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LE SAVATIER
ET MARGUET
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Cette farce normande fut écrite au XVIe siècle, mais elle est assez moderne, puisqu’on y pratique l’échangisme, le sadisme et le masochisme1. Le personnage du savetier se comporte comme un dompteur : il dresse les femmes, et quand elles lui mangent dans la main, il les répudie parce qu’elles l’ennuient.
Les savetiers chantent beaucoup, comme on peut l’entendre dans le Savetier qui ne respond que chansons (F 37) et dans Calbain, mais aussi dans Serre-porte, le Pauvre et le Riche, Grant Gosier, ou les Queues troussées. La présente farce ne cite pas moins de quinze chansons2, et se conclut sur une seizième, donnée intégralement. Ces compositions appartiennent au répertoire normand, et la plupart des airs ont servi de timbres à des Noëls.
Source : Manuscrit La Vallière, nº 74.
Structure : Rimes plates, avec 2 triolets.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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Farce joyeuse
À .V. personnages, c’est asçavoir :
LE SAVATIER
MARGUET
JAQUET
PROSERPINE
et L’OSTE [JOYEULX]
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LE SAVATIER 3 commence en chantant
Quant j’estoys à marier, SCÈNE I
Sy très joly j’estoye.4
Marguet !
MARGUET
Que vous plaist, mon amy ?
LE SAVATIER
Aportez-moy tost du fillé5,
5 Un bon carteron et demy6.
Marguet !
MARGUET
Que vous plaist, mon amy ?
LE SAVATIER
Du ligneuil7 n’ay pas à demy.
MARGUET
Atendez que j’en ai[e]s fillé.
LE SAVATIER
Marguet !
MARGUET
Que vous plaist, mon amy ?
LE SAVATIER
10 Aportez-moy tost du fillé.
Un bon carteron et demy.
Je l’ay bien aymée sept ans et demy.8
MARGUET
A ! vous n’estes pas endormy,
Dieu mercy ! Je vous entens bien.
LE SAVATIER
15 Ne suys-je pas homme de bien,
De besongner pour desjuner9 ?
MARGUET
Aultrement, vous fauldroict juner,
Car nous n’avons plus…
LE SAVATIER
Quoy ?
MARGUET
D’argent.
LE SAVATIER
D’argent ne fault estre sergent.10
20 Quant j’en ay…
MARGUET
Quoy ?
LE SAVATIER
Soulcy me lye,
Et suys en grand mélencolye11.
MARGUET
J’en veulx avoir, moy.
LE SAVATIER
Par vostre foy ?
MARGUET
Voyre, vrayment.
LE SAVATIER
Je vous en croy :
Faulte d’argent, c’est douleur nompareille.12
MARGUET
25 [Aus]sy, n’esse pas grand merveille13
De vous voyr resjouir, mon mary ?
LE SAVATIER
Marguet, par Dieu ! je suys mar[r]y.
Y fault du lygneul, de cuir, de poys14,
Du fourmage15, du beure, et16 poys,
30 Vin, vïandes, pourpoinctz, jaquestes,
[Tant jours ouvrables que les festes :]17
Car y fault nourir la m[a]ygnye18.
MARGUET
Aussy, vous avez compaignye,
Vous estes couché mol et blanc19,
35 Et ne vous couste pas un blanc20.
Que voulez-vous plus, mon amy ?
LE SAVATIER
Ce soulier m’a tant endormy
Que je vouldroys qu’il fust de fer !
MARGUET
A, vous ne me sériez21 commander
40 Chose que pour vous je ne fisse.
LE SAVATIER
Marguet, monstrez-moy [vostre cuisse]22.
Ha ! ha ! ha !
MARGUET
Quoy ! vous la sentez ?
LE SAVATIER
A ! je veulx que vous [me] chantez
Un bien petit mot et demy23.
MARGUET
45 Or, me respondez24, mon amy.
J’ey un connyn25 vestu de soye,
Et est bordé de velours tout entour.
C’est pour mygnons qui ont de la monnoye.
LE SAVATIER
J’ey un billard de quoy biller souloye26 ;
50 Mais mon billard est usé par le boult :
C’est de trop souvent fraper en la roye27.
MARGUET
N’esse pas un bien grand plaisir
[Qu’]à son désir, sans desplaisir,
……………………………. ?
LE SAVATIER
Et quoy ?
MARGUET
[De] trouver une amye28.
LE SAVATIER
55 Mais omblier29 ne vous puys mye,
Marguet.
MARGUET
Hau !
LE SAVATIER
Je vous fais à sçavoir :
Vers30 moy, faictes vostre debvoir !
Et sy [ne gardez le « guichet »]31,
Par la mort bieu, par le colet
60 Je vous coup(e)ray le gargaty32 !
MARGUET
Vrayment, vous estes bien averty33 :
Jamais ne vous feroys cela.
LE SAVATIER
Corbieu ! vous passerez34 par là.
MARGUET
Ouy ?
LE SAVATIER
Ouy, ouy, de cela je suys sceur35.
MARGUET
65 Mon amy, n’en ayez pas peur ;
Sy36 je ne change ma pensée.
LE SAVATIER
Je suys en grand pensée
Des gens d’armes du Roy,
Qu’i feront l’aultre année37.
70 Marguet, vous estes dispencée,
Ouy, sy vous voulez, de bien faire.
MARGUET
Veuillez [tost] ce soullier parfaire38
Pour dîner, [car] j’ey apétit.
LE SAVATIER
Marguet, dansez [donc] un petit39.
MARGUET
75 Bien. Elle dance.
LE SAVATIER
Dancez le « branlle des Amoureulx40 »,
Il est fort beau.
MARGUET
Mon amy, je le veulx. Elle dance.
LE SAVATIER
(Mon amy, comme elle se galle41 !
Que luy puysse venir la galle,
Et au-dessus des yeulx, la taigne !)
80 Sus ! le « trihory de Bretaigne42 »,
Que je vous voys recommencer !
MARGUET
Je ne séroys sy dru marcher,
Mon amy.
LE SAVATIER
Non ?
MARGUET
Non, par ma foy !
LE SAVATIER
Chantez donc, pour l’amour de moy.
MARGUET
85 Le voulez-vous ?
LE SAVATIER
Ouy.
MARGUET
Je le veulx bien.
Mauldict soyt le petit chien
Qui abaye43, abaye, abaye,
Qui abaye et ne voyt rien !
LE SAVATIER
Et ! par Dieu, je vous ayme bien !
90 Mais je te prye, couche-toy là.
MARGUET
Ouy dea, mon amy ! Ouy, cela !
Je f(e)ray tout ce que vous vouldrez.
LE SAVATIER
Marguet !
MARGUET
Mon amy ?
LE SAVATIER
Vous estendrez
Vos bras.
MARGUET
[Or] avant44 ! je le veulx.
LE SAVATIER
95 Et ! ne suys-je pas bien heureulx
[Mille foys], de t’avoir pour femme ?
Deboult !
MARGUET
Et pourquoy ?
LE SAVATIER
Deboult, ma dame !
C’est assez faict ! Sans [plus] de caquet45,
Alez-vous-en quérir Jaquet
100 Pour desjuner aveques moy.
MARGUET
A ! je n’yray pas, par ma foy,
[Non !] Car sa femme, Proserpine46,
Quant el[le] me voyt, poinct ne fine47
De crier. Je m’esbaÿs d’elle.
LE SAVATIER
105 Marguet, vous n’estes pas aintelle48.
MARGUET
Et ! mon amy…
LE SAVATIER
Quoy ? Taisez-vous !
Je m’y envoys49 tout seul pour nous.
Mais vous [demourrez cy]50 seullète.
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JAQUET 51 entre en chantant SCÈNE II
Adieu, adieu, Kathelinète52,
110 Joly[e] fleur de Lymousin.
PROSERPINE entre
À tous les deables le bésin53 !
Vilain, meschant, pouilleux, rongneulx,
Chancreulx, vérollé, farcineulx54,
Laron, gourmand, coquin, bélistre !
LE SAVATIER 55
115 (Sang bieu ! voy(e)là un trèsbeau tiltre56.
Marguet à elle ne ressemble.)
JAQUET
Je vous suply, vivons ensemble
En bonne amour.
PROSERPINE
Va, va, vilain !
Je te donray cent coups de poing !
120 A ! j’abatray bien ton caquet !
LE SAVATIER
(Sy me fault-il avoir Jaquet.)
[Huit ! Huit]57 ! Heust ! Heust !
JAQUET
Je voy58, je voy.
PROSERPINE 59
Qui est ce vilain que je voy ?
JAQUET 60
Et ! parlez bas, je vous emprye.
PROSERPINE
125 Qui deable esse-là qui te crye61 ?
A ! je te rompray le musel,
Ladre62 puant, meschant mésel !
JAQUET
Va, vielle honhon63, vielle cyterne !
Va, vielle qui porta la lanterne64
130 Quant sainct Pierre renya Dieu !
Me viens-tu mauldire en ce lieu ?
PROSERPINE
Tenez ! [Soyez-vous]65 estonné !
JAQUET
Suys-je pas de malle66 heure né,
De te voir [estre] ainsy mêtresse ?
PROSERPINE
135 A[dieu] ! Je m’en voys à la messe.
Pren[ez] bien garde en la maison67 !
JAQUET
Or, va ! Que de malle poyson68
Tu soys aujourd’uy [bien] repue !
LE SAVATIER 69
Elle s’en va. A ! je l’ay veue.
.
140 Jaquet, hay ! Hay ! SCÈNE III
JAQUET
Je voys, je voys.
Comment tu sifle à haulte voys !
Tu ne crains poinct, [toy,] la mellée.
LE SAVATIER
Et puys ? Elle s’en est allée ?
JAQUET
Ouy.
LE SAVATIER
Quoy ! je ne t’osoys70 sonner,
145 Ma foy !
JAQUET
Alons-m’en desjuner,
Alon ! Mais où est le vin amoureulx ? 71
LE SAVATIER
Où dea, Jaquet ? Cheulx l’Oste Joyeulx72 ;
C’est le milleur, par Nostre Dame !
JAQUET
Je te suply, ayons ta femme.
LE SAVATIER
150 J’en suys content, en bonne foy.73
.
Marguet ! SCÈNE IV
MARGUET
Quoy ?
LE SAVATIER
[ Venez avec moy !
MARGUET ]
Que [me] voulez-vous ?
JAQUET
Je vous prye
Que vous nous tenez compaignye
À disner74 cheulx l’Oste Joyeulx.
MARGUET
155 D[is]ner ? A ! vrayment, je le veulx,
Car j’ey un très bon apétit.
LE SAVATIER
Or, alons donc ! C’est trèsbien dict.75
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Hay ! [Hay ! Maistre, av’ous]76 du vin ? SCÈNE V
L’HOSTE [JOYEULX] entre
Ouy !
LE SAVATIER
A, vrayment, j’en suys bien resjouy.
L’HOSTE
160 [Le bon soir !] Voulez-vous repaistre ?
LE SAVATIER
Bon soir, [bon soir] ! Dieu vous gard, maistre !
Av’ous77 bon vin ?
L’HOSTE
Ouy dea : vin blanc,
Rouge, cléret. Tout à un blanc78.
LE SAVATIER
Or sus, [or] sus ! Y nous fault boyre.
JAQUET
165 Et puys, Marguet, que veulx-tu faire ?
MARGUET
Et que voulez-vous faire, tous deulx ?
LE SAVATIER
Marguet, tu ne sçays que je veulx ?
[Chante donc]79, pour l’amour de moy.
MARGUET
Mon amy, je le veuil, par ma foy !
170 Dieu doinct des raisins aulx vignes,
Et aulx chans des [b]lés,
Et aulx couldres de[s] noysilles80,
Et à nous sancté ! Et à nous sancté !
JAQUET
Compère, vélà bien chanté !
175 Par Dieu, vous estes bien heureulx !
LE SAVATIER
Veulx-tu changer ?
JAQUET
Moy ? Je le veulx !
LE SAVATIER 81
C’est faict ! Mais baille-moy ta femme.
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PROSERPINE 82 SCÈNE VI
Où es-tu, meschant vilain infâme ?
Te trouverai-ge jamais siens83 ?
JAQUET
180 Cheust84 ! [Sy] je ne suys pas seans dedens,
Compère, elle viendra icy.
LE SAVATIER
Par ma foy ! je le veulx, aussy :
J’en suys maintenant amoureulx.
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PROSERPINE 85 SCÈNE VII
Dieu vous gard, hay, l’Hoste Joyeulx !
185 Mon coquin est-il pas séans ?
L’HOSTE
Je pense bien qu’i soyt léans86,
Aveques compaignye honneste.
PROSERPINE
Et, le deable luy rompe la teste,
Tant il me donne de [la] paine !
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LE SAVATIER 87 SCÈNE VIII
190 Hau ! commère, [quel vent]88 vous maine ?
Voulez-vous pas boyre avec nous ?
PROSERPINE
Compère, bien89 vous portez-vous ?
Je suys joyeuse de vous voir.
LE SAVATIER
Commère, venez-vous-en soir90,
195 Car j’ey bien à parler à vous.
PROSERPINE
Je le veulx.
JAQUET 91
Or çà ! ferons-nous
Ce que vous sçavez, dictes ?
PROSERPINE
Quoy ?
LE SAVATIER
Je le vous diray, par ma foy :
Vostre mary vous a donn[é]e
200 À moy, et je luy ay donné baill[é]e
Marguet.
PROSERPINE
Par ma foy, je le veulx !
JAQUET
Et [quoy] ! vrayment ? J’en suys joyeulx.
Marguet, je vous prye, touche[z] là92 !
MARGUET
A, je suys contente de cela,
205 Je le veulx : c’est, Jaquet, raison.
JAQUET
Or, alon-m’en à la maison !
L’HOSTE
A ! [par] Dieu, hay ! N’aurai-ge rien ?
Qui me payera ?
LE SAVATIER
Je payeray bien.
L’HOSTE
Qui me payera mon vin93, mon rost ?
LE SAVATIER
210 Taisez-vous : je viendray94 tantost,
J’en respons. Vous me ferez crédit ?
L’HOSTE
A ! vrayment ouy, ouy.
LE SAVATIER
C’est assez dict.95
.
Tantost je vous feray bien rire, SCÈNE IX
Proserpine. Je vous veulx dire…
PROSERPINE
215 Quoy ?
LE SAVATIER 96
Or, chantez pour « L’Amour de moy97 ».
PROSERPINE
Chanter ? Non f(e)ray.
LE SAVATIER
Non ?
PROSERPINE
Non.
LE SAVATIER
Pourquoy ?
Par sainct Pierre, vous chanterez !
PROSERPINE
Par sainct Pierre, vous mentirez
Par la gorge et par les dens98 !
LE SAVATIER
220 Je vous batray tant, cy dedens,
Que je vous rendray toute morte.
Chantez !
PROSERPINE
Non feray.
LE SAVATIER 99
Qu’elle est forte100 !
Proserpine, tost chantez-ent deulx101 !
PROSERPINE
Et ! Mon Dieu, mon Dieu ! Que je me deulx102 !
225 Vous m’avez [tout] rompu la teste.
LE SAVATIER
[Ne] chanteras-tu pas, dict[z], beste ?
Chante [donc] !
PROSERPINE
Et que chanterai-ge ?
Je n’en sçay poinct.
LE SAVATIER
Et que sai-ge ?
Et pour l’amour du compaignon,103
[PROSERPINE] Elle chante :
230 …Donne-toy garde, champion.
[LE SAVATIER]
Je te prye, couche-t(oy) en ce lieu !
PROSERPINE 104
A, Je le veulx bien.
LE SAVATIER
Ouy ?
PROSERPINE
Ouy, par Dieu !
Je f(e)ray vostre commandement.
LE SAVATIER
Or, faict[z] un pet !
PROSERPINE
Un pet ? Comment !
235 Jamais femme ne fist un pet105 !
LE SAVATIER
A ! par Dieu, vous en ferez sept,
Ou je vous batray tant et106 tant !
PROSERPINE
Mon amy, mon cul me va pétant :
Pouf ! Pouf ! Pouf ! Pouf ! Pouf ! Qu’esse-cy ?
LE SAVATIER
240 A, Proserpine, tu as vessy !
Et ! tourne, vire, tourne-toy ! 107
PROSERPINE
Tourner ? Je le veulx, par ma foy !
LE SAVATIER
Poulces108 ! Poulces !
PROSERPINE
Quoy ?
LE SAVATIER
Faict[z] un sault !
PROSERPINE
Ma foy, je le voy faire hault109.
245 Qu’esse-là ? Esse bien saulté ?
LE SAVATIER
Depuys que tu m’as enhanté110,
Tu sçais beaucoup [plus] de mestiers,
Par Dieu ! Tu en sçays plus, deulx tiers,
Que tu ne faisoys par111 avant.
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JAQUET 112 SCÈNE X
250 Et puys, ma mye ? En vous riant,
Je vous prye que vous [me] riez.
MARGUET
Il ne fault pas que me priez :
Je riray pour l’amour de vous.
Ha ! ha ! hé ! hé ! ha !
JAQUET
Encor(e) deulx coups !
MARGUET
255 Ha ! ha ! ha ! ha ! ha ! Qu’esse-là ?
Esse [pas] là bien ris ?
JAQUET
Voy(e)là
Aussy bien ris que je vis jamais !
MARGUET
Se je ris bien, je n’en puys mais113 ;
Je vous prye, n’en soyez mar[r]y.
[JAQUET]
260 [Vous rendray-je à vostre mary ?]114
MARGUET
Non, non, mon amy, je vous prye.
.
LE SAVATIER SCÈNE XI
Proserpine, estes-vous mar[r]ye ?
PROSERPINE
Mar[r]ye ? [Non,] mais fort joyeuse !
[Car] je me tiens la plus heureuse
265 De ce monde.
*
JAQUET 115 SCÈNE XII
Et puys, comment
Vous portez-vous ?
PROSERPINE
Joyeusement,
Preste à faire vostre désir.
JAQUET
Ma foy ! ce m’est un grand plaisir116
Que vous estes sy bien [re]faicte117.
LE SAVATIER
270 Voulez-vous [pas] qu’elle caquète118 ?
JAQUET
Ouy, je vous prye.
LE SAVATIER
C’est faict, Jaquet.
Dictes « Mon beau petit péroquet119 » !
PROSERPINE
Mon petit péroquet royal,
Saincte Pasque Dieu, à cheval !
275 Je suys roy, roy d’Entioche.
JAQUET 120
Et ! ma mye, que j[e m’]aproche
De vous !
PROSERPINE
Non feray, non feray !
JAQUET
Par sainct Pierre ! je vous auray
Tout à ceste heure.
LE SAVATIER
Vous l’airez ?
JAQUET
280 Voyre !
LE SAVATIER
Jaquet, vous mentirez :
Vous ne l’airez pas.
PROSERPINE
Nostre Dame !
JAQUET
Et ! compère, que j[’ay]es ma famme !
LE SAVATIER
Vous ne l’airez pas.
PROSERPINE
Je suys à luy.
MARGUET
Il est vray.
PROSERPINE
[Jaquet,] mon amy…
MARGUET
285 C’est son mary121, hay !
LE SAVATIER
Voyre122 moy !
PROSERPINE
Voyre luy123.
JAQUET
Non est, par ma foy :
C’est moy !
MARGUET
C’est mon124.
PROSERPINE
Et, sy est125, vrayment.
JAQUET
Ouy, moy !
LE SAVATIER
Mauldict soyt il qui en ment !
JAQUET
Qui ? Mais vous126 !
LE SAVATIER 127
A ! Dieu ! Hay, Jaquet,
290 Me payez-vous de ce caquet128 ?
Jaquet, je vous feray mar[r]y !
Hau, Marguet !
MARGUET
Qu’esse, mon mary ?
LE SAVATIER
Ma mye, revient[s]-t’en avec moy !
MARGUET
A ! je le veuil bien, par ma foy !
295 Mais faictes concluzion brèfve.
.
LE SAVATIER
Conclusion (qui ne me grèfve129,
Mais el me faict au cœur la feste130) :
Femme qui son mary tempeste,
Qu’on ne la baille pas à [un] Jaquest131,
300 Car envers luy, faict132 trop la beste.
Femme qui son mary tempeste,
C’on me la baille, car sa teste
Amolyray, et son quaquet.
Femme qui son mary tempeste,
305 Qu’on ne la baille à [un] Jaquet.
Jaquet, veulx-tu [dire], en ce lieu,
Une chanson pour dire adieu ?
.
FINIS
Du faict le faict.133
*
1 Ce mot est récent, mais Rabelais signalait déjà les hommes qui « ne peuvent le nerf caverneux vers le cercle æquateur dresser s’ilz ne sont très bien fouettéz ». (Quart Livre, 12.) Un autre médecin, Bernard de Gordon, conseillait même aux impuissants : « Faites le vit grant en le batant de vergettes doulcement & souvent. » 2 Voir H. M. BROWN : Music in the french secular theater. Harvard University Press, 1963, pp. 80-81. 3 Il travaille dans son atelier, en compagnie de sa femme. 4 Refrain de la chanson Chascun me crie « marie-toy », qu’on chante au début de Régnault qui se marie. Le vers 142 de l’Arbalestre cite ce refrain. 5 Du filé : du ligneul empesé. Voir le vers 8. 6 38 brins. Un quarteron = 25. 7 Le ligneul est un fil enduit de poix qui sert à coudre le cuir. Idem vers 28. 8 La chanson originale dit : « Hélas ! je l’ay aymée/ Bien sept ans et demy. » 9 Pour déjeuner, pour payer notre nourriture. 10 Il ne faut pas être esclave de l’argent. Ce même proverbe est chanté au vers 188 du Pèlerinage de Mariage. Car il fut apparemment associé à une chanson, comme d’autres proverbes concernant l’argent : celui qu’on chante au vers 24 est colligé dans les Proverbia gallica de Janus Gruterus. 11 Les savetiers ne sont pas faits pour être riches. Bonaventure Des Périers raconte l’histoire du savetier Blondeau, qui trouva un trésor : « Il commença de devenir pensif ; il ne chantoit plus. » À la fin, il jeta ce trésor dans la rivière « et noya toute sa mélancholie ». 12 Célèbre chanson de Josquin Des Préz. Cf. le Jeu du Prince des Sotz, vers 359. 13 Surprenant. 14 La poix sert à durcir le ligneul. Beaucoup d’énumérations théâtrales furent gonflées par des acteurs désireux de rallonger leur rôle. (Cf. les Sotz fourréz de malice, vers 271.) Visiblement, celle-ci ne fait pas exception à cette fâcheuse règle. Voir aussi la note 93. 15 Du fromage. 16 LV : par (Les pois sont une des bases de l’alimentation.) 17 Vers manquant. J’emprunte le vers 129 des Femmes qui demandent les arrérages. 18 La maisnie : la maisonnée, la famille. 19 Sur un matelas mou, avec des draps blancs. « Je veux avoir le lict blanc & mol, les habits beaux & précieux. » François de Belleforest. 20 Un sou. Idem vers 163. 21 Sauriez, pourriez. Même normandisme au vers 82. Commandèr rime avec fer. 22 LV : auise (Il pose trois baisers sur la cuisse de Marguet.) Embrasser la cuisse de sa dame est une galanterie : « Descouvrant sa cuisse blanche,/ Je la luy vouluz baiser. » (Pernette Du Guillet.) Mais Marguet ignore les rites courtois. 23 Comprenons : quelques notes. 24 En réponse à ma partie, chantez la vôtre. Cette chanson de Jacotin débute ainsi : « –J’ay ung billard/ De quoy biller souloye./ Mais mon billard/ Si est tout débiffé :/ C’est de souvent/ Frapper dedans la roye./ –J’ay ung congnin/ Qui est bordé de soye ;/ Mais mon congnin,/ Il est frisque et mignon :/ C’est pour ces gallans/ Qui ont de la monnoye. » 25 Un sexe. 26 Un « bâton » avec lequel j’ai l’habitude de frapper. « Billier, jambillier/ Et hurtebillier/ Hennon et Jennette. » Jehan Molinet. 27 Dans la raie. Cf. la Présentation des joyaux, vers 79. 28 Une petite amie, une maîtresse. L’enchaînement est abrupt : il manque au moins 2 vers avant celui-ci. 29 Vous oublier (normandisme). Ce vers, tiré de la chanson Les Regretz que j’ay de m’amye, est chanté dans le Pèlerinage de Mariage. 30 LV : quenuers (Envers moi, soyez fidèle. « Elle est vers moy trop dure. » ATILF.) 31 LV : me gardes le tacelet (Si vous ne surveillez pas votre sexe.) Garder le guichet = surveiller la porte. « Portière du petit guichet : une sage-femme. » Antoine Oudin. 32 La gargate, la gorge. 33 Vous avez des idées préconçues. 34 LV : paseries (Vous serez infidèle, comme toutes les femmes.) 35 Sûr. 36 Jody Enders* <p. 492, note 21> souligne l’ambiguïté de cette phrase : « si » peut se lire « ainsi, aussi facilement » ; mais il peut également introduire une condition. *Holy Deadlock and further ribaldries. University of Pennsylvania Press, Philadelphia, 2017. 37 De ce qu’ils feront l’année prochaine. La version chantée dans les Bâtars de Caulx (LV 48) préfère : ceste année 38 Achever. 39 Un peu. Le savetier chante un air rythmé en tapant la mesure avec son marteau, comme le faisaient les artisans : voir la note 25 des Queues troussées. 40 Cette danse véhicule une forte connotation érotique. « Charlotte m’a appris le branle de l’amour/ En me serrant de près, à ventre contre ventre. » (Chansons folastres.) Le branle est un peu l’ancêtre du french cancan : « Les ménestriers sonnèrent un bransle, auquel toutes les dames se misrent à danser, & troussèrent toutes leurs robbes & cottes par-devant. » (La Navigation du Compaignon à la bouteille.) 41 Comme elle prend du plaisir. 42 Danse particulièrement dévergondée. Cf. le Bateleur, vers 209. 43 Qui aboie. La Chanson du petit chien est un des « tubes » de l’époque. Le Vendeur de livres (vers 205-7) et l’épouse de Calbain (vers 340-2) en chantent le même extrait que Marguet. 44 Allons. Marguet est couchée, avec les bras en croix. 45 De bavardage. « À table, sans plus de caquet ! » Mistère du Viel Testament. 46 Nous avons donc là une épouse infernale. Proserpine est le nom d’une diablesse dans la farce du Munyer, et c’est le nom d’une protestante dans la sottie rouennaise des Povres deables. 47 Ne finit, ne cesse. 48 Comme elle. 49 Je m’y en vais. 50 LV : demoures sy (Vous demeurerez ici toute seule.) 51 Il est chez lui, avec Proserpine. On ignore quelle est sa profession. Le verbe entrer ne qualifie pas une action scénique, mais marque la prise de parole d’un nouveau personnage ; même chose aux vers 111 et 158. 52 Diminutif de Catherine. La version chantée dans le Savetier qui ne respond que chansons (F 37) donne : Kathelinote 53 Cet ivrogne. « Bésyn : Well nigh whittled, almost drunke, somwhat overseene. » Cotgrave. 54 Atteint du farcin, une maladie spécifique aux chevaux. 55 Sans être vu, il écoute et regarde par la fenêtre ouverte. 56 L’acte officiel qui énumère les titres de noblesse d’un grand seigneur. 57 LV : hict hict (L’onomatopée « huit ! » imite le sifflement dont parle le vers 141 ; voir la note 93 du Capitaine Mal-en-point.) L’onomatopée « heust ! » imite la toux. 58 J’y vais : je viens. Idem vers 140. Dans une farce très proche de la nôtre, Deux hommes et leurs deux femmes, l’un des maris appelle l’autre par la fenêtre : « –Mathieu, hau ! Viendrez-vous ? –Je voys. » 59 Elle se tourne vers la fenêtre. Le savetier se baisse. 60 Jody Enders remarque que cette supplication peut s’adresser à Proserpine ou au savetier. 61 Qui t’appelle. 62 LV : lardre (Ladre et mésel sont synonymes de lépreux.) 63 Râleuse. « Vieille haha, vieille hon-hon,/ Vieille corneille, vieux héron ! » (Tabourot.) Maintenant qu’il se sait observé, Jacquet tente de reprendre le dessus. 64 Hédroit, la vieille forgeronne mal embouchée dont le Mistère de la Passion dit : « Ceste dyablesse Proserpine/ N’est aise sinon quant el tence. » Hédroit éclaire avec sa lanterne l’arrestation de Jésus, et c’est elle qui suscite les deux premiers reniements de saint Pierre. 65 LV : le voyes vous (Proserpine donne une gifle à son mari.) Puissiez-vous en être assommé comme par la foudre ! 66 Mauvaise. Idem vers 137. Cf. les Maraux enchesnéz, vers 182. 67 Garde la maison. C’est ce que les femmes disent à leur chien ou à leur mari quand elles sortent : voir le vers 80 du Poulier à quatre personnages, ou le vers 178 du Povre Jouhan. 68 De mauvais poison. Ce mot était souvent féminin : « Que malle poyson et venin/ Vous crève ! » Le Povre Jouhan. 69 Il attend que Proserpine soit partie, puis il se remet à la fenêtre pour appeler Jacquet. 70 LV : vous osoys (Je n’osais pas t’appeler.) 71 LV attribue au savetier ce décasyllabe, qui provient sans doute d’une chanson à boire. Voir la note 30 de J. Enders. 72 C’est le nom d’une taverne et de son propriétaire. « Un hoste joyeux, plaisant & récréatif, ou amiable. » (Dictionaire François-Flamen.) Cheulx = chez ; idem vers 154. 73 Les deux hommes font un crochet par l’échoppe du savetier. 74 LV : desiuner (Je corrige la même hypermétrie au vers suivant.) L’auteur emploie indifféremment dîner (vers 73) ou déjeuner (vers 100 et 145). D’après le « bonsoir » du vers 161, il s’agit du repas du soir. Mais ce n’est pas une preuve non plus, puisque bonsoir et bonjour sont interchangeables : « –Bon soir, mounyer ! –Bon jour, bon jour ! » Le Poulier à sis personnages. 75 Le trio entre dans la taverne. 76 LV : maison a vous (Le Savetier appelle encore le tavernier « maître » au vers 161.) « Av’ ous » est la forme normande de « avez-vous ». 77 LV : a ce (Voir le vers 158.) 78 À 1 sou : voir le vers 35. Le clairet est un vin rosé. « Vin vermeil, vin cléret et blanc !/ Et si, n’est qu’à ung petit blanc. » (Te rogamus audi nos.) Le tavernier pose des chopes sur la table. 79 LV : Je te pry chante (Voir le vers 84.) 80 Aux noisetiers des noisettes. LV intervertit ce vers et le précédent, puis il rallonge le suivant : je rétablis le découpage de la chanson. 81 Il tope dans la main de Jacquet pour sceller le contrat. 82 Elle revient de la messe. Ne trouvant pas Jacquet à la maison, elle se met à crier dans la rue ; on l’entend jusqu’à la taverne, dont la fenêtre est ouverte. 83 Prononciation normande de « céans ». 84 Chut ! Il parle à ses deux compagnons de table. 85 Au tavernier. Dans Serre-porte aussi, la femme d’un savetier interroge le tenancier d’une taverne pour savoir si son mari est chez lui. Voir la note 36 de J. Enders. 86 Là-dedans. 87 Voyant arriver Proserpine. 88 LV : qui (« Ma commère, quel vent vous maine ? » Les Femmes qui font refondre leurs maris.) 89 LV : comment (« Vous portez-vous bien, frère Pierre ? » Serre-porte.) 90 Vous asseoir. 91 Au savetier. 92 Topez là, comme le mari l’a fait au vers 177. Mais Marguet comprend : « Touchez-la ! » 93 LV : pain mon vin / ma chair (Au sujet des énumérations rallongées, voir la note 14.) 94 LV : reuiendray 95 Les deux nouveaux couples rentrent dans leur maison respective. 96 LV répète dessous les vers 198-200 et le début du vers 201. 97 « L’Amour de moy si est enclose » est la plus jolie chanson de la Renaissance. On en chante des bribes dans la sottie Deulx Gallans et Sancté (LV 12), dans le Pèlerinage de Mariage, et dans la Comédie de Mont-de-Marsan (Marguerite de Navarre). Elle contient des sous-entendus érotiques d’une extrême finesse. J’ai eu le bonheur de chanter l’Amour de moy chez le comte de Colbert, sous la direction de Claire Garrone. 98 Votre bouche n’aura pas dit la vérité. « Tu as menty/ Par la gorge et parmy les dens ! » Le Mince de quaire. 99 Il frappe Proserpine. 100 Coriace. 101 Chantez deux chansons. Le copiste du ms. La Vallière transcrit parfois le pronom « en » par « ent » : v. le vers 262 de la Veuve, le vers 393 de l’Homme à mes pois, etc. 102 Que j’ai mal. Verbe se douloir. 103 Il entame un air que Proserpine va continuer. Cette chanson ne nous est pas parvenue. Clément Marot l’a parodiée dans un coq-à-l’âne : « Si tu menges des champignons,/ Donne-toy garde du boucon [du poison] ! » 104 Tout comme Marguet aux vers 90-92, Proserpine est toujours d’accord pour faire l’amour. Elle méprise Jacquet parce qu’il ne la satisfaisait pas. 105 La Farce du Pet prouve le contraire. 106 LV : bien (« Elle parla tant et tant que son mary retourna au médicin pour remède de la faire taire. » Rabelais.) 107 Extrait d’une chanson : « Et ! moulinet, vire, tourne,/ Moulinet, tourne, vire, tourne-toy. » Proserpine y voit une invitation érotique. 108 Stop ! Proserpine essaie-t-elle de violer le savetier ? 109 Je vais faire un saut périlleux. Certains acteurs étaient d’authentiques acrobates : voir la notice des Sobres Sotz. 110 LV : en hante (Que tu me fréquentes.) 111 LV : pas (Auparavant. « Paravant, nul n’en faisoit conte. » Godefroy.) 112 Chez lui, avec sa nouvelle compagne. 113 Je n’y peux rien. 114 Vers manquant. Je le supplée sans aucune garantie. La rime mary / marry revient 2 autres fois. 115 Acte 2. Quelques semaines plus tard, les deux nouveaux couples se rencontrent dans la rue. 116 LV : desir (À la rime.) 117 En pleine forme. Mais aussi : corrigée de vos défauts. 118 Qu’elle chante comme une poule. Les deux amis, qui se tutoyaient, se vouvoient : leur rupture est proche. 119 Chanson inconnue. 120 Maintenant que sa femme est devenue vivable, il aimerait bien la reprendre. 121 Jacquet est son mari, et non pas son ami. Marguet, déçue elle aussi par la sexualité routinière de Jacquet, voudrait bien revenir avec le savetier. 122 Plutôt. 123 Mon vrai mari, c’est le savetier. 124 C’est exact. Cf. Régnault qui se marie, vers 256. 125 Le savetier est mon mari. 126 C’est vous qui mentez, savetier. 127 Il abdique devant l’insistance de Jacquet et de Marguet, qui ont la loi de leur côté. 128 LV : laquet (Avec de telles paroles.) 129 Qui ne me coûte rien. 130 Qui me réjouit le cœur. 131 « Un Jacquet : un badin, un niais. » Oudin. 132 Elle fait. 133 C’est la devise de l’auteur, mais lequel ? Émile Picot <Sotties, I, 14> rappelle que dans le même manuscrit, la devise de Pierre Du Val, « Rien sans l’esprit », signe la moralité Nature et Loy de rigueur (LV 46). Il conjecture que « Du faict le faict » pourrait bien être la devise d’un nommé Du Faict. Le patronyme « Du Fay », ou « Dufay », est courant dans la région rouennaise.