UNG JEUNE MOYNE ET UNG VIEL GENDARME

Recueil Trepperel
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UNG JEUNE MOYNE ET UNG VIEL GENDARME
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« Jehan d’Abundance, bazochien et notaire royal de la ville de Pont-Sainct-Esprit », mourut au milieu du XVIe siècle. Il est surtout connu pour ses farces : le Testament de Carmentrant, la Cornette. On lui attribue la sottie Pour porter les présens à la feste des Roys, et le Disciple de Pantagruel, une parodie de Rabelais.
La présente pièce appartient au genre bien fourni du débat. Les hommes du Moyen Âge, têtus et procéduriers, perdaient beaucoup de temps et d’argent à débattre ou à plaider sur les sujets les plus invraisemblables1. La formation théologique et juridique des écrivains donnait des armes à leur amour de la dispute.
Sources : Édition T : Recueil Trepperel 2, n° 29. Je corrige tacitement les fautes et les lacunes d’après l’édition R : Recueil de plusieurs farces (éd. Nicolas Rousset, 1612), pp. 121-144. Mon but est de produire une version complète et lisible.
Structure : Rimes abab/bcbc, rimes plates, avec 2 triolets.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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Le Procès d’ung jeune moyne et d’ung viel gendarme
qui plaident pour une fille devant Cupido, le dieu d’amours
*
À quatre personnages, c’est assavoir :
CUPIDO
LA FILLE
LE MOYNE
LE GENDARME 3
*
CUPIDO commence SCÈNE I
À tous amans, mes serviteurs loyaux,
Tenans de moy par justice royalle,
Sçavoir je fais qu’à ma Court principalle4
Comparoissent sans estre desloyaux,
5 Portant aux doys verges, sinetz5, aneaux,
Rubis, saphirs, turquoyses, dyamans,
Faisans sonner ménestriéz tous nouveaux6
Pour se monstrer gens joyeux, esbatans !
Viennent à moy Bourgui[g]nons et Flamans !
10 Viennent à moy toutes sex[t]es7 du monde !
Viennent à moy Picars, Bretons, Normans,
Et toute(s) gens qui en amour se fonde(nt) !
Viennent à moy ceulx où honneur habonde !
Viennent à moy sans faire demeur[é]e !
15 Viennent à moy, tous : je tiens table ronde
Pour les servir de pois et de purée.
LA FILLE SCÈNE II
Or suis-je seule demeurée,
Maintenant : je n’ay point d’amy.
Et si, n’ay bon jour ne demy.
20 Je pers mon temps et ma jeunesse,
Ce qui me fait gémir sans cesse.8
Soulas est de moy fort-bany.
Mon [gent] corps qui est frais et plany9 ;
Et quant viellesse orde et chagri(g)ne
25 Aura tout prins en sa saisine,
N’en tiendra-l’en compte, nenny.
Mieulx me vault faire tout honni10
Et prendre en moy désespérance,
Combien que j’aye encor fiance
30 À Cupido, dieu des amours11 :
Il fait aux vrays amans aydance.
J’auray de luy aucun12 secours ;
Mon fait ira fort à rebours,
S’aucun petit ne m’en départ13.
35 Sire Cupido, Dieu14 vous gart ! SCÈNE III
CUPIDO
Et vous aus[s]i, gente pucelle !
Que voulez-vous ?
LA FILLE
Je vous appelle,
À ma grant tribulation.
CUPIDO
Et demandez ?
LA FILLE
Provision
40 D’amours, car il m’est nécessaire.
CUPIDO
Vous estes d’aage pour ce faire,
Propre, gente, mixte et habille15 ;
Et me semble, pour une fille,
Que bien estes appropriée16.
45 Mais n’estes-vous point mariée ?
LA FILLE
Nenny encor, dont ce me poise.
CUPIDO
Je vous mariray, ma bourgoise,
Car vr[a]yement, vous estes en aage.
Mais les amours de mariage
50 Ne sont pas des plus excellentes.
LA FILLE
Si est-ce une de mes ententes
Que d’avoir amy nouvelet.
CUPIDO
Se vous voulez quelque varlet
Pour mary, l’aurez voulentiers.
55 Mais je vous diray les dangiers
Où est une femme boutée :
Du premier est une rousée
Qui se passe17 quant vient le chault.
LA FILLE
Comment cela ?
CUPIDO
Si tost qu’on fault18,
60 Toutes amours si sont faillies.
Au surplus, quant vient la mesgnie19
Et qu’il convient estre nourice,
La plus belle et la plus propice
Y devient hideuse à merveille.
[……………………….. -eille]
65 Les draps salles tousjours au lit.
Vélà comment on s’i conduit.
Regardez s’il y a dangier.
Le pire est qu’on ne peut changer,
Depuis [lors] qu’on est accordé.
LA FILLE
70 Veu ce que m’avez recordé20,
Telle amour ne vault ung formy21 !
CUPIDO
Belle, se vous prenez amy
Par amour, au jour la journée
Vous serez vestue, aournée22
75 Autant à l’endroit qu’à l’envers.
Et s’il vous dit riens de travers,
Adieu jusques au revenir !
Il ne vous sçauroit retenir
Contre vostre consentement.
80 Oultre plus, de l’apoinctement23
Qui se fait à double24 et à quite,
Vous en serez trèsbien conduite
Tous les jours, face froit ou chault.
LA FILLE
Cupido, c’est ce qu’il me fault :
85 Je ne requiers que telz plaisances.
CUPIDO
Vous yrez aux festes, aux dances,
Saillir, saulter, bondir en l’air,
Courir et vous faire valoir25,
Sans que nulluy [ne] s’i oppose.
LA FILLE
90 Las ! je ne requiers autre chose.
CUPIDO
Se vous estes en mariage,
Il fauldra garder le mesnage,
Avoir des langes et des frettes26,
Des berseaulx, et tant de souffrettes
95 Que c’est une grande pitié.
LA FILLE
J’aymeroye donc mieulx la moitié
Avoir amy d’aultre façon,
Pour me fourrer mon peliçon27,
Qu’un mary lasche et paresseux.28
CUPIDO
100 Taisez-vous, m’amye, j’en sçay deulx :
L’ung est moyne (augustin ou carme,
Ou jacopin29) ; l’autre est gendarme.
Ilz sont à pourveoir, ce me semble.
Vous les verrez tous deulx ensemble,
105 Et puis après vous choysirez.
LE MOYNE commence SCÈNE IV
Povres moynes, gens emmurés,
Hors du monde, mis en closture,
Doyvent-ilz estre séparés
De tous les délitz30 de Nature ?
110 Par Dieu ! je vois31, à l’adventure,
À Cupido, dieu des amans.
Et s’il y a quelque pasture32,
Je v[u]eil estre de ses servans.
Dieu Cupido, maistre des grans33, SCÈNE V
115 Vous soyez en bonne34 sepmaine !
CUPIDO
Et vous aussi, mon gentil moyne,
Vous soyez le bien arrivé35 !
Tenez, la belle : ay-je trouvé,
À ceste heure, ung gentil fillault36.
LE GENDARME commence SCÈNE VI
120 À l’assault, ribault[z], à l’assault37 !
C’est commencement de bataille.
Dieu gard, Cupido ! Bien vous aille !
CUPIDO
Gendarme, bien soyez venu !
Je vous ay long temps attendu,
125 Car j’ay bien cela qu’il vous fault.
LE GENDARME
Je suis prest de donner l’assault38,
S’il y a quelque jeu de « bille39 » !
CUPIDO
Regardez ceste belle fille :
Est-ce riens ?
LE GENDARME
Ouÿ, par saint Jamme !
CUPIDO
130 A ! par le corps bieu, elle est femme
Pour recepvoir ung combatant40.
Et pour ce, regardez contant41
Qui frappera à la quintaine42.
LE GENDARME
Que demande ce maistre moyne ?
CUPIDO
135 Il demande en avoir sa part.
LE GENDARME
Allez, vostre fi[è]vre quartaine !
Vuidez d’icy, frère Frappart43 !
Et ! voulez-vous estre paillart ?
Vuidez tost, c’est trop demouré !
LE MOYNE
140 Ha ! dictes, par Dieu : j’en auray
Aussi bien que vous [en] aurez !
LE GENDARME
Se me croyez, vous vous tairez
Et vuiderez légièrement44.
CUPIDO
Tout beau ! Faites appoinctement
145 Sans tencer, je le vous commande.
Çà, ma fille, je vous demande :
Lequel d’eux voulez-vous eslire ?
LA FILLE
Sur ma foy, Cupido, beau sire,
Je ne sçay pas trop bien entendre
150 Lequel je dois laisser ou prendre,
Car chascun est noble personne.
LE GENDARME
Vous serez à moy, ma mignonne,
Pour estre plus honnestement45.
CUPIDO
À vous deulx le département46 ;
155 Il ne m’en chault comment il voise.
LE MOYNE
[Or,] pour estre mieulx à son aise
S’il luy failloit je ne sçay quoy47,
Elle seroit mieulx avec moy ;
Et en doys estre le seigneur48.
LE GENDARME
160 Et vous, maistre moine : esse honneur,
En l’estat de religion,
D’avoir femme en fruïtion49 ?
Qu’est cecy que vous sermonnez ?
LE MOYNE
Et ! se nous sommes couronnés50
165 Et moynes, voulez-vous conclure
Que nous [en] soions séparés
De tous les délis de Nature
Comme se nous estions chastrés ?
LE GENDARME
Pour néant cy vous51 débat[r]ez,
170 Car je la merré52 hors ce lieu.
LE MOYNE
Non ferez, j’en fais veu à Dieu53 !
À cela ne vous attendez54.
LA FILLE
Pour Dieu, Cupido, regardez
Ung peu à ma provision55.
175 Je requiers eppediction56,
Il ne me fault point long procès.
CUPIDO
Il fault que vous vous avancez57 ;
Ne la tenez plus en esmoy.
LE GENDARME
Venez-vous-en avecques moy !
LE MOYNE
180 Non fera, dea, je m’y oppose !
CUPIDO
Se vous ne dictes autre chose,
Vous empeschez la Court en vain.
LA FILLE
Quant est de moy, vélà mon train :
Je demande ung gentil gallois58.
CUPIDO
185 Vous en voulez ung hault la main,
Prest à vous présenter le « bois59 » ?
LA FILLE
Enné60 ! vélà motz à fin chois61.
Vous sçavez tout, et plus encor.
LE GENDARME
Je vous bailleray mon trésor,
190 Mon or, mon argent, ma chevance,
Et vous maineray à l’essor62
Tous les jours, à vostre plaisance.
Oultre, ce n’est que l’ordonnance63
De nous, qui tenons les frontières,
195 Que nous ayons des chambèrières :
Personne ne s’en scandalise.
LE MOINE
Par Dieu ! quant elle y seroit mise,
Elle seroit femme perdue :
Estre tempestée, morfondue64,
200 Cheminer avec la brigade,
Coucher vestue sur la paillade65
Avecques ces palefreniers…
Mais nous qui sommes cloistriers66,
Nous vivons en paix et sans noise ;
205 Et pour vivre mieulx à son aise67,
Au monde ne pourroit mieulx estre.
LE GENDARME
Quoy donc ? Moy qui me faicts paroistre68
Journellement devant les dames,
Ne doy-je point avoir des femmes
210 Mieulx que vous ? Or respondez donc !
LA FILLE
Vous faictes ung procès si long
Que c’est raige. Il fault despescher.
Si, vous supplie, sans plus prescher,
Cupido, dictes quelque chose.
LE MOYNE
215 Je vous auray !
LE GENDARME
Je m’y oppose !
Car vous qui estes gens reclus,
Vous estes privés et seclus69
D’avoir femme[s] en posses[s]oire.
LE MOYNE
Je soutiens70 le contradi[c]toire !
220 Et mettez le procès en forme.
CUPIDO
Premièrement71 que je m’informe
Du procès en quelque façon,
Il fault dire quelque chançon.
Et puis après, qu’on y revienne.
LA FILLE
225 Si vous voulez que je so[u]stienne
Le « bas », si baillez bon « dessus72 »
Qui pousse (sans estre Lassuz73)
Et gringote74 ut ré mi fa sol.
LE GENDARME
Je ne chante75 que de bémol…
LE MOYNE
230 Et moy, je chante de bécare76,
Gros et roide77 comme une barre,
Quant j’ay ung « dessoubz » de nature.
LE GENDARME
Je ne chante que de mesure,
Tout bellement, sans me haster.
LA FILLE
235 Se vous ne sçavez gringoter
Dessus mon « bas » de contrepoint78,
Brief, je ne vous soustiendray point :
Car je vueil, [moy,] c’on y gringote.
LE GENDARME
Je bailleray note pour note79,
240 Sans d’avantage m’efforcer.
Et si, ains que80 recommencer,
Faudra que long temps me repose.81
LA FILLE
Oncque chant où il y a pause
Ne dénota bonne puissance.
245 Il n’est que chanter à plaisance
En toutes joyeuses musiques.
LE MOYNE
Quant est d’instrumens organiques82,
Gros et ouvers pour ung plain champ83,
J’en suis fourni comme ung marchant84 :
250 Par ma foy, il ne m’en85 fault rien !
LA FILLE
Je vueil ung tel musicien
Pour fournir une basse contre86 !
LE MOYNE
Puis87 une foys que je rencontre
Unicum88 en ma chanterie,
255 C’est une droicte mélodie
Et plaisant que de m’escouter.
LE GENDARME
Je ne doubte89 homme pour chanter
Chant de mesure bien nombré.
LE MOYNE
Ung des vielz chantres de Cambrai90
260 Et vous estes bien assortés :
Car tout cela que vous chantez
Est fait du temps du roy Clostaire91.
LA FILLE
Nous dirons vous et moy, beau Père,
Deux motz à la nouvelle guise92.
LE MOYNE
265 Chanson à deux par[s], à voys clère,
[Nous] dirons vous et moy.
CUPIDO
Beau Père,
Pensez que c’est une commère
Qui sçait bien « chanter ».
LA FILLE
Sans faintise,
Nous dirons vous et moy, beau Père,
270 Deux motz à la nouvelle guise.
Ilz chantent tous deux ensemble :
« J’ay prins amours à ma devise… »93
LE GENDARME
Vous chantez comme [font] deux ours
Quant il sentent le vent de bise.
CUPIDO
Recommencez […… -ours] !
Ilz chantent :
275 « J’ay prins amours à ma devise… »
LE GENDARME
Maistre moyne, chantez tousjours,
Et faictes bien à vostre guise :
Car voz chants94 tourneront [en plours]95,
Se je viens à mon entreprinse.
LE MOYNE
280 Se vous perdez à ceste assise,
À l’autre vous [ferez recours]96.
Allez aillieurs quérir secours,
Car je vueil chanter sans reprinse97.
Ilz chantent :
« J’ay prins amour à ma devise… »
CUPIDO
285 Or est-il temps qu[e l’]on s’avise,
De ce procès, qu’il est de faire.
LE GENDARME
Plaidons en procès ordinaire,
Et mettons la cause à huyttaine98.
LE MOYNE
Non ferez, par la Magdaleine !
290 Je requiers expédicion !
LE GENDARME
Je demende dilation99 !
LA FILLE
Dilation ? Quel capitaine100 !
Ce n’est pas nostre mencion101…
LE GENDARME
Je demande dilation !
LE MOYNE
295 J’en auray la pocession ;
Et puis revenez à quinzaine.
LE GENDARME
Je demande dilation !
LA FILLE
Dilation ? Quel capitaine !
Et ! n’esse pas chose villaine
300 De se vouloir en procès mettre
À ung homme, et se dire maistre
Du fait où on102 ne peult venir ?
LE MOYNE
Quant à moy, je vueil soustenir
Qu’il a desjà son temps passé,
305 Et qu’il est rompu et cassé
Pour suivir les amoureux trains.
Et, qui pis est, le « jeu des rains »
Ne luy est duisant ne propice.
LE GENDARME
Allez-vous-en, maistre novice,
310 Chanter la messe en vostre église !
Pourtant, se j’ay la barbe grise,
Doy-je estre mis a remotis103 ?
Vous n’estes qu’un jeune aprentis
Qui ne congnoissez pas telz termes.104
LA FILLE
315 Quant ung homme n’a les rains fermes
Pour jouster et courir la lance105,
Ce n’est riens que de sa puissance
À l’encontre d’ung bon escu106.
Or, veu que vous avez vescu107,
320 Et à bien vous veoir vis-à-vis,
Vous estes foible, à mon advis.
Mon oppinion en est telle.
LE GENDARME
Allez vous chier, puterelle !
Vous sentez la religion108.
325 Mais, par la Saincte Passion,
S’il advient que vous devez estre
Avecques ce moyne en son cloistre,
Il vous en mesprendra du corps.
Et si, vous en tireray hors,
330 Soit par force, soit autrement.
CUPIDO
Procédez résonnablement,
Sans user de force ou mainmise.109
LE GENDARME
Où110 voulez-vous qu’elle soit mise,
Avec ce moyne cloistrier ?
CUPIDO
335 Je considère le « mestier111 »,
Qui est pénible en ses ouvraiges.
Je regarde vos personnaiges ;
Premier, de ceste jouvencelle :
Elle est si gracieuse et belle !
340 Oultre plus, le religieulx
Est jeune, frois112 et gracieulx,
Et au « mestier » bien disposé.
En après, il a proposé
(Ainsi qu’ay entendu de luy)
345 Que vous estes mort et failli,
Que vous estes foible de reins.
LE MOINE
Ce que j’ay dit, je le maintiens,
Et le maintiendray par raison.
LE GENDARME
Tout de mesme trotte grison,
350 Et aussi bien comme moreau.113
LA FILLE
Vous ne dictes rien de nouveau :
Nous ne parlons pas du pellaige,
Mais de ce qu’estes vieil et d’aage.114
LE GENDARME
Par Dieu ! pourtant, courtoise et saige,
355 Vieil escu vault tousjours son pois115.
LA FILLE
Il n’est feu que de jeune bois.
LE GENDARME
Il n’est aboy que de viel chien.
Si me prenez à vostre chois,
Ma mignon(g)ne, vous ferez bien.
LA FILLE
360 Par saint Jehan ! je n’en feray rien,
Se Justice ne m’y condampne.
LE MOYNE
Pensez-vous qu’el(le) soit si insane116
Et si cocarde117 de vous prendre,
Veu qu’elle est si gracieuse et tendre118,
365 Miste, gorière119 aux rians yeulx ?
Et vous les avez chacieulx120
Ny plus ne moins qu’un chat de may.121
LE GENDARME
Ha ! dieu d’amours, secourez-moy !
Que doy-je plus cy sermonner122 ?
CUPIDO
[Autre conseil ne puis donner,123]
370 Fors que vous voisez seullement
Vers elle prier doulcement
Que son amour vous abandonne.
LE GENDARME
Hélas ! je vous prie, ma mignonne,
Que je ne soye point esconduit :
375 Car sy ce moyne vous conduyt,
Vous estes femme diffamée.
Mais de moy vous serez aymée
Plus que Pâris n’ayma Hélaine.
Et se vous estes à ce moyne,
380 Tout vostre honneur est desconfit.
LA FILLE
On dit souvent chose certaine :
Moins d’onneur et plus de prouffit124.
Car tel qu’il est, il me souffit ;
Et vous n’estes homme qui fist
385 Ce qu’il fera.125
LE GENDARME
À l’aventure,
Pour aucun des fais de Nature,
J’ay encore une verte vaine126.
LA FILLE
Ung coup [fait] à la longue alaine127 ?
Par ma foy, ce seroit grant peine !
390 Si n’esse pas ce qui128 me maine
En ce lieu que de vous avoir :
Car vostre puissance est trop vaine
Pour bien faire vostre devoir.
LE GENDARME
Çà, Cupido : il fault sçavoir,
395 De ce procès, qui gaignera.
CUPIDO
Je croy que le moyne l’aura,
Car vous n’estes point son pareil.
LE GENDARME
Je demande avoir du conseil129,
Et metz ad octo probandum130.
LA FILLE
400 Mais une corde ou ung landon131
Pour vous attache[r] hault et court !
LE GENDARME
J’auray le terme de la Court,
Mais qu’il vous plaise, à tout le moins.
Je vueil produire mes « tesmoingz »132,
405 Et vueil monstrer par voye d’enqueste
Qu’il est plus licite et honneste
Qu’elle soit à moy qu’autrement.
LA FILLE
Cupido, faictes jugement :
Le long procès n’y vault pas maille.
CUPIDO
410 J’en vois parler, vaille que vaille,
De133 ce que j’ay veu et congneu ;
Et puis cell[u]y qui sera gru134,
Si en prenne une douléance.
Quant à la première ordonnance,
415 La belle fille icy présente,
Ce n’est que pour resjouyssance
D’avoir amours, c’est son enttente.
Or est-elle mignonne et gente,
Et de riens el(le) ne se soucie,
420 Fors que d’avoir pour toute rente
Ung mignon qui bien la manie.
Ergo, considéré les termes
Que m’avez ouÿ proposer,
Ung homme qui n’a les rains fermes
425 Pour néant se doit disposer ;
Parquoy je luy v[u]eil proposer135
Ung mignon qui bien la manie136
De nuyt, et de jour, sans reposer.
Vélà ce que je sentenc[i]e.
LA FILLE
430 Cupido, je vous remercie.
CUPIDO
Après que j’ay considéré
Le fait d’elle totallement,
Comment je vous ay desclairé
Cy, devant tous137, en jugement,
435 Je regarde semblablement
Vous deulx, chascun en sa querelle.
Celluy qui pourra plainement
La mieulx servir au plaisir d’elle :
Primo, ce maistre monachus138
440 Dit qu’il joura ung personnage
Qui vauldra plus de cent escutz,
Et se vante de faire raige ;
Et oultre, dit en son langaige
Que vostre puissance est faillie.
445 Parquoy il aura l’avantaige.
Vélà ce que je sentencie.
LE GENDARME
Et ! [de] par la Vierge Marie,
Vous me faictes ung grant excès !
CUPIDO
Vous avez ouÿ mon procès ;
450 Et prenez en gré ma sentence !
LE GENDARME
Je prens ce coup en pacience,
Combien qu’il ne me plaise pas.
LE MOYNE
Puisque bien avez fait mon cas,
Cupido, vélà deux ducatz
455 Pour voz peines et vos babis139.
CUPIDO
Grates vobis140, grates vobis !
LA FILLE
Quant en aucun débat serons,
Cupido, nous vous manderons :
Vous viendrez par-devers nobis.
CUPIDO
460 Grates vobis, grates vobis !
LE GENDARME
Pourtant, se j’ay esté vaincu,
Vous aurez de moy cest escu
Pour entretenir vos habitz.
CUPIDO
Grates vobis, grates vobis !
EXPLICIT
*
1 Dans la Farce de maistre Trubert et d’Antrongnart, d’Eustache Deschamps, un paysan veut plaider contre un homme qui lui a pris une amande dans son jardin ! 2 Ce recueil comporte une pochade en vers de Jehan d’Abundance : les Quinze grans et merveilleuz signes nouvellement descendus du ciel au pays d’Angleterre (n° 26). Elle est suivie d’une très rabelaisienne Lettre d’escorniflerie, en prose. 3 L’homme d’armes, le soldat. 4 Princière. Le Prince des Sots n’aurait d’ailleurs pas renié ce « cri » modelé sur celui qui ouvre les sotties. 5 Verge = bague. Si[g]net = bague ornée d’un sceau. 6 Faisant jouer des musiciens à la mode. 7 Sectes, races, espèces. 8 Leçon de R. T : A leuer de ma forteresse 9 Doux, agréable. 10 R évoque clairement le suicide : Qu’aurois piéçà franchi le pas/ De la mort. On songe aux Regrets de la belle Heaulmière de François Villon : « Ha ! vieillesse félonne et fière,/ Pourquoy m’as si tost abatue ?/ Qui me tient, qui, que ne me fière/ Et qu’à ce coup je ne me tue ? » 11 T : amans (Vers 368.) 12 Quelque. 13 S’il ne m’accorde aucun petit secours. 14 Ce mélange de paganisme et de christianisme ne choquait pas : une église de Langon fut dédiée à sainte Vénus. C’est d’ailleurs au fils de Vénus, « à Cupido, dieu d’amourettes », que le franciscain frère Guillebert lègue son âme. 15 Miste [mignonne] et habile. 16 Propre aux choses de l’amour. 17 Qui s’évapore. 18 Qu’on commet une faute. 19 La vie de famille. 20 T : accorde (Recorder = raconter.) 21 Une fourmi : ne vaut rien. 22 Ornée, parée. 23 Du coït. « Les ungz, par leur fin jobelin [leur persuasion],/ Fournissent à l’apointement. » Guillaume Coquillart, Monologue des Perrucques. 24 T : deux (À quitte ou double. Cf. Maistre Mymin qui va à la guerre, vers 248.) Soit on refait l’amour, soit on quitte la partie. 25 Vous mettre en valeur. T intervertit les vers 88 et 89. 26 Des couches. 27 Région poilue de l’anatomie féminine. « Fourby luy as son pelisson/ Maintes fois. » (Les Enfans de Borgneux, F 27.) Cf. le Gaudisseur, vers 53. 28 Leçon de R. T : Je demande ung tel amoureulx 29 Jacobin. À propos de tous ces moines paillards, v. la Confession Margot, vers 14-15. 30 Plaisirs. (Idem au vers 167.) « Je la baiseray des foys trente/ En faisant l’amoureulx délict. » Le Poulier à VI personnages, LV 27. 31 Je vais. Idem vers 410. 32 De la chair fraîche : une jeune fille. 33 Cupidon imposait sa loi aux dieux les plus importants, comme Jupiter. 34 T : male (« Dieu vous mecte en bonne sepmaine ! » Mince de quaire, F 22.) 35 Le bienvenu. 36 Garçon. 37 Cette injonction, qu’on trouvait dans le Jeu du Prince des Sotz sous la forme « À l’assault, prélatz, à l’assault ! » paraît issue d’un mystère du XVe siècle, les Actes des Apostres : « À l’assault, diables, à l’assault ! » Tel est l’ordre que Lucifer donne au « dyablotin Panthagruel », dont le patronyme aura la postérité que l’on sait. 38 Le vocabulaire érotique doit beaucoup au lexique guerrier. « Toujours ferme et dispos,/ Il fut vainqueur dans trois assauts. » (Commandant Collier.) Cf. les Premiers gardonnéz, vers 163. 39 De bâton [pénis]. Cf. les Sotz qui remetent en point Bon Temps, vers 92. 40 « Ceulx-là qui sont de plusieurs cons batans,/ Foulz arrogans, se monstrent combatans. » Gratien Du Pont. 41 Estimez content celui… 42 Mannequin contre lequel s’entraînent les cavaliers. « Vous jousterez à la quintaine,/ S’elle s’y vouloit consentir,/ Se vous voulez son con sentir. » Jehan Molinet, le Débat du viel Gendarme et du viel Amoureux. Ce débat offre des similitudes avec le nôtre. 43 Leçon de R. T : a vostre abaye maiste frappart (Le clerc ne s’appelle pas ainsi, contrairement au cordelier de la Femme qui fut desrobée à son mari <F 23>. « Frère Frappart » est le nom générique des moines paillards : « Ce cordelier, qui estoit ung frère Frappart, embrasé de chaleur naturelle et du désir de luxure. » Pogge+Tardif.) 44 Vous viderez les lieux rapidement. 45 Ce sera plus honnête que d’aller avec un prêtre. 46 Débrouillez-vous pour le partage. 47 Un rapport sexuel. « Lorsque m’amie et moy,/ Tous nuds au lict, faisons je ne sçay quoy. » Ronsard. 48 Le propriétaire. La scène des deux hommes qui se disputent une belle fille évoque celle du Faulconnier de ville, à partir du vers 307. 49 Jouissance. (Leçon de R. T : prouision) 50 Tonsurés. 51 T : Pournent cy vous vous — R : Pourneant icy (Pour néant [pour rien] réapparaît à 425.) 52 Je la mènerai. 53 R propose un jurement plus savoureux de la part d’un moine : Je me donne à Dieu ! 54 N’y comptez pas. 55 Ce qu’on alloue provisoirement à un plaideur en attendant le jugement. 56 Expédition de mon affaire. Dans les farces, les femmes, qui sont illettrées, déforment le jargon juridique : cf. Colin, filz de Thévot, vers 186-190. 57 T : auancies (Que vous progressiez.) 58 Un bon amant. « Mon gentil gallois,/ Ailleurs quérir je n’yray mie/ Une “andouille” à faire bons pois. » Parnasse satyrique. 59 Son pénis. Cf. Raoullet Ployart, note 29. 60 Juron féminin. 61 Voilà des mots bien choisis. 62 En plein air, lors de mes déplacements. Voir le vers 199. 63 C’est dans l’ordre des choses. 64 Exposée aux tempêtes et enrhumée. 65 Sur la paille d’une écurie. 66 T : cloistriez (Qui vivons dans des couvents.) 67 Le « gras chanoine » des Contrediz de Franc Gontier, de Villon, personnifie bien cet éloge du confort et de la luxure dans lesquels se prélassaient les moines conventuels : « Il n’est trésor que de vivre à son aise. » 68 Qui me fais mousser. Leçon de R. T : Et moy beau sire qui fois croistre/ tous les iours deuant les dames 69 Exclus, privés. 70 T : contiens (Les prêtres de jadis acquittaient une redevance, le couillage, pour avoir le droit d’entretenir une concubine : « Mais oserois-je bien parler de l’infâme tribut qu’on souloit faire payer aux prestres pour estre dispenséz d’en tenir [autorisés à entretenir des maîtresses], et le nommer par son nom, le couilliage ? » Henri Estienne, Apologie pour Hérodote, XXI.) 71 Avant. 72 Le vocabulaire musical se prêtait à des incartades érotiques. La Fille assure le « bas » (cf. les Femmes qui font renbourer leur bas), et l’homme improvise le « dessus ». On trouvera les mêmes détournements dans une chanson de Pierre Bergeron : « Je pris le dessus, non sans rire,/ Et ma maistresse le dessous./ Nous commençasmes par nature/ Nos sons et accords tout exprès ;/ Et, las de battre la mesure,/ Je finis en bémol [débandade] après. » Cabinet satyrique. 73 Je prends ce vers et le suivant dans R. (T offre de ce distique une lecture moins claire avec une rime du même au même : Car aucuneffois sans dessus/ Mauuais chantre est par ung desol.) L’éditeur de 1612 place là un clin d’œil à Roland de Lassus, qui composa plusieurs chansons grivoises, dont la célèbre Fleur de quinze ans, sur un poème de Marot. 74 R : grignote (Gringoter = chanter. Mais aussi, coïter : « C’est ung plaisant esbatement/ De ce bas clicquant instrument,/ Qui si bien tamboure et gringote. » Molinet, Débat <v. note 42>.) 75 Copule. « Les gens mariéz, par despit, disent qu’ils chantent leur première messe sur “l’autel velu”. » (Béroalde de Verville.) « Bé mol » est la prononciation normande de « bois mol » : pénis mou. Voir la note 72. 76 Prononciation normande de « bois quarre » : pénis dur. J.-J. Rousseau a donné l’étymologie du bécarre : « On l’appella B dur ou B quarre, en Italien B quadro. » 77 Leçon de R. T : Hault et gros 78 En épousant ma ligne mélodique. 79 Coup de reins pour coup de reins. 80 Avant de. 81 Ces 3 vers proviennent de R. T : Tout bellement sans me haster <reprise de 234>/ Et pensere aucuneffois <sans rime>/ Sil est besoing en une clause 82 T : organistes (Jeu de mots sur l’organe viril.) 83 Jeu de mots sur « plain-chant ». Le « champ » est la partie de la femme qu’il faut labourer : « La sibylle aussitôt dans sa chambre le mène,/ Et lui montre le champ de l’amoureux déduit. » Robbé de Beauveset. 84 J’en ai à revendre. 85 T : nem — R : s’en (Il ne me manque rien.) 86 Une partie basse contre la mienne. « [Merlin] jouoyt le dessus et trouvoit la basse contre toute preste. » Chroniques gargantuines. 87 T-R : Depuis 88 Jeu de mots sur « uni con » : vulve lisse. (R : Unisson) 89 Redoute. 90 Ces chanteurs, dépositaires de la tradition grégorienne, passaient alors pour de vieilles barbes. « C’estoyt chose mervelleuse de nous ouÿr accorder noz mélodieuses voix (…), non point sy armonieusement comme font les chantres de Cambray ou Paris, combien touttefoys quasi taliter qualiter [presque aussi bien qu’eux]. » Nicolas Loupvent. 91 Clotaire II, né à Cambrai en 584, symbolisait l’ancien temps. « Il a [des] esperons du temps au roy Cloutaire, dont l’un n’a point de molette. » Quinze Joyes de Mariage. 92 Selon la dernière mode. 93 Ce rondeau est publié dans le Jardin de Plaisance (folio 71 r°). On le chante notamment dans la farce des Amoureux qui ont les botines Gaultier (F 9), et dans le Débat de Molinet <v. note 42>. 94 T : champs 95 T : enpleurs 96 T : seres resours (Vous déposerez un recours lors d’autres assises.) 97 Sans être repris, sans reproche. 98 Remettons la sentence à huit jours de là. Le Gendarme cherche à gagner du temps. 99 Un report. La Fille, peu faite au jargon juridique (note 56), traduit « dilatation » : érection. 100 Citation narquoise d’un autre débat, « prouffitable pour instruire jeunes filles à marier », l’Embusche Vaillant : « Et dit-on : “Dieu, quel capitaine/ Pour faire armes ou grant conqueste !” » 101 Ce qu’on nous a dit. 102 T : il (De la dilatation à laquelle on ne peut parvenir.) 103 À l’écart. « Ailleurs, en quelque pays a remotis. » Pantagruel, 7. 104 R : Les vieux sçavent d’amour les termes. 105 Leçon de R. T : ung coup la lance (Courir la lance = copuler : « Elle se coucha, et luy emprès d’elle. Il n’eurent guères esté couchéz, et plus couru d’une lance. » Cent Nouvelles nouvelles.) 106 L’écu, bouclier contre lequel frappe une lance, désignait le sexe de la femme. Cf. le Trocheur de maris, vers 191. 107 Que vous avez longtemps vécu, que vous êtes vieux. 108 Vous puez le moine. 109 Leçon de R. T ne rime pas : Car iustice vous sera tinse 110 T-R : Et (Jeu de mots sur la main mise.) 111 Le bas métier, le coït. 112 Frais. 113 Un cheval à poils gris <v. le vers 311> court aussi vite qu’un cheval à poils bruns. J’adopte la lecture de R ; T réduit ces 2 vers à : Aussi bien trotte grison que moreau 114 Leçon de R. T remplace ce vers par : mais tant seullement pource que laage/ vous surmonte cest une fois 115 Un écu déprécié vaut malgré tout son poids en or. On assiste à une bataille de proverbes. 116 T : besiaune (Insane = folle. Rime avec « condamne ».) 117 Coquard = sot. 118 T-R : gente 119 Mignonne (vers 42), élégante. 120 « Les yeulx chassieux, couilles flastries et victz geléz. » J. d’Abundance, Lettre d’escorniflerie, T 26. 121 Leçon de R. T : Comme ung poure chat de may (Les chats nés au mois de mai n’avaient aucune valeur : « Et dois sçavoir, si tu es bon devin,/ Que chatz de May ne vallent une puce. » J. Molinet, Débat d’Avril et de May.) 122 Que dois-je dire de plus ? 123 Vers manquant. « Autre conseil ne vous puis donner, fors laisser joindre voz gens. » Thrésor des Amadis. 124 Cet « axiome de Normandie », comme l’appelle Béroalde de Verville, se lit notamment dans la farce des Chambèrières (F 51). 125 Leçon de R. T : & brief de vous ie ne vueil point/ Car vous nestes point quil me fit/ Ce quil me feroit 126 Une raide verge (lat. vena). « –Il a jà une verte vayne./ –Au moyns serez-vous bien joyeuse/ Quant ma queue verte sentirez. » Les Femmes qui se font passer maistresses, F 16. 127 En faisant durer le plaisir. « Pauline, qui n’estoit pas mal contente de ce long travail, s’estonnoit de la longue haleine de son piqueur. » (Bandello+Belleforest.) Quoi qu’en disent des personnes mal informées, « coup » avait la même acception libre qu’aujourd’hui : « Ung jeune fils qui se fiança,/ À sa fiancée emprunta/ Ung coup sur le temps advenir. » (Sermon joyeux d’un Fiancé.) Cf. Frère Guillebert, vers 90. 128 T : quil 129 Un avocat. 130 Je remets « la cause à huitaine » (vers 288). 131 Une corde de charpentier. 132 Exhiber mes testicules. (Cf. Frère Guillebert, vers 354.) Avec le même double sens érotico-juridique, les basochiens disaient aussi : « Mettre les pièces dessus le bureau. » Quant aux plaideurs, on les nommait « les parties ». Tout ces termes ambigus simplifiaient la vie aux avocats qui rédigeaient des causes grasses, plaidoiries carnavalesques d’une touchante obscénité. Le jugement de Cupidon (vers 414-446) est lui-même une cause grasse. 133 D’après. 134 Grup = condamné. « Son procès va donc à rebours,/ S’il est grup. » (Mistère de la Passion.) C’est un mot d’argot : « Car qui est grup, il est tout roupieulx [honteux]. » (Villon, Ball. en jargon, VII.) 135 T : disposer (Rime précédente.) 136 T : maine (Même vers que 421.) 137 T : toutes 138 Moine. 139 Babils, plaidoiries. 140 Merci à vous. On prononçait « grattez vos bis » : grattez vos sexes, masturbez-vous parce que vous n’aurez rien d’autre. « [Nous en sommes] quites pour un grates vos bis. » (Marchebeau et Galop, LV 68.) Bis = vulve : « La belle fille entre les bras,/ Et river le bis à plaisance,/ Dix foys la nuyt. » Sottie de Folle Bobance.
LES FEMMES QUI FONT ESCURER LEURS CHAULDERONS

British Museum
*
LES FEMMES QUI FONT ESCURER LEURS CHAULDERONS
*
Quelques fabliaux littéraires du Moyen Âge furent adaptés pour la scène à la Renaissance. Le Maignien qui foti la dame1 fut ainsi transformé en farce dans les années 1510-1520. Le « chaudron » des deux femmes désigne la partie la plus chaude de leur anatomie. Ce chaudron étant troué, le chaudronnier doit y mettre un « clou » suffisamment gros pour le boucher. Tout est dit.
Source : Recueil du British Museum, n° 29.
Structure : Rimes plates, avec 2 triolets, et 4 huitains en aabBaabB.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
*
Farce nouvelle et fort joyeuse
des femmes qui font escurer leurs chaulderons
et deffendent que on ne mette la pièce auprès du trou
*
À troys personnages, c’est assavoir :
LA PREMIÈRE FEMME
LA SECONDE [FEMME]
LE MAIGNEN 2
*
LA PREMIÈR[E] commence SCÈNE I
Ma commère !
LA SECONDE
Plaist-il, m’amye ?
LA PREMIÈRE
Escoutez un peu !
LA SECONDE
Bien j(e) y voys3.
Qu’avez-vous ?
LA PREMIÈRE
Que j’ay ? Je n’ay mie4,
Ma commère.
LA SECONDE
Plaist-il, m’amye ?
5 Que n’av’ous5 ?
LA PREMIÈRE
Heure ne demye
De soulas6.
LA SECONDE
Par Dieu ! je le croy.
LA PREMIÈRE
Ma commère !
LA SECONDE
Plaist-il, m’amye ?
LA PREMIÈRE
Escoutez un peu !
LA SECONDE
Bien j(e) y voys.
LA PREMIÈRE
Il m’est advis, quand je le voy[s],
10 Nostre homme7 (vous m’entendez bien),
Que j’ay souppé8.
LA SECONDE
N’en dictes rien,
Il peult estre qu’il nous escoute.
LA PREMIÈRE
Je feray plustost sa grand goute9 !
Je me tairay pour cest infâme ?
15 Fus-je point bien meschante femme
De m’estre liée en ce point,
Quand de plaisir en luy n’ay point ?
Commère, pensez la destresse.
LA SECONDE
Il luy fault jouer de finesse10,
20 À ce villain.
LA PREMIÈRE
Ha ! hardiment !
Que j’en auray d’estorement11
Pour mon user !
LA SECONDE
Et pourquoy donc ?
LA PREMIÈRE
Se j’en debvoys avoir le jonc12
Et bastue de jour en jour,
25 Si luy en jourray-je le tour.
Et de bref, car j(e) y vueil penser.
LA SECONDE
Av’ous encor à commencer13 ?
Craignez-vous tant ces mesdisans ?
Quoy ! il y a plus de dix ans
30 Que commençay premièrement.
Faisons-le tout secrètement,
Il sera demy pardonné14…
LA PREMIÈRE
S’eusse voulu, on m’eust donné
Foison de bagues et d’anneaulx,
35 Belles ceintures et cousteaulx,
Par un amy le plus gentil15.
LA SECONDE
Et que dyable vous failloit-il ?
LA PREMIÈRE
J’ay refusé habitz nouveaulx,
Or et argent à grands monceaulx
40 Par un amoureux tant subtil.
LA SECONDE
Que grand dyable vous failloit-il ?
Estes-vous si belle ou si grande16,
D’avoir reffusé telle offrande ?
Je ne sçay que vous voulez faire.
LA PREMIÈRE
45 Jamais ne me voulu[s] forfaire17.
LA SECONDE
Mon arbelestre au croc18 je bende.
Jamais ne refusez prébende19,
Quand c’est homme de tel affaire20.
LA PREMIÈRE
Jamais ne me voulus forfaire.
50 Mais j’entens bien, par mon serment,
Qu’il fault par tout commencement.
Et si, fault (puis qu’on s’en démente21)
Mettre le marteau en la vente22
En despit de luy, ma commère.
LA SECONDE
55 Ilz vont bien à d’autres le faire,
Noz maris, les villains jaloux !
Et pourquoy ne le ferons-nous
Aussi bien comme eulx ?
LA PREMIÈRE
C’est raison.
Pourquoy n’aurons-nous [en saison]23,
60 Pour nous (ré)conforter, un amy ?
À trompeur, trompeur et demy24!
Pensent-ilz que la court soit beste25 ?
LA SECONDE
S’ilz s’en devoient rompre la teste
De dueil, par Dieu, je le feray
65 (Mal gré [soit] d’eulx26 !) et gaudiray
Cheulx27 mes cousins.
LA PREMIÈRE
Dieu l’a permis :
Pourquoy nous a-il icy mis,
Se n’est pour œuvre de nature ?
Et puis, c’est la loy de droicture28,
70 Faire plaisir les uns aux autres.
Se j’en devois aller en peaultre[s]29
Et batue, j’en ay juré :
Si sera-ce que je feray
Plaisir à ceulx qui m’en feront.
LA SECONDE
75 Rire avecques ceulx qui riront,
Il n’est point de meilleure vie ;
Et puis laissez parler Envie.
.
LE MAIGNEN SCÈNE II
Av’ous que faire de maignen ?
Du maignen, commère, du maignen30 !
LA PREMIÈRE
80 Commère, avez-vous rien ouÿ
Crier, là-dehors ?
[LA SECONDE]
Par Dieu, ouy.
Escoutez…
LE MAIGNEN
Le maignen, le maignen !
LA SECONDE
J’ay ouÿ, par monseigneur sainct Aignen31,
Aucun crier emmy ceste estre32.
LA PREMIÈRE
85 Hélas ! voyez que ce peust estre.
Se c’est quelque bon compaignon
Qui de gaudir ayt bon regnom,
Faictes-le venir.
LA SECONDE 33
Hau ! compère !
Venez, car nous avons affaire
90 Un peu de vous !
LE MAIGNEN
Allons, maistresse34.
LA PREMIÈRE
Venez çà ! Dictes-nous, maistre : esse
Vostre plaisir de nous servir ?
LE MAIGNEN
Vrayement, je me vueil asservir
Vous faire plaisir et service.
95 Mais premier, fauldroit que je visse
L’œuvre35 où voulez que [je] besongne.
LA PREMIÈRE
Vous n’aurez point vieille besongne,
Ne qui soit forte à esclarcir36.
LA SECONDE
Faictes vostre broche endurcir,
100 Que ne rebourse37 en nostre ouvrage.
LE MAIGNEN
Rebourser ? Vous me dictes raige !
Garde n’a d’y estre ployée,
Car par le bout est achiérée38.
[LA SECONDE]
Monstrez çà !
LA PREMIÈRE
Tenez, nostre maistre,
105 Sçavez qu’il est ? N’allez pas mettre
Icy la « pièce » auprès39 du trou.
LE MAIGNEN
Maistresse, j(e) y mettray un clou
Gros et rivé par les deux boutz40.
LA SECONDE
Qu’il m’y soit congné en deux coups !
110 Faictes quelque œuvre de nouveau41 !
LA PREMIÈRE
[Moy,] mon chaulderon fait de l’eau
Auprès du cul quand il est chault ;
Et pour cause, maignen, il fault
Qu(e) y mettez une bonne pièce,
115 Affin que plus ne se dépièce
Et que bien me soit esclarcy.
LE MAIGNEN
Et quand je l’auray adoulcy42,
N’auray-je pas, la foys, à boire ?
LA PREMIÈRE
Ainsi le debvez-vous bien croire.
LA SECONDE
120 Servez-nous à nostre appétit.
N’y mettez point clou si petit
Que le trou n’en soit estouppé.
LE MAIGNEN
Voyez cestuy : il a tappé43.
Est-il rivé de bonne sorte ?
125 Qu’en dictes-vous ?
LA PREMIÈRE
Le Dieu m’en porte !
Vous estes ouvrier parfait.
Un maistre, on le cognoist, par fait,
À son ouvrage.
LA SECONDE
Nous buron44.
Frappez fort sur le chaulderon :
130 Vous frappez dessus si en paix45 !
Il a le cul assez espaix
Pour endurer la refaçon46.
LA PREMIÈRE
C’est un chaulderon de façon47
Que le mien, et est assez fort
135 (Mais qu’on ne luy face point tort)
Quasi pour servir deux mesnages.
LE MAIGNEN
Vous avez assez doulx ouvrages,
Cela ne vueil contrarier48.
LA SECONDE
Ne reste49 qu(e) un bon ouvrier
140 Pour nous servir en nostre appoint.
LE MAIGNEN
Je croy que ne vous plaindrez point
De ma besongne.
LA PREMIÈRE
Je le croy.
Servez-nous bien, et sur ma foy,
Payé(z) serez à vostre dit50.
145 Mais comme on vous a [des]jà dit,
Gardez bien de tirer le clou
Ne les pièces auprès du trou,
Comme maignens ont de coustume51.
LA SECONDE
N’espargnez marteau n[e] enclume52 :
150 Frappez fort, rivez fermement !
Car s’il dégoute aucunement
Ou face de l’eau par le trou
Où vous aurez frappé le clou,
Vous perdrez en nous bon crédit.
LA PREMIÈRE
155 Entendez ce que l’on vous dit :
Gardez-vous d’avoir de la hongne53 ;
Ne prenez point nostre besongne
Se vous n’y pensez bien fournir.
Ayez cela en souvenir,
160 Et regardez que vous ferez.
LE MAIGNEN
Je m’en gage que vous direz
Que ne fustes, de vostre vie,
À vostre vouloir mieulx servie
De compagnon de mon mestier !
LA PREMIÈRE
165 Vrayement, nous avions bien mestier54
D’un autel homme comme vous.
Frappez fort, car je vous advoues55 !
Espargnez-vous frapper dessus ?
LE MAIGNEN
Regardez-moy comme je sues56.
170 À vous servir je prens grand peine.
J’en suis quasi tout hors d’alaine.
Voyez, vostre cas57 est bien fait.
Ne pensez plus sinon du fait
De disner. Vostre « cas » est prest.
LA SECONDE 58
175 Çà, maignen : monstrez-moy que c’est,
Que je voye vostre besongne.
LE MAIGNEN
Je ne crains pas en avoir hongne
Ne reproche devant tout homme.
LA SECONDE
Çà, monstrez-moy, que je voye comme
180 Vous y avez bien oppéré.
LE MAIGNEN
Je m’en gaige que je beuray59
Fermement. Feray pas, maistresse ?
LA PREMIÈRE
Voyre. Mais dictes-moy, maistre : esse
Le mieulx besongné que sçavez ?
LE MAIGNEN
185 Je vueil mourir se vous avez60
Quelque besongne de nouveau !
Et se vostre chauld(e)ron fait eau
Ne si court61, je vueil estre mort,
Mais que ne luy facez point de62 tort
190 En le faisant trop fort chauffer :
Car quand viendroit à eschauffer,
Il pourroit bien encor courir.
LA SECONDE
De malle mort puisse-il mourir
Qui en vouldroit [donner dix souz]63 !
LE MAIGNEN
195 Regardez-le dessus, dessoubz :
Est-il esclarcy nettement ?
S’il fait eaue aucunement
(Mais qu’il ne soit point trop chault,
Comme, j’ay dit, cela y fault),
200 J’abandonne d’estre damné64 !
Je croy que je fus en mars65 né,
Car j’ayme tousjours à « combatre66 »…
LA PREMIÈRE
De cela ne se fault débatre.
Allons bancqueter vistement !
LA SECONDE
205 Je voys devant premièrement
Mettre la nappe.67
LE MAIGNEN
C’est bien dit.
LA PREMIÈRE
Voulez-vous pas faire un édit68
Qui donnera le premier mot69 ?
LE MAIGNEN
Tout sera payé sur l’escot.70
210 Commère, est nostre souper prest ?
LA SECONDE
Long temps y a.
LE MAIGNEN
Ha ! par Dieu, c’est
À vous besongné de manière71.
LA PREMIÈRE
Séons-nous ! Faisons bonne chère !
Maignen, ayez le souvenir
215 D’amander72 vostre tard-venir.
Buvez à moy, je vous en prie !
LE MAIGNEN bibit 73
À vous, dame !
LA PREMIÈRE
Je vous mercie.
Vous soyez le trèsbien venu !
LE MAIGNEN
Le grand diable m’a bien tenu
220 De venir plus souvent, d’Enfer74.
LA SECONDE
Maignen, il nous fault eschauffer
Par la goulle, comment un four75.
LA PREMIÈRE
Or çà ! quand ferez-vous retour
Par-devers nous ?
LE MAIGNEN
Je vous diray :
225 Tout au plus tost que je pourray
Et que me trouveray apoint76.
LA SECONDE
Je vous pry, ne nous faillez point,
Car nous nous attendrons à vous.
LA PREMIÈRE
Maignen, souvienne-vous de nous,
230 Mais n’oubliez pas vostre « broche » :
Tousjours avons un fer qui loche77
Ou quelque trou à restoupper.
LE MAIGNEN
Je vous pry, laissez-moy soupper,
Et puis je vous rendray responce.
LA SECONDE
235 Qui eust un chappon en la ponce78,
Cela nous viendroit bien apoint.
LA PREMIÈRE
Je vous pry, ne nous faillez point :
Venez tout premièr(e)ment céans.
LA SECONDE
N’allez plus courir Orléans ;
240 Venez nous servir plus souvent,
Car nous sommes asseurément
Pour bien vous fournir de besongne.
LE MAIGNEN
Ce mestier ne veult point de hongne.
LA PREMIÈRE
Venez céans asseurément
245 Boire et menger, ou autrement,
Nous vous ferons de la vergongne79.
LE MAIGNEN
Ce mestier ne veult point de hongne.
Mais dictes, dame, s’il vous plaist,
Sans me tenir icy long plait80,
250 Si vous fustes en vostre vie
À vostre plaisir mieulx fourbie81
Qu’avez esté de moy, en somme.
LA PREMIÈRE
Vous estes un trèshabille82 homme.
LE MAIGNEN
De vous servir j’ay grand envie.
255 Mais dictes-moy, je vous emprie,
Se plus gentil a jusque à Rome83.
LA SECONDE
Vous estes un trèshabille homme,
Ouvrier de vostre mestier.
LA PREMIÈRE
Nous avons de vous grand mestier
260 Pour escla[r]cir nostre mesnage84 :
Ce n’estoit plus que vieil bagage ;
Il estoit tout mengé de rouil85.
Quand viendrez-vous, nostre amy doulx ?
LE MAIGNEN
Je m’en rapporte bien à vous :
265 Dictes-moy quand je reviendray.
LA PREMIÈRE
Venez demain, je vous advoues !
LE MAIGNEN
Je m’en rapporte bien à vous.
LA SECONDE
Sçavez qu’il est ? Pensez de nous.
Quand à moy, je vous attendray.
LE MAIGNEN
270 Je m’en rapporte bien à vous :
Dictes-moy quand je reviendray.
Adieu, dames !
LA PREMIÈRE
Je vous diray :
Allez à Dieu, qu’i vous condye !86
Ma foy, quelque chose qu’on dye,
275 Vélà un ouvrier parfait.
LA SECONDE
À bonnement parler du fait,
De s’en aller c’estoit folie.
LE MAIGNEN
Messeigneurs, à tous vous supplie
Que prenez nostre esbat en gré,
280 Un chascun selon son degré,
En vous disant d’amour polie :
Adieu toute la compagnie !
FIN
*
1 Pages 179-183. 2 Le chaudronnier ambulant. Les femmes faisaient souvent appel à ces vieux métiers, tels les rembourreurs de bas, ou les ramoneurs de cheminées (BM 36). 3 J’y vais (vous écouter). 4 Demandez-moi plutôt ce que je n’ai pas. 5 BM : dictes vous (Que n’avez-vous ? Cf. vers 27 et 78.) 6 Plaisir. 7 Mon mari. 8 Que j’en ai soupé, que j’en suis dégoûtée. 9 Entre mille autres imprécations, on souhaitait à ses ennemis d’être atteints par la « grande goutte », la « male [mauvaise] goutte », ou la « sanglante goutte ». 10 Ruse. 11 Une bonne provision (de ruses). 12 Des coups de verges. 13 En êtes-vous encore à vos débuts (en matière d’adultère) ? 14 Comme dira Tartuffe : « Le scandale du monde est ce qui fait l’offense,/ Et ce n’est pas pécher que pécher en silence. » 15 Noble. 16 Si grande dame. 17 Je n’ai voulu fauter. 18 L’arbalète à croc se bande grâce à un crochet. Mais on peut comprendre « aux crocs », avec mes dents. « Bander l’arbalète » avait un sens libre (P. Guiraud, Dictionnaire érotique) : « Faict bander l’arbalestre de nature. » (Bruscambille.) Les Fols étaient fascinés par les arbalètes à vits. 19 Double sens : « Une prébende de moine, qui est une saucisse entre deux œufs. » Joyeusetéz. 20 Un homme important. Mais l’affaire désignait aussi le pénis (Guiraud) : « Je suis petit et foible, quoy que j’eusse une affaire très-importante. » D’Assoucy. 21 Tourmente. 22 Conclure une transaction amoureuse. « Telle a mys cent foys le martel/ En vente. » Sermon joyeulx de la Fille esgarée (LV 44). En outre, le marteau a un sens phallique (vers 149) : « Il n’est pas trop beau ;/ Mais en récompence,/ Il a bon marteau. » Chansons follastres des comédiens. 23 BM place ces mots à la suite du vers précédent. 24 C’est la morale des Sotz triumphans. 25 On songe –mais sans conviction– au rondel de maître Antitus : La Court est une estrange beste. 26 Qu’ils en aient un mauvais contentement ! 27 BM : Cieulx (Cheulx = chez : « Cheulx mes amys. » Troys Gallans et Phlipot, vers 442 et 437.) 28 C’est la règle. 29 À tous les diables. « J’avois pour cet ingrat écarté tous les autres, / Les envoyant trétous, comme l’on dit, aux piautres. » Le Vice puni. 30 Ce monorime trop long est un « cri » de marchand ambulant. Déjà dans le fabliau primitif, les femmes « oïrent un maingnien/ Qui son mestier aloit criant ». 31 Bien que titulaire de nombreux miracles, saint Aignan (évêque d’Orléans au V° siècle) n’a pas pu guérir cet octosyllabe boiteux. 32 Cette place. Le vers devait rimer en « fenestre » : les deux femmes sont censées être dans une maison qui donne sur la rue ; et contrairement à « fenestre », le substantif « estre » est du genre masculin. 33 Elle sort du logis de la Première. Le mur donnant sur la rue était généralement symbolisé par un rideau. 34 Il la suit dans la maison. 35 L’objet. Idem pour « ouvrage » à 100 et 237. 36 Difficile à polir. Éclaircir est synonyme de écurer (titre) et de adoucir (vers 117). Au propre et au figuré, on peut traduire par « dérouiller » (cf. vers 262), ou « faire reluire ». 37 Pour qu’elle ne s’émousse pas. 38 Acérée. 39 À côté, dans l’anus. « Pensant boucher son devant,/ Il luy boucha le derrière./ –Fy, fy ! ostez-moy ce fou :/ Sa pièce est auprès du trou…./ Un certain chauderonnier,/ Pour ne sçavoir la manière/ Ny les traicts du “bas mestier”,/ Il mit sa pièce à costière./ –Fy, fy ! ostez-moy ce fou :/ Sa pièce est auprès du trou. » Estienne Bellonne. 40 Un seul bout suffirait, mais le célèbre « baston à deux bouts » entérine cet abus. 41 Recommencez. 42 Dérouillé, note 36. 43 Il a tapé au fond. 44 Nous boirons. C’est la réponse au vers 118. 45 Si paisiblement, si mollement. 46 La réfection, la réparation. 47 De bonne facture. 48 Je ne dis pas le contraire. 49 Il ne manque. 50 Selon vos prétentions. Le maignan du fabliau réclamait 26 sous. 51 « On reproche aux Chauderonniers qu’ils sont sujets à mettre la pièce auprès du trou. » (Furetière.) Anthoine Truquet a noté ce cri en 1545 : « Chaudronnier, chaudronnier !/ Je metz la pièce auprès du trou ! » 52 Ni votre objet qui frappe, ni notre objet qui est frappé. Double sens érotique : « Forgés du marteau naturel sur l’enclume de la nature. » Bruscambille. 53 Des reproches. Idem vers 177, 243, 247. 54 Besoin. 55 La formule orthodoxe est : « J’advoue Dieu ! » [Je crois en Dieu.] Cf. Gargantua, chap. 8 et 39. La même irrévérence clôt le vers 266, avec la même rime irrégulière. 56 « Or regardez comme il en sue », dira-t-on d’un artisan dans les Troys Gallans et Phlipot. Dans notre farce, la rime est irrégulière. 57 Cas = sexe de la femme (Guiraud) : « Les tétons mignars de la belle,/ Et son petit cas qui tant vault. » Marot. Idem à 174. 58 BM : premiere (La Seconde veut voir si le chaudron de la Première a été bien dérouillé.) 59 Boirai (note 43). 60 BM : nauez (Si vous avez un nouveau problème.) 61 Courir = fuir. Idem vers 192. 62 Je corrige sur le modèle du vers 135. 63 BM : tenir dix solz (Celui qui voudrait donner 10 sous seulement pour mon chaudron.) 64 BM : marne (J’accepte d’être damné !) 65 Sous le signe de Mars, dieu de la guerre, et amant de Vénus. 66 Con battre = frapper une vulve : Gratien Du Pont, vers 153-4. 67 Elle regagne sa maison. 68 Un contrat. 69 BM : pot (Le premier mot est la première offre d’un marchandage : « Le marchand, surpris & scandalisé, ne rabat rien du tout de son premier mot. » Journal des sçavans. C’est le contraire du dernier mot.) 70 Par le repas. La Première et le Maignan vont chez la Seconde, qui les attend devant une table garnie. 71 De main de maître. 72 BM : Demander (En Droit ancien, amender son tard-venir = réparer son retard. « Faire amender au défaillant son tard-venir. » Guillaume Terrien. « Le Jeune, présent, amenda son tart-venir. » Registre de la vicomté d’Elbeuf.) 73 Boit. 74 « Le grand diable d’Enfer m’a retenu de venir plus souvent. » Ce janotisme de l’artisan inculte provoque un effet comique au 1° degré. 75 On nourrissait certains fours à bois par la gueule, pour les chauffer. Comment au lieu de comme est un archaïsme. L’effet du vin explique peut-être le relâchement syntaxique et les doublons de la scène finale. 76 En point, en érection. 77 Quelque chose qui cloche. « Une fille toujours a quelque fer qui loche. » Régnard. 78 Si quelqu’un avait un chapon dans son poing. Ce coq châtré ne vient pas bien à point dans une pareille conversation ! 79 Honte. 80 Plaid, discours. 81 Frottée, au sens érotique. Mais un distique analogue (vers 162-3) postule pour la rime « servie ». 82 Très habile. 83 S’il y a un homme plus vaillant d’ici jusqu’à Rome. Il suppose donc que la Première a testé tous les hommes jusqu’au Vatican. 84 Pour faire reluire notre ustensile. 85 De rouille. « Elle avoit toujours ung homme qui (….) entretenoit son “ouvrouer” de paour que le rouil ne s’i prenist. » Cent Nouvelles nouvelles. 86 Le Maignan retourne dans la rue.
SŒUR FESSUE

Manuscrit La Vallière
*
SŒUR FESSUE
*
Dans la première moitié du XVIe siècle, un auteur de farces eut l’idée de combiner deux histoires connues : celle d’une nonne trop discrète, et celle d’une abbesse trop pressée.
La pièce est résolument comique, mais on voit affleurer cette nostalgie du monde qui aigrissait des religieuses dont la plupart étaient cloîtrées malgré elles. Dans les Mal contentes (LV 61), l’une d’elles soupire ces jolis vers : « Matines sont de chante-pleure,/ Des regrets, des soupirs d’euillades,/ Des petis remors de ballades ;/ Et la Messe, de piteux chans ;/ Les Vespres, des regrets perçans,/ Et toute doulleur acomplye. »
Source : Manuscrit La Vallière1, folios 204 verso à 211 verso.
Structure : Rimes plates, truffées d’adjonctions apocryphes que j’ai barrées.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
*
Farce nouvelle
*
À cinq personnages, c’est assavoir :
L’ABEESSE
SEUR DE BON-CŒUR
SEUR ESPLOURÉE
SEUR SAFRÈTE 2
SEUR FESSUE
*
SEUR ESPLOURÉEE commence SCÈNE I
Seur de Bon-cœur, je suys perdue,
Et me treuve tant esperdue
Que plus n’en puys !
[SEUR DE BON-CŒUR] 3
Qu’esse, ma seur ?
Quel nouvèle av’ous entendue ?
5 Quoy ! vous estes-vous estendue
Sur l’erbe, atendant la doulceur4 ?
SEUR ESPLOURÉE
Nénin.
SEUR DE BON-CŒUR
Rendez mon esprit seur5.
SEUR ESPLOURÉE
Je ne le diray poinct.
SEUR DE BON-CŒUR
Hélas !
Donner je vous pouroys soulas,
10 Et vous garder de desplaisir.
Dictes-le-moy tout [à] loysir :
À ses amys, rien ne se celle.
SEUR ESPLOURÉE
A ! ma mye…
SEUR DE BON-CŒUR
Prenez une selle6.
Vous estes bien fort couroucée.
15 Déclarez-moy vostre pencée :
Qu’avez-vous ?
SEUR ESPLOURÉE
Rien.
SEUR DE BON-CŒUR
À brief parler,
Dictes-moy et [ne] mentez poinct.
Vous estes-vous laissée aler7,
Que8 vous tourmentez en ce poinct ?
20 Dictes !
SEUR ESPLOURÉE
Je ne le diray poinct.
Agardez, l’honneur en despent.
SEUR DE BON-CŒUR
C’est mal chanté son contrepoinct ;
L’honneur sy près du cul ne pent.
SEUR ESPLOURÉE
Sy vous avez hapé le roide9,
25 Agardez, il n’y a remède :
Nostre abesse en faict bien autant !
SEUR DE BON-CŒUR
Par ma foy ! mon cœur se repent
Qu’i fault que j’en oye parler tant.
SEUR ESPLOURÉE
Je vous veuil dire tout contant
30 Que c’est que céans il y a :
Vous congnoyssez bien seur Fessue ?
Frère Roydimet l’a déseue10
Et gastée11.
SEUR DE BON-CŒUR
Avé Maria !
SEUR ESPLOURÉE
Elle est deigà grosse et ensaincte.
35 Sceur, ouez12, dea ! ce n’est pas faincte :
Nous sommes toutes à quia13
Par son faict.
SEUR DE BON-CŒUR
Avé Maria !
Et ! Jésus ! Et ! je l’ay tant faict,
Et à mon plaisir satisfaict
40 Sans estre grosse !
SEUR ESPLOURÉE
Hélas, mon Dieu !
Aussy l’ai-ge faict en mainct lieu,
Comme elle.
SEUR DE BON-CŒUR
Avé Maria !
Que j’en ay au cœur de détresse
Et de douleur !
SEUR SAFRÈTE SCÈNE II
Et ! qu’esse ? qu’esse ?
45 Que j’entende vostre débat !
Comptez-moy, par forme d’esbat,
Ce que maintenant vous disiez.
SEUR ESPLOURÉE
Ce n’est rien, non.
SEUR SAFRÈTE
Vous devisiez
D’amour, en ce lieu, en commun ?
50 Mais c’est tout un, ouy, c’est tout un :
Je n’en fais pas moins, en tout temps,
Que les bonnes seurs de céans.
Dictes hardiment !
SEUR DE BON-CŒUR
On le sçayt bien
Que toutes on n’espargnons rien
55 Du nostre ; mais tel pissendalle14
Sera cause d’un grand scandalle
Dont nous serons désonoré[e]s15.
SEUR SAFRÈTE
Vous me semblez fort esplouré[e]s :
Quelle chose av’ous aperceue ?
60 Qui a failly ?
SEUR ESPLOURÉE et SEUR DE BON-CŒUR ensemble disent :
C’est sceur Fessue
Qui a faict…
SEUR SAFRÈTE
Quoy ?
SEUR DE BON-CŒUR
Nous n’osons dire.
SEUR SAFRÈTE
Dictes, sy ce n’est que pour rire.
SEUR ESPLOURÉE
Rire ? Hélas ! Mais j’en pleure et plains,
Et de larmes sont mes yeulx plains,
65 Pour la douleur que j’ey conceue.
SEUR SAFRÈTE
Qui cause cela ?
SEUR DE BON-CŒUR et SEUR ESPLOURÉE ensemble disent :
Seur Fessue.
SEUR ESPLOURÉE
Dormir je n’en peulx nuict ne jour ;
Je n’ay ne repos, ne séjour,
Ains de douleur je tremble et sue.
SEUR SAFRÈTE
70 Qui vous faict ce mal ?
SEUR DE BON-CŒUR et SEUR ESPLOURÉE ensemble disent :
Sceur Fessue,
Qui a faict…
SEUR SAFRÈTE
Ouy, mectre à genoulx16
Quelque un ?
SEUR ESPLOURÉE
Elle a faict comme nous ;
Mais le pire, c’est qu’el est grosse.
SEUR SAFRÈTE
Grosse ? Jésuchrist ! quel endosse17 !
75 Esbahy[e] suys qu’on le permect.
Mais déclarez-nous, je vous prye,
Sans que son honneur on descrye,
Qui l’a faict ?
SEUR ESPLOURÉE
Frère Rèdymet.
SEUR SAFRÈTE
Hélas ! el est déshonorée.
80 Et ! Vierge Marie honorée !
Où la pourons-nous [bien] cacher,
Le jour qu’el poura acoucher ?
SEUR DE BON-CŒUR
Je ne sçay.
SEUR ESPLOURÉE
J’ey bien descouvert
Aultre foys, qu’el estoyt joyeuse,
85 Et qu’el avoyt l’engin18 trop ouvert
Pour estre faicte religieuse.
SEUR SAFRÈTE
Elle est plaisante et amoureuse.
Long temps il y a qu’el aymoyt.
SEUR ESPLOURÉE
Qui, ma sœur ?
SEUR SAFRÈTE
Frère Rèdymet,
90 Rouge comme un beau chérubin19.
Un jour, avec frère Lubin20,
In caméra charitatis21,
Tout doulcement je m’esbatis ;
Mais il [n’est sy]22 fort compaignable.
SEUR DE BON-CŒUR
95 Il est tant doulx et amyable,
Sœur Safrète, quant y s’y mect !
SEUR ESPLOURÉE
Ouy, le bon frère Rèdymet,
Quant il a la « teste » dressée
Et que de luy suys embrassée,
100 Ma leçon23 bien tost se comprent.
SEUR DE BON-CŒUR
A ! jamais il ne me reprent24.
Nous vivons no[u]z deulx comme amys :
Aussy mon cœur luy ay promys.
Bon Amour25 ainsy le permect.
SEUR ESPLOURÉE
105 Quant au bon frère Rèdymet,
Je le congnoy digne d’aymer.
Mais afin de n’estre à blasmer,
Pour faindre estre de saincte vye,
Je veuil déclarer par envye26
110 À nostre abesse (ce n’est faincte)
Comme sœur Fessue est ensaincte.
SEUR DE BON-CŒUR
C’est bien faict.
SEUR SAFRÈTE
C’est bien faict, ma sœur.
Nostre bon père confesseur
En orra27 le miséréré.
SEUR DE BON-CŒUR
115 Je vouldroys qu’i28 fust enserré
En ma chambre, pour sa prison.
SEUR SAFRÈTE
Sainct Pierre ! vous avez rayson :
D’amour, aparence il y a
En vos dictz.
SEUR ESPLOURÉE, allant à l’abeesse pour parler à elle :
Avé Maria ! SCÈNE III
L’ABEESSE
120 Gratia pléna29 ! Qu’avez-vous,
Qui vous amène devers nous30 ?
SEUR ESPLOURÉE
Sans cause je [ne] vous viens voyr31.
L’ABEESSE
Certes, j’estoys en ce parloyr,
En saincte… contemplation
125 Des mos d’édiffication32,
Atendant l’heure du… menger33.
SEUR ESPLOURÉE
Sy Mort m’estoyt venue charger,
Hélas ! je seroys bien heureuse.
L’ABEESSE
Et ! qu’esse ? Estes-vous amoureuse ?
130 Regrétez-vous encor le monde ?
SEUR ESPLOURÉE
Nénin, non.
L’ABEESSE
Céans, il habonde
Autant de plaisir[s] savoureulx
Comme au monde. Et qu’il ne soyt ainsy,
[De]dens ceste maison icy,
135 Povez avoir un amoureulx.
SEUR ESPLOURÉE
Hélas ! mon cœur trop douloureulx
Ne peult oultrer34. D’effort j’en sue.
L’ABEESSE
Et ! qu’esse, ma mye ?
SEUR ESPLOURÉE
Seur Fessue,
Qui a faict…
L’ABEESSE
Vous dict-elle injure ?
140 Croyez-moy, par Dieu ! sy j’en jure,
Elle en sera incarsérée.
Comment ! faict-el la reserrée35 ?
SEUR ESPLOURÉE
Elle a faict…
L’ABEESSE
Je n’y entens rien en effaict.
SEUR ESPLOURÉE
Elle a faict…
L’ABEESSE
Et quoy ?
SEUR ESPLOURÉE
F[r]icatorès36.
L’ABEESSE
145 Ô le grosson peccatorès37 !
Per Dieu38, [elle] habuyct grandos
Punitionnès39 sur le dos !
Qui l’eust pencé ?
SEUR ESPLOURÉE
Elle [l’]a faict,
Et a son péché satisfaict,
150 Car elle est grosse.
L’ABEESSE
Ô la laide !
Il y convient mectre remède.
Mais à qui a-elle adonné
Son corps ?
SEUR ESPLOURÉE
[El l’a]40 habandonné
À frère Rèdymet, le moynne,
155 Il y a long temps.
L’ABEESSE
Que de peine41 !
Tenamus chapitrum totus !42
Sonnaté43 clochétas bien totus !
Qu’el véniat44 !
SEUR DE BON-CŒUR SCÈNE IV
Sus ! entre nous,
Y nous convient mectre à genoulx45,
160 À ce chapitre.
SEUR SAFRÈTE
C’est bien dict ;
Je n’y mectray nul contredict.
L’ABEESSE
Or, chantez !
SEUR ESPLOURÉE
Bénédicité ! O lieu de le dire, y chantent 46 :
Voz « huys » sont-il tous fermés ?
Fillètes, vous dormez.47
165 Quant pour vous sont consumméz48
Dormez-vous,
(Fillètes, fillètes vous dormez)
[Mes sens d’amour]49 enflamés,
Dormez-vous, fillètes ?
Fillètes, vous dormez.50
SEUR FESSUE entre SCÈNE V
170 A ! j’éray quelque advercité ;
Je crains fort le punis[s]antés51.
L’ABEESSE
Vénité, et aprochantez !
Madamus, agenouillaré,
Quia vo[u]z fécit mouillaré
175 Le boudin52 : il est bon à voir !
SEUR DE BON-CŒUR
Vous avez laissé décepvoir
Vostre honneur, dont le nostre en souffre.
L’ABEESSE
Vous en sentirez feu et souffre
En Enfer ; et de vostre vye,
180 N’irez en bonne compaignye
Sans injure. Et ! comme a-ce esté
Qu’avez faict ceste lascheté ?
Vous en souffrirez le trespas !
SEUR FESSUE
A ! mon Dieu, vous ne voyez pas
185 Ce qui vous pent devant les yeulx ?
L’ABEESSE
Mon cœur ne fust onc curieulx
D’estre d’honneur tant descouverte53.
SEUR FESSUE
Hélas ! vostre veue est couverte,
Dont vostre grand faulte despent :
190 Ce que devant les yeulx vous pent
N’est pas de tous en congnoissance54.
L’ABEESSE
Puys que sur vous j’ey la puissence,
Je vous pugniray bien à poinct.
SEUR FESSUE
A ! mon Dieu, vous ne voyez poinct
195 Ce qui est devant vostre veue ?
J’ey failly comme despourveue
De sens, dont coupable me sens.
Mais…
L’ABESSE
Quel mais ?
SEUR FESSUE
Il en est cinq cens
Qui n’en ont causé nul55 esmoy ;
200 Et sy56, ne font pas mieulx que moy.
L’ABEESSE
[Encore vous]57 levez la teste ?
Vous estes une faulse58 beste,
Et avez grandement erré.
SEUR ESPLOURÉE
Y luy fault le Miséréré,
205 Pour la faulte qui est yssue59.
SEUR FESSUE
Et ! pardonnez à sœur Fessue !
SEUR SAFRÈTE
Y luy fault donner telle peine
Que de douleur soyt toute plaine,
Puysqu’on la void ainsy déceue.
SEUR FESSUE
210 Et ! pardonnez à seur Fessue,
Pour cela qu’el a entour60 elle.
SEUR ESPLOURÉE
Vrayment, el a juste querelle61 :
Y ne fault pas son fruict62 gaster.
SEUR FESSUE
Qui vous eust voulu trop63 haster,
215 Lors qu’estiez ainsy comme moy,
En plus grand douleur et esmoy
Eussiez esté que je ne suys.
L’ABEESSE
Demeurez ! Plus oultre poursuys64 :
Qui vous a ainsy oultragée ?
220 Vous estes grosse, et tant chergée65
Que plus n’en povez.
SEUR FESSUE
A ! ma dame,
Frère Rèdymet faict ce blasme
En mainte religion66 bonne.
Mais je vous pry qu’on me pardonne.
L’ABEESSE
225 Où fusse ?
SEUR FESSUE
[De]dens le dorteur67,
À ma chambre, près le monteur68.
Ici tant enquérir ne s’en fault69…
SEUR DE BON-CŒUR
Et que ne criez-vous bien hault ?
SEUR FESSUE
Crier ? Je ne sçay qui en crye70.
SEUR SAFRÈTE
230 Comment ! voécy grand moquerye !
Nostre abeesse en sera blasmée.
SEUR FESSUE
Comment, crier ? J’estoys pasmée.
Et puys en nostre reigle est dict
(Où je n’ay faict nul contredict)
235 Qu’au dorteur on garde silence.
Et sy j’eusse faict insolence,
Bruict ou tumulte, ou quelque plaincte,
C’estoyt, contre nostre Ordre, faincte71.
Voyélà pourquoy n’osay mot dire.
SEUR ESPLOURÉE
240 Vouélà bonne excuse pour rire !
SEUR DE BON-CŒUR
Très bien le silence el garda…
L’ABEESSE
Mais escoustez : qui vous garda
De faire signe pour secours ?
On y fust alé le grand cours72,
245 Et n’ussiez receu tel acul73.
SEUR FESSUE
Las ! je faisoys signe du cul,
Mais nul(e) ne me vint secourir74.
SEUR SAFRÈTE
Je n’eusse eu garde d’y courir.
SEUR ESPLOURÉE
Signe du cul ?
SEUR SAFRÈTE
Il est possible :
250 Frère Rèdymet est terrible ;
Et n’eust sceu ceste povre ânière75
Faire signe d’aultre manière.
SEUR ESPLOURÉE
C’est le signe d’un tel mestier76…
L’ABEESSE
Mais il y a un an entier
255 Qu’el est grosse77 ; et ! n’eust-elle sceu
Nous dire qu’el avoyt conceu ?
SEUR FESSUE
Dire ? Hélas !
SEUR DE BON-CŒUR
Ouy, dire, ouy, dire.
SEUR FESSUE
J’ey bien cause d’y contredire.
SEUR SAFRÈTE
Et comment ?
SEUR FESSUE
Hélas ! quant j’eu failly,
260 Mon cœur alors fut assailly
De repentance et de grand peur
Que l’Ennemy78, qui est trompeur,
Ne m’enportast pour telle faulte.
Demanday à la bonté haulte79
265 Pardon, lequel aulx bons permect.
Et au bon frère Rèdymect
Je demanday confession ;
Lequel, à l’asolution80,
Lors que bien il me descharga81,
270 Absolutement m’encharga
De ne dire ce qu’avions faict
No[u]z deulx, ce que j’ey bien parfaict
Pour craincte de dannation :
Car dire sa confession
275 Et dire le secrect du prestre,
C’est assez pour à jamais estre
Danné avec les obstinés82.
SEUR ESPLOURÉE
Certes, nous voélà bien menés !
Ses excuses sont suffisantes.
L’ABEESSE
280 Punye en serez, je me vantes.
Ô la [grand] faulte ! ô le grand blasme !
SEUR FESSUE
Hélas ! je vous suply, ma dame :
Ne regardez tant mon péché,
Que le vostre (qui est caché)
285 Ne considérez83.
L’ABEESSE
Ha ! rusée,
Suys-je de toy scandalisée84 ?
SEUR FESSUE
On veoyt à l’œuil d’aultruy tout oultre
Un petit festu odieulx,
Mais on ne veoyt poinct une poultre
290 Qu’on a souvent devant les yeulx85…
L’ABEESSE
Ma renommée se porte mieulx
Que la tienne.
SEUR FESSUE
Ne jugez poinct86 !
Les jugemens sont odieulx
Au Seigneur, qui est dieu des dyeulx.
295 Vous le sçavez de poinct en poinct.
Paul87, glorieulx apostre sainct,
Dict que celuy n’aura refuge
D’excuse, qui sera tasché ;
Et que luy-mesme il se juge
300 S’il est subject à tel péché.
L’ABEESSE
Voyélà suffisamment presché !88
Suys-je comme toy, dy, meschante ?
Par Celle-là de qui on chante89 !
Je te feray bien repentir.
SEUR SAFRÈTE
305 Elle se poura convertir,
Ma dame : ce sera le myeulx.
SEUR FESSUE
Ce qui vous pent devant les yeulx,
Qui faict vostre faulte congnoistre,
Nous démonstre qu’i ne peult estre
310 Que vous ne fassiez de beaulx jeux90.
L’ABEESSE
Ce qui me pent devant les yeux ?
Avé Maria ! qu’esse-cy ?
Vous m’avez trop hastée, aussy :
De venir, j’estoys empeschée.
315 Et ! mon Dieu, que je suys faschée !
SEUR ESPLOURÉE
Croyez, sy les loix ne sont faulces,
Que c’est icy un hault-de-chaulces.
L’ABEESSE
Avé Maria ! Saincte Dame !
Je ne suys moins digne de blasme
320 Que sœur Fessue.
SEUR DE BON-CŒUR
Sont-il d’usance91,
Hault-de-chaulses ?
L’ABEESSE
J’ey desplaisance
De mon faict.
SEUR SAFRÈTE
Et ! Dieu, quel outil !
Les abeesses en portent-il,
Maintenant ? J’en suys en soucy92.
SEUR ESPLOURÉE
325 Un hault-de-chaulses !
SEUR DE BON-CŒUR
Qu’esse-cy ?
L’ABEESSE
Et ! n’en parlons plus.
SEUR SAFRÈTE
C’est pour rire ?
A ! vous ne debvez escondire
Seur Fessue d’absolution.
SEUR DE BON-CŒUR
C’est bien nouvelle invention,
330 Porter des chaulces sur la teste.
L’ABEESSE
On en puisse avoir male feste !
SEUR SAFRÈTE
Or sus, sus ! chantons-en93 d’une aultre.
On dict bien c’un barbier raid94 l’aultre,
Et q’une main l’autre suporte95.
335 Y convient faire en ceste sorte :
Donnez-luy l’asolution.
SEUR ESPLOURÉE
Voeylà très bonne invention.
Vous estes à noz96 audinos.
L’ABEESSE
Tu fessisti sicut et nos97 ;
340 Parquoy absolvo te gratis
In pécata98. Nunc dimitis
[In cor bonnum]99, comme au passé100.
Plus oultre, vadé in passé101 !
SEUR FESSUE
Gratias ! Me voeylà garie.
345 Je n’ay cause d’estre marie102.
SEUR ESPLOURÉE SCÈNE VI
Conclusion : Je trouve erreur caché
Que cestuy-là veult un péché reprendre,
Duquel il est taché et empesché,
Et par lequel en fin on le peult prendre.
350 Vous le pouvoez en ce lieu-cy comprendre.
La faulte en est à vo[u]z deulx aperceue,
Tesmoing l’abeesse aveques seur Fessue. 103
En prenant congé de ce lieu,
Unne chanson pour dire « à Dieu » !
FINIS
*
1 Dans ce même manuscrit, la sottie de la Mère de ville (composée vers 1541) fait dire au Garde-cul : « Il ne fault c’une seur Fessue/ Ayant vouloir estre pansue. » 2 Lascive. 3 LV : la IIe seur esplouree (Je rétablis le nom des trois sœurs ; LV les numérote : la p[remiere], la IIe, la IIIe.) 4 Au 1° degré, la sœur demande à Éplorée si elle a pris froid. Au 2° degré, douceur se réfère au membre viril : « Quant elle eut la doulceur sentie/ De ce doulx membre qui fut roys [roide]. » Parnasse satyrique du XVe siècle. 5 Sûr : éclairez mon esprit. 6 Un siège. 7 Avez-vous fauté ? 8 LV : qui 9 Le raide, le phallus. V. note 10. 10 Déçue, abusée. « Raide y met » est un calembour latin : « Quel verset des Pseaumes aiment mieux les femmes ? C’est (…) Et ipse redimet, c’est-à-dire, Rède y met, ou roide y met. » Tabourot. 11 Engrossée. 12 LV : oues (Ouez = oyez, écoutez.) 13 En mauvaise posture. 14 Un pisse-en-dalles est un acte inconvenant. 15 J’ai féminisé le masculin ici, à 58, et à 75 ; mais je n’ai pas touché à l’effarant Madamus de 173. Les cinq rôles de femmes étaient tenus par des hommes. 16 Pour coïter, l’amant se met à genoux sur le lit. On pourrait renforcer le comique de répétition des vers 61 et 144 en écrivant « Quoy ? » au lieu de « Ouy, ». 17 Fardeau. « Le maistre à son clerc persuade/ De donner “l’amoureuse aubade”/ À la pauvre pucelle grosse,/ Affin que le clerc eust l’andosse/ D’espouser la mère et l’enfant. » Sottie Pour le Cry de la Bazoche. 18 L’esprit ; mais aussi, le sexe. « Et l’autre devroit estre saige,/ Car elle a ung trèsgrant engin. » Guillaume Coquillart. 19 « Sotz rouges comme chérubins. » (Monologue des Sotz joyeulx.) Mais on associe traditionnellement la couleur rouge au phallus : la Confession Margot <v. 89>, le Faulconnier de ville <v. 64 et note 22>. 20 Un des innombrables prototypes de moines paillards : « Pour desbaucher par un doulx style/ Quelque fille de bon maintien,/ Frère Lubin le fera bien. » Clément Marot. 21 Dans la salle de charité, une pièce du couvent qu’on ouvrait lorsqu’il fallait nourrir des pèlerins. 22 LV : est bien (Lubin n’est pas aussi bon “compagnon” que Raidymet. « [Ils] ne sont pas si compaignables à boire & et à manger. » Miroir de la navigation.) 23 Lecture d’un texte biblique. Double sens érotique : « L’un la fout en cul, l’autre en con./ Pour s’exercer en ce manège,/ Elle répète sa leçon/ Avecque le Sacré Collège.» Blot. 24 Il ne trouve rien à corriger lors de ma « leçon ». 25 La Bonne Amour, c’est l’amour courtois, d’après le Roman de la Rose, le Dit de la Rose, ou le Libro de buen amor de Juan Ruiz. Voilà un habillage bien romantique pour de vulgaires histoires de fesses et de Fessue ! Par pudeur, l’obscénité répondait au romantisme, comme ce croquis matérialiste dans la marge d’un manuscrit répond à l’enluminure officielle. 26 Les trois jalouses vont se venger de leur amant volage, et de sœur Fessue qui déshonore le couvent. 27 LV : aura (Orra = ouïra, entendra notre prière. Miserere mei = aie pitié de moi.) 28 Qu’il (frère Raidymet) soit incarcéré. On emprisonnait les religieux fautifs dans un cachot nommé in pace. Cf. vers 141. 29 « Je vous salue, Marie, pleine de grâce. » Contre toute attente, il s’agit là d’une farce mariale : vers 33, 37, 42, 80, 119, 303, 312, 318, 345. 30 Lapsus : elle était censée être seule dans sa cellule. 31 LV : voyer (Je ne viens pas vous voir sans raisons.) 32 Je lisais mon bréviaire. En fait, elle était au lit avec frère Raidymet (note 41). Dérangée par sœur Éplorée, elle a mis sur sa tête la culotte du frère au lieu de son voile. En s’appuyant sur Boccace, La Fontaine déplorera sa bévue dans le conte du Psautier : « Madame n’estoit/ En oraison, ny ne prenoit son somme :/ Trop bien alors dans son lit elle avoit/ Messire Jean, curé du voisinage…./ Elle se lève en haste, étourdiment,/ Cherche son voile, et malheureusement,/ Dessous sa main tombe du personnage/ Le haut-de-chausse, assez bien ressemblant/ (Pendant la nuit, quand on n’est éclairée)/ À certain voile aux Nonnes familier…./ La voilà donc de grègues affublée. » 33 Elle a failli commettre un nouveau lapsus : l’heure du berger est « l’heure favorable à un amant pour gagner sa maîtresse ». (Furetière.) 34 Aller plus loin. 35 La fausse pucelle : les jeunes mariées qui voulaient passer pour vierges usaient d’un astringent à base de myrte ou d’eau de tan pour « resserrer les parties naturelles » avant la nuit de noce. 36 Des frottements. Le sens érotique s’appliquait surtout aux lesbiennes : « Tribades se disent fricatrices. » Brantôme. 37 Ô le gros péché ! (Le latin de sacristie va s’aggraver en même temps que l’indignation de l’abbesse.) 38 LV : perdien (Le « n » et le « u » sont souvent confondus. La forme courante est per Diem, mais Noël Du Fail emploie per Dieu.) 39 Elle aura de grandes pénitences. (Au futur, il faudrait habebit.) 40 LV : elle a 41 Le chagrin de l’abbesse montre que c’est bien frère Raidymet qui était dans son lit. 42 Tenons ensemble chapitre [une assemblée]. 43 LV : sonnare (Sonnez toutes les cloches.) 44 Qu’elle vienne. 45 Les sœurs étant à genoux, elles ne pourront voir le haut-de-chausses qui coiffe l’abbesse. 46 Au lieu de dire le Benedicite, les nonnes chantent une chanson paillarde, insérée après coup entre les vers 162 et 170, qui riment ensemble. Je corrige ce texte (mis en musique entre 1536 et 1547 par Robert Godard) d’après une partition publiée en 1547. Cf. André Tissier, Recueil de Farces, XI, Droz, 1997, pp. 246-7. 47 La partition ajoute : Ouvrez-les-moy, si m’aymez./ Dormez-vous, fillettes ?/ Fillettes, vous dormez./ Dormez-vous seulettes ? 48 Partition : consummez — LV : consommes 49 Partition : Mes sens damour — LV : mais sans amours 50 La partition ajoute : Dormez-vous seulettes ? 51 La punition, en langage macaronique. 52 « Madame, agenouillez-vous, parce que vous avez fait mouiller le boudin. » Ce mot avait le même sens phallique que l’andouille : « Membre de moine, exorbitant boudin. » (Sénac de Meilhan.) On ne sort d’ailleurs pas de la religion, puisque sainct Boudin allait de pair(e) avec saincte Fente, d’après la farce du Pardonneur (BM 26). 53 Dégarnie. 54 N’est pas (encore) connu de tous. 55 LV : ny 56 Et pourtant. 57 LV : leues (L’insolente ose lever la tête… et contempler la coiffe de l’abbesse.) 58 Perfide. Ce vers provient d’une Moralité imprimée en 1507, la Condamnacion de Bancquet. 59 Il lui faut le pardon, pour la faute qui est avouée. 60 En latin de sacristie, on pourrait mettre : inter (à l’intérieur d’elle). Cf. le vers 213. 61 Elle a raison de se plaindre. 62 Son enfant. On voit qu’il s’agit d’une farce : dans la réalité, les religieuses enceintes n’avaient d’autre choix que d’avorter ou de tuer le nouveau-né. « Quant à celles qui sont meurtrières de leurs enfans aussitost qu’ils sont sortis du ventre, les jettans ou les faisans jetter, il y a quelques années que les monastères des nonnains en eussent fourni bon nombre d’exemples (aussi bien que de celles qui les meurdrissent [tuent] en leur ventre). » Henri Estienne, Apologie pour Hérodote, XVIII. Le chap. VII ajoute : « Les nonnains (…) font mourir leur fruict estant encore en leur corps, par le moyen de quelques breuvages, ou bien estranglent leur enfant si tost qu’il est sorti. » 63 LV : tant (Si on avait voulu trop vous hâter : si on était entré dans votre cellule, au lieu d’attendre que vous en sortiez.) 64 Restez ici ! Je continue. 65 Chargée, alourdie. 66 Maison de religion, couvent. « Du jeune garçon qui se nomma Thoinette pour estre receu à une religion de nonnains. » Bonaventure Des Périers. 67 LV : dortoueur (qui n’est pas une rime riche. Dorteur = dortoir, vers 235.) 68 Près de « l’échelle pour monter au dorteur des dames » (Comptes de l’aumosnerie de S. Berthomé). 69 Toutes les nonnes l’ont fait au même endroit. 70 Je ne sais pas quelle autre aurait crié. 71 Une tromperie. (On peut préférer : fraincte [infraction].) Jean-Baptiste de Grécourt opposera une abbesse à une nonne enceinte dans son poème le Silence, qui s’achève ainsi : « –Vous n’aviez qu’à crier de tout votre pouvoir./ –Oui, mais (dit la nonnain) c’étoit dans le dortoir,/ Où notre règle veut qu’on garde le silence. » 72 En courant. 73 Une telle contrainte. 74 « Je (respondit la Fessue) leur faisois signes du cul tant que povois, mais personne ne me secourut. » Rabelais, Tiers Livre <1546> : le chapitre 19 emprunte à notre farce les aventures de sœur Fessue et du frère Royddimet. 75 Et cette oie blanche n’aurait pas pu. 76 Qu’on connaît l’amoureux métier, le bas métier. 77 Cf. Gargantua (chap. 3) : « Elle engroissa d’un beau filz et le porta jusques à l’unziesme moys. Car autant, voire dadvantage, peuvent les femmes ventre porter. » Le docteur Rabelais conclut malicieusement que les veuves peuvent donc jouer du serre-croupière deux mois après le trépas de leur mari. 78 Le diable. 79 À Dieu. 80 LV : la solution (L’absolution, confirmée par le jeu de mots de 270. Idem vers 336.) 81 Me déchargea. 2° degré : me procura un orgasme : « Sophie décharge à son tour. » (Sade, la Nouvelle Justine.) 82 Les hérétiques. 83 Saint Paul, Épître aux Romains, II-3. 84 Transformée en objet de scandale. 85 Évangile selon saint Matthieu, VII-3. 86 Matthieu, VII-1. 87 Romains, II-1. 88 L’ennuyeux passage 291-301, envahi de rimes proliférantes, est visiblement interpolé : une simple nonne ignorant le latin n’argumente pas une discussion théologique ! 89 Au nom de la Vierge, dont on chante les louanges. 90 Qu’il n’est pas possible que vous ne vous adonniez à des jeux amoureux. Les trois nonnes agenouillées vont enfin relever la tête et voir l’objet du délit. 91 Est-ce la mode (de porter sur la tête). 92 LV : esmoy (Cf. les Gens nouveaulx, v. 244.) 93 LV : changons en (Chantons d’une autre manière, changeons de ton.) 94 Rase. « On dit qu’un Barbier rait l’autre, pour dire qu’il faut que chacun dans sa profession se rende des offices réciproques. » Furetière. 95 Qu’une main aide l’autre. 96 LV : voz (Vous êtes soumise à notre volonté [audi nos = écoute-nous]. « I li fet tous ses audinos » : il lui passe toutes ses volontés.) 97 Tu as fait comme nous. 98 Je t’absous sans pénitence pour tes péchés. 99 LV : Incorbennem (Dans un cœur bon : « In cor bonum et devotum. » Nicolai de Gorrani.) 100 Maintenant, tu peux t’en aller avec un cœur pur, comme par le passé. 101 Va en paix. 102 Ultime pirouette sur le nom de Marie, qui avait elle aussi conçu sans péché. 103 Ces décasyllabes aux rimes mal disposées recyclent maladroitement les vers 283-285. Le congé final est commun à beaucoup de farces et de sotties.
LA CONFESSION MARGOT

Recueil du British Museum
*
LA CONFESSION MARGOT
*
Ce dialogue remontant au début du XVIe siècle exploite l’inépuisable filon de la confession parodique et, en l’occurrence, lubrique1.
Sources : BM1 = Édition conservée au British Museum de Londres sous la cote C 22 a 33 <141 vers>. BM2 = Recueil du British Museum, nº 21 <167 vers>. Sév. = Édition tardive et sans intérêt de la Bibliothèque colombine de Séville. Je publie la version longue (BM2), qui améliore considérablement BM1.2
Structure : Rimes plates.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
*
La Confession de Margot la bénigne 3
*
À deux personnaiges, c’est assavoir :
LE CURÉ
MARGOT
*
MARGOT se met à genoulx devant le Curé, et dit en plourant :
Je me confesse à vous, beau Père.
J’ay anuyt4 secouru ung frère
En sa grande nécessité.
Je l’ay faict par joyeuseté,
5 Car il en estoit empesché5.
Parquoy, sire, se j’ay péché,
J’en requiers absolution.
LE CURÉ
Fille, dictes vostre raison
Jusqu’à la fin de voz péchéz.
MARGOT
10 Sire, bien veulx que les sachez ;
Je diray tout sans riens rabatre.
Il le me fit6 troys foys ou quatre
Sans descendre, le beau robin7.
Ne sçay s’il estoit Jacobin,
15 Cordelier, Augustin ou Carme8,
Mais je vous jure sur mon âme
Qu’il le faisoit de trèsbon hayt9 !
LE CURÉ
De péché n’y avez point faict :
Il gaigne la gloire des Cieulx,
20 Qui faict bien10 aux religieux.
De cela soyez [bien] certaine.
MARGOT
Avecques moy coucha ung moyne
Dedans la meilleur de noz chambres ;
Ses genoulx mist entre mes jambes
25 Plus de sept foys, celle nuytée !
Je ne sçay se j’en suis dampnée :
Qu’en dictes-vous sur ce passage ?
LE CURÉ
Je vous tiens pour trèsbonne et sage
D’avoir faict si trèsbelle aulmosne.
30 De tous les cardinaulx de Romme11
Vous donray absolution.
MARGOT
Sire, entendez ma raison :
Souvent mon voysin je secours,
Et si, m’en voys à luy le cours,
35 Laissant mon mary quant il dort.
Le péché si fort me remort
Que je ne sçay se je m’en repente.
LE CURÉ
La chose n’est pas convenante
De soy repentir de bien faire.
40 Des grans peines de Purgatoire
Et d’Enfer le tourment villain
Je vous absouldray tout à plain12.
MARGOT
Sire, entendez d’ung pèlerin
Qu’alloit l’autre jour son chemin
45 Et ne sçavoit où aberger13.
Or je vous dis, pour abréger,
Que j’eux14 de luy trèsgrant pitié ;
Et lors, d’une grant amytié,
En ma chambre le fis loger.
50 Si, luy donnay bien à manger
Et à boire pour ce repas.
Puis après, je ne faillis pas
À mon lit faire et arrancher15,
Et avec(ques) moy le fis coucher.
55 Lors, nous mismes en si grand peine
Qu’à peu ne nous faillit l’aleine,
Par force de tarrabaster16.
Nostre lict ne peult arrester17,
Car l’ostel si fort en trembla
60 Que le lict à terre tomba,
Dont j’en fus trèsfort esbahye !
Sire, je ne sçay que j’en die,
Ne se je m’en doy repentir ;
Mais je vous dis bien sans mentir
65 Que j’en fus trèsfort desplaisante.
Ne cuydez pas que je vous mente ;
Par ma foy, je dis vérité.
LE CURÉ
M’amye, vous avez esté
Femme d’une trèsgrand constance,
70 Quant le pèlerin à plaisance
Avez bien logé, et au large18…
MARGOT, en plorant
Sire, ung aultre cas me charge,
Mais ne sçay se je l’ose dire.
LE CURÉ
Pourquoy non ?
MARGOT
Hélas ! c’est le pire
75 Péché que je fis en ma vie.
LE CURÉ
Si fault-il bien qu’on [me] le die,
Ou la confession ne vault oncques.
MARGOT
Sire, je vous [le] diray doncques,
Affin que de tout soye quitte.
80 L’aultre jour, trouvay ung hermite
Près d’ung grant chemin, en ung boys ;19
Lequel tenoit entre ses doys,
À plain poing, une gente chose.
LE CURÉ
Il ne fault point parler par glose20 :
85 Qu’estoit-ce ?
MARGOT
Je croy q’une endo[u]ille
Toute vive…
LE CURÉ
Ou [bien] une couille21 ?
Avisez bien lequel c’estoit.
MARGOT
Sire, par ma foy, ell’ avoit
La teste bien rouge22 devant,
90 Et ung chapperon23 pour le vent,
Qui estoit dessus la couronne24.
Elle estoit d’une façon bonne,
Grosse, belle à l’avenant,
Dure, roide au remanant25 ;
95 Et au pied, deux belles sonnettes26
Tant belles et tant joliettes,
Qui sonnoyent si doulx que rage.
Quant je la vis, j’eux grand courage
De m’aprocher pour mieux la27 veoir.
LE CURÉ
100 Et puis ?
MARGOT
À le vous dire voir28,
Me dit29 que celle belle chose
Avoit grand froid (dont30 je suppose
Qu’il la tenoit entre ses mains).
LE CURÉ
Après, m’amye, c’est du moins31.
105 Et puis ?
MARGOT
Je la prins par la teste,
Cuidant que ce fust une beste,
Et la mis entre mes deux cuisses
Pour l’eschauffer.
LE CURÉ
Ce sont grandz vices !32
La mistes-vous en vostre ventre ?
MARGOT
110 Elle s’i mist ; puis sault33, puis entre,
Si doulcement que c’estoit raige.
LE CURÉ
En cela, n’a point de dommaige :
Ce n’est que bien, comme j’entens.
MARGOT
Quant il eut fatrouillé34 long temps
115 Et qu’il voulut la chose reprendre,
Elle fut si povre, si tendre,
Si molle que c’estoit pitié,
Et plus petite la moytié
Que n’estoit au commencement.
120 Et si, plouroit fort tendrement,
Dont (lasse !) je fus esperdue,
Quant je la vis ainsi fondue
Et gastée par mon meschief35.
Car quant il cuida de rechief
125 S’en jouer comme premièr(e)ment,
Il ne peult ; car, par mon serment,
Elle plia par le milieu.
Si, en requier pardon à Dieu,
Et à vous absolution.
LE CURÉ
130 Vous av[i]ez grand dévotion
D’eschauffer celle pouvre beste.
MARGOT
Je luy frottay trop fort36 la teste,
Et vélà dont vint le dommaige.
LE CURÉ
Il vous partoit d’ung bon couraige37.
135 Qu’i a-il plus ?
MARGOT
Sire, j’ay dit
Tout tant que j’ay faict ne mesdit,
Au moins dont j’aye souvenance.
LE CURÉ
Vous estes femme de conscience.
Et ! qu’avez vescu sainctement !
140 Or, m’amye, premièrement,
Pour pénitence, vous irez
Visiter les lieux où sçaurez
Que sont les frères de nostre Ordre
(Comme les frères de la corde38,
145 Prescheurs, Carmes et Jacobins)
Tous les soirs ou tous les matins,
Tant que vous serez en jeunesse.
Au curé de vostre paroisse,
S’il a de vostre corps mestier39,
150 Ne luy en faictes pas dangier40 :
Paradis gaignera41 terrestre,
Qui fera bien au povre prestre
Et grand prouffit au povre moyne.
Et s’il survient sur la sepmaine
155 Quelque pèlerin deslogé,
Qu’en vostre chambre soit logé,
Et avecques vous le couchez,
Et près de luy vous approchez.42
J’ordonne que faciez debvoir
160 De souvent visiter et veoir
L’hermite du boys, au ramage43 ;
Et portez, comme femme sage,
De bon vin la plaine bouteille,
Pour vous festoyer soubz la feuille44 ;
165 Et apportez ung bon jambon.
Il luy met la main sur la teste, et dit :
Ainsi gaignerez le pardon,
Et voz péchéz s’effaceront.
In secula seculorum45.
MARGOT
Amen !
Cy fine la Confession Margot
*
1 Con fesser = frapper une vulve : Gratien Du Pont, vv. 417-430. 2 On consultera avec profit le travail exhaustif d’André Tissier : Recueil de farces, VI, Droz, 1990, pp. 369-422. 3 La bienveillante. S’agit-il de son patronyme, ou d’un sobriquet ? En tout cas, le prénom Margot était peu reluisant : Trote-menu et Mirre-loret, note 21. 4 Cette nuit. 5 Il était gêné par une érection. 6 Il me fit l’amour. « Vous ne me le ferez plus : ma mère m’a mariée. » Brantôme. 7 Homme de robe, religieux. Mais aussi, prototype du berger en rut : « Un jour, Robin vint Margot empoigner/ En luy monstrant l’oustil de son ouvraige,/ Et sur le champ la voulut besongner. » Clément Marot. 8 Les moines affiliés à un Ordre souffraient apparemment de priapisme : « Ung des beaulx religieux de tout nostre Ordre, aussi bien fourny de ce que ung homme doit avoir que nul de ce royaume. » (Cent Nouvelles nouvelles.) On dit encore : « Bander comme un Carme. » 9 De très bon cœur. 10 Celui qui fait du bien. Idem vers 152. BM1 remplace les vers 21-24 par ce passage non expurgé, où la rime « membre » est plus pertinente que « jambes » :
MARGOT
Ha ! sire, de ce suis honnye,
Car le curé de nostre ville
Angrossie m’a d’une fille,
Que j’ay donnée à mon mary.
LE CURÉ
Dame, faictes tousjours ainsi.
En Paradis sera saulvé
Qui fera bien à son curé.
MARGOT
Ha ! sire, encor(e) suys-je certaine
Qu’avec[ques] moy coucha ung moyne
Nu à nu dedans ma chambre ;
Entre mes jambes mist son membre
11 BM1 : du Rosne (qui rime mieux, bien qu’on trouve ailleurs la rime aumône/Rome. Le Rhône évoque le Palais des Papes d’Avignon au temps où les cardinaux s’y livraient à la débauche.) 12 Pleinement. 13 Héberger, loger. Dans BM1, ce pèlerin « avoit ung bourdon en charge ». Bourdon [bâton] = pénis : « En la main de madame la nonnain il mist son bel et trèspuissant bourdon, qui gros et long estoit. » Cent Nouvelles nouvelles. 14 J’eus. Idem vers 98. 15 Arranger, préparer. 16 Faire du tapage. 17 Ne put rester en place. On songe aux Dames galantes de Brantôme : « Elle et luy s’esmeurent et se remuèrent tellement toute la nuict, qu’ils en rompirent et enfoncèrent le fonds du châlit. » BM1 remplace les vers 59-60 par :
Car sur moy trois foys [il] monta,
Tant que [le] lict en tresbucha
Et que la couche cheut à terre,
Et y cheusmes aussi grant erre.
Nous fusmes bien mis à cul jus,
Et moy dessoubz et luy dessus.
18 On trouve la même pique dans les Récréations de Des Périers : « Madame la Fourrière, vous me logeastes l’autre nuict bien au large ! » 19 BM1 remplace les vers 81-134 par :
Qui tenoit en son poing ung membre
Très dur ; l’a bouté à mon ventre
Plus q’ung petit, à faire « saulce ».
Il parut bien que je fus faulse :
Quant son membre tyra l’hermite,
Il estoit plus mol q’une mitte…
Je m’en confesse et [me] repens.
LE CURÉ
Dame, vous feistes ung grant sens.
Plaine fustes de patience
Quant l’hermite fist sa plaisance
De vous, à son bon vouloir.
Je vous absoulbz de ce, pour voir.
20 Par énigmes. Des énigmes bien transparentes, puisque « chose » = pénis : Troys Gallans et Phlipot, note 53. 21 Couille (au singulier) et andouille désignent le pénis. « Prenez en gré du manche de ma couille…./ Il est tout fait en façon d’une andouille. » Parnasse satyrique du XVe siècle. 22 « Il avoit la teste rouge et un petit trou par le bout, avec deux pendants en forme de couillons. » L’Escole des filles. 23 Un prépuce. « L’usage du prépuce est de servir de chaperon & de couverture au gland. » Pierre Dionis. 24 « Bourrelet circulaire à la base du gland. » Pierre Guiraud, Dictionnaire érotique. 25 De reste, largement. 26 Testicules. « Nostre “oyseau” ne se perdra point :/ Il a de fort bonnes sonnettes. » Gaultier-Garguille. 27 BM2 : le (qui peut s’appliquer à l’ermite.) 28 Pour vous dire la vérité. 29 Il me dit. 30 Et que c’est pour cela. 31 C’est le moins qu’on puisse supposer. 32 Tu parles d’un drame ! 33 Saillir = sauter, sortir, saillir une femelle. 34 Coïté. « Fatrouiller sans danger de chancre, vérole, pisse-chaude. » Rabelais, Cinquième Livre. 35 Mon méchef, ma faute. Les vers 105-127 rappellent un épisode similaire du fabliau Trubert. 36 « Fort », qui manque dans BM2, est suppléé par Sév. 37 Cela partait d’un bon sentiment. 38 Les cordeliers, qui portaient une corde à nœuds en guise de ceinture. 39 Besoin. 40 Difficulté. 41 BM2 : gaigneres (Construit sur le même modèle que 19-20.) 42 Ce vers, qui manque dans BM2, est reconstitué par Sév. 43 Sous la ramée. 44 Pour qu’il vous fasse « voir la feuille à l’envers » (Guiraud), pour qu’il vous couche sur l’herbe : « Soubz arbre de fueilles ramu,/ C’est ung plaisir d’estre à l’envers/ Pour ouÿr chanter le coqu. » Les quattre Femmes (F 46). Festoyer = coïter (Guiraud). BM1 propose une autre fin, dont le dernier vers prouve que cette farce a bien été jouée en public :
Pareillement, au povre moyne
Qui pour vous prendra quelque peine
À vous venir veoir soir et matin :
De vostre corps, aulcun desda[i]ng
Ne luy faictes, pour quelque sy.
Ainsi vous aura à mercy
Dieu, s’il n’est trèsffort empesché…
Affin que je soye despesché
De vous pour ceste heure présente,
Vous yrez demain, moult fervente,
À Sainct-Germain (sans estre folle)
Des-Prés, où est la grant ydolle ;
Et la salurez de la porte,
Disant : « Le grant diable t’emporte ! »
Ainsi gaignerez Paradis,
Le cul dehors, la teste à l’huys ;
De cela je vous certiffie.
Adieu toute la compaignie !
45 On prononçait alors : Ces culs-là, ces culs l’auront. Les « équivoques latins-françois » (comme les nomme Tabourot dans ses Bigarrures) émaillaient toute la littérature comique, souvent écrite par des clercs.
SECONDE MORALITÉ

Bibliothèque municipale de Grenoble, Ms.916 Rés.
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SECONDE MORALITÉ
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Cette sottie d’Amédée Porral fut créée le dimanche 14 février 1524 à Genève, « en la Justice », place de la Fusterie. Elle conclut la Première Moralité jouée l’année précédente par la même troupe : « Les Enfants de Bontemps estoyent habilléz de vestements de fil noir, et n’avoyent que l’oreille gauche, comme ils estoyent demeuréz l’an devant. »
Source : Manuscrit 916 Rés. de la Bibliothèque municipale de Grenoble1, folios 315 verso à 323 verso. (Ms. copié fin XVIe siècle ou début XVIIe.) Les éditions tardives sont mauvaises.
Structure : Rimes croisées, rimes plates.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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Seconde Moralité
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LE PRESTRE estoit frère Mulet de Palude
LE MÉDECIN : Jehan Bonatier
LE CONSEILLIER : Claude Rolet
[LE MASSON]2
LE BONNETIER
LE COUSTURIER
LE SAVETIER : Claude « le Grec » Roset3
LE CUISINIER
GRAND-MÈRE SOTTIE : Maistre Pettreman4
LE MONDE : Antoine Le Dorier
*
LE PRESTRE commence SCÈNE I
L’homme propose et Dieu dispose.
LE MÉDECIN
Fol cuide d’un5, et l’autre advient.
[LE MASSON]6
Du jour au lendemain survient
Tout autrement qu’on ne propose.
LE BONNETIER
5 En folle teste, folle chose :
Point n’est vray tout ce que fol pense.
LE COUSTURIER
Au temps qui court n’y a fiance :
Maintenant joye et demain pleur.
LE SAVETIER
Aujourd’huy vous verrez Monsieur,
10 Et demain simple maistre Jehan7.
LE CUISINIER
Tel cuide vivre plus d’un an
Qui meurt dans trois jours.
LE MÉDECIN
À propos,
Nous som(me)s les pauvres enfants sots
Qui joyeusement, l’an passé,
15 Voyants que n’estoit trépassé
Nostre père Bontemps, soudain
Posâmes le deuil, et d’un train,
Reprîmes nos habits de Sots
Pour jouer. Mais (nottez les mots)
20 Pource que chasque habit estoit
Sans chaperon, tout demeuroit.
Toutesfois, nostre Mè[re] Sotte
Renversa vistement sa cotte,
Et du beau bout de sa chemise
25 Nous embéguina à sa guise.
Or en ces béguins, par merveilles,
Ne se trouvèrent les aureilles
Droittes ; mais se tenoyent à colle
Forte au cul de ladite Folle8.
30 Ainsi, à faulte de la droitte
Oreille, comme on peut cognoistre,
Tout demeura.
LE CONSEILLER
Vous dites vray.
Et là fut conclud, je le sçay,
Que nous attendrions le Bontemps,
35 Nostre père, en nous esbattants
À boyre.
[LE MASSON]9
Depuis ce temps-là,
Jamais teste ne nous parla
De Bon Temps.
LE COUSTURIER
Nous prétend[i]ons
De faire cinq cents millions
40 Passetemps pour esbattement.
LE SAVETIER
Sur cela, la Mort, promptement,
Au lieu de quelque allégement,
Nous a nostre mère emporté(e).
LE BONNETIER
En Paradis, au droit costé10,
45 Puisse estre colloquée son âme !
LE CUISINIER
Amen !
LE CONSEILLIER11
Amen !
LE PRESTRE
Amen ! La femme
Sotte n’estoit pas trop cassée.
LE MÉDECIN
Ainsi est-elle trépassée
En bon poinct12.
LE MASSON
Et aussi en grâce
50 De tout le monde. Dieu luy face
Mercy à l’âme !
LE BONNETIER
Ainsi [il soit]13 !
LE COUSTURIER
Par ainsi, comme chascun void,
Au lieu de faire esbattements,
Nous a fallu nos vestements
55 Teindre en noir.
LE SAVETIER
Et davantage,
Contrefaire nous fault le sage
Pour faire qu’on nous prise fort.
LE CUISINIER
Nous n’avons à autre confort14,
Maintenant, qu’à nostre grand-mère.
LE CONSEILLIER
60 Non. Et si15, ne nous peut [pas] faire
Grosse aide, n’est-il pas ainsi ?
LA GRAND-MÈRE SOTTIE16 SCÈNE II
Ha ! mes enfants, je suis icy.
Telle comme vous me voyez,
Il ne fault pas que vous soyez
65 Si sots que cuidiez que voussisse17
Estre tousjours vostre nourrisse,
Car je ne le pourroy[e] pas.
Guerroyé vous a le trespas
De vostre bonne mère, et l’absence
70 De vostre père ; sans doutance,
Bontemps ne vous y aide en rien.
Je pourroy bien manger mon bien
Sans vous.
LE PRESTRE
Ouÿ, et de belle heure !
LE MÉDECIN
Qu’est-ce donc de faire ?
LA MÈRE G[RAND]
Qu’on labeure18
75 Chascun trèsbien de son mestier.
LE MASSON
Nous n’y faisons pas volontier(s) ;
Toutesfois court une planette
Qui contrainct les Fols à cela.
LE BONNETIER
Nous ne soms plus soubs la comette
80 Qui régnoit quand gela19, vélà.
LE COUSTURIER
Le temps que Perrotin20 mesla
Et fit jouer clers et marchands
Est passé.
LE SAVETIER
Aussi est le temps
Que De Nanto21 et Du Villard(s)
85 Firent leurs nopces, au Molard,
De l’espousée du Sapey.
LE CUISINIER
Le temps n’est plus tel que je l’ay
Veu, pour toute conclusion.
LE CONSEILLIER
Pourtant suyvrons l’intention
90 De nostre grand-mère.
LE PRESTRE
Comment ?
LE MÉDECIN
Que nous travaillons roidement,
Ou nous aurons bien froid aux dents.
LE MASSON
Par ma foy, nous en soms contents :
Il ne nous fault que de l’ouvrage.
95 Qui nous en donra ?
LA GRAND-MÈRE
Qui ? le sage
Monde, mes enfants, largement.
LE BONNETIER
Voudroit-il point d’esbattement
Quelques fois de nous ?
LA GRAND-MÈRE
Ouÿ bien,
Mais qu’il ne luy [en] couste rien :
[………………………….. -ray.]
LE COUSTURIER
100 Bien tost vous en apporteray.
J’y vay, attendez-moy icy.
Pose.22
Voycy aureilles, Dieu mercy,
Et l’argent : prenez-en trèstous.
LE SAVETIER
[Gra]n-Mère [Sotti]e, menez-nous
105 [Mai]ntenant [vers le] Monde.
LA MÈRE
Allons !
Mais marchez droict sur vos talons
Sans fléchir ni faillir en rien ;
Encor ne sçaurez-vous si bien
Marcher qu’il n’y ait à redire23.
LE CUISINIER
110 Le Monde devient tousjours pire ;
Je ne sçay que24 sa fin sera.
LE CONSEILLIER
Nous ferons comme il nous fera.
Suyvons seulement la gran-mère.
Vadunt ad Mundum.25
LA MÈRE SCÈNE III
Dieu gard, Monde !
LE MONDE
Dieu gard, [grand-]mère !
115 Qu’est-ce qu’il y a de nouveau ?
LA MÈRE
Je vous ameine un beau troupeau
De Sots, Monde, pour vostre train.
LE MONDE
Quels sont-ils ?
LA MÈRE
Qu’ils sont ? Pour certain,
Orphelins, enfants de Bontemps,
120 Qu’est perdu, et, comme j’entends,
Fils de ma fille le Rousset26,
Qu’est trespassé.
LE MONDE
Voylà que c’est.
[……………………………… loing]
De moy, femme ! Je n’en prens point
Qui ne sache quelque mestier.
LA MÈRE
125 Bien sçavent : l’un est savetier,
L’autre prestre, l’autre masson.
Voyez bien là ce viellasson27 :
Il est cousturier28. Cestuy-ci,
Bon bonnetier, la Dieu mercy !
130 L’autre est sçavant, bon conseiller,
Qui vous conduira volontier(s)
Ainsi comme il appartiendra.
LE MONDE
Tout cela bien me conviendra.
Or bien, je les retiens trèstous.
LA MÈRE
135 À Dieu, donc.
LE PRESTRE
Et ! nous lairrez-vous
Au Monde ?
LA MÈRE
Ouÿ, mes enfants.
Souffrez en attendant Bontemps.
À Dieu !
LE MÉDECIN
À Dieu29 !
LE MASSON
À Dieu soyez !
LE MONDE SCÈNE IV
Or sus, maistre[s] Sots ! Vous voyez
140 À peu près tout ce qu’il me fault.
Cousturier, faites-moy à hault
Collet une robbe bien faitte.
LE COUSTURIER
La voulez-vous large ou estroitte ?
LE MONDE
Que sçay-je ?
[LE] COUSTURIER
Voyez ceste-cy :
145 Elle est trèsbien.
LE MONDE
Encores [si
Elle]30 fust, d’un peu, plus large,
Je l’aimeroy mieux.
LE COUSTURIER
De vostre aage,
Vous n’en portastes de31 mieulx faitte
Que ceste-cy.
LE MONDE
Ha ! trop estroitte32 !
150 Ostez, ostez. Faittes-m’en une
À mon gré.
LE COUSTURIER
Ce sera fortune
Si je luy fais. Par Ste Gille33,
Monde, vous estes difficile
Par trop !
LE MONDE
Venez çà, savetier34 !
155 Servez-moy de vostre mestier,
Et je vous contenteray bien.
LE SAVETIER35
Tenez, Monsieur.
LE MONDE
Ce ne dit rien36.
Faites-m’en d’autres à mon plaisir.
LE [SAVETIER]
J’ay beau les faire à mon loisir,
160 Bien cousus, de bonne matière :
Encore(s) en seray-je en arrière.
Monde, vous estes dégousté.
LE MONDE
Masson, il nous fault remonter
Les fenestrages.
[LE MASSON
…………. -ants ?
LE MONDE
165 Un peu plus bas.
LE MASSON]
Ainsi estants,
Seront-ils bien à vostre gré ?
LE MONDE
Je les veux plus hauts d’un degré.
LE MASSON
Ainsi ?
LE MONDE
Non, mais un peu plus bas.
LE MASSON
Vostre vouloir n’accorde pas
170 Avec le mien pour maintenant.
LE MONDE
Bien, à demain. Çà, vistement,
Bonnetier, baillez un bonnet !
LE BONNETIER
Si cestuy-cy bon ne vous est37,
Je renonceray au mestier.
LE MONDE
175 C’est un bonnet de ménestrier38 !
Comment ? te moques-tu de moy ?
LE BONNETIER
Tenez cestuy-cy : sur ma foy,
Il est bon.
LE MONDE
Il est…39 Ton gibet !!
Va, va, trouve-m’en un plus net !
180 Conseiller !
LE CONSEILLER
Que vous plaist, Monsieur ?
LE MONDE40
Que vous [en] semble ? Suis-je seur
D’avoir la sentence pour moy ?
LE CONSEILLER
Je croy bien qu’ouÿ.
LE MONDE
Et pourquoy ?
LE CONSEILLIER
Pource que vous avez déduict
185 Trèsbien vostre cas, et conduict
Le reste tout comme il falloit.
LE MONDE
Mais, par ma foy, ne m’en challoit41.
LE CONSEILLIER
Je le crois. […………… -ray
………]
LE MONDE
Certes non feray !
190 Or allez mieux estudier !
Çà, prestre, venez deslier42
Icy vos messes, que je voye
Comme elles sont.
LE PRESTRE
Dieu vous doint joye,
Monde ! Comment les voulez-vous ?
LE MONDE
195 Ainsi que les demandent tous.
LE PRESTRE
Courtes ?
LE MONDE
Ouÿ.
LE PRESTRE. Il monstre les messes escriptes.
Or tenez donc
De celles de dom Ami Bon43 :
Elles sont belles.
LE MONDE
Ce sont mon44 ;
Mais longues sont comme un sermon.
200 Baillez-m’en d’autres de L’Huillier45.
LE PRESTRE
Ceux-cy sont de dom Rattelier46 ;
En voulez-vous ?
LE MONDE
Non, mettez là ;
Elles sont trop courtes.
LE PRESTRE
Voylà :
Vous ne sçavez que vous voulez.
205 Il vous en fault qui soyent meslé(e)s,
Et jetté(e)s au molle47, sans peine,
Des pierres d’une sarbataine.
LE CONSEILLIER
Certes, Monde, il n’est supposé48
Que ne soyez mal disposé.
LE MONDE
210 Pourquoy ?
LE CONSEILLIER
Au texte de la Bible,
Qu[i] est chose irrépréhensible,
Vous n’y trouverez pas bon goust.
LE COUSTURIER
Croyez, Monde, qu’il n’est si fou
Qui ne le cognoisse.
LE MONDE
Est-il vray ?
LE MASSON
215 Ouÿ.
LE MONDE
Qu’on sache tost que j’ay !
Sus, sus, portez de mon urine
Au médecin !
LE SAVETIER, en la regardant
Bien a la mine