise83 !

190  Ce lourdault-cy me rompt la teste.

                          JÉNINOT,  en se couchant dedans un lict.

                          Et fault qu’il soit despouillé 84.

        Et,  vous estes un terrible maistre !

        [On] ne vous ose85 dire mot.

                          LA  FEMME

        Pour neant n’a pas non « Jéninot »86 !

        Son langage par trop me nuyst.

                          JÉNINOT

195  Vous ne dictes pas : « Bonne nuyct

        Vous doint Dieu ! » Esse la façon ?

                          LE  MARY

        Le dyable emporte le garson,

        Tant il est sot et peu subtil !

        [Çà,] ma femme ?

                          LA  FEMME

                                      Que vous plaist-il ?

                          LE  MARY

200  Faictes que j’aye [un peu] à boire87

        Car, par le benoist Roy de gloire88,

        Je meurs de soif, aussi de fain89.

                          LA  FEMME

        Tenez, mengez : voylà du pain

        Et du vin que j’ay recouvré90.

205  Mais gardez de vous enyvrer :

        Vous perderiez91 vostre mémoire.

                          LE  MARY

        Me cuydez-vous garder de boire ?

        Vous avez bon foye92, vrayement !

        Versez plain voirre93 seullement,

210  Et ne vous souciez de cela !

                          JÉNINOT,  en resvant :

        Nostre vache, qui acoucha

        L’autre demain94 de trois pourceaulx ;

        Saincte Marie, qu’il[z] estoient beaulx !

        Il leur fauldra donner du laict.

                          LE  MARY

215  Qu’esse que j’au95 ?

                          LA  FEMME

                                        C’est no96 varlet ;

        Je croy [bien] qu’il a quelque fièbvre.

                          JÉNINOT,  en resvant :

        Ma mère ! Ma mère ! Ma mère,  la chèvre

        M’a mordu [de] par le tallon97 :

        Apportez-moy tost un baston,

220  Que je luy casse le museau !

                          LE  MARY

        Il luy procède98 du cerveau.

        En effect, je croy qu’il affable99.

                          JÉNINOT,  [en resvant :]

        Et,  dépeschez-vous, de par le dyable !

        Apportez-moy ma grande espée !

225  Ceste orde100 vieille ridée

        Ne me lairra101 jamais en paix ?

                          LE  MARY

        Et ! paix, de par le diable, paix102 !

        Voylà beau déluge103 à plaisir.

        Allez me le jetter hors du lict,

230  Et me l’éveillez tost acoup !

                          LA  FEMME

        Sus, Jéninot ! Debout, debout !

        N’est-il pas temps de se lever ?

                          JÉNINOT

        Et,  laissez-moy un peu reposer !

        Que diable vous estes fâcheux104 !

                          LE  MARY

235  Te lèveras-tu, dy, pouilleux ?

        Quel mignon105 ! Comment il devise !

                          JÉNINOT

        Allez-moy chauffer ma chemise106

        Et me l’apportez vistement !

                          LA  FEMME

        C’est bien raison ! Par mon serment,

240  Ce coquin ne fait que railler.

                          JÉNINOT

        Et ne  me devez-vous pas habiller107

        Tandis que je seray céans ?

                          LE  MARY

        Ouy bien, de quels108 habillemens ?

        Voylà bon109 ! Comment l’entens-tu ?

                          JÉNINOT

245  Comment ? Que je soye vestu

        Et habillé tous les matins,

        Et qu’on me chausse mes patins110

        Quand je vouldray faire tratra111.

                          LE  MARY

        Or il n’y a ne cy ne ça112 !

250  Ne fais point icy le follastre :

        Liève tost, que [je] ne te lattre113,

        Ou tu pourras bien avoir du pire.

                          JÉNINOT

        Par sainct Jehan ! pour bien le vous dire,

        Je ne me sçaurois habiller

255  [Si ma mère ne vient m’ayder.]114

                          LE  MARY

        Il fault doncq[ues] que je t(e) habille ?

                          JÉNINOT

        Et quoy ! [oncq n’y fustes habille]115 ?

        Vous deussiez avoir desjà fait.

                          LE  MARY

        [Ma femme, pour dire le fait,]116

260  Puisqu(e) ainsi est, sans flagoller117,

        Venez m(oy) ayder à l’abiller,

        Affin qu’il vous maine à la messe.

                          Icy, fault que le mary et la femme habillent Jéninot.

                          JÉNINOT

        Et ! [dea, tout beau]118, hé, ma maistresse !

        Que dyable vous estes maussade119 !

                          LA  FEMME

265  Mon Créateur, que tu es sade120 !

        Regardez quel museau gourmant :

        Son visage e[s]t aussi plaisant

        Que le cul de la Barbouillée121.

                          JÉNINOT

        N’auray-je pas une toustée122

270  Au beurre mol123, pour grignoter ?

        Je diray mon Bénédicité 124,

        Et aussi mon Avé Marïa.

                          LE  MARY

        Le grand dyable ceans te chïa125 !

        Entens à moy, dy, estourdy !

275  On pert ses peines, avec126 luy.

        Aller te fault par bonne adresse127,

        Gentiment128, mener ta maistresse

        À la grand-messe à Nostre-Dame129.

                          JÉNINOT

        Quant je vous regarde, sur m’âme130,

280  Il me semble que soyez fol.

        Elle n’a bride ne licol :

        Comment voulez-vous que je la maine ?

                          LE  MARY

        [Que] la forte fièvre quartaine

        Te puisse serrer le visage !

285  Despêche-toy, si tu es sage,

        Ou tu seras trèsbien frotté !

                          JÉNINOT

        Il ne fault point tant tourmenter ;

        J(e) y voys, puisque faire le fault.

                          Icy, fault que Jéninot monte

                          sus le dos de sa maistresse.

                          LA  FEMME

        Qu’esse que tu fais, dy, lourdault ?

                          JÉNINOT 131

290  Hay ! hay ! dia !

                          LA  FEMME

                         À l’ayde,  il me rompt [le râble]132 !

        Descends !

                          JÉNINOT

                           Hay ! De par tous les diables,

        Tant vous me donnez de [la] peine !

                          LE  MARY 133

        Descends ! Que de fièbvre quartaine

        Soyes-tu serré134, [en male estraine !]

                          JÉNINOT

295  M’avez-vous pas dit que la maine

        Je ne sçay pas où à135 la messe ?

        Vous m’avez tant rompu la fesse !

        Jamais je ne fus si estonné.

                          LE  MARY

        Comment la voulois-tu mener ?

                          JÉNINOT

300   Comment ?  Comme j’avois acoustumé

        De mener [nostre jumant]136 paistre,

        Quand j’estoie cheux137 mon autre maistre :

        Il me faisoit dessus monter.

                          LE  MARY

        Quel(le) raison, bénédicité !

305  [Un sot ne sera pas un sage !]138

        Dea ! Jéninot, en ton vilage,

        Meine-on ainsi une femme ?139

                          JÉNINOT

        [Et !] je n’en sçay rien, par mon âme,

        [Comment on fait les femmes paistre.]140

310  Mais un jour, [j’ay trouvé] mon maistre

        [Qui] montoit dessus ma maistresse

        Et luy secouet tant la fesse ;

        Et si141 ne vouloit : « Hay avant ! »

        [Mais] je ne sçay pas bonnement

315  Si vous voulliez que je fisse ainsi.

                          LE  MARY

        Mais quel [grand] raillart esse-cy !

        Te fault-il tant142 mocquer de nous ?

        Vrayement, je te don(ne)ray de[s] coups :     En frappant.143

        Or tien, tien ! En as-tu assez ?

                          JÉNINOT

320  Et, tout beau ! Hé, vous me blessez !

        Le dyable vous emport ! Quel maistre !

        Vous m’avez tout(e) rompu la teste.

        Jamais je ne vous serviray.

                          LE  MARY

        Va t’en donc !

                          JÉNINOT

                              Et ! payez-moy,  je m’en iray,

325  [Mais payez-moy ce que devez.]144

                          LE  MARY

        A ! vrayement, tu seras payé

        Ainsi comme tu l’as desservy145.

                          LA  FEMME

        Frappez,  frappez dessus cest estourdy !

        Ne l’espergnez nomplus que plastre146 !

                          JÉNINOT

330  Et ! pourquoy me voullez-vous batre ?

        Hé ! suis-je en vostre chastiment ?

        Si vous estiez hors de céans,

        Je vous gallerois bien [le dos]147.

                          LE  MARY

        Saincte Marie, que t(u) es nouveau148 !

335  On s’i romp(e)roit l’entendement ;

        Car on ne sçauroit nullement,

        D’un busart, faire un esprevier149.

        Par quoy je vous vueil supplier

        Que nous pardonnez, je vous prie.

340  Adieu vous dis,  toute la compagnie !

.

                                                  FIN

*

1 Demi-sots. Nous dirions aujourd’hui des autistes. Le Badin des Sobres Sotz détaille les caractéristiques de ce rôle qu’on réservait aux meilleurs comédiens.   2 Il est chez lui, avec sa femme. Cette chanson en décasyllabes n’a pas été conservée.   3 Le même éditeur a publié le Badin qui se loue, qui a peut-être inspiré la présente farce : un couple en quête de serviteur embauche le Badin Janot, qui comprend tout de travers et qui ne songe qu’à boire et à manger. De Janot à Jéninot, il n’y a qu’un pas.   4 Si on remplace vouldra par pourra, nous obtenons un refrain qui figure dans une liste de chansons de la Condamnacion de Bancquet. Il apparaît également au vers 365 des Premiers gardonnéz (exemple non relevé par H. M. Brown, nº 5). On le trouve aussi dans une ballade de Charles d’Orléans.   5 Les premiers vers composés par l’auteur (4-9) dissimulent l’acrostiche BIVEAU. C’est un nom fréquent dans la région concernée. Mais il peut s’agir d’une coïncidence. Rappelons toutefois que les 12 premiers vers de la farce du Pèlerin et de la Pèlerine (recueil de Copenhague) portent en acrostiche le nom de l’auteur, CLAUDE MERMET. Les rares archives qui ont été explorées jusqu’à présent ne permettent pas d’identifier cet hypothétique Biveau.   6 Nous ne deviendrons pas nécessiteux.   7 Cette diérèse est normande : cf. la Veuve, vers 119.   8 Pour faire le ménage et pour servir à table.   9 Ce serait de la simplicité d’esprit, de la bêtise.   10 BM : Et si  (BM intervertit les vers 25 et 26.)  Les bourgeoises qui n’ont pas de place réservée à l’église y apportent leur selle [leur tabouret] plutôt que de s’asseoir sur un banc avec les femmes du peuple. Au siècle suivant, la selle en question sera percée, et munie d’un petit pot de chambre nommé le bourdalou, permettant aux dévotes à larges robes de soulager leur vessie pendant les interminables sermons du prédicateur Bourdaloue.   11 Il est dehors, et commence à parler : voir la note 51 du Savatier et Marguet. À tout = avec. Les chats étant difficiles à gérer, surtout dans les représentations extérieures où des chiens pouvaient gâcher un spectacle, on les remplaçait probablement par des peluches. Il y a un de ces chats dans les Esveilleurs du chat qui dort et dans Pernet qui va à l’escolle ; voir la note 20 de Tout-ménage. Les Badins et les Sots s’entendent bien avec ces félins, dont ils partagent le caractère.   12 Lui donne un coup.   13 Au lieu de ce nom repris au vers 31, BM met en vedette au-dessus : Jeninot. (« Oreille » rime avec « selle », comme « pareille » rime avec « cervelle » à 184-5.)   14 Jéninot a failli être mordu par son chat. Les Coppieurs et Lardeurs donnent ce vers proverbial sous une autre forme : « Ha ! saincte sang bieu, quelz chalans ! »   15 BM : petit  (Il s’en faut de peu qu’il ne m’ait mordu. « À peu qu’el ne s’est arrachée/ La langue, à force de caquet. » Saincte-Caquette.)   16 BM : mange  (« Ilz nous eussent dévoréz tous…./ Loué soit Dieu, qui n’a permis/ Que sur nous eussent mis les dentz ! » Jan Poictevin.)  L’homme et la femme sortent de leur domicile et voient Jéninot.   17 BM : sa hault   18 Et comment donc !   19 BM : tous  (Voir le Varlet à louer à tout faire.)   20 À des gourmands. La sobriété des serviteurs, en matière de nourriture et de boisson, était un critère d’embauche non négligeable. D’où le gros mensonge de Jéninot qui, en parfait Badin, ne va pas tarder à se trahir.   21 BM : abiller  (« Poinct ne me baille/ Vin à boyre. » Messire Jehan.)  En Normandie, boire se prononçait baire : « Du meilleur vin y veulent baire. » La Muse normande.   22 BM : comme  (Pour peu qu’on me l’apprenne.)   23 BM : en vitaille  (Bien fourni de vit.)  Le Badin et valet de la Veuve se targue des mêmes avantages pour plaire à sa patronne : « Car je suys bien envytaillé. »   24 BM : reigler   25 BM : nes  (Tu n’as rien qui me convienne.)  La femme est gênée par la présence de son mari ; beaucoup de bourgeoises profitaient de leur valet plutôt que de faire venir un amant de l’extérieur.   26 BM : cassemureau  (Un casse-museau est un gâteau : cf. les Cris de Paris, vers 185. Un flanet est un petit flan.)   27 Habile.   28 BM ajoute dessous : Et que scay ie moy  (C’est une contamination du Badin qui se loue : « –Mais combien te donneray-je ?/ –Et que sçay-je ? »)   29 Le jeu des noix est réservé aux enfants. « Mieux eusses faict de te jouer aux noix. » La Prinse de Guynes et de Calais.   30 Vessé, pété. Ce reproche injuste est fait aux personnes qu’on veut faire taire. Cf. la Bouteille, vers 112. Une chanson eut même pour refrain : « Pouac ! vous avez vessy !/ Vertu, qu’elle est puante ! » Calbain.   31 BM : On fas  (Que cela vous fasse profit !)  On lance cet équivalent de « à vos souhaits » à toute personne qui éternue, qui rote, qui pète, ou même pire (cf. le Munyer, vers 434). Le juge de la très scatologique Farce du Pet ordonne que si l’un des époux vient à péter, « l’autre luy dira : “Prou vous face !” »   32 Ce vers revient deux fois dans les Chambèrières et Débat. L’éditeur parisien a laisser passer un « e » svarabhaktique picard, comme au vers 206. Celui de 335 n’est pas justifié.   33 BM : Semes  (Si je te mets la main au collet.)   34 BM : vostre  (L’éditeur parisien a résolu l’apocope picarde « vo ». Cf. le Pasté et la tarte, vers 80, 99, 216, 254.)   35 De la peur, en 1 syllabe.   36 BM : vouloye  (Il voulait me dire des horreurs.)   37 BM : retrainct  (Si je ne lui avais pas retiré l’encrier : si je ne l’en avais pas empêché.)   38 Une bonne poire, comme le Badin qui se loue : « Les aucuns m’appellent “bon homme”,/ Les autres m’appellent Janot. » Cf. la Ruse et meschanceté des femmes, vers 193 et note.   39 Je comble une lacune. L’artisan du Cousturier et le Badin embauche aussi un Badin : « Vous voulez-vous louer à moy ? »   40 BM : habiller  (Nous sommes loin des 18 francs mensuels que Jéninot réclamait au vers 64.)  Le Badin qui se loue n’exige pas qu’on lui paye sa livrée ; il touchera donc chaque année « six francs pour le moins ». Les Chambèrières et Débat témoignent du même écart de salaires : l’une des deux touche 4 francs par an, et l’autre plus de 8. Mais la première pourrait gagner jusqu’à 6 francs si elle couchait avec son maître.   41 Cette indécision est un des traits caractéristiques du Sot et du Badin. « Et si, ne sçay comme j’ay nom. » Les Sotz nouveaulx.   42 Dans le Badin qui se loue, le mari juge ainsi le patronyme de son nouveau valet : « Janot est le vray nom d’un sot. » Jéninot est un diminutif de Jénin, qui est lui-même un diminutif de Jehan. Or, le prénom Jean et tous ses dérivés servent à nommer des nigauds : voir Jehan qui de tout se mesle, Jénin filz de rien, Janot dans le sac, etc.   43 Le soir de l’Épiphanie, on se réunissait à plusieurs pour tirer les rois.   44 Dîne. « Soupe-toy d’air ainsi comme tu nous as fait souper ! » (Amadis de Gaule.) Sans arrêt = sans retard : cf. l’Aveugle et Saudret, vers 415 et 703.   45 Surveille. Mais le jeune paysan, qui est né dans une ferme (v. 211) et qui a travaillé pour un fermier (v. 302), sait bien que quand on « garde » un animal, on doit lui courir après s’il s’enfuit.   46 BM ajoute dessous : Entens-tu  (Le feras-tu ? « –Feras ? –Ouÿ, car c’est l’usage. » Le Ribault marié.)   47 Niais. On retrouve l’élision normande « t’es » au vers 334 et, entre autres, dans ce décasyllabe de la Muse normande : « T(u) es un nïais, che n’est pas là l’affaire. » Cf. Deux hommes et leurs deux femmes, vers 405 et 434.   48 Elle ne s’y risquera pas.   49 BM : Donne toy garde seulement   50 Que nul, que personne. Cf. les Premiers gardonnéz, vers 40.   51 BM : receans  (Je me souviendrai. « La chièvre, recordant et ayant souvenance de la doulce saveur de ceste herbe. » ATILF.)  Jéninot rappelle le couple, qui est en train de sortir.   52 Vers manquant. Avant votre départ. « Baisez-moy, mon doulx plaisir,/ Au moins, à vo département. » Le Povre Jouhan.   53 Je tirerai les rois. « Que vous me faciez ung gasteau :/ Nous voulons faire ung roy nouveau. » Jehan qui de tout se mesle.   54 Peut-être faut-il comprendre : Tu veux voler sans ailes, en devenant roi.   55 Une petite pièce pour aller acheter un gâteau.   56 BM : querir   57 J’y vais. Idem vers 135 et 288. L’homme et la femme s’en vont.   58 Jéninot entonne l’air célèbre « Vray Dieu, qu’amoureux ont de paine ! », qui inaugure le dialogue du Viel Amoureulx et du jeune Amoureulx (LV 9). Il sort, et revient en portant un gâteau des rois.   59 J’ai bien de la chance (ironique). Dehors, il a entendu que tous les foyers fêtaient les Rois.   60 Celui qui.   61 Une bonne blague. « Et tu voyras tantost beau jeu. » L’Homme à mes pois.   62 Il coupe une deuxième part pour en faire la charité à un éventuel mendiant. Cf. Frère Guillebert, vers 128-9.   63 J’ai fait une 3ème part en trop. Les Normands amuïssaient le « r » final, comme aux vers 33-34, 138-9 et 228-9. Voir la note 75 de la Mère de ville.   64 J’ai cru bien faire en prenant cette part, mais j’ai rêvé puisque la fève n’y est pas.   65 Jéninot examine la part de Dieu : aucune fève à l’intérieur. (Jeu de mots sur « Dieu y ait part ».) Il en conclut que la fève est dans le morceau qu’il a donné au chat.   66 Celui qui tire la fève (en l’occurrence le chat) devient roi ; toute l’assistance crie alors : « Le Roi boit ! » Et à chaque cri, le roi puis ses sujets boivent une gorgée de vin. Inutile de dire qu’on a vu plus d’un roi tomber de son trône… « Nous cririons bien hault : “Le Roy boy !” » Les Maraux enchesnéz.   67 Resterez-vous éternellement sans boire ?   68 Faire raison à un buveur, c’est trinquer à sa santé après qu’il a trinqué à la nôtre. « Je viens du vin…./ Nous vous ferons bien vos raisons. » L’Aveugle, son Varlet et une Tripière.   69 Ce vin est d’autant plus clair qu’il s’agit d’eau (v. 121). Clairet rime avec boit, que les Normands prononcent « bé » : cf. Troys Galans et un Badin, vers 73 et note.   70 BM : ho  (« Sçais-tu point pourquoy boit chat eau ?/ C’est pource qu’il n’a point de vin. » Les Actes des Apostres.)  Le vers suivant est perdu.   71 Désordre financier. Jéninot exagère : c’est sa patronne qui a payé le gâteau.   72 Pour m’endetter.   73 Vous paierez le prochain gâteau des rois.   74 Je vous tiens quitte de fournir un nouveau gâteau. Cf. le Villain et son filz Jacob, vers 50.   75 Il arrive devant la porte, avec sa femme.   76 Vacarme. Je reconstitue ce vers manquant d’après le vers 168.   77 BM : sage  (à la rime.)  La fête des Rois fait honneur aux Rois mages.   78 Une couronne. La synalèphe du verbe faire, qu’on retrouve à 181, est plutôt normande ; cf. le Savatier et Marguet, vers 92, 216 et 233.   79 BM : te  (On remarquera qu’en cette fête des Rois mages, Marie est invoquée cinq fois, même si elle n’en sort pas grandie.)   80 BM : chasser  (Je me lèverai avant que j’aille pisser. Ce grand enfant joue encore aux noix <vers 65>, mais il ne pisse plus au lit. Cependant, voir le vers 188.)   81 En attendant que je vous rende la pareille.   82 Au. Voir le Glossaire étymologique et comparatif du patois picard ancien et moderne, de Corblet. « Beuvez du meilleur, attendans que l’aultre amendera ; et ne chiez plus dorénavant ou lict. » Pantagruéline prognostication.   83 Quels devis, quel bavardage.   84 Déshabillé, juste vêtu d’une chemise longue. Les deux lits sont dans la pièce principale.   85 BM : oseroit on  (On ne peut rien vous dire. « On ne vous ose dire rien ! » Adam Fier des Couilles, F 38 bis.)   86 Il ne s’appelle pas Jéninot pour rien. Les Picards <la Pippée, v. 580> et les Normands <le Clerc qui fut refusé, v. 86> prononcent « nian », en 1 syllabe.   87 « S’ung peu ne me donnez à boyre :/ J’en eusse ung peu meilleur mémoyre. » Trote-menu et Mirre-loret.   88 Par Dieu. « Ou nom du benoist Roy de gloire,/ Mon amy, donne-nous bon vin ! » Serre-porte.   89 L’auteur oublie que le mari vient de consommer du gâteau et du vin chez son voisin.   90 BM : recouert  (Que j’ai récupéré dans la cuisine.)  Notre piètre versificateur fait encore rimer le participe passé avec l’infinitif aux vers 54-5, 62-3, 286-7, 299-300.   91 Vous perdriez. Sur ce picardisme, voir la note 32. Normalement, dans les farces, le vin favorise la mémoire ; voir la note 87.   92 « Vous avez bon foye : Vous avez tort. » (Antoine Oudin.) Les ravages de l’alcool sur le foie n’étaient pas encore connus.   93 Un plein verre de vin. Cette graphie normande n’influe pas sur la prononciation. Cf. le Moral de Tout-le-monde, vers 26 et 131.   94 L’autre jour. « L’autre hier, j’avois une jument/ Qui cochonna [qui mit bas comme une truie] quinze thoreaux. » (Les Sotz nouveaulx.) Les Badins et les Sots côtoient un bestiaire fantastique dont on trouve d’innombrables représentations dans les enluminures marginales des manuscrits.   95 Que j’ois, que j’entends. Possible graphie picarde du normand « j’os ».   96 BM : nostre  (Sur ce possessif affaibli, voir la note 34.)   97 Le dormeur se remémore un souvenir d’enfance.   98 Cela lui vient. « Il y a folies maintes…./ Tout procède de la cervelle. » La Folie des Gorriers.   99 BM : resue  (Qu’il affabule, qu’il délire. « N’a-l’on point de honte/ De tellement nous avillier ?/ Cella me fait tout affabler. » Moralité de la Croix Faubin.)   100 Sale : les chèvres ont une odeur spéciale.   101 Laissera.   102 « Et ! paix, de par le dyable, paix !/ Vous resveillez le chat qui dort. » Les Sotz qui corrigent le Magnificat.   103 BM : delinge  (Voilà un beau vacarme. « Tu orras tantost beau déluge ! » Éloy d’Amerval.)   104 BM : facheuse  (Jéninot parle de l’homme et de la femme.)   105 Quel jeune insolent. C’est une formule péjorative : « Quel mignon ! Qu’il est vertmolu !/ Mais regardez ce fol testu ! » Le Prince et les deux Sotz.   106 Le matin, les serviteurs font tiédir la chemise de leur maître devant la cheminée. Cf. le Cuvier, vers 85-86. L’Épiphanie donne le départ du Carnaval, qui renverse toutes les valeurs : les maîtres servent alors les valets. On constate déjà cette inversion aux vers 143-4, 169, 183, 241, 247, 269, 333. Mais quand ce fantoche de Jéninot dit à son employeur « Il me semble que soyez fol » (v. 280), c’est vraiment le monde à l’envers !   107 Le maître a promis au serviteur qu’il l’habillerait (v. 89), c’est-à-dire qu’il lui paierait ses vêtements. Jéninot, qui prend tout au pied de la lettre, a compris qu’on lui enfilerait ses habits.   108 BM : tes   109 En voilà une bien bonne ! Cf. le Faulconnier de ville, vers 249.   110 Semelles de bois qui isolent les chaussures du froid et de la boue. Un « Jénin Patin » est un benêt : cf. Légier d’Argent, vers 80. Un « claque-patins » est un jeune galant qui marche en faisant du bruit pour que les dames le remarquent.   111 BM : lralra  (Les éditeurs anciens et modernes n’ont pas compris cette onomatopée qui reproduit le bruit des patins. « Tric trac, on traisne les patins. » Guillaume Coquillart.)   112 Ni ceci, ni cela : rien du tout.   113 Que je ne te frappe. « S’el [si ma femme] n’est latrée,/ Riens ne vail. » (Le Brigant et le Vilain.) BM ajoute ensuite des caractères inutiles et très défectueux : est r   114 Vers manquant. Jéninot invoque l’aide de sa mère au vers 217. Les Badins sont de grands enfants : voir la note 80.   115 BM : doncq abille abille  (N’avez-vous jamais été assez habile pour cela ? « Chascun d’eux y est bien habille. » Maistre Doribus.)   116 Vers manquant.   117 Sans flageoler, sans perdre votre temps à des bavardages. C’est un mot normand : cf. Maistre Mimin estudiant, vers 107.   118 BM : tousbeau  (Allez-y doucement.)  On se demande si la femme, en enfilant ses chausses à Jéninot, ne vérifie pas manuellement s’il est aussi bien « envitaillé » qu’il s’est vanté de l’être au vers 54.   119 D’un contact désagréable.   120 Gracieux.   121 D’une femme mal torchée. Un proverbe plaignait le sort de cette pauvre femme : « Vous vous mocquez de la Barboüillée : Vous ne devez pas faire ce que vous faites. » Oudin.   122 Une tôtée : une tartine de pain grillé. Les Anglais en ont tiré le toast.   123 BM : mô maistre   124 On récite cette prière avant le repas. Ayant la reconnaissance du ventre, Jéninot veut même dire un Ave Maria, qui est totalement hors de propos.   125 BM : cheria  (Le bouffon Brusquet déplorait d’être le « mary de la plus laide que le diable chia jamais ».)  En Normandie, céans pouvait se prononcer « cian » en 1 syllabe : cf. le Savatier et Marguet, vers 179.   126 BM : de paler a   127 Avec adresse.   128 Gentement, avec noblesse.   129 C’est le nom des cathédrales d’Amiens, de Laon et de Rouen.   130 BM : mon ame  (« Qui se moque d’ung sot, par m’âme ! » Mahuet.)   131 Il crie à sa monture les injonctions qu’on crie à un cheval. Hay = hue ! Dia = à gauche ! Là encore, Jéninot prend une expression au pied de la lettre : il veut « mener » sa patronne à la messe comme il menait sa jument au pré.   132 BM : la robbe  (Il m’écrase le bas du dos.)   133 Il tape sur les fesses de Jéninot et, quand il vise trop bas, sur celles de sa femme.   134 BM : sarrez  (Puisses-tu être serré : voir les vers 283-284.)  Je comble ensuite une lacune d’après l’Antéchrist : « En male estraine/ Eusse-tu la fièvre quartaine ! »   135 BM : est  (« Je ne sais où » s’explique parce que le jeune paysan, qui arrive de son village <v. 306>, n’a pas retenu le nom de la cathédrale.)   136 BM : noz iumans  (Il ne pouvait monter que sur une seule jument à la fois.)   137 Chez (morphologie normanno-picarde).   138 Vers manquant. J’emprunte le vers 123 des Sobres Sotz : il annonce nos vers 336-7.   139 BM ajoute : a la messe   140 Vers manquant. Jéninot emploie faire paître au 1er degré, comme tout Badin qui se respecte ; mais au 2ème degré, cette locution veut dire tromper : « Que tu feroys bien les gens paistre ! » La Nourrisse et la Chambèrière.   141 Et si elle. Hay = hue, comme aux vers 290 et 291.   142 BM : ainsi   143 BM descend cette didascalie sous le vers suivant.   144 Vers manquant. Je recycle le « payez-moy » qui est de trop dans le vers précédent. Le valet du Sourd, son Varlet et l’Yverongne réclame lui aussi ses gages : « Payez-moy, et je m’en iray. »   145 Comme tu l’as mérité.   146 Ne l’épargnez pas plus que du plâtre : battez-le comme plâtre. Cf. le Cuvier, vers 138.   147 BM : vostre poyreau  (« Mais bien vous galleray le dos ! » Godefroy.)  BM ajoute sous ce vers : Sortez pour veoir   148 Novice. Cf. Messire Jehan, vers 128.   149 L’épervier est l’oiseau que les nobles utilisent pour la chasse ; le busard n’est bon qu’à attraper des poules. Le Badin des Veaux renverse comme il se doit ce proverbe : « On ne faict poinct d’un esprevier/ Un busart. » Les derniers vers s’adressent au public.

LES BOTINES GAULTIER

Houghton Library, Harvard University

Houghton Library, Harvard University

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LES  BOTINES

GAULTIER

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Les bottines de Gautier sont mentionnées vers 1470 par Simon Gréban, dans les Actes des Apostres, où une femme possédée par le diable s’écrie : « Lucifer me gette ung regard/ D’amour au travers de la fesse,/ Car il veult que je me confesse/ Dedans la botine Gaultier. » Au départ, ces bottines n’étaient pas autre chose que les cuissardes d’un gros moine normand prénommé Gautier. Le Rouennais Cacheleu s’en souvenait encore en 1533, lorsqu’il composa son

       Chant royal faict du blason des bottines

       Qu’usoit jadis le bon frère Gaultier….

       Par ung matin, revenant des matines,

       Pour m’en aller à la messe à Oyssel*,                                 * Oissel, près de Rouen.

       Me fut besoing d’emprunter les bottines

       De mon voisin, le bon Gaultier Mansel….

       « Par Dieu ! ce sont bottes toutes divines

       (Ce dist Gaultier en passant au bastel*) :                         * Au bac qui traversait la Seine.

       Je les portoys du tems des grandz ravines*,                      * Inondations.

       Et me servoyent autant qu’ung devantel*….                      * Tablier.

       Mais pour aller à la messe au moustier,

       Il ne fault pas laisser au verd boscage

       Le grand blason des bottines Gaultier. »

Ces vastes bottines devinrent une métaphore pour décrire un vagin démesuré, au même titre que la botte : « Mon mignon, mon gentil varlet, / Gressez-mé bien ma vielle bote / Et secouez ma vielle cotte ! » <Ms. fr. 1719.> Avec la même élégance, on disait aussi le houseau, qui est une botte de cavalier : voir le vers 40 du Sermon pour une nopce. Tous les hommes — à part frère Gautier — trouvaient ces bottines trop larges, et se plaignaient d’avoir été floués. L’un des plaignants fit l’objet d’une ballade que je publie sous la farce.

L’auteur de cette pièce normande1, qui ne recule devant aucun sous-entendu, joue également sur une troisième expression : « bailler de la bottine à quelqu’un », c’est lui donner — mentalement — un coup de pied au derrière, c’est-à-dire l’humilier. En résumé, donner à un galant « la bottine de Gautier », cela revient à le berner en lui promettant le vagin trop large de la femme du dénommé Gautier. Comme on le voit, l’auteur est un virtuose du langage à plusieurs niveaux, et il va le démontrer brillamment.

Source : Recueil de Florence, nº 9.

Structure : Rimes plates, abab/bcbc, avec des quatrains à refrain et 4 triolets.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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Farce nouvelle trèsbonne

et fort joyeuse des

Amoureux qui ont

les botines Gaultier

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À quatre personnages, c’est assavoir :

       ROUSINE

       GAULTIER

       LE   PREMIER  GALLANT

       LE   .II.  GALLANT

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              LES  BOTINES  GAULTIER

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                    ROUSINE,2  femme de Gaultier,  commence en chantant :

        Je prometz en vérité :                                                 SCÈNE  I

        Se mon mary va dehors,

        Je feray ma voulenté,

        Je prometz en vérité.

                        GAULTIER

5      (Faictes-vous tel [des]loyaulté3 ?

        Je [veulx] escoute[r] ses records4.)

                        ROUSINE,  en chantant :

        Je prometz en vérité :

        Se mon mary va dehors,

        Je lucteray5 corps à corps

10    Et m’esmouvray6 bien les vaines.

                        GAULTIER 7

        Vous ferez voz fièvres quartaines !

                        ROUSINE

        Las !

                        GAULTIER

                  Hahay ! Esse la façon

        Des manches8 ?

                        ROUSINE

                                   Pour une chanson

        Qu(e) avez ouÿ chanter ou dire,

15    Me devez-vous ainsi mauldire9 ?

                        GAULTIER

        Maulx sont maulx10.

                        ROUSINE

                                          Chansons sont chansons.

        Mais ce sont tousjours voz façons.

        Mauldicte soit la jalousie !

        Je doy bien mauldire ma vie

20    Et l’heure que te fuz donnée :

        Je fis une froide11 journée,

        Et povoyes bien, ce jour, vestir

        Mes bons habitz12 ! Tousjours glatir !

        Je ne pourroye ouïr cela.

                        GAULTIER

25    [À luy]13, à luy ! Ta ty, ta ta !

        Pour ung mot, el en dira trente.

                        ROUSINE

        J’ay raison !

                        GAULTIER

                             Paix, malpaciente !

        Qu’esse, cecy ? Maistre ou varlet,

        Je [t’]abaisseray ce caquet

30    Qui est si gros !

                        ROUSINE

                                  C’est grant dommage

        Que je n’endure ce langaige.

        Ne me réputez puterelle14 :

        Il n’en est point quelque nouvelle.

        J’ay aussi bon nom sans diffame

35    Que la meilleure preudefemme

        Qui soit point dedans ceste ville.

                        GAULTIER

        Or bien, donc, j’ay failly, ma fille.

        Mais se ne vous aimoye bien,

        Je ne vous en diroye rien,

40    Vous le povez considérer.

                        ROUSINE

        Aussi, povez-vous bien penser

        Que je ne m’en courcerois pas15,

        S’il estoit vray16. Voyez le « cas »,

        Gaultier.

                        GAUL[TIER] 17

                        Je vous en croy, Rousine ;

45    Il fault que ceste cause fine18.

        Mais puisqu’il fault du tout parler,

        Dont venez-vous ?

                        ROUSINE

                                      D’où ? Du tessier19,

        Là où je l’ay enduré belle20.

        J’ay trèsbien fait ourdir ma telle21.

                        GAULTIER

50    De vray, esse [bien] fine ouvrage ?

                        ROUSINE

        Sur ma foy, Gaultier, il fait raige22 !

        Il a si très à point bouté

        Le fil23, qu’il ne luy est resté

        Que les fondrilles24 seulement.

55    Il vous « ourdist » tant proprement

        [Qu’]il n’y a point de fil perdu.

                        GAULTIER

        Est-il ainsi bien entendu25 ?

        Sont-ce doubliers26 ou serviètes ?

                        ROUSINE

        Midieux ! c’est bien dit, vous y estes.

60    De toutes sortes j’en devise.

        On parle d’euvre de Venise27 ;

        Mais j’ouÿ dire à mes parrains

        Qu’il n’est ouvrage que de Rains28.

        Damas est euvre fort exquise ;

65    Si n’est-elle point tant requise29

        Des premiers jusques aux derrain[s]30.

        Il n’est ouvrage que de Rains.

        Paris, qu’est ville bien assise,

        Est fourny d’ouvriers31 (sans faintise)

70    Qui sont tous seurs et bien(s) certain[s]

        De faire l’ouvraige de Rains.

                        GAULTIER

        De cela, j’en oste mes mains :

        Je ne m’y congnois point32, m’amye.

                        ROUSINE

        Puisque ma « toille » est [bien] ourdie,

75    Le demourant se fera bien.

                        GAULTIER

        Et du payement ?

                        ROUSINE

                                    Vous sçavez bien

        Qu’en devez avoir [des] chemises33 ;

        C’est à vous à faire les mises,

        Du bon [du cueur]34 la plus loyal[e].

                        GAULTIER

80    Tant me cousteroit à la Halle.

        Or bien, bien, on s’en chevira35.

        Sçav’ous36 que me desservira ?

                        ROUSINE

        Nenny.

                        GAULTIER

                     De me seoir ung petit37,

        Et me frotez38 à l’apétit

85    La teste.

                        ROUSINE

                       Or vous séez donc !

        Hay avant, vous estes si long39 !

        Mon amy, il fault qu’on vous serve40 ?

                        GAULTIER

        Il fault bien que je le desserve41

        En temps et en lieu, hault et bas.

                        ROUSINE

90    Gaultier, vous ne me gratez pas

        Où me démengue42.

                        GAULTIER

                                         Que de vent !

        Maidieux ! vous voulez trop souvent

        Estre couverte d’ung pourpoint43.

        Je me suis assis bien à point

95    En ce lieu pour passer ennuy.

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                        LE  .I.  GALLANT,44  en chantant :      SCÈNE  II

        Madame, je vous supply,

        Dictes-moy à ung point :

        Seray[-je] vostre amy

        Ou le seray-je point ?

100  Je croy que je viens bien à point

        Pour trouver rencontre de sept45.

        Sortira-il rien ? Qui le scet ?

        J’espère à trouver quelque proye.

        Si46 doit-il venir beste en haye :

105  Le vent y est trèsbon, par Dieu !

        Et si, c’est entre chien et leu47.

        Je suis, puis trois jours, amoureux.

        Hélas ! tant je serois eureux

        S’elle venoit, la désirée !

110  À peu que je ne l’ay nommée ;

        Sur ma foy, hen ? closes oreilles48 !

        Il n’est pas49 que, de tant de veilles

        Qu’ay faictes ces nuytz à requoy50,

        Quelq’un[e] vienne à bien.51

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                        LE  .II.  GALLANT  chante :                 SCÈNE  III

                                                   Hauvoy52 !

115  Sur la mer, quant trèsfort y vente

        Et qu’il y fait trop grant tourmente,

        Il y fait dangereux aller.

        Je t’ay entendu au parler

        De bien loingnet53, par saint Cybart !

                        LE  .I.  GALLANT 54

120  Je diroye au moins : Dieu [te] gart !

                        LE  SECOND  GALLANT

        Je feray ta fièvre quartaine !

                        LE  .I.  GALLANT

        Quel escailler55 !

                        LE  .II.  GALLANT

                                     Quel escouflart56 !

                        LE  .I.  GALLANT

        Je diroye au moins : Dieu [te] gard !57

                        LE  SECOND  GALLANT

        De vray, j’en auroye ma part58.

                        LE  .I.  GALLANT

125  Tu auroi[e]s ta malle estraine59 !

        Je diroye au moins : Dieu [te] gard !

                        LE  SECOND  GALLANT

        Je feray ta fièvre quartaine !

        Certes, tu as nom Pert-sa-peine

        Car, de vray, ton fait60 est perdu.

                        LE  PREMIER  GALLANT

130  Il me souffist d’estre repeu

        D’ung regard, ou baiser l’annel61.

                        LE  SECOND  GALLANT

        Ha ! mon filz, tant tu es nouvel62 !

        T’apaises-tu de veoir leurs yeulx ?

                        LE  PREMIER  GALLANT

        Tu en parles com envieux,

135  Foy que doy à saint Pol l’apostre !

                        LE  SECOND  GALLANT

        Tu dois dire ta patenostre

        Pour moy : se t’ay fait le chemin63.

                        LE  PREMIER  GALLANT

        Est-il vray ?

                        LE  SECOND  GALLANT

                             Tant tu es jényn64 !

                        LE  .I.  GALLANT

        Nous sommes deux chiens o65 ung os.

140  C’est pour venir à mon propos :

        Croy que la vécy bien à point66.

                        LE  .II.  GALLANT

        [Cr]oys-tu ? Ne te souvient-il point

        Des enseignes desur le banc67 ?

                        LE  PREMIER  GALLANT

        Et ! ouy, vrayement.

                        LE  .II.  GALLANT

                                          Je parle franc ;

145  Mais mot68, car il se doit celer !

        Et puisqu’il fault du tout parler,

        Elle t’ayme pour le caquet.

                        LE  .I.  GALLANT

        Tu scez qu’en ung petit sachet69

        Les bonnes espices y sont ;

150  On scet bien qu’au grant ne seront.

        Tu ne sers que de jambayer70.

                        LE  .II.  GALLANT

        Quant on est sur cest astelier71,

        Chascun y fait du mieulx qu’il peut.

        Au moins, se d’aventure pleut,

155  Nous les metrons mieulx à couvert,

        [Nous, qu’une]72 robe de bon vert

        (Com ung aultre la bailleroye).

                        LE  .I.  GALLANT

        Nous suivrons to[u]sjours ceste voye.

        Et s’il vient vermeil73, d’aventure,

160  Il est nostre !

                        LE  .II.  GALLANT

                               Ha ! je t’asseure

        Que74 nous aurons bref des nouvelles :

        L’oreille m’espoint75.

                        LE  .I.  GALLANT

                                            S’ilz76 sont belles,

        Onc homme plus joyeux ne fut.

        Qu’esse-cy ? Le nez me mengust77 :

165  On parle de moy.

                        LE  .II.  GALLANT

                                     Tant mieulx vault.

        S’il survient riens78, prens-le d’assault

        Et le menons à l’ordinaire !

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                        GAULTIER 79                                        SCÈNE  IV

        Dont vient cecy ? Le luminaire

        Me commence à apetisser80.

                        ROUSINE

170  Aussi, je ne m’en sçaurois taire,

        Car vous estes ung espicier81.

                        GAULTIER

        On voit bien à ung vieil mercier

        Avoir de belle marchandise82.

                        ROUSINE

        Nul ne doit en83 officïer

175  S’il n’en scet l’usaige et [la] guise.

                        GAULTIER  [chante :]

        J’ay prins amour à ma devise84

        Pour conquérir joyeuseté.

                        ROUSINE

        Vous avez mal la table mise,

        Ou ung souper mal apresté.

                        GAULTIER

180  Corps bieu ! je suis bien apointé85.

        Hay avant ! partez86, çà, Rousine :

        Il fault reporter ma botine

        Au savetier, et que l’entrée

        De87 la chose luy soit monstrée.

185  Regardez : j’ay ce pié enflé,

        [Et] l’autre aussi.

                        ROUSINE

                                    C’est bien ronflé88 !

        Vous mocquez-vous ?

                        GAULTIER

                                            Se je me mocque ?

        Maulgré en ait la nicque-nocque89 !

        Regardez en quel point j’en suis.

                        ROUSINE

190  Voulez-vous qu[e j’]atende à l’huis

        Tant qu’il ait fait ? Que l’en m’informe :

        Les feray-je bouter en forme90

        Affin que puissent eslargir ?

                        GAULTIER

        Ouy dea. Et qu’il garde le cuir91 :

195  C’est cordouen92, il est bien tendre.

                        ROUSINE

        (Puisqu’il les me fauldra attendre,

        Je hanteray93 tousjours l’ouvrier.)

                        GAULTIER

        Allez, courez com un lévrier,

        Hastez-vous !

                        ROUSINE

                              Ha ! je vous asseure

200  Qu’il en prendra bien la mesure94,

        À  ceste fois.

                        GAULTIER

                               Or allez avant !

                        ROUSINE

        Et que ferez-vous, ce pendant ?

                        GAULTIER

        Je ne sçay.

                        ROUSINE

                           Recousez vos chausses.

                        GAULTIER

        Vray Dieu, qu’il est de femmes fauces95 !

205  Par le sacrement de l’autel !

        Qui seroyt cent en ung ostel96,

        El97 les embesongneront bien,

        Seurement, sans vous celer rien.

        En une esguillée de fil,

210  [Vous mectriez]98 un petit de mil !

                        ROUSINE 99

        Tenez ! Et se vous avez fait100

        Devant que l’ouvrier ait parfait101,

        Rongnez102 voz ongles, mon amy !

                        GAULTIER

        Qu’il n’y face pas à demy103,

215  Que ne104 soit à recommancer.

                        ROUSINE

        Je luy feray bien affoncer105

        La « forme » dedans, çà et là,

        Tant que le « cuir » s’eslargira.

        Il m’en pourra bien souvenir.

                        GAULTIER

220  Allez ! Faictes qu’au revenir,

        J(e) y entre [bien] sans chaussepié106.

        Se vous trouvez, lez107 ung treppié,

        De ces mondains, de ces riveulx108,

        Ne me caquetez point à eulx :

225  Vous n’en amenderiez [en] rien109.

                        ROUSINE

        C’est tout fin vray, vous dictes bien.

                        GAULTIER

        Allez, que santé Dieu vous doint110 !

.

                        LES  DEUX  GALLANS  AMOUREULX,  en chantant :

        Point, point, point, point, point, point,                        SCÈNE  V

        Il n’y en a point :

230  De persil en no(z) jardrin(s)111 n’y a point.

.

                        GAULTIER 112                                       SCÈNE  VI

        Je ne sauroys serrer ce point :

        Mon esguille113 ne veult entrer.

.

                        ROUSINE                                                SCÈNE  VII

        Comment Gaultier est bien empoint114 !

.

                        [ GAULTIER                                          SCÈNE  VIII

        Je ne sauroys serrer ce point. ]

.

                        LE  PREMIER  GALLANT 115           SCÈNE  IX

235  Que dis-tu ?

                        LE  SECOND  GALLANT

                              Ce fust bien à point,

        Qui peust qui que soit rencontrer116.

.

                        GAULTIER                                            SCÈNE  X

        Je ne sçauroys serrer ce point :

        Mon esguille ne veult entrer.

        Cest ouvraige est à [re]serrer117.

240  Je ne le sauroys pas serrer118.

        Trut avant119 ! Je prens sur mon âme :

        L’esguille [re]semble à ma femme ;

        Elle a mauvais cul, vrayement.

        N’y est-elle point120 ? Quel tourment

245  S’elle eust ouÿ dire ces motz !

        M’a-el121 pas baillé en propos

        Qu’il me fault mes ongles rongner ?

        Corps bieu ! j’ay bien122 à besongner ;

        Je n’auray mais en pièce fait123.

.

                        LE  .I.  GALLANT,  en sifflant 124 :       SCÈNE  XI

250  Hon, hon, hon !

                        LE  SECOND  GALLANT

                                  Bien, dea, beau sifflet !

        Voy-tu rien ?

                        LE  .I.  GALLANT 125

                                Ouy, laisse venir,

        Parle bas, vécy nostre fait.          En sifflant : 126

        Hon, hon, hon !

                        LE  SECOND  GALLANT

                                   Bien, dea sire, beau sifflet !

.

                        ROUSINE,127  [en chantant :]               SCÈNE  XII

        Hélas ! Mon bon amy parfait,

255  Le pourray-je jamais tenir ?

.

                     LE  PREMIER  GALLANT,  en sifflant :      SCÈNE  XIII

        Hon, hon, hon !

                        LE  SECOND  GALLANT

                                    Bien, dea, beau sifflet !

        Voy-tu rien ?

                        LE  PREMIER  GALLANT

                                Ouy, laisse venir !

        Chantons pour voir son maintenir128

        Et sa façon, et sa manière.

                        Adonc ilz chantent tous deux ce qui 129 s’ensuyt :

260  Je ne130 seray jamais bergère ;

        Quérez qui le sera pour moy131.

        Ce sera pour m’oster d’esmoy,

        Car je vueil estre mariée.

.

                        ROUSINE                                               SCÈNE  XIV

        (Benoiste Royne couronnée132 !

265  Ces133 deux marchans m’ont apperceue.

        Par ma foy, j’en suis bien déceue134.

        Il me fault tirer autre train135.)

                        LE  PREMIER  GALLANT

        Revenez [cy] !

                        LE  SECOND  GALLANT

                                 Çà, ceste main136 !

                        ROUSINE

        Je congnois trop vostre demeure,

270  Je ne vous quiers point137.

                        LE  PREMIER  GALLANT

                                                  Est-il heure

        Que gens de bien soient par pays138 ?

                        ROUSINE

        Nous ne sommes point gens haïs

        De noz voisins, ne sus ne soubz139,

        Mon mary ne moy, oyez-vous ?

275  Qui me gard140 nuyt et jour [d’]aller

        Sans chandelle, sans en parler141,

        Com une bonne preude femme ?

                        LE  SECOND  GALLANT

        Personne que vous ne vous blasme.

        Nous vous congnoissons bien, voisine :

280  Ne vous nommez-vous pas Rousine,

        Femme de Gaultier Le L[a]isant142 ?

                        ROUSINE

        Et en vaulx-je pis ? Dieux avant143 !

        Qu’en dictes-vous ?

                        LE  SECOND  GALLANT

                                         Le cas est tel :

        Pour144 frapper souvent du « coustel »,

285  Vous tenez voulentiers franchise145.

                        LE  PREMIER  GALLANT

        Je croy bien, s’elle ayme l’église,

        C’est à cause de la frarie

        En quel main est la librairie

        Des Augustins146.

                        ROUSINE

                                      Quelz gens de bien !

290  Je vous pry, ne me dictes rien !

        Vous ne sçavez à qui parlez147.

                        LE  SECOND  GALLANT

        À une femme.

                        ROUSINE

                                 Or allez,

        Et ne me dictes point d’injure,

        Ou je voue à Dieu148, et [je] jure

295  Que je vous feray adjourner149 !

        Quoy ? Me voulez-vous destourner

        D’aller ?

                        LE  PREMIER  GALLANT

                        D’aller ? Allez aux loups150 !

                        ROUSINE

        Ce n’est point vïande151 pour vous :

        Je ne suis point vostre cheval152.

                        LE  SECOND  GALLANT

300  C’est trèsmal fait d’en dire mal,

        Quant on n’y a point veu que153 bien.

        J’entens le cas : qui ne dit « tien154 ! »,

        Il n’est jamais bel appellay155.

                        LE  PREMIER  GALLANT

        Fault-il que cecy soit celay ?

305  Vous souvient-il point du gallant

        Dont vous eustes le dyament,

        Et luy baillastes de la muse156 ?

                        ROUSINE

        Qui, moy ?

                        LE  SECOND  GALLANT

                            Pour bailler d’une ruse,

        Il n’en est point de tel ouvrière.

                        ROUSINE

310  Moy, mon amy ?

                        LE  PREMIER  GALLANT

                                    [Vous] toute entière,

        Sans aultre157.

                        ROUSINE

                               Ha, que c’est mal158 dit !

                        LE  SECOND  GALLANT

        De Dieu soys-je treffort mauldit

        Se ce n’estoit vous en personne159 !

                        ROUSINE

        Il ne fault point qu’on m’en blasonne160

315  En ce point, car vous me prenez161

        Pour une autre.

                        LE  SECOND  GALLANT

                                  Tant que vouldrez.

        Mais vous fistes162 le personnage.

                        ROUSINE

        Et puis, se l’ay fait, quel dommage ?

        Que vous chault ? Ce n’est rien du vostre163.

                        LE  PREMIER  GALLANT

320  Le confessez-vous ?

                        ROUSINE

                                       Ouy, voir164.

                        LE  PREMIER  GALLANT

                                                           Nostre165 !

        Qu’esse-cy, en vostre giron ?

                        ROUSINE

        Que c’est ? Et ! c’est mon chapperon

        Que [je] porte à la presseresse166.

                        LE  PREMIER  GALLANT

        Escoutez ung mot, ma maistresse,

325  En l’oreille.

                        ROUSINE

                             Parlez tout hault.

                        LE  SECOND  GALLANT

        Dictes privé(e)ment, ne vous chault :

        Je ne vous escouteray167 pas.

                        LE  PREMIER  GALLANT

        Arrière ung peu168 !

                                           Vécy le cas :

        Je sçay trèstout, et si, suis ferme169

330  De long temps. Mectez-moy ung terme170,

        Je suis seur.

                        ROUSINE

                            Ha,  tout seroit perdu !

                        LE  PREMIER  GALLANT

        N’en parlez plus, dictes le lieu.

                        ROUSINE

        Mais vous, car je n’y congnois aage171 ;

        Oncques fillette(s) de village

335  Si ne fut aussi nouvellette.

                        LE  PREMIER  GALLANT

        À l’Hostel 172.

                        ROUSINE

                                 Je seray tost preste

        À [huit heures]173. Mot !

                        LE  PREMIER  GALLANT

                                                 Je suis saige.

        Baillez-moy quelque simple gaige

        Pour plus tost venir au lieu dit.

                        ROUSINE,  en luy baillant une botine :

340  Tenez, mus[s]ez-lay174 !

                        LE  PREMIER  GALLANT

                                                Il souffist.

        Et se mon compagnon vous touche175

        Que j’ayes dit, taisez176 vostre bouche,

        Car je ne luy en diray rien.

                        ROUSINE

        Ce sera fait d’homme de bien.

345  Je ne seray pas si baveuse177.

                        LE  SECOND  GALLANT

        (Elle fait de la dangereuse178.)

        Et puis, à quoy tient ce marché ?

        Qui vouldra, j’en seray chargé179.

                        ROUSINE

        Il me parloit de ma cousine

350  Qu’il congnoist.

                        LE  .I.180  GALLANT

                                   C’est bien dit, Rousine !

                        LE  . II.181  GALLANT

        Vous m’entendez bien ?182 Ha, finart !

        Vous contrefaictes le regnart183 :

        Vous en voulez aider184 tout seul.

        Çà, ung mot !

                        LE  .I.  GALLANT 185

                                 (Il luy fait grant deul

355  Qu’il ne le scet186. Que mal feu l’arde187 !

        Mais non pour tant, il n’en a garde188 :

        Il auroit plustost de la lune189 !

        J’ay enseignes190, moy : c’est pour une191.)

                        LE  .II.  GALLANT

        Or çà ! Or disons, belle dame

360  Qui faictes de la preude femme :

        Vostre asseurance192 est esgarée.

        On congnoit trop vostre derrée193.

        Vous est-il point advis que j’aye

        En mon beau mouchouèr monnoye194,

365  Ou de bon or quelque freluche195 ?

                        ROUSINE

        Je ne regarde [ne] n’espluche196

        Les gens de si près, vélà tout.

                        LE  .II.  GALLANT

        Il fault commencer par ung bout.

        Pour ce qu’ayme [trop] vostre honneur,

370  Ung mot vous diray de bon cueur :

       Ne vous fiez pas en chacun.

                        ROUSINE

        Comme quoy197 ?

                        LE  .II.  GALLANT

                                     Nous sommes trop d’ung198 ;

        C’est mon compaing(s), m’amye chière,

        Qui a la langue trop légière.

375  Je [le] vous dy pour abrégier.

                        ROUSINE

        Si n’y a-il point de dangier

        En parolle que me dist huy199.

        Mais nonobstant, c’est dit d’amy ;

        Humblement je vous en mercie.

                        LE  .II.  GALLANT

380  Sçavez-vous de quoy je vous prie ?

        C’est qu’au lieu duquel je vous vis

        Yssir il y a des jours six200,

        Vous trouverez dedans [ma main]201

        [À] huit heures. Or  çà, vostre main202 !

385  Le ferez-vous ?

                        ROUSINE

                                  Par trop envis203

        J’escondiroies ung si beau filz204.

        Mais gardez qu’âme205 n’y survienne,

        Affin que pis ne nous en vienne,

        Car mon honneur seroit forfait.

                        LE  SECOND  GALLANT

390  [Qu’il] n’y ait faulte206 !

                        ROUSINE

                                              Il sera fait,

        Mais [en] secret.

                        LE  SECOND  GALLANT

                                   Tant de fois dire !

                        ROUSINE 207

        Tenez : mussez cecy, beau sire !

        Affin de plus tost m’y trouver,

        Pour gaige [en] aurez ce soulier.

395  Mais à vostre compaignon, mot !

                        LE  SECOND  GALLANT

        Non, non, je ne suis pas si sot.

        Partez tost sans plus de frestel208.

                        LE  .I.  GALLANT

        Où retournez-vous ?

                        ROUSINE

                                          À l’hostel209.

        Dieu vous doint bon soir, mon mignon !

                        LE  .I.  GALLANT

400  Rousine !

                        ROUSINE

                        Adieu, compaignon !

        Je m’en vois210 sans plus en parler.

                        LE  .I.  GALLANT

        Mais en quel lieu ?

                        LE  .II.  GALLANT

                                        Laisse-l(a) aller,

        Et puis nous dirons du meilleur.

.

                        ROUSINE                                               SCÈNE  XV

        Ha, mon Dieu ! Et, quelz gens d’honneur !

405  Je suis eschappée piedz joincts211.

        De forte fièvre soient-ilz oingz212 !

        Destourbée [ilz] m’ont213 ; ne m’en chault.

        J’alloye — parlé-je point trop hault ? —

        Où j’eusse gaigné une panne214,

410  En ung lieu… Mais j’en suis [bec-jaune]215.

        [Et] que pourray-je à Gaultier dire

        De ses botines ? C’est pour rire !

        Il m’en fera bien grant brairie216.

        Trouver fault quelque tromperie,

415  Puisque j’aprouche du logis.

.

                        GAULTIER 217 chante.                          SCÈNE  XVI

        Il est temps de fermer son huis.

        Viendra-el point ? C’est à demain218 !

        El me baille bien du plantain219.

        Je me feray mes chausses tondre220.

420  Je requier Dieu qu’elle puist fondre !

        Mais que ce soit ains qu’il soit nuyt221,

        Je n’y voy goute ; qui y vist222 ?

        Il fault que couse [sans lunettes]223.

        Vécy des coustures bien faictes :

425  J’ay mis la pièce auprès du trou224 !

        J’en suis tout tanné. [Brou, ha]225, brou !

        J’ay autre chose à besongner :

        Car  il me fault mes ongles rongner.

        Il m’y fault prendre par bon désir226.

430  Je cuyde que j’aye tout loisir :

        C’est bien demouré227 ! Quel prouffit ?

        J’attendray encor un petit228.

.

                        LE  .I.  GALLANT                                 SCÈNE  XVII

        Dy-moy vérité et soyes ferme229 !

                        LE  .II.  GALLANT

        Si feray-je bien, dea ! J’ay terme230.

                        LE  .I.  GALLANT

435  Tout cela, ce n’est que du moins231 ;

        J’ay plus fort.

                        LE  .II.  GALLANT

                             Quoy ? Estraint les mains,

        Ou marché sur le pié232 ?

                        LE  .I.  GALLANT

                                                 Nenny[n].

                        LE  SECOND  GALLANT

        Ma foy, je te tiens pour jényn

        Tout au long ! Tu n’y congnois aage.

440  J’ay bien dit.

                        LE  .I.  GALLANT

                             Ce n’est que langage ;

        Mais moy, j’ay enseignes certaines.

                        LE  SECOND  GALLANT

        Se c’estoient fièvres quartaines,

        Mon filz, tu n’en tremblerois jà233.

        T’y fies-tu ?

                        LE  .I.  GALLANT

                              Es-tu à cela

445  Toy-mesmes ? Es-tu bien fort beste !

        Dea, dea, n’en baisse jà la teste :

        Tu n’as garde du horion234.

                        LE  .II.  GALLANT

        Tu en es bien !

                        LE  PREMIER  GALLANT

                                 Quelle raison ?

        As-tu enseignes ?

                        LE  .II.  GALLANT

                                     Ouy, vrayement.

                        LE  .I.  GALLANT

450  Monstre235 !

                        LE  SECOND  GALLANT

                             Mais toy !

                        LE  PREMIER  GALLANT

                                              premièrement236 !

                        LE  .II.  GALLANT

        Non feray : tu en bouteras237.

                        LE  .I.  GALLANT

        Ha ! de vray, tu te gasteras238

        Bien tost, se tu es le premier.

                        LE  .II.  GALLANT

        Bien. Se tu y vas le dernier,

455  Ce sera pour les grâces dire239.

        Scez-tu quoy ? Tu me feras rire.

                        LE  PREMIER  GALLANT

        De quoy ?

                        LE  SECOND  GALLANT

                          Tu es loing de ton compte.

.

                        ROUSINE 240                                        SCÈNE  XVIII

        Dieu gard !

                        GAULTIER

                           Et ! n’avez-vous pas honte,

        Belle dame, de mettre tant ?

460  Je me vois icy desbatant241

        Tout seul, sans voisins ne voisines.

        Et puis, quoy ? Où sont mes botines ?

                        ROUSINE

        Chez l’ouvrier. J’ay parlé à luy :

        Avoir ne les pouvez, mèshuy242,

465  Jusques à demain au matin.

                        GAULTIER

        Qu’avez-vous trouvé en chemin ?

        Par Dieu ! c’est trèsmal labouré243.

                        ROUSINE

        Pourquoy ay-je tant demouré ?

        Il fust pour vous saison244 de boire.

                        GAULTIER

470  J’ay recousu mes chausses.

                        ROUSINE 245

                                                  Voire,

        Je cuide qu’ilz soient presque bien…

                        GAULTIER

        M’ai dieux246 ! je n’y congnois247 plus rien,

        Sans lunettes. Mot n’en hongnez248 !

                        ROUSINE

        Et puis ? Sont voz ongles rongnéz ?

                        GAULTIER

475  J’ay fait vostre commandement.

        Soupperons-nous point ?

                        ROUSINE

                                                Ouy, vrayement.

        La table est [mise] en la cuisine,

        Là-bas.

                        GAULTIER

                      C’est bien parlé, Rousine.

        Mes botines ?

                        ROUSINE

                                 C’est à demain.

                        GAULTIER

480  Devant249 !

                        ROUSINE

                            Je vois quérir le pain

        Et veoir se la vïande est cuitte.250

.

                        GAULTIER                                            SCÈNE  XIX

        Pleust à Dieu que [j’eusse visite]251,

        Et [qu’]ung bon cordonnier252 fust nostre !

        Je m’iray coucher en apostre253,

485  Aujourd’uy, piedz nudz ; c’est raison.

        C’est celle de nostre maison254

        Qui joue ses jeulx. Mais quoy ! j’endure.

        De coucher il n’est pas saison255.

        C’est celle de nostre maison

490  Qui m’apaise de son blason256.

        Celle ne craint que j’aye froidure257.

        C’est celle de nostre maison

        Qui joue ses jeulx. Mais quoy ! j’endure.

.

                        ROUSINE 258                                         SCÈNE  XX

        [Sont-ilz]259 point party ? Trop m’y dure.

495  S’il260 le sçavoit, d’ung an entier,

        Soyez certains, par saint Régnier,

        Je n’auroyes bien261 ! Vélà le cas.

        Ilz sont aussi262 froiz que verglatz.

        Quelz gorgïas ! Quelz galeretz263 !

500  Ce sont varletz dimencheretz264,

        Des « sept au blanc265 ». Quelz paladins !

        Et puis ilz266 cuident estre fins ;

        Mais je suis encore plus fine,

        Car ilz en ont de la botine267

505  Tout du long. J’en cheviray bien268

        À Gaultier ; cela, ce n’est rien,

        Car je sçay bien où on les vent269.

        Je luy en baille270 bien souvent,

        Dont il ne n’en dit pas grant mercis.

510  Je croy que Gaultier est assis271 ;

        Je m’en voys, car il luy ennuye272.

.

                     LES  DEUX  GALLANS,  en chantant :     SCÈNE  XXI

        Dieu doint très bon soir à m’amye ! 273

                        LE  SECOND  GALLANT

        Or me dy (se Dieu te doint joye),

        Par quelque point ou quelque voye,

515  Le lieu où elle t’a promis,

        Veu que nous sommes tant amys

        Et sçavons assez l’ung de l’autre.

                        LE  PREMIER  GALLANT

        Sçauroys-tu en faire le274 peaultre ?

                        [LE  SECOND  GALLANT]

        Me diras-tu point vérité ?

520  En me promectant ta loyaulté,

        Comme ung [bon] compaignon doit faire,

        Diras275 le lieu de son repaire

        Où elle t’a dit.

                        LE  PREMIER276  GALLANT

                                 Seurement

        Le te diray bien loyaulment,

525  Sur ma foy !277 Sces-tu le logis

        Où nous mengeasmes les mauvys278 ?

                        LE  SECOND  GALLANT

        De vray ? À peu que ne le croy !

                        LE  PREMIER  GALLANT

        C’est léans279.

                        LE  SECOND  GALLANT

                                  Je jure ma foy

        Qu’au dit lieu el m’a baillé terme

530  À huit heures.

                        LE  PREMIER  GALLANT

                              Quoy ?

                        LE  SECOND  GALLANT

                                        Qu’elle est ferme280 !

                        [LE  PREMIER  GALLANT]

        À quelz enseignes ?

                        LE  SECOND281  GALLANT

                                         D’ung soulier

        Que vécy.

                        LE  PREMIER282  GALLANT

                           C’est pour affoller283 !

        Et j’en [ay] eu une botine.

                        LE  SECOND284  GALLANT

        Montre çà !285 C’est tout ung.

                        LE  PREMIER  GALLANT

                                                       Rousine,

535  Ha ! vous jouez d’ung grant mestier286.

        Ce sont les botines Gaultier.287

                        LE  SECOND  GALLANT

        Seurement nous en avons d’une288 !

        Se la rencontre sur la brune289

        El dira par chacun quartier

540  Que j’ay des botines Gaultier.

                        LE  PREMIER  GALLANT

        Par le sang bieu, nous l’avons belle !

        Elle est une faulce290 femelle.

        Je cuidoys estre tout routier291,

        Mais j’ay des botines Gaultier.

545  Je vous pry [que] n’en dictes mot.

                        LE  SECOND  GALLANT

        [Par] sainct Jacques ! il y fait sot292,

        [Qui l’andosse a]293 ung jour entier !

        Sert-el des botines Gaultier ?

                        LE  PREMIER  GALLANT

        Mot, bon gré saint Gris ! Qui sauroit

550  Nostre cas, chacun nous huroit294.

        El nous a, comme ung bast[el]ier295,

        Baillé les Botines Gaultier.

                        LE  SECOND  GALLANT

        S’il est sceu par quelque sentier

        Qu’i nous soit advenu cecy,

555  Comme des Gallans sans soucy296,

        Des Gaudisseurs297, des Bas-perséz298

        Ou Joyeulx-mondains299, c’est assez

        Pour estre raillé une année.

                        LE  PREMIER  GALLANT

        Ceste cause est assez menée ;

560  N’en parlons plus, allons-nous-en[t]300

        Nous deulx, par derrière, coyement301.

        Dy-je bien ?

                        LE  SECOND  GALLANT

                             Ouy. Sus, sus, à tout302 !

        Il en fault saillir303 par ung bout.

        Temps est de faire départie304.

565  À Dieu command305 la compaignie !

.

                                    EXPLICIT

*

.

                                      BALADE 306

.

        En mon chemin, je rencontray,

        Ainsi que chassoye marée307,

        Une bourgoise qui, pour vray,

        Cuidoit bien faire la serrée.

5      Je luy dis : « M’amye, quel desrée308

        Portez-vous en vostre pennier309 ? »

        Elle respond à la vollée :

        « Ce sont les botines Gaultier. »

.

        « –Dame, s’il vous plaist, j’assayeray310

10    S’ilz sont d’entrée assez serrée.

        –Ha ! (dist-elle), je n’oseray,

        Car à mon mary pas n’agrée.

        Je seroye par luy dévourée.

        S’il les vous convient assayer311,

15    Gardez-vous d’agrandir l’entrée :

        Ce sont les botines Gaultier. »

.

        Tout du premier coup y entray,

        Tant estoit l’entrée cavée312 ;

        À bien pou que n’y demouray313,

20    Tant y fis longue demourée.

        Je n’y trouvay fons ne ryvée314

        Mains qu’en ung housel315 tout entier.

        Ce fut donc vérité prouvée :

        Ce sont les botines Gaultier.

.

25    Prince, ma jambe y fust entrée

        De plain bont et sans varier316 !

        Je luy ditz, quant l’euz assayée :

        « Ce sont les botines Gaulthier ! »

*

1 Ses deux éditeurs modernes l’ont crue parisienne ; je donnerai donc en note les éléments de preuves qui témoignent en faveur de son origine normande.   2 Elle entre dans la maison, où son mari est déjà, mais elle ne le voit pas encore. Sa chanson est inconnue.   3 « S’y me faisoyt desloyaulté. » (La Veuve.) L’éditeur a comprimé ces deux vers en croyant qu’ils faisaient partie de la chanson en heptasyllabes. Les deux vers dont il est question sont dits en aparté.   4 Ses paroles.   5 Lutter = coïter. Cf. Guillerme qui mengea les figues, vers 240.   6 F : me restraindray  (Je me réjouirai. « C’est un vent chault, en vérité,/ Plus que le soleil en esté :/ Y vous faict esmouvoir les vaines (…),/ Faict metre homme et femme ensemble. » Sermon joyeux des quatre vens.)   7 Il surgit devant Rosine et la frappe.   8 Cette vieille expression veut dire : Est-ce la nouvelle mode ? « Les gens sachans mascheront ces groseilles [avaleront ces couleuvres] :/ Soit tort ou droit, c’est la façon des manches. » Henri Baude.   9 Le Ribault marié chante aussi une chanson d’amour dans laquelle sa femme voit l’aveu de son infidélité. Il lui répond : « Se je chante en moy esbatant,/ Doy-tu penser en mal pour tant ?/ Et n’oseray, pour jalousie,/ Chanter ? »   10 Il y a là un jeu de… maux.   11 Une mauvaise. « Que Dieu t’envoit froide journée ! » Mystère de saint Vincent.   12 Mes habits de fêtes. Glatir = glapir, aboyer.   13 F : Autre  (À l’attaque ! « À luy, à luy ! Rapporte fort ! » Le Roy des Sotz.)  Les onomatopées qui suivent stigmatisent le bavardage féminin, comme au vers 79 du Pèlerinage de Mariage. « (Elles) vous ont les langues légières…./ “Ty ty, ta ta”, douze pour treize./ Ilz [Elles] ont plus de babil que seize. » La patience des femmes obstinées contre leurs maris.   14 F : point pour telle  (« Allez vous chier, puterelle ! » Ung jeune moyne.)   15 F : point  (Que je n’en serais pas courroucée.)   16 S’il était vrai que vous m’aimiez. Double sens inaudible pour ce balourd de Gautier : S’il était vrai que je sois une puterelle. De plus, le cas désigne le sexe de la femme : cf. les Femmes qui demandent les arrérages, vers 5 et note.   17 À partir d’ici, F abrège souvent les rubriques ; je ne le suivrai pas.   18 Que ce procès finisse.   19 De chez le tisserand.   20 Où j’ai patienté longtemps.   21 Tisser ma toile, comme au vers 74. Le va-et-vient du métier à tisser se prête aux métaphores érotiques. À partir de maintenant, Rosine va se cantonner dans un langage parallèle à celui de son lourdaud de mari : tout ce qu’elle va dire est truffé d’allusions sexuelles qu’il ne soupçonnera pas.   22 C’est un bon amant. Cf. Raoullet Ployart, vers 31 et 147.   23 Mis son sperme, contenu dans ses pelotes [testicules]. « –J’ai là du fil/ Dont je vais vous coudre et recoudre/ Votre honneur…./ Oh ! parbleu, je n’ay plus de fil./ –Méchant menteur, tu n’en as plus ?/ Ces deux pelotons que j’ay vus,/ Qu’en as-tu donc fait ? » Piron.   24 Que le dépôt du fond.   25 Est-il si expert ?   26 A-t-il tissé des nappes ?   27 De broderie à la mode vénitienne. Les autres villes citées ont également leur manière de broder le linge. Mais Rosine parle évidemment de l’œuvre de nature, de l’œuvre de chair.   28 De Reims, mais aussi de reins. Comme l’a signalé Félix Lecoy, les vers 61-68 doivent beaucoup à une ballade écrite par Jean Régnier en 1445 : « Vous blasmez l’œuvre et l’ouvrage/ De Damas, de Troyes, de Venise/ Et de Paris* la bien assise ;/ Vous ont ce apris voz parrains ?/ La jeune dist : “Rien ne les prise [je n’en tiens aucun compte]./ Il n’est ouvrage que de Reins.” »  *La mention de Paris n’est donc pas le fait de notre fatiste rouennais.   29 Pourtant, elle n’est pas si recherchée.   30 Jusqu’aux derniers. Voir le Glossaire du patois normand, de Louis Du Bois, le Dictionnaire du patois normand, d’Édélestand et Duméril, etc.   31 De coïteurs. Idem vers 197 et 212. Cf. les Femmes qui font refondre leurs maris, vers 379 et note. On scande ou-vrier en 2 syllabes.   32 Double sens involontaire : Je n’y connais rien en matière de coït. Non seulement Gautier reste imperméable aux sous-entendus grivois de Rosine, mais en plus, il accumule des équivoques érotiques sans même s’en apercevoir.   33 Rappel de l’expression « avoir la chemise de Bertrand » : se contenter des restes dont un autre ne veut plus. Si le mari des Amoureux qui ont les botines Gaultier se nomme Gautier, celui du Dorellot aux femmes qui en a la chemise Bertrand se nomme Bertrand. Dans les deux pièces, les prétendants éconduits par la dame héritent d’un accessoire vestimentaire appartenant à l’époux. Nos Amoureux concluent avec amertume : « J’ay les botines Gaultier. » Le Dorelot, lui, sort en méditant ce refrain désabusé : « J’ay donc la chemise Bertran. »   34 F : bout de  (« Du bon du cueur vous baiseray. » Satyre pour les habitans d’Auxerre.)  C’est à vous de faire, en toute sincérité, l’offre la plus loyale. Les prix n’étant pas fixes, l’acheteur marchandait, comme dans la scène du drapier de la farce de Pathelin.   35 Je me débrouillerai.   36 F : Scauez vous  (Comme d’habitude, l’éditeur a parisianisé les formes normandes.)  Savez-vous ce qui me serait utile ?   37 De m’asseoir un peu.   38 F : froter  (Voir la note 147.)  Et que vous me grattiez la tête pour mon plaisir. Les séances d’épouillage faisaient partie du quotidien. Toutefois, Gautier commet encore un double sens involontaire : Frotter la tête à quelqu’un, c’est le battre. Cf. Saincte-Caquette, vers 269.   39 Allons, vous êtes si lent !   40 Vous me prenez pour votre servante ? Cf. les Drois de la Porte Bodés, vers 41.   41 Que je mérite que vous me grattiez la tête. Et pour le mériter, Gautier gratte le dos de Rosine.   42 Où cela me démange : ce n’est pas dans le dos… On reconnaît le « g » dur normanno-picard, comme au vers 264.   43 Par un homme. C’est ainsi que la mère de Jénin filz de rien conçut son enfant : « Une jacquette/ Estant sur moy, et ung pourpoint. »   44 Il est dehors, seul. Sa chanson est inconnue.   45 Coup favorable, aux dés. « L’autre coup, lui coucha de sept./ “Rencontre ! Voire, bien me plaît.” » Eustache Deschamps, le Dit du gieu des déz.   46 F : Sil  (Aussi.)  Le galant, tout comme le Faulconnier de ville, traque la bête féminine, et parle d’elle en termes cynégétiques. On tire souvent ce gibier dans une haie : « En l’ombre d’une haye,/ Nous ferons nostre tripotaige. » Régnault qui se marie.   47 Et aussi, nous sommes entre chien et loup, entre l’après-midi et le soir. Le chasseur est donc moins visible.   48 Vous n’avez rien entendu ! Ce vers s’adresse au public.   49 Il ne se peut pas.   50 En embuscade.   51 F met ici le début de la chanson du 2ème Galant : hauuoy / Sur la mer   52 Cette interjection n’est pas réservée aux marins ; on la trouve notamment dans une chanson de Serre-porte (vers 13). Nous avons ici la fin des Fillettes de Montfort, une chanson normande du manuscrit de Bayeux : « Hauvoy ! sus la mer, quant il vente,/ Il y faict dangereux aller. » Ces 2 mêmes vers seront repris dans une fricassée du Chansonnier de Dijon. Cela prouve que l’éditeur a amplifié cette vieille chanson qu’il ne connaissait pas pour égaliser la versification de la farce, où les paroles initiales étaient obligatoirement chantées, alors que les nouvelles ne sont plus chantables, si l’on en juge par les deux partitions.   53 Je t’ai reconnu de loin à ta voix. Le juron qui suit est entré dans la littérature polissonne sous la forme : « Par la dague S. Sibard ! » Noël Du Fail.   54 Il relève l’impolitesse de son camarade, qui ne l’a pas salué.   55 F : escaillet  (Un écailler est un marchand d’huîtres. Cette profession ne devait pas être mieux considérée que celle de harengère.)   56 L’écoufle est un milan, un oiseau de proie. Ce mot étant déjà une insulte (Guillerme qui mengea les figues, v. 88), le suffixe péjoratif -ard n’arrange rien. Remarquons que l’injure vise un prétendu fauconnier.   57 F répète dessous : Quel escaillet   58 De ta « désirée ». Les deux rivaux chassent sur les terres l’un de l’autre, comme ils le feront pour Rosine.   59 Une mauvaise fortune. Cf. la Satyre pour les habitans d’Auxerre, vers 103.   60 Ton effort pour conquérir cette femme.   61 F : lamiel  (Un amant courtois baise l’anneau que lui a donné sa dame, laquelle en fait autant avec l’anneau de son amant. Cette symbolique sexuelle perdure avec l’alliance des nouveaux mariés, dans laquelle on enfile un doigt.)  « Ung anel qu’elle avoit en son doy…. Si le baisa doulcement pour l’amour de lui. Mais elle se print ung peu à hontoier, car il lui ala souvenir qu’elle n’estoit point pucelle, et que digne n’estoit de baiser l’anel. » Le Roman de Perceforest.   62 Jeune, niais. (Nous aurons la forme féminine à 335.) Le 2ème Galant est plus âgé que son comparse, qu’il nomme encore « mon fils » au vers 443. Ce dialogue sur les femmes entre un adulte condescendant et un jeune irrespectueux rappelle Beaucop-veoir et Joyeulx-soudain.   63 Tu peux me remercier, je t’ai « ouvert la voie » en déflorant ta désirée.   64 Naïf. Même insulte à 438. Cf. les Coppieurs et Lardeurs, vers 254.   65 Avec. L’éditeur a omis de remplacer ce particularisme normand. Cf. les Esbahis, vers 215 et note.   66 La femme que je convoite est mûre pour être cueillie.   67 Des enseignes qu’elle t’a données quand vous étiez assis sur le banc. L’enseigne, qui est le moteur de notre farce, est un signe, visible ou audible, donné à une personne pour lui garantir qu’on va faire ce qu’on lui a promis.   68 N’en disons plus un mot ! Idem vers 337 et 395.   69 L’éditeur a parisianisé le normand saquet, qui était la rime riche de caquet. Cf. la farce rouennaise de Messire Jehan, vers 351.   70 Qu’à faire les cent pas sous la fenêtre de ta belle.   71 Sur ce chantier. L’atelier désigne également le sexe d’une femme : cf. Frère Guillebert, vers 27.   72 F : Pour une  (En étant couchés sur elles, nous les protégerons mieux de la pluie.)  Le vair est une fourrure d’écureuil.   73 Et si en plus la femme nous donne de l’or. Beaucoup d’hommes trouvaient normal de se faire entretenir ; voir par exemple les vers 213-6 de Beaucop-veoir et Joyeulx-soudain.   74 F : Car   75 Me pique : j’ai la puce à l’oreille.   76 Si ces nouvelles. Même normandisme à 471, et au vers 10 de la Ballade.   77 Me démange. On croyait à ces signes prémonitoires. Nous disons encore que l’oreille doit siffler à quelqu’un dont on parle en son absence.   78 S’il survient un sexe de femme.   79 Il tente, mais vainement, d’enfiler ses bottines.   80 « Quand quelqu’un a perdu la vue, soit par excès d’étude ou de débauche, on dit qu’il a usé son luminaire, qu’il a perdu son luminaire. » (Le Roux.) Voir les vers 422 et 472-3.   81 Un épi scié, un impuissant qui ne peut enfiler ma « bottine ». Cf. les Sotz nouveaulx, vers 230 et note.   82 Un bon pénis. « Puis ta marchandise/ Metz en son “cabas” !/ Lève sa chemise,/ Rembourre son bas ! » L’Amoureux passetemps.   83 F : estre  (Nul ne doit user de sa marchandise.)  « Ainsi n’est-il de ton bragmard [braquemart] : car par discontinuation de officier et par faulte de opérer, il est, par ma foy, plus rouillé que la claveure d’un vieil charnier. » Rabelais, Tiers Livre, 23.   84 Célèbre chanson. Voir la note 93 d’Ung jeune moyne.   85 Bien traité par vous. Double sens involontaire : Je suis bien érigé.   86 F : parlez  (Voir le v. 397.)   87 F : Et  (L’entrée de la bottine.)  Double sens involontaire : la « chose » désigne la vulve. Cf. le Gentil homme et Naudet, vers 368 et note.   88 C’est bien dit (ironique). « C’est bien ronflé ! Vostre preschier n’y vault. » E. Deschamps.   89 Maudite soit la moquerie ! Double sens involontaire : Maudite soit la copulation. « –Avez-vous joué ce jeu-là/ Qu’on appelle la nicque-nocque ?/ –J’ay joué à planter la broque/ Au fin plus près de mon cu. » Farce de Quattre femmes, F 46.   90 Mettre sur la forme en bois qui les élargira. Rosine prête au mot « forme » une connotation phallique, comme au vers 217.   91 Qu’il y prenne garde, qu’il y fasse attention. Double sens involontaire : le cuir désigne le pubis féminin, comme au vers 218. Cf. les Femmes qui font renbourer leur bas, vers 25 et 55.   92 Du cuir de Cordoue. Double sens involontaire : le cordouan désigne le pubis féminin. « Car pour monstrer d’estre courtisiennes,/ Elles faisoient valloir leur cordouen. » Débat des dames de Paris et de Rouen.   93 Je fréquenterai sexuellement. Cf. la Veuve, vers 92. Ces deux vers sont dits en aparté.   94 La taille de mon vagin. « Mesure de Saint-Denis, plus grande que celle de Paris : grande nature de femme. » Antoine Oudin.   95 Fausses, perfides. Idem vers 542.   96 S’il y avait cent hommes dans une maison.   97 F : Et  (Elles les obligeront à « besogner », avec un double sens involontaire sur ce dernier mot. Cf. le Dorellot, vers 229.)   98 F : Ou mectre  (Vous réussiriez à faire passer un grain de millet par le chas d’une aiguille. « Un homme apris à jetter de la main un grain de mil avec telle industrie que, sans faillir, il le passoit tousjours dans le trou d’une esguille. » Montaigne.)   99 Elle passe très facilement le fil dans l’aiguille de son époux, et la lui tend.   100 Si vous avez fini de recoudre vos chausses.   101 Avant que l’ouvrier n’en ait terminé avec moi.   102 Coupez. Au second degré, « rogner ses ongles » signifie : se ronger les ongles d’impatience. Et Rosine a bien l’intention de faire patienter son mari.   103 Que le savetier ne fasse pas les choses à moitié !   104 F : ce   105 Enfoncer.   106 Gautier ne se rend pas compte que cette expression appartient au registre érotique : cf. les Chambèrières qui vont à la messe, vers 24-25.   107 F : la  (Lez un = près d’un. « Lez ung brasier. » Villon.)  En Normandie, le trépied n’est autre que le tire-pied, un accessoire de savetier. « Si tou chez chavetiais [si tous ces savetiers]/ Qu’ont estricqué d’engain [qui ont jeté par dépit] l’alesne et les trépiais. » La Muse normande.   108 En Normandie, les « riveux de bis » sont les riveurs de vulves.   109 Vous n’en tireriez aucun bénéfice.   110 Vous donne. Rosine met les bottines dans son tablier, qu’elle tient relevé, puis elle sort de la maison.   111 Dans notre jardin. Le semi-picardisme « en no jardrin » (au lieu de « en no gardrin ») revient plusieurs fois dans le Chansonnier ms. fr. 12744. Mais la chanson des Galants n’a été conservée ni là, ni ailleurs.   112 Il tente de recoudre ses chausses.   113 Double sens involontaire. « Son voisin Gilles,/ Qui sans cesse la frétille/ Du bout de sa grosse esguille. » Gautier-Garguille.   114 En forme. Sous-entendu très ironique : en érection. Cf. Beaucop-veoir et Joyeulx-soudain, vers 185 et note. Rosine se dirige sans le savoir vers les deux galants.   115 Les galants sont dans la rue. On admirera le goût du risque de l’auteur, qui entremêle un dialogue et deux monologues dans les 8 vers d’un triolet qui se déroule en deux endroits différents.   116 Cela tomberait bien à point, si nous pouvions rencontrer quelque femme que ce soit. Rencontrer = copuler : « Je suis mal fourny de grosse lance telle (…) qu’el désire d’estre rencontrée. » Cent Nouvelles nouvelles, 15.   117 À ranger dans une resserre.   118 Je n’arrive pas à serrer ce point de couture. Voir le v. 237.   119 Allons ! « Trut avant, trut ! C’est à demain ? » Les Frans-archiers qui vont à Naples.   120 Gautier vérifie avec inquiétude si sa femme n’est pas revenue.   121 F : Mesle  (Ne m’a-t-elle pas proposé, au vers 213.)   122 F : bieu eu   123 Je n’aurai rien fait avant longtemps. Cf. les Maraux enchesnéz, vers 43.   124 À l’instar du Faulconnier de ville (v. note 46), le galant souffle dans un appeau qui attire le gibier féminin.   125 Il aperçoit Rosine, qui marche dans leur direction.   126 F met cette didascalie après les sifflements.   127 Elle s’approche peu à peu des galants, qui sont dissimulés. Sa chanson est inconnue.   128 La contenance qu’aura notre proie.   129 F : quil   130 F : ny  (Aucune des chansons qui commencent de la sorte ne donne les autres vers à l’identique. Voir H. M. Brown, nº 215.)  Pour rassurer Rosine, les deux hommes interprètent une chanson de femme, avec leur grossièreté habituelle.   131 Cherchez une femme qui sera bergère à ma place.   132 Sainte Vierge ! Ces 4 vers sont dits en aparté.   133 F : Les  (Ces faiseurs d’embrouilles. Cf. l’Aveugle et Saudret, vers 401 et 1195.)  Nos galants espèrent imposer à Rosine leur « marchandise » : voir la note 82.   134 Piégée.   135 Prendre un autre chemin. Elle tente de fuir, mais les galants lui barrent la route.   136 Donnez-moi votre main ! Le galant capture la main de Rosine.   137 Si je vous cherchais, je saurais où vous trouver.   138 Que des gens convenables soient dehors.   139 Ni dessus, ni dessous : en aucune façon.   140 Qui m’empêche.   141 Sans que vous en parliez. Il est vrai que les sorties nocturnes sans éclairage sont suspectes : « Tracasser [aller et venir] de nuyct sans chandelle. » Marchebeau et Galop.   142 Le paresseux : voir le Glossaire du patois normand, de Du Bois. « Pensez-vous que je soye laysant ?/ Et ! vous porterez tout le fais ? » (Le Nouveau Pathelin.) La famille Le Laisant était originaire de Valognes, dans l’actuel département de la Manche.   143 Forme populaire de « Dieu m’avant » : que Dieu m’assiste ! Cf. Frère Guillebert, vers 466 et 502.   144 F : Vous  (Frapper du couteau = copuler. « [Il] se jette sur elle & luy fiche au bas du ventre son cousteau naturel. » Béroalde de Verville.)   145 Vous êtes très libérale.   146 C’est grâce à la confrérie des Augustins, aux mains desquels est confiée la bibliothèque. La bibliothèque du couvent des Augustins de Rouen était certes réputée, mais les femmes ne visitaient pas ces moines paillards pour lire des livres. Le vit des Augustins est vanté dans le Tournoy amoureux, vers 49 et ­​89.   147 F : vous parler  (Rime avec aller. Cet imprimeur est coutumier de pareilles fantaisies, que j’ai corrigées tacitement.)   148 Forme populaire de « Je me voue à Dieu ». Cf. les Sotz ecclésiasticques, vers 32.   149 Assigner devant un tribunal.   150 Comme une louve [prostituée] qui fréquente les lupanars pour danser la « dance du loup, la queue entre les jambes ». (Noël Du Fail.)   151 « Ce n’est pas chair pour vous ! » (La Pippée.) La viande féminine est évoquée au vers 69 du Cousturier et Ésopet.   152 Vous n’avez pas à me mener par la bride. Mais aussi : vous n’avez pas à me chevaucher.   153 F : de  (Correction suggérée par Jelle Koopmans : le Recueil de Florence, Paradigme, 2011, pp. 153-171.)  Nous n’y voyons que du bien.   154 Celui qui ne dit pas : Tiens ! « Bien n’est venu qui ne dict : “Tien !” » (Moral de Tout-le-Monde.) La vénalité de Rosine est encore dénoncée aux vers 306 et 363-5.   155 Appelé. C’est un normandisme : « Il y est installay. » (La Muse normande.) Idem à la rime, où il faut comprendre : celé [dissimulé].   156 Et que vous avez ensuite mené en bateau. « Qui savoit, par belles promesses, donner la muse à ses ennemis. » Godefroy.   157 « C’estes vous, ou regny saint Pierre !/ Vous, sans aultre ! » Farce de Pathelin, v. 1530.   158 F : bien  (« Ha ! que c’est mal dit ! » Pathelin, v. 512.)   159 « C’estes vous en propre personne ! » Pathelin, v. 1514.   160 Qu’on m’en blâme.   161 « Pour qui c’est que vous me prenez. » Pathelin, v. 1506.   162 Vous avez joué. Il se peut que l’acteur qui tient le rôle de Rosine ait tenu précédemment le rôle d’une croqueuse de diamants.   163 Ce n’est pas votre argent. « Je ne vueil rien du vostre. » Les Trois amoureux de la croix.   164 Vraiment.   165 Un point pour nous !   166 À la repasseuse. En réalité, Rosine cache dans son tablier les bottines de Gautier.   167 F : encuseray   168 Il ordonne à son comparse de reculer pour ne pas entendre les propositions qu’il va faire à Rosine.   169 Fiable, sincère. Idem vers 433 et 530.   170 Fixez-moi un rendez-vous.   171 Je n’y connais rien. Idem vers 439. C’est du jargon de maquignons : « Quant ung cheval a deux ans, il a ses dens nouvelles…. De là en avant [au-delà de sa 7ème année], on n’y congnoist aage. » Le Mesnagier de Paris.   172 Au Vert Hostel, une auberge rouennaise. Les deux galants — et Rosine — y ont leurs habitudes.   173 F : lheure mais  (Rosine donne rendez-vous aux deux soupirants dans la même auberge et à la même heure, 8 h du soir : vers 384 et 530.)  On trouve ce gag dans une farce normande contemporaine, les Trois Amoureux de la croix, qui offre plusieurs points communs avec nos Amoureux qui ont les botines Gaultier : voir la note 206.   174 Cachez-le. Sur le pronom normand « lay », voir la note 12 du Vendeur de livres.   175 Vous en touche un mot, vous demande ce que je vous ai dit.   176 Fermez. « Taisez vostre bouche/ Tout franc ! » E. Deschamps.   177 Bavarde. Cf. le Dorellot, vers 75.   178 Elle joue la prude : voir le vers 360. « Aussi bien laides que belles/ Contreffont les dangereuses. » (Charles d’Orléans.) Le galant s’approche de Rosine ; son compagnon recule pour ne pas entendre leurs paroles, en cachant la bottine derrière son dos.   179 Si vous voulez, je me chargerai de le faire appliquer.   180 F : .ii.  (Le 1er Galant s’est rapproché subrepticement du couple. L’éditeur n’a pas compris cette scène très visuelle.)   181 F : .i.   182 F ajoute en vedette : Le .ii.   183 Vous imitez les ruses du renard.   184 Vous voulez en profiter.   185 Il se recule à nouveau, et prononce des paroles que le couple n’entend pas.   186 Il est malheureux de ne pas savoir ce qu’elle m’a dit.   187 Que le feu de l’enfer le brûle ! Cf. les Rapporteurs, vers 189.   188 Mais cependant, il ne risque pas d’avoir Rosine.   189 Il obtiendrait plus facilement un morceau de la lune.   190 J’ai une garantie, la bottine. Voir la note 67.   191 C’est bon à prendre.   192 F : seur si  (Vous avez perdu de votre assurance.)   193 F : quarree  (Votre « marchandise ». Voir le vers 5 de la Ballade.)  Ce mot désignait les parties sexuelles des femmes et des hommes. Cf. le Trocheur de maris, vers 164.   194 Des pièces dans mon mouchoir noué : cf. les Povres deables, vers 186. Le galant promet de payer Rosine, mais elle sait qu’il n’en a pas les moyens : vers 498-501.   195 F : recluche  (Quelque filament. « Des survestes (…) rouges à freluches d’or filé. » Les voyages de Pietro della Valle.)   196 Ni n’examine. Sous-entendu : Je ne plume pas. « Celuy-là est plumé et espluché. » Michel Menot.   197 C’est-à-dire ? Cf. Troys Galans et un Badin, vers 42.   198 L’un de nous deux est de trop : lui ou moi.   199 Qu’il m’a dite aujourd’hui.   200 À l’auberge du Vert Hostel, d’où je vous vis sortir (avec un homme) il y a 6 jours.   201 F : demain  (Vous vous trouviez à ma disposition.)   202 Pour sceller ce contrat verbal.   203 Bien malgré moi.   204 Ironique pour un homme d’âge mûr. Voir la note 62.   205 Que personne.   206 Ne me faites pas défaut. La femme mariée des Trois Amoureux de la croix (note 173), sous la contrainte, accorde à trois galants un rendez-vous le même soir et dans un même lieu, rendez-vous auquel elle n’ira pas. Elle dit à l’un d’eux : « Et puis attendre vous m’irez/ (Oyez-vous ?), mais qu’il n’y ait faulte. »   207 Elle donne la seconde bottine au galant, qui la cache derrière son dos.   208 De bavardage. C’est un mot normand : cf. Messire Jehan, vers 96. Le 1er Galant revient vers le couple, en cachant la bottine derrière son dos.   209 À ma maison. C’est un clin d’œil à chacun des deux hommes, qui lui ont donné rendez-vous à l’auberge du Vert Hostel.   210 Je m’en vais. Idem vers 480 et 511.   211 Sans avoir eu besoin d’écarter les cuisses.   212 Enduits : atteints. Cf. les Drois de la Porte Bodés, vers 168.   213 Ils ont contrecarré mes plans.   214 F : penne  (= plume, ou fourrure.)  Une panne est une fourrure, cadeau très apprécié par les femmes. « Trèsbien fourrée de pane blanche. » Le Ribault marié.   215 F : bien iehanne  (Béjaune, stupide. « Que je suis becjaune ! » Farce de Pathelin.)  La rime -ane / -aune est admise : dans les Drois de la Porte Bodés, béjaune rime avec condamne.   216 Il va braire contre moi.   217 En train de recoudre ses chausses. La chanson est inconnue.   218 Ce sera pour une autre fois. Idem vers 479. Cf. Beaucop-veoir et Joyeulx-soudain, vers 57.   219 Calembour : elle m’a planté là.   220 Couper les peluches qui dépassent. « Tondre le drap de la robe. » ATILF.   221 Bien que nous soyons avant la tombée de la nuit.   222 Qui y verrait dans ces conditions ?   223 F : a lumettes  (Alors que je n’ai pas de lunettes : voir le v. 473. Cet objet était encore rare et cher.)   224 J’ai cousu la pièce de tissu à côté du trou. Gautier ne se rend pas compte qu’il dit : J’ai enfoncé ma « pièce » dans le mauvais trou. Cette gauloiserie agrémentait le cri public des chaudronniers ambulants : voir la note 51 des Femmes qui font escurer leurs chaulderons et deffendent que on ne mette la pièce auprès du trou.   225 F : la brou la  (Dans les Mystères, « ha ! » et « brou ! » sont les interjections favorites des diables. « Brou ! brou ! ha ! ha ! » Mystère de saint Martin.)  Tanné = fatigué, exaspéré. « Que saint Anthoine arde le trou !/ J’en suis tanné. » Les Sotz qui remetent en point Bon Temps.   226 Il faut que je fasse contre mauvaise fortune bon cœur.   227 Ma femme demeure longtemps absente.   228 Un peu. Idem vers 83 et 210.   229 Sois sincère.   230 J’ai un rendez-vous de Rosine.   231 C’est la moindre des choses. La rime exige la forme normande mains : voir le v. 22 de la Ballade. Dans la sottie caennaise de Pates-ouaintes, « ce sera du mains » rime aussi avec « les mains ».   232 Ce sont là des enseignes corporelles. Dans le Pasté et la tarte, le pâtissier dit à sa femme qu’un homme viendra chercher le pâté « à tel enseigne comme on doyt,/ Mais que vous preigne [qu’il vous prenne] par le doigt ».   233 Si tu avais autant de fièvre que tu prétends avoir d’enseignes, tu ne risquerais pas de frissonner. Autrement dit : tu n’as aucune enseigne.   234 Inutile que tu baisses la tête, tu ne risques pas de recevoir un coup. Autrement dit : ces choses-là ne te concernent pas.   235 Montre-les-moi.   236 Toi d’abord.   237 Tu en fourniras une.   238 Tu te ridiculiseras.   239 Pour réciter la prière de la fin du repas : tu arriveras trop tard.   240 Elle rentre chez elle.   241 F : combatant  (Parlant seul.)   242 Pour l’instant.   243 Œuvré. Double sens involontaire sur « labourer une femme ».   244 C’était pour vous une occasion.   245 Elle inspecte les chausses, et montre au public que la déchirure est toujours là (vers 425).   246 M’ait Dieu = que Dieu m’aide ! Idem vers 59 et 92.   247 Je n’y vois.   248 Aussi, ne grommelez pas un seul mot. Cf. Pour porter les présens, vers 219.   249 Allons !   250 Elle va dans la cuisine, derrière le rideau de fond.   251 F : ie fusse plus viste  (Je corrige sous toutes réserves ces deux vers boiteux et dépourvus de sens.)   252 F : tresorier  (Et qu’un cordonnier soit des nôtres pour dîner.)   253 Les apôtres allaient pieds nus : eux non plus n’avaient pas de bottines.   254 C’est ma femme.   255 Il n’est pas l’heure.   256 Avec ses beaux discours. Cf. Jénin filz de rien, vers 196.   257 Elle ne craint pas que j’aie froid aux pieds.   258 Elle sort de la cuisine au moment où son époux y entre. Elle regarde par la fenêtre et voit ses deux prétendants qui se chamaillent.   259 F : Estes vous   260 Si Gautier.   261 Je n’aurais pas de repos.   262 F : plus  (« Chez ce cher hoste aussi froid que verglas. » Saint-Amant.)   263 Quels élégants ! Quels petits galants !   264 Des valets endimanchés. « Un jeune galland mal habillé, & ressemblant à un varlet dimencheret. » Martial d’Auvergne.   265 On peut en avoir sept comme ceux-là pour la modique somme d’un blanc [= 5 deniers]. Nous dirions aujourd’hui : treize à la douzaine. Les paladins sont des courtisans.   266 F : silz   267 Ils ont été humiliés. Voir ma notice et la note 270.   268 Des bottines, j’en fournirai bien.   269 Le Grand blason des bottines Gaultier (v. ma notice) nous l’indique : « Mais on les vend, dist-il, au pont Sainct-Pierre. » Pont-Saint-Pierre est une commune proche de Rouen.   270 Je lui donne de la bottine : je l’humilie. Voir le v. 504.   271 Il est à table dans la cuisine : vers 477.   272 J’y vais, car il est impatient (de manger).   273 Brown (nº 77) recoupe cette chanson avec Dieu doint le bon jour à m’amye, dont la version de Clément Janequin est un peu plus tardive. Mais beaucoup de poèmes furent mis en musique plusieurs fois, par des compositeurs de générations différentes.   274 F : la  (Ce vers est difficile. Je comprends : Voudrais-tu venir faire notre lit ? « De nuyt couchéz à nostre peautre. » Les Maraux enchesnéz.)   275 F : Dire   276 F : second  (L’imprimeur tente de retomber sur ses pattes après avoir sauté une rubrique. C’est le 2ème Galant qui interroge le 1er.)   277 F ajoute en vedette : Le premier   278 Les grives. Un logis est une auberge : « Au logis de la Belle Estoille. » Mystère des Trois Doms.   279 C’est là.   280 Fiable. Voir note 169.   281 F : premier  (Nouveau cafouillage de l’éditeur. C’est maintenant le 1er Galant qui interroge le 2ème.)  Le galant montre la bottine qu’il tenait derrière son dos.   282 F : second   283 Il y a de quoi devenir fou.   284 F : premier   285 F ajoute en vedette : Le second  (Les galants comparent leur bottine respective, et en concluent que « c’est pareil ».)   286 Vous piégez les gens. Cf. le Monde qu’on faict paistre, vers 93 et note.   287 C’est le refrain de la Ballade, probablement chantée.   288 Nous sommes bernés.   289 Si je la rencontre un de ces soirs. Cf. Troys Pèlerins et Malice, vers 241.   290 Perfide. Idem vers 204.   291 « Un vieux routier : un homme expérimenté. » Oudin.   292 Quel sot il fait, celui… « Qu’il y fait sot ! » Le Povre Jouhan.   293 F : Que ladosser  (Une endosse est un mauvais coup, une situation lourde à supporter. Voir le vers 60 de Légier d’Argent et le vers 34 des Maraux enchesnéz.)   294 Nous couvrirait de huées.   295 Comme un bateleur, un faiseur de tours. Cette forme est normande : cf. la Fille bastelierre. Le chef de troupe rouennais du Bateleur est nommé 7 fois « le Batelier ». Les bateleurs étant des joueurs de farces, on peut considérer que le vers suivant contient le titre de celle qu’ils sont en train de jouer.   296 Ces trois vers contiennent des allusions théâtrales venues de la farce normande du Testament Pathelin : « Gaudisseurs,/ Bas percéz, Gallans sans soucy. » Nous avons une sottie de Faulte d’argent, Bon Temps et les troys Gallans sans soucy (F 47).   297 Des plaisantins. Nous avons une sottie du Gaudisseur.   298 À sec, comme un tonneau qui est bas percé pour qu’on puisse en tirer les dernières gouttes. On peut parier qu’il y eut une farce de Bas-percé, comme il y en a une de Légier d’Argent  et une du Mince de quaire : ces personnages qui vivent d’expédients pullulent dans le théâtre de l’époque.   299 Il y eut sans doute une farce de Joyeux-mondain : « Qui a le vent ? Joyeulx mondains. » (Marchebeau et Galop.) L’imprimeur de Beaucop-veoir et Joyeulx-soudain commet un lapsus en nommant ce dernier personnage « Joyeulx mondain » au vers 187.   300 Je rétablis la rime normande : « Alons-nous-ent/ Bien tost ; partons légèrement. » Le Gentil homme et son Page.   301 Sans plus parler.   302 Allons ! Cf. le Vendeur de livres, vers 200.   303 Sortir : il faut bien trouver une issue.   304 De nous séparer.   305 Je recommande. Cf. le Poulier à sis personnages, vers 451.   306 Deux versions de ce poème furent copiées au XVe siècle dans un manuscrit conservé à la BnF (ms. fr. 1719). Je reproduis la version normande, qui est inédite ; elle commence au bas du folio 165 verso. La version parisianisée, qui provient d’un ms. de base plus récent, commence au folio 13 recto ; Marcel Schwob l’a publiée. Il fut plagié par Jean-Marie Angot, que Jelle Koopmans a recopié sans état d’âme mais avec toutes ses fautes de transcription.   307 « De la marée fraische : une putain. » (Oudin.) Un chasse-marée est un amateur de prostituées. Cf. les Tyrans au bordeau, vers 509.   308 Quelle denrée. Voir la note 193. « On sçaura qui fait la serrée,/ Et qui franche [libérale] est de sa derrée. » Saincte-Caquette.   309 Panier. Cette forme évoque opportunément l’adjectif pénillier [pubien].   310 J’essaierai, en pénétrant à l’intérieur.   311 Si vous voulez les essayer.   312 Excavée, élargie.   313 Il s’en fallut de peu que je n’y reste.   314 « J’en ay une que j’aime ung peu…./ On n’y treuve ne fons, ne rive. » Les Sotz qui remetent en point Bon Temps.   315 « Moins qu’en ung houzeau », comme le transcrit la version parisianisée.   316 D’un bond et sans hésiter.

LES POVRES DEABLES

Ms. La Vallière

Ms. La Vallière

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LES  POVRES

DEABLES

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Le manuscrit La Vallière contient trois sotties normandes qui, chronologiquement, se répondent l’une à l’autre, avec un scénario identique et des personnages analogues. La Mère de ville est une pièce protestante des années 1530 : la « merde vile », alias Mère Sotte, une usurpatrice catholique, tente vainement d’obtenir que ses pitoyables fidèles lui versent une dîme. Son valet, trop conciliant, l’aide mal dans cette tâche impossible. Le décor était posé. Vers la fin des années 1530, la Mère de ville fut réfutée selon le même schéma par une pièce catholique, les Povres deables. Cette dernière se moque allègrement du clergé, comme le faisaient beaucoup de catholiques, mais elle n’attaque pas le culte romain. Le personnage principal ne s’appelle plus la Mère de ville mais la Réformeresse, autrement dit, la réformatrice ; notre diablesse huguenote avoue qu’elle n’est autre que Proserpine1, déesse des enfers. Cette œuvre va susciter peu après 1540 une réplique protestante, nommée justement la Réformeresse, toujours sur le même modèle et avec des rôles équivalents. J’ignore si cette guerre de religion à coups de sotties a généré d’autres ripostes.

Les auteurs et interprètes des Povres deables sont les Conards de Rouen2, dont tous les Rouennais qui avaient quelque chose à cacher redoutaient les sarcasmes publics.

Source : Manuscrit La Vallière, nº 16.

Structure : Rimes plates. Beaucoup de rimes sont groupées par 3 ou par 4, ce qui révèle des ajouts ultérieurs.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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Farce nouvelle

À sept personnages, c’est assavoir :

       LA  RÉFORMERESSE  [Proserpine]

       LE  SERGENT  [Proserpin] 3

       LE  PREBSTRE

       L’AVOCAT 4

       LA  FILLE  ESGARÉE 5

       L’AMOUREUX  VÉROLLÉ 6

       et  LE  MOYNNE

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                         LA  FARCE  DES  POVRES  DEABLES

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                        LA  RÉFORMERESSE  commence 7    SCÈNE  I

        « À bien [parlar, bien besongnar]8 »,

        Dict l’Auvergnat Jehan de Souessons9.

        En ce lieu veulx monstrer mon ard,

        Dire ma harengue et raisons,

5      Et10 faire cent comparaisons.

        Et des autres sérimonye[s]11,

        J’en laisse à ma seur Symonye12,

        À son degré, d’en usurper13.

        Mais moy, je me veux acointer

10    (Selon ma reigle et mon compas)

        À réformer gens, et non pas

        Les bien vivans14 : en leur[s] estas15,

        Je n’y touch[e]. Mais un grand tas

        De razés, tondus et barbus16 :

15    Je veux qu’i me facent tribus17,

        Car congnoys18 que sur tous on prend,

        Et invention on aprend

        De ronger, mordre, d’afiner19,

        Enfondrer, abastre et myner,

20    Et du tout20 bouter en ruÿne

        Pour nourir ma mère Propine21,

        Aussy ma seur et ma cousine22,

        Et moy, donc, qui suys Proserpine,

        Nourisse du grand Astarot23.

25    Mes chevaulx et mon charïot24

        Ne seront poinct entretenus ?

        Je veulx, moy, qu’i ne passe nus25

        De ceulx qui me doyvent hommage

        Qu’i ne m’aportent mon havage26.

30    Où est27 Proserpin, mon sergent ?

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        A[s-]tu pas esté diligent                                             SCÈNE  II

        Faire, ce jourd’uy, mes contrainctes28

        Pour avoir des décimes mainctes29 ?

        Mes30 rentes, mes droictz, mes aveux

35    Des grans et des petis reveux31 :

        As-tu faict tes sommations ?

                        LE  SERGENT

        J’en ay bien cent relations32,

        Et autant de prinses de corps33.

        Tenez, vouez-en cy34 les recors ;

40    Faictes-en ce qu’il vous plaira.

        S’on veult, on les apèlera :

        Je les ay ajournés à ban35,

        Les mal espargneurs36 de Rouen.

.

        Follés mal complétionnés37,                                      SCÈNE  III

45    Je vous sommes que vous venez

        Aporter à l’eure présente

        Vostre d[éc]isme et vostre rente

        À Proserpine, la déesse

        D’enfer, d’Astarot la mêtresse !

50    El(le) tient aujourd’uy ses jours haulx38 :

        Comparez-y sans nus défaulx39

        Sur paine d’estre en forfaicture40 !

.

                        LE  PREBSTRE 41                                 SCÈNE  IV

        Je me veulx mectre à l’avanture

        D’esviter l’inconvénient42.

55    Hélas ! j’ay esté sy [fay]nient43

        Que je n’ay disme ne c[h]ampart44

        Pour luy aporter, pour sa part,

        Du droict qu’el dict sur nous avoir45.

        Puys donc qu’el46 nous faict assavoir

60    Que ce jour d’uy el nous réforme,

        J’ey bien craincte qu’el ne m’assomme.

        Chascun y plaidera sa cause.

        Je m’y en voys47 sans faire pause ;

        Le premyer seray eschauldé48.

.

65    Monssieur, vous nous avez mandé,                            SCÈNE  V

        Sommé, et partout49 faict les cris

        Que nous aportons les escrips,

        Comptes, quictances et descharges

        De ce que50 nous avons les charges.

70    Mais je ne m’ose présenter,

        Car je n’ay de quoy contenter51

        Vous ne la Mêtresse haultaine52.

                        LE  SERGENT

        Mon amy, elle est sy haultaine,

        Sy colère, que c’est pityé !

75    Sans le tiers ou sans la moytié,

        El sera de vous mal contente.

.

        Ma  Dame, vouécy53 qui se présente,                        SCÈNE  VI

        Craintif, honteux et mal en ordre.

                        LA  RÉFORMERESSE

        Et pourquoy ?

                        LE  SERGENT

                                 Il y a désordre

80    À luy, en venant ad ordos 54.

                        LA  RÉFORMERESSE

        Quel estat ?

                        LE  SERGENT

                             Povre sacerdos 55,

        Povre prebstre peu prébendé56,

        De vertu assez mal bendé57.

        Y vous requiert, Dame honorable,

85    Congneu58 qu’il est un povre deable,

        Que luy donnez encor un terme59.

                        LA  RÉFORMERESSE

        Lève la main et parle ferme ;

        Jure : diras-tu vérité ?

                        LE  PREBSTRE

        Et ! ouy, par ma virginité60 !

                        LE  SERGENT

90    Sans faire sy haultain serment,

        Demandez-luy par exament61

        S’il a poinct crainct sa consience

        D’aler plusieurs foys, au dimence62,

        À Sainct-Mor ou à Bansecours63

95    Chanter64, puys revenir le cours,

        Le hault trot65, à Bonne-Nouvelle

        Pour dire messe solennelle,

        Prenant argent [ab utroque]66.

                        LA  RÉFORMERESSE

        Jure-moy : as-tu pratiqué

100  Deulx paymens pour une journée ?

                        LE  PREBSTRE

        Et ! ouy bien.67

                        LE  SERGENT

                                  [Pour une tournée]68,

        Y n’est despesché qu’au matin…

        Ma Dame, yl est bon deablotin.

                        LA  RÉFORMERESSE

        Deablotin ? Mais69 deable parfaict !

105  Et de ce gaing, qu’en as-tu faict ?

        Çà,  ma droicture, pour l’usurfruict70 !

                        LE  SERGENT

        Qu’il71 en a faict ? Il a tout frist :

        Vous voyez qu’i n’a [plus] que frire72.

                        LE  PREBSTRE

        Je penseray myeulx me conduyre,

110  Se Dieu plaist, ma Dame, mèsouen73.

                        LA  RÉFORMERESSE

        Et quoy ! les prebstres de Rouen

        Font-y euvres sy exécrables ?

                        LE  SERGENT

        Il y a de bons povres deables.

        Cestuy-cy [il] ne fault casser74 ;

115  Plaise-vous le laisser passer.

        Vérité dict, s’on luy demande.

                        LA  RÉFORMERESSE

        Va, et revient[s] mais qu’on te mande75 !

.

                        L’AVOCAT 76                                          SCÈNE  VII

        Puysque ma Dame le commande,

        Hélas, à Dieu je me commande77,

120  Tant je doubte78 cest exament.

        En amende seray bien grande79,

        Se n’y voy80 personnellement.

        Ce jour, me fault estre honteux,

        Et confesser publiquement

125  Ma turpitude devant eux.

.

                        LE  SERGENT                                        SCÈNE  VIII

        Vouécy qui vault quatre foys myeux !

        Ma Dame, tendez vostre bource,

        Car c’est de finence81 la source.

        Qu’i soyt de par vous réformé !

130  Pas ne fault qu’i soyt réformé82,

        Quoyqu’i semble mélencolique.

                        LA  RÉFORMERESSE

        De quel estat ?

                        L’AVOCAT

                                 D’art de pratique83 :

        Je suys povre praticien.

                        LA  RÉFORMERESSE

        Et ! comment ? On dict qu’à Rouen,

135  Ilz ont pécunes84 innombrables.

                        LE  SERGENT

        Yl y a de bons povres deables

        Qui n’ont pas escus à mill[i]ers.

                        L’AVOCAT

        Depuys ces nouveaux conseillers,

        Autrement nommés « accesseurs85 »,

140  Les pâticiers et rostisseurs

        Ont plus gaigné que je n’ay faict.

                        LA  RÉFORMERESSE

        [Or,] racompte-moy par effaict

        [Où est] ce que tu as tant gaigné

        [Dans] le temps qu’as tant espargné.

145  Communique-le-moy par rolle86.

                        L’AVOCAT

        Je n’ay gaigné que la vérolle87,

        Ny espargné que des ulcères

        Et des goustes qui sont faulcères88.

        Mon parler est tout véritable.

                        LE  SERGENT

150  Laissez passer le povre deable,

        Par ma foy ! J’ay pityé de luy.

                        LA  RÉFORMERESSE

        Et  je n’aray donc droict de nuly89 ?

        À ce compte, je pers mon temps.

                        L’AVOCAT

        Réformeresse, je prétemps,

155  Devant qu’i soyt troys moys passés90,

        Que des tribus arez assez91 :

        La pratique sera plus grande92.

                        LA  RÉFORMERESSE

        Va, et revient[s] mais qu’on te mande !

                        LE  SERGENT 93

        Soys-moy un petit plus pillard !

160  Ayme94 les chiens, ayme le lard.

        Pren-moy argent de ta partye95 ;

        Sytost qu’elle sera partye,

        Va-moy signer le faict contraire96.

        Petit et grand pouras atraire.

165  Ne congnoys parens ne germains97 :

        Pren-moy argent de toutes mains98

        Et me le serre de tes mains.

        Faictz-toy envoyer galons99 plains.

        Ne semons cousins, entens-tu ?

170  Par ce poinct pratiqueras-tu.100

.

                        LA  FILLE  ESGARÉE  entre 101.         SCÈNE  IX

        J’ey entendu par estatu102

        Qu’i fault que je soys réformée.

        Pour nyen103 ay grande renommée

        Et le bruict d’estre fort mondaine :

175  Jamais ne vis ma bource plaine

        Que l’endemain el104 ne fût vide.

        Je pence bien, moy, et sy cuyde

        Qu’on parlera bien à mes bestes105 !

        J’ey bien faict à d’aultres leurs restes106 ;

180  Mais icy, y fault que j’aquiesse.

.

                        LE  SERGENT                                         SCÈNE  X

        A ! vouécy quelque bonne pièce

        Qui vient pour avoir son absoulte.

        Hau ! ma Dame, [n’]oyez-vous gouste ?

        Parlez à ceste créasture.

185  Pensez qu’el a vostre droicture

        Dedens son mouchoueur amassé107.

                        LA  FILLE  [ESGARÉE]

        Tost gaigné et tost despencé,

        C’est l’estatu108 d’entre nos seurs.

        Puys un an, les frères Fesseurs109,

190  Y ne nous ont guère enrichys ;

        Le temps les a tant enchichys110

        Que la celle qui le myeux double111

        N’a pas vaillant un rouge double112,

        Tant [soyt plaine]113 d’abilité.

                        LA  RÉFORMERESSE

195  Viens çà ! Dy-moy la vérité :

        De quel estat est ta pratique ?

                        LA  FILLE  [ESGARÉE]

        De la religion publique,

        Observantine de Cuissy114.

                        LA  RÉFORMERESSE

        Le droict m’en est eschu aussy :

200  Çà,  ma disme, sans jouer finesse !

                        LE  SERGENT

        Je croy que la povre deablesse

        N’en a pas, Dame, grandement.

        Demandez-luy par exament

        Et par la « foy » qu’elle soutient

205  La [cause vraye]115 à quoy y tient

        Que leur gaigne ne vault plus rien.

                        LA  FILLE  [ESGARÉE]

        Ma foy, je le vous diray bien,

        [Car ceste cause est trop congneue :]116

        Ma Dame, y n’y a guère rue

210  Où y n’y ayt des seurs segrètes117.

        Cela retarde que nos debtes

        Ne sont bien pay[é]es en temps dû.

                        LA  RÉFORMERESSE 118

        N’a-y pas esté deffendu

        — Et par l’estatu de Justice —

215  Que chascun[e], endroict soy119, sortisse ?

        Et se retire au grand Couvent120 ?

                        LA  FILLE  [ESGARÉE]

        Les commandeurs121, le plus souvent,

        Eux-mesmes les vont visiter,

        Recourir122 et soliciter.

220  Voy(e)là de quoy je me mutine.

                        LE  SERGENT

        Je t’en croy, povre deablotine.

        Ma foy, tu as bon cœur, o, va !

        Jamais la pye qui te couva123

        Ne fut brullée de feu grégoys124.

                        LA  FILLE  [ESGARÉE]

225  Les moynes et filz de bou[r]goys,

        Les sergens et gens de pratique125

        Les vont vouèr jusqu(e) à leur boutique,

        Au souèr, et faire leur tripot126.

                        LE  SERGENT

        Il y vont à « muche ten pot127 »,

230  De peur qu’i n’y ayt trop grand presse.

        Et,  passe, passe, povre deablesse :

        Va-t’en avec les deabloteaux.128

.

                        L’AMOUREUX  VÉROLLÉ  entre.      SCÈNE  XI

        En quelques paines et travaulx129

        Que j’aille, présenter me fault130,

235  [Ou je seray mys en défault.]131

        Avez-vous tous ratiffyé132 ?

        Prest je suys et édiffyé,

        Sans sou133, sans targe et sans escu,

        Quoyque le tiers du nez [m’est] cu134,

240  De me vouloir examyner.

.

                        LE  SERGENT                                        SCÈNE  XII

        Vous ne povez plus chemyner

        Sans avoir le baston au poing ?

                        LE  VÉROLÉ

        Aussy en ay-ge bon135 besoing.

                        LA  RÉFORMERESSE

        Quel estat est le malureux136

245  Qui a ce mal entre deulx yeux137,

        Qui faict tant de gémissemens ?

                        LE  VÉROLÉ

        Sondeur suys de « bas instrumens138 »,

        En amours vray chevalereux.

                        LE  SERGENT

        Yl est du mestier d’amoureux,

250  Je l’entens sans c’un seul mot tousse139.

                        LA  RÉFORMERESSE

        Je n’ay pas assez grande bourse

        Pour la di[xie]sme140 en recepvoir.

                        LE  VÉROLÉ

        Le deable y puisse part avoir,

        À la d[ixi]esme et à la disme !

255  Je n’y ay gaigné que la rime,

        La tous, les goustes141 nompareilles,

        Et assourdy des deulx horeilles,

        La vérolle, le mal des yeux,

        Et  la pelade (qui ne vault myeux) ;

260  J’ey tout le corps ulcéryé.

                        LE  SERGENT

        Sy tu te fusse maryé142,

        Tu n’usses pas sy bien comprins143.

                        LE  VÉROLÉ

        Je vous les quictes, pour le pris144 :

        Maudictz souent145 les troux dangereux !

                        LA  RÉFORMERESSE

265  Çà,  çà, la dîme des amoureux !

        Y as-tu nus biens conquestés146 ?

                        LE  VÉROLÉ

        Je n’ay gaigné que des postés147

        D’eau[e] puante et infectée

        Qu’on m’a sur la teste gectée148

270  Quant j’en revenoys, au matin.

        C’est le profit et le butin

        Que g’y ay eu, Dame honorable.

                        LE  SERGENT

        Laissez passer le povre deable :

        Payment ne luy fault, ne sucite149.

275  Vous ouez150 bien qu’i vous récite

        Ses douleurs, qui sont incurables.

                        LA  RÉFORMERESSE

        Et  qu’ai-ge affaire des povres deables

        Quant, pour tous mes droictz, je n’ay riens ?

                        LE  SERGENT

        Allez faire prendre leurs biens,

280  Et les portez à la Vieutour151 !

        Et ne faictes poinct de séjour152 :

        Je prétens mes153 rentes avoir.

        Et sans personne ne décepvoir154,

        Faictes-les vendre sans raquict155.

.

                        LE  MOYNNE  entre.                              SCÈNE  XIII

285  Or n’ai-ge méreau ny aquict156

        Pour ceste Dame contenter.

        Sy fault-y bien me présenter

        Pour vouèr ma réformation.

        Je doubte ma perdicion157,

290  Puysque je n’ay poinct, d’avanture,

        Argent pour sa réformature.158

.

        Sire qu’on doibt sur tous aymer159 :                          SCÈNE  XIV

        S’y vous plaist, faictes réformer

        Ceste petite créature

295  Qui vient vers vous à l’avanture,

        Mon seigneur, d’une Prieuré

        Où je n’ay guères demouré :

        Mon froc ay gecté aux ortys.

                        LE  SERGENT

        Et pourquoy ?

                        LE  MOYNNE

                               A,  je vous avertys :

300  Nostre baillif supérieur,

        Nostre prieur et souprieur

        Nous deffendent de nous galer,

        De rien vouèr, d’oÿr160, de parler,

        De menger chèr, ne chault pouesson161,

305  De boyre de nule bouesson

        Sur paines de leurs dis[c]iplines162.

        Mais  eux, avant que dire matines,

        Leurs lessons et leur oresmus163,

        Ilz faisouent tous gaudéamus164.

310  Ma Dame, entendre vous debvez

        Qu’ilz estouent sy très despravés

        Que gensderme[r]aux, ne rustiques165,

        Charetiers ne gens mécaniques166

        Ne voudroyent blasphesmer Dieu

315  Ainsy comme y font ! En ce lieu,

        Ilz ont chambres toutes propices,

        Femmes segrètes et nouriches167.

        Y jouent aux cartes et aux dés,

        Aux jeux deffendus iludés168.

320  Mes parolles je tiens certaines.

                        LE  SERGENT

        Et ! vouélà bons deables de moynnes !

                        LA  RÉFORMERESSE

        Et luy, moynnerot renoncé169.

                        LE  MOYNNE

        De ce que vous ay anoncé,

        Plaise-vous mon a[b]soulte170 en faire !

                        LA  RÉFORMERESSE

325  Çà, argent !

                        LE  SERGENT

                             Ma Dame, il espoire,

        Quelque [beau] jour, qu’il en aura ;

        Le deablotin en forgera,

        Et puys y fera son debvoir171.

                        LA  RÉFORMERESSE

        Ce jour172, je vous faictz assavoir

330  Qu’entre vous tous, mal espargneurs,

        Vérolés, gouteurs et rongneurs173,

        Filles publiques, prestres hâtis174,

        Sur paine d’estre mys captis175,

        Que le moys qui ne fauldra poinct

335  L’on me mecte mon droict apoinct176 !

        Un mot compteray177 sur ce poinct :

        « Tel veult que tousjours on luy donne

        Qui jamais ne veult rien donner.

        Tel demande qu’on luy pardonne

340  Qui ne veult jamais pardonner.

        Tel semble estre bonne personne

        Qui est un très mauvais pinard178.

        Tel [fait du simple et]179 mot ne sonne,

        Qui est un très rusé180 regnard. »

.

345  Je prye à tout plaisant Conard

        Qu’il ayt mémoyre, mèsouen181,

        Et aucune foys le regard182

        Aux povres deables de Rouen.

        En prenant congé de ce lieu,

350  Une chanson pour dire adieu ! 183

.

                                               FINIS

*

1 On rencontre Proserpine dans la farce du Munyer et dans de nombreux Mystères.   2 Voir la thèse non éditée de Michel ROUSSE : La Confrérie des Conards de Rouen. Textes de farces, documents d’archives. 1983, pp. 119-134.   3 Ce diablotin n’a pas la fibre assez diabolique pour être percepteur : il est toujours du côté des contribuables.   4 LV : le praticien  (Toutes ses rubriques portent lauocat. Les rubriques sont de l’auteur, ce qui n’est pas toujours le cas de l’index personæ.)   5 LV : desbauchee  (Sa 1ère rubrique porte esgaree.)  Cf. la Fille esgarée.   6 LV : lamant verole  (Sa 1ère rubrique porte lamoureux verolle.)   7 LV ajoute trop tard : et se nomme la farce des poures deables  (J’ai remis ce titre à la place que la tradition lui a dévolue.)   8 LV : parlat bien besongnat  (À bien parler, bien besogner. Ce prétendu patois auvergnat contredit « l’adage italien : Poco parlar & ben besognar. » Le Nouveau Panurge.)   9 LV : souesons  (Bel exemple de l’humour potache des Conards : Soissons n’est pas en Auvergne, l’Auvergne n’est pas la Normandie, et le patois auvergnat n’est pas l’italien.)  Le seul Jean de Soissons dont on aurait pu se souvenir à l’époque est un ancien chambellan du duc de Bourgogne, qui avait trahi son maître en 1471 après avoir bien parlementé et mal besogné. Mais il n’était pas auvergnat.   10 LV : de   11 Des cérémonies catholiques.   12 C’est une conseillère du pape dans la moralité de l’Homme obstiné, de Pierre Gringore. Il est encore question de cette sœur papelarde au vers 22.   13 En user selon son rang. Double sens du verbe usurper.   14 Ceux qui ont une vie édifiante.   15 À leur statut. Idem vers 81, 132, 196, 244.   16 Les rasés sont les ecclésiastiques (vers 82), les tondus sont les fous (vers 44), les barbus sont les amoureux (vers 249).   17 Qu’ils me versent un tribut, une dîme. Idem vers 156.   18 LV : congneu  (Car je sais.)   19 De tromper.   20 Totalement.   21 Pot-de-vin qu’on offre à un ecclésiastique de haut rang pour obtenir un passe-droit. Cf. Saincte-Caquette, vers 40 et note. « Une nouvelle forme d’exaccions de peccune qu’ilz appellent propines, ou don fait au pape. » ATILF.   22 Simonie (vers 7) et Hypocrisie.   23 Aux vers 48-49, Proserpine est présentée comme la maîtresse d’Astaroth ce qui, vu la mentalité des diables, n’est pas incompatible.   24 Michel Rousse (p. 119) fait un lien entre cet attelage et celui de l’abbé des Conards.   25 Nuls, aucun. Idem vers 51 et 266.   26 Sans qu’ils ne m’apportent la part qui me revient sur certaines marchandises.   27 LV : es tu   28 Mes mandements officiels.   29 Maintes dîmes.   30 LV : mais  (Les droits sont une redevance, comme aux vers 199, 278 et 335. Les aveux sont des actes de soumission.)   31 Je veux à nouveau. « L’autre se reveut déporter. » ATILF.   32 Rapports écrits.   33 De prises de corps, d’arrestations.   34 LV : vouesency  (Voyez-en ici les témoins.)  Proserpin montre les cinq pauvres diables, qui restent craintivement à l’écart.   35 Je les ai assignés. Cf. Jehan de Lagny, vers 83.   36 Les mauvais épargnants. Idem vers 330. On reproche à nos pauvres diables de ne pas savoir mettre de côté l’argent qu’ils gagnent.   37 Follets mal bâtis. « Povres mal complexionnés. » La Cène des dieux, T 17.   38 Ses grands jours : ses assises extraordinaires. « Par-devant l’abbé des Cornards, en ses grans jours tenuz à Rouen. » 53ème Arrest d’amours.   39 Comparaissez-y sans faire nulle défection.   40 Sous peine d’être soumis à une amende forfaitaire. « Toutes les amendes et forfaitures. » ATILF.   41 Il est encore à l’autre bout de la scène, avec ses compagnons d’infortune.   42 Je vais prendre le risque d’éviter l’inconvénient d’être mis à l’amende.   43 Fainéant. « Attourné de Gaultier Fait-nyent. » Le Testament Pathelin.   44 Droit qu’avait un seigneur de prélever une part des récoltes. « Sans laissier disme ne champart. » ATILF.   45 Qu’elle prétend avoir sur nous.   46 Donc, puisqu’elle.   47 Je vais à elle. Idem vers 122.   48 Les diables, dont Proserpine fait partie, échaudent [font bouillir] les âmes des pécheurs. On échaude également les volailles — et les hommes — pour mieux les plumer : cf. la Pippée, vers 854. Le prêtre se dirige vers la réformeresse, mais Proserpin l’intercepte.   49 LV : par vous  (Les Conards de Rouen ne manquaient pas de faire leurs Cris publics avant chacune de leurs manifestations.)   50 De ce dont.   51 LV : contempter  (Orthographe correcte au v. 286.)   52 Élevée, noble. À la rime, ce mot a le sens actuel de « orgueilleuse ».   53 Voici quelqu’un. Idem vers 126.   54 À vos ordres. Jeu de mots sur l’Ordre de prêtrise.   55 Prêtre.   56 Touchant une faible prébende, un revenu ecclésiastique modeste.   57 Armé.   58 Connu : étant considéré.   59 Une date plus lointaine pour qu’il économise de quoi vous payer sa dîme.   60 Voilà un serment qui n’engageait pas beaucoup un prêtre ! Cf. les Bélistres, vers 289.   61 Par examen : en l’interrogeant. La rime est en -ment, comme au vers 120, et au vers 203, lequel est d’ailleurs identique à celui-ci.   62 Le dimanche. C’est une forme normande : cf. le Sourd, son Varlet et l’Yverongne, vers 8.   63 Saint-Maur, déformation de « saints Morts », était la chapelle d’un cimetière de Rouen. Bansecours est le nom populaire de l’ancienne église de Bonsecours. « Moy, sy je vays à Bansecours. » Le Trocheur de maris.   64 Dire la messe.   65 Revenir au galop. Le prieuré dont l’église Bonne-Nouvelle faisait partie hébergeait l’Abbaye des Conards. Les protestants l’ont quasiment détruit en 1562.   66 LV : a putroque  (De l’une et de l’autre de ces églises.)   67 LV fait ensuite répéter au prêtre la fin du v. 100 et le v. 102 : pour une journee / y nest despesche quaumatin   68 Voir la note précédente. En enchaînant toutes ces messes, le prêtre n’est libre que le lendemain matin.   69 Plutôt.   70 La droiture est une redevance, comme au vers 185. L’usufruit est la jouissance d’un bien qu’on ne possède pas.   71 Ce qu’il.   72 Qu’il n’a plus rien à mettre dans sa poêle. « Il n’a plus que frire. » Le Dorellot.   73 LV : messouen  (Désormais. Orthographe correcte au vers 346.)   74 Accabler.   75 Si je t’appelle. (Même vers que 158.) Le prêtre rejoint les pauvres diables, parmi lesquels l’avocat, qui monologue avant d’aller plaider sa cause.   76 LV répète dessous le vers 53, mais sans rime correspondante.   77 Je me recommande.   78 Je redoute. Idem vers 289.   79 Je serai soumis à une bien grosse amende.   80 Si je n’y vais.   81 LV : cience  (Car cet avocat est pour nous une source de gains. « Les finances y habondoient comme sourse d’eaue vive. » Alain Chartier.)   82 LV : diffame  (Exempté. À la rime, le sens était : converti à la religion réformée.)   83 De justice.   84 Des rentrées d’argent. Cf. la Mère de ville, vers 192.   85 Les assesseurs sont des juges auxiliaires.   86 Par écrit.   87 Voici donc un premier syphilitique, en attendant l’Amoureux vérolé. La syphilis, surnommée « la gorre de Rouen », entretient une relation privilégiée avec « la ville de Rouen, capitalle de Normandye, où elle a bien faict des siennes…. Sur toutes villes de renom/ Où l’on tient d’amour bonne guyse,/ Midieux, Rouen porte le nom/ De bien véroller marchandise. » (Le Triumphe de dame Vérolle.) Un proverbe entérine cette proximité : « Il n’est crotte que de Paris,/ Ne vérolle que de Rouen. » (Clément Marot.)   88 La goutte, qui est sournoise. Dessous, le scribe a copié puis biffé le vers 260.   89 Je ne percevrai une redevance de personne ?   90 Avant trois mois.   91 Que vous aurez assez de tributs, de versements.   92 Il y aura encore plus d’avocats. Le vieux Rouennais du Tesmoing  s’ébahit de leur prolifération : « J’ey veu qu’i n’estoyt advocas/ Que deulx ou troys, en ceste ville. »   93 LV ajoute dessous des interjections d’acteur : vienca vienca   94 LV : hayt  (Ménage la chèvre et le chou : mets-toi d’accord avec ton client et avec son adversaire.)   95 De la partie adverse, en l’absence de ton client.   96 Affirme qu’elle ne t’a rien donné.   97 Ne ménage ni tes parents, ni tes cousins.   98 De tous les côtés.   99 Des gallons : des pots de vin, dans tous les sens du terme.   100 L’avocat rejoint les pauvres diables.   101 En jargon théâtral, ce verbe signifie : commence à parler. Idem aux rubriques des vers 233 et 285. Toujours au milieu des pauvres diables, la prostituée se lamente sur ce qui va lui arriver.   102 Par décision statutaire. Idem vers 214. Cf. les Drois de la Porte Bodés, vers 319 et 368.   103 Pour néant, pour rien. Voir le v. 55.   104 LV : quel  (« L’endemain, que fist le varlet ? » Beaucop-veoir et Joyeulx-soudain.)   105 Qu’on va me secouer les puces. Souvenir de la Farce de Pathelin : « Il cuide parler à ses bestes. »   106 La figue. « Ung homme courageux/ Qui luy fera et la reste et la figue. » Godefroy.   107 Elle porte l’argent de votre redevance dans son mouchoir noué. « Vous est-il point advis que j’aye/ En mon beau mouchouèr monnoye ? » Les Botines Gaultier.   108 La règle.   109 LV : feseurs  (Depuis un an, les frères Frapparts.)  Ces confesseurs étaient surtout des fesseurs de cons : cf. le Pardonneur, vers 10.   110 Rendus chiches, avares. Ce mot est absent des dictionnaires parce que la déplorable édition de 1837 a omis le vers où il apparaît.   111 LV : houble  (Fait preuve de « doubleté », de duplicité. « Se j’avoye beaucoup doublé,/ Je seray riche marchant. » Ung Fol changant divers propos.)   112 Un traître sou.   113 LV : soyent y plaines  (Correction Rousse.)  Tant soit-elle pleine d’habileté. « Je ne hante femme ne fille,/ Tant soit plaine de bon con fort,/ Qui ne culette bien et fort. » Roger de Collerye.   114 Une religieuse est une prostituée : « Et démener vie joyeuse/ Avecq une religieuse/ Du “bas mestier”. » (Jacques Grévin.) À cause de son nom, l’abbaye de Cuissy, près de Laon, n’était pas prise au sérieux ; cf. le Tournoy amoureux, vers 5.   115 LV : faulte ou  (« Vous cognoissez bien/ L’occasion de mon mal et mon bien,/ Et de tous deux estes la cause vraye. » Ronsard.)   116 Vers manquant.   117 Des sœurs secrètes. Ces prostituées occasionnelles, qui sont en général des bourgeoises mariées, font une concurrence déloyale aux honnêtes professionnelles.   118 LV ajoute dessous : et comment   119 En ce qui la concerne. Cf. Pates-ouaintes, vers 36.   120 Et qu’elle fasse plutôt retraite à l’abbaye de Cuissy, ou à l’abbaye des Conards. Un couvent est un bordel : « Du couvent de Serre-Fessier. » Les Sotz qui remetent en point Bon Temps.   121 Les dignitaires de l’abbaye.   122 LV : recouurir  (Avoir recours à leurs talents.)   123 Les pauvres d’esprit naissent dans des œufs couvés par une pie. Cf. Ung Mary jaloux, vers 23.   124 Le feu grégeois, sorte de bombe incendiaire, symbolise la flamme amoureuse. Cf. le Povre Jouhan, vers 133.   125 LV : justice  (Voir le v. 132.)   126 Le soir, et faire leurs tripotages. Cf. Grant Gosier, vers 49.   127 Cache ton pot. Cette expression normande signifie « à la dérobée », comme quand on se dissimule pour boire. « Quand ils avaient bien endormy Tiennot,/ De sidre et de bon vin ils se lavaient la trippe,/ En drière de ly [en cachette de lui], et à muche ten pot. » La Muse normande.   128 La prostituée retourne auprès des pauvres diables, et le vérolé, s’appuyant sur une canne, leur parle avant de clopiner vers la réformeresse.   129 Et douleurs.   130 Il faut que je me présente devant la réformeresse.   131 Vers manquant. Ou je serai condamné par contumace ; voir le v. 51. « Ou mises seront en deffault,/ S’ilz ne viennent appertement ! » Le Testament Pathelin.   132 Vous êtes-vous mis en règle ?   133 LV : soubt  (La targe est une monnaie : cf. Gautier et Martin, vers 331.)   134 A chu. Prononciation normande : « Quand je cuz par terre,/ Je n’avets oncor beu qu’environ demion d’yau (…),/ Et ch’est che qui me fit tribucher coume un viau…./ Je cus, et me rompis dix dens. » (La Muse normande.) La syphilis pouvait faire choir le nez : « Son nez boutonné [boutonneux],/ Prest à tomber, par fortune,/ De la vérole importune. » (Complainte de messire Pierre Liset sur le trespas de son feu nez.)   135 LV : seigneur  (Tel que je le corrige, c’est le vers 138 des Frans-archiers qui vont à Naples.)   136 À quel statut appartient ce malheureux.   137 Qui a un trou à la place du nez : note 134. Les maquillages imitant des maladies ou des blessures étaient aussi bien connus des acteurs que des faux mendiants.   138 De vulves. Cf. les Sotz qui remetent en point Bon Temps, vers 40 et note.   139 Il ne prononce. Double sens : le syphilitique tousse vraiment, comme il le reconnaît au vers 256.   140 Étymologiquement, la dîme, ou la décime, désigne un prélèvement de la dixième partie d’un tout. « Paier dixiesme et autres subsides au pape. » ATILF.   141 Le rhume, la toux et la goutte. « La rime ou la tous. » ATILF.   142 Au lieu de courir la gueuse.   143 Tu n’aurais pas si facilement pris le con des femmes. Gratien Du Pont dit à propos des syphilitiques : « Il y a maintz (dont je suis des compris)/ Qui de grans maulx ilz ont, par le con, pris. »   144 Je vous laisse les cons, à ce prix.   145 Soient. « Pour avoir la grosse vérolle (…),/ Le danger est loger aux troux. » La Médecine de maistre Grimache.   146 N’y as-tu conquis nuls biens ?   147 Des potées : le contenu des pots de chambre.   148 Jetée. « Trois potz à pisser, pour le moins,/ Que sur ma teste on a casséz. » Marot.   149 Ni subside à payer.   150 LV : oues  (Vous oyez bien, vous entendez.)   151 Allez les vendre aux Halles installées sur la place de la Haute-Vieille-Tour. « Au lieu qui s’appelle la Viétour, qui contient le marché public. » Charles de Bourgueville.   152 Ne tardez pas.   153 LV : mais   154 Sans escroquer personne.   155 Sans les racheter. Le vérolé rejoint les pauvres diables, et le moine soliloque en attendant son tour.   156 Je n’ai ni jeton, ni quittance de paiement.   157 Je redoute ma perte.   158 Le moine se dirige vers la réformeresse. Intercepté par Proserpin, il tente de le flatter.   159 Qu’on doit aimer par-dessus tous.   160 De nous amuser, de voir ou d’entendre quoi que ce soit.   161 De la chair, ni du poisson en sauce, lequel est réservé aux dignitaires du couvent ; les simples moines, lors des jours maigres, se contentent de hareng saur tout froid.   162 Sous peine de recevoir des coups de martinet.   163 Leurs lectures de la Bible et leur Orémus.   164 Ils faisaient bombance. Cf. Gautier et Martin, vers 157.   165 Que des soudards, ou des paysans. Cf. la Mère de ville, vers 224.   166 Ou des travailleurs manuels. Cf. la Fille bastelierre, vers 64.   167 Des femmes cachées, et des nourrices pour allaiter leurs enfants.   168 Ils sont illusionnés par les jeux. « Vostre maistre n’estoit illudé ; c’est vous qui avez illudé le nostre et nous faites des illusions. » Huguet.   169 Moinillon défroqué.   170 M’absoudre de payer. Graphie correcte au vers 182.   171 Il vous paiera avec de la fausse monnaie.   172 Aujourd’hui. La réformeresse parle aux pauvres diables.   173 Goutteux et rogneux [galeux].   174 Hâtifs, impulsifs.   175 En captivité.   176 Qu’on me paye mes droits.   177 Conter un mot = faire une citation. En effet, les vers 337-344 sont empruntés aux Fainctes du monde, composées par Guillaume Alécis vers 1460, et dont venaient de paraître deux éditions en 1532.   178 Scélérat. Cf. les Coquins, vers 15, 201 et 305.   179 Je donne l’original d’Alécis. LV : est fin qui   180 LV : russe  (Alécis : ung affaictié = un renard hypocrite.)  La séduisante hypothèse de M. Rousse à propos dudit Renard, qui serait le nom de l’abbé des Conards, ne tient pas compte du fait que ce vers fut écrit 80 ans avant la pièce. Mais le dramaturge a peut-être choisi cette strophe des Fainctes du monde parce qu’il y était question d’un renard.   181 Qu’il se souvienne désormais de régler sa cotisation à l’Abbé.   182 Et qu’il porte quelquefois son attention.   183 Ce congé n’est qu’une péroraison personnelle du copiste du ms. La Vallière : voir la note 179 de la Mère de ville.

LA RUSE ET MESCHANCETÉ DES FEMMES

Bibliothèque nationale de France

Bibliothèque nationale de France

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LA  RUSE  ET

MESCHANCETÉ

DES  FEMMES

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On se plaint souvent des abus que les éditeurs du XVIe siècle ont fait subir à des farces du siècle précédent. Le record est détenu par la présente pièce. Un mauvais versificateur a perdu son temps à la mettre en alexandrins plus qu’approximatifs, alourdissant des octosyllabes volubiles et nerveux qui sont la signature du théâtre de cette époque. Au bout de 128 vers, il a fini par comprendre l’inanité de sa tâche, mais le mal était fait. Les 24 premiers vers de Rouge-affiné, Bec-affillé et Décliquetout ont subi le même traitement.

Il ne faut pas confondre cette Ruse, meschanceté et obstination d’aucunes1 femmes avec une autre farce intitulée l’Obstination des femmes, également nommée la Mauvaistié des femmes.

Source : Bibliothèque nationale de France, Rés. Yf. 3441. Édition publiée en 1596.

Structure : Rimes croisées, rimes plates.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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Farce joyeuse et proffitable

à un chacun, contenant

la Ruse, meschanceté

& obstination

d’aucunes femmes.

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Par personnages, assavoir :

       LE   MARY   [maistre Jean Cornon]

       LA  FEMME

       OLLIVICQUE 2

       LE  SERRURIER  [maistre Cristofle]

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                               LE  MARY 3  commence                           SCÈNE  I

        Holà, ma femme, holà ! Qui est céans venu

        Qui, dedans ma bouticque, a robé4 un pourpoint ?

                               LA  FEMME

        J’en ay veu, ce jourd’huy, ce savetier vestu,

        Qui tient en ceste rue son banc5 en ce recoin.

                               LE  MARY

5      Et quoy ! Est-il venu le prendre en la bouticque ?

        Ou si quelque servant de nous luy a vendu ?

                               LA  FEMME

        Je ne sçay. Demandons, pour veoir, à Ollivicque

        S’il ne sçait point comment ce pourpoint s’est perdu.

                               LE  MARY

        Ollivicque, venez !

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                                       Dictes-moy la manière                         SCÈNE  II

10    Comme c’est qu’on a prins ce pourpoinct de satin !

                               OLLIVICQUE

        Maistre, venez à moy, apportez la lumière6 !

        Je vous compteray tout ce que vey7 un matin.

                               LE  MARY

        Sus donc, despeschez-vous, car je pers patience !

        Que ne pren[-j]e8 un baston et frappe dessus tous !

                               OLLIVICQUE

15    Maistre, quand vous seriez plus cruel que les loups,

        Attendez s’il vous plaist qu’aye dit ma sentence9.

        Or sus ! C’estoit un jour qu’estiez à la [grand] messe10

        Que vey entrer céans — mais d’une grand vistesse —

        Un homme dont ne sçay son nom ny sa demeure.

20    Toutesfois vous diray, et en bien petit d’heure11,

        Ce que j’en apperceu. Parlant à ma maistresse,

        Il luy a dict : « Madame, chassons toute tristesse ! »

        Puis après, d’un abord, au rays d’un clair matin12

        Je vey que sa main orde13 luy prenoit le tétin.

25    Je vey tout aussitost Madame renverser,

        Et après, le galland sur elle se coucher.

        Pour dire vérité, ell’ eust bien des escus.

        Aussi, elle vous a mis au rang des cocus.

                               LE  MARY

        Mais dy-moy, mon amy : a-il long temps sonné,

30    Ce que ce malheureux à ma femme a donné14 ?

                               OLLIVICQUE

        Pour le moins demy-heure. Et sur le mesme poinct,

        Je luy vey sur son dos emporter le pourpoint.

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                               LE  MARY,  parlant à sa femme avec un baston, dit :

        Sus ! Venez çà, charongne, effrontée putain !                      SCÈNE  III

        Qui vous a donc esmeu15 de mener un tel train ?

35    Tu me pense tromper lorsque je n’y suis pas,

        De les faire venir pour prendre tes esbats ?

        Mais vous en pâtirez, car dessus vostre dos16

        Je ne lairray17 entier le moindre de voz os.

                               LA  FEMME

        Quoy ? Qu’est-ce, mon mary ? Qui vous a rapporté

40    De moy ce faux rapport et propos inventé ?

        Ne croyez pas que moy, qui suis à vous vouée,

        Me soys, comme vous dictes, à autre habandonnée.

        J’aymerois mieux cent coups, et cent coups de poignard,

        Et mesmes, que mon corps fust dans un feu tout ard18.

45    Que d’avoir contre vous commis un tel mesfaict.

        Regardez donc comment on doibt mettre [au retraict]19

        Les propos inventéz, car je ne l’ay point faict.

        Je vous jure sainct Gris : si je [pouvois tenir]20

        Qui vous a dit cela, je le feroy[s] mourir !

                               LE  MARY

50    Vous mentez faucement21, car je vous feray dire

        Que lorsque je n’y suis, on ne vous veoid que rire

        Avec des macquignons 22 qui viennent en ma bouticque,

        Puis a[u]près des vilaines maquerelles lubricques

        Qui te viennent inciter à me jouer ce tour.

55    Mais je te feray dire : « Ah ! maudit soit le jour23 ! »

                               LA  FEMME

        Dictes-moy, s’il vous plaît, celuy qui vous a dit

        Qu’avec ce savetier m’a veu24 dessus mon lict.

                               LE  MARY

        Mais dy-moy — en françois, et non pas en la latin25

        Pourquoy tu luy baillis ce pourpoint de satin.

60    Puis je te feray dire par petit Ollivicque

        Comme tu es putain, [et] infâme, et lubricque.

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                               LA  FEMME,  parlant à Ollivicque tout bassement,

                                                         luy dit, les mains jointes :

        Hé ! pour Dieu, Ollivicque, ne vueille donner blasme         SCÈNE  IV

        [À t]a pauvre maistresse pour la rendre infâme !

                               OLLIVICQUE

        [Ne] vous souciez, Maistresse, car je ne diray rien

65    [De tout ce que j’ay veu, si vous me traitez bien…]26

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                               LA  FEMME,  parlant tout haut à Ollivicque, luy dit :

        [Vi]en çà, meschant garçon qui m’as donné tel blasme         SCÈNE  V

        [Qu]e je seray tousjours réputée [pour] infâme !

        [As-]tu veu cy venir jamais, jour de ta vie,

        [Pe]rsonne qui m’ayt dict aucune villenie ?

                               OLLIVICQUE

70    [La]s ! parlez bas, Maistresse, car vous vous tairez bien.

        [Je] vous ay dit tantost que je ne dirois rien27.

        [Es]coutez, s’il vous plaît, ce que je vous veux dire,

        [C]ar je croy qu’à la fin, n’aurez envi’ de rire.

        [Es]t-il pas bien certain que dimanche dernier

75    [Je] vey entrer céans, par la porte derrier28,

        [L]e Maistre estant allé à la première messe,

        [U]n qui, d’une grand course et d’une grand vistesse,

        [V]ous vint trouver au lict où vous estiez couchée ?

        [E]st-il pas asseuré que, celle matinée,

80    [A]près avoir tous deux discouru d’un29 latin,

        [I]l print de sa main salle vostre polly tétin ?

        Me voudriez-vous nier que, tout incontinant

        Que vous aviez30 finy l’amoureux passe-temps,

        [J]e ne veid sus son dos, au rays du clair matin,

85    Qu’il emporta chez luy le pourpoint de satin ?

                               LA  FEMME

        Tu as menty, meschant ! Jamais, jour de ta vie,

        Tu ne me veis commettre aucune villenie.

                               OLLIVICQUE

        Maistre, je veux mourir d’une mort misérable

        Si ce que je vous dy n’est aussi véritable !31

                               LE  MARY

90    Sus, sus ! Que nous voyons la bource des escus

        Qui ont esté gaignéz au travail de ton cul !

                               LA  FEMME

        Las ! je n’ay pas un sol qui soit32 en mon pouvoir.

                               LE  MARY

        Sus, sus, despeschons-nous, car je le veux tout veoir !

        Et ne me faictes plus, à cest’ heure, tant braire.

95    Si je prend mon baston, je vous feray bien taire ;

        Despeschons-nous, [ou bien je vous rompray le col33] !

                               LA  FEMME

        Sur ma foy, mon mary, je n’en ay pas un sol.

                               LE  MARY

        Que sont donc devenus tant de doubles ducats,

        Tant de doublons d’Espaigne, escus de Portugal

100  Que l’on t’avoit donné [ce dimanche à plein poing34] ?

                               LA  FEMME

        Hélas ! je vous asseure, je n’en vey jamais point.

                               LE  MARY,  en frappant :

        Or il les faut trouver, et tout incontinant35,

        Ou tost tu finiras le reste de tes ans36 !

        Mais voyez, je vous prie, s’elle faict la rusée !

105  On diroit, à [la] veoir, qu’elle n’y a point touchée.

        Et qui la voudroit croire en ses belles parolles,

        Elle vous diroit bien que le vray est frivolle[s]37.

                               LA  FEMME

        Hé ! pour Dieu, mon mary, je vous crie mercy !

        Je sens desjà mon cœur à demy mort, transi.

                               LE  MARY,  en frappant :

110  Allons, allons, allons ! [L’argent,] de par le diable !

                               LA  FEMME

        Mon mary, je suis morte, rien n’est plus véritable.

        Hé ! pour Dieu, laissez-moy, je vous crie mercy !

                               OLLIVICQUE 38

        [H]é ! mon Dieu, laissez-la : ell’ a du cul vessy39.

        [M]ais je vous dis puant.40

                               LA  FEMME,  faisant la morte en se pasmant 41, dict :

115  Hélas, je me meurs ! Hélas, je me meurs,

        [S]i je n’ay tost secours.

                               LE  MARY  demande de la paille à Ollivicque

                                                     pour luy mettre au cul 42.

        Sus, venez, mon vallet ! Apportez-moy du feu[rre]43,

        Car je veux secourir ma femme, [que ne meure]44.

                               OLLIVICQUE

        Que demandez-vous, Maistre ? Voulez-vous de la paille ?

                               LE  MARY

120  Ouÿ, despeschez-vous ! Mon Dieu, [la grand conaille]45 !

        Courage, sus, ma femme ! Et quoy, ne dis-tu mot ?

                               OLLIVICQUE

        Sans mentir, ell’ est morte.

                               LE  MARY

                                                   O ! que [vous estes]46 sot !

        Tenez, tenez, tenez, levez-la par les bras,

        Et vous verrez tantost s’elle se reviendra.

                               OLLIVICQUE 47

125  Mais vous la bruslerez !

                               LE  MARY

        N’importe : levez !

                               OLLIVICQUE,  en la soubslevant :

        Couraige, ma Maistresse ! Or sus, qu’on se réveille !

        Sentez-vous pas la puce vous frétiller l’oreille48 ?

                        LA  FEMME,  sentant le feu :

        Ha ! meschant, je te tuëray !

                        [LE  MARY] 49

130  Ma fy50 ! je vous pardonneray.

                        LA  FEMME

        Ah ! mon Dieu, hélas, je suis morte !

                        [LE]  MARY

        Ollivicque, serrez51 la porte :

        Les volleurs52 sont en ma maison.

        Je la veux mener en prison.

                        LA  FEMME

135  En prison ? [Homme] abominable !

        [Hé !] tu feras les cinq cens diables !

                        [LE]  MARY

        Or, il faut trouver cest argent.

                        LA  FEMME

        Tuë-moy, malheureux meschant,

        [Sans plus]53 me faire tant languir.

                        [LE]  MARY

140  Je ne te feray jà mourir,

        Mais tu seras tant plus malade54.

                        LA  FEMME

        Sainct Jehan ! tu me donne une aubade

        Dont tu te pourras repentir.

                        [LE]  MARY

        Ah ! je te feray bien mentir55.

145  Mais je veux avoir la clicquaille56.

                        LA  FEMME

        Mais si je n’ay pas une maille57,

        Faut-il que j’en aille trouver ?

                        [LE]  MARY

        Je ne sçay que tant estriver58.

        Despesche-toy, [par sainct Cristofle59] !

                        LA  FEMME

150  J’ay perdu la clef de mon coffre.

                        [LE]  MARY

        Il en faut faire [une forger]60 ;

        Allez quérir le serrurier.

.

                        OLLIVICQUE,  parlant au serrurier :         SCÈNE  VI

        Maistre, venez à la maison !

                        LE  SERRURIER

        Et  qu’y a-il ?

                        OLLIVICQUE

                              Il y a  sans comparaison61,

155  Un cul qui a perdu sa « clef ».

                        [LE]  SERRURIER

        Ha ! je [l’ay retrouvée de bref]62,

        Car je la porte à ma ceinture63.

                        OLLIVICQUE

        Vous sçavez quasi la casseure64,

        Car c’est celuy de ma maistresse.

                        [LE]  SERRURIER

160  Tu veux jouer quelque finesse,

        Est-il pas vray, [encontre moy] ?

                        OLLIVICQUE

        Non, je vous jure en bonne foy !65

        Escoutez [icy], je vous prie,

        Comme nostre maistre [Jean] crie.

                        [LE]  SERRURIER

165  Qu’a-il ? [Ah ! il bat]66 ta maistresse.

                        OLLIVICQUE

        Ah ! qu’il luy a faict mal aux fesses :

        Elle ne faict que culleter67.

                        [LE]  SERRURIER

        Dieu l’en vueille récompenser,

        Et luy vueille sa peine rendre68 !

                        OLLIVICQUE

170  Or, nous les faisons trop attendre,

        Entrons ! [Maudit soit le dernier69 !]

.

        Maistre, voicy le serrurier                                               SCÈNE  VII

        Qui vient pour ouvrir vostre coffre.

                        [LE]  MARY

        Pourquoy l’as-tu laissé dernier ?

175  Entrez, entrez, maistre Cristofle !

                        [LE]  SERRURIER

        Dieu vous gard, maistre Jean Cornon70 !

                        [LE]  MARY

        Qui vous a si bien dict mon nom ?

        Venez un peu ouvrir ce coffre,

        Depuis qu’on a perdu la clef.

                        [LE]  SERRURIER

180  Y a-il quelque [tort ou grief]71

        Qui vous faict crier liffreloffre72 ?

                        LA  FEMME,  regrétant son coffre,

                                                  dit 73 tout bassement :

        Hélas, bon Dieu ! [Et] que feray-je ?

        Mon Dieu, où me[s sols] cacheray-je,

        Puisqu’on a trouvé mes escus ?

185  Je les avoys bien, de mon cul,

        Gaigné à la grande sueur74.

        Mais doresnavant, n’auray peur :

        J’en feray encor(es) davantage.

        Ah ! maudict soit le mariage !

190  Puis qu’il ne couvre mon honneur.

        Faut-il que, pour manger du lard 75,

        Mon mary soit nommé « Cornard » ?

        Je vous jure qu’il est bon homme76,

        Et si, ne sçay[t] comme on le nomme77.

195  Je les luy devois bien bailler78

        Sans le faire tant estriver.

                        [LE]  MARY

        Çà, çà, villaigne, venez cy !

                        LA  FEMME

        Hélas, je vous crie mercy !

        Jamais je n’y retourneray79,

200  Sinon quand je m’y trouveray

        [Et qu’en auray occasïon.]80

                        [LE]  MARY

        Certes, tu as bonne raison.

        Et pour moy, je n’ay point de tort.

                        LA  FEMME

        Ha ! le bon enfant, quand il dort !

205  Par ma fy, c’est un bon garçon !

                        [LE]  MARY

        Tu as encor bonne raison81.

        Va-t’en, je te donne gaigné[e]82.

        Mais si tu es jamais trouvée

        Avec personne en la maison83,

210  Je leur donray à desjeuné84 !

                        [LE  SERRURIER]

        Libera nos, Domine ! 85

                        [LE]  MARY,  parlant au serrurier :

        Maistre Cristofle, allez-vous-en,

        Non pas pour vous donner congé86.

        Or tenez : voylà de l’argent ;

215  Voyez s’il y en a assez.

                        [LE]  SERRURIER

        Grand mercy, maistre [Jean] Cornon !

        Il suffit que, de vostre grâce,

        J’aye beu87 en vostre maison

        Et mangé d’une poulle grasse.

                        [LE]  MARY

220  Nous boyrons donc quand vous voudrez.

                        [LE]  SERRURIER

        Requiescant in pace ! 88

.

                        [LE]  MARY,  parlant aux lecteurs de ceste 89 :

        Si je n’eusse eu [si] belle femme,                                   SCÈNE  VIII

        Je n’eusse point doubté90 ce blasme,

        Ny moins n’eusse esté au hazard91

225  D’estre nommé « Gros-Jean Cornard92 ».

        Mais d’autant que ma femme est belle,

        Elle m’estime moindre qu’elle.

        Comme suis, à la vérité.

        Il le luy faut bien pardonner,

230  Pourveu qu’on me donne à disner93.

.

        Donques, Messieurs qu’avez de belles femmes,

        Ne craignez rien, ne leur donnez nuls94 blasmes,

        N’entrez jamais en point de jalousie

        Si vous voyez qu’elles soyent amoureuses95 :

235  C’est ce qui96 faict qu’elles sont plus heureuses.

        Ne vueillez doncq entrer en frénésie.

.

                                       FIN

                 Par G.F.D.M.E.F.97

*

1 De certaines.   2 Olivic, variante rarissime de « Olivier ». C’est le jeune serviteur du couple. La page de titre le nomme Le Serviteur, et la première page Le Vallet, mais toutes les rubriques l’appellent Ollivicque (et non pas Ollinicque, comme l’écrit un des rares chercheurs qui ont mentionné cette farce).   3 Il est dans sa boutique de pourpointier [faiseur de pourpoints], avec sa femme. Leur employé, Olivic, fait son travail un peu plus loin.   4 A dérobé. Cf. le Gaudisseur, vers 71 et 106.   5 Son étal.   6 Une chandelle : l’action se déroule dans la soirée. Le valet veut que son maître s’éloigne de la femme, dont il va dire du mal.   7 Je vous conterai tout ce que je vis.   8 Qu’est-ce qui me retient de prendre. « Que ne pren-je une plume, à cell’ fin que je trace/ Ton nom ! » Roger Maisonnier.   9 Mon témoignage.   10 On voit mal un tel mécréant se rendre à la messe pendant que sa femme reste à la maison, alors que c’est en général le contraire. Sachant que beaucoup de femmes qui prétendent aller prier rejoignent en fait leur amant, ce mari dépourvu du moindre sens moral (comme les trois autre protagonistes) ne rejoindrait-il pas sa maîtresse le dimanche matin ?   11 En peu de temps.   12 Grâce à un rayon de soleil. Idem vers 84. D’un abord = de prime abord.   13 Les savetiers, qui manipulent de vieilles chaussures et de la poix, ont toujours les mains sales : voir le vers 81. Cf. la Laitière, vers 139-140.   14 Les écus qu’il avait dans sa bourse ont-ils tinté longtemps, pendant qu’il s’agitait sur ma femme ? Autrement dit : combien de temps a duré le coït ?   15 Mue, incitée.   16 Éd. : corps  (« Mon baston sera esprouvé/ Sus vostre dos ! » Serre-porte.)   17 Je ne laisserai.   18 Brûlé.   19 Éd. : en effect  (Dans les cabinets. Cf. le Retraict.)   20 Éd. : scauois celuy  (Saint Gris est le surnom traditionnel de saint François d’Assise, qui portait une robe grise.)   21 Injustement. Cf. l’Aveugle et Saudret, vers 597.   22 « Maquignon de chair humaine : maquereau. » (Antoine Oudin.) Les maquerelles occupent le vers suivant.   23 Maudit soit le jour où je suis née !   24 Il m’a vu. La femme a couché pour de l’argent avec ce savetier (vers 3), à qui elle a donné un pourpoint (vers 2). De tels dons étaient normaux de la part des commerçantes : la drapière de Beaucop-veoir et Joyeulx-soudain offre à son amant dix aunes de drap.   25 En parlant clairement. Cf. l’Aveugle et le Boiteux, vers 235.   26 Vers manquant. Les valets de farces, en échange de leur discrétion, exigent de coucher avec leur patronne. Celui de Raoullet Ployart veut bien monter la garde pendant que sa maîtresse reçoit des amants, mais il pose ses conditions : « Maistresse, vous m’entendez bien :/ Après que labouré auront,/ Il fauldra, quant ilz s’en yront,/ Que laboure ung peu après eulx. » Comme ici, les promesses du serviteur ne l’empêcheront pas de révéler au mari l’inconduite de sa femme.   27 Que je ne dirais rien à mon maître. En effet, le valet ne s’adresse pas au mari, qui écoute pourtant la conversation, mais à la femme.   28 Éd. : dernier  (De derrière. Cf. le Résolu, vers 161, 230 et 240.)   29 Éd. : au  (D’un même langage. « Mais il trouva responces trestoutes d’un latin. » A. Töbler.)   30 Éd. : estiez   31 L’imprimé termine ce vers avec un point d’interrogation, et ajoute dessous : Comme ie le racompte.   32 Un sou vaillant. Idem vers 97 et 183.   33 Je comble une lacune. « Morbieu, je te rompré le col ! » Les Sotz nouveaulx farcéz, couvéz.   34 Cet hémistiche manque. La coucherie s’est produite le dimanche précédent (vers 74). « J’ay de l’or à plain poing. » Le Poulier à sis personnages.   35 Tout de suite. Idem vers 82.   36 Ou je vais te tuer séance tenante.   37 N’est que mensonge. « Bourdes, mensonges et frivoles. » (ATILF.) Le mari frappe sa femme. Éd. ajoute dessous : Sus sus qu’on se despesche.   38 Éd. : Le Mary.   39 Elle a pété, comme tous les personnages de farce qui reçoivent des coups sur les fesses. Cf. les Hommes qui font saller leurs femmes, vers 252.   40 Entre les vers 114 et 128, faute de mieux, l’éditeur a imprimé le brouillon du remanieur, qui a conservé des fragments des octosyllabes originaux en attendant de les transformer en alexandrins. Il serait donc vain de vouloir intervenir dans ce champ de bataille. À l’instar de l’éditeur, je ne peux que publier telle quelle cette ébauche informe.   41 En s’évanouissant.   42 Ce rituel carnavalesque consiste à coincer une longue gerbe de paille entre les cuisses d’un fêtard, en manière de queue, puis d’y mettre le feu.   43 De la paille.   44 Éd. : qui se meurt.  (Afin qu’elle ne meure pas.)   45 Éd. : les grand canaille, / Elle se meurt.  (Le mari enroule vers le haut la robe de son épouse couchée par terre, et il remarque la taille de sa vulve. On trouve une scène similaire dans Pantagruel <chap. 15>, lorsqu’un lion découvre le « comment-a-nom » d’une vieille évanouie, grand de « cinq empans et demy ».)  Le con — le sexe de la femme — a été affublé de nombreux suffixes péjoratifs. Conaille n’est pas attesté, mais les écrivains immortalisaient rarement ces créations populaires ; sans compter que la plupart des textes érotiques de l’époque ont disparu. Restif de La Bretonne emploiera le verbe conailler pour copuler.   46 Éd. : tues  (Le mari vouvoie presque toujours son valet.)   47 Il maintient le corps debout. Le mari approche une chandelle de la paille, puis met le feu au cul de sa femme. Les amateurs de symboles apprécieront…   48 N’avez-vous pas la puce à l’oreille ? Ne vous doutez-vous de rien ? À partir d’ici, nous voilà débarrassés des alexandrins.   49 Éd. : Olliuicque.   50 Ma foi ! idem vers 205. Éd. ajoute sous ce vers : Si vous pouuez.   51 Fermez. Voir la farce de Serre-porte.   52 Les voleurs de pourpoints, et ma femme qui est leur complice. Éd. a mis ce vers après 131.   53 Éd. : Non pas   54 Il recommence à taper.   55 Avoir tort.   56 La monnaie cliquetante.   57 Pas un centime.   58 Pourquoi tu contestes tant. Idem vers 196.   59 Je comble une lacune. Aux vers 173 et 175, coffre rime aussi avec Cristofle. Saint Christophe était invoqué par les voyageurs pressés.   60 Éd. : faire une autre,  (« Et d’autres clefs vite forger. » Frère Fécisti.)  Le mari s’adresse au valet.   61 Calembour grivois : sans con, par raison. Cf. la Responce de la Dame au vérolé, vers 76.   62 Éd. : l’auray tost retrouué  (Rapidement. « Je périrai, ce croi-ge,/ Si ne me secourez de bref. » Pates-ouaintes.)   63 Une grosse clé phallique pend devant la ceinture du serrurier. Une illustration flamande contemporaine de notre farce (fin XVe siècle) met aux prises une dame et un monsieur : « –Amis, veilliez ouvrir mon coffre/ Que je vous baille, donne et offre./ –Dame, le coffre moult me plet,/ Mais la sérure me desplaît,/ Car ma cleif n’est point par mesure/ Grande assez selon la fendure. »   64 Vous connaissez aussi la fissure. Nous comprenons que le serrurier est un des clients de la dame.   65 Les deux hommes arrivent devant la fenêtre ouverte de la maison, où le couple se dispute bruyamment.   66 Éd. : trouué?a il battu   67 Que bouger le cul pour échapper aux coups. Mais aussi : que copuler. « Dedans le berceau, (Alix) culetoit…./ Avec garsons, petis enfans,/ Alloist tousjours en quelque coin/ Culleter…./ Et lors, culetoit plus que vingt…./ Et puis mourut en culetant. » Clément Marot.   68 Dieu veuille raccourcir sa pénitence au purgatoire ! Mais aussi : Dieu veuille lui rendre la pareille en la culetant !   69 Je comble cette lacune à partir du vers 174, un vers d’acteur qui fut ajouté alors que la pièce était encore jouable, et donc intacte. Cette formule d’émulation est en fait le nom d’un jeu d’enfants : « Jouant à maudict soit le dernier. » (Pierre Saliat.) « Et se prindrent à jouer à toute reste au maudict soit le dernier. » (Pontus Payen.) Les deux joueurs se précipitent dans la maison.   70 « Jean, dans le stile satyrique, signifie cocu, cornard. “Sa femme l’a fait Jean”, pour l’a fait cocu, lui a planté des cornes. » (Le Roux.) Comme si ce n’était pas assez clair, Jean Cornon est surnommé « Gros-Jean Cornard » <vers 192, 194 et 225>. Le serrurier, qui pourtant le cocufie, a l’obligeance de l’appeler par son vrai nom.   71 Éd. : chose a disner?  (Tort ou préjudice. « Sans faire tort ou grief à aucun. » Le Grant coustumier de France.)   72 Éd. : liffreloffee  (En baragouin germanique. « Puisque tu fais si bon retour/ De ce païs des Alemaignes,/ Il ne fault pas que tu te plaignes/ De nous envoyer, si tu daignes,/ Quelque épigramme en lifrelofre. » Charles Fontaine.)  Le serrurier pointe sa grosse clé, puis l’introduit dans la serrure du coffre que la femme tient devant son bas-ventre, comme sur l’illustration.   73 Éd. : di-soit  (Dit à voix basse, pour le public.)   74 Je les avais bien gagnés à la sueur de mon cul.   75 Parce que je suis coupable. « Avoir mangé le lard : estre coulpable. » (Oudin.) Jeu de mots : Parce que j’aime les pénis ; cf. le Ramonneur, vers 103.   76 Que c’est une bonne poire. Cf. Raoullet Ployart, vers 263. « Bon homme : cornard. » Oudin.   77 Et même, qu’il ne sait pas qu’on le surnomme Gros-Jean Cornard.   78 J’aurais dû lui donner mes écus.   79 Je ne recommencerai à fauter. « Le mary (…)/ Cryera à sa femme mercys,/ Promectant n’y retourner plus. » Pour le Cry de la Bazoche.   80 Vers manquant.   81 Là aussi, tu as raison. Voir le vers 202.   82 Je t’accorde la victoire. « Je leur donne gaigné s’ils peuvent dire (les) plus communs vocables qui tombent en nostre usage sans parler latin. » Marie de Gournay.   83 Le mari admet que sa femme ait des clients, mais ailleurs qu’à la maison, bien que sa réputation de cocu soit déjà répandue dans le voisinage.   84 Je les repaîtrai de coups de bâton. Mais le serrurier prend le verbe déjeuner au sens propre, et réclame de plein droit ce repas que le mari vient de promettre aux amants de son épouse.   85 Les clercs, insatiables amateurs de repues franches et d’humour sacrilège, disaient : A fame libera nos, Domine ! [Libère-nous de la faim, Seigneur !] Le serrurier citera encore du latin de clercs au vers 221.   86 Sans vouloir vous chasser. Le mari prend de l’argent dans le coffre de sa femme.   87 J’aie bu. Souvenir de la scène où maître Pathelin escroque le drapier : « De venir boire en ma maison…./ Et si, mangerez de mon oye. »   88 Nouvelle plaisanterie de clercs : Que les verres de vin que nous allons boire reposent en paix dans notre estomac !   89 De cette farce. L’éditeur n’adresse pas un congé aux spectateurs, comme c’est le cas d’habitude, mais une « moralité » aux lecteurs. Il avait certes beaucoup à se faire pardonner…   90 Redouté.   91 Et je n’aurais pas couru le risque.   92 D’être surnommé « cocu » (note 70).   93 Du moment que ses clients lui rapportent assez d’argent pour me nourrir. L’époux devient donc le « maquignon » de sa femme. La suite est en décasyllabes, mais le remanieur n’y est pour rien : c’est le cas dans beaucoup de conclusions de farces, comme le Cousturier et Ésopet, les Sotz fourréz de malice, la Mère de ville, etc.   94 Éd. : mal  (« Sans donner à aucuns nulz blasmes. » Maistre Mimin estudiant.)   95 Qu’elles ont un amant.   96 Éd. : que   97 Ces initiales n’ont jamais pu être résolues.

BEAUCOP-VEOIR ET JOYEULX-SOUDAIN

Recueil Trepperel

Recueil Trepperel

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BEAUCOP-VEOIR  ET

JOYEULX-SOUDAIN

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Ce dialogue parisien1, écrit peu après 1480, confronte un vieux dragueur revenu de tout à un jeune galant qui ne doute de rien. Un Casanova usé, dont l’ultime plaisir est de se remémorer ses frasques amoureuses, tente de rebuter un jeune Don Juan qui s’apprête à commencer le catalogue de ses conquêtes. On assiste au même face à face dans le dialogue du Viel amoureulx et du Jeune amoureulx (LV 9). Le Trésor des sentences résume ces affrontements générationnels dans un proverbe : « Si jeunesse sçavoit / Et vieillesse pouvoit. »

Le dialogue tourne parfois au monologue : dès que le vieux radoteur a enfourché son dada, il fonce en ignorant les questions que lui pose son jeune interlocuteur, au demeurant peu sympathique.

Source : Recueil Trepperel, nº 24. Publié avant 1510.

Structure : Rimes abab/bcbc, rimes plates, avec 1 triolet et des quatrains à refrain.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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Dialogue fort joyeulx

à deux personnages, qui parle

de plusieurs matières pour rire.

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C’est assavoir :

       BEAUCOP-VEOIR

       JOYEULX-SOUDAIN

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                        BEAUCOP-VEOIR  commence 2          SCÈNE  I

        Le deable y ait part à la feste,

        Quant jamais je fuz amoureux !

                        JOIEULX-SOUDAIN

        Suis-je en bruyt3 !

                        BEAUCOP-VEOIR

                                       J(e) en gratte ma teste4.

        Le deable y ait part à la feste !

                        JOYEULX[-SOUDAIN] 5

5      Pour faire quelque chose honneste,

        Je suis plaisant et savoureux.

                        BEAUCOP-VEOIR

        Le diable y ait part à la feste,

        Quant jamais je fuz amoureux !

                        JOYEULX-SOUDAIN

        Suis-je gay6 !

                        BEAUCOP-VEOIR

                                 Que je fusse eureux

10    S(i) une fois puisse regauldir7 !

                        JOYEULX-SOUDAIN

        Quant à moy, je me tiens de ceulx

        Qui ne comptent que tout plaisir.

                        BEAUCOP-VEOIR

        J’ay veu que j’avoye mon désir8.

        En faitz d’amours, j’estoye huppé9.

15    Maintenant, il me fault gésir10

        Incontinent que j’ay souppé…

                        JOYEULX-SOUDAIN

        Suis-je plaisant et esveillé,

        Maintenant !

                        BEAUCOP-VEOIR

                                Sur ma conscience !

        Quant j’ay ung petit « fatrouillé11 »,

20    Je ne puis soustenir ma pence.

                        JOYEULX-SOUDAIN

        Je ne quiers que toute plaisance :

        Pour faire la nicque [à l’eunucque]12,

        Me vécy !

                        BEAUCOP-VEOIR

                          Par Dieu ! quant j(e) y pense,

        Je suis devenu trop caducque.

                        JOYEULX-SOUDAIN

25    Quant Margot y est et je bucque13,

        Elle me vient bien tost ouvrir.

                        BEAUCOP-VEOIR

        Quant de ce vin cléret je chucque14,

        Tantost me fault aller dormir.

                        JOYEULX-SOUDAIN

        Je ne me pourrois assouvir

30    De riz15, d’esbatemens, de jeuz.

                        BEAUCOP-VEOIR

        Je me souloye resjouyr16 ;

        Mais maintenant, je suis trop vieux.

                        JOYEULX-SOUDAIN

        Je suis gent, plaisant et joyeulx.

        Viengne qui veult, je ne [me] bouges17 !

                        BEAUCOP-VEOIR

35    J’ay piéçà les yeulx chacieulx18 ;

        Et si, ay les paupières rouges19.

                        JOYEULX-SOUBDAIN

        Je sçay le grant chemyn de Bourges20

        Où nous, amoureux, prétendons.

                        BEAUCOP-VEOIR

        Et je sçay bien, quant je me mouches,

40    [Gecter de gros guillevardons]21.

                        JOYEULX-SOUDAIN

        Ce bon vieillart en dit de bons ;

        Je vueil [l’]entendre sans22 demaine.

                        BEAUCOP-VEOIR

        Et, par le sang bieu ! Pour tous dons,

        Encore ay-ge une belle vaine23.

.

                        JOYEULX-SOUDAIN                          SCÈNE  II

45    Dieu gard le gueux24 !

                        BEAUCOP-VEOIR

                                              Bonne sepmaine

        Vous envoye Dieu !

                        JOYEULX-SOUDAIN

                                          Que25 fa[i]ctes-vous ?

                        BEAUCOP-VEOIR

        Que je fois26 ? La chose est certeine :

        J’escaille noix27.

                        JOYEULX-SOUDAIN

                                      Que dictes-vous ?

        Vous me respondriez à tous coups28,

50    Maintenant.

                        BEAUCOP-VEOIR

                               Me dictes-vous veoir29 ?

                        JOYEULX-SOUDAIN

        Ouÿ. Comment vous nommez-vous ?

        Que je le sache !

                        BEAUCOP-VEOIR

                                       Beaucop-veoir.

                        JOYEULX-SOUDAIN

        Vous avez le visage noir

        Et estes jà vieulx.

                        BEAUCOP-VEOIR

                                        Pour certain.

55    [Mais vous, qui]30 faictes bien devoir

        D’estre propre ?

                        JOYEULX-SOUDAIN

                                    Joyeulx-soubdain.

                        BEAUCOP-VEOIR

        A ! par sainct Jehan, c’est à demain31 !

        J’entens toute la fiction.

                        JOYEULX-SOUDAIN

        Des faiz d’amours je suis tout plain ;

60    C’est toute ma condiction.

                        BEAUCOP-VEOIR 32

        Hon, hon, hon, hon, hon, hon, hon, [hon] !

        [Pour neant]33 n’estes-vous pas si gay.

        Est-il proprelet et mignon

        Pour bien cryer ung « hoppegay34 ! ».

                        JOYEULX-SOUBDAIN

65    Je suis gent comme ung papegay 35,

        Chacun le voit à mon habit.

                        BEAUCOP-VEOIR

        Par sainct [Jehan] ! le proverbe est vray :

        « Tant gratte chièvre que mal gist.36 »

                        JOYEULX-SOUDAIN

        Beau sire, en avez-vous despit,

70    Se je me tiens honnestement37 ?

                        BEAUCOP-VEOIR

        A ! par le sang que bieu38 me fist,

        Nenny, que bon gré mon serment !

        Que quérez-vous ?

                        JOIEULX-SOUDAIN

                                        Mon aysement39.

                        BEAUCOP-VEOIR

        Le venez-vous icy quérir ?

                        JOYEULX-SOUDAIN

75    Je quiers vivre amoureusement ;

        C’e[st] là où je veulx parvenir.

                        BEAUCOP-VEOIR

        Ha, ha ! Y voulez-vous courir ?

                        JOYEULX-SOUDAIN

        Quelque mignonne ou plaisant(e) dame :

        Je ne voy chose, sur mon âme,

80    [Qui trop]40 mieulx me viengne à plaisir.

                        BEAUCOP-VEOIR

        Ha, ha ! Y voullez-vous courir ?

                        JOYEUX-SOUDAIN

        En chantz, en riz, en jeuz, en dance,

        Je ne quiers que dame à plaisance

        Où je me puisse resjouir.

                        BEAUCOP-VEOIR

85    Ha, ha ! Y voulez-vous courir ?

                        JOYEULX-SOUDAIN

        Je suis gent, mignon et parfait.

        Et pour mieulx acomplir mon faict,

        Amoureux je veulx devenir.

                        BEAUCOP-VEOIR

        Ha, ha ! Y voulez-vous courir ?

                        JOIEULX-SOUDAIN

90    Pourquoy non ?

                        BEAUCOP-VEOIR

                                   C’est bien pour périr

        Et pour avoir ung soubressault41.

        Ces motz ay-je bien sceu suivir.

                        JOYEULX-SOUDAIN

        Beaucop-veoir, dire le vous fault.

                        BEAUCOP-VEOIR

        Tu luy baille belle, Michault42,

95    Si tu y vas sans beste vendre43 !

                        JOIEULX-SOUDAIN

        Déclarez-le-moy cy tout hault,

        Car la cause je vueil entendre.

                        BEAUCOP-VEOIR

        Hée ! povre sot, où veulx-tu tendre44 ?

        À amours, tu prens soing et cure45.

100  Scez-tu bien où tu veulx [pré]tendre46 ?

                        JOYEULX-SOUDAIN

        Dea, ne me dictes point d’injure !

                        BEAUCOP-VEOIR

        Par le sang Dieu ! C’est la nature

        De tous ces jeunes coquardeaux47.

        Seulement pour une seinture48,

105  J’en descliqué bien vingt réaulx49.

                        JOYEULX-SOUDAIN

        Y sert-on de si gros morceaulx ?

                        BEAUCOP-VEOIR

        Quoy, de si gros ? Ventre saint Gris !

        Je baillay dix salus50 bien beaulx

        Pour une fourreure de gris51.

                        JOIEULX-SOUDAIN

110  C’est trop.

                        BEAUCOP-VEOIR

                            Je suis du jeu apris

        Autant que personne fut oncques.

                        JOIEULX-SOUDAIN

        De vray ?

                        BEAUCOP-VEOIR

                           Il m’a cousté bon pris.

                        JOIEULX-SOUDAIN

        Je croy qu’i m’en coustera, doncques.

        Mais qui vous meut52 premier à l’estre ?

                        BEAUCOP-VEOIR

115  Qui ? Ho ! Je fis ung tour de maistre

        Pour le premier coup53. Mais aussi,

        Oncques-puis ne fut54 (Dieu mercy !)

        Que ne me trouvasse trompé.

                        JOYEULX-SOUDAIN

        Fustes-vous bien assez huppé

120  Que de trouver cest adventaige ?

                        BEAUCOP-VEOIR

        Hupé ? Nostre Dame ! Mais saige

        Plus que dix autres ou que cent.

                        JOIEULX-SOUDAIN

        Où fusse ?

                        BEAUCOP-VEOIR

                            Emprès Sainct-Innocent55,

        Où je me sceuz bien employer ;

125  Car alors, j’estoye escollier,

        Ung trotet ou coureux de ville56.

        Et pensez que j’estoye habille57.

        J’avoye argent, les beaulx signetz58,

        Tous les jours mes cheveulx pignéz,

130  Fines chausses, belle saincture

        Ferr[é]e59 d’argent, de l’estature60,

        Duisans61 souliers de cordouen.

        Mais je suis trop vieux, mésouen62.

                        JOYEULX-SOUDAIN

        Après ? Dictes c’en qui s’ensuit !

                        BEAUCOP-VEOIR

135  Ainsi comme j’alloye de nuyt,

        Je me trouvé, ce m’est advis,

        Droit à la rue Sainct-Denis :

        J(e) y alloye pour moy resjouyr63.

                        JOYEULX-SOUDAIN

        Après ?

                        BEAUCOP-VEOIR

                        Tantost [vé]cy venir

140  Le guet.

                        JOYEULX-SOUDAIN

                        Vous n’estiez pas trop à seur64.

                        BEAUCOP-VEOIR

        Nostre Dame ! j’avoye grant peur,

        Pensez, et bien grant chault [aux fesses65].

                        JOYEULX-SOUBDAIN

        Après ? Qu’on sache [les finesses]66 !

                        BEAUCOP-VEOIR

        [Quant j’ouÿ]67 le guet arriver,

145  Je me cuidoie aller musser68.

        Je m’allé mettre69 par raison

        Entre deux huys d’une maison.

        Sitost que fuz entré dedans,

        Voicy la dame de léans70

150  Qui s’en vint tout doulcètement,

        Et me dist : « Entrez hardiment !

        Vous soiez le trèsbien venu ! »

        Je fuz, par Dieu, tant esperdu

        Que ne sçavoye dont venoye71.

                        JOYEULX-SOUDAIN

155  A ! mort bieu, que je n’y estoye !

                        BEAUCOP-VEOIR

        A ! dea, dea, ce n’est pas le bout ;

        Vous n’avez pas ouÿ trèstout.

        Quant je fuz dedans, de par Dieu,

        Je ne dis mot. Lors, en ce lieu

160   — Puisque desclairer le vous fault —

        Elle me dist : « Montez en hault72 ! »

        Et se print à monter devant,

        Et moy après.

                        JOIEULX-SOUDAIN

                               Avant73, avant !

        Il y aura jeu de regnart74.

165  Avoit-elle bien beau regard ?

                        BEAUCOP-VEOIR

        S’elle l’avoit ? Et, ouÿ dea !

        Par [le] sainct sang que Dieu pissa75 !

        C’est une belle godinette76.

        Elle avoit une grosse tette77 ;

170  Je ne sçay, moy, qu’elle78 avoit fait,

        Mais dedans y avoit du lait.

        Lors, quant je fuz en hault monté,

        J’estoye presque tout esbété79,

        Nonobstant que je ne dis mot.

175  Car je cuydoie qu’on fist du sot80

        De moy. Mais, par mon sacrement,

        C’estoit tout à bon escient81.

                        JOYEULX-SOUDAIN

        Ce ne fut pas sans la toucher ?

                        BEAUCOP-VEOIR

        Brief elle m’envoya coucher,

180  Et me dist que me despouillasse

        Bien tost, et coucher m’en allasse.

        Quant j’ouÿ ces parolles-là,

        Point ne respondis à cela.

        Et je vous oste mon pourpoint,

185  Mes chausses, et me mis en point82 ;

        Et me vois mettre83 en ung grant lit.

        Joyeulx-soudain84, il estoit nuyt ;

        Et pour mieulx faire la cautelle85,

        Il n’y avoit point de chandelle,

190  Car elle m’eust assez congnu86.

                        JOYEULX-SOUBDAIN

        Quant tu fuz en ce lit tout nu ?

                        BEAUCOP-VEOIR

        Ce fut le plus beau de ses faitz :

        Elle s’en vint coucher a[u]près87.

                        JOYEULX-SOUDAIN

        Et, dea ! Se quelque grant ribault

195  Eust monté après toy en hault

        Pour cuider avoir la coquarde88 ?

                        BEAUCOP-VEOIR

        Pensez, j’eusse eu belle vésarde89 !

        Il estoit jà de moy sué90.

                        JOIEULX-SOUDAIN

        Comment ?

                        BEAUCOP-VEOIR

                             [Car] j’eusse esté tué :

200  On m’eust tantost bouté [à fin]91

        Aussi tost q’ung petit poussin.

        Mais vous me voyez (Dieu mercy !)

        Présentement en ce lieu-cy.

                        JOYEUX-SOUDAIN

        Retournons à nostre propos.

205  Quant emprès vous se vint coucher ?

                        BEAUCOP-VEOIR

        Vous le povez assez penser :

        Entre nous deux, selon droicture92,

        Jouasmes des jeuz de nature.

                        JOYEULX-SOUDAIN

        Ainsi, vous eustes ce tatin93 ?

                        BEAUCOP-VEOIR

210  Et puis le lendemain, au matin,

        Quant j’euz usé de son amour,

        Me fist lever au point du jour.

        Et quant elle me renvoya,

        Une bource me présenta,

215  À boutons d’argent soubz et suz94,

        Où il y avoit vingt escus.

                        JOYEULX-SOUDAIN

        Et vous de croquer ceste prune95 ?

                        BEAUCOP-VEOIR

        Je m’en allay au clèr de lune,

        À ce beau matin, tout joyeulx.

220  Ceste fois-là, je fuz heureux96.

        Mais elle me print pour ung97 autre.

                        JOYEULX-SOUDAIN

        Je vous eusse envoyé au peaultre98,

        Par le sang bieu, vieillart meschant99 !

                        BEAUCOP-VEOIR

        La croix bieu ! j’estoye plus gent

225  Que je ne [le] suis, par mon âme !

        On m’eust tenu en une paulme,

        Tant estois gent et proprelet.

                        JOIEULX-SOUDAIN

        L’endemain, que fist le varlet100 ?

                        BEAUCOP-VEOIR

        Je gambéoye101 la matinée ;

230  Et puis allay, à l’après-dînée,

        Achapter du drap à l’hostel102

        Où le cas avoit esté tel.

                        JOIEULX-SOUDAIN

        Et la bourgoise, que disoit ?

                        BEAUCOP-VEOIR

        Plus elle ne me congnoissoit.

235  Mais tantost qu’on m’eust dit le pris,

        Je fuz par Dieu si bien apris103 :

        « Ho (ce dis-ge), qu’on ne se cource104 ! »

        Et je vous tiray ceste bource

        De mon sain105, que donnée m’avoit,

240  Pour tirer argent.

                        JOYEULX-SOUDAIN

                                     Quoy qu’i soit,

        Ce fut très fainctement106 joué.

                        BEAUCOP-VEOIR

        Et je fuz le mieulx advoué107

        Du monde.

                        JOYEULX-SOUDAIN

                            Quant la bource eust108 veue ?

                        BEAUCOP-VEOIR

        La façon fut toute congneue109.

245  Tantost110 elle la regardoit ;

        D’autre part, elle me guignoit111.

                        JOYEULX-SOUDAIN

        Or çà, çà ! Que dist la bourgoise ?

                        BEAUCOP-VEOIR

        « Mon amy, il fault que l’en voise

        Là-derrière sans faire effroy112.

250  Venez-vous-en avecque moy,

        Car il y a des draps assez

        Qui y sont plusfort entasséz. »

                        JOYEULX-SOUDAIN

        Tendois-tu113 pas desjà les mains ?

                        BEAUCOP-VEOIR

        Ouy, car je n’en pensois pas mains114.

                        JOYEULX-SOUDAIN

255  Quant tu fuz là, que [te] dist-elle ?

                        BEAUCOP-VEOIR

        « Je vous pry qu’i n’en soit nouvelle115

        De la bource ne de l’argent :

        Je vous pry amoureusement

        Que la mussez116. »

                        JOYEULX-SOUDAIN 117

                                           Han, han, han, [han] !

                        BEAUCOP-VEOIR

260  Alors, de beau gris de Rouen118

        Elle vous va couper dix aulnes,

        Et m’en fist les mains toutes jaulnes119.

        Je fis ung peu le gratieux120,

        Mais je ne demandoye pas mieulx.

265  Elle me les fist emporter

        Ainsi, et moy de m’en aller.

        Je n’en vis, oncques-puis, l’oreille121.

                        JOYEULX-SOUBDAIN

        Vous me racomptez cy merveille !

                        BEAUCOP-VEOIR

        Je fus heureux, à ceste fois.

                        JOYEULX-SOUDAIN

270  C’est une joye nompareille

        Que d’estre amoureux.

                        BEAUCOP-VEOIR

                                               Ouy dea, troys122 !

        J’en ay bien soufflé en mes doiz123

        Plus de .XL. fois, depuis.

        Et se vous y estiez, galloys124,

275  Vous seriez des plus esbahis.

                        JOYEULX-SOUDAIN

        Se devoye tracasser pays125

        Et bien cheminer çà et là,

        Pas ne seroys de[s] plus haÿs

        Des dames.

                        BEAUCOP-VEOIR

                             Ha ! trop bien, cela126 !

280  Mais quoy, vous asseurez-vous là127 ?

        N’e[n] prenez jà vostre fiance128 :

        Je fus heureux ceste fois-là,

        Mais j’en ay eu mainte meschance129.

                        JOYEULX-SOUDAIN

        Comment ?

                        BEAUCOP-VEOIR

                             On m’a bien tourné la chance

285  Et m’a-on fait ronger mon frain.

                        JOYEULX-SOUDAIN

        Dictes-vous ?

                        BEAUCOP-VEOIR

                                Sur ma conscience !

        Je recommanceroye demain

        — Veu que je suis si vieulx et vain130

        Par bieu, pour ces deables de femmes !

290  De leurs fatras je suis si plain

        Qu’estaindre je ne puis mes flames.

                        JOYEULX-SOUDAIN

        Entendent-elles bien les games131 ?

                        BEAUCOP-VEOIR

        S’elles l’entendent ? Ouÿ dea.

        Par bieu ! Bien fin se trouvera

295  Et bien cauteleux132, sur mon âme,

        [Celuy] qui les affinera133 !

                        JOYEULX-SOUDAIN

        Mon cas134 trop bien se portera.

                        BEAUCOP-VEOIR

        Comment ! Y voulez-vous prétendre ?

        A ! se vous montez jusques-là,

300  Je croy qu’on vous fera descendre.

                        JOYEULX-SOUDAIN

        Ce cas-cy ne puis bien entendre ;

        Vous avez esté si huppé !

                        BEAUCOP-VEOIR

        Depuis, on le m’a bien fait rendre,

        Car j’ay esté tousjours trompé.

                        JOYEULX-SOUBDAIN

305  Pourquoy ?

                        BEAUCOP-VEOIR

                             J(e) y ay esté gruppé

        Au tresbuchet135, et bien fourby136.

        Maintes fois m’y suis attrappé.

        Hélas ! j’en suis tout desgarny137.

                        JOYEULX-SOUBDAIN

        Comment ?

                        BEAUCOP-VEOIR

                              Pour ung jour et demy,

310  J’euz138 quatre paires de souliers

        — Seullement pour estre joly,

        Car les miens estoyent tous entiers.

                        JOYEULX-SOUDAIN

        Je suyveray139 bien ces santiers.

                        BEAUCOP-VEOIR

        Hélas ! j(e) y ay eu tant de maulx,

315  Trop plus que ces pallefreniers

        Qui gardent tousjours les chevaux.

                        JOYEULX-SOUDAIN

        Et ! vécy des cas bien nouveaux.

                        BEAUCOP-VEOIR

        Touteffois, elle estoit finette :140

        Elle eut, par moy, de bons morceaux141.

320  Que Dieu met en mal an142 Perrette !

                        JOYEULX-SOUDAIN

        La paix n’est-elle pas reffaicte ?

                        BEAUCOP-VEOIR

        Ce fut ung jour de mercredi.

        En chemise, sur la perchette143

        Je fuz trois heures et demy.

                        JOYEULX-SOUDAIN

325  Trois heures ?

                        BEAUCOP-VEOIR

                                 Nostre Dame, ouy !

        Elle me joua de ce tour.

                        JOYEULX-SOUDAIN

        Vous me faictes bien esbahy.

                        BEAUCOP-VEOIR

        Ce fut pour avoir son amour

        [Que fuz en si piteux séjour.]144

330  Quant son mary vint à l’hostel,

        Elle me donna ce bonjour145.

        Joyeulx-soudain, le cas fut tel.

                        JOYEULX-SOUDAIN

        Par le sacrement de l’autel146 !

        Vélà terrible fiction !

                        BEAUCOP-VEOIR

335  Je fuz bien sallé de gros sel147 ;

        C’estoit toute mon unction148.

                        JOYEULX-SOUDAIN

        Ce n’est qu(e) ymagination :

        Vous l’avez trouvé en voz manches149.

                        BEAUCOP-VEOIR

        Je ne sçay quel chion-chion150,

340  Mais j’en tremblay les fièvres blanches151.

                        JOYEULX-SOUDAIN

        Combien de fois ?

                        BEAUCOP-VEOIR

                                      Par trois dimenches

        Je m’y fourray à l’estourdy.

        Je m’en alloye, riant aux anges152,

        Quant j’avoye bien esté fourby153.

                        JOYEULX-SOUDAIN

345  Vous estiez dont si estourdy

        Que l’en154 [n’]avoit cure de vous ?

                        BEAUCOP-VEOIR

        Par le sang que bieu respendit !

        J(e) y ay receu de bien grans coups.

                        JOYEULX-SOUDAIN

        Mais où ?

                        BEAUCOP-VEOIR

                           Une fois entre tous,

350  Le mary de Bellot155 me vit ;

        Et je m’en vins fourrer dessoubz

        Ung grant filz de putain de lict156.

                        JOYEULX-SOUDAIN

        Tout dessoubz ?

                        BEAUCOP-VEOIR

                                    Entre le challit

        Et la couchette157 bien couché.

355  Et quant le paillart y saillit158,

        Il crioit comme ung enraigé.

                        JOYEULX-SOUDAIN

        Et la femme ?

                        BEAUCOP-VEOIR

                                 C’est bien songé :

        Elle parloit comme une caille

        [Pour que de fuir j’eusse congé.]159

360  Dieu scet qu’i fist belle bataille !

                        JOYEULX-SOUDAIN

        De vray ?

                        BEAUCOP-VEOIR

                           Et ! le paillart s’éraille160

        Et tire son espée ; après,

        Il vous [la fourre]161 en ceste paille

        Comme se c’estoit beurre fraiz.

                        JOYEULX-SOUDAIN

365  Où frappa-il ?

                        BEAUCOP-VEOIR 162

                                  Icy emprès.

        De ce coup-là, ce fust merveille :

        De ma teste il alla si près

        Qu’i m’alla larder une oreille163.

                        JOYEULX-SOUDAIN

        Et ! vélà peine nompareille.

370  Qui s’y boute trop est bien sot.

                        BEAUCOP-VEOIR

        De ce coup-là je m’esmerveille164,

        Mais touteffois, je n’en diz mot.

                        JOYEULX-SOUDAIN

        Après ?

                        BEAUCOP-VEOIR

                       Il y eut beau trippot.

        Le filz de putain regnioit165

375  Dieu et sa Mère de grant flot,

        Par le sang bieu, qu’i me tueroit.

                        JOYEULX-SOUDAIN

        Je cuide, moy, qui vous croyroit166,

        Vous feriez tout le monde beste.

        ………………………………167

        Qu’esse d’amours ?

                        BEAUCOP-VEOIR

                                          Toute tempeste.

                        JOYEULX-SOUDAIN

380  Qu’esse d’amours ?

                        BEAUCOP-VEOIR

                                         Doulleur grevable168.

                        JOYEULX-SOUDAIN

        Qu’esse d’amours ?

                        BEAUCOP-VEOIR

                                          On ront sa teste169.

                        JOYEULX-SOUDAIN

        Qu’esse d’amours ?

                        BEAUCOP-VEOIR

                                          Trop détestable.

                        JOYEULX-SOUBDAIN

        Qu’esse d’amours ?

                        BEAUCOP-VEOIR

                                         C’est le grant diable.

                        JOYEULX-SOUDAIN

        Qu’esse d’amours ?

                        BEAUCOP-VEOIR

                                         Morceau amer.

                        JOYEULX-SOUDAIN

385  Qu’esse d’amours ?

                        BEAUCOP-VEOIR

                                         Trop  abhominable.

        C’est ung droit abisme170 de mer.

                        JOYEULX-SOUDAIN

        Pource que ne povez aymer,

        Vous en dictes tous ces fatras.

.

                        BEAUCOP-VEOIR

        Seigneurs, vueillez nous pardonner,

390  Et prenez en gré noz esbas !

.

                                        EXPLICIT

*

1 On y évoque le cimetière des Saints-Innocents et la rue Saint-Denis. Toutefois, l’auteur est d’origine picarde.   2 Chacun des deux personnages monologue sans remarquer l’autre. Beaucoup-voir <BV> est un vieil homme qui en a « vu beaucoup ». Joyeux-soudain <JS> est un jeune blanc-bec qui cherche des renseignements et non des conseils.   3 En bonne réputation auprès des femmes.   4 « Gratter sa teste : Estre fasché ; se repentir. » Antoine Oudin.   5 Trepperel <T> abrège souvent les noms dans les rubriques ; je les compléterai.   6 « Sui-ge gay ! Sui-ge nètelet ! » Le Viel amoureulx et le Jeune amoureulx <v. ma notice>.   7 Si une fois je pouvais rebander. Du bas latin gaudire (jouir), qui a donné le gaudé-michi (le réjouis-moi : le godemiché) puis l’actuel verbe goder (bander). Cf. les Femmes qui font escurer leurs chaulderons, vers 87. Notons que BV usera du véritable verbe réjouir aux vers 31 et 138.   8 J’ai vu le temps où je réalisais mes désirs sexuels. Mais désir = érection. « Mon désir est mol comme laine ;/ La paillardise est morte, en moy. » Cabinet satyrique.   9 Chanceux, bien vu par les femmes. Idem vers 119, 121, 302.   10 Je dois me coucher.   11 Quand j’ai un peu copulé. Cf. la Confession Margot, vers 114 et note.   12 T : ou la nucque  (Faire la nique = narguer avec un geste obscène de la tête. Cf. les Trois amoureux de la croix, vers 421.)   13 Et que je frappe à sa porte (picardisme). Le prénom Margot était peu reluisant : cf. la Confession Margot, ou la Ballade de la Grosse Margot.   14 Je suce (picardisme).   15 De rires. Idem vers 82.   16 J’avais coutume de me réjouir.   17 J’attends les femmes de pied ferme.   18 J’ai depuis longtemps les yeux chassieux.   19 À cause du « vin clairet » du vers 27. « (Il) but, au disner, de vin chargé deux courges [gourdes] ;/ Lors, eust tué le prévost de Beaucaire,/ S’il n’eust eu les paupières si rouges. » Eustache Deschamps.   20 Il était emprunté par les femmes qui se rendaient en pèlerinage à Orléans, et par les étudiants. « Je y recongnu le grand chemin de Bourges. » Rabelais, Vème Livre, 25.   21 T : Gectes de gros guilleuardans  (Des filets de morve.)  JS entend ces dernières paroles.   22 T : le  (Sans délai. « Vers vous venons sans nul demaine. » Les Enfans de Maintenant, BM 51.)  JS se rapproche discrètement de BV.   23 Verge, du latin vena. « Pour aucun des fais de nature,/ J’ay encore une verte vaine. » Ung jeune moyne et ung viel gendarme : cette farce qui oppose deux générations d’amoureux présente plus d’un point commun avec notre dialogue.   24 Formule de salutation entre voyous : « Dieu gard les gueux de fier plumaige ! » (Jehan Michel.) Les étudiants, amateurs d’argot, s’en étaient emparés. JS traite BV avec condescendance, pour ne pas dire avec mépris ; dès le vers 191, il va le tutoyer.   25 T : Et   26 Ce que je fais ?   27 Écaler [ouvrir] une noix = dépuceler une fille. « Archeprestre d’Escaille-noix,/ Archediacre de Trousse-quille,/ En l’esglise Saincte-Cheville. » Guillaume Coquillart.   28 Vous me feriez concurrence. Jeu de mots sur « coup » : coït.   29 Vrai.   30 T : Mes vous que  (Mais comment vous nommez-vous, vous qui…)   31 Ce sera pour une autre fois. « À Paris ? Ouy, c’est à demain ! » Mahuet.   32 Il se force à rire.   33 T : Ponrneant  (Vous n’êtes pas si gai pour rien.)  Néant se prononce niant, en 1 syllabe : « Il n’y a pas pour neant esté. » Le Ribault marié.   34 Pour qu’on pousse un cri d’admiration en le voyant. « Mais pour ung gallant amoureux,/ Je suis devenu gracieux./ Si disoyent les gens : “Houppegay !” » Monologue Coquillart.   35 Je suis mignon (et coloré) comme un perroquet. On entend ce refrain dans la chanson qui ouvre le Gaudisseur.   36 Le mieux est l’ennemi du bien. Voir par exemple la Ballade des proverbes, de Villon.   37 Si je suis vêtu et coiffé proprement.   38 Euphémisme pour « Dieu ». Idem vers 347. Cf. le Cuvier, vers 22.   39 Mon plaisir.   40 T : Que  (Qui me plaise mieux. « Le gentil clerc luy avoit monstré aultre fasson qui trop mieulx luy plaisoit. » Cent Nouvelles nouvelles.)   41 Pour finir pendu. Cf. Gautier et Martin, vers 190 et note.   42 BV fait-il un clin d’œil à une œuvre non identifiée ? De toute manière, on accolait le nom passe-partout de Michaud à plusieurs expressions : « Souffle, Michaud ! » « C’est dit, Michaud ! » « Viens-t’en, Michaud ! » Etc.   43 Sans subir quelque dommage. Cf. les Tyrans, vers 75.   44 Quel est ton but ? Mais aussi : Où veux-tu aller bander ? Cf. la Bergerie, vers 42 et note.   45 En matière d’amour, on a du souci.   46 Ce que tu veux. Idem vers 298. « Scez-tu où veulx prétendre ? » Les Queues troussées.   47 Crétins. Cf. les Sotz qui corrigent le Magnificat, vers 338.   48 T : serrure  (BV insiste sur sa « belle ceinture » au vers 130.)   49 J’ai chié facilement la somme de 20 royaux.   50 Le salut est une pièce d’or.   51 Pour m’acheter de la fourrure d’écureuil. Cf. le Tesmoing, vers 232.   52 Vous mut (verbe mouvoir) : Qui vous incita d’abord à être amoureux ?   53 Dans la bouche du Cid, cette formule érotique deviendra héroïque : « Et pour leurs coups d’essay veulent des coups de maistre. »   54 T : fuz  (Il ne se trouva jamais que je sois trompé. Mais au vers 304, BV avouera qu’il a un peu embelli la vérité.)   55 Près du cimetière parisien des Saints-Innocents.   56 Ou un trotteur qui courait les rues. Allusion à un proverbe qui dit notamment : « Jeune escolier, trotier et amoureux. » Les femmes qui vont à un rendez-vous galant disent à leur mari qu’elles vont prier saint Trottet ; cf. le Povre Jouhan, vers 287 et note.   57 Habile.   58 Des bagues ornées d’un sceau.   59 Munie d’une boucle.   60 Une belle stature.   61 T : Dhuy sans  (De parfaits souliers en cuir de Cordoue.)   62 Désormais.   63 Cette rue parisienne était déjà mal famée. Cf. Pour le Cry de la Bazoche, vers 425-6 et note.   64 Rassuré. Les sergents du guet, au cours de leurs rondes nocturnes, rançonnaient les passants. Cf. le Faulconnier de ville, vers 117.   65 Ces 2 mots manquent. Cf. la Mère de ville, vers 45.   66 T : la finesse  (Les ruses que vous avez employées. « Les finesses Pathelin. » Dyalogue pour jeunes enfans.)   67 T : Je ouy  (Voir le v. 182.)   68 Je songeai à me cacher.   69 Je m’introduisis. Le portail était percé d’une petite porte appelée « guichet » ; c’est par là que se faufilaient tous les amants de Madame.   70 De céans. Elle n’a plus de mari, mais elle agit avec discrétion pour ne pas réveiller ses domestiques.   71 Que je ne savais d’où je venais.   72 À l’étage, où se trouvent les appartements. Nous verrons que la dame utilise le rez-de-chaussée comme boutique.   73 Continuez !   74 Sorte de jeu de dames où un pion, le renard, « doit attaquer & prendre douze pions qu’on appelle poules ». (Furetière.) C’est un des jeux de l’enfant Gargantua <chap. 22>.   75 T : pilla  (On confondait facilement le « s » long avec le « l » : ſ et l.)  Le juron normal se lit dans la Farce de Pathelin : « Par le sainct sang que Dieu rëa ! » Raya = répandit, que BV emploie d’ailleurs au vers 347. Eustache Deschamps condamnait ce juron : « Et “le saint sang que Dieu roya”/ Jurent hui maint, mais c’est folie. » La proximité graphique entre pilla et raya n’étant pas évidente, je préfère m’appuyer sur Étienne Tabourot, qui écrit à propos du vin — c’est-à-dire du sang du Christ : « Voilà du vin que Dieu pissa de sa quine [verge]. »   76 Mignonne. Cf. les Maraux enchesnéz, vers 328.   77 Tétine, poitrine.   78 Ce qu’elle. La dame, sans doute veuve, avait pourtant été enceinte récemment.   79 T : esbute  (Hébété, ahuri. « Que des amoureux esbétéz. » Claude de Trellon.)   80 Je croyais qu’on se moquait.   81 C’était sérieux. Cf. l’Avantureulx, vers 316.   82 En érection. « Le “billouart” se mettoit en point &, à ce conte, Jacques s’enfiloit avec sa femme. » Béroalde de Verville.   83 Et je vais me mettre.   84 T : mondain  (Le lapsus tient au fait que ce Joyeux-mondain fut sans doute un personnage de farce ; voir la note 299 des Botines Gaultier.)   85 Ma mystification.   86 Car la femme aurait reconnu que je n’étais pas celui qu’elle attendait.   87 Près de moi. Voir le vers 205.   88 Pour remporter la cocarde, la récompense. Mais une coquarde est aussi une poularde et une femme légère.   89 Frayeur. « Morbieu, j’ay eu belle vésarde ! » Te rogamus audi nos.   90 C’en était fait de moi. « Il est de moy sué. » Le Dorellot.   91 T : affin  (Il m’aurait mis à mort. Cf. Colin filz de Thévot, vers 4 et 38.)   92 Selon la coutume. Mais aussi : selon ma rigidité. Cf. la Mère de ville, vers 9.   93 Ce bon morceau.   94 T : faitz  (Dessous et dessus.)  Les bourses des femmes d’un certain rang valaient parfois plus que leur contenu.   95 La bourse pleine est comparée à un fruit juteux, comme au vers 130 des Trois amoureux de la croix.   96 Chanceux. Le même vers est configuré différemment à 269 et 282.   97 T : vue   98 Au diable. Cf. les Sotz qui corrigent le Magnificat, vers 321.   99 Délabré.   100 Que fîtes-vous ? Un valet est un jeune garçon.   101 Forme picarde de jamboyer : faire les cent pas.   102 Dans la maison de ma maîtresse. Le rez-de-chaussée abrite un commerce de drap.   103 Bien inspiré.   104 Ne nous courrouçons pas. BV fait semblant de discuter le prix d’une étoffe avec la drapière, pour ne pas donner l’éveil aux vendeurs.   105 De mon sein : de sous ma robe.   106 Astucieusement, par feinte.   107 Reçu.   108 T : fust  (Quand la drapière eut vu la bourse.)   109 Sa forme fut reconnue par la drapière.   110 T : Plustost   111 Elle me lorgnait du coin de l’œil. Cf. le Résolu, vers 32.   112 Il faut que nous allions dans l’arrière-boutique chercher l’étoffe que vous désirez, sans que vous fassiez du scandale. La drapière parle à voix haute pour les vendeurs et les clients.   113 T : Tendez tu  (Ne tendais-tu pas les mains, pour tâter le drap ou la drapière ?)   114 Pas moins.   115 Que vous ne parliez à personne. Cf. la Confession du Brigant, vers 54.   116 Que vous la cachiez, de peur que mes employés ne la reconnaissent.   117 Il éclate de rire.   118 « C’est ung très bon drap de Rouen », d’après maître Pathelin, qui en vole 6 aunes pour sa femme et lui.   119 Elle me dora les mains : elle me graissa la patte (comme avec de l’or) pour acheter mon silence. Cf. la Mère de ville, vers 36.   120 Je fis semblant de refuser.   121 T : bouteille  (Je n’en ai plus vu le bout de l’oreille : je ne l’ai pas revue.)   122 Locution désabusée qu’on pourrait traduire par : Causez toujours ! « –Le vous feray-je ? –Ouy dea, trois ! » Le Dorellot.   123 Pour les réchauffer pendant qu’il faisait le pied de grue sous la fenêtre d’une belle. « Il souffle souvent en ses doigts. » Le Gaudisseur.   124 Compagnon.   125 Si je devais aller et venir par le pays. Cf. les Sotz ecclésiasticques, vers 180.   126 Admirable ! Cf. Jehan qui de tout se mesle, vers 7.   127 Comptez-vous là-dessus ?   128 Ne vous y fiez pas.   129 Malchance, malheur.   130 Considéré que je suis vieux et faible. Cette tournure juridique est employée contre un amoureux décrépit dans le Procès d’ung jeune moyne et d’ung viel gendarme : « Or, veu que vous avez vescu (…),/ Vous estes faible. »   131 Sont-elles expertes ? Nous dirions : Elle connaissent la musique ! « Ne vous chaille, j’entens ma game. » Régnault qui se marie.   132 T : oultrageux  (Bien malin. Voir le v. 188.)  « Qui de parolle cuyderoit femme vaincre (…),/ Tant soit expert, cauteleux & bien fin. » Gratien Du Pont.   133 Qui les bernera. Voir ce Rondeau.   134 Mon affaire. Mais le cas désigne aussi le pénis ; cf. les Cris de Paris, vers 429 et note.   135 J’ai été pris au piège. Cf. Jénin filz de rien, vers 130.   136 T : iougny  (Fourbé, victime d’une fourberie. Idem vers 344.)   137 Dégarni d’argent.   138 Je me suis acheté.   139 Je suivrai. Le « e » svarabhaktique est picard.   140 T distribue ce vers à Joyeux-soudain. Beaucoup-voir, maintenant qu’il est lancé, saute du coq à l’âne sans trop se préoccuper de savoir si on arrive à le suivre, tel le vieux bavard du Tesmoing.   141 On songe à cette épouse qui, voyant sans armure la braguette de son mari soldat, craignait de perdre « le bon morceau dont elle estoit friande ». Rabelais, Tiers Livre, 8.   142 Que Dieu mette en mauvaise année, en malheur. « Dieu met en mal an le folastre ! » (La Résurrection de Jénin Landore.) Perrette est une fille facile qu’on croise dans nombre de farces et de chansons ; voir la note 5 de Jehan de Lagny.   143 Sur le perchoir : sur le demi plafond à claire-voie qui sert de poulailler intérieur dans certaines maisons. C’est là que se perchent les amants du Poulier à quatre personnages et du Poulier à sis personnages lorsque le mari débarque à l’improviste.   144 Vers manquant. « Vé-me-cy en piteux séjour. » Colin qui loue et despite Dieu.   145 Ce mauvais tour. Cf. Frère Frappart, vers 145 et note.   146 T : lhostel  (à la rime du v. 330.)  Ainsi corrigé, c’est notamment le vers 173 de Jehan qui de tout se mesle.   147 Je fus bien assaisonné. Voir les Femmes sallent leurs maris.   148 Mon onction : ce fut ma seule consolation.   149 Vous tirez cette histoire de votre manche, comme les escamoteurs publics en tirent des œufs durs.   150 Locution inconnue, peut-être apparentée au très scatologique chia-brena, qui désigne les embarras causés par les femmes. « Le chiabrena des pucelles. » Pantagruel, 7.   151 Je tremblais de désir. « Affin d’avoir les poictrines plus blanches/ Et pour tenir les tétins plus serréz,/ Qui font à maints trembler les fièvres blanches. » L’Advocat des dames de Paris touchant les pardons Sainct-Trotet.   152 T : autres  (Même rime négligée dans les Sotz qui corrigent le Magnificat : « Ces vrays amoureux des dimenches (…),/ Ilz s’en vond tous riant aux anges. »)   153 Victime d’une fourberie (note 136).   154 T : nen  (Voir le v. 248.)  Que l’on : que vos maîtresses.   155 Diminutif d’Isabelle. C’est encore un nom douteux ; par exemple, G. Coquillart le donne à la tenancière d’un bordel : « Bellot a ses deux filles grosses [enceintes],/ Qu’el descharge d’une massue/ Et d’ung ravault sur leurs endosses [d’un coup de bâton sur les reins]. »   156 Aujourd’hui, nous dirions simplement : sous un putain de lit.   157 T : couste tout  (BV est étendu sur une couchette, sous le châlit du lit principal.)  Les riches ont dans leur chambre un lit de camp où dort la chambrière. Le jour, on pousse cette couchette sous le lit des maîtres. « Une petite couchecte qui est dessoubz le lit. » ATILF.   158 Quand le mari fit irruption.   159 Vers manquant. L’épouse attire l’attention de son mari afin que Beaucoup-voir ait la possibilité de s’enfuir. « Il a eu congé de s’en aller. » ATILF.   160 T : se raille  (Roule les yeux. « Cateline serre les dens, esraille les yeux. » ATILF.)  BV qui, dans sa cachette, ne pouvait pas voir le jaloux, dramatise la situation à plaisir ; JS va le lui reprocher à 377.   161 T : fourroit  (Il plante son épée dans la paille qui emplit le matelas du lit principal. Cf. Maistre Mymin qui va à la guerre, vers 123.)   162 Il montre son oreille.   163 Dans le Monologue Coquillart, la blessure de l’amant est accidentelle : « Le paillart paige fist merveille,/ Car il fist si parfonde enqueste [car il planta sa fourche si profond dans le foin où je me cachais]/ Qu’il me va larder une oreille. »   164 T : men resueille  (Je suis surpris.)   165 Jurait sur. « Il regnya Nostre Seigneur qu’il tueroit ledit Blanchefort. » Parnasse satyrique du XVe siècle.   166 Je pense, moi, que si on vous croyait.   167 Il manque un vers en -oit et un vers en -este.   168 Cruelle.   169 « Femmes nous font bestes,/ Et rompre les testes/ Par cris et tempestes. » Le Viel amoureulx et le Jeune amoureulx <v. notice>.   170 C’est un vrai abîme, un gouffre.

LES TROIS AMOUREUX DE LA CROIX

Bibliothèque nationale de France

Bibliothèque nationale de France

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LES  TROIS  AMOUREUX

DE  LA  CROIX

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Le style et le vocabulaire de cette farce normande1 nous reportent au premier quart du XVIe siècle. L’intrigue de la pièce rappelle une farce normande contemporaine, les Amoureux qui ont les botines Gaultier : une femme mariée, pour se débarrasser de deux solliciteurs plus qu’insistants, leur donne rendez-vous le même soir et dans un même lieu, avec la ferme intention de ne pas les rejoindre.

Nicolas de Troyes vit-il une représentation des Trois Amoureux de la croix ? En lut-il le texte imprimé ? Ou, plus probablement, connut-il une autre source de la même histoire ? Toujours est-il qu’en 1536, le sellier champenois traita le même sujet dans son Grant parangon des nouvelles nouvelles, resté inédit jusqu’au XIXe siècle. Je publie sous la pièce la nouvelle concernée.

Source : Recueil de Florence, nº 8. Les folios contenant les vers 78-117 et les vers 118-161 sont intervertis ; les éditeurs modernes2 les ont remis dans l’ordre.

Structure : Rimes abab/bcbc, rimes plates, avec 5 triolets.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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Farce nouvelle de

Trois amoureux

de la croix

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À quatre personnages, c’est assavoir :

       MARTIN  [premier amoureulx]

       GAULTIER  [second amoureux]

       GUILLAUME  [tiers amoureux]

       et   LA  DAME 3

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                     MARTIN,  premier amoureulx,  commence en chantant 4 :

        J’ayme mieux mourir bref que languir :                                 SCÈNE  I

        Ce m’est douleur mendre 5.

        Puisqu’aultrement ne puis guérir,

        Me vienne donc la Mort quérir

5      Sans plus attendre !

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        Je doy bien avoir [en] recors6

        D’aller au lieu où j’ay promis.

        Je n’ay nésung7 désir au corps,

        Fors [de] celle où j’ay mon cueur mis.

                        GAULTIER,  second amoureux.

10    Tenir dois bien donc le compromis

        Que j’ay fait avec ma maistresse.

        Il n’y fault pas estre endormis :

        Ce seroit à moy grant simplesse.

                        GUILLAUME,  tiers [amoureux],  commence.

        Qui est en l’amoureuse adresse8

15    D’estre en grâce cy comme moy

        Doit bien vivre en joye et lyesse

        Pour oster soulcy et esmoy.

                        GAULTIER

        Qui se submet en celle foy,

        Il pert monnoye et [si] aloy9,

20    Et est de chacun débouté.

                        MARTIN

        Non est, par Dieu !

                        GUILLAUME

                                        C’est bien bouté10 !

        Jouez tousjours de vos sornettes.

                        MARTIN

        En ce temps de joyeuseté11,

        Vas-tu point veoir tes amourettes12 ?

25    Or nous dy : sont-ilz13 joliettes ?

        Monstre-les-nous ung peu, de loing !

                        GUILLAUME

        On n’a de tieux chalans besoing14 :

        On ne vous y demande pas.

                        GAULTIER

        Et pourquoy ?

                        GUILLAUME

                                Vous perdriez vos15 pas.

30    Il suffist bien de ma personne.

        Adieu vous dy !

                        GAULTIER

                                   [Plus mot ne sonne]16.

        [Martin], je m’en vois d’aultre part17 ;

        [Ne viens-tu]18 ?

                        MARTIN

                                      Ains [qu’il soit]19 plus tard,

        Je laisseray la compaignie,

35    Requérant que Dieu me mauldie

        Se ne visite mes amours.

.

                        LA  DAME 20                                         SCÈNE  II

        Que jeunes gens font de faulx tours21

        Pour parvenir à leur entente22

        À bien jouir de leurs amours !

40    Mais il n’ont pas plaisir de rente23,

        Car bien souvent, on les contente

        De promesses, sans le surplus.

.

                        MARTIN 24                                            SCÈNE  III

        Or çà ! je suis bien près de l’hus25.

        Vélà ma Dame souveraine,

45    Pour qui je soutiens tant de paine.

        Je la veux aller saluer.

.

        Dame, de mon povre povèr26                                   SCÈNE  IV

        Je vous salue trèshumblement,

        Vous suppliant trèsdoulcement

50    Que je soye en vostre demaine27.

        Car vous estes la primeraine28

        Des Dames, et plaisez à tous.

                        LA  DAME

        Bien venez, puisque c’estes vous.

        Quel vent vous maine ?

                        MARTIN

                                               Fin cueur doux,

55    Je le vous diray s’il vous plaist.

        Sachez bien, de certain, qu’il m’est

        Trop fort d’endurer mes doulours29

        Se par vous n’ay aucun secours ;

        Car je vous ay longtemps clamée30

60    Plus que nulle femme, et aymée.

        Si, vous requiers, ma doulce amie,

        Que de tous poins ne perde mie

        L’amour que j’ay de vous si grande31.

                        LA  DAME

        Or çà, sire, je vous demande :

65    Estes-vous donc si fort espris

        De mon amour ?

                        MARTIN

                                     Las ! je suis pri(n)s,

        Et si, [suis] ardamment lié

        De vostre amour. Si délié

        N’en suis bref32 par vostre doulceur,

70    Certainement je suis asseur

        De mourir, sans aucun secours.

                        LA  DAME

        Entre vous33, galans, sçavez tours

        Subtilz, et faictes les semblans

        D’estre malades et tremblans

75    Tousjours ; mais ce n’est que faintise.

                        MARTIN

        Voire : gens plains de couvétise34

        Qui vouldroient pour35 leurs beaux yeux

        Qu’on les aimast ; mais (se m’aist Dieux36 !)

        Mon or, mon argent37 n’est pas mien :

80    Tout est vostre.

                        LA  DAME

                                   Vous parlez bien.

        Mais ung amant qui veult aimer

        Sa Dame doit bien espier

        Le temps, la saison, aussi l’heure

        Et le lieu où elle demeure

85    Segrètement38, sans faire bruit.

                        MARTIN

        Et pourquoy ?

                        LA  DAME

                                  Vous ser[i]ez destruit,

        Se mon mary aucunement

        Vous trouvoit tenant parlement

        Avec[ques] moy ; vélà le cas.

                        MARTIN

90    Pour Dieu, prenez ces dix ducas39,

        Je vous [requiers, jusqu’au]40 retour.

        Mais je vous prie que le tour

        D’aymer me vueillez ottroier41 :

        Vélà l’enseigne du bergier42.

                        LA  DAME

95    Ce don n’est pas à refuser.

        Grant mercy ! Je suis bien joyeuse

        De vostre amour ; malgratieuse

        Seroit qui vous refuseroit43.

        Mais je vous diray : orendroit44

100  Ne povez venir à l’ostel45.

                        MARTIN

        Et pourquoy, Dieux ?

                        LA  DAME

                                            Le cas est tel :

        Mon mari [s’y tient] sans faillir.

        Dieu46, sçay[t] s’il vous feroit saillir,

        Car il est malement47 jaloux !

                        MARTIN

105  Quel senglant gibet48 dictes-vous ?

        Où se fera donc l’assemblée49 ?

                        LA  DAME

        Il fault donc que soit à l’emblée50.

        Je vous diray qu’il est de faire51 :

        Allez tost en vostre repaire52

110  Vous vestir en guise de prestre,

        Car autrement ne pourroit estre

        Que d’aucun ne [fussiez congneu]53.

                        MARTIN

        Il est vray.

                        LA  DAME

                            Or, soiez pourveu

        D’ung livre, ou [tenez ung] bréviaire54

115  Pour mieux le prestre contrefaire55.

        Quant ainsi serez desguisé

        Comme je vous ay devisé,

        Tout fin droit vous vous en irez

        À une croix56 qui est cy près,

120  Là endroit57. Se rien ne me nuist,

        À dix heures devant minuit58

        J(e) iroy à vous ce certainement.

                        MARTIN

        Vous m’y trouverez seurement.

        Mais n’y fallez pas59 !

                        LA  DAME

                                            Nenny dea.60

.

125  Par saint Jehan ! [tout demeurera]61.                        SCÈNE  V

        Maistre, vous avez beau huer62 :

        Je vous feray ennuit63 suer

        En chassant du nez la roupie64.

        M’aist Dieux ! il a beau dire « pie65 ! » :

130  Puisque j’ay de luy ceste prune66,

        Il gardera ennuyt la lune

        À celle fin qu’on ne la robe67.

.

                        MARTIN 68                                            SCÈNE  VI

        Il me fault vestir ceste robe

        Et la trousser dessubz mon bras.

135  C’est fait. Je m’en vois tout le pas69,

        À la croix, à Dieu me command,

        Avec70 peine et tribulation,

        Pour faire la jubilation

        Avec ma Dame par amour.

.

                        GAULTIER 71                                        SCÈNE  VII

140  Ma D[a]me, Dieu vous doint bon jour,

        Bonne santé et bonne estraine72 !

        Vous ne sçavez pas qui me maine

        Par-devers vous ?

                        LA  DAME

                                      Sans faulte, non.

        Vous me direz vostre raison,

145  Et se je puis, g’y pourvoyra[y]73.

                        GAULTIER

        Ha ! Madame, je vous diray :

        Nul n’y sauroit remède mettre

        Que vous, car vous estes le maistre

        De74 l’euvre de ma maladie.

150  Que voulez-vous que je vous die ?

        Je seuffre tel paine et douleur

        Pour vous, que se vostre doulceur

        Ne consent à moy secourir,

        Force me sera de mourir

155  Du mal que j’ay et du martire.

                        LA  DAME

        Et que vous ay-je fait, beau sire,

        Parquoy devez recevoir mort ?

        Advis m’est que vous avez tort75

        De proposer telle matière,

160  Car bien seroye rude et fière

        S(i) ung amoureux mouroit pour moy.

                        GAULTIER

        Touteffois je meurs, par ma foy,

        S’il ne vous plaist par amytié

        Avoir de mon grant mal pitié.

165  Si, vous requiers que de présent76

        Prenez en gré cestui présent

        Que je vous fais, courtoise et sage,

        En [m’]ottroyant d(e) humble couraige

        Vostre amour, que tant je désire.

                        LA  DAME

170  Je ne vueil rien du vostre77, sire ;

        Si vous plaist78, ne m’en parlez plus !

                        GAULTIER

        Pour Dieu, prenez ces dix escuz.

        Je vous requier, ma Dame chière,

        Ne79 me vouloir vendre si chière

175  La douleur que pour vous je porte.

                        LA  DAME

        Or çà, çà ! affin que je supporte

        Le [mal qu’ay]80 de vous recevoir,

        Contente suis de les avoir.

        Mais sçavez-vous81 qu’il est de faire ?

180  Allez tost en vostre repaire

        Vous vestir en guise d’ung mort ;

        Et puis après, cheminez fort

        Tant que soiez, à motz82 exprès,

        À une croix qui est cy près,

185  Là endroit. Se rien ne me nuist,

        À unze heures devant minuit

        G’iray à vous sans nulle doubte83.

                        GAULTIER

        Ha, que c’est bien dit ! Somme toute,

        Je m’en vois tantost apprester84.

190  Mais ne vueillez point arrester85.

                        LA  DAME

        Non feray-ge, saincte Marie !

        J(e) y seray aussi tost86 que vous.

                        GAULTIER

        Adieu vous dis, mon fin cueur doulx87.

        Tenez ce que m’avez promis !

                        LA  DAME

195  À Dieu soiez, mon doulx amy[s]88 !

.

        Ainsi s’en doit-on despescher89.                               SCÈNE  VIII

        Toute nuit me venoit prier

        – En faisant piteuses90 clamours –

        Que je l’aimasse par amours.

200  Je ne sçay s’il avoit par nom

        Gaultier, mais il changera nom :

        Car en ceste heure, pour tout vray,

        Aura [nom Martin]91 de Cambray.

        Il en sera par la moue pri(n)s92.

.

                        GUILLAUME 93                                    SCÈNE  IX

205  Dieu, qui tout bien en terre a mis,

        Vous ottroie s’amour94 et sa grâce !

                        LA  DAME

        Gardé95 soit de vous, beaux amys,

        Dieu qui tout bien en terre a mys !

                        GUILLAUME

        Amours m’a devers vous transmis.

                        LA  DAME

210  Le dites-vous point par falace96 ?

                        GUILLAUME

        Dieu, qui tout bien en terre a mys,

        Vous ottroie s’amour et sa grâce !

        Je vous diray sans plus d’espace97

        Mon cas, et le concluray bref.

215  Je sens au cueur mal si trèsgrief98

        Que [je] ne doubte, à tout comprendre99,

        Que l’âme ne me faille rendre,

        Se brefment100 n’ay de vous secours.

                        LA  DAME

        Hélas ! ce sont des communs tours.

220  Vous m’aimez ? Dea, voire, de beaux101 !

                        GUILLAUME

        Pour Dieu, prenez ces dix royaulx102,

        Et103 tant moins pour commencement ;

        Mais je vous prie chèrement

        Que je soie vostre servant

225  Et loyal amy.

                        LA  DAME

                                Or avant !

        Puisqu’ainsi est, j’en suis contente104.

        [Pour que vostre amour je contente,]

        Sçavez-vous comment vous ferez ?

        Prestement vous desguiserez,

230  Et puis vous verrez bonne fable105.

                        GUILLAUME

        Et comment ?

                        LA  DAME

                                  En guise de dyable

        Vous mettrez, au mieux que faire ce pourra106.

                        GUILLAUME

        Mauldit soit-il qui y107 fauldra !

        Je le feray, soiez certaine.

                        LA  DAME

235  Or prenez quelque grosse chaîne108,

        Et après vous, la traînerez.

        Et puis attendre [vous m’irez]109

        (Oyez-vous ?), mais qu’il n’y ait faulte110,

        À une croix qui est si haulte,

240  Là endroit. Pour prendre déduit111,

        À do[u]ze heures devant minuit112

        J(e) iray à vous sans nul délay.

                        GUILLAUME

        Aussi ferai-ge, croyez-lay113,

        Quoy qu’après en doibve advenir.

                        LA  DAME

245  Or ne faillez pas à venir,

        Car je me rendray en la place.

                        GUILLAUME

        Ha ! ma Dame, jà Dieu ne face114

        Que j(e) y falle, par saint Symon

        Et par tous les sains de renom !

250  Aussi, venez tost après moy.

        Je m’en vois bouter en arroy115

        Secrètement, sans séjourner.

                        LA  DAME

        Alez à Dieu !

.

                                 Sans sermonner116,                          SCÈNE  X

        Dieu sçait quel gracieulx déduyt

255  Ilz auront tous troys, ceste117 nuyt !

        De cela, je n’en doubte point.

                        *

                        GAULTIER 118                                      SCÈNE  XI

        Je croy que je suis bien en point ;

        Je ressemble119 à ung mort proprement.

        Je m’en voys tout secrètement

260  À la croix ; j(e) y vois sans répit.

.

        Le sang bieu120, vélà grant despit !

        Vélà à la croix aucun[e] âme121.

        C’est ung prestre, par Nostre Dame,

        Qui prie pour les trépassés.

265  Va, bon gré bieu ! Pr[e]stre122, passez !

        Vous me rompez mon entr[e]prise.

        Je vouldroye qu’il fût en Frise,

        Foy que je doy à saint Amant123 !

        Se ma Dame vient maintenant,

270  Tout nostre fait rompu sera.

        Ce prestre nous encusera124,

        [Ma Dame et moy, mais qu’il nous voye.]

.

                        MARTIN                                                 SCÈNE  XII

        (Haro ! Je voy en ceste voye

        Ung homme mort, ce m’est advis.

275  Beau sire Dieu de paradis,

        Vueillez-moy de mal huy deffendre !)

                        GAULTIER

        (Je requier à Dieu qu’on puist pendre

        Ce prestre qui est cy venu !)

                        MARTIN

        (Hélas, il m’est mal advenu !

280  Je voy bien que péché me nuyt.

        Mourir me fauldra ceste nuyt,

        Car j’en suis en grant adventure125.)

        [Mort,] retourne à ta sépulture !

        Réquien étertam 126 cunctis

285  Pro fidélibus défunctis !

        (Or, meschant fol très oultrageux,

        J’estoye venu faire mes jeulx127

        Devant ceste croix précieuse

        Où Dieu souffrit mort angoisseuse :

290  C’est bien droit que Dieu m’en chastie.)

                        GAULTIER

        (De goutte128, de mal et chassye

        Ait ce prestre crevé les yeulx !

        Et du mal du saint de Baïeux129 !

        Dit-il tant de ses patenostres ?

295  [Dea !] que de tous les douze apostres

        Soit[-il] maudit et confundu,

        Et par le col soit-il pendu,

        Tant me fait-il [de] desplaisir !

        Se ma Dame vient, quel plaisir !

300  Ce sera bien pour enrager !)

.

                        GUILLAUME 130                                  SCÈNE  XIII

        Me vécy prest. Sans plus targer131,

        Vers la croix vois sans faire noise132,

        Car ma Dame doulce et courtoise

        Le m’a en ce point ordonné.

305  Qui m’auroit cent mars d’or donné133,

        Pas ne seroye si joieulx

        Que je seray (ainsi m’aist Dieux !)

        Quant entre mes bras la tendray134.

        [Tout de ce pas je m’en iray :]135

310  Elle doibvra tantost venir.

.

                        MARTIN                                                SCÈNE  XIV

        (Las ! je ne sçay que devenir.

        Ce mort de moy trop près s’aproche.)

                        GAULTIER

        Malle Mort te puisse tenir !

                        MARTIN

        (Las ! je ne sçay que devenir.

315  Bien voy qu’il me fauldra fuïr.)

                        GAULTIER

        Va-t’en, que je ne te desroche136 !

                        MARTIN

        (Las ! je ne sçay que devenir.

        Ce mort trop près de moy s’aproche.

        Je n’ay membre qui ne me hoche137,

320  Tant suis effroyé maintenant.)

.

                        GUILLAUME 138                                  SCÈNE  XV

        Qu’esse que je voy cy-devant,

        Là où je doy ma Dame attendre ?

        Le grant deable l’en139 puisse pendre !

        Vélà ung prestre, ce me semble…

325  Haro140 ! trèstout le cueur me tremble.

        Vélà encore bien plus fort :

        C’est [je ne]141 sçay quel homme mort.

        Vray Dieu, vueillez-moy secourir !

.

                        MARTIN 142                                          SCÈNE  XVI

        (Je voy bien qu’il me fault mourir

330  Par mon péché desraisonnable…

        Et ! qu’esse-cy ? Vélà ung dyable

        Qui vient cy pour ma mort jurer143.

        Il le me convient conjurer.)

        Aspergès et collocavit !

335  Mémento Dominé David !

        Quaré frémuérunt gentès ?

        Salvé régina, gémentès !

        (Trèsdoulx Jésus, mé protégé 144

        De ce mauvais deable enragé !)

340  Dÿalética sanctorum !

        Communionem Francorum !

        Va-t’en d’icy, dyable d’enfer,

        Avec ton maistre Lucifer,

        Sans faire envers moy ton pourchas !

                        MARTIN

345  Bénédicamus gratïas !

        (Hélas ! dolent plain de péché,

        Je seray tantost despesché145.

        Qu’esse-cy ? Foy que doy à saint Pol146 !

        Ce dyable me rompra le col ;

350  Il me vient ma vie abréger.)

                        GUILLAUME

        (Et, vécy bien pour enrager !

        Je n’y voy entrée ne yssue147.

        [Et !] par mon serment, je tressue

        De paour148 ! Vray Dieu, fay-moy mercy !

355  — Dieu vueille [qu’Il le]149 face ainsi ! —

        Ce mort demande quelque don ;

        Je  luy en donray ung bel et bon150.

        Car c’est quelque âme, sans doubtence,

        Qui fait icy sa pénitence.

360  Au nom de saint Pierre l’apostre !

        Je diray une patenostre151

        Cy endroit, par dévocion.

        Dieu152 luy donne rémission,

        Et aux autres ensevelis !)

365  Pater noster qu(i) es in célis !

        Libéra mé dé mortuos 153 !

        Afin que je die et né nos 154

        Pour [tous] ceulx qui sont trespassés,

        Arrière, Mort ! D’ici passez !

370  Libéra a malo ! Amen !

                        MARTIN

        Érubescant vérumptamen !

        In mulïéribus ventris !

        (À Dieu me comment155 !) Béatrix !

        Pour ma Dame156 me fault mourir,

375  Nul ne m’en peult plus secourir ;

        Tout ce meschef157 me vient par femme.

        Deffens-moy, glorieuse Dame !

        Régina céli létaré !

        Dÿabolus, dy-moy quaré 158

380  Tu me viens faire ce meschef.

        (Je n’ay sur moy membre ne chef159

        Qui ne soit hors de son bon sens.)

                        GAULTIER

        (Se [j’]avois des escuz cinq cens,

        Je voudroye avoir tout donné

385  Et que je fusse retourné

        À mon hostel et à mon estre160.

        Hélas ! je m’en voys à ce prestre,

        Lui prier par dévocion

        Qu’il me donne confession,

390  Que je ne meure impénitent161.)

        Confession, sire !

                        MARTIN

                                       Va-t’en !

        Par le corps Dieu ! tu n’en as garde162.

        Va-t’en d’icy ! Que le feu t’arde,

        Car je ne te demande rien !

                        GAULTIER

395  Hélas ! sire, je suis chrestien.

        Je ne suis mort ne trespacé.

                        MARTIN

        Tu mens : tu as le pas passé163 ;

        Ton âme est jà à l’autre monde.

                        GAULTIER

        La Mort [ne] m’a cy164 pourchassé.

                        [ MARTIN

400  Tu mens : tu as le pas passé. ]

                        GAULTIER

        [Non ay. Ce brouet m’a brassé]165

        Une femme, que Dieu confonde !

                        MARTIN

        Tu mens : tu as le pas passé ;

        Ton âme est jà à l’autre monde.

405  Je requiers à Dieu qu’on le tonde

        Qui166 t’attendra, mais que j(e) y soye167 !

                        GUILLAUME

        (Par Nostre Dame ! se j’osoie,

        Je conjurasse ung peu ce mort

        Afin qu’il s’en allast, au fort168.

410  Par Dieu ! puisque j’en ay juré,

        De par moy sera conjuré.)

        Miséréré ! Cicatricès !

        Va-t’en sans point faire d’exès169 !

        Létamini ! Et cantaté !

415  Béati quorum 170 ! Laudaté !

        Inimicos ! Dominibus !

        Fructibus ! Et in noctibus !

        De profundis ! Vigilïa !

        Qui facis mirabilïa !

420  Et ! Mort171 desloyalle [et] inique,

        Va-t’en sans me faire la nique172,

        Ne jamais de moy ne t’aproche !

                        GAULTIER

        Hélas ! se ce dyable m’acroche,

        De mon corps s’en ira souper173.

425  En enfer se puisse chauffer,

        Et m’oster hors de ceste presse174 !

        Elle seroit bien grant maistresse,

        Qui me feroit plus séjourner175 !

                        GUILLAUME

        Brouhaha176 ! (Je voys adjourner

430  Ce prestre : il fault qu’il ait la guerre

        À moy.)

                         Çà, çà ! je te viens querre !

        Attens, prestre, il te fault mourir !

                        MARTIN

        Tu le gaigneras au courir,

        Par le corps bieu, se tu m’atrapes !

435  Me cuides-tu en tes attrapes177

        Ainsi croquer178 ?

                        GUILLAUME

                                        Je te tiendray !

                        MARTIN

        Par le corps bieu ! je [te donray]179,

        Se tu viens près, de mon bréviaire !

        Deable, va-t’en à ton repaire !

440  Tu es Sathan, bien le congnoy180.

                        GAULTIER

        Hélas, beau Père, attendez-moy !

        Pour Dieu, vueillez-moy confesser !

                        MARTIN

        Me viens-tu encore presser ?

        Qu’on en puisse avoir malle181 feste !

445  Oste-toy, mort !

                        GAULTIER

                                    À ma requeste,

        Écoute-moy parler deux mos,

        Et te diray de gros en gros182

        Tous mes péchéz. Car, par ma foy,

        Je suis homme vif183 ; et pour vray

450  Dire, oncques [mort je]184 ne senti.

                        MARTIN

        Par le corps bieu ! tu as menti,

        Mais tu me le veulx faire acroire.

        Tu viens tout droit du purgatoire.

        Je te congnois bien, ne te chaille :

455  Tu es une âme !

                        GAULTIER

                                   Non suis, sans faille185 ;

        Je suis homme tel comme vous.

                        MARTIN

        Va-t’en, ou tu seras secoux186 !

        Tu ne tens qu’à me faire injure187.

        Et de rechief, je te conjure

460  Que de ce lieu-cy tu destables188,

        De par quatre-vings mille dyables

        Chargés d’or [fin] et de billon189,

        Et par Godefray de Billon190,

        Et [de] par Bertran de Cloquin191,

465  Et de par l’Amorabaquin192,

        Et [de] par tous ceulx d’Adam néz193 !

        Que voisez avec les dampnéz194 !

        Avé salus ! Dominus pars 195 !

        Se de ce lieu-cy ne te pars,

470  Tu verras bien qu’il me desplaist.

                        GAULTIER

        Escoutez ung peu, s’il vous plaist :

        Par ma foy, je ne suis pas mort.

        Mais conscience me remort196 ;

        Je diray chose véritable.

                        MARTIN

475  Va-t’en d’icy, de par le dyable !

        Te fault-il messe ne matine ?

                        GAULTIER

        Haa ! sire, je ne suis pas digne197

        Qu(e) on die matines pour moy :

        Car je vous prometz par ma foy

480  Que pas ne suis mort, proprement.

        Mais j’ay prins cest abillement

        Trèstout de fin fait advisé198,

        Et me suis ainsi desguisé

        Affin qu’on ne congneust ma chère199.

                        MARTIN

485  Oste donc ceste visaigière200

        Pour savoir mon se c’est vérité.

                        GAULTIER

        Il fauldra donc qu’il soit porté201

        Le plus secret que vous pourrez.

                        MARTIN

        Jamais nul jour vous n’en orrez202

490  Parler, fors à moy et à vous.

        Je seray secret, amy doulx,

        Je le vous prometz.

                        GAULTIER

                                         Seurement ?

                        MARTIN

        Et ! voire, par [le sacrement]203

        (Mon trèsdoulx amy) de la messe !

495  Se je ne vous tiens ma promesse,

        Nommez-moy hardiment gaultier204.

                        GAULTIER

        Mettez la main sur le saultier205,

        Affin que ne soiez parjure.

                        MARTIN

        Sur ces lettres-cy, je vous jure

500  Que jamais je n’en diray rien.

                        GAULTIER

        Or sus donques, il suffist bien.

        Or me regarde206 : sui-ge mort ?

        Tu me mescr[oy]ois à grant tort.

        Advise ung petit207 mon visage !

                        MARTIN

505  [Et !] par mon serment, voici raige !

        Tu es mon compaignon Gaultier,

        Que j’é laissé huy au monstier208,

        Emprès [de] Guillaume, à l’église209.

                        GAULTIER

        Et, sang bieu ! quant je me ravise,

510  Et ! es-tu prestre devenu ?

        Pas ne t’avoie recongneu.

        Par le sang que Dieu [print] à Romme210 !

        Or me dy la manière comme

        Tu es venu cy en ce lieu.

.

                        GUILLAUME                                        SCÈNE  XVII

515  Qu’esse-cy ? Foy que doy à Dieu !

        Ce mort est retourné en vie ?

        Ce prestre luy tient compaignie.

        Je vois vers eulx sans nul séjour211.

        Afin que n’aient de moy paour212,

520  J(e) osteray du chief ma testière213.

.

                        GAULTIER                                            SCÈNE  XVIII

        Sang bieu ! vécy faulce matière214 :

        Ce dyable s’en vient devers nous.

                        GUILLAUME

        Dieu gard, seigneurs ! Que faites-vous

        Entre vous deulx ?

                        MARTIN

                                         Et, par mon âme !

525  C’est nostre215 compaignon Guill[aum]e

        Qui estoit dyable devenu.

                        GUILLAUME

        Et, par Dieu ! vécy bien venu.

        Mais qui216 vous a mis en cest estre217,

        Que vécy qui faisoit le prestre

530  Et vécy qui faisoit le mort ?

                        GAULTIER

        Confessons nous trois, par acord,

        L’ung à l’autre, nostre secret.

                        MARTIN

        Tu dis bien. Mais se on le sçait,

        Chascun de nous sera infâme.

                        GUILLAUME

535  Promettons qu’à homme n(e) à femme

        Jamais ne sera révélé.

                        GAULTIER

        De par moy, il sera selé218 ;

        De ce, ne faite[s] nulle doubte.

                        MARTIN

        Se j’en parle ne grain ne goutte219,

540  Ne me croiez jamais de rien.

                        GUILLAUME

        Aussi me garderai-ge bien

        De dire nostre cornardie220.

                        GAULTIER

        Voullez-vous pas que je vous die ?

        Par mon âme ! mes beaux amys,

545  Une femme m’a cy transmis

        Et m’a baillé ce bont221 icy.

                        MARTIN

        J’en ay autant.

                        GUILLAUME

                                   Et moy aussy222.

        Nous en avons, tous trois, pour une223.

                        GAULTIER

        Chantons doncques [nostre infortune]224 !

                        Ilz chantent.

                        GAULTIER

550  Tous trois avons gardé la lune 225 ;

        On n’avoit garde de la perdre.

                        MARTIN

        Des plus fines lames 226, c’est l’une.

                        GAULTIER

        Tous trois avons gardé la lune.

                        GUILLAUME

        Dea ! elle a eu de ma pécune

555  Dix royaulx [d’or] 227. Qu’on la puisse ardre !

                        MARTIN

        Tous trois avons gardé la lune ;

        On n’avoit garde de la perdre.

                        GAULTIER

        Mais comme s(e) ose femme herdre228

        De farcer ainsi les galans ?

                        MARTIN

560  Compaignons, se en somme[s] blans229,

        Aussy sont plusieurs compaignons.

                        GUILLAUME

        Je conseille que nous prenons

        Congié à nostre seigneurie230.

        Puisqu(e) on joue de tromperie,

565  Je n’en vueil plus estre assoté.

.

                        GAULTIER

        Vous qu’estes 231 en amours bouté[s],

        Gardez-vous de telles finesses 232.

                        MARTIN

        Nos ébas, s’il vous plaist, notez,

        Vous qu’estes en am[o]urs boutéz.

                        GUILLAUME

570  Les tromperies redoubtez

        De telles qui en sont maistresses.

                        GAULTIER

        Vous qu’estes en amours boutés,

        Gardez-vous de telles finesses.

        Ne vous fiez pas en promesses

575  Ainsi qu’avons fait simplement233.

        [Vivez ores gorrièrement]234

        En joyes, festes et liesses !

        Prenez en gré l’esbatement !

.

                          EXPLICIT

*

.

D’UNE FILLE QUI FIST ALLER TROIS COMPAIGNONS COUCHER EN UNG CYMETIÈRE, QUI TOUS TROIS FURENT AMOUREULX D’ELLE, ET Y FURENT VEILLIER L’UN EN ABIT DE MORT, L’AUTRE DE GENDARME, ET L’AUTRE EN ABIT DE DIABLE. 235

.

[La fille] se advisa que ung jour entre les autres, ung de ces trois gallent[s] la prioit d’amour, et luy prométoit tant de belles choses que jamais ne devoit avoir faulte de biens. « –Or venez çà (dist la fille) ! Vous me prométez tant de bien, et dictes que vous ferez tant de choses pour moy, mesmes pour aller en Jésuralem [sic] s’il estoit possible, et que tous vos biens seront miens, et tant de belles choses que me promettez, que je ne vous puis esconduire, moyennant que me fac[i]ez ung service, lequel me sera bien grant et à vous bien facille à faire. –A ! m’amye (respondit le compaignon), toutes les choses à moy possible de faire, pour l’amour de vous je feroye, et tout tant qu’i vous plaira. Mon corps et mes biens sont vostres, à en faire tout à vostre plaisir. » Respondit la fille : « –Mon amy, je vous remercye, car des biens ay-je assez, Dieu mercy ! Mais d’une chose vous vouldroys bien prier. Vous devez sçavoir, et estes assez adverti, comme puis naguères ma mère est allée de vie à trespas. Et pour venir au point, son esperit revient céans toutes les nuytz, et en suis toute tormentée, tellement que je m’en suis conseillée à tout plain de gens de bien ; mesmes en ay esté à confesse par plusieurs foys, et eu du conseil. Tellement que le mellieur remède, c’est que je fasse veiller quelqu’un une demye nuyt seullement sur la fosse de ma mère. Et pour tant, si vous estes si hardy de le faire, et que vous diste[s] que vous ferez tant pour moy, vrayement (dit-elle) je ne vous demende autre chose. Et puis vous en venez, et je vous prometz que vous coucherez avec moy. »

Le compaignon fut diligent et bien joyeux de ceste parolle. « –Comment (dit-il), m’amye ! N’y a-il autre chose à faire ? –Nenny (dit-elle). Mais sçavez-vous comment il fault que vous y allez, et que236 l’on m’a conseillé ? –Nenny (respondit le compaignon). –Il fault (dit-elle) que vous soyez en chemise, et envelopé d’un drap, tout ne plus ne mains comme si c’estoit ung esperit ou quelqu’un que l’on voussist237 enterre[r]. –Et ! je vous prometz (dit-il) ma foy que je iré. Mais or me dicte[s] quant ce sera. –Il fault (dit-elle) que ce soit à ung vendredy. Et n’y serez seulement que trois ou catre heures au plus. Et fault que vous y allez environ entre huit et neuf heures du soir, et y estre seulement jusque à minuyt. Et quant vous serez là, vous direz vos heures et prières bien [à] Dieu et honnestement, pour l’âme de ma feue mère. Et puis quant minuyt sera sonné, venez-vous-en couche[r] avec moy, et je acompliré [l]a vostre voulenté, moyennant que ne faillez pas, et aussi que vous jurerez et prométrez d’y estre. Et si vous ne voulez, distes-le-moy à ceste heure, car je louerés ung homme pour y aller, et luy baillerés plustost une bonne somme d’argent affin que ne me faillist point et que je fusse bien asseurée. –A ! m’amye (dit le compaignon), je vous prometz la foy que je dois à mon Dieu que, pour l’amour de vous, je iré en belle chemise238, enveloppé d’un drap ainsi que m’avez dit ; et y seré jusques à minuyt. Mais or me dicte[s] sy je iré dès annuyt239. –Nenny (dit-elle). Il fault que ce soit à ung vendredy : ce sera vendredy prochain, si vous voulez, ou bien à ung autre vendredy. »

Si entreprindrent que ce seroit au plus prochain ; et n’estoit encore que lundy, de quoy il ennuyoit bien au compaignon, et eust bien voulu que le vendredy eust jà esté venu. Et par ainsi, se départit de la jeune fille, luy prométant sa foy que il ne fauldroit point au jour assigné, ainsi qu’il avoit promis.

Or, pour revenir à nostre propos des trois gallent[s] amoureux, le IIe vint parler à elle ainsi comme il avoit acoustumé, luy prométant tant de belles [r]aisons et qu’il couchast avec elle, encore plus que l(es) autre(s). Tellement que, quant elle vit qu’il estoit ainsi délibéré, se disposa de luy bailler la venue240 comme à l’autre. Et elle luy dist qu’il failloit qu’il allast sur la fosse de sa mère, dont il luy promist qu’il iroit sans nulle faulte. « –Or sçavez-vous qu’il y a (dit-elle) ? Il fault que vous y allez vendredy prochain, et que vous soyez bien armé et enbastonné241 ; à tout le moins, si aulcun vous demandoit quelque chose, que fussiez délibéré de vous deffendre. –O ! (ce dist le compaignon), m’amye, ne vous souciez : car je seré bien armé et enbastonné. –Or bien (dit-elle). Mais sçavez-vous ? Il fault que vous y allez entre neuf et dix heures du soir ; et n’y allez ne plus tost ne plus tart, car tout ne vauldroit rien. Et y soyez seulement jusques à minuyt. Et puis vous en venez couche[r] avec moy, et je acompliré vostre voulenté, moyennant que ne faudrez à y aller. –A ! m’amye (dit le compaignon), j’aymeroye mieulx estre mort de mort amère que de avoir failli à l’entreprinse ainsi que l’avez ordonné ! » Alors pr[ent] congé d’elle, part et s’en va.

Or devez sçavoir que voicy venir le troyesme242 compaignon, lequel la vint prier d’amour comme il avoit acoustumé ; et elle luy dist tout ne plus ne mains que aux autres. Et fit l’entreprinse d’y aller audit vendredy. « –Or sçavez-vous qu’il y a (dit-elle), mon amy ? Il fault que vous y allez en abit de diable : à tout le moins, si survenoit quelque esperit, il aroit paour243 de vous veoir seulement. Et fault que vous y allez environ entre dix et onze heure[s], et jusque à mynuyt seulement ; et n’y allez ne plus tost, ne plus tart, car tout ne vaudroit rien. –Or bien, m’amye (dit le compaignon). Ne vous souciez : il n’y ara faulte nulle que je n’y voise244. » Lors pr[e]nt congié d’elle et s’en va….

Or va venir l’heure de entre huit et neuf. Et voicy venir le compaignon en belle chemise, enveloppé d’un beau drap blant, nonobstant qu’i fist grant froit, car c’estoit en yver ; et estoit celluy qui plus devoit endurer de peine et de froit. Mais a[i]nsi fit-il, comme vous orrez cy après : car le pouvre gallent s’en vint en belle chemise se mettre sur la tombe. Et fut là une grande espace de temps assis, atendant la minuyt.

Et quant il fut passé neuf heures, l’autre compaignon se aprestoit pour venir audit cimetière. Lequel s’en vint bien en ordre, armé et acoustré comme sainct George. Et devez sçavoir que, de nuyt, on entent mieulx que de jour. Si va regarder de loing celluy qui faisoit l’esperit245, et vit ce gendarme venir devers le cymetière ; lequel quant il fut entré dedens, il eut une frayeur merveilleuse, et non sans cause : car il se aprochoit tousjours pas à pas devers la tombe là où estoit celluy qui faisoit l’esperit ; lequel, quant il le vit venir, se cacha hastivement dessoubz la tombe246, tellement que celluy qui faisoit le gendarme n’en vit onques rien, et se vint asseoir dessus ladicte tombe, là où estoit l’autre caché dessoubz. Et fut là grande espace de temps, assis sur celle tombe. Et puis se pourmenoit là alentour de peur de se morfondre247, dont celluy de dessoubz n’estoit pas trop aise, car il n’avoit pas grant chault en sa chemise.

Si y fut qu’il estoit plus de dix heures, tant que voicy venir celluy qui faisoit le diable, acoustré d’une teste248 de diable merveilleuse et espoventable ; et tout le demorant de l’abit estoit de mesme. Et gettoit feu et flambe par la bouche et par les naseaulx, et avoit une chaîne de fer autour de luy, dont il faisoit grant bruyt. Et n’y avoit joincte249 dessus son corps que, en cheminant ou ployant bras ou janbes, il ne rendist feu et flambe, tant estoit subtillement abillé. Et à bref parler, il estoit horrible et espoventable, car il n’y avoit pas plaint l’argent à se faire ainsi acoustre[r] pour couche[r] avec la belle fille. Or vient arriver ledit diable auprès du cymetière. Mais quant le gendarme le vit venir, si commença à trembler de peur, et non sans cause : car il entra dedens le cymetière et commença à cheminer droit vers la tombe, dont le gendarme commença à reculer quant il vit que il se aprochoit près de luy.

Or, vous devez savoir que celluy qui estoit soubz la tombe, faisant l’esperit, n’avoit point veu encor ce diable, mais ne taschoit sinon à autre chose que le gendarme se escartast ung peu de là pour s’en fuyr ; et mist la teste dehors de dessoubz la tombe, et vit le gendarme assez loing de là. Puis d’aultre costé, advisa venir ce diable avec ses chaînes et crochés250, dont il eut plus grant peur que par advent. Le diable véoit251 le gendarme qui ne bougeoit point de là, dont il eut quelque peur. Et tout ainsi qu’il[z] demoroi[e]nt tous deulx debouz, l’esperit va sortir de dessoubz la tombe, et commença à courir à travers le cymetière comme si tous les diables eussent esté après luy. Alors le gendarme et le diable, qui le virent ainsi fouyr, pensoi[e]nt que ce fust l’esperit de la dame qui estoit là enterr[é]e, et commencèrent si trèsfort à fouyr, l’un d’un costé et l’autre d’autre, que il[z] n’avoi[e]nt garde de se rencontrer. Et se retira chacun des trois gallens en sa maison, en ayant trèstous euz une grande frayeur…

*

1 Certains critiques l’ont récemment décrétée « parisienne » ; je donnerai donc en note les preuves de son origine normande.   2 Gustave COHEN : Recueil de farces françaises inédites du XVe siècle, 1949, pp. 57-66. André TISSIER : Recueil de farces, t. XI, 1997, pp. 117-181. Jelle KOOPMANS : le Recueil de Florence, 2011, pp. 138-150. À quoi il faut ajouter une traduction américaine de Jody ENDERS : « The Farce of the Fart » and other ribaldries, 2011, pp. 219-251 et 437-442. Signalons enfin un article très éclairant de Jean-Pierre BORDIER : Rencontres au pied de la croix, 2012.   3 F : lamoureuse  (Toutes les rubriques donnent la Dame, ce qui se justifie mieux.)  On a déduit un peu vite du vers 373 que cette femme se nomme Béatrix.   4 Les 3 galants sortent bredouilles de l’église d’un monastère (vers 507-8), où ils espéraient faire d’agréables rencontres, car les femmes y vont sans leur mari. Cf. la Satyre pour les habitans d’Auxerre, vers 150 et note.   5 « Mendre : moindre. » (Louis Du Bois, Glossaire du patois normand.) Cf. Lucas Sergent, vers 67. Cette chanson n’a pas été conservée.   6 En mémoire. « Luy venoit aussi en recort la puissance et vaillance du roy Jhéro. » Valère Maxime.   7 F : mais ung  (Aucun. « Plus n’a amys ne nésung parentage. » ATILF.)   8 L’amant qui est en bonne voie.   9 Et même (vers 67) sa mauvaise monnaie composée d’alliage. Mais l’aloi désigne également la réputation : Il perd aussi son bon aloi.   10 C’est bien envoyé !   11 F : ioyeux este  (Pendant ces jours gras, propices au théâtre comique. « Joyeuseté faire convient/ En ces jours gras. » Le Jeu du Prince des Sotz, créé lors du Mardi gras de 1512.)   12 Tes amoureuses. Idem vers 36.   13 Sont-elles. En Normandie, c’est une forme prépondérante : « –Et quelles sont-ilz ? –Ilz sont telles. » Maistre Mimin estudiant.   14 Je n’ai pas besoin de tels compagnons. Cf. les Coppieurs et Lardeurs, vers 260 et 407. Tieux = tels : « La povre Normandie/ Pour un tieul cas sera mize o z’appiaux [en accusation]. » La Muse normande.   15 F : vous   16 F : Ho ie ne sonne plus mot  (Corr. Koopmans.)  « Ne des aultres plus mot ne sonne. » Jehan Vaillant.   17 Je m’en vais d’un autre côté.   18 F : Que deuiens tu   19 F : que  (Avant qu’il ne soit trop tard. « Çà ! venez ains qu’il soit plus tart. » La Pippée.)   20 Elle n’est pas dans la rue, où une femme honnête ne pourrait discourir avec des jeunes gens. Elle n’est pas non plus chez elle, où ses amoureux ne pourront entrer à cause du mari jaloux. Cependant, l’un de ses visiteurs dit qu’il arrive près de sa porte (vers 43). Je ne vois qu’une solution : elle tient la boutique de son époux ; la devanture est ouverte sur la rue, et les prétendants, qui restent dehors, passent pour des acheteurs. L’argent qu’ils vont lui donner devant tout le monde entretiendra cette fiction. Les auteurs qui veulent discréditer la rhétorique courtoise, comme c’est bien le cas ici, la rabaissent toujours au niveau bourgeois et terre à terre.   21 Jouent des mauvais tours aux femmes.   22 À leur intention. Cf. le Ribault marié, vers 134.   23 De reste, en réserve : ils en reçoivent peu de plaisir.   24 Il va vers la devanture où officie la commerçante.   25 De l’huis, de la porte. Cette prononciation est normande : cf. le Gentil homme et Naudet, vers 283 et note.   26 Pouvoir. Povèr ne se rencontre que dans des pièces rouennaises, et rime ici avec saluèr, à la manière normande. « Je pry à Dieu de mon povèr. » (Les Femmes qui font renbourer leur bas.) « Sy povèr avoyent plus qu’i n’ont. » (Troys Galans et un Badin.)   27 Que je sois votre vassal. Cf. Pour porter les présens, vers 185.   28 La première, la souveraine. Ce mot a une dimension religieuse : « Par les sains Pères primerains. » Pates-ouaintes.   29 F : douleurs  (Cet archaïsme avait encore cours en Normandie : « Pour alléger ma grief doulour. » La Confession Rifflart.)   30 Encensée.   31 L’amour si grand que j’ai pour vous.   32 Brièvement, rapidement. Idem vers 214.   33 Vous autres. Idem vers 524. C’est un normandisme : cf. la Nourrisse et la Chambèrière, vers 18 et note.   34 De convoitise, d’avarice. La graphie de ce mot transcrit sa prononciation normande. « La malice de couvétise avoit si ardamment enlacié l’umain lignage. » Coutumier de Normandie.   35 F : par  (Correction suggérée par J. Koopmans.)  Qui voudraient qu’on les aime sans qu’ils aient à payer. Vou-drai-ent compte pour 3 syllabes, comme à 267.   36 Que Dieu m’assiste ! Idem vers 129 et 307.   37 F : argant  (Corr. Cohen.)   38 En secret. L’éditeur a omis de parisianiser cette forme normande, comme il le fera aux vers 252 et 259.   39 C’est beaucoup ; à titre de comparaison, l’épouse d’un avocat ne coûte que 3 ducats. <Pour le Cry de la Bazoche, vers 397.> Les deux concurrents de Martin seront plus raisonnables.   40 F : requies iusquers au  (Jusqu’à ce que vous me remboursiez en caresses.)   41 Octroyer. Idem vers 168 et 206.   42 Voilà mon paiement, par allusion au mouton qui figure sur certaines monnaies (le Tesmoing, vers 213). « Pour estre aymé, il fault foncer [donner] pécune./ Il fault donner à la blanche et la brune/ Ou leur bailler l’enseigne du berger. » Roger de Collerye.   43 L’épouse vénale du Povre Jouhan sert les mêmes platitudes à son amoureux : « Maintenant seroye-je joyeuse./ Elle seroit mal gratieuse,/ Par Dieu, qui vous esconduiroit. »   44 Maintenant.   45 Dans ma maison.   46 F : Ne  (Il vous ferait sortir violemment.)   47 Extrêmement.   48 Que diable. Cf. la Folie des Gorriers, vers 27.   49 Notre accouplement.   50 À la dérobée. « Mais qu’el rue [qu’elle tire] son coup à l’emblée. » Les Chambèrières qui vont à la messe.   51 Ce qu’il faut faire. Idem vers 179.   52 Votre maison. Idem vers 180 et 439.   53 F : fussions congneues  (Corr. envisagée par Tissier.)  Sinon, il serait impossible que vous ne soyez pas reconnu par quelqu’un.   54 « À sa main tient son brévière. » (Le Testament Pathelin.) M’appuyant sur le vers 438, je scande bré-viaire sans diérèse.   55 Quand la voisine du Ribault marié se déguise en prêtre, elle se soucie du même détail : « Puisque prestre suis devenu,/ Auray-je point de brévière ? »   56 On trouvait un calvaire à presque tous les carrefours et à la sortie des villes. Des pèlerins pouvaient dormir sous sa protection : « Je le pris au pied de la croix…./ Et ! je le prins au premier somme,/ Ce pendant comme il se dormoit. » Colin filz de Thévot.   57 Par là. Comme aux vers 185 et 240, la Dame montre du doigt le calvaire, qui est déjà sur la scène. Les vers 119-122 sont recyclés à 184-187.   58 À 10 heures avant minuit : à 10 h du soir.   59 N’y faillez pas, n’y manquez pas. Idem vers 248.   60 Martin va chez lui.   61 F : vous demeureres  (Rien ne se fera. « Sans cappes, tout demeurera. » Première Moralité de Genève.)   62 Crier. « Tu as beau huer ! » Troys Gallans et Phlipot.   63 Ce soir, cette nuit. Idem vers 131. Cf. Colin qui loue et despite Dieu, vers 340.   64 Je vais vous moucher, vous remettre à votre place.   65 J’ai gagné ! C’est le cri que pousse le roi de la pie quand il pense avoir mis sa flèche dans la cible : cf. les Coppieurs et Lardeurs, vers 81 et note. « Je puis bien dire “pie !”,/ Je ne fais pas ce que je veulx. » Martin de Cambray, F 41.   66 Cette bourse, comparée à un fruit juteux. « –Une bource (elle) me présenta/ Où il y avoit vingt escus./ –Et vous de croquer ceste prune ?/ –Je m’en allay au clèr de lune. » Beaucop-veoir et Joyeulx-soudain.   67 F : desrobe  (Afin qu’on ne la vole pas. « Te vient-on rober ta poulaille ? » Jeu du Prince des Sotz.)  Le jeune Gargantua <chap. 11> « gardoyt la lune des loups ».   68 Chez lui. Il se déguise en prêtre, avec une robe à capuche.   69 D’un bon pas. « Aux plaitz je m’envoys tout le pas. » Le Testament Pathelin.   70 F : Auac  (Corr. Cohen.)  Avec une mine attristée, comme il sied à un prêtre devant un crucifix.   71 Il vient à la devanture de la commerçante.   72 Bonne fortune. Cf. le Testament Pathelin, vers 212.   73 C’est la réplique d’une marchande désireuse de satisfaire un client.   74 F : Et  (Le maître d’œuvre, la responsable. « Le maistre de l’euvre, qui resgarde et commande sus tout. » ATILF.)   75 F : rort  (Corr. Cohen.)  Gautier a tort de proposer le thème de la mort : la Dame va sauter sur l’occasion pour le déguiser en fantôme.   76 Que présentement. Gautier tend une bourse à la Dame, qui fait quelques manières avant de l’empocher.   77 De votre argent. « Rien ne vouldriez avoir du nostre. » Massons et charpentiers.   78 F : prie  (« Pri-e » est dissyllabique dans les 3 autres occurrences.)   79 F : Sans  (De ne pas me faire payer si cher.)  « Je te requiers et humblement supplie,/ Pour les douleurs de quoy je suis ramplie,/ Ne me vouloir jamais habandonner. » (Josquin des Préz.) La phraséologie courtoise est toujours alambiquée, pour faire rire le public populaire.   80 F : ml que aye  (L’impossibilité que j’ai de vous laisser entrer ? Les autres corrections qu’on a proposées sont aussi peu convaincantes que la mienne.)   81 F : scaues veus  (Corr. Cohen.)  Savez-vous ce qu’il faut faire ? Ce vers et les deux suivants démarquent les vers 108-110.   82 F : moy  (Pour parler clairement. « Quant j’y houe/ Une journée, à motz exprès,/ Les rains m’en font trois jours après/ Tant de mal ! » Raoullet Ployart.)   83 Comme au vers 538, on peut traduire sans nul doute, ou bien sans nulle crainte.   84 Je vais me préparer.   85 Veuillez ne pas tarder.   86 En même temps. « G’y seray aussi tost que toy. » Les Drois de la Porte Bodés.   87 Trop tard : au vers 54, Martin a déjà sorti cette formule éculée.   88 Même singulier archaïque à 207. Cf. le Pasté et la tarte, vers 217. Gautier retourne chez lui.   89 C’est ainsi qu’on doit s’en débarrasser.   90 F : piteulx  (Clamour est encore un archaïsme normand : voir la note 29. Cf. la Pippée, vers 137.)  La nuit, les amants donnaient la sérénade sous la fenêtre de leur belle.   91 F : non gaultier  (Corr. Félix Lecoy. Il aura pour nom Martin de Cambrai.)  Plusieurs chevaliers s’appelèrent Gautiers de Cambrais, mais ce n’étaient pas des rigolos* ; en revanche, un « Martin de Cambrai » désigne couramment une dupe, pour des raisons locales qui nous échappent : « Je ne sçay comment on l’apelle,/ Se ce n’est Martin de Cambray. » (Te rogamus audi nos.) Voir aussi la farce de Martin de Cambray (F 41).  *On en trouve un dans la Chanson de la croisade albigeoise.   92 Il sera abusé par des grimaces. « Ainsi sera prins/ Ton adversaire par la moe. » Farce de Pathelin.   93 Il vient à la devanture de la commerçante.   94 Vous octroie son amour.   95 Respecté. « Dieu soyt gardé de vous ! » (Maximilien Ier.) Beaux amis = bel ami : note 88.   96 Par tromperie.   97 De délai.   98 Un mal si grave, si pesant.   99 Tout bien réfléchi. Cf. Mahuet, vers 173.   100 F : brefuement  (Si brièvement, rapidement. « Dieu doint que briefment vous revoye ! » Le Patinier, F 35.)   101 Des beaux mots, des promesses. Même expression rare dans une Moralité normande : « –Ouy dea, de beaulx ! –Elle se raille. » Science et Asnerye.   102 Ces 10 pièces d’or.   103 F : En  (À tout le moins pour commencer. « Receverez ce passe-avant [ce coup]/ Et tant moins sur vostre museau. » La Laitière.)   104 Elle empoche l’argent. Les scènes qui se produisent trois fois sont de plus en plus courtes ; d’un point de vue dramaturgique, c’est d’une grande habileté. Le vers suivant est perdu.   105 Un bon tour. Cf. le Poulier à quatre personnages, vers 208. La Dame fait un clin d’œil au public.   106 En apparence de diable vous vous mettrez, le mieux que vous pourrez. Cf. Raoullet Ployart, vers 279.   107 F : en  (Celui qui y manquera.)  Guillaume éructe cette malédiction en grimaçant et en roulant des yeux comme un diable de théâtre.   108 Pour ressembler à Lucifer, que Dieu avait enchaîné en enfer.   109 F : men ires  (Dans le Lai de la Rose, une dame accorde un rendez-vous nocturne à un soi-disant amoureux : « Vous m’irez un petitet atendre ». L’amoureux sera ridiculisé, de même que son successeur.)   110 Sans faute, sans y manquer.   111 Du plaisir. Idem vers 254. Cf. Raoullet Ployart, vers 66.   112 À minuit. Ce vers est maladroit parce qu’il calque les vers 121 et 186.   113 « Lay » est un pronom normand qui signifie « le ». « Il ment, le ribault, croyez-lay ! » Le Pardonneur.   114 F : sache  (Que Dieu ne permette jamais que j’y faille !)   115 Je vais me mettre en costume.   116 F : seiourner  (à la rime.)  Sans longs discours. « Sans plus sermonner. » Le Tesmoing.   117 F : malle   118 ACTE II. La Dame a quitté la scène définitivement. On a pendu au rideau de fond une lune semblable à celle qui orne le bas de cette page. Chez lui, Gautier achève de se déguiser en fantôme ; la nouvelle de Nicolas de Troyes précise que l’esprit est « en belle chemise, enveloppé d’un beau drap blanc ». Bref, Gautier porte un suaire, comme le revenant Jénin Landore <vers 33>. Il couvre son visage avec un masque de carton (vers 485) où est peinte une tête de mort.   119 Ce verbe est souvent transitif : « Vous resemblez assez un mien frère. » ATILF.   120 F : beau  (Cf. l’Aveugle et Saudret, vers 792.)  Arrivé près du calvaire, Gautier découvre qu’un prêtre y est déjà. Il ne reconnaît pas Martin : ce dernier a rabattu son capuchon pour dissimuler sa figure. Et par convention théâtrale, la scène se déroule au clair de lune (vers 550).   121 Voilà quelqu’un. « Assez tost viendra/ Aucune âme qui nous fera/ Gaingner monnoie. » ATILF.   122 Il faut sans doute lire « Maistre », pour obtenir une célèbre contrepèterie ; voir la note 2 des Hommes qui font saller leurs femmes.   123 Par la foi que je dois au protecteur des amoureux.   124 F : emcusera  (Nous accusera d’adultère.)  Le vers suivant est perdu.   125 En grand risque.   126 Requiem æternam est le début de l’office des morts, que le faux prêtre arrange à sa sauce afin d’apaiser le revenant : Repos éternel pour tous les fidèles défunts ! Tout le latin — prononcé à la française — que nos pétochards vont estropier par la suite provient de la liturgie courante et des Psaumes ; pour plus de détails, on se reportera aux éditions de G. Cohen et d’A. Tissier.   127 Mes jeux sexuels. Cf. Frère Guillebert, vers 132.   128 Que par une maladie des yeux : « Qui bien voit et mal prent, male goute li griet l’oill [lui crève l’œil] ! » (Proverbe.) La chassie est le principal symptôme de la conjonctivite. F intervertit les deux vers suivants.   129 Saint Gerbold fut évêque de Bayeux, en Normandie. On l’invoquait contre la dysenterie. Quand maître Pathelin délire en patois normand, il s’écrie : « J’é le mau saint Garbot./ Suis-je des foureux [des foireux] de Baïeux ? »   130 F : Gaultier  (Corr. Cohen.)  Guillaume, chez lui, achève de se déguiser en diable. Ce déguisement apparaît dans beaucoup de Mystères et de farces. L’acteur porte une têtière (vers 520), c’est-à-dire un serre-tête muni de cornes, et a « la face plus noire que charbon » (Cent Nouvelles nouvelles). Un justaucorps dont la fourrure est tournée vers l’extérieur complète la panoplie, avec des accessoires bruyants comme les chaînes et les crochets.   131 Tarder. Cf. Gautier et Martin, vers 332.   132 Je vais vers le calvaire sans faire de bruit. Cette phrase est comique, vu le boucan produit par la chaîne que Guillaume traîne derrière lui (vers 235-6) : voir la nouvelle de Nicolas de Troyes.   133 Même si on m’avait donné 100 marcs d’or.   134 Je la tiendrai. Cette forme picarde avait gagné la Normandie.   135 Vers manquant. « Tout de ce pas nous en irons. » Les Hommes qui font saller leurs femmes.   136 Que je ne te jette par terre.   137 Qui ne soit secoué de tremblements. Comme le note Jody Enders, « a pun here on membre : extremities like the arms and legs but also the virile member. »   138 Déguisé en diable, il s’approche du calvaire.   139 F : sen  (On confondait facilement le « l » avec le « s » long : l et ſ.)  Que le diable puisse pendre ce prêtre !   140 Les diables poussent souvent ce cri, tel Lucifer au vers 318 du Munyer. Guillaume prend son rôle tellement à cœur qu’il hurle comme un diable : voir les vers 325 et 429. Pour l’instant, il vient d’apercevoir le fantôme.   141 F : ieue  (Corr. Cohen.)   142 F : Gaultier  (Corr. Enders ; voir sa note 30.)  Les incantations latines contre le diable sont plus crédibles de la part d’un prêtre — fût-il faux — que d’un fantôme. Martin a d’ailleurs adjuré ledit fantôme en latin aux vers 284-5. L’habit fait le moine.   143 F : liurer  (Le « l » est en trop.)  « Se Fortune a ma mort jurée/ Et du tout tasche à moy destruire. » Christine de Pizan.   144 Mes prédécesseurs n’ont par repéré cette injonction latine, qui signifie : Protège-moi. « Me protege et conserva ! » Guillaume Dufay.   145 Tué.   146 Par la foi que je dois à saint Paul. « J’iray donc, foy que doy sainct Pol ! » Jehan qui de tout se mesle.   147 Ma situation est sans issue.   148 Je transpire de peur.   149 F : quelle  (F descend ce vers après 357.)  Qu’Il me fasse grâce. « À requérir grâce et mercy/ À Dieu, lequel vous face ainsi ! » Frère Frappart.   150 Une superstition remontant à la barque de Charon voulait qu’on pourvût les morts d’un viatique — en l’occurrence d’un Notre Père — sans lequel leur âme ne pouvait gagner sa destination finale.   151 Je vais réciter un Pater noster. Voir le vers 365.   152 F : Que  (Que Dieu lui pardonne ses péchés !)   153 Délivre-moi des morts ! Au prix d’une belle faute de déclinaison, Guillaume combine le « libera me de morte » de l’office des défunts, avec le « et mortuos » du Credo.   154 Retour au Pater noster : « Et ne nos inducas in tentationem. »   155 Je me recommande à Dieu. Idem vers 136. Beatrix pose problème ; certains y voient le prénom de la Dame, dont il va être question au vers suivant. Koopmans rappelle que « Beatrix est également un qualificatif de la Vierge ». En effet, le vers précédent contient des mots de l’Ave Maria.   156 Martin mélange sa très profane Dame, et la glorieuse Dame du vers 377 : la Vierge.   157 Ce malheur. Idem vers 380.   158 Diable, dis-moi pourquoi.   159 Ni tête. Idem vers 520. Ce « membre » incongru fait écho à celui du vers 319 ; et chaque fois, on parle de celui du curé, comme il se doit dans une farce.   160 À ma maison et à mon foyer.   161 desconfes  (Sans pénitence, sans confession.)  « Celuy qui meurt impénitent est assûrément damné. » Furetière.   162 Tu n’as plus besoin de confession, puisque tu es mort. Les trois personnages vont se mettre à tourner de plus en plus vite autour du calvaire, l’un fuyant l’autre.   163 Tu es mort. Cf. le Testament Pathelin, vers 163.   164 F : icy   165 Le triolet 397-404 est altéré : il manque un refrain, et ce vers que je reconstitue. Brasser un brouet = mijoter un mauvais coup. « Nous a-on telz brouetz brasséz ? » Les Coppieurs et Lardeurs.   166 Celui qui. On tondait les fous : cf. l’Aveugle et Saudret, vers 1219.   167 F : soys  (Corr. Cohen. Voir le vers 50.)  Pour peu que j’y sois : au cas où ce serait moi.   168 En fin de compte.   169 Sans me faire de mal. Cf. Ung jeune moyne, vers 448.   170 Voir la note 22 de Serre-porte.   171 F : moult de  (Guillaume invoque le personnage allégorique qui incarne la Mort. Voir les vers 4, 313, 369, 399.)   172 Sans me narguer. Cf. les Premiers gardonnéz, vers 170 et note.   173 F : sans per  (Les diables sont anthropophages.)  Dans le Mystère des Trois Doms, Proserpine cuisine un damné ; voici ce grand moment de l’art culinaire français : « –Lucifer en aura pasté,/ Pour souper, à la siboullette./ S’aulcunemant est desgoutté,/ Le mettrons à la vineygrette…./ Friquasser te ferey son foye./ –Mon esthomac en veulx pourvoyr ! »   174 De cette oppression. Cf. le Cuvier, vers 218.   175 Celle qui me ferait rester plus longtemps. Allusion à la femme qui lui a donné ce rendez-vous.   176 Dans les Mystères, c’est le cri traditionnel des diables. « Brou ! Brou ha ha, puissans deables iniques ! » (Mystère de saint Martin.) Je vais ajourner = je vais provoquer.   177 Avec tes pièges, tes crochets.   178 Accrocher (voir la note 250). L’imprimeur parisien a laissé ce normandisme en croyant avoir affaire au verbe croquer. « Croque ta dague à ten costay [à ton côté] ! » La Muse normande.   179 F : donneray  (Je te donnerai un coup. Voir le vers 357.)   180 F : congnois  (Corr. suggérée par Tissier.)  Je le constate. Cf. le Tesmoing, vers 55.   181 Mauvaise. (Idem vers 313.) Halina Lewicka précise que « les jurements composés avec male feste n’ont pas été, à notre connaissance, employés en dehors de la Normandie ». D’ailleurs, ce vers n’est autre que le vers 331 d’une farce normande, Sœur Fessue.   182 En laissant de côté les péchés véniels. « De groz en groz, à vous me confesseray. » ATILF.   183 Vivant.   184 F : molt  (Jamais je n’ai subi la mort.)   185 F : faulte  (Corr. Cohen.)   186 Secoué. Cf. la sottie caennaise de Pates-ouaintes, vers 60.   187 F : mourir  (Corr. Tissier. Cf. le Cuvier, vers 137.)   188 F : ten ailles  (Tu déloges, comme un cheval quitte l’étable.)   189 Monnaie d’alliage. « Et quatre chars chargéz de fin or sans billon. » ATILF.   190 Godefroy de Bouillon, l’un des chefs de la première croisade. Martin imagine que plusieurs hommes connus pour leurs crimes ont quitté l’enfer, et qu’ils devraient y retourner.   191 Bertrand du Guesclin, un des chefs de la guerre de Cent Ans.   192 F : lamortabaquin  (Le sultan Bajazet Ier, grand massacreur de chrétiens.)  « Jà ce chien mécréant, son adversaire l’Amorabaquin, n’auroit dons ne présens qui venissent du royaume de France. » Froissart.   193 Les fils d’Adam : Caïn — meurtrier de son frère Abel — et la proche descendance d’Adam et Ève, qui compte un grand nombre d’assassins.   194 Que vous alliez en enfer avec les damnés ! « C’est ung péchié qui a dampné/ Maint homme depuis Adam né. » Guillaume Alécis.   195 Voir le vers 201 de la Bouteille, et la note 7 de la Réformeresse.   196 J’ai des remords de conscience : j’ai besoin de me confesser.   197 A. Tissier ajoute en note : « Parodie de la prière dite avant la Communion : “Domine, non sum dignus…” (Seigneur, je ne suis pas digne…). » On chantait des matines pour les défunts, comme dans les Vigilles Triboullet.   198 Conçu tout spécialement.   199 Pour qu’on ne reconnaisse pas ma figure.   200 F : visaigeire  (Corr. Cohen.)  Ôte ce masque, où est peinte une tête de mort.   201 Que cela soit gardé.   202 F : ores  (Vous n’en entendrez, futur du verbe ouïr.)   203 F : mon serment  (Corr. F. Lecoy.)  « Par le sacrement de la messe ! » Colin qui loue et despite Dieu.   204 Traitez-moi de gautier, de joyeux drille. Cf. Colin qui loue et despite Dieu, vers 149. La phrase est drôle parce qu’elle s’adresse à un nommé Gautier.   205 Jurez-le sur votre psautier, sur votre bréviaire. On doute que Martin en ait trouvé un chez lui ; ce libertin a plutôt pris un recueil de contes salaces, comme les Cent Nouvelles nouvelles, dont le format pouvait faire illusion.   206 Gautier retire son masque.   207 Examine un peu.   208 Au moutier, au monastère (note 4). Cette forme est fréquente en Normandie : voir le vers 58 de la Confession Rifflart, ou le vers 116 de Maistre Mymin qui va à la guerre.   209 La chapelle de certains monastères accueillait des fidèles venant de l’extérieur. Martin retire le capuchon qui dissimulait le haut de son visage.   210 C’est le vers 866 du Pourpoint rétréchy. Les trois éditeurs qui ont publié ces deux pièces ne s’en sont pas rendu compte, et ils ont tenté vainement d’expliquer ce vers au lieu de le compléter sur le modèle de l’autre.   211 Je vais vers eux sans retard.   212 Pour qu’ils n’aient pas peur de moi. Paour compte pour 1 syllabe, comme au vers 354 ; n’ai-ent compte pour 2 syllabes.   213 J’enlèverai de sur ma tête mon bonnet à cornes.   214 Une mauvaise affaire.   215 F : mon  (Corr. suggérée par Tissier.)  La rime Guillâme est normande : cf. le Ribault marié, vers 298 et note. Maistre Mymin qui va à la guerre fait aussi rimer Guillaume avec âme.   216 F : quil  (Corr. Cohen.)   217 En ce lieu. Idem vers 386. Cf. Frère Frappart, vers 373.   218 En ce qui me concerne, notre secret sera celé.   219 Si peu que ce soit. Cf. la Satyre pour les habitans d’Auxerre, vers 34.   220 De révéler notre stupidité. Cf. la Cornerie des anges, vers 17. Mais la cornardie est aussi le statut des cornards, des cocus ; voir la note 46 de J. Enders. Enfin, l’ex-diable fait allusion aux cornes qu’il portait.   221 F : bruyt  (Bailler le bond : se dit quand une femme congédie son amant. « Pour luy cuyder faire bailler le bont de sa dame…. La dame en qui il se fioit si l’abandonna et bailla le bont. » Martial d’Auvergne.)   222 F : autant  (Corr. Koopmans.)   223 Nous en tenons, nous sommes bernés. « En avoir pour une » est une expression très répandue en Normandie : cf. le v. 297 du Pardonneur, le v. 265 du Testament Pathelin, le v. 293 de Deux jeunes femmes qui coifèrent leurs maris, le v. 299 des Sotz triumphans, etc.   224 F : tous trois pour une  (Contamination du vers précédent.)  Au-dessus de ce vers, F a imprimé : Et moy autant   225 Nous avons perdu notre temps au clair de lune. Voir le vers 131. C’est là une chanson de circonstance ; les acteurs appliquaient une musique à la mode sur beaucoup de triolets composés spécifiquement pour la pièce.   226 F : fames  (« On apelle une bonne lame, une fine lame, une personne fine & adroite ; & ne se dit qu’en mauvaise part. » Le Roux.)   227 Le vers 221 ne précisait pas le métal. « La somme de vint royaulz d’or. » (ATILF.) Ardre = brûler, comme à 393.   228 Comment une femme ose-t-elle se mêler.   229 Blanc = candide, facile à duper. « Nous ne sommes pas assez blans ! » Le Bateleur.   230 Des seigneurs qui composent notre public. Le congé est l’ultime occasion de flatter l’assistance, à plus forte raison si elle n’a pas encore payé.   231 Vous qui êtes. Ce congé, en forme de triolet (chanté sur le même air que le précédent ?), s’adresse au public.   232 F : fuiesses  (Corr. Cohen. Refrain correct à 573.)  De ces ruses féminines.   233 Naïvement.   234 Il semble manquer un vers pour amener le suivant sans heurt et pour retomber dans les réjouissances carnavalesques. J’emprunte le vers 286 de la Folie des Gorriers. Gorrièrement = somptueusement.   235 Voici la 2ème nouvelle du Second volume du Grant parangon des nouvelles nouvelles, que Nicolas de Troyes composa en 1536. Il la situe dans « la région de Poictou ».   236 Et ce que.   237 Qu’on voulût. Un esprit est un fantôme.   238 J’irai en simple chemise, sans rien dessous.   239 Si j’irai dès cette nuit (note 63).   240 La bienvenue : une tromperie.   241 Muni d’une arme. « Armé et embastonné d’une espée, dague, arc et trousse de flesches. » (ATILF.) Il sera déguisé en gendarme : en soldat. Nous n’aurons donc pas de prêtre, ni de confession.   242 Le troisième.   243 Ce fantôme aurait peur (vers 519).   244 J’irai sans faute.   245 Celui qui faisait le fantôme regarda.   246 Nicolas de Troyes précise : « Laquelle tombe estoit enlevée [élevée] de la hauteur d’un escabeau, et de catre pierres par-dessoubz qui soutenoient ladite tombe, tellement que ung homme se fust caché dessoubz tout à son aise. »   247 De s’enrhumer.   248 D’une têtière (vers 520).   249 Il n’y avait aucun membre. Cette description relève de la liberté littéraire, et non des contraintes théâtrales. Pour la même raison, l’écrivain dépeint tout un cimetière là où le dramaturge se contente d’une croix plantée au milieu de la minuscule scène. Voir l’article de J.-P. Bordier.   250 Les crochets pour « accrocher » (vers 423 et 436) l’âme des damnés.   251 Voyait.

COLIN QUI LOUE ET DESPITE DIEU

British Library

British Library

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*

COLIN  QUI  LOUE

ET  DESPITE  DIEU

*

.

Cette longue pièce n’est qualifiée de farce qu’au vers 522. De par son thème et son traitement, elle a déjà tout des futures comédies psychologiques. L’auteur n’est pas entièrement responsable de cette innovation : il n’a fait qu’adapter pour la scène la 1ère des Facécies de Poge florentin, que Guillaume Tardif avaient traduites du latin vers la fin du XVe siècle. Cette traduction, que je publie sous la pièce, connut plusieurs rééditions dans la première moitié du XVIe siècle ; l’une d’entre elles inspira notre auteur.

L’auteur en question semble avoir appartenu à une quelconque Basoche, ces « royaumes » de clercs de procureurs qui organisaient toutes sortes de festivités, notamment théâtrales1. Voici ce qu’en dit son précédent éditeur, André Tissier2 : « Que l’auteur de la farce de Colin ait été un basochien contemporain de Guillaume Coquillart semble de même probable. Ne trouvera-t-on pas dans le texte un certain nombre de plaisanteries (d’auteur) qui appartiennent à la bonne tradition des joyeusetés basochiennes ? La langue surtout est significative d’un basochien de ce temps. »

Source : Recueil du British Museum, nº 14. La farce, peut-être lyonnaise3, fut publiée à Lyon vers 1546.

Structure : Rimes abab/bcbc, avec 3 triolets.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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*

Colin qui loue

et despite Dieu

en ung moment

à cause de sa femme

*

À troys personnaiges, c’est assavoir :

       COLIN

       SA  FEMME  [Catin]

       et  L’AMANT

*

                            COLIN  commence en labourant 4,      SCÈNE  I

                                  et dit en chantant :

        A ! qu’i fauldroit souvent aguillonner 5 !

.

        Me6 pourray-je point séjourner

        Le corps7, sans me tant travailler ?

        Je ne sçay quel lieu8 me tourner,

5      N’à9 quel propos me ralier.

        Cent mille escus et ung malier10

        Me feroit tost cesser l’ouvrage ;

        Ou de nobles ung plain cailler11.

        Ce seroit bien pour faire rage,

10    Estre vestu à l’avantage

        À la gorre12 du temps présent.

.

                            LA  FEMME 13                                    SCÈNE  II

        Colin !

                            COLIN

                      Hau !

                            LA  FEMME

                                  Muez ce langaige.

                            COLIN

        Comme quoy14 ?

                            LA  FEMME

                                       Il fault de l’argent.

                            COLIN

        C’est au propos de mon courage15.

                            LA  FEMME

15    Colin !

                            COLIN

                      Hau !

                            LA  FEMME

                                  Muez ce language.

                            COLIN

        Parlez de faire bon potaige16,

        Car ce parler n’est beau ne gent.

                            LA  FEMME

        Colin !

                            COLIN

                      Hau !

                            LA  FEMME

                                  Muez ce language.

                            COLIN

        Comme quoy ?

                            LA  FEMME

                                    Il fault de l’argent.

                            COLIN

20    Et pourquoy ?

                            LA  FEMME

                                 Vélà le sergent

        À l’hostel, qui nous exéquute17.

                            COLIN

        Vous me chantez ung piteux chant !

        Je suis mis jus18 de ceste lutte.

        Allez luy dire que je blutte19

25    La farine pour ung grant pain.

                            LA  FEMME

        Dieu ! faictes-vous la beste brutte ?

                            COLIN

        Comment ?

                            LA  FEMME

                               Il a jà mis la main,

        À la requeste de Germain20,

        En noz biens tout entièrement.

                            COLIN

30    Allez luy dire que demain

        Je luy feray son payement.

                            LA  FEMME

        ………………………… 21

        Et puis il fault, au lancement22,

        De l’argent pour mes carreleures23.

                            COLIN

        Dictes-moy à cent frans d’injures,

35    Et nompas de bailler finance.

        Engagez24 bagues et saintures.

        Par ma foy ! je n’ay croix en France25.

                            LA  FEMME  luy tire la bource du sain 26.

        Ne faictes point ces couvertures27 :

        À ceste bource qu’on s’avance !

                            COLIN

40    Tousjours femme demande ou tence

        Sans28 avoir paix à l’environ.

                            LA  FEMME

        Colin, en effect et substance29,

        Si me fault-il ung chapperon.

                            COLIN

        A ! voire, c’est don[c] de faucon30.

45    Ou d’espervier31, s’il vous duyt mieulx…

                            LA  FEMME,  en tirant.

        Vous bourdez-vous32 ?

                            COLIN,  en riant.

                                              Ha, ha ! Mon con33,

        Ne dictes mot, car je le veulx.

                            LA  FEMME

        Encores fault-il ung bacon34.

        Entendez-vous, meschant morveux ?

                            COLIN

50    Et puys35 ?

                            LA  FEMME

                             Pour acomplir noz veulx

        Qu’avons promis, povre sottin.

                            COLIN

        Et quant fut-ce ?

                            LA  FEMME

                                      Le jour des Feux36,

        Qu’eustes si grant mal, au matin.

                            COLIN

        Je ne sens nul mal, ma Cattin37.

55    Sans cause38 prieroye les sainctz,

        Se ce n’est que pas ung tattin39

        Je n’ay en bource n’en mes mains40.

        À peu que je ne me dessains41

        Pour faire ung beau cedo bonis 42.

60    Maintenant sont failliz mes gains,

        Veu les choses que je fournis43.

                            LA  FEMME

        Table n’avons, ne banc tournis44

        Qui vaille ung estront de chien chié45.

        De tous biens sommes desgarnis.

65    Par mon serment, c’est grant pitié !

        En vous, n’a ne goust n’amytié46.

                            COLIN

        Catin, pitié vault mieulx qu’envie :

        ……………………………. 47

        En vertus, ce disent les sages.

        J’ay la teste toute ravie48

70    Quant vous usez de telz languages.

        Se le diable emportoit noz gages

        Et qu’il nous faillist tout quant qu’est49,

        Pour vous fournir de50 telz bagages,

        En moy ne trouver[i]ez voz aquest51.

                            LA  FEMME

75    C’est peu de bien.

                            COLIN

                                     Mais intérest52

        Qui ne porte soulas53 ne joye.

        Se j’en pensoy[s] trouver aprest54,

        Voulentiers g’y travailleroye.

                            LA  FEMME

        Feriez ?

                            COLIN

                        Voyre. Et le bailleroye,

80    Se je l’avoye où que ce soit.

                            LA  FEMME  luy tire sa bource.

        Laschez doncques ceste courroye !

        L’argent doit estre cy endroit.

                            COLIN

        Par ma foy ! monnoye n’y croist

        Nemplus que l’herbe dans ung four.

                            LA  FEMME  le flatte 55.

85    Héé, Colin !

                            COLIN

                              Haro, que de broit56 !

        Vé-me-cy57 en piteux séjour.

        Je vous prie, par fine amour :

        Laissez m’achever mon preffait58,

        Car c’est ung terrible labour59.

                            LA  FEMME

90    Baillez-moy donc60

                            COLIN

                                            Dieu, que de plait61 !

        [D’en tant parler il me desplaît.]62

                            LA  FEMME

        S’en auray-je bien tost.

                            COLIN

                                                Mais tard !

        Je deffens la voye et de fait63.

        [Ah !] que le grant diable y ait part,

95    À la gabesse64 et au [bro]quart

        De la femme qui tant m’empesche !

        Je n’ay – ou sainct Anthoine m’ard65

        Pas ung.

                            LA  FEMME

                          Si fault-il qu’on le pesche66.

                            COLIN

        Dont  plus je crie [et] moins [m’en] despêche67.

100  Et ubi prenu68, qui ne l’emble ?

                            LA  FEMME,  en soubzriant.

        Au moins, pour avoir de « cher fresche69 »,

        Faictes de cours70.

                            COLIN

                                        Mais bien à l’emble71 !

        De vous ouÿr parler, je tremble ;

        Ce marcher me vient à dur trot.

                            LA  FEMME

105  Je ne sçay comment il vous semble.

        Endurer ne puis ce tripot72.

                            COLIN

        Allez faire boullir le pot ;

        Je viens après, et soupperons.

                            LA  FEMME

        Je n’ay point d’argent, povre sot !

                            COLIN

110  Vendez l’ung de voz chapperons,

        Ce sera pour payer l’escot.

        Et puis après, nous compterons73.

                            LA  FEMME

        Que dictes-vous que nous ferons74 ?

                            COLIN

        Gros rost75, et feu à troys landiers.

                            LA  FEMME

115  Je congnoys bien que nous serons

        En povre estat de tous cartiers76.

        Ferez-vous rien ?

                            COLIN

                                      Trèsvoulentiers.

        Allez devant, je vous suivray.

                            LA  FEMME

        Tout77 le meilleur de voz mestiers,

120  C’est de non jamais dire vray.

                            Elle tire la bource.

        Vrayement, sire, j’en auray !

                            COLIN

        De quoy ?

                            LA  FEMME

                           De l’argent ou de l’or.

                            COLIN

        Allez devant puis je viendray.

        Et faictes cuire ung haranc sor78.

                            LA  FEMME

125  Viendrez-vous ?

                            COLIN

                                    Ouÿ, par sainct Mort79 !

                            La femme le laisse et s’en va.

.

                            Et  COLIN  dit à parsoy 80 :                 SCÈNE  III

        Allez ! Qu’au fin fons d’Angleterre

        Puisse-on, de vous, faire trésor81 !

        Il n’est au monde plus grant guerre,

        Plus grant tempeste ne tonnerre

130  Que d’ouÿr ce dyable de femme !

        Mieulx me seroit estre soubz terre

        Qu’endurer tant. Elle m’affame82

        D’argent, vélà toute sa game83.

        Comme se le devoye myner84,

135  Nuyt et jour à cela me clame,

        Sans que je sache où le finer85.

        Brief ! je ne puis ymaginer

        Comment je m’en pourray jouyr,

        Se n’est86 qu’ailleurs m’en cheminer

140  En quelque part, et m’en fouyr87.

        C’est assez faict pour esvanouÿr,

        Qu’estre tousjours en ces aboys.

                            Il s’en va.

        Je m’en voys88 autre part ouÿr

        L’oysellet par champs et par boys,

145  Ronger ma crouste à tout des poys89,

        Et besoigner de mon mestier.

        Quoy qu’en aviengne à contrepoys90,

        Je m’en passe, de ce quartier.

                            Il s’en va.

.

                            Et  LA FEMME 91 dit apart soy :        SCÈNE  IV

        Et ! ne viendra point ce gaultier92 ?

150  Fault-il ancor que g’y retourne ?

        Si n’est-il pas vers le moustier93 ?

        Ou qu’il se demeure, ou séjourne94 ?

        Hau, Colin !

                            COLIN 95en s’en allant :

                               Tu dis vray, g’y tourne96.

        Vous ne m’y crocherez de pièce97.

                            LA  FEMME

155  Hau, Colin !

                            COLIN

                               Il y faict trop morne ;

        Je n’y acquiers bien ne liesse.

                            LA  FEMME 98  dit à parsoy :

        Ha ! Colin, est-ce la promesse99

        Que me tenez ? Lasse, doulente !

                            COLIN  dit à parsoy :

        Par le sacrement de la messe !

160  Ce m’estoit une fièvre lente.

.

                            LA  FEMME  s’assiet sur ung banc en plourant.

        Hélas ! que feray-je, meschante100,                           SCÈNE  V

        De dueil et desplaisir meurtrie ?

        Plourer fault, et que plus ne chante,

        Puisque j’ay perdu ma partie101.

165  Or est bien ma vie esmortie

        De joye102, et mise en piteux termes.

        Maintenant, ne suis assortie103

        Fors que de souspirs et de larmes.

.

                            L’AMANT 104  dit à parsoy :               SCÈNE  VI

        Sont-ce criz de femme ou gendarmes105,

170  Que j’oy ainsi plaindre et crier ?

        Sans prendre harnoys ne guisarmes106,

        Il le me fault aller espier.

        Et se g’y puis riens approprier107

        Au propos de mon principal108,

175  J’en feray, selon son entier,

        Mention en mon procès-verbal.

.

                            Il va à elle.                                             SCÈNE  VII

        M’amye, Dieu vous gard de mal !

                            LA  FEMME  luy faict la révérence.

        Sire, Dieu vous doint bonne vie109 !

                            L’AMANT

        J’ay entendu en [cest aval]110

180  Des plains111 comme femme marrie.

        S’il y a riens qui vous ennuye112,

        Dictes vostre cas plainement :

        J’appointe tout113.

                            L’Amant s’assiet emprès elle, et

                            [LA FEMME]114  dit en plorant :

                                        Pouvre bannye !

        En moy gist pouvre appointement115.

                            L’AMANT

185  Dictes-moy, s’il vous plaist, comment

        Vous avez le cueur si marry.

                            LA  FEMME

        Hélas ! Tout mon marrissement

        Est à cause de mon mary.

                            L’AMANT

        Pourquoy ?

                            LA  FEMME

                            Sans avoir déméry116

190  En luy de riens qui mal agrée,

        De moy (lasse !) s’est desparty117 ;

        Et si, ma seulle délaissée.

                            L’AMANT

        Vous fault-il estre courroussée

        Et vous douloir le cueur si fort ?

195  Si fault-il, ma trèsbien aymée,

        Avoir pacience, et fût-il mort118.

                            LA  FEMME

        J’en ay ung si trèsgrant remort

        Au cueur qu’à peine je n’enrage.

                            L’AMANT

        Pourquoy, dame, ne à quel tort ?

                            LA  FEMME

200  Sainct Jehan, sire ! Car le dommage

        Chet119 sur moy et sur mon mesnage,

        Dont j’en suis en grièfve douleur.

        Je n’ay pain, vin, chair ne fromage

        Pour ma vie. Ne, de malleur,

205  Je n’ay possession n(e) héritage,

        Se ce n’estoit de son labeur.

                            L’AMANT

        Est-ce toute vostre clameur,

        Vostre soucy et pensement120 ?

        De ce, n’ayez crainte ne peur :

210  J’ay des biens assez largement,

        Qui sont à vo121 commandement ;

        Prenez-en com’ du vostre propre.

                            LA  FEMME  torche ses yeulx et se

                                          réconforte, et dit :

        Je vous remercye humblement ;

        À moy n’appartient pas tel offre.

                            L’AMANT

215  Je n’ay or n’argent à mon coffre

        – S’à plaisir vous vient de m’aymer –

        Que d’ung franc vouloir ne vous offre,

        Sans jamais vous abandonner.

                            LA  FEMME

        L’avoir122 me seroit trop amer

220  À prendre, d’ung si beau donneur,

        Quant, par mariage entamer,

        Perdisse le trésor d’onneur123.

                            L’AMANT

        Aussi, de mes ditz la teneur

        Ne porte(nt) point d’autre intendit 124,

225  Mais tousjours, sans nul déshonneur,

        Vous aymer d’onneste crédit.

        Pour tant125, que ne soye escondit,

        S’il vous plaist, à ceste requeste.

        Lors, de vous sera [bon crédit]126

230  D’avoir faict trèsnoble conqueste.

                            LA  FEMME

        En ouvrage où en rien ne s’acqueste127,

        C’est grant follie d’y quester

        Et128 de soy charger de tel queste :

        Je ne vaulx pas le requester129.

235  Et pour ce, sans130 plus cacquester,

        Ma foy tiens à qui m’a conquise.

        Ailleurs fault chasse racquester131,

        Car d’aultre que vous suis aquise.

                            L’AMANT

        Vostre reffus assez je prise,

240  Ma mignonne, pour ung prinsault132.

        Se vostre œil ung peu me desprise

        De ce premier trait, ne m’en chault.

        Mais133 que le froit reviengne en chault,

        Vostre dur cueur s’amollira ;

245  S’il ne tient plus que fil d’archault134,

        J’espère qu’il m’accu[ei]llira.

                            LA  FEMME

        Accueilli[r] d’autre n’en séra135

        Que mon mary, dans ma pensée.

        Ce qu’on vouldra l’on pensera.

250  D’aultre ne seray compensée136 ;

        Car à ce ne suis dispensée137,

        Quelque mal que j’aye ou souffrance.

        Et138 quant à la chose pensée,

        Il en est prou d’aultres en France.

                            L’AMANT

255  Si n’av’ous139 garde que j’en tence,

        Et deussé-je pour vous mourir.

        Et ! nonobstant vostre constance,

        Vous ne me lair[r]ez encourir140

        De mon141 povoir vous secourir ?

260  Je suis vostre, de142 corps et biens.

        Et pour vous en tous lieux courir

        Suis tout prest, s’en grâce parviens143.

                            LA  FEMME

        Le parvenir ne vous peut riens,

        Car mon personnage est trop minse ;

265  De greigneurs avez entretiens144

        Des plus belles de la province.

        Folleur seroit que vous détinse145

        D’abus ne parolles longtaines146.

        Mieulx vauldroit qu’a[vant] cela, vinse

270  Avoir tremblé fièvres quartaines147.

                            L’AMANT

        L’assault de douze capitaines

        Ne sçauroit vostre cueur abbatre !

        On n’a point tel chat sans mitaines148.

        D’une foys, de deux ne de quatre,

275  Se briser devoys149 comme plastre,

        Ne cesseray vous supplier.

        Vostre suis, saige ou tout folastre,

        À ce que me vouldrez plier150.

                            LA  FEMME

        Seigneur, cessez tout ce prier,

280  Et envers moy plus n’attendez :

        De mon costé ne fault fier151.

        Affin que court152 vous l’entendez,

        Aultre part vous prie que tendez

        Voz rez153, en plus propre desduyt154.

285  Temps perdez, s’à moy prétendez.

        Vélà mon refus, s’il vous duyt.

                            L’AMANT

        Duyre ? Nompas ! Se jour et nuyt

        Vous me disiez tousjours « va-t-en ! »,

        À vous prier riens ne me nuyt :

290  Je n’en cesseray de cest an.

        Vous n’estes pas si fort Satan

        Comme vous monstrez la rigueur.

        D’autant aujourd’huy com entan155,

        À vous mon cueur tient sa vigueur.

                            LA  FEMME

295  Tant prescher engendre ranqueur :

        Il est156 possible qu’on se157 fasche,

        Combien que vous monstrez, en cueur,

        Qu’en amours vous n’estes rien lasche.

        Quant pour le présent158, je vous masche159

300  Que plus ne m’en soit sermoné.

        À tenir tant l’ouvrage en ta[s]che160,

        C’est trop l’atellier ramonné161.

                            L’AMANT

        Ung rost162, s’il n’est souvent tourné,

        Il se brusle et pert sa saveur.

305  Se mon labeur est couronné163,

        Loué soit le benoist Saulveur !

        Si, de vostre amour en chaleur164,

        Mon povre cueur frit et frissonne,

                            (il l’embrasse ung peu)

        Mercy prendrez de sa douleur165,

310  Puysqu’à166 vous se rend et ransonne167.

                            LA  FEMME  se rend en disant :

        Je ne sçay si rude personne

        De femme (pour le faire court),

        S’une foys l’oreille abandonne168,

        Qu’on ne gaigne la « basse-court169 ».

315  Plus ne puis faire le cueur sourt :

        À vostre vueil suis, désormais,

        Vous priant, s’autre chose y sourt170,

        Que ne m’abandonnez jamais.

                            L’AMANT

        Repeu suis de tous entremetz,

320  Puisque vo cueur ay d’abandon ;

        D’autre acquérir ne m’entremetz,

        Soit en paix, guerre ou [par] bandon171.

                            Il luy donne ung annel, et la baise.

        Prenez en gré ce petit don

        De vingt escuz que je vous baille.

325  Et de Colin le bon preudon172,

        Vostre mary, plus ne vous chaille !

                            LA  FEMME

        Mon bon seigneur, comment qu’il aille173,

        Je vous pry que me venez veoir

        En ma chambre. Et quoy qu’on [en] raille,

330  Envers vous feray mon devoir174.

                            L’AMANT

        M’amye, de tout mon avoir

        Vous serviray, je vous affy175.

        Et quant vous vouldrez rien176 avoir,

        Venez à moy, n’ayez soucy.

                            LA  FEMME,  en soy suppliant 177.

335  Mon bon seigneur, vostre mercy !

        Mais d’une chose vous supplye :

        Que nous nous départons178 d’icy,

        Affin que nul mal on n’en dye.

                            L’AMANT

        C’est très sagement dit, m’amye.

340  Encor, anuyt179 vous iray veoir.

                            LA  FEMME

        N’y faillez pas, je vous en prie !

                            L’AMANT

        C’est très sagement dit, m’amye.

                            LA  FEMME

        Viendrez-vous ?

                            L’AMANT

                                    Je vous en affye.

                            LA  FEMME

        Et je feray bien mon devoir.

                            L’AMANT

345  C’est très sagement dit, m’amye.

        Encor, ennuyt vous iray veoir.

                            Il la baise et luy baille d’or et d’argent.

        Adieu vous dy jusques au soir !

        Tenez cest or et cest argent,

        Je vous [prie, et]180 faictes devoir

350  De faire vostre hostel bien gent181.

        Et  s’il y a paillard ou sergent

        Qui mal ou desplaisir vous face,

        Venez à moy : je suis régent

        [Du Palais]182, chascun me faict place.

                            LA  FEMME,  en [soy] suppliant.

355  Mon bon seigneur, de vostre grâce

        Vous mercye.

                            L’AMANT

                                 Allez, ne vous chaille !

        Ne craignez aulcune menasse,

        Et n’ayez peur183 que je vous faille.

.

                            Les instrumens jouent.184  Et puys

                            LA  FEMME,  en s’en allant, dit à parsoy :

        Prise suis d’estoc et de taille185.                                 SCÈNE  VIII

360  S’on le scet, je seray infâme.

                            Elle regarde son argent.

        J’ay pour avoir meuble et vitaille186.

        Il n’est celle qu’avoir n’affame187.

        Mainte se tient pour preudefemme

        Par faulte de la requérir188.

365  Qu’elle sauve son los et fame189,

        Car elle n’en scet où quérir190.

        Si me fault penser d’acquérir

        – Puisque j’ay trouvé ce butin –,

        Sans y penser plus, n’enquérir191.

370  C’est assez du premier hutin192.

                                    *

                            COLIN 193                                            SCÈNE  IX

        Sçavoir vouldroye ung bon tatin194

        Comment faict nostre mesnagière ;

        S’en bon françoys ou en latin

        Elle faict bonne ou malle ch[i]ère195.

375  À elle prendray ma dressière196,

        Car en ce pays n’y faict[z] nulz197.

        Je n’ay pourpoint ne robe entière ;

        À peu que je ne suis tout nudz.

        Ung cent198 de poux gros et menus

380  [Je luy]199 porte en lieu de pécune.

.

                            Il va en sa maison, et dit en entrant :     SCÈNE  X

        Dieu gard !

                            LA  FEMME

                              Estes-vous revenus ?

        Av’ous d’argent ?

                            COLIN

                                      Forme nésune200.

                            LA  FEMME

        C’est grant faict !

                            COLIN

                                      Ce n’est que Fortune201 :

        Au livre des heureux m’efface.

                            LA  FEMME  se seigne 202.

385  Pas une croix203 ?

                            COLIN

                                       Non, pardieu, q’une :

        Celle qui se tient en ma face204.

        Se vous me chantiez la préface205

        Du grand Sanctus, ou le Credo…

        Quant à fournir206, ne sçay que face,

390  Car ma lesson n’est qu’à crédo 207.

                            LA  FEMME

        Vous estes à quia 208 ?

                            COLIN

                                              Mais à « ho209 ! » :

        Ne puys tirer s’on ne me boute.

                            LA  FEMME

        Que ferons-nous ?

                            [COLIN]

                                       Feste à gogo,

        S’on joue de la sacqueboute210.

                            LA  FEMME

395  A ! pouvre perdu !

                            COLIN

                                        Somme toute,

        Boire fault, vélà mes211 raisons.

        C’est trop tenu propos de route212,

        Pour ung homme qu’a les dens longz213.

        Avant214, Catin, m’amour, allons !

400  Je suis creux215 com une lanterne.

                            LA  FEMME

        Nous allons bien à reculons.

                            COLIN

        C’est selon la mode moderne216

        Bevons !

                            Il se met à table, et

                            LA  FEMME  luy baille à boire de l’eau, et dit :

                         Vélà d’eau de cisterne217 ;

        Or bevez, se vous avez soif !

                            COLIN

405  Elle faict le [mal sainct]218 Materne.

        Pendu soit-il qui vous en croit !

        Elle me faict trembler de froit,

        Quant je la voy dessus la table ;

        Elle [e]st plus propre à faire broit219,

410  Et au[x] chevaulx plus convenable.

                            LA  FEMME

        Mais dont venez-vous ?

                            COLIN

                                               Dont ? Du dyable !

        De tant de pays que c’est rage.

                            LA  FEMME

        Av’ous veu lieu plus profitable

        Ont220 vous ayez plus d’aventage ?

415  Vous avez esté en fourrage221

        Despendre follement le vostre222.

        En quelque fille de passage

        Avez faict du paillard avoutre223.

                            COLIN

        Et ! non ay, par la Patenostre !

420  Mais ay esté preudhomme et bon.

        Or m’en croyez !

                            LA  FEMME

                                      Ha, fin apostre !

        Je cuide bien que sçavez mon224.

                            COLIN

        Je vous pry qu’à boire [on] s’acoustre225,

        Et me laissez ce grand sermon.

                            LA  FEMME

425  G’y voys226.

                            COLIN

                                Apportez d’ung jambon,

        Pour nous mettre en vin227 pour entrée,

        Et du vin [de sus]228 Jehan Coppon.

        Et venez de cours229, ma sucrée.

                            LA  FEMME  aporte à boire et à manger,

                            et Colin boit. Et elle dit :

        Avant, Colin ! À la230 havée !

430  Entendez à ceste besoigne.

                            COLIN  la flate 231.

        Loué soit Dieu quant t’ay trouvée !

        Vous estes ma sadine troigne232.

                            LA  FEMME

        Ce nonobstant, fault que je soigne

        Vostre « vie233 » en quelque moyen.

435  (Il a bien fallu, pouvre yvroigne,

        Qu’ailleurs j’aye trouvé maintien234.)

                            COLIN

        Ce ne vous est que los et bien

        Entre les femmes de ce lieu.

                            Il regarde le mesnage 235 et dit :

        Dont est venu tant de merrien236

440  Et de mesnage que j’ay veu ?

                            LA  FEMME

        Colin, de la grâce de Dieu237.

                            COLIN

        Et ce beau lict, ciel et cortines238,

        Simaises239, potz, casses, bassines ?

        Dont vous est venu cest aveu240 ?

                            LA  FEMME

445  Colin, de la grâce de Dieu.

                            COLIN

        Bancz, tréteaux, tables, escabelles,

        Et tant d’utensiles si belles :

        Dont l’av’ous gaigné, n’à quel jeu ?

                            LA  FEMME

        Colin, de la grâce de Dieu.

                            COLIN  s’agenoille et dit :

450  Et ! loué soit le bon Jésus

        En tous temps, yver et esté,

        Qui de ses trésors de lassus241

        Nous a tant de biens [a]presté !

                            Il se dresse.242

        Tant de foys me suis arresté

455  À genoux devant son ymage,

        Quant j’estoy[e] en nécessité,

        Que je n’avoye pain ne fromage,

        Luy prier en mon chant ramage243

        D’avoir secours à mon besoing,

460  Luy promettant foy et hommage.

        Mais oncques n’en ouvrit le poing244.

                            LA  FEMME

        Saint Jehan ! Mais je sçay le droit coing

        De l’église dont il les oyt245.

                            COLIN

        C’est donc de plus près ?

                            LA  FEMME

                                                  Mais plus loing

465  Qu’il prent sa visée246 et nous voit.

                            COLIN

        Je ne sçay. Mais comment qu’il soit,

        Je suis de luy trèsfort content,

        Quant ainsi tous noz biens accroît,

        Veu que n’avions ne peu ne tant247.

470  Il me souffist, pour le présent.

        J’en loue le Dieu éternel.

                            Il regard[e] à ung petit enfant emprès elle, et dit :

        Et puis, à qui est cest enfant ?

                            LA  FEMME

        Il est à moy.

                            COLIN

                               Vray filz charnel ?

        Après la brebis vient l’aignel248.

475  Mais de qui l’avez-vous conceu ?249

                            LA  FEMME

        Colin, de la grâce de Dieu.

                            COLIN

        Je ne luy en sçay gré ne grâces,

        De s’estre de tant avancé !

                            LA  FEMME

        Usez-vous à Dieu de menasses ?

480  Fault-il, du bien, estre tancé ?

                            COLIN

        Ouÿ, car il m’a offencé

        De soy mesler de tant de choses.

        À luy je n’ay pas tant pensé.

                            LA  FEMME

        Taisez-vous, ce ne sont que roses.

                            COLIN

485  Je n’y entens texte ne gloses250,

        Et n’ay bien eschauffé le front251.

                            LA  FEMME

        Ce ne sont que richesses closes252

        À plaines253 cornes, qui naistront

        À cest enfant.

                            COLIN

                                 C’est ung estront

490  De chien chié emmy vostre gorge254 !

                            LA  FEMME

        Dieu et les sainctz s’en cour(rou)ceront :

        Or, vous taisez !

                            COLIN

                                      Bon gré sainct George !

        Le cas trop me grièfve255 et escorche.

        Fère enfans, c’est trop procédé256 !

                            LA  FEMME

495  Pourquoy ?

                            COLIN

                             Car cela me rend lorche257.

        C’est, à Dieu, trop tourné258 le dé.

                            LA  FEMME

        Estes-vous yvre ou embridé259,

        Et plain de tout[e] ingratitude

        Contre Dieu, qui vous a vuydé

500  De misère et sollicitude ?

        Se Dieu, à vous qu’estes si rude,

        A donné des biens par entier,

        Et puys (selon loy d’Institute 260)

        Il vous a faict ung héritier,

505  Louez Dieu en vostre mestier261 !

        Car cecy n’est pas de nouveau ;

        C’est le dit de chascun quartier :

        À la vache est tousjours le veau262.

                            COLIN

        Ou mol, ou dur com ung morti[e]r,

510  C’est le dict de chascun quartier.

                            LA  FEMME

        C’est trop exposé le psaultier263 ;

        Ne vous chault qui soit le toreau264.

                            COLIN

        C’est le dit de chascun quartier :

        À la vache est tousjours le veau.

515  Tousjours ronge son frain Moreau265.

.

        À chascun argument, réplicques ;                               SCÈNE  XI

        Et de reproches plain boisseau266,

        Qui servent en lieu de rubriques267 :

        C’est le faict d’entre nous, comicques268.

520  Comment femme, du tout269, renverse

        Nostre intendit 270 ? Et ! pour relicques271,

        C’est l’istoire de nostre Farce.

                            LA  FEMME

        Hélas ! se je suis povre garce272,

        C’est à cause de ma partie273 ;

525  Car j’eusse plus cher qu’on m’eust arse274

        Que de mener meschante vie.

        Pour ce, Messeigneurs, je vous prie

        Que voz femmes n’abandonnez.

        Et se nous avons dit follie,

530  S’il vous plaist, que nous pardonnez !

                            COLIN

        Bonnes dames, entretenez

        Voz maris par bonne manière,

        Et trop fort ne les ransonnez

        Pour faire trop de la gorrière275.

535  Telle cuide estre la première,

        Qu’est276 la dernière de la dance.

        Pardonnez-nous, à no277 prière,

        Se nous vous avons faict offence !

.

                                CY  FINE  COLIN.

*

.

La première Facécie

est d’ung povre pêcheur

qui loua et despitta Dieu

tout en une heure. 278

.

Pour la petite provision que ce povre jeune homme faisoit en la maison, sa femme souvent le tourmentoit & tempestoit ; et si, luy donnoit grandes reprouches. Tellement que le povre compaignon, comme tout désespéré, proposa de s’en aller dessus la mer et délaisser sa femme, en espérance de gaigner, et de ne retourner jamais en sa maison ne au pays tant que il eust aucune chose conquesté279…. [Il] partit d’avecques sa femme, laquelle il laissa en une povre maisonnette toute descouverte280, ayant seullement ung petit lict dont la couverture ne valloit comme riens. Et s’en alla dessus mer, là où il y fut près de cinq ans ou plus sans revenir.

Or advint que, tantost après que ce dit gallant fut party, le filz sa mère281, qui estoit tout de loisir, voyant la beaulté de ceste povre jeune femme que son mary, par povreté, avoit habandonnée, vint à elle, & l’exhorta par belles parolles, dons & promesses qu’il luy fist ; tant qu’elle se consentit faire sa voulenté, et mist en oubly la foy de mariage qu’elle avoit promise à son mary. Ainsi recouvrit282 la povre femme, pour283 son mary, ung amy. Lequel la vestit plaisamment, & luy donna trèsbeau lict & belle couverture. Luy fist refaire la maison toute neufve, la nourrit & gouverna trèsbien. Et, qui plus est, à l’aide de Dieu — & de ses voisins —, en succession de temps luy fist trois beaulx enfans, lesquelz furent deuement284 eslev[é]z et nourris, tant qu’ilz estoyent jà tous grans quant le mary de la mère, qui estoit desjà oublyé, retourna ; lequel, au bout de cinq ans ou environ, arriva au port de la cité, non pas tant chargié de biens qu’il avoit espoir quant il partit.

Après que ce povre homme fut descendu sus terre, il s’en alla en sa maison ; laquelle il vit toute réparée, sa femme bien vestue, son lit couvert d’une belle couverture, et son mesnaige trèsbien en point. Quant cest homme vit cest estat ainsi que dit est, il fut moult esbahy, et demanda à sa femme dont ce procédoit. Premier, qui avoit esté cause de refaire la maison, de la revestir si bien ? Qui luy avoyt donné son beau lit, sa belle couverture ? Et générallement, dont estoyent procédéz & venus tant de biens à la maison qu’il n’y avoit au-devant285 qu’il partist ? À toutes les demandes que ce mary feist à ceste femme, elle ne respondit autre chose sinon que la grâce de Dieu les luy avoit envoyéz et luy avoit aydé. Adoncques commença le povre homme à louer Dieu, & luy rendre grâce de tant de biens qu’il luy avoit envoyéz.

Tantost après arriva dedans la maison ung beau petit enfant, environ de l’aage de troys ans, qui se vint froter encontre la mère, ainsi que la mère l’admonnestoit286. Lors le mary, ce voyant, tout esbahy, commença à demander qui estoit celuy enfant. Elle respondit qu’il estoit à eulx. Et le povre homme, tout estonné, demanda dont il luy estoit venu que, luy estant dehors et en son absence, elle eust conceu & enfanté ung enfant. À ceste demande respondict la jeune femme que ce avoit esté la grâce de Dieu qui luy avoit envoyé. Adonc le povre homme, comme tout hors du sens et enragé, commença à maugréer et despiter287 Dieu, que tant solicitement288 s’estoit meslé de ses besongnes & affaires, qu’il ne luy suffisoit pas de se mesler des affaires de la maison sans qu’il touchast à sa femme & luy envoyer des enfans.

Ainsi, en peu d’heure, le povre homme loua, maulgréa & despita Dieu de son fait.

*

1 Voir la notice de Pour le Cry de la Bazoche.   2 Recueil de farces, t. I. Droz, 1986, p. 117.   3 Voir Jean-Pierre CHAMBON : Touches régionales dans Colin qui loue et despite Dieu…. Zeitschrift für romanische Philologie, 1996, pp. 387-400. (Toutefois, le savant linguiste laisse de côté les nombreuses localisations qui contredisent sa thèse.)   4 Colin est laboureur. N’étant pas assez riche pour avoir son propre champ, il travaille dans celui des autres (vers 88).   5 Aiguillonner, piquer avec un aiguillon le bœuf qui tire la charrue. Mais Colin est trop pauvre pour avoir un bœuf ; il est seulement armé d’une houe. Cette chanson de laboureurs est perdue.   6 BM : Ne   7 Me reposer. « De ton chaitif corps séjourner. » ATILF.   8 De quel côté.   9 BM : Ne de  (Voir le vers 448.)  Ni à quel avis me rallier.   10 « MALLIER : Cheval de valet, ou de postillon, qui porte la malle. » (Furetière.) L’auteur devait connaître ce vieux triolet du ms. de Stockholm : « Cent mile escus et ung cheval,/ Santé, et adieu le galant ! »   11 Le caillier est un vase à boire. Les nobles sont des pièces d’or anglaises.   12 Selon la mode. Cf. la Folie des Gorriers, vers 233.   13 Elle arrive du village.   14 Pourquoi ? Cf. Régnault qui se marie, vers 118.   15 C’est dans l’intention de mon cœur : J’en ai bien l’intention (ironique).   16 Occupez-vous de votre cuisine. Le potage est une potée.   17 Un huissier est venu à notre domicile pour saisir nos biens. Cf. les Premiers gardonnéz, vers 257.   18 Par terre.   19 Que je sasse. Colin en est encore à labourer le champ de blé : on n’est pas près d’avoir de la farine !   20 De notre créancier.   21 Il manque un vers en -ment, et un vers en -ures.   22 Sur votre lancée : tant que vous y êtes.   23 Pour ressemeler mes souliers.   24 Hypothéquez vos.   25 Je n’ai plus un sou. Cf. le Bateleur, vers 147.   26 De son sein, de sous sa robe : « Lors, de son sain tira la boursse. » (A. de La Sale.) De la même façon, l’épouse de Calbain dérange son mari au travail pour qu’il lui paye une robe, et voyant son peu d’enthousiasme, elle lui vole sa bourse.   27 Ces prétextes. « Sous couverture : sous prétexte. » Antoine Oudin.   28 Sans qu’on puisse.   29 Véritablement.   30 Les fauconniers placent un chaperon de cuir sur la tête des oiseaux de proie pour qu’ils ne soient pas perturbés par l’environnement. « Maiz autre chose est du faucon,/ Car on lui met le chapperon. » (ATILF.) Au second degré, le « faux con » désigne la vulve, comme le confirme le vers 46. « Il craind un peu le dangereux faux con. » Lasphrise.   31 De pénis. « Il luy vint mettre son espervier, ou, pour plus clairement parler, son instrument entre les mains. » (Brantôme.) Duire = convenir. Idem vers 286 et 287.   32 Vous moquez-vous ?   33 Mon lapin. Cf. l’Amoureux, vers 87. Pour rester dans la métaphore animalière, nous dirions aujourd’hui : ma chatte.   34 Un jambon : voir le vol du bacon dans le Roman de Renart. Le couple a promis d’offrir un jambon en ex-voto au saint thaumaturge qui a guéri la cuisse de Colin.   35 À quel sujet ?   36 Le premier dimanche de Carême, qui succède à la nuit des Brandons.   37 Diminutif commun de Catherine. Idem vers 67 et 399. « Catin veult espouser Martin :/ C’est faict en trèsfine femelle./ Martin ne veult point de Catin :/ Je le trouve aussi fin comme elle. » Clément Marot.   38 Même sans avoir de raison, je…   39 Pas un sou.   40 BM : sains  (Ni dans mes mains.)   41 Il s’en faut de peu que je n’ôte ma ceinture. Voir la note suivante.   42 Une cession de mes biens. « En matière de cession de biens, l’on faict abandonnement de sa ceinture devant la face du juge…. Celuy qui abandonne ses biens est tenu par mesme moyen d’abandonner sa ceinture en justice. » Estienne Pasquier.   43 Vu tout ce que j’ai à payer : impôts, créances, caprices de l’épouse, etc.   44 Dont le dossier peut se pencher vers l’avant ou vers l’arrière, suivant le côté où les gens s’assoient. Un site fort bien illustré met en valeur ce meuble qui prouve une fois de plus l’ingéniosité de nos aïeux.   45 Qui vaille quelque chose. Voir les vers 489-490.   46 Vous ne m’aimez pas.   47 Il manque un vers en -tié et deux en -vie, qui nous démontraient que selon la morale chrétienne, il vaut mieux faire pitié qu’envie.   48 Transportée, troublée.   49 Qu’il nous manque tout ce qui est chez nous.   50 BM : a  (De ces choses inutiles. Cf. le Résolu, vers 125.)   51 Nul acquêt, nul profit.   52 C’est plutôt un préjudice. Cf. la Résurrection de Jénin Landore, vers 64.   53 Plaisir.   54 Un apprêt, un arrangement.   55 Le caresse. Au vers 431, c’est Colin qui la caressera.   56 BM : bruit  (Broit = brouet, bouillon indigeste. Idem vers 409.)  « Or vueilles donc considérer/ Quel broit le Monde si te brasse. » La Remembrance du mauvais Riche. <Brasser un brouet = préparer un mauvais coup : cf. les Coppieurs et Lardeurs, vers 421.>   57 Me voici. Cette forme de « voyez-moi ici » couvrait plusieurs régions : Poitou, Dauphiné, Lorraine, etc.   58 Le « prix fait » désigne un travail accompli pour un prix convenu. « Quarente livres tournois pour partie de certain préfait à luy baillé par madicte dame pour faire le plancher du hault de la salle. » ATILF.   59 BM : labeur   60 À partir d’ici, les demandes de la femme deviennent ambiguës, et peuvent concerner aussi bien l’argent que le sexe. On peut comprendre : Baillez-moi mon picotin, ma ration de sexe. « (Il) la veult voir ordinairement/ Et luy bailler le picotin. » G. Coquillart.   61 Que de plaids, de discours.   62 Vers manquant. Je recycle un vers de Charles d’Orléans : « Il me desplaist d’en tant parler. »   63 J’interdis tout acte de violence. « Faire cesser la voye de fait. » (ATILF.) « voi-e » compte pour 2 syllabes. Le vers suivant, tel que je le complète, est le vers 528 de Serre-porte.   64 On traduit cet hapax par tromperie, d’après le verbe gaber. C’est aussi le sens du brocard : cf. la Pippée, vers 99.   65 Ou que le mal des ardents me brûle.   66 Certains hommes cachent leur bourse dans leur braguette : cf. Saincte-Caquette, vers 424 et note. La femme essaie donc de « pêcher » quelque chose dans la braguette de son époux.   67 Et moins je m’en débarrasse. « Dieu scet comment je m’en despêche ! » Les Femmes qui font baster leurs maris aux corneilles (F 29).   68 Jargon de basochiens : Où le prenons-nous, cet argent ? « –En ceste ville, il y a force preudes femmes, chastes & pucelles. –Et ubi prenus ? dist Panurge. » (Pantagruel, 15.) Qui ne l’emble = si on ne le vole pas.   69 Le sourire de Catin laisse entendre à son époux qu’il trouvera de la « chair fraîche » au lit plutôt qu’à table.   70 Venez au galop. Idem vers 428. « Et ne vont jamais les chevaulx, en icelluy pays, que le pas ou le cours. » ATILF.   71 L’amble est un des pas du cheval, comme le marcher et le trot du vers 104. Jeu de mots sur « embler » : dérober (vers 100).   72 Cette chicanerie. Un avocat du Plaidoyé de Coquillart dit : « J’ay bien ouÿ tout son tripot/ Et ses baves : elle prouvera/ Tous ses fais. »   73 Je vous rembourserai.   74 Elle ne renonce pas à son idée de copuler. Faire = faire l’amour, comme au vers 117. Cf. Frère Guillebert, vers 33.   75 Un grand festin : cf. Colinet et sa Tante, vers 75 et note. Les landiers sont des chenets sur lesquels les rôtisseurs font tourner les broches. Voir le vers 303.   76 BM : chantiers  (De tous côtés. « Y renient et maugrient Dieu/ Pour moins que rien, en tous cartiers. » Troys Galans et un Badin.)   77 BM : Pour  (« Tout le meilleur de sa grande excellence. » Hugues Salel.)  Ce que vous savez faire de mieux.   78 Le hareng saur est la nourriture des pauvres lors des jours maigres. Les riches, eux, s’en mettent plein la bedaine : « C’estoit un jour maigre, où il couste d’ordinaire trois fois autant qu’à un jour de chair. » Facécieux devis et plaisans contes.   79 Par saint Maur. Cf. Messire Jehan, vers 322.   80 À part soi : en aparté. Cette indication scénique va revenir souvent, dans une œuvre qui en compte beaucoup.   81 Que les Anglais puissent vous détenir en otage contre rançon. Colin espère peut-être qu’ils la garderont 25 ans, comme Charles d’Orléans.   82 BM : masserre  (Elle me prive. « Affamé d’argent : nécessiteux. » Oudin.)  « Gens affamés d’argent auront leurs cours. » La Cène des dieux, T 17.   83 Toute sa rengaine.   84 Comme si je devais le ramasser dans une mine d’argent. G. de Machaut dit que pour arriver à payer tous les impôts, « on pourroit bien une mine miner ».   85 Où le trouver. Cf. les Drois de la Porte Bodés, vers 232.   86 Si ce n’est.   87 M’enfuir.   88 Vais. Idem vers 425.   89 Avec des pois.   90 Quoi qu’on mette sur l’autre plateau de la balance pour m’en dissuader.   91 En chemin, elle se retourne et ne voit pas venir son mari.   92 Ce compagnon (péjoratif). Cf. la Satyre pour les habitans d’Auxerre, vers 122 et note.   93 À hauteur du monastère.   94 Ou serait-ce qu’il est demeuré au champ, ou qu’il se repose (vers 2) ? Catin retourne au champ.   95 Il entend le cri de sa femme, de loin.   96 J’y retourne (ironique). Cf. les Femmes qui font refondre leurs maris, vers 290.   97 Vous ne m’y attraperez pas de longtemps.   98 Elle comprend que son mari l’a quittée.   99 Le nouveau marié promettait à son épouse la « foi de mariage ».   100 Misérable. Cf. les Drois de la Porte Bodés, vers 63.   101 Ma moitié, mon mari. Idem vers 524. Cf. Frère Frappart, vers 281. Mais la femme a aussi « perdu sa partie » en jouant contre Colin. Enfin, elle a perdu la partie virile de l’homme : « Garde bien que t’amye/ N’ayt pas faulte de ta partie,/ Ou tu t’en feras mespriser. » Le Conseil du nouveau marié (BM 1).   102 Privée de joie. « Amorti de toute joie. » (Froissart.) La rime « tarme » est plutôt parisienne, mais pas exclusivement.   103 Pourvue.   104 C’est-à-dire l’amoureux, sans connotation sexuelle. Il sort de chez lui et entend la femme, qui pleure sur un banc à proximité.   105 Ou de soldats. Rappelons que le rôle de la femme est tenu par un homme.   106 Ni harnais, ni hallebarde : sans perdre de temps.   107 Et si je peux adjoindre quelque chose. L’Amant est un juriste : les 3 vers suivants et beaucoup d’autres contiennent des termes de droit.   108 Au sujet de l’affaire principale qui m’amène. Le Juge de la Farce de Pathelin ordonne : « Laissez en paix ceste assessoire/ Et venons au principal ! »   109 Cet échange de politesses prouve que les deux protagonistes ne s’étaient pas encore vus aujourd’hui : l’Amant n’est donc pas le sergent qui vient d’opérer la saisie chez Catin.   110 BM : ceste val  (Dans cette descente, en contrebas. L’expression est lyonnaise, mais Chambon ne l’a pas relevée. « Et s’en dévalet un aval per Fonturbanna. » Paulette Durdilly, Documents linguistiques du Lyonnais, p. 253.)   111 Des plaintes.   112 S’il y a quelque chose qui vous chagrine.   113 Je règle tous les litiges.   114 BM : elle   115 Je suis très mal lotie. Le public a dû sourire : l’appointement désigne aussi le coït ; cf. le Nouveau marié qui ne peult fournir à l’appoinctement de sa femme.   116 Sans que j’aie démérité.   117 Il s’est séparé.   118 Même s’il était mort.   119 Choit, retombe.   120 Votre pensée.   121 Votre. Même pronom picard au vers 320.   122 L’argent.   123 Je n’en voudrais pas si, en écornant mon mariage, je devais perdre mon honneur.   124 D’autre volonté. On retrouve ce terme juridique au vers 521. Cf. les Sotz escornéz, vers 252.   125 Pour cela.   126 BM : mon edit  (Vous aurez bonne réputation, car vous aurez conquis un notable. « Moy, dea, je porte bon crédit. » Légier d’Argent.)   127 Dans une action où il n’y a rien à gagner.   128 BM : Car  (Le ms. de base portait une esperluette, « & », abréviation de « et ». Les clercs de la Basoche, qui devaient économiser le papier, employaient beaucoup d’abréviations latines qui ont posé d’énormes problèmes aux imprimeurs.)   129 Je ne vaux pas la peine qu’on me sollicite.   130 BM : den  (« Sans plus cy caqueter. » La Résurrection Jénin à Paulme.)   131 Il faut aller chasser ailleurs.   132 Pour une première fois.   133 Pour peu.   134 S’il n’est pas plus solide que du fil d’archal, une sorte de fil de fer.   135 Saura, pourra (normandisme). « Et sy, n’en séra rien mon père. » Messire Jehan.   136 Dédommagée.   137 Autorisée.   138 BM : Cest  (Encore une esperluette mal résolue : voir la note 128.)  Et pour la chose à laquelle vous pensez, vous trouverez d’autres femmes.   139 N’avez-vous. (Même contraction normande aux vers 382, 413 et 448.) Aussi, vous ne risquez pas que je m’en plaigne.   140 Ne me laisserez-vous tenter. Le futur « lairrez » est plutôt normand : cf. le Testament Pathelin, vers 451.   141 BM : non  (De tout mon pouvoir. « De mon povoir je vous supporte [soutiens]. » Pour porter les présens.)   142 BM : et  (L’abréviation manuscrite du « de » peut ressembler à « et ».)  « Ne soit au Roy de corps et biens. » Pour le Cry de la Bazoche.   143 Si je peux entrer dans vos bonnes grâces.   144 Vous avez de meilleurs entretiens. Cf. le Tesmoing, vers 245-6.   145 Ce serait folie que je vous détienne.   146 Qui se concrétiseront un jour lointain   147 Que j’aie attrapé la fièvre. Cf. la Pippée, vers 10.   148 On n’attrape pas un chat qui griffe sans mettre des gants. Cf. les Esveilleurs du chat qui dort, vers 79-80. Mais le chat désigne aussi le sexe de la femme : « Tenant “l’éguille” en mains, que j’enfile à veuglettes,/ Car les chats sont trop grands, chacun s’en plainct partout. » Lasphrise.   149 Même si je devais me briser.   150 Imposer.   151 Vous ne devez pas placer votre foi en moi.   152 Qu’en peu de mots. Idem vers 312. Cf. Ung Fol changant divers propos, vers 126.   153 Que vous tendiez vos rets, vos filets.   154 Vers un plaisir plus digne.   155 Comme antan, comme l’an dernier. Ce n’est donc pas la première tentative de l’Amant, qui connaît déjà le couple : voir les notes 172 et 183.   156 BM : nest   157 BM : ne  (Que je me fâche.)   158 Pour le moment. « Amender ne le puis, quant pour le présent. » Perceforest.   159 Je vous dis en articulant. Nous dirions aujourd’hui : Je ne mâche pas mes mots.   160 À cœur.   161 C’est trop balayer l’atelier. Mais « ramoner l’atelier », c’est aussi faire l’amour : cf. Frère Guillebert, vers 27 et note.   162 Un rôti à la broche.   163 BM : destourne  (Récompensé.)   164 Étant enflammé de votre amour. « Votre amour en chaleur » n’est pas involontaire : « Quand quelque femme entre en challeur. » Marot.   165 BM : labeur  (Réminiscence du vers 305.)  Vous prendrez pitié de sa douleur.   166 BM : Puys que   167 Il se soumet à la rançon que vous exigerez de lui. Les séducteurs ont toujours recours au vocabulaire militaire ; il est efficace, puisque « la femme se rend ».   168 Si elle prête une fois l’oreille aux discours des galants. Je recommande la thèse extrêmement fine que Carol Anne KENT a consacrée pour partie à cette farce en 1997 : Le Signe trompeur : une étude du langage ambigu et mensonger dans quelques farces médiévales, pp. 159-181.   169 Son bas-ventre. « Avoir pouvez les talons si très cours*/ Qu’ilz [que les gens de Cour] ont bien pu estre en voz basses-cours/ Logéz au large. » (Débat des dames de Paris et de Rouen.)  *Les femmes qui ont les « talons courts » tombent à la renverse facilement.   170 Si une autre femme se présente.   171 Par licence. « Jàçoit que parmy tout le pays des Mèdes régnast licence et grand bandon. » Godefroy.   172 Prudhomme, homme sage (ironique). En effet, Colin se définira comme tel à 420. Remarquons que l’Amant connaît le nom de Colin, qui n’a pas été prononcé : voir la note 155.   173 Quoi qu’il advienne.   174 Son devoir extra-conjugal. Catin va lourdement insister pour que l’Amant vienne consommer sa victoire : vers 341-344.   175 Je vous l’affirme. Idem vers 343.   176 Quelque chose (sens étymologique).   177 En s’inclinant. Même forme de « se souployer » au vers 355. « Qu’il ne ploiassent,/ Ne que vers Dieu se suppliassent. » Godefroy.   178 Que nous partions. Les deux tourtereaux sont assis sur un banc, loin de la maison de Catin.   179 Cette nuit. Cf. la Confession Margot, vers 2.   180 BM : priez   181 D’embellir votre maison.   182 BM : Des galans  (Quelques lettres du ms. de base ont été mal lues.)  Le régent du Palais de justice n’est autre que le roi de la Basoche : « Item a esté ordonné que le régent du Palais, ou roy de la Bazoche, sera esconduit de la requeste par luy faicte. » <Michel Rousse : la Confrérie des Conards de Rouen. Textes de farces, documents d’archives ; p.67.>  Cf. les Veaux, vers 101.   183 BM : pour  (Voir le vers 209.)  N’ayez pas peur que je vous fasse défaut. L’Amant se retire (définitivement), et Catin marche vers sa maison, dont elle n’a pas eu besoin de préciser l’adresse puisque l’Amant la connaît déjà.   184 Les basochiens mettaient des interludes instrumentaux dans leurs pièces : « Icy sonnent les instrumentz. » Pour le Cry de la Bazoche.   185 D’une manière ou d’une autre. Les femmes usent elles aussi du vocabulaire guerrier.   186 Des victuailles. Cf. l’Aveugle et Saudret, vers 1090.   187 BM : neffame  (Graphie normale au vers 132.)  Il n’y a pas de femme qui ne soit affamée d’argent.   188 Parce qu’aucun homme ne la requiert.   189 Son honneur (idem vers 437) et sa réputation.   190 Elle ne saurait en trouver d’autre.   191 Ni me poser de questions.   192 C’est suffisant pour un premier coït. Cf. Frère Guillebert, vers 133 et note.   193 ACTE II. Nous sommes un an plus tard. Colin est en train de labourer dans une autre ville.   194 Un coup.   195 Ou mauvaise chère. Ce mot désigne à la fois la figure et la nourriture.   196 Un raccourci. « Le chevalier se destourna du grand chemin en une petite dressière. » Jacques Gohory.   197 Je n’y fais pas d’argent.   198 Une centaine.   199 BM : Que ie   200 Sous aucune forme.   201 C’est la faute de Fortune.   202 Elle se signe pour conjurer le mauvais sort.   203 Pas un sou. Idem vers 37.   204 Le signe de croix que vous venez de faire devant moi.   205 La partie de la messe qui précède le Sanctus. « Ce n’est encor que la Préface ;/ Nous serons tantost au Sanctus. » Deux hommes et leurs deux femmes.   206 Fournir de l’argent.   207 Mon apprentissage du latin en est encore à credo. Ce mot signifie « je crois » (vers 388), mais aussi « je prête ». Pour cette raison, en argot de basochiens, le crédo désigne le crédit : « Je l’ay eu à crédo. » Moral de Tout-le-Monde.   208 Encore du latin : en mauvaise posture. « Nous sommes toutes à quia. » Sœur Fessue.   209 Halte ! C’est une injonction de charretier. Colin se compare à un cheval arrêté, qui ne peut tirer la charrette si on ne le pousse.   210 Cet ancêtre du trombone, plutôt aristocratique, n’allait pas se galvauder dans les fêtes populaires. Mais Colin le nomme parce qu’il symbolisait le phallus, qu’on tire et qu’on pousse : « Je boute et sacque et boute/ Souvent de ma sacqueboute. » Bruno Roy, Devinettes françaises du Moyen Âge.   211 BM : mais   212 BM : tout  (À la suite. Cf. le Ramonneur de cheminées, vers 219.)  C’est trop bavarder.   213 Qui a les dents longues : qui a faim.   214 En avant ! Allons ! Idem vers 429.   215 J’ai le ventre creux.   216 La mode italienne qui subjuguait la France artistique et politique touchait également les mœurs. À en croire certains, le « vice italien » n’existait pas chez nous avant l’irruption de la « mode lombarde », ou de la « mode milanaise », ou de la « mode romaine » que dénonceront les protestants.   217 Les campagnards recueillaient l’eau de pluie dans une citerne. Ils pouvaient la boire à condition de la faire bouillir.   218 BM : col trop  (Saint Materne ressuscitait les noyés, victimes de l’eau.)  Les deux éditeurs modernes ont lu « Elle me faict ».   219 Un brouet, un bouillon indigeste. Voir la note 56.   220 Où. « Ces parolles que m’avez dit,/ Ont les trouvez-vous par escript ? » Le Conseil du nouveau marié (BM 1).   221 En vadrouille, comme les soldats qui vont au pillage.   222 Dépenser votre argent. « Sans du vostre beaucoup despendre. » Colinet et sa Tante.   223 Adultère. La rime est en -ôtre : « Enfans d’avoltres. » (Godefroy.) On admirera le cynisme de l’épouse, qui prête ses propres turpitudes à son mari.   224 Que vous en savez beaucoup. « Mon » est une particule de renforcement qui étaye le verbe.   225 On se dispose.   226 J’y vais, chercher du vin.   227 Pour que son goût salé nous incite à boire.   228 BM : dessus  (De chez Jean Copon, qui est apparemment le tavernier du village.)   229 Au galop (note 70).   230 BM : ceste  (Anticipation du vers suivant.)  Mangez à pleines poignées ! « Sitost que les pastéz sont cuys (…),/ Chascun en prengne sa havée/ Tant qu’il se brusle le palays ! » Actes des Apostres.   231 La caresse.   232 Mon gracieux museau. Cf. Raoullet Ployart, vers 3.   233 Jeu de mots sur « vit » : pénis.   234 Un soutien. Ces 2 vers sont dits en aparté. Colin ne répond pas tout de suite aux deux vers précédents parce qu’il a la bouche pleine.   235 Les meubles, la vaisselle et le linge de maison.   236 De mobilier.   237 Tissier rappelle qu’Étienne Jodelle reprendra cette réplique en 1552 dans l’Eugène, où un cocu dit de sa trop riche épouse : « Car c’est de la grâce de Dieu/ Que cest argent luy vient ainsi. » De fait, le mari a les mêmes difficultés que Colin : « Le créancier/ M’a faict ore signifier/ Qu’il veut que je paye aujourd’huy. »   238 Le ciel de lit et les courtines constituent le baldaquin.   239 Une cimaise est un pot à vin. Une casse est une casserole : cf. le Munyer, vers 437.   240 La traduction « biens », admise faute de mieux, n’est pas très convaincante.   241 De là-haut, du ciel.   242 Il se relève.   243 En chantant comme un oiseau des bois. Cf. Pour le Cry de la Bazoche, vers 92.   244 BM : groing  (Ouvrir le poing = donner généreusement : « Biau Dieu, ouvre ton poing/ Pour aidier no querelle ! » ATILF.)   245 BM : ouyt  (Le bon coin d’où il les entend, nos prières.)   246 BM : visiere  (On vise mieux de plus loin : « Laisse-moy un peu reculer,/ Et je prendray myeulx ma visée. » L’Avantureulx.)   247 Vu que nous n’avions rien.   248 L’agneau. Nous aurons d’autres comparaisons animales à 508 et 512.   249 Entre les vers 475 et 478, le schéma des rimes est lacunaire, mais pas le sens.   250 Je n’y comprends rien. Cf. les Drois de la Porte Bodés, vers 267.   251 Et pourtant, je ne suis pas encore soûl. « Quand le nectar leur eschaufe le front. » Ronsard.   252 Encloses, renfermées.   253 BM : petitez  (Peut-être faut-il comprendre : Cet enfant divin recevra toutes les richesses enfermées dans la corne d’abondance. « Il en y a plus que de fols au monde, & se multiplient encor journellement à pleines cornes d’abondance. » Philippe de Marnix.)  Le public aura surtout retenu l’évocation des cornes en présence d’un cocu.   254 Dans votre bouche. « C’est ung estront de chien chié/ Emmy vostre sanglante gorge ! » (Le Prince et les deux Sotz.) Au vers 63, chié compte aussi pour une syllabe.   255 Me grève, me pèse.   256 C’est aller trop loin.   257 Lourche : embarrassé. « C’est l’objection de ceux qui se trouvent lourches. » Godefroy.   258 BM : tire  (De la part de Dieu, c’est trop truquer le jeu. « Fortune fait souvent tourner/ Les déz contre moy mallement. » Charles d’Orléans.)   259 Bête. « Au moins se deussent-ilz garder de se lesser ainsi abestir…. Mais quant ils sont mariéz, je les regarde embridéz et abestis mieulx que les aultres. » XV Joyes de Mariage.   260 Les Institutes, recueil de droit romain compilé sur l’ordre de Justinien. Une femme ne pouvait pas connaître ce livre latin ; mais il est vrai que la nôtre fut jouée par un basochien.   261 Vous en avez besoin.   262 La mère est sûre que son fils est d’elle.   263 C’est trop prêcher.   264 Peu vous importe qui est le père du veau (vers 508).   265 On donne souvent ce nom à un cheval noir. Comprenons : je ronge mon frein. Le finale s’adresse au public.   266 Un plein boisseau d’éléments pour récuser les témoins adverses.   267 En guise de procès-verbaux d’audience. Tout ce jargon juridique dépeint le dialogue théâtral.   268 BM : ornicques  (Auteurs comiques. « Quant les comiques et les tragèdes s’en furent départis (…), les comédians et les tragédians ont esté gastéz et perdus. » ATILF.)   269 Totalement.   270 Notre volonté, notre plan (note 124).   271 En fin de compte.   272 On peut lire la chanson de la Povre Garce dans la notice de Frère Phillebert.   273 De mon mari (note 101). Possible allusion aux « parties casuelles des femmes », comme les appelle Noël Du Fail.   274 J’aurais préféré qu’on me brûle.   275 L’élégante (note 12).   276 Qui est : alors qu’elle est.   277 BM : peu  (À notre prière. Voir la note 121.)  « Il nous a prestés, à no prière et requeste, quatre cens et quatrevins florins. » Jean de Bohême.   278 Voici la fin du conte de Pogge, traduit par Guillaume Tardif, que l’auteur de la pièce a transposé au théâtre.   279 Jusqu’à ce qu’il ait gagné quelque chose.   280 Dépourvue de toit.   281 Le fils de sa mère : son demi-frère. C’est un des innombrables développements que Tardif a brodés sur le texte du Pogge, qui se contente de « cum alio » (avec un autre).   282 Recouvra, trouva.   283 À la place de.   284 Dûment. L’auteur de la farce élude pudiquement l’aide des voisins. Dans la facétie LXX, Tardif traduit l’histoire d’un homme qui abandonne son épouse « l’espace de ung an ou plus…. La femme, à qui il ennuya, avecques l’ayde de Nostre Seigneur Jésucrist — et de ses voysins — fist tant qu’elle engrossa d’ung beau filz dont son mary la trouva acouchée quant il arriva. »   285 Avant.   286 L’y encourageait.   287 À blasphémer et à renier.   288 Qui avec tant de sollicitude.

LE GENTIL HOMME ET NAUDET

British Library

British Library

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LE  GENTIL  HOMME

ET   NAUDET

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Dans le Poulier à sis personnages, deux nobles veulent trousser l’épouse d’un meunier, lequel se venge en culbutant leur propre femme devant eux. Dans le Gentil homme et Naudet, une farce écrite elle aussi en Normandie au début du XVIe siècle, un paysan cocufié par un gentilhomme se venge en le cocufiant, en le lui faisant savoir, et – comble de l’insolence – en lui donnant même une petite leçon de noblesse.

Source : Recueil du British Museum, nº 15. Imprimé à Rouen par Jehan Le Prest, vers 1550. Le début du manuscrit de base était abîmé, ou perdu, comme c’est trop souvent le cas.

Structure : Rimes plates.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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Farce nouvelle trèsbonne

et fort joyeuse

À quatre personaiges, c’est assavoir :

       LE  GENTIL  HOMME

       LISON  (ALLISON)

       NAUDET

       LA  DAMOYSELLE

*

                        LISON 1  commence                               SCÈNE  I

        [Je n’en donne pas une pomme !]2

        D’avoir espousé un tel homme,

        Ne suis-je pas bien estorée3 ?

                        NAUDET

        Quoy ! est ma chemise dorée4 ?

5      Da, da ! s’el [l’]est, j’en suys marry.

        Sçavez-vous de quoy je me ry ?

        De Monsieur de nostre villaige5,

        Qui va de nuict en varouillaige6.

                        LISON

        Et que sçavez-vous, meschant homme ?

                        NAUDET

10    Que je sçay7 ? Hau ! la voicy bonne.

        Que je sçay, qui le sçauroit [veoir] ?

        Je le vey8.

                        LISON

                         Et quand ? Quand ?

                        NAUDET

                                                        Hersoir9.

                        LISON

        Et où ? Et où ?

                        NAUDET

                                  Soubz le pingnon10,

        Là, debout, de nostre maison,

15    Où il estoit et11 une fille.

                        LISON

        Et sçais-tu bien que c’estoit ille12 ?

                        NAUDET

        Oy13, oy : tous deux, je les congnoi(s).

                        LISON

        Veulx-tu dire que c’estoit moy ?

                        NAUDET

        Tout beau, tout beau ! Je n’en dictz mot.

                        LISON

20    Je te promectz ma foy, s’il t(e) ost14,

        Qu’il te fera mettre en prison.

                        NAUDET

        Et ! je n’en parle pas, Lison.

        C’est tout ung, se vous estes s’amye.

        Da ! pour tant15, ne luy dictes mye :

25    Il me feroit aussitost fuyre16.

                        LISON

        Garde-toy donc de le plus dire,

        Meschant ! Il nous faict tant de biens !

        Toutes les foys qu’il vient cëans17,

        Il te saulle de vin et rost18.

                        NAUDET

30    Et doncques, viendra-il bientost ?

        S’il y en a plus, que g’y parte19 !

        Faictes, faictes-luy de la tarte,

        S’il vient, pour servir de dessert.

                        LISON

        Va quérir du boys, Mau-m’y-sert20,

35    Que je mettes le feu au four.

                        NAUDET

        Bien, [bien], je y voys21.

.

                        LE  GENTIL  HOMME 22                   SCÈNE  II

                                              Le grant amour

        Que j’ay à la belle Allison

        Tien[t lors] mon cœur en si forte prison

        Que je n’en puis arrester en nul(le) place.

40    En faisant retour de la23 chasce,

        Je voys sçavoir comme el(le) se porte.

.

                        NAUDET 24                                            SCÈNE  III

        Hay ! voicy Monsieur à la porte.

        Il est venu, venu25, venu.

                        LE  GENTIL  HOMME

        Holà !

                        NAUDET

                    Haa,  je vous ay bien congneu26,

45    Monsieur. Voulez-vous [pas] descendre27 ?

.

                        LISON                                                     SCÈNE  IV

        Paix ! [il descend mieulx sans t’attendre.]

                        NAUDET

        [Et !] voyrement, non faict, non faict.

                        LISON

        Que ce fol yci a de plet28 !

                        LE  GENTIL  HOMME

        Naudet ! Monte sus mon cheval,

50    Et t’en va au long de ce val

        Bien doulcement le pourmener29.

                        NAUDET

        Se voulez, je l’iray mener

        Boyre avant30 moy en la bonne eau(e).

                        LE  GENTIL  HOMME

        [Tiens-luy le nez loing du tonneau :]31

55    Il est trop chault pour abrever.

                        NAUDET,  estant monté à cheval.

        Houlà, ho ! Voicy pour desver32.

        Qu’esse icy ? Hau ! comme il s’esmouche33 !

        Je croy qu’il y a quelque mouche

        Qui luy fatrouille34 soubz la fesse.

.

                        LE  GENTIL  HOMME                        SCÈNE  V

60    J’ay le cœur comblé de l[i]esse

        Quant je te vois, Lison, m’amie.

        Baise-moy !

                        LISON

                              Ne m’espargnez35 mie,

        Monsieur : faictes vostre plaisir.

.

                        NAUDET 36                                            SCÈNE  VI

        Je ne le sçaurois plus tenir ;

65    Le cheval m’a faict mettre à pied.

                        LE  GENTIL  HOMME

        (Ce fol icy m’a espié37.)

        E[t ! va,] va, metz-lay38 à l’estable.

                        NAUDET

        Bien, bien. Lison, mettez la table,

        Que Monsieur desjeune un petit39 !

70    Sus tost !

.

                        LISON                                                     SCÈNE  VII

                           Naudet a appétit.

                        LE  GENTIL  HOMME

        À son folois40, il faict du fin.

.

                        NAUDET 41                                            SCÈNE  VIII

        Je l’i ay mis. Yrai-ge au vin42 ?

        Je voy bien que Monsieur a soif43.

        Où est le meilleur ?

                        LE  GENTIL  HOMME

                                          Je ne sçay ;

75    Va au Paon, ou à la Vignette44.

                        NAUDET

        Bien, j(e) y voye.

                        LE  GENTIL  HOMME

                                    A,  ma plaisant(e) vignette45,

        Pendant que Naudet n’y est point,

        Je m’en vois mettre en beau pourpoint46,

        Affin que mieulx nous esbatons.

                        LISON

80    Il fault donc que nous nous hastons,

        Car Naudet est fort diligent.

.

                        NAUDET 47                                            SCÈNE  IX

        Voirement, baudrez-vous48 argent,

        Ou s(e) on dira que c’est pour vous49 ?

        Hau, Monsieur !

                        LE  GENTIL  HOMME

                                     [Tiens,] voylà deux soubz.

85    Mon amy doulx, despesche-toy,

        Mais ne dict50 pas que c’est pour moy.

                        NAUDET

        Bien, bien. (J’en bevray51 un bon traict.)

        Esse du blanc, ou du clairet ?

                        LE  GENTIL  HOMME

        Du celuy que t(u) aimes le mieulx.

                        LISON

90    Mèshui ne cessera52 ? Mi dieux !

        Va tost, ne [reviens point]53 sans vin !

                        LE  GENTIL  HOMME

        Va, mon amy, va !

.

                        NAUDET 54                                            SCÈNE  X

                                        Qu’il est fin !

        Tousjours il me trompe, en effect.

        Au fort, fasché fort je suis [du] faict ;

95    Mais si je puis, je luy rendray55.

.

                        LE  GENTIL  HOMME                        SCÈNE  XI

        Quand sera-ce que je tiendray

        Ce beau gentil corps nud à nud ?

                        LISON

        Mais que Naudet soit revenu,

        Monsieur, il nous sera besoing

100  L’envoyer en ung56 lieu bien loing ;

        Car aultrement, n’aurions laysir57

        D’acomplir [tout] nostre désir :

        Tousjours il va et vient sans cesse.

                        LE  GENTIL  HOMME

        Je luy jouray donc de finesse ;

105  Tantost, je l’empescheray bien.

        Ma femme ayme, sur toute rien58,

        À le veoir : tousjours la faict rire.

        Unes lettres luy voys escripre59,

        Que vostre mary portera ;

110  Et ma femme l’am[usera :]

        « Nenny, non, march[ez vers l’estable,]

        [Revenez cy, mettez la table ! »]60

        Cependant, prendrons nos esbatz.

                        LISON

        Doncques, pour éviter débatz,

115  Deffendez-luy sur toutes riens

        De dire que soyez cëans :

        Ma Damoyselle en auroit deuil.

                        LE  GENTIL  HOMME

        Il sera faict.

.

                        NAUDET 61                                            SCÈNE  XII

                              Je suis tout seul :

        Je vois boire à mesme le pot…

120  Il est bon ! Mais j’eusse esté bien sot

        Se je ne l’eusse essansonné62.

.

        Da ! je suis bien tost retou[r]né :                              SCÈNE  XIII

        Voicy du vin !

                        LISON

                                  Est-il bon, doncques ?

                        NAUDET

        C’est du meilleur que je beuz oncques.

                        LE  GENTIL  HOMME

125  Metz-lay dedens ung plain seau d’eau

        Frêche.

                        NAUDET

                        [Da !] il se mocque, hau !

                        LISON

        Non faict : faict[z bien] ce qu’il te dict.

.

                        NAUDET 63                                            SCÈNE  XIV

        Et bien donc ! Mais je sois mauldict

        Se je n’en boy premier ma part.

130  Et puis je mettray la64 leur part

        Dedens le seau [d’eau] ; advisez

        Se je n’ay bien faict. Hauld le nez65 !

        Je mettray cy le demourant66.

.

        Le voylà [tout] frais, maintenant.                              SCÈNE  XV

135  Quand de boire aurez appétit…

                        LE  GENTIL  HOMME

        [Verse-m’en]67, beau sire, ung petit :

        J’ay soif.

                        NAUDET

                         Or tendez donc(ques) voz voirres68.

                        LISON

        Et ! que veulx-tu faire ? Tu erres !

        Et ! verse[-nous] du vin, gros veau !

                        NAUDET

140  [Ne] le voicy pas dedens l’eau ?

        Monsieur m’a dict que je luy mette(s).

                        LE  GENTIL  HOMME

        Corbieu ! cela [n’est point]69 honneste ;

        Tu le devois laisser au pot.

                        NAUDET

        Vous [ne] m’en avez sonné mot ;

145  Se l’eussiez dict, je l’eusse faict.

                        LISON

        Le vin est perdu, [en] effect.

        Malle70 joye ayt-on du follastre !

                        LE  GENTIL  HOMME

        Vien çà71 !

                        NAUDET

                              Ha ! vous me voulez battre.

                        LE  GENTIL  HOMME

        Non feray, mais que tu sois sage.

150  Oy-tu ? Va-moy faire ung messaige.

                        NAUDET

        Bien, g’y vois72.

                        LE  GENTIL  HOMME

                                     [Et ! revien]73, beau sire :

        Tu ne sçais pas que74 te veulx dire.

        Porte ces lettres à ma femme.

        Mais garde-toy bien, sus ton âme,

155  De dire que je suis cëans !

        Tu luy diras que je reviens

        De la chas[s]e, et suis à l’église.

        Que la table soit biento[s]t mise,

        Et qu’on te donne à déjuner.

160  Mais avec75 toy, te fault mener

        Mon cheval pour mettre à l’estable.

                        NAUDET

        Le76 feray-je seoir à la table ?

                        LISO[N]

        À l’estable ! [Os-tu point]77 les gens ?

                        NAUDET

        Oy, oy ! Tous [deux], je vous entens78

165  [Je le v]ois mener par la main.

        [À Dieu vous] dictz jusqu(e) à demain !79

        [Je ne puis ce c]heval tenir.

.

                        [LE  GENTIL  HO]MME                     SCÈNE  XVI

        Çà, m’amie ! Allons parfournir80

        Nostre entreprinse, je vous prie.

                        LISON

170  Allons ! Mais je serois marrie

        Que d’aucuns fus[s]ions apper[c]euz.

        Allons, si vous voulez, là-sus81,

        Ou à la chambre de derrière82.

                        LE  GENTIL  HOMME

        C’est trèsbien dict, m’amie chère.

175  Qu’on ne nous prenne à désarroy,

        Allons derrière, vous et moy.

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                        NAUDET                                                SCÈNE  XVII

        Je croy que ce cheval est assez saige

        Pour s’en aller tout seul, g’i gaige.

        Va devant, je te suyviray !

                        Nota qu’il doibt laisser aller le cheval

                        tout seul, et retourner en sa maison.

180  Esse tout ce que je diray ?

        Qu’esse-cy ? Ilz s’en sont volléz ?

        Mot83, mot ! Paix ! [Par] là je les os84.

        Hon ! ilz font la « beste à deux dos ».

        Là, là, là, là ! Il joue beau jeu !

185  On les voit bien [cy] par ung treu85.

        C’est Monsieur, oy, voicy sa robe ;

        Mais de peur qu’on ne luy desrobe,

        Sus mon dos je la vestiray86.

        Aprèz son cheval m’en yray

190  Bien tost, pour faire son messaige87.

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                        LA  DAMOYSELLE  commence.         SCÈNE  XVIII

        Je crains qu’on n’ait faict quelque oultraige

        À Monsieur, ou quelque grand deuil :

        Car son cheval est venu seul.

        Dieu mercy, je viens bien appoint :

195  [Voicy Monsieur qui vient, de loing.]88

        Çà, Monsieur, que [tant] vous mettez !

                        NAUDET

        « Monsieur ? » Hau, [hau] ! Vous me jettez

        [Du] « Monsieur » ? Suis-je donc(ques) Monsieur ?

        La robe me faict grand honneur.

200  Je suis Monsieur, ma Damoyselle ?

                        LA  DAMOYSELLE

        Par mon Créateur ! je l’ay belle89 :

        C’est Naudet. Que Dieu nous doint joye !

                        NAUDET

        Vélà que90 Monsieur vous envoye.

                        LA  DAMOYSELLE

        Qu’esse qu’il y a, Nostre Dame ?

205  Où est-il, or ? Dy !

                        NAUDET

                                          Sus91 ma femme.

                        LA  DAMOYSELLE

        Dict-moy que92 c’est, que je le sache.

                        NAUDET

        Il m’a dict qu’il vient de la chas[s]e,

        Et si, qu’il s’en va à la messe,

        Qu’on mette la table, et qu’on dresse

210  La souppe, et si, que je desj[e]une.

                        LA  DAMOYSELLE

        Comment ? Et ! tu perdrois ta jeusne93.

        Et puis je suis toute seullète :

        Céans n’ay94 qui la table mette ;

        Tous mes serviteurs sont aux champs.

                         NAUDET

215  Je ne suis point de ces meschans

        Qui veulent trop trencher du maistre95 ;

        Je sçauray bien la table mettre.

        Baillez-moy la clef du chélier

        Et de l’aumoyre96 !

                        LA  DAMOYSELLE

                                         Quel galier97 !

220  Par ma foy, je n’en feray rien.

        Mais dea, je te donneray bien

        Une bonne pièce de tarte.

                        NAUDET

        Çà doncques, devant que je parte98.

                        LA  DAMOYSELLE

        Dy-moy doncques, sans point mentir,

225  Pourquoy Monsieur t’a faict vestir

        Sa robe. Tu l’as bien touillée99 !

                        NAUDET

        Monsieur ne me l’a point baillée :

        Je l’ay prinse sur nostre selle100.

        Pource qu’elle me sembloit belle,

230  Je l’ay vestue en m’en venant.

                        LA  DAMOYSELLE

        Vien çà ! On m’a dict maintenant

        Que Monsieur est en ta maison

        Avecques ta femme Lison,

        Et qu’on luy a veu dès-orains101.

                        NAUDET

235  Je ne vous l’ay pas dict, au moins !

        Monsieur me l’a bien deffendu.

                        LA  DAMOYSELLE

        Aa, Naudet, tu es entendu102.

        Sçait-il bien que tu as sa robe ?

                        NAUDET

        Jens103 ! nennin, il ne le sçait point.

240  Mais de peur qu’on ne luy desrobe,

        Je l’ay prise pour mettre appoint104.

                        LA  DAMOYSELLE

        Tu me semble, à tout105, bel et coint.

        Et Lison, ne t’a-el(le) point veu ?

                        NAUDET

        Jacques ! nennin, elle n’eust sceu :

245  Lison estoit bien empeschée,

        Toute platte à l’envers106 couchée

        En nostre chambre de derrière.

                        LA  DAMOYSELLE

        Ha ! je sçay bien que Monsieur, voyre,

        Estoit couché à costé d’elle.

                        NAUDET

250  Jens ! non estoit, ma Damoyselle :

        Il estoit tout fin plat dessus.

                        LA  DAMOYSELLE

        Et que luy faisoit-il, Jésus ?

        Je te pry, dy-le-moy, beau sire.

                        NAUDET

        Je n’ay garde de vous le dire :

255  Monsieur me ravesqueroit107 bien !

                        LA  DAMOYSELLE

        Dict-le-moy, je n’en diray rien.

                        NAUDET

        Haa ! si feriez, je suys trop fin.

                        LA  DAMOYSELLE

        Tien, boit[z] une foys de ce vin108.

        Et puis me le dict, je le veulx !

260  Il n’y a icy que noz deux109 ;

        Pour rien [je] ne t’accuseray.

                        NAUDET

        Ma foy ! point ne le vous diray,

        Je gasterois tout le mistère.

        J’ayme beaucoup mieulx vous le faire

265  Trois fois que vous en dire un mot.

                        LA  DAMOYSELLE

        Tu ne sçaurois, tu es trop sot.

                        NAUDET

        Je ne sçaurois ? Hau, quel raison !

        Et ! je le fais bien à Lison

        [Très]tous les jours six ou sept foys110.

                        LA  DAMOYSELLE

270  Tu as menti, point ne te crois !

        Tu es trop sot pour telle ouvraige.

                        NAUDET

        Le plus sot y est le plus saige111.

        Pour veoir, mettez-moy en besongne :

        Or dictes que je vous empoigne

275  Si comment112 Monsieur faict ma femme ;

        Et je vous jure, sur mon âme,

        Que point ne vous escondiray.

                        LA  DAMOISELLE

        Or m’empoigne donc : je voirray

        Ta vaillance et tes beaulx combatz.

                        NAUDET

280  Il met met ainsi sa robbe bas113,

        Et prent Lison en ceste sorte,

        Et en l’autre chambre l’emporte

        Sus la couchette, et ferme l’huis114.

.

                        LE  GENTIL  HOMME 115                  SCÈNE  XIX

        Vostre mary ne revient plus ?

285  Je congnois maintenant sa ruse.

        Bien petite chose116 l’amuse.

        De nous, plus il ne [se] souvient.

        Ma damoyselle l’entretient

        À banqueter le mieulx qu’el(le) peult.

                        LISON

290  On faict de luy tout ce qu’on veult,

        Moyennant et touchant la pience117 :

        C’est le plus beau de sa science

        Que de tousjours menger et boyre.

        Et puis118, il pert sens et mémoire,

295  Et déclare tout son secret.

                        LE  GENTIL  HOMME

        Faict[-il] ? Morbieu ! j’ay grand regret,

        C’est de l’avoir là envoyé.

        S’il est une foys avoyé119,

        Il déclarera nostre cas.

300  G’i vois plus viste que le pas.

        Çà ! ma robe légièrement120 !

                        LISON

        Où l’av’ous121 mise, voyrement ?

        Je ne la trouves point icy.

                        LE  GENTIL  HOMME

        Vertu bieu ! la perdray-je ainsi ?

305  Me voicy bien mal accoustré.

        Aa ! quelc’un a icy entré,

        Qui n’a âme veu122, et l’a prinse.

        Et vous estes bien mal apprinse

        Que ne la met[t]iez [mieulx] à point.

                        LISON

310  Dea ! Monsieur, je n’y pensois point.

        Et puis vous me hastiez [si] tant123 !

                        LE  GENTIL  HOMME

        J’ay perdu ma robe contant,

        Mais je crains d’en perdre124 encor une :

        On voit souvent qu’une fortune125

315  Ne vient point seulle, se dict-on.

        Ha ! je m’en voys. À Dieu, Lison !

                        LISON

        À Dieu, Monsieur, jusqu(es) au revoir !

.

                        NAUDET                                                 SCÈNE  XX

        Or sus ! le vouliez[-vous bien] veoir,

        Comme Monsieur faict à ma femme ?

320  Je vous l’ay montré.

                        LA  DAMOYSELLE

                                           Sus mon âme !

        Naudet, je n’eusse pas cuydé.

        Tu en besongnes comme un maistre !

                        NAUDET

        Jen ! Lison dict qu’il le fault mettre

        Tousjours au parmy du caudet126.

                        LA  DAMOYSELLE

325  Pleust à Dieu que tu fusses Monsieur,

        Et que Monsieur devînt Naudet !

                        NAUDET

        Or si [en] est-il127, j’en suis seur.

                        LA  DAMOYSELLE

        Os-tu ? Garde bien mon honneur :

        De neuf te feray racoustrer128.

330  Et si, quand tu verras entrer

        Monsieur de nuict en ta maison,

        Accourt icy tost me monstrer

        Tout cela qu’il faict à Lison.

                        NAUDET

        Aussi feray-je par raison,

335  Puisque j’auray robe nouvelle129.

        Hay ! agar[d]ez130, ma Damoyselle :

        Voycy Naudet-Monsieur qui vient.

.

                        LA   DAMOYSELLE 131                      SCÈNE  XXI

        Je ne sçay de quoy me souvient,

        De vous veoir venir en pourpoint.

340  Et vostre robe, l’av’ous132 point,

        Que ne l’avez chainte ou troussée133 ?

                        LE  GENTIL  HOMME

        Je l’ay en quelque lieu laissée

        Pour accourir plus vistement.

                        NAUDET

        Ma Damoyselle, il ment, il ment !

345  La voicy : je l’ay apportée

        De peur qu’el ne feust desrobée

        Tandis qu’i litto[i]t à134 ma femme.

                        LE  GENTIL  HOMME

        Tu as menty, villain infemme135 !

                        LA  DAMOYSELLE

        C’est bien l’estat d’un bon preudhom136 !

                        NAUDET

350  Qu’esse que vous luy faisiez donc ?

        Je vous ay veu monté dessus.

                        LA  DAMOYSELLE

        N’av’ous137 point de honte, Jésus ?

        C’est bien abaissé gentillesse138.

                        LE  GENTIL  HOMME

        Mais le croyez-vous ? C’est simplesse !

355  C’est un sot plein de sot langaige.

                        LA  DAMOYSELLE

        J’aperçois bien à vostre ouvraige

        Qu’avez autre tasche entreprinse.

                        LE  GENTIL  HOMME

        Moy ? Morbieu ! je suys sans reprinse139 :

        De tout cela je me sens net.

                        NAUDET,  en riant 140.

360  Naudet ! Naudet ! Naudet ! Naudet !

                        LA  DAMOYSELLE

        Meschant, suis-je point assez belle

        Pour vous ?

                        NAUDET

                              Ingens ! oy,  ma Damoyselle,

        Vous estes partout clère et blanche141.

                        LA  DAMOYSELLE

        Je ne sçay si hardy en France

365  Qui ne tînt de moy plus grand conte142.

        Parquoy vous deussiez avoir honte

        D’aller ailleurs, bien dire l’ose.

                        NAUDET

        A ! ouy, ma foy : elle a ung « chose143 »

        Qui ne bouge de la maison,

370  Ainsi que faict celuy Lison,

        Ainsi fafelu144 et douillet.

                        LA  DAMOYSELLE

        Que fault-il à ce babillet145 ?

                        LE  GENTIL  HOMME

        Parle hardiment, je le veulx !

                        NAUDET

        Il a, tout ainsi, des « cheveulx ».

375  Joué m’y suis deux ou trois foys,

        Mais je n’y treuve point de chois146 :

        C’est tout ung, s’ilz sont pelle-mesle,

        De Lison ou ma Damoyselle ;

        Ilz sont d’ung goust147, d’une façon,

380  De148 ma Damoyselle et Lison.

        Mais je veulx ne m’en chault149 laquelle,

        De Lison ou ma Damoyselle :

        Vous aurez le chois, c’est raison,

        De ma Damoyselle ou Lison.

385  Prenez la plus doulce ou plus belle,

        De Lison ou ma Damoyselle.

        Ou toutes deux les espouson,

        Et faison feste solemnelle

        De ma Damoyselle et Lison.

                        LA  DAMOYSELLE

390  Mais que ce fol a de blason150 !

                        LE  GENTIL  HOMME

        Hon, hon, ma femme : estes-vous telle ?

        Du chois, n’en don(ne)rois un oignon,

        De Lison ou ma damoyselle.

        De ma damoyselle et Lison,

395  N’en parlons plus et nous taison.

        Cecy est [bien] neufve nouvelle151 !

        Tenir me veulx152 à la maison,

        Puisqu’on vient à ma damoyselle

        Pendant que je suis à Lison.

                        NAUDET

400  Ma foy, Monsieur, sans trahison,

        Je ne vous donnerois ung pet153

        Pour estre Monsieur ou Naudet.

        Mais il n’est pas bon d’estre, ensemble,

        Naudet et Monsieur, ce me semble :

405  Ce nous seroit grand déshonneur.

        Qu’on fist ung Naudet de Monsieur

        Quand de Naudet tiendrez le lieu ?

        Naudet seroit Monsieur, par Dieu !

        Gardez donc vostre seigneurie,

410  Et Naudet sa naudet[t]erie154.

        Se tenez Lison, ma fumelle155,

        Naudet tiendra ma Damoyselle.

        Ne venez plus naudétiser,

        Je n’iray plus seigneuriser.

415  Chascun, à ce qu’il a, se tienne !

        Et affin qu’il vous en souvienne,

        Croyez-moy qu’il fault, mon amy,

        À trompeur, trompeur et demy156.

        Pour tant, que plus ne vous advienne !

.

                                      FINIS

*

1 BM : La femme  (L’épouse de Naudet se nomme Alison, abrégé en Lison dans toutes les rubriques.)  Elle est en train de mettre le linge sale de son mari dans un cuvier.   2 Vers manquant (voir ma notice). Je lui supplée le vers 74 du Munyer. Je remets d’aplomb les deux vers suivants, que l’imprimeur a intervertis à cause de la perte de la première rime.   3 Bien nantie. André Tissier <Recueil de farces, t. I, Droz, 1986> rappelle que dans le Badin, la Femme et la Chambrière (BM 16), une farce dont le recueil du British Museum fait suivre la nôtre, la femme commence par les mêmes récriminations contre son Badin de mari : « Ne suis-je pas bien étorée/ De mon mary que vous voyez ? »   4 Tachée d’excréments. Les chemises, très longues, entraient dans le haut-de-chausses ou dans les braies. « Dorer braye ou chemise. » On parle de porter devise.   5 De notre hobereau local.   6 Courir le guilledou. « Il a esté en varouillage. » Le Porteur de pénitence.   7 Ce que j’en sais.   8 Je le vis.   9 Hier soir, normandisme.   10 Sous le pignon : dissimulé dans l’ombre du faîte. Cf. les Mal contentes, vers 34.   11 Avec.   12 Lui (pronom normand). « C’est ille ! » Frère Guillebert.   13 Oui. Idem vers 164 et 186.   14 S’il t’entend, verbe ouïr.   15 Pour autant. Idem vers 419.   16 Fuir. Cf. l’Aveugle et Saudret, vers 163.   17 « Cians » rime avec « bians », comme au vers 233 de la farce normande du Pardonneur. À 116, il rime avec « rians » ; à 155, il rime avec « revians ».   18 Il te soûle de vin et de viande.   19 S’il y a plus à boire et à manger, que j’y participe !   20 Qui me sert mal ; c’est un surnom qu’on donne aux mauvais serviteurs. « Monsieur, vous voulez que j’aye/ Le surnom de Maumisert ;/ Vous diray-je à descouvert/ Le vostre ? C’est Maumypaye ! » (Estienne Tabourot.) Les Conards de Rouen exhibaient un « abbé de Maumisert ».   21 J’y vais. Idem vers 41, 76, 78, 108, 119, 151, 300, 316. Naudet sort.   22 Il rentre de la chasse, à cheval, et s’arrête devant la maison de ses fermiers. Il fredonne une chanson courtoise en décasyllabes, dont le 1er vers doit être : « L’amour que j’ay à la belle Allison. »   23 BM : ceste   24 Il revient d’aller chercher du bois.   25 BM : venir  (C’est probablement un refrain de comptine.)   26 Reconnu, de loin.   27 Les subalternes doivent tenir l’étrier des cavaliers qui descendent du cheval, ou qui y montent. Mais Naudet est à contretemps : le gentilhomme, voulant montrer sa souplesse à Lison, qui arrive, a déjà sauté par terre.   28 De plaids, de paroles.   29 Le promener, pour qu’il cesse de suer après la chasse.   30 On attendrait « avec », mais Naudet n’aime pas boire d’eau.   31 Les paysans faisaient boire les animaux de trait dans un tonneau sans couvercle. L’expression que je rapporte s’entendait encore au pays d’Auge il y a quelques décennies, et on ne l’appliquait pas qu’à des animaux… Le relieur de ce recueil factice a coupé le dernier vers de cette première colonne.   32 Il y a de quoi devenir fou. Naudet ne sait pas se tenir à cheval.   33 Il rue pour chasser les mouches.   34 BM : fetrouille  (Cf. la Confession Margot, vers 114 et note. On pourrait aussi lire fretouille, qui a le même double sens grivois que fatrouille.)  Il y a un taon qui lui pique l’anus. Naudet et sa monture s’éloignent un peu.   35 BM : lespargnez  (« On dit Ne m’espargnez pas, pour dire : employez-moy librement. » Dict. de l’Académie françoise.)   36 Il revient vers le gentilhomme en tenant son cheval par la bride.   37 M’a vu en train de lutiner sa femme.   38 « Lay » est un pronom normand qui signifie « le ». Idem vers 125.   39 Un peu. Idem vers 136. Naudet va enfermer le cheval dans l’écurie.   40 Dans sa sottise.   41 Il revient de l’écurie.   42 Irai-je acheter du vin ? C’est en effet la corvée qu’on inflige aux cocus pour se débarrasser d’eux. Voir par exemple Pernet qui va au vin : « Iray-je au vin ? »   43 La rime est correcte, puisque les Normands prononcent « sé » : voir la note 33 de Troys Galans et un Badin.   44 Au cep de vigne. Ces deux enseignes de tavernes vendent du vin à emporter. Pernet qui va au vin demande s’il doit aller se fournir « au Pillon, ou au Coffin,/ Au Sabot ou à la Lanterne :/ J’ay mis en oubli la taverne. »   45 Métonymie sexuelle. Comme le déplore la jeune épouse de Raoullet Ployart, « ma vigne se gaste/ Par deffaulte de labourage ». Voir la note d’André Tissier, p. 275.   46 Je vais ôter ma robe de chasse et me mettre en pourpoint. (Cf. Gautier et Martin, vers 58.) Il pose sa robe sur le banc.   47 Il revient, ayant fait exprès d’oublier l’argent pour acheter le vin. L’éternel retour du cocu gênant est un des gags les plus sûrs de la littérature farcesque.   48 Me baillerez-vous.   49 Ou est-ce qu’on le mettra sur votre note. Naudet assimile le gentilhomme à un pilier de taverne.   50 Dans cette œuvre, c’est la forme courante de l’impératif « dis ». Idem vers 206, 256, 259.   51 BM : beueray  (J’en boirai.)   52 Il ne cessera pas, aujourd’hui ? M’(a)it Dieu = que Dieu m’assiste.   53 BM : reuient poit   54 Il sort en maugréant, chargé d’un pot vide.   55 Je lui rendrai la monnaie de sa pièce (en couchant avec son épouse).   56 BM : quelque   57 Loisir. Même prononciation normande dans l’exemple de la note 97.   58 Sur toute chose, par-dessus tout. Idem vers 115.   59 Je vais écrire une lettre à ma femme. Le gentilhomme s’attable et écrit.   60 Le relieur a saccagé le bas de cette colonne, comme la précédente et la suivante. Je propose une reconstitution qui s’appuie sur les vers 161 et 213.   61 Il est devant la porte, avec le pot de vin qu’il est allé faire emplir.   62 Goûté avant de le servir, comme un échanson. Naudet entre en s’essuyant la bouche.   63 Il retourne dans la cour avec le pot, et tire un seau d’eau du puits.   64 Quoi qu’on en dise, il s’agit bien de l’article « la », et non de l’adverbe « là ». « Ès biens et ès maulx que j’auray jamaiz, vous aurez tousjours la vostre part. » Jehan de Bueil.   65 Haut le nez = À la tienne ! Naudet boit une bonne rasade de vin.   66 Le demeurant. Naudet verse le reste du vin dans le seau d’eau, qu’il porte dans la maison.   67 BM : Vresment  (Un petit = un peu.)   68 Vos verres. Naudet puise de l’eau dans le seau.   69 BM : et  (« Sang bieu ! cela n’est point honneste. » Le Faulconnier de ville.)   70 Mauvaise. Un folâtre est un fou.   71 Viens ici ! BM intervertit cette injonction et la rubrique qui la précède.   72 J’y vais. Naudet s’apprête à sortir sans savoir où il doit aller. C’est là encore un gag très couru.   73 BM : En reuient   74 Ce que je.   75 BM : auant   76 BM : Et   77 BM : os t boint  (N’entends-tu pas ce qu’on te dit ?)   78 Double sens : Je comprends où vous voulez en venir.   79 Naudet sort, et tire le cheval de l’écurie. Le relieur a encore abîmé ce bas de colonne ; je reconstitue ce vers sur le modèle de 317, mais c’est également le dernier vers de la Résurrection Jénin à Paulme.   80 Terminer.   81 Là-haut, dans la chambre de l’étage.   82 La chambre du rez-de-chaussée, qui se trouve juste derrière le rideau de fond. Le Poulier à sis personnages offre exactement la même configuration.   83 BM : Moy  (Je ne leur dirai pas un mot.)   84 Je les entends. Par une déchirure du rideau de fond, Naudet lorgne le couple en action.   85 Par un trou dans le mur, ou dans la porte. Le record du voyeurisme est détenu par le Tesmoing qui, pour assister aux ébats de ses voisins, a « rompu le boult d’un ays ».   86 Naudet enfile la robe que le gentilhomme avait posée sur un banc.   87 Pour porter le message à sa femme. Naudet sort sans faire de bruit, et va au manoir, où le cheval l’a précédé.   88 Vers manquant. La châtelaine voit venir Naudet, et le prend pour son mari, dont il porte la robe. Elle s’étonne qu’il arrive si tard.   89 On me la baille belle. « Par Nostre Dame, je l’ay belle ! » Le Pauvre et le Riche.   90 Voilà ce que. Naudet donne la lettre à sa patronne.   91 Chez : cf. les Femmes qui font refondre leurs maris, vers 161 et note. Naturellement, il faut comprendre « sur ».   92 Ce que. « Dictes que c’est, que je le sache. » L’Homme à mes pois.   93 Ton jeûne de vendredi. « De la jeûne me vueil vengier/ Que j’ay hui fait. » (ATILF.) Cette moquerie vise la forte corpulence de Naudet.   94 Je n’ai personne ici.   95 Abuser de leur pouvoir. Cf. la Pippée, vers 419.   96 Du cellier, où se trouve le vin, et de l’armoire, qui sert de garde-manger. Naudet fait dans l’équivoque scabreuse : cellier = vulve. « Mon mal, (…)/ Je le prins en meschant cellier. » (Le Triumphe de haulte et puissante dame Vérolle.) L’armoire désigne le même endroit : « De quoy serviroient voz aumoyres,/ Si ne vouliez bouter dedens ? » Frère Guillebert.   97 Quel plaisantin. La Damoiselle embraye dans le même registre déluré : pour tout Normand, un galier est un pénis. « Y saquit sen galier par le trou de sa brais,/ Pis, tenant de sa main cheste afaire segrette,/ Il la mit douchement au trou de la pouquette,/ Et dedans y pissa tout à sen biau laisir. » La Muse normande.   98 Donnez-m’en avant que je parte.   99 Salie.   100 BM : table  (Une selle est un banc ou un tabouret large qui meuble tous les intérieurs modestes. « Séez-vous dessus ceste selle. » Le Poulier à sis personnages.)   101 Qu’on l’y a vu tout à l’heure.   102 Tu es malin.   103 Par saint Jean ! Même juron normand aux vers 250, 323, 362. Ce vers est surnuméraire mais on ne peut pas le supprimer.   104 Pour la mettre à l’abri. Idem vers 309.   105 Avec (cette robe). Coint = élégant.   106 À la renverse, sur le dos.   107 Me rabrouerait, normandisme.   108 Les curieux qui veulent faire parler un simple d’esprit prêchent le faux pour savoir le vrai, et le font boire. C’est notamment le cas dans la scène de la confession de Messire Jehan.   109 Que nous deux, normandisme.   110 La femme de Naudet est mieux lotie que celle de Jacquinot, laquelle réclame en vain : « Mais tous les jours cinq ou six fois ! » Le Cuvier.   111 Dans son article le Fol bien mentulé, Thierry Martin rappelle que « les innocents, considérés comme les êtres les plus naturels, étaient prédestinés à l’acte le plus naturel ». Trois études sur la sexualité médiévale, GKC, 2001.   112 Tout comme. Ces vanteries masculines sont monnaie courante : « Je voudroys que l’on me coupât le membre si je ne vous le faisoys douze foys pour la nuit…. Mettez-moy en besongne, et vous verrez comment il en ira. » Nicolas de Troyes.   113 Naudet retire la robe du gentilhomme. Puis il jette sa patronne sur son épaule et l’emporte derrière le rideau de fond.   114 Les Normands prononçaient « lu » : cf. les Trois amoureux de la croix, vers 43. Ce mot rime aussi avec plus au vers 177 de Tout-ménage.   115 Lui et Lison sont revenus dans la pièce principale.   116 Peu de chose.   117 La boisson. « Et à tous ceulx qui ayment la pience (…),/ Quatre jambons et six flacons de vin. » Le Testament de Ragot.   118 Et après.   119 Mis sur la voie de la confession.   120 Donnez-moi ma robe rapidement. Cf. Maistre Mimin estudiant, vers 52.   121 BM : lauez vaus  (Même contraction normande aux vers 340 et 352.)   122 Qui n’a vu personne.   123 Même tournure normande au vers 306 du Poulier à sis personnages.   124 BM : prendre  (C’était le comble du déshonneur : « J’aymeroye mieux perdre ma robe/ Que nul désemparast le banc ! » Le Capitaine Mal-en-point.)   125 Qu’une mauvaise fortune : qu’un malheur ne vient jamais seul.   126 Au milieu du « chaudet », du sexe de la femme. « –Ma mie, vous n’avez garde d’avoir froid, pour vous qui avez tousjours les mains à vostre chaudet…. –Comment peut-il appeller chaudet un lieu où l’eau sourd, où le vent souffle, & où jamais le soleil ne donne ? » A. Le Métel d’Ouville.   127 Il en est ainsi.   128 Habiller.   129 Puisque vous m’aurez donné une robe de gentilhomme (vers 329), j’agirai comme tel.   130 Regardez (normandisme). Cf. l’Arbalestre, vers 308.   131 À son époux, qui entre aussi discrètement que possible.   132 BM : lauez vous  (Voir la note 121.)   133 BM : trouuee  (Que vous ne la portiez ni ceinte ni retroussée.)   134 Qu’il luttait avec. « S’el a une foys lysté/ Avec le malle. » (Frère Phillebert.) Ce verbe rural s’emploie pour les saillies des boucs et des chèvres.   135 Paysan infâme.   136 BM : preudhõe  (On prononce prudon : « Vaillans preudhoms,/ N’oubliez pas ces beaux pardons. » Saincte-Caquette.)   137 BM : Nouous  (Note 121.)   138 Votre état de gentilhomme, votre noblesse.   139 BM : reproche  (Sans reproche, sans blâme. « Car je vueil chanter sans reprinse. » Ung jeune moyne.)   140 Naudet se moque de son maître en le traitant de « naudet », qui n’est pas un titre flatteur : « Vous me semblez assez naudés. » (Les Sobres Sotz.) Il se peut que nous ayons là une de ces chansons niaises dont les Badins se repaissent. Le Savetier qui ne respond que chansons <F 37> appelle son valet en chantant : « Naudet, Naudet ! »   141 BM : belle  (« Blanche » rime avec « Franche », à la manière normande ; voir la note 48 de la Folie des Gorriers.)  La blancheur est un signe aristocratique : « Vostre bonté, vostre grant renommée,/ Vo doulz maintien, vo face blanche et clère. » Eustache Deschamps.   142 Compte.   143 Un sexe. Cf. Jolyet, vers 32. « Je ne verroye jamais homme en ma vie…. Et de quoy serviroit mon petit chose, que mon père a dict qu’il feroit un jour aussi bien que celuy de ma mère ? » Guillaume Des Autels.   144 Aussi dodu, grassouillet. Cf. le Pasté et la tarte, vers 164.   145 Ce babillard, ce bavard. Le Caquet des bonnes chambèrières fut, nous dit-on, « imprimé par le commandement de leur secrétaire, maistre Pierre Babillet ».   146 Je ne saurais choisir entre les deux.   147 D’une même forme.   148 BM : Celuy   149 Peu m’importe.   150 De bagou.   151 Nous dirions : C’est la meilleure !   152 BM : veult  (Je veux rester.)   153 Je ne donnerais pas la valeur d’un pet. Tissier comprend : « Peu importe que je sois… »   154 BM : naudet erie  (Il manque une lettre.)   155 Ma femme, normandisme.   156 Cette devise pourrait servir dans toutes les farces où un simple Badin, à force de ruse naïve, l’emporte sur de plus intelligents ou de plus forts que lui. C’est par exemple le dernier vers qu’énonce le meunier du Musnier et du Gentil-homme, après avoir mouché un noble. Le héros du Poulier à sis personnages, ayant remis à leur place deux nobles qui asticotaient sa femme, en tire cette morale : « À trompeur, tromperye luy vient. »

POUR LE CRY DE LA BAZOCHE

Bibliothèque municipale de Soissons

Bibliothèque municipale de Soissons

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POUR  LE  CRY  DE

LA  BAZOCHE

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Les clercs de justice qui composaient la Basoche de Paris ne se contentaient pas de griffonner des attendus et des sentences en latin de bureaucrate : à l’occasion de certaines fêtes, ils écrivaient des pièces comiques, véritables revues satiriques où les initiés pouvaient reconnaître les pontes du Palais de justice, les fins stratèges de la politique internationale, ou des voisins qui s’étaient récemment ridiculisés. Les représentations se tenaient sur une longue table de marbre noir qui meublait la grand-salle du Palais, dans l’île de la Cité.

Les suppôts de dame Basoche, Mireloret1 et Rapporte-nouvelle, ont la dent dure ; et sous le prétexte de rendre le monde plus moral, ils jettent en pâture à leurs congénères toutes les histoires de fesses qui parviennent à leurs oreilles de Sots : « Pareille liberté se logea en ceste ville de Paris, soubz le nom de la Bazoche, aux clercs tant du Palais que du Chastelet, lesquels jouant à certains jours — les uns à la table de marbre, au Palais, les autres au siège du Chastelet —, introduysoient ordinairement sur l’eschafaut [sur la scène] trois d’entre eux, habillés en Sotz que l’on apelloit vulgairement mirelorets ou soteletz, dont l’un, nommé Rapporte-nouvelles, interrogé par ses compaignons, leur rapportoit soubz équivoque de noms tous ceux ou celles qu’ils pensoient estre marqués de quelque vice ». (Estienne Pasquier.) Une chanson basochienne, Escoutez la nouvèle, dénonce par exemple un marchand de bouillottes auquel une de ses clientes a donné la syphilis ; en voici la fin : « Ceste chanson fut faicte/ Au Palais, à Paris,/ Prise sur la sonnette/ D’un des joyeux devis/ Que racontoient les joueurs de Bazoche/ Lorsqu’à chacun jettoient leur lardon de reproche. »

Pour le cry de la Bazoche se compose de deux sotties mises bout à bout : la première, assez convenue, renferme des allusions aux grands de ce monde2 ; la deuxième, beaucoup plus vivante, déballe toute la chronique scandaleuse du quartier. Malheureusement, ces ragots n’ont pas eu la chance d’intéresser les historiens de l’époque. Mars et Justice, une autre pièce due aux basochiens de Paris, fut aussi agrémentée d’une sottie finale où les racontars le disputent aux commérages : Rouge-affiné, Bec-affillé et Décliquetout.

Notre sottie s’intitule « Cri » parce qu’elle s’achève sur une convocation publique des suppôts de la Basoche afin d’élire leur nouveau roi. Elle fut jouée lors des festivités du Mardi gras, le 5 mars 1549 (nouveau style).

Source : Bibliothèque municipale de Soissons, manuscrit 0199 (ancien 187), copié dans la seconde moitié du XVIe siècle. Folios 14 verso à 25 verso.

Structure : Dizains, sizains, quintils, rimes plates, huitains, rimes plates.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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*

Pour le cry de la Bazoche

ès jours gras mil cinq cens quarante-huict

*

    [ LA  BAZOCHE

       LE  PREMIER   SUPPOST,  Mireloret

       LE  DEUXIESME  SUPPOST,  Rapporte-nouvelle

       MONSIEUR  RIEN ]

*

                        LA  BAZOCHE  commance 3                SCÈNE  I

        Non sans propos, l’on dict que la Justice

        A faict et faict régner princes et roys.

        Non sans raison, fault que force juste isse4

        Pour corriger les rebelles desroys5

5      Et mectre aux champs les martiaulx arroys6,

        Pour secourir le droict d’obéissance

        Trop opprimé par la folle arrogance

        D’aucuns mutins7 fiers et audatieulx

        Qui ont ausé eslever leur puissance

10    Contre honneur deu8 à la terre et aulx cieulx.

.

        Ô combien grandz sont les biens de Prudence,

        Soubz qui se tient en paix la républicque !

        Ô que trop grandz sont les maulx d’Ignorance,

        Qui contre Droict cherche la voye oblicque !

15    L’esprit heureulx, celluy qui ne s’applicque

        À la suyvir, mays ensuict la raison,

        Pour en user en temps, lieu et saison,

        Et de son Tout la congnoyssance avoir,

        Affin que Rien 9, qui vient par desraison,

20    Soit annullé soubz provident10 sçavoir.

.

        Voyant le Temps en tranquille repos,

        Le Monde en paix (du moins en l’espérance),

        Je suys icy attendant mes suppostz

        Acoustuméz, ces jours11, faire apparence

25    Pour m’esjouyr par gaye révérence.

        J’espère d’eulx ouÿr propoz nouveaulx

        Qui causeront plaisir à noz cerveaulx.

        Au bon esprit chose bonne est plaisante ;

        Et aux fascheux, rudes et tristes veaulx,

30    Chose joyeuse est en tout desplaisante,

        Et (pour mon faict12) ennuyeuse et nuysante.

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                     LE  PREMIER  SUPPOST,  Mireloret.13     SCÈNE  II

        N’est-il temps de se resveiller,

        Et sur joyeusetéz veiller

        Pour dancer et motz joyeulx dire ?

                     LE  DEUXIESME  SUPPOST,  Rapporte-nouvelle.

35    N’est-il temps de s’esmerveiller14,

        Et plus que jamays travailler

        Pour lamenter au lieu de rire ?

                        LE  PREMIER  S[UPPOST] 15

        Qui peult à plaisir contredire,

        Ny les gaillardz suppostz desdire

40    De triumpher, ces jours joyeulx ?

                        LE  DEUXIESME  SUPPOST

        Qui peult, qui sçayt ou qui désire,

        Se voyant cheoir de mal en pire,

        Qu’i ne soyt mélencolieulx16 ?

                        LE  PREMIER  SUPPOST

        [Il nous en va de myeulx en myeulx :]17

45    Nous voyons temps neuf, nouveaulx lieulx,

        Nouvelles gens, nouvelle guyse.

                        LE  .IIe.  SUPPOST

        Plus ne veoyons le Bon Temps vieulx,

        Les vieilles gens non envyeulx.

        Vieillesse en jeune se desguyse.

                        LE  PREMIER  SUPPOST

50    Tout nous rid : le temps, la fortune,

        L’honneur, l’amour et le surplus.

                        LE  .IIe.  SUPPOST

        Tout 18, en tout le peuple importune,

        Le temps, les gens ; dont la commune19

        Est tant faschée que riens plus.

                        LE  PREMIER  SUPPOST

55    [Jà ne]20 fut plus gratieulx temps,

        Les gens, et Tout pareillement.

                        LE  .IIe.  SUPPOST

        Jamays aussi, comme j’entendz,

        Il ne fut tant de mal contens

        Comme il est ; c’est tout aultrement.

                        LE  PREMIER  SUPPOST

60    Tout n’est-il pas suffisamment

        Bien gouverné entièrement,

        Et pourveu comme raison veult ?

                        LE  .IIe.  SUPPOST

        Tout est beau au commancement,

        Et a faict du bien largement.

65    Mays…

                        LE  PREMIER  SUPPOST

                         Quel mays ?

                        LE  .IIe.  SUPPOST

                                                Si chacun se deult21,

        Croyez que ce n’est point sans cause.

                        LE  PREMIER  SUPPOST

        Espérons !

                        LE  .IIe.  SUPPOST

                            Tel veult qui ne peult.

        On n’ose dire qui l’esmeult

        À se plaindre, entendez la clause.

.

                        LA  BAZOCHE 22                                 SCÈNE  III

70    Je trouve bien estrange chose

        De vostre devis, mes suppostz.

        L’un rid, l’aultre ung grief dueil expose :

        E[s]t la cause en vous si fort-clause23

        Qu’entendre n’en puys les dispos24 ?

                        LE  PREMIER  SUPPOST

75    De cent milliers de bons propos,

        Nostre princesse la Bazoche,

        Ayez-vous repas et repos !

                        LA  BAZOCHE

        Suppostz, Dieu vous gard de reproche !

        J’ay faict de voz devys approche,

80    Qui sont certes fort différentz.

        Y a-il quelques différendz

        Entre vous ?

                        LE  .IIe.  SUPPOST

                              Nenny non, ma Dame.

                        LA  BAZOCHE

        Il m’est à rebours25 (sur mon âme !)

        Que vous, de rire acoustuméz,

85    Les plaisirs désacoustumez

        Pour propos contraires tenir.

                        LE  PREMIER  SUPPOST

        Non pour soucy entretenir.

        Nous devisions du temps, des gens,

        Du commung26 foullé, des sergentz,

90    De paix, des amours, de la guerre

        Qu’on veoyt préparer sur la terre27,

        Des oyseaulx, de leur chant ramaige,

        De ceulx qui ont changé de caige28 ;

        De ceulx [qui], pour avoir [cas laidz]29,

95    Ont esté faictz [jà roiteletz]30.

                        LE  .IIe.  SUPPOST

        Des bien heureulx, des malheureux,

        Des vieillardz qui sont amoureux,

        Des jeunes gens devenuz chiches,

        Des pauvres qui ne sont pas riches ;

100  De ces jeunes filz de Paris

        Cocquus avant qu’ilz soient maris,

        Comme sont ceulx du Pont-au-Change31 ;

        D’une privée, d’une estrange32.

                        LE  PREMIER  SUPPOST

        Bref ! de tout qu’on peult adviser33,

105  Nous prétendons en deviser,

        Et laisser le feu sainct Anthoine34

        Au ladre Cardinal Le Moyne35

        Et au Bourguygnon enfumé

        (Nostre ennemy maistre Enrymé36) !

                        LE  .IIe.  SUPPOST

110  Voyre, qu’i les puisse brusler !

                        LA  BAZOCHE

        Je crève d’en ouÿr parler,

        Tant les parolles sont puantes,

        Ordes, villaines et cuysantes.

        Fy des villains ! Laissez-les là,

115  N’en parlez plus, fy !

                        LE  PREMIER  SUPPOST

                                              C’est cela.

                        LA  BAZOCHE

        Or sus, mes suppostz ! Regardons

        (Et de trop parler nous gardons)

        Que37 c’est qu’on dict, qu’on veoit, qu’on faict,

        Et qui c’est qui faict ou deffaict

120  Ses affaires, au temps présent.

        Et le tout soubz joyeulx présent38,

        Sans taxer ou blasmer personne,

        Ne dire chose qui39 mal sonne :

        Car l’estat des bazochïens

125  Gist sur honneur qu’i ne dict riens40

        S’il n’est prouffitable et louable.

                        LE  .IIe.  SUPPOST

        Le temps présent est admirable.

                        LE  PREMIER  SUPPOST

        Le passé a faict grandes choses.

                        LE  .IIe.  SUPPOST

        Qu’est devenu le pot aux roses41 ?

130  Long temps a qu’il ne fut ouvert.

                        LA  BAZOCHE

        Quelque jour sera descouvert

        Pour démonstrer à l’advenir

        Combien de causes42 peult tenir,

        Qui sont, au temps présent, cachées.

                        LE  PREMIER  SUPPOST

135  Combien de personnes faschées

        Qu’en publicq ne se peult ouvrir !

                        LE  .IIe.  SUPPOST

        [Nul ne]43 l’oseroyt descouvrir,

        Car il tient soubz main par trop forte44.

                        LE  PREMIER  SUPPOST

        Si fault-il ung jour qu’il en sorte

140  Des choses qu’on veult trop celler.

                        LA  BAZOCHE

        Mes suppostz, gardez de parler

        Trop avant !

                        LE  .IIe.  SUPPOST

                              Mot45 !

                        LE  PREMIER  SUPPOST

                                              La bouche close !

                        LE  .IIe.  SUPPOST

        N’est-ce grand dommaige qu’on n’ose

        Monstrer son mal au médecin,

145  Et faire cracher au bassin46

        Ceulx-là que tant je n’oze dire ?

                        LA  BAZOCHE

        Ne parlez sinon que pour rire,

        Mes supostz !

                        LE  PREMIER  SUPPOST

                                 Je diz à propos.

        L’Aigle47, en somme, prend ung repos.

150  Et comme… Mays je ne sçays quoy.

                        LE  .IIe.  SUPPOST

        Tel se mect souvent en requoy48

        Qui ne prétend repos avoir.

                        LE  PREMIER  SUPPOST

        Le Phœnix49, pour son Aigle veoir,

        A prins son vol bien diligent,

155  Non desgarny d’or et d’argent.

        Je ne sçay pas s’il reviendra.

                        LE  .IIe.  SUPPOST

        Et s’il revient, on le prendra,

        Et l’Aigle aussi, par bonne chère.

                        LA  BAZOCHE

        La chère50 me fut ung jour chère ;

160  Mays51, c’est tout ung. Et si, regarde

        Me tenir tousjours sur ma garde

        Pour obvier à la surprinse.

                        LE  PREMIER  SUPPOST

        Je ne sçay par quelle entreprise

        De ce Paris on a osté

165  L’ung des grandz esbatz de l’esté.

                        LA  BAZOCHE  vacabat per Curiam.52

        Or diz-nous comment, sotte trongne !

                        LE  .IIe.  SUPPOST

        On a cloz le Boys de Boulongne53,

        Si bien qu’on n’y sçayt plus entrer.

                        LA  BAZOCHE

        As-tu aultre cas à monstrer

170  Ou dire ? Parle, sot cerveau !

        Tu ne nous diz rien de nouveau :

        Il est cloz, voyre, en double sorte ;

        Et d’une closture si forte

        Que tous ceulx-là qui sont dedans

175  N’oseroient plus monstrer les dentz54.

        Car pour résister aux effortz,

        Il y a des gens fortz ès fortz55

        Qui sçavent trèsbien ung bien faire.

                        LE  PREMIER  SUPPOST

        Ceulx qui sont cause de l’affaire,

180  Ne sçay s’ilz s’en trouveront bien.

                        LE  .IIe.  SUPPOST

        De Bourdeaulx56 nous ne dirons rien ;

        La prudente espée a bien dict.

                        LA  BAZOCHE

        C’est trop à raison contredict57,

        S’eslever encontre son prince.

                        LE  PREMIER  SUPPOST

185  Il n’y a si grande province

        Dont le plus grand et le plus riche,

        Le plus pauvre homme ou le plus chiche

        Ne soit au Roy de corps et biens,

        Et quant luy plaira, peu ou riens58,

190  Tant soit-il de grant et hault pris59.

                        LA  BAZOCHE

        C’est trop follement entrepris,

        Dont en fin ne peult que mal prendre.

                        LE  .IIe.  SUPPOST

        Pour l’advenir, l’on peult comprendre

        Tout bon heur60.

                        LE  PREMIER  SUPPOST

                                      Par noble alliance,

195  Le sang françoys au sang de France

        S’est61 conjoinct par vraye unité.

                        LA  BAZOCHE

        Dieu garde ceste affinité

        Cent milliers d’ans et cent encore(s) !

                        LE  .IIe.  SUPPOST

        Je cuydoys l’Ours toute forlore62,

200  Car l’Aigle faisoit sa menasse

        De luy faire changer de place,

        Ou l’enchesner comme subject.

                        LE  PREMIER  SUPPOST

        Il est survenu quelque object

        Qui a empesché le passaige.

                        LE  .IIe.  SUPPOST

205  Le Léopard63 faict du sauvaige

        Encontre le Lyon rampant ;

        Mays le franc Coq64 sa force espand,

        Qui le gardera de moleste.

                        LA  BAZOCHE

        Sainct-Jacques65, avec(ques) sa mallette,

210  A laissé Espaigne ; et dict-on

        Qu’il vient avecques son baston66

        Pour veoir s’il fera quelque chose

        On sçayt bien où…

                        LE  PREMIER  SUPPOST

                                           Pendant, repose

        L’Ytalye, et Sainct-Pierre67 aussi,

215  Qui avec Sainct-Marc prent soucy

        D’entretenir son alliance.

                        LE  .IIe.  SUPPOST

        Je croy, en ma sotte fiance68,

        Que cest an nous verrons merveilles,

        Voire, et des choses nompareilles,

220  Qui les vouldra bien retenir69.

                        LE  PREMIER  SUPPOST

        Tout cela qui doit advenir

        Adviendra.

                        LA  BAZOCHE

                             Mes joyeulx suppostz,

        Pour faire changer de propos,

        Faictes sonner les instrumentz,

225  Récréant noz entendemens.

                        Icy sonnent les instrumentz.

                                   *

                        MONSIEUR  RIEN                               SCÈNE  IV

        N’enquérez poinct que70 je sçays faire,

        Qui je suys, ne quel est mon nom :

        Je sçay tout parfaire et défaire,

        Et transmuer « ouÿ » en « non ».

230  J’ay par le monde grand renom.

        Aussi, suis-je grand terrïen.

        Ne demandez point mon surnom.

        Je peulx tout, et si71, je suys Rien.

.

        Je suys Rien, et si, l’ay esté ;

235  Et puys je suys devenu Tout.

        Rien fuz, et pour l’honnesteté,

        Tout m’a mis dessus le bon bout72.

        Ce Rien, ce Tout n’est à mon goust :

        De mon heur ne suys qu(e) aux faulx-bourgs73.

240  Je veulx faire, du tout en tout,

        Tout le monde aller au rebours.

.

        Je puys faire ung sot estre saige,

        Ou au moins il le semblera ;

        Une vieille belle en grand aage :

245  Du moins, aymée elle sera.

        La maistresse serve74 on croyra ;

        La bourgeoyse, une Damoyselle75.

        Ung souldart évesque on verra,

        Et une nourrice pucelle.

.

250  Bref ! je faictz les choses possibles,

        Soubz ma grande philosophie,

        Ressembler quasi impossibles.

        Toutesfoys, fol est qui s’y fie.

        J’estudye en cosmographie

255  Et tiens Tout en commandement.

        J’escriptz, je liz, j’orthographie76,

        Et ay partout l’entendement.

                        LA  BAZOCHE

        Voylà parler estrangement !

        Qui est-il, suppostz ?

                        LE  PREMIER  SUPPOST

                                            Je ne sçay.

                        LE  .IIe.  SUPPOST

260  Ne moy aussi.

                        LA  BAZOCHE

                                Faict-il l’essay

        De nous congnoystre, ou nous surprendre ?

        Sachez, suppostz !

                        MONSIEUR  RIEN

                                       On peult comprendre

        – Au moins si vous avez espritz –

        Que je suys homme de hault pris,

265  Qui sçayt, qui faict et qui deffaict,

        Qui contrefaict et qui parfaict,

        Qui prend, comprend et entreprend.

        Et celluy qui de moy apprend,

        Il peult grandes choses sçavoir.

                        LA  BAZOCHE

270  Je loue en tout le grand sçavoir

        Qu’i nous faict entendre estre en luy.

                        MONSIEUR  RIEN

        Demandez-moy77, je suys celuy.

        Vous ay-je pas dict une foys

        Que je fays plus que Tout, et voys78

275  Où aucun ne sçauroit aller ?

        Quoy ! fault-il plus avant parler ?

                        Monstre ung sac, et [des] pappiers.79

        Je veulx monstrer en évidence

        Des receptes que ma prudence

        A faictes par grand appareil80

280  Pour ceulx qui venuz au conseil

        Sont à moy de leurs entreprises81,

        Qui ont esté en tout bien prises,

        Et ne leur est venu que bien.

                        LA  BAZOCHE

        Vostre nom, monsieur ?

                        MONSIEUR  RIEN

                                                Monsieur Rien,

285  Qui ne veult user de déceptes82.

                        LE  PREMIER  SUPPOST

        Monsieur Rien, quant à voz receptes

        (Dont vous nous donnez l’apparence),

        Sont-elles par expérience

        Aprouvées83, et de vertuz fortes ?

                        MONSIEUR  RIEN

290  Ouÿ. Et en cent mille sortes

        De cas nouveaulx et joyeulx tours

        Despendant du grand dieu d’Amours,

        Je84 donne conseil et remedde.

                        LE  .IIe.  SUPPOST

        Je veulx doncq requérir vostre ayde,

295  Monsieur Rien, pour ung pauvre amant

        Aux faictz de Vénus si gourmand

        Qu(e) ung jour, luy faisant sacriffice,

        Fut surprins dans une Escrevisse 85,

        En la rue de la Huchette,

300  Auquel lieu souvent se délecte

        Avec sa dame bien aprinse86.

                        LE  PREMIER  SUPPOST

        Ung oncle sot fit la surprinse87,

        À qui cousta plus d’un ducat ;

        Et le surpris est advocat,

305  Des nostres assez bien congneu.

                        MONSIEUR  RIEN

        Récipé 88 : S’en fuÿr tout nud,

        Se cacher dedans une estable,

        Et endurer par faict notable

        (Pour luy conforter le cerveau89)

310  Estre attaché comme ung gros90 veau

        Deux heures de grande froydure,

        Voyre au temps de la grand froydure91,

        Pour luy appayser sa challeur.

                        LA  BAZOCHE

        Voylà recepte de valleur,

315  Monsieur Rien. Et monstrez vrayment

        Qu’avez du sçavoir largement.

                        LE  PREMIER  SUPPOST

        Sçavez-vous le moyen vollaige92

        Faire d’une ville ung villaige ?

        C’est ung faict quasi impossible.

                        MONSIEUR  RIEN

320  Mays rien au monde plus possible,

        Le moyen facille : j’entendz

        Que vous verrez dedans bref temps

        (Cela promect[z] sans faulte aulcune)

        Le cours et dispos93 de la lune.

                        LE  .IIe.  SUPPOST

325  Pour payer les fraiz et boissons

        D’un escot faict aux Troys Poissons 94,

        À Sainct-Marceau ?

                        MONSIEUR  RIEN

                                           En attendant,

        Vous baillerez pour respondant95

        Le Cordelier bien esprouvé

330  Lequel fut tout debout trouvé

        Besongnant madame l’hôtesse.

                        LA  BAZOCHE

        Le Cordelier chault de la fesse

        Luy faisoit-il cela par mal ?

                        LE  PREMIER  SUPPOST

        Je croy que non !

                        MONSIEUR  RIEN

                                         Propos final,

335  J(e) advoue96 le faict en tout lieu,

        Car ce n’est en despit de Dieu.

                        LE  .IIe.  SUPPOST

        À ce propos, mays aultrement :

        De quoy sçaurez-vous, ne comment,

        Faire, de malle chose, bonne97 ?

                        MONSIEUR  RIEN

340  Faveur, par avarice, ordonne

        Le moyen, faisant fricassée98

        Dont les docteurs99 rendent cassée

        Raison et le Droict tout ensemble.

                        LE  PREMIER  SUPPOST

        Mays, monsieur Rien : que vous en semble,

345  De l’argent au[x] pauvres donné ?

                        MONSIEUR  RIEN

        Par statut, il est ordonné

        Recepte100 en chacune parroisse,

        Affin que la somme apparoysse

        Justement, sans aucune tache.

                        LE  .IIe.  SUPPOST

350  En la parroisse Sainct-Eustache,

        Deux dames plaines de sçavoir,

        Commises iceulx recepvoir

        Et les bailler soubz bonne foy

        Au saige primat de la Foy,

355  Qui veult les sommes calculler101

                        LE  PREMIER  SUPPOST

        Il sçayt bien les dames culler102

        Premier que de bailler quictance103 !

                        LA  BAZOCHE

        Sur aultre cas donnons sentence,

        Pour rendre noz espritz contens.

                        LE  .IIe.  SUPPOST

360  Monsieur Rien, en combien de temps

        Peult devenir ung marchant riche ?

                        MONSIEUR  RIEN

        Selon qu’il est fin104 et qu’il triche,

        Les ungs plus et les aultres moins :

        Les affineurs prenz105 pour tesmoings,

365  Riches en ung an ou en deux.

        Si des aultres sçavoir tu veulx,

        Ce sont usuriers qui attendent

        Plus long temps, car leurs deniers rendent

        Prouffit, mays c’est à plus longs termes ;

370  Exceptéz ceulx, d’espritz bien fermes,

        Qui prestent les plus grosses sommes,

        Comme trésoriers, et telz hommes

        Qui106 baillent les deniers du Roy

        À intérest : c’est leur arroy107.

                        LE  PREMIER  SUPPOST

375  Combien d’argent vouldriez-vous prendre

        Pour ung procès tout instruict rendre

        Concernant confisca[ti]on ?

                        MONSIEUR  RIEN

        Pour myeulx faire telle action

        Et rendre ennemys108 plus vaincuz,

380  Je veulx cinquante mil escuz.

        Moyennant lesquelz, forgeray

        Des tesmoings, et m’obligeray

        Vous rendre la sentence au poing109.

                        LA  BAZOCHE

        De faulce monnoye, faulx coing110,

385  C’est bien entendu le dispos.

        Venons à plus joyeulx propos

        Et à matière plus civille.

                        LE  .IIe.  SUPPOST

        Ung gaillard officier de ville,

        De deux advocatz compaigné,

390  N’a point ung escu espargné

        À une masque111 (ou macquerelle)

        Qui, pour la chose de laquelle,

        Promect en secrette maison

        Produyre fresche venaison112.

                        LE  PREMIER  SUPPOST

395  De faict, fist telle diligence,

        Avec sa bonne intelligence,

        Qu’elle ameine pour troys ducatz

        La femme d’un des advocatz

        Qui estoit en la compaignie.

400  Cependant, la chaulde mesgnye113

        Disputent et sont en débat

        Qui auroit le premier « combat ».

                        LE  .IIe.  SUPPOST

        Enfin fut dict, d’accord facond114,

        Que le mary seroit second.

405  La dame, en secrette manière,

        Entre par [un huys]115 de derrière,

        Sans que personne la peult116 veoir.

                        LE  PREMIER  SUPPOST

        Après du premier le « debvoir »,

        Le mary dedans la chambre entre,

410  Prest de donner ventre sur117 ventre,

        Fort esbahy de veoir sa femme ;

        Qui118 dict lors : « Ha ! putain infâme !

        Es-tu icy ? »  « Non (ce dict-elle) :

        J(e) y suis venue par cautelle119,

415  Et sçavoys bien que j’espiroys120

        Le lieu où, meschant, tu seroys.

        C’est assez ! » Ainsi s’en alla.

                        LA  BAZOCHE

        Or, quel remedde sur cela,

        Monsieur Rien ?

                        MONSIEUR  RIEN

                                     Je diz, pour celluy

420  Récipé : Qui121 te faict, faiz-luy !

        Il n’est vaincu, n’elle vaincue ;

        S’il est cocu, elle est cocue.

        Et voylà la conclusion.

                        LA  BAZOCHE

        C’est trèsbonne décision

425  De propos.

                        LE  .IIe.  SUPPOST

                             Rue Sainct-Denys

        (Où sont plus d’oyseaulx que de nidz122),

        A une dame, vigoureuse

        De cueur et de corps, amoureuse

        D’un des moynes de Sainct-Magloyre.

430  Laisse cheoir en son oratoire123

        Ung billet du lieu, heure et jour

        D’accomplir « l’amoureux séjour ».

                        LE  PREMIER  SUPPOST

        Cela veu de bonnes façons

        Par troys ou quatre bons garsons

435  Qui n’estoient là pour prier Dieu ;

        Espient la dame et le lieu

        Où vint le monachus 124 crotté.

        Mays Dieu sçayt s’il fut bien frotté

        Et servy de boys et coups lours,

440  Au lieu de baiser ses amours125

        Et faire ce qu’il prétendoit !

                        MONSIEUR  RIEN

        Qui plus hault monte qu’il ne doibt,

        Il veoit de plus loing ung clocher126.

                        LE  .IIe.  SUPPOST

        Suyvant ce propos, fault toucher

445  D’un aultre127, à Sainct-Martin-des-Champs,

        Désirant les « amoureulx chantz »

        D’une dame de la grand rue ;

        Et tellement poursuict et rue

        Que sa requeste elle luy signe128.

450  Et pour l’accomplir, jour assigne.

        Mays en attendant ces mistères,

        La dame en advertist ses frères,

        Qui conseillent son mary mectre

        Soubz le lict, et pour myeulx congnoystre

455  Quant le moyne sera venu,

        Affin qu’il soit par eulx congneu,

        Qu’elle dira : « Belin129, belin ! »

        Le mary, faict au jobelin130,

        Respondra en mouton : « Bêz, bêz ! »

                        LE  PREMIER  SUPPOST

460  Sans faire plus longs collibetz131,

        Ainsi fut faict, ainsi fut dict.

        Le moyne, po[u]rsuyvant le dict

        D’amour fainct à luy présenté,

        Y vint à sa malle santé132.

465  « Belin » dict et « bêz » respondu,

        Dessus son doz fut estandu

        Ung millier de coups de bastons,

        Et remené non en bas tons133

        Par deux tabourins134 au couvent,

470  Où fut receu myeulx que devant

        Avec des verges et des fouetz.

                        LA  BAZOCHE

        C’est assez dict pour ceste foys.

        Il convient aultre cas comprendre.

                        LE  .IIe.  SUPPOST

        À [tout moyne]135 en puisse ainsi prendre,

475  Et à tous les jeunes maris

        Du Pont-au-Change !

                        MONSIEUR  RIEN

                                             Je m’en ridz :

        Ilz méritent bien telle offrande.

                        LA  BAZOCHE

        Monsieur Rien, je vous faictz demande

        Pourquoy le royaulme de France

480  N’est jamays en paix n’asseurance.

                        MONSIEUR  RIEN

        Je vous respondray, sur ce pas :

        Pource qu’on ne la cherche pas.

                        LE  PREMIER  SUPPOST

        La raison ?

                        MONSIEUR  RIEN

                             Paix, où tout bien sonne,

        Ne destruict ou gaste personne,

485  Et n’est possible qu’homme chiche

        Ou avare devienne riche

        Premier136 qu(e) ung aultre n’apauvrisse.

        Or voyons-nous régner ce vice,

        Et fault qu(e) ung perde et l’aultre gaigne.

490  Par quoy guerre, à tous maulx compaigne,

        Est meilleure (il le fault penser)

        À gens qui veullent s’advancer,

        Que la paix.

                        LE  .IIe.  SUPPOST

                             Donnez-nous conseil

        Si, par grand ardeur du soleil,

495  Le plomb peult devenir argent.

                        MONSIEUR  RIEN

        Ouy da, et tout par ung art gent,

        Qui bien le bon moyen contemple137.

        Et qu’i soit vray, du plomb du Temple138

        On ne faict argent seullement,

500  Mays du fin or139 pareillement.

                        LE  PREMIER  SUPPOST

        Est-il temps que le sac on lie140.

        De la rue de Saccalye,

        Chassé est qui le mal apporte.

        Mays de celluy qui bien rapporte,

505  Amoureux de sa chambèrière,

        Qui trouva façon et manière

        De se fascher hors tout diffame141

        De coucher avecques sa femme ;

        Luy estant esmeu par le membre142,

510  Feist faire troys lictz en sa chambre :

        Les deux pour sa femme et sa serfve,

        Le tiers pour luy seul il réserve.

        Et de nuict, sans avoir sommeil,

        Va donner l’amoureux resveil

515  À la servante, en telle sorte

        Et d’une chaleur si trèsforte

        Qu’i luy a faict enfler la pence.

                        LE  .IIe.  SUPPOST

        Quel remedde, pour récompence

        De l’intérest de la maistresse143,

520  Qui en porte grande destresse

        Quant les faictz luy sont apparentz ?

                        MONSIEUR  RIEN

        Récipé : Mander les parens,

        Ausquelz elle en fera complaincte.

        Et le mary, en voix non faincte,

525  À genoulx trop myeulx qu’estre assiz,

        Cryera à sa femme mercys,

        Promectant n’y retourner plus144.

        Lors, la faulte et tout le surplus

        Sera pardonné et remys145.

                        LA  BAZOCHE

530  Au besoing on veoit146 ses amys.

        À cela on le peult congnoystre.

                        LE  PREMIER  SUPPOST

        Ung practicquant147, assez bon maistre,

        Qui aux forestz d’Amours arpente148,

        En la rue de la Serpente

535  Il a sa servante engrossée.

        Ce voyant, tout d’une poussée,

        Le maistre à son clerc persuade

        De donner « l’amoureuse aubade »

        À la pauvre pucelle grosse,

540  Affin que le clerc eust l’andosse149

        D’espouser la mère et l’enfant150.

                        LE  .IIe.  SUPPOST

        Le clerc guières ne se défend,

        Mays faict d’une volunté grande

        Ce que son maistre luy commande,

545  Joinct qu’il avoit en cest affaire

        Acoustumé de cela faire :

        Et sans que son maistre en sceût rien,

        De long temps151 se congnoyssoient bien.

                        LE  PREMIER  SUPPOST

        Quant est de la fille espouser,

550  Le clerc ne s’i veult disposer

        Et dict : « Nego 152 ! » Remède quel ?

                        MONSIEUR  RIEN

        C’est que le maistre de l’hostel153,

        Ainsi comme vray successeur,

        Demourra154 l’entier possesseur

555  De l’enfant du clerc et la mère,

        Qui se joueront sans chose amère

        Ensemble tout à ses despens,

        Eust-il des chappons et des paons155.

                        LE  PREMIER  SUPPOST

        Avez-vous moyens nécessaires

560  Que les estatz des commissaires156

        Vaillent plus que le temps passé ?

                        MONSIEUR  RIEN

        Ouÿ, le tout bien compassé157.

        Et fault de toutes choses une :

        C’est faire la bourse commune,

565  Et la signer158 comme l’on faulche159

        Du bon signe de la main gaulche,

        Pour les garder de parjurer.

                        LE  .IIe.  SUPPOST

        On faict aux officiers jurer

        N’avoir baillé or ny avoir

570  Pour office de juge avoir ;

        Pourquoy, veu que toutes se vendent,

        À faire ce serment entendent ?

                        MONSIEUR  RIEN

        Affin de s’acoustumer d’heure160

        À avoir bonne bouche et seure161,

575  Et ne descouvrir les secretz

        Qui sont cachéz soubz leurs décretz.

                        LA  BAZOCHE

        De dire point ne me repens

        Que c’est grand mal d’estre en suspendz162

        De sa femme ou quelque aultre chose.

                        LE  .IIe.  SUPPOST

580  Comme ung quidam qui ne repose

        Jour ne nuict, mays de corps et biens

        S’employe et cherche les moyens

        Pour trouver comme il est cocu.

        Car on se joue à « broche-en-cul163 »

585  Avec sa femme : on luy a dict.

                        LE  PREMIER  SUPPOST

        Ung jour entend que par édict

        L’amoureux est en sa maison,

        Et faict aprester grand foyson

        De vïandes pour le bancquet164.

                        LE  .IIe.  SUPPOST

590  Le mary trousse son pacquet

        Et s’en va chez ung pâticier.

        Pour myeulx son faict assocyer,

        Se charge de pâtisserye

        Et s’habille (sans menterie)

595  En pâticier. Puys se transporte

        En sa maison, frappe à sa porte,

        Parle en voix fainte ; mays je croys

        Qu’il fut bien congneu à sa voix :

        Car l’amoureulx, desjà caché,

600  Sort et s’enfuyt. Bien empesché,

        Le « pasticier » entre, trèsbien

        Fouille, cherche et ne trouve rien,

        Et tout confuz demoure là.

                        LE  PREMIER  SUPPOST

        Dedans deux ou troys jours delà165,

605  Trouve l’amoureulx, et luy dict

        Que sa maison luy interdict.

        « Et pourquoy ? »  « Pour ung cas infâme :

        Je sçay (dict-il) qu’avec ma femme

        Vous besongnez. Pour ce, au surplus,

610  Mon amy, n’y revenez plus

        Si ne voulez gouster des vins

        De la rue des Poictevins166 ! »

                        LE  .IIe.  SUPPOST

        Comment peult-on venir, sans guerre,

        Plus riche qu(e) homme de la terre ?

                        MONSIEUR  RIEN

615  Il fault avoir le cueur plus dur,

        Plus ferme et asseuré qu’un mur,

        Ne que dure pierre d’aymant167.

        Par ce moyen, facillement

        Il tirera à luy tout l’or

620  Et l’argent de chacun.

                        LE  .IIe.  SUPPOST

                                            Encor

        Je demande comme est possible

        D’avoir tel cueur ?

                        MONSIEUR  RIEN

                                        Rien impossible

        N’est à homme qui laisse Dieu,

        Son amour et crainte en tout lieu,

625  Pour168 mectre son esprit soubdain

        À aymer tout honneur mondain

        Et ses plaisirs.

                        LA  BAZOCHE

                                 C’est grand simplesse

        À l’homme, pour vaine richesse,

        Laisser Dieu, honneur et vertu.

                        LE  PREMIER  SUPPOST

630  Le temps présent est abatu

        Et aveuglé par avarice :

        Tout y va, tout tire à ce vice ;

        Dont le commung ne se peult taire,

        Car il est destruict.

                        MONSIEUR  RIEN

                                         J’ay affaire

635  Aultre part. Si n’estoit cela,

        Je desployerois, tant cy que là,

        Cent aultres milliers de receptes

        Propres à monstrer des déceptes

        Du monde. Or, à Dieu ! Je m’en voys169.

                        LA  BAZOCHE

640  C’est assez dict pour ceste foys.

        Grand sçavoir en vous s’assocye,

        Monsieur Rien. L’on vous remercye

        Du bien qu’avons aprins170 de vous.

.

        Bazochïens, entendez tous !                                      SCÈNE  V

645  Je veulx, en triumphant arroy,

        Eslire et faire ung nouveau Roy,

        Comme il est coustume de faire.

        Pour tant171, chacun pense à l’affaire,

        Autant les grandz que les petitz,

650  Et faire les préparatifz.

        Car, ainsi comme libéralle,

        Je tendz à monstre172 généralle

        Qui, l’esté qui vient, sera faicte

        En honneur, en triumphe et feste.

655  Ne faillez monstrer voz bons cueurs

        Qui font de la vertu approche,

        Tant que l’on dye173 par honneurs :

        Vive l’excellente Bazoche !

.

                                             FIN

*

.

                     CRY  CONTRE  LES  CLERS

                                        DE  CHASTELLET 174

.

                             LA  BAZOCHE

       Dormez-vous ? Quoy ! est-il vray ? Je m’en plains.

       Sus, mes suppostz ! Gectez regrectz et plains175 :

       Ou aultrement, je n’en seray contente.

       Est-il saison, par chemins et par plains176,

5     De songer creux ? Non, non ! Je me complains,

       Tout à part moy, de vostre longue attente.

       Bazochïens, qu’on ne se mescontente :

       Car il est dict, sans faire grant hahay177,

       Que vous jourrez ce joly moys de may178.

.

10   Laissez courir gensdarmes et leurs trains,

       Postes, héraulx179. S’il vient qu’ilz soient contrains

       De desmarcher ainsi180 que le vent vente,

       Que voz esbas ne soient jamais estains.

       De lascheté ne fustes onc attaint[s] :

15   Il est tout vray, j’en ay lectre patente.

       Continuez, vous arez vostre rente.

       Grans et petis s’actendent de cueur gay

       Que vous jourrez ce joly moys de may.

.

       Suppostz gentilz, ayméz, doubtéz181 et crains,

20   Empoignez-moy ces tripiers à beaulx crains182 !

       Dès aujourd’huy, contre eux je me présente.

       Ce sont poissars183, pipereaulx mal mondains,

       Punectz184 infectz et puans comme dains185 ;

       Qui ne me croit, qu’on les expérimente186.

25   Du Cardinal187, jà ne fault que j’en mente :

       S’il n’est papa, papelart, papegay188,

       Si jourrez-vous ce joly moys de may.

.

       Prince : Je dis, comme Dame et Régente,

       Et pour oster tout ennuy et esmay189,

30   Veu et congnu vostre manière gente,

       Que vous jourrez ce joly moys de may.

*

1 C’est le nom d’un Sot dans la sottie parisienne de Trote-menu et Mirre-loret.   2 Mes deux prédécesseurs en ont résolu beaucoup. Adolphe FABRE : Les Clercs du palais. La farce du Cry de la Bazoche. 1882, pp. 1-36. Émile PICOT : Recueil général des sotties, t. III, 1912, pp. 233-267. Contrairement à une idée reçue, l’édition Fabre comporte moins de fautes graves que l’édition Picot, dont tous les médiévistes ont le tort de se servir.   3 Elle est dans la salle, parmi les spectateurs : voir la note 52.   4 Sorte, se manifeste.   5 Les dérèglements.   6 Les colonnes de soldats.   7 Des protestants, que poursuivait depuis 1547 la Chambre ardente du Parlement de Paris, siège des basochiens.   8 Dû.   9 Monsieur Rien apparaît au vers 226. Les jeux entre Rien et Tout polluent la littérature morale de l’époque, et ne peuvent entrer dans aucune catégorie figée ; les auteurs jouent sur des mots vides de sens, et donc susceptibles d’accaparer tous les sens. Pour souligner l’extériorité de ce rien, le manuscrit le place entre parenthèses, de même que tout au vers précédent.   10 Prudent.   11 Pendant les jours gras du Carnaval. Idem vers 40. Faire apparence = faire leur apparition.   12 En ce qui me concerne.   13 Ce Sot est un optimiste qui ne voit que des raisons de se réjouir. Son camarade est un pessimiste pour qui tout va mal. Les deux suppôts de dame Basoche discutent sur la table de marbre.   14 De s’étonner que tout aille si mal.   15 Le ms. abrège souvent les noms des personnages ; je ne le suivrai pas.   16 Ne pas être mélancolique.   17 Vers manquant. « –Comme vous va ? –De mieulx en mieulx. » Le Monde qu’on faict paistre.   18 Dans les Sotz qui remetent en point Bon Temps, ce personnage allégorique symbolise l’abondance.   19 Le peuple. C’est un personnage du Jeu du Prince des Sotz.   20 Ms : Jamays   21 Se plaint, verbe douloir.   22 Elle est au pied de la table sur laquelle bavardent ses suppôts.   23 Si secrète, comme une lettre cachetée. Cf. Ung Mary jaloux, vers 172.   24 Les dispositions. Idem vers 324 et 385.   25 Cela me contrarie.   26 Du peuple. Idem vers 633.   27 « Dès la fin de l’année 1548 le connétable de Montmorency, qui dirigeait la politique royale, avait commencé des préparatifs de guerre contre l’Angleterre, en vue de reprendre Boulogne. » (Émile Picot.) Si l’on en juge par tous les thèmes que les suppôts disent avoir traités, la 1ère des deux sotties a subi de grosses coupures.   28 Des hommes qui ont changé de parti.   29 Ms : leurs cas netz  (Magnifique exemple de la censure qu’on imposait aux basochiens, dont on expurgeait les manuscrits avant la représentation : les deux vers que le censeur a modifiés sont grammaticalement faux et n’ont plus aucun sens.)  Le pouvoir n’aimait pas trop qu’on lui rappelle que les Anglais occupaient toujours Calais, qui ne sera libéré qu’en 1558. Le jeu de mots sur « cas laids » ne pouvait pas tromper des auditeurs : « Les trois Leopards [Anglais, v. 205], craignant d’estre brusléz,/ Doubtent fort ardre, et renforcent cas laids. » Barthélemy Aneau.   30 Ms : chardonneretz  (Le roitelet, Arthur Plantagenêt, fils illégitime d’Édouard IV, fut gouverneur de Calais. Il venait de mourir en 1542.)   31 Ceux qui pratiquent l’échangisme, qui louent leur femme à d’autres hommes. Idem vers 476. « Maintes damoiselles/ Qui, en Paris, vont au Change souvent. » Claude Chappuys.   32 D’une femme proche de nous, ou d’une étrangère. Cf. le Moral de Tout-le-Monde, vers 283.   33 De tout ce que nous avons le droit d’évoquer.   34 Le mal des ardents, l’ergotisme.   35 Le collège parisien du Cardinal-Lemoine entretenait avec la Basoche un long jeu de dénigrement dont beaucoup de pièces ont rendu compte avec délectation. Voir la notice de Ung Fol changant divers propos. Je publie ci-dessous une ballade où ledit collège est encore pris à partie, au vers 25.   36 Henry, du collège de Bourgogne, est une autre tête de Turc des basochiens. « Ce faulx [sournois] maistre Enrimé,/ Infâme Bourguignon salé. » Ung Fol changant divers propos.   37 Ce que.   38 Sous forme de cadeau.   39 Ms : que   40 Met un point d’honneur à ne rien dire.   41 Le tiroir où le Parlement cache les affaires gênantes qu’il n’a pas le droit de traiter.   42 Ms : cas il  (Un terme juridique féminin est nécessaire pour aller avec l’adjectif « cachées ».)   43 Ms : Nulluy   44 Sous la main du roi.   45 Plus un mot !   46 Faire payer. Cf. la Satyre pour les habitans d’Auxerre, vers 137-138.   47 La symbolique animalière évoque les pays d’Europe et leurs dirigeants. On trouve à peu près la même dans les sotties des Cronicqueurs et de l’Astrologue. L’Aigle allemand représente l’empire de Charles Quint.   48 En recoi, en retrait.   49 « Le Phénix est le prince d’Espagne, le futur Philippe II, qui, en 1548, passa d’Espagne en Italie et traversa ensuite l’Allemagne pour se rendre en Flandre. » É. Picot.   50 La chaire, l’Université.   51 Désormais.   52 « Vaquait parmi sa Cour. » Elle est donc toujours dans la grand-salle.   53 Ce bois parisien était devenu parc. La clôture gênait les viticulteurs, qui furent indemnisés en 1545, mais aussi les couples qui venaient s’y livrer aux « ébats de l’été ». Les ébats en question ne différaient guère de ceux que connaît l’actuel Bois de Boulogne : voir les vers 260-265 du Faulconnier de ville.   54 Les garenniers du Bois ne devaient pas être plus tendres avec les couples adultères qu’avec les braconniers.   55 Parmi les forts.   56 Jeu de mots banal sur la ville de Bordeaux, et sur les bordeaux : les bordels. Cf. les Sotz fourréz de malice, vers 284. Les Bordelais s’étant révoltés contre l’impôt de la gabelle, l’épée du connétable de Montmorency les avait remis au pas en octobre 1548.   57 C’est trop outrager la raison, que de…   58 Quand il plaira au roi, cet homme ne sera plus rien.   59 Prix. Idem vers 264.   60 Beaucoup de chance, car les nouvelles matrimoniales du royaume sont rassurantes.   61 Ms : Cest  (Le 20 octobre 1548 avait eu lieu le « mariage d’Antoine de Bourbon, duc de Vendôme, et de Jeanne d’Albret, héritière du royaume de Navarre. » Picot.)   62 Perdue ; all. verloren. « Dès la mort de François Ier, l’Empire (l’Aigle) avait fait des efforts pour prendre pied du côté de la Suisse (l’Ours). » Picot.   63 « Le Léopard désigne l’Angleterre, et le Lion rampant, l’Écosse. La petite reine Marie Stuart avait été amenée en France au mois d’août 1548. Un des premiers soins d’Anne de Montmorency, en prévision de la guerre avec l’Angleterre, avait été d’envoyer des secours à M. d’Essé en Écosse. » Picot.   64 Le Coq gaulois représente la France.   65 Saint-Jacques-de-Compostelle représente l’empire espagnol, c’est-à-dire l’incontournable Charles Quint. Sa mallette de pèlerin contient de l’argent pour acheter les uns et les autres : les mallettes d’argent étaient déjà une des clés de la diplomatie.   66 Le redoutable bâton ferré dont les pèlerins de Compostelle ne se séparent jamais.   67 Le pape Paul III, qui s’était allié avec la république de Venise.   68 Dans ma confiance aveugle. Sotte Fiance est un personnage du Jeu du Prince des Sotz.   69 Si on veut bien en prendre bonne note.   70 Ne demandez pas ce que.   71 Et pourtant.   72 M’a mis en bon état. « Pour me mettre sur le bon bout. » Les Enfans de Borgneux.   73 Mon ascension ne fait que commencer.   74 Servante. Idem vers 511.   75 Une dame de la Noblesse.   76 Les simplificateurs de l’orthographe (Meigret, Peletier du Mans) s’agitaient beaucoup, et leurs excès les faisaient prendre pour des fous.   77 Le ms. distribue Demandez à la Basoche. Je suis celui = je suis la bonne personne. C’est ce que répond Jésus aux juifs qui le cherchent pour l’arrêter : « Je vous dy que je suys celuy. » Mistère de la Passion de Troyes.   78 Et que je vais.   79 Le sac à procès cher aux basochiens renferme des pièces de procédure. Ici, nous avons plutôt des recettes et des formules d’apothicaire, comme celles du charlatan Maistre Doribus.   80 Avec de grands préparatifs.   81 Qui sont venus me demander conseil au sujet de leurs affaires.   82 De tromperies. Idem vers 638.   83 Éprouvées.   84 Ms : Jen   85 Enseigne d’une auberge. « Une maison de la ruë de la Huchette où pend pour enseigne l’escrevice. » Jacques du Breul.   86 Bien apprise : habituée à venir le retrouver dans cette auberge.   87 Les surprit ensemble, après avoir soudoyé l’aubergiste.   88 Voici le remède. Idem vers 420 et 522. Le charlatan Maistre Doribus (vers 12, 81, 85, 128) vante lui aussi de tels récipés.   89 Pour lui rafraîchir les idées.   90 Ms : gris  (Cf. les Veaux, vers 85 et 110.)  L’amant restera attaché dans l’étable comme un veau. Notons que l’Écrevisse n’avait pas d’étable, mais une écurie pour les chevaux des voyageurs.   91 Même en plein hiver.   92 Rapide.   93 La disposition. Cela se produira quand les astres le voudront.   94 Enseigne de cabaret. « Au petit cabaret des Trois Poissons, au faubourg Sainct-Marceau de Paris, à ce bon vin d’Orléans. » Noël Du Fail.   95 Vous donnerez comme garantie.   96 Je reconnais.   97 Faire, d’une mauvaise chose, une bonne.   98 Une tambouille.   99 Ms : aucteurs  (Les docteurs en droit, les juristes.)   100 La perception d’une quête.   101 Le suppôt insinue que les deux quêteuses ont payé l’archevêque pour coucher avec lui.   102 Besogner à coups de cul. « Et jà montoit dès son jeune aage/ Sur les filles de son village,/ Et les culoit et les fouloit./ Si bien qu’on vit bien qu’il falloit/ Hors du monde le reculer,/ Pource qu’il eust pu trop culer. » Estienne Jodelle.   103 Avant de leur donner un reçu.   104 Malin.   105 Je prends les trompeurs.   106 Ms : Et   107 Leur manière.   108 Les parties adverses.   109 Une sentence favorable.   110 Un faux coin sert à frapper de la fausse monnaie.   111 « Une masque : vulgairement, une macquerelle. » Antoine Oudin.   112 Fournir à ses clients de la chair fraîche : une jeune fille. « Ce leur est fresche venoison. » Les Queues troussées.   113 La compagnie excitée.   114 Verbal.   115 Ms : lhuys   116 La pût, la puisse.   117 Ms : contre  (Corr. Picot.)   118 Lequel : c’est le mari qui parle.   119 Par ruse.   120 Que j’épierais.   121 À celui qui.   122 Il y avait déjà des maisons de rendez-vous dans cette rue : cf. les Rapporteurs, vers 55 et note.   123 Elle fait exprès de laisser tomber une lettre à l’endroit où son amant fait semblant de prier.   124 Le moine. On prononçait moine à cul crotté : voir la note 138 d’Ung jeune moyne. La forme française, qui a fini par triompher, est moins drôle : « Attache-moy une sonnette/ Sur le front d’un moyne crotté,/ Une oreille à chaque costé/ Du capuchon de sa caboche :/ Voylà un Sot de la Bazoche/ Aussy bien painct qu’il est possible. » Clément Marot.   125 Son amoureuse.   126 Les Sots confèrent à ce dicton une valeur érotique. Voir la note 112 des Cris de Paris.   127 Il faut parler d’un autre moine.   128 Elle lui accorde.   129 Mouton.   130 À la ruse. Maître Pathelin, qui est un « droit joueur de jobelin » (Testament Pathelin), conseille à un gardeur de belins convoqué par le juge : « Tu ne respondras nullement/ Fors “bêê !”. » La scène ici évoquée n’est pas d’une grande logique : où sont cachés les frères ? Pourquoi le moine ne s’enfuit-il pas lorsqu’il entend bêler le mari ? On songe à la scène de Tartuffe où Elmire tousse pour que son époux, caché sous la table, vienne interrompre les tripotages du faux dévot.   131 Tergiversations.   132 Pour son malheur.   133 Non pas à voix basse.   134 Deux joueurs de tambourin, qui font le plus de bruit possible.   135 Ms : tous moynes   136 Sans.   137 Si on en considère le moyen.   138 La tour et les quatre tournelles de l’hôtel des Hospitaliers étaient couvertes de plomb.   139 Certaines parcelles du quartier du Temple étaient louées à prix d’or.   140 Il est temps de refermer le sac à procès, au sens propre et au sens figuré.   141 Sans que sa femme l’ait mérité.   142 Alors qu’il était en érection.   143 Du dommage de la maîtresse de maison.   144 Une telle scène est décrite dans le Ribault marié, ou dans Tripet : « El eut ung mary devant vous ;/ Mais elle le fist, à genoulx,/ Crier mercy plus de cent foiz. »   145 On lui en fera rémission.   146 C’est dans le besoin qu’on reconnaît.   147 Un praticien, un homme de loi.   148 Qui lutine à droite et à gauche. « Les bestes/ Qu’on va chassant en la forest d’Amours. » Marot.   149 Le fardeau.   150 On disait plus couramment : « Prendre la vache & le veau. » Oudin.   151 Depuis longtemps, le clerc et la servante…   152 Je refuse. Le basochien trouve plus sérieux de répondre en latin.   153 Le maître de maison.   154 Demeurera.   155 Même si les enfants qu’ils lui donneront étaient des chapons et des paons.   156 Des fonctionnaires que le Parlement nomme pour accomplir une seule mission.   157 Bien organisé.   158 Faire un signe de croix sur cette bourse, mais avec la main du diable, pour que les commissaires n’osent pas se parjurer.   159 Les faucheurs tiennent l’extrémité haute de leur faux dans la main gauche.   160 De bonne heure. Cf. le Poulier à quatre personnages, vers 107.   161 Une bouche discrète et sûre.   162 Dans l’incertitude vis-à-vis.   163 Ce jeu d’enfants est détaillé dans l’Aveugle et Saudret. Mais ici, nous en avons la version pour adultes.   164 L’amant qui va chez sa maîtresse apporte toujours à boire et à manger. Cf. l’Amoureux, vers 82.   165 Plus tard.   166 Sur cet unique exemple, Huguet traduit : « Être maltraité. »   167 Confusion courante avec le diamant.   168 Ms : Et   169 Ms : veoys  (Je m’en vais.)   170 Appris. Monsieur Rien s’en va. Le « Cri » proprement dit va commencer.   171 Pour cela, que.   172 J’envisage une montre, une parade festive.   173 Tant et si bien qu’on dise.   174 Cette ballade est de Roger de Collerye. Par la voix de la Basoche, les clercs du Palais s’y attaquent à leurs concurrents du Châtelet, qui jouaient sous le nom d’Empire de Galilée. Sans doute mal payé de ses services, Collerye composa un Cry pour les clercs de Chastellet contre les Bazochiens : « Bazochïens ne prise une groseille ;/ Certain je suis que leur bourse est mallade. »   175 Rejetez vos regrets et vos plaintes.   176 Par plaines.   177 Tumulte.   178 Le dernier samedi de mai, les basochiens plantaient un « may », c’est-à-dire un arbre, dans la cour du Palais de justice. La fête n’eût pas été complète si le théâtre n’était venu la solenniser.   179 Les messagers et les hérauts d’armes.   180 D’entrer en guerre aussi vite.   181 Redoutés.   182 Par les crins, par les cheveux. Tripier est une injure : cf. Trote-menu et Mirre-loret, vers 215.   183 Des voleurs, des trompeurs mal éduqués.   184 Punais : qui puent.   185 Les daims lâchent des pets particulièrement nauséabonds. « Puys sault et poicte comme ung dain. » Parnasse satyrique du XVe siècle.   186 Qu’on aille les sentir.   187 Sur le collège du Cardinal-Lemoine, voir la note 35.   188 Cocu, hypocrite et perroquet. Ces trois mots font référence au pape, que « le cardinal Le Moyne » ira consulter dans Rouge-affiné, Bec-affillé et Décliquetout.   189 Émoi.