UNG BIAU MIRACLE
.
*
UNG BIAU
MIRACLE
*
.
Le fatiste inconnu qui composa vers la fin du XIVe siècle les Miracles madame sainte Geneviève a parfaitement rempli son cahier des charges : ce Mystère de 3127 vers1 baigne dans un prêchi-prêcha qui, à l’époque, faisait hausser les yeux vers le Ciel, et qui aujourd’hui ne nous fait plus hausser que les épaules. Mais le naturel comique de cet auteur transparaît à plusieurs reprises, au point qu’il s’éloigne parfois de son austère modèle latin pour faire rire le public. Par exemple, avec une précision d’inquisiteur, sainte Geneviève accuse une nonne de s’être laissé déflorer par le berger de Gautier Chantelou, dans le jardin de celui-ci, très exactement sous un pêcher, le 3 avril, à la tombée du jour. Nul doute que si le bracelet-montre avait existé, la sainte nous eût révélé l’heure du crime ! Ailleurs, on assiste à une bataille entre des anges et des diables qui se cognent dessus en jurant comme des charretiers. Plus loin, deux porchers dialoguent dans le plus pur style de leur profession :
2129 —Foucault, veulz-tu oïr nouvèles ? —Foucaud, veux-tu entendre des nouvelles ?
—Oïl bien, mèz qu’ilz soiënt tèles —Oui, pourvu qu’elles soient d’une gaîté telle
Que mon ventre breneus s’en sente2…. Que mon ventre plein de merde en soit déchargé.
2161 —Tu as le cul tourné au prône. —Tu tournes le cul à l’église.
Foy que je doy saint Grisogone3 ! Par la foi que je dois à saint Grisogone !
Se tant ne quant tu m’atouchoies, Si tu me touchais si peu que ce soit,
Jamaiz ne heurtebilleroies4 Jamais plus tu ne serais en état de tamponner
Fame qui soit des[so]uz la lune ! Une femme en ce bas monde !
Dans un langage tout aussi fleuri, deux maçons et un charpentier se plaignent d’avoir soif ; sainte Geneviève, égalant Jésus, reproduit pour eux le miracle qu’il avait accompli aux noces de Cana :
2343 Dieu, qui muastes l’iaue en vin Mon Dieu, qui avez transformé l’eau en vin
Ès nopces chiez Archédéclin5 : Aux noces chez Architriclin :
Vueilliez cy vostre grâce estandre ! Veuillez étendre votre grâce jusqu’ici !
Et donc, les trois ouvriers se soûlent grâce à Geneviève :
2412 —Qui oncques-mèz vit tel bevrage ? —Qui vit jamais un si bon breuvage ?
Emplez, pour Dieu, encor ma coupe ! Remplissez encore ma coupe, par Dieu !
—Tu es plus yvre qu’une soupe6 : —Tu es plus imbibé qu’une mouillette :
Comment pourras-tu jà douler ? Comment pourras-tu manier ta doloire ?
—Je feray les asnes voler7, —Je ferai voler les ânes,
Mèz que je boive une foys seule. Pour peu que je boive encore un dernier coup.
À propos d’ânes, douze fous (dont l’un est représenté dans le manuscrit) chantent la messe en imitant le braiment de ces quadrupèdes :
2546 Je suis Cordelier, c’est assez Je suis Cordelier, c’est suffisant
Pour deschanter messe et canon. Pour chanter la messe et le canon.
Sy die en chantant : Qu’il dise en chantant :
« Hynhan ! » dit l’ânesse. « Hinhan ! » dit l’asnon. « Hi han ! » dit l’ânesse. « Hi han ! » dit l’ânon.
Ces fous ne se lassent pas de parodier la messe :
2554 —J’ay clère voiz comme .I. tourel ; —J’ai la voix aussi claire que celle d’un taureau ;
Pour ce, veil-je chanter la messe. Pour cela, je veux chanter la messe.
—Fyfy8, tu as fait une vesse ! —Vidangeur, tu as fait un pet !
En chantant au chant de En chantant sur l’air du
« Sanctus » de Requien : « Sanctus » du Requiem :
—Sanz-tu9 ? Sanz-tu ? Sanz-tu ? Etc. —Sens-tu ? Sens-tu ? Sens-tu ? Sens-tu ?
Nos fous sont possédés par des diables que la sainte va mettre en fuite d’un coup de prière magique. Aussi, les diables s’interrogent à propos de Geneviève :
2509 Sathan, qui est celle viellote Satan, qui est cette petite vieille
Qui tous jours, en alant, barbote Qui toujours, en allant, marmonne
Avéz Maras, Patrès Nostrues, Des Ave Maria et des Pater Noster,
Comme s’el deust voler aux nues ; Comme si elle devait monter aux Cieux ;
Et se défripe, et fait la lipe, Et se démène, et fait la moue,
Et me porte fueilles de tripe10 Et porte des feuilles de mauvais parchemin
2515 Comme .I. livre, soubz sez essèles ? Sous son aisselle, comme un livre ?
Avec ly, maine .II. pucelles Elle mène avec elle deux jeunes filles
Qu’el enchante trop fort, en tant Qu’elle ensorcelle trop bien, de sorte
Que, se tant ne quant vont sentant Que si elles sentent un tant soit peu
Que je leur eschaufe lez rains, Que je leur échauffe les reins de désir,
2520 Lors me prendront branches et rains Elles prendront alors des branches et des rameaux
De boul, d’osières ou d’orties, De bouleau, d’osier ou d’orties,
Ou chardons, ou bonnes courgies ; Ou des chardons, ou de bonnes courroies ;
Batront espaules ou culière : Et elles battront leurs épaules ou leur croupe :
N’y remaindra jà pel entière. Il n’y restera pas un bout de peau intact.
2525 Dessus leur pis, dez poing[s] tabeurent. Elles tambourinent leur poitrine avec leurs poings.
Orent11, pleurent, veillent, labeurent, Elles prient, pleurent, veillent, peinent,
Cengnent12 cordes, vestent la haire. Se ceignent d’une corde, portent la haire.
Satan affirme que Geneviève est « l’abesse de Tirelopines », les turlupins étant des religieux hypocrites connus pour leur liberté sexuelle.
La partie la plus drôle du Mystère, c’est la fin : l’auteur nous dit qu’il va y greffer des scènes de farce pour que ce soit moins ennuyeux. Déboulent alors quelques-uns de ces mendiants infirmes dont riait le théâtre médiéval. Le lépreux réclame de bons petits plats :
2599 .I. tentet de vïande sade ! Donnez-moi un tantinet de bonne viande !
Halas, chétis ! je suis gasté Las, pauvre de moi ! je suis mort
Se je n’ay d’un petit pasté Si je n’ai pas un morceau d’un petit pâté
Et plaine escuèle de boschet Et une pleine écuelle d’hydromel
Ou, au mains, de vin de buffet. Ou, au moins, de vin de cuisine.
Le bossu est atteint par surcroît d’une maladie vénérienne :
2654 Le chancre m’a rongié le menbre. Un chancre m’a rongé le membre.
Las, doulant ! Quant je me remembre Las, malheureux ! Quand je songe
Du dueil que ma fame en démaine, Au chagrin qu’en témoigne ma femme,
C’est mal suz mal, peine suz paine ! C’est un mal qui s’ajoute à un mal !
L’hydropique a lui aussi de bonnes raisons d’aller consulter une sainte :
2636 J’ay au cul lez esmorroïdes ; J’ai des hémorroïdes au cul ;
Sy ne puis chier, c’est grant hides ! Si je ne peux plus chier, c’est l’horreur !
Ces éclopés, qui n’attendent plus rien de la coûteuse et impuissante « merdefine », viennent se faire guérir gratuitement par Geneviève. Quand on voit à combien d’aveugles elle a rendu la vue, à commencer par sa propre mère, on se demande pourquoi les ophtalmologistes ne l’ont pas choisie comme sainte patronne ! Je publie ci-dessous l’incontournable duo de l’Aveugle et de son Valet, duo dont beaucoup de farces et de Mystères proposent une version à peine différente : voir la notice de l’Aveugle, son Varlet et une tripière. On lira ensuite deux extraits de l’ultime miracle : il concerne une vieille maquerelle qui a subtilisé les chaussures de Geneviève.
Source : Paris, bibliothèque Sainte-Geneviève. Ms. 1131, folios 212 rº à 216 rº. Copié au milieu du XVe siècle. Ce manuscrit contient aussi le Geu saint Denis, dont j’ai extrait les Sergents, et la Vie monseigneur saint Fiacre, qui renferme la farce du Brigant et le Vilain.
Structure : Rimes plates.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
.
*
Miracles de plusieurs malades.
En farses, pour estre mains fades.
.
Ung biau miracle.
.
Cy après sont autres miracles de madame sainte Geneviève. Sachiez que chascun emporte13 plusieurs personnages de plus[i]eurs malades, pour cause de briété14. Et a, parmy, farsses entées15, afin que le Jeu soit meins fade et plus plaisans.
*
L’AVEUGLE L’AVEUGLE
2715 Varlet ! Mon valet !
LE VARLÉ LE VALET
Maistre ? Mon maître ?
L’AVEUGLE L’AVEUGLE
Par là m’enpiègne16 ! Empoigne-moi par le bras !
Il fust temps d’aler en la ville. Il est temps d’aller quêter en ville.
LE VARLET LE VALET
Maistre, prenez-vous crois, ou pille17 ? Maître, quelles pièces accepterez-vous ?
L’AVEUGLE L’AVEUGLE
Tez-toy ! Alons ! Tais-toi ! Allons-y !
LE VARLET LE VALET
Où ? Où ?
L’AVEUGLE L’AVEUGLE
Au pourchas. À la quête.
LE VARLET LE VALET
Petis poissons sont bons pour chas. Les petits poissons, c’est bon pour les chats.
L’AVEUGLE L’AVEUGLE
2720 Hé ! Diex, quel varlet ! Hé ! Dieu, quel valet !
LE VARLET LE VALET
Diex, quel maistre ! Dieu, quel maître !
L’AVEUGLE L’AVEUGLE
Maine-moy, maine, va, chevestre18 ! Conduis-moi, va, pendard de guide !
LE VARLET LE VALET
Par où ? En passant par où ?
L’AVEUGLE L’AVEUGLE
Par Froit-Vaulx19. Par Froids-Vaux.
LE VARLET LE VALET
Par là ? Par là ?
L’AVEUGLE L’AVEUGLE
Voire. Oui.
.
LE VARLET LE VALET
Chantez, vous estes à la Foire20 : Chantez, vous êtes au Lendit :
Tout est plain d’ommes et de fames. C’est plein d’hommes et de femmes.
L’AVEUGLE, hault et à trait 21 : L’AVEUGLE chante d’une voix ferme :
2725 « Halas, mez Seignieurs et mez Dames : « Las, seigneurs et dames :
Pour l’amour saint Pere22 de Romme, Pour l’amour de saint Pierre de Rome,
Faites vostre aumosne au povre homme Faites l’aumône au pauvre homme
Qui ne voit n’oncques ne vit goute Qui ne voit et n’a jamais vu mieux
Nient plus23 dez yelx qu’il fait du coute ! Avec ses yeux qu’avec son coude !
2730 Ainssy vous vueille Diex aidier ! » Et que Dieu vous le rende ! » À part :
Je puis bien seurement plaidier : Je peux bien raconter ce que je veux :
Il n’y a âme qui responne. Il n’y a personne qui me réponde.
Diex ! n’y a-il qui riens me donne, Dieu ! nul ne me donnera-t-il rien,
Ne qui me tende pié ne main ? Même un coup de main, ou de pied ?
2735 Oïl, oïl, c’est à demain24 : Oui, oui, ce sera pour une autre fois :
Madame va à Bèsençon25… Madame va à Baisançon…
Je parole de « Cusençon26 ». Je veux dire : à Cul-zançon.
Nul n’a cure de povre gent. Nul ne se soucie des pauvres gens.
Se je fusse roy ou régent, Si j’étais un roi ou un régent,
2740 Ou .I. grant maistre Aliboron27, Ou un grand ministre,
Chascun ostast son chaperon, Chacun ôterait son chapeau,
Ou m’enclinast, ou me fist rage ; Ou s’inclinerait, ou me servirait ;
Je feusse tenu pour trop sage. Je serais tenu pour un grand sage.
Or me tient-en pour une ordure, Maintenant, on me tient pour une crotte,
2745 Pour .I. fol, pour .I. burelure ; Pour un demeuré, pour un simplet ;
Il n’y a ne grant ne petit Il n’y a personne, grand ou petit,
Qui de moy voir ait appétit. Qui ait envie de me voir. Mon Dieu !
Diex ! qu’il est povre, qui ne voit28 ! Qu’il est pauvre, celui qui n’y voit pas !
S’il va, s’il vient, s’il dort, s’il poit, Qu’il aille, vienne, dorme ou pète,
2750 Autant de l’un comme de l’autre. C’est du pareil au même. L’aveugle
C’est .I. droit ymage de peautre29. N’est qu’un vil médaillon en étain. Au valet :
Hélas, mon filz Hanequinet : Hélas, mon petit Hannequin :
Meine-moy, en ce matinet, Conduis-moi ce matin
À celle bonne et sainte dame À cette bonne et sainte dame
2755 Qui de meschief oste maint[e] âme, Qui tire de malheur maint homme,
Que lez gens nomment Geneviève. Et que les gens nomment Geneviève.
LE VARLET LE VALET
Sire, j’ay tel dueil que je criève Monsieur, j’ai tant de mal que je crève
De ce que je suis sy gouteus Du fait d’être si goutteux
Que dez .II. hanches suis boisteus30 ; Que je boite des deux fémurs ;
2760 Et ay la tous, maise31 poitrine, Et j’ai la toux, de l’asthme,
Clous, pous, cirons32, lentes, vermine ; Des furoncles, des poux, des pustules, des lentes, des vers ;
J’ay la rougole et la vérole33 ; J’ai la rougeole et la variole ;
J’ay, chascun jour, la feinterole34 ; J’ai chaque jour la chiasse ;
J’ay le jaunice35 et suis éthique. J’ai la jaunisse et je suis squelettique.
2765 Ne guérir n’en puis par phisique. Et je ne peux guérir grâce à la science.
Merdefins36 et c[h]iurgïens Les merdecins et les chie-rurgiens
M’ont eu long temps en leurs lïens ; M’ont longtemps tenu en leurs filets ;
Maintenant, quant je n’ay que frire37, Maintenant que je n’ai plus que frire,
Que riens n’a en ma tirelire, Qu’il n’y a plus rien dans ma tirelire,
2770 Par m’âme, il n’ont cure de moy. Ils n’ont plus cure de moi, par ma foi !
L’AVEUGLE L’AVEUGLE
Par mon serment, [bien] je t’en croy ! Je te jure que je veux bien te croire !
Aussy, Hanequin (sy m’aist Diex38 !), Aussi, Hannequin (que Dieu m’assiste !),
Il m’ont du tout crevé lez yeulz. Ils m’ont complètement crevé les yeux.
Mengier puissent-il leur[s] boiaus ! Puissent-ils manger leurs boyaux !
2775 Je dy ceulx qui ne sont loyaus Je parle de ceux qui n’appliquent pas
Selonc leur povoir et savoir. Leurs compétences et leur savoir.
Alons où j’ay dit ! Car là, voir, Allons où je t’ai dit ! Car là, vraiment,
Nous trouverons miséricorde. Nous trouverons de la pitié.
LE VARLET, en baillant LE VALET, en lui faisant
la corde39 : tenir le bout de sa ceinture :
Alons, donc ! Tenez bien la corde ! Allons-y, donc ! Tenez bien ma corde !
*
.
Sainte Geneviève voise en son oratoire40, Que sainte Geneviève aille dans sa
et là se tiegne en oroison, et lez autres chapelle et s’y tienne en prière, et que
où ilz vourront. les miraculés aillent où ils voudront.
.
Cy après est DE UNE FAME À QUI Suit le MIRACLE D’UNE FEMME
MADAME SAINTE GENEVIÈVE À QUI SAINTE GENEVIÈVE
RENDIT LA VUE, qu’elle avoit RENDIT LA VUE, qu’elle avait
perdue pour ce qu’elle avoit emblé les perdue parce qu’elle avait volé les
soulers de la dicte vierge. chaussures de ladite sainte.
.
LA VIELLE 41 LA VIEILLE
2818 Pour lez boiaus sainte Géline42 ! Par les boyaux de sainte Géline !
Vélà dame Genevéline43, Voilà madame Je-ne-sais-lire,
(en la monstrant) (en la montrant)
2820 Qui ne fait que pseaumes broullier44, Qui ne fait qu’embrouiller les psaumes,
Sez yeulx essuier et moullier, Essuyer ses yeux et les mouiller de larmes,
Qui scet45 trop bien la main où metre. Et qui sait bien où tendre sa main.
Et je puis bien fondre et remetre46 : Moi, je peux bien fondre et maigrir :
Je n’ay que frire ne que daire47. Je n’ai plus rien à frire, ni que dalle.
2825 Lamproiës, luz, barbeaus de Laire Les lamproies, les brochets et les barbeaux de Loire
Ne me prennent pas à la gorge. Ne risquent pas de m’étrangler !
À grant paine ay-je du pain d’orge, À peine puis-je avoir du pain noir,
Qui souloië (las !) sy bien vivre. Moi qui jadis vivais si bien, las !
Tous jours estoie ou plaine48 ou yvre. J’étais toujours bourrée ou ivre.
2830 Et plus me fesoië « coignier 49 » Et je me faisais « cogner » plus souvent
Qu’il [n’est] de coings en .I. coignier. Qu’il n’y a de coings sur un cognassier.
Coignant coign[é]e onc ne coigna Une cognée cognante ne cogna jamais
Tant de coing[s] comme on me coigna ; Autant de coins que je fus cognée.
Et lez coigneurs50, qui me coignoient Et les cogneurs, qui me cognaient
2835 Le coing51, le52 poing d’or me coignoient. Le con, remplissaient d’or mon poing.
Plus n’y seray de coing53 coignie, Je ne serai plus cognée par un poinçon,
Car ma coignie54 est descoignie : Car ma cognée n’a plus de « manche » :
Tant est cuisans, et vielle, et dure, Elle est si sèche, si vieille et si dure
Qu’il n’est coigneur qui en ait cure, Que nul cogneur n’en a cure,
2840 N’argent n’y veult en[s]55 metre, et « coing ». Et ne veut y mettre ni son argent ni son poinçon.
En monstrant sainte Geneviève. En montrant sainte Geneviève.
Et vélà Madame, en son coing56, Et voilà Madame, dans son recoin,
Qui de « coignier » ne sceut onc note Qui n’a jamais su l’art de « cogner »
(Ce dit-on), tant est nice et sote ; (Dit-on), tant elle est naïve et sotte ;
Qui a de l’argent à poignies Qui a de l’argent par poignées
2845 Com s’en le forjast à coignies57. Comme si on le forgeait à la hache.
Chascun ly donne tire-à-tire58 Chacun lui en donne sans relâche,
Et tous jours bret, pleure et soupire. Et pourtant, toujours elle brait, pleure et soupire.
Coigne fort son huis et recoigne, Qu’elle claque et reclaque fort sa porte,
Car je ly baudray tel engroigne59 Car je lui flanquerai un tel coup
2850 (Foy que je doy saint Andrieu le Scot60) (Par saint André d’Écosse)
Que je bevray à son escot Que je boirai à ses frais,
Ou je faurray à faire tente61. Ou j’aurai mal tendu mon piège.
Cy62, la regarde, et puis Ici, qu’elle la regarde, et dise
die en hochant la main : en secouant la main :
Elle est nuz-piéz. Ho ! j’ay m’entente63. Elle est déchaussée. Oh ! j’ai un plan.
.
Cy, die à sainte Céline et à Margot : Ici, qu’elle dise à sainte Céline et à Margot :
Dieu vous doint bon jour, Damoysèles ! Une bonne journée, mesdemoiselles !
SAINTE CÉLINE SAINTE CÉLINE
2855 Bien veigniez, Dame ! Quelz nouvelles ? Bienvenue, Madame ! Qu’y a-t-il ?
LA VIELLE, en soy asséant.64 LA VIEILLE, en s’asseyant.
Je me vueil soèr, ne vous desplaise. Je veux m’asseoir, s’il vous plaît.
MARGOT MARGOT
Ha ! Dame, estes-vous en malaise ? Ah ! Madame, avez-vous un malaise ?
LA VIELLE, en prenant lez LA VIEILLE, en chaussant
soullers secrètement : discrètement les souliers :
Oïl, j’ay .I. pou mal au cuer. Oui, j’ai un peu mal au cœur.
SAINTE CÉLINE SAINTE CÉLINE
Diex vous doint santé, bèle suer ! Que Dieu vous donne la santé, ma sœur !
LA VIELLE, en soy levant. LA VIEILLE, en se levant.
2860 Amen ! Adieu, je suis garie ! Amen ! Adieu, je suis guérie !
SAINTE CÉLINE et MARGOT SAINTE CÉLINE et MARGOT
Alez à la Vierge Marie ! Allez remercier la Vierge Marie !
.
Cy, s’en voise LA VIELLE, Ici, que LA VIEILLE s’en
en monstrant lez soullers et aille en montrant au public
en disant : les chaussures, et en disant :
Or, dië Madame sez hinnes ! Que Madame récite donc ses hymnes !
Comment que soit, j’ay sez botines. Quoi qu’il en soit, j’ai ses bottines.
Voist nuz-piéz, s’el veult, par la rue ! Qu’elle aille pieds nus par la rue, si elle veut.
2865 Et s’el a froit, sy esternue ! Et si elle a froid aux pieds, qu’elle éternue !
En souriant : En souriant :
Sa pucelle65 me sermonnoit. Sa pucelle me serinait. Les souliers,
Je lez prins : Diex lez me donnoit. Je les ai pris : Dieu me les donnait.
Ay-je bien fait ? Oïl, sans doubte ! Ai-je bien fait ? Oui, sans doute.
…………………………… 66 …………………………..
.
3048 Sire, quant à parler apris, Monseigneur, dès que j’appris à parler,
À mentir, à jurer me pris, Je me mis à mentir, à blasphémer,
3050 À jouer, chanter et dancier, À jouer aux dés, à chanter et danser,
À père et mère courouscier, À courroucer mon père et ma mère,
À embler noiz, poires et pommes, À voler des noix, des poires et des pommes,
À accoler ces jeunes hommes. À enlacer les jeunes hommes.
Tantost perdy mon pucellaige. Je perdis bientôt mon pucelage.
3055 J’ay tout honny, et67 mariage. J’ai tout déshonoré, même le mariage.
Et puis ay-je esté maquerelle, Et puis j’ai été maquerelle,
Qui trop empire ma querelle. Ce qui aggrave beaucoup mon cas.
Je suy orguilleuse, envieuse, J’ai commis les péchés d’orgueil, d’envie,
Gloute, yreuse, avaricïeuse, De gourmandise, de colère et d’avarice.
3060 Mesdisant et de maise affaire, Je suis médisante et de mauvaise compagnie,
Et paréceuse de bien faire, Et paresseuse de bien faire,
Janglerresse en oiant lez messes. Et hypocrite en écoutant la messe.
J’ay veuz enfrains, jeûnes, promesses, J’ai enfreint les vœux, les jeûnes, les promesses,
Les commandemens de la Loy. Et les commandements de la loi divine.
3065 Il n’a ne cuer ne sens sur moy Il n’y a rien en toute ma personne
Dont je n’ayë Dieu courouscié, Dont je n’aie offensé Dieu,
Et moy et mon proisme blécié. Et blessé moi et mon prochain.
Dire ne sauroië la disme Je ne saurais vous dire le dixième
De mes péchiéz : c’est ung abisme ! De mes péchés : c’est un gouffre !
*
1 Je donne les numéros des vers d’après l’édition de Gabriella PARUSSA : Les Mystères du manuscrit 1131 de la bibliothèque Sainte-Geneviève de Paris. Classiques Garnier, vol. II, 2023, pp. 1552-1810. 2 S’en ressente favorablement. L’humour guérissait déjà la constipation. 3 Confusion populaire entre saint Gris [surnom de saint François d’Assise, qui était vêtu de gris], et l’insignifiant saint Chrysogone. 4 Tu ne frapperais, au sens érotique. « Hurtebillier Hennon et Jennette. » Jehan Molinet. 5 Architriclin était le maître d’hôtel des noces de Cana. « Quant le vin fut failly,/ Aux nopces de Archédéclin,/ (Dieu) ne mua-il pas l’eau en vin ? » Sermon joyeux de bien boire. 6 La soupe est un morceau de pain qu’on trempe dans le vin. « Ilz sont plus ivres qu’une soupe. » Massons et charpentiers. 7 Nous dirions aujourd’hui : Je verrais voler des éléphants roses. 8 Sur cette interjection hautement scatologique, voir la note 24 du Savetier Audin. 9 Prononciation à la française du mot Sanctus. La suite parodie, d’une manière qu’on qualifierait aujourd’hui de sacrilège, Dominus Deus sabaoth. 10 « Les feuilles de tripe sont des feuilles de parchemin de mauvaise qualité obtenues de la peau du cochon. » Gabriella Parussa, p. 1761. 11 Ms : Et eurent (Elles se mettent en oraison. Le v. 3110 dit : « Plorez, orez, jeûnez, veilliez. ») 12 Elles exhibent une corde en guise de ceinture, comme les Cordeliers. La haire est une chemise de crin que les pénitents les plus fanatiques portent à même la peau. On sent que l’auteur désapprouve ce masochisme ostentatoire. 13 Comporte, rassemble. Ce frontispice figure dans l’illustration ci-dessus, où le sous-titre est en rouge. 14 De brièveté. Tous les malades sont réunis dans un seul miracle. 15 Greffées. 16 Ms : mon piegne (Tous les valets d’aveugles guident leur maître quand il va mendier.) 17 Littéralement : voulez-vous jouer à pile ou face ? En fait, le valet ironise sur la modicité des dons, qui ne laisse aucun choix. Sous ce vers, qui est au bas de la colonne, le ms. ajoute entre des plumes dessinées : degrace 18 Le chevêtre est la bride par laquelle on mène un cheval ou un âne. Par extension, c’est également la corde du pendu, et le gibier de potence qui la mérite : « Tu mens, chevestres ! » ATILF. 19 Froids-Vaux = froides vallées. Cette abbaye mythique désigne un taudis glacial peuplé de clochards. Voir la note 155 du Monde qu’on faict paistre. 20 La foire du Lendit se tenait du 11 au 24 juin près de Saint-Denis, où se déroule cette partie du Mystère. Notre manuscrit l’évoque dans le Geu saint Denis : « Fuions-nous-en (dyables l’emportent !)/ Tout droit à la foire au Lendit. » 21 Fermement. Les mendiants aveugles chantent dans les rues. La chanson qui suit rappelle les vers 127-130 de l’Aveugle et Saudret, une autre farce incluse dans un Mystère. 22 Forme picarde de saint Pierre, le premier pape. « Vous serez sainct Pere de Rome. » Le Chauldronnier. 23 Non plus. Niant est la forme normanno-picarde de néant. En Normandie, coute = coude. 24 Cf. les Botines Gaultier, vers 417 et 479. Dans notre manuscrit, l’aveugle de la Conversion saint Denis entend les mêmes excuses : « –Donnez-moy, pour Dieu, quelque chose !/ –Parlez bas, Madame repose./ –Au mains, me tendez vostre main !/ –Oïl, oïl, c’est à demain ! » 25 Jeu de mots sur « baiser ». Avec un calembour similaire, on dit que les femmes qui sortent rejoindre leur amant vont à Saint-Béset ; cf. Tout-ménage, vers 236. Soulignons que le scribe ne note pas les cédilles, et que l’acteur eût été parfaitement compris s’il avait prononcé « baise en con » et « culs en cons ». 26 Cuisançon = peine, tourment. Mais il y a ici un jeu de mots sur « cul ». 27 Un incompétent qui s’occupe d’une quantité d’affaires auxquelles il n’entend rien. Cf. le Temps-qui-court, vers 180. 28 Dans notre manuscrit, l’aveugle de la Conversion saint Denis fait le même constat : « Il est trop povres, qui ne voit. » 29 C’est une vraie médaille d’étain : un objet dépourvu de valeur. 30 En conformité avec la parabole de l’aveugle et du paralytique, beaucoup de valets farcesques qui guident un non-voyant sont eux-mêmes handicapés : « Faictes quelque bien au boiteux/ Qui bouger ne peult, pour [à cause de] la goucte. » (L’Aveugle et le Boiteux.) Voir aussi l’Aveugle et son Varlet tort, de François Briand. 31 Mauvaise. Même picardisme au v. 3060. 32 Pustules provoquées par un acarien. Les lentes sont des œufs de poux. 33 Il s’agit de la petite vérole, ou variole. La grande vérole, ou syphilis, n’apparaîtra qu’un siècle plus tard. 34 Mot inconnu. Peut-être faut-il lire « fienterole ». 35 Le ms., en dépit de son dernier éditeur, donne ce mot au masculin. « Ceste maladie est dicte vulgalment le jaunisse. » (ATILF.) Étique = amaigri par la maladie. « Oncques pauvre paralitique/ Ne fut tant que je suis éthique. » (Le Gouteux.) Cette accumulation de mots et de maux avait le même effet cocasse que la chanson d’Ouvrard : « J’ai la rate/ Qui s’dilate,/ J’ai le foie/ Qu’est pas droit,/ J’ai le ventre/ Qui se rentre,/ J’ai l’pylore/ Qui s’colore,/ J’ai l’gésier/ Anémié… » 36 Les médecins, qui font leur diagnostic en examinant les excréments des malades, sont des spécialistes de la « merde fine ». Au v. 2659, le personnage du Bossu dénonce leur cupidité : « J’ay despendu [dépensé] tout mon argent/ En merdesfines et en mires [médecins]./ Je croy qu’ou monde n’a gents pires :/ Soit tort, soit droit, hapent, ravissent…./ On ne puet mielx lez gens pillier. » Je rétablis la chuintante normanno-picarde de chiurgien, qui permet un autre calembour scatologique sur « chiure ». 37 Plus rien à mettre dans ma poêle. Idem au v. 2824. 38 Si m’aid Dieu : que Dieu m’assiste ! 39 Les pauvres — et les zélatrices de sainte Geneviève — se contentent d’une corde en guise de ceinture. Les aveugles se cramponnaient à celle de leur valet : « Empongnez-moy par la saincture,/ Et nous yrons à l’avanture. » (L’Aveugle, son Varlet et une Tripière.) Voir aussi le vers 360 des Miraculés. 40 Elle l’a fait bâtir à l’Estrée, près de Saint-Denis et du Lendit. 41 Elle est pauvrement vêtue et ne porte pas de chaussures. 42 Jeu de mots irrévérencieux : la Vieille a sous les yeux sainte Céline, une adoratrice de sainte Geneviève. Mais sainte Géline est une poule, sanctifiée par un sermon joyeux, la Vie madame Guéline. 43 En picard, « je ne vé line » = je ne vois pas une ligne. 44 Ce verbe signifie : embrouiller un texte auquel on ne comprend rien ; cf. la Folie des Gorriers, vers 359. Il peut également signifier : salir ; cf. Mahuet, vers 194. D’une manière ou d’une autre, Geneviève fait partie des « brouilleurs de parchemins ». 45 Ms : a (Qui sait où il faut mettre les mains pour amasser de l’argent.) 46 Ces 2 verbes synonymes vont souvent de pair : « Je ne suis fondu ne remis,/ Que ne le luy face à deux coups. » Frère Frappart. 47 Locution inconnue qu’on retrouve dans ce ms. : « S’il eussent que daire,/ Je leur feisse le bien-veignant. » (Geu saint Denis.) On peut la rapprocher de « n’avoir que raire » : n’avoir plus rien à tondre, à gratter. À la limite, ce pourrait être une contrepèterie argotique sur « n’avoir de caire » : ne pas avoir d’argent. Cf. le Mince de quaire. 48 Soûle. Nous dirions : J’étais pleine comme un boudin. 49 Le verbe cogner et le substantif coin, pris au sens érotique, vont générer 14 vers. Le personnage du Fiévreux s’était livré <vv. 2688-2712> à un jeu tout aussi virtuose sur le radical dur. 50 Les amants. « Il m’a très-bien cognée :/ Jamais je ne veis tel coigneux./ Mais moy qui suis obstinée,/ Pour un coup j’en rendis deux. » Gaultier-Garguille. 51 Ma vulve. « Qui luy frapperoit sus son coing/ D’ung gros ‟martel” pesant et lourt. » Jehan Molinet. 52 Ms : du (Me graissaient la patte. « Les poins dorés d’argent. » Le Jeu du capifol.) Dans ce vers, cogner = mettre de force : « Et que dans mon ventre je cogne/ Vin blanc muscat et vin vermeil. » Godefroy. 53 Par un pénis. « Son long coing tremblotant,/ Son coing rouge orangé. » Ronsard, la Bouquinade. 54 Ma vulve. La cognée [hache] possède un trou dans lequel on enfonce le manche. Comme le dit Priape, « coingnée sans manche/ Ne sert de rien ». Rabelais, Prologue du Quart Livre. 55 Dedans. Notre fatiste écrit au v. 1908 : « Ne hors, ne ens. » 56 Sainte Geneviève prie à genoux dans une chapelle ouverte. Elle a laissé ses chaussures à l’entrée, sous un banc où sont assises sa disciple, sainte Céline, et leur servante Margot. 57 À grands coups de hache, sans compter. 58 Cf. le Temps-qui-court, vers 75. 59 Un tel coup sur le groin. « Le villain grongne ?/ Bien luy donray d’une engrongne/ Sur les dentz ! » (Godefroy.) On pourrait lire engaigne : mauvais tour, fourberie. Auquel cas, ce mot rimerait avec « recaigne », à la manière normande. 60 À saint André, le saint patron de l’Écosse. 61 Je faudrai (futur picard de faillir) à poser une tente, un collet tendu. Cf. le Temps-qui-court, vers 114. 62 Ms : Cil (Voir la prochaine didascalie.) 63 Mon intention. Devant ce mot, les Picards apocopent les pronoms mon et son : « Mais qui n’y met toute s’entente. » Les Femmes qui aprennent à parler latin. 64 Feignant d’avoir un malaise, elle s’assoit sur le banc, juste au-dessus des souliers de Geneviève, qui sont par terre. 65 Peut désigner Céline ou Margot : voir le v. 2516. Pour la Vieille, ce terme est injurieux. 66 Après moult péripéties édifiantes, la Vieille va se confesser à l’évêque de Paris, qui n’en perd pas la foi pour autant, ce qui prouve qu’il est lui-même confessé de frais. 67 Ms : en (Et aussi.)
L’AVEUGLE ET LE BOITEUX
.
*
L’AVEUGLE ET
LE BOITEUX
*
.
Cette farce d’André (ou Andrieu) de La Vigne conclut son Mystère de saint Martin, dont fait aussi partie la farce du Munyer, à laquelle je renvoie pour de plus amples détails.
L’Aveugle et le Boiteux est en deux parties. La première est annoncée au folio 220 vº du Mystère, quand saint Martin, mourant, donne ses ultimes consignes. La marge porte : « Nota qu’en ce passage conviendra jouer la farce1. » La seconde partie se joue à la fin du Mystère, quand le corps du saint a été sorti de l’église : « Icy se mectent en ordre de procession lesdits moynes et tous les joueurs les [ungs] après les aultres, et s’en vont en chantant. »
Le thème de cette farce (comment échapper à un miracle pour ne pas avoir à travailler) sera repris et amplifié en 1565 dans un Mystère anonyme, l’Hystoire de la vie du glorieulx sainct Martin :
L’AVEUGLE Compagnon, je te veux compter :
Tout à cest heure, on doibt porter
Le corps de sainct Martin en terre.
Aller nous y fault à grand erre
Pour nous asseoir devant l’esglise ;
Là, mendiant à nostre guise,
Nous aurons (si on nous veult croire)
De l’argent pour largement boire.
LE CONTREFAIT Emporte-moy, par sainct Guérin,
Pour ne rancontrer en chemin
Son corps, lequel nous guériroit,
Ce que mal à point nous seroit.
De guérir je n’ay nul soucy !
L’AVEUGLE Par la chair bieu, ny moy aussi !
Au monde, n’a plus belle vie
Que le train de Bélîtrerie* : * Mendicité.
Car sans endurer nulz travaux*, * Nulle peine.
On y a de friandz morceaux
Et d’argent grande quantité.
LE CONTREFAICT J’ay prouffité, pour un esté,
Pour demander piteusement
Cent florins, que gorgiasement
J’ay mangés avec les filliettes.
L’AVEUGLE J’ay prouffité de presque aultant
En moins de cinq ou de six festes,
Que j’ay despendu quand et quand*, * Dépensé en même temps.
Et n’ay pas ung denier de restes.
Ilz rencontreront le corps de St Martin et seront guéris.
L’AVEUGLE Maudit soyt Dieu ! je voy tout clèr.
Le diable puisse l’emporter !
De Dieu à jamais soit maudit
Celluy qui par cy a conduict
Le corps du sainct homme Martin !
Maudit soit-il soir et matin !
À mes yeux a baillié clarté
Contre ma propre voulonté.
LE CONTREFAICT J’estois bossu, tortu, vousté ;
Et ores — dont je suys marry —
Maulgré mes dens*, je suys guéry. * Malgré moi.
Las ! je vivois sans travailler
De ce qu’on me venoit baillier ;
Je triomphois et faisois rage.
Ores, à sueur de visage,
En regret et mélancolie,
Il me fauldra gagner ma vie.
Car se veux aller demandant,
On me dira : « Allez, truand !
Travailliez pour havoir à vivre ! »
L’AVEUGLE Jamais je ne seray délivre
D’ennuy, car je n’ay pas courage
De m’adonner au labourage.
Car jusques icy, j’ay esté
Nourry en toute oisiveté.
LE CONTREFAICT Chantons doncques d’ung mesme accord
Nostre mal et griefz desconfort
Pour y donner quelque allégeance.
L’AVEUGLE Je veux bien, compagnon. Commence !
LE CONTREFAICT chante la chanson :
Ores, il fault qu’allie chantant :
« Adieu, adieu, Bellîtrerie,
Et à celle plaisante vie
Que nous avions en te suyvant !
Hélas ! avecques toy vivant,
Au cueur n’avions mélancolie.
Et bien peu rarement s’ennuye
Qui selon tes loix va vivant.
Bellistre n’a aulcunement
Ny son cueur, ny sa fantaisie
De regret et soulcy saisye
Si le bléd est gasté du vent.
Le bellistre se rassasie
Du bien d’aultruy joyeulsement.
Hélas, hélas, Bellîtrerie,
Doulce dame : à Dieu te commant* ! » * Je te recommande.
Il nous fauldra doresnavant
Travaillier comme des juïfz,
Et nous vivions auparavant
Gays et fallotz par tous les huys.
LE FOL Mes compagnons, il vous fault fère
— Pour parvenir à quelque honneur —
Ung chescung de vous secrétayre
Des gallères de Monseignieur :
Chescung de vous aura la plume* * Une rame.
De quinze piedz ou environ,
Pour escrire ainsi, de coustume,
De beaux cadeaux ou aviron.
Vous ne boirez que de vin blanc* * De l’eau.
Qui vous rendra le cueur très aise,
Et serez assis sur ung banc.
Vouldriez-vous mieux estre à vostre aise ?
Et lhorsque serez desgoustés
Fère le debvoir à la rame,
Vos espaules seront frottés
D’ung bon fouet à la bonne game.
Source : Ms. fr. 24332 de la Bibliothèque nationale de France, folios 234 rº à 240 vº. Cette pièce, copiée d’après le manuscrit original, est bourrée de fautes, contrairement au reste. Certains pensent qu’elle fut écrite pendant la représentation, pour conclure le spectacle à la place du Munyer, qu’on avait dû jouer au début à cause du mauvais temps. « Cette précipitation expliquerait que la copie de cette nouvelle farce ait été, elle aussi, faite hâtivement et que sa transcription soit çà et là hésitante. » (André Tissier, Recueil de farces, t. XI, Droz, 1997, p. 306.)
Structure : Rimes abab/bcbc, rimes plates, rimes fratrisées (vers 223-230).
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
.
*
L’AVEUGLE 2 SCÈNE I
L’aumosne au povre diséteux3
Qui jamais, nul jour, ne vit goucte !
LE BOITEUX
Faictes quelque bien au boiteux
Qui bouger ne peult, pour la goucte4 !
L’AVEUGLE
5 Hellas ! je mourray cy, sans doubte,
Pour la faulte d’un serviteur5.
LE BOITEUX
Cheminer ne puis, somme toute.
Mon Dieu, soyez-moy protecteur !
L’AVEUGLE
Hellas ! le mauvaix détracteur6
10 Qu’en ce lieu m’a laissé ainsi !
En luy n’avoye bon conducteur :
Robé m’a7, puis m’a planté cy.
LE BOITEUX
Hellas ! je suis en grant soucy,
Mèshouan8, de gaigner ma vie.
15 Partir je ne pourroye d’icy,
En eussé-je9 bien grant envie.
L’AVEUGLE
Ma povreté est assouvie10,
S’en brief temps ne treuve ung servant.
LE BOITEUX
Maleurté11 m’a si fort suyvye
20 Qu’à elle je suis asservant12.
L’AVEUGLE
Pour bon service desservant13,
Trouverai-ge poinct ung valet ?
Ung bon en eus en mon vivant14,
Qui jadis s’appelloit Gillet ;
25 Seur estoit15, combien qu’il fust let.
J’ay beaucoup perdu en sa mort.
Plaisant estoit et nouvellet16.
Mauldit[e] celle qui l’a mort17 !
LE BOITEUX
N’aurai-ge de nully confort18 ?
30 Ayez pitié de moy, pour Dieu !
L’AVEUGLE
Qui es-tu, qui te plains si fort ?
Mon amy, tire-t’en ce lieu19.
LE BOITEUX
Hellas ! je suis cy au millieu
Du chemin, où je n’ay puissance
35 D’aller avant. A ! sainct Mathieu,
Que j’ay de mal !
L’AVEUGLE
Viens, et t’avence
Par-devers moy : pour ta plaisance,
Ung petit nous esjoÿrons20.
LE BOITEUX
De parler tu as bien l’aisance21 !
40 Jamais de bien ne joÿrons.
L’AVEUGLE
Viens à moy ! Grant chière ferons,
S’il plaist à Dieu de Paradis.
À nully nous ne mesferons22,
Combien que soyons estourdis23.
LE BOITEUX
45 Mon amy, tu pers bien tes ditz24 :
D’icy bouger je ne sçauroye.
Que de Dieu soyent ceulx maulditz
Par qui je suis en telle voye25 !
L’AVEUGLE
S’à toy aller droit je povoye,
50 Contant seroye de te porter
– Au moins se la puissance avoye –
Pour ung peu ton mal supporter26.
Et toy, pour me réconforter,
Me conduyroye27 de lieux en lieux.
LE BOITEUX
55 De ce, ne nous fault depporter28 :
Possible n’est de dire mieulx.
L’AVEUGLE
À toy, droit m’en voys29, se je peulx.
Voi-ge bon chemin ?
LE BOITEUX
Oy, sans faille.
L’AVEUGLE 30
Pour ce que tomber je ne veulx,
60 À quatre piedz vault mieulx que j’aille.
Voi-ge bien ?
LE BOITEUX
Droit comme une caille31 !
Tu seras tantost devers moy.
L’AVEUGLE
Quant seray près, la main me baille32.
LE BOITEUX
Aussi ferai-ge, par ma foy.
65 Tu ne va[s] pas bien, tourne-toy.
L’AVEUGLE
Par-deçà ?
LE BOITEUX
Mais à la main destre33.
L’AVEUGLE
Ainsi ?
LE BOITEUX
Oy.
L’AVEUGLE
Je suis hors d’émoy34
Puisque je te tiens, mon beau maistre.
Or çà ! ve[u]ille-toy sur moy mectre :
70 Je croy que bien te porteray.
LE BOITEUX
Ad cella me fault entremectre35 ;
Puis apprès, je te conduyray.
L’AVEUGLE
Es-tu bien ?
LE BOITEUX
Oÿ, tout pour vray36.
Garde bien de me laisser choir !
L’AVEUGLE
75 Quant en ce poinct je le feray37,
Je pry Dieu qu’il me puist meschoir !
Mais conduys-moy bien.
LE BOITEUX
Tout pour voir ;
À cella, j’ay [fait le serment]38.
Tiens cecy39 ! Je feray debvoir
80 De te conduyre seurement.
L’AVEUGLE
A ! dea, tu poise40 grandement !
Dont vient cecy ?
LE BOITEUX
Chemine bien,
Et fais nostre cas sagement.
Entens-tu, hay ?
L’AVEUGLE
Oÿ, combien
85 Que trop tu poise[s].
LE BOITEUX
Et ! rien, rien :
Je suis plus légier c’une plume41,
Ventre bieu !
L’AVEUGLE
Tien-té bien [dru],42 tien,
Se tu veulx que je te remplume43.
Par le sainct44 sang bieu ! Onc enclume
90 De mareschal si trèspesante
Ne fut ! De grant chaleur je fume.
Dont vient cecy ?
LE BOITEUX
A ! je me vente
Que charge jamais plus plaisante
Ne fut au monde que tu as
95 Maintenant.
L’AVEUGLE
Mais plus desplaisante !
Trois moys y a que ne chyas !
LE BOITEUX
Mesdieux45 ! Quant de ce ralias46,
[Pource qu’en fus tousjours distraict47,]
Six jours a, par sainct Nycolas,
100 Que bien ne fus à mon retrect48.
L’AVEUGLE
Et ! m’av’ous joué de ce trect49 ?
Par mon serment ! vous descendrez
Et yrez faire aulcun pourtraict50
D’un estron où que vous vouldrez.
LE BOITEUX
105 Contant suis, pourveu qu’atendrez
Que venu soye.
L’AVEUGLE
Oÿ, oÿ.51
Sur ce poinct, le Boiteux descent.52 Et l’Official va
voir se les moynes dorment. Et quant les chanoynes
emportent le corps, ilz 53 recommancent à parler.
*
L’AVEUGLE 54 SCÈNE II
Que dit-on de nouveau ?
LE BOITEUX
Commant !
L’on dit des choses sumptueuses.
Ung sainct est mort nouvellement,
110 Qui fait des euvres merveilleuses :
Malladies les plus p[é]rilleuses
Que l’on sauroit pencer ne dire
Il guérist. S’elles55 sont joyeuses ?
Icy suis pour le contredire !
L’AVEUGLE
115 Commant cela ?
LE BOITEUX
Je n’en puis rire.
L’on dit que s’il passoit par cy,
Que guéry seroye tout de tire56 ;
Semblablement et vous aussi.
Venez çà : s’il estoit ainsi
120 Que n’eussions ne mal ne douleur,
De vivre aurions plus grant soucy
Que nous n’avons.
L’AVEUGLE
Pour le milleur57
Et pour nous oster de malleur,
Je diroye que nous aliss[i]ons58
125 Là où il est.
LE BOITEUX
Se j’estoye seur
Que de tout ne garississ[i]ons59,
Bien le vouldroye. Mais que feussions
De tout guéris, ryen n’en feray !
Trop myeulx vauldroit que fuÿssions60
130 Bien tost d’icy !
L’AVEUGLE
[Mais] dy-tu vray ?
LE BOITEUX
Quant seray gary, je mourray
De fain, car ung chascun dira :
« Allez ouvrer61 ! » Jamais n’yray
En lieu où celuy sainct sera.
135 S’en poinct suis62, l’on m’appellera
Truant63 en disant : « Quel paillart
Pour mectre en gallée64 ! Velle-là65,
Assez propre, miste66 et gaillart. »
L’AVEUGLE
Oncques ne vys tel babillart !
140 Je confesse que tu as droit :
Tu sces bien de ton babil l’art.
LE BOITEUX
Je ne vouldroye poinct aller droit67,
Ny aussi estre plus adroit
Que je suis, je le vous promectz.
L’AVEUGLE
145 Qu’aller là vouldroit se tordroit68.
Et pour tant69, n’y allons jamais.
LE BOITEUX
Se guéry tu estoye, je mectz
Qu’en brief70 courroucé en seroyes.
L’on ne te donroit, pour tous mectz,
150 Que du pain ; jamais tu n’auroyes
Rien de friant.
L’AVEUGLE
Mieulx j’ameroyes
Que grant maleurté me fust cheue71
Qu’au corps l’on m’ostast deux courroyes72,
Que ce qu’on m’eust rendu la veue !
LE BOITEUX
155 Ta bource seroit despourveue
Tantost d’argent.
L’AVEUGLE
Bien je t’en croys !
LE BOITEUX
Jamais jour ne seroit pourveue,
Ne n’y auroit pille ne crois73.
L’AVEUGLE
Mais dy-tu vray ?
LE BOITEUX
Oy, par la Croys !
160 Ainsi seroit que je devise74.
L’AVEUGLE
Jamais de rien ne te mescrois,
Quant pour mon grant bien tu m’avise.
LE BOITEUX
L’on m’a dit qu’il est en l’église ;
Aller ne nous fault celle part75.
L’AVEUGLE
165 Se là nous trouvons, sans faintise,
Le deable en nous auroit bien part !
Pause.76
LE BOITEUX
Tirons par-delà à l’escart.
L’AVEUGLE
Par où ?
LE BOITEUX
Par cy.
L’AVEUGLE
Légièrement77.
LE BOITEUX
Ma foy ! je seroye bien coquart78
170 S’à luy j’aloye79 présentement.
L’AVEUGLE
Allons !
LE BOITEUX
À quel part80 ?
L’AVEUGLE
Droictement
Où le gallant joyeux s’iverne81.
LE BOITEUX
Que82 vellà parlé saigement !
Où yrons-nous ?
L’AVEUGLE
En la taverne :
175 J’y vois83 bien souvant sans lanterne.
LE BOITEUX
Je te dis qu’aussi foy-ge84, moy,
Plus voluntiers qu’en la citerne
Qui est playne d’eau, par ma foy !
Allons acoup !
L’AVEUGLE 85
Escoute…
LE BOITEUX
Quoy ?
L’AVEUGLE
180 Cella qui mayne si grant bruyt.
LE BOITEUX
Se c’estoit ce sainct ?
L’AVEUGLE
Quel esmoy !
Jamais nous ne seryons en bruyt86.
Que puist-ce estre ?
LE BOITEUX 87
Chascun le suyt.
L’AVEUGLE
Regarde voir que ce puist estre.
LE BOITEUX
185 Maleurté de près nous poursuyt :
C’est ce sainct, par ma foy, mon maistre !
L’AVEUGLE
Fuyons-nous-en tost en quelque estre88 !
Hellas ! j’ay grant peur d’estre pris.
LE BOITEUX
Cachons-nous soubz quelque fenestre,
190 Ou au coing de quelque pourpris89.
Garde de choir !
L’AVEUGLE 90
J’ay bien mespris91,
D’estre tumbé si mal appoint !
[Tu fus sage quant tu me pris
Par le collet de mon pourpoint.]92
LE BOITEUX
195 Pour Dieu ! Qu’il ne nous voye poinct,
Car ce seroit trop mal venu !
L’AVEUGLE
De grant peur tout le cueur me poinct.
Il nous est bien mal advenu.
LE BOITEUX
Garde bien d’estre retenu93,
200 Et nous traynons soubz quelque vis94.
L’AVEUGLE (Nota qu’il est guary.)
À ce sainct suis bien entenu95 :
Las ! je voy ce qu’onques ne vis.
Bien sot estoie, je vous plévis96,
De m’estre de luy escarté.
205 Car rien n’y a (à mon advis)
Au monde qui vaille clarté.
LE BOITEUX 97
Le deable le puisse emporter,
Et qui luy scet ne gré ne grâce !
Je me fusse bien déporté98
210 D’estre venu en ceste place.
Las ! je ne sçay plus que je face99.
Mourir me conviendra de fain.
De dueil, j’en mâchure100 ma face.
Mauldit soit le filz de putain101 !
L’AVEUGLE
215 J’estoye bien fol, je suis certain,
D’ainsi foÿr102 la bonne voye,
Tenant le chemin incertain
Lequel, par foleur103, pris j’avoye.
Hellas ! le grant bien ne sçavoye
220 Que c’estoit de voir clèrement.
Bourgoigne104 voys, France, Sçavoye,
Dont Dieu remercye humblement.
LE BOITEUX
Or me va-il bien meschamment.
Meschant qui n’a d’ouvrer105 appris,
225 Pris est ce jour maulvaisement.
Maulvais suis d’estre ainsi surpris.
Seur106, pris seray, aussi repris,
Reprenant107 ma malle fortune.
Fortune108 ! Suis des folz compris109,
230 Comprenant ma grant infortune.
L’AVEUGLE
La renommée est si commune
De tes faitz, noble sainct Martin,
Que plusieurs gens viennent comme une
Merveille vers toy, ce matin.
235 En françoys, non pas en latin,
Te rens grâce de ce bienfait.
Se j’ay esté vers toy mutin110,
Pardon111 requiers de ce meffait.
LE BOITEUX
Puisque de tout je suis reffait112
240 Maulgré mes dens113 et mon visaige,
Tant feray que seray deffait
Encore ung coup de mon corsa[i]ge114.
Car je vous dis bien qu(e) encor sçai-ge
La grant pratique et aussi l’art,
245 Par oignement et par herbaige115,
Combien que soye miste et gaillart,
Qu(e) huy on dira que ma jambe art116
Du cruel mal de sainct Anthoyne.
Reluysant seray plus que lart117 :
250 Ad ce faire, je suis ydoyne118.
Homme n’aura qui ne me donne119
Par pitié et compassion.
Je feray120 bien de la personne
Playne de désolacion :
255 « En l’onneur de la Passion
(Dirai-ge), voyez ce povre homme,
Lequel, par grant extorcion121,
Est tourmenté vous voyez comme ! »
Puis diray que je viens de Romme ;
260 Que j’ay tenu prison en Acre122 ;
Ou que d’icy m’en vois, en somme,
En pèlerinage123 à Sainct-Fiacre.
*
1 Pour l’auteur, il s’agit donc bien d’une farce, et non d’une moralité, comme on nous le serine depuis le XIXe siècle. 2 Nous sommes à Candes-sur-Loire en 397. L’Aveugle mendie dans un coin de la scène, tandis que le Boiteux, qu’il ne connaît pas encore, mendie dans un autre coin. 3 Qui souffre de disette, de faim. L’aveugle et le boiteux du Mystère de saint Quentin, de Jehan Molinet, travaillent dans le même registre : « –Donnez l’aumosne au diséteux/ Qui n’a forme d’œil en sa face !/ –Donnez à ce povre boiteux/ Qui n’a jambe qui bien luy face ! » 4 À cause de la goutte. Ce nom englobe toutes sortes de maladies invalidantes. Cf. le Gouteux. 5 Faute d’avoir un serviteur. Tout ce début démarque celui de l’Aveugle et Saudret, que La Vigne avait dû lire dans l’édition récente d’Antoine Vérard. 6 Enjôleur qui… 7 Il m’a dérobé mon argent. Au théâtre, c’est le reproche – justifié – que font tous les aveugles à leur valet. 8 Désormais. 9 Même si j’en avais. 10 Sera complète. 11 Le malheur, la malchance. Idem vers 152 et 185. 12 Asservi. 13 Pour me rendre service. 14 J’en ai eu un seul de bon dans toute ma vie. 15 Il était sûr, fiable. Et tellement laid que même l’aveugle s’en est aperçu. 16 Naïf. Gillet (diminutif de Gilles) n’est pas le nom d’un valet naïf : celui du Mistère de la Saincte hostie engrosse une chambrière. 17 Celle qui l’a tué : la Mort. « Cil qui l’a mort/ Est évesque. » (ATILF.) Mais le public a pu comprendre « qui l’a mors » : la femme enragée qui l’a mordu. 18 Nul ne me réconfortera-t-il financièrement ? 19 Viens ici. 20 Nous nous réjouirons un peu. 21 Tu en parles à ton aise. 22 À nul homme nous ne ferons de tort. 23 Frondeurs. « Il est des folz acariâtres,/ Estourdis et opiniâtres. » Les Sobres Sotz. 24 Tes paroles, ta salive. 25 Maudits soient ceux qui m’ont déposé sur ce chemin (vers 34). 26 Alléger. 27 Tu me guiderais par la voix. C’est la parabole de l’aveugle et du paralytique. 28 Nous ne devons pas nous écarter de cette bonne idée. 29 Je vais. Idem vers 58, 61, 175, 261. 30 Il avance à quatre pattes vers le Boiteux. 31 Qui se jette dans le filet du chasseur. 32 Tends-moi la main. 33 Dextre : sur ta droite. 34 De danger. « Il nous ostera hors d’esmoy. » (Les Queues troussées.) « Vous rirez,/ Mais [pour peu] que vous soyez hors d’esmoy. » (Frère Phillebert.) 35 M’employer difficilement. L’infirme grimpe sur le dos de l’aveugle. 36 Pour tout vrai. Idem vers 77. 37 Si je le faisais. 38 Ms. : le fermement serement (« Serment » fait deux syllabes au vers 102.) 39 Appuie-toi sur ma béquille. 40 Tu pèses. Idem vers 85. 41 Ms. : enclume (À la rime du vers 89.) « Je suis ligier comme une plume. » Le Gaudisseur. 42 Tiens-toi bien fermement. « Tiens-té bien ferme ! » (Farce de Pathelin.) « Nous tenir drut et fort ensamble. » (ATILF.) 43 Que je t’aide à gagner de l’argent. 44 Ms. : saing 45 M’aid Dieu : que Dieu m’assiste ! 46 Quant à ce divertissement. 47 Dérangé par un passant. Il manque ici un vers, que je supplée. 48 Le retrait est le lieu où l’on se retire pour faire ses besoins. Cf. le Retraict. 49 Ce trait : m’avez-vous joué ce mauvais tour ? 50 Le moulage. 51 Il manque un vers en -drez, et un vers en -y. L’auteur n’a pas eu le temps d’intégrer parfaitement cette farce au Mystère (v. ma notice). 52 Il se traîne derrière un buisson pour déféquer. Il y reste jusqu’à la fin du Mystère, en écoutant ce que chuchotent les religieux qui passent près de lui sans le voir. 53 L’Aveugle et le Boiteux. Vers la fin du Mystère, l’Official endort « comme pourceaux » les moines qui veillent le corps de St Martin ; aidé par ses chanoines, il vole ledit corps pour aller l’inhumer à Tours. Nous arrivons au moment où les voleurs sortent avec le catafalque sur lequel repose le saint, qui en profite pour accomplir quelques miracles. « Les maladies fuyoient à la venue du corps sainct Martin, à Quande. » Tiers Livre, 47. 54 Le Boiteux étant de retour, il lui demande ce que disaient les religieux qui passaient près de lui. 55 Ms. : Celles (Si ses œuvres.) 56 Tout d’un coup. 57 Le meilleur parti à suivre. 58 Que nous allions, pour qu’il nous guérisse. Les 4 rimes sont en -sions. 59 Que nous ne guérissions pas de tout, qu’il nous laisse une petite infirmité pour apitoyer nos clients. 60 Que nous fuyions. 61 Œuvrer, travailler. Les mendiants valides étaient suspects ; voir la notice des Maraux enchesnéz. 62 Si je suis en bonne santé par sa faute. 63 Mendiant, avec une connotation péjorative. Voir l’Hystoire de la vie de sainct Martin dans ma notice. 64 On envoyait les vagabonds aux galères. En 1494 et 1495, La Vigne avait pu les voir à Naples, où il suivait Charles VIII. « Ilz sont en gallée, gallée,/ Les maraulx. » La Résurrection Jénin à Paulme. 65 Voyez-le là. 66 Fringant. Idem vers 246. 67 Marcher sans boiter. 68 Celui qui voudrait aller là où est ce saint ferait un grand détour. « Je me tordroye/ De beaucoup, à aler par là. » Farce de Pathelin. 69 Pour cette raison. 70 J’affirme que bien vite. 71 Ms. : dehue (Chue.) 72 J’aimerais mieux qu’il me soit arrivé le grand malheur qu’on m’ôte deux lanières de peau, plutôt qu’on m’ait rendu la vue. « Ils traisnèrent par la ville les corps du Connestable (…) & d’autres seigneurs, enlevèrent des couroyes de la peau de quelques-uns. » Pierre Coppin. 73 Ni côté pile, ni côté face : pas un sou. 74 Ce serait comme je te le dis. 75 De ce côté. 76 Le Boiteux remonte sur le dos de l’Aveugle. Ils s’éloignent de l’église. 77 Prestement. 78 Stupide. Cf. les Maraux enchesnéz, vers 116. 79 Si j’allais devant St Martin. 80 De quel côté ? 81 Là où le bon vivant passe l’hiver. Les tavernes sont chauffées. 82 Ms. : Je 83 J’y vais les yeux fermés. La phrase est comique parce qu’elle est dite par un aveugle. 84 Que je le fais aussi. 85 L’Aveugle a l’ouïe fine : il entend les chants liturgiques du cortège de St Martin, qui se rapproche dangereusement. 86 Nous perdrions notre réputation d’invalides. 87 Juché sur les épaules de l’Aveugle, il voit arriver la procession. 88 En quelque lieu. 89 Jardin. Cf. la Pippée, vers 21. En courant, l’Aveugle trébuche. 90 Il tombe, avec le Boiteux, qui s’accroche à son cou. 91 J’ai commis une belle erreur. 92 Ces deux vers manquent. J’emprunte le second aux Sotz triumphans. 93 Retardé. 94 Sous un escalier extérieur en colimaçon. Le cortège funèbre passe tout près des infirmes, et le facétieux Martin ne peut s’empêcher de les guérir. 95 Tenu : je lui ai des obligations. « Je suys entenu de faire honneur à mon cousin. » Godefroy. 96 Je vous le garantis. Cf. Maistre Mimin estudiant, vers 405. 97 Il est guéri lui aussi. 98 Je me serais bien passé. 99 Plus quoi faire. 100 J’en meurtris. 101 Le Boiteux fait comme les diables du Mystère, qui rappellent par cette injure que la mère* du saint a été infidèle au paganisme : « Ce paillardeau filz de putain, Martin. » « Ce ribauldeau Martin, filz de putain. » *On la surnommait « la Belle Hélène de Constantinople ». Dans le Mystère, son rôle fut tenu par Étienne Bossuet, l’arrière-grand-oncle de l’évêque. 102 De fuir ainsi. 103 Par folie. 104 Le Mystère et ses deux farces furent représentés à Seurre, en Bourgogne ; leur commanditaire était le gendre du duc de Savoie, le futur employeur de La Vigne. 105 D’œuvrer, de travailler. 106 C’est sûr. Le Grand Rhétoriqueur André de La Vigne n’a pas pu se retenir de caser ici des rimes fratrisées, ou enchaînées. 107 Ms. : Reprenanant (Maudissant ma mauvaise fortune.) 108 Invocation à la Fortune, qui personnifie le destin. « Fortune nous est bien contraire. » Les Maraux enchesnéz. 109 Je fais partie des fous. 110 Si je me suis mutiné contre toi. 111 Ms. : Parton 112 Je suis rétabli, guéri. 113 Malgré moi. Voir l’Hystoire de la vie de sainct Martin dans ma notice. 114 Que mon corps sera encore une fois maladif. « Un bœuf de grand corsage. » Godefroy. 115 Les mendiants se fabriquaient de faux abcès, gangrènes et autres maladies de peau grâce à des onguents et à certaines herbes. 116 Est enflammée par le feu de saint Antoine, l’érésipèle. 117 Mes jambes couvertes de fausses inflammations luiront comme du lard. 118 Expert. 119 Il n’y aura aucun homme qui ne me donne de l’argent. 120 Je contreferai. 121 Luxation d’un membre. Là encore, les truqueurs déployaient beaucoup d’imagination, et au bout du compte, se fatiguaient infiniment plus que s’ils avaient travaillé. 122 Qu’en tant que chrétien, j’ai été enfermé dans la citadelle de Saint-Jean-d’Acre par les Turcs. 123 Ms. : voyage (Ceux qui souffrent d’hémorroïdes font un pèlerinage au monastère de Saint-Fiacre-en-Brie.)