PONCETTE ET L’AMOUREUX TRANSY

Bibliothèque nationale de France

Bibliothèque nationale de France

.

*

PONCETTE  ET

L’AMOUREUX  TRANSY

*

.

Cette farce tardive annonce le théâtre de foire des années 1620. La seconde partie de la pièce est malheureusement perdue. Bien qu’elle traite du mariage, on aurait tort de la classer parmi les farces de noces1, qui comportent beaucoup moins de sept personnages, et qui n’ont pas pour thème une mariée qui pète au lit.

Source : Bibliothèque nationale de France, Rés. Yf. 3439. Publié à Lyon, par Jean Marguerite, en 1595.

Structure : Rimes abab/bcbc, rimes plates.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

.

*

Farce joyeuse et

récréative de

Poncette  et  de

l’Amoureux  transy

*

       [ L’AMOUREUX,  Jacques

       LA  MÈRE

       LE  PÈRE,  Jean d’Oye

       ALIZON

       PONCETTE

       LE  FOL,  Jehanny

       ROZE  DE  NYVELLES ]

.

*

                            L’AMOUREUX                                 SCÈNE  I

        Il est temps de me marier :

        Je sens bien que le cul ne2 claque.

        Je ne veux plus tant varier3,

        Puisque j’ay de quoy dans mon flasque4.

                            LA  MÈRE

5      Vrayment, c’est bien dict, mon fils Jacques :

        J’en serois bien de cest advis.

        Mais attendez jusqu(es) après Pasques,

        J’en5 parlerons à nos amis.

                            L’AMOUREUX

        À Poncette6 j’ay mon cœur mis.

10    Je ne veux attendre autre chose,

        Car elle a un gratieux ris7,

        Et si, dort bien la bouche close8.

                            LE  PÈRE

        Tout beau, mon fils, qu’on se repose9 !

        J’ay bien appris d’autres nouvelles :

15    Qu’il vous faut avoir dame Roze,

        La fille de Jean de Nyvelles10.

                            L’AMOUREUX

        Hélas11, mon père, qu’elle est belle !

        Sus tost ! qu’on se mette en devoir

        De s’en aller par-devers elle,

20    Pour veoir s’elle me veut avoir.

                            LE  PÈRE

        Il nous faudroit, premier12, sçavoir

        D’Alizon, sa bonne voisine,

        Comment il nous y faut pourvoir :

        Car c’est une femme bien fine13.

                            L’AMOUREUX

25    Mon père, faictes bonne mine

        Et y allez voir sans séjour14.

        Faicte(s) aussi que ma pauvre quinne15

        Soit joyeuse, à vostre retour.

.

                            LE  PÈRE  va trouver Alizon.             SCÈNE  II

        Alizon, Dieu vous doint bon jour !

                            ALIZON

30    Bon jour, bon jour et rebonjour

        Dieu vous donne, sire Jean d’Oye !

        Qui vous amène en ceste voye ?

                            LE  PÈRE

        C’est pour parler du mariage

        Que pouvez, comme femme sage,

35    Procurer pour Jacques, mon fils,

        Qui est si fort d’amour espris

        Pour la beauté de dame Roze

        Qu’il ne me parle d’autre chose.

                            ALIZON

        Asseurez-vous16 que tel affaire

40    Autre que moy ne peut mieux faire.

        Allons ensemble maintenant :

        Je vous en rendray tost contant,

        Ayant desjà sceu de sa mère

        (Qui est ma très-bonne commère)

45    Que si Jacques, vostre beau fils17,

        Estoit ainsi d’amour espris

        À l’endroict de la sienne fille,

        Il n’y a homme de la ville

        Qui fût pour elle mieux venu.

                            LE  PERE

50    Je seray bien à vous tenu18,

        [Et n’aurez faute de pécune.]19

        Poursuivons donc nostre fortune20.

.

                            PONCETTE                                      [SCÈNE  III]21

        On dict bien, en commun proverbe,

        Que sous le pied on coupe l’herbe22

55    À ceux qui ont faict [ tout l’effort23 :

        Plustost que m’espouser d’abord,

        Moy qui luy donne ] du plaisi[r],

        Jacques, l’amoureux, [v]a choisi[r]

        Une autre maistresse en eschange24 !

60    Mais j’ay peur qu’il ne perde au change.

        Et suis résolue, de ma part,

        Qu’il n’aura plus ny quart ny part25.

        Et, quoyqu’on me tourne la mine26,

        Il n’est voisin qui ne voisine27

.

                            LE  PÈRE,  retournant, dict :             SCÈNE  IV

65    Jacques, mon fils, resjouys-toy !

        Je viens de faire ton message :

        Roze m’a juré sur sa foy

        Qu’elle t’aura en mariage.

                            L’AMOUREUX

        Ô [ciel] ! quel gratieux langage !

70    De Poncette je ne veux [plus],

        Car elle porte un équipage28

        Qui me feroit bien prendre au glus29.

                            LA  MÈRE

        Or il faut penser du surplus,

        Et avancer ceste matière,

75    À fin qu’il n’y ayt point d’abus.

        Je m’en vay marcher la première.

                            LE  PÈRE

        Moy, je mèneray le derrière,

        Avec Jacques et dame Alizon,

        Qui sçait la sorte et la manière

80    De gouverner ceste maison30.

.

                            ACTE 31 II

                            L’AMOUREUX  retourne 32 seul, et dict :

        Ne suis-je pas bien langoureux33,                             SCÈNE  V

        D’avoir esté si amoureux

        D’une femme34 qui tousjours pette,

        Pour changer ma dame Poncette ?

85    Poncette, qui avoit mon cœur ;

        Poncette, de si bonne humeur ;

        Poncette, qui à mort me livre ;

        Poncette, qui me faisoit vivre35 ;

        Poncette, dont le souvenir

90    Faict que ne sçay que devenir.

                            LE  FOL,  JEHANNY

        [Que] devenir ? Si tu veux croire

        Sage ou Fol, il te faut bien boire36 ;

        Et si Roze pette souvent,

        [Te convient desjeuner de « vent » :]37

95    C’est tousjours pour boire d’autant.

.

                            ROZE 38                                             SCÈNE  VI

        Je void[s] mon mary mal contant ;

        Jehanny, sçay-tu point qu’il39 veut dire ?

                            LE  FOL

        Il dit qu’il ne « boit » pas du pire,

        Quant il vous plaist luy en verser…

100  Mais il veut le sac renverser40.

        Croyez qu’il n’y a pas pour rire41.

                            ROZE

        [Que le mau de]42 terre te vire !

        Que peut-on croire de cela ?

                            LE  FOL

        Je n’en « bois » point pour ce pris-là,

105  Car vostre mesure est trop courte43.

                            ROZE

        Avant que de mes mains tu sorte,

        Tu diras mieux ce que tu sçais !

                            LE  FOL

        Ma dame : c’est un vent punais44

        Qui sort du rozier45 de vos fesses.

                            ROZE

110  En bonne foy, je le confesse46.

        Mais il y faut remédier,

        Et veux dame Alizon prier

        De m’apprendre quelque recepte

        Pour m’empescher que je ne pette47.

                            LE  FOL

115  Et à fin que, si on vous mort48,

        On n’aille49 au cul trouver la mort.

.

                            ROZE  parle à dame Alizon               SCÈNE  VII

        Dame Alizon, ma bonne amie,

        J’ay le cœur et l’âme ravie50

        Depuis que j’ay veu mon mary

120  Triste, pensif et tout marry.

        Lequel ne me faict que reprendre51

        Que j’ay la peau du cul bien tendre52.

        Et quand il est vers moy couché,

        Il se tient couvert et bouché53,

125  Crainte d’ouÿr la petterie

        Qui sort de mon artillerie54.

        Donnez-moy conseil, s’il vous plaît,

        Et recepte pour un tel fait.

                            ALIZON

        Ma dame, au défaut de la lune55,

130  Il vous faudra prendre une prune

        Et ………………………….. 56

*

1 Voir la notice de la Veuve.   2 Éd : me  (Que je ne copule pas.)  « Mon povre courtault [pénis] est recru sus le sable ;/ De servir plus en croupe ne luy chault./ Las ! je l’ay veu porter la teste hault,/ Et claquer culz roidement en sursault. » Ms. fr. 1719.   3 Hésiter, tarder.   4 Escarcelle des pèlerins : « Ils avoient sur leurs espaules des manteaux courts, et le flasque à la ceinture. » (Histoire maccaronique de Merlin Coccaïe.) Jeu de mots sur le « flasque », le pénis mou.   5 Nous en.   6 C’est la servante de la maison. Sans être vue, elle est en train d’écouter à la porte.   7 Un rire gracieux.   8 Et aussi, elle ne ronfle pas. Jacques le sait parce qu’il « dort » avec elle.   9 Calmez-vous !   10 À en croire la chanson, les trois enfants de Jean de Nivelle sont des garçons ; cette fille n’est donc pas de lui. Voir la note 255 du Povre Jouhan.   11 Exclamation de joie. Cf. les Femmes qui demandent les arrérages, vers 57. L’enthousiasme du garçon tient probablement au fait que la fille de Jean de Nivelle apportera une plus grosse dot que la servante Poncette.   12 Premièrement, avant toute chose.   13 Alison est une de ces femmes d’intrigue qui oscillent entre la marieuse et la maquerelle, comme Frosine dans l’Avare.   14 Sans tarder.   15 « La quine : le membre viril. » (Antoine Oudin.) « Voylà du vin que Dieu pissa de sa quine ! » (Tabourot.)   16 Vous pouvez être sûr.   17 Votre charmant fils. Mais l’entremetteuse insinue que Jean d’Oie, comme l’indiquent son prénom et son nom de cocu, n’est pas le vrai père de celui qui ne serait alors que son beau-fils.   18 Je vous devrai beaucoup.   19 Vers manquant. « Ç’a esté faulte de pécune. » Ung Fol changant divers propos.   20 Tentons notre chance. Le père et Alison se rendent chez Rose.   21 Éd : CENE I.   22 « Couper l’herbe sous le pied : Vieux proverbe qui signifie supplanter quelqu’un, le débusquer, prendre sa place. » Le Roux.   23 Je reconstitue sans aucune garantie ce passage altéré. « La force & roideur du cheval, lequel est celuy qui faict tout l’effort. » (Blaise de Vigenère.) L’effort si méritoire de Poncette consiste à coucher avec le fils de ses patrons : voir la note 8.   24 Au lieu de moi.   25 Que je ne lui accorderai plus rien du tout.   26 Quoiqu’il se détourne de moi.   27 Il n’y a pas de voisin qui ne fréquente son voisin : Poncette et Jacques habitent dans la même demeure.   28 Une tenue aguichante. Les chambrières sont fort coquettes et savent mettre leurs atouts en valeur : « Ils ont bien sept quartiers de fesses,/ Ces grosses garces mamelus ! » Le Cousturier et son Varlet.   29 À la glu, comme un oiseau qu’on attrape à la pipée.   30 La maison des Nivelle. Tous les protagonistes s’y rendent, pour conclure les fiançailles.   31 Éd : SENE   32 Revient vers la maison de ses parents, où se trouve Poncette. Il est marié avec Rose depuis quelques jours. Le Fol vient écouter son monologue.   33 Malheureux.   34 De Rose, que je viens d’épouser. Le gag de la femme péteuse fut mis en scène dans le Savatier et Marguet, dans la Farce du Pet, ou dans Tarabin, Tarabas (F 13). Il ne faut d’ailleurs pas confondre Tarabin avec Tabarin, qui expliquera doctement à son public « pourquoy les femmes pettent plus souvent que les hommes ».   35 Qui me donnait envie de vivre. Mais vu le cynisme du garçon, il vivait peut-être à ses crochets.   36 Supporter l’aérophagie de ta femme. Les comiques considèrent le pet comme une boisson : cf. la Résurrection Jénin à Paulme, vers 233 et note.   37 Vers manquant ; le vent désigne aussi le pet au vers 108. « Nous convient desjeuner de vent. » (Deux Hommes et leurs deux femmes.) Comme tous les Fols, Jeanny doit aimer le jeu du pet-en-gueule.   38 Elle se dirige vers le Fol, que son mari vient de quitter.   39 Ce qu’il.   40 Vider son sac, dire tout ce qu’on a à dire.   41 Qu’il n’y a pas de quoi rire.   42 Éd : La maudicte  (Que l’épilepsie te renverse ! « Le feu sainct Antoine vous arde ! Mau de terre vous vire ! » Prologue de Pantagruel.)   43 Vous ne pétez pas encore assez. La « mesure » peut concerner l’ampleur du sexe d’une femme : « Mesure de Saint-Denis, plus grande que celle de Paris : grande nature de femme. » Oudin.   44 Puant.   45 Ce rosier qui n’embaume pas la rose évoque le prénom de Rose.   46 La pétomane reconnaît son défaut, contrairement aux autres : « Jamais femme ne fist un pet ! » Le Savatier et Marguet.   47 Les entremetteuses étaient à moitié sorcières, et confectionnaient toutes sortes de mixtures qui valaient bien celles des apothicaires.   48 Si on vous mord la fesse.   49 Éd : puisse  (On n’aille pas mourir asphyxié.)  Jeu scatologique sur l’expression « avoir la Mort au cul [aux trousses] ». Rose va chez Alison.   50 Emportés, arrachés.   51 Ne fait que me reprocher.   52 Que je suis sujette aux flatulences. Mais voir Deux Hommes et leurs deux femmes, dont l’une a malle teste, et l’autre est tendre du cul.   53 Il se bouche le nez. L’un des Sotz qui remetent en point Bon Temps déplore aussi que son amie pète pendant qu’ils font l’amour : vers 60-62.   54 De mon cul, qui fait un bruit de canon.   55 Lors d’une éclipse de lune. Les recettes des entremetteuses sont toujours saupoudrées de magie.   56 La suite est perdue. On devine quel orifice Rose va devoir étouper avec cette prune. Le remède sera-t-il efficace ? Poncette, qui est l’héroïne de la pièce, va-t-elle pouvoir tirer parti de l’infirmité de sa rivale ?

Laisser un commentaire