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LES TYRANS
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Les représentations de Mystères s’étalaient sur plusieurs jours ou plusieurs semaines, et exigeaient de la part des acteurs et du public une tension dramatique difficile à soutenir. Pour détendre l’atmosphère, on y incluait des farces : « Par-dedans ledit Mistère, y avoit certaine farce meslée, par manière de faire resveiller ou rire les gens. » (Dijon, 1447.) Parfois, la farce est notée dans le manuscrit du Mystère : les farces du Munyer et de l’Aveugle et le Boiteux font partie intégrante du Mystère de saint Martin ; celle du Brigant et le Vilain est indissociable de la Vie monseigneur saint Fiacre ; celle de l’Aveugle et Saudret se trouve dans le Mistère de la Résurrection ; celle de Baudet, Blondète et Mal-enpoint est incluse dans le Mystère des trois Doms ; celle de Maubec, Mallegorge et Mallegueype appartient au Mystère de la Passion d’Auvergne ; celle des Bélistres est insérée dans les Actes des Apostres, et l’on en découvrirait plus d’une dans la Vie de sainct Christofle : voir par exemple les Basteleurs, ou L’Andureau et L’Andurée, ou les Tyrans au bordeau. Indépendamment de ces farces avouées, un nombre considérable de scènes de Mystères ont une écriture farcesque, à base d’injures (scatologiques ou sexuelles1) et de coups, dans une langue qui rappelle beaucoup plus Audiard que Claudel. Elles font agir des personnages totalement profanes. En voici quatre exemples tirés du Mistère de la Passion, dans la version de Jehan Michel2, créée à Angers en 1486, et reprise à Paris jusqu’en 1507.
Source : Mistère de la Passion Jhésus Crist. Ms. fr. 971 de la Bibliothèque nationale de France, copié par Loÿs Bourgeoys en 1490. Je le corrige tacitement sur les plus anciennes éditions gothiques.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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[ BARRABAS, larron GADIFFER, sergent de Hanne
BRAYART, sergent de Pilate GESTAS, mauvais larron
BRAYHAULT, geôlier GRIFFON, sergent de Pilate
BRUYANT, sergent de Caïphe GRONGNART, serviteur d’Hérode
CLAQUEDENT, sergent de Pilate HÉDROIT, vieille chambrière de Hanne
DENTART, sergent de Hanne MALCHUS, sergent de Caïphe
DISMAS, bon larron ORILLART, sergent de Pilate
DRAGON, sergent de Caïphe ROULLART, sergent de Hanne ]
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La prise des larrons <folios 192 rº à 195 vº>. Une meute de « tyrans », c’est-à-dire de sergents, de tortionnaires et de bourreaux, attaque une horde de voleurs. Cette bataille de crapules suit sans transition la larmoyante conversion de Madeleine.
Icy est faicte la prinse des trois larrons.
Et porte Dismas une robe sur ses espaules comme s’il
l’avoit emblée 3, et Barrrabas a ung glaive sanglant
comme s’il venoit de faire ung meurtre.
GESTAS, mauvais larron
Je ne crains ne Dieu, ne le diable,
N(e) homme tant soit espoventable,
Quant je me despite4 une foiz.
BARRABAS
Je ne fais compte5 d’estrangler
5 Ung homme, non plus qu(e) ung sanglier
De manger le glan par les boys.
DISMAS, bon larron
Je destrousse, par ces chemins,
Tous bons marchans et pèlerins,
Quant puis mectre sur eulx la pate.
GESTAS
10 Je suis des crocheteurs le maistre :
Et n’est huys, coffre ne fenestre
Que je ne crochète ou abate.
BARRABAS
Je suis Barrabas, homicide
Plain de toute sédicion6,
15 Qui ne paye tribut ne subside ;
Et ne vueil ne secours n(e) aïde7
Pour faire quelque mocion8.
J’ay tué sans permission
Ung9 homme, parmy ceste ville,
20 Dont pas ne fais confession,
De peur de justice civille.
DISMAS
Il nous fault trouver de l’argent
Quelque part, de croq ou de hanche10.
GESTAS
S’il passe par cy quelque gent,
25 Je ne seray point négligent
Que ne leur donne jusqu’au manche11.
DISMAS
Ha ! si j’acroche homme à la manche
Et il soit garny de mitaille12,
Je luy donneray sa revanche
30 S’il emporte denier ne maille13.
BARRABAS dit à Dismas :
Qui t’a baillé ceste frepaille14,
Dismas ? Où as-tu prins amplète15 ?
DISMAS
J’ay desrobé ceste jaquecte
À je ne sçay quel pèlerin
35 Qui passoit icy son chemin.
Mais sur luy, n’avoit rien meilleur.
BARRABAS
Tu le devois (pour ton honneur)
Estrangler, ou tuer de coups,
Puis le laisser manger aux loups,
40 Ou le gecter en quelque fosse.
DISMAS
Il me suffist d’avoir l’endosse16,
Puisqu’il n’avoit ne croix ne pille17.
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Interlocutoire des six tyrans.18
BRUYANT, tirant de Caÿphe 19
Quel temps court-il, présent, par ville ?
Sces-tu rien de nouveau, Roullart ?
45 Y a-il meschant ne soullart20
Sur qui puissons mectre les mains ?
ROULLART, tirant de Anne 21
Je m’actens qu(e) ung de ces demains,
Il cherra22 quelque chose en taille
Où nous pourrons gaingner quinquaille23
50 Pour nous rembourser de noz pertes.
DENTART, tirant de Anne
Hée ! que j’ay les deux mains ouvertes,
Pour bien pescher au fons d’ung plat
Et ruer par terre tout plat
Ung vilain, s’il chet en ma basche24 !
MALCUS, tirant de Caÿphe
55 Je [sçay que ne seray]25 pas lasche,
Mais qu(e) une foiz on me dye : « Hare26 ! »
GADIFER, tirant de Anne
Nous sommes cy tous gens de care27
Pour exploicter une besongne
Soubdain, mais qu’on nous embesongne28
60 À mectre quelqu(e) ung à raison.
DRAGON, tirant de Caÿphe
Nous perdons cy belle saison29.
Que nous ne tenons30 trois ou quatre
Pouvres meschans31, pour nous esbatre
À les batre toute journée !
BRUYANT, tirant de Caÿphe
65 Hée ! si Fortune feust tournée
Sur aucun32 dont on eust envie
De luy faire perdre la vie,
Il seroit tantost bas de poil33.
DENTART
Nous le vous batrions comme toil’34,
70 Tant qu(e) après, n’y auroit que batre35.
MALCUS
Allons quelque part nous esbatre
Pour passer temps.
Icy marchent ung peu les six tirans.
ROULLART
Sus, sus, gallans !
J’apperçoy là noz trois challans36,
Que nous avons charge de prandre.
DRAGON
75 S’ilz retournent sans beste vendre37,
Que je soie pendu !
GADIFER
Esse pas
Cest homicide Barrabas
Et ces deux guecteurs de chemins38 ?
BRUYANT
Chargeons sur ces trois « pèlerins39 »,
80 Et les allons saisir au corps !
Icy viennent les six tirans assaillir les trois
larrons ; et sont deux tirans sur chascun larron.
ROULLART
Demourez, ou vous estes mors !
Dessus ! dessus !
GESTAS
Homme n’approche !
Ou – je regny Dieu ! – sans reproche,
Je le mectray sur les carreaulx !
BARRABAS
85 Recullez, recullez, ribaulx !
Homme n’approche, si hardy40 !
DISMAS
Frappons dessus à l’estourdy41 !
Tu es mort, ribault ! Il frappe.
DRAGON
Et toy mort ! Il frappe.
Icy s’entrebatent tous ensemble, puis
Bruyant et Malcus prennent Dismas.
BRUYANT
Cestuy-cy n’est pas le plus fort.
90 Je l’estourdis42 comme ung poullet,
Et le tiens si bien au colet
Qu’il n’a garde de m’eschapper.
Roullart et Dentart prennent Barrabas.
ROULLART
Ilz sont nostres, sans plus frapper.
Nous tenons Barrabas aux trousses43.
Dragon et Gadiffer prennent Gestas.
DRAGON
95 Pour cinq ou six bonnes secousses,
Gestas en sçauroit bien respondre44.
GADIFFER
Allons mectre ces gallans pondre
Sur la belle paille jolye45.
MALCHUS
Il fault bien que, premier, je lye
100 Dismas, que je tiens à la robe.
Icy, lient les larrons.
DENTART
Si jamais nul des troys desrobe
Pèlerin, marchant ou bourgeoys,
Je veil qu’on me couppe les doys,
Puis46 qu(e) une foys l’ay acroché !
ROULLART
105 Nous avons tant escarmouché
Que nous avons eu le dessus
De noz troys « pèlerins ». Sus, sus !
Pourvoyons de ce qu’il leur fault.
BRUYANT
Allons les loger chez Brayhault47,
110 Et luy recommandons ces hostes.
Car ilz coucheront ob48 leurs botes
Et se veautreront sur le soil49.
DENTART
On leur fera bien changer poil50
Devant qu’il soit jamais dix jours51.
DISMAS
115 Nostre faict va bien à rebours.
Âme n’avons52 qui nous conforte.
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MALCHUS, au geôlier :
Hau ! Braihault ! Le dyable l’emporte :
Le paillart nous fait cy le sourt.
Brayhault ! Brayhault ! Il est si gourt53
120 Qu’il ne scet de quel pié marcher.
DRAGON
Brayhault ! Brayhault ! Je l’oy54 cracher.
Vez-le cy où il vient, tenez.
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BRAYHAULT, geôlier
Estront, estront en vostre nez !
Quel dyable venez-vous criant ?
125 Je n’ay pas loysir maintenant
D’entendre à vous.
GADIFFER
Hé ! gros moulu,
Yvrongne parfaict, gros goulu !
Trenche-tu, présent, du vilain55 ?
On luy met le pain en la main,
130 Et encor fault-il qu’il s’en fume56.
DENTART
Dea ! Brayhault, esse la coustume
De traicter ainsi les gallans ?
Regarde : vécy troys challans
Qu’on t’amaine à ta pencion.
135 Et tous ensemble pencion57
Te faire service et plaisir.
BRAYHAULT
La male mort vous puist saisir,
Et vous et tous voz aliés,
Et qui les a prins et lyés,
140 Voire, et qui céans les amaine !
ROULLART
As-tu peur de perdre ta peine,
À festoyer ces troys « marchans » ?
Ne te chaille : s’ilz sont meschans58,
Ilz ont bon crédit par la ville59.
BRAYHAULT
145 Je croy qu’ilz n’ont ne croix ne pille,
Puis60 que les avez empoignés…
Mais si61 seront-ilz encoignés
En quelque coing, pour l’amour d’eulx,
Et bien enferrés deux et deulx62.
150 Puis après, on y pourvoira.
Icy les prend le geôlier.
Ha ! [au frais viendrez]63 ! Çà, çà, çà !
Il vous fault retirer à l’ombre,
Que le chault ne vous face encombre :
Entrez léans64 et prenez place !
Ycy entrent en la prison.
GESTAS
155 Le grant dyable y soit !
BRAYHAULT
Prou vous face65 !
Tantost feray la table mettre.
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L’assemblée des tyrans <folios 332 rº à 332 vº> énonce des questions auxquelles la rime répond toujours par un monosyllabe. Ce jeu est notamment pratiqué dans la farce du Ramonneur de cheminées (voir sa note 27 pour d’autres exemples).
GADIFFER
Qui66 nous veult, nous vécy tous prestz.
BRUYANT
Sommes-nous bien atriqués67 ?
ROULLART
Très.
MALCUS
Jamais nous n’auron mau temps68 ?
DRAGON
Non.
DENTART
16069 Comment va de nostre fait ?
GADIFFER
Bon.
MALCHUS
Sçaurion-nous mieulx souhaiter ?
BRUYANT
Rien.
ROULLART
Comment se portent les gallans ?
MALCHUS
Bien.
DRAGON
Et qu’esse de telz mignons ?
DENTART
Bruyt70.
GADIFFER
Est nostre pain tout gaingné ?
MALCHUS
Cuyt.
BRUYANT
165 Qui a bon temps, pour présent ?
ROULLART
Nous.
GADIFFER
Qui craint à nous desplaire ?
DRAGON
Tous.
DENTART
Sommes-nous frais emplumés71 ?
GADIFFER
Drus.
MALCHUS
Et qui nous pourroit nuyre ?
BRUYANT
Nulz.
*
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Quand des sergents rencontrent d’autres sergents, ils se racontent des histoires de sergents dans l’argot des loubards. <Folios 336 rº à 336 vº.>
Icy viennent les quatre sergens de Pilate aux sergens
de Anne et de Caÿphe, et les aultres se vont armer.
GRIFFON
Dieu gard les gueux de72 fier plumaige !
170 Comme se compassent millours73 ?
DRAGON parle jargon
Estoffés, moussus, sains, drus, gours74.
BRAYART
Où brouent-ilz, présent, sur la sorne75 ?
GADIFFER
Nous allons donner sur la corne76
À quelque duppe.
ORILLART (jargon)
Est-il haussaire77 ?
CLAQUEDENT (jargon)
175 Est-il gourt78 ?
MALCUS (jargon)
Mais mynce de caire79 :
Il n’a tirandes, ne endosse80,
Aubert, temple81, ne pain, [ne dosse]82 ;
Le marmion83 est tout à sec.
ROULLART
Nous y allons. Luez84 au bec,
180 Pour le vendangier à l’effroy85.
GRIFFON
Et d’estoffe pour le deffray86,
Qui en fonce87 ?
DENTART (jargon)
Qui ? Les millours.
BRAYART (jargon)
Son procès va donc à rebours88,
S’il est grup89.
ORILLART (jargon)
Devant qu’on s’i soulle90,
185 Les gours91 fonseront à la foulle,
Et force d’aubert grupperon[s]92.
CLAQUEDENT
Nous mouldrons franc93, et si, auron[s]
Pain en paulme94 pour les souldars.
BRUYANT 95
Targes, pertisanes et dars96,
190 Arbalestres et cranequins97,
Arcs à jaletz et arcs turquins98 :
Et ! vous en venez quant et nous99 ?
GRIFFON
Qu’en dictes-vous ?
BRAYART
Allons-y tous !
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La prise de Jésus <folios 355 vº à 357 vº> exige des moyens disproportionnés : tous les sergents du Mystère sont requis, armés jusqu’aux dents. Ils n’auraient pourtant pas réussi leur coup sans l’aide d’une vieille harpie nommée Hédroit, chambrière de Hanne, et femme d’un forgeron qu’elle remplace occasionnellement : c’est elle qui aura le plaisir de fabriquer les clous de la crucifixion (v. la note 211 de Digeste Vieille).
Icy s’en vont Malchus et Grongnart parler à la vieille Hédroit,
et dit MALCHUS :
Hédroit, hau !
HÉDROIT 100
Qui est là ?
MALCHUS
Deux motz !
HÉDROIT
195 Que dyable vous fault-il si tart ?
Qui esse ?
GRONGNART
Malchus et Grongnart,
Deux des plus grans de voz amys.
HÉDROIT
Pendu soit qui vous a là mys,
Et qui vous aime mieux que moy !
200 Quelz amys pour faire ung desroy101 !
Logez telz hostes près de vous !
GRONGNART
Mon beau petit musequin102 doulx,
Ouvrez-nous l’huys, ma doulce amye.
HÉDROIT
Bran pour la belle compaignie !
205 Je n’ay cure de telz marchans.
GRONGNART
Il nous fault aller sur les champs.
Hédroit, faictes-nous ce plaisir.
HÉDROIT
Vous estes bien à deloysir103
D’aller, à ceste heure, moucher104 :
210 Il est temps de s’aller coucher,
Et vous voulez aller par voye ?
MALCHUS
C’est Monseigneur105 qui nous envoye
Quelque part pour faire ung message.
HÉDROIT
Il [n’en aura]106 pas d’avantage :
215 Qui trouvera pire que vous ?
GRONGNART
Hédroit, je vous pry, prestez-nous
Quelque lanterne ou quelque torche.
HÉDROIT
Vous chirez bien, si je vous torche107 !
Car torche n’aurez, ne torchon108,
220 Ne chandelle, ne moucheron109,
Ne lanterne que je vous baille !
Vous estes trop rouges en la taille110
Pour vous prendre en bonne pleuvine111.
MALCHUS
Ceste dyablesse Proserpine112
225 N’est aise sinon quant el tence113.
GRONGNART
Malchus, je cuyde qu’elle pense
Que la voullons prier d’amours.
MALCHUS
Elle a le poil aussi rebours114
Que la coque d’une tortue.
230 Faulce115 vieille, yvrongne barbue,
Vieille gauppe sempiterneuse116,
Laide, mauvaise, orde117 et hydeuse :
Nous daignez-vous faire plaisir ?
HÉDROIT
La malle mort vous puist saisir
235 Et envelopper les boyaux,
Garsons118 infâmes et bourreaux !
Me venez-vous cy dire injure ?
Par le Dieu du ciel que je jure119 !
Je vous donneray sur la teste !
GRONGNART
240 Ne faisons plus ycy la beste.
Hédroit, ma doulce seur, m’amye :
Entendez à nous, je vous prye,
Et nous secourez au besoing.
Il nous fault des torches au poing
245 Pour aller jusqu(e) à la poterne.
Pour ce, si vous avez lanterne,
Tison, fallot, torche ou lumière,
Je vous pry, ma doulce chambrière,
Que la nous prestez.
MALCHUS
À brefz motz,
250 Nous allons donner sur le dos
À ung papelart plein de plaict120.
HÉDROIT
Esse Jésus de Nazareth,
Qui a tant presché, messeigneurs,
Et qui ne tient compte d’honneurs
255 Pour entretenir ses records121 ?
GRONGNART
Hédroit, nous l’allons prendre au corps
Ceste nuyt ; mais il fait trop brun
Pour conduyre tout le commung122,
Qui n’auroit123 lumière ou clarté.
MALCHUS
260 Il nous est de nécessité
D’avoir lanternes ou fallos.
HÉDROIT
Ho ! je vous entens à deux motz,
Messeigneurs, ne m’en parlez plus.
Puisque c’est pour prendre Jésus,
265 Moy-mesmes yray la première,
Et vous fourniray de lumière,
De torches, fallos et lanternes
Assez pour124 toutes les cavernes
D’ycy jusques en Galilée.
270 Moy-mesme conduyray l’armée ;
Moy-mesme feray l’avangarde.
Attendez-moy !
Ycy va Hédroit quérir torches, fallos et lanternes.
MALCHUS
Grongnart, regarde
Que c’est de courage de femme.
GRONGNART
S’elle monte à sa haulte game125,
275 Le dyable n’en chevira pas126.
Icy aporte Hédroit la lumière.127
Petite pause.
HÉDROIT
Tenez, vécy bien vostre cas128.
Chargez-moy torches et lumière.
Mais je vueil aller la première,
À tout129 ma lenterne rouillée.
280 Et si, vueil estre despouillée
Toute nue si je ne frappe
Plus fièrement qu’un vieil satrappe,
Puisqu(e) une foiz j’ay vin en corne130 !
Ma vieille lanterne sans corne131
285 Servira bien à ce besoing.
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1 Dans ces deux domaines, le record est battu par le Mistère de la Passion de Semur, où le paysan Rusticus et sa rombière s’en donnent à cœur joie tout au long de l’œuvre. 2 Les extraits que j’ai choisis ne figurent pas dans la version primitive d’Arnoul Gréban, composée vers 1450. 3 Volée, ce qui est bien le cas (vers 33). Dismas la porte sur ses épaules comme une cape. 4 Quand je me mets en colère. Cf. le Povre Jouhan, vers 381. 5 Je ne tiens pas plus de compte. 6 De révolte contre la loi. « Barrabas, meurtrier inhumain,/ Sédicieulx, larron prouvé. » Mistère de la Passion. 7 Prononciation archaïque de « aide » : cf. le Ramonneur de cheminées, vers 241 et note. « Qui ne peult mais sa croix lever,/ Et demeure cy sans subside,/ Il fault que tu luy face aïde. » Mist. Pass. 8 Je n’ai pas besoin d’aide pour provoquer une émotion de foule, une bousculade. Certains voleurs et leurs complices organisaient une bousculade sur le marché pour couper des bourses à l’insu des victimes. D’où l’expression : Ils s’entendent comme larrons en foire. 9 La plupart des éditions gothiques disent : Maint. Nos larrons sont beaucoup plus méchants que dans le Mystère de la Passion d’Arras, où on les arrête uniquement parce qu’ils ont volé un panier de pignons. 10 D’une manière ou d’une autre : cf. les Femmes qui font renbourer leur bas, vers 75. Mais il y a un jeu de mots sur le « croc », l’outil des crocheteurs. 11 Je leur planterai la lame de mon couteau jusqu’au manche. 12 De piécettes. La mite est une monnaie flamande. 13 S’il repart avec son argent. 14 Cette friperie : la robe que tu portes sur tes épaules. 15 Où as-tu fait cette emplette. 16 Le vêtement du dessus (mot d’argot). Cf. le Dorellot, vers 153. « Prendre/ Quelque endosse pour les despens. » Mist. Pass. 17 Ni pile : pas un sou. Idem vers 145. 18 Dialogue des six sergents. Parmi les 12 sergents, bourreaux et autres exécuteurs des basses œuvres que comporte ce Mystère, seul Malchus a un nom historique. Tous les autres sont affublés d’un patronyme grossier, souvent terminé par le suffixe péjoratif -ard. 19 Sergent de Caïphe, un grand-prêtre du Temple de Jérusalem. 20 Un misérable ou un soûlard. Plusieurs éditions portent « souillart » : souillon, valet de cuisine malpropre. 21 Sergent de Hanne, un grand-prêtre du Temple de Jérusalem. Anne est donc un nom masculin. Roulard sait que son patron médite l’arrestation de Jésus. 22 Il tombera (futur de choir). Tomber en taille = être bien tombé, avoir une occasion. « Car je ne puis tomber en taille/ De ce faulx Jésus empoigner. » Mist. Pass. 23 De la monnaie. Voir le 1er vers de la Confession du Brigant. 24 S’il tombe dans ma nasse. 25 Ms. : suis seur quil naura (« Sire, je ne seray pas lasche/ D’enquérir leur estat puissant. » Mist. Passion de Troyes.) 26 À l’attaque ! « Hare, lévrier ! » ATILF. 27 De forte carrure. « Gens de carre telz comme il fault/ Pour donner, de soir, ung assault/ À Jésuchrist. » Mist. Pass. 28 Pour peu qu’on nous confie la mission. 29 Un temps précieux. 30 Que ne tenons-nous. 31 Misérables. Idem vers 45 et 143. 32 Si la chance avait tourné pour un certain homme : pour Jésus. 33 Réduit à néant. Cf. Gautier et Martin, vers 232 et note. 34 Ainsi que les lavandières battent la toile, le linge. « Y le fault batre comme toylle ! » Messire Jehan. 35 Il n’y aurait plus rien à battre. « Et le me rendez tant batu/ De tous léz [côtés] qu’il n’y ait que batre. » Mist. Pass. 36 Clients, justiciables. Idem vers 133. 37 S’ils s’en retournent sans rien y laisser, comme un paysan qui revient du marché sans avoir vendu son bétail. Cf. Beaucop-veoir et Joyeulx-soudain, vers 95. 38 Ces bandits de grands chemins, qui guettent les voyageurs. « Dismas/ Et Gestas, guéteurs de chemins. » Mist. Pass. 39 Allusion aux coquillards, ces faux pèlerins de Saint-Jacques de Compostelle qui se cachent parmi les vrais pour tromper la vigilance des autorités. Idem vers 107. 40 Que nul ne s’approche, si hardi soit-il. 41 Sans réfléchir, au hasard. « S’il n’a de moy, sur le museau,/ Si grant soufflet à l’estourdy. » Mist. Pass. 42 Je l’assomme. 43 Par les chausses. 44 Pourrait en dire autant. 45 Sur la paille du cachot. 46 Maintenant. 47 Le gardien de prison, qui « brait haut », qui hurle. « –Au meurtre ! –Comment il brait hault ! » (ATILF.) Les autres soudards ne sont guère plus discrets, si l’on en croit leur nom : Braillard, Bruyant, Grognard… 48 Avec. « La maison, ob le vergier et places, et ob les murs qui sont entour. » (Godefroy.) Cette préposition étant peu commune, les éditeurs anciens ont beaucoup pataugé ; sauf Alain Lotrian, qui tranche le nœud gordien : « Ilz coucheront avec leurs botes. » 49 Sur le souil, la boue dans laquelle se vautrent les sangliers. « Le sueil du sanglier, où il se souille & veautre. » Jehan Thierry. 50 Se faire des cheveux blancs. Se dit des mammifères dont la fourrure blanchit quand la neige arrive : « Les vrais lièvres livonois sont en temps de l’esté gris, & en hyver blancs comme neige. Il en y a d’autres qui tousjours sont gris, sans changer poil. » Miroir de la navigation. 51 Avant dix jours. « Devant qu’il soit jamais deux ans,/ On verra nos maris changer. » Les Femmes qui aprennent à parler latin. 52 Nous n’avons personne. Au 1er degré : nous n’avons pas d’âme. 53 Si peu dégourdi. 54 Je l’entends (verbe ouïr). 55 Joues-tu maintenant au rustre ? 56 Qu’il se mette en colère. « Ne m’en chault qui s’en fume ! » Mist. Pass. 57 Nous pensions. 58 Bien qu’ils aient l’air misérables. 59 Ils dînent partout sans payer. 60 Depuis. Les sergents dévalisaient leurs victimes. 61 Pourtant. 62 Deux par deux, avec des fers de chevilles, comme les Maraux enchesnéz. 63 Ms. : fres viendries — Éd. : frais viandiers (Mettre quelqu’un au frais, ou à l’ombre : l’emprisonner.) 64 Là-dedans. 65 À vos souhaits ! Autrement dit : Que le diable vous emporte ! 66 Si quelqu’un. 67 Accoutrés. 68 Une mauvaise passe. 69 Pour des raisons pratiques, je numérote les vers à la suite des précédents. 70 Ils font beaucoup parler d’eux. 71 Nos chapeaux ont-ils de nouvelles plumes ? Mais aussi : Sommes-nous de nouveau remplumés, financièrement ? 72 Au. « Dieu gard le gueux ! » Beaucop-veoir et Joyeulx-soudain. 73 Comment sont pourvus les milords [les rupins, comme au vers 182] ? Cf. Digeste Vieille, vers 274. 74 Tous ces mots sont des synonymes populaires ou argotiques de « riches ». 75 Où vont-ils, à présent, le soir ? « Quant abrouart, sur la sorne, abrouez. » Villon, Ballades en jargon. 76 Donner des coups sur la tête. Voir le vers 239. La « dupe » sans le sou qu’on veut arrêter, c’est Jésus. 77 Ce naïf est-il d’une richesse arrogante ? « Brayart, tu fais là le haussaire. » Mist. Pas. 78 Riche. Idem vers 171 et 185. « Brouez-moy sur ces gours passans. » (Villon, Jargon.) Dans le ms. de Valenciennes, Claquedent est un mendiant malhonnête qui se fait rouler par son complice Babin. 79 Dépourvu d’argent. Voir le Mince de quaire. 80 Ni chausses, ni cape (vers 41). « Au moins en aurons-nous l’endosse/ Et les tirandes. » Mist. Pass. 81 Ni argent (vers 186), ni manteau. Jeu de mots : Jésus n’a pas de Temple. 82 Ms. : poulce (Ni paletot. « N’avons ne dosse, ne pourpoint. » Jehan Molinet.) 83 Ce marmot, ce singe. « Verrez troter les marmions/ Tant que nul n’en vit de son aage. » Prenostication de Songecreux. 84 Ms. : luer (Surveillez votre bec : taisez-vous. « Luez au bec, que ne soiez greffiz. » Villon, Jargon.) Cf. Gautier et Martin, vers 100 et note. 85 Pour l’attraper par surprise. 86 De l’argent, pour que nous soyons défrayés. « Le duc avoit fait venir estoffe devers luy (…) pour paier gens d’armes. » (ATILF.) Au 1er degré, l’étoffe désigne les habits : les bourreaux s’octroyaient ceux des condamnés à mort. Après la crucifixion, nos bourreaux se partageront les frusques des deux larrons et, ne pouvant pas découper la tunique sans couture du Christ, ils la joueront aux dés. 87 Qui en paye ? Idem vers 185. Cf. le Dorellot, vers 132, 141 et 152. 88 Au rebours de ce que Jésus espère. 89 Condamné. « Car qui est grup, il est tout roupieulx [honteux]. » Villon, Jargon. 90 Avant qu’on n’en soit soûlé, qu’on n’en ait assez. 91 Ms. : groux (Gourd = riche, comme aux vers 171 et 175. Ce mot désigne les riches juifs et autres marchands du Temple qui sont prêts à payer pour qu’on les débarrasse de Jésus.) Foncer à la fouille = mettre la main à la bourse. « Fouille, ou fouillouze : bourse. » (La Vie généreuse des mercelots, gueuz et boësmiens.) En argot moderne, les fouilles sont les poches. 92 Et beaucoup d’argent nous attraperons. 93 Nous dépenserons franchement. 94 À la main. Voir le vers 129. 95 Il s’aperçoit que les quatre sergents de Ponce Pilate sont eux aussi armés, et qu’ils doivent donc participer à l’arrestation du Christ. 96 Boucliers, pertuisanes et javelots. 97 Arbalètes et arbalètes à cric. 98 Arcs qui tirent des galets, et arcs à double courbure. 99 Avec nous. 100 Elle apparaît à la fenêtre de la forge de son mari. 101 Un massacre. 102 Museau, minois : jolie fille. Cf. Sermon pour une nopce, vers 51. Ce terme affectueux est évidemment ironique. 103 Vous êtes bien désœuvrés. 104 Tuer des gens (argot). « Aussi ne se passoit-il guères d’heures sans qu’il n’y eust quelqu’un de mouché. » Godefroy. 105 Jéroboam, prince des Pharisiens. 106 Ms. : ne laura (Il n’en tirera aucun avantage.) 107 Double sens de torcher : torcher le cul, et frapper. Si je vous frappe, vous allez vous chier dessus. 108 Faux lapsus : ce mot désigne une torche. « Les torches et torchons. » Froissart. 109 Faux lapsus : ce mot désigne la mèche d’une chandelle. « Tous les moucherons des chandelles. » Godefroy. 110 Trop rusés. « Tu es trop rouge à la taille. » L’Aveugle et Picolin. 111 Plévine : garantie, caution. 112 Ce nom est donné à toute femme qui se comporte d’une manière infernale. Ainsi se nomme l’épouse acariâtre du Savatier et Marguet, laquelle est d’ailleurs comparée à Hédroit aux vers 129-130. 113 Tancer = chercher querelle. 114 Hérissé, durci. La « diablesse Proserpine » est velue. 115 Sournoise. 116 Salope intemporelle. Cf. la Résurrection Jénin à Paulme, vers 78. 117 Sale. 118 Mauvais garçons. Cf. le Capitaine Mal-en-point, vers 221. 119 Que je blasphème. 120 À un hypocrite plein de plaids, de discours trompeurs. 121 Ses déclarations. Cf. le Ramonneur de cheminées, vers 164. 122 Toute la troupe. 123 Si on n’avait. 124 Pour éclairer. 125 Si elle monte sur ses grands chevaux. Cf. Calbain, vers 36. 126 N’en viendra pas à bout. 127 Étymologiquement, celui qui porte la lumière est Lucifer (lucem fert), un des personnages de ce Mystère. La « diablesse Proserpine », dont « le diable ne chevira pas », connaît l’art de la forge, comme son mari Pluton, le dieu des Enfers. Hédroit sort, les bras chargés de matériel pour produire du feu. Après l’arrestation de Jésus, c’est elle qui allumera le feu dans la cheminée de Hanne ; puis elle gardera la porte, tout comme Cerbère garde la porte des Enfers. Contrairement à ce qu’on dit, Proserpine n’est pas absente de ce Mystère : elle y est sous un autre nom. 128 Voilà ce qu’il vous faut. 129 Avec. 130 Dans mon cornet, dans mon gobelet : puisque j’en ai l’occasion. Mais Hédroit mérite le qualificatif d’ivrogne que lui prête le vers 230. De plus, dans les Mystères, Proserpine porte des cornes. 131 Qui a perdu sa paroi translucide : cf. les Queues troussées, vers 241 et note.