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LA VEUVE
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On a vu dans cette comédie normande une de ces « farces de noces » qui agrémentaient les banquets de fiançailles ou de mariage (voir la notice de la Présentation des joyaux). Je n’y crois pas beaucoup : les quatre personnages et l’espace scénique requis par cette œuvre ne conviennent pas à ce genre d’« entremets ». De plus, l’argument n’est pas assez général pour une noce ordinaire, et la conclusion est trop sociale, voire politique, pour plaire à tous les convives. Les mêmes restrictions sont applicables à Poncette et l’Amoureux transy, et au Nouveau marié. Quant à l’Ordre de Mariage et de Prebstrise (F 31), où quatre personnages nous assènent 458 vers, il ne prouve rien : la mention « Farce nouvelle trèshonneste et joyeuse pour jo[u]er à toutes nopces » est un argument de vente mis en avant par l’éditeur.
Les filles qu’on mariait vers l’âge de 15 ans à des hommes de 40 se retrouvaient veuves très jeunes. Pour peu qu’elles récupèrent leur dot ou que l’héritage du défunt soit confortable, elles pouvaient se remarier en choisissant elles-mêmes leur nouvel époux. L’opinion publique ne se manifestait (sous forme de charivari) que si la veuve était beaucoup plus âgée que son futur, ce qui n’est pas le cas de la nôtre. Mais les veuves qui épousaient leur valet observaient une discrétion de bon aloi, et n’auraient sûrement pas commandité une farce pour immortaliser leurs faits d’armes. Le prêtre rouennais Guillaume Haudent leur consacra l’un de ses apologues, D’une Veufve & de son asne verd :
Certaine veufve, appétant jours et nuictz
Sentir encor les plaisirs et déduictz
Du jeu d’aymer (dont n’estoyt assouvie),
Désiroit fort et avoit grand envie
D’abandonner son estat de vefvage
Et, derechef, prendre aulcun personnage
Qui fût ouvrier pour la bien labourer,
Et pour son baz fermement rembourer.
Mais el n’osoit, pour le blason des gentz,
Lesquelz sont promptz et aussi diligentz
À mal parler et mesdire des femmes,
Les réputant meschantes et infâmes
Si leur advient qu’elles se remarient,
Pour tant qu’en dictz et parolles varient.
Ce qu’entendant, une sienne commère
– Laquelle eust bien, par eage, esté sa mère –
Luy vint à dire et à persuader
Qu’à bien grand peine el pourroit évader
Qu’on n’en parlast pour le commencement,
Mais qu’en aprèz, le bruit, tout doulcement,
S’appaiseroit. <La commère incite la veuve à peindre en vert son âne blanc ; le peuple en fait des gorges chaudes, puis s’habitue, et finit par se taire.>
Par quoy, sans plus le blason ne le dict
Des gens doubter, a voulu se remettre
En mariage, affin qu’elle peust estre
À son plaisir, et qu’à chascune foys
Qu’elle vouldroict, on fourbist son harnoys.
La pièce ne comportant pas de titre, chaque éditeur y est allé du sien. Depuis l’édition d’Emmanuel Philipot1, on s’en tient presque toujours à la Veuve.
Source : Manuscrit La Vallière, nº 55. L’encre est excessivement pâle ; c’est un problème de plus pour ce manuscrit qui les accumule.
Structure : Rimes plates, avec 5 triolets.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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Farce joyeuse
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À quatre personnaiges, c’est asçavoir :
ROBINET, Badin 2
LA FEMME VEFVE
LA COMMÈRE
et L’ONCLE MICHAULT, oncle de Robinet
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ROBINET commence 3 SCÈNE I
C’est un honneste sacrement4,
O[u] mauldict soyt-il qui en ment5 !
À mon avys, sy je l’estoys6…
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LA FEMME VEFVE entre SCÈNE II
Robinet ! Par ta foy, sy tu me hétoys7,
5 Me vouldroys-tu ?
ROBINET
Vouloir, vouloir. Vertu sainct Gris8 !
Que vous tinsai-ge de mes gris9,
Acollée dens un beau lict !
LA FEMME VEFVE
Feroys-tu branler le câlict10 ?
ROBINET
Ouy bien, car je le pousseroys
10 Sy fort que le desfonceroys,
Ma mestresse, par la chair dienne11 !
LA FEMME VEFVE
Y fault donc que ton oncle12 vienne,
Et ma commère d’icy près.
Et puys on voy(e)ron13 par après
15 Sy feron quelque assemblement
De no[u]s deulx.
ROBINET
Ouy, certainnement, je le veulx,
Ou je meure de mort amère !
Et puys y fauldra que ma mère
Aporte, à ce soyr14, de la tarte.
LA FEMME VEFVE
20 C’est bien dict. Je payeray carte15
Du meilleur que faire se peult.
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ROBINET 16 SCÈNE III
Qui rien ne sume17, rien ne c[u]eult18.
Çà, çà, g’éray19 les gans a[ulx] mains
Pour semondre20 tous les humains.
25 Subitement me fault courir.
Par Dieu, j’aymeroys mieulx mourir21 !
Le prestre nous espousera22.
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LA COMMÈRE entre 23 SCÈNE IV
Et puys, qu’esse qu’il y a[ura],
Robinet ? Le séroys-tu24 dire ?
ROBINET
30 Venez tost, tout se parfera25.
LA COMMÈRE
Et puys, qu’esse qu’il y aura ?
ROBINET
A ! je l’éray ou el m’éra26.
Je la27 prens au bon ou au pire.
LA COMMÈRE
Et puys, qu’esse qu’il y aura,
35 Robinet ? Le séroys-tu dire ?
Sy tu devoys enrager d’ire28,
Sy sérai-ge pourquoy tu viens !
ROBINET
Je n’éray soufrète29 de riens,
Jamais, car je seray un homme30.
40 De venir souldain je vous somme
À ma mêtresse, qui vous mande.
LA COMMÈRE
Et pour quoy [dea] ?
ROBINET
La chose31 est grande.
Venez vitement, hastez-vous !32
LA COMMÈRE
Sçays-tu qu’il est33 ? Alon tout doulx,
45 Car les chemins sont coustéables34.
ROBINET
Et ! venez, de par le[s] grand[s] deables,
Que je n’ay[e]s blasme ou vitupère !35
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LA COMMÈRE SCÈNE V
Honneur ! honneur !
LA FEMME [VEFVE]
Dieu vous gard, ma commère !
Vous soyez la très bien venue !
LA COMMÈRE
50 Comme vous va ?
LA FEMME [VEFVE]
Bien je prospère.
LA COMMÈRE
Honneur !
LA FEMME [VEFVE]
Dieu vous gard, ma commère !
LA COMMÈRE
Vous passez temps36 ?
LA FEMME [VEFVE]
Se mydieulx37, voyre !
LA COMMÈRE
En bon poinct38 estes devenue.
Honneur !
LA FEMME [VEFVE]
Dieu vous gard, ma commère !
55 Vous soyez la trèsbien venue !
ROBINET
Et ! dictes [vostre bienvenue]39
Et vous despeschez ! Qu’on se haste,
Car j’ey peur que le rost se40 gaste,
Qui sera mengé à la feste.
LA COMMÈRE
60 Mais de quoy se ront-il la teste ?
Dictes, y m’a faict tant de presse
En me disant : « C’est ma mêtresse
Qui s’est à vous recommandée. »
LA FEMME [VEFVE]
Sachez que je vous ay mandée
65 Comme ma commère et ma mye
À qui, du tout41, je me confye,
Pour42 me conseiller et aprendre
Se je doys espouser ou prendre
Mon sot valet à mariage.
LA COMMÈRE
70 Je vous diray, sur ce passage,
Ma commère, et en peu de plet43 :
S’il est honneste et il vous plêt
– Mais qu’il ne soyt fol ne volage,
Estourdy, de léger courage –
75 Et posé le cas qu’i n’a rien,
Pourveu qu’i soyt de gens de bien,
Sur ma foy, vous le debvez faire.
ROBINET
Je subviendray à son afaire44,
Car je suys bien envytaillé45.
LA COMMÈRE
80 Par Dieu ! Robinet est taillé
De vous faire un très grand service…
LA FEMME [VEFVE]
Tandy[s] qu’il est simple [et] novice,
J’auray tousjours de luy maistrise46.
Et sy, feray myeulx à ma guise
85 Aveq luy qu’avec un riche homme :
Car on n’ose dormyr grand somme,
Aveq un qui a tant de quoy47.
ROBINET
Ma foy, je me téray tout quoy48
Quant vous viendrez des grans banquès,
90 De menger les bons saupiquès49,
Des gésines50, d’aveq des51 maistres,
Mais que ne hantez52 poinct ces prestres
Qu[’on] nous dict estre billoqués53,
Et un tas d’Espaignos toqués54
95 Qui font tant des esperlucas55.
LA FEMME [VEFVE]
À vostre avys, esse mon cas ?
LA COMMÈRE
Ma commère, on en parlera56 ;
Pensez que l’un l’aultre dira :
« O ! elle a espousé son varlet,
100 Ce [grand] bémy57, ce sotelet,
[Ce conardeau]58, cest escollier.
El [l’]a trouvé franc du collier59. »
ROBINET
Aussy suis-je bien60, sur mon âme !
Je tire, je hale [sans blasme]61
105 D’un voirre62 droict comme une ligne63.
LA FEMME [VEFVE]
On dict qu’il est de bonne ligne64,
Et de gens de bien.
LA COMMÈRE
Et ! tant myeulx.
Robinet me semble bon fieulx65.
Vous [le] congnoissez de pièçà66 ?
LA FEMME [VEFVE]
110 Troys moy[s] y a qu’i commença
À me servir, et est loyal.
ROBINET
Par sainct Jehan, voyre ! et virginal :
Et sy j’ey encor mon pucelage ;
Synon unne foys, au village,
115 Au parmy d’une chanevyère67,
Aveq[ues] unne chambèryère…
Mais je ne sçay que je luy fis.
LA COMMÈRE
Robinet me semble bon fis68,
Bien servïable et bien honneste.
LA FEMME [VEFVE]
120 Je crains qu’il ne change de teste69
Quant y viendra à se congnoistre70 ;
Qu’i ne veuille faire du maistre,
Mes71 biens diciper et menger.
LA COMMÈRE
Par sainct Jehan, voylà le danger !
125 Assez voyt-on de telz novices
Qui, en servant, font beaulx ofices ;
Mais quant y viennent à puissance,
Y veulent fayre à leur plaisance.
Et sy on leur dict un seul mot,
130 Y gectent la pinte et le pot
À la teste72.
LA FEMME [VEFVE]
Il est vérité :
Quant y sont en auctorité,
Y viennent félons et mauvais.
ROBINET
[Moy,] je rateray les navès73.
135 Et sy, feray bien la lessive.
Je berseray Tiennot, Olive74.
Au soir, le feu je couvryray ;
Au matin, j[e l’]alumeray.
Et sy, porteray vos chandelles75
140 Aulx églises et aulx chapelles.
Et sy, de peur que n’ayez mal,
Je tiendray vostre oficial76
Quant vous lâcherez vostre urine.
LA COMMÈRE
Il semble, à veoir à sa courine77,
145 Qu’i vous fera grand loy[a]ulté.
LA FEMME [VEFVE]
S’y me faisoyt desloyaulté,
Comme ceulx qui vont à ces mons
Jecter fumelles contre-mont78,
Je luy aracheroys les… yeulx !
ROBINET
150 A ! nennin, nennin, semydieulx !
Je ne toucheray aulx fumelles :
Combien qu’i soyent79 bonnes et belles,
Je n’éray rien que l’ordinaire80.
LA FEMME [VEFVE]
Y nous fault mander le vicaire,
155 Et les voisins, et le curé.
ROBINET
Voylà tout mon cas asceuré.
Mais81 que mon oncle soyt venu,
Je seray riche devenu,
Car il est homme de façon82.
LA COMMÈRE
160 Sus, Robinet : une chanson !
Vostre oncle viendra cependant.
ROBINET
Voulez-vous que nous la danson ?
LA FEMME [VEFVE]
Sus, Robinet : une chanson !
ROBINET
Ma mêtresse, prenez le ton83,
165 Et puys je lèveray le chant84.
LA COMMÈRE
Sus, Robinet : unne chanson !
Vostre oncle viendra cependant.
Ilz chantent.85 Après la chanson :
LA FEMME [VEFVE] 86
An, an, an ! J’ey le cueur mar[r]y.
ROBINET
Et de quoy ?
LA FEMME [VEFVE]
De mon deffunt mary :
170 Du bon Roger, dont Dieu ayt87 l’âme !
Car c’estoyt le meilleur, pour femme88,
Qui fust jamais dessus la terre.
ROBINET
Il est mort.
LA FEMME [VEFVE]
Je ne le puys croire.
Toutes les nuyctz, y m’est avys
175 Que je le voys là, vis-à-vis.
Et sy, me monte en rêverye89
Que jamais ne me remarye.
LA COMMÈRE
Ma commère, c’est grand folye
De s’en donner mérencolye.
180 Toutefoys, quant il en souvyent,
Pleurer et gémyr en convyent
Pour s’aquicter envers nature.
LA FEMME [VEFVE]
A ! la bénigne90 créature
Que c’estoyt ! Et tant secourable !
185 Un chascun l’avoyt agréable.
Je crains bien, à changer, de pire.
LA COMMÈRE
Ne craignez pas qu’i vous empire ;
Tousjours irez de myeulx en myeulx.
Robinet est assez joyeulx,
190 Tournant vite comme une meulle.
Ce n’est rien c’une femme seulle,
Ma mye : un chascun la déboulte.
LA FEMME [VEFVE]
Raison veult que je m’y reboulte91,
Car Dieu m’en a amonnestée92 ;
195 Car dès la premyère nuyctée,
Qu’on sonnoyt pour le trespassé
Dont le deuil n’estoyt pas passé,
J(e) ouÿs bien, de nostre maison,
Les cloches disant en leur son
200 Insessamment, ce me sembloyt :
Prent ton valet ! Prent ton valet ! 93
ROBINET 94
C’est moy, c’est moy ! C’est moy, [c’est moy] !
LA COMMÈRE
Mon Dieu, vous me contez merveilles !
L’av’ous95 ouÿ de vos oreilles ?
LA FEMME [VEFVE]
205 Ouy, par ma foy !
LA COMMÈRE
Dieu l’a voulu,
Et pour vous Robinet esleu96 :
On le voyt, la chose est certaine.
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L’ONCLE MICHAULT entre SCÈNE VI
Tant je suys venu à grand-payne,
Pour le temps qui est ainsy chault !
ROBINET
210 Mon Dieu ! c’est mon oncle Mychault,
Ma mêtresse !
LA FEMME [VEFVE]
Y vient bien à poinct.
MYCHAULT
Voycy des bonnès97, un pourpoinct,
Une chemise, un devantel98,
Que j’ey aporté de l’ôtel99
215 Pour toy, mon nepveu Robinet.
ROBINET
Et ! que je seray godinet100 !
Je seray plus gay101 que satin.
LA COMMÈRE
Et ! au moins, paye[z] le festin.
MYCHAULT
Quel festin ?
ROBINET
De nos fiansailles.
220 Vous serez à nos espousailles,
Nostre oncle. À vostre bienvenue !
MICHAULT
Vous me la chantez bien cornue102 !
ROBINET
Non103 faison, par saincte Marye !
C’est elle et moy qui se marye
225 Ceste semaine proprement.
Voilà104 pour le commencement :
Preu105, et [deulx, le]106 tiers, et le cart !
MYCHAULT
Holà ! Que le deable y ayt part !
N’en faictes plus, car je m’en sens107 !
ROBINET 108
230 Vous serez plus bastu que lard109 !
MYCHAULT
Holà ! Que le deable y ayt part !
ROBINET 110
Et vous, qui estes à l’écart,
Du plaisir ne serez absens.
MICHAULT
Holà ! Que le deable y ayt part !
235 N’en faictes plus, car je m’en sens !
Par Dieu ! j’ey eu plus de cinq cens
[Gros coups de]111 poing dessus ma teste !
ROBINET
Et ! c’est à cause de ma feste112 :
Je vous étrenne d’abordée113.
MYCHAULT
240 J’ey la teste toute eslourdée114 ;
N’en faictes plus !
ROBINET
Par la chair dienne !
C’est afin qu’i vous en souvyenne115,
Mon oncle Mychault.
MYCHAULT
C’est bien faict.
Je suys bien joyeulx, en effaict,
245 Que ton bon heur t’est avenu.
LA FEMME [VEFVE]
Pas ne sera circonvenu116 :
Il a esté mon serviteur,
Y sera mon gubernateur117
En tout temps et toute saison,
250 Le maistre de nostre maison.
Y taillera, y coupera
Ainsy que bon luy semblera
De[ns] tous mes biens en général.
MYCHAULT
Par sainct Jehan ! Dieu vous gard de mal118,
255 Et vous en face bien joyeuse !
LA COMMÈRE
Puysqu’el est de toy119 amoureuse,
Ce sera un bon mariage.
ROBINET
Qu’av’ous120 aporté du village,
Mon oncle, pour faire nos noces121 ?
MYCHAULT
260 Force lopins, aultres négoces122
Pour rire et pour faire la galle123.
ROBINET
Alons-nous-ent124 à nostre salle,
Là-derière, faire la chière125.
MYCHAULT
J’ey argent à ma gibecière
265 Pour payer carte de [bon] vin.
S’y plaist au benoyst Roy divin,
Je veulx digner126 !
ROBINET
Et moy aussy !
LA COMMÈRE 127
Seigneurs, nous concluons icy
C’un serviteur bon et loyal,
270 Honneste, bénin et féal128,
Par bien servir et loyal estre,
De129 serviteur devyent le maistre,
En bourgoiserye et noblesse.
MYCHAULT
Mainct a espousé sa mêtresse
275 Qui est parvenu à honneur.
ROBINET
Et pour s’oster130 hors de détresse,
Mainct a espousé sa mêtresse.
MYCHAULT
Par prudence, honneur et sagesse,
Le page devyent grand seigneur.
ROBINET
280 Mainct a espousé sa mêtresse
Qui est parvenu à honneur.
Je prye à Dieu le Créateur,
Qui doibt resjouir cest oulvrage131.
Une chanson de trèsbon cœur
285 Chantons, mon oncle de vilage,
Pour achever le mariage !
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FINIS
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1 Six farces normandes du Recueil La Vallière, Plihon, 1939, pp. 153-186. Voir aussi l’édition d’André TISSIER : Recueil de farces, Droz, t. IX, 1995, pp. 243-293. Pour les possibles sources de l’œuvre, je renvoie aux préfaces de ces deux éditions. 2 Badin n’est aucunement le patronyme du personnage : c’est sa fonction symbolique, tout comme c’est celle de « Jehan de Lagny, Badin », ou celle de « Mahuet, Badin natif de Baignollet ». Ces demi-fous sont décrits en détail dans les Sobres Sotz. « Robinet », diminutif de « Robin », désigne le pénis : « Il tire alors de sa prison/ Le robinet de son écluse,/ D’où l’eau s’élance à gros bouillons. » Joseph Vasselier. 3 Il est employé comme valet chez une jeune veuve. 4 Le sacrement du mariage. 5 Celui qui nous l’a fait croire. 6 Si j’étais marié. Robinet est interrompu par l’arrivée de sa patronne, en grand deuil. 7 Si tu me plaisais, du verbe haiter. 8 Saint François d’Assise, qui portait une robe grise. 9 Si je vous tenais entre mes griffes (normandisme). Cf. Tout-ménage, vers 61 et note. 10 Le châlit (prononciation normande). « Et un câlit couvert d’un pelichon/ Presqu’erréné par le tabut des fesses. » La Muse normande. 11 Euphémisme pour « Dieu ». Idem vers 241. 12 Ton tuteur. Robinet est orphelin de père. Cet oncle vit dans un village, mais il vient une fois par an à la ville (Rouen ?) pour apporter du linge à son neveu. 13 Nous verrons (normandisme). 14 Le soir du mariage. La mère de Robinet doit vivre dans le même village que l’oncle, puisque son fils y habitait (vers 114) avant d’être embauché par la veuve. 15 Une quarte [une double pinte] du meilleur vin, comme au vers 265. « Je suis contant de paier quarte/ Pour desjeuner. » Jehan qui de tout se mesle. 16 Il sort pour aller chercher la voisine. 17 LV : fume (Le « f » et le « s » sont à peu près identiques.) Sumer = semer. « La graine que je sume/ En vostre champ. » Villon, Testament, 1398. 18 Ne cueille. « Qui petit sème, petit cueult ; & qui sème en bénédiction cueult en bénédiction. » La Bible en françoys. 19 J’aurai. Même normandisme aux vers 32, 38 et 153. Dans la haute bourgeoisie d’avant guerre, un jeune homme mettait encore des gants blancs pour faire sa demande en mariage. 20 Pour inviter à mes noces. 21 Plutôt que de ne pas convoler avec ma patronne. 22 Nous mariera. Cette expression ambiguë est disséquée aux vers 300-327 des Cris de Paris. 23 Cette didascalie marque le début d’un rôle, et non un déplacement. En fait, c’est Robinet qui entre chez la voisine. 24 Saurais-tu. Même normandisme au vers 37. 25 Tout ira à son terme. 26 Je l’aurai en mariage ou c’est elle qui m’aura. Dans Jehan de Lagny, Trétaude veut épouser le Badin : « M’y deust-il couster trente souz,/ Je vous éray ou vous m’érez ! » 27 LV : le (Je la prends pour le meilleur et pour le pire.) Jeu de mots sur « prendre au bond », comme si la veuve était un éteuf du jeu de paume. 28 Même si tu devais enrager de colère. 29 Marié à cette riche veuve, je n’aurai pénurie de rien. « Que n’arez souffrète de rien. » La Fille bastelierre. 30 Un Monsieur, un notable. 31 L’affaire. Double sens priapique : « Mon Dieu, que vostre chose est grande ! » Jénin filz de rien. 32 Dans la rue, Robinet traîne la voisine jusqu’au logis de la veuve. 33 Sais-tu quoi ? 34 Coûtent beaucoup de peine. « Et ch’est chen qui no z’est oncor pu coûtiable. » [Et c’est ce qui nous est encore plus pénible.] La Muse normande. 35 Ils arrivent chez la veuve. 36 Vous prenez du bon temps ? 37 Si m’aid Dieu : que Dieu m’assiste ! Idem vers 150. En Normandie, voire se prononçait vaire, tout comme croire se prononce craire à 173. 38 Dodue, ayant de l’embonpoint. 39 LV : ma desconuenue (Achevez vos mondanités.) 40 LV : ne (Que le rôti du repas de fiançailles ne brûle.) Dans la farce du Pasté (F 19), le mari ne cesse de vouloir empêcher un pâté de brûler : « Par ma foy, ce pasté se gaste ! » 41 Totalement. 42 LV : de 43 De plaid, de discours. Malgré cette promesse, la voisine se perd dans les circonvolutions diplomatiques. 44 À son sexe. « S’il y a quelque mariée (…),/ Incontinent, par un beau Frère/ Sera visité son affaire. » Discours joyeux des Friponniers. 45 Bien pourvu de vit. (L’édition de 1837 omet pudiquement la fin du vers.) Un autre badin et valet, Jéninot, se targue devant sa patronne de pouvoir lui offrir de pareils avantages : « Je n’en crains pas homme qui viengne/ Pour estre bien envitaillé. » Jéninot qui fist un roy de son chat. 46 LV : seruice (Je le dominerai toujours.) 47 Double niveau de langage : 1) On n’ose pas faire la grasse matinée, avec un homme si riche. 2) On ne songe pas à dormir, près d’un homme si bien envitaillé. 48 Tout coi. « S’y ne veult se taire tout quoy. » Les Sobres Sotz. 49 Un saupiquet est un plat en sauce piquante. 50 De visiter les accouchées. Cf. Saincte Caquette, vers 41 et note. 51 LV : mes (D’écouter des prédicateurs.) 52 « Pourvu que vous ne fréquentiez… » Note d’A. Tissier. 53 Qui pratiquent la bilocation, et peuvent se trouver à deux endroits en même temps ; tel était le cas de saint François d’Assise (note 8), qui institua les Cordeliers, ces modèles de débauche que le peuple traitait de « frères Frappart ». Tout près de là, en Picardie, les bilokes désignaient les testicules ; on pourrait donc traduire : Ces cordeliers couillus. 54 Coiffés d’une toque particulièrement voyante. « La toque à l’espaignole (…) garnie d’un petit plumail garny de grosses perles. » Amadis de Gaule. 55 Les galants emperruqués. Cf. le Trocheur de maris, vers 133. 56 Votre mariage va faire jaser. 57 Ce niais. Cf. Lucas Sergent, vers 69. 58 LV : se conate (Jeune Sot affilié aux Conards de Rouen, qui ont peut-être créé la pièce. « Conars, ayez à subvenir/ À l’Abbé et ses conardeaux ! » Les Veaux.) 59 Bon amant. « Franc du collier,/ Et qui ne se face prier/ Quant ce viendra à la “besongne”. » Le Trocheur de maris. 60 Je le suis, franc du collier, comme un cheval de trait. 61 LV : sus mon ame (à la rime. Correction suggérée par Tissier.) Je tire et je hale comme un cheval de trait. 62 LV : voyre (Cf. les Sotz escornéz, vers 23.) Je tire le contenu d’un verre. 63 En droite ligne, cul sec. 64 Qu’il descend d’une bonne lignée. « Je suys de gens de bien extraicte,/ Et de ligne bonne et parfaicte. » Lucas Sergent. 65 Un bon fils (vers 118), un bon gars. 66 Depuis longtemps. 67 Au milieu d’une chènevière, d’une plantation de chanvre. 68 Un bon fils, un bon gars (note 65). 69 De caractère. 70 À connaître ses pouvoirs. « Or il est temps de vous congnoistre :/ Prenez à destre et à sénestre ! » Villon. 71 LV : mais 72 « Et le mien m’a voulu ruer/ Ung pot d’estain parmy la teste. » Les Femmes qui font refondre leurs maris. 73 Je raclerai la peau des navets à la cuisine. « Se les navès ne sont ratés,/ Ilz ne feront jà nette souppe. » Les Menus propos. 74 Étienne et Olive sont les bébés de la veuve. 75 Les cierges que vous offrez aux saints. Cf. le Trocheur de maris, vers 97. 76 « Un pot à pisser, c’est un official. » Gargantua, 9. 77 Sa corine, son cri du cœur. 78 Jeter des femmes en l’air. Cette allusion à un fait divers local serait peut-être identifiable si l’on n’avait pas détérioré le vers précédent, qui rimait en -ont. 79 Bien qu’elles soient. 80 Je me contenterai de ma femme. 81 Pour peu. L’oncle vient toujours voir son neveu à la même date (note 12). Cette date estivale (vers 209) est probablement la Saint-Jean d’été, le 24 juin, qui servait de repère pour toutes sortes d’échéances : cf. la Fille esgarée, vers 116. 82 De qualité. 83 Donnez la première note, pour que nous ayons la tonalité. « Chantons ! Je m’en vays le ton prendre. » Maistre Mymin qui va à la guerre. 84 Je chanterai. « La chançon fut moult douce, et [Anthoines] bien la leva/ À chant et à deschant. » Tristan de Nanteuil. 85 La chanson n’a pas été gardée. Elle commençait par une rime en -ant, pour se raccorder au triolet qui précède. 86 Elle sanglote avec ostentation. Le dialogue qui suit dépeint admirablement la mentalité médiévale face aux convenances, qu’il faut ménager pour qu’elles nous autorisent à les transgresser. 87 LV : et 88 C’était un de ces vieillards en adoration devant leur jeune épouse, comme ceux des Femmes qui font refondre leurs maris. 89 Il me vient en rêve. 90 L’inoffensive. 91 Que je me remarie. Cf. les Sobres Sotz, vers 429. 92 Admonestée : m’y a exhortée. 93 La veuve chante sur un timbre de cloches à 4 tons. Les présages de ce type étaient pris au sérieux ; quand Panurge hésite à convoler, des cloches lui disent : « Marie-toy ! Marie-toy ! » (Tiers Livre, 27.) Tous les commentateurs citent à cet endroit un sermon de Jean Raulin publié en 1518, De Viduitate, dans lequel des cloches ordonnent à une veuve : « Prens ton varlet ! Prens ton varlet ! » Le sermon est en latin, mais les cloches s’expriment en français. Il semble que Raulin, l’auteur de la Veuve et Rabelais puisent à une source antérieure, peut-être folklorique. 94 Il répond sur le même timbre de cloches. Ce vers échappe au schéma des rimes. 95 L’avez-vous (normandisme). « L’av’ous point veu icy venir ? » La Résurrection Jénin à Paulme. 96 Dieu a élu [choisi] Robinet pour vous. 97 Des bonnets. Michaut apporte toujours un sac de vêtements à son neveu. 98 Un devanteau : un tablier. 99 De ma maison, de mon village. 100 Plaisant. 101 Plus vif. L’expression courante est : Plus gai qu’une mitaine. 102 Vous me la baillez belle ! « Vous me la baillez bien cornue ! » L’Homme à mes pois. 103 LV : nous (« Non fais, je vous promais ma foy ! » Le Gentil homme et son Page.) 104 Le copiste a noté voilela, puis il a biffé le « e ». 105 Le premier. « Empreu, et deux, et trois, et quatre. » (Farce de Pathelin.) Cf. Maistre Mymin qui va à la guerre, vers 137. 106 LV : le deulx (Et voilà pour le premier coup de poing, pour le deuxième, pour le troisième, et pour le quatrième !) Chaque fois, Robinet donne un coup sur la tête de son oncle, selon une coutume nuptiale que Rabelais décrit dans le Quart Livre <chap. 12> : « Les parolles dictes et la mariée baisée au son du tabour, vous tous baillerez l’un à l’aultre du souvenir des nopces : ce sont petitz coups de poing…. Telz coups seront donnéz en riant, scelon la coustume observée en toutes fiansailles. » Les vers 152-154 des Sotz nouveaulx farcéz évoquent cette tradition. Robinet oublie que le poing doit être ganté afin d’adoucir les coups. 107 Je m’en ressens. Cf. le Ribault marié, vers 576. Le copiste avait d’abord écrit, puis biffé : deulx (du verbe se douloir). 108 Il continue à frapper. 109 Plus tanné que du cuir. 110 Il menace le public. 111 LV : coups de gros 112 De mes fiançailles. 113 De prime abord, avant les autres invités. 114 Étourdie. Cf. les Sobres Sotz, vers 397. 115 Aujourd’hui, on rapporte de la noce une photo-souvenir ; à l’époque, on en rapportait une bosse ou un bleu : « Des nopces vous en soubvieine ! » Quart Livre, 14. 116 Dupé. 117 Mon gouverneur, mon maître. 118 Jeu de mots conventionnel : Que Dieu vous éloigne des mâles ! 119 LV : moy (La voisine s’adresse à Robinet.) 120 LV : quaues vous (Note 95.) 121 Qui puisse servir pour ces noces. 122 Affaires. 123 Pour prendre du plaisir. « Et Dieu scet se on faict la galle,/ À mener dancer ces bourgeoises ! » Guillaume Coquillart. 124 Cf. le Gentil homme et son Page, vers 252. 125 LV : chaire (Pour faire bonne chère.) 126 Dîner. 127 Au public. La conclusion laisse poindre une critique des arrivistes, dont beaucoup se servaient du mariage pour monter en grade. 128 Bon et fidèle. 129 LV : le (Hors de tout contexte, le même copiste a noté dans un recueil palinodique <BnF, ms. fr. 19184, fº 208 rº> : « Par bien servir et loyal estre,/ Le serviteur devyent le maistre. ») 130 LV : loster (Pour échapper à la misère.) 131 Qui doit bénir ce mariage. Mais l’auteur considère peut-être que l’ouvrage en question n’est autre que sa pièce.