LES SERGENTS
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LES SERGENTS
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Dans le Geu saint Denis, quatre sergents païens décapitent saint Denis1 et ses deux acolytes. On ordonne aux exécuteurs de retourner sur les lieux de leur forfait pour jeter dans la Seine le corps des acolytes. En effet, le corps de Denis n’est plus là : le saint, qui ne craint pas le ridicule, est parti en portant sa tête dans ses mains. Une chrétienne veut faire enterrer les cadavres par ses serviteurs ; fine psychologue, elle retarde les quatre bourreaux en leur offrant à boire et à manger, sachant qu’un sergent de Mystère serait bien incapable de refuser pareille aubaine. Les nôtres portent d’ailleurs un nom prédestiné : Hume-brouet2 [buveur de bouillon], Mange-matin [goinfre], Mâche-beignet [gourmand], Happe-lopin3 [pique-assiette].
Source : Paris, bibliothèque Sainte-Geneviève. Ms. 1131, folios 177 rº à 178 vº. Copié au milieu du XVe siècle. Ce manuscrit contient aussi Ung biau miracle et la farce du Brigant et le Vilain.
Structure : Rimes plates.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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CATULLE, bourgoyse. SCÈNE I
Seigneurs, où alez sy grant erre4 ?
HUMEBROUET
Dame, nous alons cez folz querre,
Qui sont décoléz5 à Montmartre.
CATULLE
Or, venez mengier6 d(e) une tarte
5 Que je viens trèstout droit de cuire.
LEZ SERGANS
Dame, Mahommet le vous mire7 !
CATULLE
Or çà, séez-vous ! Vez-cy bon pain,
Vin de Beaune et de Saint-Poursain8.
Et sy, arez la tarte entière.
10 Mengiez et faites bonne chière !
Je voiz pensser de la mesgnie9.
LEZ SERGENS, en soy asséant à la table.
Dame, alez ! Mahon vous conduie !
Lors, voise à sez varléz.10
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Et ilz se assiéent à mengier.
HUMEBROUET SCÈNE II
Çà, donne-moy de ce mouton !
MENJUMATIN
Mouton ? C’est tarte. Tien, glouton,
15 Boute en ta pance ! Mal feu l’arde11 !
HUMEBROUET, en mengent.
Il me fausist12 de la moustarde.
MENJUMATIN
Moustarde, à tarte ? Tu es yvre !
Tu pensses trop bien de ton vivre13 ;
Je vueil pensser aussy du mien.
MASQUEBIGNET
20 Foy que je doy Hustin, mon chien14 !
Vous monstrez bien qu’el n’est pas arse15.
Bailliez-moy, çà, et croste et farce16 !
Je vueil .I. pou17 fourrer ma pance.
(Lisiez tout ; ce que bon vous semblera prenez,
et l’autre lessiez. Tu aut[em], D[omin]e, etc.)18
HAPELOPIN
À quel pié, dea, va celle dance19 ?
25 Seroy-je mis en oubliète20 ?
HUMEBROUET
Mahommet en mal an te mete21 !
Fault-il qu’on22 te quière nourice ?
HAPELOPIN
Mais ez-tu bien et glous et nice23,
Qui menjus tarte sans m’attendre24 !
MENJUMATIN
30 Escoute : el est choiste en la cendre25 ;
N’en pren point se je ne t’en prie.
HAPELOPIN
Est-el de fourmage de Brie26 ? En prenant.
Monstre, j’aroy tantost visé27.
MASQUEBIGNET
Esgardez28, il s’est ravisé.
HAPELOPIN
35 Que deable est-ce-cy ? C’est tout sel29 !
Je suis mort au premier morsel30
Se je ne boif31 : c’est ma coustume.
HUMEBROUET, en ly baillant plain godet de vin.
Tu bevras .I. estront ! Tien, hume !
HAPELOPIN
Je humeray le mielx du monde.
40 Vécy vez comment, à Vau-Parfonde32,
Lez nonnains boivent, en couvent. Cy boive.
HUMEBROUET
Je croy que tu y vas souvent :
Tu as trop bien retenu l’Ordre33.
MENJUMATIN
Tu sces trop bien humer et mordre34 !
45 Met çà au35 godet : sy béray.
HAPELOPIN
Or tien ! Tent, et je verseray.
Lors, mete du vin au godet.
MENJUMATIN
Je vueil tremper36 ma conscience. Cy boive.
MASQUEBIGNET
Tu es maistre en celle science ;
Je croy que tu viens de Rouen37.
MENJUMATIN, en ly donnant à boire.
50 Vendenges sunt belles, ouen38.
Tent, et boy d’autant et d’autel39 !
MASQUEBIGNET
Preste-moy donc .I. buletel40
Pour le couler parmy ma gorge !
MANJUMATIN
N’as-tu pas veu comment je forge41 ?
55 Fay aussy, tu ne pues faillir42.
MASQUEBIGNET
En l’eure le verras saillir
Par mau pertuis43 en l’orde granche. Boive.
MANJUMATIN
L’as-tu bouté dedens ta manche44 ?
Que dyables est-il devenu ?
60 Tu n’as mestier45 de sel menu
Pour aguisier ton appétit46.
Je vueil boire ou grant ou petit :
A-il riens, dy ? Monstre moy celle pinte47 !
En tendant le godet.
[MASQUEBIGNET]
Tu entreras en fièvre quinte,
65 Se tu bois, ou seras éthique48.
MANJUMATIN
Esgar49 ! me lis-tu de phisique50 ?
Met cy51, met ! Tu me veulz tromper ?
MASQUEBIGNET
Oncques-mais je ne vy ton pèr52.
Tien, sy boy male palesin53 ! En ly versant.
MANJUMATIN
70 Je buray ce jus de roysin ;
Tu buras, se tu veulz, ton offre54. Boive.
MASQUEBIGNET
Tire, tire, met en ton coffre55 ! Et puis sy morde56.
MANJUMATIN
N’as-tu voycy bon vin ! Sans nuls57 remors,
Or sus, alons noier ces mors :
75 Sy, les mengeront lez goujons.
HUMEBROUET
Vostre58 gibet ! Ne nous boujons :
Les loups en venront bien à chief59.
MANJUMATIN
J’auray la goute-crampe ou chief60,
Se je ne dors trèstout mon saoul.
MASQUEBIGNET
80 Foy que je doy mon gris chat Raoul61 !
Et ! je vueil dormir à mon aise.
HAPPELOPIN
Attendre fault nostre bourgoise
Pour la mercïer, c’est raison. (Comme[n]cement.)62
HUMEBROUET
C’est bien dit. Or, nous reposon !
Cy se acoubtent 63 sur la table
comme se ilz dormissent.
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CATULLE, aus sergens : SCÈNE III
85 Comment va64, mes bons champïons ?
HUMEBROUET
Dame, nous vous attendïons
Pour vous mercïer de vos biens.
MANJUMATIN
Ne nous espargniez, Dame, en riens :
Pour vous, sommes appareilliéz65…
MASQUEBIGNET
90 Jà ne serons sy traveilliéz66
Qu’à vous ne soions, tost et tart.
HAPPELOPIN
Dame, le dieu de Mont-Fétart67
Vous gart [dez reins jusqu’au]68 talon !
(Voysent où ilz voulront.)69
CATULLE
Et il vous meine70 au grant galon !
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1 L’un d’entre eux, Mange-matin, préconisait pourtant une punition plus digne de ce chaste personnage : « Or luy coupons doncques le vit ! » 2 « Quel hume-brouet ! Quel dresseur/ De saulce vert ! » Dyalogue pour jeunes enfans. 3 Attrapeur de bons morceaux. « Happeloppins, tourneurs de broche. » Les Sotz fourréz de malice. 4 Si vite. 5 Décapités. « Montmartre » est un anachronisme, puisque cette colline ne fut dénommée Mons martyrum [mont des martyrs] qu’après l’exécution de St Denis et de ses affidés. 6 Ms : mengiez 7 Vous le rende, verbe mérir. Les auteurs de Mystères font de Mahomet (vers 26), ou de Mahon (vers 12), une divinité païenne. Catulle fait entrer les sergents chez elle. 8 De Saint-Pourçain. Ces deux vins font saliver nombre de personnages de farces : « Vin de Sainct-Porcin,/ Vin de Beaulne. » Le Gaudisseur. 9 Ms : mesgniee (Je vais m’occuper de la maisonnée, du service.) 10 Que Catulle aille conspirer avec ses valets. 11 Que le feu de l’enfer brûle ta panse ! 12 Il me faudrait. 13 À ta subsistance. 14 Par la foi que je dois à mon chien Hutin. Entre autres choses, le hutin désigne les aboiements. 15 Que cette tarte n’est pas brûlée, n’est pas immangeable. 16 La croûte de cette tarte et sa garniture. 17 Je veux un peu. 18 Le copiste n’a pas compris qu’il s’agit là d’une didascalie réservée au meneur de jeu : il la place sous la rubrique, et la transcrit comme du texte. Gabriella PARUSSA* précise : « Tu autem Domine, miserere nobis est une formule conclusive des leçons liturgiques. » *Le Jeu de Saint Denis. Classiques Garnier, 2023, p. 1487. 19 G. Parussa traduit : « Je ne sais pas sur quel pied danser. » Satan prononce le même vers dans les Miracles de Ste Geneviève, du même manuscrit. 20 Serai-je oublié dans la distribution de nourriture et de boisson ? 21 Te mette dans une mauvaise année, une mauvaise passe. 22 Ms : quen (Qu’on aille te chercher une nourrice pour te faire manger.) 23 Glouton et stupide. 24 Ms : mẽtẽdre (De manger cette tarte sans moi.) 25 Elle a chu dans la cendre du four : elle n’est plus mangeable. 26 Jeu de mots : brie = querelle. « De mal, de brie, de mortel gherre. » Godefroy. 27 Montre-la-moi, j’aurai bientôt avisé par moi-même. 28 Regardez. 29 C’est du sel pur : cette tarte me donne soif. La nourriture salée sert d’excuse aux buveurs ; sauf qu’ici, nous avons une tarte sucrée… 30 Dès le premier morceau, la première bouchée. 31 Si je ne bois pas. 32 Les religieuses du couvent de Val-Parfond étaient passablement débauchées : cf. le Tournoy amoureux, vers 14 et note. 33 La règle de cet ordre monastique. 34 Boire et manger. 35 Ms : se (Verse dans mon gobelet, je boirai. Voir la didascalie du vers suivant.) Dans le Mystère de saint Clément, le messager Mengumatin [Mange-matin] boit directement à la bouteille. 36 Affermir comme de l’acier trempé. Double sens : Mouiller dans du vin ; cf. Daru, vers 167. 37 Les Rouennais avaient une solide réputation d’ivrognes ; le Dict des pays affirme qu’on trouve les « bons buveurs en Normandie ». « Je m’enivray/ De la servoyse de Rouen. » Le Prince et les deux Sotz. 38 Cette année. Au changement de folio — c’est toujours là que les accidents surviennent —, le copiste a omis les vers 50-53, qui furent ajoutés en bas de page par un correcteur : Bernard James SEUBERT* fait remarquer (sans en tirer les mêmes conclusions que moi) que l’écriture ne correspond pas à celle du premier scribe, et que l’encre est plus foncée. *Le Geu saint Denis. Droz, 1974, p. 14. 39 Tends-moi ton verre, et bois autant que tu veux. « Ces gentilz hommes buvoient d’autant et d’autel. » ATILF. 40 Un bluteau, une passoire pour filtrer le vin. 41 Comment je m’y prends. 42 Fais de même, tu ne peux pas rater ton coup. 43 Tu vas voir tout de suite le vin sauter par mon « mauvais trou », ma bouche. La « grange sale » désigne le ventre, l’intestin : « –J’en fourreray avant ma pance./ –Ainssy, Huet, emple [emplis] ta granche ! » Miracles de Ste Geneviève, du même manuscrit. 44 As-tu escamoté ce vin dans ta manche, comme un voleur y escamote une bourse ? 45 Tu n’as pas besoin. 46 « L’appétit de boire. » (Godefroy.) Le sel aiguise la soif : voir ma note 29. 47 N’y a-t-il plus rien à boire ? Montre-moi ce pot ! L’impératif de montrer est encore employé absolument au vers 33. 48 Frappé d’étisie. 49 Prends garde ! Hume-brouet l’emploie aussi : « Esgar ! come il bale [danse] du cul ! » 50 Me donnes-tu un cours de médecine ? « J’ay la jaunice et suis éthique,/ Ne guérir n’en puis par phisique. » Ung biau miracle. 51 Verse dans mon gobelet ! Cependant, Mâche-beignet ne l’emplit qu’à moitié. 52 Jamais je n’ai vu ton pair, ton égal en matière d’ivrognerie. « Point n’avez vostre pèr. » Messire Jehan. 53 Bois une mauvaise paralysie. « Férir les puist [que puisse les frapper] mal palezins ! » Godefroy. 54 La paralysie que tu m’offres. 55 Tire du vin et mets-le dans ton ventre. 56 Ms : mors (Le scribe a voulu transformer cette indication scénique en un vers qui rime avec les deux suivants. Le correcteur l’a soulignée avec des points, mais n’a pas rétabli le subjonctif original.) Puis qu’il morde dans la tarte. 57 Ms : mais (« Je m’en y vays sans nulz remors. » ATILF.) 58 Ms : T ront au (Allez vous faire pendre ! « Vostre gibet !/ Vous contrefaictes le railleur. » Serre-porte.) 59 Viendront bien à bout de ces charognes sans que nous ayons besoin de les jeter à l’eau. 60 Une névralgie à la tête. Cf. le Testament Pathelin, vers 475. Les sergents sont ivres. 61 Par la foi que je dois à mon chat gris Raoul. On prononçait « roul » en 1 syllabe. Au vers 20, Mâche-beignet honorait son chien de la même formule blasphématoire. 62 Encore une indication réservée au meneur de jeu. On l’a rajoutée près de la marge droite, entre ce vers et la rubrique suivante, et elle est entourée. 63 Ici, qu’ils s’accoudent, s’affalent. 64 Ms : da (Cf. le Ribault marié, vers 342.) Catulle traite ses invités de « champions de taverne », de piliers de bar ; cf. le Sermon joyeux de bien boire, vers 22 et 323. 65 Nous sommes prêts à vous servir. Mais « être appareillé » = être bien équipé sexuellement. 66 Si fatigués. 67 Dans son édition, Achille JUBINAL* rappelle que c’est un des anciens noms de la rue Mouffetard. Pour lui, le dieu de Mont-Fétard pourrait être « une allusion à une ancienne idole, à une statue, ou tout simplement à une enseigne ». La plus illustre enseigne de cette rue annonçait la taverne de la Pomme de pin, chère à François Villon et à l’escholier lymosin. *Mystères inédits du quinzième siècle, t. I, 1837, pp. 368-9. 68 Ms : lez reins et le (Protège le bas de votre corps. « Depuys les rains jusqu’au colet. » Le Cousturier et son Varlet.) G. Parussa conserve la version du copiste, mais traduit : « Le dieu de Mouffetard vous protège des reins jusqu’au talon ! » 69 Nouvelle consigne pour le meneur de jeu : Que les sergents aillent s’asseoir où ils voudront, en attendant leur prochaine intervention. 70 Ms : meint (Qu’il vous mène au grand galop ! « Et cesti vont toutes-foies au grant gallon. » Marco Polo.) Cette forme rare est attestée : « Je m’en yrait, fuyant, le pas et le galon./ Ne m’en rancuzez mie, frans chevalier baron. » ATILF.
CUISINE INFERNALE
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CUISINE
INFERNALE
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Les diables des Mystères sont anthropophages. Quatre siècles et demi avant la Cuisine cannibale de Roland Topor, Claude Chevalet nous met l’eau à la bouche avec leurs recettes les plus savoureuses.
Source : La Vie de sainct Christofle, élégamment composée en rime françoise et par personnages par maistre Chevalet. Imprimé à Grenoble en 1530. Bibliothèque nationale de France, Rés. Yf. 116. Édition critique de Pierre SERVET : La Vie de sainct Christofle ; Droz, 2006. L’édition Servet comporte 19 920 vers ; la mienne en présente le dixième, soit 1 942 vers répartis en six farces : Cuisine infernale, l’Aveugle et Picolin, les Tyrans au bordeau, L’Andureau et L’Andurée, le Fol et la Folle, les Basteleurs.
Structure : Rimes abab/bcbc, rimes plates.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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Lucifer, enchaîné devant la gueule béante de l’enfer1, ne peut se déplacer. Il passe donc son temps à faire venir près de lui ses diables (voir la Chanson des dyables), pour leur confier des missions grotesques, et pour les faire corriger par leurs rivaux lorsque lesdites missions échouent. Pour l’instant, il appelle Cerbère ; ce dernier revient de la terre, où il a fourré dans son grand sac l’âme de plusieurs pécheurs.
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CERBÉRUS SCÈNE I
Que te fault, beste abhominable ?
J’ay logé dedans ton estable
Une vieille jument2 prebstresse
Que j’estranglay hier d’ung gros câble,
5 Comme3 le prebstre disoit messe.
Si ay, pour luy chauffer la fesse,
Appresté de fin feu grégoys4,
Pour luy faire fondre la gresse
Du cropïon autour du joys5.
10 Et ainsi que je revenoys,
Ung musnier alla à basac6 ;
Je le griffay7, comme tu voys,
Et le fourray dedans mon sac.
Et puis, pour faire du bo[u]ssac8,
15 Deux bigards9, une papelarde.
Et encor, au fons du bissac,
Une grosse putain paillarde :
Il ne fault jà que l’on la larde10,
Car ell’ est [bien] grosse et espesse.
20 Le rouge fin feu d’Enfer l’arde,
L’orde puant lo[u]dière yvresse11 !
Elle a tant fait la « haulce-besse12 »
Qu’elle en a le ventre pelé.
La glace fust d’ung pied espesse13
25 Avant qu’ell’ eust le cul gelé !
LUCIFER
Sanglant clabaud14 démuselé,
Porte-moy le sac et l’espice15
Au feu, pour estre desgelé16 !
Car je vueil que tout se rôtisse
30 Pour Proserpine, celle lysse17,
Et pour sa belle nourriture :
Car tu sces bien qu’ell’ est nourrisse18.
Donne-luy cela pour pasture !
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CERBÉRUS 19 SCÈNE II
Empoigne cela sans demeure,
35 Beste serpentine20 cruelle !
Ce sera une bonne cure
Pour toy conserver la cervelle.
PROSERPINE
C’est pour mon dé et ma chandelle21
Que j’auray ces frians morceaulx.
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40 Venez tost, quant je vous appelle, SCÈNE III
Pour riffler22 trippes et boyaulx !
Tenez, mes petitz diableteaulx
Que je tiens et nourris si cher23,
Esperits faulx24 et desloyaulx :
45 Mengez-moy les otz25 et la chair !
MAMMONA
Nous l’avalerons sans mascher,
Puis que nous sommes en besoigne26.
Je n’ay garde de rien lascher,
Quant je me tiens à la charoigne.
ASMODÉUS
50 Je rechigne, je mors, je groigne,
Quant je me treuve à la pasture ;
Mais Mammona tousjours me hoigne27
Quant je vueil faire ma morsure.
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FLÉGÉAS, à tout [une hotte]28. SCÈNE IV
Lucifer, monstre-moy ta hure,
55 Fronce ton horrible museau !
J’ay prins ung villain plain d’usure29,
Qui est plus puant q’ung méseau30 ;
Mais harsoir31, ainsi qu’ung oyseau,
J’empoignay32 la caille d’ung vol.
60 Je le vous serray comme ung veau,
De nuyct, et luy tordis le col !
Si sera mengé, dur ou mol33,
Qui m’en croyra34, à la moustarde,
Avec ung marran35 espaignol
65 Qui est aussi dur q’une oustarde36.
Ou, s’on les rôtist, qu’on les larde
Du lart de ce paillart gourmant
Qui mourust avec sa paillarde
La nuyt passée, en [son] dormant37 !
70 Ou qu’ilz soient, en grief38 tourment,
Tous par menus morseaulx hachéz,
Là où ilz vivront en mourant
Sans jamais estre relâchéz39 !
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ASTAROT SCÈNE V
J’en apporte deux, attachéz
75 Ensemble a[vec] une cordelle40 :
Ung ruffien (que vous le sachez),
Et une vieille macquerelle
Qui vendit sa fille pucelle
À ung milor[t]41, argent content,
80 Contre toute amour naturelle
Quant la mère vent son enfant.
Mais Dieu — qui tout péché deffent42 —
Permist que la vieille mauldicte,
Plus venimeuse q’ung serpent,
85 Mourust harsoir de mort subite43.
Si, conseille qu’elle soit fricte
— Puisqu’ainsi est qu’ell’ est griffée44 —
Et, comme des Cieulx interdicte,
[Soit] mise à la galimafrée45,
90 Et de tous les diables briffée46
Dedans nostre noire maison.
Et le ruffien sera, d’entrée,
Rousty ainsi comme ung oyson.
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BELZÉBUTH SCÈNE VI
Lucifer, voicy venoison47
95 Qui ne veult que vin et vinaigre48.
Je ne sçay s’ell’ est de saison49 :
C’est ung bigard50 qui est bien maigre.
Je l’ay empoigné à ce vespre51.
Si luy fault faire sa raison52,
100 Puisqu’on le tient, le maistre prebstre :
Car il est pire que poison,
Pour chanter « Kiriélèyson53 »
Sur le cul de quelque truande,
Fust54 Gu[i]llemette ou Alyson.
105 Il ne demandoit55 autre offrande,
Et disoit nocturne56 et légende
Tousjours en « parchemyn velu57 »,
Et tenoit la beste en commande58
En sa maison, le goguelu59 !
110 De chanter estoit résolu60
Sur la plume61, soubz les courtines,
Voyre sur le « livre fendu62 »,
En lieu de cloches les tétines,
Dont il sonnoit souvent matines
115 Quant il estoit à son privé63.
Fussent commères64 ou cousines,
Tout estoit coigné et rivé !
Là, despendoit à cul levé65
Les biens de Dieu et sa prébende.
120 Si le fault[-il] mettre au civé,
Ainsi que veneyson demande66.
LUCIFFER
Allez, paillars ! Que l’on le pende
En la grant roue circulaire
De rouge feu67, chaulde et friande68 !
125 Et luy baillez là ung « clistère69 » !
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BÉLIAL SCÈNE VII
Voicy l’âme d’ung faulx notaire70,
Rongeur de la Court des excès71,
Qui scet bien ung seing72 contrefaire
Et falsifier ung procès73.
130 Il avoit plain sac de procèz74,
Dont il prenoit à toutes mains75.
Mais harsoir, d’ung soudain décèz,
Il se laissa choir en mes mains.
Il a commis cas inhumains
135 Plus que Judas Ascarïot76 !
Mais je l’ay serré par les rains
Et amené sans charïot77.
LUCIFER
Allez-moy acoup78 ce magot
Par menus morceaux découpper !
140 Et m’en apportez ung gigot
Farcy de beaux aux79, pour soupper !
*
Appartenant somme toute au genre femelle, Proserpine s’occupe de la cuisine ; Lucifer, qui est pourtant un fin gourmet, le lui reproche parfois : « Sortiras-tu de la cuysine, / Crapaude ? » Proserpine fait un usage très personnel de sa poêle, comme elle va le démontrer sur le pauvre Satan.
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LUCIFFER SCÈNE VIII
Apporte, faulce80 Proserpine,
La grant poyle de la cuysine,
Toute rouge81, friande et chaulde !
145 Despêche-toy, acoup, crapaulde !
Et que nul de vous ne reculle !
Prenez Sathan ! Qu’on le baculle82
Acoup, desloyaulx esperitz !
Que tous puissez estre péritz,
150 Car l’on vous en deust autant faire !
CERBÉRUS
Sathan, ce sera ton sallaire
Pour ton dé et pour ta chandelle.
PROSERPINE
Tenez ! Empoignez ceste poyle,
Et luy faictes son petit pain83 !
155 Car c’est ung faulx84 filz de putain :
J’ay grant joye qu’il soit batu.
ASTAROT
Empoigne delà85 ! M’entens-tu,
Cerbérus, et toy, Bélïal ?
Et je jouray, ce86 férïal,
160 De ceste « poyle87 » sur ses fesses.
FLÉGÉAS
Tien ferme, car si tu le laisse[s],
Tu seras bo[u]tté88 en sa place !
BELZÉBUTH
Tu as beau faire la grimace89,
Car il te fault par là passer.
ASTAROT
165 Tenez bien ! Je voys90 commencer,
Et compteray sans rien rabatre :
Ampreux91 ! Et deux ! Et troys ! Et quatre !
Cinq ! Six ! Sept ! Est-ce point assez ?
SATHAN
A ! traistres !
LUCIFFER
Sus, recommencez !
170 Et vous gardez bien qu’il n’eschappe !
PROSERPINE
Tenez ferme, que je le frappe,
Le sanglant yvroigne gourmant !
Tien, voylà pour ton payement !
À ce coup, je m’en vengeray.
SATHAN
175 Traistres, je vous estrangleray !
Et deust Luciffer enrager92,
J’en auray ung93 pour me venger,
Et le mengeray d’ung morceau !
BÉLIAL
Fuyons tous devant ce pourceau,
180 Car je cuyde qu’il est en ruyt94 !
S’il entre, il fera beau bruyt !
En Enfer, si, se fault retraire95.
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L’âme de deux prostituées vient d’échapper à nos diables. Ces faux jetons accusent Satan d’être responsable du gâchis.
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LUCIFFER SCÈNE IX
Usez-vous bien de voz praticques,
D’avoir laissé hors noz lÿens
185 Aller ces putains malléficques
Qui n’avoient esbat que des reins ?96
FLÉGÉAS
Si l’on a perdu ces putains,
Sathan en est cause du faict,
Qui nous a donné ung banquet,
190 Au relever97 de Proserpine,
D’ung mès à la saulce Robert98
Sur ung moyne de grace myne99.
CERBÉRUS
Mais à la saulce cameline100
En fust la pluspart acoustrée101 ;
195 Et de s[es] piedz, à la dodine102,
Nous en fîmes belle levée103.
BÉLIAL
« Le saupicquet104, la gratonnée,
Le haricot105, la sallemine106… »
De trippes frictes, à l’entrée
200 Mengeasmes, avec pouldre fine107.
ASTAROT
Nous n’avallasmes pas chopine108,
Mais du meilleur à grans plains potz,
Qui a tant faict prendre repos109
À Sathan, ce meschant yvroigne,
205 Lequel tousjours contre nous hoigne110
Quant nous parlons à Proserpine.
BELZÉBUTH
Nous gardasmes tant la cuysine
Que fusmes ensaincts d’esthomac111.
Tous noz potz en sont à basac112.
210 Mais si toy, grant prince des chiens113,
Fusses [du convive]114, je tiens
Que nous eussions maint boyau vuyde115 !
SATHAN
Nous pense-tu tenir la bride,
Vieulx mastin116, contrefaict dragon ?
215 Si nous portons la venaison
Pour fournir le gouffre infernal,
Je veulx — estant117 le principal —
Avoir118 la première lippée.
LUCIFFER
Harou, teste démuselée !
220 Me veulx-tu du Règne119 expulser ?
SATHAN
Te fault-il tant braire et prescher
Pour la perte de deux putains ?
S’ilz ont esté souvent à « Rains120 »,
Elles veullent ores121 repos.
*
1 Pierre Servet explique (note 5983) : « Lucifer attend les diables sur la scène, hors de l’enfer. On peut penser que ceux-ci vont sortir de la gueule d’enfer pour se placer ‟devant”, c’est-à-dire sur l’espace scénique situé devant les structures fixes du décor. » 2 Une femme qui se laisse chevaucher par n’importe qui ; cf. Légier d’Argent, vers 217. Une prêtresse est la concubine d’un prêtre ; cf. les Chambèrières et Débat, vers 229, 369 et 373. 3 Pendant que. 4 J’ai préparé du feu grégeois. Ce mélange est si corrosif qu’on l’utilise comme bombe incendiaire. 5 Du sexe. « Aussi chault comme feu grégoys,/ Pour t’ardre [te brûler] le trou et le joys. » L’Andureau et L’Andurée. 6 Mourut. « Maladye/ Qui te puisse mettre à basac. » (Digeste Vieille.) Les meuniers commettent tant d’exactions qu’ils sont damnés. La farce du Munyer montre un diable qui recueille dans son sac l’âme d’un meunier pour l’apporter à Lucifer. 7 Je l’agrippai. Idem vers 87. 8 Préparation contenant des épices et du verjus <note 98>. 9 Voici deux bigots, deux hypocrites qui se font passer pour dévots. Idem vers 97. « Bigars et ypocrites. » (ATILF.) La papelarde est leur version féminine. 10 Il n’est pas nécessaire de la barder avec du lard pour la faire rôtir. 11 La brûle, cette sale pute alcoolique. 12 La hausse-baisse : le va-et-vient du coït. 13 Elle a tellement le feu au cul qu’il faudrait qu’elle s’assoie sur de la glace de 32 cm d’épaisseur… 14 Maudit aboyeur. Les Grecs représentaient Cerbère en chien à trois têtes : voir la note 113. Démuselé = sans muselière ; idem vers 219. 15 Et son précieux contenu. 16 Déglacé, dégraissé. 17 Cette lice, cette chienne. 18 Qu’elle est enceinte : elle a donc besoin de manger pour deux, elle qui mange déjà comme quatre. 19 Il donne son sac à Proserpine, qui vient d’entrer. Le comédien qui la joue est affublé d’un énorme ventre. 20 Depuis la tentation d’Ève, le serpent est l’animal diabolique par excellence. Proserpine lui est souvent comparée, malgré son abondant système pileux : « Faulce lisse [sournoise chienne],/ Beste hideuse, serpentine. » St Christofle. 21 Pour mes menus plaisirs. Idem vers 152. Cf. l’Aveugle et Picolin, vers 143. Proserpine n’aime que la viande baptisée : « Mais d’ung chrestïen, d’ung ermite,/ Ce seroit viande appétissant…./ Car cela seroit venayson/ Que j’aymerois plus cher que cresme [sperme]. » St Christofle. 22 Bâfrer. Proserpine appelle ses charmants bambins, Mammon et Asmodée, pour qu’ils viennent s’empiffrer. Les deux diablotins sont emmaillotés de langes, et coiffés d’un béguin d’où dépassent leurs cornes ; ils se frappent mutuellement avec un hochet. 23 Tenir cher = chérir. « Estes-vous cy, ma chier tenue ? » St Christofle. 24 Sournois. Idem vers 126, 142 et 155. Un peu plus tôt, ces deux trompeurs se faisaient passer pour les pages de Satan. 25 Mangez ces os. Proserpine tend le sac de Cerbère à ses rejetons, qui s’en disputent violemment le contenu. 26 Maintenant que nous sommes à l’ouvrage. 27 Grogne contre moi. Idem vers 205. 28 Éd : ung mõstre (Anticipation du vers suivant.) Avec une hotte sur le dos, pour emporter les âmes damnées. « S’enporteray ceste curie/ D’âmes dampnées en ceste hotte,/ Affin que Lucifer, mon hoste,/ Les festoie de grants tourmens. » Mistère de saint Adrien. 29 Les usuriers ne sont pas damnés pour des raisons morales, mais parce qu’ils spéculent sur le temps, qui n’appartient qu’à Dieu. 30 Qu’un lépreux. 31 Hier soir. Idem vers 85 et 132. 32 Éd : Empoigne (Tel un oiseau de proie, je pris cette « caille » en plein vol. « Car qui n’entent le jobelin/ N’a garde de prendre la caille. » Les Tyrans au bordeau.) 33 Bon an, mal an. Mais Phlégias prend cette expression au premier degré : qu’il soit dur ou qu’il soit tendre. 34 Si l’on m’en croit. 35 Un marrane est un juif d’Espagne qui fait semblant de se convertir au catholicisme pour ne pas être expulsé. 36 L’outarde est un échassier. 37 Pendant son sommeil, donc sans avoir reçu l’absolution. « La nuit passée, en mon dormant. » (Les Sotz escornéz.) La mort en état de péché mortel est encore évoquée aux vers 85 et 132. 38 Grave, pénible. 39 Sans connaître de relâche, de répit. 40 En des temps plus anciens, les adultères, attachés l’un à l’autre par le sexe, devaient traverser la ville entièrement nus. 41 À un milord, un richard. Cf. Digeste Vieille, vers 274. « Sa mère mesmes la vendra. » Éloy d’Amerval. 42 Défend, interdit. Astaroth prêche la morale chrétienne, sans laquelle l’enfer n’aurait aucune raison d’être. De la même façon, Dieu n’est rien sans les diables : c’est eux qui font régner la justice divine en punissant les pécheurs. Le camp du Bien et le camp du Mal collaborent pour défendre leurs intérêts communs ; dans le Mystère de sainte Agathe, deux anges vont chercher les diables aux enfers pour qu’ils châtient des hommes qui ont « grandement mespris envers Dieu », que Satan s’empresse d’aller venger : « G’y feray tel dilligence/ Qu’ilz reconnoistront bien l’offence ! » L’ambiguïté du discours diabolique s’affiche tout au long du Livre de la deablerie, d’Éloy d’Amerval, où Lucifer et Satan combattent verbalement l’immoralité comme de vieux théologiens. 43 Donc, sans confession <note 37>. 44 Puisqu’elle est entre mes griffes. 45 Cuisinée en fricassée <note 98>. 46 Bouffée. 47 De la venaison, du gibier humain. Idem vers 121 et 215. 48 Ce gibier sera préparé en civet (vers 120) avec du vin rouge, et les épices seront délayées « de verjus et de vin aigre », comme le préconise la recette du « civé de lièvres » de Taillevent. 49 Si elle est opportune. 50 Un bigot <note 9>. 51 Ce soir. 52 Aussi, il faut lui régler son compte. « On leur fera leur raison. » Digeste Vieille. 53 Kyrie eleison. Voir la note 41 du Clerc qui fut refusé. 54 Que ce soit. Les peu farouches Guillemette et Alison sont deux des Femmes qui aprennent à parler latin. 55 Éd : demãde 56 L’office de nuit. La légende est le récit de la vie d’un saint. 57 Sur le pubis de sa maîtresse. Cf. les Tyrans au bordeau, vers 519-520. 58 La commende est un bénéfice ecclésiastique, tel celui que s’est arrogé l’abbé de Plate Bource dans le Jeu du Prince des Sotz : « Je vueil bien que chascun entende/ Que tiens [l’abbaye de] la Courtille en commande. » 59 Ce godelureau. Cf. la farce de Goguelu, F 45. 60 Il était résolu à dire la messe. « Ton père chante la grant-messe. » Les Miraculés. 61 Sur le lit. Cf. L’Andureau et L’Andurée, vers 449. 62 Sur la fente de sa maîtresse. « Ma belle, à ce concert, gentille,/ Ouvrit son livre allaigrement. » Ung jour que j’accollois m’amie. 63 Chez lui. 64 Que ce soient ses voisines. Cogner et river = coïter. 65 Il dépensait à coups de cul. « Ces bonnes femmes (…) ont joué du serre-cropière à cul levé à tous venans. » Pantagruel, 17. 66 Aussi, il faut le préparer en civet <note 98>, comme ce gibier l’exige. 67 La mythologie chrétienne ne s’est pas contentée de transformer les faunes et les satyres en diables ; elle a également recyclé Proserpine (l’épouse de Pluton, auquel Lucifer doit beaucoup), Phlégias, Cerbère et quelques autres. Quant à la présente roue enflammée, elle n’est autre que celle du supplice d’Ixion dans les Enfers grecs. 68 Adjectif formé sur le verbe frire. Nous avons à peu près le même vers à 144. « Et luy allez bailler/ Ung clistère chault et friant ! » St Christofle. 69 P. Servet voit là une « allusion à l’empalement ». Mais on pourrait y voir une allusion à la sodomie, comme aux vers 179-180. Sur l’intérêt que Claude Chevalet porte à cette pratique, voir la note 244 des Tyrans au bordeau. 70 D’un officier de justice véreux. En tant que procureur et avocat des Enfers, Bélial fréquente le milieu juridique, où un démon a fort à faire. 71 Cette cour tentait de mettre bon ordre aux excès commis par les clercs. « Son procès/ Plaidoit à la Court des excès./ Et après son tort [sa condamnation], pour refuge,/ Alla monstrer son cul au juge. » La Grant malice des femmes. 72 Une signature, un sceau. 73 Un procès-verbal. 74 Éd : faulcez (« On appelle sac de procèz un sac où l’on met les pièces d’un procèz. » Dict. de l’Académie françoise.) L’éditeur a voulu éviter ce qu’il prenait pour une rime du même au même, alors que les deux sens sont différents. 75 De tous les côtés. « Je prens argent à toutes mains. » Le Retraict. 76 Judas Iscariote. 77 Sans recourir à un corbillard : en le portant dans mon sac. 78 Tout à coup ; idem vers 145 et 148. Un magot est un singe : cf. les Tyrans au bordeau, vers 73. 79 Truffé d’ail. 80 Sournoise <note 24>. 81 Chauffée au rouge. Friante = bouillante <note 68>. 82 Qu’on lui frappe sur le cul. « Baculer/ Et frapper culs. » Sermon joyeux des Frappe-culs. 83 Faites-lui du tort. « Pour leur faire leur petit pain. » St Christofle. 84 Sournois <note 24>. 85 Tiens-le par là ! 86 Éd : du (En ce jour de fête.) 87 On prononçait pelle. Chevalet transporte à la cuisine l’expression « frapper la pelle au cul » : flanquer une fessée. « Et luy frappa au cul la pelle. » François Villon. 88 Tu seras mis à sa place. Chevalet ne dit jamais « botter les fesses », mais « écorcher d’un patin » (les Basteleurs, vers 197). 89 Satan, tu fais inutilement la grimace. 90 Je vais. Astaroth empoigne la poêle que Proserpine lui tend obligeamment. 91 Et un ! Le même décompte accompagne des bastonnades aux vers 787-791 de l’Aveugle et Saudret, aux vers 226-237 de la Veuve, etc. 92 Et même si Lucifer devait enrager encore plus que d’habitude. 93 J’attraperai l’un d’entre vous. Satan échappe à l’étreinte de ses tortionnaires, et se met à les poursuivre tout autour de Lucifer. 94 En rut : il risque de nous sodomiser. Voir la note 69. 95 Nous devons nous réfugier dans les enfers. Jusque-là, les diables étaient à l’extérieur, auprès de Lucifer ; voir la note 1. Ils sautent donc dans leur terrier, et abandonnent au « rut » de Satan leur chef enchaîné. 96 Il semble manquer un vers en -ains, et un autre en -et. 97 Une accouchée reprenait sa vie ordinaire et sa vie paroissiale après le « banquet de relevailles ». Proserpine, qui était enceinte au vers 32, a donc pondu un nouveau diablotin, dont on ne connaîtra jamais le père. 98 Un mets en sauce épicée ; voir la note 214 du Capitaine Mal-en-point. La rime est faible parce que Chevalet emprunte ce passage culinaire à la Condamnacion de Bancquet (publiée en 1507), qu’on attribue au poète Nicole de la Chesnaye : « –Voz saulces sont-elles bien faictes,/ Escuyer ? –Ma dame honnorée,/ Veez-en cy de trop plus parfaictes/ Que cyvé ne galimaffrée./ Tout premier vous sera donnée/ Saulse Robert et cameline,/ Le saupiquet, la crétonnée,/ Le haricot, la salemine (…),/ Boussac montée avec dodine. » 99 De grasse apparence. 100 Sauce à la cannelle et au gingembre <note 98>. 101 La plus grande partie de son corps fut accommodée. 102 Sauce à l’oignon et au pain grillé <n. 98>. 103 Nous en avons prélevé une belle tranche. D’habitude, le vorace Cerbère n’attend pas que la sauce soit prête et que la viande soit cuite : « Et Cerbérus, ce faulx mâtin [ce perfide chien],/ A mengé le rost en la broche. » St Christofle. 104 La sauce piquante. La crétonnée est à base de grattons de porc. Chevalet recopia ces deux vers dans la Condamnacion de Bancquet : voir ma note 98. 105 Ragoût composé de morceaux de viande harigotés, c.-à-d. coupés en morceaux <n. 98>. 106 Éd : sallequine (Voir Marthe PAQUANT : Réforme, Humanisme, Renaissance, 2007, nº 65, p.190.) Plat composé de divers poissons <n. 98>. 107 Mélange d’épices réduites en poudre. Mais dans le Mystère des trois Doms, auquel avait collaboré Claude Chevalet, Pouldrefine est la « putain du bourreau » ; voyant un homme éventré, elle s’écrie telle une diablesse cannibale : « Ha ! quels boyaux à composer andouilles ! » Et devant un autre supplicié : « Bon seroyt pour le mettre au jus. » Quelques spectateurs devaient s’en souvenir, car les Trois Doms furent créés en 1509 à Romans-sur-Isère, et St Christofle en 1527 à Grenoble, non loin de Romans. Notons que dans ce mystère, Proserpine apportait déjà la preuve de ses talents culinaires : voir la note 173 des Trois amoureux de la croix. 108 Une petite chope de vin. 109 Somnoler. 110 Grogne. 111 Nous sommes restés à table si longtemps que notre estomac gonfla. 112 Sont vides. « Voylà nostre bourse à basac. » St Christofle. 113 Ailleurs, ce titre désigne Cerbère : « Toy, Cerbérus, prince des chiens. » Or, le portier des Enfers était présent au banquet de relevailles, comme il le confirme aux vers 193-6. Le seul qui ne pouvait y être à cause de ses chaînes, c’est ce goinfre de Lucifer, qui est donc ici visé ; on le traite d’ailleurs de chien quatre vers plus bas. 114 Éd : de conuoyes (Lucifer, si tu avais été de ce banquet, glouton comme tu l’es. « Je ne semons [n’invite] en mon convive/ Que tous bons rustres avoyés. » Bon Temps.) 115 Que nous aurions le ventre vide. « Je n’ay mangé que tout à point ;/ Encor y a-il ung boyau vuyde. » La Condamnacion de Bancquet. 116 Un mâtin est un gros chien. Les révoltes contre Lucifer sont fréquentes mais brèves. 117 Éd : estre (Satan est le diable principal, après Lucifer — dont il est le lieutenant, et qu’il voudrait bien évincer.) 118 Éd : Dauoir (Je veux en avoir la première bouchée.) 119 Du royaume infernal. 120 Si elles ont été souvent à Reims. Calembour sur les reins du vers 186. Cf. L’Andureau et L’Andurée, vers 467. 121 Désormais.
L’AVEUGLE ET PICOLIN
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L’AVEUGLE
ET PICOLIN
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Dans sa Vie de sainct Christofle (~1510-1514), Claude Chevalet nous donne en exemple un clochard aveugle et son valet, qui profitent de la naïveté des chrétiens. Ce duo comique intervient dans beaucoup de farces et de mystères : voir la notice de l’Aveugle, son Varlet et une Tripière.
Source : La Vie de sainct Christofle, élégamment composée en rime françoise et par personnages par maistre Chevalet. Imprimé à Grenoble en 1530. Bibliothèque nationale de France, Rés. Yf. 116. Édition critique de Pierre SERVET : La Vie de sainct Christofle ; Droz, 2006.
Structure : Rimes plates, avec 2 triolets.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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Deux mendiants — un vieil aveugle et son valet — sont assis par terre, dans la rue. L’aveugle porte une vielle en bandoulière ; Picolin boit à une énorme bouteille, puis il la repose discrètement près de son maître.
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PICOLIN SCÈNE I
Nous deussions bien amasser mousse1 :
On ne bouge plus d’une place.
L’AVEUGLE
Que diable veulx-tu que je face ?
Tous les jours courons par ces portes2,
5 Mais les aulmosnes sont si courtes
Que vers nous ne peuvent venir.
PICOLIN
Vous voulez-vous icy tenir
Pour les avoir ? On les vous forge3 !
Ne faictes que bailler la gorge4 :
10 Vous aurez vostre compte rond
Pour avaller…
L’AVEUGLE
Quoy ?
PICOLIN
Ung estront,
Affin que bien vous le sachez !
Car (par Dieu !) si vous ne marchez,
Je ne sçay plus de quel boys tordre5.
L’AVEUGLE
15 Et ! comment ? N’avons-nous que mordre
Ne que boyre en la bouteille ?
Ce seroit une grant merveille
Qu’elle fust vuyde, somme toute !
PICOLIN
Il n’en y6 a pas une goutte :
20 Soyez seur qu’ell’ est despêchée.
L’AVEUGLE
Ta gorge l’a ainsi séchée ;
Elle porte ung mauvais vent.
PYCOLIN
Ou vous la baisez7 trop souvent,
Dont nous vient celle sécheresse.
25 Cuydez-vous que le vin y croisse,
De tousjours oster et rien mettre ?
L’AVEUGLE
C’est trop hault parlé à son maistre !
Pour te déclairer la teneur8,
Tu ne me porte point d’honneur,
30 Puisqu’il convient que je le die.
PICOLIN
Et quel honneur (maulgré ma vie !)
Voulez-vous donc que je vous face ?
Je vous ay servy long espace9 ;
Et si, n’ay ne denier ne maille10.
L’AVEUGLE
35 Je n’ay rien que je ne te baille,
Soit ou andoulle11 ou jambon.
Et qui nous donne rien de bon12,
Tu en as le premier lopin.
PICOLIN
Le premier ? Non ay, par Jupin !
40 Le premier n’a garde de choir :
Vous le prenez sur mon trenchoir13
Aulcuneffoys, par souspeçon14.
L’AVEUGLE
Tu es cault15 — j’entens bien le son —,
Et prens du meilleur qu’on me baille.
45 Mais allons avant, ne te chaille,
Pour sçavoir s’on nous donra rien16.
PICOLIN
A ! par Dieu, je vous entens bien !
Vous ne demandez que desbat17.
L’AVEUGLE
Je ne le dis que pour esbat18,
50 Puisque la matière est ouverte19.
Mais tu as la teste si verte20
Et si creuse que c’est pitié !
PICOLIN
Vous l’avez pire la moytié,
Et l’aurez tant que vous vivrez.
55 Despêchez-vous et me suyvez,
Ou (par Dieu) je vous laisseray.
L’AVEUGLE
Allons ! Car je ne cesseray
De faire sonner ma vïelle21
Tant que j[’en] aye ou pied ou hèle22
60 — Dont tu auras tousjours ta part.
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PICOLIN SCÈNE II
Si vostre vï[e]lle fust preste,
Nous eussions escus à milliers :
Ne voyez-vous ces chevaliers ?
Allez leur dire23 une note !
L’AVEUGLE
65 Comment dea, « voyr » ? Je n’y voy goutte
Autant du cul que de la teste24 !
Mais encores es-tu plus beste
De me dire que je le[s] voye.
PICOLIN
Disons quelque chançon qu’on oye,
70 Affin que nous ayons argent.
L’AVEUGLE
« Donnez au pouvre indigent
(Mes beaulx seigneurs) qui ne voit rien,
Une maille ! »
PICOLIN
[Ung] estront de chien !
Demandez plus grosse monnoye !
75 Et parlez hault — qu’on ne vous oye25 —,
Sans demander denier ne maille26 !
L’AVEUGLE
Et ! cuyde-tu bien qu’on nous baille
Escus ?
PICOLIN
Et pourquoy non, beau sire ?
Il n’en griève non plus à dire
80 « Ung ducat » qu’il fait « ung denier »27.
L’AVEUGLE
Dea ! si tu estois aulmonyer,
Je ne te cognois point si large
Qu’on eust de toy escu ne targe28 :
Tu es trop rouge à la taille29.
PICOLIN
85 Et s’il advient qu(e) escus on baille,
Maistre, les reffuserez-vous ?
L’AVEUGLE
Ce n’est pas monnoye pour nous,
Si tu entens le jobelin30.
PICOLIN
« En l’honneur du dieu Apolin,
90 Et d’Herculès le fort géant,
Donnez au pouvre non-voyant
— Qui a perdu le luminaire31
À la taverne pour trop boyre —
De voz ducatz une douzaine ! »
L’AVEUGLE
95 Mais ta forte fièbvre quartayne !
Tu me porte bien peu d’honneur !
Dy que je suis ung grant seigneur
Adveuglé par [la] tyrannye32
Des Turcs au siège d’Albanye :
100 Tu les en debvrois advertir.
PICOLIN
Que gaignerois-je de mentir ?
« Le vin l’a faict33, sans contredire !! »
L’AVEUGLE
Vérité n’est pas belle à dire
Tousjours : il y a temps et lieu.
*
Les deux païens ont la chance de tomber sur des nouveaux chrétiens que leur conversion a rendus gâteux. Tous les quatre donnent leur bourse au mécréant Picolin.
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LE CONTE SCÈNE III
105 Tien, mon amy : prens cest[e] aulmosne !
GRACIEN
Et moy cela, que je te donne
En l’honneur de Jésus, mon maistre.
FLORIDÈS
Prens cela ! Pense de le mettre
En ton sac, pour te secourir.
BROADAS
110 Jésuchrist, qui voulut mourir34,
Veulle [ceste aumosne]35 en gré prendre !
L’AVEUGLE
Juppiter le vous veulle rendre,
Et Vénus, la belle déesse !36
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Je croy qu’il y a grant richesse ? SCÈNE IV
115 Regarde comme cecy poyse37 ;
Et affin qu’il n’y ai[t d]e noyse,
Ne me cache rien, somme toute.
PICOLIN
Jamais vous ne fustes sans doubte38
De moy et de voz compaignons.
120 Ce sont sachèz d’aulx39 et d’oignons
Qu’on vous a donné[z] pour bien boyre.
L’AVEUGLE
Le me cuyde-tu faire acroire ?
Encor n’a[s-]tu pas prou vescu40 !
Je cognoistray mieulx ung escu
125 Que tu ne feras ung patas41.
PICOLIN
Comment se fait cela ?
L’AVEUGLE
Au tas[t]42.
Car, combien que rien je n’y voye,
Je cognois la bonne monnoye
Comme le43 lièvre les brachetz.
130 Pour tant44, baille-moy ces sachetz,
Car je vueil garder le butin.
PICOLIN
Vous ne demandez que hutin45
Et noyse ! Pour vous advertir,
Si nous convient noz biens partir46,
135 Puisque n’avez en moy fiance.
L’AVEUGLE
Dea ! n’emporte point la finance !
As-tu entendu, mon varlet ?
Car si je te prens au collet,
Tu auras de moy la secousse47 !
140 Où es-tu, dis ? Hau48 !
PICOLIN
En Escosse !
Attendez-moy jusqu’à demain,
Car voicy ma dernière main49
Pour mon dé et pour ma chandelle50.
L’AVEUGLE
Approuche-toy, quant on t’appelle !
145 Me veulx-tu laisser tout seullet ?
PICOLIN
Tu as dit vray, Jehan de Nyvelle ! 51
L’AVEUGLE
Approuche-toy, quant on t’apelle !
PICOLIN
Par noz dieux ! il a la cervelle
Plus estourdie q’ung mullet.
L’AVEUGLE
150 Approuche-toy, quant on t’appelle !
Me veulx-tu laisser tout seullet ?
PICOLIN
À Dieu, maistre !
L’AVEUGLE
Hé, mon varlet !
Approuche-toy, et n’aye doubte52.
Tu scez bien que je n’y voy goutte
155 Nen plus53 q’une vielle lanterne.
Va me mener à la taverne :
Et là, nous burons ung tatin54,
Et partirons55 nostre butin
Ainsi que je deviseray56.
PICOLIN
160 Vous partirez ? Je choisiray !
Avez-vous ouÿ la teneur57 ?
Car à vous [n’]appartient l’honneur58 ;
La coustume [n’]est tousjours telle59.
L’AVEUGLE
Tu ne le dis que par cautelle60
165 Et pour me tromper, j’en suis seur.
PICOLIN
Comment ? M’appellez-vous « trompeur » ?
C’est pour recommencer la noyse !
L’AVEUGLE
Laissons cela, et que l’on voyse61
À la taverne, je le veulx !
170 Et là, nous despendrons62 tous deux
Tous les biens qu’on nous a donnéz.
*
Deux prostituées, que nous avons découvertes dans les Tyrans au bordeau, reversent aux mendiants une partie de l’argent qu’elles ont gagné à la sueur de leur… front.
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NYCETTE SCÈNE V
Il nous63 fauldroit donner, m’amye,
L’aulmosne à ces [deux] pouvres gens.
AQUELINE
C’est bien dit, car telz indigens
175 Ne sçavent de quoy desjuner.
NYCETTE
Tien, mon amy ! C’est pour disner.
Prie pour moy qui le te donne.
L’AVEUGLE
Grant mercy !64
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Juppin, quelle aulmosne ! SCÈNE VI
PICOLIN
Mais qu’elle [soit] monnoye exquise65,
180 Elle doit bien estre de mise66,
Puisqu’elle vient de telle main.
L’AVEUGLE
Ma foy ! j’en vueil faire demain
Ung brevet67 pour guérir des fièbvres.
PICOLIN
Morbieu ! il feroit sallir68 chièvres
185 Avant qu’ilz69 eussent queue levée.
L’AVEUGLE
Allons ail[l]eurs faire levée70,
Et jouerons de tricherie.
*
Le bourreau Morgalant et son valet Pascalet <voir L’Andureau et L’Andurée, vers 50-379> ont besoin d’aide pour charger une meule de moulin sur une claie tirée par deux chevaux. Ils aperçoivent les mendiants, au loin.
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PASQUALET SCÈNE VII
Çà, villain[s] ! Venez sans targer71
— Avant que je vous aille querre
190 Tous deux — pour charger ceste pierre !
Acoup ! Et soyez diligens !
L’AVEUGLE
A ! mon varlet, qui sont ces gens ?
J’ay paour que ce soient gens d’armes.
S’ilz nous preignent, ce sont les termes
195 De nous endosser de beau boys72 !
PYCOLIN, varlet de l’Aveugle.
Ce sont deux sergens (je les voys73)
Qui ont deux chevaulx, et la traŷne74
Dont au gibet souvent on meyne
Les larons. Av’ous entendu ?
MORGALANT
200 Vien çà ! Que tu soye pendu !
Me feras-tu mèshuy attendre ?
L’AVEUGLE
Hélas, nous veult-on mener pendre ?
Fuyons-nous-en, comment qu’il aille75 !
PASQUALET
Qu’en despit de la villennaille76 !
205 Vous fault-il tant de foys requerre77 ?
Venez, ou je vous iray querre,
Et tous deux prendray78 au collet !
PYCOLIN
C’est le bourreau et son varlet,
Mon maistre. Nous sommes perdus !
210 S’il nous prent, nous serons pendus,
Tant seullement pour la despoulle79.
L’AVEUGLE
Je vouldrois estre en la Poulle80,
Ou en mer, puis avoir bon vent !
MORGALANT
Avant, de par le Diable, avant,
215 Vostre seigneur et vostre maistre81 !
Et nous venez ayder à mettre
Ceste meulle sur ceste traŷne,
À celle fin que l’on la meyne
Au Roy, qui nous attent sans doubte82.
L’AVEUGLE
220 Hélas, Monsieur : je n’y voy goutte.
Laissez-moy, en l’honneur des dieux !
PASQUALET
Tu ne m(e) ayderas pas des yeulx83.
As-tu entendu, mon mignon ?
Prens delà, et ton compaignon !
225 Aultrement, il y aura noyse.
PYCOLIN
Ventre sainct Gris84, comme elle poise !
Je me suis quasi rompu l’anche85.
MORGALANT
Prenons chescum une gazanche86,
Et la bouterons en coulant87.
PASQUALET
230 C’est bien dict. Boutte, Morgalant,
Par cy, et chescum t’aydera.
Tenez, elle m’eschappera !
Que maulgré en ait Barratron88 !
MORGALANT
Vous ne valez pas ung estron !
235 Soustenez bien, et ne vous chaille !
Et ! voylà89 bien, vaille que vaille.
Mais j’ay cy rompu une veyne.
L’AVEUGLE
Or nous donnez, pour nostre peine,
Quelque chose en payement !
PASQUALET
240 Vous serez payé gayement
De la monnoye que je porte90 :
Tenez, tenez ! Voicy la sorte
Dont on paye telle canaille !
L’AVEUGLE
Pour Dieu, que plus on ne m’en baille !
245 Je vous quitte tout91, de ce pas !
PASCALET
Par noz dieux ! ne l’espargne92 pas :
Tout est à ton commandement93.
.
L’AVEUGLE SCÈNE VIII
Voylà « payé » trop lourdement !
Nous avons esté bien batus.
PYCOLIN
250 Voyre ? [Mais] vous94, par mon serment !
L’AVEUGLE
Voylà « payé » trop lourdement !
Et toy ?
PYCOLIN
Je [m’en fuis]95 vaillamment,
Aussi hardiment comme Artus96.
L’AVEUGLE
Voylà « payé » trop lourdement !
255 Nous avons esté bien batus.
PYCOLIN
Vous estiez encor plus testus97
De leur demander de l’argent !
Car vous sçavez bien q’ung sergent
N’a rien acoustumé que prendre.
*
1 Allusion au « proverbe commun qui dit que ‟pierre qui roule n’amasse mousse” ». (Jean Boyron.) « Nous n’amassons plus mousse. » St Christofle. 2 Nous mendions d’une porte à l’autre. Rime dauphinoise en -ourtes. 3 Réponse narquoise qu’on fait à une personne trop exigeante. Cf. le Sermon joyeux de bien boire, vers 189. 4 Vous vous contentez d’avancer votre gorge, comme un oisillon qui réclame la becquée. 5 De quel bois faire flèche. Cf. les Tyrans au bordeau, vers 127. 6 Éd : ny 7 Baiser la bouteille = boire. « Me fault ma bouteille baiser. » Mystère de St Clément de Metz. 8 Le point principal. Idem vers 161. 9 Pendant un long espace de temps. 10 Et pourtant, je n’ai ni un denier, ni un centime. Chevalet fait dire le même vers au valet des Basteleurs. 11 De l’andouille. 12 Quand on nous donne quelque chose de bon. 13 Après un banquet, on distribue aux pauvres les tranchoirs (ou tailloirs), épaisses tranches de pain qui ont tenu lieu d’assiettes, et sur lesquelles on abandonne quelques reliefs. 14 En soupçonnant que j’ai raflé le meilleur morceau. 15 Cauteleux, rusé. J’entends le son = je connais la chanson ! 16 Si on nous donnera quelque chose. 17 Vous ne cherchez que des disputes. 18 Que pour plaisanter. « Je ne l’ay faict que par esbat. » Deux jeunes femmes. 19 Puisque le sujet est abordé. 20 Si peu mûre. Cf. l’Arbalestre, vers 152 et note. 21 Éd : uiolle (La viole est un instrument aristocratique, alors que la vielle est populaire : c’est l’instrument dont les mendiants aveugles s’accompagnent pour chanter dans la rue. Je corrige la même faute au vers 61.) Si votre vielle était accordée. Dans l’Aveugle, sa Chambèrière et son Varlet (F 45), le valet accorde la vielle de l’aveugle : « Cependant, Gauguelu refait la vielle. / Quant [maintenant que] vostre vielle est refaicte,/ Quelque plaisante chansonnette/ Disons ! » 22 Jusqu’à ce que j’en obtienne une cuisse ou une aile. « Pour Dieu, donnez-moy cuisse ou elle ! » (Conversion S. Denis.) Cette expression culinaire signifie : obtenir quelque chose, si peu que ce soit. « Il en apporte ou pied ou elle. » Gournay et Micet. 23 Leur chanter. Rime dauphinoise en -oute : « Qu’il vous plaise dire une no[u]tte !/ Adieu vous dy, trèstous et toute ! » Le Roy des Sotz. 24 Quand Daru se fait passer pour un aveugle, il chante ceci : « (Je) ne voy où le pied je metz/ Non plus du cul que de la teste. » 25 Renversement de la formule consacrée : « Or parlez bas, qu’on ne vous oye ! » Le Vilain et la Tavernière. 26 Une monnaie trop faible. 27 Cela ne coûte pas plus de demander un ducat qu’un vulgaire denier. 28 Je ne sache pas que tu sois assez généreux pour qu’on ait de toi la moindre monnaie. « Il n’a escu ne targe : s’entend de ceux qui n’ont aucune monnoie. » Claude Fauchet. 29 Trop roublard. « Vous estes trop rouges en la taille. » Les Tyrans. 30 Si tu me comprends à demi-mot. Cf. les Tyrans au bordeau, vers 292. 31 La lumière, la vue. Cf. l’Aveugle et Saudret, vers 328. 32 Rendu aveugle par la barbarie des musulmans vis-à-vis des chrétiens. « Secourir les Christiens, oppresséz de la tyrannie des Turcz. » P. de Saint-Julien. 33 C’est le vin qui l’a rendu aveugle. 34 L’Église cautionne le suicide du Christ et celui des saints, mais elle condamne tous les autres. 35 Éd : laumosne (Veuille me tenir gré de l’aumône que je vous fais. La charité chrétienne n’est jamais désintéressée : on donne dans cette vie pour que ce don nous soit rendu au centuple dans l’autre vie.) 36 Les mendiants s’esquivent. C’est Picolin qui porte les quatre bourses. 37 Combien cela pèse, vaut. 38 Sans méfiance. 39 Des sachets d’ails. L’ail et l’oignon donnent soif : « L’oignon (…) est inflammatif & provoque la soif. » La Nef de Santé. 40 Tu n’as pas assez d’expérience pour me le faire croire. 41 Que tu ne reconnaîtrais un patac, une pièce de monnaie provençale qui avait cours jusqu’à Grenoble, où fut créé ce Mystère. « Deux deniers tournoys, ou ung patas. » Archives de l’Isère. 42 Au tact, au toucher. « Nostre sens du tast. » ATILF. 43 Éd : la (Comme le lièvre reconnaît les braquets, les chiens de chasse : à l’oreille.) 44 Pour cette raison. 45 Des affrontements. « Sans noyse et sans hutin. » ATILF. 46 Nous devons partager nos biens. Idem vers 158 et 160. 47 Je te pendrai. Dans ce Mystère, le roi dit au bourreau : « Ne luy donne point la secousse/ Jusqu’à ce qu’on donne l’assault./ Alors fais-luy prendre ung sault/ Au gibet. » 48 Interjection interpellative. « Où es-tu ? Hau ! » Les Basteleurs. 49 Mon ultime vol. « À l’insigne voleur, ô merveille profonde,/ Qui, compagnon d’honneur du Roy de tout le monde,/ Pour sa dernière main luy desroba les cieux. » César Nostradamus. 50 Pour mes menus plaisirs. Cf. Cuisine infernale, vers 38 et 152. 51 Étant donné que Picolin vouvoie toujours son maître, on peut conclure que nous avons ici le refrain d’une des chansons qui furent consacrées à Jean de Nivelle ; voir celle qui ouvre la farce du Pauvre et le Riche. Il en subsiste un vague écho dans le Démon travesti, du chanoine Jacques : « Tu n’es qu’un vray Jean de Nivelle. » 52 N’aie pas peur. Le vers suivant était prononcé par l’Aveugle de la Vie et passion de monseigneur sainct Didier, de Guillaume Flamang. 53 Pas plus. Cf. les Maraux enchesnéz, vers 258. 54 Nous boirons un coup. Cf. les Basteleurs, vers 227. 55 Nous partagerons (note 46). 56 Comme je le déciderai. 57 Le point principal. 58 L’honneur de partager notre butin ne vous appartient pas. 59 La coutume n’est pas immuable. Louis XII était alors en train de simplifier le droit coutumier ; voir la notice de Digeste Vieille. 60 Par ruse. 61 Et allons. 62 Nous dépenserons. 63 Éd : vous (Correction de P. Servet.) Il faudrait que nous donnions. 64 Les prostituées s’en vont. L’aveugle soupèse l’argent (vers 126). 65 Pour peu que ce soit une monnaie recherchée, rare (lat. exquisita). « Partout est la monnoye exquise :/ Le peuple n’a plus maille ne denier. » Eustache Deschamps. 66 Elle doit avoir cours. La monnaie que gagnent les prostituées circule très vite et n’a pas le temps d’être décriée. 67 Je veux pendre cette bourse à mon cou, comme une amulette miraculeuse. « Brevet, ou autre chose, qu’on pend au col (…) pour préserver ou guarir de quelque maladie ou poison. » Godefroy. 68 Saillir, couvrir. Lors de la saillie, les quadrupèdes femelles lèvent leur queue pour que le mâle puisse s’introduire. Picolin sous-entend que l’aveugle va vite en besogne, et oublie encore de partager. 69 Qu’elles. 70 Jouer aux cartes. 71 Sans tarder. 72 C’est la certitude qu’ils nous chargeront le dos de coups de bâtons. 73 Picolin n’y voit pas beaucoup mieux que son patron : les sergents sont immédiatement reconnaissables parce qu’ils portent une « masse » ou une « verge », ce qui n’est pas le cas des bourreaux. 74 La claie. Idem vers 217. Sur la peine infamante de la claie, voir la note 24 de Massons et charpentiers. Le roi Danus, qui est un raffiné, prépare à saint Christophe un supplice plus personnel : « Luy estachez [attachez-lui] une grant meulle/ De moulin (ainsi je le veulx)/ Par le col et par les cheveulx,/ Et le traŷnez par monts et vaulx/ À belles queues de chevaulx ! » 75 Quoi qu’il en soit. 76 N’en déplaise à cette canaille. « Paix, qu’en despit de Saturnus ! » St Christofle. 77 Faut-il vous requérir tant de fois ? 78 Éd : prendre 79 Pour que les bourreaux prennent nos dépouilles, nos vêtements. Cf. Gournay et Micet, vers 468 et 505. 80 Dans la région italienne des Pouilles : loin d’ici. 81 Allons, de par le Diable, qui est votre seigneur et maître ! 82 Sans craindre que nous ne venions pas. 83 Tu ne m’aideras pas avec tes yeux mais avec tes bras. 84 Par le ventre de saint François d’Assise. Dans une circonstance analogue, le Fol du mystère a lui aussi recours à ce juron chrétien : « Ventre sainct Gris, comme tu poyse ! » 85 La hanche. 86 Un pieu en bois pour faire levier. « Pour six grosses pièces de chane [chêne] appeléz gazanches pour besoigner esdits fossés de St-Just. » Marthe PAQUANT : Réforme, Humanisme, Renaissance, 2007, nº 65, p.191. 87 En la glissant sous la meule. 88 Les Mystères attribuent ce dieu fantaisiste aux musulmans, et en règle générale aux païens. Βάραθρον = gouffre. « Maulgré Barratron et Mercure ! » St Christofle. 89 Éd : uoyle la (C’est bien.) La meule est installée sur la claie. 90 Pascalet, qui tient un des pieux du v. 228, en donne des coups aux mendiants. Picolin s’abrite derrière son maître, lequel reçoit toute la bastonnade. 91 Je vous tiens quitte de tout paiement. « Je vous quitte tout pour sauver ma vie. » Le Nouveau Panurge. 92 Éd : lespargnez (Ne ménage pas mon paiement. Les hommes généreux disaient toujours : « N’espargnez pas ma bourse ! ») 93 À ton entier service. Les mendiants s’enfuient. 94 Vraiment ? Surtout vous. 95 fais (Je pris la fuite.) 96 Le roi Arthur ne fuyait jamais. 97 Éd : natus (« Fussiez-vous encor plus testu. » Le Nouveau marié.)
LES TYRANS AU BORDEAU
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LES TYRANS
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AU BORDEAU
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Les « tyrans » sont des reîtres de sac et de corde auxquels des notables qui ne veulent pas se salir les mains confient les basses besognes : service d’ordre, tortures, intimidations, meurtres, et tous les coups tordus que peuvent accomplir des miliciens au-dessus des lois. Les tyrans ne croient en rien, mais ils sont prêts à tout pour se procurer l’argent qu’ils dilapident à la taverne ou au bordel. À grand renfort d’argot1, ils mettent une joyeuse animation dans la Vie de sainct Christofle (~1510-1514), de Claude Chevalet : voir les vers 252-389 de L’Andureau et L’Andurée.
Source : La Vie de sainct Christofle, élégamment composée en rime françoise et par personnages par maistre Chevalet. Imprimé à Grenoble en 1530. Bibliothèque nationale de France, Rés. Yf. 116. * Édition critique de Pierre SERVET : La Vie de sainct Christofle ; Droz, 2006. * Lazare SAINÉAN publia mes actuels vers 1 à 215 dans les Sources de l’argot ancien, tome I, 1912, pp. 277-293. Son glossaire figure au tome II (1912), pp. 264-468. * Les mêmes vers se trouvent dans les Études de philologie comparée sur l’argot, de Francisque MICHEL, 1856, pp. xli-xlvi ; son dictionnaire, peu utile, occupe les pages 1-422. * Les vers 1 à 72 furent publiés et annotés par Jacques CHOCHEYRAS : le Théâtre religieux en Dauphiné ; Droz, 1975, pp. 270-272. * À titre de curiosité, ces mêmes vers agrémentaient déjà, en 1747, le tome III de l’Histoire du théâtre françois des frères PARFAICT, pp. 5-9. * Le Dictionnaire des Mystères, de Jules de DOUHET, reproduisit leur travail en 1854, pp. 234-236. Bref, cette longue scène argotique a intrigué beaucoup de monde, et elle le mérite.
Structure : Rimes abab/bcbc, rimes plates, avec 1 triolet.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
*
Barraquin est un spadassin picard. En l’absence de guerre, les temps sont durs pour les aventuriers de son espèce, qui doivent se reconvertir en « escorcheurs » et autres « routiers » ; aussi, Barraquin est devenu bandit de grands chemins. Ses proies sont elles-mêmes des victimes de la paix : un soudard gascon nommé Brandimas, puis deux mercenaires en vadrouille — le Suisse allemand Fréminaud, et le Lombard Alibraquin. Leur langue commune est l’argot des truands, que l’auteur a surtout puisé dans les Ballades en jargon de François Villon — du moins dans celles qui étaient connues par l’édition de 1489.
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BARRAQUIN, premier tyrant. SCÈNE I
Hé ! Chou2 plais[t] Dieu ? Et qu’esche-chy ?
N’aray-je jamais de l’aubert3 ?
Je suis, en ce boys, tout transy.
Donc, j’ay fait endosse de vert4.
5 Je porte le cul descouvert5.
Mes tirandes6 sont desquirées ;
Les passans7 rompus : il y pert.
Et porte la lyme nouée8.
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BRANDIMAS, deuxiesme tirant. SCÈNE II
Tous mes grains9 ont pris la brouée.
10 Cap de Dio[u]10 ! tout est despendu :
J’ay mon arbaleste flouée11,
Et le galier piéçà vendu12.
Le ront13 est pelé et tondu,
[Et] mon comble14 est à la tâtière
15 Gagé15. Que ne suis-je pendu ?
Mon jorget16 n’a pièce entière.
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BARRAQUIN, assaillant. SCÈNE III
Demeure !
BRANDIMAS, défendant.
Tire-toy arrière !
BARRAQUIN
À mort, ribault !
BRANDIMAS
Rien de la main17 !
BARRAQUIN
Ha ! crapaudeau18 !
BRANDIMAS
Filz de loudière19 !
BARRAQUIN
20 Demeure !
BRANDIMAS
Tire-toy arrière !
BARRAQUIN
Quel mynois !
BRANDIMAS
Quel(le) fière manière !
BARRAQUIN
Es-tu narquin20 ?
BRANDIMAS
Ouÿ, compain21.
BARRAQUIN
Demeure !
BRA[N]DIMAS
Tire-toy arrière !
BARRAQUIN
À mort, ribault !
BRANDIMAS
Rien de la main !
BARRAQUIN
25 Broues-tu22 ?
BRANDIMAS
Je cours le terrain23.
BARRAQUIN
Où vas-tu ?
BRANDIMAS
À mon adventure.
BARRAQUIN
Tu es deschiré.
BRANDIMAS
Tout à plain,
De dormir vestu sur la dure24.
BARRAQUIN
Et ! par Juppiter, je te jure
30 Que j’en ay de mesme que ty25.
BRANDIMAS
Tout ung ?
BARRAQUIN
N’ayes paour.
BRANDIMAS
Je t’asseure.
BARRAQUIN
Me recognoys-tu point ?
BRANDIMAS
Nenny.
BARRAQUIN
« Gaulthier, où as-tu tant dormy ? »26
BRANDIMAS
Hé ! gueux, advance-moy la poue27 !
BARRAQUIN
35 Es-tu là ? Hé, hau ! chardemy28 !
BRANDIMAS
Il est bien force que l’on floue29.
BARRAQUIN
Où est Arquin ?
BRANDIMAS
Il fait la moue30
À la lune.
BARRAQUIN
Est-il au juc31 ?
BRANDIMAS
Il fust gruppé32, et mis en roue
40 Par deffault[e] d’ung allegruc33.
BARRAQUIN
Et toy ?
BRANDIMAS
J’eus longuement le pluc34
De pain et d’eau, tenant au[x] gectz35.
BARRAQUIN
Comment eschappas-tu ?
BRANDIMAS
Ce fut
Pour [perdre] une ance36 et [les fargets]37.
BARRAQUIN
45 Le rouastre38 et ses subjectz
Me mirent aux coffres massis39,
Par les piedz tenant aux gros septz40.
BRANDIMAS
Y couchas-tu ?
BARRAQUIN
J’estois assis41.
Quant ce vint entre cinq et six42,
50 Dedans les septz laissay ma guêtre43
Et, de paour d’estre circoncis
Des ances44, saultay la fenestre.
BRANDIMAS
Cela fust bien ung tour de maistre !
BARRAQUIN
Pourquoy ?
BRANDIMAS
Hé ! povre bérouart45 :
55 Ta sentence estoit [dé]jà preste ;
L’on n’atendoit que le télart46
Pour te pendre hault comme ung lart47,
Nonobstant tout ton babinage48.
BARRAQUIN
Je m’en brouay au Gourd Pïard 49.
BRANDIMAS
60 Et je demouray au passage.
BARRAQUIN
J’eschaquay50.
BRANDIMAS
Et j’estois en cage.
BARR[A]QUIN
Je piétonnay51 toute la nuict.
BRANDIMAS
Et l’embourreur52, pour tout potage,
Me mist dehors par saulconduyt53,
65 À torches54 de fer.
BARRAQUIN
Quel desduit55 !
BRANDIMAS
Tousjours, quant la guerre est finée,
L’on trouveroit de pain mal cuyt
Ainsi que nous une fournée56.
BARRAQUIN
Embuschons-nous soubz la feullée57
70 Pour attendre quelque syrois58.
BRANDIMAS
S’il avoit des grains, à l’emblée59,
On luy raseroit le mynois60.
.
…………………………….61
FRÉMINAUD SCÈNE IV
Je mengerois comme ung magot62,
Maintenant, si j’avoys chair crue,
75 Sans broc ne sans drinc63.
ALIBRAQUIN
Ydïot,
Espère que le temps se mue64 !
FRÉMINAUD
Bref, j’ayme mieulx que l’on me tue
Que d’estre tousjours en ce point.
ALIBRAQUIN
Il fera bien chault, se l’on sue,
80 Quant nous n’avons que le pourpoint65.
FRÉMINAUD
A ! capiteine…
ALIBRAQUIN
Mal en point66 !
FRÉMINAUD
Qu’avons-nous gaigné ?
ALIBRAQUIN
La veyrolle
Et la caquesangue67.
FRÉMINAUD
À point.
Et la roigne68
ALIBRAQUIN
Qui nous affolle.
FRÉMINAUD
85 Desplumés
ALIBRAQUIN
Affin qu’on ne volle.
FRÉMINAUD
Sans argent
ALIBRAQUIN 69
Pour courir les champs.
Sur la terre, [soit] dure ou molle70,
Nous dormons, comme chiens couchans71.
.
BARRAQUIN SCÈNE V
Brandimas, voicy des marchans :
90 Il est force qu’on les assaille.
BRANDIMAS
Quelz « marchans » ? Ce sont deux meschans72
Qui ne vallent pas une maille73.
BARRAQUIN
Sont-ilz affranchis de la taille74 ?
BRANDIMAS
L’on cognoit à leur haucqueton75
95 Que ce ne sont que quoquinaille76
Qui n’on[t] pas vaillant ung bouton.
BARRAQUIN
L’ung porte la peau d’ung mouton,
Et sa picque comme une Brode77.
BRANDIMAS
Et l’aultre, mynce78 de coton,
100 Est lombard : regardez sa mode79…
BARRAQUIN
Leurs soliers sont liéz de corde.
BRANDIMAS
Ilz sont pendans comme clabaulx80.
BARRAQUIN
Assaillons-les !
BRANDIMAS
Je m’y accorde.
BARRAQUIN
Sortons81 sus eulx !
.
BRANDIMAS SCÈNE VI
À mort, ribaulx !
FRÉMINAUD
105 Tu té riche82 ?
BRANDIMAS
Ouÿ, de beaulx83 !
BARRAQUIN
Çà84, le baston !
FRÉMINAUD
Gon [Goth zenand]85 !
BRANDIMAS
Ilz n’ont ne bonnetz, ne chapeaulx.
BARRAQUIN
Vien çà ! N’es-tu pas allemant ?
FRÉMINAUD
Ya, [ya], verlis86.
BRANDIMAS
L’abillement
110 Monstre que c’est ung vray droncart87.
BARRAQUIN
Et cestuy-cy ?
BRANDIMAS
Par mon serment !
Je le juge[asse] estre lombart88.
ALIBRAQUIN
Laissé-mé staré89 !
BARRAQUIN
A ! coquart90 !
BRANDIMAS
N’est-il pas vray ?
ALIBRAQUIN
Messéré, sy91.
BRANDIMAS
115 Ne vous tirez point à l’escart !
BARRAQUIN
N’ayez paour !
BRANDIMAS
Demourez icy !
BARRAQUIN
Ce sont bléfleurs92.
BRANDIMAS
Il est ainsi.
BARRAQUIN
Narquins93.
BRANDIMAS
De si près échicqués94
Que leur habit est tout transsy ;
120 Et sont, comme nous, desbifféz95.
BARRAQUIN
Je cognois à leurs afficquetz96,
En effect, qu’il n’y a que mordre97.
BRANDIMAS
L’on vous poindra, si vous picquez98 !
BARRAQUIN
Approuchez, vous estes de l’Ordre99 !
125 Et pensons comme[nt] nous ressourdre100
Pour brouer sur le hault verdis101.
FRÉMINAUD
Nous ne sçavons plus quel boys tordre102.
Les gueux103 sont friz, je le vous dis.
ALIBRAQUIN
La guerre nous eust104 desgourdis.
BRANDIMAS
130 Il fault que l’on y remédie.
FRÉMINAUD
Allons-nous-en, comme estourdis,
Tout droit à la mathe gaudie105.
BARRAQUIN
Va, va ! [tu iras]106 la landie
Ta mère !
BRANDIMAS
Nous irons aux changes107.
BARRAQUIN
135 As-tu de l’or, teste estourdie ?
BRANDIMAS
Nous en aurons à ces108 vendanges.
ALIBRAQUIN
Se le rouastre109 et ses anges
Nous trovoi[en]t à la Gourde Pie110…
BARRAQUIN
Ilz nous menroient à double renge
140 Liéz, pour faire la croppie111.
BRANDIMAS
Il vault trop mieulx que l’on espie
Ung bon marchant, et qu’on le guette.
FRÉMINAUD
Mais le prendre par112 la pépie
Pour luy empoigner sa bougette113.
ALIBRAQUIN
145 Embûchons-nous cy !
BARRAQUIN
Qu’on s’i mette !
Et que quelc’um d’entre nous aille
Pour nous apporter (sans brouette !)
Pain et vin, et autre victaille114.
BRANDIMAS
Va-y, toy-mesmes.
BARRAQUIN
Qu’on me baille
150 Argent !
BRANDIMAS
Tien, voylà dix deniers.
FRÉMINAUD
Sus, après !
BARRAQUIN
Je reçoys la taille115 :
Apportez escuz à milliers !
ALIBRAQUIN
Argent, qui en a ?
FRÉMINAUD
Voulentiers
Tiens ces six deniers !
ALIBRAQUIN
Prens ces quatre !
BARRAQUIN
155 Et j’en ay quatre tous entiers.
BRANDIMAS
Ce sont deux solz116, sans rien rabatre.
FRÉMINAUD
Prens-toy bien garde du rouastre !
ALIBRAQUIN
Et des anges !
BARRAQUIN
J[e] les cognois117.
BRANDIMAS
Ilz seroient batus comme plastre,
160 Par noz dieux, si je les tenois !
BARRAQUIN
Ne bougez d’icy ! Je m’en voys118.
Et quelque chose qu’il adviengne119,
Ne sortez point dehors du boys
Jusques à ce que je revienne !
*
En ville, Barraquin apprend que l’empereur de Rome recrute des « aventuriers » pour faire la guerre, et qu’ils seront bien rétribués.
.
BARRAQUIN SCÈNE VII
165 A ! par tous noz dieux ! Voicy rage,
Pour povres gallans morfondus120,
Qui ont tous leurs grains despendus
À la tâtière121, au temps passé.
……………………………
Hé ! Gueux ! Gueux ! Sus ! Bonnes novelles ! SCÈNE VIII
170 Laissez la feullade grant erre122,
Et vous en venez à la guerre,
Que l’Empereur a fait crier
À son de trompe et publier,
Dont mon cueur de joye tressaulte !
BRANDIMAS
175 Que n’avons-nous chescun sa gaulpe123
Pour triumpher sur le bigard124 !
FRÉMINAUD
Quelque grosse putain ribaulde
Prinse au fin fons du cagnart125 !
ALIBRAQUIN
Levons sus !
BRANDIMAS
Flouons du gigard126 !
FRÉMINAUD
180 Saultons !
ALIBRAQUIN
Aussi hault q’ung chevreau !
BRANDIMAS
Fy de pain bis127 !
FRÉMINAUD
Fy de viel lart !
BARRAQUIN
Que veulx-tu ?
ALIBRAQUIN
Belle chair de veau.
BARRAQUIN
Boyre bon vin.
BRANDIMAS
Voyre sans eau.
FRÉMINAUD
Et puys quoy ?
ALIBRAQUIN
Jouer au « billard128 ».
BARRAQUIN
185 Le pain croysé129 vient.
BRAN[D]IMAS
Chantons Nau130 !
FRÉMINAUD
Va, ruffïen !
ALIBRAQUIN
Mais toy, paillart !
BARRAQUIN
Sortons du boys !
BRANDIMAS
Laissons ce parc131 !
FRÉMINAUD
Brief132 il nous faul[t] avoir des pages.
ALIBRAQUIN
Il fault attendre, coquillard133 !
FRÉMINAUD
190 Et quoy ?
ALIBRAQUIN
Que nous ayons noz gaiges134.
BARRAQUIN
Nous sommes deffaiz135.
BRANDIMAS
Tous sauvages.
FRÉMINAUD
Nous n’avons pièce de harnoys.
BARRAQUIN
Allons, pour trouver avantages,
À l’Empereur : je le cognois.
ALIBRAQUIN
195 N’as-tu rien apporté ?
BARRAQUIN
Troys, troys136 !
Par noz dieux ! j’ay tout oublié,
Quant j’ay ouÿ à plaine voix
Qu’on a la guerre publié.
*
En se rendant chez l’empereur, les tyrans croisent la soldatesque, qui fait de même. Ils n’ont pas la conscience tranquille, et sous le coup de l’émotion, Barraquin retrouve son accent picard.
.
BARRAQUIN SCÈNE IX
Je quie de paour137, par noz dieux !
200 Ces gens viennent pour nous frapper.
Cheroit-che point le marïeux138
Qui vient ichy pour nous graffer139 ?
BRANDIMAS
S’il vient, qu’on pense de frapper,
Et nous deffendons corps pour corps !
205 Si nous nous laissons attraper
Aux140 raiz, lio[n]z, nous sommes mors !
L’ADMIRAL
Quelz grans ribaulx puissans et fors !
Regardez-moy leur contenance !
Ilz sont gens pour faire deffence,
210 S’ilz estoient ung peu mis en point.
Mais ilz n’ont robe, ne pourpoint,
[Ne] chausses, ne chemise entière.
……………………………….
Venez-vous-en donc avec moy !
Et vous aurez sçavez-vous quoy ?
215 Force d’aubert en la follouse141.
*
Les tyrans sont embauchés par l’empereur. Ayant la bourse et les bourses pleines, ils décident d’aller les vider au bordel. Ce lieu et ses pensionnaires sont peints sur le vif par un fin observateur, dans deux scènes dont l’intérêt n’a pas été suffisamment souligné : nous avons là le premier reportage qui donne la parole à des prostituées, sans critique sociale ni condamnation religieuse.
.
BARRAQUIN SCÈNE X
Nous « besoignerons » de courage142,
Puisque nous payez voulentiers.
Et cuyde que les taverniers
Et les putains y auront part.
BRANDIMAS
220 Allons !
FRÉMINAUD
Cherchons !
ALIBRAQUIN
Quoy ?
BARRAQUIN
Le cagnart143.
.
BRANDIMAS 144 SCÈNE XI
Il y a venaisonl45 nouvelle.
FRÉMINAUD
Et que voulez-vous, Damoiselle ?
Qu’actendez-vous ? Le picotin146 ?
AQUELINE
Je suis icy dès le matin,
225 Et si147, ne treuve point de gaing.
NYCÈTE
Av’ous à faire de putain ?
Voy-nous cy148, prestes [de] « combatre ».
ALIBRAQUIN
Ouÿ ; mais si nous sommes quatre,
Trouverons-nous chescum la sienne ?
MARRAGONDE, [maistresse du bordeau149, commence.]
230 On sera — de ce vous souvienne —
À la paille jusques au ventre150.
Venez hardiment ! Qu’on y entre,
Mais qu’ayez à force pécune151.
Ne serviray-je pas pour une ?
235 Je ne suis pas trop affoncée152.
BARRAQUIN
Juppin ! ell’ est si affamée
Qu’el153 l’avalleroit sans mascher !
MARRAGONDE
Si tu prens bien garde à ma chèr154,
Tu t’en servirois bien les festes155 ;
240 Car (par mon sacrement) vous estes
Assez mal séant[z] au mestier.
BRANDIMAS
Mais regardez ce gros fumier
Qui contrefaict de la mignonne !
AQUELINE
Hé ! quel marault !
NYCÈTE
Quel gros yvroigne !
MARRAGONDE
245 Pour faire ung ouvrage jà faict156 !
FRÉMINAUD
Allez, paillardes !
AQUELINE
Qu’il est lait !
ALIBRAQUIN
Allez, truandes !
NYCÈTE
Quel raclet
Pour souffler poil157 d’ung cul foireux !
BARRAQUIN
Dea ! ilz158 sont de séjour, ces deux !
250 Ilz enragent que l’on n’enrage.
MARRAGONDE
Tirez voz chausses159 !
AQUELINE
Au pilliage160,
Vous n’aurez de nous nul desduit.
BRANDIMAS
Allons !
NYCÈTE
Pissez161 toute la nuyct,
Et le ventre se vuydera.
FRÉMINAUD
255 Par le sang ! L’on vous frotera,
Et vous ferons cueillir les poix162 !
MARRAGONDE
Juppiter ! qu’il a bonne voix
À « combatre » comme vaillant !
AQUELINE
Il [ne] fuyroit, en assaillant :
260 C’est ung valeureux champïon.
NYCÈTE
Il est plus hardy q’ung chappon163 :
Garde, garde qu’il ne te « frappe164 » !
ALIBRAQUIN
On te batra !
MARAGONDE
Si je n’eschappe.
[BARRAQUIN165]
Ou si je ne [te]166 couche à terre.
BRANDIMAS
265 Ailleurs fault nostre desduyt querre167.
FRÉMINAUD
Nous ne sommes plus de recepte168.
AQUELINE
Pou169, le goulu !
NYCÈTE
Pou, la grant beste !
ALIBRAQUIN
Pou, le vil groing !
BARRAQUIN
Pou, viel carcas170 !
[Pou, loudière171 ! Pou, viel cabas172 !]
MARAGONDE
270 Fy du belin173 !
AQUELINE
Fy du sotart !
BRANDIMAS
Fy du cabas !
NYCÈTE
Fy du paillart !
*
Au fond de son cachot, saint Christophe refuse d’abjurer le christianisme. Le roi païen Danus va donc le soumettre à la tentation ; pour cela, il ordonne aux tyrans d’aller « quérir deux ou troys jeunes filles / Au bordeau » afin de déconvertir le saint. Naturellement, c’est l’ancien adorateur de Jupiter et de Satan qui va convertir les pécheresses, en deux répliques bâclées auxquelles on ne croit pas. Cette idée risible n’émane pas du mauvais esprit de Claude Chevalet : toutes les hagiographies de saint Christophe en rendent compte.
.
FRÉMINAUD SCÈNE XII
Nous cognoissons tel marchandise
Mieulx que nous ne faisons satin174 :
Elles ont de nostre butin
275 Plus souvent que n’ont pas les prebstres !
………………………………..
BARRAQUIN
Vous aurez tantost marée fresche175,
Puisqu’il fault qu’on s’i détermine ;
Mais ce n’est pas de la marine176,
Vous entendez bien la raison.
.
BRANDIMAS SCÈNE XIII
280 Sus, allons à la venaison177 !
Entendez-vous, mes compaignons ?
Si nous n’y mettons des oignons,
Nous y mettrons du « vin » à force178.
FRÉMINAUD
Je n’en donne pas une [e]scorce,
285 Mais179 que la besoigne soit faicte.
.
MARRAGONDE, maistresse du bordeau, commence.
Aqueline, et vous, Nycette, SCÈNE XIV
Que faictes-vous icy seullettes ?
Vous sçavez qu’entre vous, fillettes180,
Debvez — pour avoir bon encontre181 —
290 Faire de voz corps belle monstre
Pour amener l’eau au moulin.
Car qui n’entent le jobelin182
N’a garde de prendre la caille183.
AQUELINE
Nostre mestier ne vault pas maille ;
295 Et pour cela, tout bien nous fault184.
Il n’y a si meschant briffault185
En la ville (c’est la manière)
Qui n’ait maistresse ou chamb[è]rière,
Ou toutes deux à ung besoing186.
300 Si ne leur fault pas aller loing
Pour estre fourny[s] de femelles.
NYCETTE
Voyre. Et puis ces macquerelles
En fournissent secrètement,
À bon marché et largement,
305 Et en font tous les jours la vante.
Il n’est celuy187 qui ne se vante
D’avoir chair fresche à [son] plaisir.
Si avons icy bon loysir
De piller188 le sucre à la porte !
MARRAGONDE
310 Allez, le diable vous emporte !
Tousjours vient-il quelque paillart.
Si vous ne sçavez faire l’art,
Serrez189 hardiment la boutique !
Car il fault faire la praticque190,
315 Au moins, si vous voulez gaigner.
AQUELINE
Huy, je ne gaignay ung denier,
Maistresse. A[vez-]vous entendu ?
Et croy que mon « engin fendu191 »
Me lairra192 mourir de famyne.
MARRAGONDE
320 Tu ne vaulx plus rien, Aqueline ;
Et ! j’ay veu que tu faisois rage193.
Que ne farde-tu ton visage
Pour attraper quelque grant blanc194,
Ou leur monstrer si beau semblant195
325 Que chescum y courre à [grant] haste ?
NYCETTE
Il y a ung point qui nous gaste,
Maistresse, dont je deviens folle.
MARRAGONDE
Quoy doncques ?
NYCETTE
La grosse vérolle196,
Que l’on [doit aux]197 Neapolitains :
330 C’est ce qui gaste les putains,
Car chescum s’en cuyde garder198.
AQUELINE
J’ay veu qu’il souloit aborder
En ce bordeau gens à puissance199 ;
Mais maintenant, selon l’usance,
335 Des bordeaulx y a plus de mille.
MARRAGONDE
Où sont-ilz ?
NYCÈTE
Par toute la ville ;
Et tant, que je ne m’y cognois.
Chescune200 y fourbit son « harnoys »,
Et mesmement les vielz escus201.
AQUELINE
340 Et puis ces marchandes de culz
Gastent maintenant le potage.
C’est ce qui nous porte dommage,
Maistraisse, je le vous plévis202.
NYCETTE
De ce que je gaigne, je vis.
345 La reste, en l’honneur de [no]z dieux,
Je donne aux pouvres pour le mieulx,
Tous les jours ordinairement.
AQUELINE
Et moy aussi, pareillement.
Je n’en prens rien — voylà la note —
350 Fors que ma vie203, somme toute.
Aultres biens n’en ay retenus.
Si, prie la belle Vénus
De nous donner bonne adventure,
De laquelle la pourtraicture
355 J’ay to[u]sjours en grant révérence.
MARRAGONDE 204
Or paix, et tenez contenance !
Et de ce faict, plus ne parlez !
Car voicy des gens du Palais205
Qui vous viennent revisiter206.
360 Et pour ce, s’en fault acquiter
Et entretenir doulcement.
NYCETTE
Laissez-les venir hardiment,
Car nous leur ferons bonne myne.
Allons au-devant, Aqueline,
365 Et les recepvons bien et beau !
.
ALIBRAQUIN SCÈNE XV
Compaignons, voylà le bordeau.
Les fillettes sont là, à l’huys.
Si les emmenrons, si je puys :
Elles ne se peuvent cacher.
BARRAQUIN 207
370 Voyre ! Qui les devroit chercher
Jusques au fin fons du caignart208,
Nous flouerons sur le bigart209
En quelque coing, sur la paillade210.
BRANDIMAS
Deux à deux, chescum sa paillarde !
375 Il n’est [pas d’]aultre vie au monde.
.
FRÉMINAUD SCÈNE XVI
Hau ! Que faictes-vous, Marragonde ?
Enseignez-moy ce que je cherche :
S’il y a point céans chair fresche,
Faictes cy la venir en champt211 !
MARRAGONDE
380 Quelz gallans pour tenir le ranc212 !
Je n’en fais mise ne recepte213.
Voylà Aqueline et Nycette
Qui ne demandent que la jouste214.
ALIBRAQUIN
Est-il vray ?
AQUELINE
Que tu es fin ho[u]ste215 !
385 Tu sces ailleurs où te repaistre :
Les garces ne sont pas sans maistre,
Qui tombent dedans ton lïen.
NYCETTE 216
Quant à luy, pour ung ruffïen217
Il est parfaict, je le suppose.
ALIBRAQUIN
390 Mais toy, tu ne vis d’aultre chose !
Que vas-tu broullant le papier218 ?
BRANDIMAS
Va[-t’en] prendre garde au clappier219,
Et te prens avec ta pareille220 !
MARRAGONDE
Il n’ayme plus que la bouteille :
395 Son « instrument » est desmanché221.
FRÉMINAUD
Par noz dieux, c’est trop [d]estaché222 !
Laissons ces argumens cornus223.
ALIBRAQUIN
Marragonde : le roy Danus,
Par manière de nous esbatre,
400 Nous a cy envoyé tous quatre
Pour luy mener .II. de voz garces.
MARRAGONDE
A ! Alibraquin, tu te farces ;
Mais farceurs sont tousjours farcéz.
Le Roy a de la « chair » assez ;
405 Il ne luy fault rien que du « pain224 »…
BARRAQUIN
Pour vous le dire tout à plain,
Il dit vray, et je le tesmoigne :
Le Roy, pour aucune besoigne225,
Les veult avoir. Voylà le point.
MARRAGONDE
410 A ! que mauldict soit le tesmoing
Qui vient avant qu’on le demande !
BARRAQUIN
Vous mocquez-vous de moy, truande ?
Que le feu d’enfer vous allume !
Par tous noz dieux, si je me fume226,
415 Il vous vauldroit mieulx estre à Romme227 !
MARRAGONDE
« Trois Mouches, tenez-moy cest homme »228
Qui monstre si terrible myne !
BRANDIMAS
Sus, [sus] ! Nycette et Aqueline,
Venez, car il nous fault aller
420 Tout maintenant au Roy parler.
Venez-vous-en légièrement229 !
NYCETTE
Mais que nous veult-il, voyrement ?
Dictes-le-moy ains230 que g’y aille.
FRÉMINAUD
On le vous dira, ne vous chaille,
425 Sitost que serez à la Court.
ALIBRAQUIN
Dépeschez-vous, faictes-le court !
Venez au Roy à diligence !
AQUELINE
Nous luy ferons obéyssance ;
Et si, ne dirons point de « non ».
430 Puisque vous venez à son nom,
Nous y irons sans plus de plait231.
MARRAGONDE
Au moins, quant vous en aurez faict,
Retournez céans avec elles ;
Et les rendez232 aussi pucelles
435 Comme céans les aurez prises !
BARRAQUIN
Marragonde, tu en devises
À ton aise, pour tout potage.
Mais au regart du pucellage,
Aussi [bien eusses-tu]233 de cotte !
BRANDIMAS
440 Je voys prendre ceste mygnotte.
FRÉMINAUD
Et j’auray ceste-cy pour moy.
.
ALIBRAQUIN SCÈNE XVII
Or nous en allons vers le Roy,
Maintenant, à tout nostre espice234.
NYCETTE
Allons, pour luy faire service,
445 Puisqu’ainsi est que vous le dictes.
BARRAQUIN
Nous n’y irons point comme hermites235,
Ne comme le « faulcon » sans proye236.
.
BRANDIMAS SCÈNE XVIII
Les dieux veu[i]llent tenir en joye
Et en to[u]te prospérité
450 Danus — roy de ceste cité —,
Ses chevaliers et ses barons !
Chier sire, nous vous amenons
Ces gracïeuses jouvencelles.
Pourtant s’elles237 ne sont pucelles,
455 Elles n’en vallent guères mieulx.
*
Le roi explique aux deux prostituées qu’elle vont devoir induire le géant saint Christophe à la tentation. Voyant qu’on ne peut se passer de leurs services, elles tentent d’obtenir une prime de risque.
.
AQUELINE SCÈNE XIX
Pour vous nous voulons travaillier,
Et pour avoir des dieux la grâce.
Mais j’ay paour qu’il ne nous mefface238,
Puisqu’il est si grant que vous dictes,
460 Et nous sommes femmes petites :
S’il vient à nous, nous en mourrons.
NYCETTE
Elle dit vray : nous ne pourrons
Fournir à son esbatement.
Car s’il a si grant instrument
465 Comme il est grant, je me fais forte
Que je vaulx une femme morte !
Ce n’est pas cela que je serche239.
NYCOSTRATÈS
Je n’en vis [onc périr]240 en perche,
De femmes, quoy que vous di[si]ez.
470 Allez, et ne vous soulcÿez,
Car de la mort je vous asseure241.
ÉPIGRAMUS
Elle n’a garde qu’elle [en] meure,
Quelque chose qu’elle en caquette242.
Mais ell’ est [bien] rusée et faicte243,
475 On le cognoit à son langaige.
ORLANT
S’elles en meurent, si feray-je244,
N’est-il pas vray ? Vous le sçavez :
Car je cuyde que vous avez
Ung bon « engin », pour bien comprendre…
SÉRAPION
480 N’ayez soulcy : le cuyr est tendre245
Mieulx que celuy du pelletier.
Et sçavez selon le mestier,
Ma fille, qu’il n’y a nulz ots246.
ORLANT
Par noz dieux ! il seroit bien gros,
485 S’elles en faisoient deux morceaulx247 !
N’est-il pas vray ?
AQUELINE
Ouÿ, de beaulx248 !
Vous en devisez à vostre aise ;
Toutesfoys (au Roy ne desplaise),
Vous ne dictes chose qui vaille.
LE ROY DANUS
490 Allez-vous-en249, et ne vous chaille !
Car si les dieux vous donnent grâce,
Que ma voulenté se parface250 :
Vous aurez des biens largement,
Et vous mariray richement,
495 Pour estre de chescum prisées.
NYCETTE
Nous sommes de ce faict rusées251 ;
Et croy — qui nous y conduyra252 —,
L’une ou l’aultre le sesduyra,
Ou je seray bien esbahye.
AQUELINE
500 Il sera de nostre abbaye253,
Et fust-il encor plus bigot !
Je ne vueil seullement q’ung mot254
Pour faire lever la « cropière255 ».
NYCETTE
Chescune est si bonne ouvrière,
505 Pour le vous donner à entendre,
Qu’il ne nous convient rien aprendre256 :
Nous sommes maistresses du « cas257 ».
*
Le messager Sautereau <voir L’Andureau et L’Andurée, vers 1-41> conduit les filles devant la porte de la prison, gardée par le geôlier Mallepart <L’Andureau, vers 253-380>.
.
SAUTEREAU SCÈNE XX
Je soulois estre messagier258 ;
Mais259, je suis ung chasse-marée.
………………………………
510 Vous ferez la beste à deux do[u]s260.
NYCETTE
Pensez qu’on met quatre genoulx261,
Bien souvent, dedans ma chemise.
Mais si tu apperçoys la prise,
Corne262 hardiment par-derrière !
SAUTEREAU
515 Par noz dieux, tu es fine263 ouvrière !
Laisse ce264, le diable t’emporte !
.
Hau ! Mallepar[t] ! Ouvre ta porte SCÈNE XXI
À ces fillettes de chemyn,
Qui ont faict sur leur « parchemin
520 Velu »265 souventeffoys escripre !
MALLEPART
Je ne me puis tenir de rire
Quant je te voy, pouvre lourdeau :
Es-tu devenu macquereau ?
Ne scez-tu d’aultre mestier vivre ?
*
1 Sur l’argot dans les Mystères, voir la notice de Gautier et Martin. 2 Éd : chouq (Dialecte picard : « Cela plaît-il à Dieu ? Et qu’est-ce-ci ? ») 3 De l’argent. Même mot d’argot à 215. 4 En dormant par terre, je me suis fait un manteau d’herbe. « Je seray de verd affublée. » (Les Femmes qui plantent leurs maris.) Jeu de mots sur le vair, une coûteuse fourrure d’écureuil. 5 Mon haut-de-chausses est décousu. 6 Mes chausses, sur lesquelles je tire pour les ajuster : cf. Gournay et Micet, vers 411 et 484. Desquiré = déchiré. Au vers 27, l’éditeur n’a pas reproduit cette prononciation picarde. 7 Mes souliers. Il y pert = cela se voit (verbe paroir). 8 Je porte ma chemise nouée. Un loqueteux noue ensemble les lambeaux de sa chemise décousue : « La robe en plusieurs lieux trouée,/ Et la chemise renouée. » Le Capitaine Mal-en-point. 9 Mes écus d’or, dorés comme des grains de blé. Même mot d’argot aux vers 71 et 167. Prendre la brouée = prendre la fuite. 10 Par la tête de Dieu ! Juron gascon. Dépendu = dépensé ; idem vers 167. 11 J’ai joué (et perdu) mon arbalète. Même verbe argotique aux vers 36, 179 et 372. 12 Et j’ai depuis longtemps vendu mon cheval. 13 Mon manteau. Cf. Gournay et Micet, vers 372. Sainéan définit ce mot « sou », Chocheyras « visage », et Auguste Vitu « chapeau ». 14 Mon chapeau, qui surmonte l’édifice. 15 Éd : Oray (Tâtière = taverne ; même mot d’argot à 168. Boire du vin se dit taster.) Les clients insolvables laissent un vêtement en gage au tavernier : cf. Massons et charpentiers, vers 234, 242 et 312. 16 Mon pourpoint. « (En tant que bourreau,) c’est le fruict de mon bénéfice/ D’avoir le jorget, les tirandes [chausses]. » St Christofle. 17 Tu n’auras rien de ma main. 18 Petit crapaud : nom affectueux que Lucifer donne aux diables. Cf. la Chanson des dyables, vers 22. 19 Fils de pute. 20 « Narquin (…), qui signifie mandian contrefaisant le soldat détroussé. » (Laurens Bouchel.) Même mot d’argot à 118. 21 Compagnon d’infortune. 22 Es-tu en fuite ? Même verbe argotique à 59. 23 Je traverse le territoire. Cf. Gautier et Martin, vers 85. 24 Par terre. Cf. les Maraux enchesnéz, vers 172. 25 Que toi <picardisme>. Cf. le Pasté et la tarte, vers 237 et 278. 26 Nous avons là un « mot du guet », c’est-à-dire une phrase absurde que les soldats utilisent comme mot de passe pour se reconnaître. « Mais nul quidam ne s’apareille/ À me dire le mot du guet. » (La Fille esgarée.) Les deux grognards, qui ont fait la guerre et des pillages ensemble, se reconnaissent. 27 La patte : serre-moi la main. Cf. Gournay et Micet, vers 478. 28 Par la chair de moi ! Juron picard. 29 Que nous jouions aux dés <note 11>, pour fêter nos retrouvailles entre tricheurs. 30 La grimace, comme tous les suppliciés. « Et vous gardez bien de la roue,/ Qui aux sires plante ses gris [ses griffes]/ En leur faisant faire la moue. » Villon, Jargon 6. 31 Perché sur une potence. 32 Capturé. 33 Et roué vif faute de gibet. « Ou par deffaulte du bourreau. » (Saoul-d’ouvrer et Maudollé.) « À la branche du allegruc,/ Pour faire la moue aux planettes. » St Christofle. 34 Le gain. J’ai été emprisonné au pain sec et à l’eau. 35 À cause de mes tricheries aux dés. On jette les dés sur la table : « Par sort et ject des déz vous faictes voz jugemens. » Rabelais, Tiers Livre, 40. 36 En y laissant une oreille <note 44>. On coupe une oreille aux voleurs, et la deuxième aux récidivistes. Le comédien porte donc son bonnet incliné sur une oreille. 37 Éd : lesparges (En y laissant mes cheveux.) Par commodité ou pour les humilier, le bourreau tond les condamnés qu’il va essoriller, décapiter ou pendre. « De voz fargés serez bésifles [rasés],/ Tout debout [pendus] et nompas assis [dans une basse-fosse]. » Villon, Jargon 4. 38 Le prévôt, le chef de la police. Même mot d’argot aux vers 137 et 157. 39 Dans leurs cachots aux murs massifs. « Gardez-vous des coffres massis ! » Villon, Jargon 4. 40 Les ceps sont des planches qui entravent les chevilles des prisonniers. Idem vers 50. 41 Les ceps étant horizontaux, ceux qui en sont entravés ne peuvent allonger leurs jambes. « Les piéz ès ceps, qu’il ne se couche. » Mystère de saint Remi. 42 Entre 5 h et 6 h. « Entre sis et sept, c’est bonne heure. » Le Poulier à sis personnages. 43 Le dessus de mes chaussures. Tirer ses guêtres = déguerpir. 44 De peur qu’on me coupe les oreilles, comme aux voleurs <note 36>. « Eschéquez-moy tost ces coffres massis [évitez ces cachots] :/ Car vendengeurs [coupeurs de bourses] des ances circuncis/ S’en brouent [s’enfuient] du tout à néant. » Villon, Jargon 1. 45 Jobard. 46 Le bourreau. « Que le télart et le rouastre [le prévôt]/ Vous estranglent ! » St Christofle. 47 Pour fumer le lard, on le pend à l’intérieur d’une cheminée, suffisamment haut pour qu’il ne fonde pas. 48 Tes aveux. 49 Je m’en allai à la Bonne Pie. « Et brouons à la Gourde Pyenche. » (Les Premiers gardonnéz.) Sur les dérivés argotiques de ce nom de taverne, voir la note 50 de Trote-menu et Mirre-loret. Notre vers 138 en fournit une autre forme : la Gourde Pie. 50 Je me mis à l’abri (Chocheyras). « Et eschicquez tost en brouant [fuyant]. » Villon, Jargon 2. 51 Je marchai. « Et piétonnez au large sus les champs. » Villon, Jargon 1. 52 Le bourreau. Pour tout potage = en tout et pour tout ; idem vers 437. 53 Grâce à un sauf-conduit, une lettre de rémission. 54 À coups de barre. Cf. les Brus, vers 220. 55 Quel plaisir. Idem vers 252 et 265. 56 On trouverait, comme nous, une fournée de pain mal cuit. En temps de guerre, les soudards réquisitionnent ou dérobent le meilleur pain. 57 Embusquons-nous sous la feuillée. Nos détrousseurs se cachent aux abords d’un chemin forestier. 58 Quelque dupe. « S’il venoit quelque gourt [riche] siroys/ De qui nous fussions estrénéz [récompensés]. » Les Coquins. 59 Des écus d’or <note 9>, à la dérobée. 60 On lui couperait la tête. Idem vers 21. Sainéan : « Visage, nez. » 61 Je saute un dialogue d’une vingtaine de vers entre le Suisse allemand Fréminaud, et le Lombard Alibraquin, qualifiés respectivement de 3ème et 4ème tyrans : l’éditeur n’y a visiblement rien compris, et il a fait n’importe quoi. 62 Comme un singe, salement. 63 Sans pain ni sans boisson. Dans son baragouin teuton, le Suisse disait un peu plus tôt : « Je n’ay broc ne drinc, à ceste foys./ Par my foy, je suis mort de fain. » 64 Que les temps deviennent meilleurs : que la guerre revienne enfin. 65 Alors que nous n’avons pas de manteau sur notre pourpoint. 66 La farce du Capitaine Mal-en-point fut écrite peu après 1516. Mais ce capitaine en guenilles était déjà connu de Claude Chevalet, qui avait collaboré en 1509 au Mystère des trois Doms, dans lequel est incluse une farce de Baudet, Blondète et Mal-enpoint. 67 La dysenterie. Les soldats français rapportèrent ces maladies des guerres d’Italie. Nous ne sommes plus à un anachronisme près. 68 La rogne est une maladie de peau due au mal de Naples : « Que la maudicte roigne,/ Grayne de Naples, vous tiengne sans respit ! » André de La Vigne. 69 L’imprimeur descend cette rubrique sous le vers, qu’il répartit pourtant sur 2 lignes. 70 « Et arriva, soit dur ou mol,/ Emprès une grant vieille porte. » Les Repues franches de maistre Françoys Villon. 71 « Comme beaulx chiens couchans,/ (ils) coucheront de nuict par les champs. » St Christofle. 72 Deux misérables. 73 Un centime. Idem vers 294. 74 De nous verser un péage. Idem vers 151. 75 On voit à leur hoqueton. Ce corset militaire n’est visible que si le pourpoint est déchiré. 76 Que des mendiants. Cf. Turelututu et Granche-vuyde, vers 90 et 275. 77 Comme un « lustiger Bruder », un joyeux drille allemand. « Aller rompre la teste à ces Brodes allemandes. » Jean Le Frère. 78 Dépourvu. Cf. le Mince de quaire. 79 Sa dégaine. La « mode lombarde », ou « mode milanaise », n’est pas que vestimentaire : elle symbolise également l’homosexualité. 80 Comme les oreilles d’un chien. 81 Faisons une sortie, une attaque. 82 L’Allemand a peut-être dit : « Unter-Richter ? » C’est-à-dire : « Un sous-juge ? » Quoi qu’il en soit, Brandimas comprend : « Tu es riche ? » 83 Des beaux mots, des promesses ! Idem vers 486. « Vous m’aimez ? Dea, voire, de beaux ! » Les Trois amoureux de la croix. 84 Éd : Sa (Donne-moi ta pique ! Voir les vers 98 et 123.) 85 Éd : gothzenaud (Sainéan suggère : « In Gott’s Nam ! ‟Au nom de Dieu !” ») 86 Sainéan suggère : « Ja, währli ‟oui, vraiment.” » 87 Ivrogne. Son habit est taché de vin. « Boyvent mon vin comme droncquars. » (La Condamnacion de Bancquet.) Dans le Mystère, un soudard suisse est nommé Droncart. 88 Je dirais qu’il est lombard. Voir la note 79. 89 Pierre Servet traduit : « Laisse-moi tranquille. » 90 Corniaud. 91 Éd : cy (« Oui, Monsieur. » Par la suite, Alibraquin fera deux fois la même réponse.) 92 Des tricheurs, des filous. Cf. Gournay et Micet, vers 455 et 524. 93 Des mendiants qui se font passer pour des militaires <note 20>. 94 Tenus en échec, appauvris. 95 En mauvais état. Cf. les Chambèrières qui vont à la messe, vers 68. 96 Éd : esticquetz (À leurs ornements sans valeur.) 97 Qu’il n’y a rien à nous mettre sous la dent. 98 Si vous nous donnez un coup de pique. 99 Vous appartenez comme nous à l’Ordre de Bélître, ancêtre de la Cour des Miracles. « Qui n’ont ne chausse ne pourpoint :/ C’est selon l’Ordre de Bélistre. » (Le Capitaine Mal-en-point.) La Chanson sur l’Ordre de Bélistrie, de Jehan Molinet, détaille la vie des mendiants. 100 Nous relever, nous rétablir. 101 Pour aller en étant élégants. « Vous estes sur le hault verdus. » Le Monde qu’on faict paistre. 102 Nous ne savons plus de quel bois faire flèche. Cf. l’Aveugle et Picolin, vers 14. 103 Jeu de mots sur « les œufs ». 104 Éd : a (Nous aurait ranimés.) 105 À la ville joyeuse. « À Parouart [Paris], la grant mathe gaudie. » Villon, Jargon 1. 106 Éd : ie feray (L’éditeur n’a pas compris cette expression rare. « Jehannin Faulchon dist au suppliant qu’il alast à la landye sa mère. » Godefroy.) Aller à la landie de sa mère = retourner dans le ventre de sa mère. Nous dirions : Va te faire voir ! 107 Nous irons changer notre or contre de la monnaie. À Paris, les changeurs occupaient le Pont-au-Change. 108 Éd : ses (En argot, un vendangeur est un coupeur de bourse.) 109 Si le prévôt <note 38>. Les anges sont les sergents ; même mot d’argot à 158. 110 À la taverne <note 49>. 111 Ils nous mèneraient attachés deux par deux pour nous faire accroupir. Le plafond des culs de basse-fosse était si bas que les prisonniers ne pouvaient se tenir debout. (Au sens propre, la croupie est la position du chasseur à l’affût.) 112 Éd : a (Par la gorge, que la pépie assèche. La lexicographie argotique ignore cette acception.) 113 Sa sacoche. 114 Éd : uictuaille (Chevalet écrit toujours victaille : « Vous mengez toute la victaille. ») L’iconographie de l’époque associe la vitaille [les vits] aux brouettes. 115 J’encaisse vos impôts. 116 24 deniers valent 2 sous. Sans rien rabattre = sans marchander : cf. les Femmes qui font refondre leurs maris, vers 484. 117 On croit plus facilement Barraquin lorsqu’il déplore connaître le prévôt et ses sergents, que lorsqu’il s’enorgueillit de connaître l’empereur, au vers 194. 118 Je m’en vais à la ville pour faire les courses. 119 Quoi qu’il arrive. 120 Frigorifiés. 121 Qui ont dépensé tous leurs écus à la taverne <note 15>. Barraquin court annoncer la bonne nouvelle à ses complices. 122 Laissez vite votre abri de feuillage. 123 Sa catin. Chacun imagine les pillages et les viols que la guerre va lui permettre d’assouvir. 124 Sur le lit. Même mot d’argot à 372. 125 Prise au fond du lupanar. Même mot d’argot aux vers 220 et 371. 126 Éd : guigard (Jouons du gigot, de la cuisse : dansons, ou bien copulons. « Remuer le gigot : faire l’acte vénérien. » Antoine Oudin.) 127 Ce pain noir est réservé aux pauvres. « Arrière, pain bis ! » Colinet et sa tante. 128 Pénis. « J’ey un billard de quoy ‟biller” souloye ;/ Mais mon billard est usé par le bout :/ C’est de trop souvent fraper en la raye. » Le Savatier et Marguet. 129 Pain blanc de bonne qualité sur lequel on grave une croix. 130 Noël : poussons des cris de joie. « Il est né, le Messiau !/ Chantons Nau ! » Chantons Nau. 131 P. Servet rappelle que ce mot « est aussi un terme de scénographie médiévale désignant tantôt l’aire de jeu des acteurs, tantôt l’emplacement des spectateurs, tantôt le théâtre dans son ensemble ». 132 Rapidement. Le page est le premier objet de luxe que s’offrent les nouveaux riches. « Ung paige après moy, voire deux. » Mallepaye et Bâillevant. 133 Benêt. Mais un coquillart est aussi un voleur caché parmi les pèlerins qui se rendent à Saint-Jacques-de-Compostelle sous l’insigne de la coquille Saint-Jacques. 134 Que nous ayons reçu notre solde. 135 Mal vêtus. 136 3 écus. Boutade notifiant qu’on n’a rien à donner. « Trois, trois !/ Je le puis bien, de par mon âme ! » (Le Povre Jouhan.) On la rencontre sous d’autres formes : « Trois tous neufs ! » (Daru, la Pippée, Te rogamus audi nos, etc.) « Oui dia, trois ! » (Beaucop veoir, le Dorellot, etc.) 137 « Je chie de peur ! » L’Andureau et L’Andurée. 138 Ne serait-ce pas le bourreau ? Cf. Gautier et Martin, vers 92 et note. 139 Ici pour nous « agrafer ». Cf. Gautier et Martin, vers 84. 140 Éd : O (Dans ses rets, ses filets. « Ce lion fut pris dans des rets. » La Fontaine.) Déjà au vers 159, Brandimas menaçait de battre le prévôt et ses sergents. 141 Beaucoup d’argent <note 3> dans votre fouillouse, dans votre bourse. Cf. les Deux pouvres, vers 6. L’amiral parodie le langage des tyrans. 142 Nous copulerons de bon cœur. « J’y ay besongné de courage. » Raoullet Ployart. 143 Le lupanar <note 125>. 144 Les tyrans constatent qu’il y a une fille nouvelle devant la porte ouverte de la maison — les petits-bourgeois n’avaient pas encore inventé les maisons « closes ». 145 Du gibier féminin. Idem vers 280. « Une macquerelle/ Promect, en secrette maison,/ Produyre fresche venaison. » Pour le Cry de la Bazoche. 146 Votre ration de sperme. Cf. le Fol et la Folle, vers 124. 147 Et pourtant, je… 148 Nous voici. Vieux calembour sur « con battre » : copuler. Idem vers 258. « Il ne sçait pas qu’est-ce que de combatre,/ Cil qu’entreprend de plusieurs cons batre. » Gratien Du Pont. 149 Du bordel : mère maquerelle. Je récupère la didascalie du vers 286, qui aurait dû figurer ici. 150 « Estre à la paille jusqu’au ventre : estre fort à son aise. » (A. Oudin.) Mais les prostituées déchues copulent réellement sur une paillasse. 151 À condition que vous ayez quantité d’argent. La tenancière fait entrer les quatre hommes. 152 Défoncée par mes innombrables amants. 153 Éd : Quil (Qu’au cours de la fellation préliminaire, elle avalerait notre pénis sans le mâcher.) 154 Si tu regardes bien ma chair, mon physique. 155 Même les jours de fêtes, où l’abstinence sexuelle est pourtant de rigueur : cf. le Sermon pour une nopce, vers 254. 156 Pour ouvrir ce qui est déjà ouvert. Les clients des prostituées s’apparentent aux « dépuceleurs de nourrices ». 157 Quel racleur pour enlever les poils. Aux étuves, les femmes se font raser le devant (et donc le derrière) par un ratisseur. 158 Elles. Idem au vers suivant. Les prostituées — et à plus forte raison les maquerelles — sont jouées par des hommes travestis. Être de séjour = être reposé. 159 Ce n’est pas là une incitation au déshabillage, mais un ordre de fuite : « N’y reviens plus, se tu es sage !/ Tyre tes chausses ! » L’Aveugle, son Varlet et une Tripière. 160 Par la violence. 161 Éd : Pissant (Votre bas-ventre se videra sans que vous ayez besoin d’éjaculer.) 162 Nous vous mettrons à genoux, dans une posture érotique passive. 163 Qu’un coq châtré. D’après la rime, on attendait plutôt le héros Jason : « Maint homme, par son blason [sa forfanterie],/ Semble plus hardy que Jason. » Guillaume Haudent. 164 Prends garde qu’il ne te besogne pas ! « Je n’aymeray jamais grant homme,/ Car le petit frappe de près et congne. » Tu as dict que j’en mourrès. 165 Pour des raisons mnémotechniques, les noms des tyrans se succèdent dans le même ordre. Il manque donc ici une réplique de Barraquin. 166 Éd : me 167 Il nous faut chercher notre plaisir ailleurs. 168 Nous ne faisons plus recette. 169 Pouah ! 170 Vieux vagin. « Oste-toy d’icy, viel carcas ! » L’Andureau et L’Andurée. 171 Putain. Idem vers 19. Ce mot vient de Picardie, comme Barraquin. 172 Vieux vagin. Idem vers 271. « Vieille loudière [pute], viel cabas ! » Le Raporteur. 173 Du mouton, du nigaud. 174 Nous nous y connaissons mieux en matière de prostituées qu’en matière de satin. 175 « De la marée fraische : une putain. » (Oudin.) Idem vers 509. 176 Ces « morues » ne viendront pas de la mer. « Allez-vous dessus la marine ? » St Christofle. 177 Au gibier <note 145>. 178 En quantité. Le gibier se prépare en civet, avec des oignons et du vin rouge. Mais le vin blanc symbolise le sperme. 179 Pourvu. 180 Filles de joie. Idem vers 367 et 518. 181 Du succès. 182 Celle qui ne connaît pas les finesses du métier. « G’y vays pourvoir,/ Car j’entens bien le jobelin. » (St Christofle.) Le jobelin est aussi l’argot des tyrans ; les ballades dont Chevalet s’inspire ont pour titre : « Le Jargon et jobellin dudit Villon. » 183 N’a aucune chance d’attraper le pigeon, le client. 184 La fortune nous fait défaut. 185 De si misérable crève-la-faim. 186 En cas de besoin. Comme d’habitude, Chevalet décrit les mœurs contemporaines, indépendamment du Mystère. 187 Il n’y a personne. La Fille égarée des Povres deables se plaint aussi de la concurrence déloyale faite par les nombreuses prostituées occasionnelles : « Il n’y a guère rue/ Où il n’y ayt des sœurs secrètes. » 188 Éd : cueillir (De piler du sucre pour faire des confitures. « Le sucre que vous ferez piller bien petit. » Pour confir des demie-pièces de coings.) On manipulait le sucre et la farine devant la porte pour ne pas salir la maison. Nos prostituées sans clients n’ont donc rien de mieux à faire que de préparer des confitures. 189 Fermez. La boutique est également le sexe d’une femme. « La boutique est fermée : se dit d’une femme qui ne fait plus d’enfans. » Oudin. 190 Il faut acquérir une clientèle. 191 Mon sexe. « Tu es trop neufve, et ne scez rien./ Ton engin n’est point bien ouvert. » Digeste Vieille. 192 Me laissera. 193 J’ai connu un temps où tu faisais merveille. 194 Une pièce en argent. C’est le salaire des prostituées de bas étage : « Ung beau grand blanc — qui n’est pas trop grant somme —/ Fist le marché. » Les Sept marchans de Naples. 195 Une si belle apparence. 196 La syphilis, par opposition à la petite vérole, ou variole. 197 Éd : dit (Les soldats français revenus des guerres d’Italie accusaient les prostituées napolitaines de leur avoir inoculé le mal de Naples.) « Ce mal que les François appellent ‟mal de Naples”, et que les Neapolitains appellent ‟mal françois”. » Charles Sorel. 198 Veut les éviter. 199 J’ai connu un temps où il venait quotidiennement ici des gens en quantité. 200 Éd : Chescum (Seules les femmes font fourbir leur harnais, leur sexe : « Femme n’estoit, tant preude ou vieille feust, qui ne feist fourbir son harnoys. » Rabelais, Tiers Livre, Prologue.) 201 Les vieilles vulves. « Pource qu’elle avoit trouvé la lance de son champion si grosse, ne luy avoit osé bailler l’escu, doubtant qu’il ne la tuast. » Cent Nouvelles nouvelles, 86. 202 Je vous le garantis. 203 Sauf ce qu’il me faut pour vivre. 204 Par la porte ouverte, elle voit venir les tyrans. 205 Du palais royal. 206 Double sens érotique : « Je vueil perdre cent sous/ Se, dessus et dessoubz,/ N’est bien revisitée. » Les Sotz fourréz de malice. 207 Éd : Alibraquin 208 Même si on devait les chercher au fond du lupanar <note 125>. 209 Nous jouerons sur le lit <note 124>. 210 Sur la paille d’une écurie. « Coucher vestue sur la paillade. » Ung jeune moyne. 211 Faites-la venir sur ce champ de bataille. 212 Le rang des combattants de Vénus. Marragonde reste dans le registre militaire, pour se moquer des faux braves. 213 Je n’en tiens aucun compte. « De toutes ces accusations, je n’en fais ne recepte, ne mise. » J.-B. de Glen. 214 La joute, le combat contre votre lance virile. « Je feroye une jouste seulle,/ Mais ma pouvre lancette ploie. » Jehan Molinet. 215 Une fine mouche. « Que tu es ung fin hoste ! » (Les Enfans de Borgneux.) Rime dauphinoise en -oute : « N’estoient pas si fins houstes. » (La Pippée.) Pour Aqueline, ce « fin hôtelier » tient un hôtel de passe : elle traite Alibraquin de proxénète. 216 Éd : Barraquin 217 Comme maquereau. Idem vers 186. 218 Brouiller le papier, ou le parchemin, c’est causer des embrouilles. 219 Au bordel. « Une garse de plain clappier. » Les Chambèrières et Débat. 220 Va t’en prendre à ta consœur. 221 Débandé. « Soudain que la gouge on emmanche,/ Luy rebailler le picotin [sa ration de sperme],/ Si l’instrument ne se desmanche. » Guillaume Coquillart. 222 Percer de traits (ATILF). 223 Éd : menus (Ces syllogismes. « De jeune logicien, argument cornu. De jeune médecin, cimetière bossu. » Proverbe.) 224 Il ne lui faut qu’un pénis. « Pour mettre au ‟four” leur pain. » (La Fluste à Robin.) La note 244 revient sur les mœurs suspectes de celui que Chevalet a malicieusement choisi de nommer le « roi Danus » [roide anus]. Au siècle précédent, le Mistère du trèsglorieux martir monsieur sainct Christofle nommait ce roi imaginaire « Dagus » ; mais l’auteur anonyme dudit Mystère ne brillait ni par son humour, ni par sa liberté de ton. 225 Pour qu’elles accomplissent une certaine besogne. 226 Si je me mets en colère. Cf. L’Andureau et L’Andurée, vers 450. 227 Loin d’ici. « Mieux vaudroit qu’eusse esté à Rome ! » L’Antéchrist. 228 Chevalet connaît bien les pièces de Triboulet, dont il a donné le nom à l’un des messagers du Mystère. Il emprunte ce vers fautif à la première édition du Roy des Sotz, aujourd’hui perdue ; voir la note 24 de cette sottie. 229 Prestement. 230 Avant. 231 De plaidoiries, de contestations. 232 Rendez-les-moi. 233 Éd : loing fusse tu (Tu aurais aussi vite fait de te payer une cotte, un jupon. « –As-tu le contract ? –Aussi bien eusses-tu l’argent ! » Pierre de Larivey.) 234 Avec notre précieux chargement. 235 Servet traduit : « Aller les mains vides. » 236 Qui n’a pas rapporté de proie au fauconnier. Mais le « faux con » désigne la vulve, qui se repaît de proies phalliques : « Il craind un peu le dangereux faux con. » (Lasphrise.) Les tyrans et les deux filles entrent dans le Palais royal. 237 Même si elles. 238 J’ai peur que le géant saint Christophe ne nous fasse du mal. 239 Cherche. Le son « s » est très voisin du son « ch ». De même, à la rime suivante, il faut lire « perce » et non « perche ». 240 Éd : õcques peau (« Mettre une fille en perce : la despuceler. » Oudin.) 241 Je vous rassure : vous n’en mourrez pas. 242 Elle ne risque pas d’en mourir, quoi qu’elle en dise. 243 Experte. La maquerelle du Dorellot se nomme Faicte-au-mestier. 244 J’en mourrai moi aussi, car vous avez un gros engin. Chevalet fait souvent des allusions à la sodomie : voir la note 69 de Cuisine infernale, ou la note 217 de L’Andureau et L’Andurée. Le roi Danus [roide anus], dont les mœurs sont mises en doute au vers 405, a pour chevalier Orlant, qui aime beaucoup les tyrans : c’est lui qui a fait venir de Rome ces « mauvais garsons », et qui a eu l’idée d’envoyer « ces quatre gallans au bordeau ». 245 Mademoiselle, votre peau est élastique. 246 Qu’il n’y a pas d’os dans un pénis. 247 « Il seroit bien gros, par ma foy,/ Si elle en faisoit à deux fois ! » Les Chambèrières qui vont à la messe. 248 Des mots ! Voir la note 83. 249 Allez dans la cellule de Christophe. 250 Que ma volonté s’accomplisse. 251 Bien informées. « Je suis tout rusé de ce fait. » Trote-menu et Mirre-loret. 252 Que si on nous y conduit. 253 De notre religion. 254 Je n’aurai qu’un mot à dire. 255 Son harnais viril. Cf. L’Andureau et L’Andurée, vers 409 et 455. 256 Que nous n’avons plus rien à apprendre. 257 Du pénis (ital. cazzo). « Du temps que mon cas estoit beau,/ Que ma ‟chose” bien se portoit. » Les Sotz fourréz de malice. 258 J’étais jusqu’à présent un messager. 259 Désormais, je suis un amateur de « morues ». Voir cette Ballade, vers 2 et note. 260 La bête à deux dos = le coït. Rime dauphinoise en -ou : « Vous faictes la beste à deux doulx. » Le Badin qui se loue. 261 Les miens et ceux de mon amant. « Tu bouteras tous les coups/ Deulx culz avec quatre genoulx,/ Après que seras maryée. » Les Bâtars de Caulx, LV 48. 262 Si tu vois qu’il me prend sexuellement, pète ! Jeu de mots : corner prise = sonner du cor quand la bête est prise. « Car tous ensemble cornent prise. » (Godefroy.) Nicette souffle dans la corne que le messager porte en bandoulière. 263 Éd : une (« Vous avez le bruit [la réputation]/ D’estre encore plus fine ouvrière. » La Pippée.) 264 Laisse cette corne ! 265 Sur leur pubis. Cf. Cuisine infernale, vers 107. « –Estudiras-tu bien ?/ –Ouÿ, en parchemin velu. » Pernet qui va à l’escolle.
LE FOL ET LA FOLLE
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LE FOL ET
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LA FOLLE
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En dehors des sotties, le théâtre médiéval ne fait guère appel aux folles : les farces s’en tiennent aux fous, et les prétendues « folles » des Mystères ne sont que des hystériques qui se croient possédées par le diable. Pourtant, Claude Chevalet1 dissimula dans sa Vie de sainct Christofle (~1510-1514) une authentique sottie, où une Folle rivalise de hardiesse avec un Fol.
Ce Mystère narre aussi les tribulations d’une troupe de bateleurs itinérants : ils sont à la fois clowns, jongleurs, montreurs d’animaux plus ou moins savants, faiseurs de bons tours, joueurs de mauvais tours, accompagnateurs de danses, marchands de fausses gravures pieuses et de partitions, chansonniers, etc. Leur troupe minable a beaucoup de points communs avec celle de la farce du Bateleur.
Source : La Vie de sainct Christofle, élégamment composée en rime françoise et par personnages par maistre Chevalet. Imprimé à Grenoble en 1530. Bibliothèque nationale de France, Rés. YF 116. Je recommande l’édition critique de Pierre SERVET : La Vie de sainct Christofle ; Droz, 2006.
Structure : Rimes plates, avec 3 triolets, et une ballade sans envoi.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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LE FOL 2 SCÈNE I
Gare ! Gare ! Faictes-moy place !
Reculle-toy, fol ydïot !
Car je suis ung estradïot3
Aussi légier4 q’ung lymasson.
5 Pour menger soit cher5 ou poisson,
Jamais ne m’en treuve malade.
Seray-je point de l’ambassade ?
Aray-je perdu mon crédit ?
Vous sçavez bien que chescum dit :
10 « Souvent, en ung mauvais passage6,
Ung fol enseigne bien7 ung saige
Quant le saige voyt qu’il se noye8. »
Si j’eusse la robe de soye,
Je m’en yrois en Gastinoys :
15 Car, quant on verra mon mynois,
On dira que je suis ung Conte9.
Fait-on testes de folz de fonte,
Ainsi que l’on fait une cloche ?
Celuy qui me fit la caboche
20 La me fit ung petit trop creuse10.
LA FOLLE
Il a dit vray ! Et bien fumeuse11 :
Elle va tousjours fumassant.
L’on ne trouveroit, en ung cent,
Teste que mieulx [vercoquin pille]12 :
25 Elle est ronde comme une bille
Et légière comme une plume.
LE FOL
Il fault donc, si ma teste fume,
Que je porte13 le feu au cul :
Car en effect, oncque ne fut
30 Fumée qu’il n’y eust du feu14.
Viens çà ! Il n’y a point de jeu15,
Car mon cul souffle si souvent
Que j’ay paour qu’il face, du vent,
Allumer le feu à la forge16,
35 Qui me sortira par la gorge
Et me brûlera le museau.
LA FOLLE
Va-t’en mettre le cul en l’eau
Prestement en celle rivière :
Si le feu est en ton derrière,
40 Il sera incontinent mort.
LE FOL
Je le veulx bien, j’en suis d’acord.
Viens-moy ayder et sera fait.
LA FOLLE
Garde-toy bien de faire ung pet,
Affin que le feu ne s’alume.
LE FOL 17
45 Regarde ! Voy-tu rien qui fume ?
LA FOLLE
Ne bouge le cul d’une place !
LE FOL
Ceste eau est plus froide que glace.
LA FOLLE
Ne te chault : prens en pacience
Sans bouger.
LE FOL
Par ma conscience !
50 Je suis en ung aultre danger :
Ces poissons me veullent18 menger
Tout vif 19. Il me fault reculler.
Et pour me garder de brûler,
Je ne sçay remède que boire.20
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LE FOL SCÈNE II
55 Qui m’aura emblé21 ma marote,
Si me la rende incontinent
Sur peine d’excommuniment22 !
Ou [bien] j’en feray faire une aultre
Qui aura la teste de peaultre23,
60 Le cul de fer, d’acier le joys24 ;
Et l’une de[s] jambes, de boys ;
Et l’aultre, de pierre de taille ;
Le bec grant comme une poullaille25,
Et les tétins de deux molettes26.
65 « Venez achepter ces lunettes27
(Estront de chien) pour vostre nez !
Or advancez-vous, advancez
Pour parler à ce Jehan Testu28 ! »
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Holà, ma sotte ! Où es-tu ? SCÈNE III
70 Je croy que tu fais l’arquimye29.
Viens çà ! approuche-toy, m’amye :
Il te fault recouldre le ventre30,
Car je me doubte que g’y entre,
Quelque jour, chaussé et vestu.
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LA FOLLE SCÈNE IV
75 Me voicy ! Que demandes-tu ?
Je viens pour te faire merveilles :
Il te fault coupper les oreilles
À faire deux manches d’estrilles31.
Et si, te raseray les « billes »
80 Rasibus du cul32, par-derrière.
Ne tire point le cul arrière33,
Car je les auray, par mon âme !
LE FOL
Alarme, bonnes gens, alarme !
Gardez-moy qu’elle ne me tue !
85 Elle me veult, dessoubz la « queue »,
Couper les bataulx34 de la cloche,
Les oreilles de la caboche35.
[Hare ! hare]36 ! Qu’elle soit prise !
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Seigneurs, je demande franchise37. SCÈNE V
90 Hé ! Jupiter, secourez-moy,
Et je vous voue38 (sur ma foy)
Boire tousjours le vin sans eau ;
Et ne mengeray beuf, ne veau,
Mouton, chevreau, qui ne soit cuyct ;
95 Et juneray toute toute la nuyct,
Au moins si je ne me réveille.
Mesmement39 le jour de la veille
De vostre grant solemnité40,
Car je serois déshérité
100 D’avoir perdu ung tel « joyau41 ».
.
LA FOLLE 42 SCÈNE VI
Où est-il allé, mon luneau43 ?
Je te44 trouveray, quoy qu’il t’arde.
LE FOL
Je suis en franchise, regarde !
N’aprouche point de moy, Babeau45 !
LA FOLLE
105 Je vous auray, ou le feu m’arde46 !
LE FOL
Je suis en franchise, regarde !
LA FOLLE
Je te chastieray — quoy qu’il t’arde —
Tout maintenant, de ce cousteau !
LE FOL
Je suis en franchise, regarde !
110 N’aprouche point de moy, Babeau !
Voicy le Temple bon et beau :
Garde-toy bien de faire noyse !
LA FOLLE
Qui me garde que je n’y voyse47 ?
Oncques nul des dieux n’en parla.
115 Et si, vous fault passer par là,
Au moins s’ilz ne sont les plus fors48.
LE FOL
A ! jambes, saulvez-moy le corps49,
Et je vous donray chausse[s] neufves !
Tu n’as garde que tu me treuves,
120 Et fust la lune en [son croissant]51.
*
LA FOLLE 52 SCÈNE VII
Hau, follaton ! Viens-moy passer
Maintenant delà la marine53,
Car je suis bonne pèlerine
Qui, pour avoir le « picotin54 »,
125 M’en vueil aller à Sainct-Trotin55,
Où je gaigneray le pardon56.
LE FOL
Scez-tu pas bien que mon « bourdon57 »
Est trop court pour trouver le fons58 ?
Il est aussi foible que joncs
130 Pour ployer. Entens-tu la note59 ?
LA FOLLE
Ne sces-tu prendre ta « marotte60 »,
Celle qui a la teste rouge61 ?
Approuche-toy, et ne te bouge !
Il n’est pas temps que l’on rechigne.
135 Je te voys monter sur l’eschine62 ;
Garde-toy bien de répiter63.
LE FOL
Mais te garde bien de péter
Ainsi que tu as de coustume !
Car, par Dieu, s’il fault que j’en hume,
140 Je sçay bien que nous aurons noyse.
Ventre sainct Gris, comme tu poyse64 !
Oncques ne portay tel fardeau.65
LA FOLLE
Je te rendray ce tour, lourdeau !
M’as-tu laissé tomber par terre ?
145 Or te metz là, que je te serre66 !
Ou, par Dieu, je te froteray67.
LE FOL
Que veulx-tu ?
LA FOLLE
Je remonteray,
Il ne fault point estre rebelle !
LE FOL
Il fault donc avoir une eschelle,
150 Ou tout versera, j’en suis seur.
LA FOLLE
Tien-toy ferme et [n’aye pas peur]68 ;
Et garde bien de me lascher !
Je suis bien. Pense de marcher69
— As-tu entendu ? — fort et rède !
LE FOL 70
155 Aay, ay, ay ! Que ceste eau est froide !
Elle entre dedans mon soullier.
LA FOLLE
Sus avant, maistre lymonnyer71 !
Nous serons tantost au millieu.
LE FOL
Et ! qu’est cecy ? Bon gré ’n72 ayt Dieu !
160 Paillarde, avez-vous vécy73 ?
Descendez, et m’attendez cy,
Que j’aye l’eschine plus forte.74
LA FOLLE
Alarme, alarme ! Je suis morte,
Je suis noyée, somme toute.
LE FOL
165 Je luy ay faict de son cul souppe75,
Non pas en vin mais en bel[le] eau.
Scez-tu quoy ? Attens-moy, Babeau,
Et je voy quérir ung cheval76.
Avez-vous faict le vent d’aval77,
170 Et vescy à vostre privé78 ?
Vous en avez le cul lavé,
Affin que l’on y remédie !
.
*
LES BASTELEURS 79
*
.
MAULOUÉ80, basteleur, commence. SCÈNE I
Où es-tu ? Hau, Mal-assegnée81,
Apporte-moy tous mes bateaux82,
Estrilles, focilles, cousteaux83 ;
Bastons, bacins84, siffléz85, timballe ;
5 Les gobeletz, les noys de galle86 ;
Le synge, la chièvre, le chien
Et l’ours (que nous n’oublions rien),
Avec le mole87 des ymages,
Pour courir villes et villages.
10 Maufourbie [es]t-elle [où ell’ est]88 ?
Où est Henriet, mon varlet,
Pour chanter avec sa guiterne89 ?
MAL-ASSEGNÉE
Il est allé à la taverne.
Qu’à tous les diables puist tout estre,
15 Autant le varlet que le maistre !
L’on me laisse cy toute seulle.
L’ours brayt de fain et le chien ule90 ;
Le singe dit sa pateno[u]stre91.
Et si, vous dis encor en oultre
20 Que nous n’avons denier ne maille.
MAULOUÉ
Hé ! nous en aurons — ne te chaille —,
Quelque jour, de l’argent content…
S’il en pleust, dea, cela s’entent !
MAL-ASSEGNÉE
Esse donc tout ?
MAULOUÉ
Ma [donna, sy]92 !
MAL-ASSEGNÉE
25 N’en prendrez-vous autre soussy ?
Je suis bien de mal heure93 née !
MAULOUÉ
Et ! n’es-tu pas Mal-assegnée ?
Le nom est de mesme l’ouvrage94.
Acoup, qu’on charge le bagage !
.
30 Henriet, vien çà ! Qu’on se haste ! SCÈNE II
HENRIET, varlet.
Laissez-moy mouller la gargatte95,
Qui est si sèche, pour le hâle96.
Qu’en buvant, jamais je ne parle :
Ma mère me le deffendy.
MAULOUÉ
35 Qu’est cecy ? Es-tu estourdy ?
Dont te vient ce mal, mon varlet ?
Est-ce point de menger du laict
Que tu as la couleur vermeille ?
HENRIET
Je l’ay prins en ceste bouteille.
MAL-ASSEGNÉE
40 Je cuyde qu’il a veu les anges
Qui tumbent du ciel en vendanges.
C’est la douleur qui le travaille97.
HENRIET
Je l’ay pris en ceste bo[u]teille.
MAULOUÉ
Tu as vendangé sans cousteau98.
45 Mais tu y jouras du basteau
Et99 du bassin, je le conseille.
HENRIET
Je l’ay pris en ceste bouteille.
MAL-ASSEGNÉE
Pour vous guérir de ce farcin100,
Avallez-moy ce plain bassin
50 D’eau claire ! C’est la médecine,
Il ne fault point faire la myne101.
Tenez, et vous lavez la gorge !
HENRIET
Qu’ell’ est froide, bon gré sainct George !
J’aymoys mieulx celle du barry102.
MAULOUÉ
55 Or viens çà ! N’es-tu point guéry ?
HENRIET
Je n’entens point la guérison :
J’en ay pris une trancheyson103
Qui me fera les boyaulx fendre.
MAULOUÉ
Sus devant ! Car il nous fault prendre
60 Le chemin tout droit à Damas.
Mais je ne sçay point que tu m’as
Fait104, aujourd’huy, de ma trompette.
HENRIET
Voy là cy105, maistre.
MAULOUÉ
Qu’on se mette
En voye, c’est le principal.
65 [Que] chescum preigne son bestial
Du trein de la bastellerie106.
N’avons-nous pas d’ymagerie107 ?
C’est le principal du mestier108.
MAL-ASSEGNÉE
Il en y a ung cent entier109 ;
70 C’est assez pour une sepmaine.
MAULOUÉ
Henriet ! Il fault que tu meine,
Pour ta part, l’ours avec le chien.
Garde que nous n’oublions rien,
Mon varlet ! As-tu entendu ?
HENRIET
75 Je vouldrois que tout fust vendu.
Car incessamment je travaille,
Et si110, n’ay ne denier ne maille
Ne, souvent, de quoy me repaistre.
MAULOUÉ
Tais-toy ! Je te passeray maistre111
80 Avant que soit jamais troys moys.
Et si, auras quatre tournoys
Toutes les sepmaines pour boyre.
MAL-ASSEGNÉE
Il ne boyt que trop !
HENRIET
Voyre, voyre,
Belle dame, laissez-moy vivre !
85 Si, d’aventure, je suis yvre,
Je me couche bien tout vestu112.
MAL-ASSEGNÉE
Et de quoy [donc t’esbranles-tu]113 ?
HENRIET
J’ay en la teste la migraine.
Puis après, il fault que je traîne
90 Ce bestial114 à force de corps.
Mais, par tous les dieux, si tu mors,
Tu auras une bastonade !
MAULOUÉ
Nous deussions jà estre à Grenade115,
Pour le vous dire à brief parler.
95 Avançons, et pensons d’aller !
Et qu’on me laisse ce desbat !
*
MAULOUÉ 116 SCÈNE III
Dieu gart et le Roy et la Court,
Les dames et les damoiselles !
MAL-ASSEGNÉE
Ostez vostre chapeau, tout lourt117 !
HENRIET
100 Dieu gart et le Roy et la Court !
MAULOUÉ
Nous sommes, pour le temps qui court,
Mynces118 d’argent et sans rouelles.
MAL-ASSEGNÉE
Dieu gart et le Roy et la Court,
Les dames et les damoiselles !
LE ROY DE DAMAS
105 Scez-tu nulles chançons nouvelles ?
Voulentiers les vouldrois ouÿr
Pour la compaignie resjouyr.
Si tu scez rien119, que l’on le voye !
MA[U]LOUÉ
Je fais, d’une chièvre, blanche120 oye ;
110 D’ung ourseau121, ung molin à vent ;
Et d’ung franc, dix solz122, bien souvent.
Henriet, acoup, ma trompette !
Bran123 ! qu’est cecy ? Ell’ est maulnette124.
Je cuyde que Mal-assegnée
115 Ou mon varlet l’ont embrenée.
C’est merde, que vous le sachez.
Advancez-vous et vous mouchez,
Petitz enfans125 ! Çà : Maufourbie,
Que j’ay porté de Conturbie126
120 Pour [y] en faire une levée127 :
Puisqu’ell’ est ung petit roullée128,
Ne vous chaille, c’est bien du moins129 !
[Car] pour une espée à deux mains,
Au monde n’en a point de telle.
125 Regardez-moy quelle alumelle130 !
Elle reluyct comme charbon131.
HENRIET
Et ! par tous noz dieux, voylà bon !
Pourquoy me frappez-vous, beausire ?
Je ne dis pas pour vous mauldire,
130 Mais tous les diables y ai[en]t part132 !
MAULOUÉ
Et ! par Dieu, voylà bon coquart133 !
Quant tu cognois134 que je m’esbas
De Maufourbie [et] hault et bas135,
Ne te scez-tu tirer arrière ?
135 Tu sces bien que c’est la manière
[Que] de faire136 à son maistre place.
HENRIET
Bref, je n’en sçay ne gré, ne grâce ;
Et de vray, n’en suis point content.
Et vous en desportez à tant137,
140 Car, par Dieu, le jeu ne vault rien !
MAULOUÉ
Or çà ! il fault jouer138 du chien :
Admeyne-le-moy cy en place.
Hau ! Le boys tost passe139 !… Repasse !…
Saultez, et vous ferez que saige140 !…
HENRIET
145 Il est en son aprentissage,
Et n’est pas encores bon maistre141.
MAULOUÉ
Pensez : qui le laissera croistre142,
Ce sera ung chien tout de mesme143
Pour menger [du] beurre en Caresme
150 Par faulte de chair144.
HENRIET
Hé, caroigne145 !
Par le sang que Dieu fist ! il groigne.
Je146 croy qu’il a, de paour, la fièvre.
MAULOUÉ
Çà, le singe !
MAL-ASSEGNÉE
Mais bien147 la chièvre,
Qui vous mettra au cul la corne !
MAULOUÉ
155 Laisse-la là ; qu’elle séjourne148 :
Ell’ est ung peu mal disposée149.
HENRIET
Mais faisons-en une espousée,
Et luy mettons ung couvrechef
Sur les cornes, dessus le chef,
160 Pour luy donner en mariage
Le synge.
MAULOUÉ
Tu devise rage150 !
Je suis bien content qu’il151 se face.
Ameine tout !
MAL-ASSEGNÉE
Quel chiche-face152
Pour [bien] faire ung charivary !
HENRIET
165 L[e] synge, qui est son mary,
Vouldroit bien qu’elle fust à Can…153
MAULOUÉ
Dancez, madame de Bo[u]can154 !
Et je vous mèneray la feste155.
MAL-ASSEGNÉE
Hé ! que mauldicte soit la beste !
170 Regardez quelle contenance !
MAULOUÉ
Henriet, tu menras la dance.
Et me tiens le singe de près156 !
Et ma femme yra après,
Qui fera la chièvre dancer.
HENRIET
175 Je suis tout prest de commencer.
MAL-ASSEGNÉE
Et moy, de [me] mettre au millieu157.
MAULOUÉ
Or sus ! Hay advant, de par Dieu !
Et je menray du flajolet158.
HENRIET
Hé ! Dieu, que le synge est lait !
MAL-ASSEGNÉE
180 Que la chièvre fait bonne troigne !
HENRIET
Tire avant, teste de mulet159 !
MAL-ASSEGNÉE
Hé ! Dieu, que le synge est lait !
HENRIET
La chièvre tiens par le collet.
MAULOUÉ
Oncques ne vistes tel besoigne.
MAL-ASSEGNÉE
185 Hé ! Dieu, que le synge est lait !
HENRIET
Que la chièvre fait bonne troigne !
MAULOUÉ
Elle semble une cygoigne160.
Hau ! c’est assez, laissez la dance !
Mal-assegnée, qu’on commence
190 Faire monstre de noz ouvrages :
Il fault vendre de noz ymages,
Voylà la cause qui nous meine.
MAL-ASSEGNÉE
Voyez-en cy une douzaine.161
Desployez tout à l’adventure.
MAULOUÉ
195 Seigneurs, voicy la pourtraicture
Du glorieux sainct Al[i]pantin162,
Qui fust escorché d’ung patin163
Le jour de Karesme-Prenant164.
Après, voicy sainct Pimponant
200 Avecques sainct Tribolandeau,
Qui furent tous deux d’ung seau d’eau
Décolléz165, dont ce fut dommage…
Puis voicy le dévot ymage
Du glorïeux martir sainct Pran166,
205 Qui fust jadis boully en bran
Et lapidé de pommes cuyctes167 ;
Et par ses glorïeux mérites,
Je le maintiendray devant tous :
Il guérit les chatz de la touz168,
210 Quant ilz y ont dévotion.
Si vous avez intention
De les avoir, je les vous baille
Les deux pour .III. deniers et maille ;
Mais toutesfoys, argent content169 !
215 Ung peintre n’en feroit pas tant
De bonnes couleurs pour .II. francs.
Avant170, avant, petitz enfans !
Vous n’en payez pas la façon171.
MAL-ASSEGNÉE
Il [nous] fault dire une chançon172
220 En attendant qu’on les vendra173.
MAULOUÉ
Je le veulx bien. Qui m’aydera ?
HENRIET
Tous deux ensemble, je l’entens.
MAULOUÉ ET LES AUTRES
Resveillez-vous, gentilz gallans,
Et entendez bien mon latin174 !
225 Gentilz pïons175, mes bons chalans,
Ne vous levez point trop matin.
Quant vous aurez beu ung tatin176,
Cela vous réconfortera.
Mais si vous mettez d’eau au vin,
230 Le diable vous emportera.
.
Ne rompez point les huys ouvers177,
C’est sur peine178 d’estre pendu ;
Et mettez femmes à l’envers,
Car cela n’est point deffendu.
235 Joingnez « tendu » contre « fendu » :
La besoigne se parfera.
Ou sinon — av’ous entendu ? —
Le diable vous emportera.
.
Nourrisses ne dépucellez179 !
240 Vous entendez bien le trippot 180 ?
Et quant aux tavernes allez,
Ne payez point deux foys l’escot :
Car qui mengera ung fagot 181
Sans boyre, il s[’en] estranglera.
245 Et si vous faictes le bigot,
Le diable vous emportera.
LE ROY DE DAMAS
Bénédicité ! Marïa !
Oncques je n’ouÿs chançon telle.
Je croy qu’il [l’]a faicte nouvelle
250 Tout maintenant dessus les rans182.
Séneschal, donnez-luy dix francs
Pour boyre et pour l’esbatement !
LE SÉNESCHAL
Tiens, prens cela légièrement :
C’est argent pour crocquer la pie183.
MAULOUÉ
255 Chier sire, je vous remercie.
Je ne gaignay tant de dix jours.
Tout est vostre : le synge, et l’ours,
La chièvre, et Mal-assegnée.
Je vouldrois qu’on l’en [l’]eust menée,
260 Affin d’en estre despêché184 !
J’en ferois tousjours bon marché,
Et n’en eussé-je [qu’]une maille185.
*
1 Sur ce fatiste de Vienne, voir la notice des Deux pouvres. 2 Imitant les Sots des sotties, il traite les spectateurs de fous, et les bouscule pour monter sur scène. 3 Un cavalier albanais qu’on envoie en éclaireur. Cf. le vers 287 de L’Andureau et L’Andurée, autre farce provenant du même Mystère. Le Fol chevauche sa marotte. 4 Rapide. 5 De la chair, de la viande. 6 Quand un sage s’est mis dans un mauvais pas. 7 Fait la leçon à. « J’ay souvent ouÿ en proverbe vulgaire [populaire] qu’un fol enseigne bien un saige. » Rabelais, Tiers Livre, 37. 8 Le fou donne une leçon de prudence au sage qui est en train de se noyer, au lieu de le secourir, « comme celuy qui, estant sur le bord d’une rivière, assiste de parolles son amy qui se noye ». (Cardinal de Richelieu.) 9 Il y a bien longtemps que le Gâtinais n’était plus un comté. 10 Un peu trop creuse : ma tête sonne creux comme si c’était une cloche en fonte. 11 Sa tête est bien fantasque. « La teste verte,/ Fumeuse et toute lunatique. » L’Arbalestre. 12 Éd : uerticoquille (Le ver coquin* est logé dans la tête des gens qui ont une lubie. « Leurs femmes ont mis ce ver coquin amoureux dans leurs testes. » Brantôme.) Il faut comprendre : Parmi cent personnes, on ne trouverait pas une tête que la folie dévaste mieux. *Ce Mystère emploie aussi la variante avertin : « Puis qu’elles ont prins l’avertin/ En la teste, tout est perdu. » 13 Que j’aie. Le Vendeur de livres signale une farce de Ceulx qui ont le feu au cul. 14 Il n’y a pas de fumée sans feu. Les Fols des sotties prennent toujours les expressions au pied de la lettre. 15 Il ne faut pas plaisanter. 16 J’ai peur que mon cul ne se transforme en soufflet de forge. 17 Il baisse ses chausses et plonge son postérieur dans la rivière, laquelle joue un rôle prépondérant dans ce Mystère ; nous la retrouverons aux vers 121-172. 18 Éd : uueillent 19 Les spectateurs ont entendu « tout vit », qui se prononce de la même façon : tout mon pénis. « Femmes enseintes/ Qui ont esté au ‟ vif ” atainctes. » Sermon pour un banquet. 20 Le Fol boit, mais pas l’eau de la rivière. La sottie ne reprend qu’au bout de 4 550 vers. 21 Que celui qui m’aura volé. 22 Sous peine d’excommunication. Même vers dans Saincte-Caquette. 23 D’étain. Cf. Ung biau miracle, vers 2751. 24 Le sexe. Cf. L’Andureau et L’Andurée, vers 418. « Pour luy faire fondre la gresse/ Du cropion autour du joys. » St Christofle. 25 Comme le bec d’une poule. Ou bien : comme une poule. 26 Les seins rembourrés par du molleton. « Pour mauvais tétins/ Et pour ceulx qui portent mollettes. » Maistre Pierre Doribus. 27 Sur les fous à lunettes, voir la note 72 du Monde qu’on faict paistre. 28 Pour parler à Jehan le Fol. 29 L’alchimie : que tu es en train de faire l’amour avec un autre. « N’avez-vous pas eu assez temps/ De faire vostre paillardise ?/ Faictes-vous encor l’arquemye ? » St Christofle. 30 Il faut te recoudre le bas-ventre, la vulve. 31 Il faut couper tes oreilles de Sot pour en faire deux manches de brosses. 32 Et aussi, je te trancherai les testicules d’un coup de rasoir, au ras du cul. 33 Ne recule pas. Cf. L’Andureau et L’Andurée, vers 146. 34 Les batteaux : les battants, qui pendent. Ce mot désigne les testicules. « Un bel ‟ouvrier de nature”, fort bandé, qui à bon droit mérite estre appelé membre, accompagné de deux battans au-dessoubs qui luy servent d’ornement. » Nous sommes bluteurs. 35 Les oreilles de ma tête (vers 77). Mais aussi : les testicules de ma verge. « Le membre de Colin, deffaict,/ Se retira, penchant l’oreille. » (Cabinet satyrique.) « Au moyen du vin de Baccus,/ Pour lequel souvent on bat culz,/ Sa grosse caboche dressa. » (Sermon de Billouart.) 36 Éd : Pare pare (Cri par lequel on excite les chiens pour qu’ils attrapent une proie. « Hare ! hare ! Si me mordez,/ Je le diray à l’empereur. » Daru.) 37 L’asile en zone franche, comme au vers 103. Le Fol se réfugie dans l’inviolable temple de Jupiter. 38 Je vous jure. Ces promesses ne coûtent rien : le Fol boit déjà le vin sans eau, mange déjà sa viande cuite, et il jeûne déjà pendant qu’il dort. 39 Je jeûnerai aussi. 40 « La feste de l’immortel/ Jupiter. » Mystère de sainte Barbe. 41 Mes bijoux de famille, dont j’ai hérité de mon père. 42 Elle pénètre dans le temple de Jupiter. 43 Mon lunatique. « Parlez tout doulx, car il tient de la lune…./ Il est luneau, vous le ferez troublé. » Marchandise et Mestier, BM 59. 44 Éd : le (Ce vers sert de modèle au v. 107.) Quoi qu’il t’arde = même si tu es ardent, en érection. Jeu de mots sur deux verbes qu’on distinguait mal : arder [brûler], et arser [bander]. Idem vers 107. 45 La Folle se prénomme Isabeau, dont Babeau est le diminutif, comme à 167. « ‟Certes, je n’y entreray point”,/ Respond à la mère Ysabeau…./ Elle y entra. Babeau se couche. » (Le Banquet des chambrières.) On traite de « Babeau » les femmes de mauvaise vie : cf. L’Andureau et L’Andurée, vers 54. « Approuchez-vous, dame hydeuse !/ Avez-vous entendu, Babeau ? » St Christofle. 46 Ou que le feu de l’Enfer me brûle. La châtreuse poursuit le Fol dans le temple, en brandissant un couteau. 47 Qui m’empêche d’y aller ? 48 Si les dieux ne sont pas plus forts que moi. 49 Courez assez vite pour que je puisse échapper à la châtreuse. L’Andureau, voulant échapper à sa mégère, s’écrie : « Jambes, portez le corps arrière ! » 51 Éd : decroissant (« De la lune en son croissant. » Ronsard.) Tu ne risques pas de me trouver, même avec l’aide du clair de lune. La sottie reprend au bout de 3 000 vers. 52 Elle veut passer de l’autre côté de la rivière (vers 38) en montant sur les épaules du Fol. Chevalet parodie la légende de saint Christophe, qui exerce le métier de passeur ; son plus notable client n’est autre que Jésus, auquel il vient de faire traverser la même rivière juché sur ses épaules. Chevalet parodie aussi Tristan qui, déguisé en lépreux, fait franchir un gué à Iseut en la portant sur son dos ; Tristan et Iseut deviennent donc Jean Têtu et Babeau. 53 De l’autre côté de l’eau. 54 Ma ration de sperme. « Sottes qui veulent avoir leur picotin. » Jeu du Prince des Sotz. 55 Pèlerinage où les épouses vont trotter sans leur mari. Dans ce Mystère, un cocu dit à sa femme : « Or va (sans faire le revien)/ Au diable et à Sainct-Trotin ! » 56 Où je commettrai un péché pour faire pardonner les précédents. « En divers lieux (elles) vont gaigner les pardons/ Pour en leurs lacs attraper la ‟vitaille”. » L’Advocat des dames de Paris touchant les pardons Sainct-Trotet. 57 Mon bâton de pèlerin. Double sens : mon pénis. Cf. le Pèlerinage de Mariage, vers 137 et note. 58 Le fond de la rivière. Double sens : le fond de ton vagin. « J’en ay une que j’aime ung peu./ On n’y treuve ne fons, ne rive. » Les Sotz qui remetent en point Bon Temps. 59 Comprends-tu mes paroles ? 60 Ton phallus. La marotte est un emblème phallique composé d’un bâton surmonté d’une tête. 61 Celle qui est munie d’un gland. « Ell’ avoit/ La teste bien rouge devant. » La Confession Margot. 62 Je vais monter sur ton dos. 63 D’exiger un répit, de différer. 64 Ventre de saint François d’Assise, que tu pèses ! 65 Le Fol laisse tomber la Folle par terre. 66 Afin que je te serre entre mes cuisses. 67 Je te battrai. 68 Éd : nay paour (« Et n’ayez peur que je vous faille. » Colin qui loue et despite Dieu.) 69 Je suis bien installée, dépêche-toi de traverser la rivière. « Pense d’aller et de marcher ! » Folconduit. 70 Il entre dans la rivière avec la Folle sur ses épaules. 71 Cheval d’attelage. Elle donne au Fol un coup de cravache avec sa marotte. 72 Aphérèse du pronom en. « Bon gré ’n ait bieu ! » Le Capitaine Mal-en-point. 73 Vessi, lâché une vesse, un pet. Idem vers 170. « Ell’ a du cul vessy. » (La Ruse et meschanceté des femmes.) Les vers 137-8 nous ont informé des problèmes aérophagiques de la Folle. 74 Il laisse tomber la Folle dans la rivière. 75 La soupe est un morceau de pain qu’on trempe dans le vin. « Ilz sont plus ivres qu’une soupe. » Massons et charpentiers. 76 Éd : cheuau (Je vais chercher un cheval.) 77 Éd : dariau (En terme de marine, le vent d’aval désigne le vent arrière : « Que désirons-nous ? Vent d’aval. » Gautier et Martin. Dans un registre plus scatologique, on devine d’où provient ce vent de derrière…) 78 Et pété discrètement. Mais les privées sont aussi les latrines : « (Ton père) curoit les privées. » Le Savetier Audin. 79 Cette farce en deux actes est un peu mieux intégrée au Mystère que la sottie. 80 Mal loué, mal considéré. 81 Mal assenée = mal mariée. C’est le nom générique des épouses insatisfaites. La nôtre fit l’objet d’une chanson : « C’est la femme d’un basteleur/ Qu’on apelle Mal-assenée. » (L’Arbalestre. Pour d’autres références, voir la note 60 de cette farce.) 82 Mes accessoires de bateleur. Idem vers 45. « Je susse jouer de bateaux,/ Se j’eusse ung ours ou une chièvre. » Les Menus propos. 83 Pour impressionner le public, on jongle avec des outils ou des armes munis de lames (soigneusement émoussées). 84 Le bâton est une baguette par-dessus laquelle on fait sauter le chien, comme au vers 143. Le bassin, encore nommé à 46, est un récipient qu’on utilise pour la quête : « Et faire cracher au bassin/ Ceulx-là. » Pour le cry de la Bazoche. 85 Éd : soufflez (Nos clowns sont bardés d’instruments de musique : une guitare, une trompette, un flageolet ; et donc, un sifflet [un mirliton] et une timbale [un tambour].) 86 Les gobelets servent pour les tours de passe-passe ; dans l’Escamoteur, Jérôme Bosch en a peint deux. (Nous remarquerons, au pied du bateleur, son chien savant, qui est assis près d’un cerceau en attendant de sauter au travers.) La noix de galle sert à faire de l’encre, peut-être pour réaliser les images pieuses que vendent nos baladins. Pour Pierre Servet, « il s’agit sans doute d’un élément de maquillage des jongleurs ». 87 Le moule, le pochoir avec lequel nous confectionnons des images coloriées qui représentent des saints. Voir les vers 191-216. La troupe du Bateleur vend elle aussi des portraits médiocres, mais ils représentent des comédiens. 88 Éd : quellest (Est-elle à sa place, dans le fourreau que je porte à ma ceinture ?) Maufourbie = Mal astiquée. C’est le nom que le bateleur donne à son épée, à l’instar d’un archer du Mystère de Saint Louis : « Vécy mon espée, Mal-fourbye. » Voir les vers 118 et 133. Chevalet parodie Excalibur (l’épée du roi Arthur), et Durandal (celle de Roland). 89 En s’accompagnant à la guitare. 90 Hurle. 91 « Quand un homme gronde & murmure entre ses dents, on dit qu’il dit la patenôtre du singe. » Le Roux, Dictionaire comique, satyrique. 92 Éd : donne cy (Probable refrain d’une de ces chansons que les musiciens français de l’époque composaient sur des paroles italiennes.) 93 À une mauvaise heure, sous une mauvaise étoile. Même vers dans le Nouveau marié, notamment. 94 Le nom correspond à la chose. 95 Mouiller mon gosier. « Arouse souvent la gargatte. » (Philippe Bouton.) Le valet boit à la bouteille ; il titube et sa figure est rouge. 96 À cause de la chaleur du soleil. « Ces pÿons [ivrognes] en avalleront/ Mainte chopine, pour le halle. » St Christofle. 97 C’est là son unique maladie. 98 Tu as tout perdu à la taverne. « Il n’y a plus denier ne maille ;/ Tout est vendangé sans cousteau. » Gautier et Martin. 99 Éd : Cest (Tu te renfloueras en utilisant nos accessoires de bateleurs, et tu feras la quête pour que le public crache au bassinet.) 100 Vos taches éthyliques ressemblent à une maladie qui affecte la peau des chevaux. 101 La grimace. Mal-assenée pince le nez du valet pour qu’il ouvre la bouche, dans laquelle elle verse l’eau du bassin. 102 Du baril de vin de la taverne. Cf. L’Andureau et L’Andurée, vers 84. 103 Des tranchées intestinales, des coliques. Il est exact que l’eau, pas toujours potable, provoquait un certain nombre de maladies. Les hommes du moyen âge n’ont pas attendu Louis Pasteur pour découvrir que « le vin peut être à bon droit considéré comme la plus saine, la plus hygiénique des boissons ». 104 Ce que tu as fait. 105 La voici. Henriet montre la trompette qui déforme avantageusement le devant de ses chausses tachées de crotte. 106 Que chacun prenne un des animaux de notre ménagerie. 107 D’images représentant des saints. Voir la note 87. 108 C’est ce qui nous rapporte le plus. 109 Une bonne centaine. 110 Et pourtant. 111 Je te ferai accéder au grade de maître bateleur. Ce grade imaginaire est employé comme insulte : « O ! que tu la nous vends trop chère,/ Maistre basteleur ! » Satyres chrestiennes de la cuisine papale. 112 Je ne vous demande pas de venir me déshabiller. 113 Éd : doncques branle tu (De quoi te mets-tu en peine, pourquoi t’énerves-tu ? « T’esbranles-tu au souffle du vent d’une seulle adversité ? » Jean du Croset.) 114 Cet ours et ce chien. Justement, le chiot se rebiffe. 115 Nous devrions déjà être ailleurs. « Quant il nous aura veu,/ Il vouldroit estre à Grenade ! » St Christofle. 116 La troupe rencontre le roi de Damas et la reine. Mauloué les salue sans retirer son chapeau. 117 Lourdaud. « Il avoit l’entendement tout lourd. » Histoire maccaronique de Merlin Coccaïe. 118 Dépourvus : cf. le Mince de quaire. Une rouelle est une pièce de monnaie : cf. la Confession du brigant, vers 55. 119 Si tu sais quelque chose. Le roi ne s’intéresse qu’aux chansons : voir les vers 247-252. 120 Éd : une (Une oie blanche est une pucelle ; or, aux vers 157-161, on déguise la chèvre en jeune mariée.) 121 Éd : pourceau (Nos bateleurs ont une chèvre et un ours, mais pas de porc. « Ourse alaittant ses ourseaux. » ATILF.) 122 Je fais 10 sous, une somme bien moindre. 123 Merde ! Ce juron est bien choisi : Henriet extirpe de ses chausses breneuses une trompette qui ne l’est pas moins, victime des coliques du vers 57. 124 Mal nette, malpropre. 125 Les bonimenteurs commencent toujours par cette phrase afin d’obtenir le silence : cf. le Bateleur, vers 3 et note. Sauf qu’ici et au vers 217, ces « petits enfants » auxquels on parle de merde désignent un roi et une reine. Le saltimbanque dégaine Maufourbie, sa piteuse épée (note 88). 126 Canterbury, qui est rebaptisé « Canthorbie » dans le Messager et le Villain. Les Mystères mettent un point d’honneur à ridiculiser tout ce qui rappelle la perfide Albion. 127 Pour livrer un assaut aux Anglais. « Que les François si ont esté/ Ès Anglois faire une levée. » ATILF. 128 Si elle est un peu rouillée. 129 C’est la moindre des choses. 130 Quelle lame. 131 Mauloué n’ayant pas précisé « comme du charbon ardent », force est de s’en tenir à ce qu’il a dit : Elle reluit aussi peu que du charbon. Le bateleur mime un assaut d’escrime contre son valet désarmé, qu’il touche avec le plat de sa lame. 132 Que tous les diables vous emportent ! Si ce n’est pas une malédiction, qu’est-ce que c’est ? 133 Un bon corniaud. 134 Quand tu as connaissance, quand tu vois. 135 Dans toutes les directions. « Prens tost tes fouetz, et le batz/ Du long, du lé [de long en large], et hault et bas ! » Daru. 136 Que c’est la règle de laisser. 137 Abstenez-vous-en pour le moment. « Je vous prie que vous vous déportez atant de ceste requeste faire. » ATILF. 138 Se servir. 139 Saute par-dessus la baguette ! Naturellement, le petit chien passe dessous. Même jeu dans l’autre sens. Ce gag fut longtemps au répertoire des clowns de cirques. 140 Vous ferez sagement. Le chien repasse sous la baguette. 141 Une œillade aux spectateurs suffit à faire comprendre qu’Henriet ne parle pas du chien mais de Mauloué, qui a prétendu le faire passer maître (vers 79). 142 Si on le laisse grandir. 143 Pareillement. 144 Pour s’adapter à toutes les situations. Pendant le jeûne du Carême, les catholiques ne consommaient ni beurre, ni viande, à moins d’acheter des dispenses à l’Église. 145 Charogne ! Le chiot l’a mordu. 146 Éd : Et (Je crois que la peur qu’il a eue lui a donné la fièvre.) 147 Mais plutôt. « Les chièvres alloient tout de reng./ La corne de la dèrenière/ Fut mise au cul de la première./ Quelle chièvre pourroit mieulx dire :/ ‟J’ay la corne au cul.” » Les Sotz escornéz. 148 Qu’elle se repose. 149 Elle n’est pas dans de bonnes dispositions. « Il dort, sire :/ Il est un peu mal disposé. » Le Poulier à sis personnages. 150 Tu dis bien. 151 Que cela. 152 Ce loup-garou se nourrit exclusivement d’épouses qui obéissent à leur mari ; voilà pourquoi il est d’une maigreur squelettique. Les charivaris admettent les déguisements les plus bestiaux. 153 Loin de Damas, où la scène se déroule. Henriet est interrompu après avoir prononcé la première syllabe de Cancale, qu’un passage similaire donne en entier : « Mieulx vous vauldroit estre à Cancalle ! » 154 C’est le nom de la chèvre, qui aimerait se faire boucaner, se faire saillir. « Boucaner, ou bouquaner, faire le bouc. » Godefroy. 155 Je mènerai la danse avec ma flûte (vers 178). 156 Par crainte qu’il ne consomme le mariage devant tout le monde. Les singes ont une réputation de lubricité. 157 Éd : meilleu (Voir le vers 158 du Fol et la Folle.) 158 Je mènerai la danse avec ma flûte champêtre. 159 Avance, tête de mule ! Henriet s’adresse à la chèvre. 160 Couverte par le voile nuptial, elle est blanche en haut et noire en bas, comme une cigogne. 161 On pourrait supprimer ce point en considérant que « déployés » est un participe passé qui se rapporte aux images du vers 191. « Image » était souvent masculin, par exemple au vers 203. 162 Les saints dont nos bateleurs vendent le portrait relèvent de la plus haute fantaisie. On se reportera aux notes de Pierre SERVET, ainsi qu’au Dictionnaire des saints imaginaires et facétieux, de Jacques MERCERON. Rabelais a définitivement rattaché Saint Alipentin à la scatologie : « Le pauvre Lymosin conchioit toutes ses chausses (…), dont dist Pantagruel : “Sainct Alipentin, quelle civette [puanteur] !” » (Pantagruel, 6.) 163 Par une semelle de bois : il reçut des coups de pied au cul qui lui écorchèrent les fesses. « Ung bien vaillant homme/ Qui n’est pas escous [secoué] d’ung patin. » Le Capitaine Mal-en-point. 164 Le Mardi-gras. Tout ce passage a une couleur fortement carnavalesque. 165 Traditionnellement, on jette un seau d’eau pour décoller deux chiens qui s’accouplent sur la voie publique. Ici, on sépare deux hommes dans la même posture. Le Carnaval autorise toutes les inversions. Chevalet évoquera encore la sodomie homosexuelle dans les Tyrans au bordeau (vers 476-9), et la sodomie hétérosexuelle aux vers 456-7 de L’Andureau et L’Andurée. 166 Prends ! On faisait bouillir les faux-monnayeurs, mais pas dans de la merde. 167 « Que j’abatis/ Les chièvres, et que combatis/ Ces marmotes [guenons] de pommes cuytes. » L’Arbalestre. 168 Cette expression revient dans de nombreux textes. Mais ici, Carnaval oblige, nous sommes encore dans la scatologie : « C’est mon cul qui a la toux. » (Chansons des comédiens françois.) On voyait en effet des enseignes représentant un chat qui pète. 169 Vous paierez tout de suite, pour que je ne me fasse pas rouler par vous. Rappelons que Mauloué s’adresse à un roi. 170 En avant, allons ! « Avant, avant, petit naquet ! » (Trote-menu et Mirre-loret.) Les « petits enfants » sont toujours le roi et la reine, comme au vers 118. 171 Pour ce prix-là, vous ne payez même pas le coût de leur fabrication. 172 Ce vers, tel que je le complète, est le vers 565 de la Pippée. 173 Ce n’est pas clair : vont-ils vendre leurs images, ou bien les partitions des chansons ? Les chanteurs des rues vendent la chanson qu’ils viennent d’interpréter : « Il me convient/ De vostre chanson acheter/ Plusieurs coppies. » (L’Aveugle et Saudret.) Au bas de cette planche, sur une estrade, on voit deux chanteurs proposer leurs partitions. 174 Mon langage. 175 Buveurs de vin (vers 254). « Pÿon, yvrongne et sac à vin. » (Le Raporteur.) Les chalands sont les bons compagnons. 176 Bu un coup. « Va me mener à la taverne ;/ Et là, nous burons ung tatin. » (L’Aveugle et Picolin.) Beaucoup de chansons reprochent aux moines de faire la grasse matinée et de ne se lever que pour boire. Par exemple celle-ci : « L’Ordre ne dit mye de lever matin./ Dormir jusqu’à prime et boire bon vin,/ Et chanter matines sur ung pot de vin. » La Résurrection Jénin à Paulme. 177 N’enfoncez pas les portes ouvertes. Ces « huis » béants désignent le sexe des femmes. « Je suis (celui) qui romps les huis ouvers/ Et despucelle les nourrisses. » Sermon joyeux d’un Dépucelleur de nourrices. 178 Sous peine. « Et sur peine d’estre pendu. » Légier d’Argent. 179 Éd : de pucelles (Voir la note 177.) Une nourrice a du lait parce qu’elle a eu un enfant ; malgré quelques précédents illustres, elle a donc peu de chances d’être encore pucelle. « Saint Velu (…)/ Despucella maintes nourrisses. » Sermon de saint Velu. 180 L’affaire. Mais aussi : le coït. « En faisant l’amoureux tripot. » Pernet qui va au vin. 181 Celui qui avalera un fagot. Mais aussi : celui qui dépensera un fagot. Les taverniers facturent aux clients le bois de chauffage (et la chandelle). « Brûler le fagot : aller boire bouteille ensemble au cabaret, & y brûler un fagot pour se chauffer en buvant. » Le Roux. 182 Ici même : qu’il vient de l’improviser. 183 Pour boire du vin. Cf. Te rogamus audi nos, vers 64. 184 Qu’on l’ait emmenée, afin que j’en sois débarrassé. 185 Je la céderais à bas prix, même si cela ne me rapportait qu’un centime.
MASSONS ET CHARPENTIERS
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MASSONS ET
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CHARPENTIERS
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À défaut de suivre un plan rigoureux, le Mystère de saint Clément fait la part belle aux architectes : on y voit un maître charpentier, flanqué de son apprenti (Col-de-grue), lesquels sont rejoints par un maître maçon et son apprenti. Puis viendront les charpentiers Guillaume et Garnier, adjoints des maçons Maucoutel et Hermen. On devine déjà que tous ces bâtisseurs d’églises préfèrent les tavernes aux chantiers.
Sources : La Vie et les Miracles de saint Clément, évesque de Metz. Sur les tribulations de ce manuscrit du XVe siècle aujourd’hui perdu, voir la notice du Messager et le Villain. J’emprunte les vers 35-254 à Fritz TINIUS <T> : Studien über das Mystère de Saint Clement. (Greifswald, 1909, pp. 73-78.) Le reste vient de Charles ABEL <A> : Le Mystère de St Clément. (Metz, 1861.) J’utilise les leçons inédites de F. Tinius publiées par Jean-Charles HERBIN <T-H> : Du nouveau sur le Mystère de saint Clément de Metz. (Romania, vol. 132, nº 527-528, 2014, pp. 428-460.) Quelques corrections sont fournies par Frédéric DUVAL <D> : Le Mystère de saint Clément de Metz. (Droz, 2011.)
Structure : Rimes plates.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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LE VARLET
Maistre, je voy que bonnement
Ne povez tant d’outils porter :
Je vous vueil ung peu supporter1,
Se vostre plaisir s’y adonne2.
LE CHARPENTIER
5 Par Dieu, tu es vaillant personne !
Or sus, varlet ! sus, Col-de-grue !
Prenez-moy tost la besaguë3,
La hache et tout ly aultre outil !
Icy, doit le varlet du charpentier
prenre tous les outtils.
LE VARLET
Maistre, regardez cy : est-il
10 [Homme tant]4 bien enharnaché(s) ?
Sachez : je suis bien empesché(s)
De les porter. Le col me ront5.
LE CHERPENTIER
Et ! il fait, sire, ung grant estront !
Quel beau va[r]let d’estront de chien6 !
LE VARLET
15 Par saint Mor(s) ! Maistre, sachez bien :
Vous ne sentez mie la mézaise7.
Dea ! vous devisez à vostre aise.
[LE CHERPENTIER]
Pour Dieu, cheminez, messag[i]er8 !
LE MESSAGER
Dites-moy, gentil cherpentier
20 (Car9 aler et parler puet-on) :
Savez-vous cy près nul masson ?
Avoir le fault sans nulle essongne10.
LE CHERPENTIER
Je sçay trop bien vostre besongne11,
À cela ne pouvez faillir.
LE VARLET
25 Je sçay bien tel12 qui assa[il]lir
Oseroit bien ung pot de vin,
Ung petit pâté metre à fin :
C’est ung ouvrier à trente-deulx13.
LE CHERPENTIER
Et ! quoise-toy14, quoise, bourdeulx !
30 Dieux vous mette en male sepmaine15 !
LE VALET
Maistre, sachez chose certaine :
Huy-mais16, ung seul mot ne diray.
Une autre fois m’aviseray.
Pardonnez-moy pour ceste fois.
*
Ici interviennent un maître maçon et son apprenti, Mal-esveillé, qui ne disent rien de drôle. 2 103 vers plus tard, le second fatiste17 présente deux compagnons maçons qui sortent d’une taverne passablement éméchés.
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MAUCOUTEL 18
35 Hermen, tu as bien bu jusqu(es) à ivre19 ;
Saint Mor ! tu ne sces que tu fais20.
Je n’eusse peu croire jamais21
Que tu fusse sy grant buvierre22.
HERMEN
Allez chier, allez, tricherre23 !
40 Dieu vous met’ en male sepmaine !
MAUCOUTEL
Mais à vous la fièvre quartaine !
Truant, pourquoy me maudis-tu ?
HERMEN
Pource que tu dis que j’ay bu
À outrage. Vous y mentez !
45 Se je devoie estre menés
En la cruppe24, se vous battrai-ge !
MAUCOUTEL
Hermen, tu n’as pas l’aventaige ;
Le plus fort, sy, l’enportera25.
HERMEN
Or se revenge qui poura26,
50 Mais vous arez ceste première !
MAUCOUTEL
Hermen, t(u) as la main trop légère.
Or tien27 ! Et sy, t’en vas dormir !
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GUILLAUME 28
Et ! dont nous29 puet cecy venir ?
Qu’est cecy ? Dont vient la bataille ?
GARNIER
55 Ce sont très mauvaise mardaille30 :
Ilz sont plus ivres qu’une soupe31.
MAUCOUTEL
Son baston n’estoit pas d’estoupe :
Il y pert32 bien à mon espaule.
GUILLAUME
Par ma foy ! le vin vous affolle.
60 Encor n’en est pas la pais faite.
GARNIER
Saint Mor ! j’en vueil faire l’enqueste33.
Pour la paix, s’en mollerons nos bouches34.
Hermen, vien çà, et cy t’aprouches !
Dy-moy, je t’en pry, le méhain35.
HERMEN
65 Je te tenroie36 jusqu(es) à demain,
Se je te contoie la manière.
Mais je le feray à ta prière ;
Bien brief j’en vueil estre délivre37.
Il di[s]t : « Tu as bu jusqu’à ivre. »
70 Et m’aloit apeller « buvierre ».
Sachiez, je l’apellé : « Tricherre !
Dieu vous met’ en malle sepmaine ! »
GARNIER 38
Dieu vous doint la fièvre quartaine !
Wardez39 comment il me maudit !
HERMEN
75 Enhen, sire ! [Aussy, il]40 me di[s]t :
« Truant, pourquoy me maudis-tu ? »
GARNIER 41
Truant ? Truant ? Et dont fus-tu42,
Dy, paillart ? Or tien ceste prune43 !
El ne charra de ceste lune44,
80 Tant soit le souloil fort ardant45.
HERMEN
Je ne disoie qu’en récitant46,
Et vous l’avez prins en despit47.
Toutesfois, se j’avoie dit
Chose qui vous despleust, Garnier,
85 Jamès ne le vouldroie nier.
Mais ung peu estes trop fumeus48.
MAUCOUTEL
Je ne vouldroie pas qu’i fist49 mieulx,
Hermen : vous avez trouvé maistre.
HERMEN
Une aultre fois, pourra bien estre
90 Que je le vous rendré à double…
GUILLAUME
Je vous requier : nul ne se trouble !
Allons boire par paix faisant50 !
Je seroie trop desplaisant51
Se le débat reconmansoit.
HERMEN
95 Sire, je veulx bien qu’il en soit
À vous52, se juger en voulez.
GARNIER
Et moy, mais que ne me foulez53 ;
Ce ne seroit pas54 conpangnie.
MAUCOUTEL
Hermen a la buffe gaignie55 :
100 Toutesfois, il ara cela.
GUILLAUME
S’ara mon56. Hau, escoutez là !
Hermen, tu commensas premier57 ;
[Et Maucoutel]58 ; après, Garnier.
Vous estes trètous de la feste59.
105 Ne me menez bruit ne temppeste !
Tous trois paierez cinq solz à boire.
Une aultre fois, arez mémoire60,
Se j’ay bien jugé, vraiement.
GARNIER
Il me desplaît61 trop grandement,
110 Guillaume, je le vous dy bien.
HERMEN
C’est « bien dit », Garnier ? Vien çà, vien !
Cuides-tu ainsy estre quitte ?
Nennin pas, par saint Jehan Baptiste !
Il fault baisier le babbouin62.
MAUCOUTEL
115 A ! que c’est « bien dit », mon cousin !
Garnier est prins à la baboue63.
GARNIER
Escoutez : point ne vous avoue64.
Se je paie, c’est malgré moy.
GUILLAUME
Nous t’en croions bien, par ma foy !
120 Il ne t’y vault le reculer65.
HERMEN
Se nous te deviens despoullier
Ta robe, sy venras-tu boire66 !
Il ne te vault pas une poire :
Trètout ton refus ne vault rien.
GARNIER
125 Saint Mor ! il [le] me semble bien ;
Mais toutesfois, il m’en desplaist.
GUILLAUME
Il me semble que Garnier est
Mout simple67. Que t’en semble, Hermen ?
HERMEN
C’est mon68, certes. Allons-nous-en,
130 Je vous requier, boire d’autant69 !
MAUCOUTEL
Saint Jehan ! j’en suis bien consentant.
Je vois devant plus que le trot70.
GUILLAUME
Garnier, vous pa[i]rez mon esquot.
N’en faites jà sy pute moue71 !
GARNIER
135 Escoutez : point ne vous avoue.
Se je paie, c’est malgré moy.72
.
MAUCOUTEL
Hau ! tavernier !
LE TAVERNIER
Hau là !
MAUCOUTEL
[Par foy]73,
As-tu point de bon vin séans ?
LE TAVERNIER
Ouy dea, et des pastés frians,
140 Ne doubtez. Vous serez bien aise.
MAUCOUTEL
Or c’est bien dit, par saint Gervaise74 !
Maishuy n’oÿ75 meilleurs nouvelles.
GUILLAUME
Aportez-nous, en deux escuelles76,
Deux pastés, et vous ferez bien.
HERMEN
145 [Que] deux pastés ? Estront de chien !
Par saint Mor, sire, il en fault quatre !
GARNIER
Encor[e] te feras-tu batre
Hermen, advant que la dance départe77 !
Entens-tu ?
HERMEN
De par Dieu, de cela, quel parte78 !
150 En lair[r]ai-ge pour tant le79 boire ?
Je n’en perdré jà mon mémoire80.
Aportez-nous quatre pastés !
LE TAVERNIER
Voulentiers ! Il sont aprestés.
Et conbien voulez-vous de vin ?
GUILLAUME
155 Par saint Jehan ! c’est bien dit, cousin.
Aportez-nous-en une quarte !
LE TAVERNIER
Très voulentiers, par sainte Barte81 !
[Sept sestiers]82, se vous le voullez.
MAUCOUTEL
Tavernier, allez tost, allez !
160 Garnier, je vous pry : siette[z] cy83 !
LE TAVERNIER
Mes gentilz amis, voiez cy
Quatre pastés, ung pot de vin.
Or le mettez tentost à fin :
Quant vous vouldrez, g’iray à l’autre84.
GARNIER
165 Advisez-moy cy quel apostre85 !
Sens que j’en aie oncques tasté.
Et ! vraiement, tu es bien paillart !
HERMEN
Avisez-moy le pappellart
170 Qui va menger les crucifix88 !
Sire, se j’en mengoie dix,
De cella que vouldriez-vous dire89 ?
LE TAVERNIER
Seigneurs, ne vous mouvez en ire90 !
Je vous pry : comptez vostre esquot91.
GUILLAUME
175 C’est bien dit. Nulz ne sonne mot92 !
Mettez l’esquot en une somme93.
Vous me semblez très bon proud’omme :
Rien ne vouldriez avoir du nostre94 ?
LE TAVERNIER
Non, sire, par saint Pol l’apostre !
180 Il me souffit de mon escot.
GUILLAUME
Or sus, ami(s), or comptez tost !
Nous n’avons mestier95 de débatre.
LE TAVERNIER
Pour96 tout, devez sinq solz et quatre.
Paiez, je me tenray97 content.
GUILLAUME
185 Hau, hau ! Nous ne devons pas tant.
Je vous pry, comptez par raison.
Ce compte n’est point de saison :
Vous n’estes pas léal98 marchant.
LE TAVERNIER
Par saint Matellin de Larchant99 !
190 Vous n’arez de moy aultre compte.
Et ! par le corps Dieu, c’est grant honte
À vous d’en parler100 pour sy peu.
GUILLAUME
Je n’en donroie pas ung cleu101 !
Pour la « honte », c’est mon dammaige102.
195 Pourquoy doncques n’en parlerai-ge ?
N’ay-je pas bien raison, Garnier ?
GARNIER
J[e m’]en iroie, avant, plaidier,
Que vous accordasse la somme103.
LE TAVERNIER
Vous estes ung merveilleus104 homme !
200 Sire, ne105 voullez-vous paier ?
Me cuidez-vous doncq esmaier106
Se vous parlez de « plaidoirie » ?
HERMEN
Vous vous coursiez107, sainte Marie !
Dittes à ung mot108 : que nous devrons ?
LE TAVERNIER
205 Sinc solz et quatre.
MAUCOUTEL
Non ferons !
Vous nous feriez ainssois109 conbatre.
LE TAVERNIER
Or sus ! vous n’en pa[i]rez que quatre.
Je ne veulx point avoir de noise.
GUILLAUME
A, dia ! la parolle est courtoise.
210 Seigneurs, avisez qui paira !
Voulez-vous où le sort charra110,
De vous trois, qu’i paie cest esquot ?
MAUCOUTEL
Quant est à moy, je m’y accort.
HERMEN
Et my111.
GARNIER
Et my aussy. Faites les los112.
215 Mais que chascun ait les yeulx clos,
De nous trois, et qu’on ne voie goute !
GUILLAUME
Au ! dia, Hermen, estoupe-te113 :
Il me semble que tu vois clèr.
HERMEN
Non fais, non.
GUILLAUME
Or çà, qui tire le premier ?
220 Il fault que ne-sçay-qui commence ;
Garnier, tu mèneras la dance.
Il paie l’esquot qui a le plus lonc.
Ainsy jouent les enfans ; ne font114 ?
Garnier, avise bien à traire115 !
GARNIER
225 Il ne vous en fault jà tant braire :
Je tireray à l’aventure…
J’ay le plus grant, à la malle heure !
Or sus ! je suis pris à la moue116.
HERMEN
Garnier, c’est pour toy, cest escroue117 :
230 Ami(s), tu n’en paieras jà mains118.
GARNIER
Je te jure par ces deux mains119
Qu’une aultre fois m’en souvenra120 !
TOUS LES OUVRIERS ensemble :
Adieu ! Cest, issy121, vous paiera ;
Retenez son122 bien pour le(s) gaige.
.
LE TAVERNIER
235 Saint Jehan, créez que sy ferai-ge123,
Se, senon124, que je soie paié !
GARNIER
Je ne suis pas bien advoié125 :
Hélas, je n’ay denier ne maille
Sur moy, ne chose qui rien126 vaille,
240 Se je n’alloie quérir ma hache127.
LE TAVERNIER
Or va donc tost, et te despêche !
Aportes-moy gaige ou argent !128
.
GARNIER
Ouy dea. Je suis eschappé bel et gent ;
Il ne me verra de129 sepmaine
245 (Foy que doy), [n’]à la Magdalène130 !
Je suis eschapé, Dieu mercy !
.
LE TAVERNIER
Saint Jehan ! je voy bien que je sui
Bartey131 : mon hoste ne vient point.
A, Dieu, quel [des]piesse[ur]132 de pourpoint !
250 Par ma foy ! il s’en est alley.
Je suis de mon esquot paiey.
Or sus ! plus que tant ay perdu133 ;
Je n’en seray jà esperdu
Pour quatre solz, ne plus ne mains.
*
Quand les ouvriers ne sont pas encore ivres, saint Clément leur fait bâtir des églises. D’un naturel taquin, ils se cachent mutuellement leurs outils, ce qui donne lieu à quelques blaguounettes graveleuses. On aurait tort de croire que les bâtisseurs de cathédrales travaillaient dans un recueillement religieux : ils les ont décorées avec quelques-unes des sculptures et des boiseries les plus obscènes et les plus scatologiques du Moyen Âge, à l’instar des enlumineurs de psautiers qui se défoulaient dans les marges. Ce Mystère nous offre un exemple unique de ce que furent les conversations profanes des artistes sacrés.
.
GARNIER
255 À qui est-ce que j’ay presté
Ma queulx134 ? Ne le sces-tu, Guillaume ?
GUILL[AUM]E
Nennin, par monseigneur saint Cosme,
Le bon saint qui gist à Luzarches !
Or, vas voir s’el(le) seroit ès arches
260 Des[s]oux Jouy135, ou là autour.
GARNIER
A, dea ! tu me joues d’un tour ;
Ce n’est pas la première fois.
…………………………
HERMEN
Guillaume, tu n’as mie ta soye136 :
As-tu rien oublié çà bas ?
GUILLAUME
265 Ore, tu ne t’en tenrois pas137,
De toy mocquier ainsy du monde !
Vraiement, je doubt qu’i ne redonde
Une scie138 quant à tes despens…
HERMEN
Ore, vraiment, je me repens
270 De t’en avoir donné mémoire.
(Ils ont cuer ainsy qu’une poire139.
Estront ! on ne leur puet rien dire.)
………………………….
HERMEN
Avisez commant il s’atèche140 !
Maucoutel, warde les lanières141 !
MAUCOUTEL
275 Point n’as oublié tes manières :
Tousjours te truffes-tu142 du monde.
………………………….
MAUCOUTEL
Par foy, vécy bonne fontaine143 !
Hermen, je t’en pri : or y essaie !
HERMEN
Et ! je t’en requier que j’en aie :
280 Sy sauray quel goust elle sent…
[Dea !] je cuide, à mon essïent,
Qu(e) ung mort en [re]susciteroit
Se ung seul godet en buvoit.
C’est droite eaue à faire vinaige144 !
MAUCOUTEL
285 Or (par mon serment) tu dis raige145,
Hermen : les mors n’en boivent point.
HERMEN
Par saint [Mor146] ! c’est ung aultre point ;
J’ay bien dit : « S’il en povoit boire. »
MAUCOUTEL
Ton parler ne vault une poire !
290 Je te pri qu’on nous reposons
Et, tout icy, ung pouc dormons147 ;
C’est le meilleur tour que g’y voie.
HERMEN
Saint Jehan ! sire, j’en ay grant joie :
Après menger, on doit dormir.
*
Saint Clément finit par payer les maçons. Ou plutôt, comme il est radin, il les envoie se faire payer par un aubergiste qui retient en gage le marteau d’Hermen. Munis de leur florin, les ouvriers n’ont rien de plus urgent que d’aller boire autre chose que de l’eau : « Mèshuy ne buvrey de fontaine / Tant que ce florin durera. / Maudit soit qui ne buvera / À plain museau de ce bon vin ! » Mais après cette nouvelle beuverie, il faut de nouveau régler la note du tavernier.
.
HERMEN
295 Maucoutel, qu’esse que tu dis ?
[MAUCOUTEL]
Nous avons trop esté séans148.
LE TAVERNIER
Merde149 ! qu’esse-cy ? Quels truans !
Foy que doy moy150, véci grant honte !
MAUCOUTEL
Nous n’attendons mais que le conte151 ;
300 Mais certes, nous n’osions hurter152.
Vueillez-vous153 ung pouc déporter,
Beaux hostes154 : comptez nostre esquot.
LE TAVERNIER
Vous avez de vin plain ung pot
— Une quarte à la grant mesure —,
305 Pain, et char, fourmaige[s] en présure155 ;
[Ou sont moulés : ce]156 sont matons.
Je suis content que nous comptons.
Trois soulz pour [tout], vous souffit-il ?
HERMEN
Ouÿ dia, compangnon gentil :
310 Vous avez compté tout à droit157.
Nulz homs blasmer ne vous saroit158.
Il vous convient argent, ou gaige ?
LE TAVERNIER
Or paiez (sy ferez que saige159)
Tout lïément sans harier160 !
MAUCOUTEL
315 Nous ne voulons grain varier161 :
Vous serez paié, bel cousin.
Hermen, tire fieur162 le florin !
Il nous convient avoir du change163.
HERMEN
Ne sçay s’il est cheu de ma mange164…
320 Ce seroit bien au pis venir…
Je la pense brièfment tenir165.
Çà, beaux hostes, de la monnoie !
LE TAVERNIER
Voulentiers, se Dieu m’envoit joie !
Il vous fault à chascun sincq soulz.
HERMEN
325 Dieu ! sire, vous estes bien soûlz166 !
Laissiez-moy les dis soulz venir ;
Après, m’en laissiez convenir167.
Vous estes paié, n’estes mye ?
LE TAVERNIER
Ouÿ. Adieu la compangnye !
330 À Dieu voisiez-vous168, belz enfans !
HERMEN
Alons-en d’écy169, il est temps :
Nous avons prins nostre repas.170
.
Maucoutel, ne te cource pas171 :
J’ay dix soulz qui sont à nous deux.
335 Je les garderay, si tu veux ;
Ou se, senon172, véci ta part.
MAUCOUTEL
De les p[r]enre seray espart173 :
C’est pour gouverner le mesnaige.
HERMEN
Dya ! Maucoutel, tu deviens saige
340 D’esparnier, par mon sacrement !
MAUCOUTEL
Coise-toy174 (ce n’est pas souvent) !
Je doubte trop Mal-assenée175 :
Il semble qu’el soit forsenée
Toutes fois que n’aporte argent.
HERMEN
345 Je t’en crois bien, par mon serment !
Hahay, Dieu ! qu’elle est male famme176 !
MAUCOUTEL
Toutefois, elle [a bonne fame]177 ;
Mais elle parle ung pouc trop hault.
HERMEN
La myenne, tel fois est, m’assault178.
350 Par mon serment, tu ne croiroies !
Par foy ! s(e) escouter la vouloie
Et faire tout à son plaisir,
Je croy qu’il me fauldroit morir.
Mais je fais du tout au contraire179.
MAUCOUTEL
355 Par foy ! ainsy me fault-il faire :
A, dea ! c’est ung très bon conceil.
Il me desplaist — et sy, m’en dueil180 —
Qu’ainsy subget suis à ma famme.
*
1 Je veux vous aider un peu. « À vous aider et supporter. » Les Esveilleurs du chat qui dort. 2 Si cela vous est agréable. 3 Ma besaiguë. Le maître charpentier refile toutes les corvées à son apprenti, qui est beaucoup plus servile que celui du charpentier Saoul-d’ouvrer. 4 A : Sommes nous (« Est-il homme tant fol qui se ausast promettre vivre troys ans ? » Rabelais, Tiers Livre, 2.) 5 Se rompt. Col-de-grue, comme son nom l’indique, a un cou long et grêle, et ne peut y colleter des objets lourds, ce qui était pourtant possible du fait que les outils modernes étaient plus légers que les anciens ; le valet du charpentier mis en scène par P. Gringore est moins délicat : « Je viens de mettre/ Noz outilz à point, par saint Pol,/ Et les porter dessus mon col/ (Par Dieu) à la mode nouvelle. » La Vie monseigneur sainct Loÿs. 6 Quel valet de merde ! « Mon beau maistre d’estronc de chien. » Le Cousturier et Ésopet. 7 Mon malaise, ma gêne. 8 Nos charpentiers suivent un messager qu’on a expédié à Metz pour qu’il recrute des ouvriers afin de bâtir une église. C’est le même que dans le Messager et le Villain. 9 T-H : On dit que (Car on peut parler tout en marchant. « Aller & parler peut-on ; boire & manger, non. » Cotgrave.) 10 Sans essoine : sans retard. 11 J’ai votre affaire. 12 T-H : fel — A : tel (Je connais un maçon.) 13 Qui a 32 dents : qui est vorace. Voir la note de Frédéric Duval. 14 Tiens-toi coi : tais-toi ! Idem vers 341. Bourdeux = menteur ; cf. la Laitière, vers 313. 15 Dans une mauvaise passe. Même vers que 40 et 72. 16 Aujourd’hui. Nous aurons la forme « maishuy » à 142. 17 Voir la note 4 du Messager et le Villain. 18 Mauvais couteau. Le couteau est un outil qu’on utilise en maçonnerie. 19 Jusqu’à devenir ivre. Idem vers 69. 20 Tu ne sais pas ce que tu fais. « Va, va, tu ne sçais que tu fais ! » Gournay et Micet. 21 Je n’aurais jamais pu croire. 22 Buveur. Idem vers 70. La confusion éthylique est symbolisée par un mélange inextricable de tutoiement et de vouvoiement, y compris dans une même phrase. 23 Tricheur, trompeur. Idem vers 71. « Judas le tricherre. » Godefroy. 24 T : suppe, (Crupe = croupe. « La cruppe de son cheval. » Raoul Le Fèvre.) Même si je devais subir la peine infamante de la claie : on attache le malfaiteur sur un treillis, lui-même attaché à la croupe d’un cheval qui le traîne. 25 À 11 reprises, le futur en -ra prend la marque du conditionnel en -rait. Je corrige tacitement cette inutile complication. 26 Vengez-vous si vous pouvez. Hermen donne un coup sur l’épaule de Maucoutel (vers 58) avec sa toise en bois. 27 Il flanque une gifle à Hermen. 28 Deux charpentiers passent dans la rue ; ils reconnaissent les belligérants et les séparent. 29 T : me (D’où peut nous venir cela ?) 30 De dangereux mendiants. Même vers dans le Messager et le Villain. 31 Plus imbibés qu’un morceau de pain trempé dans du vin. « Tu es plus yvre qu’une soupe. » Ung biau miracle. 32 Cela apparaît. Verbe paroir. 33 Je veux vous interroger. 34 Pour votre réconciliation, nous mouillerons notre bouche : nous trinquerons ensemble. Voir le vers 92. 35 Dis-moi où le bât blesse. « J’iray luy dire mon méhain. » Le Messager et le Villain. 36 Je te tiendrais ici. 37 Délivré. « –Que jamais n’en seras délivre./ –Dictes tout. –Je ne suis pas yvre ! » Mahuet. 38 Il croit qu’Hermen l’injurie. 39 Regardez. Même particularisme lorrain à 274. 40 T : ainsy 41 Il prend pour lui la question d’Hermen, qui ne faisait que citer le vers 42 prononcé par Maucoutel. 42 Et d’où crois-tu venir ? « Dont fus-tu néz, et de quiex genz ? » (Geffroi de Paris.) Un paillard est un pauvre qui couche sur la paille ; cf. les Miraculés, vers 27. 43 Nous dirions : cette châtaigne. « Empoignez/ Ceste prune ! » (Le Munyer.) Garnier donne un coup sur la tête d’Hermen. 44 Elle ne tombera pas de tout ce mois. « Mais il sera bien ancien :/ Il ne sera de ceste lune. » (St Clément.) « Charra » est le futur de choir, comme à 211. 45 Même si le soleil est très chaud, il ne fera pas mûrir et tomber la bosse que je viens de te faire. 46 Hermen citait les injures échangées aux vers 35-42. 47 En mauvaise part. 48 Coléreux. 49 T : fust (Je ne voudrais pas que Garnier ait fait autre chose que de vous frapper.) 50 Ceux qui se sont querellés parce qu’ils ont trop bu iront donc faire la paix devant un verre de vin. 51 Cela me déplairait trop. 52 Que cette affaire d’injures vous soit confiée, Guillaume. 53 Et moi aussi, à condition que vous ne m’accabliez pas. 54 T : par — T-H : pas (Ce ne serait pas confraternel : Guillaume et Garnier sont compagnons charpentiers.) 55 A bien gagné cette baffe. « Tenez ceste buffe au visaige ! » Le Mince de quaire. 56 T : Saramon (Il l’aura. « Aura-il assez de cecy ?/ Ha ! s’aura mon, par sainct Gobin ! » Les Femmes qui font renbourer leur bas.) « Mon » est une particule de renforcement, comme à 129. 57 Tu commenças la dispute le premier. 58 T : Maucoutel et (Puis Maucoutel.) 59 Vous êtes tous à mettre dans le même sac. 60 Vous vous en souviendrez. 61 Cela me déplaît de devoir payer à boire. 62 « Baiser le babouin : rendre obéyssance. » Antoine Oudin. 63 A perdu comme s’il avait joué aux dés. « À d’aulcuns jeux de sort,/ Comme à la baboue ou aux tables [au trictrac]. » (Éloy d’Amerval.) Connivence sonore avec « babouin ». 64 Je ne vous reconnais pas comme arbitre, Guillaume. 65 Ce n’est pas la peine de reculer. « Riens n’y vault le songer. » Le Badin qui se loue. 66 Même si nous devions te dépouiller de ta robe, tu viendrais boire avec nous. 67 Bien bête de ne pas vouloir boire. « Il est simple et novice. » La Veuve. 68 C’est mon avis. Cf. le Fossoieur et son Varlet, vers 168. 69 Boire à la santé les uns des autres. « Allons-nous-en boire d’autant,/ Trèstous ! » Maistre Mimin estudiant. 70 Je vais devant plus vite que le trot. Dans une scène antérieure, Guillaume déclamait le même vers. 71 Une si laide grimace. « Par despit, elle en faisoit/ La pute moe. » Le Vergier d’Honneur. 72 Reprise des vers 117-8. Les ouvriers entrent dans la taverne. 73 T : Foy que tu doy (Par ta foi ! Voir les vers 277, 351 et 355.) 74 St Gervais, ici féminisé pour la rime, comme au vers 227 du Mariage Robin Mouton. 75 Jusque-là, je n’ouïs jamais de… 76 « É-cuelle » compte pour 2 syllabes : cf. le Messager et le Villain, vers 192. Les taverniers ne servent pas d’assiettes individuelles, mais des plats pour deux ou trois personnes qui s’en partagent le contenu. Guillaume commande deux pâtés, qui sont des pâtes feuilletées farcies de viande hachée ou de poisson et cuites au four. 77 Ne s’achève. « Ains que le jeu depparte. » Le Pourpoint rétréchy. 78 Quelle perte ! (Parte = perte : « Onques ne feismes telle parte :/ Tout avons perdu. » St Clément.) « Mais, pour Dieu, regardez quel perte/ Ce seroit ! » Deux hommes et leurs deux femmes. 79 T : a (La boisson, le vin. « Dea, Naudin, tu laisses le boyre ? » Troys Galans et un Badin.) Renoncerai-je à boire pour autant ? 80 Ma mémoire, qui est renforcée par le vin. « De peur de perdre mon mémoire,/ Je vous prie, donnez-moy à boire ! » Sermon pour une nopce. 81 Sainte Berthe. Pour la prononciation, voir la note 78. 82 T : Ung sepsestier (Le setier fait environ un demi-litre, ce qui est trop peu pour quatre assoiffés.) 83 Asseyez-vous ici. « Siettez-vous donc. » Glossaire des patois et des parlers de l’Anjou. 84 J’irai chercher l’autre pot. 85 Cette comparaison peu flatteuse vise Hermen. « Voyez quel appostre ! » Les Premiers gardonnéz. 86 T : ait (Je corrige encore cette désinence gênante à 222.) 87 T : son 88 L’hypocrite qui embrasse publiquement les crucifix. « Ypocrite et vray papelart,/ Ung grant mengeur de crucifix/ Qui jamais bien à nul ne fis. » Éloy d’Amerval. 89 Si je mangeais dix pâtés, qu’auriez-vous à redire ? 90 Ne vous mettez pas en colère. Le tavernier, qui a déjà vu ces ivrognes à l’œuvre, commence à craindre pour sa vaisselle et pour sa rémunération. 91 Préparez votre écot, la part que chacun me doit. 92 Que nul ne prononce un mot ! 93 Regroupez les quatre additions en une seule. 94 De notre argent : vous ne voudriez rien nous escroquer ? « Je ne vueil rien du vostre. » Les Trois amoureux de la croix. 95 Besoin. 96 T : Par (Voir le vers 308.) Pour l’ensemble, vous me devez 5 sous et 4 deniers ; idem vers 205. 97 Je me tiendrai : je serai. 98 Un loyal, un honnête. 99 C’est le saint patron des fous, notamment de ceux qui se croient possédés par le diable. Voir la Vie de sainct Mathurin de Larchant hystoriée. Montaiglon-Rothschild, XII, pp. 357-414. 100 De discuter. 101 Un clou. Cf. le Messager et le Villain, vers 183 et note. 102 Mon dommage, mon affaire. Réponse au vers 191. 103 Il s’adresse au tavernier : J’aimerais mieux aller plaider en Justice que de vous accorder cette somme. 104 Extravagant. 105 T : que 106 Croyez-vous m’émouvoir, m’impressionner ? 107 Vous vous courroucez. Idem vers 333. 108 Quel est votre dernier mot ? « Quarante solz, tout à ung mot. » Le Gouteux. 109 Avant, plutôt. 110 Que celui sur qui le sort tombera. Voir la note 44. Les buveurs vont tirer à la courte paille. Ce jeu d’enfants (vers 223) est décrit aux vers 63-77 du Jeu du capifol. 111 Moi aussi. 112 Les lots : préparez les pailles que nous allons tirer. Guillaume, le meneur de jeu, ramasse trois fétus de paille — deux courts et un long — et les dispose dans son poing. Le sol des tavernes est jonché de paille, pour absorber les flaques de vin et de vomi. 113 Bouche-toi les yeux. Le rimeur ne s’est pas trop fatigué. 114 N’est-ce pas ? 115 Choisis bien la paille que tu vas tirer. 116 À mes propres grimaces, à mon propre jeu. « Il est prins par sa moue. » Le Pourpoint rétréchy. 117 Ce qu’il y a à payer. L’écroue est le livre de comptes d’une maison princière, où sont notées les dépenses. 118 Jamais moins. Idem vers 254. 119 Façon de prêter serment à la manière des chevaliers. 120 Il m’en souviendra. 121 Celui-ci, cet homme ici. 122 T : le (Ce qu’il possède. « Faictes arest sur tout son bien ! » Le Marchant de pommes.) Maucoutel, Guillaume et Hermen quittent la taverne. 123 Croyez bien que je ferai ainsi. 124 Ou sinon. Idem vers 336. « Ou se, se non, mal vous venra/ Et grant ennuy. » (Mystère de saint Crespin.) Laissez-moi quelque chose en gage, ou payez-moi. 125 En bonne voie, en fonds. 126 T : le (Qui vaille quelque chose. « Et s’il vend chose qui rien vaille. » Sermon joyeux de Mariage.) 127 À moins que je n’aille chercher ma hache pour vous la laisser en gage le temps que je trouve de l’argent. Le tavernier aurait dû se méfier : un charpentier sans doloire ne peut plus gagner d’argent. 128 Garnier s’en va. 129 T : des (De toute la semaine. « Tu ne me verras de sepmaine. » Grant Gosier.) 130 Ni le jour de la Sainte-Madeleine (22 juillet), qui est un des termes de l’année prévus pour payer les dettes. « À paier aus termes qui s’ensivent, c’est assavoir à la Magdaleine 60 livres tournois, et au jour de Karesme 50 livres tournois. » Arch. nat. 131 « Graphie syncopée de barater. » (F. Duval.) Baratter = faire usage de barat, de tromperie. « Mais par ta flatterie j’ey esté barattée. » Godefroy. 132 Quel dépeceur. Il est si pauvre qu’il vend au détail des morceaux de son pourpoint. 133 J’ai déjà perdu plus que cela. « J’ay assez plus que tant perdu. » Les Gens nouveaulx. 134 Ma pierre à aiguiser. Queue = pénis : « Au moyns serez-vous bien joyeuse/ Quant ma queue verte sentirez. » Les Femmes qui plantent leurs maris. 135 Jouy-aux-Arches, près de Metz, fournit deux calembours grivois : Jouir d’une femme = lui faire l’amour : « Nostre chappellain/ Jouyt de ma femme. » (Ung mary jaloux.) « Arches » = fesses. Cf. TRIBOULET : la Farce de Pathelin et autres pièces homosexuelles. GKC, 2011, p. 368. 136 Ta scie de charpentier : « Ma grant hache prendrai en l’eure,/ Mon sizel, ma soie, ma congnie. » (St Clément.) Double sens : ta fourrure de porc. « De la soye de pourceau. » (Les Queues troussées.) 137 Tu ne pourrais pas te retenir. 138 A : scay (Je redoute qu’une scie ne retombe sur tes pendants, sur tes testicules.) 139 Ils ont le cœur aussi dur qu’une poire verte. 140 Comment Maucoutel s’attache. Les couvreurs sont retenus par des sangles. Contre toute logique, ce Mystère ne comporte aucun rôle de couvreur, contrairement à la Tour de babel, où œuvre l’indissociable trio : « Charpentiers, massons,/ Couvreurs de diverses façons. » Il faut croire que Maucoutel s’occupe lui-même de la toiture. Dans l’Invencion du corps de monsieur saint Quentin, c’est le charpentier Taillant et son apprenti qui s’improvisent couvreurs, et non le maçon Brisepierre. 141 Prends garde aux lanières, avec lesquelles on fustige les fesses des cancres. 142 Tu te moques. Cf. L’Andureau et L’Andurée, vers 125. 143 Les maçons viennent d’édifier une fontaine miraculeuse qui leur donne envie de boire de l’eau : saint Clément vient d’accomplir son plus grand miracle ! 144 C’est vraiment une eau digne d’en faire du vin. « Petites bouteilles de verre pour mectre le vinage. » ATILF. 145 Tu dis n’importe quoi. Cf. Mahuet, vers 45. 146 Lacune. Saint Mor [St Maur] est nommé aux vers 15, 36, 61, 125 et 146. Hermen fait un calembour sur « mort ». 147 Et que sur ce chantier nous dormions un peu. 148 Nous sommes restés trop longtemps dans cette taverne. Mais le tavernier comprend : Nous avons trop pété ici. J’ai connu l’époque où tous les étudiants en Lettres classiques savaient par cœur ces vers bien innocents de Jean de La Péruse : « Je n’ay que trop esté,/ Repeu du vent de vos promesses vaines. » Je me souviens que notre chouchou était alors Jacques de La Taille, qui fit parler Darius mourant : « ‟Ô Alexandre, adieu, quelque part où tu sois !/ Ma mère et mes enfans aye en recommenda…”/ Il ne peust achever, car la mort l’en garda. » 149 T-H : Me dia (Conséquence scatologique du vers précédent.) 150 Même juron blasphématoire au vers 275 du Messager et le Villain. 151 Plus que le compte, que l’addition. 152 Heurter notre table avec un pot métallique, pour attirer votre attention. Quelques siècles plus tard, on heurtera la sous-tasse avec une cuillère à café. « Encore nous fault-il ung verre./ S’y fault plus rien, nous hurterons. » St Clément. 153 T-H : nous — D : [v]ous (Veuillez vous écarter un peu. « Vueillez vous déporter un poy. » ATILF.) 154 Bel hôte. Même singulier à 322. 155 De la chair [charcuterie], du fromage caillé. 156 A : On sonuoules, se (Ou bien ces fromages sont moulés.) Les matons sont des fromages mous ; cf. le Messager et le Villain, vers 193. Il serait d’ailleurs judicieux de remplacer moulés par mollets : « Fourmaige frais qu’on appelle ‟mollet”. » Fleurs et antiquitéz des Gaules. 157 Avec exactitude. 158 Nul homme ne saurait [pourrait] vous blâmer. Cf. le Messager et le Villain, vers 344 et note. 159 Vous ferez sagement. « Taisez-vous, si ferez que sage. » Le Savetier Audin. 160 De bonne grâce, sans chicaner. 161 Pas du tout nous dédire. 162 Forme lorraine de fors [hors]. « Et soies fieur d’incrédulité » St Clément. 163 Il faut que le tavernier nous rende la monnaie pour que nous puissions nous la partager. 164 Si ce florin a chu de ma manche. Pour inquiéter le tavernier, Hermen fait semblant d’avoir perdu la bourse qu’il gardait dans sa manche : voir les vers 844-9 de l’Aveugle et Saudret. 165 Je pense tenir enfin ma bourse. Hermen donne le florin au tavernier. 166 Soûl. L’hôpital se moque de la charité. 167 Laissez-moi décider de leur usage. Le tavernier donne les 10 sous à Hermen. 168 Que vous alliez à Dieu ! 169 Allons-nous-en d’ici. 170 Les deux maçons se retrouvent dans la rue. 171 Ne te courrouce pas. 172 Ou sinon. Idem vers 236. 173 Je serai expert, habile pour prendre les 5 sous qui me reviennent. « Hermen est gracieulx et doulx,/ Et bien espart quant il s’y boute. » St Clément. 174 Tais-toi ! Idem vers 29. 175 Mal-mariée, mon épouse. Voir la note 24 du Messager et le Villain. 176 Elle est mauvaise femme, puisqu’elle parle plus fort que son époux, et qu’elle lui reproche de se ruiner à la taverne. « –(Elle) veult, par son caquet mauldit,/ Estre mestresse comme moy./ –Elle est malle fame pour toy. » Les Drois de la Porte Bodés. 177 T-H : est preude famme (Rime du même au même. Elle a une bonne réputation. « Elle se dist estre femme de bonne famme et renommée. » ATILF.) 178 Certaines fois, m’agresse. 179 Totalement le contraire de ce qu’elle exige. 180 Et aussi, je m’en plains.
DARU
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DARU
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Les bourreaux Gournay et Micet apportent une bonne dose d’humour noir au Mistère du Viel Testament ; de même, le bourreau Daru galvanise de son cynisme à toute épreuve les Actes des Apostres (~1470), de Simon Gréban. Voici quelques-unes de ses frasques, disséminées dans les quatre derniers livres du Mystère, qui en compte neuf.
Daru veut dire grossier1. Dans le Miracle de saint Ignace, un sergent cogne sur le saint : « Est-ce bien fort féru [frappé] ? / Ne say vilain, tant soit daru, / Qui n’en fust roupt [rompu]. » Jehan Du Prier, qui avait remanié les Actes des Apostres à la demande du roi René d’Anjou, nomma « Daru » un messager de son Mistère du Roy Advenir.
Sources : Le second volume du magnificque Mystère des Actes des Apostres. Édition parisienne d’Arnoul et Charles Les Angeliers, 15412. <Munich, Bayerische StaatsBibliothek, Res/2 P.o.gall. 27-2.> Je corrige tacitement d’après les éditions de 1538 et de 1540, qui sont beaucoup moins correctes et parfois incomplètes : voir les Bélistres.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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DARU
Qui a3 d’ung bon ouvrier à faire,
Voicy ung maistre du mestier.
Si nul de vous en a mestier4,
Vous voyez : je suis comparu5.
LE PREMIER PAYEN 6
5 Qui est ce gallant ?
DARU
C’est Daru,
Bon pendeur et bon escorcheur,
Bien bruslant homme, bon trencheur
De testes. Pour bailler ès fours7,
Trayner8, batre par carrefours,
10 Ne doubtez que meilleur s’appère9.
Le sire grant10 de mon grand-père
Fust pendu d’ung joly cordeau.
Ma grant-mère fut au bordeau11,
S’esbatant et menant grant chère,
15 La supellative12 sorcière
Dont on ouÿt jamais jangler13
Pour petis enfans estrangler.
Mon père fut tout vif bruslé.
Et mon frère fut décollé14.
20 Fut15 enfouy son aisné filz
En terre : la fosse luy feiz,
Et sur le ventre luy sailly16.
Mon autre frère fut bouilly
Pour ouvrer17 de faulse monnoye.
25 Et pour ce cas, là je venoye
Assavoir s’on avoit mestier
Du meilleur ministre au mestier18
Qui soit, en ma chair[e]19 occupée.
Or çà ! regardez mon espée,
30 Cordes, fouëtz et grésillons20.
J’enrage que nous n’assaillons
Quelque meschant, à ma venue !
……………………………..
DARU, assis.21
Ne viendra aucun m’enquérir22
Pour besongner ? Hé ! gentil corps23 !
35 Où sont bussines24, trompes, cors
Pour la Justice publier ?
J’ay peur du mestier oublier,
À moy reposer si long temps.
S’il fust aucuns seigneurs mettans
40 À Justice quelque gros bis25,
Je gaignasse tous ses habitz26 :
Pourpoinct, robe, tout seroit nostre.
Mais ung sermonneur, ung apostre,
Ung dessiré27, ung cayemant,
45 À tous les dyables les command28 !
De despescher telle quenaille29,
Je n’en donneroys une maille30,
Car je n’y sentz point de prouffit.
………………………………
Par ma foy, sire, je suis ung
50 Gentil-homme de basse main31.
Mon frère fut cousin germain
À l’oncle du nepveu au frère
De la fille à la seur du père
De la mère et de mon ayelle32.
55 Et la mienne portoit le voille33
Pour mieulx la Dame contrefaire.
………………………………
.
LE PRESTRE [DE LA LOY] 34
Bateras-tu bien cestuy-cy ?
DARU
Ouÿ, par Dieu ! Et vous aussi35,
Si monseigneur le me commande.
………………………………
L’ESCUYER DE ASTRAGÈS 36
60 Dea ! tu y mectz bien longuement,
Pour ung maistre comme tu dis.
Mais véritables sont les dictz :
Plus est ung homme grant vanteur,
Moins est véritable, et menteur37.
65 Daru, Daru, entendz ce mot !
DARU
Par Mars ! j’en auroye plus tost
Escorché une quarantaine,
Et bruslé une cinquantaine,
Et dix traynéz, et vingt pendus,
70 Et en quatre quartiers fendus
Ung cent38, de ce cousteau tout neuf,
Que tu n’auroys plumé ung œuf !
ASTRAGÈS 39
Il dict vray. Donne-luy à boire :
Bien l’a gaigné.
DARU
Par ma foy, voire !
L’ESCUYER
75 Ha ! comment il est empeschié40 !
C’est bien ouvré41 !
DARU
C’est bien chié42 !
Et ! beau sire, qu’as-tu affaire
De tant railler ? Laisse-moy faire !
Que Dieu te doint la mort amère !
ASTRAGÈS
80 Si tu es filz de bonne mère43,
Prens tost tes fouëtz, et le batz
Du long, du lé44, et hault et bas !
Acoup !
DARU. Il frappe sur sainct Bartholemy.
Tenez, pour moy esbatre :
Et ung ! Et deux ! Et trois ! Et quatre !
85 Et cinq ! Et six ! Et sept ! Et huyt !
Si je ne le rendz de sang vuyd45,
D’en avoir autant ne m’oppose46.
ASTRAGÈS
Es-tu lassé ?
DARU
Je me repose
Regardant ce costé deçà47.
L’ESCUYER
90 À luy, ribault !
DARU
Çà, maistre, çà !
Et zif ! Et zef ! Et zof ! Et zaf !
Et chic ! Et chec ! Et choc48 ! Et taf !
Et crocq ! Et cracq ! Et maille49 ! Et charge !
ASTRAGÈS
Prens à chascune main la verge,
95 Et autour du corps l’en accolle !
DARU
À l’escolle50, maistre, à l’escolle !
Juppin51, comme il a la peau dure !
………………………………
.
Je suys pied à pied les Apostres
À celle fin que ne les perde,
100 Comme une truye faict52 la merde.
………………………………
.
Mais…53 Mais… Que diroient mes amys
S’ilz me voyoient en ces habitz ?
Cecy : « Daru fait du gros bis54. »
Ha ! par Jupin, ilz n’en ont garde55 !
105 Car quant bien tous je les regarde56,
Qu’en feray-je ? Il le fault sçavoir57.
Que semble-il de moy, à me veoir ?
Ha ! mocque58 qui en ayt envie
— Soit homme mort ou soit en vie !
110 Je cacheray tous mes oultilz,
Cordes, cousteaulx, fouëtz gentilz ;
Et l’aveugle contreferay59.
En demandant mon pain, feray
Que quelque argent pourray acquerre60.
………………………………
115 Tenir me fauldra mes deux yeulx61
En ce poinct à demy ouvers,
Regardant les cieulx de travers :
Ce m’est advis, ainsi fait-on.
Ha ! voicy ung propre baston62
120 Pour les aulmosnes requérir.
………………………………
Sçavoir me fault comme il fault dire,
Et faire bien du marmiteux63 :
« Mes amys, voicy le piteux.
À voz aulmosnes me soubmetz.
125 Hé ! seigneurs, perdu j’ay les yeulx. »
(Aussi beaulx ne64 les euz jamais.)
« De demander je m’entremetz65,
Pour avoir66 ma vie. Et proteste
Que ne voy où le pied je metz
130 Non plus du cul que de la teste.67
Dieu le te68 rende en ses sainctz Cieulx,
Peuple, le bien que tu me faictz ! »
(Mon bien cacheray, c’est du mieulx ;
Ou mes propos seroient deffaictz69.)
135 « Las ! considérez les effectz
Dont fault que je porte moleste70 :
Je ne veoy tables ne buffectz
Non plus du cul que de la teste.
Hé ! bonnes gens jeunes et vieulx :
140 En voz maisons, en voz palays,
Mandez-moy [très bien]71, de voz lieux,
Par le moindre de voz varletz,
Du relief aucuns morceletz72
Dont le povre fera grant feste.
145 Je ne congnois73 beufz ne poulletz
Non plus du cul que de la teste.
Donnez-moy des petis brouetz
Que vous donriez à quelque beste !
Car veoir ne puis, [dont fais souhetz]74,
150 Non plus du cul que de la teste. »
.
L’HOSTE 75
Puisqu(e) avons nostre œuvre parfaicte,
Dieu vueille qu’elle nous soit bonne !
DARU
Hélas, vostre benoiste aulmosne !
Dieu vous saulve la claritat 76
155 Et vostre belle luminat,
Au nom de Dieu en qui je croy77 !
L’HOSTE
Venez, preud’homme ! Suyvez-moy,
Et je vous donray quelque crouste
De mon pain.
DARU
Et ! je n’y voy goutte.
L’HOSTE
160 Je vous mènray tout beau, présent78.
DARU
Dieu vous rende ce bon présent
Et le vous vueille remérir79 !
L’HOSTE
Séez-vous cy ! Je voys80 quérir
Ung peu de souppe.
DARU
Hé ! mon voisin :
165 Et ung petit just de raisin !
Non pas de bon vin, mais de trempe81,
Affin que mon pain dedans trempe.
L’HOSTE 82
Tenez, tenez, voylà du bon !
Et ung morcelet de jambon,
170 Car il n’y a point de potaige.
DARU
Grant mercis ! Puisque le pot ay-je,
Je boiray bien, ne vous desplaise.
L’HOSTE
Or me dictes — mais qu’il vous plaise —
Comment ceste adventure advint,
175 De voz yeulx.
DARU
Des jours n’a que vingt
Que j’estoye en trèsbel arroy83,
À gages, eschanson du Roy.
Et de nuyct, sans chandelle ou lune,
Comme cil va que nul n’alune84,
180 Dévalle en ce[rtain] creux concave.
L’HOSTE
Ung célier ?
DARU
C’estoit une cave :
J’allay quérir du vin vermeil
Pour le Roy. Ung ray de soleil85
Me vint réverbérer le front
185 (Près de86 la mâchouère, adonc),
Si fort que ne vy vin ny eau,
Et tombay sur ung grant tonneau ;
Et demouray là, tout confus87.
Puis l’endemain, si tost que sus88
190 Que le Roy estoit aveuglé…
L’HOSTE
Le Roy ?
DARU
[J’ay dit]89 ? Je suis janglé90 !
Vostre vin est fort comme fer ;
De moy, je ne sçauroye truffer91.
S(e) ung petit d’eaue j’y92 mettoye ?
195 Lorsque le Roy sceut que j’estoye
Aveuglé, j’euz tant de brouetz93…
L’HOSTE, voyant le bout des fouetz.
Que faictes-vous de ces fouëtz ?
DARU
Quoy ! les voyez-vous ? Je les tiens
Au poing, au chemin, pour les chiens ;
200 S’ilz m’abayoient94 soir ou matin,
Je fais ainsi : « Passe, mastin95 !
Arrière, arrière ! », quant il mord.
Icy, frappe l’hoste et l’hostesse de ses fouetz.
L’HOSTESSE
Que la malle sanglante mort
Ayt qui96 vous a mis en ce lieu !
L’HOSTE
205 Si ne feust pour l’amour de Dieu,
Ha croyez que l[’est]ourdisse bien97 !
DARU
Ay-je frappé dessus ung chien ?
Ha, Patault98 !
L’HOSTE
Voz fièbvres quartaines !
Or sus, sus, cherchez voz mitaines99 !
210 Prenez en gré100 ce peu de bien.
DARU
Et ! comment ? N’en payeray-je rien ?
L’HOSTE
Je n’ay de vostre argent mestier101.
DARU
À Dieu ! Voicy ung bon mestier ;
De le faire ne me repens.
215 Pendu soys-je si je despens
À voyage[r] denier ne maille !
Il est temps qu’en quelque lieu aille
M’adventurer.
L’HOSTE
Ha, Fine Myne102 !
Regardez comment il chemine,
220 Depuis que vin a englouty.
DARU, en soubzriant :
Le chemin sçay, de ce party103.
Voyez, le gallant est fringueux104.
L’HOSTE
Par le grant Dieu, c’est ung fin gueux105 !
DARU
Soubz ung gros manteau de bureau106,
225 On donne à boire à ung bourreau
Qui ung repas entretiendra107
Quant entre ses gens se tiendra.
L’HOSTE
Quel gros marault ! Faict-on ainsi ?
………………………………
DARU
À dormir me suis entremis108,
230 Après le vin du tavernier,
Qui cuyde estre ung fin lanternier109 ;
Mais je l’ay bien tost sceu avoir110.
À Dieu vous dy jusqu(e) au revoir !111
………………………………
Quant mon hoste s’esveillera,
235 Il se verra bien estonné
D’avoir à ung bourreau donné
Ung bancquet. Quelle fine espice112 !
………………………………
Seigneurs, s(e) on me vient demander,
Esveillez-moy tout doulcement :
240 Car je dors si très pesamment
Que, s’on ne me vient appeller,
On ne sçaura si bas parler
Que je ne les entendray jà113.
………………………………
Et ! je croy, si je ne m’esveille,
245 Que nully ne m’esveillera.
Qui pour soy ne travaillera114,
Mal yra, à ce que je voys.
………………………………
.
Et ! quel dyable pourroit entendre
Leurs chantz115 ? Ilz ne font que urler.
250 Ne sçav’ous116 autrement parler ?
On ne les entend peu ne pou117 :
L’ung urle en chien, et l’autre en lou ;
L’ung crye, l’autre parle hébrieu.
Je ne sçay que118 c’est. En ce lieu,
255 Ce sont dyables : je les conjure119 !
………………………………
.
Parlant aux veneurs : 120
Yray-je avec vous, messeigneurs ?
Je vous ayderay, si vous estes
Peu hardis à mener les bestes,
Si elles estoyent en chaleur.
260 Je fuz avec ung bastelleur121
Qui venoit de Sarrazinesme122 :
Mais nous deux — avecques sa femme —
Menasmes ung loup, ung regnard,
Quinze martinetz, ung pimart123,
265 Ung porc-espic, ung éléphant ;
À telz enseignes qu(e) ung enfant
Retraya124 au ventre sa mère !
Je suis, de les mener, le père125.
Et si, avions ung sagittaire126
270 Que nous faisions parler et taire
Ainsi qu’il estoit convenable.
Je feroye privé127 ung diable !
Et sans avoir beste battue,
Si je leur dy : « Sus, ribault, tue !
275 À ly128 ! », voylà ung homme mort.
………………………………
Icy, ameine le lyépart.129
Regardez, sire, le voicy !
Il est dehors, croyez ma voix130.
Ha ! par tous noz dieux, je m’en vois !
Je ne seray plus en ce lieu.
………………………………
.
ÉGÉE 131
280 Et que sçait-il faire ?
DARU
Bien pendre,
Rostir, brusler, escarteller132,
Batre de verges, descoller,
Trayner, escorcher, enfouyr ;
Et si on se combat, f[o]uÿr133
285 Aussi bien qu’oncques feist personne.
………………………………
.
ÉGÉE 134
Commectez Daru à la porte
De la prison où sont tenuz !
DARU
Voire, mais qu’il n’y vienne nulz135.
L’ESCUYER [DE] ÉGÉE
Comment ! es-tu si peu hardy ?
DARU
290 Ha ! dea, non pas ! Mais je le dy :
Quant des gens venir nous verrions,
Et trois ou quatre nous serions,
La chose yroit plus seurement.
LE PREMIER CHEVALIER [DE] ÉGÉE
Ne te chault ! Garde hardiment ;
295 Et s’il vient rien136, je t(e) ayderay.
DARU
Mais prenez les clefs seulement.
LE SECOND CHEVALIER [DE] ÉGÉE
Ne te chault, garde hardiment !
Où vas-tu ?
DARU
Gardez vaillamment,
Par le corps bieu ! Je reviendray.137
……………………………….
.
L’ESCUYER [DE] ÉGÉE
300 Quant ilz me vindrent requérir
Les clefz, pas je n’estoye asseur138.
DARU
Et de quoy ? En avoys-tu peur,
Pour veoir ung tas de ribauldaille,
De hurons139, ung tas de merdaille ?
305 Ba, ba ! il ne fault qu(e) ung revers140,
Ung montant, ung coup de travers,
Ung pas avant, deux en arrière.
Va ! tu n’entendz pas la manière
Comment en la guerre on s’esbat.
ÉGÉE
310 Mettons à demain ce débat,
Et nous retirons sans effroy.
DARU
Par Mahommet141 ! si Godeffroy
Venoit, et Rolland de Billon142,
Et Olyvier, ung papillon
315 N’en donneray143. Bouf ! Baf ! Bif ! Bou !
« Qui vive là144 ? Où sont-ilz, où ? »
………………………………
Par mon serment ! on dit bien voir145 :
Ung vaillant homme, où qu’il se treuve,
Quant en une guerre s’espreuve,
320 Il trouve tousjours à combatre146.
Mais toutesfois, quant vient à batre
— Posé qu’au combatre on s’esbat147 —,
Se, néantmoins, celluy qu’on bat 148,
Quoyqu’au batre s’est esbatu
325 (Le corps bieu !), quant il est batu149
Tant qu’il se fault rendre au batant 150,
Pas n’est jeu, pour estre151 esbatant.
Quant il y a quelque destour152,
Tousjours au batre fault153 l’amour,
330 Où est tout plaisir enfouy.
Et c’est pourquoy je m’en fouÿ154 :
Car sachez qu(e) ung coup, en bataille155,
Trop l’eschine156, soubz le bast 157, taille.
Pour tant158, en la combaterie
335 N’en lieu où y ayt baterie159,
Mauldit soit qui s’i embatra160 !
Tant qu’il sache, qu’on161 se batra,
V(e)ez là162 tout. V(e)ez là mon propos :
Batailler à voirres163 et potz,
340 À trippes, à pintes, à tasses,
À culz, à fesses164, à tétasses,
C’est bataille que je désire.
Mais toutesfois, il fault que tire
Vers Égée165, pour enquérir
345 S’il fera personne mourir :
À cela ne fault contredire.
………………………………
.
En chantant : 166
Dieu le vous myre167, myre, myre !
Dieu le vous myre, frère André !
Ha ! par ma foy, il me faict rire.
TOUS ENSEMBLE
350 Dieu le vous myre, myre, myre !
LE PREMIER CHEVALIER
Puisqu’il nous a tant voulu nuyre,
De le batre ne me faindray168.
LE SECOND [CHEVALIER]
Dieu le vous myre !
L’ESCUYER
Myre !
DARU
Myre !
ENSEMBLE
Dieu le vous myre, frère André !
………………………………
.
DARU 169
355 Et ! j(e) osteray ma heurte-bière170
Et habitz pour mieulx cheminer,
Et vers Rommanie trayner
Mes guestres, au partir d’icy.
………………………………
.
Et ! ne viendra quelque menteur
360 De ceulx qu’à nostre Loy171 s’opposent ?
Hélas ! mes oustilz se reposent
Et le maistre ne gaigne rien.
Je tempeste, je voys172, je vien,
Je travaille, je quiers, je trace :
365 Et si173, ne puis trouver la trace
De ceulx qu’à mettre à mort demande174.
Que faict Néron, qu’il ne commande
À mettre aucun meschant à mort ?
Ou Agrippe175, qu’il ne s’amort176
370 À enchercher et enquérir,
Pour sus quelque meschant courir ?
Comment despescher le pourrons177 ?
Où sont meurtriers ? Où sont larrons ?
Où sont hazardeurs178, crocheteurs,
375 Pendars d’homicides fauteurs179 ?
Je ne gaigne pas ma despense.
Venez çà ! Sçav’ous que je pense180 ?
Qu’à ces corbineurs181 de Justice
Ne soit venu à leur notice182
380 Quelque larron en jugement,
Qu’ilz ont perdu secrètement183
En quelque rue traversière ;
Aux pendans de leur gibessière
Seroit-il jamais advenu184 ?
………………………………
385 N’y aura-il personne prise185,
À celle fin que je m’esbatte
À les pendre, ou que je les batte ?
Que de Dieu chascun soit mauldict !
Chut ! Vous ne sçavez qu’on186 m’a dict ?
390 Par le grant dieu ! on m’a compté187…
Bien le sçay, je l’ay escouté.
Toutesfoys, je ne sçay pas bien
S’il est vray. Mais n’en dictes rien,
Voyez-vous ? Certes, si feriez ;
395 Et ! au fort, quand vous le diriez,
Je diroye à chascun, de vous,
Que vous auriez menty trèstous
Par le fin fons de la gargate188.
Dieu pry189 que le dyable m’abatte
400 S’on ne m’a dict (qui190 ? gens agus
Et subtilz) que Simon Magus
Feit l’aultre hier191 à Néron entendre
Qu’à la mort se faisoit estendre
Pour soy après ressusciter ;
405 Et sembloit qu’il se feist oster
La teste dessoubz le menton192,
Et ce n’estoit fors193 qu(e) ung mouton
Qu(e) ainsi feit à bon essïen
Sembler194, par art magicïen.
410 Et moy-mesmes je m’en doubtay :
Car quand la teste luy ostay,
Il sembloit qu’il n’y estoit point195
Comme chair d’homme, n’en tel point.
Il y a quelque chose à frire196.
415 Ne vous jouez pas à le dire,
Car à voz dictz contrediray
Et, par tous noz dieux, je diray
Que vous-mesmes avez ce dit197.
Nul n’y peult mectre contredict.
………………………………
.
420 Puisqu(e) à ce vostre vueil se fonde198,
Néron, puissant Impérateur,
Comme hardy opérateur,
D’elle vois faire la despesche199.
La vieille trop le monde empesche ;
425 Voylà son dernier sacrement200 ! Il l’assomme.
AGRIPPINE
Vrays dieux, je meurs injustement ;
Plaise vous me loger en gloire201 !
DARU
Plus ne jouera de la maschouère202 :
Elle est morte, la bonne dame.
………………………………
.
430 Quant à ma personne regarde,
J’estoye — si Dieu eust voulu
Avoir mon corps pour estre esleu203 —
Assez homme pour, en arroy204,
Estre prince, prélat ou roy,
435 Pour en triumphe avoir vescu.
J’ay les jambes jusques au cu,
J’ay la cuysse jusqu(e) au tallon205,
J’ay la barbe jusqu(e) au menton,
J’ay le ventre jusques au bout,
440 J’ay piedz et mains, et teste, et… tout206.
Ne suis-je donc homme formé ?
Et qui seroit207 bien informé
De la vaillance de mon corps,
Et seroit de mes faictz recordz208
445 (De209 par le grant dieu), je seroye
En des lieux où me trouveroye
Digne d’avoir beaucoup de charge.
Mais jà ne fault qu’on me descharge210 :
À ce ne seray-je trouvé.
………………………………
.
450 Et Daru, l’appelle-l’on point ?
Qu’est-ce à dire ? Dea ! demourray-je
Garder l’hostel211, le cul au siège ?
Non, non ! Car si à dire s’amord212
Chose dont on le mette à mort,
455 Quant je m’y vouldray occuper213,
Il me fauldra le col coupper
À quelque brebis morfondue214 ;
Et puis, si la peau est vendue,
J’en auray quelque peu d’argent.
460 Je ne vueil plus estre targeant215 :
Jupin au216 grant Conseil m’esleut.
………………………………
.
Ay-je tué une brebis,
Soubz l’ombre de son faulx prescher217 ?
Bien, donc : devenu suis boucher !
465 Aussi je ne croyoye point
Que Dieu l’eust218 laissé, pour nul poinct,
Entre les grandz et les petitz,
Décoller à ung apprentis ;
Je ne le croyray en nul lieu.
470 Or çà ! Et si j’ay tué Dieu,
Et s’est suscité219 par ses ditz,
Je suis bourreau de Paradis :
À ces parolles le voit-on.
Et si j’ay tué ung mouton
475 Tant bien qu(e) ung aultre laboureur220,
Je suis boucher de l’Empereur.
Que voulez-vous ? C’est adventure.
………………………………
.
Icy, doibvent tous sentir Pierre, &
puis faire ung cry et s’enfuir.221
DARU court après.
Hare222 ! hare ! Si me mordez,
Je le diray à l’Empereur.
480 Je suis le boucher monseigneur223 ;
Ce n’est pas moy que demandez.
………………………………
.
Est-ce par don ou flaterie224
Que Daru est tant ravallé
Qu’au mistère225 n’est appellé ?
485 Qu’est-ce à dire ? Qu’ay-je meffaict ?
Qu’i a-il ? Que diable ay-je faict,
Que ce déshonneur me faict-on ?
Si j’ay descollé ung mouton,
Or chut, de par le diable, chut !
490 Par le grant dieu ! il me meschut226,
En despit de la vanterie227.
………………………………
.
DARU soit en ung hault lieu monté.
Advisez où je suis monté
Pour regarder Simon Magus.
Mais je sens des cloux228 si agus
495 Que je n’y voy de secours nul,
Qui me mettent mon povre cul
À terrible exécution229.
………………………………
Allons voller ! Allons voller !
Ha, par le grant dieu ! Sans frivolle,
500 On m’a dict que Symon s’en volle230.
Ou (comme ay ouÿ réveller)
Avecq les grues va baller
En guise231 d’ung oyseau saulvage ;
Et qu’il n’aura corps ne visage
505 Que tout ne soit de plumes plain232.
Au Temple voys233 (pour tout certain)
Veoir s’il vollera gentement.
………………………………
.
Mais à quoy tient que l’on ne tire
De prison ces huyt loricquars234 ?
510 Il en y eust — que brusléz qu(e) ars235 —
Plus de cent, qui les m’eust livréz236 !
Les auroit Néron délivréz
Par quelque fallace incertaine237 ?
Que de forte fièvre quartaine
515 Soit espousé et relié
Celluy qui s’est humilïé
À les tenir en seure238 garde,
Et qui les print239, et qui les garde,
Et l’Empereur, et Mamertin,
520 Albinus, et sire Paulin,
Parthémïus, et Migestus,
Frita, Antipater, Cestus,
Blascus, Gérïon, Ravissant240 !
Du sens puisse estre hors yssant
525 Qui241 les garde si longuement !
Luy fault-il autre jugement
Que p[r]endre, tirer et mener,
Baisser la teste242, et ramener,
De la dolouère bien fermy243 ?
530 Me cuyde-l’on si endormy
Que ne leur liève les cheveulx244 ?
………………………………
.
Parlant à Mamertin 245 :
Et ces gallans qu’on feit bouter
En cage, ces prescheurs subtilz,
Mamertin : où dyable sont-ilz ?
535 Les veult-on tenir à séjour
Longuement ? Depuis l’autre jour,
On n’en a ouÿ nul mot dire.
MAMERTIN
Il n’y en a (par Dieu) nul, sire.
DARU
Pas ung ? De ton dict je me deulz246 !
540 Sont-ilz pas céans ?
MAMERTIN
Troys tous neufz247.
Et deux que sa mère luy garde.
DARU
Or, prens à ta parolle garde !
Ou troys tous neufz, ou quatre vieulx248 ?
Par noz dieux ! il te vauldroit mieulx
545 Mourir, si Justice on rompoit
Par toy ! Entens-tu ?
MAMERTIN
Elle poit249.
DARU
Par le grant dieu ! Je jure, en somme :
Si Néron, l’empereur de Romme,
Entend que hors s’en soient alléz,
550 Vous en aurez les os galléz250.
Car pour les garder esleu feustes251.
MAMERTIN
Aussi quarréz que belles flustes252.
Que demande ce lanternier253 ?
Il n’y a (par Dieu) prisonnier
555 En la prison, ne prisonnière
Demeuré.
DARU
Par quelle manière,
Mamertin ? Dis-moy le moyen.
MAMERTIN
Demande-le à Martinien
Et à son compaignon Procès.
DARU
560 Et quoy ! ont-ilz faict leur procès254,
Ou les ont vuidéz de cëans255 ?
MAMERTIN
Demande s’ilz sont chrestïens,
Et d’autre chose ne t’enquiers.
DARU
Le sont-ilz ?
MAMERTIN
Pour vray.
DARU
Je requiers
565 Que soyez à la mort livréz
Si je… Mais sont-ilz délivréz
De la prison ?
MAMERTIN
Tant de foys dire !
DARU
Le grant dieu me vueille mauldire
Si ung esclande256 n’en verras !
570 Mais sont-ilz tous dehors ?
MAMERTIN
Taras257 !
DARU
Ha ! tu me troubles la mémoire.
Mais s’en sont-ilz alléz ?
MAMERTIN
Encoire ?
DARU
Pas ne fault que le train258 je perde :
Par où vont-ilz, Mamertin ?
MAMERTIN
Merde !
575 Va y veoir et tu le sçauras !
………………………………
.
DARU luy couppe la teste.259
S(e) on dict que je chosme, c’est mon260 ?
Il n’est pas vray, je le proteste.
Tenez, Paulin261 : v(e)ez là la teste ;
Allez en faire des pastéz262 !
………………………………
580 Seigneurs, ay-je tort si j’ay soif263 ?
Ay-je pas ung grand coup baillé ?
N’ay-je pas assez travaillé
Pour aller boire choppinette ?
La tavernière est bien finette,
585 Mais je gage de la tromper ;
Et s’elle s’en peult eschapper,
La plus fine sera des femmes !
………………………………
.
Or çà ! S(e) on le mect à martire264,
Quoy ? Pourpenser fault sur ce pas265.
590 Premier266, on ne le pendra pas :
Il est roy267, et prévost aussi.
Le fera-on mourir ainsi268 ?
Si269, devant, le peuple proteste,
Jà ne luy osteray la teste,
595 Car trop il pourroit couster cher.
Çà ! le fauldra-il270 escorcher ?
Je le vouldroye bien sçavoir.
Ha ! nenny : il a trop d’avoir271.
Or çà ! pensez-vous qu’on le noye ?
600 Nenny : il a de la monnoye.
Je m’abuse. Telz prisonniers
Eschappent assez pour deniers.
J’en ay beau parler et beau dire272.
*
1 Ou ventru : cf. Louis Du Bois, Glossaire du patois normand, p. 405. 2 La même année, les mêmes éditeurs publièrent une suite des Actes des Apostres écrite par Loÿs Choquet : l’Apocalypse sainct Jehan Zébédée. On y retrouve Daru. Après la mort de Néron, il quitte Rome sans s’être enrichi « au joly mestier de bourreau », et sans avoir d’illusions : « Si mes faictz estoyent amasséz/ Et sur ung blanc papier trasséz,/ On en feroit une satire. » Il sera tué par deux bandits de grands chemins qu’il avait refusé de prendre comme valets. C’est eux qui le remplaceront auprès du nouvel empereur. 3 Si quelqu’un a. « Ou-vrier » compte pour 2 syllabes. 4 Si l’un de vous en a besoin. Idem vers 26 et 212. 5 Je suis là. 6 Éd : citoyen. (1538 et 1540 donnent à juste titre : payen.) 7 Éd : sours (Daru mettra saint Thomas dans un four chaud.) 8 Traîner un condamné sur une claie ; idem vers 69 et 283. Les carrefours sont les haltes où le bourreau fouettait le condamné, au cours d’une lente traversée de la ville. 9 Ne redoutez pas qu’un meilleur que moi se présente. Verbe s’apparoir. 10 Le grand-père. L’éd. de 1540, dans la marge, commente cette généalogie : « La belle lignée de Daru. » 11 Travailla dans un bordel. 12 La plus grande. 13 Plaisanter. « Tandis que cy avons janglé,/ Le fier lyépart l’a estranglé. » Actes des Apostres. 14 Décapité. Idem vers 282, 468 et 488. 15 Éd : Et (Son fils aîné fut enterré vivant. Voir le vers 283. « Je puisse estre vif enfouy ! » Les Queues troussées.) 16 J’ai sauté, pour tasser la terre. C’est donc Daru qui enterra vif son propre neveu. 17 Pour avoir œuvré. 18 Si l’on avait besoin du meilleur fonctionnaire dans ce métier. 19 Daru est assis dans la chaire où saint Barnabé vient de prêcher. Dès lors, le portier Barrian, qui le tutoyait, s’amuse à le traiter comme un prédicateur : « Maistre Daru, vers vous venons. » 20 Sortes de grilles où l’on coinçait les doigts des suppliciés. 21 Assis dans la chaire de St Barnabé. « Sus ! qu’il soyt en la chaire assis ! » Le Jeu du capifol. 22 Me chercher. 23 Beau gosse. Le bourreau interpelle ironiquement un des sergents d’Astragès qui gravitent autour de lui. 24 Les buccins. Pour faire venir le peuple, les crieurs publics qui annoncent une exécution prochaine soufflent dans un instrument à vent. 25 Un personnage important. Idem vers 103. 26 Le bourreau garde pour lui les vêtements du supplicié. 27 Un loqueteux dont les habits sont déchirés. En argot, un caïmant est un quémandeur, un mendiant : « Et ! faictes-vous le caÿmant ? » Le Mince de quaire. 28 Je les recommande. 29 Canaille, chiennaille. « Englois, quenaille,/ Pourquoy venez en noz pays ? » La Prise et deffaicte des Angloys. 30 Un seul centime. Idem vers 216. « Je n’en donray pas une maille. » (Guillerme qui mengea les figues.) Daru va changer d’avis, et va se spécialiser dans les apôtres (vers 98-100). 31 De basse extraction. Déformation populaire de « gentilhomme de parchemin ». Plus loin, Daru s’affirmera de nouveau « comme ung gentil-homme ;/ Je dy ‟gentil” de basse main. » 32 De mon aïeule. Ayelle rime avec vèle. 33 Ma mère portait le voile, était religieuse. « Je congnois au voile la nonne. » Villon. 34 Ce païen veut faire torturer saint Barthélemy. 35 Je vous battrai aussi. 36 Du roi des Indes. Il trouve que Daru ne ligote pas assez vite St Barthélemy à un pilier, afin de le fustiger. 37 Moins il est sincère et plus il est menteur. 38 Une centaine. 39 Éd : Lescuyer. 40 Occupé (à boire). « Bien empeschié à saouller et emplir son ventre. » ATILF. 41 Œuvré, travaillé. 42 C’est mal dit. Cf. le Mariage Robin Mouton, vers 30. 43 Daru est le fils d’une religieuse (vers 55) dans le genre de sœur Fessue. 44 De long en large. Cf. Lucas Sergent, vers 255. 45 Si je ne le vide pas de son sang. 46 Je ne m’oppose pas à subir autant de coups. Toutefois, Daru ralentit la cadence. 47 En ce qui concerne ce côté-ci. Le bourreau va s’attaquer à l’autre côté du saint, qui est encore intact. 48 Éd : chot (1538 et 1540 : sof) 49 Frappe à coups de maillet ! « On congne, on maille. » (Marchebeau et Galop.) Charger = charger de coups. « Mais de mes coups les chargeray ! » (Les Hommes qui font saller leurs femmes.) Pour la rime, on prononçait « cherge », qui est d’ailleurs la graphie adoptée par 1538 et 1540. 50 On assouplit le cerveau des écoliers en leur donnant des coups de verges sur les fesses. 51 Par Jupiter ! Idem vers 104 et 461. 52 Suit. Effectivement, Daru traverse tous les pays où prêchent les apôtres. Ce personnage capital est le fil rouge qui confère un semblant d’unité à la seconde moitié du Mystère. 53 Daru vient d’exécuter saint Philippe, dont le prévôt lui a donné les riches vêtements (note 26) : « Prens tous ses habitz, ilz sont tiens ! » Émerveillé, le bourreau les contemple un par un. 54 Fait le grand personnage. Idem vers 40. « Ne nous fay jà cy du gros bis ! » Le Capitaine Mal-en-point. 55 Ils ne risqueront pas de le dire. 56 Quand je regarde ces riches habits. 57 Daru enlève son manteau de bure, puis il revêt les habits de St Philippe. 58 Éd : mot que (Se moque de moi celui qui en a envie !) 59 Beaucoup de mendiants simulaient des infirmités. Pour gagner du temps, les fatistes réutilisaient dans leurs Mystères des œuvres plus anciennes, et en particulier des farces ; Gréban s’efforce donc — d’une manière fort peu convaincante — de refiler un vieux rôle de mendiant à son bourreau, qui n’a aucune raison de troquer un métier lucratif qu’il adore, contre un métier méprisable et dangereux. 60 Acquérir, gagner. Daru tente de cacher ses fouets dans un sac, mais ils débordent. 61 1538 et 1540 intitulent cette farce réchauffée : Daru contrefaict l’aveugle (en marge) ; ou : De Daru qui contrefaict l’aveugle demandant l’aumosne à l’hoste (dans la table des matières). 62 Un bâton propice : l’ancêtre de la canne blanche. 63 Le piteux, l’hypocrite. Cf. l’Aveugle et Saudret, vers 54. Daru chante une ballade : les aveugles gagnaient leur vie en poussant la chansonnette. 64 Éd : que (Ils n’ont jamais été aussi bien.) 65 Je m’emploie. Idem vers 229. 66 Pour gagner. 67 Je n’y vois pas plus avec mon cul qu’avec ma tête, où sont mes yeux. L’aveugle d’Ung biau miracle chante ceci : « Faites vostre aumosne au povre homme/ Qui ne voit, n’oncques ne vit goute/ Non plus des yeulx qu’il fait du coude. » 68 Éd : vous 69 Annulés. Pour dissimuler ses beaux habits, Daru s’enveloppe dans son grossier manteau de bure (vers 224). 70 Les désagréments. 71 Éd : des biens (Envoyez-moi vite, de votre cuisine.) 72 Quelques morceaux de vos restes. 73 Je ne reconnais. 74 Éd : dons ne iouetz — 1538 et 1540 : dont me tais (Ce que je souhaite. « Et les souhaitz qu’ils avoient faictz. » Les Souhaitz du Monde.) 75 Ce tavernier de Hiérapolis rentre chez lui en parlant avec son épouse. Ils pratiquent la charité chrétienne, et sont donc faciles à berner. 76 Clarita = clarté. Pour rassurer les deux chrétiens, Daru estropie du latin. Au vers suivant, lumina = lumière. 77 Le faux aveugle ne jure plus par Jupiter (vv. 97 et 104), par Mars (v. 66), ou par Mahomet (v. 312) : il jure maintenant par le Dieu auquel il ne croit pas. 78 Je vous mènerai bien, présentement. 79 Payer de retour. 80 Je vais. Idem vers 278, 363, 423 et 506. 81 Du vin mêlé d’eau, dans lequel on trempe du pain. « De vin pur sans trempe. » ATILF. 82 Il place un pot de vin entre les mains du faux aveugle, qui va le vider rapidement. 83 En très bon état. 84 Comme va celui que nul n’allume, n’éclaire. « La lune,/ Qui de sa clarté nous alune. » Mystère de saint Sébastien. 85 Le bourreau parodie la conversion de Saul (futur saint Paul) sur le chemin de Damas : « Alors descend une grande lumière qui faict trébuscher Saulus ; & devient aveugle. » Table indiciaire du premier volume des Actes des Apostres. 86 Éd : entre (Pour Daru, la mâchoire est le centre vital de l’homme, puisque c’est ce qui lui permet de manger. Voir le vers 428.) 87 « Et tout confuz demoure là. » Pour le cry de la Bazoche. 88 Éd : fus (Que je sus.) Ayant trop bu, Daru s’emmêle dans ses explications ; il va se reprendre aux vers 195-6. 89 Éd : Je dis (C’est ce que j’ai dit ?) 90 Éd : sangle (J’ai commis un lapsus. Cf. le vers 16.) 91 De moi-même, je ne pourrais plaisanter ainsi. Cf. Troys Galans et un Badin, vers 146. 92 Éd : ie ny (Et si j’y mettais un peu d’eau ? Daru se garde bien de le faire.) « Eau-e » compte pour 2 syllabes : cf. l’Amoureux, vers 117 et 174. 93 De bouillons reconstituants que l’on sert aux malades. Cf. le Testament Pathelin, vers 133. 94 S’ils aboyaient contre moi. 95 File, clébard ! Cette expression est surtout appliquée aux humains : cf. Guillerme qui mengea les figues, vers 355. 96 Celui qui. Elle parle donc de son mari. 97 Que je l’assommerais avec plaisir. « Je l’estourdis comme ung poullet. » Les Tyrans. 98 Daru caresse la tavernière en feignant de la prendre pour un chien qu’il a fouetté sans le vouloir. Pataud est un nom de chien. 99 Ramassez vos affaires et allez-vous-en ! 100 Vous vous contenterez de. 101 Nul besoin. 102 Petit malin. « Soyez seur/ Que je vous payray, Fine Myne ! » (Dyalogue pour jeunes enfans.) C’est un personnage des Sotz fourréz de malice et des Sotz triumphans. 103 De ce côté : dans ce sens, pour sortir de chez vous. L’aveugle recouvre miraculeusement la vue. Il ôte son manteau de bure, sous lequel il porte le bel habit de St Philippe. 104 Élégant, bien fringué. « Ces fringueux/ Qui ont perrucques à l’envie. » Maistre Doribus. 105 C’est un faux mendiant. 106 De bure, laine grossière dont se couvrent les pauvres et les moines. Cf. le Povre Jouhan, vers 99. 107 Organisera. 108 Je me suis employé. 109 Un dégourdi. Idem vers 553. « Quel lenternier ! » Le Pardonneur. 110 Je l’ai bien eu ! 111 Ce vers, qui clôt le 6ème Livre, est un congé au public comme on en trouve à la fin des farces. È finita la commedia : Daru va réintégrer son rôle de bourreau. 112 Quelle fine mouche. « Il nous fault sçavoir en quel part/ Nous trouverons si fine espice. » La Pippée. 113 Ce n’est pas la première fois — ni la dernière ! — que Daru se gargarise avec des phrases dépourvues de sens. 114 Si on n’agit pas pour soi-même. 115 Un temple hindou s’effondre sur les fidèles ; dehors, Daru les écoute geindre au lieu de les secourir. 116 Ne savez-vous. Idem vers 377. 117 On ne les comprend ni un peu, ni un peu : pas du tout. Cf. le Capitaine Mal-en-point, vers 150. 118 Ce que. 119 Le païen Daru fait un signe de croix. 120 Sur ordre d’Urinus, proconsul de Thessalonie, deux chasseurs ont capturé un sanglier monstrueux afin qu’il tue saint André. Le bourreau leur donne des conseils avisés, à la suite desquels l’animal tuera les chasseurs. Dans le Mistère du Roy Advenir (v. notice), le messager Daru est lui-même en relation avec deux veneurs. 121 Parmi les bateleurs, il y avait des montreurs d’animaux exotiques. 122 De Turquie, d’Arabie. « S’il eust esté de Sarrazinesme,/ Il eust payé six mille solz. » Colin filz de Thévot. 123 Éd : pinart (Un pivert. « Paons, pymars et lorios. » ATILF.) 124 Éd : Estrangla (Se retira, retourna. « Ilz se retrayèrent en Bourgoingne. » ATILF.) L’enfant eut si peur qu’il retourna dans le ventre de sa mère. « Un homme peut-il encore entrer au ventre de sa mère & naistre ? » Bible de Genève. 125 Un spécialiste. 126 Et aussi, nous avions un centaure. 127 J’apprivoiserais. 128 « À lui ! » : à l’attaque ! Idem vers 90. 129 Daru fait sortir un léopard de sa cage pour qu’il dévore saint André. Le « dompteur » va fuir, et le félin égorgera le fils du proconsul. 130 Contrepèterie : voyez ma croix. Le païen Daru se signe dès qu’il a peur. 131 C’est le prévôt de Patras. Après ses mésaventures zoologiques, Daru a jugé plus prudent de changer d’air. 132 Daru insistera plus loin : « Batre,/ Pendre, tirer, tuer, abatre,/ Rostir, brusler, escarteler. » Rôtir = brûler vif ; c’est une des spécialités (au sens culinaire) de notre bourreau, qui s’en vante : « Pour bien rostir ou fricasser,/ Voicy ung rôtisseur venu ! » 133 Fuir. Idem vers 331. 134 Il a fait mettre en prison des chrétiens, parmi lesquels saint André. 135 À condition qu’il ne vienne aucun chrétien pour libérer les autres. 136 Si un infidèle vient. 137 Daru s’enfuit. Ce qui ne l’empêche pas de venir jouer les matamores quand il n’y a plus de danger. 138 Quand ces chrétiens vinrent me demander les clés de la prison, je n’étais pas rassuré. 139 De sagouins : « Il n’y a sy villain huron,/ Sy lourdault ne sy vilageoys. » (Les Mal contentes.) Les merdailles sont des mendiants : « Il ne viendra/ À mon huis un tas de merdailles. » Les Esbahis. 140 Daru mime des gestes d’escrimeur, avec tellement de maladresse que tout le monde s’écarte. 141 Les païens des Mystères jurent indifféremment sur des dieux mythologiques, musulmans, ou fantaisistes. 142 Daru mélange Godefroid de Bouillon avec Roland et Olivier, les héros de Roncevaux. « Et par Godefray de Billon. » (Les Trois amoureux de la croix.) On reconnaît l’un de ces innombrables anachronismes dont les fatistes truffaient malicieusement leurs Mystères, pour le plus grand plaisir des spectateurs cultivés. 143 Je ne donnerais pas plus cher d’eux que d’un papillon. 144 Cri de sentinelle : cf. les Frans-archiers qui vont à Naples, vers 148. Une fois de plus, Daru se livre à un grotesque numéro de mime. 145 Vrai. 146 À battre un con [le sexe d’une femme]. « Il ne sçait pas qu’est-ce que de combatre,/ Cil qu’entreprend de plusieurs cons batre. » Gratien Du Pont. 147 En admettant qu’on prenne du plaisir à battre un con. 148 Ce con bas. « C’est laide beste que ce villain con bas. » G. Du Pont. 149 « Il y a maintz qu’ont tant de cons batuz/ Qu’en la fin sont vaincuz et combatuz. » G. Du Pont. 150 Au vainqueur. « Ceulx-là qui sont de plusieurs cons batans. » (G. Du Pont.) Ou bien : au battant de la cloche, au pénis. « O ! que vostre batail est trop mol pour ma cloche ! » J. de Schelandre. 151 Éd : sestre (Pour s’ébattre, prendre du plaisir.) 152 Un obstacle : une perte d’érection. 153 Pendant le coït défaille l’amour (verbe faillir). Au 1er degré, ce dicton vise les maris qui battent leur femme : « Je ne pourrois aimer celuy qui auroit mis divorce entre mon mary & moy, mesmement jusques à venir à coups, car au battre fault l’amour. » Marguerite de Navarre. 154 Je m’enfuis. 155 Lors du coït. « L’inconstant/ Jouvenceau le faict tant,/ Trop chaud à la bataille. » Ronsard. 156 Le pénis. « Et d’une eschine roide au combat préparée,/ (Mon vit) montre que sa colère est à l’extrémité. » Malherbe. 157 Le bas : le sexe de la femme. Cf. les Femmes qui font renbourer leur bas. 158 Pour cela. 159 Un échange de coups. 160 Celui qui s’y fourrera. « Il lui embat jusqu’aus coillons/ Le vit au con. » De la pucelle qui vouloit voler. 161 Tant qu’il pourra, le con. Le Tournoy amoureux narre dans le style épique une guerre entre les cons et les vits ; les premiers gagnent facilement. 162 Voyez là : voilà. Idem vers 578. 163 Contre des verres de vin. « Il vouloit faire guerre/ Encontre ung pot ou contre ung verre. » Le Gaudisseur. 164 « Je ne veulx guerroier qu’aulx fesses. » (Troys Pèlerins et Malice.) « Les tétons deviennent tétasses. » Guillaume Coquillart. 165 Que j’aille vers le prévôt Égée. 166 Le bourreau et ses complices battent saint André en musique, laquelle n’adoucit pas toujours les mœurs. Dans le même genre, les Actes des Apostres contiennent deux chansons interprétées par des diables. 167 Vous le rende. Verbe mérir : « Dieu vous le myre ! » (Farce du pet.) Cette chanson non retrouvée était probablement grivoise, comme beaucoup de celles où apparaît un moine. 168 Je ne ferai pas semblant. « Mauldict soyt-il qui se faindra/ De fraper ! » Le Raporteur. 169 Suite à de nouvelles aventures peu glorieuses, Daru veut chercher refuge à Rome. 170 Mot inconnu, de même que le hurtebière de 1538 et 1540. On pourrait lire cordelière [ceinture] : cf. les Mal contentes, vers 99. Certains religieux arboraient une cordelière ; or, Daru porte toujours les vêtements de St Philippe. 171 Qui à notre religion. 172 Je vais. 173 Et pourtant. 174 De ceux que je voudrais mettre à mort. 175 Le prévôt Hérode Agrippa, destinataire malgré lui de la 2ème chanson des diables. 176 Qu’il ne s’évertue. Verbe s’amordre. Idem vers 453. 177 Comment pourrons-nous l’expédier ? Idem vers 46 et 423. 178 Les tricheurs, aux jeux de hasard : « Pipeur ou hazardeur de déz. » (Villon.) Les crocheteurs forcent les serrures : cf. les Tyrans, vers 10-12. 179 Les gibiers de potence faiseurs d’homicides. 180 Savez-vous ce que je pense ? Daru se rapproche des spectateurs et leur parle confidentiellement, tant ce qu’il va dire est grave. 181 Furetière dit qu’au palais de Justice, on appelait « corbineurs ceux qui tiroient la pièce [de l’argent] des plaideurs, & ruinoient des parties ». Daru vise les juges corrompus, comme il le fera encore aux vers 588-603. 182 À leur connaissance. « Lesdiz faiz et cas sont venuz à notice de Justice. » ATILF. 183 Qu’ils ont discrètement laissé fuir. 184 Auraient-ils perdu dans une rue leur bourse ? « Le chevalier avise la bourse, et la prent par le pendant [cordon]. » ATILF. 185 Capturée. 186 Ce qu’on. Sur ordre de Néron, Daru a décapité Simon le Magicien ; mais par un sortilège, ce dernier lui a fait décapiter un mouton à sa place, afin de pouvoir « ressusciter » et passer pour Dieu. L’honorable bourreau est donc devenu un vulgaire boucher ; il ne se remettra jamais d’une telle déchéance. 187 On m’a raconté que… Daru chuchote devant le public l’histoire du mouton de manière inaudible, en mimant la scène. 188 De votre gorge. « Ung estron de chien/ Au milieu de vostre gargate ! » L’Aveugle et Saudret. 189 Je prie Dieu. 190 Éd : ouy (Aigu = fin, intelligent.) 191 L’autre jour. 192 Il a semblé que Simon se faisait décapiter. 193 Rien d’autre. 194 Qu’il fit ressembler à lui-même. 195 Que cela n’était pas. 196 Éd : dire. (Gréban n’a jamais commis une rime du même au même avec un sens identique.) Il y a anguille sous roche. 197 Que vous avez dit cela (l’histoire du mouton). 198 Puisque c’est votre volonté. Néron veut faire tuer sa mère, Agrippine. Cette scène, qui manque dans 1538 et 1540, n’est visiblement pas de Simon Gréban. 199 Je vais la dépêcher, l’exécuter. 200 Éd : testament. (Voilà son extrême-onction. « Véci ton dernier sacrement ! » Trote-menu et Mirre-loret.) 201 Qu’il vous plaise de me loger aux champs Élyséens, le paradis des païens. 202 De la mâchoire : elle ne mangera plus jamais. « Allons jouer de la mâchouère ! » Le Chauldronnier. 203 Pour que je sois élu échanson des dieux, comme Ganymède, dont Jupiter avait eu le corps. 204 Avec prestige. 205 Daru s’embrouille : j’ai les cuisses jusqu’au cul, j’ai la jambe jusqu’au talon. 206 Daru a failli dire « bout », qui désigne le pénis : « C’est pourquoy les femmes sont si friandes de dire aux hommes : ‟Prestez-moy vostre bout pour boucher mon trou !” » Chansons folastres. 207 Si on était. 208 Et si on se souvenait de mes hauts faits. 209 Éd : Ou 210 On n’aura pas besoin de me démettre de ces hautes fonctions. 211 La maison. « Aussi ne me sers-tu de rien/ Qu’à garder l’hostel. » (Le Cousturier et Ésopet.) Le siège est peut-être encore la chaire de St Barnabé. 212 Car si Daru se met à dire. Le bourreau parle de lui à la 3e personne aux vers 450 et 483. 213 Quand je voudrai exécuter Daru. La scène est totalement surréaliste. 214 Malade. « Tousser comme brebis morfondues. » Satyre Ménippée. 215 Je ne veux plus m’attarder. 216 Éd : du (Quand je me serai exécuté moi-même, Jupiter m’intégrera au Conseil des dieux de l’Olympe. Bref, Daru se voit déjà assis à la droite du Père.) 217 À cause des prêches mensongers de Simon le Magicien. 218 Éd : se eust (1538 et 1540 : eust) Je ne crois pas que Dieu aurait laissé Simon être décapité par un novice. 219 Et qu’il s’est ressuscité. « Par miracles,/ En suscitant les trespasséz. » ATILF. 220 Aussi bien que n’importe quel autre paysan. 221 Des diables ayant pris l’apparence de chiens viennent flairer saint Pierre, qui les fait fuir. Daru les poursuit pour faire croire qu’il est responsable de leur fuite. 222 Cri par lequel on excite les chiens. Daru l’a déjà employé : « Hare, lévrier ! À luy ! à luy ! » 223 De Néron (génitif archaïque). Voir le vers 476. 224 Est-ce parce que ses ennemis ont répandu des dons financiers ou des flatteries. 225 Qu’aux affaires. Second degré : qu’il ne parle plus dans ce Mystère. 226 Ce fut pour moi une malchance. 227 Quoique je me vante du contraire. 228 Des furoncles aux fesses. Daru n’aurait pas dû s’asseoir dans la chaire de saint Barnabé… 229 Pour un bourreau, le mot est bien choisi. 230 Simon le Magicien va s’envoler, soutenu par des diables invisibles qui le laisseront choir. Daru lui dédiera une oraison funèbre lapidaire : « Bien a vollé, mais il s’est mal tenu :/ Car au tumber, s’est rompu le cerveau. » 231 Il va danser à la manière. 232 Trois des acteurs de la Pippée, qui jouent un rôle d’oiseau, sont eux aussi couverts de plumes. 233 Je vais. 234 Ces fanfarons. Cf. le Nouveau marié, vers 191. Il s’agit bien sûr de chrétiens, parmi lesquels saint Pierre, et saint Paul — que Daru nommera aussi : « le conard, le décepveur fol. » 235 Tant de brûlés que de réduits en cendres. « Il y en eut, que tuéz que brusléz, environ huit mille. » Bible de 1561. 236 Si on m’avait livré les 8 prisonniers, j’aurais brûlé plus de 100 d’entre eux. Décidément, Daru est un bourreau de travail ! 237 Par un stratagème douteux. 238 Sûre, vigilante. 239 Et celui qui les captura. 240 Ravisseur. C’est l’écuyer du prévôt Agrippe (vers 369). Tous les hommes susnommés travaillent pour Agrippe ou pour Néron. 241 Puisse-t-il sortir du sens, devenir fou, celui qui… 242 Incliner sur le billot la tête du condamné. Ramener = asséner un coup : « Entoisa [il leva] sa grosse masse, ramenant un coup foudroyant. » Lacurne. 243 Tenant la doloire [hache] d’une main ferme. 244 On relève ou on coupe les cheveux du condamné avant de le décapiter, pour qu’ils ne gênent pas la manœuvre. Il n’y a pas si longtemps, on coupait le col de sa chemise. 245 Chargé par Néron de surveiller les prisonniers St Paul et St Pierre, il les a libérés contre quelques deniers versés par les convertis Martinien et Procès. 246 Je me lamente. Verbe se douloir. 247 J’ai 3 écus tous neufs. On use de cette boutade pour dire qu’on n’a rien à donner. « Ouy dea, il en a troyz tout neufz ! » (La Pippée.) « J’en ay là trois/ Tous neufz, à compter riffle-à-riffle. » (Te rogamus audi nos.) Bref, Mamertin se moque du bourreau, et répond toujours à côté de la question. 248 Ou 3 écus neufs, ou 4 écus vieux. « Grant planté [quantité] d’escuz vieux. » La Confession du Brigant. 249 Elle pète. « S’il va, s’il vient, s’il dort, s’il poit. » Ung biau miracle. 250 Battus. Cf. Calbain, vers 339. 251 Vous fûtes élu, choisi. 252 « Aussi droit, par Dieu, comme gaulles !/ Quarray comme une belle fluste ! » (Les Coppieurs et Lardeurs.) Non seulement la réponse est absurde, mais en plus, elle dissimule un double sens érotique : aussi érigés que de beaux pénis. 253 Ce dégourdi. Idem vers 231. 254 Les ont-ils jugés puis acquittés ? 255 Ou les ont-ils libérés de cette prison ? « Cians » rime avec « chrétians », comme « escient » rime avec « magician » à 408. 256 Un esclandre. 257 Taratata ! 258 Leur trace. 259 Il décapite le converti Martinien (vers 558). 260 Est-ce vrai ? 261 Chevalier aux ordres de Néron (vers 520). Daru lui lance la tête de Martinien comme un ballon. 262 Plaisanterie de bourreaux : « Portez-le bouillir,/ Rostir, ou faire des pastéz ! » Mistère de la Conception. 263 Le bourreau vient d’exécuter plusieurs chrétiens. Mais il n’a pas besoin de cela pour avoir soif. 264 Daru parle d’Agrippe (vers 369) : le prévôt de Rome a osé anticiper un ordre de Néron, et risque donc d’être condamné à mort, s’il ne corrompt pas les juges. 265 Il faut réfléchir à cela. 266 D’abord. 267 Roi des Juifs. Pour ce qui est des prévôts, Gournay et Micet ont bel et bien pendu celui qui leur ordonnait de pendre les autres. 268 Le bourreau simule une décapitation. 269 Éd : Cy (Le peuple qui assistait aux exécutions prenait quelquefois le parti du condamné.) 270 Éd : fera il 271 D’argent : il pourra donc acheter les juges. « Son père qui, par plusieurs foiz,/ Du gibet l’avoit racheté. » Éloy d’Amerval. 272 J’ai beau râler et j’ai beau dire, ils sont au-dessus des lois. 1538 et 1540 commentent en marge : « Nota contre les mauvais justiciers. »
LES BÉLISTRES
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LES BÉLISTRES
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Simon Gréban intégra cette farce au troisième livre de son Mystère, les Actes des Apostres, terminé vers 1470. Les bélîtres dont il est question sont des fainéants qui préfèrent mendier — d’une façon parfois agressive — plutôt que de travailler. Ils portent un nom prédestiné : MAUDUIT = mal duit, mal élevé ; les gueux des Maraux enchesnéz se qualifient de « povres enfans mauduytz ». TOULIFAUT, ou Tout-lui-faut = tout lui manque ; le mendiant Saudret a pour « surnom Tout-luy-fault ». TROUILLARD = foireux.
Source : Actes des Apostres. Édition parisienne d’Arnoul et Charles Les Angeliers, 1541. <Munich, Bayerische StaatsBibliothek, Res/2 P.o.gall. 27-1.> En ce qui concerne spécifiquement la farce, les éditions de 1538 (nouveau style) et 1540 sont moins correctes, et surtout beaucoup moins complètes : voir Daru.
Structure : Rimes plates, avec 3 triolets.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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Icy commencent
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les Bélistres.
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MAUDUYT, le premier povre.1 SCÈNE I
Bon jour, Tout-luy-fault !
TOUT-LUY-FAULT, .IIe. povre.
Hé ! Mauduit,
Mettez là la main !
MAUDUIT
Sauf le gant2 !
TOULIFAULT
Il s’entend ainsi.
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TROUILLARD SCÈNE II
Que de bruit !
Bon jour, Toutlifault ! Hé ! Mauduit,
5 Com’ vous va ? Y a-il rien cuyt3 ?
TOULIFAULT
Mauduit, congnois-tu ce brigant ?
TROUILLARD
Bon jour, Toulifault et Mauduit !
« Mettez là la main, sauf le gant !4 »
MAUDUIT
Quel appétit ?
TROUILLARD
Fringant, fringant
10 Pour [soupper d’ung]5 clou de charette.
MAUDUIT
Tu t’en vas donc ?
TROUILLARD
Mais je m’arreste
Pour veoir si vous avez que frire6.
TOULIFAULT
Mais qui est-il ?
MAUDUIT
Qui ? Il fault dire
Que son estat n’est pas meschant7.
TOULIFAULT
15 Je cuide que c’est ung marchant
De quelque estrange8 région,
Qui a plus d’une légion9
Du métail10 qui soubz l’ongle crocque.
MAUDUIT
Tu es donc marchant ?
TROUILLARD
Il se mocque
20 Des maulx chausséz11.
TOULIFAULT
Va te pisser12 !
C’est, vous dit-on, ung espicier13 :
Il ne maine autre marchandise.
MAUDUIT
Il y pert14 bien à sa chemise :
Elle est plus jaulne15 que haran.
TROUILLARD
25 Voire soret16.
TOULIFAULT
C’est de saffran :
Il en a tout plain sa bougette17 ;
Et de paour d’en payer la traicte,
Il en emplist tout plain ses brayes18.
MAUDUIT
Tu en bailles enseignes vrayes19,
30 Toulifault.
TOULIFAULT
Quoy ?
MAUDUIT
Tu ne mentz point.
Metz cy le nez sur son pourpoint…
Que sent-il ?
TOULIFAULT
Ce n’est pas civette20 !
MAUDUIT
C’est donc pouldre de vïolette ?
TOULIFAULT
Non est ; il tire sur le musch21.
MAUDUIT
35 Je croy, pour vray, qu’il soit de Tusc22,
Ou23 quelque marchant de coton.
TOULIFAULT
Pour cause, [il] faict son hocqueton
Sentir bon24, je l’ay bien congneu25.
MAUDUIT
Pourquoy ?
TOULIFAULT
Pour estre bienvenu
40 Entre les dames, le mignon.
TROUILLARD
Si j’ay espice plus qu(e) ongnon,
Deux chefz d’aulx et une eschalotte26,
Ne si pour Jehan ne pour Charlotte27
Meine marchandise du monde,
45 Je suis content28 que l’on me tonde
Rasibus comme cul de cinge !
TOULIFAULT
[Vis-tu]29 de draps ?
TROUILLARD
De draps de linge30.
Je n’ay, par Dieu, rond que le cu31.
MAUDUIT
Par mon serment, c’est bien vescu !
50 Apprenez, paillard, apprenez !
TROUILLARD
Tel me voyez, tel me prenez.
Je suis légier comme une plume32.
Quant j’ay ung double33 ou deux, je hume.
Qui34 me donne, je tendz la poche.
55 Ung jour voys35 droit, l’autre je cloche.
Je fais du fol et du raillard.
Et ! que fault-il à ung paillard,
Sinon ung bissac soubz l’esselle
Et deux ou trois marcs de vaisselle
60 De beau boys ? Ainsi l’entend-on.
TOULIFAULT
Quel valeton36, quel valeton !
Ainsi plain de bonnes humeurs,
S’il estoit prins des escumeurs37
Ou d’ung coursaire à ung destroit38…
MAUDUIT
65 Ha, quel dommaige ce seroit !
Le pays on verroit destruit :
Car je croy qu’il fera grant bruit39,
Cest enfant. Le voyez-vous bien ?
TROUILLARD
Ha ! pensez que j’ay eu du mien40
70 Autant qu(e) homme qui s’appartienne41.
Mais je suis…
TOULIFAULT
Quoy42 ? Dieu te maintienne !
Tu es bien mince de pécune ?
TROUILLARD
Et ! que voulez-vous ? C’est Fortune
Qui tousjours bons marchans guerroye.
TOULIFAULT
75 Ha, dea ! c’est ce que je disoye :
Il est marchant, ou des facteurs
D’ung lombard43.
TROUILLARD
Vrayement, Messieurs,
Il y pert44 bien à mon pourpoint.
MAUDUIT
Rien, rien, on ne t’en croira point !
80 Car tu es ung marchant publicque45.
TOULIFAULT
Comment ? J’ay veu en sa bouticque
De laz46, d’espingles, d’esguillettes,
De fillet47 noir et des sonnettes
Pour plus de six blancs48 et demy.
TROUILLARD
85 Rien ! Tu t’abuses, mon amy.
Tu as destourné mon advis.
TOULIFAULT
Je regny sainct Gris49 ! Je te veiz,
Ou le diable dedans ton jaques50.
TROUILLARD
Quant me veiz-tu ?
TOULIFAULT
Ce fut aux Pasques.
TROUILLARD
90 Tu n’as pas bien leu ton registre51.
TOULIFAULT
Comment ?
TROUILLARD
Ce fut à la bésistre52,
Quant moy et ta fille Maunette
Allions jouer à l’esguillette53,
À la bisette54 de l’autonne…
TOULIFAULT
95 (S’il est vray ce qu’il me jargonne,
En fin nous trouverons parens55.)
TROUILLARD
… Quant nous goussasmes56 les harens
Que nous trouvasmes au caignard57.
TOULIFAULT
Et comment t’appelle-on58 ?
TROUILLARD
Trouillard.
100 Tu le dev(e)rois fort bien sçavoir.
TOULIFAULT
(Mauldit soys-je s’il ne dit voir59 !
Je ne le sçauroye nyer.)
Quoy ! tu es grant comme ung pommier60,
Mais regardez quel loquebault61 !
MAUDUIT
105 Pensez que c’est ung beau ribault62,
S’il estoit bien enharnaché63.
TOULIFAULT
C’est le père, tout fin craché64 :
Il estoit ainsi laid truant65,
Qui tousjours pétoit en suant,
110 Et ne fist-il66 que quatre pas.
TROUILLARD
Où prenez-vous vostre repas,
Compaignons ?
MAUDUIT
C’est bien sermonné67 !
Pource que tu n’as point disné ?
Tu deis bien ; fais-le-nous acroire68 !
TROUILLARD
115 S(e) on me veit huy manger ne boire
Depuis que je feuz deslogé69,
Par Dieu, je te donne congé
De faire de mon cul mittaines70 !
MAUDUIT
Et ! tu fais tes fièbvres cartaines,
120 Paillard infâme, mal en point71 !
TOULIFAULT
Seigneurs, ne vous combatez point !
Remettez au col le bissac72.
MAUDUIT
Se chargé n’eusse l’estomach73,
Tout sur piedz74 m’en feusse vengé.
TOULIFAULT
125 Trouillard a aussi tant mangé
Qu’il en a le ventre plus rond
Qu(e) ung tabourin.
TROUILLARD
Mais ung estronc !
Je suis plus plat qu(e) une punaise75.
TOULIFAULT
Ha ! que tu eusses esté aise,
130 Si tu feusse esté avecq nous !
TROUILLARD
Mais de quel diable76 venez-vous,
Qui estes en ce point bouffis ?
TOULIFAULT
Luy et moy avons desconfis
Deux grans plains platz de pois au lard…
TROUILLARD
135 Hélas ! que n’y estoit Trouillard ?
TOULIFAULT
… Pastéz, et beaulx oysons petis,
Chappons, et les connins77 rostis.
J’en suis encores tout enflé.
TROUILLARD
Comment ! Avez-vous tant rifflé78
140 Sans mettre ung lopin en réserve ?
MAUDUIT
Escoutez comment il enterve79 !
Et ! par Dieu, c’est bien à propos !
Tout fut mengé, et chair et os ;
Il80 n’y demoura que la plume.
TROUILLARD
145 Mauduit, c’est tousjours ta coustume
Que d’estre en ce point sur ta bouche81.
Et quel vin ?
TOULIFAULT
Ha ! Dieu scet qu’il touche82 !
Ung vin qui la rosette efface83.
TROUILLARD
Or, que mau senglant preu vous face84 !
150 J’en ay tel despit que j’en sue.
MAUDUIT
Toulifault, comptes-luy l’issue85,
Beau sire, pour le resjouir !
TOULIFAULT
Voicy…
TROUILLARD
Je n’en vueil plus ouïr !
Car quant je vous en oys parler,
155 Dieu scet comment je fais aller
Ma langue autour de mes baulièvres86.
MAUDUIT
Encor oublions-nous les lièvres,
Que nous mangeasmes au civé87.
TROUILLARD
Ung peu trop tard me suis levé ;
160 Et ne me failloit que secourre
L’oreille88. Mais, pour me rescourre89,
Iray de bonne heure à la queste.
TOULIFAULT
Attendz-nous, dy, hay, grosse teste90,
Et nous te tiendrons compaignie.
TROUILLARD
165 Maydieux91 ! ce seroit grant follie,
Puisque mèshuy92 ne mengerez.
MAUDUIT
Nenny, vray(e)ment. Mais vous serez
Avec nous plus honnestement93
Que tout seulet.
TROUILLARD
Par mon serment !
170 Mèshuy iray seul, si je puis :
Car tant de povres à ung huys,
Ce n’est pas bien ce qu’il me fault94.
MAUDUIT
Allons après luy, Toulifault :
Si, aurons part à son butin.
.
TROUILLARD, à la porte de SCÈNE III
Cornélius, centurion.
175 Donnez au povre pèlerin95,
Au nom de Dieu de paradis !
TOULIFAULT
Hélas ! pour passer son chemin,
Donnez au povre pèlerin !
Je ne mengeay puis le matin96.
TROUILLARD
180 (Et si, a des fois plus de dix97.)
Donnez au povre pèlerin,
Au nom de Dieu de paradis !
CORNÉLIUS 98
Vous ne serez pas esconditz,
Mes enfans. Car, pour abréger,
185 Vous aurez tous bien à menger,
Puisque pour Dieu le demandez.
Émélïus !
ÉMÉLIUS
Sire ?
CORNÉLIUS
Entendez :
Voilà trois povres à la porte.
Et pour tant99, je vueil qu’on leur porte
190 À menger assez largement.
Ilz crient moult piteusement :
Je pense qu’ilz ont bien grant fain.
ÉMÉLIUS
Voicy de la chair et du pain,
Seigneur, que je leur vois100 porter.
CORNÉLIUS
195 Nous les devons réconforter,
Mon filz, nous y sommes tenuz ;
Les revestir quant ilz sont nudz,
Leur donner à boire et menger,
Les réchauffer et les loger
200 Quant agravéz sont par traveil101 ;
Et leur donner aussi conseil
Qu’ilz prennent tout en patïence,
Car ce ne seroit pas science
S’ilz le faisoient tout autrement.
ÉMÉLIUS
205 Il sera faict entièrement.
.
Recevez pour Dieu ceste aulmosne102 SCÈNE IV
Que dom Cornélïus vous donne !
Ainsi le devez-vous entendre.
TROUILLARD
Je pry Dieu qu’Il luy vueille rendre
210 Lassus103, au royaulme divin.
Il ne me fault mais que du vin,
Et je seray trèsbien souppé104.
TOULIFAULT
Voire nous !
TROUILLARD
J’ay icy happé
Ung trèsbon lopin, toutesfois,
215 Truffant105, mocquant.
MAUDUIT
Mais pour nous trois,
Je le te dirois106 voluntiers.
TROUILLARD
Et pourquoy ?
MAUDUIT
Tu n’y as qu(e) ung tiers.
Tu n’y viendrois jamais à bout.
TROUILLARD
Sainct Jehan ! je sçay bien que j’ay tout.
220 En aille ainsi comme il pourra,
Mais ce gobet107 me demourra
Pour soupper, c’est pour abréger.
Aussi, vous ne pourriez manger :
Vous estes plains jusques à l’œil,
225 Ce dictes-vous108.
TOULIFAULT
(Que j’ay grant dueil
De ce qu’il a en son bissac
Nostre soupper !)
TROUILLARD
Vostre estomach
N’en sera mèshuy plus enflé.
MAUDUIT
Quaré 109 ?
TROUILLARD
Vous avez trop rifflé110 :
230 La dïette vous sera bonne.
MAUDUIT
N’avons-nous pas part à l’aumosne,
Dy, paillard coquin que tu es ?
TOULIFAULT
Il en y aura de tuéz111
Avant que d’icy eschappons112.
TROUILLARD
235 Quoy113 ! gens qui ont mangé chappons
Mangeroient voluntiers du beuf ?
MAUDUIT
Par mon âme, tu es bien neuf114 !
Quant le disner je devisoye115,
Comment l’entendz-tu ? Je farsoye116,
240 Ouÿ, par le dieu d’Orient !
TROUILLARD
Et ! je fais à bon escïent117,
Quant à moy : je ne farce point.
TOULIFAULT
Si fais ! Mais pour venir au poinct,
Tu peulx assez ymaginer
245 Qu’on ne nous eust pas faict disner
De perdris ne de chappons gras.
TROUILLARD
Comment ?
MAUDUIT 118
Nous mentons à plain[s] bras :
Bien suffiroit beuf ou mouton,
Ou des pois au lard.
TROUILLARD
Que scet-on ?
250 Quant à moy, je le croy ainsi119.
TOULIFAULT
Scez-tu quoy ? Départons120 icy,
Ou bref tu te feras escourre121.
TROUILLARD
Katherine, fourre-luy, fourre ! 122
S(e) une fois en mes fèbves entre123,
255 Je vous feray et dos et ventre
Plus platz qu(e) une vieille punaise124.
TOULIFAULT
Et ! fault-il donc que je me taise ?
À grant-peine je m’y consens.
MAUDUIT
Je te dis qu’il est hors du sens,
260 Et frappe comme ung enragé.
TOULIFAULT
Au diable soit-il hébergé,
Qu’i l’entraŷne sans retourner125 !
MAUDUIT
Il le nous fault faire adjourner126 :
Il rendra127 tout, s’il ne le nye.
TROUILLARD
265 Je plaideray la main garnye128,
Vous en devez estre adverty,
Enfans : beati garniti
(Comme dit maistre Aliborum129)
Vault mieulx que beati quorum130.
270 Retenez ceste auctorité !131
……………………………..
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TROUILLARD 132 SCÈNE V
Qui pourroit133 sçavoir en quelz lieux
Il seroit bon faire la queste,
J’aurois tantost une requeste
Despeschée en piteux propoz134,
275 Non par escript mais en doulx motz,
Ainsi que bien je sçay user135.
TOULIFAULT
Et aussi pour tost abuser
Tous tes compaignons de l’ostière136 !
MAUDUIT
L’aulmosne emporta toute entière,
280 Que Cornélïus nous donna.
TOULIFAULT
Si finement en ordonna137
Qu’en la chose à nous impartie
Ne nous en feit part ne partie138,
Mais print tout, sauf… nostre deffence139.
MAUDUIT
285 Il nous feit une grant offence,
Dont j’ay empensé me venger,
J’entens s’il ne se veult renger140
Comme on doit en fraternité.
TROUILLARD
Croyez, par ma virginité141,
290 Que je ne vous feray jamais
Maulvais tour, je le vous promectz ;
Et me pardonnez le commis142 !
TOULIFAULT
Ha ! quel bon « vierge », mes amys !
Pensez qu’il soit encores « vierge »,
295 Luy qui a esté le consierge
D’ung bordeau143 plus de quatorze ans ?
MAUDUIT
Voire ! Et si, a faict dix enfans
À une vieille macquerelle.
TROUILLARD
Je ne veulx point prendre querelle
300 Contre vous : car avant midy
Je ne me trouve point hardy
Se, le matin, n’ay résiné144.
Mais quant j’ay bien mon saoul disné,
Je ne cherche que l’escarmouche !
TOULIFAULT
305 (Garder se fault de ceste mouche,
Comme j’entens, quant il est yvre.)
TROUILLART
Je vaulx des solz plus d’une livre145,
Quant j’ay bien la bedaine emplie ;
Pour ce, de bon cueur vous supplie
310 Que nous aillons tendre la patte146
En quelque lieu : car j’ay tel haste
De baufrer que le cueur me fault147.
MAUDUIT
Sçavez-vous que faire nous fault ?
Voyant que nostre argent est court,
315 Allons-nous-en tous en la Court
De Gondoforus148, le bon roy.
Nous y profiterons, je croy,
Car là est ung sainct aumosnier149.
TOULIFAULT
Il me donna son aumosne, hyer,
320 De quoy m’en repeus150 tout le jour.
TROUILLARD
Allons-y doncques sans séjour151 !
MAUDUIT
Allons !
TOULIFAULT
Allons sans plus attendre !
Et que chascun se face entendre
En contrefaisant le piteux152.
……………………………..
.
TROUILLARD, povre.153 SCÈNE VI
325 Ha ! très sainct homme, Dieu te rende
Les grans biens que tu nous as faictz !
TOULIFAULT
Ha ! le plus parfaict des parfaictz,
Grâces te rendz de cueur entier.
MAUDUIT
Tenir vueil la voye et sentier
330 Que tu presches, à mon povoir154.
……………………………..
.
MAUDUYT 155 SCÈNE VII
Hélas !
TOUTLIFAULT
Hélas !
TROUILLART
Hélas ! Hélas !
Fortune nous est bien contraire156.
MAUDUYT
Perdu avons nostre soulas157.
TOUTLIFFAULT
Hélas !
TROUILLART
Hélas !
MAUDUYT
Hélas ! Hélas !
TOUTLIFFAULT
335 Malheur, qui nous tient en ses las,
Est venu nostre bien substraire158.
TROUILLART
Hélas !
MAUDUYT
Hélas !
TOUTLIFFAULT
Hélas ! Hélas !
Fortune nous est bien contraire.
TROUILLART
Vers qui nous yrons-nous retraire159 ?
MAUDUYT
340 Vers qui yrons-nous à recours160,
Quant la Mort a nostre secours
— Pour nostre161 grant malheure — pris ?
TOUTLIFFAULT
C’estoit de charité le pris162,
Et d’humilité la lumière.
TROUILLART
345 Jamais elle n’eut sa première,
Et jamais n’aura sa seconde163.
MAUDUYT
C’estoit la plus doulce du monde.
TOUTLIFFAULT
C’estoit l’oultrepasse164 en bonté :
Car oncques ne l’a surmonté
350 Péché, et n’en feit onc approche165.
TROUILLART
C’estoit la Dame sans reproche.
Et ay ouÿ dire en maint lieu
Qu’elle a porté le filz de Dieu
Et conceu166 virginallement.
MAUDUYT
355 Je ne le croy point autrement,
Quoy que les juifz en veullent dire.
TOUTLIFFAULT
Ilz sont si remplis de mesdire
Que le meilleur d’eulx ne vault rien.
TROUILLART
Jamais ilz ne nous firent bien,
360 Tant sont de perverse nature.
MAUDUYT
Puisque la bonne créature
Marie nous avons perdue,
C’est convenable chose, et bien deue167,
De chercher ailleurs nostre mieulx168.
TOUTLIFFAULT
365 Or, regardez donc en quelz lieux
Nous seroit bon faire demande169.
TROUILLART 170
Les vierges, en troupe bien grande,
Acompaignèrent le sainct corps.
MAUDUYT
Nous en sommes tous bien records171,
370 Qui fut une excellente chose.
Parquoy, présent, bien dire j(e) ose
Que jamais n’a eu sa pareille.
Parquoy, bien fault qu’on s’appareille
À chercher pour en trouver une
375 Qui voulentiers, de sa pécune,
Luy plaise de nous guerdonner172.
TOUTLIFFAULT
On ne voit point souvent donner
Aux grans bigotz173 ; ny aux bigottes
Qui, contrefaisant les dévotes,
380 Font souvent de bien sotz ouvrages174.
TROUILLART
Il y a des femmes fort sages,
Et en charité renommées ;
Mais elles sont clères semées175 :
Difficile est trouver leur porte.
MAUDUYT
385 Nécessaire est qu’on se transporte
Tendre la main en aucun lieu176,
À celle fin qu’au nom de Dieu
Donner on nous vueille à repaistre.
TOUTLIFFAULT
Par ma loy177 ! j’ay grant désir estre
390 Où il y ait prou à disner :
Le jeusner me faict indigner
Et me rompt toute la cervelle.
TROUILLART
Une andouille cuyte nouvelle
Et ung gros tronson de jambon
395 Avec des pois, seroit-ce bon
Pour en faire quelque offertoire178 ?
MAUDUYT
Après cela, fauldroit-il boire,
Pour le remplage du bacquet179.
TOUTLIFFAULT
Or, sans tenir plus long caquet,
400 Allons chercher nostre adventure !
Possible180, quelque créature
Nous rencontrera en chemin,
Qui remplira le parchemin181,
Lequel est vuyde et bien fort creux.
TROUILLART
405 Allons, donc !
MAUDUYT
Allons !
TOUTLIFFAULT
Je le veulx.
Et chascun de nous ne se faigne
De182 bien demander, que l’enseigne
Ne183 soit en commun rapportée
Telle qu’on l’aura apportée.
*
1 Les deux bélîtres se rencontrent dans une rue. Trouillard les écoute sans être vu. 2 Les gentilshommes ôtent leur gant pour se serrer la main. En réalité, Mauduit sous-entend que Toulifaut pourrait bien lui voler son gant. Nos bélîtres parodient la politesse aristocratique et affectent de se vouvoyer ; leur naturel ne va pas tarder à revenir. 3 Avez-vous pu vous procurer quelque chose à manger ? La nourriture et la boisson constituent le principal sujet de conversation des bélîtres. 4 Trouillard tend la main à ses deux confrères, tout en parodiant leur dialogue du vers 2. 5 Éd : coupper ung (J’ai assez d’appétit pour manger des clous.) 6 Si vous avez de l’argent. D’après le vers 5, l’expression est prise au premier degré : si vous avez quelque chose que nous pourrions faire cuire. 7 Que sa tenue n’est pas misérable. Ironique : Trouillard est vêtu de loques jaunâtres. 8 Étrangère. 9 D’une multitude. 10 Du métal. On fait sonner une pièce avec l’ongle ou la dent pour vérifier, d’après le bruit obtenu, qu’elle n’est pas fausse. 11 De moi, qui suis mal chaussé. 12 Nous dirions : Va chier ! 13 Un riche marchand d’épices. 14 Il y paraît. Idem vers 78. 15 La chemise de Trouillard [foireux] est jaune d’excréments : « Jaulne comme le cul d’ung singe. » Le Capitaine Mal-en-point. 16 Et même, plus jaune qu’un hareng saur. « Harenc soret ! » Les Cris de Paris. 17 Coffret dans lequel les marchands d’épices transportent les produits précieux, en particulier le safran qu’ils vont chercher eux-mêmes en Orient : « Une bougette à espisserie. » Godefroy. 18 De peur de payer la taxe sur les marchandises importées, il cache le safran dans ses braies : voilà pourquoi elles sont jaunes. Mais le public n’ignorait pas que le safran symbolisait les excréments : « C’est saffren ou merde. » Tarabin, Tarabas (F 13). 19 Tu en donnes de vraies preuves. 20 Ce n’est pas du parfum. 21 Cela ressemble plutôt à l’odeur musquée de la merde, comme les draps du bébé dans le Cuvier : « Que ce linge est ort [sale] !/ Il fleure bien le musc de couche. » 22 De Toscane. Les parfumeurs toscans étaient réputés. 23 Ou que ce soit. Le coton brut diffuse une senteur caractéristique. 24 Il parfume son corset. 25 Je m’en suis bien aperçu en y appliquant mon nez. 26 Si j’ai d’autres épices qu’un oignon, deux têtes d’ail et une échalote. 27 Et si pour tel ou telle. 28 Je veux bien. Les singes ont le cul pelé. 29 Éd : Dis tu (Gagnes-tu ta vie en vendant des étoffes ? « Les habitans vivent de la draperie & d’agriculture. » Lucas Chartier.) 30 De lin. « Sans drap vestir, de linge ne de laine. » Villon. 31 Je n’ai de rond que mon anus. L’adjectif « rond » se rapporte à la forme des pièces de monnaie : « Or, par saint Jaque, n’a plus ront/ En tout mon hostel qu’une bille. » Les Menus propos. 32 Je n’ai rien mangé. Même vers dans le Gaudisseur. 33 Pièce valant 2 deniers. Humer = boire : « Pour humer un tastin/ De muscat. » Frère Fécisti. 34 Quand on. 35 Je vais. Idem vers 194. Beaucoup de mendiants font mine de boiter pour attirer les dons. 36 Quel gaillard. « Quel valeton ! » Le Prince et les deux Sotz. 37 Par les écumeurs des mers. Les corsaires barbaresques enlevaient des voyageurs chrétiens pour obtenir une rançon. 38 Dans un bras de mer. 39 Qu’il acquerra une grande renommée. 40 De l’argent. « Il n’emportera rien du mien. » La Laitière. 41 Éd : mappartienne (Qui se respecte.) Jeu de mots : Qui sa part tienne. 42 Éd : Ouay 43 Ou il fait partie des commissionnaires d’un usurier. 44 Il y paraît. Voir le v. 23. 45 N’ayant pas les moyens de tenir une boutique, tu vends sur les marchés. 46 Des lacets. Toulifaut prétend que Trouillard possède une mercerie. 47 De fil. Les sonnettes sont les grelots cousus au costume et au bonnet des fous. « Mymin à sonnètes ! » Le Monde qu’on faict paistre. 48 Pièces de monnaie valant 5 deniers. 49 Je renie saint François d’Assise. « Je regny sainct Gris ! c’est ung cul ! » Trote-menu et Mirre-loret. 50 Ou le diable avait revêtu ton justaucorps et avait pris ton apparence. 51 Ton calendrier. 52 Éd : belistre (Le bésistre désigne le jour bissexte, le 29 février.) 53 L’aiguillette est le cordon qui ferme une braguette. Idem vers 82. On devine de quel « jeu » il s’agit. 54 Quand soufflait le petit vent. Les bélîtres font l’amour en plein air, comme en témoigne la Chanson sur l’ordre de Bélistrie, de Jehan Molinet. 55 À la fin, nous nous trouverons parents : il sera mon gendre. 56 Éd : iouasmes (Les éditions antérieures donnent goussasmes ; pour une fois, c’est elles qui ont raison.) Mot d’argot : « Gousser, c’est manger. » (Guillaume Bouchet.) Sur l’argot dans les Mystères, voir la notice de Gautier et Martin. 57 « Cagnard, qui est un lieu à l’abri du vent, exposé au soleil, où les vaut-riens & fainéants s’assemblent à rien faire & estre le ventre au soleil. » (Jean Nicot.) Cf. Gautier et Martin, vers 48. 58 Trouillard et Toulifaut ressemblent fort à Paillart et Briffaut, deux vagabonds du Capitaine Mal-en-point : « –Comment m’appelle-t-on ? –Paillart./ –Je puisse mourir enragé/ Se ces parolles ne sont vrayes ! » 59 Vrai. 60 Tu es très grand. 61 Loqueteux. « Ce n’est c’un loquebault. » Le Trocheur de maris. 62 Gaillard. 63 Pour peu qu’il soit bien habillé. 64 C’est le portrait de son père tout craché. On reconnaît la scène où maître Pathelin compare le drapier à son père : « Que resemblez-vous bien, de chière/ Et de tout, à vostre bon père…./ C’estes vous (fais-je), tout crachié. » 65 Mendiant. 66 Même s’il n’avait fait. 67 Question idiote ! 68 Tâche de nous convaincre que tu n’as pas dîné. 69 Depuis que je fus expulsé de mon logis. 70 Je te donne l’autorisation de réchauffer tes mains dans mon cul. 71 Cf. le Capitaine Mal-en-point, dont l’un des bélîtres se nomme Paillart. Mauduit pose son bissac pour montrer qu’il veut en venir aux mains avec Trouillard. 72 Le double sac que les mendiants portent sur leur épaule ou sur leur col. Idem vers 58 et 226. « Le povre bélistre,/ Il avoit le bisac au col. » La Mocqueresse mocquée. 73 Si mon estomac n’était pas si chargé, après le festin que Toulifaut et moi venons de faire. Ce festin imaginaire est invoqué pour taquiner Trouillard. 74 Sur le champ. Cf. le Capitaine Mal-en-point, vers 670. 75 Voir le v. 256. 76 D’où diable. 77 Des lapins. Personne n’aurait servi des mets aussi fins à des clochards, comme ils le reconnaîtront eux-mêmes aux vers 244-9. 78 Bâfré. Même mot d’argot à 229. 79 Comment il nous interroge (argot). « Qu’on en enterve/ Puis l’ung, puis l’autre ; et là, orrez/ Se remède trouver pourrez. » Mystère de l’Incarnation. 80 Éd : Quil 81 De ne penser qu’à manger. « C’est laide chose qu’ung servant/ Qui est en ce point sur sa bouche. » Le Capitaine Mal-en-point. 82 Que ce vin va droit au cœur. « Le vin d’Espagne touche au cœur. » Dict. de l’Académie françoise. 83 Qui fait oublier le rosette, un vin blanc du Périgord. « Vin d’Arragon, vin de rosette. » Le Gaudisseur. 84 Que ce vin vous fasse un mauvais profit ! 85 Raconte-lui le dessert. 86 Je me lèche les lèvres avec gourmandise. 87 En sauce au vin et à l’oignon (cive). « Voulez-vous ce lièvre au boussac,/ Ou s’on le mectra au civé ? » Le Capitaine Mal-en-point. 88 Il n’aurait fallu que me secouer l’oreille pour me réveiller. 89 Pour me secourir, me reconstituer. 90 Tête de mule. Cf. Ung Fol changant divers propos, vers 177. 91 M’aid Dieu : que Dieu me vienne en aide. 92 Aujourd’hui. Idem vers 170 et 228. 93 Plus honorablement. 94 On se méfiait des mendiants qui opéraient en équipe. « Y n’est poinct plus grand desplaisir/ Que tant de truans [mendiants] à un huys. » Les Mal contentes. 95 Certains mendiants accaparent le titre de pèlerins pour que les bons chrétiens soient tenus de leur faire la charité. Le faux pèlerin des Premiers gardonnéz s’écrie : « (Celui) qui me donne,/ Il fait bien et grant charité. » 96 Depuis ce matin. 97 Et pourtant, Toulifaut a mangé plus de dix fois. 98 Le centurion romain Cornélius, qui va bientôt devenir chrétien, est une dupe idéale pour nos trois filous. Son aide de camp, le chevalier Émélius, paraît un peu moins naïf. 99 Pour cela. 100 Vais. 101 Quand ils sont grevés par les tourments. Les éditions antérieures indiquent en marge que ce prêche emprunte au Psaume 40, à St Luc et au Livre de Tobie. 102 Émélius donne une grosse quantité de nourriture à Trouillard, qui la met dans son bissac (vers 226). 103 Que Dieu le lui rende, là-haut. 104 Nourri. « Vous serez souppéz en plénier [en abondance]. » (Le Capitaine Mal-en-point.) Émélius feint de ne pas entendre, et retourne chez le centurion. 105 Éd : Toussant (Les éditions antérieures donnent : Touffault.) L’expression « truffant, moquant », ou « truffant, bourdant », signifie : soit dit sans vouloir vous offenser. 106 Éd : lairrois 107 Ce morceau. 108 D’après ce que vous dites. Trouillard devine enfin que les agapes dont se vantent ses rivaux relèvent de la mystification ; maintenant, c’est lui qui va rire des autres. 109 Pour quelle raison (mot latin). « Dy-moy quaré/ Tu me viens faire ce meschef. » Les Trois amoureux de la croix. 110 Bâfré. Même mot d’argot à 139. 111 Il va y avoir un mort. « Il y en aura de mors :/ Il y moura l’un de nous deulx. » L’Avantureulx. 112 Nous partions. « Jamais d’icy n’eschaperon. » Saincte-Caquette. 113 Éd : Ouay (Au vers 137, Mauduit et Toulifaut ont prétendu avoir mangé du chapon.) 114 Bien naïf, pour avoir cru nos fanfaronnades. « Vous estes bien neuf ! » Le Dorellot. 115 Je te décrivais. 116 Je plaisantais. 117 Je parle sérieusement. 118 Éd : Maudine. (Mau dîné = mal nourri. Mais la rime des vers 1, 4 et 7 confirme Mauduit, tout comme les éditions antérieures. Je corrige la même inadvertance aux rubriques 259 et 263.) 119 Je crois que vous avez réellement fait ce banquet. 120 Partageons. « Voicy mignons hardis et promptz/ Pour faire départir ung rost [rôti]. » Régnault qui se marie. 121 Secouer, battre comme un tapis. 122 Probable refrain de chanson. Le 5ème Livre de Rabelais <chap. 32 bis> énumère des chansons réelles, dont l’une, qu’on n’a pas retrouvée, s’intitule Catherine. En outre, il y a peut-être un nouveau clin d’œil à la Farce de Pathelin : « Il luy fault or ? On le luy fourre ! » 123 Si j’entre dans un accès de folie. « Mais ès fèves plus en entra,/ Cuidant par ung désir volaige/ La tourner à son avantaige/ Pour en jouir légièrement. » (Alain Chartier.) C’est là le développement d’un proverbe : « Quand les fèbves sont flories,/ Les sots commencent leurs folies. » Cotgrave. 124 Voir le v. 128. Trouillard tape sur Mauduit (vers 260). 125 Que le diable l’entraîne en enfer sans retour. 126 Nous devons le faire assigner devant un tribunal. On songe à cet escroc de Pathelin qui, lui-même escroqué par un berger, menace de le faire pendre ou emprisonner. 127 Il restituera. Double sens : il vomira. Jeu de mots semblable dans Pathelin : « –Ilz m’ont fait tout rendre…./ –Mes neufz frans ne sont point rendus. » 128 En ayant la main garnie de nourriture, pour soudoyer le juge. Un avocat du Plaidoyer de Coquillart se nomme « maistre Oudard de Main Garnie ». 129 Un maître Aliboron est un conseiller qui masque son incompétence derrière du mauvais latin. « Quel maistre Aliborum !/ Comme il fait ce latin trembler ! » Maistre Mimin estudiant. 130 « On dit proverbialement & populairement : Beati garniti vaut mieux que beati quorum, pour enseigner qu’il faut tâcher d’avoir toûjours la main garnie quand on a à contester quelque chose. » (Furetière.) Le Fol de la Moralité du Lymon et de la Terre (T 19) déclame ce dicton, que Monluc reprendra dans sa Comédie de proverbes. 131 La farce s’interrompt provisoirement. Le vers suivant du Mystère, qui rime avec celui-ci, est prononcé par Jésus. 132 Cet épisode se déroule un peu plus tard. Il ne figure pas dans les éditions antérieures : quand il fallait faire des coupures dans un Mystère, on sacrifiait toujours la farce (voir ma notice de Baudet, Blondète et Mal-enpoint). Pour des raisons pratiques, je numérote ces vers à la suite des précédents. 133 Si l’on pouvait. 134 Je ferais aux dupes une requête énoncée avec des paroles plaintives. 135 Selon mon usage. 136 Argot. Les « gueux de l’ostière » constituent une confrérie de mendiants qui vont de porte en porte. « Par l’artifice des meschans bélistres de l’ostière. » Godefroy. 137 Trouillard s’organisa si finement. 138 Il ne nous en laissa pas une seule part. 139 Nous avons là un superbe zeugma : il prit tout, mais il ne prit pas notre défense. 140 S’il ne veut pas se conduire. Cette Fraternité n’est autre que la confrérie des gueux de l’ostière, dont les règles étaient fort strictes. 141 Dans les farces, un tel serment fait toujours rire. Le prêtre des Povres deables n’hésite pas à jurer : « Et ouy, par ma virginité ! » 142 Le mauvais tour que j’ai commis à vos dépens. 143 D’un bordel, pendant… 144 Si je n’ai bu du jus de raisin fermenté, du vin. 145 Une livre = 20 sous. Mais « sols » se prononçait comme « sots » ; le public a donc pu comprendre : Je vaux mieux qu’une livre de sots. Cf. la Folie des Gorriers, vers 640 et note. 146 Mendier. 147 De bâfrer que mon cœur défaille. Cf. les Coquins, vers 61. 148 Gondopharès, roi des Indes. 149 Encore un pigeon chrétien qu’on va pouvoir plumer. Malheureusement, cette scène a été omise ou supprimée par les trois éditions : voir la note 132. 150 Je me suis repu de nourriture et de vin. 151 Sans délai. 152 En faisant le dévot. Cette revendication du droit à l’hypocrisie va être mise en pratique dès la scène suivante. 153 Saint Thomas donne aux bélîtres une grosse somme qu’il a extorquée au roi, et qu’il accompagne d’un sermon rébarbatif. Trop heureux de remplir leurs poches à si bon compte, les mendiants lui font croire qu’il est parvenu à les convertir au christianisme ; si Paris vaut bien une messe, une aumône importante vaut bien une fausse conversion. Notons que dans le 4ème Livre du mystère, Mauduit et Toulifaut, devenus respectivement sergent et geôlier, persécuteront les chrétiens. Saint Thomas ne l’aurait pas cru ! 154 Selon mon (faible) pouvoir. 155 Nous retrouvons les trois bélîtres à la fin du 5ème Livre. Ils déplorent la mort de leur plus généreuse donatrice. Au bout d’un suspense hitchcockien de 23 vers, nous découvrons qu’il s’agit de la Vierge Marie. Cet épisode irrévérencieux, qui ne figure pas dans les éditions antérieures (note 132), est apocryphe : l’orthographe des noms propres a changé ; mais surtout, on ne reconnaît plus le style fluide de Gréban, qui était mort depuis belle lurette quand ses Actes des Apostres parurent, après avoir subi les inévitables retouches induites par les représentations de 1536 et de 1541. 156 Adverse. Même vers dans les Maraux enchesnéz où, comme ici, des bélîtres se plaignent de leur sort. 157 Notre réconfort. Ces plaintes démarquent mot pour mot celles des amants qui ont perdu leur bien-aimée. Sauf que chez nos bélîtres, l’amour de l’andouille et du jambon va bientôt supplanter l’amour de Marie (vv. 393-4). 158 Nous soustraire notre bien. 159 Retirer. 160 Réclamer de l’aide. 161 Éd : nous a (Quand la Mort a pris notre bienfaitrice, pour notre plus grand malheur. « Ilz s’en départirent à leur grant malheure. » Perceforest.) 162 Le premier prix : elle était le summum de la charité. 163 Nulle ne l’a précédée, et nulle ne lui succédera. 164 La meilleure. Vocabulaire amoureux : « Ma Dame est l’outrepasse des dames. » ATILF. 165 Car le péché ne l’a jamais vaincue, et ne s’approcha jamais d’elle. 166 Et qu’elle l’a conçu. 167 Due, normale. 168 Notre bien. 169 La quête. 170 L’ex-tenancier de bordel (vers 296) a l’esprit ailleurs. 171 Informés. « Tu es par toy-mesme record/ Que deux coquins [mendiants] ne vallent rien/ À un mesme huys. » Le Pardonneur. 172 De nous récompenser. 173 On ne voit pas souvent les bigots donner aux pauvres. 174 Font l’ouvrage de reins. « Je besongne occultement [copule secrètement]/ En contrefaisant la bigotte. » Farce de quattre femmes, F 46. 175 Clairsemées, rares. 176 Pour mendier en quelque lieu. 177 Par ma religion, le paganisme. Cf. Gournay et Micet, vers 85, 96, 319 et 335. 178 Éd : inuentoire. (Pour nous en faire une offrande. « Pour faire offertoire/ Du pain de vie. » N. Osmont.) L’imprimeur a dû craindre un amalgame — d’ailleurs voulu par l’auteur — avec l’Offertoire liturgique. 179 Éd : bancquet. (Pour le remplissage de notre ventre.) 180 Peut-être. Cf. le Poulier à sis personnages, vers 113. 181 La peau de notre ventre. 182 Éd : Si (Ne feigne pas, ne fasse pas semblant de.) 183 Éd : En (Afin que notre bissac ne soit pas rapporté aussi vide qu’à l’aller.) Le bissac est l’enseigne des mendiants, leur emblême : voir la note 72.
BAUDET, BLONDÈTE ET MAL-ENPOINT
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BAUDET,
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BLONDÈTE ET
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MAL-ENPOINT
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Une farce est une pièce comique jouée par un petit nombre d’acteurs. Elle se compose d’une entrée en matière qui « plante le décor », d’un développement qui pousse jusqu’à l’absurde un sujet dérisoire, et d’une conclusion qui se prétend morale sans l’être. C’est donc bien une farce à part entière qui arrive comme un cheveu sur la soupe dans la seconde journée du Mystère des trois Doms. Son action et les 3 personnages qui la font vivre n’appartiennent pas au Mystère ; elle fut d’ailleurs supprimée lors de la création, faute de temps. Il n’était pas rare d’inclure une farce dans un Mystère, pour réveiller les spectateurs : voir la notice des Tyrans. Dans ce cas, et nous le vérifions ici, le début et la fin de la farce riment avec le vers antérieur ou postérieur du Mystère.
Le Mystère des trois Doms, composé par le chanoine Pra, fut créé en 1509 à Romans-sur-Isère. La farce était prévue pour la matinée du 28 mai.
Ce Mystère est d’une totale invraisemblance historique, avec ses anachronismes et ses personnages qui ont vécu à des époques et en des lieux différents — pour peu qu’ils aient existé. Nous assistons à la mort de l’empereur Septime Sévère, en l’an 211 ; mais les actes que le chanoine Pra lui attribue concernent plutôt Marc Aurèle, mort en 180. En tout cas, il faut faire un gros effort d’imagination pour admettre que la farce, où achèvent de rouiller des armures rescapées de la guerre de Cent Ans, se déroule dans la Gaule romaine.
Source : Bibliothèque nationale de France, ms. NAF 18995, folios 115 vº à 120 rº.
Structure : Rimes abab/bcbc, rimes plates, avec 2 poèmes à refrains.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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BLONDÈTE, quoquine1, femme de
Baudet, commance.
Baudet ! SCÈNE I
BAUDET, coquin, commance.
Hau ! qu’esse ?
BLONDÈTE
Dormirez-vous toute journée2 ?
Levez-vous sus !
BAUDET
Laisse-moy, laisse,
Vielhe putain déshordonnée3 !
BLONDÈTE
5 La guerre a esté cryée
De par les empereurs romains4.
BAUDET
C’est bien soufflé5 !
BLONDÈTE
Ouy ? Pour ces mains,
La journée [e]n est assignée6 :
Ne les tenez pas en paresse.
BAUDET
10 Point n’yrey avant la dîgnée7 :
À moy seroit trop grant simplesse8.
BLONDÈTE
Baudet !
BAUDET
Hau ! qu’esse ?
BLONDÈTE
Dormirez-vous toute journée ?
Levez-vous sus !
BAUDET
Laisse-moy, laisse,
Vielle putayn déshordonnée !
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MAL-ENPOINT 9, coquin, commance.
15 Bonne matinée ! SCÈNE II
BLONDÈTE
Si10 me soit donnée
Pour mon passe-temps !
MAL-EN-POINT
Sans querre noyses ny contans11,
Soucy, chagrin hors je veux mettre.
20 Mars12 gard les gueux !
BAUDET
Et à vous, maistre !
MAL-ENPOINT
Qu’est cecy ? Es-tu sus l’embûche13 ?
Que fais-tu là ?
BAUDET 14
Je m’esperluche15.
BLONDÈTE
Il a santy quelque picard16.
BAUDET
Il y demourra, le rifflard17 !
25 Besoing n’est jà que l’on l’embûche18.
MAL-ENPOINT
Que fais-tu là ?
BAUDET
Je m’esperluche.
BLONDÈTE
Il a santy quelque picard.
BAUDET
Où va le seigneur, ainssi tart,
Tenant gravité honnorable19 ?
MAL-ENPOINT
30 Je m’en voys20 dessoubz l’estandart
De Noblesse la favorable.
BAUDET
Vostre parler est raisonnable.
Estes-vous de la21 Gentillesse ?
MAL-ENPOINT
Voyre : des chouses22 de sa prouesse,
35 Raige j’ay fait par mons et vaux.
BAUDET
Pour fournir deux grans hôpitaux,
Voustre personne est [bien] propice23.
Ha ! gentil-homme ?
MAL-ENPOINT 24
D(e) haulte lisse25.
[BAUDET]
Gentil-homme de basse taille26
40 Qui, par deffaulte d’une maille27,
Demourriez seiché28 au gibet.
MAL-ENPOINT
À toy dresse29 le quolibet !
Esse cy le chemin de Romme ?
BAUDET
Où veult aller vostre personne ?
45 Quérez-vous quelque prélature30 ?
MAL-EN-POINT
Nenny : je vois, à m’avanture31,
Me présenter à l’Empereur.
BAUDET
Et là, que fère32 ?
MAL-ENPOINT
Querre honneur ;
Je serey des chiefz [de] la guerre.
BAUDET
50 De joye tout le cueur me serre.
Vous serez ung vaillant archier33 !
Meilleur trongne de pâtissier
Vous avez34 que de capitayne.
MAL-ENPOINT
Et ! je l’ay ? Ta fièvre cartayne35,
55 Poulieux infâme, ort bellistre36 !
BAUDET
Bien déclairez cy vostre tiltre37.
Il y pert bien à vous abis38,
À vous ocqués39, à vous rubis
Que vous portez sus le visaige :
60 Oncques je ne vis tel ymaige
Mieulx resamblant à ung yvroigne.
MAL-ENPOINT
Si je puys, feray ma besoigne.
Pourveu serey40 avant dix jours.
BAUDET
Le[s] poux ont sus vous beaux séjours41.
65 Vostre pourpoint n’est costonné42 :
Garde n’avez d’estre estonné43,
[Mais que]44 vous soyez en bataille ?
MAL-ENPOINT
Dix francs [par moys]45.
BAUDET
Voire, sans faille46,
Tout vostre argent est jà conté47 ;
70 Autant en yver qu’en esté,
Vous serez sus la morte-paye48.
MAL-ENPOINT
Vestu serey49…
BAUDET
Leynne de soye
L’on vous gettera sus le doux50.
MAL-ENPOINT
… [D]e draps d’argent.
BAUDET
Voyre de « poux51 » :
75 Ce sera vostre couverture52.
BLONDÈTE 53
Endure, pouvre cueur, endure !
Endurer fauldra meintenant,
Car je vois mon mary venant54
Tout seuremant à la guerre à s’avanture55.
BAUDET
80 Je cuyde que ma femme pleure ;
Ou aulmoins, elle en fait semblant.
BLONDÈTE
Que fait le gueulx56 ?
BAUDET
Trèstout tremblant
M’avez randu, à vostre crye57.
BLONDÈTE
Que dit Baudet ?
BAUDET
Je dis, m’amye,
85 Que j’ay compaignie de [ma] sorte58
Qui s’en va — d’où je me conforte —
À la guerre gaigner pécune.
BLONDÈTE
Et d’où est-il ?
BAUDET
De Panpelune59 :
Le pouvez veoir à ses abitz.
MAL-ENPOINT
90 Je ne prans garde à blanc n’à bis60,
Autant vestu comme en pourpoint61.
BLONDÈTE
Et vostre non ?
MAL-ENPOINT
C’est Mal-enpoint,
Le capitaine advanturier.
BAUDET
À luy seray sans varier62,
95 [Mais que bons gaiges]63 il me donne.
MAL-ENPOINT
Garde n’as que nully t’estonne64,
Mais que tu soyes soubz ma bande65.
BAUDET
C’est, ma foy, tout ce que demande,
Car estonné ne vouldrois estre.
BLONDÈTE
100 Baudet a trouvé cy son maistre,
Ung capitaine de renon66.
Vous y yrez ?
BAUDET
Juppin ! c’est mon67 :
Refuser ne veulx l’advanture.
MAL-ENPOINT
N’ayez soucy : mays qu’il endure68,
105 Riche sera en peu de temps.
As-tu armure ?
BAUDET
De long temps
J’ay les arnois69 de mon grant-père.
MAL-ENPOINT
Avoir les fault !
BAUDET
Çà, ma commère,
Y convient cy que vous m’armez.
BLONDÈTE
110 Par mon âme ! vous m’estonnez,
Quant me parlez de tel langaige.
BAUDET
Où est mon jacques70 ?
BLONDÈTE
Et que sçay-je ?
Despuis71 vous, je ne l’ay tenu…
BAUDET
Si en serey-je revêtu ;
115 Apourtez-le-moy, si voulez.
BLONDÈTE
Vestu vrayement en serez.
Velle cy72, trèsbel et honneste.
BAUDET
Ne seray-je pas de la teste73 ?
Si seray, dea : çà, ma sallade74 !
BLONDÈTE
120 J’ay peur que ne soyez malade,
De tant vestir d’accoustremans.
BAUDET
Hardy seray !
BLONDÈTE
Ouy, si ne mans75.
Par où esse qu’i la76 fault mettre ?
BAUDET
Ma teste dedans fault remettre.
125 Maintenant ell’ est à ma guise.
Mes gantellés77 !
BLONDÈTE
Belle devise78 !
Vous convient-il armer les mains ?
BAUDET
Mes garde-bras79 !
BLONDÈTE
Cella, du moins,
Trop vous affeublez80, sus mon âme !
130 Hé ! mon amy…
BAUDET
Qu’i a, Madame ?
BLONDÈTE
S’on vous frappe sus les… tallons81,
Que direz-vous ?
BAUDET
Mes esperons,
De quoy serviront-ilz, Blondète ?
MAL-EMPOINT
Est-il en point ?
BLONDÈTE
Veez-le cy, preste82,
135 Tout armé comme ung beau saint George.
Vous y ferez…?
BAUDET
Randre la gorge
À celluy quy ne me doit rien,
S’il ne baille sces-tu combien ?
Des escutz une plaine tace83.
BLONDÈTE
140 N’obliez pas vostre besasse84,
Pour réduyre tous ces arnas.
BAUDET
Vestu me verras de damas85,
Blondète, quant je reviendrey.
BLONDÈTE
Et vostre espée ?
BAUDET
Je la larrey :
145 Ce sera pour86 ta saulvegarde.
BLONDÈTE
Et s(i) on vous bat ?
BAUDET
En ce cas, garde87,
Garde n’ay de tant m’approucher !
BLONDÈTE
Vous serez donc bon franc-archier,
Pour vous tenir à l’uys derrière88.
150 S’on vous assault ?
BAUDET
Et ! moy arrière
Me recullant tout le beau pas89.
BLONDÈTE
Et direz ?
BAUDET
Que je n’y suys pas90 :
Aultremant, l’on m’affoleroit91.
MAL-ENPOINT
Départir il nous conviendroit,
155 Car nous pardons avancemant92.
BAUDET
Où yrons-nous ?
MAL-EMPOINT
Premièramant
Yrons à l’Empereur romain,
Qui nous tendra (ce croy) la main,
Nous fournissant de quelque place.
BLONDÈTE
160 Et s’il93 dîgne ?
BAUDET
Bon pro[u] luy face94 !
Je le verrey aulmoins de l’uys.
MAL-ENPOINT
Je vois davant95.
BAUDET
Et je vous suys.
Hélas, Blondète !
BLONDÈTE
Hélas, Baudet !
Gardez-vous bien !
BAUDET
Mon cas est nest96 :
165 À la guerre, ma foy, m’en voys.
.
MAL-EMPOINT SCÈNE III
Marches avant !
BAUDET
Point je97 n’y vois :
Ceste armure m’ouste la veue98.
MAL-EMPOINT
Si ta personne est cogneue
Une foys de dedans l’Empire,
170 J’ay peur que ne deveignes pire99 :
Tu ne recognoistras personne.100
BAUDET
Où est la guerre ?
MAL-EMPOINT
Mot ne sonne101 !
Nous sonmes prestz de l’Empereur102.
Avant, Baudet103 !
BAUDET
Et si104, j’ay peur :
175 Orïons me feront esmay105.
MAL-EMPOINT
As-tu soucy ?
BAUDET
Ouy, par ma foy !
Au diable soit la guerre toute !
Et ! qu’e[s]t cecy106 ? L’on n’y voit goutte.
Ma femme le me disoit bien.
MAL-EMPOINT
180 Veulx-tu venir ?
BAUDET
Estron de chien !
Allez-vous-en là où vouldrez,
Car d’annuyt107 vous ne m’y tiendrez.
Je m’en revois108 devers ma femme.
MAL-ENPOINT
Qu’esse qui bruyt109 ?
BAUDET
Alarme ! Alarme !
185 Me murtrirez-vous110, en ce point ?
Bien de guerre [n’]aurey besoing,
Si jamais je la tourne veoir.
Esse de quoy l’on scet pourveoir111 ?
.
Blondète, je retourne toust112. SCÈNE IV
BLONDÈTE
190 Où avez-vous rôti le roust113,
Quant eschoffé estes si fort ?
BAUDET
Blondète, je n’estois pas fort,
Pour retourner ces114 coups de lance.
Si plate m’ont randu la pance115
195 Qu’à peinne povois-je souffler116.
BLONDÈTE
Vous n’aviez garde117 de ronfler.
Mettez-vous ung peu en repous,
Et je vous couvrirey le doux118
Affin qu’esvitez l’esquillance119.
200 Estes-vous bien ?
BAUDET
Ouÿ, ce120 pance.
BLONDÈTE
Or, repousez tout à vostre ayse.
.
*
LES DEUX POUVRES
*
.
Le Mystère des trois Doms prête la parole à deux autres pauvres qui vivent de mendicité121. Les trois saints du Mystère leur donnent des vêtements et des bijoux en échange de leurs prières. Telle est, du moins, la vision angélique du chanoine Pra. Hélas ! elle va être anéantie par Claude Chevalet, que les commanditaires des Trois Doms ont payé pour revoir la copie du bon chanoine, jugée un peu molle du genou. Ce futur auteur d’une Vie de sainct Christofle épicée d’argot ne patauge pas dans l’eau bénite : les deux mendiants deviennent des bonimenteurs qui se prétendent chrétiens pour exploiter la naïveté des saints. (La Vie de sainct Christofle prêtera le même subterfuge à l’Aveugle et son valet Picolin.) Les deux escrocs commentent leur forfait dans la langue verte des bas-fonds, avant d’aller boire la sainte donation à la taverne, comme Clique-pate et Malaisé buvaient l’argent de sainte Barbe. Voici le dialogue ajouté par Chevalet ; ce brouillon presque illisible fut inséré dans le ms., et folioté tardivement 108 rº et vº. Je ne reproduis pas le premier mot, « debvoir », qui n’est autre qu’un rappel de la rime précédente, prononcée par Exupère.
*
LE PREMIER POUVRE
Que te samble de nostre advoir122 ?
Avons-nous pour fère grant chière ?
N’esse pas pour fère debvoir123,
Et gaudir124, brouer sus l’enchière ?
5 Si nostre mille125 n’en est fière,
Nous luy ramplirons sa foulliouse126.
Que te samble de la matière ?
LE SECOND POUVRE
Je ne scey sus quoy l’on proupose127.
S’on povoit advoir une [a]louse128
10 Pour aubert qu’on mist sus la dure129,
Nous serions bien.
LE P[REMIER POUVRE]
N’est130 aultre chose
À mordre ? Tu renies ta cure131 !
LE SECOND [POUVRE]
Ne sçavez, quant l’on a monture132
Pour marcher sus les chans à l’aise,
15 Qu’on doit gaudir133 sus la verdure ?
Et ! ne [regardez, quoy]134 qu’i poise :
Flascon, bouteille[s] et simaise135
Devez ramplir jusqu’au bondon136,
Poulle trouver, aussi pigon137,
20 Puisque vous santez ramplumés138.
LE P[REMIER POUVRE]
Parlez plus bas ! Vous m’enfumez
Le cerveau139 pour y estre jà.
Oncques mareschal ne forja
(Ce me samble) telle monoye140 :
25 Pasté de veau, lapereau141, oye
Maintenant se desgordira142 ;
Vin de Tornon l’on trouvera
(Ce me samble), pour la pécune143.
Allons-an à nostre fortune,
30 Quar j’entens que serons ramplis.
LE S[ECOND POUVRE]
Où yrons-nous ?
LE P[REMIER POUVRE]
La Fleur du Lis144
Se trouvera assez propice.
LE S[ECOND POUVRE]
Vous conviendra-il point d’espice
Trouver, pour avoir appétit ?
35 J’ay grant peur qu’en ayez despit,
Si honneur chascun ne vous porte145.
LE P[REMIER POUVRE]
Maine-moy jusques à la porte
Des Trois Rois146, au my de la place ;
Car il est fort [bon] que j’amasse
40 Aulcune chose pour substance147.
LE S[ECOND POUVRE]
Avez-vous fein ?
LE P[REMIER POUVRE]
Platte la pance :
Ne le vois-tu à l’estomac ?
Escoute comme[nt] il fait « flac148 » ;
Tu dirois qu’il se veult retandre149.
LE S[ECOND POUVRE]
45 Quant bellîtres ont à despandre150,
Se voians sus eux six tournois151,
Il veulle[n]t faire carreaulz fandre152
Aussi bien que font les bourgois.
*
1 Les 3 personnages sont qualifiés de « coquins », c’est-à-dire de clochards. De bon matin, Baudet ronfle bruyamment près du feu, devant son taudis. Sa femme, Blondette, rapporte du marché des nouvelles alarmantes. 2 C’est exactement ce que la meunière dit à son mari au vers 168 du Poulier à sis personnages. 3 Débauchée. 4 « La guerre/ Que l’Empereur a fait crier/ À son de trompe et publier. » (Claude Chevalet.) L’empereur Septime Sévère a décrété la mobilisation des réservistes gaulois pour défendre Vienne contre les menées de l’usurpateur africain Clodius Albinus, cantonné à Lyon. Par conséquent, les Gaulois se battront aux côtés de l’empereur romain. 5 C’est du vent ! Cf. le Ribault marié, vers 99. 6 Pour vos mains que voici, le jour de la bataille est prévu. Afin de faciliter la lecture, je rétablis le « e » du pronom « en », dont ce manuscrit dauphinois fait souvent l’économie : « La puissance vous ‛n est remise/ De par Jhésus le Rédempteur. » 7 Je n’irai pas à la guerre avant le dîner. En bon personnage de farce, Baudet ne songe qu’à la nourriture. 8 De ma part, ce serait de la simplicité d’esprit. « Ce seroit à moy grant simplesse. » Les Trois amoureux de la croix. 9 Il s’arrête devant le taudis du couple. Chevalet reparlera de lui au vers 81 des Tyrans au bordeau. Quelques années plus tard, une farce anonyme du Capitaine Mal-en-point glorifiera ce vieux rêveur pitoyable ; on y reconnaît de nombreux emprunts à celle-ci. 10 Aussi, qu’elle… 11 Sans chercher des sujets de noise ni de contentieux. 12 Formule de salutation entre vagabonds. Les chrétiens disent : « Dieu gard le gueux ! » (Beaucop-veoir.) Mais le capitaine, qui est gallo-romain, jure par le dieu de la guerre. De même, Baudet jurera par Jupiter au vers 102. 13 En embuscade. Jeu de mots : Être sur la bouche = ne penser qu’à manger. « C’est laide chose qu’ung servant/ Qui est en ce point sur sa bouche. » Le Capitaine Mal-en-point. 14 Il attrape un pou dans sa tignasse et il le jette au feu. Voir la note 61 du Capitaine Mal-en-point. 15 Je m’épluche, je m’épouille. « Soi espeluchier : se débarrasser de la vermine. » (FEW.) C’est là un sens argotique, peut-être influencé par les esperlucats [porteurs de perruque], dont la propreté capillaire n’était pas garantie. La 3e Ballade en jargon de Villon s’adresse aux espélicans [épouilleurs]. 16 La piqûre d’un pou. « Des picards : des poüils, parce qu’ils picquent. » (Antoine Oudin.) Ce Mystère est un de ceux qui, grâce à son coauteur Claude Chevalet, contiennent le plus d’argot. Voir l’article de Laetitia SAUWALA : Le jargon dans le Mystère des Trois Doms. Argotica, nº 1 (3), 2014, pp. 178-192. <L. Sauwala rédigea en 2016 une Édition critique du Mystère des trois doms. Cette thèse inédite n’est pas accessible au public, qui s’en tiendra donc à la remarquable édition de Giraud et Chevalier parue en 1887.> 17 Il y restera, ce goinfre ! Encore un mot d’argot. 18 Qu’on l’enchaîne dans un cachot. « Qu’il soyt en prison embûché ! » (Le Marchant de pommes.) Familiers des geôles et de leur jargon, les gueux sont bien placés pour connaître cette acception rare. 19 Le Capitaine Mal-en-point marchera « d’une bonne gravité ». 20 Je vais. Idem vers 46, 162 et 165. 21 Ms : sa (De la Noblesse. « À Gentillesse est dû honneur. » Gautier et Martin ; notons que ce dialogue argotique composé vers 1500 octroie une particule au « cappitaine de Mal-empoint ».) 22 Des choses, des actes. La farce du Capitaine Mal-en-point racontera ces prouesses guerrières. Notre manuscrit dauphinois remplace souvent « o » par « ou » : vous = vos ; doux = dos. 23 On emplirait deux hôpitaux avec tous les ennemis que vous avez blessés. Mais les sans-abri, qu’on autorise à se réfugier dans les hôpitaux, ne les emplissent que de poux : « À l’hospital prenons repos./ Puces et gros poux à piccos/ Nous font cent milles playes. » (Molinet, Chanson sur l’ordre de Bélistrie [mendicité].) Les Sotz nouveaulx farcéz résument ce rapprochement : « À l’hospital ! Des poux, des poux ! » 24 Le ms. remonte cette rubrique sous le vers 37, et met ici le nom de Baudet. 25 De haute lignée. Notre Mystère écrit souvent « haut » avec un « h » muet : « Ô Jupiter d’haulte excellence ! » « Nous servirons l’haulte noblesse. » 26 De basse extraction. « La nécessité, qui menasse aussi bien gens de basse taille que les plus grans. » Montaigne. 27 Ms : maillie (Le ms. n’harmonise pas toujours ce genre de rimes : les acteurs s’en chargeaient.) S’il vous manquait un seul centime. 28 Ms : caiche (Resteriez séché. À l’extérieur des villes, on laissait les pendus sur le gibet jusqu’à ce qu’ils tombent. « Et le soleil [nous a] desséchiéz et noircis. » Villon, Ballade des pendus.) Vous ne seriez pas assez riche pour soudoyer des juges. « Son père qui, par plusieurs foiz,/ Du gibet l’avoit racheté. » Éloy d’Amerval. 29 Adresse-toi ce sarcasme à toi-même. 30 Allez-vous chercher à Rome une sinécure de cardinal ou d’archevêque ? Posée à un païen, cette question est injurieuse. 31 Je vais, pour le meilleur et pour le pire. Le vétéran veut profiter de la mobilisation pour reprendre du service actif. 32 Le Mystère dit deux autres fois : « Et là, que fère ? » 33 Les archers sont des pleutres qui restent toujours derrière et ne s’exposent jamais, comme le stipulent les vers 148-9. 34 Vous avez plutôt une tête de pâtissier. 35 Meurs de la fièvre quarte ! Cf. Science et Asnerye, vers 291. 36 Infâme pouilleux, sale mendiant. « Est-il bellistre !/ Il est poilleux, vellà son tiltre./ Il est villain, ort et infâme. » Mistère du Viel Testament. 37 Votre propre titre de noblesse. « Gentilhomme, c’est ung beau tiltre./ (Ne dictes pas qu’il est bélistre.) » Légier d’Argent. 38 Cela apparaît bien aux taches de vin qui maculent vos habits. « Je suis bien de la morte-paye [au rancart],/ Il y pert bien à mes habitz. » (Les Sotz qui remetent en point Bon Temps.) Vous = vos, comme au vers suivant ; v. la note 22. 39 À vos hoquets éthyliques. Le rubis est une pustule rouge ornant le nez des alcooliques : « Boyre vous fait sortir rubis/ Et illumine le visaige. » Trois Doms. 40 Je serai pourvu d’un poste de commandement. 41 Une belle résidence. Le Capitaine Mal-en-point a tellement de poux qu’il embauchera un gratteur (vers 176-9). 42 A perdu son rembourrage de coton. « Dieu gart le gallant au pourpoint/ Dont on voit saillir le coton ! » Le Capitaine Mal-en-point. 43 Ne craignez-vous pas d’être frappé ? Idem vers 96 et 99. 44 Ms : maisques (Pour peu que. Idem vers 95, 97 et 104.) 45 Ms : pour moy (Je gagnerai 10 francs par mois. Anachronisme : le franc ne sera créé qu’en 1360.) Entre les vers 63 et 74, Mal-enpoint poursuit à haute voix son rêve de gloire, sans écouter les contradictions. 46 Ms : maillie (Sans faute. « Et je le vous diray sans faille. » Les Frans-archiers qui vont à Naples.) 47 Votre argent est vite compté, puisque vous n’en avez pas. « –Vous ne voyez pas nostre argent./ –Tant il seroit fort [difficile] à conter ! » Le Monde qu’on faict paistre. 48 Vous toucherez une demi-solde, comme les vétérans mis au rancart. Cf. Turelututu et Granche-vuyde, vers 194 ; cette autre farce antimilitariste est incluse elle aussi dans un Mystère. 49 On me donnera un uniforme. 50 On vous jettera sur le dos la « laine » d’un cochon. Le poil rêche des porcs se nomme la soie : « De la soye de pourceau. » Les Queues troussées. 51 Le « pou-de-soie » est une étoffe de soie épaisse et dépourvue de lustre. Mais nous avons là un calembour sur les poux, dont Mal-enpoint est infesté. 52 C’est tout ce qui vous couvrira. 53 Elle se lamente et pousse des cris. 54 Prêt à aller. 55 À son destin. Le ms. dauphinois fait rimer aventure avec pl(e)ure, comme il le fait rimer avec dem(e)ure, avec h(e)ure ou avec lab(e)ure. 56 Les textes argotiques offrent plusieurs variantes de cette formule de reconnaissance, à commencer par les Trois Doms : « Où vont les gueux ? » « Que font les gueulx ? » 57 Avec votre cri. À partir de maintenant, Baudet vouvoie son épouse, jusqu’au vers 130, où il se contraint même à l’appeler « madame », et non plus « vieille putain désordonnée ». Il croit déjà être le héros courtois d’une chanson de geste. 58 De ma sorte. « Pourroys-je trouver quelque part/ Compaignie de ma consorte ? » Trois Doms. 59 Pampe-lune est la patrie des mal nourris, qui mangent le clair de lune faute de mieux. « Je suis venu tout en jergault [en pourpoint]/ De la contrée de Pampelune. » Les Sotz nouveaulx farcéz. 60 Je ne regarde pas ces détails. Jeu de mots : les riches mangent du pain blanc, et les pauvres du pain bis. 61 Que je sois habillé ou que je sois en simple pourpoint. 62 Je serai sous ses ordres sans hésiter. 63 Ms : maisques bon gaige (Pourvu qu’une bonne solde. « Qui veullent avoir de bons gaiges/ Du capitaine Sot-voulloir. » Maistre Mymin qui va à la guerre.) 64 Tu ne risques pas que quelqu’un te frappe. 65 Pour peu que tu sois sous ma bannière. 66 « Mal-en-point,/ Ung capitaine de renom. » Le Capitaine Mal-en-point. 67 Par Jupiter, c’est mon avis ! 68 Pour peu qu’il soit endurant. Ou bien : pour peu qu’il supporte les coups de nos adversaires. 69 Le harnachement, l’armure. Idem vers 141. 70 Mon jaque, mon justaucorps. « Le jacques bien garny de poulx. » Le Capitaine Mal-en-point. 71 Après. Double sens érotique : « Frère Jacques : le membre viril. » (Oudin.) Blondette est beaucoup plus fine que son mari ; elle use d’un langage plein de sous-entendus qu’il ne perçoit pas. 72 Le voici. Blondette donne à son époux un justaucorps en lambeaux, raidi par la crasse. Honnête = propre, décent. « Un habit honneste. » Le Cousturier et Ésopet. 73 Ms : feste (Ne serai-je pas vêtu de la tête ?) 74 Mon casque. 75 Si je ne mens pas : si je ne m’abuse. « Sy je ne mans,/ Boyre yrons. » Trois Doms. 76 Ms : le (Par où faut-il vous mettre la salade ? Un sous-entendu rectal n’est pas à exclure de la part de cette finaude.) Blondette apporte un vieux casque beaucoup trop grand. 77 Le gantelet est un gant d’armure. « Sa salade et ses ganteletz. » Maistre Mymin qui va à la guerre. 78 Beau projet ! 79 Partie d’une armure qui couvre l’avant-bras. 80 Vous affublez, vous revêtez. « Il afuble son bassinet [casque]. » La Laitière. 81 Blondette, qui veut surtout protéger les parties viriles de son époux, a failli dire couillons. « Celle qui veid son mary, tout armé/ Fors la braguette, aller à l’escarmouche,/ Luy dist : ‟Amy, de paour qu’on ne vous touche,/ Armez cela, qui est le plus aymé !” » Rabelais, Tiers Livre, 8. 82 Ms : prestz (Auréolé de prestance.) 83 Bourse. « Prens dix escus en ma tasse. » (Le Ramonneur de cheminées.) Non contents de se livrer au pillage, les soudards mettaient à rançon leurs prisonniers ; ils égorgeaient ceux qui n’étaient pas solvables. 84 Blondette semble dire : Pour y mettre tout cet argent. Mais elle sous-entend que Baudet n’aura besoin d’une besace que pour rassembler son harnachement, son barda. 85 D’étoffe précieuse. « Vestus de damas blanc. » ATILF. 86 Ms : par (Je la laisserai pour que tu puisses te défendre contre les violeurs. Baudet ne va pas à la guerre pour se battre mais pour s’enrichir.) 87 On croit comprendre : Je garde l’épée. Mais le vers suivant précise la pensée du couard. 88 À la porte de derrière : à l’arrière-garde. Anachronisme : les francs-archers ne seront créés qu’en 1448. 89 Je me reculerai en arrière d’un bon pas. 90 Que je ne suis pas là. Cette excuse de poltron se décline sous plusieurs formes ; par exemple, maître Mymin affirme aux assaillants qu’il s’est enfui de peur (v. 309) et que ce n’est donc pas lui qu’ils ont en face d’eux (vv. 312 et 314). 91 On m’assommerait. 92 Nous perdons notre avance. 93 Ms : ceil (Et s’il est en train de dîner.) 94 Nous boirons à sa santé. « –Je bois à vous d’autant !/ –Bon preu te face ! » L’Aveugle et Saudret. 95 Je vais devant. 96 Net, sans ambiguïté. 97 Ms : ne (Je n’y vois pas : mon casque trop grand me tombe sur les yeux.) 98 Ms : vyeue (M’ôte la vue.) 99 Ms : sire (« Et la maulvaise en devient pire. » Deux hommes et leurs deux femmes.) 100 Une didascalie précise que, non loin de là, les spectateurs peuvent voir un officier et des sergents conduire à Vienne les trois héros du Mystère. Les Mystères mobilisaient plusieurs plateaux simultanément ; l’attention du public allait vers les endroits où l’on parlait, mais l’œil captait le reste. Voir la notice du Brigant et le Vilain. 101 Ne dis plus un mot ! 102 Les deux bravaches n’ont fait que quelques mètres et ne sont donc pas à Rome ; c’est l’empereur Sévère lui-même qui doit venir protéger Vienne : « De vous armer vous fault haster,/ Car l’Empereur s’en va en France. » Trois Doms. 103 C’est le cri que poussent les âniers pour faire avancer leur bête. « Avant, baudet !…./ Hay avant, bodet ! » Cautelleux, Barat et le Villain. 104 Cependant. 105 Les horions que m’assèneront nos ennemis me donneront de l’émoi. 106 Son casque lui est retombé sur les yeux. 107 De tout aujourd’hui. « D’anuyt, besoing n’auront d’estre évantéz. » Trois Doms. 108 Revais, retourne. Dans une circonstance analogue, le jeune troupier Phlipot a la même réaction : « Je m’en revoys cheulx mes amys. » 109 Sous l’effet de la peur — tel qu’il se traduit dans les farces —, Baudet vient de lâcher un pet sonore bien digne de l’animal dont il porte le nom. Mais il croit que Mal-enpoint a entendu venir l’ennemi. 110 Me tuerez-vous ? Aveuglé par son casque, Baudet implore la clémence des prétendus ennemis. 111 Peut-on prévoir le résultat d’une guerre ? Baudet retourne sur ses pas en courant. 112 Plus tôt que prévu. Baudet arrive en sueur. 113 Devant quel feu avez-vous tourné la broche, pour transpirer ainsi ? Les soldats des farces passent plus de temps à rôtir les poules qu’ils ont volées qu’à combattre. 114 Ms : ses (Pour rendre à mon adversaire.) 115 Ils m’ont tellement affamé, pendant le long quart d’heure que j’ai passé à la guerre. Voir le vers 41 du dialogue que je publie sous la farce. 116 Respirer, avoir un souffle de vie. 117 Vous ne risquiez pas. 118 Le dos. Idem vers 73. Blondette pose sur les épaules de son mari la peau de porc que mentionne le vers 72. 119 L’esquinance, l’angine ; cf. le Roy des Sotz, vers 214. Les femmes des farces déforment systématiquement les termes techniques : voir la note 58 du Vendeur de livres. 120 Ms : se (Je pense.) 121 Le premier fut d’ailleurs joué par « messire Loÿs de l’Omosne », ça ne s’invente pas ! 122 Le 1er Pauvre, qui est aveugle (vers 37), ignore quelle somme vient d’être extorquée aux trois dupes. Son valet minore ce gain commun pour augmenter sa part. 123 Pour boire. « Vien boire avec nous, s’il te plaist ;/ Et fais, comme nous, ton devoir ! » Gournay et Micet. 124 Se réjouir. Idem vers 15. En argot, brouer sur l’enchère = surenchérir. 125 En argot, la mille est une concubine que les gueux se partagent : « Une garse, c’est une mille ; & en bon patois [argot], on dit : ‟River le bis [la vulve] à la mille.” » (Guillaume Bouchet.) « Ha ! mille escus, seroit mon conte rond/ Pour desgordir [pour les engloutir] avecques nostre mille. » (Trois Doms.) Ce mot, qui rime avec Camille et non avec Émile, est une prononciation caricaturale de « mi-e » [amie] : « Ma mÿe, donnons-nous soulas. » Le Pèlerinage de Mariage. 126 Mot d’argot. « Fouille, ou fouillouze : bourse. » (La Vie généreuse des mercelots, gueuz et boësmiens.) « Qui pourroyt ung marchant junchier [tromper],/ L’on desgreveroit [allégerait] sa foulliouse. » Trois Doms. 127 Je ne sais de quoi vous parlez. 128 Une alose, un poisson bon marché. « Autant m’est lamproye qu’alouze. » Trois Doms. 129 Pour le peu d’argent qu’on mettrait sur la table. En argot, l’aubert désigne l’argent : « Mince [pauvre] d’aubbert, quérans fortune. » (Trois Doms.) Et la dure désigne la terre : « On a couru les champs/ Et broué [couru] longtamps sus la dure. » Trois Doms. 130 Ms : cest (N’y a-t-il pas.) 131 Ta religion. Les chrétiens mangent du poisson les jours maigres, mais les païens ne sont pas concernés. 132 Quand on a les moyens de se payer un cheval. 133 Folâtrer. « Mais que maleur ne nous enchante,/ Nous gauldirons sur la verdure. » Mystère de saint Martin. 134 Ms : regarder que (Ne regardez pas à la dépense, quoi que cela pèse, coûte. « Non feray, car trop yl me poise. » L’Arbalestre.) 135 Une cimaise, un pot à vin. Cf. le Sermon joyeux de bien boire, vers 86. 136 Ms : donꞥon (Jusqu’au bouchon.) 137 Et un pigeon. 138 Puisque vous vous sentez remplumé financièrement. Jeu de mots sur les plumes de la poule et du pigeon. 139 Vous m’enivrez. « Le vin débile [faible en alcool] est celui qui moins eschauffe et moins enfume le cerveau. » Godefroy. 140 Une telle nourriture. 141 Ms : lapette (Le jeune lapin est un mets de choix ; cf. Légier d’Argent, vers 229.) 142 Sera vite expédié. « Je desgourdirois/ Un jambon ! » Le Badin qui se loue. 143 Pour ce prix, on trouvera du vin de Tournon-sur-Rhône. 144 Anachronisme : cette auberge de Romans accueillait des personnalités venues pour le Mystère. 145 Si chacun ne vous porte un toast. 146 Autre auberge de Romans ; nous savons que le chanoine Pra y logeait. Au my = au milieu de la salle. « Au my de la place. » Mystère de saint Sébastien. 147 Quelque chose pour me sustenter. 148 Onomatopée imitant le bruit flasque produit quand un joueur de paume frappe un éteuf dégonflé. 149 Regonfler. 150 Quand des mendiants ont de l’argent à dépenser. 151 Voyant qu’ils ont sur eux 6 deniers. 152 Ils veulent que la chaleur fende le carrelage qui est devant la cheminée du cuisinier.
TURELUTUTU ET GRANCHE-VUYDE
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TURELUTUTU ET
GRANCHE-VUYDE
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J’ai publié plusieurs extraits farcesques du Mistère du Viel Testament : le Fossoieur et son Varlet, Gournay et Micet, la Tour de Babel, Saoul-d’ouvrer et Maudollé. Pour finir en apothéose, voici les aventures de monsieur Turlututu et monsieur de Grange-vide. Ce duo désargenté, composé d’un pique-assiette sans scrupules et d’un nobliau sans terre, annonce déjà messieurs de Mallepaye et de Bâillevant. Comme eux, ils pourraient dire : « En fuitte je suis couraigeux, / Et à frapper je suis piteux. / Je crains trop les coups pour les armes. » Pourtant, ils s’engagent dans l’armée de Nabuchodonosor, non par vocation militaire mais par goût du pillage.
Sources : Je prends pour base le Très excellent & sainct Mystère du Viel Testament, imprimé par Jehan Réal en 1542 ; il reproduit — avec moins de fautes — le Mistère du Viel Testament par personnages, imprimé par Pierre Le Dru vers 1500. L’édition Trepperel, parue vers 1520, propose quelques corrections utiles. Graham A. Runnalls a publié cette partie du Viel Testament chez Droz en 1995 ; il l’intitule Mystère de Judith et Holofernés, et il l’attribue à Jehan Molinet.
Structure : Rimes plates, rimes abab/bcbc, avec 1 triolet.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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LE SÉNESCHAL 1 SCÈNE I
Vous n’estes pas icy trèstous ?
Monsïeur Turelututu !
MONSIEUR TURELUTUTU 2
C’est nostre maistre3.
MONSIEUR DE GRANCHE-VUYDE 4
Quant à nous,
[Le prisons autant qu’ung]5 festu.
MONSIEUR TURELUTUTU
5 Parle bas, tu es trop testu :
Tous deux pourrons bien estre escoux6.
MONSIEUR DE GRANCHE-VUYDE
On nous devroit chasser aux loups7,
De tant endurer.
LE SÉNESCHAL 8
Mal-venu !…
Vous n’estes pas icy trèstous ?
10 Monsïeur Turelututu !
MONSIEUR TURELUTUTU
Qu’esse, monsïeur9 ?
LE SÉNESCHAL
Malostru !!
Me donnez une belle bride10 !
TURELUTUTU
C’est monsïeur de Granche-vuyde
Qui me contoit de ses beaulx faitz.
MONSIEUR DE GRANCHE-VUYDE
15 De vous nous sommes bien refaitz,
Turelututu ! Monsïeur,
Il humeroit11 [trop] plus d’honneur
Qu(e) une truye ne feroit12 de laict.
LE SÉNESCHAL
De vous deux, [ce] n’est rien que plait13 !
20 Il fault aller au Roy.
TURELUTUTU 14
À l’aide15 !
Sus, monsïeur de Granche-vuyde,
Avance-toy16 ! Hau ! où es-tu ?
MONSIEUR DE GRANCHE-VUYDE
Qu’i a-il, Turelututu ?
TURELUTUTU
Qu’i a-il ? La guerre est ouverte17 !
GRANCHE-VUYDE
25 Nostre vie est donc recouverte18.
Acoup, acoup ! tost en besongne !
LE SÉNESCHAL
Il est saison que l’on besongne :
Prenez l’estendart19 !
TURELUTUTU
Sans songer20 ?
LE SÉNESCHAL
Mon frain me faictes bien ronger21 !
GRANCHE-VUYDE
30 Monsïeur, pas ne tient à moy22.
LE SÉNESCHAL
(En la malle grâce23 du Roy
Je seray, et par ces paillars.)
TURELUTUTU
Devant24, monsïeur ?
LE SÉNESCHAL
Quoquillars25 !
Que chascun soit en ordonnance
35 Pour faire monstres26 à plaisance
Devant le Roy, nostre cher sire !
Icy, cheminent et viennent vers le Roy.27
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NABUGODONOSOR SCÈNE II
Qu’esse que nous oyons là bruyre ?
HOLOFERNÈS
Cher sire, c’est le séneschal.
NABUGODONOSOR 28
Ce vaillant seigneur cy faict mal
40 Son devoir, veu le cas hastif29 :
Il a le courage30 craintif
Pour soy trouver aux horïons31.
HOLOFERNÈS
Si a-il32 de francs champions,
Preux et hardys, pour gens de guerre.
LE SÉNESCHAL
45 Le plus puissant qui soit sur terre,
De tous nobles souverain chef,
Salut !
NABUGODONOSOR
C’est bien tard venu.
LE SÉNESCHAL
Bref,
Autrement ne se povoit faire :
Il estoit chose nécessaire
50 Que tous mes gens feussent en point.
Icy, se mettent par ordre.
NABUGODONOSOR
Çà, çà, il fault vuyder ce point33 :
Que les monstres acoup soient faictes !
LE MARESCHAL
Sont les banières bien pourtraictes34 ?
LE CAPPITAINE
Voyez en l’air quelz estendars !
LE SÉNESCHAL 35
55 Guydons, lances, javelotz, dars !
LE MAISTRE DE L’ARTILLERIE
Bombardes, canons, serpentines !
LE MARESCHAL
Haubergeons, jaques, brigandines !
LE CAPPITAINE
Crannequins, arbalestes, ars36 !
LE SÉNESCHAL
Espées, bistories et faulsars37 !
LE MAISTRE [DE L’ARTILLERIE]
60 Fondes38, fusées, ribaudequins !
VAGAO 39
C’est pour festoyer ces hongnars,
Povres malheureux et coquins.
LE MARESCHAL
Manches de mailles, gorgerins !
LE CAPPITAINE
Carquois, cricz40, signolles, raillons !
LE SÉNESCHAL
65 Haches, voulges, becz-de-faulcons !
LE MAISTRE [DE L’ARTILLERIE]
Courtaulx, plombées, chaussetrappes !
LE MARESCHAL
Biquoquetz, héaulmes, sallades !
LE CAPPITAINE
Trousses, flesches, vires, dondaines !
LE SÉNESCHAL
Hallebardes, picques soudaines41 !
LE MAISTRE [DE L’ARTILLERIE]
70 Coullars42, veuglaires, gros mortiers !
VAGAO
Pour guérir de fièvres quartaines
Acoup, ne fault point d’aultres ouvriers.
HOLOFERNÈS
Artilliers, voulgiers, pïonniers,
Coulevriniers, arbalestiers,
75 Archiers !
NABUGODONOSOR
Trèsbelle compaignie.
LE MARESCHAL
Au moins, la mienne est bien fournie
De ces chappeaulx de Montaubam43.
……………………………
.
HOLOFERNÈS SCÈNE III
Marchons tost sur noz ennemys,
Tirant vers Mésopotamye44 !
TURELUTUTU
80 Quant à moy, je n’y fauldray mye45.
Sus, Granche-vuyde, monsïeur46 !
GRANCHE-VUYDE
Je prétens, moy, d’avoir honneur
Et d’acquerre chevalerie47.
TURELUTUTU
Avant, tost à la pillerie !
GRANCHE-VUYDE
85 Que tous deux soyons personniers48 !
TURELUTUTU
À butin tous noz prisonniers49 !
GRANCHE-VUYDE
Que nous deux soyons frères d’armes !
TURELUTUTU
Je suis, moy, usité50 en armes.
GRANCHE-VUYDE
Vaillant, hardy sur la poullaille51.
TURELUTUTU
90 Tu n’as suyvy que quoquinaille52.
GRANCHE-VUYDE
Dieu ait l’âme de mon grant-père !
TURELUTUTU
Qui fut à53 Rifflandoulle frère.
GRANCHE-VUYDE
Il fist, en son temps, de beaulx faitz.
TURELUTUTU
Dessoubz la cheminée54.
GRANCHE-VUYDE
Paix !
95 Mais à qui parlez-vous, beau sire ?
TURELUTUTU
À ung ouvrier de faire paix55
Des gentilz hommes.
GRANCHE-VUYDE
Sans mot dire56 !
.
…………………………… 57
LE SÉNESCHAL SCÈNE IV
Allez diligemment sommer
Ceste place58 ! Ou [bien] consommer,
100 Au reffus, du tout les feray59.
TURELUTUTU
Trèsbien dire je leur sçauray.
GRANCHE-VUYDE
Iray-je avec luy, monsïeur ?
LE SÉNESCHAL
Vistement !
.
TURELUTUTU SCÈNE V
Mais qui n’auroit peur
D’aller seulletz, sans compaignie ?
GRANCHE-VUYDE
105 C’est une place bien garnie.
Ha, quel butin !
TURELUTUTU
Bien sotz seront,
Ou promptement ilz ouvreront :
Car ilz seront [de coups]60 servis.
.
NAGE 61 SCÈNE VI
Ilz approchent, à mon advis.
NAASON
110 Seurement ilz viennent sur nous.
.
GRANCHE-VUYDE 62 SCÈNE VII
Sus, sus, gallans ! Deffendez-vous
Ou rendez la place, à ceste heure !
TURELUTUTU
Rendez-vous sans plus long demeure,
Ou acoup nous besongnerons !
NAGE
115 Seurement nous nous deffendrons !
Allez, allez, allez, follastres63 !
NAASON
Vuydez64, vuydez, faulx ydolastres,
Que n’ayez de nostre service65 !
GRANCHE-VUYDE
L’av’ous66 dit ?
TURELUTUTU
Mais qu’on les rostisse67,
120 Ilz changeront bien leur langaige.
NAGE
Quérez ailleurs vostre68 avantaige !
Le parler n’est pas le plus fort69.
GRANCHE-VUYDE
Je m’en voys faire le rapport
À monsïeur70.
TURELUTUTU
Mais moy !
GRANCHE-VUYDE
Mais moy !
NAASON
125 Je dy, moy : fy de vostre roy !
.
NAGE SCÈNE VIII
Gardons-nous !
NAASON
Prenons bon courage !
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TURELUTUTU 71 SCÈNE IX
Sus, monsïeur72 ! À l’avantage !
LE SÉNESCHAL
Que disent-ilz ?
GRANCHE-VUYDE
Absolument
Ilz nous ont dit publiquement
130 Qu’ilz n’en feront rien.
LE SÉNESCHAL
À l’assault !
Avant, compaignons, bas et hault !
N’espargnez ne femmes, n’enfans !
Et, sur la hart73, je vous deffends
Qu’on ne preigne nulz à mercy74 !
TURELUTUTU
135 Leur chasteau est fort renforcy75.
LE SÉNESCHAL
Dedans, dedans !
.
Icy, assaillent. SCÈNE X
NAGE
À l’arme, à l’arme !
GRANCHE-VUYDE
À l’assault !
NAASON
Tout est desconfit.
TURELUTUTU
Il fault icy jouer de charme76.
LE SÉNESCHAL
Dedans, dedans !
NAGE
À l’arme, à l’arme !
GRANCHE-VUYDE 77
140 Je suis mort ! quel coup de guysarme !
TURELUTUTU
À butin !
GRANCHE-VUYDE
À commun prouffit78 !
LE SÉNESCHAL
Dedans, dedans !
NAGE
À l’arme, à l’arme !
GRANCHE-VUYDE
À l’assault !
NAASON
Tout est desconfit.
Icy n’y a plus de prouffit.
145 Je m’en fuyray bref, se je puis.
Icy, Naason s’en fuyt vers Mésopotamye
dire des nouvelles.
.
Icy, les gens d’armes destruisent toute la place.
LE SÉNESCHAL SCÈNE XI
Au moins, de la place je suis
Maistre pour la première entrée79,
Où proesse80 s’est bien monstrée,
Pour ung coup.
.
Icy, Turelututu vient dire des SCÈNE XII
nouvelles à Holofernès.
TURELUTUTU
Honoré seigneur,
150 La place avons prise, à rigueur81,
D’assault.
HOLOFERNÈS
C’est [très] bien besongné.
TURELUTUTU
Aucuns des villains ont hongné82 ;
Mais de vray, ilz ont faict follie.
HOLOFERNÈS
Sus ! devant Mésopotamie83,
155 Chauldement !
TURELUTUTU
Point n’y aura faulte.
Icy, Turelututu vient au séneschal.
.
Icy, parle Naason en s’enfuyant. SCÈNE XIII
NAASON
En nostre faict, a eu deffaulte
Que n’avons ouvert le passaige84.
Nonpourtant85, me tiens assez saige
D’avoir ce danger évité.
160 De par moy sera récité86
De bref à Mésopotamye.
.
TURELUTUTU, en parlant au séneschal :
Monsïeur et la compaignie : SCÈNE XIV
Holofernès, par moy, vous mande,
Et par motz exprès vous commande
165 Vers Mésopotamye tirer.
.
………………………… 87
TURELUTUTU SCÈNE XV
Que demandez-vous ?
ACHIOR
Crier mercy, à deux genoulx,
À Holofernès vostre maistre,
Affin que nous puissons tous estre
170 En sa grâce.
GRANCHE-VUYDE
Venez vers luy ;
Sitost qu’il vous aura ouÿ,
Vous aurez du tout88 son amour.
.
…………………………. 89
LE SÉNESCHAL SCÈNE XVI
Se chascun se vient ainsi rendre,
Gens d’armes rien ne gaigneront ;
175 Par ainsi, s’anéantiront
Et seront de lasche courage.
De guerre, s’il n’y a pillage,
Ce n’est riens pour les compaignons.
LE MARESCHAL
Je n’en donroye90 pas deux ongnons,
180 Si n’y a autre pillerie.
LE CAPPITAINE
Ce ne sera que poullerie91,
Se je n’y voy autre butin.
LE MAISTRE DE L’ARTILLERIE
Je n’entens note en ce latin92 :
Chascun se rend sans coup férir ?
185 J’aymeroye aussi cher93 mourir
Que de vivre ainsi sans rien faire.
TURELUTUTU
Ha, bref ! je ne m’en sçauroye taire :
C’est cy, pour nous, peine perdue.
GRANCHE-VUYDE
Se si tost ne se fust rendue,
190 Nous estions riches à jamais.
……………………….. 94
.
LE SÉNESCHAL 95 SCÈNE XVII
Hau ! Turelututu !
GRANCHE-VUYDE
Il pleure.
LE SÉNESCHAL
Que vous avez lasches courages !
TURELUTUTU
Riens ne recepvons de noz gages :
Sommes-nous de la morte-paye96 ?
GRANCHE-VUYDE
195 Tout du moins, que l’on nous parpaye…
LE SÉNESCHAL
Escoutons97 !
GRANCHE-VUYDE
… le terme passé98.
TURELUTUTU
J’ayme aussi cher estre cassé99
De tout point que de tant attendre.
LE SÉNESCHAL
Ha ! villains, on vous fera pendre100 !
200 Vous fault-il hongner101 maintenant ?
GRANCHE-VUYDE
Qu’i a-il ?
LE SÉNESCHAL
Tost, hastivement !
TURELUTUTU
Monsïeur, nous sommes tous prestz.
LE SÉNESCHAL
Par ung commandement exprès
D’Holofernès, menez ce traïstre
205 — Qui du dieu d’Israël faict tiltre102 —
Près de la ville Béthulie,
Affin qu’avec eulx compaignie
Tienne103, quant ilz seront destruictz !
GRANCHE-VUYDE
Nous sommes, pour le faire, instruictz
210 Aussi bien que nul de l’armée.
LE SÉNESCHAL
Dépeschez-vous !
TURELUTUTU
Mieulx que fermée
Sera104, se nous n’entrons dedans.
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GRANCHE-VUYDE SCÈNE XVIII
Les juifz sont tant oultrecuydans,
Rebelles, et tant obstinéz !
215 Sus, sus avant ! Tost, cheminez
Devant105 !
TURELUTUTU
Pour doubte qu’il ne fuye,
Je dy, moy, qu’il fault qu’on le lye ;
Que t’en semble ?
GRANCHE-VUYDE
Tu ditz trèsbien.
Acoup !
TURELUTUTU
Acoup !
GRANCHE-VUYDE
De ce lÿen
220 Sera lyé, qu’il ne nous morde.
TURELUTUTU
Je suis bien fourny d’une corde.
Icy, luy lyent les mains derrière.
ACHIOR
Seigneurs, soyez-moy gracieulx106 !
GRANCHE-VUYDE 107
Il me semble, brief, qu’il vault mieulx
Que tu soys le « maistre des euvres108 »,
225 Car tu es ouvrier109.
TURELUTUTU
En ces euvres,
Je ne m’y congnois que par toy110.
ACHIOR
Hélas, ayez pitié de moy !
Laissez-moy aller, je vous prie !
GRANCHE-VUYDE
Quant près serons de Béthulye,
230 Tu seras hors de nostre garde.
.
LA PREMIÈRE ESPIE 111 SCÈNE XIX
Oy-tu riens112 ?
LA SECONDE ESPIE
Partout je regarde,
Mais je ne voy venir personne.
LA PREMIÈRE ESPIE
Parlons bas !
LA SECONDE ESPIE
S(e) ung seul mot on sonne113,
En lieu sommes cy pour l’ouÿr.
.
TURELUTUTU SCÈNE XX
235 Il n’a garde de s’en f[o]uÿr114,
S’il ne jouoit d’enchanterie115.
Est-il proprement116 ?
GRANCHE-VUYDE
Béthulye,
Comme j’entens, nous fera riches.
Icy, doyvent ceulx de Béthulie getter ung canon
ou chose semblable pour espoventer.117
TURELUTUTU
O-tu comme il[z] servent de miches118 ?
240 Il y a dangier !
GRANCHE-VUYDE
Voire, près.
ACHIOR
Ayez pitié de mes regretz !
Hélas, las, saulvez-moy la vie !
TURELUTUTU
Tu seras dedans Béthulie
Mené, affin que de famine
245 Ta vie misérable termine119.
On dit souvent : trop parler nuyt.
.
LA PREMIÈRE ESPIE SCÈNE XXI
J(e) oy, ce me semble, là ung bruyt.
Escoute…
LA SECONDE ESPIE
Je l’ay bien ouÿ.
LA PREMIÈRE ESPIE
Pour doubte120 que n’ayons ennuy,
250 Que noz fondes121 soient toutes prestes !
LA SECONDE [ESPIE]
Faisons devoir !
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GRANCHE-VUYDE SCÈNE XXII
Tant de molestes122 !
Touchant123 ce malotru icy,
Pendons-le !
TURELUTUTU
Tost, tost, sans mercy !
Car nous ne sommes que nous deux :
255 S’i survenoit cy des coureux124,
Nous serions mors.
GRANCHE-VUYDE
Mors sans remède125.
ACHIOR
Hélas ! et mouray-je sans ayde ?
Prenez-moy à miséricorde !
TURELUTUTU
Pendu seras de ceste corde
260 À ceste arbre126.
GRANCHE-VUYDE
Dépeschons-nous !
Car bien pourra estre rescoux127,
Et nous, mis à mort sans mercy.
TURELUTUTU
Pour le plus bref, lyons-le cy,
Et vienne qu’avenir pourra.
Icy, le lient à ung arbre.
GRANCHE-VUYDE
265 À glayve128, en ce boys, il mourra.
.
LA PREMIÈRE ESPIE SCÈNE XXIII
Gaignons ce boys pour l’adventure,
Car j(e) oy des gens.
LA SECONDE ESPIE
C’est ta nature
Que d’estre tousjours soubsonneux.
.
TURELUTUTU SCÈNE XXIV
Laissons icy ce malheureux,
270 Et nous enfuyons !
GRANCHE-VUYDE
Tu as cause129 :
Nous pourrions bien trop longue pose130
Faire en ce lieu, je le congnois131.
Icy, laissent Achior et s’en retournent.
.
………………………… 132
TURELUTUTU SCÈNE XXV
Nous sommes riches, à ceste heure !
GRANCHE-VUYDE
Vive133 moy, se je n’y demeure !
………………………. 134
TURELUTUTU
275 C’est une rude quoquinaille,
Et sont courageux à merveille.
GRANCHE-VUYDE
Je n’y ay perdu qu(e) une oreille135.
TURELUTUTU
Et moy, qu’ung136 œil tout simplement.
.
……………………….. 137
TURELUTUTU SCÈNE XXVI
Voy-tu rien venir, Granche-vuyde138 ?…
280 Monseigneur !
GRANCHE-VUYDE
Turelututu ?
TURELUTUTU
Mais dy, hau ! à quoy pense-tu ?
GRANCHE-VUYDE
Regarde139 : c’est quelque avantage.
TURELUTUTU
C’est une gracieuse ymage.
GRANCHE-VUYDE
Ha ! seurement c’est quelque proye.
TURELUTUTU
285 Ilz viennent cy la droicte voye140.
GRANCHE-VUYDE
Sans plus songer, parlons à elle.
.
TURELUTUTU SCÈNE XXVII
Sus, sus, arrestez, Damoyselle !
JUDICH
Messeigneurs, je suis toute arrestée.
GRANCHE-VUYDE 141
Vous venez espier l’armée ?
JUDICH
290 Saulve l’honneur de vous142 !
TURELUTUTU
Pourquoy
Venez-vous ainsi à requoy143 ?
Cautelle144 de femme est trop fine.
JUDICH
Messeigneurs, on meurt de famine
En nostre cité145, seurement ;
295 Parquoy je me suis bellement146
Issue dehors affin de vivre.
GRANCHE-VUYDE
À chascun la sienne, à délivre147 !
Qu’en dictes-vous ?
JUDICH
L’honneur des dames
Doit estre préservé de blasmes,
300 Entre les mains de gentilz hommes148.
De noble lieu, certes, nous sommes,
Sans vitupère149 et villennie ;
Parquoy, Messeigneurs, je vous prie
[Qu’on n’en ait]150 point de déshonneur.
TURELUTUTU
305 Venir vous fault à Monseigneur151.
JUDICH
G’iray partout où vous plaira.
GRANCHE-VUYDE
De vostre venue, il sera
Joyeulx, et vous fera grant chère.
JUDICH
Je suis sa povre chambèrière,
310 S’il luy plaist.
TURELUTUTU
N’ayez nulle doubte152
De desplaisir.
JUDICH
Je ne redoubte
Autre chose que déshonneur.
.
GRANCHE[-VUYDE], en saluant Holofernès :
Hault chef, de Noblesse l’honneur, SCÈNE XXVIII
Salut !
HOLOFERNÈS
Que disent les seigneurs ?
315 Qui vous maine ?
TURELUTUTU
Qui ? Joyeulx cueurs
Amoureux.
HOLOFERNÈS
Bien soyez venuz !
Joyeulx amoureux maintenuz
Sont dessus tous153, en nostre Court.
GRANCHE-VUYDE
Monseigneur, à le faire court,
320 Nous avons trouvé ceste proye
Que vous amenons.
HOLOFERNÈS
À grant joye
Soit-elle venue, la mignonne !
VAGAO, en derrière :
(Elle porte assez bonne trongne,
Pour ung amoureux afamé.)
.
……………………….. 154
TURELUTUTU SCÈNE XXIX
325 Je voy lumière.
LE SÉNESCHAL
C’est la Dame et la chambèrière
De Béthulie.
GRANCHE-VUYDE
Quoy ! de nuyt,
Passer parmy nous ?
LE SÉNESCHAL
Saufconduit
De ce faire a de Monseigneur.
LE MARESCHAL
330 Qu’on luy a faict grant mal au… cueur !
LE CAPPITAINE
Je mettray qu’elle a mal aux… dens.
LE MAISTRE DE L’ARTILLERIE
Il luy tarde qu’el soit dedans155
Pour conter de ses adventures.
TURELUTUTU
Qu’el marche droit156 !
GRANCHE-VUYDE
Quel[s] emboistures157
335 Pour bien porter « lance » en l’arrest158 !
LE SÉNESCHAL
Monsïeur en a eu le prest159,
Mais la marchandise le vault.
TURELUTUTU
Il n’y a mal que du deffault160 ;
Bien trouveroit autre service161 !
GRANCHE-VUYDE
340 En ung tel amoureux assault,
Il n’est si ferré qui ne glisse162.
.
…………………………. 163
Icy, regardent tous la teste de Holofernès.
TURELUTUTU SCÈNE XXX
Qu’esse-là ?
GRANCHE-VUYDE
C’est ung piteux jeu !
LE SÉNESCHAL
Quoy ! la teste de nostre maistre ?
…………………………..
TURELUTUTU
Hélas ! pleurons tous derechef
345 Ceste douloureuse adventure !
GRANCHE-VUYDE
Hélas ! tous lamentons ce grief
Et ceste angoisseuse pointure164 !
TURELUTUTU
Gémissons165 sa noble figure,
Dont nous avions si grant secours !
GRANCHE-VUYDE
350 D’amours c’est rigle de droicture166 :
« Pour une joye, cent doulours. »
.
JUDICH 167 SCÈNE XXXI
Saillez sur eulx !
OZIAS
Veu leurs clamours168,
Ilz n’ont [plus] force ne puissance.
Icy, viennent hors de la cité, tous en armes.
.
LE SÉNESCHAL SCÈNE XXXII
Fuyons ! il est faict de noz jours169.
LE MARESCHAL
355 Nostre vie est bien en balance.
LE CAPPITAINE
En ce lieu n’a point de fiance170.
LE MAISTRE DE L’ARTILLERIE
Habandonnons tout, il n’est tel171.
BENJAMYN
À mort !
MANASSÈS
À mort !
TURELUTUTU
Mors, sans doubtance ?
GRANCHE-VUYDE
Ce jour, pour nous, est bien cruel.
*
1 Il passe en revue ses troupes et fait l’appel. Au lieu de lui répondre, Turlututu et Grange-vide observent un garde-à-vous très approximatif et bavardent entre eux. Les 10 premiers vers, avec leurs refrains, sont l’amplification tardive d’un triolet de 8 vers. 2 Ce nom provient d’une chanson qu’évoque la farce du Retraict : « Turelututu, tutu, tutu,/ Turelututu, chapeau poinctu. » 3 Un vrai soldat aurait dit « notre chef ». Mais nos deux anarchistes sont allergiques à toute forme de discipline. 4 Dont la grange est vide : qui n’a plus de blé. Graham Runnalls (p. 16 et 248) traduit « grange » par estomac. « –J’en fourreray avant ma pance./ –Ainssy, Huet, emple [emplis] ta granche ! » Miracles madame sainte Geneviève. 5 Éd : Et puis autant que dung (Nous l’estimons autant qu’un fétu de paille. « Elle ne me prise un festu. » Le Raporteur.) 6 Secoués, battus comme des tapis. 7 On devrait nous huer, comme quand on veut faire fuir un loup. « Huer/ Tous les jours à ung tas de loups. » Les Sotz qui corrigent le Magnificat. 8 Il continue à faire l’appel. Le soldat Mal-venu n’est pas là, comme son nom l’indique. 9 Il aurait dû appeler l’officier par son grade. Résultat, c’est lui qui va en prendre pour le sien. 10 Un coup de lanière, au sens figuré. « À quelc’un bailleray tel bride/ Qu’il dira : ‟Le dyable y ait part !” » Viel Testament. 11 Il goûterait. « L’honneur humerez. » Gournay et Micet. 12 Ne humerait, ne boirait. « Ils boivent plus de vin qu’une truye de laict. » Brantôme. 13 Des plaids, des disputes. 14 Son casque trop grand lui tombe sur les yeux : il ne voit plus rien. Le même gag revient plusieurs fois dans Baudet, Blondète et Mal-enpoint. 15 On prononce « aï-de », qui rime avec « vuide ». Le Viel Testament donnait déjà ces rimes aux vers 41115-6 de l’édition Rothschild et Picot. 16 Viens m’aider à retirer ce casque. 17 Déclarée, entre les Assyriens et les juifs. 18 Assurée : nous allons nous enrichir. « Ta vye sera recouverte. » Troys Gallans et Phlipot. 19 Le sénéchal confie l’étendard du régiment à Grange-vide. 20 Vous ne rêvez pas ? Vous parlez sérieusement ? « Ce fol ne faict cy que songer. » Le Retraict. 21 Vous m’obligez à contenir ma colère. « Trop long temps on nous fait ronger/ Nostre frain. » Viel Testament. 22 Ce n’est pas mon rôle de porter l’étendard. 23 En disgrâce. 24 Devons-nous marcher au premier rang ? 25 Imbéciles. 26 Pour défiler. Idem vers 52. 27 Les imprimés remontent de quelques vers la plupart des didascalies indépendantes : celle-ci se trouvait sous le vers 32. Prenant exemple sur Graham Runnalls, qui y voit une mauvaise lecture du manuscrit de base par le premier éditeur, je les remettrai tacitement à leur place logique. 28 À Holopherne, en parlant du sénéchal. 29 Il est en retard, vu l’urgence de la situation (la déclaration de guerre). Un peu avant, le sénéchal avait adressé la plus belle réplique de tout le Mystère à Nabuchodonosor, qui lui demandait : « –Séneschal, estes-vous prest ? –Non ! » 30 Le cœur. Idem vers 176 et 192. 31 Sous les coups de l’ennemi. 32 Il a pourtant. Ces champions rappellent plutôt les « champions de taverne » ; cf. le Sermon joyeux de bien boire, vers 22 et 323. 33 Il faut régler ce détail. 34 Bien peintes. Il contemple celle que Grange-vide laisse pendouiller. 35 Ici commence une longue énumération d’armes, d’objets ou de vêtements militaires qui avaient cours non pas à l’époque de Nabuchodonosor mais à celle de Louis XI. Il serait inutile d’accoler une note à chaque mot : ce n’est pas leur sens qui égayait les auditeurs du Mystère, c’est leur accumulation digne d’une sottie. 36 Arcs. 37 Éd : faulcons (Le faussard est une faux emmanchée sur une hampe. « Dagues, braquemars,/ Espées, rapières et faulsars. » ATILF.) 38 Frondes. Idem vers 250. 39 Le valet de chambre d’Holopherne n’a rien à faire là. Voir la note de l’édition Runnalls, p. 249. 40 Éd : crilz (Treuils qui servent à tendre les arbalètes à cric.) 41 D’un maniement rapide, car elles sont plus courtes et moins encombrantes que les lances. 42 Couillards : catapultes. 43 Ce casque était à la mode au temps de Louis XI. 44 En allant vers Mésopotamie. L’auteur nomme ainsi une ville de Judée, comme aux vers 143, 154, 161 et 165. 45 Je n’y manquerai pas. Turlututu a trouvé un casque à sa taille, et Grange-vide s’est débarrassé de l’étendard. 46 Ce grade peu réglementaire dont nos soldats d’opérette honorent le sénéchal va devenir entre eux un gag récurrent. 47 De devenir chevalier. Le hobereau veut redorer son blason. Turlututu est beaucoup moins chevaleresque. 48 Parçonniers, partageurs. 49 Exigeons d’eux une rançon. 50 Expérimenté. « Gens de guerre, tous usitéz d’armes. » ATILF. 51 Tu n’es qu’un voleur de poules. « Courant ainsy sur la poulaille. » L’Avantureulx. 52 Que des mendiants, autres voleurs de poules. 53 De. « Du gros cousin/ Qui fut à ma tante parent. » (Pernet qui va au vin.) Ton grand-père était le frère de Rifflandouille. Ce peu recommandable « bouffeur d’andouilles » est une valeur sûre de la littérature comique ; c’est un bourreau dans plusieurs Mystères, et l’un des plus grossiers sergents du Vilain et la Tavernière. 54 Bien au chaud sous le large manteau de sa cheminée. 55 Je parle à un spécialiste de la paix. Les Nobles étaient censés faire la guerre, et non la paix, sauf quand on les soudoyait. Jeu de mots sur « pets ». 56 Taisez-vous ! 57 L’armée babylonienne arrive en Judée. Elle met le siège devant le château d’Esdrelon. 58 Allez vite porter à cette place forte une sommation de capituler. 59 Ou s’ils refusent, je les ferai totalement consumer. « La terre toute consommée par feu. » ATILF. 60 Éd : acoup (Voir le vers 118.) 61 Les sentinelles juives montent la garde sur le rempart du château fort. Nage = fesse : « Pour baiser mon cul et ma nage. » Nicolas Loupvent. 62 Au pied du rempart. 63 Fous. « Allez, allez, villain follastre ! » Les Sotz triumphans. 64 Videz les lieux : partez. Tout au long du Mystère, les fanatiques juifs traitent d’idolâtres ceux qui ont une autre religion que la leur. 65 De peur qu’on ne vous serve des coups. 66 Éd : La vous (« Av’ous » est une contraction normande : « Av’ous besongné ? » Viel Testament.) Avez-vous osé dire cela ? « L’avez-vous dit, villain mastin ? » Le Munyer. 67 Éd : sortisse (Le premier imprimeur a interverti deux lettres et ses imitateurs l’ont suivi.) Pour peu qu’on les rôtisse : au vers 99, le sénéchal menace de les consumer. 68 Éd : autre (Votre intérêt. « C’est mal cherché vostre avantaige. » Le Monde qu’on faict paistre.) 69 Le plus difficile n’est pas d’en parler mais de le faire. 70 Au sénéchal. Les deux poltrons s’enfuient ; chacun essaie de courir plus vite que l’autre. 71 Les deux émissaires rentrent au camp. 72 Éd : messieurs (Il n’y a là qu’un seul officier, le sénéchal, que nos contestataires affectent d’appeler « monsieur ».) À l’avantage ! = courons au butin ! 73 Sous peine d’être pendus à une corde. 74 Qu’on fasse grâce à quiconque. Le sénéchal fait siens les ordres de Nabuchodonosor et Holopherne : « –N’espargnez femme ne enfans !/ –De par vous, ainsi leur deffens/ Qu’ilz ne pregnent nulz à mercy. » 75 Est bien protégé. 76 D’un sortilège pour que le diable nous vienne en aide. « Un charme/ Pour faire venir l’Ennemy. » Maistre Mimin estudiant. 77 On lui donne sur le casque un coup inoffensif avec le plat d’une hallebarde. 78 Partageons le butin ! Il n’en fallait pas plus pour que le soi-disant mort ressuscite. 79 À la première charge. 80 Où notre prouesse, notre vaillance. 81 Par la force. 82 Quelques-uns de ces misérables ont grogné. 83 Allons maintenant assiéger la ville appelée Mésopotamie. 84 Nous avons eu tort de ne pas leur ouvrir la porte de la ville. 85 Nonobstant. 86 Cette défaite sera par moi racontée. 87 En allant vers Mésopotamie, Holopherne convoite la ville juive de Béthulie. Quelques habitants viennent lui demander grâce. 88 Totalement. Idem vers 100. 89 Les troupes d’Holopherne se plaignent que des habitants de Béthulie se soient rendus : elles ne peuvent plus piller ce qui désormais appartient à leur roi, Nabuchodonosor. 90 Donnerais. La guerre ne vaut même plus deux oignons. « Je n’en donroys pas ung oignon. » Le Ramonneur de cheminées. 91 De la pouillerie, de la misère. Double sens bien digne de nos voleurs de poules : une poulerie est un marché aux volailles. « Avoir & tenir pouleries. » 92 Éd : chemin (Je ne comprends rien à ces palabres.) 93 J’aimerais autant. Idem vers 197. 94 Seuls quelques bourgeois de Béthulie se sont rendus ; on va donc pouvoir assiéger la ville pour dévaliser les autres. 95 Il arrive avec un prisonnier juif, Achior (vers 167-170), que lui a confié Holopherne pour qu’il l’envoie mourir de faim avec ses coreligionnaires dans la citadelle de Béthulie. 96 Faisons-nous partie de ces vieux soldats qui touchent une demi-solde pour garder une place forte ? « Je suis bien de la morte-paye,/ Il y pert [paraît] bien à mes habitz. » Les Sotz qui remetent en point Bon Temps. 97 Éd : A coup tost. (Cette formule invite un interlocuteur à parler. Le juge de la farce de Pathelin l’emploie pour interroger le drapier : « Or escoutons !/ Estoit-il point vostre aloué ? ») 98 Qu’on nous paye la solde en retard. 99 J’aimerais autant être cassé de gages, révoqué sans solde. « Comment/ Vivront ces gendarmes casséz ? » Les Esbahis. 100 On pendait les déserteurs : cf. Troys Gallans et Phlipot, vers 435. 101 Devez-vous grogner ? Idem vers 152. 102 Fait l’apologie. « Titre » rime avec « traï-tre ». L’Aveugle et Saudret porte exactement les mêmes rimes aux vers 602-3. 103 Afin qu’il tienne compagnie à ses habitants. 104 Il faudra que la porte de Béthulie soit fermée à double tour. 105 Grange-vide et Turlututu poussent Achior dans la forêt qui sépare leur campement et la ville de Béthulie. 106 Faites-moi grâce. 107 À Turlututu. 108 Le « maistre des haultes-œuvres » est le bourreau : cf. Gournay et Micet, vers 521. Le bourreau attache les mains du condamné qu’il va pendre : cf. Gournay et Micet, vers 171 et 336. 109 Habile. 110 Dans ce domaine, c’est toi qui m’as tout appris. 111 Le 1er espion. Dans la forêt, son camarade et lui surveillent les allées et venues des Assyriens. 112 N’entends-tu rien ? Verbe ouïr. 113 Si nos ennemis prononcent un seul mot. 114 Il ne risque pas de s’enfuir. « Et pour m’en fouÿr au besoing. » Viel Testament. 115 Si ce n’est par magie. Turlututu croit à la sorcellerie : voir le vers 138. 116 Est-il comme il convient ? « Est-il enterré proprement ? » Le Fossoieur et son Varlet. 117 Les assiégés tirent un coup de canon. 118 Entends-tu comment ils nous servent des « miches » ? Ces pains ronds désignent ici les boulets de canon. « Miches du convent militaire : des balles, ou boulets. » Antoine Oudin. 119 Si on scande la diérèse « vi-e », comme cela est de règle, termine doit être remplacé par fine. « Moy qui sens ma vïe finer. » Viel Testament. 120 De crainte. 121 Que nos frondes. 122 Que de désagréments ! 123 En ce qui concerne. « Touchant ce peuple d’Israël,/ Achior, congnoissez-vous point/ Leur façon ? » Viel Testament. 124 Des éclaireurs à cheval. 125 Le rénovateur du texte a corrigé « remide », qui rimait avec « aïde ». Le Viel Testament donne ces rimes aux vers 43420-1 de l’édition Rothschild et Picot. 126 Ce mot est masculin dans la prochaine didascalie, mais il pouvait être féminin, comme arbor en latin. « Fut mis et pendu en une arbre. » Farce des Coquins, F 53. 127 Libéré par les siens, qui viendront à sa rescousse. 128 D’un coup de glaive. Il sera tué par les « brigands des bois », qui ligotent leur victime à un arbre afin de la détrousser, puis la poignardent pour qu’elle ne puisse témoigner contre eux. Une fois de plus, les deux reîtres désobéissent aux ordres. 129 Tu as bonne cause, tu as raison. 130 Une pause, une halte trop longue. 131 Je le reconnais. 132 L’armée d’Holopherne lance un assaut contre Béthulie. 133 Éd : Voire (« Vive moy, dit le seigneur Dieu ! Je ne veux la mort de l’impie. » Séraphin de La Croix.) Que je vive, si je ne meurs pas ! 134 La bataille fait rage. 135 Nos deux roublards imputent à la guerre des blessures peu glorieuses qu’ils avaient déjà. Le bourreau avait coupé une oreille à Grange-vide en tant que voleur. 136 Éd : que (L’alcoolisme pouvait causer la perte d’un œil. « [Il] but tant, se m’aist Dieux,/ Qu’il perdit presque l’ung des yeulx ;/ Et de l’aultre n’estoit pas sain. » Sermon joyeux de bien boire.) 137 Après la victoire d’Holopherne, la juive Judith et sa servante traversent le campement pour l’assassiner. Les deux gardes auraient pu sauver la vie de leur chef, mais c’est eux qui vont lui amener sa meurtrière. 138 Grange-vide, perdu dans la contemplation des deux beautés, n’entend pas cette question. 139 Les imprimés distribuent ce mot à Turlututu. Les deux femmes sont un avantage que des soudards peuvent prendre en nature : la guerre n’a pas pour seul intérêt le pillage, elle autorise aussi le viol. 140 Elles viennent droit vers nous. 141 Il tente d’effrayer les « proies » pour mieux en venir à bout. 142 Sauf le respect que je vous dois ! Formule polie de dénégation. 143 En secret. 144 Ruse. 145 Dans la ville de Béthulie, qui subit votre blocus. 146 Éd : tellement (Silencieusement. Cf. le Pourpoint rétréchy, vers 186, 231 et 651.) 147 Parmi ces femmes, que chacun choisisse la sienne librement ! 148 Judith flatte les deux soudards, qu’elle appelle « Messeigneurs ». 149 Sans honte. 150 Éd : Quen vous nait 151 Dans la tente d’Holopherne. Judith saute sur l’occasion. 152 Crainte. 153 Sont au-dessus des autres courtisans. 154 En pleine nuit, les deux femmes repassent devant le corps de garde. Elles emportent la tête d’Holopherne et une lanterne allumée. Ayant obtenu un laissez-passer, elles ne s’attirent pas d’autre inconvénient que des propos de corps de garde. 155 Dans sa ville de Béthulie. 156 Que sa démarche est raide ! 157 Éd : nourritures (« Emboisture : L’endroit où les choses s’emboistent. » Dict. de l’Académie françoise.) Au sens propre, l’emboîture n’est autre que « l’arrêt », cheville métallique fixée au côté droit du harnais, et sur laquelle les cavaliers emboîtent leur lance pour qu’elle tienne à l’horizontale. Au sens figuré, les deux femmes sont des ustensiles où des hommes peuvent emboîter leur lance virile. 158 Un pénis en érection. « Mettre sa lance en son arrest. » (Cent Nouvelles nouvelles, 28.) Jeu de mots sur « la raie ». 159 Holopherne en a eu la jouissance. 160 Il n’y a de mauvais que de tomber sur un impuissant. 161 Elle trouverait facilement un autre « serviteur ». 162 Même les chevaux bien ferrés peuvent glisser : tout le monde peut avoir un moment de faiblesse. « Il n’est si ferray qui ne glice. » Les Premiers gardonnéz. 163 Les criminelles retournent à Béthulie, et exposent la tête de leur victime au-dessus de la grand-porte. 164 Cette douleur poignante. 165 Pleurons. 166 C’est une règle immuable de l’amour. En fait, c’est surtout un proverbe bien connu, cité notamment par Villon. 167 Elle pousse l’armée juive à sortir de Béthulie pour profiter du désarroi d’un adversaire privé de son chef. 168 Éd : clameurs (Cf. les Mal contentes, vers 45, 270 et 422.) 169 C’en est fait de notre vie. 170 De sécurité. 171 Il n’y a rien de tel, il n’y a rien d’autre à faire. Tous les Assyriens prennent la fuite en abandonnant leurs affaires et le butin qu’ils ont accumulé.
SAOUL-D’OUVRER ET MAUDOLLÉ
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*
SAOUL-D’OUVRER
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ET MAUDOLLÉ
*
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La farce de Gournay et Micet, qui oppose un maître à son valet, « farcit » le Mistère du Viel Testament. Elle-même est farcie par une autre farce qui oppose encore un maître à son valet : Saoul-d’ouvrer et Maudollé. Si le charpentier est « soûl d’œuvrer1 » [fatigué de travailler], son apprenti est « mal dollé2 » [mal raboté, malpoli], d’où leur relation conflictuelle. Toutefois, le prévôt leur commande un gibet personnel afin d’y pendre le juif Mardochée, qui refuse de lui faire la révérence. Mais le prévôt étrennera lui-même sa potence privée, tandis que sa femme prendra la fuite — et l’argenterie — avec son serviteur.
Enfin, on ne saurait évoquer les artisans du Mistère du Viel Testament sans donner la parole aux plus glorieux d’entre eux, les bâtisseurs de la tour de Babel.
Sources : Je prends pour base le Très excellent & sainct Mystère du Viel Testament, imprimé par Jehan Réal en 1542 ; il reproduit — avec moins de fautes — le Mistère du Viel Testament par personnages, imprimé par Pierre Le Dru vers 1500.
Structure : Rimes plates.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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*
SAOUL-D’OUVRER, charpentier3. SCÈNE I
Maudollé !
MAUDOLLÉ, varlet.
Voycy la relique
De l’ung des os de sainct Belin4.
SAOUL-D’OUVRER
Viendras-tu à moy ?
MAUDOLLÉ 5
C’est bon vin.
Qui boit bon vin, mieulx en besongne.
SAOUL-D’OUVRER
5 Mais regardez-moy quel yvrongne !
Sans cesser il avalle ou mâche.
MAUDOLLÉ
Quant on a achevé sa tâche,
Doit-on pas prendre son repas ?
SAOUL-D’OUVRER
Ouÿ ; mais tu ne gaignes pas
10 L’eaue que tu boys, c’est le point6.
MAUDOLLÉ
Par Dieu ! maistre, je n’e[n] boy point :
Il est bon à veoir à mon nez7.
SAOUL-D’OUVRER
Dea ! mon varlet, vous vous donnez
Du bon temps.
MAUDOLLÉ
[Maistre], en doubtez-vous ?
15 Se charpentiers ne sont bien saoulz,
Jà ne feront bonne journée.
J’ay ma besaguë retournée8,
Au matin, son9 devant derrière.
SAOUL-D’OUVRER
Tu fais tous les soirs si grant chère
20 Qu(e) encor en es yvre au matin.
MAUDOLLÉ
Mon maistre, ce n’est que de vin,
Car je n’ayme ne citre10 ne bière.
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BARATHA 11 SCÈNE II
Si me fault-il trouver manière
De parler à ce charpentier,
25 Qu’il vienne ouvrer12 de son mestier.
.
Es-tu céans, Saoul-d’ouvrer ? SCÈNE III
SAOUL-D’OUVRER, charpentier.
Ouy.
Pensez que vous ay bien ouÿ
Crier à haulte voix et forte.
BARATHA
Vien à Monseigneur, et apporte
30 Les ostilz de charpenterie13 !
SAOUL-D’OUVRER
À cella ne fauldray-je mye14 :
Drille ne gaignay de cest an15.
N’esse pas à Monseigneur…
BARATHA
Aman.
SAOUL-D’OUVRER
J’entens : monseigneur le prévost.16
35 Allons acop ! Bien tost, bien tost !
Voicy mes instrumens tous prestz17.
.
Aman, Monseigneur : par exprès18, SCÈNE IV
Sur tous19 vous vouldroye servir.
Commandez vostre bon plaisir !
40 Vostre serviteur suis piéçà20,
Monseigneur le prévost.
AMAN
Vien çà !
Plante-moy une grosse poultre
Qui soit fort[e] et puissant21 tout oultre.
Entens-tu bien ?
SAOUL-D’OUVRER
Je le feray,
45 Mais où22 ?
AMAN
Je le te monstreray ;
Je la23 vueil cy avoir, et estre
En ma court, devant ma fenestre
De ma grant chambre principalle.
SAOUL-D’OUVRER
Pour la façon espécïalle24,
50 Monseigneur, la haulteur me fault.
AMAN
De cinquante couldées de hault25.
SAOUL-D’OUVRER
En26 quelle façon, s’il vous plaist ?
AMAN
Ainsi que fault faire ung gibet.
Faulte n’y ait, ainsi le veulx !27
.
55 Ha, hay ! que je seray joyeulx SCÈNE V
Quant, à mon coucher et lever,
Je verray ce juif orgueilleux
À ce gibet icy bransler28 !
Matin ne se sçauroit passer
60 Que je ne m’y29 vienne habiller
Pour Mardochée regarder,
Que feray en ce lieu lyer.
…………………………
.
SAOUL-D’OUVRER SCÈNE VI
Voylà tout appointé30.
Voylà ung beau postel31, je pense.
65 Voylà une belle potence,
Mais ung gibbet tout eslevé.
Celluy qui y sera levé32,
Si n’a garde de desvoyer33,
Se n’est par faulte du cordier34
70 Ou par deffaulte du bourreau.
Il est composé bien et beau :
Le boys est de cueur de noyer.
On doit telz ouvriers employer !
Il est bien, à la vérité.
………………………..
*
BARATHA 35 SCÈNE VII
75 Madame !
ZARÈS
Quoy ?
BARATHA
Il fault brouer36 !
ZARÈS
Et ! qu(e) as-tu ? Que tu es esmeu !
BARATHA
Je ne le vous vueil point celer :
Mon maistre sera huy pendu.
ZARÈS
Tay-toy, Baratha ! Que dis-tu ?
BARATHA
80 Ha ! je l’ay ouÿ condampner.
ZARÈS
Ô Fortune, l’as-tu déceu37 ?
BARATHA
On ne sçait comme on doit tourner.
ZARÈS
Le sçais-tu bien38 ?
BARATHA
Le cas est tel.
ZARÈS
Il sera pendu ? Quel orreur !
BARATHA
85 En ce gibbet, en cest hostel39.
ZARÈS
Que reste-il ?
BARATHA
Prendre du meilleur
Et escarrir40.
ZARÈS
C’est le plus seur41.
Tien là !
BARATHA
Pensez de bien foncer42.
ZARÈS
Ô Fortune !
BARATHA
Peu de valleur43 :
90 On ne sçait comment doit tourner.
Ne laissez riens, que vous puissiez44.
ZARÈS
Nenny, Baratha. Tien, emporte !
BARATHA
Brouez au large, escarrissez45 !
Besoing est d’adviser la porte46.
ZARÈS
95 O ! mallement me desconforte,
Aman, quant ainsi fault finer47.
BARATHA
Dame Fortune est de tel sorte :
On ne sçait comment doit tourner.
.
*
LA TOUR
DE BABEL 48
*
.
CASSE-TUYLLEAU49, masson. SCÈNE I
Que veulx-tu dire, Gaste-bois ?
Sçais-tu rien qui soit de nouveau ?
GASTE-BOIS 50, charpentier.
Par Dieu ! nenny, Casse-tuilleau :
Rien de nouveau n’est inventé.
CASSE-TUILLEAU
5 Pille-mortier51, Cul-éventé52 !
Est jà vostre tasche acomplie ?
CUL-ESVENTÉ, [couvreur].
Ma bouteille n’est point remplie
De gourde pie53, à ce matin.
PILLE-MORTIER
Trois jours a54 que ne beuz de vin
10 Par faulte d’avoir ung vaisseau55.
.
CHUS 56 SCÈNE II
Sus, Gaste-bois, Casse-tuilleau,
Cul-éventé, Pille-mortier !
Ouvrer fault de vostre mestier,
On a trèsgrand besoing de vous.
GASTE-BOIS
15 Nous nous sommes préparéz tous,
Et noz houstilz pareillement,
Pour besongner joyeusement
En maisons, manoirs ou chasteaulx.
CHUS
Bastir fault ouvrages nouveaulx
20 Et édifier quant et quant57.
Mais je croy que n’estes pas tant
D’ouvriers que je vueil bien avoir.
CASSE-TUILLEAU
Vous ne sçauriez [bien] concepvoir
La science que nous avons ;
25 Car tousjours les moyens trouvons
De parvenir à noz attainctes58.
CUL-ESVENTÉ
Nous ne besongnons point par fainctes59 :
Car voicy charpentiers, massons,
Couvreurs de diverses façons,
30 Qui nous congnoissons au mestier.
Et puis voicy Pille-mortier,
Qui de nous servir sçait l’usage.
PILLE-MORTIER
Jamais nul homme, s’il est sage,
À servir massons n’entreprenne !
35 Toutesfois — advienne qu(e) advienne —
Je suis en leur subjection60.
CHUS
Il fault faire expédition
De venir par-devers Nembroth,
Qui veult qu’on luy dépesche tost61
40 Une tour qu’il devisera62.
GASTE-BOIS
Si trèsbien on le servira
Qu’il n’y trouvera que63 redire.
CHUS
Hastez-vous, car il vous veult dire
Ce qu’il a entrepris de faire.
CASSE-TUILLEAU
45 Tout ce qui sera nécessaire
Nous ferons, ne vous soucïez.
Mais que nous soyons advoyéz64,
Il nous fera beau veoir en face.
.
CUL-ESVENTÉ SCÈNE III
Sire, que vous plaist-il qu’on face ?
PILLE-MORTIER
50 Voicy gens pour faire édifices.
En ce cas ne65 nous monstrons nices
Mais sommes expers, sans doubtance.
NEMBROTH
À vous veoir, je prens grand plaisance.
Car je croy — et m’est bien advis —
55 Que vous comprendrez le devis66
D’une tour que voulons pourtraire67.
GASTE-BOIS
Commandez, et nous laissez faire !
NEMBROTH
Si de la faire prenez charge,
Il fault qu’elle soit si trèslarge
60 Et de si fors fondemens faicte
Que, devant qu’elle soit parfaicte68,
El puisse jusqu(e) au ciel toucher.
CASSE-TUILLEAU
Autres ouvriers ne fault cercher
Que nous : nous entendons le cas.
NEMBROTH
65 Gardez bien que ne faillez pas
À la faire grosse et massive.
Je vueil qu’elle soit excessive :
C’est-à-dire qu’on puisse aller,
Par elle, au ciel.
CUL-ÉVENTÉ
Sans plus parler,
70 Nembroth, nostre souverain maistre,
En besongne nous allons mettre69,
Puisque nous l’avez ordonné.
Ilz s’en vont besongner.
.
PILLE-MORTIER SCÈNE IV
Si est Nembroth désordonné70,
De la vouloir faire si haulte.
GASTE-BOIS
75 Faicte sera, s’il n’y a faulte,
Puisque nous y mettons les mains.
CASSE-TUILLEAU
L’entreprise beaucoup je crains ;
L’ouvrage est fort à assaillir71.
CUL-ESVENTÉ
On ne peult, en fin, que faillir.
80 Besongnons, mais qu(e) on nous paye bien.
PILLE-MORTIER
Telles gens que nous n(e) acroient rien72,
Mais tousjours sont prestz d’emprunter.
GASTE-BOIS
Si se fault-il diligenter73
De commencer [l]a nostre ouvrage74.
.
NEMBROTH SCÈNE V
85 Sus, enfans ! Prenez bon courage,
Et vous serez bien contentéz75.
CHUS
Je vous prie que diligentez :
Tard m’est que la voye commencée76.
GASTE-BOIS
J’ay jà la manière pensée
90 D’y besongner, n’ayez soucy.
NEMBROTH
Nous reviendrons de bref icy
Pour veoir vostre façon de faire.
.
CASSE-TUILLEAU SCÈNE VI
Commencer fault, qui veult parfaire77.
Gaste-bois !
GASTE-BOIS
Tu dis vérité.
95 Besongne bien de ton costé,
Et de moy ne prens nul soucy.
CASSE-TUILLEAU
Cul-esventé !
CUL-ESVENTÉ
Hau ?
CASSE-TUILLEAU
Viens icy !
GASTE-BOIS
Pille-mortier !
PILLE-MORTIER
Je voys78 à vous.
Préparé suis vous servir tous.
100 J’ay jà l’instrument sur le col79.
CASSE-TUILLEAU
Cul-esventé !
CUL-ESVENTÉ
Hau ?
CASSE-TUILLEAU
Gâche mol80 !
CUL-ESVENTÉ
Combien ?
CASSE-TUILLEAU
Une demye-augée81.
GASTE-BOIS
Çà, du mesrien82 ! Faictz-tu du fol ?
CASSE-TUILLEAU
Pille-mortier !
PILLE-MORTIER
Hau ?
CASSE-TUILLEAU
Gâche mol !
PILLE-MORTIER
105 Délyé83 ?
CASSE-TUILLEAU
Nenny, de plein vol84.
GASTE-BOIS
Apporte ma large congnie85 !
Icy font la tour de Babel.86
CASSE-TUILLEAU
Cul-esventé !
CUL-ESVENTÉ
Hau ?
CASSE-TUILLEAU
Gâche mol !
CUL-ESVENTÉ
Combien ?
CASSE-TUILLEAU
Une demye-augée.
PILLE-MORTIER
C’est une droicte87 dyablerie
110 Que servir maçons, au jourd’uy !
CUL-ESVENTÉ
Malheureux est qui sert aultruy
Pourveu qu’il s’en puisse passer88…
GASTE-BOYS
Sus, sus, il se fault advancer !
Vous aymez trop besongne faicte89.
…………………………. 90
115 Pille-mortier !
PILLE-MORTIER
Hau ?
GASTE-BOYS
Es-tu prest ?
PILLE-MORTIER
Ouÿ, de vous donner à boire.
CASSE-TUILLEAU
Cul-esventé ! Tost, sans arrest
Besongne : si, acquerrons gloire.
Apporte du mortier !
PILLE-MORTIER
Enco[i]re91 ?
CASSE-TUILLEAU
120 Despesche-toy ! Dieu te mauldie !
PILLE-MORTIER
Tenez, voylà vostre dolloère92 ;
Est-elle pas belle et jollie ?
CASSE-TUILLEAU
Çà, du cyment !
CUL-ESVENTÉ
Vostre congnie ?
Je l’ay portée à l’esmoulleur.
GASTE-BOYS
125 Ma besaguë !
PILLE-MORTIER 93
C’est du meilleur
Que vous beustes de la sepmaine.
GASTE-BOYS
Dieu te mette en fièvre quartaine !
Baille-moy acoup mon compas,
Affin que je ne faille pas
130 De faire ceste tour trèsbelle.
CUL-ESVENTÉ
J’ay apporté vostre truelle ;
Est-ce pas ce que demandez ?
CASSE-TUILLEAU
Du mortier !
PILLE-MORTIER
La main tost tendez
À la tuille qu’ay94 apportée !
CASSE-TUILLEAU
135 Du cyment !
CUL-ESVENTÉ
Je l’ay apprestée,
L’ardoise, avec le clou à late95.
CASSE-TUILLEAU
Haste-toy, mon mortier se gaste !
PILLE-MORTIER
Voicy ung chevron escarry96 ;
C’est dommage qu’il est pourry,
140 Veu ce qu’il a la poincte aguë.
GASTE-BOYS
Apporte-moy ma besaguë
Et mon marteau, que je martelle !
CASSE-TUILLEAU
Elle est belle, vostre truelle :
Je l’ay de nouveau esclarcie97.
GASTE-BOYS
145 Que j’aye ma moyenne congnie !
Entens-tu, hay, maistre Accippé98 ?
PILLE-MORTIER
Le mortier ? Je l’ay bien trempé :
Il est aussi mollet que laine.
.
CHUS SCÈNE VII
Nembroth, nostre grand capitaine,
150 Mes gens sont quasi affolléz99 :
Il semble qu’ilz soient désoléz100,
Et qu(e) ayent perdu l’entendement.
NEMBROTH
Sus ! besongnez incessamment,
Ouvriers, à tort et à droicture !
CASSE-TUILLEAU
155 Çà, du plomb pour la couverture101 !
PILLE-MORTIER
J’ay apporté ung instrument
Pour commencer le fondement :
Car il n’a pas faict, qui commence102.
JÉTRAN
Voicy une grande insolence !
160 Maçons, charpentiers, qu’est cecy ?
GASTE-BOYS 103
Orïolla gallaricy,
Breth gathahat mirlidonnet.
Juidamag alacro bronet 104 :
Mildafaronel adaté !
NEMBROTH
165 Voyllà nostre ouvrage gasté.
CASSE-TUILLEAU
Quanta, quéso a lamyta105 ?
La seigneurie la polita.
Vollé daré le coupe toue106 ?
CHANAAN
Qu’est cecy ? Fault-il qu’on se joue
170 De nous ? Mais d’où vient cest erreur ?
CUL-ESVENTÉ
Bïanath acaste folleur.
Huidebref, abasténïent.
CHUS
Bref, je ne sçay d’où cecy vient.
Jamais ne veis tel fantasie.
PILLE-MORTIER
175 Rotaplasté a la casie,
Emy maleth a lacastot.
JÉTRAN
Nous perdons temps icy, Nembroth,
Car nous povons assez congnoistre
Que Dieu ne nous veult point permettre
180 Que ceste tour parachevons.
*
1 L’un des Maraux enchesnéz, vagabond professionnel, a aussi pour nom Soudouvrer, de même qu’un des brigands du Mystère de saint Martin, d’André de La Vigne. La chambrière paresseuse de Tout-ménage est surnommée Saudouvray. On signale une « grande Confrarie des Soûlx d’ouvrer et enragéz de rien faire ». 2 D’une façon moins pertinente, le Viel Testament donne aussi ce nom à un bourreau. Dans le Mystère de saint Clément, l’apprenti du charpentier porte aussi un nom ridicule : Col-de-grue. 3 Il entre dans une taverne pour en extirper son valet, qui trône devant une table bien garnie. 4 Le valet ronge un gros os de belin, de mouton. Comme le déplore l’hagiographe du Sermon de sainct Belin, « ung cuisinier plain de grant mal/ En eut le brichet [l’os de la poitrine] et l’espaulle,/ Et les rostist en une gaulle ». 5 Il boit. 6 Voilà le problème. « Eau-e » compte pour 2 syllabes. 7 Il est facile de voir à mon nez rouge que je ne bois jamais d’eau. 8 Un charpentier peut tenir sa besaiguë dans un sens ou dans l’autre, selon qu’il a besoin du ciseau ou du bédane. 9 Sens. 10 Ni le cidre. 11 Serviteur du prévôt Aman. Il a vu Soûl-d’œuvrer s’introduire dans la taverne. 12 Œuvrer. Cf. la tour de Babel, vers 13. Baratha pénètre dans l’obscure taverne et appelle très fort Soûl-d’œuvrer, qu’il ne voit pas. 13 Tes outils de charpentier. 14 Je ne manquerai pas. 15 De toute l’année, je n’ai pas gagné une miette. Cf. la Bouteille, vers 225 et note. 16 Dessous, les imprimés ajoutent en vedette Gasteboys. C’est le nom du charpentier dans l’épisode de la tour de Babel, que je publie à la suite. 17 Baratha et les charpentiers se rendent chez le prévôt. Maudollé n’interviendra plus, mais la construction d’un gibet nécessite au minimum deux ouvriers. 18 Spécifiquement. « Et je serviray par exprès/ Ceste chambèrière joyeuse. » Le Cousturier et son Varlet. 19 Par-dessus tous les autres. 20 Depuis longtemps. 21 Dans cette locution, seul l’adjectif puissant est mixte : « Forte et puissant com ung lyon. » Les Sotz fourréz de malice. 22 Cette question souligne l’ambiguïté de ce que vient de dire Aman : la « poutre » désigne un gros pénis, et « tout outre » veut dire « au travers du corps ». 23 Éd : le (Aman indique la cour de son palais, devant la fenêtre.) 24 Pour vous la faire spécialement, sur mesure. 25 Les Mystères de la procession de Lille* comportent le même vers dans une scène équivalente, bien que totalement dépourvue d’humour. (*Éd. Alan Knight, Droz, 2004, t. III, p. 429.) Pour une fois, le prévôt ne respecte pas à la lettre les ordres de son épouse : elle réclamait « une bien grant poultre/ De soixante couldées de hault,/ Qui pour ung gibet assez vault ». 26 Éd : Et (Dans quel style ?) 27 Les charpentiers s’en vont. Dessous, les imprimés répètent la rubrique Aman. 28 Se balancer « puis çà, puis là, comme le vent varie ». Villon, Ballade des pendus. 29 Éd : me (Sans que je ne vienne m’habiller devant cette fenêtre.) 30 Tout est fait. La potence est installée dans la cour du prévôt. 31 Poteau. 32 Pendu. 33 Il ne risque pas de tomber. 34 Sinon par la faute de celui qui aura tressé une mauvaise corde. 35 Aman est condamné à être pendu chez lui, à son propre gibet. Son serviteur court avertir Zarès, l’épouse du prévôt, qu’elle doit s’enfuir ; cette femme étant a priori une ancienne prostituée, leur conversation a des relents d’argot. 36 Fuir (argot). Idem vers 93. Cf. le Mince de quaire, vers 151 et 259. 37 Trompé. 38 Es-tu sûr de ce que tu dis ? 39 Dans ce palais où nous sommes. 40 Prendre l’or et décamper. Idem vers 93. Cf. les Frans-archiers qui vont à Naples, vers 126. 41 Sûr. Zarès commence à remplir ses poches et celles du serviteur, avec qui elle compte s’enfuir. 42 De soudoyer les gardes. Cf. Marchebeau et Galop, vers 10, 140, 217, 303. 43 Emportez peu de choses difficiles à écouler. 44 Si vous pouvez. « Vous souvienne aussi/ Vous repentir, et de ne laisser rien,/ Que vous puissiez. » Le Plaisant boutehors d’oysiveté. 45 Fuyez au loin, déguerpissez ! « Brouez au large, et vous esquarrissez ! » Villon, Ballades en jargon, 8. 46 De prendre la porte, de partir. 47 Tu dois finir, mourir. 48 J’utilise encore l’imprimé de Jehan Réal, celui de Pierre Le Dru, et celui de Trepperel. Le passage que je reproduis s’intitule De la tour Babel. 49 Les tuileaux sont des briques en argile cuite : « Il nous fault faire des tuilleaux/ Que par feu désormais cuyrons :/ Par ce point, les endursirons. » (Viel Testament.) Pour plus de clarté, je sépare avec un tiret les noms composés. 50 Qui gâte le bois qu’on lui confie. « Gaste-plastre, Gaste-bois, Gaste-cuirs : se dit des compagnons ignorans qui gastent les matières qu’ils employent. » Furetière. 51 On s’attendrait à ce que le manœuvre des maîtres compagnons fabrique du mortier, mélange de sable et de chaux délayés dans l’eau. Mais pas du tout : d’après son nom, il pile des ingrédients dans un mortier pour faire de la sauce. Rabelais donna ce patronyme à un cuisinier : « Grasboyau, Pillemortier, Leschevin. » (Quart Livre, 40.) Il fut suivi par Bruscambille : « Monsieur Pillemortier : De la manière de faire tourtes. » (Prologues tant sérieux que facécieux.) 52 Ce couvreur (vers 29) travaille sur le toit : il a donc le cul au vent. Avec moins d’à-propos, la Vengance Nostre Seigneur en fait un soldat ; lui aussi a besoin d’être incité au travail : « Cul-esventé, tu ne faits rien :/ Besongne ! » 53 De bon vin (argot). Cf. le Munyer, vers 12. 54 Il y a. 55 Un bassin assez grand pour le contenir. 56 Chus, Jétran, Chanaan et leur chef Nemrod contestent un abus de pouvoir dont ils sont les victimes innocentes. Leur ancêtre Noé, soûl comme un cochon, fut trouvé par terre, dormant avec le sexe à l’air. Cela provoqua l’hilarité de son fils Cham. Contre toute logique, l’obscène poivrot crut devoir punir la future descendance de Cham : elle fut maudite et réduite en esclavage, alors qu’elle n’était pour rien dans les bouffonneries du nouveau Silène. Bref, les quatre victimes de cette injustice approuvée par Dieu veulent bâtir une tour qui monte jusqu’au ciel. 57 Avec nous. Cf. l’Homme à mes pois, vers 407. Cette locution adverbiale est originaire de Picardie : René DEBRIE, Glossaire du moyen picard, p. 329. 58 À notre but. Cf. Chagrinas, vers 350. 59 Nous ne feignons pas de travailler. 60 En leur sujétion : à leurs ordres. Cf. Folconduit, vers 70. 61 Qu’on lui exécute vite. 62 Dont il va tracer le plan. 63 Rien à. 64 Pour peu que nous soyons dirigés. 65 Éd : que (Nous ne nous montrons pas novices.) 66 Le plan. 67 Construire. 68 Qu’avant qu’elle ne soit achevée. 69 Nous allons nous mettre au travail. 70 Nemrod est un peu détraqué. 71 Est difficile à aborder. 72 Les gens comme nous ne font pas crédit. 73 Il faut faire diligence. Idem vers 87. 74 Ce mot était parfois féminin. « C’est une ouvraige si bien faicte. » Viel Testament. 75 Payés. 76 Il me tarde de la voir commencée. 77 Si on veut en venir à bout. 78 Je vais. 79 Je porte déjà la hache de Gâte-bois sur mon épaule. 80 Délaye du plâtre dans beaucoup d’eau. Les vers 101-108 constituent un triolet. 81 La moitié d’une auge. Cette partie du Viel Testament fut composée par un Picard ; on prononce donc « augie », qui rime avec cognie et diablerie. 82 Du merrain, du bois de charpente. 83 Le plâtre doit-il être bien délayé ? 84 Assez ferme pour que je puisse le jeter à la volée avec ma truelle. 85 Ma cognée, ma hache. Prononciation picarde. 86 Les comédiens hissent sur des montants une fausse tour en toile, comme ceux de la Vengance Nostre Seigneur : « Ilz lèvent icy une tourelle faicte de toille. » 87 Une véritable. « Pas ne ressemblent les [aux] maçons,/ Que servir fault à si grant peine. » Villon. 88 Quand il a les moyens de travailler à son compte. Allusion méprisante au fait que Pile-mortier n’a pas de tels moyens. 89 Le travail qui a déjà été fait. La chambrière paresseuse de Tout-ménage a pour nom Besongne-faicte. 90 Dieu tremble pour ses privilèges ; afin de saboter l’ouvrage des humains, il décide que « charpentiers, maçons,/ En soixante-et-douze façons/ Parleront, et nul n’entendra/ Ce que son compaignon vouldra ». 91 Forme picarde de « encore ». Voir Debrie, Glossaire du moyen picard, p. 165. « Encoire viendra ung déluge (…),/ Par quoy fault faire une tour haulte. » Viel Testament. 92 Votre doloire [hache]. C’est un mot picard : Debrie, p. 153. 93 Il tend une bouteille de vin à Gâte-bois. « C’est du meilleur que je beuz oncques. » Le Gentil homme et Naudet. 94 Éd : quauons (Prenez ces tuiles.) 95 Clou servant à fixer l’ardoise sur les lattes d’un toit. « Clou à latte pour empléer en la couverture de la pierre ardaise sur troys maisons. » ATILF. 96 Une poutre équarrie qui supporte les lattes et l’ardoise du toit. Il vaut mieux qu’elle ne soit pas pourrie ! 97 Je l’ai récemment éclaircie, fourbie. 98 Terme d’injure qui vise les faux savants. « Dictes-vous vray, maistre Accipé ? » (Dyalogue pour jeunes enfans.) « Quel maistre Accipé/ Vécy ! » (Le Capitaine Mal-en-point.) La transcription de Rothschild* est à revoir, et son vers 37200 doit se lire ainsi : « Tenez, tenez, maistre Accipé ! » *Le Mistére du Viel Testament, t. I, 1878, p. 270. De même, la transcription de la Vie de sainct Didier par J. Carnandet est fautive p. 347, où le ms. porte : « Maistre Accipé de Barbarie,/ Docteur en choppinacion [en soûlerie]. » 99 Devenus fous. 100 Égarés. 101 Pour calfater le toit. 102 Il n’a pas fini, celui qui commence. Les fondements de la tour ont précédé sa construction (vers 60). 103 Le gag de la langue inconnue plaisait aux acteurs : pour s’en convaincre, il suffit d’écouter le Pèlerin de Colin filz de Thévot (vers 245-294). 104 Éd : brouet (La rime est en -onet. Le « n » à l’envers est la faute d’impression la plus fréquente.) 105 Emanuele ARIOLI vient de publier une étude d’un extrême intérêt : La Tour de Babel dans le théâtre de la fin du Moyen Âge : le Mystère du Vieil Testament. Le médiéviste franco-italien propose de lire ici : Quanta, che so alla metà ? « Pourrait-on comprendre le premier vers comme ‟Combien, car je suis à la moitié” ? Il pourrait se référer à la tour inachevée ou alors à l’auge à moitié pleine (‟Une demye augee”). Pourrait-on entendre le deuxième vers comme ‟Votre seigneurie l’a nettoyée” (‟l’ha pulita” en italien) ? Il pourrait faire allusion à la ‟truelle.. / de nouveau esclarcie”. Dans le troisième vers, ‟volle dare” signifie ‟voulut donner” : faut-il entendre ‟A-t-il voulu rejeter la faute sur toi” ? » 106 En latin, volo dare = je veux donner. Culpā tuā = par ta faute.
LE FOSSOIEUR ET SON VARLET
.
*
LE FOSSOIEUR
ET SON VARLET
*
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Quand on évoque les différentes sortes d’humour qui animent le théâtre médiéval, on oublie toujours l’humour noir. Les danses macabres doivent pourtant beaucoup aux farces et aux Mystères. Voici les extraits les plus « gore » d’une scène de cimetière que nous détaille avec complaisance le Mistère du Viel Testament.
Un fossoyeur et son valet se livrent une concurrence particulièrement cynique. Plus loin, nous verrons la concurrence non moins éhontée que se livrent, dans ce même Mystère, un bourreau et son valet qui n’ont rien à envier au fameux Daru, le bourreau des Actes des Apostres.
Sources : Le passage que je conserve s’intitule « Du débat du Fossoieur et de son Varlet ». Je prends pour base le Très excellent & sainct Mystère du Viel Testament, imprimé par Jehan Réal en 1542 ; il reproduit — avec moins de fautes — le Mistère du Viel Testament par personnages, imprimé par Pierre Le Dru vers 1500. L’édition Trepperel, parue vers 1520, propose quelques corrections utiles.
Structure : Rimes abab/bcbc, rimes plates.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
.
*
Du débat du Fossoieur
et de son Varlet
*
LE FOSSOIEUR SCÈNE I
Mon pic s(e) enrouille1, et si, se gaste ;
Et ma pelle est toute moysie.
De besongne[r] n’ay point de haste.
Mes varletz2 !
LE VARLET DU FOSSOIEUR
Le cul me frémie3 !
LE FOSSOIEUR
5 Cuydez-vous comme il s’en soucye ?
Viendras-tu ?
LE VARLET
Bénédicité !
Ma besongne est piéçà basie4 :
Besongner n’est nécessité.
LE FOSSOIEUR
Du temps de la mortalité,
10 Ma bourse d’argent estoit grosse5.
LE VARLET
Et ! aussi, c’est abilité6,
Maistre, de bien faire une fosse…
LE FOSSOIEUR
Où est le temps que Mort escosse7
Grans et petis, jeunes et vieulx,
15 Aussi drus comme pois en cosse ?
On s’en cource8, et j’en suis joyeulx.
LE VARLET
Bref, mon maistre est aussi piteux9
Comme ung chien mastin enragé :
Il les enterre deux et deux10.
LE FOSSOIEUR
20 Aussi, c’est le plus abrégé11.
LE VARLET
Je vouldroye qu’à mort fust jugé12,
Et qu(e) une fosse je luy feisse :
Il seroit bien avant13 plongé,
Affin que j’eusse son office14.
LE FOSSOIEUR
25 Tu es encore trop novice
Pour si grande charge entreprendre.
LE VARLET
Pourquoy ?
LE FOSSOIEUR
Tu n’as pas la notice15
Du fosso[y]aige, [à] bien comprendre16.
LE VARLET
Vray(e)ment, il est fort17 à apprendre !
30 Mon maistre, vous luy baillez belle18.
Il ne fault seullement que prendre
Une houe, ung pic, une pelle,
Et puis bêcher.
LE FOSSOIEUR
La chose est telle.
Toutesfois, il y a moyen
35 De la faire à façon nouvelle19.
LE VARLET
Il ne m’en fault apprendre rien20 :
Quant c’est ung grant homme de bien,
Il le fault bouter plus avant21
Q’ung povre homme.
LE FOSSOIEUR
Tu l’entens bien.
LE VARLET
40 Je suis ung maistre poursuyvant22.
.
LE SECOND PARENT 23 SCÈNE II
Nostre maistre, Dieu vous avant24 !
LE FOSSOIEUR
Et vous aussi !
LE VARLET
Que dictes-vous25 ?
LE FOSSOIEUR
Tays-toy, ou tu auras des coups !
De quoy dyable te mesle-tu ?
45 C’est ung26 garson le plus testu
Que je veis oncques !
LE SECOND PARENT
Ne vous chaille…
LE VARLET
Se nous avons rien27 qui vous faille,
Ne l’espargnez point.
LE FOSSOIEUR
Se je metz
La main sur toy, je te prometz
50 Q’une bigne28 y viendra, bien grosse !
LE SECOND PARENT
Je viens commander une fosse ;
Dépescher se fault de la faire.
LE VARLET
De quel aage29…
LE FOSSOIEUR
Te sçais-tu taire ?
LE VARLET
Il fault bien sçavoir la grandeur,
55 La largeur et la profondeur.
Car à faire « pourpointz sans manches30 »,
Besongnons festes et dimanches ;
Et jamais ne sommes repris31.
Il ne fault point parler du pris32.
60 J(e) y besongne d’entendement33.
LE FOSSOIEUR
Et ! de quel aage, voirement,
Est cest homme ?
LE SECOND PARENT34
De soixante ans.
LE VARLET
Je m’en voys35 donc chausser mes gans
Pour besongner à forte main.
65 C’est follie d’attendre à demain
Ce qu’aujourd’huy on peult bien faire.
LE SECOND PARENT
Dépeschez-vous tost de la faire !
LE FOSSOIEUR
N’en parlez plus : j’en suis records36.
LE SECOND PARENT
Après, venez quérir le corps.
70 Et puis on vous contentera37.
LE FOSSOIEUR
Si bien on y besongnera
Que vous en serez tous contens.38
.
LE VARLET SCÈNE III
Mon maistre !
LE FOSSOIEUR
Quoy ?
LE VARLET
Voicy bon temps !
S’il en mouroit tous les jours quatre,
75 Nous nous [sç]aurions [plus] bel esbatre39
Et boire tousjours du meilleur.
LE FOSSOYEUR
Depuis que je suis fossoieur,
J’en ay enfouy plus de mille.
Besongne ! Feras40, malabille ?
80 Tenez : il semble qu’il n’y touche41.
LE VARLET
Attendez ung peu, je me mouche.
Vous estes mallement42 hastif !
LE FOSSOIEUR
Il n’est pas temps d’estre tardif :
Quant l’aquest43 vient, il le fault prendre.
85 Et si, ne fault rien entreprendre
Qu’on n’en vienne44 à son grant honneur.
…………………………………. 45
LE VARLET
Voicy une fosse jolye.
Se vous estiez mort, mon [doulx] maistre,
El seroit bonne pour vous mettre :
90 C’est droictement46 vostre mesure.
LE FOSSOIEUR
Par ma foy, varlet, je n’ay cure
D’y estre logé !
LE VARLET
Par raison,
Si aurez-vous une maison
De cinq47 piedz de long, une foys.
LE FOSSOIEUR
95 Vien-t’en avec moy !
LE VARLET
Bien j(e) y vois ;
Allez devant, je vous suyvray.
.
…………………………… 48. SCÈNE IV
LE FOSSOIEUR
Seigneur, la fosse est préparée.
Le corps mort quérir nous venons
À celle fin que l’enterrons,
100 Ainsi qu’on a acoustumé.
LE TIERS FILZ
Raison veult qu’il soit inhumé.
…………………………… 49
LE SECOND FILZ
Qu’il soit bouté en sa tesnière50 !
LE FOSSOIEUR
Soustien devant !
LE VARLET
Prenez derrière !
LE FOSSOIEUR
Hardy !
LE VARLET
Là, là !
Ilz le mettent en la fosse.
LE PREMIER FILZ
Qu’il soit couvert51 !
105 Dépesche-toy, hay, mal apert52 !
La pueur53 me vient jà au nez.
LE VARLET
Mon maistre !
LE FOSSOIEUR
Que veulx-tu ?
LE VARLET
Prenez
Ceste pelle, dépeschez-vous,
Et le couvrez !
…………………………..
LE FOSSOIEUR
110 Est-il enterré proprement ?
Il n’a garde de revenir54.
LE PREMIER FILZ
Nous ne voulons pas retenir
Ta vacation55 ne ta peine :
Voylà pour toy !
LE FOSSOIEUR
Trèsbonne estraine56
115 Vous vueille envoyer le grant Dieu !
LE VARLET
Vuydons, vuydons hors de ce lieu57 !
.
Argent avez, c’est le plus fort. SCÈNE V
Allons boire nous deux d’accord,
Car j’ay l’estomac tout haslé58.
LE FOSSOIEUR
120 Tantost y aura bien hallé59,
Mais que nous soyons sur le banc60.
De l’argent de61 nostre escot franc
Nous demourra, mon valetton.
.
…………………………… 62 SCÈNE VI
LE PREMIER PARENT
Où estes-vous ? Hay, Malhabille63 !
LE VARLET
125 Mon maistre, voicy du gaignage64
Qui nous vient.
LE FOSSOYEUR
Que la malle raige
Te puisse happer par les dens65 !
LE SECOND PARENT
Qui est céans ?
LE VARLET
Entrez dedans !
Il n’y a que moy et mon maistre.
LE FOSSOYEUR
130 Qu’esse qu’il y a ?
LE PREMIER PARENT
Il fault mettre
— Sur la peine66 d’amande grosse —
Cest homme mort hors de la fosse,
Et le porter devant le Roy.
LE FOSSOYEUR
Le déterrer ? Cause pourquoy67 ?
135 Vous vous mocquez !
LE SECOND PARENT
Sauf vostre grâce
— Car il est force qu’il se face68 —,
Bien et beau69 le déterrerez.
Soubz son arbre70 le porterez,
En vous payant71 de vostre peine.
.
LE FOSSOYEUR SCÈNE VII
140 Sus ! dépesche-toy, traîne gaine72 !
Il fault besongner ric-à-ric73.
LE VARLET
Prenez la pelle ; j’ay le pic.
Et regardez se je m’y fains74.
LE FOSSOYEUR
Besongne ! Hay, comme tu jains75 !
145 Est-il pansu, est-il enflé !
Voyez comme il est boursouflé !
Que fais-tu ?
LE VARLET
J’estouppe mon nez76.
LE FOSSOYEUR
Et ! prenez-le par là, prenez !
Paillart, vous ne sçaurez jà rien ?
LE VARLET
150 Il suffit, puisque je le tien.
LE FOSSOYEUR
Soustien fort !
LE VARLET
Aussi fais-je pas ?
LE PREMIER PARENT
Or, cheminons tout le beau pas77
Pour faire le vouloir du Roy !
.
…………………………… 78 SCÈNE VIII
SALOMON
Or sus ! faictes-le transporter
155 Au pied de l’arbre, entendez-vous ?
Metez-le debout devant nous !
Puis après, jugement ferons.
LE FOSSOYEUR
Vostre vouloir accomplirons,
[Il n’en fault point prendre d’ennuy.]79
160 Dresse !
LE VARLET
Haussez !
LE FOSSOYEUR
Tien bien !
LE VARLET
À luy !
À grant-peine le remuons.
LE FOSSOYEUR
Est-il pas bien ?
LE VARLET
Or, le lyons,
À celle fin qu’il se tienne mieulx.
Mais je suis mélencolieux
165 Que c’est que80 le Roy en veult faire.
LE FOSSOYEUR
Beau sire, pense à ton affaire !
Le voylà ainsi qu’il doit estre.
LE VARLET
C’est mon81. Vray(e)ment, vous estes maistre :
Ouvré avez d’entendement82.
.
…………………………. 83 SCÈNE IX
SALOMON
170 Gallans, devant84 qu’il soit plus tart,
Allez le corps sépulturer !
LE VARLET
Sire, l’irons-nous enterrer ?
SALOMON
Allez le remettre en son lieu !
LE FOSSOYEUR
Nous y allons. Çà, de par Dieu !
175 Mais voirement, qui me payera ?
LE PREMIER PARENT
Trèsbien on vous contentera.
LE VARLET
Qu’on ne nous tienne point sur fons85 !
LE PREMIER PARENT
Nenny non, je vous en respons.
Allez l’enterrer tout batant86,
180 Et puis je vous payray content.
LE FOSSOYEUR
Il suffit, je n’en parle plus.
*
.
.
GOURNAY
ET MICET 87
*
ATACH 88 SCÈNE I
Gournay, estes-vous cy dedans ?
GOURNAY, bourreau.
Ouy. Qui est là ?
ATACH
[C’est moy,] Atach.
GOURNAY
Et que te fault-il ? Ung vieil sac
Pour te getter en la rivière89 ?
ATACH
5 Que fais-tu, Gournay ?
GOURNAY
Quoy ? Grant chère
Avecques mon varlet Micet.
MICET, varlet du bourreau.
Vien boire avec nous, s’il te plaist ;
Et fais, comme nous, ton devoir.
ATACH
Pas n’ay soif mais, à dire voir90,
10 Content suis de boire une fois.
GOURNAY
Par noz dieux, tu es bon galloys91 !
Or, tien franc, Atach, et à tâche92 !
ATACH
Voulentiers.
MICET
Il a fait sa tâche93.
Ha, a ! quel avalleur94 de vins !
GOURNAY
15 Çà ! qu’i a-il, à toutes fins ?
ATACH
Voulez-vous que le cas desqueuvre95 ?
Gournay, il fault faire ung chief-d’euvre96.
GOURNAY
Et comment ? Quoy ? Je te supplie !
ATACH
Aller fault à la « torterie97 »,
20 C’est-à-dire au jolly gibbet.
MICET
Ha, ha !
GOURNAY
Y a-il point d’aquest98 ?
Ne le nous vueille point celer !
ATACH
Or çà ! que voulez-vous donner ?
Et je vous en diray la fin.
GOURNAY
25 Point ne fault de cela doubter :
Tu en auras quelque loppin.
MICET
Qui, Atach ? A ! il est si fin
Pour vif bailler ung coup de pelle99 !
Où il a sellé son Martin100,
30 Il en apporte ou pied, ou elle101.
ATACH
Gournay !
GOURNAY
Atach ?
ATACH
La chose est telle
Que deux hommes il vous fault pendre
[Sans] séjour102. N’y fault plus attendre.
Venez par-devers le prévost103 !
.
GOURNAY SCÈNE II
35 Nous avons gaigné nostre escot104.
Dépesche-toy ! Fais-tu le fol ?
MICET
Et ! je ne pourroye plus tost105,
Se je ne me rompoye le col.
GOURNAY
Garde d(e) oublier ung licol106 !
40 Il en fault bien estre songneux.
MICET
De moy jouez au capifol107 ?
Dea ! mon maistre, sont-ce beaulx jeux ?
GOURNAY
Pourquoy ?
MICET
Vous sçavez qu’il[z] sont deux.
GOURNAY
Ha ! que tu es ung rouge gueux108
45 Et ung fin [hoste, ce]109 me semble !
MICET
Les pendrez-vous tous deux ensemble,
Mon maistre Gournay, d’une corde110 ?
Il me plaist trèsbien, je l’accorde,
Se faire le voulez ainsi.
GOURNAY
50 Micet, vostre bonne mercy111,
Qui si bien d’accord voulez estre
Que de donner congé au maistre.
Et ! vous n’estes que le varlet.
Micet !
MICET
Gournay ?
GOURNAY
Tost au gibet !
55 Il ne nous fault plus cy targier112.
.
MICET
Maistre, vous irez le premier ;
Et puis après, vostre varlet.
L’honneur humerez113, s’il vous plaist.
Quant à ce cas seigneurïeux114,
60 S’il nous115 y fault aller tous deux,
J’en suis d’accord : car, il me semble,
Si belle perte n’est, que ensemble116.
.
ATACH 117 SCÈNE III
Dépeschez-vous !
.
GOURNAY SCÈNE IV
Je vois Atach.
Micet !
MICET
Gournay ?
GOURNAY
As-tu le sac ?
MICET
65 Nenny, je n’ay que la besace.
GOURNAY
Noz dieux te donnent malle grâce118 !
MICET
À vous je suis prest d(e) obéyr.
GOURNAY
Or te garde bien de faillir
D(e) oublier les cordes, Micet !
MICET
70 Ne m’en souvenoit, sans mentir ;
Je ne portoye que du fouet.
GOURNAY
Que tu es ung fin mitouflet119 !
MICET
Mais vous me raillez en tous temps,
Gournay.
GOURNAY
N(e) oublie point mes gans :
75 Tu sçais bien qu’ilz sont nécessaires.
MICET
Mon maistre, il [vous] en fault deux paires :
Et ! ne pendez-vous pas deux hommes ?
GOURNAY
Cecy120 ! Je ne sçay où nous sommes !
Tu me veulx, ce croy, faire paistre121 ?
80 Allons légièrement122 !
MICET
[Mon] maistre,
Rien seulement qu’une demande,
Voire bien honneste.
GOURNAY
Demande !
MICET
L’accordez-vous ?
GOURNAY
Content en suis123.
MICET
Je vous requiers tant que je puis,
85 Par ma loy124 !
GOURNAY
Que de preschement !
À coup dis125 !
MICET
Hélas, Gournay !
GOURNAY
Quoy126 ?
MICET
Ha, [ha], mon maistre !
GOURNAY
Seurement
Demande tost, je te l’octroy.
Mais…
MICET
Mais quoy ?
GOURNAY
Porte-moy honneur127.
MICET
90 Comment diray-je ?
GOURNAY
« Monseigneur. »
Et tu auras…
MICET
Quoy ?
GOURNAY
Une belle office128.
MICET
Hélas !
GOURNAY
Bien tost129 !
MICET
Et ! que je feisse…
GOURNAY
Sus !
MICET
Vous m’escondirez.
GOURNAY
Non feray.
Hardiment !
MICET
Haa !
GOURNAY
Que tu es nice130 !
95 Demande tost, je le t’octroy.
MICET
Par ma loy131 ! vous m’escondiriez.
GOURNAY
Non feray, non.
MICET
[Et !] si feriez.
GOURNAY
Et ! non feray, de par le dyable !
La requeste ?
MICET
Elle est raisonnable.
100 Héé, héé !
GOURNAY
Je me cour[rou]ceray.
MICET
Par tous noz dieux !
GOURNAY
Est-elle notable ?
Demande tost, je le t’octroy.
MICET
Hé ! me vouldriez-vous escondire ?
GOURNAY
Ce follastre-cy132 me fait rire.
MICET
105 M(e) octroyez-vous donc ma demande ?
GOURNAY
Dépesche-toy, à coup demande !
Je suis icy tout ennuyé.
MICET
Ou au gibet soyez lié !
GOURNAY
Tu me tennes133, à dire voir.
MICET
110 Ou qu’il vous134 puist du corps mescheoir !
GOURNAY
Se je te prens, je me fais fort…
MICET
Ou que le dyable vous emport !
GOURNAY
Par noz dieux, ce coquart est fol !
MICET
Ou qu’on vous puist rompre le col !
GOURNAY
115 Je suis icy tout tempesté.
MICET
Ou que jamais n’ayez santé !
GOURNAY
Ce follastre est en ses fumées135.
MICET
Ou qu(e) unze mille charretées
De dyables, aussi de dyablesses,
120 Se vous ne tenez voz promesses,
Vous emportent136 et corps et âme !
GOURNAY
Et va, va, va, paillart infâme !
Encor ne t’ay-je rien promis.
MICET
Je vous requier tant que je puis,137
125 À joinctes mains et à genoux,
Affin que j’apprengne de vous,
Que l’ung en pendez, et moy l’autre.
GOURNAY
Que tu y feroys ung beau peaultre138 !
Tays-toy, tays, pas ne sommes là139 !
MICET
130 A, dea ! Je dis, quant là viendra,
Que j’apprengne vostre labeur140.
GOURNAY
Et ! bien, bien, on y pensera,
Pour veoir qui sera le meilleur.
.
…………………………. 141 SCÈNE V
GOURNAY
Sire, je les vois dépescher142.
135 Micet !
MICET
Gournay ?
GOURNAY
Sans tant prescher,
Monte en hault veoir s’il y fault rien143 ;
Et regarde se tout est bien,
Tandis que les appointeray144.
MICET
J(e) y voys. Au moins, j’e[n] apprendray
140 Petit à petit le mestier.
Ceste eschelle si eust mestier145
D’avoir de plus fors eschellons ;
Car quant telz happars eschellons146,
Il y chiet147 ung trèsgrant dangier.
GOURNAY
145 Dépesche-toy ! Tant langagier !
Dieu te met148 en fièvres quartaines !
MICET
Maistre, pour vous, voicy des chaînes
Qui sont seurement149 enchaînées.
…………………………… 150
Maistre, je vous prie
150 En tant151 que je vous puis prier,
Que vous me laissez dépescher
Cest homme-cy de bonne tire152.
GOURNAY
Et va, [va], paillart, va !
MICET
Beau sire !
GOURNAY
Tu ne t’y congnoys nullement.
MICET
155 Je vous prie si humblement !
GOURNAY
Mais regardez ce coquibus153 !
MICET
Jamais ne vous requerray plus154.
GOURNAY
Que dyable ! tu ne t’y congnois.
MICET
Tant seulement pour ceste fois !
160 Au moins, quant de vous j’apprendray,
Après vostre mort, je diray
Que je tiens de vous le mestier.
Au besoing, s’il estoit mestier155
— Dont noz dieux vous vueillent garder ! —,
165 Je vous feroye deffiner156
La vie tout doulx en ce gibet.
Que je le pende, s’il vous plaist !
Ne faictes point tant de fatras !
GOURNAY
Çà ! je verray que157 tu feras
170 Pour ung homme158, ne plus ne moins.
MICET
Premier, il fault lyer les mains ;
Cela, ce n’est pas de nouveau159.
GOURNAY
Va, va, va, va, paillart bourreau !
Va, va, tu ne sçais que tu fais !
175 Je te donray tant de souffletz
Que je te rompray le museau.
MICET
Ha ! il ne tient [qu’à ung]160 noyau.
(Que maudis soient les fouëtz !)
GOURNAY
Et va, va, va, paillart bourreau !
180 Va, va, tu ne sçais que tu fais !
MICET 161
Fais-je bien ?
GOURNAY
A, que tu es veau !
MICET
N’ay-je pas bien serré les traitz162 ?
GOURNAY
Nenny non, ilz sont trop estroictz163.
MICET
Il fault les rongner d’ung cousteau.
GOURNAY
185 Va, va, va, va, paillart bourreau !
Va, va, tu ne sçais que tu fais !
Je te donray tant de souffletz
Que je te rompray le museau.
MICET
Par noz dieux ! il164 est bien et beau,
190 Et mieulx que ne le sçauriez faire.
GOURNAY
Va, va, je te feray bien taire !
Mais me cuyde-tu faire paistre ?
MICET
Voylà de quoy : puisqu’il est maistre,
Il n’en fera qu(e) à son plaisir.
………………………….. 165
.
GOURNAY
195 Micet !
MICET
Gournay ?
GOURNAY
Liève166 mes gans !
Fièvres te puissent espouser167 !
MICET
Pour vous je les vouldray[s] garder :
On ne sçait de quel tuille on queuvre168.
Ou, quant je feray mon chef-d’euvre169,
200 Ilz me viendront trèsbien à goust170.
GOURNAY
Micet !
MICET
Gournay ?
GOURNAY
Or, serre tout171
Et allons boire ! C’est la somme172.
MICET
Gournay, vous estes trèsbon homme.
Aussi est faicte la journée.
.
…………………………….. 173 SCÈNE VI
GOURNAY
205 [Hau], Micet ! Hau, Micet !
MICET
Gournay ?
GOURNAY
Il faulsist174 ces meschans despendre.
MICET
Je suis tout fin prest d’y entendre175.
Iray-je ?
GOURNAY
Ouy, mais va bien tost
Demander congé176 au prévost :
210 Car sans congé, je n’oseroye.
MICET
Par mon serment, j’en ay grant joye !
Et n’y sçavez-vous autre chose ?
GOURNAY
Pourquoy, Micet ?
MICET
Je présuppose
Que j’en viendray à mon attainte177.
GOURNAY
215 Par quel moyen ?
MICET
Par une fainte :
Par ung beau joncher178 évident,
Luy diray que chascun passant
Se complaignent de ces pendus.
Quant mes cas aura entendus,
220 En tant qu’ilz sont du chemin près,
[J’en auray]179 (ne vous souciez)
Incontinent le mandement180.
G’y voys.
GOURNAY
À coup !
MICET
Premièrement,
Mon maistre Gournay, tu m’accordes181
225 Que vous me délivrez les cordes,
Les fouëtz, et tous les licolz
Dont ilz sont penduz par les colz.
Aussi, vous vous donnez au dyable182
Que vous n’aurez cordes ne châbles183,
230 Car tout cela me sera bon.
GOURNAY 184
Je le vueil bien.
MICET
Encor ung don
Je vous requier, il m’est propice.
GOURNAY
Et quel ?
MICET
C’est que je face l’office
De despendre ces malheureux.
GOURNAY
235 Va quérir congé, je le veulx185 !
J’ay en toy ung trèsbon varlet186 !
MICET
Ho, ho ! J’y voys187.
.
Vive Micet ! SCÈNE VII
Vive Micet ! J’auray honneur :
Je vois parler à Monsïeur188,
240 Il m’orra189 parler. S’il luy plaist,
Je luy bailleray d’ung touchet190,
Ainsi que je l’ay devisé191.
Micet, tu te es bien advisé.
Par tous les dieux qui m’ont faict naistre !
245 Je seray, l’autre année192, maistre ;
J’auray l’office de Gournay.
.
Cerbérus vous garde d’ennoy193 ! SCÈNE VIII
Et dame Juno, monsïeur,
Si vous accroisse vostre honneur !
AMAN
250 Micet, qu’i a-il de nouveau ?
MICET
Il n’y a rien que bien et beau.
Mon maistre, monsïeur, Gournay,
A entendu (comme je croy),
Et moy aussi, que les passans
255 Se complaignent que194 ces pendans
Qui sont penduz à ce gibet
Sont infectz et puant[z]. De faict,
S’il vous plaist qu’ilz soient despendus,
En terre les mettray, tous nudz.
260 S’il vous plaist, congé195 !
AMAN
À comprendre
Ce que me donnes à entendre,
Je le vueil bien. Or, va bon erre196 !
Qu’ilz soient ostéz et mis en terre,
Et que plus on n’en face frime197.
MICET
265 (Par noz dieux ! Gournay198, une mine
Fera199 longue jusque[s] aux piedz.)
Monsïeur, à noz dieux soyez !
Je voys acomplir mon office.
.
Gournay ! SCÈNE IX
GOURNAY
Micet ?
MICET
Quoy ! suis-je nice ?
270 J’ay congé — et n’en parlez plus ! —
De despendre ces deux pendus
Qui sont mors à honte villaine.
GOURNAY
Et ! tu as ta fièvre quartaine !
MICET 200
Prenez cela ! Vous m’aiderez,
275 À ce coup, et me servirez.
Ne voulez-vous pas que j(e) apprengne ?
GOURNAY
Quel follastre !
MICET
Se je m’engaigne201…
GOURNAY
Que feras-tu ?
MICET
J’ay aliance202 :
M’avez-vous pas donné puissance,
280 Avec le congé du prévost,
Que hastivement et bien tost
Soient de par moy despendus ?
G’y voys bref, et n’en parlons plus.
GOURNAY
Et ! tu feras ton senglant dyable !
MICET
285 Sans songer, baillez-moy ung châble203 !
GOURNAY 204
Tu auras ung coup de fouët !
MICET
Que ce neu205 est serré estroit !
Tirez fort, tirez, qu’il n’eschappe !
GOURNAY
Par le grant dieu ! se je te happe,
290 Il y aura ung grant bissestre206.
MICET
A, je regny207 ! Je seray maistre,
Quelque chose qu’alliez208 brouillant.
Il est à terre, le gallant.
Sus ! à l’autre, qu’il n’y ayt noyse209.
GOURNAY
295 Ennuyt sçauras que ma main poise210 !
Fault-il que serve ce coquin ?
MICET
Ouÿ, vray(e)ment. Je suis bien fin.
GOURNAY
Tu n’entens à demy ton cas211.
MICET
Je suis maistre. Descendez bas
300 Et tirez fort, comment qu’il soit212 !
Vive le bon maistre Micet,
Qui est des pendus despendeur !
GOURNAY
Vive Gournay !
MICET
J’en ay l’honneur213.
Sus tost ! il les fault enterrer.
GOURNAY
305 Dépesche-toy sans plus tarder !
Prens cela ! Je te vueil aider :
Il ne nous fault plus cy baver214.
MICET215
À ce coup, revestu seray216.
.
…………………………. 217 SCÈNE X
ATACH
Gournay, il te fault labourer218 ;
310 Dépesche-toy bien tost !
GOURNAY
Ha, ha !
Et qu’i a-il de bon, Atach,
Ma gracieuse et gente trongne ?
ATACH
O ! il y a grosse besongne.
GOURNAY
Comme quoy ? Dy-le à ung mot.
ATACH
315 Il te fault pendre le prévost
Aman.
GOURNAY
Haro, que de fredaines !
Et ! il fait tes fièbvres quartaines !
Te cuydes-tu railler de moy ?
ATACH
Je te dis tout vray, par ma loy !
320 Ainsi Assuaire le veult.
MICET
Ne nous chault, non. Vienne qui peult219 !
De ce, ne nous fault entremettre220.
Mais221 que nous gaignons bien, mon maistre,
Il souffit bien.
GOURNAY
La chose est clère.
325 Par noz dieux ! Fust son propre père222,
Puisqu(e) ainsi est, il le fault faire.
Trèstout ce qui est nécessaire,
Apporte-le en ta besace !
MICET
Gournay, allez saulter en place223 !
330 Cuydez-vous que soye apprentis ?
.
GOURNAY 224 SCÈNE XI
Honneur soit partout !
ÉGÉUS 225
Beaux amys,
Cest homme fault exécuter.
Il n’y fault point dissimuller :
Il le convient, propos final.
GOURNAY
335 Par ma loy, il m’en fait bien mal !
Çà, des cordes pour le lier !
MICET 226
De cella ne vous soucïez !
Manteau227 gaudy, Gournay, tenez :
Esse assez ?
GOURNAY
Or me pardonnez
340 Vostre mort, et je vous en prie.
AMAN
Et ! me fault-il perdre la vie
À mon hostel228 ? Hélas, ouÿ.
Fortune229 — noz dieux la mauldie ! —,
Fault-il que je deffine ainsi ?
345 Mardochée, ce gibet-cy
J’ay fait faire tout neuf pour toy ;
Hélas ! quel douloureux party :
J’ay fait faire ung gibet pour moy.
GOURNAY 230
Or montez ! Les dieux de la Loy
350 Dépriez, si ferez science231.
Mon seigneur, prenez en pascïence232,
Vous en mourrez beaucoup plus ayse.
AMAN
Il [le] convient, plaise ou non plaise ;
Contre je ne puis.
GOURNAY
Monseigneur,
355 Se vous avez rien233 sur le cueur,
Si le dictes tost, pour le mieulx.
Recommandez-vous à noz dieux,
Qu’ilz facent de vous leur plaisir.
ÉGÉUS
Gournay, ne le fais point mourir
360 (Entens-tu bien ?) sans congnoissance234.
GOURNAY
Estes-vous à vostre plaisir235 ?
ATACH
(Quel plaisir !)
AMAN
Ouy.
GOURNAY
N’ayez doubtance236.
AMAN
Promothéus, aye237 bienvueillance !
Et vous aussi, Deucalïon,
365 Pareillement Démogorgon,
Où j’ay eu parfaicte fiance238 !
GOURNAY
Noz dieux priez en doléance,
Qu(e) aux infernaulx soyez propice239.
ÉGÉUS
Il fault faire de la justice
370 Rapport au Roy, j’en ay la charge.240
.
GOURNAY
Micet !
MICET
Gournay ?
GOURNAY
Happe la charge241
Et entonne ce ront au creux242 !
MICET
Mon maistre, attendez, se tu veulx243.
Que dyable tu avez grant haste !
375 Nous pierons, en ceste grant mate,
Gourdement244, voicy chose grosse.
GOURNAY
Or, taillé avons quelque endosse245 ;
Elle n’est point de juiverie246.
MICET
Gournay, c’est toute [gourde pie]247 :
380 Voicy bon fons pour la pience248.
GOURNAY
Est-il homme de congnoissance
Où nous le [peussons mettre en plant]249 ?
MICET
Vous soucïez-vous ? Hay avant !
De ce, point je ne me soucie.
GOURNAY
385 Où vas-tu ?
MICET
À la frèperie250 :
J(e) y trouveray Martin Marchant251.
La fourrure en sera gaudie252.
GOURNAY
Où vas-tu ?
MICET
À la frèperie.
(Au gibet veulx perdre la vie
390 Se je n’en ay ung grain253 content,
Gournay, que vous ne sçaurez mie :
Je ne le vous diray pas, pour tant.)
GOURNAY
Où vas-tu ?
MICET
À la frèperie :
G’y trouveray Martin Marchant.
GOURNAY
395 À butin254 ?
MICET
Qui en est doubtant ?
GOURNAY
Revien bien tost !
MICET
J(e) y voys de tire255.
GOURNAY
Or va, n’arreste point, beau sire !
Si yrons croquer ceste pie256.
MICET
À ce, je ne failliray mie :
400 Quant je puis croquer de ce moust257
Qui me semble de si bon goust,
Je suis guéry de la pépie258.
.
Je voys vendre ma marchandie259, SCÈNE XII
Et ne seray pas si cosnart260
405 Que je n’en mette ung grain261 à part,
De quoy Gournay n’en sçaura rien.
Et au retourner, je sçay bien
— Ou entré [je] soye en mal an262 —,
Se j’en ay le georget263 d(e) Aman
410 (Dont ma feulle sera gaudie264)
Et les tirandes265, sur ma vie,
Je le feray266, et sans mot dire.
………………………… 267
Il est temps de faire le guet :
N’y268 a âme entour la Justice ?
415 Je seroye bien tenu pour nice269
Se je n’avoye le demourant,
S’il a aux doys quelque brocant270
Et que de moy soit entendu271.
Après qu(e) auray trèstout vendu,
420 Gaultier272 en sera souldoyé.
Aussi, d’autre part, j’ay congé
D’estre despendeur ceste année.
Se Gournay sçavoit la traînée273,
J’auroye de luy ung tour de pelle274.
425 Il fault monter en ceste eschelle
Et prendre garde au compaignon.
Ce sera « l’escot du mignon275 ».
Je croy qu’il [n’]en demourra ung276.
Ô Aman, comment le commun
430 Tient maintenant de toy son plait277 !
.
GOURNAY 278 SCÈNE XIII
(Mais regardez nostre varlet !
Fièvres le puissent espouser !
Ha, ha ! me cuyde-il abuser ?
J’attendray encor ung tantet279.)
MICET
435 Par noz dieux ! ta mort me desplaist,
Aman. Mais pour venir au point,
Bien gourt280 me sera ce pourpoint.
Se Gournay sçavoit ce labour281,
Il me pourroit jouer d’ung tour.
440 Mais nenny, car la chose est seure.
Regarder fault, à l’adventure,
Qu’on ne me voye de quelque part282.
O nenny !!
GOURNAY
Héé ! maistre coquart283,
Me jouez-vous de ce jeu-là ?
445 Sçavez-vous bien faire cela ?
Quel marchant284 !
MICET
Venez-moy ayder !
GOURNAY
Ha, ha !
MICET
Fault-il tant commander285 ?
Aydez-moy !
GOURNAY
Héé, quel dorellot286 !
MICET
N’ay-je pas congé du prévost ?
450 Si ay. Et vous tenez tout seur
Que je suis maistre despendeur,
Et ne vous en courroucez point.
GOURNAY
Voulez-vous avoir le pourpoint ?
Ha, ha ! quel vaillant serviteur !
455 Par tous noz dieux ! maistre beffleur287,
Vous venez à la blefflerie288.
Et ! cuydez-vous, par tromperie,
Confoncer ceste aumuce gourde289 ?
MICET
Gournay, ne cuydez que me bourde290.
460 Vous sçavez que vous ay servy
Bien loyaulment jusques icy,
Tant, que suis maistre despendeur.
De pendre vous avez l’honneur ;
Au moins ne puis-je que despendre.
465 Et pour vous donner à entendre,
Content suis de perdre ma peine291.
GOURNAY
Et ! tu es ta fièvre quartaine !
MICET
Pour vous292 le voulloye despouiller,
Vrayment. Mais ung tout seul denier
470 Je n’en eusse pris, sans doubtance :
Car je croy, sur ma conscience,
Que tout ce qu’il a est à vous.
GOURNAY
Hélas, Micet, que tu es doulx !
Quel ouvrier, quel amïelleur293 !
MICET
475 Je vous dy vray.
GOURNAY
Et ! quel seigneur294 !
MICET
Seurement…
GOURNAY
Je [te] congnois trop.
Encore en eusses eu295 beaucop,
Se dessus n’eusse296 mis la poue.
C’est ung poisson ; mais quoy, il noue297.
480 Ne me jonche298 point ! Quel preudhomme !
MICET
A, dea ! mon maistre, c’est la somme
Que ce jolly georget299 joyeulx,
Au vray, appartienne300 à nous deux,
Et les tirandes301. Sans attendre,
485 Il le302 convient bientost despendre.
(Souffle303, coquardeau304 ! [Quoy qu’auray]305,
[Tout en sera bien enfermé]306
Tant que l’huys en pourra souffrir307.)
Pour à nostre ayse desvestir
490 Ce corps mort, il le fault despendre.
Vueillez à ceste eschelle entendre308,
Et m’aydez tost à l’abréger309.
GOURNAY
Descens, paillart ! Je vueil monter.
MICET
Non ferez, dea, sauf vostre honneur !
495 Se je suis vostre serviteur,
Si feray-je aujourd’huy le maistre.
GOURNAY
À mau gibet310 te puist-on mettre !
MICET
Maistre, tenez le bout du châble !
GOURNAY
Dépesche-toy, de par le dyable,
500 Qui te puisse rompre le col !
MICET
Se, sera pour vous ce licol311.
Tirez fort, il est près de terre !…
Il est bas312.
GOURNAY
La fièvre te serre !
Descens tost, il le fault oster313.
MICET
505 Vive Micet !
GOURNAY
Et despouiller
Il [le] nous convient sans attendre.
MICET
À cela je suis prest d’entendre314.
Je suis Micet, ce gracïeulx « seigneur315 ».
Je suis Micet, despendeur bas et hault.
510 Je suis Micet, maistre bourreau d’honneur.
Je suis Micet, ce gracieulx lourdault.
Je suis Micet, pour flestrir d’ung fer chault 316.
Je suis Micet, pour coupper une oreille317.
Je suis Micet, pour faire ung escharfault 318.
515 Je suis Micet, qui point ne se traveille319.
Je suis Micet, qui jamais ne sommeille.
Je suis Micet, bateur sur les carreaulx320.
Je suis Micet, qui à mal s’appareille321.
Je suis Micet, le varlet des bourreaulx.
GOURNAY
520 Je suis Gournay, ouvrier espécïaulx322.
Je suis Gournay, à la haulte-œuvre prêt 323.
Je suis Gournay, qui ay fait maintz assaulx324.
Je suis Gournay, pour pendre à ung gibet.
Je suis Gournay, où beffleur[s] vont d’aguet 325.
525 Je suis Gournay, pour coupper une teste.
Je suis Gournay, pour les brigans [de guet] 326.
Je suis Gournay, où n’a nulle conqueste327.
Je suis Gournay, qui fais fouldre et tempeste.
Je suis Gournay, pour boullir et ardoir328.
530 Je suis Gournay, qui de mal maine feste.
Je suis Gournay, pillorieux329, de voir,
Dont maint homme n’est guère resjouy.
*
1 Se rouille, parce que je n’ai plus l’occasion de m’en servir. Les deux fossoyeurs au chômage sont assis sur des tombes. 2 Le fossoyeur oublie que, par ces temps de vaches maigres, il n’a plus qu’un seul valet. 3 Tremble, pète sous l’effet de la peur. 4 Éd : bastie (Les valets de farces font souvent appel à l’argot, comme au vers 56. Basi = mort. « Le bon maistre Pierre est basy. » Le Testament Pathelin.) Affirmer que le métier de fossoyeur est mort depuis longtemps relève de l’humour noir. 5 Pendant la dernière épidémie de peste, ma bourse était enceinte d’argent. 6 C’est une question d’habileté, que vous ne possédez pas. « Cela n’est qu’abilité. » Les Enfans de Borgneux. 7 Dépouille. La Mort est personnifiée, comme dans les danses macabres. 8 Le peuple s’en courrouce. 9 A autant de pitié pour les morts. 10 Deux par deux. 11 C’est plus rapide. 12 Il soit condamné. 13 Profondément. Idem vers 38. 14 Sa charge de fossoyeur. Le moindre valet d’artisan rêve de remplacer son patron : ce Mystère nous fournira ensuite une querelle encore plus cynique entre un maître bourreau et son assistant. 15 La connaissance. 16 Tout bien considéré. « À bien comprendre et la matière entendre,/ Chascun doit tendre à tenir cest usaige. » La Condamnacion de Bancquet. 17 Cela est bien difficile (ironique). 18 Le valet adapte une locution proverbiale : « Tu luy bailles belle, Michault ! » Beaucop-veoir et Joyeulx-soudain. 19 Selon la dernière mode. « Ung chaperon faitis/ Qui soit de nouvelle façon. » Les Femmes qui plantent leurs maris. 20 Je n’ai plus rien à apprendre. 21 Il faut l’enterrer plus profondément, pour que les intempéries ou les chiens ne le déterrent pas. 22 Un bon candidat pour devenir maître fossoyeur. 23 Il vient embaucher les fossoyeurs pour enterrer son cousin. 24 Que Dieu vous aide. Cf. Maistre Mimin estudiant, vers 382 et note. 25 Que désirez-vous ? Dans les farces, les valets d’artisans ont le défaut de répondre à la place de leur patron. 26 Le. « C’est un homme le plus testu. » Le Trocheur de maris. 27 Quelque chose. « Si vous avez rien qu’il luy faille. » Farce du Pet. 28 Qu’une bosse. 29 En ces temps de forte mortalité infantile, l’âge du défunt est une indication pour la grandeur de la fosse. 30 Expression argotique pour désigner les suaires. 31 Réprimandés. L’Église interdit de travailler les dimanches et jours de fête ; mais elle est moins sévère pendant les épidémies, où les cadavres contagieux doivent disparaître le plus tôt possible. 32 Du prix : de notre salaire. On trouve ce vers proverbial dans la Pippée, Serre-porte, la Mauvaistié des femmes, etc. 33 Avec bon sens. Idem vers 169. 34 Éd : cousin 35 Vais. Idem vers 95. 36 J’en suis informé. « J’en suis maintenant bien recors. » Le Capitaine Mal-en-point. 37 On vous paiera. Idem vers 176. 38 Le client s’en va. Il n’a pas dit où se trouve le corps : c’est là une convention théâtrale qui permet de gagner du temps. 39 Nous pourrions plus agréablement nous divertir. « Et ne sçavent lieu où ilz s’aillent/ Plus bel esbatre ne desduire. » Bestiaire d’amour rimé. 40 Le feras-tu ? Cette question qui confirme un ordre est souvent suivie d’une insulte : « Habille-toy ! Feras, landroye ? » (Maistre Mimin estudiant.) « Malhabile » est le surnom du valet : voir le vers 124. À 105, on le traite de « malapert » : maladroit. 41 On croirait qu’il n’y connaît rien. Nous dirions : il ne touche pas sa canette. 42 Terriblement. 43 De l’argent à acquérir. 44 Sans qu’on ne s’en tire. 45 Je saute les disputes entre héritiers, qui se déroulent dans la maison du défunt ; mon numérotage des vers n’en tient pas compte. Les fossoyeurs ont fini de creuser. 46 Exactement. 47 Éd : sept (Les fosses individuelles mesuraient généralement 5 pieds [1,62 m], et non 7 pieds [2,27 m] ! C’est d’autant plus vrai que les gens du peuple n’avaient pas de cercueil, et qu’on leur pliait les genoux pour gagner de la place.) 48 Les fossoyeurs entrent dans la maison du défunt. 49 Les fossoyeurs emportent la dépouille enveloppée d’un linceul, sans cercueil. 50 Dans sa tanière, dans son trou. 51 Recouvert de terre. Idem vers 109. 52 Éd : a part (Maladroit. Ce qualificatif s’adresse au valet : la chambrière du Gallant quy a faict le coup se nomme Mal-aperte.) 53 La puanteur du cadavre. 54 Il ne risque pas de se transformer en revenant. « Qu’il fût pendu, sans revenir ! » L’Arbalestre. 55 Te retenir ton salaire. Il donne de l’argent au fossoyeur. 56 Bonne fortune. 57 Vidons les lieux. Les fossoyeurs quittent le cimetière. 58 Hâlé, desséché. « Et boyre tousjours ung tatin, (…)/ Car ilz ont l’estomach hallé/ Comme la gueulle d’ung four chault. » Actes des Apostres. 59 Haler du vin = tirer du vin. « Je tire, je hale sans blasme/ D’un verre. » La Veuve. 60 Pour peu que nous soyons assis dans une taverne. 61 Éd : et (L’écot franc est la part que chaque client paye au tavernier. « Ou bien d’un escot franc payé à la taverne. » F. Remi.) 62 Le roi Salomon, dans sa grande sagesse, ordonne que le corps soit exhumé. Les cousins du défunt vont chercher les fossoyeurs à la taverne. 63 Les cousins, à la porte de la taverne, aperçoivent d’abord le valet, que son patron surnomme « Malhabile » : note 40. Les tavernes, que leurs clients baptisent les « trous », sont des lieux obscurs où on économise la chandelle. Il est donc normal que les gens qui viennent de la rue n’y voient rien. Voir ci-dessous le premier vers de Gournay et Micet. 64 Un gain. 65 Puisses-tu avoir une mauvaise rage de dents ! Le fossoyeur n’aime pas être dérangé quand il boit. 66 Sous peine. « Sur peine de très grosse amende. » Les Drois de la Porte Bodés. 67 Pour quelle raison ? 68 Car il faut que cela se fasse. 69 Bel et bien vous… 70 Sous l’arbre qu’il a planté dans son jardin, et qui est à l’origine de la querelle entre ses héritiers. 71 Vous serez payés. Même vers dans Jehan de Lagny. Les fossoyeurs et les cousins retournent au cimetière. 72 Éd : gaigne (La gaine est le fourreau d’une épée. Un traîne-gaine est un tire-au-flanc. « Rien-ne-vaulx [vauriens], rustres, challans [compères], hapelopins [pique-assiette], trainne-guainnes. » Gargantua, 25.) 73 Avec une grande rigueur. Cf. le Résolu, vers 15 et note. 74 Si je feins de travailler, si je fais semblant. 75 Tu geins, tu gémis. 76 Je me bouche le nez, à cause de l’odeur de charogne. « Estoupez vos nez ! » Sermon joyeux des quatre vens. 77 D’un bon pas. 78 Les fossoyeurs et leur macabre chargement retournent chez le défunt. Salomon les y attend, avec Bananyas, et ordonne qu’on attache le corps à l’arbre que les héritiers se disputent. 79 Ce vers manque dans toutes les éditions, à moins que le suivant ne soit un ajout d’acteurs. Je lui supplée le vers 477 des Sobres Sotz. 80 Je me demande avec inquiétude ce que… 81 C’est mon avis. Cf. Troys Pèlerins et Malice, vers 58. 82 Vous avez œuvré avec discernement. « Que n’y ouvrez d’entendement. » Les Femmes qui font renbourer leur bas. 83 Salomon rend son jugement, puis ordonne aux fossoyeurs de reconduire le mort au cimetière. 84 Avant. 85 Qu’on ne nous prenne par pour des enfants, comme ces bébés qu’on tient sur les fonts baptismaux. « De tenir sur fons son enfant. » ATILF. 86 Tout droit. Cf. Chagrinas, vers 245. 87 J’utilise là encore l’imprimé de Jehan Réal, celui de Pierre Le Dru, et celui de Trepperel. Le passage que je conserve s’intitule : De Gournay et Micet. 88 L’homme à tout faire du roi de Perse Assuérus ouvre la porte d’une taverne obscure (note 63) qui est le quartier général du bourreau. Ces deux filous se connaissent bien, puisqu’ils partagent les bénéfices de leurs exactions (vers 23-26). « Atach » se prononce Atak ou Ata, selon la rime. 89 On enfermait les gêneurs dans un sac qu’on jetait à l’eau. « Que fust-il, en ung sac, en Seine ! » Martin de Cambray, F 41. 90 Vrai. Idem vers 109 et 531. 91 Un joyeux compagnon. 92 Tenir à tâche = prendre à tâche, s’efforcer de. Jeu homophonique entre Atak et à tâque : ce Mystère provient de Normandie, où « ch » pouvait se prononcer « k » : « Y me vint une taque [tache] oprès le bout du day [doigt]. » La Muse normande. 93 Il a fini son travail, il peut donc manger. « Quant on a achevé sa tâche,/ Doit-on pas prendre son repas ? » Saoul-d’ouvrer et Maudollé. 94 Éd : malleur (« Je suis bon avalleur de vins. » Les Sotz escornéz.) 95 Que je vous découvre l’affaire. 96 On ne peut devenir maître dans sa profession qu’en accomplissant un chef-d’œuvre. À 199, l’apprenti songe déjà au sien. 97 À la potence (mot d’argot), où l’on emploie des cordes tortes, tressées. « Et que point, à la turterie,/ En l’hurme ne soiez assis. » Villon, Ballades en jargon, 6. 98 Un gain à acquérir. 99 Un coup dans le dos. Idem vers 424. « Or, luy baillez troys cops de pelle ! » La Pippée. 100 Son âne. Cf. le Médecin qui guarist, vers 69 et note. 101 Un pied ou une aile : il parvient à resquiller quelque chose. Cf. le Roy des Sotz, vers 58. 102 Sans délai. Cf. le Raporteur, vers 228. 103 Le vizir, l’officier principal du roi. Atach sort de la taverne. 104 Nos frais de taverne. 105 Je ne pourrais aller plus vite. Le valet porte les sacs contenant le matériel du bourreau. 106 Une corde courte munie d’un nœud coulant. Idem vers 226 et 501. Le maître a tort de réclamer une seule corde alors qu’il y aura deux pendus. 107 Vous me prenez pour un imbécile. Cf. le Jeu du Capifol. 108 Un malin. Sur cette locution argotique, voir le Capitaine Mal-en-point, vers 185 et note. 109 Éd : arbre se (Un fin renard. « Ma foy, que tu es ung fin hoste ! » Les Enfans de Borgneux.) 110 Avec une seule corde. 111 Merci à vous. 112 Tarder. Les bourreaux quittent la taverne sans payer : encore une convention théâtrale. 113 Vous goûterez. « Il humera d’honneur/ Largement. » Le Capitaine Mal-en-point. 114 En ce qui concerne cette affaire royale. 115 Éd : vous (Correction de ROTHSCHILD et PICOT : Le Mistére du Viel Testament, t. VI, 1891, pp. 75-177.) 116 On ne perd pas autant de temps et d’énergie quand on est deux. 117 Il est déjà sous le gibet, avec les officiels, et exhorte les deux traînards. 118 Une disgrâce. « En la malle grâce des dieux. » Les Premiers gardonnéz. 119 Hypocrite. C’est le nom d’un personnage du Roy des Sotz. 120 Ça, par exemple ! Cf. la Laitière, vers 337. 121 Tu veux me faire marcher ! Idem vers 192. 122 Rapidement. 123 Je suis d’accord. 124 Par ma religion, le paganisme. Idem vers 96, 319 et 335. 125 Dis-le vite. 126 Les imprimés portent Micet ou Gournay. Correction de Rothschild et Picot. 127 Désigne-moi par un titre honorifique, en l’occurrence « Monseigneur ». Le patron de Saudret exige aussi que son valet l’appelle « Monseigneur mon Maistre ». 128 Micet réclame un office de bourreau ; on ne lui propose qu’une office, le garde-manger d’une cuisine : « Que vous estes bonne à l’office ! » Les Queues troussées. 129 Exprime-toi vite. 130 Éd : mice (Bête. Idem vers 269 et 415.) 131 Éd : foy (Note 124.) 132 Ce fou. Idem vers 117 et 277. 133 Tu me tannes, tu me fatigues ; cf. le Sermon joyeux des quatre vens, vers 363. À dire voir = à vrai dire (note 90). 134 Les imprimés portent me ou puis. (Corr. Rothschild et Picot.) « Il me puisse meschoir du corps/ Se ne commist son bon désir. » Guillerme qui mengea les figues. 135 Dans les vapeurs de l’alcool. Cf. Deux jeunes femmes, vers 101 et note. 136 « Que mille charretées/ De dyables te puissent emporter ! » Ung mary jaloux. 137 Même vers que 84. Le suivant figure dans le Ribault marié. 138 Un mauvais alliage d’étain et de plomb. 139 Nous n’en sommes pas encore là. 140 Votre métier. 141 Les bourreaux s’approchent de la potence, où l’on amène les condamnés. 142 Monsieur le Prévôt, je vais les expédier. 143 Monte en haut de l’échelle pour voir s’il ne manque rien. 144 Pendant que je préparerai les condamnés. 145 Aurait besoin. On fait grimper le condamné sur cette échelle, on lui passe autour du cou une corde extrêmement courte, puis on le pousse dans le vide pour lui rompre les vertèbres cervicales. Une pendaison nécessite la présence d’au moins deux bourreaux. 146 Quand nous faisons monter à l’échelle de tels gibiers de potence. Happer = voler. 147 Il choit, il advient. 148 Subjonctif réservé aux imprécations, pour faire croire qu’elles sont déjà réalisées. « Dieu te met en fièvre quartaine ! » Trote-menu et Mirre-loret. 149 Solidement. Ces chaînes joignent les poteaux du gibet à la poutre horizontale. 150 Gournay pend le premier condamné. Micet exprime à nouveau son amour du travail bien fait et son louable désir d’apprendre un si beau métier. 151 Autant. Idem vers 220. 152 Tout de suite. 153 Ce sot. Cf. le Pasté et la tarte, vers 113. 154 Après, je ne vous demanderai plus rien. 155 S’il en était besoin : si vous étiez condamné vous-même à être pendu. 156 Finir. Idem vers 344. On comparera cette attention délicate avec celle du valet du Fossoyeur qui voudrait que son maître soit pendu pour avoir l’honneur de l’enterrer (vers 21-24). 157 Ce que. Le bourreau cède à son valet. 158 Pour ce seul et unique condamné. 159 Au lieu de tirer du sac une ficelle pour attacher dans le dos les mains du condamné, il en sort un fouet (vers 71). Les vers 173-188 constituent un rondel double. 160 Éd : que a ce (Cela tient à peu de chose, il s’en faut de peu.) 161 Ayant trouvé la ficelle, il attache les mains du condamné, puis ses chevilles. 162 Les treuils, les entraves qui lient les chevilles du condamné. 163 Trop serrés : il ne pourra pas monter les échelons. 164 Cela : le résultat de mon travail. 165 C’est finalement Gournay qui pend le second condamné. 166 Retire-moi. Micet met les gants du bourreau dans sa propre poche. 167 Saisir. Idem vers 432. 168 Avec quelles tuiles on couvre un toit : on ne sait pas si on aura du bon matériel. 169 Ma plus belle exécution capitale. Note 96. 170 Vos gants me conviendront bien. « Quel train nous viendroit mieulx à goust. » Mallepaye et Bâillevant. 171 Enferme tout notre matériel dans les sacs. 172 C’est l’aboutissement normal. Idem vers 481. 173 Le bourreau veut décrocher les pendus, sans expliquer pourquoi : convention théâtrale. 174 Il faudrait. 175 De m’en occuper avec vous. Idem vers 491 et 507. 176 Une autorisation pour que nous puissions tous deux décrocher les pendus. Micet demandera cette autorisation pour lui-même. 177 À mon but : convaincre le prévôt. Cf. le Faulconnier de ville, vers 133. 178 Une tromperie (mot d’argot). Voir le vers 480. 179 Éd : Je lauray (J’aurai de lui.) 180 Le commandement, l’ordre. 181 Se croyant déjà l’égal de son maître, le serviteur introduit un peu de tutoiement dans son vouvoiement. Il récidivera aux vers 373-4. 182 Vous me jurez sous serment. 183 Câbles : filins servant à dépendre les corps. Idem vers 285 et 498. J’explique leur utilisation à la note 203. 184 Il croit que Micet va, comme d’habitude, porter les sacs contenant tout ce matériel. 185 Je veux que tu ailles chercher notre autorisation. Micet comprend : Je veux que tu dépendes les corps. 186 Ironique : quel mauvais valet ! 187 J’y vais. Micet court chez le prévôt. 188 Je vais parler à monseigneur le prévôt. 189 Il m’écoutera. Verbe ouïr. 190 Je lui toucherai la main. 191 Décidé. 192 L’année prochaine. 193 D’ennui, de contrariété. Dans le Mistère du Viel Testament, Cerbère n’est plus le chien qui gardait l’Enfer gréco-romain : c’est un authentique diable. Micet s’adresse au prévôt, Aman. 194 Éd : de (Corr. Rothschild et Picot.) 195 Accordez-moi cette permission. 196 Vas-y d’un bon pas. 197 De grimace. « Mais tout portoit paciamment/ Sans en faire semblant ne frime. » ATILF. 198 Éd : iauray 199 Éd : Qui sera (Gournay fera « une moue longue d’une aune » : sa figure s’allongera.) 200 Il jette à Gournay ses gants. 201 Si je m’énerve. 202 J’ai un allié, le prévôt. 203 Sans perdre de temps, donnez-moi un câble, un filin. Micet grimpe à l’échelle. Il attache le filin sous les aisselles du pendu, et jette l’autre bout par-dessus la poutre principale, afin qu’il retombe par terre de l’autre côté. Gournay n’aura plus qu’à tirer sur ce filin pour que le pendu remonte et que Micet puisse alors défaire le nœud coulant de son cou. Ensuite, il n’y aura plus qu’à dérouler ledit filin pour que le corps descende jusqu’au sol. 204 Il obéit aux ordres de son apprenti, non sans rechigner. 205 Le nœud coulant du pendu. 206 Un grand revers, un malheur. Cf. Ung mary jaloux, vers 252 et note. 207 Je renie nos dieux. 208 Éd : que aillez (Quoi que vous alléguiez.) Micet parvient à défaire le nœud du pendu, que Gournay peut alors laisser choir. 209 Pour qu’ils ne se disputent pas. 210 Tu vas savoir aujourd’hui combien pèse ma main. « Ce coup auras auparavant,/ Pour sçavoir ce que ma main poise ! » L’Antéchrist. 211 Tu ne sais pas la moitié de ce qu’il faut savoir. Gournay monte le filin à son serviteur, et l’aide à attacher le buste du second pendu. 212 Quoi qu’il en soit. Gournay redescend et tire sur le filin. Micet défait le nœud coulant du pendu, que Gournay laisse alors tomber par terre. 213 C’est moi qui ai l’honneur d’avoir dépendu ces deux hommes. 214 Bavarder. 215 Trepp. : Aman 216 Je serai revêtu des insignes de maître compagnon. 217 Dans ce vaste jeu de dupes, le prévôt lui-même finit par être condamné à mort. Une fois de plus, l’homme à tout faire du roi Assuérus va chercher les bourreaux à la taverne, leur quartier général. 218 Faire ton labeur, travailler. 219 Peu nous importe, advienne que pourra. 220 Nous ne devons pas nous mêler des bisbilles entre le roi et son prévôt. 221 Pourvu. 222 Fût-ce notre propre père. 223 Allez faire le bouffon ; cf. les Vigilles Triboullet, vers 174. Le serviteur se prend pour un maître, il ne veut plus obéir. 224 Atach et les bourreaux arrivent devant le gibet que le prévôt a fait ériger sous sa fenêtre : il comptait y pendre Mardochée (vers 345), mais c’est ce dernier qui va l’y faire pendre. « D’Aman suis esperdu,/ Qui devant son huis fut pendu/ Au propre gibet qu’il fist faire. » Les Esbahis. 225 Cet eunuque est le gardien du sérail d’Assuérus. 226 Comme cela se faisait toujours, il retire au prévôt son riche manteau, qui gênerait la pendaison à cause de son poids et de son col fourré. Les bourreaux se partageaient légalement les effets du supplicié. 227 Éd : Maistre (Gaudi = riche. Idem vers 387 et 410. « À Parouart [Paris], la grant mathe [ville] gaudie. » Villon, Jargon, 1.) Vous tenez déjà un riche manteau. 228 Devant ma maison. Note 224. 229 La roue de Fortune élève ou rabaisse les mortels. 230 Il fait monter le prévôt à l’échelle. Note 145. 231 Priez, vous ferez sagement. 232 Supportez. « Amys, prenez en pacience ! » L’Aveugle et Saudret. 233 Quelque chose. 234 Sans le lui faire savoir au préalable. 235 Êtes-vous préparé ? 236 N’ayez crainte. Gournay passe la corde au cou du prévôt. 237 Éd : en (Prométhée, aie pitié de moi !) 238 Confiance. Démogorgon fut inventé par Boccace au milieu du XIVe siècle. 239 Pour que vous soyez bien vu des dieux de l’Enfer. « Leurs âmes/ Sont maintenant aux infernaulx. » (Viel Testament.) Gournay pousse le prévôt dans le vide. 240 Les officiels s’en vont. Les bourreaux évaluent le manteau du supplicié. Leurs bas instincts revenant pour l’occasion, ils se chamaillent dans l’argot des truands. Lazare SAINÉAN consacre à ce dialogue les pages 266-269 des Sources de l’argot ancien, tome 1, 1912. Son glossaire est dans le t. 2, pp. 264-468. Je ne suis pas toujours d’accord avec lui, et encore moins avec Francisque MICHEL, qui étudiait en 1856 ce même dialogue aux pages xl-xli de ses Études de philologie comparée sur l’argot. 241 Prends le manteau du prévôt. 242 Enferme ce manteau à la maison. Ront = manteau : « Le ront est pelé et tondu. » (Les Tyrans au bordeau.) Creux = maison : « Il avoit débridé la lourde [fracturé la porte] du creux d’un rastichon [curé]. » Response et complaincte au grand Coesre. 243 Le valet recommence à mélanger le tutoiement et le vouvoiement. Note 181. 244 Nous boirons beaucoup, dans cette grande ville. Pier = boire de la pie, du vin ; cf. Grant Gosier, vers 81. Mathe = ville : « Bignez [visez] la mathe sans targer [tarder]. » (Villon, Jargon, 5.) Gourdement = beaucoup ; cf. Gautier et Martin, vers 140. 245 Nous avons taxé son manteau. Cf. le Dorellot, vers 153. Tailler = soumettre à l’impôt de la taille ; l’argot moderne connaît toujours « taxer un objet » dans le sens de « le voler ». 246 Éd : miuerie (« Ju » s’écrivait « iu », d’où la confusion avec « m ».) Il ne vient pas de chez un tailleur juif. Le prévôt détestait les juifs, et notamment Mardochée, qui a eu sa peau. 247 Éd : gourderie (C’est parfait pour avoir du bon vin. « Ma bouteille n’est point remplie/ De gourde pie, à ce matin./ Trois jours a que ne beuz de vin. » La Tour de Babel.) 248 Un bon capital pour payer la boisson. Cf. le Gentil homme et Naudet, vers 291. 249 Éd : penson mettre en plaint. (Connais-tu un fripier chez qui nous puissions l’écouler ?) 250 À la friperie, avec le manteau du prévôt. Les vers 385-394 constituent un « rondel doublé en la fin », qui réunit l’art des Rhétoriqueurs et celui des truands. 251 Nom générique des marchands, comme Martin Garant est celui des commerçants qui font crédit. 252 Le commerce de la fourrure en sera enrichi. 253 « Grain : un escu. » (Le Jargon de l’argot réformé.) Idem vers 405. 254 Vas-tu au butin, au gain ? « À butin tous noz prisonniers ! » Turelututu et Granche-vuyde. 255 J’y vais tout de suite. 256 Puis nous irons boire du vin. Cf. Jehan qui de tout se mesle, vers 10. 257 Boire de ce vin nouveau. Cf. le Brigant et le Vilain, vers 250. 258 De la soif. Cf. Pernet qui va au vin, vers 214. 259 Éd : marchandise (« Vivoit de l’honeste présent/ Qu’on luy donnoit par courtoisie/ Pour débit de la marchandie. » J.-A. de Baïf.) 260 Si sot. « Faire d’un tel conard un prestre ! » Science et Asnerye. 261 Un écu d’or. Note 253. 262 Ou que je sois entré dans une mauvaise année. « Ha ! qu’il soit entré en mal an ! » Le Pardonneur. 263 Le pourpoint. Même terme argotique au vers 482. « J’euz deux andosses [manteaux], deux georgetz. » Gautier et Martin. 264 Dont ma feuille [ma fouille, ma bourse] sera enrichie. « Jehan, mon amy, qui les fueilles desnoue. » Villon, Jargon, 10. 265 Ses chausses. Même terme argotique au vers 484. « Il n’a tirandes, ne endosse [manteau]. » Les Tyrans. 266 J’irai les vendre. C’est la suite du vers 403, et une anticipation du vers 419. 267 Au retour de la friperie, Micet revient discrètement vers le pendu. 268 Éd : Sil y (N’y a-t-il personne autour du gibet ? « Il n’y a âme/ Autour de ce jardin. » Viel Testament.) 269 Niais. Note 130. 270 Bague (argot). « Gros braceletz, signetz [chevalières], boucles, brocans. » ATILF. 271 Et que je sois habile. « C’est à toy très bien entendu. » L’Antéchrist. 272 Sans doute un fonctionnaire. On lit ce nom dans quantité de textes en argot ; cf. Gautier et Martin. 273 Mes raisons. « J’entens, à ce coup, la traisnée. » Chagrinas. 274 Des coups. Note 99. 275 La rétribution qu’une femme riche verse à son jeune amant. Micet grimpe à l’échelle, puis il fouille le pendu. 276 Qu’il ne restera plus un bijou à voler. 277 Se livre à des cancans, te maltraite. « Des chambèrières, tous les jours/ Tenez voz plaitz. » La Nourrisse et la Chambèrière. 278 Il vient dépouiller le pendu. Voyant Micet qui tente de défaire le magnifique pourpoint du prévôt, il se cache derrière un poteau du gibet. 279 Un tantinet, un peu. 280 Bon. Même terme argotique aux vers 379 et 458. 281 Ce travail, ce trafic. 282 Micet regarde par terre et aperçoit Gournay. Sous l’effet de la surprise, ses pieds glissent de l’échelle et il se cramponne à la poutre horizontale. 283 L’apprenti voulait devenir « maistre Micet » (vers 301), mais il n’est plus qu’un maître sot : « Je me rys d’ung maistre coquart,/ Le plus follas que je viz oncques. » La Pippée. 284 « C’est un bon marchand : par raillerie, un bon compagnon, un fin drolle. » Antoine Oudin. 285 Tant vous commander, vous supplier. 286 Quel morveux. Cf. le Dorellot. 287 Tricheur. Même terme argotique au vers 524. « Là sont beffleurs au plus hault bout assis [pendus]. » Villon, Jargon, 7. 288 Tricherie. Cette graphie est autorisée par Villon et Claude Chevalet, qui écrivent « bléfleurs ». 289 Confisquer ce riche capuchon. « Confoncer » n’existe ni en argot, ni ailleurs. 290 Ne croyez pas que je plaisante. 291 Je veux bien vous donner ce que j’ai pris la peine de voler. 292 À votre profit je… 293 Quel répandeur de miel pour attirer les mouches : cf. le Prince et les deux Sotz, vers 145-8. 294 Compliment très ironique. « Mais regardez-moy quel seigneur ! » Le Povre Jouhan. 295 Éd : tu (Tu en aurais eu beaucoup, des bijoux.) 296 Éd : eussez (Si je n’avais pas mis la patte sur toi. « Ung ange [sergent] mist sur moy la poue. » Gautier et Martin.) 297 Il nage, il nous file entre les doigts. « Et voit poissons par mer nouer. » (Godefroy.) Jeu de mots sur « nouer » : faire un nœud de pendu. 298 Trompe. « Joncheurs jonchans en joncherie,/ Rebignez [regardez] bien où joncherez. » Villon, Jargon, 5. 299 C’est normal que ce pourpoint. Note 263. 300 Éd : appartient 301 Ainsi que ses chausses. Note 265. 302 Éd : les (Il faut dépendre le prévôt bien vite. Voir le vers 490.) 303 Éd : Huffle (Cause toujours ! « Souffle, Michault ! » Les Sotz qui remetent en point Bon Temps.) Nous avons là les deux vers les plus difficiles, sur les 49386 que compte ce Mystère. Je ne garantis pas mes corrections, et encore moins celles de mes prédécesseurs. 304 Éd : coquart de (Naïf. « C’est la nature/ De tous ces jeunes coquardeaux. » Beaucop-veoir.) 305 Éd : quoqueree (Quoi que je puisse avoir.) 306 Éd : Vous en serez bien enfermee 307 Tant que la porte du coffre pourra résister à vos coups. 308 Occupez-vous de cette échelle pour que je puisse me rétablir. 309 À en finir avec lui. Gournay remet l’échelle d’aplomb, puis il jette un filin à Micet pour qu’il attache le corps (note 203). 310 Sur un mauvais gibet. Le valet s’y trouve déjà… 311 Plutôt, cette corde vous rompra le vôtre. Gournay tire sur le filin, et Micet défait le nœud du pendu. 312 Le pendu est au sol. 313 Il faut l’enlever de là pour l’enterrer. 314 Cette fois, je suis prêt à vous écouter. Le finale est en décasyllabes, sans doute chantés. 315 Jeu de mots sur saigneur : bourreau. « Seigneur, ‟saigneurs”, ce sont barbiers [les chirurgiens]. » Le Faulconnier de ville. 316 Pour imprimer au fer rouge une marque de flétrissure. 317 On coupait une oreille aux voleurs. 318 Pour dresser un échafaud. 319 Éd : trauaille (Qui ne se fatigue pas trop. « Le chemin est long à merveille ;/ Si crains que trop ne se traveille. » ATILF.) 320 Qui bat le carreau, le pavé : qui marche beaucoup. 321 Qui s’apprête à faire le mal. Son maître n’est pas en reste : voir le vers 530. 322 Spécial, extraordinaire. Ce pluriel est une licence poétique. « Il fault ouvriers espécïaulx. » (Viel Testament.) Les bourreaux sont fiers de leur art : « C’est moy, c’est moy qui faiz merveilles :/ Je bas de verges, couppe oreilles,/ Je couppe testes, j’escartelle ;/ Et pour monter sur une eschelle/ Quant on veult que je pende ung homme,/ Je croy qu’il n’a, d’icy à Romme,/ Ung tel ouvrier comme je suis. » Pierre Gringore, la Vie monseigneur sainct Loÿs. 323 Éd : faire (Un bourreau porte le titre de « maistre des haultes-œuvres ». ATILF.) 324 Des assauts sexuels. « Pensez qu’il y a maints assaulx. » Les Premiers gardonnéz. 325 Vers qui les tricheurs ne vont qu’avec une extrême vigilance. 326 Éd : daguet (À la rime.) Pour punir ces brigands que sont les « guetteurs de chemins » : cf. les Tyrans, vers 78 et note. 327 Avec qui il n’y a rien à gagner. 328 Pour faire bouillir les faux-monnayeurs, et pour mettre les criminels sur le bûcher. 329 Pilorieur, en vérité. Il expose au pilori les délinquants.
UNG BIAU MIRACLE
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UNG BIAU
MIRACLE
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Le fatiste inconnu qui composa vers la fin du XIVe siècle les Miracles madame sainte Geneviève a parfaitement rempli son cahier des charges : ce Mystère de 3127 vers1 baigne dans un prêchi-prêcha qui, à l’époque, faisait hausser les yeux vers le Ciel, et qui aujourd’hui ne nous fait plus hausser que les épaules. Mais le naturel comique de cet auteur transparaît à plusieurs reprises, au point qu’il s’éloigne parfois de son austère modèle latin pour faire rire le public. Par exemple, avec une précision d’inquisiteur, sainte Geneviève accuse une nonne de s’être laissé déflorer par le berger de Gautier Chantelou, dans le jardin de celui-ci, très exactement sous un pêcher, le 3 avril, à la tombée du jour. Nul doute que si le bracelet-montre avait existé, la sainte nous eût révélé l’heure du crime ! Ailleurs, on assiste à une bataille entre des anges et des diables qui se cognent dessus en jurant comme des charretiers. Plus loin, deux porchers dialoguent dans le plus pur style de leur profession :
2129 —Foucault, veulz-tu oïr nouvèles ? —Foucaud, veux-tu entendre des nouvelles ?
—Oïl bien, mèz qu’ilz soiënt tèles —Oui, pourvu qu’elles soient d’une gaîté telle
Que mon ventre breneus s’en sente2…. Que mon ventre plein de merde en soit déchargé.
2161 —Tu as le cul tourné au prône. —Tu tournes le cul à l’église.
Foy que je doy saint Grisogone3 ! Par la foi que je dois à saint Grisogone !
Se tant ne quant tu m’atouchoies, Si tu me touchais si peu que ce soit,
Jamaiz ne heurtebilleroies4 Jamais plus tu ne serais en état de tamponner
Fame qui soit des[so]uz la lune ! Une femme en ce bas monde !
Dans un langage tout aussi fleuri, deux maçons et un charpentier se plaignent d’avoir soif ; sainte Geneviève, égalant Jésus, reproduit pour eux le miracle qu’il avait accompli aux noces de Cana :
2343 Dieu, qui muastes l’iaue en vin Mon Dieu, qui avez transformé l’eau en vin
Ès nopces chiez Archédéclin5 : Aux noces chez Architriclin :
Vueilliez cy vostre grâce estandre ! Veuillez étendre votre grâce jusqu’ici !
Et donc, les trois ouvriers se soûlent grâce à Geneviève :
2412 —Qui oncques-mèz vit tel bevrage ? —Qui vit jamais un si bon breuvage ?
Emplez, pour Dieu, encor ma coupe ! Remplissez encore ma coupe, par Dieu !
—Tu es plus yvre qu’une soupe6 : —Tu es plus imbibé qu’une mouillette :
Comment pourras-tu jà douler ? Comment pourras-tu manier ta doloire ?
—Je feray les asnes voler7, —Je ferai voler les ânes,
Mèz que je boive une foys seule. Pour peu que je boive encore un dernier coup.
À propos d’ânes, douze fous (dont l’un est représenté dans le manuscrit) chantent la messe en imitant le braiment de ces quadrupèdes :
2546 Je suis Cordelier, c’est assez Je suis Cordelier, c’est suffisant
Pour deschanter messe et canon. Pour chanter la messe et le canon.
Sy die en chantant : Qu’il dise en chantant :
« Hynhan ! » dit l’ânesse. « Hinhan ! » dit l’asnon. « Hi han ! » dit l’ânesse. « Hi han ! » dit l’ânon.
Ces fous ne se lassent pas de parodier la messe :
2554 —J’ay clère voiz comme .I. tourel ; —J’ai la voix aussi claire que celle d’un taureau ;
Pour ce, veil-je chanter la messe. Pour cela, je veux chanter la messe.
—Fyfy8, tu as fait une vesse ! —Vidangeur, tu as fait un pet !
En chantant au chant de En chantant sur l’air du
« Sanctus » de Requien : « Sanctus » du Requiem :
—Sanz-tu9 ? Sanz-tu ? Sanz-tu ? Etc. —Sens-tu ? Sens-tu ? Sens-tu ? Sens-tu ?
Nos fous sont possédés par des diables que la sainte va mettre en fuite d’un coup de prière magique. Aussi, les diables s’interrogent à propos de Geneviève :
2509 Sathan, qui est celle viellote Satan, qui est cette petite vieille
Qui tous jours, en alant, barbote Qui toujours, en allant, marmonne
Avéz Maras, Patrès Nostrues, Des Ave Maria et des Pater Noster,
Comme s’el deust voler aux nues ; Comme si elle devait monter aux Cieux ;
Et se défripe, et fait la lipe, Et se démène, et fait la moue,
Et me porte fueilles de tripe10 Et porte des feuilles de mauvais parchemin
2515 Comme .I. livre, soubz sez essèles ? Sous son aisselle, comme un livre ?
Avec ly, maine .II. pucelles Elle mène avec elle deux jeunes filles
Qu’el enchante trop fort, en tant Qu’elle ensorcelle trop bien, de sorte
Que, se tant ne quant vont sentant Que si elles sentent un tant soit peu
Que je leur eschaufe lez rains, Que je leur échauffe les reins de désir,
2520 Lors me prendront branches et rains Elles prendront alors des branches et des rameaux
De boul, d’osières ou d’orties, De bouleau, d’osier ou d’orties,
Ou chardons, ou bonnes courgies ; Ou des chardons, ou de bonnes courroies ;
Batront espaules ou culière : Et elles battront leurs épaules ou leur croupe :
N’y remaindra jà pel entière. Il n’y restera pas un bout de peau intact.
2525 Dessus leur pis, dez poing[s] tabeurent. Elles tambourinent leur poitrine avec leurs poings.
Orent11, pleurent, veillent, labeurent, Elles prient, pleurent, veillent, peinent,
Cengnent12 cordes, vestent la haire. Se ceignent d’une corde, portent la haire.
Satan affirme que Geneviève est « l’abesse de Tirelopines », les turlupins étant des religieux hypocrites connus pour leur liberté sexuelle.
La partie la plus drôle du Mystère, c’est la fin : l’auteur nous dit qu’il va y greffer des scènes de farce pour que ce soit moins ennuyeux. Déboulent alors quelques-uns de ces mendiants infirmes dont riait le théâtre médiéval. Le lépreux réclame de bons petits plats :
2599 .I. tentet de vïande sade ! Donnez-moi un tantinet de bonne viande !
Halas, chétis ! je suis gasté Las, pauvre de moi ! je suis mort
Se je n’ay d’un petit pasté Si je n’ai pas un morceau d’un petit pâté
Et plaine escuèle de boschet Et une pleine écuelle d’hydromel
Ou, au mains, de vin de buffet. Ou, au moins, de vin de cuisine.
Le bossu est atteint par surcroît d’une maladie vénérienne :
2654 Le chancre m’a rongié le menbre. Un chancre m’a rongé le membre.
Las, doulant ! Quant je me remembre Las, malheureux ! Quand je songe
Du dueil que ma fame en démaine, Au chagrin qu’en témoigne ma femme,
C’est mal suz mal, peine suz paine ! C’est un mal qui s’ajoute à un mal !
L’hydropique a lui aussi de bonnes raisons d’aller consulter une sainte :
2636 J’ay au cul lez esmorroïdes ; J’ai des hémorroïdes au cul ;
Sy ne puis chier, c’est grant hides ! Si je ne peux plus chier, c’est l’horreur !
Ces éclopés, qui n’attendent plus rien de la coûteuse et impuissante « merdefine », viennent se faire guérir gratuitement par Geneviève. Quand on voit à combien d’aveugles elle a rendu la vue, à commencer par sa propre mère, on se demande pourquoi les ophtalmologistes ne l’ont pas choisie comme sainte patronne ! Je publie ci-dessous l’incontournable duo de l’Aveugle et de son Valet, duo dont beaucoup de farces et de Mystères proposent une version à peine différente : voir la notice de l’Aveugle, son Varlet et une tripière. On lira ensuite deux extraits de l’ultime miracle : il concerne une vieille maquerelle qui a subtilisé les chaussures de Geneviève.
Source : Paris, bibliothèque Sainte-Geneviève. Ms. 1131, folios 212 rº à 216 rº. Copié au milieu du XVe siècle. Ce manuscrit contient aussi le Geu saint Denis, dont j’ai extrait les Sergents, et la Vie monseigneur saint Fiacre, qui renferme la farce du Brigant et le Vilain.
Structure : Rimes plates.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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Miracles de plusieurs malades.
En farses, pour estre mains fades.
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Ung biau miracle.
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Cy après sont autres miracles de madame sainte Geneviève. Sachiez que chascun emporte13 plusieurs personnages de plus[i]eurs malades, pour cause de briété14. Et a, parmy, farsses entées15, afin que le Jeu soit meins fade et plus plaisans.
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L’AVEUGLE L’AVEUGLE
2715 Varlet ! Mon valet !
LE VARLÉ LE VALET
Maistre ? Mon maître ?
L’AVEUGLE L’AVEUGLE
Par là m’enpiègne16 ! Empoigne-moi par le bras !
Il fust temps d’aler en la ville. Il est temps d’aller quêter en ville.
LE VARLET LE VALET
Maistre, prenez-vous crois, ou pille17 ? Maître, quelles pièces accepterez-vous ?
L’AVEUGLE L’AVEUGLE
Tez-toy ! Alons ! Tais-toi ! Allons-y !
LE VARLET LE VALET
Où ? Où ?
L’AVEUGLE L’AVEUGLE
Au pourchas. À la quête.
LE VARLET LE VALET
Petis poissons sont bons pour chas. Les petits poissons, c’est bon pour les chats.
L’AVEUGLE L’AVEUGLE
2720 Hé ! Diex, quel varlet ! Hé ! Dieu, quel valet !
LE VARLET LE VALET
Diex, quel maistre ! Dieu, quel maître !
L’AVEUGLE L’AVEUGLE
Maine-moy, maine, va, chevestre18 ! Conduis-moi, va, pendard de guide !
LE VARLET LE VALET
Par où ? En passant par où ?
L’AVEUGLE L’AVEUGLE
Par Froit-Vaulx19. Par Froids-Vaux.
LE VARLET LE VALET
Par là ? Par là ?
L’AVEUGLE L’AVEUGLE
Voire. Oui.
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LE VARLET LE VALET
Chantez, vous estes à la Foire20 : Chantez, vous êtes au Lendit :
Tout est plain d’ommes et de fames. C’est plein d’hommes et de femmes.
L’AVEUGLE, hault et à trait 21 : L’AVEUGLE chante d’une voix ferme :
2725 « Halas, mez Seignieurs et mez Dames : « Las, seigneurs et dames :
Pour l’amour saint Pere22 de Romme, Pour l’amour de saint Pierre de Rome,
Faites vostre aumosne au povre homme Faites l’aumône au pauvre homme
Qui ne voit n’oncques ne vit goute Qui ne voit et n’a jamais vu mieux
Nient plus23 dez yelx qu’il fait du coute ! Avec ses yeux qu’avec son coude !
2730 Ainssy vous vueille Diex aidier ! » Et que Dieu vous le rende ! » À part :
Je puis bien seurement plaidier : Je peux bien raconter ce que je veux :
Il n’y a âme qui responne. Il n’y a personne qui me réponde.
Diex ! n’y a-il qui riens me donne, Dieu ! nul ne me donnera-t-il rien,
Ne qui me tende pié ne main ? Même un coup de main, ou de pied ?
2735 Oïl, oïl, c’est à demain24 : Oui, oui, ce sera pour une autre fois :
Madame va à Bèsençon25… Madame va à Baisançon…
Je parole de « Cusençon26 ». Je veux dire : à Cul-zançon.
Nul n’a cure de povre gent. Nul ne se soucie des pauvres gens.
Se je fusse roy ou régent, Si j’étais un roi ou un régent,
2740 Ou .I. grant maistre Aliboron27, Ou un grand ministre,
Chascun ostast son chaperon, Chacun ôterait son chapeau,
Ou m’enclinast, ou me fist rage ; Ou s’inclinerait, ou me servirait ;
Je feusse tenu pour trop sage. Je serais tenu pour un grand sage.
Or me tient-en pour une ordure, Maintenant, on me tient pour une crotte,
2745 Pour .I. fol, pour .I. burelure ; Pour un demeuré, pour un simplet ;
Il n’y a ne grant ne petit Il n’y a personne, grand ou petit,
Qui de moy voir ait appétit. Qui ait envie de me voir. Mon Dieu !
Diex ! qu’il est povre, qui ne voit28 ! Qu’il est pauvre, celui qui n’y voit pas !
S’il va, s’il vient, s’il dort, s’il poit, Qu’il aille, vienne, dorme ou pète,
2750 Autant de l’un comme de l’autre. C’est du pareil au même. L’aveugle
C’est .I. droit ymage de peautre29. N’est qu’un vil médaillon en étain. Au valet :
Hélas, mon filz Hanequinet : Hélas, mon petit Hannequin :
Meine-moy, en ce matinet, Conduis-moi ce matin
À celle bonne et sainte dame À cette bonne et sainte dame
2755 Qui de meschief oste maint[e] âme, Qui tire de malheur maint homme,
Que lez gens nomment Geneviève. Et que les gens nomment Geneviève.
LE VARLET LE VALET
Sire, j’ay tel dueil que je criève Monsieur, j’ai tant de mal que je crève
De ce que je suis sy gouteus Du fait d’être si goutteux
Que dez .II. hanches suis boisteus30 ; Que je boite des deux fémurs ;
2760 Et ay la tous, maise31 poitrine, Et j’ai la toux, de l’asthme,
Clous, pous, cirons32, lentes, vermine ; Des furoncles, des poux, des pustules, des lentes, des vers ;
J’ay la rougole et la vérole33 ; J’ai la rougeole et la variole ;
J’ay, chascun jour, la feinterole34 ; J’ai chaque jour la chiasse ;
J’ay le jaunice35 et suis éthique. J’ai la jaunisse et je suis squelettique.
2765 Ne guérir n’en puis par phisique. Et je ne peux guérir grâce à la science.
Merdefins36 et c[h]iurgïens Les merdecins et les chie-rurgiens
M’ont eu long temps en leurs lïens ; M’ont longtemps tenu en leurs filets ;
Maintenant, quant je n’ay que frire37, Maintenant que je n’ai plus que frire,
Que riens n’a en ma tirelire, Qu’il n’y a plus rien dans ma tirelire,
2770 Par m’âme, il n’ont cure de moy. Ils n’ont plus cure de moi, par ma foi !
L’AVEUGLE L’AVEUGLE
Par mon serment, [bien] je t’en croy ! Je te jure que je veux bien te croire !
Aussy, Hanequin (sy m’aist Diex38 !), Aussi, Hannequin (que Dieu m’assiste !),
Il m’ont du tout crevé lez yeulz. Ils m’ont complètement crevé les yeux.
Mengier puissent-il leur[s] boiaus ! Puissent-ils manger leurs boyaux !
2775 Je dy ceulx qui ne sont loyaus Je parle de ceux qui n’appliquent pas
Selonc leur povoir et savoir. Leurs compétences et leur savoir.
Alons où j’ay dit ! Car là, voir, Allons où je t’ai dit ! Car là, vraiment,
Nous trouverons miséricorde. Nous trouverons de la pitié.
LE VARLET, en baillant LE VALET, en lui faisant
la corde39 : tenir le bout de sa ceinture :
Alons, donc ! Tenez bien la corde ! Allons-y, donc ! Tenez bien ma corde !
*
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Sainte Geneviève voise en son oratoire40, Que sainte Geneviève aille dans sa
et là se tiegne en oroison, et lez autres chapelle et s’y tienne en prière, et que
où ilz vourront. les miraculés aillent où ils voudront.
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Cy après est DE UNE FAME À QUI Suit le MIRACLE D’UNE FEMME
MADAME SAINTE GENEVIÈVE À QUI SAINTE GENEVIÈVE
RENDIT LA VUE, qu’elle avoit RENDIT LA VUE, qu’elle avait
perdue pour ce qu’elle avoit emblé les perdue parce qu’elle avait volé les
soulers de la dicte vierge. chaussures de ladite sainte.
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LA VIELLE 41 LA VIEILLE
2818 Pour lez boiaus sainte Géline42 ! Par les boyaux de sainte Géline !
Vélà dame Genevéline43, Voilà madame Je-ne-sais-lire,
(en la monstrant) (en la montrant)
2820 Qui ne fait que pseaumes broullier44, Qui ne fait qu’embrouiller les psaumes,
Sez yeulx essuier et moullier, Essuyer ses yeux et les mouiller de larmes,
Qui scet45 trop bien la main où metre. Et qui sait bien où tendre sa main.
Et je puis bien fondre et remetre46 : Moi, je peux bien fondre et maigrir :
Je n’ay que frire ne que daire47. Je n’ai plus rien à frire, ni que dalle.
2825 Lamproiës, luz, barbeaus de Laire Les lamproies, les brochets et les barbeaux de Loire
Ne me prennent pas à la gorge. Ne risquent pas de m’étrangler !
À grant paine ay-je du pain d’orge, À peine puis-je avoir du pain noir,
Qui souloië (las !) sy bien vivre. Moi qui jadis vivais si bien, las !
Tous jours estoie ou plaine48 ou yvre. J’étais toujours bourrée ou ivre.
2830 Et plus me fesoië « coignier 49 » Et je me faisais « cogner » plus souvent
Qu’il [n’est] de coings en .I. coignier. Qu’il n’y a de coings sur un cognassier.
Coignant coign[é]e onc ne coigna Une cognée cognante ne cogna jamais
Tant de coing[s] comme on me coigna ; Autant de coins que je fus cognée.
Et lez coigneurs50, qui me coignoient Et les cogneurs, qui me cognaient
2835 Le coing51, le52 poing d’or me coignoient. Le con, remplissaient d’or mon poing.
Plus n’y seray de coing53 coignie, Je ne serai plus cognée par un poinçon,
Car ma coignie54 est descoignie : Car ma cognée n’a plus de « manche » :
Tant est cuisans, et vielle, et dure, Elle est si sèche, si vieille et si dure
Qu’il n’est coigneur qui en ait cure, Que nul cogneur n’en a cure,
2840 N’argent n’y veult en[s]55 metre, et « coing ». Et ne veut y mettre ni son argent ni son poinçon.
En monstrant sainte Geneviève. En montrant sainte Geneviève.
Et vélà Madame, en son coing56, Et voilà Madame, dans son recoin,
Qui de « coignier » ne sceut onc note Qui n’a jamais su l’art de « cogner »
(Ce dit-on), tant est nice et sote ; (Dit-on), tant elle est naïve et sotte ;
Qui a de l’argent à poignies Qui a de l’argent par poignées
2845 Com s’en le forjast à coignies57. Comme si on le forgeait à la hache.
Chascun ly donne tire-à-tire58 Chacun lui en donne sans relâche,
Et tous jours bret, pleure et soupire. Et pourtant, toujours elle brait, pleure et soupire.
Coigne fort son huis et recoigne, Qu’elle claque et reclaque fort sa porte,
Car je ly baudray tel engroigne59 Car je lui flanquerai un tel coup
2850 (Foy que je doy saint Andrieu le Scot60) (Par saint André d’Écosse)
Que je bevray à son escot Que je boirai à ses frais,
Ou je faurray à faire tente61. Ou j’aurai mal tendu mon piège.
Cy62, la regarde, et puis Ici, qu’elle la regarde, et dise
die en hochant la main : en secouant la main :
Elle est nuz-piéz. Ho ! j’ay m’entente63. Elle est déchaussée. Oh ! j’ai un plan.
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Cy, die à sainte Céline et à Margot : Ici, qu’elle dise à sainte Céline et à Margot :
Dieu vous doint bon jour, Damoysèles ! Une bonne journée, mesdemoiselles !
SAINTE CÉLINE SAINTE CÉLINE
2855 Bien veigniez, Dame ! Quelz nouvelles ? Bienvenue, Madame ! Qu’y a-t-il ?
LA VIELLE, en soy asséant.64 LA VIEILLE, en s’asseyant.
Je me vueil soèr, ne vous desplaise. Je veux m’asseoir, s’il vous plaît.
MARGOT MARGOT
Ha ! Dame, estes-vous en malaise ? Ah ! Madame, avez-vous un malaise ?
LA VIELLE, en prenant lez LA VIEILLE, en chaussant
soullers secrètement : discrètement les souliers :
Oïl, j’ay .I. pou mal au cuer. Oui, j’ai un peu mal au cœur.
SAINTE CÉLINE SAINTE CÉLINE
Diex vous doint santé, bèle suer ! Que Dieu vous donne la santé, ma sœur !
LA VIELLE, en soy levant. LA VIEILLE, en se levant.
2860 Amen ! Adieu, je suis garie ! Amen ! Adieu, je suis guérie !
SAINTE CÉLINE et MARGOT SAINTE CÉLINE et MARGOT
Alez à la Vierge Marie ! Allez remercier la Vierge Marie !
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Cy, s’en voise LA VIELLE, Ici, que LA VIEILLE s’en
en monstrant lez soullers et aille en montrant au public
en disant : les chaussures, et en disant :
Or, dië Madame sez hinnes ! Que Madame récite donc ses hymnes !
Comment que soit, j’ay sez botines. Quoi qu’il en soit, j’ai ses bottines.
Voist nuz-piéz, s’el veult, par la rue ! Qu’elle aille pieds nus par la rue, si elle veut.
2865 Et s’el a froit, sy esternue ! Et si elle a froid aux pieds, qu’elle éternue !
En souriant : En souriant :
Sa pucelle65 me sermonnoit. Sa pucelle me serinait. Les souliers,
Je lez prins : Diex lez me donnoit. Je les ai pris : Dieu me les donnait.
Ay-je bien fait ? Oïl, sans doubte ! Ai-je bien fait ? Oui, sans doute.
…………………………… 66 …………………………..
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3048 Sire, quant à parler apris, Monseigneur, dès que j’appris à parler,
À mentir, à jurer me pris, Je me mis à mentir, à blasphémer,
3050 À jouer, chanter et dancier, À jouer aux dés, à chanter et danser,
À père et mère courouscier, À courroucer mon père et ma mère,
À embler noiz, poires et pommes, À voler des noix, des poires et des pommes,
À accoler ces jeunes hommes. À enlacer les jeunes hommes.
Tantost perdy mon pucellaige. Je perdis bientôt mon pucelage.
3055 J’ay tout honny, et67 mariage. J’ai tout déshonoré, même le mariage.
Et puis ay-je esté maquerelle, Et puis j’ai été maquerelle,
Qui trop empire ma querelle. Ce qui aggrave beaucoup mon cas.
Je suy orguilleuse, envieuse, J’ai commis les péchés d’orgueil, d’envie,
Gloute, yreuse, avaricïeuse, De gourmandise, de colère et d’avarice.
3060 Mesdisant et de maise affaire, Je suis médisante et de mauvaise compagnie,
Et paréceuse de bien faire, Et paresseuse de bien faire,
Janglerresse en oiant lez messes. Et hypocrite en écoutant la messe.
J’ay veuz enfrains, jeûnes, promesses, J’ai enfreint les vœux, les jeûnes, les promesses,
Les commandemens de la Loy. Et les commandements de la loi divine.
3065 Il n’a ne cuer ne sens sur moy Il n’y a rien en toute ma personne
Dont je n’ayë Dieu courouscié, Dont je n’aie offensé Dieu,
Et moy et mon proisme blécié. Et blessé moi et mon prochain.
Dire ne sauroië la disme Je ne saurais vous dire le dixième
De mes péchiéz : c’est ung abisme ! De mes péchés : c’est un gouffre !
*
1 Je donne les numéros des vers d’après l’édition de Gabriella PARUSSA : Les Mystères du manuscrit 1131 de la bibliothèque Sainte-Geneviève de Paris. Classiques Garnier, vol. II, 2023, pp. 1552-1810. 2 S’en ressente favorablement. L’humour guérissait déjà la constipation. 3 Confusion populaire entre saint Gris [surnom de saint François d’Assise, qui était vêtu de gris], et l’insignifiant saint Chrysogone. 4 Tu ne frapperais, au sens érotique. « Hurtebillier Hennon et Jennette. » Jehan Molinet. 5 Architriclin était le maître d’hôtel des noces de Cana. « Quant le vin fut failly,/ Aux nopces de Archédéclin,/ (Dieu) ne mua-il pas l’eau en vin ? » Sermon joyeux de bien boire. 6 La soupe est un morceau de pain qu’on trempe dans le vin. « Ilz sont plus ivres qu’une soupe. » Massons et charpentiers. 7 Nous dirions aujourd’hui : Je verrais voler des éléphants roses. 8 Sur cette interjection hautement scatologique, voir la note 24 du Savetier Audin. 9 Prononciation à la française du mot Sanctus. La suite parodie, d’une manière qu’on qualifierait aujourd’hui de sacrilège, Dominus Deus sabaoth. 10 « Les feuilles de tripe sont des feuilles de parchemin de mauvaise qualité obtenues de la peau du cochon. » Gabriella Parussa, p. 1761. 11 Ms : Et eurent (Elles se mettent en oraison. Le v. 3110 dit : « Plorez, orez, jeûnez, veilliez. ») 12 Elles exhibent une corde en guise de ceinture, comme les Cordeliers. La haire est une chemise de crin que les pénitents les plus fanatiques portent à même la peau. On sent que l’auteur désapprouve ce masochisme ostentatoire. 13 Comporte, rassemble. Ce frontispice figure dans l’illustration ci-dessus, où le sous-titre est en rouge. 14 De brièveté. Tous les malades sont réunis dans un seul miracle. 15 Greffées. 16 Ms : mon piegne (Tous les valets d’aveugles guident leur maître quand il va mendier.) 17 Littéralement : voulez-vous jouer à pile ou face ? En fait, le valet ironise sur la modicité des dons, qui ne laisse aucun choix. Sous ce vers, qui est au bas de la colonne, le ms. ajoute entre des plumes dessinées : degrace 18 Le chevêtre est la bride par laquelle on mène un cheval ou un âne. Par extension, c’est également la corde du pendu, et le gibier de potence qui la mérite : « Tu mens, chevestres ! » ATILF. 19 Froids-Vaux = froides vallées. Cette abbaye mythique désigne un taudis glacial peuplé de clochards. Voir la note 155 du Monde qu’on faict paistre. 20 La foire du Lendit se tenait du 11 au 24 juin près de Saint-Denis, où se déroule cette partie du Mystère. Notre manuscrit l’évoque dans le Geu saint Denis : « Fuions-nous-en (dyables l’emportent !)/ Tout droit à la foire au Lendit. » 21 Fermement. Les mendiants aveugles chantent dans les rues. La chanson qui suit rappelle les vers 127-130 de l’Aveugle et Saudret, une autre farce incluse dans un Mystère. 22 Forme picarde de saint Pierre, le premier pape. « Vous serez sainct Pere de Rome. » Le Chauldronnier. 23 Non plus. Niant est la forme normanno-picarde de néant. En Normandie, coute = coude. 24 Cf. les Botines Gaultier, vers 417 et 479. Dans notre manuscrit, l’aveugle de la Conversion saint Denis entend les mêmes excuses : « –Donnez-moy, pour Dieu, quelque chose !/ –Parlez bas, Madame repose./ –Au mains, me tendez vostre main !/ –Oïl, oïl, c’est à demain ! » 25 Jeu de mots sur « baiser ». Avec un calembour similaire, on dit que les femmes qui sortent rejoindre leur amant vont à Saint-Béset ; cf. Tout-ménage, vers 236. Soulignons que le scribe ne note pas les cédilles, et que l’acteur eût été parfaitement compris s’il avait prononcé « baise en con » et « culs en cons ». 26 Cuisançon = peine, tourment. Mais il y a ici un jeu de mots sur « cul ». 27 Un incompétent qui s’occupe d’une quantité d’affaires auxquelles il n’entend rien. Cf. le Temps-qui-court, vers 180. 28 Dans notre manuscrit, l’aveugle de la Conversion saint Denis fait le même constat : « Il est trop povres, qui ne voit. » 29 C’est une vraie médaille d’étain : un objet dépourvu de valeur. 30 En conformité avec la parabole de l’aveugle et du paralytique, beaucoup de valets farcesques qui guident un non-voyant sont eux-mêmes handicapés : « Faictes quelque bien au boiteux/ Qui bouger ne peult, pour [à cause de] la goucte. » (L’Aveugle et le Boiteux.) Voir aussi l’Aveugle et son Varlet tort, de François Briand. 31 Mauvaise. Même picardisme au v. 3060. 32 Pustules provoquées par un acarien. Les lentes sont des œufs de poux. 33 Il s’agit de la petite vérole, ou variole. La grande vérole, ou syphilis, n’apparaîtra qu’un siècle plus tard. 34 Mot inconnu. Peut-être faut-il lire « fienterole ». 35 Le ms., en dépit de son dernier éditeur, donne ce mot au masculin. « Ceste maladie est dicte vulgalment le jaunisse. » (ATILF.) Étique = amaigri par la maladie. « Oncques pauvre paralitique/ Ne fut tant que je suis éthique. » (Le Gouteux.) Cette accumulation de mots et de maux avait le même effet cocasse que la chanson d’Ouvrard : « J’ai la rate/ Qui s’dilate,/ J’ai le foie/ Qu’est pas droit,/ J’ai le ventre/ Qui se rentre,/ J’ai l’pylore/ Qui s’colore,/ J’ai l’gésier/ Anémié… » 36 Les médecins, qui font leur diagnostic en examinant les excréments des malades, sont des spécialistes de la « merde fine ». Au v. 2659, le personnage du Bossu dénonce leur cupidité : « J’ay despendu [dépensé] tout mon argent/ En merdesfines et en mires [médecins]./ Je croy qu’ou monde n’a gents pires :/ Soit tort, soit droit, hapent, ravissent…./ On ne puet mielx lez gens pillier. » Je rétablis la chuintante normanno-picarde de chiurgien, qui permet un autre calembour scatologique sur « chiure ». 37 Plus rien à mettre dans ma poêle. Idem au v. 2824. 38 Si m’aid Dieu : que Dieu m’assiste ! 39 Les pauvres — et les zélatrices de sainte Geneviève — se contentent d’une corde en guise de ceinture. Les aveugles se cramponnaient à celle de leur valet : « Empongnez-moy par la saincture,/ Et nous yrons à l’avanture. » (L’Aveugle, son Varlet et une Tripière.) Voir aussi le vers 360 des Miraculés. 40 Elle l’a fait bâtir à l’Estrée, près de Saint-Denis et du Lendit. 41 Elle est pauvrement vêtue et ne porte pas de chaussures. 42 Jeu de mots irrévérencieux : la Vieille a sous les yeux sainte Céline, une adoratrice de sainte Geneviève. Mais sainte Géline est une poule, sanctifiée par un sermon joyeux, la Vie madame Guéline. 43 En picard, « je ne vé line » = je ne vois pas une ligne. 44 Ce verbe signifie : embrouiller un texte auquel on ne comprend rien ; cf. la Folie des Gorriers, vers 359. Il peut également signifier : salir ; cf. Mahuet, vers 194. D’une manière ou d’une autre, Geneviève fait partie des « brouilleurs de parchemins ». 45 Ms : a (Qui sait où il faut mettre les mains pour amasser de l’argent.) 46 Ces 2 verbes synonymes vont souvent de pair : « Je ne suis fondu ne remis,/ Que ne le luy face à deux coups. » Frère Frappart. 47 Locution inconnue qu’on retrouve dans ce ms. : « S’il eussent que daire,/ Je leur feisse le bien-veignant. » (Geu saint Denis.) On peut la rapprocher de « n’avoir que raire » : n’avoir plus rien à tondre, à gratter. À la limite, ce pourrait être une contrepèterie argotique sur « n’avoir de caire » : ne pas avoir d’argent. Cf. le Mince de quaire. 48 Soûle. Nous dirions : J’étais pleine comme un boudin. 49 Le verbe cogner et le substantif coin, pris au sens érotique, vont générer 14 vers. Le personnage du Fiévreux s’était livré <vv. 2688-2712> à un jeu tout aussi virtuose sur le radical dur. 50 Les amants. « Il m’a très-bien cognée :/ Jamais je ne veis tel coigneux./ Mais moy qui suis obstinée,/ Pour un coup j’en rendis deux. » Gaultier-Garguille. 51 Ma vulve. « Qui luy frapperoit sus son coing/ D’ung gros ‟martel” pesant et lourt. » Jehan Molinet. 52 Ms : du (Me graissaient la patte. « Les poins dorés d’argent. » Le Jeu du capifol.) Dans ce vers, cogner = mettre de force : « Et que dans mon ventre je cogne/ Vin blanc muscat et vin vermeil. » Godefroy. 53 Par un pénis. « Son long coing tremblotant,/ Son coing rouge orangé. » Ronsard, la Bouquinade. 54 Ma vulve. La cognée [hache] possède un trou dans lequel on enfonce le manche. Comme le dit Priape, « coingnée sans manche/ Ne sert de rien ». Rabelais, Prologue du Quart Livre. 55 Dedans. Notre fatiste écrit au v. 1908 : « Ne hors, ne ens. » 56 Sainte Geneviève prie à genoux dans une chapelle ouverte. Elle a laissé ses chaussures à l’entrée, sous un banc où sont assises sa disciple, sainte Céline, et leur servante Margot. 57 À grands coups de hache, sans compter. 58 Cf. le Temps-qui-court, vers 75. 59 Un tel coup sur le groin. « Le villain grongne ?/ Bien luy donray d’une engrongne/ Sur les dentz ! » (Godefroy.) On pourrait lire engaigne : mauvais tour, fourberie. Auquel cas, ce mot rimerait avec « recaigne », à la manière normande. 60 À saint André, le saint patron de l’Écosse. 61 Je faudrai (futur picard de faillir) à poser une tente, un collet tendu. Cf. le Temps-qui-court, vers 114. 62 Ms : Cil (Voir la prochaine didascalie.) 63 Mon intention. Devant ce mot, les Picards apocopent les pronoms mon et son : « Mais qui n’y met toute s’entente. » Les Femmes qui aprennent à parler latin. 64 Feignant d’avoir un malaise, elle s’assoit sur le banc, juste au-dessus des souliers de Geneviève, qui sont par terre. 65 Peut désigner Céline ou Margot : voir le v. 2516. Pour la Vieille, ce terme est injurieux. 66 Après moult péripéties édifiantes, la Vieille va se confesser à l’évêque de Paris, qui n’en perd pas la foi pour autant, ce qui prouve qu’il est lui-même confessé de frais. 67 Ms : en (Et aussi.)
LA CHANSON DES DYABLES
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LA CHANSON
DES DYABLES
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Beaucoup de pièces médiévales font appel au code carnavalesque du mundus inversus, le monde renversé. Dans les innombrables « diableries » dont se délectent les Mystères (voir Cuisine infernale), l’enfer n’est pas autre chose qu’un paradis à l’envers. Quand l’âme d’un martyr monte au Ciel, le chant des anges qui l’accompagne est harmonieux et mélodieux ; quand l’âme d’un damné dégringole aux enfers, le chant des diables qui la poussent est beaucoup moins sirupeux. Voici quelques chansons « diaboliques ». Mais auparavant, une liste des diables que nous allons rencontrer :
CERBÉRUS est Cerbère, le chien à trois têtes qui garde la porte des enfers grecs ; comme beaucoup d’autres éléments païens, il fut récupéré par le christianisme. En effet, les diables inventés au Moyen Âge ne sont rien d’autre que les satyres de l’Antiquité. LUCIFER est le prince du royaume infernal, où Dieu l’enchaîna parce qu’il craignait sa concurrence. Voir la diablerie du Munyer, et la Ballade de Champ royal. BURGIBUS et LÉVIATAN sont deux démons. SATAN est le lieutenant de Lucifer ; c’est lui qui fait les frais de sa mauvaise humeur permanente. ASTAROTH est l’amant de Proserpine. BÉLIAL, que mes élèves ont baptisé l’extraterrestre (?), est le procureur et l’avocat de l’Enfer : voir le Procès de Bélial à l’encontre de Jhésus. BELZÉBUTH est toujours prêt à obéir aux ordres du chef, quand ces ordres consistent à cogner sur ses collègues. Mais il n’a pas que de mauvais côtés ; c’est « Belzébut, vestu en belle putain », qui use (vainement) de ses charmes rugueux pour séduire saint Martin : « J’abandonne/ Mon beau corps et gente personne/ Pour en faire à ton bon désir/ Et prendre avec moy le plaisir/ Du plaisant déduict d’amourettes. » Histoyre de la vie du glorieulx sainct Martin.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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La chanson des dyables
eulx resjouyssans en Enfer
pour la mort soubdaine
de Ananyas et Saphire
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Cette chanson et la suivante se trouvent dans le Premier volume du Triumphant Mystère des Actes des Apostres, de Simon Gréban (~1470), imprimé à Paris par Arnoul et Charles Les Angeliers en 1540. Je corrige tacitement sur le ms. fr. 1528 de la Bibliothèque nationale de France, qui est en général moins bon, sans doute victime des facéties d’un autre démon, Titivillus…
*
CERBÉRUS
Maistre, tournez vostre museau
Plus ardant que feu de fournaise,
Et regardez – mais qu’il vous plaise –
Voz enfans et voz jouvenceaulx.
LUCIFER
5 Qui sont-ilz ?
BURGIBUS
Ce sont voz corbeaulx1,
Qu’à vous2 se viennent présenter.
Si vous voulez ouÿr chanter,
Vous orrez tantost de quibus 3.
LUCIFER
Qui est-ce là ?
BURGIBUS
C’est Burgibus,
10 Maistre ; je ne chante pas mal.
…………………………….
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LUCIFER
Et pour moy mieulx entretenir
En ma lyesse forcenée,
Je vueil que la tourbe dampnée
Icy devant mon tribunal
15 Me dye ung motet4 infernal
En chanterie dyabolicque.
CERBÉRUS
Vous verrez tantost la musicque
Dessirer5, je le vous promet.
Car Lévïathan, quant s’i mect,
20 Chante plus gros que deux thoreaulx.
LUCIFER
Sus, sus ! Au lutrin6, mes corbeaulx,
Mes crapaudeaulx, mes dorelotz7,
Mes petis corbins, mes dyablotz !
Que je vous oye gringoter8 !
25 Sus, Sathan !
SATHAN
Je ne puis chanter,
Magister 9, ou je soys pendu !
Car je suis si très morfondu10,
Tant malade et deffiguré11,
Qu’en chemin feusse demeuré,
30 Si ce n’eust esté Astaroth.
ASTAROTH
Magister, il n’en ment de mot12 :
Il se deult13 plus que ne pensez.
LUCIFER
Ha ! ne vous chaille : ilz sont assez
Pour bruyre et faire grosse noyse14.
35 Or sus, que chascun se desgoyse15 !
Bélïal avec Burgibus
Seront pour dire le dessus16,
Car ilz ont bien doulcette voix.
Et Bérith, avec deux ou trois,
40 Seront pour faire une rencontre17.
Et Cerbérus dira la contre18,
Car il en sçait bien la fasson19.
Puis Astaroth, mon gros garson,
Avec deux dyables bien tonnans,
45 Me feront ung baritonnans20
Dessus la voix Lévïathan,
Qui21 tiendra, en lieu de Sathan,
Ung ton gros comme une bombarde22.
Chantez ! Que le feu d’Enfer arde23
50 Qui n’en fera bien son debvoir !
Ilz chantent tous ensemble :
Plus a, et plus veult avoir 24
Lucifer, nostre grant dyable.
S’il [voit les]25 âmes plouvoir,
Plus a, et plus veult avoir.
55 Et tousjours veult recepvoir,
Car il est insatïable.
Plus a, et plus veult avoir
Lucifer, nostre grant dyable.
LUCIFER
Orde26 cohorte misérable !
60 Ne chantez plus, vous m’estonnez27 !
Car tant terriblement tonnez
Qu’on oyt l’impétuosité
Jusques à la concavité
Du cercle où réside la lune28.
65 Nulle terreur plus importune
L’on ne me sçauroit incomber29,
Car vous avez faict tituber
Et trembler tous les élémens30.
Que de passions31 et tourmens
70 Puissez-vous estre corrompus !
BÉLIAL
Sus, chantons !
LUCIFER
Ha ! ne chante plus,
Faulx traistre mastin32, Bélïal !
Car vrayment, tu chantes tant mal
Que tu ne sçays accorder notte.
.
*
Chanson à la louenge
de Agrippe
.
Dans le 4ème Livre du même Mystère, les diables conduisent en enfer l’âme d’Hérode Agrippa ; son premier supplice infernal va être une chanson.
*
LÉVIATHAN
75 33 Pour donner plaisance et esbat
À Hérodes, qu’on tourne et vire,
D’une chanson du Vau-de-Vire34
Le fault servir, à ce matin.
Ilz chantent tous ensemble ce qui s’ensuyt :
Hérode Agrippe, chien mastin,
80 Tu viens en l’abysme mortelle
Où tu auras maint dur tatin 35.
Tu souloyes gens détirer 36
Et faire exiller par envie,
Destruire, batre et martyrer,
85 Dont plusieurs ont perdu la vie.
Mais tu t’en viens le hault chemin 37
En peine et en douleur cruelle
Où tu seras dampné sans fin,
Hérode Agrippe, chien mastin !
LUCIFER
90 Or paix ! Que de mauvais venin
Puissez-vous estre empoisonnéz !
Ha ! faulx trahystres, vous m’estonnez38,
Tant sont voz chantz durs à ouÿr.
BÉLIAL
Lucifer, il fault resjouyr
95 Hérodes, le tyrant pervers.
.
*
Chançon ensemble
.
Arnoul Gréban collabora sans doute aux Actes des Apostres de son frère Simon. Mais il est surtout l’auteur d’un Mystère de la Passion (~1450) qui fut beaucoup plagié. Notons qu’il était chef de chœur. J’utilise le ms. fr. 815, que je corrige notamment sur le ms. NAF 18637.
*
LUCIFER
Deables, arrengez-vous trèstous
En tourbe39 à grosse quantité,
Et me chantez ung scilété 40
En vostre horrible deablerie41.
ASTAROTH
100 Vous orrez belle chanterie
Tantost, et ung motet d’onneur42.
Sathan, tu feras la teneur43,
Et j’asserray la contre sus44.
Belzébuth dira le dessus,
105 Avec Bérith à haulte double45.
Et Cerbérus fera ung trouble46
Continué, Dieu scet comment !
LUCIFER
Frappez dedens légièrement47 !
Fault-il faire tant d’agïos48 ?
110 Commencez, mes petiz deabloz !
Gringotez49 et croquez voz notes.
Et barbetez comme marmotes50
Ou vieulz corbeaulx tous affaméz.
BÉRITH
Vous orrez dictiéz51 bien riméz,
115 Et chant couché52 à l’avenant.
Sus, Belzébuth !
BELZÉBUTH
Avant !
CERBÉRUS
Avant !
Je pense que vous l’orrez belle53.
Tous les deables chantent en hurlant ens[emble] :
La dure mort éternelle 54,
C’est la chançon des dampnéz.
120 Bien nous tient à sa cordelle 55
La dure mort éternelle.
Nous l’avons desservie 56 telle,
Et à ly 57 sommes donnéz.
La dure mort éternelle,
125 C’est la chançon des dampnéz.
LUCIFER
Harau, ribaulx ! Vous m’estonnez,
Tant menez cry espoventable.
Cessez, cessez, de par le Deable !
Vostre chant s’accorde trop mal.
SATHAN
130 C’est le scilété férïal58 :
Tous les jours est dit à l’ostel59.
Si vous voulez le solempnel,
Vous l’aurez, qui est bien doulcet.
LUCIFER
Nennil, non ! Je sçay bien que c’est :
135 C’est assez pour fendre cervelles60.
.
*
Chanson en divers son
.
Dans le Mystère de sainte Barbe <version en 5 journées du ms. fr. 976>, les diables se réjouissent d’avoir capturé l’âme du païen Dioscore, qui vient de mourir après avoir décapité sa fille, Barbe, convertie au christianisme. Lucifer montre lui-même le mauvais exemple : il beugle une parodie des Vigiles des morts61, et sa troupe braille les répons. L’irrévérence est encore plus crue dans le Mystère des Trois Doms, où Lucifer et sa clique entonnent une parodie du Libera me : « Chantez pour luy Libera me, / Criant : ‟Lucifer, audi me !” »
*
LUCIFER
Mais je vueil tout premièrement
Que nous tous, d’un assentement62,
Disons présent une chançzon,
Non pas en mélodieux ton,
140 Ne en esjouyssant liesse63,
Mais en tout deul64 et en tristesse.
Or escoutez sans plus tensez.
Lucifer incipit cantilenam cantando.65
Dyoscorus, tu fuz roy couronné,
Mais tu es cheut 66 en grant ravallement.
DEMONES respondeant : 67
145 Dyoscorus, tu fuz roy couronné,
Mais tu es cheut en grant ravallement.
LUCIFER
Tu es, présent, o 68 les deables dampné.
DEMONES
Dyoscorus, tu fuz roy couronné.
LUCIFER
Tu es, présent, o les deables dampné,
150 Dont [tu] n’auras jamais relièvement.
DEMONES
Dyoscorus, tu fuz roy couronné,
Mais tu es cheut en grant ravallement.
LUCIFER
Tu mauldiras le jour que tu fuz né.
DEMONES
Dyoscorus, tu fuz roy couronné.
LUCIFER
155 Tu mauldiras le jour que tu fuz né,
Car tu seras pugny cruellement.
DEMONES
Dyoscorus, tu fuz roy couronné,
Mais tu es cheut en grant ravallement.
LUCIFER
À tous vices tu [t’]es habandonné.
DEMONES
160 Dyoscorus, tu fuz roy couronné.
LUCIFER
À tous vices tu [t’]es habandonné.
Puis as occis ta fille laidement.
DEMONES
Dyoscorus, tu fuz roy couronné,
Mais tu es cheut en grant ravallement.
LUCIFER
165 Ainsi sera tout pécheur guerdonné 69.
DEMONES
Dyoscorus, tu fuz roy couronné.
LUCIFER
Ainsi sera tout pécheur guerdonné,
S’i décède sans vray repentement.
DEMONES
Dyoscorus, tu fuz roy couronné,
170 Mais tu es cheut en grant ravallement.
LÉVIATHAN
Vous qui ouez ceste chançzon
Présentement en divers son70,
Entendez bien : car el(le) commence
En haulte voyx, puis fait descence71
175 En bas. El(le) commence en liesse,
Et puis se descend en tristesse.
.
*
Chanson
.
Le Mystère de saint Quentin (~1482), qu’on attribue à Jehan Molinet, fait lui aussi chanter les diables et les fait même danser. Le manuscrit de la bibliothèque de Saint-Quentin n’existe plus, mais Henri Chatelain l’avait publié en 1909.
*
LUCIFER
Respondez-leur ung silété
Tant doulz et tant bien gringoté
Qu’il puist trespercier les oreilles
180 Des escoutans.
SATHAN
Joyes pareilles
N’oÿstes passé a cent ans72.
Nous serons tant bien deschantans73
Que nous y acquer[r]ons honneur.
ASTAROTH
Çà, çà, qui tenra la teneur74 ?
185 Je chanteray comme une pie
De ma voix qui a la pépie75 ;
Et si, feray une triplace76
Tant doulce – mais que j’aye place –
Que les enffans qui sont mors-néz
190 En seront de deul atournés77.
Belzébus, tu as la voix doulce
Comme ung asne qui se regrouce78 :
Fay-nous tost ung baritonant79.
BELZÉBUS
Oncques tonoire80, en bas tonant
195 De son crueulx ton81, ne tonna
Tel ton que monton82 entonna.
LÉVIATHAN
Tonnons, tonnons, qu’on s’en délivre !
CERBÉRUS
Avant, diables ! Je tiens le livre83 :
Chantez trèstous à longue alaine84.
TOUS LES DIABLES ensamble.
Chanson
200 Quant la chaudière 85 sera plaine
D’âmes et d’esperis dampnés,
Trèstous les diables deschaînés
Iront dansant enmy 86 la plaine.
LUCIFER
Sathan, que tu as voix vilaine !
205 Tousse ung peu, et87 mouche ton nés.
SATHAN
Maistre, nous sommes estonnés.
Laissons [là] ce motet de Beausse88,
Et allons brasser quelque sausse89
Au monde, qu’il soit assailly !
.
*
Carolle
.
Toujours dans le Mystère de saint Quentin, les diables exécutent une danse macabre pour fêter dignement l’arrivée de l’âme du gouverneur antichrétien Rictiovaire (Rictius Varus).
*
LUCIFER
210 Puisque le c[u]er tant joyeulx ay,
Je descenderay90 pour chanter.
Long tamps a91 que je ne danssay.
…………………………….
Deables plus velus que singos92,
Appointiez pippes et flagos93
215 Pour faire une note cornue94 :
Nous dansserons à la venue
Du pieur95 de ce bas empire,
Et de qui toute bouche empire
Qui de luy sermonne et parolle96.
CERBÉRUS
220 Danssez une ronde carolle97
Sans avoir pipe ne musette :
Je feray une chansonnette
Au son du bachinet98 clicquant.
Icy danssent les deables, et Cerbérus
fiert 99 sus ung bassin.
.
*
Chansson pour
resjouyr Sathan
.
Nicolas Loupvent fait œuvre utile : son Jeu et Mistère sainct Estiene (1548), toujours inédit, comporte la partition que chantent les diables. BnF, ms. Rothschild 1077.
*
LUCIFER 100
… Et me chantez icy une chansson
225 Pour resjouyr Sathan, ce faux101 garsson
Auquel avez tant donné de travelle102.
BÉLYAL
Hée ! Lucifer, voycy belle séquelle103 :
Prest [d’]acomplir vostre commandement,
De bien chanter mélodieusement
230 Sont désirantz, soubz le vostre vouloir.
LUCIFER
Et ! chantez donc, faictes vostre debvoir
Comme joyeux et sçavans musiciens.
[Par le Dyable ! je vous feray des biens.]104
Tous les dyables commanceront ensemble une
chansson petite en la mode que s’ensuyt : 105
Tant plus a et plus veult avoir
235 Lucifer, nostre grant dyable.
S’il veoyt les âmes pleuvoir,
Il est tousjour[s] insatiable.
LUCIFER
Holà, [ho] ! De par le grant Dyable,
C’est trop chanté ! Vous me troublez,
240 Orde caterve106 misérable ;
Le trou du cul vous m’afolez.
Vous n’avez107 pas entremellés
De bons acordz selon musicque.
Que de souffre soyez brûlés
245 Dedans le puis infernalicque108 !
*
1 Ces oiseaux noirs qui dévoraient les yeux des pendus étaient de mauvais augure. Idem vers 21, 23 et 113. 2 Qui devant vous. 3 Vous entendrez chanter par eux. Les amateurs d’argot devaient comprendre : Vous aurez des ronds. « S’ilz ne vous baillent des quibus. » Sermon pour une nopce. 4 Me chante un motet. Ce terme a ici une connotation religieuse parodique, comme aux vers 101 et 207. 5 Vous nous verrez bientôt déchirer la musique, la saccager. 6 Allez devant le lutrin où vos partitions sont ouvertes. 7 Mes mignons. Cf. le Dorellot aux femmes. 8 Que je vous entende chevroter. Idem vers 111 et 178. « Mon maistre tremble dent à dent,/ Et si, s’est espris à chanter./ Au fort, c’est pour mieulx gringoter/ Son chant, à la mode nouvelle. » Le Cousturier et Ésopet. 9 Maître. Équivoque voulue avec « Majesté », dont la prononciation était presque identique. Idem vers 31. 10 Enrhumé. Cf. les Maraux enchesnéz, vers 3. 11 Moins laid que d’habitude. 12 Maître, il ne dit pas un seul mot mensonger. 13 Il souffre (verbe se douloir). Satan fait croire à Lucifer qu’il est malade pour ne pas être expédié en mission sur terre. Satan échoue presque toujours dans ces missions qui consistent à faire succomber un saint à la tentation, ou à soustraire aux anges l’âme d’un martyr ; et Lucifer ordonne alors aux autres diables de le battre, une tâche dont ces faux jetons s’acquittent avec plaisir. 14 Beaucoup de bruit. 15 Chante comme un oiseau. « Le rossignol qui se desgoise. » Godefroy. 16 La partie de soprano. Le terrible Lucifer entame donc une carrière de chef de chœur. Plus loin, nous l’admirerons comme professeur de chant et comme critique musical. 17 L’harmonie créée par la voix intermédiaire de ténor. Mais une rencontre est aussi une bataille, ce qui convient mieux au caractère des uns et des autres. 18 Le contre-chant, la partie d’alto. Idem vers 103. « Chantons, et je feray le contre. » Maistre Mymin qui va à la guerre. 19 La façon : il est toujours contre ce que je dis. 20 Une partie de baryton. Idem vers 193. Connaissant les goûts scatologiques des diables, on songe tout de suite au jeune Gargantua « barytonant du cul » <chap. 7>. 21 Orig. : Et (Léviatan tiendra la partie de basse profonde.) 22 C’est un instrument à vent, mais c’est surtout un ancêtre du canon, bruyant et peu précis. 23 Brûle celui. 24 Plus Lucifer a de « clients », et plus il veut en avoir. Ce triolet d’heptasyllabes, avec son rythme claudicant et ses refrains en forme de ronde, n’est pas autre chose qu’une danse macabre. Il développe un proverbe : « Et plus a le diable, & plus veut avoir. » (Cotgrave.) Nous réentendrons cette chanson aux vers 234-7. 25 Éd : voyoit — Ms : veoit (Je corrige d’après le vers 236.) 26 Sale. Le vers 240 est à peu près identique à celui-ci : « Orde caterve misérable ! » 27 Vous m’assommez comme un coup de tonnerre. Idem vers 92, 126 et 206. Dans la Vie de sainct Didier, Lucifer exhorte sa chorale : « Vous, dyables qui chantez si mal/ Et de si terrible façon,/ Fest[o]iez ung peu ce vassal/ En cryant ung horrible son !/ Lors cryent tous ensemble moult horriblement, puis dit Lucifer : “Holà ! holà ! Vous m’estonnez !/ Laissez-moy ce cry non-pareil !” » 28 Qu’on vous entend jusque sur la lune. 29 Infliger. 30 Les quatre éléments. 31 Que par des tortures. 32 Un mâtin est un gros chien. Idem vers 79. 33 Pour faciliter l’usage des notes, je continue le numérotage des vers sans reprendre à zéro. 34 Du Val-de-Vire. Cette vallée normande sera le foyer des vaudevires, chansons à boire qui aboutiront aux rondes de table nommées vaudevilles. Les auteurs de Mystères ne reculent jamais devant un anachronisme. 35 Coup de poing. Cf. le Prince et les deux Sotz, vers 166. 36 Tu avais coutume d’ôter les gens de leur fonction. 37 En droite ligne. Ironique : le haut chemin mène au paradis. « Prenons du Ciel le hault chemin. » Eustache Deschamps. 38 Traîtres félons, vous m’assommez. On scande « traï-tres » en 2 syllabes : cf. le Nouveau marié, vers 199. 39 En foule. Idem vers 13. Mais la tourbe est aussi la pourriture qu’on récolte dans les marais. 40 En latin, silete = faites silence. Idem vers 130 et 177. Paradoxalement, les Mystères emploient ce mot pour indiquer un intermède musical : « Nous chanterons ung silété. » Miracle de saint Nicolas. 41 Langage de diables. 42 D’honneur. Au vers 183, les diables revendiquent à nouveau cette vertu qui leur est étrangère ; ils ne connaissent que ce qu’on appelle aujourd’hui le doigt d’honneur. 43 Le ténor. Idem vers 184. 44 Je poserai la partie d’alto dessus. Dans la Vie de sainct Christofle, Proserpine répond aux hurlements de Lucifer : « Que diable as-tu à hurler ?/ Est-ce la teneur ou le contre/ Que tu chante ? » 45 Qui le doublera à l’octave supérieure. 46 Un trèble, une triple voix : il doublera à l’octave inférieure, en continuo. « En trèble chantent le Sanctus. » Godefroy. 47 Foncez rapidement. C’est encore un terme militaire. 48 D’embarras. « De faire ainsi tant d’agïos. » Le Cuvier. 49 Chevrotez (note 8). 50 Marmottez comme des guenons. « Singes et marmotes. » Godefroy. 51 Vous entendrez des poèmes. « En chantant chansons et dictés mélodieus. » ATILF. 52 Étendu par-dessus. 53 Que vous en entendrez de belles. 54 Encore une danse macabre incluse dans un triolet d’heptasyllabes, comme aux vers 51-58. Le compositeur Frank Martin l’a mise en musique en 1959 dans un oratorio, le Mystère de la Nativité, avec toutes les dissonances qui conviennent. 55 Par son lacet : dans ses filets. 56 Méritée. Cf. l’Aveugle et Saudret, vers 908. 57 Mss. : luy (Forme archaïque de elle. « Quand aucunes personnes venoient à ly demander l’aumosne ou pour aucunes besognes, elle envoyoit à eux avant qu’ils vinssent devant ly. » Agnès d’Harcourt, parlant de la sœur de Saint Louis.) 58 L’intermède musical que nous chantons quotidiennement aux offices ordinaires. 59 Dans notre demeure infernale. Jeu de mots sur « l’autel ». 60 Pour nous casser la tête. 61 Les Vigilles Triboullet reposent sur une parodie semblable. 62 D’un même assentiment : en parfaite harmonie. 63 Avec une joie réjouissante. 64 Deuil. Idem vers 190. 65 Il commence en chantant une cantilène. 66 Chu, tombé. 67 Que les démons chantent les répons ! 68 Avec. (Cf. l’Aveugle et Saudret, vers 344.) Tu es, maintenant, damné avec les diables. 69 Récompensé. Cf. le Clerc qui fut refusé, vers 15. 70 À plusieurs voix. Ou plutôt, avec des voix divergentes. 71 Elle descend. Les diables ont commencé dans l’aigu, puis la ligne mélodique est devenue de plus en plus sombre et caverneuse, comme il sied aux habitants de l’enfer. Il faut avoir beaucoup de talent pour faire exprès de chanter ainsi. 72 Depuis plus de 100 ans. 73 Nous improviserons si bien sur le déchant. Mais pris au pied de la lettre, « dé-chantant » pourrait être synonyme de « mal chantant » : cf. le Cousturier et Ésopet, vers 104. 74 Qui tiendra la partie de ténor (note 43). Le copiste picard adopte le picardisme « le teneur », et « le pépie » deux vers plus bas. 75 Qui est asséchée par la soif. Cf. le Roy des Sotz, vers 223. 76 Une 3ème voix. Synonyme de trèble (note 46). 77 Accablés de deuil, de tristesse. Les enfants morts sans avoir été baptisés n’ont pas droit au paradis : Dieu, dans sa grande bonté, les expédie aux limbes, qui dépendent de l’enfer. 78 Qui grogne. 79 Une partie de baryton (note 20). D’un Mystère à l’autre, les diables n’ont plus la même tessiture. 80 Jamais le tonnerre. 81 De sa cruelle voix. 82 Qu’un mouton, dans l’aire normanno-picarde. « Montons & aigniaux…./ Bœuf ny monton. » (La Muse normande, III, 165.) Voir le Dictionnaire picard, de Daire, p. 127. 83 La partition. 84 Avec du souffle. 85 Le chaudron dans lequel on fait bouillir les âmes des pécheurs. Cf. Troys Galans et un Badin, vers 191. 86 Parmi. 87 Ms. : se 88 Une prière qu’on chante trop fort, comme les fidèles dans les églises de la Beauce. « (Ils) faisoient leurs matines des vespres jusques au matin, et crioient tellement qu’il sembloit que ce fust un motet de Beausse. » Archives nationales, 1401. 89 Préparer un mauvais tour. 90 Lucifer trône en hauteur, pour être mieux vu par le public. 91 Il y a longtemps. 92 Singeots [singes] contient ici un « g » dur picard, de même que flageots [flageolets] à la rime. 93 Préparez les pipeaux et les flageolets. Ces flûtes champêtres accompagnent les danses de bergers, avec la musette [la cornemuse] du vers 221. Les diables n’ont pas un goût très raffiné. 94 Des notes biscornues. « Vous souliez venir à la charrue/ Aporter (à) moy la grant note cornue. » Gaydon. 95 Du pire individu : de Rictiovaire. 96 Toute bouche qui parle de lui sent mauvais. 97 Une carole est une ronde que dansent des jeunes filles qui se tiennent par la main. « Lesquelles, ayans agrandy la ronde carolle, commencèrent à dire [chanter] force bransles. » Jacques Yver. 98 Du bassinet : la chuintante « ch » est picarde. En frappant sur le chaudron où bouillent les âmes des pécheurs (note 85). 99 Frappe, verbe férir. 100 Sa première intervention était illustrée par une lettrine « D » représentant un bouffon. 101 Félon. Idem vers 72 et 92. 102 De travail, de mal. Sur ordre de Lucifer, Satan vient d’être battu par ses coreligionnaires. 103 Un beau cortège de diables. 104 Vers manquant. « Par Dieu ! je vous feray des biens. » (Le Capitaine Mal-en-point.) Lucifer jure par le diable aux vers 128 et 238. 105 Nous avons entendu cette chanson heptasyllabique aux vers 51-58. 106 Sale troupe. « La caterve/ Des deables. » ATILF. 107 Ms : nestes 108 Dans le puits infernal, le gouffre d’Enfer.
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L’AVEUGLE ET LE BOITEUX
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*
L’AVEUGLE ET
LE BOITEUX
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Cette farce d’André (ou Andrieu) de La Vigne conclut son Mystère de saint Martin, dont fait aussi partie la farce du Munyer, à laquelle je renvoie pour de plus amples détails.
L’Aveugle et le Boiteux est en deux parties. La première est annoncée au folio 220 vº du Mystère, quand saint Martin, mourant, donne ses ultimes consignes. La marge porte : « Nota qu’en ce passage conviendra jouer la farce1. » La seconde partie se joue à la fin du Mystère, quand le corps du saint a été sorti de l’église : « Icy se mectent en ordre de procession lesdits moynes et tous les joueurs les [ungs] après les aultres, et s’en vont en chantant. »
Le thème de cette farce (comment échapper à un miracle pour ne pas avoir à travailler) sera repris et amplifié en 1565 dans un Mystère anonyme, l’Hystoire de la vie du glorieulx sainct Martin :
L’AVEUGLE Compagnon, je te veux compter :
Tout à cest heure, on doibt porter
Le corps de sainct Martin en terre.
Aller nous y fault à grand erre
Pour nous asseoir devant l’esglise ;
Là, mendiant à nostre guise,
Nous aurons (si on nous veult croire)
De l’argent pour largement boire.
LE CONTREFAIT Emporte-moy, par sainct Guérin,
Pour ne rancontrer en chemin
Son corps, lequel nous guériroit,
Ce que mal à point nous seroit.
De guérir je n’ay nul soucy !
L’AVEUGLE Par la chair bieu, ny moy aussi !
Au monde, n’a plus belle vie
Que le train de Bélîtrerie* : * Mendicité.
Car sans endurer nulz travaux*, * Nulle peine.
On y a de friandz morceaux
Et d’argent grande quantité.
LE CONTREFAICT J’ay prouffité, pour un esté,
Pour demander piteusement
Cent florins, que gorgiasement
J’ay mangés avec les filliettes.
L’AVEUGLE J’ay prouffité de presque aultant
En moins de cinq ou de six festes,
Que j’ay despendu quand et quand*, * Dépensé en même temps.
Et n’ay pas ung denier de restes.
Ilz rencontreront le corps de St Martin et seront guéris.
L’AVEUGLE Maudit soyt Dieu ! je voy tout clèr.
Le diable puisse l’emporter !
De Dieu à jamais soit maudit
Celluy qui par cy a conduict
Le corps du sainct homme Martin !
Maudit soit-il soir et matin !
À mes yeux a baillié clarté
Contre ma propre voulonté.
LE CONTREFAICT J’estois bossu, tortu, vousté ;
Et ores — dont je suys marry —
Maulgré mes dens*, je suys guéry. * Malgré moi.
Las ! je vivois sans travailler
De ce qu’on me venoit baillier ;
Je triomphois et faisois rage.
Ores, à sueur de visage,
En regret et mélancolie,
Il me fauldra gagner ma vie.
Car se veux aller demandant,
On me dira : « Allez, truand !
Travailliez pour havoir à vivre ! »
L’AVEUGLE Jamais je ne seray délivre
D’ennuy, car je n’ay pas courage
De m’adonner au labourage.
Car jusques icy, j’ay esté
Nourry en toute oisiveté.
LE CONTREFAICT Chantons doncques d’ung mesme accord
Nostre mal et griefz desconfort
Pour y donner quelque allégeance.
L’AVEUGLE Je veux bien, compagnon. Commence !
LE CONTREFAICT chante la chanson :
Ores, il fault qu’allie chantant :
« Adieu, adieu, Bellîtrerie,
Et à celle plaisante vie
Que nous avions en te suyvant !
Hélas ! avecques toy vivant,
Au cueur n’avions mélancolie.
Et bien peu rarement s’ennuye
Qui selon tes loix va vivant.
Bellistre n’a aulcunement
Ny son cueur, ny sa fantaisie
De regret et soulcy saisye
Si le bléd est gasté du vent.
Le bellistre se rassasie
Du bien d’aultruy joyeulsement.
Hélas, hélas, Bellîtrerie,
Doulce dame : à Dieu te commant* ! » * Je te recommande.
Il nous fauldra doresnavant
Travaillier comme des juïfz,
Et nous vivions auparavant
Gays et fallotz par tous les huys.
LE FOL Mes compagnons, il vous fault fère
— Pour parvenir à quelque honneur —
Ung chescung de vous secrétayre
Des gallères de Monseignieur :
Chescung de vous aura la plume* * Une rame.
De quinze piedz ou environ,
Pour escrire ainsi, de coustume,
De beaux cadeaux ou aviron.
Vous ne boirez que de vin blanc* * De l’eau.
Qui vous rendra le cueur très aise,
Et serez assis sur ung banc.
Vouldriez-vous mieux estre à vostre aise ?
Et lhorsque serez desgoustés
Fère le debvoir à la rame,
Vos espaules seront frottés
D’ung bon fouet à la bonne game.
Source : Ms. fr. 24332 de la Bibliothèque nationale de France, folios 234 rº à 240 vº. Cette pièce, copiée d’après le manuscrit original, est bourrée de fautes, contrairement au reste. Certains pensent qu’elle fut écrite pendant la représentation, pour conclure le spectacle à la place du Munyer, qu’on avait dû jouer au début à cause du mauvais temps. « Cette précipitation expliquerait que la copie de cette nouvelle farce ait été, elle aussi, faite hâtivement et que sa transcription soit çà et là hésitante. » (André Tissier, Recueil de farces, t. XI, Droz, 1997, p. 306.)
Structure : Rimes abab/bcbc, rimes plates, rimes fratrisées (vers 223-230).
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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*
L’AVEUGLE 2 SCÈNE I
L’aumosne au povre diséteux3
Qui jamais, nul jour, ne vit goucte !
LE BOITEUX
Faictes quelque bien au boiteux
Qui bouger ne peult, pour la goucte4 !
L’AVEUGLE
5 Hellas ! je mourray cy, sans doubte,
Pour la faulte d’un serviteur5.
LE BOITEUX
Cheminer ne puis, somme toute.
Mon Dieu, soyez-moy protecteur !
L’AVEUGLE
Hellas ! le mauvaix détracteur6
10 Qu’en ce lieu m’a laissé ainsi !
En luy n’avoye bon conducteur :
Robé m’a7, puis m’a planté cy.
LE BOITEUX
Hellas ! je suis en grant soucy,
Mèshouan8, de gaigner ma vie.
15 Partir je ne pourroye d’icy,
En eussé-je9 bien grant envie.
L’AVEUGLE
Ma povreté est assouvie10,
S’en brief temps ne treuve ung servant.
LE BOITEUX
Maleurté11 m’a si fort suyvye
20 Qu’à elle je suis asservant12.
L’AVEUGLE
Pour bon service desservant13,
Trouverai-ge poinct ung valet ?
Ung bon en eus en mon vivant14,
Qui jadis s’appelloit Gillet ;
25 Seur estoit15, combien qu’il fust let.
J’ay beaucoup perdu en sa mort.
Plaisant estoit et nouvellet16.
Mauldit[e] celle qui l’a mort17 !
LE BOITEUX
N’aurai-ge de nully confort18 ?
30 Ayez pitié de moy, pour Dieu !
L’AVEUGLE
Qui es-tu, qui te plains si fort ?
Mon amy, tire-t’en ce lieu19.
LE BOITEUX
Hellas ! je suis cy au millieu
Du chemin, où je n’ay puissance
35 D’aller avant. A ! sainct Mathieu,
Que j’ay de mal !
L’AVEUGLE
Viens, et t’avence
Par-devers moy : pour ta plaisance,
Ung petit nous esjoÿrons20.
LE BOITEUX
De parler tu as bien l’aisance21 !
40 Jamais de bien ne joÿrons.
L’AVEUGLE
Viens à moy ! Grant chière ferons,
S’il plaist à Dieu de Paradis.
À nully nous ne mesferons22,
Combien que soyons estourdis23.
LE BOITEUX
45 Mon amy, tu pers bien tes ditz24 :
D’icy bouger je ne sçauroye.
Que de Dieu soyent ceulx maulditz
Par qui je suis en telle voye25 !
L’AVEUGLE
S’à toy aller droit je povoye,
50 Contant seroye de te porter
– Au moins se la puissance avoye –
Pour ung peu ton mal supporter26.
Et toy, pour me réconforter,
Me conduyroye27 de lieux en lieux.
LE BOITEUX
55 De ce, ne nous fault depporter28 :
Possible n’est de dire mieulx.
L’AVEUGLE
À toy, droit m’en voys29, se je peulx.
Voi-ge bon chemin ?
LE BOITEUX
Oy, sans faille.
L’AVEUGLE 30
Pour ce que tomber je ne veulx,
60 À quatre piedz vault mieulx que j’aille.
Voi-ge bien ?
LE BOITEUX
Droit comme une caille31 !
Tu seras tantost devers moy.
L’AVEUGLE
Quant seray près, la main me baille32.
LE BOITEUX
Aussi ferai-ge, par ma foy.
65 Tu ne va[s] pas bien, tourne-toy.
L’AVEUGLE
Par-deçà ?
LE BOITEUX
Mais à la main destre33.
L’AVEUGLE
Ainsi ?
LE BOITEUX
Oy.
L’AVEUGLE
Je suis hors d’émoy34
Puisque je te tiens, mon beau maistre.
Or çà ! ve[u]ille-toy sur moy mectre :
70 Je croy que bien te porteray.
LE BOITEUX
Ad cella me fault entremectre35 ;
Puis apprès, je te conduyray.
L’AVEUGLE
Es-tu bien ?
LE BOITEUX
Oÿ, tout pour vray36.
Garde bien de me laisser choir !
L’AVEUGLE
75 Quant en ce poinct je le feray37,
Je pry Dieu qu’il me puist meschoir !
Mais conduys-moy bien.
LE BOITEUX
Tout pour voir ;
À cella, j’ay [fait le serment]38.
Tiens cecy39 ! Je feray debvoir
80 De te conduyre seurement.
L’AVEUGLE
A ! dea, tu poise40 grandement !
Dont vient cecy ?
LE BOITEUX
Chemine bien,
Et fais nostre cas sagement.
Entens-tu, hay ?
L’AVEUGLE
Oÿ, combien
85 Que trop tu poise[s].
LE BOITEUX
Et ! rien, rien :
Je suis plus légier c’une plume41,
Ventre bieu !
L’AVEUGLE
Tien-té bien [dru],42 tien,
Se tu veulx que je te remplume43.
Par le sainct44 sang bieu ! Onc enclume
90 De mareschal si trèspesante
Ne fut ! De grant chaleur je fume.
Dont vient cecy ?
LE BOITEUX
A ! je me vente
Que charge jamais plus plaisante
Ne fut au monde que tu as
95 Maintenant.
L’AVEUGLE
Mais plus desplaisante !
Trois moys y a que ne chyas !
LE BOITEUX
Mesdieux45 ! Quant de ce ralias46,
[Pource qu’en fus tousjours distraict47,]
Six jours a, par sainct Nycolas,
100 Que bien ne fus à mon retrect48.
L’AVEUGLE
Et ! m’av’ous joué de ce trect49 ?
Par mon serment ! vous descendrez
Et yrez faire aulcun pourtraict50
D’un estron où que vous vouldrez.
LE BOITEUX
105 Contant suis, pourveu qu’atendrez
Que venu soye.
L’AVEUGLE
Oÿ, oÿ.51
Sur ce poinct, le Boiteux descent.52 Et l’Official va
voir se les moynes dorment. Et quant les chanoynes
emportent le corps, ilz 53 recommancent à parler.
*
L’AVEUGLE 54 SCÈNE II
Que dit-on de nouveau ?
LE BOITEUX
Commant !
L’on dit des choses sumptueuses.
Ung sainct est mort nouvellement,
110 Qui fait des euvres merveilleuses :
Malladies les plus p[é]rilleuses
Que l’on sauroit pencer ne dire
Il guérist. S’elles55 sont joyeuses ?
Icy suis pour le contredire !
L’AVEUGLE
115 Commant cela ?
LE BOITEUX
Je n’en puis rire.
L’on dit que s’il passoit par cy,
Que guéry seroye tout de tire56 ;
Semblablement et vous aussi.
Venez çà : s’il estoit ainsi
120 Que n’eussions ne mal ne douleur,
De vivre aurions plus grant soucy
Que nous n’avons.
L’AVEUGLE
Pour le milleur57
Et pour nous oster de malleur,
Je diroye que nous aliss[i]ons58
125 Là où il est.
LE BOITEUX
Se j’estoye seur
Que de tout ne garississ[i]ons59,
Bien le vouldroye. Mais que feussions
De tout guéris, ryen n’en feray !
Trop myeulx vauldroit que fuÿssions60
130 Bien tost d’icy !
L’AVEUGLE
[Mais] dy-tu vray ?
LE BOITEUX
Quant seray gary, je mourray
De fain, car ung chascun dira :
« Allez ouvrer61 ! » Jamais n’yray
En lieu où celuy sainct sera.
135 S’en poinct suis62, l’on m’appellera
Truant63 en disant : « Quel paillart
Pour mectre en gallée64 ! Velle-là65,
Assez propre, miste66 et gaillart. »
L’AVEUGLE
Oncques ne vys tel babillart !
140 Je confesse que tu as droit :
Tu sces bien de ton babil l’art.
LE BOITEUX
Je ne vouldroye poinct aller droit67,
Ny aussi estre plus adroit
Que je suis, je le vous promectz.
L’AVEUGLE
145 Qu’aller là vouldroit se tordroit68.
Et pour tant69, n’y allons jamais.
LE BOITEUX
Se guéry tu estoye, je mectz
Qu’en brief70 courroucé en seroyes.
L’on ne te donroit, pour tous mectz,
150 Que du pain ; jamais tu n’auroyes
Rien de friant.
L’AVEUGLE
Mieulx j’ameroyes
Que grant maleurté me fust cheue71
Qu’au corps l’on m’ostast deux courroyes72,
Que ce qu’on m’eust rendu la veue !
LE BOITEUX
155 Ta bource seroit despourveue
Tantost d’argent.
L’AVEUGLE
Bien je t’en croys !
LE BOITEUX
Jamais jour ne seroit pourveue,
Ne n’y auroit pille ne crois73.
L’AVEUGLE
Mais dy-tu vray ?
LE BOITEUX
Oy, par la Croys !
160 Ainsi seroit que je devise74.
L’AVEUGLE
Jamais de rien ne te mescrois,
Quant pour mon grant bien tu m’avise.
LE BOITEUX
L’on m’a dit qu’il est en l’église ;
Aller ne nous fault celle part75.
L’AVEUGLE
165 Se là nous trouvons, sans faintise,
Le deable en nous auroit bien part !
Pause.76
LE BOITEUX
Tirons par-delà à l’escart.
L’AVEUGLE
Par où ?
LE BOITEUX
Par cy.
L’AVEUGLE
Légièrement77.
LE BOITEUX
Ma foy ! je seroye bien coquart78
170 S’à luy j’aloye79 présentement.
L’AVEUGLE
Allons !
LE BOITEUX
À quel part80 ?
L’AVEUGLE
Droictement
Où le gallant joyeux s’iverne81.
LE BOITEUX
Que82 vellà parlé saigement !
Où yrons-nous ?
L’AVEUGLE
En la taverne :
175 J’y vois83 bien souvant sans lanterne.
LE BOITEUX
Je te dis qu’aussi foy-ge84, moy,
Plus voluntiers qu’en la citerne
Qui est playne d’eau, par ma foy !
Allons acoup !
L’AVEUGLE 85
Escoute…
LE BOITEUX
Quoy ?
L’AVEUGLE
180 Cella qui mayne si grant bruyt.
LE BOITEUX
Se c’estoit ce sainct ?
L’AVEUGLE
Quel esmoy !
Jamais nous ne seryons en bruyt86.
Que puist-ce estre ?
LE BOITEUX 87
Chascun le suyt.
L’AVEUGLE
Regarde voir que ce puist estre.
LE BOITEUX
185 Maleurté de près nous poursuyt :
C’est ce sainct, par ma foy, mon maistre !
L’AVEUGLE
Fuyons-nous-en tost en quelque estre88 !
Hellas ! j’ay grant peur d’estre pris.
LE BOITEUX
Cachons-nous soubz quelque fenestre,
190 Ou au coing de quelque pourpris89.
Garde de choir !
L’AVEUGLE 90
J’ay bien mespris91,
D’estre tumbé si mal appoint !
[Tu fus sage quant tu me pris
Par le collet de mon pourpoint.]92
LE BOITEUX
195 Pour Dieu ! Qu’il ne nous voye poinct,
Car ce seroit trop mal venu !
L’AVEUGLE
De grant peur tout le cueur me poinct.
Il nous est bien mal advenu.
LE BOITEUX
Garde bien d’estre retenu93,
200 Et nous traynons soubz quelque vis94.
L’AVEUGLE (Nota qu’il est guary.)
À ce sainct suis bien entenu95 :
Las ! je voy ce qu’onques ne vis.
Bien sot estoie, je vous plévis96,
De m’estre de luy escarté.
205 Car rien n’y a (à mon advis)
Au monde qui vaille clarté.
LE BOITEUX 97
Le deable le puisse emporter,
Et qui luy scet ne gré ne grâce !
Je me fusse bien déporté98
210 D’estre venu en ceste place.
Las ! je ne sçay plus que je face99.
Mourir me conviendra de fain.
De dueil, j’en mâchure100 ma face.
Mauldit soit le filz de putain101 !
L’AVEUGLE
215 J’estoye bien fol, je suis certain,
D’ainsi foÿr102 la bonne voye,
Tenant le chemin incertain
Lequel, par foleur103, pris j’avoye.
Hellas ! le grant bien ne sçavoye
220 Que c’estoit de voir clèrement.
Bourgoigne104 voys, France, Sçavoye,
Dont Dieu remercye humblement.
LE BOITEUX
Or me va-il bien meschamment.
Meschant qui n’a d’ouvrer105 appris,
225 Pris est ce jour maulvaisement.
Maulvais suis d’estre ainsi surpris.
Seur106, pris seray, aussi repris,
Reprenant107 ma malle fortune.
Fortune108 ! Suis des folz compris109,
230 Comprenant ma grant infortune.
L’AVEUGLE
La renommée est si commune
De tes faitz, noble sainct Martin,
Que plusieurs gens viennent comme une
Merveille vers toy, ce matin.
235 En françoys, non pas en latin,
Te rens grâce de ce bienfait.
Se j’ay esté vers toy mutin110,
Pardon111 requiers de ce meffait.
LE BOITEUX
Puisque de tout je suis reffait112
240 Maulgré mes dens113 et mon visaige,
Tant feray que seray deffait
Encore ung coup de mon corsa[i]ge114.
Car je vous dis bien qu(e) encor sçai-ge
La grant pratique et aussi l’art,
245 Par oignement et par herbaige115,
Combien que soye miste et gaillart,
Qu(e) huy on dira que ma jambe art116
Du cruel mal de sainct Anthoyne.
Reluysant seray plus que lart117 :
250 Ad ce faire, je suis ydoyne118.
Homme n’aura qui ne me donne119
Par pitié et compassion.
Je feray120 bien de la personne
Playne de désolacion :
255 « En l’onneur de la Passion
(Dirai-ge), voyez ce povre homme,
Lequel, par grant extorcion121,
Est tourmenté vous voyez comme ! »
Puis diray que je viens de Romme ;
260 Que j’ay tenu prison en Acre122 ;
Ou que d’icy m’en vois, en somme,
En pèlerinage123 à Sainct-Fiacre.
*
1 Pour l’auteur, il s’agit donc bien d’une farce, et non d’une moralité, comme on nous le serine depuis le XIXe siècle. 2 Nous sommes à Candes-sur-Loire en 397. L’Aveugle mendie dans un coin de la scène, tandis que le Boiteux, qu’il ne connaît pas encore, mendie dans un autre coin. 3 Qui souffre de disette, de faim. L’aveugle et le boiteux du Mystère de saint Quentin, de Jehan Molinet, travaillent dans le même registre : « –Donnez l’aumosne au diséteux/ Qui n’a forme d’œil en sa face !/ –Donnez à ce povre boiteux/ Qui n’a jambe qui bien luy face ! » 4 À cause de la goutte. Ce nom englobe toutes sortes de maladies invalidantes. Cf. le Gouteux. 5 Faute d’avoir un serviteur. Tout ce début démarque celui de l’Aveugle et Saudret, que La Vigne avait dû lire dans l’édition récente d’Antoine Vérard. 6 Enjôleur qui… 7 Il m’a dérobé mon argent. Au théâtre, c’est le reproche – justifié – que font tous les aveugles à leur valet. 8 Désormais. 9 Même si j’en avais. 10 Sera complète. 11 Le malheur, la malchance. Idem vers 152 et 185. 12 Asservi. 13 Pour me rendre service. 14 J’en ai eu un seul de bon dans toute ma vie. 15 Il était sûr, fiable. Et tellement laid que même l’aveugle s’en est aperçu. 16 Naïf. Gillet (diminutif de Gilles) n’est pas le nom d’un valet naïf : celui du Mistère de la Saincte hostie engrosse une chambrière. 17 Celle qui l’a tué : la Mort. « Cil qui l’a mort/ Est évesque. » (ATILF.) Mais le public a pu comprendre « qui l’a mors » : la femme enragée qui l’a mordu. 18 Nul ne me réconfortera-t-il financièrement ? 19 Viens ici. 20 Nous nous réjouirons un peu. 21 Tu en parles à ton aise. 22 À nul homme nous ne ferons de tort. 23 Frondeurs. « Il est des folz acariâtres,/ Estourdis et opiniâtres. » Les Sobres Sotz. 24 Tes paroles, ta salive. 25 Maudits soient ceux qui m’ont déposé sur ce chemin (vers 34). 26 Alléger. 27 Tu me guiderais par la voix. C’est la parabole de l’aveugle et du paralytique. 28 Nous ne devons pas nous écarter de cette bonne idée. 29 Je vais. Idem vers 58, 61, 175, 261. 30 Il avance à quatre pattes vers le Boiteux. 31 Qui se jette dans le filet du chasseur. 32 Tends-moi la main. 33 Dextre : sur ta droite. 34 De danger. « Il nous ostera hors d’esmoy. » (Les Queues troussées.) « Vous rirez,/ Mais [pour peu] que vous soyez hors d’esmoy. » (Frère Phillebert.) 35 M’employer difficilement. L’infirme grimpe sur le dos de l’aveugle. 36 Pour tout vrai. Idem vers 77. 37 Si je le faisais. 38 Ms. : le fermement serement (« Serment » fait deux syllabes au vers 102.) 39 Appuie-toi sur ma béquille. 40 Tu pèses. Idem vers 85. 41 Ms. : enclume (À la rime du vers 89.) « Je suis ligier comme une plume. » Le Gaudisseur. 42 Tiens-toi bien fermement. « Tiens-té bien ferme ! » (Farce de Pathelin.) « Nous tenir drut et fort ensamble. » (ATILF.) 43 Que je t’aide à gagner de l’argent. 44 Ms. : saing 45 M’aid Dieu : que Dieu m’assiste ! 46 Quant à ce divertissement. 47 Dérangé par un passant. Il manque ici un vers, que je supplée. 48 Le retrait est le lieu où l’on se retire pour faire ses besoins. Cf. le Retraict. 49 Ce trait : m’avez-vous joué ce mauvais tour ? 50 Le moulage. 51 Il manque un vers en -drez, et un vers en -y. L’auteur n’a pas eu le temps d’intégrer parfaitement cette farce au Mystère (v. ma notice). 52 Il se traîne derrière un buisson pour déféquer. Il y reste jusqu’à la fin du Mystère, en écoutant ce que chuchotent les religieux qui passent près de lui sans le voir. 53 L’Aveugle et le Boiteux. Vers la fin du Mystère, l’Official endort « comme pourceaux » les moines qui veillent le corps de St Martin ; aidé par ses chanoines, il vole ledit corps pour aller l’inhumer à Tours. Nous arrivons au moment où les voleurs sortent avec le catafalque sur lequel repose le saint, qui en profite pour accomplir quelques miracles. « Les maladies fuyoient à la venue du corps sainct Martin, à Quande. » Tiers Livre, 47. 54 Le Boiteux étant de retour, il lui demande ce que disaient les religieux qui passaient près de lui. 55 Ms. : Celles (Si ses œuvres.) 56 Tout d’un coup. 57 Le meilleur parti à suivre. 58 Que nous allions, pour qu’il nous guérisse. Les 4 rimes sont en -sions. 59 Que nous ne guérissions pas de tout, qu’il nous laisse une petite infirmité pour apitoyer nos clients. 60 Que nous fuyions. 61 Œuvrer, travailler. Les mendiants valides étaient suspects ; voir la notice des Maraux enchesnéz. 62 Si je suis en bonne santé par sa faute. 63 Mendiant, avec une connotation péjorative. Voir l’Hystoire de la vie de sainct Martin dans ma notice. 64 On envoyait les vagabonds aux galères. En 1494 et 1495, La Vigne avait pu les voir à Naples, où il suivait Charles VIII. « Ilz sont en gallée, gallée,/ Les maraulx. » La Résurrection Jénin à Paulme. 65 Voyez-le là. 66 Fringant. Idem vers 246. 67 Marcher sans boiter. 68 Celui qui voudrait aller là où est ce saint ferait un grand détour. « Je me tordroye/ De beaucoup, à aler par là. » Farce de Pathelin. 69 Pour cette raison. 70 J’affirme que bien vite. 71 Ms. : dehue (Chue.) 72 J’aimerais mieux qu’il me soit arrivé le grand malheur qu’on m’ôte deux lanières de peau, plutôt qu’on m’ait rendu la vue. « Ils traisnèrent par la ville les corps du Connestable (…) & d’autres seigneurs, enlevèrent des couroyes de la peau de quelques-uns. » Pierre Coppin. 73 Ni côté pile, ni côté face : pas un sou. 74 Ce serait comme je te le dis. 75 De ce côté. 76 Le Boiteux remonte sur le dos de l’Aveugle. Ils s’éloignent de l’église. 77 Prestement. 78 Stupide. Cf. les Maraux enchesnéz, vers 116. 79 Si j’allais devant St Martin. 80 De quel côté ? 81 Là où le bon vivant passe l’hiver. Les tavernes sont chauffées. 82 Ms. : Je 83 J’y vais les yeux fermés. La phrase est comique parce qu’elle est dite par un aveugle. 84 Que je le fais aussi. 85 L’Aveugle a l’ouïe fine : il entend les chants liturgiques du cortège de St Martin, qui se rapproche dangereusement. 86 Nous perdrions notre réputation d’invalides. 87 Juché sur les épaules de l’Aveugle, il voit arriver la procession. 88 En quelque lieu. 89 Jardin. Cf. la Pippée, vers 21. En courant, l’Aveugle trébuche. 90 Il tombe, avec le Boiteux, qui s’accroche à son cou. 91 J’ai commis une belle erreur. 92 Ces deux vers manquent. J’emprunte le second aux Sotz triumphans. 93 Retardé. 94 Sous un escalier extérieur en colimaçon. Le cortège funèbre passe tout près des infirmes, et le facétieux Martin ne peut s’empêcher de les guérir. 95 Tenu : je lui ai des obligations. « Je suys entenu de faire honneur à mon cousin. » Godefroy. 96 Je vous le garantis. Cf. Maistre Mimin estudiant, vers 405. 97 Il est guéri lui aussi. 98 Je me serais bien passé. 99 Plus quoi faire. 100 J’en meurtris. 101 Le Boiteux fait comme les diables du Mystère, qui rappellent par cette injure que la mère* du saint a été infidèle au paganisme : « Ce paillardeau filz de putain, Martin. » « Ce ribauldeau Martin, filz de putain. » *On la surnommait « la Belle Hélène de Constantinople ». Dans le Mystère, son rôle fut tenu par Étienne Bossuet, l’arrière-grand-oncle de l’évêque. 102 De fuir ainsi. 103 Par folie. 104 Le Mystère et ses deux farces furent représentés à Seurre, en Bourgogne ; leur commanditaire était le gendre du duc de Savoie, le futur employeur de La Vigne. 105 D’œuvrer, de travailler. 106 C’est sûr. Le Grand Rhétoriqueur André de La Vigne n’a pas pu se retenir de caser ici des rimes fratrisées, ou enchaînées. 107 Ms. : Reprenanant (Maudissant ma mauvaise fortune.) 108 Invocation à la Fortune, qui personnifie le destin. « Fortune nous est bien contraire. » Les Maraux enchesnéz. 109 Je fais partie des fous. 110 Si je me suis mutiné contre toi. 111 Ms. : Parton 112 Je suis rétabli, guéri. 113 Malgré moi. Voir l’Hystoire de la vie de sainct Martin dans ma notice. 114 Que mon corps sera encore une fois maladif. « Un bœuf de grand corsage. » Godefroy. 115 Les mendiants se fabriquaient de faux abcès, gangrènes et autres maladies de peau grâce à des onguents et à certaines herbes. 116 Est enflammée par le feu de saint Antoine, l’érésipèle. 117 Mes jambes couvertes de fausses inflammations luiront comme du lard. 118 Expert. 119 Il n’y aura aucun homme qui ne me donne de l’argent. 120 Je contreferai. 121 Luxation d’un membre. Là encore, les truqueurs déployaient beaucoup d’imagination, et au bout du compte, se fatiguaient infiniment plus que s’ils avaient travaillé. 122 Qu’en tant que chrétien, j’ai été enfermé dans la citadelle de Saint-Jean-d’Acre par les Turcs. 123 Ms. : voyage (Ceux qui souffrent d’hémorroïdes font un pèlerinage au monastère de Saint-Fiacre-en-Brie.)
L’AVEUGLE ET SAUDRET
.
*
L’AVEUGLE
ET SAUDRET
*
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Originellement, et étymologiquement, une farce est une préparation bien salée qui farcit un Mystère un peu trop sucré. Pour allécher le public, on truffait certains Mystères avec une ou deux farces : voir ma notice des Tyrans. Mais le Mistère de la Résurrection est farci d’un bout à l’autre par une farce coupée en sept tranches, de même que celui de saint Martin est farci par les deux tranches de l’Aveugle et le Boiteux. La sauce est tellement bien liée que chaque tranche rime au début avec le vers du Mystère qui précède, et à la fin avec celui qui suit. Pourtant, la farce n’est là que pour pimenter le Mystère, comme l’avoue le prologue de la seconde journée :
Aussi y sont, par intervalles,
Aucuns esbatemens et galles
D’un Aveugle et de son Varlet,
Qui guères ne servent au fait,
Si ce n’est pour vous resjouir
Et vos esperis rafreschir.
Cette farce dépourvue de titre met en scène un aveugle et son valet, comme beaucoup d’autres : voir la notice de l’Aveugle, son Varlet et une Tripière.
Le Mistère de la Résurrection fut joué en 1456 à Angers. Certains l’attribuent à Jean Du Prier, un des fournisseurs de théâtre du roi René d’Anjou, devant qui l’œuvre fut représentée. À défaut d’en être l’auteur, il pourrait être le remanieur de la version copiée dans le ms. BnF, qui fait preuve d’un instinct théâtral absent des deux autres sources : dans la farce qui nous intéresse, le remanieur ajoute des scènes comiques, et il gomme des argumentaires juridiques superflus. Enfin, il limite à 50 vers une chanson interminable, et il en remplace une autre, encore plus fastidieuse, par un air à la mode laissé au libre choix des comédiens.
La farce est un peu longue (1 315 vers sur 20 000), mais pas inintéressante : l’auteur, doté d’un humour féroce, nous fait partager la vie des musiciens de rues et des vendeurs de chansons, d’autant plus méconnue que les musicologues ignorent cette source.
Il est longuement question d’un jeu d’enfants, le broche-en-cul : les deux adversaires, courbés, ont les poignets liés à leurs chevilles. Munis d’une broche [d’un bâton], ils doivent piquer le cul si bien exposé de l’autre joueur. Un aveugle est également victime de ce jeu dans l’Aveugle, sa Chambèrière et son Varlet (ou farce de Goguelu, F 45) :
–Advisée me suis d’ung desduit
Auquel le fault faire jouer.
–Quel déduyt c’est ?
–À broche-en-cul.
Luy et moy, par mains et par piedz
Serons en tel façon liéz,
Et aurons entre nos deux mains
Chascun sa broche, c’est du moins.
Tu nous lieras, note cela,
Mais mon lien se deslira,
Non pas le sien, entens-tu bien ?
Son cul je luy rebrasseray,
Et de verges le froteray.
On attache les mains de l’aveugle à ses chevilles afin qu’il soit courbé :
Vous me liez par trop estroit !
Le feu saint Anthoine vous arde
Dont vous m’avez si fort courbé !
Le valet modifie sa voix :
Ma parolle contreferay….
Si bien, ennuit, je ne vous touche,
Je vueil estre sans eaue tondu !
Hau ! jouez-vous à broche-en-cu ?
Le jeu bien cher vous coustera.
L’aveugle a beau être armé d’une broche pour piquer les fesses de sa rivale, cette dernière le renverse : « Vous estes à bas, / J’ay gaigné. » Et revoilà « le Varlet, en faignant sa voix et en lui troussant le cul et en frappant ». Comme il est de tradition, l’aveugle se conchie : « Je chie sus et jus, / Tout partout, devant et derrière. » Les antagonistes se rabibochent « au son de la vielle / Pour dire une chanson nouvelle ». L’auteur de cette farce emprunte beaucoup d’éléments à l’Aveugle et Saudret.
Sources : Mistère de la Résurrection Nostre Seigneur. Ms. fr. 972 de la Bibliothèque nationale de France, copié en 1491. — Manuscrit 615 (632) du Musée Condé de Chantilly, copié avant celui de la BnF. — Antoine Vérard a publié vers 1492 une édition qui attribue faussement le Mystère et la farce à Jehan Michel. Dans son édition intégrale du Mystère (et donc de la farce), Pierre Servet1 s’appuie sur le ms. de Chantilly. Je m’appuierai sur celui de la BnF : la farce y est plus percutante que dans les deux autres versions, que j’utilise pour corriger les fautes, rajouter les vers manquants, et moderniser certaines graphies pour ne pas trop abuser des notes de traduction. Tout ce qu’on va lire provient d’une de ces trois sources, à part les rares choses que j’ai mises entre [ ].
Structure : Rimes plates, deux chansons en dizains, un triolet final.
Cette édition : Cliquer sur Préface. (Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.) Mon but est de faire découvrir aux amateurs de farces une pièce drôle, enfin débarrassée de la gangue qui nuisait à sa lecture. Vu le nombre élevé des notes explicatives, j’ai dû renoncer à mettre en plus un relevé des variantes, sauf lorsque j’introduis une correction personnelle ; les curieux se reporteront à l’édition exhaustive de Pierre Servet.
.
*
[ SAUDRET TOUT-LUY-FAULT, varlet
L’AVEUGLE Gallebois
LE MESSAGIER
L’APOTICAIRE
LE VARLET DU TAVERNIER, ou de l’Oste
L’OSTE ]
.
*
SAUDRET SCÈNE I
J’ay jà cheminé plus d’ung an,
Et suis tant las que plus n’en puis.
[Ce] non obstant, bien près je suis
D’une assez godine[tte]2 ville.
5 Ores, je n’ay ne croix ne pille3,
Qui est ung bon commancement
D’estre logé bien pouvrement :
Car tous houstes4, par droit usaige,
Si ayment mieulx argent que gaige.
10 Or, je n’ay gaige ne argent.
Si fault que je soie diligent
D’aller cercher aucun aveugle5
Qui me donnera quelque meuble6
Pour le conduire bien et bel.
.
L’AVEUGLE SCÈNE II
15 Une aumosne à ce povre orbel7
Qui ne voit goutte, bonne gent !
Donnez-lui ou pain ou argent,
Pour l’amour du Dieu de nature !
Car trop est povre créature,
20 Qui point conduire ne se voit.
Je vy que mon corps se savoit
Chevir8, au temps de ma jeunesse ;
Mais par maladie et vieillesse,
Je suis aveugle devenu.
25 Et si, [je] suis au point venu
Que je ne sauroie gaigner maille9.
Et, pour Dieu ! qu(e) aucun se travaille10
D’aucun bon varlet me trouver,
Pour moy mener et ramener
30 Nous pourchacer11. Tous deux ensemble,
Nous trouvassions (comme il me semble)
Trèsbien à boire et à mangier,
Et à chauffer, et à loger
Ainsi comme les autres font,
35 Qui par pays viennent et vont
Pour quérir leur povre de vie12.
Par ma foy ! j’auroie grant envie
D’en avoir ung sans nul deffault.
.
SAUDRET 13 SCÈNE III
Voilà trèstout quant qu’il14 me fault,
40 Car c’est à tel sainct, tel offrende15.
Vers luy m’en vais sans plus d’actende16,
Incontinent, je vous affie.
Eat, et dicat ceco : 17
Mon amy, avez-vous envie SCÈNE IV
D’un bon varlet ?
L’AVEUGLE
Ouÿ, pour voir18 !
SAUDRET
45 Se vous en voulez ung avoir,
Je suis content de vous servir.
L’AVEUGLE
Et je le vueil bien desservir19
Sur ce que nous pourrons gaigner.
SAUDRET
À peu parler, bien besongner20 :
50 Que me donrez-vous pour ung an ?
Et je vous menray, mèsouan21,
D’huys en huys et de place en place ;
Et feray si bien la grimace,
Et le povre, et le marmiteux22,
55 Que ceulx seront bien despiteux23
Qui ne nous donront quelque chose.
J’ay servy de varlet grant pose24
L’omme qui fut aveugle né,
Que Jésus a enluminé25,
60 Le saint et glorieux prophète.
Vostre chose sera bien faicte,
Si je m’en mesle : je m’en vant26 !
L’AVEUGLE
Je te demande, mon enfant,
Si tu scez lire ne escripre.
SAUDRET
65 Ouy dea, en papier ou en cire27
Selon mon estat28, sans faillir.
L’AVEUGLE
Se tu me veulx doncques servir,
Je vueil bien que ton maistre soie
Pour ung an, et que je te paie
70 Salaire bon et compétent29.
Mais cependant, vois-tu, j’entent
Que tu escriras des chançons
Qu’entre toy et moy chanterons,
De quoy nous aurons de l’argent30.
75 Cent solz31 auras.
SAUDRET
J’en suis content.
Mais vous me querrez32 ma vesture
Et pareillement ma chaussure ;
Et si, paierez tous mes despens.
L’AVEUGLE
Si les as comme moy33 le temps
80 De ton service, il doit suffire.
Car je ne suis, pour brief te dire,
Pas de mieulx te faire conclus34.
SAUDRET
Aussi n’en demandé-je plus.
Touchez cy35, vous estes mon maistre !
85 Je sauray aussi bien mon estre36,
Mon maintien et mon entregent
Pour truander37 pain et argent,
De la soupe et de la cuisine,
Et de bon vin pinte ou chopine,
90 Ou ung voirre38 tout à la foiz,
Comme homme que je vy jamais39.
Et si, me sauray bien enquerre
Où nous devrons herberge querre40 ;
Et, quant deux festes41 en ung jour
95 Seront, où sera la meillour
Pour y estre plus à nostre aise.
Mais en cas qu’il ne vous desplaise42,
Maistre, comment avez-vous nom ?
L’AVEUGLE
Ne le scays-tu pas43 ?
SAUDRET
Certes non :
100 Je ne le demanderoye mie.
L’AVEUGLE
J’ay nom Gallebois44, je t’affie.
Et toy, comment ?
SAUDRET
J’ay nom Saudret,
Qui fuz sevré ung poy45 tendret.
Et en mon surnom46, Tout-luy-fault.
105 Mon père avoit nom Rien-ne-vault,
Et ma mère Mal-assenée47,
Qui fut fille Lasche-journée48.
Et mon parrain, sans contredit,
Si avoit nom Gaingne-petit,
110 Ainsi que le disoit ma mère.
L’AVEUGLE
Foy que doy l’âme de mon père !
Je suis joyeux de ce marché.
SAUDRET
Vous avez bien à point marché49,
Pour recouvrer tel[l]e adventure ;
115 Car je suis, je le vous assure,
Bien propice pour vous mener.
Maistre, allons-nous-en desjeuner.
Puis nous en irons, comme saiges,
Par pays quérir nos avantages.
120 Il est temps de nous pourchasser.
L’AVEUGLE
Tu dis vray : il y fault chasser
Afin de gaigner de l’argent.
Mais je te pry, soies diligent
De recorder que tu diras50.
SAUDRET
125 À cella ne fauldray-je pas,
Car vostre raison est bien bonne :
« Bonnes gens, faictes vostre aumosne
À cestuy pouvre, ou51 nom de Dieu,
Qui ne voit en place ne lieu,
130 Ne ne vit onc soleil ne lune !
Que sainct Anthoine si l’alume52,
Et ceulx qui du bien luy feront ! »
L’AVEUGLE
Par ainsi, ilz nous donneront
Pain ou vin, ou de la pitance.
*
L’AVEUGLE 53 SCÈNE V
135 Saudret !
SAUDRET
Hau !
L’AVEUGLE
Quel « hau54 » ? Mais ung bel
Estront emmy55 vostre visage !
Tu deusses, se tu fusses saige,
Respondre : « Monseigneur mon Maistre. »
SAUDRET
Mais ung gibet et ung chevestre56
140 À vous pendre ! Et ! qui estes-vous57 ?
Ce n’est pas à ung tel poilloux58
Que je dois « Monseigneur » respondre.
L’en me puisse sans eaue tondre59
Si je vous dy jà « Monseigneur » !
145 Ce ne me feroit point d’onneur
D’y appeller ung tel truant60.
L’AVEUGLE
« Truant » ? Paillard !
SAUDRET
Mais vous, puant
Vilain remply de punaisie61 !
L’AVEUGLE
Par celuy Dieu qui ne fault mye62 !
150 Tu as mauvaisement menti !
SAUDRET
Et qu’est-ce donc que j’ay senti ?
Vous puez comme ung viel souyn63.
L’AVEUGLE
Ne me dy touyn ne mouyn64,
Saudret, et je le te conseille :
155 Car si j’ay la puce en l’oreille65,
Je te monstreray qui je suy
À tes despens.
SAUDRET
Et je dy : fy
De vous et de vostre puissance !
Je vous pourroie faire nuysance
160 Plus que vous à moy mille fois.
Vous avez à nom Gallebois,
Qui ne sauriez [seul] vous conduire ;
Et moy Saudret, qui m’en puis fuire
Et vous laisser, se bon me semble.
165 Ou, tant que nous sommes ensemble,
Vous tromper, ou tuer, ou batre.
N’est-il pas vray ?
L’AVEUGLE
Sans plus débatre,
Je conseille, comment qu’il voise66,
Que nous ne facions plus de noise ;
170 Et que, quant je t’appelleray,
Tu me respondes sans délay
En disant : « Que vous plaist, mon Maistre ? »
Car tu sçays bien que je doy estre
De toy appellé Maistre ou rien.
SAUDRET
175 Et, dea ! « Mon maistre » vueil-je bien
Vous respondre et vous appeller ;
Mais de me vouloir compeller67
Par maistrise à vous seigneurir68,
J’aymeroie mieux vous veoir mourir,
180 Car il n’y a point de raison !
L’AVEUGLE
Or je te prye, Saudret, faison
Icy ung bon appointement69
Par lequel nostre accointement70
S’entretienne, et nostre alliance.
185 Ouquel cas, j’ay en toy fiance71
D’avoir des biens, mon amy doulx.
SAUDRET
Quel appointement voulez-vous
Que façons ? Or le blasonnez72.
L’AVEUGLE
Que tous mautalens73 pardonnés
190 Soient. Entens-tu, mon enfanson ?
Et que chantons une chanson
Par accord, afin qu’on nous donne
Or ou argent, ou autre aumosne
De quoy nous nous puissons chevir.
SAUDRET
195 Je ne vis oncques advenir
Qu’à mon autre maistre74 on donnast
Or, pour sermon qu’il sermonnast,
Ne pour hault crier, ne pour braire.
Mais je suis bien content de faire
200 – Soit en chantant, ou en criant,
Ou en plaignant, ou en priant –
Nostre proffit à toutes hertes75
Le mieulx que je pourray. Mais certes,
Qui pourra, si boive ou mangusse76 :
205 Car qui a de l’or, si le musse77
Plustost que le donner pour Dieu78.
L’AVEUGLE
Or chantons doncques en ce lieu,
Et puis questerons de l’argent.
GALLEBOIS et SAUDRET chantent une chanson.79
Or faictes paix, ma bonne gent,
210 Et vous orrez 80 présentement
Une chanson nouvelle
Des biens qu’on a communément
En mariage. Vrayement,
C’est chose bonne et belle.
215 Ce ne sont point motz controuvés 81
Ne plains de menterie,
Mais sont certains et esprouvés,
Je le vous certifie !
.
Quant homme vient en sa maison,
220 Tost ou tard, en quelque saison,
Sa femme l’uys luy euvre 82.
Et s’on luy a fait desraison,
Elle l’oste de marrisson 83
Et le couche, et le ceuvre 84.
225 Le feu luy fait, et puis luy cuyt
La belle poire molle.
Joygnant de luy 85, se met au lit
Et le baise, et l’acolle.
.
Après, ses jambes met en croix
230 Sous 86 son mary, comme je croix,
Et puis si l’admonneste
De faire dresser le « harnoys 87 »
Pour faire sonner le hault boys 88
Et luy faire la chosète 89.
235 Les trippes lave et fait boudins,
Le beurre et le fromaige.
Poullaille nourrist, et poussins,
Et oiseletz en caige 90.
.
Le lit despièce 91 et le refait.
240 Son mary deschausse et deffait 92,
S’il est yvre ou malade.
Et pour le baigner, de l’eau trait 93.
Et de folie le retrait,
Et luy est douce et sade 94.
245 Quant il se couche le premier,
Elle tient la chandelle ;
Et puis après, le va baiser,
Et son « amy » l’appelle 95.
.
Ses petis enfans luy nourrit 96,
250 Dont se l’un pleure, l’autre rit,
L’autre l’acolle ou baise.
Et s’il advient qu’il se marrit
De rien 97 qu’on luy ait fait ou dit,
Sa femme le rapaise.
255 Moult vault femme, en fais et en ditz,
Soit riche, basse ou haulte.
Mariez-vous, grans et petis :
Si verrez si c’est faulte.
Cy finist la chançon.
L’AVEUGLE 98
Il n’a icy femme si caute99,
260 Pour soy de bien en mieulx muer100,
Qui ne deust trèsbien désirer
À en avoir une copie101
Que je donne, je vous affie,
Pour ung grant blanc102 sans point d’usure.
SAUDRET
265 Avant103 ! Galans qui l’aventure
Voulez prendre à vous marier,
Vous ne povez mieulx charrier104
Qu’à femme avoir qui vueille faire
Ce que ceste chanson déclaire105
270 Des biens qui sont en mariages.
Prenez-en, si ferez que saiges106.
Si saurez quelz biens il en vient.
.
LE MESSAGIER 107 SCÈNE VI
Certainement il me convient
De vostre chanson acheter
275 Plusieurs coppies pour porter
Avecques moy et les revendre.
Car moult de gens si veulent tendre108,
Par où je passe, à s’enquérir
D’où je viens, et me requérir
280 Que je leur die des nouvelles.
Mais je leur en diray de belles
En leur lisant ceste chanson !
Or me respondez sans tençon109 :
Combien me coustera le cent110 ?
L’AVEUGLE
285 Je vous en vendray, à présent,
Ung cent pour dix deniers la pièce.
LE MESSAGIER
Je prie à Dieu qu’il me meschesse111
Si ce n’est ung trèsbon marché !
Si j’eusse par ailleurs marché112,
290 Pas n’eusse ouÿ si bonne chose.
SAUDRET
Par l’âme qui en moy repose !
Mon amy, vous devez savoir
Qu’il nous fault chanter pour avoir
Nostre povre meschante vie.
LE MESSAGER
295 C’est bien fait, je vous certifie.
Baillez çà ! Vécy vostre argent.
Je pense que beaucoup de gent
La vouldront voulentiers apprendre.
Mais on me puist par le col pendre
300 S’ilz en ont de moy, soir ne main113,
Mot114, que n’en soie avant la main115
Payé de plus que je n’en paye.
Tenez !
Nuncius [le Messager] baille argent à Saudret.
L’AVEUGLE
Vise bien la monnoye,
Saudret, qu’il n’y ait rien mauvais116.
SAUDRET
305 Mon maistre, savoir je vous fais
Que tout est bon, n’en doubtez mye.
Saudret baille l’argent à l’Aveugle.
L’AVEUGLE
Beau sire, se Dieu vous bégnye,
De nouveau me direz-vous rien117 ?
LE MESSAGIER
Je ne sçay se vous savez bien
310 La mort de Jésus le prophète,
Dont l’exécucion fut faicte
Au jour d’ier au mont de Calvaire.
L’AVEUGLE
Hélas ! Et qui a ce fait faire ?
Ç’a esté ung cas merveilleux118 !
LE MESSAGIER
315 Trop en parler est périlleux,
Car noz princes de la Loy haient
Ceulx qui en parlent et y croient.
Mais je vous dy bien, si j’estoie
Comme vous estes119, que g’iroye
320 À son sépulcre vitement
Pour luy supplier humblement
Qu’il luy pleust moy enluminer.
Et vers luy me feroie mener.
L’Aveugle-né, quant il vivoit120,
325 Il enlumina, tant qu’il voit
Aussi cler comme homme vivant.
Se vous y allez, je me vant
Qu’il vous rendra le luminaire121.
L’AVEUGLE
Où est son sépulcre ?
LE MESSAGIER
En Calvaire,
330 Qui est dehors ceste cité.
L’AVEUGLE
G’iray doncques, en vérité.
Adieu vous dy, et vous mercie !
LE MESSAGIER
À Dieu donc !
.
SAUDRET SCÈNE VII
Maistre, je vous prye
Qu(e) aillons [tost] quester de l’argent.
*
L’AVEUGLE SCÈNE VIII
335 Saudret ! Meyne-moy sans tarder,
Présentement, à ce tombeau
Où ce prophète bon et beau,
Jhésus, si est ensevely.
SAUDRET
Il puisse mescheoir à celuy
340 Qui vous y menra que je soie122,
Si je n’ay de vostre monnoye
Paiement comptant, et si plainier123
Qu’il ne s’en faille124 ung seul denier
De ce que j’ay gaigné o125 vous !
L’AVEUGLE
345 Tu le seras, mon amy doulx,
Quant nous en serons retournés126.
SAUDRET
Par ma Loy127 ! vous me pardonrez.
Car bien me souvient que mon maistre
Avecques qui je souloye estre,
350 L’Aveugle-né, tant me cria
« Pour Dieu, mercy ! » et me pria,
Qu’à Jésus fust par moy mené.
Mais quant il l’eut enluminé128
Et que je voulu[s] mon salaire
355 De lui avoir, j’avoye beau braire
Et crier, et siffler à baude129 :
Dieu sçait qu’il la me bailla chaude130 !
Car il ne me prisa plus rien,
Ne ne paya. Pour ce, vueil bien
360 Que vous sachez sans nulle faille
Qu’il ne s’en fauldra une maille131
Du sallaire que me devez,
Se g’y voys132. Car quoy ! Vous savez
Qu’il vault mieulx croire que mescroire133.
365 C’est grant péril du sien acroire134
Quant l’en peut bien estre payé.
Je n’en seray jamais rayé135
Comme je fus à l’autre fois.
L’AVEUGLE
Saudret, promesse je te fais
370 Sur mon honneur et mon serment
Que tu seras entièrement
Paié de moy, au retourner136.
SAUDRET
Vous povez assez flagorner137,
Car vous perdez vostre langage.
375 Je seray ung petit138 plus sage
Qu’à l’autre foiz, je m’en fais fort.
L’AVEUGLE
Je m’oblige et te fais transport139
De trèstout quant que j’ay vaillant140,
Si je suis sans plus deffaillant141
380 Par une nuyt ou par ung jour
De toy payer à mon retour.
C’est bien raison que je te poye142.
SAUDRET
Cuidez-vous que je vous en croye ?
Nenny, par la Loy que je tien !
385 On dit que trop mieux vault ung tien
Que ne font deux fois tu l’auras.
L’AVEUGLE
Je te prometz que tu seras
Payé content143, je te dy bien.
SAUDRET
Par ma foy ! je n’en feray rien.
390 Il ne s’en fault jà esmoyer144.
Vous avez bien de quoy paier,
Car icy receu vous avez
Grant argent (comme vous savez)
Qui vous vient de mon industrie145.
395 Je dy fy de vostre maistrie146,
Si je ne suis payé au mains147
Du labeur qui vient de mes mains148.
Et croyez que je le seray,
Ou jà ne vous y mèneray.
400 Je ne seray jà si meschant149.
L’AVEUGLE
Entens, Saudret…
SAUDRET
Hau ! quel marchant !
Vous ne croyez ne Dieu, ne homme.
Je seray payé (c’est la somme)
Du tout ains que j’en bouge jà150.
L’AVEUGLE
405 Puisqu’ainsi le fault faire, or çà !
Avisons combien je te doy[s].
SAUDRET
Quarante solz, [au denier près]151,
Vous me devez tout justement.
L’AVEUGLE
Non fais !
SAUDRET
Si faictes, vrayement.
410 Tant en auray ains que j’en bouge.
Pas n’estes encor assez rouge152
Pour ung denier m’en mescompter153.
L’AVEUGLE
Or avant ! Je les vays compter
Et te payer, puisqu’ainsi est.
Cecus computet pecuniam, et
tradat Saudret, dicendo ei : 154
415 Tien ! Et me meyne sans arrest155
Où je t’ay dit, et sans tarder.
SAUDRET
À ce coup vous vueil-je mener
Où il vous plaira, n’en doubtez.
Et guérissez si vous povez ;
420 Ou si non, il ne m’en chault guière.
L’AVEUGLE
Or allons par bonne manière156 !
N’y sçais-tu pas bien le chemin ?
SAUDRET
Que says-je donc ?
L’AVEUGLE
Mon amy fin,
Saches que se tu me sers bien,
425 Tu auras encore du bien
Par mon moyen, de quelque part.
SAUDRET
Dieux ! que vous estes grant flatart !
Je vous congnois comme pain tendre.
Allons ! Dieu nous vueille deffendre
430 De tout mal et de tout péril !
L’AVEUGLE
Amen, Saudret, ainsi soit-il !
Et me vueille ma clarté157 rendre !
Icy, l’Aveugle et son Varlet s’en vont droit au sépulchre.
Et quant ilz se approuchent dudit tombeau, Sauldret
voit les gardes du tombeau et dit :
SAUDRET
Maistre !
L’AVEUGLE
Quoy ?
SAUDRET
Il nous fault deffendre
Ou fouÿr158, ou nous sommes mors !
L’AVEUGLE
435 Hélas ! pourquoy ?
SAUDRET
Autour du corps
Sont gens armés de pié en cappe159.
L’AVEUGLE
N’allons point en lieu où l’en frappe,
Je te requiers !
SAUDRET
Fuyez, fuyez !
Et si vous povez, vous sauvez !
440 Ou sinon, vous estes perdu.
Car je suys si très esperdu
Que je n’y voy remède[s] nulz
Sinon de faire ung vidimus
À la Mort160. Bénédicité !
445 Venez tost ou, en vérité,
Je vous lerray en l’escrémye161.
L’AVEUGLE
Et ! pour Dieu, ne me laisse mye !
Saudret, je te requier mercy !
SAUDRET
Fuyons-nous-en tantost par cy !
450 Courez tost sans faire délay !
Ou, certes, je vous planteray,
Mais ce sera pour reverdir162.
L’AVEUGLE
Tu me fais tout le cueur frédir163.
Regarde s’ilz nous suivent point,
455 Et se tu verras lieu ne point
Pour nous musser ou nous ruser164.
SAUDRET
Me cuidez-vous cy amuser
À regarder derrière moy ?
Trotez, ou – foy que je vous doy –
460 Je vous lerray pour mieulx165 courir.
L’AVEUGLE
Hé ! Dieu nous vueille secourir !
Nous suivent-ilz ?
SAUDRET
Las ! je ne sçay.
Venez tost, ou je vous lerray,
Par la Loy que je tien de Dieu !
465 A, dea ! il n’y a point de jeu,
D’estre icy tué maintenant.
Ce sont Anglois166 certainement,
Qui nous tueront, soit droit ou tort167.
Saudret mutet vocem et dicat adhuc : 168
À mort, à mort ! Vous futy169 mort !
470 Sainct Georg(e)170 ! Vous demourity cy !
Saudret loquatur suam primam vocem : 171
Las, messeigneurs ! Et ! qu’est-ce cy ?
Voulez-vous tuer ce pouvre homme
Qui s’en vient tout fin droit de Romme
Pour impétrer ung grant pardon172 ?
L’AVEUGLE
475 Las ! je vous requiers en pur don
Que me laissez, soit bel ou lait173 !
SAUDRET mutet iterum vocem, et dicat :
Par sainct Trignan174 ! Vostre varlet
Et vous, mourity sans délay !
Loquatur Saudret suam primam vocem.
Las ! mon maistre, deffendez-moy,
480 Ou je mourray sans plus actendre !
L’AVEUGLE
Las ! Monseigneur, vueillez nous prandre
À rençon, je le vous requier.
Je vous donray sans varier
Dyx beaux solz, je vous certiffy !
SAUDRET mutet suam vocem :
485 Donne dix solz ? Et ! où suty175 ?
Monstre-les-my sans plus resver176 !
L’AVEUGLE 177
Vez-les là, sans plus babiller ;
Et vous suffise de les prandre.
SAUDRET mutet vocem suam :
Bien gardyty-vous de mesprandre !
490 Bigot ! [Bru]lare178 ! Adieu vous dy !
L’AVEUGLE
Sang bieu ! je suis tout estourdy.
Le diable y ait part, en la guerre !
Ce sont des archiers d’Angleterre
Qui nous ont ainsi ravallés.
SAULDRET
495 [Encore y]179 vouliez-vous aller !
Mais nous l’avons eschappé belle.
Cheminons par ceste sentelle180,
C’est le meilleur, pour maintenant.
L’AVEUGLE
Hélas ! Saudret, mon doulx enfant,
500 Et mon seigneur, et mon amy :
Ne me laisse point (las, hémy181 !),
Et vous ne perdrez pas ta peine182.
Car je suis à la grosse alaine183,
Et tout conchié de paour184.
SAUDRET
505 Ha ! fy ! Je ne sens que puour185.
Chié avez, à Dieu l’affy186 !
Fy, de par le grant diable, fy !
Ce n’est que merde que de vous.
Sang bieu ! s’ilz viennent après nous,
510 Ilz nous trouveront à la trace.
L’AVEUGLE
Arrestons-nous en ceste place
Pour savoir s’ilz viennent ou non.
Tu ne vois rien ?
SAUDRET
Ce ne fais mon187.
Je croi que nous n’avons plus garde188.
L’AVEUGLE
515 Il est bien gardé, qui189 Dieu garde.
Dieu soit loué de l’eschappée !
Je n’euz oncques si grant vésée190
De paour comme à ceste fois.
SAUDRET
Certes, mon maistre Gallebois,
520 Vous courez bien pesantement.
*
SAUDRET 191 SCÈNE IX
Si vous voulez que plus vous meyne,
Mon maistre, [or] il me convient boire.
L’AVEUGLE
Boire192, mon enfant ?
SAUDRET
Certes, voire.
Qui eust193 ung morcellet d’andoille
525 Et de bon vin friant qui moille194,
G’y entendisse195 voulentiers !
L’AVEUGLE
Saudret !
SAUDRET
Quoy196 ?
L’AVEUGLE
Quel « quoy » ?
SAUDRET
Quelz pannyers197 ?
L’AVEUGLE
Où sommes-nous198 !
SAUDRET
Icy endroit.
L’AVEUGLE
Certes, Saudret, il conviendroit
530 Désormais « Monseigneur » respondre.
SAUDRET
Le grant diable puisse confondre
Qui « Monseigneur » vous respondra !
L’AVEUGLE
Certainement il le fauldra,
Garçon paillart, vueillez ou non !
SAUDRET
535 Par mon serment ! ne199 fauldra mon.
Ce say-je bien, quant est de moy.
L’AVEUGLE
Or me respons cause pourquoy,
Veu que je suis homme de bien.
SAUDRET
Vous estes ung estron de chien
540 Au milieu de vostre gargate200 !
L’AVEUGLE
Or te tais, que je ne te bate,
Saudret ! Et je le te conseille !
SAUDRET
Vous feriez, ce croy-je, merveille
De ruer, qui vous lairoit faire201 !
L’AVEUGLE
545 Ne parle point de mon affaire
Sinon en bien et en honneur,
Car je suis assez grant seigneur
Pour toy, je vueil que tu le saches.
SAUDRET
C’est bien dit ! « Rechassez202 ces vaches,
550 Puisque Monseigneur le commande ! »
L’AVEUGLE
Vien çà, Saudret : je te demande
Pourquoy ne m(e) honnoreras-tu ?
Si feras, ou seras batu,
Par le grant Dieu, jusqu’au mourir !
SAUDRET
555 S’il vous meschiet de me férir203,
Je vous ferray, soit bel ou let !
L’AVEUGLE
Puisque tu n’es que mon varlet,
Tu me dois faire révérence.
SAUDRET
Et je vous dis en la présence204
560 Que je ne vous en feray rien.
L’AVEUGLE
Se tu fusses homme de bien,
Tu ne te feisses pas prier
De le faire.
SAUDRET
Allez vous chier205,
Et chauffer, et boire de l’eau !
565 Je ne donne pas ung naveau206
De vous ne de vostre « maistrie207 » !
L’AVEUGLE
Or vien çzà, Saudret, je te prie.
Appelle-moy au moins ton Maistre,
Car par raison je le doy estre,
570 Puisque je te donne sallaire.
SAUDRET
A, dea ! Cela vueil-je bien faire ;
Pour « mon maistre » vous appeler,
Je ne m’y vueil point rebeller.
Mais estes ung parfait vilain208 :
575 Pas n’estes digne, pour certain,
Que je vous appelle « mon maistre ».
L’AVEUGLE
Par celluy Dieu qui me fist naistre !
Gars truant209, paillart ! Vous mentez !
SAUDRET
Mais vous, faulx vilain redoublés210,
580 Vilain remply de vilennie !
L’AVEUGLE
L’as-tu dit ?
SAUDRET
Oÿ.
L’AVEUGLE
Je regnye
Trèstout le sang de mon lignaige
Si je ne t’en gecte mon gaige211
En disant que tu as menty,
585 Non pas moy !
SAUDRET
Qu’avez-vous senty212,
De vouloir maintenant combatre ?
Ha ! se vous y voulez esbatre,
Le corps de moy vous actendra213.
L’AVEUGLE
Gars paillart, on vous aprendra
590 De parler ainsi à ton Maistre !
Mieulx te vaulsist214 loing d’icy estre
Qu’en telz parolles habonder215 !
SAUDRET
Et sur quoy vouldriez-vous fonder
Vostre cas et vostre querelle ?
L’AVEUGLE
595 La plaincte que je faiz est telle
Contre toy, en disant vraiment
Que tu as menty faulsement
De m’avoir appellé « vilain ».
Et te combatray main à main,
600 Si tu ne t’en desdiz sans faille.
Et sur ce, je t’en gecte et baille
Mon gaige comme faulx et traïstre !
SAUDRET 216
Et je le liève sur ce tiltre
En disant que j’ay bonne cause.
605 Mais dictes-moy sans plus de pause,
Puisqu’il fault que nous combatons,
Quelles armes et quielx bastons
Voulez avoir pour cest affaire.
Car quant de moy217, g’y pense faire
610 Mon devoir, selon mon endroit218.
L’AVEUGLE
Je suis content en champ estroit219,
Que l’on appelle « broche-en-cul220 ».
Mais je ne sçay s’il y a nul
Homme qui bien nous habillast
615 Et liast, et aussi jugeast
De noz coups et de nostre guerre.
SAUDRET
Taisez-vous, je vous en vais querre
Ung qui bien nous habillera ;
Tout le premier qui passera
620 Par icy en fera l’office.
Demourez cy tant que j’en puisse
Trouver ung… Holà, mon amy !!
Icy faint Saudret sa voix, et s’appelle
FICTUS 221
Que vous plaist-il ?
SAUDRET, en sa voix
Venez à my222,
S’il vous plaist, et je vous en prie !
625 Fine223 fleur de chevallerie,
Vous me semblez homme de bien.
L’AVEUGLE
Voire, pour Dieu !
FICTUS
Je le vueil bien.
Que voulez-vous que je vous face ?
L’AVEUGLE
Mon chier amy, sans longue espace
630 Le vous diray. Vécy le cas :
Nous avons eu aucuns débas,
Mon varlet (qui cy est) et moy.
Et par oultraige, en grant desroy224,
M’a dit injure et desmenti225
635 Sans s’en estre oncques repenti.
Et qui pis est, m’a appellé
« Vilain », tant qu’il m’a compellé
Gecter mon gaige à le combatre
(Afin du grant orgueil abatre
640 De quoy le ribault se vantoit)
En luy respondant qu’il mentoit ;
Et lequel gaige il a levé.
Sur quoy, nous avons accepté
De combatre à ung jeu notable
645 De champ estroit sur une table226,
Mais qu’il y eust227 qui nous liast
Et jugeast, et nous desliast
Sans fallace ne tromperie.
Pour ce, chier amy, je vous prie
650 Que nous y gardez loyaulté.
FICTUS
Je vous promet[z] que féauté228
G’y garderay de tous costés.
Mais il fauldra que vous ostez
Le mantel et la symphonie229.
L’AVEUGLE
655 Je le vueil, se Dieu me bénie !
FICTUS
Or çà, varlet ! Est-il ainsi
Comme cest homme a dit icy ?
SAUDRET
Il vous a bien compté230 son droit.
FICTUS
Comment avez-vous nom ?
SAUDRET
Saudret.
FICTUS
660 Et vous, mon amy ?
L’AVEUGLE
Galleboys.
FICTUS
Or bien, tantost à vous je vois,
Mais que j’aye lié ce varlet.
SAUDRET
Amy, je vous diray qu’il est231 :
Liez-moy bien courtoisement232,
665 Je vous en pry ; ou autrement,
Vous orrez qu’il en ystra noise233.
L’AVEUGLE
Liez-le bien, comment qu’il voise,
Sans luy donner point d’avantaige.
FICTUS
Certes, Gallebois, si feray-je ;
670 Il n’y aura point de faveur.
L’AVEUGLE
Je n’auray point de déshonneur,
Ce croy-je, pour ceste journée.
Car oncques César ne Pompée
Ne se monstrèrent plus vaillans
675 (Se mes sens ne sont deffaillans)
Que je seray, ce m’est advis.
SAUDRET
Ha ! je vous promet[z] et plévis234
Que je suis durement estraint235.
FICTUS
Mais escoutez comment il jaint !
680 Croyez qu’il est bien enserré.
SAUDRET
J’aymeroye mieulx estre enterré
Qu’estre longuement en ce point.
L’AVEUGLE
Croy que je ne te fauldray point236.
Il vous vaulsist mieux toy desdire
685 De ce que tu m’as osé dire
Vilennie, à237 mon desplaisir ;
Car j’ameroie autant mourir
Comme t’en laisser impugni !
FICTUS
Demandes-tu plus rien ?
SAUDRET
Nenny.
690 Je suis habillié et lié.
L’AVEUGLE
Avant ! T’es-tu humilié ?
Te repens-tu de l’entreprise ?
SAUDRET
Si je ne l’avoie entreprise,
Croyez que je l’entreprendroie
695 À mon honneur ; et apprendroie
À vous, mon maistre Gallebois,
De bien vous garder, autres fois,
D’esmouvoir guerre ne débat.
L’AVEUGLE
(Je le serviray au rabat238,
700 Mais que je le puisse tenir.)
FICTUS
Or çà ! Dieu y puisse advenir !
Puisque vostre varlet est prest,
Lier je vous vais sans arrest.
Or me courbez ceste pansète239 !
L’AVEUGLE (Fictus le lie.)
705 Il me fauldra une lancette
Pour festoyer240 mon adversaire.
FICTUS
C’est bien dit. Or, me laissez faire :
Et si je ne vous arme bien,
Si dictes que je ne sçay rien
710 D’abiller gens en fait de guerre.
L’AVEUGLE
(Par ma foy ! il me fauldra perre241 :
Je suis trop malement courbé.)
FICTUS
Puis que je me suis destourbé242
À vous lier et habiller,
715 Je le feray sans sommeiller
Et sans y faire tromperie.
L’AVEUGLE
Je tiens ta querelle périe,
Mon varlet, se tu ne te rens.
SAUDRET
Nenny, rien ! Mais je me deffens
720 Et deffendray de vostre assault,
Et vous feray tomber [d’]ung saut243,
Si je ne faux à mon entente244.
L’AVEUGLE
Si je t’atains, il fauldra tente245
Ès playes que je te feray.
725 Holà, mon amy ! Je perray,
Si me liez si fort les mains.
FICTUS
Vous ne l’estes ne plus ne mains
Qu’est Saudret, je le vous asseure.
L’AVEUGLE
Baillez-moy lance qui soit seure,
730 Mon cher amy, je vous en prye.
FICTUS
Vélà cy246, je vous certifie.
Avant ! Estes-vous bien armé ?
L’AVEUGLE
Se tantost ne suis deffermé247,
Je croy qu’il me fauldra chier.
735 Pour ce, venez-moy deslier,
Mon amy, si je vous appelle.
Avant ! Soustiens-tu ta querelle,
Saudret ?
SAUDRET
Oy !
L’AVEUGLE
Et ! je te deffy
Présentement !
SAULDRET
Et je dy fy248
740 De vous et de vostre puissance !
FICTUS
Chascun de vous a bonne lance :
Pour ce, faictes vostre devoir.
L’AVEUGLE
Saudret ?
SAUDRET
Hau249 !!
L’AVEUGLE
Je te fais savoir
Et te somme que vous desdites
745 Des injures que tu m’as dictes !
Ou si non, que vous deffendez250 !
SAUDRET
Et moy vous251, que vous vous rendez !
L’AVEUGLE
Tu n’as garde que je me rende
À toy !
SAUDRET
Ne vous que ne deffende
750 Ma querelle252 jusques au bout.
FICTUS
Vécy bien commencé partout.
SAUDRET
Je ne le crains !
L’AVEUGLE
Je ne te doubte253 !
SAUDRET
Vous perdrez ceste saqueboute254,
À ce coup, puisque je la tiens !
L’AVEUGLE
755 Holà, holà ! Jà255 n’en fais riens :
Plus n’ay de quoy mestier mener256.
SAUDRET
Si je vous puis les piedz lever,
Vous tomberez de l’autre part.
L’AVEUGLE
Dieux, aidez-moy !
SAUDRET
Il est trop tard.
760 Vous tomberez, comment qu’il soit257.
L’AVEUGLE
Et ! holà ! Que le diable y soit !
Saudret ?
SAUDRET
Hau !!
L’AVEUGLE
Laisse-moy aller 258.
SAUDRET
G’iray, avant, à vous parler259 !
Pas n’échapperez en ce point.
L’AVEUGLE
765 Holà ! Et ! ne me pique point !
Je t’en supplye, mon gentil-homme !
SAUDRET
Je prie à Dieu que l’en m’assomme
Se vous eschappez jà si aise ! Pungat.260
L’AVEUGLE
Je te prie, Sauldret, qu’il te plaise
770 Me laisser aller de bon cueur.
Hé ! Dieu, souverain Créateur :
Me lairrez-vous icy tuer ?
Hau ! hau !
SAUDRET
Vous avez beau huer :
Je vous aprendray à combatre !
FICTUS
775 Il nous fault d’aultre jeu esbatre
Ung peu, avant qu’on se repose.
L’AVEUGLE
Comment ?
FICTUS
[Or], il fault qu’on arrouse
À ung chascun de vous le cul :
Il appartient à broche-en-cul
780 Luy faire261, quoy qu’on se rebelle.
SAUDRET
Ha ! Par le sang bieu, j’en appelle262 !
L’AVEUGLE
Et moy aussi, sans demourée.
FICTUS jactet aquam, dicendo : 263
Vous deux aurez ceste seiglée264,
Je vous promet[z], soit tort ou droit.
785 Tenez !
L’AVEUGLE
Je demande [mon] droit
À ung chascun, et sus et jus !
FICTUS
Il vous fault essuyer les culz,
Après qu’ilz ont esté lavéz.
De ce baston, sans plus baver265,
790 Vous feray doulx comme une turtre266.
Empreu267 ! Et deux ! [Et trois !]
L’AVEUGLE
Au meurtre !
Le sang bieu ! je me conchieray268.
SAUDRET
Par la mort bieu, je lancerray269 !
L’AVEUGLE
N’en fais plus, car je me desdis
795 De trèstout quanque je te dis270 !
Souffist-il, Monseigneur mon Maistre271 ?
SAUDRET
[D’ung estron je vouldrois repaistre]272
Le ribault qu’ainsi nous festye !
FICTUS
Brief ! si voulez que vous deslie,
800 Entre vous deux, me pardonrez
Ce que j’ay fait, et me donrez
Chascun six blans pour aller boire.
SAUDRET
Je le vueil bien, par ma mémoire !
L’AVEUGLE
Et moy aussi, sans varier.
FICTUS
805 Saudret, je vous vais deslier,
Et puis deslierez vostre maistre.
SAUDRET
Par le vray Dieu qui me fist naistre !
Maistre, se plus me r’assaillez,
Je vueil mourir se vous faillez
810 À bien en estre chastié !
L’AVEUGLE
Puisque je t’ay merci crié,
Et qu’à vous je me suis rendu
Sans avoir guères actendu,
Et aussi que me suis desdit
815 De tout cela que je t’ay dit,
Je croy qu’il te doit bien suffire.
Encor, se mestier est273, beau sire,
Je vous pardonne mon injure274.
SAUDRET
Faictes ?
L’AVEUGLE
Ouÿ, je le vous jure,
820 Sans vous savoir mal gré275 quelconques.
SAUDRET
Or avant ! Et ! je le vueil, doncques.
Mais par ma foy, premièrement,
Nous baillerez de vostre argent
Dix solz d’erres276 pour aller boire.
L’AVEUGLE
825 Bien me plaist.
SAULDRET
Comme j’ay dit ?
L’AVEUGLE
Voire.
Deslie[z-]moy, mon amy doulx :
Si vous bailleray ces dix soulz.
Car j’ay esté cy longue pose277.
FICTUS
Si feray-je.
SAULDRET
Je m’y oppose
830 Jusqu’à ce que nous les ayons.
Pensez que se nous le croyons
Et deslions sans les avoir,
Il nous pourroit bien décevoir278
Et donner ung tour de botines279 :
835 Je congnois ses fais et ses signes
Comme moy-mesmes, proprement.
FICTUS
Mais280 qu’il soit deslié, vrayment,
Je croy qu’il fera son devoir.
L’AVEUGLE
Par mon serment ! vous dictes voir :
840 Parjurer ne m’en daigneroye281.
FICTUS
Se c’estoit moy, je le feroye,
Saudret : il semble homme de bien.
SAUDRET
Par ma Loy ! je n’en feray rien.
Nous en serons, avant, payés.
L’AVEUGLE
845 Et ! pour Dieu, que vous les ayez !
Puisqu’ainsi est, or les prenez.
SAUDRET
En quel lieu ?
L’AVEUGLE
Vous les trouverez
En ma manche282, en ung drappelet.
SAUDRET
Y a-il or ?
L’AVEUGLE
Pas ung pellet283 :
850 Je n’en ay point, mon amy fin.
SAUDRET
Touteffois, maistre, à celle fin
Que l’on ne me puisse imposer
Larrecin284, ou rien mal gloser
Contre moy, cest homme de bien
855 Les prendra. Le voulez-vous bien ?
Respondez franchement.
L’AVEUGLE
Ouÿ !
Car je me fie bien en luy,
Pource qu’il me semble bon homme.
FICTUS
J’aymeroye plus chier285 estre à Romme
860 Tout nu en ma propre chemise
Que d’avoir une maille prise
Du vostre sans vostre congié286 !
Vez-les cy.
SAUDRET
N’y ait plus songié287.
Doncques, qu’il me288 soit deslié.
865 Aussi s’est-il humilié
Et congnoist assez son deffault289.
FICTUS
Irons-nous disner ?
SAUDRET
Il le fault.
FICTUS
Mais où ?
L’AVEUGLE
Allons chez le premier
– Ou hostelier, ou tavernier –
870 Qui aura de bon vin à vendre,
Des pois, du lart, de bon pain tendre,
Du rost290, de la pâticerie
Ou de quelque autre lécherie291.
Et nous y disnons bien et fort !
SAUDRET
875 Par mon serment, j’en suis d’accort !
Or y allons nous troys ensemble,
Car nous y boyrons (ce me semble)
Du meilleur vin en paix faisant.
*
L’AVEUGLE 292 SCÈNE X
Saudret !
SAUDRET
Maistre ?
L’AVEUGLE
Je suis refait293
880 Et bien dîné, mon amy doulx,
Dieu mercy !
SAUDRET
Aussi sommes-nous,
Cest homme de bien cy et moy.
FICTUS
Loué soit le souverain Roy294 !
Bien en devons estre contens.
885 Or çà, mes amys, il est temps
Que je m’en aille à mon affaire.
Se plus avez de moy affaire,
Je suis tout au commandement.
SAUDRET
Je vous en mercie grandement
890 Quant de ma part295. Et aussi fait
Mon maistre qui cy est ; de fait,
À son povoir296 je m’en fais fors.
L’AVEUGLE
Voire, par la foy de mon corps !
Mon cher amy, je vous mercie.
SAUDRET
895 Mon maistre, je vous certifie
Que bien estes à luy tenu
De ce qu’il est icy venu
Franchement à nostre débat.
Et si, a laissé son esbat297
900 Ou sa besongne en destourbance298
Pour nous faire la secourance
Que vous savez qu’il nous a faicte.
Si, est droit que luy en soit faicte
Quelque rémunéracion.
L’AVEUGLE
905 Mais combien ?
SAUDRET
Numéracion
De cinq solz de vostre monnoye.
Si Dieu me doint honneur et joye,
Je croy qu’il l’ait bien desservi299.
Oncques-puis que je vous servy,
910 Je ne vis si gracieux300 homme.
L’AVEUGLE
Tu devroies payer ceste somme,
Puisque tu as eu la victoire.
SAUDRET
Sauf vostre grâce ! Mais encoire
Devriez-vous payer tous les frais
915 Quelconques, qui ont esté fais
À cause de nostre discord.
L’AVEUGLE
Pourquoy ?
SAUDRET
Car vous aviez [le] tort.
Puisqu’avez perdu la bataille,
Il esconvient que l’en vous taille301
920 De tous les frais qui en dépendent.
Ainsi le font ceulx qui se rendent,
En bataille : et si, paient rançon.
L’AVEUGLE
Je te prie donc, mon enfançon :
Preste-moy de cinq solz la somme
925 Pour bailler à ce vaillant homme
Qui cy est, avant qu’il s’en aille.
Car je n’ay plus denier ne maille
Sur mon corps. Et je te prometz
Que je les vous rendray [huymais]302,
930 [Mais] que nous en ayons receu.
Ou si tu crains estre déceu
Par moy, demain ou l’en303 demain,
Je suis content que par ta main
Toy-mesmes vous le recevez304.
SAUDRET
935 Par la foy que vous me devez305 !
Maistre, voulez-vous, orendroit306,
Que je les prengne, tort ou droit,
Sur le premier307 de nostre queste,
S’ainsi est que je les vous preste
940 De ma bourse présentement ?
L’AVEUGLE
Ouÿ, Saudret, par mon serment !
Je vous en donne auctorité.
SAUDRET baille cinq solz [à l’Aveugle].
Véez-les cy donc, en vérité :
Ung, deux, trois, quatre, cinq, et six308.
L’AVEUGLE
945 Or venez à moy, beaux amys309 !
Vous me semblez bonne personne :
Vécy cinq solz que je vous donne
De monnoye, en recongnoissance
De voz peines. Car sans doubtance,
950 Vous me semblez homme de bien.
FICTUS
Je vous mercie ! Et s’il est rien
Que vous me vueillez commander,
Ne faictes sinon me mander,
Et vous m’aurez, je vous affie.
955 À Dieu !
L’AVEUGLE
À Dieu, qui vous conduye !
Mais dictes-moy – s’il vous agrée –
Vostre nom, et en quel contrée
Demourez.
FICTUS
J’ay nom Chosefainte310,
Qui suis en Jhérusalem Sainte,
960 La merci de Dieu, qui tout fist !
Vous ne trouverez si petit311
Qui ne vous dye où je demeure.
À Dieu soiez !
L’AVEUGLE
En la bonne heure,
Mon amy, puissez-vous aller !312
SAUDRET
965 Ouÿstes-vous oncques parler,
Maistre, plus gracieusement
Ne plus mélodieusement
Que fait cest homme qui s’en part
D’avecques nous ? Quant de ma part,
970 Je m’en tiens à trèsbien content.
L’AVEUGLE
Aussi l’ay-je payé content :
Il emporte cinq solz du mien.
SAUDRET
Certainement je croy et tien
Qu’ilz sont bien employés, sans doubte.
975 Maistre, vécy une grant route
De gens d’estat et de façon313 ;
Se [nous] chantions une chançon,
Ce seroit bien, je vous plévis.
L’AVEUGLE
Tu es homme de bon advis.
980 Commençons doncques en apert314.
Chançon 315
Dieu, qui le monde a recouvert 316,
Doint bonne destinée
À qui dire sçait 317 de quoy sert
Celle bonne vinée !
.
985 Cil 318 qui par sa bonté nous fist
Soit loué en fais et en dit,
Qui tant de biens nous donne !
De chanter m’est prins appétit
Du fait des beveurs ung petit 319.
990 Quant la vinée est bonne,
À qui n’en prent que par raison
Elle est moult profitable,
Et ne s’en ensuit si bien non 320 :
C’est chose véritable !
.
995 Elle eschauffe et nourrist le corps,
Qui plus en est joyeux et fors ;
Mieulx en parle et devise.
Couleur luy donne, par-dehors,
Plus belle que s’il estoit mors 321,
1000 Et son engin aguise 322.
Médecines fait le vin blanc 323,
Et le cueur réconforte ;
Et le vermeil 324 fait le bon sang,
S’il est de bonne sorte.
.
1005 Il fait gens d’Église coucher,
Souvent, quant ilz deussent veiller
Et dire leur service ;
Escoliers rire ou sommeiller
Quant ilz deussent estudïer,
1010 Comme c’est leur office ;
Nobles chevaliers, escuiers,
Mener vie joyeuse ;
Bourgois, marchans, gens de mestiers
Fait tenir en oyseuse 325.
.
1015 Quant povres gens boivent ung poy,
Ilz sont plus riches que le Roy
Tant comment ilz 326 sont yvres ;
Mais l’endemain est le desroy,
Povre chère et piteux arroy 327,
1020 Quant ilz en sont délivres 328.
Car qui les verroit le matin,
C’est piteuse levée :
Ilz ne parlent plus tel latin
Comment à la sérée 329.
.
1025 En beuvant bon vin près du feu,
Se l’un dit « heu ! », l’autre dit « beu ! »,
L’autre pert le langage.
Il fait à l’un faire son preu 330,
L’autre n’y penser que trop peu,
1030 L’autre se cuider sage.
L’un fait des autres mal parler,
L’autre crier ou braire,
Gens accorder ou discorder,
Et mariages faire.
.
1035 Raconter [nous] ne vous saurions
Tous ces fais et ces signes.
Dieu sauve tous bons compaignons
Et le brouet des vignes !
Cy fine la chanson.
L’AVEUGLE
Je te prie que tu en assignes331,
1040 Saudret, pour dix deniers la pièce,
À celle fin que l’argent chiesse332
Dedens ma bourse sans respit.
Car long temps a que l’on n’y mist
Rien, et qu’on ne cessa d’y prendre.
SAUDRET
1045 Ne vous souvient-il pas que rendre
Vous me devez, avant tout euvre333,
Cinq solz, et que je les receuvre334,
Que vous baillastes au bon homme ?
L’AVEUGLE
Si fais bien ; mais je ne sçay comme
1050 Les te rendray s’il ne m’en vient.
.
LE MESSAGIER SCÈNE XI
Çà, mes amis ! Bien me souvient
Que l’autre jour, vous me vendistes
Une autre chanson, et en pristes
Dix deniers de chascun roullet335.
1055 Si me dictes, gentil varlet,
Combien ung cent me coustera
De ceste336 ?
SAUDRET
Mon maistre en aura
De chascun roulet dix deniers.
LE MESSAGIER
Je les en paieray voulentiers.
1060 Baillez-les çà ! Vécy l’argent.
L’AVEUGLE
Saudret, baille-luy-en ung cent,
Et pren cent grans blans de monnoye.
Sur quoy, prens cinq solz et t’en paye ;
Et m’en baille le remenant337.
1065 Mais advise bien, mon enfant,
Que tout soit bon. Entens-tu bien ?
SAUDRET
Or ne vous soucïez de rien,
Mon maistre, fors de bien dancer338.
LE MESSAGIER
À Dieu !
SAUDRET
Adieu !
.
Allons lancer. SCÈNE XII
L’AVEUGLE
1070 Que veulx-tu que lancer aillons ?
SAUDRET
Du meilleur vin sur noz couillons339,
Puisque nous avons de l’aubert340.
Vous savez bien de quoy vous sert
Le prouffit de mon escripture
1075 Et mon beau chanter.
L’AVEUGLE
Je te jure
Qu(e) aussi te feray-je des biens !
SAUDRET se paye des cinq solz.
Vécy cinq solz que je retiens,
Maistre, et [je] vous rens le surplus.
L’AVEUGLE
Y est-il tout ?
SAUDRET
Ouÿ.
L’AVEUGLE
Or sus !
1080 Allons où nous avons disné,
Car on y est bien aviné341.
Recordons-y nostre leçon342,
Et que nous nous y repesson343 :
As-tu point ne trippe ne foye344 ?
SAUDRET
1085 Et ! si ay. Si Dieu me doint joye,
Certes, vous ne m’avez point veu345
Ny esbahy, ne despourveu.
Allons boire, puisqu’il vous plaist.
*
L’AVEUGLE 346 SCÈNE XIII
Saudret !
SAUDRET
Maistre ?
L’AVEUGLE
Je te demande
1090 Si tu as aucune vitaille347 ;
Et si tu en as, si m’en baille !
Car certes, j’ay grant appétit
De mangier.
SAUDRET
Ne grant, ne petit
N’y en a, foy que je vous doy !
L’AVEUGLE
1095 Hélas, mon amy ! Quelque poy
M’en donne, à ce pressant348 besoing !
SAUDRET
Par ma foy ! je n’ay que le poing,
Dont je puisse férir aux dens349.
L’AVEUGLE
Et pourquoy ?
SAUDRET
Pource que les gens
1100 Ne donnent plus chose qui vaille.
L’AVEUGLE
Si font au moins de la mengea[i]lle
Qui assez est à grant marché350.
Et n’est que par ta mauvaisté
Si nous n’avons bien à manger.
1105 Mais tu fais d’en quérir danger351,
Et chiez352 au péché de paresse.
Je te requiers : or nous adresse353
À quester parmy ceste ville.
Tu te disoys si très habille354,
1110 Quant tu vins o moy demourer,
Et te vantoies de truander
Aussi bien comme homme vivant.
Il ne deust avoir355 (je me vant),
En la cité, bourde356 ne loge
1115 En quoy homme demeure ou loge,
Où tu ne t’allasses bouter :
Tu y trouvasses, sans doubter,
Assez à manger et à boire.
SAUDRET
En la cité ?
L’AVEUGLE
Par la Loy, voire !
1120 Et crier357 haultement et fort.
Or m’y meyne : je me fais fort
Que j’en auray, mais que je crie.
SAUDRET
Je verray donc vostre maistrie358.
Or y allons, et criez bien.
Icy vont devant l’ouvrèr 359 de l’Apoticaire,
et crye l’Aveugle en disant :
L’AVEUGLE
1125 Chères gens, faictes-nous du bien,
Pour l’amour de Dieu, s’il vous haite360 !
Ung denier ou une maillette361 !
Du pain, de la char362, de la souppe,
Et des verses363 de vostre couppe,
1130 Ou du relief, ou quoy que soit
À ce povre qui point ne voit !
Et grant charité vous ferez.
.
L’APOTICAIRE SCÈNE XIV
Venez çà, mes amis, venez,
Et vous arrestez en ce lieu !
1135 Et je vous y donray pour Dieu
Pain et vin, et de la vïande.
SAUDRET
Monseigneur, je vous recommande
Ce povre homme qui ne voit goutte,
Et a tel fain, sans nulle doubte,
1140 Que c’est pitié, bien le sachez.
L’APOTICAIRE 364
Tenez, mes amis : or, mangez
Et beuvez trèstout à vostre aise.
L’AVEUGLE
Grans mercis, des fois plus de treize,
Sire ! Dieu le vous vueille rendre !
1145 Saudret, il seroit bon de prendre
Icy endroit nostre repas.
A ! dea, je ne mentoye pas,
En présent, quant je te disoye
Qu’assez à menger trouveroye
1150 S’il advenoit que je criasse.
SAUDRET
Or nous séons365, car je mengeasse
Aussi voulentiers comme vous.
L’AVEUGLE
Or tranche donc, mon amy doulx,
Pour nous deux, dessus ung volet366.
1155 Et me donne du pain molet367,
Se tu en as, car j’ay grant fain.
SAUDRET
Pain molet ? Il n’y en a grain,
Par l’âme qui en moy repose !
Avoy368, dea ! Vécy bonne chose,
1160 Par ma Loy ! Mon maistre gentilz,
Il n’y a que du pain faitis369 ;
Si en mengez, et louez Dieux.
L’AVEUGLE
C’est bien ; mais s’il y avoit mieulx,
Saudret, j’en vouldroye bien avoir.
SAUDRET
1165 Mon maistre, vous devez savoir
De certain que se j’en avoye,
Jamais ne le vous cèleroye :
Car je suis tousjours coustumier
De vous servir tout le premier
1170 De ce que Dieu nous a presté.
L’AVEUGLE
Par tous les benois jours d’esté !
Il te vauldra, se j’ay à vivre370.
SAULDRET
Vécy le tailloèr371, que je livre
Devant vous, garni de cuisine.
1175 Or mengeon, et que chascun disne.
Et faisons icy, sans renchière372,
Ung tronsonnet373 de bonne chière.
Maistre, je bois à vous d’autant ! Potet.374
L’AVEUGLE
Bon preu te face, mon enfant !
1180 Or verse doncques, et m’en donne ! Potet.
A ! par mon serment, vécy bonne
Vinée, Saudret, mon amy !
Icy, l’Aveugle et Sauldret boyvent.
SAUDRET
Il y a bien moys et demy
Que je ne beu meilleur boisson.
[ L’AVEUGLE
1185 Or verse donc, mon enfançon !
SAUDRET
S’il en reste, qu’on me puist pendre !
L’AVEUGLE ] 375
Dy, hau, Saudret : il fault entendre
D’aller boire chascun sa foiz376.
Car, ainsi comme je le croys,
1190 Il est bien fol qui rien espargne.
SAUDRET
Allons-nous-en [en] la taverne
Sans plus tarder ne çà, ne là.
.
Hau ! Tavernier ! SCÈNE XV
Servus taberne dicat : 377
[LE VARLET DU TAVERNIER]
Qui est-ce là ?
L’AVEUGLE
Sont gens de bien, soiez saichans378.
LE VARLET DU TAVERNIER
1195 Ha ! Nostre Dame, quelx marchans
Pour faire riche une taverne !
Ce sont [des] gens de Mau-Gouverne379,
Je le voy bien à leur livrée.
SAUDRET
Or sus ! à coup nous soit livrée
1200 Une pinte du meilleur vin,
Du plus doulcet380 et du plus fin
Qui soit en toute ceste ville !
LE VARLET
Mais regardez qu’il est habille,
À toute sa roube de toille381 !
1205 C’est à l’enseigne de l’Estoille 382
Que devez boire, mes mignons.
SAUDRET
Dea ! nous sommes bons compaignons,
Pourtant que sommes383 mal vestus.
Nous avons laissé mil escuz
1210 (Par Dieu qui me fist !) à la banque
De Lion384.
LE VARLET DE L’OSTE
Ha, [ha] ! c’est tout quanque
Je disoie présentement.
Car vous estes certainement
Gros marchans et gros usuriers.
1215 Vous en avez bien des deniers,
Et des escuz, et des ducatz.
Ha, vous ne les emporterez pas
Quant vous partirez de ce monde.
L’AVEUGLE
Je pry à Dieu que l’en me tonde385,
1220 Saudret, se de nous ne se mocque !
SAUDRET
Voire, que la fièvre le tocque386 !
De nous se mocque en général387.
Ha, dea ! si nous estions à cheval388,
Et bien habillés et en point,
1225 Il ne nous reffuseroit point,
Je le sçay bien, sans dilatoire389.
L’AVEUGLE
Et ! pour Dieu, donnez-nous à boire :
Nous paieron comme bon[ne] gent390.
LE VARLET DE L’OSTE
Baillez-moy tout premier l’argent,
1230 Et vous en aurez voulentiers.
SAUDRET
À combien est-il ?
LE VARLET
À six deniers
Le pot : vous n’en rabatrez rien.
L’AVEUGLE
Allez-y donc.
LE VARLET
Je le vueil bien ;
Mais je verray, premier, la croix391.
L’AVEUGLE
1235 Vez là six deniers, je le croix.
Regardez-y sans plus songier392.
SAUDRET
Voir(e), mais nous n’avons que mangier393 :
Nous ne mangeasmes, anuyt394, rien.
L’AVEUGLE
Par sainct Pierre395 ! tu diz trèsbien,
1240 Car de fain suis tout translaté396.
LE VARLET
Il (y) a céans ung bon pasté
De bons pigeons et de pollés397,
Que vous aurez se vous voulez,
Car vous n’en povez avoir moins.
L’AVEUGLE
1245 [Et] combien vault-il ?
LE VARLET
Trois unzains398
En baillerez, se vous l’avez399.
L’AVEUGLE
Dea ! c’est trop.
LE VARLET
Ha ! vous ne sçavez
Comme la char est icy chière.
Il n’y a boucher ne bouchière
1250 Qui le vous donnast pour le pris400,
J’en suis certain.
SAUDRET
Il sera prins,
Puisqu’ainsi est. Se par Dieu me gart,
Je paieroie avant de ma part401
Quatre blans que nous ne l’eusson !
1255 Mon maistre, sans plus long sermon,
Tirez bien tost au chevrotin402.
L’AVEUGLE 403
Vez-les là.
SAUDRET
Venez, mon cousin404 !
Allez quérir vin et pictance.
Bien paié serez, sans doubtance,
1260 Je vous promet[z], de bout en bout.
.
LE VARLET SCÈNE XVI
Je ne perdray pas, mèshuy405, tout,
Puisqu’ilz me paient avant la main.
Si chascun le fist, pour certain,
On ne fist nully adjourner406.
1265 Devers eulx m’en vais retourner
Leur porter pain, vin et pictance.
.
Je suis retourné407, sans doubtance. SCÈNE XVII
Tenez, repaissez à vostre aise.
L’AVEUGLE
Mangons sans nous donner malaise,
1270 Car quelq’ung nostre escot paiera,
Certes, qui ne s’en ventera.
Sus ! tastons de ceste boisson !
*
Icy s’assist Jhésus, et sa mère, et les disciples ;
et mangent pendant que l’Aveugle parle.
L’AVEUGLE SCÈNE XVIII
Saudret, puisqu’avons bien408 mangé,
Sans qu’il y ait plus cy songé,
1275 À chemin nous fault advoyer409.
LE VARLET
Il vous convient, avant, payer
Ce que devez, comme je croys.
Car vous avez eu, du su[r]croys,
Pinte de vin, j’en suis certain.
1280 Et aussi avez eu ung pain
Qu’il vous fault payer, s’il vous haicte.
SAUDRET
Aux gallans de Saincte-Souffrète410,
Vueillez despartir411 de voz biens !
Et certes, vous n’y perdrez riens
1285 Que l’actende412, combien qu’il tarde.
LE VARLET
Vous seriez plus fins que moustarde413,
Se414 vous en peussez nullement
Aller sans me faire payement
De ce que me devez, orendroit.
1290 Car aultrement, le me fauldroit
Payer au maistre, de ma bourse.
L’AVEUGLE
Pour Dieu, amy, qu’on ne se cource415 !
O nous416, dommaige vous n’aurez ;
Mais de nous, bien payé serez…
1295 Au retour de nostre voiage.
LE VARLET DE L’OSTE
Ha ! brief j’auray argent ou gaige,
Je le vous dy à ung mot rond417 !
.
L’OSTE 418 SCÈNE XIX
Le grant diable le col te rompt
En brief419, fol vilain et testu !
1300 Et pourquoy ne420 desgaiges-tu
Ces pouvres coquins421 qui n’ont rien ?
Je vueil qu’on leur face du bien,
Désormais, en toute saison.
Or sus ! chantez une chanson
1305 Pour la despence qu’avez faicte.
L’AVEUGLE
Nostre Maistre, puisqu’il vous haicte,
Très voulentiers nous le ferons.
Icy chantent l’Aveugle et Saudret une chançon plaisante et belle,
puis dit SAUDRET :
Chier sire, de vostre pictance
Vous mercÿons en tout degré.
L’OSTE
1310 Amys, prenez en pacience422.
L’AVEUGLE
Chier sire, de vostre pictance,
SAUDRET
Le Dieu qui a toute puissance
Vous en vueille sçavoir bon gré !
L’AVEUGLE et SAUDRET dient emsemble :
Chier sire, de vostre pictance
1315 Vous mercÿons en tout degré !
Icy, Cecus [l’Aveugle] et Saudret s’en vont, et dit Jhésus…423
*
1 Le Mystère de la Résurrection. Angers, 1456. Droz, 1993. 2 volumes. 2 Jolie. (Cf. la Présentation des joyaux, v. 63.) La « godinette ville » dans laquelle entre Saudret n’est autre que Jérusalem, en plein drame biblique. Mais on se croirait à Angers en 1450. Saudret déambule en cherchant de l’embauche comme valet. 3 Ni côté face, ni côté pile : pas un sou. 4 Tous les hôteliers. 5 De chercher un aveugle. Les mendiants aveugles ne peuvent rien faire sans un valet. L’Aveugle du Mystère des Actes des Apostres s’en plaint : « Aller ne sçay par ville ne cité/ Se guyde n’ay tousjours à mon costé. » Il a pourtant « le plus maulvais varlet/ Qui soit, ce croy, en tout le Monde…./ Las ! fiez-vous en telz varletz/ De qui toute malice sourt ! » 6 De l’argent, qui est une chose facile à transporter. 7 Aveugle. 8 Savait se tirer d’affaire. Idem v. 194. 9 Gagner une pièce de monnaie. Idem vers 361, 861, 927, 1127. Je ne répéterai pas les notes de traduction ; donc, prenez des… notes. 10 Que quelqu’un s’efforce. 11 Nous pourvoir de nourriture. Idem v. 120. 12 Leur pauvre vie. « N’en vueil riens avoir fors que ma povre de vie. » P. de la Sippade. 13 Il a entendu les jérémiades de l’Aveugle. 14 Tout ce qu’il. Idem vers 378, 795, 1211. 15 Tel maître, tel valet. Cf. Légier d’Argent, v. 222. 16 D’attente. Idem v. 1285. 17 « Il va, et dit à l’Aveugle. » Les rubriques (que je traduis systématiquement) et les didascalies, réservées aux lecteurs, sont souvent écrites en latin. Cecus = l’Aveugle. Nuncius = le Messager. 18 Pour vrai. Idem v. 839. 19 Rembourser. 20 Parlons peu, parlons bien. La farce va opposer deux hommes qui ont un rapport à l’argent contractuel et procédurier. 21 Désormais. 22 L’hypocrite. Cf. Daru, vers 122. 23 Qu’ils seront bien méprisants, ceux… 24 Une grande pause = pendant longtemps. Idem v. 828. 25 Auquel il a rendu par un miracle la lumière, la vue. Idem vers 322, 325, 353. 26 Je m’en vante. Idem vers 327 et 1113. 27 Pour économiser le papier, on gravait les brouillons sur des tablettes de cire réutilisables. 28 Selon le poste que j’occupe. 29 Approprié. 30 Beaucoup de mendiants aveugles chantaient en s’accompagnant à la vielle (vers 654). Celui-là vend aussi des partitions. 31 100 sous pour l’année. 32 Vous me procurerez. 33 Si tu es aussi mal vêtu et chaussé que moi. 34 Décidé. 35 Topez là ! Cf. Cautelleux, Barat et le Villain, vers 39. 36 Ma manière d’être : ma conduite. 37 Mendier. Idem v. 1111. Ce verbe commençait à prendre une connotation péjorative. 38 Voirre se prononçait verre, tout comme fois se prononçait fais. 39 Comme personne. 40 Chercher un hébergement. « En un bon hostel vous menray/ Où herberge pour vous prendray. » ATILF. 41 Chaque fête paroissiale faisait affluer les mendiants devant la porte de l’église concernée, car les fidèles y étaient plus nombreux et plus généreux que d’habitude. 42 Si vous n’y voyez pas d’inconvénient. 43 L’Aveugle, qui veut passer pour noble, est extrêmement imbu de sa personne. 44 Qui s’amuse et qui boit. « Après boire et après galler. » (ATILF.) Mais la prononciation Gallebais (voir la note 151) nous rapproche de « gueule bée » [bouche ouverte], qui est un beau nom pour un chanteur des rues : « Chantons à gueulle bée ! » Les Sotz triumphans. 45 Un peu. (Idem vers 1015 et 1095.) Qu’on cessa d’allaiter un peu trop tôt : qui est orphelin. 46 Pour nom de famille. Tout lui fault = Tout lui manque : il ne possède rien. C’est, entre autres exemples, le nom d’un mendiant dans les Bélistres. 47 Mal mariée, ce qui est normal pour la femme d’un vaurien. Dans le Messager et le Villain, l’épouse du paysan porte le même nom. Cf. le Munyer, v. 34. 48 La fille de la Paresse. « Sainct Fait-néant : c’est le patron des lasches journées, des paresseux & gaudisseurs. » Pierre Viret. 49 Vous êtes venu au bon endroit. Voir les vers 289-290. 50 De te remémorer ce que tu diras pour émouvoir nos donateurs. 51 Au. 52 Lui rende la lumière, la vue. Mais aussi, et surtout : Que le feu de St Antoine lui donne des hémorroïdes ! « Le cul qui tousjours pète et chie,/ Le feu sainct Anthoine l’alume ! » Tarabin, Tarabas (F 13). 53 Presque cinq mois plus tard. 54 Répondre « hau ! » à quelqu’un qui nous appelle est le comble de l’impolitesse. « –Sottinet ! –Hau ! –Quel “hau” ? » Le Roy des Sotz, qui fut également joué devant le roi René vers la même époque. 55 Parmi, sur. 56 Une corde. 57 Pour qui vous prenez-vous ? 58 Pouilleux. 59 On tondait les fous. Les tonsures se faisaient à l’eau savonneuse chaude : « Je vueil estre sans eau tondu ! » Goguelu (voir ma notice). 60 D’appeler ainsi un mendiant. Idem v. 578. Voir la note 37. 61 De mauvaise odeur. Cf. les Veaux, v. 222. 62 Qui ne commet jamais de faute. Cf. le Messager et le Villain, vers 427. 63 Un vieux cochon, de la famille des suidés. « Hou ! le souin ! » J.-A. de Baïf. 64 Ceci ni cela : ne m’insulte pas. 65 Si ça me démange. Cf. le Capitaine Mal-en-point, v. 282. 66 Quoi qu’il en soit. Idem v. 667. 67 Contraindre. Idem v. 637. 68 À vous appeler « seigneur ». Cf. le Capitaine Mal-en-point, vers 357-8. 69 Un arrangement. Idem v. 187. 70 Notre association. 71 L’assurance. 72 Que nous fassions. Expliquez-le-moi. 73 Tous nos conflits. 74 À l’Aveugle-né (vers 58). 75 En toute occasion. 76 Que celui qui en aura les moyens boive ou mange. 77 Il le cache. 78 Donner pour Dieu = faire la charité. Idem v. 1135. 79 Ils chantent, dansent (vers 1068), et l’Aveugle joue de la vielle. Cette chanson est inconnue. La musique doit être identique à celle de la chanson qui commence au v. 981 : elle est écrite sur les mêmes dizains AAbAAbCdCd (je mets les hexamètres en minuscules). Cette bluette qui prétend louer « les biens qu’on a en mariage » prend le contre-pied des « maux qu’on a en mariage » d’une manière tellement grosse que nul n’est dupe : il s’agit bien d’une chanson antimatrimoniale. 80 Taisez-vous et vous entendrez. 81 Des maux inventés. Cf. le Sermon joyeulx de tous les maulx que l’homme a en mariage. 82 Lui ouvre la porte. Dans les farces, l’épouse n’ouvre au mari qu’après avoir caché son amant. 83 De souci. 84 Elle le couvre. 85 Contre lui. 86 Original : De 87 « Ma foy, dit-elle, vous ne serez pas en mon livre enregistré (…) que je ne sache quel harnois vous portez. » Cent Nouvelles nouvelles, 15. 88 Ce bois qui se lève bien haut est une métaphore phallique. Cf. le Ramonneur, v. 276. 89 « Lors il luy a fait la chosette/ Qu’une fille peut désirer. » Gaultier-Garguille. 90 Dans la Mauvaistié des femmes, l’épouse met en cage un cocu [un coucou]. 91 Elle en enlève les draps sales. 92 Elle le déshabille. 93 Elle tire de l’eau du puits. 94 Gracieuse. 95 Elle l’appelle son ami. Mais on peut comprendre : Son amant l’appelle. 96 Lui, il nourrit ses enfants à elle. 97 Qu’il se met en colère pour quoi que ce soit. Le jeu de mots sur « marri » et « mari » n’est pas nouveau : « Le mary fut fort marry. » Les Joyeuses adventures. 98 Aux femmes du public. Puis son valet s’adressera aux hommes, pour être sûr de n’omettre aucun acheteur potentiel. 99 Il n’y a pas ici de femme si rusée. 100 Pour s’améliorer encore en matière de ruse. 101 Une partition. 102 Pour une pièce de monnaie. Idem vers 802, 1062, 1254. 103 Allons ! Idem vers 413, 691, 732, 737, 821. 104 Vous conduire. « Tant charia/ Qu’en la parfin se maria,/ Comme fols. » ATILF. 105 Déclare, révèle. 106 Prenez nos chansons, vous ferez sagement. 107 Ce personnage du Mystère a écouté la chanson parmi le public. Il monte sur scène. Dans la vie, il aime deux choses : le vin et les chansons misogynes. Ailleurs, il entonne celle-ci : « Je revenoye de cure./ Trouvay une vieille dure/ Qui avoit une grant hure/ Plaine de toute laidure. » 108 S’évertuent. Le Messager sillonne le pays dans tous les sens. 109 Sans contestation. 110 Une centaine de partitions. Idem vers 286, 1056, 1061. L’Aveugle est à la fois détaillant et grossiste. 111 Qu’il me vienne malheur (verbe méchoir). 112 Si j’étais passé ailleurs. 113 Ni soir, ni matin. Cf. Saincte-Caquette, v. 288. 114 Un seul mot. 115 Par avance. Idem v. 1262. 116 Qu’il n’y ait pas de pièce fausse ou rognée. Même méfiance de l’Aveugle aux vers 1065-6. 117 On demande toujours les dernières nouvelles aux messagers, qui voyagent beaucoup (vers 277-280). 118 Une chose terrible. Cf. D’un qui se fait examiner, v. 284. 119 Si j’étais aveugle. 120 Quand Jésus était vivant. 121 La lumière, la vue. Cf. l’Aveugle et Picolin, vers 92. 122 Que ce soit moi. Cf. la Laitière, vers 120 et note. 123 Plénier, complet. 124 Qu’il n’en manque. 125 Avec. Idem vers 1110 et 1293. Cf. les Esbahis, v. 215. Les serviteurs étaient payés une fois par an, et Saudret ne travaille pour l’Aveugle que depuis 146 jours. Mais s’étant fait rouler par son précédent maître, qui a retrouvé la vue grâce à un miracle, il exige d’être payé tout de suite au cas où Gallebois serait lui-même guéri par un miracle. 126 Quand nous serons revenus du sépulcre. 127 Par la loi des chrétiens, opposée à la loi des juifs, qu’on critique au v. 316. Idem vers 384, 464, 843, 1119, 1160. 128 Quand Jésus lui eut rendu la vue. 129 Siffler comme on siffle un chien. Un baude est un chien de chasse. Un des chiens de Charles d’Orléans portait même ce nom : « Laissez Baude buissonner ! » 130 Qu’il me l’a baillée belle. L’aveugle-né s’est vengé d’un hypocrite qui piochait dans son escarcelle, comme il le lui reproche dans le Mystère de la Passion d’Arras : « Oste ta main hors de ma tasse,/ Hardeaux ! Je t’y sens bien aler. » 131 Qu’il ne manquera pas un sou. 132 Si j’y vais, au sépulcre. 133 Il vaut mieux être sûr que de rester dans le doute. 134 De faire crédit de son argent. 135 Rayé de votre livre de comptes. Dans le Mystère de S. Bernard de Menthon, un aveugle recouvre miraculeusement la vue et refuse de payer son valet, dont il n’a plus besoin : V. Payez-moy avant que partez,/ Ou débat à moy vous aurez,/ Car je vous ay très bien serviz./ A. Mon amy, jamais ne te vy/ Jusques or ; ne sçay qui tu es./ V. Mal jour doint Dieu (à celui) qui t’a les yeulx/ Anssy gariz ! Dolent j’en suis./ Ne resteray de quérir huy/ Tant que je treuve ung aultre orbache [aveugle]. » 136 À notre retour du sépulcre. 137 Bavarder. 138 Un peu. Idem v. 989. 139 Cession. 140 De tout mon argent disponible. 141 Négligent. 142 Que je te paye. 143 Comptant, intégralement. Idem v. 971. 144 Il ne faut plus s’en émouvoir, s’en préoccuper. 145 De mon travail de copiste. 146 Je renonce à vous avoir pour maître. 147 Au moins. Cf. la Pippée, v. 764. 148 De mes copies de partitions. 149 Si méprisable, en acceptant de travailler pour rien. 150 Avant que je ne bouge de là. Idem v. 410. 151 Original : ung denier poy (« -ois » rime en « -ais », comme aux vers 90 et 368.) 152 Assez malin. Cf. le Capitaine Mal-en-point, v. 185. 153 Me soustraire. 154 « L’Aveugle compte l’argent et le remet à Saudret en lui disant. » 155 Sans retard. Idem v. 703. 156 Comme il convient. 157 Et qu’Il veuille bien me rendre la vue. 158 Fuir. 159 De pied en cap : des pieds à la tête. 160 De renvoyer la Mort en lui opposant un « vidimus sans queue ». Voir le v. 281 de Marchebeau et Galop, et le v. 247 du Dorellot. 161 Je vous laisserai dans ce combat d’escrime. 162 Je vous planterai là. Cf. les Femmes qui plantent leurs maris pour reverdir. 163 Refroidir. 164 Nous éloigner. « Un peu arrière se rusa. » Godefroy. 165 Orig. : men 166 Des archers anglais de la guerre de Cent Ans. L’auteur joue habilement avec les anachronismes. 167 Qu’ils aient raison ou tort. Idem vers 784 et 937. Saudret s’immobilise tout à coup, et l’Aveugle pendu à ses basques en fait donc autant. 168 « Saudret modifie sa voix, et dit alors. » Il se fait passer pour un soudard anglais, avec un accent caricatural. Le gag du changement de voix remonte au moins au XIIIe siècle : dans la farce du Garçon et de l’Aveugle, un valet gifle son maître aveugle en se faisant passer pour quelqu’un d’autre. Dans la farce de Goguelu (voir ma notice), le valet bat son employeur aveugle en usurpant la voix d’un sergent. 169 Vous êtes (accent anglais). 170 Il sera, un jour lointain, le protecteur de l’Angleterre. Ce mot compte pour 1 syllabe : « Tout Angleter plory, point n’a-ti fable./ Car, by saint Georg ! tout l’a-ty malheureux. » Regrect que faict un Angloys de millort Havart. 171 « Saudret parle avec sa première voix. » Il reprend sa voix naturelle. 172 Pour obtenir du pape le pardon de ses péchés. Encore un anachronisme ! 173 Que cela vous plaise ou pas. Idem v. 556. 174 Il s’agit de saint Ninian, qui évangélisera l’Écosse, quand il sera né… « Sainct Treignan ! foutys-vous d’Escoss ? » (Pantagruel, 9.) Cf. Frère Fécisti, v. 416. 175 Où sont-ils ? 176 L’original semble porter rasler, qui n’a ici aucun sens. Rêver = perdre son temps. « Dea ! Jaquinot, sans plus resver,/ Ayde-moy à lever ta femme ! » Le Cuvier. 177 Il tend 10 sous au faux Anglais. 178 Déformation de : by God ! by’r Lord ! « Foy que doy brulare bigot ! » Villon. 179 Orig. : Encores ny 180 Par ce sentier, plutôt que par la route. Les deux hommes retournent en ville, et il ne sera plus question d’un pèlerinage au sépulcre. 181 Pauvre de moi ! 182 Voulant montrer du respect à son serviteur en le vouvoyant, l’Aveugle commence à mélanger le « tu » et le « vous ». Son trouble ne fera que s’amplifier, jusqu’à en devenir pathologique. 183 Haleine : j’ai le souffle court. 184 De peur. Scandé pa-our, comme à 518. 185 Puanteur. 186 Je l’affirme à Dieu. Eustache Deschamps l’épingle dans sa Ballade des jurons : « (Il) n’y a/ Si meschant qui encor ne die/ “Je regni Dieu !” chascune fie,/ “À Dieu le veu !”, “À Dieu l’affy !” » 187 Je ne vois rien. « Mon » est une particule de renforcement, comme à 535. 188 Plus de raison d’avoir peur. 189 Celui que. 190 Vésarde, frayeur. 191 Les deux mendiants sont revenus à Jérusalem. 192 Or. : Voire 193 Si quelqu’un avait un morceau d’andouille. Saudret se tourne vers le public. 194 Qui mouille le gosier. 195 J’y prêterais attention. 196 Cette réponse est aussi impolie que le « hau ! » de 135. 197 Saudret répond à une question absurde par une autre question encore plus absurde. 198 Dans quel monde vit-on ! Cf. le Ribault marié, vers 99 et 391. Mais Saudret feint d’y voir une question, à laquelle il répond. 199 Or. : ce (Il ne le faudra pas.) 200 De votre gorge. Cf. la Résurrection Jénin à Paulme, v. 122. 201 Si on vous laissait faire ; mais je n’ai pas l’intention de vous laisser faire. 202 Ramenez à l’étable. C’est un ordre qu’on donne aux bouviers. 203 Si vous avez le malheur de me frapper. 204 En votre présence. 205 Allez chier ! Cf. Ung jeune moyne, v. 323. 206 La valeur d’un navet. 207 De votre qualité de maître. Idem v. 395. 208 Un paysan, un roturier. Le mot « vilain » pique au vif le faux noble, et va mettre le feu aux poudres. 209 Misérable mendiant. 210 Or. : redoubtes (Double péquenot sournois.) 211 Quand on provoque un homme en duel, on lui jette un gant, qu’il doit relever (comme au v. 603) s’il accepte le combat. Nous entrons dans une parodie des romans de chevalerie. 212 Qu’est-ce qui vous est passé par la tête. 213 Je vous attends. 214 Te valût, te vaudrait. Idem v. 684. 215 Te répandre. 216 Il ramasse la mitaine sale que l’Aveugle a jetée par terre. 217 Quant à moi. 218 En ce qui me concerne. 219 Je choisis un duel dans un espace limité. 220 Voir ma notice. Seuls les nobles se battaient en duel. L’offensé avait le choix des armes. Ici, tout le cérémonial est ramené à un jeu d’enfants. 221 Après avoir imité la voix d’un soudard, Saudret va contrefaire un preux chevalier, plus susceptible de plaire à l’Aveugle qui, voulant passer pour noble, arbore des sentiments chevaleresques. Ce rôle est à la fois vocal et physique ; c’est pourquoi l’auteur crée un personnage fictif qu’il baptise Fictus. L’écriture de cette scène est d’une modernité qu’aucune avant-garde n’a daigné relever. 222 À moi. « Vous soubvienne de boyre à my pour la pareille ! » Gargantua, Prologue. 223 Or. : Par (« On disoit autrefois d’un chevalier extrêmement accompli, que c’estoit fine fleur de chevalerie. » Dict. de l’Académie françoise.) 224 Tort. Idem v. 1018. 225 Et un démenti à mes paroles. 226 Sur une planche. L’estrade fera l’affaire. 227 Pour peu qu’il y ait quelqu’un. En terme de duel, on nomme cela un témoin. 228 Que la fidélité aux règles du tournoi féodal. 229 La vielle que vous portez en bandoulière. « Dous sons/ De harpes et de simphonies. » ATILF. 230 Conté, exposé. 231 Ce qu’il en est. 232 Délicatement, sans trop serrer. 233 Vous entendrez qu’il en sortira une querelle. 234 Et je vous garantis. Idem v. 978. 235 Attaché. Naturellement, il ne l’est pas. 236 Que je ne te ferai pas défaut. 237 Or. : et — en 238 Au jeu de paume, servir au rabat c’est feinter l’adversaire en rabattant l’éteuf vers le sol. « Mais un tas de mal gratieux/ Veulent tous servir au rabat. » Le Pèlerinage de Mariage. 239 Descendez votre panse, pour que je puisse attacher vos chevilles à vos poignets. 240 Pour lui faire sa fête. Idem v. 798. La broche en bois sert à piquer les fesses de l’adversaire. 241 Péter. Idem v. 725. « Mais quoy ! s’on l’oit vécir ne poire,/ En oultre aura les fièvres quartes ! » (Villon.) Quand il a peur, l’Aveugle ne maîtrise plus son sphincter : voir les vers 504, 734 et 792. 242 Dérangé. 243 Le meilleur moyen pour parvenir à piquer l’adversaire, c’est de le faire tomber en le bousculant. 244 Si je n’échoue pas dans mon intention. Cf. le Ribault marié, v. 134. 245 Une sonde. « Se playe avoit patente,/ Y fauldroit une tente. » Les Sotz fourréz de malice. 246 La voici. Fictus-Saudret donne un bâton court à l’Aveugle et en prend un long pour lui. 247 Libéré, détaché. 248 Le ms. BnF omet ce vers, qui est d’ailleurs litigieux : lui et le suivant reprennent les vers 157-8. 249 Par provocation, Saudret décoche à son adversaire le « hau ! » qu’il lui a défendu au v. 135. Il va récidiver à 762 250 Que vous vous défendiez. Chez l’Aveugle, la confusion des pronoms est à son comble ; comme on dit familièrement, c’est ni toi ni vous. 251 Et moi, je vous somme (dans la continuité du v. 744). 252 Un esprit mal tourné pourrait comprendre « maquerelles ». 253 Je ne te redoute pas. 254 Votre lance. « Saqueboutes, picquetz, estocz. » (ATILF.) Saudret, dont les mains sont libres, arrache à l’Aveugle son bâton. 255 Or. : je 256 Je n’ai plus de lance pour continuer le métier des armes. 257 Saudret agrippe les chevilles de l’Aveugle et le fait tomber à quatre pattes. 258 Aller à la selle. Idem v. 770. L’Aveugle est rattrapé par ses problèmes intestinaux (vers 733-6). 259 J’irai vous dire deux mots ! Avec son bâton, Saudret pique les fesses de l’Aveugle. 260 « Il le pique. » 261 De le faire. Le soi-disant témoin du duel ajoute une règle qui n’était pas prévue. Il est vrai qu’un « fictus testis » est un faux témoin. 262 Je fais appel, je m’y oppose. 263 « Fictus jette de l’eau, disant. » Fictus-Saudret vide un seau d’eau sur le postérieur de l’Aveugle, qui est à quatre pattes. Dans l’Aveugle et son Varlet tort, de François Briand, le valet fait mine de tondre son maître et lui verse de l’eau sur la tête : « L’eau me descend jusques au cul ! » Ledit valet abuse l’Aveugle en prenant une voix de femme : « Vous musez cy trop longuement./ Et ! par Dé, vous aurez de l’eau ! » Il se fera même passer pour Jésus, censé rendre la vue à son maître 264 Cette seillée, ce seau d’eau. 265 Bavarder. 266 Comme le plumage d’une tourterelle. Fictus-Saudret donne des coups de bâton sur les fesses de l’Aveugle, comme on frappe du linge mouillé pour l’essorer. 267 Et d’un ! Cf. Maistre Mymin qui va à la guerre, v. 137. 268 Or. : couscheray (Je vais me conchier. Voir le v. 504.) 269 Je le piquerai de ma lance. 270 De tout ce que je proférai contre toi. 271 Au v. 138, l’Aveugle voulait être honoré de ce titre. 272 Vers manquant. « Mais un estron pour te repaistre ! » (Le Bateleur.) Saudret fait semblant d’être lui aussi victime des coups donnés par Fictus. 273 Si besoin est. 274 L’injure que vous m’avez faite en me traitant de « vilain ». 275 Sans vous garder de mauvais ressentiment. Cf. la Fille esgarée, v. 149. 276 D’arrhes. « Il lui avoit baillé un escu de XVIII s[ous] d’erres. » (ATILF.) Cf. le Mince de quaire, vers 187, 226 et 228. 277 Pause : j’ai été longtemps ficelé. 278 Tromper. 279 Et s’enfuir en courant, « jouer de la botte », comme on dit dans Raoullet Ployart. Remarquons la cruauté de Saudret, qui feint de croire que le vieil Aveugle peut piquer un sprint dans le noir, alors qu’il court « bien pesantement » (vers 520). 280 Pour peu. 281 Je n’oserais. 282 Dans la manche du manteau que l’Aveugle a dû retirer au v. 654 : c’est pour cela qu’il ne peut pas donner l’argent lui-même. Faute de poches, on mettait la bourse dans sa braguette ou dans sa manche ; voir le vers 319 de Massons et charpentiers. Le drapel est un mouchoir noué dans lequel on enveloppe des pièces. « Un petit drappel noué ensemble, ouquel avoit environ LXXVI pièces d’or. » ATILF. 283 Pas un poil. 284 Qu’on ne puisse m’accuser de vol. 285 J’aimerais mieux. Même vers dans Raoullet Ployart. 286 Que d’avoir pris un centime de votre argent sans votre permission. Fictus-Saudret trouve le mouchoir dans la manche du manteau, et en prélève au moins 10 sous. 287 Qu’on n’en parle plus. « Et n’y ait plus dit ne songié. » ATILF. 288 Or. : ne (Que mon maître soit détaché.) Saudret libère l’Aveugle de ses liens. 289 Reconnaît sa faute. 290 De la viande rôtie. Une pâtisserie est une pâte fourrée de viande ou de poisson et cuite au four, comme le pâté de pigeon des vers 1241-2. 291 Gourmandise. 292 L’aveugle et Saudret sortent de la taverne, où le valet a bu et mangé pour deux, sans doute avec le concours intéressé du tavernier. Saudret aurait pu renoncer plus tôt à son alias, Fictus ; mais, étourdi par sa propre virtuosité, il veut s’en griser jusqu’au bout. D’autant que l’Aveugle a encore de l’argent à perdre. 293 Restauré. 294 Dieu. 295 Quant à moi. Idem v. 969. 296 En son nom. 297 Ses occupations. 298 En péril. 299 Mérité. Cf. la Chanson des dyables, vers 122. 300 Serviable. 301 Qu’on vous mette à l’amende. La taille est un impôt. 302 Or. : ne mais (Huimais = aujourd’hui. « Nous yrons huymais à une mienne maison. » La Curne.) 303 Or. : pour (L’en demain = le jour suivant. Idem v. 1018. « L’en demain, le mena le roy Phelippe à Paris. » Gestes au bon roy Phelippe.) 304 Que tu te verses à toi-même cet argent prélevé sur le produit de notre quête. 305 Saudret se prend pour Dieu. 306 Maintenant. 307 Sur le prochain produit. 308 Afin de montrer leur bonne foi dans une transaction verbale, les escrocs ajoutent une petite pièce « pour Dieu ». Ainsi, quand maître Pathelin arnaque le drapier : « Dieu sera/ Payé des premiers, c’est rayson :/ Vécy ung denier. » 309 Mon ami. Cette forme fossile représente un singulier : cf. la Confession Rifflart, v. 185. 310 Une chose feinte est une illusion. 311 D’habitant si modeste. 312 Le soi-disant Chose-feinte est censé partir. Saudret usera de sa voix naturelle jusqu’à la fin. 313 Un grand cortège de gens d’un rang élevé. Cf. le Maistre d’escolle, vers 82. 314 Sans nous cacher. 315 Le remanieur du texte copié dans le ms. BnF (voir ma notice) remplace par une didascalie cette chanson à boire qui n’en finit pas : Icy chantent tous deux quelque belle chançon. À titre indicatif, j’en ai sauvé quelques strophes. 316 A peuplé. 317 Or. : oura — saura (À celui qui sait dire. L’auteur de la chanson parle de lui-même.) 318 Celui : Dieu. 319 J’ai eu envie de chanter un peu la vie des buveurs. 320 Sinon du bien. « En bonne amour n’a se bien non. » Christine de Pizan. 321 Mort. 322 Et la vinée aiguise son esprit. Ou son « engin »… 323 Le vin blanc fait des guérisons. 324 Or. : vermeille (Le vin rouge.) 325 Dans l’oisiveté. 326 Tant qu’ils. 327 Triste figure et piteuse contenance. Bref, la gueule de bois ! 328 Délivrés, dessoûlés. 329 Comme pendant la soirée. 330 Son profit. Idem v. 1179. 331 Que tu distribues nos partitions. 332 Tombe (verbe choir). 333 Avant toute œuvre : avant toute chose. 334 Que je puisse les recouvrer, les récupérer. 335 De chaque rôlet, de chaque exemplaire. Idem v. 1058. 336 De celle-ci. 337 Le restant. 338 L’Aveugle a coutume de danser pendant qu’il chante et joue de la vielle. 339 Sur nos rognons, nos reins. Cf. le Gaudisseur, v. 192. 340 De l’argent. Ce mot d’argot se lit notamment dans le Mistère de la Passion, vers 177 et 186. 341 Bien servi en vin. 342 Révisons nos chansons. Les répétitions pouvaient donc se tenir dans une taverne. 343 Que nous nous y repaissions de nourriture et de vin. 344 Ni foie. N’as-tu pas faim et soif ? 345 Vu, devant une table bien garnie. Mais le sadisme de Saudret refait surface : l’Aveugle n’a rien « vu ». 346 Quelques jours plus tard, alors que le gueuleton à la taverne est depuis longtemps digéré. 347 Si tu as des victuailles. 348 Or. : grant — present 349 Que je puisse frapper avec mes dents. Sous-entendu : Dont je puisse frapper vos dents. 350 Ils nous donnent au moins de la nourriture à bon marché. 351 Scrupule. « Or ne faisons donques dangier/ Ne de boire ne de mengier. » ATILF. 352 Tu chois, tu tombes. 353 Guide-nous. 354 Habile. Idem v. 1203. 355 Il ne devrait y avoir. 356 Ni chaumière. Cf. les Rapporteurs, v. 312. 357 Déclamer un « cri » de mendiants, comme celui des vers 1125-32. 358 Votre talent. Ce mot s’applique aux artisans qui sont passés maîtres dans leur art. 359 L’ouvroir, l’officine. L’Apothicaire tient un rôle dans le Mystère. 360 S’il vous plaît. Idem vers 1281 et 1306. 361 Une petite maille, une piécette. Voir la note 9. 362 De la chair : de la viande. Idem v. 1248. 363 Ce qui déborde. « Pleuvoir à la verse : bien fort, comme qui verseroit de l’eau. » Oudin. 364 Il dépose une cruche et des restes de repas au coin de son étal, et y place deux chaises. 365 Asseyons-nous. Saudret met tous les bons morceaux dans sa bouche ou dans sa besace, et ne donne à l’Aveugle que des miettes. 366 Sur une planche à pain. 367 « On appelle pain mollet un petit pain dont la mie est légère & tendre. » Furetière. 368 Allons donc ! 369 Du pain bis, mal raffiné. 370 Cela te vaudra une récompense, s’il me reste du temps à vivre. 371 Le tailloir est une épaisse tranche de pain qui, sur les tables riches, tient lieu d’assiette. Après le repas, quand il est imbibé de sauce et de graisse, on le donne aux pauvres, si on n’a pas de chien. 372 Sans faire de difficultés. Cf. Frère Frappart, v. 48. 373 Un tronçon, un peu. 374 « Il boit. » 375 J’ajoute ces 2 vers pour les rimes, en recyclant les vers 1180 et 299. Saudret a fini le pot. 376 Chacun son tour. « Allons boire chacun sa foys. » Pierre Gringore. 377 « Le valet de taverne dit. » Dans le Mystère, ce serviteur et son patron tiennent la taverne du village d’Emmaüs. Les deux mendiants ne vont donc pas dans leur taverne habituelle. 378 Sachez-le. 379 Des gens qui ont dilapidé leur bien en se gouvernant mal. « Tu as prins l’estat de taverne,/ Où les enfans de Maugouverne/ Ont mengé tous leurs revenus. » Godefroy. 380 Or. : doulx 381 Habile, avec sa robe de toile, moins riche qu’une robe de laine ou de soie. 382 À l’auberge de la belle étoile. « Car bon vin il y a tousjours/ Au logis de la Belle Estoille. » Mystère des Trois Doms. 383 Bien que nous soyons. Mais on pourrait mettre « si » à la place de « que » : « Pourtant, si je suis mal vestu,/ Doy-je estre ravalé de vous ? » Vie de sainct Didier. 384 Des banquiers genevois étaient installés à Lyon. 385 Qu’on me tonde comme un fou. Voir la note 59. 386 Le touche, le frappe. 387 Devant tout le monde. 388 Dans le Mystère, l’aubergiste explique pourquoi les cavaliers sont plus rentables que les gens à pied : « Il fait grant mal/ À hostelliers de reffuser/ Gens à cheval pour s’amuser/ À loger chez eulx gens à pié,/ Où il n’a pas de la moitié/ Tant de prouffit comme en chevaulx. » 389 Sans hésitation. 390 Comme de braves gens. Idem vers 16 et 209. 391 Votre monnaie, sur laquelle est frappée une croix. Voir la note 3. Il s’agit bien sûr d’un anachronisme. 392 Sans perdre plus de temps. Idem v. 1274. 393 Rien à manger. 394 Aujourd’hui. 395 Le Mystère le qualifie de « saint », alors qu’il n’était encore qu’un disciple de Jésus parmi d’autres. 396 Or. : alastre (Trépassé. « S’il avient que aucuns desdiz évesques (…) soit translaté ou alé de vie à trespas. » Godefroy.) 397 De poulets. 398 Le onzain vaut 10 deniers. Cf. les Sotz triumphans, v. 35. 399 Cette farce fut créée à la cour de René d’Anjou en 1456. Au même endroit, l’année suivante, fut créée la Farce de Pathelin, qui s’inspire du présent marchandage : « –Tant m’en fault-il, se vous l’avez./ –Dea, c’est trop ! –Ha ! vous ne sçavez/ Comment le drap est enchéri. » Voir TRIBOULET : La Farce de Pathelin. GKC, 2011. 400 Pour ce prix. 401 Je paierais plutôt de ma poche. 402 De votre bourse en peau de chevreau. Double sens : « Tirer au chevrotin : To eat, or drink exceeding much. » Cotgrave. 403 Il donne 3 onzains au garçon. 404 Le valet de l’Aveugle nomme le valet de taverne son « cousin », pour le remettre à sa place. 405 Aujourd’hui. 406 Nous ne ferions pas citer à comparaître nos mauvais payeurs. 407 Revenu. Il pose tout sur la table et retourne en cuisine. 408 Or. : beu et 409 Nous mettre en voie, en route. 410 Pénurie. « L’abbaye de Saincte-Souffrète » (Lettre d’escorniflerie) est l’un de ces couvents joyeux dont les adeptes n’ont rien à manger. Dans les Repues franches, « les Gallans sans soucy » ont fait allégeance « à l’abbé de Saincte-Souffrette ». 411 Partager, distribuer. 412 Dieu vous le rendra. « Vous n’y perdrez seulement que l’attente. » Villon. 413 Très malins. Cf. les Sotz triumphans, v. 292. 414 Or. : Que (Si vous pouviez.) 415 Ne vous courroucez pas. 416 Avec nous (note 125), à cause de nous. 417 En un mot. Même vers dans les Drois de la Porte Bodés. 418 L’hôtelier sort de la cuisine en entendant du bruit. 419 Brièvement, bien vite. 420 Or. : me (Pourquoi ne les libères-tu pas de leurs gages ?) 421 Gueux, mendiants. Voir les « deux Coquins » du Pasté et la tarte. 422 Supportez votre pauvreté. 423 L’âme de Jésus, avant de se mettre à prêcher, a eu l’obligeance d’attendre que les resquilleurs aient fini leur dispute et leur chanson. Mais elle n’est pas allée jusqu’à rendre la vue à notre aveugle. Le Brigant et le Vilain, une farce incluse dans la Vie monseigneur saint Fiacre, se termine par une scène de taverne dont le dernier vers donne également la parole à Jésus.