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LA FOLIE
DES GORRIERS
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Cette sottie moralisée fut écrite en Normandie vers 1470. Le gorrier, pain bénit des satiristes, est un provocateur qui adopte les extravagances vestimentaires les plus inconfortables pour se faire remarquer. La pièce place les gorriers sous l’emprise de Folie, un personnage allégorique inhérent aux sotties.
Source : Bibliothèque nationale de France, manuscrit Rothschild 3007, fin XVe siècle. Le copiste semble être lui-même sous l’emprise de Folie : 1> Il transcrit le pluriel « ils » par « il ». 2> Ses verbes ne font pas leur pluriel en -ent mais en -et (« il se premenet » = ils se promènent). 3> Il ajoute un « s » à la fin de mots au singulier (leurs chasteté, leurs vie), et un « e » à la fin d’adjectifs masculins ou de gérondifs (je ne prendrai pas la peine de relever ces manies dans les variantes). 4> Non content d’ajouter une multitude de lettres superflues, il omet des lettres essentielles, des mots, et même des vers. 5> Il note -ent au lieu de -ant, et vice versa. 6> Il ne copie pas les refrains des triolets. 7> Il écrit « quent » au lieu de « quand », mais pas partout. 8> Il insère souvent les didascalies après coup, en pattes de mouches, et quelquefois dans la marge, à côté de vers qui n’ont aucun rapport avec elles. Saluons l’édition qu’Émile Picot donna de ce manuscrit peu commode dans son Recueil général des sotties (tome I, 1902, pp. 137-175), et regrettons qu’il ne lui ait consacré que treize notes. Je lui emprunte un certain nombre de corrections, tout en corrigeant les fautes de lectures qu’il a laissé passer. Je publie sous la pièce une cochonnerie inédite provenant du même manuscrit.
Structure : Rimes abab/bcbc, rimes plates, avec 2 triolets, 5 rondeaux, 5 quatrains à refrain, et une péroraison en huitains abaabbcc.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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Farce nouvelle nommée
la Folie des Gorriers
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À .IIII. personnaiges :
LES [DEUX] GORRIERS
et FOLIE
et LE FOL
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LE PREMIER GORRIER 1 SCÈNE I
Bastard2 !
[LE] SECOND [GORRIER]
Barbier !
LE PREMIER 3
Où sont ces paiges ?
Se je metz la main sur leur[s] teste[s]4,
Je croy…
LE SECOND
Par ma foy ! aux villaiges5.
[ LE PREMIER
Bastard !
LE SECOND
Barbier !
LE PREMIER
Où sont ces paiges ?
LE SECOND ]
5 Pour quérir poulles et formaiges6,
Et du foing7 pour passer ces festes.
LE PREMIER
[ Bastard !
LE SECOND
Barbier !
LE PREMIER
Où sont ces paiges ?
LE SECOND
Se je metz la main sur leurs testes…
LE PREMIER ]
Cuydent-il que nous s[o]yons bestes ?
FOLIE 8
10 (On les puist mener au gibet
S’il ont9 ny paige ny varlet !)
LE SECOND
Que ditz-tu, compaignon de guerre ?
Comment te va ?
LE PREMIER
Non guyères10 bien.
LE SECOND
Pourquoy ?
LE PREMIER
Une pièce de terre
15 [Du my]en11 ay vandue.
LE SECOND
Et combien ?
LE PREMIER
N’am parlons plus.
LE SECOND
Et moy le myen12,
Tant qu[e j’]en suis au pain quérant13.
FOLIE
(Et ! il ont ung estronc de chien !
Oncques n’eurent ung blanc14 vaillant.)
LE SECOND
20 Le mestier est mal acquérant15 ;
Trouver nous fault aultre practique.
LE PREMIER
Par mon serment, j’en suis contant !
Ne m’en chault à quoy je m’aplicque,
Se ne16 fait-il mal.
LE SECOND
D’une picque
25 On me bailla ung tel soufflet
Sur le chief, pour le Bien publicque17 !
FOLIE
(Et ! on fit son sanglant gibet !)
LE PREMIER
Trouvé me suis, chascun le scet,
En mainte course18 et dur assault.
LE SECOND
30 J’ay mys mon chief sans bassinet19
En lieu qu’ung20 aultre, tant soit cault,
N’oseroit.
LE PREMIER
Ung gendarme vault,
Qui21 a sens avecques vaillance.
FOLIE
(Par le Dieu qui ne ment ne fault22 !
35 Il ne portèrent oncques lence.)
LE SECOND
J’ay vandu toute ma chevence23
Affin de myeux m’entretenir.
LE PREMIER
J’eusse trouvé bonne allience,
Maiz aultre n’ay volu tenir24.
LE SECOND
40 J’ay tué.
LE PREMIER
J’ay fait convenir25,
Dont m’en reppens.
FOLIE
(Quel coquinaille !
Argent26 bien peult le[s] retenir,
Et pour leur esta[t], la poullaille27.)
LE SECOND
Et ! que veulx-tu ?
LE PREMIER
Tant de merdaille28
45 Appointés comme chevalliers,
Et les vaillans qui n’ont pas maille29
Recullés comme lanterniers30 !
LE SECOND
Brief, il nous fault estre gorriers,
Se nous voulons plus hault mo[n]ster.
FOLIE
50 (Qui auro[i]t beaucop de deniers,
C’est grand plaisir de les conter31.)
LE PREMIER
De quelc’un nous fault acointer,
Par qui nous puissions valloir mieulx.
LE SECOND
Se bien nous voulons appointer32,
55 Devenir nous fault amoureux.
LE PREMIER
Je feroye bien du gracieux.
Maiz où nous pourrons-nous percher ?
LE SECOND
À Paris33 a de plaisans lieux,
Qui bien les [y] sauroit sercher34.
Folie se premaine.35
LE PREMIER
60 Je voy là ne sçay qui marcher :
Assez souffisante est36 darrière,
Et a couraige37.
LE SECOND
Au remarcher38,
Je cuyde qu’elle soit gorrière.
LE PREMIER
Quant je regarde sa manière,
65 Elle me plaist. Allons vers elle !
LE SECOND
Allons !
.
LE PREMIER SCÈNE II
Dieu vous gard, damoiselle !
FOLIE
Et vous aussi !
LE SECOND
Vous estes celle
Qui a mys mon cueur en ses las39.
LE PREMIER
Dame, vostre suis, hault et bas.
70 Commandez, vous serez servie40.
FOLIE
Messeigneurs, de ce vous mercye.
Comment estes-vous cy41 venus ?
LE SECOND
Deux pouvres sommes desprovus42
Compaignons pour servir le Roy,
75 Où tout avons perdu. Maiz quoy !
Encore avons-nous quelque drame43.
FOLIE
Je vous entens. Dea ! je suis femme
De plusieurs prisée et chér[i]e.
LE PREMIER
Plaise-vous44 donc estre m’amye,
80 Car de vostre amour suis surpris.
FOLIE
De bien grans en onst esté pris,
[Tant chevalliers que gros marchans.]45
LE SECOND
Maiz commant vinttes-vous céans
Seulète ? Y av’ous46 congnoissance ?
FOLIE
85 Pource que j’ayme ma plaisance,
Je vois47, je vie[n]s, je m’abba[n]donne
À celluy qui s’amour me donne.
Et où me plaist, soit pluye ou vent,
Je m(e) arreste le plus souvent :
90 Car je suis libéralle et franche.
LE PREMIER
Et où vous tenez-vous ?
FOLIE
En France48,
En Flandre[s] et en Picardie,
En Anglecterre, en Normendie,
À Romme, Ytalie et Espaigne,
95 Où je veul, et en Allemaigne.
Et si, suis partout dominans.
LE SECOND
Et en quelz maisons ?
FOLIE
Au[x] plus grans :
Ès cours des princes et seigneurs.
Et avec(ques) les dissimulleurs49
100 [Suis] bien souvent, en plusieurs cas,
Combien qu’il ne le cuydent pas :
Car souvent, soubz fainte loquence50,
Revestent51 l’abbit de Prudence ;
Maiz leurs ditz et leurs faiz sont pris
105 En la cresme de mes escrips52.
Et suis souvent, à leurs requestes,
Soubz leurs chapperons, dans53 leurs testes.
Entre chappeaux, crosses et mistres54
Me trouverez en ces chappistres55,
110 En faisant les élections :
Car j’en fay les conclusions.
Et entre les estudïens,
Et avec(ques) les .IIII. Mandiens56.
Et bien souvent vous me verrez
115 Dessoubz les chapperons fourréz57.
Puis m’entreboute58, que[nt] je veulx,
En la teste et59 dans les cheveulx
Des femmes, ainsi qu’en60 vobis ;
Et leur faitz porter telz habitz
120 Que je vueil, don[t] on [les suspecte]61
Qu’ilz font leur chasteté suspecte.
Et quent je me metz en leur teste,
Oncques ne fut telle tempeste !
Puis me mesle d’astrologie.
125 Quant je suis avec Theologie62,
Avec les sept Ars libéraux,
Le feu de63 quatre mareschaux
N’en approche point de challeur64.
Brief, il n’y a si grand seigneur
130 Qui bien ne me veulle65 accointer
Pour ung66 aultre désapointer,
Car itelle67 est ma destinée.
LE PREMIER
Et dont68 estes-vous ?
FOLIE
Je fuz née
Au fons de Paradis terrestre69.
LE SECOND
135 Ce que dictes ne pourroit estre :
Vous n’avez pas .XXV. ans.
FOLIE
J’en ay plus de six mil [cinq cens]70 :
Je suis celle, pour toute somme,
Par qui Adan menga la pomme.
140 Je fiz71 faire la tour Babel,
[Et] aux lions bailler Daniel72 ;
Mectre Virgille en la corbeille73,
Sallomon « chevaucher sans selle74 » ;
Par Dalida, [en traïzon]75,
145 Copper les cheveux de Sanxon ;
En Égipte, par Tholomée76,
Coupper la teste de Pompée.
Hélaine à77 Pâris fitz ravir,
Et Lucresse78 [je] fitz morir.
150 J’ay fait vandre des béneffices
Pour venir pourchasser79 offices.
Plusieurs [se tiennent à saigesse]80,
Maiz la fin en sera mestresse.
[Quant] je me treuve en divers lieux,
155 Je faiz dancer81 les amoreux,
Et despandre82 dans ung esté
Ce qu’en travail ont aquesté
Leurs parens ou83 temps de leur vie.
Chascun de m’avoir a envye ;
160 D’avoir fous [et so]tz il me chault.
LE PREMIER
Vous estes tout ce qu’il nous fault.
Qu’en ditz-tu ?
LE SECOND
C’est bien mon advys.
FOLIE
Quant je vueil, je m’espannoÿs84
Ès cueurs qui sont de moy navrés85.
LE PREMIER
165 Comme avez non86 ?
FOLIE
Vous le sçaurez
Avent que départez de moy.
Maiz à mon adviz, comme je croy,
À mon habit et à mon renom
Povez bien congnoistre mon nom.
170 Lisez-le, je l’ay fait escripre.
« Folie » est en escript sur sa manche.
LE SECOND
Or brief, nous ne le sçaurions lire,
Car ce sont sauvaiges escrips87.
FOLIE
Vous ne sçavez dont qui je suis ?
Pour vostre auctorité acroistre,
175 Faictes bien de me mescongnoistre ;
Vous y serez à temps assez.
Or çà ! qu’en dictes-vous ?
Nota qu’il la regardent souvent, et dient :
LE PREMIER
Pansez
[Que] vous estes mon espérance.
Fleur de beaulté, ma seulle soufissance 88,
180 Souffisante sur toutes les viventes,
Vivant soulas 89 au millieu des plaisantes :
Plaisir me croist 90 quen[t] vous voy, sans doubtance.
Doubte 91 n’ay point, tant ay grande fience,
Fïent de vous 92 où j’ay my[s] mes actentes,
185 Fleur de beauté.
La peur que j’ay, c’est qu’envers vous offence 93 :
Offensses 94, las, ce sont choses dolentes.
Do(u)lent seroit mon cueur en toutes sentes ;
Sentez-le 95 brief morir de desplaisance,
190 Fleur [de beaulté] 96.
LE SECOND
Lustre lustrant 97, excellant, magniffique,
Magniffiant cristalline coulleur,
Couleur luysant : octroyez-moy faveur,
Favorisant ma requeste autentique.
195 Autentiquez 98 la douleur qui me picque :
Piquez mon cueur par vostre grand doulceur,
Lustre [lustrant].
Califfiez ce que je prenostique 99,
Prenostiquez 100 par ardente ferveur,
200 [Fervente flamme et amoureuse ardeur !]101
Ardez 102 mon cueur en vostre réthorique,
Lustre [lustrant] !
FOLIE
Vrays amoreux 103, venez-moy acoller !
Collez 104 celle qui vous donnera bruyt.
205 Bruyez 105 partout : personne ne vous nuyt.
Nuysans ne peulve[n]t mon vouloir désoler 106.
Désoléz puis-je bien [à poinct] consoler ;
Co[n]solez-vous et de jour et de nuyt,
Vrays [amoreux].
210 Je faitz rire quent on devroit plourer ;
Pleurer ne fault 107 contre ce qui me duyt.
Duyt[e] façon mon esperit conduyt ;
Conduyre veulx voz faitz sans vïoler 108,
Vrays [amoreux].
LE PREMIER
215 Ung chascun doit bien carculler109
Le droit chemin où il veult tandre.
LE SECOND
Madame, vous devez entendre
Que nous sommes deslibéréz
De faire ce que vous vouldrez,
220 Et vous octroyons par accords
Foy, loyaulté, mambres et corps :
À vous servir sommes entiers.
FOLIE
Il vous fauldroit estre gorriers.
Car en habis où je vous voy,
225 Vous n’aurez point le cueur de moy
– Combien que soubz h[u]mble[s] habitz
Souventesfoys je me chevys110
Aussi bien que soubz grans estatz111.
Et pource, ostez tous ces fatras !
230 Despoullez-vous ! Pour rabiller,
D’aultres habitz vous veux ba[i]ller
À la fasson de gorerie112.
Et affin que la gorre113 rie
[Et que soyez dimanchereaulx,]114
235 Vestez-moy ces habitz nouveaulx
Que j’ay pris à la frapperie115.
Lors se despoullent 116, et prenent
de[s] robes aux manches larges.
LE PREMIER
Voycy une117 grand trainnerie !
Me fauldra-il cecy trainner ?
LE SECOND
Quelz grans manches118 !
LE PREMIER
Quel rêverie !
LE SECOND
240 Porter cecy ?
LE PREMIER
C’est pour desver119 !
FOLIE
Mai[n]s les portent120 pour eulx parer.
LE PREMIER
Je ne sçay pas à quel propos.
FOLIE
C’est la façon121, à brief parler.
LE SECOND
Corps bieu, ce sont habitz de Folz !
LE PREMIER
245 L’on voit, par-darrière, noz colz122.
[ LE SECOND
Et ! pour sembler gorriers plus nouveaulx,123
Fault-il vestir telz paletotz124 ? ]
FOLIE
Il sont bons. Bien furent plus beaux
Que les vielz. Gorriers [vielz manteaulx]125
250 Changère[n]t, par leur grand prudence.
Et puis affublez ces chappeaulx.
Ils pren[n]e[n]t des chappeaux [deschiquetés 126].
Or estes-vous gens d’apparence.
LE PREMIER
Madame, à vous avons fience.
FOLLIE
Chaussez127 ces soulliers pour galler.
Elle leur baille des soulliers larges 128.
LE SECOND
255 Ces soulliers, en ma conscience,
Il me garderont [bien] d’aller129 !
FOLIE
Si fault-il le temps esgaller130,
Et marcher couraigeusemant.
Et laissez mesdisans parler :
260 Pour eux, n’en aura autrement.
Vivez orez gorrièremant. 131
Quand est132 de vostre habillement,
Les robes porterez mal faictes,
Tant que semblerez proprement
265 Estre personnes contrefaictes :
Faictes-vous bossus, si ne l’estes.
Grans manches plus que Cordelliers133,
Chappeaux de travers et cornette[s],
Bonnet sur l’ueil134, larges so[u]lliers.
270 Soyez, en voz faiz, singulliers135,
Et comme les princes vestus ;
Et – fussiez filz de charpentiers –
Fier[s], orguilleux, folz et testuz.
Dictes que vous avez escus
275 Là où vous estes empreunteurs.
Et au lieu de toute[s] vertuz,
Soyez mesdisans et flacteurs136.
Mes amoureux, mectez voz cueurs
D’acomplir mes [communs esdiz]137 !
LE PREMIER
280 Comme voz loyaulx serviteurs.
Nulz d’eux n’en seront escondiz138.
LE SECOND
Madame, mes faiz et mes ditz
Sont avec vostre pancemant139.
LE PREMIER
Ne plaise à Dieu de paradis
285 Que nous gouvernons140 aultremant !
FOLIE
Vivez ores gorrièrement.
Que vous fault-il plus ?
LE SECOND
Plus qu’assez.
FOLIE
Et quoy ?
LE PREMIER
Argent, premièrement.
[ FOLIE
Vivez ores gorrièrement. ]
LE SECOND
290 C’est le principal fondement.
FOLIE
Vandez.
LE PREMIER
Et quoy ?
FOLIE
Des biens amassés.
[ Vivez ores gorrièrement.
Que vous fault-il plus ? ]
LE SECOND
[Plus qu’assez141 :]
Et où pris ?
FOLIE
Ceulx des trespasséz142.
LE PREMIER
295 Par ma foy ! ceulx-là sont passéz.
FOLIE
De ceulx donc(ques) de voz pancïons143.
LE SECOND
Ce sont toutes abusions ;
On ne nous sçauroit rien oster144.
Et si, nous fault provisions
300 De chevaulx pour nous [bien] monster145,
Chaînes d’or146 pour nous acoustrer,
Robes quent les nostres fauldront147,
Noz soulliers fère carreller148
(Car tantost149, guyère ne vauldront).
FOLIE
305 Quant ces choses vous assauldront150,
Pour survenir à vostre affaire,
Empruntez.
LE PREMIER
Dea ! mais qui seront
Ceulx qui ainsi le vouldront fère ?
LE SECOND
Cuydez-vous qu’on nous veulle croire151 ?
FOLIE
310 [Vous] croire ? Et pourquoy ne feront ?
LE PREMIER
Nostre fait, qui est voluntaire152,
Et noz habictz l’ampescheront.
LE SECOND
Bien y a pis : il s’en riront.
LE PREMIER
Or prenons que l’on le nous preste ;
315 Et ! ceulx qui le nous presteront,
En fin, estre payé[z] vouldront.
Où153 pris ?
FOLIE
Vous vous rompez la teste :
La belle quinquenelle154 honneste !
Et si s’en veulle[n]t [plus] desbatre,
320 Si les menassez de [les] batre.
LE SECOND
Il n’y a deux, ny troys, ny quatre.
Point ne nous y fault varier155.
LE PREMIER
À telz jeux ne se fault esbatre :
Il nous contraindront de payer.
FOLIE
325 Il leur fault le débet156 nyer.
LE SECOND
Tel(le)s excusas[s]ïons sont lourdes.
LE PREMIER
Quel remède ?
FOLIE
Après leur crier157,
Payez-les.
LE SECOND
Et de quoy ?
FOLIE
De bourdes158.
LE PREMIER
Bourdes ? C’est affaire à gens sourdes.
330 Maiz cuydez-vous qu’on nous en croye ?
FOLIE
Ouÿ, car c’est bonne monnoye159.
Car mains160, par bourdes, on[t] esté,
Sans sçavoir161, en auctorité,
Les petiz mis en grans estas,
335 Et les grans, du tout mys au162 bas
De maintes diverses personnes.
LE SECOND
Je croy que bourdes sont donc(ques) bonnes.
FOLIE
[Pour monster, mes très chiers anffans,]163
Accoinctez-vous tousjours des grans :
340 Grans, en bref temps, font sans actendre
Pouvres monster, riches descendre.
Et si, font (tel en est l’usaige)
Le saige fol, et le fol saige.
Et qui pis est, le plus souvent,
345 Baille[n]t bourdes en payement164.
LE PREMIER
Enseignez-nous donc par quel guise165,
Soit en cherges166 ou en Esglise,
Pouvons avoir gouvernement167.
FOLIE
Baillez bourdes en payement.
LE PREMIER
350 S’amoreux devenir voulloye
D’aultre que vous (je ne vouldroye !),
Quel remède ? Point n’ay d’argent168.
FOLIE
Baillez bourdes en payement.
LE SECOND
Je doy, et d’argent n’ay-je point.
355 De contrainctes169 chascun me point
Jusques à emprisonnement.
FOLIE
Baillez bourdes en payement.
LE PREMIER
Quel remède à ces advocas ?
Car, quent il ont broullé ung cas170,
360 Payer on ne le[s] scet comment.
FOLIE
Baillez bourdes en payement.
LE SECOND
Ho, madame, vous vous abusez,
Car advocatz sont si rusés !
Et d[r]ames171 ont à prandre apris.
FOLIE
365 Le plus [rouge y est]172 souvent pris ;
Car, quent bourdes sont autentiques,
Les empruncteurs devien[n]ent quictes,
Et ceulx qui prestent173, indigens.
LE PREMIER
De bailler bourdes, dilligens
370 Serons ; de ce, ne doubtez point.
Mais il y a ung aultre point :
S’on nous voulloit bourdes bailler,
Quel remède ?
FOLIE
Le[s] rabiller174.
LE SECOND
[Dea !] maiz commant ?
FOLIE
En babillant175.
LE PREMIER
375 On voit souvant homme baillant
Qui n’est pas reppeu176 de bailler.
FOLIE
Brief, si vous voullez travailler177,
Vous aurez plus que ne vous voy178.
Mes très chiers anffens, quant vous voy,
380 Mon estommac, sans divertir179,
Est ouvert pour vous englotir,
Tant aprochez de ma nature180.
LE PREMIER GORRIER
Nostre esperit tousjours procure181
À toutes fins de vous complaire.
FOLIE
385 Ainsi le devez-vous bien faire :
Car celle suis par qui serez
(Selon que vous me servirez)
Grans ou petiz, pouvres ou riches.
Mes dons ne sont eschars182 ny chiches ;
390 Ne serviteurs habandonnéz,
Qui se seront à moy donnéz,
Comme vous, lesqueulx183 j’ay receux.
Et vous, comme les bien écheux184,
Avez promis de me servir.
395 N’avez pas ?
LE SECOND
Jusques au morir !
LE PREMIER
D’en doubter seroit grand simplesse.
FOLIE
Trouvé avez bonne maistresse.
Maiz je vous ay encore à dire185.
Soyez tousjours prestz de mesdire,
400 Et notez ceste auctorité :
Qui vivre veult en grand prospérité
Se doit garder de dire vérité,
Promectre assez, et du tout, rien tenir 186.
Par mesdire se doit entretenir
405 Selon le temps et l’oportunité,
Mordre en riant 187 par grand subtilité ;
Là où il verra avoir gratuïté 188,
Pour son proffit, chascun entretenir,
Qui [vivre veult]189.
410 Flater les grans par importunité,
Complaire à ceulx qui ont auctorité,
Ne payer riens et l’aultruy 190 retenir
Font les meschans aux grans estas venir,
Soubz le dangier d’estre décapité 191,
415 Qui [vivre veult].
LE SECOND
Se nous avons habilité192,
Nous serons souverains ouvriers.
Il se premène[n]t.193
.
FOLIE SCÈNE III
Regardez marcher mes gorriers
Aux larges manches, grans souliers,
420 Parrucque d’estrange poil faicte 194,
Mais 195 – n’esse pas bonne sournète ? –
Pouvrement pourveu[s] de deniers.
C’est l’espargne des cousturiers 196.
Leur reffuge e[s]t aux taverniers,
425 Et à l’ospitail leur retraite 197.
Regardez !
D’empreunter souverains ouvriers 198,
De randre mauvèz coustumiers 199 ;
Gens expers 200 pour fère une amplecte
430 En une botique replecte 201
De tous les dix[-et-]sept mestiers 202.
Regardez !
*
LE PREMIER 203 SCÈNE IV
Je me regarde204 voluntiers,
Hault et bas et en tous endroys.
LE SECOND
435 Plus regarde, et moins me congnoys :
Je ne suis plus moy, si me semble.
LE PREMIER
Je ne sçay [à qui]205 je [res]semble ;
Je ne suis point.
LE SECOND
Et ! qui206 peust-ce estre ?
LE PREMIER
Je ne suis ne varlet ne maistre,
440 Et ne sçay se je suis ou non207.
LE SECOND
Se ne suis-je pas.
LE PREMIER
Ce ne suis-je mon208.
Point ne suis moy, certainement.
LE SECOND
Maiz qu’en ditz-tu, par ton serment ?
Suis-je ?
LE PREMIER
Tu es. Et moy non, rien.
LE SECOND
445 Par sainct Jacques ! je te voy bien :
Tu es toy. Et moy, riens quelzconques.
LE PREMIER
Et qu’es-tu donc ?
LE SECOND
Je ne fuz oncques.
LE PREMIER
Tu n’ez ? Tu es, je le congnois !
Et moy, non.
LE SECOND
Tu te mescongnoys :
450 Tu as esté, et si, seras.
Non pas moy.
LE PREMIER
Tu en mantiras209,
Je le voy bien, car tu es toy.
Et congnoys210 que ne suis pas moy.
LE SECOND
Je suis moins que toy la moitié.
LE PREMIER
455 Hélas, tu me faitz grand pitié !
Je croy que tu es insensé :
Je te voy bien.
LE SECOND
C’est bien avancé !
Tu resves, tu es tourmenté.
LE PREMIER
Non suis. Et si, n’ay point esté :
460 Se j’avoye esté, je seroye,
Comme quent j’ay esté, j’estoye.
Maiz on te congnoît à tes faitz.
LE SECOND
Par ma foy ! je ne fuz jamaiz.
Maiz tu es toy, aussi craché
465 Comme qui t(e) auroit arraché
D’ung mur211. Tu es, et [si], seras :
Je te congnoys.
LE PREMIER
À quoy ?
LE SECOND
Au bras,
Au nez, au visaige et aux mains.
LE PREMIER
Dea ! tu es toy, ny plus ny moins212.
470 Maiz moy, c’est aultre personnaige.
LE SECOND
Je te congnoys bien au visaige.
Maiz moy, je ne me congnoys pas213.
LE PREMIER
Non faiz-je pas, moy.
.
FOLIE SCÈNE V
Parlez bas :
Avant que partez de mes mains,
475 Vous vous congnoistrez ancor(e) moins,
Car je vous ayme et je214 vous prise.
Quant vous verrez la nappe mise,
Entretenez-vous par falaces215 ;
Mais n’en parlez jusqu(es) après grâces216.
480 Et pour entretenir les folz,
Accordez-leur tous leurs propos217.
Et si vous faictes ne sçay quoy
De mal, dictes qu’estes à moy
Et que je le vous ay fait faire.
LE PREMIER
485 Madame, [l’on] vous vouldroit plaire :
Or, nous desclarez218 vostre nom,
Nous vous en prion.
FOLIE
J’ay renon
Entre toutes gens et partout.
Vous ne sçariez jamais le bout
490 De mon sens et ma renommée.
LE SECOND
Maiz commant estes-vous nommée ?
Nous avons, le temps de noz vies,
Voz ordonnances accomplies ;
Et si219, ne sçavons qui vous estes.
FOLIE
495 Vous vivez doncques comme bestes ?
J’ay tousjours avec vous esté :
[Aus]si, vous avez conquesté
Des biens, de l’onneur et du pris.
Ne me tenez point à despris220,
500 Car de221 plus grans souvent me prisent.
D’aultres [y a]222 qui me desprisent,
Maiz je ne m’en soucie point.
LE PREMIER
Plaise-vous ent[end]re ce point223,
Dame, et vostre nom déclarer.
LE SECOND
505 Volu vous avons repa[i]rer224
Et obéyr, comme sçavez,
Sans sçavoir vostre225 nom.
FOLIE
Lisez !
Folie monstre l’escripture.
Mon nom verrez, et ma science.
LE PREMIER
Nous ne sçaurions.
FOLIE
Oultrecuidance226,
510 Mon filz, l’a escript de sa main,
– Qui est bien notable escripvain –,
D’une227 des pleumes de folie.
LE SECOND
Et ! pour Dieu, vostre non !
FOLIE
Folie,
Puisque sçavoir [vous] le voullez.
LE PREMIER
515 Madame, vous vous rigollez
De nous ? Pour Dieu, ne vous desplaise !
LE SECOND
Nous sommes en si grand malaise
De sçavoir qui servy avons
Que riens plus sçavoir ne volons228.
520 J’en languys229.
LE PREMIER
Aussi fai-ge, moy.
FOLIE
Je suis Folie, par ma foy !
LE SECOND, admirando.230
Folie ?
LE PREMIER
Bien nous faictes paistre !
FOLIE
Folie suis et le veux estre.
Je le seray et [l’]ay esté231.
LE SECOND
525 Folie ?
LE PREMIER
Bénédicité !
LE SECOND
Vécy bien grand mélencolie232 !
Mais qui nous gouverna233 ?
FOLIE
Folie.
LE PREMIER
Nous le devons ainsi entendre.
LE SECOND
Je ne le sçauroye comprandre.
530 Nous avons heu tant de faveurs
Entre prélatz et grans seigneurs !
Mais dont vient ceste resverie ?
FOLIE
De moy.
LE PREMIER
Pourquoy ?
FOLIE
Je suis Folie.
LE PREMIER
Nous avons heu de grans offices ;
535 Et tous noz parens, béneffices.
De rien234, venu[s] en seigneurie,
Qui en fut cause235 ?
FOLIE
Qui ? Folie.
Car Folie vous entretaint ;
À tort, à droit, la main vous tint236
540 En parfaicte gaudisserie237.
LE SECOND
Quel en sera la fin ?
FOLIE
Folie.
LE PREMIER
Elle le dit, et le fault croire.
LE SECOND, a[d]mirando.
[Quoy !] Folie ?
LE PREMIER
Il est tout notoire238 :
Elle nous a ainssi menéz.
LE SECOND
545 Nous a Folie gouvernéz ?
FOLIE
Ouÿ dea ! Et par mon moyen
Avez, là où vous n’eussiez rien :
Car pas n’avez capacité
D’avoir, par sens239, auctorité.
550 Folie suis, n’y pancez plus.
LE PREMIER
Quel remède ?
LE SECOND
Il en est conclus240.
LE PREMIER
Dea ! il y a folie[s] maintes :
Folie[s] plaisantes et faintes241.
LE SECOND
Tout procède de la cervelle.
FOLIE
555 Je suis Folie naturelle,
Plaisant242 Folie lunatique,
Folie en folie autentique.
N’an ayez plus [tant] de mésaise,
Car plus grans (ne vous en desplaise)
560 Que vous ont eu, par mon service,
Et prélature et bénéfice,
Et mariage en grans maisons.
LE PREMIER
Elle dit de grandes raisons,
Mais je ne m’en puis contenter.
565 Car chascun se pourra vanter
– Et dira vray, je vous affie –
Que nous avons heu par Folie
Estatz, biens, honneurs et chevence.
Ce nous est une grand243 meschance ;
570 Je ne me puis point trop douloir244.
FOLIE ostera ce qu’elle aura sur la teste, et aura ung
bonnet où il y aura des oreilles et des cornes 245. Et dit :
Puisque vous voulez tant sçavoir
De moy, et don[t] je suis venue,
Regardez-moy. Je suis cornue ;
Et si, suis Foll[i]e cornarde,
575 Cornant, cavilleuse, coquarde246,
Coquillarde, coquillonn[é]e247,
Arrogante, désordonn[é]e,
Aux folz plaisant[e] et desplaisante,
Mordant248, malureuse, cuisante,
580 Mesdisant, de tous vices plaine,
Troubl[é]e249, faulce et inhumaine,
Trist[ress]e250, ingnorante, perverse,
Rude, cautelleuse, diverse,
Rigoureuse, rétrogradant251,
585 [De mes yeux desloyaulx dardant]
De[s] regars félon[s], sans accors252,
Mère et nourrisse de Discors,
Discordant en tous [les] passaige[s],
Passant253 partout plaine d’oubtraiges,
590 Oultraigeuse en toute maison,
Maisonnière254 contre raison,
Résonnaible en255 faiz détestables,
Détestant les chose[s] estables256,
[Estant de veulle voulenté]257,
595 Voulant avoir auctorité,
Auctorisant toutes frivolles,
Frivolant en toutes escolles,
Escollière de toute manterie,
Manterres[s]e par flacterie,
600 Flactant pour cuyder myeulx valloir,
[Vallant vostre]258 petit pouvoir,
[Pouvant anuler]259 contrediz,
Contredisant commun[s] esdiz,
Édiffiant par artiffice,
605 Artifficiant260 en mallice,
Et, pour toute conclusion,
Toute plaine d’abusion.
C’est ma261 commune renommée.
J’ay mainte maison gouvernée,
610 Et plusieurs folz hommes conduitz.
Et pour ce, se je vous ay duitz262
Selon la règle de ce temps,
N’en devez estre mal contens :
Car vous en serez, pour tous lotz,
615 En la fin, réputéz pour folz.
Et ayez de moy souvenance !
*
LE FOL 263 SCÈNE VI
Somme toute, de la plaisance
Qu’on advoit [à] ce compte264 prise,
En ce compris l’o[u]trecuidance
620 Et la glorieuse arrogance
Qui est dedans leurs teste[s]265 mise ;
Aus[s]i ce que chascun se prise
[Cinq cens]266 frans deux solz justement ;
En ostant les [sols instament]267,
625 [Et] au regard de la despance
Du conte268 bien examinée,
De regretz et de desplaisance
Par faulte de dame Finence,
Avec expérance finée269
630 En plaine audience affinée ;
Cinq cens frans, se bien le notez,
Quant les frans270 en seront ostéz,
Ainsi compté [et] rabatu,
Et veu mandemens et acquitz,
635 Et le compte bien débatu
Et en plain barreau271 conbatu,
Tellement qu’on ne sçaura pis,
Avaluéz tous lez respis272,
Autant les petiz que les gros :
640 Brief, il ne reste que deux solz273 !
.
EXPLICIT
*
.
Le manuscrit propose ensuite une Bergerie de 10 sixains pentasyllabiques, généralement qualifiée de « fort ordurière », si bien que nul n’avait encore osé la publier. Sous le titre Pour une bergerie, les vers 37-42 ont été inclus abusivement dans certains manuscrits des Dictz moraulx pour faire tapisserie, d’Henri Baude. Le plus curieux c’est qu’au XVIe siècle, pour compléter le présent manuscrit, on a fait suivre notre Bergerie par un quatrain proverbial illustré, à la manière des Dictz moraulx de Baude. Voici ce quatrain :
Quant jeune fuz, en médisant de toutes,
[D’aucun encore]274 esté priée n’avoye.
Vielle275 devins ; maiz ainsi que filloye,
Le feu se print, fillant, en mes estouppes276.
Cette bergerie, contrairement à d’autres277, n’est pas une œuvre dramatique. Les rubriques portent exclusivement « le Bergier » et « la Bergière » ; pour plus de clarté, je rends aux pastoureaux leur nom traditionnel, tel qu’il figure dans le texte. On remarquera que les pastourelles sont fringantes et pleines d’allant, mais que la réponse du berger à la bergère laisse à désirer. Bref, l’heure du berger n’est pas encore venue, ou elle est déjà passée ; ou alors, ces descendants de Corydon n’ont pas besoin des femmes…
.
BERGERIE
[THOMAS]
J’ay mes amourettes
Nouvellement faictes
En la garde-robe278.
GUILLEMECTE
S’elle[s] sont discrectes,
5 Tien-les si secrectes
Qu’on ne les desrobe.
THOMAS
Danceras-tu pas,
S’il advient le cas,
Au279 son [d’]instrument ?
GUILLEMECTE
10 Je ne sçay, Thomas :
On dit que tu as
Mauvèz « instrument280 ».
MARGOT
Monte sus281, Thibault :
Tu sçauras que vault
15 D’Amours le devitz282.
THIBAULT
Il fait trop grand chault,
Car monter si hault
Sans aide ne puis.
BIÉTRIX
Dançons à l’ombraige,
20 Dans ce verbocaige283,
Quelque bonne « dance ».
ROBIN
Biétrix, tu dis raige !
J’ay bien le couraige,
Nompas la puissance…
BIÉTRIX
25 De fin cueur courtoys,
M’amour284, en ce boys,
Te sera donnée.
ROBIN
Tu es, je congnois,
Large en285 tous [en]drois,
30 Et habandonnée286.
GUILLEMECTE
Allons sur l’arbète287
Avec ta « musète288 »,
Et déportons-nous289.
THOMAS
Le son, Guillemecte,
35 Où que je me mette290,
Ne m’est plus si doulx.
MARGOT
Tire dans ma mote291
Par-des[s]oubz ma cotte,
Se tu veulx rien prandre292.
THIBAULT
40 Margot, tu es sote !
Mon « arc » broye et frotte293,
Mais je [ne] puis tandre294.
ROBIN
Sur le tronc Biétrix295,
D’ung greffe bien pris
45 Je [veulx faire une]296 ante.
BIÉTRIX
Robin : tost repris
Sera[s], s’il [n’]est mys
Tout droit dans la fente !
MARGOT
Broye297 en mon « mortier » :
50 Bon est, et entier ;
Ne te veulles faindre298 !
THIBAULT
C’est pour moy terrier299
Si parfont et fier300
Que n’y puis atteindre301.
GUILLEMECTE
55 Quant on se marie,
C’est plaisante vie
Plaine de liesse.
THOMAS
Ce point je te nye,
Car c’est grand folie
60 De prandre maistresse.
*
1 Ms : gourrier (Deux déserteurs normands, vêtus d’un uniforme en loques, se rencontrent dans une rue de Paris. Cachée à proximité, Folie les observe.) Nous avons là un de ces triolets qui inaugurent tant de pièces comiques ; à l’instar de beaucoup de ses confrères, le scribe n’a pas copié les refrains : ABa[A]ab[AB]. Même chose aux vers 286-293. 2 Ms : Barstard (Voulant impressionner les passants, les militaires font croire qu’ils sont servis par un page, alors qu’ils n’en ont pas les moyens. « Telz sont gorriers et agensséz/ Qui n’ont de quoy nourrir leurs paiges. » Gautier et Martin.) 3 À partir d’ici, les noms des personnages sont presque toujours abrégés ; à la suite d’Émile Picot, je les écris en toutes lettres. 4 On peut voir là une menace de décapitation, mais aussi une menace de castration, puisque les « testes » désignent les testicules, du latin testes : « Ung homme a deux testes, et la femme n’en a qu’une. » Bruno Roy, Devinettes françaises du Moyen Âge. 5 Ils sont allés piller des paysans. C’est l’activité principale des soldats, éternels voleurs de poules. « Je m’en voye parmy ces villages/ Pour menger poulles et chappons. » Les Frans-archiers qui vont à Naples. 6 Le fromage fait aussi partie du butin des soudards : cf. Colin filz de Thévot, vers 43. 7 Les Gorriers veulent faire croire qu’ils ont des chevaux. Les fêtes qui privilégient les spectacles de Sots sont principalement – mais pas uniquement – la Fête des Fous (28 décembre), l’Épiphanie (6 janvier), et le Mardi gras. 8 Cachée, elle se livre à des commentaires que les Gorriers n’entendent pas. Elle porte une coiffe qui dissimule ses oreilles d’âne et ses cornes. 9 Ms : nont (Correction Picot.) 10 Guère, pas trop. Idem vers 304. 11 De mon bien. Idem vers 16. « Il emporte cinq solz du mien. » L’Aveugle et Saudret. 12 J’ai vendu mon bien. 13 Si bien que j’en suis réduit à mendier mon pain. 14 Un sou. « Que je n’ay pas ung blanc vaillant. » Maistre Mymin qui va à la guerre. 15 Le métier des armes ne rapporte rien. 16 Ms : me (Si ça ne fait pas mal, contrairement aux coups de piques.) 17 É. Picot signale dans ce vers une allusion à la ligue du Bien public qui, en 1465, fit la guerre au roi Louis XI. 18 Attaque. 19 Ma tête sans casque. 20 Ms : qui (En Normandie, caut = chaud, ardent. Cf. la Mère de ville, vers 45.) 21 Un soldat a de la valeur, quand il. 22 Ni ne commet jamais de faute. Cf. l’Aveugle et Saudret, vers 149. 23 Mon bien. Idem vers 568. 24 Au lieu de soutenir le roi (vers 74), j’aurais pu m’allier à ses ennemis bourguignons ou bretons. 25 J’ai traîné des héritiers au tribunal pour les déposséder. « L’on peut faire convenir le possesseur de la chose par-devant le juge du lieu ouquel est située la chose. » Jehan Imbert. 26 Les rançons qu’ils extorquent à leurs prisonniers. Cf. l’Aveugle et Saudret, vers 481-484. 27 Ms : poullaige (Les poules qu’ils volent en tant que soldats. « Courant ainsy sur la poulaille. » L’Avantureulx.) 28 De merdeux, de traîne-rapières. « Ne te conseille par merdaille,/ Qu’il ne valent rien en bataille. » ATILF. 29 Qui n’ont pas un sou, comme nous. 30 Écartés comme des gugusses. Cf. le Pardonneur, vers 92 et note. 31 S’ils ont beaucoup de deniers, ce sera un grand plaisir pour moi de les compter. 32 Si nous voulons nous remettre en état. 33 C’est là que les déserteurs viennent se fondre anonymement dans la foule. La pièce est normande, mais l’action se déroule à Paris, qu’on a dû symboliser en mettant sur la scène un objet typiquement parisien, ou un écriteau. Ce genre de délocalisation n’est pas rare : le Voyage de frère Fécisti en Provence fut composé à Genève, mais l’action se déroule à Paris puis à Salon-de-Provence. 34 Si on savait bien les chercher. La forme cercher est plutôt normande : « Cercher toutes sortes d’herbages. » La Muse normande. 35 Se promène. Pre- au lieu de pro- est surtout normand. Folie sort de sa cachette, et déambule comme une prostituée. 36 Ms : par (Elle est assez avantageuse derrière. Idem vers 180.) La forme « darrière », qui revient au vers 245, est notamment usitée en Normandie : cf. la Pippée, vers 869. 37 Elle a une démarche énergique. Au vers 258, c’est les Gorriers qui devront « marcher couraigeusement ». 38 À première vue. Remarcher = remarquer, observer : cf. la Satyre pour les habitans d’Auxerre, vers 99. 39 Dans ses lacs, ses filets. 40 Dans une autre sottie moralisée à peine plus tardive, Folle Bobance (BM 40), des gorriers deviennent les vassaux d’une semblable incarnation de la folie : « À vous viens, Bobance jolie,/ Pour vous servir et hault et bas. » 41 Ms : icy (À Paris. Les deux Normands ont un accent reconnaissable, comme les paysans des farces rouennaises.) 42 Dépourvus, ruinés. 43 Quelques drachmes d’argent. Idem vers 364. Cf. Marchebeau et Galop, vers 103. 44 Qu’il vous plaise. Idem vers 503. 45 Vers manquant. 46 Ms : avyesvous (« Av’ous » est la contraction normande de « avez-vous » : cf. la Veuve, vers 204.) Y connaissez-vous quelqu’un ? Les deux Normands reconnaissent Folie comme une compatriote à son accent, qu’elle imite peut-être pour les mettre en confiance : voir la note 48. 47 Je vais. 48 Les Normands prononçaient Franche. « En Franche & en tous autres lieux. » La Muse normande. 49 Les dissimulateurs, les hypocrites. « Dissimuleurs et mauvais ypocrites. » ATILF. 50 Sous de feintes paroles. 51 Ms : ne veullet (Corr. Picot.) 52 Dans les livres les plus fous. 53 Ms : de 54 Entre les cardinaux, les abbés et les évêques. 55 Dans les assemblées de dignitaires ecclésiastiques. 56 Les quatre Ordres mendiants : Augustins, Dominicains, Carmes et Franciscains. 57 Chez les hommes de loi. Cf. les Sotz fourréz de malice, vers 131. 58 Ms : me entretouble (Je m’introduis. « Il le te fault entrebouter/ Entre les fagoz et la paille. » ATILF.) 59 Ms : de 60 Ms : men (Vobis = vous. Mais « vos bis » désigne le sexe des femmes : voir la note 140 d’Ung jeune moyne.) Plus tard, on localisera l’hystérie féminine dans l’utérus (ὑστέρα), mais cette idée n’était pas inconnue au Moyen Âge. 61 Ms : se soubzmet 62 On prononçait « tio-lo-gie » en 3 syllabes : « Prebstre, licentié en Tiologie. » (Arch. de la cure de Braine-le-Comte.) Cf. les Sotz escornéz, vers 109. 63 Ms : des (La forge allumée de quatre maréchaux-ferrants.) 64 En ardeur de débattre. 65 Ms : veullet (Qui ne veuille me fréquenter.) 66 Ms : une (Pour priver un concurrent de ses appointements, de sa charge.) En 1465, arguant d’accusations plus folles les unes que les autres, Antoine de Chabannes avait évincé Charles de Melun (v. la note 191) : « Messire Charles de Meleun, qui avoit esté lieutenant pour le Roy (…), fut désappoincté de sa charge. » Jehan de Roye. 67 Ms : icelle (Itelle = telle. « Jehan du Houx est itel qu’il est. » Le Ramonneur de cheminées.) 68 Ms : donc (Dont = d’où. Idem vers 532 et 572. « Dont est-il ? » Le Capitaine Mal-en-point.) 69 La toute première folie fut commise par Ève ; selon l’auteur, qui est fort misogyne, Adam n’en fut que la victime (vers 138-139). 70 Ms : vc (6500 ans.) Je transcris également les chiffres romains des vers 623 et 631. 71 Ms : faiz (Les hommes, dans leur folie, voulurent atteindre le ciel en érigeant la tour de Babel.) 72 À la suite de folles calomnies, ce prophète fut jeté aux lions, qui d’ailleurs n’en voulurent pas. Les exemples suivants piochent dans la liste, ressassée par tous les théologiens du Moyen Âge, des femmes qui ont fait commettre une folie aux pauvres hommes. 73 Selon une légende médiévale, le poète obtint un rendez-vous d’une femme qui logeait dans une tour ; la traîtresse promit de le hisser jusqu’à elle dans une corbeille, mais elle le laissa pendu à mi-chemin. « Virgille, saige et entendu,/ Fut à la corbeille pendu. » (Guillaume Alécis.) « Qui est-ce qui pendit Virgille/ Au corbillon pour s’esbatre ? » Farce de quattre femmes (F 46). 74 Chevaucher des femmes : cf. Régnault qui se marie, vers 49. Le Premier livre des Rois reproche à Salomon d’avoir eu 700 femmes légitimes et 300 concubines, qui le détournèrent de son dieu. 75 Ms : et sa saizon (Dalila trahit Samson, qui lui avait révélé que sa force provenait de ses cheveux.) 76 Ptolémée. 77 Par. C’est Pâris qui enleva Hélène à son époux Ménélas. L’idée que la guerre de Troie était due à la folie d’une femme – et non à celle de son ravisseur – n’était pas nouvelle. 78 Lucrèce, violée par le fils du roi Tarquin, se donna la mort : c’est donc elle qui était folle, et non son violeur. 79 Ms : pourement aux (Se procurer. « Et luy pourchassay/ Moy-mesmes, tout seul, son office. » Mallepaye et Bâillevant.) Les détenteurs de bénéfices les ont vendus pour pouvoir acheter des offices plus lucratifs. Sur le scandale ininterrompu que constituait la vente de bénéfices et d’offices ecclésiastiques à des incapables, voir les Esbahis (vers 191-194), et les Sotz ecclésiasticques qui jouent leurs bénéfices au content. 80 Ms : le tiennet assaigesse (Sont encore sages pour le moment.) 81 Pour l’Église, la danse est immorale. En outre, « danser » s’emploie pour copuler : « Voyant le prebtre et la dame ainsi dancer du cul. » (Ph. de Vigneulles.) Voir le vers 19 de la Bergerie que je publie sous la farce. 82 Dépenser. 83 Au ; pendant le. « Ou temps que on portoit les hucques. » Maistre Doribus. 84 Ms : me rannoys (Je m’épanouis.) 85 Qui sont blessés par moi : qui sont atteints de folie. 86 Quel est votre nom ? 87 Outrecuidance, le fils de Folie (vers 509), a écrit ce nom en grosses lettres sur la vaste manche de sa mère. Cette indication est destinée au public, car les deux reîtres ne savent pas lire. 88 Suffisance. Chaque protagoniste va chanter un rondeau en rimes fratrisées qui, selon la loi du genre, sacrifie le sens à la forme. Plusieurs chansons commencent par « Fleur de beaulté », mais aucune d’entre elles ne convient ici. N’importe quelle musique composée pour un rondeau équivalent pouvait coller à ces trois rondeaux. 89 Plaisir. 90 Mon plaisir croît. 91 Crainte. 92 Me fiant à vous. 93 Je commette une offense. 94 Ms : Offensser (Dolentes = douloureuses.) 95 Ms : Sentez por (Sentez mon cœur.) Le Gorrier pose la main de Folie contre son cœur, selon la gestuelle courtoise. 96 Mots manquants. Les clausules d’un rondeau reprennent les premières syllabes du poème ; par convention, les copistes et les éditeurs les abrègent parfois. 97 Éclatant. 98 Reconnaissez. Le Gorrier pose contre son cœur l’autre main de Folie. 99 Ms : pre cogite (La rime est en -ique.) Pronostiquer = prophétiser. Réalisez ce que je prophétise. 100 Ms : precogites (La Pythie de Delphes était plongée dans une ferveur prophétique voisinant avec la folie.) 101 Vers manquant. Je me permets d’ajouter deux nouveaux poncifs courtois à tous ceux qui précèdent. 102 Brûlez. 103 Là encore, plusieurs chansons commencent de la sorte, mais celle-ci n’est pas connue. 104 Ms : aymez (Accolez, épousez. « Il me fauldroit coller/ Avec ma femme ? » Les Cris de Paris.) Bruit = notoriété. 105 Frimez. Cf. Gautier et Martin, vers 155. « [Ils] fringuent, bruyent partout,/ Et tousjours bien vestus surtout/ (M’enten-tu, fol ?) à la grant gorre. » Éloy d’Amerval. 106 Abattre ma volonté. 107 Ms : vault (Duire = plaire.) 108 Sans vous contraindre. 109 Calculer (normandisme). Cf. l’Homme à mes pois, vers 164. 110 Je me satisfais. 111 Sous les hautes fonctions. Idem vers 334, 413, 568. 112 Ms : la goriere (« À veoir leur contenance,/ Leur gorrerie et fringuerie. » Éloy d’Amerval.) 113 Personnification de la mode. Cf. le Cousturier et Ésopet, vers 16. 114 Vers manquant. Les dimanchereaux sont des garçons endimanchés : « Ces grans chappeaulx/ Que portent ces dimenchereaulx. » Les Sotz qui corrigent le Magnificat. 115 À la friperie, où les gorriers ruinés revendent leurs frusques. « Les frappiers ne venderont ne ne feront nulz gaiges de drap neuf ; fors seullement d’ouvrage vieil de fraperie. » (Ordonnances des roys de France.) Il y a peut-être un jeu de mots : Que j’ai pris à leurs propriétaires en les frappant. Les gorriers de Folle Bobance (v. la note 40) sont eux aussi rhabillés au goût du jour par leur folle conseillère. 116 Ils se dépouillent de leur uniforme. Faute de place, cette didascalie fut ajoutée en haut de la colonne, au-dessus du vers 230. Depuis, le couteau du relieur l’a un peu rabotée. 117 Ms : ung (Les manches sont si larges qu’elles traînent par terre.) « L’un estoit fort et gorrier à merveilles…./ De ses manches n’ay point veu les pareilles,/ Et ne say homme qui si larges les porte. » François Robertet. 118 Quelles grandes manches. Les gorriers de Folle Bobance sont affublés de « pourpoins à grans manches ». 119 Il y a de quoi devenir fou. 120 Ms : portant (Maints galants les portent.) 121 La mode. Idem vers 232. « Leur habit n’est pas convenant :/ C’est la façon de maintenant. » Les Enfans de Maintenant, BM 51. 122 Notre cou dénudé. Pour que les galants puissent exhiber leurs chaînes d’or (vers 301), les collets devinrent si bas qu’ils en étaient presque inexistants : « Chaînes d’or, colliers d’abondance/ Pour porter sur ces bas colletz. » (Folle Bobance.) Cf. l’Arbalestre, vers 224-225. 123 Le ms. descend ce vers sous le vers 251. Je rétablis le schéma des rimes (-os -aux -os -aux), le vers suivant, qui est perdu, et l’alternance presque immuable entre le 1er Gorrier et le 2e. 124 Manteaux courts. « Un paletot de drap noir doublé. » ATILF. 125 Ms : en monceaulx 126 Il manque une épithète pour qualifier ces coiffures fantasques. Déchiqueté = orné de franges. Tous les gorriers portent « le chappeau pendant d’ung costé,/ Aucuneffois deschiqueté ». (Éloy d’Amerval.) Un relieur tardif a partiellement caché les didascalies notées dans la marge gauche. Dominique-Martin Méon copia ce manuscrit au début du XIXe siècle, avant l’intervention du relieur ; c’est donc d’après sa copie que je complète les manques. 127 Ms : Chausser (Galer = mener la joyeuse vie des galants.) 128 Les souliers carrés étaient si larges que les moqueurs les appelaient « souliers à dormir debout ». Pierre Gringore trouvera d’autres comparaisons : « Lors vindrent des gorriers nouveaulx/ Qui portèrent panthoufles larges/ En façon de bataulx ou barges,/ Ou de pate de droumadaire. » 129 Ils m’empêcheront de marcher. 130 Il faut vivre avec son temps. 131 Cette anticipation du refrain de 286 nuit au schéma des rimes. 132 Pour ce qui est. 133 Double sens grivois : ces moines particulièrement lubriques avaient la réputation de posséder un grand manche. « –Et se je treuve ung sermonneur,/ Voullez-vous point que je m’en charge ?/ –Nenny non ! Leur menche est si large/ Qu’on en seroit tout empesché. » Le Capitaine Mal-en-point. 134 Ce bonnet de travers était vu comme le summum du ridicule. Guillaume Coquillart, grand pourfendeur des modes stupides, épinglera « le bonnet dessus l’œil tiré » et le « bonnet renversé de guingant [de guingois] ». 135 Cherchez à vous singulariser. 136 Les flatteurs sont aussi fous que ceux qui se laissent flatter. Voir les vers 410 et 599-600. 137 Ms : commandemans (Mes édits, mes ordres. Même formule à 603.) 138 Éconduits : aucun de vos ordres ne sera récusé. 139 Sont avec vous en pensée. 140 Ms : gouuerneront (Que nous nous gouvernions, que nous agissions.) 141 Ces deux mots se prononcent exactement comme « pluc assez » : beaucoup d’argent. « Les galans qui n’ont point de pluc. » Le Dorellot. 142 Vendez ce dont vous avez hérité. 143 Leur pension militaire ne s’élève à rien s’ils ont déserté ou démissionné, et représente peu de chose s’ils touchent une morte-paie. 144 Euphémisme pour : Nous n’avons rien. 145 Pour avoir une bonne monture. Voir le vers 176 de Mallepaye et Bâillevant, dont les protagonistes sont eux-mêmes des gorriers sans le sou. 146 C’est l’accessoire bling-bling que tout gorrier se doit d’étaler, comme Mallepaye et Bâillevant (vers 127), ou les trois poseurs de Folle Bobance. 147 Nous feront défaut. 148 Faire ressemeler. 149 Ms : tout (Corr. Picot.) 150 Vous assailliront. 151 Qu’on veuille nous faire crédit. « –Ce sont six escus ? –M’aist Dieu, voire./ –Or sire, les voulez-vous croire ? » (Farce de Pathelin.) Les Normands prononçaient craire : « De craire qu’une noble aymit un chavetier [savetier]. » La Muse normande. 152 Provocant. 153 Ms : Au (Où prendrons-nous l’argent ? Même expression à 294.) 154 Délai de 5 ans qu’on accorde à un débiteur. Cf. Lucas Sergent, vers 105. 155 Nous ne devons pas agir autrement. 156 Votre reconnaissance de dette. (Lat. debet = il doit.) Cf. le Gentil homme et son Page, vers 25. 157 Après leurs cris. C’est un infinitif substantivé : « Ton crier et ton braire. » ATILF. 158 Avec des attrape-nigauds. 159 Ms : renommee 160 Maints hommes. 161 Sans rien y connaître. 162 Ms : aux (Totalement mis au-dessous.) 163 Vers manquant. Je le reconstitue d’après les vers 341 et 379. 164 « Il a des bourdes en payement. » Le Povre Jouhan. 165 Ms : guille (De quelle manière.) 166 Ms : cherche (Dans les charges, dans les fonctions officielles. « Qui vo[u]z a mis en ste cherge onorée ? » La Muse normande.) 167 Nous pourrons gouverner. 168 Amour ne fait rien sans argent : telle est la devise des femmes qui refusent les deux pauvres militaires de Marchebeau et Galop. 169 Ms : contraindre (Avec des mandements exécutoires.) 170 Quand ils ont embrouillé une cause 171 Ils ont appris à prendre des drachmes. Voir le vers 76. 172 Ms : rouges il sont (Le plus malin. « Les plus rouges y sont pris. » Les Coppieurs et Lardeurs.) 173 Ms : prester 174 Les rhabiller, les démasquer. 175 Ms : rabillant (En cafardant, en les dénonçant.) 176 Repu, rassasié. 177 Faire des efforts. 178 Que le peu d’argent que je vous vois posséder. 179 Sans se laisser détourner. 180 Tant vous êtes proches de la folie. Mais la nature est également le sexe de la femme : « Tâtant cuisses, genoulx, mamelles/ Pour leur faire esmouvoir nature. » (Folle Bobance.) Les deux enfants (vers 379) pourraient donc retourner dans le ventre de leur mère, Folie. Mère Folie est la génitrice de huit Sots, dans la Première Moralité. 181 Travaille. 182 Avares. « Chiches et eschars. » ATILF. 183 Lesquels (normandisme). Que j’ai reçus. 184 Ms : deceux (Bien échu = chanceux. « Mon sort m’est très bien escheu. » Calvin.) 185 J’ai encore une chose à vous dire. 186 Ne rien tenir de ses promesses. 187 Ms : rient (Être hypocrite. Cf. les Sotz fourréz de malice, vers 214.) 188 Où il n’aura rien à payer. On scande « là wil » en 2 syllabes : cf. Troys Gallans et Phlipot, vers 244. 189 Ms : veult vivre (Ce rentrement est la racine du vers 401.) 190 Le bien d’autrui. « As-tu rien de l’autruy ? » La Confession Rifflart. 191 Le nobliau normand Charles de Melun (v. la note 66) parvint à devenir un proche de Louis XI, ce qui ne l’empêcha pas d’être décapité en 1468. La pièce fut donc composée peu après, ce que confirment la mode vestimentaire qu’elle fustige, les poèmes à forme fixe dont elle s’encombre, et les rimes fratrisées, propres aux Grands Rhétoriqueurs qu’évoque le vers 201. 192 De l’habileté. Cf. Jénin filz de rien, vers 275. 193 Ils se promènent comme s’ils faisaient un défilé de haute couture. Folie les observe de loin, et entonne un rondeau en octosyllabes, qui ne peut donc pas être chanté sur le même air que les rondeaux décasyllabiques que nous avons vus. 194 Perruque faite avec des crins de cheval. Le sommet de la satire antigorrière est sans doute le Monologue des Perrucques, de Guillaume Coquillart : « De la queue d’un cheval painte,/ Quant leurs cheveulx sont trop petiz,/ Ilz ont une perrucque faincte. » 195 Ms : mes (Une bonne sornette est une bonne blague. Cf. le Testament Pathelin, vers 3.) 196 C’est une bonne rente pour les couturiers. 197 Ms : retraire (Les clochards finissaient à l’hospice. Cf. Gautier et Martin, vers 322.) 198 Grands spécialistes pour emprunter. 199 Mauvais payeurs. Un coutumier est astreint à la redevance de la coutume. 200 Ms : expres (Experts pour faire une emplette, pour acheter à crédit.) 201 Dans une boutique bien garnie. 202 De toutes les sortes de marchandises. Littéralement, il s’agit des 17 professions qui devaient assurer le guet nocturne, à Paris. 203 ACTE II. Nous sommes quelques années plus tard. Les Gorriers ont réussi dans la vie, parce qu’ils ont eu affaire à de plus fous qu’eux. Mais ils ont perdu leur accent normand et leur identité. Ce dialogue rappelle la tirade finale de Jénin filz de rien qui, lui-même, ne sait plus qui il est. 204 Les Gorriers se scrutent dans un miroir, une des armes de la folie. La farce des Queues troussées offre une scène assez proche, où deux hommes ne se reconnaissent plus dans le miroir. 205 Ms : acqui 206 Ms : a que 207 Ms : nom 208 Je ne suis pas moi. « Mon » est une particule de renforcement : « –C’est luy, sans autre. –Se suys mon. » La Résurrection de Jénin Landore. 209 Tu auras tort. 210 Je reconnais, je constate. 211 La Farce de Pathelin dit exactement : « Qui vous aroit crachié/ Tous deux encontre la paroy,/ D’une manière et d’ung arroy/ Si seriez-vous, sans différence. » 212 Les Normands prononçaient main. Idem vers 475. Cf. Pates-ouaintes, vers 45, 167 et 319. 213 Ms : point 214 Ms : plus 215 Nourrissez-vous par tromperie : faites croire que vous êtes invités. 216 N’en dites rien avant la fin du repas : c’est à ce moment qu’on récitait la prière des grâces. Cf. le Résolu, vers 224. 217 Soyez d’accord avec tout ce qu’ils disent. Les Sobres Sotz parlent de ces fous qui ne supportent pas d’être contredits (vers 305-314). 218 Ms : desclarer (Dites-nous.) 219 Et pourtant. 220 Ne me sous-estimez pas. 221 Ms : des (Des gens plus importants que vous.) 222 Ms : ausi (Il y en a d’autres.) L’auteur parle évidemment de lui. 223 Veuillez entendre notre question. Cf. les Sotz escornéz, vers 398. 224 Nous avons voulu vous fréquenter assidûment. « (Elle) a repairé un compaignon que elle congnoissoit bien de veue. » ATILF. 225 Ms : bien (Corr. Picot.) 226 Arrogance. Il est, avec Discord (vers 587), un des fils de Folie. On s’étonne que notre auteur misogyne n’ait pas fait d’Outrecuidance une femme, comme c’est le cas dans le Triumphe de Haulte Folie. 227 Ms : Dunes (Peut-être une des plumes que Plaisant Follie arrache aux fous dans la Pippée. Voir le vers 556.) 228 Nous ne voulons. 229 J’en suis abattu. 230 En s’étonnant. Idem vers 543. On rencontre cette indication scénique dans le Pèlerinage de Saincte-Caquette : « La Femme, admirando. » 231 Les mots qui servent à Folie pour revendiquer son identité sont exactement ceux qui ont servi aux Gorriers pour douter de la leur (vers 459-461). 232 Ms : melencorie (La graphie en -rie est très rare, et de toute façon, la rime est en -lie.) 233 Ms : gouuernera 234 Partis de rien, nous sommes… 235 Ms : causez 236 Ms : print 237 Fumisterie. 238 C’est évident. Cf. les Coppieurs et Lardeurs, vers 409. 239 En utilisant votre peu de bon sens. 240 L’affaire est conclue. « –Ne feray ? –Il en est conclus. » Le Ribault marié. 241 Feintes. Allusion aux Sots de théâtre, qui jouent les fous. 242 Ms : plaisante (« Je viens de voir Plaisant Follie,/ Où plusieurs foulz ont esté pris. » La Pippée.) 243 Ms : grande (Un grand malheur.) 244 Je ne peux assez me lamenter. 245 En plus des oreilles d’âne, certains Sots portent des cornes : Folle Bobance, l’alter ego de Folie, est traitée de « diablesse cornue ». « Sotz glorieux et Sotz cornuz. » (Monologue des Nouveaulx Sotz.) « Sots rabis, cornus com limaces. » (Les Sotz triumphans.) « Mes Sotz, estes-vous descornéz ? » (Les Sotz escornéz.) 246 Trompeuse, sotte. 247 Niaise, coiffée d’un « sac à coquillons ». L’auteur produit un effet de caquetage (féminin, bien sûr) en alignant six épithètes qui accumulent le son « k ». 248 Ms : mordente (« Malureux » est la forme normande de malheureux. « Sots malureulx. » Les Sobres Sotz.) 249 Perturbée. « Troublée je suis et hors d’entendement. » Les Sotz fourréz de malice. 250 Traîtresse (normandisme). Cf. les Chambèrières et Débat, vers 310. « Elle est plus tristresse que Ganes [Ganelon]. » Le Pont aux asgnes, BM 25. 251 Reculant comme les ânes. Le vers suivant est perdu. 252 Ms : actors (Sans cohérence. « Je dy puis l’un, puis l’autre, sans accort. » Charles d’Orléans.) 253 Ms : passent 254 Ms : menagier (Casanière. Ronsard décrit une quenouille « maisonnière,/ Longue, palladienne, enflue, chansonnière ».) Depuis le vers 588, les « queues annuées » sont de retour ; je reconstitue celles qui figuraient au début des vers 594 et 602. 255 Ms : par (Corr. Picot.) 256 Durables. 257 Ms : usant de seulle volunte (Le fatiste reproche aux femmes de n’avoir aucune volonté. « Femmes vaines et veules. » ATILF.) Avec sa mauvaise foi coutumière, il leur reproche tout de suite après d’être têtues. 258 Ms : vaillant autre 259 Ms : puissant anul ne (Capable de faire annuler les réponses contradictoires de la partie adverse.) 260 Ms : artiffience (Corr. Picot.) 261 Ms : la 262 Instruits. 263 La pièce est terminée. Au lieu de la chanson finale, quelqu’un a plaqué ici une plaidoirie de Fol, genre très apprécié jusque dans les tribunaux (voir la note 113 des Veaux). J’ignore où on a pris cette fatrasie juridico-financière. Elle est écrite en huitains (une strophe qu’on ne trouve pas dans la sottie), et elle tient en une seule phrase, ce qui ne la rend pas plus claire. 264 En écoutant ce conte. Calembour : il va être question d’un compte. 265 Dans la tête des plaignants. 266 Voir la note 70. Chacun pense valoir 500 francs et 2 sous. 267 Ms : sens instement (En retirant les 2 sous tout de suite.) 268 Du compte. 269 Avec leur espoir déçu. 270 Ms : vint (Quand les 500 francs seront ôtés, il ne restera que les 2 sous.) 271 Ms : bure au (En plein tribunal. « Les advocats entreront en leurs barreaux. » Godefroy.) 272 Ms : despis (Tous les délais de paiement étant évalués, pris en compte.) 273 Jeu de mots sur « 2 sous » et « 2 sots » : -ol rime en -o, comme à 480 ou à 615. 274 Ms : Lors quencores 275 Vieille je. 276 Avoir le feu aux étoupes = avoir le feu aux fesses. « Combien qu’il la traitast bien d’habillements (…), cela n’estoit que mettre le feu auprès des estouppes. » Les Délices de Verboquet. 277 Voir la Bergerie de Mieulx-que-devant, BM 57. 278 Dans les toilettes. Par euphémisme, on dit « la garderobbe pour le privé ». (Antoine Oudin.) « Tout esbraillé & destaché, comme s’il venoit de la garderobbe. » Montaigne. 279 Ms : Le 280 Un mauvais pénis, mal érigé. Cf. la Fille bastelierre, vers 198. 281 Monte sur moi. 282 Le discours amoureux. Cf. la Récréation et devis d’Amours. 283 Vert bocage. « Leurs tons et doulz chantz retentissent ès verbocages. » Guérin de Montglave. 284 Mon amour. Ce mot était souvent féminin ; son pluriel l’est encore. 285 Ms : et (« Vous n’estes que trop large,/ Ma maistresse, chascun le dit./ Je n’y metz point de contredit :/ Trop vous ay veue habandonnée. » Raoullet Ployart.) 286 Dévergondée. Cf. le Povre Jouhan, vers 109. 287 Sur l’herbette. « Je trouvai le mien amy/ Qui me coucha sur l’herbette. » La Povre garce. 288 Ta cornemuse : ta verge. 289 Mettons-nous à l’écart des autres. 290 Que je me mette devant ou derrière. 291 Dans mon mont de Vénus. Cf. le Povre Jouhan, vers 316. 292 Si tu veux prendre quelque chose. Voilà une scène de chasse au connin que ne renierait pas le Faulconnier de ville : « Avez-vous rien prins ? » 293 Je pétris et je masturbe mon pénis pour l’ériger. « Bien que mon arc bande à cause de vous. » Cabinet satyrique. 294 Bander. « Tendre l’engin. » (Jehan Molinet.) La version attribuée à Henri Baude <ms. fr. 1716> porte ici : Mais ne le puis tendre 295 De Béatrice. 296 Ms : veult faire ung (Je veux greffer ma « bouture » sur son tronc.) « Je suis si aise quand je cous,/ Si pour un C je mets un F,/ Qu’il m’est advis à tous les coups/ Que j’ente une mignonne greffe. » Béroalde de Verville. 297 Pile avec ton pilon viril. « Tousjours veult mortier qu’on besongne/ Et broye…. Tel broier ressongne [je redoute]/ Par défaut de bon vit avoir. » Eustache Deschamps. 298 Ne fais pas semblant. « Je ne faulz jamais à accoller ma mesnagère deux coups pour le moins, & croyez que je ne me y fains point. » Les Joyeuses adventures. 299 Ms : me ferrer (Un vagin. Cf. le Faulconnier de ville, vers 8 et note.) 300 Si profond et sauvage. 301 Ms : entendre