Archives de Tag: Mystère

LES SERGENTS

Bibliothèque Sainte-Geneviève

Bibliothèque Sainte-Geneviève

.

*

LES  SERGENTS

*

.

Dans le Geu saint Denis, quatre sergents païens décapitent saint Denis1 et ses deux acolytes. On ordonne aux exécuteurs de retourner sur les lieux de leur forfait pour jeter dans la Seine le corps des acolytes. En effet, le corps de Denis n’est plus là : le saint, qui ne craint pas le ridicule, est parti en portant sa tête dans ses mains. Une chrétienne veut faire enterrer les cadavres par ses serviteurs ; fine psychologue, elle retarde les quatre bourreaux en leur offrant à boire et à manger, sachant qu’un sergent de Mystère serait bien incapable de refuser pareille aubaine. Les nôtres portent d’ailleurs un nom prédestiné : Hume-brouet2 [buveur de bouillon], Mange-matin [goinfre], Mâche-beignet [gourmand], Happe-lopin3 [pique-assiette].

Source : Paris, bibliothèque Sainte-Geneviève. Ms. 1131, folios 177 rº à 178 vº. Copié au milieu du XVe siècle. Ce manuscrit contient aussi Ung biau miracle et la farce du Brigant et le Vilain.

Structure : Rimes plates.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

*

                        CATULLE,  bourgoyse.                             SCÈNE  I

        Seigneurs, où alez sy grant erre4 ?

                        HUMEBROUET

        Dame, nous alons cez folz querre,

        Qui sont décoléz5 à Montmartre.

                        CATULLE

        Or, venez mengier6 d(e) une tarte

5      Que je viens trèstout droit de cuire.

                        LEZ  SERGANS

        Dame, Mahommet le vous mire7 !

                        CATULLE

        Or çà, séez-vous ! Vez-cy bon pain,

        Vin de Beaune et de Saint-Poursain8.

        Et sy, arez la tarte entière.

10    Mengiez et faites bonne chière !

        Je voiz pensser de la mesgnie9.

                        LEZ  SERGENS,  en soy asséant à la table.

        Dame, alez ! Mahon vous conduie !

                        Lors, voise à sez varléz.10

.

                        Et ilz se assiéent à mengier.

                        HUMEBROUET                                       SCÈNE  II

        Çà, donne-moy de ce mouton !

                        MENJUMATIN

        Mouton ? C’est tarte. Tien, glouton,

15    Boute en ta pance ! Mal feu l’arde11 !

                        HUMEBROUET,  en mengent.

        Il me fausist12 de la moustarde.

                        MENJUMATIN

        Moustarde, à tarte ? Tu es yvre !

        Tu pensses trop bien de ton vivre13 ;

        Je vueil pensser aussy du mien.

                        MASQUEBIGNET

20    Foy que je doy Hustin, mon chien14 !

        Vous monstrez bien qu’el n’est pas arse15.

        Bailliez-moy, çà, et croste et farce16 !

        Je vueil .I. pou17 fourrer ma pance.

                        (Lisiez tout ; ce que bon vous semblera prenez,

                        et l’autre lessiez. Tu aut[em], D[omin]e, etc.)18

                        HAPELOPIN

        À quel pié, dea, va celle dance19 ?

25    Seroy-je mis en oubliète20 ?

                        HUMEBROUET

        Mahommet en mal an te mete21 !

        Fault-il qu’on22 te quière nourice ?

                        HAPELOPIN

        Mais ez-tu bien et glous et nice23,

        Qui menjus tarte sans m’attendre24 !

                        MENJUMATIN

30    Escoute : el est choiste en la cendre25 ;

        N’en pren point se je ne t’en prie.

                        HAPELOPIN

        Est-el de fourmage de Brie26 ?     En prenant.

        Monstre, j’aroy tantost visé27.

                        MASQUEBIGNET

        Esgardez28, il s’est ravisé.

                        HAPELOPIN

35    Que deable est-ce-cy ? C’est tout sel29 !

        Je suis mort au premier morsel30

        Se je ne boif31 : c’est ma coustume.

                        HUMEBROUET,  en ly baillant plain godet de vin.

        Tu bevras .I. estront ! Tien, hume !

                        HAPELOPIN

        Je humeray le mielx du monde.

40    Vécy vez comment, à Vau-Parfonde32,

        Lez nonnains boivent, en couvent.     Cy boive.

                        HUMEBROUET

        Je croy que tu y vas souvent :

        Tu as trop bien retenu l’Ordre33.

                        MENJUMATIN

        Tu sces trop bien humer et mordre34 !

45    Met çà au35 godet : sy béray.

                        HAPELOPIN

        Or tien ! Tent, et je verseray.

                        Lors, mete du vin au godet.

                        MENJUMATIN

        Je vueil tremper36 ma conscience.     Cy boive.

                        MASQUEBIGNET

        Tu es maistre en celle science ;

        Je croy que tu viens de Rouen37.

                        MENJUMATIN,  en ly donnant à boire.

50    Vendenges sunt belles, ouen38.

        Tent, et boy d’autant et d’autel39 !

                        MASQUEBIGNET

        Preste-moy donc .I. buletel40

        Pour le couler parmy ma gorge !

                        MANJUMATIN

        N’as-tu pas veu comment je forge41 ?

55    Fay aussy, tu ne pues faillir42.

                        MASQUEBIGNET

        En l’eure le verras saillir

        Par mau pertuis43 en l’orde granche.     Boive.

                        MANJUMATIN

        L’as-tu bouté dedens ta manche44 ?

        Que dyables est-il devenu ?

60    Tu n’as mestier45 de sel menu

        Pour aguisier ton appétit46.

        Je vueil boire ou grant ou petit :

        A-il riens, dy ? Monstre moy celle pinte47 !

                        En tendant le godet.

                        [MASQUEBIGNET]

        Tu entreras en fièvre quinte,

65    Se tu bois, ou seras éthique48.

                        MANJUMATIN

        Esgar49 ! me lis-tu de phisique50 ?

        Met cy51, met ! Tu me veulz tromper ?

                        MASQUEBIGNET

        Oncques-mais je ne vy ton pèr52.

        Tien, sy boy male palesin53 !     En ly versant.

                        MANJUMATIN

70    Je buray ce jus de roysin ;

        Tu buras, se tu veulz, ton offre54.     Boive.

                        MASQUEBIGNET

        Tire, tire, met en ton coffre55 !     Et puis sy morde56.

                        MANJUMATIN

        N’as-tu  voycy bon vin ! Sans nuls57 remors,

        Or sus, alons noier ces mors :

75    Sy, les mengeront lez goujons.

                        HUMEBROUET

        Vostre58 gibet ! Ne nous boujons :

        Les loups en venront bien à chief59.

                        MANJUMATIN

        J’auray la goute-crampe ou chief60,

        Se je ne dors trèstout mon saoul.

                        MASQUEBIGNET

80    Foy que je doy mon gris chat Raoul61 !

        Et ! je vueil dormir à mon aise.

                        HAPPELOPIN

        Attendre fault nostre bourgoise

        Pour la mercïer, c’est raison.     (Comme[n]cement.)62

                        HUMEBROUET

        C’est bien dit. Or, nous reposon !

                        Cy se acoubtent 63 sur la table

                        comme se ilz dormissent.

        ………………………………….

.

                        CATULLE,   aus sergens :                          SCÈNE  III

85    Comment va64, mes bons champïons ?

                        HUMEBROUET

        Dame, nous vous attendïons

        Pour vous mercïer de vos biens.

                        MANJUMATIN

        Ne nous espargniez, Dame, en riens :

        Pour vous, sommes appareilliéz65

                        MASQUEBIGNET

90    Jà ne serons sy traveilliéz66

        Qu’à vous ne soions, tost et tart.

                        HAPPELOPIN

        Dame, le dieu de Mont-Fétart67

        Vous gart [dez reins jusqu’au]68 talon !

                        (Voysent où ilz voulront.)69

                        CATULLE

        Et il vous meine70 au grant galon !

*

1 L’un d’entre eux, Mange-matin, préconisait pourtant une punition plus digne de ce chaste personnage : « Or luy coupons doncques le vit ! »   2 « Quel hume-brouet ! Quel dresseur/ De saulce vert ! » Dyalogue pour jeunes enfans.   3 Attrapeur de bons morceaux. « Happeloppins, tourneurs de broche. » Les Sotz fourréz de malice.   4 Si vite.   5 Décapités. « Montmartre » est un anachronisme, puisque cette colline ne fut dénommée Mons martyrum [mont des martyrs] qu’après l’exécution de St Denis et de ses affidés.   6 Ms : mengiez   7 Vous le rende, verbe mérir. Les auteurs de Mystères font de Mahomet (vers 26), ou de Mahon (vers 12), une divinité païenne.  Catulle fait entrer les sergents chez elle.   8 De Saint-Pourçain. Ces deux vins font saliver nombre de personnages de farces : « Vin de Sainct-Porcin,/ Vin de Beaulne. » Le Gaudisseur.   9 Ms : mesgniee  (Je vais m’occuper de la maisonnée, du service.)   10 Que Catulle aille conspirer avec ses valets.   11 Que le feu de l’enfer brûle ta panse !   12 Il me faudrait.   13 À ta subsistance.   14 Par la foi que je dois à mon chien Hutin. Entre autres choses, le hutin désigne les aboiements.   15 Que cette tarte n’est pas brûlée, n’est pas immangeable.   16 La croûte de cette tarte et sa garniture.   17 Je veux un peu.   18 Le copiste n’a pas compris qu’il s’agit là d’une didascalie réservée au meneur de jeu : il la place sous la rubrique, et la transcrit comme du texte. Gabriella PARUSSA* précise : « Tu autem Domine, miserere nobis est une formule conclusive des leçons liturgiques. »  *Le Jeu de Saint Denis. Classiques Garnier, 2023, p. 1487.   19 G. Parussa traduit : « Je ne sais pas sur quel pied danser. » Satan prononce le même vers dans les Miracles de Ste Geneviève, du même manuscrit.   20 Serai-je oublié dans la distribution de nourriture et de boisson ?   21 Te mette dans une mauvaise année, une mauvaise passe.   22 Ms : quen  (Qu’on aille te chercher une nourrice pour te faire manger.)   23 Glouton et stupide.   24 Ms : mẽtẽdre  (De manger cette tarte sans moi.)   25 Elle a chu dans la cendre du four : elle n’est plus mangeable.   26 Jeu de mots : brie = querelle. « De mal, de brie, de mortel gherre. » Godefroy.   27 Montre-la-moi, j’aurai bientôt avisé par moi-même.   28 Regardez.   29 C’est du sel pur : cette tarte me donne soif. La nourriture salée sert d’excuse aux buveurs ; sauf qu’ici, nous avons une tarte sucrée…   30 Dès le premier morceau, la première bouchée.   31 Si je ne bois pas.   32 Les religieuses du couvent de Val-Parfond étaient passablement débauchées : cf. le Tournoy amoureux, vers 14 et note.   33 La règle de cet ordre monastique.   34 Boire et manger.   35 Ms : se  (Verse dans mon gobelet, je boirai. Voir la didascalie du vers suivant.)  Dans le Mystère de saint Clément, le messager Mengumatin [Mange-matin] boit directement à la bouteille.   36 Affermir comme de l’acier trempé. Double sens : Mouiller dans du vin ; cf. Daru, vers 167.   37 Les Rouennais avaient une solide réputation d’ivrognes ; le Dict des pays affirme qu’on trouve les « bons buveurs en Normandie ». « Je m’enivray/ De la servoyse de Rouen. » Le Prince et les deux Sotz.   38 Cette année. Au changement de folio — c’est toujours là que les accidents surviennent —, le copiste a omis les vers 50-53, qui furent ajoutés en bas de page par un correcteur : Bernard James SEUBERT* fait remarquer (sans en tirer les mêmes conclusions que moi) que l’écriture ne correspond pas à celle du premier scribe, et que l’encre est plus foncée.  *Le Geu saint Denis. Droz, 1974, p. 14.   39 Tends-moi ton verre, et bois autant que tu veux. « Ces gentilz hommes buvoient d’autant et d’autel. » ATILF.   40 Un bluteau, une passoire pour filtrer le vin.   41 Comment je m’y prends.   42 Fais de même, tu ne peux pas rater ton coup.   43 Tu vas voir tout de suite le vin sauter par mon « mauvais trou », ma bouche.  La « grange sale » désigne le ventre, l’intestin : « –J’en fourreray avant ma pance./ –Ainssy, Huet, emple [emplis] ta granche ! » Miracles de Ste Geneviève, du même manuscrit.   44 As-tu escamoté ce vin dans ta manche, comme un voleur y escamote une bourse ?   45 Tu n’as pas besoin.   46 « L’appétit de boire. » (Godefroy.) Le sel aiguise la soif : voir ma note 29.   47 N’y a-t-il plus rien à boire ? Montre-moi ce pot ! L’impératif de montrer est encore employé absolument au vers 33.   48 Frappé d’étisie.   49 Prends garde ! Hume-brouet l’emploie aussi : « Esgar ! come il bale [danse] du cul ! »   50 Me donnes-tu un cours de médecine ? « J’ay la jaunice et suis éthique,/ Ne guérir n’en puis par phisique. » Ung biau miracle.   51 Verse dans mon gobelet ! Cependant, Mâche-beignet ne l’emplit qu’à moitié.   52 Jamais je n’ai vu ton pair, ton égal en matière d’ivrognerie. « Point n’avez vostre pèr. » Messire Jehan.   53 Bois une mauvaise paralysie. « Férir les puist [que puisse les frapper] mal palezins ! » Godefroy.   54 La paralysie que tu m’offres.   55 Tire du vin et mets-le dans ton ventre.   56 Ms : mors  (Le scribe a voulu transformer cette indication scénique en un vers qui rime avec les deux suivants. Le correcteur l’a soulignée avec des points, mais n’a pas rétabli le subjonctif original.)  Puis qu’il morde dans la tarte.   57 Ms : mais  (« Je m’en y vays sans nulz remors. » ATILF.)   58 Ms : T ront au  (Allez vous faire pendre ! « Vostre gibet !/ Vous contrefaictes le railleur. » Serre-porte.)   59 Viendront bien à bout de ces charognes sans que nous ayons besoin de les jeter à l’eau.   60 Une névralgie à la tête. Cf. le Testament Pathelin, vers 475.  Les sergents sont ivres.   61 Par la foi que je dois à mon chat gris Raoul. On prononçait « roul » en 1 syllabe. Au vers 20, Mâche-beignet honorait son chien de la même formule blasphématoire.   62 Encore une indication réservée au meneur de jeu. On l’a rajoutée près de la marge droite, entre ce vers et la rubrique suivante, et elle est entourée.   63 Ici, qu’ils s’accoudent, s’affalent.   64 Ms : da  (Cf. le Ribault marié, vers 342.)  Catulle traite ses invités de « champions de taverne », de piliers de bar ; cf. le Sermon joyeux de bien boire, vers 22 et 323.   65 Nous sommes prêts à vous servir. Mais « être appareillé » = être bien équipé sexuellement.   66 Si fatigués.   67 Dans son édition, Achille JUBINAL* rappelle que c’est un des anciens noms de la rue Mouffetard. Pour lui, le dieu de Mont-Fétard pourrait être « une allusion à une ancienne idole, à une statue, ou tout simplement à une enseigne ». La plus illustre enseigne de cette rue annonçait la taverne de la Pomme de pin, chère à François Villon et à l’escholier lymosin.  *Mystères inédits du quinzième siècle, t. I, 1837, pp. 368-9.   68 Ms : lez reins et le  (Protège le bas de votre corps. « Depuys les rains jusqu’au colet. » Le Cousturier et son Varlet.)  G. Parussa conserve la version du copiste, mais traduit : « Le dieu de Mouffetard vous protège des reins jusqu’au talon ! »   69 Nouvelle consigne pour le meneur de jeu : Que les sergents aillent s’asseoir où ils voudront, en attendant leur prochaine intervention.   70 Ms : meint  (Qu’il vous mène au grand galop ! « Et cesti vont toutes-foies au grant gallon. » Marco Polo.)  Cette forme rare est attestée : « Je m’en yrait, fuyant, le pas et le galon./ Ne m’en rancuzez mie, frans chevalier baron. » ATILF.

CUISINE INFERNALE

Bibliothèque nationale de France

Bibliothèque nationale de France

.

*

CUISINE

INFERNALE

*

.

Les diables des Mystères sont anthropophages. Quatre siècles et demi avant la Cuisine cannibale de Roland Topor, Claude Chevalet nous met l’eau à la bouche avec leurs recettes les plus savoureuses.

Source : La Vie de sainct Christofle, élégamment composée en rime françoise et par personnages par maistre Chevalet. Imprimé à Grenoble en 1530. Bibliothèque nationale de France, Rés. Yf. 116. Édition critique de Pierre SERVET : La Vie de sainct Christofle ; Droz, 2006. L’édition Servet comporte 19 920 vers ; la mienne en présente le dixième, soit 1 942 vers répartis en six farces : Cuisine infernale, l’Aveugle et Picolin, les Tyrans au bordeau, L’Andureau et L’Andurée, le Fol et la Folle, les Basteleurs.

Structure : Rimes abab/bcbc, rimes plates.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

*

Lucifer, enchaîné devant la gueule béante de l’enfer1, ne peut se déplacer. Il passe donc son temps à faire venir près de lui ses diables (voir la Chanson des dyables), pour leur confier des missions grotesques, et pour les faire corriger par leurs rivaux lorsque lesdites missions échouent. Pour l’instant, il appelle Cerbère ; ce dernier revient de la terre, où il a fourré dans son grand sac l’âme de plusieurs pécheurs.

.

                        CERBÉRUS                                              SCÈNE  I

        Que te fault, beste abhominable ?

        J’ay logé dedans ton estable

        Une vieille jument2 prebstresse

        Que j’estranglay hier d’ung gros câble,

5      Comme3 le prebstre disoit messe.

        Si ay, pour luy chauffer la fesse,

        Appresté de fin feu grégoys4,

        Pour luy faire fondre la gresse

        Du cropïon autour du joys5.

10    Et ainsi que je revenoys,

        Ung musnier alla à basac6 ;

        Je le griffay7, comme tu voys,

        Et le fourray dedans mon sac.

        Et puis, pour faire du bo[u]ssac8,

15    Deux bigards9, une papelarde.

        Et encor, au fons du bissac,

        Une grosse putain paillarde :

        Il ne fault jà que l’on la larde10,

        Car ell’ est [bien] grosse et espesse.

20    Le rouge fin feu d’Enfer l’arde,

        L’orde puant lo[u]dière yvresse11 !

        Elle a tant fait la « haulce-besse12 »

        Qu’elle en a le ventre pelé.

        La glace fust d’ung pied espesse13

25    Avant qu’ell’ eust le cul gelé !

                        LUCIFER

        Sanglant clabaud14 démuselé,

        Porte-moy le sac et l’espice15

        Au feu, pour estre desgelé16 !

        Car je vueil que tout se rôtisse

30    Pour Proserpine, celle lysse17,

        Et pour sa belle nourriture :

        Car tu sces bien qu’ell’ est nourrisse18.

        Donne-luy cela pour pasture !

.

                        CERBÉRUS 19                                           SCÈNE  II

        Empoigne cela sans demeure,

35    Beste serpentine20 cruelle !

        Ce sera une bonne cure

        Pour toy conserver la cervelle.

                        PROSERPINE

        C’est pour mon dé et ma chandelle21

        Que j’auray ces frians morceaulx.

.

40    Venez tost, quant je vous appelle,                                SCÈNE  III

        Pour riffler22 trippes et boyaulx !

        Tenez, mes petitz diableteaulx

        Que je tiens et nourris si cher23,

        Esperits faulx24 et desloyaulx :

45    Mengez-moy les otz25 et la chair !

                        MAMMONA

        Nous l’avalerons sans mascher,

        Puis que nous sommes en besoigne26.

        Je n’ay garde de rien lascher,

        Quant je me tiens à la charoigne.

                        ASMODÉUS

50    Je rechigne, je mors, je groigne,

        Quant je me treuve à la pasture ;

        Mais Mammona tousjours me hoigne27

        Quant je vueil faire ma morsure.

.

                        FLÉGÉAS,  à tout [une hotte]28.               SCÈNE  IV

        Lucifer, monstre-moy ta hure,

55    Fronce ton horrible museau !

        J’ay prins ung villain plain d’usure29,

        Qui est plus puant q’ung méseau30 ;

        Mais harsoir31, ainsi qu’ung oyseau,

        J’empoignay32 la caille d’ung vol.

60    Je le vous serray comme ung veau,

        De nuyct, et luy tordis le col !

        Si sera mengé, dur ou mol33,

        Qui m’en croyra34, à la moustarde,

        Avec ung marran35 espaignol

65    Qui est aussi dur q’une oustarde36.

        Ou, s’on les rôtist, qu’on les larde

        Du lart de ce paillart gourmant

        Qui mourust avec sa paillarde

        La nuyt passée, en [son] dormant37 !

70    Ou qu’ilz soient, en grief38 tourment,

        Tous par menus morseaulx hachéz,

        Là où ilz vivront en mourant

        Sans jamais estre relâchéz39 !

.

                        ASTAROT                                                  SCÈNE  V

        J’en apporte deux, attachéz

75    Ensemble a[vec] une cordelle40 :

        Ung ruffien (que vous le sachez),

        Et une vieille macquerelle

        Qui vendit sa fille pucelle

        À ung milor[t]41, argent content,

80    Contre toute amour naturelle

        Quant la mère vent son enfant.

        Mais Dieu — qui tout péché deffent42

        Permist que la vieille mauldicte,

        Plus venimeuse q’ung serpent,

85    Mourust harsoir de mort subite43.

        Si, conseille qu’elle soit fricte

        — Puisqu’ainsi est qu’ell’ est griffée44

        Et, comme des Cieulx interdicte,

        [Soit] mise à la galimafrée45,

90    Et de tous les diables briffée46

        Dedans nostre noire maison.

        Et le ruffien sera, d’entrée,

        Rousty ainsi comme ung oyson.

.

                        BELZÉBUTH                                            SCÈNE  VI

        Lucifer, voicy venoison47

95    Qui ne veult que vin et vinaigre48.

        Je ne sçay s’ell’ est de saison49 :

        C’est ung bigard50 qui est bien maigre.

        Je l’ay empoigné à ce vespre51.

        Si luy fault faire sa raison52,

100  Puisqu’on le tient, le maistre prebstre :

        Car il est pire que poison,

        Pour chanter « Kiriélèyson53 »

        Sur le cul de quelque truande,

        Fust54 Gu[i]llemette ou Alyson.

105  Il ne demandoit55 autre offrande,

        Et disoit nocturne56 et légende

        Tousjours en « parchemyn velu57 »,

        Et tenoit la beste en commande58

        En sa maison, le goguelu59 !

110  De chanter estoit résolu60

        Sur la plume61, soubz les courtines,

        Voyre sur le « livre fendu62 »,

        En lieu de cloches les tétines,

        Dont il sonnoit souvent matines

115  Quant il estoit à son privé63.

        Fussent commères64 ou cousines,

        Tout estoit coigné et rivé !

        Là, despendoit à cul levé65

        Les biens de Dieu et sa prébende.

120  Si le fault[-il] mettre au civé,

        Ainsi que veneyson demande66.

                        LUCIFFER

        Allez, paillars ! Que l’on le pende

        En la grant roue circulaire

        De rouge feu67, chaulde et friande68 !

125  Et luy baillez là ung « clistère69 » !

.

                        BÉLIAL                                                      SCÈNE  VII

        Voicy l’âme d’ung faulx notaire70,

        Rongeur de la Court des excès71,

        Qui scet bien ung seing72 contrefaire

        Et falsifier ung procès73.

130  Il avoit plain sac de procèz74,

        Dont il prenoit à toutes mains75.

        Mais harsoir, d’ung soudain décèz,

        Il se laissa choir en mes mains.

        Il a commis cas inhumains

135  Plus que Judas Ascarïot76 !

        Mais je l’ay serré par les rains

        Et amené sans charïot77.

                        LUCIFER

        Allez-moy acoup78 ce magot

        Par menus morceaux découpper !

140  Et m’en apportez ung gigot

        Farcy de beaux aux79, pour soupper !

*

Appartenant somme toute au genre femelle, Proserpine s’occupe de la cuisine ; Lucifer, qui est pourtant un fin gourmet, le lui reproche parfois : « Sortiras-tu de la cuysine, / Crapaude ? » Proserpine fait un usage très personnel de sa poêle, comme elle va le démontrer sur le pauvre Satan.

.

                        LUCIFFER                                                 SCÈNE  VIII

        Apporte, faulce80 Proserpine,

        La grant poyle de la cuysine,

        Toute rouge81, friande et chaulde !

145  Despêche-toy, acoup, crapaulde !

        Et que nul de vous ne reculle !

        Prenez Sathan ! Qu’on le baculle82

        Acoup, desloyaulx esperitz !

        Que tous puissez estre péritz,

150  Car l’on vous en deust autant faire !

                        CERBÉRUS

        Sathan, ce sera ton sallaire

        Pour ton dé et pour ta chandelle.

                        PROSERPINE

        Tenez ! Empoignez ceste poyle,

        Et luy faictes son petit pain83 !

155  Car c’est ung faulx84 filz de putain :

        J’ay grant joye qu’il soit batu.

                        ASTAROT

        Empoigne delà85 ! M’entens-tu,

        Cerbérus, et toy, Bélïal ?

        Et je jouray, ce86 férïal,

160  De ceste « poyle87 » sur ses fesses.

                        FLÉGÉAS

        Tien ferme, car si tu le laisse[s],

        Tu seras bo[u]tté88 en sa place !

                        BELZÉBUTH

        Tu as beau faire la grimace89,

        Car il te fault par là passer.

                        ASTAROT

165  Tenez bien ! Je voys90 commencer,

        Et compteray sans rien rabatre :

        Ampreux91 ! Et deux ! Et troys ! Et quatre !

        Cinq ! Six ! Sept ! Est-ce point assez ?

                        SATHAN

        A ! traistres !

                        LUCIFFER

                              Sus, recommencez !

170  Et vous gardez bien qu’il n’eschappe !

                        PROSERPINE

        Tenez ferme, que je le frappe,

        Le sanglant yvroigne gourmant !

        Tien, voylà pour ton payement !

        À ce coup, je m’en vengeray.

                        SATHAN

175  Traistres, je vous estrangleray !

        Et deust Luciffer enrager92,

        J’en auray ung93 pour me venger,

        Et le mengeray d’ung morceau !

                        BÉLIAL

        Fuyons tous devant ce pourceau,

180  Car je cuyde qu’il est en ruyt94 !

        S’il entre, il fera beau bruyt !

        En Enfer, si, se fault retraire95.

*

L’âme de deux prostituées vient d’échapper à nos diables. Ces faux jetons accusent Satan d’être responsable du gâchis.

.

                        LUCIFFER                                                SCÈNE  IX

        Usez-vous bien de voz praticques,

        D’avoir laissé hors noz lÿens

185  Aller ces putains malléficques

        Qui n’avoient esbat que des reins ?96

                        FLÉGÉAS

        Si l’on a perdu ces putains,

        Sathan en est cause du faict,

        Qui nous a donné ung banquet,

190  Au relever97 de Proserpine,

        D’ung mès à la saulce Robert98

        Sur ung moyne de grace myne99.

                        CERBÉRUS

        Mais à la saulce cameline100

        En fust la pluspart acoustrée101 ;

195  Et de s[es] piedz, à la dodine102,

        Nous en fîmes belle levée103.

                        BÉLIAL

        « Le saupicquet104, la gratonnée,

        Le haricot105, la sallemine106… »

        De trippes frictes, à l’entrée

200  Mengeasmes, avec pouldre fine107.

                        ASTAROT

        Nous n’avallasmes pas chopine108,

        Mais du meilleur à grans plains potz,

        Qui a tant faict prendre repos109

        À Sathan, ce meschant yvroigne,

205  Lequel tousjours contre nous hoigne110

        Quant nous parlons à Proserpine.

                        BELZÉBUTH

        Nous gardasmes tant la cuysine

        Que fusmes ensaincts d’esthomac111.

        Tous noz potz en sont à basac112.

210  Mais si toy, grant prince des chiens113,

        Fusses [du convive]114, je tiens

        Que nous eussions maint boyau vuyde115 !

                        SATHAN

        Nous pense-tu tenir la bride,

        Vieulx mastin116, contrefaict dragon ?

215  Si nous portons la venaison

        Pour fournir le gouffre infernal,

        Je veulx — estant117 le principal —

        Avoir118 la première lippée.

                        LUCIFFER

        Harou, teste démuselée !

220  Me veulx-tu du Règne119 expulser ?

                        SATHAN

        Te fault-il tant braire et prescher

        Pour la perte de deux putains ?

        S’ilz ont esté souvent à « Rains120 »,

        Elles veullent ores121 repos.

*

1 Pierre Servet explique (note 5983) : « Lucifer attend les diables sur la scène, hors de l’enfer. On peut penser que ceux-ci vont sortir de la gueule d’enfer pour se placer ‟devant”, c’est-à-dire sur l’espace scénique situé devant les structures fixes du décor. »   2 Une femme qui se laisse chevaucher par n’importe qui ; cf. Légier d’Argent, vers 217.  Une prêtresse est la concubine d’un prêtre ; cf. les Chambèrières et Débat, vers 229, 369 et 373.   3 Pendant que.   4 J’ai préparé du feu grégeois. Ce mélange est si corrosif qu’on l’utilise comme bombe incendiaire.   5 Du sexe. « Aussi chault comme feu grégoys,/ Pour t’ardre [te brûler] le trou et le joys. » L’Andureau et L’Andurée.   6 Mourut. « Maladye/ Qui te puisse mettre à basac. » (Digeste Vieille.) Les meuniers commettent tant d’exactions qu’ils sont damnés. La farce du Munyer montre un diable qui recueille dans son sac l’âme d’un meunier pour l’apporter à Lucifer.   7 Je l’agrippai. Idem vers 87.   8 Préparation contenant des épices et du verjus <note 98>.   9 Voici deux bigots, deux hypocrites qui se font passer pour dévots. Idem vers 97. « Bigars et ypocrites. » (ATILF.)  La papelarde est leur version féminine.   10 Il n’est pas nécessaire de la barder avec du lard pour la faire rôtir.   11 La brûle, cette sale pute alcoolique.   12 La hausse-baisse : le va-et-vient du coït.   13 Elle a tellement le feu au cul qu’il faudrait qu’elle s’assoie sur de la glace de 32 cm d’épaisseur…   14 Maudit aboyeur. Les Grecs représentaient Cerbère en chien à trois têtes : voir la note 113.  Démuselé = sans muselière ; idem vers 219.   15 Et son précieux contenu.   16 Déglacé, dégraissé.   17 Cette lice, cette chienne.   18 Qu’elle est enceinte : elle a donc besoin de manger pour deux, elle qui mange déjà comme quatre.   19 Il donne son sac à Proserpine, qui vient d’entrer. Le comédien qui la joue est affublé d’un énorme ventre.   20 Depuis la tentation d’Ève, le serpent est l’animal diabolique par excellence. Proserpine lui est souvent comparée, malgré son abondant système pileux : « Faulce lisse [sournoise chienne],/ Beste hideuse, serpentine. » St Christofle.   21 Pour mes menus plaisirs. Idem vers 152. Cf. l’Aveugle et Picolin, vers 143. Proserpine n’aime que la viande baptisée : « Mais d’ung chrestïen, d’ung ermite,/ Ce seroit viande appétissant…./ Car cela seroit venayson/ Que j’aymerois plus cher que cresme [sperme]. » St Christofle.   22 Bâfrer. Proserpine appelle ses charmants bambins, Mammon et Asmodée, pour qu’ils viennent s’empiffrer. Les deux diablotins sont emmaillotés de langes, et coiffés d’un béguin d’où dépassent leurs cornes ; ils se frappent mutuellement avec un hochet.   23 Tenir cher = chérir. « Estes-vous cy, ma chier tenue ? » St Christofle.   24 Sournois. Idem vers 126, 142 et 155. Un peu plus tôt, ces deux trompeurs se faisaient passer pour les pages de Satan.   25 Mangez ces os. Proserpine tend le sac de Cerbère à ses rejetons, qui s’en disputent violemment le contenu.   26 Maintenant que nous sommes à l’ouvrage.   27 Grogne contre moi. Idem vers 205.   28 Éd : ung mõstre  (Anticipation du vers suivant.)  Avec une hotte sur le dos, pour emporter les âmes damnées. « S’enporteray ceste curie/ D’âmes dampnées en ceste hotte,/ Affin que Lucifer, mon hoste,/ Les festoie de grants tourmens. » Mistère de saint Adrien.   29 Les usuriers ne sont pas damnés pour des raisons morales, mais parce qu’ils spéculent sur le temps, qui n’appartient qu’à Dieu.   30 Qu’un lépreux.   31 Hier soir. Idem vers 85 et 132.   32 Éd : Empoigne  (Tel un oiseau de proie, je pris cette « caille » en plein vol. « Car qui n’entent le jobelin/ N’a garde de prendre la caille. » Les Tyrans au bordeau.)   33 Bon an, mal an. Mais Phlégias prend cette expression au premier degré : qu’il soit dur ou qu’il soit tendre.   34 Si l’on m’en croit.   35 Un marrane est un juif d’Espagne qui fait semblant de se convertir au catholicisme pour ne pas être expulsé.   36 L’outarde est un échassier.   37 Pendant son sommeil, donc sans avoir reçu l’absolution. « La nuit passée, en mon dormant. » (Les Sotz escornéz.) La mort en état de péché mortel est encore évoquée aux vers 85 et 132.   38 Grave, pénible.   39 Sans connaître de relâche, de répit.   40 En des temps plus anciens, les adultères, attachés l’un à l’autre par le sexe, devaient traverser la ville entièrement nus.   41 À un milord, un richard. Cf. Digeste Vieille, vers 274. « Sa mère mesmes la vendra. » Éloy d’Amerval.   42 Défend, interdit. Astaroth prêche la morale chrétienne, sans laquelle l’enfer n’aurait aucune raison d’être. De la même façon, Dieu n’est rien sans les diables : c’est eux qui font régner la justice divine en punissant les pécheurs. Le camp du Bien et le camp du Mal collaborent pour défendre leurs intérêts communs ; dans le Mystère de sainte Agathe, deux anges vont chercher les diables aux enfers pour qu’ils châtient des hommes qui ont « grandement mespris envers Dieu », que Satan s’empresse d’aller venger : « G’y feray tel dilligence/ Qu’ilz reconnoistront bien l’offence ! » L’ambiguïté du discours diabolique s’affiche tout au long du Livre de la deablerie, d’Éloy d’Amerval, où Lucifer et Satan combattent verbalement l’immoralité comme de vieux théologiens.   43 Donc, sans confession <note 37>.   44 Puisqu’elle est entre mes griffes.   45 Cuisinée en fricassée <note 98>.   46 Bouffée.   47 De la venaison, du gibier humain. Idem vers 121 et 215.   48 Ce gibier sera préparé en civet (vers 120) avec du vin rouge, et les épices seront délayées « de verjus et de vin aigre », comme le préconise la recette du « civé de lièvres » de Taillevent.   49 Si elle est opportune.   50 Un bigot <note 9>.   51 Ce soir.   52 Aussi, il faut lui régler son compte. « On leur fera leur raison. » Digeste Vieille.   53 Kyrie eleison. Voir la note 41 du Clerc qui fut refusé.   54 Que ce soit.  Les peu farouches Guillemette et Alison sont deux des Femmes qui aprennent à parler latin.   55 Éd : demãde   56 L’office de nuit. La légende est le récit de la vie d’un saint.   57 Sur le pubis de sa maîtresse. Cf. les Tyrans au bordeau, vers 519-520.   58 La commende est un bénéfice ecclésiastique, tel celui que s’est arrogé l’abbé de Plate Bource dans le Jeu du Prince des Sotz : « Je vueil bien que chascun entende/ Que tiens [l’abbaye de] la Courtille en commande. »   59 Ce godelureau. Cf. la farce de Goguelu, F 45.   60 Il était résolu à dire la messe. « Ton père chante la grant-messe. » Les Miraculés.   61 Sur le lit. Cf. L’Andureau et L’Andurée, vers 449.   62 Sur la fente de sa maîtresse. « Ma belle, à ce concert, gentille,/ Ouvrit son livre allaigrement. » Ung jour que j’accollois m’amie.   63 Chez lui.   64 Que ce soient ses voisines.  Cogner et river = coïter.   65 Il dépensait à coups de cul. « Ces bonnes femmes (…) ont joué du serre-cropière à cul levé à tous venans. » Pantagruel, 17.   66 Aussi, il faut le préparer en civet <note 98>, comme ce gibier l’exige.   67 La mythologie chrétienne ne s’est pas contentée de transformer les faunes et les satyres en diables ; elle a également recyclé Proserpine (l’épouse de Pluton, auquel Lucifer doit beaucoup), Phlégias, Cerbère et quelques autres. Quant à la présente roue enflammée, elle n’est autre que celle du supplice d’Ixion dans les Enfers grecs.   68 Adjectif formé sur le verbe frire. Nous avons à peu près le même vers à 144. « Et luy allez bailler/ Ung clistère chault et friant ! » St Christofle.   69 P. Servet voit là une « allusion à l’empalement ». Mais on pourrait y voir une allusion à la sodomie, comme aux vers 179-180. Sur l’intérêt que Claude Chevalet porte à cette pratique, voir la note 244 des Tyrans au bordeau.   70 D’un officier de justice véreux. En tant que procureur et avocat des Enfers, Bélial fréquente le milieu juridique, où un démon a fort à faire.   71 Cette cour tentait de mettre bon ordre aux excès commis par les clercs. « Son procès/ Plaidoit à la Court des excès./ Et après son tort [sa condamnation], pour refuge,/ Alla monstrer son cul au juge. » La Grant malice des femmes.   72 Une signature, un sceau.   73 Un procès-verbal.   74 Éd : faulcez  (« On appelle sac de procèz un sac où l’on met les pièces d’un procèz. » Dict. de l’Académie françoise.)  L’éditeur a voulu éviter ce qu’il prenait pour une rime du même au même, alors que les deux sens sont différents.   75 De tous les côtés. « Je prens argent à toutes mains. » Le Retraict.   76 Judas Iscariote.   77 Sans recourir à un corbillard : en le portant dans mon sac.   78 Tout à coup ; idem vers 145 et 148.  Un magot est un singe : cf. les Tyrans au bordeau, vers 73.   79 Truffé d’ail.   80 Sournoise <note 24>.   81 Chauffée au rouge.  Friante = bouillante <note 68>.   82 Qu’on lui frappe sur le cul. « Baculer/ Et frapper culs. » Sermon joyeux des Frappe-culs.   83 Faites-lui du tort. « Pour leur faire leur petit pain. » St Christofle.   84 Sournois <note 24>.   85 Tiens-le par là !   86 Éd : du  (En ce jour de fête.)   87 On prononçait pelle. Chevalet transporte à la cuisine l’expression « frapper la pelle au cul » : flanquer une fessée. « Et luy frappa au cul la pelle. » François Villon.   88 Tu seras mis à sa place. Chevalet ne dit jamais « botter les fesses », mais « écorcher d’un patin » (les Basteleurs, vers 197).   89 Satan, tu fais inutilement la grimace.   90 Je vais. Astaroth empoigne la poêle que Proserpine lui tend obligeamment.   91 Et un ! Le même décompte accompagne des bastonnades aux vers 787-791 de l’Aveugle et Saudret, aux vers 226-237 de la Veuve, etc.   92 Et même si Lucifer devait enrager encore plus que d’habitude.   93 J’attraperai l’un d’entre vous. Satan échappe à l’étreinte de ses tortionnaires, et se met à les poursuivre tout autour de Lucifer.   94 En rut : il risque de nous sodomiser. Voir la note 69.   95 Nous devons nous réfugier dans les enfers. Jusque-là, les diables étaient à l’extérieur, auprès de Lucifer ; voir la note 1. Ils sautent donc dans leur terrier, et abandonnent au « rut » de Satan leur chef enchaîné.   96 Il semble manquer un vers en -ains, et un autre en -et.   97 Une accouchée reprenait sa vie ordinaire et sa vie paroissiale après le « banquet de relevailles ». Proserpine, qui était enceinte au vers 32, a donc pondu un nouveau diablotin, dont on ne connaîtra jamais le père.   98 Un mets en sauce épicée ; voir la note 214 du Capitaine Mal-en-point. La rime est faible parce que Chevalet emprunte ce passage culinaire à la Condamnacion de Bancquet (publiée en 1507), qu’on attribue au poète Nicole de la Chesnaye : « –Voz saulces sont-elles bien faictes,/ Escuyer ? –Ma dame honnorée,/ Veez-en cy de trop plus parfaictes/ Que cyvé ne galimaffrée./ Tout premier vous sera donnée/ Saulse Robert et cameline,/ Le saupiquet, la crétonnée,/ Le haricot, la salemine (…),/ Boussac montée avec dodine. »   99 De grasse apparence.   100 Sauce à la cannelle et au gingembre <note 98>.   101 La plus grande partie de son corps fut accommodée.   102 Sauce à l’oignon et au pain grillé <n. 98>.   103 Nous en avons prélevé une belle tranche. D’habitude, le vorace Cerbère n’attend pas que la sauce soit prête et que la viande soit cuite : « Et Cerbérus, ce faulx mâtin [ce perfide chien],/ A mengé le rost en la broche. » St Christofle.   104 La sauce piquante. La crétonnée est à base de grattons de porc. Chevalet recopia ces deux vers dans la Condamnacion de Bancquet : voir ma note 98.   105 Ragoût composé de morceaux de viande harigotés, c.-à-d. coupés en morceaux <n. 98>.   106 Éd : sallequine  (Voir Marthe PAQUANT : Réforme, Humanisme, Renaissance, 2007, nº 65, p.190.)  Plat composé de divers poissons <n. 98>.   107 Mélange d’épices réduites en poudre. Mais dans le Mystère des trois Doms, auquel avait collaboré Claude Chevalet, Pouldrefine est la « putain du bourreau » ; voyant un homme éventré, elle s’écrie telle une diablesse cannibale : « Ha ! quels boyaux à composer andouilles ! » Et devant un autre supplicié : « Bon seroyt pour le mettre au jus. » Quelques spectateurs devaient s’en souvenir, car les Trois Doms furent créés en 1509 à Romans-sur-Isère, et St Christofle en 1527 à Grenoble, non loin de Romans. Notons que dans ce mystère, Proserpine apportait déjà la preuve de ses talents culinaires : voir la note 173 des Trois amoureux de la croix.   108 Une petite chope de vin.   109 Somnoler.   110 Grogne.   111 Nous sommes restés à table si longtemps que notre estomac gonfla.   112 Sont vides. « Voylà nostre bourse à basac. » St Christofle.   113 Ailleurs, ce titre désigne Cerbère : « Toy, Cerbérus, prince des chiens. » Or, le portier des Enfers était présent au banquet de relevailles, comme il le confirme aux vers 193-6. Le seul qui ne pouvait y être à cause de ses chaînes, c’est ce goinfre de Lucifer, qui est donc ici visé ; on le traite d’ailleurs de chien quatre vers plus bas.   114 Éd : de conuoyes  (Lucifer, si tu avais été de ce banquet, glouton comme tu l’es. « Je ne semons [n’invite] en mon convive/ Que tous bons rustres avoyés. » Bon Temps.)   115 Que nous aurions le ventre vide. « Je n’ay mangé que tout à point ;/ Encor y a-il ung boyau vuyde. » La Condamnacion de Bancquet.   116 Un mâtin est un gros chien. Les révoltes contre Lucifer sont fréquentes mais brèves.   117 Éd : estre  (Satan est le diable principal, après Lucifer — dont il est le lieutenant, et qu’il voudrait bien évincer.)   118 Éd : Dauoir  (Je veux en avoir la première bouchée.)   119 Du royaume infernal.   120 Si elles ont été souvent à Reims. Calembour sur les reins du vers 186. Cf. L’Andureau et L’Andurée, vers 467.   121 Désormais.

L’AVEUGLE ET PICOLIN

Bibliothèque nationale de France

Bibliothèque nationale de France

.

*

L’AVEUGLE

ET  PICOLIN

*

.

Dans sa Vie de sainct Christofle (~1510-1514), Claude Chevalet nous donne en exemple un clochard aveugle et son valet, qui profitent de la naïveté des chrétiens. Ce duo comique intervient dans beaucoup de farces et de mystères : voir la notice de l’Aveugle, son Varlet et une Tripière.

Source : La Vie de sainct Christofle, élégamment composée en rime françoise et par personnages par maistre Chevalet. Imprimé à Grenoble en 1530. Bibliothèque nationale de France, Rés. Yf. 116. Édition critique de Pierre SERVET : La Vie de sainct Christofle ; Droz, 2006.

Structure : Rimes plates, avec 2 triolets.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

*

Deux mendiants — un vieil aveugle et son valet — sont assis par terre, dans la rue. L’aveugle porte une vielle en bandoulière ; Picolin boit à une énorme bouteille, puis il la repose discrètement près de son maître.

.

                        PICOLIN                                                   SCÈNE  I

        Nous deussions bien amasser mousse1 :

        On ne bouge plus d’une place.

                        L’AVEUGLE

        Que diable veulx-tu que je face ?

        Tous les jours courons par ces portes2,

5      Mais les aulmosnes sont si courtes

        Que vers nous ne peuvent venir.

                        PICOLIN

        Vous voulez-vous icy tenir

        Pour les avoir ? On les vous forge3 !

        Ne faictes que bailler la gorge4 :

10    Vous aurez vostre compte rond

        Pour avaller…

                        L’AVEUGLE

                             Quoy ?

                        PICOLIN

                                       Ung estront,

        Affin que bien vous le sachez !

        Car (par Dieu !) si vous ne marchez,

        Je ne sçay plus de quel boys tordre5.

                        L’AVEUGLE

15    Et ! comment ? N’avons-nous que mordre

        Ne que boyre en la bouteille ?

        Ce seroit une grant merveille

        Qu’elle fust vuyde, somme toute !

                        PICOLIN

        Il n’en y6 a pas une goutte :

20    Soyez seur qu’ell’ est despêchée.

                        L’AVEUGLE

        Ta gorge l’a ainsi séchée ;

        Elle porte ung mauvais vent.

                        PYCOLIN

        Ou vous la baisez7 trop souvent,

        Dont nous vient celle sécheresse.

25    Cuydez-vous que le vin y croisse,

        De tousjours oster et rien mettre ?

                        L’AVEUGLE

        C’est trop hault parlé à son maistre !

        Pour te déclairer la teneur8,

        Tu ne me porte point d’honneur,

30    Puisqu’il convient que je le die.

                        PICOLIN

        Et quel honneur (maulgré ma vie !)

        Voulez-vous donc que je vous face ?

        Je vous ay servy long espace9 ;

        Et si, n’ay ne denier ne maille10.

                        L’AVEUGLE

35    Je n’ay rien que je ne te baille,

        Soit ou andoulle11 ou jambon.

        Et qui nous donne rien de bon12,

        Tu en as le premier lopin.

                        PICOLIN

        Le premier ? Non ay, par Jupin !

40    Le premier n’a garde de choir :

        Vous le prenez sur mon trenchoir13

        Aulcuneffoys, par souspeçon14.

                        L’AVEUGLE

        Tu es cault15 — j’entens bien le son —,

        Et prens du meilleur qu’on me baille.

45    Mais allons avant, ne te chaille,

        Pour sçavoir s’on nous donra rien16.

                        PICOLIN

        A ! par Dieu, je vous entens bien !

        Vous ne demandez que desbat17.

                        L’AVEUGLE

        Je ne le dis que pour esbat18,

50    Puisque la matière est ouverte19.

        Mais tu as la teste si verte20

        Et si creuse que c’est pitié !

                        PICOLIN

        Vous l’avez pire la moytié,

        Et l’aurez tant que vous vivrez.

55    Despêchez-vous et me suyvez,

        Ou (par Dieu) je vous laisseray.

                        L’AVEUGLE

        Allons ! Car je ne cesseray

        De faire sonner ma vïelle21

        Tant que j[’en] aye ou pied ou hèle22

60    — Dont tu auras tousjours ta part.

.

                        PICOLIN                                                    SCÈNE  II

        Si vostre vï[e]lle fust preste,

        Nous eussions escus à milliers :

        Ne voyez-vous ces chevaliers ?

        Allez leur dire23 une note !

                        L’AVEUGLE

65    Comment dea, « voyr » ? Je n’y voy goutte

        Autant du cul que de la teste24 !

        Mais encores es-tu plus beste

        De me dire que je le[s] voye.

                        PICOLIN

        Disons quelque chançon qu’on oye,

70    Affin que nous ayons argent.

                        L’AVEUGLE

        « Donnez au pouvre indigent

        (Mes beaulx seigneurs) qui ne voit rien,

        Une maille ! »

                        PICOLIN

                               [Ung] estront de chien !

        Demandez plus grosse monnoye !

75    Et parlez hault — qu’on ne vous oye25 —,

        Sans demander denier ne maille26 !

                        L’AVEUGLE

        Et ! cuyde-tu bien qu’on nous baille

        Escus ?

                        PICOLIN

                    Et pourquoy non, beau sire ?

        Il n’en griève non plus à dire

80    « Ung ducat » qu’il fait « ung denier »27.

                        L’AVEUGLE

        Dea ! si tu estois aulmonyer,

        Je ne te cognois point si large

        Qu’on eust de toy escu ne targe28 :

        Tu es trop rouge à la taille29.

                        PICOLIN

85    Et s’il advient qu(e) escus on baille,

        Maistre, les reffuserez-vous ?

                        L’AVEUGLE

        Ce n’est pas monnoye pour nous,

        Si tu entens le jobelin30.

                        PICOLIN

        « En l’honneur du dieu Apolin,

90    Et d’Herculès le fort géant,

        Donnez au pouvre non-voyant

        — Qui a perdu le luminaire31

        À la taverne pour trop boyre —

        De voz ducatz une douzaine ! »

                        L’AVEUGLE

95    Mais ta forte fièbvre quartayne !

        Tu me porte bien peu d’honneur !

        Dy que je suis ung grant seigneur

        Adveuglé par [la] tyrannye32

        Des Turcs au siège d’Albanye :

100  Tu les en debvrois advertir.

                        PICOLIN

        Que gaignerois-je de mentir ?

        « Le vin l’a faict33, sans contredire !! »

                        L’AVEUGLE

        Vérité n’est pas belle à dire

        Tousjours : il y a temps et lieu.

*

Les deux païens ont la chance de tomber sur des nouveaux chrétiens que leur conversion a rendus gâteux. Tous les quatre donnent leur bourse au mécréant Picolin.

.

                        LE  CONTE                                              SCÈNE  III

105  Tien, mon amy : prens cest[e] aulmosne !

                        GRACIEN

        Et moy cela, que je te donne

        En l’honneur de Jésus, mon maistre.

                        FLORIDÈS

        Prens cela ! Pense de le mettre

        En ton sac, pour te secourir.

                        BROADAS

110  Jésuchrist, qui voulut mourir34,

        Veulle [ceste aumosne]35 en gré prendre !

                        L’AVEUGLE

        Juppiter le vous veulle rendre,

        Et Vénus, la belle déesse !36

.

        Je croy qu’il y a grant richesse ? SCÈNE IV

115  Regarde comme cecy poyse37 ;

        Et affin qu’il n’y ai[t d]e noyse,

        Ne me cache rien, somme toute.

                        PICOLIN

        Jamais vous ne fustes sans doubte38

        De moy et de voz compaignons.

120  Ce sont sachèz d’aulx39 et d’oignons

        Qu’on vous a donné[z] pour bien boyre.

                        L’AVEUGLE

        Le me cuyde-tu faire acroire ?

        Encor n’a[s-]tu pas prou vescu40 !

        Je cognoistray mieulx ung escu

125  Que tu ne feras ung patas41.

                        PICOLIN

        Comment se fait cela ?

                        L’AVEUGLE

                                           Au tas[t]42.

        Car, combien que rien je n’y voye,

        Je cognois la bonne monnoye

        Comme le43 lièvre les brachetz.

130  Pour tant44, baille-moy ces sachetz,

        Car je vueil garder le butin.

                        PICOLIN

        Vous ne demandez que hutin45

        Et noyse ! Pour vous advertir,

        Si nous convient noz biens partir46,

135  Puisque n’avez en moy fiance.

                        L’AVEUGLE

        Dea ! n’emporte point la finance !

        As-tu entendu, mon varlet ?

        Car si je te prens au collet,

        Tu auras de moy la secousse47 !

140  Où es-tu, dis ? Hau48 !

                        PICOLIN

                                            En Escosse !

        Attendez-moy jusqu’à demain,

        Car voicy ma dernière main49

        Pour mon dé et pour ma chandelle50.

                        L’AVEUGLE

        Approuche-toy, quant on t’appelle !

145  Me veulx-tu laisser tout seullet ?

                        PICOLIN

        Tu as dit vray, Jehan de Nyvelle ! 51

                        L’AVEUGLE

        Approuche-toy, quant on t’apelle !

                        PICOLIN

        Par noz dieux ! il a la cervelle

        Plus estourdie q’ung mullet.

                        L’AVEUGLE

150  Approuche-toy, quant on t’appelle !

        Me veulx-tu laisser tout seullet ?

                        PICOLIN

        À Dieu, maistre !

                        L’AVEUGLE

                                   Hé, mon varlet !

        Approuche-toy, et n’aye doubte52.

        Tu scez bien que je n’y voy goutte

155  Nen plus53 q’une vielle lanterne.

        Va me mener à la taverne :

        Et là, nous burons ung tatin54,

        Et partirons55 nostre butin

        Ainsi que je deviseray56.

                        PICOLIN

160  Vous partirez ? Je choisiray !

        Avez-vous ouÿ la teneur57 ?

        Car à vous [n’]appartient l’honneur58 ;

        La coustume [n’]est tousjours telle59.

                        L’AVEUGLE

        Tu ne le dis que par cautelle60

165  Et pour me tromper, j’en suis seur.

                        PICOLIN

        Comment ? M’appellez-vous « trompeur » ?

        C’est pour recommencer la noyse !

                        L’AVEUGLE

        Laissons cela, et que l’on voyse61

        À la taverne, je le veulx !

170  Et là, nous despendrons62 tous deux

        Tous les biens qu’on nous a donnéz.

*

Deux prostituées, que nous avons découvertes dans les Tyrans au bordeau, reversent aux mendiants une partie de l’argent qu’elles ont gagné à la sueur de leur… front.

.

                        NYCETTE                                                  SCÈNE  V

        Il nous63 fauldroit donner, m’amye,

        L’aulmosne à ces [deux] pouvres gens.

                        AQUELINE

        C’est bien dit, car telz indigens

175  Ne sçavent de quoy desjuner.

                        NYCETTE

        Tien, mon amy ! C’est pour disner.

        Prie pour moy qui le te donne.

                        L’AVEUGLE

        Grant mercy !64

.

                                 Juppin, quelle aulmosne !                   SCÈNE  VI

                        PICOLIN

        Mais qu’elle [soit] monnoye exquise65,

180  Elle doit bien estre de mise66,

        Puisqu’elle vient de telle main.

                        L’AVEUGLE

        Ma foy ! j’en vueil faire demain

        Ung brevet67 pour guérir des fièbvres.

                        PICOLIN

        Morbieu ! il feroit sallir68 chièvres

185  Avant qu’ilz69 eussent queue levée.

                        L’AVEUGLE

        Allons ail[l]eurs faire levée70,

        Et jouerons de tricherie.

*

Le bourreau Morgalant et son valet Pascalet <voir L’Andureau et L’Andurée, vers 50-379> ont besoin d’aide pour charger une meule de moulin sur une claie tirée par deux chevaux. Ils aperçoivent les mendiants, au loin.

.

                        PASQUALET                                             SCÈNE  VII

        Çà, villain[s] ! Venez sans targer71

        — Avant que je vous aille querre

190  Tous deux — pour charger ceste pierre !

        Acoup ! Et soyez diligens !

                        L’AVEUGLE

        A ! mon varlet, qui sont ces gens ?

        J’ay paour que ce soient gens d’armes.

        S’ilz nous preignent, ce sont les termes

195  De nous endosser de beau boys72 !

                        PYCOLIN,  varlet de l’Aveugle.

        Ce sont deux sergens (je les voys73)

        Qui ont deux chevaulx, et la traŷne74

        Dont au gibet souvent on meyne

        Les larons. Av’ous entendu ?

                        MORGALANT

200  Vien çà ! Que tu soye pendu !

        Me feras-tu mèshuy attendre ?

                        L’AVEUGLE

        Hélas, nous veult-on mener pendre ?

        Fuyons-nous-en, comment qu’il aille75 !

                        PASQUALET

        Qu’en despit de la villennaille76 !

205  Vous fault-il tant de foys requerre77 ?

        Venez, ou je vous iray querre,

        Et tous deux prendray78 au collet !

                        PYCOLIN

        C’est le bourreau et son varlet,

        Mon maistre. Nous sommes perdus !

210  S’il nous prent, nous serons pendus,

        Tant seullement pour la despoulle79.

                        L’AVEUGLE

        Je vouldrois estre en la Poulle80,

        Ou en mer, puis avoir bon vent !

                        MORGALANT

        Avant, de par le Diable, avant,

215  Vostre seigneur et vostre maistre81 !

        Et nous venez ayder à mettre

        Ceste meulle sur ceste traŷne,

        À celle fin que l’on la meyne

        Au Roy, qui nous attent sans doubte82.

                        L’AVEUGLE

220  Hélas, Monsieur : je n’y voy goutte.

        Laissez-moy, en l’honneur des dieux !

                        PASQUALET

        Tu ne m(e) ayderas pas des yeulx83.

        As-tu entendu, mon mignon ?

        Prens delà, et ton compaignon !

225  Aultrement, il y aura noyse.

                        PYCOLIN

        Ventre sainct Gris84, comme elle poise !

        Je me suis quasi rompu l’anche85.

                        MORGALANT

        Prenons chescum une gazanche86,

        Et la bouterons en coulant87.

                        PASQUALET

230  C’est bien dict. Boutte, Morgalant,

        Par cy, et chescum t’aydera.

        Tenez, elle m’eschappera !

        Que maulgré en ait Barratron88 !

                        MORGALANT

        Vous ne valez pas ung estron !

235  Soustenez bien, et ne vous chaille !

        Et ! voylà89 bien, vaille que vaille.

        Mais j’ay cy rompu une veyne.

                        L’AVEUGLE

        Or nous donnez, pour nostre peine,

        Quelque chose en payement !

                        PASQUALET

240  Vous serez payé gayement

        De la monnoye que je porte90 :

        Tenez, tenez ! Voicy la sorte

        Dont on paye telle canaille !

                        L’AVEUGLE

        Pour Dieu, que plus on ne m’en baille !

245  Je vous quitte tout91, de ce pas !

                        PASCALET

        Par noz dieux ! ne l’espargne92 pas :

        Tout est à ton commandement93.

.

                        L’AVEUGLE                                             SCÈNE  VIII

        Voylà « payé » trop lourdement !

        Nous avons esté bien batus.

                        PYCOLIN

250  Voyre ? [Mais] vous94, par mon serment !

                        L’AVEUGLE

        Voylà « payé » trop lourdement !

        Et toy ?

                        PYCOLIN

                    Je [m’en fuis]95 vaillamment,

        Aussi hardiment comme Artus96.

                        L’AVEUGLE

        Voylà « payé » trop lourdement !

255  Nous avons esté bien batus.

                        PYCOLIN

        Vous estiez encor plus testus97

        De leur demander de l’argent !

        Car vous sçavez bien q’ung sergent

        N’a rien acoustumé que prendre.

*

1 Allusion au « proverbe commun qui dit que ‟pierre qui roule n’amasse mousse” ». (Jean Boyron.) « Nous n’amassons plus mousse. » St Christofle.   2 Nous mendions d’une porte à l’autre. Rime dauphinoise en -ourtes.   3 Réponse narquoise qu’on fait à une personne trop exigeante. Cf. le Sermon joyeux de bien boire, vers 189.   4 Vous vous contentez d’avancer votre gorge, comme un oisillon qui réclame la becquée.   5 De quel bois faire flèche. Cf. les Tyrans au bordeau, vers 127.   6 Éd : ny   7 Baiser la bouteille = boire. « Me fault ma bouteille baiser. » Mystère de St Clément de Metz.   8 Le point principal. Idem vers 161.   9 Pendant un long espace de temps.   10 Et pourtant, je n’ai ni un denier, ni un centime. Chevalet fait dire le même vers au valet des Basteleurs.   11 De l’andouille.   12 Quand on nous donne quelque chose de bon.   13 Après un banquet, on distribue aux pauvres les tranchoirs (ou tailloirs), épaisses tranches de pain qui ont tenu lieu d’assiettes, et sur lesquelles on abandonne quelques reliefs.   14 En soupçonnant que j’ai raflé le meilleur morceau.   15 Cauteleux, rusé.  J’entends le son = je connais la chanson !   16 Si on nous donnera quelque chose.   17 Vous ne cherchez que des disputes.   18 Que pour plaisanter. « Je ne l’ay faict que par esbat. » Deux jeunes femmes.   19 Puisque le sujet est abordé.   20 Si peu mûre. Cf. l’Arbalestre, vers 152 et note.   21 Éd : uiolle  (La viole est un instrument aristocratique, alors que la vielle est populaire : c’est l’instrument dont les mendiants aveugles s’accompagnent pour chanter dans la rue. Je corrige la même faute au vers 61.)  Si votre vielle était accordée. Dans l’Aveugle, sa Chambèrière et son Varlet (F 45), le valet accorde la vielle de l’aveugle : « Cependant, Gauguelu refait la vielle. / Quant [maintenant que] vostre vielle est refaicte,/ Quelque plaisante chansonnette/ Disons ! »   22 Jusqu’à ce que j’en obtienne une cuisse ou une aile. « Pour Dieu, donnez-moy cuisse ou elle ! » (Conversion S. Denis.) Cette expression culinaire signifie : obtenir quelque chose, si peu que ce soit. « Il en apporte ou pied ou elle. » Gournay et Micet.   23 Leur chanter. Rime dauphinoise en -oute : « Qu’il vous plaise dire une no[u]tte !/ Adieu vous dy, trèstous et toute ! » Le Roy des Sotz.   24 Quand Daru se fait passer pour un aveugle, il chante ceci : « (Je) ne voy où le pied je metz/ Non plus du cul que de la teste. »   25 Renversement de la formule consacrée : « Or parlez bas, qu’on ne vous oye ! » Le Vilain et la Tavernière.   26 Une monnaie trop faible.   27 Cela ne coûte pas plus de demander un ducat qu’un vulgaire denier.   28 Je ne sache pas que tu sois assez généreux pour qu’on ait de toi la moindre monnaie. « Il n’a escu ne targe : s’entend de ceux qui n’ont aucune monnoie. » Claude Fauchet.   29 Trop roublard. « Vous estes trop rouges en la taille. » Les Tyrans.   30 Si tu me comprends à demi-mot. Cf. les Tyrans au bordeau, vers 292.   31 La lumière, la vue. Cf. l’Aveugle et Saudret, vers 328.   32 Rendu aveugle par la barbarie des musulmans vis-à-vis des chrétiens. « Secourir les Christiens, oppresséz de la tyrannie des Turcz. » P. de Saint-Julien.   33 C’est le vin qui l’a rendu aveugle.   34 L’Église cautionne le suicide du Christ et celui des saints, mais elle condamne tous les autres.   35 Éd : laumosne  (Veuille me tenir gré de l’aumône que je vous fais. La charité chrétienne n’est jamais désintéressée : on donne dans cette vie pour que ce don nous soit rendu au centuple dans l’autre vie.)   36 Les mendiants s’esquivent. C’est Picolin qui porte les quatre bourses.   37 Combien cela pèse, vaut.   38 Sans méfiance.   39 Des sachets d’ails. L’ail et l’oignon donnent soif : « L’oignon (…) est inflammatif & provoque la soif. » La Nef de Santé.   40 Tu n’as pas assez d’expérience pour me le faire croire.   41 Que tu ne reconnaîtrais un patac, une pièce de monnaie provençale qui avait cours jusqu’à Grenoble, où fut créé ce Mystère. « Deux deniers tournoys, ou ung patas. » Archives de l’Isère.   42 Au tact, au toucher. « Nostre sens du tast. » ATILF.   43 Éd : la  (Comme le lièvre reconnaît les braquets, les chiens de chasse : à l’oreille.)   44 Pour cette raison.   45 Des affrontements. « Sans noyse et sans hutin. » ATILF.   46 Nous devons partager nos biens. Idem vers 158 et 160.   47 Je te pendrai. Dans ce Mystère, le roi dit au bourreau : « Ne luy donne point la secousse/ Jusqu’à ce qu’on donne l’assault./ Alors fais-luy prendre ung sault/ Au gibet. »   48 Interjection interpellative. « Où es-tu ? Hau ! » Les Basteleurs.   49 Mon ultime vol. « À l’insigne voleur, ô merveille profonde,/ Qui, compagnon d’honneur du Roy de tout le monde,/ Pour sa dernière main luy desroba les cieux. » César Nostradamus.   50 Pour mes menus plaisirs. Cf. Cuisine infernale, vers 38 et 152.   51 Étant donné que Picolin vouvoie toujours son maître, on peut conclure que nous avons ici le refrain d’une des chansons qui furent consacrées à Jean de Nivelle ; voir celle qui ouvre la farce du Pauvre et le Riche. Il en subsiste un vague écho dans le Démon travesti, du chanoine Jacques : « Tu n’es qu’un vray Jean de Nivelle. »   52 N’aie pas peur.  Le vers suivant était prononcé par l’Aveugle de la Vie et passion de monseigneur sainct Didier, de Guillaume Flamang.   53 Pas plus. Cf. les Maraux enchesnéz, vers 258.   54 Nous boirons un coup. Cf. les Basteleurs, vers 227.   55 Nous partagerons (note 46).   56 Comme je le déciderai.   57 Le point principal.   58 L’honneur de partager notre butin ne vous appartient pas.   59 La coutume n’est pas immuable. Louis XII était alors en train de simplifier le droit coutumier ; voir la notice de Digeste Vieille.   60 Par ruse.   61 Et allons.   62 Nous dépenserons.   63 Éd : vous  (Correction de P. Servet.)  Il faudrait que nous donnions.   64 Les prostituées s’en vont. L’aveugle soupèse l’argent (vers 126).   65 Pour peu que ce soit une monnaie recherchée, rare (lat. exquisita). « Partout est la monnoye exquise :/ Le peuple n’a plus maille ne denier. » Eustache Deschamps.   66 Elle doit avoir cours. La monnaie que gagnent les prostituées circule très vite et n’a pas le temps d’être décriée.   67 Je veux pendre cette bourse à mon cou, comme une amulette miraculeuse. « Brevet, ou autre chose, qu’on pend au col (…) pour préserver ou guarir de quelque maladie ou poison. » Godefroy.   68 Saillir, couvrir. Lors de la saillie, les quadrupèdes femelles lèvent leur queue pour que le mâle puisse s’introduire. Picolin sous-entend que l’aveugle va vite en besogne, et oublie encore de partager.   69 Qu’elles.   70 Jouer aux cartes.   71 Sans tarder.   72 C’est la certitude qu’ils nous chargeront le dos de coups de bâtons.   73 Picolin n’y voit pas beaucoup mieux que son patron : les sergents sont immédiatement reconnaissables parce qu’ils portent une « masse » ou une « verge », ce qui n’est pas le cas des bourreaux.   74 La claie. Idem vers 217. Sur la peine infamante de la claie, voir la note 24 de Massons et charpentiers. Le roi Danus, qui est un raffiné, prépare à saint Christophe un supplice plus personnel : « Luy estachez [attachez-lui] une grant meulle/ De moulin (ainsi je le veulx)/ Par le col et par les cheveulx,/ Et le traŷnez par monts et vaulx/ À belles queues de chevaulx ! »   75 Quoi qu’il en soit.  76 N’en déplaise à cette canaille. « Paix, qu’en despit de Saturnus ! » St Christofle.   77 Faut-il vous requérir tant de fois ?   78 Éd : prendre   79 Pour que les bourreaux prennent nos dépouilles, nos vêtements. Cf. Gournay et Micet, vers 468 et 505.   80 Dans la région italienne des Pouilles : loin d’ici.   81 Allons, de par le Diable, qui est votre seigneur et maître !   82 Sans craindre que nous ne venions pas.   83 Tu ne m’aideras pas avec tes yeux mais avec tes bras.   84 Par le ventre de saint François d’Assise. Dans une circonstance analogue, le Fol du mystère a lui aussi recours à ce juron chrétien : « Ventre sainct Gris, comme tu poyse ! »   85 La hanche.   86 Un pieu en bois pour faire levier. « Pour six grosses pièces de chane [chêne] appeléz gazanches pour besoigner esdits fossés de St-Just. » Marthe PAQUANT : Réforme, Humanisme, Renaissance, 2007, nº 65, p.191.   87 En la glissant sous la meule.   88 Les Mystères attribuent ce dieu fantaisiste aux musulmans, et en règle générale aux païens. Βάραθρον = gouffre. « Maulgré Barratron et Mercure ! » St Christofle.   89 Éd : uoyle la  (C’est bien.)  La meule est installée sur la claie.   90 Pascalet, qui tient un des pieux du v. 228, en donne des coups aux mendiants. Picolin s’abrite derrière son maître, lequel reçoit toute la bastonnade.   91 Je vous tiens quitte de tout paiement. « Je vous quitte tout pour sauver ma vie. » Le Nouveau Panurge.   92 Éd : lespargnez  (Ne ménage pas mon paiement. Les hommes généreux disaient toujours : « N’espargnez pas ma bourse ! »)   93 À ton entier service. Les mendiants s’enfuient.   94 Vraiment ? Surtout vous.   95 fais  (Je pris la fuite.)   96 Le roi Arthur ne fuyait jamais.   97 Éd : natus  (« Fussiez-vous encor plus testu. » Le Nouveau marié.)

LES TYRANS AU BORDEAU

Bibliothèque nationale de France

Bibliothèque nationale de France

.

*

LES  TYRANS

.

AU  BORDEAU

*

.

Les « tyrans » sont des reîtres de sac et de corde auxquels des notables qui ne veulent pas se salir les mains confient les basses besognes : service d’ordre, tortures, intimidations, meurtres, et tous les coups tordus que peuvent accomplir des miliciens au-dessus des lois. Les tyrans ne croient en rien, mais ils sont prêts à tout pour se procurer l’argent qu’ils dilapident à la taverne ou au bordel. À grand renfort d’argot1, ils mettent une joyeuse animation dans la Vie de sainct Christofle (~1510-1514), de Claude Chevalet : voir les vers 252-389 de L’Andureau et L’Andurée.

Source : La Vie de sainct Christofle, élégamment composée en rime françoise et par personnages par maistre Chevalet. Imprimé à Grenoble en 1530. Bibliothèque nationale de France, Rés. Yf. 116. * Édition critique de Pierre SERVET : La Vie de sainct Christofle ; Droz, 2006. * Lazare SAINÉAN publia mes actuels vers 1 à 215 dans les Sources de l’argot ancien, tome I, 1912, pp. 277-293. Son glossaire figure au tome II (1912), pp. 264-468. * Les mêmes vers se trouvent dans les Études de philologie comparée sur l’argot, de Francisque MICHEL, 1856, pp. xli-xlvi ; son dictionnaire, peu utile, occupe les pages 1-422. * Les vers 1 à 72 furent publiés et annotés par Jacques CHOCHEYRAS : le Théâtre religieux en Dauphiné ; Droz, 1975, pp. 270-272. * À titre de curiosité, ces mêmes vers agrémentaient déjà, en 1747, le tome III de l’Histoire du théâtre françois des frères PARFAICT, pp. 5-9. * Le Dictionnaire des Mystères, de Jules de DOUHET, reproduisit leur travail en 1854, pp. 234-236. Bref, cette longue scène argotique a intrigué beaucoup de monde, et elle le mérite.

Structure : Rimes abab/bcbc, rimes plates, avec 1 triolet.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

*

Barraquin est un spadassin picard. En l’absence de guerre, les temps sont durs pour les aventuriers de son espèce, qui doivent se reconvertir en « escorcheurs » et autres « routiers » ; aussi, Barraquin est devenu bandit de grands chemins. Ses proies sont elles-mêmes des victimes de la paix : un soudard gascon nommé Brandimas, puis deux mercenaires en vadrouille — le Suisse allemand Fréminaud, et le Lombard Alibraquin. Leur langue commune est l’argot des truands, que l’auteur a surtout puisé dans les Ballades en jargon de François Villon — du moins dans celles qui étaient connues par l’édition de 1489.

.

                        BARRAQUIN,  premier tyrant.               SCÈNE  I

        Hé ! Chou2 plais[t] Dieu ? Et qu’esche-chy ?

        N’aray-je jamais de l’aubert3 ?

        Je suis, en ce boys, tout transy.

        Donc, j’ay fait endosse de vert4.

5      Je porte le cul descouvert5.

        Mes tirandes6 sont desquirées ;

        Les passans7 rompus : il y pert.

        Et porte la lyme nouée8.

.

                        BRANDIMAS,  deuxiesme tirant.            SCÈNE  II

         Tous mes grains9 ont pris la brouée.

10    Cap de Dio[u]10 ! tout est despendu :

        J’ay mon arbaleste flouée11,

        Et le galier piéçà vendu12.

        Le ront13 est pelé et tondu,

        [Et] mon comble14 est à la tâtière

15    Gagé15. Que ne suis-je pendu ?

        Mon jorget16 n’a pièce entière.

.

                        BARRAQUIN,  assaillant.                         SCÈNE  III

        Demeure !

                        BRANDIMAS,  défendant.

                            Tire-toy arrière !

                        BARRAQUIN

        À mort, ribault !

                        BRANDIMAS

                                   Rien de la main17 !

                        BARRAQUIN

        Ha ! crapaudeau18 !

                        BRANDIMAS

                                        Filz de loudière19 !

                        BARRAQUIN

20    Demeure !

                        BRANDIMAS

                           Tire-toy arrière !

                        BARRAQUIN

        Quel mynois !

                        BRANDIMAS

                              Quel(le) fière manière !

                        BARRAQUIN

        Es-tu narquin20 ?

                        BRANDIMAS

                                    Ouÿ, compain21.

                        BARRAQUIN

        Demeure !

                        BRA[N]DIMAS

                           Tire-toy arrière !

                        BARRAQUIN

        À mort, ribault !

                        BRANDIMAS

                                  Rien de la main !

                        BARRAQUIN

25    Broues-tu22 ?

                        BRANDIMAS

                              Je cours le terrain23.

                        BARRAQUIN

        Où vas-tu ?

                        BRANDIMAS

                            À mon adventure.

                        BARRAQUIN

        Tu es deschiré.

                        BRANDIMAS

                                  Tout à plain,

        De dormir vestu sur la dure24.

                        BARRAQUIN

        Et ! par Juppiter, je te jure

30    Que j’en ay de mesme que ty25.

                        BRANDIMAS

        Tout ung ?

                        BARRAQUIN

                         N’ayes paour.

                        BRANDIMAS

                                              Je t’asseure.

                        BARRAQUIN

        Me recognoys-tu point ?

                        BRANDIMAS

                                              Nenny.

                        BARRAQUIN

        « Gaulthier, où as-tu tant dormy ? »26

                        BRANDIMAS

        Hé ! gueux, advance-moy la poue27 !

                        BARRAQUIN

35    Es-tu là ? Hé, hau ! chardemy28 !

                        BRANDIMAS

        Il est bien force que l’on floue29.

                        BARRAQUIN

        Où est Arquin ?

                        BRANDIMAS

                                  Il fait la moue30

        À la lune.

                        BARRAQUIN

                          Est-il au juc31 ?

                        BRANDIMAS

        Il fust gruppé32, et mis en roue

40    Par deffault[e] d’ung allegruc33.

                        BARRAQUIN

        Et toy ?

                        BRANDIMAS

                     J’eus longuement le pluc34

        De pain et d’eau, tenant au[x] gectz35.

                        BARRAQUIN

        Comment eschappas-tu ?

                        BRANDIMAS

                                                 Ce fut

        Pour [perdre] une ance36 et [les fargets]37.

                        BARRAQUIN

45    Le rouastre38 et ses subjectz

        Me mirent aux coffres massis39,

        Par les piedz tenant aux gros septz40.

                        BRANDIMAS

        Y couchas-tu ?

                        BARRAQUIN

                                  J’estois assis41.

        Quant ce vint entre cinq et six42,

50    Dedans les septz laissay ma guêtre43

        Et, de paour d’estre circoncis

        Des ances44, saultay la fenestre.

                        BRANDIMAS

        Cela fust bien ung tour de maistre !

                        BARRAQUIN

        Pourquoy ?

                        BRANDIMAS

                            Hé ! povre bérouart45 :

55    Ta sentence estoit [dé]jà preste ;

        L’on n’atendoit que le télart46

        Pour te pendre hault comme ung lart47,

        Nonobstant tout ton babinage48.

                        BARRAQUIN

        Je m’en brouay au Gourd Pïard 49.

                        BRANDIMAS

60    Et je demouray au passage.

                        BARRAQUIN

        J’eschaquay50.

                        BRANDIMAS

                                Et j’estois en cage.

                        BARR[A]QUIN

        Je piétonnay51 toute la nuict.

                        BRANDIMAS

        Et l’embourreur52, pour tout potage,

        Me mist dehors par saulconduyt53,

65    À torches54 de fer.

                        BARRAQUIN

                                      Quel desduit55 !

                        BRANDIMAS

        Tousjours, quant la guerre est finée,

        L’on trouveroit de pain mal cuyt

        Ainsi que nous une fournée56.

                        BARRAQUIN

        Embuschons-nous soubz la feullée57

70    Pour attendre quelque syrois58.

                        BRANDIMAS

        S’il avoit des grains, à l’emblée59,

        On luy raseroit le mynois60.

.

        …………………………….61

                        FRÉMINAUD                                           SCÈNE  IV

        Je mengerois comme ung magot62,

        Maintenant, si j’avoys chair crue,

75    Sans broc ne sans drinc63.

                        ALIBRAQUIN

                                                 Ydïot,

        Espère que le temps se mue64 !

                        FRÉMINAUD

        Bref, j’ayme mieulx que l’on me tue

        Que d’estre tousjours en ce point.

                        ALIBRAQUIN

        Il fera bien chault, se l’on sue,

80    Quant nous n’avons que le pourpoint65.

                        FRÉMINAUD

        A ! capiteine…

                        ALIBRAQUIN

                                  Mal en point66 !

                        FRÉMINAUD

        Qu’avons-nous gaigné ?

                        ALIBRAQUIN

                                            La veyrolle

        Et la caquesangue67.

                        FRÉMINAUD

                                         À point.

        Et la roigne68

                        ALIBRAQUIN

                                Qui nous affolle.

                        FRÉMINAUD

85    Desplumés

                        ALIBRAQUIN

                          Affin qu’on ne volle.

                        FRÉMINAUD

        Sans argent

                        ALIBRAQUIN 69

                          Pour courir les champs.

        Sur la terre, [soit] dure ou molle70,

        Nous dormons, comme chiens couchans71.

.

                        BARRAQUIN                                            SCÈNE  V

        Brandimas, voicy des marchans :

90    Il est force qu’on les assaille.

                        BRANDIMAS

        Quelz « marchans » ? Ce sont deux meschans72

        Qui ne vallent pas une maille73.

                        BARRAQUIN

        Sont-ilz affranchis de la taille74 ?

                        BRANDIMAS

        L’on cognoit à leur haucqueton75

95    Que ce ne sont que quoquinaille76

        Qui n’on[t] pas vaillant ung bouton.

                        BARRAQUIN

        L’ung porte la peau d’ung mouton,

        Et sa picque comme une Brode77.

                        BRANDIMAS

        Et l’aultre, mynce78 de coton,

100  Est lombard : regardez sa mode79

                        BARRAQUIN

        Leurs soliers sont liéz de corde.

                        BRANDIMAS

        Ilz sont pendans comme clabaulx80.

                        BARRAQUIN

        Assaillons-les !

                        BRANDIMAS

                                 Je m’y accorde.

                        BARRAQUIN

        Sortons81 sus eulx !

.

                        BRANDIMAS                                           SCÈNE  VI

                                       À mort, ribaulx !

                        FRÉMINAUD

105  Tu té riche82 ?

                        BRANDIMAS

                               Ouÿ, de beaulx83 !

                        BARRAQUIN

        Çà84, le baston !

                        FRÉMINAUD

                                  Gon [Goth zenand]85 !

                        BRANDIMAS

        Ilz n’ont ne bonnetz, ne chapeaulx.

                        BARRAQUIN

        Vien çà ! N’es-tu pas allemant ?

                        FRÉMINAUD

        Ya, [ya], verlis86.

                        BRANDIMAS

                                     L’abillement

110  Monstre que c’est ung vray droncart87.

                        BARRAQUIN

        Et cestuy-cy ?

                        BRANDIMAS

                              Par mon serment !

        Je le juge[asse] estre lombart88.

                        ALIBRAQUIN

        Laissé-mé staré89 !

                        BARRAQUIN

                                        A ! coquart90 !

                        BRANDIMAS

        N’est-il pas vray ?

                        ALIBRAQUIN

                                      Messéré, sy91.

                        BRANDIMAS

115  Ne vous tirez point à l’escart !

                        BARRAQUIN

        N’ayez paour !

                        BRANDIMAS

                                 Demourez icy !

                        BARRAQUIN

        Ce sont bléfleurs92.

                        BRANDIMAS

                                       Il est ainsi.

                        BARRAQUIN

        Narquins93.

                        BRANDIMAS

                            De si près échicqués94

        Que leur habit est tout transsy ;

120  Et sont, comme nous, desbifféz95.

                        BARRAQUIN

        Je cognois à leurs afficquetz96,

        En effect, qu’il n’y a que mordre97.

                        BRANDIMAS

        L’on vous poindra, si vous picquez98 !

                        BARRAQUIN

        Approuchez, vous estes de l’Ordre99 !

125  Et pensons comme[nt] nous ressourdre100

        Pour brouer sur le hault verdis101.

                        FRÉMINAUD

        Nous ne sçavons plus quel boys tordre102.

        Les gueux103 sont friz, je le vous dis.

                        ALIBRAQUIN

        La guerre nous eust104 desgourdis.

                        BRANDIMAS

130  Il fault que l’on y remédie.

                        FRÉMINAUD

        Allons-nous-en, comme estourdis,

        Tout droit à la mathe gaudie105.

                        BARRAQUIN

        Va, va ! [tu iras]106 la landie

        Ta mère !

                        BRANDIMAS

                       Nous irons aux changes107.

                        BARRAQUIN

135  As-tu de l’or, teste estourdie ?

                        BRANDIMAS

        Nous en aurons à ces108 vendanges.

                        ALIBRAQUIN

        Se le rouastre109 et ses anges

        Nous trovoi[en]t à la Gourde Pie110

                        BARRAQUIN

        Ilz nous menroient à double renge

140  Liéz, pour faire la croppie111.

                        BRANDIMAS

        Il vault trop mieulx que l’on espie

        Ung bon marchant, et qu’on le guette.

                        FRÉMINAUD

        Mais le prendre par112 la pépie

        Pour luy empoigner sa bougette113.

                        ALIBRAQUIN

145  Embûchons-nous cy !

                        BARRAQUIN

                                          Qu’on s’i mette !

        Et que quelc’um d’entre nous aille

        Pour nous apporter (sans brouette !)

        Pain et vin, et autre victaille114.

                        BRANDIMAS

        Va-y, toy-mesmes.

                        BARRAQUIN

                                    Qu’on me baille

150  Argent !

                        BRANDIMAS

                       Tien, voylà dix deniers.

                        FRÉMINAUD

        Sus, après !

                        BARRAQUIN

                           Je reçoys la taille115 :

        Apportez escuz à milliers !

                        ALIBRAQUIN

        Argent, qui en a ?

                        FRÉMINAUD

                                     Voulentiers

        Tiens ces six deniers !

                        ALIBRAQUIN

                                           Prens ces quatre !

                        BARRAQUIN

155  Et j’en ay quatre tous entiers.

                        BRANDIMAS

        Ce sont deux solz116, sans rien rabatre.

                        FRÉMINAUD

        Prens-toy bien garde du rouastre !

                        ALIBRAQUIN

        Et des anges !

                        BARRAQUIN

                              J[e] les cognois117.

                        BRANDIMAS

        Ilz seroient batus comme plastre,

160  Par noz dieux, si je les tenois !

                        BARRAQUIN

        Ne bougez d’icy ! Je m’en voys118.

        Et quelque chose qu’il adviengne119,

        Ne sortez point dehors du boys

        Jusques à ce que je revienne !

*

En ville, Barraquin apprend que l’empereur de Rome recrute des « aventuriers » pour faire la guerre, et qu’ils seront bien rétribués.

.

                        BARRAQUIN                                            SCÈNE  VII

165  A ! par tous noz dieux ! Voicy rage,

        Pour povres gallans morfondus120,

        Qui ont tous leurs grains despendus

        À la tâtière121, au temps passé.

        ……………………………

        Hé ! Gueux ! Gueux ! Sus ! Bonnes novelles !             SCÈNE  VIII

170  Laissez la feullade grant erre122,

        Et vous en venez à la guerre,

        Que l’Empereur a fait crier

        À son de trompe et publier,

        Dont mon cueur de joye tressaulte !

                        BRANDIMAS

175  Que n’avons-nous chescun sa gaulpe123

        Pour triumpher sur le bigard124 !

                        FRÉMINAUD

        Quelque grosse putain ribaulde

        Prinse au fin fons du cagnart125 !

                        ALIBRAQUIN

        Levons sus !

                        BRANDIMAS

                            Flouons du gigard126 !

                        FRÉMINAUD

180  Saultons !

                        ALIBRAQUIN

                        Aussi hault q’ung chevreau !

                        BRANDIMAS

        Fy de pain bis127 !

                        FRÉMINAUD

                                      Fy de viel lart !

                        BARRAQUIN

        Que veulx-tu ?

                        ALIBRAQUIN

                               Belle chair de veau.

                        BARRAQUIN

        Boyre bon vin.

                        BRANDIMAS

                                 Voyre sans eau.

                        FRÉMINAUD

        Et puys quoy ?

                        ALIBRAQUIN

                               Jouer au « billard128 ».

                        BARRAQUIN

185  Le pain croysé129 vient.

                        BRAN[D]IMAS

                                              Chantons Nau130 !

                        FRÉMINAUD

        Va, ruffïen !

                        ALIBRAQUIN

                              Mais toy, paillart !

                        BARRAQUIN

        Sortons du boys !

                        BRANDIMAS

                                   Laissons ce parc131 !

                        FRÉMINAUD

        Brief132 il nous faul[t] avoir des pages.

                        ALIBRAQUIN

        Il fault attendre, coquillard133 !

                        FRÉMINAUD

190  Et quoy ?

                        ALIBRAQUIN

                       Que nous ayons noz gaiges134.

                        BARRAQUIN

        Nous sommes deffaiz135.

                        BRANDIMAS

                                                Tous sauvages.

                        FRÉMINAUD

        Nous n’avons pièce de harnoys.

                        BARRAQUIN

        Allons, pour trouver avantages,

        À l’Empereur : je le cognois.

                        ALIBRAQUIN

195  N’as-tu rien apporté ?

                        BARRAQUIN

                                          Troys, troys136 !

        Par noz dieux ! j’ay tout oublié,

        Quant j’ay ouÿ à plaine voix

        Qu’on a la guerre publié.

*

En se rendant chez l’empereur, les tyrans croisent la soldatesque, qui fait de même. Ils n’ont pas la conscience tranquille, et sous le coup de l’émotion, Barraquin retrouve son accent picard.

.

                        BARRAQUIN                                            SCÈNE  IX

        Je quie de paour137, par noz dieux !

200  Ces gens viennent pour nous frapper.

        Cheroit-che point le marïeux138

        Qui vient ichy pour nous graffer139 ?

                        BRANDIMAS

        S’il vient, qu’on pense de frapper,

        Et nous deffendons corps pour corps !

205  Si nous nous laissons attraper

        Aux140 raiz, lio[n]z, nous sommes mors !

                        L’ADMIRAL

        Quelz grans ribaulx puissans et fors !

        Regardez-moy leur contenance !

        Ilz sont gens pour faire deffence,

210  S’ilz estoient ung peu mis en point.

        Mais ilz n’ont robe, ne pourpoint,

        [Ne] chausses, ne chemise entière.

        ……………………………….

        Venez-vous-en donc avec moy !

        Et vous aurez sçavez-vous quoy ?

215  Force d’aubert en la follouse141.

*

Les tyrans sont embauchés par l’empereur. Ayant la bourse et les bourses pleines, ils décident d’aller les vider au bordel. Ce lieu et ses pensionnaires sont peints sur le vif par un fin observateur, dans deux scènes dont l’intérêt n’a pas été suffisamment souligné : nous avons là le premier reportage qui donne la parole à des prostituées, sans critique sociale ni condamnation religieuse.

.

                        BARRAQUIN                                           SCÈNE  X

        Nous « besoignerons » de courage142,

        Puisque nous payez voulentiers.

        Et cuyde que les taverniers

        Et les putains y auront part.

                        BRANDIMAS

220  Allons !

                        FRÉMINAUD

                    Cherchons !

                        ALIBRAQUIN

                                       Quoy ?

                        BARRAQUIN

                                                   Le cagnart143.

.

                        BRANDIMAS 144                                      SCÈNE  XI

        Il y a venaisonl45 nouvelle.

                        FRÉMINAUD

        Et que voulez-vous, Damoiselle ?

        Qu’actendez-vous ? Le picotin146 ?

                        AQUELINE

        Je suis icy dès le matin,

225  Et si147, ne treuve point de gaing.

                        NYCÈTE

        Av’ous à faire de putain ?

        Voy-nous cy148, prestes [de] « combatre ».

                        ALIBRAQUIN

        Ouÿ ; mais si nous sommes quatre,

        Trouverons-nous chescum la sienne ?

                   MARRAGONDE,  [maistresse du bordeau149commence.]

230  On sera — de ce vous souvienne —

        À la paille jusques au ventre150.

        Venez hardiment ! Qu’on y entre,

        Mais qu’ayez à force pécune151.

        Ne serviray-je pas pour une ?

235  Je ne suis pas trop affoncée152.

                        BARRAQUIN

        Juppin ! ell’ est si affamée

        Qu’el153 l’avalleroit sans mascher !

                        MARRAGONDE

        Si tu prens bien garde à ma chèr154,

        Tu t’en servirois bien les festes155 ;

240  Car (par mon sacrement) vous estes

        Assez mal séant[z] au mestier.

                        BRANDIMAS

        Mais regardez ce gros fumier

        Qui contrefaict de la mignonne !

                        AQUELINE

        Hé ! quel marault !

                        NYCÈTE

                                      Quel gros yvroigne !

                        MARRAGONDE

245  Pour faire ung ouvrage jà faict156 !

                        FRÉMINAUD

        Allez, paillardes !

                        AQUELINE

                                     Qu’il est lait !

                        ALIBRAQUIN

        Allez, truandes !

                        NYCÈTE

                                    Quel raclet

        Pour souffler poil157 d’ung cul foireux !

                        BARRAQUIN

        Dea ! ilz158 sont de séjour, ces deux !

250  Ilz enragent que l’on n’enrage.

                        MARRAGONDE

        Tirez voz chausses159 !

                        AQUELINE

                                             Au pilliage160,

        Vous n’aurez de nous nul desduit.

                        BRANDIMAS

        Allons !

                        NYCÈTE

                       Pissez161 toute la nuyct,

        Et le ventre se vuydera.

                        FRÉMINAUD

255  Par le sang ! L’on vous frotera,

        Et vous ferons cueillir les poix162 !

                        MARRAGONDE

        Juppiter ! qu’il a bonne voix

        À « combatre » comme vaillant !

                        AQUELINE

        Il [ne] fuyroit, en assaillant :

260  C’est ung valeureux champïon.

                        NYCÈTE

         Il est plus hardy q’ung chappon163 :

        Garde, garde qu’il ne te « frappe164 » !

                        ALIBRAQUIN

        On te batra !

                        MARAGONDE

                             Si je n’eschappe.

                        [BARRAQUIN165]

        Ou si je ne [te]166 couche à terre.

                        BRANDIMAS

265  Ailleurs fault nostre desduyt querre167.

                        FRÉMINAUD

        Nous ne sommes plus de recepte168.

                        AQUELINE

        Pou169, le goulu !

                        NYCÈTE

                                    Pou, la grant beste !

                        ALIBRAQUIN

        Pou, le vil groing !

                        BARRAQUIN

                                      Pou, viel carcas170 !

        [Pou, loudière171 ! Pou, viel cabas172 !]

                        MARAGONDE

270  Fy du belin173 !

                        AQUELINE

                                     Fy du sotart !

                        BRANDIMAS

        Fy du cabas !

                        NYCÈTE

                               Fy du paillart !

*

Au fond de son cachot, saint Christophe refuse d’abjurer le christianisme. Le roi païen Danus va donc le soumettre à la tentation ; pour cela, il ordonne aux tyrans d’aller « quérir deux ou troys jeunes filles / Au bordeau » afin de déconvertir le saint. Naturellement, c’est l’ancien adorateur de Jupiter et de Satan qui va convertir les pécheresses, en deux répliques bâclées auxquelles on ne croit pas. Cette idée risible n’émane pas du mauvais esprit de Claude Chevalet : toutes les hagiographies de saint Christophe en rendent compte.

.

                        FRÉMINAUD                                             SCÈNE  XII

        Nous cognoissons tel marchandise

        Mieulx que nous ne faisons satin174 :

        Elles ont de nostre butin

275  Plus souvent que n’ont pas les prebstres !

        ………………………………..

                        BARRAQUIN

        Vous aurez tantost marée fresche175,

        Puisqu’il fault qu’on s’i détermine ;

        Mais ce n’est pas de la marine176,

        Vous entendez bien la raison.

.

                        BRANDIMAS                                             SCÈNE  XIII

280  Sus, allons à la venaison177 !

        Entendez-vous, mes compaignons ?

        Si nous n’y mettons des oignons,

        Nous y mettrons du « vin » à force178.

                        FRÉMINAUD

        Je n’en donne pas une [e]scorce,

285  Mais179 que la besoigne soit faicte.

.

                        MARRAGONDE,  maistresse du bordeau,  commence.

        Aqueline, et vous, Nycette,                                          SCÈNE  XIV

        Que faictes-vous icy seullettes ?

        Vous sçavez qu’entre vous, fillettes180,

        Debvez — pour avoir bon encontre181

290  Faire de voz corps belle monstre

        Pour amener l’eau au moulin.

        Car qui n’entent le jobelin182

        N’a garde de prendre la caille183.

                        AQUELINE

        Nostre mestier ne vault pas maille ;

295  Et pour cela, tout bien nous fault184.

        Il n’y a si meschant briffault185

        En la ville (c’est la manière)

        Qui n’ait maistresse ou chamb[è]rière,

        Ou toutes deux à ung besoing186.

300  Si ne leur fault pas aller loing

        Pour estre fourny[s] de femelles.

                        NYCETTE

        Voyre. Et puis ces macquerelles

        En fournissent secrètement,

        À bon marché et largement,

305  Et en font tous les jours la vante.

        Il n’est celuy187 qui ne se vante

        D’avoir chair fresche à [son] plaisir.

        Si avons icy bon loysir

        De piller188 le sucre à la porte !

                        MARRAGONDE

310  Allez, le diable vous emporte !

        Tousjours vient-il quelque paillart.

        Si vous ne sçavez faire l’art,

        Serrez189 hardiment la boutique !

        Car il fault faire la praticque190,

315  Au moins, si vous voulez gaigner.

                        AQUELINE

        Huy, je ne gaignay ung denier,

        Maistresse. A[vez-]vous entendu ?

        Et croy que mon « engin fendu191 »

        Me lairra192 mourir de famyne.

                        MARRAGONDE

320  Tu ne vaulx plus rien, Aqueline ;

        Et ! j’ay veu que tu faisois rage193.

        Que ne farde-tu ton visage

        Pour attraper quelque grant blanc194,

        Ou leur monstrer si beau semblant195

325  Que chescum y courre à [grant] haste ?

                        NYCETTE

        Il y a ung point qui nous gaste,

        Maistresse, dont je deviens folle.

                        MARRAGONDE

        Quoy doncques ?

                        NYCETTE

                                    La grosse vérolle196,

        Que l’on [doit aux]197 Neapolitains :

330  C’est ce qui gaste les putains,

        Car chescum s’en cuyde garder198.

                        AQUELINE

        J’ay veu qu’il souloit aborder

        En ce bordeau gens à puissance199 ;

        Mais maintenant, selon l’usance,

335  Des bordeaulx y a plus de mille.

                        MARRAGONDE

        Où sont-ilz ?

                        NYCÈTE

                             Par toute la ville ;

        Et tant, que je ne m’y cognois.

        Chescune200 y fourbit son « harnoys »,

        Et mesmement les vielz escus201.

                        AQUELINE

340  Et puis ces marchandes de culz

        Gastent maintenant le potage.

        C’est ce qui nous porte dommage,

        Maistraisse, je le vous plévis202.

                        NYCETTE

        De ce que je gaigne, je vis.

345  La reste, en l’honneur de [no]z dieux,

        Je donne aux pouvres pour le mieulx,

        Tous les jours ordinairement.

                        AQUELINE

        Et moy aussi, pareillement.

        Je n’en prens rien — voylà la note —

350  Fors que ma vie203, somme toute.

        Aultres biens n’en ay retenus.

        Si, prie la belle Vénus

        De nous donner bonne adventure,

        De laquelle la pourtraicture

355  J’ay to[u]sjours en grant révérence.

                        MARRAGONDE 204

        Or paix, et tenez contenance !

        Et de ce faict, plus ne parlez !

        Car voicy des gens du Palais205

        Qui vous viennent revisiter206.

360  Et pour ce, s’en fault acquiter

        Et entretenir doulcement.

                        NYCETTE

        Laissez-les venir hardiment,

        Car nous leur ferons bonne myne.

        Allons au-devant, Aqueline,

365  Et les recepvons bien et beau !

.

                        ALIBRAQUIN                                          SCÈNE  XV

        Compaignons, voylà le bordeau.

        Les fillettes sont là, à l’huys.

        Si les emmenrons, si je puys :

        Elles ne se peuvent cacher.

                        BARRAQUIN 207

370  Voyre ! Qui les devroit chercher

        Jusques au fin fons du caignart208,

        Nous flouerons sur le bigart209

        En quelque coing, sur la paillade210.

                        BRANDIMAS

        Deux à deux, chescum sa paillarde !

375  Il n’est [pas d’]aultre vie au monde.

.

                        FRÉMINAUD                                            SCÈNE  XVI

        Hau ! Que faictes-vous, Marragonde ?

        Enseignez-moy ce que je cherche :

        S’il y a point céans chair fresche,

        Faictes cy la venir en champt211 !

                        MARRAGONDE

380  Quelz gallans pour tenir le ranc212 !

        Je n’en fais mise ne recepte213.

        Voylà Aqueline et Nycette

        Qui ne demandent que la jouste214.

                        ALIBRAQUIN

        Est-il vray ?

                        AQUELINE

                            Que tu es fin ho[u]ste215 !

385  Tu sces ailleurs où te repaistre :

        Les garces ne sont pas sans maistre,

        Qui tombent dedans ton lïen.

                        NYCETTE 216

        Quant à luy, pour ung ruffïen217

        Il est parfaict, je le suppose.

                        ALIBRAQUIN

390  Mais toy, tu ne vis d’aultre chose !

        Que vas-tu broullant le papier218 ?

                        BRANDIMAS

        Va[-t’en] prendre garde au clappier219,

        Et te prens avec ta pareille220 !

                        MARRAGONDE

        Il n’ayme plus que la bouteille :

395  Son « instrument » est desmanché221.

                        FRÉMINAUD

        Par noz dieux, c’est trop [d]estaché222 !

        Laissons ces argumens cornus223.

                        ALIBRAQUIN

        Marragonde : le roy Danus,

        Par manière de nous esbatre,

400  Nous a cy envoyé tous quatre

        Pour luy mener .II. de voz garces.

                        MARRAGONDE

        A ! Alibraquin, tu te farces ;

        Mais farceurs sont tousjours farcéz.

        Le Roy a de la « chair » assez ;

405  Il ne luy fault rien que du « pain224 »…

                        BARRAQUIN

        Pour vous le dire tout à plain,

        Il dit vray, et je le tesmoigne :

        Le Roy, pour aucune besoigne225,

        Les veult avoir. Voylà le point.

                        MARRAGONDE

410  A ! que mauldict soit le tesmoing

        Qui vient avant qu’on le demande !

                        BARRAQUIN

        Vous mocquez-vous de moy, truande ?

        Que le feu d’enfer vous allume !

        Par tous noz dieux, si je me fume226,

415  Il vous vauldroit mieulx estre à Romme227 !

                        MARRAGONDE

        « Trois Mouches, tenez-moy cest homme »228

        Qui monstre si terrible myne !

                        BRANDIMAS

        Sus, [sus] ! Nycette et Aqueline,

        Venez, car il nous fault aller

420  Tout maintenant au Roy parler.

        Venez-vous-en légièrement229 !

                        NYCETTE

        Mais que nous veult-il, voyrement ?

        Dictes-le-moy ains230 que g’y aille.

                        FRÉMINAUD

        On le vous dira, ne vous chaille,

425  Sitost que serez à la Court.

                        ALIBRAQUIN

        Dépeschez-vous, faictes-le court !

        Venez au Roy à diligence !

                        AQUELINE

        Nous luy ferons obéyssance ;

        Et si, ne dirons point de « non ».

430  Puisque vous venez à son nom,

        Nous y irons sans plus de plait231.

                        MARRAGONDE

        Au moins, quant vous en aurez faict,

        Retournez céans avec elles ;

        Et les rendez232 aussi pucelles

435  Comme céans les aurez prises !

                        BARRAQUIN

        Marragonde, tu en devises

        À ton aise, pour tout potage.

        Mais au regart du pucellage,

        Aussi [bien eusses-tu]233 de cotte !

                        BRANDIMAS

440  Je voys prendre ceste mygnotte.

                        FRÉMINAUD

        Et j’auray ceste-cy pour moy.

.

                        ALIBRAQUIN                                         SCÈNE  XVII

        Or nous en allons vers le Roy,

        Maintenant, à tout nostre espice234.

                        NYCETTE

        Allons, pour luy faire service,

445  Puisqu’ainsi est que vous le dictes.

                        BARRAQUIN

        Nous n’y irons point comme hermites235,

        Ne comme le « faulcon » sans proye236.

.

                        BRANDIMAS                                           SCÈNE  XVIII

        Les dieux veu[i]llent tenir en joye

        Et en to[u]te prospérité

450  Danus — roy de ceste cité —,

        Ses chevaliers et ses barons !

        Chier sire, nous vous amenons

        Ces gracïeuses jouvencelles.

        Pourtant s’elles237 ne sont pucelles,

455  Elles n’en vallent guères mieulx.

*

Le roi explique aux deux prostituées qu’elle vont devoir induire le géant saint Christophe à la tentation. Voyant qu’on ne peut se passer de leurs services, elles tentent d’obtenir une prime de risque.

.

                        AQUELINE                                               SCÈNE  XIX

        Pour vous nous voulons travaillier,

        Et pour avoir des dieux la grâce.

        Mais j’ay paour qu’il ne nous mefface238,

        Puisqu’il est si grant que vous dictes,

460  Et nous sommes femmes petites :

        S’il vient à nous, nous en mourrons.

                        NYCETTE

        Elle dit vray : nous ne pourrons

        Fournir à son esbatement.

        Car s’il a si grant instrument

465  Comme il est grant, je me fais forte

        Que je vaulx une femme morte !

        Ce n’est pas cela que je serche239.

                        NYCOSTRATÈS

        Je n’en vis [onc périr]240 en perche,

        De femmes, quoy que vous di[si]ez.

470  Allez, et ne vous soulcÿez,

        Car de la mort je vous asseure241.

                        ÉPIGRAMUS

        Elle n’a garde qu’elle [en] meure,

        Quelque chose qu’elle en caquette242.

        Mais ell’ est [bien] rusée et faicte243,

475  On le cognoit à son langaige.

                        ORLANT

        S’elles en meurent, si feray-je244,

        N’est-il pas vray ? Vous le sçavez :

        Car je cuyde que vous avez

        Ung bon « engin », pour bien comprendre…

                        SÉRAPION

480  N’ayez soulcy : le cuyr est tendre245

        Mieulx que celuy du pelletier.

        Et sçavez selon le mestier,

        Ma fille, qu’il n’y a nulz ots246.

                        ORLANT

        Par noz dieux ! il seroit bien gros,

485  S’elles en faisoient deux morceaulx247 !

        N’est-il pas vray ?

                        AQUELINE

                                     Ouÿ, de beaulx248 !

        Vous en devisez à vostre aise ;

        Toutesfoys (au Roy ne desplaise),

        Vous ne dictes chose qui vaille.

                        LE  ROY  DANUS

490  Allez-vous-en249, et ne vous chaille !

        Car si les dieux vous donnent grâce,

        Que ma voulenté se parface250 :

        Vous aurez des biens largement,

        Et vous mariray richement,

495  Pour estre de chescum prisées.

                        NYCETTE

        Nous sommes de ce faict rusées251 ;

        Et croy — qui nous y conduyra252 —,

        L’une ou l’aultre le sesduyra,

        Ou je seray bien esbahye.

                        AQUELINE

500  Il sera de nostre abbaye253,

        Et fust-il encor plus bigot !

        Je ne vueil seullement q’ung mot254

        Pour faire lever la « cropière255 ».

                        NYCETTE

        Chescune est si bonne ouvrière,

505  Pour le vous donner à entendre,

        Qu’il ne nous convient rien aprendre256 :

        Nous sommes maistresses du « cas257 ».

*

Le messager Sautereau <voir L’Andureau et L’Andurée, vers 1-41> conduit les filles devant la porte de la prison, gardée par le geôlier Mallepart <L’Andureau, vers 253-380>.

.

                        SAUTEREAU                                           SCÈNE  XX

        Je soulois estre messagier258 ;

        Mais259, je suis ung chasse-marée.

        ………………………………

510  Vous ferez la beste à deux do[u]s260.

                        NYCETTE

        Pensez qu’on met quatre genoulx261,

        Bien souvent, dedans ma chemise.

        Mais si tu apperçoys la prise,

        Corne262 hardiment par-derrière !

                        SAUTEREAU

515  Par noz dieux, tu es fine263 ouvrière !

        Laisse ce264, le diable t’emporte !

.

        Hau ! Mallepar[t] ! Ouvre ta porte                               SCÈNE  XXI

        À ces fillettes de chemyn,

        Qui ont faict sur leur « parchemin

520  Velu »265 souventeffoys escripre !

                        MALLEPART

        Je ne me puis tenir de rire

        Quant je te voy, pouvre lourdeau :

        Es-tu devenu macquereau ?

        Ne scez-tu d’aultre mestier vivre ?

*

1 Sur l’argot dans les Mystères, voir la notice de Gautier et Martin.   2 Éd : chouq  (Dialecte picard : « Cela plaît-il à Dieu ? Et qu’est-ce-ci ? »)   3 De l’argent. Même mot d’argot à 215.   4 En dormant par terre, je me suis fait un manteau d’herbe. « Je seray de verd affublée. » (Les Femmes qui plantent leurs maris.) Jeu de mots sur le vair, une coûteuse fourrure d’écureuil.   5 Mon haut-de-chausses est décousu.   6 Mes chausses, sur lesquelles je tire pour les ajuster : cf. Gournay et Micet, vers 411 et 484.  Desquiré = déchiré. Au vers 27, l’éditeur n’a pas reproduit cette prononciation picarde.   7 Mes souliers.  Il y pert = cela se voit (verbe paroir).   8 Je porte ma chemise nouée. Un loqueteux noue ensemble les lambeaux de sa chemise décousue : « La robe en plusieurs lieux trouée,/ Et la chemise renouée. » Le Capitaine Mal-en-point.   9 Mes écus d’or, dorés comme des grains de blé. Même mot d’argot aux vers 71 et 167.  Prendre la brouée = prendre la fuite.   10 Par la tête de Dieu ! Juron gascon.  Dépendu = dépensé ; idem vers 167.   11 J’ai joué (et perdu) mon arbalète. Même verbe argotique aux vers 36, 179 et 372.   12 Et j’ai depuis longtemps vendu mon cheval.   13 Mon manteau. Cf. Gournay et Micet, vers 372. Sainéan définit ce mot « sou », Chocheyras « visage », et Auguste Vitu « chapeau ».   14 Mon chapeau, qui surmonte l’édifice.   15 Éd : Oray  (Tâtière = taverne ; même mot d’argot à 168. Boire du vin se dit taster.)  Les clients insolvables laissent un vêtement en gage au tavernier : cf. Massons et charpentiers, vers 234, 242 et 312.   16 Mon pourpoint. « (En tant que bourreau,) c’est le fruict de mon bénéfice/ D’avoir le jorget, les tirandes [chausses]. » St Christofle.   17 Tu n’auras rien de ma main.   18 Petit crapaud : nom affectueux que Lucifer donne aux diables. Cf. la Chanson des dyables, vers 22.   19 Fils de pute.   20 « Narquin (…), qui signifie mandian contrefaisant le soldat détroussé. » (Laurens Bouchel.) Même mot d’argot à 118.   21 Compagnon d’infortune.   22 Es-tu en fuite ? Même verbe argotique à 59.   23 Je traverse le territoire. Cf. Gautier et Martin, vers 85.   24 Par terre. Cf. les Maraux enchesnéz, vers 172.   25 Que toi <picardisme>. Cf. le Pasté et la tarte, vers 237 et 278.   26 Nous avons là un « mot du guet », c’est-à-dire une phrase absurde que les soldats utilisent comme mot de passe pour se reconnaître. « Mais nul quidam ne s’apareille/ À me dire le mot du guet. » (La Fille esgarée.) Les deux grognards, qui ont fait la guerre et des pillages ensemble, se reconnaissent.   27 La patte : serre-moi la main. Cf. Gournay et Micet, vers 478.   28 Par la chair de moi ! Juron picard.   29 Que nous jouions aux dés <note 11>, pour fêter nos retrouvailles entre tricheurs.   30 La grimace, comme tous les suppliciés. « Et vous gardez bien de la roue,/ Qui aux sires plante ses gris [ses griffes]/ En leur faisant faire la moue. » Villon, Jargon 6.   31 Perché sur une potence.   32 Capturé.   33 Et roué vif faute de gibet. « Ou par deffaulte du bourreau. » (Saoul-d’ouvrer et Maudollé.) « À la branche du allegruc,/ Pour faire la moue aux planettes. » St Christofle.   34 Le gain. J’ai été emprisonné au pain sec et à l’eau.   35 À cause de mes tricheries aux dés. On jette les dés sur la table : « Par sort et ject des déz vous faictes voz jugemens. » Rabelais, Tiers Livre, 40.   36 En y laissant une oreille <note 44>. On coupe une oreille aux voleurs, et la deuxième aux récidivistes. Le comédien porte donc son bonnet incliné sur une oreille.   37 Éd : lesparges  (En y laissant mes cheveux.)  Par commodité ou pour les humilier, le bourreau tond les condamnés qu’il va essoriller, décapiter ou pendre. « De voz fargés serez bésifles [rasés],/ Tout debout [pendus] et nompas assis [dans une basse-fosse]. » Villon, Jargon 4.   38 Le prévôt, le chef de la police. Même mot d’argot aux vers 137 et 157.   39 Dans leurs cachots aux murs massifs. « Gardez-vous des coffres massis ! » Villon, Jargon 4.   40 Les ceps sont des planches qui entravent les chevilles des prisonniers. Idem vers 50.   41 Les ceps étant horizontaux, ceux qui en sont entravés ne peuvent allonger leurs jambes. « Les piéz ès ceps, qu’il ne se couche. » Mystère de saint Remi.   42 Entre 5 h et 6 h. « Entre sis et sept, c’est bonne heure. » Le Poulier à sis personnages.   43 Le dessus de mes chaussures. Tirer ses guêtres = déguerpir.   44 De peur qu’on me coupe les oreilles, comme aux voleurs <note 36>. « Eschéquez-moy tost ces coffres massis [évitez ces cachots] :/ Car vendengeurs [coupeurs de bourses] des ances circuncis/ S’en brouent [s’enfuient] du tout à néant. » Villon, Jargon 1.   45 Jobard.   46 Le bourreau. « Que le télart et le rouastre [le prévôt]/ Vous estranglent ! » St Christofle.   47 Pour fumer le lard, on le pend à l’intérieur d’une cheminée, suffisamment haut pour qu’il ne fonde pas.   48 Tes aveux.   49 Je m’en allai à la Bonne Pie. « Et brouons à la Gourde Pyenche. » (Les Premiers gardonnéz.) Sur les dérivés argotiques de ce nom de taverne, voir la note 50 de Trote-menu et Mirre-loret. Notre vers 138 en fournit une autre forme : la Gourde Pie.   50 Je me mis à l’abri (Chocheyras). « Et eschicquez tost en brouant [fuyant]. » Villon, Jargon 2.   51 Je marchai. « Et piétonnez au large sus les champs. » Villon, Jargon 1.   52 Le bourreau. Pour tout potage = en tout et pour tout ; idem vers 437.   53 Grâce à un sauf-conduit, une lettre de rémission.   54 À coups de barre. Cf. les Brus, vers 220.   55 Quel plaisir. Idem vers 252 et 265.   56 On trouverait, comme nous, une fournée de pain mal cuit. En temps de guerre, les soudards réquisitionnent ou dérobent le meilleur pain.   57 Embusquons-nous sous la feuillée. Nos détrousseurs se cachent aux abords d’un chemin forestier.   58 Quelque dupe. « S’il venoit quelque gourt [riche] siroys/ De qui nous fussions estrénéz [récompensés]. » Les Coquins.   59 Des écus d’or <note 9>, à la dérobée.   60 On lui couperait la tête. Idem vers 21. Sainéan : « Visage, nez. »   61 Je saute un dialogue d’une vingtaine de vers entre le Suisse allemand Fréminaud, et le Lombard Alibraquin, qualifiés respectivement de 3ème et 4ème tyrans : l’éditeur n’y a visiblement rien compris, et il a fait n’importe quoi.   62 Comme un singe, salement.   63 Sans pain ni sans boisson. Dans son baragouin teuton, le Suisse disait un peu plus tôt : « Je n’ay broc ne drinc, à ceste foys./ Par my foy, je suis mort de fain. »   64 Que les temps deviennent meilleurs : que la guerre revienne enfin.   65 Alors que nous n’avons pas de manteau sur notre pourpoint.   66 La farce du Capitaine Mal-en-point fut écrite peu après 1516. Mais ce capitaine en guenilles était déjà connu de Claude Chevalet, qui avait collaboré en 1509 au Mystère des trois Doms, dans lequel est incluse une farce de Baudet, Blondète et Mal-enpoint.   67 La dysenterie. Les soldats français rapportèrent ces maladies des guerres d’Italie. Nous ne sommes plus à un anachronisme près.   68 La rogne est une maladie de peau due au mal de Naples : « Que la maudicte roigne,/ Grayne de Naples, vous tiengne sans respit ! » André de La Vigne.   69 L’imprimeur descend cette rubrique sous le vers, qu’il répartit pourtant sur 2 lignes.   70 « Et arriva, soit dur ou mol,/ Emprès une grant vieille porte. » Les Repues franches de maistre Françoys Villon.   71 « Comme beaulx chiens couchans,/ (ils) coucheront de nuict par les champs. » St Christofle.   72 Deux misérables.   73 Un centime. Idem vers 294.   74 De nous verser un péage. Idem vers 151.   75 On voit à leur hoqueton. Ce corset militaire n’est visible que si le pourpoint est déchiré.   76 Que des mendiants. Cf. Turelututu et Granche-vuyde, vers 90 et 275.   77 Comme un « lustiger Bruder », un joyeux drille allemand. « Aller rompre la teste à ces Brodes allemandes. » Jean Le Frère.   78 Dépourvu. Cf. le Mince de quaire.   79 Sa dégaine. La « mode lombarde », ou « mode milanaise », n’est pas que vestimentaire : elle symbolise également l’homosexualité.   80 Comme les oreilles d’un chien.   81 Faisons une sortie, une attaque.   82 L’Allemand a peut-être dit : « Unter-Richter ? » C’est-à-dire : « Un sous-juge ? » Quoi qu’il en soit, Brandimas comprend : « Tu es riche ? »   83 Des beaux mots, des promesses ! Idem vers 486. « Vous m’aimez ? Dea, voire, de beaux ! » Les Trois amoureux de la croix.   84 Éd : Sa  (Donne-moi ta pique ! Voir les vers 98 et 123.)   85 Éd : gothzenaud  (Sainéan suggère : « In Gott’s Nam ! ‟Au nom de Dieu !” »)   86 Sainéan suggère : « Ja, währli ‟oui, vraiment.” »   87 Ivrogne. Son habit est taché de vin. « Boyvent mon vin comme droncquars. » (La Condamnacion de Bancquet.) Dans le Mystère, un soudard suisse est nommé Droncart.   88 Je dirais qu’il est lombard. Voir la note 79.   89 Pierre Servet traduit : « Laisse-moi tranquille. »   90 Corniaud.   91 Éd : cy  (« Oui, Monsieur. » Par la suite, Alibraquin fera deux fois la même réponse.)   92 Des tricheurs, des filous. Cf. Gournay et Micet, vers 455 et 524.   93 Des mendiants qui se font passer pour des militaires <note 20>.   94 Tenus en échec, appauvris.   95 En mauvais état. Cf. les Chambèrières qui vont à la messe, vers 68.   96 Éd : esticquetz  (À leurs ornements sans valeur.)   97 Qu’il n’y a rien à nous mettre sous la dent.   98 Si vous nous donnez un coup de pique.   99 Vous appartenez comme nous à l’Ordre de Bélître, ancêtre de la Cour des Miracles. « Qui n’ont ne chausse ne pourpoint :/ C’est selon l’Ordre de Bélistre. » (Le Capitaine Mal-en-point.) La Chanson sur l’Ordre de Bélistrie, de Jehan Molinet, détaille la vie des mendiants.   100 Nous relever, nous rétablir.   101 Pour aller en étant élégants. « Vous estes sur le hault verdus. » Le Monde qu’on faict paistre.   102 Nous ne savons plus de quel bois faire flèche. Cf. l’Aveugle et Picolin, vers 14.   103 Jeu de mots sur « les œufs ».   104 Éd : a  (Nous aurait ranimés.)   105 À la ville joyeuse. « À Parouart [Paris], la grant mathe gaudie. » Villon, Jargon 1.   106 Éd : ie feray  (L’éditeur n’a pas compris cette expression rare. « Jehannin Faulchon dist au suppliant qu’il alast à la landye sa mère. » Godefroy.)  Aller à la landie de sa mère = retourner dans le ventre de sa mère. Nous dirions : Va te faire voir !   107 Nous irons changer notre or contre de la monnaie. À Paris, les changeurs occupaient le Pont-au-Change.   108 Éd : ses  (En argot, un vendangeur est un coupeur de bourse.)   109 Si le prévôt <note 38>.  Les anges sont les sergents ; même mot d’argot à 158.   110 À la taverne <note 49>.   111 Ils nous mèneraient attachés deux par deux pour nous faire accroupir. Le plafond des culs de basse-fosse était si bas que les prisonniers ne pouvaient se tenir debout. (Au sens propre, la croupie est la position du chasseur à l’affût.)   112 Éd : a  (Par la gorge, que la pépie assèche. La lexicographie argotique ignore cette acception.)   113 Sa sacoche.   114 Éd : uictuaille  (Chevalet écrit toujours victaille : « Vous mengez toute la victaille. »)  L’iconographie de l’époque associe la vitaille [les vits] aux brouettes.   115 J’encaisse vos impôts.   116 24 deniers valent 2 sous.  Sans rien rabattre = sans marchander : cf. les Femmes qui font refondre leurs maris, vers 484.   117 On croit plus facilement Barraquin lorsqu’il déplore connaître le prévôt et ses sergents, que lorsqu’il s’enorgueillit de connaître l’empereur, au vers 194.   118 Je m’en vais à la ville pour faire les courses.   119 Quoi qu’il arrive.   120 Frigorifiés.   121 Qui ont dépensé tous leurs écus à la taverne <note 15>.  Barraquin court annoncer la bonne nouvelle à ses complices.   122 Laissez vite votre abri de feuillage.   123 Sa catin. Chacun imagine les pillages et les viols que la guerre va lui permettre d’assouvir.   124 Sur le lit. Même mot d’argot à 372.   125 Prise au fond du lupanar. Même mot d’argot aux vers 220 et 371.   126 Éd : guigard  (Jouons du gigot, de la cuisse : dansons, ou bien copulons. « Remuer le gigot : faire l’acte vénérien. » Antoine Oudin.)   127 Ce pain noir est réservé aux pauvres. « Arrière, pain bis ! » Colinet et sa tante.   128 Pénis. « J’ey un billard de quoy ‟biller” souloye ;/ Mais mon billard est usé par le bout :/ C’est de trop souvent fraper en la raye. » Le Savatier et Marguet.   129 Pain blanc de bonne qualité sur lequel on grave une croix.   130 Noël : poussons des cris de joie. « Il est né, le Messiau !/ Chantons Nau ! » Chantons Nau.   131 P. Servet rappelle que ce mot « est aussi un terme de scénographie médiévale désignant tantôt l’aire de jeu des acteurs, tantôt l’emplacement des spectateurs, tantôt le théâtre dans son ensemble ».   132 Rapidement. Le page est le premier objet de luxe que s’offrent les nouveaux riches. « Ung paige après moy, voire deux. » Mallepaye et Bâillevant.   133 Benêt. Mais un coquillart est aussi un voleur caché parmi les pèlerins qui se rendent à Saint-Jacques-de-Compostelle sous l’insigne de la coquille Saint-Jacques.   134 Que nous ayons reçu notre solde.   135 Mal vêtus.   136 3 écus. Boutade notifiant qu’on n’a rien à donner. « Trois, trois !/ Je le puis bien, de par mon âme ! » (Le Povre Jouhan.) On la rencontre sous d’autres formes : « Trois tous neufs ! » (Daru, la Pippée, Te rogamus audi nos, etc.) « Oui dia, trois ! » (Beaucop veoir, le Dorellot, etc.)   137 « Je chie de peur ! » L’Andureau et L’Andurée.   138 Ne serait-ce pas le bourreau ? Cf. Gautier et Martin, vers 92 et note.   139 Ici pour nous « agrafer ». Cf. Gautier et Martin, vers 84.   140 Éd : O  (Dans ses rets, ses filets. « Ce lion fut pris dans des rets. » La Fontaine.)  Déjà au vers 159, Brandimas menaçait de battre le prévôt et ses sergents.   141 Beaucoup d’argent <note 3> dans votre fouillouse, dans votre bourse. Cf. les Deux pouvres, vers 6. L’amiral parodie le langage des tyrans.   142 Nous copulerons de bon cœur. « J’y ay besongné de courage. » Raoullet Ployart.   143 Le lupanar <note 125>.   144 Les tyrans constatent qu’il y a une fille nouvelle devant la porte ouverte de la maison — les petits-bourgeois n’avaient pas encore inventé les maisons « closes ».   145 Du gibier féminin. Idem vers 280. « Une macquerelle/ Promect, en secrette maison,/ Produyre fresche venaison. » Pour le Cry de la Bazoche.   146 Votre ration de sperme. Cf. le Fol et la Folle, vers 124.   147 Et pourtant, je…   148 Nous voici. Vieux calembour sur « con battre » : copuler. Idem vers 258. « Il ne sçait pas qu’est-ce que de combatre,/ Cil qu’entreprend de plusieurs cons batre. » Gratien Du Pont.   149 Du bordel : mère maquerelle. Je récupère la didascalie du vers 286, qui aurait dû figurer ici.   150 « Estre à la paille jusqu’au ventre : estre fort à son aise. » (A. Oudin.) Mais les prostituées déchues copulent réellement sur une paillasse.   151 À condition que vous ayez quantité d’argent.  La tenancière fait entrer les quatre hommes.   152 Défoncée par mes innombrables amants.   153 Éd : Quil  (Qu’au cours de la fellation préliminaire, elle avalerait notre pénis sans le mâcher.)   154 Si tu regardes bien ma chair, mon physique.   155 Même les jours de fêtes, où l’abstinence sexuelle est pourtant de rigueur : cf. le Sermon pour une nopce, vers 254.   156 Pour ouvrir ce qui est déjà ouvert. Les clients des prostituées s’apparentent aux « dépuceleurs de nourrices ».   157 Quel racleur pour enlever les poils. Aux étuves, les femmes se font raser le devant (et donc le derrière) par un ratisseur.   158 Elles. Idem au vers suivant. Les prostituées — et à plus forte raison les maquerelles — sont jouées par des hommes travestis.  Être de séjour = être reposé.   159 Ce n’est pas là une incitation au déshabillage, mais un ordre de fuite : « N’y reviens plus, se tu es sage !/ Tyre tes chausses ! » L’Aveugle, son Varlet et une Tripière.   160 Par la violence.   161 Éd : Pissant  (Votre bas-ventre se videra sans que vous ayez besoin d’éjaculer.)   162 Nous vous mettrons à genoux, dans une posture érotique passive.   163 Qu’un coq châtré. D’après la rime, on attendait plutôt le héros Jason : « Maint homme, par son blason [sa forfanterie],/ Semble plus hardy que Jason. » Guillaume Haudent.   164 Prends garde qu’il ne te besogne pas ! « Je n’aymeray jamais grant homme,/ Car le petit frappe de près et congne. » Tu as dict que j’en mourrès.   165 Pour des raisons mnémotechniques, les noms des tyrans se succèdent dans le même ordre. Il manque donc ici une réplique de Barraquin.   166 Éd : me   167 Il nous faut chercher notre plaisir ailleurs.   168 Nous ne faisons plus recette.   169 Pouah !   170 Vieux vagin. « Oste-toy d’icy, viel carcas ! » L’Andureau et L’Andurée.   171 Putain. Idem vers 19. Ce mot vient de Picardie, comme Barraquin.   172 Vieux vagin. Idem vers 271. « Vieille loudière [pute], viel cabas ! » Le Raporteur.   173 Du mouton, du nigaud.   174 Nous nous y connaissons mieux en matière de prostituées qu’en matière de satin.   175 « De la marée fraische : une putain. » (Oudin.) Idem vers 509.   176 Ces « morues » ne viendront pas de la mer. « Allez-vous dessus la marine ? » St Christofle.   177 Au gibier <note 145>.   178 En quantité. Le gibier se prépare en civet, avec des oignons et du vin rouge. Mais le vin blanc symbolise le sperme.   179 Pourvu.   180 Filles de joie. Idem vers 367 et 518.   181 Du succès.   182 Celle qui ne connaît pas les finesses du métier. « G’y vays pourvoir,/ Car j’entens bien le jobelin. » (St Christofle.) Le jobelin est aussi l’argot des tyrans ; les ballades dont Chevalet s’inspire ont pour titre : « Le Jargon et jobellin dudit Villon. »   183 N’a aucune chance d’attraper le pigeon, le client.   184 La fortune nous fait défaut.   185 De si misérable crève-la-faim.   186 En cas de besoin. Comme d’habitude, Chevalet décrit les mœurs contemporaines, indépendamment du Mystère.   187 Il n’y a personne. La Fille égarée des Povres deables se plaint aussi de la concurrence déloyale faite par les nombreuses prostituées occasionnelles : « Il n’y a guère rue/ Où il n’y ayt des sœurs secrètes. »   188 Éd : cueillir  (De piler du sucre pour faire des confitures. « Le sucre que vous ferez piller bien petit. » Pour confir des demie-pièces de coings.)  On manipulait le sucre et la farine devant la porte pour ne pas salir la maison. Nos prostituées sans clients n’ont donc rien de mieux à faire que de préparer des confitures.   189 Fermez. La boutique est également le sexe d’une femme. « La boutique est fermée : se dit d’une femme qui ne fait plus d’enfans. » Oudin.   190 Il faut acquérir une clientèle.   191 Mon sexe. « Tu es trop neufve, et ne scez rien./ Ton engin n’est point bien ouvert. » Digeste Vieille.   192 Me laissera.   193 J’ai connu un temps où tu faisais merveille.   194 Une pièce en argent. C’est le salaire des prostituées de bas étage : « Ung beau grand blanc — qui n’est pas trop grant somme —/ Fist le marché. » Les Sept marchans de Naples.   195 Une si belle apparence.   196 La syphilis, par opposition à la petite vérole, ou variole.   197 Éd : dit  (Les soldats français revenus des guerres d’Italie accusaient les prostituées napolitaines de leur avoir inoculé le mal de Naples.)  « Ce mal que les François appellent ‟mal de Naples”, et que les Neapolitains appellent ‟mal françois”. » Charles Sorel.   198 Veut les éviter.   199 J’ai connu un temps où il venait quotidiennement ici des gens en quantité.   200 Éd : Chescum  (Seules les femmes font fourbir leur harnais, leur sexe : « Femme n’estoit, tant preude ou vieille feust, qui ne feist fourbir son harnoys. » Rabelais, Tiers Livre, Prologue.)   201 Les vieilles vulves. « Pource qu’elle avoit trouvé la lance de son champion si grosse, ne luy avoit osé bailler l’escu, doubtant qu’il ne la tuast. » Cent Nouvelles nouvelles, 86.   202 Je vous le garantis.   203 Sauf ce qu’il me faut pour vivre.   204 Par la porte ouverte, elle voit venir les tyrans.   205 Du palais royal.   206 Double sens érotique : « Je vueil perdre cent sous/ Se, dessus et dessoubz,/ N’est bien revisitée. » Les Sotz fourréz de malice.   207 Éd : Alibraquin   208 Même si on devait les chercher au fond du lupanar <note 125>.   209 Nous jouerons sur le lit <note 124>.   210 Sur la paille d’une écurie. « Coucher vestue sur la paillade. » Ung jeune moyne.   211 Faites-la venir sur ce champ de bataille.   212 Le rang des combattants de Vénus. Marragonde reste dans le registre militaire, pour se moquer des faux braves.   213 Je n’en tiens aucun compte. « De toutes ces accusations, je n’en fais ne recepte, ne mise. » J.-B. de Glen.   214 La joute, le combat contre votre lance virile. « Je feroye une jouste seulle,/ Mais ma pouvre lancette ploie. » Jehan Molinet.   215 Une fine mouche. « Que tu es ung fin hoste ! » (Les Enfans de Borgneux.) Rime dauphinoise en -oute : « N’estoient pas si fins houstes. » (La Pippée.) Pour Aqueline, ce « fin hôtelier » tient un hôtel de passe : elle traite Alibraquin de proxénète.   216 Éd : Barraquin   217 Comme maquereau. Idem vers 186.   218 Brouiller le papier, ou le parchemin, c’est causer des embrouilles.   219 Au bordel. « Une garse de plain clappier. » Les Chambèrières et Débat.   220 Va t’en prendre à ta consœur.   221 Débandé. « Soudain que la gouge on emmanche,/ Luy rebailler le picotin [sa ration de sperme],/ Si l’instrument ne se desmanche. » Guillaume Coquillart.   222 Percer de traits (ATILF).   223 Éd : menus  (Ces syllogismes. « De jeune logicien, argument cornu. De jeune médecin, cimetière bossu. » Proverbe.)   224 Il ne lui faut qu’un pénis. « Pour mettre au ‟four” leur pain. » (La Fluste à Robin.)  La note 244 revient sur les mœurs suspectes de celui que Chevalet a malicieusement choisi de nommer le « roi Danus » [roide anus]. Au siècle précédent, le Mistère du trèsglorieux martir monsieur sainct Christofle nommait ce roi imaginaire « Dagus » ; mais l’auteur anonyme dudit Mystère ne brillait ni par son humour, ni par sa liberté de ton.   225 Pour qu’elles accomplissent une certaine besogne.   226 Si je me mets en colère. Cf. L’Andureau et L’Andurée, vers 450.   227 Loin d’ici. « Mieux vaudroit qu’eusse esté à Rome ! » L’Antéchrist.   228 Chevalet connaît bien les pièces de Triboulet, dont il a donné le nom à l’un des messagers du Mystère. Il emprunte ce vers fautif à la première édition du Roy des Sotz, aujourd’hui perdue ; voir la note 24 de cette sottie.   229 Prestement.   230 Avant.   231 De plaidoiries, de contestations.   232 Rendez-les-moi.   233 Éd : loing fusse tu  (Tu aurais aussi vite fait de te payer une cotte, un jupon. « –As-tu le contract ? –Aussi bien eusses-tu l’argent ! » Pierre de Larivey.)   234 Avec notre précieux chargement.   235 Servet traduit : « Aller les mains vides. »   236 Qui n’a pas rapporté de proie au fauconnier. Mais le « faux con » désigne la vulve, qui se repaît de proies phalliques : « Il craind un peu le dangereux faux con. » (Lasphrise.)  Les tyrans et les deux filles entrent dans le Palais royal.   237 Même si elles.   238 J’ai peur que le géant saint Christophe ne nous fasse du mal.   239 Cherche. Le son « s » est très voisin du son « ch ». De même, à la rime suivante, il faut lire « perce » et non « perche ».   240 Éd : õcques peau  (« Mettre une fille en perce : la despuceler. » Oudin.)   241 Je vous rassure : vous n’en mourrez pas.   242 Elle ne risque pas d’en mourir, quoi qu’elle en dise.   243 Experte. La maquerelle du Dorellot se nomme Faicte-au-mestier.   244 J’en mourrai moi aussi, car vous avez un gros engin. Chevalet fait souvent des allusions à la sodomie : voir la note 69 de Cuisine infernale, ou la note 217 de L’Andureau et L’Andurée. Le roi Danus [roide anus], dont les mœurs sont mises en doute au vers 405, a pour chevalier Orlant, qui aime beaucoup les tyrans : c’est lui qui a fait venir de Rome ces « mauvais garsons », et qui a eu l’idée d’envoyer « ces quatre gallans au bordeau ».   245 Mademoiselle, votre peau est élastique.   246 Qu’il n’y a pas d’os dans un pénis.   247 « Il seroit bien gros, par ma foy,/ Si elle en faisoit à deux fois ! » Les Chambèrières qui vont à la messe.   248 Des mots ! Voir la note 83.   249 Allez dans la cellule de Christophe.   250 Que ma volonté s’accomplisse.   251 Bien informées. « Je suis tout rusé de ce fait. » Trote-menu et Mirre-loret.   252 Que si on nous y conduit.   253 De notre religion.   254 Je n’aurai qu’un mot à dire.   255 Son harnais viril. Cf. L’Andureau et L’Andurée, vers 409 et 455.   256 Que nous n’avons plus rien à apprendre.   257 Du pénis (ital. cazzo). « Du temps que mon cas estoit beau,/ Que ma ‟chose” bien se portoit. » Les Sotz fourréz de malice.   258 J’étais jusqu’à présent un messager.   259 Désormais, je suis un amateur de « morues ». Voir cette Ballade, vers 2 et note.   260 La bête à deux dos = le coït. Rime dauphinoise en -ou : « Vous faictes la beste à deux doulx. » Le Badin qui se loue.   261 Les miens et ceux de mon amant. « Tu bouteras tous les coups/ Deulx culz avec quatre genoulx,/ Après que seras maryée. » Les Bâtars de Caulx, LV 48.   262 Si tu vois qu’il me prend sexuellement, pète ! Jeu de mots : corner prise = sonner du cor quand la bête est prise. « Car tous ensemble cornent prise. » (Godefroy.)  Nicette souffle dans la corne que le messager porte en bandoulière.   263 Éd : une  (« Vous avez le bruit [la réputation]/ D’estre encore plus fine ouvrière. » La Pippée.)   264 Laisse cette corne !   265 Sur leur pubis. Cf. Cuisine infernale, vers 107. « –Estudiras-tu bien ?/ –Ouÿ, en parchemin velu. » Pernet qui va à l’escolle.

L’ANDUREAU ET L’ANDURÉE

Bibliothèque nationale de France

Bibliothèque nationale de France

.

*

L’ANDUREAU

.

ET  L’ANDURÉE

*

.

La Vie de sainct Christofle (~1510-1514), de Claude Chevalet, contient une sottie (le Fol et la Folle) ainsi que plusieurs farces, dont les Basteleurs et les Tyrans au bordeau. En voici une autre, qui met en scène un couple de paysans. Leur nom — L’Andureau et L’Andurée — provient d’une chanson picarde : « Au chant de ‟Marchons la dureau, la durée”, une chanson vulgaire [populaire] qui lors estoit en bruit. » (Jehan Molinet.) Une autre chanson, que j’ai publiée dans la notice du Bateleur, a pour refrain : « Dureau la duroye. »

Source : La Vie de sainct Christofle, élégamment composée en rime françoise et par personnages par maistre Chevalet. Imprimé à Grenoble en 1530. Bibliothèque nationale de France, Rés. YF 116. Édition critique de Pierre SERVET : La Vie de sainct Christofle ; Droz, 2006.

Structure : Rimes plates avec beaucoup de « troisièmes rimes », et 2 triolets.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

*

Dans nombre de Mystères, un messager demande sa route à un paysan qui ne veut pas la lui indiquer ; voir, entre autres, le Messager et le Villain.

.

                        SAUTEREAU SCÈNE  I

        … Et si, ne cognois où je vois1,

        Bien ou mal, ne quel chemin suyvre.

        Toutesfoys ne suis-je pas yvre,

        Nonobstant que j’aye bien beu2.

5      Voylà ung villain3 que j’ay veu ;

        Si, m’en voys à luy le droit pas4.

.

        Hau, bon homme5 !                                                     SCÈNE  II

                        L’ANDUREAU,  villain.

                                         Il n’y est pas6.

                        SAUTEREAU

        Où va ce chemyn, mon amy ?

                        L’ANDUREAU

        Il ne va ne pas, ne demy7 ;

10    Oncques il n’ala nulle part.

                        SAUTEREAU

        Mais où tire-il8 ?

                        L’ANDUREAU

                                     Il n’a point d’arc

        Ne de flesche.

                        SAUTEREAU

                                Quel(le) resverie9 !

        Est-ce le chemyn de Surie10 ?

                        L’ANDUREAU

        Nenny, c’est le chemin publicque.

                        SAUT[E]REAU

15    Voicy ung propos bien oblicque !

        Que broulles-tu le parchemyn11 ?

        Dis-moy : qui suyvroit12 le chemyn,

        Où yroit-on ?

                        L’ANDUREAU

                               Par mon serment !

        Si le chemyn alloit devant,

20    Vous le suyvriez bien une espace13 ;

        Mais il ne bouge de sa place

        Pas pour telz gens comme vous estes.

.

                        LA  VIELLE  ANDURÉE 14                    SCÈNE  III

        Est-ce le labeur que vous faictes,

        Viellart rassouté15, estourdy ?

25    Par noz dieux ! vous serez ho[u]rdi16

        Tout maintenant, de chaulde colle17 !

                        SAUTEREAU

        Et ! qu’est cecy ? Estes-vous folle ?

        Fault-il batre vostre mary ?

                        L’ANDURÉE

        Venez-vous au charivary18 ?

30    Par tous noz dieux, vous en aurez19 !

        Tenez !

                        SAUTEREAU

                      Gardez que vous ferez20 !

                        L’ANDURÉE 21

        Empoigne ce coup de queno[u]ille !

                        SAUTEREAU

        Que fera ceste troulle-broulle22 ?

                        L’ANDURÉE

        Mais que fault-il à ce baveur23 ?

                        L’ANDUREAU

35    Il a esté bon24 recepveur,

        Ce messagier.

                        L’ANDURÉE

                               Sus, qu’on besoigne25 !

        Par noz dieux ! si je vous empoigne,

        Je vous feray plus bas parler.

                        SAUTEREAU

        Le diable m’en fit bien mesler !

40    Jamais je ne fus à tel(le) feste26.

                        L’ANDURÉE

        Retourne, tu auras ta reste27 !

*

La ville de Samos est close par un rempart dont la porte reste ouverte sur la campagne. Une tour du guet domine ce mur ; elle est dépourvue d’escalier : on y accède par une échelle qui est ensuite retirée, pour que le guetteur soit en sécurité, ou pour qu’il ne prenne pas la fuite. « Nous ne sçavons par où descendre : / On nous a mis à faire guet. » (Les Rapporteurs.)

.

                        LE  CONTE  DE  TRIPLE                      SCÈNE  IV

        Or çà ! qui montera là-hault,

        Sur la tour, pour faire la guette ?

        Il est force que l’on y mette

45    Quelc’um, ce sera le plus beau28.

                        PASQUELON

        Voylà mon voisin L’Andureau :

        Envoyer luy fault tout le pas29.

                        L’ANDURÉE

        Faictes-y monter le bourreau !

                        NYCOLIN

        Montez, mon voisin L’Andureau !

                        MORGALANT,  bourreau.

50    Vielle guêtre30, traŷne-péneau !

        Il y ira, voylà le cas !

                        NYCOLIN

        Voylà mon voisin L’Andureau :

        Envoyer luy fault tout le pas.

                        L’ANDURÉE

        Tu y mentiras !

                        PASQUALET,  varlet du bourreau.

                                  Ha ! Babeau31 !

                        MORGALANT

55    Oste-toy d’icy, viel carcas32 !

                        PASQUELON

        L’Andureau ne seroit pas las,

        S’il y demouroit troys sepmaines33.

                        L’ANDURÉE

        Il fera voz fièvres quarteynes !

        Avez-vous entendu, beau sire ?

60    N’en sçavez-vous ung aultre eslire34

        Sans le venir du guet charger,

        Qui35 n’a pas du pain à menger

        Sans labourer en sa maison36 ?

                        NYCOLY[N]

        On luy fournyra — c’est raison —,

65    Et à vous, sa vie ordinaire37.

        Et si, est force de le faire,

        Car trop chier seroit le deffault38.

                        LE  CONTE  [DE  TRIPLE]

        Sus, Andureau ! Monte là-hault

        Et prens garde de tous costéz,

70    Si39 que noz ennemys mortelz

        Soient apperceuz de bien loing.

                        L’ANDUREAU

        Ne vous chaille, j’en prendray soing.

        Je voys monter dedans la loge40.

        Et quoy41 que j’ay l’œil ung peu roge,

75    Si ay-je encor[e] bonne veue.

                        BROADAS

        Si tu apperçois rien, si hue

        Et cloche menu42 et souvent !

        Puis metz la bannerolle43 au vent

        Contre ceulx que verras venir.

                        L’ANDUREAU

80    Sçav’ous quoy ? Faictes-moy tenir44

        Ou apporter une bouteille :

        Car c’est cela qui me resveille

        Quant ce vient au charivary.

                        ANDROMADÈS

        Tien : empoigne-moy ce barry45,

85    Et fais le guet tant seullement !

*

L’Andurée ramasse du bois devant le rempart, non loin de la tour où veille son mari. Un soldat sort de la ville et s’approche d’elle.

.

                        BARDON                                                    SCÈNE  V

        … Çà, m’amye, a[vez-]vous point veu

        Gens de guerre parmy ces champs,

        Allans à pied ou chevauchans ?

        Dictes-le, affin qu’on le sache.

                        L’ANDURÉE

90    Mon mary en est à l’estache46

        — Dont il n’estoit pas grant besoing —

        Hault jusché pour le[s] voir de loing.

        Le grant diable ait part en la guerre47 !

                        BARDON

        Et  que faictes-vous icy ?

                        L’ANDURÉE

                                                Je serre

95    Du boys pour [en] faire ung fagot

        Pour mettre cuyre ung gigot.

        Laissez-m’en paix et passez oultre !

                        BARDON

        Vouldriez-vous point prester le voustre48

        Près ce buysson, en quelque coing ?

                        L’ANDURÉE

100  Mon gigot ?

                        BARDON

                             Voire, ou [le] maujoinct49 :

        Car je vous embrasseray ferme50.

.

                        L’ANDUREAU,  au guet.51                       SCÈNE  VI

        Allarme, bonnes gens, alarme52 !!

        Je saulteray par ce créneau !

                        NYCOLIN 53

        Qu’as-tu ?

                        L’ANDUREAU

                         Je voy ung gendarmeau

105  Qui veult ma femme brimballer54.

        Descendez-moy, g’y veulx aller !

        Je pers le sens, je suis deffait.

                        PASQUELON

        N’ayes soussy : c’est peu de fait55.

        Tais-toy, car c’est assez presché !

                        L’ANDUREAU

110  Pour Dieu, que je soye desjuché56 !

                        NYCOLIN

        La raison ?

                        L’ANDUREAU

                            Il me fait cornu.

                        PASQUELON

        Tu y serois trop tart venu57.

                        L’ANDUREAU

        Je saulteray, comme qu’il soit58 !

.

                        L’ANDURÉE                                             SCÈNE  VII

        Ostez-vous ! Mon mary me voit,

115  Qui [nous] crie à plaine caboche59.

        Vous luy ferez rompre la cloche60.

        Allez-vous-en sans parler plus !

                        BARDON

        Nous ne ferons pas le surplus,

        Puisque nous sommes descouvers.

.

120  Je voy des gens, sur ce renvers61,                                SCÈNE  VIII

        Qui vont crians parmy la plaine.

        Je le voys dire62 au capitaine,

        Affin que l’on y remédie.

.

                        L’ANDUREAU 63                                     SCÈNE  IX

        Alarme !!

                        NYCOLIN

                         Qu’as-tu ? Qu’on le die !

                        L’ANDUREAU

125  Il n’est pas temps de se truffer64.

        Alarme !! Que de gens de fer,

        Autant le corps comme les manches !

        Ilz portent de[s] perches ferrenches65

        Pour venir ruer66 ceste ville.

                        PASQUELON

130  Combien sont-ilz ?

                        L’ANDUREAU

                                      Plus de cent mille.

        Alarme, bonnes gens, alarme !!

        Ilz me chevaulcheront ma femme

        Aux champs, atout leur vit d’acier67 ;

        Puis sera grosse d’ung archier68

135  Qui mengera nostre poullaille69.

        Tout est perdu ! Que l’on me baille

        Une eschelle ! Descendez-moy !

*

Quelque temps plus tard, L’Andurée traîne son mari au temple de Jupiter, où la Folle du mystère essaiera bientôt de châtrer le sien.

.

                        L’ANDURÉE                                             SCÈNE  X

        Sus ! au Temple (de par le diable,

        Entens-tu ?) pour sacrifier !

140  Le Roy l’a fait partout crier70,

        Et ce paillart-cy n’en tient compte.

                        L’ANDUREAU

        Et ! qu’est-ce cy ? N’a[s-]tu pas honte

        De crier ainsi en la place ?

        Par Juppin ! tu as peu de grâce.

145  Va-y toy-mesmes la première !

                        L’ANDURÉE

        Fault-il tirer le cul arrière71 ?

        Avant72, de par le diable, avant !

        Ne sont pas les hommes devant ?

        Veulx-tu jouer du contrepoint73 ?

                        L’ANDUREAU

150  Scez-tu quoy ? Ne me frappe point,

        Car je voys assez sans toucher74.

                        L’ANDURÉE

        Tout droit ! il ne faut point clocher75.

        Dépesche-toy sans plus parler !

                        L’ANDUREAU

        Tu m’y fais par [la] force aller.

155  Mais je despendray une terne

        De solz, anuyt76, à la taverne,

        Quelque chose qu’il en advienne.

*

Le païen Reprobe — futur saint Christophe — est un géant dont la laideur terrifie tout le monde. Mais il se confesse avec une humilité déjà toute chrétienne :

       Quant je suis soûl, je suis content

       De jeûner tant* que j’aye fain.                      *Jusqu’à ce.

       Mais si je treuve rien* en main                     *Quelque chose.

       Au matin, quant l’appettit touche,

       Je le fourre dedans ma bouche. »

Pour l’heure, il cherche le diable afin de se mettre à son service.

.

                        SAINCT  CHRISTOFLE                         SCÈNE  XI

        Je ne sçay comme je pourroye

        Trouver le Diable, que je quiers.

160  J’en demandasse voulentiers

        À ce villain quelque nouvelle.

.

        Comment est-ce que l’on t’apelle ?…                          SCÈNE  XII

        Parle à moy !… As-tu entendu ?

                        L’ANDUREAU

        A ! Jupiter, je suis perdu !

165  Cest homme-cy me mengera77 ;

        [Et] puis ma femme enragera,

        S(i) une foys je passe le pas78.

        A ! Monsieur, ne me tuez pas !

        Pour Dieu, ayez de moy mercy !

                        SAINCT  CHRISTOFLE

170  Et ! nenny non, n’aye soussy !

        Es-tu yvré79, ou si tu resve ?

                        L’ANDUREAU

        Ne faictes pas ma femme vefve80

        Pour prendre ung aultre mary,

        Car j’en serois le plus marry,

175  Et l’aymeroys beaucoup mieulx estre81.

        Par Jupit[er] qui me fit naistre82 !

        Je serois hors de grant esmoy.

                        SAINCT  CHRISTOFLE

        N’aye plus paour, et parle à moy83,

        Et me respons tout à ceste heure :

180  Scez-tu où le Diable demeure,

        Ne où il fait sa résidence ?

        Je quiers d’avoir son acointance.

        Monstre-le-moy à ma requeste.

                        L’ANDUREAU

        Vous quérez une faulce84 beste

185  Qui a les mâchouères de fer85.

        L’on dit qu’il se tient en Enfer.

        Quérir le diable, c’est simplesse86 ;

        Mais si vous quérez la diablesse,

        Voylà là où elle se cache87.

                        SAINCT  CHRISTOFLE

190  Où est Enfer ? Que je le sache !

        Monstre-moy le chemin grant erre88.

                        L’ANDUREAU 89

        L’on dit qu’il est dedans la terre,

        Mais le chemin ne sçay-je point.

        Et si90, y a ung aultre point :

195  Car je croy qu’il y fait bien chault.

                        SAINCT  CHRISTOFLE

        De tout cela il ne me chault :

        Il n’est chaleur que je n’endure.

        Et si, trouveray (quoy qu’il dure91)

        Le Diable, que je serviray.

200  À tant de gens m’en enquerray

        Que quelc’um m’en dira nouvelle.

        Puisque je sçay comme on l’appelle,

        Je le trouveray, si je puis.

                        L’ANDUREAU

        Vous le quérez et je le fuys :

205  Car l’on dit qu’il a le visa(i)ge

        De bien trente couldées de large,

        Corne devant, corne derrière.

        Quant il fait bransler sa paupière,

        C’est une chose merveilleuse92 !

210  Dedans le trou d’une dent creuse

        Que le paillart a en la gorge93

        A ung mareschal94 et sa forge,

        Qui ferre les chevaulx à glace95.

        ……………………………

                         L’ANDURÉE                                            SCÈNE  XIII

        M’avez-vous appellé « diablesse » ?

215  Par noz dieux, vous serez ho[u]rdy96 !

                        L’ANDUREAU

        Viens-tu ainsi à l’estourdy97

        Frapper sur moy sans dire gare ?

        C’est la journée de malle hare98 !

        Je voy bien qu’il me fault deffendre99.

                        L’ANDURÉE

220  Tu ne perdras rien de m’attendre100.

        Tien, empoigne cela, yvroigne !

                        L’ANDUREAU

        Ne frappe point de la queloigne101,

        Ne des ongles encores moins !

                        L’ANDURÉE

        Je frapperay de toutes mains

225  Tant que je t’en pourray donner !

        Fault-il les femmes blasonner102

        Comme tu fais, sanglante beste ?

                        L’ANDUREAU

        Ne me frappe point sur la teste :

        C’est le pot au vin103. Entens-tu ?

                        L’ANDURÉE

230  Par noz dieux, vous serez batu !

        A ! paillart, vous fault-il hongner104 ?

                        L’ANDUREAU

        Je le voys, [à fouÿr, gaigner]105 :

        Jambes, portez le corps arrière106 !

        Que le diable emport la loudière107

235  Et qui oncques m’en empescha108 !

                        L’ANDURÉE

        Jamais femme mieulx ne torcha109

        Homme que je te torcheray !

.

                        L’ANDUREAU                                         SCÈNE  XIV

        Par Juppin ! je me cacheray

        À quatre piedz, comme ung marmot110.

240  Voicy mon fait111. Ne sonne mot,

        Pour crainte de ceste estourdie !

.

                        L’ANDURÉE                                             SCÈNE  XV

        Qui le sçaura, que l’on me die

        Du112 paillart qui s’en est fouy.

        Je cuyde que je l’ay ouÿ,

245  Ou ung autre qui le ressemble.

.

                        L’ANDUREAU                                          SCÈNE  XVI

        A ! Juppiter, comme je tremble !

        S’elle me treuve, je suis mort.

        Hélas, pour me donner confort113,

        Vueillez-moy estre pitéable114 !

250  Elle est pire que n’est ung diable.

        Cachez-vous, vous serez batus !

*

L’Andureau se propose de suivre des « tyrans » (un douteux ramassis de sergents, bourreaux, tortionnaires et geôliers) qui veulent dévaliser des passants pour aller dîner gratis.

.

                        L’ANDUREAU                                          SCÈNE  XVII

        Dea ! je seray des vostres.

                        ALIBRAQUIN

                                                 Non !

                        MALLEPART

        Vous estes trop couhart aux armes.

                        BARRAQUIN

        Mais foible115.

                        L’ANDUREAU

                                  Et vous aux alarmes !

                        BRANDIMAS

255  Gaillards116 !

                        FRÉMINAUD

                             Dehaitz117 !

                        L’ANDUREAU

                                                O ! quelz gensdarmes

        Pour bien tost assaillir ung pot118 !

                        ALIBRAQUIN

257  Tais-toy !

                        MORGALANT

                       Chut !

                        PASQUALET

                                 Paix !

                        MALLEPART

                                          Gényn le Sot119 !

                        BARRAQUIN

        Garde de desrober plasm[e]use120 !

        L’entens-tu ?

                        L’ANDUREAU

                             Ma121 teste fumeuse

260  Vous fera chevalier passer122 !

                        BRANDIMAS

        Ventre123 !

                        FRÉMINAUD 124

                            Ha ! laissez-le passer :

        Sa coulère est [trop] dangereuse.

                        L’ANDUREAU

        Si j’eschauffe ma teste creuse125,

        Je te batray, dea, comme ung page126 !

                        ALIBRAQUIN

265  Tais-toy, truant !

                        L’ANDUREAU

                                     Vostre courage

        Vous fera une foys mouri[r] !

                        MORGALANT

        Cherchons…

                        PASQUALLET

                            Cherchons ?

                        L’ANDUREAU

                                               Boutte boullir127 :

        Tu y feras de beaulx vacarmes128.

                        MALLEPART

        Si une foys je suis aux armes,

270  Vous me verrez bien advancer129.

                        L’ANDUREAU

        Ilz vous feront maistre passer…

        Auprès du cul de Aqueline130.

                        BARRAQUIN

        Et moy, j’assauldray131

                        L’ANDUREAU

                                               La cuysine.

        Ou quelque souppe grasse au plat.

                        BRANDIMAS

275  Compaignons !

                        FRÉMINAUD

                               Hau132 ?

                        ALIBRAQUIN

                                             Bon guet !

                        MORGALANT

                                                             Eschac133 !

                        PASQUALET

276  J’ay…

                        MALLEPART

                 Quoy ?

                        BARRAQUIN

                            Trop vuyde

                        BRANDIMAS

                                               L’estomac.

                        FRÉMINAUD

277  Les dens

                        ALIBRAQUIN

                      Longues

                        MORGALANT

                                    Comme liépart134.

                        L’ANDUREAU

        Qui leur vouldroit bail[l]er du lart135,

        Ilz en feroient de gros morceaulx136.

                        PASQUALET

280  Prestz,

                        MALLEPART

                  En point,

                        BARRAQUIN

                                Arméz

                        BRANDIMAS

                                           Aux assaulx.

.

                        FRÉMINAUD 137

281  Voicy…

                        ALIBRAQUIN

                     Qui ?

                        MORGALANT

                               Ce que demandons.

                        PASQUALET

282  À luy138 !

                        MALLEPART

                        À luy !

                        BARRAQUIN

                                   Sus !

                        BRANDIMAS

                                           Empoignons !

                        FRÉMINAUD

        Je voys139 devant.

                        ALIBRAQUIN

                                      Et moy derrière.

                        MORGALANT

284  Frappe !

                        PASQUALET

                     Lorgne140 !

                        MALLEPART

                                        Hay !

                        BARRAQUIN

                                                 Assaillons !

                        BRANDIMAS

285  Qu’on cherche…

                        FRÉMINAUD

                                  Quoy ?

                        ALIBRAQUIN

                                              La gibessière141.

.

                        SAINCT  CHRISTOFLE                         SCÈNE  XVIII

        Retirez-vous bien tost arrière,

        Naintz, sotz, couhars, estradïotz142 !

                        MORGALANT

        Baille

                        PASQUALET

                  Çà l’argent !

                        MALLEPART

                                      Ou le dos

        On te secoura, et bien fort !

                        BARRAQUIN

290  À mort !

                        BRANDIMAS

                       À mort !

                        FRÉMINAUD

                                      Villain143, à mort !

                        SAINCT  CHRISTOFLE

        Vous ne serez jà le plus fort,

        Ou je renie Tarvagant144 !

        Par Jupin ! batus serez tant

        Qu’il fauldra que chiez145 vinaigre.

295  Et verrez si ma main est aigre

        Ou bien [est] rude à batre bourre146.

                        L’ANDUREAU

        (Je ne vis oncques mieulx secourre147 !

        Ilz n’ont garde des artisons148.)

                        SAINCT  CHRISTOFLE

        Tenez ! Tenez !

                        ALIBRAQUIN

                                 Nous nous nous rendons !

                        MORGALANT

300  Alarme !

                        PASQUALET

                       Alarme !

                        MALLEPART

                                      Je suis mort !

                        BARRAQUIN

301  Hay ! hay !

                        BRANDIMAS

                          Hay ! hay !

                        L’ANDUREAU

                                             (Quel réconfort !)

                        SAINCT  CHRISTOFLE

        Ce n’est rien, s’il n’y a de plus fort.

        Vient-on cy les gens assaillir ?

        Sang bieu ! je vous feray mourir

305  Cruellement !

                        L’ANDUREAU

                              [De loing] fouyr

        Il me convient149, ou je suis pris.

                        SAINCT  CHRISTOFLE 150

        Ma foy, vous y serez compris,

        Maistre gallant ! Estes-vous cy151 ?

                        L’ANDUREAU

        Monsieur, je vous crye mercy !

                        SAINCT  CHRISTOFLE

310  Tenez, tenez, vilain infâme !

                        L’ANDUREAU

        Ha ! ne faictes point que ma femme,

        Qui [manye si bien les ergos]152,

        Se remarye !

                        SAINCT  CHRISTOFLE

                               Tiens ces coups !

        Es-tu larron ?

                        L’ANDUREAU

                              Hay ! Hay ! le153 dos !

315  Las, je meurs ! Je chie de peur154 !

                        SAINCT  CHRISTOFLE

        Vient-on icy estre aguetteur155

        De chemyn, pour les gens surprendre ?

        Par Jupiter ! je vous voys pendre

        [Tous huyt]156, deussé-je estre bourreau !

                        L’ANDUREAU

320  Si je vous baille mon appeau157,

        N’aurez-vous pas pitié de moy ?

                        FRÉMINAUD

        Quel de profundis158 !

                        ALIBRAQUIN

                                           Quel effroy !

                        MORGALANT

        Il en est fait.

                        PASQUALET

                             Nous sommes friz.

                        MALLEPART

        Nous sommes bien des dieux mauldictz,

325  De nous trouver en telle bende !

                        SAINCT  CHRISTOFLE

        Venez, venez, que l’on vous pende,

        Vilains assailleurs estourdis !

        Et ! serez derechef ho[u]rdis159.

                        BARRAQUIN

        Je meurs !

                        BRANDIMAS

                        Je pasme160 !

                        FRÉMINAUD

                                              Trop hardis

330  Vous fustes à donner l’assault.

                        L’ANDUREAU

        Je vous donray ung gasteau chault

        Et ung tournoys161, pour ma rançon.

                        SAINCT  CHRISTOFLE

        Va, va, tu es mauvais garson162 :

        Tu ne vauls pas que l’on te gaige163.

                        L’ANDUREAU

335  Je suis trop plus heure[u]x que saige,

        Puisque j’ay eschappé sa pate164.

        J’ay quarante et cinq165, l’advantage.

                        ALIBRAQUIN

        Tu es trop plus heureux que saige.

                        MORGALANT

        Si166 as-tu ta part au pillage.

                        PASQUALET

340  Il t’a bien guéry de la gratte167.

                        L’ANDUREAU

        Je suis trop plus heureux que saige,

        Puisque j’ay eschappé sa pate.

                        MALLEPART

        Puisque nous avez rendu matte168,

        Ayez pitié, nous vous prions !

                        SAINCT  CHRISTOFLE

345  Vous avez gaignéz…

                        L’ANDUREAU

                                        Horïons169 ?

                        SAINCT  CHRISTOFLE

        Mais d’estre pendus hault et court !

                        L’ANDUREAU

        (Voylà ung terrible milourt170,

        Quant je regarde son mynois.

        Qu’il seroit bon à cueillir noys !

350  Il ne luy fauldroit point d’eschelle.)

                        SAINCT  CHRISTOFLE

        Rien ne vous sert ceste querelle,

        Car je vous lairay estachéz171.

                        L’ANDUREAU

        Je veulx estre — que le sachez —

        Des vostres : quant vient172 aux effors,

355  Je suis tousjours vers les plus fors.

        N’est-ce pas le meilleur conseil173 ?

                        SAINCT  CHRISTOFLE

        Je te bailleray ung resveil

        Qui te gardera de dormir !

        Va-t’en avec ceulx[-là] gémyr,

360  Si tu ne veulx [col comme]174 grue.

        Par mon serment ! presque je sue

        De tant férir ces truandeaulx175.

.

                        BARRAQUIN                                           SCÈNE  XIX

        Que ferons-nous ?

                        L’ANDUREAU

                                     Brides à veaulx176 ;

        Et si, disnerez aux dîmages177.

                        BRANDIMAS

365  Quelz alarmes !

                        L’ANDUREAU

                                 Vous faisiez rages,

        Quant ce vint l’heure d’assaillir.

                        FRÉMINAUD

        Je me178 cuydé esvanouÿr.

                        ALIBRAQUIN

        Et moy, cuyday passer le pas179.

                        L’ANDUREAU

        Vous valez ung aultre, à fouyr180

370  Quant on combat. Ne faictes pas181 ?

                        MORGALANT

        J’aloys…

                        L’ANDUREAU

                       Plus viste que le pas ;

        Mais il vous a tost recueilly.

                        PASQUALET

        Laissons tout ce charivary !

                        MALLEPART

        Ayde-moy182 !

                        BARRAQUIN

                                Hay ! Et qu’est cecy ?

                        BRANDIMAS

375  Je suis tout las.

                        FRÉMINAUD

                                 Et moy aussi.

                        ALIBRAQUIN

        Je suis boyteux.

                        MORGALANT

                                   Et moy, cassé.

                        L’ANDUREAU

        Vous estes chevalier(s) passé183.

        Tout beau !

                        PASQUALET

                           L’on m’a bien compassé184

        L’eschine, du long et du large.

                        MALLEPART

380  Desliez-nous !

                        L’ANDUREAU

                                J’en ay la charge,

        Cuydé-je : a[llons] les deslier.

        Es-tu le chien au gros collier185

        Qui186 faisois tant de la gendarme ?

                        BARRAQUIN

        Je ne puis aller, par mon âme,

385  Pour le coup que j’ay cy endroit187.

                        L’ANDUREAU

        Tout beau, hau ! Allez ung peu droit !

        Quoy ! me voulez-vous contrefaire188 ?

                        BRANDIMAS

        Allons ! Cherchons aultre repaire

        Pour trouver aulcun secourable189.

*

12 000 vers plus tard, L’Andureau est remonté dans la tour où il exerce « le guet qui est dessus la porte ». Il voit venir une armée. Sa femme est à l’extérieur du rempart, moins effrayée que lui par cette arrivée de violeurs potentiels. Les protagonistes jurent toujours comme des mécréants, mais leurs jurons, s’ils restent aussi orduriers, sont devenus chrétiens : cela est dû à la récente conversion du roi.

.

                        L’ANDUREAU,  villain.                           SCÈNE  XX

390  Saincte Marie, que de gens !

        Que d’estandars ! Que de banières !

        Ilz ressemblent, à leurs manières,

        Que ce soyent diables d’Enfer.

        Ilz portent de[s] robes de fer,

395  Et les bonnetz trèstous de mesmes.

        Par mon serment ! ce sont gensdarmes190

        Tous assembléz à grans monceaulx

        Ainsi comme sont les pourceaulx.

        Tout est perdu ! Alarme, alarme191 !!

400  Et ! par Dieu, s’il[z] treuve[nt] ma femme,

        Ilz luy mettront la « queue » devant.

                        LA  VIELLE  ENDURÉE

        Avant, de par le diable, avant !

        Qu’as-tu trouvé, à si hault braire ?

        La croix Dieu ! on te fera taire,

405  Si tu crye mèshuy192 si hault.

                        L’ANDUREAU

        Alarme, alarme, à l’assault !!

        Tout est pris, qui193 n’y prendra garde.

        Va-t’en cacher, putain paillarde,

        Ou ilz te mettront la « cropière194 »

410  Par devant, non pas par derrière,

        S’ilz peuvent gaigner la muraille195.

                        L’ANDURÉE

        J’ay mon saulconduyt196, ne te chaille,

        Tout prest dessoubz le bout du ventre,

        Et n’ay pas paour que nul y entre

415  Qui n’en saille197 bien à son aise.

                        L’ANDUREAU

        Que le feu fust en la fournaise198

        Aussi chault comme feu grégoys199,

        Pour [t’]ardre le trou et le joys200,

        Et mettre fin à la « beso[i]ngne » !

.

                        NYCOLIN,  bourgeoys.                            SCÈNE  XXI

420  Mais qu’as-tu trouvé, dy, yvroigne ?

        As-tu jà parfaict201 tes vendanges ?

                        PASQUALON

        Je cuyde qu’il a veu les anges202

        Au fons d’ung pot ou en ung verre.

                       L’ANDUREAU

        Armez-vous, car toute la terre

425  Est couverte de gens arméz !

        Et si légier203 vous ne fermez

        Les portes, nous sommes tous frictz.

                        NYCOLIN

        Il a dit vray : les rats sont pris204 !

                        PASQUALON 205

        Paix, puisque dire le convient !

430  Car c’est le secours qui nous vient,

        De cela suis [b]ie[n] adverty206 :

        Ce sont gens de nostre party

        Qui, du Roy (ainsi que j’entens),

        Ensemble207 tous les habitans,

435  Seront receuz à moult grant joye.

                        L’ANDUREAU

        Messeigneurs, la paour que j’avoye

        M’a faict faire ce grant effroy.

*

Malgré ses piètres résultats, le vigneron est à nouveau réquisitionné comme guetteur, sous les quolibets de sa femme.

.

                        PASQUALON                                           SCÈNE  XXII

        L’Andureau, il te fault monter

        Pour veoir de loing noz ennemys,

440  Et pour sonner cy pris, cy mis208 :

        Car tu es, à ce faict, propice.

                        L’ANDUREAU

        Laissez-moy, je quitte l’office.

                        NYCOLIN

        La raison ?

                        L’ANDUREAU

                          Car j’ay la veue209 trouble,

        Et n’ay pas le jarret si soupple210

445  Comme j’ay eu le temps passé.

                        L’ANDURÉE

        Bref, il est de gaiges cassé211

        Pour « monter212 », je vous en asseure !

        Si, luy conseille qu’il demeure,

        Pour mèshouan, dessus la plume213.

                        PASQUALON

450  Monte tost, car si je me fume,

        Je te donray une venue214 !

                        L’ANDUREAU

        Je deusse avoir [bien] belle « queue »,

        De juscher215 tous les jours si hault !

                        L’ANDURÉE

        La queue, devant, rien ne vault216,

455  Au moins pour mettre la « cropière » ;

        Quant est de celle217 de derrière,

        Elle sent son dyamerdis218.

                        NYCOLIN

        Monte tost, puisque je le dis !

        Il n’est pas temps de babiller.

460  Et prens garde de bien veiller

        Aux ennemys, car ilz sont près.

                        L’ANDUREAU

        Çà, ma bouteille ! Puis après,

        Je monteray sans plus attendre.

                        L’ANDURÉE 219

        Or tien ! Et monte sans descendre

465  Et sans retour, villain gros-bec220 !

                        L’ANDUREAU

        Va moy attendre au gibet,

        Non pas à « Reins221 », dont tu t’esbas !

        As-tu entendu, viel cabas222 ?

        Que du mau feu soyes-tu arse223 !

                        PASQUALON

470  Monte ! Et puis [tu] jouras la farce224,

        Et ta femme joura du cul.

                        L’ANDUREAU

        Je sçay bien que je suis coqu225,

        Pour dire le cas tel qu’il est ;

        Mais je ne suis pas tout seullet :

475  J’ay des compaignons plus de mille,

        Autant au[x] champs comme à la ville.

        C’est [là] maladie incurable.

                        NYCOLIN

        Monte, villain, de par le diable !

        Fault-il playdoier maintenant ?

                        L’ANDUREAU

480  Estes-vous du Roy lieutenant226 ?

        Attendez, [ne vous en]227 desplaise,

        Et je monteray à mon ayse,

        Puisqu’il est force qu’il se face228.

        Et toy, mauldicte chiche-face229,

485  Va moy aprester à menger !

                        L’ANDURÉE

        Attens-moy là sans te bouger :

        Si auras ung estront tout chault !

                        L’ANDUREAU

        Bren ! De tout cela, ne m’en chault ;

        Masche230 cela sans moy attendre !

*

L’Andureau finit par remonter dans la tour du guet. Cette fois, ce ne sera pas pour rien. Mais il a tant crié au loup qu’il aura du mal à être pris au sérieux.

.

                        L’ANDUREAU                                          SCÈNE  XXIII

490  Alarme, alarme !! Que de gens

        Arméz par boys, par préz, par champs !

        Courez tost, bourgeois et marchans,

        Embastonnéz, sur la muraille231 !

                        SAUTEREAU

        Mais qu’a ce fol qui si hault [b]raille232 ?

495  Je croy qu’il a veu les Angloys233 !

                        L’ANDUREAU

        Va tost faire armer les roys

        Tout d’acier, testes, piedz et mains :

        Car voicy venir les Romains.

        Descendez-moy, je meurs de peur234 !

500  Despêchez-vous, ou je suis seur

        Qu’ilz viendront Samos desconfire !

*

1 Et aussi, je ne sais pas où je vais. Un sautereau est un saute-ruisseau, un porteur de messages ; mais le sottereau n’est pas loin : « Soctars, soctereaulx, socteletz,/ Les vrays filz de Haulte Follie. » Les Sotz ecclésiasticques.   2 Bien que j’aie beaucoup bu. Les messagers, qui arpentent des chemins poussiéreux, ont toujours soif : voir la notice du Messager et le Villain.   3 Un paysan. Celui-ci est vigneron (vers 421).   4 Aussi, je vais tout droit vers lui.   5 On surnommait les paysans « Jacques Bonhomme ». Cf. Monsieur de Delà et monsieur de Deçà, vers 148 et note.   6 Je ne suis pas là. Cette insolence est mise en général dans la bouche des valets que leur maître réclame : « –Rince-hanaps ! –Il n’y est pas. » Le Porteur de pénitence.   7 Il ne se déplace ni d’un pas, ni de la moitié d’un pas. Cette plaisanterie était tellement éculée qu’on en faisait des chansons : « –Où va ce chemin qui verdoie ?/ –Tu vois bien qu’il ne se bouge. » (Nicolas Gombert.) Au chapitre 25 du Cinquième Livre, Rabelais parle d’une île où « les chemins cheminent comme animaux…. Les voyagiers, servans et habitans du païs demandoient : ‟va ce chemin ?” »   8 Où mène-t-il ?   9 Quelle folie ! Cf. la Folie des Gorriers, vers 239.   10 De Syrie. Mais la « suerie » est la fournaise dans laquelle on fait suer les vérolés atteints du mal de Naples : « –Fustes-vous oncques à Naples ?/ –Sy ay, sy ay, g’y ay esté./ –Et en Surie ? » Farce de quattre femmes, F 46.   11 Brouiller le parchemin = créer des embrouilles. « C’est un brouilleur de parchemin,/ Un rassoté. » Le Pèlerinage de Mariage.   12 Si on suivait.   13 Un espace de temps, un moment.   14 Cette prétendue « vieille » est beaucoup moins âgée que son mari, qui craint qu’elle ne se fasse engrosser (vers 134). Armée de sa quenouille, elle vient voir si L’Andureau travaille la vigne.   15 Vieillard rassoté : vieux sot.   16 Hourdi, chargé de coups. Idem vers 215 et 328.   17 Sous l’effet de ma colère <χολή = bile>. « Tout enflammé & plein de chaulde cole,/ Subitement prend ses armes & sort. » (Hugues Salel.) L’Andurée administre des coups de quenouille à son mari.   18 Vous mêlez-vous de notre conflit ? Idem vers 83 et 373.   19 « Vous en aurez, de ce baston ! » Serre-porte.   20 Prenez garde à ce que vous faites.   21 Éd : Landureau.  (C’est toujours la femme qui donne des coups de quenouille aux hommes, comme au vers 222.)   22 Une trouille-brouille est sans doute la femme d’un mauvais vigneron. « Leur vin trouillé, brouillé. » Complainte des Bons Vins à l’encontre des maistres de Brouillerie.   23 Ce bavard, ce médisant. Sautereau s’éloigne un peu.   24 Éd : mon  (Il a bien reçu tes coups. « Receveurs du bois [du bâton]. » Le Pasté et la tarte.)   25 L’Andurée donne à son mari l’ordre de travailler.   26 « Il ne fust oncques à tel feste,/ Se je le tenoye ! » (Serre-porte.) Allusion aux coups qu’on assène aux parents de la bru pendant la fête des fiançailles : « –J’ey eu plus de cinq cens/ Gros coups de poing dessus ma teste./ –Et ! c’est à cause de ma feste. » La Veuve.   27 Reviens, tu auras la monnaie que je te dois encore.   28 Ce sera le mieux. Pâquelon fait semblant de comprendre qu’on va choisir le plus bel homme de Samos, et il propose ironiquement le vieux L’Andureau.   29 Il faut l’y envoyer de ce pas.   30 Vieille guenille ! Le bourreau insulte L’Andurée, qui le désignait comme guetteur à la place de son mari. Un traîne-panneaux est un clochard couvert de pans de tissu, de loques. « Vestu de meschans panneaux de mendians. » Godefroy.   31 Diminutif d’Isabeau qu’on inflige aux femmes de mauvaise vie. Voir la note 45 du Fol et la Folle.   32 Le carquois symbolise le vagin dans lequel l’homme introduit sa flèche virile. « Vieulx carcas/ Barbuz à bouter viretons [pour y mettre notre flèche]. » Sermon joyeux des barbes et des brayes.   33 S’il y restait 3 semaines sans devoir supporter cette harpie.   34 Ne pouvez-vous en choisir un autre ?   35 Lui qui.   36 Sans travailler chez lui. Ou bien : Sans labourer sa vigne.   37 Son pain quotidien.   38 Car une défection lui coûterait trop cher.   39 De sorte.   40 Je vais monter dans la guérite de la tour par l’échelle. L’Andureau s’exprime enfin. Pour lui, résider dans la tour n’offre que des avantages : il est débarrassé de sa virago, il n’a plus besoin de travailler, et il peut boire sans qu’on le lui reproche.   41 Éd : puis  (Quoique j’aie les yeux rouges, comme tous les alcooliques. Cf. l’Antéchrist, vers 301.)   42 Si tu aperçois quelque chose, crie, et agite la cloche vivement. À l’approche des ennemis, on sonne le tocsin.   43 Éd : banuerolle  (La bannière de notre roi.)   44 Éd : uenir  (Rime du même au même.)  Faites-moi obtenir. « Faictes-moy tenir du blé & de l’argent ! » Jan de Amelin.)   45 Ce baril de vin. Cf. les Basteleurs, vers 54.   46 Passe pour cela sa tête par un créneau de la tour comme s’il était exposé au pilori. Estache = pilori : « Ilz sont mis à l’estache,/ Ilz n’ont garde de s’en voler. » St Christofle.   47 Que le diable ait sa part de guerre ! « Le diable y ait part, en la guerre ! » L’Aveugle et Saudret.   48 Le vôtre, de gigot, pour que j’y introduise ma broche. « Gigos en brocque. » (Jehan Molinet.) Ce mot désigne la cuisse d’une dame : « Remuer le gigot : faire l’acte vénérien. » Antoine Oudin.   49 Votre mal joint, votre sexe. « Il a donc heurté au maujoint. » Les Queues troussées.   50 Je vous « baiserai » fermement. Cf. Rouge-affiné, vers 235. Bardon enlace L’Andurée, qui ne s’en plaint pas.   51 Voyant que sa femme se laisse peloter par le soldat, il se met à crier tout en secouant la cloche.   52 Ce vers, identique au vers 131, est celui que clame le Fol du mystère quand la Folle veut le châtrer. L’Andureau et L’Andurée sont les substituts du Fol et de la Folle.   53 Nicolin et Pâquelon, les deux habitants de Samos qui avaient refilé la corvée du guet à L’Andureau, montent la garde au bas de la tour. C’est eux qui s’occupent de l’échelle.   54 Secouer, au sens érotique. « Ta femme future brimballant avecques deux rustres. » Rabelais, Tiers Livre, 25.   55 C’est peu de chose, ce n’est pas grave.   56 Descendu de ce perchoir.   57 Tu arriverais en bas trop tard.   58 Je vais sauter, puisqu’il en est ainsi.   59 À tue-tête.   60 Le mari jaloux est en train de sonner le tocsin : voir le vers 77.   61 De ce côté. Bardon voit arriver l’armée romaine, que L’Andureau n’a pas vue, trop occupé à surveiller sa femme.   62 Je vais le dire.   63 En relevant la tête, il aperçoit les ennemis. Il hurle et agite la cloche.   64 De plaisanter. Cf. Massons et charpentiers, vers 276.   65 Des lances ferrées.   66 Éd : tuer  (Abattre. « Tu as rué par terre/ La ville (de) Sainct-Quentin. » La Ville de Calais.)   67 Avec leur pénis couvert d’une armure.   68 Elle sera engrossée par un franc-archer.   69 Les francs-archers sont des voleurs de poules : « J’ay ouÿ poullaille/ Chanter chez quelque bonne vieille. » Le Franc-archier de Baignollet.   70 Annoncer.   71 Reculer. En ce même lieu, et avec les mêmes mots, la Folle retiendra l’homme qu’elle veut châtrer : « Ne tire point le cul arrière ! »   72 En avant ! Même vers que 402.   73 Veux-tu faire autrement que les autres, qui se placent aux premières loges lors des sacrifices à Jupiter ?   74 Je vais assez vite sans qu’on ait besoin de me toucher avec un pique-bœuf. « Il ne fault que toucher noz bestes. » St Christofle.   75 Boiter, marcher de biais. Le vieux paysan est boiteux (vers 386-7).   76 Mais je dépenserai 3 sous, ce soir.   77 On peint souvent saint Christophe avec une tête de chien. Notre Mystère le soupçonne d’anthropophagie : « C’est ung géant (je le cognois)/ Qui menge gens plus dru que noys ;/ S’il nous prent, il nous mengera. »   78 Si je trépasse, dévoré par ce monstre. Idem vers 368.   79 Enivré. Cf. le Messager et le Villain, vers 215 et note.   80 Veuve.   81 J’aimerais mieux être veuf moi-même.   82 Le futur saint use lui-même de ce juron païen : « Par Jupiter qui me fit naistre,/ Et le dieu Mars où je me fonde ! »   83 Le monstre est obligé de se faire annoncer par cette phrase rassurante : « N’ayez paour, et parlez à moy ! » « Parle à moy/ Et n’aye paour ! »   84 Maléfique. Armée de sa quenouille, L’Andurée vient contrôler si son mari travaille, comme au vers 23. Effrayée par le géant, elle se cache derrière un arbre.   85 Dans les Mystères, l’enfer d’où jaillissent les diables est une gueule qui s’ouvre et se ferme.   86 C’est de la simplicité d’esprit, de la bêtise.   87 L’Andureau montre l’arbre qui dissimule sa mégère.   88 Rapidement.   89 Éd : Landuree  (La « diablesse » ne quitte sa cachette qu’au vers 214.)   90 Éd : sil  (Et aussi. Idem vers 1, 66, 198 et 364.)   91 Quel que soit le temps que cela prenne.   92 Effrayante. « C’estoit une chose trop horrible et merveilleuse à racompter ! » Guillaume Tardif.   93 Dans la bouche.   94 Il y a un maréchal-ferrant. Gargantua fit mieux que le diable : il logea dans sa dent creuse « cinquante prisonniers » et « ung jeu de paulme pour esbattre lesditz prisonniers ». Les Grandes et inestimables Cronicques du grant et énorme géant Gargantua.   95 Avec des fers spéciaux qui s’incrustent dans la glace. Le futur saint part en quête de l’enfer, et L’Andurée sort de derrière l’arbre.   96 Chargé de coups (note 16). L’Andurée abat sa quenouille sur la tête de son mari.   97 Sans réfléchir. « Frappons dessus à l’estourdy ! » Les Tyrans.   98 Le paysan confond la male heure [l’heure funeste] avec la male hart [la maudite corde]. « À malle hart soit-il pendu ! » La Confession du Brigant.   99 Qu’il faut que je me défende. « Il nous fault deffendre. » L’Aveugle et Saudret.   100 Tu ne perds rien pour attendre.   101 Éd : quenoille  (Avec ta quenouille. « Or me fault filer ma queloigne. » Godefroy.)   102 Diffamer.   103 « Le moulle du bonnet [le crâne], c’est le pot au vin. » Gargantua, 9.   104 Éd : hougnyr  (Cette forme n’existe pas.)  Devez-vous grogner ? « Vous fault-il hongner maintenant ? » Turelututu et Granche-vuyde.   105 Éd : gaigner a fouyr  (Je vais remporter cette bataille en fuyant.)   106 Pour éviter la castration, le Fol du mystère s’écrie : « A ! jambes, saulvez-moy le corps ! »   107 Cette garce.   108 Et celui qui jamais m’en encombra : celui qui nous a mariés. Les époux, dans les farces, vouent aux gémonies les marieurs et les marieuses ; voir la note 256 des Mal contentes.   109 Ne battit. « Je te torcheray : tien ! » Grant Gosier.   110 À quatre pattes, comme un singe.   111 Voilà ce qu’il me faut. « Vécy nostre fait. » (Les Botines Gaultier.) L’Andureau s’accroupit derrière le socle de la statue de Jupiter, auquel il se met à parler, comme aux vers 246-251.   112 Éd : Le  (Si on le sait, qu’on me dise quelque chose du paillard qui s’est enfui. « Je te prie que tu me die de noz vignes : les copera-l’on ? » Arch. dép. Côte-d’Or.)   113 Réconfort.   114 Veuillez avoir pitié de moi. Cf. les Coquins, vers 242.   115 Et aussi, vous êtes trop faible.   116 Nous sommes vaillants. Cette écriture fragmentée est propre aux sotties ; voir, entre autres exemple, Mallepaye et Bâillevant.   117 Nous sommes joyeux.   118 « Je sçay bien tel qui assaillir/ Oseroit bien ung pot de vin. » Massons et charpentiers.   119 Plusieurs personnages de sotties se nomment Jénin. « Quel glorieulx sot ! Quel jényn ! » Les Coppieurs et Lardeurs.   120 Garde-toi de prendre une gifle. « Donner une plamuse, ou plamouse : un soufflet. » Oudin.   121 Éd : La  (Ma tête coléreuse. Le Fol du mystère a lui aussi une tête fumeuse, au vers 21.)   122 Je vais vous donner un coup sur la nuque, de même qu’on applique une colée au nouveau chevalier. Idem vers 377.   123 Ce juron vient de Gascogne, comme Brandimas.   124 L’imprimeur a interverti cette rubrique et la suivante. Fréminaud se moque des prétentions de L’Andureau.   125 Le Fol du mystère a aussi la tête creuse (vers 20). Teste Creuse est un personnage de sotties.   126 À coups de bâton. « Tendez-vous ung baston ?/ Cela debvez faire à ung paige. » Le Gouteux.   127 Va faire bouillir l’eau ! C’est à Pascalet, l’assistant du bourreau (vers 54), que revient cette charge quand il faut exécuter un faux-monnayeur.   128 Des troubles à l’ordre public. « Amans, prenez les armes !/ On ravit [enlève] Marion./ Faites de beaux vacarmes ! » La Meilleraye.   129 Avoir de l’avancement, monter en grade.   130 Éd : iaqueline  (Dans ce Mystère, Aqueline est une prostituée bien connue des tyrans.)   131 J’assaillirai. Voir le vers 256.   132 Éd : Hault  (« Sus, compaignons ! Hau ! vous dormez ? » St Christofle.)   133 Prise de guerre, rançon. « L’avoir et l’eschac qu’il conquist. » Godefroy.   134 Éd : cheuaulx  (Je suis affamé comme un léopard. « Le lyépart (…) peult nuyre et par dens, & par ongles. » Lancelot du Lac.)   135 Si on leur donnait des lardons, des brocards. « Tant bien sçavez l’art/ De farser gracieusement,/ De baillier aux aultres du lart ! » (ATILF.)  Autre sens figuré : Si on leur donnait du sexe. « Elle a trop bien baillé du lart/ À ung qui portoit grant couronne…./ Chascun l’aura, mais qu’on luy donne. » Jardin de Plaisance. <Guillaume Apollinaire, fin connaisseur de l’érotisme médiéval, reprit cette expression dans ses Mamelles de Tirésias.>   136 Ils en feraient de grosses bouchées.   137 Il voit venir Christophe sur le chemin forestier.   138 À l’attaque ! Cf. le Roy des Sotz, vers 141 et 183.   139 Je vais.   140 Cogne ! Cf. Troys Gallans et Phlipot, vers 489.   141 La bourse en cuir qui est attachée à la ceinture de Christophe.   142 Nains, sots, couards, mercenaires. Voir la note 3 du Fol et la Folle.   143 Bouseux. « –À mort, vilain ! À mort, à mort !/ –‟Vilain”, dictes-vous ? C’est oultrage. » L’Avantureulx.   144 Les fatistes médiévaux inventèrent le dieu païen Tervagant : c’était une rime commode. « Mars, Apolin et Tervagant. » St Christofle.   145 Éd : lõ chie  (Chier du vinaigre = s’enfuir de peur. « Soyez asseuré, de ce glorieux Angloys, que je vous le feray demain chier vinaigre devant tout le monde. » Pantagruel, 18.)  Nous disons aujourd’hui : chier du poivre.   146 Si ma main est faible ou forte pour battre un tapis. « Frappons sur eulx comme sur bourre ! » (St Christofle.) Christophe donne des coups de bâton aux tyrans. L’Andureau se tient à l’écart.   147 Secouer, battre un tapis.   148 Ils ne risquent plus d’avoir des larves de mites sur eux, maintenant qu’on les a battus comme des tapis.   149 Je dois fuir au loin. « Quand vient ainsi une fureur,/ De loing fuïr est bien propice. » Première Moralité.   150 Il attrape L’Andureau, qui s’esquivait.   151 Êtes-vous ici ? Christophe reconnaît le paysan, qu’il appelle d’ailleurs « vilain » 2 vers plus bas.   152 Éd : meyne si bien les argos  (En latin, ergo = donc.)  Dans les écoles, un ergo est un argument spécieux : « Ces gallans trouvent tousjours certains ergos sofistiquéz qui ont apparence de vérité. » Godefroy.   153 Éd : du  (« Hay ! Hay ! la teste ! » Le Povre Jouhan.)   154 Éd : paour  (Ce gag revient dans beaucoup de farces. « J’ay tel paour que je me conchie. » St Christofle.)   155 Éd : agresseur  (Un aguetteur de chemins est un bandit de grands chemins qui se met en aguet pour surprendre les voyageurs. « De brusleurs d’église, de violeurs de femmes et aguaiteurs de chemin. » J. Molinet.)   156 Éd : Touthuyt  (Je vais vous pendre tous les huit.)  Christophe extrait des cordelettes de sa besace, et il attache les tyrans aux arbres : les bandits de grands chemins ficelaient ainsi leurs victimes pour mieux les dépouiller.   157 Mon sifflet de braconnier, avec lequel j’attire les oiseaux. Les campagnards pratiquent toutes les formes de braconnage sur les terres des nobles.   158 Prière qu’on récite pour les défunts : « Ilz auront leur de profundis ! » (St Christofle.)  L’imprimeur a interverti les répliques de Fréminaud et d’Alibraquin, privant de rime le vers précédent.   159 Chargés de coups (note 16). Christophe matraque les tyrans.   160 Je me pâme : je m’évanouis. Voir le vers 367. « Ah ! je pasme, je meurs ! » Racan.   161 Un denier tournois. À titre de comparaison, la rançon de Charles d’Orléans, prisonnier en Angleterre, s’élevait à 220 000 écus d’or.   162 Tu es un misérable.   163 Éd : batte  (Tu ne vaux pas la peine qu’on te mette à rançon. « C’estoit grand honte que eulx deux s’estoient lessiéz gaiger par un seul homme. » ATILF.)  Christophe continue d’attacher les tyrans, mais il épargne L’Andureau.   164 À sa patte. L’imprimeur a interverti ces 2 premiers refrains du triolet ABaAabAB.   165 Éd : eulx  (Au jeu de paume, le score maximal de 45 donne l’avantage. « On dit figurément & par métaphore prise du jeu de paume, qu’un homme a quarante-cinq sur la partie, pour dire qu’il a de grands avantages dans une affaire. » Dict. de l’Académie françoise.)   166 Pourtant.   167 De la gale, en te « frictionnant » la peau.   168 Abattus. « Matte et confus. » ATILF.   169 Éd : Dorions  (Des coups. « Par les horïons qu’ay receu/ Dessus la teste et sur le dos. » Les Drois de la Porte Bodés.)   170 Milord, bourgeois. Ironique : Christophe est un géant hideux.   171 Je vous laisserai attachés aux arbres.   172 Éd : uiẽdra  (Quand on en vient aux hostilités. « Les Grégois [Grecs] sont trop fors,/ Au pris des tiens, quand ce vient aux effors. » Michel d’Amboise.)  Le vieux gringalet boiteux propose son aide au colosse.   173 Avis.   174 Éd : cocque sur  (« La gorge plus longue que le col d’une grue. » ATILF.)  Si tu ne veux pas que je te rallonge le cou en te pendant. Aux vers 318, 326 et 346, Christophe a menacé les tyrans de pendaison. Cette plaisanterie de bourreaux revient dans notre Mystère, quand Morgalant va pendre un condamné : « Je vous feray ung col de grue/ Pour mieulx faire de loing le guet. »   175 De tant frapper ces gueux. Christophe s’en va. Les tyrans sont ficelés aux arbres ; seul L’Andureau est libre.   176 Des cordes pour attacher les imbéciles aux arbres. Mallepart dira de Barraquin : « Mais qui m’a deslié ce veau ? »  Jeu de mots : « On apelle des brides à vaux les raisons qui persuadent les sots, & dont se moquent les gens éclairéz. » Le Roux.   177 Éd : ymages  (Et ainsi, vous mangerez le jour où on engraissera les veaux de dîme dans votre genre.)  La dîme est une redevance que les paroissiens versent à l’église sous la forme d’un veau gras : cf. les Veaux, vers 4. Jeu de mots : « Un veau de disme : un grand sot. » Oudin.   178 Éd : suis  (J’ai cru m’évanouir.)   179 J’ai pensé mourir. Idem vers 167.   180 Vous en valez un autre, pour fuir…   181 N’est-ce pas ? « Vous vous retirez à l’escart/ Là où on fait de bonnes chières./ Ne faictes pas ? » Faulte d’argent, F 47.   182 L’Andureau commence à détacher les tyrans ; ils tiennent à peine debout et ils boitent.   183 Vous avez reçu un coup sur la nuque. Voir la note 122.   184 Mesuré à coups de règle.   185 Le riche notable. « Tu es le chien au gros collier ? » (La Pippée.) Barraquin est attaché à l’arbre comme un chien en laisse.   186 Éd : Que  (Faire la gent d’armes : jouer au soldat, faire le brave.)   187 Que j’ai reçu à cet endroit. Barraquin montre sa braguette.   188 Voulez-vous boiter autant que moi ? Ce verbe n’est pas choisi au hasard : un contrefait désigne un boiteux.   189 Quelqu’un qui nous soignera.   190 Des hommes d’armes. Il faut ici prononcer « genderme » ; le « r » est très amuï, comme aux vers 131, 383 et 399.   191 L’Andureau crie en sonnant le tocsin.   192 Maintenant.   193 Éd : quil  (Si l’on n’y prend pas garde.)   194 Ce harnais qu’on passe sous la croupe d’une jument devient ici le harnais viril, comme au vers 455. Cf. les Tyrans au bordeau, vers 503. « Elle estoit dessoubz son amy, qui faisoit merveille de jouer de la croupière. » ATILF.   195 Atteindre ce rempart.   196 Mon sauf-conduit, mon laisser-passer.   197 Sans en ressortir.   198 En enfer.   199 Le feu grégeois est une bombe incendiaire.   200 Pour te brûler le trou et le sexe. Cf. le Fol et la Folle, vers 60 et note.   201 Achevé. Les vignerons sont les premiers à goûter leur vin.   202 « Je cuyde qu’il a veu les anges/ Qui tumbent du ciel en vendanges. » Les Basteleurs.   203 Rapidement.   204 Nous sommes pris au piège.   205 L’imprimeur a descendu cette rubrique entre les vers 431 et 432.   206 Informé. « J’en suis bien adverty. » Actes des Apostres.   207 En présence de.   208 « Cy prins, cy mis : aussi tost faict que dict. » Proverbe.   209 La vue. Encore un effet du vin : cf. Grant Gosier, vers 194.   210 Pour monter à l’échelle.   211 Il est cassé de gages, mis au rancart, y compris dans le domaine sexuel.   212 Pour monter sur moi. Ou bien : pour avoir une érection. « Ces plaisans visages et doulz tétins font bien souvent monter, tendre et dressier les vi[t]s. » Bruno Roy, Devinettes françaises du Moyen Âge.   213 Pour maintenant, couché sur le lit. Cf. Cuisine infernale, vers 111.   214 Si je me mets en colère, je te donnerai une rouste. « Une venuë de coups : une quantité. » Oudin.   215 De me jucher sur toi. Ou bien : de te pénétrer. « Puis Martin jusche et lourdement engaine. » Clément Marot.   216 Ta queue ne vaut plus rien, quand tu me la mets devant.   217 Éd : cela  (Quant à la queue que tu me mets derrière. Chevalet goûte fort les allusions à la sodomie : voir les vers 199-202 des Basteleurs, ou les vers 476-9 des Tyrans au bordeau.)   218 La merde. « De bran ou de dyamerdys. » Sermon pour une nopce.   219 Elle lui donne une bouteille.   220 Les diseurs d’injures lançaient déjà des « noms d’oiseaux » à leurs victimes. « Ne t’en soulcye point, gros-bec ! » St Christofle.   221 Vieux calembour sur la ville de Reims et les reins. « Te fault-il tant braire et prescher/ Pour la perte de deux putains ?/ S’ilz [si elles] ont esté souvent à Rains,/ Elles veullent ores repos. » (Cuisine infernale.)  S’ébattre = se livrer à des ébats sexuels.   222 Vieille prostituée au sexe trop large. « Vieille loudière [pute], viel cabas ! » Le Raporteur.   223 Que tu sois brûlée par le mal des ardents ! Cf. le Ribault marié, vers 64.   224 Tu feras ton travail. Clin d’œil de l’auteur : tu joueras la Farce.   225 Chevalet emprunte ce vers au Munyer, d’André de La Vigne.   226 Tenez-vous lieu de roi ?   227 Éd : et nen uous   228 Puisque cela doit se faire. « Car il est force qu’il se face. » Le Fossoieur et son Varlet.   229 Dans les Basteleurs, c’est une chèvre que Chevalet compare à ce loup-garou maigrichon ; ici, c’est une femme.   230 On répond ainsi au malotru qui prononce le mot étron. « –Tu ne vaulx pas ung estront ! –Masche ! » (St Christofle.) C’est l’équivalent de l’actuel : « –Merde ! –Mange ! »   231 Courez vite sur le rempart, munis d’une arme. « Armé et embastonné. » St Christofle.   232 Qui brait si fort. Voir le vers 403.   233 Lors de la guerre de Cent Ans, on sonnait l’alarme dès que les Anglais s’approchaient des côtes normandes. L’action que décrit Chevalet se déroule dans l’île de Samos au IIIe siècle ; mais comme tous les auteurs de Mystères, il joue avec les anachronismes.   234 Éd : paour

LE FOL ET LA FOLLE

Bibliothèque nationale de France

Bibliothèque nationale de France

.

*

LE  FOL  ET

.

LA  FOLLE

*

.

En dehors des sotties, le théâtre médiéval ne fait guère appel aux folles : les farces s’en tiennent aux fous, et les prétendues « folles » des Mystères ne sont que des hystériques qui se croient possédées par le diable. Pourtant, Claude Chevalet1 dissimula dans sa Vie de sainct Christofle (~1510-1514) une authentique sottie, où une Folle rivalise de hardiesse avec un Fol.

Ce Mystère narre aussi les tribulations d’une troupe de bateleurs itinérants : ils sont à la fois clowns, jongleurs, montreurs d’animaux plus ou moins savants, faiseurs de bons tours, joueurs de mauvais tours, accompagnateurs de danses, marchands de fausses gravures pieuses et de partitions, chansonniers, etc. Leur troupe minable a beaucoup de points communs avec celle de la farce du Bateleur.

Source : La Vie de sainct Christofle, élégamment composée en rime françoise et par personnages par maistre Chevalet. Imprimé à Grenoble en 1530. Bibliothèque nationale de France, Rés. YF 116. Je recommande l’édition critique de Pierre SERVET : La Vie de sainct Christofle ; Droz, 2006.

Structure : Rimes plates, avec 3 triolets, et une ballade sans envoi.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

*

                        LE  FOL 2                                                  SCÈNE  I

        Gare ! Gare ! Faictes-moy place !

        Reculle-toy, fol ydïot !

        Car je suis ung estradïot3

        Aussi légier4 q’ung lymasson.

5      Pour menger soit cher5 ou poisson,

        Jamais ne m’en treuve malade.

        Seray-je point de l’ambassade ?

        Aray-je perdu mon crédit ?

        Vous sçavez bien que chescum dit :

10    « Souvent, en ung mauvais passage6,

        Ung fol enseigne bien7 ung saige

        Quant le saige voyt qu’il se noye8. »

        Si j’eusse la robe de soye,

        Je m’en yrois en Gastinoys :

15    Car, quant on verra mon mynois,

        On dira que je suis ung Conte9.

        Fait-on testes de folz de fonte,

        Ainsi que l’on fait une cloche ?

        Celuy qui me fit la caboche

20    La me fit ung petit trop creuse10.

                        LA  FOLLE

        Il a dit vray ! Et bien fumeuse11 :

        Elle va tousjours fumassant.

        L’on ne trouveroit, en ung cent,

        Teste que mieulx [vercoquin pille]12 :

25    Elle est ronde comme une bille

        Et légière comme une plume.

                        LE  FOL

        Il fault donc, si ma teste fume,

        Que je porte13 le feu au cul :

        Car en effect, oncque ne fut

30    Fumée qu’il n’y eust du feu14.

        Viens çà ! Il n’y a point de jeu15,

        Car mon cul souffle si souvent

        Que j’ay paour qu’il face, du vent,

        Allumer le feu à la forge16,

35    Qui me sortira par la gorge

        Et me brûlera le museau.

                        LA  FOLLE

        Va-t’en mettre le cul en l’eau

        Prestement en celle rivière :

        Si le feu est en ton derrière,

40    Il sera incontinent mort.

                        LE  FOL

        Je le veulx bien, j’en suis d’acord.

        Viens-moy ayder et sera fait.

                        LA  FOLLE

        Garde-toy bien de faire ung pet,

        Affin que le feu ne s’alume.

                        LE  FOL 17

45    Regarde ! Voy-tu rien qui fume ?

                        LA  FOLLE

        Ne bouge le cul d’une place !

                        LE  FOL

        Ceste eau est plus froide que glace.

                        LA  FOLLE

        Ne te chault : prens en pacience

        Sans bouger.

                        LE  FOL

                              Par ma conscience !

50    Je suis en ung aultre danger :

        Ces poissons me veullent18 menger

        Tout vif 19. Il me fault reculler.

        Et pour me garder de brûler,

        Je ne sçay remède que boire.20

*

                        LE  FOL                                                    SCÈNE  II

55    Qui m’aura emblé21 ma marote,

        Si me la rende incontinent

        Sur peine d’excommuniment22 !

        Ou [bien] j’en feray faire une aultre

        Qui aura la teste de peaultre23,

60    Le cul de fer, d’acier le joys24 ;

        Et l’une de[s] jambes, de boys ;

        Et l’aultre, de pierre de taille ;

        Le bec grant comme une poullaille25,

        Et les tétins de deux molettes26.

65    « Venez achepter ces lunettes27

        (Estront de chien) pour vostre nez !

        Or advancez-vous, advancez

        Pour parler à ce Jehan Testu28 ! »

.

        Holà, ma sotte ! Où es-tu ?                                          SCÈNE  III

70    Je croy que tu fais l’arquimye29.

        Viens çà ! approuche-toy, m’amye :

        Il te fault recouldre le ventre30,

        Car je me doubte que g’y entre,

        Quelque jour, chaussé et vestu.

.

                        LA  FOLLE                                              SCÈNE  IV

75    Me voicy ! Que demandes-tu ?

        Je viens pour te faire merveilles :

        Il te fault coupper les oreilles

        À faire deux manches d’estrilles31.

        Et si, te raseray les « billes »

80    Rasibus du cul32, par-derrière.

        Ne tire point le cul arrière33,

        Car je les auray, par mon âme !

                        LE  FOL

        Alarme, bonnes gens, alarme !

        Gardez-moy qu’elle ne me tue !

85    Elle me veult, dessoubz la « queue »,

        Couper les bataulx34 de la cloche,

        Les oreilles de la caboche35.

        [Hare ! hare]36 ! Qu’elle soit prise !

.

        Seigneurs, je demande franchise37.                              SCÈNE  V

90    Hé ! Jupiter, secourez-moy,

        Et je vous voue38 (sur ma foy)

        Boire tousjours le vin sans eau ;

        Et ne mengeray beuf, ne veau,

        Mouton, chevreau, qui ne soit cuyct ;

95    Et juneray toute toute la nuyct,

        Au moins si je ne me réveille.

        Mesmement39 le jour de la veille

        De vostre grant solemnité40,

        Car je serois déshérité

100  D’avoir perdu ung tel « joyau41 ».

.

                        LA  FOLLE 42                                           SCÈNE  VI

        Où est-il allé, mon luneau43 ?

        Je te44 trouveray, quoy qu’il t’arde.

                        LE  FOL

        Je suis en franchise, regarde !

        N’aprouche point de moy, Babeau45 !

                        LA  FOLLE

105  Je vous auray, ou le feu m’arde46 !

                        LE  FOL

        Je suis en franchise, regarde !

                        LA  FOLLE

        Je te chastieray — quoy qu’il t’arde —

        Tout maintenant, de ce cousteau !

                        LE  FOL

        Je suis en franchise, regarde !

110  N’aprouche point de moy, Babeau !

        Voicy le Temple bon et beau :

        Garde-toy bien de faire noyse !

                        LA  FOLLE

        Qui me garde que je n’y voyse47 ?

        Oncques nul des dieux n’en parla.

115  Et si, vous fault passer par là,

        Au moins s’ilz ne sont les plus fors48.

                        LE  FOL

        A ! jambes, saulvez-moy le corps49,

        Et je vous donray chausse[s] neufves !

        Tu n’as garde que tu me treuves,

120  Et fust la lune en [son croissant]51.

*

                        LA  FOLLE 52                                           SCÈNE  VII

        Hau, follaton ! Viens-moy passer

        Maintenant delà la marine53,

        Car je suis bonne pèlerine

        Qui, pour avoir le « picotin54 »,

125  M’en vueil aller à Sainct-Trotin55,

        Où je gaigneray le pardon56.

                        LE  FOL

        Scez-tu pas bien que mon « bourdon57 »

        Est trop court pour trouver le fons58 ?

        Il est aussi foible que joncs

130  Pour ployer. Entens-tu la note59 ?

                        LA  FOLLE

        Ne sces-tu prendre ta « marotte60 »,

        Celle qui a la teste rouge61 ?

        Approuche-toy, et ne te bouge !

        Il n’est pas temps que l’on rechigne.

135  Je te voys monter sur l’eschine62 ;

        Garde-toy bien de répiter63.

                        LE  FOL

        Mais te garde bien de péter

        Ainsi que tu as de coustume !

        Car, par Dieu, s’il fault que j’en hume,

140  Je sçay bien que nous aurons noyse.

        Ventre sainct Gris, comme tu poyse64 !

        Oncques ne portay tel fardeau.65

                        LA  FOLLE

        Je te rendray ce tour, lourdeau !

        M’as-tu laissé tomber par terre ?

145  Or te metz là, que je te serre66 !

        Ou, par Dieu, je te froteray67.

                        LE  FOL

        Que veulx-tu ?

                        LA  FOLLE

                                 Je remonteray,

        Il ne fault point estre rebelle !

                        LE  FOL

        Il fault donc avoir une eschelle,

150  Ou tout versera, j’en suis seur.

                        LA  FOLLE

        Tien-toy ferme et [n’aye pas peur]68 ;

        Et garde bien de me lascher !

        Je suis bien. Pense de marcher69

        — As-tu entendu ? — fort et rède !

                        LE  FOL 70

155  Aay, ay, ay ! Que ceste eau est froide !

        Elle entre dedans mon soullier.

                        LA  FOLLE

        Sus avant, maistre lymonnyer71 !

        Nous serons tantost au millieu.

                        LE  FOL

        Et ! qu’est cecy ? Bon gré ’n72 ayt Dieu !

160  Paillarde, avez-vous vécy73 ?

        Descendez, et m’attendez cy,

        Que j’aye l’eschine plus forte.74

                        LA  FOLLE

        Alarme, alarme ! Je suis morte,

        Je suis noyée, somme toute.

                        LE  FOL

165  Je luy ay faict de son cul souppe75,

        Non pas en vin mais en bel[le] eau.

        Scez-tu quoy ? Attens-moy, Babeau,

        Et je voy quérir ung cheval76.

        Avez-vous faict le vent d’aval77,

170  Et vescy à vostre privé78 ?

        Vous en avez le cul lavé,

        Affin que l’on y remédie !

.

*

LES  BASTELEURS 79

*

.

                        MAULOUÉ80,  basteleur,  commence.      SCÈNE  I

        Où es-tu ? Hau, Mal-assegnée81,

        Apporte-moy tous mes bateaux82,

        Estrilles, focilles, cousteaux83 ;

        Bastons, bacins84, siffléz85, timballe ;

5      Les gobeletz, les noys de galle86 ;

        Le synge, la chièvre, le chien

        Et l’ours (que nous n’oublions rien),

        Avec le mole87 des ymages,

        Pour courir villes et villages.

10    Maufourbie [es]t-elle [où ell’ est]88 ?

        Où est Henriet, mon varlet,

        Pour chanter avec sa guiterne89 ?

                        MAL-ASSEGNÉE

        Il est allé à la taverne.

        Qu’à tous les diables puist tout estre,

15    Autant le varlet que le maistre !

        L’on me laisse cy toute seulle.

        L’ours brayt de fain et le chien ule90 ;

        Le singe dit sa pateno[u]stre91.

        Et si, vous dis encor en oultre

20    Que nous n’avons denier ne maille.

                        MAULOUÉ

        Hé ! nous en aurons — ne te chaille —,

        Quelque jour, de l’argent content…

        S’il en pleust, dea, cela s’entent !

                        MAL-ASSEGNÉE

        Esse donc tout ?

                        MAULOUÉ

                                   Ma [donna, sy]92 !

                        MAL-ASSEGNÉE

25    N’en prendrez-vous autre soussy ?

        Je suis bien de mal heure93 née !

                        MAULOUÉ

        Et ! n’es-tu pas Mal-assegnée ?

        Le nom est de mesme l’ouvrage94.

        Acoup, qu’on charge le bagage !

.

30    Henriet, vien çà ! Qu’on se haste !                                SCÈNE  II

                        HENRIET,  varlet.

        Laissez-moy mouller la gargatte95,

        Qui est si sèche, pour le hâle96.

        Qu’en buvant, jamais je ne parle :

        Ma mère me le deffendy.

                        MAULOUÉ

35    Qu’est cecy ? Es-tu estourdy ?

        Dont te vient ce mal, mon varlet ?

        Est-ce point de menger du laict

        Que tu as la couleur vermeille ?

                        HENRIET

        Je l’ay prins en ceste bouteille.

                        MAL-ASSEGNÉE

40    Je cuyde qu’il a veu les anges

        Qui tumbent du ciel en vendanges.

        C’est la douleur qui le travaille97.

                        HENRIET

        Je l’ay pris en ceste bo[u]teille.

                        MAULOUÉ

        Tu as vendangé sans cousteau98.

45    Mais tu y jouras du basteau

        Et99 du bassin, je le conseille.

                        HENRIET

        Je l’ay pris en ceste bouteille.

                        MAL-ASSEGNÉE

        Pour vous guérir de ce farcin100,

        Avallez-moy ce plain bassin

50    D’eau claire ! C’est la médecine,

        Il ne fault point faire la myne101.

        Tenez, et vous lavez la gorge !

                        HENRIET

        Qu’ell’ est froide, bon gré sainct George !

        J’aymoys mieulx celle du barry102.

                        MAULOUÉ

55    Or viens çà ! N’es-tu point guéry ?

                        HENRIET

        Je n’entens point la guérison :

        J’en ay pris une trancheyson103

        Qui me fera les boyaulx fendre.

                        MAULOUÉ

        Sus devant ! Car il nous fault prendre

60    Le chemin tout droit à Damas.

        Mais je ne sçay point que tu m’as

        Fait104, aujourd’huy, de ma trompette.

                        HENRIET

        Voy là cy105, maistre.

                        MAULOUÉ

                                            Qu’on se mette

        En voye, c’est le principal.

65    [Que] chescum preigne son bestial

        Du trein de la bastellerie106.

        N’avons-nous pas d’ymagerie107 ?

        C’est le principal du mestier108.

                        MAL-ASSEGNÉE

        Il en y a ung cent entier109 ;

70    C’est assez pour une sepmaine.

                        MAULOUÉ

        Henriet ! Il fault que tu meine,

        Pour ta part, l’ours avec le chien.

        Garde que nous n’oublions rien,

        Mon varlet ! As-tu entendu ?

                        HENRIET

75    Je vouldrois que tout fust vendu.

        Car incessamment je travaille,

        Et si110, n’ay ne denier ne maille

        Ne, souvent, de quoy me repaistre.

                        MAULOUÉ

        Tais-toy ! Je te passeray maistre111

80    Avant que soit jamais troys moys.

        Et si, auras quatre tournoys

        Toutes les sepmaines pour boyre.

                        MAL-ASSEGNÉE

        Il ne boyt que trop !

                        HENRIET

                                        Voyre, voyre,

        Belle dame, laissez-moy vivre !

85    Si, d’aventure, je suis yvre,

        Je me couche bien tout vestu112.

                        MAL-ASSEGNÉE

        Et de quoy [donc t’esbranles-tu]113 ?

                        HENRIET

        J’ay en la teste la migraine.

        Puis après, il fault que je traîne

90    Ce bestial114 à force de corps.

        Mais, par tous les dieux, si tu mors,

        Tu auras une bastonade !

                        MAULOUÉ

        Nous deussions jà estre à Grenade115,

        Pour le vous dire à brief parler.

95    Avançons, et pensons d’aller !

        Et qu’on me laisse ce desbat !

*

                        MAULOUÉ 116                                          SCÈNE  III

        Dieu gart et le Roy et la Court,

        Les dames et les damoiselles !

                        MAL-ASSEGNÉE

        Ostez vostre chapeau, tout lourt117 !

                        HENRIET

100  Dieu gart et le Roy et la Court !

                        MAULOUÉ

        Nous sommes, pour le temps qui court,

        Mynces118 d’argent et sans rouelles.

                        MAL-ASSEGNÉE

        Dieu gart et le Roy et la Court,

        Les dames et les damoiselles !

                        LE  ROY  DE  DAMAS

105  Scez-tu nulles chançons nouvelles ?

        Voulentiers les vouldrois ouÿr

        Pour la compaignie resjouyr.

        Si tu scez rien119, que l’on le voye !

                        MA[U]LOUÉ

        Je fais, d’une chièvre, blanche120 oye ;

110  D’ung ourseau121, ung molin à vent ;

        Et d’ung franc, dix solz122, bien souvent.

        Henriet, acoup, ma trompette !

        Bran123 ! qu’est cecy ? Ell’ est maulnette124.

        Je cuyde que Mal-assegnée

115  Ou mon varlet l’ont embrenée.

        C’est merde, que vous le sachez.

        Advancez-vous et vous mouchez,

        Petitz enfans125 ! Çà : Maufourbie,

        Que j’ay porté de Conturbie126

120  Pour [y] en faire une levée127 :

        Puisqu’ell’ est ung petit roullée128,

        Ne vous chaille, c’est bien du moins129 !

        [Car] pour une espée à deux mains,

        Au monde n’en a point de telle.

125  Regardez-moy quelle alumelle130 !

        Elle reluyct comme charbon131.

                        HENRIET

        Et ! par tous noz dieux, voylà bon !

        Pourquoy me frappez-vous, beausire ?

        Je ne dis pas pour vous mauldire,

130  Mais tous les diables y ai[en]t part132 !

                        MAULOUÉ

        Et ! par Dieu, voylà bon coquart133 !

        Quant tu cognois134 que je m’esbas

        De Maufourbie [et] hault et bas135,

        Ne te scez-tu tirer arrière ?

135  Tu sces bien que c’est la manière

        [Que] de faire136 à son maistre place.

                        HENRIET

        Bref, je n’en sçay ne gré, ne grâce ;

        Et de vray, n’en suis point content.

        Et vous en desportez à tant137,

140  Car, par Dieu, le jeu ne vault rien !

                        MAULOUÉ

        Or çà ! il fault jouer138 du chien :

        Admeyne-le-moy cy en place.

        Hau ! Le boys tost passe139 !… Repasse !…

        Saultez, et vous ferez que saige140 !…

                        HENRIET

145  Il est en son aprentissage,

        Et n’est pas encores bon maistre141.

                        MAULOUÉ

        Pensez : qui le laissera croistre142,

        Ce sera ung chien tout de mesme143

        Pour menger [du] beurre en Caresme

150  Par faulte de chair144.

                        HENRIET

                                             Hé, caroigne145 !

        Par le sang que Dieu fist ! il groigne.

        Je146 croy qu’il a, de paour, la fièvre.

                        MAULOUÉ

        Çà, le singe !

                        MAL-ASSEGNÉE

                              Mais bien147 la chièvre,

        Qui vous mettra au cul la corne !

                        MAULOUÉ

155  Laisse-la là ; qu’elle séjourne148 :

        Ell’ est ung peu mal disposée149.

                        HENRIET

        Mais faisons-en une espousée,

        Et luy mettons ung couvrechef

        Sur les cornes, dessus le chef,

160  Pour luy donner en mariage

        Le synge.

                        MAULOUÉ

                         Tu devise rage150 !

        Je suis bien content qu’il151 se face.

        Ameine tout !

                        MAL-ASSEGNÉE

                                Quel chiche-face152

        Pour [bien] faire ung charivary !

                        HENRIET

165  L[e] synge, qui est son mary,

        Vouldroit bien qu’elle fust à Can…153

                        MAULOUÉ

        Dancez, madame de Bo[u]can154 !

        Et je vous mèneray la feste155.

                        MAL-ASSEGNÉE

        Hé ! que mauldicte soit la beste !

170  Regardez quelle contenance !

                        MAULOUÉ

        Henriet, tu menras la dance.

        Et me tiens le singe de près156 !

        Et ma femme yra après,

        Qui fera la chièvre dancer.

                        HENRIET

175  Je suis tout prest de commencer.

                        MAL-ASSEGNÉE

        Et moy, de [me] mettre au millieu157.

                        MAULOUÉ

        Or sus ! Hay advant, de par Dieu !

        Et je menray du flajolet158.

                        HENRIET

        Hé ! Dieu, que le synge est lait !

                        MAL-ASSEGNÉE

180  Que la chièvre fait bonne troigne !

                        HENRIET

        Tire avant, teste de mulet159 !

                        MAL-ASSEGNÉE

        Hé ! Dieu, que le synge est lait !

                        HENRIET

        La chièvre tiens par le collet.

                        MAULOUÉ

        Oncques ne vistes tel besoigne.

                        MAL-ASSEGNÉE

185  Hé ! Dieu, que le synge est lait !

                        HENRIET

        Que la chièvre fait bonne troigne !

                        MAULOUÉ

        Elle semble une cygoigne160.

        Hau ! c’est assez, laissez la dance !

        Mal-assegnée, qu’on commence

190  Faire monstre de noz ouvrages :

        Il fault vendre de noz ymages,

        Voylà la cause qui nous meine.

                        MAL-ASSEGNÉE

        Voyez-en cy une douzaine.161

        Desployez tout à l’adventure.

                        MAULOUÉ

195  Seigneurs, voicy la pourtraicture

        Du glorieux sainct Al[i]pantin162,

        Qui fust escorché d’ung patin163

        Le jour de Karesme-Prenant164.

        Après, voicy sainct Pimponant

200  Avecques sainct Tribolandeau,

        Qui furent tous deux d’ung seau d’eau

        Décolléz165, dont ce fut dommage…

        Puis voicy le dévot ymage

        Du glorïeux martir sainct Pran166,

205  Qui fust jadis boully en bran

        Et lapidé de pommes cuyctes167 ;

        Et par ses glorïeux mérites,

        Je le maintiendray devant tous :

        Il guérit les chatz de la touz168,

210  Quant ilz y ont dévotion.

        Si vous avez intention

        De les avoir, je les vous baille

        Les deux pour .III. deniers et maille ;

        Mais toutesfoys, argent content169 !

215  Ung peintre n’en feroit pas tant

        De bonnes couleurs pour .II. francs.

        Avant170, avant, petitz enfans !

        Vous n’en payez pas la façon171.

                        MAL-ASSEGNÉE

        Il [nous] fault dire une chançon172

220  En attendant qu’on les vendra173.

                        MAULOUÉ

        Je le veulx bien. Qui m’aydera ?

                        HENRIET

        Tous deux ensemble, je l’entens.

                        MAULOUÉ  ET  LES  AUTRES

        Resveillez-vous, gentilz gallans,

        Et entendez bien mon latin174 !

225  Gentilz pïons175, mes bons chalans,

        Ne vous levez point trop matin.

        Quant vous aurez beu ung tatin176,

        Cela vous réconfortera.

        Mais si vous mettez d’eau au vin,

230  Le diable vous emportera.

.

        Ne rompez point les huys ouvers177,

        C’est sur peine178 d’estre pendu ;

        Et mettez femmes à l’envers,

        Car cela n’est point deffendu.

235  Joingnez « tendu » contre « fendu » :

        La besoigne se parfera.

        Ou sinon — av’ous entendu ? —

        Le diable vous emportera.

.

        Nourrisses ne dépucellez179 !

240  Vous entendez bien le trippot 180 ?

        Et quant aux tavernes allez,

        Ne payez point deux foys l’escot :

        Car qui mengera ung fagot 181

        Sans boyre, il s[’en] estranglera.

245  Et si vous faictes le bigot,

        Le diable vous emportera.

                        LE  ROY  DE  DAMAS

        Bénédicité ! Marïa !

        Oncques je n’ouÿs chançon telle.

        Je croy qu’il [l’]a faicte nouvelle

250  Tout maintenant dessus les rans182.

        Séneschal, donnez-luy dix francs

        Pour boyre et pour l’esbatement !

                        LE  SÉNESCHAL

        Tiens, prens cela légièrement :

        C’est argent pour crocquer la pie183.

                        MAULOUÉ

255  Chier sire, je vous remercie.

        Je ne gaignay tant de dix jours.

        Tout est vostre : le synge, et l’ours,

        La chièvre, et Mal-assegnée.

        Je vouldrois qu’on l’en [l’]eust menée,

260  Affin d’en estre despêché184 !

        J’en ferois tousjours bon marché,

        Et n’en eussé-je [qu’]une maille185.

*

1 Sur ce fatiste de Vienne, voir la notice des Deux pouvres.   2 Imitant les Sots des sotties, il traite les spectateurs de fous, et les bouscule pour monter sur scène.   3 Un cavalier albanais qu’on envoie en éclaireur. Cf. le vers 287 de L’Andureau et L’Andurée, autre farce provenant du même Mystère. Le Fol chevauche sa marotte.   4 Rapide.   5 De la chair, de la viande.   6 Quand un sage s’est mis dans un mauvais pas.   7 Fait la leçon à. « J’ay souvent ouÿ en proverbe vulgaire [populaire] qu’un fol enseigne bien un saige. » Rabelais, Tiers Livre, 37.   8 Le fou donne une leçon de prudence au sage qui est en train de se noyer, au lieu de le secourir, « comme celuy qui, estant sur le bord d’une rivière, assiste de parolles son amy qui se noye ». (Cardinal de Richelieu.)   9 Il y a bien longtemps que le Gâtinais n’était plus un comté.   10 Un peu trop creuse : ma tête sonne creux comme si c’était une cloche en fonte.   11 Sa tête est bien fantasque. « La teste verte,/ Fumeuse et toute lunatique. » L’Arbalestre.   12 Éd : uerticoquille  (Le ver coquin* est logé dans la tête des gens qui ont une lubie. « Leurs femmes ont mis ce ver coquin amoureux dans leurs testes. » Brantôme.)  Il faut comprendre : Parmi cent personnes, on ne trouverait pas une tête que la folie dévaste mieux.  *Ce Mystère emploie aussi la variante avertin : « Puis qu’elles ont prins l’avertin/ En la teste, tout est perdu. »   13 Que j’aie. Le Vendeur de livres signale une farce de Ceulx qui ont le feu au cul.   14 Il n’y a pas de fumée sans feu. Les Fols des sotties prennent toujours les expressions au pied de la lettre.   15 Il ne faut pas plaisanter.   16 J’ai peur que mon cul ne se transforme en soufflet de forge.   17 Il baisse ses chausses et plonge son postérieur dans la rivière, laquelle joue un rôle prépondérant dans ce Mystère ; nous la retrouverons aux vers 121-172.   18 Éd : uueillent   19 Les spectateurs ont entendu « tout vit », qui se prononce de la même façon : tout mon pénis. « Femmes enseintes/ Qui ont esté au ‟ vif ” atainctes. » Sermon pour un banquet.   20 Le Fol boit, mais pas l’eau de la rivière. La sottie ne reprend qu’au bout de 4 550 vers.   21 Que celui qui m’aura volé.   22 Sous peine d’excommunication. Même vers dans Saincte-Caquette.   23 D’étain. Cf. Ung biau miracle, vers 2751.   24 Le sexe. Cf. L’Andureau et L’Andurée, vers 418. « Pour luy faire fondre la gresse/ Du cropion autour du joys. » St Christofle.   25 Comme le bec d’une poule. Ou bien : comme une poule.   26 Les seins rembourrés par du molleton. « Pour mauvais tétins/ Et pour ceulx qui portent mollettes. » Maistre Pierre Doribus.   27 Sur les fous à lunettes, voir la note 72 du Monde qu’on faict paistre.   28 Pour parler à Jehan le Fol.   29 L’alchimie : que tu es en train de faire l’amour avec un autre. « N’avez-vous pas eu assez temps/ De faire vostre paillardise ?/ Faictes-vous encor l’arquemye ? » St Christofle.   30 Il faut te recoudre le bas-ventre, la vulve.   31 Il faut couper tes oreilles de Sot pour en faire deux manches de brosses.   32 Et aussi, je te trancherai les testicules d’un coup de rasoir, au ras du cul.   33 Ne recule pas. Cf. L’Andureau et L’Andurée, vers 146.   34 Les batteaux : les battants, qui pendent. Ce mot désigne les testicules. « Un bel ‟ouvrier de nature”, fort bandé, qui à bon droit mérite estre appelé membre, accompagné de deux battans au-dessoubs qui luy servent d’ornement. » Nous sommes bluteurs.   35 Les oreilles de ma tête (vers 77). Mais aussi : les testicules de ma verge. « Le membre de Colin, deffaict,/ Se retira, penchant l’oreille. » (Cabinet satyrique.) « Au moyen du vin de Baccus,/ Pour lequel souvent on bat culz,/ Sa grosse caboche dressa. » (Sermon de Billouart.)   36 Éd : Pare pare  (Cri par lequel on excite les chiens pour qu’ils attrapent une proie. « Hare ! hare ! Si me mordez,/ Je le diray à l’empereur. » Daru.)   37 L’asile en zone franche, comme au vers 103. Le Fol se réfugie dans l’inviolable temple de Jupiter.   38 Je vous jure. Ces promesses ne coûtent rien : le Fol boit déjà le vin sans eau, mange déjà sa viande cuite, et il jeûne déjà pendant qu’il dort.   39 Je jeûnerai aussi.   40 « La feste de l’immortel/ Jupiter. » Mystère de sainte Barbe.   41 Mes bijoux de famille, dont j’ai hérité de mon père.   42 Elle pénètre dans le temple de Jupiter.   43 Mon lunatique. « Parlez tout doulx, car il tient de la lune…./ Il est luneau, vous le ferez troublé. » Marchandise et Mestier, BM 59.   44 Éd : le  (Ce vers sert de modèle au v. 107.)  Quoi qu’il t’arde = même si tu es ardent, en érection. Jeu de mots sur deux verbes qu’on distinguait mal : arder [brûler], et arser [bander]. Idem vers 107.   45 La Folle se prénomme Isabeau, dont Babeau est le diminutif, comme à 167. « ‟Certes, je n’y entreray point”,/ Respond à la mère Ysabeau…./ Elle y entra. Babeau se couche. » (Le Banquet des chambrières.) On traite de « Babeau » les femmes de mauvaise vie : cf. L’Andureau et L’Andurée, vers 54. « Approuchez-vous, dame hydeuse !/ Avez-vous entendu, Babeau ? » St Christofle.   46 Ou que le feu de l’Enfer me brûle. La châtreuse poursuit le Fol dans le temple, en brandissant un couteau.   47 Qui m’empêche d’y aller ?   48 Si les dieux ne sont pas plus forts que moi.   49 Courez assez vite pour que je puisse échapper à la châtreuse. L’Andureau, voulant échapper à sa mégère, s’écrie : « Jambes, portez le corps arrière ! »   51 Éd : decroissant  (« De la lune en son croissant. » Ronsard.)  Tu ne risques pas de me trouver, même avec l’aide du clair de lune. La sottie reprend au bout de 3 000 vers.   52 Elle veut passer de l’autre côté de la rivière (vers 38) en montant sur les épaules du Fol. Chevalet parodie la légende de saint Christophe, qui exerce le métier de passeur ; son plus notable client n’est autre que Jésus, auquel il vient de faire traverser la même rivière juché sur ses épaules. Chevalet parodie aussi Tristan qui, déguisé en lépreux, fait franchir un gué à Iseut en la portant sur son dos ; Tristan et Iseut deviennent donc Jean Têtu et Babeau.   53 De l’autre côté de l’eau.   54 Ma ration de sperme. « Sottes qui veulent avoir leur picotin. » Jeu du Prince des Sotz.   55 Pèlerinage où les épouses vont trotter sans leur mari. Dans ce Mystère, un cocu dit à sa femme : « Or va (sans faire le revien)/ Au diable et à Sainct-Trotin ! »   56 Où je commettrai un péché pour faire pardonner les précédents. « En divers lieux (elles) vont gaigner les pardons/ Pour en leurs lacs attraper la ‟vitaille”. » L’Advocat des dames de Paris touchant les pardons Sainct-Trotet.   57 Mon bâton de pèlerin. Double sens : mon pénis. Cf. le Pèlerinage de Mariage, vers 137 et note.   58 Le fond de la rivière. Double sens : le fond de ton vagin. « J’en ay une que j’aime ung peu./ On n’y treuve ne fons, ne rive. » Les Sotz qui remetent en point Bon Temps.   59 Comprends-tu mes paroles ?   60 Ton phallus. La marotte est un emblème phallique composé d’un bâton surmonté d’une tête.   61 Celle qui est munie d’un gland. « Ell’ avoit/ La teste bien rouge devant. » La Confession Margot.   62 Je vais monter sur ton dos.   63 D’exiger un répit, de différer.   64 Ventre de saint François d’Assise, que tu pèses !   65 Le Fol laisse tomber la Folle par terre.   66 Afin que je te serre entre mes cuisses.   67 Je te battrai.   68 Éd : nay paour  (« Et n’ayez peur que je vous faille. » Colin qui loue et despite Dieu.)   69 Je suis bien installée, dépêche-toi de traverser la rivière. « Pense d’aller et de marcher ! » Folconduit.   70 Il entre dans la rivière avec la Folle sur ses épaules.   71 Cheval d’attelage. Elle donne au Fol un coup de cravache avec sa marotte.   72 Aphérèse du pronom en. « Bon gré ’n ait bieu ! » Le Capitaine Mal-en-point.   73 Vessi, lâché une vesse, un pet. Idem vers 170. « Ell’ a du cul vessy. » (La Ruse et meschanceté des femmes.) Les vers 137-8 nous ont informé des problèmes aérophagiques de la Folle.   74 Il laisse tomber la Folle dans la rivière.   75 La soupe est un morceau de pain qu’on trempe dans le vin. « Ilz sont plus ivres qu’une soupe. » Massons et charpentiers.   76 Éd : cheuau  (Je vais chercher un cheval.)   77 Éd : dariau  (En terme de marine, le vent d’aval désigne le vent arrière : « Que désirons-nous ? Vent d’aval. » Gautier et Martin. Dans un registre plus scatologique, on devine d’où provient ce vent de derrière…)   78 Et pété discrètement. Mais les privées sont aussi les latrines : « (Ton père) curoit les privées. » Le Savetier Audin.   79 Cette farce en deux actes est un peu mieux intégrée au Mystère que la sottie.   80 Mal loué, mal considéré.   81 Mal assenée = mal mariée. C’est le nom générique des épouses insatisfaites. La nôtre fit l’objet d’une chanson : « C’est la femme d’un basteleur/ Qu’on apelle Mal-assenée. » (L’Arbalestre. Pour d’autres références, voir la note 60 de cette farce.)   82 Mes accessoires de bateleur. Idem vers 45. « Je susse jouer de bateaux,/ Se j’eusse ung ours ou une chièvre. » Les Menus propos.   83 Pour impressionner le public, on jongle avec des outils ou des armes munis de lames (soigneusement émoussées).   84 Le bâton est une baguette par-dessus laquelle on fait sauter le chien, comme au vers 143. Le bassin, encore nommé à 46, est un récipient qu’on utilise pour la quête : « Et faire cracher au bassin/ Ceulx-là. » Pour le cry de la Bazoche.   85 Éd : soufflez  (Nos clowns sont bardés d’instruments de musique : une guitare, une trompette, un flageolet ; et donc, un sifflet [un mirliton] et une timbale [un tambour].)   86 Les gobelets servent pour les tours de passe-passe ; dans l’Escamoteur, Jérôme Bosch en a peint deux. (Nous remarquerons, au pied du bateleur, son chien savant, qui est assis près d’un cerceau en attendant de sauter au travers.)  La noix de galle sert à faire de l’encre, peut-être pour réaliser les images pieuses que vendent nos baladins. Pour Pierre Servet, « il s’agit sans doute d’un élément de maquillage des jongleurs ».   87 Le moule, le pochoir avec lequel nous confectionnons des images coloriées qui représentent des saints. Voir les vers 191-216. La troupe du Bateleur vend elle aussi des portraits médiocres, mais ils représentent des comédiens.   88 Éd : quellest  (Est-elle à sa place, dans le fourreau que je porte à ma ceinture ?)  Maufourbie = Mal astiquée. C’est le nom que le bateleur donne à son épée, à l’instar d’un archer du Mystère de Saint Louis : « Vécy mon espée, Mal-fourbye. » Voir les vers 118 et 133. Chevalet parodie Excalibur (l’épée du roi Arthur), et Durandal (celle de Roland).   89 En s’accompagnant à la guitare.   90 Hurle.   91 « Quand un homme gronde & murmure entre ses dents, on dit qu’il dit la patenôtre du singe. » Le Roux, Dictionaire comique, satyrique.   92 Éd : donne cy  (Probable refrain d’une de ces chansons que les musiciens français de l’époque composaient sur des paroles italiennes.)   93 À une mauvaise heure, sous une mauvaise étoile. Même vers dans le Nouveau marié, notamment.   94 Le nom correspond à la chose.   95 Mouiller mon gosier. « Arouse souvent la gargatte. » (Philippe Bouton.) Le valet boit à la bouteille ; il titube et sa figure est rouge.   96 À cause de la chaleur du soleil. « Ces pÿons [ivrognes] en avalleront/ Mainte chopine, pour le halle. » St Christofle.   97 C’est là son unique maladie.   98 Tu as tout perdu à la taverne. « Il n’y a plus denier ne maille ;/ Tout est vendangé sans cousteau. » Gautier et Martin.   99 Éd : Cest  (Tu te renfloueras en utilisant nos accessoires de bateleurs, et tu feras la quête pour que le public crache au bassinet.)   100 Vos taches éthyliques ressemblent à une maladie qui affecte la peau des chevaux.   101 La grimace. Mal-assenée pince le nez du valet pour qu’il ouvre la bouche, dans laquelle elle verse l’eau du bassin.   102 Du baril de vin de la taverne. Cf. L’Andureau et L’Andurée, vers 84.   103 Des tranchées intestinales, des coliques. Il est exact que l’eau, pas toujours potable, provoquait un certain nombre de maladies. Les hommes du moyen âge n’ont pas attendu Louis Pasteur pour découvrir que « le vin peut être à bon droit considéré comme la plus saine, la plus hygiénique des boissons ».   104 Ce que tu as fait.   105 La voici. Henriet montre la trompette qui déforme avantageusement le devant de ses chausses tachées de crotte.   106 Que chacun prenne un des animaux de notre ménagerie.   107 D’images représentant des saints. Voir la note 87.   108 C’est ce qui nous rapporte le plus.   109 Une bonne centaine.   110 Et pourtant.   111 Je te ferai accéder au grade de maître bateleur. Ce grade imaginaire est employé comme insulte : « O ! que tu la nous vends trop chère,/ Maistre basteleur ! » Satyres chrestiennes de la cuisine papale.   112 Je ne vous demande pas de venir me déshabiller.   113 Éd : doncques branle tu  (De quoi te mets-tu en peine, pourquoi t’énerves-tu ? « T’esbranles-tu au souffle du vent d’une seulle adversité ? » Jean du Croset.)   114 Cet ours et ce chien. Justement, le chiot se rebiffe.   115 Nous devrions déjà être ailleurs. « Quant il nous aura veu,/ Il vouldroit estre à Grenade ! » St Christofle.   116 La troupe rencontre le roi de Damas et la reine. Mauloué les salue sans retirer son chapeau.   117 Lourdaud. « Il avoit l’entendement tout lourd. » Histoire maccaronique de Merlin Coccaïe.   118 Dépourvus : cf. le Mince de quaire. Une rouelle est une pièce de monnaie : cf. la Confession du brigant, vers 55.   119 Si tu sais quelque chose. Le roi ne s’intéresse qu’aux chansons : voir les vers 247-252.   120 Éd : une  (Une oie blanche est une pucelle ; or, aux vers 157-161, on déguise la chèvre en jeune mariée.)   121 Éd : pourceau  (Nos bateleurs ont une chèvre et un ours, mais pas de porc. « Ourse alaittant ses ourseaux. » ATILF.)   122 Je fais 10 sous, une somme bien moindre.   123 Merde ! Ce juron est bien choisi : Henriet extirpe de ses chausses breneuses une trompette qui ne l’est pas moins, victime des coliques du vers 57.   124 Mal nette, malpropre.   125 Les bonimenteurs commencent toujours par cette phrase afin d’obtenir le silence : cf. le Bateleur, vers 3 et note. Sauf qu’ici et au vers 217, ces « petits enfants » auxquels on parle de merde désignent un roi et une reine. Le saltimbanque dégaine Maufourbie, sa piteuse épée (note 88).   126 Canterbury, qui est rebaptisé « Canthorbie » dans le Messager et le Villain. Les Mystères mettent un point d’honneur à ridiculiser tout ce qui rappelle la perfide Albion.   127 Pour livrer un assaut aux Anglais. « Que les François si ont esté/ Ès Anglois faire une levée. » ATILF.   128 Si elle est un peu rouillée.   129 C’est la moindre des choses.   130 Quelle lame.   131 Mauloué n’ayant pas précisé « comme du charbon ardent », force est de s’en tenir à ce qu’il a dit : Elle reluit aussi peu que du charbon. Le bateleur mime un assaut d’escrime contre son valet désarmé, qu’il touche avec le plat de sa lame.   132 Que tous les diables vous emportent ! Si ce n’est pas une malédiction, qu’est-ce que c’est ?   133 Un bon corniaud.   134 Quand tu as connaissance, quand tu vois.   135 Dans toutes les directions. « Prens tost tes fouetz, et le batz/ Du long, du lé [de long en large], et hault et bas ! » Daru.   136 Que c’est la règle de laisser.   137 Abstenez-vous-en pour le moment. « Je vous prie que vous vous déportez atant de ceste requeste faire. » ATILF.   138 Se servir.   139 Saute par-dessus la baguette ! Naturellement, le petit chien passe dessous. Même jeu dans l’autre sens. Ce gag fut longtemps au répertoire des clowns de cirques.   140 Vous ferez sagement. Le chien repasse sous la baguette.   141 Une œillade aux spectateurs suffit à faire comprendre qu’Henriet ne parle pas du chien mais de Mauloué, qui a prétendu le faire passer maître (vers 79).   142 Si on le laisse grandir.   143 Pareillement.   144 Pour s’adapter à toutes les situations. Pendant le jeûne du Carême, les catholiques ne consommaient ni beurre, ni viande, à moins d’acheter des dispenses à l’Église.   145 Charogne ! Le chiot l’a mordu.   146 Éd : Et  (Je crois que la peur qu’il a eue lui a donné la fièvre.)   147 Mais plutôt. « Les chièvres alloient tout de reng./ La corne de la dèrenière/ Fut mise au cul de la première./ Quelle chièvre pourroit mieulx dire :/ ‟J’ay la corne au cul.” » Les Sotz escornéz.   148 Qu’elle se repose.   149 Elle n’est pas dans de bonnes dispositions. « Il dort, sire :/ Il est un peu mal disposé. » Le Poulier à sis personnages.   150 Tu dis bien.   151 Que cela.   152 Ce loup-garou se nourrit exclusivement d’épouses qui obéissent à leur mari ; voilà pourquoi il est d’une maigreur squelettique. Les charivaris admettent les déguisements les plus bestiaux.   153 Loin de Damas, où la scène se déroule. Henriet est interrompu après avoir prononcé la première syllabe de Cancale, qu’un passage similaire donne en entier : « Mieulx vous vauldroit estre à Cancalle ! »   154 C’est le nom de la chèvre, qui aimerait se faire boucaner, se faire saillir. « Boucaner, ou bouquaner, faire le bouc. » Godefroy.   155 Je mènerai la danse avec ma flûte (vers 178).   156 Par crainte qu’il ne consomme le mariage devant tout le monde. Les singes ont une réputation de lubricité.   157 Éd : meilleu  (Voir le vers 158 du Fol et la Folle.)   158 Je mènerai la danse avec ma flûte champêtre.   159 Avance, tête de mule ! Henriet s’adresse à la chèvre.   160 Couverte par le voile nuptial, elle est blanche en haut et noire en bas, comme une cigogne.   161 On pourrait supprimer ce point en considérant que « déployés » est un participe passé qui se rapporte aux images du vers 191. « Image » était souvent masculin, par exemple au vers 203.   162 Les saints dont nos bateleurs vendent le portrait relèvent de la plus haute fantaisie. On se reportera aux notes de Pierre SERVET, ainsi qu’au Dictionnaire des saints imaginaires et facétieux, de Jacques MERCERON. Rabelais a définitivement rattaché Saint Alipentin à la scatologie : « Le pauvre Lymosin conchioit toutes ses chausses (…), dont dist Pantagruel : “Sainct Alipentin, quelle civette [puanteur] !” » (Pantagruel, 6.)   163 Par une semelle de bois : il reçut des coups de pied au cul qui lui écorchèrent les fesses. « Ung bien vaillant homme/ Qui n’est pas escous [secoué] d’ung patin. » Le Capitaine Mal-en-point.   164 Le Mardi-gras. Tout ce passage a une couleur fortement carnavalesque.   165 Traditionnellement, on jette un seau d’eau pour décoller deux chiens qui s’accouplent sur la voie publique. Ici, on sépare deux hommes dans la même posture. Le Carnaval autorise toutes les inversions. Chevalet évoquera encore la sodomie homosexuelle dans les Tyrans au bordeau (vers 476-9), et la sodomie hétérosexuelle aux vers 456-7 de L’Andureau et L’Andurée.   166 Prends ! On faisait bouillir les faux-monnayeurs, mais pas dans de la merde.   167 « Que j’abatis/ Les chièvres, et que combatis/ Ces marmotes [guenons] de pommes cuytes. » L’Arbalestre.   168 Cette expression revient dans de nombreux textes. Mais ici, Carnaval oblige, nous sommes encore dans la scatologie : « C’est mon cul qui a la toux. » (Chansons des comédiens françois.) On voyait en effet des enseignes représentant un chat qui pète.   169 Vous paierez tout de suite, pour que je ne me fasse pas rouler par vous. Rappelons que Mauloué s’adresse à un roi.   170 En avant, allons ! « Avant, avant, petit naquet ! » (Trote-menu et Mirre-loret.) Les « petits enfants » sont toujours le roi et la reine, comme au vers 118.   171 Pour ce prix-là, vous ne payez même pas le coût de leur fabrication.   172 Ce vers, tel que je le complète, est le vers 565 de la Pippée.   173 Ce n’est pas clair : vont-ils vendre leurs images, ou bien les partitions des chansons ? Les chanteurs des rues vendent la chanson qu’ils viennent d’interpréter : « Il me convient/ De vostre chanson acheter/ Plusieurs coppies. » (L’Aveugle et Saudret.) Au bas de cette planche, sur une estrade, on voit deux chanteurs proposer leurs partitions.   174 Mon langage.   175 Buveurs de vin (vers 254). « Pÿon, yvrongne et sac à vin. » (Le Raporteur.)  Les chalands sont les bons compagnons.   176 Bu un coup. « Va me mener à la taverne ;/ Et là, nous burons ung tatin. » (L’Aveugle et Picolin.) Beaucoup de chansons reprochent aux moines de faire la grasse matinée et de ne se lever que pour boire. Par exemple celle-ci : « L’Ordre ne dit mye de lever matin./ Dormir jusqu’à prime et boire bon vin,/ Et chanter matines sur ung pot de vin. » La Résurrection Jénin à Paulme.   177 N’enfoncez pas les portes ouvertes. Ces « huis » béants désignent le sexe des femmes. « Je suis (celui) qui romps les huis ouvers/ Et despucelle les nourrisses. » Sermon joyeux d’un Dépucelleur de nourrices.   178 Sous peine. « Et sur peine d’estre pendu. » Légier d’Argent.   179 Éd : de pucelles  (Voir la note 177.)  Une nourrice a du lait parce qu’elle a eu un enfant ; malgré quelques précédents illustres, elle a donc peu de chances d’être encore pucelle. « Saint Velu (…)/ Despucella maintes nourrisses. » Sermon de saint Velu.   180 L’affaire. Mais aussi : le coït. « En faisant l’amoureux tripot. » Pernet qui va au vin.   181 Celui qui avalera un fagot. Mais aussi : celui qui dépensera un fagot. Les taverniers facturent aux clients le bois de chauffage (et la chandelle). « Brûler le fagot : aller boire bouteille ensemble au cabaret, & y brûler un fagot pour se chauffer en buvant. » Le Roux.   182 Ici même : qu’il vient de l’improviser.   183 Pour boire du vin. Cf. Te rogamus audi nos, vers 64.   184 Qu’on l’ait emmenée, afin que j’en sois débarrassé.   185 Je la céderais à bas prix, même si cela ne me rapportait qu’un centime.

MASSONS ET CHARPENTIERS

Histoire du Grand Alexandre

Histoire du Grand Alexandre

.

*

MASSONS  ET

.

CHARPENTIERS

*

.

À défaut de suivre un plan rigoureux, le Mystère de saint Clément fait la part belle aux architectes : on y voit un maître charpentier, flanqué de son apprenti (Col-de-grue), lesquels sont rejoints par un maître maçon et son apprenti. Puis viendront les charpentiers Guillaume et Garnier, adjoints des maçons Maucoutel et Hermen. On devine déjà que tous ces bâtisseurs d’églises préfèrent les tavernes aux chantiers.

Sources : La Vie et les Miracles de saint Clément, évesque de Metz. Sur les tribulations de ce manuscrit du XVe siècle aujourd’hui perdu, voir la notice du Messager et le Villain. J’emprunte les vers 35-254 à Fritz TINIUS <T> : Studien über das Mystère de Saint Clement. (Greifswald, 1909, pp. 73-78.) Le reste vient de Charles ABEL <A> : Le Mystère de St Clément. (Metz, 1861.) J’utilise les leçons inédites de F. Tinius publiées par Jean-Charles HERBIN <T-H> : Du nouveau sur le Mystère de saint Clément de Metz. (Romania, vol. 132, nº 527-528, 2014, pp. 428-460.) Quelques corrections sont fournies par Frédéric DUVAL <D> : Le Mystère de saint Clément de Metz. (Droz, 2011.)

Structure : Rimes plates.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

*

                        LE  VARLET

        Maistre, je voy que bonnement

        Ne povez tant d’outils porter :

        Je vous vueil ung peu supporter1,

        Se vostre plaisir s’y adonne2.

                        LE  CHARPENTIER

5      Par Dieu, tu es vaillant personne !

        Or sus, varlet ! sus, Col-de-grue !

        Prenez-moy tost la besaguë3,

        La hache et tout ly aultre outil !

                        Icy, doit le varlet du charpentier

                        prenre tous les outtils.

                        LE  VARLET

        Maistre, regardez cy : est-il

10    [Homme tant]4 bien enharnaché(s) ?

        Sachez : je suis bien empesché(s)

        De les porter. Le col me ront5.

                        LE  CHERPENTIER

        Et ! il fait, sire, ung grant estront !

        Quel beau va[r]let d’estront de chien6 !

                        LE  VARLET

15    Par saint Mor(s) ! Maistre, sachez bien :

        Vous ne sentez mie la mézaise7.

        Dea ! vous devisez à vostre aise.

                        [LE  CHERPENTIER]

        Pour Dieu, cheminez, messag[i]er8 !

                        LE  MESSAGER

        Dites-moy, gentil cherpentier

20    (Car9 aler et parler puet-on) :

        Savez-vous cy près nul masson ?

        Avoir le fault sans nulle essongne10.

                        LE  CHERPENTIER

        Je sçay trop bien vostre besongne11,

        À cela ne pouvez faillir.

                        LE  VARLET

25    Je sçay bien tel12 qui assa[il]lir

        Oseroit bien ung pot de vin,

        Ung petit pâté metre à fin :

        C’est ung ouvrier à trente-deulx13.

                        LE  CHERPENTIER

        Et ! quoise-toy14, quoise, bourdeulx !

30    Dieux vous mette en male sepmaine15 !

                        LE  VALET

        Maistre, sachez chose certaine :

        Huy-mais16, ung seul mot ne diray.

        Une autre fois m’aviseray.

        Pardonnez-moy pour ceste fois.

*

Ici interviennent un maître maçon et son apprenti, Mal-esveillé, qui ne disent rien de drôle. 2 103 vers plus tard, le second fatiste17 présente deux compagnons maçons qui sortent d’une taverne passablement éméchés.

.

                        MAUCOUTEL 18

35    Hermen, tu as bien bu jusqu(es) à ivre19 ;

        Saint Mor ! tu ne sces que tu fais20.

        Je n’eusse peu croire jamais21

        Que tu fusse sy grant buvierre22.

                        HERMEN

        Allez chier, allez, tricherre23 !

40    Dieu vous met’ en male sepmaine !

                        MAUCOUTEL

        Mais à vous la fièvre quartaine !

        Truant, pourquoy me maudis-tu ?

                        HERMEN

        Pource que tu dis que j’ay bu

        À outrage. Vous y mentez !

45    Se je devoie estre menés

        En la cruppe24, se vous battrai-ge !

                        MAUCOUTEL

        Hermen, tu n’as pas l’aventaige ;

        Le plus fort, sy, l’enportera25.

                        HERMEN

        Or se revenge qui poura26,

50    Mais vous arez ceste première !

                        MAUCOUTEL

        Hermen, t(u) as la main trop légère.

        Or tien27 ! Et sy, t’en vas dormir !

.

                        GUILLAUME 28

        Et ! dont nous29 puet cecy venir ?

        Qu’est cecy ? Dont vient la bataille ?

                        GARNIER

55    Ce sont très mauvaise mardaille30 :

        Ilz sont plus ivres qu’une soupe31.

                        MAUCOUTEL

        Son baston n’estoit pas d’estoupe :

        Il y pert32 bien à mon espaule.

                        GUILLAUME

        Par ma foy ! le vin vous affolle.

60    Encor n’en est pas la pais faite.

                        GARNIER

        Saint Mor ! j’en vueil faire l’enqueste33.

        Pour la paix, s’en mollerons nos bouches34.

        Hermen, vien çà, et cy t’aprouches !

        Dy-moy, je t’en pry, le méhain35.

                        HERMEN

65    Je te tenroie36 jusqu(es) à demain,

        Se je te contoie la manière.

        Mais je le feray à ta prière ;

        Bien brief j’en vueil estre délivre37.

        Il di[s]t : « Tu as bu jusqu’à ivre. »

70    Et m’aloit apeller « buvierre ».

        Sachiez, je l’apellé : « Tricherre !

        Dieu vous met’ en malle sepmaine ! »

                        GARNIER 38

        Dieu vous doint la fièvre quartaine !

        Wardez39 comment il me maudit !

                        HERMEN

75    Enhen, sire ! [Aussy, il]40 me di[s]t :

        « Truant, pourquoy me maudis-tu ? »

                        GARNIER 41

        Truant ? Truant ? Et dont fus-tu42,

        Dy, paillart ? Or tien ceste prune43 !

        El ne charra de ceste lune44,

80    Tant soit le souloil fort ardant45.

                        HERMEN

        Je ne disoie qu’en récitant46,

        Et vous l’avez prins en despit47.

        Toutesfois, se j’avoie dit

        Chose qui vous despleust, Garnier,

85    Jamès ne le vouldroie nier.

        Mais ung peu estes trop fumeus48.

                        MAUCOUTEL

        Je ne vouldroie pas qu’i fist49 mieulx,

        Hermen : vous avez trouvé maistre.

                        HERMEN

        Une aultre fois, pourra bien estre

90    Que je le vous rendré à double…

                        GUILLAUME

        Je vous requier : nul ne se trouble !

        Allons boire par paix faisant50 !

        Je seroie trop desplaisant51

        Se le débat reconmansoit.

                        HERMEN

95    Sire, je veulx bien qu’il en soit

        À vous52, se juger en voulez.

                        GARNIER

        Et moy, mais que ne me foulez53 ;

        Ce ne seroit pas54 conpangnie.

                        MAUCOUTEL

        Hermen a la buffe gaignie55 :

100  Toutesfois, il ara cela.

                        GUILLAUME

        S’ara mon56. Hau, escoutez là !

        Hermen, tu commensas premier57 ;

        [Et Maucoutel]58 ; après, Garnier.

        Vous estes trètous de la feste59.

105  Ne me menez bruit ne temppeste !

        Tous trois paierez cinq solz à boire.

        Une aultre fois, arez mémoire60,

        Se j’ay bien jugé, vraiement.

                        GARNIER

        Il me desplaît61 trop grandement,

110  Guillaume, je le vous dy bien.

                        HERMEN

        C’est « bien dit », Garnier ? Vien çà, vien !

        Cuides-tu ainsy estre quitte ?

        Nennin pas, par saint Jehan Baptiste !

        Il fault baisier le babbouin62.

                        MAUCOUTEL

115  A ! que c’est « bien dit », mon cousin !

        Garnier est prins à la baboue63.

                        GARNIER

        Escoutez : point ne vous avoue64.

        Se je paie, c’est malgré moy.

                        GUILLAUME

        Nous t’en croions bien, par ma foy !

120  Il ne t’y vault le reculer65.

                        HERMEN

        Se nous te deviens despoullier

        Ta robe, sy venras-tu boire66 !

        Il ne te vault pas une poire :

        Trètout ton refus ne vault rien.

                        GARNIER

125  Saint Mor ! il [le] me semble bien ;

        Mais toutesfois, il m’en desplaist.

                        GUILLAUME

        Il me semble que Garnier est

        Mout simple67. Que t’en semble, Hermen ?

                        HERMEN

        C’est mon68, certes. Allons-nous-en,

130  Je vous requier, boire d’autant69 !

                        MAUCOUTEL

        Saint Jehan ! j’en suis bien consentant.

        Je vois devant plus que le trot70.

                        GUILLAUME

        Garnier, vous pa[i]rez mon esquot.

        N’en faites jà sy pute moue71 !

                        GARNIER

135  Escoutez : point ne vous avoue.

        Se je paie, c’est malgré moy.72

.

                        MAUCOUTEL

        Hau ! tavernier !

                        LE  TAVERNIER

                                    Hau là !

                        MAUCOUTEL

                                                   [Par foy]73,

        As-tu point de bon vin séans ?

                        LE  TAVERNIER

        Ouy dea, et des pastés frians,

140  Ne doubtez. Vous serez bien aise.

                        MAUCOUTEL

        Or c’est bien dit, par saint Gervaise74 !

        Maishuy n’oÿ75 meilleurs nouvelles.

                        GUILLAUME

        Aportez-nous, en deux escuelles76,

        Deux pastés, et vous ferez bien.

                        HERMEN

145  [Que] deux pastés ? Estront de chien !

        Par saint Mor, sire, il en fault quatre !

                        GARNIER

        Encor[e] te feras-tu batre

        Hermen,  advant que la dance départe77 !

        Entens-tu ?

                        HERMEN

                         De par Dieu, de cela,  quel parte78 !

150  En lair[r]ai-ge pour tant le79 boire ?

        Je n’en perdré jà mon mémoire80.

        Aportez-nous quatre pastés !

                        LE  TAVERNIER

        Voulentiers ! Il sont aprestés.

        Et conbien voulez-vous de vin ?

                        GUILLAUME

155  Par saint Jehan ! c’est bien dit, cousin.

        Aportez-nous-en une quarte !

                        LE  TAVERNIER

        Très voulentiers, par sainte Barte81 !

        [Sept sestiers]82, se vous le voullez.

                        MAUCOUTEL

        Tavernier, allez tost, allez !

160  Garnier, je vous pry : siette[z] cy83 !

                        LE  TAVERNIER

        Mes gentilz amis, voiez cy

        Quatre pastés, ung pot de vin.

        Or le mettez tentost à fin :

        Quant vous vouldrez, g’iray à l’autre84.

                        GARNIER

165  Advisez-moy cy quel apostre85 !

        Il a86 mengé tout mon87 pasté

        Sens que j’en aie oncques tasté.

        Et ! vraiement, tu es bien paillart !

                        HERMEN

        Avisez-moy le pappellart

170  Qui va menger les crucifix88 !

        Sire, se j’en mengoie dix,

        De cella que vouldriez-vous dire89 ?

                        LE  TAVERNIER

        Seigneurs, ne vous mouvez en ire90 !

        Je vous pry : comptez vostre esquot91.

                        GUILLAUME

175  C’est bien dit. Nulz ne sonne mot92 !

        Mettez l’esquot en une somme93.

        Vous me semblez très bon proud’omme :

        Rien ne vouldriez avoir du nostre94 ?

                        LE  TAVERNIER

        Non, sire, par saint Pol l’apostre !

180  Il me souffit de mon escot.

                        GUILLAUME

        Or sus, ami(s), or comptez tost !

        Nous n’avons mestier95 de débatre.

                        LE  TAVERNIER

        Pour96 tout, devez sinq solz et quatre.

        Paiez, je me tenray97 content.

                        GUILLAUME

185  Hau, hau ! Nous ne devons pas tant.

        Je vous pry, comptez par raison.

        Ce compte n’est point de saison :

        Vous n’estes pas léal98 marchant.

                        LE  TAVERNIER

        Par saint Matellin de Larchant99 !

190  Vous n’arez de moy aultre compte.

        Et ! par le corps Dieu, c’est grant honte

        À vous d’en parler100 pour sy peu.

                        GUILLAUME

        Je n’en donroie pas ung cleu101 !

        Pour la « honte », c’est mon dammaige102.

195  Pourquoy doncques n’en parlerai-ge ?

        N’ay-je pas bien raison, Garnier ?

                        GARNIER

        J[e m’]en iroie, avant, plaidier,

        Que vous accordasse la somme103.

                        LE  TAVERNIER

        Vous estes ung merveilleus104 homme !

200  Sire, ne105 voullez-vous paier ?

        Me cuidez-vous doncq esmaier106

        Se vous parlez de « plaidoirie » ?

                        HERMEN

        Vous vous coursiez107, sainte Marie !

        Dittes à ung mot108 : que nous devrons ?

                        LE  TAVERNIER

205  Sinc solz et quatre.

                        MAUCOUTEL

                                         Non ferons !

        Vous nous feriez ainssois109 conbatre.

                        LE  TAVERNIER

        Or sus ! vous n’en pa[i]rez que quatre.

        Je ne veulx point avoir de noise.

                        GUILLAUME

        A, dia ! la parolle est courtoise.

210  Seigneurs, avisez qui paira !

       Voulez-vous où le sort charra110,

        De vous trois, qu’i paie cest esquot ?

                        MAUCOUTEL

        Quant est à moy, je m’y accort.

                        HERMEN

        Et my111.

                        GARNIER

                        Et my aussy. Faites les los112.

215  Mais que chascun ait les yeulx clos,

        De nous trois, et qu’on ne voie goute !

                        GUILLAUME

        Au ! dia, Hermen, estoupe-te113 :

        Il me semble que tu vois clèr.

                        HERMEN

        Non fais, non.

                        GUILLAUME

                             Or çà,  qui tire le premier ?

220  Il fault que ne-sçay-qui commence ;

        Garnier, tu mèneras la dance.

        Il  paie l’esquot qui a le plus lonc.

        Ainsy jouent les enfans ; ne font114 ?

        Garnier, avise bien à traire115 !

                        GARNIER

225  Il ne vous en fault jà tant braire :

        Je tireray à l’aventure…

        J’ay le plus grant, à la malle heure !

        Or sus ! je suis pris à la moue116.

                        HERMEN

        Garnier, c’est pour toy, cest escroue117 :

230  Ami(s), tu n’en paieras jà mains118.

                        GARNIER

        Je te jure par ces deux mains119

        Qu’une aultre fois m’en souvenra120 !

                        TOUS  LES  OUVRIERS  ensemble :

        Adieu ! Cest, issy121, vous paiera ;

        Retenez son122 bien pour le(s) gaige.

.

                        LE  TAVERNIER

235  Saint Jehan, créez que sy ferai-ge123,

        Se, senon124, que je soie paié !

                        GARNIER

        Je ne suis pas bien advoié125 :

        Hélas, je n’ay denier ne maille

        Sur moy, ne chose qui rien126 vaille,

240  Se je n’alloie quérir ma hache127.

                        LE  TAVERNIER

        Or va donc tost, et te despêche !

        Aportes-moy gaige ou argent !128

.

                        GARNIER

        Ouy dea.  Je suis eschappé bel et gent ;

        Il ne me verra de129 sepmaine

245  (Foy que doy), [n’]à la Magdalène130 !

        Je suis eschapé, Dieu mercy !

.

                        LE  TAVERNIER

        Saint Jehan ! je voy bien que je sui

        Bartey131 : mon hoste ne vient point.

        A,  Dieu, quel [des]piesse[ur]132 de pourpoint !

250  Par ma foy ! il s’en est alley.

        Je suis de mon esquot paiey.

        Or sus ! plus que tant ay perdu133 ;

        Je n’en seray jà esperdu

        Pour quatre solz, ne plus ne mains.

*

Quand les ouvriers ne sont pas encore ivres, saint Clément leur fait bâtir des églises. D’un naturel taquin, ils se cachent mutuellement leurs outils, ce qui donne lieu à quelques blaguounettes graveleuses. On aurait tort de croire que les bâtisseurs de cathédrales travaillaient dans un recueillement religieux : ils les ont décorées avec quelques-unes des sculptures et des boiseries les plus obscènes et les plus scatologiques du Moyen Âge, à l’instar des enlumineurs de psautiers qui se défoulaient dans les marges. Ce Mystère nous offre un exemple unique de ce que furent les conversations profanes des artistes sacrés.

.

                        GARNIER

255  À qui est-ce que j’ay presté

        Ma queulx134 ? Ne le sces-tu, Guillaume ?

                        GUILL[AUM]E

        Nennin, par monseigneur saint Cosme,

        Le bon saint qui gist à Luzarches !

        Or, vas voir s’el(le) seroit ès arches

260  Des[s]oux Jouy135, ou là autour.

                        GARNIER

        A, dea ! tu me joues d’un tour ;

        Ce n’est pas la première fois.

        …………………………

                        HERMEN

        Guillaume, tu n’as mie ta soye136 :

        As-tu rien oublié çà bas ?

                        GUILLAUME

265  Ore, tu ne t’en tenrois pas137,

        De toy mocquier ainsy du monde !

        Vraiement, je doubt qu’i ne redonde

        Une scie138 quant à tes despens

                        HERMEN

        Ore, vraiment, je me repens

270  De t’en avoir donné mémoire.

        (Ils ont cuer ainsy qu’une poire139.

        Estront ! on ne leur puet rien dire.)

        ………………………….

                        HERMEN

        Avisez commant il s’atèche140 !

        Maucoutel, warde les lanières141 !

                        MAUCOUTEL

275  Point n’as oublié tes manières :

        Tousjours te truffes-tu142 du monde.

        ………………………….

                        MAUCOUTEL

        Par foy, vécy bonne fontaine143 !

        Hermen, je t’en pri : or y essaie !

                        HERMEN

        Et ! je t’en requier que j’en aie :

280  Sy sauray quel goust elle sent…

        [Dea !] je cuide, à mon essïent,

        Qu(e) ung mort en [re]susciteroit

        Se ung seul godet en buvoit.

        C’est droite eaue à faire vinaige144 !

                        MAUCOUTEL

285  Or (par mon serment) tu dis raige145,

        Hermen : les mors n’en boivent point.

                        HERMEN

        Par saint [Mor146] ! c’est ung aultre point ;

        J’ay bien dit : « S’il en povoit boire. »

                        MAUCOUTEL

        Ton parler ne vault une poire !

290  Je te pri qu’on nous reposons

        Et, tout icy, ung pouc dormons147 ;

        C’est le meilleur tour que g’y voie.

                        HERMEN

        Saint Jehan ! sire, j’en ay grant joie :

        Après menger, on doit dormir.

*

Saint Clément finit par payer les maçons. Ou plutôt, comme il est radin, il les envoie se faire payer par un aubergiste qui retient en gage le marteau d’Hermen. Munis de leur florin, les ouvriers n’ont rien de plus urgent que d’aller boire autre chose que de l’eau : « Mèshuy ne buvrey de fontaine / Tant que ce florin durera. / Maudit soit qui ne buvera / À plain museau de ce bon vin ! » Mais après cette nouvelle beuverie, il faut de nouveau régler la note du tavernier.

.

                        HERMEN

295  Maucoutel, qu’esse que tu dis ?

                        [MAUCOUTEL]

        Nous avons trop esté séans148.

                        LE  TAVERNIER

        Merde149 ! qu’esse-cy ? Quels truans !

        Foy que doy moy150, véci grant honte !

                        MAUCOUTEL

        Nous n’attendons mais que le conte151 ;

300  Mais certes, nous n’osions hurter152.

        Vueillez-vous153 ung pouc déporter,

        Beaux hostes154 : comptez nostre esquot.

                        LE  TAVERNIER

        Vous avez de vin plain ung pot

        — Une quarte à la grant mesure —,

305  Pain, et char, fourmaige[s] en présure155 ;

        [Ou sont moulés : ce]156 sont matons.

        Je suis content que nous comptons.

        Trois soulz pour [tout], vous souffit-il ?

                        HERMEN

        Ouÿ dia, compangnon gentil :

310  Vous avez compté tout à droit157.

        Nulz homs blasmer ne vous saroit158.

        Il vous convient argent, ou gaige ?

                        LE  TAVERNIER

        Or paiez (sy ferez que saige159)

        Tout lïément sans harier160 !

                        MAUCOUTEL

315  Nous ne voulons grain varier161 :

        Vous serez paié, bel cousin.

        Hermen, tire fieur162 le florin !

        Il nous convient avoir du change163.

                        HERMEN

        Ne sçay s’il est cheu de ma mange164

320  Ce seroit bien au pis venir…

        Je la pense brièfment tenir165.

        Çà, beaux hostes, de la monnoie !

                        LE  TAVERNIER

        Voulentiers, se Dieu m’envoit joie !

        Il vous fault à chascun sincq soulz.

                        HERMEN

325  Dieu ! sire, vous estes bien soûlz166 !

        Laissiez-moy les dis soulz venir ;

        Après, m’en laissiez convenir167.

        Vous estes paié, n’estes mye ?

                        LE  TAVERNIER

        Ouÿ. Adieu la compangnye !

330  À Dieu voisiez-vous168, belz enfans !

                        HERMEN

        Alons-en d’écy169, il est temps :

        Nous avons prins nostre repas.170

.

        Maucoutel, ne te cource pas171 :

        J’ay dix soulz qui sont à nous deux.

335  Je les garderay, si tu veux ;

        Ou se, senon172, véci ta part.

                        MAUCOUTEL

        De les p[r]enre seray espart173 :

        C’est pour gouverner le mesnaige.

                        HERMEN

        Dya ! Maucoutel, tu deviens saige

340  D’esparnier, par mon sacrement !

                        MAUCOUTEL

        Coise-toy174 (ce n’est pas souvent) !

        Je doubte trop Mal-assenée175 :

        Il semble qu’el soit forsenée

        Toutes fois que n’aporte argent.

                        HERMEN

345  Je t’en crois bien, par mon serment !

        Hahay, Dieu ! qu’elle est male famme176 !

                        MAUCOUTEL

        Toutefois, elle [a bonne fame]177 ;

        Mais elle parle ung pouc trop hault.

                        HERMEN

        La myenne, tel fois est, m’assault178.

350  Par mon serment, tu ne croiroies !

        Par foy ! s(e) escouter la vouloie

        Et faire tout à son plaisir,

        Je croy qu’il me fauldroit morir.

        Mais je fais du tout au contraire179.

                       MAUCOUTEL

355  Par foy ! ainsy me fault-il faire :

        A, dea ! c’est ung très bon conceil.

        Il me desplaist — et sy, m’en dueil180

        Qu’ainsy subget suis à ma famme.

*

1 Je veux vous aider un peu. « À vous aider et supporter. » Les Esveilleurs du chat qui dort.   2 Si cela vous est agréable.   3 Ma besaiguë. Le maître charpentier refile toutes les corvées à son apprenti, qui est beaucoup plus servile que celui du charpentier Saoul-d’ouvrer.   4 A : Sommes nous  (« Est-il homme tant fol qui se ausast promettre vivre troys ans ? » Rabelais, Tiers Livre, 2.)   5 Se rompt. Col-de-grue, comme son nom l’indique, a un cou long et grêle, et ne peut y colleter des objets lourds, ce qui était pourtant possible du fait que les outils modernes étaient plus légers que les anciens ; le valet du charpentier mis en scène par P. Gringore est moins délicat : « Je viens de mettre/ Noz outilz à point, par saint Pol,/ Et les porter dessus mon col/ (Par Dieu) à la mode nouvelle. » La Vie monseigneur sainct Loÿs.   6 Quel valet de merde ! « Mon beau maistre d’estronc de chien. » Le Cousturier et Ésopet.   7 Mon malaise, ma gêne.   8 Nos charpentiers suivent un messager qu’on a expédié à Metz pour qu’il recrute des ouvriers afin de bâtir une église. C’est le même que dans le Messager et le Villain.   9 T-H : On dit que  (Car on peut parler tout en marchant. « Aller & parler peut-on ; boire & manger, non. » Cotgrave.)   10 Sans essoine : sans retard.   11 J’ai votre affaire.   12 T-H : fel  —  A : tel  (Je connais un maçon.)   13 Qui a 32 dents : qui est vorace. Voir la note de Frédéric Duval.   14 Tiens-toi coi : tais-toi ! Idem vers 341.  Bourdeux = menteur ; cf. la Laitière, vers 313.   15 Dans une mauvaise passe. Même vers que 40 et 72.   16 Aujourd’hui. Nous aurons la forme « maishuy » à 142.   17 Voir la note 4 du Messager et le Villain.   18 Mauvais couteau. Le couteau est un outil qu’on utilise en maçonnerie.   19 Jusqu’à devenir ivre. Idem vers 69.   20 Tu ne sais pas ce que tu fais. « Va, va, tu ne sçais que tu fais ! » Gournay et Micet.   21 Je n’aurais jamais pu croire.   22 Buveur. Idem vers 70. La confusion éthylique est symbolisée par un mélange inextricable de tutoiement et de vouvoiement, y compris dans une même phrase.   23 Tricheur, trompeur. Idem vers 71. « Judas le tricherre. » Godefroy.   24 T : suppe,  (Crupe = croupe. « La cruppe de son cheval. » Raoul Le Fèvre.)  Même si je devais subir la peine infamante de la claie : on attache le malfaiteur sur un treillis, lui-même attaché à la croupe d’un cheval qui le traîne.   25 À 11 reprises, le futur en -ra prend la marque du conditionnel en -rait. Je corrige tacitement cette inutile complication.   26 Vengez-vous si vous pouvez. Hermen donne un coup sur l’épaule de Maucoutel (vers 58) avec sa toise en bois.   27 Il flanque une gifle à Hermen.   28 Deux charpentiers passent dans la rue ; ils reconnaissent les belligérants et les séparent.   29 T : me  (D’où peut nous venir cela ?)   30 De dangereux mendiants. Même vers dans le Messager et le Villain.   31 Plus imbibés qu’un morceau de pain trempé dans du vin. « Tu es plus yvre qu’une soupe. » Ung biau miracle.   32 Cela apparaît. Verbe paroir.   33 Je veux vous interroger.   34 Pour votre réconciliation, nous mouillerons notre bouche : nous trinquerons ensemble. Voir le vers 92.   35 Dis-moi où le bât blesse. « J’iray luy dire mon méhain. » Le Messager et le Villain.   36 Je te tiendrais ici.   37 Délivré. « –Que jamais n’en seras délivre./ –Dictes tout. –Je ne suis pas yvre ! » Mahuet.   38 Il croit qu’Hermen l’injurie.   39 Regardez. Même particularisme lorrain à 274.   40 T : ainsy   41 Il prend pour lui la question d’Hermen, qui ne faisait que citer le vers 42 prononcé par Maucoutel.   42 Et d’où crois-tu venir ? « Dont fus-tu néz, et de quiex genz ? » (Geffroi de Paris.)  Un paillard est un pauvre qui couche sur la paille ; cf. les Miraculés, vers 27.   43 Nous dirions : cette châtaigne. « Empoignez/ Ceste prune ! » (Le Munyer.) Garnier donne un coup sur la tête d’Hermen.   44 Elle ne tombera pas de tout ce mois. « Mais il sera bien ancien :/ Il ne sera de ceste lune. » (St Clément.)  « Charra » est le futur de choir, comme à 211.   45 Même si le soleil est très chaud, il ne fera pas mûrir et tomber la bosse que je viens de te faire.   46 Hermen citait les injures échangées aux vers 35-42.   47 En mauvaise part.   48 Coléreux.   49 T : fust  (Je ne voudrais pas que Garnier ait fait autre chose que de vous frapper.)   50 Ceux qui se sont querellés parce qu’ils ont trop bu iront donc faire la paix devant un verre de vin.   51 Cela me déplairait trop.   52 Que cette affaire d’injures vous soit confiée, Guillaume.   53 Et moi aussi, à condition que vous ne m’accabliez pas.   54 T : par  —  T-H : pas  (Ce ne serait pas confraternel : Guillaume et Garnier sont compagnons charpentiers.)   55 A bien gagné cette baffe. « Tenez ceste buffe au visaige ! » Le Mince de quaire.   56 T : Saramon  (Il l’aura. « Aura-il assez de cecy ?/ Ha ! s’aura mon, par sainct Gobin ! » Les Femmes qui font renbourer leur bas.)  « Mon » est une particule de renforcement, comme à 129.   57 Tu commenças la dispute le premier.   58 T : Maucoutel et  (Puis Maucoutel.)   59 Vous êtes tous à mettre dans le même sac.   60 Vous vous en souviendrez.   61 Cela me déplaît de devoir payer à boire.   62 « Baiser le babouin : rendre obéyssance. » Antoine Oudin.   63 A perdu comme s’il avait joué aux dés. « À d’aulcuns jeux de sort,/ Comme à la baboue ou aux tables [au trictrac]. » (Éloy d’Amerval.) Connivence sonore avec « babouin ».   64 Je ne vous reconnais pas comme arbitre, Guillaume.   65 Ce n’est pas la peine de reculer. « Riens n’y vault le songer. » Le Badin qui se loue.   66 Même si nous devions te dépouiller de ta robe, tu viendrais boire avec nous.   67 Bien bête de ne pas vouloir boire. « Il est simple et novice. » La Veuve.   68 C’est mon avis. Cf. le Fossoieur et son Varlet, vers 168.   69 Boire à la santé les uns des autres. « Allons-nous-en boire d’autant,/ Trèstous ! » Maistre Mimin estudiant.   70 Je vais devant plus vite que le trot. Dans une scène antérieure, Guillaume déclamait le même vers.   71 Une si laide grimace. « Par despit, elle en faisoit/ La pute moe. » Le Vergier d’Honneur.   72 Reprise des vers 117-8. Les ouvriers entrent dans la taverne.   73 T : Foy que tu doy  (Par ta foi ! Voir les vers 277, 351 et 355.)   74 St Gervais, ici féminisé pour la rime, comme au vers 227 du Mariage Robin Mouton.   75 Jusque-là, je n’ouïs jamais de…   76 « É-cuelle » compte pour 2 syllabes : cf. le Messager et le Villain, vers 192. Les taverniers ne servent pas d’assiettes individuelles, mais des plats pour deux ou trois personnes qui s’en partagent le contenu. Guillaume commande deux pâtés, qui sont des pâtes feuilletées farcies de viande hachée ou de poisson et cuites au four.   77 Ne s’achève. « Ains que le jeu depparte. » Le Pourpoint rétréchy.   78 Quelle perte !  (Parte = perte : « Onques ne feismes telle parte :/ Tout avons perdu. » St Clément.)  « Mais, pour Dieu, regardez quel perte/ Ce seroit ! » Deux hommes et leurs deux femmes.   79 T : a  (La boisson, le vin. « Dea, Naudin, tu laisses le boyre ? » Troys Galans et un Badin.)  Renoncerai-je à boire pour autant ?   80 Ma mémoire, qui est renforcée par le vin. « De peur de perdre mon mémoire,/ Je vous prie, donnez-moy à boire ! » Sermon pour une nopce.   81 Sainte Berthe. Pour la prononciation, voir la note 78.   82 T : Ung sepsestier  (Le setier fait environ un demi-litre, ce qui est trop peu pour quatre assoiffés.)   83 Asseyez-vous ici. « Siettez-vous donc. » Glossaire des patois et des parlers de l’Anjou.   84 J’irai chercher l’autre pot.   85 Cette comparaison peu flatteuse vise Hermen. « Voyez quel appostre ! » Les Premiers gardonnéz.   86 T : ait  (Je corrige encore cette désinence gênante à 222.)   87 T : son   88 L’hypocrite qui embrasse publiquement les crucifix. « Ypocrite et vray papelart,/ Ung grant mengeur de crucifix/ Qui jamais bien à nul ne fis. » Éloy d’Amerval.   89 Si je mangeais dix pâtés, qu’auriez-vous à redire ?   90 Ne vous mettez pas en colère. Le tavernier, qui a déjà vu ces ivrognes à l’œuvre, commence à craindre pour sa vaisselle et pour sa rémunération.   91 Préparez votre écot, la part que chacun me doit.   92 Que nul ne prononce un mot !   93 Regroupez les quatre additions en une seule.   94 De notre argent : vous ne voudriez rien nous escroquer ? « Je ne vueil rien du vostre. » Les Trois amoureux de la croix.   95 Besoin.   96 T : Par  (Voir le vers 308.)  Pour l’ensemble, vous me devez 5 sous et 4 deniers ; idem vers 205.   97 Je me tiendrai : je serai.   98 Un loyal, un honnête.   99 C’est le saint patron des fous, notamment de ceux qui se croient possédés par le diable. Voir la Vie de sainct Mathurin de Larchant hystoriée. Montaiglon-Rothschild, XII, pp. 357-414.   100 De discuter.   101 Un clou. Cf. le Messager et le Villain, vers 183 et note.   102 Mon dommage, mon affaire. Réponse au vers 191.   103 Il s’adresse au tavernier : J’aimerais mieux aller plaider en Justice que de vous accorder cette somme.   104 Extravagant.   105 T : que   106 Croyez-vous m’émouvoir, m’impressionner ?   107 Vous vous courroucez. Idem vers 333.   108 Quel est votre dernier mot ? « Quarante solz, tout à ung mot. » Le Gouteux.   109 Avant, plutôt.   110 Que celui sur qui le sort tombera. Voir la note 44. Les buveurs vont tirer à la courte paille. Ce jeu d’enfants (vers 223) est décrit aux vers 63-77 du Jeu du capifol.   111 Moi aussi.   112 Les lots : préparez les pailles que nous allons tirer. Guillaume, le meneur de jeu, ramasse trois fétus de paille — deux courts et un long — et les dispose dans son poing. Le sol des tavernes est jonché de paille, pour absorber les flaques de vin et de vomi.   113 Bouche-toi les yeux. Le rimeur ne s’est pas trop fatigué.   114 N’est-ce pas ?   115 Choisis bien la paille que tu vas tirer.   116 À mes propres grimaces, à mon propre jeu. « Il est prins par sa moue. » Le Pourpoint rétréchy.   117 Ce qu’il y a à payer. L’écroue est le livre de comptes d’une maison princière, où sont notées les dépenses.   118 Jamais moins. Idem vers 254.   119 Façon de prêter serment à la manière des chevaliers.   120 Il m’en souviendra.   121 Celui-ci, cet homme ici.   122 T : le  (Ce qu’il possède. « Faictes arest sur tout son bien ! » Le Marchant de pommes.)  Maucoutel, Guillaume et Hermen quittent la taverne.   123 Croyez bien que je ferai ainsi.   124 Ou sinon. Idem vers 336. « Ou se, se non, mal vous venra/ Et grant ennuy. » (Mystère de saint Crespin.) Laissez-moi quelque chose en gage, ou payez-moi.   125 En bonne voie, en fonds.   126 T : le  (Qui vaille quelque chose. « Et s’il vend chose qui rien vaille. » Sermon joyeux de Mariage.)   127 À moins que je n’aille chercher ma hache pour vous la laisser en gage le temps que je trouve de l’argent. Le tavernier aurait dû se méfier : un charpentier sans doloire ne peut plus gagner d’argent.   128 Garnier s’en va.   129 T : des  (De toute la semaine. « Tu ne me verras de sepmaine. » Grant Gosier.)   130 Ni le jour de la Sainte-Madeleine (22 juillet), qui est un des termes de l’année prévus pour payer les dettes. « À paier aus termes qui s’ensivent, c’est assavoir à la Magdaleine 60 livres tournois, et au jour de Karesme 50 livres tournois. » Arch. nat.   131 « Graphie syncopée de barater. » (F. Duval.) Baratter = faire usage de barat, de tromperie. « Mais par ta flatterie j’ey esté barattée. » Godefroy.   132 Quel dépeceur. Il est si pauvre qu’il vend au détail des morceaux de son pourpoint.   133 J’ai déjà perdu plus que cela. « J’ay assez plus que tant perdu. » Les Gens nouveaulx.   134 Ma pierre à aiguiser. Queue = pénis : « Au moyns serez-vous bien joyeuse/ Quant ma queue verte sentirez. » Les Femmes qui plantent leurs maris.   135 Jouy-aux-Arches, près de Metz, fournit deux calembours grivois : Jouir d’une femme = lui faire l’amour : « Nostre chappellain/ Jouyt de ma femme. » (Ung mary jaloux.)  « Arches » = fesses. Cf. TRIBOULET : la Farce de Pathelin et autres pièces homosexuelles. GKC, 2011, p. 368.   136 Ta scie de charpentier : « Ma grant hache prendrai en l’eure,/ Mon sizel, ma soie, ma congnie. » (St Clément.) Double sens : ta fourrure de porc. « De la soye de pourceau. » (Les Queues troussées.)   137 Tu ne pourrais pas te retenir.   138 A : scay  (Je redoute qu’une scie ne retombe sur tes pendants, sur tes testicules.)   139 Ils ont le cœur aussi dur qu’une poire verte.   140 Comment Maucoutel s’attache. Les couvreurs sont retenus par des sangles. Contre toute logique, ce Mystère ne comporte aucun rôle de couvreur, contrairement à la Tour de babel, où œuvre l’indissociable trio : « Charpentiers, massons,/ Couvreurs de diverses façons. » Il faut croire que Maucoutel s’occupe lui-même de la toiture. Dans l’Invencion du corps de monsieur saint Quentin, c’est le charpentier Taillant et son apprenti qui s’improvisent couvreurs, et non le maçon Brisepierre.   141 Prends garde aux lanières, avec lesquelles on fustige les fesses des cancres.   142 Tu te moques. Cf. L’Andureau et L’Andurée, vers 125.   143 Les maçons viennent d’édifier une fontaine miraculeuse qui leur donne envie de boire de l’eau : saint Clément vient d’accomplir son plus grand miracle !   144 C’est vraiment une eau digne d’en faire du vin. « Petites bouteilles de verre pour mectre le vinage. » ATILF.   145 Tu dis n’importe quoi. Cf. Mahuet, vers 45.   146 Lacune. Saint Mor [St Maur] est nommé aux vers 15, 36, 61, 125 et 146. Hermen fait un calembour sur « mort ».   147 Et que sur ce chantier nous dormions un peu.   148 Nous sommes restés trop longtemps dans cette taverne. Mais le tavernier comprend : Nous avons trop pété ici. J’ai connu l’époque où tous les étudiants en Lettres classiques savaient par cœur ces vers bien innocents de Jean de La Péruse : « Je n’ay que trop esté,/ Repeu du vent de vos promesses vaines. » Je me souviens que notre chouchou était alors Jacques de La Taille, qui fit parler Darius mourant : « ‟Ô Alexandre, adieu, quelque part où tu sois !/ Ma mère et mes enfans aye en recommenda…”/ Il ne peust achever, car la mort l’en garda. »   149 T-H : Me dia  (Conséquence scatologique du vers précédent.)   150 Même juron blasphématoire au vers 275 du Messager et le Villain.   151 Plus que le compte, que l’addition.   152 Heurter notre table avec un pot métallique, pour attirer votre attention. Quelques siècles plus tard, on heurtera la sous-tasse avec une cuillère à café. « Encore nous fault-il ung verre./ S’y fault plus rien, nous hurterons. » St Clément.   153 T-H : nous  —  D : [v]ous  (Veuillez vous écarter un peu. « Vueillez vous déporter un poy. » ATILF.)   154 Bel hôte. Même singulier à 322.   155 De la chair [charcuterie], du fromage caillé.   156 A : On sonuoules, se  (Ou bien ces fromages sont moulés.)  Les matons sont des fromages mous ; cf. le Messager et le Villain, vers 193. Il serait d’ailleurs judicieux de remplacer moulés par mollets : « Fourmaige frais qu’on appelle ‟mollet”. » Fleurs et antiquitéz des Gaules.   157 Avec exactitude.   158 Nul homme ne saurait [pourrait] vous blâmer. Cf. le Messager et le Villain, vers 344 et note.   159 Vous ferez sagement. « Taisez-vous, si ferez que sage. » Le Savetier Audin.   160 De bonne grâce, sans chicaner.   161 Pas du tout nous dédire.   162 Forme lorraine de fors [hors]. « Et soies fieur d’incrédulité » St Clément.   163 Il faut que le tavernier nous rende la monnaie pour que nous puissions nous la partager.   164 Si ce florin a chu de ma manche. Pour inquiéter le tavernier, Hermen fait semblant d’avoir perdu la bourse qu’il gardait dans sa manche : voir les vers 844-9 de l’Aveugle et Saudret.   165 Je pense tenir enfin ma bourse. Hermen donne le florin au tavernier.   166 Soûl. L’hôpital se moque de la charité.   167 Laissez-moi décider de leur usage. Le tavernier donne les 10 sous à Hermen.   168 Que vous alliez à Dieu !   169 Allons-nous-en d’ici.   170 Les deux maçons se retrouvent dans la rue.   171 Ne te courrouce pas.   172 Ou sinon. Idem vers 236.   173 Je serai expert, habile pour prendre les 5 sous qui me reviennent. « Hermen est gracieulx et doulx,/ Et bien espart quant il s’y boute. » St Clément.   174 Tais-toi ! Idem vers 29.   175 Mal-mariée, mon épouse. Voir la note 24 du Messager et le Villain.   176 Elle est mauvaise femme, puisqu’elle parle plus fort que son époux, et qu’elle lui reproche de se ruiner à la taverne. « –(Elle) veult, par son caquet mauldit,/ Estre mestresse comme moy./ –Elle est malle fame pour toy. » Les Drois de la Porte Bodés.   177 T-H : est preude famme  (Rime du même au même. Elle a une bonne réputation. « Elle se dist estre femme de bonne famme et renommée. » ATILF.)   178 Certaines fois, m’agresse.   179 Totalement le contraire de ce qu’elle exige.   180 Et aussi, je m’en plains.

LE MESSAGER ET LE VILLAIN

Bibliothèque nationale de France

Bibliothèque nationale de France

.

*

LE  MESSAGER

.

ET  LE  VILLAIN

*

.

Beaucoup de Mystères comportent une scène opposant un messager qui demande son chemin à un paysan, lequel prend un malin plaisir à le « faire marcher » dans tous les sens du terme ; voir par exemple la Vie de sainct Christofle. C’est aussi le cas du Mystère de saint Clément de Metz (~1440), d’où je tire ces trois petites farces indépendantes du drame.

Le messager se nomme ici Mange-matin [goinfre], comme l’un des sergents du Geu saint Denis. Nous le retrouverons dans Massons et charpentiers. À l’instar de tous ses congénères, il fait grand usage d’une bouteille de vin pendue à son col : « Dire vous vueil grande merveille. / Mais premier, me fault ma bouteille / Baiser. » Les paysans n’aiment pas les messagers, ces porteurs de mauvaises nouvelles et ces annonciateurs de guerres qui les traitent avec condescendance et brutalité ; aussi, quand notre laboureur confond saint Félix avec l’un d’entre eux, il s’en excuse vivement.

Sources : La Vie et les Miracles de saint Clément, évesque de Metz. Malheureusement, ce manuscrit du XVe siècle disparut en 1944, après l’incendie du fort qui abritait les incunables de la bibliothèque de Metz. Heureusement, Charles ABEL l’avait publié : Le Mystère de St Clément. <Rousseau-Pallez, Metz, 1861.> Malheureusement, la plupart des 141 exemplaires de cette édition furent victimes d’un nouvel incendie chez l’imprimeur. Heureusement, on en sauva quelques-uns. Malheureusement, l’avocat Charles Abel n’était pas médiéviste, et sa lecture du manuscrit demande quelques améliorations. Heureusement, le philologue Fritz TINIUS en publia des extraits plus corrects : Studien über das Mystère de Saint Clement. <Greifswald, 1909.> Malheureusement, aucun des textes que j’ai choisis n’y figure. Heureusement, Tinius avait recopié tout le manuscrit, et son travail de fourmi est déposé aux Archives de l’Université catholique de Louvain-la-Neuve, sous le nº 218 du Fonds Stengel. Malheureusement, je n’allais pas me taper les 9 220 vers qu’il empile pour n’en garder que 430. Heureusement, Jean-Charles HERBIN a reproduit certaines leçons de Tinius : Du nouveau sur le Mystère de saint Clément de Metz. <Romania, vol. 132, nº 527-528, 2014, pp. 428-460.> Il s’agit là d’un compte-rendu de lecture de l’édition critique fournie par Frédéric DUVAL : Le Mystère de saint Clément de Metz. <Droz, 2011.> J’utiliserai donc prioritairement Tinius revu par Herbin (T-H), puis Abel (A), et enfin les corrections de Duval (D). Lorsque je conserve faute de mieux les « restitutions » d’Abel, je les imprime en bleu clair. Mes modifications personnelles sont toujours entre [ ], et mon relevé des variantes ne tient pas compte des « restitutions », qui ne proviennent pas du manuscrit.

Structure : Rimes plates.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

*

                        LE  MESSAGER

        Je requiers à Nostre Seignour

        Que grâce me doint d’esploitier1

        À Rom[m]e2 le grant droit sentier.

        Aler me convient, bien le voy ;

5      Et se3, ne sçay (en bonne foy)

        Quel chemin me convient tenir.

        Je voy là ung villain venir,

        Tout bossu et tout contrefait.

        Parler vueil à lui de bon hait4,

10    Savoir s’enseigner me vouldroit

        Lequel chemin est le plus droit

        D’aler en la cité de Romme.

.

                        Icy, doit parler le Messager au Villain :

        Dieu vous ait5, Dieu vous ait, proud’omme !

        Dieu vous envoit joie et santé !

15    Je vous requier, par grant bonté,

        Que m’enseigniez le droit sentier

        À Romme, car j’ay grand mestier

        D’esploitier sans faire séjour6.

                        LE  VILLAIN

        Par Dieu ! j’ay à non7 « Jehan Dufour »,

20    Le plus méchant8 de nostre ville.

        Se ma femme heust esté soustille9,

        Nous heussions esté riches gens :

        S(e) heussions mené les vaiches aux champs,

        Je n’eusse pas heu tant de paine.

25    Et ! ce m’est choze trop grevaine10

        De labourer à col tendu11.

                        LE  MESSAGER

        (Se Dieu me gart d’estre pendu,

        Vécy grand rage de cest homme !)

        Proud’on12, où est le chemin à Romme ?

30    Je vous requier en bonne foy

        [Que] ne me faites point d’annoy13 :

        Dittes-le-moy sans varier14.

                        LE  VILLAIN

        Je ne sçay riens de charier,

        Par Dieu, ne de mener chevaulx.

35    Je sçay mieux garder les pourceaulx :

        C’est ung mestier pour reposer,

        Et je n’é mestier de choser15.

        Tu le vois bien à mon maintien.

                        LE  MESSAGER

        [Foy que je] doy saint Gracïen16 !

40    [Vois-je17], maugracïeux villain,

        [Attendre] jusques à demain ?

        [Parlez], villain bossu dérous18 !

        [Je veulx que] puissiez estre cous19

        [Et battu] en une journée,

45    [Se ne dictes]20 sans demourée

        De Romme le chemin ; ou senon,

        [Vous aurez] ung coup de baston21.

        [Vous me fai]tes trop sermonner.

                        LE  VILLAIN

        En quel lieu me veulx-tu mener

50    [Au ser]mon ? Je n’en ay que faire ;

        [Mais qu’il]22 ne te vuelle desplaire,

        [Déjà] je suis bien sermonné :

        [Chez moy], je suis bien23 atourné

        [Quant] je reviens des champs, par m’âme !

55    [Mal-]assenée24, nostre famme,

        [Ne] cessera de rioter25 ;

        Et il me convient le26 porter :

        Autrement, je n’aroie pas paix.

                        LE  MESSAGER

        Je n’eusse peu croire jamais27

60    (Par l’âme qui ou28 corps me bat)

        Que tu sceusses tant de débat,

        Telz truffes29 ne telz mocqueries.

        Je te pry que plus ne varies :

        Il est heure de moy partir.

65    Je t’en pry, dis-moy sans mentir

        Mon chemin le plus droit à Romme.

                        LE  VILLAIN

        À Romme ? Il n’est30, d’essy là, homme

        Qui31 mieux le te sceût enseigner

        Sans toy nullement engigner32.

70    Tu ne povoies mieulx assigner33 :

        Oncques ne feis que cheminer34.

        Par foy35 ! j’en suis trètous bossu.

        J’ay esté fort, et bien ossu,

        Ung tems passé ; et cheminoie

75    À deux piés comme fait une oie36.

        Et il me fault aler à trois37.

                        LE  MESSAGER

        Je vous pry à ung mot courtoix,

        Beau père38 : sans tant sermonner,

        Dittes-moy où je doy tourner.

80    Ou senon, que je m’en revoise39.

                        LE  VILLAIN

        Ho là ! ne faisons plus de noise,

        Nous avons assez estrivé40.

        Tu iras droit à Saint-Privé41.

        Et de Saint-Privé, à Moullins :

85    C’est le chemin des pellerins

        Droit à Boulogne-sur-la-Mer42.

        [Va] à Béthune, à Saint-Thomer43.

        De là, t’en iras sur le Ryn :

        À Coulogne c’est le chemin44.

90    De là, t’en iras à Arras,

        À Bruges ou à Carpantras45,

        [Ou] à l’Escluse46 aux harangs frais.

        Et de là, t’en iras après

        À Callés et à Canthorbie47.

95    Que ton chemin ne perdes mie !

        [Puis iras] tout droit à Rouen ;

        [Ou se tu v]eulx, à Saint-O[u]en.

        [Finiras dr]oit à Montfaulcon48,

        [Où finit] notable maison.

100  [Tu iras à Rains49], à Angiers.

        [Aler tu p]eulx droit à Louviers.

        [De là, à] Troyes-en-Champaigne.

        [Pour que tu] n’aies tant de paine,

        [Vécy ung bien] plus court chemin :

105  [Tu iras] droit à Saint-Quaintin50,

        [À Alen]çon et à Soissons,

        [Puis en Avign]on, à Lyons,

        [En Ber]ry et en Bourbonnois,

        En Brethaigne et en Gathinois51,

110  En Portugal, en Arragon.

        C’est ung chemin notable et bon.

        Puis revendras droit en Bourgogne

        (C’est le [plus] seur52 de ta besongne),

        À Salins, et droit à Saint-Glaude53.

115  Et là, aras-tu une chaude54

        [De] monter le mont des Faucilles55 :

        Autant vauldroit jouer aux guilles56

        Que d’avoir cest ébastement !

        Et là, verras-tu franchement

120  Que jamais ne pourras fa[i]llir

        À ton chemin tout droit tenir

        À Romme, la noble cité.

        Or me suis-je bien acquitté

        De toy montrer la droite sente.

125  Je me fais fort — et sy, me vente57

        Que n’est [nul] homme en la contrée

        Qui58 la voie mieulx t’eust monstrée.

        Quant te plaist, tu t’en pues aler59.

                        LE  MESSAGER

        Deables vous apprist à parler,

130  Or[d]60, vil, sanglant villain derrous !

        Je vous romperé tout de coups !

        M’enseignez-vous donc telle voie

        Où n’ait enseigne ne monjoie61 ?

        Teneis, allez vous reposer !

135  Et s(e) ad ce voullez opposer62,

        Vous aurez cela et tant moins63 !

        Vous m’envoiez de Bruge(s) à Rains,

        En Bourbonnois, en Arragon ?

        Or tenez ce coup de baston !

140  Villain,  deables vous ont cy apporté !64

.

                        LE  VILLAIN,  se frottant l’eschine :

        Lasse ! com’ sui desconforté,

        Maleureux et povre méchant !

        Il m’en fault aller tout clochant65

        En la maison Ma[l-]assenée66.

145  Certes, elle sera desvée67

        Et hors du sens, quant me verra.

        Je sçay bien que ne se pourra

        Tenir de moy bien lédenger68.

        Or est-il bien en grant denger,

150  Par m’âme, qui69 est marié !

        Encore en [est-]il harié70.

        Il me convient bien que g’y aille.

        Or avant, sus ! Va[i]lle que va[i]lle,

        [J’iray luy]71 dire mon méhain ;

155  Mais je sçay bien, tout de certain,

        Qu’elle menra jà grant tempeste.

.

                        Icy, le Villain doit parler à

                        sa femme, et dire ainsy :

        Je suis venu72. [N’]esse grant feste73,

        Par m’âme : j’en revien clochant.

                        LA  FEMME

        Ha, que tu seras [bon] truant74 !

160  M[on Dieu], est-il bien méhaigné75 !

        [Il a son trav]ail bien waigné76 :

        [Il a] toute la hanche route77.

                        LE  VILLAIN

        [Hélas, Mal-]assenée ! Escoute,

        [M’amie] : je suis tout derrous.

                        LA  FEMME

165  [Par m’âme !] vécy grant courrous,

        [Grant dammage] et grand desplaisance.

        [Par Nostre] Dame de Lience78,

        [Vécy] bien piteuse journée !

        Ô doulce Vierge couronnée !

170  Quelz gens avez-vous rencontré(s) ?

                        LE  VILLAIN

        A ! en mal an79 soit-il entré(s),

        Qui80 ce m’a fait, et en mal jour !

        A ! m’amie, ma suer81, m’amour :

        Ç’a fait un messager, par m’âme !

                        LA  FEMME

175  Ung messager ? Par Nostre Dame,

        C’est82 bien fait ! Dame83 glorïeuse !

        Jamais parolle gracïeuse

        De vostre bouche n’istrera84.

                        LE  VILLAIN

        Je voy bien qu’il me convenra85

180  (Par m’âme) prendre en pacience,

        Et mes maulx mettre en oubliance.

        À ma femme n’en chaut86 que peu ;

        Par Dieu, el(le) ne donrroit ung cleu87,

        S’on me metoit demain en terre.

                        LA  FEMME

185  Or pleust à monseignour saint Pierre,

        Villain, qu’en88 feussiez seppelit !

        Oncques un seul jour n’eus délit89,

        Joie ne soulas, aveuc vous.

        Vous estes bossus et derrous.

190  J’ay toute perdue ma jouvente90.

        Vous n’aurez jamais aultre entente91

        Que d’avoir une grosse escuelle

        De mattons92, et seoir sur la celle

        En l’aatre93, comme un pouppart.

195  Avoir de la joutte94 et du lart,

        Par foy, c’est toute vostre vie.

        Hé, Dieu ! com’ je feis grant folie

        Quand je vous pris ! Je m’en repens,

        Par Dieu ! Si vous viviez cent ans,

200  Tousjours ar[oi]es95 paine et doullour.

        Bien fûtes plein de grant follour96,

        [Et] de sottie, et d’envoiseure97,

        Quant premier meistes vostre cure98

        De prendre femme en mariage,

205  Qui99 ne sçavez riens de mesnage.

        Se bien vous vient, c’est aventure100.

        Bien estes meschant créature.

        Allez[-vous-]en, villain paisant101 !

        À personne n’estes plaisant.

210  Jamais jour102 ne vous serviray.

                        LE  VILLAIN

        A ! ma suer, je m’adviseray103.

        Pour Dieu, ne me délaissiez mie !

        Je suis à la fin de ma vie.

        Par foy ! jamais ne vous diray

215  Desplaisir, se ne suis en ivray104,

        Hors mes sens, ou matelineux105

        [Du tout]106. Encore amé-je mieulx,

        M’amour107, que vous soiez jolie,

        [Gaye, mignote]108 et envoisie.

220  [Je feray] tout vostre vouloir,

        [Quant bien je] m’en deusse douloir109.

        [De moy] ne partez, je vous prie !

        [Se demourez,] ma doulce amie,

        [Je vous feray] assez de bien110.

                        LA  FEMME

225  Loué en soit saint Gracïen !

        Mon mari devient ung peu sage.

        Onc(ques) ne [le] veis en tout son âge111

        Plus gay, plus joly. Tant112 plus vault !

*

Un autre jour, le messager demande l’heure au paysan : les hommes des champs vivent au rythme des cloches et savent toujours quelle heure il est, sauf quand ils sont aussi sourds que notre vigneron… Les deux ennemis ne se reconnaissent pas. Pour des raisons pratiques, je continue le numérotage des vers.

.

                        LE  MESSAGER

        Dites-moy tost, se vous voullez,

230  Quelle heure il est, je vous en prie113.

                        LE  VILLAIN

        En Brie, compains114 ? Dieu vous conduie !

        Ha, la bonne contrée, par m’âme !

       Je voudroie que moy et ma femme

        Fussiens demourans à Paris.

235  Hé, Dieu ! quant esse bon païs115 !

        Je suis dollant que n’y demourre.

        Toute jour116 me tue et laboure :

        À paine ai-ge pain à mengier ;

        Encore l’ai-ge à grant dengier.

240  Et  se g’y estoie, à l’adventure,

        Je porteroie l’enffeutrure117.

        Au moins, j’aroie118 fructus ventris.

        Se piessà m’en fusse près pris119,

        Il m’en fust mieulx, bien dire l’ose.

                        LE  MESSAGER

245  N’arai-ge de vous aultre chose ?

        Dites, villain ! Parlez à moy,

        Ou (foy que je doy saint Elloy)

        Vous saurez que mon baston poise120 !

                        LE  VILLAIN

        A, dea ! où veulx-tu que je voise121 ?

250  Tu ne sces comment122 je cheminne :

        Par Dieu ! quand je vois123 en la vigne,

        G’y mès, à venir, demi jour.

        Je te requier par fine amour124 :

        Laisse-moy issy, s’y te plaist !

                        LE  MESSAGER

255  Dites-moy doncq quel heure il est !

        Vrament, vessy grant deablerie !

                        LE  VILLAIN

        Quelle heure il est ? Sainte Marie !

        C’est forte chose125 à deviner.

        Or, par ma foy, j’y vueil penser ;

260  Jà tost le te saray à dire126.

                        LE  MESSAGER

        Abrégez-vous127, je vous pry, sire !

        Certes, vessy grant villonnie128 !

                        LE  VILLAIN

        Il est les douze et la demie129.

        Par foy ! il est tems de dîgner130.

265  Dis-moy : où veulx-tu cheminer ?

        La chose est-elle moult hâtive131 ?

                        LE  MESSAGER

        A ! Jésu Crist, quel rétentive132 !

        Tant de fois lui ay recordé133 !

        N’est [homs qui]134 n’en fust alourdé.

270  Huy, ne [luy] demande aultre chose

        Que me meist en135 chemin de Gorze.

        Vessy moult grande ruderie,

        Grant despit et grant mocquerie

        De ce villain. Pendu soit-il !

                        LE  VILLAIN

275  Foy que doy moy136 ! Compains gentil,

        Je vous enseigneré la voie,

        Je vous promés, se Dieu me voie137.

        Je vous diray tout proprement

        Le chemin, par mon sacrement,

280  Aussy droit comme une faucille138.

        N’est pas tout vray comme Euvangille

        Quanque139 je dis, soiez certain.

        Mais, foy que je doy saint Guilain140,

        Tu me sembles fort et habille141.

285  Premier, iras à Thïonville,

        À Luxembourc, à Saint-Hubert.

        Et pour tenir le plus couvert142,

        Le meilleur et le plus commun,

        T’en revenras droit à Verdun,

290  À Clermont [et] ès bos143 d’Argonne.

        Et affin que tu environne

        Le païs144 et qu’i t’en soubviengne,

        Au Neuf-Chastel145 (droit en Lorraine),

        À Widesmont146, à Espinal.

295  Et se tu veulx descendre aval

        Pour trouver la voie plus belle,

        Venras à Chastel-sur-Mézelle147,

        À Thoul et à Vorengéville148,

        À Nensey149 puis à Gondreville,

300  Et (sans faire plus lonc sermon)

        Le grand chemin droit à Mousson.

        De là, ne pourras-tu fa[i]llir

        — Se tu ne veulx plus loing sa[i]llir —

        Que ne voises tout droit à Gorze.

                        LE  MESSAGER

305  Par saint Jehan ! Villain, je m’oppose

        À vos dis et à vo conceil150.

        Deablement avez grant flaveil151 !

        Qu’en mal an et malle sepmaine,

        En maul jour et en male estraine152

310  Soiez-vous mis ! Tenez cela !

        Tenez ! Tenez ! Dormez-vous153

        En attendant que je reviengne154 !

.

                        LE  VILLAIN

        Ay mi155 ! il m’a rompu l’eschigne,

        Tant m’a féru despitement156.

315  Morir puist-il villainement157 !

        Jamais ne pourré labourer.

.

                        LA  FEMME 158

        Je ne veis oncques demourer

        (Par mon serment), qu’i m’en soubviengne159,

        Mon mari sy tart à la vigne.

320  Par foy ! je doubte160 qu’i ne soit

        Malade, voire, ou [bien] qu’il n’ait

        Quelque accident. G’y vueil aler :

        Je n’en puis riens plus supposer161.

.

        Ha, Nostre Dame de Boulogne !

325  Qui vit oncq-mais telle besongne162 ?

        Ha ! Jehan Dufour, ami, quel ch[i]ère163 ?

        Ce n’est pas cy belle manière.

        Ay my, lasse, desconfortée !

                        LE  VILLAIN

        Vous faites la chatte mou[i]llée164.

330  A ! sainte Marie, quel feste !

        Comment ? elle [a] mal en sa teste165 ?

        Par foy ! je sui bien assené166.

        Sytost que j’ay le dos tourné,

        Par foy, vous me faites la nicque167.

335  A ! Nostre Dame, quel pratique !

        Esse bien joué de sa168 dame ?

        Elle fait semblant qu’elle m’ame169 :

        Elle vouldroit que fusse en bière170.

        Mais c’est des femmes la manière :

340  Souvent jouent de passe-passe171.

                        LA  FEMME

        Et que voulez-vous que je fasse ?

        Dittes, sire ! Je vous cuidoie

        Faire joieulx, et y prenoie

        Plaisir plus qu’à nulx homs172 vivant ;

345  Et je voy bien, dorénavant,

        Que j’ay perdu tout mon labour173.

                        LE  VILLAIN

        A ! Dieu, escoutez le bon tour !

        Par foy ! vélà cy bien trouvée.

        Ma femme s’est bien esprouvée174 :

350  Elle m’aime mieux que no prestre175 ?

        Par Dieu ! elle me menroit pestre176

        Bien souvent ; et dit bien et bel,

        Des nues, que ce sont pel de veel177.

        Je suis bien marié, par m’âme !

                        LA  FEMME

355  A ! glorïeuse Vierge, Dame !

        Cest homme est entré en fantosme178.

        Foy que doy monseigneur saint Cosme !

        Jehan Dufour, vécy laide chose.

                        LE  VILLAIN

        Je t’en pry, que point ne me chose179 :

360  Va-t’en d’es[s]y, car tu m’ennuye !

                        LA  FEMME

        Bien doy180 haïr toy et ta vie,

        Méchant villain bossu derrous !

        Bien doy avoir au cuer courrous.

        Quant oncques te veis, fut dammage181.

365  Il geist issy comme une vache ;

        Or, fais du pis182 que tu porras.

        Mais de cest an, ne me verras.

        Je me tenré gaie et jolie183.

*

Saint Félix, à la recherche d’un messager, se renseigne auprès du vigneron sourd, qui le prend lui-même pour un représentant de cette profession exécrée. Il faut vraiment que le saint soit confessé de frais !

.

                        [SAINT]  FÉLIX

        Ho, beau père ! Ho, beau cousin !

370  Parlez ! Dieu vous met’ en bon an184

        [Et vous doint joye et santé !]185

                        LE  VILAIN

                                                             Han186 ?

        [Han ? Han ?] Quel choze [me] dit-on ?

                        [SAINT]  FÉLIX

        Il est en Vermendois, proud’on,

        « Han ». Ne le saviez-vous [donc] mie ?

                        LE  VILAIN

375  Nennin, par la Vierge Marie !

        Ha ! sire, dea, ne vous desplaise :

        Je cuidoie (foy que doy saint Blaise)

        Que vous fussiez ung messager.

        A ! il[z] m’ont, hui, fait enrrager !

380  Ce sont très maulvaise(s) mardaille187 !

                        SAINT  FÉLIX

        Coisiez-vous188, proud’on ! Ne vous chaille :

        Il fault tout prendre en pacïence.

                        LE  VILLAIN

        Par Nostre Dame de Liance !

        Syre, non189 (se Dieu me sequeure),

385  Je ne sçay où elle190 demeure :

        Je ne vous saroie l’enseigner.

                        SAINT  FÉLIX

        Or vessy bien pour soy seignier191 !

        Qui « enseigner » ? Dieu, quel science !

        [Qui « enseigner » ?]

                        LE  VILLAIN

                                           Qui ? Pacience :

390  Ne la demandez-vous pas, sire ?

                        SAINT  FÉLIX

        C’est issy assez pour bien rire,

        Qui aroit bonne voulenté192.

        Adieu ! Dieu vous envoit senté !

        Proud’on,  je m’envois ; à Dieu vous commant193 !

395  Adieu, villain !

.

                                 Mès advisez comment

        Ce proud’on respont aux pensées !

        Il m’eust jà tenu trois journnées,

        Se l’eusse194 voulu escouter.

        Je ne saroie raconter

400  Son parler195 en une heure entière.

        C’est la chansson de la Bergière196 :

        Tousjours est-ce à recommancier.

        ………………………….. 197

        J’ay là trouvé ung pellerin198,

        Ung homme de peu de value ;

405  Il se tient tout enmy la rue ;

        Il ne respont riens à proppos.

                        LE  MESSAGER

        A ! sire, par foy : c’est ung sos199.

        Il respont tout par enbagés200.

                        SAINT  FÉLIX

        Je vous pry que vous201 abrégez !

410  Passons tost, sans nul mot sonner :

        Il nous vouldroit arrésonner202.

        Je sçay bien qu’il ot203 ung peu dur.

        Soiez hardiement tout asseur204,

        Et passez tost et vitement !

                        LE  MESSAGER

415  Voulentiers, par mon sacrement205 !

        Allez devant, tost cheminez !

.

                        LE  VILLAIN 206

        Ho ! syre, sire, revenez !

        A ! dea, vous doubtez le babbou207 ?

                        SAINT  FÉLIX

        [ Or paix, villain !

                        LE  VILLAIN

                                        Harou !! harou !! ]208

                        LE  MESSAGER

420  Or paix, villain ! Demourez là !

        A ! dea, villain, esse cela ?

        Vous mocquez-vous des compangnons ?

.

                        LE  VILLAIN

        Ore (par Dieu ne par ses noms209),

        C’est bien passe[r] en larressin210 !

425  A, quelz esplucheurs de pressin211 !

        Sont-ilz bien passés coiëment212 !

        Or (par Dieu qui ne fault213 ne ment),

        Je cuide, par ma grant science,

        Que c’est cil qui quiert214 Pacience :

430  Il a215 trouvé ce qu’il quéroit.

*

1 De parcourir. Idem vers 18. « Exploitons chemin ! » ATILF.   2 De Rome. Idem vers 17, 29, 66 et 122. Que Dieu me donne la grâce de suivre le bon chemin pour Rome. On voit qu’en dépit du proverbe, tous les chemins ne mènent pas à Rome.   3 Et pourtant.   4 De bon cœur. Le messager et le vilain se sont déjà disputés au tout début du Mystère, mais curieusement, chacune de leurs rencontres annule les précédentes. Il en est de même pour les maçons que le messager recrute à plusieurs reprises comme si c’était la première fois. On pourrait croire que deux auteurs ont travaillé sur cette œuvre indépendamment, ce qui ne serait pas un cas unique : voir le chanoine Pra et Claude Chevalet pour le Mystère des trois Doms.   5 Que Dieu vous aide ! « Dieu vous aist, Dieu vous aist, prod’ome ! » St Clément.   6 J’ai besoin de le suivre sans tarder.   7 J’ai pour nom. Le paysan est très sourd et comprend tout de travers ; il croit que le messager lui a demandé son nom.   8 Misérable. Idem vers 142, 207 et 362.   9 Subtile. Ses frères ont hérité des troupeaux, tandis qu’elle ne recevait qu’une modeste vigne. Voir la note 2 de Raoullet Ployart.   10 Pénible.   11 Avec effort. « Ouvrer vueil à col estendu. » St Clément.   12 Prud’homme, homme sage. Même flatterie injustifiée aux vers 13, 373, 381, etc. « Où est » se prononce « wé » en 1 syllabe : voir ma préface.   13 D’ennui, de difficulté.   14 A : harier  (Sans tergiverser. « Je m’en vais sans plus varier. » St Clément.)  Le sourd a entendu « sans charrier » : sans conduire une charrette attelée.   15 Avec les porcs, je n’ai pas besoin de me quereller. Idem vers 359. « On ne vous devroit mie choser. » (St Clément.) Préférer garder des cochons est le summum de la rustrerie : « Je veulx garder les pors ! » Le Villain et son filz Jacob.   16 Par la foi que je dois à St Gratien. Voir les vers 247 et 283.   17 Vais-je. Idem vers 251 et 394. « Je voys atendre icy devant. » Lucas Sergent.   18 Brisé ; participe passé de dérompre. Idem vers 130, 164, 189 et 362. L’auteur anonyme est lorrain : son vocabulaire et sa graphie s’en ressentent, même s’ils sont imprégnés de picard et de wallon.   19 Cocu : « Les femmes font coux leurs maris. » (Les Esbahis.) Dans les farces, beaucoup de maris trompés sont battus par leur épouse : « Marié, coqu, battu. » Rabelais, Tiers Livre, 20.   20 A : [Vous me] dist  (Si vous ne dites pas sans retard. « Allons-nous-en sans demourée. » Le Mince de quaire.)   21 « Vous aurez cent coups de baston ! » (Le Pasté et la tarte.) Le « bâton » des messagers est une lance au bout de laquelle flotte la bannière de leur patron. Notre messager dit ailleurs : « Ma lance prendrai vistement. » Voir les vers 139 et 248.   22 A : [Por c]eu  (Ne t’en déplaise. « Mais qu’il ne vous vueille desplaire. » Le Médecin qui guarist.)   23 A : tel  (Bien accablé. « Me voicy bien atourné. » Frère Guillebert.)   24 Nom générique des femmes mal mariées : « Mon père avoit nom Rien-ne-vault,/ Et ma mère Mal-assenée. » (L’Aveugle et Saudret.) Voir la note de Duval. L’épouse du laboureur est encore nommée ainsi aux vers 144 et 163. L’autre fatiste baptisera de la sorte la femme d’un pilier de tavernes : cf. Massons et charpentiers, vers 342.   25 De me quereller. Cf. le Ribault marié, vers 116.   26 A : de  (Il faut que je le supporte. « Il m’est mestier [nécessité]/ De le porter pacïemment. » Les Gens nouveaulx.)   27 Je n’aurais jamais pu croire.   28 Au. « Qui ou corps nous ait rendu vie. » St Clément.   29 Plaisanteries. « Sans truffe ou sornette. » Le Testament Pathelin.   30 A : n’y ait  —  D : n’ait  (Il n’y a pas, par ici, un seul homme qui.)   31 T-H : Que  —  A : Qui   32 Sans te tromper aucunement.   33 Mieux choisir.   34 Je ne fis jamais autre chose que voyager.   35 Par ma foi ! Idem vers 196, 214, 264, etc.   36 Par conséquent, il se dandinait d’un pied sur l’autre d’une façon ridicule.   37 Sur trois pieds : avec une canne. Allusion à l’énigme que résolut Œdipe.   38 On attendrait « beau sire » ; mais « beau père » est plus révérencieux quand on s’adresse à un vieil homme. Idem vers 369.   39 Ou sinon, que je m’en retourne.   40 Chicané.   41 Saint-Privé-la-Montaigne se nomme aujourd’hui Saint-Privat-la-Montagne. Cette commune lorraine jouxte Moulins-lès-Metz. L’index nominum de Duval gagnerait à être revu.   42 Qui mène à Boulogne-sur-Mer. Ce n’est évidemment pas là que se trouve le célèbre pèlerinage de Notre-Dame-de-Boulogne, nommé au vers 324 : c’est à Boulogne-Billancourt. Mais le paysan, qui n’a jamais quitté sa vigne, commet des confusions toponymiques.  Abel décale ce vers et le suivant après le vers 89.   43 Nouvelle erreur du paysan : c’est Saint-Omer qui est près de Béthune.   44 C’est le chemin de Cologne, ville allemande traversée par le Rhin. Le laboureur veut sans doute parler de Coblence, qui est en rapport direct avec la Lorraine puisque la Moselle, qui arrose Metz, se jette dans le Rhin à Coblence.   45 Cette ville provençale n’a rien à faire ici. Le paysan la confond peut-être avec le hameau flamand de Capendu.   46 Port de pêche hollandais, non loin de Bruges.   47 Cantorbéry [Canterbury] est une ville anglaise, comme le fut Calais entre 1347 et 1558.   48 À Montfaucon-d’Argonne. Mais le laboureur envoie le messager au gibet de Montfaucon, où ont fini plusieurs fils de famille et leur maison [leur lignée].   49 Le paysan doit nommer Reims quelque part, comme le vers 137 le stipule.   50 À Saint-Quentin, en Picardie.   51 Dans le Gâtinais.   52 Sûr, prudent. « C’est le plus seur. » Saoul-d’ouvrer et Maudollé.   53 Saint-Claude, dans le Jura, non loin de Salins-les-Bains.   54 Tu auras un coup de chaud.   55 On pourrait croire à une nouvelle erreur du paysan, mais ce lieu existe bien, et la Moselle y prend sa source.   56 Forme lorraine de « quilles ». Voir la note de Duval.   57 Et aussi, je me vante. « Et si, me vante sans abus/ De juger eaulx. » Jénin filz de rien.   58 T-H : Que  —  A : Qui   59 Tu peux t’en aller.   60 Sale.  Déroupt = rompu, bossu ; voir la note 18.   61 Ni écriteau, ni croix indicatrice aux carrefours. « Là eut une croix-de-par-Dieu/ Plantée à l’endroit du meillieu,/ Qui aux passans sert de montjoye. » (ATILF.) Mais notre ivrogne songe peut-être aux enseignes de tavernes : « C’est à l’enseigne de l’Estoille/ Que devez boire. » (L’Aveugle et Saudret.) « À l’enseigne du Pot d’estain. » (Le Badin qui se loue.)  Le messager flanque au vigneron des coups avec le bâton de sa lance.   62 Et si vous voulez faire opposition à cela, à ces coups de bâton.   63 À tout le moins. Cette expression accompagne parfois les coups que l’on donne : « –Vous recevrez ce passe-avant [ce coup]/ Et tant moins sur vostre museau !/ –M’as-tu frappée ? » La Laitière.   64 Le messager poursuit sa route.   65 En boitant. Idem vers 158.   66 De Mal-assenée, mon épouse. Génitif archaïque : « À la maison monsieur Benest. » Le Raporteur.   67 Folle de rage. Cf. Frère Guillebert, vers 243.   68 A : le denger  —  D : ledenger.  (Qu’elle ne pourra se retenir de bien m’humilier. « De nous laisser tant lédenger. » Le Poulier à quatre personnages.)   69 Celui qui.   70 Harcelé. La poésie antimatrimoniale fait toujours rimer « harié » avec « marié » (et « mari » avec « marri »).   71 A : Je lui ire  (Où le bât me blesse. « Dy-moy, je t’en pry, le méhain. » Massons et charpentiers.)  Le paysan clopine vers sa chaumière.   72 Me voilà. C’est la formule qu’on prononce quand on rentre à la maison : « Dieu gard, mère ! Je suis venus. » Mahuet.   73 Ce n’est pas une grande joie. « J’en ay grant feste. » Le Brigant et le Vilain.   74 Les truands sont des mendiants qui exhibent une blessure ou une infirmité. « Quel argent ? Tu es bon truant ! » Le Mince de quaire.   75 Blessé.   76 Gagné (graphie lorraine). « Vous l’avez bien waingnié. » St Clément.   77 Rompue. « J’en ay toute la hanche route. » St Clément.   78 Le plus célèbre pèlerinage de Picardie est encore nommé à 383.   79 Dans une mauvaise année. Idem vers 308. « Ha ! Qu’il soit entré en mal an ! » Le Pardonneur.   80 T-H : Que  —  A : Qui  (Celui qui m’a fait cela.)   81 Ma sœur : petit nom que les maris donnent à leur femme. Idem vers 211. « M’a-mi-e » [mon amie] compte pour 3 syllabes.   82 A : Il ait  (C’est une bonne chose qu’il vous ait battu. Quand les épouses des Hommes qui font saller leurs femmes envisagent de bastonner leur mari, l’une d’elles ajoute : « Par ma foy, ce sera bien faict ! »)   83 A : la  (Sainte Vierge ! Idem vers 355. « Je pry la glorieuse Dame. » St Clément.)   84 A : n’istrerait  (Cette désinence du futur, source de confusions avec le conditionnel, est fréquente dans notre Mystère mais pas systématique ; je rétablis donc la forme usuelle, de même qu’à la rime. Issir = sortir.)  Il vous a battu parce que vous l’avez offensé.   85 Conviendra, faudra. Ce futur, qui est notamment lorrain, réapparaît aux vers 289, 297 et 368.   86 Cela n’importe.   87 Elle n’en donnerait pas même un clou. « Je n’en donroie pas ung cleu. » (Massons et charpentiers.) Nous disons toujours : Cela ne vaut pas un clou.   88 A : qu’on vous  (Sepeli = enseveli. « Que brièfment en terre soit mys/ Et sepelis. » St Clément.)   89 Du plaisir, y compris sexuel. La Mariée des Mal contentes se plaint de son époux dans les mêmes termes : « Bref ! jamais je n’y eustz délict. »   90 Ma jeunesse.   91 Désir.   92 De fromages mous. Voir le vers 306 de Massons et charpentiers. « Ma mère, que j’aye des matons ! » Mahuet.   93 Et de vous asseoir sur un siège, devant la cheminée. On scande « a-a-tre » en 3 syllabes.  Un poupard est un nourrisson.   94 De la soupe aux choux.   95 J’aurais. Idem vers 58, où -roie compte aussi pour 1 syllabe.   96 De grande folie. « Folleur seroit que vous détinse/ D’abus. » Colin qui loue et despite Dieu.   97 De sottise et de frivolité.   98 La première fois que vous avez mis votre soin.   99 T-H : Que  —  A : Qui  (Vous qui.)   100 Si vous gagnez de l’argent, c’est par hasard. « Le bien vous vient lors que vous y pensez le moingz. » Blaise de Montluc.   101 Paysan. Prononcer « pè-san » en 2 syllabes, qui rime avec plaisant, comme dans Troys Gallans et Phlipot : « Tu t’abilleras en paisant ;/ Or luy sera le cas plaisant/ De voir que supédicterons/ Le paysant, et demanderons/ Des vivres. »   102 Nul jour.   103 Ma sœur [ma femme], je me corrigerai.   104 Enivré. « –Nous boirons gros comme le bras,/ S’une foys j’en suys délivré./ –Va-t’en, et ne soys pas yvré ! » Le Gallant quy a faict le coup.   105 Atteint de folie, le mal de saint Mathelin. « Tu es matelineux ou yvre. » D’un qui se fait examiner.   106 A : De tout çà  (Totalement. « Si, nous a resjouys du tout. » Les Sotz qui remetent en point Bon Temps.)   107 A : M…..ner  (Voir le vers 173.)  J’aimerais encore mieux que vous soyez jolie, quitte à ce que vous plaisiez aux autres hommes.   108 A : [Mais non] déuote  (Gaie, gracieuse et joyeuse. « Sottes gayes, délicates, mignottes. » Jeu du Prince des Sotz.)   109 Même si je devais m’en repentir.   110 « Soys-moy tousjours loyal, Gaultier,/ Je te feray assez de biens. » Les Sotz escornéz.   111 Je ne l’ai jamais vu, de toute sa vie.   112 A : ne  (Il vaut d’autant mieux. « Tant plus vault le chevalier, et moins se prise. » Clériadus.)  Jeu de mots : mon mari est encore plus veau [bête]. « Et si le mary est si veau. » Les Cris de Paris.   113 Nouveau dialogue de sourds ; le vigneron a cru entendre : « Je vais en Brie. »   114 Compagnon. Idem vers 275.   115 Que c’est un bon coin !   116 Toute la journée, je… « De braire et crier toute jour. » St Clément.   117 Un porteur d’enfeutrure est un porte-faix, dont les épaules sont protégées par du feutre rembourré. Idéal pour ne plus sentir les coups de bâton ! « Porteurs à l’enfeutreure, brou[é]tiers, lyeurs de fardeaulx. » ATILF.   118 T-H : aroi ge  (J’aurais mon fruit de ventre : quelque nourriture à me mettre dans le ventre. « Pour la pitance,/ Pour fructus ventris, pour la pence. » Mallepaye et Bâillevant.)   119 Je comprends : Si je m’y étais pris plut tôt. Cependant, « près pris » signifie encerclé, acculé. Quoi qu’il en soit, le laboureur fait l’apologie de Paris dans un Mystère commandé par des Messins.   120 Combien pèse le bâton de ma lance. « Sçauras que ma main poise ! » Gournay et Micet.   121 Que j’aille. Idem vers 304. Le sourd croit que le messager veut l’emmener avec lui.   122 Avec quelles difficultés.   123 Je vais.   124 Par amitié. « Je vous requiers par fine amour,/ Mon doulx seigneur ! » St Clément.   125 Une chose difficile.   126 Je saurai [pourrai] bientôt te le dire. Le laboureur examine la position du soleil dans le ciel.   127 Taisez-vous ! Idem vers 409. « Abrégez-vous sans plus enquerre [questionner] ! » Jeu du Prince des Sotz.   128 Voilà une grande vilenie, une honte. « Villonie et déshonneur. » (ATILF.) C’est également la condition du vilain, du paysan.   129 Il est midi et demi.   130 De dîner.   131 Urgente.   132 Quelle mémoire il a.   133 Je lui ai rappelé ma question.   134 A : homme  (« Il n’est homs qui n’en fust esbahis. » Les Vœux du Paon.)  Il n’y a nul homme qui n’en soit étourdi.   135 T-H : on  —  A : en  (Gorze est proche de Metz, où les deux interlocuteurs se trouvent. Les Lorrains prononçaient « Gôze », qui rime encore ailleurs avec chose, mais aussi avec oppose.)   136 Même juron blasphématoire au vers 298 de Massons et charpentiers. Un bon chrétien aurait dit plus modestement : « Foy que doy Dieu ! » Serre-porte.   137 Déformation populaire de « si Dieu m’avoie » : si Dieu me conduit. « En Galle allons, se Dieu me voie ! » St Clément.   138 Par des voies sinueuses. « En Paradis yrons/ Aussi droit comme une faucille. » Maistre Jehan Jénin.   139 T-H : Quancq que  —  D : Quancque  (Tout ce que je dis n’est point parole d’Évangile. « Je me desdis/ De très tout quanque je te dis. » L’Aveugle et Saudret.)   140 Duval note : « Jeu de mots sur guile ‟tromperie”. »   141 Habile, apte à marcher longtemps.   142 Pour prendre un chemin forestier. « Nous irons les chemins couvers,/ Que le soleil sy ne nous brûle…./ Sans tenir le sentier couvert. » Le Monde qu’on faict paistre.   143 Aux bois. Cette forêt s’étend dans les Ardennes, près de Clermont-en-Argonne et de Verdun.   144 Que tu fasses le tour de la région.   145 À Neufchâtel-devant-Metz.   146 Erreur du paysan pour Vaudémont, en Lorraine.   147 Tu viendras à Châtel-sur-Moselle. Grave confusion du laboureur : méselle = lépreuse. « Vieille putain méselle ! » ATILF.   148 À Toul et à Varangéville. Nouvelle prononciation fautive du paysan.   149 Nancy. Cette forme était alors correcte ; pour une fois, le vigneron n’a pas failli.   150 À votre assistance.   151 Les lépreux font en permanence cliqueter leur flavel [leurs castagnettes], ici comparé à la langue du paysan. Flaveler = bavarder : le Pourpoint rétréchy, vers 591.   152 Dans un mauvais jour et en mauvaise fortune. « En malle estraine Dieu la mette ! » (Le Testament Pathelin.)  Le messager donne au vigneron des coups avec le bâton de sa lance.   153 Couchez-vous. « Dormez-vous et me laissez faire ! » Le Poulier à sis personnages.   154 Rime en -igne, comme à 318.  Le messager s’en va. Le paysan, blessé, reste couché sur la route.   155 Pauvre de moi ! Idem vers 328.   156 Tant il m’a frappé violemment.   157 D’une manière vile. « Que mourir puist vilainement ! » (Le Brigant et le Vilain.) Mais aussi : à la manière d’un vilain, d’un paysan.   158 Elle est chez elle.   159 Pour autant que je m’en souvienne.   160 Je redoute.   161 A : supporter  (Je ne sais plus quoi penser.)  La femme sort et se dirige vers la vigne. Elle découvre son mari couché par terre.   162 Qui vit jamais une telle affaire ?   163 Comment allez-vous ? « Que dictes-vous, les Sotz ligiers ?/ Quelle chière ? » Les Sotz escornéz.   164 La chattemite. « Je croy (dit le mary, qui la véoit à genoux, plorant et gémissant) qu’elle scet bien faire la chate moillée. Et, qui la vouldroit croire, elle scéroit bien abuser gens. » Cent Nouvelles nouvelles, 61.   165 La femme se tient la tête d’un air désolé. « Car j’ay trèsgrant mal en ma teste. » La Confession Rifflart.   166 Bien loti, avec une épouse pareille. Rappelons que ladite épouse se nomme Mal-assenée.   167 Vous me narguez en faisant un geste obscène de la tête. « Femme qui fornique/ Seult [a l’habitude de] faire à son mary la nique. » Jehan Le Fèvre.   168 A : ma  (Mène-t-elle assez bien son jeu ? Aux échecs, la « dame » est un pion crucial. « G’i ai bien joué de ma dame. » ATILF.)   169 Qu’elle m’aime. Idem vers 217.   170 Que je sois mort et enterré. « Je vouldroys que fussiez en byère ! » Messire Jehan.   171 Elles nous font des tours de passe-passe. Désigne aussi le va-et-vient du coït : cf. les Rapporteurs, vers 177.   172 Nul homme. Cette locution archaïque ne représentait plus que le singulier : « Nulz homs blasmer ne vous saroit. » Massons et charpentiers.   173 Tout mon labeur, tous mes efforts. Mais le labour désigne le coït, comme dans Raoullet Ployart.   174 S’est montrée telle qu’elle est.   175 Elle m’aime plus qu’elle n’aime notre prêtre ? Le mari soupçonne que sa femme couche avec le curé : « Elle va souvent à la messe./ Par Dieu, c’est très bonne coustume./ Mais j’ay trop grand paour qu’elle ne tume [trébuche] :/ Tant va le pot à l’eaue qu’il brise. »   176 Elle me mènerait paître : elle me mystifierait.   177 Que les nuages sont des peaux de veaux : elle me fait prendre des vessies pour des lanternes.   178 En fantaisie, en délire.   179 Je te prie de ne pas me quereller. Voir la note 15.   180 J’ai bien raison de. Idem vers 363.   181 Le jour où je te vis, ce fut pour moi un dommage, un malheur.   182 Calembour sur le « pis » de la vache ; voir la note de Duval. « Va, faitz du piz que tu pouraz. » Le Villain et son filz Jacob.   183 Je me tiendrai avenante pour les autres hommes. La femme reprend à son compte le vers 228.   184 Que Dieu vous donne une bonne année. Cf. Deux jeunes femmes, vers 4.   185 Je comble cette lacune d’après le vers 14.   186 Hein ? « –Il convyent que tu soys baillé/ À quelque maistre pour aprendre./ –Hen ? » (La Bouteille.) Cette question est grossière, même posée par un sourd qui fait répéter son interlocuteur ; Félix feint de croire que le rustaud invoque une ville du Vermandois, Ham, qu’on prononçait « Han ». Voir la note 4359 de Duval.   187 De dangereux mendiants. Même vers dans Massons et charpentiers. « Plus il ne viendra/ À mon huis un tas de merdailles. » Les Esbahis.   188 Restez coi, taisez-vous. « Ho ! coisez-vous, vécy le maistre ! » St Clément.   189 A : ne  (Le sourd croit comprendre que Félix cherche une femme prénommée Patience. Voir la note 4372 de Duval.)  Si Dieu me secourt = que Dieu m’assiste ; cf. la Laitière, vers 67.   190 A : quelle  (« Et le lieu où elle demeure. » Les Trois amoureux de la croix.)   191 Il y a de quoi se signer, face à un tel diable. Le laboureur est encore diabolisé aux vers 129, 140, 256 et 307 : les infirmités (il est sourd et bossu) étaient vues comme des punitions divines.   192 Si on en avait envie.   193 Je m’en vais et je vous recommande à Dieu. Ce vers, tel que je le corrige, est le vers 152 de Jehan qui de tout se mesle.   194 A : j’eusse   195 Je ne saurais répéter ses paroles.   196 D’innombrables pastourelles comportent un refrain cyclique qu’on reprenait en chœur.   197 Félix embauche le messager. Il lui parle du paysan, devant lequel les deux hommes doivent repasser.   198 Un quidam. Cf. la Fièbvre quarte, vers 5. Cette acception existe toujours dans le langage populaire.   199 Un sot. Dans les Mystères, le paysan joue souvent un rôle de fou ; on aimerait savoir s’il en portait le costume.   200 Par ambageais : avec des ambages, des circonvolutions trompeuses. « Il n’y a sy villain huron,/ Sy lourdault ne sy vilag[e]oys,/ Qu’il me responde en ambag[e]oys. » Les Mal contentes.   201 T-H : nous  —  D : vous  (Je vous prie de vous taire, car nous devons passer près de lui silencieusement. Idem vers 261.)   202 Arraisonner, aborder avec des paroles. Cf. les Miraculés, vers 269.   203 Qu’il oit (verbe ouïr) : qu’il est un peu dur d’oreille.   204 Marchez avec assurance.   205 Le messager adopte devant saint Félix un juron chrétien ; mais précédemment, ce païen jurait sur « Mahon [Mahomet], Apolin [Apollon], Tavergant [Tervagant],/ Nos dieux en qui est mon courage [mon cœur] ». Il disait même à un chapelain : « Sire, Mahom vous doint santé ! » Et à saint Clément lui-même : « Vénus, Mahom et Appolin/ Sault et gard ceste compangnie ! » Ou encore : « Se Mahommet m’envoit grant joie ! »   206 À Félix, qui passe près de lui sur la pointe des pieds, suivi du messager.   207 Redoutez-vous la baboue, sorte de croquemitaine invoqué pour faire peur aux enfants. « Une femme nourrice menace son enfant de la baboue. » Godefroy.   208 A : Benou, Benou.  (En bon croquemitaine, le laboureur pousse les mêmes hurlements que les diables de ce Mystère : « Harou ! Lucifer, je revien./ Harou ! harou ! Tout est perdu. »)   209 Les noms de Dieu sont : le Père, le Fils et le Saint-Esprit.   210 En catimini, comme des voleurs. « Et puis s’en ala-il de ceuls de Valenciennes en larrecin. » Godefroy.   211 Cette expression inconnue laisse penser que les éplucheurs de persil (tout aussi inconnus) sont des gens discrets. Mais ne s’agirait-il pas plutôt d’espresseurs de raisin, qui piétinent des grappes dans une cuve au bas de laquelle se trouve un robinet qui laisse passer le jus ? On ne peut davantage exclure que le paysan traite le saint et son acolyte d’escumeurs de latin : voir les Coppieurs et Lardeurs.   212 Silencieusement.   213 Qui ne commet jamais de faute. Cf. l’Aveugle et Saudret, vers 149.   214 Celui qui cherche.   215 A : ait  (Cette graphie gênante est peut-être imputable au copiste.)  Le paysan conclut que le messager se nomme Patience.

LES MIRACULÉS

Bibliothèque nationale de France

Bibliothèque nationale de France

.

*

LES  MIRACULÉS

*

.

Beaucoup de Mystères contiennent des farces intégrales ou des scènes de farces ; voir la notice des Tyrans. Le Mystère de sainte Barbe (dans sa version en cinq journées) ne fait pas exception à cette règle : là comme ailleurs, les mendiants infirmes sont des personnages comiques. Déplorant que leurs dieux païens ne puissent les guérir, ils vont se livrer à un test comparatif entre ces dieux et les saints chrétiens ; ils accorderont à ces derniers la préférence après avoir bénéficié de leurs miracles. Les deux pauvres du Mystère de saint Vincent se livrent aux mêmes calculs : « Ou Jupiter ou Jhésucrist / Il ne me chault que l’en aoure [qu’on adore], / Mais que point en vain ne laboure [pourvu que je ne me fatigue pas pour rien] / Et du meilleur tousjours je boyve. » Aussi, quand un chrétien leur fait la charité : « À boire et à menger avons ; / Jhésus bien aimer nous devons / Mieulx qu’Apolo ne que Mercure. »

L’auteur inconnu du Mystère est picard, mais le scribe qui nous a légué cet unique manuscrit ne l’est pas plus que ses prédécesseurs : tous ces copistes ont introduit des traits bretons, angevins, ou même savoyards. Pour ne pas surcharger de notes mon édition, j’ai sacrifié quelques particularités dialectales propres aux copistes.

Source : Liber beate Barbare. Bibliothèque nationale de France, ms. fr. 976. J’utilise les folios 57 vº à 58 vº (1re journée), 181 vº à 184 rº (3ème journée), et 318 rº à 326 rº (5ème journée). Ce manuscrit étant en réfection jusqu’en 2025, il ne m’a pas été possible d’en obtenir une copie numérique.

Structure : Rimes abab/bcbc, rimes plates, avec 1 rondel double, 2 rondels « doublés en la fin », 4 triolets, 8 dizains ababbccdcd.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

*

.

                            STULTUS  loquitur.1                             SCÈNE  I

        Dieux [tous] puissans2, donnez-moy ou vendez

        Ung peu de sens pour en garnir ma teste !

        Je pouroys bien de vos dons amender3,

        S’il vous plaisoit, à ceste grande feste4.

5      Je vis tousjours en deul et en moleste5 ;

        En moy je n’ay ne sens, n’entendement ;

        Je n’ay de vous [nul] bien quel6 d’une beste.

        Ce coup7 aurez, mes dieux, présentement !

                            BRIFFAULT,  demoniacusRetrograde primo.8

        [ Ce coup aurez, mes dieux, présentement !

10    Je n’ay de vous [nul] bien quel d’une beste.

        En moy je n’ay ne sens, n’entendement.

        Je vis tousjours en deul et en moleste.

        S’il vous plaisoit, à ceste grande feste,

        Je pouroys bien de vos dons amende[r].

15    Ung peu de sens pour en garnir ma teste,

        Dieux [tous] puissans, donnez-moy ou vendez ! ]

        ………………………………….

                            MALIVERNÉ9,  aveugle.

        Nos dieulx, vous m’avez fait aveugle :

        En moy, clarté est endormye.

        Si jadis n’eusse fait du10 beugle

20    Et donné vent que je n’ay mye11,

        Vostre grâce me fust amye.

        Dire puis que je n’ay nul bien.

        Vostre bonté m’est ennemye.

        Mauldit soit qui vous donra12 rien !

                            MAUNOURY13,  boyteux.

25    Jadis, vous me feistes bouéteux,

        Mes dieux : ce fut bien [faulx14] vouloir.

        Je suys pouvre, paillart15, gouteux ;

        Je [n’ay] chevance ne avoir16.

        Je vous faiz icy assavoir

30    Qu’à vous je suys bien pou17 tenu ;

        Et pour ce, pour dire le voir18,

        Rien n’aurez de mon revenu !

                            LINART19,  sourt.

        Mes dieux, vous m’avez asourdi :

        Je n’ouay quelle une pier[r]e dure20.

35    Je me treuve tout alourdi.

        Par vous, grant pouvreté j’endure.

        J’eusse [mys] m’amour et ma cure21

        En vous, si vous m’eussez donné

        Ouÿe ; mais vous et Nature

40    M’avez pouvrement ordonné22.

        Du tout23 m’avez abandonné

        À meschef, yver et esté.

        De moy, rien ne sera donné

        En ceste grant solempnité !

                            CLICQUE-PATE24,  pouvre.

45    Pour tant25 que pouvre j’ay esté

        — Vivant en deul et en esmoy,

        Mandïant en grant pouvreté —,

        Les dieux, vous n’aurez rien de moy !

                            MALAISÉ26,  pouvre.

        Tousjours suys en meschant aroy27.

50    Je n’ay, de vous, chose qui vaille.

        Les dieux, vous n’aurez (par ma foy)

        De moy présent, denier ne maille28 !

*

                            MALAISÉ,  primus pauper29.               SCÈNE  II

        Hélas ! est-il âme qui donne

        Ung blanc30 aux pouvres créatures ?

55    Nous n’avons argent ne pastures ;

        Tousjours pouvreté nous fouésonne31.

                            CLIQUE-PATE,  secundus pauper.

        Ta voix meschantement32 résonne :

        Desclar[e]s hault33 nos adventures.

                            MALAISÉ 34

        Hélas !! est-il âme qui donne

60    Ung blanc aux pouvres créatures ??

                            CLIQUE-PATE

        Ha, dea ! ceste foiz-là est bonne,

        Affin qu’on oye tes murmures.

                            MALAISÉ

        Pour compter noz malaventures,

        Husche hault35, car raison l’ordonne.

                            CLIQUE-PATE 36

65    Hélas !!! est-il âme qui donne

        Ung blanc aux pouvres créatures ???

        Nous n’avons argent ne pastures !!!

        Pouvreté tousjours nous fouésonne !!!

                            MALAISÉ

        Sang que Dieu fist ! Ha ! tu m’estonne(s)

70    Toute la cervelle, de braire !

        Se tu estoys à Sainct-Lazaire37,

        Si scez-tu bien ton parsonnaige38.

                            CLIQUE-PATE

        Pour gripper fouéson de fourmaige39,

        Force de bribes [ou de trippe]40,

75    Tu faiz la plus terrible lippe41

        Qu’oncques vy faire à compaignons

        De ce mestier.

                            MALAISÉ

                                  Et pour quignons

        À fouéson atrapper de pain42,

        Tu as le cry le plus haultain43

80    Que j’ouÿ [oncques. En ton]44 presche,

        Tu as une voix si griesche45

        Et si farouche que c’est raige !

        Par ma Loy46 ! ce fut grant dommaige

        Que tu ne fuz presbtre ou doyen47.

                            CLIQUE-PATE

85    Pourquoy ?

                            MALAISÉ

                            Tu as ung beau moyen.

                            CLIQUE-PATE

        De quoy, « moyen » ? De quérir pain ?

                            MALAISÉ

        Mais moyen de mourir de fain !

        Nous avons beau commencement48.

                            CLIQUE-PATE

        Je ne voullisse49 seullement

90    Qu’autant d’escuz qu’on en mectroit

        Dedans les sacz que l’on coustroit50

        Des agu[i]lles qui bien poinroient51,

        En ceste place.

                            MALAISÉ

                                 Que feroient

        Les bélistrïens52 compaignons

95    [De tant d’escus]53 ? Nous ne tendrions

        Compte de menue monnoye.

                            CLIQUE-PATE

        Lessez54 la grosse aller sa voye :

        El ne nous est pas si tost55 preste.

        ……………………………….

                            MALAISÉ

        Nous n’avons pain, vin ne pitance :

100  C’est bien cause de lamenter.

                            CLIQUE-PATE

        Héé dieux ! vez cy56 piteuse chance.

        Nous n’avons vin, pain ne pitance,

        Potaige, lait n(e) aultre substance

        Pour nous nourir et substanter.

                            MALAISÉ

105  Aucun57 nous v[u]eille présenter

        Or, argent ou aultre chevance !

        Nous n’avons pain, vin ne pitance.

                            CLIQUE-PATE

        C’est bien cause de lamenter.

.

                            BARBARA 58                                        SCÈNE  III

        …………………………..

        Je vous donne ces pièces d’or ;

110  Elles viennent du grant trésor

        Du Roy : vous en serez tous riches.

                            MALAISÉ

        On ne nous donne point telz miches59

        Ailleurs. Nous vous mercïons, Dame !

                            CLIQUE-PATE

        Chez ces usuriers qui sont riches,

115  Dont ce leur est honte et diffame, 60

        On ne nous donne point telz miches.

        Cecy vault myeulx que poilz de bisches

        Ou de cerfs.

                            BARBARA

                             Usez-en sans blasme !

                            MALAISÉ

        On ne nous donne point telz miches

120  Aillieurs.

                            CLIQUE-PATE

                        Nous vous mercïons, Dame !61

.

                            MALAISÉ                                              SCÈNE  IV

        Qu’en ferons-nous ?

                            CLIQUE-PATE

                                         Villain infâme,

        Parle bas, qu’on ne nous escoute !

        Allons [deviser sur le coute]62

        Tout à coup, et crocquer la « pie63 ».

125  Et quand la « pie » sera juchie64,

        Le demourant aura conseil65.

                            MALAISÉ

        Tu diz bien. Pour ce, je conseil’

        Que nous en aillons (à brief mot)

        Boire du meilleur vin ung pot

130  Mainctenant, à sang rapaisé.

                            CLIQUE-PATE

        Chemine davant, Malaisé !

        Je te suyvré tantost à haste.

                            MALAISÉ

        Mais où yrons-nous, Clique-pate,

        Despendre deux onces d’or fin ?

                            CLIQUE-PATE

135  Nous en yrons chez ,

                       ,66 et burons du meilleur.

*

                            MALIVERNÉ,  cecus67.                        SCÈNE  V

        Hélas ! Je suys en grant destresse

        Et en engouesseuse tristesse

        De touz les langoreux congneue68,

140  Car j’ay perdu toute ma veue ;

        Et oncques, de moy, ne fut veue

              Quelque clarté.

        En ténèbres suys si69 arté

        Que je ne sçay, par loyauté70,

145        Que c’est lumière71.

        J’ay perdu par ceste misère,

        Par ceste pugnicïon fi[è]re72,

              Joye mondaine.

        Las ! ung crapault et une irraigne73

150  Ont74 une grant joye certaine

              Dont suys privé :

        Car ilz voyent bien, en leur privé,

        Où chascun d’eulx est arivé.

              Pour eulx conduire,

155  Ilz voyent trèsbien le soleil75 luire

        De jour, et la lune reluyre

              Durant la nuyt.

        Je me complains et faiz ung bruit76

        De Nature, qui moult me nuyst

160        Et contrarie :

        Car [à] mainte beste garnye

        De sens, el(le) donne et aparie

              Veue plaisant.

        Mais el a esté reffusant

165  Me donner veue suffisant :

              Je la pers toute.

        Bien pouvre est-il, qui ne voit goute.

        Je saveure bien peu et gouste77

              Des biens du monde.

170  Le sens de veue — où je me fonde

        Selon raisonnable faconde

              Et78 véritable —

        [Est] nommé le plus délectable,

        Plus plaisant ou plus prouffitable

175        Par sa noblesse.

                            MAULNOURY,  claudus79.

        Hélas ! Or suys-ge en grant féblesse

              Et moult débille80 :

        Moy qui deusse avoir corps abille81,

              Fort et puissant,

180  Suys contrefaict et impuissant,

              Tort [et] bouesteux82.

        Je suys de santé souffreteux,

              Et de support83.

        Nature, [tu] me faiz grant tort

185        En cest endroit.

        À quoy tient que je ne voys84 droit ?

              Comme ung estrange85,

        Droit naturel de moy s’estrange86.

              Et, vertueulx,

190  Je suys ung suppost monstrueux

              Et deffectif87 ;

        Je suys ung suppost illusif88

              De touz mocqué :

        Je suys de touz foulx abrocqué89

195        Par mocquerie.

        Nature tout ainsi me lie.

              Corps imparfaict,

        Il semble que j’ay esté fait

              En grant despit

200  D’aulcun90 des dieux, lequel me fist,

              Dont suys dolant.

        Las ! si j(e) alasse à mon tallant91

              Où je voulsisse,

        Je gaignasse par mon service

205        Ma vie humaine.

        Mais à grant-paine je me traîne

              Sur le careau.

        Ung cheval, ung beuf, ung toreau

              Est bien eureux

210  En ce cas, et moy malheureux,

              Qui ne me bouge.

        Hélas ! ung oiseau grix ou rouge

              Peult bien voller,

        Mais je ne puis ung pas aller

215        Ne pas ne cours92.

                            LINART,  surdus93.

        Las ! Jamais je ne me res[c]ours94.

        Je suys nommé ung [des] très lours95

        De ce monde, aussi des [plus] sours

              Et inutille.

220  Je suys plus sourt q’un pot à huille96.

        Ès champs, en chasteau ne en ville,

        Il n’est — pierre, ne boys, ne tuylle —

              Chose plus sourde

        Que moy. J’ay la teste si lourde,

225  [L’oreille tant forte]97 et tant gourde !

        S’on me dit quelque mal ou bourde,

              Je n’entens note.

        Quelque parolle qu’on me note98,

        [Rien n’entens, que chascun le note.]99

230  Je ne sçay, pour prendre ma note,

              Riens que respondre100.

        On me peult mauldire ou confondre,

        Parler ou de fiens ou de pondre101,

        Sermonner de brebiz à tondre

235        Sans quelque entente.

        Je dy que ma vïe patente102

        Est [la] plus mauldicte, impotente,

        La plus meschant, la plus dolante

              Qui soit, ce croy,

240  [De quoy je suys en grant esmoy.]103

        Bien voy ceulx qui parlent à moy :

        Respondre ne sçay cy ne quoy104

              À leur[s] propos105.

        S’on parle bas, je respons gros106 ;

245  S’on me dit « pain », je respons « pos107 » ;

        S’on dit « Bonjour ! » : « [À quel propos]108 ? »

              Ou s’on se taist,

        Rien ne sçay, dont il me desplaist.

        Si, v[u]eil donc conclure, d’effaict109,

250  Que je suys le plus imparfaict

              Qui soit en vie.

                            MALIVERNÉ

        La[s] ! voycy pouvre compaignie :

        Aveugles, bouéteux, aussi sours,

        Et gens de misérable vie.

                            MALNOURY

255  Las ! voycy pouvre compaignie.

        Nature n’est pas nostre amye,

        Qui nous a faiz touz ainsi lours.

                            LINART

        Las ! voycy pouvre compaignie :

        Aveugles, boyteux, aussi sours.

                            MALIVERNÉ

260  Nature : en nous, mal tu resours110 ;

        Tes manières nous111 sont amères.

        Pourquoy du ventre de noz mères

        Veinmes-nous ainsi mal aiséz112 ?

                            MALNOURI

        En113 nous, n’a aucuns bienaiséz

265  Qui n’ai[e]nt de bien excepcïon.

                            LINART

        Il fault114 une perfection

        À chascun de nous, dont c’est perte.

                            MALIVERNÉ

        Malnoury, par demande aperte115,

        Araisonnons ung peu ce sourt.

270  Comment va Linart ?

                            LINART

                                           Dont il sourt116 ?

        Il sourt d’une doulce fontaine

        Qui est assise en une plaine,

        Ainsi comme j’ay ouÿ dire.

                            MALNOURY

        Do[i]nt bon jour117 !

                            LINART

                                           S’il porte navire ?

275  Ouy, .III. ou .IIII. [queues à queues]118.

                            MALIVERNÉ

        De quel boys ?

                            LINART

                                Il y a troys l[i]eues,

        Mais on dit que l’une est petite.

                            MALNOURI

        À quel propos119 ?

                            LINART

                                       De pierre cuite120

        Jusques dedans Paris n’a mye.

                            MALIVERNÉ

280  Beau sire, avez-vous point d’amye

        Par amour ?

                            LINART

                             A ! je lay prestée

        Au curé.

                            MALNOURI

                       Quoy ?

                            LINART

                                    Quoy ? Mon espée,

        Qui est du temps du roy Basac121.

                            MALIVERNÉ

        Où fut-elle faicte ?

                            LINART

                                       En ung sac

285  Qui tenoit bien quatre septiers :

        J’e[n] apporte bien deux milliers

        En mon coul, [sur ma fleur de]122 lis.

                            MALNOURY

        De quoy ?

                            LINART

                         De quoy ?

                            MALIVERNÉ

                                           C’est ung palis123

        Entre son oreille et la nostre.

290  Où est la [chose, qui fut vostre]124,

        De quoy nous parlasmes le plus ?

                            LINART

        Comment ?

                            MALNOURI

                           Comment ?

                            LINART

                                              Il n’en vient plus

        Passé davant la Chandeleur125.

        Ilz prennent l’autr[u]y et le leur126.

295  La ribaudaille ! Je m’en plains.

        Hé ! pardieu, ilz seront restrains127

        Et j’en seray ung jour vengé !

                            MALIVERNÉ

        Par ma Loy, c’est bien vendengé128 !

        Mais il n’y a ne fons, ne rive129.

                            LINART

300  Quand ? Dea ! quand on fait la lessive :

        Lors est ma braye bien lavée.

        A  la crapaudaille soit130 noyée !

        À la laver use mes131 doiz.

                            MALNOURY

        Il lave cy en quoquardoys132

305  Aussi bien qu’oncques laver vy.

                            LINART

        Il n’en seroit pas assovy

        Pour une escullée de mattes133.

                            MALIVERNÉ

        Qui, Linart ?

                            LINART

                               Le prince de Nates134.

                            MALNOURY

        Voycy bon temps pour exploicter135.

                            LINART

310  Demandez-vous s’il est natier136 ?

                            MALIVERNÉ

        On n’en aura mèshuy le bout137.

                            LINART

        Esse de noéz138 ou tout le brout

        Que vous parlez ? Ou d’escaillées139 ?

                            MALNOURY

        Vous luy avez belles baillées140 !

315  Vous en respondez comme saige.

        Adieu, Linart !

                            LINART

                                [Myeulx] ? Et ! que sai-ge :

        Selon que la brunète141 est fine.

.

                            MALIVERNÉ                                        SCÈNE  VI

        Laissons-le cy, car il devine142.

        C’est cy une v[i]eille vïelle143.

320  Il a trop longue kyrïelle144 :

        On n’en auroit le bout145 en piesse.

                            MALNOURI

        Nous avons esté longue pièce146

        En captivité très patente147.

        Nous avons nature impotente,

325  De quoy point nous ne nous louons.

        D’autre part, garir ne povons148

        Par noz dieux : car je sçay, de voir149,

        Qu’ilz n’ont mye tout le povair150

        De garir noz débilitéz151.

330  Maintes foys les ay incitéz

        Par152 prièr[e] qu’ilz me garissent ;

        Mais chascun coup, ilz m’escondissent153.

        Ilz ne m’ont en rien avancé.

        Sy [ay-je] en moy-mesme pencé

335  Que maint beau fait et maint miracle

        Se font ou154 petit habitacle

        Où le corps de Barbe repose.

        Et, partant, du tout je propose

        D’y aller expérimenter155.

340  S’elle fait mon mal absenter

        Et qu’elle me garisse nect,

        Je suys déterminé et prest

        De prendre la Loy qu’el avoit156.

                            MALIVERNÉ

        Tu as trèsbien dit : car on voit

345  Que plusieurs y ont recouvré

        Santé. Ce seroit bien ouvré157

        S’elle nous garissoit tous deux.

                            MALNOURY

        Allons-y !

                            MALIVERNÉ

                          Allons, je le veulx !

        On [ne] peult perdre à essayer.

                            MALNOURY

350  Il ne fault pas hault abaier158,

        Affin que les gens ne nous oyent :

        Car si les Païens advisoi[e]nt

        Nostre bonne dévocion,

        Seroit nostre destruction.

355  Aller tout cayement159 il nous fault.

                            MALIVERNÉ

        Chascun quiert santé, quant luy fault160 ;

        Aussi [sont mes deux yeulx]161 perduz.

        Prendre aymerays myeulx les vertuz162

        Ou d’un homme ou d’une femme

360  Je le vous jure sur mon âme

        Que d’estre aveugle tousjours.

                            MALNOURI

                                                      Âme163

        N’en saura rien, car nul n’aborde

        Où elle est164.

                            MALIVERNÉ

                                Tien donc ceste corde165

        Et me maine à sa sépulture !

                            MALNOURI

365  Or y allons, à l’aventure !

        Quant est à moy, j’ay grant fiance

        Que nous y aurons recouvrance

        De santé et de vallitude166.

                            MALIVERNÉ

        Nous sauron bien la plénitude

370  Du povair que son dieu luy donne.

.

                            SANCTUS  VALENTINUS 167            SCÈNE  VII

        Je voy venir mainte personne

        Débille168, impotent[e] et mallade.

        Au sainct sépulcre doulx et sade169

        De Barbe, que chascun reluyse !

375  Dieu v[u]eille que chascun y puisse

        Recouvrer santé endroit soy170,

        Pour l’acroissement de la Foy

        Et pour le salut des loyaulx171 !

.

                            MALNOURY                                        SCÈNE  VIII

        Je sens bien alléger mes maulx

380  Pource que le lieu aprouchons.

        Je vous pry que nous avancyons :

        Si sera le labour finé172.

                            Maliverné intret in habitaculo

                            sepulcri, et Malnoury cum eo.173

                            MALIVERNÉ

        Vray174 Dieu, je suis enluminé !

                            MALNOURY

        Et moy, je ne suis plus bouéteux !

                            MALIVERNÉ

385  Ton povair est cy désigné,

        Vray Dieu : je suys enluminé !

                            MALNOURI

        Ce lieu dévot est assigné

        Pour garir malades piteux.

                            MALIVERNÉ

        Vray Dieu, je suis enluminé !

                            MALNOURY

390  Et moy, je ne suys plus bouéteux !

                            MALIVERNÉ

        Voycy ung lieu délicïeux

        De très mervoilleuse influence ;

        Il rend les désoléz joyeux,

        Tant a de vertuz affluence175.

395  Voycy une grant apparence

        Pour [en] conclure évidenment

        Que le corps qui segrètement

        Repose en ce tugurïon176

        Est de divin exaulcement

400  Et digne [d’]aprobacion.

                            Dicat genibus flexis : 177

        Ô Barbe, en dignité promeue :

        Humblement je te remercye

        Que tu m’as ma veue rendue,

        Qui davant178 estoit obscursie.

405  M’âme est joyeuse et esclarsie179

        Par celuy miracle divin.

        Pour tant, d’humble cueur et inclin180,

        Je mect[z] ma foy en adhérence181

        À Jésus Crist, ton dieu bénin182 :

410  Tousjours luy feray révérence.

                            MALNOURI

        Voycy eupvre183 miraculeuse,

        Sans charme184, sans enchantement ;

        Ce n’est pas eupvre frauduleuse,

        Ne faicte sophisticquement185

415  [Par des deables, malignement,]

        Car deables n’ont point lieu ycy.

        Nous sommes186 tous sains (Dieu mercy !)

        Par la seulle intercessïon

        De Barbe, dont le corps transsi

420  Repose en ceste mansion187.

                            Dicat genibus flexis :

        Ô digne lieu sainct et dévot,

        Plain de grâce c[é]lestïelle

        Qui es[t] cy mys[e] en ung dépost :

        Je t(e) honnore pour l’amour d’elle,

425  Dont le digne corps sans mamelle188

        Repose189 en toy honnestement.

        Ce puisse estre à l’acroissement

        De la foy que Barbe tenoit :

        Car, de cueur et de pencement190,

430  Je croy en Dieu qu’elle croyoit.

        Pour tant, je me vueil occupper

        À la servir de bon endroit.

        Je puis saillir, coure, trocter191,

        Reculler et aller tout droit.

435  Celuy est foul qui ne vouldroit

        Croire en une vierge si saincte.

        [Je ne faiz plus regret ne plaincte,]192

        Car de santé certain je suys.

        Toute personne forte actaincte193

440  Est garie en entrant à l’uys194.

                            Exeant locum sepulcri.195

.

                            LINART                                                 SCÈNE  IX

        Ha, a ! Que c’est là ? Oncque, puis

        Que Dieu m’estouppa les oreilles196,

        Je ne vy aussi grans merveilles,

        Et si, ne fuz si esbahiz.

445  Ces deux hommes-là sont gariz

        En mains qu’on ne pourroit toussir197.

        Ilz n’ont fait qu’entrer et yssir

        En celle petite maison,

        Et ilz sont sains comme ung poisson.

450  Ne sçay s’il y a là ung mire198

        Qui les gens garist et remire199

        D’erbe, de racine ou d’escorce.

        Ou se c’est par la trèsgrant force

        Et200 vertu du lieu ? J’en faiz doubte.

455  Maliverné ne véoit201 goutte,

        Et il voit myeulx que moy beaucop202.

        Et puis Malnouri, qui fut clop203,

        Qui ne povait avant aller,

        Peult saillir, triper204 et baller,

460  Et courir sans mal endurer.

        Il me convient adventurer

        [Et] aussi bien qu’eulx y entrer,

        Pour veoir se pouray rencontrer205

        Ma santé et me resjouyr,

465  Et ma sourdesse évacuer206.

        Je croy que j’auré beau huer207 !

        Au mains, je sçauray qu’on dira208.

        Et quand Briffault209 me mauldira,

        Luy210 dira[y] « bon jour ! » ou « bon vespre ! ».

470  Je m’y envoys ains qu’il211 avespre,

        En espérance de garir.

.

                            MALIVERNÉ                                        SCÈNE  X

        Malnoury, voy-tu acourir

        Ce sourdault212 à ceste logecte,

        Com nous avons fait ?

                            MALNOURY

                                           Or [m’en] guecte213 :

475  Je cuyde que garir poura.

        Esprouvons un pou s’il orra214

        Comme il [n’]a fait puis215 qu’il fut né.

                            Intret Linart locum sepulcri.

                            MALIVERNÉ

        Linart !

                            LINART.  [Intrent Maliverné et Malnoury]

                                                             in habitaculo sepulcri.

                      Qu’esse, Maliverné ?

                            MALIVERNÉ

        Fièbvre au cueur216, beaussire ?

                            LINART

                                                           Or, prenez

480  Qu(e) ainsi soit217 : qu’en est-il ?

                            MALNOURI

                                                            Tenez !

        Entent-il bien, le chambellan ? 218

        Linart !

                            LINART

                      Hau !

                            MALNOURI

                                 Empoigne mal an219 !

                            LINART

        Baisse-toy et le pran [delà220] !

        Qu’est-ce cy, seigneurs ? Comment, dea !

485  Je  suys hors de périlleuse voye.

        Cuydez-vous que tousjours je n’oye

        Aussi bien que vous ? Si faiz, voir221 !

        Certes je vous [faiz] assavoir

        Qu’aussitost que j’euz mes deux piéz

490  Cy-dedans, j’ouÿ tout sus piéz222

        Aussi bien ou myeulx comme vous.

        La mercy du hault Dieu trèsdoulx

        Que Barbe servoit, et la sienne !

        La gloire, pourtant, n’est pas myenne223 :

495  C’est à Dieu et à la dévote

        Saincte Barbe (que je dénote

        Estre fort224 prévileigiée

        Ou Ciel, où el est cituée).

        Il n’est homme si langoureux,

500  Si maladif, si douloureux,

        Si vil et inhumain pécheur,

        S’i la requiert de dévot cueur,

        Que tantost el ne le sequeure225.

                            MALIVERNÉ

        En petit d’heure, Dieu labeure226 :

505  On le voit par expérience.

                            MALNOURI

        Ce dit227 est vray, je vous asseure :

        En petit d’heure, Dieu labeure.

        Nous sommes gariz sans demeure228,

        Sans phisicque229 ou aultre science.

                            LINART

510  En petit d’heure, Dieu labeure :

        On le voit par expérience.

        Pource, en tant que j’ay audience,

        Je regraciré Dieu mil230 foiz.

                            Dicat Linart, genibuz flexis :

        Ô Jésus, qui sceiz et congnoys

515  Les cueurs des humains au parfond231 ;

        Qui d’un seul regart sceiz et voiz

        Les choses qui furent et sont,

        Et qui ou temps futur seront.

        Tu voiz et congnoys mon désir :

520  Je n’apète riens, ne232 désir’,

        Sinon toy servir et amer233.

        Ne me laisse jamais gésir

        En la Loy qu’on doit diffamer234 !

        Tu m’as gary soudainement

525  Et as mes oreilles ouvertes,

        Dont je te mercy haultement,

        Car davant, el(le)s furent couvertes :

        Tu as les tayes descouvertes 235

        Empeschans mon audicion.

530  Tout [as fait]236 sans succession,

        Qui est eupvre dessus Nature237.

        Nulz homs sans disposicïon238

        Ne sçauroi[e]nt faire telle cure.

        Vierge martire et saincte dame,

535  Entre les sainctes honnorée,

        Je [me commande]239 corps et âme

        En ta main tant qu’auré durée240.

        Vierge de vices espurée,

        V[u]eilles que si bien je te serve

540  Qu’en fin de mes jours je déserve241

        Estre avec toy ès Cieulx logié !

        Et mon esprit tousjours préserve,

        Qu’i ne soit en Enfer plongé !

                           Exea[n]t sepulcrum.

                           MALIVERNÉ

        Allons quérir cest enraigé

545  Briffault, qui est démonïacle242 ;

        Amenons-l(e) en cest habitacle

        Par charité et par aulmosne,

        Affin que la pouvre personne

        Y puisse recouvrer santé.

                            MALNOURY

550  S’i nous avoit ung peu heurté

        De ses fers243, par acord, nous troys,

        Il nous vauldroit myeulx tenir coys :

        [Car] nous n’en aurions aultre chose244.

                            LINART

        Allons hardiment ! Je suppose

555  Que le lieu245 luy prouffitera

        Sitost qu’en [luy] habitera

        [Dessuz l’autel]246 et couverture.

                           MALIVERNÉ

        Il n’a riens, qui ne s’aventure247 ;

        Et s’aucun ne s’aventuroit

560  Pour luy, tousjours ainsi seroit

        Sans recouvrer ce qu’il luy fault.

        Allons hardiement !

.

                            MALNOURY                                         SCÈNE  XI

                                        Çzà, Briffault !

        Nous te mainerons par le braz

        Au sainct lieu.

                            BRIFFAULT,  demoniacus.

                                Tien-toy coy248 ! Feras,

565  Traistre laron, filz de putain ?

                            LINART

        Tantost, santé recouv[r]eras

        Au sainct lieu.

                            BRIFFAULT

                                Tien-toy coy ! Feras ?

        Si tu aproches, tu auras

        Ung coup de mes fers sur le groing249 !

                            MALIVERNÉ

570  Ha[y] avant, hay250 ! C’est à demain ?

        Vous viendrez sans plus de fatras

        Au sainct lieu !

                            BRIFFAULT

                                 Tien-toy coy ! Feras,

        Traistre laron, filz de putain ?

        Va-t’en voir messire Jourdain251,

575  Qui avec ta femme est couché ;

        Ne sçay s’il y aura « loché252 ».

        Bêê, bêê ! Va, jennin253 que tu es !

        Hélas, hélas ! tu as beau nés254.

        Où allez-vous, nostre beau maistre ? 255

580  Par ma foy, on te fait bien paistre !

        Mais au fort, tu en as le brout256.

        Vien çzà, mon cousin ! Par quel bout

        Se desnoue le neu257 d’amours ?

        Alarme, alarme ! Tost, secours !

585  Je voy les deables cy venir.

                            MALNOURI

        A ! il commence [de venir]258

        Et entrer en sa frénaisie.

                            BRIFFAULT

        Si j’ay plus de ma fantaisie259,

        Va y voir, je le te conseille !

                            Cantet : 260

590  Viendras-tu à la veille261,

              Jennin, Jennot,

              Marguin, Margot ?

        Viendras-tu à la veille

              Sus l’escarbot 262 ?

595  Dieu dit que [je] l’esveille

              Huy assez tost

              Sans dire mot.

        Viendras-tu à la veille,

              Jennin, Jennot,

600        Marguin, Margot ?

        Dieu poira263 la chande[i]lle

              Et tout l’escot.

              Ce dit Perrot :

        [Là boirons]264 soubz la treille

605        Chascun son pot.

        Viendras-tu à la veille,

              Jennin, Jennot,

              Marguin, Margot ?

        Viendras-tu à la veille

610        Sur l’escarbot ?

.

        Qu’en dictes-vous, maistre Mignot ? 265

        C’est bien chanté, n’est mye ? N’es[t-]ce ?

        Ton père chante la grant-messe,

        Au dimenche, en nostre parroche266.

                            MALIVERNÉ

615  Pren delà ! Vien, Linart, aproche !

        Empongne-le par le267 braz destre,

        Et puys moy par le braz sénestre.

        Et Malnoury nous conduyra.

                            BRIFFAULT

        Haro268 ! Las ! Et ! on me prendra !

620  Au meurtre, bonnes gens ! À l’aïde269 !

                            MALNOURY

        Vous y serez mené sans bride.

        Avant que vous mangez de pain,

        Vous y vendrez270, paillart villain,

        Hastivement, de chaulde trace271 !

                            Pausa. Ducant eum in habitaculo sepulcri, et

                            sanetur272. Et postea, dicat genibus flexis :

                            BRIFFAULT

625  Ha ! trèsdoulx Dieu, voycy grant grâce.

        Mes fers me sont chuz hors des mains.

        Mirez-vous273 icy, cueurs humains,

        En ces miracles apparens274 !

        J’estoye, a[u] matin, hors du sens,

630  Démonïacle, enraigé, foul ;

        Pendu me fusse par le coul,

        S’on ne m’e[n] eust trèsbien gardé.

        Mais Jésus Crist m’a regardé

        De son œil de quoy il regarde

635  Barbe, son espouse, qu’il garde

        De vice et de toute macule275.

        En moy, n’avoye raison nulle,

        Intelligence qu’en servaige.

        J(e) avoye lors perdu l’usaige

640  De mon petit entendement

        Et de raison totallement,

        De mémoire et de voulenté.

        Car le deable avoit supplanté

        Mon âme, qu’il avoit liée.

645  Mais à présent, est desliée

        Par la puissance et aliance

        De Jésus, en qui j’ay fiance,

        Moyennant276 Barbe la très digne.

        Le deable est277, par elle, en ruÿne,

650  Qui si longuement m’a tenu.

        Parquoy, humblement, le chef nu278,

        Dieu et Barbe je remercy,

        Et vous, mes bons amys279, aussi,

        Qui avez esté le motif

655  De faire garir ce chétif.

        Si, vous prie que me pardonnez

        Les coups que je vous ay donnéz,

        Les mesfaiz, aussi les mesdiz

        Que je vous [ay] ou faiz ou diz,

660  Pour Dieu et pour tous se[s] saincts noms.

                            LINART

        Amy, nous le te pardonnons,

        Et Dieu aussi le te pardonne.

*

1 Le Fou parle. C’est le seul endroit du Mystère où le texte de ce personnage est noté. Ailleurs, on nous dit qu’il parle, mais nous ignorons ce qu’il raconte. Certains médiévistes croient qu’il improvisait en vers, ce qui est impossible, ou en prose, ce qui est improbable. Il devait emprunter des monologues de fous à d’autres Mystères, ou à des sotties, ou à des monologues dramatiques.   2 On lit, quelques vers plus tôt : « Dieux tous puissans résidans sur les cyeulx. »   3 Ms : amendez  (La rime est juste, mais le sens est faux. L’auteur fait mal la différence entre les infinitifs et les participes passés ; je corrigerai tacitement ces dévergondages grammaticaux.)  Je pourrais bien m’améliorer.   4 On célèbre au temple « la feste de l’immortel/ Jupiter, qui est aujourd’huy ».   5 En douleur et en désagrément.   6 Pas plus que. Cette curieuse tournure, qu’on retrouve au vers 34 et encore quatre fois dans ce Mystère, est examinée par Mario LONGTIN : Édition critique de la cinquième journée du Mystère de sainte Barbe en cinq journées. (University of Edinburgh, 2001, p. 99.) C’est Longtin qui a intitulé « farce des miraculés » la comédie que je publie aux vers 137-662.   7 Au lieu de déposer des présents devant la statue de Jupiter, le fou la gifle.   8 Briffaut [gourmand] est un démoniaque possédé par le diable. Il récite en sens rétrograde le couplet qui précède, à partir du dernier vers. Dans cet épisode et dans la 5ème journée, beaucoup d’autres acteurs se livrent à ce jeu de rhétoriciens : le copiste met le couplet normal dans la bouche d’un personnage, puis, sans le récrire, il note que tel autre personnage doit le rétrograder.   9 Mal hiverné, mal ravitaillé pour passer l’hiver. Comme toujours, le nom des mendiants est taillé sur mesure.   10 Ms : ung  (Si je n’avais pas fait l’imbécile, vous ne m’auriez pas rendu aveugle. « Tu es fol,/ Bien lourdault, bien badin, bien beugle,/ D’ainsy me cuyder faire aveugle. » Le Monde qu’on faict paistre.)   11 Et promis ce que je n’ai pas.   12 Ms : dira  (Celui qui vous donnera quelque chose. Notre Mystère emploie souvent cette contraction picarde : « Que Dieu nous donra le povair [pouvoir]. »)   13 Mal nourri. Il marche avec des béquilles.   14 Une mauvaise action. « Et leur faulx vouloir multiplient. » Jeu du Prince des Sotz.   15 Je couche sur la paille. Cf. les Bélistres, vers 57.   16 Ni fortune, ni richesse.   17 Peu. Idem vers 476. Voir L.-F. DAIRE, Dictionnaire picard, gaulois et françois.   18 Le vrai, la vérité. Idem vers 327 et 487.   19 Prénom picard. Voir René DEBRIE, Glossaire du moyen picard.   20 Je n’ois [n’entends] pas plus qu’une pierre dure. Voir la note 6.   21 Mon amour et mon soin.   22 Agencé, pourvu.   23 Totalement. Idem vers 338.   24 Jambe de bois. Ce mendiant est un faux infirme.   25 Pour la raison. Idem vers 407 et 431.   26 Qui ne vit pas dans l’aisance ; voir le vers 263. « Malaisé de biens. » Godefroy.   27 En mauvais état.   28 Ni un présent, ni un denier, ni une piécette.   29 Premier pauvre. Voici un dialogue entre les mendiants professionnels Clique-patte et Mal-aisé. Allergiques au travail, ils laissent croire à sainte Barbe qu’ils sont chrétiens pour obtenir d’elle une aumône, qu’ils iront boire à la taverne, comme les deux bonimenteurs du Mystère des trois Doms après qu’ils ont apitoyé trois saints.   30 Une pièce de 5 deniers.   31 Ms : fouessonne  (Je corrige aussi les vers 68 et 73, d’après le vers 78.)  Nous avons à foison. « Souspeçon tousjours me foisonne. » ATILF.   32 Médiocrement, faiblement.   33 Plus haut, en parlant plus fort, afin que d’éventuels donateurs entendent tes plaintes.   34 En hurlant.   35 Appelle le public avec force. « Hucher » est picard : voir Debrie.   36 En hurlant plus fort que son camarade.   37 Quand bien même tu serais hébergé à Saint-Lazare. On nommait ainsi les lazarets, les léproseries. Leurs pensionnaires, qui n’étaient pas nourris, sortaient pour mendier ; ils faisaient alors beaucoup de bruit en criant et en agitant leurs cliquettes [castagnettes].   38 Tu sais bien ton rôle.   39 Pour attraper foison [quantité] de fromages. On rencontre la métathèse « fourmage » en Picardie : voir Debrie.   40 Ms : je les grippe  (Les mendiants cherchent toujours à se procurer des tripes : voir l’Aveugle, son Varlet et une Tripière, ou la Trippière <F 52>.)   41 Moue, grimace de douleur. Les faux malades qui mendient ont un sens du mime très développé. « Regarde comme il fait la lipe :/ Il lui fault un morssel de tripe. » Le Martyre S. Estiene.   42 Pour resquiller à foison des croûtons de pain.   43 Haut, sonore.   44 Ms : onc que on me   45 Si dure.   46 Par ma religion. Idem vers 298, 343 et 523.   47 Prêtre, ou responsable d’une communauté ecclésiastique : ces deux professions exigent une voix de stentor.   48 Nous avons bien commencé (à mourir de faim).   49 Je ne voulusse, je ne voudrais. La forme picarde correcte est voulsisse, comme au vers 203.   50 Qu’on coudrait avec.   51 Ms : ponroint  (Piqueraient : conditionnel picard de « poindre ».)  Les vers 92-95 sont très abîmés ; je ne garantis pas mes corrections.   52 Ms : palestiens  (Mot inconnu.)  Bélîtrien = bélître, mendiant. « Et ces méseaulx [lépreux], bélistriens,/ Taingneux. » Les Sotz fourréz de malice.   53 Ms : Quel de fieus  (Tendrions : forme picarde de tiendrions. « Quant entre mes bras la tendray [je la tiendrai]. » Les Trois amoureux de la croix.)   54 Ms : Lesser  (Laissez la grossesse aller à son terme : laissez faire les choses.)   55 Ms : toust  (Très souvent, le copiste note « ou » au lieu de « o » : toust, suppoust, chouse, propous, noustre, voustre, dépoust, etc. Je corrige tacitement cette graphie dialectale, qui n’est pas due au fatiste.)   56 Voyez ici : voici.   57 Que quelqu’un.   58 Sainte Barbe est le modèle de la nouvelle convertie intolérante et bornée, qui croit que vandaliser des œuvres d’art gréco-romaines est un acte de foi (en portugais : auto da fe). Profitant de ce qu’elle est la fille du roi*, elle vient de saccager — et de piller — le trésor royal.  *Voir la Chanson en divers son, tirée du même Mystère.   59 De tels dons.   60 Ce n’est pas avec de bons sentiments qu’on fait de la bonne poésie : ce vers apocryphe dénature le triolet ABa(b)AabAB.   61 Sainte Barbe s’éloigne.   62 Ms : diuiser sur le coude  (Discuter en étant accoudés à la table d’une taverne. « Deviser sur le coute, coste le [à côté du] vin. » ATILF.)  La rime exige coute, que le Dictionnaire picard, gaulois et françois de Daire écrit « couste ».   63 Avaler du vin. Cf. Te rogamus audi nos, vers 64.   64 Ms : juchee  (Rime picarde. « Quant la pye est juchie. » Ballade en jargon que Thierry Martin attribue au Picard Colin de Cayeux : VILLON, Ballades en argot homosexuel, Mille et une nuits, 1998, pp. 71-72.)   65 La somme restante fera l’objet d’un vif débat.   66 L’auteur a laissé des blancs pour qu’on puisse ajouter des noms de tavernes selon la ville où se joue le Mystère. Tant bien que mal, un copiste du XVIIIe siècle a résolu ces deux vers de la sorte : « Nous en irons chez Lambotin,/ À la Croix d’or, et burons du meilleur. »   67 Cæcus : aveugle. Voir les vers 17-24. Cet épisode est situé après la mort de sainte Barbe.   68 Connue de tous les malheureux. Idem vers 499.   69 Ms : cy  (« Arté » est une syncope picarde : arrêté, figé. Voir Debrie.)   70 En vérité.   71 Ce qu’est la lumière.   72 Féroce. « Fier comme ung lyon. » Colin filz de Thévot.   73 Le crapaud et l’araignée sont les animaux les plus vils. « Yraigne » est picard : voir Debrie.   74 Ms : A  (La suite est au pluriel.)   75 Ms : soulail   76 Une plainte au sujet.   77 Je savoure peu et je goûte peu.   78 Ms : Est  (Selon l’opinion commune et vraie.)   79 Atteint de claudication, boiteux. Voir les vers 25-32.   80 Je suis très débile, faible. Idem vers 372.   81 Habile.   82 Tordu et boiteux. « Boué-teux » compte pour deux syllabes aux vers 25, 253 et 384.   83 De finances.   84 Que je ne vais pas.   85 Comme si j’étais un étranger.   86 S’éloigne. « Ce faisoit joie estrangier de moi. » ATILF.   87 Défectueux, frappé d’un défaut physique.   88 Illusoire.   89 Embroché, transpercé. Debrie donne abrocqui.   90 Par l’un.   91 Si je pouvais aller selon mon désir où je voulais. Cf. la Complainte d’ung gentilhomme, vers 14.   92 Ni au pas, ni à la course. « Et ne vont jamais les chevaulx, en icelluy pays, que le pas ou le cours. » ATILF.   93 Sourd. Vers 33-44.   94 Je ne me reconstitue, physiologiquement ou financièrement. « Pour me rescourre,/ Iray de bonne heure à la queste. » Les Bélistres.   95 Un des plus accablés. Idem vers 257.   96 Je suis sourd comme un pot.   97 Ms : Loraille tant sorte  (« Oraille » est la graphie du copiste ; je la corrige encore au vers 442, qui rime en -eilles, et à 525.)  J’ai l’oreille si dure et si engourdie.   98 Qu’on m’adresse.   99 Vers manquant. « Je vueil bien que chascun le note. » Jeu du Prince des Sotz.   100 Je ne sais pas sur quelle note je dois chanter les répons des Vigiles. Dans la Chanson en divers son, notre Mystère fait chanter les Vigiles à Lucifer, et leurs répons aux démons. « Chantez, mère, nous respondrons. » (Les Vigilles Triboullet.) L’auteur oublie que Linard est encore païen.   101 Ms : pouldre  (Les références de Linard concernent la ferme : fumier, poules, moutons.)   102 Publique. Idem vers 323.   103 Au changement de folio, le copiste a sauté un vers. « J’en suis en grand esmoy. » Folconduit.   104 Ni ceci, ni cela. « Sans plus dire ne si, ne quoy. » Les Drois de la Porte Bodés.   105 Je rectifie les rimes du copiste : propoux, groux, ouy, propoux. Voir la note 55.   106 Avec une grosse voix.   107 Ms : ouy  (Pots de vin. « Et tousjours du vin à plains pos. » Les Chambèrières et Débat.)   108 Ms : ad ce propoux  (C’est à quel sujet ? Au vers 278, Mal-nourri pose cruellement cette question à Linard.)   109 En réalité. « Ce petit livre, attendu que, d’effait,/ Il est d’un gros et rude stille fait. » (Le Plaisant boutehors d’oysiveté.) Mario Longtin conserve « deffaict ».   110 Tu t’illustres mal. Verbe ressourdre.   111 Ms : nont   112 Sommes-nous venus au monde si mal lotis.   113 Parmi.   114 Il manque (verbe faillir). Idem vers 356 et 561.   115 En lui faisant des demandes pressantes. Nous arrivons au passage obligé : le dialogue de sourds. Voir la notice du Gouteux.   116 D’où ce fleuve tire sa source ?   117 Que Dieu te donne une bonne journée ! « Doint bon jour, ma dame ! » Les Sotz fourréz de malice.   118 Ms : bien breues  (« Queuë à queuë : À la file, immédiatement l’un après l’autre…. Ces bateaux estoient queuë à queuë. » Dict. de l’Académie françoise.)  3 ou 4 navires l’un derrière l’autre.   119 C’est à quel sujet ? Voir la note 108.   120 Ms : forte  (De brique. « Comment pierre cuite/ Fust faite et pollie, et enduite. » ATILF.)  Là où on ne produisait pas de briques, on les faisait venir par transport fluvial.   121 Du sultan Bajazet Ier. « Plus vaillant que Basac. » (Mystère de Ste Barbe.) Voir Mario Longtin, p. 296.   122 Ms : par ma foy du  (On imprimait une fleur de lis au fer rouge sur l’épaule des coupeurs de bourses.)  Le bissac, porté sur le col, pend sur les deux épaules.   123 Il y a une palissade, un mur. Voir Debrie.   124 Ms : housse qui fut voustre  (Le copiste remplace « chose » par « chousse » aux vers 517, 553, etc. La chose dont nous avons le plus parlé. « La chouse de quoy yl estoit le plus marry. » Ph. Duplessis-Mornay.)  Mal-hiverné joue sur le double sens phallique du mot chose : « Dieu luy doinct chose qui se dresse ! » Frère Phillebert.   125 Après le 2 février, qui est une des dates de l’année où se payent les termes.   126 Les collecteurs d’impôts mélangent notre argent avec le leur. « Mectre l’aultruy avec le sien. » Le Temps-qui-court.   127 Limités dans leurs actions, ou limités en nombre.   128 Ms : destenge  (En argot, vendanger = voler. « L’auroys-tu poinct bien vendengée ? » Le Retraict.)   129 Il n’y a aucune limite à leurs exactions.   130 Ms : sote  (Ces crapauds sont les ribauds du vers 295.)   131 Ms : ses  (J’use mes doigts à laver ma braie, ma culotte. Voir le vers suivant.)   132 Comme un fou. « En cocardois, comme fol et infâme. » ATILF.   133 Ms : macres  (Avec une écuelle de lait caillé, nourriture préférée des fous. « Laquelle lui avoit préparé une bonne, belle et grande platelée [platée] de mattes. » Godefroy.)  Escullée = écuellée, contenu d’une écuelle : le Gentil homme et son Page, vers 158.   134 De fesses. Plusieurs pochades carnavalesques nomment ce faux prince désargenté : le Privilège et l’auctorité d’avoir deux femmes, ou les Ordonnances & réformations composées par le grant prieur de Bondeculage & Serrefessier. (Contrairement à ce qu’on dit parfois, il est absent du Monologue des Sotz joyeulx.) Il tiendra un rôle dans le Jeu du Prince des Sotz.   135 Pour réussir. Daire donne esploictier. « Se je puis esploitier, il n’i revenront [reviendront] jamès à temps. » ATILF.   136 Si le prince de Nates est un fabricant de nattes. « Car oncques je ne vy natier/ Qui peust recouvrer grant chevance. » Bien advisé et Mal advisé.   137 On n’en verra pas le bout aujourd’hui.   138 De noix, dont l’enveloppe se nomme le brou : « De broust de noiz. » ATILF.   139 Ms : descaillez  (De noix écalées, extraites de leur coque.)   140 Vous la lui avez baillée belle ! Cf. le Fossoieur et son Varlet, vers 30.   141 Sorte d’étoffe : « Drap de brunette. » (Le Ribault marié.) Mais c’est également une femme réputée pour sa finesse d’esprit : « Or pleust à Dieu qu’il fût ès mains/ De la brunète que tu scez ! » (La Pippée.)  Mal-nourri et Mal-hiverné s’en vont.   142 Il vaticine comme un prophète, il dit n’importe quoi.   143 Rengaine : « –Il en fait plus grant kyrielle…/ –Quelz moutons ? C’est une vïelle ! » (Farce de Pathelin.) Ayons à l’esprit que Mal-hiverné porte en bandoulière la vielle sur laquelle tous les mendiants aveugles s’accompagnent quand ils chantent dans la rue.   144 Suite de phrases absurdes.   145 On n’en verrait jamais le bout.  En pièce = avant longtemps.   146 Longuement.   147 Prisonniers de nos infirmités.   148 Nous ne pouvons guérir. « Garir » est picard : voir Debrie.   149 De vrai. Les Picards prononçaient « vair ».   150 Le pouvoir. Idem vers 370 et 385.   151 Nos infirmités. Cf. le Ramonneur de cheminées, vers 215.   152 Ms : Et de   153 Les dieux m’éconduisent. Voir Jules CORBLET : Glossaire du patois picard ancien et moderne.   154 Au. Même forme picarde (voir Corblet) aux vers 498 et 518.  L’habitacle est la « logette » (v. 473) ou la « petite maison » (v. 448) qui abrite le tombeau de sainte Barbe.   155 D’aller en faire l’expérience.   156 D’adopter la religion chrétienne. Les convictions religieuses de nos mendiants ne relèvent pas de la théologie mais du plus trivial intérêt personnel : ils vont au plus offrant.   157 Œuvré.   158 Aboyer : parler trop fort. Debrie donne abbayer.   159 Jeu de mots sur coiement [silencieusement : voir Daire] et sur cayement, ou caïmant, terme d’argot qui désigne un mendiant ; cf. Daru, vers 44 et note.   160 Quand elle lui fait défaut.   161 Ms : est mon corps  (Le vers est trop court, et l’adjectif est au pluriel.)  « Perdu j’ay les yeulx. » (Daru.) « As-tu perdu les deux yeux/ En jouant de ta vielle ? » Gaultier-Garguille.   162 La sainteté.   163 Aucun païen. « Âme n’y sçauroit contredire. » (Raoullet Ployart.) Ce mot étant relégué au début de la ligne, le copiste a cru que ce vers ne rimait pas ; il a donc rajouté l’inutile vers 360.   164 Nul ne va là où Barbe est inhumée.   165 La corde servait à guider les aveugles, tel celui d’Ung biau miracle : « Le Varlet, en baillant la corde : / Alons, donc ! Tenez bien la corde ! »   166 « État de celui qui est en bonne santé. » Daire, Dictionnaire picard, gaulois et françois.   167 Saint Valentin est le fondateur du tombeau miraculeux de Barbe. Il préfigure le curé vénal qui présente à un public payant la relique de sainte Caquette : « Si pourrons-nous, ce jour, acquerre/ Richesses, dons et grans offrendes :/ Car vécy le peuple à grans bendes. »   168 Débile, faible. Idem vers 177. Mario Longtin préfère lire « De ville ».   169 Agréable.   170 En ce qui le concerne. Cf. les Povres deables, vers 215.   171 Paradoxalement, les « loyaux » sont ici les apostats qui ont abjuré le paganisme.   172 Ainsi notre peine sera finie.   173 Que Mal-hiverné entre dans la loge du tombeau, et Mal-nourri avec lui.   174 Ms : Vroy  (Je corrige la même lubie du copiste aux refrains 386 et 389, ainsi qu’au vers 506.)  Enluminé = qui a recouvré la lumière, la vue : cf. l’Aveugle et Saudret, vers 59, 322, 325, 353.   175 Tant il a une grosse quantité de vertus.   176 Prononciation à la française du latin tugurium : cabane. « Léopaldus (…) se mussoit en ung petit tugurion. » Le Violier des histoires romaines.   177 Qu’il dise avec les genoux fléchis.   178 Qui auparavant. Idem vers 527.   179 Mon âme est joyeuse et éclaircie [éclairée].   180 Pour cela, avec un cœur humble et incliné.   181 En adhésion.   182 Ms : benign  (Bienveillant.)   183 Une œuvre. Idem vers 413 et 531.   184 Sans sortilège.   185 Ni faite dans l’intention de tromper. Le vers suivant est perdu.   186 Ms : suymes  (C’est là, comme au vers 508, une variante bretonne de sommes due au copiste ; l’auteur écrit « sommes » à la rime. Voir Longtin, p. 94.)  Jeu de mots sur « sains » et « saints ».   187 Dans cette demeure.   188 D’après la légende, le bourreau avait arraché les seins à Ste Barbe.   189 Ms : Respuse  (Voir les vers 337, 398 et 420.)   190 De pensée.   191 Sauter, courir, trotter.   192 Vers manquant. « Luy faisant mes regrectz et plainctes. » Monsieur de Delà et monsieur de Deçà.   193 Gravement atteinte.   194 Par l’huis, la porte de la loge.   195 Qu’ils sortent du lieu du sépulcre. Au loin, Linard les voit sortir en bonne santé.   196 Jamais, depuis que Dieu me boucha les oreilles.   197 En moins de temps qu’il n’en faut pour tousser. « Mains » et « toussir » sont picards : voir Debrie.   198 Un médecin (voir Daire). Cf. le Brigant et le Vilain, vers 93.   199 Soigne avec un remire [remède].   200 Ms : De  (Transcription fautive de « & ». « Luy donnent force & vertu. » Pierre de L’Ostal.)   201 Ne voyait.   202 Ms : beaucoup  (Voir Debrie.)  Et maintenant, il y voit beaucoup mieux que moi.   203 Éclopé.   204 Ms : tromper  (Sautiller. « Saulter, tripper, tumber, baler. » Sermon joyeux des quatre vens.)  Baller = danser.   205 Avoir de la chance. Ignorant cette acception picarde, le copiste adjoint à ce mot un vers explicatif.   206 Faire disparaître ma surdité.   207 Crier, implorer. « Vous avez beau huer. » Les Trois amoureux de la croix.   208 Au moins, je saurai ce qu’on dira autour de moi.   209 Ms : Herfault  (Briffaut, possédé par le démon, passe son temps à maudire tout le monde : voir les vers 565 et 577.)   210 Ms : On  (Bon vêpre = bonsoir. Voir Corblet.)   211 Ms : que  (J’y vais avant qu’il fasse nuit. Daire donne avesprir. Beaucoup de chansons de geste offrent la variante : « Ains qu’il soit avespré. »)   212 Ce sourdingue. Cf. le Gouteux, vers 25, 37 et 265. Le fatiste ne trouve pas anormal qu’un ancien aveugle reconnaisse Linard sans l’avoir jamais vu.   213 Je m’en méfie. « Point ne s’en guectent les gallans. » Les Coppieurs et Lardeurs.   214 Vérifions un peu s’il entendra (verbe ouïr).   215 Depuis.   216 Êtes-vous agité ? « Quand sa maistresse avoit la fièvre au cœur. » P. de l’Écluse.   217 Admettons qu’il en soit ainsi.   218 Sans doute un refrain de chanson.   219 Une année de malheur. Cette expression paraît désigner ici un étron. Les temps ont changé : de nos jours, marcher dedans porte bonheur.   220 Mot manquant. Prends-le pour toi ! Voir le vers 615 : « Pren delà ! »   221 J’entends aussi bien que vous, vraiment.   222 Je me mis à entendre sur le champ. « Tout sur piedz m’en feusse vengé. » Les Bélistres.   223 Ne m’en revient pas.   224 Ms : sort  (Fort privilégiée : en bonne place auprès de Dieu.)   225 Ms : secoure  (Même sens, mais les rimes sont en -eure. Voir Daire.)  « Je prie Dieu qu’il me sequeure. » Le Gouteux.   226 En peu de temps, Dieu fait beaucoup de travail. Proverbe courant.   227 Ce dicton, ce proverbe.   228 Nous sommes guéris sans retard.   229 Sans médecine. Cf. le Médecin qui guarist, vers 22.   230 Ms : ma  (Je rendrai grâce mille fois à Dieu. « L’en mercia à tot le mains/ Plus de mil foiz. » Rutebeuf.)   231 En profondeur. Voir Debrie.   232 Ms : de  (Je ne souhaite ni ne désire rien. « Et voi bien que c’est ton désir/ De fère quanque [tout ce que] je désir’. » La Clef d’amors.)   233 T’aimer.   234 Dans la religion païenne.   235 Tu as retiré les taies qui couvraient mes tympans. Au sens propre, la taie [cataracte] recouvre les yeux.   236 Ms : atoy  (Tu as tout fait sans perte de temps.)   237 Ce qui est une œuvre surnaturelle, un miracle.   238 Nul homme dépourvu d’un don divin.   239 Ms : recommande  (Je me recommande. « À Dieu je me commande. » Les Povres deables.)   240 Tant que je vivrai. « Tant qu’aurons au monde durée. » Les Sotz triumphans.   241 Qu’à la fin de mes jours je mérite. « Tu seras payé/ Ainsi comme l’as desservy. » Jéninot qui fist un roy de son chat.   242 Possédé par le démon. Voir les vers 9-16.   243 Les fous dangereux portaient des espèces de menottes ; voir les vers 569 et 626.  Par accord = ensemble : « Alon par acord veoir le bon/ Oudinet. » Le Gallant quy a faict le coup.   244 Ms : chousse  (Car nous n’aurions rien d’autre de lui. « Car il n’en aura aultre chose. » Le Testament Pathelin.)   245 Le tombeau de Ste Barbe.   246 Ms : De soubz loustel  (Une couverture est une pierre d’autel : « La couverture dudit grant autel, qui est moult grant et molt grosse, est la propre couverture du Saint Sépulcre. » ATILF.)   247 Celui qui ne prend pas de risques. Même proverbe dans Resjouy d’Amours.   248 Ms : quoy  (Voir les refrains 567 et 572.)  Tiens-toi tranquille ! Le feras-tu ? « Tais-toy ! Feras ? » Sermon joyeux de bien boire.   249 Ms : croing  (Sur le groin, sur le museau. « Tu prendras cela sur ton groing ! » La Nourrisse et la Chambèrière.)   250 En avant ! « Hay avant, hay ! » (Cautelleux, Barat et le Villain.)  C’est à demain = C’est pour aujourd’hui ou pour demain ? « Trut avant, trut ! C’est à demain ? » Les Frans-archiers qui vont à Naples.   251 Peut-être le curé mentionné au vers 282. Les prêtres des farces débauchent leurs paroissiennes : « À ma femme,/ Messire Jehan aprenoit sa game…./ Messire Jehan, qui la besongnoit. » Les Trois nouveaulx martirs, F 40.   252 S’il l’aura secouée sexuellement.   253 Niais, comme le sont les moutons. Corblet donne janin. « Tant tu es jényn ! » Les Botines Gaultier.   254 Tu es un ivrogne. « Qui a beau nez boit ès bouteilles. » Les Rapporteurs.   255 Ce vouvoiement hors de propos semble indiquer que nous avons là un refrain de chanson.   256 Quelque chose à brouter, à paître. « Gaigner le broust. » Mallepaye et Bâillevant.   257 Le nœud. Cette image peut provenir du Roman de la Rose : « Lors t’auray le neu desnoé/ Que tousjours trouveras noé…./ Amour si est paix haïneuse. »   258 Ms : adeuenir   259 Ms : tenaisie  (Si ma furie augmente. Cf. le Cousturier et Ésopet, vers 260.)   260 Qu’il chante. Cette chanson à boire annonce celle qu’Antonio Gardano publiera en 1539 : « Robin, Robin, viendras-tu à la veille ?/ Si tu i vien, n’oblie pas la bouteille,/ Et tu voirras là chose non pareille. »   261 Le copiste écrit voille ici et aux refrains, et esvoille au v. 595 ; je rétablis la rime en -eille fournie par les vers 589 et 604. Viendras-tu à la veillée ?   262 En chevauchant un bousier, sorte de coléoptère coprophage. Pour la rime, il vaudrait mieux lire : l’escargot. Les fous trouvaient naturel qu’on soit « monté dessus ung lymaçon ». Ung fol changant divers propos.   263 Paiera. Mais aussi : pétera. « S’on l’oit vécir [péter] ne poire. » (Villon.) Les enfants jouaient à éteindre une chandelle avec un pet. « Chandeille » est picard : voir Debrie.   264 Ms : Labourons  (Là, nous boirons sous la tonnelle. « Et furent trère du vin, et burent souz leur treille. » Godefroy.)   265 Ce vers hétérogène pourrait appartenir à la même chanson que le vers 579.   266 Ms : parroyche  (Voir Debrie.)  Dans notre église paroissiale.  Sur les enfants de curés, voir par exemple Jénin filz de rien.   267 Ms : les  (Empoigne-le par le bras droit.)   268 Hurlement que poussent les diables. « Haro ! deables d’Enffer ! » Le Munyer.   269 Rime picarde en -ide. Voir Debrie. « Jamais n’en aurez grant aÿde./ On luy eust bien lasché la bride. » Le Ramonneur de cheminées.   270 Viendrez (forme picarde). Cf. le Brigant et le Vilain, vers 10 et 225.   271 Rapidement, tant que la trace du gibier est chaude et que les chiens peuvent suivre sa piste.   272 Ms : sanatur  (Toutes les didascalies latines sont au subjonctif : elles transmettent des ordres aux comédiens. Pour des raisons qui m’échappent, Mario Longtin lit : sanativo.)  Qu’ils le conduisent dans la loge du tombeau, et qu’il soit guéri. Et après, qu’il dise, en ayant les genoux fléchis.   273 Prenez exemple. « Mirez-vous là ! » (Le Povre Jouhan.) Mario Longtin préfère lire « Ajuréz vous ».   274 Visibles.   275 Tache, péché.   276 Par l’intermédiaire de.   277 Ms : cest   278 La tête nue : en tenant mon bonnet de fou à la main. Dans tous les Mystères, la conversion au christianisme s’accompagne d’un abandon total du sens critique, du sens de l’humour, du sens de la formule, et plus généralement, de l’amour de la vie : un converti ne songe plus qu’à mourir en martyr, après avoir renoncé à tous les plaisirs de l’existence au profit d’un masochisme bouffi d’orgueil : « Mais ces chrestïens sont si folz/ Qu’ilz preignent plaisir qu’on les bate. » La Vie de sainct Christofle.   279 « Dieu mercy,/ Et vous, et tous mes bons amys ! » Le Roy des Sotz.

DARU

Bayerische StaatsBibliothek

Bayerische StaatsBibliothek

.

*

DARU

*

.

Les bourreaux Gournay et Micet apportent une bonne dose d’humour noir au Mistère du Viel Testament ; de même, le bourreau Daru galvanise de son cynisme à toute épreuve les Actes des Apostres (~1470), de Simon Gréban. Voici quelques-unes de ses frasques, disséminées dans les quatre derniers livres du Mystère, qui en compte neuf.

Daru veut dire grossier1. Dans le Miracle de saint Ignace, un sergent cogne sur le saint : « Est-ce bien fort féru [frappé] ? / Ne say vilain, tant soit daru, / Qui n’en fust roupt [rompu]. » Jehan Du Prier, qui avait remanié les Actes des Apostres à la demande du roi René d’Anjou, nomma « Daru » un messager de son Mistère du Roy Advenir.

Sources : Le second volume du magnificque Mystère des Actes des Apostres. Édition parisienne d’Arnoul et Charles Les Angeliers, 15412. <Munich, Bayerische StaatsBibliothek, Res/2 P.o.gall. 27-2.> Je corrige tacitement d’après les éditions de 1538 et de 1540, qui sont beaucoup moins correctes et parfois incomplètes : voir les Bélistres.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

*

                        DARU

        Qui a3 d’ung bon ouvrier à faire,

        Voicy ung maistre du mestier.

        Si nul de vous en a mestier4,

        Vous voyez : je suis comparu5.

                        LE  PREMIER  PAYEN 6

5      Qui est ce gallant ?

                        DARU

                                         C’est Daru,

        Bon pendeur et bon escorcheur,

        Bien bruslant homme, bon trencheur

        De testes. Pour bailler ès fours7,

        Trayner8, batre par carrefours,

10    Ne doubtez que meilleur s’appère9.

        Le sire grant10 de mon grand-père

        Fust pendu d’ung joly cordeau.

        Ma grant-mère fut au bordeau11,

        S’esbatant et menant grant chère,

15    La supellative12 sorcière

        Dont on ouÿt jamais jangler13

        Pour petis enfans estrangler.

        Mon père fut tout vif bruslé.

        Et mon frère fut décollé14.

20    Fut15 enfouy son aisné filz

        En terre : la fosse luy feiz,

        Et sur le ventre luy sailly16.

        Mon autre frère fut bouilly

        Pour ouvrer17 de faulse monnoye.

25    Et pour ce cas, là je venoye

        Assavoir s’on avoit mestier

        Du meilleur ministre au mestier18

        Qui soit, en ma chair[e]19 occupée.

        Or çà ! regardez mon espée,

30    Cordes, fouëtz et grésillons20.

        J’enrage que nous n’assaillons

        Quelque meschant, à ma venue !

        ……………………………..

                        DARU,  assis.21

        Ne viendra aucun m’enquérir22

        Pour besongner ? Hé ! gentil corps23 !

35    Où sont bussines24, trompes, cors

        Pour la Justice publier ?

        J’ay peur du mestier oublier,

        À moy reposer si long temps.

        S’il fust aucuns seigneurs mettans

40    À Justice quelque gros bis25,

        Je gaignasse tous ses habitz26 :

        Pourpoinct, robe, tout seroit nostre.

        Mais ung sermonneur, ung apostre,

        Ung dessiré27, ung cayemant,

45    À tous les dyables les command28 !

        De despescher telle quenaille29,

        Je n’en donneroys une maille30,

        Car je n’y sentz point de prouffit.

        ………………………………

        Par ma foy, sire, je suis ung

50    Gentil-homme de basse main31.

        Mon frère fut cousin germain

        À l’oncle du nepveu au frère

        De la fille à la seur du père

        De la mère et de mon ayelle32.

55    Et la mienne portoit le voille33

        Pour mieulx la Dame contrefaire.

        ………………………………

.

                        LE  PRESTRE  [DE  LA  LOY] 34

        Bateras-tu bien cestuy-cy ?

                        DARU

        Ouÿ, par Dieu ! Et vous aussi35,

        Si monseigneur le me commande.

        ………………………………

                        L’ESCUYER  DE  ASTRAGÈS 36

60    Dea ! tu y mectz bien longuement,

        Pour ung maistre comme tu dis.

        Mais véritables sont les dictz :

        Plus est ung homme grant vanteur,

        Moins est véritable, et menteur37.

65    Daru, Daru, entendz ce mot !

                        DARU

        Par Mars ! j’en auroye plus tost

        Escorché une quarantaine,

        Et bruslé une cinquantaine,

        Et dix traynéz, et vingt pendus,

70    Et en quatre quartiers fendus

        Ung cent38, de ce cousteau tout neuf,

        Que tu n’auroys plumé ung œuf !

                        ASTRAGÈS 39

        Il dict vray. Donne-luy à boire :

        Bien l’a gaigné.

                        DARU

                                  Par ma foy, voire !

                        L’ESCUYER

75    Ha ! comment il est empeschié40 !

        C’est bien ouvré41 !

                        DARU

                                         C’est bien chié42 !

        Et ! beau sire, qu’as-tu affaire

        De tant railler ? Laisse-moy faire !

        Que Dieu te doint la mort amère !

                        ASTRAGÈS

80    Si tu es filz de bonne mère43,

        Prens tost tes fouëtz, et le batz

        Du long, du lé44, et hault et bas !

        Acoup !

                        DARU.  Il frappe sur sainct Bartholemy.

                        Tenez, pour moy esbatre :

        Et ung ! Et deux ! Et trois ! Et quatre !

85    Et cinq ! Et six ! Et sept ! Et huyt !

        Si je ne le rendz de sang vuyd45,

        D’en avoir autant ne m’oppose46.

                        ASTRAGÈS

        Es-tu lassé ?

                        DARU

                              Je me repose

        Regardant ce costé deçà47.

                        L’ESCUYER

90    À luy, ribault !

                        DARU

                                   Çà, maistre, çà !

        Et zif ! Et zef ! Et zof ! Et zaf !

        Et chic ! Et chec ! Et choc48 ! Et taf !

        Et crocq ! Et cracq ! Et maille49 ! Et charge !

                        ASTRAGÈS

        Prens à chascune main la verge,

95    Et autour du corps l’en accolle !

                        DARU

        À l’escolle50, maistre, à l’escolle !

        Juppin51, comme il a la peau dure !

        ………………………………

.

        Je suys pied à pied les Apostres

        À celle fin que ne les perde,

100  Comme une truye faict52 la merde.

        ………………………………

.

        Mais…53 Mais… Que diroient mes amys

        S’ilz me voyoient en ces habitz ?

        Cecy : « Daru fait du gros bis54. »

        Ha ! par Jupin, ilz n’en ont garde55 !

105  Car quant bien tous je les regarde56,

        Qu’en feray-je ? Il le fault sçavoir57.

        Que semble-il de moy, à me veoir ?

        Ha ! mocque58 qui en ayt envie

        — Soit homme mort ou soit en vie !

110  Je cacheray tous mes oultilz,

        Cordes, cousteaulx, fouëtz gentilz ;

        Et l’aveugle contreferay59.

        En demandant mon pain, feray

        Que quelque argent pourray acquerre60.

        ………………………………

115  Tenir me fauldra mes deux yeulx61

        En ce poinct à demy ouvers,

        Regardant les cieulx de travers :

        Ce m’est advis, ainsi fait-on.

        Ha ! voicy ung propre baston62

120  Pour les aulmosnes requérir.

        ………………………………

        Sçavoir me fault comme il fault dire,

        Et faire bien du marmiteux63 :

        « Mes amys, voicy le piteux.

        À voz aulmosnes me soubmetz.

125  Hé ! seigneurs, perdu j’ay les yeulx. »

        (Aussi beaulx ne64 les euz jamais.)

        « De demander je m’entremetz65,

        Pour avoir66 ma vie. Et proteste

        Que ne voy où le pied je metz

130  Non plus du cul que de la teste.67

        Dieu le te68 rende en ses sainctz Cieulx,

        Peuple, le bien que tu me faictz ! »

        (Mon bien cacheray, c’est du mieulx ;

        Ou mes propos seroient deffaictz69.)

135  « Las ! considérez les effectz

        Dont fault que je porte moleste70 :

        Je ne veoy tables ne buffectz

        Non plus du cul que de la teste.

        Hé ! bonnes gens jeunes et vieulx :

140  En voz maisons, en voz palays,

        Mandez-moy [très bien]71, de voz lieux,

        Par le moindre de voz varletz,

        Du relief aucuns morceletz72

        Dont le povre fera grant feste.

145  Je ne congnois73 beufz ne poulletz

        Non plus du cul que de la teste.

        Donnez-moy des petis brouetz

        Que vous donriez à quelque beste !

        Car veoir ne puis, [dont fais souhetz]74,

150  Non plus du cul que de la teste. »

.

                        L’HOSTE 75

        Puisqu(e) avons nostre œuvre parfaicte,

        Dieu vueille qu’elle nous soit bonne !

                        DARU

        Hélas, vostre benoiste aulmosne !

        Dieu vous saulve la claritat 76

155  Et vostre belle luminat,

        Au nom de Dieu en qui je croy77 !

                        L’HOSTE

        Venez, preud’homme ! Suyvez-moy,

        Et je vous donray quelque crouste

        De mon pain.

                        DARU

                                Et ! je n’y voy goutte.

                        L’HOSTE

160  Je vous mènray tout beau, présent78.

                        DARU

        Dieu vous rende ce bon présent

        Et le vous vueille remérir79 !

                        L’HOSTE

        Séez-vous cy ! Je voys80 quérir

        Ung peu de souppe.

                        DARU

                                          Hé ! mon voisin :

165  Et ung petit just de raisin !

        Non pas de bon vin, mais de trempe81,

        Affin que mon pain dedans trempe.

                        L’HOSTE 82

        Tenez, tenez, voylà du bon !

        Et ung morcelet de jambon,

170  Car il n’y a point de potaige.

                        DARU

        Grant mercis ! Puisque le pot ay-je,

        Je boiray bien, ne vous desplaise.

                        L’HOSTE

        Or me dictes — mais qu’il vous plaise —

        Comment ceste adventure advint,

175  De voz yeulx.

                        DARU

                                Des jours n’a que vingt

        Que j’estoye en trèsbel arroy83,

        À gages, eschanson du Roy.

        Et de nuyct, sans chandelle ou lune,

        Comme cil va que nul n’alune84,

180  Dévalle en ce[rtain] creux concave.

                        L’HOSTE

        Ung célier ?

                        DARU

                              C’estoit une cave :

        J’allay quérir du vin vermeil

        Pour le Roy. Ung ray de soleil85

        Me vint réverbérer le front

185  (Près de86 la mâchouère, adonc),

        Si fort que ne vy vin ny eau,

        Et tombay sur ung grant tonneau ;

        Et demouray là, tout confus87.

        Puis l’endemain, si tost que sus88

190  Que le Roy estoit aveuglé…

                        L’HOSTE

        Le Roy ?

                        DARU

                       [J’ay dit]89 ? Je suis janglé90 !

        Vostre vin est fort comme fer ;

        De moy, je ne sçauroye truffer91.

        S(e) ung petit d’eaue j’y92 mettoye ?

195  Lorsque le Roy sceut que j’estoye

        Aveuglé, j’euz tant de brouetz93

                        L’HOSTE,  voyant le bout des fouetz.

        Que faictes-vous de ces fouëtz ?

                        DARU

        Quoy ! les voyez-vous ? Je les tiens

        Au poing, au chemin, pour les chiens ;

200  S’ilz m’abayoient94 soir ou matin,

        Je fais ainsi : « Passe, mastin95 !

        Arrière, arrière ! », quant il mord.

                        Icy, frappe l’hoste et l’hostesse de ses fouetz.

                        L’HOSTESSE

        Que la malle sanglante mort

        Ayt qui96 vous a mis en ce lieu !

                        L’HOSTE

205  Si ne feust pour l’amour de Dieu,

        Ha  croyez que l[’est]ourdisse bien97 !

                        DARU

        Ay-je frappé dessus ung chien ?

        Ha, Patault98 !

                        L’HOSTE

                                 Voz fièbvres quartaines !

        Or sus, sus, cherchez voz mitaines99 !

210  Prenez en gré100 ce peu de bien.

                        DARU

        Et ! comment ? N’en payeray-je rien ?

                        L’HOSTE

        Je n’ay de vostre argent mestier101.

                        DARU

        À Dieu ! Voicy ung bon mestier ;

        De le faire ne me repens.

215  Pendu soys-je si je despens

        À voyage[r] denier ne maille !

        Il est temps qu’en quelque lieu aille

        M’adventurer.

                        L’HOSTE

                                Ha, Fine Myne102 !

        Regardez comment il chemine,

220  Depuis que vin a englouty.

                        DARU,  en soubzriant :

        Le chemin sçay, de ce party103.

        Voyez, le gallant est fringueux104.

                        L’HOSTE

        Par le grant Dieu, c’est ung fin gueux105 !

                        DARU

        Soubz ung gros manteau de bureau106,

225  On donne à boire à ung bourreau

        Qui ung repas entretiendra107

        Quant entre ses gens se tiendra.

                        L’HOSTE

        Quel gros marault ! Faict-on ainsi ?

        ………………………………

                        DARU

        À dormir me suis entremis108,

230  Après le vin du tavernier,

        Qui cuyde estre ung fin lanternier109 ;

        Mais je l’ay bien tost sceu avoir110.

        À Dieu vous dy jusqu(e) au revoir !111

        ………………………………

        Quant mon hoste s’esveillera,

235  Il se verra bien estonné

        D’avoir à ung bourreau donné

        Ung bancquet. Quelle fine espice112 !

        ………………………………

        Seigneurs, s(e) on me vient demander,

        Esveillez-moy tout doulcement :

240  Car je dors si très pesamment

        Que, s’on ne me vient appeller,

        On ne sçaura si bas parler

        Que je ne les entendray jà113.

        ………………………………

        Et ! je croy, si je ne m’esveille,

245  Que nully ne m’esveillera.

        Qui pour soy ne travaillera114,

        Mal yra, à ce que je voys.

        ………………………………

.

        Et ! quel dyable pourroit entendre

        Leurs chantz115 ? Ilz ne font que urler.

250  Ne sçav’ous116 autrement parler ?

        On ne les entend peu ne pou117 :

        L’ung urle en chien, et l’autre en lou ;

        L’ung crye, l’autre parle hébrieu.

        Je ne sçay que118 c’est. En ce lieu,

255  Ce sont dyables : je les conjure119 !

        ………………………………

.

                        Parlant aux veneurs : 120

        Yray-je avec vous, messeigneurs ?

        Je vous ayderay, si vous estes

        Peu hardis à mener les bestes,

        Si elles estoyent en chaleur.

260  Je fuz avec ung bastelleur121

        Qui venoit de Sarrazinesme122 :

        Mais nous deux — avecques sa femme —

        Menasmes ung loup, ung regnard,

        Quinze martinetz, ung pimart123,

265  Ung porc-espic, ung éléphant ;

        À telz enseignes qu(e) ung enfant

        Retraya124 au ventre sa mère !

        Je suis, de les mener, le père125.

        Et si, avions ung sagittaire126

270  Que nous faisions parler et taire

        Ainsi qu’il estoit convenable.

        Je feroye privé127 ung diable !

        Et sans avoir beste battue,

        Si je leur dy : « Sus, ribault, tue !

275  À ly128 ! », voylà ung homme mort.

        ………………………………

                        Icy, ameine le lyépart.129

        Regardez, sire, le voicy !

        Il est dehors, croyez ma voix130.

        Ha ! par tous noz dieux, je m’en vois !

        Je ne seray plus en ce lieu.

        ………………………………

.

                        ÉGÉE 131

280  Et que sçait-il faire ?

                        DARU

                                           Bien pendre,

        Rostir, brusler, escarteller132,

        Batre de verges, descoller,

        Trayner, escorcher, enfouyr ;

        Et si on se combat, f[o]uÿr133

285  Aussi bien qu’oncques feist personne.

        ………………………………

.

                        ÉGÉE 134

        Commectez Daru à la porte

        De la prison où sont tenuz !

                        DARU

        Voire, mais qu’il n’y vienne nulz135.

                        L’ESCUYER  [DE]  ÉGÉE

        Comment ! es-tu si peu hardy ?

                        DARU

290  Ha ! dea, non pas ! Mais je le dy :

        Quant des gens venir nous verrions,

        Et trois ou quatre nous serions,

        La chose yroit plus seurement.

                        LE  PREMIER  CHEVALIER  [DE]  ÉGÉE

        Ne te chault ! Garde hardiment ;

295  Et s’il vient rien136, je t(e) ayderay.

                        DARU

        Mais prenez les clefs seulement.

                        LE  SECOND  CHEVALIER  [DE]  ÉGÉE

        Ne te chault, garde hardiment !

        Où vas-tu ?

                        DARU

                              Gardez vaillamment,

        Par le corps bieu ! Je reviendray.137

        ……………………………….

.

                        L’ESCUYER  [DE]  ÉGÉE

300  Quant ilz me vindrent requérir

        Les clefz, pas je n’estoye asseur138.

                        DARU

        Et de quoy ? En avoys-tu peur,

        Pour veoir ung tas de ribauldaille,

        De hurons139, ung tas de merdaille ?

305  Ba, ba ! il ne fault qu(e) ung revers140,

        Ung montant, ung coup de travers,

        Ung pas avant, deux en arrière.

        Va ! tu n’entendz pas la manière

        Comment en la guerre on s’esbat.

                        ÉGÉE

310  Mettons à demain ce débat,

        Et nous retirons sans effroy.

                        DARU

        Par Mahommet141 ! si Godeffroy

        Venoit, et Rolland de Billon142,

        Et Olyvier, ung papillon

315   N’en donneray143. Bouf ! Baf ! Bif ! Bou !

        « Qui vive là144 ? Où sont-ilz, où ? »

        ………………………………

        Par mon serment ! on dit bien voir145 :

        Ung vaillant homme, où qu’il se treuve,

        Quant en une guerre s’espreuve,

320  Il trouve tousjours à combatre146.

        Mais toutesfois, quant vient à batre

        — Posé qu’au combatre on s’esbat147 —,

        Se, néantmoins, celluy qu’on bat 148,

        Quoyqu’au batre s’est esbatu

325  (Le corps bieu !), quant il est batu149

        Tant qu’il se fault rendre au batant 150,

        Pas n’est jeu, pour estre151 esbatant.

        Quant il y a quelque destour152,

        Tousjours au batre fault153 l’amour,

330  Où est tout plaisir enfouy.

        Et c’est pourquoy je m’en fouÿ154 :

        Car sachez qu(e) ung coup, en bataille155,

        Trop l’eschine156, soubz le bast 157, taille.

        Pour tant158, en la combaterie

335  N’en lieu où y ayt baterie159,

        Mauldit soit qui s’i embatra160 !

        Tant qu’il sache, qu’on161 se batra,

        V(e)ez là162 tout. V(e)ez là mon propos :

        Batailler à voirres163 et potz,

340  À trippes, à pintes, à tasses,

        À culz, à fesses164, à tétasses,

        C’est bataille que je désire.

        Mais toutesfois, il fault que tire

        Vers Égée165, pour enquérir

345  S’il fera personne mourir :

        À cela ne fault contredire.

        ………………………………

.

                        En chantant : 166

        Dieu le vous myre167, myre, myre !

        Dieu le vous myre, frère André !

        Ha ! par ma foy, il me faict rire.

                        TOUS  ENSEMBLE

350  Dieu le vous myre, myre, myre !

                        LE  PREMIER  CHEVALIER

        Puisqu’il nous a tant voulu nuyre,

        De le batre ne me faindray168.

                        LE  SECOND  [CHEVALIER]

        Dieu le vous myre !

                        L’ESCUYER

                                       Myre !

                        DARU

                                                  Myre !

                        ENSEMBLE

        Dieu le vous myre, frère André !

        ………………………………

.

                        DARU 169

355  Et ! j(e) osteray ma heurte-bière170

        Et habitz pour mieulx cheminer,

        Et vers Rommanie trayner

        Mes guestres, au partir d’icy.

        ………………………………

.

        Et ! ne viendra quelque menteur

360  De ceulx qu’à nostre Loy171 s’opposent ?

        Hélas ! mes oustilz se reposent

        Et le maistre ne gaigne rien.

        Je tempeste, je voys172, je vien,

        Je travaille, je quiers, je trace :

365  Et si173, ne puis trouver la trace

        De ceulx qu’à mettre à mort demande174.

        Que faict Néron, qu’il ne commande

        À mettre aucun meschant à mort ?

        Ou Agrippe175, qu’il ne s’amort176

370  À enchercher et enquérir,

        Pour sus quelque meschant courir ?

        Comment despescher le pourrons177 ?

        Où sont meurtriers ? Où sont larrons ?

        Où sont hazardeurs178, crocheteurs,

375  Pendars d’homicides fauteurs179 ?

        Je ne gaigne pas ma despense.

        Venez çà ! Sçav’ous que je pense180 ?

        Qu’à ces corbineurs181 de Justice

        Ne soit venu à leur notice182

380  Quelque larron en jugement,

        Qu’ilz ont perdu secrètement183

        En quelque rue traversière ;

        Aux pendans de leur gibessière

        Seroit-il jamais advenu184 ?

        ………………………………

385  N’y aura-il personne prise185,

        À celle fin que je m’esbatte

        À les pendre, ou que je les batte ?

        Que de Dieu chascun soit mauldict !

        Chut ! Vous ne sçavez qu’on186 m’a dict ?

390  Par le grant dieu ! on m’a compté187

        Bien le sçay, je l’ay escouté.

        Toutesfoys, je ne sçay pas bien

        S’il est vray. Mais n’en dictes rien,

        Voyez-vous ? Certes, si feriez ;

395  Et ! au fort, quand vous le diriez,

        Je diroye à chascun, de vous,

        Que vous auriez menty trèstous

        Par le fin fons de la gargate188.

        Dieu pry189 que le dyable m’abatte

400  S’on ne m’a dict (qui190 ? gens agus

        Et subtilz) que Simon Magus

        Feit l’aultre hier191 à Néron entendre

        Qu’à la mort se faisoit estendre

        Pour soy après ressusciter ;

405  Et sembloit qu’il se feist oster

        La teste dessoubz le menton192,

        Et ce n’estoit fors193 qu(e) ung mouton

        Qu(e) ainsi feit à bon essïen

        Sembler194, par art magicïen.

410  Et moy-mesmes je m’en doubtay :

        Car quand la teste luy ostay,

        Il sembloit qu’il n’y estoit point195

        Comme chair d’homme, n’en tel point.

        Il y a quelque chose à frire196.

415  Ne vous jouez pas à le dire,

        Car à voz dictz contrediray

        Et, par tous noz dieux, je diray

        Que vous-mesmes avez ce dit197.

        Nul n’y peult mectre contredict.

        ………………………………

.

420  Puisqu(e) à ce vostre vueil se fonde198,

        Néron, puissant Impérateur,

        Comme hardy opérateur,

        D’elle vois faire la despesche199.

        La vieille trop le monde empesche ;

425  Voylà son dernier sacrement200 !     Il l’assomme.

                        AGRIPPINE

        Vrays dieux, je meurs injustement ;

        Plaise vous me loger en gloire201 !

                        DARU

        Plus ne jouera de la maschouère202 :

        Elle est morte, la bonne dame.

        ………………………………

.

430  Quant à ma personne regarde,

        J’estoye — si Dieu eust voulu

        Avoir mon corps pour estre esleu203

        Assez homme pour, en arroy204,

        Estre prince, prélat ou roy,

435  Pour en triumphe avoir vescu.

        J’ay les jambes jusques au cu,

        J’ay la cuysse jusqu(e) au tallon205,

        J’ay la barbe jusqu(e) au menton,

        J’ay le ventre jusques au bout,

440  J’ay piedz et mains, et teste, et… tout206.

        Ne suis-je donc homme formé ?

        Et qui seroit207 bien informé

        De la vaillance de mon corps,

        Et seroit de mes faictz recordz208

445  (De209 par le grant dieu), je seroye

        En des lieux où me trouveroye

        Digne d’avoir beaucoup de charge.

        Mais jà ne fault qu’on me descharge210 :

        À ce ne seray-je trouvé.

        ………………………………

.

450  Et Daru, l’appelle-l’on point ?

        Qu’est-ce à dire ? Dea ! demourray-je

        Garder l’hostel211, le cul au siège ?

        Non, non ! Car si à dire s’amord212

        Chose dont on le mette à mort,

455  Quant je m’y vouldray occuper213,

        Il me fauldra le col coupper

        À quelque brebis morfondue214 ;

        Et puis, si la peau est vendue,

        J’en auray quelque peu d’argent.

460  Je ne vueil plus estre targeant215 :

        Jupin au216 grant Conseil m’esleut.

        ………………………………

.

        Ay-je tué une brebis,

        Soubz l’ombre de son faulx prescher217 ?

        Bien, donc : devenu suis boucher !

465  Aussi je ne croyoye point

        Que Dieu l’eust218 laissé, pour nul poinct,

        Entre les grandz et les petitz,

        Décoller à ung apprentis ;

        Je ne le croyray en nul lieu.

470  Or çà ! Et si j’ay tué Dieu,

        Et s’est suscité219 par ses ditz,

        Je suis bourreau de Paradis :

        À ces parolles le voit-on.

        Et si j’ay tué ung mouton

475  Tant bien qu(e) ung aultre laboureur220,

        Je suis boucher de l’Empereur.

        Que voulez-vous ? C’est adventure.

        ………………………………

.

                        Icy, doibvent tous sentir Pierre, &

                        puis faire ung cry et s’enfuir.221

                        DARU  court après.

        Hare222 ! hare ! Si me mordez,

        Je le diray à l’Empereur.

480  Je suis le boucher monseigneur223 ;

        Ce n’est pas moy que demandez.

        ………………………………

.

        Est-ce par don ou flaterie224

        Que Daru est tant ravallé

        Qu’au mistère225 n’est appellé ?

485  Qu’est-ce à dire ? Qu’ay-je meffaict ?

        Qu’i a-il ? Que diable ay-je faict,

        Que ce déshonneur me faict-on ?

        Si j’ay descollé ung mouton,

        Or chut, de par le diable, chut !

490  Par le grant dieu ! il me meschut226,

        En despit de la vanterie227.

        ………………………………

.

                        DARU  soit en ung hault lieu monté.

        Advisez où je suis monté

        Pour regarder Simon Magus.

        Mais je sens des cloux228 si agus

495  Que je n’y voy de secours nul,

        Qui me mettent mon povre cul

        À terrible exécution229.

        ………………………………

        Allons voller ! Allons voller !

        Ha, par le grant dieu ! Sans frivolle,

500  On m’a dict que Symon s’en volle230.

        Ou (comme ay ouÿ réveller)

        Avecq les grues va baller

        En guise231 d’ung oyseau saulvage ;

        Et qu’il n’aura corps ne visage

505  Que tout ne soit de plumes plain232.

        Au Temple voys233 (pour tout certain)

        Veoir s’il vollera gentement.

        ………………………………

.

        Mais à quoy tient que l’on ne tire

        De prison ces huyt loricquars234 ?

510  Il en y eust — que brusléz qu(e) ars235

        Plus de cent, qui les m’eust livréz236 !

        Les auroit Néron délivréz

        Par quelque fallace incertaine237 ?

        Que de forte fièvre quartaine

515  Soit espousé et relié

        Celluy qui s’est humilïé

        À les tenir en seure238 garde,

        Et qui les print239, et qui les garde,

        Et l’Empereur, et Mamertin,

520  Albinus, et sire Paulin,

        Parthémïus, et Migestus,

        Frita, Antipater, Cestus,

        Blascus, Gérïon, Ravissant240 !

        Du sens puisse estre hors yssant

525  Qui241 les garde si longuement !

        Luy fault-il autre jugement

        Que p[r]endre, tirer et mener,

        Baisser la teste242, et ramener,

        De la dolouère bien fermy243 ?

530  Me cuyde-l’on si endormy

        Que ne leur liève les cheveulx244 ?

        ………………………………

.

                        Parlant à Mamertin 245 :

        Et ces gallans qu’on feit bouter

        En cage, ces prescheurs subtilz,

        Mamertin : où dyable sont-ilz ?

535  Les veult-on tenir à séjour

        Longuement ? Depuis l’autre jour,

        On n’en a ouÿ nul mot dire.

                        MAMERTIN

        Il n’y en a (par Dieu) nul, sire.

                        DARU

        Pas ung ? De ton dict je me deulz246 !

540  Sont-ilz pas céans ?

                        MAMERTIN

                                        Troys tous neufz247.

        Et deux que sa mère luy garde.

                        DARU

        Or, prens à ta parolle garde !

        Ou troys tous neufz, ou quatre vieulx248 ?

        Par noz dieux ! il te vauldroit mieulx

545  Mourir, si Justice on rompoit

        Par toy ! Entens-tu ?

                        MAMERTIN

                                          Elle poit249.

                        DARU

        Par le grant dieu ! Je jure, en somme :

        Si Néron, l’empereur de Romme,

        Entend que hors s’en soient alléz,

550  Vous en aurez les os galléz250.

        Car pour les garder esleu feustes251.

                        MAMERTIN

        Aussi quarréz que belles flustes252.

        Que demande ce lanternier253 ?

        Il n’y a (par Dieu) prisonnier

555  En la prison, ne prisonnière

        Demeuré.

                        DARU

                          Par quelle manière,

        Mamertin ? Dis-moy le moyen.

                        MAMERTIN

        Demande-le à Martinien

        Et à son compaignon Procès.

                        DARU

560  Et quoy ! ont-ilz faict leur procès254,

        Ou les ont vuidéz de cëans255 ?

                        MAMERTIN

        Demande s’ilz sont chrestïens,

        Et d’autre chose ne t’enquiers.

                        DARU

        Le sont-ilz ?

                        MAMERTIN

                            Pour vray.

                        DARU

                                             Je requiers

565  Que soyez à la mort livréz

        Si je… Mais sont-ilz délivréz

        De la prison ?

                        MAMERTIN

                                Tant de foys dire !

                        DARU

        Le grant dieu me vueille mauldire

        Si ung esclande256 n’en verras !

570  Mais sont-ilz tous dehors ?

                        MAMERTIN

                                                   Taras257 !

                        DARU

        Ha ! tu me troubles la mémoire.

        Mais s’en sont-ilz alléz ?

                        MAMERTIN

                                                Encoire ?

                        DARU

        Pas ne fault que le train258 je perde :

        Par où vont-ilz, Mamertin ?

                        MAMERTIN

                                                    Merde !

575  Va y veoir et tu le sçauras !

        ………………………………

.

                        DARU  luy couppe la teste.259

        S(e) on dict que je chosme, c’est mon260 ?

        Il n’est pas vray, je le proteste.

        Tenez, Paulin261 : v(e)ez là la teste ;

        Allez en faire des pastéz262 !

        ………………………………

580  Seigneurs, ay-je tort si j’ay soif263 ?

        Ay-je pas ung grand coup baillé ?

        N’ay-je pas assez travaillé

        Pour aller boire choppinette ?

        La tavernière est bien finette,

585  Mais je gage de la tromper ;

        Et s’elle s’en peult eschapper,

        La plus fine sera des femmes !

        ………………………………

.

        Or çà ! S(e) on le mect à martire264,

        Quoy ? Pourpenser fault sur ce pas265.

590  Premier266, on ne le pendra pas :

        Il est roy267, et prévost aussi.

        Le fera-on mourir ainsi268 ?

        Si269, devant, le peuple proteste,

        Jà ne luy osteray la teste,

595  Car trop il pourroit couster cher.

        Çà ! le fauldra-il270 escorcher ?

        Je le vouldroye bien sçavoir.

        Ha ! nenny : il a trop d’avoir271.

        Or çà ! pensez-vous qu’on le noye ?

600  Nenny : il a de la monnoye.

        Je m’abuse. Telz prisonniers

        Eschappent assez pour deniers.

        J’en ay beau parler et beau dire272.

*

1 Ou ventru : cf. Louis Du Bois, Glossaire du patois normand, p. 405.   2 La même année, les mêmes éditeurs publièrent une suite des Actes des Apostres écrite par Loÿs Choquet : l’Apocalypse sainct Jehan Zébédée. On y retrouve Daru. Après la mort de Néron, il quitte Rome sans s’être enrichi « au joly mestier de bourreau », et sans avoir d’illusions : « Si mes faictz estoyent amasséz/ Et sur ung blanc papier trasséz,/ On en feroit une satire. » Il sera tué par deux bandits de grands chemins qu’il avait refusé de prendre comme valets. C’est eux qui le remplaceront auprès du nouvel empereur.   3 Si quelqu’un a. « Ou-vrier » compte pour 2 syllabes.   4 Si l’un de vous en a besoin. Idem vers 26 et 212.   5 Je suis là.   6 Éd : citoyen.  (1538 et 1540 donnent à juste titre : payen.)   7 Éd : sours  (Daru mettra saint Thomas dans un four chaud.)   8 Traîner un condamné sur une claie ; idem vers 69 et 283.  Les carrefours sont les haltes où le bourreau fouettait le condamné, au cours d’une lente traversée de la ville.   9 Ne redoutez pas qu’un meilleur que moi se présente. Verbe s’apparoir.   10 Le grand-père. L’éd. de 1540, dans la marge, commente cette généalogie : « La belle lignée de Daru. »   11 Travailla dans un bordel.   12 La plus grande.   13 Plaisanter. « Tandis que cy avons janglé,/ Le fier lyépart l’a estranglé. » Actes des Apostres.   14 Décapité. Idem vers 282, 468 et 488.   15 Éd : Et  (Son fils aîné fut enterré vivant. Voir le vers 283. « Je puisse estre vif enfouy ! » Les Queues troussées.)   16 J’ai sauté, pour tasser la terre. C’est donc Daru qui enterra vif son propre neveu.   17 Pour avoir œuvré.   18 Si l’on avait besoin du meilleur fonctionnaire dans ce métier.   19 Daru est assis dans la chaire où saint Barnabé vient de prêcher. Dès lors, le portier Barrian, qui le tutoyait, s’amuse à le traiter comme un prédicateur : « Maistre Daru, vers vous venons. »   20 Sortes de grilles où l’on coinçait les doigts des suppliciés.   21 Assis dans la chaire de St Barnabé. « Sus ! qu’il soyt en la chaire assis ! » Le Jeu du capifol.   22 Me chercher.   23 Beau gosse. Le bourreau interpelle ironiquement un des sergents d’Astragès qui gravitent autour de lui.   24 Les buccins. Pour faire venir le peuple, les crieurs publics qui annoncent une exécution prochaine soufflent dans un instrument à vent.   25 Un personnage important. Idem vers 103.   26 Le bourreau garde pour lui les vêtements du supplicié.   27 Un loqueteux dont les habits sont déchirés. En argot, un caïmant est un quémandeur, un mendiant : « Et ! faictes-vous le caÿmant ? » Le Mince de quaire.   28 Je les recommande.   29 Canaille, chiennaille. « Englois, quenaille,/ Pourquoy venez en noz pays ? » La Prise et deffaicte des Angloys.   30 Un seul centime. Idem vers 216. « Je n’en donray pas une maille. » (Guillerme qui mengea les figues.) Daru va changer d’avis, et va se spécialiser dans les apôtres (vers 98-100).   31 De basse extraction. Déformation populaire de « gentilhomme de parchemin ». Plus loin, Daru s’affirmera de nouveau « comme ung gentil-homme ;/ Je dy ‟gentil” de basse main. »   32 De mon aïeule. Ayelle rime avec vèle.   33 Ma mère portait le voile, était religieuse. « Je congnois au voile la nonne. » Villon.   34 Ce païen veut faire torturer saint Barthélemy.   35 Je vous battrai aussi.   36 Du roi des Indes. Il trouve que Daru ne ligote pas assez vite St Barthélemy à un pilier, afin de le fustiger.   37 Moins il est sincère et plus il est menteur.   38 Une centaine.   39 Éd : Lescuyer.   40 Occupé (à boire). « Bien empeschié à saouller et emplir son ventre. » ATILF.   41 Œuvré, travaillé.   42 C’est mal dit. Cf. le Mariage Robin Mouton, vers 30.   43 Daru est le fils d’une religieuse (vers 55) dans le genre de sœur Fessue.   44 De long en large. Cf. Lucas Sergent, vers 255.   45 Si je ne le vide pas de son sang.   46 Je ne m’oppose pas à subir autant de coups. Toutefois, Daru ralentit la cadence.   47 En ce qui concerne ce côté-ci. Le bourreau va s’attaquer à l’autre côté du saint, qui est encore intact.   48 Éd : chot  (1538 et 1540 : sof)   49 Frappe à coups de maillet ! « On congne, on maille. » (Marchebeau et Galop.)  Charger = charger de coups. « Mais de mes coups les chargeray ! » (Les Hommes qui font saller leurs femmes.) Pour la rime, on prononçait « cherge », qui est d’ailleurs la graphie adoptée par 1538 et 1540.   50 On assouplit le cerveau des écoliers en leur donnant des coups de verges sur les fesses.   51 Par Jupiter ! Idem vers 104 et 461.   52 Suit. Effectivement, Daru traverse tous les pays où prêchent les apôtres. Ce personnage capital est le fil rouge qui confère un semblant d’unité à la seconde moitié du Mystère.   53 Daru vient d’exécuter saint Philippe, dont le prévôt lui a donné les riches vêtements (note 26) : « Prens tous ses habitz, ilz sont tiens ! » Émerveillé, le bourreau les contemple un par un.   54 Fait le grand personnage. Idem vers 40. « Ne nous fay jà cy du gros bis ! » Le Capitaine Mal-en-point.   55 Ils ne risqueront pas de le dire.   56 Quand je regarde ces riches habits.   57 Daru enlève son manteau de bure, puis il revêt les habits de St Philippe.   58 Éd : mot que  (Se moque de moi celui qui en a envie !)   59 Beaucoup de mendiants simulaient des infirmités. Pour gagner du temps, les fatistes réutilisaient dans leurs Mystères des œuvres plus anciennes, et en particulier des farces ; Gréban s’efforce donc — d’une manière fort peu convaincante — de refiler un vieux rôle de mendiant à son bourreau, qui n’a aucune raison de troquer un métier lucratif qu’il adore, contre un métier méprisable et dangereux.   60 Acquérir, gagner. Daru tente de cacher ses fouets dans un sac, mais ils débordent.   61 1538 et 1540 intitulent cette farce réchauffée : Daru contrefaict l’aveugle (en marge) ; ou : De Daru qui contrefaict l’aveugle demandant l’aumosne à l’hoste (dans la table des matières).   62 Un bâton propice : l’ancêtre de la canne blanche.   63 Le piteux, l’hypocrite. Cf. l’Aveugle et Saudret, vers 54. Daru chante une ballade : les aveugles gagnaient leur vie en poussant la chansonnette.   64 Éd : que  (Ils n’ont jamais été aussi bien.)   65 Je m’emploie. Idem vers 229.   66 Pour gagner.   67 Je n’y vois pas plus avec mon cul qu’avec ma tête, où sont mes yeux. L’aveugle d’Ung biau miracle chante ceci : « Faites vostre aumosne au povre homme/ Qui ne voit, n’oncques ne vit goute/ Non plus des yeulx qu’il fait du coude. »   68 Éd : vous   69 Annulés. Pour dissimuler ses beaux habits, Daru s’enveloppe dans son grossier manteau de bure (vers 224).   70 Les désagréments.   71 Éd : des biens  (Envoyez-moi vite, de votre cuisine.)   72 Quelques morceaux de vos restes.   73 Je ne reconnais.   74 Éd : dons ne iouetz  —  1538 et 1540 : dont me tais  (Ce que je souhaite. « Et les souhaitz qu’ils avoient faictz. » Les Souhaitz du Monde.)   75 Ce tavernier de Hiérapolis rentre chez lui en parlant avec son épouse. Ils pratiquent la charité chrétienne, et sont donc faciles à berner.   76 Clarita = clarté. Pour rassurer les deux chrétiens, Daru estropie du latin. Au vers suivant, lumina = lumière.   77 Le faux aveugle ne jure plus par Jupiter (vv. 97 et 104), par Mars (v. 66), ou par Mahomet (v. 312) : il jure maintenant par le Dieu auquel il ne croit pas.   78 Je vous mènerai bien, présentement.   79 Payer de retour.   80 Je vais. Idem vers 278, 363, 423 et 506.   81 Du vin mêlé d’eau, dans lequel on trempe du pain. « De vin pur sans trempe. » ATILF.   82 Il place un pot de vin entre les mains du faux aveugle, qui va le vider rapidement.   83 En très bon état.   84 Comme va celui que nul n’allume, n’éclaire. « La lune,/ Qui de sa clarté nous alune. » Mystère de saint Sébastien.   85 Le bourreau parodie la conversion de Saul (futur saint Paul) sur le chemin de Damas : « Alors descend une grande lumière qui faict trébuscher Saulus ; & devient aveugle. » Table indiciaire du premier volume des Actes des Apostres.   86 Éd : entre  (Pour Daru, la mâchoire est le centre vital de l’homme, puisque c’est ce qui lui permet de manger. Voir le vers 428.)   87 « Et tout confuz demoure là. » Pour le cry de la Bazoche.   88 Éd : fus  (Que je sus.)  Ayant trop bu, Daru s’emmêle dans ses explications ; il va se reprendre aux vers 195-6.   89 Éd : Je dis  (C’est ce que j’ai dit ?)   90 Éd : sangle  (J’ai commis un lapsus. Cf. le vers 16.)   91 De moi-même, je ne pourrais plaisanter ainsi. Cf. Troys Galans et un Badin, vers 146.   92 Éd : ie ny  (Et si j’y mettais un peu d’eau ? Daru se garde bien de le faire.)  « Eau-e » compte pour 2 syllabes : cf. l’Amoureux, vers 117 et 174.   93 De bouillons reconstituants que l’on sert aux malades. Cf. le Testament Pathelin, vers 133.   94 S’ils aboyaient contre moi.   95 File, clébard ! Cette expression est surtout appliquée aux humains : cf. Guillerme qui mengea les figues, vers 355.   96 Celui qui. Elle parle donc de son mari.   97 Que je l’assommerais avec plaisir. « Je l’estourdis comme ung poullet. » Les Tyrans.   98 Daru caresse la tavernière en feignant de la prendre pour un chien qu’il a fouetté sans le vouloir. Pataud est un nom de chien.   99 Ramassez vos affaires et allez-vous-en !   100 Vous vous contenterez de.   101 Nul besoin.   102 Petit malin. « Soyez seur/ Que je vous payray, Fine Myne ! » (Dyalogue pour jeunes enfans.) C’est un personnage des Sotz fourréz de malice et des Sotz triumphans.   103 De ce côté : dans ce sens, pour sortir de chez vous. L’aveugle recouvre miraculeusement la vue. Il ôte son manteau de bure, sous lequel il porte le bel habit de St Philippe.   104 Élégant, bien fringué. « Ces fringueux/ Qui ont perrucques à l’envie. » Maistre Doribus.   105 C’est un faux mendiant.   106 De bure, laine grossière dont se couvrent les pauvres et les moines. Cf. le Povre Jouhan, vers 99.   107 Organisera.   108 Je me suis employé.   109 Un dégourdi. Idem vers 553. « Quel lenternier ! » Le Pardonneur.   110 Je l’ai bien eu !   111 Ce vers, qui clôt le 6ème Livre, est un congé au public comme on en trouve à la fin des farces. È finita la commedia : Daru va réintégrer son rôle de bourreau.   112 Quelle fine mouche. « Il nous fault sçavoir en quel part/ Nous trouverons si fine espice. » La Pippée.   113 Ce n’est pas la première fois — ni la dernière ! — que Daru se gargarise avec des phrases dépourvues de sens.   114 Si on n’agit pas pour soi-même.   115 Un temple hindou s’effondre sur les fidèles ; dehors, Daru les écoute geindre au lieu de les secourir.   116 Ne savez-vous. Idem vers 377.   117 On ne les comprend ni un peu, ni un peu : pas du tout. Cf. le Capitaine Mal-en-point, vers 150.   118 Ce que.   119 Le païen Daru fait un signe de croix.   120 Sur ordre d’Urinus, proconsul de Thessalonie, deux chasseurs ont capturé un sanglier monstrueux afin qu’il tue saint André. Le bourreau leur donne des conseils avisés, à la suite desquels l’animal tuera les chasseurs. Dans le Mistère du Roy Advenir (v. notice), le messager Daru est lui-même en relation avec deux veneurs.   121 Parmi les bateleurs, il y avait des montreurs d’animaux exotiques.   122 De Turquie, d’Arabie. « S’il eust esté de Sarrazinesme,/ Il eust payé six mille solz. » Colin filz de Thévot.   123 Éd : pinart  (Un pivert. « Paons, pymars et lorios. » ATILF.)   124 Éd : Estrangla  (Se retira, retourna. « Ilz se retrayèrent en Bourgoingne. » ATILF.)  L’enfant eut si peur qu’il retourna dans le ventre de sa mère. « Un homme peut-il encore entrer au ventre de sa mère & naistre ? » Bible de Genève.   125 Un spécialiste.   126 Et aussi, nous avions un centaure.   127 J’apprivoiserais.   128 « À lui ! » : à l’attaque ! Idem vers 90.   129 Daru fait sortir un léopard de sa cage pour qu’il dévore saint André. Le « dompteur » va fuir, et le félin égorgera le fils du proconsul.   130 Contrepèterie : voyez ma croix. Le païen Daru se signe dès qu’il a peur.   131 C’est le prévôt de Patras. Après ses mésaventures zoologiques, Daru a jugé plus prudent de changer d’air.   132 Daru insistera plus loin : « Batre,/ Pendre, tirer, tuer, abatre,/ Rostir, brusler, escarteler. »  Rôtir = brûler vif ; c’est une des spécialités (au sens culinaire) de notre bourreau, qui s’en vante : « Pour bien rostir ou fricasser,/ Voicy ung rôtisseur venu ! »   133 Fuir. Idem vers 331.   134 Il a fait mettre en prison des chrétiens, parmi lesquels saint André.   135 À condition qu’il ne vienne aucun chrétien pour libérer les autres.   136 Si un infidèle vient.   137 Daru s’enfuit. Ce qui ne l’empêche pas de venir jouer les matamores quand il n’y a plus de danger.   138 Quand ces chrétiens vinrent me demander les clés de la prison, je n’étais pas rassuré.   139 De sagouins : « Il n’y a sy villain huron,/ Sy lourdault ne sy vilageoys. » (Les Mal contentes.)  Les merdailles sont des mendiants : « Il ne viendra/ À mon huis un tas de merdailles. » Les Esbahis.   140 Daru mime des gestes d’escrimeur, avec tellement de maladresse que tout le monde s’écarte.   141 Les païens des Mystères jurent indifféremment sur des dieux mythologiques, musulmans, ou fantaisistes.   142 Daru mélange Godefroid de Bouillon avec Roland et Olivier, les héros de Roncevaux. « Et par Godefray de Billon. » (Les Trois amoureux de la croix.) On reconnaît l’un de ces innombrables anachronismes dont les fatistes truffaient malicieusement leurs Mystères, pour le plus grand plaisir des spectateurs cultivés.   143 Je ne donnerais pas plus cher d’eux que d’un papillon.   144 Cri de sentinelle : cf. les Frans-archiers qui vont à Naples, vers 148. Une fois de plus, Daru se livre à un grotesque numéro de mime.   145 Vrai.   146 À battre un con [le sexe d’une femme]. « Il ne sçait pas qu’est-ce que de combatre,/ Cil qu’entreprend de plusieurs cons batre. » Gratien Du Pont.   147 En admettant qu’on prenne du plaisir à battre un con.   148 Ce con bas. « C’est laide beste que ce villain con bas. » G. Du Pont.   149 « Il y a maintz qu’ont tant de cons batuz/ Qu’en la fin sont vaincuz et combatuz. » G. Du Pont.   150 Au vainqueur. « Ceulx-là qui sont de plusieurs cons batans. » (G. Du Pont.) Ou bien : au battant de la cloche, au pénis. « O ! que vostre batail est trop mol pour ma cloche ! » J. de Schelandre.   151 Éd : sestre  (Pour s’ébattre, prendre du plaisir.)   152 Un obstacle : une perte d’érection.   153 Pendant le coït défaille l’amour (verbe faillir). Au 1er degré, ce dicton vise les maris qui battent leur femme : « Je ne pourrois aimer celuy qui auroit mis divorce entre mon mary & moy, mesmement jusques à venir à coups, car au battre fault l’amour. » Marguerite de Navarre.   154 Je m’enfuis.   155 Lors du coït. « L’inconstant/ Jouvenceau le faict tant,/ Trop chaud à la bataille. » Ronsard.   156 Le pénis. « Et d’une eschine roide au combat préparée,/ (Mon vit) montre que sa colère est à l’extrémité. » Malherbe.   157 Le bas : le sexe de la femme. Cf. les Femmes qui font renbourer leur bas.   158 Pour cela.   159 Un échange de coups.   160 Celui qui s’y fourrera. « Il lui embat jusqu’aus coillons/ Le vit au con. » De la pucelle qui vouloit voler.   161 Tant qu’il pourra, le con. Le Tournoy amoureux narre dans le style épique une guerre entre les cons et les vits ; les premiers gagnent facilement.   162 Voyez là : voilà. Idem vers 578.   163 Contre des verres de vin. « Il vouloit faire guerre/ Encontre ung pot ou contre ung verre. » Le Gaudisseur.   164 « Je ne veulx guerroier qu’aulx fesses. » (Troys Pèlerins et Malice.)  « Les tétons deviennent tétasses. » Guillaume Coquillart.   165 Que j’aille vers le prévôt Égée.   166 Le bourreau et ses complices battent saint André en musique, laquelle n’adoucit pas toujours les mœurs. Dans le même genre, les Actes des Apostres contiennent deux chansons interprétées par des diables.   167 Vous le rende. Verbe mérir : « Dieu vous le myre ! » (Farce du pet.) Cette chanson non retrouvée était probablement grivoise, comme beaucoup de celles où apparaît un moine.   168 Je ne ferai pas semblant. « Mauldict soyt-il qui se faindra/ De fraper ! » Le Raporteur.   169 Suite à de nouvelles aventures peu glorieuses, Daru veut chercher refuge à Rome.   170 Mot inconnu, de même que le hurtebière de 1538 et 1540. On pourrait lire cordelière [ceinture] : cf. les Mal contentes, vers 99. Certains religieux arboraient une cordelière ; or, Daru porte toujours les vêtements de St Philippe.   171 Qui à notre religion.   172 Je vais.   173 Et pourtant.   174 De ceux que je voudrais mettre à mort.   175 Le prévôt Hérode Agrippa, destinataire malgré lui de la 2ème chanson des diables.   176 Qu’il ne s’évertue. Verbe s’amordre. Idem vers 453.   177 Comment pourrons-nous l’expédier ? Idem vers 46 et 423.   178 Les tricheurs, aux jeux de hasard : « Pipeur ou hazardeur de déz. » (Villon.)  Les crocheteurs forcent les serrures : cf. les Tyrans, vers 10-12.   179 Les gibiers de potence faiseurs d’homicides.   180 Savez-vous ce que je pense ? Daru se rapproche des spectateurs et leur parle confidentiellement, tant ce qu’il va dire est grave.   181 Furetière dit qu’au palais de Justice, on appelait « corbineurs ceux qui tiroient la pièce [de l’argent] des plaideurs, & ruinoient des parties ». Daru vise les juges corrompus, comme il le fera encore aux vers 588-603.   182 À leur connaissance. « Lesdiz faiz et cas sont venuz à notice de Justice. » ATILF.   183 Qu’ils ont discrètement laissé fuir.   184 Auraient-ils perdu dans une rue leur bourse ? « Le chevalier avise la bourse, et la prent par le pendant [cordon]. » ATILF.   185 Capturée.   186 Ce qu’on. Sur ordre de Néron, Daru a décapité Simon le Magicien ; mais par un sortilège, ce dernier lui a fait décapiter un mouton à sa place, afin de pouvoir « ressusciter » et passer pour Dieu. L’honorable bourreau est donc devenu un vulgaire boucher ; il ne se remettra jamais d’une telle déchéance.   187 On m’a raconté que… Daru chuchote devant le public l’histoire du mouton de manière inaudible, en mimant la scène.   188 De votre gorge. « Ung estron de chien/ Au milieu de vostre gargate ! » L’Aveugle et Saudret.   189 Je prie Dieu.   190 Éd : ouy  (Aigu = fin, intelligent.)   191 L’autre jour.   192 Il a semblé que Simon se faisait décapiter.   193 Rien d’autre.   194 Qu’il fit ressembler à lui-même.   195 Que cela n’était pas.   196 Éd : dire.  (Gréban n’a jamais commis une rime du même au même avec un sens identique.)  Il y a anguille sous roche.   197 Que vous avez dit cela (l’histoire du mouton).   198 Puisque c’est votre volonté. Néron veut faire tuer sa mère, Agrippine. Cette scène, qui manque dans 1538 et 1540, n’est visiblement pas de Simon Gréban.   199 Je vais la dépêcher, l’exécuter.   200 Éd : testament.  (Voilà son extrême-onction. « Véci ton dernier sacrement ! » Trote-menu et Mirre-loret.)   201 Qu’il vous plaise de me loger aux champs Élyséens, le paradis des païens.   202 De la mâchoire : elle ne mangera plus jamais. « Allons jouer de la mâchouère ! » Le Chauldronnier.   203 Pour que je sois élu échanson des dieux, comme Ganymède, dont Jupiter avait eu le corps.   204 Avec prestige.   205 Daru s’embrouille : j’ai les cuisses jusqu’au cul, j’ai la jambe jusqu’au talon.   206 Daru a failli dire « bout », qui désigne le pénis : « C’est pourquoy les femmes sont si friandes de dire aux hommes : ‟Prestez-moy vostre bout pour boucher mon trou !” » Chansons folastres.   207 Si on était.   208 Et si on se souvenait de mes hauts faits.   209 Éd : Ou   210 On n’aura pas besoin de me démettre de ces hautes fonctions.   211 La maison. « Aussi ne me sers-tu de rien/ Qu’à garder l’hostel. » (Le Cousturier et Ésopet.)  Le siège est peut-être encore la chaire de St Barnabé.   212 Car si Daru se met à dire. Le bourreau parle de lui à la 3e personne aux vers 450 et 483.   213 Quand je voudrai exécuter Daru. La scène est totalement surréaliste.   214 Malade. « Tousser comme brebis morfondues. » Satyre Ménippée.   215 Je ne veux plus m’attarder.   216 Éd : du  (Quand je me serai exécuté moi-même, Jupiter m’intégrera au Conseil des dieux de l’Olympe. Bref, Daru se voit déjà assis à la droite du Père.)   217 À cause des prêches mensongers de Simon le Magicien.   218 Éd : se eust  (1538 et 1540 : eust)  Je ne crois pas que Dieu aurait laissé Simon être décapité par un novice.   219 Et qu’il s’est ressuscité. « Par miracles,/ En suscitant les trespasséz. » ATILF.   220 Aussi bien que n’importe quel autre paysan.   221 Des diables ayant pris l’apparence de chiens viennent flairer saint Pierre, qui les fait fuir. Daru les poursuit pour faire croire qu’il est responsable de leur fuite.   222 Cri par lequel on excite les chiens. Daru l’a déjà employé : « Hare, lévrier ! À luy ! à luy ! »   223 De Néron (génitif archaïque). Voir le vers 476.   224 Est-ce parce que ses ennemis ont répandu des dons financiers ou des flatteries.   225 Qu’aux affaires. Second degré : qu’il ne parle plus dans ce Mystère.   226 Ce fut pour moi une malchance.   227 Quoique je me vante du contraire.   228 Des furoncles aux fesses. Daru n’aurait pas dû s’asseoir dans la chaire de saint Barnabé…   229 Pour un bourreau, le mot est bien choisi.   230 Simon le Magicien va s’envoler, soutenu par des diables invisibles qui le laisseront choir. Daru lui dédiera une oraison funèbre lapidaire : « Bien a vollé, mais il s’est mal tenu :/ Car au tumber, s’est rompu le cerveau. »   231 Il va danser à la manière.   232 Trois des acteurs de la Pippée, qui jouent un rôle d’oiseau, sont eux aussi couverts de plumes.   233 Je vais.   234 Ces fanfarons. Cf. le Nouveau marié, vers 191. Il s’agit bien sûr de chrétiens, parmi lesquels saint Pierre, et saint Paul — que Daru nommera aussi : « le conard, le décepveur fol. »   235 Tant de brûlés que de réduits en cendres. « Il y en eut, que tuéz que brusléz, environ huit mille. » Bible de 1561.   236 Si on m’avait livré les 8 prisonniers, j’aurais brûlé plus de 100 d’entre eux. Décidément, Daru est un bourreau de travail !   237 Par un stratagème douteux.   238 Sûre, vigilante.   239 Et celui qui les captura.   240 Ravisseur. C’est l’écuyer du prévôt Agrippe (vers 369). Tous les hommes susnommés travaillent pour Agrippe ou pour Néron.   241 Puisse-t-il sortir du sens, devenir fou, celui qui…   242 Incliner sur le billot la tête du condamné.  Ramener = asséner un coup : « Entoisa [il leva] sa grosse masse, ramenant un coup foudroyant. » Lacurne.   243 Tenant la doloire [hache] d’une main ferme.   244 On relève ou on coupe les cheveux du condamné avant de le décapiter, pour qu’ils ne gênent pas la manœuvre. Il n’y a pas si longtemps, on coupait le col de sa chemise.   245 Chargé par Néron de surveiller les prisonniers St Paul et St Pierre, il les a libérés contre quelques deniers versés par les convertis Martinien et Procès.   246 Je me lamente. Verbe se douloir.   247 J’ai 3 écus tous neufs. On use de cette boutade pour dire qu’on n’a rien à donner. « Ouy dea, il en a troyz tout neufz ! » (La Pippée.) « J’en ay là trois/ Tous neufz, à compter riffle-à-riffle. » (Te rogamus audi nos.) Bref, Mamertin se moque du bourreau, et répond toujours à côté de la question.   248 Ou 3 écus neufs, ou 4 écus vieux. « Grant planté [quantité] d’escuz vieux. » La Confession du Brigant.   249 Elle pète. « S’il va, s’il vient, s’il dort, s’il poit. » Ung biau miracle.   250 Battus. Cf. Calbain, vers 339.   251 Vous fûtes élu, choisi.   252 « Aussi droit, par Dieu, comme gaulles !/ Quarray comme une belle fluste ! » (Les Coppieurs et Lardeurs.) Non seulement la réponse est absurde, mais en plus, elle dissimule un double sens érotique : aussi érigés que de beaux pénis.   253 Ce dégourdi. Idem vers 231.   254 Les ont-ils jugés puis acquittés ?   255 Ou les ont-ils libérés de cette prison ? « Cians » rime avec « chrétians », comme « escient » rime avec « magician » à 408.   256 Un esclandre.   257 Taratata !   258 Leur trace.   259 Il décapite le converti Martinien (vers 558).   260 Est-ce vrai ?   261 Chevalier aux ordres de Néron (vers 520). Daru lui lance la tête de Martinien comme un ballon.   262 Plaisanterie de bourreaux : « Portez-le bouillir,/ Rostir, ou faire des pastéz ! » Mistère de la Conception.   263 Le bourreau vient d’exécuter plusieurs chrétiens. Mais il n’a pas besoin de cela pour avoir soif.   264 Daru parle d’Agrippe (vers 369) : le prévôt de Rome a osé anticiper un ordre de Néron, et risque donc d’être condamné à mort, s’il ne corrompt pas les juges.   265 Il faut réfléchir à cela.   266 D’abord.   267 Roi des Juifs. Pour ce qui est des prévôts, Gournay et Micet ont bel et bien pendu celui qui leur ordonnait de pendre les autres.   268 Le bourreau simule une décapitation.   269 Éd : Cy  (Le peuple qui assistait aux exécutions prenait quelquefois le parti du condamné.)   270 Éd : fera il   271 D’argent : il pourra donc acheter les juges. « Son père qui, par plusieurs foiz,/ Du gibet l’avoit racheté. » Éloy d’Amerval.   272 J’ai beau râler et j’ai beau dire, ils sont au-dessus des lois. 1538 et 1540 commentent en marge : « Nota contre les mauvais justiciers. »

LES BÉLISTRES

Bayerische StaatsBibliothek

Bayerische StaatsBibliothek

.

*

LES  BÉLISTRES

*

.

Simon Gréban intégra cette farce au troisième livre de son Mystère, les Actes des Apostres, terminé vers 1470. Les bélîtres dont il est question sont des fainéants qui préfèrent mendier — d’une façon parfois agressive — plutôt que de travailler. Ils portent un nom prédestiné : MAUDUIT = mal duit, mal élevé ; les gueux des Maraux enchesnéz se qualifient de « povres enfans mauduytz ». TOULIFAUT, ou Tout-lui-faut = tout lui manque ; le mendiant Saudret a pour « surnom Tout-luy-fault ». TROUILLARD = foireux.

Source : Actes des Apostres. Édition parisienne d’Arnoul et Charles Les Angeliers, 1541. <Munich, Bayerische StaatsBibliothek, Res/2 P.o.gall. 27-1.> En ce qui concerne spécifiquement la farce, les éditions de 1538 (nouveau style) et 1540 sont moins correctes, et surtout beaucoup moins complètes : voir Daru.

Structure : Rimes plates, avec 3 triolets.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

.

*

Icy commencent

.

les Bélistres.

*

                        MAUDUYT,  le premier povre.1               SCÈNE  I

         Bon jour, Tout-luy-fault !

                        TOUT-LUY-FAULT,  .IIe. povre.

                                                  Hé ! Mauduit,

        Mettez là la main !

                        MAUDUIT

                                      Sauf le gant2 !

                        TOULIFAULT

        Il s’entend ainsi.

.

                        TROUILLARD                                         SCÈNE  II

                                   Que de bruit !

        Bon jour, Toutlifault ! Hé ! Mauduit,

5      Com’ vous va ? Y a-il rien cuyt3 ?

                        TOULIFAULT

        Mauduit, congnois-tu ce brigant ?

                        TROUILLARD

        Bon jour, Toulifault et Mauduit !

        « Mettez là la main, sauf le gant !4 »

                        MAUDUIT

        Quel appétit ?

                        TROUILLARD

                                Fringant, fringant

10    Pour [soupper d’ung]5 clou de charette.

                        MAUDUIT

        Tu t’en vas donc ?

                        TROUILLARD

                                      Mais je m’arreste

        Pour veoir si vous avez que frire6.

                        TOULIFAULT

        Mais qui est-il ?

                        MAUDUIT

                                   Qui ? Il fault dire

        Que son estat n’est pas meschant7.

                        TOULIFAULT

15    Je cuide que c’est ung marchant

        De quelque estrange8 région,

        Qui a plus d’une légion9

        Du métail10 qui soubz l’ongle crocque.

                        MAUDUIT

        Tu es donc marchant ?

                        TROUILLARD

                                             Il se mocque

20    Des maulx chausséz11.

                        TOULIFAULT

                                            Va te pisser12 !

        C’est, vous dit-on, ung espicier13 :

        Il ne maine autre marchandise.

                        MAUDUIT

        Il y pert14 bien à sa chemise :

        Elle est plus jaulne15 que haran.

                        TROUILLARD

25    Voire soret16.

                        TOULIFAULT

                                 C’est de saffran :

        Il en a tout plain sa bougette17 ;

        Et de paour d’en payer la traicte,

        Il en emplist tout plain ses brayes18.

                        MAUDUIT

        Tu en bailles enseignes vrayes19,

30    Toulifault.

                        TOULIFAULT

                         Quoy ?

                        MAUDUIT

                                     Tu ne mentz point.

        Metz cy le nez sur son pourpoint…

        Que sent-il ?

                        TOULIFAULT

                             Ce n’est pas civette20 !

                        MAUDUIT

        C’est donc pouldre de vïolette ?

                        TOULIFAULT

        Non est ; il tire sur le musch21.

                        MAUDUIT

35    Je croy, pour vray, qu’il soit de Tusc22,

        Ou23 quelque marchant de coton.

                        TOULIFAULT

        Pour cause, [il] faict son hocqueton

        Sentir bon24, je l’ay bien congneu25.

                        MAUDUIT

        Pourquoy ?

                        TOULIFAULT

                           Pour estre bienvenu

40    Entre les dames, le mignon.

                        TROUILLARD

        Si j’ay espice plus qu(e) ongnon,

        Deux chefz d’aulx et une eschalotte26,

        Ne si pour Jehan ne pour Charlotte27

        Meine marchandise du monde,

45    Je suis content28 que l’on me tonde

        Rasibus comme cul de cinge !

                        TOULIFAULT

        [Vis-tu]29 de draps ?

                        TROUILLARD

                                          De draps de linge30.

        Je n’ay, par Dieu, rond que le cu31.

                        MAUDUIT

        Par mon serment, c’est bien vescu !

50    Apprenez, paillard, apprenez !

                        TROUILLARD

        Tel me voyez, tel me prenez.

        Je suis légier comme une plume32.

        Quant j’ay ung double33 ou deux, je hume.

        Qui34 me donne, je tendz la poche.

55    Ung jour voys35 droit, l’autre je cloche.

        Je fais du fol et du raillard.

        Et ! que fault-il à ung paillard,

        Sinon ung bissac soubz l’esselle

        Et deux ou trois marcs de vaisselle

60    De beau boys ? Ainsi l’entend-on.

                        TOULIFAULT

        Quel valeton36, quel valeton !

        Ainsi plain de bonnes humeurs,

        S’il estoit prins des escumeurs37

        Ou d’ung coursaire à ung destroit38

                        MAUDUIT

65    Ha, quel dommaige ce seroit !

        Le pays on verroit destruit :

        Car je croy qu’il fera grant bruit39,

        Cest enfant. Le voyez-vous bien ?

                        TROUILLARD

        Ha ! pensez que j’ay eu du mien40

70    Autant qu(e) homme qui s’appartienne41.

        Mais je suis…

                        TOULIFAULT

                              Quoy42 ? Dieu te maintienne !

        Tu es bien mince de pécune ?

                        TROUILLARD

        Et ! que voulez-vous ? C’est Fortune

        Qui tousjours bons marchans guerroye.

                        TOULIFAULT

75    Ha, dea ! c’est ce que je disoye :

        Il est marchant, ou des facteurs

        D’ung lombard43.

                        TROUILLARD

                                     Vrayement, Messieurs,

        Il y pert44 bien à mon pourpoint.

                        MAUDUIT

        Rien, rien, on ne t’en croira point !

80    Car tu es ung marchant publicque45.

                        TOULIFAULT

        Comment ? J’ay veu en sa bouticque

        De laz46, d’espingles, d’esguillettes,

        De fillet47 noir et des sonnettes

        Pour plus de six blancs48 et demy.

                        TROUILLARD

85    Rien ! Tu t’abuses, mon amy.

        Tu as destourné mon advis.

                        TOULIFAULT

        Je regny sainct Gris49 ! Je te veiz,

        Ou le diable dedans ton jaques50.

                        TROUILLARD

        Quant me veiz-tu ?

                        TOULIFAULT

                                       Ce fut aux Pasques.

                        TROUILLARD

90    Tu n’as pas bien leu ton registre51.

                        TOULIFAULT

        Comment ?

                        TROUILLARD

                            Ce fut à la bésistre52,

        Quant moy et ta fille Maunette

        Allions jouer à l’esguillette53,

        À la bisette54 de l’autonne…

                        TOULIFAULT

95    (S’il est vray ce qu’il me jargonne,

        En fin nous trouverons parens55.)

                        TROUILLARD

        … Quant nous goussasmes56 les harens

        Que nous trouvasmes au caignard57.

                        TOULIFAULT

        Et comment t’appelle-on58 ?

                        TROUILLARD

                                                      Trouillard.

100  Tu le dev(e)rois fort bien sçavoir.

                        TOULIFAULT

        (Mauldit soys-je s’il ne dit voir59 !

        Je ne le sçauroye nyer.)

        Quoy ! tu es grant comme ung pommier60,

        Mais regardez quel loquebault61 !

                        MAUDUIT

105  Pensez que c’est ung beau ribault62,

        S’il estoit bien enharnaché63.

                        TOULIFAULT

        C’est le père, tout fin craché64 :

        Il estoit ainsi laid truant65,

        Qui tousjours pétoit en suant,

110  Et ne fist-il66 que quatre pas.

                        TROUILLARD

        Où prenez-vous vostre repas,

        Compaignons ?

                        MAUDUIT

                                 C’est bien sermonné67 !

        Pource que tu n’as point disné ?

        Tu deis bien ; fais-le-nous acroire68 !

                        TROUILLARD

115  S(e) on me veit huy manger ne boire

        Depuis que je feuz deslogé69,

        Par Dieu, je te donne congé

        De faire de mon cul mittaines70 !

                        MAUDUIT

        Et ! tu fais tes fièbvres cartaines,

120  Paillard infâme, mal en point71 !

                        TOULIFAULT

        Seigneurs, ne vous combatez point !

        Remettez au col le bissac72.

                        MAUDUIT

        Se chargé n’eusse l’estomach73,

        Tout sur piedz74 m’en feusse vengé.

                        TOULIFAULT

125  Trouillard a aussi tant mangé

        Qu’il en a le ventre plus rond

        Qu(e) ung tabourin.

                        TROUILLARD

                                        Mais ung estronc !

        Je suis plus plat qu(e) une punaise75.

                        TOULIFAULT

        Ha ! que tu eusses esté aise,

130  Si tu feusse esté avecq nous !

                        TROUILLARD

        Mais de quel diable76 venez-vous,

        Qui estes en ce point bouffis ?

                        TOULIFAULT

        Luy et moy avons desconfis

        Deux grans plains platz de pois au lard…

                        TROUILLARD

135  Hélas ! que n’y estoit Trouillard ?

                        TOULIFAULT

        … Pastéz, et beaulx oysons petis,

        Chappons, et les connins77 rostis.

        J’en suis encores tout enflé.

                        TROUILLARD

        Comment ! Avez-vous tant rifflé78

140  Sans mettre ung lopin en réserve ?

                        MAUDUIT

        Escoutez comment il enterve79 !

        Et ! par Dieu, c’est bien à propos !

        Tout fut mengé, et chair et os ;

        Il80 n’y demoura que la plume.

                        TROUILLARD

145  Mauduit, c’est tousjours ta coustume

        Que d’estre en ce point sur ta bouche81.

        Et quel vin ?

                        TOULIFAULT

                            Ha ! Dieu scet qu’il touche82 !

        Ung vin qui la rosette efface83.

                        TROUILLARD

        Or, que mau senglant preu vous face84 !

150  J’en ay tel despit que j’en sue.

                        MAUDUIT

        Toulifault, comptes-luy l’issue85,

        Beau sire, pour le resjouir !

                        TOULIFAULT

        Voicy…

                        TROUILLARD

                     Je n’en vueil plus ouïr !

        Car quant je vous en oys parler,

155  Dieu scet comment je fais aller

        Ma langue autour de mes baulièvres86.

                        MAUDUIT

        Encor oublions-nous les lièvres,

        Que nous mangeasmes au civé87.

                        TROUILLARD

        Ung peu trop tard me suis levé ;

160  Et ne me failloit que secourre

        L’oreille88. Mais, pour me rescourre89,

        Iray de bonne heure à la queste.

                        TOULIFAULT

        Attendz-nous, dy, hay, grosse teste90,

        Et nous te tiendrons compaignie.

                        TROUILLARD

165  Maydieux91 ! ce seroit grant follie,

        Puisque mèshuy92 ne mengerez.

                        MAUDUIT

        Nenny, vray(e)ment. Mais vous serez

        Avec nous plus honnestement93

        Que tout seulet.

                        TROUILLARD

                                  Par mon serment !

170  Mèshuy iray seul, si je puis :

        Car tant de povres à ung huys,

        Ce n’est pas bien ce qu’il me fault94.

                        MAUDUIT

        Allons après luy, Toulifault :

        Si, aurons part à son butin.

.

                        TROUILLARD,  à la porte de                  SCÈNE  III

                                        Cornélius, centurion.

175  Donnez au povre pèlerin95,

        Au nom de Dieu de paradis !

                        TOULIFAULT

        Hélas ! pour passer son chemin,

        Donnez au povre pèlerin !

        Je ne mengeay puis le matin96.

                        TROUILLARD

180  (Et si, a des fois plus de dix97.)

        Donnez au povre pèlerin,

        Au nom de Dieu de paradis !

                        CORNÉLIUS 98

        Vous ne serez pas esconditz,

        Mes enfans. Car, pour abréger,

185  Vous aurez tous bien à menger,

        Puisque pour Dieu le demandez.

        Émélïus !

                        ÉMÉLIUS

                        Sire ?

                        CORNÉLIUS

                                  Entendez :

        Voilà trois povres à la porte.

        Et pour tant99, je vueil qu’on leur porte

190  À menger assez largement.

        Ilz crient moult piteusement :

        Je pense qu’ilz ont bien grant fain.

                        ÉMÉLIUS

        Voicy de la chair et du pain,

        Seigneur, que je leur vois100 porter.

                        CORNÉLIUS

195   Nous les devons réconforter,

        Mon filz, nous y sommes tenuz ;

        Les revestir quant ilz sont nudz,

        Leur donner à boire et menger,

        Les réchauffer et les loger

200  Quant agravéz sont par traveil101 ;

        Et leur donner aussi conseil

        Qu’ilz prennent tout en patïence,

        Car ce ne seroit pas science

        S’ilz le faisoient tout autrement.

                        ÉMÉLIUS

205  Il sera faict entièrement.

.

        Recevez pour Dieu ceste aulmosne102                        SCÈNE  IV

        Que dom Cornélïus vous donne !

        Ainsi le devez-vous entendre.

                        TROUILLARD

        Je pry Dieu qu’Il luy vueille rendre

210  Lassus103, au royaulme divin.

        Il ne me fault mais que du vin,

        Et je seray trèsbien souppé104.

                        TOULIFAULT

        Voire nous !

                        TROUILLARD

                             J’ay icy happé

        Ung trèsbon lopin, toutesfois,

215  Truffant105, mocquant.

                        MAUDUIT

                                             Mais pour nous trois,

        Je le te dirois106 voluntiers.

                        TROUILLARD

        Et pourquoy ?

                        MAUDUIT

                               Tu n’y as qu(e) ung tiers.

        Tu n’y viendrois jamais à bout.

                        TROUILLARD

        Sainct Jehan ! je sçay bien que j’ay tout.

220  En aille ainsi comme il pourra,

        Mais ce gobet107 me demourra

        Pour soupper, c’est pour abréger.

        Aussi, vous ne pourriez manger :

        Vous estes plains jusques à l’œil,

225  Ce dictes-vous108.

                        TOULIFAULT

                                     (Que j’ay grant dueil

        De ce qu’il a en son bissac

        Nostre soupper !)

                        TROUILLARD

                                     Vostre estomach

        N’en sera mèshuy plus enflé.

                        MAUDUIT

        Quaré 109 ?

                        TROUILLARD

                            Vous avez trop rifflé110 :

230  La dïette vous sera bonne.

                        MAUDUIT

        N’avons-nous pas part à l’aumosne,

        Dy, paillard coquin que tu es ?

                        TOULIFAULT

        Il en y aura de tuéz111

        Avant que d’icy eschappons112.

                        TROUILLARD

235  Quoy113 ! gens qui ont mangé chappons

        Mangeroient voluntiers du beuf ?

                        MAUDUIT

        Par mon âme, tu es bien neuf114 !

        Quant le disner je devisoye115,

        Comment l’entendz-tu ? Je farsoye116,

240  Ouÿ, par le dieu d’Orient !

                        TROUILLARD

        Et ! je fais à bon escïent117,

        Quant à moy : je ne farce point.

                        TOULIFAULT

        Si fais ! Mais pour venir au poinct,

        Tu peulx assez ymaginer

245  Qu’on ne nous eust pas faict disner

        De perdris ne de chappons gras.

                        TROUILLARD

        Comment ?

                        MAUDUIT 118

                           Nous mentons à plain[s] bras :

        Bien suffiroit beuf ou mouton,

        Ou des pois au lard.

                        TROUILLARD

                                         Que scet-on ?

250  Quant à moy, je le croy ainsi119.

                        TOULIFAULT

        Scez-tu quoy ? Départons120 icy,

        Ou bref tu te feras escourre121.

                        TROUILLARD

        Katherine, fourre-luy, fourre ! 122

        S(e) une fois en mes fèbves entre123,

255  Je vous feray et dos et ventre

        Plus platz qu(e) une vieille punaise124.

                        TOULIFAULT

        Et ! fault-il donc que je me taise ?

        À grant-peine je m’y consens.

                        MAUDUIT

        Je te dis qu’il est hors du sens,

260  Et frappe comme ung enragé.

                        TOULIFAULT

        Au diable soit-il hébergé,

        Qu’i l’entraŷne sans retourner125 !

                        MAUDUIT

        Il le nous fault faire adjourner126 :

        Il rendra127 tout, s’il ne le nye.

                        TROUILLARD

265  Je plaideray la main garnye128,

        Vous en devez estre adverty,

        Enfans : beati garniti

        (Comme dit maistre Aliborum129)

        Vault mieulx que beati quorum130.

270  Retenez ceste auctorité !131

        ……………………………..

.

                        TROUILLARD 132                                   SCÈNE  V

        Qui pourroit133 sçavoir en quelz lieux

        Il seroit bon faire la queste,

        J’aurois tantost une requeste

        Despeschée en piteux propoz134,

275  Non par escript mais en doulx motz,

        Ainsi que bien je sçay user135.

                        TOULIFAULT

        Et aussi pour tost abuser

        Tous tes compaignons de l’ostière136 !

                        MAUDUIT

        L’aulmosne emporta toute entière,

280  Que Cornélïus nous donna.

                        TOULIFAULT

        Si finement en ordonna137

        Qu’en la chose à nous impartie

        Ne nous en feit part ne partie138,

        Mais print tout, sauf… nostre deffence139.

                        MAUDUIT

285  Il nous feit une grant offence,

        Dont j’ay empensé me venger,

        J’entens s’il ne se veult renger140

        Comme on doit en fraternité.

                        TROUILLARD

        Croyez, par ma virginité141,

290  Que je ne vous feray jamais

        Maulvais tour, je le vous promectz ;

        Et me pardonnez le commis142 !

                        TOULIFAULT

        Ha ! quel bon « vierge », mes amys !

        Pensez qu’il soit encores « vierge »,

295  Luy qui a esté le consierge

        D’ung bordeau143 plus de quatorze ans ?

                        MAUDUIT

        Voire ! Et si, a faict dix enfans

        À une vieille macquerelle.

                        TROUILLARD

        Je ne veulx point prendre querelle

300  Contre vous : car avant midy

        Je ne me trouve point hardy

        Se, le matin, n’ay résiné144.

        Mais quant j’ay bien mon saoul disné,

        Je ne cherche que l’escarmouche !

                        TOULIFAULT

305  (Garder se fault de ceste mouche,

        Comme j’entens, quant il est yvre.)

                        TROUILLART

        Je vaulx des solz plus d’une livre145,

        Quant j’ay bien la bedaine emplie ;

        Pour ce, de bon cueur vous supplie

310  Que nous aillons tendre la patte146

        En quelque lieu : car j’ay tel haste

        De baufrer que le cueur me fault147.

                        MAUDUIT

        Sçavez-vous que faire nous fault ?

        Voyant que nostre argent est court,

315  Allons-nous-en tous en la Court

        De Gondoforus148, le bon roy.

        Nous y profiterons, je croy,

        Car là est ung sainct aumosnier149.

                        TOULIFAULT

        Il me donna son aumosne, hyer,

320  De quoy m’en repeus150 tout le jour.

                        TROUILLARD

        Allons-y doncques sans séjour151 !

                        MAUDUIT

        Allons !

                        TOULIFAULT

                      Allons sans plus attendre !

        Et que chascun se face entendre

        En contrefaisant le piteux152.

        ……………………………..

.

                        TROUILLARD,  povre.153                      SCÈNE  VI

325  Ha ! très sainct homme, Dieu te rende

        Les grans biens que tu nous as faictz !

                        TOULIFAULT

        Ha ! le plus parfaict des parfaictz,

        Grâces te rendz de cueur entier.

                        MAUDUIT

        Tenir vueil la voye et sentier

330  Que tu presches, à mon povoir154.

        ……………………………..

.

                        MAUDUYT 155                                         SCÈNE  VII

        Hélas !

                        TOUTLIFAULT

                     Hélas !

                        TROUILLART

                                   Hélas ! Hélas !

        Fortune nous est bien contraire156.

                        MAUDUYT

        Perdu avons nostre soulas157.

                        TOUTLIFFAULT

        Hélas !

                        TROUILLART

                      Hélas !

                        MAUDUYT

                                    Hélas ! Hélas !

                        TOUTLIFFAULT

335  Malheur, qui nous tient en ses las,

        Est venu nostre bien substraire158.

                        TROUILLART

        Hélas !

                        MAUDUYT

                      Hélas !

                        TOUTLIFFAULT

                                    Hélas ! Hélas !

        Fortune nous est bien contraire.

                        TROUILLART

        Vers qui nous yrons-nous retraire159 ?

                        MAUDUYT

340  Vers qui yrons-nous à recours160,

        Quant la Mort a nostre secours

        — Pour nostre161 grant malheure — pris ?

                        TOUTLIFFAULT

        C’estoit de charité le pris162,

        Et d’humilité la lumière.

                        TROUILLART

345  Jamais elle n’eut sa première,

        Et jamais n’aura sa seconde163.

                        MAUDUYT

        C’estoit la plus doulce du monde.

                        TOUTLIFFAULT

        C’estoit l’oultrepasse164 en bonté :

        Car oncques ne l’a surmonté

350  Péché, et n’en feit onc approche165.

                        TROUILLART

        C’estoit la Dame sans reproche.

        Et ay ouÿ dire en maint lieu

        Qu’elle a porté le filz de Dieu

        Et conceu166 virginallement.

                        MAUDUYT

355  Je ne le croy point autrement,

        Quoy que les juifz en veullent dire.

                        TOUTLIFFAULT

        Ilz sont si remplis de mesdire

        Que le meilleur d’eulx ne vault rien.

                        TROUILLART

        Jamais ilz ne nous firent bien,

360  Tant sont de perverse nature.

                        MAUDUYT

        Puisque la bonne créature

        Marie nous avons perdue,

        C’est convenable chose, et bien deue167,

        De chercher ailleurs nostre mieulx168.

                        TOUTLIFFAULT

365  Or, regardez donc en quelz lieux

        Nous seroit bon faire demande169.

                        TROUILLART 170

        Les vierges, en troupe bien grande,

        Acompaignèrent le sainct corps.

                        MAUDUYT

        Nous en sommes tous bien records171,

370  Qui fut une excellente chose.

        Parquoy, présent, bien dire j(e) ose

        Que jamais n’a eu sa pareille.

        Parquoy, bien fault qu’on s’appareille

        À chercher pour en trouver une

375  Qui voulentiers, de sa pécune,

        Luy plaise de nous guerdonner172.

                        TOUTLIFFAULT

        On ne voit point souvent donner

        Aux grans bigotz173 ; ny aux bigottes

        Qui, contrefaisant les dévotes,

380  Font souvent de bien sotz ouvrages174.

                        TROUILLART

        Il y a des femmes fort sages,

        Et en charité renommées ;

        Mais elles sont clères semées175 :

        Difficile est trouver leur porte.

                        MAUDUYT

385  Nécessaire est qu’on se transporte

        Tendre la main en aucun lieu176,

        À celle fin qu’au nom de Dieu

        Donner on nous vueille à repaistre.

                        TOUTLIFFAULT

        Par ma loy177 ! j’ay grant désir estre

390  Où il y ait prou à disner :

        Le jeusner me faict indigner

        Et me rompt toute la cervelle.

                        TROUILLART

        Une andouille cuyte nouvelle

        Et ung gros tronson de jambon

395  Avec des pois, seroit-ce bon

        Pour en faire quelque offertoire178 ?

                        MAUDUYT

        Après cela, fauldroit-il boire,

        Pour le remplage du bacquet179.

                        TOUTLIFFAULT

        Or, sans tenir plus long caquet,

400  Allons chercher nostre adventure !

        Possible180, quelque créature

        Nous rencontrera en chemin,

        Qui remplira le parchemin181,

        Lequel est vuyde et bien fort creux.

                        TROUILLART

405  Allons, donc !

                        MAUDUYT

                               Allons !

                        TOUTLIFFAULT

                                            Je le veulx.

        Et chascun de nous ne se faigne

        De182 bien demander, que l’enseigne

        Ne183 soit en commun rapportée

        Telle qu’on l’aura apportée.

*

1 Les deux bélîtres se rencontrent dans une rue. Trouillard les écoute sans être vu.   2 Les gentilshommes ôtent leur gant pour se serrer la main. En réalité, Mauduit sous-entend que Toulifaut pourrait bien lui voler son gant. Nos bélîtres parodient la politesse aristocratique et affectent de se vouvoyer ; leur naturel ne va pas tarder à revenir.   3 Avez-vous pu vous procurer quelque chose à manger ? La nourriture et la boisson constituent le principal sujet de conversation des bélîtres.   4 Trouillard tend la main à ses deux confrères, tout en parodiant leur dialogue du vers 2.   5 Éd : coupper ung  (J’ai assez d’appétit pour manger des clous.)   6 Si vous avez de l’argent. D’après le vers 5, l’expression est prise au premier degré : si vous avez quelque chose que nous pourrions faire cuire.   7 Que sa tenue n’est pas misérable. Ironique : Trouillard est vêtu de loques jaunâtres.   8 Étrangère.   9 D’une multitude.   10 Du métal. On fait sonner une pièce avec l’ongle ou la dent pour vérifier, d’après le bruit obtenu, qu’elle n’est pas fausse.   11 De moi, qui suis mal chaussé.   12 Nous dirions : Va chier !   13 Un riche marchand d’épices.   14 Il y paraît. Idem vers 78.   15 La chemise de Trouillard [foireux] est jaune d’excréments : « Jaulne comme le cul d’ung singe. » Le Capitaine Mal-en-point.   16 Et même, plus jaune qu’un hareng saur. « Harenc soret ! » Les Cris de Paris.   17 Coffret dans lequel les marchands d’épices transportent les produits précieux, en particulier le safran qu’ils vont chercher eux-mêmes en Orient : « Une bougette à espisserie. » Godefroy.   18 De peur de payer la taxe sur les marchandises importées, il cache le safran dans ses braies : voilà pourquoi elles sont jaunes. Mais le public n’ignorait pas que le safran symbolisait les excréments : « C’est saffren ou merde. » Tarabin, Tarabas (F 13).   19 Tu en donnes de vraies preuves.   20 Ce n’est pas du parfum.   21 Cela ressemble plutôt à l’odeur musquée de la merde, comme les draps du bébé dans le Cuvier : « Que ce linge est ort [sale] !/ Il fleure bien le musc de couche. »   22 De Toscane. Les parfumeurs toscans étaient réputés.   23 Ou que ce soit. Le coton brut diffuse une senteur caractéristique.   24 Il parfume son corset.   25 Je m’en suis bien aperçu en y appliquant mon nez.   26 Si j’ai d’autres épices qu’un oignon, deux têtes d’ail et une échalote.   27 Et si pour tel ou telle.   28 Je veux bien. Les singes ont le cul pelé.   29 Éd : Dis tu  (Gagnes-tu ta vie en vendant des étoffes ? « Les habitans vivent de la draperie & d’agriculture. » Lucas Chartier.)   30 De lin. « Sans drap vestir, de linge ne de laine. » Villon.   31 Je n’ai de rond que mon anus. L’adjectif « rond » se rapporte à la forme des pièces de monnaie : « Or, par saint Jaque, n’a plus ront/ En tout mon hostel qu’une bille. » Les Menus propos.   32 Je n’ai rien mangé. Même vers dans le Gaudisseur.   33 Pièce valant 2 deniers.  Humer = boire : « Pour humer un tastin/ De muscat. » Frère Fécisti.   34 Quand on.   35 Je vais. Idem vers 194. Beaucoup de mendiants font mine de boiter pour attirer les dons.   36 Quel gaillard. « Quel valeton ! » Le Prince et les deux Sotz.   37 Par les écumeurs des mers. Les corsaires barbaresques enlevaient des voyageurs chrétiens pour obtenir une rançon.   38 Dans un bras de mer.   39 Qu’il acquerra une grande renommée.   40 De l’argent. « Il n’emportera rien du mien. » La Laitière.   41 Éd : mappartienne  (Qui se respecte.)  Jeu de mots : Qui sa part tienne.   42 Éd : Ouay   43 Ou il fait partie des commissionnaires d’un usurier.   44 Il y paraît. Voir le v. 23.   45 N’ayant pas les moyens de tenir une boutique, tu vends sur les marchés.   46 Des lacets. Toulifaut prétend que Trouillard possède une mercerie.   47 De fil. Les sonnettes sont les grelots cousus au costume et au bonnet des fous. « Mymin à sonnètes ! » Le Monde qu’on faict paistre.   48 Pièces de monnaie valant 5 deniers.   49 Je renie saint François d’Assise. « Je regny sainct Gris ! c’est ung cul ! » Trote-menu et Mirre-loret.   50 Ou le diable avait revêtu ton justaucorps et avait pris ton apparence.   51 Ton calendrier.   52 Éd : belistre  (Le bésistre désigne le jour bissexte, le 29 février.)   53 L’aiguillette est le cordon qui ferme une braguette. Idem vers 82. On devine de quel « jeu » il s’agit.   54 Quand soufflait le petit vent. Les bélîtres font l’amour en plein air, comme en témoigne la Chanson sur l’ordre de Bélistrie, de Jehan Molinet.   55 À la fin, nous nous trouverons parents : il sera mon gendre.   56 Éd : iouasmes  (Les éditions antérieures donnent goussasmes ; pour une fois, c’est elles qui ont raison.)  Mot d’argot : « Gousser, c’est manger. » (Guillaume Bouchet.) Sur l’argot dans les Mystères, voir la notice de Gautier et Martin.   57 « Cagnard, qui est un lieu à l’abri du vent, exposé au soleil, où les vaut-riens & fainéants s’assemblent à rien faire & estre le ventre au soleil. » (Jean Nicot.) Cf. Gautier et Martin, vers 48.   58 Trouillard et Toulifaut ressemblent fort à Paillart et Briffaut, deux vagabonds du Capitaine Mal-en-point : « –Comment m’appelle-t-on ? –Paillart./ –Je puisse mourir enragé/ Se ces parolles ne sont vrayes ! »   59 Vrai.   60 Tu es très grand.   61 Loqueteux. « Ce n’est c’un loquebault. » Le Trocheur de maris.   62 Gaillard.   63 Pour peu qu’il soit bien habillé.   64 C’est le portrait de son père tout craché. On reconnaît la scène où maître Pathelin compare le drapier à son père : « Que resemblez-vous bien, de chière/ Et de tout, à vostre bon père…./ C’estes vous (fais-je), tout crachié. »   65 Mendiant.   66 Même s’il n’avait fait.   67 Question idiote !   68 Tâche de nous convaincre que tu n’as pas dîné.   69 Depuis que je fus expulsé de mon logis.   70 Je te donne l’autorisation de réchauffer tes mains dans mon cul.   71 Cf. le Capitaine Mal-en-point, dont l’un des bélîtres se nomme Paillart. Mauduit pose son bissac pour montrer qu’il veut en venir aux mains avec Trouillard.   72 Le double sac que les mendiants portent sur leur épaule ou sur leur col. Idem vers 58 et 226. « Le povre bélistre,/ Il avoit le bisac au col. » La Mocqueresse mocquée.   73 Si mon estomac n’était pas si chargé, après le festin que Toulifaut et moi venons de faire. Ce festin imaginaire est invoqué pour taquiner Trouillard.   74 Sur le champ. Cf. le Capitaine Mal-en-point, vers 670.   75 Voir le v. 256.   76 D’où diable.   77 Des lapins. Personne n’aurait servi des mets aussi fins à des clochards, comme ils le reconnaîtront eux-mêmes aux vers 244-9.   78 Bâfré. Même mot d’argot à 229.   79 Comment il nous interroge (argot). « Qu’on en enterve/ Puis l’ung, puis l’autre ; et là, orrez/ Se remède trouver pourrez. » Mystère de l’Incarnation.   80 Éd : Quil   81 De ne penser qu’à manger. « C’est laide chose qu’ung servant/ Qui est en ce point sur sa bouche. » Le Capitaine Mal-en-point.   82 Que ce vin va droit au cœur. « Le vin d’Espagne touche au cœur. » Dict. de l’Académie françoise.   83 Qui fait oublier le rosette, un vin blanc du Périgord. « Vin d’Arragon, vin de rosette. » Le Gaudisseur.   84 Que ce vin vous fasse un mauvais profit !   85 Raconte-lui le dessert.   86 Je me lèche les lèvres avec gourmandise.   87 En sauce au vin et à l’oignon (cive). « Voulez-vous ce lièvre au boussac,/ Ou s’on le mectra au civé ? » Le Capitaine Mal-en-point.   88 Il n’aurait fallu que me secouer l’oreille pour me réveiller.   89 Pour me secourir, me reconstituer.   90 Tête de mule. Cf. Ung Fol changant divers propos, vers 177.   91 M’aid Dieu : que Dieu me vienne en aide.   92 Aujourd’hui. Idem vers 170 et 228.   93 Plus honorablement.   94 On se méfiait des mendiants qui opéraient en équipe. « Y n’est poinct plus grand desplaisir/ Que tant de truans [mendiants] à un huys. » Les Mal contentes.   95 Certains mendiants accaparent le titre de pèlerins pour que les bons chrétiens soient tenus de leur faire la charité. Le faux pèlerin des Premiers gardonnéz s’écrie : « (Celui) qui me donne,/ Il fait bien et grant charité. »   96 Depuis ce matin.   97 Et pourtant, Toulifaut a mangé plus de dix fois.   98 Le centurion romain Cornélius, qui va bientôt devenir chrétien, est une dupe idéale pour nos trois filous. Son aide de camp, le chevalier Émélius, paraît un peu moins naïf.   99 Pour cela.   100 Vais.   101 Quand ils sont grevés par les tourments. Les éditions antérieures indiquent en marge que ce prêche emprunte au Psaume 40, à St Luc et au Livre de Tobie.   102 Émélius donne une grosse quantité de nourriture à Trouillard, qui la met dans son bissac (vers 226).   103 Que Dieu le lui rende, là-haut.   104 Nourri. « Vous serez souppéz en plénier [en abondance]. » (Le Capitaine Mal-en-point.) Émélius feint de ne pas entendre, et retourne chez le centurion.   105 Éd : Toussant  (Les éditions antérieures donnent : Touffault.)  L’expression « truffant, moquant », ou « truffant, bourdant », signifie : soit dit sans vouloir vous offenser.   106 Éd : lairrois   107 Ce morceau.   108 D’après ce que vous dites. Trouillard devine enfin que les agapes dont se vantent ses rivaux relèvent de la mystification ; maintenant, c’est lui qui va rire des autres.   109 Pour quelle raison (mot latin). « Dy-moy quaré/ Tu me viens faire ce meschef. » Les Trois amoureux de la croix.   110 Bâfré. Même mot d’argot à 139.   111 Il va y avoir un mort. « Il y en aura de mors :/ Il y moura l’un de nous deulx. » L’Avantureulx.   112 Nous partions. « Jamais d’icy n’eschaperon. » Saincte-Caquette.   113 Éd : Ouay  (Au vers 137, Mauduit et Toulifaut ont prétendu avoir mangé du chapon.)   114 Bien naïf, pour avoir cru nos fanfaronnades. « Vous estes bien neuf ! » Le Dorellot.   115 Je te décrivais.   116 Je plaisantais.   117 Je parle sérieusement.   118 Éd : Maudine.  (Mau dîné = mal nourri. Mais la rime des vers 1, 4 et 7 confirme Mauduit, tout comme les éditions antérieures. Je corrige la même inadvertance aux rubriques 259 et 263.)   119 Je crois que vous avez réellement fait ce banquet.   120 Partageons. « Voicy mignons hardis et promptz/ Pour faire départir ung rost [rôti]. » Régnault qui se marie.   121 Secouer, battre comme un tapis.   122 Probable refrain de chanson. Le 5ème Livre de Rabelais <chap. 32 bis> énumère des chansons réelles, dont l’une, qu’on n’a pas retrouvée, s’intitule Catherine. En outre, il y a peut-être un nouveau clin d’œil à la Farce de Pathelin : « Il luy fault or ? On le luy fourre ! »   123 Si j’entre dans un accès de folie. « Mais ès fèves plus en entra,/ Cuidant par ung désir volaige/ La tourner à son avantaige/ Pour en jouir légièrement. » (Alain Chartier.) C’est là le développement d’un proverbe : « Quand les fèbves sont flories,/ Les sots commencent leurs folies. » Cotgrave.   124 Voir le v. 128. Trouillard tape sur Mauduit (vers 260).   125 Que le diable l’entraîne en enfer sans retour.   126 Nous devons le faire assigner devant un tribunal. On songe à cet escroc de Pathelin qui, lui-même escroqué par un berger, menace de le faire pendre ou emprisonner.   127 Il restituera. Double sens : il vomira. Jeu de mots semblable dans Pathelin : « –Ilz m’ont fait tout rendre…./ –Mes neufz frans ne sont point rendus. »   128 En ayant la main garnie de nourriture, pour soudoyer le juge. Un avocat du Plaidoyer de Coquillart se nomme « maistre Oudard de Main Garnie ».   129 Un maître Aliboron est un conseiller qui masque son incompétence derrière du mauvais latin. « Quel maistre Aliborum !/ Comme il fait ce latin trembler ! » Maistre Mimin estudiant.   130 « On dit proverbialement & populairement : Beati garniti vaut mieux que beati quorum, pour enseigner qu’il faut tâcher d’avoir toûjours la main garnie quand on a à contester quelque chose. » (Furetière.) Le Fol de la Moralité du Lymon et de la Terre (T 19) déclame ce dicton, que Monluc reprendra dans sa Comédie de proverbes.   131 La farce s’interrompt provisoirement. Le vers suivant du Mystère, qui rime avec celui-ci, est prononcé par Jésus.   132 Cet épisode se déroule un peu plus tard. Il ne figure pas dans les éditions antérieures : quand il fallait faire des coupures dans un Mystère, on sacrifiait toujours la farce (voir ma notice de Baudet, Blondète et Mal-enpoint). Pour des raisons pratiques, je numérote ces vers à la suite des précédents.   133 Si l’on pouvait.   134 Je ferais aux dupes une requête énoncée avec des paroles plaintives.   135 Selon mon usage.   136 Argot. Les « gueux de l’ostière » constituent une confrérie de mendiants qui vont de porte en porte. « Par l’artifice des meschans bélistres de l’ostière. » Godefroy.   137 Trouillard s’organisa si finement.   138 Il ne nous en laissa pas une seule part.   139 Nous avons là un superbe zeugma : il prit tout, mais il ne prit pas notre défense.   140 S’il ne veut pas se conduire. Cette Fraternité n’est autre que la confrérie des gueux de l’ostière, dont les règles étaient fort strictes.   141 Dans les farces, un tel serment fait toujours rire. Le prêtre des Povres deables n’hésite pas à jurer : « Et ouy, par ma virginité ! »   142 Le mauvais tour que j’ai commis à vos dépens.   143 D’un bordel, pendant…   144 Si je n’ai bu du jus de raisin fermenté, du vin.   145 Une livre = 20 sous. Mais « sols » se prononçait comme « sots » ; le public a donc pu comprendre : Je vaux mieux qu’une livre de sots. Cf. la Folie des Gorriers, vers 640 et note.   146 Mendier.   147 De bâfrer que mon cœur défaille. Cf. les Coquins, vers 61.   148 Gondopharès, roi des Indes.   149 Encore un pigeon chrétien qu’on va pouvoir plumer. Malheureusement, cette scène a été omise ou supprimée par les trois éditions : voir la note 132.   150 Je me suis repu de nourriture et de vin.   151 Sans délai.   152 En faisant le dévot. Cette revendication du droit à l’hypocrisie va être mise en pratique dès la scène suivante.   153 Saint Thomas donne aux bélîtres une grosse somme qu’il a extorquée au roi, et qu’il accompagne d’un sermon rébarbatif. Trop heureux de remplir leurs poches à si bon compte, les mendiants lui font croire qu’il est parvenu à les convertir au christianisme ; si Paris vaut bien une messe, une aumône importante vaut bien une fausse conversion. Notons que dans le 4ème Livre du mystère, Mauduit et Toulifaut, devenus respectivement sergent et geôlier, persécuteront les chrétiens. Saint Thomas ne l’aurait pas cru !   154 Selon mon (faible) pouvoir.   155 Nous retrouvons les trois bélîtres à la fin du 5ème Livre. Ils déplorent la mort de leur plus généreuse donatrice. Au bout d’un suspense hitchcockien de 23 vers, nous découvrons qu’il s’agit de la Vierge Marie. Cet épisode irrévérencieux, qui ne figure pas dans les éditions antérieures (note 132), est apocryphe : l’orthographe des noms propres a changé ; mais surtout, on ne reconnaît plus le style fluide de Gréban, qui était mort depuis belle lurette quand ses Actes des Apostres parurent, après avoir subi les inévitables retouches induites par les représentations de 1536 et de 1541.   156 Adverse. Même vers dans les Maraux enchesnéz où, comme ici, des bélîtres se plaignent de leur sort.   157 Notre réconfort. Ces plaintes démarquent mot pour mot celles des amants qui ont perdu leur bien-aimée. Sauf que chez nos bélîtres, l’amour de l’andouille et du jambon va bientôt supplanter l’amour de Marie (vv. 393-4).   158 Nous soustraire notre bien.   159 Retirer.   160 Réclamer de l’aide.   161 Éd : nous a  (Quand la Mort a pris notre bienfaitrice, pour notre plus grand malheur. « Ilz s’en départirent à leur grant malheure. » Perceforest.)   162 Le premier prix : elle était le summum de la charité.   163 Nulle ne l’a précédée, et nulle ne lui succédera.   164 La meilleure. Vocabulaire amoureux : « Ma Dame est l’outrepasse des dames. » ATILF.   165 Car le péché ne l’a jamais vaincue, et ne s’approcha jamais d’elle.   166 Et qu’elle l’a conçu.   167 Due, normale.   168 Notre bien.   169 La quête.   170 L’ex-tenancier de bordel (vers 296) a l’esprit ailleurs.   171 Informés. « Tu es par toy-mesme record/ Que deux coquins [mendiants] ne vallent rien/ À un mesme huys. » Le Pardonneur.   172 De nous récompenser.   173 On ne voit pas souvent les bigots donner aux pauvres.   174 Font l’ouvrage de reins. « Je besongne occultement [copule secrètement]/ En contrefaisant la bigotte. » Farce de quattre femmes, F 46.   175 Clairsemées, rares.   176 Pour mendier en quelque lieu.   177 Par ma religion, le paganisme. Cf. Gournay et Micet, vers 85, 96, 319 et 335.   178 Éd : inuentoire.  (Pour nous en faire une offrande. « Pour faire offertoire/ Du pain de vie. » N. Osmont.)  L’imprimeur a dû craindre un amalgame — d’ailleurs voulu par l’auteur — avec l’Offertoire liturgique.   179 Éd : bancquet.  (Pour le remplissage de notre ventre.)   180 Peut-être. Cf. le Poulier à sis personnages, vers 113.   181 La peau de notre ventre.   182 Éd : Si  (Ne feigne pas, ne fasse pas semblant de.)   183 Éd : En  (Afin que notre bissac ne soit pas rapporté aussi vide qu’à l’aller.)  Le bissac est l’enseigne des mendiants, leur emblême : voir la note 72.

BAUDET, BLONDÈTE ET MAL-ENPOINT

Bibliothèque nationale de France

Bibliothèque nationale de France

.

*

BAUDET,

.

BLONDÈTE  ET

.

MAL-ENPOINT

*

.

Une farce est une pièce comique jouée par un petit nombre d’acteurs. Elle se compose d’une entrée en matière qui « plante le décor », d’un développement qui pousse jusqu’à l’absurde un sujet dérisoire, et d’une conclusion qui se prétend morale sans l’être. C’est donc bien une farce à part entière qui arrive comme un cheveu sur la soupe dans la seconde journée du Mystère des trois Doms. Son action et les 3 personnages qui la font vivre n’appartiennent pas au Mystère ; elle fut d’ailleurs supprimée lors de la création, faute de temps. Il n’était pas rare d’inclure une farce dans un Mystère, pour réveiller les spectateurs : voir la notice des Tyrans. Dans ce cas, et nous le vérifions ici, le début et la fin de la farce riment avec le vers antérieur ou postérieur du Mystère.

Le Mystère des trois Doms, composé par le chanoine Pra, fut créé en 1509 à Romans-sur-Isère. La farce était prévue pour la matinée du 28 mai.

Ce Mystère est d’une totale invraisemblance historique, avec ses anachronismes et ses personnages qui ont vécu à des époques et en des lieux différents — pour peu qu’ils aient existé. Nous assistons à la mort de l’empereur Septime Sévère, en l’an 211 ; mais les actes que le chanoine Pra lui attribue concernent plutôt Marc Aurèle, mort en 180. En tout cas, il faut faire un gros effort d’imagination pour admettre que la farce, où achèvent de rouiller des armures rescapées de la guerre de Cent Ans, se déroule dans la Gaule romaine.

Source : Bibliothèque nationale de France, ms. NAF 18995, folios 115 vº à 120 rº.

Structure : Rimes abab/bcbc, rimes plates, avec 2 poèmes à refrains.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

.

*

                        BLONDÈTE,  quoquine1, femme de

                                                    Baudet,  commance.

        Baudet !                                                                       SCÈNE  I

                        BAUDET,  coquin,  commance.

                         Hau ! qu’esse ?

                        BLONDÈTE

        Dormirez-vous toute journée2 ?

        Levez-vous sus !

                        BAUDET

                                    Laisse-moy, laisse,

        Vielhe putain déshordonnée3 !

                        BLONDÈTE

5      La guerre a esté cryée

        De par les empereurs romains4.

                        BAUDET

        C’est bien soufflé5 !

                        BLONDÈTE

                                        Ouy ? Pour ces mains,

        La journée [e]n est assignée6 :

        Ne les tenez pas en paresse.

                        BAUDET

10    Point n’yrey avant la dîgnée7 :

        À moy seroit trop grant simplesse8.

                        BLONDÈTE

        Baudet !

                        BAUDET

                         Hau ! qu’esse ?

                        BLONDÈTE

        Dormirez-vous toute journée ?

        Levez-vous sus !

                        BAUDET

                                    Laisse-moy, laisse,

        Vielle putayn déshordonnée !

.

                        MAL-ENPOINT 9,  coquin,  commance.

15    Bonne matinée !                                                          SCÈNE  II

                        BLONDÈTE

        Si10 me soit donnée

        Pour mon passe-temps !

                        MAL-EN-POINT

        Sans querre noyses ny contans11,

        Soucy, chagrin hors je veux mettre.

20    Mars12 gard les gueux !

                        BAUDET

                                             Et à vous, maistre !

                        MAL-ENPOINT

        Qu’est cecy ? Es-tu sus l’embûche13 ?

        Que fais-tu là ?

                        BAUDET 14

                                  Je m’esperluche15.

                        BLONDÈTE

        Il a santy quelque picard16.

                        BAUDET

        Il y demourra, le rifflard17 !

25    Besoing n’est jà que l’on l’embûche18.

                        MAL-ENPOINT

        Que fais-tu là ?

                        BAUDET

                                 Je m’esperluche.

                        BLONDÈTE

        Il a santy quelque picard.

                        BAUDET

        Où va le seigneur, ainssi tart,

        Tenant gravité honnorable19 ?

                        MAL-ENPOINT

30    Je m’en voys20 dessoubz l’estandart

        De Noblesse la favorable.

                        BAUDET

        Vostre parler est raisonnable.

        Estes-vous de la21 Gentillesse ?

                        MAL-ENPOINT

        Voyre : des chouses22 de sa prouesse,

35    Raige j’ay fait par mons et vaux.

                        BAUDET

        Pour fournir deux grans hôpitaux,

        Voustre personne est [bien] propice23.

        Ha ! gentil-homme ?

                        MAL-ENPOINT 24

                                          D(e) haulte lisse25.

                        [BAUDET]

        Gentil-homme de basse taille26

40    Qui, par deffaulte d’une maille27,

        Demourriez seiché28 au gibet.

                        MAL-ENPOINT

        À toy dresse29 le quolibet !

        Esse cy le chemin de Romme ?

                        BAUDET

        Où veult aller vostre personne ?

45    Quérez-vous quelque prélature30 ?

                        MAL-EN-POINT

        Nenny : je vois, à m’avanture31,

        Me présenter à l’Empereur.

                        BAUDET

        Et là, que fère32 ?

                        MAL-ENPOINT

                                      Querre honneur ;

        Je serey des chiefz [de] la guerre.

                        BAUDET

50    De joye tout le cueur me serre.

        Vous serez ung vaillant archier33 !

        Meilleur trongne de pâtissier

        Vous avez34 que de capitayne.

                        MAL-ENPOINT

        Et ! je l’ay ? Ta fièvre cartayne35,

55    Poulieux infâme, ort bellistre36 !

                        BAUDET

        Bien déclairez cy vostre tiltre37.

        Il y pert bien à vous abis38,

        À vous ocqués39, à vous rubis

        Que vous portez sus le visaige :

60    Oncques je ne vis tel ymaige

        Mieulx resamblant à ung yvroigne.

                        MAL-ENPOINT

        Si je puys, feray ma besoigne.

        Pourveu serey40 avant dix jours.

                        BAUDET

        Le[s] poux ont sus vous beaux séjours41.

65    Vostre pourpoint n’est costonné42 :

        Garde n’avez d’estre estonné43,

        [Mais que]44 vous soyez en bataille ?

                        MAL-ENPOINT

        Dix francs [par moys]45.

                        BAUDET

                                                Voire, sans faille46,

        Tout vostre argent est jà conté47 ;

70    Autant en yver qu’en esté,

        Vous serez sus la morte-paye48.

                        MAL-ENPOINT

        Vestu serey49

                        BAUDET

                                   Leynne de soye

        L’on vous gettera sus le doux50.

                        MAL-ENPOINT

        … [D]e draps d’argent.

                        BAUDET

                                             Voyre de « poux51 » :

75    Ce sera vostre couverture52.

                        BLONDÈTE 53

        Endure, pouvre cueur, endure !

        Endurer fauldra meintenant,

        Car je vois mon mary venant54

        Tout seuremant à la guerre à s’avanture55.

                        BAUDET

80    Je cuyde que ma femme pleure ;

        Ou aulmoins, elle en fait semblant.

                        BLONDÈTE

        Que fait le gueulx56 ?

                        BAUDET

                                           Trèstout tremblant

        M’avez randu, à vostre crye57.

                        BLONDÈTE

        Que dit Baudet ?

                        BAUDET

                                    Je dis, m’amye,

85    Que j’ay compaignie de [ma] sorte58

        Qui s’en va — d’où je me conforte —

        À la guerre gaigner pécune.

                        BLONDÈTE

        Et d’où est-il ?

                        BAUDET

                                De Panpelune59 :

        Le pouvez veoir à ses abitz.

                        MAL-ENPOINT

90    Je ne prans garde à blanc n’à bis60,

        Autant vestu comme en pourpoint61.

                        BLONDÈTE

        Et vostre non ?

                        MAL-ENPOINT

                                  C’est Mal-enpoint,

        Le capitaine advanturier.

                        BAUDET

        À luy seray sans varier62,

95    [Mais que bons gaiges]63 il me donne.

                        MAL-ENPOINT

        Garde n’as que nully t’estonne64,

        Mais que tu soyes soubz ma bande65.

                        BAUDET

        C’est, ma foy, tout ce que demande,

        Car estonné ne vouldrois estre.

                        BLONDÈTE

100  Baudet a trouvé cy son maistre,

        Ung capitaine de renon66.

        Vous y yrez ?

                        BAUDET

                                Juppin ! c’est mon67 :

        Refuser ne veulx l’advanture.

                        MAL-ENPOINT

        N’ayez soucy : mays qu’il endure68,

105  Riche sera en peu de temps.

        As-tu armure ?

                        BAUDET

                                   De long temps

        J’ay les arnois69 de mon grant-père.

                        MAL-ENPOINT

        Avoir les fault !

                        BAUDET

                                  Çà, ma commère,

        Y convient cy que vous m’armez.

                        BLONDÈTE

110  Par mon âme ! vous m’estonnez,

        Quant me parlez de tel langaige.

                        BAUDET

        Où est mon jacques70 ?

                        BLONDÈTE

                                              Et que sçay-je ?

        Despuis71 vous, je ne l’ay tenu…

                        BAUDET

        Si en serey-je revêtu ;

115  Apourtez-le-moy, si voulez.

                        BLONDÈTE

        Vestu vrayement en serez.

        Velle cy72, trèsbel et honneste.

                        BAUDET

        Ne seray-je pas de la teste73 ?

        Si seray, dea : çà, ma sallade74 !

                        BLONDÈTE

120  J’ay peur que ne soyez malade,

        De tant vestir d’accoustremans.

                        BAUDET

        Hardy seray !

                        BLONDÈTE

                               Ouy, si ne mans75.

        Par où esse qu’i la76 fault mettre ?

                        BAUDET

        Ma teste dedans fault remettre.

125  Maintenant ell’ est à ma guise.

        Mes gantellés77 !

                        BLONDÈTE

                                     Belle devise78 !

        Vous convient-il armer les mains ?

                        BAUDET

        Mes garde-bras79 !

                        BLONDÈTE

                                        Cella, du moins,

        Trop vous affeublez80, sus mon âme !

130  Hé ! mon amy…

                        BAUDET

                                     Qu’i a, Madame ?

                        BLONDÈTE

        S’on vous frappe sus les… tallons81,

        Que direz-vous ?

                        BAUDET

                                     Mes esperons,

        De quoy serviront-ilz, Blondète ?

                        MAL-EMPOINT

        Est-il en point ?

                        BLONDÈTE

                                   Veez-le cy, preste82,

135  Tout armé comme ung beau saint George.

        Vous y ferez…?

                        BAUDET

                                   Randre la gorge

        À celluy quy ne me doit rien,

        S’il ne baille sces-tu combien ?

        Des escutz une plaine tace83.

                        BLONDÈTE

140  N’obliez pas vostre besasse84,

        Pour réduyre tous ces arnas.

                        BAUDET

        Vestu me verras de damas85,

        Blondète, quant je reviendrey.

                        BLONDÈTE

        Et vostre espée ?

                        BAUDET

                                     Je la larrey :

145  Ce sera pour86 ta saulvegarde.

                        BLONDÈTE

        Et s(i) on vous bat ?

                        BAUDET

                                         En ce cas, garde87,

        Garde n’ay de tant m’approucher !

                        BLONDÈTE

        Vous serez donc bon franc-archier,

        Pour vous tenir à l’uys derrière88.

150  S’on vous assault ?

                        BAUDET

                                       Et ! moy arrière

        Me recullant tout le beau pas89.

                        BLONDÈTE

        Et direz ?

                        BAUDET

                         Que je n’y suys pas90 :

        Aultremant, l’on m’affoleroit91.

                        MAL-ENPOINT

        Départir il nous conviendroit,

155  Car nous pardons avancemant92.

                        BAUDET

        Où yrons-nous ?

                        MAL-EMPOINT

                                   Premièramant

        Yrons à l’Empereur romain,

        Qui nous tendra (ce croy) la main,

        Nous fournissant de quelque place.

                        BLONDÈTE

160  Et s’il93 dîgne ?

                        BAUDET

                                   Bon pro[u] luy face94 !

        Je le verrey aulmoins de l’uys.

                        MAL-ENPOINT

        Je vois davant95.

                        BAUDET

                                     Et je vous suys.

        Hélas, Blondète !

                        BLONDÈTE

                                     Hélas, Baudet !

        Gardez-vous bien !

                        BAUDET

                                        Mon cas est nest96 :

165  À la guerre, ma foy, m’en voys.

.

                        MAL-EMPOINT                                      SCÈNE  III

        Marches avant !

                        BAUDET

                                   Point je97 n’y vois :

        Ceste armure m’ouste la veue98.

                        MAL-EMPOINT

        Si ta personne est cogneue

        Une foys de dedans l’Empire,

170  J’ay peur que ne deveignes pire99 :

        Tu ne recognoistras personne.100

                        BAUDET

        Où est la guerre ?

                        MAL-EMPOINT

                                      Mot ne sonne101 !

        Nous sonmes prestz de l’Empereur102.

        Avant, Baudet103 !

                        BAUDET

                                        Et si104, j’ay peur :

175  Orïons me feront esmay105.

                        MAL-EMPOINT

        As-tu soucy ?

                        BAUDET

                                Ouy, par ma foy !

        Au diable soit la guerre toute !

        Et ! qu’e[s]t cecy106 ? L’on n’y voit goutte.

        Ma femme le me disoit bien.

                        MAL-EMPOINT

180  Veulx-tu venir ?

                        BAUDET

                                    Estron de chien !

        Allez-vous-en là où vouldrez,

        Car d’annuyt107 vous ne m’y tiendrez.

        Je m’en revois108 devers ma femme.

                        MAL-ENPOINT

        Qu’esse qui bruyt109 ?

                        BAUDET

                                            Alarme ! Alarme !

185  Me murtrirez-vous110, en ce point ?

        Bien de guerre [n’]aurey besoing,

        Si jamais je la tourne veoir.

        Esse de quoy l’on scet pourveoir111 ?

.

        Blondète, je retourne toust112.                                    SCÈNE  IV

                        BLONDÈTE

190  Où avez-vous rôti le roust113,

        Quant eschoffé estes si fort ?

                        BAUDET

        Blondète, je n’estois pas fort,

        Pour retourner ces114 coups de lance.

        Si plate m’ont randu la pance115

195  Qu’à peinne povois-je souffler116.

                        BLONDÈTE

        Vous n’aviez garde117 de ronfler.

        Mettez-vous ung peu en repous,

        Et je vous couvrirey le doux118

        Affin qu’esvitez l’esquillance119.

200  Estes-vous bien ?

                        BAUDET

                                     Ouÿ, ce120 pance.

                        BLONDÈTE

        Or, repousez tout à vostre ayse.

.

*

LES  DEUX  POUVRES

*

.

Le Mystère des trois Doms prête la parole à deux autres pauvres qui vivent de mendicité121. Les trois saints du Mystère leur donnent des vêtements et des bijoux en échange de leurs prières. Telle est, du moins, la vision angélique du chanoine Pra. Hélas ! elle va être anéantie par Claude Chevalet, que les commanditaires des Trois Doms ont payé pour revoir la copie du bon chanoine, jugée un peu molle du genou. Ce futur auteur d’une Vie de sainct Christofle épicée d’argot ne patauge pas dans l’eau bénite : les deux mendiants deviennent des bonimenteurs qui se prétendent chrétiens pour exploiter la naïveté des saints. (La Vie de sainct Christofle prêtera le même subterfuge à l’Aveugle et son valet Picolin.) Les deux escrocs commentent leur forfait dans la langue verte des bas-fonds, avant d’aller boire la sainte donation à la taverne, comme Clique-pate et Malaisé buvaient l’argent de sainte Barbe. Voici le dialogue ajouté par Chevalet ; ce brouillon presque illisible fut inséré dans le ms., et folioté tardivement 108 rº et vº. Je ne reproduis pas le premier mot, « debvoir », qui n’est autre qu’un rappel de la rime précédente, prononcée par Exupère.

*

                     LE  PREMIER  POUVRE

        Que te samble de nostre advoir122 ?

        Avons-nous pour fère grant chière ?

        N’esse pas pour fère debvoir123,

        Et gaudir124, brouer sus l’enchière ?

5      Si nostre mille125 n’en est fière,

        Nous luy ramplirons sa foulliouse126.

        Que te samble de la matière ?

                     LE  SECOND  POUVRE

        Je ne scey sus quoy l’on proupose127.

        S’on povoit advoir une [a]louse128

10    Pour aubert qu’on mist sus la dure129,

        Nous serions bien.

                     LE  P[REMIER  POUVRE]

                                      N’est130 aultre chose

        À mordre ? Tu renies ta cure131 !

                     LE  SECOND  [POUVRE]

        Ne sçavez, quant l’on a monture132

        Pour marcher sus les chans à l’aise,

15    Qu’on doit gaudir133 sus la verdure ?

        Et ! ne [regardez, quoy]134 qu’i poise :

        Flascon, bouteille[s] et simaise135

        Devez ramplir jusqu’au bondon136,

        Poulle trouver, aussi pigon137,

20    Puisque vous santez ramplumés138.

                     LE  P[REMIER  POUVRE]

        Parlez plus bas ! Vous m’enfumez

        Le cerveau139 pour y estre jà.

        Oncques mareschal ne forja

        (Ce me samble) telle monoye140 :

25    Pasté de veau, lapereau141, oye

        Maintenant se desgordira142 ;

        Vin de Tornon l’on trouvera

        (Ce me samble), pour la pécune143.

        Allons-an à nostre fortune,

30    Quar j’entens que serons ramplis.

                     LE  S[ECOND  POUVRE]

        Où yrons-nous ?

                     LE  P[REMIER  POUVRE]

                                    La Fleur du Lis144

        Se trouvera assez propice.

                     LE  S[ECOND  POUVRE]

        Vous conviendra-il point d’espice

        Trouver, pour avoir appétit ?

35    J’ay grant peur qu’en ayez despit,

        Si honneur chascun ne vous porte145.

                     LE  P[REMIER  POUVRE]

        Maine-moy jusques à la porte

        Des Trois Rois146, au my de la place ;

        Car il est fort [bon] que j’amasse

40    Aulcune chose pour substance147.

                     LE  S[ECOND  POUVRE]

        Avez-vous fein ?

                     LE  P[REMIER  POUVRE]

                                    Platte la pance :

        Ne le vois-tu à l’estomac ?

        Escoute comme[nt] il fait « flac148 » ;

        Tu dirois qu’il se veult retandre149.

                     LE  S[ECOND  POUVRE]

45    Quant bellîtres ont à despandre150,

        Se voians sus eux six tournois151,

        Il veulle[n]t faire carreaulz fandre152

        Aussi bien que font les bourgois.

*

1 Les 3 personnages sont qualifiés de « coquins », c’est-à-dire de clochards. De bon matin, Baudet ronfle bruyamment près du feu, devant son taudis. Sa femme, Blondette, rapporte du marché des nouvelles alarmantes.   2 C’est exactement ce que la meunière dit à son mari au vers 168 du Poulier à sis personnages.   3 Débauchée.   4 « La guerre/ Que l’Empereur a fait crier/ À son de trompe et publier. » (Claude Chevalet.) L’empereur Septime Sévère a décrété la mobilisation des réservistes gaulois pour défendre Vienne contre les menées de l’usurpateur africain Clodius Albinus, cantonné à Lyon. Par conséquent, les Gaulois se battront aux côtés de l’empereur romain.   5 C’est du vent ! Cf. le Ribault marié, vers 99.   6 Pour vos mains que voici, le jour de la bataille est prévu. Afin de faciliter la lecture, je rétablis le « e » du pronom « en », dont ce manuscrit dauphinois fait souvent l’économie : « La puissance vous n est remise/ De par Jhésus le Rédempteur. »   7 Je n’irai pas à la guerre avant le dîner. En bon personnage de farce, Baudet ne songe qu’à la nourriture.   8 De ma part, ce serait de la simplicité d’esprit. « Ce seroit à moy grant simplesse. » Les Trois amoureux de la croix.   9 Il s’arrête devant le taudis du couple. Chevalet reparlera de lui au vers 81 des Tyrans au bordeau. Quelques années plus tard, une farce anonyme du Capitaine Mal-en-point glorifiera ce vieux rêveur pitoyable ; on y reconnaît de nombreux emprunts à celle-ci.   10 Aussi, qu’elle…   11 Sans chercher des sujets de noise ni de contentieux.   12 Formule de salutation entre vagabonds. Les chrétiens disent : « Dieu gard le gueux ! » (Beaucop-veoir.) Mais le capitaine, qui est gallo-romain, jure par le dieu de la guerre. De même, Baudet jurera par Jupiter au vers 102.   13 En embuscade. Jeu de mots : Être sur la bouche = ne penser qu’à manger. « C’est laide chose qu’ung servant/ Qui est en ce point sur sa bouche. » Le Capitaine Mal-en-point.   14 Il attrape un pou dans sa tignasse et il le jette au feu. Voir la note 61 du Capitaine Mal-en-point.   15 Je m’épluche, je m’épouille. « Soi espeluchier : se débarrasser de la vermine. » (FEW.) C’est là un sens argotique, peut-être influencé par les esperlucats [porteurs de perruque], dont la propreté capillaire n’était pas garantie. La 3e Ballade en jargon de Villon s’adresse aux espélicans [épouilleurs].   16 La piqûre d’un pou. « Des picards : des poüils, parce qu’ils picquent. » (Antoine Oudin.) Ce Mystère est un de ceux qui, grâce à son coauteur Claude Chevalet, contiennent le plus d’argot. Voir l’article de Laetitia SAUWALA : Le jargon dans le Mystère des Trois Doms. Argotica, nº 1 (3), 2014, pp. 178-192. <L. Sauwala rédigea en 2016 une Édition critique du Mystère des trois doms. Cette thèse inédite n’est pas accessible au public, qui s’en tiendra donc à la remarquable édition de Giraud et Chevalier parue en 1887.>   17 Il y restera, ce goinfre ! Encore un mot d’argot.   18 Qu’on l’enchaîne dans un cachot. « Qu’il soyt en prison embûché ! » (Le Marchant de pommes.) Familiers des geôles et de leur jargon, les gueux sont bien placés pour connaître cette acception rare.   19 Le Capitaine Mal-en-point marchera « d’une bonne gravité ».   20 Je vais. Idem vers 46, 162 et 165.   21 Ms : sa  (De la Noblesse. « À Gentillesse est dû honneur. » Gautier et Martin ; notons que ce dialogue argotique composé vers 1500 octroie une particule au « cappitaine de Mal-empoint ».)   22 Des choses, des actes. La farce du Capitaine Mal-en-point racontera ces prouesses guerrières.  Notre manuscrit dauphinois remplace souvent « o » par « ou » : vous = vos ; doux = dos.   23 On emplirait deux hôpitaux avec tous les ennemis que vous avez blessés. Mais les sans-abri, qu’on autorise à se réfugier dans les hôpitaux, ne les emplissent que de poux : « À l’hospital prenons repos./ Puces et gros poux à piccos/ Nous font cent milles playes. » (Molinet, Chanson sur l’ordre de Bélistrie [mendicité].) Les Sotz nouveaulx farcéz résument ce rapprochement : « À l’hospital ! Des poux, des poux ! »   24 Le ms. remonte cette rubrique sous le vers 37, et met ici le nom de Baudet.   25 De haute lignée. Notre Mystère écrit souvent « haut » avec un « h » muet : « Ô Jupiter d’haulte excellence ! » « Nous servirons l’haulte noblesse. »   26 De basse extraction. « La nécessité, qui menasse aussi bien gens de basse taille que les plus grans. » Montaigne.   27 Ms : maillie  (Le ms. n’harmonise pas toujours ce genre de rimes : les acteurs s’en chargeaient.)  S’il vous manquait un seul centime.   28 Ms : caiche  (Resteriez séché. À l’extérieur des villes, on laissait les pendus sur le gibet jusqu’à ce qu’ils tombent. « Et le soleil [nous a] desséchiéz et noircis. » Villon, Ballade des pendus.)  Vous ne seriez pas assez riche pour soudoyer des juges. « Son père qui, par plusieurs foiz,/ Du gibet l’avoit racheté. » Éloy d’Amerval.   29 Adresse-toi ce sarcasme à toi-même.   30 Allez-vous chercher à Rome une sinécure de cardinal ou d’archevêque ? Posée à un païen, cette question est injurieuse.   31 Je vais, pour le meilleur et pour le pire. Le vétéran veut profiter de la mobilisation pour reprendre du service actif.   32 Le Mystère dit deux autres fois : « Et là, que fère ? »   33 Les archers sont des pleutres qui restent toujours derrière et ne s’exposent jamais, comme le stipulent les vers 148-9.   34 Vous avez plutôt une tête de pâtissier.   35 Meurs de la fièvre quarte ! Cf. Science et Asnerye, vers 291.   36 Infâme pouilleux, sale mendiant. « Est-il bellistre !/ Il est poilleux, vellà son tiltre./ Il est villain, ort et infâme. » Mistère du Viel Testament.   37 Votre propre titre de noblesse. « Gentilhomme, c’est ung beau tiltre./ (Ne dictes pas qu’il est bélistre.) » Légier d’Argent.   38 Cela apparaît bien aux taches de vin qui maculent vos habits. « Je suis bien de la morte-paye [au rancart],/ Il y pert bien à mes habitz. » (Les Sotz qui remetent en point Bon Temps.)  Vousvos, comme au vers suivant ; v. la note 22.   39 À vos hoquets éthyliques. Le rubis est une pustule rouge ornant le nez des alcooliques : « Boyre vous fait sortir rubis/ Et illumine le visaige. » Trois Doms.   40 Je serai pourvu d’un poste de commandement.   41 Une belle résidence. Le Capitaine Mal-en-point a tellement de poux qu’il embauchera un gratteur (vers 176-9).   42 A perdu son rembourrage de coton. « Dieu gart le gallant au pourpoint/ Dont on voit saillir le coton ! » Le Capitaine Mal-en-point.   43 Ne craignez-vous pas d’être frappé ? Idem vers 96 et 99.   44 Ms : maisques  (Pour peu que. Idem vers 95, 97 et 104.)   45 Ms : pour moy  (Je gagnerai 10 francs par mois. Anachronisme : le franc ne sera créé qu’en 1360.)  Entre les vers 63 et 74, Mal-enpoint poursuit à haute voix son rêve de gloire, sans écouter les contradictions.   46 Ms : maillie  (Sans faute. « Et je le vous diray sans faille. » Les Frans-archiers qui vont à Naples.)   47 Votre argent est vite compté, puisque vous n’en avez pas. « –Vous ne voyez pas nostre argent./ –Tant il seroit fort [difficile] à conter ! » Le Monde qu’on faict paistre.   48 Vous toucherez une demi-solde, comme les vétérans mis au rancart. Cf. Turelututu et Granche-vuyde, vers 194 ; cette autre farce antimilitariste est incluse elle aussi dans un Mystère.   49 On me donnera un uniforme.   50 On vous jettera sur le dos la « laine » d’un cochon. Le poil rêche des porcs se nomme la soie : « De la soye de pourceau. » Les Queues troussées.   51 Le « pou-de-soie » est une étoffe de soie épaisse et dépourvue de lustre. Mais nous avons là un calembour sur les poux, dont Mal-enpoint est infesté.   52 C’est tout ce qui vous couvrira.   53 Elle se lamente et pousse des cris.   54 Prêt à aller.   55 À son destin. Le ms. dauphinois fait rimer aventure avec pl(e)ure, comme il le fait rimer avec dem(e)ure, avec h(e)ure ou avec lab(e)ure.   56 Les textes argotiques offrent plusieurs variantes de cette formule de reconnaissance, à commencer par les Trois Doms : « Où vont les gueux ? » « Que font les gueulx ? »   57 Avec votre cri. À partir de maintenant, Baudet vouvoie son épouse, jusqu’au vers 130, où il se contraint même à l’appeler « madame », et non plus « vieille putain désordonnée ». Il croit déjà être le héros courtois d’une chanson de geste.   58 De ma sorte. « Pourroys-je trouver quelque part/ Compaignie de ma consorte ? » Trois Doms.   59 Pampe-lune est la patrie des mal nourris, qui mangent le clair de lune faute de mieux. « Je suis venu tout en jergault [en pourpoint]/ De la contrée de Pampelune. » Les Sotz nouveaulx farcéz.   60 Je ne regarde pas ces détails. Jeu de mots : les riches mangent du pain blanc, et les pauvres du pain bis.   61 Que je sois habillé ou que je sois en simple pourpoint.   62 Je serai sous ses ordres sans hésiter.   63 Ms : maisques bon gaige  (Pourvu qu’une bonne solde. « Qui veullent avoir de bons gaiges/ Du capitaine Sot-voulloir. » Maistre Mymin qui va à la guerre.)   64 Tu ne risques pas que quelqu’un te frappe.   65 Pour peu que tu sois sous ma bannière.   66 « Mal-en-point,/ Ung capitaine de renom. » Le Capitaine Mal-en-point.   67 Par Jupiter, c’est mon avis !   68 Pour peu qu’il soit endurant. Ou bien : pour peu qu’il supporte les coups de nos adversaires.   69 Le harnachement, l’armure. Idem vers 141.   70 Mon jaque, mon justaucorps. « Le jacques bien garny de poulx. » Le Capitaine Mal-en-point.   71 Après. Double sens érotique : « Frère Jacques : le membre viril. » (Oudin.) Blondette est beaucoup plus fine que son mari ; elle use d’un langage plein de sous-entendus qu’il ne perçoit pas.   72 Le voici. Blondette donne à son époux un justaucorps en lambeaux, raidi par la crasse. Honnête = propre, décent. « Un habit honneste. » Le Cousturier et Ésopet.   73 Ms : feste  (Ne serai-je pas vêtu de la tête ?)   74 Mon casque.   75 Si je ne mens pas : si je ne m’abuse. « Sy je ne mans,/ Boyre yrons. » Trois Doms.   76 Ms : le  (Par où faut-il vous mettre la salade ? Un sous-entendu rectal n’est pas à exclure de la part de cette finaude.)  Blondette apporte un vieux casque beaucoup trop grand.   77 Le gantelet est un gant d’armure. « Sa salade et ses ganteletz. » Maistre Mymin qui va à la guerre.   78 Beau projet !   79 Partie d’une armure qui couvre l’avant-bras.   80 Vous affublez, vous revêtez. « Il afuble son bassinet [casque]. » La Laitière.   81 Blondette, qui veut surtout protéger les parties viriles de son époux, a failli dire couillons. « Celle qui veid son mary, tout armé/ Fors la braguette, aller à l’escarmouche,/ Luy dist : ‟Amy, de paour qu’on ne vous touche,/ Armez cela, qui est le plus aymé !” » Rabelais, Tiers Livre, 8.   82 Ms : prestz  (Auréolé de prestance.)   83 Bourse. « Prens dix escus en ma tasse. » (Le Ramonneur de cheminées.) Non contents de se livrer au pillage, les soudards mettaient à rançon leurs prisonniers ; ils égorgeaient ceux qui n’étaient pas solvables.   84 Blondette semble dire : Pour y mettre tout cet argent. Mais elle sous-entend que Baudet n’aura besoin d’une besace que pour rassembler son harnachement, son barda.   85 D’étoffe précieuse. « Vestus de damas blanc. » ATILF.   86 Ms : par  (Je la laisserai pour que tu puisses te défendre contre les violeurs. Baudet ne va pas à la guerre pour se battre mais pour s’enrichir.)   87 On croit comprendre : Je garde l’épée. Mais le vers suivant précise la pensée du couard.   88 À la porte de derrière : à l’arrière-garde. Anachronisme : les francs-archers ne seront créés qu’en 1448.   89 Je me reculerai en arrière d’un bon pas.   90 Que je ne suis pas là. Cette excuse de poltron se décline sous plusieurs formes ; par exemple, maître Mymin affirme aux assaillants qu’il s’est enfui de peur (v. 309) et que ce n’est donc pas lui qu’ils ont en face d’eux (vv. 312 et 314).   91 On m’assommerait.   92 Nous perdons notre avance.   93 Ms : ceil  (Et s’il est en train de dîner.)   94 Nous boirons à sa santé. « –Je bois à vous d’autant !/ –Bon preu te face ! » L’Aveugle et Saudret.   95 Je vais devant.   96 Net, sans ambiguïté.   97 Ms : ne  (Je n’y vois pas : mon casque trop grand me tombe sur les yeux.)   98 Ms : vyeue  (M’ôte la vue.)   99 Ms : sire  (« Et la maulvaise en devient pire. » Deux hommes et leurs deux femmes.)   100 Une didascalie précise que, non loin de là, les spectateurs peuvent voir un officier et des sergents conduire à Vienne les trois héros du Mystère. Les Mystères mobilisaient plusieurs plateaux simultanément ; l’attention du public allait vers les endroits où l’on parlait, mais l’œil captait le reste. Voir la notice du Brigant et le Vilain.   101 Ne dis plus un mot !   102 Les deux bravaches n’ont fait que quelques mètres et ne sont donc pas à Rome ; c’est l’empereur Sévère lui-même qui doit venir protéger Vienne : « De vous armer vous fault haster,/ Car l’Empereur s’en va en France. » Trois Doms.   103 C’est le cri que poussent les âniers pour faire avancer leur bête. « Avant, baudet !…./ Hay avant, bodet ! » Cautelleux, Barat et le Villain.   104 Cependant.   105 Les horions que m’assèneront nos ennemis me donneront de l’émoi.   106 Son casque lui est retombé sur les yeux.   107 De tout aujourd’hui. « D’anuyt, besoing n’auront d’estre évantéz. » Trois Doms.   108 Revais, retourne. Dans une circonstance analogue, le jeune troupier Phlipot a la même réaction : « Je m’en revoys cheulx mes amys. »   109 Sous l’effet de la peur — tel qu’il se traduit dans les farces —, Baudet vient de lâcher un pet sonore bien digne de l’animal dont il porte le nom. Mais il croit que Mal-enpoint a entendu venir l’ennemi.   110 Me tuerez-vous ? Aveuglé par son casque, Baudet implore la clémence des prétendus ennemis.   111 Peut-on prévoir le résultat d’une guerre ? Baudet retourne sur ses pas en courant.   112 Plus tôt que prévu. Baudet arrive en sueur.   113 Devant quel feu avez-vous tourné la broche, pour transpirer ainsi ? Les soldats des farces passent plus de temps à rôtir les poules qu’ils ont volées qu’à combattre.   114 Ms : ses  (Pour rendre à mon adversaire.)   115 Ils m’ont tellement affamé, pendant le long quart d’heure que j’ai passé à la guerre. Voir le vers 41 du dialogue que je publie sous la farce.   116 Respirer, avoir un souffle de vie.   117 Vous ne risquiez pas.   118 Le dos. Idem vers 73. Blondette pose sur les épaules de son mari la peau de porc que mentionne le vers 72.   119 L’esquinance, l’angine ; cf. le Roy des Sotz, vers 214. Les femmes des farces déforment systématiquement les termes techniques : voir la note 58 du Vendeur de livres.   120 Ms : se  (Je pense.)   121 Le premier fut d’ailleurs joué par « messire Loÿs de l’Omosne », ça ne s’invente pas !   122 Le 1er Pauvre, qui est aveugle (vers 37), ignore quelle somme vient d’être extorquée aux trois dupes. Son valet minore ce gain commun pour augmenter sa part.   123 Pour boire. « Vien boire avec nous, s’il te plaist ;/ Et fais, comme nous, ton devoir ! » Gournay et Micet.   124 Se réjouir. Idem vers 15. En argot, brouer sur l’enchère = surenchérir.   125 En argot, la mille est une concubine que les gueux se partagent : « Une garse, c’est une mille ; & en bon patois [argot], on dit : ‟River le bis [la vulve] à la mille.” » (Guillaume Bouchet.) « Ha ! mille escus, seroit mon conte rond/ Pour desgordir [pour les engloutir] avecques nostre mille. » (Trois Doms.) Ce mot, qui rime avec Camille et non avec Émile, est une prononciation caricaturale de « mi-e » [amie] : « Ma mÿe, donnons-nous soulas. » Le Pèlerinage de Mariage.   126 Mot d’argot. « Fouille, ou fouillouze : bourse. » (La Vie généreuse des mercelots, gueuz et boësmiens.) « Qui pourroyt ung marchant junchier [tromper],/ L’on desgreveroit [allégerait] sa foulliouse. » Trois Doms.   127 Je ne sais de quoi vous parlez.   128 Une alose, un poisson bon marché. « Autant m’est lamproye qu’alouze. » Trois Doms.   129 Pour le peu d’argent qu’on mettrait sur la table. En argot, l’aubert désigne l’argent : « Mince [pauvre] d’aubbert, quérans fortune. » (Trois Doms.) Et la dure désigne la terre : « On a couru les champs/ Et broué [couru] longtamps sus la dure. » Trois Doms.   130 Ms : cest  (N’y a-t-il pas.)   131 Ta religion. Les chrétiens mangent du poisson les jours maigres, mais les païens ne sont pas concernés.   132 Quand on a les moyens de se payer un cheval.   133 Folâtrer. « Mais que maleur ne nous enchante,/ Nous gauldirons sur la verdure. » Mystère de saint Martin.   134 Ms : regarder que  (Ne regardez pas à la dépense, quoi que cela pèse, coûte. « Non feray, car trop yl me poise. » L’Arbalestre.)   135 Une cimaise, un pot à vin. Cf. le Sermon joyeux de bien boire, vers 86.   136 Ms : donꞥon  (Jusqu’au bouchon.)   137 Et un pigeon.   138 Puisque vous vous sentez remplumé financièrement. Jeu de mots sur les plumes de la poule et du pigeon.   139 Vous m’enivrez. « Le vin débile [faible en alcool] est celui qui moins eschauffe et moins enfume le cerveau. » Godefroy.   140 Une telle nourriture.   141 Ms : lapette  (Le jeune lapin est un mets de choix ; cf. Légier d’Argent, vers 229.)   142 Sera vite expédié. « Je desgourdirois/ Un jambon ! » Le Badin qui se loue.   143 Pour ce prix, on trouvera du vin de Tournon-sur-Rhône.   144 Anachronisme : cette auberge de Romans accueillait des personnalités venues pour le Mystère.   145 Si chacun ne vous porte un toast.   146 Autre auberge de Romans ; nous savons que le chanoine Pra y logeait.  Au my = au milieu de la salle. « Au my de la place. » Mystère de saint Sébastien.   147 Quelque chose pour me sustenter.   148 Onomatopée imitant le bruit flasque produit quand un joueur de paume frappe un éteuf dégonflé.   149 Regonfler.   150 Quand des mendiants ont de l’argent à dépenser.   151 Voyant qu’ils ont sur eux 6 deniers.   152 Ils veulent que la chaleur fende le carrelage qui est devant la cheminée du cuisinier.

TURELUTUTU ET GRANCHE-VUYDE

Bibliothèque nationale de France

Bibliothèque nationale de France

.

*

TURELUTUTU  ET

GRANCHE-VUYDE

*

.

J’ai publié plusieurs extraits farcesques du Mistère du Viel Testament : le Fossoieur et son Varlet, Gournay et Micet, la Tour de Babel, Saoul-d’ouvrer et Maudollé. Pour finir en apothéose, voici les aventures de monsieur Turlututu et monsieur de Grange-vide. Ce duo désargenté, composé d’un pique-assiette sans scrupules et d’un nobliau sans terre, annonce déjà messieurs de Mallepaye et de Bâillevant. Comme eux, ils pourraient dire : « En fuitte je suis couraigeux, / Et à frapper je suis piteux. / Je crains trop les coups pour les armes. » Pourtant, ils s’engagent dans l’armée de Nabuchodonosor, non par vocation militaire mais par goût du pillage.

Sources : Je prends pour base le Très excellent & sainct Mystère du Viel Testament, imprimé par Jehan Réal en 1542 ; il reproduit — avec moins de fautes — le Mistère du Viel Testament par personnages, imprimé par Pierre Le Dru vers 1500. L’édition Trepperel, parue vers 1520, propose quelques corrections utiles. Graham A. Runnalls a publié cette partie du Viel Testament chez Droz en 1995 ; il l’intitule Mystère de Judith et Holofernés, et il l’attribue à Jehan Molinet.

Structure : Rimes plates, rimes abab/bcbc, avec 1 triolet.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

*

.

                        LE  SÉNESCHAL 1                                  SCÈNE  I

        Vous n’estes pas icy trèstous ?

        Monsïeur Turelututu !

                        MONSIEUR  TURELUTUTU 2

        C’est nostre maistre3.

                        MONSIEUR  DE  GRANCHE-VUYDE 4

                                             Quant à nous,

        [Le prisons autant qu’ung]5 festu.

                        MONSIEUR  TURELUTUTU

5      Parle bas, tu es trop testu :

        Tous deux pourrons bien estre escoux6.

                        MONSIEUR  DE  GRANCHE-VUYDE

        On nous devroit chasser aux loups7,

        De tant endurer.

                        LE  SÉNESCHAL 8

                                    Mal-venu !…

        Vous n’estes pas icy trèstous ?

10    Monsïeur Turelututu !

                        MONSIEUR  TURELUTUTU

        Qu’esse, monsïeur9 ?

                        LE  SÉNESCHAL

                                            Malostru !!

        Me donnez une belle bride10 !

                        TURELUTUTU

        C’est monsïeur de Granche-vuyde

        Qui me contoit de ses beaulx faitz.

                        MONSIEUR  DE  GRANCHE-VUYDE

15    De vous nous sommes bien refaitz,

        Turelututu ! Monsïeur,

        Il humeroit11 [trop] plus d’honneur

        Qu(e) une truye ne feroit12 de laict.

                        LE  SÉNESCHAL

        De vous deux, [ce] n’est rien que plait13 !

20    Il fault aller au Roy.

                        TURELUTUTU 14

                                         À l’aide15 !

        Sus, monsïeur de Granche-vuyde,

        Avance-toy16 ! Hau ! où es-tu ?

                        MONSIEUR  DE  GRANCHE-VUYDE

        Qu’i a-il, Turelututu ?

                        TURELUTUTU

        Qu’i a-il ? La guerre est ouverte17 !

                        GRANCHE-VUYDE

25    Nostre vie est donc recouverte18.

        Acoup, acoup ! tost en besongne !

                        LE  SÉNESCHAL

        Il est saison que l’on besongne :

        Prenez l’estendart19 !

                        TURELUTUTU

                                            Sans songer20 ?

                        LE  SÉNESCHAL

        Mon frain me faictes bien ronger21 !

                        GRANCHE-VUYDE

30    Monsïeur, pas ne tient à moy22.

                        LE  SÉNESCHAL

        (En la malle grâce23 du Roy

        Je seray, et par ces paillars.)

                        TURELUTUTU

        Devant24, monsïeur ?

                        LE  SÉNESCHAL

                                           Quoquillars25 !

        Que chascun soit en ordonnance

35    Pour faire monstres26 à plaisance

        Devant le Roy, nostre cher sire !

                        Icy, cheminent et viennent vers le Roy.27

.

                        NABUGODONOSOR                              SCÈNE  II

        Qu’esse que nous oyons là bruyre ?

                        HOLOFERNÈS

        Cher sire, c’est le séneschal.

                        NABUGODONOSOR 28

        Ce vaillant seigneur cy faict mal

40    Son devoir, veu le cas hastif29 :

        Il a le courage30 craintif

        Pour soy trouver aux horïons31.

                        HOLOFERNÈS

        Si a-il32 de francs champions,

        Preux et hardys, pour gens de guerre.

                        LE  SÉNESCHAL

45    Le plus puissant qui soit sur terre,

        De tous nobles souverain chef,

        Salut !

                        NABUGODONOSOR

                    C’est bien tard venu.

                        LE  SÉNESCHAL

                                                      Bref,

        Autrement ne se povoit faire :

        Il estoit chose nécessaire

50    Que tous mes gens feussent en point.

                        Icy, se mettent par ordre.

                        NABUGODONOSOR

        Çà, çà, il fault vuyder ce point33 :

        Que les monstres acoup soient faictes !

                        LE  MARESCHAL

        Sont les banières bien pourtraictes34 ?

                        LE  CAPPITAINE

        Voyez en l’air quelz estendars !

                        LE  SÉNESCHAL 35

55    Guydons, lances, javelotz, dars !

                        LE  MAISTRE  DE  L’ARTILLERIE

        Bombardes, canons, serpentines !

                        LE  MARESCHAL

        Haubergeons, jaques, brigandines !

                        LE  CAPPITAINE

        Crannequins, arbalestes, ars36 !

                        LE  SÉNESCHAL

        Espées, bistories et faulsars37 !

                        LE  MAISTRE  [DE  L’ARTILLERIE]

60    Fondes38, fusées, ribaudequins !

                        VAGAO 39

        C’est pour festoyer ces hongnars,

        Povres malheureux et coquins.

                        LE  MARESCHAL

        Manches de mailles, gorgerins !

                        LE  CAPPITAINE

        Carquois, cricz40, signolles, raillons !

                        LE  SÉNESCHAL

65    Haches, voulges, becz-de-faulcons !

                        LE  MAISTRE  [DE  L’ARTILLERIE]

        Courtaulx, plombées, chaussetrappes !

                        LE  MARESCHAL

        Biquoquetz, héaulmes, sallades !

                        LE  CAPPITAINE

        Trousses, flesches, vires, dondaines !

                        LE  SÉNESCHAL

        Hallebardes, picques soudaines41 !

                        LE  MAISTRE  [DE  L’ARTILLERIE]

70    Coullars42, veuglaires, gros mortiers !

                        VAGAO

        Pour guérir de fièvres quartaines

        Acoup, ne fault point d’aultres ouvriers.

                        HOLOFERNÈS

        Artilliers, voulgiers, pïonniers,

        Coulevriniers, arbalestiers,

75    Archiers !

                        NABUGODONOSOR

                           Trèsbelle compaignie.

                        LE  MARESCHAL

        Au moins, la mienne est bien fournie

        De ces chappeaulx de Montaubam43.

        ……………………………

.

                        HOLOFERNÈS                                         SCÈNE  III

        Marchons tost sur noz ennemys,

        Tirant vers Mésopotamye44 !

                        TURELUTUTU

80    Quant à moy, je n’y fauldray mye45.

        Sus, Granche-vuyde, monsïeur46 !

                        GRANCHE-VUYDE

        Je prétens, moy, d’avoir honneur

        Et d’acquerre chevalerie47.

                        TURELUTUTU

        Avant, tost à la pillerie !

                        GRANCHE-VUYDE

85    Que tous deux soyons personniers48 !

                        TURELUTUTU

        À butin tous noz prisonniers49 !

                        GRANCHE-VUYDE

        Que nous deux soyons frères d’armes !

                        TURELUTUTU

        Je suis, moy, usité50 en armes.

                        GRANCHE-VUYDE

        Vaillant, hardy sur la poullaille51.

                        TURELUTUTU

90    Tu n’as suyvy que quoquinaille52.

                        GRANCHE-VUYDE

        Dieu ait l’âme de mon grant-père !

                        TURELUTUTU

        Qui fut à53 Rifflandoulle frère.

                        GRANCHE-VUYDE

        Il fist, en son temps, de beaulx faitz.

                        TURELUTUTU

        Dessoubz la cheminée54.

                        GRANCHE-VUYDE

                                                   Paix !

95    Mais à qui parlez-vous, beau sire ?

                        TURELUTUTU

        À ung ouvrier de faire paix55

        Des gentilz hommes.

                        GRANCHE-VUYDE

                                           Sans mot dire56 !

.

        …………………………… 57

                        LE  SÉNESCHAL                                     SCÈNE  IV

        Allez diligemment sommer

        Ceste place58 ! Ou [bien] consommer,

100  Au reffus, du tout les feray59.

                        TURELUTUTU

        Trèsbien dire je leur sçauray.

                        GRANCHE-VUYDE

        Iray-je avec luy, monsïeur ?

                        LE  SÉNESCHAL

        Vistement !

.

                        TURELUTUTU                                         SCÈNE  V

                             Mais qui n’auroit peur

        D’aller seulletz, sans compaignie ?

                        GRANCHE-VUYDE

105  C’est une place bien garnie.

        Ha, quel butin !

                        TURELUTUTU

                                   Bien sotz seront,

        Ou promptement ilz ouvreront :

        Car ilz seront [de coups]60 servis.

.

                        NAGE 61                                                    SCÈNE  VI

        Ilz approchent, à mon advis.

                        NAASON

110  Seurement ilz viennent sur nous.

.

                        GRANCHE-VUYDE 62                            SCÈNE  VII

        Sus, sus, gallans ! Deffendez-vous

        Ou rendez la place, à ceste heure !

                        TURELUTUTU

        Rendez-vous sans plus long demeure,

        Ou acoup nous besongnerons !

                        NAGE

115  Seurement nous nous deffendrons !

        Allez, allez, allez, follastres63 !

                        NAASON

        Vuydez64, vuydez, faulx ydolastres,

        Que n’ayez de nostre service65 !

                        GRANCHE-VUYDE

        L’av’ous66 dit ?

                        TURELUTUTU

                                   Mais qu’on les rostisse67,

120  Ilz changeront bien leur langaige.

                        NAGE

        Quérez ailleurs vostre68 avantaige !

        Le parler n’est pas le plus fort69.

                        GRANCHE-VUYDE

        Je m’en voys faire le rapport

        À monsïeur70.

                        TURELUTUTU

                                Mais moy !

                        GRANCHE-VUYDE

                                                   Mais moy !

                        NAASON

125  Je dy, moy : fy de vostre roy !

.

                        NAGE                                                         SCÈNE  VIII

        Gardons-nous !

                        NAASON

                                  Prenons bon courage !

.

                        TURELUTUTU 71                                    SCÈNE  IX

        Sus, monsïeur72 ! À l’avantage !

                       LE  SÉNESCHAL

        Que disent-ilz ?

                        GRANCHE-VUYDE

                                   Absolument

        Ilz nous ont dit publiquement

130  Qu’ilz n’en feront rien.

                        LE  SÉNESCHAL

                                             À l’assault !

        Avant, compaignons, bas et hault !

        N’espargnez ne femmes, n’enfans !

        Et, sur la hart73, je vous deffends

        Qu’on ne preigne nulz à mercy74 !

                        TURELUTUTU

135  Leur chasteau est fort renforcy75.

                        LE  SÉNESCHAL

        Dedans, dedans !

.

                        Icy, assaillent.                                              SCÈNE  X

                        NAGE

                                    À l’arme, à l’arme !

                        GRANCHE-VUYDE

        À l’assault !

                        NAASON

                             Tout est desconfit.

                        TURELUTUTU

        Il fault icy jouer de charme76.

                        LE  SÉNESCHAL

        Dedans, dedans !

                        NAGE

                                     À l’arme, à l’arme !

                        GRANCHE-VUYDE 77

140  Je suis mort ! quel coup de guysarme !

                        TURELUTUTU

        À butin !

                        GRANCHE-VUYDE

                         À commun prouffit78 !

                        LE  SÉNESCHAL

        Dedans, dedans !

                        NAGE

                                     À l’arme, à l’arme !

                        GRANCHE-VUYDE

        À l’assault !

                        NAASON

                             Tout est desconfit.

        Icy n’y a plus de prouffit.

145  Je m’en fuyray bref, se je puis.

                        Icy, Naason s’en fuyt vers Mésopotamye

                        dire des nouvelles.

.

                        Icy, les gens d’armes destruisent toute la place.

                        LE  SÉNESCHAL                                    SCÈNE  XI

        Au moins, de la place je suis

        Maistre pour la première entrée79,

        Où proesse80 s’est bien monstrée,

        Pour ung coup.

.

                        Icy, Turelututu vient dire des                      SCÈNE  XII

                        nouvelles à Holofernès.

                        TURELUTUTU

                                   Honoré seigneur,

150  La place avons prise, à rigueur81,

        D’assault.

                        HOLOFERNÈS

                          C’est [très] bien besongné.

                        TURELUTUTU

        Aucuns des villains ont hongné82 ;

        Mais de vray, ilz ont faict follie.

                        HOLOFERNÈS

        Sus ! devant Mésopotamie83,

155  Chauldement !

                        TURELUTUTU

                                  Point n’y aura faulte.

                        Icy, Turelututu vient au séneschal.

.

                        Icy, parle Naason en s’enfuyant.                SCÈNE  XIII

                        NAASON

        En nostre faict, a eu deffaulte

        Que n’avons ouvert le passaige84.

        Nonpourtant85, me tiens assez saige

        D’avoir ce danger évité.

160  De par moy sera récité86

        De bref à Mésopotamye.

.

                        TURELUTUTU,  en parlant au séneschal :

        Monsïeur et la compaignie :                                         SCÈNE  XIV

        Holofernès, par moy, vous mande,

        Et par motz exprès vous commande

165  Vers Mésopotamye tirer.

.

        ………………………… 87

                        TURELUTUTU                                         SCÈNE  XV

        Que demandez-vous ?

                        ACHIOR

        Crier mercy, à deux genoulx,

        À Holofernès vostre maistre,

        Affin que nous puissons tous estre

170  En sa grâce.

                        GRANCHE-VUYDE

                              Venez vers luy ;

        Sitost qu’il vous aura ouÿ,

        Vous aurez du tout88 son amour.

.

        …………………………. 89

                        LE  SÉNESCHAL                                     SCÈNE  XVI

        Se chascun se vient ainsi rendre,

        Gens d’armes rien ne gaigneront ;

175  Par ainsi, s’anéantiront

        Et seront de lasche courage.

        De guerre, s’il n’y a pillage,

        Ce n’est riens pour les compaignons.

                        LE  MARESCHAL

        Je n’en donroye90 pas deux ongnons,

180  Si n’y a autre pillerie.

                        LE  CAPPITAINE

        Ce ne sera que poullerie91,

        Se je n’y voy autre butin.

                        LE  MAISTRE  DE  L’ARTILLERIE

        Je n’entens note en ce latin92 :

        Chascun se rend sans coup férir ?

185  J’aymeroye aussi cher93 mourir

        Que de vivre ainsi sans rien faire.

                        TURELUTUTU

        Ha, bref ! je ne m’en sçauroye taire :

        C’est cy, pour nous, peine perdue.

                        GRANCHE-VUYDE

        Se si tost ne se fust rendue,

190  Nous estions riches à jamais.

        ……………………….. 94

.

                        LE  SÉNESCHAL 95                                SCÈNE  XVII

        Hau ! Turelututu !

                        GRANCHE-VUYDE

                                        Il pleure.

                        LE  SÉNESCHAL

        Que vous avez lasches courages !

                        TURELUTUTU

        Riens ne recepvons de noz gages :

        Sommes-nous de la morte-paye96 ?

                        GRANCHE-VUYDE

195  Tout du moins, que l’on nous parpaye…

                        LE  SÉNESCHAL

        Escoutons97 !

                        GRANCHE-VUYDE

                               … le terme passé98.

                        TURELUTUTU

        J’ayme aussi cher estre cassé99

        De tout point que de tant attendre.

                        LE  SÉNESCHAL

        Ha ! villains, on vous fera pendre100 !

200  Vous fault-il hongner101 maintenant ?

                        GRANCHE-VUYDE

        Qu’i a-il ?

                        LE  SÉNESCHAL

                          Tost, hastivement !

                        TURELUTUTU

        Monsïeur, nous sommes tous prestz.

                        LE  SÉNESCHAL

        Par ung commandement exprès

        D’Holofernès, menez ce traïstre

205  — Qui du dieu d’Israël faict tiltre102

        Près de la ville Béthulie,

        Affin qu’avec eulx compaignie

        Tienne103, quant ilz seront destruictz !

                        GRANCHE-VUYDE

        Nous sommes, pour le faire, instruictz

210  Aussi bien que nul de l’armée.

                        LE  SÉNESCHAL

        Dépeschez-vous !

                        TURELUTUTU

                                      Mieulx que fermée

        Sera104, se nous n’entrons dedans.

.

                        GRANCHE-VUYDE                                 SCÈNE  XVIII

        Les juifz sont tant oultrecuydans,

        Rebelles, et tant obstinéz !

215  Sus, sus avant ! Tost, cheminez

        Devant105 !

                        TURELUTUTU

                             Pour doubte qu’il ne fuye,

        Je dy, moy, qu’il fault qu’on le lye ;

        Que t’en semble ?

                        GRANCHE-VUYDE

                                       Tu ditz trèsbien.

        Acoup !

                        TURELUTUTU

                       Acoup !

                        GRANCHE-VUYDE

                                       De ce lÿen

220  Sera lyé, qu’il ne nous morde.

                        TURELUTUTU

        Je suis bien fourny d’une corde.

                        Icy, luy lyent les mains derrière.

                        ACHIOR

        Seigneurs, soyez-moy gracieulx106 !

                        GRANCHE-VUYDE 107

        Il me semble, brief, qu’il vault mieulx

        Que tu soys le « maistre des euvres108 »,

225  Car tu es ouvrier109.

                        TURELUTUTU

                                          En ces euvres,

        Je ne m’y congnois que par toy110.

                        ACHIOR

        Hélas, ayez pitié de moy !

        Laissez-moy aller, je vous prie !

                        GRANCHE-VUYDE

        Quant près serons de Béthulye,

230  Tu seras hors de nostre garde.

.

                        LA  PREMIÈRE  ESPIE 111                   SCÈNE  XIX

        Oy-tu riens112 ?

                        LA  SECONDE  ESPIE

                                    Partout je regarde,

        Mais je ne voy venir personne.

                        LA  PREMIÈRE  ESPIE

        Parlons bas !

                        LA  SECONDE  ESPIE

                              S(e) ung seul mot on sonne113,

        En lieu sommes cy pour l’ouÿr.

.

                        TURELUTUTU                                        SCÈNE  XX

235  Il n’a garde de s’en f[o]uÿr114,

        S’il ne jouoit d’enchanterie115.

        Est-il proprement116 ?

                        GRANCHE-VUYDE

                                              Béthulye,

        Comme j’entens, nous fera riches.

                        Icy, doyvent ceulx de Béthulie getter ung canon

                        ou chose semblable pour espoventer.117

                        TURELUTUTU

        O-tu comme il[z] servent de miches118 ?

240  Il y a dangier !

                        GRANCHE-VUYDE

                                 Voire, près.

                        ACHIOR

        Ayez pitié de mes regretz !

        Hélas, las, saulvez-moy la vie !

                        TURELUTUTU

        Tu seras dedans Béthulie

        Mené, affin que de famine

245  Ta vie misérable termine119.

        On dit souvent : trop parler nuyt.

.

                        LA  PREMIÈRE  ESPIE                         SCÈNE  XXI

        J(e) oy, ce me semble, là ung bruyt.

        Escoute…

                        LA  SECONDE  ESPIE

                          Je l’ay bien ouÿ.

                        LA  PREMIÈRE  ESPIE

        Pour doubte120 que n’ayons ennuy,

250  Que noz fondes121 soient toutes prestes !

                        LA  SECONDE  [ESPIE]

        Faisons devoir !

.

                        GRANCHE-VUYDE                                SCÈNE  XXII

                                   Tant de molestes122 !

        Touchant123 ce malotru icy,

        Pendons-le !

                        TURELUTUTU

                              Tost, tost, sans mercy !

        Car nous ne sommes que nous deux :

255  S’i survenoit cy des coureux124,

        Nous serions mors.

                        GRANCHE-VUYDE

                                        Mors sans remède125.

                        ACHIOR

        Hélas ! et mouray-je sans ayde ?

        Prenez-moy à miséricorde !

                        TURELUTUTU

        Pendu seras de ceste corde

260  À ceste arbre126.

                        GRANCHE-VUYDE

                                     Dépeschons-nous !

        Car bien pourra estre rescoux127,

        Et nous, mis à mort sans mercy.

                        TURELUTUTU

        Pour le plus bref, lyons-le cy,

        Et vienne qu’avenir pourra.

                        Icy, le lient à ung arbre.

                        GRANCHE-VUYDE

265  À glayve128, en ce boys, il mourra.

.

                        LA  PREMIÈRE  ESPIE                         SCÈNE  XXIII

        Gaignons ce boys pour l’adventure,

        Car j(e) oy des gens.

                        LA  SECONDE  ESPIE

                                          C’est ta nature

        Que d’estre tousjours soubsonneux.

.

                        TURELUTUTU                                        SCÈNE  XXIV

        Laissons icy ce malheureux,

270  Et nous enfuyons !

                        GRANCHE-VUYDE

                                        Tu as cause129 :

        Nous pourrions bien trop longue pose130

        Faire en ce lieu, je le congnois131.

                        Icy, laissent Achior et s’en retournent.

.

        ………………………… 132

                        TURELUTUTU                                        SCÈNE  XXV

        Nous sommes riches, à ceste heure !

                        GRANCHE-VUYDE

        Vive133 moy, se je n’y demeure !

        ………………………. 134

                        TURELUTUTU

275  C’est une rude quoquinaille,

        Et sont courageux à merveille.

                        GRANCHE-VUYDE

        Je n’y ay perdu qu(e) une oreille135.

                        TURELUTUTU

        Et moy, qu’ung136 œil tout simplement.

.

        ……………………….. 137

                        TURELUTUTU                                         SCÈNE  XXVI

        Voy-tu rien venir, Granche-vuyde138 ?…

280  Monseigneur !

                        GRANCHE-VUYDE

                                 Turelututu ?

                        TURELUTUTU

        Mais dy, hau ! à quoy pense-tu ?

                        GRANCHE-VUYDE

        Regarde139 : c’est quelque avantage.

                        TURELUTUTU

        C’est une gracieuse ymage.

                        GRANCHE-VUYDE

        Ha ! seurement c’est quelque proye.

                        TURELUTUTU

285  Ilz viennent cy la droicte voye140.

                        GRANCHE-VUYDE

        Sans plus songer, parlons à elle.

.

                        TURELUTUTU                                         SCÈNE  XXVII

        Sus, sus, arrestez, Damoyselle !

                        JUDICH

        Messeigneurs, je suis toute arrestée.

                        GRANCHE-VUYDE 141

        Vous venez espier l’armée ?

                        JUDICH

290  Saulve l’honneur de vous142 !

                        TURELUTUTU

                                                       Pourquoy

        Venez-vous ainsi à requoy143 ?

        Cautelle144 de femme est trop fine.

                        JUDICH

        Messeigneurs, on meurt de famine

        En nostre cité145, seurement ;

295  Parquoy je me suis bellement146

        Issue dehors affin de vivre.

                        GRANCHE-VUYDE

        À chascun la sienne, à délivre147 !

        Qu’en dictes-vous ?

                        JUDICH

                                         L’honneur des dames

        Doit estre préservé de blasmes,

300  Entre les mains de gentilz hommes148.

        De noble lieu, certes, nous sommes,

        Sans vitupère149 et villennie ;

        Parquoy, Messeigneurs, je vous prie

        [Qu’on n’en ait]150 point de déshonneur.

                        TURELUTUTU

305  Venir vous fault à Monseigneur151.

                        JUDICH

        G’iray partout où vous plaira.

                        GRANCHE-VUYDE

        De vostre venue, il sera

        Joyeulx, et vous fera grant chère.

                        JUDICH

        Je suis sa povre chambèrière,

310  S’il luy plaist.

                        TURELUTUTU

                              N’ayez nulle doubte152

        De desplaisir.

                        JUDICH

                               Je ne redoubte

        Autre chose que déshonneur.

.

                        GRANCHE[-VUYDE],  en saluant Holofernès :

        Hault chef, de Noblesse l’honneur,                             SCÈNE  XXVIII

        Salut !

                        HOLOFERNÈS

                     Que disent les seigneurs ?

315  Qui vous maine ?

                        TURELUTUTU

                                      Qui ? Joyeulx cueurs

        Amoureux.

                        HOLOFERNÈS

                             Bien soyez venuz !

        Joyeulx amoureux maintenuz

        Sont dessus tous153, en nostre Court.

                        GRANCHE-VUYDE

        Monseigneur, à le faire court,

320  Nous avons trouvé ceste proye

        Que vous amenons.

                        HOLOFERNÈS

                                         À grant joye

        Soit-elle venue, la mignonne !

                        VAGAO,  en derrière :

        (Elle porte assez bonne trongne,

        Pour ung amoureux afamé.)

.

        ……………………….. 154

                        TURELUTUTU                                         SCÈNE  XXIX

325  Je voy lumière.

                        LE  SÉNESCHAL

        C’est la Dame et la chambèrière

        De Béthulie.

                        GRANCHE-VUYDE

                              Quoy ! de nuyt,

        Passer parmy nous ?

                        LE  SÉNESCHAL

                                          Saufconduit

        De ce faire a de Monseigneur.

                        LE  MARESCHAL

330  Qu’on luy a faict grant mal au… cueur !

                        LE  CAPPITAINE

        Je mettray qu’elle a mal aux… dens.

                        LE  MAISTRE  DE  L’ARTILLERIE

        Il luy tarde qu’el soit dedans155

        Pour conter de ses adventures.

                        TURELUTUTU

        Qu’el marche droit156 !

                        GRANCHE-VUYDE

                                              Quel[s] emboistures157

335  Pour bien porter « lance » en l’arrest158 !

                        LE  SÉNESCHAL

        Monsïeur en a eu le prest159,

        Mais la marchandise le vault.

                        TURELUTUTU

        Il n’y a mal que du deffault160 ;

        Bien trouveroit autre service161 !

                        GRANCHE-VUYDE

340  En ung tel amoureux assault,

        Il n’est si ferré qui ne glisse162.

.

        …………………………. 163

                        Icy, regardent tous la teste de Holofernès.

                        TURELUTUTU                                         SCÈNE  XXX

        Qu’esse-là ?

                        GRANCHE-VUYDE

                             C’est ung piteux jeu !

                        LE  SÉNESCHAL

        Quoy ! la teste de nostre maistre ?

        …………………………..

                        TURELUTUTU

        Hélas ! pleurons tous derechef

345  Ceste douloureuse adventure !

                        GRANCHE-VUYDE

        Hélas ! tous lamentons ce grief

        Et ceste angoisseuse pointure164 !

                        TURELUTUTU

        Gémissons165 sa noble figure,

        Dont nous avions si grant secours !

                        GRANCHE-VUYDE

350  D’amours c’est rigle de droicture166 :

        « Pour une joye, cent doulours. »

.

                        JUDICH 167                                              SCÈNE  XXXI

        Saillez sur eulx !

                        OZIAS

                                     Veu leurs clamours168,

        Ilz n’ont [plus] force ne puissance.

                        Icy, viennent hors de la cité, tous en armes.

.

                        LE  SÉNESCHAL                                    SCÈNE  XXXII

        Fuyons ! il est faict de noz jours169.

                        LE  MARESCHAL

355  Nostre vie est bien en balance.

                        LE  CAPPITAINE

        En ce lieu n’a point de fiance170.

                        LE  MAISTRE  DE  L’ARTILLERIE

        Habandonnons tout, il n’est tel171.

                        BENJAMYN

        À mort !

                        MANASSÈS

                       À mort !

                        TURELUTUTU

                                      Mors, sans doubtance ?

                        GRANCHE-VUYDE

        Ce jour, pour nous, est bien cruel.

*

1 Il passe en revue ses troupes et fait l’appel. Au lieu de lui répondre, Turlututu et Grange-vide observent un garde-à-vous très approximatif et bavardent entre eux. Les 10 premiers vers, avec leurs refrains, sont l’amplification tardive d’un triolet de 8 vers.   2 Ce nom provient d’une chanson qu’évoque la farce du Retraict : « Turelututu, tutu, tutu,/ Turelututu, chapeau poinctu. »   3 Un vrai soldat aurait dit « notre chef ». Mais nos deux anarchistes sont allergiques à toute forme de discipline.   4 Dont la grange est vide : qui n’a plus de blé. Graham Runnalls (p. 16 et 248) traduit « grange » par estomac. « –J’en fourreray avant ma pance./ –Ainssy, Huet, emple [emplis] ta granche ! » Miracles madame sainte Geneviève.   5 Éd : Et puis autant que dung  (Nous l’estimons autant qu’un fétu de paille. « Elle ne me prise un festu. » Le Raporteur.)   6 Secoués, battus comme des tapis.   7 On devrait nous huer, comme quand on veut faire fuir un loup. « Huer/ Tous les jours à ung tas de loups. » Les Sotz qui corrigent le Magnificat.   8 Il continue à faire l’appel. Le soldat Mal-venu n’est pas là, comme son nom l’indique.   9 Il aurait dû appeler l’officier par son grade. Résultat, c’est lui qui va en prendre pour le sien.   10 Un coup de lanière, au sens figuré. « À quelc’un bailleray tel bride/ Qu’il dira : ‟Le dyable y ait part !” » Viel Testament.   11 Il goûterait. « L’honneur humerez. » Gournay et Micet.   12 Ne humerait, ne boirait. « Ils boivent plus de vin qu’une truye de laict. » Brantôme.   13 Des plaids, des disputes.   14 Son casque trop grand lui tombe sur les yeux : il ne voit plus rien. Le même gag revient plusieurs fois dans Baudet, Blondète et Mal-enpoint.   15 On prononce « aï-de », qui rime avec « vuide ». Le Viel Testament donnait déjà ces rimes aux vers 41115-6 de l’édition Rothschild et Picot.   16 Viens m’aider à retirer ce casque.   17 Déclarée, entre les Assyriens et les juifs.   18 Assurée : nous allons nous enrichir. « Ta vye sera recouverte. » Troys Gallans et Phlipot.   19 Le sénéchal confie l’étendard du régiment à Grange-vide.   20 Vous ne rêvez pas ? Vous parlez sérieusement ? « Ce fol ne faict cy que songer. » Le Retraict.   21 Vous m’obligez à contenir ma colère. « Trop long temps on nous fait ronger/ Nostre frain. » Viel Testament.   22 Ce n’est pas mon rôle de porter l’étendard.   23 En disgrâce.   24 Devons-nous marcher au premier rang ?   25 Imbéciles.   26 Pour défiler. Idem vers 52.   27 Les imprimés remontent de quelques vers la plupart des didascalies indépendantes : celle-ci se trouvait sous le vers 32. Prenant exemple sur Graham Runnalls, qui y voit une mauvaise lecture du manuscrit de base par le premier éditeur, je les remettrai tacitement à leur place logique.   28 À Holopherne, en parlant du sénéchal.   29 Il est en retard, vu l’urgence de la situation (la déclaration de guerre). Un peu avant, le sénéchal avait adressé la plus belle réplique de tout le Mystère à Nabuchodonosor, qui lui demandait : « –Séneschal, estes-vous prest ? –Non ! »   30 Le cœur. Idem vers 176 et 192.   31 Sous les coups de l’ennemi.   32 Il a pourtant. Ces champions rappellent plutôt les « champions de taverne » ; cf. le Sermon joyeux de bien boire, vers 22 et 323.   33 Il faut régler ce détail.   34 Bien peintes. Il contemple celle que Grange-vide laisse pendouiller.   35 Ici commence une longue énumération d’armes, d’objets ou de vêtements militaires qui avaient cours non pas à l’époque de Nabuchodonosor mais à celle de Louis XI. Il serait inutile d’accoler une note à chaque mot : ce n’est pas leur sens qui égayait les auditeurs du Mystère, c’est leur accumulation digne d’une sottie.   36 Arcs.   37 Éd : faulcons  (Le faussard est une faux emmanchée sur une hampe. « Dagues, braquemars,/ Espées, rapières et faulsars. » ATILF.)   38 Frondes. Idem vers 250.   39 Le valet de chambre d’Holopherne n’a rien à faire là. Voir la note de l’édition Runnalls, p. 249.   40 Éd : crilz  (Treuils qui servent à tendre les arbalètes à cric.)   41 D’un maniement rapide, car elles sont plus courtes et moins encombrantes que les lances.   42 Couillards : catapultes.   43 Ce casque était à la mode au temps de Louis XI.   44 En allant vers Mésopotamie. L’auteur nomme ainsi une ville de Judée, comme aux vers 143, 154, 161 et 165.   45 Je n’y manquerai pas. Turlututu a trouvé un casque à sa taille, et Grange-vide s’est débarrassé de l’étendard.   46 Ce grade peu réglementaire dont nos soldats d’opérette honorent le sénéchal va devenir entre eux un gag récurrent.   47 De devenir chevalier. Le hobereau veut redorer son blason. Turlututu est beaucoup moins chevaleresque.   48 Parçonniers, partageurs.   49 Exigeons d’eux une rançon.   50 Expérimenté. « Gens de guerre, tous usitéz d’armes. » ATILF.   51 Tu n’es qu’un voleur de poules. « Courant ainsy sur la poulaille. » L’Avantureulx.   52 Que des mendiants, autres voleurs de poules.   53 De. « Du gros cousin/ Qui fut à ma tante parent. » (Pernet qui va au vin.) Ton grand-père était le frère de Rifflandouille. Ce peu recommandable « bouffeur d’andouilles » est une valeur sûre de la littérature comique ; c’est un bourreau dans plusieurs Mystères, et l’un des plus grossiers sergents du Vilain et la Tavernière.   54 Bien au chaud sous le large manteau de sa cheminée.   55 Je parle à un spécialiste de la paix. Les Nobles étaient censés faire la guerre, et non la paix, sauf quand on les soudoyait. Jeu de mots sur « pets ».   56 Taisez-vous !   57 L’armée babylonienne arrive en Judée. Elle met le siège devant le château d’Esdrelon.   58 Allez vite porter à cette place forte une sommation de capituler.   59 Ou s’ils refusent, je les ferai totalement consumer. « La terre toute consommée par feu. » ATILF.   60 Éd : acoup  (Voir le vers 118.)   61 Les sentinelles juives montent la garde sur le rempart du château fort. Nage = fesse : « Pour baiser mon cul et ma nage. » Nicolas Loupvent.   62 Au pied du rempart.   63 Fous. « Allez, allez, villain follastre ! » Les Sotz triumphans.   64 Videz les lieux : partez. Tout au long du Mystère, les fanatiques juifs traitent d’idolâtres ceux qui ont une autre religion que la leur.   65 De peur qu’on ne vous serve des coups.   66 Éd : La vous  (« Av’ous » est une contraction normande : « Av’ous besongné ? » Viel Testament.)  Avez-vous osé dire cela ? « L’avez-vous dit, villain mastin ? » Le Munyer.   67 Éd : sortisse  (Le premier imprimeur a interverti deux lettres et ses imitateurs l’ont suivi.)  Pour peu qu’on les rôtisse : au vers 99, le sénéchal menace de les consumer.   68 Éd : autre  (Votre intérêt. « C’est mal cherché vostre avantaige. » Le Monde qu’on faict paistre.)   69 Le plus difficile n’est pas d’en parler mais de le faire.   70 Au sénéchal. Les deux poltrons s’enfuient ; chacun essaie de courir plus vite que l’autre.   71 Les deux émissaires rentrent au camp.   72 Éd : messieurs  (Il n’y a là qu’un seul officier, le sénéchal, que nos contestataires affectent d’appeler « monsieur ».)  À l’avantage ! = courons au butin !   73 Sous peine d’être pendus à une corde.   74 Qu’on fasse grâce à quiconque. Le sénéchal fait siens les ordres de Nabuchodonosor et Holopherne : « –N’espargnez femme ne enfans !/ –De par vous, ainsi leur deffens/ Qu’ilz ne pregnent nulz à mercy. »   75 Est bien protégé.   76 D’un sortilège pour que le diable nous vienne en aide. « Un charme/ Pour faire venir l’Ennemy. » Maistre Mimin estudiant.   77 On lui donne sur le casque un coup inoffensif avec le plat d’une hallebarde.   78 Partageons le butin ! Il n’en fallait pas plus pour que le soi-disant mort ressuscite.   79 À la première charge.   80 Où notre prouesse, notre vaillance.   81 Par la force.   82 Quelques-uns de ces misérables ont grogné.   83 Allons maintenant assiéger la ville appelée Mésopotamie.   84 Nous avons eu tort de ne pas leur ouvrir la porte de la ville.   85 Nonobstant.   86 Cette défaite sera par moi racontée.   87 En allant vers Mésopotamie, Holopherne convoite la ville juive de Béthulie. Quelques habitants viennent lui demander grâce.   88 Totalement. Idem vers 100.   89 Les troupes d’Holopherne se plaignent que des habitants de Béthulie se soient rendus : elles ne peuvent plus piller ce qui désormais appartient à leur roi, Nabuchodonosor.   90 Donnerais. La guerre ne vaut même plus deux oignons. « Je n’en donroys pas ung oignon. » Le Ramonneur de cheminées.   91 De la pouillerie, de la misère. Double sens bien digne de nos voleurs de poules : une poulerie est un marché aux volailles. « Avoir & tenir pouleries. »   92 Éd : chemin  (Je ne comprends rien à ces palabres.)   93 J’aimerais autant. Idem vers 197.   94 Seuls quelques bourgeois de Béthulie se sont rendus ; on va donc pouvoir assiéger la ville pour dévaliser les autres.   95 Il arrive avec un prisonnier juif, Achior (vers 167-170), que lui a confié Holopherne pour qu’il l’envoie mourir de faim avec ses coreligionnaires dans la citadelle de Béthulie.   96 Faisons-nous partie de ces vieux soldats qui touchent une demi-solde pour garder une place forte ? « Je suis bien de la morte-paye,/ Il y pert [paraît] bien à mes habitz. » Les Sotz qui remetent en point Bon Temps.   97 Éd : A coup tost.  (Cette formule invite un interlocuteur à parler. Le juge de la farce de Pathelin l’emploie pour interroger le drapier : « Or escoutons !/ Estoit-il point vostre aloué ? »)   98 Qu’on nous paye la solde en retard.   99 J’aimerais autant être cassé de gages, révoqué sans solde. « Comment/ Vivront ces gendarmes casséz ? » Les Esbahis.   100 On pendait les déserteurs : cf. Troys Gallans et Phlipot, vers 435.   101 Devez-vous grogner ? Idem vers 152.   102 Fait l’apologie. « Titre » rime avec « traï-tre ». L’Aveugle et Saudret porte exactement les mêmes rimes aux vers 602-3.   103 Afin qu’il tienne compagnie à ses habitants.   104 Il faudra que la porte de Béthulie soit fermée à double tour.   105 Grange-vide et Turlututu poussent Achior dans la forêt qui sépare leur campement et la ville de Béthulie.   106 Faites-moi grâce.   107 À Turlututu.   108 Le « maistre des haultes-œuvres » est le bourreau : cf. Gournay et Micet, vers 521. Le bourreau attache les mains du condamné qu’il va pendre : cf. Gournay et Micet, vers 171 et 336.   109 Habile.   110 Dans ce domaine, c’est toi qui m’as tout appris.   111 Le 1er espion. Dans la forêt, son camarade et lui surveillent les allées et venues des Assyriens.   112 N’entends-tu rien ? Verbe ouïr.   113 Si nos ennemis prononcent un seul mot.   114 Il ne risque pas de s’enfuir. « Et pour m’en fouÿr au besoing. » Viel Testament.   115 Si ce n’est par magie. Turlututu croit à la sorcellerie : voir le vers 138.   116 Est-il comme il convient ? « Est-il enterré proprement ? » Le Fossoieur et son Varlet.   117 Les assiégés tirent un coup de canon.   118 Entends-tu comment ils nous servent des « miches » ? Ces pains ronds désignent ici les boulets de canon. « Miches du convent militaire : des balles, ou boulets. » Antoine Oudin.   119 Si on scande la diérèse « vi-e », comme cela est de règle, termine doit être remplacé par fine. « Moy qui sens ma vïe finer. » Viel Testament.   120 De crainte.   121 Que nos frondes.   122 Que de désagréments !   123 En ce qui concerne. « Touchant ce peuple d’Israël,/ Achior, congnoissez-vous point/ Leur façon ? » Viel Testament.   124 Des éclaireurs à cheval.   125 Le rénovateur du texte a corrigé « remide », qui rimait avec « aïde ». Le Viel Testament donne ces rimes aux vers 43420-1 de l’édition Rothschild et Picot.   126 Ce mot est masculin dans la prochaine didascalie, mais il pouvait être féminin, comme arbor en latin. « Fut mis et pendu en une arbre. » Farce des Coquins, F 53.   127 Libéré par les siens, qui viendront à sa rescousse.   128 D’un coup de glaive. Il sera tué par les « brigands des bois », qui ligotent leur victime à un arbre afin de la détrousser, puis la poignardent pour qu’elle ne puisse témoigner contre eux. Une fois de plus, les deux reîtres désobéissent aux ordres.   129 Tu as bonne cause, tu as raison.   130 Une pause, une halte trop longue.   131 Je le reconnais.   132 L’armée d’Holopherne lance un assaut contre Béthulie.   133 Éd : Voire  (« Vive moy, dit le seigneur Dieu ! Je ne veux la mort de l’impie. » Séraphin de La Croix.)  Que je vive, si je ne meurs pas !   134 La bataille fait rage.   135 Nos deux roublards imputent à la guerre des blessures peu glorieuses qu’ils avaient déjà. Le bourreau avait coupé une oreille à Grange-vide en tant que voleur.   136 Éd : que  (L’alcoolisme pouvait causer la perte d’un œil. « [Il] but tant, se m’aist Dieux,/ Qu’il perdit presque l’ung des yeulx ;/ Et de l’aultre n’estoit pas sain. » Sermon joyeux de bien boire.)   137 Après la victoire d’Holopherne, la juive Judith et sa servante traversent le campement pour l’assassiner. Les deux gardes auraient pu sauver la vie de leur chef, mais c’est eux qui vont lui amener sa meurtrière.   138 Grange-vide, perdu dans la contemplation des deux beautés, n’entend pas cette question.   139 Les imprimés distribuent ce mot à Turlututu. Les deux femmes sont un avantage que des soudards peuvent prendre en nature : la guerre n’a pas pour seul intérêt le pillage, elle autorise aussi le viol.   140 Elles viennent droit vers nous.   141 Il tente d’effrayer les « proies » pour mieux en venir à bout.   142 Sauf le respect que je vous dois ! Formule polie de dénégation.   143 En secret.   144 Ruse.   145 Dans la ville de Béthulie, qui subit votre blocus.   146 Éd : tellement  (Silencieusement. Cf. le Pourpoint rétréchy, vers 186, 231 et 651.)   147 Parmi ces femmes, que chacun choisisse la sienne librement !   148 Judith flatte les deux soudards, qu’elle appelle « Messeigneurs ».   149 Sans honte.   150 Éd : Quen vous nait   151 Dans la tente d’Holopherne. Judith saute sur l’occasion.   152 Crainte.   153 Sont au-dessus des autres courtisans.   154 En pleine nuit, les deux femmes repassent devant le corps de garde. Elles emportent la tête d’Holopherne et une lanterne allumée. Ayant obtenu un laissez-passer, elles ne s’attirent pas d’autre inconvénient que des propos de corps de garde.   155 Dans sa ville de Béthulie.   156 Que sa démarche est raide !   157 Éd : nourritures  (« Emboisture : L’endroit où les choses s’emboistent. » Dict. de l’Académie françoise.)  Au sens propre, l’emboîture n’est autre que « l’arrêt », cheville métallique fixée au côté droit du harnais, et sur laquelle les cavaliers emboîtent leur lance pour qu’elle tienne à l’horizontale. Au sens figuré, les deux femmes sont des ustensiles où des hommes peuvent emboîter leur lance virile.   158 Un pénis en érection. « Mettre sa lance en son arrest. » (Cent Nouvelles nouvelles, 28.) Jeu de mots sur « la raie ».   159 Holopherne en a eu la jouissance.   160 Il n’y a de mauvais que de tomber sur un impuissant.   161 Elle trouverait facilement un autre « serviteur ».   162 Même les chevaux bien ferrés peuvent glisser : tout le monde peut avoir un moment de faiblesse. « Il n’est si ferray qui ne glice. » Les Premiers gardonnéz.   163 Les criminelles retournent à Béthulie, et exposent la tête de leur victime au-dessus de la grand-porte.   164 Cette douleur poignante.   165 Pleurons.   166 C’est une règle immuable de l’amour. En fait, c’est surtout un proverbe bien connu, cité notamment par Villon.   167 Elle pousse l’armée juive à sortir de Béthulie pour profiter du désarroi d’un adversaire privé de son chef.   168 Éd : clameurs  (Cf. les Mal contentes, vers 45, 270 et 422.)   169 C’en est fait de notre vie.   170 De sécurité.   171 Il n’y a rien de tel, il n’y a rien d’autre à faire. Tous les Assyriens prennent la fuite en abandonnant leurs affaires et le butin qu’ils ont accumulé.

SAOUL-D’OUVRER ET MAUDOLLÉ

Bibliothèque nationale de France

Bibliothèque nationale de France

.

*

SAOUL-D’OUVRER

.

ET  MAUDOLLÉ

*

.

La farce de Gournay et Micet, qui oppose un maître à son valet, « farcit » le Mistère du Viel Testament. Elle-même est farcie par une autre farce qui oppose encore un maître à son valet : Saoul-d’ouvrer et Maudollé. Si le charpentier est « soûl d’œuvrer1 » [fatigué de travailler], son apprenti est « mal dollé2 » [mal raboté, malpoli], d’où leur relation conflictuelle. Toutefois, le prévôt leur commande un gibet personnel afin d’y pendre le juif Mardochée, qui refuse de lui faire la révérence. Mais le prévôt étrennera lui-même sa potence privée, tandis que sa femme prendra la fuite — et l’argenterie — avec son serviteur.

Enfin, on ne saurait évoquer les artisans du Mistère du Viel Testament sans donner la parole aux plus glorieux d’entre eux, les bâtisseurs de la tour de Babel.

Sources : Je prends pour base le Très excellent & sainct Mystère du Viel Testament, imprimé par Jehan Réal en 1542 ; il reproduit — avec moins de fautes — le Mistère du Viel Testament par personnages, imprimé par Pierre Le Dru vers 1500.

Structure : Rimes plates.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

.

*

                        SAOUL-D’OUVRER,  charpentier3.      SCÈNE  I

        Maudollé !

                        MAUDOLLÉ,  varlet.

                             Voycy la relique

        De l’ung des os de sainct Belin4.

                        SAOUL-D’OUVRER

        Viendras-tu à moy ?

                        MAUDOLLÉ 5

                                             C’est bon vin.

        Qui boit bon vin, mieulx en besongne.

                        SAOUL-D’OUVRER

5      Mais regardez-moy quel yvrongne !

        Sans cesser il avalle ou mâche.

                        MAUDOLLÉ

        Quant on a achevé sa tâche,

        Doit-on pas prendre son repas ?

                        SAOUL-D’OUVRER

        Ouÿ ; mais tu ne gaignes pas

10    L’eaue que tu boys, c’est le point6.

                        MAUDOLLÉ

        Par Dieu ! maistre, je n’e[n] boy point :

        Il est bon à veoir à mon nez7.

                        SAOUL-D’OUVRER

        Dea ! mon varlet, vous vous donnez

        Du bon temps.

                        MAUDOLLÉ

                                [Maistre], en doubtez-vous ?

15    Se charpentiers ne sont bien saoulz,

        Jà ne feront bonne journée.

        J’ay ma besaguë retournée8,

        Au matin, son9 devant derrière.

                        SAOUL-D’OUVRER

        Tu fais tous les soirs si grant chère

20    Qu(e) encor en es yvre au matin.

                        MAUDOLLÉ

        Mon maistre, ce n’est que de vin,

        Car je n’ayme ne citre10 ne bière.

.

                        BARATHA 11                                           SCÈNE  II

        Si me fault-il trouver manière

        De parler à ce charpentier,

25    Qu’il vienne ouvrer12 de son mestier.

.

        Es-tu céans, Saoul-d’ouvrer ?                                     SCÈNE  III

                        SAOUL-D’OUVRER,  charpentier.

                                                         Ouy.

        Pensez que vous ay bien ouÿ

        Crier à haulte voix et forte.

                        BARATHA

        Vien à Monseigneur, et apporte

30    Les ostilz de charpenterie13 !

                        SAOUL-D’OUVRER

        À cella ne fauldray-je mye14 :

        Drille ne gaignay de cest an15.

        N’esse pas à Monseigneur…

                        BARATHA

                                                      Aman.

                        SAOUL-D’OUVRER

        J’entens : monseigneur le prévost.16

35    Allons acop ! Bien tost, bien tost !

        Voicy mes instrumens tous prestz17.

.

        Aman, Monseigneur : par exprès18,                            SCÈNE  IV

        Sur tous19 vous vouldroye servir.

        Commandez vostre bon plaisir !

40    Vostre serviteur suis piéçà20,

        Monseigneur le prévost.

                        AMAN

                                                Vien çà !

        Plante-moy une grosse poultre

        Qui soit fort[e] et puissant21 tout oultre.

        Entens-tu bien ?

                        SAOUL-D’OUVRER

                                     Je le feray,

45    Mais où22 ?

                        AMAN

                                Je le te monstreray ;

        Je la23 vueil cy avoir, et estre

        En ma court, devant ma fenestre

        De ma grant chambre principalle.

                        SAOUL-D’OUVRER

        Pour la façon espécïalle24,

50    Monseigneur, la haulteur me fault.

                        AMAN

        De cinquante couldées de hault25.

                        SAOUL-D’OUVRER

        En26 quelle façon, s’il vous plaist ?

                        AMAN

        Ainsi que fault faire ung gibet.

        Faulte n’y ait, ainsi le veulx !27

.

55    Ha, hay ! que je seray joyeulx                                     SCÈNE  V

        Quant, à mon coucher et lever,

        Je verray ce juif orgueilleux

        À ce gibet icy bransler28 !

        Matin ne se sçauroit passer

60    Que je ne m’y29 vienne habiller

        Pour Mardochée regarder,

        Que feray en ce lieu lyer.

        …………………………

.

                        SAOUL-D’OUVRER                               SCÈNE  VI

        Voylà tout appointé30.

        Voylà ung beau postel31, je pense.

65    Voylà une belle potence,

        Mais ung gibbet tout eslevé.

        Celluy qui y sera levé32,

        Si n’a garde de desvoyer33,

        Se n’est par faulte du cordier34

70    Ou par deffaulte du bourreau.

        Il est composé bien et beau :

        Le boys est de cueur de noyer.

        On doit telz ouvriers employer !

        Il est bien, à la vérité.

        ………………………..

*

                        BARATHA 35                               SCÈNE  VII

75   Madame !

                        ZARÈS

                         Quoy ?

                        BARATHA

                                       Il fault brouer36 !

                        ZARÈS

        Et ! qu(e) as-tu ? Que tu es esmeu !

                        BARATHA

        Je ne le vous vueil point celer :

        Mon maistre sera huy pendu.

                        ZARÈS

        Tay-toy, Baratha ! Que dis-tu ?

                        BARATHA

80    Ha ! je l’ay ouÿ condampner.

                        ZARÈS

        Ô Fortune, l’as-tu déceu37 ?

                        BARATHA

        On ne sçait comme on doit tourner.

                        ZARÈS

        Le sçais-tu bien38 ?

                        BARATHA

                                           Le cas est tel.

                        ZARÈS

        Il sera pendu ? Quel orreur !

                        BARATHA

85    En ce gibbet, en cest hostel39.

                        ZARÈS

        Que reste-il ?

                        BARATHA

                                 Prendre du meilleur

        Et escarrir40.

                        ZARÈS

                                C’est le plus seur41.

        Tien là !

                        BARATHA

                        Pensez de bien foncer42.

                        ZARÈS

        Ô Fortune !

                        BARATHA

                              Peu de valleur43 :

90    On ne sçait comment doit tourner.

        Ne laissez riens, que vous puissiez44.

                        ZARÈS

        Nenny, Baratha. Tien, emporte !

                        BARATHA

        Brouez au large, escarrissez45 !

        Besoing est d’adviser la porte46.

                        ZARÈS

95    O ! mallement me desconforte,

        Aman, quant ainsi fault finer47.

                        BARATHA

        Dame Fortune est de tel sorte :

        On ne sçait comment doit tourner.

.

*

LA  TOUR

DE  BABEL 48

*

.

                        CASSE-TUYLLEAU49,  masson.           SCÈNE  I

        Que veulx-tu dire, Gaste-bois ?

        Sçais-tu rien qui soit de nouveau ?

                        GASTE-BOIS 50,  charpentier.

        Par Dieu ! nenny, Casse-tuilleau :

        Rien de nouveau n’est inventé.

                        CASSE-TUILLEAU

5      Pille-mortier51, Cul-éventé52 !

        Est jà vostre tasche acomplie ?

                        CUL-ESVENTÉ,  [couvreur].

        Ma bouteille n’est point remplie

        De gourde pie53, à ce matin.

                        PILLE-MORTIER

        Trois jours a54 que ne beuz de vin

10    Par faulte d’avoir ung vaisseau55.

.

                        CHUS 56                                                   SCÈNE  II

        Sus, Gaste-bois, Casse-tuilleau,

        Cul-éventé, Pille-mortier !

        Ouvrer fault de vostre mestier,

        On a trèsgrand besoing de vous.

                        GASTE-BOIS

15    Nous nous sommes préparéz tous,

        Et noz houstilz pareillement,

        Pour besongner joyeusement

        En maisons, manoirs ou chasteaulx.

                        CHUS

        Bastir fault ouvrages nouveaulx

20    Et édifier quant et quant57.

        Mais je croy que n’estes pas tant

        D’ouvriers que je vueil bien avoir.

                        CASSE-TUILLEAU

        Vous ne sçauriez [bien] concepvoir

        La science que nous avons ;

25    Car tousjours les moyens trouvons

        De parvenir à noz attainctes58.

                        CUL-ESVENTÉ

        Nous ne besongnons point par fainctes59 :

        Car voicy charpentiers, massons,

        Couvreurs de diverses façons,

30    Qui nous congnoissons au mestier.

        Et puis voicy Pille-mortier,

        Qui de nous servir sçait l’usage.

                        PILLE-MORTIER

        Jamais nul homme, s’il est sage,

        À servir massons n’entreprenne !

35    Toutesfois — advienne qu(e) advienne —

        Je suis en leur subjection60.

                        CHUS

        Il fault faire expédition

        De venir par-devers Nembroth,

        Qui veult qu’on luy dépesche tost61

40    Une tour qu’il devisera62.

                        GASTE-BOIS

        Si trèsbien on le servira

        Qu’il n’y trouvera que63 redire.

                        CHUS

        Hastez-vous, car il vous veult dire

        Ce qu’il a entrepris de faire.

                        CASSE-TUILLEAU

45    Tout ce qui sera nécessaire

        Nous ferons, ne vous soucïez.

        Mais que nous soyons advoyéz64,

        Il nous fera beau veoir en face.

.

                        CUL-ESVENTÉ                                       SCÈNE  III

        Sire, que vous plaist-il qu’on face ?

                        PILLE-MORTIER

50    Voicy gens pour faire édifices.

        En ce cas ne65 nous monstrons nices

        Mais sommes expers, sans doubtance.

                        NEMBROTH

        À vous veoir, je prens grand plaisance.

        Car je croy — et m’est bien advis —

55    Que vous comprendrez le devis66

        D’une tour que voulons pourtraire67.

                        GASTE-BOIS

        Commandez, et nous laissez faire !

                        NEMBROTH

        Si de la faire prenez charge,

        Il fault qu’elle soit si trèslarge

60    Et de si fors fondemens faicte

        Que, devant qu’elle soit parfaicte68,

        El puisse jusqu(e) au ciel toucher.

                        CASSE-TUILLEAU

        Autres ouvriers ne fault cercher

        Que nous : nous entendons le cas.

                        NEMBROTH

65    Gardez bien que ne faillez pas

        À la faire grosse et massive.

        Je vueil qu’elle soit excessive :

        C’est-à-dire qu’on puisse aller,

        Par elle, au ciel.

                        CUL-ÉVENTÉ

                                    Sans plus parler,

70    Nembroth, nostre souverain maistre,

        En besongne nous allons mettre69,

        Puisque nous l’avez ordonné.

                        Ilz s’en vont besongner.

.

                       PILLE-MORTIER                                   SCÈNE  IV

        Si est Nembroth désordonné70,

        De la vouloir faire si haulte.

                        GASTE-BOIS

75    Faicte sera, s’il n’y a faulte,

        Puisque nous y mettons les mains.

                        CASSE-TUILLEAU

        L’entreprise beaucoup je crains ;

        L’ouvrage est fort à assaillir71.

                        CUL-ESVENTÉ

        On ne peult, en fin, que faillir.

80    Besongnons, mais qu(e) on nous paye bien.

                        PILLE-MORTIER

        Telles gens que nous n(e) acroient rien72,

        Mais tousjours sont prestz d’emprunter.

                        GASTE-BOIS

        Si se fault-il diligenter73

        De commencer [l]a nostre ouvrage74.

.

                        NEMBROTH                                            SCÈNE  V

85    Sus, enfans ! Prenez bon courage,

        Et vous serez bien contentéz75.

                        CHUS

        Je vous prie que diligentez :

        Tard m’est que la voye commencée76.

                        GASTE-BOIS

        J’ay jà la manière pensée

90    D’y besongner, n’ayez soucy.

                        NEMBROTH

        Nous reviendrons de bref icy

        Pour veoir vostre façon de faire.

.

                        CASSE-TUILLEAU                                 SCÈNE  VI

        Commencer fault, qui veult parfaire77.

        Gaste-bois !

                        GASTE-BOIS

                              Tu dis vérité.

95    Besongne bien de ton costé,

        Et de moy ne prens nul soucy.

                        CASSE-TUILLEAU

        Cul-esventé !

                        CUL-ESVENTÉ

                               Hau ?

                        CASSE-TUILLEAU

                                           Viens icy !

                        GASTE-BOIS

        Pille-mortier !

                        PILLE-MORTIER

                                 Je voys78 à vous.

        Préparé suis vous servir tous.

100  J’ay jà l’instrument sur le col79.

                        CASSE-TUILLEAU

        Cul-esventé !

                        CUL-ESVENTÉ

                                Hau ?

                        CASSE-TUILLEAU

                                            Gâche mol80 !

                        CUL-ESVENTÉ

        Combien ?

                        CASSE-TUILLEAU

                             Une demye-augée81.

                        GASTE-BOIS

        Çà, du mesrien82 ! Faictz-tu du fol ?

                        CASSE-TUILLEAU

        Pille-mortier !

                        PILLE-MORTIER

                                   Hau ?

                        CASSE-TUILLEAU

                                                Gâche mol !

                        PILLE-MORTIER

105  Délyé83 ?

                        CASSE-TUILLEAU

                           Nenny, de plein vol84.

                        GASTE-BOIS

        Apporte ma large congnie85 !

                        Icy font la tour de Babel.86

                        CASSE-TUILLEAU

        Cul-esventé !

                        CUL-ESVENTÉ

                                 Hau ?

                        CASSE-TUILLEAU

                                             Gâche mol !

                        CUL-ESVENTÉ

        Combien ?

                        CASSE-TUILLEAU

                              Une demye-augée.

                        PILLE-MORTIER

        C’est une droicte87 dyablerie

110  Que servir maçons, au jourd’uy !

                        CUL-ESVENTÉ

        Malheureux est qui sert aultruy

        Pourveu qu’il s’en puisse passer88

                        GASTE-BOYS

        Sus, sus, il se fault advancer !

        Vous aymez trop besongne faicte89.

        …………………………. 90

115  Pille-mortier !

                        PILLE-MORTIER

                                  Hau ?

                        GASTE-BOYS

                                               Es-tu prest ?

                        PILLE-MORTIER

        Ouÿ, de vous donner à boire.

                        CASSE-TUILLEAU

        Cul-esventé ! Tost, sans arrest

        Besongne : si, acquerrons gloire.

        Apporte du mortier !

                        PILLE-MORTIER

                                             Enco[i]re91 ?

                        CASSE-TUILLEAU

120  Despesche-toy ! Dieu te mauldie !

                        PILLE-MORTIER

        Tenez, voylà vostre dolloère92 ;

        Est-elle pas belle et jollie ?

                        CASSE-TUILLEAU

        Çà, du cyment !

                        CUL-ESVENTÉ

                                     Vostre congnie ?

        Je l’ay portée à l’esmoulleur.

                        GASTE-BOYS

125  Ma besaguë !

                        PILLE-MORTIER 93

                                 C’est du meilleur

        Que vous beustes de la sepmaine.

                        GASTE-BOYS

        Dieu te mette en fièvre quartaine !

        Baille-moy acoup mon compas,

        Affin que je ne faille pas

130  De faire ceste tour trèsbelle.

                        CUL-ESVENTÉ

        J’ay apporté vostre truelle ;

        Est-ce pas ce que demandez ?

                        CASSE-TUILLEAU

        Du mortier !

                        PILLE-MORTIER

                                La main tost tendez

        À la tuille qu’ay94 apportée !

                        CASSE-TUILLEAU

135  Du cyment !

                        CUL-ESVENTÉ

                                Je l’ay apprestée,

        L’ardoise, avec le clou à late95.

                        CASSE-TUILLEAU

        Haste-toy, mon mortier se gaste !

                        PILLE-MORTIER

        Voicy ung chevron escarry96 ;

        C’est dommage qu’il est pourry,

140  Veu ce qu’il a la poincte aguë.

                        GASTE-BOYS

        Apporte-moy ma besaguë

        Et mon marteau, que je martelle !

                        CASSE-TUILLEAU

        Elle est belle, vostre truelle :

        Je l’ay de nouveau esclarcie97.

                        GASTE-BOYS

145  Que j’aye ma moyenne congnie !

        Entens-tu, hay, maistre Accippé98 ?

                        PILLE-MORTIER

        Le mortier ? Je l’ay bien trempé :

        Il est aussi mollet que laine.

.

                        CHUS                                                         SCÈNE  VII

        Nembroth, nostre grand capitaine,

150  Mes gens sont quasi affolléz99 :

        Il semble qu’ilz soient désoléz100,

        Et qu(e) ayent perdu l’entendement.

                        NEMBROTH

        Sus ! besongnez incessamment,

        Ouvriers, à tort et à droicture !

                        CASSE-TUILLEAU

155  Çà, du plomb pour la couverture101 !

                        PILLE-MORTIER

        J’ay apporté ung instrument

        Pour commencer le fondement :

        Car il n’a pas faict, qui commence102.

                        JÉTRAN

        Voicy une grande insolence !

160  Maçons, charpentiers, qu’est cecy ?

                        GASTE-BOYS 103

        Orïolla gallaricy,

        Breth gathahat mirlidonnet.

        Juidamag alacro bronet 104 :

        Mildafaronel adaté !

                        NEMBROTH

165  Voyllà nostre ouvrage gasté.

                        CASSE-TUILLEAU

        Quanta, quéso a lamyta105 ?

        La seigneurie la polita.

        Vollé daré le coupe toue106 ?

                        CHANAAN

        Qu’est cecy ? Fault-il qu’on se joue

170  De nous ? Mais d’où vient cest erreur ?

                        CUL-ESVENTÉ

        Bïanath acaste folleur.

        Huidebref, abasténïent.

                        CHUS

        Bref, je ne sçay d’où cecy vient.

        Jamais ne veis tel fantasie.

                        PILLE-MORTIER

175  Rotaplasté a la casie,

        Emy maleth a lacastot.

                        JÉTRAN

        Nous perdons temps icy, Nembroth,

        Car nous povons assez congnoistre

        Que Dieu ne nous veult point permettre

180  Que ceste tour parachevons.

*

1 L’un des Maraux enchesnéz, vagabond professionnel, a aussi pour nom Soudouvrer, de même qu’un des brigands du Mystère de saint Martin, d’André de La Vigne. La chambrière paresseuse de Tout-ménage est surnommée Saudouvray. On signale une « grande Confrarie des Soûlx d’ouvrer et enragéz de rien faire ».   2 D’une façon moins pertinente, le Viel Testament donne aussi ce nom à un bourreau. Dans le Mystère de saint Clément, l’apprenti du charpentier porte aussi un nom ridicule : Col-de-grue.   3 Il entre dans une taverne pour en extirper son valet, qui trône devant une table bien garnie.   4 Le valet ronge un gros os de belin, de mouton. Comme le déplore l’hagiographe du Sermon de sainct Belin, « ung cuisinier plain de grant mal/ En eut le brichet [l’os de la poitrine] et l’espaulle,/ Et les rostist en une gaulle ».   5 Il boit.   6 Voilà le problème. « Eau-e » compte pour 2 syllabes.   7 Il est facile de voir à mon nez rouge que je ne bois jamais d’eau.   8 Un charpentier peut tenir sa besaiguë dans un sens ou dans l’autre, selon qu’il a besoin du ciseau ou du bédane.   9 Sens.   10 Ni le cidre.   11 Serviteur du prévôt Aman. Il a vu Soûl-d’œuvrer s’introduire dans la taverne.   12 Œuvrer. Cf. la tour de Babel, vers 13. Baratha pénètre dans l’obscure taverne et appelle très fort Soûl-d’œuvrer, qu’il ne voit pas.   13 Tes outils de charpentier.   14 Je ne manquerai pas.   15 De toute l’année, je n’ai pas gagné une miette. Cf. la Bouteille, vers 225 et note.   16 Dessous, les imprimés ajoutent en vedette Gasteboys. C’est le nom du charpentier dans l’épisode de la tour de Babel, que je publie à la suite.   17 Baratha et les charpentiers se rendent chez le prévôt. Maudollé n’interviendra plus, mais la construction d’un gibet nécessite au minimum deux ouvriers.   18 Spécifiquement. « Et je serviray par exprès/ Ceste chambèrière joyeuse. » Le Cousturier et son Varlet.   19 Par-dessus tous les autres.   20 Depuis longtemps.   21 Dans cette locution, seul l’adjectif puissant est mixte : « Forte et puissant com ung lyon. » Les Sotz fourréz de malice.   22 Cette question souligne l’ambiguïté de ce que vient de dire Aman : la « poutre » désigne un gros pénis, et « tout outre » veut dire « au travers du corps ».   23 Éd : le  (Aman indique la cour de son palais, devant la fenêtre.)   24 Pour vous la faire spécialement, sur mesure.   25 Les Mystères de la procession de Lille* comportent le même vers dans une scène équivalente, bien que totalement dépourvue d’humour. (*Éd. Alan Knight, Droz, 2004, t. III, p. 429.) Pour une fois, le prévôt ne respecte pas à la lettre les ordres de son épouse : elle réclamait « une bien grant poultre/ De soixante couldées de hault,/ Qui pour ung gibet assez vault ».   26 Éd : Et  (Dans quel style ?)   27 Les charpentiers s’en vont. Dessous, les imprimés répètent la rubrique Aman.   28 Se balancer « puis çà, puis là, comme le vent varie ». Villon, Ballade des pendus.   29 Éd : me  (Sans que je ne vienne m’habiller devant cette fenêtre.)   30 Tout est fait. La potence est installée dans la cour du prévôt.   31 Poteau.   32 Pendu.   33 Il ne risque pas de tomber.   34 Sinon par la faute de celui qui aura tressé une mauvaise corde.   35 Aman est condamné à être pendu chez lui, à son propre gibet. Son serviteur court avertir Zarès, l’épouse du prévôt, qu’elle doit s’enfuir ; cette femme étant a priori une ancienne prostituée, leur conversation a des relents d’argot.   36 Fuir (argot). Idem vers 93. Cf. le Mince de quaire, vers 151 et 259.   37 Trompé.   38 Es-tu sûr de ce que tu dis ?   39 Dans ce palais où nous sommes.   40 Prendre l’or et décamper. Idem vers 93. Cf. les Frans-archiers qui vont à Naples, vers 126.   41 Sûr. Zarès commence à remplir ses poches et celles du serviteur, avec qui elle compte s’enfuir.   42 De soudoyer les gardes. Cf. Marchebeau et Galop, vers 10, 140, 217, 303.   43 Emportez peu de choses difficiles à écouler.   44 Si vous pouvez. « Vous souvienne aussi/ Vous repentir, et de ne laisser rien,/ Que vous puissiez. » Le Plaisant boutehors d’oysiveté.   45 Fuyez au loin, déguerpissez ! « Brouez au large, et vous esquarrissez ! » Villon, Ballades en jargon, 8.   46 De prendre la porte, de partir.   47 Tu dois finir, mourir.   48 J’utilise encore l’imprimé de Jehan Réal, celui de Pierre Le Dru, et celui de Trepperel. Le passage que je reproduis s’intitule De la tour Babel.   49 Les tuileaux sont des briques en argile cuite : « Il nous fault faire des tuilleaux/ Que par feu désormais cuyrons :/ Par ce point, les endursirons. » (Viel Testament.)  Pour plus de clarté, je sépare avec un tiret les noms composés.   50 Qui gâte le bois qu’on lui confie. « Gaste-plastre, Gaste-bois, Gaste-cuirs : se dit des compagnons ignorans qui gastent les matières qu’ils employent. » Furetière.   51 On s’attendrait à ce que le manœuvre des maîtres compagnons fabrique du mortier, mélange de sable et de chaux délayés dans l’eau. Mais pas du tout : d’après son nom, il pile des ingrédients dans un mortier pour faire de la sauce. Rabelais donna ce patronyme à un cuisinier : « Grasboyau, Pillemortier, Leschevin. » (Quart Livre, 40.) Il fut suivi par Bruscambille : « Monsieur Pillemortier : De la manière de faire tourtes. » (Prologues tant sérieux que facécieux.)   52 Ce couvreur (vers 29) travaille sur le toit : il a donc le cul au vent. Avec moins d’à-propos, la Vengance Nostre Seigneur en fait un soldat ; lui aussi a besoin d’être incité au travail : « Cul-esventé, tu ne faits rien :/ Besongne ! »   53 De bon vin (argot). Cf. le Munyer, vers 12.   54 Il y a.   55 Un bassin assez grand pour le contenir.   56 Chus, Jétran, Chanaan et leur chef Nemrod contestent un abus de pouvoir dont ils sont les victimes innocentes. Leur ancêtre Noé, soûl comme un cochon, fut trouvé par terre, dormant avec le sexe à l’air. Cela provoqua l’hilarité de son fils Cham. Contre toute logique, l’obscène poivrot crut devoir punir la future descendance de Cham : elle fut maudite et réduite en esclavage, alors qu’elle n’était pour rien dans les bouffonneries du nouveau Silène. Bref, les quatre victimes de cette injustice approuvée par Dieu veulent bâtir une tour qui monte jusqu’au ciel.   57 Avec nous. Cf. l’Homme à mes pois, vers 407. Cette locution adverbiale est originaire de Picardie : René DEBRIE, Glossaire du moyen picard, p. 329.   58 À notre but. Cf. Chagrinas, vers 350.   59 Nous ne feignons pas de travailler.   60 En leur sujétion : à leurs ordres. Cf. Folconduit, vers 70.   61 Qu’on lui exécute vite.   62 Dont il va tracer le plan.   63 Rien à.   64 Pour peu que nous soyons dirigés.   65 Éd : que  (Nous ne nous montrons pas novices.)   66 Le plan.   67 Construire.   68 Qu’avant qu’elle ne soit achevée.   69 Nous allons nous mettre au travail.   70 Nemrod est un peu détraqué.   71 Est difficile à aborder.   72 Les gens comme nous ne font pas crédit.   73 Il faut faire diligence. Idem vers 87.   74 Ce mot était parfois féminin. « C’est une ouvraige si bien faicte. » Viel Testament.   75 Payés.   76 Il me tarde de la voir commencée.   77 Si on veut en venir à bout.   78 Je vais.   79 Je porte déjà la hache de Gâte-bois sur mon épaule.   80 Délaye du plâtre dans beaucoup d’eau. Les vers 101-108 constituent un triolet.   81 La moitié d’une auge. Cette partie du Viel Testament fut composée par un Picard ; on prononce donc « augie », qui rime avec cognie et diablerie.   82 Du merrain, du bois de charpente.   83 Le plâtre doit-il être bien délayé ?   84 Assez ferme pour que je puisse le jeter à la volée avec ma truelle.   85 Ma cognée, ma hache. Prononciation picarde.   86 Les comédiens hissent sur des montants une fausse tour en toile, comme ceux de la Vengance Nostre Seigneur : « Ilz lèvent icy une tourelle faicte de toille. »   87 Une véritable. « Pas ne ressemblent les [aux] maçons,/ Que servir fault à si grant peine. » Villon.   88 Quand il a les moyens de travailler à son compte. Allusion méprisante au fait que Pile-mortier n’a pas de tels moyens.   89 Le travail qui a déjà été fait. La chambrière paresseuse de Tout-ménage a pour nom Besongne-faicte.   90 Dieu tremble pour ses privilèges ; afin de saboter l’ouvrage des humains, il décide que « charpentiers, maçons,/ En soixante-et-douze façons/ Parleront, et nul n’entendra/ Ce que son compaignon vouldra ».   91 Forme picarde de « encore ». Voir Debrie, Glossaire du moyen picard, p. 165. « Encoire viendra ung déluge (…),/ Par quoy fault faire une tour haulte. » Viel Testament.   92 Votre doloire [hache]. C’est un mot picard : Debrie, p. 153.   93 Il tend une bouteille de vin à Gâte-bois. « C’est du meilleur que je beuz oncques. » Le Gentil homme et Naudet.   94 Éd : quauons  (Prenez ces tuiles.)   95 Clou servant à fixer l’ardoise sur les lattes d’un toit. « Clou à latte pour empléer en la couverture de la pierre ardaise sur troys maisons. » ATILF.   96 Une poutre équarrie qui supporte les lattes et l’ardoise du toit. Il vaut mieux qu’elle ne soit pas pourrie !   97 Je l’ai récemment éclaircie, fourbie.   98 Terme d’injure qui vise les faux savants. « Dictes-vous vray, maistre Accipé ? » (Dyalogue pour jeunes enfans.) « Quel maistre Accipé/ Vécy ! » (Le Capitaine Mal-en-point.) La transcription de Rothschild* est à revoir, et son vers 37200 doit se lire ainsi : « Tenez, tenez, maistre Accipé ! »  *Le Mistére du Viel Testament, t. I, 1878, p. 270. De même, la transcription de la Vie de sainct Didier par J. Carnandet est fautive p. 347, où le ms. porte : « Maistre Accipé de Barbarie,/ Docteur en choppinacion [en soûlerie]. »   99 Devenus fous.   100 Égarés.   101 Pour calfater le toit.   102 Il n’a pas fini, celui qui commence. Les fondements de la tour ont précédé sa construction (vers 60).   103 Le gag de la langue inconnue plaisait aux acteurs : pour s’en convaincre, il suffit d’écouter le Pèlerin de Colin filz de Thévot (vers 245-294).   104 Éd : brouet  (La rime est en -onet. Le « n » à l’envers est la faute d’impression la plus fréquente.)   105 Emanuele ARIOLI vient de publier une étude d’un extrême intérêt : La Tour de Babel dans le théâtre de la fin du Moyen Âge : le Mystère du Vieil Testament. Le médiéviste franco-italien propose de lire ici : Quanta, che so alla metà ? « Pourrait-on comprendre le premier vers comme ‟Combien, car je suis à la moitié” ? Il pourrait se référer à la tour inachevée ou alors à l’auge à moitié pleine (‟Une demye augee”). Pourrait-on entendre le deuxième vers comme ‟Votre seigneurie l’a nettoyée” (‟l’ha pulita” en italien) ? Il pourrait faire allusion à la ‟truelle.. / de nouveau esclarcie”. Dans le troisième vers, ‟volle dare” signifie ‟voulut donner” : faut-il entendre ‟A-t-il voulu rejeter la faute sur toi” ? »   106 En latin, volo dare = je veux donner. Culpā tuā = par ta faute.

LE FOSSOIEUR ET SON VARLET

Bibliothèque nationale de France

Bibliothèque nationale de France

.

*

LE  FOSSOIEUR

ET  SON  VARLET

*

.

Quand on évoque les différentes sortes d’humour qui animent le théâtre médiéval, on oublie toujours l’humour noir. Les danses macabres doivent pourtant beaucoup aux farces et aux Mystères. Voici les extraits les plus « gore » d’une scène de cimetière que nous détaille avec complaisance le Mistère du Viel Testament.

Un fossoyeur et son valet se livrent une concurrence particulièrement cynique. Plus loin, nous verrons la concurrence non moins éhontée que se livrent, dans ce même Mystère, un bourreau et son valet qui n’ont rien à envier au fameux Daru, le bourreau des Actes des Apostres.

Sources : Le passage que je conserve s’intitule « Du débat du Fossoieur et de son Varlet ». Je prends pour base le Très excellent & sainct Mystère du Viel Testament, imprimé par Jehan Réal en 1542 ; il reproduit — avec moins de fautes — le Mistère du Viel Testament par personnages, imprimé par Pierre Le Dru vers 1500. L’édition Trepperel, parue vers 1520, propose quelques corrections utiles.

Structure : Rimes abab/bcbc, rimes plates.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

.

*

Du débat du Fossoieur

et de son Varlet

*

                        LE  FOSSOIEUR                                         SCÈNE  I

        Mon pic s(e) enrouille1, et si, se gaste ;

        Et ma pelle est toute moysie.

        De besongne[r] n’ay point de haste.

        Mes varletz2 !

                        LE  VARLET  DU  FOSSOIEUR

                                  Le cul me frémie3 !

                        LE  FOSSOIEUR

5      Cuydez-vous comme il s’en soucye ?

        Viendras-tu ?

                        LE  VARLET

                                Bénédicité !

        Ma besongne est piéçà basie4 :

        Besongner n’est nécessité.

                        LE  FOSSOIEUR

        Du temps de la mortalité,

10    Ma bourse d’argent estoit grosse5.

                        LE  VARLET

        Et ! aussi, c’est abilité6,

        Maistre, de bien faire une fosse…

                        LE  FOSSOIEUR

        Où est le temps que Mort escosse7

        Grans et petis, jeunes et vieulx,

15    Aussi drus comme pois en cosse ?

        On s’en cource8, et j’en suis joyeulx.

                        LE  VARLET

        Bref, mon maistre est aussi piteux9

        Comme ung chien mastin enragé :

        Il les enterre deux et deux10.

                        LE  FOSSOIEUR

20    Aussi, c’est le plus abrégé11.

                        LE  VARLET

        Je vouldroye qu’à mort fust jugé12,

        Et qu(e) une fosse je luy feisse :

        Il seroit bien avant13 plongé,

        Affin que j’eusse son office14.

                        LE  FOSSOIEUR

25    Tu es encore trop novice

        Pour si grande charge entreprendre.

                        LE  VARLET

        Pourquoy ?

                        LE  FOSSOIEUR

                              Tu n’as pas la notice15

        Du fosso[y]aige, [à] bien comprendre16.

                        LE  VARLET

        Vray(e)ment, il est fort17 à apprendre !

30    Mon maistre, vous luy baillez belle18.

        Il ne fault seullement que prendre

        Une houe, ung pic, une pelle,

        Et puis bêcher.

                        LE  FOSSOIEUR

                                   La chose est telle.

        Toutesfois, il y a moyen

35    De la faire à façon nouvelle19.

                        LE  VARLET

        Il ne m’en fault apprendre rien20 :

        Quant c’est ung grant homme de bien,

        Il le fault bouter plus avant21

        Q’ung povre homme.

                        LE  FOSSOIEUR

                                            Tu l’entens bien.

                        LE  VARLET

40    Je suis ung maistre poursuyvant22.

.

                        LE  SECOND  PARENT 23                        SCÈNE  II

        Nostre maistre, Dieu vous avant24 !

                        LE  FOSSOIEUR

        Et vous aussi !

                        LE  VARLET

                                   Que dictes-vous25 ?

                        LE  FOSSOIEUR

        Tays-toy, ou tu auras des coups !

        De quoy dyable te mesle-tu ?

45    C’est ung26 garson le plus testu

        Que je veis oncques !

                        LE  SECOND  PARENT

                                             Ne vous chaille…

                        LE  VARLET

        Se nous avons rien27 qui vous faille,

        Ne l’espargnez point.

                        LE  FOSSOIEUR

                                             Se je metz

        La main sur toy, je te prometz

50    Q’une bigne28 y viendra, bien grosse !

                        LE  SECOND  PARENT

        Je viens commander une fosse ;

        Dépescher se fault de la faire.

                        LE  VARLET

        De quel aage29

                        LE  FOSSOIEUR

                                      Te sçais-tu taire ?

                        LE  VARLET

        Il fault bien sçavoir la grandeur,

55    La largeur et la profondeur.

        Car à faire « pourpointz sans manches30 »,

        Besongnons festes et dimanches ;

        Et jamais ne sommes repris31.

        Il ne fault point parler du pris32.

60    J(e) y besongne d’entendement33.

                        LE  FOSSOIEUR

        Et ! de quel aage, voirement,

        Est cest homme ?

                        LE  SECOND  PARENT34

                                       De soixante ans.

                        LE  VARLET

        Je m’en voys35 donc chausser mes gans

        Pour besongner à forte main.

65    C’est follie d’attendre à demain

        Ce qu’aujourd’huy on peult bien faire.

                        LE  SECOND  PARENT

        Dépeschez-vous tost de la faire !

                        LE  FOSSOIEUR

        N’en parlez plus : j’en suis records36.

                        LE  SECOND  PARENT

        Après, venez quérir le corps.

70    Et puis on vous contentera37.

                        LE  FOSSOIEUR

        Si bien on y besongnera

        Que vous en serez tous contens.38

.

                        LE  VARLET                                                SCÈNE  III

        Mon maistre !

                        LE  FOSSOIEUR

                                Quoy ?

                        LE  VARLET

                                              Voicy bon temps !

        S’il en mouroit tous les jours quatre,

75    Nous nous [sç]aurions [plus] bel esbatre39

        Et boire tousjours du meilleur.

                        LE  FOSSOYEUR

        Depuis que je suis fossoieur,

        J’en ay enfouy plus de mille.

        Besongne ! Feras40, malabille ?

80    Tenez : il semble qu’il n’y touche41.

                        LE  VARLET

        Attendez ung peu, je me mouche.

        Vous estes mallement42 hastif !

                        LE  FOSSOIEUR

        Il n’est pas temps d’estre tardif :

        Quant l’aquest43 vient, il le fault prendre.

85    Et si, ne fault rien entreprendre

        Qu’on n’en vienne44 à son grant honneur.

        …………………………………. 45

                        LE  VARLET

        Voicy une fosse jolye.

        Se vous estiez mort, mon [doulx] maistre,

        El seroit bonne pour vous mettre :

90    C’est droictement46 vostre mesure.

                        LE  FOSSOIEUR

        Par ma foy, varlet, je n’ay cure

        D’y estre logé !

                        LE  VARLET

                                    Par raison,

        Si aurez-vous une maison

        De cinq47 piedz de long, une foys.

                        LE  FOSSOIEUR

95    Vien-t’en avec moy !

                        LE  VARLET

                                           Bien j(e) y vois ;

        Allez devant, je vous suyvray.

.

        …………………………… 48.                                              SCÈNE  IV

                        LE  FOSSOIEUR

        Seigneur, la fosse est préparée.

        Le corps mort quérir nous venons

        À celle fin que l’enterrons,

100  Ainsi qu’on a acoustumé.

                        LE  TIERS  FILZ

        Raison veult qu’il soit inhumé.

        …………………………… 49

                        LE  SECOND  FILZ

        Qu’il soit bouté en sa tesnière50 !

                        LE  FOSSOIEUR

        Soustien devant !

                        LE  VARLET

                                       Prenez derrière !

                        LE  FOSSOIEUR

        Hardy !

                        LE  VARLET

                       Là, là !

                        Ilz le mettent en la fosse.

                        LE  PREMIER  FILZ

                                     Qu’il soit couvert51 !

105  Dépesche-toy, hay, mal apert52 !

        La pueur53 me vient jà au nez.

                        LE  VARLET

        Mon maistre !

                        LE  FOSSOIEUR

                                 Que veulx-tu ?

                        LE  VARLET

                                                          Prenez

        Ceste pelle, dépeschez-vous,

        Et le couvrez !

        …………………………..

                        LE  FOSSOIEUR

110  Est-il enterré proprement ?

        Il n’a garde de revenir54.

                        LE  PREMIER  FILZ

        Nous ne voulons pas retenir

        Ta vacation55 ne ta peine :

        Voylà pour toy !

                        LE  FOSSOIEUR

                                    Trèsbonne estraine56

115  Vous vueille envoyer le grant Dieu !

                        LE  VARLET

        Vuydons, vuydons hors de ce lieu57 !

.

        Argent avez, c’est le plus fort.                                         SCÈNE  V

        Allons boire nous deux d’accord,

        Car j’ay l’estomac tout haslé58.

                        LE  FOSSOIEUR

120  Tantost y aura bien hallé59,

        Mais que nous soyons sur le banc60.

        De l’argent de61 nostre escot franc

        Nous demourra, mon valetton.

.

        …………………………… 62                                               SCÈNE  VI

                        LE  PREMIER  PARENT

        Où estes-vous ? Hay, Malhabille63 !

                        LE  VARLET

125  Mon maistre, voicy du gaignage64

        Qui nous vient.

                        LE  FOSSOYEUR

                                    Que la malle raige

        Te puisse happer par les dens65 !

                        LE  SECOND  PARENT

        Qui est céans ?

                        LE  VARLET

                                   Entrez dedans !

        Il n’y a que moy et mon maistre.

                        LE  FOSSOYEUR

130  Qu’esse qu’il y a ?

                        LE  PREMIER  PARENT

                                       Il fault mettre

        — Sur la peine66 d’amande grosse —

        Cest homme mort hors de la fosse,

        Et le porter devant le Roy.

                        LE  FOSSOYEUR

        Le déterrer ? Cause pourquoy67 ?

135  Vous vous mocquez !

                        LE  SECOND  PARENT

                                            Sauf vostre grâce

        — Car il est force qu’il se face68 —,

        Bien et beau69 le déterrerez.

        Soubz son arbre70 le porterez,

        En vous payant71 de vostre peine.

.

                        LE  FOSSOYEUR                                       SCÈNE  VII

140  Sus ! dépesche-toy, traîne gaine72 !

        Il fault besongner ric-à-ric73.

                        LE  VARLET

        Prenez la pelle ; j’ay le pic.

        Et regardez se je m’y fains74.

                        LE  FOSSOYEUR

        Besongne ! Hay, comme tu jains75 !

145  Est-il pansu, est-il enflé !

        Voyez comme il est boursouflé !

        Que fais-tu ?

                        LE  VARLET

                               J’estouppe mon nez76.

                        LE  FOSSOYEUR

        Et ! prenez-le par là, prenez !

        Paillart, vous ne sçaurez jà rien ?

                        LE  VARLET

150  Il suffit, puisque je le tien.

                        LE  FOSSOYEUR

        Soustien fort !

                        LE  VARLET

                                  Aussi fais-je pas ?

                        LE  PREMIER  PARENT

        Or, cheminons tout le beau pas77

        Pour faire le vouloir du Roy !

.

        …………………………… 78                                               SCÈNE  VIII

                        SALOMON

        Or sus ! faictes-le transporter

155  Au pied de l’arbre, entendez-vous ?

        Metez-le debout devant nous !

        Puis après, jugement ferons.

                        LE  FOSSOYEUR

        Vostre vouloir accomplirons,

        [Il n’en fault point prendre d’ennuy.]79

160  Dresse !

                        LE  VARLET

                       Haussez !

                        LE  FOSSOYEUR

                                         Tien bien !

                        LE  VARLET

                                                            À luy !

        À grant-peine le remuons.

                        LE  FOSSOYEUR

        Est-il pas bien ?

                        LE  VARLET

                                     Or, le lyons,

        À celle fin qu’il se tienne mieulx.

        Mais je suis mélencolieux

165  Que c’est que80 le Roy en veult faire.

                        LE  FOSSOYEUR

        Beau sire, pense à ton affaire !

        Le voylà ainsi qu’il doit estre.

                        LE  VARLET

        C’est mon81. Vray(e)ment, vous estes maistre :

        Ouvré avez d’entendement82.

.

        …………………………. 83                                                SCÈNE  IX

                        SALOMON

170  Gallans, devant84 qu’il soit plus tart,

        Allez le corps sépulturer !

                        LE  VARLET

        Sire, l’irons-nous enterrer ?

                        SALOMON

        Allez le remettre en son lieu !

                        LE  FOSSOYEUR

        Nous y allons. Çà, de par Dieu !

175  Mais voirement, qui me payera ?

                        LE  PREMIER  PARENT

        Trèsbien on vous contentera.

                        LE  VARLET

        Qu’on ne nous tienne point sur fons85 !

                        LE  PREMIER  PARENT

        Nenny non, je vous en respons.

        Allez l’enterrer tout batant86,

180  Et puis je vous payray content.

                        LE  FOSSOYEUR

        Il suffit, je n’en parle plus.

*

.

.

GOURNAY

ET  MICET 87

*

                        ATACH 88                                                      SCÈNE  I

        Gournay, estes-vous cy dedans ?

                        GOURNAY,  bourreau.

        Ouy. Qui est là ?

                        ATACH

                                      [C’est moy,] Atach.

                        GOURNAY

        Et que te fault-il ? Ung vieil sac

        Pour te getter en la rivière89 ?

                        ATACH

5      Que fais-tu, Gournay ?

                        GOURNAY

                                               Quoy ? Grant chère

        Avecques mon varlet Micet.

                        MICET,  varlet du bourreau.

        Vien boire avec nous, s’il te plaist ;

        Et fais, comme nous, ton devoir.

                        ATACH

        Pas n’ay soif mais, à dire voir90,

10    Content suis de boire une fois.

                        GOURNAY

        Par noz dieux, tu es bon galloys91 !

        Or, tien franc, Atach, et à tâche92 !

                        ATACH

        Voulentiers.

                        MICET

                              Il a fait sa tâche93.

        Ha, a ! quel avalleur94 de vins !

                        GOURNAY

15    Çà ! qu’i a-il, à toutes fins ?

                        ATACH

        Voulez-vous que le cas desqueuvre95 ?

        Gournay, il fault faire ung chief-d’euvre96.

                        GOURNAY

        Et comment ? Quoy ? Je te supplie !

                        ATACH

        Aller fault à la « torterie97 »,

20    C’est-à-dire au jolly gibbet.

                        MICET

        Ha, ha !

                        GOURNAY

                        Y a-il point d’aquest98 ?

        Ne le nous vueille point celer !

                        ATACH

        Or çà ! que voulez-vous donner ?

        Et je vous en diray la fin.

                        GOURNAY

25    Point ne fault de cela doubter :

        Tu en auras quelque loppin.

                        MICET

        Qui, Atach ? A ! il est si fin

        Pour vif bailler ung coup de pelle99 !

        Où il a sellé son Martin100,

30    Il en apporte ou pied, ou elle101.

                        ATACH

        Gournay !

                        GOURNAY

                          Atach ?

                        ATACH

                                        La chose est telle

        Que deux hommes il vous fault pendre

        [Sans] séjour102. N’y fault plus attendre.

        Venez par-devers le prévost103 !

.

                        GOURNAY                                                     SCÈNE  II

35    Nous avons gaigné nostre escot104.

        Dépesche-toy ! Fais-tu le fol ?

                        MICET

        Et ! je ne pourroye plus tost105,

        Se je ne me rompoye le col.

                        GOURNAY

        Garde d(e) oublier ung licol106 !

40    Il en fault bien estre songneux.

                        MICET

        De moy jouez au capifol107 ?

        Dea ! mon maistre, sont-ce beaulx jeux ?

                        GOURNAY

        Pourquoy ?

                        MICET

                             Vous sçavez qu’il[z] sont deux.

                        GOURNAY

        Ha ! que tu es ung rouge gueux108

45    Et ung fin [hoste, ce]109 me semble !

                        MICET

        Les pendrez-vous tous deux ensemble,

        Mon maistre Gournay, d’une corde110 ?

        Il me plaist trèsbien, je l’accorde,

        Se faire le voulez ainsi.

                        GOURNAY

50    Micet, vostre bonne mercy111,

        Qui si bien d’accord voulez estre

        Que de donner congé au maistre.

        Et ! vous n’estes que le varlet.

        Micet !

                        MICET

                       Gournay ?

                        GOURNAY

                                          Tost au gibet !

55    Il ne nous fault plus cy targier112.

.

                        MICET

        Maistre, vous irez le premier ;

        Et puis après, vostre varlet.

        L’honneur humerez113, s’il vous plaist.

        Quant à ce cas seigneurïeux114,

60    S’il nous115 y fault aller tous deux,

        J’en suis d’accord : car, il me semble,

        Si belle perte n’est, que ensemble116.

.

                        ATACH 117                                                     SCÈNE  III

        Dépeschez-vous !

.

                        GOURNAY                                                     SCÈNE  IV

                                     Je vois Atach.

        Micet !

                        MICET

                      Gournay ?

                        GOURNAY

                                         As-tu le sac ?

                        MICET

65    Nenny, je n’ay que la besace.

                        GOURNAY

        Noz dieux te donnent malle grâce118 !

                        MICET

        À vous je suis prest d(e) obéyr.

                        GOURNAY

        Or te garde bien de faillir

        D(e) oublier les cordes, Micet !

                        MICET

70    Ne m’en souvenoit, sans mentir ;

        Je ne portoye que du fouet.

                        GOURNAY

        Que tu es ung fin mitouflet119 !

                        MICET

        Mais vous me raillez en tous temps,

        Gournay.

                        GOURNAY

                         N(e) oublie point mes gans :

75    Tu sçais bien qu’ilz sont nécessaires.

                        MICET

        Mon maistre, il [vous] en fault deux paires :

        Et ! ne pendez-vous pas deux hommes ?

                        GOURNAY

        Cecy120 ! Je ne sçay où nous sommes !

        Tu me veulx, ce croy, faire paistre121 ?

80    Allons légièrement122 !

                        MICET

                                               [Mon] maistre,

        Rien seulement qu’une demande,

        Voire bien honneste.

                        GOURNAY

                                           Demande !

                        MICET

        L’accordez-vous ?

                        GOURNAY

                                       Content en suis123.

                        MICET

        Je vous requiers tant que je puis,

85    Par ma loy124 !

                        GOURNAY

                                   Que de preschement !

        À coup dis125 !

                        MICET

                                  Hélas, Gournay !

                        GOURNAY

                                                             Quoy126 ?

                        MICET

        Ha, [ha], mon maistre !

                        GOURNAY

                                               Seurement

        Demande tost, je te l’octroy.

        Mais…

                        MICET

                     Mais quoy ?

                        GOURNAY

                                          Porte-moy honneur127.

                        MICET

90    Comment diray-je ?

                        GOURNAY

                                           « Monseigneur. »

        Et tu auras…

                        MICET

                               Quoy ?

                        GOURNAY

                                            Une belle office128.

                        MICET

        Hélas !

                        GOURNAY

                     Bien tost129 !

                        MICET

                                            Et ! que je feisse…

                        GOURNAY

        Sus !

                        MICET

                 Vous  m’escondirez.

                        GOURNAY

                                                  Non feray.

        Hardiment !

                        MICET

                             Haa !

                        GOURNAY

                                       Que tu es nice130 !

95    Demande tost, je le t’octroy.

                        MICET

        Par ma loy131 ! vous m’escondiriez.

                        GOURNAY

        Non feray, non.

                        MICET

                                    [Et !] si feriez.

                        GOURNAY

        Et ! non feray, de par le dyable !

        La requeste ?

                        MICET

                                Elle est raisonnable.

100  Héé, héé !

                        GOURNAY

                           Je me cour[rou]ceray.

                        MICET

        Par tous noz dieux !

                        GOURNAY

                                          Est-elle notable ?

        Demande tost, je le t’octroy.

                        MICET

        Hé ! me vouldriez-vous escondire ?

                        GOURNAY

        Ce follastre-cy132 me fait rire.

                        MICET

105  M(e) octroyez-vous donc ma demande ?

                        GOURNAY

        Dépesche-toy, à coup demande !

        Je suis icy tout ennuyé.

                        MICET

        Ou au gibet soyez lié !

                        GOURNAY

        Tu me tennes133, à dire voir.

                        MICET

110  Ou qu’il vous134 puist du corps mescheoir !

                        GOURNAY

        Se je te prens, je me fais fort…

                        MICET

        Ou que le dyable vous emport !

                        GOURNAY

        Par noz dieux, ce coquart est fol !

                        MICET

        Ou qu’on vous puist rompre le col !

                        GOURNAY

115  Je suis icy tout tempesté.

                        MICET

        Ou que jamais n’ayez santé !

                        GOURNAY

        Ce follastre est en ses fumées135.

                        MICET

        Ou qu(e) unze mille charretées

        De dyables, aussi de dyablesses,

120  Se vous ne tenez voz promesses,

        Vous emportent136 et corps et âme !

                        GOURNAY

        Et va, va, va, paillart infâme !

        Encor ne t’ay-je rien promis.

                        MICET

        Je vous requier tant que je puis,137

125  À joinctes mains et à genoux,

        Affin que j’apprengne de vous,

        Que l’ung en pendez, et moy l’autre.

                        GOURNAY

        Que tu y feroys ung beau peaultre138 !

        Tays-toy, tays, pas ne sommes là139 !

                        MICET

130  A, dea ! Je dis, quant là viendra,

        Que j’apprengne vostre labeur140.

                        GOURNAY

        Et ! bien, bien, on y pensera,

        Pour veoir qui sera le meilleur.

.

        …………………………. 141                                               SCÈNE  V

                        GOURNAY

        Sire, je les vois dépescher142.

135  Micet !

                        MICET

                     Gournay ?

                        GOURNAY

                                        Sans tant prescher,

        Monte en hault veoir s’il y fault rien143 ;

        Et regarde se tout est bien,

        Tandis que les appointeray144.

                        MICET

        J(e) y voys. Au moins, j’e[n] apprendray

140  Petit à petit le mestier.

        Ceste eschelle si eust mestier145

        D’avoir de plus fors eschellons ;

        Car quant telz happars eschellons146,

        Il y chiet147 ung trèsgrant dangier.

                        GOURNAY

145  Dépesche-toy ! Tant langagier !

        Dieu te met148 en fièvres quartaines !

                        MICET

        Maistre, pour vous, voicy des chaînes

        Qui sont seurement149 enchaînées.

        …………………………… 150

        Maistre, je vous prie

150  En tant151 que je vous puis prier,

        Que vous me laissez dépescher

        Cest homme-cy de bonne tire152.

                        GOURNAY

        Et va, [va], paillart, va !

                        MICET

                                               Beau sire !

                        GOURNAY

        Tu ne t’y congnoys nullement.

                        MICET

155  Je vous prie si humblement !

                        GOURNAY

        Mais regardez ce coquibus153 !

                        MICET

        Jamais ne vous requerray plus154.

                        GOURNAY

        Que dyable ! tu ne t’y congnois.

                        MICET

        Tant seulement pour ceste fois !

160  Au moins, quant de vous j’apprendray,

        Après vostre mort, je diray

        Que je tiens de vous le mestier.

        Au besoing, s’il estoit mestier155

        — Dont noz dieux vous vueillent garder ! —,

165  Je vous feroye deffiner156

        La vie tout doulx en ce gibet.

        Que je le pende, s’il vous plaist !

        Ne faictes point tant de fatras !

                        GOURNAY

        Çà ! je verray que157 tu feras

170  Pour ung homme158, ne plus ne moins.

                        MICET

        Premier, il fault lyer les mains ;

        Cela, ce n’est pas de nouveau159.

                        GOURNAY

        Va, va, va, va, paillart bourreau !

        Va, va, tu ne sçais que tu fais !

175  Je te donray tant de souffletz

        Que je te rompray le museau.

                        MICET

        Ha ! il ne tient [qu’à ung]160 noyau.

        (Que maudis soient les fouëtz !)

                        GOURNAY

        Et va, va, va, paillart bourreau !

180  Va, va, tu ne sçais que tu fais !

                        MICET 161

        Fais-je bien ?

                        GOURNAY

                                A, que tu es veau !

                        MICET

        N’ay-je pas bien serré les traitz162 ?

                        GOURNAY

        Nenny non, ilz sont trop estroictz163.

                        MICET

        Il fault les rongner d’ung cousteau.

                        GOURNAY

185  Va, va, va, va, paillart bourreau !

        Va, va, tu ne sçais que tu fais !

        Je te donray tant de souffletz

        Que je te rompray le museau.

                        MICET

        Par noz dieux ! il164 est bien et beau,

190  Et mieulx que ne le sçauriez faire.

                        GOURNAY

        Va, va, je te feray bien taire !

        Mais me cuyde-tu faire paistre ?

                        MICET

        Voylà de quoy : puisqu’il est maistre,

        Il n’en fera qu(e) à son plaisir.

        ………………………….. 165

.

                        GOURNAY

195  Micet !

                        MICET

                      Gournay ?

                        GOURNAY

                                        Liève166 mes gans !

        Fièvres te puissent espouser167 !

                        MICET

        Pour vous je les vouldray[s] garder :

        On ne sçait de quel tuille on queuvre168.

        Ou, quant je feray mon chef-d’euvre169,

200  Ilz me viendront trèsbien à goust170.

                        GOURNAY

        Micet !

                        MICET

                     Gournay ?

                        GOURNAY

                                        Or, serre tout171

        Et allons boire ! C’est la somme172.

                        MICET

        Gournay, vous estes trèsbon homme.

        Aussi est faicte la journée.

.

        …………………………….. 173                                          SCÈNE  VI

                        GOURNAY

205  [Hau], Micet ! Hau, Micet !

                        MICET

                                                      Gournay ?

                        GOURNAY

        Il faulsist174 ces meschans despendre.

                        MICET

        Je suis tout fin prest d’y entendre175.

        Iray-je ?

                        GOURNAY

                         Ouy, mais va bien tost

        Demander congé176 au prévost :

210  Car sans congé, je n’oseroye.

                        MICET

        Par mon serment, j’en ay grant joye !

        Et n’y sçavez-vous autre chose ?

                        GOURNAY

        Pourquoy, Micet ?

                        MICET

                                        Je présuppose

        Que j’en viendray à mon attainte177.

                        GOURNAY

215  Par quel moyen ?

                        MICET

                                       Par une fainte :

        Par ung beau joncher178 évident,

        Luy diray que chascun passant

        Se complaignent de ces pendus.

        Quant mes cas aura entendus,

220  En tant qu’ilz sont du chemin près,

        [J’en auray]179 (ne vous souciez)

        Incontinent le mandement180.

        G’y voys.

                        GOURNAY

                         À coup !

                        MICET

                                          Premièrement,

        Mon maistre Gournay, tu m’accordes181

225  Que vous me délivrez les cordes,

        Les fouëtz, et tous les licolz

        Dont ilz sont penduz par les colz.

        Aussi, vous vous donnez au dyable182

        Que vous n’aurez cordes ne châbles183,

230  Car tout cela me sera bon.

                        GOURNAY 184

        Je le vueil bien.

                        MICET

                                     Encor ung don

        Je vous requier, il m’est propice.

                        GOURNAY

        Et quel ?

                        MICET

                         C’est  que je face l’office

        De despendre ces malheureux.

                        GOURNAY

235  Va quérir congé, je le veulx185 !

        J’ay en toy ung trèsbon varlet186 !

                        MICET

        Ho, ho ! J’y voys187.

.

                                           Vive Micet !                                SCÈNE  VII

        Vive Micet ! J’auray honneur :

        Je vois parler à Monsïeur188,

240  Il m’orra189 parler. S’il luy plaist,

        Je luy bailleray d’ung touchet190,

        Ainsi que je l’ay devisé191.

        Micet, tu te es bien advisé.

        Par tous les dieux qui m’ont faict naistre !

245  Je seray, l’autre année192, maistre ;

        J’auray l’office de Gournay.

.

        Cerbérus vous garde d’ennoy193 !                                   SCÈNE  VIII

        Et dame Juno, monsïeur,

        Si vous accroisse vostre honneur !

                        AMAN

250  Micet, qu’i a-il de nouveau ?

                        MICET

        Il n’y a rien que bien et beau.

        Mon maistre, monsïeur, Gournay,

        A entendu (comme je croy),

        Et moy aussi, que les passans

255  Se complaignent que194 ces pendans

        Qui sont penduz à ce gibet

        Sont infectz et puant[z]. De faict,

        S’il vous plaist qu’ilz soient despendus,

        En terre les mettray, tous nudz.

260  S’il vous plaist, congé195 !

                        AMAN

                                                    À comprendre

        Ce que me donnes à entendre,

        Je le vueil bien. Or, va bon erre196 !

        Qu’ilz soient ostéz et mis en terre,

        Et que plus on n’en face frime197.

                        MICET

265  (Par noz dieux ! Gournay198, une mine

        Fera199 longue jusque[s] aux piedz.)

        Monsïeur, à noz dieux soyez !

        Je voys acomplir mon office.

.

        Gournay !                                                                       SCÈNE  IX

                        GOURNAY

                         Micet ?

                        MICET

                                      Quoy ! suis-je nice ?

270  J’ay congé — et n’en parlez plus ! —

        De despendre ces deux pendus

        Qui sont mors à honte villaine.

                        GOURNAY

        Et ! tu as ta fièvre quartaine !

                        MICET 200

        Prenez cela ! Vous m’aiderez,

275  À ce coup, et me servirez.

        Ne voulez-vous pas que j(e) apprengne ?

                        GOURNAY

        Quel follastre !

                        MICET

                                  Se je m’engaigne201

                        GOURNAY

        Que feras-tu ?

                        MICET

                                 J’ay aliance202 :

        M’avez-vous pas donné puissance,

280  Avec le congé du prévost,

        Que hastivement et bien tost

        Soient de par moy despendus ?

        G’y voys bref, et n’en parlons plus.

                        GOURNAY

        Et ! tu feras ton senglant dyable !

                        MICET

285  Sans songer, baillez-moy ung châble203 !

                        GOURNAY 204

        Tu auras ung coup de fouët !

                        MICET

        Que ce neu205 est serré estroit !

        Tirez fort, tirez, qu’il n’eschappe !

                        GOURNAY

        Par le grant dieu ! se je te happe,

290  Il y aura ung grant bissestre206.

                        MICET

        A, je regny207 ! Je seray maistre,

        Quelque chose qu’alliez208 brouillant.

        Il est à terre, le gallant.

        Sus ! à l’autre, qu’il n’y ayt noyse209.

                        GOURNAY

295  Ennuyt sçauras que ma main poise210 !

        Fault-il que serve ce coquin ?

                        MICET

        Ouÿ, vray(e)ment. Je suis bien fin.

                        GOURNAY

        Tu n’entens à demy ton cas211.

                        MICET

        Je suis maistre. Descendez bas

300  Et tirez fort, comment qu’il soit212 !

        Vive le bon maistre Micet,

        Qui est des pendus despendeur !

                        GOURNAY

        Vive Gournay !

                        MICET

                                   J’en ay l’honneur213.

        Sus tost ! il les fault enterrer.

                        GOURNAY

305  Dépesche-toy sans plus tarder !

        Prens cela ! Je te vueil aider :

        Il ne nous fault plus cy baver214.

                        MICET215

        À ce coup, revestu seray216.

.

        …………………………. 217                                               SCÈNE  X

                        ATACH

        Gournay, il te fault labourer218 ;

310  Dépesche-toy bien tost !

                        GOURNAY

                                                 Ha, ha !

        Et qu’i a-il de bon, Atach,

        Ma gracieuse et gente trongne ?

                        ATACH

        O ! il y a grosse besongne.

                        GOURNAY

        Comme quoy ? Dy-le à ung mot.

                        ATACH

315  Il te fault pendre le prévost

        Aman.

                        GOURNAY

                     Haro, que de fredaines !

        Et ! il fait tes fièbvres quartaines !

        Te cuydes-tu railler de moy ?

                        ATACH

        Je te dis tout vray, par ma loy !

320  Ainsi Assuaire le veult.

                        MICET

        Ne nous chault, non. Vienne qui peult219 !

        De ce, ne nous fault entremettre220.

        Mais221 que nous gaignons bien, mon maistre,

        Il souffit bien.

                        GOURNAY

                                  La chose est clère.

325  Par noz dieux ! Fust son propre père222,

        Puisqu(e) ainsi est, il le fault faire.

        Trèstout ce qui est nécessaire,

        Apporte-le en ta besace !

                        MICET

        Gournay, allez saulter en place223 !

330  Cuydez-vous que soye apprentis ?

.

                        GOURNAY 224                                               SCÈNE  XI

        Honneur soit partout !

                        ÉGÉUS 225

                                              Beaux amys,

        Cest homme fault exécuter.

        Il n’y fault point dissimuller :

        Il le convient, propos final.

                        GOURNAY

335  Par ma loy, il m’en fait bien mal !

        Çà, des cordes pour le lier !

                        MICET 226

        De cella ne vous soucïez !

        Manteau227 gaudy, Gournay, tenez :

        Esse assez ?

                        GOURNAY

                               Or me pardonnez

340  Vostre mort, et je vous en prie.

                        AMAN

        Et ! me fault-il perdre la vie

        À mon hostel228 ? Hélas, ouÿ.

        Fortune229 — noz dieux la mauldie ! —,

        Fault-il que je deffine ainsi ?

345  Mardochée, ce gibet-cy

        J’ay fait faire tout neuf pour toy ;

        Hélas ! quel douloureux party :

        J’ay fait faire ung gibet pour moy.

                        GOURNAY 230

        Or montez ! Les dieux de la Loy

350  Dépriez, si ferez science231.

        Mon  seigneur, prenez en pascïence232,

        Vous en mourrez beaucoup plus ayse.

                        AMAN

        Il [le] convient, plaise ou non plaise ;

        Contre je ne puis.

                        GOURNAY

                                        Monseigneur,

355  Se vous avez rien233 sur le cueur,

        Si le dictes tost, pour le mieulx.

        Recommandez-vous à noz dieux,

        Qu’ilz facent de vous leur plaisir.

                        ÉGÉUS

        Gournay, ne le fais point mourir

360  (Entens-tu bien ?) sans congnoissance234.

                        GOURNAY

        Estes-vous à vostre plaisir235 ?

                        ATACH

        (Quel plaisir !)

                        AMAN

                                 Ouy.

                        GOURNAY

                                           N’ayez doubtance236.

                        AMAN

        Promothéus, aye237 bienvueillance !

        Et vous aussi, Deucalïon,

365  Pareillement Démogorgon,

        Où j’ay eu parfaicte fiance238 !

                        GOURNAY

        Noz dieux priez en doléance,

        Qu(e) aux infernaulx soyez propice239.

                        ÉGÉUS

        Il fault faire de la justice

370  Rapport au Roy, j’en ay la charge.240

.

                        GOURNAY

        Micet !

                        MICET

                       Gournay ?

                        GOURNAY

                                         Happe la charge241

        Et entonne ce ront au creux242 !

                        MICET

        Mon maistre, attendez, se tu veulx243.

        Que dyable tu avez grant haste !

375  Nous pierons, en ceste grant mate,

        Gourdement244, voicy chose grosse.

                        GOURNAY

        Or, taillé avons quelque endosse245 ;

        Elle n’est point de juiverie246.

                        MICET

        Gournay, c’est toute [gourde pie]247 :

380  Voicy bon fons pour la pience248.

                        GOURNAY

        Est-il homme de congnoissance

        Où nous le [peussons mettre en plant]249 ?

                        MICET

        Vous soucïez-vous ? Hay avant !

        De ce, point je ne me soucie.

                        GOURNAY

385  Où vas-tu ?

                        MICET

                             À la frèperie250 :

        J(e) y trouveray Martin Marchant251.

        La fourrure en sera gaudie252.

                        GOURNAY

        Où vas-tu ?

                        MICET

                             À la frèperie.

        (Au gibet veulx perdre la vie

390  Se je n’en ay ung grain253 content,

        Gournay, que vous ne sçaurez mie :

        Je ne le vous diray pas, pour tant.)

                        GOURNAY

        Où vas-tu ?

                        MICET

                              À la frèperie :

        G’y trouveray Martin Marchant.

                        GOURNAY

395  À butin254 ?

                        MICET

                               Qui en est doubtant ?

                        GOURNAY

        Revien bien tost !

                        MICET

                                       J(e) y voys de tire255.

                        GOURNAY

        Or va, n’arreste point, beau sire !

        Si yrons croquer ceste pie256.

                        MICET

        À ce, je ne failliray mie :

400  Quant je puis croquer de ce moust257

        Qui me semble de si bon goust,

        Je suis guéry de la pépie258.

.

        Je voys vendre ma marchandie259,                                 SCÈNE  XII

        Et ne seray pas si cosnart260

405  Que je n’en mette ung grain261 à part,

        De quoy Gournay n’en sçaura rien.

        Et au retourner, je sçay bien

        — Ou entré [je] soye en mal an262 —,

        Se j’en ay le georget263 d(e) Aman

410  (Dont ma feulle sera gaudie264)

        Et les tirandes265, sur ma vie,

        Je le feray266, et sans mot dire.

        ………………………… 267

        Il est temps de faire le guet :

        N’y268 a âme entour la Justice ?

415  Je seroye bien tenu pour nice269

        Se je n’avoye le demourant,

        S’il a aux doys quelque brocant270

        Et que de moy soit entendu271.

        Après qu(e) auray trèstout vendu,

420  Gaultier272 en sera souldoyé.

        Aussi, d’autre part, j’ay congé

        D’estre despendeur ceste année.

        Se Gournay sçavoit la traînée273,

        J’auroye de luy ung tour de pelle274.

425  Il fault monter en ceste eschelle

        Et prendre garde au compaignon.

        Ce sera « l’escot du mignon275 ».

        Je croy qu’il [n’]en demourra ung276.

        Ô Aman, comment le commun

430  Tient maintenant de toy son plait277 !

.

                        GOURNAY 278                                              SCÈNE  XIII

        (Mais regardez nostre varlet !

        Fièvres le puissent espouser !

        Ha, ha ! me cuyde-il abuser ?

        J’attendray encor ung tantet279.)

                        MICET

435  Par noz dieux ! ta mort me desplaist,

        Aman. Mais pour venir au point,

        Bien gourt280 me sera ce pourpoint.

        Se Gournay sçavoit ce labour281,

        Il me pourroit jouer d’ung tour.

440  Mais nenny, car la chose est seure.

        Regarder fault, à l’adventure,

        Qu’on ne me voye de quelque part282.

        O nenny !!

                        GOURNAY

                            Héé ! maistre coquart283,

        Me jouez-vous de ce jeu-là ?

445  Sçavez-vous bien faire cela ?

        Quel marchant284 !

                        MICET

                                         Venez-moy ayder !

                        GOURNAY

        Ha, ha !

                        MICET

                        Fault-il tant commander285 ?

        Aydez-moy !

                        GOURNAY

                                 Héé, quel dorellot286 !

                        MICET

        N’ay-je pas congé du prévost ?

450  Si ay. Et vous tenez tout seur

        Que je suis maistre despendeur,

        Et ne vous en courroucez point.

                        GOURNAY

        Voulez-vous avoir le pourpoint ?

        Ha, ha ! quel vaillant serviteur !

455  Par tous noz dieux ! maistre beffleur287,

        Vous venez à la blefflerie288.

        Et ! cuydez-vous, par tromperie,

        Confoncer ceste aumuce gourde289 ?

                        MICET

        Gournay, ne cuydez que me bourde290.

460  Vous sçavez que vous ay servy

        Bien loyaulment jusques icy,

        Tant, que suis maistre despendeur.

        De pendre vous avez l’honneur ;

        Au moins ne puis-je que despendre.

465  Et pour vous donner à entendre,

        Content suis de perdre ma peine291.

                        GOURNAY

        Et ! tu es ta fièvre quartaine !

                        MICET

        Pour vous292 le voulloye despouiller,

        Vrayment. Mais ung tout seul denier

470  Je n’en eusse pris, sans doubtance :

        Car je croy, sur ma conscience,

        Que tout ce qu’il a est à vous.

                        GOURNAY

        Hélas, Micet, que tu es doulx !

        Quel ouvrier, quel amïelleur293 !

                        MICET

475  Je vous dy vray.

                        GOURNAY

                                   Et ! quel seigneur294 !

                        MICET

        Seurement…

                        GOURNAY

                               Je [te] congnois trop.

        Encore en eusses eu295 beaucop,

        Se dessus n’eusse296 mis la poue.

        C’est ung poisson ; mais quoy, il noue297.

480  Ne me jonche298 point ! Quel preudhomme !

                        MICET

        A, dea ! mon maistre, c’est la somme

        Que ce jolly georget299 joyeulx,

        Au vray, appartienne300 à nous deux,

        Et les tirandes301. Sans attendre,

485  Il le302 convient bientost despendre.

        (Souffle303, coquardeau304 ! [Quoy qu’auray]305,

        [Tout en sera bien enfermé]306

        Tant que l’huys en pourra souffrir307.)

        Pour à nostre ayse desvestir

490  Ce corps mort, il le fault despendre.

        Vueillez à ceste eschelle entendre308,

        Et m’aydez tost à l’abréger309.

                        GOURNAY

        Descens, paillart ! Je vueil monter.

                        MICET

        Non ferez, dea, sauf vostre honneur !

495  Se je suis vostre serviteur,

        Si feray-je aujourd’huy le maistre.

                        GOURNAY

        À mau gibet310 te puist-on mettre !

                        MICET

        Maistre, tenez le bout du châble !

                        GOURNAY

        Dépesche-toy, de par le dyable,

500  Qui te puisse rompre le col !

                        MICET

        Se, sera pour vous ce licol311.

        Tirez fort, il est près de terre !…

        Il est bas312.

                        GOURNAY

                                La fièvre te serre !

        Descens tost, il le fault oster313.

                        MICET

505  Vive Micet !

                        GOURNAY

                                Et despouiller

        Il [le] nous convient sans attendre.

                        MICET

        À cela je suis prest d’entendre314.

        Je suis Micet, ce gracïeulx « seigneur315 ».

        Je suis Micet, despendeur bas et hault.

510  Je suis Micet, maistre bourreau d’honneur.

        Je suis Micet, ce gracieulx lourdault.

        Je suis Micet, pour flestrir d’ung fer chault 316.

        Je suis Micet, pour coupper une oreille317.

        Je suis Micet, pour faire ung escharfault 318.

515  Je suis Micet, qui point ne se traveille319.

        Je suis Micet, qui jamais ne sommeille.

        Je suis Micet, bateur sur les carreaulx320.

        Je suis Micet, qui à mal s’appareille321.

        Je suis Micet, le varlet des bourreaulx.

                        GOURNAY

520  Je suis Gournay, ouvrier espécïaulx322.

        Je suis Gournay, à la haulte-œuvre prêt 323.

        Je suis Gournay, qui ay fait maintz assaulx324.

        Je suis Gournay, pour pendre à ung gibet.

        Je suis Gournay, où beffleur[s] vont d’aguet 325.

525  Je suis Gournay, pour coupper une teste.

        Je suis Gournay, pour les brigans [de guet] 326.

        Je suis Gournay, où n’a nulle conqueste327.

        Je suis Gournay, qui fais fouldre et tempeste.

        Je suis Gournay, pour boullir et ardoir328.

530  Je suis Gournay, qui de mal maine feste.

        Je suis Gournay, pillorieux329, de voir,

        Dont maint homme n’est guère resjouy.

*

1 Se rouille, parce que je n’ai plus l’occasion de m’en servir. Les deux fossoyeurs au chômage sont assis sur des tombes.   2 Le fossoyeur oublie que, par ces temps de vaches maigres, il n’a plus qu’un seul valet.   3 Tremble, pète sous l’effet de la peur.   4 Éd : bastie  (Les valets de farces font souvent appel à l’argot, comme au vers 56. Basi = mort. « Le bon maistre Pierre est basy. » Le Testament Pathelin.)  Affirmer que le métier de fossoyeur est mort depuis longtemps relève de l’humour noir.   5 Pendant la dernière épidémie de peste, ma bourse était enceinte d’argent.   6 C’est une question d’habileté, que vous ne possédez pas. « Cela n’est qu’abilité. » Les Enfans de Borgneux.   7 Dépouille. La Mort est personnifiée, comme dans les danses macabres.   8 Le peuple s’en courrouce.   9 A autant de pitié pour les morts.   10 Deux par deux.   11 C’est plus rapide.   12 Il soit condamné.   13 Profondément. Idem vers 38.   14 Sa charge de fossoyeur. Le moindre valet d’artisan rêve de remplacer son patron : ce Mystère nous fournira ensuite une querelle encore plus cynique entre un maître bourreau et son assistant.   15 La connaissance.   16 Tout bien considéré. « À bien comprendre et la matière entendre,/ Chascun doit tendre à tenir cest usaige. » La Condamnacion de Bancquet.   17 Cela est bien difficile (ironique).   18 Le valet adapte une locution proverbiale : « Tu luy bailles belle, Michault ! » Beaucop-veoir et Joyeulx-soudain.   19 Selon la dernière mode. « Ung chaperon faitis/ Qui soit de nouvelle façon. » Les Femmes qui plantent leurs maris.   20 Je n’ai plus rien à apprendre.   21 Il faut l’enterrer plus profondément, pour que les intempéries ou les chiens ne le déterrent pas.   22 Un bon candidat pour devenir maître fossoyeur.   23 Il vient embaucher les fossoyeurs pour enterrer son cousin.   24 Que Dieu vous aide. Cf. Maistre Mimin estudiant, vers 382 et note.   25 Que désirez-vous ? Dans les farces, les valets d’artisans ont le défaut de répondre à la place de leur patron.   26 Le. « C’est un homme le plus testu. » Le Trocheur de maris.   27 Quelque chose. « Si vous avez rien qu’il luy faille. » Farce du Pet.   28 Qu’une bosse.   29 En ces temps de forte mortalité infantile, l’âge du défunt est une indication pour la grandeur de la fosse.   30 Expression argotique pour désigner les suaires.   31 Réprimandés. L’Église interdit de travailler les dimanches et jours de fête ; mais elle est moins sévère pendant les épidémies, où les cadavres contagieux doivent disparaître le plus tôt possible.   32 Du prix : de notre salaire. On trouve ce vers proverbial dans la Pippée, Serre-porte, la Mauvaistié des femmes, etc.   33 Avec bon sens. Idem vers 169.   34 Éd : cousin   35 Vais. Idem vers 95.   36 J’en suis informé. « J’en suis maintenant bien recors. » Le Capitaine Mal-en-point.   37 On vous paiera. Idem vers 176.   38 Le client s’en va. Il n’a pas dit où se trouve le corps : c’est là une convention théâtrale qui permet de gagner du temps.   39 Nous pourrions plus agréablement nous divertir. « Et ne sçavent lieu où ilz s’aillent/ Plus bel esbatre ne desduire. » Bestiaire d’amour rimé.   40 Le feras-tu ? Cette question qui confirme un ordre est souvent suivie d’une insulte : « Habille-toy ! Feras, landroye ? » (Maistre Mimin estudiant.) « Malhabile » est le surnom du valet : voir le vers 124. À 105, on le traite de « malapert » : maladroit.   41 On croirait qu’il n’y connaît rien. Nous dirions : il ne touche pas sa canette.   42 Terriblement.   43 De l’argent à acquérir.   44 Sans qu’on ne s’en tire.   45 Je saute les disputes entre héritiers, qui se déroulent dans la maison du défunt ; mon numérotage des vers n’en tient pas compte. Les fossoyeurs ont fini de creuser.   46 Exactement.   47 Éd : sept  (Les fosses individuelles mesuraient généralement 5 pieds [1,62 m], et non 7 pieds [2,27 m] ! C’est d’autant plus vrai que les gens du peuple n’avaient pas de cercueil, et qu’on leur pliait les genoux pour gagner de la place.)   48 Les fossoyeurs entrent dans la maison du défunt.   49 Les fossoyeurs emportent la dépouille enveloppée d’un linceul, sans cercueil.   50 Dans sa tanière, dans son trou.   51 Recouvert de terre. Idem vers 109.   52 Éd : a part  (Maladroit. Ce qualificatif s’adresse au valet : la chambrière du Gallant quy a faict le coup se nomme Mal-aperte.)   53 La puanteur du cadavre.   54 Il ne risque pas de se transformer en revenant. « Qu’il fût pendu, sans revenir ! » L’Arbalestre.   55 Te retenir ton salaire. Il donne de l’argent au fossoyeur.   56 Bonne fortune.   57 Vidons les lieux. Les fossoyeurs quittent le cimetière.   58 Hâlé, desséché. « Et boyre tousjours ung tatin, (…)/ Car ilz ont l’estomach hallé/ Comme la gueulle d’ung four chault. » Actes des Apostres.   59 Haler du vin = tirer du vin. « Je tire, je hale sans blasme/ D’un verre. » La Veuve.   60 Pour peu que nous soyons assis dans une taverne.   61 Éd : et  (L’écot franc est la part que chaque client paye au tavernier. « Ou bien d’un escot franc payé à la taverne. » F. Remi.)   62 Le roi Salomon, dans sa grande sagesse, ordonne que le corps soit exhumé. Les cousins du défunt vont chercher les fossoyeurs à la taverne.   63 Les cousins, à la porte de la taverne, aperçoivent d’abord le valet, que son patron surnomme « Malhabile » : note 40. Les tavernes, que leurs clients baptisent les « trous », sont des lieux obscurs où on économise la chandelle. Il est donc normal que les gens qui viennent de la rue n’y voient rien. Voir ci-dessous le premier vers de Gournay et Micet.   64 Un gain.   65 Puisses-tu avoir une mauvaise rage de dents ! Le fossoyeur n’aime pas être dérangé quand il boit.   66 Sous peine. « Sur peine de très grosse amende. » Les Drois de la Porte Bodés.   67 Pour quelle raison ?   68 Car il faut que cela se fasse.   69 Bel et bien vous…   70 Sous l’arbre qu’il a planté dans son jardin, et qui est à l’origine de la querelle entre ses héritiers.   71 Vous serez payés. Même vers dans Jehan de Lagny. Les fossoyeurs et les cousins retournent au cimetière.   72 Éd : gaigne  (La gaine est le fourreau d’une épée. Un traîne-gaine est un tire-au-flanc. « Rien-ne-vaulx [vauriens], rustres, challans [compères], hapelopins [pique-assiette], trainne-guainnes. » Gargantua, 25.)   73 Avec une grande rigueur. Cf. le Résolu, vers 15 et note.   74 Si je feins de travailler, si je fais semblant.   75 Tu geins, tu gémis.   76 Je me bouche le nez, à cause de l’odeur de charogne. « Estoupez vos nez ! » Sermon joyeux des quatre vens.   77 D’un bon pas.   78 Les fossoyeurs et leur macabre chargement retournent chez le défunt. Salomon les y attend, avec Bananyas, et ordonne qu’on attache le corps à l’arbre que les héritiers se disputent.   79 Ce vers manque dans toutes les éditions, à moins que le suivant ne soit un ajout d’acteurs. Je lui supplée le vers 477 des Sobres Sotz.   80 Je me demande avec inquiétude ce que…   81 C’est mon avis. Cf. Troys Pèlerins et Malice, vers 58.   82 Vous avez œuvré avec discernement. « Que n’y ouvrez d’entendement. » Les Femmes qui font renbourer leur bas.   83 Salomon rend son jugement, puis ordonne aux fossoyeurs de reconduire le mort au cimetière.   84 Avant.   85 Qu’on ne nous prenne par pour des enfants, comme ces bébés qu’on tient sur les fonts baptismaux. « De tenir sur fons son enfant. » ATILF.   86 Tout droit. Cf. Chagrinas, vers 245.   87 J’utilise là encore l’imprimé de Jehan Réal, celui de Pierre Le Dru, et celui de Trepperel. Le passage que je conserve s’intitule : De Gournay et Micet.   88 L’homme à tout faire du roi de Perse Assuérus ouvre la porte d’une taverne obscure (note 63) qui est le quartier général du bourreau. Ces deux filous se connaissent bien, puisqu’ils partagent les bénéfices de leurs exactions (vers 23-26). « Atach » se prononce Atak ou Ata, selon la rime.   89 On enfermait les gêneurs dans un sac qu’on jetait à l’eau. « Que fust-il, en ung sac, en Seine ! » Martin de Cambray, F 41.   90 Vrai. Idem vers 109 et 531.   91 Un joyeux compagnon.   92 Tenir à tâche = prendre à tâche, s’efforcer de. Jeu homophonique entre Atak et à tâque : ce Mystère provient de Normandie, où « ch » pouvait se prononcer « k » : « Y me vint une taque [tache] oprès le bout du day [doigt]. » La Muse normande.   93 Il a fini son travail, il peut donc manger. « Quant on a achevé sa tâche,/ Doit-on pas prendre son repas ? » Saoul-d’ouvrer et Maudollé.   94 Éd : malleur  (« Je suis bon avalleur de vins. » Les Sotz escornéz.)   95 Que je vous découvre l’affaire.   96 On ne peut devenir maître dans sa profession qu’en accomplissant un chef-d’œuvre. À 199, l’apprenti songe déjà au sien.   97 À la potence (mot d’argot), où l’on emploie des cordes tortes, tressées. « Et que point, à la turterie,/ En l’hurme ne soiez assis. » Villon, Ballades en jargon, 6.   98 Un gain à acquérir.   99 Un coup dans le dos. Idem vers 424. « Or, luy baillez troys cops de pelle ! » La Pippée.   100 Son âne. Cf. le Médecin qui guarist, vers 69 et note.   101 Un pied ou une aile : il parvient à resquiller quelque chose. Cf. le Roy des Sotz, vers 58.   102 Sans délai. Cf. le Raporteur, vers 228.   103 Le vizir, l’officier principal du roi. Atach sort de la taverne.   104 Nos frais de taverne.   105 Je ne pourrais aller plus vite. Le valet porte les sacs contenant le matériel du bourreau.   106 Une corde courte munie d’un nœud coulant. Idem vers 226 et 501. Le maître a tort de réclamer une seule corde alors qu’il y aura deux pendus.   107 Vous me prenez pour un imbécile. Cf. le Jeu du Capifol.   108 Un malin. Sur cette locution argotique, voir le Capitaine Mal-en-point, vers 185 et note.   109 Éd : arbre se  (Un fin renard. « Ma foy, que tu es ung fin hoste ! » Les Enfans de Borgneux.)   110 Avec une seule corde.   111 Merci à vous.   112 Tarder. Les bourreaux quittent la taverne sans payer : encore une convention théâtrale.   113 Vous goûterez. « Il humera d’honneur/ Largement. » Le Capitaine Mal-en-point.   114 En ce qui concerne cette affaire royale.   115 Éd : vous  (Correction de ROTHSCHILD et PICOT : Le Mistére du Viel Testament, t. VI, 1891, pp. 75-177.)   116 On ne perd pas autant de temps et d’énergie quand on est deux.   117 Il est déjà sous le gibet, avec les officiels, et exhorte les deux traînards.   118 Une disgrâce. « En la malle grâce des dieux. » Les Premiers gardonnéz.   119 Hypocrite. C’est le nom d’un personnage du Roy des Sotz.   120 Ça, par exemple ! Cf. la Laitière, vers 337.   121 Tu veux me faire marcher ! Idem vers 192.   122 Rapidement.   123 Je suis d’accord.   124 Par ma religion, le paganisme. Idem vers 96, 319 et 335.   125 Dis-le vite.   126 Les imprimés portent Micet ou Gournay. Correction de Rothschild et Picot.   127 Désigne-moi par un titre honorifique, en l’occurrence « Monseigneur ». Le patron de Saudret exige aussi que son valet l’appelle « Monseigneur mon Maistre ».   128 Micet réclame un office de bourreau ; on ne lui propose qu’une office, le garde-manger d’une cuisine : « Que vous estes bonne à l’office ! » Les Queues troussées.   129 Exprime-toi vite.   130 Éd : mice  (Bête. Idem vers 269 et 415.)   131 Éd : foy  (Note 124.)   132 Ce fou. Idem vers 117 et 277.   133 Tu me tannes, tu me fatigues ; cf. le Sermon joyeux des quatre vens, vers 363.  À dire voir = à vrai dire (note 90).   134 Les imprimés portent me ou puis. (Corr. Rothschild et Picot.) « Il me puisse meschoir du corps/ Se ne commist son bon désir. » Guillerme qui mengea les figues.   135 Dans les vapeurs de l’alcool. Cf. Deux jeunes femmes, vers 101 et note.   136 « Que mille charretées/ De dyables te puissent emporter ! » Ung mary jaloux.   137 Même vers que 84. Le suivant figure dans le Ribault marié.   138 Un mauvais alliage d’étain et de plomb.   139 Nous n’en sommes pas encore là.   140 Votre métier.   141 Les bourreaux s’approchent de la potence, où l’on amène les condamnés.   142 Monsieur le Prévôt, je vais les expédier.   143 Monte en haut de l’échelle pour voir s’il ne manque rien.   144 Pendant que je préparerai les condamnés.   145 Aurait besoin. On fait grimper le condamné sur cette échelle, on lui passe autour du cou une corde extrêmement courte, puis on le pousse dans le vide pour lui rompre les vertèbres cervicales. Une pendaison nécessite la présence d’au moins deux bourreaux.   146 Quand nous faisons monter à l’échelle de tels gibiers de potence. Happer = voler.   147 Il choit, il advient.   148 Subjonctif réservé aux imprécations, pour faire croire qu’elles sont déjà réalisées. « Dieu te met en fièvre quartaine ! » Trote-menu et Mirre-loret.   149 Solidement. Ces chaînes joignent les poteaux du gibet à la poutre horizontale.   150 Gournay pend le premier condamné. Micet exprime à nouveau son amour du travail bien fait et son louable désir d’apprendre un si beau métier.   151 Autant. Idem vers 220.   152 Tout de suite.   153 Ce sot. Cf. le Pasté et la tarte, vers 113.   154 Après, je ne vous demanderai plus rien.   155 S’il en était besoin : si vous étiez condamné vous-même à être pendu.   156 Finir. Idem vers 344. On comparera cette attention délicate avec celle du valet du Fossoyeur qui voudrait que son maître soit pendu pour avoir l’honneur de l’enterrer (vers 21-24).   157 Ce que. Le bourreau cède à son valet.   158 Pour ce seul et unique condamné.   159 Au lieu de tirer du sac une ficelle pour attacher dans le dos les mains du condamné, il en sort un fouet (vers 71). Les vers 173-188 constituent un rondel double.   160 Éd : que a ce  (Cela tient à peu de chose, il s’en faut de peu.)   161 Ayant trouvé la ficelle, il attache les mains du condamné, puis ses chevilles.   162 Les treuils, les entraves qui lient les chevilles du condamné.   163 Trop serrés : il ne pourra pas monter les échelons.   164 Cela : le résultat de mon travail.   165 C’est finalement Gournay qui pend le second condamné.   166 Retire-moi. Micet met les gants du bourreau dans sa propre poche.   167 Saisir. Idem vers 432.   168 Avec quelles tuiles on couvre un toit : on ne sait pas si on aura du bon matériel.   169 Ma plus belle exécution capitale. Note 96.   170 Vos gants me conviendront bien. « Quel train nous viendroit mieulx à goust. » Mallepaye et Bâillevant.   171 Enferme tout notre matériel dans les sacs.   172 C’est l’aboutissement normal. Idem vers 481.   173 Le bourreau veut décrocher les pendus, sans expliquer pourquoi : convention théâtrale.   174 Il faudrait.   175 De m’en occuper avec vous. Idem vers 491 et 507.   176 Une autorisation pour que nous puissions tous deux décrocher les pendus. Micet demandera cette autorisation pour lui-même.   177 À mon but : convaincre le prévôt. Cf. le Faulconnier de ville, vers 133.   178 Une tromperie (mot d’argot). Voir le vers 480.   179 Éd : Je lauray  (J’aurai de lui.)   180 Le commandement, l’ordre.   181 Se croyant déjà l’égal de son maître, le serviteur introduit un peu de tutoiement dans son vouvoiement. Il récidivera aux vers 373-4.   182 Vous me jurez sous serment.   183 Câbles : filins servant à dépendre les corps. Idem vers 285 et 498. J’explique leur utilisation à la note 203.   184 Il croit que Micet va, comme d’habitude, porter les sacs contenant tout ce matériel.   185 Je veux que tu ailles chercher notre autorisation. Micet comprend : Je veux que tu dépendes les corps.   186 Ironique : quel mauvais valet !   187 J’y vais. Micet court chez le prévôt.   188 Je vais parler à monseigneur le prévôt.   189 Il m’écoutera. Verbe ouïr.   190 Je lui toucherai la main.   191 Décidé.   192 L’année prochaine.   193 D’ennui, de contrariété. Dans le Mistère du Viel Testament, Cerbère n’est plus le chien qui gardait l’Enfer gréco-romain : c’est un authentique diable. Micet s’adresse au prévôt, Aman.   194 Éd : de  (Corr. Rothschild et Picot.)   195 Accordez-moi cette permission.   196 Vas-y d’un bon pas.   197 De grimace. « Mais tout portoit paciamment/ Sans en faire semblant ne frime. » ATILF.   198 Éd : iauray   199 Éd : Qui sera  (Gournay fera « une moue longue d’une aune » : sa figure s’allongera.)   200 Il jette à Gournay ses gants.   201 Si je m’énerve.   202 J’ai un allié, le prévôt.   203 Sans perdre de temps, donnez-moi un câble, un filin. Micet grimpe à l’échelle. Il attache le filin sous les aisselles du pendu, et jette l’autre bout par-dessus la poutre principale, afin qu’il retombe par terre de l’autre côté. Gournay n’aura plus qu’à tirer sur ce filin pour que le pendu remonte et que Micet puisse alors défaire le nœud coulant de son cou. Ensuite, il n’y aura plus qu’à dérouler ledit filin pour que le corps descende jusqu’au sol.   204 Il obéit aux ordres de son apprenti, non sans rechigner.   205 Le nœud coulant du pendu.   206 Un grand revers, un malheur. Cf. Ung mary jaloux, vers 252 et note.   207 Je renie nos dieux.   208 Éd : que aillez  (Quoi que vous alléguiez.)  Micet parvient à défaire le nœud du pendu, que Gournay peut alors laisser choir.   209 Pour qu’ils ne se disputent pas.   210 Tu vas savoir aujourd’hui combien pèse ma main. « Ce coup auras auparavant,/ Pour sçavoir ce que ma main poise ! » L’Antéchrist.   211 Tu ne sais pas la moitié de ce qu’il faut savoir. Gournay monte le filin à son serviteur, et l’aide à attacher le buste du second pendu.   212 Quoi qu’il en soit. Gournay redescend et tire sur le filin. Micet défait le nœud coulant du pendu, que Gournay laisse alors tomber par terre.   213 C’est moi qui ai l’honneur d’avoir dépendu ces deux hommes.   214 Bavarder.   215 Trepp. : Aman   216 Je serai revêtu des insignes de maître compagnon.   217 Dans ce vaste jeu de dupes, le prévôt lui-même finit par être condamné à mort. Une fois de plus, l’homme à tout faire du roi Assuérus va chercher les bourreaux à la taverne, leur quartier général.   218 Faire ton labeur, travailler.   219 Peu nous importe, advienne que pourra.   220 Nous ne devons pas nous mêler des bisbilles entre le roi et son prévôt.   221 Pourvu.   222 Fût-ce notre propre père.   223 Allez faire le bouffon ; cf. les Vigilles Triboullet, vers 174. Le serviteur se prend pour un maître, il ne veut plus obéir.   224 Atach et les bourreaux arrivent devant le gibet que le prévôt a fait ériger sous sa fenêtre : il comptait y pendre Mardochée (vers 345), mais c’est ce dernier qui va l’y faire pendre. « D’Aman suis esperdu,/ Qui devant son huis fut pendu/ Au propre gibet qu’il fist faire. » Les Esbahis.   225 Cet eunuque est le gardien du sérail d’Assuérus.   226 Comme cela se faisait toujours, il retire au prévôt son riche manteau, qui gênerait la pendaison à cause de son poids et de son col fourré. Les bourreaux se partageaient légalement les effets du supplicié.   227 Éd : Maistre  (Gaudi = riche. Idem vers 387 et 410. « À Parouart [Paris], la grant mathe [ville] gaudie. » Villon, Jargon, 1.)  Vous tenez déjà un riche manteau.   228 Devant ma maison. Note 224.   229 La roue de Fortune élève ou rabaisse les mortels.   230 Il fait monter le prévôt à l’échelle. Note 145.   231 Priez, vous ferez sagement.   232 Supportez. « Amys, prenez en pacience ! » L’Aveugle et Saudret.   233 Quelque chose.   234 Sans le lui faire savoir au préalable.   235 Êtes-vous préparé ?   236 N’ayez crainte. Gournay passe la corde au cou du prévôt.   237 Éd : en  (Prométhée, aie pitié de moi !)   238 Confiance. Démogorgon fut inventé par Boccace au milieu du XIVe siècle.   239 Pour que vous soyez bien vu des dieux de l’Enfer. « Leurs âmes/ Sont maintenant aux infernaulx. » (Viel Testament.) Gournay pousse le prévôt dans le vide.   240 Les officiels s’en vont. Les bourreaux évaluent le manteau du supplicié. Leurs bas instincts revenant pour l’occasion, ils se chamaillent dans l’argot des truands. Lazare SAINÉAN consacre à ce dialogue les pages 266-269 des Sources de l’argot ancien, tome 1, 1912. Son glossaire est dans le t. 2, pp. 264-468. Je ne suis pas toujours d’accord avec lui, et encore moins avec Francisque MICHEL, qui étudiait en 1856 ce même dialogue aux pages xl-xli de ses Études de philologie comparée sur l’argot.   241 Prends le manteau du prévôt.   242 Enferme ce manteau à la maison. Ront = manteau : « Le ront est pelé et tondu. » (Les Tyrans au bordeau.)  Creux = maison : « Il avoit débridé la lourde [fracturé la porte] du creux d’un rastichon [curé]. » Response et complaincte au grand Coesre.   243 Le valet recommence à mélanger le tutoiement et le vouvoiement. Note 181.   244 Nous boirons beaucoup, dans cette grande ville. Pier = boire de la pie, du vin ; cf. Grant Gosier, vers 81.  Mathe = ville : « Bignez [visez] la mathe sans targer [tarder]. » (Villon, Jargon, 5.)  Gourdement = beaucoup ; cf. Gautier et Martin, vers 140.   245 Nous avons taxé son manteau. Cf. le Dorellot, vers 153.  Tailler = soumettre à l’impôt de la taille ; l’argot moderne connaît toujours « taxer un objet » dans le sens de « le voler ».   246 Éd : miuerie  (« Ju » s’écrivait « iu », d’où la confusion avec « m ».)  Il ne vient pas de chez un tailleur juif. Le prévôt détestait les juifs, et notamment Mardochée, qui a eu sa peau.   247 Éd : gourderie  (C’est parfait pour avoir du bon vin. « Ma bouteille n’est point remplie/ De gourde pie, à ce matin./ Trois jours a que ne beuz de vin. » La Tour de Babel.)   248 Un bon capital pour payer la boisson. Cf. le Gentil homme et Naudet, vers 291.   249 Éd : penson mettre en plaint.  (Connais-tu un fripier chez qui nous puissions l’écouler ?)   250 À la friperie, avec le manteau du prévôt. Les vers 385-394 constituent un « rondel doublé en la fin », qui réunit l’art des Rhétoriqueurs et celui des truands.   251 Nom générique des marchands, comme Martin Garant est celui des commerçants qui font crédit.   252 Le commerce de la fourrure en sera enrichi.   253 « Grain : un escu. » (Le Jargon de l’argot réformé.) Idem vers 405.   254 Vas-tu au butin, au gain ? « À butin tous noz prisonniers ! » Turelututu et Granche-vuyde.   255 J’y vais tout de suite.   256 Puis nous irons boire du vin. Cf. Jehan qui de tout se mesle, vers 10.   257 Boire de ce vin nouveau. Cf. le Brigant et le Vilain, vers 250.   258 De la soif. Cf. Pernet qui va au vin, vers 214.   259 Éd : marchandise  (« Vivoit de l’honeste présent/ Qu’on luy donnoit par courtoisie/ Pour débit de la marchandie. » J.-A. de Baïf.)   260 Si sot. « Faire d’un tel conard un prestre ! » Science et Asnerye.   261 Un écu d’or. Note 253.   262 Ou que je sois entré dans une mauvaise année. « Ha ! qu’il soit entré en mal an ! » Le Pardonneur.   263 Le pourpoint. Même terme argotique au vers 482. « J’euz deux andosses [manteaux], deux georgetz. » Gautier et Martin.   264 Dont ma feuille [ma fouille, ma bourse] sera enrichie. « Jehan, mon amy, qui les fueilles desnoue. » Villon, Jargon, 10.   265 Ses chausses. Même terme argotique au vers 484. « Il n’a tirandes, ne endosse [manteau]. » Les Tyrans.   266 J’irai les vendre. C’est la suite du vers 403, et une anticipation du vers 419.   267 Au retour de la friperie, Micet revient discrètement vers le pendu.   268 Éd : Sil y  (N’y a-t-il personne autour du gibet ? « Il n’y a âme/ Autour de ce jardin. » Viel Testament.)   269 Niais. Note 130.   270 Bague (argot). « Gros braceletz, signetz [chevalières], boucles, brocans. » ATILF.   271 Et que je sois habile. « C’est à toy très bien entendu. » L’Antéchrist.   272 Sans doute un fonctionnaire. On lit ce nom dans quantité de textes en argot ; cf. Gautier et Martin.   273 Mes raisons. « J’entens, à ce coup, la traisnée. » Chagrinas.   274 Des coups. Note 99.   275 La rétribution qu’une femme riche verse à son jeune amant. Micet grimpe à l’échelle, puis il fouille le pendu.   276 Qu’il ne restera plus un bijou à voler.   277 Se livre à des cancans, te maltraite. « Des chambèrières, tous les jours/ Tenez voz plaitz. » La Nourrisse et la Chambèrière.   278 Il vient dépouiller le pendu. Voyant Micet qui tente de défaire le magnifique pourpoint du prévôt, il se cache derrière un poteau du gibet.   279 Un tantinet, un peu.   280 Bon. Même terme argotique aux vers 379 et 458.   281 Ce travail, ce trafic.   282 Micet regarde par terre et aperçoit Gournay. Sous l’effet de la surprise, ses pieds glissent de l’échelle et il se cramponne à la poutre horizontale.   283 L’apprenti voulait devenir « maistre Micet » (vers 301), mais il n’est plus qu’un maître sot : « Je me rys d’ung maistre coquart,/ Le plus follas que je viz oncques. » La Pippée.   284 « C’est un bon marchand : par raillerie, un bon compagnon, un fin drolle. » Antoine Oudin.   285 Tant vous commander, vous supplier.   286 Quel morveux. Cf. le Dorellot.   287 Tricheur. Même terme argotique au vers 524. « Là sont beffleurs au plus hault bout assis [pendus]. » Villon, Jargon, 7.   288 Tricherie. Cette graphie est autorisée par Villon et Claude Chevalet, qui écrivent « bléfleurs ».   289 Confisquer ce riche capuchon. « Confoncer » n’existe ni en argot, ni ailleurs.   290 Ne croyez pas que je plaisante.   291 Je veux bien vous donner ce que j’ai pris la peine de voler.   292 À votre profit je…   293 Quel répandeur de miel pour attirer les mouches : cf. le Prince et les deux Sotz, vers 145-8.   294 Compliment très ironique. « Mais regardez-moy quel seigneur ! » Le Povre Jouhan.   295 Éd : tu  (Tu en aurais eu beaucoup, des bijoux.)   296 Éd : eussez  (Si je n’avais pas mis la patte sur toi. « Ung ange [sergent] mist sur moy la poue. » Gautier et Martin.)   297 Il nage, il nous file entre les doigts. « Et voit poissons par mer nouer. » (Godefroy.) Jeu de mots sur « nouer » : faire un nœud de pendu.   298 Trompe. « Joncheurs jonchans en joncherie,/ Rebignez [regardez] bien où joncherez. » Villon, Jargon, 5.   299 C’est normal que ce pourpoint. Note 263.   300 Éd : appartient   301 Ainsi que ses chausses. Note 265.   302 Éd : les  (Il faut dépendre le prévôt bien vite. Voir le vers 490.)   303 Éd : Huffle  (Cause toujours ! « Souffle, Michault ! » Les Sotz qui remetent en point Bon Temps.)  Nous avons là les deux vers les plus difficiles, sur les 49386 que compte ce Mystère. Je ne garantis pas mes corrections, et encore moins celles de mes prédécesseurs.   304 Éd : coquart de  (Naïf. « C’est la nature/ De tous ces jeunes coquardeaux. » Beaucop-veoir.)   305 Éd : quoqueree  (Quoi que je puisse avoir.)   306 Éd : Vous en serez bien enfermee   307 Tant que la porte du coffre pourra résister à vos coups.   308 Occupez-vous de cette échelle pour que je puisse me rétablir.   309 À en finir avec lui. Gournay remet l’échelle d’aplomb, puis il jette un filin à Micet pour qu’il attache le corps (note 203).   310 Sur un mauvais gibet. Le valet s’y trouve déjà…   311 Plutôt, cette corde vous rompra le vôtre. Gournay tire sur le filin, et Micet défait le nœud du pendu.   312 Le pendu est au sol.   313 Il faut l’enlever de là pour l’enterrer.   314 Cette fois, je suis prêt à vous écouter. Le finale est en décasyllabes, sans doute chantés.   315 Jeu de mots sur saigneur : bourreau. « Seigneur, ‟saigneurs”, ce sont barbiers [les chirurgiens]. » Le Faulconnier de ville.   316 Pour imprimer au fer rouge une marque de flétrissure.   317 On coupait une oreille aux voleurs.   318 Pour dresser un échafaud.   319 Éd : trauaille  (Qui ne se fatigue pas trop. « Le chemin est long à merveille ;/ Si crains que trop ne se traveille. » ATILF.)   320 Qui bat le carreau, le pavé : qui marche beaucoup.   321 Qui s’apprête à faire le mal. Son maître n’est pas en reste : voir le vers 530.   322 Spécial, extraordinaire. Ce pluriel est une licence poétique. « Il fault ouvriers espécïaulx. » (Viel Testament.) Les bourreaux sont fiers de leur art : « C’est moy, c’est moy qui faiz merveilles :/ Je bas de verges, couppe oreilles,/ Je couppe testes, j’escartelle ;/ Et pour monter sur une eschelle/ Quant on veult que je pende ung homme,/ Je croy qu’il n’a, d’icy à Romme,/ Ung tel ouvrier comme je suis. » Pierre Gringore, la Vie monseigneur sainct Loÿs.   323 Éd : faire  (Un bourreau porte le titre de « maistre des haultes-œuvres ». ATILF.)   324 Des assauts sexuels. « Pensez qu’il y a maints assaulx. » Les Premiers gardonnéz.   325 Vers qui les tricheurs ne vont qu’avec une extrême vigilance.   326 Éd : daguet  (À la rime.)  Pour punir ces brigands que sont les « guetteurs de chemins » : cf. les Tyrans, vers 78 et note.   327 Avec qui il n’y a rien à gagner.   328 Pour faire bouillir les faux-monnayeurs, et pour mettre les criminels sur le bûcher.   329 Pilorieur, en vérité. Il expose au pilori les délinquants.

UNG BIAU MIRACLE

Bibliothèque Sainte-Geneviève

Bibliothèque Sainte-Geneviève

.

*

UNG  BIAU

MIRACLE

*

.

Le fatiste inconnu qui composa vers la fin du XIVe siècle les Miracles madame sainte Geneviève a parfaitement rempli son cahier des charges : ce Mystère de 3127 vers1 baigne dans un prêchi-prêcha qui, à l’époque, faisait hausser les yeux vers le Ciel, et qui aujourd’hui ne nous fait plus hausser que les épaules. Mais le naturel comique de cet auteur transparaît à plusieurs reprises, au point qu’il s’éloigne parfois de son austère modèle latin pour faire rire le public. Par exemple, avec une précision d’inquisiteur, sainte Geneviève accuse une nonne de s’être laissé déflorer par le berger de Gautier Chantelou, dans le jardin de celui-ci, très exactement sous un pêcher, le 3 avril, à la tombée du jour. Nul doute que si le bracelet-montre avait existé, la sainte nous eût révélé l’heure du crime ! Ailleurs, on assiste à une bataille entre des anges et des diables qui se cognent dessus en jurant comme des charretiers. Plus loin, deux porchers dialoguent dans le plus pur style de leur profession :

2129  —Foucault, veulz-tu oïr nouvèles ?                                 —Foucaud, veux-tu entendre des nouvelles ?

         —Oïl bien, mèz qu’ilz soiënt tèles                                   —Oui, pourvu qu’elles soient d’une gaîté telle

         Que mon ventre breneus s’en sente2….                            Que mon ventre plein de merde en soit déchargé.

2161  —Tu as le cul tourné au prône.                                        —Tu tournes le cul à l’église.

         Foy que je doy saint Grisogone3 !                                   Par la foi que je dois à saint Grisogone !

         Se tant ne quant tu m’atouchoies,                                    Si tu me touchais si peu que ce soit,

         Jamaiz ne heurtebilleroies4                                             Jamais plus tu ne serais en état de tamponner

         Fame qui soit des[so]uz la lune !                                    Une femme en ce bas monde !

Dans un langage tout aussi fleuri, deux maçons et un charpentier se plaignent d’avoir soif ; sainte Geneviève, égalant Jésus, reproduit pour eux le miracle qu’il avait accompli aux noces de Cana :

2343  Dieu, qui muastes l’iaue en vin                                       Mon Dieu, qui avez transformé l’eau en vin

         Ès nopces chiez Archédéclin5 :                                      Aux noces chez Architriclin :

         Vueilliez cy vostre grâce estandre !                                Veuillez étendre votre grâce jusqu’ici !

Et donc, les trois ouvriers se soûlent grâce à Geneviève :

2412  —Qui oncques-mèz vit tel bevrage ?                             —Qui vit jamais un si bon breuvage ?

         Emplez, pour Dieu, encor ma coupe !                            Remplissez encore ma coupe, par Dieu !

         —Tu es plus yvre qu’une soupe6 :                                  —Tu es plus imbibé qu’une mouillette :

         Comment pourras-tu jà douler ?                                    Comment pourras-tu manier ta doloire ?

         —Je feray les asnes voler7,                                             —Je ferai voler les ânes,

         Mèz que je boive une foys seule.                                    Pour peu que je boive encore un dernier coup.

À propos d’ânes, douze fous (dont l’un est représenté dans le manuscrit) chantent la messe en imitant le braiment de ces quadrupèdes :

2546  Je suis Cordelier, c’est assez                                            Je suis Cordelier, c’est suffisant

         Pour deschanter messe et canon.                                     Pour chanter la messe et le canon.

                     Sy die en chantant :                                                        Qu’il dise en chantant :

         « Hynhan ! » dit l’ânesse. « Hinhan ! » dit l’asnon.         « Hi han ! » dit l’ânesse. « Hi han ! » dit l’ânon.

Ces fous ne se lassent pas de parodier la messe :

2554  —J’ay clère voiz comme .I. tourel ;                                 —J’ai la voix aussi claire que celle d’un taureau ;

         Pour ce, veil-je chanter la messe.                                    Pour cela, je veux chanter la messe.

         —Fyfy8, tu as fait une vesse !                                         —Vidangeur, tu as fait un pet !

                     En chantant au chant de                                                 En chantant sur l’air du

                     « Sanctus » de Requien :                                                 « Sanctus » du Requiem :

         —Sanz-tu9 ? Sanz-tu ? Sanz-tu ? Etc.                             —Sens-tu ? Sens-tu ? Sens-tu ? Sens-tu ?

Nos fous sont possédés par des diables que la sainte va mettre en fuite d’un coup de prière magique. Aussi, les diables s’interrogent à propos de Geneviève :

2509  Sathan, qui est celle viellote                                            Satan, qui est cette petite vieille

         Qui tous jours, en alant, barbote                                     Qui toujours, en allant, marmonne

         Avéz Maras, Patrès Nostrues,                                          Des Ave Maria et des Pater Noster,

         Comme s’el deust voler aux nues ;                                  Comme si elle devait monter aux Cieux ;

         Et se défripe, et fait la lipe,                                             Et se démène, et fait la moue,

         Et me porte fueilles de tripe10                                        Et porte des feuilles de mauvais parchemin

2515  Comme .I. livre, soubz sez essèles ?                                Sous son aisselle, comme un livre ?

         Avec ly, maine .II. pucelles                                             Elle mène avec elle deux jeunes filles

         Qu’el enchante trop fort, en tant                                      Qu’elle ensorcelle trop bien, de sorte

         Que, se tant ne quant vont sentant                                   Que si elles sentent un tant soit peu

         Que je leur eschaufe lez rains,                                         Que je leur échauffe les reins de désir,

2520  Lors me prendront branches et rains                               Elles prendront alors des branches et des rameaux

         De boul, d’osières ou d’orties,                                         De bouleau, d’osier ou d’orties,

         Ou chardons, ou bonnes courgies ;                                  Ou des chardons, ou de bonnes courroies ;

         Batront espaules ou culière :                                            Et elles battront leurs épaules ou leur croupe :

         N’y remaindra jà pel entière.                                           Il n’y restera pas un bout de peau intact.

2525  Dessus leur pis, dez poing[s] tabeurent.                           Elles tambourinent leur poitrine avec leurs poings.

         Orent11, pleurent, veillent, labeurent,                              Elles prient, pleurent, veillent, peinent,

         Cengnent12 cordes, vestent la haire.                                Se ceignent d’une corde, portent la haire.

Satan affirme que Geneviève est « l’abesse de Tirelopines », les turlupins étant des religieux hypocrites connus pour leur liberté sexuelle.

La partie la plus drôle du Mystère, c’est la fin : l’auteur nous dit qu’il va y greffer des scènes de farce pour que ce soit moins ennuyeux. Déboulent alors quelques-uns de ces mendiants infirmes dont riait le théâtre médiéval. Le lépreux réclame de bons petits plats :

2599  .I. tentet de vïande sade !                                                 Donnez-moi un tantinet de bonne viande !

         Halas, chétis ! je suis gasté                                              Las, pauvre de moi ! je suis mort

         Se je n’ay d’un petit pasté                                                Si je n’ai pas un morceau d’un petit pâté

         Et plaine escuèle de boschet                                            Et une pleine écuelle d’hydromel

         Ou, au mains, de vin de buffet.                                        Ou, au moins, de vin de cuisine.

Le bossu est atteint par surcroît d’une maladie vénérienne :

2654  Le chancre m’a rongié le menbre.                                   Un chancre m’a rongé le membre.

         Las, doulant ! Quant je me remembre                            Las, malheureux ! Quand je songe

         Du dueil que ma fame en démaine,                                 Au chagrin qu’en témoigne ma femme,

         C’est mal suz mal, peine suz paine !                                C’est un mal qui s’ajoute à un mal !

L’hydropique a lui aussi de bonnes raisons d’aller consulter une sainte :

2636  J’ay au cul lez esmorroïdes ;                                             J’ai des hémorroïdes au cul ;

         Sy ne puis chier, c’est grant hides !                                  Si je ne peux plus chier, c’est l’horreur !

Ces éclopés, qui n’attendent plus rien de la coûteuse et impuissante « merdefine », viennent se faire guérir gratuitement par Geneviève. Quand on voit à combien d’aveugles elle a rendu la vue, à commencer par sa propre mère, on se demande pourquoi les ophtalmologistes ne l’ont pas choisie comme sainte patronne ! Je publie ci-dessous l’incontournable duo de l’Aveugle et de son Valet, duo dont beaucoup de farces et de Mystères proposent une version à peine différente : voir la notice de l’Aveugle, son Varlet et une tripière. On lira ensuite deux extraits de l’ultime miracle : il concerne une vieille maquerelle qui a subtilisé les chaussures de Geneviève.

Source : Paris, bibliothèque Sainte-Geneviève. Ms. 1131, folios 212 rº à 216 rº. Copié au milieu du XVe siècle. Ce manuscrit contient aussi le Geu saint Denis, dont j’ai extrait les Sergents, et la Vie monseigneur saint Fiacre, qui renferme la farce du Brigant et le Vilain.

Structure : Rimes plates.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

.

*

           Miracles de plusieurs malades.

           En farses, pour estre mains fades.

.

Ung biau miracle.

.

Cy après sont autres miracles de madame sainte Geneviève. Sachiez que chascun emporte13 plusieurs personnages de plus[i]eurs malades, pour cause de briété14. Et a, parmy, farsses entées15, afin que le Jeu soit meins fade et plus plaisans.

*

                     L’AVEUGLE                                                                  L’AVEUGLE

2715  Varlet !                                                                             Mon valet !

                     LE  VARLÉ                                                                    LE  VALET

                      Maistre ?                                                                              Mon maître ?

                     L’AVEUGLE                                                                  L’AVEUGLE

                                      Par là m’enpiègne16 !                                                               Empoigne-moi par le bras !

         Il fust temps d’aler en la ville.                                         Il est temps d’aller quêter en ville.

                     LE  VARLET                                                                 LE  VALET

         Maistre, prenez-vous crois, ou pille17 ?                          Maître, quelles pièces accepterez-vous ?

                     L’AVEUGLE                                                                  L’AVEUGLE

         Tez-toy ! Alons !                                                            Tais-toi ! Allons-y !

                     LE  VARLET                                                                 LE  VALET

                                      Où ?                                                                                  Où ?

                     L’AVEUGLE                                                                  L’AVEUGLE

                                                Au pourchas.                                                                    À la quête.

                     LE  VARLET                                                                 LE  VALET

         Petis poissons sont bons pour chas.                                 Les petits poissons, c’est bon pour les chats.

                     L’AVEUGLE                                                                  L’AVEUGLE

2720  Hé ! Diex, quel varlet !                                                    Hé ! Dieu, quel valet !

                     LE  VARLET                                                                  LE  VALET

                                                Diex, quel maistre !                                                        Dieu, quel maître !

                     L’AVEUGLE                                                                  L’AVEUGLE

         Maine-moy, maine, va, chevestre18 !                              Conduis-moi, va, pendard de guide !

                     LE  VARLET                                                                 LE  VALET

         Par où ?                                                                           En passant par où ?

                     L’AVEUGLE                                                                  L’AVEUGLE

                        Par Froit-Vaulx19.                                                                         Par Froids-Vaux.

                     LE  VARLET                                                                 LE  VALET

                                                      Par là ?                                                                                        Par là ?

                     L’AVEUGLE                                                                  L’AVEUGLE

                                                                    Voire.                                                                                          Oui.

.

                     LE  VARLET                                                                  LE  VALET

         Chantez, vous estes à la Foire20 :                                    Chantez, vous êtes au Lendit :

         Tout est plain d’ommes et de fames.                               C’est plein d’hommes et de femmes.

                     L’AVEUGLE,  hault et à trait 21 :                                  L’AVEUGLE  chante d’une voix ferme :

2725  « Halas, mez Seignieurs et mez Dames :                         « Las, seigneurs et dames :

         Pour l’amour saint Pere22 de Romme,                            Pour l’amour de saint Pierre de Rome,

         Faites vostre aumosne au povre homme                          Faites l’aumône au pauvre homme

         Qui ne voit n’oncques ne vit goute                                  Qui ne voit et n’a jamais vu mieux

         Nient plus23 dez yelx qu’il fait du coute !                       Avec ses yeux qu’avec son coude !

2730  Ainssy vous vueille Diex aidier ! »                                 Et que Dieu vous le rende ! »     À part :

         Je puis bien seurement plaidier :                                     Je peux bien raconter ce que je veux :

         Il n’y a âme qui responne.                                               Il n’y a personne qui me réponde.

         Diex ! n’y a-il qui riens me donne,                                  Dieu ! nul ne me donnera-t-il rien,

         Ne qui me tende pié ne main ?                                       Même un coup de main, ou de pied ?

2735  Oïl, oïl, c’est à demain24 :                                               Oui, oui, ce sera pour une autre fois :

         Madame va à Bèsençon25…                                           Madame va à Baisançon…

         Je parole de « Cusençon26 ».                                           Je veux dire : à Cul-zançon.

         Nul n’a cure de povre gent.                                              Nul ne se soucie des pauvres gens.

         Se je fusse roy ou régent,                                                 Si j’étais un roi ou un régent,

2740  Ou .I. grant maistre Aliboron27,                                      Ou un grand ministre,

         Chascun ostast son chaperon,                                          Chacun ôterait son chapeau,

         Ou m’enclinast, ou me fist rage ;                                      Ou s’inclinerait, ou me servirait ;

         Je feusse tenu pour trop sage.                                          Je serais tenu pour un grand sage.

         Or me tient-en pour une ordure,                                      Maintenant, on me tient pour une crotte,

2745  Pour .I. fol, pour .I. burelure ;                                          Pour un demeuré, pour un simplet ;

         Il n’y a ne grant ne petit                                                   Il n’y a personne, grand ou petit,

         Qui de moy voir ait appétit.                                             Qui ait envie de me voir. Mon Dieu !

         Diex ! qu’il est povre, qui ne voit28 !                               Qu’il est pauvre, celui qui n’y voit pas !

         S’il va, s’il vient, s’il dort, s’il poit,                                   Qu’il aille, vienne, dorme ou pète,

2750  Autant de l’un comme de l’autre.                                     C’est du pareil au même. L’aveugle

         C’est .I. droit ymage de peautre29.                                  N’est qu’un vil médaillon en étain.    Au valet :

         Hélas, mon filz Hanequinet :                                           Hélas, mon petit Hannequin :

         Meine-moy, en ce matinet,                                              Conduis-moi ce matin

         À celle bonne et sainte dame                                           À cette bonne et sainte dame

2755  Qui de meschief oste maint[e] âme,                                Qui tire de malheur maint homme,

         Que lez gens nomment Geneviève.                                  Et que les gens nomment Geneviève.

                     LE  VARLET                                                                  LE  VALET

         Sire, j’ay tel dueil que je criève                                       Monsieur, j’ai tant de mal que je crève

         De ce que je suis sy gouteus                                            Du fait d’être si goutteux

         Que dez .II. hanches suis boisteus30 ;                              Que je boite des deux fémurs ;

2760  Et ay la tous, maise31 poitrine,                                        Et j’ai la toux, de l’asthme,

         Clous, pous, cirons32, lentes, vermine ;                           Des furoncles, des poux, des pustules, des lentes, des vers ;

         J’ay la rougole et la vérole33 ;                                          J’ai la rougeole et la variole ;

         J’ay, chascun jour, la feinterole34 ;                                  J’ai chaque jour la chiasse ;

         J’ay le jaunice35 et suis éthique.                                      J’ai la jaunisse et je suis squelettique.

2765  Ne guérir n’en puis par phisique.                                     Et je ne peux guérir grâce à la science.

         Merdefins36 et c[h]iurgïens                                             Les merdecins et les chie-rurgiens

         M’ont eu long temps en leurs lïens ;                                M’ont longtemps tenu en leurs filets ;

         Maintenant, quant je n’ay que frire37,                             Maintenant que je n’ai plus que frire,

         Que riens n’a en ma tirelire,                                            Qu’il n’y a plus rien dans ma tirelire,

2770  Par m’âme, il n’ont cure de moy.                                     Ils n’ont plus cure de moi, par ma foi !

                     L’AVEUGLE                                                                  L’AVEUGLE

         Par mon serment, [bien] je t’en croy !                            Je te jure que je veux bien te croire !

         Aussy, Hanequin (sy m’aist Diex38 !),                            Aussi, Hannequin (que Dieu m’assiste !),

         Il m’ont du tout crevé lez yeulz.                                      Ils m’ont complètement crevé les yeux.

         Mengier puissent-il leur[s] boiaus !                                 Puissent-ils manger leurs boyaux !

2775  Je dy ceulx qui ne sont loyaus                                          Je parle de ceux qui n’appliquent pas

         Selonc leur povoir et savoir.                                            Leurs compétences et leur savoir.

         Alons où j’ay dit ! Car là, voir,                                       Allons où je t’ai dit ! Car là, vraiment,

         Nous trouverons miséricorde.                                         Nous trouverons de la pitié.

                     LE  VARLET,  en baillant                                             LE  VALET,  en lui faisant

                                              la corde39 :                                              tenir le bout de sa ceinture :

         Alons, donc ! Tenez bien la corde !                                Allons-y, donc ! Tenez bien ma corde !

*

.

                      Sainte Geneviève voise en son oratoire40,                       Que sainte Geneviève aille dans sa

                      et là se tiegne en oroison, et lez autres                            chapelle et s’y tienne en prière, et que

                      où ilz vourront.                                                               les miraculés aillent où ils voudront.

.

                     Cy après est  DE  UNE  FAME  À  QUI                        Suit le  MIRACLE  D’UNE  FEMME

                     MADAME  SAINTE  GENEVIÈVE                            À  QUI  SAINTE  GENEVIÈVE

                     RENDIT  LA  VUE,  qu’elle avoit                                  RENDIT  LA  VUE,  qu’elle avait

                     perdue pour ce qu’elle avoit emblé les                              perdue parce qu’elle avait volé les

                     soulers de la dicte vierge.                                                  chaussures de ladite sainte.

.

                     LA  VIELLE 41                                                               LA  VIEILLE

2818  Pour lez boiaus sainte Géline42 !                                     Par les boyaux de sainte Géline !

         Vélà dame Genevéline43,                                                Voilà madame Je-ne-sais-lire,

                      (en la monstrant)                                                             (en la montrant)

2820  Qui ne fait que pseaumes broullier44,                              Qui ne fait qu’embrouiller les psaumes,

         Sez yeulx essuier et moullier,                                          Essuyer ses yeux et les mouiller de larmes,

         Qui scet45 trop bien la main où metre.                           Et qui sait bien où tendre sa main.

         Et je puis bien fondre et remetre46 :                               Moi, je peux bien fondre et maigrir :

         Je n’ay que frire ne que daire47.                                      Je n’ai plus rien à frire, ni que dalle.

2825  Lamproiës, luz, barbeaus de Laire                                   Les lamproies, les brochets et les barbeaux de Loire

         Ne me prennent pas à la gorge.                                       Ne risquent pas de m’étrangler !

         À grant paine ay-je du pain d’orge,                                 À peine puis-je avoir du pain noir,

         Qui souloië (las !) sy bien vivre.                                     Moi qui jadis vivais si bien, las !

         Tous jours estoie ou plaine48 ou yvre.                            J’étais toujours bourrée ou ivre.

2830  Et plus me fesoië « coignier 49 »                                    Et je me faisais « cogner » plus souvent

         Qu’il [n’est] de coings en .I. coignier.                              Qu’il n’y a de coings sur un cognassier.

         Coignant coign[é]e onc ne coigna                                   Une cognée cognante ne cogna jamais

         Tant de coing[s] comme on me coigna ;                         Autant de coins que je fus cognée.

         Et lez coigneurs50, qui me coignoient                             Et les cogneurs, qui me cognaient

2835  Le coing51, le52 poing d’or me coignoient.                     Le con, remplissaient d’or mon poing.

         Plus n’y seray de coing53 coignie,                                   Je ne serai plus cognée par un poinçon,

         Car ma coignie54 est descoignie :                                    Car ma cognée n’a plus de « manche » :

         Tant est cuisans, et vielle, et dure,                                   Elle est si sèche, si vieille et si dure

         Qu’il n’est coigneur qui en ait cure,                                 Que nul cogneur n’en a cure,

2840  N’argent n’y veult en[s]55 metre, et « coing ».                Et ne veut y mettre ni son argent ni son poinçon.

                     En monstrant sainte Geneviève.                                       En montrant sainte Geneviève.

         Et vélà Madame, en son coing56,                                   Et voilà Madame, dans son recoin,

         Qui de « coignier » ne sceut onc note                             Qui n’a jamais su l’art de « cogner »

         (Ce dit-on), tant est nice et sote ;                                    (Dit-on), tant elle est naïve et sotte ;

         Qui a de l’argent à poignies                                             Qui a de l’argent par poignées

2845  Com s’en le forjast à coignies57.                                     Comme si on le forgeait à la hache.

         Chascun ly donne tire-à-tire58                                        Chacun lui en donne sans relâche,

         Et tous jours bret, pleure et soupire.                               Et pourtant, toujours elle brait, pleure et soupire.

         Coigne fort son huis et recoigne,                                     Qu’elle claque et reclaque fort sa porte,

         Car je ly baudray tel engroigne59                                    Car je lui flanquerai un tel coup

2850  (Foy que je doy saint Andrieu le Scot60)                         (Par saint André d’Écosse)

         Que je bevray à son escot                                                Que je boirai à ses frais,

         Ou je faurray à faire tente61.                                           Ou j’aurai mal tendu mon piège.

                     Cy62, la regarde, et puis                                                   Ici, qu’elle la regarde, et dise

                     die en hochant la main :                                                              en secouant la main :

         Elle est nuz-piéz. Ho ! j’ay m’entente63.                         Elle est déchaussée. Oh ! j’ai un plan.

.

                      Cy, die à sainte Céline et à Margot :                               Ici, qu’elle dise à sainte Céline et à Margot :

         Dieu vous doint bon jour, Damoysèles !                         Une bonne journée, mesdemoiselles !

                     SAINTE  CÉLINE                                                         SAINTE  CÉLINE

2855  Bien veigniez, Dame ! Quelz nouvelles ?                        Bienvenue, Madame ! Qu’y a-t-il ?

                     LA  VIELLE,  en soy asséant.64                                     LA  VIEILLE,  en s’asseyant.

         Je me vueil soèr, ne vous desplaise.                                Je veux m’asseoir, s’il vous plaît.

                     MARGOT                                                                       MARGOT

         Ha ! Dame, estes-vous en malaise ?                                Ah ! Madame, avez-vous un malaise ?

                     LA  VIELLE,  en prenant lez                                         LA  VIEILLE,  en chaussant

                                   soullers secrètement :                                               discrètement les souliers :

         Oïl, j’ay .I. pou mal au cuer.                                           Oui, j’ai un peu mal au cœur.

                     SAINTE  CÉLINE                                                         SAINTE  CÉLINE

         Diex vous doint santé, bèle suer !                                   Que Dieu vous donne la santé, ma sœur !

                     LA  VIELLE,  en soy levant.                                          LA  VIEILLE,  en se levant.

2860  Amen ! Adieu, je suis garie !                                          Amen ! Adieu, je suis guérie !

                     SAINTE  CÉLINE  et  MARGOT                               SAINTE  CÉLINE  et  MARGOT

         Alez à la Vierge Marie !                                                 Allez remercier la Vierge Marie !

.

                     Cy, s’en voise  LA  VIELLE,                                          Ici, que  LA  VIEILLE  s’en

                     en monstrant lez soullers et                                             aille en montrant au public

                     en disant :                                                                        les chaussures, et en disant :

         Or, dië Madame sez hinnes !                                          Que Madame récite donc ses hymnes !

         Comment que soit, j’ay sez botines.                                Quoi qu’il en soit, j’ai ses bottines.

         Voist nuz-piéz, s’el veult, par la rue !                              Qu’elle aille pieds nus par la rue, si elle veut.

2865  Et s’el a froit, sy esternue !                                              Et si elle a froid aux pieds, qu’elle éternue !

                     En souriant :                                                                    En souriant :

         Sa pucelle65 me sermonnoit.                                          Sa pucelle me serinait. Les souliers,

         Je lez prins : Diex lez me donnoit.                                  Je les ai pris : Dieu me les donnait.

         Ay-je bien fait ? Oïl, sans doubte !                                 Ai-je bien fait ? Oui, sans doute.

         …………………………… 66                                       …………………………..

.

3048  Sire, quant à parler apris,                                                Monseigneur, dès que j’appris à parler,

         À mentir, à jurer me pris,                                               Je me mis à mentir, à blasphémer,

3050  À jouer, chanter et dancier,                                             À jouer aux dés, à chanter et danser,

         À père et mère courouscier,                                            À courroucer mon père et ma mère,

         À embler noiz, poires et pommes,                                  À voler des noix, des poires et des pommes,

         À accoler ces jeunes hommes.                                        À enlacer les jeunes hommes.

         Tantost perdy mon pucellaige.                                        Je perdis bientôt mon pucelage.

3055  J’ay tout honny, et67 mariage.                                         J’ai tout déshonoré, même le mariage.

         Et puis ay-je esté maquerelle,                                         Et puis j’ai été maquerelle,

         Qui trop empire ma querelle.                                          Ce qui aggrave beaucoup mon cas.

         Je suy orguilleuse, envieuse,                                            J’ai commis les péchés d’orgueil, d’envie,

         Gloute, yreuse, avaricïeuse,                                             De gourmandise, de colère et d’avarice.

3060  Mesdisant et de maise affaire,                                         Je suis médisante et de mauvaise compagnie,

         Et paréceuse de bien faire,                                              Et paresseuse de bien faire,

         Janglerresse en oiant lez messes.                                     Et hypocrite en écoutant la messe.

         J’ay veuz enfrains, jeûnes, promesses,                             J’ai enfreint les vœux, les jeûnes, les promesses,

         Les commandemens de la Loy.                                       Et les commandements de la loi divine.

3065  Il n’a ne cuer ne sens sur moy                                          Il n’y a rien en toute ma personne

         Dont je n’ayë Dieu courouscié,                                       Dont je n’aie offensé Dieu,

         Et moy et mon proisme blécié.                                       Et blessé moi et mon prochain.

         Dire ne sauroië la disme                                                 Je ne saurais vous dire le dixième

         De mes péchiéz : c’est ung abisme !                               De mes péchés : c’est un gouffre !

*

1 Je donne les numéros des vers d’après l’édition de Gabriella PARUSSA : Les Mystères du manuscrit 1131 de la bibliothèque Sainte-Geneviève de Paris. Classiques Garnier, vol. II, 2023, pp. 1552-1810.   2 S’en ressente favorablement. L’humour guérissait déjà la constipation.   3 Confusion populaire entre saint Gris [surnom de saint François d’Assise, qui était vêtu de gris], et l’insignifiant saint Chrysogone.   4 Tu ne frapperais, au sens érotique. « Hurtebillier Hennon et Jennette. » Jehan Molinet.   5 Architriclin était le maître d’hôtel des noces de Cana. « Quant le vin fut failly,/ Aux nopces de Archédéclin,/ (Dieu) ne mua-il pas l’eau en vin ? » Sermon joyeux de bien boire.   6 La soupe est un morceau de pain qu’on trempe dans le vin. « Ilz sont plus ivres qu’une soupe. » Massons et charpentiers.   7 Nous dirions aujourd’hui : Je verrais voler des éléphants roses.   8 Sur cette interjection hautement scatologique, voir la note 24 du Savetier Audin.   9 Prononciation à la française du mot Sanctus. La suite parodie, d’une manière qu’on qualifierait aujourd’hui de sacrilège, Dominus Deus sabaoth.   10 « Les feuilles de tripe sont des feuilles de parchemin de mauvaise qualité obtenues de la peau du cochon. » Gabriella Parussa, p. 1761.   11 Ms : Et eurent  (Elles se mettent en oraison. Le v. 3110 dit : « Plorez, orez, jeûnez, veilliez. »)   12 Elles exhibent une corde en guise de ceinture, comme les Cordeliers. La haire est une chemise de crin que les pénitents les plus fanatiques portent à même la peau. On sent que l’auteur désapprouve ce masochisme ostentatoire.   13 Comporte, rassemble. Ce frontispice figure dans l’illustration ci-dessus, où le sous-titre est en rouge.   14 De brièveté. Tous les malades sont réunis dans un seul miracle.   15 Greffées.   16 Ms : mon piegne  (Tous les valets d’aveugles guident leur maître quand il va mendier.)   17 Littéralement : voulez-vous jouer à pile ou face ? En fait, le valet ironise sur la modicité des dons, qui ne laisse aucun choix. Sous ce vers, qui est au bas de la colonne, le ms. ajoute entre des plumes dessinées : degrace   18 Le chevêtre est la bride par laquelle on mène un cheval ou un âne. Par extension, c’est également la corde du pendu, et le gibier de potence qui la mérite : « Tu mens, chevestres ! » ATILF.   19 Froids-Vaux = froides vallées. Cette abbaye mythique désigne un taudis glacial peuplé de clochards. Voir la note 155 du Monde qu’on faict paistre.   20 La foire du Lendit se tenait du 11 au 24 juin près de Saint-Denis, où se déroule cette partie du Mystère. Notre manuscrit l’évoque dans le Geu saint Denis : « Fuions-nous-en (dyables l’emportent !)/ Tout droit à la foire au Lendit. »   21 Fermement. Les mendiants aveugles chantent dans les rues. La chanson qui suit rappelle les vers 127-130 de l’Aveugle et Saudret, une autre farce incluse dans un Mystère.   22 Forme picarde de saint Pierre, le premier pape. « Vous serez sainct Pere de Rome. » Le Chauldronnier.   23 Non plus. Niant est la forme normanno-picarde de néant. En Normandie, coute = coude.   24 Cf. les Botines Gaultier, vers 417 et 479. Dans notre manuscrit, l’aveugle de la Conversion saint Denis entend les mêmes excuses : « –Donnez-moy, pour Dieu, quelque chose !/ –Parlez bas, Madame repose./ –Au mains, me tendez vostre main !/ –Oïl, oïl, c’est à demain ! »   25 Jeu de mots sur « baiser ». Avec un calembour similaire, on dit que les femmes qui sortent rejoindre leur amant vont à Saint-Béset ; cf. Tout-ménage, vers 236. Soulignons que le scribe ne note pas les cédilles, et que l’acteur eût été parfaitement compris s’il avait prononcé « baise en con » et « culs en cons ».   26 Cuisançon = peine, tourment. Mais il y a ici un jeu de mots sur « cul ».   27 Un incompétent qui s’occupe d’une quantité d’affaires auxquelles il n’entend rien. Cf. le Temps-qui-court, vers 180.   28 Dans notre manuscrit, l’aveugle de la Conversion saint Denis fait le même constat : « Il est trop povres, qui ne voit. »   29 C’est une vraie médaille d’étain : un objet dépourvu de valeur.   30 En conformité avec la parabole de l’aveugle et du paralytique, beaucoup de valets farcesques qui guident un non-voyant sont eux-mêmes handicapés : « Faictes quelque bien au boiteux/ Qui bouger ne peult, pour [à cause de] la goucte. » (L’Aveugle et le Boiteux.) Voir aussi l’Aveugle et son Varlet tort, de François Briand.   31 Mauvaise. Même picardisme au v. 3060.   32 Pustules provoquées par un acarien. Les lentes sont des œufs de poux.   33 Il s’agit de la petite vérole, ou variole. La grande vérole, ou syphilis, n’apparaîtra qu’un siècle plus tard.   34 Mot inconnu. Peut-être faut-il lire « fienterole ».   35 Le ms., en dépit de son dernier éditeur, donne ce mot au masculin. « Ceste maladie est dicte vulgalment le jaunisse. » (ATILF.) Étique = amaigri par la maladie. « Oncques pauvre paralitique/ Ne fut tant que je suis éthique. » (Le Gouteux.) Cette accumulation de mots et de maux avait le même effet cocasse que la chanson d’Ouvrard : « J’ai la rate/ Qui s’dilate,/ J’ai le foie/ Qu’est pas droit,/ J’ai le ventre/ Qui se rentre,/ J’ai l’pylore/ Qui s’colore,/ J’ai l’gésier/ Anémié… »   36 Les médecins, qui font leur diagnostic en examinant les excréments des malades, sont des spécialistes de la « merde fine ». Au v. 2659, le personnage du Bossu dénonce leur cupidité : « J’ay despendu [dépensé] tout mon argent/ En merdesfines et en mires [médecins]./ Je croy qu’ou monde n’a gents pires :/ Soit tort, soit droit, hapent, ravissent…./ On ne puet mielx lez gens pillier. » Je rétablis la chuintante normanno-picarde de chiurgien, qui permet un autre calembour scatologique sur « chiure ».   37 Plus rien à mettre dans ma poêle. Idem au v. 2824.   38 Si m’aid Dieu : que Dieu m’assiste !   39 Les pauvres — et les zélatrices de sainte Geneviève — se contentent d’une corde en guise de ceinture. Les aveugles se cramponnaient à celle de leur valet : « Empongnez-moy par la saincture,/ Et nous yrons à l’avanture. » (L’Aveugle, son Varlet et une Tripière.) Voir aussi le vers 360 des Miraculés.   40 Elle l’a fait bâtir à l’Estrée, près de Saint-Denis et du Lendit.   41 Elle est pauvrement vêtue et ne porte pas de chaussures.   42 Jeu de mots irrévérencieux : la Vieille a sous les yeux sainte Céline, une adoratrice de sainte Geneviève. Mais sainte Géline est une poule, sanctifiée par un sermon joyeux, la Vie madame Guéline.   43 En picard, « je ne vé line » = je ne vois pas une ligne.   44 Ce verbe signifie : embrouiller un texte auquel on ne comprend rien ; cf. la Folie des Gorriers, vers 359. Il peut également signifier : salir ; cf. Mahuet, vers 194. D’une manière ou d’une autre, Geneviève fait partie des « brouilleurs de parchemins ».   45 Ms : a  (Qui sait où il faut mettre les mains pour amasser de l’argent.)   46 Ces 2 verbes synonymes vont souvent de pair : « Je ne suis fondu ne remis,/ Que ne le luy face à deux coups. » Frère Frappart.   47 Locution inconnue qu’on retrouve dans ce ms. : « S’il eussent que daire,/ Je leur feisse le bien-veignant. » (Geu saint Denis.) On peut la rapprocher de « n’avoir que raire » : n’avoir plus rien à tondre, à gratter. À la limite, ce pourrait être une contrepèterie argotique sur « n’avoir de caire » : ne pas avoir d’argent. Cf. le Mince de quaire.   48 Soûle. Nous dirions : J’étais pleine comme un boudin.   49 Le verbe cogner et le substantif coin, pris au sens érotique, vont générer 14 vers. Le personnage du Fiévreux s’était livré <vv. 2688-2712> à un jeu tout aussi virtuose sur le radical dur.   50 Les amants. « Il m’a très-bien cognée :/ Jamais je ne veis tel coigneux./ Mais moy qui suis obstinée,/ Pour un coup j’en rendis deux. » Gaultier-Garguille.   51 Ma vulve. « Qui luy frapperoit sus son coing/ D’ung gros ‟martel” pesant et lourt. » Jehan Molinet.   52 Ms : du  (Me graissaient la patte. « Les poins dorés d’argent. » Le Jeu du capifol.)  Dans ce vers, cogner = mettre de force : « Et que dans mon ventre je cogne/ Vin blanc muscat et vin vermeil. » Godefroy.   53 Par un pénis. « Son long coing tremblotant,/ Son coing rouge orangé. » Ronsard, la Bouquinade.   54 Ma vulve. La cognée [hache] possède un trou dans lequel on enfonce le manche. Comme le dit Priape, « coingnée sans manche/ Ne sert de rien ». Rabelais, Prologue du Quart Livre.   55 Dedans. Notre fatiste écrit au v. 1908 : « Ne hors, ne ens. »   56 Sainte Geneviève prie à genoux dans une chapelle ouverte. Elle a laissé ses chaussures à l’entrée, sous un banc où sont assises sa disciple, sainte Céline, et leur servante Margot.   57 À grands coups de hache, sans compter.   58 Cf. le Temps-qui-court, vers 75.   59 Un tel coup sur le groin. « Le villain grongne ?/ Bien luy donray d’une engrongne/ Sur les dentz ! » (Godefroy.) On pourrait lire engaigne : mauvais tour, fourberie. Auquel cas, ce mot rimerait avec « recaigne », à la manière normande.   60 À saint André, le saint patron de l’Écosse.   61 Je faudrai (futur picard de faillir) à poser une tente, un collet tendu. Cf. le Temps-qui-court, vers 114.   62 Ms : Cil  (Voir la prochaine didascalie.)   63 Mon intention. Devant ce mot, les Picards apocopent les pronoms mon et son : « Mais qui n’y met toute s’entente. » Les Femmes qui aprennent à parler latin.   64 Feignant d’avoir un malaise, elle s’assoit sur le banc, juste au-dessus des souliers de Geneviève, qui sont par terre.   65 Peut désigner Céline ou Margot : voir le v. 2516. Pour la Vieille, ce terme est injurieux.   66 Après moult péripéties édifiantes, la Vieille va se confesser à l’évêque de Paris, qui n’en perd pas la foi pour autant, ce qui prouve qu’il est lui-même confessé de frais.   67 Ms : en  (Et aussi.)

LA CHANSON DES DYABLES

Bibliothèque nationale de France

Bibliothèque nationale de France

.

*

LA  CHANSON

DES  DYABLES

*

.

Beaucoup de pièces médiévales font appel au code carnavalesque du mundus inversus, le monde renversé. Dans les innombrables « diableries » dont se délectent les Mystères (voir Cuisine infernale), l’enfer n’est pas autre chose qu’un paradis à l’envers. Quand l’âme d’un martyr monte au Ciel, le chant des anges qui l’accompagne est harmonieux et mélodieux ; quand l’âme d’un damné dégringole aux enfers, le chant des diables qui la poussent est beaucoup moins sirupeux. Voici quelques chansons « diaboliques ». Mais auparavant, une liste des diables que nous allons rencontrer :

CERBÉRUS est Cerbère, le chien à trois têtes qui garde la porte des enfers grecs ; comme beaucoup d’autres éléments païens, il fut récupéré par le christianisme. En effet, les diables inventés au Moyen Âge ne sont rien d’autre que les satyres de l’Antiquité. LUCIFER est le prince du royaume infernal, où Dieu l’enchaîna parce qu’il craignait sa concurrence. Voir la diablerie du Munyer, et la Ballade de Champ royal. BURGIBUS et LÉVIATAN sont deux démons. SATAN est le lieutenant de Lucifer ; c’est lui qui fait les frais de sa mauvaise humeur permanente. ASTAROTH est l’amant de Proserpine. BÉLIAL, que mes élèves ont baptisé l’extraterrestre (?), est le procureur et l’avocat de l’Enfer : voir le Procès de Bélial à l’encontre de Jhésus. BELZÉBUTH est toujours prêt à obéir aux ordres du chef, quand ces ordres consistent à cogner sur ses collègues. Mais il n’a pas que de mauvais côtés ; c’est « Belzébut, vestu en belle putain », qui use (vainement) de ses charmes rugueux pour séduire saint Martin : « J’abandonne/ Mon beau corps et gente personne/ Pour en faire à ton bon désir/ Et prendre avec moy le plaisir/ Du plaisant déduict d’amourettes. » Histoyre de la vie du glorieulx sainct Martin.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

.

*

La   chanson   des     dyables

eulx resjouyssans en Enfer

pour la mort soubdaine

de Ananyas et Saphire

.

Cette chanson et la suivante se trouvent dans le Premier volume du Triumphant Mystère des Actes des Apostres, de Simon Gréban (~1470), imprimé à Paris par Arnoul et Charles Les Angeliers en 1540. Je corrige tacitement sur le ms. fr. 1528 de la Bibliothèque nationale de France, qui est en général moins bon, sans doute victime des facéties d’un autre démon, Titivillus…

*

                        CERBÉRUS

        Maistre, tournez vostre museau

        Plus ardant que feu de fournaise,

        Et regardez – mais qu’il vous plaise –

        Voz enfans et voz jouvenceaulx.

                        LUCIFER

5      Qui sont-ilz ?

                        BURGIBUS

                                Ce sont voz corbeaulx1,

        Qu’à vous2 se viennent présenter.

        Si vous voulez ouÿr chanter,

        Vous orrez tantost de quibus 3.

                        LUCIFER

        Qui est-ce là ?

                        BURGIBUS

                                  C’est Burgibus,

10    Maistre ; je ne chante pas mal.

        …………………………….

.

                        LUCIFER

        Et pour moy mieulx entretenir

        En ma lyesse forcenée,

        Je vueil que la tourbe dampnée

        Icy devant mon tribunal

15    Me dye ung motet4 infernal

        En chanterie dyabolicque.

                        CERBÉRUS

        Vous verrez tantost la musicque

        Dessirer5, je le vous promet.

        Car Lévïathan, quant s’i mect,

20    Chante plus gros que deux thoreaulx.

                        LUCIFER

        Sus, sus ! Au lutrin6, mes corbeaulx,

        Mes crapaudeaulx, mes dorelotz7,

        Mes petis corbins, mes dyablotz !

        Que je vous oye gringoter8 !

25    Sus, Sathan !

                        SATHAN

                               Je ne puis chanter,

        Magister 9, ou je soys pendu !

        Car je suis si très morfondu10,

        Tant malade et deffiguré11,

        Qu’en chemin feusse demeuré,

30    Si ce n’eust esté Astaroth.

                        ASTAROTH

        Magister, il n’en ment de mot12 :

        Il se deult13 plus que ne pensez.

                        LUCIFER

        Ha ! ne vous chaille : ilz sont assez

        Pour bruyre et faire grosse noyse14.

35    Or sus, que chascun se desgoyse15 !

        Bélïal avec Burgibus

        Seront pour dire le dessus16,

        Car ilz ont bien doulcette voix.

        Et Bérith, avec deux ou trois,

40    Seront pour faire une rencontre17.

        Et Cerbérus dira la contre18,

        Car il en sçait bien la fasson19.

        Puis Astaroth, mon gros garson,

        Avec deux dyables bien tonnans,

45    Me feront ung baritonnans20

        Dessus la voix Lévïathan,

        Qui21 tiendra, en lieu de Sathan,

        Ung ton gros comme une bombarde22.

        Chantez ! Que le feu d’Enfer arde23

50    Qui n’en fera bien son debvoir !

                        Ilz chantent tous ensemble :

        Plus a, et plus veult avoir 24

        Lucifer, nostre grant dyable.

        S’il [voit les]25 âmes plouvoir,

        Plus a, et plus veult avoir.

55    Et tousjours veult recepvoir,

        Car il est insatïable.

        Plus a, et plus veult avoir

        Lucifer, nostre grant dyable.

                        LUCIFER

        Orde26 cohorte misérable !

60    Ne chantez plus, vous m’estonnez27 !

        Car tant terriblement tonnez

        Qu’on oyt l’impétuosité

        Jusques à la concavité

        Du cercle où réside la lune28.

65    Nulle terreur plus importune

        L’on ne me sçauroit incomber29,

        Car vous avez faict tituber

        Et trembler tous les élémens30.

        Que de passions31 et tourmens

70    Puissez-vous estre corrompus !

                        BÉLIAL

        Sus, chantons !

                        LUCIFER

                                   Ha ! ne chante plus,

        Faulx traistre mastin32, Bélïal !

        Car vrayment, tu chantes tant mal

        Que tu ne sçays accorder notte.

.

*

Chanson   à   la   louenge

de   Agrippe

.

Dans le 4ème Livre du même Mystère, les diables conduisent en enfer l’âme d’Hérode Agrippa ; son premier supplice infernal va être une chanson.

*

                        LÉVIATHAN

75 33 Pour donner plaisance et esbat

        À Hérodes, qu’on tourne et vire,

        D’une chanson du Vau-de-Vire34

        Le fault servir, à ce matin.

                        Ilz chantent tous ensemble ce qui s’ensuyt :

        Hérode Agrippe, chien mastin,

80    Tu viens en l’abysme mortelle

        Où tu auras maint dur tatin 35.

        Tu souloyes gens détirer 36

        Et faire exiller par envie,

        Destruire, batre et martyrer,

85    Dont plusieurs ont perdu la vie.

        Mais tu t’en viens le hault chemin 37

        En peine et en douleur cruelle

        Où tu seras dampné sans fin,

        Hérode Agrippe, chien mastin !

                        LUCIFER

90    Or paix ! Que de mauvais venin

        Puissez-vous estre empoisonnéz !

        Ha ! faulx trahystres, vous m’estonnez38,

        Tant sont voz chantz durs à ouÿr.

                        BÉLIAL

        Lucifer, il fault resjouyr

95    Hérodes, le tyrant pervers.

.

*

Chançon   ensemble

.

Arnoul Gréban collabora sans doute aux Actes des Apostres de son frère Simon. Mais il est surtout l’auteur d’un Mystère de la Passion (~1450) qui fut beaucoup plagié. Notons qu’il était chef de chœur. J’utilise le ms. fr. 815, que je corrige notamment sur le ms. NAF 18637.

*

                        LUCIFER

        Deables, arrengez-vous trèstous

        En tourbe39 à grosse quantité,

        Et me chantez ung scilété 40

        En vostre horrible deablerie41.

                        ASTAROTH

100  Vous orrez belle chanterie

        Tantost, et ung motet d’onneur42.

        Sathan, tu feras la teneur43,

        Et j’asserray la contre sus44.

        Belzébuth dira le dessus,

105  Avec Bérith à haulte double45.

        Et Cerbérus fera ung trouble46

        Continué, Dieu scet comment !

                        LUCIFER

        Frappez dedens légièrement47 !

        Fault-il faire tant d’agïos48 ?

110  Commencez, mes petiz deabloz !

        Gringotez49 et croquez voz notes.

        Et barbetez comme marmotes50

        Ou vieulz corbeaulx tous affaméz.

                        BÉRITH

        Vous orrez dictiéz51 bien riméz,

115  Et chant couché52 à l’avenant.

        Sus, Belzébuth !

                        BELZÉBUTH

                                 Avant !

                        CERBÉRUS

                                              Avant !

        Je pense que vous l’orrez belle53.

                        Tous les deables chantent en hurlant ens[emble] :

        La dure mort éternelle 54,

        C’est la chançon des dampnéz.

120  Bien nous tient à sa cordelle 55

        La dure mort éternelle.

        Nous l’avons desservie 56 telle,

        Et à ly 57 sommes donnéz.

        La dure mort éternelle,

125  C’est la chançon des dampnéz.

                        LUCIFER

        Harau, ribaulx ! Vous m’estonnez,

        Tant menez cry espoventable.

        Cessez, cessez, de par le Deable !

        Vostre chant s’accorde trop mal.

                        SATHAN

130  C’est le scilété férïal58 :

        Tous les jours est dit à l’ostel59.

        Si vous voulez le solempnel,

        Vous l’aurez, qui est bien doulcet.

                        LUCIFER

        Nennil, non ! Je sçay bien que c’est :

135  C’est assez pour fendre cervelles60.

.

*

Chanson   en   divers   son

.

Dans le Mystère de sainte Barbe <version en 5 journées du ms. fr. 976>, les diables se réjouissent d’avoir capturé l’âme du païen Dioscore, qui vient de mourir après avoir décapité sa fille, Barbe, convertie au christianisme. Lucifer montre lui-même le mauvais exemple : il beugle une parodie des Vigiles des morts61, et sa troupe braille les répons. L’irrévérence est encore plus crue dans le Mystère des Trois Doms, où Lucifer et sa clique entonnent une parodie du Libera me : « Chantez pour luy Libera me, / Criant : ‟Lucifer, audi me !” »

*

                        LUCIFER

        Mais je vueil tout premièrement

        Que nous tous, d’un assentement62,

        Disons présent une chançzon,

        Non pas en mélodieux ton,

140  Ne en esjouyssant liesse63,

        Mais en tout deul64 et en tristesse.

        Or escoutez sans plus tensez.

                        Lucifer incipit cantilenam cantando.65

        Dyoscorus, tu fuz roy couronné,

        Mais tu es cheut 66 en grant ravallement.

                        DEMONES  respondeant : 67

145  Dyoscorus, tu fuz roy couronné,

        Mais tu es cheut en grant ravallement.

                        LUCIFER

        Tu es, présent, o 68 les deables dampné.

                        DEMONES

        Dyoscorus, tu fuz roy couronné.

                        LUCIFER

        Tu es, présent, o les deables dampné,

150  Dont [tu] n’auras jamais relièvement.

                        DEMONES

        Dyoscorus, tu fuz roy couronné,

        Mais tu es cheut en grant ravallement.

                        LUCIFER

        Tu mauldiras le jour que tu fuz né.

                        DEMONES

        Dyoscorus, tu fuz roy couronné.

                        LUCIFER

155  Tu mauldiras le jour que tu fuz né,

        Car tu seras pugny cruellement.

                        DEMONES

        Dyoscorus, tu fuz roy couronné,

        Mais tu es cheut en grant ravallement.

                        LUCIFER

        À tous vices tu [t’]es habandonné.

                        DEMONES

160  Dyoscorus, tu fuz roy couronné.

                        LUCIFER

        À tous vices tu [t’]es habandonné.

        Puis as occis ta fille laidement.

                        DEMONES

        Dyoscorus, tu fuz roy couronné,

        Mais tu es cheut en grant ravallement.

                        LUCIFER

165  Ainsi sera tout pécheur guerdonné 69.

                        DEMONES

        Dyoscorus, tu fuz roy couronné.

                        LUCIFER

        Ainsi sera tout pécheur guerdonné,

        S’i décède sans vray repentement.

                        DEMONES

        Dyoscorus, tu fuz roy couronné,

170  Mais tu es cheut en grant ravallement.

                        LÉVIATHAN

        Vous qui ouez ceste chançzon

        Présentement en divers son70,

        Entendez bien : car el(le) commence

        En haulte voyx, puis fait descence71

175  En bas. El(le) commence en liesse,

        Et puis se descend en tristesse.

.

*

Chanson

.

Le Mystère de saint Quentin (~1482), qu’on attribue à Jehan Molinet, fait lui aussi chanter les diables et les fait même danser. Le manuscrit de la bibliothèque de Saint-Quentin n’existe plus, mais Henri Chatelain l’avait publié en 1909.

*

                        LUCIFER

        Respondez-leur ung silété

        Tant doulz et tant bien gringoté

        Qu’il puist trespercier les oreilles

180  Des escoutans.

                        SATHAN

                                   Joyes pareilles

        N’oÿstes passé a cent ans72.

        Nous serons tant bien deschantans73

        Que nous y acquer[r]ons honneur.

                        ASTAROTH

        Çà, çà, qui tenra la teneur74 ?

185  Je chanteray comme une pie

        De ma voix qui a la pépie75 ;

        Et si, feray une triplace76

        Tant doulce – mais que j’aye place –

        Que les enffans qui sont mors-néz

190  En seront de deul atournés77.

        Belzébus, tu as la voix doulce

        Comme ung asne qui se regrouce78 :

        Fay-nous tost ung baritonant79.

                        BELZÉBUS

        Oncques tonoire80, en bas tonant

195  De son crueulx ton81, ne tonna

        Tel ton que monton82 entonna.

                        LÉVIATHAN

        Tonnons, tonnons, qu’on s’en délivre !

                        CERBÉRUS

        Avant, diables ! Je tiens le livre83 :

        Chantez trèstous à longue alaine84.

                        TOUS  LES  DIABLES  ensamble.

                            Chanson

200  Quant la chaudière 85 sera plaine

        D’âmes et d’esperis dampnés,

        Trèstous les diables deschaînés

        Iront dansant enmy 86 la plaine.

                        LUCIFER

        Sathan, que tu as voix vilaine !

205  Tousse ung peu, et87 mouche ton nés.

                        SATHAN

        Maistre, nous sommes estonnés.

        Laissons [là] ce motet de Beausse88,

        Et allons brasser quelque sausse89

        Au monde, qu’il soit assailly !

.

*

Carolle

.

Toujours dans le Mystère de saint Quentin, les diables exécutent une danse macabre pour fêter dignement l’arrivée de l’âme du gouverneur antichrétien Rictiovaire (Rictius Varus).

*

                        LUCIFER

210  Puisque le c[u]er tant joyeulx ay,

        Je descenderay90 pour chanter.

        Long tamps a91 que je ne danssay.

       …………………………….

        Deables plus velus que singos92,

        Appointiez pippes et flagos93

215  Pour faire une note cornue94 :

        Nous dansserons à la venue

        Du pieur95 de ce bas empire,

        Et de qui toute bouche empire

        Qui de luy sermonne et parolle96.

                        CERBÉRUS

220  Danssez une ronde carolle97

        Sans avoir pipe ne musette :

        Je feray une chansonnette

        Au son du bachinet98 clicquant.

                        Icy danssent les deables, et Cerbérus

                        fiert 99 sus ung bassin.

.

*

Chansson   pour

resjouyr   Sathan

.

Nicolas Loupvent fait œuvre utile : son Jeu et Mistère sainct Estiene (1548), toujours inédit, comporte la partition que chantent les diables. BnF, ms. Rothschild 1077.

*

                        LUCIFER 100

        … Et me chantez icy une chansson

225  Pour resjouyr Sathan, ce faux101 garsson

        Auquel avez tant donné de travelle102.

                        BÉLYAL

        Hée ! Lucifer, voycy belle séquelle103 :

        Prest [d’]acomplir vostre commandement,

        De bien chanter mélodieusement

230  Sont désirantz, soubz le vostre vouloir.

                        LUCIFER

        Et ! chantez donc, faictes vostre debvoir

        Comme joyeux et sçavans musiciens.

        [Par le Dyable ! je vous feray des biens.]104

                        Tous les dyables commanceront ensemble une

                        chansson petite en la mode que s’ensuyt : 105

        Tant  plus a et plus veult avoir

235  Lucifer, nostre grant dyable.

        S’il veoyt les âmes pleuvoir,

        Il est tousjour[s] insatiable.

                        LUCIFER

        Holà, [ho] ! De par le grant Dyable,

        C’est trop chanté ! Vous me troublez,

240  Orde caterve106 misérable ;

        Le trou du cul vous m’afolez.

        Vous n’avez107 pas entremellés

        De bons acordz selon musicque.

        Que de souffre soyez brûlés

245  Dedans le puis infernalicque108 !

*

1 Ces oiseaux noirs qui dévoraient les yeux des pendus étaient de mauvais augure. Idem vers 21, 23 et 113.   2 Qui devant vous.   3 Vous entendrez chanter par eux. Les amateurs d’argot devaient comprendre : Vous aurez des ronds. « S’ilz ne vous baillent des quibus. » Sermon pour une nopce.   4 Me chante un motet. Ce terme a ici une connotation religieuse parodique, comme aux vers 101 et 207.   5 Vous nous verrez bientôt déchirer la musique, la saccager.   6 Allez devant le lutrin où vos partitions sont ouvertes.   7 Mes mignons. Cf. le Dorellot aux femmes.   8 Que je vous entende chevroter. Idem vers 111 et 178. « Mon maistre tremble dent à dent,/ Et si, s’est espris à chanter./ Au fort, c’est pour mieulx gringoter/ Son chant, à la mode nouvelle. » Le Cousturier et Ésopet.   9 Maître. Équivoque voulue avec « Majesté », dont la prononciation était presque identique. Idem vers 31.   10 Enrhumé. Cf. les Maraux enchesnéz, vers 3.   11 Moins laid que d’habitude.   12 Maître, il ne dit pas un seul mot mensonger.   13 Il souffre (verbe se douloir). Satan fait croire à Lucifer qu’il est malade pour ne pas être expédié en mission sur terre. Satan échoue presque toujours dans ces missions qui consistent à faire succomber un saint à la tentation, ou à soustraire aux anges l’âme d’un martyr ; et Lucifer ordonne alors aux autres diables de le battre, une tâche dont ces faux jetons s’acquittent avec plaisir.   14 Beaucoup de bruit.   15 Chante comme un oiseau. « Le rossignol qui se desgoise. » Godefroy.   16 La partie de soprano. Le terrible Lucifer entame donc une carrière de chef de chœur. Plus loin, nous l’admirerons comme professeur de chant et comme critique musical.   17 L’harmonie créée par la voix intermédiaire de ténor. Mais une rencontre est aussi une bataille, ce qui convient mieux au caractère des uns et des autres.   18 Le contre-chant, la partie d’alto. Idem vers 103. « Chantons, et je feray le contre. » Maistre Mymin qui va à la guerre.   19 La façon : il est toujours contre ce que je dis.   20 Une partie de baryton. Idem vers 193. Connaissant les goûts scatologiques des diables, on songe tout de suite au jeune Gargantua « barytonant du cul » <chap. 7>.   21 Orig. : Et  (Léviatan tiendra la partie de basse profonde.)   22 C’est un instrument à vent, mais c’est surtout un ancêtre du canon, bruyant et peu précis.   23 Brûle celui.   24 Plus Lucifer a de « clients », et plus il veut en avoir. Ce triolet d’heptasyllabes, avec son rythme claudicant et ses refrains en forme de ronde, n’est pas autre chose qu’une danse macabre. Il développe un proverbe : « Et plus a le diable, & plus veut avoir. » (Cotgrave.) Nous réentendrons cette chanson aux vers 234-7.   25 Éd : voyoit  —  Ms : veoit  (Je corrige d’après le vers 236.)   26 Sale. Le vers 240 est à peu près identique à celui-ci : « Orde caterve misérable ! »   27 Vous m’assommez comme un coup de tonnerre. Idem vers 92, 126 et 206. Dans la Vie de sainct Didier, Lucifer exhorte sa chorale : « Vous, dyables qui chantez si mal/ Et de si terrible façon,/ Fest[o]iez ung peu ce vassal/ En cryant ung horrible son !/ Lors cryent tous ensemble moult horriblement, puis dit Lucifer : “Holà ! holà ! Vous m’estonnez !/ Laissez-moy ce cry non-pareil !” »   28 Qu’on vous entend jusque sur la lune.   29 Infliger.   30 Les quatre éléments.   31 Que par des tortures.   32 Un mâtin est un gros chien. Idem vers 79.   33 Pour faciliter l’usage des notes, je continue le numérotage des vers sans reprendre à zéro.   34 Du Val-de-Vire. Cette vallée normande sera le foyer des vaudevires, chansons à boire qui aboutiront aux rondes de table nommées vaudevilles. Les auteurs de Mystères ne reculent jamais devant un anachronisme.   35 Coup de poing. Cf. le Prince et les deux Sotz, vers 166.   36 Tu avais coutume d’ôter les gens de leur fonction.   37 En droite ligne. Ironique : le haut chemin mène au paradis. « Prenons du Ciel le hault chemin. » Eustache Deschamps.   38 Traîtres félons, vous m’assommez. On scande « traï-tres » en 2 syllabes : cf. le Nouveau marié, vers 199.   39 En foule. Idem vers 13. Mais la tourbe est aussi la pourriture qu’on récolte dans les marais.   40 En latin, silete = faites silence. Idem vers 130 et 177. Paradoxalement, les Mystères emploient ce mot pour indiquer un intermède musical : « Nous chanterons ung silété. » Miracle de saint Nicolas.   41 Langage de diables.   42 D’honneur. Au vers 183, les diables revendiquent à nouveau cette vertu qui leur est étrangère ; ils ne connaissent que ce qu’on appelle aujourd’hui le doigt d’honneur.   43 Le ténor. Idem vers 184.   44 Je poserai la partie d’alto dessus. Dans la Vie de sainct Christofle, Proserpine répond aux hurlements de Lucifer : « Que diable as-tu à hurler ?/ Est-ce la teneur ou le contre/ Que tu chante ? »   45 Qui le doublera à l’octave supérieure.   46 Un trèble, une triple voix : il doublera à l’octave inférieure, en continuo. « En trèble chantent le Sanctus. » Godefroy.   47 Foncez rapidement. C’est encore un terme militaire.   48 D’embarras. « De faire ainsi tant d’agïos. » Le Cuvier.   49 Chevrotez (note 8).   50 Marmottez comme des guenons. « Singes et marmotes. » Godefroy.   51 Vous entendrez des poèmes. « En chantant chansons et dictés mélodieus. » ATILF.   52 Étendu par-dessus.   53 Que vous en entendrez de belles.   54 Encore une danse macabre incluse dans un triolet d’heptasyllabes, comme aux vers 51-58. Le compositeur Frank Martin l’a mise en musique en 1959 dans un oratorio, le Mystère de la Nativité, avec toutes les dissonances qui conviennent.   55 Par son lacet : dans ses filets.   56 Méritée. Cf. l’Aveugle et Saudret, vers 908.   57 Mss. : luy  (Forme archaïque de elle. « Quand aucunes personnes venoient à ly demander l’aumosne ou pour aucunes besognes, elle envoyoit à eux avant qu’ils vinssent devant ly. » Agnès d’Harcourt, parlant de la sœur de Saint Louis.)   58 L’intermède musical que nous chantons quotidiennement aux offices ordinaires.   59 Dans notre demeure infernale. Jeu de mots sur « l’autel ».   60 Pour nous casser la tête.   61 Les Vigilles Triboullet reposent sur une parodie semblable.   62 D’un même assentiment : en parfaite harmonie.   63 Avec une joie réjouissante.   64 Deuil. Idem vers 190.   65 Il commence en chantant une cantilène.   66 Chu, tombé.   67 Que les démons chantent les répons !   68 Avec. (Cf. l’Aveugle et Saudret, vers 344.) Tu es, maintenant, damné avec les diables.   69 Récompensé. Cf. le Clerc qui fut refusé, vers 15.   70 À plusieurs voix. Ou plutôt, avec des voix divergentes.   71 Elle descend. Les diables ont commencé dans l’aigu, puis la ligne mélodique est devenue de plus en plus sombre et caverneuse, comme il sied aux habitants de l’enfer. Il faut avoir beaucoup de talent pour faire exprès de chanter ainsi.   72 Depuis plus de 100 ans.   73 Nous improviserons si bien sur le déchant. Mais pris au pied de la lettre, « dé-chantant » pourrait être synonyme de « mal chantant » : cf. le Cousturier et Ésopet, vers 104.   74 Qui tiendra la partie de ténor (note 43). Le copiste picard adopte le picardisme « le teneur », et « le pépie » deux vers plus bas.   75 Qui est asséchée par la soif. Cf. le Roy des Sotz, vers 223.   76 Une 3ème voix. Synonyme de trèble (note 46).   77 Accablés de deuil, de tristesse. Les enfants morts sans avoir été baptisés n’ont pas droit au paradis : Dieu, dans sa grande bonté, les expédie aux limbes, qui dépendent de l’enfer.   78 Qui grogne.   79 Une partie de baryton (note 20). D’un Mystère à l’autre, les diables n’ont plus la même tessiture.   80 Jamais le tonnerre.   81 De sa cruelle voix.   82 Qu’un mouton, dans l’aire normanno-picarde. « Montons & aigniaux…./ Bœuf ny monton. » (La Muse normande, III, 165.) Voir le Dictionnaire picard, de Daire, p. 127.   83 La partition.   84 Avec du souffle.   85 Le chaudron dans lequel on fait bouillir les âmes des pécheurs. Cf. Troys Galans et un Badin, vers 191.   86 Parmi.   87 Ms. : se   88 Une prière qu’on chante trop fort, comme les fidèles dans les églises de la Beauce. « (Ils) faisoient leurs matines des vespres jusques au matin, et crioient tellement qu’il sembloit que ce fust un motet de Beausse. » Archives nationales, 1401.   89 Préparer un mauvais tour.   90 Lucifer trône en hauteur, pour être mieux vu par le public.   91 Il y a longtemps.   92 Singeots [singes] contient ici un « g » dur picard, de même que flageots [flageolets] à la rime.   93 Préparez les pipeaux et les flageolets. Ces flûtes champêtres accompagnent les danses de bergers, avec la musette [la cornemuse] du vers 221. Les diables n’ont pas un goût très raffiné.   94 Des notes biscornues. « Vous souliez venir à la charrue/ Aporter (à) moy la grant note cornue. » Gaydon.   95 Du pire individu : de Rictiovaire.   96 Toute bouche qui parle de lui sent mauvais.   97 Une carole est une ronde que dansent des jeunes filles qui se tiennent par la main. « Lesquelles, ayans agrandy la ronde carolle, commencèrent à dire [chanter] force bransles. » Jacques Yver.   98 Du bassinet : la chuintante « ch » est picarde. En frappant sur le chaudron où bouillent les âmes des pécheurs (note 85).   99 Frappe, verbe férir.   100 Sa première intervention était illustrée par une lettrine « D » représentant un bouffon.   101 Félon. Idem vers 72 et 92.   102 De travail, de mal. Sur ordre de Lucifer, Satan vient d’être battu par ses coreligionnaires.   103 Un beau cortège de diables.   104 Vers manquant. « Par Dieu ! je vous feray des biens. » (Le Capitaine Mal-en-point.) Lucifer jure par le diable aux vers 128 et 238.   105 Nous avons entendu cette chanson heptasyllabique aux vers 51-58.   106 Sale troupe. « La caterve/ Des deables. » ATILF.   107 Ms : nestes   108 Dans le puits infernal, le gouffre d’Enfer.

.

.

.

L’AVEUGLE ET LE BOITEUX

Bibliothèque nationale de France

Bibliothèque nationale de France

.

*

L’AVEUGLE  ET

LE  BOITEUX

*

.

Cette farce d’André (ou Andrieu) de La Vigne conclut son Mystère de saint Martin, dont fait aussi partie la farce du Munyer, à laquelle je renvoie pour de plus amples détails.

L’Aveugle et le Boiteux est en deux parties. La première est annoncée au folio 220 vº du Mystère, quand saint Martin, mourant, donne ses ultimes consignes. La marge porte : « Nota qu’en ce passage conviendra jouer la farce1. » La seconde partie se joue à la fin du Mystère, quand le corps du saint a été sorti de l’église : « Icy se mectent en ordre de procession lesdits moynes et tous les joueurs les [ungs] après les aultres, et s’en vont en chantant. »

Le thème de cette farce (comment échapper à un miracle pour ne pas avoir à travailler) sera repris et amplifié en 1565 dans un Mystère anonyme, l’Hystoire de la vie du glorieulx sainct Martin :

      L’AVEUGLE          Compagnon, je te veux compter :

                                       Tout à cest heure, on doibt porter

                                       Le corps de sainct Martin en terre.

                                       Aller nous y fault à grand erre

                                       Pour nous asseoir devant l’esglise ;

                                       Là, mendiant à nostre guise,

                                       Nous aurons (si on nous veult croire)

                                       De l’argent pour largement boire.

 LE  CONTREFAIT    Emporte-moy, par sainct Guérin,

                                       Pour ne rancontrer en chemin

                                       Son corps, lequel nous guériroit,

                                       Ce que mal à point nous seroit.

                                       De guérir je n’ay nul soucy !

        L’AVEUGLE        Par la chair bieu, ny moy aussi !

                                       Au monde, n’a plus belle vie

                                       Que le train de Bélîtrerie* :                              * Mendicité.

                                       Car sans endurer nulz travaux*,                        * Nulle peine.

                                       On y a de friandz morceaux

                                       Et d’argent grande quantité.

LE   CONTREFAICT  J’ay prouffité, pour un esté,

                                       Pour demander piteusement

                                       Cent florins, que gorgiasement

                                       J’ay mangés avec les filliettes.

      L’AVEUGLE          J’ay prouffité de presque aultant

                                       En moins de cinq ou de six festes,

                                       Que j’ay despendu quand et quand*,                  * Dépensé en même temps.

                                       Et n’ay pas ung denier de restes.

                       Ilz rencontreront le corps de St Martin et seront guéris.

        L’AVEUGLE        Maudit soyt Dieu ! je voy tout clèr.

                                       Le diable puisse l’emporter !

                                       De Dieu à jamais soit maudit

                                       Celluy qui par cy a conduict

                                       Le corps du sainct homme Martin !

                                       Maudit soit-il soir et matin !

                                       À mes yeux a baillié clarté

                                       Contre ma propre voulonté.

LE  CONTREFAICT   J’estois bossu, tortu, vousté ;

                                       Et ores — dont je suys marry —

                                       Maulgré mes dens*, je suys guéry.                    * Malgré moi.

                                       Las ! je vivois sans travailler

                                       De ce qu’on me venoit baillier ;

                                       Je triomphois et faisois rage.

                                       Ores, à sueur de visage,

                                       En regret et mélancolie,

                                       Il me fauldra gagner ma vie.

                                       Car se veux aller demandant,

                                       On me dira : « Allez, truand !

                                       Travailliez pour havoir à vivre ! »

       L’AVEUGLE         Jamais je ne seray délivre

                                       D’ennuy, car je n’ay pas courage

                                       De m’adonner au labourage.

                                       Car jusques icy, j’ay esté

                                       Nourry en toute oisiveté.

LE  CONTREFAICT   Chantons doncques d’ung mesme accord

                                       Nostre mal et griefz desconfort

                                       Pour y donner quelque allégeance.

       L’AVEUGLE         Je veux bien, compagnon. Commence !

   LE  CONTREFAICT  chante la chanson :

                                      Ores, il fault qu’allie chantant :

                                      « Adieu, adieu, Bellîtrerie,

                                      Et à celle plaisante vie

                                      Que nous avions en te suyvant !

                                      Hélas ! avecques toy vivant,

                                      Au cueur n’avions mélancolie.

                                      Et bien peu rarement s’ennuye

                                      Qui selon tes loix va vivant.

                                      Bellistre n’a aulcunement

                                      Ny son cueur, ny sa fantaisie

                                      De regret et soulcy saisye

                                      Si le bléd est gasté du vent.

                                      Le bellistre se rassasie

                                      Du bien d’aultruy joyeulsement.

                                      Hélas, hélas, Bellîtrerie,

                                      Doulce dame : à Dieu te commant* ! »               * Je te recommande.

                                      Il nous fauldra doresnavant

                                      Travaillier comme des juïfz,

                                      Et nous vivions auparavant

                                      Gays et fallotz par tous les huys.

        LE  FOL              Mes compagnons, il vous fault fère

                                      — Pour parvenir à quelque honneur —

                                      Ung chescung de vous secrétayre

                                      Des gallères de Monseignieur :

                                      Chescung de vous aura la plume*                     * Une rame.

                                      De quinze piedz ou environ,

                                      Pour escrire ainsi, de coustume,

                                      De beaux cadeaux ou aviron.

                                      Vous ne boirez que de vin blanc*                     * De l’eau.

                                      Qui vous rendra le cueur très aise,

                                      Et serez assis sur ung banc.

                                      Vouldriez-vous mieux estre à vostre aise ?

                                      Et lhorsque serez desgoustés

                                      Fère le debvoir à la rame,

                                      Vos espaules seront frottés

                                      D’ung bon fouet à la bonne game.

Source : Ms. fr. 24332 de la Bibliothèque nationale de France, folios 234 rº à 240 vº. Cette pièce, copiée d’après le manuscrit original, est bourrée de fautes, contrairement au reste. Certains pensent qu’elle fut écrite pendant la représentation, pour conclure le spectacle à la place du Munyer, qu’on avait dû jouer au début à cause du mauvais temps. « Cette précipitation expliquerait que la copie de cette nouvelle farce ait été, elle aussi, faite hâtivement et que sa transcription soit çà et là hésitante. » (André Tissier, Recueil de farces, t. XI, Droz, 1997, p. 306.)

Structure : Rimes abab/bcbc, rimes plates, rimes fratrisées (vers 223-230).

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

.

*

                        L’AVEUGLE 2                                       SCÈNE  I

        L’aumosne au povre diséteux3

        Qui jamais, nul jour, ne vit goucte !

                        LE  BOITEUX

        Faictes quelque bien au boiteux

        Qui bouger ne peult, pour la goucte4 !

                        L’AVEUGLE

5      Hellas ! je mourray cy, sans doubte,

        Pour la faulte d’un serviteur5.

                        LE  BOITEUX

        Cheminer ne puis, somme toute.

        Mon Dieu, soyez-moy protecteur !

                        L’AVEUGLE

        Hellas ! le mauvaix détracteur6

10    Qu’en ce lieu m’a laissé ainsi !

        En luy n’avoye bon conducteur :

        Robé m’a7, puis m’a planté cy.

                        LE  BOITEUX

        Hellas ! je suis en grant soucy,

        Mèshouan8, de gaigner ma vie.

15    Partir je ne pourroye d’icy,

        En eussé-je9 bien grant envie.

                        L’AVEUGLE

        Ma povreté est assouvie10,

        S’en brief temps ne treuve ung servant.

                        LE  BOITEUX

        Maleurté11 m’a si fort suyvye

20    Qu’à elle je suis asservant12.

                        L’AVEUGLE

        Pour bon service desservant13,

        Trouverai-ge poinct ung valet ?

        Ung bon en eus en mon vivant14,

        Qui jadis s’appelloit Gillet ;

25    Seur estoit15, combien qu’il fust let.

        J’ay beaucoup perdu en sa mort.

        Plaisant estoit et nouvellet16.

        Mauldit[e] celle qui l’a mort17 !

                        LE  BOITEUX

        N’aurai-ge de nully confort18 ?

30    Ayez pitié de moy, pour Dieu !

                        L’AVEUGLE

        Qui es-tu, qui te plains si fort ?

        Mon amy, tire-t’en ce lieu19.

                        LE  BOITEUX

        Hellas ! je suis cy au millieu

        Du chemin, où je n’ay puissance

35    D’aller avant. A ! sainct Mathieu,

        Que j’ay de mal !

                        L’AVEUGLE

                                     Viens, et t’avence

        Par-devers moy : pour ta plaisance,

        Ung petit nous esjoÿrons20.

                        LE  BOITEUX

        De parler tu as bien l’aisance21 !

40    Jamais de bien ne joÿrons.

                        L’AVEUGLE

        Viens à moy ! Grant chière ferons,

        S’il plaist à Dieu de Paradis.

        À nully nous ne mesferons22,

        Combien que soyons estourdis23.

                        LE  BOITEUX

45    Mon amy, tu pers bien tes ditz24 :

        D’icy bouger je ne sçauroye.

        Que de Dieu soyent ceulx maulditz

        Par qui je suis en telle voye25 !

                        L’AVEUGLE

        S’à toy aller droit je povoye,

50    Contant seroye de te porter

        – Au moins se la puissance avoye –

        Pour ung peu ton mal supporter26.

        Et toy, pour me réconforter,

        Me conduyroye27 de lieux en lieux.

                        LE  BOITEUX

55    De ce, ne nous fault depporter28 :

        Possible n’est de dire mieulx.

                        L’AVEUGLE

        À toy, droit m’en voys29, se je peulx.

        Voi-ge bon chemin ?

                        LE  BOITEUX

                                            Oy, sans faille.

                        L’AVEUGLE 30

        Pour ce que tomber je ne veulx,

60    À quatre piedz vault mieulx que j’aille.

        Voi-ge bien ?

                        LE  BOITEUX

                               Droit comme une caille31 !

        Tu seras tantost devers moy.

                        L’AVEUGLE

        Quant seray près, la main me baille32.

                        LE  BOITEUX

        Aussi ferai-ge, par ma foy.

65    Tu ne va[s] pas bien, tourne-toy.

                        L’AVEUGLE

        Par-deçà ?

                        LE  BOITEUX

                           Mais à la main destre33.

                        L’AVEUGLE

        Ainsi ?

                        LE  BOITEUX

                     Oy.

                        L’AVEUGLE

                            Je suis hors d’émoy34

        Puisque je te tiens, mon beau maistre.

        Or çà ! ve[u]ille-toy sur moy mectre :

70    Je croy que bien te porteray.

                        LE  BOITEUX

        Ad cella me fault entremectre35 ;

        Puis apprès, je te conduyray.

                        L’AVEUGLE

        Es-tu bien ?

                        LE  BOITEUX

                             Oÿ, tout pour vray36.

        Garde bien de me laisser choir !

                        L’AVEUGLE

75    Quant en ce poinct je le feray37,

        Je pry Dieu qu’il me puist meschoir !

        Mais conduys-moy bien.

                        LE  BOITEUX

                                                Tout pour voir ;

        À cella, j’ay [fait le serment]38.

        Tiens cecy39 ! Je feray debvoir

80    De te conduyre seurement.

                       L’AVEUGLE

        A ! dea, tu poise40 grandement !

        Dont vient cecy ?

                        LE  BOITEUX

                                       Chemine bien,

        Et fais nostre cas sagement.

        Entens-tu, hay ?

                        L’AVEUGLE

                                   Oÿ, combien

85    Que trop tu poise[s].

                        LE  BOITEUX

                                           Et ! rien, rien :

        Je suis plus légier c’une plume41,

        Ventre bieu !

                        L’AVEUGLE

                               Tien-té bien [dru],42 tien,

        Se tu veulx que je te remplume43.

        Par le sainct44 sang bieu ! Onc enclume

90    De mareschal si trèspesante

        Ne fut ! De grant chaleur je fume.

        Dont vient cecy ?

                        LE  BOITEUX

                                      A ! je me vente

        Que charge jamais plus plaisante

        Ne fut au monde que tu as

95    Maintenant.

                        L’AVEUGLE

                             Mais plus desplaisante !

        Trois moys y a que ne chyas !

                        LE  BOITEUX

        Mesdieux45 ! Quant de ce ralias46,

        [Pource qu’en fus tousjours distraict47,]

        Six jours a, par sainct Nycolas,

100  Que bien ne fus à mon retrect48.

                        L’AVEUGLE

        Et ! m’av’ous joué de ce trect49 ?

        Par mon serment ! vous descendrez

        Et yrez faire aulcun pourtraict50

        D’un estron où que vous vouldrez.

                        LE  BOITEUX

105  Contant suis, pourveu qu’atendrez

        Que venu soye.

                        L’AVEUGLE

                                   Oÿ, oÿ.51

                        Sur ce poinct, le Boiteux descent.52 Et l’Official va

                        voir se les moynes dorment. Et quant les chanoynes

                        emportent le corps, ilz 53 recommancent à parler.

                                        *

                        L’AVEUGLE 54                                      SCÈNE  II

        Que dit-on de nouveau ?

                        LE  BOITEUX

                                                Commant !

        L’on dit des choses sumptueuses.

        Ung sainct est mort nouvellement,

110  Qui fait des euvres merveilleuses :

        Malladies les plus p[é]rilleuses

        Que l’on sauroit pencer ne dire

        Il guérist. S’elles55 sont joyeuses ?

        Icy suis pour le contredire !

                        L’AVEUGLE

115  Commant cela ?

                        LE  BOITEUX

                                   Je n’en puis rire.

        L’on dit que s’il passoit par cy,

        Que guéry seroye tout de tire56 ;

        Semblablement et vous aussi.

        Venez çà : s’il estoit ainsi

120  Que n’eussions ne mal ne douleur,

        De vivre aurions plus grant soucy

        Que nous n’avons.

                        L’AVEUGLE

                                       Pour le milleur57

        Et pour nous oster de malleur,

        Je diroye que nous aliss[i]ons58

125  Là où il est.

                        LE  BOITEUX

                            Se j’estoye seur

        Que de tout ne garississ[i]ons59,

        Bien le vouldroye. Mais que feussions

        De tout guéris, ryen n’en feray !

        Trop myeulx vauldroit que fuÿssions60

130  Bien tost d’icy !

                        L’AVEUGLE

                                   [Mais] dy-tu vray ?

                        LE  BOITEUX

        Quant seray gary, je mourray

        De fain, car ung chascun dira :

        « Allez ouvrer61 ! » Jamais n’yray

        En lieu où celuy sainct sera.

135  S’en poinct suis62, l’on m’appellera

        Truant63 en disant : « Quel paillart

        Pour mectre en gallée64 ! Velle-là65,

        Assez propre, miste66 et gaillart. »

                        L’AVEUGLE

        Oncques ne vys tel babillart !

140  Je confesse que tu as droit :

        Tu sces bien de ton babil l’art.

                        LE  BOITEUX

        Je ne vouldroye poinct aller droit67,

        Ny aussi estre plus adroit

        Que je suis, je le vous promectz.

                        L’AVEUGLE

145  Qu’aller là vouldroit se tordroit68.

        Et pour tant69, n’y allons jamais.

                        LE  BOITEUX

        Se guéry tu estoye, je mectz

        Qu’en brief70 courroucé en seroyes.

        L’on ne te donroit, pour tous mectz,

150  Que du pain ; jamais tu n’auroyes

        Rien de friant.

                        L’AVEUGLE

                                 Mieulx j’ameroyes

        Que grant maleurté me fust cheue71

        Qu’au corps l’on m’ostast deux courroyes72,

        Que ce qu’on m’eust rendu la veue !

                        LE  BOITEUX

155  Ta bource seroit despourveue

        Tantost d’argent.

                        L’AVEUGLE

                                     Bien je t’en croys !

                        LE  BOITEUX

        Jamais jour ne seroit pourveue,

        Ne n’y auroit pille ne crois73.

                        L’AVEUGLE

        Mais dy-tu vray ?

                        LE  BOITEUX

                                     Oy, par la Croys !

160  Ainsi seroit que je devise74.

                        L’AVEUGLE

        Jamais de rien ne te mescrois,

        Quant pour mon grant bien tu m’avise.

                        LE  BOITEUX

        L’on m’a dit qu’il est en l’église ;

        Aller ne nous fault celle part75.

                        L’AVEUGLE

165  Se là nous trouvons, sans faintise,

        Le deable en nous auroit bien part !

                        Pause.76

                        LE  BOITEUX

        Tirons par-delà à l’escart.

                        L’AVEUGLE

        Par où ?

                        LE  BOITEUX

                      Par cy.

                        L’AVEUGLE

                                 Légièrement77.

                        LE  BOITEUX

        Ma foy ! je seroye bien coquart78

170  S’à luy j’aloye79 présentement.

                        L’AVEUGLE

        Allons !

                        LE  BOITEUX

                      À quel part80 ?

                        L’AVEUGLE

                                                Droictement

        Où le gallant joyeux s’iverne81.

                        LE  BOITEUX

        Que82 vellà parlé saigement !

        Où yrons-nous ?

                        L’AVEUGLE

                                   En la taverne :

175  J’y vois83 bien souvant sans lanterne.

                        LE  BOITEUX

        Je te dis qu’aussi foy-ge84, moy,

        Plus voluntiers qu’en la citerne

        Qui est playne d’eau, par ma foy !

        Allons acoup !

                        L’AVEUGLE 85

                               Escoute…

                        LE  BOITEUX

                                                 Quoy ?

                        L’AVEUGLE

180  Cella qui mayne si grant bruyt.

                        LE  BOITEUX

        Se c’estoit ce sainct ?

                        L’AVEUGLE

                                           Quel esmoy !

        Jamais nous ne seryons en bruyt86.

        Que puist-ce estre ?

                        LE  BOITEUX 87

                                         Chascun le suyt.

                        L’AVEUGLE

        Regarde voir que ce puist estre.

                        LE  BOITEUX

185  Maleurté de près nous poursuyt :

        C’est ce sainct, par ma foy, mon maistre !

                        L’AVEUGLE

        Fuyons-nous-en tost en quelque estre88 !

        Hellas ! j’ay grant peur d’estre pris.

                        LE  BOITEUX

        Cachons-nous soubz quelque fenestre,

190  Ou au coing de quelque pourpris89.

        Garde de choir !

                        L’AVEUGLE 90

                                    J’ay bien mespris91,

        D’estre tumbé si mal appoint !

        [Tu fus sage quant tu me pris

        Par le collet de mon pourpoint.]92

                        LE  BOITEUX

195  Pour Dieu ! Qu’il ne nous voye poinct,

        Car ce seroit trop mal venu !

                        L’AVEUGLE

        De grant peur tout le cueur me poinct.

        Il nous est bien mal advenu.

                        LE  BOITEUX

        Garde bien d’estre retenu93,

200  Et nous traynons soubz quelque vis94.

                        L’AVEUGLE  (Nota qu’il est guary.)

        À ce sainct suis bien entenu95 :

        Las ! je voy ce qu’onques ne vis.

        Bien sot estoie, je vous plévis96,

        De m’estre de luy escarté.

205  Car rien n’y a (à mon advis)

        Au monde qui vaille clarté.

                        LE  BOITEUX 97

        Le deable le puisse emporter,

        Et qui luy scet ne gré ne grâce !

        Je me fusse bien déporté98

210  D’estre venu en ceste place.

        Las ! je ne sçay plus que je face99.

        Mourir me conviendra de fain.

        De dueil, j’en mâchure100 ma face.

        Mauldit soit le filz de putain101 !

                        L’AVEUGLE

215  J’estoye bien fol, je suis certain,

        D’ainsi foÿr102 la bonne voye,

        Tenant le chemin incertain

        Lequel, par foleur103, pris j’avoye.

        Hellas ! le grant bien ne sçavoye

220  Que c’estoit de voir clèrement.

        Bourgoigne104 voys, France, Sçavoye,

        Dont Dieu remercye humblement.

                        LE  BOITEUX

        Or me va-il bien meschamment.

        Meschant qui n’a d’ouvrer105 appris,

225  Pris est ce jour maulvaisement.

        Maulvais suis d’estre ainsi surpris.

        Seur106, pris seray, aussi repris,

        Reprenant107 ma malle fortune.

        Fortune108 ! Suis des folz compris109,

230  Comprenant ma grant infortune.

                        L’AVEUGLE

        La renommée est si commune

        De tes faitz, noble sainct Martin,

        Que plusieurs gens viennent comme une

        Merveille vers toy, ce matin.

235  En françoys, non pas en latin,

        Te rens grâce de ce bienfait.

        Se j’ay esté vers toy mutin110,

        Pardon111 requiers de ce meffait.

                        LE  BOITEUX

        Puisque de tout je suis reffait112

240  Maulgré mes dens113 et mon visaige,

        Tant feray que seray deffait

        Encore ung coup de mon corsa[i]ge114.

        Car je vous dis bien qu(e) encor sçai-ge

        La grant pratique et aussi l’art,

245  Par oignement et par herbaige115,

        Combien que soye miste et gaillart,

        Qu(e) huy on dira que ma jambe art116

        Du cruel mal de sainct Anthoyne.

        Reluysant seray plus que lart117 :

250  Ad ce faire, je suis ydoyne118.

        Homme n’aura qui ne me donne119

        Par pitié et compassion.

        Je feray120 bien de la personne

        Playne de désolacion :

255  « En l’onneur de la Passion

        (Dirai-ge), voyez ce povre homme,

        Lequel, par grant extorcion121,

        Est tourmenté vous voyez comme ! »

        Puis diray que je viens de Romme ;

260  Que j’ay tenu prison en Acre122 ;

        Ou que d’icy m’en vois, en somme,

        En pèlerinage123 à Sainct-Fiacre.

*

1 Pour l’auteur, il s’agit donc bien d’une farce, et non d’une moralité, comme on nous le serine depuis le XIXe siècle.   2 Nous sommes à Candes-sur-Loire en 397. L’Aveugle mendie dans un coin de la scène, tandis que le Boiteux, qu’il ne connaît pas encore, mendie dans un autre coin.   3 Qui souffre de disette, de faim. L’aveugle et le boiteux du Mystère de saint Quentin, de Jehan Molinet, travaillent dans le même registre : « –Donnez l’aumosne au diséteux/ Qui n’a forme d’œil en sa face !/ –Donnez à ce povre boiteux/ Qui n’a jambe qui bien luy face ! »   4 À cause de la goutte. Ce nom englobe toutes sortes de maladies invalidantes. Cf. le Gouteux.   5 Faute d’avoir un serviteur. Tout ce début démarque celui de l’Aveugle et Saudret, que La Vigne avait dû lire dans l’édition récente d’Antoine Vérard.   6 Enjôleur qui…   7 Il m’a dérobé mon argent. Au théâtre, c’est le reproche – justifié – que font tous les aveugles à leur valet.   8 Désormais.   9 Même si j’en avais.   10 Sera complète.   11 Le malheur, la malchance. Idem vers 152 et 185.   12 Asservi.   13 Pour me rendre service.   14 J’en ai eu un seul de bon dans toute ma vie.   15 Il était sûr, fiable. Et tellement laid que même l’aveugle s’en est aperçu.   16 Naïf. Gillet (diminutif de Gilles) n’est pas le nom d’un valet naïf : celui du Mistère de la Saincte hostie engrosse une chambrière.   17 Celle qui l’a tué : la Mort. « Cil qui l’a mort/ Est évesque. » (ATILF.) Mais le public a pu comprendre « qui l’a mors » : la femme enragée qui l’a mordu.   18 Nul ne me réconfortera-t-il financièrement ?   19 Viens ici.   20 Nous nous réjouirons un peu.   21 Tu en parles à ton aise.   22 À nul homme nous ne ferons de tort.   23 Frondeurs. « Il est des folz acariâtres,/ Estourdis et opiniâtres. » Les Sobres Sotz.   24 Tes paroles, ta salive.   25 Maudits soient ceux qui m’ont déposé sur ce chemin (vers 34).   26 Alléger.   27 Tu me guiderais par la voix. C’est la parabole de l’aveugle et du paralytique.   28 Nous ne devons pas nous écarter de cette bonne idée.   29 Je vais. Idem vers 58, 61, 175, 261.   30 Il avance à quatre pattes vers le Boiteux.   31 Qui se jette dans le filet du chasseur.   32 Tends-moi la main.   33 Dextre : sur ta droite.   34 De danger. « Il nous ostera hors d’esmoy. » (Les Queues troussées.) « Vous rirez,/ Mais [pour peu] que vous soyez hors d’esmoy. » (Frère Phillebert.)   35 M’employer difficilement. L’infirme grimpe sur le dos de l’aveugle.   36 Pour tout vrai. Idem vers 77.   37 Si je le faisais.   38 Ms. : le fermement serement  (« Serment » fait deux syllabes au vers 102.)   39 Appuie-toi sur ma béquille.   40 Tu pèses. Idem vers 85.   41 Ms. : enclume  (À la rime du vers 89.)  « Je suis ligier comme une plume. » Le Gaudisseur.   42 Tiens-toi bien fermement. « Tiens-té bien ferme ! » (Farce de Pathelin.) « Nous tenir drut et fort ensamble. » (ATILF.)   43 Que je t’aide à gagner de l’argent.   44 Ms. : saing   45 M’aid Dieu : que Dieu m’assiste !   46 Quant à ce divertissement.   47 Dérangé par un passant. Il manque ici un vers, que je supplée.   48 Le retrait est le lieu où l’on se retire pour faire ses besoins. Cf. le Retraict.   49 Ce trait : m’avez-vous joué ce mauvais tour ?   50 Le moulage.   51 Il manque un vers en -drez, et un vers en -y. L’auteur n’a pas eu le temps d’intégrer parfaitement cette farce au Mystère (v. ma notice).   52 Il se traîne derrière un buisson pour déféquer. Il y reste jusqu’à la fin du Mystère, en écoutant ce que chuchotent les religieux qui passent près de lui sans le voir.   53 L’Aveugle et le Boiteux. Vers la fin du Mystère, l’Official endort « comme pourceaux » les moines qui veillent le corps de St Martin ; aidé par ses chanoines, il vole ledit corps pour aller l’inhumer à Tours. Nous arrivons au moment où les voleurs sortent avec le catafalque sur lequel repose le saint, qui en profite pour accomplir quelques miracles. « Les maladies fuyoient à la venue du corps sainct Martin, à Quande. » Tiers Livre, 47.   54 Le Boiteux étant de retour, il lui demande ce que disaient les religieux qui passaient près de lui.   55 Ms. : Celles  (Si ses œuvres.)   56 Tout d’un coup.   57 Le meilleur parti à suivre.   58 Que nous allions, pour qu’il nous guérisse. Les 4 rimes sont en -sions.   59 Que nous ne guérissions pas de tout, qu’il nous laisse une petite infirmité pour apitoyer nos clients.   60 Que nous fuyions.   61 Œuvrer, travailler. Les mendiants valides étaient suspects ; voir la notice des Maraux enchesnéz.   62 Si je suis en bonne santé par sa faute.   63 Mendiant, avec une connotation péjorative. Voir l’Hystoire de la vie de sainct Martin dans ma notice.   64 On envoyait les vagabonds aux galères. En 1494 et 1495, La Vigne avait pu les voir à Naples, où il suivait Charles VIII. « Ilz sont en gallée, gallée,/ Les maraulx. » La Résurrection Jénin à Paulme.   65 Voyez-le là.   66 Fringant. Idem vers 246.   67 Marcher sans boiter.   68 Celui qui voudrait aller là où est ce saint ferait un grand détour. « Je me tordroye/ De beaucoup, à aler par . » Farce de Pathelin.   69 Pour cette raison.   70 J’affirme que bien vite.   71 Ms. : dehue  (Chue.)   72 J’aimerais mieux qu’il me soit arrivé le grand malheur qu’on m’ôte deux lanières de peau, plutôt qu’on m’ait rendu la vue. « Ils traisnèrent par la ville les corps du Connestable (…) & d’autres seigneurs, enlevèrent des couroyes de la peau de quelques-uns. » Pierre Coppin.   73 Ni côté pile, ni côté face : pas un sou.   74 Ce serait comme je te le dis.   75 De ce côté.   76 Le Boiteux remonte sur le dos de l’Aveugle. Ils s’éloignent de l’église.   77 Prestement.   78 Stupide. Cf. les Maraux enchesnéz, vers 116.   79 Si j’allais devant St Martin.   80 De quel côté ?   81 Là où le bon vivant passe l’hiver. Les tavernes sont chauffées.   82 Ms. : Je   83 J’y vais les yeux fermés. La phrase est comique parce qu’elle est dite par un aveugle.   84 Que je le fais aussi.   85 L’Aveugle a l’ouïe fine : il entend les chants liturgiques du cortège de St Martin, qui se rapproche dangereusement.   86 Nous perdrions notre réputation d’invalides.   87 Juché sur les épaules de l’Aveugle, il voit arriver la procession.   88 En quelque lieu.   89 Jardin. Cf. la Pippée, vers 21. En courant, l’Aveugle trébuche.   90 Il tombe, avec le Boiteux, qui s’accroche à son cou.   91 J’ai commis une belle erreur.   92 Ces deux vers manquent. J’emprunte le second aux Sotz triumphans.   93 Retardé.   94 Sous un escalier extérieur en colimaçon. Le cortège funèbre passe tout près des infirmes, et le facétieux Martin ne peut s’empêcher de les guérir.   95 Tenu : je lui ai des obligations. « Je suys entenu de faire honneur à mon cousin. » Godefroy.   96 Je vous le garantis. Cf. Maistre Mimin estudiant, vers 405.   97 Il est guéri lui aussi.   98 Je me serais bien passé.   99 Plus quoi faire.   100 J’en meurtris.   101 Le Boiteux fait comme les diables du Mystère, qui rappellent par cette injure que la mère* du saint a été infidèle au paganisme : « Ce paillardeau filz de putain, Martin. » « Ce ribauldeau Martin, filz de putain. »   *On la surnommait « la Belle Hélène de Constantinople ». Dans le Mystère, son rôle fut tenu par Étienne Bossuet, l’arrière-grand-oncle de l’évêque.   102 De fuir ainsi.   103 Par folie.   104 Le Mystère et ses deux farces furent représentés à Seurre, en Bourgogne ; leur commanditaire était le gendre du duc de Savoie, le futur employeur de La Vigne.   105 D’œuvrer, de travailler.   106 C’est sûr. Le Grand Rhétoriqueur André de La Vigne n’a pas pu se retenir de caser ici des rimes fratrisées, ou enchaînées.   107 Ms. : Reprenanant  (Maudissant ma mauvaise fortune.)   108 Invocation à la Fortune, qui personnifie le destin. « Fortune nous est bien contraire. » Les Maraux enchesnéz.   109 Je fais partie des fous.   110 Si je me suis mutiné contre toi.   111 Ms. : Parton   112 Je suis rétabli, guéri.   113 Malgré moi. Voir l’Hystoire de la vie de sainct Martin dans ma notice.   114 Que mon corps sera encore une fois maladif. « Un bœuf de grand corsage. » Godefroy.   115 Les mendiants se fabriquaient de faux abcès, gangrènes et autres maladies de peau grâce à des onguents et à certaines herbes.   116 Est enflammée par le feu de saint Antoine, l’érésipèle.   117 Mes jambes couvertes de fausses inflammations luiront comme du lard.   118 Expert.   119 Il n’y aura aucun homme qui ne me donne de l’argent.   120 Je contreferai.   121 Luxation d’un membre. Là encore, les truqueurs déployaient beaucoup d’imagination, et au bout du compte, se fatiguaient infiniment plus que s’ils avaient travaillé.   122 Qu’en tant que chrétien, j’ai été enfermé dans la citadelle de Saint-Jean-d’Acre par les Turcs.   123 Ms. : voyage  (Ceux qui souffrent d’hémorroïdes font un pèlerinage au monastère de Saint-Fiacre-en-Brie.)

L’AVEUGLE ET SAUDRET

Bibliothèque nationale de France

Bibliothèque nationale de France

.

*

L’AVEUGLE

ET  SAUDRET

*

.

Originellement, et étymologiquement, une farce est une préparation bien salée qui farcit un Mystère un peu trop sucré. Pour allécher le public, on truffait certains Mystères avec une ou deux farces : voir ma notice des Tyrans. Mais le Mistère de la Résurrection est farci d’un bout à l’autre par une farce coupée en sept tranches, de même que celui de saint Martin est farci par les deux tranches de l’Aveugle et le Boiteux. La sauce est tellement bien liée que chaque tranche rime au début avec le vers du Mystère qui précède, et à la fin avec celui qui suit. Pourtant, la farce n’est là que pour pimenter le Mystère, comme l’avoue le prologue de la seconde journée :

       Aussi y sont, par intervalles,

       Aucuns esbatemens et galles

       D’un Aveugle et de son Varlet,

       Qui guères ne servent au fait,

       Si ce n’est pour vous resjouir

       Et vos esperis rafreschir.

Cette farce dépourvue de titre met en scène un aveugle et son valet, comme beaucoup d’autres : voir la notice de l’Aveugle, son Varlet et une Tripière.

Le Mistère de la Résurrection fut joué en 1456 à Angers. Certains l’attribuent à Jean Du Prier, un des fournisseurs de théâtre du roi René d’Anjou, devant qui l’œuvre fut représentée. À défaut d’en être l’auteur, il pourrait être le remanieur de la version copiée dans le ms. BnF, qui fait preuve d’un instinct théâtral absent des deux autres sources : dans la farce qui nous intéresse, le remanieur ajoute des scènes comiques, et il gomme des argumentaires juridiques superflus. Enfin, il limite à 50 vers une chanson interminable, et il en remplace une autre, encore plus fastidieuse, par un air à la mode laissé au libre choix des comédiens.

La farce est un peu longue (1 315 vers sur 20 000), mais pas inintéressante : l’auteur, doté d’un humour féroce, nous fait partager la vie des musiciens de rues et des vendeurs de chansons, d’autant plus méconnue que les musicologues ignorent cette source.

Il est longuement question d’un jeu d’enfants, le broche-en-cul : les deux adversaires, courbés, ont les poignets liés à leurs chevilles. Munis d’une broche [d’un bâton], ils doivent piquer le cul si bien exposé de l’autre joueur. Un aveugle est également victime de ce jeu dans l’Aveugle, sa Chambèrière et son Varlet (ou farce de Goguelu, F 45) :

       –Advisée me suis d’ung desduit

       Auquel le fault faire jouer.

       –Quel déduyt c’est ?

                                 –À broche-en-cul.

       Luy et moy, par mains et par piedz

       Serons en tel façon liéz,

       Et aurons entre nos deux mains

       Chascun sa broche, c’est du moins.

       Tu nous lieras, note cela,

       Mais mon lien se deslira,

       Non pas le sien, entens-tu bien ?

       Son cul je luy rebrasseray,

       Et de verges le froteray.

On attache les mains de l’aveugle à ses chevilles afin qu’il soit courbé :

       Vous me liez par trop estroit !

       Le feu saint Anthoine vous arde

       Dont vous m’avez si fort courbé !

Le valet modifie sa voix :

       Ma parolle contreferay….

       Si bien, ennuit, je ne vous touche,

       Je vueil estre sans eaue tondu !

       Hau ! jouez-vous à broche-en-cu ?

       Le jeu bien cher vous coustera.

L’aveugle a beau être armé d’une broche pour piquer les fesses de sa rivale, cette dernière le renverse : « Vous estes à bas, / J’ay gaigné. » Et revoilà « le Varlet, en faignant sa voix et en lui troussant le cul et en frappant ». Comme il est de tradition, l’aveugle se conchie : « Je chie sus et jus, / Tout partout, devant et derrière. » Les antagonistes se rabibochent « au son de la vielle / Pour dire une chanson nouvelle ». L’auteur de cette farce emprunte beaucoup d’éléments à l’Aveugle et Saudret.

Sources : Mistère de la Résurrection Nostre Seigneur. Ms. fr. 972 de la Bibliothèque nationale de France, copié en 1491.  —  Manuscrit 615 (632) du Musée Condé de Chantilly, copié avant celui de la BnF.  —  Antoine Vérard a publié vers 1492 une édition qui attribue faussement le Mystère et la farce à Jehan Michel. Dans son édition intégrale du Mystère (et donc de la farce), Pierre Servet1 s’appuie sur le ms. de Chantilly. Je m’appuierai sur celui de la BnF : la farce y est plus percutante que dans les deux autres versions, que j’utilise pour corriger les fautes, rajouter les vers manquants, et moderniser certaines graphies pour ne pas trop abuser des notes de traduction. Tout ce qu’on va lire provient d’une de ces trois sources, à part les rares choses que j’ai mises entre [ ].

Structure : Rimes plates, deux chansons en dizains, un triolet final.

Cette édition : Cliquer sur Préface. (Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.) Mon but est de faire découvrir aux amateurs de farces une pièce drôle, enfin débarrassée de la gangue qui nuisait à sa lecture. Vu le nombre élevé des notes explicatives, j’ai dû renoncer à mettre en plus un relevé des variantes, sauf lorsque j’introduis une correction personnelle ; les curieux se reporteront à l’édition exhaustive de Pierre Servet.

.

*

      [ SAUDRET  TOUT-LUY-FAULT,  varlet

         L’AVEUGLE  Gallebois

         LE  MESSAGIER

         L’APOTICAIRE

         LE   VARLET  DU  TAVERNIER,  ou de l’Oste

         L’OSTE ]

.

*

                        SAUDRET                                                SCÈNE  I

          J’ay jà cheminé plus d’ung an,

          Et suis tant las que plus n’en puis.

          [Ce] non obstant, bien près je suis

          D’une assez godine[tte]2 ville.

5        Ores, je n’ay ne croix ne pille3,

          Qui est ung bon commancement

          D’estre logé bien pouvrement :

          Car tous houstes4, par droit usaige,

          Si ayment mieulx argent que gaige.

10      Or, je n’ay gaige ne argent.

          Si fault que je soie diligent

          D’aller cercher aucun aveugle5

          Qui me donnera quelque meuble6

          Pour le conduire bien et bel.

.

                        L’AVEUGLE                                            SCÈNE  II

15      Une aumosne à ce povre orbel7

          Qui ne voit goutte, bonne gent !

          Donnez-lui ou pain ou argent,

          Pour l’amour du Dieu de nature !

          Car trop est povre créature,

20      Qui point conduire ne se voit.

          Je vy que mon corps se savoit

          Chevir8, au temps de ma jeunesse ;

          Mais par maladie et vieillesse,

          Je suis aveugle devenu.

25      Et si, [je] suis au point venu

          Que je ne sauroie gaigner maille9.

          Et, pour Dieu ! qu(e) aucun se travaille10

          D’aucun bon varlet me trouver,

          Pour moy mener et ramener

30      Nous pourchacer11. Tous deux ensemble,

          Nous trouvassions (comme il me semble)

          Trèsbien à boire et à mangier,

          Et à chauffer, et à loger

          Ainsi comme les autres font,

35      Qui par pays viennent et vont

          Pour quérir leur povre de vie12.

          Par ma foy ! j’auroie grant envie

          D’en avoir ung sans nul deffault.

.

                        SAUDRET 13                                            SCÈNE  III

          Voilà trèstout quant qu’il14 me fault,

40      Car c’est à tel sainct, tel offrende15.

          Vers luy m’en vais sans plus d’actende16,

          Incontinent, je vous affie.

                        Eat, et dicat ceco : 17

          Mon amy, avez-vous envie                                        SCÈNE  IV

          D’un bon varlet ?

                        L’AVEUGLE

                                       Ouÿ, pour voir18 !

                        SAUDRET

45      Se vous en voulez ung avoir,

          Je suis content de vous servir.

                        L’AVEUGLE

          Et je le vueil bien desservir19

          Sur ce que nous pourrons gaigner.

                        SAUDRET

          À peu parler, bien besongner20 :

50      Que me donrez-vous pour ung an ?

          Et je vous menray, mèsouan21,

          D’huys en huys et de place en place ;

          Et feray si bien la grimace,

          Et le povre, et le marmiteux22,

55      Que ceulx seront bien despiteux23

          Qui ne nous donront quelque chose.

          J’ay servy de varlet grant pose24

          L’omme qui fut aveugle né,

          Que Jésus a enluminé25,

60      Le saint et glorieux prophète.

          Vostre chose sera bien faicte,

          Si je m’en mesle : je m’en vant26 !

                        L’AVEUGLE

          Je te demande, mon enfant,

          Si tu scez lire ne escripre.

                        SAUDRET

65      Ouy dea, en papier ou en cire27

          Selon mon estat28, sans faillir.

                        L’AVEUGLE

          Se tu me veulx doncques servir,

          Je vueil bien que ton maistre soie

          Pour ung an, et que je te paie

70      Salaire bon et compétent29.

          Mais cependant, vois-tu, j’entent

          Que tu escriras des chançons

          Qu’entre toy et moy chanterons,

          De quoy nous aurons de l’argent30.

75      Cent solz31 auras.

                        SAUDRET

                                         J’en suis content.

          Mais vous me querrez32 ma vesture

          Et pareillement ma chaussure ;

          Et si, paierez tous mes despens.

                        L’AVEUGLE

          Si les as comme moy33 le temps

80      De ton service, il doit suffire.

          Car je ne suis, pour brief te dire,

          Pas de mieulx te faire conclus34.

                        SAUDRET

          Aussi n’en demandé-je plus.

          Touchez cy35, vous estes mon maistre !

85      Je sauray aussi bien mon estre36,

          Mon maintien et mon entregent

          Pour truander37 pain et argent,

          De la soupe et de la cuisine,

          Et de bon vin pinte ou chopine,

90      Ou ung voirre38 tout à la foiz,

          Comme homme que je vy jamais39.

          Et si, me sauray bien enquerre

          Où nous devrons herberge querre40 ;

          Et, quant deux festes41 en ung jour

95      Seront, où sera la meillour

          Pour y estre plus à nostre aise.

          Mais en cas qu’il ne vous desplaise42,

          Maistre, comment avez-vous nom ?

                        L’AVEUGLE

          Ne le scays-tu pas43 ?

                        SAUDRET

                                              Certes non :

100    Je ne le demanderoye mie.

                        L’AVEUGLE

          J’ay nom Gallebois44, je t’affie.

          Et toy, comment ?

                        SAUDRET

                                          J’ay nom Saudret,

          Qui fuz sevré ung poy45 tendret.

          Et en mon surnom46, Tout-luy-fault.

105    Mon père avoit nom Rien-ne-vault,

          Et ma mère Mal-assenée47,

          Qui fut fille Lasche-journée48.

          Et mon parrain, sans contredit,

          Si avoit nom Gaingne-petit,

110    Ainsi que le disoit ma mère.

                        L’AVEUGLE

          Foy que doy l’âme de mon père !

          Je suis joyeux de ce marché.

                        SAUDRET

          Vous avez bien à point marché49,

          Pour recouvrer tel[l]e adventure ;

115    Car je suis, je le vous assure,

          Bien propice pour vous mener.

          Maistre, allons-nous-en desjeuner.

          Puis nous en irons, comme saiges,

          Par pays quérir nos avantages.

120    Il est temps de nous pourchasser.

                        L’AVEUGLE

          Tu dis vray : il y fault chasser

          Afin de gaigner de l’argent.

          Mais je te pry, soies diligent

          De recorder que tu diras50.

                        SAUDRET

125    À cella ne fauldray-je pas,

          Car vostre raison est bien bonne :

          « Bonnes gens, faictes vostre aumosne

          À cestuy pouvre, ou51 nom de Dieu,

          Qui ne voit en place ne lieu,

130    Ne ne vit onc soleil ne lune !

          Que sainct Anthoine si l’alume52,

          Et ceulx qui du bien luy feront ! »

                        L’AVEUGLE

          Par ainsi, ilz nous donneront

          Pain ou vin, ou de la pitance.

                                    *

                        L’AVEUGLE 53                                       SCÈNE  V

135    Saudret !

                        SAUDRET

                          Hau !

                        L’AVEUGLE

                                    Quel « hau54 » ? Mais ung bel

          Estront emmy55 vostre visage !

          Tu deusses, se tu fusses saige,

          Respondre : « Monseigneur mon Maistre. »

                        SAUDRET

          Mais ung gibet et ung chevestre56

140    À vous pendre ! Et ! qui estes-vous57 ?

          Ce n’est pas à ung tel poilloux58

          Que je dois « Monseigneur » respondre.

          L’en me puisse sans eaue tondre59

          Si je vous dy jà « Monseigneur » !

145    Ce ne me feroit point d’onneur

          D’y appeller ung tel truant60.

                        L’AVEUGLE

          « Truant » ? Paillard !

                        SAUDRET

                                               Mais vous, puant

          Vilain remply de punaisie61 !

                        L’AVEUGLE

          Par celuy Dieu qui ne fault mye62 !

150    Tu as mauvaisement menti !

                        SAUDRET

          Et qu’est-ce donc que j’ay senti ?

          Vous puez comme ung viel souyn63.

                        L’AVEUGLE

          Ne me dy touyn ne mouyn64,

          Saudret, et je le te conseille :

155    Car si j’ay la puce en l’oreille65,

          Je te monstreray qui je suy

          À tes despens.

                        SAUDRET

                                   Et je dy : fy

          De vous et de vostre puissance !

          Je vous pourroie faire nuysance

160    Plus que vous à moy mille fois.

          Vous avez à nom Gallebois,

          Qui ne sauriez [seul] vous conduire ;

          Et moy Saudret, qui m’en puis fuire

          Et vous laisser, se bon me semble.

165    Ou, tant que nous sommes ensemble,

          Vous tromper, ou tuer, ou batre.

          N’est-il pas vray ?

                        L’AVEUGLE

                                          Sans plus débatre,

          Je conseille, comment qu’il voise66,

          Que nous ne facions plus de noise ;

170    Et que, quant je t’appelleray,

          Tu me respondes sans délay

          En disant : « Que vous plaist, mon Maistre ? »

          Car tu sçays bien que je doy estre

          De toy appellé Maistre ou rien.

                        SAUDRET

175    Et, dea ! « Mon maistre » vueil-je bien

          Vous respondre et vous appeller ;

          Mais de me vouloir compeller67

          Par maistrise à vous seigneurir68,

          J’aymeroie mieux vous veoir mourir,

180    Car il n’y a point de raison !

                        L’AVEUGLE

          Or je te prye, Saudret, faison

          Icy ung bon appointement69

          Par lequel nostre accointement70

          S’entretienne, et nostre alliance.

185    Ouquel cas, j’ay en toy fiance71

          D’avoir des biens, mon amy doulx.

                        SAUDRET

          Quel appointement voulez-vous

          Que façons ? Or le blasonnez72.

                        L’AVEUGLE

          Que tous mautalens73 pardonnés

190    Soient. Entens-tu, mon enfanson ?

          Et que chantons une chanson

          Par accord, afin qu’on nous donne

          Or ou argent, ou autre aumosne

          De quoy nous nous puissons chevir.

                        SAUDRET

195    Je ne vis oncques advenir

          Qu’à mon autre maistre74 on donnast

          Or, pour sermon qu’il sermonnast,

          Ne pour hault crier, ne pour braire.

          Mais je suis bien content de faire

200    – Soit en chantant, ou en criant,

          Ou en plaignant, ou en priant –

          Nostre proffit à toutes hertes75

          Le mieulx que je pourray. Mais certes,

          Qui pourra, si boive ou mangusse76 :

205    Car qui a de l’or, si le musse77

          Plustost que le donner pour Dieu78.

                        L’AVEUGLE

          Or chantons doncques en ce lieu,

          Et puis questerons de l’argent.

                        GALLEBOIS  et  SAUDRET  chantent une chanson.79

          Or faictes paix, ma bonne gent,

210    Et vous orrez 80 présentement

                Une chanson nouvelle

          Des biens qu’on a communément

          En mariage. Vrayement,

                C’est chose bonne et belle.

215    Ce ne sont point motz controuvés 81

                Ne plains de menterie,

          Mais sont certains et esprouvés,

                Je le vous certifie !

.

          Quant homme vient en sa maison,

220    Tost ou tard, en quelque saison,

                Sa femme l’uys luy euvre 82.

          Et s’on luy a fait desraison,

          Elle l’oste de marrisson 83

                Et le couche, et le ceuvre 84.

225    Le feu luy fait, et puis luy cuyt

                La belle poire molle.

          Joygnant de luy 85, se met au lit

                Et le baise, et l’acolle.

.

          Après, ses jambes met en croix

230    Sous 86 son mary, comme je croix,

                Et puis si l’admonneste

          De faire dresser le « harnoys 87 »

          Pour faire sonner le hault boys 88

                Et luy faire la chosète 89.

235    Les trippes lave et fait boudins,

                Le beurre et le fromaige.

          Poullaille nourrist, et poussins,

                Et oiseletz en caige 90.

.

          Le lit despièce 91 et le refait.

240    Son mary deschausse et deffait 92,

                S’il est yvre ou malade.

          Et pour le baigner, de l’eau trait 93.

          Et de folie le retrait,

                Et luy est douce et sade 94.

245    Quant il se couche le premier,

                Elle tient la chandelle ;

          Et puis après, le va baiser,

                Et son « amy » l’appelle 95.

.

          Ses petis enfans luy nourrit 96,

250    Dont se l’un pleure, l’autre rit,

                L’autre l’acolle ou baise.

          Et s’il advient qu’il se marrit

          De rien 97 qu’on luy ait fait ou dit,

                Sa femme le rapaise.

255    Moult vault femme, en fais et en ditz,

                Soit riche, basse ou haulte.

          Mariez-vous, grans et petis :

                Si verrez si c’est faulte.

                        Cy finist la chançon.

                        L’AVEUGLE 98

          Il n’a icy femme si caute99,

260    Pour soy de bien en mieulx muer100,

          Qui ne deust trèsbien désirer

          À en avoir une copie101

          Que je donne, je vous affie,

          Pour ung grant blanc102 sans point d’usure.

                        SAUDRET

265    Avant103 ! Galans qui l’aventure

          Voulez prendre à vous marier,

          Vous ne povez mieulx charrier104

          Qu’à femme avoir qui vueille faire

          Ce que ceste chanson déclaire105

270    Des biens qui sont en mariages.

          Prenez-en, si ferez que saiges106.

          Si saurez quelz biens il en vient.

.

                        LE  MESSAGIER 107                              SCÈNE  VI

          Certainement il me convient

          De vostre chanson acheter

275    Plusieurs coppies pour porter

          Avecques moy et les revendre.

          Car moult de gens si veulent tendre108,

          Par où je passe, à s’enquérir

          D’où je viens, et me requérir

280    Que je leur die des nouvelles.

          Mais je leur en diray de belles

          En leur lisant ceste chanson !

          Or me respondez sans tençon109 :

          Combien me coustera le cent110 ?

                        L’AVEUGLE

285    Je vous en vendray, à présent,

          Ung cent pour dix deniers la pièce.

                        LE  MESSAGIER

          Je prie à Dieu qu’il me meschesse111

          Si ce n’est ung trèsbon marché !

          Si j’eusse par ailleurs marché112,

290    Pas n’eusse ouÿ si bonne chose.

                        SAUDRET

          Par l’âme qui en moy repose !

          Mon amy, vous devez savoir

          Qu’il nous fault chanter pour avoir

          Nostre povre meschante vie.

                        LE  MESSAGER

295    C’est bien fait, je vous certifie.

          Baillez çà ! Vécy vostre argent.

          Je pense que beaucoup de gent

          La vouldront voulentiers apprendre.

          Mais on me puist par le col pendre

300    S’ilz en ont de moy, soir ne main113,

          Mot114, que n’en soie avant la main115

          Payé de plus que je n’en paye.

          Tenez !

                        Nuncius [le Messager] baille argent à Saudret.

                        L’AVEUGLE

                        Vise bien la monnoye,

          Saudret, qu’il n’y ait rien mauvais116.

                        SAUDRET

305    Mon maistre, savoir je vous fais

          Que tout est bon, n’en doubtez mye.

                        Saudret baille l’argent à l’Aveugle.

                        L’AVEUGLE

          Beau sire, se Dieu vous bégnye,

          De nouveau me direz-vous rien117 ?

                        LE  MESSAGIER

          Je ne sçay se vous savez bien

310    La mort de Jésus le prophète,

          Dont l’exécucion fut faicte

          Au jour d’ier au mont de Calvaire.

                        L’AVEUGLE

          Hélas ! Et qui a ce fait faire ?

          Ç’a esté ung cas merveilleux118 !

                        LE  MESSAGIER

315    Trop en parler est périlleux,

          Car noz princes de la Loy haient

          Ceulx qui en parlent et y croient.

          Mais je vous dy bien, si j’estoie

          Comme vous estes119, que g’iroye

320    À son sépulcre vitement

          Pour luy supplier humblement

          Qu’il luy pleust moy enluminer.

          Et vers luy me feroie mener.

          L’Aveugle-né, quant il vivoit120,

325    Il enlumina, tant qu’il voit

          Aussi cler comme homme vivant.

          Se vous y allez, je me vant

          Qu’il vous rendra le luminaire121.

                        L’AVEUGLE

          Où est son sépulcre ?

                        LE  MESSAGIER

                                             En Calvaire,

330    Qui est dehors ceste cité.

                        L’AVEUGLE

          G’iray doncques, en vérité.

          Adieu vous dy, et vous mercie !

                        LE  MESSAGIER

          À Dieu donc !

.

                        SAUDRET                                                SCÈNE  VII

                                    Maistre, je vous prye

          Qu(e) aillons [tost] quester de l’argent.

                                    *

                        L’AVEUGLE                                           SCÈNE  VIII

335    Saudret ! Meyne-moy sans tarder,

          Présentement, à ce tombeau

          Où ce prophète bon et beau,

          Jhésus, si est ensevely.

                        SAUDRET

          Il puisse mescheoir à celuy

340    Qui vous y menra que je soie122,

          Si je n’ay de vostre monnoye

          Paiement comptant, et si plainier123

          Qu’il ne s’en faille124 ung seul denier

          De ce que j’ay gaigné o125 vous !

                        L’AVEUGLE

345    Tu le seras, mon amy doulx,

          Quant nous en serons retournés126.

                        SAUDRET

          Par ma Loy127 ! vous me pardonrez.

          Car bien me souvient que mon maistre

          Avecques qui je souloye estre,

350    L’Aveugle-né, tant me cria

          « Pour Dieu, mercy ! » et me pria,

          Qu’à Jésus fust par moy mené.

          Mais quant il l’eut enluminé128

          Et que je voulu[s] mon salaire

355    De lui avoir, j’avoye beau braire

          Et crier, et siffler à baude129 :

          Dieu sçait qu’il la me bailla chaude130 !

          Car il ne me prisa plus rien,

          Ne ne paya. Pour ce, vueil bien

360    Que vous sachez sans nulle faille

          Qu’il ne s’en fauldra une maille131

          Du sallaire que me devez,

          Se g’y voys132. Car quoy ! Vous savez

          Qu’il vault mieulx croire que mescroire133.

365    C’est grant péril du sien acroire134

          Quant l’en peut bien estre payé.

          Je n’en seray jamais rayé135

          Comme je fus à l’autre fois.

                        L’AVEUGLE

          Saudret, promesse je te fais

370    Sur mon honneur et mon serment

          Que tu seras entièrement

          Paié de moy, au retourner136.

                        SAUDRET

          Vous povez assez flagorner137,

          Car vous perdez vostre langage.

375    Je seray ung petit138 plus sage

          Qu’à l’autre foiz, je m’en fais fort.

                        L’AVEUGLE

          Je m’oblige et te fais transport139

          De trèstout quant que j’ay vaillant140,

          Si je suis sans plus deffaillant141

380    Par une nuyt ou par ung jour

          De toy payer à mon retour.

          C’est bien raison que je te poye142.

                        SAUDRET

          Cuidez-vous que je vous en croye ?

          Nenny, par la Loy que je tien !

385    On dit que trop mieux vault ung tien

          Que ne font deux fois tu l’auras.

                        L’AVEUGLE

          Je te prometz que tu seras

          Payé content143, je te dy bien.

                        SAUDRET

          Par ma foy ! je n’en feray rien.

390    Il ne s’en fault jà esmoyer144.

          Vous avez bien de quoy paier,

          Car icy receu vous avez

          Grant argent (comme vous savez)

          Qui vous vient de mon industrie145.

395    Je dy fy de vostre maistrie146,

          Si je ne suis payé au mains147

          Du labeur qui vient de mes mains148.

          Et croyez que je le seray,

          Ou jà ne vous y mèneray.

400    Je ne seray jà si meschant149.

                        L’AVEUGLE

          Entens, Saudret…

                        SAUDRET

                                         Hau ! quel marchant !

          Vous ne croyez ne Dieu, ne homme.

          Je seray payé (c’est la somme)

          Du tout ains que j’en bouge jà150.

                        L’AVEUGLE

405    Puisqu’ainsi le fault faire, or çà !

          Avisons combien je te doy[s].

                        SAUDRET

          Quarante solz, [au denier près]151,

          Vous me devez tout justement.

                        L’AVEUGLE

          Non fais !

                        SAUDRET

                             Si faictes, vrayement.

410    Tant en auray ains que j’en bouge.

          Pas n’estes encor assez rouge152

         Pour ung denier m’en mescompter153.

                        L’AVEUGLE

          Or avant ! Je les vays compter

          Et te payer, puisqu’ainsi est.

                        Cecus computet pecuniam, et

                        tradat Saudret, dicendo ei : 154

415    Tien ! Et me meyne sans arrest155

          Où je t’ay dit, et sans tarder.

                        SAUDRET

          À ce coup vous vueil-je mener

          Où il vous plaira, n’en doubtez.

          Et guérissez si vous povez ;

420    Ou si non, il ne m’en chault guière.

                        L’AVEUGLE

          Or allons par bonne manière156 !

          N’y sçais-tu pas bien le chemin ?

                        SAUDRET

          Que says-je donc ?

                        L’AVEUGLE

                                          Mon amy fin,

          Saches que se tu me sers bien,

425    Tu auras encore du bien

          Par mon moyen, de quelque part.

                        SAUDRET

          Dieux ! que vous estes grant flatart !

          Je vous congnois comme pain tendre.

          Allons ! Dieu nous vueille deffendre

430    De tout mal et de tout péril !

                        L’AVEUGLE

          Amen, Saudret, ainsi soit-il !

          Et me vueille ma clarté157 rendre !

                        Icy, l’Aveugle et son Varlet s’en vont droit au sépulchre.

                        Et quant ilz se approuchent dudit tombeau, Sauldret

                        voit les gardes du tombeau et dit :

                        SAUDRET

          Maistre !

                        L’AVEUGLE

                          Quoy ?

                        SAUDRET

                                       Il nous fault deffendre

          Ou fouÿr158, ou nous sommes mors !

                        L’AVEUGLE

435    Hélas ! pourquoy ?

                        SAUDRET

                                          Autour du corps

          Sont gens armés de pié en cappe159.

                        L’AVEUGLE

          N’allons point en lieu où l’en frappe,

          Je te requiers !

                        SAUDRET

                                     Fuyez, fuyez !

          Et si vous povez, vous sauvez !

440    Ou sinon, vous estes perdu.

          Car je suys si très esperdu

          Que je n’y voy remède[s] nulz

          Sinon de faire ung vidimus

          À la Mort160. Bénédicité !

445    Venez tost ou, en vérité,

          Je vous lerray en l’escrémye161.

                        L’AVEUGLE

          Et ! pour Dieu, ne me laisse mye !

          Saudret, je te requier mercy !

                        SAUDRET

          Fuyons-nous-en tantost par cy !

450    Courez tost sans faire délay !

          Ou, certes, je vous planteray,

          Mais ce sera pour reverdir162.

                        L’AVEUGLE

          Tu me fais tout le cueur frédir163.

          Regarde s’ilz nous suivent point,

455    Et se tu verras lieu ne point

          Pour nous musser ou nous ruser164.

                        SAUDRET

          Me cuidez-vous cy amuser

          À regarder derrière moy ?

          Trotez, ou – foy que je vous doy –

460    Je vous lerray pour mieulx165 courir.

                        L’AVEUGLE

          Hé ! Dieu nous vueille secourir !

          Nous suivent-ilz ?

                        SAUDRET

                                         Las ! je ne sçay.

          Venez tost, ou je vous lerray,

          Par la Loy que je tien de Dieu !

465    A, dea ! il n’y a point de jeu,

          D’estre icy tué maintenant.

          Ce sont Anglois166 certainement,

          Qui nous tueront, soit droit ou tort167.

                        Saudret mutet vocem et dicat adhuc : 168

          À mort, à mort ! Vous futy169 mort !

470    Sainct Georg(e)170 ! Vous demourity cy !

                        Saudret loquatur suam primam vocem : 171

          Las, messeigneurs ! Et ! qu’est-ce cy ?

          Voulez-vous tuer ce pouvre homme

          Qui s’en vient tout fin droit de Romme

          Pour impétrer ung grant pardon172 ?

                        L’AVEUGLE

475    Las ! je vous requiers en pur don

          Que me laissez, soit bel ou lait173 !

                        SAUDRET  mutet iterum vocem, et dicat :

          Par sainct Trignan174 ! Vostre varlet

          Et vous, mourity sans délay !

                        Loquatur Saudret suam primam vocem.

          Las ! mon maistre, deffendez-moy,

480    Ou je mourray sans plus actendre !

                        L’AVEUGLE

          Las ! Monseigneur, vueillez nous prandre

          À rençon, je le vous requier.

          Je vous donray sans varier

          Dyx beaux solz, je vous certiffy !

                        SAUDRET  mutet suam vocem :

485    Donne dix solz ? Et ! où suty175 ?

          Monstre-les-my sans plus resver176 !

                        L’AVEUGLE 177

          Vez-les là, sans plus babiller ;

          Et vous suffise de les prandre.

                        SAUDRET  mutet vocem suam :

          Bien gardyty-vous de mesprandre !

490    Bigot ! [Bru]lare178 ! Adieu vous dy !

                        L’AVEUGLE

          Sang bieu ! je suis tout estourdy.

          Le diable y ait part, en la guerre !

          Ce sont des archiers d’Angleterre

          Qui nous ont ainsi ravallés.

                        SAULDRET

495    [Encore y]179 vouliez-vous aller !

          Mais nous l’avons eschappé belle.

          Cheminons par ceste sentelle180,

          C’est le meilleur, pour maintenant.

                        L’AVEUGLE

          Hélas ! Saudret, mon doulx enfant,

500    Et mon seigneur, et mon amy :

          Ne me laisse point (las, hémy181 !),

          Et vous ne perdrez pas ta peine182.

          Car je suis à la grosse alaine183,

          Et tout conchié de paour184.

                        SAUDRET

505    Ha ! fy ! Je ne sens que puour185.

          Chié avez, à Dieu l’affy186 !

          Fy, de par le grant diable, fy !

          Ce n’est que merde que de vous.

          Sang bieu ! s’ilz viennent après nous,

510    Ilz nous trouveront à la trace.

                        L’AVEUGLE

          Arrestons-nous en ceste place

          Pour savoir s’ilz viennent ou non.

          Tu ne vois rien ?

                        SAUDRET

                                      Ce ne fais mon187.

          Je croi que nous n’avons plus garde188.

                        L’AVEUGLE

515    Il est bien gardé, qui189 Dieu garde.

          Dieu soit loué de l’eschappée !

          Je n’euz oncques si grant vésée190

          De paour comme à ceste fois.

                        SAUDRET

          Certes, mon maistre Gallebois,

520    Vous courez bien pesantement.

                                    *

                        SAUDRET 191                                         SCÈNE  IX

          Si vous voulez que plus vous meyne,

          Mon maistre, [or] il me convient boire.

                        L’AVEUGLE

          Boire192, mon enfant ?

                        SAUDRET

                                                Certes, voire.

          Qui eust193 ung morcellet d’andoille

525    Et de bon vin friant qui moille194,

          G’y entendisse195 voulentiers !

                        L’AVEUGLE

          Saudret !

                        SAUDRET

                         Quoy196 ?

                        L’AVEUGLE

                                         Quel « quoy » ?

                        SAUDRET

                                                                  Quelz pannyers197 ?

                        L’AVEUGLE

          Où sommes-nous198 !

                        SAUDRET

                                               Icy endroit.

                        L’AVEUGLE

          Certes, Saudret, il conviendroit

530    Désormais « Monseigneur » respondre.

                        SAUDRET

          Le grant diable puisse confondre

          Qui « Monseigneur » vous respondra !

                        L’AVEUGLE

          Certainement il le fauldra,

          Garçon paillart, vueillez ou non !

                        SAUDRET

535    Par mon serment ! ne199 fauldra mon.

          Ce say-je bien, quant est de moy.

                        L’AVEUGLE

          Or me respons cause pourquoy,

          Veu que je suis homme de bien.

                        SAUDRET

          Vous estes ung estron de chien

540    Au milieu de vostre gargate200 !

                        L’AVEUGLE

          Or te tais, que je ne te bate,

          Saudret ! Et je le te conseille !

                        SAUDRET

          Vous feriez, ce croy-je, merveille

          De ruer, qui vous lairoit faire201 !

                        L’AVEUGLE

545    Ne parle point de mon affaire

          Sinon en bien et en honneur,

          Car je suis assez grant seigneur

          Pour toy, je vueil que tu le saches.

                        SAUDRET

          C’est bien dit ! « Rechassez202 ces vaches,

550    Puisque Monseigneur le commande ! »

                        L’AVEUGLE

          Vien çà, Saudret : je te demande

          Pourquoy ne m(e) honnoreras-tu ?

          Si feras, ou seras batu,

          Par le grant Dieu, jusqu’au mourir !

                        SAUDRET

555    S’il vous meschiet de me férir203,

          Je vous ferray, soit bel ou let !

                        L’AVEUGLE

          Puisque tu n’es que mon varlet,

          Tu me dois faire révérence.

                        SAUDRET

          Et je vous dis en la présence204

560    Que je ne vous en feray rien.

                        L’AVEUGLE

          Se tu fusses homme de bien,

          Tu ne te feisses pas prier

          De le faire.

                        SAUDRET

                               Allez vous chier205,

          Et chauffer, et boire de l’eau !

565    Je ne donne pas ung naveau206

          De vous ne de vostre « maistrie207 » !

                        L’AVEUGLE

          Or vien çzà, Saudret, je te prie.

          Appelle-moy au moins ton Maistre,

          Car par raison je le doy estre,

570    Puisque je te donne sallaire.

                        SAUDRET

          A, dea ! Cela vueil-je bien faire ;

          Pour « mon maistre » vous appeler,

          Je ne m’y vueil point rebeller.

          Mais estes ung parfait vilain208 :

575    Pas n’estes digne, pour certain,

          Que je vous appelle « mon maistre ».

                        L’AVEUGLE

          Par celluy Dieu qui me fist naistre !

          Gars truant209, paillart ! Vous mentez !

                        SAUDRET

          Mais vous, faulx vilain redoublés210,

580    Vilain remply de vilennie !

                        L’AVEUGLE

          L’as-tu dit ?

                        SAUDRET

                              Oÿ.

                        L’AVEUGLE

                                     Je regnye

          Trèstout le sang de mon lignaige

          Si je ne t’en gecte mon gaige211

          En disant que tu as menty,

585    Non pas moy !

                        SAUDRET

                                   Qu’avez-vous senty212,

          De vouloir maintenant combatre ?

          Ha ! se vous y voulez esbatre,

          Le corps de moy vous actendra213.

                        L’AVEUGLE

          Gars paillart, on vous aprendra

590    De parler ainsi à ton Maistre !

          Mieulx te vaulsist214 loing d’icy estre

          Qu’en telz parolles habonder215 !

                        SAUDRET

          Et sur quoy vouldriez-vous fonder

          Vostre cas et vostre querelle ?

                        L’AVEUGLE

595    La plaincte que je faiz est telle

          Contre toy, en disant vraiment

          Que tu as menty faulsement

          De m’avoir appellé « vilain ».

          Et te combatray main à main,

600    Si tu ne t’en desdiz sans faille.

          Et sur ce, je t’en gecte et baille

          Mon gaige comme faulx et traïstre !

                        SAUDRET 216

          Et je le liève sur ce tiltre

          En disant que j’ay bonne cause.

605    Mais dictes-moy sans plus de pause,

          Puisqu’il fault que nous combatons,

          Quelles armes et quielx bastons

          Voulez avoir pour cest affaire.

          Car quant de moy217, g’y pense faire

610    Mon devoir, selon mon endroit218.

                        L’AVEUGLE

          Je suis content en champ estroit219,

          Que l’on appelle « broche-en-cul220 ».

          Mais je ne sçay s’il y a nul

          Homme qui bien nous habillast

615    Et liast, et aussi jugeast

          De noz coups et de nostre guerre.

                        SAUDRET

          Taisez-vous, je vous en vais querre

          Ung qui bien nous habillera ;

          Tout le premier qui passera

620    Par icy en fera l’office.

          Demourez cy tant que j’en puisse

          Trouver ung… Holà, mon amy !!

                        Icy faint Saudret sa voix, et s’appelle

                        FICTUS 221

          Que vous plaist-il ?

                        SAUDRET,  en sa voix

                                           Venez à my222,

          S’il vous plaist, et je vous en prie !

625    Fine223 fleur de chevallerie,

          Vous me semblez homme de bien.

                        L’AVEUGLE

          Voire, pour Dieu !

                        FICTUS

                                        Je le vueil bien.

          Que voulez-vous que je vous face ?

                        L’AVEUGLE

          Mon chier amy, sans longue espace

630    Le vous diray. Vécy le cas :

          Nous avons eu aucuns débas,

          Mon varlet (qui cy est) et moy.

          Et par oultraige, en grant desroy224,

          M’a dit injure et desmenti225

635    Sans s’en estre oncques repenti.

          Et qui pis est, m’a appellé

          « Vilain », tant qu’il m’a compellé

          Gecter mon gaige à le combatre

          (Afin du grant orgueil abatre

640    De quoy le ribault se vantoit)

          En luy respondant qu’il mentoit ;

          Et lequel gaige il a levé.

          Sur quoy, nous avons accepté

          De combatre à ung jeu notable

645    De champ estroit sur une table226,

          Mais qu’il y eust227 qui nous liast

          Et jugeast, et nous desliast

          Sans fallace ne tromperie.

          Pour ce, chier amy, je vous prie

650    Que nous y gardez loyaulté.

                        FICTUS

          Je vous promet[z] que féauté228

          G’y garderay de tous costés.

          Mais il fauldra que vous ostez

          Le mantel et la symphonie229.

                        L’AVEUGLE

655    Je le vueil, se Dieu me bénie !

                        FICTUS

          Or çà, varlet ! Est-il ainsi

          Comme cest homme a dit icy ?

                        SAUDRET

          Il vous a bien compté230 son droit.

                        FICTUS

          Comment avez-vous nom ?

                        SAUDRET

                                                      Saudret.

                        FICTUS

660    Et vous, mon amy ?

                        L’AVEUGLE

                                           Galleboys.

                        FICTUS

          Or bien, tantost à vous je vois,

          Mais que j’aye lié ce varlet.

                        SAUDRET

          Amy, je vous diray qu’il est231 :

          Liez-moy bien courtoisement232,

665    Je vous en pry ; ou autrement,

          Vous orrez qu’il en ystra noise233.

                        L’AVEUGLE

          Liez-le bien, comment qu’il voise,

          Sans luy donner point d’avantaige.

                        FICTUS

          Certes, Gallebois, si feray-je ;

670    Il n’y aura point de faveur.

                        L’AVEUGLE

          Je n’auray point de déshonneur,

          Ce croy-je, pour ceste journée.

          Car oncques César ne Pompée

          Ne se monstrèrent plus vaillans

675    (Se mes sens ne sont deffaillans)

          Que je seray, ce m’est advis.

                        SAUDRET

          Ha ! je vous promet[z] et plévis234

          Que je suis durement estraint235.

                        FICTUS

          Mais escoutez comment il jaint !

680    Croyez qu’il est bien enserré.

                        SAUDRET

          J’aymeroye mieulx estre enterré

          Qu’estre longuement en ce point.

                        L’AVEUGLE

          Croy que je ne te fauldray point236.

          Il vous vaulsist mieux toy desdire

685    De ce que tu m’as osé dire

          Vilennie, à237 mon desplaisir ;

          Car j’ameroie autant mourir

          Comme t’en laisser impugni !

                        FICTUS

          Demandes-tu plus rien ?

                        SAUDRET

                                                 Nenny.

690    Je suis habillié et lié.

                        L’AVEUGLE

          Avant ! T’es-tu humilié ?

          Te repens-tu de l’entreprise ?

                        SAUDRET

          Si je ne l’avoie entreprise,

          Croyez que je l’entreprendroie

695    À mon honneur ; et apprendroie

          À vous, mon maistre Gallebois,

          De bien vous garder, autres fois,

          D’esmouvoir guerre ne débat.

                        L’AVEUGLE

          (Je le serviray au rabat238,

700    Mais que je le puisse tenir.)

                        FICTUS

          Or çà ! Dieu y puisse advenir !

          Puisque vostre varlet est prest,

          Lier je vous vais sans arrest.

          Or me courbez ceste pansète239 !

                        L’AVEUGLE  (Fictus le lie.)

705    Il me fauldra une lancette

          Pour festoyer240 mon adversaire.

                        FICTUS

          C’est bien dit. Or, me laissez faire :

          Et si je ne vous arme bien,

          Si dictes que je ne sçay rien

710    D’abiller gens en fait de guerre.

                        L’AVEUGLE

          (Par ma foy ! il me fauldra perre241 :

          Je suis trop malement courbé.)

                        FICTUS

          Puis que je me suis destourbé242

          À vous lier et habiller,

715    Je le feray sans sommeiller

          Et sans y faire tromperie.

                        L’AVEUGLE

          Je tiens ta querelle périe,

          Mon varlet, se tu ne te rens.

                        SAUDRET

          Nenny, rien ! Mais je me deffens

720    Et deffendray de vostre assault,

          Et vous feray tomber [d’]ung saut243,

          Si je ne faux à mon entente244.

                        L’AVEUGLE

          Si je t’atains, il fauldra tente245

          Ès playes que je te feray.

725    Holà, mon amy ! Je perray,

          Si me liez si fort les mains.

                        FICTUS

          Vous ne l’estes ne plus ne mains

          Qu’est Saudret, je le vous asseure.

                        L’AVEUGLE

          Baillez-moy lance qui soit seure,

730    Mon cher amy, je vous en prye.

                        FICTUS

          Vélà cy246, je vous certifie.

          Avant ! Estes-vous bien armé ?

                        L’AVEUGLE

          Se tantost ne suis deffermé247,

          Je croy qu’il me fauldra chier.

735    Pour ce, venez-moy deslier,

          Mon amy, si je vous appelle.

          Avant ! Soustiens-tu ta querelle,

          Saudret ?

                        SAUDRET

                          Oy !

                        L’AVEUGLE

                                  Et ! je te deffy

          Présentement !

                        SAULDRET

                                     Et je dy fy248

740    De vous et de vostre puissance !

                        FICTUS

          Chascun de vous a bonne lance :

          Pour ce, faictes vostre devoir.

                        L’AVEUGLE

          Saudret ?

                        SAUDRET

                          Hau249 !!

                        L’AVEUGLE

                                          Je te fais savoir

          Et te somme que vous desdites

745    Des injures que tu m’as dictes !

          Ou si non, que vous deffendez250 !

                        SAUDRET

          Et moy vous251, que vous vous rendez !

                        L’AVEUGLE

          Tu n’as garde que je me rende

          À toy !

                        SAUDRET

                       Ne vous que ne deffende

750    Ma querelle252 jusques au bout.

                        FICTUS

          Vécy bien commencé partout.

                        SAUDRET

          Je ne le crains !

                        L’AVEUGLE

                                     Je ne te doubte253 !

                        SAUDRET

          Vous perdrez ceste saqueboute254,

          À ce coup, puisque je la tiens !

                        L’AVEUGLE

755    Holà, holà ! Jà255 n’en fais riens :

          Plus n’ay de quoy mestier mener256.

                        SAUDRET

          Si je vous puis les piedz lever,

          Vous tomberez de l’autre part.

                        L’AVEUGLE

          Dieux, aidez-moy !

                        SAUDRET

                                          Il est trop tard.

760    Vous tomberez, comment qu’il soit257.

                        L’AVEUGLE

          Et ! holà ! Que le diable y soit !

          Saudret ?

                        SAUDRET

                          Hau !!

                        L’AVEUGLE

                                     Laisse-moy aller 258.

                        SAUDRET

          G’iray, avant, à vous parler259 !

          Pas n’échapperez en ce point.

                        L’AVEUGLE

765    Holà ! Et ! ne me pique point !

          Je t’en supplye, mon gentil-homme !

                        SAUDRET

          Je prie à Dieu que l’en m’assomme

          Se vous eschappez jà si aise !     Pungat.260

                        L’AVEUGLE

          Je te prie, Sauldret, qu’il te plaise

770    Me laisser aller de bon cueur.

          Hé ! Dieu, souverain Créateur :

          Me lairrez-vous icy tuer ?

          Hau ! hau !

                        SAUDRET

                               Vous avez beau huer :

          Je vous aprendray à combatre !

                        FICTUS

775    Il nous fault d’aultre jeu esbatre

          Ung peu, avant qu’on se repose.

                        L’AVEUGLE

          Comment ?

                        FICTUS

                             [Or], il fault qu’on arrouse

          À ung chascun de vous le cul :

          Il appartient à broche-en-cul

780    Luy faire261, quoy qu’on se rebelle.

                        SAUDRET

          Ha ! Par le sang bieu, j’en appelle262 !

                        L’AVEUGLE

          Et moy aussi, sans demourée.

                        FICTUS  jactet aquam, dicendo : 263

          Vous deux aurez ceste seiglée264,

          Je vous promet[z], soit tort ou droit.

785    Tenez !

                        L’AVEUGLE

                        Je demande [mon] droit

          À ung chascun, et sus et jus !

                        FICTUS

          Il vous fault essuyer les culz,

          Après qu’ilz ont esté lavéz.

          De ce baston, sans plus baver265,

790    Vous feray doulx comme une turtre266.

          Empreu267 ! Et deux ! [Et trois !]

                        L’AVEUGLE

                                                                 Au meurtre !

          Le sang bieu ! je me conchieray268.

                        SAUDRET

          Par la mort bieu, je lancerray269 !

                        L’AVEUGLE

          N’en fais plus, car je me desdis

795    De trèstout quanque je te dis270 !

          Souffist-il, Monseigneur mon Maistre271 ?

                        SAUDRET

          [D’ung estron je vouldrois repaistre]272

          Le ribault qu’ainsi nous festye !

                        FICTUS

          Brief ! si voulez que vous deslie,

800    Entre vous deux, me pardonrez

          Ce que j’ay fait, et me donrez

          Chascun six blans pour aller boire.

                        SAUDRET

          Je le vueil bien, par ma mémoire !

                        L’AVEUGLE

          Et moy aussi, sans varier.

                        FICTUS

805    Saudret, je vous vais deslier,

          Et puis deslierez vostre maistre.

                        SAUDRET

          Par le vray Dieu qui me fist naistre !

          Maistre, se plus me r’assaillez,

          Je vueil mourir se vous faillez

810    À bien en estre chastié !

                        L’AVEUGLE

          Puisque je t’ay merci crié,

          Et qu’à vous je me suis rendu

          Sans avoir guères actendu,

          Et aussi que me suis desdit

815    De tout cela que je t’ay dit,

          Je croy qu’il te doit bien suffire.

          Encor, se mestier est273, beau sire,

          Je vous pardonne mon injure274.

                        SAUDRET

          Faictes ?

                        L’AVEUGLE

                          Ouÿ, je le vous jure,

820    Sans vous savoir mal gré275 quelconques.

                        SAUDRET

          Or avant ! Et ! je le vueil, doncques.

          Mais par ma foy, premièrement,

          Nous baillerez de vostre argent

          Dix solz d’erres276 pour aller boire.

                        L’AVEUGLE

825    Bien me plaist.

                        SAULDRET

                                  Comme j’ay dit ?

                        L’AVEUGLE

                                                             Voire.

          Deslie[z-]moy, mon amy doulx :

          Si vous bailleray ces dix soulz.

          Car j’ay esté cy longue pose277.

                        FICTUS

          Si feray-je.

                        SAULDRET

                              Je m’y oppose

830    Jusqu’à ce que nous les ayons.

          Pensez que se nous le croyons

          Et deslions sans les avoir,

          Il nous pourroit bien décevoir278

          Et donner ung tour de botines279 :

835    Je congnois ses fais et ses signes

          Comme moy-mesmes, proprement.

                        FICTUS

          Mais280 qu’il soit deslié, vrayment,

          Je croy qu’il fera son devoir.

                        L’AVEUGLE

          Par mon serment ! vous dictes voir :

840    Parjurer ne m’en daigneroye281.

                        FICTUS

          Se c’estoit moy, je le feroye,

          Saudret : il semble homme de bien.

                        SAUDRET

          Par ma Loy ! je n’en feray rien.

          Nous en serons, avant, payés.

                        L’AVEUGLE

845    Et ! pour Dieu, que vous les ayez !

          Puisqu’ainsi est, or les prenez.

                        SAUDRET

          En quel lieu ?

                        L’AVEUGLE

                                  Vous les trouverez

          En ma manche282, en ung drappelet.

                        SAUDRET

          Y a-il or ?

                        L’AVEUGLE

                            Pas ung pellet283 :

850    Je n’en ay point, mon amy fin.

                        SAUDRET

          Touteffois, maistre, à celle fin

          Que l’on ne me puisse imposer

          Larrecin284, ou rien mal gloser

          Contre moy, cest homme de bien

855    Les prendra. Le voulez-vous bien ?

          Respondez franchement.

                        L’AVEUGLE

                                                  Ouÿ !

          Car je me fie bien en luy,

          Pource qu’il me semble bon homme.

                        FICTUS

          J’aymeroye plus chier285 estre à Romme

860    Tout nu en ma propre chemise

          Que d’avoir une maille prise

          Du vostre sans vostre congié286 !

          Vez-les cy.

                        SAUDRET

                            N’y ait plus songié287.

          Doncques, qu’il me288 soit deslié.

865    Aussi s’est-il humilié

          Et congnoist assez son deffault289.

                        FICTUS

          Irons-nous disner ?

                        SAUDRET

                                          Il le fault.

                        FICTUS

          Mais où ?

                        L’AVEUGLE

                            Allons chez le premier

          – Ou hostelier, ou tavernier –

870    Qui aura de bon vin à vendre,

          Des pois, du lart, de bon pain tendre,

          Du rost290, de la pâticerie

          Ou de quelque autre lécherie291.

          Et nous y disnons bien et fort !

                        SAUDRET

875    Par mon serment, j’en suis d’accort !

          Or y allons nous troys ensemble,

          Car nous y boyrons (ce me semble)

          Du meilleur vin en paix faisant.

                                    *

                        L’AVEUGLE 292                                     SCÈNE  X

          Saudret !

                        SAUDRET

                         Maistre ?

                        L’AVEUGLE

                                        Je suis refait293

880    Et bien dîné, mon amy doulx,

          Dieu mercy !

                        SAUDRET

                                Aussi sommes-nous,

          Cest homme de bien cy et moy.

                        FICTUS

          Loué soit le souverain Roy294 !

          Bien en devons estre contens.

885    Or çà, mes amys, il est temps

          Que je m’en aille à mon affaire.

          Se plus avez de moy affaire,

          Je suis tout au commandement.

                        SAUDRET

          Je vous en mercie grandement

890    Quant de ma part295. Et aussi fait

          Mon maistre qui cy est ; de fait,

          À son povoir296 je m’en fais fors.

                        L’AVEUGLE

          Voire, par la foy de mon corps !

          Mon cher amy, je vous mercie.

                        SAUDRET

895    Mon maistre, je vous certifie

          Que bien estes à luy tenu

          De ce qu’il est icy venu

          Franchement à nostre débat.

          Et si, a laissé son esbat297

900    Ou sa besongne en destourbance298

          Pour nous faire la secourance

          Que vous savez qu’il nous a faicte.

          Si, est droit que luy en soit faicte

          Quelque rémunéracion.

                        L’AVEUGLE

905    Mais combien ?

                        SAUDRET

                                      Numéracion

          De cinq solz de vostre monnoye.

          Si Dieu me doint honneur et joye,

          Je croy qu’il l’ait bien desservi299.

          Oncques-puis que je vous servy,

910    Je ne vis si gracieux300 homme.

                        L’AVEUGLE

          Tu devroies payer ceste somme,

          Puisque tu as eu la victoire.

                        SAUDRET

          Sauf vostre grâce ! Mais encoire

          Devriez-vous payer tous les frais

915    Quelconques, qui ont esté fais

          À cause de nostre discord.

                        L’AVEUGLE

          Pourquoy ?

                        SAUDRET

                               Car vous aviez [le] tort.

          Puisqu’avez perdu la bataille,

          Il esconvient que l’en vous taille301

920    De tous les frais qui en dépendent.

          Ainsi le font ceulx qui se rendent,

          En bataille : et si, paient rançon.

                        L’AVEUGLE

          Je te prie donc, mon enfançon :

          Preste-moy de cinq solz la somme

925    Pour bailler à ce vaillant homme

          Qui cy est, avant qu’il s’en aille.

          Car je n’ay plus denier ne maille

          Sur mon corps. Et je te prometz

          Que je les vous rendray [huymais]302,

930    [Mais] que nous en ayons receu.

          Ou si tu crains estre déceu

          Par moy, demain ou l’en303 demain,

          Je suis content que par ta main

          Toy-mesmes vous le recevez304.

                        SAUDRET

935    Par la foy que vous me devez305 !

          Maistre, voulez-vous, orendroit306,

          Que je les prengne, tort ou droit,

          Sur le premier307 de nostre queste,

          S’ainsi est que je les vous preste

940    De ma bourse présentement ?

                        L’AVEUGLE

          Ouÿ, Saudret, par mon serment !

          Je vous en donne auctorité.

                        SAUDRET  baille cinq solz [à l’Aveugle].

          Véez-les cy donc, en vérité :

          Ung, deux, trois, quatre, cinq, et six308.

                        L’AVEUGLE

945    Or venez à moy, beaux amys309 !

          Vous me semblez bonne personne :

          Vécy cinq solz que je vous donne

          De monnoye, en recongnoissance

          De voz peines. Car sans doubtance,

950    Vous me semblez homme de bien.

                        FICTUS

          Je vous mercie ! Et s’il est rien

          Que vous me vueillez commander,

          Ne faictes sinon me mander,

          Et vous m’aurez, je vous affie.

955    À Dieu !

                        L’AVEUGLE

                          À Dieu, qui vous conduye !

          Mais dictes-moy – s’il vous agrée –

          Vostre nom, et en quel contrée

          Demourez.

                        FICTUS

                               J’ay nom Chosefainte310,

          Qui suis en Jhérusalem Sainte,

960    La merci de Dieu, qui tout fist !

          Vous ne trouverez si petit311

          Qui ne vous dye où je demeure.

          À Dieu soiez !

                        L’AVEUGLE

                                   En la bonne heure,

          Mon amy, puissez-vous aller !312

                        SAUDRET

965    Ouÿstes-vous oncques parler,

          Maistre, plus gracieusement

          Ne plus mélodieusement

          Que fait cest homme qui s’en part

          D’avecques nous ? Quant de ma part,

970    Je m’en tiens à trèsbien content.

                        L’AVEUGLE

          Aussi l’ay-je payé content :

          Il emporte cinq solz du mien.

                        SAUDRET

          Certainement je croy et tien

          Qu’ilz sont bien employés, sans doubte.

975    Maistre, vécy une grant route

          De gens d’estat et de façon313 ;

          Se [nous] chantions une chançon,

          Ce seroit bien, je vous plévis.

                        L’AVEUGLE

          Tu es homme de bon advis.

980    Commençons doncques en apert314.

                        Chançon 315

          Dieu, qui le monde a recouvert 316,

                Doint bonne destinée

          À qui dire sçait 317 de quoy sert

                Celle bonne vinée !

.

985    Cil 318 qui par sa bonté nous fist

          Soit loué en fais et en dit,

                Qui tant de biens nous donne !

          De chanter m’est prins appétit

          Du fait des beveurs ung petit 319.

990          Quant la vinée est bonne,

          À qui n’en prent que par raison

                Elle est moult profitable,

          Et ne s’en ensuit si bien non 320 :

                C’est chose véritable !

.

995    Elle eschauffe et nourrist le corps,

          Qui plus en est joyeux et fors ;

                Mieulx en parle et devise.

          Couleur luy donne, par-dehors,

          Plus belle que s’il estoit mors 321,

1000        Et son engin aguise 322.

          Médecines fait le vin blanc 323,

                Et le cueur réconforte ;

          Et le vermeil 324 fait le bon sang,

                S’il est de bonne sorte.

.

1005  Il fait gens d’Église coucher,

          Souvent, quant ilz deussent veiller

                Et dire leur service ;

          Escoliers rire ou sommeiller

          Quant ilz deussent estudïer,

1010        Comme c’est leur office ;

          Nobles chevaliers, escuiers,

                Mener vie joyeuse ;

          Bourgois, marchans, gens de mestiers

                Fait tenir en oyseuse 325.

.

1015  Quant povres gens boivent ung poy,

          Ilz sont plus riches que le Roy

                Tant comment ilz 326 sont yvres ;

          Mais l’endemain est le desroy,

          Povre chère et piteux arroy 327,

1020        Quant ilz en sont délivres 328.

          Car qui les verroit le matin,

                C’est piteuse levée :

          Ilz ne parlent plus tel latin

                Comment à la sérée 329.

.

1025  En beuvant bon vin près du feu,

          Se l’un dit « heu ! », l’autre dit « beu ! »,

                L’autre pert le langage.

          Il fait à l’un faire son preu 330,

          L’autre n’y penser que trop peu,

1030        L’autre se cuider sage.

          L’un fait des autres mal parler,

                L’autre crier ou braire,

          Gens accorder ou discorder,

                Et mariages faire.

.

1035  Raconter [nous] ne vous saurions

                Tous ces fais et ces signes.

          Dieu sauve tous bons compaignons

                Et le brouet des vignes !

                        Cy fine la chanson.

                        L’AVEUGLE

          Je te prie que tu en assignes331,

1040  Saudret, pour dix deniers la pièce,

          À celle fin que l’argent chiesse332

          Dedens ma bourse sans respit.

          Car long temps a que l’on n’y mist

          Rien, et qu’on ne cessa d’y prendre.

                        SAUDRET

1045  Ne vous souvient-il pas que rendre

          Vous me devez, avant tout euvre333,

          Cinq solz, et que je les receuvre334,

          Que vous baillastes au bon homme ?

                        L’AVEUGLE

          Si fais bien ; mais je ne sçay comme

1050  Les te rendray s’il ne m’en vient.

.

                        LE  MESSAGIER                                    SCÈNE  XI

          Çà, mes amis ! Bien me souvient

          Que l’autre jour, vous me vendistes

          Une autre chanson, et en pristes

          Dix deniers de chascun roullet335.

1055  Si me dictes, gentil varlet,

          Combien ung cent me coustera

          De ceste336 ?

                        SAUDRET

                                 Mon maistre en aura

          De chascun roulet dix deniers.

                        LE  MESSAGIER

          Je les en paieray voulentiers.

1060  Baillez-les çà ! Vécy l’argent.

                        L’AVEUGLE

          Saudret, baille-luy-en ung cent,

          Et pren cent grans blans de monnoye.

          Sur quoy, prens cinq solz et t’en paye ;

          Et m’en baille le remenant337.

1065  Mais advise bien, mon enfant,

          Que tout soit bon. Entens-tu bien ?

                        SAUDRET

          Or ne vous soucïez de rien,

          Mon maistre, fors de bien dancer338.

                        LE  MESSAGIER

          À Dieu !

                        SAUDRET

                         Adieu !

.

                                      Allons lancer.                               SCÈNE  XII

                        L’AVEUGLE

1070  Que veulx-tu que lancer aillons ?

                        SAUDRET

          Du meilleur vin sur noz couillons339,

          Puisque nous avons de l’aubert340.

          Vous savez bien de quoy vous sert

          Le prouffit de mon escripture

1075  Et mon beau chanter.

                        L’AVEUGLE

                                              Je te jure

          Qu(e) aussi te feray-je des biens !

                        SAUDRET  se paye des cinq solz.

          Vécy cinq solz que je retiens,

          Maistre, et [je] vous rens le surplus.

                        L’AVEUGLE

          Y est-il tout ?

                        SAUDRET

                                 Ouÿ.

                        L’AVEUGLE

                                           Or sus !

1080  Allons où nous avons disné,

          Car on y est bien aviné341.

          Recordons-y nostre leçon342,

          Et que nous nous y repesson343 :

          As-tu point ne trippe ne foye344 ?

                        SAUDRET

1085  Et ! si ay. Si Dieu me doint joye,

          Certes, vous ne m’avez point veu345

          Ny esbahy, ne despourveu.

          Allons boire, puisqu’il vous plaist.

                                    *

                        L’AVEUGLE 346                                     SCÈNE  XIII

          Saudret !

                        SAUDRET

                          Maistre ?

                        L’AVEUGLE

                                          Je te demande

1090  Si tu as aucune vitaille347 ;

          Et si tu en as, si m’en baille !

          Car certes, j’ay grant appétit

          De mangier.

                        SAUDRET

                                Ne grant, ne petit

          N’y en a, foy que je vous doy !

                        L’AVEUGLE

1095  Hélas, mon amy ! Quelque poy

          M’en donne, à ce pressant348 besoing !

                        SAUDRET

          Par ma foy ! je n’ay que le poing,

          Dont je puisse férir aux dens349.

                        L’AVEUGLE

          Et pourquoy ?

                        SAUDRET

                                   Pource que les gens

1100  Ne donnent plus chose qui vaille.

                        L’AVEUGLE

          Si font au moins de la mengea[i]lle

          Qui assez est à grant marché350.

          Et n’est que par ta mauvaisté

          Si nous n’avons bien à manger.

1105  Mais tu fais d’en quérir danger351,

          Et chiez352 au péché de paresse.

          Je te requiers : or nous adresse353

          À quester parmy ceste ville.

          Tu te disoys si très habille354,

1110  Quant tu vins o moy demourer,

          Et te vantoies de truander

          Aussi bien comme homme vivant.

          Il ne deust avoir355 (je me vant),

          En la cité, bourde356 ne loge

1115  En quoy homme demeure ou loge,

          Où tu ne t’allasses bouter :

          Tu y trouvasses, sans doubter,

          Assez à manger et à boire.

                        SAUDRET

          En la cité ?

                        L’AVEUGLE

                              Par la Loy, voire !

1120  Et crier357 haultement et fort.

          Or m’y meyne : je me fais fort

          Que j’en auray, mais que je crie.

                        SAUDRET

          Je verray donc vostre maistrie358.

          Or y allons, et criez bien.

                        Icy vont devant l’ouvrèr 359 de l’Apoticaire,

                        et crye l’Aveugle en disant :

                        L’AVEUGLE

1125  Chères gens, faictes-nous du bien,

          Pour l’amour de Dieu, s’il vous haite360 !

          Ung denier ou une maillette361 !

          Du pain, de la char362, de la souppe,

          Et des verses363 de vostre couppe,

1130  Ou du relief, ou quoy que soit

          À ce povre qui point ne voit !

          Et grant charité vous ferez.

.

                        L’APOTICAIRE                                     SCÈNE  XIV

          Venez çà, mes amis, venez,

          Et vous arrestez en ce lieu !

1135  Et je vous y donray pour Dieu

          Pain et vin, et de la vïande.

                        SAUDRET

          Monseigneur, je vous recommande

          Ce povre homme qui ne voit goutte,

          Et a tel fain, sans nulle doubte,

1140  Que c’est pitié, bien le sachez.

                        L’APOTICAIRE 364

          Tenez, mes amis : or, mangez

          Et beuvez trèstout à vostre aise.

                        L’AVEUGLE

          Grans mercis, des fois plus de treize,

          Sire ! Dieu le vous vueille rendre !

1145  Saudret, il seroit bon de prendre

          Icy endroit nostre repas.

          A ! dea, je ne mentoye pas,

          En présent, quant je te disoye

          Qu’assez à menger trouveroye

1150  S’il advenoit que je criasse.

                        SAUDRET

          Or nous séons365, car je mengeasse

          Aussi voulentiers comme vous.

                        L’AVEUGLE

          Or tranche donc, mon amy doulx,

          Pour nous deux, dessus ung volet366.

1155  Et me donne du pain molet367,

          Se tu en as, car j’ay grant fain.

                        SAUDRET

          Pain molet ? Il n’y en a grain,

          Par l’âme qui en moy repose !

          Avoy368, dea ! Vécy bonne chose,

1160  Par ma Loy ! Mon maistre gentilz,

          Il n’y a que du pain faitis369 ;

          Si en mengez, et louez Dieux.

                        L’AVEUGLE

          C’est bien ; mais s’il y avoit mieulx,

          Saudret, j’en vouldroye bien avoir.

                        SAUDRET

1165  Mon maistre, vous devez savoir

          De certain que se j’en avoye,

          Jamais ne le vous cèleroye :

          Car je suis tousjours coustumier

          De vous servir tout le premier

1170  De ce que Dieu nous a presté.

                        L’AVEUGLE

          Par tous les benois jours d’esté !

          Il te vauldra, se j’ay à vivre370.

                        SAULDRET

          Vécy le tailloèr371, que je livre

          Devant vous, garni de cuisine.

1175  Or mengeon, et que chascun disne.

          Et faisons icy, sans renchière372,

          Ung tronsonnet373 de bonne chière.

          Maistre, je bois à vous d’autant !     Potet.374

                        L’AVEUGLE

          Bon preu te face, mon enfant !

1180  Or verse doncques, et m’en donne !     Potet.

          A ! par mon serment, vécy bonne

          Vinée, Saudret, mon amy !

                        Icy, l’Aveugle et Sauldret boyvent.

                        SAUDRET

          Il y a bien moys et demy

          Que je ne beu meilleur boisson.

                        [ L’AVEUGLE

1185  Or verse donc, mon enfançon !

                        SAUDRET

          S’il en reste, qu’on me puist pendre !

                        L’AVEUGLE ] 375

          Dy, hau, Saudret : il fault entendre

          D’aller boire chascun sa foiz376.

          Car, ainsi comme je le croys,

1190  Il est bien fol qui rien espargne.

                        SAUDRET

          Allons-nous-en [en] la taverne

          Sans plus tarder ne çà, ne là.

.

          Hau ! Tavernier !                                                      SCÈNE  XV

                        Servus taberne dicat : 377

                        [LE  VARLET  DU  TAVERNIER]

                                       Qui est-ce là ?

                        L’AVEUGLE

          Sont gens de bien, soiez saichans378.

                        LE  VARLET  DU  TAVERNIER

1195  Ha ! Nostre Dame, quelx marchans

          Pour faire riche une taverne !

          Ce sont [des] gens de Mau-Gouverne379,

          Je le voy bien à leur livrée.

                        SAUDRET

          Or sus ! à coup nous soit livrée

1200  Une pinte du meilleur vin,

          Du plus doulcet380 et du plus fin

          Qui soit en toute ceste ville !

                        LE  VARLET

          Mais regardez qu’il est habille,

          À toute sa roube de toille381 !

1205  C’est à l’enseigne de l’Estoille 382

          Que devez boire, mes mignons.

                        SAUDRET

          Dea ! nous sommes bons compaignons,

          Pourtant que sommes383 mal vestus.

          Nous avons laissé mil escuz

1210  (Par Dieu qui me fist !) à la banque

          De Lion384.

                        LE  VARLET  DE  L’OSTE

                              Ha, [ha] ! c’est tout quanque

          Je disoie présentement.

          Car vous estes certainement

          Gros marchans et gros usuriers.

1215  Vous en avez bien des deniers,

          Et des escuz, et des ducatz.

          Ha,  vous ne les emporterez pas

          Quant vous partirez de ce monde.

                        L’AVEUGLE

          Je pry à Dieu que l’en me tonde385,

1220  Saudret, se de nous ne se mocque !

                        SAUDRET

          Voire, que la fièvre le tocque386 !

          De nous se mocque en général387.

          Ha,  dea ! si nous estions à cheval388,

          Et bien habillés et en point,

1225  Il ne nous reffuseroit point,

          Je le sçay bien, sans dilatoire389.

                        L’AVEUGLE

          Et ! pour Dieu, donnez-nous à boire :

          Nous paieron comme bon[ne] gent390.

                        LE  VARLET  DE  L’OSTE

          Baillez-moy tout premier l’argent,

1230  Et vous en aurez voulentiers.

                        SAUDRET

          À combien est-il ?

                        LE  VARLET

                                        À  six deniers

          Le pot : vous n’en rabatrez rien.

                        L’AVEUGLE

          Allez-y donc.

                        LE  VARLET

                                 Je le vueil bien ;

          Mais je verray, premier, la croix391.

                        L’AVEUGLE

1235  Vez là six deniers, je le croix.

          Regardez-y sans plus songier392.

                        SAUDRET

          Voir(e), mais nous n’avons que mangier393 :

          Nous ne mangeasmes, anuyt394, rien.

                        L’AVEUGLE

          Par sainct Pierre395 ! tu diz trèsbien,

1240  Car de fain suis tout translaté396.

                        LE  VARLET

          Il (y) a céans ung bon pasté

          De bons pigeons et de pollés397,

          Que vous aurez se vous voulez,

          Car vous n’en povez avoir moins.

                        L’AVEUGLE

1245  [Et] combien vault-il ?

                        LE  VARLET

                                              Trois unzains398

          En baillerez, se vous l’avez399.

                        L’AVEUGLE

          Dea ! c’est trop.

                        LE  VARLET

                                     Ha ! vous ne sçavez

          Comme la char est icy chière.

          Il n’y a boucher ne bouchière

1250  Qui le vous donnast pour le pris400,

          J’en suis certain.

                        SAUDRET

                                       Il sera prins,

          Puisqu’ainsi est. Se par Dieu me gart,

          Je paieroie avant de ma part401

          Quatre blans que nous ne l’eusson !

1255  Mon maistre, sans plus long sermon,

          Tirez bien tost au chevrotin402.

                        L’AVEUGLE 403

          Vez-les là.

                        SAUDRET

                             Venez, mon cousin404 !

          Allez quérir vin et pictance.

          Bien paié serez, sans doubtance,

1260  Je vous promet[z], de bout en bout.

.

                        LE  VARLET                                           SCÈNE  XVI

          Je ne perdray pas, mèshuy405, tout,

          Puisqu’ilz me paient avant la main.

          Si chascun le fist, pour certain,

          On ne fist nully adjourner406.

1265  Devers eulx m’en vais retourner

          Leur porter pain, vin et pictance.

.

          Je suis retourné407, sans doubtance.                        SCÈNE  XVII

          Tenez, repaissez à vostre aise.

                        L’AVEUGLE

          Mangons sans nous donner malaise,

1270  Car quelq’ung nostre escot paiera,

          Certes, qui ne s’en ventera.

          Sus ! tastons de ceste boisson !

                                    *

                        Icy s’assist Jhésus, et sa mère, et les disciples ;

                        et mangent pendant que l’Aveugle parle.

                        L’AVEUGLE                                            SCÈNE  XVIII

          Saudret, puisqu’avons bien408 mangé,

          Sans qu’il y ait plus cy songé,

1275  À chemin nous fault advoyer409.

                        LE  VARLET

          Il vous convient, avant, payer

          Ce que devez, comme je croys.

          Car vous avez eu, du su[r]croys,

          Pinte de vin, j’en suis certain.

1280  Et aussi avez eu ung pain

          Qu’il vous fault payer, s’il vous haicte.

                        SAUDRET

          Aux gallans de Saincte-Souffrète410,

          Vueillez despartir411 de voz biens !

          Et certes, vous n’y perdrez riens

1285  Que l’actende412, combien qu’il tarde.

                        LE  VARLET

          Vous seriez plus fins que moustarde413,

          Se414 vous en peussez nullement

          Aller sans me faire payement

          De ce que me devez, orendroit.

1290  Car aultrement, le me fauldroit

          Payer au maistre, de ma bourse.

                        L’AVEUGLE

          Pour Dieu, amy, qu’on ne se cource415 !

          O nous416, dommaige vous n’aurez ;

          Mais de nous, bien payé serez…

1295  Au retour de nostre voiage.

                        LE  VARLET  DE  L’OSTE

          Ha ! brief j’auray argent ou gaige,

          Je le vous dy à ung mot rond417 !

.

                        L’OSTE 418                                              SCÈNE  XIX

          Le grant diable le col te rompt

          En brief419, fol vilain et testu !

1300  Et pourquoy ne420 desgaiges-tu

          Ces pouvres coquins421 qui n’ont rien ?

          Je vueil qu’on leur face du bien,

          Désormais, en toute saison.

          Or sus ! chantez une chanson

1305  Pour la despence qu’avez faicte.

                        L’AVEUGLE

          Nostre Maistre, puisqu’il vous haicte,

          Très voulentiers nous le ferons.

                        Icy chantent l’Aveugle et Saudret une chançon plaisante et belle,

                        puis dit  SAUDRET :

          Chier sire, de vostre pictance

          Vous mercÿons en tout degré.

                        L’OSTE

1310  Amys, prenez en pacience422.

                        L’AVEUGLE

          Chier sire, de vostre pictance,

                        SAUDRET

          Le Dieu qui a toute puissance

          Vous en vueille sçavoir bon gré !

                        L’AVEUGLE  et  SAUDRET  dient emsemble :

          Chier sire, de vostre pictance

1315  Vous mercÿons en tout degré !

                        Icy, Cecus [l’Aveugle] et Saudret s’en vont, et dit Jhésus…423

*

1 Le Mystère de la Résurrection. Angers, 1456. Droz, 1993. 2 volumes.   2 Jolie. (Cf. la Présentation des joyaux, v. 63.) La « godinette ville » dans laquelle entre Saudret n’est autre que Jérusalem, en plein drame biblique. Mais on se croirait à Angers en 1450. Saudret déambule en cherchant de l’embauche comme valet.   3 Ni côté face, ni côté pile : pas un sou.   4 Tous les hôteliers.   5 De chercher un aveugle. Les mendiants aveugles ne peuvent rien faire sans un valet. L’Aveugle du Mystère des Actes des Apostres s’en plaint : « Aller ne sçay par ville ne cité/ Se guyde n’ay tousjours à mon costé. » Il a pourtant « le plus maulvais varlet/ Qui soit, ce croy, en tout le Monde…./ Las ! fiez-vous en telz varletz/ De qui toute malice sourt ! »   6 De l’argent, qui est une chose facile à transporter.   7 Aveugle.   8 Savait se tirer d’affaire. Idem v. 194.   9 Gagner une pièce de monnaie. Idem vers 361, 861, 927, 1127. Je ne répéterai pas les notes de traduction ; donc, prenez des… notes.   10 Que quelqu’un s’efforce.   11 Nous pourvoir de nourriture. Idem v. 120.   12 Leur pauvre vie. « N’en vueil riens avoir fors que ma povre de vie. » P. de la Sippade.   13 Il a entendu les jérémiades de l’Aveugle.   14 Tout ce qu’il. Idem vers 378, 795, 1211.   15 Tel maître, tel valet. Cf. Légier d’Argent, v. 222.   16 D’attente. Idem v. 1285.   17 « Il va, et dit à l’Aveugle. » Les rubriques (que je traduis systématiquement) et les didascalies, réservées aux lecteurs, sont souvent écrites en latin. Cecus = l’Aveugle. Nuncius = le Messager.   18 Pour vrai. Idem v. 839.   19 Rembourser.   20 Parlons peu, parlons bien. La farce va opposer deux hommes qui ont un rapport à l’argent contractuel et procédurier.   21 Désormais.   22 L’hypocrite. Cf. Daru, vers 122.   23 Qu’ils seront bien méprisants, ceux…   24 Une grande pause = pendant longtemps. Idem v. 828.   25 Auquel il a rendu par un miracle la lumière, la vue. Idem vers 322, 325, 353.   26 Je m’en vante. Idem vers 327 et 1113.   27 Pour économiser le papier, on gravait les brouillons sur des tablettes de cire réutilisables.   28 Selon le poste que j’occupe.   29 Approprié.   30 Beaucoup de mendiants aveugles chantaient en s’accompagnant à la vielle (vers 654). Celui-là vend aussi des partitions.   31 100 sous pour l’année.   32 Vous me procurerez.   33 Si tu es aussi mal vêtu et chaussé que moi.   34 Décidé.   35 Topez là ! Cf. Cautelleux, Barat et le Villain, vers 39.   36 Ma manière d’être : ma conduite.   37 Mendier. Idem v. 1111. Ce verbe commençait à prendre une connotation péjorative.   38 Voirre se prononçait verre, tout comme fois se prononçait fais.   39 Comme personne.   40 Chercher un hébergement. « En un bon hostel vous menray/ Où herberge pour vous prendray. » ATILF.   41 Chaque fête paroissiale faisait affluer les mendiants devant la porte de l’église concernée, car les fidèles y étaient plus nombreux et plus généreux que d’habitude.   42 Si vous n’y voyez pas d’inconvénient.   43 L’Aveugle, qui veut passer pour noble, est extrêmement imbu de sa personne.   44 Qui s’amuse et qui boit. « Après boire et après galler. » (ATILF.) Mais la prononciation Gallebais (voir la note 151) nous rapproche de « gueule bée » [bouche ouverte], qui est un beau nom pour un chanteur des rues : « Chantons à gueulle bée ! » Les Sotz triumphans.   45 Un peu. (Idem vers 1015 et 1095.) Qu’on cessa d’allaiter un peu trop tôt : qui est orphelin.   46 Pour nom de famille. Tout lui fault = Tout lui manque : il ne possède rien. C’est, entre autres exemples, le nom d’un mendiant dans les Bélistres.   47 Mal mariée, ce qui est normal pour la femme d’un vaurien. Dans le Messager et le Villain, l’épouse du paysan porte le même nom. Cf. le Munyer, v. 34.   48 La fille de la Paresse. « Sainct Fait-néant : c’est le patron des lasches journées, des paresseux & gaudisseurs. » Pierre Viret.   49 Vous êtes venu au bon endroit. Voir les vers 289-290.   50 De te remémorer ce que tu diras pour émouvoir nos donateurs.   51 Au.   52 Lui rende la lumière, la vue. Mais aussi, et surtout : Que le feu de St Antoine lui donne des hémorroïdes ! « Le cul qui tousjours pète et chie,/ Le feu sainct Anthoine l’alume ! » Tarabin, Tarabas (F 13).   53 Presque cinq mois plus tard.   54 Répondre « hau ! » à quelqu’un qui nous appelle est le comble de l’impolitesse. « –Sottinet ! –Hau ! –Quel “hau” ? » Le Roy des Sotz, qui fut également joué devant le roi René vers la même époque.   55 Parmi, sur.   56 Une corde.   57 Pour qui vous prenez-vous ?   58 Pouilleux.   59 On tondait les fous. Les tonsures se faisaient à l’eau savonneuse chaude : « Je vueil estre sans eau tondu ! » Goguelu (voir ma notice).   60 D’appeler ainsi un mendiant. Idem v. 578. Voir la note 37.   61 De mauvaise odeur. Cf. les Veaux, v. 222.   62 Qui ne commet jamais de faute. Cf. le Messager et le Villain, vers 427.   63 Un vieux cochon, de la famille des suidés. « Hou ! le souin ! » J.-A. de Baïf.   64 Ceci ni cela : ne m’insulte pas.   65 Si ça me démange. Cf. le Capitaine Mal-en-point, v. 282.   66 Quoi qu’il en soit. Idem v. 667.   67 Contraindre. Idem v. 637.   68 À vous appeler « seigneur ». Cf. le Capitaine Mal-en-point, vers 357-8.   69 Un arrangement. Idem v. 187.   70 Notre association.   71 L’assurance.   72 Que nous fassions. Expliquez-le-moi.   73 Tous nos conflits.   74 À l’Aveugle-né (vers 58).   75 En toute occasion.   76 Que celui qui en aura les moyens boive ou mange.   77 Il le cache.   78 Donner pour Dieu = faire la charité. Idem v. 1135.   79 Ils chantent, dansent (vers 1068), et l’Aveugle joue de la vielle. Cette chanson est inconnue. La musique doit être identique à celle de la chanson qui commence au v. 981 : elle est écrite sur les mêmes dizains AAbAAbCdCd (je mets les hexamètres en minuscules). Cette bluette qui prétend louer « les biens qu’on a en mariage » prend le contre-pied des « maux qu’on a en mariage » d’une manière tellement grosse que nul n’est dupe : il s’agit bien d’une chanson antimatrimoniale.   80 Taisez-vous et vous entendrez.   81 Des maux inventés. Cf. le Sermon joyeulx de tous les maulx que l’homme a en mariage.   82 Lui ouvre la porte. Dans les farces, l’épouse n’ouvre au mari qu’après avoir caché son amant.   83 De souci.   84 Elle le couvre.   85 Contre lui.   86 Original : De   87 « Ma foy, dit-elle, vous ne serez pas en mon livre enregistré (…) que je ne sache quel harnois vous portez. » Cent Nouvelles nouvelles, 15.   88 Ce bois qui se lève bien haut est une métaphore phallique. Cf. le Ramonneur, v. 276.   89 « Lors il luy a fait la chosette/ Qu’une fille peut désirer. » Gaultier-Garguille.   90 Dans la Mauvaistié des femmes, l’épouse met en cage un cocu [un coucou].   91 Elle en enlève les draps sales.   92 Elle le déshabille.   93 Elle tire de l’eau du puits.   94 Gracieuse.   95 Elle l’appelle son ami. Mais on peut comprendre : Son amant l’appelle.   96 Lui, il nourrit ses enfants à elle.   97 Qu’il se met en colère pour quoi que ce soit. Le jeu de mots sur « marri » et « mari » n’est pas nouveau : « Le mary fut fort marry. » Les Joyeuses adventures.   98 Aux femmes du public. Puis son valet s’adressera aux hommes, pour être sûr de n’omettre aucun acheteur potentiel.   99 Il n’y a pas ici de femme si rusée.   100 Pour s’améliorer encore en matière de ruse.   101 Une partition.   102 Pour une pièce de monnaie. Idem vers 802, 1062, 1254.   103 Allons ! Idem vers 413, 691, 732, 737, 821.   104 Vous conduire. « Tant charia/ Qu’en la parfin se maria,/ Comme fols. » ATILF.   105 Déclare, révèle.   106 Prenez nos chansons, vous ferez sagement.   107 Ce personnage du Mystère a écouté la chanson parmi le public. Il monte sur scène. Dans la vie, il aime deux choses : le vin et les chansons misogynes. Ailleurs, il entonne celle-ci : « Je revenoye de cure./ Trouvay une vieille dure/ Qui avoit une grant hure/ Plaine de toute laidure. »   108 S’évertuent. Le Messager sillonne le pays dans tous les sens.   109 Sans contestation.   110 Une centaine de partitions. Idem vers 286, 1056, 1061. L’Aveugle est à la fois détaillant et grossiste.   111 Qu’il me vienne malheur (verbe méchoir).   112 Si j’étais passé ailleurs.   113 Ni soir, ni matin. Cf. Saincte-Caquette, v. 288.   114 Un seul mot.   115 Par avance. Idem v. 1262.   116 Qu’il n’y ait pas de pièce fausse ou rognée. Même méfiance de l’Aveugle aux vers 1065-6.   117 On demande toujours les dernières nouvelles aux messagers, qui voyagent beaucoup (vers 277-280).   118 Une chose terrible. Cf. D’un qui se fait examiner, v. 284.   119 Si j’étais aveugle.   120 Quand Jésus était vivant.   121 La lumière, la vue. Cf. l’Aveugle et Picolin, vers 92.   122 Que ce soit moi. Cf. la Laitière, vers 120 et note.   123 Plénier, complet.   124 Qu’il n’en manque.   125 Avec. Idem vers 1110 et 1293. Cf. les Esbahis, v. 215. Les serviteurs étaient payés une fois par an, et Saudret ne travaille pour l’Aveugle que depuis 146 jours. Mais s’étant fait rouler par son précédent maître, qui a retrouvé la vue grâce à un miracle, il exige d’être payé tout de suite au cas où Gallebois serait lui-même guéri par un miracle.   126 Quand nous serons revenus du sépulcre.   127 Par la loi des chrétiens, opposée à la loi des juifs, qu’on critique au v. 316. Idem vers 384, 464, 843, 1119, 1160.   128 Quand Jésus lui eut rendu la vue.   129 Siffler comme on siffle un chien. Un baude est un chien de chasse. Un des chiens de Charles d’Orléans portait même ce nom : « Laissez Baude buissonner ! »   130 Qu’il me l’a baillée belle. L’aveugle-né s’est vengé d’un hypocrite qui piochait dans son escarcelle, comme il le lui reproche dans le Mystère de la Passion d’Arras : « Oste ta main hors de ma tasse,/ Hardeaux ! Je t’y sens bien aler. »   131 Qu’il ne manquera pas un sou.   132 Si j’y vais, au sépulcre.   133 Il vaut mieux être sûr que de rester dans le doute.   134 De faire crédit de son argent.   135 Rayé de votre livre de comptes. Dans le Mystère de S. Bernard de Menthon, un aveugle recouvre miraculeusement la vue et refuse de payer son valet, dont il n’a plus besoin : V. Payez-moy avant que partez,/ Ou débat à moy vous aurez,/ Car je vous ay très bien serviz./ A. Mon amy, jamais ne te vy/ Jusques or ; ne sçay qui tu es./ V. Mal jour doint Dieu (à celui) qui t’a les yeulx/ Anssy gariz ! Dolent j’en suis./ Ne resteray de quérir huy/ Tant que je treuve ung aultre orbache [aveugle]. »   136 À notre retour du sépulcre.   137 Bavarder.   138 Un peu. Idem v. 989.   139 Cession.   140 De tout mon argent disponible.   141 Négligent.   142 Que je te paye.   143 Comptant, intégralement. Idem v. 971.   144 Il ne faut plus s’en émouvoir, s’en préoccuper.   145 De mon travail de copiste.   146 Je renonce à vous avoir pour maître.   147 Au moins. Cf. la Pippée, v. 764.   148 De mes copies de partitions.   149 Si méprisable, en acceptant de travailler pour rien.   150 Avant que je ne bouge de là. Idem v. 410.   151 Original : ung denier poy  (« -ois » rime en « -ais », comme aux vers 90 et 368.)   152 Assez malin. Cf. le Capitaine Mal-en-point, v. 185.   153 Me soustraire.   154 « L’Aveugle compte l’argent et le remet à Saudret en lui disant. »   155 Sans retard. Idem v. 703.   156 Comme il convient.   157 Et qu’Il veuille bien me rendre la vue.   158 Fuir.   159 De pied en cap : des pieds à la tête.   160 De renvoyer la Mort en lui opposant un « vidimus sans queue ». Voir le v. 281 de Marchebeau et Galop, et le v. 247 du Dorellot.   161 Je vous laisserai dans ce combat d’escrime.   162 Je vous planterai là. Cf. les Femmes qui plantent leurs maris pour reverdir.   163 Refroidir.   164 Nous éloigner. « Un peu arrière se rusa. » Godefroy.   165 Orig. : men   166 Des archers anglais de la guerre de Cent Ans. L’auteur joue habilement avec les anachronismes.   167 Qu’ils aient raison ou tort. Idem vers 784 et 937. Saudret s’immobilise tout à coup, et l’Aveugle pendu à ses basques en fait donc autant.   168 « Saudret modifie sa voix, et dit alors. » Il se fait passer pour un soudard anglais, avec un accent caricatural. Le gag du changement de voix remonte au moins au XIIIe siècle : dans la farce du Garçon et de l’Aveugle, un valet gifle son maître aveugle en se faisant passer pour quelqu’un d’autre. Dans la farce de Goguelu (voir ma notice), le valet bat son employeur aveugle en usurpant la voix d’un sergent.   169 Vous êtes (accent anglais).   170 Il sera, un jour lointain, le protecteur de l’Angleterre. Ce mot compte pour 1 syllabe : « Tout Angleter plory, point n’a-ti fable./ Car, by saint Georg ! tout l’a-ty malheureux. » Regrect que faict un Angloys de millort Havart.   171 « Saudret parle avec sa première voix. » Il reprend sa voix naturelle.   172 Pour obtenir du pape le pardon de ses péchés. Encore un anachronisme !   173 Que cela vous plaise ou pas. Idem v. 556.   174 Il s’agit de saint Ninian, qui évangélisera l’Écosse, quand il sera né… « Sainct Treignan ! foutys-vous d’Escoss ? » (Pantagruel, 9.) Cf. Frère Fécisti, v. 416.   175 Où sont-ils ?   176 L’original semble porter rasler, qui n’a ici aucun sens. Rêver = perdre son temps. « Dea ! Jaquinot, sans plus resver,/ Ayde-moy à lever ta femme ! » Le Cuvier.   177 Il tend 10 sous au faux Anglais.   178 Déformation de : by God ! by’r Lord ! « Foy que doy brulare bigot ! » Villon.   179 Orig. : Encores ny   180 Par ce sentier, plutôt que par la route. Les deux hommes retournent en ville, et il ne sera plus question d’un pèlerinage au sépulcre.   181 Pauvre de moi !   182 Voulant montrer du respect à son serviteur en le vouvoyant, l’Aveugle commence à mélanger le « tu » et le « vous ». Son trouble ne fera que s’amplifier, jusqu’à en devenir pathologique.   183 Haleine : j’ai le souffle court.   184 De peur. Scandé pa-our, comme à 518.   185 Puanteur.   186 Je l’affirme à Dieu. Eustache Deschamps l’épingle dans sa Ballade des jurons : « (Il) n’y a/ Si meschant qui encor ne die/ “Je regni Dieu !” chascune fie,/ “À Dieu le veu !”, “À Dieu l’affy !” »   187 Je ne vois rien. « Mon » est une particule de renforcement, comme à 535.   188 Plus de raison d’avoir peur.   189 Celui que.   190 Vésarde, frayeur.   191 Les deux mendiants sont revenus à Jérusalem.   192 Or. : Voire   193 Si quelqu’un avait un morceau d’andouille. Saudret se tourne vers le public.   194 Qui mouille le gosier.   195 J’y prêterais attention.   196 Cette réponse est aussi impolie que le « hau ! » de 135.   197 Saudret répond à une question absurde par une autre question encore plus absurde.   198 Dans quel monde vit-on ! Cf. le Ribault marié, vers 99 et 391. Mais Saudret feint d’y voir une question, à laquelle il répond.   199 Or. : ce  (Il ne le faudra pas.)   200 De votre gorge. Cf. la Résurrection Jénin à Paulme, v. 122.   201 Si on vous laissait faire ; mais je n’ai pas l’intention de vous laisser faire.   202 Ramenez à l’étable. C’est un ordre qu’on donne aux bouviers.   203 Si vous avez le malheur de me frapper.   204 En votre présence.   205 Allez chier ! Cf. Ung jeune moyne, v. 323.   206 La valeur d’un navet.   207 De votre qualité de maître. Idem v. 395.   208 Un paysan, un roturier. Le mot « vilain » pique au vif le faux noble, et va mettre le feu aux poudres.   209 Misérable mendiant.   210 Or. : redoubtes  (Double péquenot sournois.)   211 Quand on provoque un homme en duel, on lui jette un gant, qu’il doit relever (comme au v. 603) s’il accepte le combat. Nous entrons dans une parodie des romans de chevalerie.   212 Qu’est-ce qui vous est passé par la tête.   213 Je vous attends.   214 Te valût, te vaudrait. Idem v. 684.   215 Te répandre.   216 Il ramasse la mitaine sale que l’Aveugle a jetée par terre.   217 Quant à moi.   218 En ce qui me concerne.   219 Je choisis un duel dans un espace limité.   220 Voir ma notice. Seuls les nobles se battaient en duel. L’offensé avait le choix des armes. Ici, tout le cérémonial est ramené à un jeu d’enfants.   221 Après avoir imité la voix d’un soudard, Saudret va contrefaire un preux chevalier, plus susceptible de plaire à l’Aveugle qui, voulant passer pour noble, arbore des sentiments chevaleresques. Ce rôle est à la fois vocal et physique ; c’est pourquoi l’auteur crée un personnage fictif qu’il baptise Fictus. L’écriture de cette scène est d’une modernité qu’aucune avant-garde n’a daigné relever.   222 À moi. « Vous soubvienne de boyre à my pour la pareille ! » Gargantua, Prologue.   223 Or. : Par  (« On disoit autrefois d’un chevalier extrêmement accompli, que c’estoit fine fleur de chevalerie. » Dict. de l’Académie françoise.)   224 Tort. Idem v. 1018.   225 Et un démenti à mes paroles.   226 Sur une planche. L’estrade fera l’affaire.   227 Pour peu qu’il y ait quelqu’un. En terme de duel, on nomme cela un témoin.   228 Que la fidélité aux règles du tournoi féodal.   229 La vielle que vous portez en bandoulière. « Dous sons/ De harpes et de simphonies. » ATILF.   230 Conté, exposé.   231 Ce qu’il en est.   232 Délicatement, sans trop serrer.   233 Vous entendrez qu’il en sortira une querelle.   234 Et je vous garantis. Idem v. 978.   235 Attaché. Naturellement, il ne l’est pas.   236 Que je ne te ferai pas défaut.   237 Or. : et  —  en   238 Au jeu de paume, servir au rabat c’est feinter l’adversaire en rabattant l’éteuf vers le sol. « Mais un tas de mal gratieux/ Veulent tous servir au rabat. » Le Pèlerinage de Mariage.   239 Descendez votre panse, pour que je puisse attacher vos chevilles à vos poignets.   240 Pour lui faire sa fête. Idem v. 798. La broche en bois sert à piquer les fesses de l’adversaire.   241 Péter. Idem v. 725. « Mais quoy ! s’on l’oit vécir ne poire,/ En oultre aura les fièvres quartes ! » (Villon.) Quand il a peur, l’Aveugle ne maîtrise plus son sphincter : voir les vers 504, 734 et 792.   242 Dérangé.   243 Le meilleur moyen pour parvenir à piquer l’adversaire, c’est de le faire tomber en le bousculant.   244 Si je n’échoue pas dans mon intention. Cf. le Ribault marié, v. 134.   245 Une sonde. « Se playe avoit patente,/ Y fauldroit une tente. » Les Sotz fourréz de malice.   246 La voici. Fictus-Saudret donne un bâton court à l’Aveugle et en prend un long pour lui.   247 Libéré, détaché.   248 Le ms. BnF omet ce vers, qui est d’ailleurs litigieux : lui et le suivant reprennent les vers 157-8.   249 Par provocation, Saudret décoche à son adversaire le « hau ! » qu’il lui a défendu au v. 135. Il va récidiver à 762   250 Que vous vous défendiez. Chez l’Aveugle, la confusion des pronoms est à son comble ; comme on dit familièrement, c’est ni toi ni vous.   251 Et moi, je vous somme (dans la continuité du v. 744).   252 Un esprit mal tourné pourrait comprendre « maquerelles ».   253 Je ne te redoute pas.   254 Votre lance. « Saqueboutes, picquetz, estocz. » (ATILF.) Saudret, dont les mains sont libres, arrache à l’Aveugle son bâton.   255 Or. : je   256 Je n’ai plus de lance pour continuer le métier des armes.   257 Saudret agrippe les chevilles de l’Aveugle et le fait tomber à quatre pattes.   258 Aller à la selle. Idem v. 770. L’Aveugle est rattrapé par ses problèmes intestinaux (vers 733-6).   259 J’irai vous dire deux mots ! Avec son bâton, Saudret pique les fesses de l’Aveugle.   260 « Il le pique. »   261 De le faire. Le soi-disant témoin du duel ajoute une règle qui n’était pas prévue. Il est vrai qu’un « fictus testis » est un faux témoin.   262 Je fais appel, je m’y oppose.   263 « Fictus jette de l’eau, disant. » Fictus-Saudret vide un seau d’eau sur le postérieur de l’Aveugle, qui est à quatre pattes. Dans l’Aveugle et son Varlet tort, de François Briand, le valet fait mine de tondre son maître et lui verse de l’eau sur la tête : « L’eau me descend jusques au cul ! » Ledit valet abuse l’Aveugle en prenant une voix de femme : « Vous musez cy trop longuement./ Et ! par Dé, vous aurez de l’eau ! » Il se fera même passer pour Jésus, censé rendre la vue à son maître   264 Cette seillée, ce seau d’eau.   265 Bavarder.   266 Comme le plumage d’une tourterelle. Fictus-Saudret donne des coups de bâton sur les fesses de l’Aveugle, comme on frappe du linge mouillé pour l’essorer.   267 Et d’un ! Cf. Maistre Mymin qui va à la guerre, v. 137.   268 Or. : couscheray  (Je vais me conchier. Voir le v. 504.)   269 Je le piquerai de ma lance.   270 De tout ce que je proférai contre toi.   271 Au v. 138, l’Aveugle voulait être honoré de ce titre.   272 Vers manquant. « Mais un estron pour te repaistre ! » (Le Bateleur.) Saudret fait semblant d’être lui aussi victime des coups donnés par Fictus.   273 Si besoin est.   274 L’injure que vous m’avez faite en me traitant de « vilain ».   275 Sans vous garder de mauvais ressentiment. Cf. la Fille esgarée, v. 149.   276 D’arrhes. « Il lui avoit baillé un escu de XVIII s[ous] d’erres. » (ATILF.) Cf. le Mince de quaire, vers 187, 226 et 228.   277 Pause : j’ai été longtemps ficelé.   278 Tromper.   279 Et s’enfuir en courant, « jouer de la botte », comme on dit dans Raoullet Ployart. Remarquons la cruauté de Saudret, qui feint de croire que le vieil Aveugle peut piquer un sprint dans le noir, alors qu’il court « bien pesantement » (vers 520).   280 Pour peu.   281 Je n’oserais.   282 Dans la manche du manteau que l’Aveugle a dû retirer au v. 654 : c’est pour cela qu’il ne peut pas donner l’argent lui-même. Faute de poches, on mettait la bourse dans sa braguette ou dans sa manche ; voir le vers 319 de Massons et charpentiers.  Le drapel est un mouchoir noué dans lequel on enveloppe des pièces. « Un petit drappel noué ensemble, ouquel avoit environ LXXVI pièces d’or. » ATILF.   283 Pas un poil.   284 Qu’on ne puisse m’accuser de vol.   285 J’aimerais mieux. Même vers dans Raoullet Ployart.   286 Que d’avoir pris un centime de votre argent sans votre permission. Fictus-Saudret trouve le mouchoir dans la manche du manteau, et en prélève au moins 10 sous.   287 Qu’on n’en parle plus. « Et n’y ait plus dit ne songié. » ATILF.   288 Or. : ne  (Que mon maître soit détaché.)  Saudret libère l’Aveugle de ses liens.   289 Reconnaît sa faute.   290 De la viande rôtie. Une pâtisserie est une pâte fourrée de viande ou de poisson et cuite au four, comme le pâté de pigeon des vers 1241-2.   291 Gourmandise.   292 L’aveugle et Saudret sortent de la taverne, où le valet a bu et mangé pour deux, sans doute avec le concours intéressé du tavernier. Saudret aurait pu renoncer plus tôt à son alias, Fictus ; mais, étourdi par sa propre virtuosité, il veut s’en griser jusqu’au bout. D’autant que l’Aveugle a encore de l’argent à perdre.   293 Restauré.   294 Dieu.   295 Quant à moi. Idem v. 969.   296 En son nom.   297 Ses occupations.   298 En péril.   299 Mérité. Cf. la Chanson des dyables, vers 122.   300 Serviable.   301 Qu’on vous mette à l’amende. La taille est un impôt.   302 Or. : ne mais  (Huimais = aujourd’hui. « Nous yrons huymais à une mienne maison. » La Curne.)   303 Or. : pour  (L’en demain = le jour suivant. Idem v. 1018. « L’en demain, le mena le roy Phelippe à Paris. » Gestes au bon roy Phelippe.)   304 Que tu te verses à toi-même cet argent prélevé sur le produit de notre quête.   305 Saudret se prend pour Dieu.   306 Maintenant.   307 Sur le prochain produit.   308 Afin de montrer leur bonne foi dans une transaction verbale, les escrocs ajoutent une petite pièce « pour Dieu ». Ainsi, quand maître Pathelin arnaque le drapier : « Dieu sera/ Payé des premiers, c’est rayson :/ Vécy ung denier. »   309 Mon ami. Cette forme fossile représente un singulier : cf. la Confession Rifflart, v. 185.   310 Une chose feinte est une illusion.   311 D’habitant si modeste.   312 Le soi-disant Chose-feinte est censé partir. Saudret usera de sa voix naturelle jusqu’à la fin.   313 Un grand cortège de gens d’un rang élevé. Cf. le Maistre d’escolle, vers 82.   314 Sans nous cacher.   315 Le remanieur du texte copié dans le ms. BnF (voir ma notice) remplace par une didascalie cette chanson à boire qui n’en finit pas : Icy chantent tous deux quelque belle chançon. À titre indicatif, j’en ai sauvé quelques strophes.   316 A peuplé.   317 Or. : oura  —  saura  (À celui qui sait dire. L’auteur de la chanson parle de lui-même.)   318 Celui : Dieu.   319 J’ai eu envie de chanter un peu la vie des buveurs.   320 Sinon du bien. « En bonne amour n’a se bien non. » Christine de Pizan.   321 Mort.   322 Et la vinée aiguise son esprit. Ou son « engin »…   323 Le vin blanc fait des guérisons.   324 Or. : vermeille  (Le vin rouge.)   325 Dans l’oisiveté.   326 Tant qu’ils.   327 Triste figure et piteuse contenance. Bref, la gueule de bois !   328 Délivrés, dessoûlés.   329 Comme pendant la soirée.   330 Son profit. Idem v. 1179.   331 Que tu distribues nos partitions.   332 Tombe (verbe choir).   333 Avant toute œuvre : avant toute chose.   334 Que je puisse les recouvrer, les récupérer.   335 De chaque rôlet, de chaque exemplaire. Idem v. 1058.   336 De celle-ci.   337 Le restant.   338 L’Aveugle a coutume de danser pendant qu’il chante et joue de la vielle.   339 Sur nos rognons, nos reins. Cf. le Gaudisseur, v. 192.   340 De l’argent. Ce mot d’argot se lit notamment dans le Mistère de la Passion, vers 177 et 186.   341 Bien servi en vin.   342 Révisons nos chansons. Les répétitions pouvaient donc se tenir dans une taverne.   343 Que nous nous y repaissions de nourriture et de vin.   344 Ni foie. N’as-tu pas faim et soif ?   345 Vu, devant une table bien garnie. Mais le sadisme de Saudret refait surface : l’Aveugle n’a rien « vu ».   346 Quelques jours plus tard, alors que le gueuleton à la taverne est depuis longtemps digéré.   347 Si tu as des victuailles.   348 Or. : grant  —  present   349 Que je puisse frapper avec mes dents. Sous-entendu : Dont je puisse frapper vos dents.   350 Ils nous donnent au moins de la nourriture à bon marché.   351 Scrupule. « Or ne faisons donques dangier/ Ne de boire ne de mengier. » ATILF.   352 Tu chois, tu tombes.   353 Guide-nous.   354 Habile. Idem v. 1203.   355 Il ne devrait y avoir.   356 Ni chaumière. Cf. les Rapporteurs, v. 312.   357 Déclamer un « cri » de mendiants, comme celui des vers 1125-32.   358 Votre talent. Ce mot s’applique aux artisans qui sont passés maîtres dans leur art.   359 L’ouvroir, l’officine. L’Apothicaire tient un rôle dans le Mystère.   360 S’il vous plaît. Idem vers 1281 et 1306.   361 Une petite maille, une piécette. Voir la note 9.   362 De la chair : de la viande. Idem v. 1248.   363 Ce qui déborde. « Pleuvoir à la verse : bien fort, comme qui verseroit de l’eau. » Oudin.   364 Il dépose une cruche et des restes de repas au coin de son étal, et y place deux chaises.   365 Asseyons-nous. Saudret met tous les bons morceaux dans sa bouche ou dans sa besace, et ne donne à l’Aveugle que des miettes.   366 Sur une planche à pain.   367 « On appelle pain mollet un petit pain dont la mie est légère & tendre. » Furetière.   368 Allons donc !   369 Du pain bis, mal raffiné.   370 Cela te vaudra une récompense, s’il me reste du temps à vivre.   371 Le tailloir est une épaisse tranche de pain qui, sur les tables riches, tient lieu d’assiette. Après le repas, quand il est imbibé de sauce et de graisse, on le donne aux pauvres, si on n’a pas de chien.   372 Sans faire de difficultés. Cf. Frère Frappart, v. 48.   373 Un tronçon, un peu.   374 « Il boit. »   375 J’ajoute ces 2 vers pour les rimes, en recyclant les vers 1180 et 299. Saudret a fini le pot.   376 Chacun son tour. « Allons boire chacun sa foys. » Pierre Gringore.   377 « Le valet de taverne dit. » Dans le Mystère, ce serviteur et son patron tiennent la taverne du village d’Emmaüs. Les deux mendiants ne vont donc pas dans leur taverne habituelle.   378 Sachez-le.   379 Des gens qui ont dilapidé leur bien en se gouvernant mal. « Tu as prins l’estat de taverne,/ Où les enfans de Maugouverne/ Ont mengé tous leurs revenus. » Godefroy.   380 Or. : doulx   381 Habile, avec sa robe de toile, moins riche qu’une robe de laine ou de soie.   382 À l’auberge de la belle étoile. « Car bon vin il y a tousjours/ Au logis de la Belle Estoille. » Mystère des Trois Doms.   383 Bien que nous soyons. Mais on pourrait mettre « si » à la place de « que » : « Pourtant, si je suis mal vestu,/ Doy-je estre ravalé de vous ? » Vie de sainct Didier.   384 Des banquiers genevois étaient installés à Lyon.   385 Qu’on me tonde comme un fou. Voir la note 59.   386 Le touche, le frappe.   387 Devant tout le monde.   388 Dans le Mystère, l’aubergiste explique pourquoi les cavaliers sont plus rentables que les gens à pied : « Il fait grant mal/ À hostelliers de reffuser/ Gens à cheval pour s’amuser/ À loger chez eulx gens à pié,/ Où il n’a pas de la moitié/ Tant de prouffit comme en chevaulx. »   389 Sans hésitation.   390 Comme de braves gens. Idem vers 16 et 209.   391 Votre monnaie, sur laquelle est frappée une croix. Voir la note 3. Il s’agit bien sûr d’un anachronisme.   392 Sans perdre plus de temps. Idem v. 1274.   393 Rien à manger.   394 Aujourd’hui.   395 Le Mystère le qualifie de « saint », alors qu’il n’était encore qu’un disciple de Jésus parmi d’autres.   396 Or. : alastre  (Trépassé. « S’il avient que aucuns desdiz évesques (…) soit translaté ou alé de vie à trespas. » Godefroy.)   397 De poulets.   398 Le onzain vaut 10 deniers. Cf. les Sotz triumphans, v. 35.   399 Cette farce fut créée à la cour de René d’Anjou en 1456. Au même endroit, l’année suivante, fut créée la Farce de Pathelin, qui s’inspire du présent marchandage : « –Tant m’en fault-il, se vous l’avez./ –Dea, c’est trop !Ha ! vous ne sçavez/ Comment le drap est enchéri. » Voir TRIBOULET : La Farce de Pathelin. GKC, 2011.   400 Pour ce prix.   401 Je paierais plutôt de ma poche.   402 De votre bourse en peau de chevreau. Double sens : « Tirer au chevrotin : To eat, or drink exceeding much. » Cotgrave.   403 Il donne 3 onzains au garçon.   404 Le valet de l’Aveugle nomme le valet de taverne son « cousin », pour le remettre à sa place.   405 Aujourd’hui.   406 Nous ne ferions pas citer à comparaître nos mauvais payeurs.   407 Revenu. Il pose tout sur la table et retourne en cuisine.   408 Or. : beu et   409 Nous mettre en voie, en route.   410 Pénurie. « L’abbaye de Saincte-Souffrète » (Lettre d’escorniflerie) est l’un de ces couvents joyeux dont les adeptes n’ont rien à manger. Dans les Repues franches, « les Gallans sans soucy » ont fait allégeance « à l’abbé de Saincte-Souffrette ».   411 Partager, distribuer.   412 Dieu vous le rendra. « Vous n’y perdrez seulement que l’attente. » Villon.   413 Très malins. Cf. les Sotz triumphans, v. 292.   414 Or. : Que  (Si vous pouviez.)   415 Ne vous courroucez pas.   416 Avec nous (note 125), à cause de nous.   417 En un mot. Même vers dans les Drois de la Porte Bodés.   418 L’hôtelier sort de la cuisine en entendant du bruit.   419 Brièvement, bien vite.   420 Or. : me  (Pourquoi ne les libères-tu pas de leurs gages ?)   421 Gueux, mendiants. Voir les « deux Coquins » du Pasté et la tarte.   422 Supportez votre pauvreté.   423 L’âme de Jésus, avant de se mettre à prêcher, a eu l’obligeance d’attendre que les resquilleurs aient fini leur dispute et leur chanson. Mais elle n’est pas allée jusqu’à rendre la vue à notre aveugle. Le Brigant et le Vilain, une farce incluse dans la Vie monseigneur saint Fiacre, se termine par une scène de taverne dont le dernier vers donne également la parole à Jésus.

LES TYRANS

Bibliothèque nationale de France

Bibliothèque nationale de France

.

*

LES  TYRANS

*

.

Les représentations de Mystères s’étalaient sur plusieurs jours ou plusieurs semaines, et exigeaient de la part des acteurs et du public une tension dramatique difficile à soutenir. Pour détendre l’atmosphère, on y incluait des farces : « Par-dedans ledit Mistère, y avoit certaine farce meslée, par manière de faire resveiller ou rire les gens. » (Dijon, 1447.) Parfois, la farce est notée dans le manuscrit du Mystère : les farces du Munyer et de l’Aveugle et le Boiteux font partie intégrante du Mystère de saint Martin ; celle du Bri­gant et le Vilain est indissociable de la Vie monseigneur saint Fiacre ; celle de l’Aveugle et Saudret se trouve dans le Mistère de la Résurrection ; celle de Baudet, Blondète et Mal-enpoint est incluse dans le Mystère des trois Doms ; celle de Maubec, Mallegorge et Mallegueype appartient au Mystère de la Passion d’Auvergne ; celle des Bélistres est insérée dans les Actes des Apostres, et l’on en découvrirait plus d’une dans la Vie de sainct Christofle : voir par exemple les Basteleurs, ou L’Andureau et L’Andurée, ou les Tyrans au bordeau. Indépen­damment de ces farces avouées, un nombre considérable de scènes de Mystères ont une écriture farcesque, à base d’injures (scatologiques ou sexuelles1) et de coups, dans une langue qui rappelle beaucoup plus Audiard que Claudel. Elles font agir des personnages totalement profanes. En voici quatre exemples tirés du Mistère de la Passion, dans la version de Jehan Michel2, créée à Angers en 1486, et reprise à Paris jusqu’en 1507.

Source : Mistère de la Passion Jhésus Crist. Ms. fr. 971 de la Bibliothèque nationale de France, copié par Loÿs Bourgeoys en 1490. Je le corrige tacitement sur les plus anciennes éditions gothiques.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

*

[ BARRABAS, larron                                GADIFFER, sergent de Hanne

  BRAYART, sergent de Pilate                 GESTAS, mauvais larron

  BRAYHAULT, geôlier                            GRIFFON, sergent de Pilate

  BRUYANT, sergent de Caïphe               GRONGNART, serviteur d’Hérode

  CLAQUEDENT, sergent de Pilate        HÉDROIT, vieille chambrière de Hanne

  DENTART, sergent de Hanne               MALCHUS, sergent de Caïphe

  DISMAS, bon larron                              ORILLART, sergent de Pilate

  DRAGON, sergent de Caïphe                ROULLART, sergent de Hanne ]

.

*

La prise des larrons <folios 192 rº à 195 vº>. Une meute de « tyrans », c’est-à-dire de sergents, de tortionnaires et de bourreaux, attaque une horde de voleurs. Cette bataille de crapules suit sans transition la larmoyante conversion de Madeleine.

                          Icy est faicte la prinse des trois larrons.

                          Et porte Dismas une robe sur ses espaules comme s’il

                          l’avoit emblée 3, et Barrrabas a ung glaive sanglant

                          comme s’il venoit de faire ung meurtre.

                          GESTAS,  mauvais larron

        Je ne crains ne Dieu, ne le diable,

        N(e) homme tant soit espoventable,

        Quant je me despite4 une foiz.

                          BARRABAS

        Je ne fais compte5 d’estrangler

5      Ung homme, non plus qu(e) ung sanglier

        De manger le glan par les boys.

                          DISMAS,  bon larron

        Je destrousse, par ces chemins,

        Tous bons marchans et pèlerins,

        Quant puis mectre sur eulx la pate.

                          GESTAS

10    Je suis des crocheteurs le maistre :

        Et n’est huys, coffre ne fenestre

        Que je ne crochète ou abate.

                          BARRABAS

        Je suis Barrabas, homicide

        Plain de toute sédicion6,

15    Qui ne paye tribut ne subside ;

        Et ne vueil ne secours n(e) aïde7

        Pour faire quelque mocion8.

        J’ay tué sans permission

        Ung9 homme, parmy ceste ville,

20    Dont pas ne fais confession,

        De peur de justice civille.

                          DISMAS

        Il nous fault trouver de l’argent

        Quelque part, de croq ou de hanche10.

                          GESTAS

        S’il passe par cy quelque gent,

25    Je ne seray point négligent

        Que ne leur donne jusqu’au manche11.

                          DISMAS

        Ha ! si j’acroche homme à la manche

        Et il soit garny de mitaille12,

        Je luy donneray sa revanche

30    S’il emporte denier ne maille13.

                          BARRABAS  dit à Dismas :

        Qui t’a baillé ceste frepaille14,

        Dismas ? Où as-tu prins amplète15 ?

                          DISMAS

        J’ay desrobé ceste jaquecte

        À je ne sçay quel pèlerin

35    Qui passoit icy son chemin.

        Mais sur luy, n’avoit rien meilleur.

                          BARRABAS

        Tu le devois (pour ton honneur)

        Estrangler, ou tuer de coups,

        Puis le laisser manger aux loups,

40    Ou le gecter en quelque fosse.

                          DISMAS

        Il me suffist d’avoir l’endosse16,

        Puisqu’il n’avoit ne croix ne pille17.

.

                          Interlocutoire des six tyrans.18

                          BRUYANT,  tirant de Caÿphe 19

        Quel temps court-il, présent, par ville ?

        Sces-tu rien de nouveau, Roullart ?

45    Y a-il meschant ne soullart20

        Sur qui puissons mectre les mains ?

                          ROULLART,  tirant de Anne 21

        Je m’actens qu(e) ung de ces demains,

        Il cherra22 quelque chose en taille

        Où nous pourrons gaingner quinquaille23

50    Pour nous rembourser de noz pertes.

                          DENTART,  tirant de Anne

        Hée ! que j’ay les deux mains ouvertes,

        Pour bien pescher au fons d’ung plat

        Et ruer par terre tout plat

        Ung vilain, s’il chet en ma basche24 !

                          MALCUS,  tirant de Caÿphe

55    Je [sçay que ne seray]25 pas lasche,

        Mais qu(e) une foiz on me dye : « Hare26 ! »

                          GADIFER,  tirant de Anne

        Nous sommes cy tous gens de care27

        Pour exploicter une besongne

        Soubdain, mais qu’on nous embesongne28

60    À mectre quelqu(e) ung à raison.

                          DRAGON,  tirant de Caÿphe

        Nous perdons cy belle saison29.

        Que nous ne tenons30 trois ou quatre

        Pouvres meschans31, pour nous esbatre

        À les batre toute journée !

                          BRUYANT,  tirant de Caÿphe

65    Hée ! si Fortune feust tournée

        Sur aucun32 dont on eust envie

        De luy faire perdre la vie,

        Il seroit tantost bas de poil33.

                          DENTART

        Nous le vous batrions comme toil’34,

70    Tant qu(e) après, n’y auroit que batre35.

                          MALCUS

        Allons quelque part nous esbatre

        Pour passer temps.

                          Icy marchent ung peu les six tirans.

                          ROULLART

                                         Sus, sus, gallans !

        J’apperçoy là noz trois challans36,

        Que nous avons charge de prandre.

                          DRAGON

75    S’ilz retournent sans beste vendre37,

        Que je soie pendu !

                          GADIFER

                                        Esse pas

        Cest homicide Barrabas

        Et ces deux guecteurs de chemins38 ?

                          BRUYANT

        Chargeons sur ces trois « pèlerins39 »,

80    Et les allons saisir au corps !

                          Icy viennent les six tirans assaillir les trois

                          larrons ; et sont deux tirans sur chascun larron.

                          ROULLART

        Demourez, ou vous estes mors !

        Dessus ! dessus !

                          GESTAS

                                    Homme n’approche !

        Ou – je regny Dieu ! – sans reproche,

        Je le mectray sur les carreaulx !

                          BARRABAS

85    Recullez, recullez, ribaulx !

        Homme n’approche, si hardy40 !

                          DISMAS

        Frappons dessus à l’estourdy41 !

        Tu es mort, ribault !    Il frappe.

                          DRAGON

                                         Et toy mort !    Il frappe.

                          Icy s’entrebatent tous ensemble, puis

                          Bruyant et Malcus prennent Dismas.

                          BRUYANT

        Cestuy-cy n’est pas le plus fort.

90    Je l’estourdis42 comme ung poullet,

        Et le tiens si bien au colet

        Qu’il n’a garde de m’eschapper.

                          Roullart et Dentart prennent Barrabas.

                          ROULLART

        Ilz sont nostres, sans plus frapper.

        Nous tenons Barrabas aux trousses43.

                          Dragon et Gadiffer prennent Gestas.

                          DRAGON

95    Pour cinq ou six bonnes secousses,

        Gestas en sçauroit bien respondre44.

                          GADIFFER

        Allons mectre ces gallans pondre

        Sur la belle paille jolye45.

                          MALCHUS

        Il fault bien que, premier, je lye

100  Dismas, que je tiens à la robe.

                          Icy, lient les larrons.

                          DENTART

        Si jamais nul des troys desrobe

        Pèlerin, marchant ou bourgeoys,

        Je veil qu’on me couppe les doys,

        Puis46 qu(e) une foys l’ay acroché !

                          ROULLART

105  Nous avons tant escarmouché

        Que nous avons eu le dessus

        De noz troys « pèlerins ». Sus, sus !

        Pourvoyons de ce qu’il leur fault.

                          BRUYANT

        Allons les loger chez Brayhault47,

110  Et luy recommandons ces hostes.

        Car ilz coucheront ob48 leurs botes

        Et se veautreront sur le soil49.

                          DENTART

        On leur fera bien changer poil50

        Devant qu’il soit jamais dix jours51.

                          DISMAS

115  Nostre faict va bien à rebours.

        Âme n’avons52 qui nous conforte.

.

                          MALCHUS,  au geôlier :

        Hau ! Braihault ! Le dyable l’emporte :

        Le paillart nous fait cy le sourt.

        Brayhault ! Brayhault ! Il est si gourt53

120  Qu’il ne scet de quel pié marcher.

                          DRAGON

        Brayhault ! Brayhault ! Je l’oy54 cracher.

        Vez-le cy où il vient, tenez.

.

                          BRAYHAULT,  geôlier

        Estront, estront en vostre nez !

        Quel dyable venez-vous criant ?

125  Je n’ay pas loysir maintenant

        D’entendre à vous.

                          GADIFFER

                                       Hé ! gros moulu,

        Yvrongne parfaict, gros goulu !

        Trenche-tu, présent, du vilain55 ?

        On luy met le pain en la main,

130  Et encor fault-il qu’il s’en fume56.

                          DENTART

        Dea ! Brayhault, esse la coustume

        De traicter ainsi les gallans ?

        Regarde : vécy troys challans

        Qu’on t’amaine à ta pencion.

135  Et tous ensemble pencion57

        Te faire service et plaisir.

                          BRAYHAULT

        La male mort vous puist saisir,

        Et vous et tous voz aliés,

        Et qui les a prins et lyés,

140  Voire, et qui céans les amaine !

                          ROULLART

        As-tu peur de perdre ta peine,

        À festoyer ces troys « marchans » ?

        Ne te chaille : s’ilz sont meschans58,

        Ilz ont bon crédit par la ville59.

                          BRAYHAULT

145  Je croy qu’ilz n’ont ne croix ne pille,

        Puis60 que les avez empoignés…

        Mais si61 seront-ilz encoignés

        En quelque coing, pour l’amour d’eulx,

        Et bien enferrés deux et deulx62.

150  Puis après, on y pourvoira.

                          Icy les prend le geôlier.

        Ha ! [au frais viendrez]63 ! Çà, çà, çà !

        Il vous fault retirer à l’ombre,

        Que le chault ne vous face encombre :

        Entrez léans64 et prenez place !

                          Ycy entrent en la prison.

                          GESTAS

155  Le grant dyable y soit !

                          BRAYHAULT

                                              Prou vous face65 !

        Tantost feray la table mettre.

*

.

L’assemblée des tyrans <folios 332 rº à 332 vº> énonce des questions auxquelles la rime répond toujours par un monosyllabe. Ce jeu est notamment pratiqué dans la farce du Ramonneur de cheminées (voir sa note 27 pour d’autres exemples).

                          GADIFFER

        Qui66 nous veult, nous vécy tous prestz.

                          BRUYANT

        Sommes-nous bien atriqués67 ?

                          ROULLART

                                                            Très.

                          MALCUS

        Jamais nous n’auron mau temps68 ?

                          DRAGON

                                                                   Non.

                          DENTART

16069 Comment va de nostre fait ?

                          GADIFFER

                                                          Bon.

                          MALCHUS

        Sçaurion-nous mieulx souhaiter ?

                          BRUYANT

                                                               Rien.

                          ROULLART

        Comment se portent les gallans ?

                          MALCHUS

                                                               Bien.

                          DRAGON

        Et qu’esse de telz mignons ?

                          DENTART

                                                       Bruyt70.

                          GADIFFER

        Est nostre pain tout gaingné ?

                          MALCHUS

                                                         Cuyt.

                          BRUYANT

165  Qui a bon temps, pour présent ?

                          ROULLART

                                                             Nous.

                          GADIFFER

        Qui craint à nous desplaire ?

                          DRAGON

                                                       Tous.

                          DENTART

        Sommes-nous frais emplumés71 ?

                          GADIFFER

                                                                Drus.

                          MALCHUS

        Et qui nous pourroit nuyre ?

                          BRUYANT

                                                       Nulz.

*

.

Quand des sergents rencontrent d’autres sergents, ils se racontent des histoires de sergents dans l’argot des loubards. <Folios 336 rº à 336 vº.>

                          Icy viennent les quatre sergens de Pilate aux sergens

                          de Anne et de Caÿphe, et les aultres se vont armer.

                          GRIFFON

        Dieu gard les gueux de72 fier plumaige !

170  Comme se compassent millours73 ?

                          DRAGON  parle jargon

        Estoffés, moussus, sains, drus, gours74.

                          BRAYART

        Où brouent-ilz, présent, sur la sorne75 ?

                          GADIFFER

        Nous allons donner sur la corne76

        À quelque duppe.

                          ORILLART  (jargon)

                                      Est-il haussaire77 ?

                          CLAQUEDENT  (jargon)

175  Est-il gourt78 ?

                          MALCUS  (jargon)

                                 Mais mynce de caire79 :

        Il n’a tirandes, ne endosse80,

        Aubert, temple81, ne pain, [ne dosse]82 ;

        Le marmion83 est tout à sec.

                          ROULLART

        Nous y allons. Luez84 au bec,

180  Pour le vendangier à l’effroy85.

                          GRIFFON

        Et d’estoffe pour le deffray86,

        Qui en fonce87 ?

                         DENTART  (jargon)

                                   Qui ? Les millours.

                          BRAYART  (jargon)

        Son procès va donc à rebours88,

        S’il est grup89.

                          ORILLART  (jargon)

                                Devant qu’on s’i soulle90,

185  Les gours91 fonseront à la foulle,

        Et force d’aubert grupperon[s]92.

                           CLAQUEDENT

        Nous mouldrons franc93, et si, auron[s]

        Pain en paulme94 pour les souldars.

                          BRUYANT 95

        Targes, pertisanes et dars96,

190  Arbalestres et cranequins97,

        Arcs à jaletz et arcs turquins98 :

        Et ! vous en venez quant et nous99 ?

                          GRIFFON

        Qu’en dictes-vous ?

                          BRAYART

                                       Allons-y tous !

*

.

La prise de Jésus <folios 355 vº à 357 vº> exige des moyens disproportionnés : tous les sergents du Mystère sont requis, armés jusqu’aux dents. Ils n’auraient pourtant pas réussi leur coup sans l’aide d’une vieille harpie nommée Hédroit, chambrière de Hanne, et femme d’un forgeron qu’elle remplace occasionnellement : c’est elle qui aura le plaisir de fabriquer les clous de la crucifixion (v. la note 211 de Digeste Vieille).

                          Icy s’en vont Malchus et Grongnart parler à la vieille Hédroit,

                          et dit  MALCHUS :

        Hédroit, hau !

                          HÉDROIT 100

                               Qui est là ?

                          MALCHUS

                                                  Deux motz !

                          HÉDROIT

195  Que dyable vous fault-il si tart ?

        Qui esse ?

                          GRONGNART

                          Malchus et Grongnart,

        Deux des plus grans de voz amys.

                          HÉDROIT

        Pendu soit qui vous a là mys,

        Et qui vous aime mieux que moy !

200  Quelz amys pour faire ung desroy101 !

        Logez telz hostes près de vous !

                          GRONGNART

        Mon beau petit musequin102 doulx,

        Ouvrez-nous l’huys, ma doulce amye.

                          HÉDROIT

        Bran pour la belle compaignie !

205  Je n’ay cure de telz marchans.

                          GRONGNART

        Il nous fault aller sur les champs.

        Hédroit, faictes-nous ce plaisir.

                          HÉDROIT

        Vous estes bien à deloysir103

        D’aller, à ceste heure, moucher104 :

210  Il est temps de s’aller coucher,

        Et vous voulez aller par voye ?

                          MALCHUS

        C’est Monseigneur105 qui nous envoye

        Quelque part pour faire ung message.

                          HÉDROIT

        Il [n’en aura]106 pas d’avantage :

215  Qui trouvera pire que vous ?

                          GRONGNART

        Hédroit, je vous pry, prestez-nous

        Quelque lanterne ou quelque torche.

                          HÉDROIT

        Vous chirez bien, si je vous torche107 !

        Car torche n’aurez, ne torchon108,

220  Ne chandelle, ne moucheron109,

        Ne lanterne que je vous baille !

        Vous estes trop rouges en la taille110

        Pour vous prendre en bonne pleuvine111.

                          MALCHUS

        Ceste dyablesse Proserpine112

225  N’est aise sinon quant el tence113.

                          GRONGNART

        Malchus, je cuyde qu’elle pense

        Que la voullons prier d’amours.

                          MALCHUS

        Elle a le poil aussi rebours114

        Que la coque d’une tortue.

230  Faulce115 vieille, yvrongne barbue,

        Vieille gauppe sempiterneuse116,

        Laide, mauvaise, orde117 et hydeuse :

        Nous daignez-vous faire plaisir ?

                          HÉDROIT

        La malle mort vous puist saisir

235  Et envelopper les boyaux,

        Garsons118 infâmes et bourreaux !

        Me venez-vous cy dire injure ?

        Par le Dieu du ciel que je jure119 !

        Je vous donneray sur la teste !

                          GRONGNART

240  Ne faisons plus ycy la beste.

        Hédroit, ma doulce seur, m’amye :

        Entendez à nous, je vous prye,

        Et nous secourez au besoing.

        Il nous fault des torches au poing

245  Pour aller jusqu(e) à la poterne.

        Pour ce, si vous avez lanterne,

        Tison, fallot, torche ou lumière,

        Je vous pry, ma doulce chambrière,

        Que la nous prestez.

                          MALCHUS

                                          À brefz motz,

250  Nous allons donner sur le dos

        À ung papelart plein de plaict120.

                         HÉDROIT

        Esse Jésus de Nazareth,

        Qui a tant presché, messeigneurs,

        Et qui ne tient compte d’honneurs

255  Pour entretenir ses records121 ?

                          GRONGNART

        Hédroit, nous l’allons prendre au corps

        Ceste nuyt ; mais il fait trop brun

        Pour conduyre tout le commung122,

        Qui n’auroit123 lumière ou clarté.

                          MALCHUS

260  Il nous est de nécessité

        D’avoir lanternes ou fallos.

                          HÉDROIT

        Ho ! je vous entens à deux motz,

        Messeigneurs, ne m’en parlez plus.

        Puisque c’est pour prendre Jésus,

265  Moy-mesmes yray la première,

        Et vous fourniray de lumière,

        De torches, fallos et lanternes

        Assez pour124 toutes les cavernes

        D’ycy jusques en Galilée.

270  Moy-mesme conduyray l’armée ;

        Moy-mesme feray l’avangarde.

        Attendez-moy !

                          Ycy va Hédroit quérir torches, fallos et lanternes.

                          MALCHUS

                                   Grongnart, regarde

        Que c’est de courage de femme.

                          GRONGNART

        S’elle monte à sa haulte game125,

275  Le dyable n’en chevira pas126.

                         Icy aporte Hédroit la lumière.127

                          Petite pause.

                          HÉDROIT

        Tenez, vécy bien vostre cas128.

        Chargez-moy torches et lumière.

        Mais je vueil aller la première,

        À tout129 ma lenterne rouillée.

280  Et si, vueil estre despouillée

        Toute nue si je ne frappe

        Plus fièrement qu’un vieil satrappe,

        Puisqu(e) une foiz j’ay vin en corne130 !

        Ma vieille lanterne sans corne131

285  Servira bien à ce besoing.

*

1 Dans ces deux domaines, le record est battu par le Mistère de la Passion de Semur, où le paysan Rusticus et sa rombière s’en donnent à cœur joie tout au long de l’œuvre.   2 Les extraits que j’ai choisis ne figurent pas dans la version primitive d’Arnoul Gréban, composée vers 1450.   3 Volée, ce qui est bien le cas (vers 33). Dismas la porte sur ses épaules comme une cape.   4 Quand je me mets en colère. Cf. le Povre Jouhan, vers 381.   5 Je ne tiens pas plus de compte.   6 De révolte contre la loi. « Barrabas, meurtrier inhumain,/ Sédicieulx, larron prouvé. » Mistère de la Passion.   7 Prononciation archaïque de « aide » : cf. le Ramonneur de cheminées, vers 241 et note. « Qui ne peult mais sa croix lever,/ Et demeure cy sans subside,/ Il fault que tu luy face aïde. » Mist. Pass.   8 Je n’ai pas besoin d’aide pour provoquer une émotion de foule, une bousculade. Certains voleurs et leurs complices organisaient une bousculade sur le marché pour couper des bourses à l’insu des victimes. D’où l’expression : Ils s’entendent comme larrons en foire.   9 La plupart des éditions gothiques disent : Maint. Nos larrons sont beaucoup plus méchants que dans le Mystère de la Passion d’Arras, où on les arrête uniquement parce qu’ils ont volé un panier de pignons.   10 D’une manière ou d’une autre : cf. les Femmes qui font renbourer leur bas, vers 75. Mais il y a un jeu de mots sur le « croc », l’outil des crocheteurs.   11 Je leur planterai la lame de mon couteau jusqu’au manche.   12 De piécettes. La mite est une monnaie flamande.   13 S’il repart avec son argent.   14 Cette friperie : la robe que tu portes sur tes épaules.   15 Où as-tu fait cette emplette.   16 Le vêtement du dessus (mot d’argot). Cf. le Dorellot, vers 153. « Prendre/ Quelque endosse pour les despens. » Mist. Pass.   17 Ni pile : pas un sou. Idem vers 145.   18 Dialogue des six sergents. Parmi les 12 sergents, bourreaux et autres exécuteurs des basses œuvres que comporte ce Mystère, seul Malchus a un nom historique. Tous les autres sont affublés d’un patronyme grossier, souvent terminé par le suffixe péjoratif -ard.   19 Sergent de Caïphe, un grand-prêtre du Temple de Jérusalem.   20 Un misérable ou un soûlard. Plusieurs éditions portent « souillart » : souillon, valet de cuisine malpropre.   21 Sergent de Hanne, un grand-prêtre du Temple de Jérusalem. Anne est donc un nom masculin. Roulard sait que son patron médite l’arrestation de Jésus.   22 Il tombera (futur de choir). Tomber en taille = être bien tombé, avoir une occasion. « Car je ne puis tomber en taille/ De ce faulx Jésus empoigner. » Mist. Pass.   23 De la monnaie. Voir le 1er vers de la Confession du Brigant.   24 S’il tombe dans ma nasse.   25 Ms. : suis seur quil naura  (« Sire, je ne seray pas lasche/ D’enquérir leur estat puissant. » Mist. Passion de Troyes.)   26 À l’attaque ! « Hare, lévrier ! » ATILF.   27 De forte carrure. « Gens de carre telz comme il fault/ Pour donner, de soir, ung assault/ À Jésuchrist. » Mist. Pass.   28 Pour peu qu’on nous confie la mission.   29 Un temps précieux.   30 Que ne tenons-nous.   31 Misérables. Idem vers 45 et 143.   32 Si la chance avait tourné pour un certain homme : pour Jésus.   33 Réduit à néant. Cf. Gautier et Martin, vers 232 et note.   34 Ainsi que les lavandières battent la toile, le linge. « Y le fault batre comme toylle ! » Messire Jehan.   35 Il n’y aurait plus rien à battre. « Et le me rendez tant batu/ De tous léz [côtés] qu’il n’y ait que batre. » Mist. Pass.   36 Clients, justiciables. Idem vers 133.   37 S’ils s’en retournent sans rien y laisser, comme un paysan qui revient du marché sans avoir vendu son bétail. Cf. Beaucop-veoir et Joyeulx-soudain, vers 95.   38 Ces bandits de grands chemins, qui guettent les voyageurs. « Dismas/ Et Gestas, guéteurs de chemins. » Mist. Pass.   39 Allusion aux coquillards, ces faux pèlerins de Saint-Jacques de Compostelle qui se cachent parmi les vrais pour tromper la vigilance des autorités. Idem vers 107.   40 Que nul ne s’approche, si hardi soit-il.   41 Sans réfléchir, au hasard. « S’il n’a de moy, sur le museau,/ Si grant soufflet à l’estourdy. » Mist. Pass.   42 Je l’assomme.   43 Par les chausses.   44 Pourrait en dire autant.   45 Sur la paille du cachot.   46 Maintenant.   47 Le gardien de prison, qui « brait haut », qui hurle. « –Au meurtre ! –Comment il brait hault ! » (ATILF.) Les autres soudards ne sont guère plus discrets, si l’on en croit leur nom : Braillard, Bruyant, Grognard…   48 Avec. « La maison, ob le vergier et places, et ob les murs qui sont entour. » (Godefroy.) Cette préposition étant peu commune, les éditeurs anciens ont beaucoup pataugé ; sauf Alain Lotrian, qui tranche le nœud gordien : « Ilz coucheront avec leurs botes. »   49 Sur le souil, la boue dans laquelle se vautrent les sangliers. « Le sueil du sanglier, où il se souille & veautre. » Jehan Thierry.   50 Se faire des cheveux blancs. Se dit des mammifères dont la fourrure blanchit quand la neige arrive : « Les vrais lièvres livonois sont en temps de l’esté gris, & en hyver blancs comme neige. Il en y a d’autres qui tousjours sont gris, sans changer poil. » Miroir de la navigation.   51 Avant dix jours. « Devant qu’il soit jamais deux ans,/ On verra nos maris changer. » Les Femmes qui aprennent à parler latin.   52 Nous n’avons personne. Au 1er degré : nous n’avons pas d’âme.   53 Si peu dégourdi.   54 Je l’entends (verbe ouïr).   55 Joues-tu maintenant au rustre ?   56 Qu’il se mette en colère. « Ne m’en chault qui s’en fume ! » Mist. Pass.   57 Nous pensions.   58 Bien qu’ils aient l’air misérables.   59 Ils dînent partout sans payer.   60 Depuis. Les sergents dévalisaient leurs victimes.   61 Pourtant.   62 Deux par deux, avec des fers de chevilles, comme les Maraux enchesnéz.   63 Ms. : fres viendries  —  Éd. : frais viandiers  (Mettre quelqu’un au frais, ou à l’ombre : l’emprisonner.)   64 Là-dedans.   65 À vos souhaits ! Autrement dit : Que le diable vous emporte !   66 Si quelqu’un.   67 Accoutrés.   68 Une mauvaise passe.   69 Pour des raisons pratiques, je numérote les vers à la suite des précédents.   70 Ils font beaucoup parler d’eux.   71 Nos chapeaux ont-ils de nouvelles plumes ? Mais aussi : Sommes-nous de nouveau remplumés, financièrement ?   72 Au. « Dieu gard le gueux ! » Beaucop-veoir et Joyeulx-soudain.   73 Comment sont pourvus les milords [les rupins, comme au vers 182] ? Cf. Digeste Vieille, vers 274.   74 Tous ces mots sont des synonymes populaires ou argotiques de « riches ».   75 Où vont-ils, à présent, le soir ? « Quant abrouart, sur la sorne, abrouez. » Villon, Ballades en jargon.   76 Donner des coups sur la tête. Voir le vers 239. La « dupe » sans le sou qu’on veut arrêter, c’est Jésus.   77 Ce naïf est-il d’une richesse arrogante ? « Brayart, tu fais là le haussaire. » Mist. Pas.   78 Riche. Idem vers 171 et 185. « Brouez-moy sur ces gours passans. » (Villon, Jargon.)  Dans le ms. de Valenciennes, Claquedent est un mendiant malhonnête qui se fait rouler par son complice Babin.   79 Dépourvu d’argent. Voir le Mince de quaire.   80 Ni chausses, ni cape (vers 41). « Au moins en aurons-nous l’endosse/ Et les tirandes. » Mist. Pass.   81 Ni argent (vers 186), ni manteau. Jeu de mots : Jésus n’a pas de Temple.   82 Ms. : poulce  (Ni paletot. « N’avons ne dosse, ne pourpoint. » Jehan Molinet.)   83 Ce marmot, ce singe. « Verrez troter les marmions/ Tant que nul n’en vit de son aage. » Prenostication de Songecreux.   84 Ms. : luer  (Surveillez votre bec : taisez-vous. « Luez au bec, que ne soiez greffiz. » Villon, Jargon.)  Cf. Gautier et Martin, vers 100 et note.   85 Pour l’attraper par surprise.   86 De l’argent, pour que nous soyons défrayés. « Le duc avoit fait venir estoffe devers luy (…) pour paier gens d’armes. » (ATILF.) Au 1er degré, l’étoffe désigne les habits : les bourreaux s’octroyaient ceux des condamnés à mort. Après la crucifixion, nos bourreaux se partageront les frusques des deux larrons et, ne pouvant pas découper la tunique sans couture du Christ, ils la joueront aux dés.   87 Qui en paye ? Idem vers 185. Cf. le Dorellot, vers 132, 141 et 152.   88 Au rebours de ce que Jésus espère.   89 Condamné. « Car qui est grup, il est tout roupieulx [honteux]. » Villon, Jargon.   90 Avant qu’on n’en soit soûlé, qu’on n’en ait assez.   91 Ms. : groux  (Gourd = riche, comme aux vers 171 et 175. Ce mot désigne les riches juifs et autres marchands du Temple qui sont prêts à payer pour qu’on les débarrasse de Jésus.)  Foncer à la fouille = mettre la main à la bourse. « Fouille, ou fouillouze : bourse. » (La Vie généreuse des mercelots, gueuz et boësmiens.) En argot moderne, les fouilles sont les poches.   92 Et beaucoup d’argent nous attraperons.   93 Nous dépenserons franchement.   94 À la main. Voir le vers 129.   95 Il s’aperçoit que les quatre sergents de Ponce Pilate sont eux aussi armés, et qu’ils doivent donc participer à l’arrestation du Christ.   96 Boucliers, pertuisanes et javelots.   97 Arbalètes et arbalètes à cric.   98 Arcs qui tirent des galets, et arcs à double courbure.   99 Avec nous.   100 Elle apparaît à la fenêtre de la forge de son mari.   101 Un massacre.   102 Museau, minois : jolie fille. Cf. Sermon pour une nopce, vers 51. Ce terme affectueux est évidemment ironique.   103 Vous êtes bien désœuvrés.   104 Tuer des gens (argot). « Aussi ne se passoit-il guères d’heures sans qu’il n’y eust quelqu’un de mouché. » Godefroy.   105 Jéroboam, prince des Pharisiens.   106 Ms. : ne laura  (Il n’en tirera aucun avantage.)   107 Double sens de torcher : torcher le cul, et frapper. Si je vous frappe, vous allez vous chier dessus.   108 Faux lapsus : ce mot désigne une torche. « Les torches et torchons. » Froissart.   109 Faux lapsus : ce mot désigne la mèche d’une chandelle. « Tous les moucherons des chandelles. » Godefroy.   110 Trop rusés. « Tu es trop rouge à la taille. » L’Aveugle et Picolin.   111 Plévine : garantie, caution.   112 Ce nom est donné à toute femme qui se comporte d’une manière infernale. Ainsi se nomme l’épouse acariâtre du Savatier et Marguet, laquelle est d’ailleurs comparée à Hédroit aux vers 129-130.   113 Tancer = chercher querelle.   114 Hérissé, durci. La « diablesse Proserpine » est velue.   115 Sournoise.   116 Salope intemporelle. Cf. la Résurrection Jénin à Paulme, vers 78.   117 Sale.   118 Mauvais garçons. Cf. le Capitaine Mal-en-point, vers 221.   119 Que je blasphème.   120 À un hypocrite plein de plaids, de discours trompeurs.   121 Ses déclarations. Cf. le Ramonneur de cheminées, vers 164.   122 Toute la troupe.   123 Si on n’avait.   124 Pour éclairer.   125 Si elle monte sur ses grands chevaux. Cf. Calbain, vers 36.   126 N’en viendra pas à bout.   127 Étymologiquement, celui qui porte la lumière est Lucifer (lucem fert), un des personnages de ce Mystère. La « diablesse Proserpine », dont « le diable ne chevira pas », connaît l’art de la forge, comme son mari Pluton, le dieu des Enfers.  Hédroit sort, les bras chargés de matériel pour produire du feu. Après l’arrestation de Jésus, c’est elle qui allumera le feu dans la cheminée de Hanne ; puis elle gardera la porte, tout comme Cerbère garde la porte des Enfers. Contrairement à ce qu’on dit, Proserpine n’est pas absente de ce Mystère : elle y est sous un autre nom.   128 Voilà ce qu’il vous faut.   129 Avec.   130 Dans mon cornet, dans mon gobelet : puisque j’en ai l’occasion. Mais Hédroit mérite le qualificatif d’ivrogne que lui prête le vers 230. De plus, dans les Mystères, Proserpine porte des cornes.   131 Qui a perdu sa paroi translucide : cf. les Queues troussées, vers 241 et note.