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SERMON JOYEUX DES QUATRE VENS

Manuscrit La Vallière

Manuscrit La Vallière

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SERMON  JOYEUX

DES  QUATRE  VENS

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Cette parodie de sermon fut prêchée à Rouen vers 1520, par un acteur déguisé en moine Bénédictin. Examinons les quatre vents qu’il décrit :

1. Le « vent du vin », représenté par Zéphyr. Vers 118-175 (57 vers).

2. Le « vent des instruments » qui font danser, représenté par Éole. Vers 176-227 (51 vers).

3. Le « vent de chemise », qui génère la folie amoureuse. Il est représenté par Notus. Vers 236-313 (77 vers).

4. Le « vent de derrière » : le pet. Il est représenté par Borée. Vers 314-385 (71 vers).

Source : Manuscrit La Vallière, nº 4.

Structure : Rimes plates, abab/bcbc.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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Sermon     joyeux

des   .IIII.   vens

*

        In nominé Patrix, et Fili,

        Et Spiritu Santy.1       AMEN !

        Quatuor ventus de mondo

        Faciunt mirabilia.2

.

5      Je dis : in diverso modo3,

        Quatre vens au monde il y a,

        Prudente assistence. Il [fault jà]4,

        En ma brefve colation5,

        Vous donner l’exposition6

10    Pour endoctriner homme et femme.

.

        Aucuns7 vous preschent le Karesme,

        Les Quatre-temps8 et les Avens.

        Mais je diray9 des quatre vens,

        Lesquelz viennent10 (comme je gage)

15    Pour soufler les gens au visage

        En les faisant haster d’aler,

        Reculer et triquebaler11,

        Voller, tumber, saulter souvent.

        Et pour vous garder de tel vent,

20    J’e[n] diray les propriétés.

.

        Mais avant que d’icy partez

        Et que procède plus avant,

        Je vous recommande devant12

        Nostre couvent, qui est oyseulx13 :

25    Nous sommes bons religïeulx,

        Et bien povres moynes reiglés14,

        Aussy chanoynes desreiglés15.

        Vous congnoissez assez l’afaire !

        Et ne voulons jamais rien faire

30    Synon [de] boyre et chopiner16,

        Dîner, réciner, souper,

        Rire, danser, chanter, bouter17

        Soublz nostre nez, à nostre bouche ;

        Et puys dormir sur une couche

35    En blans draps, avec la fillète

        Belle, doulce et mygnonnète18.

        Et pour tant19, par humble manyère,

        Mectez la main à l’amônyère20 !

        Et nous regardez, par concorde21,

40    Des22 gros yeulx de Miséricorde !

        Voylà de quoy vous faictz requeste.

        Dam Phlipot23 vous fera la queste.

        Mais escoutez, sy vous povez :

        Car il convyent que vous ouez24

45    Bons25 Frères par commandement,

        Dont vouécy le commencement.

.

               Prions pour marchans de chevaulx26

               Vendans vieux chevaulx et jumens :

               Que s’y ne sont27 trompeurs et faulx

50           — Combien qu’ilz facent des sermens —,

               La gouste28 les tienne en tourmens,

               Ou la forte fièvre quartaine,

               Qui les tienne bien fermement

               Tout du long de la quarantaine29,

55           Ou leur envoye la bosse30 à l’aine,

               La chaulde-pisse ou la [toux] forte,

               Affin qu’il n’en soyt de tel sorte !

.

               Nous prirons pour ces gens d[’É]glise

               Qui veulent femmes décepvoir31 :

60           Qu’on les puisse, soublz leur chemise,

               D’unes bonnes verges32 le cul fesser !

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               Pour ces boucher[s] à grosses lipes33,

               Prions qu’i puissent sans arês34

               Estre, de leurs plus ordes35 tripes,

65           Amerdés jusques [aux] jarés36 !

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               Nous prirons pour mu[n]iers37, munières,

               Qui desrobent sactz par les g[u]eulles38 :

               Qu’i puissent choir en leurs rivières39

               Ou qu’i trébuchent entre deulx meules40 !

.

70           Nous prirons pour ses barbiers [jurés41]

               Qui font la barbe à la moytié :

               Qu’ilz ayent tous les yeux crevés,

               Sans en avoir nule pityé !

.

               Nous prirons pour femmes enceintes,

75           Que quant viendra à enfanter,

               Que leurs fruictz sortent sans contraintes,

               [Aussy doucement qu’à l’entrer]42.

               Aussy, qu’ilz puissent enhorter43

               Leurs maris en telle manière

80           Qu’i leur(s) puissent le cul froter

               Plustost devant que par derière44.

.

               Nous prirons singulièrement

               Pour toute fille de village :

               Qu(e) on puisse trouver le moyen

85           Qu’el soyt bientost à mariage45

               [Pour perdre enfin son pucellage !]46

.

               ……………………………….

               D’un saq à chaulx et à cherbon47,

               Et d’un gros marteau de chéron48,

               D’un buleteau49 à la farine,

90           D’une braye50 et d’une estamine51,

               Et de la pate d’un griffon52

               Ayez tous la bénédictïon !         AMEN !

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        Notez qu’in diverso modo53,

        Quatuor ventus de mo[n]do

95    Faciont myrabilia :

        Bonnes gens, je dis qu’il y a

        Quatre vens de mode dyverse

        Qui54, chascun, [un] homme renverse,

        Et font en ce monde merveille.

100  Et ! pour Dieu, que chascun s’esveille55 !

        Et n’entrons poinct en grandz argus56 !

        On dict qu’il y a Zéphyrus,

        [Éolus, Notus]57, Boréas ;

        Mais ces quatre vens ne sont pas

105  Bien suffisans pour raporter58

        À ceulx dont je vous veulx conter :

        [Le premier]59 est le vent du vin,

        Qui souvent souffle au chérubin60.

        Et le second, c’est des haultz-vens61,

110  Des flajotz62 et haultz instrumens

        Qui sonnent63, font muer la chèr,

        Marcher, troter, glasser64, glisser.

        Le tiers est du vent de chemise65,

        Qui vault pirs que le vent de bise.

115  Le quart est le vent de derière66,

        Dont on se doibt tirer arière

        À cause du vray sentement67.

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        Dont — en fin que mon « fondement68 »

        Puisse [selon le vent]69 marcher —

120  Je vous vouldray premyer toucher70

        Du plus souef71 vent de l’anée :

        C’est Bacus, dieu de la vinée,

        Qui s’aproprye à Zéphirus72.

        À cela, n’y a poinct d’abus.

125  Et ce vin, tant plus est nouveau,

        De tant plus atainct le cerveau.

        Ce vent est moytié froid et chault ;

        Y sifle, y souffle, y faict un sault.

        Au premier73, y semble qu’i tonne :

130  Il enfondre quasy la tonne74,

        S’il n’a le passage à souhaict.

        Il rend un homme de bon hect75

        En sentant une odeur sy bonne ;

        Il réconforte la personne.

135  Ce vent à plusieurs choses duict76 :

        Il engendre joye et déduict77

        Et oste la mélencolye78.

        Il cause souvent qu’on s’alye79

        Et qu’on faict [des] enffans petis.

140  Il donne divers apétis.

        Y faict croistre bonnes humeurs

        Comme Zéphirus faict80 les fleurs.

        Quant y souffle modérément,

        Il aguise l’entendement.

145  Quant y faict les doulces virades81,

        Il réconforte les malades.

        Mais quant il n’est bien atrempé82,

        Homme n’est qui n’en soyt trompé :

        Il vous faict changer le vyaire83

150  Et faict troubler le lumynaire84 ;

        Y faict ung homme sy hideulx85

        Que, d’une chose, on en voyt deulx.

        Ung homme comme un Célestin86,

        Y vous en faict un chérubin87 !

155  Y faict [les] gens chanter, parler,

        Saulter, tripper88, tumber, baler,

        Abastre un huys89, rompre une porte.

        Y semble c’un deable l’emporte,

        Tant esmeult un térible orage !

160  Ce vent faict faire rouge rage90.

        Sy unne femme en est férue91,

        La clef de son con est perdue92 :

        Car il abat (c’est chose prompte)

        La femme en bas ; puys l’homme [y] monte.

165  Exemple en avon bien avant :

        Lo93 en fut frapé, de ce vent,

        Et en r[e]ceust tel passe-avant94

        Qu’on le veist derière et devant ;

        Et tèlement il chancela

170  Que ses95 deulx filles racola.

        Et tant d’aultres96 que c’est merveille !

        Et pour tant, don, je vous conseille :

        Ne prenez de ce vent qu’à poinct97.

        Et voylà pour mon premyer poinct,

175  Qui touche de ventus vinon98.

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        L’autre vent, c’est d’instrumenton99.

        Oyez, bonnes dévotes gens !

        Ce vent procède des haultz-vens100,

        Lesquelz n’ont poinct les sons hideulx

180  Mais trèsdoux ; tant, qu’au moyen d’eulx

        Sont jeunes et vieux resjouys.

        Il avint un jour que j’o[u]ÿs

        Ce vent de flûtes et de lus101,

        Que j’aproprye ad Éolus102 ;

185  Puys je m’en vins (pour chose honneste103)

        Tout droict en une grosse feste

        Où tout chascun faisoyt merveille.

        Ce vent leur souffla à l’horeille

        Et les faisoyt sail[l]ir en hault,

190  Faire un tour [et] ung souple sault104.

        Jamais — don j’aye souvenance105

        Ne vis plus lourde contenance

        Que ce vent la leur faisoyt faire.

        Un grand Sot, regardant l’afaire106,

195  Les vist aller puys reculler.

        Aucuns faisouent107 les bras branler ;

        L’un marche avant, l’autre s’avance

        Au loing : au meileu108 de la dance

        Se métoyt pour faire virades109.

200  Bien montrouent qu’i n’estouent malades110

        — Car pas n’avoyent esté batus —

        De ce vent ne de ses vertus.

        Tout autant de gens qu’i toucha,

        Chacun d’iceulx le cul haucha111.

205  L’un souffloyt et suet112 de peine,

        L’autre en estoyt [tout] hors d’alaine113 :

        Chacun en estoyt boutiflé114.

        S’il eust plus longuement souflé,

        C’estoyt pour prendre la brigade115

210  De ce vent qui faict ceste ambade116.

        Depuys l’entrée jusqu(es) à l’issue,

        Rend sy grand chaleur qu(e) on [en] sue :

        C’est un vent chault, en vérité,

        Plus que le soleil en esté.

215  Y vous faict esmouvoir les vaines117,

        Y faict suer entre deulx aines118.

        Ce vent est plaisant instrument,

        Car y faict faire ajournement119 ;

        Et bref, yl a120 (comme y me semble)

220  Faict metre homme et femme ensemble.

        De nuict, souvent, y faict merveille :

        Les jeunes filles y réveille121,

        Et sy, les faict toute nuict estre,

        Pour escouster, en la fenestre ;

225  Y les faict sortir hors du lict

        Pour entendre mieulx le déduict.

        Par quoy, c’est mirabilia !

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        Et pour tant, je dis qu’il y a

        Quatre vens en ce monde ycy,

230  Dont [en] voy(e)là deulx, Dieu mercy !

        Mais avant que soyons partys,

        Verrons122 les deulx aultres partys :

        Ces123 deulx aultres seront notés

        Bien deument124 et bien racomptés,

235  Comme nous avons de coustume.

.

        Et pour tant, en heure oportune,

        Parleron du vent de chemise,

        Aussy froid que le vent de bise :

        Car souvent faict haper l’onglée125,

240  Et faict la personne engelée,

        Qui126 s’en laisse fraper souvent.

        Car y fault noter que ce vent

        Premièrement frape au regard ;

        Et, du regard (se Dieu me gard),

245  Frape au cerveau, et puys au cœur.

        Et oste à l’homme sa127 rigueur,

        Sa franchise et son industrie,

        Et totalement le mestrie128.

        À tort & à travers, y rue,

250  Y faict l’homme courir en rue,

        Et passer, en une saison129,

        Cent foys devant une maison130 ;

        Et s’une foys il ne claquète131,

        Du moins il baise132 la cliquète.

255  Ce vent, souvent (sans soy débatre133),

        Faict soudain un homme s’embatre134,

        Fraper, cresmir135 par fantazie,

        Prendre fièvre par jalouzie.

        Car quiquonques en est souflé,

260  D’engaigne136 en devient boursouflé

        Et n’a, [ne] jour ne nuict, repos.

        Il est pensif à tous propos.

        S’y cuide un petit sonmiler137,

        Ce vent vous le faict réveiler

265  Et faire chasteaux en Espaigne138.

        Il se rapaise, y se rengaigne139.

        Puys s’il espoire aucun délict140,

        Ce vent le soufle sus son141 lict

        Et hors de la maison l’emporte ;

270  S’il ne peult sortir par la porte,

        Y saulte hors par la fenestre,

        Et ne séroyt en nul lieu estre142.

        Y143 le conduict, y le pourmaine,

        Et devant quelque hostel le maine144,

275  Là où il va compter le careau145.

        En lieu de panser146 son cerveau,

        Y menge des poyres d’engoysse147,

        Et soufre très mauvaise engoysse

        En craignant du vent l’accident148.

280  Y vous est tremblant dent à dent149,

        Tant qu’i fault que par force on l’oye150.

        Ce vent le faict chanter sans joye.

        Y va siflant avant le vent151 ;

        Y s’eslongne et revient souvent.

285  Y croquette du doy à l’uys152

        Ou contre une fenestre ; et puys

        S’y est nul qui met153 contreverse,

        Y vient quelqu(e) un154 [qui] luy renverse

        Ung pot à pisser sur la teste155.

290  Puys y jure [et] y se tempeste :

        « Le mal sur mal n’est pas sancté156 ! »

        Le voylà quasy despité.

        N’esse pas une grand pityé ?

        Ainsy, n’y a nule amytié157

295  À ce maudict vent de chemise ?

        Et ! sy a bien158, quant je m’avise :

        Non obstant, je dis qu’entre nous

        Aucuns159 le treuvent sy très doulx ;

        C’est quant y leur soufle au visage

300  En faisant le pèlerinage

        Et le voyage Sainct-Bézet160 :

        On trouve [à] la foys161 quelque esguet,

        Tandy[s] que se passe l’orage…

        Ce vent de chemise faict rage,

305  Pour finalle conclusion.

        Tel [en dict icy maldisson]162

        Qui en peult bien estre frapé.

        Virgille mesme en fut trompé163,

        David164, et son filz Salomon165,

310  Aristote166. Le fort Sanson

        [En traïson]167 fust « circonsit »,

        Et bientost après, on l’ocit.

        Et pour tant, n’en prenez qu’à poinct168.

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        Et voy(e)là, pour nostre aultre poinct,

315  De  la dernière colatïon :

        Seigneur[s], pour résolution

        De nostre partye dernière,

        Toucheron du vent de derrière,

        Que j’aproprye à Boréas.

320  Ce vent soufle tousjours en bas,

        Rendant souvent un bien lect ton169 ;

        Mais il revient vers le menton

        Fraper tout droict à la narine,

        Sentant plus fort que poix résine170,

325  Procédant de bruyne espoisse171.

        Ce vent a deulx noms : pet, et vesse.

        (D’autre172 pet, donc, n’a pas science.)

        Je vous diray la différence :

        Sachez qu’i produict173 d’un estroict

330  Bien chault, et qu’i tire vers le froit ;

        Et quant froid et chault sont ensemble,

        Voulontiers tonne174, ce me semble.

        Aussy, quant ce vent [chault] s’entonne,

        Y semble proprement qu’il tonne,

335  Ou y resemble à la trompète ;

        Adonc dict-on que ce vent « pète ».

        Mais quant y soufle doulcement

        Sans rendre son aucunement175,

        On l’apelle le vent de « vesse ».

340  Sy je nomme leur non, qu’en esse ?

        Les parolles ne sentent pas !

        Se, non obstant, soyt hault ou bas,

        Touches176 de ces deulx vens, pensez

        Qu’i sont tous deulx puans assez :

345  J’en eustz le sentement orains177 !

        Ce vent procède devers178 Rains,

        Tyrant devers Roye et Cuissy179.

        Entendez bien180 ? Il est, ainsy

        Que luy181, plain de layde bruyne.

350  En passant182 vient une ruyne

        Et une pluye mout espouesse183.

        Et pour cela, bonnes gens, esse

        Que sy [très] puant sentement184

        A, dont y soufle rudement.

355  Et s’esmeult un cruel orage

        Qui luy faict faire rouge rage.

        Mais la bruyne chet185 en bas

        Et cesse ainsy que Boréas.

        Et pour ce, dict-on bien souvent :

360  « Petite pluye abat grand vent.186 »

        Ce vent est doulx ; mais non obstant,

        Yl est sy fort et sy puant

        Que nous en sommes bien tennés187.

        Aussytost qu’i nous frape au nez,

365  L’un en dict « fy ! » et l’autre en crache.

        Entendez188 ? Je veulx bien c’on sache :

        S’y soufle en bonne compaignye,

        Quelc’un189 le faict, chascun le nye ;

        Et faict tirer les gens arière

370  Aussytost qu’i sort du derière.

        S’y soufle entre deulx amoureux,

        Chascun des deulx en est honteux.

        S’y soufle entre l’homme190 et la femme,

        Y répute[nt] l’un l’autre infâme191.

375  Et mesmement, sy c’est au lict,

        Yl  empesche l’amoureux délict192 :

        Car la femme, sentant ce vent,

        Eslongne son mary. Souvent,

        Elle boute du premier sault193

380  La teste hors194, le bec en hault.

        Et pour tant, sy ce vent sentez,

        Estoupez vos nez ! Et notez

        Que les quatre vens dessusdictz

        Sont dangereux — je le vous dictz —

385  À sentir oultrageusement.

.

        Et pour tant, au commencement

        De ceste prédication,

        Ay prins pour ma fondation :

        Quatuor ventus de mondo

390  Faciont myrabilia.

        Je dis qu’in diverso modo195,

        Quatre vens au monde il y a.

        Ainsy, vous sérez qu’il viendra196

        Quatre vens souflans à tous nez.

395  Gardez-vous-en, sy vous voulez :

        C’est cela que je vous conseilles.

        Je vous en ay compté les merveilles

        Et les maulx pour eulx197 avenus ;

        Je prye à Bacus et Vénus

400  Que d’iceulx soyons absentés198.

        Finablement, saulvez199, goustez,

        Notez et retenez mes dis !

        Que Dieu nous doinct son Paradis !

.

                                                   FINIS

*

1 Comme il est de règle dans les farces, le prédicateur ignore le latin. Même le début de la messe lui échappe. In nomine Patris, et Filii, et Spiritus Sancti : Au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit.   2 Quatre vents, au monde, font des miracles.   3 LV : mondo  (Correction d’Émile PICOT : Romania, nº 16, 1887, pp. 462-4. Même faute aux vers 93 et 391.)  Cette locution plus italienne que latine signifie : De plusieurs manières, par différents moyens.   4 LV : y a  (À la rime.)  Il faut maintenant.   5 Dans mon bref sermon. Idem vers 315. Cf. le Sermon pour un banquet, vers 136.   6 LV : lexposision  (Le sujet du sermon.)   7 Certains. Idem vers 196 et 298. Le Carême est un jeûne de 40 jours. Dans les pièces normandes, « femme » rime parfois en -ème : « Sçaichez qu’il n’est homme ne femme/ Qui ne doit jûner en Caresme. » La Confession Rifflart.   8 Jeûne de 3 jours qui revient quatre fois par an. « Lors estoit le jeusne des Quatre-temps. ‟Je n’entens point (dit Panurge) cest énigme : ce seroit plustost le temps des quatre vens, car jeusnant, ne sommes farcis que de vent.” » (Rabelais, Vème Livre, 1.)  L’Avent est la période frugale qui précède Noël.   9 Je prêcherai. Le sermonneur fusionne « Quatre-temps » et « Avent » pour obtenir « quatre vents ».   10 LV : vens  (Correction suggérée par Jelle KOOPMANS : Recueil de sermons joyeux, Droz, 1988, pp. 508-528.)   11 Trinqueballer, chanceler.   12 D’abord. Lorsqu’ils font la quête, les moines mendiants recommandent leur couvent aux donateurs.   13 Oisif. L’oisiveté des moines est régulièrement dénoncée. Longtemps avant le célèbre Couvent des Oiseaux, il y eut donc un couvent des oiseux.   14 Le sermonneur porte le froc des Bénédictins, qui sont astreints à la Règle de saint Benoît.   15 Débauchés. Tout comme les Conards de Rouen, qui dénonçaient sur les planches les derniers scandales, notre sermonneur fait allusion à une « affaire » récente qui implique un chanoine : voir les vers 58-61.   16 D’engloutir des chopines de vin. Il existe un Sermon de la choppinerie.   17 Mettre un verre. « Ont-ilz bien bouté soubz le nez ? » Villon.   18 « Une trèsgente mignonnette/ Qui est belle, doulce et tendre. » Le Mariage Robin Mouton.   19 Pour cela. Idem vers 172, 228, 236, 313, 381, 386.   20 LV : lammayre  (L’aumônière, la bourse. « Je vos donrai amônière de soie. » Godefroy.)  À votre bourse pour en extraire une aumône.   21 Par amitié.   22 Avec les.   23 Le jeune clerc du moine. Le prêcheur du Sermon pour un banquet fait lui-même la quête, car son clerc est absent : « Sy j’avoye frère Alitrotin,/ Y s’en yroit fère la queste. » Émile Picot argumente que ce Phlipot pourrait être un comédien rouennais qui créa vers 1545 les Troys Gallans et Phlipot : Recueil général des sotties, t. III, pp. 171-172.   24 Que vous oyiez (verbe ouïr).   25 LV : vons  (« Je suys un bon frère Frapart. » Sermon pour un banquet.)   26 Les maquignons faisaient passer leurs vieux canassons pour de fringants coursiers ; voir la note 54 de Troys Galans et un Badin. Les vers 47-92, qui raillent des professionnels véreux à la manière des Conards de Rouen, ne font pas partie du sermon original.   27 Que s’ils ne sont pas. L’ironie consistant à feindre de récompenser des actes immoraux porte la signature des Conards : « Nous accordons aux meusniers/ Prendre la quarte pour myne [de confondre à leur profit les unités de poids]…./ Cousturiers,/ S’ilz ne sont fins ouvriers,/ Ne pourront faire bannière [voler du tissu]. » Ordonnances conardes, 1542.   28 La goutte.   29 Pendant 40 jours. C’est la durée du jeûne du Carême.   30 LV : bose  (Inflammation des ganglions due à la peste ou, en l’occurrence, à la syphilis. « Quelque gallant s’y fourrera,/ Qui en aura la boce en l’ayne :/ Et vélà (ce) qu’il y gaignera. » Parnasse satyrique du XVe siècle.)   31 Séduire. Décevèr rime avec fessèr, à la manière normande.   32 Avec des verges : « Unes verges trèsbien poignantes. » (Le Ribault marié.) Les supérieurs condamnent à la fustigation les moines fautifs : « Au couvent,/ Où (il) fut receu myeulx que devant/ Avec des verges et des fouetz. » (Pour le Cry de la Bazoche.) Mais cette proximité entre des verges et un cul peut faire jaser…   33 Les bouchers ont les lèvres enflées parce qu’ils « soufflent » la viande pour la faire paraître plus fraîche et plus grosse : « Ne porront les bouchers souffler ou faire souffler leurs chairs, ne les vendre soufflées. » Godefroy.   34 Sans arrêt : sans retard. Cf. l’Aveugle et Saudret, vers 415 et 703.   35 Merdeuses. Les tripiers, qui vendent des morceaux d’intestins plus ou moins propres, font l’objet d’insultes scatologiques : « Paillart tripier breneux ! » Trote-menu et Mirre-loret.   36 Pleins de merde jusqu’aux jarrets.   37 Meuniers. « Prions pour ces ‟loyaux” muniers,/ Que tous chascun disent larons. » Sermon pour un banquet.   38 Qui prélèvent dans les sacs un peu du blé qu’on leur apporte à moudre. Voir la note 184 du Munyier.   39 Dans la rivière qui actionne leur moulin à eau.   40 Qu’ils soient broyés par les meules de leur moulin. « Ou qu’il soit mis entre meules flotans/ En ung moulin ! » Villon.   41 Mot manquant : la rime est en -és. Les barbiers jurés représentent leur corporation. « Perrot Girard,/ Barbier juré du Bourg-la-Royne. » (Villon.) On leur reproche de prendre plusieurs clients à la fois, de commencer tout et de ne rien finir : cf. Jehan qui de tout se mesle.   42 LV : de leurs ventres sans mal porter  (Ces prières ne peuvent être que satiriques.)  J’emprunte ce vers au Sermon pour un banquet, dont les rapports avec le présent sermon sont multiples : « Prion Dieu pour femmes enseintes :/ Que l’enfant puisse desloger/ Aussy doucement qu’à l’entrer ! »   43 LV : en horter  (Qu’elles puissent exhorter.)   44 La sodomie était un efficace moyen de contraception, mais les femmes ne l’appréciaient pas beaucoup : cf. la Fille bastelierre, vers 177 et note.   45 Au changement de folio, le scribe a omis la fin de cette prière et le début de la suivante. Il a rajouté ce vers après coup au-dessus de la nouvelle colonne du fº 16 vº, mais n’avait plus de place pour noter son pendant, que je restitue d’après la rime et le sens probable. La lacune qui suit ne nous permet plus de savoir à qui s’adresse l’imprécation finale.   46 La jeune fille des Mal contentes rêve de se marier pour perdre le sien.   47 Charbon.   48 De charron, de fabricant de charrettes.   49 Le bluteau sert à tamiser la farine.   50 LV : blraye  (J. Koopmans lit « bleraye ou blaaye », mais le « r » un peu orné de blraye est celui de trompé au v. 148. On reconnaît ce « r » orné tout au long du ms. La Vallière.)  Villon conseille à ceux qui n’ont pas d’étamine ni de bluteau d’utiliser comme tamis des braies merdeuses : « Passez tous ces frians morceaulx/ —S’estamine, sas n’avez ou bluteaulx—/ Parmy le fons d’unes brayes breneuses. » Ballade des langues envieuses.   51 Gaze servant à filtrer des liquides. Cf. Mallepaye et Bâillevant, vers 268-270.   52 Animal mythique aux griffes redoutables. « Quant au griffon coupit la pate. » (Le Capitaine Mal-en-point.) Le sermonneur compare donc cette patte prédatrice à la main d’un curé.   53 LV : mondo  (Note 3.)  Reprise, dans un ordre différent, des vers 3-5.   54 LV : que   55 Se mette en garde contre un tel danger.   56 Ce n’est pas le moment de tomber dans des querelles de langage.   57 LV : eleos nodue   58 Pour les comparer.   59 LV : la premiere  (Correction Picot.)  Le vent du vin désigne les vapeurs d’alcool ; on dit aussi l’esprit du vin, ou les fumées du vin.   60 Au visage. « À cestuy-cy qui a du vin,/ Et si, ne m’en veult point bailler/ Pour arrouser mon chérubin. » Vie de sainct Didier.   61 Le vent des hautbois. Idem vers 178. « Deux autres trompettes et trois hauvens. » ATILF.   62 Des flageolets : des flûtes champêtres.   63 Mes prédécesseurs lisent : souvent. « Icy sonnent les instrumentz. » (Pour le Cry de la Bazoche.)  Chair rime avec glissèr, à la manière normande.   64 LV : glaser  (Glisser comme sur de la glace. « Quant li uns des piés glace, li autre li aide tantost. » Godefroy.)   65 Un vent de folie qui renverse la raison. « Qui a du vent de la chemise,/ Il est tousjours de Dieu bénist. » (Ung Fol changant divers propos.) Le sermon réserve cette expression à la folie amoureuse, qui frigorifie les amoureux vêtus d’une simple chemise et exposés au vent : « En chemise, sur la perchette [dans le poulailler]/ Je fuz trois heures et demy. » Beaucop-veoir et Joyeulx-soudain.   66 « Les quatre ventz auront discord,/ Car l’un doibt souffler par derrière. » Pronostication nouvelle, Montaiglon, XII, 165.   67 De sa senteur, de sa puanteur. Voir la farce du Pet, vers 291 et 304.   68 Donc, afin que le thème de mon sermon. Ce thème est nommé « fondation » au v. 388, comme il se doit ; mais ici, nous avons un jeu de mots sur le « fondement » qui laisse échapper des vents.   69 LV : secondement  (« On dit aussi ‟Aller selon le vent” pour dire : Régler sa navigation sur le vent. » Dict. de l’Académie françoise.)   70 Toucher un mot, parler. Idem vers 175, 318 et 343.   71 Suave, doux. J’ignore ce qu’avait bu Jelle Koopmans pour écrire que « souef » est la forme normande de « soif ». Les Normands disaient « sé », comme en témoignent une infinité de textes : « Il sont mortes de sai pour le trop peu de vin. » (La Muse normande.) Voir la note 33 de Troys Galans et un Badin.   72 Qui s’apparente à Zéphyr. Voir les vers 184 et 319.   73 Au premier saut : de prime abord. Voir le vers 379.   74 Il fait quasiment exploser le tonneau de vin, ou le ventre du buveur.   75 De bon hait : de bonne humeur.   76 Sert.   77 Plaisir.   78 « Se tu es en mérancolye,/ Boy bon vin ! » Sermon joyeux de bien boire.   79 Il fait qu’on s’allie, qu’on s’unit à une femme.   80 Fait croître. La pollinisation est en partie due au vent.   81 Quand il fait tourner la tête.   82 Coupé avec de l’eau. « Du vin molt bien atrempé d’eaue. » ATILF.   83 Le visage. Cf. les Brus, vers 110 et 186.   84 Il rend la vue trouble. Cf. l’Aveugle et Saudret, vers 328.   85 Il fait loucher si hideusement un homme.   86 Un moine paillard. « Ains que ces maistres Jacobins,/ Cordeliers, Carmes, Célestins/ Ne jouent de nature la basse. » Les Rapporteurs.   87 Un ange. Les chérubins, qui ont la figure aussi rouge* que les ivrognes, en sont parfois rapprochés : « –Où seroyent les bons biberons [buveurs] ?/ –Assis auprès des chérubins,/ Car y sont supôs de Bacus. » (Troys Galans et un Badin.)  *« Rouge comme un beau chérubin. » Sœur Fessue.   88 LV : triquer  (L’erreur est due à la proximité du verbe baller [danser] : au vers 17, nous avions triquebaler.)  Sautiller. « Quant je danse, je saulx, je tripes. » Les Menus propos.   89 Une porte, comme le fait l’ivrogne des Sotz fourréz de malice : « Deffait tu as cest huys : Tien ! tien ! »   90 Fait faire des étincelles. Idem vers 356. « Sy très bien que c’est rouge rage. » L’Arbalestre.   91 Frappée, atteinte.   92 Son con ne fermera plus à clé, sera ouvert au premier venu.   93 Loth, que ses deux filles ont enivré pour qu’il leur fasse un enfant.   94 Un tel coup. Cf. la Laitière, vers 263.   95 LV : ces  (Qu’il accola sexuellement ses deux filles. « Soudain se va dresser son chose./ ‟Ma femme sera racollée.” » La Fille bastelierre. Cependant, l’Invitatoyre bachique nous affirme que Loth « bacula » ses filles, qu’il leur martela le cul.)   96 Tant d’autres hommes ivres en ont fait autant.   97 Qu’avec modération. Idem vers 313.   98 Prononciation à la française de ventus vinum : vent du vin. Si le sermonneur avait su le latin, il eût employé le génitif vini.   99 Instrumentum. Les instruments à vent, eux non plus, ne sont pas sans danger pour la morale. D’ailleurs, le haut clergé voyait la danse d’un très mauvais œil.   100 Des hautbois (note 61).   101 De luths, qui sont des instruments à cordes.   102 Nouvelle faute du sermonneur, pour « ad Eolum ».   103 En tout bien, tout honneur. Cf. Deux jeunes femmes qui coifèrent leurs maris, vers 254.   104 Un soubresaut : une cabriole. Cf. le Bateleur, vers 16.   105 Pour autant que je m’en souvienne.   106 Les Sots sont de bons connaisseurs en matière d’instruments à vent et de danses débridées. Il faut dire que leur tête est pleine de vent.   107 Quelques-uns faisaient bouger leurs bras. Cette terminaison dont notre copiste a le secret revient au vers 200 mais pas ailleurs.   108 Au milieu.   109 Des pirouettes.   110 Ils montraient bien qu’ils n’étaient pas malades. Le Moyen Âge connut plusieurs épidémies de danse de saint Guy : sans raison, la population se mettait à danser convulsivement jour et nuit, jusqu’à s’écrouler de fatigue. Parmi les causes invoquées figurait l’influence du vent. Les vers 188-216 décrivent avec une précision clinique le phénomène qui s’abattit sur Strasbourg en 1518. Curieusement, cette source française n’a jamais été signalée, alors que l’auteur raconte ce qu’il a vu.   111 Hocha le cul, se trémoussa.   112 Suait.   113 Essoufflé. « Je suis quasi tout hors d’haleine. » Frère Fécisti.   114 « BOUTIFLÉ : Gros, gonflé, bouffi. » Jules Corblet, Glossaire du patois picard ancien et moderne.   115 J’aurais rejoint la compagnie des danseurs.   116 Cette farandole. « Je faictz petis saulz, gambades/ Et ambades. » Les Mal contentes.   117 Il vous réjouit sexuellement. « Je ‟luteray” corps à corps/ Et m’esmouvray bien les vaines. » Les Botines Gaultier.   118 Entre les cuisses. Saigner une femme entre deux aines, c’est lui faire l’amour : cf. Frère Phillebert, vers 119.   119 LV : laiournement  (Un ajournement de fesses : une promesse de coït. « Le baiser/ De chambrières ou de maistresses,/ C’est un adjournement de fesses. » Les Chambèrières qui vont à la messe.)   120 LV : la   121 Leur amoureux donne sous leur fenêtre une sérénade d’instruments à vent.   122 LV : fron  (Nous verrons les deux autres possibilités.)   123 LV : les   124 Dûment, comme il faut.   125 Il blanchit les doigts. Les hommes que ce vent a rendus fous d’amour passent leurs jours et leurs nuits devant la porte ou sous la fenêtre de leur belle, y compris en hiver.   126 Quand elle.   127 LV : la  (Corr. Leroux de Lincy et F. Michel.)   128 Le maîtrise.   129 En un moment.   130 Devant la maison de la femme qu’il aime.   131 Si l’amoureux ne claque pas des dents à cause du froid. « Et faire claqueter les dens. » Les Sotz fourréz de malice.   132 LV : baisse  (Les amoureux embrassent le heurtoir pendu à la porte de leur belle, en signe d’allégeance. Cf. Troys Pèlerins et Malice, vers 167-175.)   133 Sans conteste.   134 LV : dbatre  (Corr. Koopmans. Le tilde remplace un « n » ou un « m ».)  Se précipiter. « Quant dueil sur moy s’embat. » Villon.   135 Craindre.   136 De dépit.   137 S’il compte sommeiller un peu.   138 Imaginer que sa maîtresse le trompe.   139 Il s’apaise et il se calme. Rengainer = remettre une arme dans son fourreau.   140 S’il espère que sa maîtresse lui donnera un peu de plaisir. Voir le vers 376.   141 LV : un  (Le soulève de son lit.)  « Ung autre vent s’engendrera entre les nuées, tant impétueux et de si grande activité qu’il sourprendra gens en leurs lictz, et transportera hommes et femmes en divers quartiers de ce monde. » Jehan Molinet, Prenostication des quatre vens.   142 L’amant ne saurait rester en aucun lieu loin de sa belle.   143 Ce vent de folie. Le sermonneur oublie de rappeler que ledit vent est représenté par Notus (vers 103).   144 Et le mène devant la maison de son amie.   145 Les pavés, sur lesquels il va faire les cent pas. En Normandie, « où il » se prononçait « wil » en 1 syllabe : voir la note 188 de la Folie des Gorriers.   146 LV : penser  (Au lieu de soigner.)   147 Au sens propre, instrument de torture qui écarte les mâchoires : « Mengier d’angoisse mainte poire. » (Villon.) Au sens figuré, on dirait aujourd’hui : il avale des couleuvres.   148 L’effet.   149 Il claque des dents. « Mon maistre tremble dent à dent. » Le Cousturier et Ésopet.   150 Tellement qu’il faut bien qu’on l’entende claquer des dents.   151 L’amoureux siffle de-ci, de-là. Cf. les Veaux, vers 209 et note.   152 Il toque plusieurs fois contre la porte de sa maîtresse avec son doigt. « Nous prendrons noz esbas/ À luy croqueter sur la teste. » ATILF.   153 LV : le  (Si un voisin engage une controverse parce qu’il fait du bruit.)   154 Le mari de la dame, ou sa gouvernante.   155 Les donneurs de sérénades s’exposent à recevoir sur la tête l’urine d’un pot de chambre, ou le pot lui-même : « J’ay chanté (le diable m’emporte)/ Des nuicts cent foys devant sa porte,/ Dont n’en veux prendre qu’à tesmoings/ Trois potz à pisser, pour le moins,/ Que sur ma teste on a casséz. » Clément Marot.   156 « Mal sur mal, ce n’est pas santé./ Se le mary dit ung seul mot,/ Elle vous prendra tout à coup/ Quelque tison, ou le vieux pot/ À pisser. » Les Secretz et loix de Mariage (Montaiglon, III, 188).   157 Il n’y a aucun avantage.   158 Il y a bien un avantage.   159 Que parmi les moines, certains…   160 Les femmes vont en pèlerinage sans leur mari, mais entourées d’hommes qui guettent une bonne occasion : les vers 219-230 de Régnault qui se marie rendent bien compte de cette promiscuité. Saint-Béset comporte un jeu de mots sur baiser : « À la feste/ De sainct Trotin et sainct Béset. » Tout-ménage.   161 À l’occasion : « C’est je ne sçay quel folye/ Qui à la fois le sang me ronge. » (Ung mary jaloux.)  Un esgait est une hutte d’oiseleurs : « Je me mis en esgais/ Où maint gentil oisel estoient. » (ATILF.) En résumé, les moines profitent d’un orage pour attirer des pèlerines sous une hutte.   162 LV : ne dict icy mal ne son  (Malédiction. « Et cent mille aultres mauldissons/ À chascun coup nous nous disons. » Deux hommes et leurs deux femmes.)   163 Victime de ce vent de folie amoureuse, Virgile resta suspendu dans une corbeille à cause de la femme qu’il allait rejoindre. C’est Folie — elle s’en vante — qui a fait « mectre Virgille en la corbeille,/ Sallomon chevaucher sans selle ». La Folie des Gorriers.   164 Victime de la coquetterie de Bethsabée, « David le roy, sage prophètes,/ Crainte de Dieu en oublia/ Voyant laver cuisses bien faites ». Villon.   165 LV : absalon  (Aucune frasque féminine concernant ce personnage falot ne nous est parvenue.)  Salomon, fils de David, est rangé parmi les victimes de la folie amoureuse : « Folles amours font les gens bestes :/ Salmon en ydolâtria. » Villon.   166 Le Lai d’Aristote, un des poèmes les plus connus du XIIIe siècle, raconte comment le philosophe tombe amoureux d’une allumeuse qui lui met une selle sur le dos et monte dessus pour qu’il la promène dans un verger. Le sage Aristote ne put empêcher « qu’Amour ne l’ait mis à folie ». La farce de Lordeau et Tart-abille lui a rendu justice : « Les hommes en sont bien vengiés :/ Car pour ung qui fut chevauchés/ Une fois par malle meschance,/ Ung seul homme, pour sa vangence,/ En ‟chevauche” deus cens [200 femmes dans] l’anée ! »   167 LV : sision en  (C’est toujours Folie qui a fait « par Dalida, en traïzon,/ Copper les cheveux de Sanxon ». La Folie des Gorriers.)  Circoncire = couper les cheveux : « Je veux circoncire ces cheveux. » Godefroy.   168 Pour cela, ne prenez du vent d’amour qu’avec modération.   169 Un son bien laid. « Et le let ton au cul des brenatiers [foireux]. » (J. Molinet.) « De quel métal est ung pet ? Il est de laiton. » Demandes joyeuses en manière de quolibetz.   170 Poix très odorante issue de la combustion des résineux. « Poix résine de pin. » (Godefroy.) Notons qu’en Normandie, « poix » se prononçait comme « pet ».   171 Épaisse. La bruine désigne un nuage gazeux, comme aux vers 349 et 357. On marque la diérèse : bru-ine.   172 LV : Lautre  (Il n’existe donc pas d’autre pet que ces deux-là.)   173 Que ce vent provient. « Ceulx dont peult produyre/ Et sourdre débat et envie. » (Le Roy des Sotz.)  Un étroit est une ouverture étroite : « Saintré (…) actaint le Turcq, de sa lance, par l’estroit de sa bavière [mentonnière]. » ATILF.   174 On expliquait déjà les orages par une rencontre d’air froid et d’air chaud.   175 Sans produire aucun son.   176 Je vous parle (note 70).   177 La puanteur tout à l’heure.   178 LV : vers les  (Jeu de mots banal sur la ville de Reims et les reins, qu’on prononçait de la même façon : « Il n’est ouvrage que de Rains. » Les Botines Gaultier.)   179 LV : cuysi  (Jeu de mots sur les cuisses féminines : « En la vallée de Cuissy,/ (Il) se lança comme ung estourdy/ Contre le con d’une tripière. » Le Tournoy amoureux.)  La ville de Roye et la raie des fesses avaient la même prononciation : « L’abbesse de Roye. » Les Sotz qui remetent en point Bon Temps.   180 Le sermonneur fait un bruit de pet, comme à 366. Cf. le Bateleur, vers 35-37.   181 Ainsi que le vent dont je viens de vous régaler.   182 Quand il passe. Une ruine est un écoulement : « Il est tenu (…) de faire voye aux esgoux d’icelle bastide quand il vient ruine d’eaues par les conduis desdis esgoux. » ATILF.   183 Une pluie moult épaisse : une diarrhée.   184 LV : sentiment  (Puanteur : v. la note 67. Notre sermonneur ne fait pas dans le sentiment !)   185 Choit, retombe.   186 Rabelais donna lui aussi un tour scatologique à ce proverbe : « Mais ne pouvant Jénin dormir, en somme,/ Tant fort vesnoit [pétait] Quelot et tant souvent,/ La compissa. Puys : ‟Voylà (dist-il) comme/ Petite pluie abat bien un grand vent.” » (Quart Livre, 44 : Comment petites pluyes abattent les grans vents.)  Notre dramaturge, qui a pourtant lu Villon, nous épargne un autre proverbe : « Autant en emporte le vent. »   187 Tannés, incommodés.   188 Nouveau bruit de pet.   189 LV : chascun  (« Et quant est hors, chascun le nye./ Et si [pourtant, il] abreuve la compagnie :/ C’est une vesse toute née. » Adevineaux amoureux.)   190 Le mari. Cf. Deux hommes et leurs deux femmes.   191 Ils s’accusent mutuellement de l’avoir fait, comme dans la farce du Pet.   192 L’amour. « Je la baiseray des foys trente/ En faisant l’amoureulx délict. » Le Poulier à sis personnages.   193 D’emblée.   194 Hors du lit.   195 LV : mondo  (Note 3.)  Reprise des vers 3-6.   196 LV : y a  (Rime du vers précédent.)  Vous sérez = vous saurez ; même normandisme à 272.   197 LV : elles  (Corr. Picot.)  Advenus à cause de ces vents.   198 Que de ces vents nous soyons éloignés. Il vaudrait mieux lire exemptés.   199 LV : saultes  (Sauvez de l’oubli.)

SERMON POUR UN BANQUET

Bibliothèque nationale de France

Bibliothèque nationale de France

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SERMON  POUR

UN  BANQUET

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On ignore comment s’intitulait ce sermon joyeux ; son premier vers inspira au copiste du manuscrit un titre par défaut, Sermon d’un cartier de mouton, titre qu’il a d’ailleurs omis de noter dans la table des pièces. Jelle Koopmans1 l’a rebaptisé Sermon d’un cardier de mouton ; or, il n’y a jamais eu de cardiers de moutons : nous ne connaissons que les cardeurs de laine, et je ne sache pas qu’ils soient comestibles, contrairement aux quartiers de moutons. (Voir par exemple le Sermon de sainct Belin, qui narre les transformations culinaires d’un mouton tué par un boucher.) Notre sermon fut prêché au cours d’un banquet <vers 25> : je l’intitule donc Sermon pour un banquet, sur le modèle du Sermon pour une nopce, qui agrémenta un repas de mariage.

Source : Manuscrit La Vallière, nº 5.

Structure : Rimes plates, rimes abab/cdcd.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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Sermon d’un

cartier de mouton

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        Au non d’un cartier de mouton

        (Pour faire branler le menton2),

        D’un[e] andouille à la cheminée3,

        D’un hastelet4, d’une eschinée,

5      D’un bon pot de vin de Bourgongne

        (Pour refaire, à tous, rouge5 trongne),

        D’une brioche de deulx soublz6 :

        Soyez-vous bénis et a[b]soublz !

        Sy vous avez vos apétis,

10    [O vos omnes]7 qui soupatis :

        [Prio vos quod]8 escoustatis,

        Ouvrant grandos horeillibus9.

        Ego monstrabo lardibus10,

        De bonne11 grâce, vivendy.

15    Hec verba sunt alegandy12

        Devant gentibus de bene13,

        Et vobis [non denegandy]14.

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        Après que j’ey [fort bien]15 dîné,

        Peuple qui as icy soupé,

20    En joye et consolation

        Escouste la prédication

        Que veult faire frère Gaultier16 !

        Je ne presche poinct au moutier17,

        Car je n’y treuve poinct d’aquès18 :

25    Y n’est que prescher aux banquès,

        Car on n’y pert poinct son latin.

        Sy j’avoye frère Alitrotin19,

        Y s’en yroit fère la queste ;

        Car (par ma foy) sy je n’aqueste20,

30    Je ne presche poinct de bon cœur.

        Je ne suys poinct ung recepveur21,

        Ny un plaignart22 en une chaire.

        Je veulx qu’on me face grand chère23

        Sans espargner ne [quart, ne part]24 :

35    Je suys un bon frère Frapart25,

        [Bon] compaignon [et bon]26 gaultier.

        Mais à nous, c’est nostre mestier

        Que d’aler parmy vos maisons

        Pour vous demander des toysons27

40    Quant vient entour la Madalaine28.

        J’ey tant jeûné la triolaine29

        Et mengé la soupe au vinaigre

        Que j’en suys demouré sy mesgre

        Que je n’ay vie30 un jour entier.

45    Je veulx faire un sermon plénier31

        Lequel contiendra deulx parti[e]s.

        Mais premier32 que soyez parti[e]s,

        Femmes, vous direz sans mentir

        Que ma « doctrine » est à tenir33.

.

50    Et pour mon « introduction34 »,

        J’ey prins pour ma fondation35 :

        O vos omnes qui soupatis,

        Prio vos quod escoutatis,

        Ouvrant grandis horeillibus36.

55    [Ego monstrabo lardibus,]37

        De bonne38 grâce, vi[v]endy.

        Or çà ! Messeigneurs, je vous dy

        Que je suys bon granmairïen39

        Pour prescher à bon escien :

60    Car (par ma foy) je suys le maistre

        De tous ceulx de nostre cloestre40.

        Les autres ne sont que maroufles41 ;

        Je leur faictz porter mes pantoufles

        Après moy42, comme serviteurs.

65    Un tas de petis preschoteurs,

        De mÿauleurs43, de pÿolars

        Qui contrefont les papelars44

        Afin qu’on leur donne à souper.

        Et sy, ne font que papïer45

70    Comme un chien prins en une bare46.

        Que deable ! ne tiennent-y care47,

        Ou bien la trongne d’un carleur48 ?

        Y semblent à un oyseleur

        Qui [contrefaict cy]49 la pipée :

75    « Ty, ty, ta, ta50 », à l’eschappée,

        Font-y quant y parlent de Dieu.

        Mais quant à moy (par le sang bieu),

        Je desbagoule51 du latin

        Plus dru c’un petit deablotin ;

80    Je le vous trousse par [la goule]52.

        Sytost qu’icy [j’en desbagoule]53,

        J’en tue un chien tout royde mort !

        Ce n’est poinct petit latinor54,

        Ne murmuron55, ne pietarom56 ;

85    C’est : « Grandibus asinorum57

        À brides rouges58, [b]arba factes59 !

        Mora difamus, vocat 60 ‟rates”. »

        Voylà mon latin apresté.

        Je me suys longtemps aresté

90    Pour aruner61 ce beau latin,

        Mais ce n’est pas un picotin62

        De la disme que63 ma science ;

        Vous en vouérez l’expérience

        Avant qu’aiez64 faict la soupée.

95    La pouétrine65 m’est sy enflée

        Du savoir qui est là-dedens

        Que se je ser[r]oys trop les dens,

        Y me sortiroyt par-derière

        Plus espois que n’est lye de bière ;

100  Ou je crèveroys par le ventre66.

        J’ey deigà vescu des ans trente,

        Mais jamais je ne vis prescheurs

        Sy desnués ne sy jeûneurs67

        Comme sont ceulx du temps présent :

105  Personne ne faict plus présent68

        Au pauvre couvent, semydieux69 !

        Et vrayment, un tas de « pourdieux70 »

        Gaignent plus en une journée

        Qu’on71 ne faison en une année ;

110  De quoy nous sommes mal contens.

        Mais d’où vient, aussy, que le temps

        A esté longuement sy cher ?

        Et d’où vient, aussy, que la cher72

        Et les ners sont sy courïaches73 ?

115  D’où vient, aussy, que les filaches74

        Sont [huy75] sy courtes, mes amys ?

        Pourquoy ne prend-on plus de nis76

        Comme on faisoyt au temps jadis77 ?

        C’est Dieu qui l’a ainsy permys.

120  On souloyt trouver des pÿars78,

        Des moyssons79 ou des cornilars,

        Ou des grives80 à fricasser ;

        Maintenant, allez en chercher :

        Vous y serez une sepmaine !

125  Pourquoy n’ont hommes plus de graine81 ?

        Pourquoy sont les noix sy véreuses ?

        Pourquoy sont filles sy fâcheuses,

        Et ont les yeux sy cachieux82 ?

        C’est pour cause qu’on ne faict myeux83

130  À entre nos povres prédicateurs

        [Qui sont de bien dire amateurs.]84

        N’est-il pas dict : « [À Frapabo]85

        « Donate d’un pasté86, preschabo. »

        Voylà du Monde la folye.

135  Et c’est la première partye

        De ma87 belle colatïon.

.

        Mais devant nostre départye88,

        Feron recomandation89.

        Nous prirons pour tous roys et princes,

140  Qu’i puissent maintenir la90 paix

        En tous pays, aussy provinces,

        Et que guer[r]e n’ayon jamais.

        Nous prirons pour ces bons vicaires

        Qui ont ces grosses chambèrières

145  Secrètement, sans qu’on le sache91 :

        [Qu’ils ayent]92, pour leur faire grand[s] chères,

        De l’or tout plain une besache93 !

        Vous érez pour recommand[é]es94

        Femmes qui boyvent leurs fis[é]es95,

150  Et maris qui bastent leurs femmes,

        Et toutes gracieuses dames

        Qui font fourbir leurs babinières96 ;

        Vous érez97 part en leurs prières.

        Nous prirons pour ces taverniers

155  Qui sont [sy souvent]98 coustumiers

        À brasser le [moust du raisin]99 :

        Qu’i puissent estre, en leurs séliers100,

        Noyés aveques leur brassin101 !

        Prions pour ces loyaux muniers

160  Que tous chascun disent larons102 :

        Qu’i puissent aller tous mitrés103

        En Paradis à reculons !

        Prions Dieu pour ces boulengers

        Qui font souvent sy104 petit pain :

165  Qu’i puissent estre tous noyés105

        En l’eau où trempe leur levain !

        Nous prirons, sy le cuir est cher

        Et qu’i ne tienne qu’aux tenneurs106,

        Qu’on les puisse tous escorcher

170  Pour vestir les Frères mineurs107 !

        Pour  séruriers, [mareschaus-ferrans]108,

        Qui sont sur terre tempestans109,

        Qui jour et nuict font des tempestes :

        Qu’i se puissent, de leurs marteaux,

175  L’un à l’autre rompre les testes,

        Et fussent-y tous mareschaulx !

        Nous prirons pour ces bons sergens

        Qui sont aussy doulx qu’éléphans :

        Que Dieu les loge en un cabas

180  En ung grenier, avec les ras !

        Prion Dieu pour femmes enseintes,

        Qui ont esté au « vif110 » atainctes :

        Que l’enfant puisse desloger

        Aussy « doucement111 » qu’à l’entrer !

185  Nous prirons pour tous cousturiers

        Que, de l’ouvrage qu’on leur porte,

        Qu’i112 en prennent tousjours le tiers,

        Ou le grand deable les emporte !

        Nous prirons généralement

190  — Aussy pour moy premièrement —

        Que [vous n’ayez]113 jamais patart

        Que nous n’y ayons nostre part.         AMEN !

.

        O vos omnes qui soupatis :

        Prio vos quod escou[ta]tis !

195  Or çà ! J’ey grand dévotion

        De donner résolution

        De nostre seconde partye :

        De parler j’ey intention

        De l’églentier114, et d’une ortye,

200  Et d’une ronche bien pointye115,

        Et d’autres argumens plusieurs :

        De ceulx qui font mal aux prescheurs,

        Dont Margot l’Orage116 parla.

        Et d’un homme qui dévala

205  En Enfer pour [voir son]117 grand-père,

        Qui le vit en grand vitupère118 :

        …………………………

        Là où il estoyt tout estendu.

        Peu s’en fault qu’i ne fût pendu !

        Et ne tenoyt qu’à un arteil119,

210  Tant seulement pour un verteil120

        Qu’i dérobit, devant121 la messe,

        À122 une bonne fileresse

        Qui filoyt pour nostre couvent.

        –Y l’est123 ?  –Il a le cul au vent.

215  –Mais [à] quel vent ?  –Au « vent de bise124 » :

        Yl a tant honny125 sa chemise

        Qu’il n’a morcel du cul entier !

.

        Une aultre ystoyre, d’un potier126,

        Lequel je127 rencontra[y] ouen

220  Entre Caudebec128 et Rouen,

        Auprès du chesne Sainct-Ytasse129.

        Je luy demanday une tasse130

        Ou un pot à pisser. Un rustre,

        Un vilain, un méchant robustre131 !

225  Sy me va dire vylennye :

        « Or allez vouèr en Savignye132,

        Monsieur, pour vouèr s’on les y donne ! »

        « Et ! mon amy, faict[s] ton aumosne

        (Luy di-ge) au piller133 de la Foy ! »

230  « Vouécy mon cul, fique-y ton doy134

        (Dit-il) ! »

                              « Hélas, viel apostat ! »

        Et je me mais en bon estat

        Pour le maudire et conjurer.

        Je viens tout beau, sans séjourner135,

235  Mectre la main sur sa jument.

        Je le maudis sy fermement

        Que les aureilles luy pelèrent.

        Pos et térines trébuchèrent :

        Tout s’en va bas, paty, pata136 !

240  La povre jument avorta

        Et s’en ala tout droict mourir.

        Le potier s’en cuydoit fuÿr137,

        Mais il n’aloyt qu’à reculons.

        La gouste le138 print aux talons,

245  Et demoura tout estoqué139

        Du péché qu’i s’étoyt moqué

        De moy luy demandant l’omosne.

        Et ! n’est-il pas dict en un prosne :

        « Volaveront 140 con potibus,

250  Terinis et testetibus141,

        Gousta prisys142 in talonnys,

        Et jumentas143 advortatys.

        Pelaveront horeillibus144,

        Et restantes145 borgnatibus,

255  Et brulantes in panistrum146,

        Et [cassatis posteriorum]147. »

.

        Or çà ! Je demande148 responce :

        Asçavoir mon149, sy une ronce

        Et une ortye c’est tout ung.

260  Et certes, je n’en voys pas ung

        Qui sceust ceste questïon souldre150.

        Je voys argüer comme fouldre151,

        Tout fin seulet, les deulx party[e]s :

        Ronchat piquat ; sy font152 orty[e]s.

265  L’un et l’autre piquent-y pas ?

        Ergo, je conclus sur ce pas

        Que c’est tout un, sans plus huer153.

        Or çà ! je m’en voys argüer

        Le contraire de tout cela.

270  Regardons un peu… Or, voylà :

        Des ronches qui ont piquans menus ;

        Et une ortye, el n’en a nus154.

        Par quoy il y a différence

        Bien prouvée, et grand dessemblance155

275  — Ainsy qu’i me semble — entre eux deulx.

        Je prouve tout ce que je veulx :

        D’une ortye, j’en fais ung houx156.

        Ma foy ! je suys trop clerq157 pour vous,

        Puy[s]qu’i fault que vous le déclare.

280  Or, venez çà ! Se je vous hare158

        Ung chien, lequel soyt noir ou blanc,

        Me voulez-vous prouver pourtant

        Qu’i soyt vert ? [Et !] je le vous nye !

        A, dea ! S’il avyent qu’on fournye159,

285  Et qu’i se touille160 à la farine,

        N’est-il pas tout blanc ? Or devine161 !

        Y n’est ne jaulne ny bigaré162 ;

        Et sy, n’est ne vert, ne baré163,

        Comme l’on void en ung proverbe164.

290  Item, s’y se veautrouille165 à l’erbe

        Et il en demeure couvert,

        Par le sang bieu, c’est un chien verd !

        C’est vraye prépositïon166.

        Vouélà pour la conclusion

295  De nostre dernière partye.

.

        Y fault faire ma départye.

        Je ne veulx poinct de patenostres167 ;

        Mais vous jourez de vos menotes168

        Envers moy. Et vous monstrez frans !

300  Vous me donrez .VII. ou .VIII. frans,

        Ou huict ou .IX. gros de Mylen169.

        Dieu vous en doinct la grâce ! Amen170 !

        Celuy qui n’éra jamais fin171

        Vous puisse octroyer telle grâce

305  Com(me) l’écoufle172 fit au poussin

        Ou le regnard à une oue grace173 !

        En vous priant, bon preu vous face174 !

        Toute la noble compagnye,

        Prenez en gré, je vous suplye !

.

                                              FINIS

*

1 Quatre sermons joyeux. Droz, 1984, pp. 67-77.   2 Pour mettre les mâchoires en mouvement.   3 Au nom d’une andouille au gril.   4 D’une viande à la broche. L’échinée est une échine de porc.   5 LV porte un mot abrégé qui rappelle vaguement : nostre  (« La rouge trongne/ D’un Silène ou d’un yvrongne. » Ronsard.)   6 De 2 sous. « Brioche » est un mot normand.   7 LV : os vos onnes  (Même vers que 52 et 193. Parodie des Répons des Ténèbres : « O vos omnes qui transitis. »)  Ô vous tous qui soupez ! Les amateurs de latin de cuisine vont être servis…   8 LV : pre vos qui  (Même vers que 53 et 194.)  Je vous prie d’écouter.   9 En ouvrant grand vos oreilles. Même vers que 54.   10 Je vais vous montrer avec du lard.   11 LV : bene  (Même faute au vers 56.)  De bonne grâce, à vivre.   12 Ces paroles ont été alléguées.   13 Devant des gens de bien. Tout au long du sermon, le prêcheur s’adresse aux « fidèles » que constituent les invités d’un banquet.   14 LV : sont da negandy  (Et à vous, elles ne sont pas refusées.)   15 LV : formy   16 Ce Cordelier lascif et gourmand est un habitué de la littérature anticléricale, et même des chansons gaillardes : « N’allez plus au boys jouer,/ Frère Gaultier,/ Avec Jehanne la moynesse. » Pour s’en tenir aux sermons joyeux qui nous sont parvenus, on le nomme dans Ung Sermon plaisant.   17 Au couvent des Cordeliers de Rouen.   18 Rien à acquérir, à gagner. Les convives des banquets sont beaucoup plus généreux que les paroissiens, qui sont encore à jeun lorsqu’ils entendent la messe matinale.   19 C’est le clerc de frère Gautier, de même que dam Phlipot est celui du prédicateur du Sermon joyeux des quatre vens, ou que frère Jean est le clerc et l’âme damnée du Cordelier frère Frappart. Son nom désigne un de ces moines mendiants qui trottent par les rues. Les dames qui ne sont jamais chez elles disent qu’elles vont « prier saint Trottin » ; voir la note 80 de Tout-ménage. Alitrotin évoque l’exécuteur des basses œuvres Alibraquin : « Argent, qui en a ? » Les Tyrans au bordeau.   20 Si je n’acquiers pas d’argent. À la fin du sermon, le comédien fait effectivement la quête. On pourrait à la rigueur conserver la graphie du ms. : sy je naqueste [si j’accomplis une besogne qui ne rapporte rien]. « Un qui tout temps nacquète/ Ne s’enrichist jamais, et de grands biens n’acqueste. » Godefroy.   21 Un percepteur.   22 Les curés se plaignent toujours que leurs ouailles ne leur versent pas la dîme, le denier du culte.   23 LV : chaire  (« Partout grant chère on me faisoit. » La Résurrection Jénin à Paulme.)   24 LV : fric ne fraq  (Cette expression existe, mais ici, elle ne rime pas.)  Sans rien épargner. « Il n’aura plus ny quart, ny part. » Poncette et l’Amoureux transy.   25 Un Cordelier débauché. Voir la notice de Frère Frappart.   26 LV : de frere  (Frère Gautier est le nom du prêcheur.)  Un bon compagnon et un bon gautier sont de joyeux drilles : « À moy n’est que honneur et gloire d’estre dict et réputé bon gaultier et bon compaignon. » Gargantua, prologue.   27 Des peaux de moutons avec leur laine.   28 Quand on approche de la Sainte-Madeleine, le 22 juillet. À cette date, on achète la laine nouvelle. « Me cousta, à la Magdalaine,/ Huit blans, par mon serment, la laine. » (Farce de Pathelin.) Voir la note de Jelle Koopmans, p. 96.   29 Trois jours de suite. « No[us] fera juner la triolaine. » La Muse normande.   30 LV : bien  (Que je ne vivrai pas un jour entier. « Deux jours entiers en vie ne sera. » Octovien de Saint-Gelais.)   31 LV : entier  (À la rime. Le sens est identique : un sermon en trois points.)   32 Avant. « Premier qu’il partent hors d’icy. » Le Cousturier et le Badin.   33 Est digne d’être suivie. Clin d’œil réservé aux femmes : Que ma verge est digne d’être tenue. « Socrate (…) lui insinuait sa doctrine par l’anus. » Le député cinique.   34 Nouveau clin d’œil aux dames : « Qu’on nous donne/ Ung petit [un peu] d’introduction ! » Les Femmes qui aprennent à parler latin.   35 J’ai pris pour thème. Ce theume a déjà été exposé aux vers 10-14.   36 LV : horilibus  (Voir le vers 12. Je corrige la même graphie divergente à 253. Le comédien parle à des gens du peuple : son intérêt est d’être compris quand il écorche du faux latin.)   37 Je vais vous montrer avec du lard. LV oublie cette reprise du vers 13, indispensable pour la rime.   38 LV : bene  (Note 11.)   39 Rhétoricien, maître en éloquence sacrée. On prononçait grammairïan.   40 Je suis le plus fort de notre cloître, de notre monastère.   41 Que des hommes grossiers.   42 À ma suite.   43 De geignards (normandisme). « Piaulard : Pleurnicheur. » Louis Du Bois, Glossaire du patois normand.   44 Qui jouent les bigots. « Des gros moynes soûlars/ Qui contrefont des papelars. » Les Veaux.   45 Et même, ils ne font que pépier, balbutier. Cf. le Testament Pathelin, vers 172.   46 Derrière une barrière, une clôture.   47 N’ont-ils pas une solide carrure, une forte corpulence.   48 D’un carreleur de chaussures, d’un savetier. « Mestier de carleur. » (Godefroy.) Si l’on en croit les farces, le vin colore souvent la trogne des savetiers. Voir le vers 6.   49 LV : contrefacent  (La pipée est une tactique de chasse où l’oiseleur imite le cri des passereaux pour les attirer. Voir la notice de la Pippée.)   50 Pépiements produits par l’appeau d’un oiseleur. À l’échappée = à la dérobée : « À l’eschappée,/ Voulissons faire une pippée. » La Pippée.   51 Je dégueule. Idem vers 81.   52 LV : goules  (Par la gueule, normandisme. « Il nous fault eschauffer/ Par la goulle. » Les Femmes qui font escurer leurs chaulderons.)   53 LV : desbagoules   54 LV : latinot  (Du petit latin.)   55 LV : mirmyron  (Prononciation à la française de murmurum. En bon latin, on dit simplement murmur.)   56 LV : pietrarom  (Des paroles de piété.)   57 LV : grafitorum  (Grands ânes. Festum asinorum = la Fête des ânes.)   58 LV : rogaste  (Les ânes à bride rouge sont les prêtres tenus en laisse par des cardinaux. « C’est belle chose d’ouÿr braire/ Ung asne qui a rouge bride. » Les Menus propos.)   59 LV : frites  (Ayez la barbe faite, rasez-vous ! Un clerc doit être imberbe. « Clerici qui comam & barbam nutriunt…. Nulla de barba facta mentione. » J. de Chevanes.)   60 LV : vacat  (Les diffamés de mœurs, on les appelle des « rats ».)  Les tonsurés sont des « ras », des rasés ; leur propension à ronger tout ce qu’ils trouvent les fit traiter de rats : « Les ‟ratz” ont fait à Dieu promesse/ Que jamais, sans ouÿr la messe,/ Ilz ne mengeront nulz fromages. » Les Rapporteurs.   61 Pour mettre en ordre. « Plusieurs mos arunés. » Le Monde qu’on faict paistre.   62 Une quantité négligeable. Le picotin est un pourcentage d’avoine qu’on verse pour l’impôt de la dîme.   63 LV : de   64 LV : qu ies  (Avant que vous n’ayez fini votre souper.)   65 LV : poueterine  (Ma poitrine. « C’est au cœur et à la pouétrine. » Frère Phillebert.)   56 Maistre Jehan Jénin, lui aussi, est tellement plein de science qu’on se demande pourquoi il « n’a crevé parmy sa boudine ».   67 LV : hydeurs  (Si affamés. « Car à présent sommes juneurs :/ Le pauvre monde n’a plus croix [argent]. » Regrets et complaintes des gosiers altéréz.)  Dénué = qui vit dans le dénuement ; cf. les Sotz qui remetent en point Bon Temps, vers 276.   68 De présents, de cadeaux.   69 Si m’aid Dieu : que Dieu m’assiste ! Cf. le Chauldronnier, vers 112.   70 De mendiants qui demandent l’aumône en prétendant que ce qu’on leur donne est « pour Dieu ». « C’est belle osmosne, sans doubtance,/ Donner pour Dieu aux souffretteux. » Frère Guillebert.   71 Que nous. Cette tournure est normande : « On ne la voullons poinct. » Troys Pèlerins et Malice.   72 La chair, la viande.   73 Coriaces. La chuintante est normande, comme à la rime.   74 La filasse, la laine autour de la quenouille. « Elle ne se soucie de tirer avec le fuzeau la fillace d’une quenouille. » Histoire maccaronique de Merlin Coccaïe.   75 Aujourd’hui. « Ilz sont huy si parfont [profondément]. » (Éloy d’Amerval.) Dans les ménages pauvres, les femmes vendent leur ouvrage : « Si n’estoit que je file, (…)/ Vous mourriez de fain. » Calbain.   76 On prenait des oisillons dans les nids pour les manger.   77 Ce n’est plus le jeune prêcheur de trente ans (vers 101) qui parle, c’est l’auteur ; et il est aussi nostalgique que le vieillard réactionnaire du Tesmoing : « Comme on faisoyt au temps passé. »   78 On avait l’habitude d’y trouver de petites pies. « Vo sçavez bien coume y veut finement [par traîtrise]/ Mes petits piars avèr injustement. » La Muse normande : Le grand prochèz meu por un nid de pie.   79 LV : moysons  (Des moineaux, normandisme. Cf. la Pippée, vers 94.)  Les cornillards sont les petits de la corneille.   80 LV : tripes   81 De sperme.   82 Chassieux (normandisme). C’est un signe d’alcoolisme : « Sorcière de vin humeresse,/ Chassieuse ! » La Laitière.   83 Qu’on ne donne pas plus d’argent.   84 Vers manquant. « Des prescheurs/ Qui sont de mal dire amateurs. » Le Jeu du capifol.   85 LV : en cracabo  (Un Frappabo est un frère Frappart. « Voécy deulx frères Frapabos. » Les Brus.)   86 LV ajoute : a frater  (Au frère Frappart donnez un pâté et je prêcherai. Jeu de mots sur « pâté » et « Pater ».)   87 LV : nostre  (Collation = sermon : cf. le Pardonneur, vers 145.)   88 Avant notre départ. Idem vers 296.   89 Nous recommanderons à Dieu ceux qui en ont besoin, grâce à nos prières.   90 LV : en   91 Beaucoup de religieux se contentent d’amours ancillaires, plus discrètes que les autres. « Le vicaire/ Eut fait tout ce qu’il vouloit faire/ De sa chambrière. » (Les Chambèrières qui vont à la messe.) La sottie des Veaux dénonce les moines lubriques : « En derière [en secret],/ Ilz ont la grosse chambèrière,/ Laquelle y ‟senglent” jour et nuict. »   92 LV : qui lest   93 La besace est la sacoche des Frères mendiants. Chuintante normande : « De Frère portant la besache. » Les Brus.   94 Dieu, vous aurez en recommandation.   95 Les femmes qui se soûlent avec l’argent qu’elles gagnent en filant leur quenouille. Fisée = fusée, quantité de fil enroulée autour d’un fuseau : « Ce fust assez, en quinze jours,/ Que de filer une fisée. » Tout-ménage.   96 Leurs grandes lèvres, leur vulve.   97 Vous aurez. (Même normandisme à 148 et 303.) Elles vous consacreront une part de leurs prières.   98 LV : souuent sy   99 LV : goust du ressin  (Le moût désigne le jus de raisin non fermenté : on reproche aux taverniers d’en mettre dans leur vin.)  Sans grande originalité, le prêcheur s’en tient aux valeurs sûres de la satire : les hommes d’Église, les femmes, les maris, les taverniers, les meuniers, les boulangers, les tanneurs, les artisans bruyants, les sergents, les couturiers, les pauvres.   100 Dans leur cellier.   101 Leur mixture.   102 « Les meusniers, qui sont ordinairement larrons. » (Tiers Livre, 2.) « Nous prirons pour muniers, munières,/ Qui desrobent sacz par les gueulles. » Sermon joyeux des quatre vens.   103 Certains condamnés marchaient au supplice coiffés d’une mitre en papier sur laquelle était écrit le motif de leur condamnation.   104 LV : ce  (Ils diminuaient la taille du pain, mais pas son prix. En désespoir de cause, on en faisait des chansons : « Je me plains fort des boulengiers,/ Qui font si petit pain. » Le Savetier Audin.)   105 LV : noyers  (Voir le vers 158.)   106 Et que ce soit la faute des tanneurs.   107 L’ordre des Frères mineurs, ou Franciscains, auquel appartient notre Cordelier. « Deux vitz de prescheurs,/ Et deux grans de Frères mineurs. » Le Tournoy amoureux.   108 LV : et meschaus  (Forgerons.)   109 Qui font un bruit de tempête avec leur marteau. On ne dira jamais assez à quel point la rue médiévale était bruyante. Boileau reprendra les mêmes termes au siècle suivant : « Un affreux serrurier, que le Ciel en courroux/ A fait, pour mes péchéz, trop voisin de chez nous,/ Avec un fer maudit qu’à grand bruit il appreste,/ De cent coups de marteau me va fendre la teste. » Satire VI.   110 Par un vit (même prononciation). « Entre deux jambes, le vif amble [trotte] ;/ Entre deux fesses, le vif tremble. » (Joyeusetéz, XI.) Ce sermon offre beaucoup d’analogies avec celui des Quatre vens : « Nous prirons pour femmes enceintes,/ Que quant viendra à enfanter,/ Que leurs fruictz sortent sans contraintes. »   111 Calembour de sages-femmes sur d’ossements. La mère d’une nouvelle mariée dit à son gendre : « ‟Mon amy, traittez-la doucement !” Vrament il le faisoit : il luy bailloit des oussements. Ainsi la traittoit-il d’oussements. Ainsi les sages-femmes l’entendent, quand elles disent aux premières groisses [grossesses] des autres : ‟Consolez-vous, m’amie ; il en sortira plus doucement qu’il n’y est entré.” » Béroalde de Verville.   112 Qu’ils. Idem vers 140, 157, 161, etc. Sur l’étoffe fournie par le client, les couturiers prélevaient discrètement une « bannière » ; cf. le Cousturier et le Badin, vers 16-21. Le prêcheur autorise donc les couturiers à poursuivre leurs exactions. De même, l’Abbé des Conards de Rouen n’interdisait ces abus qu’aux couturiers honnêtes : « Nous voulons que cousturiers,/ S’ilz ne sont fins [rusés] ouvriers,/ Ne pourront faire bannière. » Triomphes de l’Abbaye des Conards, 1542.   113 LV : tous nayons  (Que vous n’ayez jamais une pièce de monnaie sans…)   114 Il ne sera plus question de ce rosier sauvage plein d’épines.   115 LV : քtye  (Pointue. « Tétins poinctifz. » Frère Guillebert.)  Ronche = ronce. Idem vers 264 et 271.   116 Peut-être un personnage de théâtre, comme Margot la Bénigne. Nota : Le tableau de Brueghel l’Ancien que nous appelons « Margot l’Enragée » a pour véritable nom Dulle Griet.   117 LV : voier  (Jénin à Paulme, quant à lui, a vu en enfer sa grand-mère : « Je viens de veoir ma grande toye. »)   118 En grande honte. Jelle Koopmans suppose dessous une lacune de 2 vers, mais elle est beaucoup plus longue.   119 LV : rateuil  (Orteil. « L’arteil du pié. » Jehan Lemaire de Belges.)  Cela ne tenait qu’à un doigt de pied, qu’à un cheveu.   120 LV : vreteuil  (À cause d’un anneau de fuseau. « De beaulx verteilz, quenouilles et fuseaulx. » Les Ditz de maistre Aliborum.)   121 Avant ; idem vers 137. On pouvait aller dans un couvent pour écouter la messe. « Je le vy l’autre jour, vrayment,/ Au moustier, en oyant la messe. » Le Dorellot.   122 LV : en  (À une fileuse, une dame patronnesse qui vend ses ouvrages au profit du couvent.)   123 Il l’est, pendu ? L’acteur s’adonne à l’exercice préféré des comédiens, qui consiste à jouer deux personnages en même temps ; voir la notice d’Ung Fol changant divers propos.   124 Le vent de bise est un pet, en l’occurrence foireux, à cause de la peur d’être pendu. « Je sens icy du vent de bise ! » Trote-menu et Mirre-loret.   125 Sali, encrotté.   126 LV : postier  (Voir le vers 242.)   127 LV : y  (Ouan = cette année.)   128 Caudebec-en-Caux, dans l’actuelle Seine-Maritime.   129 Le chêne millénaire d’Allouville, près de Saint-Eustache-la-Forêt, non loin de Caudebec. En tant que reliquaire, il attirait des pèlerins et donc des marchands.   130 Le moine mendiant demande au potier de lui donner une de ses chopes en argile. Cf. le Sermon joyeux de bien boire, vers 195 et note.   131 Robuste, grossier.   132 À Savigny, dans l’actuel département de la Manche. L’acteur se livre à un nouveau dialogue, où le potier parle avec un fort accent normand.   133 Au pilier, au représentant.   134 Fiches-y ton doigt. Les gens mal élevés disent « ton nez » : cf. le Médecin qui guarist, vers 307.   135 Sans tarder.   136 Patatras ! Le potier dégringole de sa jument, ainsi que les poteries. Le potier de Cautelleux, Barat et le Villain, plus pauvre, ne possède qu’un âne ; mais on lui brise également sa marchandise.   137 Voulait s’enfuir.   138 LV : la  (La goutte le prit.)   139 Il resta pétrifié à cause… « Ô cueurs en constance estocquiéz ! » ATILF.   140 Volaverunt = ils se sont envolés. Comprendre : ils ont effectué un vol plané, ils sont tombés de la jument.   141 LV : tetestibus  (Testet = tesson de poterie. Test = pot de chambre : « Je pisserai/ Au test et ferai mon orine. » Lacurne.)  Ils se sont écrasés au sol avec leurs pots, leurs terrines et leurs urinaux. Ce pastiche de l’Apocalypse traduit les vers 237-245.   142 LV : primys  (La goutte s’étant prise à leurs talons. Voir le vers 244.)   143 LV : jumenton  (Et leurs juments ayant avorté.)   144 LV : horilibus  (Voir le vers 12.)  Leurs oreilles ont pelé.   145 LV : testantes  (Et ils sont restés borgnes.)  Par distraction, le copiste va reproduire les vers 243-257 au début du feuillet suivant. La 2e fois, il a mieux lu son ms. de base, puisqu’il a noté ici borgnatibus, qu’il avait d’abord transcrit brigantibus. Cela démontre une fois de plus le peu de confiance qu’on peut accorder à ce copiste.   146 Et ils ont brûlé dans un four à pain.   147 LV : casatis postanerum  (Et leur postérieur a été cassé.)  Ces trois dernières punitions du Ciel ne figurent pas dans le texte français qui précède : il y manque peut-être des vers.   148 LV ajoute : une question / sy on me veult faire   149 Je cherche à savoir. Cf. le Sermon pour une nopce, vers 21.   150 Résoudre.   151 Je vais argumenter, aussi vite que la foudre.   152 Aussi le font : les orties piquent aussi.   153 Vociférer, disputer.   154 Elle n’a nulle épine.   155 LV : aparence  (Dissemblance. « Entr’eus, dessemblance n’avoit. » Godefroy.)   156 Les feuilles du houx sont piquantes.   157 Trop savant. Il est vrai que les clercs étaient imbattables en matière d’enfumage rhétorique.   158 Si j’appelle un chien. « Ses chiens hue et hare. » ATILF.   159 Fournier = mettre le pain au four : cf. le Cuvier, vers 107. La pâte, saupoudrée de farine, est salissante.   160 Que le chien se souille. Cf. le Gentil homme et Naudet, vers 226.   161 LV : deuigne  (Devine donc ! C’est la conclusion dont les enfants ponctuent leurs devinettes. « –Dy que c’est ! –Or devine. » Les Coppieurs et Lardeurs.)   162 Ni multicolore.   163 « BARRÉ : Tacheté, rayé. ‟C’est un chien barré…. Il a des taches noires sur un fond fauve.” » Dictionnaire du patois normand en usage dans le département de l’Eure.   164 « Je m’en riroye comme ung chien vert. » (Les Cris de Paris.) Voir le vers 292.   165 LV : vuautrouile  (Si le chien se vautre dans l’herbe verte. « Un chien reprent aleine à se veautrouiller par terre. » Godefroy.)   166 LV : preposision  (C’est une supposition exacte.)   167 Spectateurs, ne récitez pas de Pater noster pour moi.   168 Vos petites mains fouilleront dans votre bourse.   169 « Gros de Millan, appeléz testars [testons]. » Ordonnances des Roys de France.   170 Ce mot, prononcé à la française, rime en -an. Voir la note 160 de Régnault qui se marie.   171 Que Dieu, qui n’aura jamais de fin puisqu’il est éternel. Mais aussi : qui n’aura jamais faim.   172 Le milan, sorte d’oiseau de proie. « Il sera prins par bonne guise,/ Mieulx que poussin n’est d’une escouffle. » Le Pourpoint rétréchy.   173 Comme le renard fit à une oie grasse. « Regnars ne mengeront plus d’oyes. » (Les Rapporteurs.) Ces vœux sont tendancieux : on n’a jamais vu un milan ou un renard faire grâce à leurs proies.   174 Que cela vous fasse bon profit : Dieu vous le rendra. Cf. l’Aveugle et Saudret, vers 1179.

LE JEU DU CAPIFOL

Ms. La Vallière

Ms. La Vallière

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LE  JEU  DU

CAPIFOL

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Cette moralité normande n’ayant pas de titre, je conserve celui que lui ont opportunément donné Leroux de Lincy et Francisque Michel dans leur Recueil de farces, moralités et sermons joyeux <t. II, pp. 7-16>.

Le jeu du capifol (ou du chapefol, ou du capifou) est une variante du jeu de la main chaude : un des joueurs, assis sur une chaise, a les yeux bandés. Il présente la paume de sa main, dans laquelle un autre joueur donne une tape. On lui demande alors de quel joueur il se plaint, et il doit deviner qui l’a frappé. S’il se trompe, on lui répond qu’il a tort. S’il tombe juste, le frappeur démasqué prend sa place. Dans notre pièce, le joueur aux yeux bandés représente le peuple ; ses partenaires, qui incarnent l’Église et la Noblesse, trichent afin de taper sur le peuple. La question « de qui te plains-tu ? » suscite alors des réponses particulièrement caustiques.

Rions un peu. En 1947, Louis Aragon consacra un article au Jeu du capifol dans le journal communiste l’Humanité. Selon le poète millionnaire, l’auteur de la pièce, « découvrant le véritable moteur de l’histoire humaine, la lutte sociale qui se confond avec la bataille pour le réalisme, est un véritable réaliste ». Que les personnages soient de pures allégories ne gêne pas ce marxiste pratiquant, qui devine dans le ministre de l’Église et dans Noblesse « de prestigieux académiciens, ou de brillants chroniqueurs du Figaro » !

Source : Manuscrit La Vallière, nº 24.

Structure : Sixains aabaab/bbcbbc, rimes plates avec de nombreuses « troisièmes rimes ». 4 triolets.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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Moralité

À quatre personnages, c’est assavoir :

       LE  MINISTRE  DE  L’ÉGLISE

       NOBLESSE

       LABEUR 1

       et  COMMUN

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                        COMMUN  commence                            SCÈNE  I

        Je suys le commun populaire2,

        Marchant sur le climat polaire3,

        En peine et pleur, en crainte et fain.

        Noblesse est sur moy sy colère4 ;

5      [À l’Église ne sçay complaire ;]5

        Labeur me faict quérir6 mon pain.

        J’ey, en corps malade, cœur sain.

        Je suys ainsy c’un povre exain7

        Qu’on chasse, volant d’arbre en arbre.

10    Je n’ay plus, sur moy, chair ne sain8.

        Chascun me descouvre le sain9,

        Me rendant plus froid que [le] marbre.

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                        LE  MINISTRE  [DE  L’ÉGLISE]        SCÈNE  II

        De qui te plains-tu, povre sabre10 ?

        Says-tu pas que je suys ministre

15    De l’Église, qui administre

        Salut, gardant le candellabre11 ?

                        LE  COMMUN

        Je me souhaictes en Calabre12,

        Car parler contre toy je n’ose.

                        NOBLESSE

        Et sur moy, says-tu quelque chose ?

20    Dy hardiment ! Parle, et despesche !

        Vers moy, [ton courage est revesche]13.

                        COMMUN

        Noblesse, à vous je doy hommage ;

        Mais je crains tant [d’]avoir dommage

        Que la vérité n’ose dire.

                        LABEUR

25    Commun, à moy parle, beau sire !

        Voy  en Labeur n’y14 a que redire :

        De luy, prens15 nouriture saine.

                        COMMUN

        [Dieu !] par Labeur, j’ey tant de paine !

        Mais de peur d’encourir sa haine,

30    En bien ne mal n’en veulx parler.

                        LE  MINISTRE  [DE  L’ÉGLISE]

        Commun, rien ne nous doibtz seler16,

        Car nous sommes les Troys Estas ;

        Et sans nous, mal yroyt ton cas.

        Tu voys Noblesse qui te garde,

35    Qui tient espée et halebarde

        Pour débeller17 tes ennemys.

        Tu voys Labeur qui te18 regarde,

        Qui vin et blé te contregarde19

        De peur qu’en terre ne soys mis20.

40    Puys en l’Église suys commys

        À porter sacrés vestemens

        Pour te donner tes sacremens.

                        COMMUN

        Faire ne puys grans parlemens21,

        Car ma bouche dire ne peult

45    Ce que mon cœur dire ne veult.

        Parquoy22 j’ayme mieulx à me taire.

                        NOBLESSE

        Tu seroys donq bon secrétaire23 !

        Mais pour vivre joyeusement

        — Afin de parler librement —,

50    À quelque jeu nous fault jouer.

                        COMMUN

        Je le veulx, par esbatement,

        Afin de parler librement.

                        LABEUR

        Dy-nous dont24 quel jeu, et comment.

                        COMMUN

        Je  ne say à quel sainct me vouer.

                        LABEUR

55    Afin de parler librement,

        À quelque jeu nous fault jouer.

                        LE  MINISTRE  [DE  L’ÉGLISE]

        Je sçay un jeu fort à louer ;

        Et sy, n’y a fraulde ne dol25.

                        NOBLESSE

        Dictes quel jeu ?

                        LE  MINISTRE  [DE  L’ÉGLISE]

                                       Au capifol.

                        LABEUR

60    C’est un jeu à sage et à fol.

        Mais pour veoir qui commencera

        Et comme temps on passera,

        Y nous fault tirer au festu26.

                        NOBLESSE

        Vrayment, c’est trèsbien débatu.

65    Les festus, dont, je [m’en voys]27 faire.

                        LE  MINISTRE  [DE  L’ÉGLISE]

        Le plus long sera mys en chaire28

        Et sera le premier muché29.

                        LABEUR

        Fust-il commun, noble ou vicaire,

        Le plus long sera mys en chaire.

                        NOBLESSE

70    Les festus je viens de parfaire30 :

        Tirez, chascun, c’est trop presché !

        Le plus long sera mys en chaire

        Et sera le premier muché.

                        LE  MINISTRE  [DE  L’ÉGLISE]31

        Voécy pour moy.

                        LABEUR

                                        Et moy aussy.

                        COMMUN 32

75    Voécy le mien. Dieu ! qu’esse-cy ?

        Et  qu’il est long !

                        NOBLESSE 33

                                         Et j’ey le dernier.

        Commun doibt commencer premyer.

        Sus, qu’i soyt en la chaire assis !

                        COMMUN

        M’y voélà droict34, de sens rassis.

80    Sus ! commencez : je suys muché.

        Mais que doulcement soys touché35 !

                        LE  MINISTRE  [DE  L’ÉGLISE]  frape

        De qui te plains-tu36 ?

                        COMMUN

                                                 De l’Église.

                        NOBLESSE

        C’est à tort37.

                        COMMUN

                                  Dont, son coup déguise38,

        Car c’est d’une main délicate ;

85    Et semble, au fraper, qu’elle flate39.

        Mais40 son coup le cœur poinct et mort.

        Elle prend du vif41 et du mort

        Tant, que son honneur trop abaisse.

                        NOBLESSE  frape

        De qui te plains-tu ?

                        COMMUN

                                             De Noblesse.

                        LE  MINISTRE  [DE  L’ÉGLISE]

90    C’est à tort.

                        COMMUN

                               Noblesse me blesse42 :

        Par Noblesse, j’ey toute humblesse43.

        Non pa[r] Noblesse proprement,

        Car Noblesse vit noblement ;

        Mais c’est par ses fins44 oficiers

95    Qui, pour amasser des deniers,

        Trouvent mile traditions45

        Dont, pour leurs grans exactions,

        Mengeüssent46 sur mon dos la layne.

        Je pers sens, biens, force et alayne47.

100  Il me font payer taille et guet48 ;

        Il me font tenir en segret49

        Pendant que mon bien on emporte.

        Puys l’un d’eulx cheulx50 moy se transporte,

        Qui vient veoir sy ma femme est belle.

                        NOBLESSE

105  Tu comptes51 vray. Baille-luy belle !

        Sus, estens la main ! As-tu peur ?      [Il frape.]

        De qui te plains-tu ?

                        COMMUN

                                             De Labeur.

                        NOBLESSE

        C’est à tort.

                        COMMUN

                              De Labeur bien souvent je disne52,

        Et Labeur vient souvent cheulx moy.

110  En quelque lieu que je chemine(s),

        Labeur devant [moy tousjours]53 voy.

        Ne me veuilles plus travailler54 !

                        LE  MINISTRE  [DE  L’ÉGLISE]

        Çà, la main ! Y la fault bailler.      [Il] frape un grand coup.55

                        COMMUN

        O ! que ce coup est inhumain !

115  Dieu, que voélà pesante main !

        Qu’e[l] frape par moyen sinistre56 !

                        NOBLESSE

        De qui te plains-tu ?

                        COMMUN

                                             Du ministre

        De l’Église qui, par [art gent]57,

        Porte les poins dorés58 d’argent.

                        NOBLESSE

120  C’est à tort. Mais dis-nous comment :

        D’en parler es sy résolut !

                        COMMUN

        À tous bons entendeurs, salut !

        Premier, jà il ne chantera59,

        Ne cloche souvent ne fera

125  Sonner sans argent, c’est le premier poinct60.

        S’un povre homme d’argent n’a poinct,

        Et qu’il advienne, à la maleure61,

        Que sa bonne femme luy meure,

        Jà en terre on ne la mectra62.

                        NOBLESSE

130  Qu’as-tu perdu ? Laisse-la là63 !      [Il frape.]

        De qui te plains-tu ?

                        COMMUN

                                             Je me plains

        De Noblesse. Mais mes grefz poinctz64

        Ne la font poinct [tendre à pityé]65.

                        NOBLESSE

        C’est à tort.

                        COMMUN

                               C’est bien babillé66 !

135  Le povre Commun est taillé67,

        Bastu, robé et mutillé68,

        Pillé, tribouillé, barbouillé69 ;

        Et s’y se plainct de tel effort70,

        On luy dira que « c’est à tort ».

                        LABEUR  frape

140  De qui te plains-tu ?

                        COMMUN

                                             De Malheur…

        Se71 doy-ge dire « de Labeur ».

                        LE  MINISTRE  [DE  L’ÉGLISE]

        Vrayment c’est bien adevigné72.

        Sus, Labeur, mes-toy en sa place !

                        LABEUR 73

        M’y voélà deisjà arunné74.

145  Ne me jouez poinct de falace75 !

                        LE  MINISTRE  [DE  L’ÉGLISE  frape.]

        De qui te plains-tu ?

                        LABEUR

                                              Des76 prescheurs

        Qui [sont] de mal dire sont amateurs :

        Et  preschent, par leurs traditïons77,

        De faulces expositions78.

                        LE  MINISTRE  [DE  L’ÉGLISE]

150  Croy toult le bien qu’il te diront,

        Et ne faict[z] le mal qu’i feront.

        En Foy, soys tousjours résolut.

                        LABEUR

        Nostre Foy ne tent qu’à un but79 ;

        Pourquoy preschent-y deulx sentiers80,

155  Fors que81 pour aquérir tribut

        Et amasser force deniers ?

                        NOBLESSE  [frape]

        De qui te plains-tu ?

                        LABEUR

                                             Des gens d’armes82

        Que Noblesse mect sur les champs,

        Qui me font plourer chauldes larmes

160  Tant sont leurs faictz ors83 et meschans.

                        NOBLESSE

        C’est à tort. Noblesse n’entent

        Qu’on pille povres laboureurs :

        Car les prévotz, aulx champs, [font tant]84

        Pour punir tous les malfaicteurs.

165  Tent[s] la main comme un homme abille85 !

                        Commun frape doulcement.

                        LABEUR

        Ce coup est bien foyble et débille86 :

        C’est toy, Commun ?

                        COMMUN

                                               Il est certain :

        Un seul coup j’ey touché ta main,

        Parquoy fault que [je] soys muché.

170  Aussy bien que moy ont touché ;

        Et sy87, ont dict que « c’est à tort ».

                        LABEUR

        Cela me rent triste et fasché.

                        COMMUN

        Aussy bien que moy ont touché.

                        LABEUR

        C’en est autant de despesché88.

175  Au foyble on veoyt porter le fort89.

                        COMMUN

        Aussy bien que moy ont touché ;

        Et sy, ont dict que « c’est à tort ».

                        LABEUR

        Commun, prenons en Dieu confort90.

        Car, en ceste morte saison,

180  Contre équicté, droict et raison,

        De nous jouront au capifol91

        L’un après l’aultre, à leur plaisir.

                        COMMUN

        Jusqu(e) à mectre la hart au col92,

        De nous jouront a[u] capifol.

                        LABEUR

185  Commun, suyvons monsieur sainct Pol93 :

        Prenons confort en desplaisir.

                        COMMUN

        De nous jouront au capifol

        L’un après l’autre, à leur plaisir.

.

        Vous qui avez veu à loysir

190  Nostre Jeu94, sy n’estes contens,

        Excusez les gens ou le temps95.

        Avant que partir de ce lieu,

        Une chanson et puys adieu ! 96

.

                                      FINIS

*

1 LV : le laboureur  (Toutes les rubriques donnent : labeur.)  Ce personnage représente les classes laborieuses, les travailleurs, les artisans, les paysans. Il n’est donc pas hostile au savetier Commun, même s’il l’oblige à travailler sans grand bénéfice. Les Triomphes de l’Abbaye des Conards nous le décrivent : « Labeur, tenant ung fléau & une charrue auprèz de luy. »   2 Le commun peuple. On retrouve ce personnage allégorique dans une autre Moralité du ms. La Vallière : l’Église et le Commun (LV 14).   3 Dans le froid.   4 Est si furieuse contre moi.   5 Vers manquant. « Jamais je ne vous sceu complaire. » (Calbain.) Le peuple se plaint ici des Trois États (vers 32), et par conséquent de l’Église.   6 Gagner à la sueur de mon front.   7 Qu’un essaim d’abeilles qui cherche un abri où sa nouvelle reine pourra pondre.   8 Ni saindoux : ni graisse.   9 Le sein, la poitrine.   10 « Un sabre : un savetier. » Antoine Oudin, l’auteur de cette définition, ajoute : « Mot vulgaire », c.-à-d. populaire (vulgus = peuple). En effet, il appartient au petit peuple rouennais : « Maistre sabre (…) & premier officier en la savate. » La Muse normande.   11 Chandelier en métal précieux que le bedeau garde sous clé. Allusion à l’égoïsme et à l’avarice des grands prélats.   12 Je voudrais être loin d’ici.   13 LV : descherge ton courage  (Envers moi, ton cœur est réticent. « Il n’est point de si revesche courage qui ne s’apprivoise. » Jean-Pierre Camus.)   14 LV : sil y  (Il n’y a rien à reprocher. « Car en luy n’y a que redire. » Le Messaigier d’Amours.)   15 Grâce au travail, tu obtiens.   16 Tu ne dois rien nous celer, nous cacher.   17 Pour vaincre. L’ancienne Noblesse dépeinte ici n’avait plus rien à voir avec la nouvelle, que le peuple considérait alors comme une caste de parasites. Voir la notice du Poulier à sis personnages.   18 LV : le  (Qui veille sur toi.)   19 Te conserve.   20 Pour que tu ne meures pas de faim.   21 Je n’ai pas le droit de parler.   22 C’est pourquoi. Idem vers 169.   23 Vieux jeu de mots sur « secret taire ». « Je suis des dames secrétaire,/ Hault et bas, pour leur secret taire. » Les Secretz et loix de Mariage.   24 Donc. Idem vers 65 et 83.   25 Et pourtant, à ce jeu, il n’y a ni triche ni perte d’argent. La sottie des Sotz ecclésiasticques qui jouent leurs bénéfices au content repose également sur un jeu de société : « –Je sçay ung beau jeu, qui vouldra./ –Quel jeu ? –C’est le jeu du content. »   26 Au fétu, à la courte paille.   27 LV : menuoys  (Je vais.)  Noblesse ramasse quatre brins de paille, puis tourne le dos à ses partenaires.   28 Celui qui aura tiré la plus longue paille s’assiéra sur la chaise : c’est lui qui recevra des coups dans la paume de sa main. On joue aussi à la courte paille aux vers 214-227 de Massons et charpentiers, et là encore, le perdant est celui qui tire le plus long fétu.   29 Mussé : ses yeux seront cachés par un bandeau. Même chuintante normande aux vers 80 et 169. « Ils ont muchié les yeux qui regardoient toutes choses, et cuidoient que cellui qui scet tout ne sceust pas qui c’estoit qui le frapoit. » ATILF.   30 De disposer dans mon poing. Pour piéger Commun, Noblesse a enfoncé la paille longue plus que les autres.   31 Il choisit une des pailles qui dépassent largement du poing de son complice ; naturellement, elle est très courte.   32 Il choisit naïvement la paille qui lui semble la plus courte ; c’est évidemment la plus longue.   33 Il montre la dernière paille, qui est courte.   34 En droite ligne. De sens rassis (participe passé de rasseoir) = posément.   35 Ne frappez pas trop fort dans ma main.   36 Qui a tapé dans ta main ?   37 Tu as tort. Les tricheries commencent.   38 LV : deguisse  (Donc, celui qui m’a frappé a retenu son coup.)   39 LV : frape  (Que l’Église, quand elle frappe, nous caresse.)   40 LV : moins  (Mais son coup pique et mord notre cœur.)   41 De l’homme vivant. Dans le ms. La Vallière, notre Moralité est précédée par une autre où évoluent des personnages similaires : L’Église, Noblesse et Povreté qui font la lessive (LV 23). L’Église avoue : « Du mort et vif, journellement je prens. »   42 Jeu de mots banal. « Noblesse qui blesse./ Povre commun. » Triomphes de l’Abbaye des Conards.   43 Je suis humilié.   44 Ses sournois.   45 Trahisons. (Bas latin traditio : voir Du Cange.) Idem vers 148. « Tant par tradicion comme par force. » Godefroy.   46 Ils mangent. Les Normands affectionnaient ce présent de l’indicatif : « En Karesme mengeüssent chair. » (Le Maistre d’escolle.) « Il se laisse manger la laine sur le dos : il souffre tout. » A. Oudin.   47 Haleine.   48 L’impôt de la taille et la taxe pour le salaire du guet. « Par gabelles, par tailles, par imposicions, par guetz. » ATILF.   49 Au secret dans un cachot.   50 Chez. Même forme normande à 109.   51 Tu racontes, tu dis. « Baille-luy belle : Cela se respond à qui nous dit quelque sottise. » (Oudin.) En outre, c’est un refrain de chanson ; cf. les Queues troussées, vers 43-44.   52 LV : dignes  (Je dîne de labeur : je travaille au lieu de dîner.)   53 LV : tousiours moy  (Correction d’Émile Picot.)   54 Labeur, veuille ne plus me tourmenter !   55 LV met cette didascalie à la suite de la rubrique.   56 D’une façon malveillante. Mais sinistre [sénestre] veut dire « de la main gauche », qui est symboliquement celle des traîtres : « Lorsqu’il fut transpercé par la sénestre joue/ Avec un plomb tiré d’une sinistre main. » Jean Dorat.   57 LV : argent  (À la rime. Correction Picot.)  Par des méthodes spécieuses. « –Le plomb peult devenir argent./ –Ouy da, et tout par ung art gent. » Pour le Cry de la Bazoche.   58 LV : dor et  (Dorer les poings, ou les mains = graisser la patte. « Et peult-estre les mains dorer. » La Mère de ville.)   59 Jamais le prêtre ne dira la messe.   60 C’est la règle. Cf. le Ribault marié, vers 369.   61 Par malheur.   62 Le prêtre refusera de célébrer les obsèques.   63 Qu’est-ce que ça peut te faire ? Ne l’enterre pas.   64 Mes graves douleurs.   65 LV : a pitye tendre  (Compatissante. « Ayez le cueur tendre à pitié et compation ! » Jehan Henry.)   66 C’est bien parlé !   67 Soumis à l’impôt de la taille, nommé au vers 100.   68 Battu, dérobé et mutilé.   69 Soumis à des tribulations et troublé.   70 D’une telle violence.   71 LV : que  (Je veux dire.)  On emploie cette formule d’autocorrection pour rectifier un lapsus : « Se doibtz-je dire ‟Monseigneur”. » Colin filz de Thévot.   72 Tu as deviné. Pour une fois, l’Église et Noblesse ne trichent pas.   73 Il s’assied sur la chaise et il se bande les yeux.   74 Fin prêt. « Aruné me voylà tantost. » Le Cousturier et le Badin.   75 De tromperies. Labeur a vu agir les deux tricheurs.   76 LV ajoute : faulx prelas / et des faulx   77 Par leurs trahisons. Voir la note 45.   78 Des sermons fallacieux.   79 Ne cherche qu’à nous faire gagner le paradis.   80 Deux voies à suivre : une pour les riches, et une pour les pauvres.   81 Si ce n’est. Le tribut est une dîme perçue par l’Église.   82 Des cavaliers qui dévastent les récoltes, et qui pillent les fermes et les villages.   83 Ords, sales.   84 LV : estent  (Les prévôts sont des officiers de justice.)   85 Habile à cela. Noblesse et l’Église n’interviendront plus, sans être sortis pour autant.   86 Faible et sans force.   87 Et pourtant. Idem vers 58.   88 Pour eux, c’est toujours ça de fait. Vers identique dans Troys Galans et un Badin.   89 Inversion d’un adage : « Le fort porte le foible…. Ô modèle parfait de la charité chrétienne ! » Jean Crasset.   90 Consolation. Idem vers 186.   91 Ils nous malmèneront. « Que femme le fait affoller/ Et joue de lui au capifol. » (ATILF.) Cf. la Laitière, vers 425.   92 Jusqu’à nous passer la corde au cou.   93 Imitons saint Paul qui, au milieu des persécutions, faisait contre mauvaise fortune bon cœur.   94 Notre spectacle. Mais aussi, le jeu du capifol.   95 Le mauvais temps, si la représentation a eu lieu dehors. Mais surtout, le temps qui court, dont le peuple se plaint toujours faute de pouvoir en profiter.   96 Ce distique apocryphe est la signature habituelle du copiste de ce manuscrit. La Moralité se termine d’une façon moins légère.

TROYS PÈLERINS ET MALICE

Ms. La Vallière

Bibliothèque nationale de France

.

*

TROYS  PÈLERINS

ET  MALICE

*

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Cette « farce morale1 » est en fait une sottie. Comme toutes les vraies sotties, elle donne la parole à un trio de Sots. La pernicieuse Malice veut les conduire en pèlerinage chez Désordre. Le mot « malice » avait un sens beaucoup plus négatif qu’aujourd’hui, en référence au Malin, au diable ; voir les Sotz fourréz de malice.

L’œuvre fait allusion à des événements de 1535. Elle est donc contemporaine d’une autre sottie normande conservée dans le même manuscrit, les Sobres Sotz, qui pourrait être du même auteur anonyme.

Source : Manuscrit La Vallière, nº 67.

Structure : Rimes plates, avec 4 triolets, et un douzain d’hexasyllabes en rimes croisées.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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*

Farce moralle de

Troys Pèlerins

et Malice

*

                        [MALICE],  qui commence 2                   SCÈNE  I

        Où sont ces pèlerins des maulx3 ?

        Veulent-il poinct suyvre Malice

        Par chans, vi[l]ages et hameaulx ?

        Où sont ces pèlerins des maulx ?

5      Quoy ! veulent-il estre énormaulx4 ?

        Sortez, ou g’y métray police5 !

        Où sont ces pèlerins des maulx ?

        Veulent-y poinct suyvir Malice ?

.

                        LE  PREMYER  PÈLERIN  NOMMÉ       SCÈNE  II

        Quant à moy, j’en tendray6 la lice,

10    Car je ne [m’en] saroye tenir7.

                        LE  IIe  PÈLERIN

        Aussy la veulx-je « entretenir » ;

        Je ne le veulx pas aultrement.

                        LE  IIIe  PÈLERIN,  BADIN 8

        Ne moy aussy pareillement.

        Et sy, ne suys pas sy jénin9

15    Que je ne fache10 du chemin

        Au millieu11 de la compaignye.

                        MALICE

        [Quoy ?] Que dis-tu ?

                        LE  IIIe  [PÈLERIN] 12

                                              A ! je renye

        Sy je faulx13 à courir, troter

        Pour le voyage descroter14 !

20    Car j’ey vouloir, de ma nature,

        Faire voyage à l’avanture ;

        Ne me chault sy je me forvoye15.

                        LE  PREMYER  PÈLERIN

        Premyer que de se16 metre en voye,

        Chantons !

                        LE  IIe  PÈLERIN

                             Mais en nous esbatant,

25    Chemynons tousjours en chantant !

                        LE  PREMYER  PÈLERIN  [chante]

        Vélà bien alé ! Sus avant !

        Marchons et nous métons en ordre17 !

                        MALICE 18

        Or, alons pour voir la Désordre19

        Qui se faict maintenant au monde !

                        LE  IIIe  PÈLERIN

30    Ne me chault, mais que j’aye à mordre20.

        Or, alons [pour voir à la Désordre]21 !

                        MALICE

        Ces22 bras et jambes fault destordre23.

                        LE  PREMYER  PÈLERIN

        Or  chemynons !

                        LE  IIe  PÈLERIN

                                      Alons comme une onde24 !

                        LE  IIIe  PÈLERIN

        Or, alons pour veoir la Désordre

35    Qui se faict maintenant au monde !

                        MALICE

        Sus dont, alez !

                        LE  PREMYER  PÈLERIN

                                    Comme une aronde25.

        Mais en alant, veulx bien sçavoir

        En quel lieu on26 la pourons veoir,

        Et comment el est convertye27.

                        MALICE

40    Taisez-vous, je suys avertye28 :

        Premyèrement, says les contrés29

        Où plusieurs se sont acoustrés

        Et estat de fémynin gerre30.

                        LE  IIIe  PÈLERIN

        A ! ce ne sont poinct gens de guerre,

45    Ne vray[s] supos du dieu Bacus31,

        Car ilz ne bataillent q’aulx cus32.

        [ Comment ilz sont fort embridés !

        Par Nostre Dame ! ilz sont bridés ]33

        Comme ces barbes34 morfondus

50    Qui sont demy mors et fondus

        D’estre senglés parmy les rains.

        Ces hanteurs35 de chemins forains,

        Ces coquars afulés en gresne36,

        Désordre les tient [c]y en renne37

55    Comme un trupelu38, un mymin

        Qui veult devenir fémynin.

        C’est envers eulx qu’elle se tient39.

                        LE  IIe  PÈLERIN

        C’est mon40 ! Désordre se maintient

        Avec telz gens, dont j’en arage41.

                        LE  IIIe  PÈLERIN

60    Il est de trop lâche courage42,

        Qui43 se contrefaict et desguise.

                        LE  PREMYER  PÈLERIN

        Or çà ! n’est-el poinct à l’église44 ?

                        MALICE

        Ouy, car ceulx de « Religion45 »

        Veulent tenir sa région46.

65    Et mesmes grans histoyrïens47

        Veulent estre luthérïens ;

        N’esse pas Désordre, cela ?

                        LE  IIe  PÈLERIN

        Ouy, sceurement !

                        LE  IIIe  PÈLERIN

                                          Et puys voylà

        Pourquoy vient yver en48 esté,

70    Qui nous maintient en pauvreté,

        Et de quoy le grand maleur vient.

        Mais vrayment, quant [il] me souvyent49,

        Justice la détient-el poinct50 ?

                        MALICE

        Quoy donc51 !

                        LE  PREMYER  PÈLERIN

                                   Sainct Jehan ! voy(e)là le poinct :

75    Je veulx venir à cest endroict52.

                        MALICE

        Justice faict [ou] tort, ou droict,

        Voyre, mais c’est à qui el veult.

                        LE  IIe  PÈLERIN

        On veoyt mainct pauvre qui s’en deult53.

                        LE  IIIe  PÈLERIN

        On voyt mainct riche qui s’en rit.

                        LE  PREMYER  PÈLERIN

80    Par argent, Justice s’esmeult54.

                        LE  IIe  PÈLERIN

        On veoyt mainct pauvre qui s’en deult.

                        LE  IIIe  PÈLERIN

        On veoyt qui à grand paine peult

        Se nourir, qui aultre nourist55.

                        LE  PREMYER  PÈLERIN

        On veoyt mainct pauvre qui s’en deult.

                        LE  IIe  PÈLERIN

85    On veoyt mainct riche qui s’en rit,

        Et tel qui en terre pourit :

        Et c’est du tort qu’on luy a faict.

                        MALICE

        Que vous en semble ?

                        LE  IIIe  PÈLERIN

                                               C’est très mal faict.

                        MALICE

        C’est Désordre, n’est pas ?

                        LE  PREMYER  PÈLERIN

                                                     Ouy, ouy !

90    De l’Estat, nul n’est resjouy ;

        Un jour, à l’Audictoyre56, on faict

        Des choses de [bien] grand éfaict

        Qui sont quelquefoys cavilleux57.

        Faire un exploict bien mervilleux.

                        LE  IIe  PÈLERIN

95    L’on58 juge ce cas périlleux ;

        Mais de peur d’en estre hérité59,

        Y fault juger la Vérité :

        Ainsy, Désordre sera mise

        Hors de ceulx qui l’airont submise60

100  Et entour d’eulx entretenue.

                        LE  IIIe  PÈLERIN

        Or çà ! Ne s’est-el(le) poinct tenue

        En marchandise61 ?

                        MALICE

                                            [Où n’est-el]62 don !

                        LE  PREMYER  PÈLERIN

        Pencez-vous qu’el en ayt pardon63,

        Sy Désordre ne s’en retire ?

                        LE  IIe  PÈLERIN

105  Ma foy, nénin ! Et pour vous dire,

        Les faulx sermens, les tricheryes,

        Les regnymens, les tromperyes,

        Les moqueryes64 et faulx marchés

        Qui se font sont tant [myeulx] cachés

110  Entour Désordre.

                        LE  IIIe  PÈLERIN

                                        Dont je dis

        — Et croys — que Dieu de paradis

        Se course à nous65 de telle afaire.

                        LE  PREMYER  PÈLERIN

        Il est vray.

                        LE  IIe  PÈLERIN

                             Çà ! il fault parfaire66.

        En quel lieu peult-el encor estre ?

                        MALICE

115  Je vous le feray acongnoistre

        Devant que de moy séparer67.

                        LE  IIIe  PÈLERIN

        Ne se faict-el poinct aparoir68

        En guerre, par terre ou par mer ?

                        MALICE

        Et quoy donc ! Mainct faict inhumer69

120  Loing d’une église ou cymetière,

        Et sans faire confessïon entière ;

        Et fault qu’i meurent en ce lieu,

        Ouy, sans souvenance de Dieu

        Ne de sa Mère, rien quelconques70.

                        LE  PREMYER  PÈLERIN

125  A ! vrayment c’est Désordre, donques :

        En son71 cas n’a poinct d’amytié.

                        LE  IIe  PÈLERIN

        Mais voicy où est la pityé72 :

        Quant ce vient à donner les coups,

        Ceulx-là qui sont les myeulx secous73,

130  Bras coupés, jambes avalés74,

        C’est la Désordre, allez, alez !

        Dont vérité [je] vous confesses :

        Je ne veulx gu[e]rrïer75 qu’aulx fesses,

        [Abatre une]76 bonne vendenge,

135  Que soufrir sy grosse lédenge77

        D’estre en ce poinct martirisé.

                        LE  IIIe  PÈLERIN

        En la fin, nul n’en est prisé

        De hanter guerre.

                        LE  PREMYER  PÈLERIN

                                         A ! j’espères,

        Sy on [s’en] va sur les luthères78,

140  Employer ma langue pour dire

        Que bien tost leur convyent desdire79 ;

        Ou, par moy80, sans qu’ilz ayent remors,

        De par mes mains seront tous mors !

        Et puys y s’en repentiront,

145  [Ces breneulx]81. Il en mentiront,

        De ce qu’i veulent metre sus82.

                        LE  IIe  PÈLERIN

        En la fin, en seront déceups83.

                        LE  IIIe  PÈLERIN

        Je le voyer[oy]s volontiers84 !

        Mais sur les chemins et sentiers

150  D’Amours, y pouroit-on trouver

        Désordre ?

                        MALICE

                            Ouy, ouy !

                        LE  PREMYER  PÈLERIN

                                                 Y [le] fault prouver,

        Afin qu’en ayons congnoissance.

                        MALICE

        Depuys le jour de ma naissance,

        En amours je l’ay veue85 régner.

                        LE  IIe  PÈLERIN

155  C’est donc mal faict de nous mener

        En tel voyage, mes amys.

                        MALICE

        Quant on a en amours promys

        Et la promaisse ne tient poinct,

        Désordre y est.

                        LE  IIIe  PÈLERIN

                                   Voicy le poinct.

160  Et sy la femme, d’avanture,

        Est mauvaise de sa nature86,

        Qu’el veuille fraper ou mauldire,

        Ou le povre sot escondire :

        C’est Désordre, n’est pas, aussy ?

                        LE  PREMYER  PÈLERIN

165  Ouy, vrayment !

                        LE  IIe  PÈLERIN

                                        Je le croys ainsy.

        Au moins, assez souvent m’y nuict.

                        LE  IIIe  PÈLERIN

        Et sy l’amant, sur la mynuict,

        Est à trembler87 parmy la rue,

        Et que sans cesser son œuil rue

170  Vers la fenestre, fort pensant,

        Baisant la la cliquète88 en passant,

        En danger d’engendrer les mulles89 ;

        Et d’amours n’a nouvelles nulles,

        Synon qu[’a] — la chose est certaine —

175  Bien souvent, la fièvre cartaine90.

        C’est Désordre ?

                        MALICE

                                        C’est mon, ce croi-ge.

                        LE  PREMYER  PÈLERIN

        Et davantage91… Le dirai-ge ?

                        MALICE

        Que feras-tu don ? Ne crains rien(s) !

                        LE  PREMYER92  PÈLERIN

        Sy le mary se doubte bien

180  Que sa femme face un amy :

        N’est-il pas bien sot et bémy93

        De s’en couroucer tellement

        Qu’il en perde l’entendement

        Tant que son bon sens soyt osté ?

                        LE  IIIe  PÈLERIN

185  Y doibt faire94 de son costé,

        Pour éviter plus grans dangers.

                        LE  PREMYER  PÈLERIN

        Aussy messieurs les estrangers :

        Y sont tousjour[s] myeulx soutenus,

        Entretenus et bienvenus,

190  Mille foys plus que nos voésins

        Dans95 les pays circonvoysins.

        Désordre y est-el(le) pas ?

                        LE  IIe  PÈLERIN

                                                      Quoy donques !

        Je n’ay veu nul pays quelconques

        Où on leur face ce qu’on faict96.

                        LE  IIIe  PÈLERIN

195  Vous en voirez l’air sy infaict97

        Qu’en la fin en aurons dommage.

                        MALICE

        Or, achevons nostre voyage.

        Mais retenez tous ces notas98,

        Que Désordre est en tous estas99.

200  Sus ! récréons-nous un petit

        De chanter !

                        LE  PREMYER  PÈLERIN

                                  J’en ay apétit.

                        LE  IIe  PÈLERIN

        Et aussy, pour nous resjouir,

        Chantons !

                        LE  IIIe  PÈLERIN

                                Sus, faisons-nous ouïr !

                        Ilz chantent.

                        LE  PREMYER  PÈLERIN

        Sy j’estoys tout prest d’enfouyr100,

205  De joye seroys res[s]ucité.

                        LE  IIe  PÈLERIN

        Gectons hors toute a[d]versité !

                        LE  IIIe  PÈLERIN

        Gectons hors ennuy et soulcy !

                        LE  PREMYER  PÈLERIN

        Soulcy n’est que simplicité 101.

                        LE  IIe  PÈLERIN

        Gectons hors toulte advercité !

                        LE  IIIe  PÈLERIN

210  Chascun de nous soyt incité

        De chanter !

                        LE  PREMYER  PÈLERIN

                                 Je le veulx ainsy.

                        LE  IIe  PÈLERIN

        Gectons hors toulte advercité ! 102

                        LE  IIIe  PÈLERIN

        Gectons hors ennuy et soulcy !

                        MALICE

        Devant que vous partez d’icy,

215  Sy voirez-vous Désordre en poinct.

                        LE  PREMYER  PÈLERIN

        Chantons ! On ne la voullons poinct103 !

                        MALICE

        Qui commence et ne veult parfaire104,

        C’est mal faict. Voulez-vous pas faire

        Le voyage qu’avez emprins105 ?

                        LE  IIe  PÈLERIN

220  Nénin !

                        MALICE

                         Vous en serez reprins106 !

        Et maintenant, serez surprins

        De Désordre : vous [la voirez]107 !

                        LE  IIIe  PÈLERIN

        Sortez d’icy, car vous errez108 !

        Nous ne voulons poinct de Désordre,

225  Et [vous trouverez qu’on peult]109 mordre !

        Sus, sus, chantons myeulx que devant !        [Il chante :]

        Arière, vilain ! Avant 110, avant !

                        Ilz chassent Malice.

                                                                                           SCÈNE  III

                        LE  PREMYER  [PÈLERIN]  rentre, abillé en

                                                                     Désordre111, qui dict :

              Malice112 est embûchée

              Non pas [bien] loing d’icy.

230        El est mal embouchée :

              C’est sa nature, aussy.

              Mais tout incontinent,

              Chascun de nous labeure113

              — Sans estre impertinent —

235        De la gecter au feurre114 !

              Malice soyt cachée115

              D’entre nous sans mercy,

              Ou qu’el soyt esmouch[é]e116 !

              Sans faire demourée

240        On le voulons ainsy.

                        LE  IIe  PÈLERIN

        C’est bien dict ! Marchons sur la brune117,

        Et parlons des mengeurs de lune118,

        Qui119 ont mengé mainct bon repas

        Et ne séroyent marcher un pas120,

245  Synon « danser121 » aveq fillète.

        Ce sont ceulx qui Désord[r]e ont faicte

        Et f[er]ont tousjours. Mais argent

        Les maintient en leur entregent122.

        L’un saillet, l’aultre regibet123 ;

250  Mais ne vous chaille : le gibet

        Sonnera tousjours son bon droict,

        [Qui met les choses à leur droict.]124

        En prenant congé de ce lieu,

        Une chanson pour dire adieu !

.

                                        FINIS

*

1 Dans sa table des matières, le copiste va même jusqu’à nommer cette pièce Moralité.   2 Elle est devant la maison des trois Sots.   3 De malheur. Calembour sur les pèlerins d’Emmaüs, qu’on prononçait émo : « Au plus fort de mes maulx (…),/ Dieu, qui les pèlerins d’Esmaus/ Conforta. » Villon.   4 En dehors de la norme : être les seuls à ne pas suivre Malice.   5 Sortez de votre maison, ou j’y mettrai bon ordre.   6 Tiendrai (normandisme). Je combattrai pour Malice. Mais « tenir la lice » = se livrer à un combat érotique : « Petiz tétins, hanches charnues,/ Eslevées, propres, faictisses/ À tenir amoureuses lices. » Villon.   7 Je ne pourrais pas me retenir, m’en empêcher. C’est le vers 155 des Femmes qui font refondre leurs maris, avec le même sous-entendu grivois.   8 Les rôles de Badins, sortes de demi-fous, se distinguent des rôles de Sots : les Sobres Sotz confrontent 5 Sots et un Badin.   9 Si niais. Cf. les Botines Gaultier, vers 138 et 438. Mais beaucoup de Badins se nomment réellement Jénin : « Jénin-ma-Fluste, Badin. » Satyre pour les habitans d’Auxerre.   10 Que je ne fasse : au point de ne pas faire. La chuintante est normande : « Car encor que je fache une grande despense. » La Muse normande.   11 LV : milleur  (Au milieu.)  Que je ne vous dépasse tous.   12 Je compléterai tacitement les rubriques abrégées par le copiste.   13 Je renie Dieu si je manque.   14 Expédier rapidement. « Beau despescheur d’Heures, beau desbrideur de messes, beau descroteur de Vigiles. » Gargantua, 27.   15 Si je me fourvoie, si je me trompe de route.   16 LV : me  (Avant qu’on ne se mette en route.)   17 « Marchons et nous ostons d’icy ! » (Seconde Moralité.) Les pèlerins se mettent en route au rythme d’une marche militaire, qui n’a pas été conservée.   18 LV : le iie  (C’est Malice qui sait où se trouve Désordre, et qui propose d’aller en pèlerinage vers elle.)   19 Ce personnage allégorique est ici représenté par une femme. Le mot désordre était rarement féminin.   20 Peu m’importe, du moment que j’ai à manger.   21 LV attribue ces mots à Malice, alors que les refrains 28 et 34 tiennent en un seul vers.   22 LV : cens  (Ces = vos. « Faites ces mains chasser aux lièvres…./ Ployez ces genoulz. » Le Capitaine Mal-en-point.)   23 LV : desteurdre  (Il vous faut déployer vos bras et vos jambes.)   24 Aussi vite que l’eau qui coule.   25 Aussi vite qu’une hirondelle. Cf. Frère Frappart, vers 136.   26 Nous. Même normandisme aux vers 216 et 240.   27 À quoi elle ressemble. Double sens : convertie au protestantisme.   28 Je m’y connais.   29 Je connais les contrées.   30 Genre. « Esse à vous à congnoistre/ Que c’est que du féminin gerre ? » (Les Brus.) La sottie dénonce d’abord le désordre sexuel : les femmes règnent sur des hommes efféminés. François Ier vivait dans une mollesse tout italienne, dominé par sa favorite, Anne de Pisseleu, et surtout par sa mère, Louise de Savoie, qui fut plusieurs fois régente du pays. Voir la préface d’Émile PICOT : Recueil général des sotties, t. II, pp. 299-303.   31 Ni des bons buveurs. « Car y sont supos de Bacus. » Troys Galans et un Badin.   32 Les courtisans efféminés ne s’intéressent qu’aux culs. Jeu de mots sur « cocus ».   33 Il y a ici une lacune qui décrit le corsetage androgyne des courtisans. Je la comble grâce aux vers 425 et 426 des Femmes qui plantent leurs maris.   34 Ces chevaux de Barbarie. « Va tirer mon barbe de l’estable ! » (Godefroy.) Mais la plus célèbre barbe de l’époque était celle de François Ier ; voir la note d’Édouard FOURNIER : le Théâtre français avant la Renaissance, p. 407.   35 LV : senteurs  (« Hanteurs de tavernes. » Godefroy.)  Les chemins forains sont des chemins à l’écart où des homosexuels peuvent se rencontrer.   36 Ces frimeurs affublés de vêtements écarlates. « Deux paires de fines chausses, dont les unes sont de graine. » ATILF.   37 En rêne, en bride.   38 Un naïf ; cf. le Cousturier et son Varlet, vers 204. Un mimin est un sot ; cf. le Monde qu’on faict paistre, vers 189.   39 On appelait la sodomie le « péché désordonné ».   40 C’est mon avis. Idem vers 176.   41 Ce qui me fait enrager. Cf. le Temps-qui-court, vers 238.   42 Il a un cœur lâche. « Ung homme de laische couraige. » Régnault qui se marie.   43 LV : quil  (Celui qui se travestit.)   44 Désordre n’a-t-elle pas perverti l’Église ?   45 De la religion réformée. « Ceulx de religion s’estoient saisiz de la ville et tuent les catholicques. » Consulat de Lyon.   46 Son fief. « Il seroit moult bien digne de tenir région. » ATILF.   47 Les raconteurs d’histoires.   48 LV : y  (Pourquoi nous avons eu du mauvais temps cet été.)  En 1535, la pluie endommagea les récoltes, qui sont la richesse du pays : « L’année fut si pluvieuse, et furent les blédz et vignes coulléz. » Cronique du roy Françoys, premier de ce nom.   49 Maintenant que j’y pense. « Touteffoys, quant il me souvient. » Les Femmes qui se font passer maistresses.   50 Justice (autre personnage allégorique) n’a-t-elle pas emprisonné Désordre ?   51 Et comment donc ! Aujourd’hui, nous dirions : « Ben voyons ! » Idem vers 119 et 192.   52 Je veux parler de cela.   53 Qui s’en plaint, verbe douloir.   54 Se met en branle.   55 Il s’agit des paysans. « On a trouvé, en bonne politique, le secret de faire mourir de faim ceux qui, en cultivant la terre, font vivre les autres. » Voltaire.   56 Au Parlement.   57 Trompeuses. « Chose » était parfois masculin.   58 LV : son   59 LV : irite  (Être hérité de = Devoir supporter les conséquences. « Le mary ne faict que songier,/ Tant est hérité de soucy. » Les Ténèbres de mariage.)   60 Hors d’atteinte de ceux qui l’auront soumise.   61 Désordre ne se tient-elle pas dans le commerce ?   62 LV : quest elle   63 Que le commerce puisse obtenir le pardon.   64 Les duperies.   65 Se courrouce contre nous. « Je croy que Dieu soyt yrité/ De nos fais. » L’Avantureulx.   66 Il faut en finir.   67 Avant que vous ne vous sépariez de moi.   68 Désordre ne se fait-elle pas voir.   69 Désordre fait inhumer maint homme loin de chez lui. Allusion aux guerres d’Italie, où des Français meurent pour rien.   70 Rien du tout. Cf. le Pourpoint rétréchy, vers 409 et 568.   71 LV : ce  (Dans son cas il n’y a aucune excuse.)   72 La chose la plus pitoyable. Le scribe met ce vers entre deux +, comme il le fait quand il veut déplacer un vers.   73 Les plus secoués, malmenés. Cf. les Trois amoureux de la croix, vers 457.   74 Cassées. « À l’un faisoit voler le bras, à l’autre la teste. L’un tombe, une jambe avalée. » Claude Colet.   75 Guerroyer, au sens érotique. Cf. la Nourrisse et la Chambèrière, vers 338.   76 LV : a batre uin  (Boire du bon vin. « De bonne vendange : de bon vin. » Antoine Oudin.)  Dans le même sens, on disait également : « Abattre la rosée. »   77 Injure. Cf. les Sobres Sotz, vers 101.   78 Si on va faire la guerre aux luthériens. Cf. Thévot le maire, Perruche sa femme, et Colin Gendeguerre leur fils, lequel s’en va sur les Turcz.   79 Qu’ils ont intérêt à abjurer bien vite.   80 LV : la  (Par mon œuvre.)   81 LV : ses bronaulx  (Ces merdeux se repentiront d’être morts.)   82 Mettre sur pied une armée.   83 Déçus, bien attrapés.   84 Je verrais cela avec plaisir. « Je le verrois voluntiers ! » La Résurrection de Jénin Landore.   85 LV : faict  (J’ai vu Désordre régner sur les choses de l’amour. « Le mauvais exemple des désordres que nous y avons veu régner en nostre temps. » François Hédelin.)   86 « Elle est de nature maulvaise. » Les Femmes qui font refondre leurs maris.   87 Tremble de froid sous la fenêtre de sa belle.   88 Les amants ont coutume d’embrasser le heurtoir pendu à la porte de leur maîtresse. Cf. le Sermon pour une nopce, vers 176 et note.   89 D’attraper des engelures aux talons. Cf. les Sotz escornéz, vers 57.   90 Si ce n’est qu’il attrape une fièvre quarte.   91 Et en plus. Sous la chape de plomb que fut le règne de François Ier, même les Sots* hésitaient à s’exprimer : « Je le diroys bien, mais je n’ose,/ Car le parler m’est deffendu. » (Les Sobres Sotz.)  *Voir la note 48 du Jeu du Prince des Sotz.   92 LV : iie  (Le 1er Pèlerin termine sa phrase.)   93 Stupide (mot normand). « Ce grand bémy, ce sotelet. » La Veuve.   94 Il doit faire la même chose : être infidèle. « C’est tout un, s’il prend sa lifrée/ De son costé, et moy du myen. » Lucas Sergent.   95 LV : ne  (Mille fois mieux que nos proches voisins ne le sont dans les pays frontaliers de la France.)   96 Où on les traite si bien. Ce reproche vise les Italiens, qui se comportaient chez nous en arbitres des élégances. Les Sobres Sotz déplorent qu’en France, on laisse mourir de faim « le commun [l’autochtone], et non l’estranger ».   97 Vous verrez que l’air sera si infecté par les étrangers. « De telz gens, l’air en est infaict. » (Les Langues esmoulues, LV 65.) Les vers 187-196 sont d’une actualité brûlante.   98 Ces remarques.   99 A investi tous les domaines.   100 Si j’étais à l’article de la mort, près d’être inhumé. Cette chanson n’est pas connue.   101 LV : mendicite  (N’est qu’une preuve de simplicité d’esprit, de bêtise. « Mais ce n’est que simplicité/ D’y penser. » Livre d’Amours.)   102 LV intervertit les refrains 212 et 213 de ce triolet.   103 Nous ne voulons pas la voir. Le 1er Pèlerin s’esquive derrière le rideau de scène afin de se déguiser en Désordre.   104 Celui qui commence et ne veut pas achever.   105 LV : comprins  (Que vous avez entrepris. « Le saint voiage avez empris. » ATILF.)   106 Repris, blâmés. « Et jamais n’en serez reprins. » Les Vigilles Triboullet.   107 LV : le voieres   108 Vous faites erreur, vous déraillez. « On dit qu’errez contre la loy. » Jeu du Prince des Sotz.   109 LV : a la fin vous trouuers quon ne peul  (Et vous allez constater que nous pouvons mordre.)   110 LV : ariere  (Refrain de la chanson anonyme Et quant je suys couchée, publiée en 1532 : « Arière, villain ! Avant, avant !/ Je pleure et maulditz l’heure/ De quoy le villain vit tant. »)   111 Ce déguisement ne coûte pas cher : il suffit de créer du désordre dans ses habits et sa coiffure pour que les spectateurs comprennent le symbole.   112 LV : desordre  (D’après le vers 236, le pèlerin parle de Malice, qui se cache à proximité.)  Embûchée = embusquée.   113 Que chacun de nous s’évertue.   114 LV : vent  (Sur la paille d’un cachot. On dit aussi : « L’envoyer fouler le foin. » Les Premiers gardonnéz.)   115 Chassée (prononciation normande). « Ses ennemys/ Le cachoyent [le chassaient] à grans coups d’espée. » Le Poulier à quatre personnages.   116 Battue. « Pensons de courir/ Devant que quelc’un nous esmouche ! » (Godefroy.) On pourrait traduire émoussée : « Vitement qu’el soyt esmouquée ! » Les Langues esmoulues, LV 65.   117 À la tombée du soir. Cf. les Botines Gaultier, vers 538.   118 Des profiteurs. « Menger la lune à belles dens. » Les Sobres Sotz.   119 LV : quilz   120 Et qui ne sauraient faire un pas, car ils sont ivres.   121 Pour copuler. « À dancer dehors quelque ‟dance”,/ En esté, avec ces fillètes. » La Fille esgarée.   122 Dans leur familiarité avec les grands.   123 Tels des chevaux, l’un sautait, l’autre ruait.   124 Lui qui remet les choses en ordre. « Je suys Ordre,/ Qui mets les choses à leur droict. » (Le Monde qu’on faict paistre.) Notre copiste a remplacé le dernier vers par le distique dont il signe la plupart des pièces du ms. La Vallière.

LE PORTEUR DE PÉNITENCE

Ms. La Vallière

Ms. La Vallière

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LE  PORTEUR

DE  PÉNITENCE

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Le copiste du manuscrit La Vallière, qui est souvent mal informé, intitule cette œuvre : Moralité du Porteur de pacience. Or, ce titre ne veut rien dire. Le héros de la pièce est un pécheur qui porte sa pénitence, comme le stipulent les vers 1-2, 37-38, 117, et 248-249. Contrairement au porteur de patience, qui n’existe pas, le porteur de pénitence est bien attesté : « Ton faiz, qu’entens, n’est pas greveuz / Aus porteurs de pénitance. » (Guillaume Digulleville.)

Le prêtre qui confessait un pécheur ne pouvait l’absoudre sans lui prescrire une pénitence plus ou moins lourde et parfois un jeûne. Les Moralités, pièces allégoriques, prennent les symboles au premier degré ; par conséquent, le pécheur de cette pièce va réellement porter sur son dos des charges qui représentent les pénitences et les jeûnes auxquels le prêtre l’a condamné. Bien sûr, il va vouloir les mettre sur le dos de ceux qui ne pèchent jamais ou, plutôt, qui ont la prudence de ne pas confesser leurs péchés.

Source : Manuscrit La Vallière, nº 25. Cette moralité normande, jouée par des personnages de farces, fut sans doute écrite dans les années 1530.

Structure : Rimes plates, rimes abab/bcbc, avec 8 triolets.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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Moralité du

Porteur de pacience

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À cinq personnages, c’est assavoir :

       LE  MAISTRE

       LA  FEMME

       LE  BADIN  [Rinche-hanaps]

       LE  PREMIER  HERMITE

       LE  IIe  HERMITE

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                        LE  MAISTRE  commence 1                    SCÈNE  I

        Hélas ! tant je portes de jeusnes,

        De charges et de pénitences !

        Troys foys à la sepmaine jeusnes2,

        Hélas, tant je portes de jeusnes !

5      Depuys Pasque3, plus ne desj[e]unes.

        Touchant mai[n]s faictz et circonstances4,

        Hélas, tant je portes de jeusnes,

        De charges et de pénitences !

        À mes requestes et instances,

10    Ma femme en portera sa part :

        Car s’elle vient vers ceste part5,

        Je luy mectray tout sur le dos.

        En elle, n’y a nul propos6,

        Et ne veult entendre à mon cas.

.

                        LA  FEMME 7                                          SCÈNE  II

15    Rinche-hanaps8 !

                        LE  BADIN

                                         Y[l] n’y est pas.

                        LA  FEMME

        Toutefoys ay-je ouÿ la voix.

        Viendras-tu pas ?

                        LE  BADIN

                                        Ouy, le grand pas9.

                        LA  FEMME

        Rinche-hanaps !

                        LE  BADIN

                                       Il n’y est pas.

                        LA  FEMME

        Plus ne parle que par compas10 !

                        LE  BADIN

20    Je tiendray gravité11, ma foys.

                        LA  FEMME

        Rinche-hanaps !

                        LE  BADIN

                                      Il n’y est pas.

                        LA  FEMME

        Toutefoys ai-ge ouÿ la voix.

        Sy tu ne viens…

                        LE  BADIN

                                      A ! je m’en voix12.

                        LA  FEMME

        Par Dieu, je te feray jeusner !

                        LE  BADIN 13

25    Jusner ? Dea, jusner ? Saincte Croix !

        Je veulx disner et desj[e]uner ;

        De jeusne ay passé les destroys14.

        Jeusner ? Dea, jeusner ? Saincte Croix !

                        LA  FEMME

        A ! garde-t’en15, se tu m’en croyx !

                        LE  BADIN

30    Je veulx chopiner et charner16.

        Jusner ? Dea, jusner ? Saincte Croys !

        Je veulx disner et desjuner.

                        LA  FEMME

        Mais d’où viens-tu ?

                        LE  BADIN

                                            De besongner17.

        Pour vous le donner à congnoistre,

35    Ma mêtresse, j’ay veu mon maistre

        Qui me sembloyt fort empesché.

                        LA  FEMME

        À quoy ?

                        LE  BADIN

                           À porter son péché,

        Ses jeusnes et ses pénitences.

        En luy, n’y a nules substances18 :

40    Croyez19 qu’il est palle et deffaict.

                        LA  FEMME

        Mon Saulveur ! qu’esse qu’il a faict ?

        Pences qu’il a tué son père

        Ou sa mère ? Tel vitupère20

        Ne luy seroyt venu sans cause.

                        LE  BADIN

45    Vous debvez sçavoir qui le cause21,

        Et qui le rent sy mat et vain22 :

        Car il23 a presté son « levain »,

        Ou fringué24 vostre chambèrière.

        Par ma foy ! mon maistre est un Frère25 :

50    Les génitoyres luy espoingnent26.

        Il est tant aise quant y coignent27

        Sus une chair nouvelle et tendre !

                        LA  FEMME

        Sy veulx-je savoir et entendre

        Dont luy vient ceste honte infâme.

.

                        LE  MAISTRE 28                                    SCÈNE  III

55    Las ! je vous crye mercy29, ma femme !

                        LA  FEMME

        Il parle devant30 qu’on l’acuse.

                        LE  BADIN

        Je croys bien : y crainct d’avoir blasme.

                        LE  MAISTRE

        Las ! je vous crye mercy, ma femme !

                        LE  BADIN

        Ne luy faictes aulcun diffame !

                        LA  FEMME

60    Tais-toy ! Je congnoys trop sa ruse.

                        LE  MAISTRE

        Las ! je vous cry mercy, ma femme !

                        LA  FEMME

        Il parle devant qu’on l’acuse.

                        LE  BADIN

        Encor[e] fault-il qu’i s’escuse

        En quelque sorte31, honnestement.

                        LA  FEMME

65    Je pers sens et entendement

        De veoir un homme ainsy âgé

        Estre subject et obligé

        À souffrir sy grosse infamye.

                        LE  MAISTRE

        Hélas ! je n’ay rien faict, ma mye.

                        LE  BADIN

70    Par sainct Jaque ! je le croys bien :

        Mon maistre est [un] homme de bien,

        Lequel ne ment poinct s’y ne parle,

        Et ne paye poinct s’on ne le hale32.

        Somme ! chascun le bénédict33.

                        LE  MAISTRE

75    Voyre34, ou je soyes de Dieu mauldict !

                        LA  FEMME

        Il a esté en varouillage35

        Pour corompre son mariage

        Avec un tas de malureuses

        Qui contrefont les amoureuses,

80    Quant il a escus à planté36.

                        LE  BADIN

        Y fault donc qu’il y ayt esté.

                        LE  MAISTRE

        G’y ay esté ? Beau sire Dieulx !

        O ! qu’on me crève les deulx yeulx

        Sy de luxure m’entremais !

                        LE  BADIN

85    Par ma foy ! y n’y fust jamais.

                        LA  FEMME

        Jamais n’y fust, garson mauldict ?

        Et ! tu sçays bien que tu m’as dict

        Toy-mesmes qu’il s’est mesjeté37.

                        LE  BADIN

        Pardieu, vous y avez esté !

                        LE  MAISTRE

90    G’y ay esté ? Tu as menty :

        Onques ne changay mon party38

        De ma femme, je te promais.

                        LE  BADIN

        Par ma foy ! y n’y fust jamais.

                        LA  FEMME

        Y n’y fust jamais ? Par mon Dieu !

95    S’il n’eust poinct hanté meschant lieu39,

        On ne l’eust poinct sy mal traicté.

                        LE  BADIN

        Y fault donc qu’il y ayt esté.

                        LE  MAISTRE

        Gy ay esté ? Tu es bien fol !

        Le deable me rompe le col

100  S’onques m’en voulus entremectre40 !

                        LE  BADIN

        Par mon serment ! je croys mon maistre.

                        LA  FEMME

        Tu le croys ? Y s’est mesporté41,

        Et plusieurs foys a transporté

        — Par folye et par déraison —

105  Ce qu’i faloyt à la maison42

        À ces meschantes dissolues43

        Qui sont fynnes et résolues

        Entour un homme bien renté44.

                        LE  BADIN

        Ma foy ! vous y avez esté.

                        LE  MAISTRE

110  G’y ay esté ? Vray Dieu des cieulx !

        Sur mon âme ! j’aymeroys mieulx

        Qu’on me décorast45 d’un chevaistre.

                        LE  BADIN

        En bonne foy, je croys mon maistre.

        Sus ! pour en léesse nous mettre46,

115  Disons47 deulx mos à la plaisance.

                        LE  MAISTRE

        C’est bien dict. J’aray espoirance

        D’en porter mieulx ma pénitence.

                        Ilz chantent.

.

                        Après la chanson,                                      SCÈNE  IV

                        LE  PR[E]MIER  HERMITE  entre.48

        Vous donnez-vous resjouissance

        Alors qu’il est temps de plourer ?

                        LE  DEUXIESME  HERMITE

120  Av’ous49 de plaisir jouyssance,

        Quant il fault du mal endurer ?

                        LE  P[REMIER]  H[ERMITE]

        Fault-il contre Dieu murmurer ?

        Nennin ! Ô créature humaine,

        Tu te doibtz pour Luy a[m]murer50

125  Et porter douloureuse payne.

                        LA  FEMME

        Qui sont ceulx-cy ? Qui les amaine ?

        Regardez, hau ! je m’en éfrites51.

                        LE  BADIN

        À veoir leur vesture et [leur] layne,

        Ce sont deulx convers52 ypochrites.

                        LE  IIe  HERMITE

130  Nous sommes deulx simples hermites

        Qui nuict et jour portons la haire53.

                        LE  BADIN

        Et ! sainct sang bieu, quel[z] fripelipes54 !

        Jésus ! voécy un maistre haire55.

                        LE  MAISTRE

        Sachez qu’i maynnent vie austère,

135  Et viennent pour nous advertir56.

                        LE  P[REMIER]  HERMITE

        Sans faulte y se fault repentir,

        Sy voulons avoir Paradis

        Avec les anges bénédis,

        En contemplant la Trinité.

                        LE  MAISTRE

140  Frère, vous dictes vérité.

                        LE  IIe  H[ERMITE]

        L’un de l’aultre convyent porter

        Le gros faictz57, et le suporter58

        Par amour et par charité.

                        LE  MAISTRE

        Frère, vous dictes vérité.

                        LE  P[REMIER]  H[ERMITE]

145  Avoir convyent contriction59

        — À tout le moins afliction60

        De nos faultes et nos péchés,

        Desquelz nous sommes empeschés61

        Par folye et témérité.

                        LE  MAISTRE

150  Frère, vous dictes vérité.

                        LE  BADIN

        Dictes : s(y) un mary a ployé62

        Son mariage, ou desvoyé63,

        La femme en doibt-ale64 souffrir ?

                        LE  IIe  H[ERMITE]

        Ouy. Sy le mary vient65 offrir

155  Les charges et cas qu’il a fais,

        La femme portera le fais

        Du tout — ou du moins la moytié —

        Bénignement, par amytié :

        Tenue y est, et a[s]servye.

                        LE  MAISTRE

160  Sainct Jehan ! Dieu vous doinct66 bonne vie !

        De tous maulx m’avez alégé.

        Afin que je soys soulagé

        De ce fardeau et pesant fais,

        Ma femme portera sa foys67.

                        LE  BADIN

165  Non fera, par saincte Marye !

                        LE  P[REMIER]  H[ERMITE]

        Sy fera, d’un vouloir courtoys68.

                        LE  MAISTRE

        Ma femme portera sa foys.

                        LE  IIe  H[ERMITE]

        Jésuchrist porta bien sa crois.

                        LE  BADIN

        C’estoyt bien aultre mercerye69 !

                        LE  MAISTRE

170  Ma femme portera sa foys.

                        LE  BADIN

        Non fera, par saincte Marye !

                        LA  FEMME

        Porterai-ge la menterye,

        Les juremens, la pail[l]ardise

        De mon mary ? Quant je m’avise,

175  J’aymeroys myeulx…

                        LE  P[REMIER]  H[ERMITE]

                                             A ! bonne femme :

        Pour le grand salut de vostre âme,

        Des péchés porterez la somme70

        Qu’on a mise sur le bon homme

        À tort et sans cause.

                        LA  FEMME

                                             Non a71 !

                        LE  BADIN

180  Je sçays bien comment tout tourna72,

        Il ne fault poinct tant de langage.

                        LA  FEMME

        Et ! y rompit son mariage

        Le premier jour qu’il m’espousa.

                        LE  P[REMIER]  H[ERMITE]

        Jamais femme ne refusa

185  À faire le commandement

        De son bon mary.

                        LE  IIe  H[ERMITE]

                                         Non, vraiment :

        Ainsy le dict Saincte Escripture.

                        LE  P[REMIER]  H[ERMITE]

        Toute dévote créature

        Qui veult en gloire73 parvenir

190  Doibt à son mary suvenir74

        Quant quelque empeschement il a.

                        LA  FEMME

        Par Dieu, je ne porteray jà !

                        LE  BADIN

        Non, non, n’en faictes rien, ma dame !

        Qu’av’ous afaire d’avoir blasme

195  Des maulx qu’il a faict et fera ?

                        LA  FEMME

        Par Dieu, je ne porteray jà !

                        LE  IIe  H[ERMITE]

        Sy ferez, pour le contenter

        Et un petit le suporter75 :

        Car son cœur s’en resjouyra.

                        LA  FEMME

200  Par Dieu, je ne porteray jà !

                        LE  MAISTRE

        Sy ferez ! Escoustez, ma mye :

        Et ! à joinctes mains je vous prie

        Que me donnez ayde et secours.

                        LE  P[REMIER]  H[ERMITE]

        Mais à qui doibt avoir recours

205  Un bon mary qu’à sa partye76,

        Quant y luy faict juste partye77

        De son corps et de tous78 ses biens ?

                        LE  BADIN

        Mon maistre n’en fist jamais riens !

                        LE  IIe  H[ERMITE]

        Tu mens : je congnoys79 le contraire.

210  Or çà donques, pour nous atraire80

        À une chose raysonnable,

        Monstrez-vous vers luy pitoyable81,

        Comme raison veult, et droicture.

                        LE  P[REMIER]  H[ERMITE]

        La femme de bonne nature

215  À porter82 sy est tousjours preste.

                        LA  FEMME

        Or çà, donc, que je m’y apreste,

        Combien qu’il me faict83 un grand mal

        De porter la paine et raval84

        Du péché que n’ay pas commys.

                        LE  IIe  H[ERMITE]

220  On doibt souffrir pour ses amys ;

        Pour tant85, cecy vous porterez.

                        LA  FEMME

        An ! Jésus !

                        LE  BADIN

                               Vous la grèverez86 :

        Voyez qu’el est en grand détresse.

                        LE  MAISTRE

        Tout beau, hau ! Vous la blesserez87.

                        LA  FEMME

225  An ! Jésus !

                        LE  BADIN

                                 Vous la grèverez.

                        LA  FEMME

        Je n’en feray plus88.

                        LE  P[REMIER]  H[ERMITE]

                                             Sy ferez !

        Marchez89, marchez, faulce deablesse !

                        LA  FEMME

        An ! Jésus !

                        LE  BADIN

                                 Vous la grèverez :

        Voyez qu’el est en grand détresse.

230  Et ! ne portez plus, ma mêtresse,

        Pourveu qu’il ne vienne à plaisir90.

                        LE  MAISTRE

        Pour vous oster de desplaisir,

        Çà, çà, je vous suporteray91.

                        LA  FEMME

        An ! Nostre Dame, je cherray92 !

235  Me voélà toute plate à terre.

                        LE  BADIN

        Dea ! vous debvez sçavoir et croire93

        Qu’el ne porte94 que sus le ventre ;

        Encor[e] ce « fardeau » luy entre

        Jusqu(es) aulx eschines.

                        LA  FEMME

                                                    Ce faict mon95.

240  Donques, sans faire long sermon,

        Plus n’en feray.

                        LE  P[REMIER]  H[ERMITE]

                                      Sans vous grever,

        Ma mye, il convient achever

        Et prendre tout en pacience.

                        LA  FEMME

        Non feray, par ma consience !

245  Sur le dos ne porteray plus.

                        LE  IIe  H[ERMITE]

        Sy ferez cy96.

                        LE  BADIN

                                   C’en est conclus :

        S’el[le] ne veult, rien n’en fera.

                        LE  MAISTRE

        Mon varlet, donques, portera

        Mes pénitences et mes jeusnes.

                        LE  BADIN

250  Alez chercher qui ce sera !

                        LE  MAISTRE

        Mon varlet, donques, portera…

                        LE  BADIN

        Mauldict soyt-il qui le fera !

        Or, atendez que je desj[e]unes.

                        LE  MAISTRE

        Mon varlet, donques, portera

255  Mes pénitences et mes jeusnes.

                        LE  BADIN

        Le deable m’emport97 sy je jeusnes !

                        LE  P[REMIER]  H[ERMITE]

        Tu porteras !

                        LE  BADIN

                                  Vous me fâchez !

        Qu’ay-je affaire des grans péchés

        Qu’il a faict et voulu commectre ?

                        LE  IIe  H[ERMITE]

260  Veulx-tu poinct ayder à ton maistre ?

                        LE  BADIN

        Nennin, par ma foy !

                        LE  MAISTRE

                                               Mon varlet,

        Voécy la charge d’un mulet ;

        Ayde-moy à la suporter.

                        LE  BADIN

        Le deable me puisse emporter

265  Sy j’en porte brin ne brinnet98 !

                        LE  MAISTRE

        Je te donray un beau bonnet99.

                        LE  BADIN

        Je n’en veulx poinct.

                        LE  MAISTRE

                                             Et ! mon amy,

        Tu auras escu et demy,

        Et la moytié de tout mon bien.

                        LE  BADIN

270  En éfaict je n’en feray rien.

                        LE  MAISTRE

        Tu me voys, en nécessité,

        Porter sy grosse austérité :

        Et ! suporte-moy un petit100 !

                        LE  BADIN

        Et ! je n’en ay poinct d’apétit.

275  Somme, je ne séroys101 jeusner :

        Tous les jours je veulx desj[e]uner

        Dès quatre heures.

                        LA  FEMME

                                           Nostre mary,

        Sans faire sy long charivary102,

        Puysque les cas vous avez fais103,

280  Vous-mesmes porterez le fais :

        Le prestre vous l’a enchargé104.

                        LE  MAISTRE

        Hélas ! serai-ge encor chargé

        De telle payne et tel labeur ?

                        LE  IIe  H[ERMITE]

        Ouy : vous porterez la douleur

285  De la plaisance105 qu’avez eue.

                        LE  P[REMIER]  H[ERMITE]

        Ceste chose est toute congneue

        Que tout pécheur luy-mesme porte

        (Sans que personne le suporte)

        La paine qui luy est enjoincte

290  À confesse.

                        LA  FEMME

                               Ainsy Dieu l’apoincte106

        Par sentence et divin arest.

                        LE  BADIN

        Chascun y pent par son jaret107.

                        LE  MAISTRE 108

        Aydez-moy donques, sainctes gens,

        Et ne soyez pas négligens

295  À estre de mes bienfaicteurs !

                        LE  IIe  H[ERMITE]

        A ! on ne sommes pas porteurs.

                        LE  P[REMIER]  H[ERMITE]

        Non, sans faulte.

                        LE  MAISTRE

                                        Amys honorables :

        Veuilez-moy estre secourables

        Plus que ne sont mes serviteurs !

                        LE  IIe  H[ERMITE]

300  A ! nous ne sommes poinct porteurs.

                        LE  MAISTRE

        Au non de Dieu, souverain roy :

        Amys, ayez pityé de moy

        Ainsy que vrays Frères myneurs109 !

                        LE  P[REMIER]  H[ERMITE]

        A ! on ne sommes poinct porteurs.

305  Et pour dire le cas, en somme,

        Tout pécheur doibt porter la somme110

        De tous les péchés qu’il a fais.

                        LA  FEMME

        Au moins, chascun porte son fais.

                        LE  BADIN

        Chascun y pent par son jaret.

                        LE  MAISTRE

310  Touchant mes délis et mes fais,

        Ainsy, chascun porte son fais ?

                        LE  P[REMIER]  H[ERMITE]

        À ceulx-là qui se sont forfais111,

        Aultruy n’y a nul intérest112.

                        LA  FEMME

        Ainsy, chascun porte son fais.

                        LE  BADIN

315  Chascun y pent par son jaret.

                        LE  MAISTRE

        Chantons donques, sans plus de plaict113.

        J’aray la honte et vitupère

        De mes péchés, puysqu’il114 vous plaict.

        Le filz ne soufre pour le père115.

320  En prenant congé de ce lieu,

        Une chanson et puys adieu !116

.

                                                FINIS

*

1 Il sort de l’église et se traîne vers sa maison, le dos chargé d’énormes sacs.   2 Je dois jeûner 3 fois par semaine. En temps normal, on ne fait maigre que le vendredi.   3 À partir de Pâques. Le pécheur a donc reçu sa pénitence lors de la confession quasi obligatoire qui précède Pâques ; cf. les Chambèrières et Débat, vers 183 et note.   4 À cause du péché de luxure que j’ai commis.   5 De ce côté.   6 Aucune bonne disposition.   7 Dans la pièce principale de la maison, elle appelle son valet, qui s’empiffre dans la cuisine, située derrière le rideau de fond. Ces cuisines ont une porte qui donne sur l’arrière de la maison ; le valet va donc affirmer à sa patronne qu’il est sorti, puis qu’il va s’en aller.   8 Rincer les hanaps = vider les verres. Le valet Rince-hanap est un de ces Badins gourmands, buveurs et insolents, comme on en voit beaucoup dans les farces de Normandie. Rincher comporte une chuintante normande : « Je croy qu’avez rinché les pots [que vous avez bu] ! » Le Tesmoing.   9 Au grand galop. Mais il ne bouge pas pour autant.   10 Désormais, ne parle qu’avec sagesse. « Parlant par compas. » Sermon pour une nopce.   11 J’affecterai une attitude grave. « Tenant gravité honnorable. » Baudet, Blondète et Mal-enpoint.   12 Je m’en vais.   13 Prenant cette menace très au sérieux, il passe la tête par le rideau de fond, la bouche pleine.   14 J’ai franchi le passage pénible du jeûne : le Carême est en train de s’achever, puisque nous sommes la veille de Pâques. Rince-hanap entre dans la pièce principale.   15 Évite que je ne te fasse jeûner : obéis à mes ordres.   16 LV : churner  (Charner = manger de la chair, ne pas faire maigre.)   17 De faire ma besogne. Double sens : de besogner une femme.   18 Aucun signe de subsistance, de vie.   19 LV : voyes  (« Croyez qu’il est bien enserré. » L’Aveugle et Saudret.)  L’épouse et son valet ne voient pas encore le mari, qui n’est pas revenu de l’église ; Rince-hanap l’a juste entrevu dehors.   20 La honte de porter publiquement son péché. Idem vers 317.   21 Ce qui cause sa pénitence.   22 Si abattu et si faible. « Plus n’avez vigueur ne demy,/ Tant est vostre cueur mat et vain. » Le Ribault marié.   23 LV : sil  (« Levain : sperme…. Il fait lever le ventre. » Pierre Guiraud, Dictionnaire érotique.)   24 Culbuté. « Volontiers je vous fringasse,/ Madame, si j’osasse. » Chansons folastres.   25 Est aussi lubrique qu’un moine. Deux Cordeliers vicieux vont entrer au vers 118.   26 Les testicules lui démangent.   27 LV : goignent  (Quand ses testicules cognent. Au vers 72 du Tournoy amoureux, les couilles des Frères tambourinent contre des culs.)   28 Il entre dans la maison, toujours chargé de ses péchés.   29 Pitié.   30 Avant. L’épouse affecte de continuer son dialogue avec Rince-hanap, qui se prête au jeu.   31 Qu’il s’excuse d’une manière ou d’une autre.   32 Et ne paie pas si on ne l’y contraint pas. Haler = tirer.   33 Bref, chacun le bénit, lui accorde sa bénédiction. Idem vers 138.   34 C’est vrai.   35 Il est allé courir le guilledou. « Qui va de nuict en varouillaige. » Le Gentil homme et Naudet.   36 En quantité. « Voylà des escus à planté. » (Les Brus.) Le mari ne se contente pas de la chambrière <v. 48> : il fréquente assidûment les prostituées.   37 Qu’il a dévié de la droite voie, comme une flèche déportée par le vent. Voir les vers 47-52.   38 Je n’ai jamais changé mon statut de mari fidèle vis-à-vis…   39 Fréquenté un mauvais lieu, un bordel.   40 Si jamais je voulus m’en mêler. Idem vers 84.   41 Détourné du bon chemin. Cf. Frère Guillebert, vers 454 et 498.   42 Ce qui était nécessaire à notre ménage : son argent et son sexe.   43 LV : disolutes  (À la rime, je corrige resolutes.)  À ces femmes dissolues.   44 Autour d’un homme riche.   45 LV : decolast  (Qu’on me passe une bride au cou, comme à un âne. Par extension, le chevêtre désigne également la corde du pendu : « Mais ung gibet et ung chevestre/ À vous pendre ! » L’Aveugle et Saudret.)   46 LV : maistre  (Pour nous mettre en liesse, en joie.)   47 Chantons. « Mais disons deulx mos de chanson/ Pour passer nostre marisson./ (Ilz chantent ensemble.) » La Réformeresse.   48 Les deux ermites pénètrent dans la maison, officiellement pour dire la bonne parole et pour mendier. En fait, c’est le mari qui les a payés pour venir le seconder ; voir la note 79.   49 Avez-vous. Même normandisme à 194.   50 Emmurer, cloîtrer dans un ermitage ou un monastère, comme la religieuse des Mal contentes aux vers 401 et 459.   51 Je m’en effraye. Cf. le Marchant de pommes, vers 20 et note.   52 Deux nouveaux moines ; cf. Frère Guillebert, vers 110. L’hypocrisie et la lubricité des ermites sont exposées dans Troys Brus et deulx Hermites, où nous avons aussi affaire à des Cordeliers. Cette farce normande contemporaine, également copiée dans le ms. La Vallière, pourrait avoir été jouée lors de la même session par les mêmes acteurs : en général, on enchaînait une sottie, une moralité, puis une farce.   53 Une chemise de crin que certains pénitents portent à même la peau. Nos ermites font semblant, comme tous les tartufes : « Serrez ma haire avec ma discipline [mon martinet] ! » Tartuffe.   54 Remueurs de lèvres, goinfres. « Humesouppiers, avalletrippes,/ Guettelardons, gros fripelippes. » Godefroy.   55 Un grand dissimulateur. « Hypocrites, bigotz (…),/ Haires, cagotz, caffars empantoufléz. » Gargantua, 54.   56 Pour nous rappeler que le Jugement dernier s’approche. L’Apocalypse imminente était le fonds de commerce des prêcheurs publics.   57 Chacun doit porter le fardeau de l’autre. Faix = fardeau. Idem vers 156, 163, 280, 308. Les ermites révèlent enfin pourquoi le mari les a fait venir.   58 Et l’aider. Idem vers 198, 233, 273, 288.   59 De la contrition, du repentir.   60 LV : afection  (Des remords. « Tous ceulx c’ont affliction,/ De leurs péchiers contriction. » Mistère de la Passion de Semur.)   61 Chargés. « Des sept péchéz/ Mortelz dont tu es empesché. » La Confession Rifflart.   62 Dénaturé. « Rompre son mariage (…)/ Ou le ployer. » Le Pèlerinage de Mariage.   63 LV : remploye  (Ou s’il l’a dévoyé.)   64 Doit-elle. Normandisme : « Baillais-li sen cul à fesser/ (Dit-ale) ! » La Muse normande.   65 LV : vienne   66 Vous donne. Dans Frère Phillebert, ce même vers salue également un faux ecclésiastique.   67 À son tour. « Vous viendrez doncq à son escolle/ Vostre foys. » Maistre Mimin estudiant.   68 Elle le fera, et avec bonne volonté.   69 C’était bien autre chose.   70 Le chargement digne d’une bête de somme : voir le vers 262. « Vertu bieu ! je porte les sommes. » Le Sourd, son Varlet et l’Yverongne.   71 On ne l’y a pas mise sans raisons.   72 LV : va  (Comment tout s’est passé. « Tout tournera à nostre utilité. » Les Sotz escornéz.)   73 À la gloire éternelle. « Pensez en la gloire/ De Paradis. » Le Ribault marié.   74 Subvenir, porter secours. Cf. le Poulier à sis personnages, vers 201 et 303.   75 Et l’aider un peu.   76 Sinon à sa moitié, à sa femme. Cf. Chagrinas, vers 204.   77 Répartition.   78 LV : tout   79 Je sais. Ce vers prouve que les ermites et le mari se connaissaient déjà. Voir la note 48.   80 Pour nous amener.   81 Montrez-vous clémente envers lui.   82 À porter des enfants : « Elle portera filz ou fille. » (Jénin filz de rien.) Mais le double sens érotique du vers 237 n’est pas loin.   83 Bien que cela me fasse.   84 LV : trauail  (La dépréciation, l’humiliation. « Desprisé et mis au raval. » Frère Frappart.)   85 Pour cela. L’ermite enlève un des sacs qui pèsent sur les épaules du mari, et le laisse tomber sur celles de la femme.   86 Vous allez l’accabler.   87 LV : blesers  (Le 1er ermite rajoute un sac. La femme tombe à genoux.)   88 Je ne prendrai plus rien d’autre.   89 Allons ! Fausse = perfide. L’ermite charge encore un sac sur les épaules de la femme, qui se retrouve à quatre pattes.   90 Si vous n’y prenez pas de plaisir.   91 Je vais vous encourager. Effectivement, « çà ! çà ! » est un encouragement qu’on prodigue aux chiens de chasse.   92 Je suis en train de choir. L’épouse tombe à plat ventre.   93 En Normandie « craire » rime avec « terre », comme aux vers 172-3 de la Veuve.   94 Qu’elle ne porte… des hommes.   95 C’est exact. Cf. Monsieur de Delà et monsieur de Deçà, vers 18.   96 Pourtant, vous porterez encore ceci.   97 LV : memporte  (Cf. les Sobres Sotz, vers 112 et 456.)   98 Un brin ni une brindille.   99 C’est le plus beau cadeau qu’on puisse faire à un Badin. L’Amoureux du Badin qui se loue achète ainsi le silence du valet de son amante : « Et un bonnet te donneray. » Le Badin du Retraict réclame de même le prix de sa discrétion : « Donnez-moy un bonnet poinctu ! »   100 Aide-moi un peu.   101 En bref, je ne saurais [je ne peux pas] jeûner. C’est un normandisme : « Sans lard, je ne séroys rien faire. » L’Homme à mes pois.   102 Sans débattre plus longtemps. « Ne fais point long charivary ! » Guillerme qui mengea les figues.   103 Puisque vous avez commis ces péchés. Plus précisément, « faire le cas » = faire l’amour : « Quant venez pour faire le cas/ À la desrobée avec moy. » Le Badin qui se loue.   104 Infligé. « Quant on se confesse,/ On doit tout prendre en pacience/ La pénitance qu’on encharge. » Le Ribault marié.   105 Du plaisir sexuel.   106 LV : la apoincte  (L’ordonne.)   107 « Chascune chièvre par son jarret pant. » Ce proverbe de bouchers signifie : chacun est traité selon son mérite. Il était bien connu en Normandie : « Tu sçais bien qu’un cacun y pend par sen garet. » (La Muse normande.) Rince-hanap, féru de proverbes comme tous les Badins, le répète aux vers 309 et 315.   108 Il tente de convaincre les ermites de porter son fardeau.   109 Les ermites font donc partie de ces Cordeliers à la paillardise proverbiale. « Vits de prescheurs,/ De Carmes, de Frères myneurs…./ Deux vitz de prescheurs,/ Et deux grans de Frères mineurs. » Le Tournoy amoureux.   110 Le fardeau ; voir la note 70. Le mot « somme » revient trois fois en trois vers, et chacun alourdit le précédent.   111 Qui ont fauté.   112 Les autres n’ont rien à rembourser.   113 De plaid, de bavardage.   114 LV : puys que  (Puisque cela vous plaît. « Allons boire, puisqu’il vous plaist. » L’Aveugle et Saudret.)   115 François Ier avait livré ses deux fils aînés de 7 et 8 ans à Charles Quint pour être lui-même libéré des geôles madrilènes après la défaite bien méritée de Pavie. Les petites victimes de la bassesse royale recouvrèrent leur liberté quatre longues années plus tard, en juillet 1530. Le théâtre rendit compte du dégoût suscité par l’attitude du roi : voir par exemple la Satyre pour les habitans d’Auxerre.   116 Ce distique apocryphe est la signature habituelle du copiste de ce ms. La Vallière.

LE TEMPS-QUI-COURT

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Ms. La Vallière

Ms. La Vallière

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LE  TEMPS

QUI  COURT

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Le Monde, Plusieurs et Chacun, trois des personnages allégoriques qui animent cette sottie en forme de moralité, représentent le peuple. Ils regrettent le bon vieux temps de l’Âge d’or, mais ils sont prêts à suivre le temps qui court pour en profiter aussi crapuleusement que les autres.

La pièce fut jouée par des Sots lors d’un carnaval : elle peut donc se permettre quelques piques à l’encontre des courtisans. Nous avons là une des sotties protestantes rouennaises du manuscrit La Vallière, comme la Mère de ville ou la Réformeresse. Tiré du même recueil, le Moral de Tout-le-Monde offre des points communs troublants avec ce Temps-qui-court.

Source : Manuscrit La Vallière, nº 43. L’état relativement bon du texte montre qu’il n’était pas écrit depuis longtemps lorsqu’il fut copié dans ce manuscrit, vers 1575. Nous attendions avec impatience l’édition de Jelle Koopmans, Marie Bouhaïk-Gironès et Katell Lavéant : Recueil des sotties françaises, Classiques Garnier, 2022, tome II, pp. 385-410. Hélas ! non seulement cette édition est rachitique (44 notes, pour la plupart inutiles1), mais elle est bourrée de fautes de lecture qu’un débutant n’aurait pas commises : Moralité nouvelle, de ≠ en, envyeulx ≠ ennuyeulx, es ≠ est, y est ≠ y s’est, en ≠ au, veus ≠ vens, ne ≠ me, tresfoulx ≠ tres doulx, le ≠ je, pure ≠ que, temps ≠ lieulx, etc. On a même poussé la désinvolture jusqu’à omettre le vers 342 ! Et pourtant, ce même Jelle Koopmans ne perd jamais une occasion de clouer au pilori Gustave Cohen lorsqu’il oublie un vers dans son édition du recueil de Florence (qu’il ne pouvait pas consulter directement), et se gausse d’Édouard Fournier qui prétend avoir sous les yeux le recueil du British Museum alors qu’il ne l’a jamais vu. Si nos trois farceurs s’étaient contentés de recopier l’édition de cette pièce parue en 1817, comme ils ont recopié l’édition Picot dans leur tome I, le texte eût été moins fautif. En tout cas, pour 49 €, on était en droit d’espérer un vrai travail.

Structure : Rimes plates, abab/bcbc, couplets de pentasyllabes aaab, sixains à refrain unique, 2 triolets.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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Moralité

À quatre personnages, c’est assavoir :

       CHASCUN

       PLUSIEURS

       LE  TEMPS-QUI-COURT

       LE  MONDE

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                        CHASCUN  commence 2                         SCÈNE  I

        Et puys3 ?

                        PLUSIEURS  entre.

                            Comment ?

                        CHASCUN

                                                  Mais quel vent court ?

                        PLUSIEURS

        C’est grand triumphe que d’estre en Court4,

        Car on y voyt grande noblesse.

                        CHASCUN

        A, vertu bieu ! Mais le bâs blesse,

5      Qui5 n’a argent en habondance.

                        PLUSIEURS

        Y n’est thésor6 que de plaisance

        Pour à souhayt, maintenant, vivre.

                        CHASCUN

        On ne sçayt plus quel estat suyvre

        Pour, à présent, s’entretenir7.

                        PLUSIEURS

10    Quant je m’avise et me prens à souvenir

        Du temps passé, auprès du temps qui court,

        Tout [esbahi ce]8 me faict devenir,

        Voyant que tout va en mauvais décourt9.

        Tout bien en mal change10, pour faire court.

15    On va, on vient, on dict, on faict merveilles ;

        On taille, on ronge, on bride11, on coupe et court.

        Et tousjours [ont] gros asnes grans12 oreilles.

                        CHASCUN

        On voyd [des choses]13 nompareilles,

        Aujourd’uy, plus qu(e) onques jamais.

        ……………………………..

                        PLUSIEURS

20    On voyt des choses nompareilles,

        Aujourd’uy, plus qu’onques jamais.

                        CHASCUN

        Le temps, jadis, estoyt bon. Mais

        Tousjours il empire au demain.

        [Voécy un piteulx entremais !]14

                        PLUSIEURS

25    Quant Saturnus — le vieulx doulx et humain,

        L’universel — gouvernoyt15, soublz sa main

        Chascun alors vivoyt à son plaisir.

                        CHASCUN

        Quant Apolo, en beaulté souverain,

        Tua Piton, le [faisant soublz gésir]16,

30    Aulcun n’avoyt de mal faire désir.

                        PLUSIEURS

        C’estoyt alors l’Âge doré17.

                        CHASCUN

        On ne pouvoyt meilleur choisir.

                        PLUSIEURS

        Par l’Argent18 il est empiré.

                        CHASCUN

        L’Âge de fer vint tout saisir.

                        PLUSIEURS

35    Sans de relief avoir loysir19,

        Toute vertu cheust lors à bas.

                        CHASCUN

        Adieu soulas !

                        PLUSIEURS

                                 Adieu plaisir !20

        On ne voyt que noyse et débas.

                        CHASCUN

               Nos esbas sont bas.

                        PLUSIEURS

40           Nos beaulx jeux sont jus21.

                        CHASCUN

               Nos poix crûs sont crus22.

                        PLUSIEURS

               Nos chans23 sont changés.

                        CHASCUN

               Nos mectz24 sont mengés.

                        PLUSIEURS

               Nos ris sont sousris25.

                        CHASCUN

45           Nos saultz sont saillis.

                        PLUSIEURS

               Nos sons sont sonnés.

        Et sommes très mal assignés26

        De joye(e) et de plaisir au monde.

                        CHASCUN

        Sy Dieu (qui tous les péchés monde27)

50    N’y mect briefz Réformation28,

        Tout yra en perdition

        Plus qu’onques ne feust au Déluge.

                        PLUSIEURS

        À Luy seul fault avoir refuge29,

        Car Il conduict jeunes et vieulx.

                        CHASCUN

55    Laissons ces propos ennuyeulx,

        Et prenons le temps comme il vient.

                        PLUSIEURS

        Ainsy le faire mieulx convient30,

        Car n’y pouvons remédïer.

                        CHASCUN

        Ce ne nous faict qu’atesdïer31

60    Sans en avoir aulcun proufit.

                        PLUSIEURS

        Tant grate chièvre que mal gist32,

        Et ne fust onc trop parler bon33.

                        CHASCUN

        Plusieurs en ont receu le bond34,

        Et saulté le sault dangereulx.

                        PLUSIEURS

65    Sy maintenant veulx estre heureulx,

        Escouste, regarde et tais-toy35.

                        CHASCUN

        C’est le poinct, la fin, et le pourquoy36

        Où gist ma seulle intention.

                        PLUSIEURS

        Passer je veulx, conclusion37,

70    Mon temps en plaisir et léesse38.

                        CHASCUN

        Arière, chagrin ne39 tristesse !

        Car par plaisir me veulx conduyre.

                        PLUSIEURS

               Pouroyt-on eslire40

               Plus joyeulx empire

75           Qu’avoir tire-à-tire41

               Léesse et plaisance ?

                        CHASCUN

               Certes, à brief dire,

               Pour jouer et rire,

               Fol est qui désire

80           Meilleure acointance.

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                        Icy vient le Temps-qui-court 42                 SCÈNE  II

                        par-devant eulx, puys se retire.

                        PLUSIEURS

        O !  qui est-ce-là, qu’en ceste instance43

        Va courant sy légèrement ?

                        CHASCUN

        En ? Qu’as-tu veu ?

                        PLUSIEURS

                                          Certainement

        Qui ce peult estre, ne say pas.

85    Il a sy tost faict son trespas

        Que je ne l’ay peu adviser44.

                        CHACUN

        Bien te le seusse deviser,

        Sy je l’eusse veu45.

                        PLUSIEURS

                                           S’y revient,

        Tu le voéras.

                        CHASCUN

                                 Il le convyent.

                        Icy passe le Temps par-devant eulx en courant.

                        PLUSIEURS

90    Regarde icy ! Hau ! es-tu sourd ?

        Voé-le là !

                        CHASCUN

                            C’est le Temps-qui-court :

        Je le congnoys au vestement.

                        PLUSIEURS

        C’est un saulvage46 habil[l]ement,

        Comme je puys apercepvoir.

95    Mais dy-moy : pourions-nous sçavoir

        Pourquoy y s’est tant travaillé47

        Si48 qu’en ce poinct est abillé ?

        Vrayment, je ne le puys entendre.

                        CHASCUN

        Y nous le convyent donc[ques] prendre

100  Pour en sçavoir la vérité.

                        PLUSIEURS

        Et comment, donc ?

                        CHASCUN

                                          Soyt aresté

        Quant il yra ainsy courant !

        Qu’il soyt prins à un las courant49 !

                        PLUSIEURS

        Mort bieu ! c’est trèsbien proposer.

105  Il nous convient le las poser

        Afin que luy donnons l’arest.

                        CHASCUN 50

        Voécy le las qui est toult prest ;

        Tendre le fault subtilement,

        Qu’i ne le voye aulcunement :

110  Car il congnoistroyt bien le faict.

        Il est tendu.

                        PLUSIEURS

                              C’est trèsbien faict.

        Nous voérons tantost bonne gale51 !

                        CHASCUN

        Tu n’as pas garde52 qu’il s’en aille,

        S’y passe dessus nostre tente53.

115  Tien bien delà !

                        PLUSIEURS

                                    J’ey bonne atente

        Que, de nous, poinct n’échapera.

                        CHASCUN

        Alors voérons-nous qu’il dyra54.

        Voé-le cy ! Il nous fault retraire55.

                        PLUSIEURS

        Retire-toy, laisse-moy faire :

120  Bien le garderay de courir.

                        Icy vient le Temps, et se mect

                        au las ; et ilz l’arestent.

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                        LE  TEMPS[-QUI-COURT]  entre.       SCÈNE  III

        O ! Dieu, venez-moy secourir !

        Qu’esse-cy ? Je suys atrapé.

                        CHASCUN

        Dea ! maistre, vous estes hapé.

        Aultre que vous nous ne quérion56.

                        LE  TEMPS

125  Qui estes-vous ?

                        PLUSIEURS

                                     Sans fiction57,

        « Plusieurs Gens » chascun nous apelle.

                        LE  TEMPS

        Je pers icy discrétion58.

        Qui estes-vous ?

                        CHASCUN

                                      Sans fiction,

        Croyez, pour résolution,

130  [ Que n’avons prébende ou chapelle.59

                        LE  TEMPS

        Qui estes-vous ?

                        PLUSIEURS

                                     Sans fiction, ]

        « Plusieurs Gens » chascun nous apelle.

                        LE  TEMPS

        Dea ! Plusieurs Gens, je m’émerveille :

        À quelle cause m’avez prins60 ?

135  Ay-ge vers vous, en rien, mesprins61 ?

        Que voulez-vous ? Dictes-le-moy.

                        PLUSIEURS

        N’ayez doubte [d’estre en émoy]62,

        Car aulcun mal par nous n’aurez.

        Reste[z] ! Voulons que déclarez

140  Pourquoy vous courez sy subit,

        Et la raison de vostre habit

        Et tant de hardes63 que portez.

                        LE  TEMPS

        J’en suys très content. Escoustez :

        Sy vous voulez à moy entendre,

145  Me suyvir et mes dictz aprendre,

        Je vous feray vivre à plaisir ;

        Et de tout ce qu’arez désir,

        Vous donray bonne instruction

        Pour en avoir possession.

150  Et pour autant,64 cours sans arest

        De tous costés, çà et là, prest

        Pour trouver gens de ma façon,

        Veuilans65 aprendre ma leçon

        Nouvelle66, bonne et profitable.

                        CHASCUN

155  Sy la chose est[oyt] véritable,

        Très volontiers [m’y donneroye]67.

        Du toult68 à vous je servyroye

        Tant que j’aroys la vye au corps69.

                        PLUSIEURS

        En tel cas ne feroys discorps70,

160  Mais [j’y] metroye entier debvoir.

                        LE  TEMPS

        Nul(e) doubte n’en debvez avoir,

        Car mon sçavoir et ma pratique

        Est sy très grand. Où je l’aplicque,

        J’en ay tout mon vouloir entier.

165  Aussy, je suys de tout mestier71,

        Comment on72 voyt à mes outis.

        Les plus caulx73, rusés et subtis

        Sont par moy trompés et déceups74.

        Rien don n’est que ne viengne au-dessus75.

170  Parquoy, sy vous me voulez croyre,

        Je vous donray honneur et gloire

        Et feray riche[s] brièfvement.

                        CHASCUN

        Que nous sachons, premièrement,

        Dont vient tant de diversité76 ;

175  Car d’en sçavoir la vérité

        Ay grand fantasye. À la teste

        Ce bonnet ront, cornes, cornète77 ;

        Tant de papiers (c’est un grand nombre)78,

        Tant d’engins — l’un droict, l’aultre combre79 :

180  Ce80 semble un maistre Aliborunt.

                        LE  TEMPS

        Pour vous le dire plast et rompt81,

        Estat n’y a82, dessus la terre,

        Dont je ne soys. Mesmes de guerre,

        Qu’est l’un de mes poinctz principaulx :

185  Car j’en discours par mons et vaulx.

        Où je sens guerre pululer,

        Bastre, exiller, tuer, piller,

        Il n’(y) a personne qui me passe :

        J’en prens partout, j’espans, j’amasse ;

190  À force83 prens femmes et filles,

        Brusles chasteaulx, maisons et villes.

        Et — bien que soys de bas lygnage

        Et que, pour estre sy volage84,

        « Escuyer » ou « baron » me nomme —,

195  Sans rente, faictz du gentil homme.

        Force est que le bon homme en baille85 ;

        Ainsy, j’en ay vaille qui86 vaille,

        Me faisant craindre et honorer.

                        PLUSIEURS

        Par ce poinct-là, fault s’assurer

200  De bientost grans thésors avoir.

        Ce bonnet ront ?

                        LE  TEMPS

                                     Debvez sçavoir

        Que sy n’y a guerre ou débas,

        En l’Église prens mes esbas ;

        [Là,] en courant les bénéfices,

205  Je vens dignités et ofices87,

        Force pardons, bules faulcères88.

        Ou, sy je lesses telz affaires,

        Par ma cornète et ma grand robe89

        Gros et menus partoult desrobe,

210  Prenant mon entrée90 et accetz

        Sus brouilerye91 et gros procès.

        L’on92 sçay[t] comme chascun [je] ronge !

        Sur les tromperyes que songe93,

        Du droict faictz tort, et du tort droict.

215  J’en prens de travers et et à droict.

        Voylà comment je me conduys.

                        CHASCUN

        Il (y) a profict en tel[z] déduict[z],

        Et bien y vouldroys passer temps.

        Or çà ! tant de vieulx instrumens :

220  Déclarez-nous que servent-ilz94.

                        LE  TEMPS

        Quant à cela, sont vieus oultilz

        Dont jadis souloyes labourer ;

        Mais depuys qu’ay voulu curer95

        Sur les cas que j’ey racomptés,

225  Faulte d’oulvrer se sont gastés96.

        Aussy, labeur est trop pénible.

        Puys d’aquérir y n’est possible

        Tant de chevance qu’aultrement97.

                        PLUSIEURS

        Je délibère entièrement

230  De vous suyvir toulte ma vye :

        Aussy, je n’eus onques envye

        De labourer.

                        CHASCUN

                               Ne moy aussy !

                        LE  TEMPS

        Vivre vous feray sans soulcy,

        Honneur et gros biens amasser.

                        PLUSIEURS

235  Par moy ne tiendra de poucer98,

        Et ne seray lâche en besongne.

                        CHASCUN

        Puysqu’il convyent que g’y besongne,

        Je croy que j’en arageray99.

                        LE  TEMPS

        Trèsbien je vous récompenseray,

240  Puysque des miens100 vous vous tenez.

        Seulement au cœur retenez

        (Comme ay dict) ma façon de vivre,

        Afin que me puissez ensuyvre

        En faictz et101 dictz, comme je tien.

245  Droict102, au présent, je vous retien,

        Et vous veulx le Monde monstrer.

        Soyez songneulx103 de l’acoustrer

        Selon la façon et manyère.

                        PLUSIEURS

        Je sçay ma leçon toulte entière :

250  Plus n’ay besoing de recorder104.

        Car sy, un coup, puys aborder

        Au Monde, il n’échapera poinct.

                        CHASCUN

        Je luy montreray, en105 tel poinct,

        Que je le tien jà de nos gens.

255  Tant luy donray de mectz changeans

        Qu’il ne sçaura du quel gouster.

        [Nous fauldra des périlz]106 houster,

        Avant qu’on le puisse congnoistre.

                        LE  TEMPS

        Or, que chascun besongne en maistre !

260  Saluons-le [tout] doulcement.

        Voéla107 !

.

                           Le Dieu du firmament                             SCÈNE  IV

        Qui  vous gard d’ennuy, Monde très doulx !

                        Saluant le Monde, qui vient.

                        LE  MONDE

        Dieu gard, enfans ! Qui estes-vous ?

                        LE  TEMPS

        Le Temps-qui-court.

                        LE  MONDE

                                            Et les galans ?

                        PLUSIEURS  et  CHASCUN  ensemble :

265  On nous apelle « Plusieurs Gens ».

                        LE  MONDE

        Vous soyez les très bien venus !

                        LE  TEMPS

        De ce sommes à vous tenus,

        Et vous ofrons et biens et corps108.

                        PLUSIEURS

        Nous ne cherchons noyse ou discors ;

270  Seulement quérons nous esbatre.

        Pour quoy, sy voul(i)ez, sans débatre

        Nous vous tiendrons de compaignye.

                        LE  MONDE

        Vous me semblez noble m[a]ygnye109,

        Joyeulx, mygnons, frisques et gens110

275  Plus que les antïennes gens

        Plains de simplesse111 au temps passé.

                        CHASCUN

        Nous avons le Viel Temps laissé

        Pour adérer au Temps-qui-court,

        Qui est mygnon, gentil et gourt112,

280  Et de façon toulte nouvelle.

                        LE  MONDE

        Vostre gentil esprit m’esveille,

        Et quasy me donne apétit

        D’estre des vostres un petit113.

        Mais premyer, vous vouldroys congnoistre114.

                        PLUSIEURS

285  Sy vous voulez des nostres estre,

        Jamais n’arez douleur pressée115.

                        LE  TEMPS

               Joyeuse pensée,

               Doulce destinée

               Est en moy trouvée116.

290         Je n’ay nul soucy.

               Une matinée,

               Je suys sur la prée117 ;

               Puys, vers la vesprée,

               Je revien icy.

295         Je liève matin,

               Puys du meileur vin

               Je boy un tatin118.

               Ai-ge pas bon temps ?

                        CHASCUN

               Il  ne me chault qu’on dye

300         Que119 n’ay poinct d’envye ;

               Mais que [j’aye ma]120 vye,

               C’est ce que j’atens.

                        PLUSIEURS

               Tout compte rendu121,

               [Sy j’ey]122 entendu,

305         Quant j’ey despendu123,

               Je ne compte rien.

                        LE  TEMPS

               C’est bien entendu !

               Sans estre esperdu,

               Tel las est tendu124,

310         Dont aurons du bien.

                        LE  MONDE

        Toutefoys, quant je pence bien,

        Les gens du passé ne vyvoyent

        De ceste mode, ains il ensuyvoyent 125

        [Simplicité loin de la Court]126.

                        LE  TEMPS

315  Ce n’estoyt que bestialité !

        Tout est, huy, nouveau inventé :

        Et  c’est la façon las du Temps-qui-court.127

                        LE  MONDE

        J’ey veu Justice et toute Équicté 128 ;

        129, tousjours règne en hostilité,

320  Et 130 décadence, et en tout décourt.

                        CHASCUN

        Aujourd’uy, partout y fault prendre,

        À droit, à tort, sans compte rendre :

        C’est la façon du Temps-qui-court.

                        LE  MONDE

        On voy[oy]t tous à labeur tendre131

325  Sans en rien, sur nul, entreprendre132,

        Ny jouer d’aulcun mauvais gourt 133.

                        PLUSIEURS

        Estre subtil, trencher du134 brave,

        Prendre l’autruy comme une espave135 :

        C’est la façon du Temps-qui-court.

                        CHASCUN

330  Et sy quelc’un en parle ou bave136,

        Le tourmenter plus c’un esclave,

        Brûlant maisons, villes et bourgs.

                        LE  TEMPS

        Estre cruel, fier et haultain,

        Combien qu(e) on n’ayt à demy pain137 :

335  C’est la façon du Temps-qui-court.

                        LE  MONDE

        Chascun estoyt, lors, tant humain,

        Pugnyssant partout l’inhumain ;

        Les povres n’estoyent sans secours.

                        LE  TEMPS

        Mectre l’aultruy138 avec le sien,

340  Prendre tousjours, ne donner rien :

        C’est la façon du Temps-qui-court.

        Or bref, et pour le fère court :

        Estre fier et ambicieulx,

        Cauteleux et malicieulx,

345  Sans foy, amour ne loyaulté,

        Traistre, menteur, sans vérité,

        Inventeur et plain de falace139 :

        C’est ce que je veulx [que lors]140 face

        Quiconques veult avec moy vivre,

350  Ses plaisirs en tous lieulx poursuyvre.

        Aultrement faire je n’entens.

                        CHASCUN

        Monde, sy à honneur tu tens,

        Estre te fault de nostre bende.

                        LE  MONDE

        J’en suys content, car je demande

355  Tant seulement vivre à plaisir.

                        LE  TEMPS

        En as-tu donc ferme désir ?

                        LE  MONDE

        Il est certain.

                        LE  TEMPS

                                 Çà donc ! Il fault

        Que tu devienne fin et cault.

        Et afin qu’on ne te congnoisse141,

360  Vestir te fault à la renverse142

        Et prendre, aussy, nostre livrée143.

                        LE  MONDE

        Je n’ay chose tant désirée

        Que de vous complaire en tous lieulx.

                        PLUSIEURS

        Tu t’en trouveras beaucoup myeulx,

365  Je te promais. Tien, [vêts cecy]144 !

                        LE  TEMPS

        O ! que le voélà bien, ainsy !

                        CHASCUN

        Le Monde, [asteure, est]145 renversé.

                        LE  MONDE

        Bien aultre suys que du passé.

        En moy, n’y a a poinct de fyance146.

                        PLUSIEURS

370  Le Monde, par oultrecuydance,

        Est maintenant fol devenu147.

.

                        LE  TEMPS

        C’est icy assez tart148 tenu :

        Faisons d’icy département149.

                        CHASCUN

        Nostre Jeu soyt bien retenu150 !

                        PLUSIEURS

375  C’est icy assez tart tenu.

                        LE  MONDE

        Prions chascun, grand et menu,

        Nous excuser bénignement.

                        LE  TEMPS

        C’est icy assez tart tenu :

        Faisons d’icy département.

380  En prenant congé de ce lieu,

        Une chanson pour dire adieu ! 151

.

                                FINIS

*

.

BALADE  DE  LA  FAÇON

DU  TEMPS  QUI  COURT

( JEHAN  BOUCHET ) 152

.

1      Pourquoy esse que maintes gens

        Qui ont tant de science acquise

        Se tiennent153 souvent indigens,

        Et n’ont vaillant154 une chemise ?

        Mais dont vient celle cornardise155

        Que quelque follastre milourt156

        Treuve pain, vin, et nappe mise ?

        C’est la façon du temps qui court.

.

9      Pourquoy docteurs157, maistres, régens

        Ne sont plus pourveuz en l’Église ?

        Pourquoy macquereaulx émergens158

        Ont tant de biens ? Esse la guise ?

        Pourquoy flateurs plains de fainctise

        Gouvernent les seigneurs de Court ?

        Pourquoy clers ne sont plus de mise ?

        C’est la façon du temps qui court.

.

17    Pourquoy, à gens tant négligens

        Et pervers, police est commise159 ?

        Pourquoy larrons, pillars, sergens160

        Ont de justice l’entreprise ?

        Pourquoy symonie est permise ?

        Pourquoy Barat marche si gourt161 ?

        Pourquoy le monde se desguise ?

        C’est la façon du temps qui court.

.

25    Prince : Si follie est admise

        Et vertuz tenue de court,

        S’il ne règne que paillardise,

        C’est la façon du temps qui court.

*

1 Elles consistent à nous dire, au cas où cela nous intéresserait, si Giuseppe Di Stefano a relevé telle ou telle locution dans son dictionnaire. Les difficultés qui eussent mérité une note n’en ont pas.   2 Ces deux personnages habillés en fous sont dehors, dans un lieu indéterminé.   3 Cette question oiseuse amorce plusieurs sotties : le Monde qu’on faict paistre, les Sotz fourréz de malice, les Cris de Paris, etc.   4 D’être reçu à la Cour.   5 Le bât blesse, si on…   6 LV : tehesor  (Il n’est trésor. Idem vers 200.)  Même vers dans la Fille esgarée, dont le ms. La Vallière fait suivre notre sottie.   7 Se nourrir et se vêtir.   8 LV : esbahir  (Dans les moralités, les décasyllabes sont toujours bienvenus. Il y en aura d’autres aux vers 25-30.)   9 Suit un mauvais cours. Idem vers 320.   10 LV : charge  (Le bien se change en mal. « Et bien souvent, en mal change le bien. » Jan de Maumont.)   11 LV : baille  (On empêche de parler.)  Couper court = couper la parole. « Le duc de Bourbon (…) cuida faire atardement de paroles, mais incontinent, le duc d’Acquitaine lui copa court. » ATILF.   12 LV : ont  (Les notables incultes prêtent l’oreille aux flatteurs. On peut aussi comprendre que ce sont des voleurs, et qu’en tant que tels, ils devraient avoir les oreilles coupées.)   13 LV : les chosses  (Je corrige de même le vers 20. Les refrains 18-21 semblent avoir été le début et la fin d’un triolet.)  « Nous verrons merveilles,/ Voire, et des choses nompareilles. » Pour le Cry de la Bazoche.   14 Vers manquant. J’emprunte le vers 247 du Poulier à quatre personnages, qui est aussi le vers 238 de Frère Frappart. Traduction : Voilà un pitoyable divertissement !   15 LV : gouuernement  (Saturne régna sur l’Âge d’or.)   16 LV : serpent inhumain  (« Estre vaincu ou soubs gésir. » ATILF.)  Le dragon Python gardait l’oracle de Delphes ; Apollon le tua pour y mettre une sibylle à ses ordres.   17 Une autre moralité du ms. La Vallière met en scène l’Âge d’or, l’Âge d’argent, l’Âge d’airain et l’Âge de fer (LV 17).   18 Jupiter détrôna Saturne et instaura l’Âge d’argent, qui représente la cupidité.   19 Sans avoir la possibilité de se relever.   20 Sans prévenir, le copiste idiot du ms. La Vallière ajoute ensuite deux pages qu’il avait omises dans le Lazare, la moralité qui précède la nôtre. (Koopmans et sa fine équipe ont tort de dire que ces pages proviennent « d’une pièce non autrement connue » : elle est connue de tous ceux qui ont lu ce manuscrit.) Le Temps-qui-court reprend comme si de rien n’était au folio 241 rº.   21 Sont mis à bas. Les jeux peuvent désigner les spectacles théâtraux, comme au vers 374.   22 Sur les pois crus, voir la note 83 du Capitaine Mal-en-point.   23 Nos chants.   24 Nos mets, nos provisions. Idem vers 255.   25 LV : soublz ris  (Nos rires ne sont plus que des sourires.)   26 Mal partagés.   27 Purifie. « Pour ces péchiéz monder. » ATILF.   28 N’instaure rapidement la Réforme.   29 Les huguenots aimaient mieux s’adresser au bon Dieu qu’à ses saints ou à ses papes.   30 Il vaut mieux faire ainsi. Koopmans et Cie affirment que le ms. attribue cette réplique à Chascun ; un simple coup d’œil sur ce manuscrit les aurait convaincus de leur erreur.   31 Cela ne fait que nous lasser.   32 Le mieux est l’ennemi du bien. Même vers proverbial dans Beaucop-veoir et Joyeulx-soudain et, bien sûr, dans la Ballade des proverbes de Villon.   33 Allusion à la censure, qui devint hystérique au moment de la Contre-Réforme. « Et de trop parler nous gardons. » Pour le Cry de la Bazoche.   34 Les protestants qui ont trop parlé ont fini pendus. Cette expression venue du jeu de paume tient au fait que, par charité chrétienne, le bourreau, après avoir passé la corde au cou du condamné, le pousse dans le vide pour lui rompre les vertèbres cervicales. Comme disent les gibiers de potence Gautier et Martin : « On luy baille le soubresault. » Le vers suivant décrit encore la pendaison.   35 LV : tais toult   36 LV : bout  (La raison. Cf. les Femmes qui font refondre leurs maris, vers 321.)   37 Donc.   38 Liesse : joie. Idem vers 76.   39 LV : ariere  (« Arrière, soucy ne meschance ! » Les Premiers gardonnéz.)   40 Choisir.   41 Sans relâche.   42 Ce personnage traverse la scène en courant. Il passe derrière Chacun, qui ne le voit donc pas. Ses habits sont un empilement de costumes divers ; il tient dans ses mains un gros sac de toile, et des outils de laboureur complètement disloqués. Mestier et Marchandise (LV 73), une autre moralité du ms. La Vallière, fait entrer le même personnage bariolé : « Le Temps-qui-court vient, et est vestu de diverses couleurs. »   43 Qui est-ce qui, en cette occasion.   44 Il a traversé si vite que je n’ai pas pu le regarder.   45 J’aurais su te le dire, si je l’avais vu.   46 Hétéroclite.   47 Il a pris tant de peine.   48 LV : et  (Tant et si bien. « Si qu’en ce point,/ S’amours désir à dous penser adjoint. » Guillaume de Machaut.)   49 À un nœud coulant. Le lacs est un lacet, un collet que les braconniers tendent pour capturer des lapins.   50 Il tend le collet.   51 Galéjade, plaisanterie. Cf. la Veuve, vers 261.   52 Tu ne risques pas : « Tu n’as garde que je me rende ! » (L’Aveugle et Saudret.) La rime est en alle : « Devant qu’elle s’en alle/ Comme à l’accoustumé retrouver son Céphale. » Joseph Du Chesne.   53 Sur notre collet tendu. « Chascune de ces tentes est bonne, mes celle du costé n’est que pour la venue d’une beste d’une part. » (Gaston Phébus, Livre de chasse.) Chacun confie à Plusieurs le bout du lacet pour qu’en le tenant, il empêche de fuir le Temps-qui-court.   54 Nous verrons ce qu’il dira.   55 Nous devons nous retirer, nous dissimuler.   56 LV : querons  (Imparfait du verbe quérir. « Ton père et moy, dolens, te quérion. » Miracle de Théodore.)   57 Sans mentir.   58 Mon discernement : je n’y comprends rien.   59 Que nous ne sommes pas des gens importants. « Ilz ont et chappelle et prébende. » (Guillaume Coquillart.) Il manque les vers 6 et 7 du triolet ABaAabAB.   60 Pour quelle raison m’avez-vous pris au piège ?   61 Ai-je fauté envers vous en quoi que ce soit ?   62 LV : de ce de moy  (Ne redoutez pas d’être dans l’agitation. « Il n’a cause d’estre en esmoy. » Mistère du Siège d’Orléans.)   63 De fournitures : les outils de labourage et le sac à procès.   64 Et pour cela, je…   65 Veuillant : qui veulent.   66 La nouveauté caractérise le Temps-qui-court, comme on nous le répète aux vers 280 et 316. « Le Temps qui court,/ Tout nouveau. » Le Prince et les deux Sotz.   67 LV : madonneroye  (Je m’y adonnerais. « À paine je m’y donneroye. » Les Chambèrières et Débat.)   68 Totalement. « Du tout à Justice me rendz. » (Les Esbahis.) Koopmans et Cie ont lu De toult, mettant de l’équivoque là où il n’y en a pas. Encore heureux qu’au vers suivant ils aient lu la vye et non le vit !   69 Tant que je vivrai. Même vers dans Colin filz de Thévot.   70 Je ne ferais aucune discordance, aucune opposition.   71 Je me mêle de tout et de n’importe quoi, comme Wâtelet de tous mestiers (Montaiglon, XIII, 156-169). Le Temps-qui-court, symbole du temps présent, est un aimable dilettante qui ne fait rien sérieusement, comme certains médiévistes.   72 Comme on le. Le Temps-qui-court tient des outils de labourage délabrés.   73 Rusés. Idem vers 358.   74 Déçus, abusés.   75 Il n’est rien dont je ne vienne à bout.   76 Pourquoi vous avez un costume si disparate.   77 Le bonnet rond est porté notamment par les hommes d’Église. Le chapeau à deux cornes désigne la mitre d’un évêque. La cornette est le chaperon des avocats. Le Temps-qui-court a donc empilé ces trois coiffures sur sa tête.   78 Le Temps-qui-court tient un sac à procès débordant de paperasse.   79 LV : contre  (Tordu. « Faucille combre et torte. » Godefroy.)   80 LV : te  (« Ce semble merde toute pure. » Le Munyer.)  Un maître Aliboron est un incompétent qui s’occupe d’une quantité d’affaires auxquelles il n’entend rien. Cf. les Ditz de maistre Aliborum qui de tout se mesle (Montaiglon, I, 33-41).   81 Plat et rond : tout rond, en un mot.   82 Il n’y a aucune fonction.   83 Par la force.   84 Bien que je sois si inconstant.   85 Que l’homme du peuple me donne de l’argent.   86 Que. Cf. Science et Asnerye, vers 300.   87 Des charges ecclésiastiques. « Tout-le-Monde obtient par argent/ Dignités, prébendes, ofices ;/ Par argent, il a bénéfices. » Moral de Tout-le-Monde.   88 Beaucoup d’indulgences et de fausses bulles pontificales. Nous sommes en plein dans la satire luthérienne.   89 La cornette est la coiffe des avocats. Les magistrats exercent une profession dite « de robe longue ». Les juges et les avocats sont considérés comme des voleurs.   90 LV : entiere  (Ayant accès aux tribunaux. « [Il] trouva moyen d’avoir entrée & accès audict Pape. » Richard de Wassebourg.)   91 Sur des brouilles familiales.   92 LV : lors   93 Que j’imagine. « Trom-pe-ri-es » compte pour 4 syllabes.   94 À quoi ils servent. « Que servent ung tas de nonnains ? » Les Gens nouveaulx.   95 LV : labourer  (À la rime.)  M’occuper. « D’aultre labour ne volt curer. » ATILF.   96 Faute d’œuvrer, mes outils se sont rompus et ont rouillé.   97 En travaillant, il n’est pas possible d’acquérir autant de revenus qu’en ne travaillant pas.   98 LV : pouser  (De dire « pouce ! », de me ménager. « C’est sans poulcer ne soupirer. » Troys Gallans et Phlipot.)  Plusieurs et Chacun vont s’épuiser à ne pas travailler.   99 LV : aracheray  (« Arager » est la forme normande de enrager : faire rage.)   100 LV : menus  (« Vous serez des miens,/ Et [je] vous feray beaucoup de biens. » Le Franc-archier de Cherré.)   101 LV : en  (En actes et en paroles. « En faicts et dicts,/ Vous mocquez-vous ainsi des gens ? » Le Médecin qui guarist de toutes sortes de maladies.)  Comme je tiens = Comme j’en suis d’avis. Cf. Jolyet, vers 230.   102 LV : doibtz  (Sans détour, sans tergiverser.)   103 Ayez soin.   104 LV : racorder  (De réviser. « Me fault recorder ma leçon. » Le Cuvier.)   105 LV : un  (Dans cette circonstance. « En tel poinct, y fault bien entendre/ Qu’i sont estalés çà et là. » Science et Asnerye.)   106 LV : et fauldra des berilz  (Nous devrons nous ôter de tout danger. « Pour soy ouster du péril où il se véoit estre. » Philippe de Commynes.)  Les 3 galants se dirigent vers le Monde.   107 Voilà le Monde. Les 3 galants des Gens nouveaulx s’approchent de lui avec la même circonspection : « Il nous fault gouverner le Monde ;/ Aux anciens n’appartient plus…./ Traicter le convient doulcement. »   108 Nous sommes à vous corps et biens.   109 De noble maisnie, de noble famille.   110 Gais et gents [plaisants].   111 De simplicité. Ce mot est condescendant, sauf dans la moralité Envye, Estat et Simplesse (nº 11 de notre ms. La Vallière).   112 Mot d’argot signifiant riche ; cf. les Tyrans, vers 171, 175 et 185. « Tel mendye/ Qui a esté bien gourt./ Voilà le train, par bieu, du Temps-qui-court. » Marchandise et Mestier (BM 59) ; le Temps-qui-court est un personnage de cette moralité.   113 Un peu.   114 Mais avant, je voudrais vous connaître.   115 Oppressée. Rappel du Psaume 143, cher aux protestants, et que Clément Marot traduisait de la sorte : « Dont mon âme ainsi empressée/ De douleur se trouve oppressée. »   116 LV : trouuer  (Les vers 287-310 sont très corrompus. Le scribe, copiant un manuscrit de base fautif, met deux pentasyllabes par ligne, ce qu’il ne fait pas aux vers 39-46 et 73-80.)  Nous avons là une chanson de bergers bien antérieure au drame, auquel elle se rattache artificiellement par une mention toute symbolique du « lacs tendu ».   117 Sur la prairie.   118 Un coup. Ces 3 vers rappellent la chanson Nous sommes de l’Ordre de saint Babouin : « L’Ordre ne dit mye de lever matin./ Dormir jusqu’à prime et boire bon vin. » La Résurrection Jénin à Paulme.   119 LV : car je  (Peu m’importe qu’on dise que je n’ai pas d’ambition.)   120 LV : au jour la  (Du moment que j’ai assez pour vivre. « Je ne vous demande ny gages, ny récompense ; pourveu que j’aye ma vie, c’est assez. » Charles Sorel.)   121 LV : et rendu  (Tout bien calculé. Voir le vers 322.)   122 LV : relasche et  (Si j’ai bien compris.)   123 Quand j’ai tout dépensé. On songe à Briffaut, qui fait ses comptes — négatifs — au début du Capitaine Mal-en-point : « J’ay tout mon compte…./ Nenny, se j’ay bien entendu :/ Bref, mon argent est despendu. »   124 Notre collet est tendu pour attraper des « pigeons ». Dans la sottie (vers 103-122), ce piège est bien réel, et non symbolique.   125 Mais ils suivaient. Les vers 312-341 développent cinq sixains à refrain qui étaient probablement chantés ; mais cette fois, ils sont de l’auteur.   126 LV : et en tous leurs faictz simplicite   127 Ce refrain est également celui de la Balade de la façon du temps qui court, de Jehan Bouchet, que l’auteur de la sottie avait certainement lu, tant la notoriété de ce poète était grande. Je publie ladite ballade sous la pièce.   128 J’ai vu l’époque où Justice et Équité avaient cours.   129 LV : jey  (Maintenant.)   130 LV : estre en  (Décours = déclin. Idem vers 13.)   131 On voyait tout le monde aimer le travail.   132 Sans rien commettre contre les autres. « Jamais ne te prendroit envie/ D’entreprendre rien sur nourrisses ! » La Nourrisse et la Chambèrière.   133 Ni jouer avec un mauvais dé, un dé pipé. Jehan Rabustel consigna ce mot d’argot dans son interrogatoire des Coquillards de Dijon : « En déz a divers noms, c’est assavoir : madame, la vallée, le gourt… »   134 LV : faire le  (Contrefaire le bravache. « Trencher du brave et du mauvais garson. » C. Marot.)   135 LV : espare  (Comme un objet trouvé, qui appartient à celui qui le ramasse.)  L’autrui, c’est le bien d’autrui, comme au vers 339. « Prendre l’autruy et larcyner [commettre des larcins]. » Science et Asnerye.   136 Ou bavarde sur un ton critique.   137 Bien qu’on n’ait pas assez à manger.   138 Mettre le bien d’autrui (note 135). Koopmans et Cie n’ont pas vu l’article « l’ ».   139 Menteur et plein de tromperie.   140 LV : las que lon  (Que fasse désormais celui qui…)  Une main compatissante avait introduit dans le ms. de base l’interjection « las ! », ici et au vers 317.   141 Qu’on ne te reconnaisse pas.   142 Il faut que tu mettes tes habits sens devant derrière. La scène illustre le code carnavalesque du Mundus inversus, du Monde à l’envers.   143 Un costume de Fou, comme le nôtre. La conviction que le Monde est fou et qu’il marche à l’envers régit une bonne part de la pensée médiévale.   144 LV : vesency  (Revêts ce costume de Fou.)   145 LV : est a ceste heure  (Le copiste a reculé devant un idiotisme normand. « De che qu’on fet et dit, asteure, dans Rouen. » La Muse normande.)   146 On ne peut plus me faire confiance. « Au temps qui court n’y a fiance. » Seconde Moralité ; au vers 299 de cette sottie, on habille en fou le personnage du Monde.   147 À la fin du Moral de Tout-le-Monde, on habille aussi le Monde en fou : « Tout-le-Monde, à l’heure présente,/ Est fol et plain d’abusion [de tromperie]…./ Aujourd’uy, Toult-le-Monde est fol. »   148 LV : se  (Refrains corrects à 375 et 378.)  Nous sommes restés assez longtemps ici.   149 Départ.   150 Retenez la valeur morale de notre spectacle.   151 Ce distique apocryphe est la signature habituelle du copiste du ms. La Vallière.   152 Bibliothèque nationale de France, ms. fr. 17527. Ce poème fut composé avant 1517, date de sa première édition, qui lui donnera son titre définitif : Ballade contre ceulx qui eslièvent les pécheurs.   153 La version du ms. fr. 2206 et les éditions gothiques donnent : treuvent   154 N’ont pas même.   155 Cette extravagance.   156 Qu’un richard à moitié fou. Cf. Digeste Vieille, vers 274.   157 Les docteurs en théologie.   158 Qui sont sortis de la mer. Autrement dit, les proxénètes. « –La terre portera/ Ce que deussent porter les eaux./ –Quoy, du poisson ? –Des maquereaux. » Sottie de l’Astrologue.   159 L’ordre public est confié.   160 On considère les sergents comme des bandits ; voir les vers 469-472 du Testament Pathelin.   161 Pourquoi les trompeurs marchent-ils si fastueusement. Barat est personnifié, comme dans Cautelleux, Barat et le Villain.

LE MARCHANT DE POMMES ET D’EULX

Ms. La Vallière

Ms. La Vallière

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LE  MARCHANT  DE

POMMES  ET  D’EULX

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Ce Marchand de pommes et d’œufs mêle cinq thèmes comiques qui ont fait leurs preuves séparément : 1> Un paysan madré mais peu doué qui va vendre à la ville. (Voir Cautelleux, Barat et le Villain.) 2> Un sourd qui répond toujours à côté. (Voir le Sourd, son Varlet et l’Yverongne.) 3> Une bagarre de femmes sur un marché. (Voir l’Antéchrist.) 4> Des fonctionnaires de justice corrompus. (Voir Lucas Sergent.) 5> Des bavardes impénitentes. (Voir Saincte Caquette.)

Source : Manuscrit La Vallière, nº 71. L’état relativement bon de cette pièce rouennaise démontre qu’elle n’était pas écrite depuis longtemps lorsqu’elle fut copiée dans ce manuscrit, vers 1575. Beaucoup de rubriques sont abrégées : je les complète tacitement.

Structure : Rimes abab/bcbc, rimes plates, avec 4 triolets.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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Farce nouvelle

À .V. personnages, c’est asçavoir :

       LE  MARCHANT  DE  POMMES  ET  D’EULX

       L’APOINCTEUR

       LE  SERGENT

       et  DEULX  FEMMES

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                        LE  MARCHANT  commence en chantant      SCÈNE  I

        Hélas ! Jehan ! Je ne me puys lever au matin.1

        Y m’est prins à mon avertin2

        D’aller au marché. Dont3, irai-ge ?

        Je ne sçay. Mais, par sainct Martin,

5      Y m’est prins à mon avertin.

        S’y survyent Bardin ou Bertin4,

        Combien marchandise vendrai-ge ?

        Y m’est prins à mon avertin

        D’aller au marché. Dont, irai-ge ?

10    Mais à qui m’en consilerai-ge5 ?

        G’y voys6 : c’est le myeulx, ce me semble.

        Et dont, se g’y voys, porterai-ge

        Mes eux7 et mes pommes ensemble ?

        Ouy, y fault que je les assemble8.

15    Et bien, les voylà amassés.

        Mais de grand peur le cul me tremble9

        De mes eux, qu’i ne soyent cassés.

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                        L’APOINCTEUR 10  commence             SCÈNE  II

        Sommes-nous tennés11 et lassés

        D’amasser et de profiter ?

                        LE  SERGENT  entre

20    L’on ne nous séroyt effriter12,

        Sy nous voyons quelque débat,

        Que nous n’en eussions pour l’esbat,

        Au moins, un bien petit13 d’argent.

                        L’APOINCTEUR

        Voyre pour vous, gentil sergent.

25    De cela ne vous suys flateur14.

                        LE  SERGENT

        Mais pour vous, monsieur l’apoincteur !

        Vous estes tousjours prest de prendre.

                        L’APOINCTEUR

        Ma foy, on ne nous doibt reprendre15

        De prendre : c’est nostre entreprise16.

                        LE  SERGENT

30    Je comprens qu’on doibt nul17 su[r]prendre

        De prendre, qu’on ne nous desprise.

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                        LE  MARCHANT                                    SCÈNE  III

        Que tant marchandise je prise18 !

        Aussy, tout mon bien g’y consommes.

        C’est pourquoy marchandise ay prise

35    Pour la vendre. Adieu, pommes, pommes ! 19

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                        L’APOINCTEUR                                    SCÈNE  IV

        Maintenant au marché nous sommes.

        Y n’est pas qu’i n’y vienne plaict20.

                        LE   SERGENT

        Tournÿons21 un peu, s’y vous plaict,

        Atendans le cours du marché22.

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                        LA  PREMIÈRE  FEMME  entre 23      SCÈNE  V

40    Hay avant ! c’est assez presché,

        Voysine. Voulez-vous venir ?

                        LA  IIe  FEMME  entre

        Mon pié est deisjà desmarché24.

        Hay avant !

                        LA  PREMIÈRE  FEMME

                             C’est assez presché.

                        LA  IIe  FEMME

        Mais que marché ayons cherché25,

45    Achèterons-nous ?

                        LA  PREMIÈRE  FEMME

                                        Tant tenir26 !

        Hay avant !

                        LA  IIe  FEMME

                             C’est assez presché,

        Voysine.

                        LA  PREMIÈRE  FEMME

                        Voulez-vous venir ?

                        LA  IIe  FEMME

        Dea ! quoy qu’il en doybve advenir,

        Au marché veulx bien achater.

50    Et premyer qu’achaster, taster27,

        De peur que je ne soys trompée.

                        LA  PREMIÈRE  FEMME

        Sy d’engin28 je suys atrapée,

        Ce sera le commencement29.

                        LA  IIe  FEMME

        Jamais d’engin ne fus frapée,

55    Que de mon mary seulement.

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                        LE  MARCHANT                                    SCÈNE  VI

        Or voécy quelque assemblement.

        Je voys30 desployer par exprès

        Mes pommes et mes eulx, vrayment.

        Qui en veult ? « À mes beaulx eulx31 frais !! »

                        LA  PREMIÈRE  FEMME

60    Mon amy, qu’esse que tu brais ?

        Que veulx-tu vendre ? Tout cecy ?

                        LA  IIe  FEMME

        Tout cecy ne vault pas…

                        LE  MARCHANT

                                                Mes brays32 !

        Ne les patrouillez poinct ainsy33 !

        L’une34 de vos deulx a vessy :

65    C’est de malice, je m’en gage.

                        LA  PREMIÈRE  FEMME

        La bonne dérée35 est icy ;

       Tout des[so]us, ce n’est que bagage36.

                        LE  MARCHANT

        Ilz sont ponnus37 dens une cage,

        Vous ne cuydez pas sy bien dire.

                        LA  IIe  FEMME 38

70    Voicy une poyre bocage.

                        LE  MARCHANT

        Je ne vous veulx poinct escondire39.

        Tendez40 !

                        LA  PREMIÈRE  FEMME

                            Combien, sans contredire ?

        Mais que vos pommes sont menus !

                        LE  MARCHANT

        Mais vous, me venez-vous mauldire ?

75    Ilz sont vrayment nouveaulx ponnus,

        Voyez.

                        LA  IIe  FEMME

                      Nous sommes bien venus,

        Et ne sarions myeulx adresser41.

                        LE  MARCHANT

        S’y ne sont [dignes de Vénus]42,

        Je veulx estre prest d’escorcher !

                        [LA  IIe  FEMME]43

80    Quans eux pour un blanc44 ?

                        LE  MARCHANT

                                                       Tant prescher !

        Je les plévys de reuvÿel45.

                        LA  IIe  FEMME

        Sont y frais ?

                        LE  MARCHANT

                               Alez en chercher !

        Y46 sont plus doulces que mÿel.

                        LA  PREMIÈRE  FEMME

        Il est sourd.

                        LE  MARCHANT

                              Queuillyes de nou[v]el47,

85    Vous di-ge. Est-il pas bon à voir ?

                        LA  IIe  FEMME

        Combien le cent48 ?

                        LE  MARCHANT

                                           C’est fruyct nouvel,

        De bon goust49, qui en veult avoir.

        Meilleures on n’en peult trouver.

        Mais de vous je suys trop fâché

90    Sy je ne vens comme au marché.

        Pourquoy marchandez-vous à moy

        Sy n’avez argent50 ?

                        LA  PREMIÈRE  FEMME

                                           Tant d’esmoy !

                        LE  MARCHANT

        Troys blans.

                        LA  [PREMIÈRE  FEMME]51

                              Myeulx proposer ne vis.

                        LE  MARCHANT

        Quoy ? Dictes-vous qu’i sont couvys52 ?

95    Vous mentez, c’est chose certaine !

        Tendez, vous en aurez l’étraine53.

        Venez-moy voir une aultre foys.

        [Tendez] ! En preult54, et deulx,55 et troys.

        Y portent leur chucre avec56 eulx.

100  Vos tabliers sont bien estroys.

        Tendez57 ! En preult, et deulx, et troys.

                        LA  PREMIÈRE  FEMME

        Des pommes vous avez le choys58.

                        LA  IIe  FEMME

        Et le choys vous avez des eulx.

                        LE  MARCHANT

        [Tendez ! En]59 preu, [et] deulx, [et] troys.

105  Y portent leur chucre avec eux.

        ………………………….. 60

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                        L’APOINCTEUR                                     SCÈNE  VII

        Maintenant ne sommes pas seulx61 :

        Voycy le marché qui s’assemble.

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                        LE  MARCHANT                                    SCÈNE  VIII

        Servies62 ne sériez estre ensemble ;

        Targez63 un peu.

                        LA  PREMIÈRE  FEMME

                                      Servye seray !

                        LA  IIe  FEMME

110  Aussy serai-ge, ce me semble !

                        LA  PREMIÈRE  FEMME,  remétant les eux 64 :

        Et moy, quoy ?

                        LE  MARCHANT

                                   Je m’en passeray.

                        LA  IIe  FEMME

        Aussy bien que vous [je feray]65 !

                        LA  PREMIÈRE  FEMME

        Sy de ma main je vous atains…

                        LE  MARCHANT

        Là, là !

                        LA  IIe  FEMME

                      Je vous avanceray…

                        LA  PREMIÈRE  FEMME

115  Et quoy ?

                        LA  IIe  FEMME

                          Ma main dessus vos crains66 !

                        LA  PREMIÈRE  FEMME

        Qui, vous ?

                        LA  IIe  FEMME

                              Guères je ne vous crains.

                        LA  PREMIÈRE  FEMME

        Vos fièbvres cartaines, alez !

                        LA  IIe  FEMME

        Mais à vous-mesmes, bien estrains67 !

                        LA  PREMIÈRE  FEMME

        Regardez à qui vous parlez !

                        LE  MARCHANT

120  Hardiment crévechers volez68.

                        LA  IIe  FEMME

        M’a[s-]tu pas toute deffulée69 ?

                        LE  MARCHANT

        Et !  ho ! ho ! Vous vous entre-afolez70.

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                        LE  SERGENT 71                                    SCÈNE  IX

        Corps bieu ! il y aura meslée72 :

        Alons-y comme à la volée,

125  Car il y gist apoinctement73.

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                        LE  MARCHANT                                    SCÈNE  X

        Ma derrée est bien estallée74 !

                        LA  PREMIÈRE  FEMME

        En as-tu75 ?

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                        L’APOINCTEUR                                    SCÈNE  XI

                               Alons vitement !

        Qu’esse-cy ? Hau ! tout bellement76 !

        Je vous envoyray là-dedens77.

                        LA  IIe  FEMME

130  Un coup n’auras pas seulement78 !

                        LA  PREMIÈRE  FEMME

        Tu mentiras parmy les dens79 !

                        L’APOINCTEUR

        Ostez-moy tous ces accidens80 !

        Pourquoy est ainsy meu[e]81 leur noyse ?

                        LE  MARCHANT

        Y82 sentent comme la framboyse ;

135  Mylleures qu’e[ux] ne vistes onques.

                        LA  IIe  FEMME

        Monsieur !

                        LA  PREMIÈRE  FEMME

                            Monsieur !

                        L’APOINCTEUR

                                                Taisez-vous donques83 !

        Sergent, mectez-les en prison !

                        LE  MARCHANT

        Monsieur, je n’en says rien quelconques.

        Je croys qu’on l’apelle Alyson.

                        LE  SERGENT

140  Ce n’est poinct ce qu’on devison84 :

        D’où vient leur débat ?

                        LE  MARCHANT

                                               Par mydieulx !

        Que je soys payé ! C’est raison :

        Ilz85 ont mes pommes et mes eux.

                        LA  IIe  FEMME

        Monsieur !

                        LA  PREMIÈRE  FEMME

                            Et !

                        L’APOINCTEUR

                                     Taisez-vous tous deulx86 !

                        LE  SERGENT

145  Mais pour quoy sont [meus leurs]87 débas ?

                        LE  MARCHANT

        Et de tirer à beaulx cheveulx88 !

        Jamais je ne vis telz esbas.

                        LA  IIe  FEMME

        El m’a faict…

                        LE  MARCHANT

                               Y font les combas.

                        LA  PREMIÈRE  FEMME

        Monsieur, el m’a…

                        LE  MARCHANT

                                         Monsieur, mes pommes,

150  Qui m’en payera ?

                        L’APOINCTEUR

                                        Paix ! Parlez bas !

                        LE  MARCHANT

        Grand mercys !

                        L’APOINCTEUR

                                   Où esse que nous sommes !

        Faictes-vous tel honneur aulx hommes

        Qui sont de Justice ?

                        LE  SERGENT

                                            Paix là !

                        LE  MARCHANT

        J’en avoys envyron deulx sommes89

155  Que j’ey vendus.

                        LA  IIe  FEMME

                                     Monsieur !

                        LA  PREMIÈRE  FEMME

                                                         Elle a…

                        L’APOINCTEUR

        Enda90 !

                        LE  MARCHANT 91

                          La pire, la vélà ;

        Regardez-là entre deulx yeulx.

                        LA  IIe  FEMME

        C’est elle !

                        LA  PREMIÈRE  FEMME

                           Mais elle !

                        L’APOINCTEUR

                                               Hollà !

                        LE  MARCHANT

        Da ! ceste-là tence le myeulx.

                        LE  SERGENT

160  Tous troys ne serez pas joyeulx,

        S’y fault qu’en la prison vous mène92.

                        LA  IIe  FEMME

        Monsieur !

                        LA  PREMIÈRE  FEMME

                             Elle…

                        L’APOINCTEUR

                                        Y sont hors d’alaine.

        Contez vostre cas tout en paix !

                        LA  IIe  FEMME

        Et, Monsieur !

                        LA  PREMIÈRE  FEMME

                                  Monsieur !

                        L’APOINCTEUR

                                                      Paix là !

                        LE  SERGENT

                                                                     Paix !

                        LE  MARCHANT

165  Elle a commencé la premyère.

                        LA  IIe  FEMME

        Monsieur, c’est ma…

                        LA  PREMIÈRE  FEMME

                                           C’est ma commère !

                        LA  IIe  FEMME

        C’est ma…

                        LE  MARCHANT

                           Que payement on m’assine93 !

                        LE  SERGENT

        Paix !

                        LA  IIe  FEMME

                    [Monsieur,] c’est…

                        LA  PREMIÈRE  FEMME

                                                    C’est ma voisine !

                        LE  MARCHANT

        Y m’ont — par Dieu, Monsieur — mauldict,

170  Après qu’ilz ont eu…

                        LA  IIe  FEMME

                                            El m’a dict…

                        LA  PREMIÈRE  FEMME

        C’est elle qui a commencé.

                        LA  IIe  FEMME

        El m’a dict…

                        L’APOINCTEUR

                               Esse assez tencé ?

                        LA  IIe  FEMME

        Je dy : Le deable vous emporte !

                        LA  PREMIÈRE  FEMME

        El(le) m’a frapé.

                        LE  MARCHANT

                                     C’est la plus forte.

                        LA  IIe  FEMME

175  J’en apelle94 !

                        LE  MARCHANT

                                 Atout le mains95,

        Que j’ayes…

                        L’APOINCTEUR

                              Bren ! Métez-y les mains96,

        Sergent, sans faire long caquet.

                        LE  MARCHANT

        Par  ma foy, Monsieur, c’est [peu d’aquêt]97 :

        Au moins, aurai-ge pas argent

180  De mes eux ?

                        LA  PREMIÈRE  FEMME

                                Monsieur le sergent !

                        LA  IIe  FEMME

        Escoustez !

                        LE  MARCHANT

                             Da ! s’elle soupire…

                        LA  PREMIÈRE  FEMME

        Je quiers98 justice !

                        LE  MARCHANT

                                          C’est la pire

        Qui pissa onc de con à terre99.

                        L’APOINCTEUR

        Sergent, c’on les maine grand erre100

185  En la prison !

                        LE  MARCHANT 101

                                 Par Nostre Dame !

        Voyez,  en voécy une qui se pasme.

                        LE  SERGENT

        Entre vos bras vous la prendrez.

                        LE  MARCHANT

        Devant Dieu vous en respondrez,

        Monsieur le juge.

                        L’APOINCTEUR

                                      C’est tout un102 :

190  Tel mal aux femmes est commun ;

        Ce ne sont poinct grans acidens.

                        LE  SERGENT

        Y ly fault déserrer les dens103.

                        L’APOINCTEUR

        Coupez son lacet, y la grefve104.

                        [LA  PREMIÈRE  FEMME]105

        Monsieur !

                        LE  MARCHANT

                            Faictes justice brefve,

195  Et me faictes payer106 !

                        L’APOINTEUR

                                                 Allez !

        Rien n’aurez, puysque vous parlez.

                        LE  SERGENT

        Monsieur, qu’i soyt mys en amende !

                        LE  MARCHANT

        Acomplicez-vous ma demande ?

                        L’APOINCTEUR

        Qu’i soyt en prison embûché107 !

                        LE  MARCHANT

200  A[u] marché, n’y a que marché108.

        Entre nous, marchans, délarrons109

        Le marché : car, messieurs, larons

        Nous serions sans en avoir rien110.

                        L’APOINCTEUR

        Faictes arest111 sur tout son bien

205  Entre vos mains !

                        LE  SERGENT 112

                                      Arest je fais.

                        LE  MARCHANT

        Et ! vous casserez mes eux frais.

        Atendez, prenez garde à elle113.

                        L’APOINCTEUR

        Prenez un petit de chandelle114 :

        Femmes sont assez tost guéris.

                        LE  MARCHANT

210  Y luy tient à son amaris115.

        Mais l’une et l’autre guérira.

        Et puys chascune maudira

        Tout ainsy que pierres amères116,

        Comme font aintelles117 commères.

215  Par la benoiste Madalaine !

        Ceste aultre-cy n’a plus d’alaine118.

        Je m’en voys, je quicte la place.

                        L’APOINCTEUR

        Alons, sergent, que l’on desplace119 !

        Nous n’aurons poinct icy d’aquest120.

                        LE  MARCHANT

220  Juges, sans faire long caquest,

        Faictes raison à tout le moins !

        Plus121 examyner de tesmoings,

        Plus d’arês, de cytations,

        D’intérês, d’amonicions122,

225  Plus d’ajournemens et défaulx123.

        Et puys en fin, juger124 le faulx,

        Tous ceulx qui mengent povres gens

        En la présence des sergens.

        Mais prenez bien garde à ces femmes !

                        LE  SERGENT

230  En la fin, nous serons infâmes125.

        Rien ne gaignons126 d’y faire exployt.

                        L’APOINCTEUR

        Pour petit procès, peu de plet.

        Aultrement, y romprions nos testes.

                        LE  MARCHANT

        Gens de vilages ne sont bestes.

                        LE  SERGENT

235  Dict-il vray ?

                        L’APOINCTEUR 127

                                 Bénédicité !

                        LE  MARCHANT 128

        Regardez que d’aversité129.

                        LE  SERGENT

        Qu’i ferons-nous ?

                        LE  MARCHANT

                                        C’est mal vescu130 ;

        Chascun en fut131 bien incité !

        Regardez !

                        L’APOINCTEUR

                             Que d’avercité !

                        LE  SERGENT

240  Que leur mal nous soyt récité132 !

                        LE  MARCHANT

        Sy en payerez-vous mainct escu.

        Regardez !

                        LE  SERGENT

                             Que d’aversité !

                        L’APOINCTEUR

        Qu’i ferons-nous ?

                        LE  MARCHANT

                                         C’est mal vescu :

        Y n’ont alaine que du cu133.

245  Je m’en voys, y fault détaler134.

                        LE  SERGENT

        Je crains qu’il ne nous soyt mécu135.

        Vitement y s’en fault aler.

                        L’APOINCTEUR

        Qui garde136 femmes de parler,

        Il en sont malades et palles,

250  Et n’en séroyent que pirs valoir137.

        On le voyt, ilz sont ainsy males138.

                        LE  MARCHANT

        Chantons devant139 que je détalles,

        Et ce pendant, y revyendront140.

        Pommes, trongnons, eulx et escalles141,

255  Au marché mèshuy142 ne v[i]endront.

.

                               FINIS

*

1 Chanson inconnue, à moins qu’elle n’estropie Nous sommes de l’Ordre de saint Babouin, que chante Jénin à Paulme : « L’Ordre ne dit mye de lever matin. » Le paysan est encore dans sa ferme, devant une corbeille de pommes et une corbeille d’œufs.   2 Il m’a pris la fantaisie. C’est le vers 31 du Cousturier et le Badin.   3 Donc. Idem vers 12.   4 Un acheteur quelconque. « Gorget Bardin ?/ Y demeure auprès du marché. » L’Homme à mes pois.   5 À qui demanderai-je conseil ?   6 J’y vais. Idem vers 12, 57, 217, 245.   7 Mes œufs. Cette graphie aberrante court tout au long de la pièce.   8 Le marchand mélange des pommes et des œufs dans un panier, ce qui prouve qu’il n’y connaît rien : les pommes risquent de casser les œufs.   9 Mon cul tremble. Cf. Frère Guillebert, vers 233.   10 Ce fonctionnaire juridique est un médiateur qui a le pouvoir de régler des conflits comme ceux qui fleurissent sur les marchés. Pour mieux rançonner les vendeurs et les clients, il fait équipe avec un sergent aussi corrompu que lui. Les deux racketteurs se dirigent vers le marché.   11 LV : venes  (Tanné = fatigué. « Et ! mon Dieu, que je suys tennée. » L’Arbalestre.)   12 On ne saurait nous effrayer. « Ces ordonnances (…) donnèrent quelque terreur, au commencement, aux facilles à effriter. » (Triomphes de l’Abbaye des Conards.) Cf. le Porteur de pénitence, vers 127.   13 Un peu.   14 Je le dis sans vouloir vous flatter.   15 Blâmer. On remarquera les rimes batelées des vers 29 et 31.   16 LV : enteprinse  (C’est notre but.)   17 LV : mal  (Nous devons surprendre quelqu’un en train de voler, pour qu’on ne nous dénigre pas.)   18 Que j’aime le métier de marchand !   19 Sans doute un extrait de chanson. Le paysan arrive au marché, encore désert, et pose son panier.   20 Il n’est pas possible qu’il n’y vienne aucun plaid, aucune dispute.   21 Faisons un tour dans le marché.   22 Un barème était fixé quotidiennement pour les marchandises de base. On l’appelait aussi le prix du marché ; la farce de Mahuet qui donne ses œufz au Pris du Marché dépeint, comme la nôtre, l’incompétence d’un paysan venu vendre ses œufs à la ville.   23 Les deux voisines bavardent dans la rue.   24 Est déjà en marche. Nous dirions : J’ai déjà le pied levé.   25 Si nous trouvons une bonne affaire.   26 Tant rester sur place !   27 Avant d’acheter, je veux tâter la marchandise.   28 Si par la roublardise d’un commerçant. Le double sens phallique du mot « engin » va surgir deux vers plus bas, comme il se doit dans une conversation entre femmes.   29 Ce sera bien la première fois.   30 Je vais. Le marchand tend aux deux femmes ses mains, qui contiennent une pomme et un œuf.   31 Œufs. Ce « cri » convient à tous les marchands : « À mes beaux épinars !…/ À mes belles pommes ! » Les Cris de Paris.   32 Mes braies, ma culotte ! « Quel grant conseillier de mes brayes ! » (Le Capitaine Mal-en-point.) Aujourd’hui, nous dirions carrément : Mon cul !   33 Ne tripotez pas ainsi mes pommes. « Ne les viens poinct cy patrouiller/ Et va-t-en alieurs marchander ! » L’Aveugle, son Varlet et une Tripière.   34 LV : quelcune  (L’une de vous deux a lâché une vesse en se penchant sur le panier qui est posé par terre. Un malheur analogue est le sujet de la Farce du Pet.)   35 Denrée. Même normandisme à 126. La 1ère femme examine les pommes.   36 Ce n’est que de la camelote. « D’argent ? Point : ce n’est que bagage. » (Le Résolu.) Les commerçants mettent les beaux fruits dessus, et les pourris dessous.   37 Pondus. Idem vers 75. « L’œuf d’un moyne/ Qui fut ponnu en Barbarie. » (Le Pardonneur.) Le marchand est sourd : quand on lui parle de pommes, il répond à propos d’œufs, et réciproquement.   38 Elle découvre une poire des bois parmi les pommes. À moins que cette bonne poire villageoise ne soit le marchand lui-même.   39 Éconduire : refuser de vous vendre mes pommes.   40 Tendez-moi la poche de votre tablier, pour que j’y mette vos achats. Idem vers 96 et 101.   41 Et nous ne saurions mieux tomber. Cette remarque est ironique.   42 LV : du lieu deuenus  (Vénus est célèbre — entre autres raisons — pour la pomme d’or qui consacra sa beauté. Les pommes du marchand vont, elles aussi, devenir des pommes de discorde.)   43 LV : lapf  (C’est la 2e femme qui s’intéresse aux œufs.)   44 Combien aurai-je d’œufs pour 5 deniers ?   45 LV : dauyel  (Je vous les garantis comme étant des pommes de rovel : des reinettes rouges. « Pommes de blandurel, de reuviel ou de chaucennin. » ATILF.)   46 Mes pommes. « Mi-el » dissyllabique est une particularité normande : cf. les Femmes qui demandent les arrérages, vers 283 et note.   47 Elles ont été cueillies récemment.   48 La centaine d’œufs. Quand on connaît ce prix rond, il est facile de diviser par le nombre d’œufs qu’on souhaite acheter.   49 LV : houlx  (Qui a bon goût, si vous voulez en avoir. Les Normands prononçaient « avèr », qui rime avec « trouvèr », comme « valèr » rime avec « parlèr » à 250.)   50 LV : marche   51 LV : ii f  (C’est la 1ère femme qui, à son corps défendant, va recevoir les œufs.)   52 Que mes œufs ont été couvés, ce qui les rend immangeables.   53 La première vente de la journée. Le marchand dépose des œufs dans le tablier de la 1ère femme, qui voulait des pommes.   54 Et un ! « Empreu, et deux, et trois, et quatre ! » (Farce de Pathelin.) Le marchant dépose trois pommes dans le tablier de la 2e femme, qui voulait des œufs.   55 LV ajoute : la ii f / contes bien / le marchant  (Ce refrain A du triolet doit servir de modèle aux vers 101 et 104.)   56 LV : auant  (Je corrige la même faute au refrain de 105. « Chucre » est une chuintante normanno-picarde.)  Ces pommes sont naturellement sucrées. « Ce laict (…) porte son sucre avec soy. » Laurent Bouchet.   57 Le marchant dépose encore trois pommes dans le tablier de la 2e femme.   58 Voilà le sujet de la brouille entre les deux voisines : la 1ère voulait des pommes, mais le sourd lui a donné les œufs que sa commère convoitait. La 2e voulait des œufs, mais elle a eu les pommes que désirait sa voisine.   59 LV : cest pepin fanas  (Ce débris de la locution « fatrin-fatras » <Jolyet, v. 58> n’a que faire dans ce refrain A du triolet.)  Le marchant ajoute trois pommes dans le tablier de la 2e femme.   60 Il manque un vers en -eux et un vers en -emble. Chacune des clientes exige d’avoir enfin le produit qu’elle désire, et d’en être servie la première.   61 Seuls. Les Normands prononçaient « seu », qui rime avec « eux ».   62 LV : seruir  (Vous ne sauriez être servies en même temps.)   63 Attendez.   64 Elle repose les œufs dans le panier.   65 LV : danfray  (Elle repose les pommes dans le panier.)   66 Sur vos crins : je vous arracherai les cheveux.   67 Bien virulentes.   68 Vous faites voler vos couvre-chefs. Cf. les Mal contentes, vers 511 et note.   69 Défublée, découverte. Les harpies qui se crêpent le chignon sont jouées par des hommes ; dans un gag très attendu, chacun arrache la perruque de l’autre. Aux vers 148, 162, 169, 170, 244, 249, 251 et 253, l’auteur désignera les deux femmes par le pronom « ils », comme le fit Jehan Le Happère pour ses harengères bagarreuses : « À beaulx cheveux — s’ilz en ont — touz se prennent. » Dans les Chambèrières et Débat, deux servantes jouées par des hommes s’arrachent mutuellement la perruque, si bien qu’un autre personnage peut parler d’elles au masculin : « Je requiers Dieu qu’il me pardoint/ Se sur tous deux ne frapperay ! » Ce « tous deux » désigne les prétendues femmes de notre pièce au vers 144.   70 Vous vous blessez mutuellement.   71 Il entend les hurlements des deux belligérantes.   72 Il doit y avoir une bagarre.   73 Car il y a là de l’argent à gagner.   74 LV : destallee  (Mes denrées sont bien mises en valeur sur leur étal. « En plain marché, le plus souvent,/ J’estalle ma desrée en vente. » Les Mal contentes.)   75 En as-tu assez reçu, des coups ? Cf. la Laitière, vers 270.   76 Tout beau !   77 Je vais vous envoyer dans un cachot. Au service militaire, l’adjudant, auquel je répondais respectueusement en latin, me disait toujours : Je vais vous fourrer dedans !   78 Tu n’auras pas qu’un seul coup.   79 Tu n’auras pas dit la vérité.   80 Tous ces détails secondaires.   81 Mue. De quoi est née leur querelle ?   82 Mes pommes. Au Moyen Âge, les fruits étaient bons s’ils avaient goût à framboise. « Cela sont poyres trop fascheuses :/ Y ne sentent point leur framboyse. » (Le Pèlerinage de Mariage.) Aujourd’hui, tous les aliments sont priés d’avoir un goût de noisette, depuis les huîtres jusqu’au vin, alors que les huîtres devraient avoir un goût d’huîtres, et le vin un goût de vin, nom de Dieu !   83 Ce vœu — maintes fois réitéré — de faire taire les deux plaignantes, porte le dénouement de la pièce.   84 De cela que nous parlons.   85 Elles. Voir la note 69. Le vendeur passe sous silence le fait que les clientes lui ont rendu sa marchandise.   86 Toutes deux. Voir la note 69.   87 LV : meulx / leques  (Voir le vers 133.)   88 Par les cheveux. « Nous veinmes à nous empongner/ À beaulx cheveulx et dépeigner. » Le Pionnier de Seurdre.   89 Deux fois le chargement d’une bête de somme. Le marchand surévalue le contenu de son modeste panier pour en tirer un gros dédommagement.   90 Dans une pièce qui parle des femmes au masculin, quoi de plus normal que de voir un homme user d’un juron strictement féminin ? Voir les vers 5, 113 et 138 des Chambèrières qui vont à la messe, ou les vers 112, 149 et 224 de Frère Guillebert.   91 Il montre la 2e femme.   92 LV : mete   93 LV : me asine  (Qu’on m’assigne [m’accorde] le paiement de ce qu’elles me doivent.)   94 Je fais appel. L’appel est impossible tant que le jugement n’a pas été prononcé.   95 Pour le moins (normandisme).   96 Merde ! Faites-les taire. Mais un esprit mal tourné pourrait comprendre : Mettez vos mains dans la merde.   97 LV : lequet  (Au vers 219, « d’acquêt » rime aussi avec « sans faire long caquet ».)  C’est un petit profit. « Poissonnyères ont peu d’aquest. » (Les Mal contentes.) Mais notre auteur se souvient plutôt de la farce de Pathelin : « C’est Peu-d’aquest. »   98 LV : requiers   99 Qui pissa jamais par terre avec son con. « Puisque son con tel chose pisse. » L’Amoureux.   100 Rapidement.   101 Il soutient la 2e femme, qui s’évanouit.   102 Ce n’est pas grave.   103 On desserrait les dents des épileptiques. Pour les bavardes, ce traitement est contre-indiqué ; dans Saincte Caquette, un mari qui veut faire taire son épouse lui dit : « Mot, mot ! Les dens serrez tousjours ! »   104 Coupez le cordon qui ferme sa robe, il la gêne pour respirer. L’acteur qui joue la 2e femme va donc se retrouver quasiment torse nu.   105 LV : lapoincteur  (C’est malheureusement la dernière réplique déclamée par une des deux femmes.)   106 Faites en sorte qu’elles me payent.   107 Entravé.   108 Les affaires sont les affaires.   109 Nous délaisserons. Menace syndicale : Si vous continuez à nous embêter, nous ne viendrons plus vendre chez vous. Voir le dernier vers de la farce.   110 Nous volerions nos clients sans aucun profit.   111 Un arrêt, une saisie.   112 Il empoigne le panier du marchand.   113 Occupez-vous de la 1ère femme. Elle s’évanouit également. Le sergent repose le panier pour la soutenir.   114 Ne prenez pas beaucoup de chandelle pour la veiller.   115 Cela est dû à sa maladie de langueur. (Louis Du Bois, Glossaire du patois normand, p.382.) Mais les dames ont aussi une défaillance quand elles ne sentent plus leur amant à leur côté dans le lit : « Et puis me prent une faillance/ Quand ne sens point mon amarris. » Les Femmes qui demandent les arrérages.   116 Expression normande : « Les modiront chent fais pu [cent fois plus] que pierres amères. » La Muse normande.   117 De telles.   118 N’a plus de souffle. Croyant que la 2e femme va mourir et qu’il risque alors d’avoir des ennuis, le marchand la laisse tomber par terre.   119 Changeons de place, partons.   120 Nous ne gagnerons rien ici.   121 Vous devez encore plus.   122 D’admonitions : de citations à comparaître.   123 D’assignations en justice et de constats de non-comparution.   124 Condamner.   125 Déshonorés.   126 LV : gaigneron  (Un exploit est une notification de justice. Les Normands prononçaient « explait », qui rime avec « plaid ». Cf. Lucas Sergent, vers 241.)   127 Il voit que le sergent laisse tomber par terre la 1ère femme.   128 Il montre les deux malades étendues sur le sol.   129 Quelle adversité, quelle calamité.   130 C’est une mauvaise chose.   131 LV : est  (Vous avez été mal inspirés. « De ce fustes bien incité ! » La Correxion des Liégois.)   132 Qu’on nous dise de quelle maladie elles souffrent. Ce mal, qui frappe les femmes qu’on empêche de caqueter, « c’est le mal de saincte Caquette », comme le nomme la farce de Saincte Caquette.   133 Elles n’ont plus de souffle ailleurs qu’en leur cul. Le vers 64 confirme ce diagnostic.   134 Ranger mon étal, partir. Idem vers 252. C’est l’origine du moderne « détaler ». Cf. l’Antéchrist, vers 115 et 260.   135 Méchu (forme normande). Je crains qu’il ne nous soit arrivé un malheur. Les deux fonctionnaires pensent que les bavardes qu’ils ont fait taire vont en mourir.   136 Si on empêche les. Jénin Landore a rapporté du paradis le don de « garder les femmes de parler ».   137 Et elles ne peuvent que valoir pis.   138 Elles sont si mauvaises. Mais on peut entendre : Ils sont ainsi mâles.   139 Avant.   140 Pendant ce temps, elles se ranimeront.   141 Œufs et coquilles.   142 Maishui, désormais.

LE PÈLERINAGE DE MARIAGE

Ms. La Vallière

Ms. La Vallière

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LE  PÈLERINAGE

DE  MARIAGE

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Nous avons là une des satires antimatrimoniales les plus élégantes. Émile Picot1 nous révèle qu’en octobre 1556, la troupe exclusivement masculine de Pierre le Pardonneur2 donna des représentations à Rouen, mais que le parlement de cette ville les interrompit. Une des causes de cette interdiction tient au fait que les acteurs jouaient « la farce du Retour de Mariage ». Picot identifie ce Retour de Mariage à notre pièce, et présume que la censure lui reprochait de parodier les litanies du samedi saint.

Trois demoiselles (interprétées donc par des hommes) vont en pèlerinage au pays merveilleux de Mariage. Elles croisent un vieux pèlerin qui en revient déçu, et qui pourrait dire comme celui du Pèlerin et la Pèlerine 3 : « Je vien d’un pays bien sauvage / Que l’on appelle Mariage. » Le vieillard se gausse des futures épouses, mais ne tente pas de les dissuader, sachant bien que les femmes gagnent toujours à se marier. En revanche, il voudrait sauver de la catastrophe un jeune pèlerin, qui ne lui en sait d’ailleurs aucun gré, et qui assimile l’expérience du vieil homme au gâtisme. On devine que lui-même, un jour, tiendra le rôle du vieux pèlerin.

Source : Manuscrit la Vallière, nº 19.

Structure : Rimes plates, abab/bcbc, strophes aabba.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

.

*

Farce à cinq personnages.

C’est à savoir  :

le Pèlerinage

de Mariage

*

       LE  [VIEL]  PÈLERIN

       LES  TROYS  PÈLERINES

       et  LE  JEUNE  PÈLERIN

*

                        [LA  PREMIÈRE]4  PÈLERINE  com[m]ence

        Or allons à nostre voyage5                                          SCÈNE  I

        Que l’on apelle Mariage !

        Jeunes filles en ont désir.

                        LA  IIe  PÈLERINE

        D’y aller m’est un grand plaisir ;

5      Et pour tant6, partons de ce lieu !

                        LA  IIIe  PÈLERINE

        Puysque c’est le plaisir de Dieu,

        Je m’y veulx mectre par chem[i]n,

        Gardant [nect nostre]7 parchemin,

        Moyennant volonté7 divine.

.

                        LE  VIEL  PÈLERIN 9                           SCÈNE  II

10    Tant plus en ce monde chemine

        — Povre pèlerin douloureux

        De Mariage, langoureux10 —,

        Moins11 je ne puys trouver la fin.

        Et sy, ne sçay12 homme sy fin

15    Qui à cheminer n’en fust las.

.

                        LA  IIe  PÈLERINE                               SCÈNE  III

        Ma mye, donnons[-nous] soulas13 :

        Voécy un pèlerin qui vient.

                        L[A]  PREMIÈRE

        Quant je le voy, y me souvyent14

        D’un homme qui est fort lassé.

20    Il a en quelque lieu passé,

        Tant est rompu en ses habis.

.

        Bon soyer15, mon amy !                                             SCÈNE  IV

                        LE  VIEL  PÈLERIN

                                                Et vobis 16 !

                        LA  IIe  PÈLERINE 17

        Cela est latin.

                        LE  VIEL  PÈLERIN

                               J’en faictz rage.

                        LA  PREMIÈRE

        Or çà, de quel pèlerinage

25    Venez-vous ?

                        [LE  VIEL  PÈLERIN] 18

                               Je viens de sy loing

        Qu’i n’est de le19 dire besoing.

                        LA  IIIe 20  PÈLERINE

        Dictes-le-nous !

                        LE  VIEL  PÈLERIN

                                   Le grand voyage

        Que l’on apelle Mariage.

                        LA  PREMIÈRE

        Nous y allons.

                        [LE  VIEL  PÈLERIN]

                                 Dieu vous convoye21 !

                        LA  IIe  PÈLERINE

30    Je vous pry(e), monstrez-nous la voye

        Par où y nous y fault aller.

                        LA  PREMIÈRE  PÈLERINE

        Y fault-y aller sans parler ?

                        LE  VIEL  PÈLERIN

        Nénin ; les femmes pas, au moins22.

                        LA  IIIe  PÈLERINE

        Et les hommes ?

                        LE  VIEL  PÈLERIN

                                     Ne plus, ne moins.

35    Je ne m’y voulus consentir,

        Et sy23, est permys de mentir

        En y alant.

                        LA  PREMIÈRE

                           En Mariage,

        Y parle-l’en mauvais langage ?

        Est-il mal aisé24 à comprendre ?

                        LE  VIEL  PÈLERIN

40    Nénin, vous le pourez aprendre

        Incontinent ; je l’ay ouÿ.

                        LA  IIe  PÈLERINE

        Et qu’i fault-y dire ?

                        LE  VIEL  [PÈLERIN]

                                           « Ouÿ. »

        Y n’y a aultre chose à dire

        Que ce mot-là.

                        LA  PREMIÈRE  PÈLERINE

                                  Escoustez, syre :

45    Y peult-on aler à cheval ?

                        LE  VIEL  PÈLERIN

        Les uns y vont à grand déval25,

        Cuydant trouver leur cas à poste26.

        Mais tel, souvent, y court la poste27

        Qui à pié eust esté trop tost.

50    Mais le voyage est sy dévost

        Qu’i tarde à chascun qu’i n’y soyt.

                        LA  IIIe  PÈLERINE

        Puysque tel bien s’y apersoyt,

        Allons-y !

                        LE  VIEL  PÈLERIN

                           Alez, de par Dieu !

                        LA  PREMIÈRE  PÈLERINE

        Le lieu est-il beau ?

                        LE  VIEL  PÈLERIN

                                         C’est le lieu

55    Où il y a plus de débat28

        Que di-ge ? Non, non : plus d’esbat,

        Qui s’y sçayt bien contretenir29.

                        LA  IIe  PÈLERINE

        Je ne me séroys30 plus tenir

        D’aller31 !

                        LE  VIEL  PÈLERIN

                           Alez à la bonne heure !

60    Se je vis avant que je meure,

        Je vous verray32 en bonne encontre.

                        LA  PREMIÈRE  PÈLERINE

        Mais dictes-nous s’il [s’]en rencontre33

        Qui nous fist le chemin faillir.

                        LE  VIEL  PÈLERIN

        Et ! ouy bien, qui vouldroict saillir34

65    Dehors des termes de Raison.

        Car y fault, en toute saison,

        Aler tousjours le chemin droict :

        Car qui aultre chemin tiendroict,

        Au lieu d’aller à Mariage,

70    On s’en yroit en Malerage35,

        Ou bien cent lieues36 par-delà.

                        LA  IIIe  PÈLERINE

        Dieu nous gard d’aler jusques-là !

        Cela37 fail[l]yroit nos journ[é]es.

                        LA  PREMIÈRE  PÈLERINE

        Trouverons-nous pas des jonchées38 ?

                        LE  VIEL  PÈLERIN

75    Ouy, ouy, d’assez bien adjencées39.

                        LA  IIe  PÈLERINE

        Et de quoy ?

                        LE  VIEL  PÈLERIN

                              De menu[e]s penc[é]es

        Que femmes c[u]euilent, [et jalousie]40.

        Et [des poyres de jalousie]41,

        Chia brena42, tati tata,

80    Je veulx cecy, je veulx cela,

        Tant de parolles ennuyeuses.

                        LA  IIIe  PÈLERINE

        Cela sont poyres trop fascheuses :

        Y ne sentent point43 leur framboyse.

                        LE  VIEL  PÈLERIN

        Et ! mon Dieu, qu’i[l] y a de noyse(s),

85    Sans les noysilles44, les noysètes.

        Non pas avec jeunes fillètes

        Comme vous : poinct on n’y en menge45.

                        LA  PREMIÈRE  PÈLERINE

        Est-il vérité ?

                        LE  VIEL  PÈLERIN

                               Poinct n’en men-ge46.

        Oultre, il est ordonné de Dieu

90    Que pèlerin qui va au lieu

        De Mariage et là s’encline47,

        Y couche48 avec sa pèlerine.

        Les ordonnances en sont telles.

                        LA  IIe  PÈLERINE

        Or çà ! combien se vendent-elles49 ?

                        LE  VIEL  PÈLERIN

95    Combien ? Autant sotes qu’apertes50,

        Quatre51 denyers.

                        LA  PREMIÈRE  PÈLERINE

                                      Non plus ?

                        LE  VIEL  PÈLERIN

                                                         Non, certes,

         Car ainsy est le traict merché52.

                        LA  IIIe  PÈLERINE

        En bonne foy, c’est bon marché.

                        LE  VIEL  PÈLERIN

        Selon les hommes le guerdon53 :

100  Aux uns « ouÿ », aux aultres « non ».

        Selon54 qu’est la femme, je dis :

        Les uns y treuvent paradis,

        Les aultres enfer, par mon âme !

        Et tel, souvent, y crye « à l’arme »

105  Qui l’aloyt assaillir d’emblée55.

.

                        LE  JEUNE  PÈLERIN 56                     SCÈNE  V

        Dieu gard ceste noble assemblée !

                        LA  PREMIÈRE  PÈLERINE

        Et vous !

                        LE  VIEL  PÈLERIN

                       Et vous !

                        LA  IIe  PÈLERINE

                                     Et vous !

                        [ LA  IIIe  PÈLERINE

                                                    Et vous ! ]

                        LE  JEUNE  PÈLERIN

        Où allez-vous ?

                        LA  PREMIÈRE  PÈLERINE

                                   Mais dictes-nous

        Où d’aller avez entreprins.

                        LE  JEUNE  PÈLERIN

110  J’ey, sans penser d’estre reprins57,

        Entreprins le pèlerinage

        D’aler tout droict en Mariage.

        Voy(e)là où gist tout mon soulcy.

                        LA  IIe  PÈLERINE

        Nous l’avons entreprins aussy,

115  Et du chemin nous enquérons,

        Et au pèlerin requérons

        — Qui en vient — qu’i nous die58 que c’est.

        Mais je voys bien qu’i ne luy plaist

        D’y avoir [entre]prins chemin59.

                        LE  JEUNE  PÈLERIN

120  C’est un brouilleur de parchemin60,

        Un ras[s]oté qui n’en peult plus.

        Alez prier Dieu ! Au surplus,

        Nous passerons, doresnavant.

                        LE  VIEL  PÈLERIN

        Hardy, mectez la plume [au vent]61 !

125  Jamais jour62 ne vous cessera.

        Et maudict63 qui se lassera

        Premier qu’i soyt troys ans passés !

                        LE  JEUNE  PÈLERIN

        Ces vieulx sont rompus et cassés ;

        On leur veoyt presque le cerveau saillir.

130  Non, non ! S’on me vient assaillir,

        J’ey bon baston64 pour moy deffendre

        Ferme et fort, pour piquer et fendre.

        A ! je ne crains nul assaillant.

                        LE  VIEL  PÈLERIN

        Il est roullant comme Vaillant65 !

135  Saincte Dame, qu’il est hardy !

        Y sera tant acouardy66,

        Mais que son « bourdon67 » soyt lassé.

        Le mien est rompu et cassé,

        Tout verdmoulu68 depuys long temps.

                        LE  JEUNE  PÈLERIN

140  Sy ces vieulx en sont mal contens,

        Fault-il les jeunes desgouster ?

        Non, non ! Y les fault débouster69

        D’un coup !

                        LE  VIEL  PÈLERIN

                            Regardez que vous ferez70,

        Gentil Hercules ! Demourez71,

145  Atendez jusques à demain.

                        LE  JEUNE  PÈLERIN

        J’ey bon pié, bon œuil, bonne main

        Pour bien sçavoir descroter cotes72 !

                        LE  VIEL  PÈLERIN

        Olivier, baille-luy ses botes73 :

        Y tura Karesme-prenant74.

                        LA  IIIe  PÈLERINE

150  A ! dea, nous avons maintenant

        Qui nous asseure75.

                        LE  JEUNE  PÈLERIN

                                          Ce viellart

        Nous veult user de son viel art76 ;

        Mais y luy fault monstrer les dens.

        Que ne me fourrasse77 dedens ?

155  J’aymeroys myeulx avoir…

                        LE  VIEL  PÈLERIN

                                                    La taigne ?

        Ô gentil78 Artus de Bretaigne,

        Gentil Hector, miséricorde !

        Gardez la noix79 de vostre corde :

        Vous pouriez bien chermer le trect80.

160  S’y veult cheminer sy estroict81,

        Y se lassera à82 complaire.

                        LE  JEUNE  PÈLERIN

        Mariage à chascun doyt plaire ;

        Car je dis que s’il eust despleu

        À Dieu, y ne luy eust pas pleu

165  D’en faire le commendement83.

        Aussy fist-il ce sacrement,

        Au lieu84 de Paradis térestre.

        Par quoy, je dis qu’il ne doibt estre

        En cest estat vespérisé85.

                        LE  VIEL  PÈLERIN

170  Et ! s’il a esté sy prisé

        De Dieu (ce que je ne crus onques),

        Que ne se mariet-il donques ?

        Ma foy, y n’estoyt pas sy nis[s]e86 !

                        LE  JEUNE  PÈLERIN

        Tes-toy87, que Dieu ne te punisse !

175  C’est trop babillé et trop dict !

        Que je soye de Dieu…

                         LE  VIEL  PÈLERIN

                                             Mauldict ?

        [Serez assez]88 de vostre femme.

                        LE  JEUNE  PÈLERIN

        Garde-toy de sumer89 diffame,

        Et n’en dis rien que bien apoinct90 !

                        LA  PREMIÈRE  PÈLERINE

180  Un cœur qui d’amour est espoinct91

        Et peult mariage choisir,

        Je croy que de douleur n’a poinct,

                        Y chantent :

        Puysqu’il est beau à mon plaisir.92

                        LE  VIEL  PÈLERIN

        Vostre  plaisir ? Quant on a le loisir,

185  Mariage est mygnon et gent ;

        On ne séroyt meilleur choisir,

                        Y chantent :

        Mais qu(e) on ne baillast 93 poinct d’argent.

                        LE  JEUNE  PÈLERIN

        D’argent ne fault estre sergent 94.

        Quant telle joye95 est avenue,

190  On prent un plaisir réfulgent96,

                        Y chantent :

        Quant la nuict est venue.97

                        LE  VIEL  PÈLERIN

        La nuyct ? Bien souvent, par la rue,

        [Le mary en]98 sent la froidure ;

        [Sa] femme, [au lict]99, regibe et rue

                        Y chantent :

195  Tant comme la nuyct dure.100

                        LA  IIIe  PÈLERINE

        La nuyct, nul mal on n’y endure :

        C’est de plaisir une montjoye101.

        On n’y séroyt trouver laidure,

                        Y chantent :

        Quant on y prent soulas et joye.102

                        LE  VIEL  PÈLERIN

200  Soulas et joye ? Mais rabat-joye !

        Menasse103 le plaisir affolle.

        Pensez-vous que croi(e)re on vous doye ?

                        Y chantent :

        Nénin, je ne suys pas sy folle.104

                        LA  PREMIÈRE  PÈLERINE

        Sy folle ? C’est simple parolle105.

205  Jà à vostre dict n’entendray ;

        C’est vérité ou parabolle106.

                        Y chantent :

        Ne me chault, mon plaisir prendray.107

                        LE  VIEL  PÈLERIN

        Vostre plaisir ? Je respondray :

        Que  noyse n’y vault rien sans débat108.

210  Autant vauldroict estre enfondré109,

                        Y chantent :

        Sy j’estoys alé à l’esbat.110

                        LA  IIIe  PÈLERINE

        À l’esbat on y va sans sabat111.

        Mais un tas de mal gratieux

        Veulent tous servir au rabat112,

                        Y chantent :

215  Dont y n’en séroyent valoir myeulx.113

                        LE  VIEL  PÈLERIN

        Valloir myeulx ? Et ! compaignon vieulx114,

        L’Ordre de ménage115 est souldaine.

        Je tiens pour fol et glorieulx116

                        Y chantent :

        Celuy qui la tient pour certainne.117

                        LA  IIe  PÈLERINE

220  Pour certaine ? Et ! au [sien] démainne118

        Et au jardin, a bonne chose119 :

        Florist ermerye120, marjolainne,

                        Y chantent :

        Et aussy faict la passeroze.121

                        LE  VIEL  PÈLERIN

        La passeroze ? Et ! je propoze

225  Qu’i122 soyt vray : le dirai-ge ? Ita !

        Tant d’espines, dont chanter n’ose123,

                        Y chantent :

        [Consumo la mia vita]124.

                        LE  JEUNE  PÈLERIN

        Onc bon cœur ne s’en despita,

        Au moins s’y se veult faire veoir125.

230  Qui y entre, son délict a126

                        Y chantent :

        Comme un amoureulx doibt avoir.127

                        LE  VIEL  PÈLERIN

        Avoir mariag’ [il] faict beau veoir ;

        Mais du ménaig’ n’a poinct d’envye.128

        Tousjours donner sans recepvoir,

                        Y chantent :

235  Je croys que j’en perdray la vye.129

                        LA  PREMIÈRE  PÈLERINE

        La vie en vient, on s’en desvye.

        Mon cœur en a [joyeulx esté]130 :

        Car quant l’Ordre est bien [des]servye131,

                        Y chantent :

        Y  raverdist en132 joyeuseté.

                        LE  VIEL  PÈLERIN

240  Joyeuseté ? Tout133 est frété :

        Chagrin y est, je vous promays.

        Sy j’en sors, yver ou esté,

                        Y chantent :

        Jamais ne m’aviendra, jamais134 !

                        LE  JEUNE  PÈLERIN

        Jamais ? C’est un gracieulx mès

245  Que de ris135, à n’en doubte[r] mye ;

        Car g’y chanteray désormais :

                        Y chantent :

        « Mais omblier ne la puys mye. »136

                        LE  VIEL  PÈLERIN

        Mye ? Et  sy ta femme te maistrye137,

        Va-t’en : jà n’yra après toy.

250  Et n[’ay]es pas peur qu’elle te dye :

                        Y chantent :

        « Mon bel amy, atendez-moy ! »138

                        LA  IIe  PÈLERINE

        N’esse pas plaisir, par ta foy,

        Que mariage ? On ne peult myeulx.

        Telle léesse139 au monde je ne voy

                        Y chantent :

255  Pour en avoir son petit cœur joyeulx.140

                        LE  VIEL  PÈLERIN

        Joyeulx ? Joyeulx ? Voy(e)re, jusques aulx cieulx !

        « Hély, hély, [lama sabacthany]141 ? »

        Pauvre, sans142 bien et thésor gracieulx

        E[s]t mon las cœur143, de tout plaisir bany.

260  Et ! je vous pry(e), n’en parlez plus hüy144,

        Vous, ny elle, [ou] elle, ne luy.

        On n’y tient pas ce qu’on promect.

        Car  de grand folye s’entremect

        Qui se chastye par aultruy145.

                        LE  JEUNE  PÈLERIN

265  Sans mariage, on ne feroyt

        Jamais146. Tout bien se desferoyt ;

        On n’auroyt amys ne parens.

        Ce sont termes bien aparens ;

        Qui diroyt que non, fol seroyt !

                        LE  VIEL  PÈLERIN

270  Les uns y vivent à souhaict :

        C’est un mignotis, un jouect147.

        Aultres y vont à la traverse148.

        Contre Fortune la diverse149,

        Un charestier rompt son fouet.

                        LA  PREMIÈRE  PÈLERINE

275  Escoustez que dire je veulx150 :

        Pourquoy fistes-vous donc des veulx151

        Pour, en fin, vous en repentir ?

        [Comme Absalon, sans vous mentir,]152

        Tel fuict qui tient par les cheveulx.

                        LE  VIEL  PÈLERIN

280  [Aucun n’y]153 faict plus qu’i ne peult :

        L’un y est aise154, l’aultre s’y deult ;

        Grison155 y rue, doulx est Moreau.

        Car entre cy et Sainct-Marceau156,

        Chascun n’a pas argent qui veult.

                        TOUTES  III  ENSEMBLE

285  Alons, alons, laissons-lay157 dire !

                        LE  VIEL  PÈLERIN

        Je ne vous en veulx pas desdire.

                        [LE  JEUNE  PÈLERIN] 158

        Or ne m’en viens donc plus parler !

                        LE  VIEL  PÈLERIN

        Et ! sy vous y voulez aller,

        Alez-y donc, n’y alez pas,

290  Courez-y159, marchez petit pas,

        Reculez, avancez-vous fort,

        Fuyez, mectez-vous en effort,

        Et aportez le « pot au laict160 ».

                        LA  IIe  PÈLERINE

        Voécy un térible poullaict161 !

295  Nous yrons en pèlerinaige

        Maintenant !

                        LE  VIEL  PÈLERIN

                               Vous ferez que saige162.

        Mais regardez quelle promaisse

        Vous ferez devant qu(e) ouïr messe,

        À la grand porte de l’église.

                        LE  JEUNE  PÈLERIN

300  Et ! je promectray à la guise163

        Des aultres.

                        LE  VIEL  PÈLERIN

                            Sans tendre gluotz164,

        Y s’y prend beaucoup de dÿotz,

        De coqus et de pauvres buses165.

        Il y fault penser.

                        LA  PREMIÈRE  PÈLERINE

                                   Tu t’abuses !

305  Pour mariage entretenir,

        Ne pouroyt[-il] pas bien tenir

        Foy et loyaulté ?

                        LE  JEUNE  PÈLERIN

                                    À jamais,

        Car je tiens ce que je promais

        Sans rompre.

                        LE  VIEL  PÈLERIN

                              Luy,  jà n’aura courage

310  D’aler rompre son mariage ;

        Garde n’avez qu’i s’y efforce.

        Mais de luy donner quelque estorse166,

        Ou le ployer, je ne dis pas.

                        LA  IIIe  PÈLERINE

        En toy, n’a reigle ne compas167.

315  Sa femme ne fault estranger168 :

        Ne [soys] sy hardy d’en169 changer

        Ne pour pire, ne pour meilleure.

                        LE  VIEL  PÈLERIN

        Changer ? Vray Dieu, à la male heure !

        S’on les changeoyt comme les mulles170,

320  Que de contras et que de bulles171 !

        Les taverniers auroyent bon temps172.

                        LE  JEUNE  PÈLERIN

        [Paix ! C’est]173 trop babillé, entens ?

        [Et !] tu me faictz fol devenir.

                        LE  VIEL  PÈLERIN

        Puys voécy Ménage174 venir,

325  Qui chantera de belles notes :

        Avoir fault175 des robes, des cotes,

        Habis de testes et gorgères176,

        Chaînes qui ne sont pas légères,

        Bordures, carquens177, pierreryes,

330  Et  toute[s] belle[s] orfavre[r]yes.

        Y n’y fault pas faillir à cela.

                        LA  PREMIÈRE  PÈLERINE

        Va, va,  viellard jamais tant ne parla178.

        Fuy-t’en de nous sans plus atendre !

                        LE  VIEL  PÈLERIN

        Puys y fault au[x] repas entendre179 :

335  Pain, vin, chèr, pouesson et cherbon180,

        Boys, poys, fèbves et du lard bon,

        Tables, scabelles et traicteaulx181,

        Chandelles, torches [et] flambeaulx.

        Entendez-vous bien ce que je dix ?

                        TOUS  ENSEMBLE

340  Et ! va, va ! C’est un paradix182.

                        LE  VIEL  PÈLERIN

        Ouy,  sy Dieu y estoyt, et ses anges.

                        LE  JEUNE  PÈLERIN

        Onc ne vis choses sy estranges.

        Tes-toy [donc] !

                        LE  VIEL  PÈLERIN

                                   Rien je ne vous celle :

        Y fault avoir de la vesselle,

345  Pouelles, pouellons, gates, chauldières183,

        Cramill[èr]es et chandelièr[e]s184,

        Escuelles, plas, pintes, ég[ui]ères,

        Trencheur[s], garde-napes185, salières,

        Et la mengeure des chevaulx.

                        LE  JEUNE  PÈLERIN

350  Jà je n’y auray telz travaulx186,

        Ne m’en vien pas cy tracasser !

        Jamais ne me séroyt lasser187,

        J’en suys certain et asseuré.

                        LE  VIEL  PÈLERIN 188

        Je l’avoys en ce poinct juré,

355  Mais…

                        TOUS  ENSEMBLE

                    Quel mais ?

                        LE  VIEL  PÈLERIN

                                        Je ne vous dis rien.

                        LA  IIe  PÈLERINE

        Rien ? C’est un [très] souverain bien

        Que d’aller en pèlerinage

        — À jeunes gens — en Mariage ;

        Nous irons, il [en] est conclus189 !

                        LE  VIEL  PÈLERIN

360  Et  je ne vous en parleray plus.

        Et tout ce que vous en ay dict,

        Ce n’a pas esté par médit190

        Mais affin de vous advertir :

        Sy vous y voullez convertir,

365  Il y a des empeschemens,

        Bien souvent, aulx entendemens191.

        Mais il se fault tourner vers Dieu

        Et, premyer192 qu’entrer au sainct lieu

        De Mariage, il fault crier

370  Et à haulte voix Dieu prier ;

        Et pour prendre possession193,

        Faire bonne194 procession

        Sonnée à très belles sonnètes195.

        Puys nous dirons noz chansonnètes.

                        Ilz chantent tous ensemble une chanson.

.

                        LE  JEUNE  PÈLERIN

375  La procession est sonnée.

        Ceulx qui ont leur amour donnée

        En mariage, entendez bien

        Le profit, l’honneur et le bien

        Qui en ce bel Ordre est requis.

380  Il a assez, qui l’a acquis196.

                        LE  VIEL  PÈLERIN.  La procession commence.197

        Entre nous tous, joyeulx yrons198.

        Entre nous tous, tant las serons.

        Puys après, nous le [maul]dirons.

        Puys  aprèz, nous en repentirons.

385  Sancta Bufecta,

                        TOUS  ENSEMBLE,  en tournant à la salle.

                                   Reculez de nobis199 !

        Sancta Sadinèta200, aprochez de nobis !

        Sancta Quaquèta201, ne parlez de nobis !

        Sancta Fâchosa202, ne faschez poinct nobis !

        Sancta Grondina203, ne touchez [à] nobis !

390  Sancta Fumèta, ne mesprisez204 nobis !

        Sancta Tempestata, ne tempestez pas nobis !

        Sancta Gloriosa205, alez loing de nobis !

        Sancta Mignardosa206, reculez de nobis !

        Sancta Bouffecta207, aprochez de nobis !

395  Sancta Jalousia, reculez de nobis !

        Sancta Chiabréna208, ne fâchez pas nobis !

        Sancta Mérencolia209, n’aprochez de nobis !

                        OMNES,  sancti[s] freneticis 210

        Libéra nos, Dominé 211 !

        De femme plaine de tempeste,

400  Qui a une mauvaise teste

        Et le cerveau embéguiné212,

                        ENSEMBLE

        Libéra nos, Dominé !

        Des hommes qui vont, au matin,

        Aulx tavernes parler latin,

405  Et ont soublz la table uriné,

        Libéra noz, Dominé !

        De femme qui [çà et là]213 court,

        Et tient son mary de sy court

        Comme un Sot enjobeliné214,

410  Libéra nos, Dominé !

        Des hommes qui, par jeulx215 meschans,

        Vendent leurs robes aulx marchans

        Pour estre au jeu trop obstiné,

        Libéra nos, Dominé !

415  De « femme qui a les doys menus,

        Courte[s] mamelles, et nés camus »216,

        Le faict bien sans lict encourtiné217,

        Libéra nos, Dominé !

        Des hommes qui, par un mistère

420  Trop souldain, font leur femme tère

        Et ont le cerveau obstiné,

        Libéra nos, Dominé !

        De femme[s] trenchant du gros bis218,

        Qui despendent tant219 en abis

425  Que le mary est mal dîné220,

        Libéra nos, Dominé !

        D’un homme qui à droict[e] « chevauche »

        Et sa femme « chevauche » à gauche

        (C’est tout à rebours cheminé),

430  Libéra nos, Dominé !

        D’aller sans chandelle aulx retrais221

        Et s’assouèr sus un estron frais

        (C’est pour estre bien embrené),

        Libéra nos, Dominé !

                        Oresmus.222

435  Que nous ayons tous bon courage

        Contre tourmens de mariage,

        Entre nous qui y som[m]es enclos !

        Te rogamus, audi nos 223 !

        Quant la femme tempeste et tence,

440  Que le mary ayt pacience

        Et quelque petit224 de repos !

        Te rogamus, audy nos !

        Que [ces bragueurs]225 esperlucas,

        Coureurs, fringans, esperlucas226,

445  Qui font rage de caqueter,

        Pour bien du tout les arester

        De bref puissent estre des nos227 !

        Te rogamus, audi nos !

        Quant nos femmes nous tenceront,

450  Qu’aux228 injures qu’ilz nous diront

        Qu’il  y ayt quelque peu de repos !

        Te rogamus, audi nos !

        Qu’aultres ne leur(s) batent les cus

        Et facent leurs maris coqus

455  En faisant la beste à deulx dos229 !

        Te rogamus, audi nos !

        Quant nous viendrons de quelque afaire230,

        Que nos femmes se puissent taire

        Et qu’ilz ayent toutes le bec clos !

460  Te rogamus, audi nos !

        Deffens-nous de leur malle231 teste,

        Mulerye232, tenson et [t]empeste,

        De leur bec, grys233, ongle & ergos !

        Te rogamus, audi nos !

465  Que les deulx nouveaulx espousés

        Se trouvent sy bien disposés

        Qu’ilz puissent, en leur mariage,

        Produyre bon et beau lygnage

        Et vivre ensemble longuement !

470  Puys, en la fin, ayent234 saulvement

        Avec Dieu, en céleste enclos235 !

        Te rogamus, audi nos !236

*

1 Nouveau recueil de farces françaises des XVe et XVIe siècles, Paris, 1880, pp. LXII-LXVI. — Recueil général des sotties, t. III, Paris, 1912, pp. 269-299.   2 Cf. le Bateleur, vers 184 et note. Michel Rousse a publié les documents qui touchent cette affaire : Archives et documents datés, Rennes, 1983, pp. 235-236. N’étant pas en France, je n’ai pas pu consulter mes antiques photocopies de la thèse non éditée de M. Rousse concernant le Pèlerinage de Mariage.   3 Cette pièce de Claude Mermet s’inspire occasionnellement de la nôtre, ou d’une source commune.   4 LV : le viele  (Nous avons là trois jeunes filles, comme le stipulent les vers 3 et 86, et elles sont encore célibataires.)  En costume de voyage, les pèlerines se mettent en route vers le pays de Mariage.   5 Notre pèlerinage. Cf. le Grant voiage et pèlerinage de Saincte-Caquette.   6 Pour cela.   7 LV : nostre nect  (Gardant lisible le sauf-conduit que nous a donné le curé. Cf. Colin filz de Thévot, vers 267-304.)  On peut aussi comprendre : Gardant intact notre pucelage. Le parchemin désigne le pubis des femmes : Pernet qui va à l’escolle, vers 25 et note.   8 LV : la verite  (Voir le v. 6.)  La volonté de l’Église était que les filles arrivent vierges au mariage.   9 Vêtu d’un habit de pèlerin très usé, il revient de Mariage.   10 Atteint de langueur, malheureux.   11 LV : dont  (La négation explétive moins ne est admise : « [La plaie causée par la flèche de Cupidon] en est si profonde/ Que d’en trouver la fin ne peux,/ Et la guarir moins je ne veux. » Je n’avois onc senty le dard.)   12 Et même, je ne connais aucun.   13 Accordons-nous un divertissement. « Mi-e » compte pour 2 syllabes.   14 Il me rappelle.   15 Bonsoir !   16 LV : a vobis  (Et vous aussi ! Le Pèlerin, qui s’est marié à l’église, en a retenu la langue.)   17 À partir d’ici, LV abrège Pèlerin et Pèlerine en p. Je ne le suivrai pas.   18 LV : la vielle p  (Je corrige la même bévue à la rubrique du v. 29.)   19 LV : la  (Je corrige la même faute de lecture au 2e mot du vers suivant.)   20 LV : ii  (Entre les vers 10 et 149, le copiste oublie qu’il y a une 3e Pèlerine, à laquelle je vais donc rendre la parole de temps en temps.)   21 Fidèle à ses lubies, le copiste du ms. La Vallière accroche un double « e » à la fin du mot. Je corrige tacitement cette idiotie aux vers 30, et 197-202.   22 Elles ne sont pas logées à la même enseigne que les pèlerines qui se rendent à Sainte-Caquette, lesquelles n’ont pas le droit de parler en chemin, « car c’est ung tel pèlerinage/ Qu’en le faisant, mot on ne sonne ».   23 Et pourtant.   24 LV : esse  (Même bizarrerie à 281.)   25 LV : cheual  (à la rime.)  En dévalant au galop.   26 Au mieux.   27 S’y précipite à cheval.   28 De disputes. Mais le vieux Pèlerin se reprend.   29 Si on sait bien se défendre.   30 Saurais, pourrais. Même normandisme aux vers 186, 198, 215, 352.   31 LV : dy aller  (Mais on peut comprendre : Je ne saurais me retenir plus longtemps d’aller uriner. C’est bel et bien ce qui arrive à la pèlerine de Saincte-Caquette, vers 179-186.)   32 LV : veoray  (Je vous verrai dans une bonne situation.)   33 Si nous risquons de rencontrer un homme. « Il s’en rencontre mesme qui (…) vont jusqu’à proférer ces mots. » Louis Abelly.   34 Si on voulait sortir.   35 « La MALLERAGE : Château de France en Normandie, au pays de Caux. » (Dictionnaire de Trévoux.) La « male rage » et le « mariage » sont plaisamment confondus : « Jamais n’ouÿ, de mon bon eur,/ Sy bien parler de malle rage…/ Dy-je [je veux dire], Sathan, de mariage. » Éloy d’Amerval.   36 LV : lieux  (« Lieu-es » compte pour 2 syllabes.)   37 LV : ca la  (Cela fausserait nos journées de marche.)   38 LV : monnoys  (Fleurs dont on jonchait le sol avant le passage de la mariée. « L’autre amassoit des fleurs et en faisoit jonchées. » La Curne.)   39 LV : adiensses  (Agencées, apprêtées. « Chacun taschoit à s’adgencer. » Guillaume Coquillart.)   40 LV : un petivt  (Cueillent, et des œillets. Sur le double sens floral de « jalousie », voir Saincte-Caquette, vers 317.)  « Pensée » cache aussi un double sens : fleur, et idée triste.   41 LV : tant poyres de chiot  (« –Que mangera, par fantasie ?/ –Poires, poires de jalousie. » Les Cris de Paris.)  Une épouse sert également à son mari des poires d’angoisse : « Amy, garde bien d’y aller (te marier) !/ Car l’on t’y fera avaller/ Souvent mainte poire d’angoisse/ Toute succrée de tristesse. » Le Pèlerin et la Pèlerine <v. ma notice>.   42 Dénomination doublement scatologique (chier + brenner) des embarras causés par les femmes ; voir le v. 396. « Le chiabrena des pucelles. » (Pantagruel, 7.)  « Tati tata » exprime le bavardage féminin : cf. les Botines Gaultier, vers 25.   43 LV : pomc  (Les fruits étaient bons s’ils avaient goût à framboise. « Y [mes pommes] sentent comme la framboyse. » Le Marchant de pommes.)   44 LV noys aussy  (Noisille et noisette sont des diminutifs de noise. « Ces petites noisettes, ces riottes qui, par certain temps, sourdent entre les amans. » Rabelais, Tiers Livre, 12.)   45 Avec vous, on ne mange pas ce genre de « noisettes ».   46 Je ne mens pas. « Se ne dis vray, au moins ne men-ge mye. » Jehan Molinet.   47 S’incline dévotement.   48 Au-dessus de ce mot, qui n’est pas biffé, le copiste a écrit : achete   49 Les ordonnances, ou les pèlerines ?   50 Qu’elles soient sottes ou intelligentes. Les ordonnances, ou les pèlerines ?   51 LV : quatorz e   52 Le trait est marqué : le barème est fixé.   53 On récompense les gens selon leur mérite.   54 LV : synon  (Suivant comment est l’épouse.)   55 Qui allait assaillir le pays de Mariage par surprise.   56 Il arrive derrière les femmes, vêtu d’un habit de pèlerin flambant neuf.   57 Repris, blâmé.   58 LV : dict  (Voir le v. 250.)  Qu’il nous dise ce que c’est.   59 « Trop est personne aventureuse,/ Qui tel chemin ose entreprendre. » ATILF.   60 Un faiseur d’embrouilles. « Messaiger sûr, dont congnoissance avez,/ Debvez plustost envoyer par chemin/ Que ung estrange brouilleur de parchemin. » Guillaume Crétin.   61 LV : auant  (Allez au gré du vent. Cf. Mallepaye et Bâillevant, vers 341 et 347.)   62 LV : jouee  (Nul jour. « Et jamais jour ne cessera,/ Comme faict le las Sisiphus. » Roman de la Rose, éd. 1529.)  Votre mariage ne cessera jamais. Le lien du mariage était indissoluble, et les divorces, vendus par l’Église, pouvaient coûter fort cher.   63 LV : mon dieu  (Que soit maudit celui qui se lassera avant 3 ans passés.)   64 Les pèlerins portent un bâton ferré, le « bourdon ». Voir le v. 137.   65 Inversion ironique — et confirmée par la rime riche — du proverbe : Être vaillant comme Roland. Le neveu de Charlemagne est encore évoqué au vers 148.   66 LV : a couardy  (Privé de coue, de queue. « –Va-t’en coucher emprès la belle !/ –Rien, rien ! –Es-tu acouardi ? » Le Mariage Robin Mouton.)   67 Son bâton de pèlerin. Au second degré : son pénis. « En la main de madame la nonnain (il) mist son bel et trèspuissant bourdon, qui gros et long estoit. » Cent Nouvelles nouvelles, 15.   68 Vermoulu, délabré.   69 Il faut débouter les vieux pèlerins, les repousser.   70 Prenez garde à ce que vous allez faire.   71 LV : desires  (Restez ! « Demourezjusques à demain ! » La Condamnacion de Bancquet.)   72 Les lavandières nettoient les cottes en les frappant avec un battoir. Ici, nous devons lire « vos côtes ».   73 Donne ses bottes de cavalier à notre nouveau Roland ! La Chanson de Roland fait d’Olivier le compagnon de Roland, mais pas son valet.   74 Le Carême-prenant est le Carnaval, qu’on tue symboliquement pour qu’il laisse la place au Carême. Émile Picot signale un Coq-à-l’âne attribué à Marot : « Quand l’espée au costé j’ay ceincte,/ Je turoy Caresme-prenant. »   75 Quelqu’un qui nous défend.   76 C’est une des rimes équivoquées les plus courantes. Elle se combine avec « viel lart » : vieux pénis.   77 LV : fourmasse  (Que je n’aille pas me fourrer dans le mariage ? « Il n’eut autre loisir que de se aller fourrer dedans. » ATILF.)  Double sens érotique : « (Le) bon bergier se fourre dedens…. Tout ce qu’il avoit (il) ensevelit jusques au manche. » Cent Nouvelles nouvelles, 82.   78 Noble, valeureux. Idem vers 144. Le roi Arthur est un parangon du guerrier, de même que le héros troyen Hector. Cf. le Capitaine Mal-en-point, vers 555 et 605.   79 Surveillez la partie mobile de votre arbalète, qui tire la corde en arrière. Cf. l’Arbalestre, vers 466.   80 Dévier votre tir. « Pour ce, nous fault le trait charmer/ Et de traïson nous armer. » (ATILF.) Double sens : Boire d’un trait. « (J’)yroye droit à l’avantgarde chez le tavernier pour charmer le traict. » Pierre Fabri.   81 LV : estroiet  (Si fort. « [Il] gela sy estroict que les résins estant jà meurz flestrirent. » Raymond d’Austry.)   82 LV : pour  (Vers obscur et sans intérêt, à moins qu’il ne recèle un calembour grivois : « De perdre honneurs et biens pour vouloir à con plaire. » Jehan Molinet.)   83 LV : coḿencement   84 En son royaume.   85 LV : vesperisse  (Bafoué.)   86 Si nice, si bête.   87 Tais-toi. Idem vers 343. Le jeune insolent commence à tutoyer son aîné, suivi par les femmes au vers 304.   88 LV : car cest ases  (Vous serez assez maudit par votre femme. « Elle me maudict comme un chien. » L’Arbalestre.)   89 De semer. Cf. la Veuve, vers 22.   90 N’en parle que pour de bonnes raisons.   91 Piqué.   92 Extrait de la chanson On a mal dict de mon amy. Voir Howard Mayer BROWN : Music in the french secular theater, Harvard University Press, 1963. Nº 318.   93 Pourvu qu’on ne donne. Chanson inconnue. LV intervertit ce vers et le vers 191.   94 Serviteur. Même chanson au vers 19 du Savatier et Marguet.   95 LV : joe   96 Éclatant.   97 2e vers de la chanson Il fait bon fermer son huis. Brown nº 174.   98 LV : tout mary on  (Le mari se gèle dans la rue quand il guette l’arrivée de l’amant de son épouse, ignorant que celui-ci est déjà dans la maison.)   99 LV : mule  (Sa femme regimbe [rue] et fait des ruades avec son amant.)   100 Extrait d’une chanson d’Antoine de Févin, Il fait bon aimer l’oyselet, qui est chantée dans le Retraict. Brown nº 173.   101 LV : mont joyee  (C’est un monceau de plaisir.)   102 Extrait de la chanson Réveillez-vous, réveillez. Brown nº 366.   103 La menace de voir le mari débarquer à l’improviste.   104 Refrain de la chanson Je voys, je viens, mon cueur s’en volle. Brown nº 228.   105 Ce sont des mots en l’air.   106 Ou mensonge.   107 Chanson inconnue.   108 Même proverbe dans Guillerme qui mengea les figues et dans Le Sourd, son Varlet et l’Yverongne. La sagesse du vieux pèlerin s’exprime sous forme de proverbes.   109 Être au fond de la rivière.   110 Extrait de la chanson Je le lesray puisqu’il m’y bat. Brown nº 206.   111 Sans bruit.   112 Au jeu de paume, servir au rabat c’est feinter l’adversaire en rabattant l’éteuf vers le sol. « Je le serviray au rabat. » L’Aveugle et Saudret.   113 Chanson inconnue.   114 Mon vieil ami. « Affin aussy que dire adieu je voyse [j’aille]/ À mes amys et mes compaignons vieulx. » (Clément Marot.) Cette incise est narquoise, venant d’un vieillard qui s’adresse à un jeune homme.   115 Le mariage est considéré comme un Ordre monastique. Idem vers 238 et 379. « Entre nous autres, pauvres gens,/ Qui estions si mignons et gents/ Devant qu’en l’Ordre fussions mis. » (Les Ténèbres de Mariage.)  Soudaine = impulsive, changeante.   116 Présomptueux.   117 Chanson inconnue.   118 Dans son domaine.   119 Il y a de bonnes choses.   120 L’armerie [l’œillet] fleurit.   121 Extrait de la chanson L’Amour de moy si est enclose. Voir la note 97 du Savatier et Marguet.   122 En supposant que cela. Ita = oui ; le vieux pèlerin est féru de latin (vers 23).   123 LV : nosses  (Dont je n’ose parler.)   124 LV : consommo lamiee victa  (Chanson composée sur un poème italien par Johannes Prioris. Brown nº 64.)   125 LV : valloir  (S’il veut se montrer sous son meilleur jour. « Un cœur généreux ne doit point desmentir ses pensées ; il se veut faire voir jusques au dedans. » Montaigne, II, 17.)   126 Celui qui y entre y a son plaisir. On faisait la liaison : « délita ».   127 4e vers de la chanson Franc cœur qu’as-tu à soupirer, chantée aux vers 22-25 du Gallant quy a faict le coup. Voir la note 101 de Marchebeau et Galop.   128 Ces deux vers aux élisions suspectes pourraient provenir d’une chanson en vers de 4 syllabes.   129 Chanson inconnue.   130 LV : joyeussete  (À la rime de 239. Voir les rimes 47 et 49 de Marchebeau et Galop.)   131 Quand l’ordre de Mariage a de bons serviteurs. « Ordre » était souvent féminin, comme au vers 217.   132 LV : franc  (Mon cœur reverdit en. « Il les voit reverdir en bonté. » Æmar Hennequin.)  Chanson inconnue.   133 LV : tant  (Fraité = accablé de frais. Un prêtre normand qui « requéroit plusieurs femmes mariées de leur déshonneur » les faisait citer à comparaître dans une autre juridiction « pour les plus fraitier et dommaiger ». Lettre de rémission, 1450.)   134 Ce dernier mot remplace abusivement ma mère. Brown nº 191.   135 Le riz est un gracieux mets, à n’en pas douter. Jeu de mots sur le « ris » : le rire.   136 Je ne puis l’oublier. Cet extrait de la chanson Les Regretz que j’ay de m’amye est chanté au vers 55 du Savatier et Marguet. Brown nº 266.   137 Te maîtrise, fait la loi. Cf. le Maistre d’escolle, vers 108.   138 Extrait de la chanson Vostre beaulté, belle cointe et jolie. Brown nº 405.   139 Une pareille liesse, joie. Nous avons maintenant 7 décasyllabes, sans doute pour cadrer avec la chanson du vers 255 et avec l’emprunt biblique de 257.   140 Chanson inconnue.   141 LV : lassama bethany  (« Eloï, Eloï, lama sabactani ? » Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?)  Rabelais fit de ce psaume 22 un usage beaucoup plus galant : une Parisienne, outrée que Pantagruel l’ait quittée sans lui dire adieu, lui envoie un anneau d’or. « Lors, le regardant, trouvèrent escript par-dedans, en hébrieu : LAMAH HAZABTHANI…. C’estoyent motz hébraïcques signifians : Pourquoy me as-tu laissé ? » Pantagruel, 24.   142 LV : grand  (Thésor = trésor.)   143 Ce cliché traîne dans plusieurs chansons : « Plus chauld que feu ne que métal en fonte/ Est mon las cueur qu’Amours contrainct et dompte. » Plus chauld que feu.   144 Aujourd’hui.   145 Le Sot des Cris de Paris, refusant de se marier, objecte le même proverbe (vers 404-5).   146 On ne viendrait à bout de rien. Mais « faire » = faire l’amour, comme au vers 417.   147 C’est une mignardise, un jouet.   148 De travers.   149 L’inconstante.   150 Ce que je veux vous dire.   151 Pourquoi avez-vous prononcé les vœux lors de la cérémonie du mariage ? Voir les vers 297 et 300.   152 Vers manquant. Dans sa fuite, Absalon accrocha malencontreusement sa longue chevelure à un arbre et fut tué. « Absalon se pendit par les cheveux. » Gargantua, 42.   153 LV : saucun y   154 LV : esse  (Heureux.)  Se douloir = souffrir.   155 LV : grisson  (Grison est le nom habituel des chevaux gris : cf. le Badin qui se loue, vers 73 et note.)  Moreau est le nom des chevaux noirs : cf. Colin qui loue et despite Dieu, vers 515.   156 S’agit-il d’un proverbe parisien ?   157 Laissons-le (pronom normand).   158 LV : la jeune p   159 LV : coures ny   160 C’est le « cri » des laitières ambulantes. Mais le pot au lait désigne les testicules : « Saulve, Tévot, le pot au laict (ce sont les couilles) ! » Tiers Livre, 8.   161 Billet doux. « De ce mesme papier où il vient d’escrire l’arrest de condemnation contre un adultère, le juge en desrobe un lopin pour en faire un poulet à la femme de son compaignon. » Montaigne, III, 9.   162 Vous ferez sagement. Cf. le Savetier Audin, vers 186.   163 À la manière.   164 Les gluaux sont des branchettes qu’on enduit de glu pour capturer les passereaux. Voir la Pippée.   165 LV : bestes  (De pauvres imbéciles.)  Les diots sont des étourneaux et des idiots : cf. l’Arbalestre, vers 67. Les cocus sont des coucous et des maris trompés : v. la note 38 des Mal contentes.   166 LV : escorse  (Une torsion, une entorse. « Solérius a donné une estorse au texte de Dioscoride. » Godefroy.)   167 Ni prudence. « Sans tenir règle ny compas. » Folconduit.   168 Chasser.   169 LV : de la  (N’aie pas l’audace. « Ne soyez/ Si hardy de le vouloir faire. » Les Femmes qui se font passer maistresses.)   170 « Je permétroys changer les femmes/ Comme les chevaulx et les mules. » Troys Galans et un Badin.   171 De certificats.   172 Ils vendraient beaucoup de vin pour ces nouvelles noces.   173 LV : tire  (Voir le v. 175.)  « Paix ! C’est trop babillé. » L’Homme à mes pois.   174 Ce personnage très négatif prélude toujours à l’énumération de tout ce que le pauvre fiancé va devoir acheter, partant du principe qu’il ne possédait jusque-là ni meubles, ni vaisselle, ni linge, et qu’il ne mangeait jamais. La liste que déroulent les Ténèbres de Mariage <Montaiglon, I, pp. 20-21> est très proche de la nôtre : « Mesnage nous vient assaillir…./ Il faut robbes et chapperons. »   175 LV : hault   176 LV : gorgeretes  (Fichus dont les femmes couvrent leur poitrine, non pas pour la dissimuler mais pour la mettre en valeur. « Gorgières de Behaigne pour l’atour de la dite dame. » Godefroy.)   177 Bandeaux précieux, colliers. Cf. Moral de Tout-le-Monde, vers 220.   178 LV : regna   179 Songer.   180 Viande, poisson, et charbon pour faire cuire tout cela. « Il faut du pain, du vin, des noix,/ Du lard, des fèbves et des poix,(…) / Des fagots, chandelles, du bois. » Ténèbres de Mariage.   181 Des tabourets, et des tréteaux pour soutenir les planches qui tiennent lieu de tables.   182 Le mariage est un vrai paradis.   183 Des poêles, des poêlons, des jattes, des chaudrons.   184 Crémaillères, et grands chandeliers.   185 Des tranchoirs [planches à couper la viande ou le pain], des dessous-de-plat.   186 Autant de peines.   187 Le mariage ne saurait me lasser.   188 LV note au-dessus : * tous ensemble *  (Les signes qui bordent cette mention indiquent qu’elle doit être supprimée : elle concerne le vers 355.)   189 L’affaire est conclue. Cf. la Folie des Gorriers, vers 551.   190 Par médisance.   191 Aux ententes, aux accords financiers entre les deux familles.   192 Avant. Idem vers 127.   193 Pour prendre possession de sa femme, il faut.   194 LV : unne   195 Contrairement aux cloches, les sonnettes sont les attributs des fous : « Attache-moy une sonnette/ Sur le front d’un moyne crotté (…) :/ Voylà un Sot de la Bazoche. » (Marot.) Cf. Maistre Mymin qui va à la guerre, vers 186 et note.   196 Celui qui l’a adopté.   197 Les 5 comédiens parodient une procession en défilant tout autour de la salle. La troupe du Pardonneur jouait « en la salle et maison où pend pour enseigne le Port de Salut » : il s’agit d’un cabaret, au nom prédestiné puisque l’auteur d’un discours à la gloire des tavernes de Rouen <Montaiglon, XI, 78>, exactement contemporain de la pièce, nous livre cette contrepèterie : « Changer fault le Port de Salut / Et le nommer Sort de Pallut. » Sortir du palud = sortir de l’enfer.   198 Nous irons joyeusement au pays de Mariage. Puis nous nous en lasserons. Puis nous le maudirons. Puis nous nous repentirons d’y être allés. Toute une vie conjugale est résumée en 4 vers !   199 Sainte Buffette, éloignez-vous de nous ! Buffeter = harceler. La formule officielle des Litanies est : « Ora pro nobis » [prie pour nous] !   200 Sadinette = gracieuse. Dans le Dorellot, c’est le nom d’une prostituée.   201 Patronne des femmes bavardes. Cf. le Pèlerinage de Saincte-Caquette.   202 Fâcheuse.   203 Grondeuse.   204 LV : mesprisses de  (Se fumer = se mettre en colère.)   205 Glorieuse, orgueilleuse.   206 Qui mignarde devant les hommes.   207 La bouffette est un nœud de soie que les élégantes font bouffer dans leur coiffure.   208 Faiseuse d’embarras. Voir la note 42.   209 Mélancolie.   210 LV : frenastises  (Tous ensemble, saisis d’une sainte frénésie, comme les sibylles qui prophétisent. On comprend qu’un tel délire orgiaque ait pu indisposer la censure.)  Mes prédécesseurs font de cette didascalie un vers à part entière.   211 Libère-nous, Seigneur ! Les vers 112-119 de Te rogamus audi nos offrent la même structure en quatrains aabB, et le même refrain. On détournait facilement ces Litanies ; voir par exemple la Letania minor de Jehan Molinet, ou la Létanie des bons compaignons <Montaiglon, VII, 66-69>.   212 LV : contamine  (Enveloppé dans un béguin, i.e. un bonnet d’enfant, ou de Badin de farce : « Habillé en Badin (…) et enbéguyné d’ung béguin. » Maistre Mymin qui va à la guerre.)  « De femme pleine de tempeste,/ Qui a une mauvaise teste/ Et le cerveau embéguiné. » Le Pèlerin et la Pèlerine <v. ma notice>.   213 LV : sa la et   214 Abruti par des flatteries. « De femme qui, par sotte guise,/ Veut faire chauffer sa chemise/ Par son sot enjobelliné. » Le Pèlerin et la Pèlerine <v. notice>.   215 LV : jeutz  (Par la faute des jeux de cartes ou de dés.)   216 « Femme qui a les doigts menuz,/ Courtes mammelles, nez camus,/ Basse motte, petites mains,/ Joue volontiers du bas des reins. » Ms. fr. 22565.   217 Qui fait l’amour sans avoir besoin d’un lit : qui consomme dehors.   218 Faisant les importantes. Cf. les Coppieurs et Lardeurs, vers 247. « De femme tranchant du grobis,/ Qui dépend tant en ses habits/ Que son mary est mal disné. » Le Pèlerin et la Pèlerine <v. notice>.   219 LV : tout  (Qui dépensent tant d’argent en habits.)   220 N’a rien à manger.   221 Aux toilettes. Cf. le Retraict. La farce de Guilliod est moins scatologique : « D’aller de nuict sans lanterne/ Et sans argent à la taverne,/ Et d’estre trop tost marié,/ Libera nos, Domine ! »   222 Prions ! L’orémus est la conclusion des Litanies ; cf. la Létanie des bons compaignons, p. 69.   223 [Seigneur,] nous t’implorons, écoute-nous ! Les quatrains 100-111 de Te rogamus audi nos offrent la même structure en aabB et le même refrain.   224 Et un peu.   225 LV : ses braqueurs  (« Bragueur : as bragard. » Cotgrave.)  Ces frimeurs emperruqués.   226 Ces élégants, ces porteurs de perruque. Esperlucat est ici un substantif : cf. la Veuve, vers 95. C’est un adjectif au vers précédent : cf. le Trocheur de maris, vers 133.   227 Des nôtres. « Qu’elle soit des noz. » (Digeste Vieille.) Qu’ils puissent être cocus comme nous.   228 LV : tant aux  (Ce couplet fait double emploi avec celui de 439-441. Dans ce genre d’accumulations, les ajouts d’acteurs sont fréquents.)   229 Ce sont les vers 110-111 de Te rogamus audi nos. Voir aussi la Létanie des bons compaignons : « Donnes-nous bon pain, bonne chair,/ Et la belle fille au coucher/ Pour faire la beste à deux doz !/ Te rogamus, audi nos ! »   230 Quand nous aurons participé à une affaire douteuse.   231 Mauvaise. Idem vers 70 et 318.   232 Bouderie faite par une tête de mule ; c’est un mot normand. Tançon = querelle ; voir le v. 449.   233 Forme normande de griffes. Cf. la Veuve, vers 6.   234 LV : est   235 Au paradis.   236 Fin de la pièce. Mais le scribe note ici : L’oraison de ceste farce est au costé de ce feuillet premyer qu’i fault tourner, et aussy y est le nombre des lignes qui sont en ladite farce. Or, le recto du folio 95 est entièrement blanc, et son verso comporte un poème sans titre de 24 vers à la gloire du fil à coudre. Ce poème non dramatique se clôt pourtant sur le nombre de lignes — et non de vers — que comporte la pièce (573, un chiffre qui ne tient pas compte du poème), et sur le congé personnel du copiste : En prenant congé de ce lieu, / Unne chanson pour dire adieu ! / FINIS

LE MAISTRE D’ESCOLLE

Manuscrit La Vallière

Manuscrit La Vallière

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LE  MAISTRE

D’ESCOLLE

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Le manuscrit La Vallière contient plusieurs pièces rouennaises antiprotestantes : la Bouteille, les Povres deables… Mais aucune n’atteint la virulence du Maistre d’escolle. Cette pièce fait 200 vers tout rond, comme si l’auteur avait respecté scrupuleusement le cahier des charges imposé par un commanditaire. Cela expliquerait pourquoi ce modeste tâcheron ne se risque jamais sur le terrain glissant de la contradiction théologique : il n’en avait pas les moyens. À l’heure de la Contre-Réforme, la polémique était la chasse gardée de quelques bretteurs professionnels. Les commanditaires de pièces qui parodient l’enseignement sont presque toujours des collégiens, lesquels se donnaient en spectacle lors de certaines fêtes.

Source : Manuscrit La Vallière, nº 69. Cette sottie moralisée fut sans doute écrite en 1563, ce qui explique qu’elle n’était pas trop abîmée quand on l’a copiée dans ce manuscrit, une douzaine d’années plus tard.

Structure : Rimes aabaab/bbcbbc, abab/bcbc, rimes plates, avec 4 triolets.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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Farce joyeuse

À .V. personnages, c’est asçavoir :

       LE  MAISTRE  D’ESCOLLE,  [MAGISTER]

       LA  MÈRE

       et  LES  TROYS  ESCOLLIERS,  [Socié, Amycé, Quandoqué 1]

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                        LE  MAISTRE  commence 2                    SCÈNE  I

        Je suys recteur3, grand orateur,

        Remonstrant sans estre flateur

        Que Folye4 [faict] les mal pensans.

        Escolliers ne sont en dorteur5 :

5      Chascun d’eulx dispute en docteur.

        Pendant que d’icy sont absens,

        Avoir n’en veulx mill[i]ers ne cens6 :

        Charge trèsgrande n’est pas sens ;

        Moy seul ne les pouroys instruyre.

10    De ce que j’en ay me contens7.

        Leur aprendre Donnest 8 et sens,

        Principes et Caton9 construyre…

        Trop10 sçavoir ne faict que destruyre

        L’homme, s’il ne se veult conduyre

15    De son sçavoir faire debvoir11.

        Sçavoir est bon quant on faict bruyre12

        Le sens que l’homme doibt avoir.

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                        LA  MÈRE  DES  ESCOLLIERS  entre 13

        Maintenant me fault aler voir                                      SCÈNE  II

        Mes enfans de beaulté compris14,

20    Afin que je puisse asçavoir

        S’ilz ont profité et apris.

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                        MAGISTER                                             SCÈNE  III

        Je n’ay poinct peur d’estre repris

        Ne chargé15, en ma concience :

        Car bonne doctrine et science

25    À mes escolliers veulx monstrer.

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                        LA  MÈRE 16                                           SCÈNE  IV

        Dieu gard, Magister ! Peus-je entrer ?

                        MAGISTER

        Ouy dea, entrez sy vous voulez.

                        LA  MÈRE

        Mes enfans veuillez-moy monstrer !

        Dieu gard, Magister ! Peulx-je entrer ?

                        MAGISTER

30    Ne les av’ous sceu rencontrer17 ?

        Ilz sont hors de ce lieu saultés18.

                        LA  MÈRE

        Dieu gard, Magister ! Puys-je entrer ?

                        MAGISTER

        Ouy dea, entrez sy vous voulez.

                        LA  MÈRE

        Où sont vos escollie[r]s alés ?

                        MAGISTER

35    Je les ay envoyés aux19 champs

        Coriger un tas de meschans ;

        Mais y demeurent lo[n]guement.

                        LA  MÈRE

        Y les fault avoir vitement,

        Car je veulx avoir congnoissance

40    S’ilz ont apris.

                        MAGISTER

                                 À grand puissance20.

        Pencez qu’ilz n’ont perdu leur temps.

                        LA  MÈRE

        A ! Magister…

                        MAGISTER

                                     Je les entens :

        Vous pourez voir bientost, au fort21,

        Comme j’en ay faict mon effort.

                        LA  MÈRE

45    De leur bien, Dieu soyt mercÿé !

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                        SOCIÉ,  premyer escollier,  entre.           SCÈNE  V

        Amycé !

                        AMYCÉ,  IIe [escollier],  Badin22entre.

                        Placet 23, Socÿé ?

                        Le IIIe escollyer,  QUANDOQUÉ24entre.

        Vénité ad scolam 25 !

                        AMYCÉ,  Badin26

                                            Non, non !

        [Je ne] suys pas…

                        SOCIÉ

                                     Quoy ?

                        AMICÉ

                                                  Licencié.

                        SOCIÉ 27

        Amycé !

                        AMYCÉ,  Badin

                       Placet, Socïé ?

                        QUANDOQUÉ 28

50    Mais bien plus tost « incensié29 » !

                        AMYCÉ,  B[adin]

        Je n’ay ne veulx aintel regnon30.

                        SOCIÉ

        Amycé !

                        AMYCÉ,  B[adin]

                       Placet, Socïé ?

                        QUANDOQUÉ

        Vénité !

                        AMYCÉ,  B[adin]

                        Ad scolam ? Non, non !

                        LA  MÈRE

        Mon filz !

                        AMYCÉ,  B[adin]

                          Ma mère ?

                        LA  MÈRE

                                               Mon mygnon,

55    Veulx-tu abandonner ton maistre,

        Celuy qui se veult entremaistre

        De t’aprendre toute science ?

                        AMYCÉ,  Ba[din]

        J’en sçay plus (sur ma concience)

        Que vous, luy, toy, moy et nous31 deulx,

60    Vous le savez. Monstrer le veulx :

        Car quant nous avons eu congé

        D’aler jouer32, me suys rengé

        En lieu où j’ey bien aperceu

        Que le monde a esté déceu33.

65    Et premier qu’entrer en propos34,

        Prenon un petit le repos35

        De chanter, pour fère l’entrée36.

                        MAGISTER

        Science soyt à tous monstrée :

        Chantons37 !

                        QUANDOQUÉ

                               Tout sera révoqué38

70    Des39 escolliers de candoque.

        Et pour estre myeulx esjouys,

        Chantons des chansons du pays

        D’où nous venons !40

                        SOCIÉ

                                           Sans contredict,

        Vous n’en serez en rien desdict.

                        Ilz chantent.

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                        LA  MÈRE

75    Magister, vous érez le pris41 :

        Mes enfans avez bien apris42

        En très grand science profonde.

                        MAGISTER

        Toy, premyer, je veulx que te fonde43

        De me déclarer sans rébus44

80    D’où tu viens.

                        AMYCÉ,  Ba[din]

                                  De voir les abus

        Qui se font au monde sans doubte.

                        MAGISTER

        Comme quoy45 ?

                        AMYCÉ,  Ba[din]

                                       Y sont une roulte46,

        Ainsy comme y veulent prétendre.

        Chascun d’eulx veulent faire entendre

85    Le faulx, mais je les feray reux47.

                        LA  MÈRE

        Il est plus grand clerq que vos48 deulx,

        Mydieulx !

                        AMICÉ,  Badin

                             Se suys mon49, se suys mon !

        Or, entrons à nostre sermon

        Plus avant. Mais sans long procès50,

90    Y fault déclarer51 le[ur]s excès,

        Meschantetés, urbanités52,

        Leurs façons, leurs mondanités53,

        Qu’i font par grande déraison,

        Dont on n’en faict poinct la raison

95    Justement54, ainsy qu’on doibt faire.

                        MAGISTER

        À le dire, plus ne difère55.

        Monstrez que suys maistre de sens,

        Qui vous aprens vos petis sens56

        Pour vous garder de ce danger.

                        SOCIÉ

100  Nul de nous n’en est estranger57.

        Il ont faict en nostre pays

        Ce qu’il convient58. Qu’ilz soyent haÿs !

        Vélà le poinct de nos leçons.

                        AMYCÉ,  B[adin]

        Laissez-moy dire leurs façons :

105  En Karesme mengeüssent chèr59 ;

        Sainctz, sainctes cuydent empescher

        Que pour Dieu ne soyent dépriés60.

        Sy d’eulx nous estions maistriés61,

        Ce seroyt une grand horeur.

                        LA  MÈRE

110  Et qui les maine ?

                        AMICÉ,  B[adin]

                                        C’est Erreur62.

        Mais contre eulx me suys despité63,

        Quant j’ey veu leur mondanité

        Et leur méchant gouvernement.

                        MAGISTER

        Il y fault pourvoir aultrement,

115  Car y nous en pouroyt mesprendre64.

                        AMICÉ,  B[adin]

        De leur sçavoir ne veulx aprendre ;

        J’ayme myeulx vos enseignemens.

                        MAGISTER

        Et toy ?

                        SOCIÉ

                       J’ey veu des garnemens65

        Un grand tas, menteurs et flateurs,

120  Malveillans, grans adulateurs,

        Qui preschent non pas l’Évangille

        Mais ont leur(s) engin(s) fort agille66

        De prescher toute abusion.

                        MAGISTER

        Et toy, après ?

                        QUANDOQUÉ

                                 J’ey veu confusion

125  — Qui mainte foys m’a faict seigner67

        De voir les grans mal enseigner68.

        Mais inspiration dyvine

        Viendra (ainsy comme devyne),

        Qui leur monstrera leur ofence,

130  Et fera à chascun deffence.

        Afin que n’ayons nus69 débas,

        Que leur mondanité soyt bas !

        Lors nous aurons, selon ma guise70,

        Bonne garde.

                        MAGISTER

                                Voyre, à l’église71

                        AMYCÉ,  Badin

135  Sommes-nous clers ?

                        LA  MÈRE

                                          Ouy,  ju[s]ques aulx dens72 !

                        SOCYÉ

        Nous avons veu leurs accidens73,

        Leur estat, leurs condicions.

                        QUANDOQUÉ 74

        Voyre, et prins des dis[s]encions75.

        C’est raison qu’en ayons vengance.

                        AMICÉ,  B[adin]

140  Aussy, pour avoir alégance76,

        C’est bien raison que tout soyt dict.

        Mais venez çà ! Abitavit 78

        — Prenez qu’estes78 mon escollyère — :

        Qu’esse, en françoys ?

                        LA  MÈRE

                                              Une brellyère79.

                        AMYCÉ,  B[adin]

145  Habitaculum 80 ?

                        LA  MÈR[E]

                                       Unes brays81.

                        AMYCÉ,  B[adin]

        Sainct Jehan ! Aussy ces marabais82

        Les ont acumulés ensemble83,

        Tant que chascun d’iceulx resemble

        À ceulx de Sodome et Gomore

150  Tellement que leur cas abore84.

        N’esse pas chose trop infâme ?

                        MAGISTER

        Leur mondanité n’est par femme85.

                        QUANDOQUÉ 86

        Leur erreur n’est par bon mynistre87.

                        AMYCÉ,  B[adin]

        Leurs sismes88 et façons m’enflamme !

                        LA  MÈRE

155  Leur mondanité n’est par femme.

                        MAGISTER

        C’est le deable qui les afame

        Du feu d’Enfer.

                        SOCYÉ

                                     Et leur grand tiltre89.

                        QUANDOQUÉ

        Leur mondanité n’est par femme.

                        AMYCÉ,  B[adin]

        Leur erreur n’est par bon mynistre.

160  Confusion tient leur chapitre90.

        Et puys disent, tant sont naïs91,

        Que c’est la mode du pays92.

        Et pour estre plus promps et chaulx

        En leur mal, usent d’artichaulx93.

165  Qu’eussent-il un estron de chien

        Pour chascun mès94 !

                        MAGISTER

                                            Tu dictz trèsbien

        (Je suys d’avys) de ceste afaire.

                        SOCYÉ

        Il en fault aultre chose faire.

                        QUANDOQUÉ

        Et quoy ?

                        SOCIÉ

                           Pour en avoir le boult95,

170  Y fault faire du feu de tout.

        Car ilz s’efforcent en leur guise

        De vouloir rompre nostre Église,

        Dont ce nous est grand punaisie96.

                        MAGISTER

        Qu’on les brulle sans éfigie97 !

175  Car aultrement, s’on ne le faict,

        Vous voyrez le peuple, en éfaict,

        Qui poinct ne se contentera.

        Et cependant qu’on chantera,

        Targez-vous98 ! Vérez, par mistère,

180  Ce qu’on faict, dont je m’en veulx taire.

        Et pour myeulx vous faire ententis99,

        Tous maistres font bons aprentis100.

                        Ilz chantent : 101

        De mal faire, on n’a nul repos…

.

                        AMYCÉ

        Magister, donnez-nous quampos102

185  Vistement, et vous despeschez !

                        MAGISTER

        Voycy de très vaillans supos103.

                        TOUS  ENSEMBLE

        Magister, donnez-nous quampos !

                        SOCYÉ

        Neuf y en a104.

                        MAGISTER

                                    C’est à propos105.

                        AMYCÉ,  B[adin]

        Troys vie[u]s.

                        QUANDOQUÉ

                               Troys neufz106.

                        SOCYÉ

                                                        Troys despeschés107.

                        TOUS  ENSEMBLE

190  Magister, donnez-nous quampos

        [Vistement, et vous despeschez !]108

                        MAGISTER

        De bien changler109 vous empeschez !

                        QUANDOQUÉ

        Magister, qui a men pényer110 ?

                        SOCYÉ

        Magister, qui a ma pouquette111 ?

                        MAGISTER

195  Tu me sembles un gros ânyer112 !

        Y n’en fault plus faire d’enqueste.

                        LA  MÈRE

        Magister, vous aurez le pris.

        Priant Jésus de paradis

        Qu’i préserve la compaignye113,

200  Une chanson, je vous suplye114 !

.

                                        FINIS

*

1 Ces mots latins sont ici transformés en noms. SOCIE est le vocatif de socius : camarade. Les satiristes en font un latiniseur inculte ; cf. Science et Asnerye, vers 221 et note. AMICE est le vocatif d’amicus : ami. Cf. D’un qui se fait examiner, vers 256. QUANDOQUE = de temps en temps ; ce terme dénigre les dilettantes, comme au vers 70. Cf. les Premiers gardonnéz, vers 211.   2 Le décor représente une salle de classe. Le professeur trône dans sa chaire en attendant que ses élèves rentrent de récréation.   3 On songe au Livre de la Deablerie, d’Éloy d’Amerval, où Bélial est qualifié de « docteur, recteur, maistre d’escolle ».   4 Ce personnage allégorique intervient dans nombre de sotties, par exemple la Folie des Gorriers.   5 Ne restent pas cantonnés dans leur dortoir. Cf. Sœur Fessue, vers 225 et 235. Nous sommes donc bien dans un collège, et non chez un professeur indépendant.   6 LV : sens  (Je vous dirai que je ne veux pas en avoir des mille et des cents.)   7 Je me contente.   8 Le manuel de grammaire latine de Donatus. Cf. D’un qui se fait examiner, vers 69.   9 Les distiques moraux qu’on lui attribuait sont une des bases de l’enseignement médiéval. « Mes Principes, et mon Donnest,/ Aussi mon petit Chatonnet. » Maistre Jehan Jénin.   10 LV : tant  (La curiosité intellectuelle mène au protestantisme ; voir les vers 116-7. « Nos dames calvinistes qui, curieuses de trop sçavoir, lizent les livres des ministres [pasteurs] & prédicans. » La Somme des péchéz.)   11 Ce précepte de Salomon fut beaucoup mieux rendu par Rabelais : « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme. » Pantagruel, 8.   12 Quand on fait s’exprimer.   13 Elle entre en scène, et elle monologue avant de se diriger vers l’école.   14 Remplis. « Une église de Nostre Dame, de merveilleuse beaulté comprise. » Fierabras.   15 D’être blâmé ni critiqué. En ma conscience = selon moi.   16 Elle entre dans la salle de classe.   17 N’avez-vous pas pu les rencontrer en chemin ? « Av’ous » est la contraction normande d’« avez-vous ».   18 LV : a saulter  (Ils sont saillis, ils sont sortis.)   19 LV : sur les   20 (Ils ont appris) de toutes leurs forces. Cf. les Chambèrières et Débat, vers 331.   21 Au reste.   22 Amicé, le 2e écolier, est un rôle de Badin ; cela explique pourquoi c’est celui des trois qui a le plus de texte. La Bouteille, une autre pièce antiprotestante du ms. La Vallière, laisse également le premier rôle à un Badin moralisateur.   23 Plaît-il ? « –Guillerme ! –Placet, Magistrum ? » Guillerme qui mengea les figues.   24 LV : de quandoque  (Les 3 écoliers portent un nom latin. Voir la note 1.)   25 Venez à l’école !   26 LV : p b  (= Premier Badin.)   27 LV : le iiie  (C’est le 1er Écolier, Socié, qui appelle son frère, comme aux refrains 46 et 52.)   28 LV : le iie  (Vu le nombre d’erreurs que le scribe a commises dans la numérotation des trois Écoliers, je me contenterai de donner leur nom, et pas leur numéro. Cependant, les trios de personnages numérotés sont caractéristiques des sotties.)   29 LV attribue ce mot à socie p. Tu es plutôt insensé que licencié.   30 Je n’ai, ni ne veux, un tel renom : la réputation d’être insensé.   31 Peut-être faut-il lire vous.   32 De sortir pour la récréation.   33 Trompé par la propagande luthérienne.   34 Et avant d’entrer dans le vif du sujet.   35 Prenons un peu la permission.   36 L’entrée en matière.   37 La musique était alors une science, comme au vers 77. Elle faisait partie du cursus universitaire : on ne pouvait devenir maître ès Arts sans être musicien.   38 LV : a ceste heure desuoque  (Tous les arrêts favorables à la Réforme seront annulés.)  En 1562, on tenta de révoquer les arrêts défavorables au calvinisme : « Tous édictz, ordonnances & arrests, faicts & publiéz sur le faict de la Religion jusques au jour présent, seront révoquéz & casséz comme de nul effect. » Or, la même année, les calvinistes avaient vandalisé Rouen, ce que les catholiques n’avaient aucune envie de leur pardonner : voir les vers 174-7.   39 Par les. « Escolier de quandoque: qui ne va pas souvent à l’escole. » (Antoine Oudin.) C’est le nom du 3e Écolier.   40 Sur la même ligne, LV anticipe la didascalie : Ilz chantent   41 Vous aurez le premier prix. Même vers que 197.   42 Éduqué.   43 Que tu te proposes.   44 Sans équivoque.   45 C’est-à-dire ?   46 Ils sont une ribambelle. « Vécy une grant route/ De gens. » L’Aveugle et Saudret.   47 Je les laisserai sans voix. « J’en ay fait reus cent fois les maistres/ De nostre escolle. » D’un qui se fait examiner.   48 Vous (normandisme).   49 Je le suis. « Mon » est une particule de renforcement qui étaye le verbe : cf. la Résurrection de Jénin Landore, vers 39.   50 Sans bavardages inutiles.   51 Dénoncer.   52 Leurs marques de politesse hypocrite.   53 Leur attachement aux choses profanes et aux plaisirs du monde. Idem vers 112, 132 et 152.   54 Dont on ne fait pas justice : qu’on ne punit pas assez. Cf. Digeste Vieille, vers 472.   55 Je n’hésite plus.   56 Vos modestes connaissances. « Et de faire en tout mon devoir selon mes petiz sens et puissance. » Jean du Chastel.   57 N’est à l’abri. Lors du Carnaval de 1562, les huguenots avaient agressé les Conards de Rouen et leur avaient jeté des pierres.   58 Ce qu’il leur convient de faire, ce qu’ils ont voulu.   59 Pendant le jeûne du Carême, ils mangent de la chair, de la viande. « Mangeüssent » est un présent de l’indicatif normand : cf. le Jeu du capifol, vers 98.   60 Ils veulent empêcher que les saints soient priés à la place de Dieu.   61 Gouvernés. Cf. le Pèlerinage de Mariage, vers 247.   62 Les polémistes allégorisent souvent « l’erreur de Luther ». Cf. Moral de Tout-le-Monde, vers 34.   63 Révolté.   64 Car cela pourrait nous faire du tort.   65 LV : gouuernemens  (Des mécréants. « Un garnement/ Blasmant de foy malsaine/ Le divin sacrement. » ATILF.)   66 L’esprit agile afin.   67 Signer, faire le signe de la croix. Cf. le Ribault marié, vers 376.   68 De voir les grands de ce monde être mal guidés.   69 Nuls, aucun.   70 À mon avis.   71 En 1562, les protestants avaient pillé ou détruit plusieurs églises de Rouen. Cf. Moral de Tout-le-Monde, vers 174-6.   72 De la tête aux pieds. « J’ay tant fréquenté ces notaires/ Que j’en suis clerc jusques aux dents. » Première Moralité.   73 Leurs défauts.   74 LV : le iie  (Quandoqué est le 3e Écolier.)   75 Mes prédécesseurs ont lu discucions. Prendre des dissensions = être en désaccord. « Karle, avers nous, a pris dissencion. » ATILF.   76 Allégement. Cf. Cautelleux, Barat et le Villain, vers 132.   77 Habitavit = il a habité. (Ce verbe revient souvent dans les Écritures.) Calembour de collégiens sur « habit à vits », qui désigne la braguette. « Habitavit, c’est-à-dire une brayette, quasi “habit à vit”. L’on dira habitaculum, “habit à cul long”, à mesme raison. » Tabourot.   78 LV : gectes  (Supposez, ma mère, que vous êtes mon écolière et que je suis votre professeur de latin. « Prenez que fussiez devenu/ Pauvre. » Le Pauvre et le Riche.)   79 Une braguette. (Mot normand.) « Y ne sera pas jusque z’o chambrière/ Qui ne viennent fiquer leu dais [ficher leurs doigts] dans ta breslière. » La Muse normande.   80 La demeure de l’âme. Calembour de collégiens, favorisé par la prononciation à la française, sur « habit à cul long », qui désigne l’arrière des braies. « Bon latin, habitaculum/ Veut dire : un habit à cul long. » Jacques Corbin.   81 Une paire de braies. « Parmy le fons d’unes brayes breneuses. » Villon.   82 Ces hypocrites. Un marrabais est un juif d’Espagne qui fait semblant d’être converti au christianisme.   83 Ont accolé ensemble leur braguette et l’arrière de leurs braies : ont pratiqué la sodomie.   84 Que j’abhorre leur cas.   85 Leur luxure est due à l’absence de femmes. L’auteur retourne la situation : les femmes étaient beaucoup mieux intégrées dans la nouvelle religion que dans l’ancienne. D’ailleurs, les scandales homosexuels n’éclaboussaient que le Vatican. Les cardinaux s’entouraient de mignons, et nul n’avait oublié l’éloge de la sodomie qu’avait fait paraître en 1537 l’archevêque Giovanni Della Casa : De Laudibus sodomiæ seu pederastiæ. Les catholiques n’ont pu reprocher aux calvinistes qu’un poème de jeunesse où Théodore de Bèze avoue qu’il préfère Germain Audebert, son ami brûlant de désir*, à une femme : « Sed postquam tamen alterum necesse est,/ Priores tibi defero, Audeberte. » Juvenilia (1548).  *Sic Bezæ est cupidus sui Audebertus.   86 LV : le ii escollier   87 Est due au fait qu’ils n’ont pas un directeur de conscience catholique.   88 Leur schisme. On peut aussi comprendre : leur hérésie sexuelle.   89 C’est leur titre de noblesse.   90 Leur congrégation.   91 Naïfs.   92 Cette « mode » est la sodomie : « –Nous allons bien à reculons./ –C’est selon la mode moderne. » (Colin qui loue et despite Dieu.) Notre auteur voudrait faire oublier que cette mode venait de Rome, et non de Genève.   93 Le cœur d’artichaut — qu’on appelait le cul — était aphrodisiaque. « Pour l’artichaut, il m’enflamme/ Je ne vous dis pas comment./ Demandez-le à ma femme :/ Quand j’en mange, elle s’en sent ! » Gaultier-Garguille.   94 Pour tout mets.   95 Pour en voir le bout, pour en finir avec les huguenots.   96 Ce qui est pour nous une grande infamie.   97 Qu’on ne se contente pas de les brûler en effigie, comme ceux qui sont condamnés par contumace.   98 Protégez-vous d’une targe, d’un bouclier. « Soy targer, & ranger pour combattre. » (Antoine Canque.) Les trois écoliers s’arment avec ce qu’ils ont sous la main, pour mener leur croisade contre les hérétiques. Ces clercs déguisés en soldats d’opérette sont aussi ridicules que Maistre Mymin qui va à la guerre atout sa grant escriptoire.   99 Ententifs : pour mieux vous le faire entendre.   100 Je vais moi-même chanter avec vous.   101 LV répète dessous : magister. La chanson est inconnue.   102 Donnez-nous le champ libre. En jargon estudiantin, le campos est la récréation : cf. les Premiers gardonnéz, vers 5.   103 Les suppôts sont les piliers d’une religion. Mais ce sont également les fous de l’Abbé des Conards de Rouen : « Pour mieulx servir l’Abbé et ses suppostz. » Triomphes de l’Abbaye des Conards.   104 Il y a neuf protestants à massacrer. Les écoliers les ont vus pendant la récréation : vers 61-64.   105 Cela tombe bien, puisque vous êtes presque en nombre égal.   106 Trois jeunes.   107 Trois que nous avons expédiés tout à l’heure. « Y l’eust tué et despesché. » Le Poulier à quatre personnages.   108 LV a omis ce refrain B du triolet, identique à celui de 185.   109chanter  (Forme normande de sangler : « Mais leu broudier [leur cul] fut changlay dièblement. » La Muse normande.)  Efforcez-vous de bien les battre ! Sangler = fouetter un écolier à coups de sangles. « Cet escolier a eu bien le fouet, on l’a bien sanglé. » Furetière.   110 Mon panier. Mot normand : cf. la Fille bastelierre, vers 154. Les apprentis mercenaires vont transporter leurs armes dans un cabas. Ces armes sont probablement celles que le maître applique sur leurs fesses : les sangles, les verges, les règles en bois.   111 Ma pochette, mon sac. Encore un mot normand : cf. l’Aveugle, son Varlet et une Tripière, vers 30. Les farces rouennaises qui brocardent un écolier l’affligent toujours d’un accent villageois ; ici, plus on approche de la fin, plus les personnages deviennent risibles. L’auteur serait-il protestant ?   112 Un paysan mal dégrossi. Cf. Science et Asnerye, vers 298.   113 Le bataillon.   114 C’est le dernier vers d’une autre pièce normande du même manuscrit, le Poulier à sis personnages.

LA BOUTEILLE

Ms. La Vallière

Ms. La Vallière

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                          *

LA  BOUTEILLE

*

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Cette Farce de la Bouteille à 4 ou à 5 personnages n’est pas une farce, ne s’intitule pas « la Bouteille », et ne comporte que 3 personnages. Le titre « la boutaille » fut ajouté après coup par une main plus récente que celle du copiste, et ne se trouve d’ailleurs pas dans la table des matières établie par ledit copiste au début du manuscrit : « Farce joyeuse à .III. ou à .IIII. ou à .V. personnages. »

En revanche, c’est bien notre copiste qui a greffé dans l’index personæ un 4ème comparse, une Bergère, sous prétexte que le vers 285 évoque une bergerie. Et c’est toujours le même copiste qui ajoute un 5ème personnage, un Badin, en dédoublant le rôle du Fils : dans la table des matières, il note « la Mère, le Badin » au lieu de « la Mère du Badin ».

Cette pièce normande, écrite dans les années 1525-1540, n’est pas une farce mais une moralité de propagande. Son but est de convaincre le peuple du danger de la Réforme1, qui progressait à Rouen par la faute du clergé, dont les insuffisances et la corruption agaçaient jusque dans ses propres rangs. Le Badin, personnage comique et populaire, se transforme donc en prêcheur et invoque des entités allégoriques : Police a été tuée par Avarice, et doit être vengée par Justice, bien que celle-ci soit aveugle. Pour que les spectateurs — j’allais dire les fidèles — restent jusqu’au bout, cette moralité fut suivie comme d’habitude par une vraie farce, annoncée au dernier vers : « Attendez, vous aurez la Farce. »

Source : Manuscrit La Vallière, nº 47.

Structure : Rimes plates.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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*

Farce  nouvelle

[de  la  Boutaille]

*

À .III.2 personnages, c’est asçavoir :

       LA  MÈRE  DU  BADIN

       et  LE  VOUÉSIN

       et  SON  FILZ  [Philipin] 3

*

                        LA  MÈRE  commence [en chantant :]      SCÈNE  I

        [Se je ne puis estre joyeuse…] 4

.

        Mon Dieu, qu’est une femme heureuse5,

        Quant il advient que Dieu luy donne

        Un enfant, et puys qu’il s’adonne

5      À estre sage et bien aprins !

        J’en ay tel deuil en mon cœur prins

        Qu(e) impossible est que ne desvye6.

.

                        LE  FILZ  entre à tout 7 unne bouteille.      SCÈNE  II

        Ma foy, ma mère, j’ey envye

        De vous compter aulcune chose8

10    Qui est en mon esprit enclose

        Sy très avant que c’est merveille.

                        LA  MÈRE

        Et quoy, mon Dieu ?

                        LE  FILZ,  BADIN

                                           Je m’émerveille

        Comment un homme fust sy sage

        Qui, par un sy petit passage,

15    Mist ce vaisseau en cest esclisse9.

                        LA  FEMME

        Mon Dieu ! je croy qu’il est éclipse

        Soyt du soleil ou de la lune.

        En est-il, au monde, encor une

        Plus tourmentée que je suys ?

                        LE  FILZ

20    Je ne dy pas sy le pertuys10

        Fust assez grand pour le passer ;

        Mais de luy mectre sans casser,

        Cela me faict trop esbahir.

                        LA  FEMME

        Vray Dieu, que je doy bien haÿr

25    La journée que vins sur terre !

                        LE  FILZ

        Sy le vaisseau ne fust de terre,

        J’estimeroys que ce fust fonte11.

                        LA  FEMME

        A ! mon filz, n’as-tu poinct de honte

        De tout cela te démenter12 ?

                        LE  FILZ

30    Tel cuyde aucunefoys monter

        Deulx pas[s]es13 qui en descent quatre.

                        LA  FEMME

        Regardez : il se va débatre

        D’une chose dont n’a que faire.

                        LE  FILZ

        Ma mère, bien souvent un bon taire14

35    Vault myeulx, dis foys, que tant parler.

                        LA  FEMME

        Il parachève d’afoller !

        Je ne sçay, moy, que ce peult estre15.

.

                        LE  VOÉSIN  entre                                  SCÈNE  III

        Honneur, honneur !

                        LE  FILZ

                                         Dieu vous gard, Maistre16 !

        Vous soyez le trèsbien trouvé17 !

                        LA  FEMME

40    Joyeuse suys qu’estes aryvé,

        À ceste heure, je vous afye18 !

                        LE  VOÉSIN

        Pourquoy cela ?

                        LA  FEMME

                                    A ! je me fye,

        [Et au moins y ay-je espérance,]19

        Que sy vous remontrez l’ofence

45    À ce garson, y vous croyra.

                        LE  VOÉSIN

        Pensez, commère, qu’il fera

        Plustost pour vous que pour un aultre.

                        LE  FILZ

        (Autant pour l’un comme pour l’aultre !

        Je voy bien que perdez vos peines.)

                        LE  VOÉSIN

50    Que dictes-vous ?

                        LE  FILZ

                                       Que les avoynes20

        Seront chères, l’an[n]ée qui vient.

                        LA  FEMME

        Regardez quel propos il tient !

        En vîtes-vous onc de sa sorte ?

                        LE  VOÉSIN

        Ma commère, vous estes sote :

55    Fault-il pas voir ains que pourvoir21 ?

        Alons un peu à luy sçavoir

        Quel estat22 c’est qu’i veult tenir.

        Un jour, il poura parvenyr

        À bien grande perfection.

                        LA  FEMME

60    Hélas, j’avoys intention

        De luy faire métier aprendre.

                        LE  VOÉSIN

        Il est encor[e] jeune et tendre

        Pour luy metre, sy vous voulez.

                        [LA  FEMME] 23

        Beaucoup de gens pensent voler

65    Devant24 qu’il ayent aulcune(s) plume(s).

                        [LE  VOÉSIN]

        Que voulez-vous : c’est la coustume

        Des jeunes gens de maintenant.

                        [LE  FILZ]

        Lors qu’Absalon25 estoyt la main tenant

        Contre David (son père géniteur),

70    Par le vouloir du divin Créateur

        [Sans cordelle ny corde il fust pendu]26,

        Signyfiant que nul, de sa vertu27,

        Ne doibt voler devant qu’il ayt des elles28.

                        LE  VOÉSIN

        [ Ne scays-tu poinct d’aultres nouvelles ?29

                        LA  FEMME

75    À tous les coups son sot sens erre.30 ]

        Ph[i]lipin, voécy mon compère

        Qui te veult dire un mot segret31.

                        LE  FILZ

        Quant Pharaon, par un despit aygret32,

        Fist assembler son ost et [son hostel]33

80    Pour courir sus aulx enfans d’Israël,

        N’estoit-ce34 pas contre Dieu faict ofence ?

        Lors, le Seigneur, par sa digne clémence,

        Feist eschaper les Ébreulx sans danger.

        Et Pharaon et toute sa puissance

85    Au fons de l’eaue furent tous submergés.

                        LA  FEMME

        Tu nous faictz bien icy songer !

        Respons-nous un mot à propos.

                        LE  FILZ,  en chantant :

        Combien les pos ? Combien les pos ? 35

        Deulx liars ? C’est trop.

90    Dancez « les Amourètes » :

        Tel les a qui ne les dance mye,

        Tel les a qui ne les dance pas.

                        LA  FEMME

        [Nulle chose ne respondras]36 ?

                        LE  FILZ

        Ma foy, je ne vous voy[oi]es pas,

95    Ma mère : pardonnez-le-moy.

                        LE  VOÉSIN

        Vien çà, orphelin ! Parle à moy :

        Tu es jà grand et bien taillé ;

        Y convyent que tu soys baillé

        À quelque maistre pour aprendre.

                        LE  FILZ

100  Hen ?

                        LE  VOÉSIN

                    Il convyent que tu soys baillé.

                        LE  FILZ

        A,  il convyent que je soys taillé37 ??

                        LE  VOÉSIN

        Nennyn non !

                        LE  FILZ

                                Faictes-moy donq entendre.

        Je l’avoys ainsy entendu.

                        LA  FEMME

        Tu es tant sot et tant testu

105  Qu’on [n’]entent riens à ton afaire.

                        LE  FILZ

        Tousjours n’est pas temps de se taire.

        Aulcunefoys, fault paroller.

                        LA  FEMME

        Tu ne faictz que crier et braire,

        Et ne sçays de quoy te mesler.

                        LE  FILZ

110  On aura bien à desmeller

        Devant qu’i soyt long temps d’icy38

        Par sainct Jehan ! vous avez vécy39 :

        Qu’esse donc icy que je sens ?

                        LE  VOÉSIN

        Il est encor plus hors du sens,

115  Qui40 prend garde à tout son langage.

                        LE  FILZ

        Salomon, qui fust le plus sage

        De tous les roys, et le plus fin,

        Toutefoys, par mauvais usaige,

        Y fust ydolastre41 à la fin.

                        LA  FEMME

120  Or çà ! que dictes-vous, voésin ?

        Y trouvez-vous ny boult ny ryve42 ?

                        LE  FILZ

        Ceulx de la cité de Nynyve

        Pour43 leurs maulx firent pénytence.

        Qui fist cela ? La remonstrance

125  Que leur fist Jonas le Prophète.

        Combien fauldroict-il de prophètes

        À prescher maintenant le monde ?

        N’esse pas chose bien immunde

        Qu’i faille que le propre père

130  Pourchasse à son filz vitupère44 ?

        Vous le voyez de jour en aultre.

                        LE  VOÉSIN

        Mais laissons cela, parlons d’aultre,

        Orphelin : vous estes troublé.

                        LE  FILZ

        Pleust à Dieu que l’on eust criblé45

135  Le bon grain d’avèques la paille !

                        LA  FEMME

        Nous ne gaignons pas une maille46

        De plus luy cryer à l’horeille.

                        LE  FILZ

        Je suys encor à ma bouteille :

        Mais quant g’y pence, c’est la chose

140  La plus subtillement enclose

        (Sur ma foy) que je vis jamais !

                        LE  VOÉSIN

        Vous dictes vray, orphelin ; mais

        Tout cela ne nous sert de guère.

                        LE  FILZ,  chantant :

        Fauchez, fénez la feugère 47 :

145  S’el est verte, el revyendra 48.

        Vous vouérez un temps qui viendra

        Changer ce49 temps en maincte guise.

                        LE  VOÉSIN

        Faisons-en un homme d’Église :

        Je n’y trouves aultre moyen.

                        LA  FEMME

150  Hélas, compère, y ne sçayt rien :

        Ce ne seroyt que vitupère50.

                        LE  VOÉSIN

        O ! ne vous chaille, ma commère :

        Il en est bien d’aultres que luy

        Qui ne sayvent ny fa ny my 51.

155  Mais qu’il sache son livre lyre52

        Et qu’il puisse sa messe dyre,

        C’est le plus fort de la matyère.

                        LA  FEMME

        Je vous prye donc, mon compère :

        Faictes-en vostre intention.

                        LE  FILZ

160  Cil53 qui trouva l’invention

        De la faire par là passer54,

        Ce ne fust pas sans y penser

        (Le deable m’enport) longue pose55 !

                        LA  FEMME,  plorant.

        Sa povre teste ne repose

165  Non plus que faict l’eau de la mer.

        Ne me doibt cela estre amer,

        De le veoir ainsy assoté56 ?

                        LE  VOÉSIN

        Vous en dictes la vérité ;

        Mais c’est jeunesse qui se passe.

                        LE  FILZ

170  « Assez va qui fortune passe57 »,

        Ce dict-on en commun langaige.

        Thobye escheva58 ce passaige

        Quant [Dieu, par grâce, l’eut]59 conduict

        Vers Raphaël60 (comme il est dict)

175  Pour avoir la61 fille à espouse.

        Toute personne qui dispouse

        De tout son cœur et son entente

        À aymer Dieu, a ! je me vante

        Qu’il viendra à chef de ses fins62.

180  Pensez-vous qu’il est des gens fins63

        Qui [n’observent pas ce]64 grand cas ?

                        LA  FEMME

        Voécy bien un merveilleux cas !

        Il ne respont à nulle chose

        Que nul de nous deulx luy oppose65.

185  Je ne sçay, moy, que c’est66 à faire.

        Entens un peu à mon compère,

        Et faictz tout ce qu’il te conseille !67

                        LE  FILZ

        Alez tout beau, pour ma bouteille !

        À peu68 que ne l’avez cassée.

                        LA  FEMME

190  J’ey la teste sy très lassée

        Que je ne sçay que devenyr.

        Quel estat veulx-tu maintenyr ?

        Il est de le sçavoir mestier69.

                        LE  VOÉSIN

        Sy tu veulx estre de mestier70,

195  Il est saison71 que tu t’avise.

                        LE  FILZ

        Y me fault estre gens d’Église :

        Ce me semble un mestier notable.

                        LE  VOÉSIN

        La chose est toute véritable.

        Mais il fauldroict

                        LE  FILZ

                                      Et quoy ?

                        LE  VOÉSIN

200  Mais72 fauldroict estre cléricus.

                        LE  FILZ

        Je sçay bien mon Avé salus 73,

        Mon Imanus 74, mon Déo75 pars.

        J’en sçay (par Dieu) plus des troys pars76

        Que ne faisoyt maistre Morelles77.

205  Quoy,  je remue bien les escuelles78 ;

        Et sy, say bien les poys eslyre79.

        J’escriptz bien (sy je savoys lyre).

        Je faictz res[s]us[c]iter les mors.

        Tel que je suys, je chye dehors,

210  Puys à la maison voys80 menger.

        Et sy81, aussy bien sçay garder

        Comme [vous-]mesmes les ouésons82.

                        LE  VOÉSIN

        Voy(e)là les plus sotes raisons

        Qu(e) homme pouroyt veoir ne congnoistre !

                        LA  FEMME

215  Regardez : y veult estre prestre,

        Et ne sçayt rien qui soyt, beau syre.

                        Le filz ridet 83 modicum longe.

                        LA  FEMME

        Qu’as-tu ?

                        LE  FILZ

                             Je me suys prins à rire

        Quant j’ey oÿ vostre parolle.

                        LA  FEMME

        Pourquoy cela ?

                        LE  FILZ

                                     Vous estes folle

220  De présumer sy peu de sens

        En moy, veu que [plus de] cinq cens

        Sont aujourd’uy parmy le monde,

        En qui84 tant de richesse abonde

        Du revenu de la coquille85 ;

225  Et toutefoys, il n’y a drille86

        De sçavoir en eulx, somme toute.

                        LE  VOÉSIN

        Qu[oy !] il n’y a poinct…

                        LE  FILZ

                                                Grain ny goute !

        C’est un cas87 tout acerténé.

                        LE  VOÉSIN

        Vous me rendez bien estonné88.

230  Comme se pouroyt cela faire ?

                        LE  FILZ

        Par le moyen d’un beau vicaire89

        Qui prendra le soing et la cure90

        Du bénéfice91 ou de la cure.

        Voylà comme c’est qu’on en use.

                        LE  VOÉSIN

235  Voyre. Mais le curé s’abuse

        De recepvoir le revenu,

        Sy par luy n’est entretenu

        Le divin service ordinaire.

                        LE  FILZ

        De quoy servyroit le vicaire

240  Qu’il auroyt commys en son lieu92 ?

                        LE  VOÉSIN

        Yl prennent donc le bien de Dieu

        Sans en faire [nul] droict quelconques.

                        LE  FILZ

        Et ! comme l’entendez-vous donques ?

        On n’est jamais prins qu’en prenant.

245  Mais autant curés que servant93

        Y fauldra, du94 tout, satiffaire.

        Nous avons eu beaucoup à faire,

        Puys95 la mort de nostre nourisse.

                        LE  VOÉSIN

        Qui estoyt-el ?

                        LE  FILZ

                                  [C’estoyt] Police96.

250  Y n’en fust onq[ues] de la sorte.

                        LE  VOÉSIN

        Police ?

                        LE  FILZ

                        Ma foy, elle est morte :

        Il n’est plus de Police au monde.

                        LE  VOÉSIN

        O ! la meilleure de ce monde,

        Av’ous97 ceste ville laissée ?

                        LE  FILZ

255  C’en est faict :98 elle est trespassée,

        Il est certain, je vous assure.

                        LE  VOÉSIN

        C’est une piteuse avanture,

        D’avoir laissé mourir Police.

        [Et] qui en est cause ?

                        LE  FILZ

                                            Avarice99,

260  Qui, par son art et sa malice,

        L’a abatue et consommée100.

        Et sy de brief el n’est sommée

        De vyder101 hors de ces quartiers,

        Il ne demeurera le tiers

265  Du monde que tout ne consomme102.

                        LE  VOÉSIN

        C’est donq bien [à] droict103 qu’on la somme

        De vyder hors : il est propice104.

                        LE  FILZ

        [Hélas,] qui le fera ?

                        LE  VOÉSIN

                                           Justice ;

        Il n’en fault poinct avoir de doubte.

                        LE  FILZ

270  Justice ?

                        LE  VOÉSIN

                      Voy(e)re.

                        LE  FILZ

                                     El(le) ne voyt goute105.

        Je faictz doubte qu’el(le) ne varye106.

        Celuy ou celle qui charye107

        Soublz la conduicte de la nuyct,

        Bien souvent, aucun cas108 luy nuyct,

275  Qui le faict en bas trébucher.

        Mais celuy qui veult chevaucher

        Par voyes109, champaigne et brierre,

        Ensuyve tousjours la lumyère

        Du jour, afin qu’i ne forvoye110.     Il chante :

280  Las ! je ne puys aler la voye 111

        Pour rencontrer le myen amy.

        Las ! je ne puys aler la voye.

        Et sy, ne puys parler à luy.

        Cestuy-là qui n’entre par l’huys

285  En l’estable de la bergerye 112,

        Il y a quelque cas 113 en luy,

        Puysqu’il ne veult entrer par l’uys.

        De belle nuyct, il [faict saillie] 114

        Par-dessus la massonnerye 115,

290  Et ne veult pas entrer par l’uys

        En l’estable de la bergerye.

                        LA  FEMME 116

        Y revyent à sa rêverye :

        Voécy bien chose nonpareille !

                        LE  FILZ

        Par Dieu, ma mère, la bouteille117

295  Ne fust jamais mal inventée :

        Esse rien de l’avoir boutée

        Là-dedens ainsy bien apoinct ?

                        LE  VOÉSIN

        Sy est, car el(le) ne branle poinct :

        Y n’est, au monde, rien plus ferme.

                        LE  FILZ

300  Elle ne branle grain ne lerme118 ;

        Il semble qu’el soyt chymentée119.

        Sy la Foy fust ainsy artée120

        En l’esprist de toute personne,

        La Foy seroyt [et] juste et bonne ;

305  On n’yroict poinct à reculons.

                        LE  VOÉSIN

        Que voulez-vous ? Sont « papillons121 »

        Qui ont sentu le renouveau122.

                        LE  FILZ

        Tout cest enseignement nouveau

        Ne nous profite123 de deulx melles.

310  De quoy servent tant de libelles

        — Tant en françoys comme en latin —

        Disant124 qu’on chante trop matin ?

        On dict que ce n’est pas bon signe.

                        LE  VOÉSIN

        Je prens congé de vous, voésine.

.

315  Seigneurs, pour la conclusion,

        Servons Celuy qui tous domyne

        De toute nostre affection.

        Fuyons nouvelle invention,

        Qui est dangereuse et perverse :

320  Ce n’est que toute abusion125.

        Atendez, vous aurez la Farce.

.

                                   FINIS

*

1 Sur l’utilisation du théâtre dans les polémiques religieuses, voir la notice des Povres deables.   2 LV ajoute : ou iiii  (Au-dessus de la ligne, il ajoute : ou a v)   3 C’est le fils de la Mère, et peut-être celui du Voisin, qui s’occupe de lui paternellement. Son rôle est tenu par un Badin : les Badins, de par leur proximité avec les fous, peuvent distiller quelques vérités que les acteurs ordinaires ne pourraient pas dire. Voir la définition de lui-même que donne le Badin des Sobres Sotz. LV ajoute : et la bergere   4 Beaucoup de farces commencent par le 1er vers d’une chanson à la mode qui rime avec le 1er vers de la pièce : les Mal contentes, Colin qui loue et despite Dieu, le Dyalogue pour jeunes enfans, etc. Notre copiste n’a pas gardé la chanson initiale, qui ne devait plus être à la mode quand il officiait (~ 1575). Pour que le 1er vers ne reste pas orphelin, j’en ai pioché une dans le recueil de Brian Jeffery, Chanson verse of the early Renaissance, t. II, p. 259.   5 Que les autres femmes sont heureuses !   6 Qu’il est impossible que je ne perde pas la vie.   7 Avec.   8 De vous raconter une chose.   9 Mit cette bouteille dans cette éclisse. Pour protéger les bouteilles de bon vin, on tressait tout autour un treillis en osier : « Une bouteille clissée pleine de vin breton. » (Tiers Livre, 45.) Le Fils — qui, comme tous les Badins, comprend tout à l’envers — croit qu’on a introduit la bouteille dans une éclisse déjà faite. Le « vaisseau » désigne, comme au vers 26, une bouteille en terre cuite : « Flacons, potz et vaisseaulx. » (Les Sotz escornéz.) Les amateurs d’anachronismes ont vu dans ce vaisseau une maquette de bateau.   10 Le goulot de l’éclisse.   11 Si la bouteille n’était pas en terre cuite mais en verre, un fondeur de verre aurait pu la souffler à l’intérieur de l’éclisse.   12 Te préoccuper.   13 Deux marches d’escalier. « Les passes à degré de pierre. » ATILF.   14 Un silence.   15 Je ne sais pas ce qui se passe. Même vers dans Frère Frappart, dans le Prince et les deux Sotz, etc.   16 On ignore la profession du Voisin ; mais s’il est qualifié de Maître, il ne garde pas des oies, contrairement à ce qu’insinue le vers 212. Le fait qu’il entre sans frapper chez une veuve laisse croire qu’il est son amant.   17 Le bienvenu.   18 Je vous l’affirme.   19 Vers manquant. J’emprunte le vers 125 de la Confession du Brigant.   20 Les Normands prononçaient « avaines », d’où l’homophonie approximative sur « peines ».   21 LV : scauoir  (à la rime.)  Avant de prendre les mesures nécessaires.   22 Quelle profession. Idem vers 192.   23 LV : le filz   24 Avant.   25 Il entra en guerre contre son père, le roi David. Le théâtre use souvent du décasyllabe dans ses emprunts aux légendes bibliques ou mythologiques, et dans les envolées prophétiques.   26 LV : y fust pendu sans cordes ny cordelles  (Sa longue chevelure s’accrocha aux branches d’un arbre, et les soldats du roi le tuèrent. « Ou aux cheveulx, comme Absalon, pendus. » Villon.)   27 De son propre chef.   28 Avant d’avoir des ailes. « Qui cuydent sans elles voller. » Le Clerc qui fut refusé.   29 Vers manquant. N’as-tu rien de plus intéressant à nous dire ? « –Sces-tu rien ? –Comme quoy ? –Nouvelles./ –Se l’en povoit voller sans elles. » Les Vigilles Triboullet.   30 Vers manquant. J’emprunte le vers 471 de l’Arbalestre.   31 En secret, en particulier.   32 Un peu aigre. Ce roi d’Égypte poursuivit les Hébreux jusqu’à la mer Rouge, qui s’ouvrit pour les laisser passer : l’Éternel, se prenant pour le dieu Éole, avait soufflé du vent pour écarter les flots.   33 LV : sa puissance  (Son armée et sa Cour. « Des plus grans de son hostel et de ceulx de son privé conseil. » E. de Monstrelet.)   34 LV : netoise   35 Cette chanson inconnue rappelle la scène du marchandage des pots dans Cautelleux, Barat et le Villain, vers 200-4.   36 LV : respondras tu aucune chouze  (Voir le vers 183.)   37 Châtré. Les acteurs rajoutaient des vers dans les passages comiques, quitte à les rendre moins drôles.   38 Avant longtemps, nous aurons bien des choses à clarifier. Cette menace vise peut-être la conduite de la Mère par rapport au Voisin.   39 Vessé, pété. Ce reproche injuste est fait aux personnes qu’on veut faire taire : cf. Jéninot qui fist un roy de son chat, vers 69.   40 Si l’on. Ou bien : Celui qui.   41 Influencé par les croyances de ses épouses étrangères, il passa pour idolâtre. « Folles amours font les gens bestes :/ Salmon en ydolâtria. » Villon.   42 Y trouvez-vous quelque chose à quoi vous raccrocher ?   43 LV : et  (Ses habitants avaient fait aux juifs de nombreux maux ; le prophète Jonas les contraignit à s’en repentir.)   44 Qu’un père devenu protestant cherche à outrager son fils resté catholique. Ces drames familiaux trouveront leur apogée dans l’affaire Calas. Bien sûr, le fanatisme était aussi virulent du côté des pères catholiques dont le fils devenait luthérien.   45 Qu’on ait séparé à l’aide d’un crible le bon grain catholique de l’ivraie protestante.   46 Un sou. « Tu n’y gaignes pas une maille. » Les Frans-archiers qui vont à Naples.   47 Coupez et séchez la fougère. Chanson inconnue.   48 Elle reprendra si on la plante.   49 LV : le  (Changer le temps présent de plusieurs manières.)   50 Honte, cause de reproches. Idem vers 130.   51 Qui ne savent rien. « Je n’y entens ne fa, ne my. » Raoullet Ployart, et le Mince de quaire.   52 Pour peu qu’il sache lire son bréviaire.   53 Celui. Le fils contemple à nouveau sa bouteille.   54 De faire passer la bouteille par l’ouverture étroite de l’éclisse.   55 Longue pause : longtemps. Cf. l’Aveugle et Saudret, vers 828.   56 LV : asoty   57 Celui qui échappe à une tempête. « Souspris d’une fortunne/ En laquelle il ne peut passer. » (ATILF.) Ce proverbe bien connu possède une variante qui l’est moins : « Assez fait qui fortune passe, & plus encor qui putain chasse. » (Cotgrave.)   58 LV : acheua  (« Eschever » est la forme normande d’« esquiver » : cf. le Ribault marié, vers 535.)  Tobie esquiva cette chausse-trape. Dieu lui envoya l’archange Raphaël pour l’empêcher de posséder sa future épouse tant qu’elle était possédée par le démon. Cf. le Sermon pour une nopce, vers 143-5.   59 LV : zacarye le  (Le scribe n’a rien compris à cette histoire.)   60 LV : laquelle  (« Que Raphaël fist à Thobye/ Une grant bénédiction. » L’Ordre de mariage et de prebstrise, F 31.)   61 LV : sa  (« Quant est de la fille espouser. » Pour le Cry de la Bazoche.)   62 Qu’il viendra à bout de ses intentions.   63 Retors : des huguenots.   64 LV : ne seruent pas de  (Qui ne suivent pas cette règle capitale.)   65 LV : imposse  (Lui objecte.)   66 Ce qu’il y a.   67 La Mère secoue son fils, qui manque de lâcher sa bouteille.   68 Il s’en faut de peu.   69 Besoin.   70 Les gens de métier sont les artisans.   71 Il est temps.   72 LV : y  (Voir le vers d’acteur qui précède.)  Mais il faudrait être clerc, c’est-à-dire apprendre le latin.   73 « Avé salus ! Dominus pars ! » Les Trois amoureux de la croix.   74 In manus. Le clerc inculte d’Un qui se fait examiner pour estre prebstre commet la même faute : « Je sçay bien mon Rétributor,/ Mon Imanus. »   75 Nouvelle faute pour Dominus : « Ne diront-y Domynus pars ? » La Réformeresse.   76 Je sais trois quarts de choses en plus.   77 L’ancien curé. Est-ce un nom réel ?   78 Je suis un gros mangeur.   79 LV : esluyre  (Et aussi, je sais bien trier les pois. « Ce sont de mestres poys…. / Y n’y a qu’eslire. » L’Homme à mes pois.)   80 Je vais.   81 Et aussi, et même. Idem vers 206 et 283.   82 Garder les oies n’exige aucun génie particulier, comme en témoigne le clerc stupide d’Un qui se fait examiner pour estre prebstre.   83 LV : redet  (Le fils rit, non loin.)   84 Auxquels.   85 Ils vendent des pèlerinages, comme le curé du Pèlerinage de Saincte-Caquette. La coquille Saint-Jacques est l’emblème des pèlerins.   86 Ce mot normand, qui désigne une tranche de pain, est souvent minoratif : Il n’y a pas une miette. « Drille ne gagnay de cest an. » Saoul-d’ouvrer et Maudollé.   87 LV : gras  (C’est une chose certaine.)   88 Cet étonnement n’est là que pour donner la réplique au Badin : le Voisin a lui-même pourfendu l’ignorance des prêtres aux vers 148-157.   89 Ce suppléant du curé pouvait dire la messe en l’absence du titulaire de la cure. Les curés qui avaient obtenu plusieurs cures afin d’encaisser plusieurs bénéfices ne visitaient pas souvent leurs églises.   90 La responsabilité.   91 Du bénéfice ecclésiastique : abbaye, cure, etc. Voir les Sotz ecclésiasticques qui jouent leurs bénéfices au content.   92 À sa place.   93 LV : preuant  (Que le desservant : celui qui assure le service divin.)   94 LV : de  (Il faudra totalement défrayer.)   95 Depuis.   96 L’ordre que fait régner une bonne administration.   97 Contraction normande de « avez-vous ».   98 LV ajoute dessous une réplique du Voisin : pour tout vray   99 Cupidité. Encore un personnage de moralité : cf. Moral de Tout-le-Monde, vers 31.   100 Consumée, détruite. Idem vers 265.   101 De vider les lieux, de partir. Idem vers 267.   102 Sans qu’elle ne le détruise tout.   103 À juste raison.   104 C’est de circonstance.   105 La Justice a les yeux bandés.   106 Je redoute qu’elle ne tergiverse.   107 Qui conduit une charrette.   108 Quelque chose. Les rues, n’étant pas éclairées, dissimulent des trous et des obstacles.   109 LV : voyee  (« Voi-e » compte pour 2 syllabes.)  Par les voies, les plaines et les terres en friches.   110 LV : foruoyee  (Je corrige aussi la rime voyee aux vers 280 et 282.)  Afin qu’il ne se fourvoie pas.   111 Aller mon chemin. Cette chanson de bergère — un genre très prisé des citadins — a fait croire au copiste que la distribution s’était enrichie d’un personnage de bergère.   112 « Nous édifierons icy des estables de bergerie pour noz troppeaux. » Bible de 1535.   113 Il y a un problème.   114 LV : va saillir  (En pleine nuit, il en sort.)   115 En sautant par-dessus le mur.   116 Elle n’est pas intervenue dans les 72 vers de la conversation « sérieuse » entre les deux hommes.   117 LV : boutaille  (La rime est en -eille, comme aux vers 137 et 187.)   118 Ni grain, ni larme : pas du tout. C’est l’équivalent du « ni grain, ni goutte » du vers 227.   119 Cimentée (prononciation normande).   120 Arrêtée, fixée. Syncope normande ; cf. l’Homme à mes pois, vers 335.   121 Des papistes. Cf. le Jeu du Prince des Sotz, vers 539 et note.   122 Qui ont senti un vent de Réforme.   123 LV : profitent  (Ne nous profite pas plus que deux nèfles.)   124 LV : depuys  (Les protestants reprochent aux moines, qui se lèvent aux aurores pour chanter les matines, de réveiller « tout leur voisinage à force de trinqueballer leurs cloches », comme le dit Rabelais.)   125 Tromperie. Ce vers apparaît notamment dans la Ballade des seigneurs du temps jadis, de Villon.

LES MAL CONTENTES

Ms. La Vallière

Ms. La Vallière

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LES  MAL

CONTENTES

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De ce débat normand, nous ne possédons plus qu’un manuscrit copié vers 1575 ; mais il y en avait eu avant 1515 une édition rouennaise, nommée au vers 188 du Vendeur de livres.

Source : Manuscrit La Vallière, nº 61.

Structure : Rimes mêlées, avec 10 groupes de quatrains à refrain et 6 groupes de sixains à refrain. Signalons au titre de bizarrerie une rotrouenge écartelée (vers 242-281).

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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Farce joyeuse

À quatre personnages, c’est assavoir :

       LA  JEUNE  FILLE

       LA  MARYÉE

       LA  FEMME  VEFVE

       et  LA  RELIGIEUSE

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       Et sont  LES  MAL  CONTENTES

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                        LA  JEUNE  FILLE  commence en chantant    SCÈNE  I

        Las ! quant serai-ge maryée ? 1

.

        Dieu m’y veuille réconforter,

        Et de tous mes2 maulx aléger !

        Je croys que mal3 suys fortunée.

5      Et afin que chascun congnoisse

        Pourquoy je faictz chans douloureulx,

        Je suys en la fleur de jeunesse

        Et sy4, je n’ay poinct d’amoureulx.

        J’ey bien des ans quinze5 ou quatorze,

10    Ou plus ; c’est le poinct d’arager6 !

        Et les tétins plus blans que roze

        Pour y toucher sans grand danger7.

        Ne suys-je pas bien mal menée,

        Que ne puys amy rencontrer ?

15    Et sy, sçay mon gent corps monstrer

        Myeulx que personne qui soyt née8.

        Mais voélà : c’est ma destinée,

        C’est le train, c’est la pénitence

        Que je doy souffrir en enfance.

20    Je ne sçay sy mon impotance9

        Ressemble à la vielle arbalestre10,

        Mais on m’a sellé ma quictance11 ;

        Au moins, j’en porte belle lestre12 !

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                        LA  MARIÉE  entre.                                SCÈNE  II

        Qu’esse-là ? Où cuydez-vous estre ?

25    Mygnonne, d’où vient ce brocart13 ?

        Y sauroyt14-on remède mectre,

        S’on se15 rencontroict à l’écart ?

        Esse poinct quelque sot quocart,

        Oultrecuidé16, jeune mygnon ?

                        LA  JEUNE

30    Par mon âme, moquin mocart17 !

        Je ne congnoys s’on m’ayme ou non.

        L’une foys vient un compaignon

        Qui dict qu’il est mon assoté18.

        L’aultre se tient soublz un pignon19,

35    Qui me regarde de costé20.

        Après, vient un vilain botté21 :

        Voulentiers feroit son plaisir.

        L’aultre foys, un mal raboté22,

        Des héritiers Jehan de Loisir23.

                        LA  MARIÉE

40    Vous avez donques beau choisir24,

        Puysqu’on vous presse jours et nuictz.

                        LA  JEUNE

        Y n’est poinct plus grand desplaisir

        Que tant de truans à un huys25.

        L’un me dict : « Hélas ! je ne puys

45    Vous compter au long mes clamours. »

        L’autre se souhaicte en un puys

        S’y ne joïst de ses amours26.

                        LA  MARYÉE

        Et bien ? Ce ne sont pas des27 tours

        Pour jouyr d’amours bien apoinct,

50    À dames de plaisans atours ?

                        LA  JEUNE

        Encor[e] n’y estes-vous poinct.

                        LA  MARIÉE

        Pourquoy ?

                        LA  JEUNE

                              Vous ne venez au poinct

        Où je prétens planter ma bourne28.

                        LA  MARIÉE

        Comme quoy29 ?

                        LA  JEUNE

                                      Qu’on lesse en ce poinct

55    Fresche desrée30 quant elle est bonne !

        Se l’un y mect31 et l’autre donne

        Pour bien venir à son entente32

        En désirant qu’on s’abandonne33,

        Ce34 n’est poinct où j’ey mon entente.

                        LA  MARIÉE

60    Vous estes donques mal contente ?

                        LA  JEUNE

        Se ne suys mon35 qu’on ne vient au poinct

        Une foys. Trop mal me contente

        D’amours, car jouy n’en ay poinct.

                        LA  MARIÉE

        Est-il vray ?

                        LA  JEUNE

                               C’est le contrepoinct

65    De quoy j’en suys désanuyée36

        Quant la douleur d’amours m’espoinct :

                        (En chantant.)

        Ne serai-ge poinct mariée ?

                        LA  MARIÉE

        A ! fille folle, desvoyée !

        Souhaitez-vous avoir mary ?

70    S’une foys y estes lyée,

        Vous en aurez le cœur mar[r]y.

        Pleust à Dieu et à sainct Mary

        …………………………… 37

        Dont chantent les cocus38 au boys.

        Que le myen vous eust, aulx aboys39,

75    Un jour, [à cœur de fiancer]40,

        Et [des coups eussiez]41 .XX. et troys.

        Et [ce fust]42 à recommencer.

                        LA  JEUNE

        Et ! comment ? Vous l’aymez sy cher43 ?

        Est desjà l’amour recullée ?

                        LA  MARIÉE

80    Je n’ay besoing d’ouÿr prescher :

        Souvent je suys capitulée44,

        Sy je voys tiltre ma télée45

        Sans mener varlet ou méquine46.

        Au retour me rompra l’échine.

                        LA  JEUNE

85    Est-il vray ?

                        LA  MARIÉE

                             Tousjours il rechine47

        Se je requiers cote ou corset.

        Nul ne congnoist quel descord c’est48.

        Il tient à chime et à racine49.

                        LA  JEUNE

        Est-il vray ?

                        LA  MARIÉE

                                Tousjours y rechigne.

90    Sy je demande estre gorierre50,

        Souflez51 ! Il tend le cul arierre52,

        Et le terme à deulx ans m’assigne.

                        LA  JEUNE

        Est-il vray ?

                        LA  MARIÉE

                              Tousjours y rechine.

                        LA  JEUNE

        Et quant y voyt la queue troussée53,

95    Large, espanye, damassée54,

        Et les beaulx pongnés55 de velou(r)s :

        Que dict-il ?

                        LA  MARIÉE

                               Il en est jaloux56.

                        LA  JEUNE

        Les chaînes tant bien avenantes,

        Et ces cordelières57 trainnantes

100  Un pié au-dessoublz des genoulx :

        Qu’en dict-il ?

                        LA  MARIÉE

                                  Il en est jaloux.

                        LA  JEUNE

        Aussy, quant il voyt ces signés58,

        Ces dyamans, ces moulinés59

        Esmaillés dessus et dessoublz :

105  Qu’en dict-il ?

                        LA  MARIÉE

                                  Il en est jaloux.

        Et m’en fault fuÿr tous les coups,

        S’y se monte à son vercoquin60.

                        LA  JEUNE

        C’est donques quelque viel taquin61

        Qui ne peult plus ses rains traŷner ?

                        LA  MARIÉE

110  C’est un droict amyrabaquin62,

        À luy veoir ses mos desruner63.

        Il me voulsit faire aruner64

        À son plaisir, et je ne daigne65.

                        LA  JEUNE

        Vous le voulsissiez gouverner66 ?

115  Je vous entens bien, ma compaigne :

        La chose trop67 plus vous engaigne.

                        LA  MARIÉE

        Pleust à Dieu qu’i fust à Coquengne68,

        En Lombardye ou en Espaigne !

        Tant que je l’alasse quérir,

120  L’ort vilain y deust conquérir

        Et gaigner pavyllons et tentes69.

                        LA  JEUNE

        Je voy bien, sans plus e[n]quérir,

        Que nous sommes des mal contentes.

.

                        LA  VEFVE 70  entre.                               SCÈNE  III

        Comment, mes belles filles gentes !

125  De quel lieu viennent ces complainctes,

        Vos regrés et piteuses plainctes ?

        Dictes-moy dont ce conseil sourt71.

                        LA  MARIÉE

        Par ma foy ! c’est conseil à sourt72.

        Le tiers73 y peult bien davantage.

                        LA  JEUNE

130  Voyez-vous bien ce bel ymage74,

        Ce corps traitif75, ces rains toufus ?

        Un chascun me deust faire hommage ;

        Le moindre76 faict, de moy, refus.

                        LA  MARIÉE

        Jamais sy empoinct je ne fus,

135  Ne sy friande à l’esperon77 ;

        Mais mon courage est tout confus,

        Quant je regarde mon baron78.

                        LA  JEUNE

        Y n’y a sy villain huron79,

        Sy lourdault ne sy vilagoys

140  — N’eust-il ne maison, ne buron80

        Qu’i me responde en ambagoys81.

                        LA  MARY[É]E

        Bref ! je feroye le feu grégoys82

        Et [je porteroys]83 le velou(r)s

        Autant que femme de bourgoys,

145  Sy mon mary [n’]estoyt jaloux.

                        LA  VEFVE

        Comment ! Je m’esbaÿs de vous,

        Ma jeune dame maryée :

        Vous estes mal aparellée84

        Avec ceste jeune mygnonne.

                        LA  MARIÉE

150  Plust à Dieu que je fusse nonne,

        Et je n’usse mary ne maistre !

                        LA  JEUNE

        Mais pleust à Marye la bonne

        Qu’il ne tensît qu’à la main mectre85,

        Et je fusse devant le prestre

155  Pour donner le consentement.

        Sy meschant ne pouroyt-il estre86

        Qu’i n’eust mon acord promptement.

                        LA  VEFVE

        Vous acordez bien durement87 :

        L’une veult son mary blasmer,

160  Et l’aultre meurt entièrement

        Qu’el88 ne trouve qui veult [l’]aymer.

                        LA  MARIÉE

        Que le myen fust gecté en la mer !

                        LA  JEUNE

        Et pleust à Dieu que j’en eusse un !

        Y seroyt bien dur à aymer,

165  Sy ne le mectoye bien à run89.

                        LA  VEFVE

        C’est un proverbe bien commun :

        Deuil de vielle90 n’est pas uny.

        L’un veult du blanc, l’aultre du brun.

        L’une dict « ouy », l’aultre « nenny91 ».

170  L’une souhaicte son mary

        Fringant, joyeulx et esbatant,

        Et l’autre a le cœur fort mar[r]y

        Que son mary luy dure tant.

                        LA  MARIÉE

        Par ma foy, c’est parlé contant92 !

                        LA  VEFVE

175  Hélas ! et j’avoys le meilleur,

        Et l’homme le plus travailleur,

        Bon preudhomme [le jour, vaillant]93

        [De nuict]. Hélas, y m’aymoyt tant !

        Et  quant il se trouvoyt à l’ouvrage94,

180  C’estoyt tout cœur et tout courage.

        Mauldicte puisse estre la Mort !95

                        LA  JEUNE

        Qu’avez-vous ?

                        LA  VEFVE

                                  Hélas ! il est mort.

        Pensez-vous, quant je m’en aloye

        À l’esbat là où je vouloye

185  Cheux mes antes96 ou [cheux] mes nyèces,

        Mais  que je raportasses mes pièces97

        Au soir ? [C’eust esté]98 le plus fort !

                        LA  JEUNE

        Qu’avez-vous ?

                        LA  VEFVE

                                   Hélas ! il est mort.

        Le regret m’en faict le cœur fendre.

                        LA  MARIÉE

190  Taisez-vous, nous ferons plus fort :

        Se voulez à moy condécendre99,

        Y nous le fault bruller en cendre,

        Afin qu’en ayons de l’engendre100.

                        LA  VEFVE

        A ! fille, qu’on te puisse pendre !

195  Tu dis cela pour [la revendre]101.

                        LA  MARYÉE

        Et moy, [ne m’oseroys]102 deffendre ?

               Suys-je d’un tel lieu103 venue,

               Pour estre ainsy court tenue

               De soir et de matin ?

200         Par Dieu qui fist la nue104 !

               J’en auray une venue105.

                        LA  VEFVE

            Elle entend bien son latin106.

                        LA  MARIÉE

               Je ne suys pas sy grue107,

               Sy je rencontre en la rue

205         Quelque beau palatin108,

               Que je ne le salue

               Ou que l’œuil ne luy rue109.

                        LA  JEUNE

           Elle entent bien son latin.

                        LA  MARIÉE

               Puysque je m’évertue,

210         Je seray revestue

               De cote de satin

               Et de robe tyssue ;

               Puys, s’il a deuil, sy sue110 !

                        LA  VEFVE

           Elle entent bien son latin.

                        LA  MARIÉE

215         Que sert oyseau en mue111 ?

               Y fault qu’on se remue

               Pour monstrer ce tétin,

               Ceste face tendue112

               Et facunde113 entendue.

                        LA  JEUNE

220     Elle entent bien son latin.

        Je voy bien à son advertin114

        Qu’el ne vient pas à son entente.

                        LA  MARIÉE

        Je voue à Dieu et sainct Martin

        Sy jamais fus[t] plus mal contente !

225  Et, afin que je vous contente,

        J’ey espousé le plus rongneux115,

        Le plus ort [et] le plus rafleux116

        Qui soyt d’icy à Pampelune.

                        LA  JEUNE

        Des mal contentes, j’en suys l’une.

                        LA  MARIÉE

230  Sy je veuil l’un, y veult de l’autre ;

        Et sy je veulx coucher au peaultre117,

        Y me contrainct coucher au lict.

        Bref ! jamais je n’y eustz délict118 :

        Tout ce que j’ayme luy répugne.

                        LA  JEUNE

235  Des mal contentes, j’en suys l’une.

                        LA  VEFVE

        Mais moy, j’en suys la principalle.

        Hélas ! je n’estoys pas sy palle119,

        Quant y vivoyt, le bon des bons :

        À pou près y faisoyt les bons,

240  De quoy recepvoys la vollée120.

                        LA  MARIÉE

        Y vous fault estre consollée.

                        LA  VEFVE

               Hélas ! j’estoye acollée

                      Et baisée

               Toutes foys qu’il me plaisoyt ;

245         Et  de plaisans mos consollée,

                      Apaisée121

               De ce qu’il me devisoyt.

               Jamais mot122 ne me diso[y]t

                      Nul qui soyt,

250         Ny parolle ne demye123,

               Synon « ma trèsdoulce amye ».

                        LA  MARYÉE

               Et j’ey le plus rigoureulx

                      Et rongneulx,

               Et le plus rébarbatif,

255         Le plus meschant orguilleux

                      En tous lieux,

               Qui soyt en ce monde vif ;

               Le plus ort, le plus poussif,

                      Excessif,

260         Dont en nul124 jour parler j’oye.

               Je n’ay de luy ne bien ne joye.

                        LA  JEUNE

               Hé,  mon Dieu ! [J’envoye ambassades]125

                      Et œuillades

               De mes yeulx rians et vers.

265         Je faictz petis saulz, jambades126

                      Et ambades

               De long, de hault, et  de travers.

               Mais je treuve amans pervers,

                      Au revers

270         De complaire à mes clamours :

               [J’essuye le refus]127 d’amours.

                        LA  VEFVE

               [De deuil suys inconsolable]128,

                      Povre vefve  mysérable

               Qui a son mary perdu.

                        LA  MARIÉE

275         Et  je suys celle [ qui s’acable

                      Que le diable

               Ne l’ayt ]129 au gibet pendu.

                        LA  VEFVE

               A,  dame, c’est mal entendu

                      [Et rendu.]130

                        LA  MARIÉE

280         Pourquoy est ? Mais le myeulx du monde !

               Car  je vous pry qu’on me responde :

        De quoy sert un mary folastre131,

        Le long d’un jour assis en l’astre132,

        À doller à tout son coustel133 ?

                        LA  JEUNE

285  C’est tout empeschement d’ostel134.

                        LA  MARIÉE

        S’on ne va que jusqu(e) à la porte135,

        Y fault que compte on luy raporte

        Que c’est qu’on veult, et tel et quel136.

                        LA  VEFVE

        C’est tout empeschement d’ostel.

                        LA  MARIÉE

290  Et s’on va jusques à l’église,

        Y fault, après, qu’on luy devise137

        Le lieu, la chapelle et l’autel.

                        LA  VEFVE

       C’est tout empeschement d’ostel.

                        LA  MARIÉE

        Ce m’est bien un glève mortel,

295  D’estre sy court tenue ainsy.

                        LA  VEFVE

        Hélas ! il n’estoyt pas aintel138,

        Le mien. Dieu luy face mercy !

        S’il me falloyt cela, cecy,

        Robes, chaperons deulx ou troys,

300  Je n’en estoys poinct en soulcy,

        [Quant mon mary estoyt icy.]139

                        LA  MARIÉE

        J’aroys plus140 tost de la vraye croys !

                        LA  VEFVE

        S’il me falloyt or ou argent,

        Ne joyaul41 qui fust exigent

305  Pour orner le corps ou les doys,

        Luy-mesmes estoyt diligent

        De venir parer mon corps gent.

                        LA  MARIÉE

        J’aroys plus tost de la vraye crois !

                        LA  VEFVE

        Sy j’eusse désiré(e) avoir

310  [De la lune]142, ou Paradis voir,

        Je le cuyde et ainsy le crois

        Que luy-mesmes eust faict debvoir

        D’en chercher et de m’en pourvoir.

                        LA  MARIÉE

        J’aroys plus tost de la vraye croys,

315  Ou des reliques sainct Françoys

        — Qu’on doibt orer143 à deulx genoulx —

        Que je seusse trouver à choys144

        Un145 mary qui ne fust [bon galoys]146.

                        LA  VEFVE

        C’est pire que chasser [aulx loups]147.

                        LA  JEUNE

320  Hélas ! je poursuys et pourchasse148 ;

        Et en chassant, je faictz ma chasse

        Sur les beaulx corps plaisans et doulx.

        Mais, quelque chose que je face,

        Faulx Danger vient149, qui me déchace.

                        LA  VEFVE

325  C’est pire que chasser aulx loups.

                        LA  MARIÉE

        Je chasse devant et dèrière150

        Que mon mary me fist gorière,

        En l’esjouyssant tous les coups ;

        Mais tant plus chasse à sa barière151,

330  Et plus tire le cul arière152.

                        LA  VEFVE

        C’est pire que chasser aulx loups.

        Seurement y tient plus qu’à cloux153,

        L’argent du faulx154 villain infâme.

                        LA  JEUNE

        Vilains de leurs biens ainsy gloux155

335  Ne feront156 jamais bien à femme.

        Non obstant, je prens sur mon âme :

        Ne m’en chauldroyt, fût [droict ou tort]157,

        Crocheu158, contrefaict, laict ou ort159,

        Mais c’un seul m’apelast sa mye.

                        LA  MARIÉE

340  Qui emprunte ne choisit mye160.

                        LA  JEUNE

        Que me chauldroict-il de quel âge,

        De bonne ville ou de village,

        Mais qu’il entretînt mes estas

        Et j’eusse des joyaulx à tas,

345  Avèques la croste et la mye161 ?

                        LA  VEFVE

        Qui emprunte ne choisit mye.

                        LA  JEUNE

        Ce m’est tout un, jeune ou vefvyer162,

        Villain ou portant esprevyer163,

        Mais que j’en menasse un en lesse164.

350  Quant je voy c’un chascun me lesse,

        Je n’ay plaisance ne demye165.

                        LA  MARIÉE

        Qui emprunte ne choisit mye.

                        LA  VEFVE

        Mydieulx  non. Et puys, ma gentil mygnonne,

        Quoy que la derrée soyt bonne,

355  Il y vient sy pou166 de marchans,

        Tant de la ville que des champs,

        Qu’on ne sçayt y167 avoir recours.

        Marchandise n’est poinct de cours168,

        Puys est peu de telle derrée.

                        LA  MARIÉE 169

360  Vous faictes trop de la serrée170 !

        Y fault hanter où on171 les vent.

                        LA  JEUNE

        En plain marché, le plus souvent,

        J’estalle ma desrée en vente.

                        LA  VEFVE

        Vous congnoissez quel vent y vente172 ?

                        LA  JEUNE

365  Je congnoys ce que je congnoys.

                        LA  MARIÉE

        A ! sy j’avoye un tel mynoys…

                        LA  JEUNE

        A ! sy j’avoye un tel corps sage173,

        Je ne donneroys un tournoys

        [D’un homme qui tordît]174 visage.

                        LA  MARIÉE

370  J’ey du voulloir.

                        LA  JEUNE

                                   J’ey du courage.

                        LA  MARIÉE

        J’ey du maintien.

                        LA  VEFVE

                                     Mais du raceuil175.

        Et sy, avez, pour faire rage

        À tous venans, un regard d’euil176.

                        LA  MARIÉE

        Enterré fust-il soublz le seuil !

                        LA  JEUNE

375  Qui ?

                        LA  MARIÉE

                 Qui, dea ?  Le jaloux [contrariant177].

        S’y vouloyt faire tout mon veuil178,

        Mon cœur ne seroyt récréant179 :

        G’yroie jouant, chantant, riant,

        En grans banqués180 et en ris[é]es.

380  Or181, le faulx jaloux mescréant

        Me faict desvyder mes fuzées182.

                        LA  JEUNE

        Sommes-nous pas mal aryvées183 ?

                        LA  VEFVE

        Sommes-nous loing de nos ententes184 !

                        LA  MARIÉE

        À ouÿr nos plainctes pryv[é]es,

385  Nous sommes troys des mal con[ten]tes.

.

                        LA  RELIGIEUSE  entre.                        SCÈNE  IV

        Je voy troys povres pénitentes185,

        Troys povres dames escartées186

        Qui me semblent fort esgarées187,

        À oïr leurs regrés piteux.

390  L’amant seroyt bien merveilleux,

        S’y se trou[v]oyt dessoublz leurs elles188.

.

        Dieu gard les belles damoyselles !                               SCÈNE  V

                        LA  JEUNE

        Et Dieu gard la religieuse !

                        LA  MARIÉE

        Ma belle dame gracieuse,

395  Je pry Dieu qu’il vous doinct confort 189 !

                        LA  VEFVE

        Et vous face victorieuse

        S’un conquérant vous faict effort190 !

                        LA  RELIGIEUSE

        Par Nostre Dame de Montfort !

        Mais vous191, mes trèsgentes mignonnes !

400  Vous sçavez bien qu’entre nos192, nonnes,

        Bénignes dames enmurées193,

        Sommes à tousjours demourées194,

        Sans195 jamais du lieu ne vider.

                        LA  VEFVE

        Ainsy vous veuille Dieu ayder !

                        LA  RELIGIEUSE

405  Vous sçavez qu’au lieu où nous sommes

        Il n’y hante grans gentilz hommes,

        Synon le prestre chantant messe,

        Qui a faict serment et promesse196

        De jamais rien nous demander.

                        LA  JEUNE

410  Ainsy vous veuille Dieu ayder !

                        LA  RELIGIEUSE

        Vous sçavez (ce n’est pas nouvelle)

        Que nous avons au chef le velle197

        Comme espouse[s] de Saincte Église.

        Pour aymer, nus ne nous élise198 !

415  On y auroyt beau procéder199.

                        LA  VEFVE

        Ainsy vous veuille Dieu ayder !

        Ma dame, que vous dictes vray !

        Çà, çà, je vous entretiendray200,

        Puysque vous venez à la bende201 :

420  Par vostre foy, à la prébende

        Ou au monastère d’Amours202,

        De quoy faictes-vous vos clamours203 ?

        Y vous fault chanter [messe] à l’heure.

                        LA  RELIGIEUSE

        Matines sont de chante-pleure204,

425  Des regrés, des soupirs205 d’euillades,

        Des petis remors de ballades206 ;

        Et la messe, de piteux chans ;

        Les Vespres, des regrés perchans207 ;

        Et toute doulleur à Complye208.

                        LA  VEFVE

430  Quoy ! n’est poinct l’église remplye

        De prime, tierce, siste, nonne209 ?

                        LA  RELIGIEUSE

        Il n’y a sy petite nonne

        — Soyt prieure, dame ou novice210

        Qui ne soyt subjecte au service.

435  Nous chantons de jour et de nuict,

        Et levons souvent à mynuict :

        Se fault lever quant le sainct211 sonne.

                        LA  MARIÉE

        Je l’entens bien : c’est en personne.

                        LA  RELIGIEUSE

        Aussytost que le secrétain212

440  Ouvre l’huys, c’est pour tout certain :

        Y fault afluber sa couronne213.

                        LA  VEFVE

        Je l’entens bien : c’est en personne.

                        LA  RELIGIEUSE

        Sy le clerq ou le chapelain

        Veult carilonner tout à plain214,

445  Y fault que secours on luy donne.

                        LA  MARIÉE

        Je l’entens bien : c’est en personne.

                        LA  RELIGIEUSE

        Y ne fault plus qu’on en blasonne215 :

        Il ne tient ny à roy ny à roq216.

        S’une foys, de hanche ou de croq217,

450  Je pouvoys trouver mes partyes218,

        Le voyez-vous, ce maistre froq ?

        Je le gecteroys aulx ortyes219 !

                        LA  VEFVE

        Nous endurrions220 le coup d’estoq,

        S’ainsy nous estions convertyes221.

                        LA  RELIGIEUSE

455  Je vous jures, coquery coq222 !

        Je le gecteroys aulx orties.

        Quoy ! nous sommes plus amortyes223,

        Plus pasles, plus défigurées224,

        Entre nos, povres enmur[é]es,

460  Que se l’âme estoyt hors du corps.

                        LA  MARIÉE

        Le feu n’en est pas encor hors.

                        LA  RELIGIEUSE

        À nous veoir ainsy desguis[é]es,

        Nous sommes des gens desprisées225,

        Et banyes [d’amoureux recors]226.

                        LA  JEUNE

465  Le feu n’en est pas pourtant hors.

                        LA  RELIGIEUSE

        Il y a troys [quartiers de]227 l’an

        Qu(e) on ne veoit que messire Jehan228

        Ou deulx clers qui sont lais et ors229.

                        LA  MARIÉE

        Le feu n’en est pas pourtant hors.

470  Je l’entens bien, dame nonnète :

        Vous voulsissiez que l’eau benoiste230

        Se fist quatre foys la semaine.

                        LA  RELIGIEUSE

        Quoy ! suis-je pas aussy honneste

        Comme est ma cousine germaine ?

475  Aussy femme, et aussy humaine231 ?

        De beaulx membres et de corps sage ?

        Que la senglante Mort amaine232

        Qui premyer en fist le message !

                        LA  VEFVE

        Y n’est estat que mariage.

                        LA  RELIGIEUSE

480  C’est estat de salvation233.

        Mourir puist-il de male rage,

        Qui234 me mist en religion !

                        LA  MARIÉE

        Et, par Dieu ! Soublz corection235,

        Quant tout est bien solicité,

485  On faict bien sa confession,

        Debsoublz le bénédicité236.

                        LA  VEFVE

        On trouve bien l’invention237

        C’un beau Père soyt incité238 ;

        On faict bien sa commission239,

490  Dessoublz le bénédicité.

                        LA  MARIÉE

        Et par bonne excusation,

        Tout le monde est de parenté240

        Pour couvrir la conception241

        Dessoublz le bénédicité.

                        LA  RELIGIEUSE

495  Mon Dieu, que c’est bien récité,

        Fust-il escript en parchemin242 !

        Eussiez-vous, [en sy]243 bon chemin,

        Une année toute acomplye ?

                        LA  JEUNE

        Et  pourquoy ?

                        LA  RELIGIEUSE

                                  Pour aller à Complye

500  Et puys se lever à Matines244.

        Pas n’auriez ainsy les tétines

        Ne les mynes sy reluysans.

                        LA  MARIÉE

        Vresbis245 ! les vos sont plus plaisans,

        Plus petis et myeulx redréchés246

505  Que les nostres.

                        LA  RELIGIEUSE

                                     Vous gaudissez247 !

                        LA  VEFVE

        Quant vous vous trouvez sur les champs248,

        Vos regardz sont aussy perchans

        Et aussy en parfons fichés249

        Que les aultres.

                        LA  RELIGIEUSE

                                    Vous gaudissez !

                        LA  JEUNE

510  Sur vos beaulx yeulx et fins, flambans250,

        Vous avez vos crévechers251 blans

        Là où sont vos cheveulx tressés252.

        Est-il pas vray ?

                        LA  RELIGIEUSE

                                    Vous gaudissez

        De la povre religieuse,

515  La plus triste et [plus] ennuyeuse253

        Qui soyt sur terre, à mon entente254.

                        LA  MARIÉE

        Vous estes donques mal contente ?

                        LA  RELIGIEUSE

        Hélas, mon Dieu ! que suys-je donques ?

        Je le suys bien, s’il en fust onques.

520  Et sy, est mon mal incurable.

                        LA  MARIÉE

        C’est une chose incomparable :

        Voécy ceste belle mygnonne

        Qui se souhaictoyt255 estre nonne

        Pource qu’el n’a poinct d’amoureulx.

525  Et voicy, auprès de nos deulx,

        Une vefve toute esplourée,

        Mal contente et désespoirée

        Qu’elle a perdu son bon mary.

                        LA  RELIGIEUSE

        Et vous, quoy ?

                        LA  MARIÉE

                                   J’ey le cœur mar[r]y

530  Encontre mon vilain jaloux.

        Que fust-il estranglé des loups,

        Et qui256 le premyer m’en parla !

                        LA  RELIGIEUSE

        Ceste maladye tient à tous257 ;

        Ne prenons poinct garde à cela.

                        LA  VEFVE

535  C’est pis que le mal de la toux :

        Y nous fault tous passer par là.

                        LA  RELIGIEUSE

        C’est assez devisé, holà !

        Assez avons de telz parentes258 :

        On trouve deçà et delà

540  Un plat fourny259 de mal contentes.

                        LA  MARIÉE

        S’il y a feste ne banquet

        Où soyent mys pavillons ou tentes,

        Vous y trouverez au caquet260

        Un plat fourny de mal contentes.

                        LA  JEUNE

545  Quant filles sont sur le banquet261,

        S’ilz ne viennent à leurs ententes262,

        Vous lèveriez263, pour un bouquet,

        Un plat fourny de mal contentes.

                        LA  VEFVE

        Ces langues à demy-cliquet264,

550  Plus afil[é]es que serpentes265,

        Y trouvent bien pour un niquet266

        Un plat fourny de mal contentes.

                        LA  RELIGIEUSE

        Poissonnyères ont peu d’aquest267,

        Sy ne parviennent à leurs ventes ;

555  Vous trouverez dens leur baquet

        Un plat fourny de mal contentes.

.

                        LA  VEFVE 268

        Seigneurs, pour éviter caquet,

        Nous vous donrons lestres patentes269

        Qu’on a trouvé en plain Parquet270

560  Un plat fourny de mal contentes.

        En prenant congé de ce lieu,

        Une chanson pour dire adieu ! 271

.

                                     FINIS

*

1 Chanson inconnue, dont nous avons sans doute un deuxième extrait au vers 67. La présence de chansons et le congé final prouvent que ce débat fut joué au théâtre.   2 LV : mais   3 LV : je  (Que je suis malchanceuse. « Mal suis fortunéz. » Le Ribault marié.)   4 Et pourtant. Idem vers 15, 372 et 520.   5 LV : quinse  (« J’ey quinze ans, ce n’est que fleur d’âge. » La Fille esgarée.)   6 Il y a de quoi enrager.   7 Sans risquer de prendre une gifle.   8 Mieux que nulle au monde.   9 LV : inconstance  (Mon incapacité à perdre mon pucelage. « Virginité par impotence de nature. » Oresme.)   10 Les vieilles arbalètes avaient beaucoup moins de puissance que les modernes.   11 On m’a tenue quitte de mes désirs.   12 Une grande contrariété. Cf. Raoullet Ployart, vers 142 et note.   13 Ce sarcasme.   14 LV : scoreoyt   15 LV : le  (Si nous parlions entre nous.)   16 Prétentieux. « Sot oultrecuydé. » Sermon pour une nopce.   17 À malin, malin et demi : Vous êtes plus maline que moi. Cf. les Maraux enchesnéz, vers 115.   18 LV : asote  (Qu’il est fou de moi. Cf. le Dorellot, vers 265.)   19 Dissimulé dans l’ombre du faîte d’une maison. Cf. le Gentil homme et Naudet, vers 13.   20 Qui me reluque du coin de l’œil.   21 LV : boste  (« On appelle un vilain botté un homme de ville qui a des bottes, à cause que cela n’appartenoit autrefois qu’aux nobles qui alloient à la guerre…. On appelle par injure un méchant cavalier un villain botté. » Furetière.)   22 Un malpoli.   23 Un paresseux. « Les personnes qui se trouvent de repos & de la confrarie de Jean de Loisir. » Les de Relais.   24 Vous avez l’embarras du choix.   25 Tant de mendiants devant une porte. On se méfiait de ceux qui opéraient en équipe : cf. les Bélistres, vers 171-2.   26 Noyé dans un puits s’il ne peut jouir de moi.   27 LV : les   28 Ma borne : à quelle hauteur je prétends placer la barre.   29 C’est-à-dire ?   30 Ma fraîche denrée féminine. Idem vers 354, 359 et 363. Cf. le Trocheur de maris, vers 164.   31 Y met de l’argent, me paye. « Je n’y mettroye pas ung niquet. » Cautelleux, Barat et le Villain.   32 Pour parvenir à ses fins.   33 Que je m’abandonne à lui.   34 LV : et  (Ce n’est pas ce que je recherche.)   35 Je le suis. « Se suis mon ! » La Résurrection de Jénin Landore, et Jolyet.   36 Tirée de mon ennui, de ma peine.   37 Il manque un vers en -oys et un vers en -ry.   38 Les coucous. Ce calembour est banal : « En ces boys qui sont si vers (…),/ C’est ung plaisir d’estre à l’envers/ Pour ouÿr chanter le coqu. » Farce de quattre femmes, F 46.   39 Serrée de près.   40 LV : aceuillye a tencer  (Que mon mari ait à cœur, un jour, de se fiancer avec vous.)   41 LV : vous en eusies  (Et vous auriez 23 coups de poing.)  La précision du nombre est comique : « Tu auras des coups plus de huit ! » Grant Gosier.   42 LV : je fuse  (Et ce serait.)   43 Ironique : Vous l’aimez si peu.   44 Chapitrée par mon mari.   45 Si je vais tisser ma toile chez une voisine. Cf. les Femmes qui font refondre leurs maris, vers 160-1.   46 Un valet ou une servante, pour me surveiller. Le vers qui suit est de trop : ces 3 quatrains riment en aabB.   47 Il rechigne, il refuse de payer.   48 LV : set  (Quel désaccord il y a entre nous.)  « Je n’ay pas ung povre corset./ Nul ne congnoist quel discord c’est. » Calbain.   49 Mon mari tient par la cime et par la racine : il est obstiné. « Il i tient à cisme et à racine. » Bib. mun. Lille.   50 LV : porierre  (À être élégante. Idem v. 327.)  La Gorrière est un personnage de la Farce de quattre femmes (F 46), qui n’est pas sans rapport avec la nôtre ; par exemple, la dernière à entrer n’est autre que la Théologienne, comme c’est ici la Religieuse.   51 Causez toujours ! Cf. Deux hommes et leurs deux femmes, vers 368.   52 Il recule. Idem v. 330.   53 La traîne cousue derrière le col de votre robe, et dont le bout est troussé sous la ceinture. Voir les Queues troussées.   54 Épanouie, et tissée à la façon du damas.   55 Les poignets désignent le bas des manches.   56 Il en devient jaloux : il croit que je me pare ainsi pour séduire d’autres hommes.   57 Ces ceintures de soie.   58 Les signets sont des bagues surmontées d’un sceau. Cf. Beaucop-veoir et Joyeulx-soudain, vers 128.   59 Les moulinets sont probablement des broches. « Un petit moulinet d’or garni de perles. » Godefroy.   60 S’il prend la mouche. « Et quant le ver coquin au front le picque,/ Il romproit tout, s’il n’estoit enchêné,/ L’homme enragé. » ATILF.   61 Un vieux grigou. Cf. Jehan de Lagny, vers 294.   62 C’est un vrai barbare, comme le sultan Bajazet Ier. Voir la note 192 des Trois amoureux de la croix.   63 À le voir jeter des mots désordonnés, qui sont le contraire des « mos arunés » (le Monde qu’on faict paistre, vers 390).   64 Il voudrait me ranger. Cf. le Cousturier et le Badin, vers 86. Ceux qui ont lu desrimer et arimer ont mal lu : le scribe n’a pas surmonté ces prétendus « i » d’un accent aigu, comme il le fait partout ailleurs.   65 Je ne l’accepte pas.   66 Vous voudriez le gouverner ?   67 LV : qui  (Vous irrite beaucoup.)   68 Au pays fabuleux de Cocagne.   69 Ce sale bouseux aurait le temps d’y conquérir les campements de tous nos ennemis. Les pavillons et les tentes reviennent au vers 542, mais dans un contexte moins guerrier.   70 La veuve porte un costume de deuil, comme celle qui est coiffée de noir sur cette gravure.   71 La raison de cette assemblée.   72 C’est un dialogue de sourds.   73 Un troisième intervenant.   74 Ce corps de statue. La fille soulève sa robe pour se montrer sous tous les angles à la veuve et au public.   75 Bien tourné. On croirait entendre la belle Heaumière de Villon évoquer son « cler vis traictiz » et « ces larges rains ».   76 L’homme le plus minable.   77 Ni si gourmande d’être chevauchée.   78 Mon époux tyrannique. Voir la note 5 de l’Amoureux.   79 Sauvage. Cf. Daru, vers 304.   80 Ni cabane. « Il n’[y] a ne maison, ne buron. » ATILF.   81 En ambageois = avec des ambages, des circonvolutions trompeuses. « Il respont tout par enbagés. » Le Messager et le Villain.   82 Le feu grégeois, sorte de bombe incendiaire, symbolise la flamme amoureuse. Cf. le Povre Jouhan, vers 133.   83 LV : gouuerneroys  (« Johannès porte le velours. » Science et Asnerye.)   84 Appareillée, assortie.   85 Qu’il ne tienne qu’à mettre ma main dans celle d’un homme pour sceller nos fiançailles. Double sens : Qu’il ne tienne qu’à mettre ma main dans sa braguette. « Elle commença à mettre la main sur son braquemard. » Gabriel Chappuys.   86 Mon fiancé ne pourrait être si misérable.   87 Vous vous accordez bien mal, toutes les deux.   88 LV : quil  (Voir les vers 222 et 524.)   89 Si je ne le mettais au pas. « C’est dommaige/ Que ne mettons villains en run. » Mallepaye et Bâillevant.   90 Chaque vieille femme a son deuil à elle. « Chascune vieille son dueil plaind. » Cotgrave.   91 LV : nennyn   92 Comptant, comme dans la locution « payé comptant ».   93 LV : bon trauaillant   94 Quand il accomplissait « l’ouvraige de rains ». Les Botines Gaultier.   95 La veuve s’évanouit dans les bras de ses compagnes. Ses jérémiades rappellent celles de la Veuve juste avant qu’elle n’épouse son jeune et vigoureux valet : « J’ey le cueur marry (…) de mon deffunt mary,/ Du bon Roger, dont Dieu ayt l’âme !/ Car c’estoyt le meilleur, pour femme. »   96 Chez mes tantes. Cf. l’Antéchrist, vers 16.   97 Que je rapportais à la maison l’ouvrage que j’avais filé, pour prouver à mon mari que je n’avais pas fait autre chose.   98 LV : cestoyt  (La veuve s’évanouit à nouveau.)   99 Si vous voulez me faire plaisir.   100 Nous devons réduire votre défunt en cendres, afin que nous en ayons un autre de la même race que lui. Allusion au phénix, qui renaît de ses cendres. La veuve se redresse brusquement.   101 LV : ta reuenge  (Tu veux revendre la cendre de mon mari aux autres femmes.)   102 LV : je noseroys  (Je n’oserai pas me défendre ?)   103 D’un mauvais lieu, d’un bordel. « Je ne suis point du lieu venue ! » L’Amoureux.   104 Le ciel.   105 Un accouplement. « N’aurions-nous poinct une venue/ D’une de voz brus toute nue ? » Les Brus.   106 Elle connaît ses intérêts. « Nous entendons nostre latin. » Le Capitaine Mal-en-point.   107 Pas si dinde. « Je n’estoye pas si grue. » Les Maraux enchesnéz.   108 Courtisan.   109 Ou que je ne lui jette une œillade.   110 Si mon jaloux en a du dépit, qu’il l’évacue en suant à grosses gouttes !   111 À quoi sert un oiseau en cage ? « Chappons en mue. » Les Sotz ecclésiasticques.   112 Sans rides.   113 Cette faconde, cette éloquence.   114 À sa furie. Cf. Serre-porte, vers 216 et note.   115 Galeux. Idem v. 253.   116 Le plus sale et le plus galeux. « Je suis si ord et si raffloux. » ATILF.   117 Sur une paillasse, pour ne pas devoir partager son lit. « Jényn couchoit au peaultre. » La Résurrection Jénin à Paulme.   118 Je n’y aurais de plaisir.   119 La pâleur des femmes dénote un manque d’activité sexuelle, comme au vers 458. Cf. les Chambèrières qui vont à la messe, vers 68-69 et note.   120 Les bonds et la volée sont des termes du jeu de paume qui sont vite passés dans le langage érotique.   121 LV : y aisee   122 Un mot désagréable.   123 Ni même la moitié d’une. Idem v. 351.   124 LV : un  (Dont j’aie jamais entendu parler.)   125 LV : jauoye balades  (Une ambassade est un clin d’œil. « Vostre œil mignon feriez embassadeur. » Jardin de Plaisance.)   126 Sortes de ruades. « Le cheval (…) vient à faire jambades,/ Bondissementz, soupplessaultz & pennades. » (Guillaume Haudent.) Les ambades sont des farandoles : « De ce vent qui faict ceste ambade. » Sermon joyeux des quatre vens.   127 LV : je suys le resus   128 LV : jesuys de deuil lincomparable   129 LV : coupable / qui souhaicte estre capable / du myen  (Je refais sous toutes réserves ces 3 vers faux et dépourvus de sens.)  « Le grant deable l’en puisse pendre ! » Les Trois amoureux de la croix.   130 Vers manquant. Entendre les plaignants et rendre un jugement sont les deux mamelles de la Justice. « Mais qu’il ayt le cas entendu,/ Tantost sentence aura rendu. » Le Pauvre et le Riche.   131 À moitié fou.   132 Devant la cheminée.   133 En train de sculpter une bûche avec son couteau.   134 C’est un embarras dans la maison. Jeu de mots sur « empêchement d’autel » : en droit, l’empêchement est un fait qui peut empêcher un mariage (à l’autel de l’église).   135 Même si je ne vais pas plus loin que notre porte.   136 Il faut que je lui rende compte de ce que je veux faire, et ceci, et cela.   137 Que je lui précise.   138 Ainsi, tel. Cf. Messire Jehan, vers 95.   139 Vers manquant. (Ces 3 sixains riment en aabaaB.) « Se mon mary estoit icy. » Le Pardonneur.   140 LV : pleust  (Voir les refrains de 308 et 314.)  J’aurais plus vite un morceau de la vraie croix de Jésus.   141 LV : jouyau  (Voir le v. 344.)  « Exigent » était encore un substantif : un exigent est une nécessité.   142 LV : des nues  (« Il auroit plustost de la lune ! » Les Botines Gaultier.)   143 Adorer. Les reliques de saint François d’Assise étaient un sujet de plaisanterie : Frère Guillebert fait s’agenouiller les bigots pour adorer, en guise de relique, des braies puantes qu’il attribue au saint homme.   144 Plutôt que de pouvoir trouver au choix.   145 LV : mon   146 LV : jaloux  (Ces 3 sixains riment en aabaaB.)  Un bon galois est un bon compagnon, généreux. « Tel porte face d’estre chiche/ Qui non pourtant est bon galloys. » Guillaume Alécis.   147 LV : gõloups  (Voir les refrains de 325 et 331.)  Il est encore plus difficile d’attraper un bon mari que d’attraper un loup avec un piège à loups. Cela dit, on peut « prendre un loup par la queue » (Antoine Oudin), tout comme le mari du vers 153.   148 Je recherche.   149 LV : veult  (Ce sournois danger est un personnage très négatif de la poésie allégorique : « Que Faulx Dangier, vostre adversaire. » Rondeau.)   150 Je cherche à obtenir par tous les moyens.   151 Plus je le pousse dans ses retranchements. C’est une expression militaire.   152 Et plus il recule. Idem v. 91. « Ne tire point le cul arrière ! » Le Fol et la Folle.   153 Il tient plus solidement que si sa bourse était clouée.   154 Perfide. Idem vers 324 et 380.   155 Gloutons, avides.   156 LV : seront  (« Et ceulx qui du bien luy feront. » L’Aveugle et Saudret.)   157 LV : tort ou droict  (Correction d’André Tissier : Recueil de farces, t. IX, 1995, pp. 297-364. Ces 3 sixains riment en aabbcC.)  Peu m’importerait que mon ami soit droit ou tordu.   158 Voûté.   159 Laid ou sale. Idem v. 468.   160 « Tel que vous le pourrez avoir./ Qui emprunte ne choisist mye. » Farce de Pathelin.   161 Avec la croûte et la mie : avec tout ce dont j’ai besoin, notamment d’un point de vue sexuel.   162 Veuf.   163 Roturier, ou noble qui chasse en portant un épervier sur son poing.   164 Pourvu que j’en mène un en laisse.   165 Ni même la moitié.   166 Il vient si peu de marchands de maris. On en trouve un dans le Trocheur de maris, la farce qui précède la nôtre dans le ms. La Vallière.   167 LV : en  (Il est possible de corriger : En avoir secours.)  Qu’on ne saurait recourir à eux.   168 Cette marchandise n’a plus cours.   169 À la pucelle.   170 Vous parlez comme une pucelle. « On sçaura qui fait la serrée,/ Et qui franche [libérale] est de sa derrée. » Saincte-Caquette.   171 LV : nous  (Il faut fréquenter les endroits où l’on vend des maris.)   172 Vous savez ce qui s’y passe ? Les foires, où les marchands et les acheteurs allaient sans leur femme, attiraient des prostituées.   173 Le corsage désigne le corps, et plus rarement la poitrine : cf. les Sotz fourréz de malice, vers 220.   174 LV : a homme qui portit  (Je ne donnerais pas un sou d’un homme qui me dédaignerait.)   175 Et même, vous êtes accueillante.   176 Une œillade.   177 Mot manquant. « Et aucuns sont [Il y a des hommes] qui, tout au contraire, sont contrarians en toutes choses. » (ATILF.) Contrariant rime à la manière normande avec récriant, riant et mécriant.   178 Toutes mes volontés.   179 À bout de force. « Je n’avoye cueur récréant ne failly. » Octovien de Saint-Gelays.   180 On reparle au vers 541 de ces banquets où les femmes sérieuses évitent d’aller. Voir Régnault qui se marie, vers 131-5.   181 LV : ou  (Faux = sournois. Mécréant = soupçonneux, qui ne croit pas sa femme.)   182 LV : fuzes  (« Va desmesler tes fuzées ! » L’Antéchrist.)  M’oblige à filer ma quenouille : c’est l’activité principale d’une bourgeoise honnête.   183 LV : aryues  (Mal tombées.)   184 De nos premières intentions.   185 D’après André Tissier, « penitent a ici son sens étymologique latin : “qui est mécontent, qui a du regret” ».   186 LV : esgares  (à la rime.)  À l’écart.   187 LV : esgares  (Perturbées. « Quelque chambèrière esgarée. » Tout-ménage.)   188 Ce serait merveilleux qu’elles trouvent un amant sous leur aile, comme une poule y trouve un poussin.   189 Jeu de mots pour banquets de noces : Que Dieu vous donne un sexe endurant. « Dieu te doint ung bien bon “confort”,/ S’il advient que trop grant effort/ Te face, la nuyt, ton mary ! » Sermon pour une nopce.   190 Si un soldat vous prend de force. La littérature anticléricale montre des nonnes peu effarouchées par l’intrusion de la soldatesque ennemie. « Sœur Monique s’écrie : “Eh bien !/ Quand est-ce donc que l’on viole ?” » J.-F. Guichard.   191 Que Dieu vous l’accorde plutôt à vous !   192 Entre nous. Même normandisme aux vers 459 et 525.   193 LV : amures  (Voir le v. 459.)  Douces dames murées, cloîtrées.   194 LV : demoures  (Nous sommes là pour toujours.)   195 LV : et  (Sans jamais abandonner le cloître.)   196 Vœu de chasteté. Visiblement, notre religieuse ne vit pas dans le même couvent que Sœur Fessue   197 Un voile sur la tête.   198 Que nul homme ne nous choisisse.   199 On aurait beau faire : toutes les tentatives seraient vaines.   200 Je vous pose la question.   201 Puisque vous rejoignez notre coterie.   202 La phraséologie courtoise voyait l’amour comme une dévotion. « (Son Éminence) luy fit demande à son tour/ De quelque prébende d’amour. » Le Mercure burlesque.   203 De quel droit allez-vous vous plaindre ?   204 De plaintes.   205 Des souvenirs.   206 Le regret des ballades que les galants composent pour leur belle. Voir la Réformeresse, vers 243-7.   207 Perçants. Même prononciation normande à 507.   208 Aux complies : à l’office du soir, après les vêpres. Idem v. 499.   209 Les heures de prime, de tierce, de sexte et de none rythment, par les prières qu’on y associe, la vie monotone du couvent.   210 LV : nonne  (Correction Tissier.)  Une novice est une jeune entrante qui n’a pas encore prononcé ses vœux.   211 Le seing, la cloche. « Quant le gros sainct si sonnera,/ Bien temps sera de vous lever. » ATILF.   212 Que le sacristain.   213 LV : guerronne  (Affubler = coiffer : « Affublez ces chappeaulx. » La Folie des Gorriers.)  La couronne désigne le frontelet, un bandeau dont les religieuses ceignent leur front en souvenir de la couronne d’épines. C’est l’équivalent féminin de la couronne [tonsure] des moines.   214 Veut sonner toutes les cloches.   215 Qu’on en plaisante.   216 Cela ne dépend de personne. (Le roi et le roc [la tour] sont des pièces du jeu d’échec.) « Il ne tenoit de roy ne de rot. » ATILF.   217 D’une manière ou d’une autre. Cf. les Tyrans, vers 23.   218 Toucher ma part d’héritage. Les héritiers mâles étaient plus avantagés que leurs sœurs, et les sœurs aînées plus que leurs cadettes. « Filles (…), vous eussiez eu vostre partie, ne fust la fausseté de vostre père, qui vous et moy a mis en grant misère sans fin. » (ATILF.) Les filles spoliées de leur héritage ne pouvaient se constituer la dot qui leur eût permis de trouver un époux ; il ne leur restait plus qu’à entrer au couvent ou au bordel. Ou au service d’un maître qui abusait parfois de ses prérogatives.   219 Je serais défroquée. « Mon froc ay gecté aux ortys. » Les Povres deables.   220 LV : andurions  (Le conditionnel normanno-picard use volontiers du « r » géminé. « Mais ainchoys [plutôt] endurrions-nous le plus grant tourment que oncques gens firent. » Jehan le Bel.)  Nous préférerions endurer un coup d’épée.   221 Si nous étions ainsi converties de force.   222 Cocorico ! Cette interjection belliqueuse représente le coq qui monte sur ses ergots pour attaquer. Cf. le Pardonneur, vers 138 et 156.   223 Plus anéanties.   224 LV : defigures  (Méconnaissables.)   225 LV : desprises  (Nous sommes méprisées par les gens.)   226 LV : damours remors  (Des entretiens amoureux. « Et de Vénus les amoureux recors. » Lancelot Carles.)   227 LV : partys a  (Les trois quarts de l’année. « Par chascun an, et par trois quartiers de l’an. » ATILF.)   228 Partout ailleurs, c’est l’une des incarnation de l’ecclésiastique paillard et sans scrupule. Voir par exemple Messire Jehan.   229 Laids et sales.   230 L’eau bénite désigne le sperme lancé par le « goupillon » du curé. « Vostre eaue béniste bien ne coulle,/ Domne Johannès : jettez fort ! » (Les Chambèrières qui vont à la messe de cinq heures pour avoir de l’eaue béniste.) Les Normands prononçaient « bénète » : cf. le Retraict, vers 429.   231 Tartuffe dira : « Ah ! pour estre dévot, je n’en suis pas moins homme. »   232 Emmène, emporte le premier qui l’a prétendu.   233 Les épouses peuvent accomplir le devoir conjugal tant qu’elles veulent, elles seront sauvées le jour du Jugement dernier.   234 Celui qui. Voir la note 218.   235 Sauf erreur. « Soubz correction, (elle) ne pouvoit dire qu’elle eust esté surprise. » 53e Arrest d’Amours.   236 Sous le secret de la confession. Martial d’Auvergne fait parler un confesseur : « Dire me povez hardiment,/ Cy, soubz le Bénédicité,/ Vostre vouloir et pensement. »   237 On peut bien trouver le moyen.   238 Soit incité à commettre le péché de la chair.   239 LV : confession  (Influence du vers 485.)  L’action de confier ses péchés au confesseur. Double sens : l’action de commettre une faute. La « commission de l’adultère » fut longtemps une des gourmandises du prétoire.   240 Est d’accord.   241 LV : condition  (Le fait d’avoir conçu un enfant.)  À la fin de Sœur Fessue, tout le monde pardonne à la religieuse enceinte, et parodie le texte latin de l’absolution. Un peu avant, les sœurs veulent dire leur Bénédicité ; « o lieu de le dire, y chantent » une chanson paillarde.   242 C’est aussi bien dit que si c’était écrit sur du parchemin. « Toutes deux parlent bon latin,/ Et fust pour mettre en parchemin. » La Nourrisse et la Chambèrière.   243 LV : ansy  (Auriez-vous tenu un an dans les mêmes conditions que moi ?)   244 On chantait les matines avant l’aurore, quelques heures seulement après les complies. Les religieuses conventuelles dormaient très peu, ce qui n’améliorait ni leur caractère, ni leur apparence physique.   245 Euphémisme pour « vrai Dieu » : cf. Jénin filz de rien, vers 338 et 434. Les vos = les vôtres.   246 Redressés (prononciation normande). En principe, les religieuses n’avaient pas d’enfants : leurs seins restaient donc plus fermes que ceux des mères.   247 Vous plaisantez.   248 Hors du couvent.   249 Aussi perçants, et aussi profondément plantés sur les hommes.   250 Étincelants.   251 Prononciation normande de « couvre-chef ». Cf. le Marchant de pommes, vers 120. « Aveuc men crévecher et men biau devantel [mon beau tablier]. » La Muse normande.   252 LV : dreses  (La fille reproche à la religieuse de dissimuler des tresses sous sa coiffe.)  Les moniales n’ont pas le droit de tresser leurs cheveux : tout leur temps doit être consacré à Dieu, et non à des futilités. En outre, la coquetterie leur est défendue.   253 Chargée d’ennui.   254 À mon avis.   255 LV : souhaicte  (En fait, c’est la mariée elle-même qui, au vers 150, aurait voulu être nonne.)   256 Celui qui. Les mal mariées ne pardonnent jamais à leur marieur : « Qu’estranglé soit cestuy des loups,/ Qui nous mist une foys ensemble ! » Les Femmes qui font refondre leurs maris.   257 LV : toux  (à la rime.)  Nous souffrons toutes de mécontentement.   258 Nous avons beaucoup de consœurs de notre sorte.   259 Un plein plat. « (Ils) furent bien serviz de dix-huict ou vingt platz fournys. » N. Volcyr.   260 En train de bavarder. « J’ay fréquenté aussi maint lieu/ Comme festes, convis, bancquetz,/ Où l’on devise des caquetz. » Farce de quattre femmes, F 46.   261 LV : chonquet  (Le banquet, au sens propre, est la banquette sur laquelle s’assoient les convives. « Les Lorains estoient sur ung autre bancquet assis, près du dit bancquet où nos seigneurs estoient assis. » Jehan Aubrion.)   262 Si elles ne parviennent pas à leurs fins en séduisant des hommes.   263 LV : les veries  (Vous captureriez. C’est un terme de chasse.)  Les filles naïves cèdent en échange d’un bouquet : « En un banquet,/ On dance, on donne le bouquet,/ On baise, on parle à son amye. » Marchebeau et Galop.   264 Inconséquentes, qui cliquettent à tort et à travers. « Lors monstrerez que vous aurez cervelle/ Pour déclicquer [bavarder] à ung demy-clicquet,/ Et estes gens où il y a peu d’arrest [de réflexion]. » Pierre Michault. (Cette expression découle de celle-ci : « Leur langue va comme un cliquet de moulin. » Le Roux.)   265 Que des vipères, dont la langue est affilée.   266 Pour un sou.   267 De gain. Les poissonnières, elles non plus, ne sont jamais contentes : voir l’Antéchrist, ou Grant Gosier, ou les Laudes et complainctes de Petit-Pont.   268 Aux spectateurs.   269 Nous vous donnerons des lettres royales décrétant.   270 Dans la salle du tribunal où les plaideuses expriment leur mécontentement. Voir la note 78 de Pour porter les présens.   271 Ce distique apocryphe est la signature habituelle du copiste de ce ms. La Vallière.

LE RAPORTEUR

Ms. La Vallière

Ms. La Vallière

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LE  RAPORTEUR

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Le semeur de zizanie qui manipule les personnages de cette farce rouennaise n’a rien à gagner, à part des coups ; il œuvre pour l’amour de l’art, puisque la médisance poussée à un tel degré relève du grand art. Le Raporteur, écrit vers 1510, a de nombreux points communs avec les Chambèrières et Débat, mais il n’en a aucun avec la sottie des Rapporteurs.

En 1499, Louis XII avait institué par lettres patentes la Basoche de Rouen. Cette confrérie studieuse et néanmoins joyeuse, imitant son illustre aînée parisienne, s’adonnait au théâtre ; nous en avons un exemple avec le Ribault marié. En voici un nouvel exemple, si l’on en juge par ses nombreuses références au monde judiciaire. Dans cette farce, nos clercs de procureurs prennent pour tête de Turc un rapporteur, c’est-à-dire un officier de Justice qui rend compte des procès. Ils n’oublient pas non plus d’égratigner leurs rivaux, les Conards de Rouen, qu’ils traitent de cocus à quatre reprises.

Source : Manuscrit La Vallière, nº 30. Beaucoup de vers ont été rayés, expurgés ou rénovés au début du XVIIe siècle, sans doute en vue d’une publication ; je m’en tiens à l’original chaque fois que le ratureur* ne l’a pas rendu illisible. Les éditeurs de 1837 n’ont pas pris tant de peine, et tous ceux qui, faute de mieux, ont lu les 509 vers de leur édition auront d’heureuses surprises s’ils les comparent aux 545 vers non censurés que voici. Mais ne soyons pas médisant.   *C’est le même remanieur qui a sévi dans le Tesmoing et dans l’Arbalestre. En revanche, les vrais chefs-d’œuvre du manuscrit La Vallière n’ont pas eu l’heur d’intéresser les hommes du XVIIe siècle.

Structure : Rimes plates, avec 4 triolets.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

.

 

*

Farce du

Raporteur

*

À quatre personnages, c’est assavoir :

       LE  BADIN

       LA  FEMME  [Catherine]

       LE  MARY

       et  LA  VOYESINE  [Janeton]

*

 

                        LE  BADIN  commence 1                         SCÈNE  I

        Trop me desplaist le séjourner2 :

        Je ne fais cy que m’amuser3.

        À perte ou gain, n’a que courage4.

        Sy j’ey jamais femme, je gage,

5      Vous en vouérez tost de mar[r]is.

.

                        LA  FEMME 5                                         SCÈNE  II

        Comment ! est-il dict que maris

        Seront maistres en la maison ?

        Nennin, vrayment, pas n’est raison !

        Trop l’ont tenu pour bien aquis.

10    Est-ce le temps et la saison

        Que les femmes n’ont plus saison

        D’estre mêtresses ? Quel devys !

        Seront il mêtresses en la maison.

.

                        LE  MARY 6                                            SCÈNE  III

        Voécy ma femme. C’est raison,

15    Y fault bien que je la recorde7.

        Je jouray par-dessus la corde8.

        Cordin, cordel9. Quant me recorde10,

        Concordant je concorderay11.

        À la corde descorderay12 :

20    J’entens recorder13 ma voysine.

.

                        LA  FEMME                                            SCÈNE  IV

        Cecy14 me poyse sur l’échyne :

        L’honneur des femmes est mys au croq15.

        Poulle[s] chantront16 devant le quoq

        Avant qu’i soyt la fin de moy17.

.

                        LE  BADIN 18                                          SCÈNE  V

25    Dea ! [ma] voy(e)sine, acolez-moy !

        Je suys joyeulx de vostre vue.

                        LA  FEMME

        J’ey bien désiré ta venue,

        Amy : tu soys le bien venu !

        Est-il rien de bon survenu ?

30    Je te pry fort, conte-le-moy !

        Tu m’ôteras de tout esmoy

        De ce  que j’ey.

                        LE  BADIN

                                  Je n’eusses pas pensé,

        Ma commère, [qu’eussiez passé]19

        Le diffame en ceste sorte.

                        LA  FEMME

35    Et  quoy, Jésus ?

                        LE  BADIN

                                     Dèrière la porte,

        ………………………….. 20

        Le trouvys qui se démenoyt ;

        Elle sy fort le tourmentoyt

        [Qu’il me]21 sembloyt (m’estoyt advys)

        Qu’il estoyent plus fors qu’ennemys22.

40    Y sembloyt — ou23 je suys trompé —

        Qu’il estoyt quasy achopé24 :

        Par ma foy ! y n’en pouvoyt plus.

        Y l’ont faict quatre foys ou plus.

        Mais devynez de la matière25.

                        LA  FEMME

45    C’est  mon mary et la chambèrière ?

        Jésus ! je suys désonorée.

        Il en mauldira la journée,

        Et l’en punyray, de ma part !

        Ma foy, je le feray conart26,

50    Ou je le batray bien mon soûl !

                        LE  BADIN

        Encor est-il beaucoup plus foul

        De soy vanter parmy la rue

        Que quatre foys vous a batue.

        Je m’esbaÿs d’u[n tel] diffame.

55    Vous qui estes fille de Dame27,

        Soufrir par un vilain testu

        Que vostre honneur soyt abatu,

        C’est assez pour vif arager28 !

        Sy je ne m’en pou[voy]es venger,

60    Ma foy, je le feroys cocu29.

                        LA  FEMME

        Compère, me conseilles-tu

        Que toult à mon aise le bate ?

                        LE  BADIN

        Escoustez-moy, par saincte Agate !

        Ne pensez pas que je vous mente :

65    Poinct ne suys celuy qui se vante.

        (Pour raporter, ce m’est assez30.)

        Et ! dea, dea ! Vous me congnoyssez,

        Vous savez très bien qui je suys.

                        LA  FEMME

        Las, Nostre Dame ! Je ne puys

70    Penser comme m’en vengeray.

        Je ne say sy je le feray

        Conart, ou sy je l’envoyeray paistre31.

                        LE  BADIN

        Avisez-y. Voécy le maistre32

        Qui vous servira de sa part.

                        LA  FEMME

75    Mais où avoie-ge le regart,

        Quant je prins33 ceste sote beste ?

                        LE  BADIN

        S’yl est adverty de la feste34,

        Ne dictes pas que l’aye dict,

        Car je perdroyes mon crédict.

80    Ou aultrement, mandé seray35.

                        LA  FEMME

        Non feray, non, vous dictes vray.

                        LE  B[A]DIN

        Voy(e)re, mais tenez-moy segret36.

.

                        LE  MARY 37                                           SCÈNE  VI

        Voécy bon : j’arage de froid,

        De fain, de soif, et suys malade.

85    Ma femme fect-elle la fade38,

        De moy gecter a remotys39 ?

        Par mon âme ! onques [je] ne vis

        Femme sy mauvaise à servir.

        Mais40, Messieurs, prenez-vous41 plaisir

90    Qu’elle ne me prise un festu42 ?

        Encores croi-ge que coqu

        Je suys. Et j’arage de fain :

        En ma maison n’a poinct de pain,

        Ne chose qui soyt pour menger.

95    N’esse pas bien pour arager,

        [D’estre venu en ceste place ?]43

        Je ne say pas plus que je face44,

        Ne sy [je] doibtz rire ou plourer.

        Rien ne me sert45 de demourer :

100  Je m’en voys droict à mon repère46.

.

        Holà, ma femme !                                                      SCÈNE  VII

                        LE  BADIN

                                      Et, mon compère !

                        LA  FEMME

        [Un compère ? Mais un yvrongne]47 !

        Regardez qu’i faict rouge48 trongne !

        Tant  c’est un homme de bonne foy.

105   Venez hardiment, je vous voy49

        Tout  à ceste heure mectre la nape !

                        LE  BADIN

        Vous portez visage de pape50,

        Mon compère. Comme te va ?

                        LE  MARY

        À ceste heure-cy, à ceste heure-là,

110  Léger d’argent51.

                        LE  BADIN

                                      Esse cela ?

        Tu tiens icy bonne grimasse52 :

        C’est toy, c’est toy qui en amasse

        Tous les jours, dehors et dedens !

        Alons un peu rincher nos dens53,

115  Et laissons ceste gravité54.

.

                        LE  MARY                                               SCÈNE  VIII

        Ma55 femme t’en a bien compté,

        Mais je ne l’ay pas entendue.

                        LE  BADIN

        Qui ? Ceste vielle refondue56 ?

        Laisse-la pour telle qu’el est,

120  Car tu peulx bien penser que c’est57.

        Je suys mar[r]y qu’el est ta femme.

        Qu’au deable soyt tout son diffamme58,

        Pour ton profict et grand honneur !

                        LE  MARY

        Comment, compère ?

                        LE  BADIN

                                            Pour le seur59,

125  J’en suys aussy mar[r]y que toy.

                        LE  MARY

        Et pourquoy, compère, pourquoy ?

                        LE  BADIN

        Pourquoy, compère ? El te difame,

        Et de son corps se faict infâme.

        Je te le dis cy à l’oreille.

130  Et j’entemps que, jour et nuict, veille

        Pour entretenir toutes gens.

                        LE  MARY

        Je le say il y a long temps,

        Vous ne dictes rien de nouveau.

        Mais qui ?

                        LE  BADIN

                           C’est messire Nicolle Biveau60,

135  Nostre curé, pour chose seure.

        En ta maison vient à toute heure :

        Tousjours, par elle, est [bien] receu.

                        LE  MARY

        Mon compère, as-tu61 aperceu

        Le curé ?

                        LE  BADIN

                           Voyre, le curé ;

140  Ce malheur-là t’a procuré.

        Entens : je ne le diroys pas62.

                        LE  MARY

        Vielle loudière63 ! Viel cabas !

        Je t’avoys bien donné congé

        À tous, fors à nostre curé64.

145  [Or çà]65 ! t’es-tu habandonnée ?

        Corps bieu ! tu en seras frotée66,

        Ou pas ne seray le plus fort67 !

                        LE  BADIN

        Compère, mectez y vostre effort

        À bien pourvoir à vostre cas.

150  Mais escoustez : ne dictes pas

        Que l’ayes dict.

                        LE  MARY

                                  Non, sur ma vye !

        Mais grandement vous remercye

        De ce que m’avez adverty.

        Bien congnoys qu’estes mon amy.

155  Adieu, compère, et grand mercys !

.

                        LE  BADIN 68                                          SCÈNE  IX

        Et la la la69 ! Il est bien pris.

        On luy fera tantost sa saulce70.

        Mais quel gentilhomme de Beaulce71 !

        Que[l] yvrongne ! Quelle tuache72 !

160  Contemplez un peu sa grimasse,

        Comme il s’en va batre sa femme

        En l’apelant « villaine infemme » !

        Mon Dieu, mon Dieu, quelle m[a]ygnye73 !

        Et tant il est fol qu’i se fye

165  Aulx raporteurs plains de méfaict.

.

                        LE  MARY 74                                           SCÈNE  X

        A ! ma femme, me l’av’ous faict75 ?

        Il vous sera bien cher vendu !

        Vous m’avez prins au trébuchet76.

        A ! ma femme, l’avez-vous faict ?

170  Vous l’avez bien faict et refaict,

        Mais c’est à vous mal entendu77.

        A ! ma femme, l’avez-vous faict ?

        Il vous sera bien cher vendu !

.

                        LA  VOYSINE 78                                     SCÈNE  XI

        Tout le bon temps s’en va perdu ;

175  Plus n’est saison de bonne chère.

        Ainsy comme j’ey entendu,

        Tout le bon temps s’en va perdu.

        Le mauvais temps est revenu.

        Vous en sçavez bien la manyère.

180  Tout le bon temps s’en va perdu ;

        Plus n’est saison de bonne chère.

                        LE  BADIN

        Voécy, pour Dieu79, bonne matière !

        Dea ! voisine, amye très chère,

        Dictes-moy un peu la manyère.

185  Ma voysine, je vous en prye :

        D’où vient ceste mélencolye,

        Dont j’ey ouÿ vostre complaincte ?

                        LA  VOISINE

        Du temps présent je me suys plaincte,

        Qui n’a en luy doulceur ne grâce.

                        LE  BADIN

190  (Mais escoustez ceste bécasse !)

        Vous y dussiez mestre police80.

        Sy vous monstrez vostre malice,

        Vous ferez encor[e] plus fort.

                        LA  VOISINE

        Et quoy ?

                        LE  BADIN

                         De bonne paix un grand éfort81.

195  (C’est la nature [de nos]82 femmes :

        Plus sont haultaines que gens d’armes83

        À leurs [amys, mais en tout bien]84.)

                        LA  VOISINE

        Que dictes-vous ?

                        LE  BADIN

                                     Je ne dis rien.

        Tout vient85 de vous.

                        LA  VOISINE

                                           Quoy ? vous mentez !

200  Par sainct Crespin, vous en mour[r]ez !86

        Esse ainsy [myeulx], sote personne ?

                        LE  BADIN

        Ne frapez plus, mot je ne sonne87 !

        (Le cœur me crève de despit.)

                        LA  VOISINE

        Retire-toy, pour ton profit,

205  Et te contente de [ta part]88 !

                        LE  BADIN

        (Le gibet y ayt male89 part !

        Je ne say plus que90 je veuil dire.)

        J’ey veu le temps que souloys rire91,

        Et faisoys du bon compaignon

210  Avec commère Janeton92.

        Mais [quoy], le temps passé n’est plus ;

        Tout s’en va, on n’en parle plus.

        On ne tient compte des amys.

                        LA  VOISINE

        Mon amy93, il m’estoyt advys

215  Que94 je faisoys en bonne foy.

        Et ! dea, voysin, acolez-moy,

        Comment vous [me] dictes95.

                        LE  BADIN

                                                       Comment ?

        À vostre bon commandement,

        Tout fin prest à payer de[mye] carte96

220  Devant que nostre jeu départe97,

        S’il le vous plaist.

                        LA  VOISINE

                                      Dea, grand mersis !

        Vrayment, depuys que ne vous vis,

        Vous me semblez98 jolys et beau.

                        LE  BADIN

        Je say bien chose de nouveau99,

225  [Mais] à vostre grand déshonneur.

                        LA  VOISINE

        Voulez-vous dire ?

                        LE  BADIN

                                      Tout  pour le seur,

        Je vous ay cherché toute jour100

        Pour le vous dire sans séjour101,

        Dont je suys en un gros esmoy.

                        LA  VOISINE

230  Voulez-vous dire [un peu de]102 quoy ?

        Sachons le faict, je vous en prye !

                        LE  BADIN

        Escoustez, commère, ma mye,

        L’orde vilain103 putain qu’el est.

        S’el[l]e m’avoyt dict ou mesfest104

235  Encontre moy de tel façon…

        Aler105 donner tel chaperon

        À telle honneste femme de bien !

                        LA VOISINE

        Perdue je suys, je le voy bien.

        Je cuyde entendre le mistère :

240  C’est la gorière106 qui veult faire

        De la privée107 par-dessus toulte.

                        LE  BADIN

        Voyre. Que la senglante goulte108

        La puisse saisir de despit !

                        LA  VOISINE

        Sav’ous pas bien qu’el109 vous a dict ?

245  Je vous110 prye que je le sache !

                        LE  BADIN

        Sans vous en faire grand relâche111,

        Que vous alez deçà, delà,

        [Et retournez par-cy, par-là,]112

        À la maison monsieur Benest113,

250  Et qu’el est plus belle qu’i n’est114.

        Vostre mary vous faicte[s] conart ;

        Et aussy, y faict le bragart

        Cheulx vostre prochaine voisine115.

                        LA  VOISINE

        Le deable luy rompe l’eschine,

255  L’orde vilain putain qu’el est !

        Esse bien dict ? Esse bien fest

        De difamer femme de bien

        Plus qu’elle n’est (je le say bien)116 ?

        Je luy crèveray les deulx yeulx !

                        LE  BADIN

260  Tousjours jasoit117 de myeulx en myeulx,

        Dont j’avoys le cœur sy mar[r]y.

        Sy ne fust esté son mary,

        Je luy eusse rompu l’eschine.

                        LA  VOISINE

        A ! je luy tiendray bonne myne.

265  Sy la rencontre emmy118 la rue,

        L’heure mauldira qu’el m’a veue !

                        LE  BADIN

        Y fauldra bien que vous jasez,

        Et aussy que vous caquetez119,

        Quant Catherine120 viendra icy.

                        LA  VOISINE

270  Pas n’aray le cœur endurcy121,

        Ne mon caquet, à sa venue !

        Je jure Dieu (qui fist la nue) :

        L’orde vilaine maquerelle

        Comperra122 toute la querelle !

275  [Plus n’en veulx maintenant crier,]123

        Ou je ne pouray pas parler

        Jusques-là.

.

                        LE  BADIN 124                                        SCÈNE  XII

                           A ! ne vous desplaise,

        Y fault — sans que s[o]ies à malaise125

        Parler un peu de mon procès :

280  Car l’autre jour, je fis excès,

        Dont adjourné je suys en126 Court.

.

                        LA  VOISINE 127                                    SCÈNE  XIII

        Je feray sa saulce à la Court128

        Et dens sa maison. Puys après,

        M’en iray parler tout exprès

285  À elle, pour veoir qu’el veult dire129.

.

                        LE  BADIN                                               SCÈNE  XIV

        Voylà assez bon jeu pour rire.

        Vous voérez tantost la bataille

        De femmes par-dessus la paille130.

        Mon Dieu, quel déduict ce sera !

290  Mauldict soyt-il qui se faindra131

        De fraper, s’y puys ariver132.

        Je les ay faictes couroucer :

        Par mon serment ! j’en suys joyeulx.

        Premièrement, encor je veulx

295  Aler cheulx la grand Catherine133

        Pour contempler un peu leur myne

        Et voèr que son mary a fect134,

        S’il est en bon poinct ou défect135 ;

        J’en veulx sçavoir toute la fin.

.

300  Holà, ma commère Catin !                                         SCÈNE  XV

        Dormez-vous ?

                       LA  FEMME

                                   Dieu gard le beau Père136 !…

        Avez-vous veu vostre compère137 ?

        Dictes, où l’avez-vous laissé ?

                        LE  BADIN

        Il semble estre tout couroucé ;

305  Il est bien mar[r]y, ce me semble.

                        LA  FEMME

        Il aura grand peur, [s’il ne tramble]138.

        Quant viendra, il sera repu139.

                        LE  BADIN

        Et ! comment ? N’est-il pas venu

        Dens sa maison ?

                        LA  FEMME

                                       Nennin, nennin.

                        LE  BADIN

310  Nennin ?

                        LA  FEMME

                         [Non, ce n’est qu’un jénin.]140

        [Aussi,] je les despites tous,

        Ces malureulx141 et [ces] jaloux.

        Je ne suys putain ne paillarde.

                        LE  BADIN

        Sy estes, que le feu vous arde142 !

315  Sy dict ainsy vostre voisine.

        Mais vous n’estes pas assez fine

        Pour entendre ce que je dis.

                        LA  FEMME

        El143 l’a dict ?

                        LE  BADIN

                                  Voyre. Et je luy144 dis

        Qu’il145 m’en desplaist bien grandement.

                        LA  FEMME

320  Dictes-moy donc le vray. Comment !

        Ne respondiez-vous146 rien au fect ?

                        LE  BADIN

        Quoy respondre ? Je dis de fect

        Que jamais ne fistes de feste

        Pour coucher avec aultre147 maistre

325  Comme elle [faict].

                        LA  FEMME

                                         Le viel cabas !

        Veult-elle contre moy débas ?

        Je luy feray bien maintenir !

                        LE  BADIN

        El doibt tantost icy venir ;

        Voyons que luy sarons respondre148.

                        LA  FEMME

330  Le gibet me puisse confondre

        Sy ne luy abas149 son quaquet !

.

                        LE  MARY 150                                        SCÈNE  XVI

        Où est ma femme ?

                        LA  FEMME

                                          Ouy dea, niquet151 !

        Vous m’avez joué d’un bon tour.

                        LE  MARY

        Vous m’avez mys la paste au four152 ;

335  Jamais je ne l’usses pencé.

                        LE  BADIN

        Or sus, sus,  c’est assez cabassé153 !

        Laissons un peu tous ces devys ;

        Soyez ensemble bons amys.

        Dictes une chanson plaisante !

340  Et puys en après, qu’on régente154

        Tous les débas de vostre cas155.

                        LE  MARY

        Guères ne me plaist tel fatras,

        Mais [c’est] bien pour l’amour de vous156.

        [Or,] dison un mot157 gay et doulx

345  Pour resjouir la compaignye.

                        Ilz chantent une chanson.158

.

                        LE  MARY

        Ma fem[m]e, quant je suys dehors,

        Le curé159 vous ayme, faict pas ?

                        LA  FEMME

        Mon mary, vous estes amors160

        D’aler monter dessus le corps

350  De la chamb(è)rière, n’êtes pas ?

                        LE  MARY

        Jamais je ne face repas161

        S’el en fust jamais coustumyère162 !

                        LA  FEMME

        Ouy dea, ouy ! Esse la manyère163,

        De dire que je vous faictz conard ?

355  Vous parlez164 là de bonne pard,

        Mon mary, d’aler « besongner »

        Alieurs, et aussy me laisser.

        Par Dieu ! je veulx que vous sachez

        Que mes membres165 sont myeulx dressés

360  Que ceulx de vostre chambèrière.

                        LE  BADIN

        Que sçavez-vous, amye très chère ?

        Y peult estre qu’i n’est pas vray.

                        LA  FEMME

        Sy est, pour vray ! Car je le sçay

        Que ce n’est c’un vilain putier.

                        LE  BADIN

365  (Vous laissez-vous répudïer166,

        Compère, ainsy à167 vostre femme ?)

                        LE  MARY

        Alez, putain puante infâme !

        Méchante layde désonneste !

        Par Dieu, je te rompray la teste !

                        LE  BADIN

370  Tout beau, tout beau, mauvais garson !

        Dea ! vostre père estoyt sy bon.

        [Vous vous mordrez]168 un peu le poulse.

                        LA  FEMME

        Va, vilain puant, barbe rousse169 !

        Mauldict soyt l’heure que170 te vis

375  Et que jamais tu aprochys

        De moy, et que je t’ay congneue !

                        LE  BADIN

        Par Dieu ! vous fustes bien pourveue :

        Sy ne fust luy, vous fussiez morte171.

        Que le grand deable vous emporte !

380  (Dessus, dessus ! Poussez, commère172 !)

                        LE  MARY

        Qu’esse que vous dictes, compère ?

                        LE  BADIN

        O,  je l[uy] ay dict qu’elle se taise,

        Sy el est sage [et qu’il luy plaise]173.

                        LA  FEMME 174

        Va, vilain ! [Va, mauvais garson !]175

385  Va pisser176 dedens ta maison

        Comme tu fais dedens l’église !

                        LE  BADIN

        Ce fust, par Dieu, dens sa chemise177

        Qu’i[l] y pissa le jour [St Flour]178.

        Et ! comment vous faictes le sourt !

390  (Poulsez, commère179, la querelle !)

.

                        LA  VOISINE 180                                   SCÈNE  XVII

        Où est ceste vielle maquerelle

        Qui va disant que suys paillarde ?

.

                        LE  BADIN 181                                        SCÈNE  XVIII

        Commère, montrez-vous gaillarde :

        Sainct Jehan ! voécy vostre voisine.

                        LA  FEMME

395  Par Dieu, je luy rompray l’eschine182 !

        Et ! qu’elle vienne hardyment !

.

                        LA  VOISINE 183                                     SCÈNE  XIX

        [Tu en auras, par mon serment !]184

        Vien çà, putain esservelée !

        Rongneuse à la teste pelée !

        Pÿon185, yvrongne et sac à vin !

400  Viel br[o]yon où meult186 le moulin !

        [Viel] visage tout pertuisé187 !

        Viel haillon tout avant pelé188 !

        Vous avez dict am[m]y189 la rue

        Que suys une putain congnue ?

405  Vous avez menty faulcement !

                        Ilz se batent ensemble.

                        LA  FEMME

        A ! cerveau hors d’entendement !

        Vieulx refuge des hôpitaulx190 !

        Escorcheresse de chevaulx !

        Laide puante au nés crochu191 !

410  Par Dieu ! il te sera meschu192,

        Reliquère193 de vieulx garsons,

        Plaine et garnye de morpïons !

        Maulvaise [rousse abominable]194 !

        Proserpine, mère du deable !

415  C’est vous qui m’avez diffamée.

                        LE  BADIN

        C’est, par bieu, elle.

                        LA  VOISINE

                                         Hau ! maudînée195 !

        Je ne [res]semble à ta cousine,

        Qui est une vielle quoquine

        Et premyer pill[i]er du bordeau196.

                        LE  BADIN

420  (Et son père, qui est méseau197.

        Poulsez, commère !)

                        LA  FEMME

                                           Que t(u) es nyce198 !

                        [LA  VOISINE]

        Jamais ne desroba[y] galice199

        [En contrefaisant le dévot,]200

        Com(me) ton mary.

                        LE  MARY

                                          Vous mentez trop,

425  Madame la putain ! Gardez

        Mon honneur, et vous regardez201

        Autant en yver qu’en esté.

        Vray est que l’avoys emprunté,

        Aveques tous les corporeaulx202.

                        LE  BADIN

430  Et là ! mile maulx, mile maulx ! 203

        (Compère, vous estes trop flac204.)

                        LA  VOISINE

        Que dictes-vous ?

                        LE  BADIN

                                     Rien.  Mais que le sac

        Se deslye, [nous saurons]205 tout.

        (Quoy ! n’en voérez-vous pas le boult ?

435  Sus, sus,  courage, deffendez-vous !)

                        LA  FEMME

        A ! vilaine !

                        LE  BADIN

                               (Cryez : « Mais206 vous ! »

        Courage, prenez bonne alaine !)

                        LA  VOISINE

        Retourne, retourne la layne

        Que tu desrobas au Palais207 !

                        LA  FEMME

440  Mais  toy, retourne rendre le fays

        [De sarments]208 prins aulx Jacopins !

                        LE  BADIN

        Et, la, la ! En ces bons lopins209,

        Alez encontre pour « jouster210 »

        Et vostre langue descliquer211.

445  Gardez-vous bien qu’el ne vous gaigne !

        Vous la ferez vessir d’engaigne212.

        Par  devers elle vous fault aller.

        (Je m’engresse de leur parler213.)

        Sus, ma commère ! Alez la batre !

                        LA  VOISINE

450  Bien le vouldroys, sans plus débatre ;

        Mais elle est plus forte que moy.

                        LA  FEMME

        Dictes, dame, par vostre foy :

        Qui esse qui vous a porté214

        Et ce faict icy raporté,

455  Pour quoy [vous me nommez]215 « cabas » ?

                        LE  BADIN

        (Commère, ne l’escoustez pas !

        Cryez, bréez216 comme une folle !)

                        LA  VOISINE

        Demandez-vous qui, teste folle ?

        Un homme de parmy le monde.

                        LA  FEMME

460  Mais qui ? Dictes !

                        LE  BADIN

                                        (Tout mal abonde

        À elle : ne l’escouste[z] poinct !

        Par bieu ! vous la gaignez d’un poinct.

        À crier, vous estes mêtresse :

        Cryez !)

                        LA  FEMME

                        Et ! venez [çà, deablesse]217 !

465  Qui esse qui le vous a dict ?

                        LA  VOISINE

        Pensez-vous que n’ays pas crédict

        Aussy bien que vous ? Sy ay, sy !

                        LE  BADIN

        (Commère, laissez tout cecy.

        Poulsez, et je vous ayderay.)

                        LA  FEMME

470  Venez [ç]à ! Dictes-moy le vray :

        Qui vous a raporté cela ?

                        LA  VOISINE

        Nostre compère que voélà,

        Lequel le maintiendra de hect218.

                        LE  BADIN

        Moy ? Jésus ! je ne say que c’est.

475  Sy je l’ay dict, je m’en desdis.

                        LA  FEMME

        C’est luy qui est plain de mesdis219 !

        Le voélà, parlez à sa barbe220 !

                        LE  MARY

        A ! je vous jure saincte Barbe

        Qu’autant il m’en a raporté,

480  Et vostre honneur a détracté221.

        Compère, est-il pas vray ? Parlez !

                        LE  BADIN

        Y vault myeulx que vous en alez222.

        Rien n’entens à vostre devise.

                        LA  VOISINE

        Trompés nous a de bonne guise.

485  Voyez-vous, il est bien meschant.

                        LA  FEMME

        Payé en sera tout comptant,

        Le méchant, de ce qu’il a faict.

                        LE  MARY

        Contenté223 sera du méfaict.

        Au malureulx224 ! Dessus ! Dessus !

                        LE  BADIN

490  Que me demandez-vous ? Jésus !

        Quant à  moy, je ne vous demande rien.

                        LA  FEMME

        Et nous, on vous demandons bien :

        Faictes-vous icy de la beste ?

                        LA  VOISINE

        De mon poing aurez sur la teste,

495  Puysque n’ay aultre fèrement225.

                        LA  FEMME 226

        Recepvez donc cest instrument,

        Maistre227 raporteur de parolle !

                        LE  MARY

        Vous en arez228, par mon serment !

                        LA  VOISINE

        Recepvez donc cest instrument !

                        LA  FEM[M]E

500  C’est pour vostre gouvernement

        Et pour la peine de vostre rôle229.

                        LE  MARY

        Recepvez donc cest instrument,

        [Maistre] raporteur de parolle !

                        LE  BADIN

        À la mort !

                        LA  VOISINE

                             A ! teste trop folle,

505  Vous l’avez trèsbien mérité !

                        LE  BADIN

        Pardonnez-moy, en vérité !

        À tous, je vous requiers pardon !

        Et en ce jour, j’auray par don230

        Que plus ne seray raporteur.

510  A ! raporteur[s] plain[s] de maleur :

        Laissez raport231 et faulx parler.

        On n’a que mal de raporter.

        Jésus ! le costé, et la teste !

        Par mon serment ! j’estoys bien beste

515  De me froter en tel ofice232.

        Le métier ne m’est pas propice :

        Je le quicte pour tout jamais.233

.

                        LE  MARY                                               SCÈNE  XX

        Fïer ne vous y fault jamais :

        Car de raport, c’est chose folle.

                        LA  FEMME

520  Il avoyt mal aprins son rolle.

        Or çà, ma gentille commère,

        Pardonnez-moy le vitupère

        Que je vous ay dict à grand tort.

                        LA  VOISINE

        J’ey bien cryé plus hault et fort

525  Que vous n’avez, pardonnez-moy.

                        LE  MARY

        A ! nostre femme, j’aperçoy

        Que vous vivez en loyaulté234.

        Tout ce que j’ey dict a esté

        Par faulx raport, pardonnez-moy.

                        LA  FEMME

530  De bon cœur vous pardonne.

                        LA  VOISINE

        Et moy235.

                        LE  MARY

                             Soyons bons amys, désormais !

                        ENSEMBLE

        Sy serons-nous, je vous promais.

.

                        LE  MARY

        Sans excuser leur ignorance,

        Tous raporteurs sont déchassés.236

535  À eulx, n’y a nule fiance,

        [Sans excuser leur ignorance.]

        Dont ne fault pas que nul s’avance

        Pour raporter : seront cassés.

        [Sans excuser leur ignorance]237,

540  [Tous raporteurs sont]238 déchassés.

        Messieurs, vous avez veu assez

        De quoy vous sert le faulx raport.

        [Que] Dieu nous conduye au bon port

        De Salut, et la compaignye239,

545  Avec sancté240 et bonne vye !

.

                                   FINIS

*

1 Un Badin est une sorte d’autiste dont les idées excentriques peuvent provoquer des catastrophes. Celui-ci traîne dans la rue, désœuvré. Tous les habitants de ce quartier où il habite sont ses voisins et ses amis.   2 De rester ici sans rien faire. C’est l’oisiveté, mère de tous les vices, qui va pousser le Badin à monter les gens les uns contre les autres.   3 Que perdre mon temps. Le vers est très difficile à lire ; non seulement le remanieur rature, mais en plus, il ajoute des signes et des repères qui peuvent passer pour des lettres. Et parfois, il modifie le texte original en le surchargeant avec une encre plus foncée.   4 En admettant que ce vers soit juste, il n’est pas clair. Je comprends : Qu’on perde ou qu’on gagne, il faut avoir le courage de jouer.   5 Elle s’apprête à rentrer chez elle, dans la même rue.   6 LV : badin  (Voyant son épouse entrer dans la maison, le mari préfère rester dehors.)   7 Que je me réconcilie avec elle. On trouve un jeu similaire sur le radical « corde » aux vers 27-33 de Deux hommes et leurs deux femmes.   8 C’est un des coups gagnants du jeu de paume. « Elle jouoit dessus la brune/ En passant par-dessus la corde. » Légier d’Argent.   9 Jeu de mots sur l’expression « C’est corbin et corbel » : c’est bonnet blanc et blanc bonnet. (Le corbin et le corbel sont les anciens noms du corbeau.)   10 Quand il m’en souvient.   11 Je ferai semblant d’être d’accord avec ma femme.   12 Je me déferai du lien du mariage.   13 LV : descorder  (J’ai l’intention de « besogner » ma voisine. « Tousjours (elle) me venoit quérir pour la recorder, que je fus une foys contrainct de la recorder plus de huit foys pour un jour. » Nicolas de Troyes.)   14 LV : sesy  (Cette situation me pèse.)   15 Est mis de côté. « Pendons soucy au crocq. » (Clément Marot.) Il s’agit tout particulièrement du crochet auquel les juges et les avocats pendent les sacs de procès : « Le procès pend au croc, ne se poursuit point. » Le Roux.   16 LV : chantant  (Les versificateurs normands élident le « e » quand ça les arrange : « Je chantray ma première messe. » D’un qui se fait examiner.)  « La poule ne doit point chanter avant le coq…. Proverbe qui signifie que la femme ne doit point parler avant son mari. » Le Roux.   17 Avant ma mort. Jeu de mots sur « la fin du mois ».   18 Il entre chez la femme.   19 LV : que eusies pense  (Rime du même au même.)  Que vous auriez laissé passer un tel déshonneur de cette manière.   20 Il manque 2 vers où le Badin affirme avoir surpris le mari de son interlocutrice avec leur chambrière.   21 LV : qui leur   22 Plus acharnés au « combat » que des ennemis.   23 LV : donc   24 Trébuché.   25 Mais vous devinez de quoi il s’agit.   26 Cornard, cocu. Idem vers 72, 251 et 354. Allusion fielleuse aux Conards de Rouen : voir ma notice.   27 D’une aristocrate. Pour expliquer la mésalliance de la fille, on suppose que le père était un valet.   28 Pour enrager tout vif. Idem vers 83, 92 et 95.   29 Sous-entendu : Vous seriez vengée si vous couchiez avec moi.   30 LV : ases  (Rapporter des mensonges aux uns et aux autres, c’est suffisant.)  Ce vers est dit en aparté.   31 Ou si je l’enverrai balader. Cf. le Retraict, vers 180.   32 Je suis celui.   33 Quand je pris en mariage.   34 De ce qui se trame contre lui.   35 Je serai convoqué au tribunal pour diffamation. Le Badin est un habitué du prétoire : voir les vers 279-281.   36 Secret, à l’écart.   37 Toujours dans la rue.   38 La folle. « Ha ! povres foulx ! Ha ! povres fades ! » Sermon joyeux à tous les foulx, BM 37.   39 LV : remolys  (À l’écart. « Doy-je estre mys a remotis ? » Ung jeune moyne.)  C’est une des expressions latines qui ponctuent les plaidoiries.   40 LV : mes  (Le scribe s’arroge la même fantaisie à 436.)  Le mari prend à témoin les basochiens de l’assistance, qui sont en train de s’esclaffer. Il les invoque une nouvelle fois au vers 541.   41 LV : prenes y  (Est-ce que cela vous fait rire.)   42 Pas plus qu’un fétu de paille.   43 Vers manquant. « D’estre venu en ceste place./ Las ! je ne sçay plus que je face./ Mourir me conviendra de fain. » L’Aveugle et le Boiteux.   44 Je ne sais pas que faire de plus.   45 LV : profite   46 Je m’en vais dans ma maison. Le mari rentre chez lui, où sa femme discute avec le Badin.   47 LV : uostre compere monsieur lyurongne  (Dites plutôt un ivrogne.)   48 LV : bonne  (Anticipation du vers suivant.)  Parmi plusieurs dizaines d’exemples de cette locution figée, en voici un de Ronsard : « Le nez et la rouge trongne/ D’un Silène ou d’un yvrongne. » Notons qu’au vers 399, c’est la sobriété de l’épouse accusatrice qui sera fortement remise en cause.   49 Je vais, pour vous. C’est ironique : la femme n’a plus l’intention de servir son mari.   50 Jeu de mots sur paper [manger] : « Je vais morir, je qui suy Pappes…./ Tu me veux tolir [enlever] le papper ? » (Godefroy.) Le censeur a barré cette référence au pape.   51 Je suis à sec. Cf. Légier d’Argent.   52 LV : grimase  (Tu es hypocrite.)   53 Rincer nos dents (normandisme) : boire un verre.   54 Ce grave discours. Les deux hommes sortent, dans l’intention d’aller à la taverne.   55 LV : la  (Correction du remanieur. Le texte qui transparaît sous la rature est douteux.)  Ma femme t’a raconté des horreurs sur moi.   56 Cette vieille rajeunie, grimée. « Il refondoit les vieilles, les faisant ainsi rejeunir. » Rabelais, Vème Livre, 20.   57 Ce que c’est, ce qu’elle m’a dit.   58 Les actes honteux qu’elle commet. Idem vers 34 et 54.   59 Pour sûr. Idem v. 226.   60 Nicole était souvent un prénom masculin (cf. le Sourd, son Varlet et l’Yverongne, vers 84.) Le censeur du ms. et les éditeurs de 1837 ont pudiquement remplacé le curé par un « jeune veau ». Sous la rature, on peut à la rigueur déchiffrer binyau, ou bivyau, ou bujyau. Si le « y » est mis pour un « e », comme c’est de tradition en Normandie (l’yau = l’eau), nous pouvons lire Biveau, qui rime avec « nouveau ». Ce nom était commun dans la région : voir la note 5 de Jéninot qui fist un roy de son chat.   61 LV : jey   62 Je ne le dirais pas si cela n’était pas vrai.   63 Le mari traite son épouse absente de débauchée, puis de vieille prostituée au sexe trop large. On retrouve ce « vieux cabas » aux vers 325 et 455.   64 Je t’avais autorisé tous les hommes sauf le curé.   65 LV : vienca  (Voir le v. 521.)  Rappelons que l’épouse est restée à la maison.   66 Battue.   67 Ou bien tu seras plus forte que moi. La musculature de cette représentante du sexe faible est encore invoquée au vers 451 : « Mais elle est plus forte que moy. »   68 Il reste dans la rue, entre le domicile des époux et celui de leur voisine. Le mari s’éloigne en direction de sa propre maison.   69 « Et la la la, faictes-luy bonne chière. » Cette chanson de Ninot le Petit, publiée en 1502, revient au vers 442. Les Badins chantent beaucoup.   70 On va l’assaisonner (péjoratif). Idem v. 282. « La pute fausse/ Lui compte toute sa pensée,/ Disant que lui fera sa sausse. » ATILF.   71 Quel pauvre type. Voir la note 99 de Maistre Mymin qui va à la guerre, et la note 244 du Capitaine Mal-en-point.   72 Quel hâbleur (mot normand). « Maint homme, par son blason [sa forfanterie],/ Semble plus hardy que Jason,/ Qui n’est, pour vray, qu’une tuache. » (Guillaume Haudent.) Rime avec le normand « grimache ».   73 Quelle maisnie, quelle maison de fous.   74 Il se dirige vers sa porte.   75 Me l’avez-vous fait : m’avez-vous trompé. La contraction normande « av’ous » ne revient pas aux refrains 169 et 172 de ce triolet : cela est dû au fait que le ms. de base ne donnait que les premiers mots des refrains.   76 Vous m’avez pris au piège comme un oiseau (sans doute un coucou).   77 Vous avez eu tort. Cf. la Confession Rifflart, vers 38.   78 Elle sort de chez elle en chantant une complainte (vers 187). Beaucoup de farces mettent en valeur l’arrivée d’un nouveau personnage par un triolet chanté.   79 LV : rire   80 Vous devriez y mettre bon ordre.   81 Vous ferez (v. 193) un effort pour être en paix avec tout le monde.   82 LV : des bonnes   83 Elles sont plus cruelles à leurs amis que des soldats.   84 LV : anys mais du tout rien  (Rime du même au même.)   85 LV : bien  (Tous vos malheurs viennent de vous.)   86 La voisine frappe le Badin.   87 Je ne dis plus un mot.   88 LV : ton raport  (Influence du titre de l’œuvre.)  Contente-toi de la part de coups que tu viens de recevoir. Dans la Nourrisse et la Chambèrière, quand la nourrice « baille sa part » à Johannès, une didascalie précise : « Elle le bat. »   89 Mauvaise. Que vous soyez pendue !   90 Ce que. Les coups sur le crâne perturbent la mémoire.   91 J’ai connu une époque où j’avais l’habitude de rire.   92 C’est apparemment le nom de la voisine. Pour la reconquérir, le Badin se plaint dans le même ton qu’elle.   93 LV : ame   94 LV : quant  (Que je te frappais à juste titre.)   95 Comme vous me l’avez dit au vers 25. LV répète ensuite : coḿent   96 Une demi-quarte de vin. « Pour payer carte de bon vin. » La Veuve.   97 Avant que notre jeu (ou que notre farce) s’achève. Même vers dans le Mystère de la Passion d’Auvergne.   98 LV : combles   99 Une chose nouvelle.   100 Toute la journée. « Je vous ay toute jour cherché. » Frère Guillebert.   101 Sans délai.   102 LV : compere et  (Voir le v. 184.)   103 LV : vilaine  (Même vers que 255, où on lit « vilain ».)   104 Si elle avait médit ou mal fait.   105 LV : vale  (Un chaperon est un coup sur la tête, ici au figuré. « Il bailla à sa femme dronos [un coup], & chaperon de mesme : He bangde, belammed, thumped, swadled her. » Cotgrave.)   106 La demi-mondaine dont je suis voisine. Cf. Colin qui loue et despite Dieu, vers 534.   107 La familière, l’amie intime. Cf. le Poulier à sis personnages, vers 485.   108 Que la douloureuse goutte. Cf. Serre-porte, vers 221.   109 LV : quil  (« Sav’ous » est une contraction normande ; voir le v. 166.)  Ne savez-vous ce qu’elle vous a dit ?   110 LV : te  (Voir le v. 231.)   111 Sans vous faire attendre, elle dit…   112 Vers manquant, suppléé par le remanieur.   113 La maison de monsieur saint Benoît peut être un couvent de Bénédictins. Mais le benêt, forme normande du benoît [bénit], désigne le pénis : « Après que elle auroit manié son benest (…), il coucheroit avecques elle. » Les Joyeuses adventures.   114 Qu’il n’en est : qu’aucune autre femme.   115 Votre mari fait le fringant chez votre plus proche voisine.   116 Une femme plus honnête qu’elle, je suis bien placée pour le savoir.   117 LV : jasent  (Elle colportait des rumeurs.)   118 LV : parmy  (Voir le v. 403.)   119 LV : naquetes  (Que vous jacassiez. « On jaze, on caquète. » Sermon pour une nopce.)   120 LV : guillemete  (Voir la note 133.)  Les Normands prononçaient Catrine, ou Catline : « La grand Catline dit : “Vraiment,/ J’ay tant pleuré, depis un an.” » La Muse normande.   121 Je n’aurai pas le courage paralysé.   122 LV : comptera  (Me le paiera. « Vous le comperrez ! » Les Femmes qui font refondre leurs maris.)   123 Vers manquant. La voisine craint d’arriver aphone devant son ennemie : « De crier je me rons la voys. » (Le Retraict.) Ce ne sera pourtant pas le cas, d’après les vers 524-5.   124 La voisine s’éloigne. Cette tirade du Badin arrive comme un cheveu sur la soupe ; c’est un clin d’œil aux basochiens qui composent le public.   125 Sans que j’en sois préoccupé. « Que tu ne soies à malaise de la bataille. » Lancelot.   126 LV : tout  (Je suis convoqué au tribunal. « Adjourné en Court de Parlement. » Josse de Damhouder.)  On voit que le Badin n’en est pas à ses premières frasques.   127 Toujours dans la rue, un peu plus loin.   128 Je vais l’assaisonner par mes paroles devant l’Échiquier de Normandie, où siège la cour de Justice.   129 Ce qu’elle aura à dire pour sa défense.   130 Sur la paille qui jonche les rues : elles rouleront par terre.   131 Celui qui fera semblant. « Frappe fort, Gaultier : tu te fains. » La Laitière.   132 Si je peux y arriver.   133 LV : jaqueline  (Au vers 300, « Catin » est le diminutif de Catherine : voir la note 37 de Colin qui loue et despite Dieu. Mais le vers 269, qui est d’ailleurs trop long, l’appelait Guillemette.)   134 Et voir ce que son mari a fait.   135 LV : dehect  (Défait : abîmé par les taloches de sa femme.)   136 La femme croit à une visite de son amant le curé. En ouvrant la porte, elle déchante.   137 Mon mari.   138 LV : se me semble  (à la rime. J’adopte la leçon du remanieur. « Il aura bien chault, s’il ne tremble. » Le Pourpoint rétréchy.)   139 Il sera rassasié de coups.   140 Lacune comblée par le remanieur. Un jénin est un cocu : « Que ma femme m’ayt faict jénin. » Ung mary jaloux.   141 Je les méprise, ces misérables.   142 Vous en êtes une, que le feu de l’Enfer vous brûle !   143 LV : qui   144 LV : le  (Le passé simple « dis » peut rimer contre le présent.)   145 LV : et   146 LV : respondres vous  (Au fait qu’elle m’insultait. « Répondre au fait » se dit d’un avocat qui répond sur le fond à la partie adverse.)   147 LV : le  (Avec un autre homme.)   148 Ce que nous saurons lui répondre.   149 LV : abaise  (Leçon du remanieur. « A ! j’abatray bien ton caquet. » Le Savatier et Marguet.)   150 Il rentre chez lui.   151 Cocu. C’est un dérivé normand de « nice » (vers 421). « Où est » se prononce « wé » en une syllabe, comme à 391.   152 Vous m’avez fait du tort. « Il en portera la paste au four : Il en portera la peine ou le dommage. » Antoine Oudin.   153 LV : cabase  (Vous avez assez mystifié les gens. Venant d’un mythomane, la remarque est savoureuse.)   154 Qu’on règle.   155 De votre cause, de votre procès. Cf. l’Aveugle et Saudret, vers 593-5.   156 Par amitié pour vous. « C’est pour l’amour de vous. » Le Ribault marié.   157 Chantons. « Je vous supply que vous et moy/ Nous disons ung mot de chanson. » Deux hommes et leurs deux femmes.   158 Cette chanson, sans doute trop démodée pour que notre copiste la conserve, commençait par un vers en -ie, et s’achevait sur un vers en -ors.   159 Le censeur et les éditeurs de 1837 ont encore escamoté le curé.   160 Enclin (verbe amordre).   161 Je veux bien me passer de manger.   162 Si elle en a pris l’habitude. Cette dénégation est presque un aveu.   163 Est-ce la nouvelle mode. Cf. Marchebeau et Galop, vers 205.   164 LV : par celle  (De bonne part = de source sûre. « Vous parlez de très bonne part. » Arnoul Gréban.)   165 Mes membres inférieurs, qui sont en l’air quand vous êtes couché sur moi. La phrase est comique parce que ce rôle « féminin » est tenu par un homme, dont le membre pourrait être dressé. Toutefois, le membre désigne aussi le sexe des femmes : « [Ils] avoient efforcé et violé une jeune fille (…), et après, bruslé le poil de son membre honteux. » Journal d’un bourgeois de Paris sous François Ier.   166 Récuser. Encore un terme de procédure.   167 Par. Pour aiguillonner les protagonistes contre leurs adversaires, le Badin donne à certains d’entre eux des encouragements que les autres n’entendent pas. Je mets ces exhortations entre parenthèses.   168 LV : refroides  (« Se mordre les poulces : Se repentir d’un affaire. » Oudin. Nous dirions : Vous vous en mordrez les doigts.)   169 Depuis Judas, les roux ont mauvaise réputation : voir le v. 413. Allusion possible aux frères Barberousse, pirates barbaresques qui, à la même époque, réduisaient en esclavage les Chrétiens.   170 LV : quonques  (Leçon du remanieur.)  « Mauldit soit l’heure/ Que jamais marié je fus ! » Les Cris de Paris.   171 S’il ne vous avait pas épousée, vous seriez morte de faim.   172 LV : encores   173 Lacune comblée par le remanieur.   174 À son mari.   175 Lacune. On a déjà traité le mari de « mauvais garçon » au vers 370.   176 LV : va paser  (Inutile de dire que cette anecdote a été censurée.)  Le Badin croit inventer les calomnies qu’il décoche aux uns et aux autres, mais on va s’apercevoir que la réalité est bien pire que ses affabulations.   177 La chemise, qui descend jusqu’aux genoux, rentre dans le haut-de-chausses ; elle est donc la première exposée en cas d’« accident ». « J’avoys chié en ma chemise. » Les Sotz nouveaulx farcéz.   178 LV : est lours  (Le jour de la Saint-Flour, le 1er juin.)  On respectait le calendrier liturgique plus que les dates chiffrées : « Le lendemain, qui fut le jour sainct Andrieu. » E. de Monstrelet.   179 LV : comences  (Voir les vers 380 et 421.)   180 Elle vient vers la maison où se disputent les autres.   181 En regardant par la fenêtre, il voit débouler la voisine.   182 LV : la mine  (Voir les vers 254 et 263.)   183 Elle enfonce la porte.   184 Vers manquant. J’adapte le vers 498. Tu en auras, des coups.   185 Alcoolique : cf. Grant Gosier, vers 76. « Allez, yvrongne, sac à vin ! » Le Médecin qui guarist de toutes sortes de maladies.   186 Où moud. L’auteur renouvelle l’image du mortier féminin dans lequel s’agite le pilon viril. Les injures qu’il élabore ici sont beaucoup plus originales que celles qu’on trouve dans ce genre de littérature.   187 Percé de trous par la petite vérole, ou par la grosse.   188 Vieille loque au pubis pelé.   189 Parmi, dans. « De la gecter emmy la rue. » Les Maraux enchesnéz.   190 Vieille pensionnaire des établissements qui accueillent les anciennes prostituées.   191 Comme les sorcières, ou comme les juives.   192 Arrivé malheur.   193 Étui dans lequel on met la relique, en l’occurrence le pénis : « Le frère prédicateur despouille ses bragues [ôte ses braies], & approche ses reliques de dame Agathe. » (A. de Saint-Denis.) Ce vers et le suivant ont, bien entendu, été censurés.   194 LV : rouse apomimable   195 Crève-la-faim, clocharde. « Maudisné : Qui a mal dîné. » La Curne.   196 Un pilier de bordel.   197 Lépreux.   198 Idiote.   199 Un calice. Naturellement, ce sacrilège a été censuré.   200 Vers manquant. « En contrefaisant la dévotte. » Farce de quattre femmes, F 46.   201 Regardez-vous. Nous dirions : Balayez devant votre porte.   202 Le corporal est un linge sur lequel on pose le calice contenant les hosties. « Ung grant ribaut saut avant, et tantost prent le calice et les corporaulx, et s’en va. » ATILF.   203 Ce vers doit provenir d’une chanson. Le Badin l’emploie à double sens : Elle a mis le mot = elle a trouvé le mot juste.   204 Flasque, mou : vous vous laissez faire.   205 LV : se sera  (Si chacun vide son sac. Inexplicablement, ces 2 vers anodins ont déchaîné la hargne du censeur.)  Le sac, qui renferme les pièces de la procédure, est l’emblème de la justice médiévale. « Est-il temps que le sac on lie. » Pour le Cry de la Bazoche.   206 LV : mes  (Plutôt vous !)   207 Rapporte la laine que tu as dérobée au Palais du Neuf-Marché. Plusieurs commerçants de Rouen — parmi lesquels des drapiers — occupaient le rez-de-chaussée de ce nouveau Palais de justice. Nos basochiens visent peut-être un voleur particulier.   208 LV : du serment  (Le fagot de sarments que tu as volé chez les Jacobins.)  Les femmes des farces vont dans les monastères pour coucher avec des moines. Sur le couvent des Jacobins de Rouen, voir la note 248 de la Pippée.   209 Morceaux, de viande ou de sexe. « Grant bien leur fissent mains loppins,/ Aux povres filles, ennementes,/ Qui se perdent aux Jacoppins. » Villon.   210 Vous allez jouter contre eux. « Mais qu’elle sente et sache premier de quelles “lances” il vouldra jouster encontre son escu. » Cent Nouvelles nouvelles, 15.   211 Faire cliqueter. « Comment sa langue desclique ! » Les Sotz fourréz de malice.   212 Péter de dépit.   213 De leurs paroles, qui sont effectivement un peu « grasses ».   214 LV : aporte   215 LV : me noḿes vous  (À cause duquel.)  Notons que c’est la femme qui a traité sa voisine de « cabas » au vers 325.   216 LV : brees  (Braillez, du verbe braire.)   217 LV : sa belle deesse  (Au vers 414, la femme comparait déjà sa voisine à la déesse « Proserpine, mère du diable ». Cf. la Nourrisse et la Chambèrière, vers 151.)   218 De hait : volontiers.   219 De médisances.   220 Réprimandez-le.   221 Et qu’il a été le détracteur de votre honneur.   222 LV : ales  (Que vous vous en alliez. Or, c’est le Badin qui est chez ses voisins, et non le contraire.)   223 Remboursé.   224 Sautez sur ce misérable ! Même normandisme au vers 312.   225 Puisque je n’ai pas d’autre arme. Cf. le Moral de Tout-le-Monde, vers 12.   226 Elle brandit un balai.   227 LV : monsieur le  (Je corrige au refrain de 503 la même faute, due à la ressemblance des abréviations de monsieur et de maître sur le ms. de base.)  Le maître rapporteur fait partie du personnel judiciaire. Mais les rapporteurs de paroles sont des faux témoins : « Accuseurs, controuveurs et rapporteurs de parolles en derrière. » G. de Tignonville.   228 Vous en aurez, des coups.   229 Allusion au rôle de l’acteur, comme à 520. Mais le rôle est également le registre où sont inscrites les causes à plaider.   230 J’aurai obtenu du Ciel.   231 La médisance. Idem vers 519, 529 et 542.   232 De me mêler d’une telle besogne.   233 Le Badin s’enfuit.   234 Que vous m’êtes fidèle. Chacun s’empresse d’oublier les manquements des deux autres.   235 Et moi aussi.   236 Le copiste, qui n’a pas compris que nous avions là un 4e triolet, remonte ce refrain B au-dessus du vers précédent, et il loge ici un vers qui ne rime pas : flateurs menteurs et cabaseurs   237 LV : a eulx ny a nule asurance  (Contamination du vers 535 ; mais le refrain A s’impose.)   238 LV : tout par tout seront   239 Ainsi que les basochiens présents. Les 2 derniers vers, un peu trop bachiques, ont été sacrifiés par le censeur et les éditeurs, ce qui a induit en erreur des médiévistes fort estimables.   240 Dans Deulx Gallans et Sancté (LV 12), ce personnage allégorique requinque les jouisseurs : « Puysque Sancté est avec nous,/ Y nous fault prendre esjouyssance…./ Vous nous servirez d’ôtelyère. » Le coït est inséparable de la « bonne vie » : « Et demora la fille à coucher avec luy ; et menèrent bonne vie emsemble ceste nuyt. » Nicolas de Troyes.

LE RETRAICT

Manuscrit La Vallière

Manuscrit La Vallière

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LE  RETRAICT

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L’une des Cent Nouvelles nouvelles, que je publie en appendice, a inspiré cette farce normande. Toutefois, le dramaturge a eu le génie d’y ajouter un rôle de valet, et de le confier à l’un de ces « badins » bornés, goinfres, ivrognes et cupides qui tyrannisent leurs maîtres. Et de fait, le valet Guillot a de nombreux rapports avec les badins Janot ou Jéninot.

Source : Manuscrit La Vallière, nº 54.

Structure : Rimes plates, avec 2 triolets.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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Farce nouvelle

et fort joyeuse

À quatre personnages, c’est asçavoir :

       LE  MARY

       LA  FEMME

       GUILLOT,  [varlet]

       et  L’AMOUREULX  [monsieur Lacoque]

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                        LA  FEMME 1  commence                     SCÈNE  I

        Sy le myen cœur est remply d’ire ?

        Las ! à bon droict je le puys dire.

        J’ey bien raison de me complaindre,

        Et de mon mauvais [sort] me plaindre2 :

5      Car mon mary me tient soublz las3

        De grand rigueur, dont n’ay soulas4.

        En luy, n’a poinct de passetemps.

        Dont bien souvent mauldictz le temps,

        Le jour, et l’heure de ma naissance.

10    Pensez-vous que prenne plaisance

        En luy ? Non, non, je vous promais !

        Sy le servirai-ge d’un mais5,

        Par Dieu, dont pas il ne se doubte.

        Car j’ey mys mon amytié toute

15    En un beau filz6 : voylà, je l’ayme.

        Je mouray plustost à la payne

        Que je ne face son désir.

        J’ey espoir avec luy gésir7,

        Sy mon mary s’en va aulx champs.

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                        GUILLOT,  varlet8en chantant :        SCÈNE  II

20    Hau ! les gans, bergère ! Hau ! les gans, les gans ! 9

                        LA  FEMME

        Par Dieu, voylà de très doulx chans !

        Vien ç[à], Guillot !

                        GUILLOT

                                        Plaist-il, Mêtresse ?

                        LA  FEMME

        Tu mes10 mon cœur en grand détresse,

        Car tu n’es poinct…

                        GUILLOT

                                        Je ne suys poinct ?

                        LA  FEMME

25    Je ne t’ose dire le poinct,

        Tant tu es léger du cerveau.

                        GUILLOT

        Je ne suys pas bon maquereau :

        Esse pas ce que voulez dire ?

                        LA  FEMME

        (Par mon âme ! il me faict [bien] rire.)

30    Ce n’est pas cela, malautru11 !

                        GUILLOT,  en chantant :

        Turelututu, tutu, tutu,

        Turelututu, chapeau poinctu ! 12

                        LA  FEMME

        Ne chante plus, escouste-moy !

                        GUILLOT,  en chantant :

        C’est de la rousée de moy13.

                        LA  FEMME

35    Vien çà, Guillot ! Es-tu tigneulx14 ?

        Comment ! tu n’es poinct gratieulx15,

        Que ne mes16 la main au bonnet.

                        GUILLOT,  [en chantant :]

        Y faict bon aymer l’oyselet 17.

        Parlez-vous du bonnet de nuict ?

40    Quant je le frotes, il me cuyct ;

        Y tient bien fort à mon tygnon18.

                        LA  FEMME

        Tant tu es [un] bon compaignon !

        Sy je te pensoys sage et discret,

        Je te diroys tout mon segret19 ;

45    Mais, par Dieu, tu n’es c’un lourdault.

                        GUILLOT

        D’un baston rond20 comme un fer chault

        Soyez[-vous] batue toulte nue !

        « Lourdault21 » ?

                        LA  FEMME

                                    Voyre : [des]soublz la nue,

        N’a poinct de plus lourdault que toy.

                        GUILLOT

50    Ha, ha ! « Lourdault » ?

                        LA  FEMME

                                              Escouste-moy !

        Sy parfaire veulx mon désir,

        Je te feray tant de plaisir

        Qu’en toy jamais n’aura défault22.

                        GUILLOT

        Vous m’avez apelé lourdault ;

55    Mais, par Dieu, le mot vous cuyra23 !

                        [LA  FEMME]24

        Guillot, laissons ces propos là :

        Plus ne t’en fault estre mar[r]y.

        Vien çà ! Tu sçays que mon mary,

        Aujourd’uy, est alé aulx champs,

60    Ouïr des oysillons les chans25 ;

        Pas ne doibt, ce jour, revenir.

        Et mon amy doibt cy venir

        Pour coucher entre mes deulx bras.

        Tu auras ce que tu vouldras

65    Sy tu veulx guéter à la porte.

                        GUILLOT

        Guéter ? Le deable donc m’emporte !

        Je guèteray en bas, en hault,

        Et vous m’apèlerez gros lourdault ?

        Taisez-vous, c’est tout un !

                        LA  FEMME

                                                    Guillot,

70    Sy j’ey dict quelque mauvais mot,

        Pardonne-moy. Je te promais

        Par la main qu’en la tienne mais26 :

        Ne t’apelleray jà27 lourdault.

                        GUILLOT

        Par Dieu ! vous fistes un lourd sault28,

75    Quant vous me dictes telle injure.

        « Lourdault » ?

                        LA  FEMME

                                  Guillot, par Dieu j’en jure :

        Je le disoys en me riant.

                        GUILLOT

        Apelez-moy plustost Friant29.

                        LA  FEMME

        Et ! bien je te prye, au surplus :

80    Laissons cela, n’en parlons plus.

        Vray est que ce mot ay lasché.

                        GUILLOT

        Sainct n’y a30 qui n’en fust fasché,

        De leur dire sy vilain nom31.

        Ne m’y apelez plus !

                        LA  FEMME

                                          Non, non,

85    J’aymerois plus cher32 estre morte.

        Guillot, va garder à la porte.

        Veulx-tu, Guillot ?

                        GUILLOT

                                       Et pour quoy faire ?

                        LA  FEMME

        Jésus ! n’entens-tu poinct l’afaire ?

        Tant tu es un friant bémy33 !

                        GUILLOT

90    A ! j’entens bien : c’est vostre amy

        Qui doibt venir.

                        LA  FEMME

                                   Ouy. Tu sourys34 ?

                        GUILLOT

        Y vous ostera bien les sourys,

        Tantost, du cul.

                        LA  FEMME

                                   Parle tout doulx !

                        GUILLOT

        Or çà ! que me donnerez-vous ?

                        LA  FEMME

95    Dy-moy en un mot : que veulx-tu ?

                        GUILLOT

        Donnez-moy un bonnet35 poinctu,

        Puys je garderay à la porte.

                        LA  FEMME

        Tien ! en voylà un de la sorte.

        Es-tu content ?

                        GUILLOT

                                  Par sainct Jehan, ouy !

100  Jésus, que je seray joly(s) !

                        LA  FEMME

        Sy ton maistre estoyt36, d’avanture,

        Venant, ne luy fais ouverture

        Sans nous advertir.

                        GUILLOT

                                        Bien, bien, bien.

        Y n’y viendra ny chat37, ny chien.

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                        L’AMOUREULX  entre 38                    SCÈNE  III

105  Fy d’avoir, qui n’a son plaisir39 !

        Fy d’or, fy d’argent ! Fy de richesse !

        Hors de mon cœur toult déplaisir !

        Fy d’avoir, qui n’a son plaisir !

        Toult passetemps je veulx choisir,

110  Chassant de moy deuil et tristesse.

        Fy d’avoir, qui n’a son plaisir !

        Fy d’or, d’argent ! Fy de richesse !

        Y fault aler voir ma mêtresse.

        Car c’est mon plaisir et soulas.

115  C’est celle qui, de moy, tracas40

        Faict évader.

.

                        LA  FEMME                                         SCÈNE  IV

                              Viendra poinct, las,

        Celuy en qui je me conforte ?

        Guillot, voys-tu rien en la porte ?

        Ne voys-tu nul icy venir41 ?

                        GUILLOT 42

120  Deffendez-vous, car assaillir

        On vous vient par cruel effort !

.

                        L’AMOUREULX 43                               SCÈNE  V

        Holà ! hau44 !

                        GUILLOT

                            Qui est là ?  Vous buquez45 bien fort !

        Quoy ? Que demandez-vous ?

                        L’AMOUREULX

                                                          La Dame.

                        GUILLOT

        Monsieur, soyez sûr, par mon âme,

125  Que la Dame n’est pas céans.

                        L’AMOUREULX

        Où est le maistre ?

                        GUILLOT

                                         Il est léans46,

          où il prépare la cuysine

        Avec une sienne voysine47.

                        LA  FEMME

        Ouvre, Guillot ! Et ! tu te moque :

130  C’est mon amy monsieur Lacoque48.

        Faictz-l(ay)49 entrer !

                        GUILLOT

                                            Ouy, mais que je sache

        Qu’il ayt quelque cas en besache50,

        Aussy le vin pour le varlet51.

                        LA  FEMME

        Va, méchant ! Va, vilain ! Va, let52 !

135  Entrez, Monsieur.

                        GUILLOT

                                       Quoy ? Voycy rage !

        Je servyray de maquelerage53,

        Et sy54, ne seray poinct payé ?

        Et « Monsieur » sera apuyé

        Avec Madame sur un lict

140  Où trèsbien prendra son délict55 ?

        Et moy, un povre maquereau,

        Feray la grue56 ainsy c’un veau ?

        Non, non, je ne suys pas sy beste57 !

                        L’AMOUREULX

        Ouvre, ouvre !

                        GUILLOT

                                  Vous me rompez la teste !

145  Pensez-vous que vous laisse entrer

        Sans argent en main me planter58 ?

        A ! non, jamais !

                        L’AMOUREULX

                                       Tien un escu.

                        GUILLOT 59

        Sainct Jehan, voylà très bien vescu60 !

        Je ne demandoys aultre chose.

                        LA  FEMME

150  Guillot, que la porte soyt close !

        Faict[z] bien le guet !

                        GUILLOT

                                             Laissez-moy faire.

        Monsieur, faictes-la-moy61 bien tayre :

        N’avez62 garde de la fâcher.

        Aportez-vous poinct à mâcher63 ?

155  Que je me sente64 du festin !

                        L’AMOUREULX

        Acolez-moy, mon musequin65 !

        Quant je vous voys, je suys transy66.

                        GUILLOT

        Et67 mon Maistre qui n’est icy !

        Mort bieu, comme il riroyt des dens !

                        LA  FEMME

160  A ! mon Dieu amy, entrez dedens

        Hardiment68 : mon mary est dehors

        S’en est alé. Ne craignez fors69

        Que de faire le « passe-temps70 ».

        Mon mary est alé aulx chans71 ;

165  Aujourd’uy pas ne reviendra.

        Par quoy, amy, il vous plaira

        Coucher ensemble entre deulx dras,

        Tous nus, nous tenans par les bras.

        Voulez-vous poinct ?

                        L’AMOUREULX

                                            Ma doulce amye,

170  Vous obéir pas ne dénye72.

                        [GUILLOT]

        Jamais n’us sy grand fain de boyre.

                        [L’AMOUREULX]

        Baisez-moy !

                        LA  FEMME

                                Acolez-moy !

                        GUILLOT

                                                       Et  voyre !

        « Fermy[n]73, sengles-moy le mulet ! »

                        L’AMOUREULX

        Je suys maintenant à souhaict74 ;

175  Jamais ne fus sy à mon aise.

        Venez, ma mye, que je vous baise !

        Tousjours serez mon doulx tétin75.

                        GUILLOT

        Tentost aura son picotin76.

        Et ! ventre bieu, où est mon Maistre ?

180  Je croy qu’i vous envoyret pestre77.

        Regardez bien s’y la mordra.

                        L’AMOUREULX

        Nul, au78 monde, tel temps n’aura

        Jamais, car j’ey tout à pouvoir79

        Ce c’un amoureulx doibt avoir :

185  J’ey belle amye, j’ey or, monnoye,

        J’ey jeunesse, sancté et joye.

                        GUILLOT

        Il est bien vray ; mais j’ey grand peur

        Qu’i n’y ayt tantost du malheur.

                        L’AMOUREULX

        Menger nous fault ceste bécace80.

                        [LA  FEMME]

190  Hélas ! que j’aporte [une casse81].

                        GUILLOT

        Puysque je suys leur maquereau,

        J’en mengeray quelque morceau,

        Y n’est pas possible aultrement.

                        L’AMOUREULX

        [Boyre du bon]82 pareillement.

195  Or sus, ma mye, faisons grand chère !

        Chose je n’ay, tant fust-el chère,

        Qu’elle ne soyt du toult83 à vous,

        Il est ainsy, ma mye.  Je boys84 à vous,

        À Dieu, et à la Vierge Marye !

                        LA  FEMME

200  Grand mercy, syre85 !

                        GUILLOT

                                             El86 est mar[r]ye

        D’estre vis-à-vis du galant.

                        [ L’AMOUREULX

        Je boy à vous !

                        LA  FEMME

                                  Non pas d’aultant87 !

                        GUILLOT ]88

        Or  couraige ! sus, ma Mêtresse !

        Sang bieu, vous pétez bien de gresse89 !

.

205  Monsieur, gardez-la un petit90 :                                SCÈNE  VI

        El a l’estomac fort petit,

        [Trop] plus petit c’unne pucelle.

        Moy, je vous plègeray pour elle91.

        Or regardez : ay-je failly ?

210  Il est dedens, et non sailly

        Au deable92. Laissez faire à moy.

                        L’AMOUREULX

        Tu es bon garson, par ma foy !

                        LA  FEMME

        De boyre, jamais ne reboulle93.

                        GUILLOT

        Monsieur, sy je faulx par la goulle94,

215  Ne vous fiez jamais en beste95.

        Ne laissez poinct à96 faire feste,

        Je voys en la porte.

                        LA  FEMME

                                         Or va !

.

                        LE  MARY  commence 97                       SCÈNE  VII

        Holà, hau ! Ouvrez l’uys !

                        GUILLOT

                                                  Qu(i) est là ?

                        LE  MARY

        Ouvrez ! Le deable vous emporte !

                        GUILLOT

220  Ce deable abastra [donc] la porte,

        [Ou,] par la Mort, vous atendrez !

                        LE  MARY

        Ouvrez, de par le deable ! Ouvrez !

        Ouvriras-tu, meschant folastre ?

                        GUILLOT

        Atendez, je n’ay pas [grand] haste.

                        LE  MARY

225  Par Nostre Dame d’Orléans !

        Sy je [ne] puys entrer léans98,

        Les os je te rompray de coulx99 !

                        GUILLOT

        A ! Dieu gard(e) la lune100 des loups !

        Mais pensez-vous qu’il est mauvais !

                        LE  MARY

230  Ouvriras-tu, méchant punays101 ?

        Par la Mort, je te tu[e]ray !

                        GUILLOT 102

        Dis-moy ton nom103, puys j’ouvriray.

        Pense-tu que je soy[e]s beste ?

                        LE  MARY

        Comment ! tu ne congnoys ton maistre ?

                        GUILLOT

235  Vrayment, vos blés sont bien saclés104 :

        Mon  Maistre, je voys quérir les clés.

.

        Ma Mêtresse, voy(e)cy mon Maistre !                      SCÈNE  VIII

                        L’AMOUREULX

        Vray Dieu ! Où me pourai-ge mestre ?

        Je suys perdu, je suys péry,

240  Puysque voycy vostre mary.

        Conseillez-moy que105 je doy faire.

        Jamais ne fus en tel afaire.

        Hélas ! ma mye, voycy ma fin.

                        GUILLOT

        Tantost arez du ravelin106,

245  Quatre ou cinq grans coups toult d’un traict.

                        LA  FEMME

        Tost mectez-vous en ce retraict107,

        Mon amy. Ne vous soulciez.

        Sy d’avanture vous toussiez,

        Boutez la teste [en ce]108 pertuys.

.

                        LE  MARY                                              SCÈNE  IX

250  Et puys ? Hau ! Ouvriras-tu l’huys ?

.

                        L’AMOUREULX                                   SCÈNE  X

        Voycy, pour moy, piteux délict109.

        Sy me métoys debsoublz le lict,

        Ce seroyt le meilleur, ma mye.

                        LA  FEMME

        Hélas ! ne vous y mectez mye :

255  Car sy dessoublz le lict visoyt110

        Et là caché vous advisoyt,

        Mourir nous feroyt langoureulx111.

                        GUILLOT

        Sus ! au retraict ! Sus, amoureulx !

        Car je [luy] voys ouvrir la porte.

260  Encor j’ey peur qu’i ne me frote112.

        Mais devant113 que céans il entre,

        Ce vin je métray à mon ventre.114

                        L’AMOUREULX

        Las115, Guillot !

                        GUILLOT

                                    Monsieur, qu’on se cache !

        Mêtresse, ostez-moy la bécache116.

265  Sy esse117 que j’auray cecy.

.

                        LE  MARY                                             SCÈNE  XI

        An ! Nostre Dame, qu’esse-cy ?

        De crier je me rons la voys118.

                        GUILLOT

        Holà, mon Maistre, [à vous ge]119 voys.

        Entrez ! Vous soyez bien venu !

270  Vous est-il nul mal avenu,

        Depuys le temps [qu’estiez aux vignes]120 ?

                        LE  MARY

        Je vous romp[e]ray les échignes121 !

        [Vous vous ferez]122 rompre la teste !

                        GUILLOT

        Vous puissiez avoir male123 feste !

275  Rompu vous m’avez le serveau124.

                        LE  MARY

        Dictes-moy quelque cas nouveau :

        Où est ma femme ?

                        LA  FEMME

                                        A ! mon mary,

        Bien voys qu[e vous] estes mar[r]y :

        Le marchant125 ne vous a payé ?

                        LE  MARY

280  Non126.

                        LA  FEMME

                        Ne s’est-il poinct essayé

        De vous faire quelque raison127 ?

                        LE  MARY

        Raison ? Par ma foy, ma mye, non :

        Car trouvé ne l’ay au logis.

        Onques-puys que [je] le logys128,

285  [Je] ne l’ay veu.

                        LA  FEMME

                                   Vierge Marye !

        Je ne fus jamais sy mar[r]ye.

        À tous les deables soyent les meschans

        Qui trompent ainsy les marchans,

        Les gens d’honneur et gens de bien !

                        LE  MARY

290  Et de nouveau y129 a-il rien ?

        Que dict-on de bon ?

                        LA  FEMME

                                            Tout va bien.

                        GUILLOT

        Tout va bien, puysque [on mect] la nappe130.

                        LA  FEMME

        Y fauldra [donc] que je te happe131 ?

                        GUILLOT

        Mon  Maistre, voicy la nape myse.

295  Il[z] ont bien levé la chemyse.

                        LE  MARY

        Qui, Guillot ?

                        GUILLOT

                                 Qui ? Ma foy, personne.132

.

                        LA  FEMME                                          SCÈNE  XII

        Guillot, que [plus] mot on ne sonne133 !

                        GUILLOT

        Qui, moy ? Sy feray, par mon âme !

        Que me donnerez-vous, ma Dame ?

300  Et je n’en diray rien.

                        LA  FEMME 134

                                           Guillot,

        Voylà pour toy. Ne sonne mot !

                        GUILLOT

        Voicy ce que je demandoys.

        Et ! que l’amoureulx est courtoys135,

        D’estre sy long temps au retraict !

                        LA  FEMME

305  Tays-toy ! Auras-tu tant de plet136 ?

.

        Et puys, mon mary ? Comme[nt] esse                     SCÈNE  XIII

        Qu’il vous a joué de finesse,

        Ce méchant, [ce] malureulx homme ?

                        GUILLOT

        Y vouldroict bien [myeulx] estre à Romme,

310  Vostre amoureulx dont n’ose dire.

                        LA  FEMME

        J’ey le myen cœur tant remply d’ire

        De ce sot qui ront137 nos propos !

        Y s’en estoyt alé dehors,

        Ce meschant ?

                        LE  MARY

                                 Ouy, [ne l’ay trouvé]138.

315  C’est un méchant laron prouvé139 !

        Je suys fort las : j’ey tant troté !

                        GUILLOT

        Hélas ! povre Amoureulx140 croté,

        Tu es bien en [un] grand soulcy !

                        LE  MARY

        « [Povre] amoureulx » ? Dea ! qu’esse-cy ?

320  A-il un amoureulx céans ?

                        LA  FEMME

        A ! Nostre Dame d’Orléans !

        Prenez-vous garde à ce qu’i dict ?

                        LE  MARY

        Je puisse estre de Dieu mauldict

        Sy ne j’en sçay la vérité !

325  Vien ç[à ! Dy,] qui t’a incité

        De parler d’un [povre] amoureulx ?

        Je ne seray jamais joyeulx

        Jusques à ce que le séray141.

                        GUILLOT

        Que je l’ay dict, il n’est pas vray :

330  Jamais [je] n’en parlis, mon Maistre.

                        LE  MARY

        Vertu142 bieu ! Que peu[lt-]ce cy estre143 ?

        Je l’ay ouÿ de mes horeilles144.

                        LA  FEMME

        Mon mary, [trop] je m’émerveilles

        Que prenez garde à ce… lourdault.

                        LE  MARY

335  Je l’ay ouÿ dire145 toult hault.

        Vien çà, malhureulx ! Qu’as-tu dict ?

                        GUILLOT

        Rien, ou je soys de Dieu mauldict !

                        LE  MARY

        Rien ? Et de quoy parlès-tu donques ?

                        GUILLOT

        Escoustez que je [dis adonques]146 :

340  Je parloys de la haquenée147,

        Qui a esté bien chevauchée

        D’un aultre bien myeulx que de vous.

                        LE  MARY

        Je prye à Dieu que les maulx loups148

        Te puisse[nt] le gosier ronger !

                        [LA  FEMME]

345  Ce fol ne faict [cy] que songer ;

        Laissez cela.

                        [LE  MARY]

                              Avez-vous rien

        À menger ? Je mengeroys bien :

        Je n’ay mengé puys que partys.

                        GUILLOT

        Quoy ! voulez-vous d’une perdris149 ?

350  Baillez-moy, sans plus enquérir,

        De l’argent : je l’iray quérir.

                        LE  MARY

        Tient,  voylà cinq soublz150.

.

                        GUILLOT 151                                         SCÈNE  XIV

                                                      Voylà la beste.

        A ! mort bieu, je leur en apreste152 !

        Je prens argent à toutes mains153.

355  Voycy pour moy, c’est pour le moins ;

        Je le métray dedens ma bource.154

.

        Mon Maistre cher155, qu’on ne se course156 !          SCÈNE  XV

        Voicy la perdrys, que j’aporte.

                        LE  MARY

        Où l’as-tu prise ?

                        GUILLOT

                                      Où157 ? En la porte.

                        LE  MARY

360  La portoyt-il toute rôtye ?

                        GUILLOT

        Ouy. Et avec [est] la rostye158,

        Que vous voyez icy dessoublz.

                        LE  MARY

        Combien couste-elle ?

                        GUILLOT

                                              Cinq soublz159.

                        LE  MARY

        Sus, sus, mengeons ! Qu’on s’esjouisse !

365  Comment ! qu’est devenu la cuisse ?

                        LA  FEMME

        Par Nostre Dame ! je ne sçay160.

                        LE  MARY

        Qu’en as-tu faict ?

                        GUILLOT

                                       Je [la laissay]161

        Tumber, puys le chat l’a mengée.

                        LE  MARY

        L’auroys-tu162 poinct bien vendengée ?

370  Tu as esté, par Dieu, le chat !

                        LA  FEMME

        C’est pour la paine de l’achat ;

        Cela luy a faict un grand bien.

                        GUILLOT

        Sy mengée l’ay, je n’en sçay rien ;

        Plus ne m’en souvyent, par la mort !

                        LE  MARY

375  Mengez, ma femme ! Tiens, Guillot :

        Mors163 ! Puys après, nous verse à boyre !

                        GUILLOT

        Buvez donc tout [fin] plain le voyr[r]e164,

        Puys après, je vous plègeray165.

        Atendez, je commenceray.

380  Je boys à vous, tous deulx ensemble166 !

        Et puys, mon Maistre : que vous en semble167 ?

        Ay-ge failly ?

                        LE  MARY

                               A ! par Dieu, non !

                        LA  FEMME

        Guillot est un bon compaignon.

                        GUILLOT

        À bien « sifler168 », ne faulx jamais.

.

                        L’AMOUREULX                                   SCÈNE  XVI

385  Je suys servy d’un piteulx mais169.

        Hélas ! je ne séroys issir170.

.

                        LE  MARY                                             SCÈNE  XVII

        Qu[i] esse là que j’os171 toussir ?

                        GUILLOT

        Que c’est ? C’est vostre bidouart172

        Qui a la toux…

                        LE  MARY

                                 Dieu y ayt part173 !

.

                        LA  FEMME 174                                   SCÈNE  XVIII

390  Mon amy, vous nous gasterez175.

        Je vous prye, quant vous toussirez,

        Afin qu’on ne vous oye, [de faict]176,

        Métez la teste [en ce]177 retraict.

.

                        L’AMOUREULX                                  SCÈNE  XIX

        Voycy des mos fort rigoureulx.

395  Hélas ! fault-il c’un Amoureulx

        Mète la teste en sy ort178 lieu ?

        Et ! qu’esse-cy ? Hélas, vray Dieu !

        Las ! je ne puys [r]avoir179 ma teste.

        Voicy, pour moy, dure tempeste.

400  Et oultre plus, la puanteur,

        Hélas, me faict faillir le cœur.

        J’ey le visage plain d’ordure.

.

                        GUILLOT,180  [en chantant :]              SCÈNE  XX

        Endure, povre Amoureulx, endure ! 181

        Parlez plus bas, de par le deable !

                        L’AMOUREULX

405  Voicy un cas fort pitoyable.

        Fault-il que je meures icy ?

                        GUILLOT

        Par la chair bieu ! il a vessy182,

        Au moins, ou183 ne sent guère bon.

        Et vous faisiez du compaignon,

410  Naguères, avec ma Mêtresse.

.

                        LE  MARY 184                                       SCÈNE  XXI

        Guillot !

                        GUILLOT 185

                       Qu’esse ?

                        LE  MARY

                                         Sy grand détresse

        M’est venu[e] empongner sy fort

        Au petit ventre186 ! Que  nul confort

        Trouver ne puys. Y fault d’un traict

415  M’aler esbatre à mon retraict,

        Afin que mon mal s’amolice.

                        GUILLOT

        Et moy, un peu fault que je pisse.

        Et ! je vous tiendray compagnye.

                        LE  MARY

        Hélas, le ventre !

                        GUILLOT

                                     Et ! la vessye !

                        LE  MARY

420  Je croy que tu faictz de la beste.

                        L’AMOUREULX

        Las ! y me chiront sur la teste.187

                        LE  MARY 188

        Et ! qu’esse-cy ? Las ! je suys mort !

                        L’AMOUREULX

        Brou ! [Brou !] Ha ! Ha189 !

                        GUILLOT

                                                      Et ! fuyons fort !

        Gardez bien qu’i ne vous emporte !

                        LA  FEMME

425  A ! Nostre Dame, je suys morte !

                        L’AMOUREULX

        Je vous porteray en Enfer

        Avec le maistre Lucifer,

        Lequel vous romp[e]ra la teste !

                        GUILLOT

        Et ! aportez de l’eau bénoiste190 !

430  Asperges me, Domyne191 !

        Mon Maistre, vous estes danné :

        [L’afreux]192 deable vous vient quérir.

                        LE  MARY

        Et ! doulx Dieu !193

.

                        L’AMOUREULX                                   SCÈNE  XXII

                                        Et ! de [tant] courir,

        De la grand peur, y sont fuÿs.

.

                        LA  FEMME                                          SCÈNE  XXIII

435  De courir, hors d’alaine suys.

                        GUILLOT

        Et moy aussy.

                        LE  MARY

                                 A ! Nostre Dame,

        En vostre garde ayez194 mon âme !

                        GUILLOT

        Et moy la mienne ! Où est-il alé ?

        Je croy qu’i soyt redévalé

440  Là-bas, au grand [puits] infernal195.

                        LA  FEMME

        Qu’i m’a faict de peur et de mal !

                        LE  MARY

        Hélas196 ! doulx Dieu, que pouroit-ce estre ?

                        GUILLOT

        A ! je sçay bien que c’est197, mon Maistre.

                        LE  MARY

        Et quoy ?

                        GUILLOT

                          Au deable les jaloux198 !

445  Il199 vous eust e[n]traîné trè[s]toulx200

        En Enfer, se n’eust esté moy201.

        Escoustez la raison pourquoy :

        C’est que tantost, par cas difame202,

        Avez esté vers203 vostre femme

450  Jaloux, sans cause ny raison.

        Et n’ust esté mon oraison204,

        Le deable des jaloux porté205

        Vous eust là-bas, et transporté.

        Or, ne soyez jamais jaloux.

455  Métez-vous donc à deulx genoulx ;

        Cryez mercy206 à vostre espouse.

                        LE  MARY

        La fièbvre cartaine m’espouse

        Sy  jamais je [ne seray]207 jaloux !

                        GUILLOT

        Métez[-vous donc à deulx]208 genoulx.

                        LE  MARY

460  Je pry Dieu que ravissans loups209

        M’estranglent se plus je marmouse210 !

                        GUILLOT

        Mectez-vous donc à deulx genoulx ;

        Criez mercy à vostre espouse.

                        [LA  FEMME] 211

        Me voylà.

                        GUILLOT

                          Sus ! que l’on ne bouge212 !

465  Ne luy criez-vous pas mercy ?

                        LE  MARY

        Ouy, et me mes213 à [sa] mercy.

        Du toult, à elle m’abandonne.

                        GUILLOT

        Pardonnez-luy !

                        LA  FEMME

                                   Je luy pardonne.

                        GUILLOT

        Voylà vescu honnestement.

470  Vous luy pardonnez ?

                        LA  FEMME

                                            Ouy, vraiment.

                       GUILLOT

        Or sus ! Mon Maistre, levez-vous.

        Vous ne serez jamais jalous,

        Ores214 ?

                        LE  MARY

                        Que je soys donq bany !

                        GUILLOT

        (Voylà un bon Jehan de Lagny215,

475  [La] mort bieu ! Il en a bien d’une216.)

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                        L’AMOUREULX                                   SCÈNE  XXIV

        J’ey eschapé belle fortune217 !

        Sans ma218 finesse, j’estoys mort.

        Ce n’est pas tout que d’estre fort ;

        Mais c’est le tout (pour abréger),

480  Quant l’on est en quelque danger,

        [Que] trouver fault manyère et stille219

        D’en eschaper, et estre abille220

        En évytant la mort et blâme.

        Messieurs, de peur qu’on ne nous blâme,

485  Disons, au partir de ce lieu,

        Une chanson pour dire adieu !

.

                                FINIS

*

.

..

D’UNG   GENTIL  HOMME  DE  PICARDIE 221

.

Le douloureux222 mary, plus jaloux que nul homme vivant, fut contrainct d’abandonner le mesnaige & aller aux affaires, qui tant luy touchoient que, sans y estre en personne, il perdoit une grosse somme de deniers…. En laquelle gaignant, il conquist bien meilleur butin, comme d’estre nommé coux223, avec le nom de jaloux qu’il avoit auparavant. Car il ne fut pas si tost sailli de l’ostel224, que le gentil homme, qui ne glatissoit225 après aultre beste, vint pour se fourrer dedans ; & sans faire long séjour, incontinent exécuta ce pour quoy il venoit, et print de sa dame tout ce que ung serviteur en ose ou peut demander….

Ce dyable de mary (…) revint le soir, dont la belle compaignie — c’est assavoir de noz deux amoureux — fut bien esbahie….

Nostre povre gentil homme ne sceut aultre chose que faire, ne où se mussier226, sinon que de soy bouter dedens le retraict de la chambre…. Le povre gentil homme rendoit bien gaige227 du bon temps qu’il avoit eu ce jour, car il mouroit de fain, de froit et de paour. Et encores, pour plus engrégier228 son mal, une toux le va prendre, si grande et si horrible que merveille…. La dame, qui avoit l’œil et l’oreille tousjours à son ami, l’entre-ouÿt d’aventure, dont elle eut grant frayeur au cueur, doubtant229 que son mary ne l’ouÿst aussi. Si treuve manière, tantost après souper, de soy bouter seulette en ce retraict ; et dist à son amy, pour Dieu, qu’il se gardast ainsi de toussir….

Quant ce bon escuier se vit en ce point assailly de la toux, il ne sceut aultre remède, affin de non estre ouÿ, que de bouter sa teste au trou du retrait, où il fut bien ensensé (Dieu le sçait !) de la confiture de léans230…. La toux le laissa. Et se cuidoit tirer hors ; mais il n’estoit pas en sa puissance de se retirer, tant estoit avant et fort bouté léans…. Il se força tant, qu’il esracha l’ais percé231 du retrait, et le raporta à son col. Mais en sa puissance ne eust esté de l’en oster….

À tout l’ais232 du retraict à son col, l’espée nue en sa main, la face plus noire que charbon, commença à saillir233 de la chambre. Et de bonne encontre, le premier qu’il trouva, ce fut le dolent234 mary, qui eut de le veoir si grant paour — cuidant que ce fust le dyable — qu’il se laissa tumber du haut de luy235 à terre (que à peu qu’il ne se rompît le col), & fut longuement pasmé236. Sa femme, le voyant en ce point, saillit avant, monstrant plus de semblant d’effrey qu’elle ne sentoit beaucoup237…. Il dist, à voix casse238 et bien piteuse : « –Et ! n’avez-vous point veu ce deable que j’ay encontré ? –Certes, si ay (dist-elle). À peu que je n’en suis morte de la frayeur que j’ay eue de le veoir ! –Et dont peult-il venir céans (dist-il), ne qui le nous a envoyé ?…. »

Et depuis, continua arrière le dyable dessusdit, le mestier que chascun fait si volentiers, au desceu239 du mary et de tous aultres, fors de une chambèrière secrète.

*

1 Chez elle, seule.   2 LV : complaindre  (à la rime.)   3 Sous ses lacs, sous son joug.   4 Plaisir. Idem vers 114.   5 Aussi, je le servirai d’un mets, d’un plat à ma façon. Idem vers 385.   6 Dans un beau garçon.   7 De coucher avec lui.   8 Il entre par le rideau de fond, et accomplit une quelconque tâche ménagère en chantant.   9 Chanson inconnue. Brown, nº 143.   10 Tu mets. Cette graphie du verbe mettre, qui revient aux vers 37 et 466, est propre au copiste.   11 Imbécile. Un Sot des Coppieurs et Lardeurs se nomme Malostru.   12 Les versions actuelles de cette comptine reflètent mal ce que devait être la version originale, certainement beaucoup moins innocente. Le très rabelaisien Philippe d’Alcripe s’en souviendra en 1579 : « Descharge, tu as vendu ! Turlututu, chappeau pointu ! » Le Mistère du Viel Testament en a tiré un personnage ridicule, monsieur Turelututu.   13 Cette chanson normande a pour titre : C’est de la rosée de mai. La « rosée de moi » qu’évoque Guillot s’apparente à la « douce rosée de Nature » que Béroalde de Verville fait couler du « manche de Priape ».   14 Es-tu atteint de la teigne, que tu gardes ton bonnet sur la tête ?   15 Poli.   16 De ne pas mettre. Il faut enlever son bonnet quand on parle à des gens qui nous sont supérieurs. Dans Messire Jehan, on prie un autre badin de s’adresser au curé en ayant toujours « la main au bonnet ».   17 Le petit oiseau. Chanson d’Antoine de Févin, mort en 1512. Le vers 195 du Pèlerinage de Mariage en est tiré. Brown, nº 173.   18 À mon chignon. Mais aussi : à mes plaques de teigne, ce qui répond au vers 35.   19 Mon secret, mon projet.   20 LV : ronge  (« Mais si j’empoigne un baston rond,/ Bien te feray tirer tes guestres ! » Le Cousturier et Ésopet.)   21 Guillot s’indigne de ce mot bénin, alors que sa patronne l’a précédemment traité de cerveau léger, de malotru et de teigneux, et qu’elle va encore le traiter impunément de friand bémi [de glouton niais], de méchant, de vilain, de laid, de sot, de fou, et de… lourdaud (vers 334). Mais Guillot, qui est un grand amateur de chansons, a peut-être en mémoire celle qui s’intitule Lourdault, lourdault, lourdault : je l’ai publiée dans la notice de Régnault qui se marie.   22 Que tu ne manqueras jamais de rien.   23 Vous le regretterez. « Par Dieu, la chanson vous cuyra ! » Le Ribault marié.   24 LV : guillot   25 En fait, il est allé se faire payer les fournitures dont il a fait crédit à un autre marchand.   26 Je te promets sur ma main, que je mets dans la tienne en guise de gage.   27 LV : jamais   28 Un faux pas.   29 Appétissant. C’est bien ce que fera sa patronne au vers 89, mais elle donnera au mot « friand » son autre sens : goinfre. LV ajoute dessous : que lourdault   30 Il n’y a aucun saint, aussi saint soit-il.   31 LV : non   32 LV : chere  (J’aimerais mieux. « J’aymeroye plus cher estre à Romme. » Raoullet Ployart, et l’Aveugle et Saudret.)   33 Un glouton niais. Cf. Lucas Sergent, vers 69.   34 LV : soublz rys   35 Les Badins sont coiffés d’un béguin [bonnet de nourrisson]. Rien ne leur fait plus plaisir que de pouvoir empiler un bonnet d’adulte par-dessus. « Et un bonnet te donneray. » C’est ce que promet au Badin qui se loue l’amant de sa patronne ; voir la note 87 de ladite farce. Notons que le bonnet pointu est l’apanage des juifs, des astrologues et des médecins, trois catégories qui prêtaient à rire.   36 LV : venoyt  (Être venant = venir. « Bien soyez venant ! » ATILF.)   37 LV : chast  (Sous ce vers, il manque un vers en -sir pour amorcer le triolet.)   38 Il est dans la rue, et s’approche de la maison.   39 Peu importe l’argent, si on n’a pas de plaisir.   40 LV : est metresse  (à la rime.)  C’est celle qui fait sortir de mon cœur les soucis.   41 On songe à la Barbe bleue, de Charles Perrault : « Ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir ? »   42 Par la porte entrouverte, il voit venir l’amoureux. Il se dépêche de refermer.   43 Il toque à la porte, chargé d’une besace pleine de victuailles.   44 LV : hola  (Voir le vers 218.)   45 Vous frappez à la porte. Cf. Beaucop-veoir et Joyeulx-soudain, vers 25.   46 Là-dedans. Idem vers 226.   47 LV : voyesine   48 La femme invente ce sobriquet pour ne pas compromettre le noble, qui doit avoir un nom à particule. Dans les Cent Nouvelles nouvelles, le patronyme du gentilhomme picard n’est pas davantage révélé. À tout hasard, on trouvait en Normandie des sieurs de La Cocquerie.   49 Fais-le. Ce pronom normand peut s’élider devant une voyelle : « Alons-nous-en, laissonl(ay) en pais. » Troys Gallans et Phlipot.   50 À condition que je sache s’il a de la nourriture dans sa besace.   51 Du vin en guise de pourboire : ce mot vient de là.   52 Laid. « Soit bel ou let. » L’Aveugle et Saudret.   53 Prononcer « maclerage ». Cette forme métathétique de maquerellage  est bien attestée : « Une de ses femmes, qui sçavoit parfaictement le mestier de macqueleraige. » (Anthoine Le Maçon.) La forme contractée est plus souvent macrelage : « De faire ung secret macrelaige/ Pour ung gueux bien anvitallié. » (Jehan Molinet.)   54 Et pourtant.   55 Son plaisir. Idem vers 251. « Coucher dedens quelque beau lit./ Et là prendrez vostre délit. » Régnault qui se marie.   56 Je ferai le pied de grue, je monterai la garde. Un veau est un imbécile.   57 Guillot vient de se métamorphoser lui-même en trois bêtes : un poisson, un oiseau, un ruminant.   58 Sans que vous me mettiez de force de l’argent dans la main.   59 Il laisse entrer l’amoureux, et il met l’écu dans sa bourse.   60 Voilà de bonnes manières. Idem vers 469.   61 LV : faictes le moy  (Faites-lui l’amour. « Pour la bien faire taire,/ Il luy fault prendre ung bon “clystère”…./ S’el prent médecine par “bas”,/ Jamais tu n’auras nulz débas. » Deux hommes et leurs deux femmes.)  Guillot, près de la porte, se livre à des commentaires qui prennent à témoins les spectateurs ; le couple est trop loin pour l’entendre.   62 LV : vous maues  (Vous ne risquez pas.)   63 Quelque chose à manger.   64 Que je me ressente, que je profite.   65 Museau, minois : jolie fille. Cf. les Tyrans, vers 202.   66 LV : transye  (Je suis transporté. Cf. Lucas Sergent, vers 282.)   67 LV : ou est  (Et dire que mon maître n’est pas là !)   68 Pénétrez-moi, puisque mon mari en est sorti.   69 Ne vous souciez pas d’autre chose.   70 « L’amoureux passe-temps. » La Ruse et meschanceté des femmes.   71 Aux champs : dans un lointain village. C’est la litote qu’emploient les marchands qui ont rendez-vous avec un gros client : voir les vers 48-49 et la note 79 d’Ung Mary jaloux.   72 Je ne refuse pas de vous obéir.   73 Firmin. « Fermyn de Mésan. » (Débat de deux gentilz hommes espagnolz.)  Sangler une femme, c’est la besogner : cf. les Sotz qui corrigent le Magnificat, vers 88.  « Mulet » joue sur le latin mulier [femme] : « Sanglée comme ung beau mulet. » Le Povre Jouhan.   74 J’ai tout ce que je souhaite.   75 Terme affectueux. Cf. Jolyet, vers 57.   76 Le mulet du vers 173 aura bientôt sa ration d’avoine. Mais la femme aura bientôt sa ration de sperme : cf. le Jeu du Prince des Sotz, vers 15 et note.   77 Qu’il vous enverrait paître, avec le même sens qu’aujourd’hui. Cf. le Raporteur, vers 72. Les amants s’embrassent.   78 LV : en ce   79 LV : souhaict  (J’ai à mon entière disposition.)   80 L’amoureux tire de sa besace un papier dans lequel est enveloppée une volaille rôtie, pour la collation qui précède traditionnellement le coït : « J’aporteray pour le repas/ Un gras chapon avec une oie. » (Le Poulier à sis personnages.)  LV ajoute dessous : ma mye   81 Il faut que j’apporte une casserole. (Cf. le Munyer, vers 437 et note.) La femme en prend une et pose le gibier rôti dedans. LV reporte le mot casse au début du vers suivant.   82 LV : voyre du don  (Il nous faut aussi boire du bon vin. « Que je perds les biens et la veue/ À force de boire du bon. » Olivier Basselin.)  Le galant tire de sa besace une bouteille.   83 Totalement. Idem vers 467.   84 LV : vous  (« Je bois à vous, à vostre santé. » Furetière.)   85 Tout comme dans les Cent Nouvelles nouvelles, l’amant est un gentilhomme : « –Je boys à vous ! –Grand mercy, sire ! » Le Poulier à sis personnages.   86 LV : quel   87 Pas autant que moi. « Maistre, je bois à vous d’autant ! » L’Aveugle et Saudret.   88 LV met ce fragment sous le vers 204.   89 Vous pétez de santé. L’enfant Gargantua <chap. 11> « pettoyt de gresse » et, comme au vers 228, « gardoyt la lune des loups ». Guillot abandonne la porte et rejoint les deux buveurs.   90 Épargnez-la un peu.   91 Je vous ferai raison à sa place, en vous portant des toasts. Idem vers 378. Guillot boit le verre de sa patronne.   92 Le vin n’est pas ressorti de mon estomac.   93 LV : reculle  (Jamais il ne rechigne. « Et ce firent sans rebouler. » Godefroy.)   94 La gueule (normandisme). « Il nous fault eschauffer/ Par la goulle. » (Les Femmes qui font escurer leurs chaulderons.) Faillir par la gueule, ou par le bec, c’est être à court d’arguments. Mais Guillot sous-entend : si ma bouche a une défaillance au moment de boire.   95 En aucune créature. Ou bien : En aucun idiot.   96 Ne cessez pas de.   97 Il tape à la porte, derrière laquelle se trouve Guillot. Le couple est trop loin pour entendre leur dialogue.   98 LV : dedens  (Là-dedans.)   99 De coups. « Coux » signifie cocu, comme dans les Cent Nouvelles nouvelles.   100 LV : quenee  (Que Dieu nous protège ! « Les enfans de Dieu peuvent bien dire à tous leurs ennemis ce qu’on dit en commun proverbe : Dieu gard la lune des loups ! » Pierre Viret.)   101 Puant.   102 LV : le mary guillot   103 LV : non  (Feignant de n’avoir pas reconnu la voix de son patron, Guillot en profite pour le tutoyer.)   104 Sarclés. « Sacler blés. » (Godefroy.) Vos affaires vont bien.   105 Ce que. « Conseillez-moy que faire doy. » Jeu du Prince des Sotz.   106 Vous aurez du ravaut, du bâton. Voir la note d’André Tissier : Recueil de farces, t. I, 1986, pp. 179-242.   107 Dans les cabinets, qui sont fermés par une porte.   108 LV : dens le  (Je corrige de même le vers 393.)   109 Un pitoyable plaisir.   110 S’il regardait sous le lit.   111 Bien malheureux. Cf. Poncette et l’Amoureux transy, vers 81.   112 Qu’il ne me frotte les reins avec un bâton. L’auteur normand amuït le « r » de « po(r)te », comme celui de « sa(r)clé » à 235 ; ce phénomène d’amuïssement explique les rimes des vers 30, 145, 223, 234, 313, 374.   113 Avant.   114 Guillot boit le verre de l’amoureux.   115 LV : helas   116 La bécasse (prononciation normande).   117 Il est certain. Guillot arrache une cuisse et la mange. La femme pose la casserole compromettante sur le bord extérieur de la fenêtre.   118 Je me casse la voix.   119 LV : gy  (Je vais à vous. « À vous je vois. » L’Aveugle et Saudret.)  Guillot ouvre la porte.   120 LV : que ne vous vimes  (Les vignes représentent un village campagnard, comme les champs des vers 19, 59 et 164.)   121 L’échine. « Rom-pe-rai » compte pour 3 syllabes, grâce au « e » svarabhaktique normanno-picard, comme à 428. « Je te romperay le museau ! » Jéninot qui fist un roy de son chat, et les Chambèrières et Débat.   122 LV : me faictes vous  (« Vous vous ferez bien batre ! » Le Mince de quaire.)  Le maître tape sur la tête de son valet.   123 Une mauvaise.   124 Ce n’est pas une grosse perte : Guillot était déjà « léger du cerveau » (vers 26).   125 LV : mechant  (Le mari, qui est grossiste, avait rendez-vous avec un commerçant qui devait lui payer des marchandises achetées à crédit ; mais ce dernier lui a posé un lapin.)   126 LV : nom   127 N’a-t-il pas essayé de vous faire réparation ?   128 Depuis que je l’ai logé ici. Sur la route des foires, les commerçants trouvaient plus économique — et moins risqué — de loger chez un confrère.   129 LV : et  (Le copiste a confondu le « y » du manuscrit de base avec une esperluette « & ».)  Y a-t-il quelque chose de nouveau ?   130 « On dit aussi qu’on met la nappe, quand on reçoit la compagnie chez soy, lorsque les autres apportent de quoy manger. » Furetière.   131 Que je t’attrape. Cf. le Pardonneur, vers 226.   132 Le mari va chercher ses bagages, qu’il a laissés devant la porte.   133 Ne dis plus rien. « O ! que plus mot on ne me sonne ! » L’Arbalestre.   134 Elle donne de l’argent au valet, qui le met dans sa bourse.   135 LV : je croys  (Cette remarque est ironique : il était discourtois de monopoliser les toilettes.)   136 De plaids, de bavardages. Le mari revient.   137 Qui interrompt.   138 LV : pour vray  (Au vers 283, le mari disait déjà : « Car trouvé ne l’ay au logis. »)   139 Un fieffé voleur. « Tu sembles bien larron prouvé ! » Le Brigant et le Vilain.   140 Extrait d’une chanson non identifiable que Guillot reprend au vers 403.   141 Jusqu’à ce que je le sache. Même forme normande à 386.   142 LV : vert tu  (« Vertu bieu ! qu’esse à dire ? » Le Poulier à quatre personnages.)   143 Qu’est-ce donc ? « Que peult-ce estre ? » Frère Guillebert.   144 Quoi qu’on en dise, ce « h » initial est bien attesté : voir par exemple le v. 257 des Povres deables, le v. 93 de la Mère de ville, ou le v. 15 de l’Aveugle, son Varlet et une Tripière.   145 LV : y disoyt   146 LV : vous comptes  (Ce que je dis maintenant.)   147 De votre jument. Mais aussi : De votre femme. Voir la ballade intitulée Une haquenée atout le doré frain, dont le refrain est : « Ainsi que dient ceulx qui l’ont chevauchée. » Poésie homosexuelle en jobelin, GKC, 2007, pp. 98-100.   148 Que les maudits lupus, que les ulcères. « Les loups luy mangent les jambes : il a les jambes mangées d’un mal que l’on appelle loups. » Antoine Oudin.   149 C’est encore une perdrix au vers 358, mais c’était une bécasse aux vers 189 et 264. Les versificateurs étaient soumis à la tyrannie de la rime…   150 5 sous.   151 Il sort, et prend sur la fenêtre la casserole où se trouve la volaille, amputée d’une cuisse.   152 LV : baille  (Confusion avec « apprêter des bayes [des moqueries] ». « Et luy apprestois bien des bayes. » Frère Fécisti.)  En apprêter à quelqu’un = lui préparer un mauvais tour.   153 De tous les côtés : cf. les Povres deables, vers 166.   154 Guillot met les 5 sous dans sa bourse, et porte la casserole dans la maison.   155 LV : grand chere   156 Ne vous courroucez pas. Cf. Beaucop-veoir et Joyeulx-soudain, vers 237.   157 LV : cy  (Le rôtisseur ambulant passait devant notre porte.)   158 La tranche de pain grillé sur laquelle coule la graisse de la volaille. C’est encore la recette de la caille sur canapé.   159 Guillot va donc garder pour lui les 5 sous, en plus de l’écu qu’il a extorqué au galant comme droit d’entrée (vers 147), de l’argent grâce auquel l’épouse a acheté son silence (vers 301), du bonnet dont elle lui a fait cadeau pour le soudoyer (vers 96). Et je ne compte pas la nourriture et la boisson, ni le plaisir qu’il a dû prendre à se moquer de tous ces gens supérieurs qui le traitent de lourdaud.   160 LV : scays  (Voir les vers 324, 373 et 443.)   161 LV : lay laissee  (Cf. l’Avantureulx, vers 56.)   162 LV : laires tu  (Vendanger = voler. Le Badin Guillerme, qui a gobé une des deux figues que le curé lui a confiées, lui montre la dernière, s’attirant cette remarque : « Il n’y en a qu’une ?/ Je croy que l’autre est vendangée. »)   163 LV : mort  (Le mari donne à Guillot l’os de la seconde cuisse pour qu’il morde dedans.)   164 Ce verre bien plein.   165 Je vous ferai raison (note 91).   166 Guillot boit les verres de ses patrons.   167 « Et puis, m’amour, que vous en semble ? » Deux hommes et leurs deux femmes.   168 Boire. « Siffler le vin en abondance. » (Parnasse des Muses.) Nous disons toujours : Siffler un verre.   169 D’un pitoyable aliment.   170 Je ne saurais sortir. Le galant tousse.   171 Que j’ois, que j’entends tousser.   172 LV : haquenee  (Un bidouard est un petit cheval : cf. le Gaudisseur, vers 86. Mais c’est également un des noms du pénis, qui tousse quand il est trop vieux.)   173 Que Dieu lui vienne en aide !   174 Elle entre dans les toilettes.   175 Vous nous ferez découvrir par mon mari.   176 LV : en efaict  (En pratique. « De faict,/ Y me fault aler au retraict. » Lucas Sergent.)   177 LV : dens le  (Note 108.)  La femme retourne à table.   178 Sale. L’amoureux plonge sa tête dans le trou.   179 Récupérer. Mahuet, aux vers 117 et 220, ne peut « ravoir » sa main, qu’il a coincée dans un bocal de crème.   180 Il entre dans les toilettes, en chantant pour couvrir les plaintes de l’Amoureux.   181 Voir la note 140. Nous ne possédons plus cette rengaine, qui a dû finir dans un retrait, mais des quantités d’autres serinent les mêmes clichés ; voir par exemple celle qui figure aux vers 28-35 du Povre Jouhan.   182 Il a vessé, pété.   183 LV : on   184 En se tenant le ventre, il essaie d’ouvrir la porte des toilettes, que Guillot a fermée de l’intérieur.   185 Sans ouvrir la porte.   186 Au bas-ventre. Cf. les Chambèrières qui vont à la messe, vers 23.   187 L’amoureux se relève en arrachant la planche, qu’il porte autour de son cou comme un pilori. Sa figure est noire d’excréments. Pour ce genre de « maquillage », on utilisait du son mouillé, qui a la consistance et la couleur voulue ; voir la note 204 du Munyer.   188 Il parvient à ouvrir la porte, et tombe nez à nez avec un diable noir qui brandit son épée en hurlant. Voir l’illustration des Cent Nouvelles nouvelles. John Harington, le poète (car il en fallait bien un pour cela) qui inventa la chasse d’eau en 1596, publia une gravure où le diable fuit un homme assis sur un retrait. Nous devons cette trouvaille à Jody Enders, la traductrice américaine de notre farce : Holy Deadlock and further ribaldries. University of Pennsylvania Press, 2017, pp. 59-99.   189 Dans les Mystères, c’est le hurlement traditionnel des diables. « Brou ! Brou ! Ha ! Ha ! Puissans deables iniques ! » (Mystère de saint Martin.) Dans les Trois amoureux de la croix, un amoureux déguisé en diable profère ce cri au vers 429.   190 De l’eau bénite, pour l’exorciser. Les Normands prononçaient « bénète » : « Dame nonnète,/ Vous voulsissiez que l’eau bénoisteLes Mal contentes.   191 Tu m’aspergeras, Seigneur ! (Psaume 51.) Même vers dans les Chambèrières qui vont à la messe de cinq heures pour avoir de l’eaue béniste.   192 LV : lamoureulx  (La confusion tient au fait que c’est l’Amoureux qui fait le diable.)   193 Le mari, la femme et Guillot s’enfuient de la maison. Le mari a complètement oublié son besoin pressant ; il s’est peut-être conchié de peur, comme tant d’autres personnages de farces.   194 LV : prenes   195 « Puys infernal, dampné gouffrineux roc !/ Deable d’Enfer, que vault ton villain croc ? » (Mystère de saint Martin.) Là-bas = en bas, en enfer. Idem vers 453.   196 LV : et   197 Ce que c’est, de quoi il retourne.   198 Quand on voue les jaloux au diable, il les emporte en enfer.   199 LV : qui  (Le diable.)   200 Tout entier.   201 Si je n’avais pas été là pour le faire fuir à coup de latin (vers 430).   202 Infâme.   203 Envers.   204 Ma conjuration latine.   205 LV : emporte  (Voir le vers 426.)   206 « À jointes mains et à genoux,/ (Ton mari) te crira mercy. » Le Ribault marié ; ledit ribaud, du moins, implore à genoux le pardon de son épouse parce qu’il l’a trompée, et non pas parce qu’elle l’a trompé avec la complicité intéressée du confesseur.   207 LV : suys  (Voir le vers 472.)  Dans Martin de Cambray <F 41>, un amoureux déguisé en diable emporte la femme d’un jaloux, qui promet alors de ne plus l’être : « M’amye, je vous cri mercy !/ Jamais, nul jour, ne le seray ! » Le vers précédent, qui provient des Chambèrières et Débat, perturbe le triolet.   208 LV : metes vous a  (Même refrain que 455 et 462.)   209 Des loups ravisseurs. « De ces loups ravissans remplis de cruauté. » La Chasse du loup.   210 Si je grogne encore. Cf. les Coquins, vers 297.   211 LV : le mary   212 La rime est anormalement faible, sauf si Guillot prononce « bouse », pour se moquer du peureux qui s’est chié dessus.   213 Et je me mets.   214 LV : or non  (Désormais.)   215 Un homme velléitaire, qui n’a aucune suite dans les idées. Voir la notice de Jehan de Lagny.   216 On lui en a fait une bien bonne. « Tu m’en bailles bien d’une ! » D’un qui se fait examiner.   217 Je l’ai échappé belle.   218 LV : la  (Sans ma présence d’esprit.)   219 Style. Qu’il faut trouver l’art et la manière.   220 Habile.   221 Voici des extraits de la 72e des Cent Nouvelles nouvelles, qui a fourni le sujet de la farce.   222 Le fâcheux.   223 Cocu.   224 Sorti de sa maison.   225 Qui ne chassait.   226 Se musser, se cacher.   227 Remboursait avec les intérêts.   228 Aggraver.   229 Redoutant.   230 Qui était là-dedans.   231 Qu’il arracha la planche percée sur laquelle on s’assied. Ladite planche, qu’on appelle aujourd’hui la lunette, se nommait l’anneau : voir la 11e nouvelle de l’Heptaméron, de Marguerite de Navarre.   232 Avec la planche.   233 À sortir.   234 Le fâcheux.   235 De toute sa hauteur.   236 Évanoui.   237 Affichant plus d’effroi qu’elle n’en éprouvait.   238 Faible (féminin de l’adjectif cas). « J’ay la voix, dit-il, ung peu casse. » ATILF.   239 À l’insu.

SCIENCE ET ASNERYE

Ms. La Vallière

Ms. La Vallière

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SCIENCE  ET

ASNERYE

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Cette farce moralisée, écrite en Normandie vers 1499, comporte comme il se doit des personnages allégoriques : Science représente la connaissance théologique (et non pas la connaissance scientifique). Ânerie représente l’arrivisme des ecclésiastiques qui obtiennent les meilleurs postes par la corruption et non par le mérite. Le clerc d’Ânerie est un personnage de farce, un rôle de Badin, nom sous lequel les rubriques le désignent.

L’auteur craint que les bassesses et les insuffisances du clergé ne provoquent un rejet, qui se produira effectivement avec la Réforme. Cet auteur pourrait être Pierre de Lesnauderie (1450-1524), dont on retrouve ici toutes les qualités et tous les défauts. À l’époque où je situe l’œuvre (~1499), il professait à l’université de Caen. Il a signé deux autres pièces de théâtre : la sottie de Pates-ouaintes (1493) étrille les autorités royales et ecclésiastiques qui voulaient nuire aux privilèges fiscaux dont jouissait l’université de Caen. La Cène des dieux (~1497) est une moralité chrétienne jouée par les dieux de l’Olympe ; pour punir le genre humain, ils ne lui envoient pas un inefficace déluge, mais la syphilis.

Source : Manuscrit La Vallière, nº 50.

Structure : Rimes abab/bcbc, rimes plates, avec une ballade initiale et des quatrains à refrain.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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Farce nouvelle

À quatre personnages, c’est asçavoir :

       SCIENCE,

       SON  CLERQ.

       ASNERYE,

       et  SON  CLERQ,  [maistre Johannès], qui est Badin.

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                        SCIENCE  commence 1                         SCÈNE  I

        Tant de fins tours, tant de finesses2,

        Tant de maulx [et] tant de rudesses,

        Pertes, exès, calamytés !

        Les uns eslevés en richesses,

5      Nobles délaissans leurs noblesses,

        Faisant tort aulx communités3.

        Tant de sos4 mys en dignités,

        Tant de gens plains d’iniquictés,

        Et tant de gens sans consience !

10    Tant de pompes5 et vanités !

        Et toutes ces énormytés

        On faict sans moy, qui suys Science.

.

        J’ey veu que j’estoys florissante,

        Aulx cœurs des princes reluysante ;

15    Qu’on prisoyt mes faictz et mes dis.

        Mais maintenant, suys impotente.

        Mesme l’Église mylitante6

        Ne tient compte de mes édis.

        Asnes mytrés7, sos estourdis

20    Ont mes serviteurs interdis.

        Force m’est prendre en pacience,

        Sans mesprisons8 et contredis ;

        Car vilains, par moyens mauldis,

        Ont faict sans moy, qui suys Science.

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25    Les philozophes anciens

        Montroyent aulx princes les moyens

        À9 bien leurs subjectz gouverner.

        Mais un tas de praticiens10

        Pires que les magiciens11

30    Veulent aujourd’uy gouverner,

        Tirer à soy et rapiner12,

        Et quelque fraulde machiner ;

        Sans avoir congé ne licence,

        Prendre l’autruy et larcyner13.

35    Telz finesses détermyner

        Ont faict14 sans moy, qui suys Science.

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        Seigneurs, imaginez comment

        Gens vivent vertueusement,

        Pourveu que je soyes en présence15.

40    [Jugez que]16, sans sçavoir comment,

        Telz finesses certainement

        On17 faict sans moy, qui suys Science.

.

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE  entre       SCÈNE  II

        Y me fault faire diligence,

        Car il est temps et grand saison

45    De me pourvoir18.

                        SCIENCE

                                       C’est négligence

        De croupir auprès du tyson19.

        Et dictes, par vostre raison20 ?

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE  entre

        J’apète21 science aquérir.

                        SCIENCE

        C’est bien parlé. Mais pour poison

50    Se donne22 à qui la va quérir.

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE

        Y ne fault poinct [sy] loing courir :

        Science n’est pas esgarée.

                        SCIENCE

        On m’a cuydé faire mourir.

        J’ey esté quasy séparée

55    De mon lieu.

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE

                              Qu’elle est désolée !

        Dont provyent cecy, noble Dame ?

                        SCIENCE

        J’ey esté blessée et foullée,

        Et navrée23 de corps et d’âme.

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE

        Vostre renom, bruict, los et fame24

60    Est-il mys au bas ?

                        SCIENCE

                                       C’en est faict.

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE

        Par Dieu ! Pour vous, c’est un ort blasme25.

        Qui peult avoir faict ce forfaict ?

                        SCIENCE

        Gens despourveux de bon éfaict26,

        Qui de moy ne font pas grand compte.

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE

65    L’homme ne peult estre refaict27

        S’y n’a Science, en fin de compte.

                        SCIENCE

        Par Science, l’homme hault monte.

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE

        [Il est monté]28, le temps passé ;

        Mais maintenant, on le desmonte.

70    Toult est aultrement compassé29.

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                        LE  CLERQ  D’ÂNERYE,  en Badin30entre.

        ’Nadiès31 ! ’Nadiès !                                                 SCÈNE  III

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE

                                          Dieu gard, clérice32 !

                        LE  BADIN

        Afin que je vous advertisse,

        Cléricé 33 suis-je voyrement,

        À vostre bon commandement !

75    Je sçay mon françoys et latin :

        Vultis vobis, ser[v]os et in34

        Voy(e)là tout mon latin par cœur.

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE

        Méchant, séroys-tu35 faire honneur

        À ceste Dame d’excellence ?

                        LE  BADIN

80    Et qui est-elle ?

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE

                                   C’est Science,

        Combien qu’elle soyt mal en poinct.

                        LE  BADIN

        Bau, bau ! Je ne la36 congnoys poinct.

        Je n’ay poinct de Science envye.

        Je ne la vis onq en ma vye.

85    J’en sçay assez pour mon user37.

        Je ne me veulx poinct amuser38

        Aveq(ues) elle, car gens scïens39

        Sont, pour le jourd’uy, mendiens.

        Je voys40 chercher alieurs pasture.

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE

90    Et où vas-tu ?

                        LE  BADIN

                                À l’advanture41.

        Peult-estre que seray pourveu

        Plus tost c’un grand clerq, dea, pourveu42

        Que j’ay[e] d’aulcune43 la grâce.

.

                        ASNERYE  entre 44                               SCÈNE  IV

        Pour bien jouer de passe-passe45,

95    C’est moy, c’est moy : j’en suys ouvrière46.

        J’en prens, j’en donne, j’en amasse ;

        J’en ay une grande mynière47.

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE

        Qui est ceste grande loudière48 ?

                        LE  BADIN

        N’en dictes mal, je vous en prye !

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE

100  La congnoys-tu ?

                        LE  BADIN

                                      Elle est ma mère49.

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE

        Qui est-elle ?

                        LE  BADIN

                                C’est Ânerye.

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE

        Ânerye ? Vierge Marye !

        Elle taille nos manteaulx cours50.

                         SCIENCE

        Mon amy, je te certifye

105  Qu’Ânerye se tient aulx Cours51.

                         ÂNERYE

        Je voys, je viens, je suys en52 cours,

        J’ey grande domination.

        À mes serviteurs faictz secours,

        Et leur donne provision.

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE

110  C’est une grand irision53

        De voir Ânerye eslevée.

                        SCIENCE

        C’est une malédiction !

        C’est par elle que suys grevée54.

        Elle est maintenant sy privée55

115  De ceulx qui ont gouvernement,

        Qu’el a tant faict que suys privée

        De tous mes droictz.

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE

                                          Dictes comment ?

                        SCIENCE

        Elle estudye incessamment

        À faire inventions nouvelles.

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE

120  Nous congnoissons certainement

        Qu’Ânerye veult voler sans elles56.

                        SCIENCE

        Et qu’el a faict des plays57 mortelles,

        Jadis, dedens noble sité :

        [Elle engendra maintes querelles

125  Au sein de l’Université.]58

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE

        Ânerye ? Bénédicité !

        Qu’elle cause, au pays, de maulx !

                        SCIENCE

        Tant avons eu d’aversité,

        Depuys qu’el a faict ses grans saulx59 !

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE

130  Nous voyons, par mons et par vaulx,

        Courir une estrange saison.

                        LE  BADIN

        Pourveu seray (sy je ne faulx60)

        De bénéfices à foyson.

        Je sçay qui est scriptorium61.

135  A quo, a qua. Non régula62 !

        Da michy bénéficium63,

        [Âneria !]

                        ÂNERYE 64

                          Holà, holà !

        Avoir les bénéfices ? Dea !

        En tel poinct, il fault bien entendre

140  Qu’i sont estalés çà et là.

                        LE  BADIN

        Comment donc ? Les voulez-vous vendre ?

                        ÂNERYE

        Tu n’es pas expert pour entendre

        Ce que j’en veulx détermyner.

                        LE  BADIN

        [ …………………… -endre,

        …………………….. -ner ?

                        ÂNERYE ]

        J’en puys vendre, j’en puys donner.

145  J’en domyne, j’en prens, j’en taille :

        C’est à moy. Pour en ordonner,

        J’en oste à l’un, à l’aultre en baille.

        Je les espars plus dru que paille65

        Pourveu, dea, qu’on face debvoir66.

150  Le plus souvent, y a bataille,

        Car à force67 les fault avoir.

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE

        Dame Science, alons sçavoir

        Sy pouroys, par vostre moyen,

        Estre pourveu.

                        SCIENCE

                                 Je le veulx bien.

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE

155  Ânerye départ68 bénéfices

        En ellevant gens en ofices,

        Ce que jadis vous ay veu faire.

                        SCIENCE

        Je n’en puy[s] mais69, c’est l’ordinaire.

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE

        De nuict, de jour, en diligence70

160  Je vous ay aquise, Science :

        Au moins, que j’ay[e] je ne sçay quoy !

                        SCIENCE

        Bref, il ne tiendra poinct à moy ;

        Avec vous g’iray volontiers.      Parlant à Ânerye :

        Voi(e)cy un de mes famillyers

165  Que j’ey à honneur introduict71.

        De par moy a esté instruict,

        On le voyt par expérience.

                       ÂNERYE

        Je ne vous congnoys.

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE

                                          C’est Science.

                        SCIENCE

        Je le plévys sientifique72,

170  Usant73 de raison politique.

        À luy, n’y a quelque74 insolence.

                        ÂNERYE

        Je ne vous congnoys.

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE

                                            C’est Science.

                        ÂNERYE

        Ayez un peu de pacience,

        Car je suys à aultruy debteur75.

                        SCIENCE

175  Il est digne d’estre pasteur76 :

        Vous luy donnerez, s’y vous plaist,

        Gouvernement77.

                        ÂNERYE

                                      À peu de plaist78,

        Je n’y ay poinct encor pencé.

                        LE  BADIN

        Ânerye, je suys dispencé79

180  D’obtenir quatre bénéfices ;

        Donnez-les-moy, y sont propices

        À mon estat et faculté.

        N’en faictes poinct dificulté :

        Monsieur80 le veult et vous le mande.

                        ÂNERYE

185  Il sera faict, puysqu’il commande.

        Tu me semble bien nouvelet81.

                        LE  BADIN

        Je suys pour son secret valet82,

        Long temps y a, et longue espace.

                        ÂNERYE,  bail[l]ant une amuche83 au Badin :

        Recommande-moy à Sa Grâce84 !

190  Tu es pourveu, voi(e)là pour toy.

                        SCIENCE

        Ânerye, à ce que je voy,

        Vous pourvoyez un tas de sos

        Qui ne séroyent parler deulx mos

        De latin congru, et lessez

195  Plusieurs bons clers intéressés85.

        N’esse pas grosse rêverye ?

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE

        Que voulez-vous ? C’est Ânerye,

        Qui mect en biens ânes et veaulx.

                        SCIENCE 86

        Voi(e)cy des termes bien nouveaulx !

200  Que vendez-vous ?

                        ÂNERYE

                                       Des bénéfices.

        Les uns je despesches gratis87.

        J’en vens de grans et de petis ;

        Les denyers m’en sont bien propices.

                        SCIENCE

        Que vendez-vous ?

                        ÂNERYE

                                        Des bénéfices.

205  Je les dépars, je les eschange,

        L’un à privé, l’aultre à l’estrange88,

        Mès89 que j’aye bonnes espices.

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE

        Que vendez-vous ?

                        ÂNERYE

                                         Des bénéfices.

                        SCIENCE

        A ! beste robuste90, Ânerye,

210  Plaine de toulte tricherye :

        Me veulx-tu abolir ainsy ?

                        ÂNERYE

        Je vis sans soing et sans soulcy

        Malgré vous, Science, ma dame.

                        SCIENCE

        Et ! se faictz mon91, bon gré mon âme !

215  Tu en es92 cousu et taillé.

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE

        Qui, grand deable, vous a baillé93

        Gouvernement ?

                        ÂNERYE

                                    C’est trop raillé !

        On le veult, il vous doibt suffyre.

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE

        C’est pour les bons clers desconfire.

220  Vous avez bénéficié94

        Un johannés 95, un socié 96

        Qui ne sçayt (pour toute devise)

        Dire, quant il est à l’église,

        Seulement un Per omnya97.

                        LE  BADIN

225  Qui, moy ? Qui, moy ? Sy feray, dea !

        Mot98, mot ! J’en voys prendre le ton :

        « Per omnya sécula séculorum !! »

        N’ei-ge pas l’oreille haultainne99 ?

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE

        Va ! Ta forte fièbvre quartaine !

230  Tu n’y entens ny gros, ny gresle100.

                        LE  BADIN

        Sy fault-il bien que je m’en melle,

        Puysque j’ey la pèleterye101.

                        SCIENCE

        Qui t’a apoinct102 ?

                        LE  BADIN

                                         C’est Ânerye.

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE

        Vous voyez bien qu’i ne sçayt rien.

                        ÂNERYE

235  À mon avys, qu’il chante bien103,

        À ce que voy et puys congnoistre !

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE

        Faire d’un tel conard104 un prestre !

        Qu’esse icy ? À qui sommes-nous105 ?

                        LE  BADIN

        J’éray106 cornète de velou(r)s

240  Traînnante jusques à la terre.

                        ÂNERYE

        C’est le moyen pour bruict aquerre107.

        Car, posé108 c’un homme a science,

        S’y ne tient terme d’aparence109,

        On luy laisse ronger son frain110.

                        LE  BADIN

245  On me descongnoistra111, demain,

        Puysque je suys bénéficïé :

        Chascun m’apeloyt « Socié » ;

        J’auray non « maistre Johannés ».

        On engressera les bonnés112

250  Par force de me saluer.

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE

        Y nous fault de propos muer113,

        Et conclure sans alibis114

        Qu’on faict révérence aulx abis,

        Non pas aulx gens siencieulx115.

                        SCIENCE

255  A ! seigneurs conciencieulx,

        Où estes-vous ?

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE

                                  Ilz sont aucteurs116.

                        SCIENCE

        Qui faict nouveaulx expositeurs117

        A[i]nsy gloser glose sur glose ?

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE

        Qui faict les subtilz inventeurs,

260  Maintenant, avoir bouche close ?

        N’avons-nous pas, en belle prose,

        La  Bible en françoys118 ?

                        SCIENCE

                                                   Je suys pérye,

        Car toult se faict par Ânerye.

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE

        Qui faict les bons clers ravaler ?

                        SCIENCE

265  Qui faict Justice mal aler ?

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE

        Qui cause tant d’impôs nouveaulx ?

                        SCIENCE

        Qui faict au monde tant de maulx ?

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE

        Qui entretient la pillerye ?

                        SCIENCE

        Conclusion : c’est Ânerye.

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE

270  D’où vient c’un homme de métier119

        On élève aujourd’uy sy hault ?

                        SCIENCE

        D’où vient qu’en clouestre et moutier120

        On crie comme en guerre à l’assault ?

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE

        Et d’où vient que soufrir y fault

275  Qu’on perde prévilège et droys121,

        Et Justice soyt en défault ?

                        SCIENCE

        Ânerye le veult.

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE

                                   Je vous croys.

        Qui défleure simples pucelles ?

                        SCIENCE

        Qui entretient ces maquerelles ?

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE

280  Qui entretient déception122,

        Larcin, usure, tromperye ?

        Dictes-m’en vostre opinion.

                        SCIENCE

        Conclusion : c’est Ânerye.

                        Nota que le Badin se pourmaine 123,

                        tenant l’amuche sur son bras.

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE

        Qui esse qui ainsy copye124,

285  Tenant termes125 ? Où sommes-nous !

                        ÂNERYE,  parlant au Badin :

        Honneur, Monsieur !

                        LE  BADIN

                                           Dieu vous bénye !

                        ÂNERYE

        Monsieur, comme vous portez-vous ?

                        LE  BADIN

        Gorier, je faictz la barbe à tous126.

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE

        Johannés faict du capitaine,

290  Johannés porte le velou(r)s.

                        LE  BADIN 127

        Johannés ? Ta fièbvre cartaine !

                        SCIENCE

        Il tient termes.

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE

                                 Il se pourmaine.

        Nos deulx128 sommes petis novices,

        Près129 de luy.

                        SCIENCE

                                   Ânerye le mayne.

                        ÂNERYE 130

295  Je repliray mes bénéfices.

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE

        Ânerye, nous sommes propices131

        D’en obtenir.

                        ÂNERYE

                               Rien, pas la maille132 !

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE

        Gros ânyers [et] gens plains de vices

        En ont bien.

                        SCIENCE

                             Or sus ! qu’on nous133 baille

300  Quelque chose, vaille qui134 vaille,

        Au mains135 pour soy entretenir.

                        ÂNERYE

        Ouy dea, de beaulx136 !

                        LE  CLERQ  DE  SCIENCE

                                                Elle se raille.

        C’est perdre temps de nous tenir

        En ce lieu-cy.

                        SCIENCE

                                De revenir

305  Une aultre foys seroyt folye,

        Car il nous peult bien souvenir

        Qu’on pourvoyt gens par Ânerye.

        Une chanson, je vous emprye137 !

        En prenant congé de ce lieu,

310  Une chanson pour dire « à Dieu » !

.

                                              FINIS

*

1 Elle est vêtue de loques : voir le vers 81.   2 De fourberies. Idem vers 35 et 41.   3 À la communauté. Cf. les Sotz escornéz, vers 282.   4 De sots. Idem vers 19 et 192. Les dignités sont les hautes fonctions des dignitaires de l’Église.   5 D’apparat.   6 « L’Église militante : la présente Église catholique, qui milite en combatant contre ses adversaires, qui sont le deable, le monde et la chair. » ATILF.   7 Les ânes coiffés d’une mitre sont les évêques. Lors de la fête de l’Âne, un de ces quadrupèdes est affublé d’une mitre épiscopale.   8 LV : mes raisons  (Sans paroles méprisables. « Depuis vingt ans, sans mesprison,/ J’ay esté tousjours en prison. » Les Sotz qui remetent en point Bon Temps.)   9 Pour. Dans Pates-ouaintes (vers 433-446), Pierre de Lesnauderie opposait déjà l’idéalisme des Anciens au prosaïsme des Modernes.   10 D’experts, ici avec un sens péjoratif.   11 « Ceux qui employent les paroles sainctes & divines à des sorcelleries & effects magiciens. » Montaigne.   12 Tirer l’argent vers eux et se livrer à des rapines.   13 Ils veulent prendre les biens d’autrui et commettre des larcins.   14 Ils ont fait s’accomplir de telles magouilles.   15 En leur présence.   16 LV : juges et   17 LV : ont  (Même refrain qu’au vers 12.)   18 De m’octroyer un bénéfice ecclésiastique ou une cure. On croirait entendre Guermouset, qui appartient pourtant à la catégorie des ânes : « Je deusse estre pourveu présent,/ Avoir bénéfices et cures./ N’est-il pas temps qu’on me pourvoye ? »   19 De rester devant sa cheminée, au lieu d’être utile à la communauté.   20 Quelle raison donnez-vous ?   21 Je désire.   22 LV : nomme  (La science se montre sous une forme amère à celui qui la recherche.)   23 Blessée. Na-vré-e compte pour 3 syllabes.   24 Ces 4 mots ont un même sens : réputation.   25 Un sale, un indigne blâme.   26 Dépourvus d’une bonne influence.   27 Ne peut se corriger.   28 LV : Ie le montys   29 LV : compense  (Agencé. « Tout est mal compassé. » Mallepaye et Bâillevant.)   30 Tout comme cet autre clerc ignorant qu’est Maistre Mymin qui va à la guerre, il est « habillé en Badin d’une longue jacquette, et enbéguyné d’ung béguin, ayant une grande escriptoire ».   31 Les collégiens paresseux abrègent ainsi bona dies [bonjour] par aphérèse. « ’Nadiès, ’nadiès, dominus Totus ! » Tout, Rien et Chascun (BM 56).   32 Clerice est le vocatif (prononcé à la française « cléricé ») de clericus : clerc. Cf. la Résurrection de Jénin Landore, vers 194. Mais le clerc de Science caricature l’ignorance du Badin en prononçant « clérice », qui est la forme locale du prénom féminin Clarisse.   33 LV : clerise  (Je suis vraiment un clerc. Ou bien : Je m’appelle vraiment Cléricé, comme le clerc du curé dans Régnault qui se marie.)   34 Il semblerait — mais par quel miracle ? — que le Badin cite le second livre des Chroniques : « Filios Juda et Jerusalem vultis vobis subjicere in servos et ancillas. » À la française, servos et in se prononce comme « cerveaux éteints ».   35 Ne saurais-tu. Même normandisme à 193.   36 LV : le  (« Bo, bo ! » est une interjection normande. Cf. Lucas Sergent, vers 66.)   37 Pour mon usage personnel. Cf. les Femmes qui font escurer leurs chaulderons, vers 22.   38 Perdre mon temps.   39 Savants. L’idée que le savoir ne nourrit pas son homme était fort commune : « Les clers n’ont riens,/ Pour chose qu’ilz aient leu ne veu…./ Les clers bien lettréz ont des poulx. » Les Sotz ecclésiasticques.   40 Je vais. Idem vers 106 et 226.   41 LV : la vuanture   42 LV : pour voir   43 D’une certaine femme. Le Badin voit arriver Ânerie.   44 Elle a des oreilles d’âne, et elle tient un chiffon noué qui renferme quelque chose.   45 « Si jouerez-vous de passe-passe/ Ou vous le ferez !  » P. de Lesnauderie, Cène des dieux.   46 J’en suis spécialiste.   47 Une mine inépuisable. Cf. Ung Fol changant divers propos, vers 168.   48 Cette pouffiasse. Cf. le Mince de quaire, vers 170, 179, etc.   49 LV : mye  (« Ce sont Resverie et mère Asnerie, et non pas Artifice [technique] ni Science. » Jehan Le Bon.)  « Ignorance est mère de tous maulx. » Proverbe.   50 À cause d’elle, nous sommes court-vêtus.   51 Dans les cours royales, et dans les cours de Justice, y compris la cour d’Église.   52 LV : je  (Je suis en vogue. « Vous estes en cours. » Raoullet Ployart.)   53 Moquerie. « C’est grand déshonneur/ Pour nous, et grande irrision. » ATILF.   54 Accablée.   55 Si intime. Cf. le Poulier à sis personnages, vers 485.   56 Veut péter plus haut que son cul. « C’est folie de vouloir voler sans aile. » Trésor des sentences.   57 Des plaies.   58 2 vers omis (censurés ?). Pierre de Lesnauderie enseignait à l’université de la « noble cité » de Caen, où sévissait l’ânerie : voir Pates-ouaintes. « Le tort qu’il luy faisoit engendra maintes querelles. » Nicolas de Herberay.   59 Ses sauts périlleux, ses bouffonneries.   60 Si je n’y manque pas (verbe faillir).   61 Secrétaire. (À la française, on prononce « scriptorion ».) Dans le colophon de Pates-ouaintes, Lesnauderie se dit « scriba Conservatoris » : secrétaire du conservateur de l’université de Caen.   62 Pas la règle ! Plutôt que d’une règle de grammaire, il doit s’agir de la règle [latte en bois] qui sert à frapper le postérieur des cancres.   63 LV : beneficia  (Donne-moi un bénéfice ecclésiastique !)   64 Elle déploie par terre son chiffon, qui contient une aumusse et d’énormes clés de couleur argentée, ouvrant l’accès à telle ou telle cure. Dans la moralité Hérésye et Frère Symonye (LV 57), cinq personnages armés de telles clés veulent entrer dans l’Église : « C’est une clef d’argent/ Qui faict en tous lieux ouverture/ Et mect les gens en prélature. »   65 Je les distribue plus serrés que des fétus dans une botte de paille. Cf. les Frans-archiers qui vont à Naples, vers 11.   66 Pourvu qu’on me rémunère.   67 Par la force.   68 Distribue. Idem vers 205.   69 Je n’y peux rien.   70 Avec diligence, empressement.   71 Que j’ai initié à l’honneur.   72 Je vous le garantis savant. « Si la vous plévis-ge pucelle. » Maistre Mimin estudiant.   73 LV : lysant   74 Aucune. Dessous, le scribe a recopié par inadvertance le vers 168.   75 Je suis débitrice à d’autres que vous.   76 Curé.   77 Charge d’âmes. Idem vers 217.   78 De plaids : en peu de mots.   79 Autorisé par une dispense spéciale.   80 Peut-être s’agit-il de « Monsieur de Bayeux » : c’est le titre qu’on donnait aux évêques du diocèse. « Le sieur official de Monsieur de Bayeux, en ce siège de Caen. » (Ch. de Bourgueville.) L’évêque Charles de Neufchastel appartenait à une famille de redoutables capteurs de bénéfices ; lui-même fut archevêque de Besançon à 20 ans ! Lesnauderie ne court aucun risque en l’attaquant, puisque cet « âne mitré » venait de mourir en 1498 ; d’ailleurs, l’auteur de Pates-ouaintes n’avait pas craint de tourner en ridicule l’évêque de Chalon, bien vivant. Charles de Neufchastel était en outre chancelier de l’université de Caen, où Lesnauderie professait.   81 Un peu jeunot pour régir quatre cures.   82 Je lui tiens lieu d’entremetteur. « Par son secret varlet, (elle) envoya lettres au chastellain. » Les Amours du chastellain de Coucy.   83 Une aumusse : le capuchon fourré que portent les prêtres. Idem entre les vers 283-284. Cf. les Brus, vers 113.   84 À monseigneur l’évêque (note 80). « S’il plaist à Vostre Grâce. » Grandes Chroniques de France.   85 Lésés. Cf. Régnault qui se marie, vers 288 et note.   86 Elle regarde le chiffon sur lequel sont alignées les clés.   87 J’expédie gratuitement.   88 L’un à un proche, l’autre à un étranger.   89 Mais. C’est la graphie personnelle de Lesnauderie : « Car mès qu’ilz aient le liminaire. » (Pates-ouaintes.) Les épices sont les pots-de-vin grâce auxquels on soudoie les juges.   90 La bête robuste désigne l’âne. « Le plus robuste asne qu’on sauroit trouver. » G. de la Bouthière.   91 Moi aussi. « Sy fayz mon, ouy-dea ! » La Pippée.   92 LV : as  (Tu en es réduite au silence. « Il en est taillé et cousu. » Le Munyer.)  Ce vers inutile et mal accordé, qui introduit une 3e rime, est apocryphe.   93 LV : donne   94 Vous avez pourvu d’un bénéfice. Idem vers 246.   95 Un clerc ignorant. C’est le prénom Jean latinisé. Idem vers 248 et 289. Cf. Pernet qui va à l’escolle, vers 37.   96 Un latiniseur inculte. Idem vers 247. C’est le nom d’un écolier dans le Maistre d’escolle. « Pour farcer ygnares sociéz. » Les Coppieurs et Lardeurs.   97 C’est la prière de base : tous les clercs débutants doivent pouvoir la chanter, ou plutôt la brailler le plus fort possible. Cf. Pernet qui va à l’escolle, vers 1 et 141.   98 Plus un mot ! Prendre le ton = prendre la note. Cf. Maistre Mymin qui va à la guerre, vers 77 et note.   99 Parfaite.   100 Tu n’y connais rien. « Je n’y entens ne gros, ne gresle. » Farce de Pathelin.   101 La fourrure : l’aumusse (note 83).   102 Qui t’a investi (verbe appointer) ?   103 Les mères des futurs prélats sont toujours en extase devant la puissance vocale de leur rejeton : « Il chante bien Orémus,/ Et chante le Péromnia. » D’un qui se fait examiner pour estre prebstre.   104 D’un tel bouffon, pareil aux Conards de Rouen, qui écriront : « Tel est un asne qui pense estre un grand clerc. » Les Asniers remplis d’asnerie.   105 Où sommes-nous ? Même vers dans la Nourrisse et la Chambèrière.   106 J’aurai (normandisme). La cornette est l’extrémité longue du chaperon des docteurs en théologie.   107 Pour acquérir de la réputation.   108 En admettant.   109 S’il ne soigne pas son apparence.   110 On le laisse attendre au lieu de lui donner un poste.   111 On ne me reconnaîtra plus. Cf. le Moral de Tout-le-Monde, vers 306.   112 Mes thuriféraires mettront des traces de doigts graisseuses sur leur bonnet.   113 LV : changer  (« Le roy mua propos à force d’estre pressé du duc de Milan. » ATILF.)   114 Sans mauvaises excuses.   115 Savants. L’idée qu’on respecte davantage les hommes pour la qualité de leurs habits que pour leur intelligence n’était pas nouvelle.   116 L’auteur se classe donc parmi les « seigneurs consciencieux ».   117 Commentateurs, glossateurs de la Bible.   118 En 1498, Antoine Vérard venait de publier la Bible historiée. Bien que cette édition fût supervisée par un évêque, Jean de Rély, elle fit grincer des dents aux scholiastes qui entendaient garder le monopole de l’exégèse biblique. Évidemment, les farceurs ont mis leur grain de sel : « La Théologienne scet tout./ Elle a veu de bout en bout/ La grant Bible en françoys…./ Brief, en tous livres elle glose. » Farce de Quattre femmes (F 46).   119 Qu’un artisan.   120 Que dans un cloître et dans un monastère, où le silence est de règle.   121 C’est le sujet de Pates-ouaintes.   122 La fourberie.   123 Se promène. (Idem vers 292.) Imitant les dignitaires de l’Église, il retrousse avec son bras la longue écharpe de son aumusse.   124 LV : corige  (Se moque de nous. « Je coppiray mains cocardeaulx. » Les Coppieurs et Lardeurs.)   125 Nous tenant tête. Idem vers 292.   126 Élégant, je snobe tout le monde. « Et si, ferez la barbe à tous. » Colinet et sa Tante.   127 Il s’indigne qu’on ne l’appelle pas « maître Johannès » (vers 248).   128 Nous deux (normandisme).   129 LV : aupres   130 Elle replie le chiffon qui contient les clés.   131 Bien dignes.   132 Pas un centime.   133 LV : leur   134 Que. Cf. la Première Moralité de Genève, vers 297.   135 Au moins. Cf. Pates-ouaintes, vers 45.   136 Des beaux mots, des promesses. Cf. les Trois amoureux de la croix, vers 220.   137 LV : suplye  (Ce vers, tel que je le corrige pour la rime, est l’ultime vers de l’Homme à mes pois, du Poulier à quatre personnages, etc.)  Le distique final est la signature habituelle du copiste de ce manuscrit La Vallière.

LUCAS SERGENT

Manuscrit La Vallière

Manuscrit La Vallière

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LUCAS  SERGENT

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Cette farce normande fut composée vers 1519. Son « héros » exerce la profession peu recommandable de sergent, ce qui lui vaut le surnom de Lucas Sergent. Aujourd’hui encore, ce patronyme est porté par des personnes dont un lointain ancêtre était sergent.

Le premier vers évoque une ordonnance royale appliquée à la Normandie en 1518, laquelle confirme plusieurs ordonnances antérieures qui, comme d’habitude, n’avaient pas été suivies d’effet : « En relevant nostre peuple des griefs, exactions & vexations qu’ils ont souffert & souffrent à cause de la multitude des sergens extraordinaires qui sont en nostre pays de Normandie, avons ordonné & ordonnons que le nombre ancien de nosdits sergens par les Bailliages, Vicomtéz & Jurisdictions de nostre pays de Normandie sera réduit & remis, en rejettant tous autres sergens extraordinaires outre ledit nombre, pourveu que ceux qui demeureront esdits Offices de sergent seront de bonne & honneste vie, & sçauront lire & escrire. » Inutile de préciser que notre Lucas ne fait pas partie des sergents « de bonne et honnête vie » qui ont été gardés, même s’il porte encore les attributs de son ancienne profession.

Se rendant compte qu’une seule anecdote n’eût pas rempli les 300 vers réglementaires, l’auteur anonyme de la farce a combiné deux histoires qui circulaient depuis longtemps. Après tout, l’auteur de Sœur Fessue n’a pas fait autre chose. Je n’énumérerai pas les œuvres latines, italiennes ou françaises qui, depuis le XIIe siècle1, ont popularisé la deuxième de ces histoires2 ; les curieux consulteront la préface des éditions Fournier, Mabille et Tissier, ou le Répertoire de Petit de Julleville. Pour le moins, l’auteur connaissait forcément la version qui se trouve dans les Cent Nouvelles nouvelles, et que je publie sous la farce à titre de comparaison.

Lucas le borgne inspira un proverbe : « “Au cas que Lucas n’ait qu’un œil, sa femme espousera un borgne.” C’est une raillerie vulgaire [populaire] dont on se sert lorsque quelqu’un entame un discours par ces mots : au cas que. » (Antoine Oudin, Curiositéz françoises, 1640.) Ce proverbe fut assez durable pour avoir les honneurs du dictionnaire de Furetière en 1690.

Source : Manuscrit La Vallière, nº 53. Cette farce est d’un grand intérêt pour les amateurs de patois normand.

Structure : Rimes plates.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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*

Farce nouvelle

À .IIII. personnaiges, c’est asçavoir :

       LUCAS  SERGENT,  bouéteulx3 et borgne

       LE  BON  PAYEUR

       et  [AMELINE  FINE]4,   femme du sergent

       et  LE   VERT  GALANT

*

                        LUCAS  commence                                 SCÈNE  I

        Puysque sergens ne font plus rien,

        Y me fault chercher le moyen

        De trouver quelque vielle amende

        À mon roulle5 ; g’y ay atente,

5      Il est [bien] vray, par sainct Saulveur6 !

        Mort bieu ! voicy ce Bon Payeur7

        Qui me doibt, il y a long temps8,

        Cinquante [escus] ; dont je prétemps

        Luy9 mectre en son colet la main.

10    Tousjours, de demain en demain,

        Me baille [jour10] pour me bien tenir11 ;

        Mais ce demain, ne peult venir.

        Ce n’est c’un menteur ordinaire.

        Quel remède ? Il est nécessaire

15    Que je le prenne au sault du lict :

        G’y voys12.

.

                        [LE  BON  PAYEUR]                            SCÈNE  II

                             A ! mort bieu, quel déduict13 !

        Est-il heure de se lever ?

                        [LUCAS  SERGENT]

        Or sus ! Me veulx-tu poinct payer

        Cest[e] amende que tu me doibtz ?

                        LE  BON  PAYEUR

20    Lucas le borgne ? Hélas ! tu voys

        Que je me lève. Et ! mon amy,

        Je suys encor tant14 endormy

        Que je ne sçay où est ma bource.

        Ce seroyt chose bien rebource15

25    De bailler argent sy matin.

        Mais te16 donray d’un pot de vin

        Tantost, et d’un petit pasté.

                        LUCAS  SERGENT

        Vray Dieu, tant tu es enhasté17 !

        Tu ne traches18 qu’eschapatoyre.

                        LE  BON  PAYEUR

30    Tu voys : pas ne suys prest encoyre19.

        Au moingtz, lesse-moy habiller.

                        LUCAS

        Sy tu ne veulx argent bailler,

        La mort bieu, je prendray des nans20 !

        Te veulx-tu moquer des sergans21,

35    Qui sont les oficiers du Roy ?

                        LE  BON  PAYEUR 22

        Monsieur, nénin, dea, par ma foy,

        Monsieur le sergant ! Mais, de faict,

        Y me fault aler au retraict23 ;

        Par quoy, voulez24 vous retirer.

40    Et puys nous yrons desjuner ;

        Et là, je vous contenteray.

                        LUCAS

        Retirer ? Par Dieu ! non feray

        Jusqu(e) à tant que tu m[’ay]es payé.

                        LE  BON  PAYEUR

        An ! j’ey le ventre desvoyé25.

45    Retirez-vous, sergant à mache26 !

                        LUCAS

        Se tu debvoys faire27 en la place,

        Je ne me retireray poinct.

                        LE  BON  PAYEUR

        An ! vray Dieu, le ventre m’espoinct

        D’une sorte mauvaise et faulce28.

50    Vous me ferez faire en ma chausse29 ;

        Ce ne seroyt pas chose honneste.

        De vous tirer vous admonneste30.

        Et je promais vous advertir

        D’une chose, [avant de partir]31,

55    [Qui vous tient au cœur32.]

                        LUCAS  SERGENT

                                                   Et de quoy,

        Bon Payeur, [de quoy] ?

                        LE  BON  PAYEUR

                                                Par ma foy !

        Guétez-vous33, monsieur le sergant.

                        LUCAS

        De qui « guéter » ?

                        LE  BON  PAYEUR

                                        Du Vert Galant34,

        Car il entretient Ameline,

60    Qui est  ta femme.

                        LUCAS  SERGENT

                                       Saincte Katherine !

        J’en ay ouÿ parler, beau sire.

        À d’aultres35 !

                        LE  BON  PAYEUR

                                Dea ! j’ose bien dire

        Qu’il [l’]entretient, je le sçay bien.

                        LUCAS

        Sy croi-ge, moy, qu’i n’en soyt rien,

65    Car ma femme ne daigneroyt36.

                        LE  BON  PAYEUR

        Daigner ? Bo, bo ! qui s’y firoyt37,

        Le danger n’en seroit jà mendre38.

                        LUCAS

        Sy suis-je assez fin pour entendre

        Le cas : pas ne suys sy bémy39.

                        LE  BON  PAYEUR

70    Le cas40 ? Tu n’y voys qu’à demy ;

        Tu es borgne, et sy, es bouéteulx41.

                        LUCAS

        Myeulx voys d’un œuil que toy de deulx.

        Je me tien tousjours sus mes gardes.

                        LE  BON  PAYEUR

        C’est pour nient42 : car tu ne regardes,

75    La sepmaine43, que de travers.

                        LUCAS

        Tu me sers de mos tant dyvers

        Que tu me cuydes abuser.

        Sçays-tu quoy ? Il te fault payer,

        Ou j’éray des nans44.

                        LE  BON  PAYEUR

                                            C’est raison,

80    Se j’eusse des biens à foyson ;

        Mais de prendre45 ? Rien n’(y) a, cïens46.

        Monstrez-vous des plus paciens,

        Ne soyez pas des plus mauvais.

                        LUCAS  SERGENT 47

        J’auray pos et plas.

                        LE  BON  PAYEUR

                                        Lesse-lays48,

85    Monsieur, y n’y a rien dessus.

                        LUCAS  S[ERGENT]

        Et49 ! comme sergans sont déceuz50 !

        Corbieu, tu viendras en prison !

                         LE  BON  PAYEUR

        Ne vous monstrez pas trop félon,

        Monsieur, ce seroyt mal congneu.

90    Je n’yray pas (par sainct Symon)

        Un pié chaussé et l’aultre nu51.

        Le payment vous52 sera tenu,

        Mais que me prométez d’atendre

        Que [parchaussé soys]53. Sans mesprendre,

95    Je vous payeray incontinent.

                        LUCAS  SERGENT

        Bien donc. Chausse-toy vitement54.

        Je promais que rien ne payeras

        Tant que [parchaussé ne]55 seras.

                        LE  BON  PAYEUR

        Le promectez-vous ?

                        LUCAS  S[ERGENT]

                                           Ouy dea, ouy.

                        LE  BON  PAYEUR

100  Je ne parchausseray mèshuy56,

        Par ma foy, donc ! Ne de sepmaine !

        Non pas de l’an !

                        LUCAS  S[ERGENT]

                                    Dieu, quel(le) fredaine57 !

        Voicy un homme de bien, loing58.

                        LE  BON  PAYEUR 59

        J’apelle les gens à tesmoing :

105  Cela vault une quinquernelle60.

        Ma chausse, à la mode nouvelle

        Je chausseray, sans cousturier61 ;

        Me voylà en advanturier62.

        Je suys quicte, par sainct Saulveur !

                        LUCAS  SER[GENT]

110  Voylà le faict d’un [bon] payeur !

        Il en sçavoyt deulx, j’en ay d’une63.

        Mais s’y plaist à dame Fortune,

        Je luy en bailleray d’un aultre…64

.

                        LE  BON  PAYEUR                               SCÈNE  III

        Il est payé. Au peaultre65 ! au peaultre !

115  Me voylà quicte de l’amende.

.

                 AMELINE,  femme de Lucas Sergant.       SCÈNE  IV

            Ce beau touflet66 de lavende

            Garny de plusieurs flourètes…

        Je le don(ne)ray, par amourètes,

        À mon amy le Vert Galant.

120  A ! s’il sçavoyt que le sergant,

        Lucas le borgne, mon mary,

        Fust dehors, bien seroyt mar[r]y

        Qu’il ne me viensît67 bientost voir.

.

                        LE  VERD  GALANT  entre68.             SCÈNE  V

        Quant à moy, je m’en voys sçavoir

125  Se Lucas Sergant est dehors.

        D’ajourner y faict ses effors69 :

        Il est à l’ofice bien digne70 !

.

        Qu’esse-là ? Je voy Amelyne71,                                SCÈNE  VI

        Sa femme, qui fille à son huys72.

130  O ! que tant malureux je suys

        Que je ne suys venu plus tost !

.

                        AMELINE  FINE                                  SCÈNE  VII

        Verd Galant, chacoustez73 un mot :

        Mon amy, prenez, par amour,

        Ce touffeau74 faict de maincte flour

135  Par les mains de vostre humble amye.

                        LE  VERD  GALANT

        Je ne le refuseray mye.

        Mais en le recepvant, ma seur,

        Je vous baiseray de bon cœur

        Pour l’amour du présent gentil.

140  Mais vostre mary, où est-il ?

                        AMELINE  FINE

        Où il est ? Hélas, Dieu le sache !

        Sur le vilage, [à tout sa mache]75,

        Où [il tourmente]76 povre gent.

        Il est actif et diligent.

145  Y rend maincte personne effrée.

        À cela, sçayt son entregent.

        Quant ces femmes n’ont poinct d’argent,

        On dict qu’il se paye en dérée77.

        C’est toult un, s’il prend sa lifrée78

150  De son costé, et moy du myen.

                        LE  VERD  GALANT

        Et ! voire, voire : j’entens bien

        Qu’i fault faire de tel pain soupe79.

        Mais quoy ! sy fault-il que je soupe

        Aveques vous par quelque soir,

155  Soyt de la brune ou de noir,

        [Mais80] qu’il soyt dehors.

                        AMELINE  FINE

                                                   Mon debvoir

        Je feray81 de vous advertir.

        Mais présent, nous fault départir82,

        Car incontinent revyendra.

                        LE  VERT  GALANT

160  Adieu donq ! On vous revoyra

        Plus à loisir, ma doulce amye.

.

                        LUCAS  SERGENT 83                          SCÈNE  VIII

        Mais qu’esse-là ? Ne voi-ge mye

        Un galant qui jase à ma femme ?

.

        Esse vostre cas, belle dame,                                     SCÈNE  IX

165  De tenir plet84 à ce jaseur ?

        Vous n’y aquérez poinct d’honneur.

        Et ! aussy, on me l’a bien dict.

                        AMELINE  FINE

        Et ! que de Dieu soyt-il mauldict,

        Qui onq y pensa à désonneur85 !

170  Je croy que c’est le Bon Payeur

        Qui ce faulx blason86 vous raporte.

                        LUCAS  SERGENT

        C’est mon87. Le grand deable l’emporte,

        Car il m’a joué d’un faulx tour88 !

                        AMELINE  FINE

        Et comment ?

                        LUCAS  SER[GENT]

                                Huy89, au poinct du jour,

175  Je le surprins en se cauchant90.

        Je luy dis : « Paye maintenant

        Ceste amende que tu me doibtz ! »

        Lors il me dist, se je vouloys

        Atendre qu’il fust parcauché91,

180  Qu’il me payroit. J’en fis marché,

        Et luy promys sans plus tencer92.

        Par quoy ne se veult parchausser93,

        Afin qu’il ne paye en éfaict.

                        AMELINE  FINE 94

        A ! rien, rien ! Prenez un fouet

185  Bien acoustré de [court baston]95 ;

        Et tout ainsy c’un careton96,

        Faictes-lay devant luy claquer.

        Et puys, s’y ne vous veult payer,

        Taillez-luy chausse(s) au long du cuyr97.

                        LUCAS  SERGANT

190  Bien98 voylà parlé à plaisir !

        J’ey désir d’un fouet trouver,

        Et [de] ton conseil esprouver

        D’une bonne sorte assez fine.

        A ! il n’est c’une femme fine

195  Pour quelque(s) fin tour aviser.99

.

        Et puys, ne veulx-tu poinct [br]aver100,                   SCÈNE  X

        Bon Payeur ? Sus, de par le deable !

        Chaussez vos chaulses, misérable !      Il le fouète.

        Chaulsez-vous !

                        LE  BON  PAYEUR

                                 [Sainct Jeh]an ! Nostre Dame !

200  Jésus ! Je payeray, par mon âme !

        Je me caucheray, sy je peulx.

        Tiens101, voylà cinquante [escus vieulx]102.

.

        C’est mal-encontre d’un bouéteux103 !                     SCÈNE  XI

        Le grand deable emporte le borgne,

205  Que tant d’un mauvais œuil il borgne104 !

        Tromperye tousjours retourne

        À son maistre105.

.

                        LUCAS  SERGANT 106                        SCÈNE  XII

                                       Je les atourne107,

        Ces bons payeurs : c’on me les baille,

        Afin c’une chausse vous taille108

210  Quant y ne viennent à raison !

        Je m’en revoys en ma maison,

        Puysque j’ey receu mon payement.

.

                        AMELINE  FINE 109                            SCÈNE  XIII

        Et puys ? Mon conseil, vrayement,

        Est-il bon ?

                        LUCAS  SERGANT

                            Ouy, par Dieu, de faict !

215  Mais garde d’avoir le fouet :

        On taille110 souvent (l’entens-tu ?)

        Le baston dont l’on est batu.

        Garde d’acouster111, sans long plait,

        Ce Vert Galant : y112 me desplaict.

220  Du temps passé113 je luy pardonne ;

        À l’avenir, mort bieu, j’ordonne114

        — S’ensemble je vous puys trouver —

        Incontinent de vous tuer !

        Il n’y aura poinct de remède.

                        AMELINE  FINE

225  Je ne sçay dont115 il vous procède,

        Synon que c’est par faulx raport116.

        A ! mon mary, vous avez tort

        De m’inputer un tel oultrage.

        Je n’ay poinct un sy méchant courage117.

230  Je suys de gens de bien extraicte,

        Et de ligne118 bonne et parfaicte ;

        Jamais y n’y eust que redire.

        À poy que ne me voys occire119

        Ou gecter en une malière120 !

235  Sy, en devant ny en dèrière,

        Vous voyez en moy déshonneur,

        Ne m’espargnez poinct.

                        LUCAS  SERGANT

                                              Bien, ma sceur121.

        Gouvernez-vous bien, en un mot.

        Maintenant m’en voys au plus tost

240  À dis lieues122 d’icy (ce n’est pas près)

        Pour [y] recorder mes explays123.

        À demain124 ! Gardez bien à l’ostel125 !

.

                        AMELINE  FINE                                  SCÈNE  XIV

        Mais en est-il encor un tel126 ?

        Borgne, boyteulx : Dieu, quel rencontre !

245  Y porte plus grand mal-encontre127,

        Par Dieu, que le boys du gibet !

        Y n’est rien plus ort, ne plus let128.

        Voise129 au deable le malhureulx !

        Ceste nuyct, de mon amoureulx

250  Jouyray, puysqu’il va dehors.

.

                        LUCAS 130                                             SCÈNE  XV

        Y fault mectre tous mes effors

        À me mucher icy endroict131,

        Et voiré tout132 ; car elle croit

        Que je m’en suys dehors alé.

255  J’espiray du long et du lé133,

        Pour voir se le galant viendra.

.

                        AMELINE  FINE 134                            SCÈNE  XVI

        Par Dieu ! en parle qui vouldra135 :

        Je voys atendre icy devant

        Mon cher amy le Verd Galant

260  Pour le fère céans entrer.

.

                        LE  VERT  GALANT 136                      SCÈNE  XVII

        Amour veult mon cœur pénestrer :

        De sa sayète137 noble et digne

        Je suys navré138, sans poinct doubter.

        Icy ne puys plus arester139 :

265  Je veulx aler voir Amelyne140.

.

        La voilà, la gente godine141,

        Mon soulas142, ma joye et plaisance.

        A ! il fault bien que je m’avance

        Pour l’aler saluer souldain.

.

270  Honneur, ma Dame au cœur humain !                      SCÈNE  XVIII

        Où est le faulx143 borgne Lucas ?

                        AMELINE  FINE

        Ceste nuyct ferons nostre cas,

        Car il est alé sur les champs144.

                        LE  VERT  GALANT

        Ainsy que deulx parfaictz amans,

275  Nous ferons bien nostre paquet145.

                        AMELINE  FINE

        En despit des jaloux meschans,

        Passons le temps en ris et chans146.

        Siéchons-nous béquet à béquet147,

        Car j’ey préparé le banquet.

280  Récréon-nous, faison grand chère !

                        LE  VERD  GALANT

        Je n’ey choze au monde sy chère.

        Je suys, de vostre amour, transy148.

                        AMELINE  FINE

        Aussy suys-je de vous, aussy.

        Prenons passe-temps sans esmoy.

                        LE  VERT  GALANT

285  Ma chère amye, baisez-moy

        Pour rassasier149 mon désir.

        Disons quelque mot à plaisir.

        Monstrez qu’avez le cœur joyeulx.

                        AMELINE  FINE

        En despit du borgne boéteulx,

290  Nous prendrons passetens, nos deulx150,

        Tant que la nuyct durera toute.

.

                        LUCAS  SE[R]GA[N]Z 151                   SCÈNE  XIX

        Vous rirez ensemble, vos deulx ?

        Tantost serez bien roupieulx152 !

        Le borgne est près, qui vous escouste.153

                        LE  VERT  GALANT

295  Qu’esse que j’os154 ? Dieu ! qu’on me boute

        Dehors155, car nous sommes perdus !

                        LUCAS  SERGANT

        Mort bieu ! les us156 seront rompus,

        Se tu n’ouvres bien tost, vilaine !

                        AMELINE  FINE

        Jésus ! Benoiste Madalaine !

300  C’est mon mary ! Dieu ! que feray ?

                        LE  VERD  GALANT

        Dictes où je me bouteray.

        Y me tura de mort cruelle.

                        AMELINE  FINE

        J’ouvriray à tout157 la chandelle ;

        Tenez-vous bien dèrière moy158.

                        LE  VERD  GALANT

305  Jésus ! Madame saincte Foy !

        Hélas ! qu’esse que nous ferons ?

                        AMELIN[E]  FINE

        Sy Dieu plaist, nous escamperons159 ;

        Ne vous chaille160, laissez-moy faire.

                        LUCAS  S[ERGENT]

        Ouvre,  ouvre tost !

                        AMELINE  FINE 161

                                      Qu’avez-vous à braire ?

310  Jamais ne fus plus resjouye

        Que quant j’ey vostre voys ouÿe.

                        LUCAS  SERGANT

        Ta male mort !

                        AMELINE  FINE

                                 Je me dormoye ;

        Et en me dormant, je songoye162

       Que Dieu vous avoyt, pour le myeulx,

315  Enlumyné163 tous les deulx yeulx.

        Je n’us oncques aussy grand joye.

        Hélas, mon amy : que je voye,

        Car g’y ay ma crédence ferme164.

        Voyez-vous pas cler, quant je ferme

320  Cestuy-cy qui est destouppé165 ?

                        Elle luy clost l’œuil de quoy il voyt.

                        LE  VERT  GALANT 166

        Dieu mercy, je suys eschapé

        De craincte et de douleur mortelle !

        Voylà la meilleure cautelle167

        Qui jamais peust estre advisée168.

                        LUCAS  SERGENT 169

325  Où est-il170, vilaine rusée,

        Ce paillard à qui tu t’esbas ?

                        AMELINE  FINE

        Lucas, cherchez bien, hault et bas :

        Car céans il n’y a poinct d’homme171.

                        LUCAS  SERGENT

        Bien peu s’en fault que ne t’assomme !

330  Tu m’es venu l’œuil estouper

        Afin de le faire eschaper.

        Tu m’as bien déceu172, en éfaict.

        Je te prendray dessus le faict

        Une aultre foys, sans long babil.

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                        LE  VERT  GALANT 173                     SCÈNE  XX

335  Combien c’un borgne s[oyt s]ubtil,

        Un bouéteulx cauteleux e[t] fin174,

        [Il] sera conclus175, à la fin.

        Vous avez veu, [quant le temps presse]176,

        Que, pour trouver une finesse

340  Souldain, il n’est que femme fine177.

        Par ceste fin, la farce finne178.

        En prenant congé de ce lieu,

        Une chanson pour dire adieu !

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                                                  FINIS

*

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D’UNG  CHEVALIER  DE  PICARDIE 179

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Créez que l’uys180 n’estoit pas ouvert, à cause du lieu-tenant181, qui tout esbahy fut, et madame aussi, quant monseigneur heurta de son baston ung très lourt coup.

« –Qui esse-là (ce dit madame) ?  –C’est moy (ce dit monseigneur). Ouvrez, ouvrez ! »

Madame, qui tantost a congneu182 monseigneur à son parler, ne fut pas des plus asseurées. Néantmoins, fait habillier incontinent son escuier, qui met peine de s’advancier183 le plus qu’il peult, pensant comment il pourra eschapper sans dangier. Madame, qui faint d’estre encores toute endormie et non recongnoistre monseigneur, après le second heurt qu’il fait à l’uys, demande encores :

« –Qui esse-là ?  –C’est vostre mary, Dame. Ouvrez bien tost, ouvrez !  –Mon mary (dist-elle) ? Hélas ! il est bien loing de cy. Dieu le ramaine à joie, et brief !  –Par ma foy, Dame, je suis vostre mary. Et ! ne me congnoissez-vous au parler ? Sitost que je vous ay ouÿ respondre, je congneuz bien que c’estiez vous.  –Quant il viendra, je le sçauray beaucoup devant184, pour le recepvoir ainsi comme je doy, et aussi pour mander messeigneurs ses parens et amis pour le festoier et convoier à sa bienvenue. Allez, allez, et me laissez dormir !  –Saint Jehan ! je vous en garderay bien (ce dit monseigneur). Il fault que vous ouvrez l’uys. Et ! ne voulez-vous congnoistre vostre mary ? »

Alors l’appelle par son nom. Et elle, qui voit que son amy est jà tout prest, le fait mettre derrière l’uys, et puis va dire à monseigneur :

« –Estes-vous ce ? Pour Dieu, pardonnez-moy ! Et estes-vous en bon point ?  –Oÿ, Dieu mercy (ce dit monseigneur) !  –Or, loué en soit Dieu (ce dit madame) ! Je vien incontinant vers vous, et vous mettray dedans185, mais que je soye ung peu habillée & que j’aye de la chandelle.  –Tout à vostre aise (ce dit monseigneur) !  –En vérité (ce dit madame), tout à ce coup que vous avez heurté, monseigneur, j’estoye bien empeschée d’ung songe qui est de vous186.  –Et quel est-il, m’amye ?  –Par ma foy, monseigneur, il me sembloit à bon escient que vous estiez revenu, et que vous parliez à moy ; et si, voyez187 tout aussi cler d’ung œil comme de l’autre.  –Pleust ores à Dieu (ce dit monseigneur) !  –Nostre Dame (ce dit madame), je croy que aussi faictes-vous188.  –Par ma foy (dit monseigneur), vous estes bien beste ! Et comment se pourroit-il faire ?  –Je tiens, moy (dit-elle), qu’il est ainsi.  –Il n’en est riens, non (dit monseigneur). Estes-vous bien si fole de le penser ?  –Dea ! monseigneur (dit-elle), ne me créez jamais s’il n’est ainsi ! Et pour la paix de mon cueur, je vous requier que nous l’esprouvons189. »

Et à ce coup, elle ouvra l’uys, tenant la chandelle ardant en sa main. Et monseigneur, qui est content de ceste espreuve, et s’i accorde par les parolles de sa femme. Et ainsi le pouvre homme endure bien que madame luy bouchast son bon œil d’une main ; et de l’autre, elle tenoit la chandelle devant l’œil de monseigneur qui crevé estoit. Et puis luy demanda :

« –Monseigneur, ne véez-vous pas bien, par vostre foy ?  –Par mon serment, non (ce dit monseigneur). »

Et entretant que ces devises se faisoient, le lieu-tenant de mondit seigneur sault190 de la chambre sans qu’il fût apparceu de luy.

« –Or attendez, monseigneur (ce dit-elle). Et maintenant, vous me voiez bien, ne faictes pas ?  –Par Dieu, m’amye, nennil (respond monseigneur). Comment vous verroy-je ? Vous avez bouchié mon dextre œil191, et l’autre est crevé passé192 plus de dix ans.  –Alors (dit-elle), or voy-je bien que c’estoit songe, voyrement, qui ce rapport me fist. Mais quoy que soit, Dieu soit loué et gracié que vous estes cy !  –Ainsi soit-il (ce dit monseigneur) ! »

Et à tant, s’entr’acolèrent et baisèrent par plusieurs fois, & firent grant feste…. Et ce fait, se bouta ou lit avec madame, qui le repeut du demourant193 de l’escuier, qui s’en va son chemin lyé194 & joyeux d’estre ainsi eschapé.

*

1 Plusieurs spécialistes nomment parmi les sources un fabliau de la Male dame, ou de la Mauvaise femme. Ce fabliau n’existe pas. Il s’agit d’un exemplum figurant dans la Disciplina clericalis, composée par Petrus Alfonsi au tout début du XIIe siècle. Ce livre fut traduit en français au XIIIe siècle, et l’Exemplum de vindemiatore dont il est question reçut alors pour titre : De la Male feme.   2 Henri Estienne, avant de la narrer à son tour, nous informe de cette popularité : « Je commenceray par un tour lequel il me souvient avoir ouÿ conter cent et cent fois à Paris ; et depuis, l’ay trouvé entre les contes de la roine de Navarre [dans l’Heptaméron, 6]. »   3 Boiteux. Le héros de l’histoire n’a cette particularité que dans notre farce. Le créateur du rôle boitait peut-être, comme l’argumente André Tissier : Recueil de farces, t. VI, 1990, pp. 265-307.   4 LV : fine myne  (Cette confusion se reproduira 2 fois. Fine Mine est le nom d’un jeune Sot dans les Sotz fourréz de malice et dans les Sotz triumphans.)   5 Le « rôle » est ici le registre des exploits, qui catalogue les justiciables condamnés à une amende. Avoir attente = avoir bon espoir.   6 Ce saint providentiel est encore invoqué au vers 109.   7 Lucas lit dans son registre le surnom que les créanciers donnent à ce mauvais payeur.   8 Depuis longtemps.   9 LV : et  (Je prétends lui mettre la main au collet : le capturer.)   10 Il me donne rendez-vous. « Et luy fut baillé jour au vendredi. » Olivier de La Marche.   11 Pour me faire le paiement. Voir le vers 92 : « Le payment vous sera tenu. »   12 J’y vais. Lucas entre chez le Bon Payeur, qui dort, et il le secoue.   13 Tu parles d’un plaisir ! « Quatre frans, sans plus ? Quel déduyt ! » Les Chambèrières et Débat.   14 LV : tout   15 Rébarbative. Cf. les Queues troussées, vers 227.   16 LV : Je  (Le pot-de-vin avait déjà son sens actuel : « Je vous donré ung pot de vin,/ Beau sire, et soyons amys. » La Confession du Brigant.)  La corruption des sergents est proverbiale : « Quant ung larron est attrappé,/ Le sergent qui l’aura happé/ Le lairra, mais qu’il ait argent. » Les Esbahis.   17 Hâtif, pressé de me voir partir. « La mère des deux enfans s’enhasta (…) : elle désiroit à veoir son filz. » Perceforest.   18 Tu ne cherches. « Aller tracher à baire [à boire] à la fontaine. » La Muse normande.   19 Je ne suis pas encore prêt. Inexplicablement, les quatre éditions modernes de cette farce ponctuent après « pas », alors que la même formule, par ailleurs banale, revient à 69. Cf. les Frans-archiers qui vont à Naples, vers 75.   20 Des nants [des nantissements] : des objets personnels à titre de gage. Idem vers 79. « Bons beuveurs ont dispense :/ Sergent, pour nans, ne doit/ Prendre par violence/ Les vaisseaux où l’on boit. » Godefroy.   21 Des sergents. Le « g » dur normanno-picard est fréquent dans cette pièce.   22 Afin de prendre Lucas par la flatterie, il se met à le vouvoyer en l’appelant Monsieur.   23 Au cabinet. Dans ce manuscrit, notre farce est suivie par celle du Retraict.   24 Pour cela, veuillez.   25 Je souffre d’un dévoiement de ventre : de diarrhée.   26 Un sergent à masse a pour attribut un bâton de plomb argenté. Cf. l’Antéchrist, vers 231.   27 Même si tu devais faire tes besoins.   28 Me tourmente d’une manière mauvaise et pernicieuse.   29 C’est une expression courante. En réalité, le Bon Payeur est encore au lit, en chemise longue : il ne porte donc pas de chausses.   30 Je vous adjure de vous retirer.   31 LV : vous aduertir  (à la rime.)   32 Je comble cette lacune d’après le Nouveau marié : « Ce qui me tient le plus au cueur. »   33 Méfiez-vous. « Guettez-vous là/ Que vous n’ayez fructus ventris [que vous ne tombiez pas enceintes]. » Frère Guillebert.   34 Ce sobriquet, dont bénéficiera Henri IV, qualifiait les coureurs de jupons. « Et puis prendre la “raverdie”/ Avecques quelque verd gallant. » Tout-ménage.   35 Racontez ces balivernes à quelqu’un d’autre. « Il n’est à croire [ce n’est pas crédible]./ À d’autres ! » Le Pauvre et le Riche.   36 N’oserait pas. « Cuideriez-vous que ma commère/ Vous fist coqu ? C’est chose clère/ Qu’el ne daigneroit. » Ung Mary jaloux.   37 Quand bien même on se fierait à elles.   38 Moindre. Cf. les Trois amoureux de la croix, vers 2.   39 Naïf. Cf. D’un qui se fait examiner, vers 84.   40 Certains corrigent « Lucas » ; mais les protagonistes répètent souvent, et de manière interrogative, les paroles de leur interlocuteur : vers 42, 58, 66, 141.   41 Et en plus, tu es boiteux.   42 Pour néant, pour rien. Cette forme normande compte pour 1 syllabe : cf. le Clerc qui fut refusé, vers 86.   43 En tout temps.   44 Ou j’aurai des gages. Voir la note 20.   45 Que voulez-vous prendre ?   46 Céans, ici. Cf. l’Homme à mes pois, vers 74.   47 Il saisit des pots et des plats.   48 Laisse-les. Même pronom normand à 187. On pourrait corriger « laissez-les, Monsieur », mais cela gâcherait un effet comique : le débiteur mélange le tutoiement de la familiarité amicale avec le vouvoiement du faux respect. Le Bon Payeur sort du lit en chemise longue, et il commence à enfiler ses chausses, un caleçon long qui est porté sous le haut-de-chausses.   49 LV : cest   50 LV : deceptz  (Voir le vers 332.)  Je suis trompé : les plats et les carafes sont vides.   51 Le Bon Payeur n’a enfilé qu’un côté : l’autre jambe est toujours nue.   52 LV : ne   53 LV : ք chance  (Être parchaussé : avoir mis ses chausses complètement, aux deux jambes. Idem vers 98, 100, 179 et 182. Le copiste ignorait ce mot, qu’il déforme presque toujours. Le « p » tranché abrège notamment la syllabe « par ».)  Sans méprendre = sans faute. Cf. Frère Frappart, vers 180.   54 LV : incontinent  (à la rime.)   55 LV : ք chanse tu   56 Je ne mettrai pas mes chausses aux deux jambes aujourd’hui.   57 Quelle blague. Cf. le Cousturier et Ésopet, vers 320.   58 Vu de loin. « Tu es ung très homme de bien,/ Voire, loing. » Moralité de Pouvre peuple.   59 Il s’adresse au public.   60 Une quinquenelle est un délai de 5 ans qu’on accorde à un débiteur. Cf. la Folie des Gorriers, vers 318.   61 Les couturiers à la mode habillaient les jambes avec des couleurs différentes. Le Bon Payeur va faire mieux qu’eux, puisqu’il n’habillera qu’une seule de ses jambes.   62 Les mercenaires qui n’avaient plus de solde se retrouvaient vite en haillons ; voir le Capitaine Mal-en-point.   63 Il connaissait deux bons tours, j’en ai expérimenté un. André Tissier cite Tahureau : « Vous en sçavez de deux, vous nous en avez baillé d’une. »   64 Lucas s’en va.   65 Au diable ! Cf. les Sotz qui corrigent le Magnificat, vers 321.   66 Bouquet. D’après Tissier, ces deux vers, « qui ont sept syllabes, étaient peut-être chantés ». L’entrée d’un nouveau personnage est souvent mise en valeur par une chanson.   67 Vînt : de ne pas venir bien vite me voir.   68 Il entre en scène, et se dirige vers la maison de Lucas et d’Ameline.   69 Il s’évertue à porter des ajournements, des assignations en justice. Les sergents sont des huissiers aux pouvoirs étendus. Cf. les Botines Gaultier, vers 295.   70 Il est bien digne de cet office méprisable.   71 LV : fine myne  (Note 4.)   72 Qui file sa quenouille devant la porte, pour profiter de la lumière du jour. Nous sommes l’après-midi ; la pièce a commencé le matin, et s’achèvera le soir.   73 Écoutez. « Et chacoutez la nouvelle nouvelle/ Du tret nouviau qui vo[us] sera contay. » La Muse normande.   74 Bouquet. « De gros toufiaux plaquent à leu capel [sur leur chapeau]. » La Muse normande.   75 LV : ou toult marche  (Avec sa masse. Nous trouvons « à tout » [avec] au v. 303, et « mache » [masse de sergent] au v. 45.)   76 LV : ilz tourmentent  (Il rançonne le pauvre peuple.)   77 En denrée féminine, en nature. « Un verd gallant bien ataché/ Et qui ne soyt lâche amanché,/ Quant la derrée sy le vault. » Le Trocheur de maris.   78 Sa ration. « Car tout checun me donnet la lifrée. » La Muse normande.   79 Qu’il faut lui rendre la pareille. « Si on luy faict de tel pain souppe qu’il a faict à autruy. » Antoine Le Maçon.   80 Pourvu. « Il soufist, mais qu’il soit dedans. » Les Femmes qui font renbourer leur bas.   81 Quand c’est une épouse honnête qui dit « je ferai mon devoir », elle stipule qu’elle sera fidèle à son mari.   82 À présent, il faut nous séparer.   83 Il voit le Vert Galant prendre congé d’Ameline et s’en aller.   84 Des plaids, des discussions. Idem vers 218.   85 Celui qui jamais y vit une chose déshonorante.   86 Ce sournois cafardage.   87 C’est vrai. Cf. Maistre Mimin estudiant, vers 361.   88 Un mauvais tour.   89 LV : yer  (Aujourd’hui.)   90 LV : couchant  (En se chaussant : alors qu’il enfilait ses chausses. « Cauchant ses biaux soulliais. » La Muse normande.)  Ma correction prépare le vers 179.   91 LV : ք cauche  (Forme normande de parchaussé. « Ayant cauché leu brais [chaussé leurs braies]. » La Muse normande.)   92 LV : tencher  (Tancer, récriminer. Cette forme en -cher a beau être normande, elle ne rime pas bien. Ou alors, elle rimait avec parcaucher.)   93 LV : ք chauser  (De sorte qu’il ne veut pas finir de mettre ses chausses.)   94 Elle va se venger de son délateur, qui s’était lui-même vengé de Lucas en lui distillant les incartades de son épouse.   95 LV : chareton  (Un fouet nanti d’un manche court cingle plus fort.)  Fou-et compte pour 2 syllabes.   96 Tel un charretier. « Un careton/ Qui enmeine une c[h]aretée. » Godefroy.   97 Taillez-lui la peau à coups de fouet.   98 LV : cors bieu   99 Lucas prend son fouet, puis retourne chez le Bon Payeur, qui n’est toujours pas habillé.   100 « BRAVER : Se parer. » (Édélestand et Duméril, Dictionnaire du patois normand.) « On engageait souliers, corsets, vaisselle/ Pour se braver. » La Muse normande.   101 LV : tenes  (Le Bon Payeur tutoie Lucas aux vers 20-31, 60, 70-75.)   102 LV : deulx  (Voir le vers 8.)  « Et n’ay grant planté [quantité] d’escuz vieulx. » La Confession du Brigant. On avait décrié cette monnaie en 1511. Lucas s’en va.   103 Croiser un boiteux était de mauvais augure : Pluton, le dieu des Enfers, boitait. Talleyrand, le « diable boiteux », n’aura pas non plus une bonne réputation.   104 Il regarde de travers, il lorgne. « Ilz ne pevent personne (…) regarder de droit œil, maiz tousdiz de travers aussi que en borgniant. » ATILF.   105 « À trompeur, tromperye luy vient. » Le Poulier à sis personnages.   106 Dans la rue, il s’adresse au public.   107 Je les habille.   108 Pour que je vous taille une chausse dans leur peau. Voir le vers 189.   109 À son mari, qui rentre, toujours armé du fouet.   110 LV : baille  (« Taillié a le baston/ De quoy il est batu. » ATILF. Nous disons toujours : Tailler le bâton pour se faire battre.)   111 Garde-toi d’écouter. Cf. le Tesmoing, vers 245. Sans long plaid : sans que j’aie besoin de t’en parler longuement.   112 Cela.   113 Pour ce qu’il t’a fait dans le passé.   114 Je suis disposé.   115 LV : donc  (D’où cela vous vient.)   116 C’est à cause d’un hypocrite rapportage.   117 Cœur.   118 D’une lignée. « On dict qu’il est de bonne ligne,/ Et de gens de bien. » La Veuve.   119 Il s’en faut de peu que je n’aille me tuer. « À poy qu’il ne la tua ! » Chronique normande.   120 Dans une marnière, une fondrière. « Icellui Polart (…) avoit esté porté et geté en une mallière. » Godefroy.   121 « Ma sœur » est le titre respectueux qu’on accorde à une religieuse. Ici, c’est un peu ironique.   122 10 lieues normandes = 44,5 km. Lucas veut simplement dire qu’il n’est pas près de rentrer.   123 Pour y signifier mes notifications de justice. « Exploit » rime en -ait, à la manière normande : cf. Jehan de Lagny, vers 91.   124 LV : dieu  (Cf. la Seconde Moralité, vers 271.)  Lucas fait croire à son épouse qu’il sera absent toute la nuit : vers 249, 272 et 291.   125 Gardez la maison. « Garde bien l’hostel, hault et bas ! » (Le Ribault marié.) Lucas s’éloigne un peu du logis.   126 En fait-on encore des comme lui ?   127 Il est encore plus malencontreux qu’un gibet : on a encore moins envie de le rencontrer.   128 Il n’y a rien de plus sale ni de plus laid que lui.   129 LV : voige  (Qu’il aille. « Me veut-elle donc gouverner ? Voise au diable gouverner l’Enfer ! » Le Miroir des mesnagères.)   130 Il se cache près de sa maison.   131 À me musser, me cacher ici même. Cf. Frère Guillebert, vers 230 et 247.   132 Je verrai tout.   133 J’épierai en long et en large. Cf. Daru, vers 82.   134 Elle sort devant la porte, au cas où son amant passerait.   135 Que le Bon Payeur cafarde s’il veut.   136 À l’autre bout du tréteau, il fredonne une chanson d’amour, non identifiée.   137 De sa sagette, de sa flèche. On tombe amoureux parce que le dieu Amour (Cupidon) nous a décoché une flèche dans le cœur. « Cupido a pris l’arc turquois ;/ La saïette trait du carquois. » ATILF.   138 Blessé. Cf. le Gallant quy a faict le coup, vers 150.   139 Rester.   140 LV : fine myne  (Note 4.)  Le Vert Galant se dirige vers la maison de sa maîtresse, laquelle est toujours devant la porte.   141 La mignonne. Cf. Maistre Mimin estudiant, vers 66.   142 Mon plaisir.   143 Le perfide. Paradoxalement, les gens qui n’ont qu’un œil traînent une réputation de duplicité : « Faulse borgne, traître, envieuse ! » (ATILF.) « On apelle aussi un faux borgne un qui fait le niais, qui feint de n’avoir pas bonne vue, & qui toutefois tâche à tromper. » (Le Roux.)   144 Hors du village où nous habitons (vers 142). Cf. Ung Mary jaloux, vers 48. Ameline fait entrer son amant et verrouille la porte.   145 Nos affaires. Allusion graveleuse au « paquet d’Amour » (Béroalde de Verville) et au « pacquet de mariage » (Rabelais).   146 En rires et en chansons.   147 Asseyons-nous bec à bec : l’un en face de l’autre.   148 Transporté. Cf. le Dyalogue pour jeunes enfans, vers 9.   149 LV : rasafier  (Le « f » et le « ſ » long sont à peu près la même lettre.)   150 Tous les deux. Même idiotisme normand au vers 292.   151 Le copiste a d’abord écrit, puis mal rectifié : le verd galant chante  (Cette chanson du Vert Galant, qui devait être aussi niaise que la précédente, a donc été sacrifiée par le copiste.)  Lucas observe par la fenêtre.   152 Honteux, comme quelqu’un qui a la roupie au nez. « Car qui est grup [condamné], il est tout roupieulx. » Villon.   153 Lucas cogne contre la porte avec sa masse.   154 Qu’est-ce que j’ois, que j’entends ?   155 Faites-moi sortir. La couardise de l’amant surpris est un des clichés du genre.   156 Les huis, les portes. « N’a-il pas la clef de nostre us/ De dèrière ? Y n’y passe plus. » Messire Jehan.   157 Avec, en tenant. Une chandelle produit plus d’ombre que de lumière.   158 Dans la version des Cent Nouvelles nouvelles, l’amant prêt à fuir se cache derrière la porte. Mais ici, la porte est stylisée : « C’est pourquoi le galant se cache non derrière cette porte, comme dans le conte, mais derrière Ameline. » (A. Tissier.) Dans le Résolu, l’amant raconte qu’il s’est caché derrière la porte à l’arrivée du mari, mais la scène n’est pas montrée.   159 S’il plaît à Dieu, nous en réchapperons. « Le drille escampe et s’enf[u]it. » La Muse normande.   160 Ne vous inquiétez pas. C’est le vers 356 de Frère Frappart.   161 Elle ouvre à Lucas, tandis que son amant se colle derrière elle, dans son ombre.   162 Je songeais, je rêvais.   163 Rendu la lumière, la vue. Cf. l’Aveugle et Saudret, vers 59, 322, 325, etc.   164 J’ai dans ce rêve prémonitoire une croyance ferme.   165 L’œil qui n’est pas caché par un bandeau.   166 Profitant de ce que le borgne est momentanément aveugle, il s’enfuit par la porte laissée ouverte.   167 Ruse.   168 Put être inventée.   169 Il écarte la main de sa femme.   170 LV : est la   171 Sous-entendu : Vous-même, vous n’êtes pas un homme.   172 Trompé.   173 Dehors, il tire la « morale » de l’histoire.   174 Et qu’un boiteux soit retors. Ici et au vers précédent, je restitue entre [ ] des caractères couverts par une tache d’encre.   175 LV : pour conclure  (Il se fera clouer le bec. « [Le mari,] il sera conclus et vaincu, en la parfin. » XV Joyes de Mariage.)   176 LV : quel finnesse   177 Il n’y a qu’une femme maligne. Reprise du vers 194.   178 Finit. Le dernier distique, apocryphe, est la signature habituelle du copiste de ce manuscrit La Vallière.   179 L’auteur de la farce a pu piocher sa seconde histoire dans la 16ème des Cent Nouvelles nouvelles, dont voici un extrait.   180 Croyez que la porte.   181 De l’amant de la dame, qui lui tenait lieu de mari. Quand le vrai mari débarque à l’improviste, son épouse est au lit avec un écuyer.   182 Qui a tout de suite reconnu.   183 De se dépêcher.   184 Longtemps à l’avance.   185 Je vous ferai entrer.   186 Qui vous concerne.   187 Et aussi, que vous y voyiez désormais.   188 Que vous y voyez.   189 Que nous en fassions l’expérience.   190 Bondit hors.   191 Mon œil droit. Sur la gravure, la femme bouche l’œil gauche.   192 Depuis.   193 Qui le régala avec les restes.   194 En liesse.

LE GALLANT QUY A FAICT LE COUP

Ms. La Vallière

Ms. La Vallière

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LE  GALLANT  QUY

A  FAICT  LE  COUP

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Pour une fois, le dindon de la Farce est une dinde : c’est l’épouse qui se fait rouler par son mari infidèle, et non le contraire. Cette farce rouennaise naquit avant 1536. Le titre qu’on lui assigne est une expression proverbiale1 sans rapport avec la pièce ; il fut ajouté en marge de la table des matières par une main plus récente que celle du copiste.

Nous avons là l’histoire d’un homme qui, avec la complicité d’un médecin, prétend être « enceint » par la faute de sa femme. Boccace2, lui, avait ridiculisé un homme à qui l’on faisait croire qu’il était enceint : « Tu n’as autre maladie sinon que tu es enceint et engroissié d’enfant vif. » Calandrin, oyant ceste parole, commença doulentement crier, et dire : « Las moy ! Tisse, ma femme, tu m’as fait ceste groissesse car tu veulz tousjours estre au-dessus de nos besongnes et, afin que tu voyes plus loing, tu montes sur moy. Et ! je te disoie bien que cecy en advendroit. » Tisse, doncques, femme de Calandrin, qui honneste estoit, fut moult honteuse.

Heureusement pour Calandrin, son médecin, comme celui de la farce, accomplit des miracles : En trois jours, il l’avoit délivré de grossesse d’enfant.

Nicolas de Troyes semble avoir combiné la nouvelle de Boccace (dont il a d’ailleurs copié la traduction dans son propre recueil3) avec notre Gallant quy a faict le coup. Je ne peux que reprendre ici le commentaire rédigé pour les Trois amoureux de la croix, où se pose un problème similaire : Nicolas de Troyes vit-il une représentation de notre farce ? En lut-il une des copies qui circulaient ? Connut-il une autre source de la même histoire ? Toujours est-il qu’en 1536, le sellier champenois traita le même sujet dans son Grant parangon des nouvelles nouvelles, resté inédit jusqu’au XIXe siècle. Je publie sous la pièce la nouvelle concernée.

Sources : Manuscrit La Vallière, nº 39.  —  L’édition parisienne de 1610 <Bibliothèque nationale de France, Yf. 1701>, établie d’après ce manuscrit, n’apporte rien. Voir ce qu’en dit André Tissier : Recueil de farces, t. VI, 1990, pp. 312-313.

Structure : Rimes plates, avec 6 triolets.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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*

Farce joyeuse

À quatre personnages, c’est à sçavoir :

       LE  MÉDECIN

       LE  BADIN  [Oudin]

       CRESPINÈTE 4

       LA  CHAMBÈRIÈRE  [Mal-aperte]

*

                        [LA  CHAMBÈRIÈRE]  commence en chantant.5

        Il estoyt unne fillète                                                   SCÈNE  I

        Coincte et joliète

        Qui vouloyt sçavoir le jeu d’amours.

        Un jour qu’el estoyt seullète,

5      De Vénus en sa chambrète

        Je luy en aprins deulx ou troys tours6.

        Après avoir sentu [le goust] 7,

        Elle m’a dict en se riant :

        « Les premiers coups m’y sembloyent lours,

10    Mais la fin m’y sembloyt friant. »

        Il m’enpongne, il m’enbrasse, il me baise8 fort.

                        LE  BADIN

        Me donras-tu poinct réconfort

        De ce que j’ey nécessité ?

                        LA  CHAMBÈRIÈRE

        De quoy, mon maistre ?

                        LE  BADIN

                                              En la cisté

15    De Rouen ne de Houpeville9,

        Il n’y a fille aussy habille10

        Pour servir un maistre que toy.

        Et sy, je te promais ma foy :

        Quant je contemple ta personne,

20    Je n’ay membre qui ne frissonne.

        Ton cœur vient le mien inspirer.

                        LA  CHAMBÈRIÈRE  chante 11

        Franc cœur, qu’as-tu à soupirer ?

        Es-tu poinct bien en ta plaisance ?

        Prens en moy ton esjouyssance

25    [Comme un] 12 amoureulx doibt avoir.

                        LE  BADIN

        Tu me faictz le sang esmouvoir,

        Foy que je doy à Nostre Dame !

        Vien çà ! Preste-moy une drame13

        De ton « service14 » corporel !

                        LA  CHAMBÈRIÈRE

30    Ce n’est pas le droict naturel

        À fille de s’abandonner.

                        LE  BADIN

        Il te fauldra bien gouverner :

        De [ce, auras]15 nécessité.

                        LA  CHAMB[ÈRIÈRE]

        Et, voy(e)re. Mais sy récité

35    Estoyt16, mon maistre, à ma mêtresse,

        Vous congnoyssez17 qu’en ma viellesse

        À jamais seroys diffamée.

                        LE  BADIN

        Tes-toy, tes-toy ! Ta renommée

        Te sera gardée, par ma foy !

40    Touche là18 ! Je te faictz octroy19

        De te donner ung chaperon.

                        LA  CHAMB[ÈRIÈRE]

        Vous estes un bon aulteron20

        Voy(e)re. Mais sy vostre « esperon »

        Faisoyt tant que la pance dresse21,

45    Je veulx que me faciez promesse

        Que me garderez mon honneur.

                        LE  BADIN

        Ne doubtes pas22 le déshonneur :

        S’il advient que rien23 on congnoisse

        Par subtilité ou finesse,

50    Ton honneur te sera gardé.

                        LA  CHAMB[ÈRIÈRE]

        Or bien, donc ! Qu’i soyt regardé,

        De moy, à vostre voulloir faire24.

        Qu’on face tout ce qu’on doibt fère,

        Et qu’i n’en soyt plus [de parole]25.

                        LE  BADIN

55    Or me baise, et que je t’acolle.

        Et puys tout sera acomply.

.

                        CRESPINÈTE  entre 26, fem[m]e du Badin.

        Mectre je ne puys en ombly27                                  SCÈNE  II

        Les bonnes gens de ma maison.

        Il y a jà longue saison28

60    Que j’en partys, grâces à Dieu.

        Mais je seray tantost au lieu.

        S’y veoyt mon aparission29

        (Vélà30 où j’ey aff[e]ction),

        Chascun d’eulx se resjouira ;

65    Oudin en fera mention

        En toute place où il yra.

        Vraiment31 Mal-aperte rira,

        S(e) une foys arrivée je suys :

        Certainnement el le dira

70    À grans et petis, d’huys en huys.

        G’iray jusques-là, sy je puys ;

        Dieu m’y veuile conduyre à joye !

.

                        LA  CHAMB[ÈRIÈRE]                         SCÈNE  III

        [Man]enda32 ! Bien folle j’estoye

        De fère le33 vostre conseil ;

75    Vous estes homme nompareil,

        On ne s’en pouroyt escombastre34.

                        LE  BADIN

        C’est une joye que de bastre

        Les fessotes35 de ces fillètes,

        Qui sont joinctes comme poullètes36

80    Qui n’urent jamais de poucins.

        [Ces femmes qui ont si grans seins,]37

        On ne peult dormir, auprès d’eulx38.

                        LA  CHAMB[ÈRIÈRE]

        Et sy, par voz faictz vertueulx,

        M’aviez faict un enfant au ventre ?

85    J’aroyes des couroulx plus de trente

        Que ma maistresse sceust le faict.

                                      *

                        LE  BADIN 39

        Par ma foy, ma mye, il est faict ;

        N’en [ayez deuil, à l’advenir]40.

                        LA  CHAMB[ÈRIÈRE]

        O ! malureuse, qu’ai-ge faict ?

                        LE  BADIN

90    Par ma foy, ma mye, il est faict.

                        LA  CHAMBÈRIÈRE

        Par vous j’ey commys le forfaict.

        Las ! que puissai-ge devenir ?

                        LE  BADIN

        Par ma foy, ma mye, il est faict ;

        N’en [ayez deuil, à l’]advenir.

                        LA  CHAMB[ÈRIÈRE]

95    Mon Dieu, je puys bien soustenir

        Que fille suys déshonorée.

        Aler m’en fault sans revenir

        Puysque, pour lors, suys defflorée.

        [Fille je suys déshonorée.]

100  Vierge sur toutes descorée,

        Veuile-toy de moy souvenir !

        Fille je suys déshonorée.

        Aler m’en fault sans revenir.

                          *

                        LE  BADIN 41

        Foy de mon corps ! voécy venir

105  Nostre sage et notable femme.

        A ! la voécy, par Nostre Dame !

        Le deable l’a bien ramenée !

                        LA  CHAMB[ÈRIÈRE]

        À Dieu commant42 ma renommée !

        Mon maistre, loin43 m’en fault aler.

                        LE  BADIN

110  Tu n’es pas encor diffamée.

                        LA  CHAMB[ÈRIÈRE]

        À Dieu commant ma renommée !

                        LE  BADIN

        Tu n’en seras que myeulx aymée.

        Laisse-moy aler et parler.

                        LA  CHAMB[ÈRIÈRE]

        À Dieu commant ma renommée !

115  Mon maistre, [loin] m’en fault aler.

                        LE  BADIN

        Tout beau m’envoys, sans bavoler44,

        Cheulx mon compère le surgien45,

        Qui en sçavoir est diligent.

        Et quant auprès de luy seray,

120  Veu le cas que luy conteray,

        Nuly46 n’en sera abusé.

                        LA  CHAMB[ÈRIÈRE]

        Tant vous estes fin et rusé !

        Se n’eussiez poinct tant aiguisé47

        Vostre ventre contre le myen,

125  Je pence qu’i n’y eust eu rien.

        Et maintenant, je suys destruicte.

                        LE  BADIN

        Je m’y en voys [tout à la suycte]48.

        Je te suply, ne pleure plus.

.

        Voélà mon compère à son hus49.                              SCÈNE  IV

130  Compter je luy voy50 mon affaire.

.

        Honneur ! Dieu vous gard, mon compère !

        Dictes, comme vous portez-vous ?

                        LE  MÉDECIN  entre

        Il m’est bien, grâce(s) à Dieu le Père.

                        LE  BADIN

        Honneur ! Dieu vous gard, mon compère !

                        LE  MÉDECIN

135  Entre51, pour lors, en ce repère.

        Qui te meust de venir cheulx nous52 ?

                        LE  BADIN

        Honneur ! Dieu vous gard, mon compère !

        Dictes, comme vous portez-vous ?

        Sy secouru ne suys de vous,

140  Diffamé suys à tout jamais.

                        LE  MÉDECIN

        Dy-moy les causes.

                        LE  BADIN

                                      Voi(e)re, mais

        Y fault tenir cela secret.

                        LE  MÉDECIN

        Ton héritage, par décret

        Est-il passé53 ?

                        LE  BADIN

                                 Nénin, nennin.

                        LE  MÉDECIN

145  As-tu sur le corps du venin

        Qui cause à ton cœur douléance54 ?

                        LE  BADIN

        Non, non, [c’est bien aultre]55 alégeance

        Que je [cherche à]56 avoir de toy.

                        LE  MÉDECIN

        Et qu’esse ? Subit dy-le-moy.

150  As-tu navré aucun57 à mort ?

                        LE  BADIN

        Par la mère Dieu de Monfort58 !

        Je te diray la vérité :

        Un jour fut que je fus tenté,

        Sans viser à gaigne ne perte59.

155  Lors, je vins trouver Mal-aperte,

        La chambèrière de ma femme.

        En me jouant60, par Nostre Dame,

        Je luy ay forgé un enfant.

                        LE  MÉDECIN

        Il est forgé ?

                        LE  BADIN

                       Mon amy,  il est tout grand :

160  Elle est panchue61 comme une vache.

        Sy de par toy je n’ay relâche62,

        Tous mes plaisirs sont desconfis.

                        LE  MÉDECIN

        Quel jour fusse que tu luy fis ?

        Dis-lay63, que j’en soys plus asseur.

                        LE  BADIN

165  Ce jour, j’estoys tout en sueur ;

        Il estoyt dimenche, ou lundy64.

                        LE  MÉDECIN

        Un homme me semble estourdy,

        D’aler briser son mariage.

                        LE  BADIN

        Ma femme est65 en pèlerinage :

170  Plus je n’en pouvoys66 endurer.

                        LE  MÉDECIN

        Cela est à considérer.

                        LE  BADIN

        Secourez-moy, de vostre grâce !

                        LE  MÉDECIN

        Mais67 qu’el reviengne, et qu’el t’embrasse

        Ainsy comme une pèlerine,

175  Incontinent, la pouéterine

        Tu criras68, et aussy le ventre,

        Faignant qu’e[n] ton cœur douleur69 entre,

        En te chaboulant70 comme un veau.

        Lors, te fera faire ton eau71,

180  Qu’el m’aportera. Et, sans fable,

        Je me monstreray tant fiable72

        Que tu feras ce que vouldras.

                        LE  BADIN

        Nous buron73 gros comme le bras,

        S(e) une foys j’en suys délivré.

                        LE  MÉDECIN

185  Va-t’en, et ne soys par yvré74 :

        Aultrement, seroys misérable.

                        LE  BADIN

        Je criray comme le [grand] deable.

        Compère, adieu jusqu(es) au revoir !

.

                        CRESPINÈTE 75                                   SCÈNE  V

        Dieu mercy, tantost pouray veoir

190  Mon bon mari et ma méquine76.

        Dieu veuille sçavoir quel cuisine

        Il ont faict, à la bien-venue.

.

                        LA  CHAMB[ÈRIÈRE] 77                    SCÈNE  VI

        Hélas ! je suys fille perdue,

        Mon maistre : voécy ma maistresse.

195  Diffamée suys sus ma viellesse.

        Au monde, il n’y a mon pareil78.

                        LE  BADIN

        Je luy brasse un bel apareil79.

        Tais-toy, ne pleure jamais jour80,

        Car tu vouéras le plus fin tour

200  Jouer c’onques jamais vist femme.

.

                        CRESPINÈTE                                        SCÈNE  VII

        Dieu soyt céans, et Nostre Dame !

        Dieu vous envoye jouée et soulas81 !

                        LA  CHAMB[ÈRIÈRE]

        C’est ma mêtresse, par mon âme !

                        CRESPINÈTE

        Dieu soyt céans, et Nostre Dame !

                        LE  BADIN

205  Estes-vous arivée, ma femme ?

        Vostre corps est-il poinct bien las ?

                        CRESPINÈTE

        Dieu soyt céans, et Nostre Dame !

        Dieu vous envoye jouée et soulas !

                        LA  CHAMB[ÈRIÈRE]

        Ma mêtresse, siéchez-vous82 bas,

210  Que vostre corps [soyt reposé]83.

                        CRESPINÈTE

        Et vous, estes-vous disposé

        De sancté, puys ma départye84 ?

                        LE  BADIN

        Et ! ma très loyalle partye85,

        Bien soyez venue en ce lieu !

215  Or çà ! monstrez-moy, de par Dieu,

        Que c’est que m’avez aporté86.

                        CRESPINÈTE

        Je n’ay à vous rien transporté87.

        Vo(e)ylà pour vous.

                        LE  BADIN 88

                                         Quoy ! des ymages ?

        (Et ! que voécy de beaulx bagages !)

220  Et ! acolez-moy fermement !…

        Mère de Dieu89 du firmament !!

                        [CRESPINÈTE]

        Qu’esse-là qui vous vient de prendre ?

                        LA  CHAMBÈRIÈRE

        C’est la Mort qui le vient surprendre.

        Souldain que [l’]on ayt du vinaigre90 !

                        CRESPINÈTE

225  Que ce couroult me sera aigre !

        Mon amy, estes-vous passé91 ?

                        LA  CHAMBÈRIÈRE

        C’est faict, voye-le là92 trespassé.

        Il est aussy royde c’un ais93.

                        CRESPINÈTE

        Hélas ! mon seigneur sainct Servais

230  Luy renvoye sa parole brefve94 !

                        LE  BADIN

        Ma dame saincte Genneviefve,

        Sainct Blaise, sainct Roq, sainct Hubert,

        Sainct Michel et sainct Testevert95

        Me veuile ayder en ce passage !

                        CRESPINÈTE 96

235  Mon amy, vous n’estes pas sage :

        Pensez que Dieu vous a formé

        Et de son sang bien reformé,

        Et faict en sa propre semblance97.

                        LE  BADIN

        Et ! vertu de moy ! Dieu ! la panche98 !

240  Et ! le ventre ! Dieu99, que ferai-ge ?

        Ma femme et ma mye, mourai-ge

        En ce lieu sans estre gary100 ?

                        CRESPINÈTE

        Le cœur de moy est sy mary

        Que je ne say que je doy fère.

245  Mal-esperte101, faictes-luy faire

        [De] son eau dedens ceste fiolle ;

        Et ainsy c’un oyseau qui volle102,

        G’iray sçavoir qu’on103 me dira.

        À ce poinct, on remédira

250  À ceste douleur sy expresse.

                        LE  BADIN

        Et ! que je seuffre de détresse !

        Le ventre ! La panche ! Les rains !

        Je cry mercy à mes parains,

        [Et] à mon père, et à ma mère !

                        LA  CHAMBÈ[RIÈRE]

255  Courage, courage ! Encor vous fault-il faire

        Eau pour porter au médecin104.

                        CRESPINÈTE

        Hélas ! quel merveilleux brassin105

        Nuict et jour106 le pauvre homme endure !

                        LE  BADIN

        Pour Dieu ! portez, à l’adventure,

260  [De107] mon urine à mon compère ;

        Dictes-luy que plus je n’espoyre

        Que la mort, du Dieu de nature108.

                        CRESPINÈTE

        O ! mon Seigneur : ta109 créasture,

        Plus [je] ne la vouéray vivante.

.

                        LE  BADIN 110                                       SCÈNE  VIII

265  Est-el partye ?

                        LA  CHAMB[ÈRIÈRE]

                             Ouy.

                        LE  BADIN

                                     A,  je m’en vante

        Qu’e[ncor] nous rirons plusieurs foys.

                        LA  CHAMB[ÈRIÈRE]

        Vous estes des rusés le choys111,

        Tant en finesse qu’en malice.

                        LE  BADIN

        Taisez-vous, taisez, vielle lisse112 !

270  De bref entendrez ma sentence113.

.

                        CRESPINÈTE 114                                 SCÈNE  IX

        Compère, le Dieu [de] clémence

        Vous veuile garder de fortune115 !

        J’ey une douleur importune116

        Qui me tourmente en mon esprit.

                        LE  MÉDECIN

275  Je vous donray en bref escrit

        Récépissé117, laissez-moy fayre.

        Bail[l]ez-moy vostre eau118.

                        CRESPINÈTE

                                             A,  mon compère,

        C’est l’eau d’Oudin, mon bon espoulx.

        An ! Jésus, Jésus !

                        LE  MÉDECIN

                                       Taisez-vous :

280  Ce jour, le mectray hors de peine.

        Par la benoiste Madaleine !

        Ma commère, voécy grand chose.

                       CRESPINÈTE

        Vray Dieu ! et  qu’esse ?

                        LE  MÉDECIN

                                             Dire ne l’ose.

                        CRESPINÈTE

        Et ! mon amy, dictes-le-moy.

                        LE  MÉDECIN

285  Ma commère, par le vray Roy119,

        Puysqu’il fault que je le vous dye,

        Cestuy qui porte maladye

        Est enchainct120 d’un enfant tout vif.

                        CRESPINÈTE

        Nostre Dame !

                        LE  MÉDECIN

                                Par le Dieu vif121 !

290  La chose est toute véritable.

                        CRESPINÈTE

        Et ! non est. [C’est l’œuvre]122 du deable !

              Qui luy a faict ?123

                        LE  MÉDECIN

        Voy(e)là bien dict. Ç’avez-vous124 faict :

        Car quant vous fustes arivée

295  Du voyage où estiez alée,

              Vous l’acolîtes125 ;

        Et, à l’heure, le resjouîtes

              Sy très avant

        Qu’alors procéda un enfant.

                        CRESPINÈTE

300        Vray Dieu ! j’ey tort.

        Et ! Nostre Dame de Monfort,

        Sainct Cervais, pardonnez-le-moy !

                        LE  MÉDECIN

        Pacience ! Je vous diray

        Comment vostre honneur garderez.

                        CRESPINÈTE

305  Hélas, comment ?

                        LE  MÉDECIN

                                      Vous luy direz

        Qu’i tienne fasson et manière

        Qu’i couche aveq la chambèrière126

        De vostre hostel, s’il est possible.

                        CRESPINÈTE

        Hélas, el n’en vouldra rien faire.

310  L’eng[r]oisse127 luy sera pas[s]ible128.

                        LE  MÉDECIN

        Promectez-luy tout le possible

        Afin qu’elle se laisse faire.

                        CRESPINÈTE

              À Dieu, compère !

                        LE  MÉDECIN

        Adieu, commère ! À Dieu, ma mye !

.

                        LE  BADIN 129                                       SCÈNE  X

315  Et ! le ventre, Vierge Marie !

        Que feray-ge, doulx Jésuschrist ?

        Je ne croys poinct que l’Enthéchrist

        Ne soyt130 dens mon ventre bendé.

                        CRESPINÈTE

        Ne vous est-il poinct amendé131 ?

                        LA  CHAMBÈRIÈRE

320  Il luy empire tous les jours.

.

                        CRESPINÈTE 132                                 SCÈNE  XI

        Qu’en secret je parles à vous.

                        LA  CHAMB[ÈRIÈRE]

        Ouy dea, de133 bon cœur, ma mêtresse.

                        CRESPINÈTE

        Entens134 à moy : de135 ma richesse

        Et des biens que Dieu m’a donnés,

325  À toy seront habandonnés

        Se tu me veulx faire un service.

                        LA  CHAMBÈRIÈRE

        Il n’est plaisir que ne vous fisse,

        Ma chère dame, par ma foy.

                        CRESPINÈTE

        Que ton maistre couche avec toy

330  Deulx ou troys heures seulement.

                        LA  CHAMB[ÈRIÈRE]

        Certes, de cela nulement !

        Jamais je ne seroys d’acord !

                        CRESPINÈTE

        Vrayment, je te faictz cest acord

        Que sy tu me faictz ce service,

335  Ne doubte pas que tu périsse

        En ton vivant136, je t’en asseure.

                        LA  CHAMB[ÈRIÈRE]

        Comment ! Je feroys une injure

        Entièrement à mes amys137.

                        CRESPINÈTE

        Tu os138 ce que je t’ay promys.

340  Pren du bien à mon advys,

        [Prens, présent]139, le bien qui te vient !

                        LA  CHAMB[ÈRIÈRE]

        Mère de Jésus ! S’y convient140,

        Ma mêtresse, que je soys grosse,

        Au moins, vous en érez l’endosse141.

                        CRESPINÈTE

345  L’endosse ? A ! n’en faictz [nulle] doubte142.

        S’il est humain qui te déboute,

        Croy143 qu’on luy fera sembler bon.

        Alon par acord veoir le bon

        Oudinet144 et le secourir.

.

350  Et puys, vous lérez-vous145 mourir ?                        SCÈNE  XII

        Comment se porte le courage146 ?

                        LE  BADIN

        Je ne croy poinct que je n’arage147.

        J’ey le ventre au deable148 fouré.

                        CRESPINÈTE

        Vostre compère a labouré149

355  À ceste urine qu’aviez faicte.

                        LE  BADIN

        Av’ous150 faict lire la recepte ?

        Qu’esse qu’il a naré dedens ?

                        CRESPINÈTE

        Y vous fauldra coucher adens151

        Dessus le ventre à Mal-aperte.

360  Aussy, la pouvre fille honneste

        Aura, s’il luy plaist, pacience.

                        LA  CHAMB[ÈRIÈRE]

        Hélas ! fault-il que je commence

        À faire ce qu’onques ne fis ?

                        LE  BADIN

        Ne doulte pas que tes profys

365  Ne te valent un gros argent.

                        CRESPINÈTE

        De vous coucher soyez diligent.

        Je m’en voys prier Dieu pour vous.

                        LE  BADIN

        Adieu, ma mye152 !

                        LA  CHAMBÈRIÈRE

                                        Nous lérez-vous ?

                        CRESPINÈTE

        Ouy : le troysiesme n’y vault rien153.

                        LE  BADIN

370  Ma mye, quant reviendrez-vous ?

        Adieu, ma [mye] !

                        LA  CHAMB[ÈRIÈRE]

                                     Nous lérez-vous ?

                        CRESPINÈTE

        Gardez le segret entre vous.

        Fille, je vous feray du bien.

                        LE  BADIN

        À Dieu, ma [mye] !

                        LA  CHAMB[ÈRIÈRE]

                                        Nous lérez-vous ?

                        CRESPINÈTE

375  Ouy : le troisième n’y vault rien154.

.

                        LE  BADIN                                             SCÈNE  XIII

        Pour conclusion, je soutien

        Qu’i n’est finesse qu’on ne face,

        Mais qu’on ayt gracieulx155 maintien

        Sans muer couleur en la face156.

380  Je suplys Jésus, de sa grâce,

        Que nous décepvons l’Anemy157

        Qui est sy remply de falace158.

.

        Que nul ne pregne en luy ennuy159 !

        En prenant congé de ce lieu,

385  Une chanson pour dire adieu ! 160

.

                                               FINIS

*

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D’UNE JEUNE FEMME À QUI ON FIT ENTENDANT QU’ELLE AVOIT ENGROISSÉ SON MARY, ET COMMENT IL REMIST SON ENGROISSURE À SA CHAMBERIÈRE, LAQUELLE IL ENGROISSA PAR LE CONSENTEMENT DE SA FEMME.161

.

Vous devez sçavoir que une foys advint, à Troys-en-Champaine162, que il y avoit ung honneste marchant, jeune, gallant et bien délibéré, lequel se maria à l’ayde de ses parens avec une trèsbelle jeune fille et honneste, et qui avoit bien de quoy ; et se entre-aymoient merveilleusement.

Or est-il ainsi que il[z] avoient une belle jeune fille de chambèrière qui les servoit. Advint ung jour que ledit marchant se jou[o]yt163 avec sa chanbèrière, et tant la persuada et prescha sy bien, que il coucha avec elle. Et par tant de foys y alla, que ung jour, ladicte chambèrière luy dist que elle estoit grosse, dont ledit jeune gallant fut bien estonné et marry.

Et ung jour entre les autres, alla veoir ung sien cousin germain, lequel estoit médecin. Et quant ledit médecin vit qu’i faisoit si mauvaise chère164, luy demanda qu’il165 avoit. Si luy respondit qu’il estoit merveilleusement marry.  « –Et ! qu’i a-il (dist le médecin) ?  –Aa ! mon cousin (dist le marchant), je suis plus marry que je fus jamais en ma vie, car je me suis joué avec ma chambèrière tellement que je l’ay engroissée. Et si ma femme s’en aperçoit aulcunement, jamais je n’aré bien ne joye avec elle ; car son père et sa mère m’en voudront mal, veu et regardé qu’elle m’ayme tant.  –O ! cousin et amy (dist le médecin). Et ! n’y a-il autre chose ? Or ne vous souciez : vrayement, nous mettrons bien remède à tout cela.  –Hélas ! mon cousin et amy (dist le marchant), je m’en recommende à vostre bonne grâce. Et que je paye tout cela qu’i vous plaira.  –Or sçavez-vous (dist le médecin) qu’il y a ? Il n’est point question de payement. Mais j’ay advisé une grande abilité166 que vous ferez, moyennant que me voulez croire. Il fault que vous en retornez en vostre maison, et que faciez le malade ; et ne plaingniez riens167 que les rains et le ventre. Et me envoyez vostre orine168 par vostre femme. Et puis du demorant169 me lessez faire. Et je croy que tout se portera bien, Dieu aydant. »  Alors print congé le marchant de luy, et s’en vint en sa maison sans faire semblant de rien.

Va commencer à faire le malade, et sa pouvre femme le réconfortoit bien doulcement, qui n’y pensoit en nul mal. Et luy disoit :  « –Hélas, mon doulx amy ! Et que avez-vous ? Et qu’est-ce qui vous fait mal ?  –A ! m’amye (dit-il), je pence que je suis mort, car j’ay une si grande douleur au ventre et aux rains que il m’est advis que les chiens me le[s] mangeussent. » Et la pauvre jeune femme luy dist :  « –Mon amy, il fault que vous faciez de vostre eau, et je la porteré au médecin.  –Aa ! m’amye (dit le jeune homme), il n’en est jà mestier170. »  Si fit-elle tant, que il fit de son eaue ; et puis la porta tout en plorant à son cousin le médecin.

Puis, quant il la vit ainsi plorant, luy demanda incontinent qu’elle171 avoit.  « –A ! mon cousin (dit-elle), je pence que vostre cousin, mon mary, se meu[r]t.  –Jésus (dit le médecin) ! Et comment ? Il n’y a pas long temps que je l’ay veu. »  Lors, elle ploroit si trèsfort qu’elle ne povoit ung seul mot dire, mais luy monstra son eau. Alors le médecin la va regarder ; et quant il [l’]eut bien visitée, il va dire :  « –À qui c’onques soit ceste eau, il a une grande douleur de ventre et de rains.  –Hélas (dit la jeune femme), mon amy, samon172 ; car il ne plaint que cela.  –Comment (dit le médecin) ! Ceste eaue que vous m’avez cy aportée est d’une femme qui est ensaincte d’enfent.  –A ! mon cousin (dit-elle), je vous prometz que c’est de mon mary, car j’en suis bien asseurée et luy ay veu faire.  –Comment ! Est-il vray (dit le médecin) ? Le savez-vous bien, et en estes-vous bien asseure173 ?  –Ouy (dit-elle), certainement.  –Or, m’amye, sçavez-vous qu’il y a ? Vostre mary est gros d’enfent.  –Comment (dit-elle) ! Est-il bien possible ?  –Ouy (dit le médecin).  –Or me dicte : mais comme est-il possible que cela se soit fait ?  –Venez çà174, m’amye (dit le médecin). Aulcunefoys, quant il vous a fait cela, et que vous deulx jouant ensemble, ne montistes-vous jamais sur luy ? Ne mentez point, si vous voulez qu’i soyt guéry.  –A ! mon cousin, je vous diré la vérité : je vous promez que il ne m’avint jamais qu’une fois.  –A ! par ma foy (dit le médecin), c’est assez, je n’en demande plus. Il est gros d’enfent, sans point de faulte. »  Et la pouvre jeune femme fut bien désolée, et luy demanda s’il y avoit point de remède.  « –Ouy bien (dist le médecin). Mais sçavez-vous qu’il fauldroit faire ? Il fault que vous trouvez façon et manière de parler à quelque jeune fille pucelle, et que vostre mary couchast avec elle175 une nuyt ou deulx. Et la semence qu’il a en son corps, il la remettroit dedens le corps de la jeune fille ; car la semence que luy avez baillée, qui est sortie de vostre corps, n’est pas encore à convalessance de vertu176, car l’enfent qu’i doit procréer n’a point encore de vie. Et s’il habitoit177 une jeune fille, il luy remettroit tout dedens son corps ; et par ainsi, voillà qui le sauveroit.  –A ! (ce dist la jeune femme), mon cousin, mon amy, je vous remercye. Nous viendrons bien à bout de cela, Dieu aydant. Car j’ay une jeune fille de chambèrière cheulx nous, et croy, moy, que elle est pucelle. Je luy bailleray plustost dix escus pour la contenter, et qu’elle couche avec mon mary affin qu’i soit guéry.  –A ! par ma foy (dist le médecin), voillà qui viendroit bien à point. Et aussi, que le monde n’en fust point abreuvé178, il vaudroit mieulx que cela se fist cheux vous. À tout le moins, personne n’en sçara jà rien ; car si on le sçavoit, on diroit : “A ! voillà la femme qui a engroissé son mary pour avoir monté dessus.” Cela seroit villain. »  Et ainsi fut l’apointement fait. Or, ce dist la jeune femme :  « –Mon cousin, mon amy, je vous prie que le venez veoir pour le réconforter ung petit.  –Ouy dea (dit le médecin), ma cousine : je m’en vois quant et vous179. »

Sy vindrent veoir le pouvre pacient, bien desconforté, Dieu le scet ! Sy luy compta le médecin, secrètement, comme il avoit exploité180 avec sa femme, et qu’il failloit qu’i couchast avec sa chambèrière, et que l’apointement estoit ainsi fait pour le guérir. Dont il fut bien joyeux. Et fit-on venir la chanbèrière pour luy refaire ung peu son lit, à laquelle le maistre compta tout l’affaire : comme sa maistresse devoit parler à elle de cela, et que elle fist ung peu de l’estrange du commencement181, mais qu’à la fin, elle se consentist. Le médecin, après la revisitacion faicte, print congé et s’en alla.

La dame apella sa chambèrière à part, et luy dist :  « –Vien çà, Jehanne, ma mye ! Il fault que tu me face ung service182, et je t’en prie bien fort.  –Ma dame (dit la fille), tout ce qu’il me sera possible de faire pour l’amour de vous, je le feré, mon honneur sauve183 et le vostre, car autrement ne le voudroye faire. »  Sy dist la dame :  « –Jehanne, m’amye, ne te soucie de rien. Je te veulx faire tout plain de service, plus la moytié184 que tu ne pence. Mais il n’y a remède185, et fault que tu couche une nuyt avec ton maistre186, pour quelque maladie secrète qu’il a. Et ne te soucie de rien : il ne te fera point de mal.  –Comment (dit la fille), ma maistresse ? Et ! me voudriez-vous faire ce déshonneur ? Et ! sy ung autre le me conseilloit, vous m’en devriez destorner, à tout le moins si vous estiez femme de bien. A ! je vous prometz (dit-elle) que je aymeroys mieulx estre morte. Et ! si mon maistre me faisoit ung enfent, je seroye fille perdue à tout jamais. »  Or, ce dist la maistresse :  « Jehanne, m’amye, ne te soucye de rien. Je te bailleray dix beaux escus et une bonne robbe. Et si, te mariré, et que tu face cela. »  Après plusieurs disputacions dictes et débattues entre elle[s] deulx, Jehanne se acorda à faire le vouloir de sa maistresse, avec la bonne dévocion qu’elle y avoit.

Sy s’en vint la dame parler à son mary, en la présence du médecin, lequel l’estoit revenu veoir pour sçavoir comme il luy estoit. Et elle luy va commencer à faire sa harengue :  « –Or çà, mon amy (dit-elle), comment vous portez-vous ?  –Semy dieulx187, m’amye (dit le pouvre mary), je croy que je me meurs.  –A ! mon amy (dit-elle), ne dictes jamais cela, vous me rompez le cueur ! Mais on a avisé de vostre sancté, dont je loue Dieu et remercye. Voicy vostre cousin, qui dit que il fault que vous couchez une nuyt ou deulx avec nostre chambèrière.  –Aa ! m’amye (dit le pouvre homme), jamais ne me parlez de cela ! Hélas, mon Dieu ! Et ! vous m’estes tant bonne et tant doulce. Et ! que je vous changeasse pour une autre ? J’aymeroye mieulx estre mort, ma doulce amye. »  Et bref, à l’ouÿr parler, il estoit encore plus fort à ferrer que la chambèrière. Or, ce dist le médecin :  « –Mon cousin, mon amy, il n’y a remède. Nostre Seigneur ne vous en sçara nul mal gré188, puisque c’est pour vostre sancté.  –Hélas ! mon cousin (dit-il), cuidez-vous que je veuille rompre mon mariage ? Et ! j’ay une si bonne femme, et qui m’ayme tant, et me fait tant de service. Elle ne scet quel chère me faire, de l’amour qu’elle a en moy. Bref, j’ayme mieulx morir.  –Or çà (dist le médecin) ! Si vous morez en cest estat, vous estes danpné189 à tous les diables : car vous serez cause de vostre mort, veu que sçavez le remède pour vous guérir à l’ayde de Dieu, et vous ne le voulez pas faire. Je ne scé, moy, à quoy vous pencez.  –Hélas ! mon amy (dit le pacient), il m’est advis que je seroys danpné.  –Et ! non serez, de par Dieu (dit le médecin) ! Vostre femme le veult bien190.  –Je vous prometz que voire (dit-elle), mon amy.  –Or, je vous diré donc ([dit-]il) : vous en prendrez le péché sur vous autres.  –Et bien (dirent-il), nous le voulons bien.  –Or sus (dit-il), donc que on l’amainne ! »  Alors furent-ilz trèstous bien aises…. Et demora la fille à couche[r] avec luy ; et menèrent bonne vie emsemble ceste nuyt, et jouèrent bien des couteaulx191 eux deulx, sans eux copper ne courrecer192.

Le lendemain matin, le médecin vint veoir le pacient, et trouva qu’il faisoit bonne chère193 ; et luy compta tout son affaire, et dist qu’il se trouvoit trèsbien, dont il furent tous joyeulx. Et au bout de catre ou de cinq jours, il dist que le ventre et les rains luy faisoient encore ung peu de mal. Sy dist le médecin que il failloit qu’i couchast encore une nuyt ou deux avec la fille pour l’achever de guérir.  « Et bien donc (ce dist la paouvre jeune femme194), je suis contente : sy seré bien aise qu’i soit bien guéry. »  Ô que c’estoit une bonne femme envers son mary ! Que pleust à Dieu de Paradis que j’eusse autent d’escus comme il s’en trouveroit par le monde qui ne vouldroient pas faire le tour195 ! Je ne vouldroys pas196 estre roy de France.

Le paouvre [mary] eut encore sa chanbèrière à couche[r] avec luy tant197 que il fut bien guéry, Dieu mercy au bon médecin ! Mais la chambèrière devint bien grosse. Mais sa maistresse y mist si bon remède que tout se trouva bien ; et la maria après qu’elle fut relevée de sa couche198, pour ce que elle estoit cause de l’affaire, ce luy sembloit.

*

1 « Le galand qui avoit faict le coup. » (Henri Estienne.) Voir l’intéressante préface de la pièce dans l’édition d’André TISSIER : Recueil de farces, t. VI, 1990, pp. 312-366.   2 Le Décaméron, IX-3, traduit par Laurent de Premierfait en 1414.   3 Le Grant parangon, nouvelle 153 : D’un médecin qui fit acroire à ung paintre, par l’ennortement [à l’instigation] de ses compaignons, qu’il estoit gros d’un enfent.   4 LV : la femme  (Toutes ses rubriques portent Crespinete.)   5 Elle fait le ménage en provocant son maître avec une chanson érotique. Cette célèbre chanson de Clément Janequin, connue dès les années 1530, fut publiée en 1540 par Pierre Attaingnant. H. M. Brown (nº 171) a tort de dire que la 1ère édition est celle de 1542.   6 LV : coups   7 LV : du cours  (Janequin dit « senty » ; cf. la Farce du Pet, vers 19.)   8 LV : baissit  (Nouvelle provocation de Malaperte vis-à-vis de son maître ; Janequin dit : « Je l’empoigne, je l’embrasse, je la fringue fort. »)   9 Si l’auteur élève au rang de « cité » ce village proche de Rouen, c’est peut-être qu’il en est originaire.   10 Habile. En tout cas, ce n’est pas dans son travail que la servante fait preuve d’habileté, puisque son nom, « Malaperte », est synonyme de maladroite.   11 Chanson franco-italienne d’Antoine de Vigne ( 1498). Les deux premiers vers sont chantés aux vers 166-167 de Marchebeau et Galop. Voir Brown, nº 135.   12 LV : ainsy cun  (Ce vers, tel que je le corrige, est chanté dans le Pèlerinage de Mariage.)   13 Une drachme, une petite quantité.   14 De ton trou (terme du jeu de paume). « Il sçait bien du premier coup/ Mettre droit dedans le trou/ Qui se nomme le service. » Voulez ouÿr le plaisir.   15 LV : se quauras  (Tu devras faire de gros efforts si tu veux rester vierge.)   16 Si cela était raconté.   17 LV : congnoyses  (Vous pouvez savoir.)  La vieillesse arrivait de bonne heure, et une servante à la réputation sulfureuse risquait de ne pas trouver d’époux. Malaperte se préoccupe encore de ses vieux jours au vers 195.   18 Tope là ! Le mari met la paume de sa main devant sa braguette, selon une équivoque fréquente : « Marguet, je vous prye, touchez là ! » Le Savatier et Marguet.   19 La faveur. Offrir un chaperon suffit à convaincre les femmes qui font l’amour pour le plaisir et non pour l’argent. Voir le v. 107 de Grant Gosier, le v. 315 des Queues troussées, le v. 232 du Dorellot, le v. 271 des Enfans de Borgneux, etc.   20 En Normandie, un aoûteron est un journalier qui moissonne sur les terres des autres. « Esse pas cy mon aulteron ? » Jehan de Lagny.   21 Que mon ventre gonfle. « En danger que la panse dresse. » La Fille esgarée.   22 Ne redoute pas.   23 LV : sein  —  Éd. 1610 : cen  (Que quelque chose. « Et s’il advient que riens deffaille. » Jehan Le Fèvre.)   24 Veillez à faire de moi selon votre volonté.   25 LV : rien tarde  —  Éd. : rien fardé  (Et n’en parlons plus.)  Le ms. et l’imprimé intervertissent ce vers et le précédent.   26 Elle entre en scène, mais elle est loin de chez elle puisqu’elle accomplit un pèlerinage.   27 Je ne puis oublier (normandisme). « Tu metras vertu en ombly. » Moral de Tout-le-Monde.   28 Longtemps.   29 S’il me voit apparaître à l’improviste. Mais une apparition est aussi la manifestation miraculeuse d’un ange ou d’un saint.   30 LV : de la  (Voilà où est mon désir. « J’ay désir et affection/ De le veoir. » ATILF.)   31 LV : viuement  (Malaperte sera bien joyeuse.)   32 Juron féminin. « L’andouille est belle…./ Que je la manie un petit./ Manenda ! j’y prens appétit. » Sermon de l’Endouille.   33 LV : de  (De suivre votre conseil.)   34 Défendre.   35 De marteler les petites fesses.   36 Comme le croupion des poules.   37 Vers manquant. J’emprunte le vers 361 du Testament Pathelin : « Ces femmes qui ont si grans sains,/ On n’a que faire d’oreillier,/ Quant on est couché avec elles. »   38 D’elles (normandisme).   39 ACTE II, introduit par deux triolets enchaînés. Après plusieurs semaines de coucheries, Malaperte découvre qu’elle est enceinte.   40 LV : soyes a deulx aduenir  (« N’en ayez dueil ne désolation. » Marguerite de Navarre.)  Je corrige également le refrain de 94.   41 ACTE III. Pour faire des économies, on a probablement supprimé un petit rôle de messager. Dans la 1ère Moralité de Genève, la lettre annonçant le retour de Bon Temps est aussi portée par un messager. Oudin brandit une lettre de sa femme, qui annonce son prochain retour. Comme elle est analphabète (vers 356), elle a dû la dicter à un prêtre, ainsi que le faisaient beaucoup de pèlerins.   42 Je recommande. « À Dieu commant nostre souper ! » Le Poulier à sis personnages.   43 LV : y  (Je corrige la même faute au refrain de 115, due au fait que le manuscrit de base n’indiquait que les premiers mots des refrains de triolets.)   44 Je vais vite, sans voleter à droite et à gauche. Cf. les Vigilles Triboullet, vers 58.   45 Chez le chirurgien, le médecin ; cf. le Nouveau marié, vers 67. Un compère est souvent un compagnon de taverne : voir le v. 183.   46 Nul : ni toi, ni moi.   47 LV : amusse   48 LV : toute la fuycte  —  Éd. : toute la suicte  (Le « f » et le « ſ » long sont souvent confondus.)  J’y vais tout de suite.   49 À son huis, devant sa porte. Le médecin est en train de scruter un flacon d’urine à la lumière du jour.   50 Je vais lui raconter.   51 LV : es tu  (En ce repaire = chez moi. Cf. les Premiers gardonnéz, vers 55.)   52 Qui t’a poussé à venir chez moi ?   53 Confisqué. « On nous veult passer par décret/ Nostre héritage. » Le Poulier à sis personnages.   54 De la douleur. Le venin désigne le poison, mais aussi les maladies infectieuses, notamment vénériennes : cf. Frère Guillebert, vers 29.   55 LV : jey bien daultre  (C’est un autre type de soulagement.)   56 LV : cherches  —  Éd. : cherche   57 Blessé quelqu’un.   58 L’invocation à Notre-Dame de Montfort-sur-Risle, près de Rouen, qu’on retrouve au vers 301, est fréquente dans les pièces normandes. Voir André Tissier, p. 324.   59 Sans peser le pour et le contre.   60 En copulant. « Estant en appétit/ De se jouer avec Clérice,/ Il luy mit son “cas” sur sa cuisse. » François Maynard.   61 Pansue (normandisme).   62 Un soulagement.   63 Dis-le (normandisme). Plus assûr = informé plus sûrement.   64 Voilà une réponse bien digne d’un Badin, c’est-à-dire d’un personnage déconnecté des contingences temporelles.   65 LV : estoyt   66 LV : pouroys   67 Pour peu.   68 Tu te plaindras d’avoir mal à la poitrine.   69 LV : en pleur   70 Forme normande de sabouler : se remuer. Cf. Colinet et sa Tante, vers 52.   71 Ta femme te demandera d’uriner dans un flacon.   72 LV : afable  (Si digne de foi, si convaincant.)   73 Nous boirons à la taverne, pour fêter ça.   74 Enivré. « Et enteste beaucoup ceulx qui en boivent par trop, jusques à les yvrer. » Godefroy.   75 Elle approche de sa maison, vêtue et chargée comme une pèlerine.   76 Ma meschine : ma servante. Cf. le Vendeur de livres, vers 155.   77 Par la fenêtre, elle voit venir sa patronne.   78 Il n’y a personne d’aussi malheureux que moi.   79 Je lui concocte un beau stratagème. « Je me repens/ D’avoir brassé cest appareil. » ATILF.   80 Nul jour de ta vie.   81 Joie et plaisir. Double sens involontaire : « jouée » = gifle ; cf. le Cuvier, vers 183. La bigote ne peut prononcer une phrase sans invoquer Dieu ou ses saints.   82 Asseyez-vous (normandisme).   83 LV : se reposse   84 Êtes-vous pleins de santé, depuis mon départ ? « Elle appelle le médecin, alors que mieux elle est disposée de santé. » André du Chesne.   85 Ma moitié, mon épouse. « Ma loyalle partie,/ Ma femme, ma trèsdoulce amye. » Mistère du Viel Testament.   86 Les pèlerins distribuaient à leur entourage des médailles et autres gadgets bénits.   87 Rapporté. Crépinette donne à la chambrière des images pieuses.   88 D’un air faussement admiratif.   89 À cet endroit, le scribe a recopié puis barré les vers 217-218. Oudin se frotte contre le ventre de sa femme ; il fait alors semblant de ressentir une vive douleur et tombe à terre.   90 LV : vin aigre  (On applique du vinaigre sur les tempes de ceux qui ont un malaise. Cf. la 1ère Moralité de Genève, vers 16 et note.)   91 Trépassé.   92 Le voilà.   93 Aussi raide qu’une planche.   94 Lui rende la parole rapidement. La bigote invoque encore saint Servais à 302.   95 LV : tyteuert  (Dans les manuscrits gothiques, le groupe « es » peut être confondu avec la lettre « y », qui est pleine de courbes et de ramifications.)  Un fou des Sotz triumphans se nomme Teste Verte. Dans Tarabin Tarabas (F 13), la rime impose le féminin vert : « Ô mauldicte teste de fer !/ Teste testuë, teste vert ! »   96 Elle sermonne son époux, qui blasphème au lieu de songer à Dieu.   97 À son image.   98 Ma panse ! Même normandisme au vers 252.   99 LV : bieu  (Confusion avec le juron « ventre bieu ». Le Munyer, pris de coliques, se plaint de même : « A ! Dieu, le ventre ! »)  Voir les vers 252 et 315.   100 Guéri.   101 Peu experte. L’épouse est si troublée qu’elle en déforme le nom de sa servante, Malaperte.   102 Aussi rapide qu’une hirondelle. Or, la pèlerine est toujours chargée comme un bourricot.   103 Ce que le médecin.   104 Malaperte tient le flacon dans lequel urine son maître, tout comme la mère de Jénin filz de rien tient l’écuelle dans laquelle urine son rejeton <vers 334-351>. À propos des acteurs qui pissent devant le public, voir la note 50 de la Seconde Moralité de Genève.   105 LV : brasin  (Quelle terrible épreuve.)   106 L’intensité se transforme en durée, comme au vers 320.   107 Ce partitif est presque obligatoire : « Portez de mon urine/ Au médecin ! » Seconde Moralité.   108 Je n’espère de Dieu que la mort. Mais si l’acteur escamote la virgule, on obtient : Je n’espère que la mort de Dieu. Et quelque chose me dit que l’interprète de ce mécréant escamotait la virgule.   109 LV : la  (« Créasture » est une des nombreuses aberrations dues au copiste du ms. La Vallière ; cf. les Povres deables, vers 184.)   110 Il se relève d’un bond dès que sa femme est partie avec le flacon d’urine.   111 L’élite des hommes rusés.   112 Vieille lice : chienne. Cf. les Femmes qui aprennent à parler latin, vers 38. Ici, le mot est amical : vilaine médisante. D’après le vers 78, Malaperte est encore une « fillette ».   113 Bientôt vous entendrez mon diagnostic, le verdict de mon médecin.   114 Elle fonce vers le médecin, qui est toujours devant chez lui.   115 De mauvaise fortune, de malheur.   116 LV : oportune  (Insupportable. « Grant peinne et doleur importune. » ATILF.)   117 Le charlatan commet un lapsus : il veut parler du récipé, qui est une formule pharmaceutique. Cf. Maistre Doribus, vers 12, 81, 85 et 128.   118 Le médecin prend le flacon d’urine, en faisant semblant de croire que c’est celle de Crépinette.   119 Par Dieu.   120 Enceint. « Tu n’as autre maladie sinon que tu es enceint et gros d’un enfant tout vif. » Nicolas de Troyes, nouvelle 153.   121 Vivant.   122 LV : a lheure  (« C’est l’œuvre du diable, ennemy & envieux du bien. » Matthieu de Launoy.)   123 Entre 292 et 313, cinq vers qui se suffisent à eux-mêmes sont réduits à un seul hémistiche. On constate ce phénomène dans la Réformeresse, une pièce normande contemporaine de la nôtre, et qui pourrait être du même auteur calviniste.   124 LV : scaues vous  —  Éd. : Se aues vous  (Cela, vous l’avez fait vous-même.)   125 Vous l’avez accolé (vers 220). Boccace et Nicolas de Troyes diagnostiquent, d’une manière beaucoup plus drôle, que l’épouse a répandu sa semence dans le corps du mari en le chevauchant. Mais le dramaturge ne pouvait pas montrer une pareille scène.   126 Afin que la semence passe du ventre d’Oudin à celui de Malaperte. La nouvelle que je publie sous la farce donne tous les détails de cette opération.   127 La grossesse. « Craignant que celle engroisse ne leur engendrast une vergongne perpétuelle. » Godefroy.   128 « Passible est ce qui est prest et disposé à souffrir. » ATILF.   129 Par la fenêtre, il voit revenir sa femme et il se recouche vite.   130 Je crois que l’Antéchrist est. Les deux négations s’annulent, comme au vers 352.   131 Votre état ne s’est-il pas amélioré ?   132 Elle entraîne sa servante à l’écart du mari.   133 LV : du   134 LV : quant est  (Écoute-moi. « Entends à moy : veulx-tu servir ?…/ Entens à moy, dy, estourdy ! » Jéninot qui fist un roy de son chat.)   135 Une partie de.   136 Ne crains pas de mourir tant que tu seras vivante.   137 À mes parents. « Je vous rendray à voz amys. » Jolyet.   138 Tu ois, tu entends.   139 LV : pendant  (Prends maintenant. « De vous, prenons présent congié. » Mistère du Viel Testament.)   140 S’il advient.   141 Vous en aurez la charge. « Affin que le clerc eust l’andosse/ D’espouser la mère et l’enfant. » Pour le Cry de la Bazoche.   142 « De ce, ne faites nulle doubte. » Les Trois amoureux de la croix.   143 LV : croyt  (Si un homme refuse de t’épouser, crois bien qu’on lui fera trouver de l’intérêt à ce mariage.)  Une bonne dot suffisait à rendre leur virginité aux filles ; c’est d’ailleurs ce qui nous voyons dans la nouvelle que je publie sous la farce.   144 Diminutif de Oudin.   145 Vous laisserez-vous. Idem vers 368.   146 Votre cœur, au sens physiologique et moral.   147 Je crois que je vais enrager. Voir la note 130.   148 Oudin renverse l’expression courante ; voir les vers 317-318. « Il sembloit bien qu’elle eust ung dyable ou ventre, tant luy disoit de villainnes parolles. » Cent Nouvelles nouvelles, 39 : Du chevalier qui, en attendant sa dame, besoingna troys fois avec la chambèrière.   149 A œuvré.   150 LV : a vous  (Lui avez-vous fait lire l’ordonnance à haute voix ? Rappelons que Crépinette ne sait pas lire.)   151 À plat ventre. Cf. Maistre Mymin qui va à la guerre, vers 56.   152 LV : femme  (Je corrige de même les refrains de ce triolet.)   153 Dans le Poulier à sis personnages, un gentilhomme va chez sa maîtresse sans valet, « car le troysiesme poinct n’y fault ».   154 Crépinette s’éclipse avec tact.   155 LV : grace et  (Pour peu qu’on ait l’air honnête et avenant. « Honneste et gracieulx maintien. » Verconus.)   156 Sans rougir.   157 Que nous bernions l’Ennemi, le diable.   158 De ruse.   159 Que nul ne se tourmente. « Sans prendre ennuy ou desplaisance. » ATILF.   160 Ce distique apocryphe est la signature habituelle du copiste du ms. La Vallière.   161 Voici la 4ème nouvelle du Second volume du Grant parangon des nouvelles nouvelles, que Nicolas de Troyes composa en 1536.   162 Troyes-en-Champagne, où vivait Nicolas de Troyes, comme son nom l’indique.   163 Emprunt à la farce, vers 157.   164 Figure.   165 Ce qu’il.   166 Habileté, ruse.   167 Ne vous plaignez de rien d’autre.   168 Votre urine.   169 Pour le reste.   170 Ce n’est plus la peine.   171 Ce qu’elle.   172 C’est vrai. « Je pense que voire, ça mon, vrament. » Godefroy.   173 Sûre.   174 Approchez-vous de moi, pour que personne n’entende.   175 Emprunt à la farce : « Qu’i tienne fasson et manière/ Qu’i couche aveq la chambèrière. »   176 Dans sa pleine puissance.   177 S’il pénétrait. « D’aller habiter femme dont barbier le con panse. » Responce de la Dame au vérolé.   178 Pour que nul n’en soit informé. Le médecin, que les scrupules déontologiques n’étouffent pas, craint pour sa propre réputation.   179 Je m’en vais avec vous.   180 Agi.   181 Qu’elle fasse un peu la distante au début.   182 Emprunt à la farce, vers 326 et 334.   183 À condition que mon honneur soit sauf. « Vostre honneur soit sauve. » ATILF.   184 Et encore plus.   185 Il n’y a pas d’autre solution.   186 Emprunt à la farce : « Que ton maistre couche avec toy. »   187 Si m’aid Dieu : que Dieu m’assiste ! Cf. la Veuve, vers 52 et 150.   188 Ne vous en saura nul mauvais gré, ne vous en voudra pas.   189 Damné. Se laisser mourir équivaut à un suicide, que l’Église condamnait, alors que ses martyrs ne sont rien d’autre que des suicidés.   190 Elle veut bien que vous couchiez avec la servante.   191 Ils s’escrimèrent bien.   192 Sans se couper, ni se courroucer l’un envers l’autre.   193 Bonne figure.   194 L’épouse du « malade ».   195 Plût à Dieu que j’aie autant d’écus qu’il y a de femmes qui ne voudraient pas faire ce qu’elle a fait !   196 Je ne préférerais pas.   197 Jusqu’à ce.   198 Après l’accouchement.

LES BRUS

Ms. La Vallière

Ms. La Vallière

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LES  BRUS

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En Normandie, une bru était une fille de joie : « Cherchez ailleurs vostre proye, / Faux pères grisards [sournois Cordeliers] ! / Et ! pensez-vous que je soye / La bru des caffards [des religieux hypocrites] ? » Deux amoureux du bransle.

Cette farce écrite vers 1536 nous montre deux brus qui viennent d’entrer dans la carrière, et qui accueillent religieusement les sages conseils d’une mère maquerelle que même des moines débauchés ne réussiront pas à détourner de ses devoirs.

Source : Manuscrit La Vallière, nº 37.

Structure : Rimes plates, avec un rondel double, 3 triolets et 4 quatrains à refrain.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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Farce nouvelle

À cinq personnages, c’est asçavoir troys Brus et deulx Hermites.

    [ LA  VIELLE  BRU,  Trétaulde

       LA  PREMIÈRE  BRU

       LA  SECONDE  BRU

       LE  PREMIER  HERMITE,  frère Ancelot

       LE  DEUXIESME  HERMITE,  frère Ancelme ]

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                        LA  VIELLE  BRU  commence [en chantant 1].

        Je suys nommée la vielle bru,                                   SCÈNE  I

        De toutes aultres brus gouvernante.

        Tant à Meulenc comment à Mante2,

        Partout j’ay « moulu » orge et gru3.

5      J’ay eu l’esp[e]rit sy agu4,

        J’ey porté « lance » sy mouvante5.

        J’ey esté sy remuante.

        Homme ne craignoys, plain d’argu.

        Je suys nommée la vielle bru,

10    De toutes aultres brus gouvernante6.

        Gouvernée me suys en temps deu.

        J’ey partout « combat » atendu ;

        J’ey esté à « l’assault » entrante

        Sans poinct desmancher7, je me vante,

15    Ne doubtant 8 corps grand ne menbru.

        Je suys nommée la vielle bru,

        De toutes aultres brus gouvernante.

        Tant à Meulenc comment à Mante,

        J’ey partout moulu orge et gru.

20    Je suys nommée la vielle bru.

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        Çà ! filles, parlez à moy dru !

        Faictes record9 de vostre affaire.

        Quel train voulez tenir et faire ?

        Parlez, vous, la plus congnoissante10.

                        LA  PREMIÈRE11  BRU

25    Ma foy, dame la Gouvernante,

        Tant que je soys fille vivante,

        Je tiendray l’estat de brurye12.

                        LA  VIELLE  BRU

        Et vous ?

                        LA  SECONDE  BRU

                        Soublz vostre seigneurye,

        De brus porteron le guydon13.

30    Mais à vous nous recommandon,

        Qu’il vous plaise nous gouverner,

        Nous instruyre et [nous] enseigner

        Là où bien nous14 nous puissions [p]estre.

                        LA  VIELLE  BRU

        Puysque vous voulez à moy estre,

35    Y fault que ce mot je relate :

        Je seroys bien chiche et ingrate

        Sy par moy n’estiez bien pourveu[e]s.

        De plusieurs vous serez [bien veues]15,

        Et de tous estas16 tâtonnés.

40    Mais jamais ne vous estonnez

        Sy quelqu(e) un vous vient mugueter17 :

        Ne le veuillez pas despiter18 ;

        Gouvernez-lay à son estape19

        Tant qu’il soyt prins à vostre atrape.

45    S’il est de vous bien alêné20,

        Y sera à demy danné

        Le jour qu’i ne vous aura veue21,

        Pensant que22 serez devenue.

        Cuydez-vous que dessoublz la nue

50    Il y a de[ulx] sortes de brus.

        J’en ay veu tropes comme grus23,

        Qui se faisoyent fraper et bastre

        Pour suyvre un povre gentilastre24

        Qui n’a25 rien au pays de Bray.

55    C’est mal entendu sa Guybray26,

        C’est mal excersé son vacat 27.

        J’ey congneu tel esperlucat28

        Et tel griffeur29 de parchemin :

        Quant ilz trouvoyent à leur chemin

60    Des brus, il[z] les vouloyent forcer.

                        LA  PREMIÈRE  BRU

        Ne nous veuillez pas adresser

        À leurs mains, au nom de sainct Gille !

                        LA  V[IELL]E  BRU

        Taisez-vous, ma petite fille :

        Je ne suys pas sy incensée

65    Que vous ne soyez bien pencée30,

        Cheulx l’oste31 où je vous logeray.

                        LA  SECONDE  BRU

        En tout lieu je vous suyviray32,

        Aussy, dame la Gouvernante.

                        LA  VIELLE  BRU

        Je suys assez recongnoissante

70    Pour vous bien loger, par sainct Bon !

        Moy, je sçay bien où il faict bon :

        J’ey esté bru en tout pays

        Là où les brus sont obaÿs33.

        [Car] j’ey esté bru gascongnante,

75    Bru bretonne, bru bretonnante,

        Bru espaignolle34, bru bourguygnonne,

        Bru de Berry, bru de Soulongne35,

        Bru canaise, bru pouétevyne36,

        Bru de Bessin, bru angevyne37,

80    Bru de Touraine et bru guespine38,

        Bru de Calais39 (on nous lopine !),

        Bru prouvencelle, bru lyonnoyse,

        Bru de Marceille, bru navaroyse,

        Bru loraine et bru bourbonnoyse,

85    [Bru beaulceronne et bru cauchoyse,]40

        Bru de [la] Brye et bru troyenne,

        Bru de la Bresse41 et de Rouenne,

        Bru de Melun42 qui est sur l’eau,

        Bru d’Harcourt43 et bru de Bordeau44,

90    Bru d’Évereulx45, de Dreulx, de Chartre,

        Bru de Paris et de Monmastre46,

        Bru de La Roche et de Vernom,

        Bru de Loviers et de Gaillon47,

        Bru de La Bouille et Moulineaulx,

95    Bru des isles par tout les eaulx48,

        Bru [de Sainct-Aubin]49, Dernétal ;

        Bru partout, tant amont qu’aval :

        Bru de Gournay, bru de Beauvais,

        Bru Sainct-Vivien50, bru Sainct-Gervais,

100  Bru de Dieppe, bru du Tréport,

        Bru d’Arques. Sans en dire tort51,

        De Rouen, je n’en parle poinct.

                        LA  PREMIÈRE  BRU

        Et pourquoy ?

                        LA  VIELLE  BRU

                         In Jen !  On [ne démesle]52 poinct

        Les brus d’avec les courtizainnes :

105  Car il font tant les bravouzainnes53

        Que les plus ruzés y54 sont prins,

        Quoy qu’ilz souent55 sages et bien aprins.

        J’ey veu bru demy trésallée56

        Qui, de craincte d’estre hallée57,

110  Portoyt cachenés58 sur son vyaire

        Ainsy c’une mille-souldière59.

        J’ey veu bru (non forte à congnoistre60)

        Qui, de l’amuche61 de son maistre,

        A faict reborder sa costelle62 ;

115  Et sy, contrefaict63 la pucelle.

        J’ey congneue bru garnye d’escus64

        Qui, d’un aful de monacus65,

        A faict abit qu’el portoyt bien ;

        Et sy, faict la femme de bien.

120  J’ey veu bru sy sientifique66 :

        Pour parler à un de pratique67,

        Portoyt procès soublz son esselle68

        Affin qu’il eust accès à elle69.

        Dieu ! qu’el estoyt, en parler, ferme !

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                        LE  PREMIER  HERMITE                 SCÈNE  II

125  Et ! bonavita70, frère Ancelme !

                        LE  DEUXIESME  HERMITE

        Bon adjournus71, frère Ancelot !

                        LE  PREMIER  HERMITE

        Quant burons-nous jusqu(e) à la lerme72 ?

        Et ! bonavita, frère Ancelme !

                        LE  DEUXIESME  HERMITE

        Aujourd’uy : ce n’est pas long terme73.

                        LE  PREMIER  HERMITE

130  Sans faulte, je boiray74 d’un pot.

        Et ! bonavita, frère Ancelme !

                        LE  DEUXIESME  HERMITE

        Bonajournus, frère Ancelot !

        Que faictes[-vous] cy, mon valot75 ?

        Estes-vous de quelc’un en doubte76 ?

                        LE  PREMIER  HERMITE

135  Je fais le guet ; et sy, escouste

        Trétaulde77 qui instruict des brus.

        Et ! nous qui sommes fort membrus78,

        Au[r]ons-nous poinct l’invention79

        D’en avoir la possession

140  D’une, pour passer nostre envye ?

                        LE  DEUXIESME  HERMITE

        Frère, ce seroyt bonne80 vye.

                        LE  PREMIER  HERMITE

        Nous sommes de vin sy œuillés81,

        Et dedens le corps sy rouillés,

        Que de nous n’est que pouriture.

                        LE  DEUXIESME  HERMITE

145  Faulte ?

                        LE  PREMIER  HERMITE

                        D’opérer de nature82.

                        LE  DEUXIESME  HERMITE

        Par monsieur sainct Bonne-Advanture !

        Frater méy, béné volo83.

        Mais el est sy faicte au haulo84

        Qu’el n’a ne pityé ne pitace85

150  De frère portant la besache86.

                        LE  PREMIER  HERMITE

        Alons saluer la bécace.

        Que fust-el87 au pas de Calais !

                        LE  DEUXIESME  HERMITE

        Testor Déos immortalais88 !

                        LE  PREMIER  HERMITE

        Frater, que venez-vous de dire ?

                        LE  DEUXIESME  HERMITE

155  Je vouldroys qu’el fust à l’Empire89 !

        Par Testor Déos immortalays !

                        LE  PREMIER  HERMITE

        Autant magistral90 que valés,

        Vous blasphesmez les dieulx estranges91.

                        LE  DEUXIESME  HERMITE

        Il n’y a séraphin ny anges92

160  Qui me seussent éberluer93

        Que je ne l’aille saluer,

        Et réciter94 ce que je pence.

                        LE  PREMIER  HERMITE

        Alons-y tous deulx d’atrempence95

        La saluer à nostre guise,

165  Faisant de la langue faintise96

        En donnant accès à noz mos97.

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                        LA  VIELLE  BRU                                SCÈNE  III

        Voécy deulx frères Frapabos98

        Qui viennent à nous disputer.

        Nule ne se veuil[l]e haster

170  De parler ; car, par sainct Symon,

        Nous séron se99, sur leur poulmon,

        Il100 y a rien d’inestimable101.

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                        LE  PREMIER  HERMITE                 SCÈNE  IV

        Ma Dame, soyez secourable

        Aulx pauvres frères hermytaulx

175  Qui n’ont pécunes ne métaulx102,

        Et boyvent de l’eau tous les jours103 !

                        LA  VIELLE  BRU

        Frère[s], il n’y a rien pour vous.

                        LE  DEUXIESME104  HERMITE

        A ! thésaurière105 de sancté,

        Je priray sancta et san[c]te106

180  Qu’i vous préserve de la toux.

                        LA  VIELLE  BRU

        Frère[s], il n’y a rien pour vous.

                        LE  PREMIER  HERMITE

        Hélas ! jenne107 bru crestïenne,

        Vous avez la chair tendre et jenne

        Pour faire roidir les… genoulx108.

                        LA  VIELLE  BRU

185  Frère[s], il n’y a rien pour vous.

                        LE  DEUXIESME  HERMITE

        Vous avez le viaire angélique.

        Quel109 embrasser, telle relique,

        Beau regard gratieulx et doulx.

                        LA  VIELLE  BRU

        Alez, il n’y a rien pour vous !

190  Vous estes fors110 à escondire.

                        LE  PREMIER  HERMITE

        Nous avons un mot à vous dire.

                        LA  VIELLE  BRU

        Et quel ?

                        LE  PREMIER  HERMITE

                        S’y vous venoyt à gré111,

        En payant à nostre degré112,

        N’arions-nous poinct une venue113

195  D’une de voz brus toute nue ?

                        LA  VIELLE  BRU

        Alez, grosse beste cornue !

        Alez, grisars114 ! Alez, sousdextre !

        Comment ? Esse à vous à congnoistre

        Que c’est que du fémi[n]in gerre115 ?

                        LE  DEUXIESME  HERMITE

200  Dieu nous a mys dessus la terre,

        Hommes roydes, fors et puissans,

        Et de noz menbres joÿssans

        Comme [d’]aultres, en vérité.

                        LA  VIELLE  BRU

        Pourquoy vouez-vous chasteté116

205  (Faisans d’aultres sermens [c]assés117),

        Et tous voz veulx vous délaissez ?

        Alez, vous estes misérables !

                        LE  PREMIER  HERMITE

        Telz estaz sont dissimulables

        Et dificilles à congnoistre.

                        LA  VIELLE  BRU

210  Retirez-vous en vostre clouestre118,

        Gens remplys de déception119 !

        O ! la malinne invention,

        Que le corps d’un hermite120 chainct

        Soyt [d’]un habit polu et faint121 !

215  Retirez-vous en vostre escorce122 !

                        LE  DEUXIESME  HERMITE

        Nous aurons voz deulx brus par force !

                        LA  SECONDE  BRU

        Vous mentirez123, loups affamés !

                        LE  PREMIER  HERMITE

        S’il ne vous vient de la renforce,

        Nous aurons voz deulx brus par force.124

                        LA  VIELLE  BRU

220  Vaillante seray à la torche125 :

        [Par mes mains serez assommés !]

                        LE  DEUXIESME  HERMITE

        Nous aurons vos deulx brus par force !

                        LA  PREMIÈRE  BRU

        Vous mentirez, loups affamés !

        Pensez-vous de nous estre aymés

225  Malgré la nostre volonté ?

                        LA  VIELLE  BRU

        Vous avez voué chasteté,

        Et semblez gens à demy sainctz.

        Vous estes de cautelles plains126

        Et voulez ravir ces deulx filles

230  Par voz actes ordes et villes127.

                        LE  PREMIER  HERMITE

        Quant nous som[m]es aulx bonnes villes,

        Ne128 faisons les frères Frapars ;

        Mais aux champs, [sommes droictz]129 liépars

        À poursuyvir filles et femmes.

                        LA  VIELLE  BRU

235  Voz actes sont donques infâmes.

                        LE  DEUXIESME  HERMITE

        Quant nous alons par les maisons,

        Nous sommes pâles et deffaictz,

        Disons130 salmes et oraisons

        Pour ceulx qui nous ont des biens faictz ;

240  Mais aulx champs, sommes contrefaictz131,

        Chantant chansons vindicatives

        Avecques paroles laccives.

        Dont, dame la Gouverneresse,

        Faictes-nous de voz brus largesse132,

245  Soyt par force ou par amytié.

                        LA  VIELLE  BRU

        Hermites estes sans pityé.

        Voulant user de félonnize,

        Vous avez sur nous la main mise.

        Enquestes de vous seront faictes133.

                        LA  PREMIÈRE  BRU

250  Nous vous pensions comme prophètes,

        Prédicans134 comme bons enseignemens ;

        Mais voz malingtz desreiglementz135

        Font vostre estat mal estimer136,

        Par quoy nul ne vous peult aymer.

                        LA  SECONDE  BRU

255  J’ay ouÿ dire aulx gentz antïens137

        Que toulx ceulx ne sont pas scïens138,

        Portant habit dissimulé139.

        Par quoy, vostre faict calculé140,

        Pour hermites frans141 je vous prens.

                        LA  VIELLE  BRU

260  De parler à vous j’entreprens,

        Gros grisars, grisons142 grisonniers,

        Gros mesles143, griffons144, gros âniers !

        Voulez-vous les brus gouverner ?

        Alez-vous-ent entavernerl45,

265  Et vous tenez en voz cavernes146,

        Et faictes de vessies147 lanternes !

        Adieu, mes frères cou[v]éteulx148 !

        Sy j’ey des brus, esse pour eulx ?

        Qu’on les149 maine toute la course !

270  Y me fault bien meilleure bourse

        Qu’à telz gens on leur habandonne150 :

        Et ! y n’ont rien, s’on ne leur donne.

                        [LE  DEUXIESME  HERMITE]

        Voy(e)là merveilleux argumens !

                        LE  PREMIER  HERMITE 151

        Poinct d’argent, marchande ? Tu mens !

275  Voy(e)là des escus à planté152 :

        Encor cent et un153, tout compté,

        Pour les payer de leur salaire,

        S’y veulent à noz154 deulx complaire.

        Mais premier qu’on en jouisson155,

280  Y fault c’un petit nous danson

        Un bran156 de quelque inve[n]tion.

                        LA  VIELLE  BRU

        Mectez-moy en possession

        De la bource pécunyeuse.

                        LE  PREMIER  HERMITE

        Tenez, la voy(e)là, plantureuse157.

285  Or çà, ma petite amoureuse,

        Y nous fault un peu piétonner158.

        Et puys nous irons desjuner

        D’un [ouéson à]159 la Petite Oye160.

                        LE  DEUXIESME  HERMITE

        Argent [nous] faict partout la voye161.

                        LA  VIELLE  BRU

290  Qui a argent, il a des brus.

                        LE  PREMIER  HERMITE162

        Tant en Piedmont comme en Savoye163,

        Argent [nous] faict partout la voye.

                        LA  SECONDE  BRU

        Qui porte argent, il porte joye,

        Autant esbarbés164 que barbus.

                        LE  PREMIER  HERMITE

295  Argent [nous] faict partout la voye.

                        LA  VIELLE  BRU

        Qui a argent, il a des brus.

        Aultre choze je ne conclus.

        Avant que partir de ce lieu,

        Un petit bran165 pour dire adieu.

300  Pourtant, s’on166 n’avon poinct musique,

        Pas ne diminuez vos167 don[s].

        À vous nous nous recommandon[s] :

        Jeu nouveau couste à qui l’aplicque168,

        C’est [là] une chose autenticque.

305  En prenant congé de ce lieu,

        Or dansons [bran] pour dire adieu !

.

                               FINIS

*

1 Il est d’usage qu’un poème à forme fixe au début d’une farce soit chanté ; ce rondel double (amplifié tardivement de 4 vers) devait l’être comme les autres. Les trois brus sont sur une place ; tapi dans un coin, le 1er ermite les observe.   2 À Meulan comme à Mantes. Ces deux communes des actuelles Yvelines sont limitrophes de la Normandie. Comment = comme : cf. Maistre Mimin estudiant, vers 374.   3 Et du grain mondé. L’action répétitive du moulin fournit une métaphore du coït : « Ilz s’en allèrent tous deux coucher, & en jouant ensemble & passant le temps, commencèrent à moudre fort & ferme. » Pierre de Larivey.   4 Le désir si aigu. Jeu de mots sur épris : enflammé par le désir. « Elle a l’esperit sy souldain/ Qu’il ne luy fault paille ne grain,/ Mais que souvent on la “baculle”. » Rondeau.   5 Qui bougeait tant. Nous abordons maintenant le registre érotico-militaire.   6 Qu’une même faute soit reproduite dans tous les refrains prouve que le copiste précédent n’a noté que le début des redites, et que le copiste actuel les a complétées d’après un 1er refrain fautif ; c’est encore le cas pour les refrains de 292 et 295, qui reproduisent la faute de 289. Voir la note 91 de Maistre Mimin estudiant, et la note 23 de Régnault qui se marie.   7 LV : desmarcher  (Sans être désarmée.)  Sans perdre le « manche » de mon client. « Soudain que la gouge on emmanche,/ Luy rebailler le picotin,/ Si l’instrument ne se desmanche. » Guillaume Coquillart.   8 Ne redoutant aucun. Membru = bien membré. Idem vers 137.   9 Le récit.   10 La plus âgée des deux.   11 LV : iie  (Pour plus de lisibilité, je numéroterai les personnages en toutes lettres.)   12 Le métier de la prostitution.   13 L’étendard.   14 LV : pour  (L’endroit où nous pourrons bien nous repaître, nous enrichir. « Où nous puissions nous paistre de contes. » Jacques Faye.)   15 LV : veuz   16 Par des hommes de toutes conditions.   17 Conter fleurette.   18 Dédaigner.   19 Prenez-le au piège amoureux. « Amour (…),/ Rends-le-moy pris à ton estappe ! » Antoine Le Maçon.   20 Piqué comme par une alêne, un poinçon. « Ceulx qui par avant l’acolloient (…)/ En sont picqués et alênés. » Moralité à cincq personnages.   21 LV : veuee  (Le jour où il ne vous aura pas vue.)   22 Se demandant ce que vous.   23 Des troupes aussi nombreuses qu’un vol de grues.   24 Gentilhomme de bas étage. Cf. Moral de Tout-le-Monde, vers 139.   25 LV : nauoyt  (Le pays de Bray sépare la Normandie de la Picardie.)  Double sens : Qui n’a rien dans ses braies, dans sa culotte.   26 Cette foire normande donna lieu à quelques expressions : « Trotter (…)/ Plus dru qu’à la Guibray ne courent les mazettes [les canassons]. » (La Muse normande.) Mais celle-ci n’est pas connue. Émile Picot l’interprète : « C’est faire un mauvais marché. » Recueil général des sotties, t. III, pp. 79-97.   27 Sa vacation, son service.   28 Un porteur de perruque, un juge. Cf. le Poulier à sis personnages, vers 70 et note.   29 LV : griffon  (Tel clerc de justice, dont la plume mal taillée griffe le papier. C’est l’origine du verbe griffonner.)  Le parchemin désigne aussi le pubis d’une femme : cf. Pernet qui va à l’escolle, vers 25 et note.   30 Bien pansée, bien traitée.   31 Chez l’hôte : dans la maison de passe.   32 Suivrai (normandisme). Cf. le Gentil homme et Naudet, vers 179.   33 Obéies, respectées.   34 Basque : la bru n’a jamais officié à l’étranger.   35 De Sologne.   36 De Caen (en Normandie), du Poitou.   37 Du pays Bessin (en Normandie), d’Anjou.   38 Orléanaise. On comparait les habitants d’Orléans à des guêpes : « Une dame d’Orléans, gentile et honneste encores qu’elle fust guespine. » Bonaventure Des Perriers,   39 LV : gallere  (Calais était encore occupé par les Anglais ; c’était donc, pour le pouvoir, un sujet tabou que la censure théâtrale expurgeait : voir par exemple la note 29 de Pour le Cry de la Bazoche. En remplaçant Calais par les galères, nos acteurs ont contourné la censure avec une belle insolence.)  On nous lopine = les Anglais vendent la France à la découpe, parcelle après parcelle. « LOPINER : To cut into gobbits, part into cantles, divide into lumps. » Cotgrave.   40 Vers manquant, que chacun remplira selon ses accointances géographiques.   41 LV : bresle  (Rouenne = Roanne.)   42 LV : mil un  (Le cœur médiéval de Melun est une île.)   43 LV : de court  (Harcourt est une commune normande, comme les deux suivantes.)   44 LV : bleau  (Bordeau, dans l’actuel département de Seine-Maritime. Voir le vers 119 de la Fille bastelierre, une pièce de la même époque et de la même région qui égrène souvent les mêmes localités normandes.)  Et n’oublions pas l’inévitable calembour sur Bordeau et le bordeau [le bordel] : « Des femmes de Bordeau. » Les Sotz fourréz de malice.   45 D’Évreux, dans l’Eure.   46 Montmartre était encore un village indépendant de Paris.   47 Louviers et Gaillon, dans l’Eure. Cf. la Fille bastelierre, vers 153.   48 Des îles normandes de la Seine. « À La Bouille et à Moullineaux,/ Et à toutz ceulx d’entour les eaux. » La Fille bastelierre.   49 LV : par tout a  (Saint-Aubin-sur-Mer et Darnétal sont en Seine-Maritime.)  « Tout partout, à mont et à val,/ À Sainct-Aubin, à Dernétal. » La Fille bastelierre.   50 LV : sainct julien  (Saint-Vivien et Saint-Gervais sont deux paroisses populaires de Rouen. Voir le v. 206 des Sobres Sotz, le v. 127 de la Fille bastellière, et le v. 72 du Clerc qui fut refusé.)   51 LV : mot  (Sans en dire de mal.)   52 LV : nen parle  (Contamination du vers précédent.)  On ne distingue pas. « On ne démesle pas aisément le vray dévot d’avec l’hypocrite. » Dict. de l’Académie françoise.   53 Elles font tellement les braves, les élégantes. « Cest habit-là fut coint, joly et court,/ Ainsi qu’on voit aux bravousins de Court. » Le Passetemps et songe du Triste.   54 LV : ilz  (L’expression exacte est : « Que les plus rouges y sont pris. » La Pippée.)   55 Soient. Cf. les Povres deables, vers 264.   56 À moitié morte de vieillesse. Cf. la Mère de ville, vers 177. Nous entrons dans la critique des mœurs rouennaises, telle que la pratiquaient les Conards de Rouen : on leur défendait de nommer leurs victimes, mais ils s’arrangeaient pour qu’elles soient reconnaissables.   57 D’être hâlée, brûlée par le soleil. En fait, elle veut dissimuler ses rides.   58 « Un cache-nez : Un masque de femme. » (Antoine Oudin.) On disait aussi un cache-laid. Viaire [visage] se retrouve à 186 ; cf. Frère Frappart, vers 128.   59 Qu’une riche veuve qui peut dépenser 1000 sous par jour. « Ne connoissez-vous point une vefve apellée Géronte ? Tous ces gens du menu peuple disent qu’elle est mille-soudière, c’est-à-dire, en leur langage, qu’elle a cinquante francs de rente par jour. » Charles Sorel.   60 Pas très difficile à reconnaître. Voir la note 56.   61 En recyclant l’aumusse [le capuchon fourré] du prêtre avec lequel elle couche. « Baillant une amuche au Badin. » Science et Asnerye.   62 A fait border de fourrure sa petite cotte [son jupon].   63 LV : contrefaisoyt  (Le vers 119, sur le même modèle, est lui aussi au présent.)  Et pourtant, elle joue les pucelles.   64 C’est bien ce qu’on lit dans le ms. Les trois éditions modernes ont lu dessus, ou même dessous. « Un gros coquin garny d’escus. » Les Caquets de l’accouchée.   65 Avec le froc d’un moine.   66 Savante.   67 À un juriste. Cf. les Povres deables, vers 132.   68 Elle portait sous son bras les pièces d’un procès.   69 Pour qu’il ait une occasion de l’aborder.   70 Bonne vie ! Les deux ermites, qui sont en fait des moines cordeliers*, pratiquent le jargon de ces anciens collégiens que sont les clercs. Ancelot, qui est en train d’espionner les brus, salue Anselme qui vient vers lui.  *Dans le même manuscrit, le Porteur de pénitence met en scène deux ermites qui sont de « vrays Frères myneurs », c’est-à-dire des Cordeliers. On les traite d’ailleurs selon leur rang : « Ce sont deulx convers ypocrites…./ Quelz fripelipes [goinfres] ! »   71 Bonjour ! On peut lire cette salutation de collégiens sous une forme à peine plus tolérable au vers 21 de la Résurrection de Jénin Landore.   72 Quand boirons-nous jusqu’à ce que les larmes nous en viennent aux yeux ? « Il avoit beu par tel compas/ Qu’il avoit les larmes à l’ueil. » Le Gaudisseur.   73 Nous boirons aujourd’hui, ce n’est pas un délai trop long.   74 LV : donray   75 Mon compagnon.   76 Avez-vous peur de quelqu’un, pour vous être caché de la sorte ?   77 C’est le nom de la maquerelle. Et c’est également le nom d’une fille facile dans Jehan de Lagny.   78 Sur le grand manche des Cordeliers, voir la Folie des Gorriers, vers 267 et note.   79 Le moyen. Cf. le Jeu du Prince des Sotz, vers 407.   80 LV : demy  (C’est la traduction du bona vita de 125. Cf. Colin qui loue et despite Dieu, vers 178.)   81 Aouillés : remplis jusqu’à l’œil [jusqu’à la bonde], en parlant de tonneaux. « Qui aoillé furent de vin. » Godefroy.   82 Faute de copuler. « Ainsi n’est-il de ton bragmard [braquemart] : car par discontinuation de officier et par faulte de opérer, il est, par ma foy, plus rouillé que la claveure d’un vieil charnier. » Rabelais, Tiers Livre, 23.   83 Mon frère, je veux bien (copuler).   84 Trétaude est si habituée à commander. « Ilz sont tous à la poste [aux ordres] de la dame, qui les a faits au holo. » XV joyes de Mariage.   85 Augmentatif plaisant de pitié. « Je n’en ay pitié ne pytasse. » ATILF.   86 Les moines des ordres mendiants mettent ce qu’on leur donne dans une besace.   87 Si elle pouvait être chez les Anglais ! Il n’y avait « pas de Calais », puisque cette ville n’appartenait plus à la France ; voir la note 39.   88 Testor deos immortales !  [J’en atteste les dieux immortels.] Cette invocation quelque peu païenne de Sénèque réjouissait les collégiens de France et d’Italie.   89 Chez l’empereur Charles Quint, qui était alors le pire ennemi de François Ier.   90 LV : magistraulx  (Aussi maître en théologie qu’un valet.)   91 Étrangers, païens. « Dieu dit en ce lieu : “Tu n’auras point de dieux estranges !” » Jean de Lavardin.   92 Dessous, le copiste a noté puis biffé les vers 187-191. Ils sont d’ailleurs moins fautifs dans cette version, que je garderai plus bas. Ces variantes prouvent une fois de plus que le scribe du La Vallière ne respectait pas l’orthographe de son manuscrit de base.   93 Qui puissent m’éblouir au point. « La clarté (…)/ L’aveugle et l’esberlue. » Godefroy.   94 Et lui dire.   95 En douceur.   96 LV : faintisse  (Des feintes, des fausses promesses.)   97 En libérant nos paroles.   98 Des frères Frapparts, comme au vers 232 ; c’est-à-dire des moines paillards. Cette injure vise principalement les Cordeliers : voir la notice de Frère Frappart.   99 LV : que  (Nous saurons si, dans l’aumônière qui pend à leur col, à hauteur de leur poumon.)  « Nous en sérons très bien l’usage. » Sottie normande de Troys Galans et un Badin.   100 LV : sil   101 LV : disnimable  (S’il y a quelque chose de précieux.)   102 Ni pièces de métal précieux.   103 Et n’ont pas de quoi s’offrir du vin. Par chance, les brus n’ont pas entendu les vers 127-130 et 142. Les Normands amuïssaient le « r » de jou(r)s.   104 LV : p   105 Trésorière, dispensatrice. La Vierge Marie était la « thésorière de grâce ».   106 Anselme veut latiniser l’expression « prier saintes et saints ». Mais il s’empêtre dans une formule qui signifie « sainte, et saintement » : « Matrimonium est res sancta, et sancte tractadum. »  « Ista sancta, et sancte pudica domus. »   107 Prononciation normande de « jeune », comme à la rime du vers suivant. Voir la note 51 de la Résurrection de Jénin Landore.   108 Ancelot a failli dire « les plus mous ».   109 Tel. À telle relique, tel baiser. Les pèlerins embrassaient les reliques des saints : cf. le Dyalogue pour jeunes enfans, vers 65.   110 Difficiles. Cf. Pernet qui va à l’escolle, vers 213 et note.   111 LV : grey  (Je corrige la même fantaisie du copiste à la rime.)  Si vous l’acceptiez.   112 Selon nos moyens.   113 LV : estendue  (Un coït. « N’aurai-ge poinct une venue/ De la femme de mon mounyer ? » Le Poulier à sis personnages.)  Cf. la Fille bastelierre, vers 21.   114 LV : grissars  (Grisard est une insulte contre les Cordeliers, qui sont vêtus de gris. Idem vers 261.)  Un soudestre est un soudard, un mufle : cf. le Trocheur de maris, vers 44.   115 Ce qu’est le genre féminin, ce qu’est une femme. « Où plusieurs se sont acoustrés/ En estat de fémynin gerre. » Troys Pèlerins et Malice.   116 Faites-vous vœu de chasteté.   117 Rompus, non tenus. « Qui tant de sermens ont casséz. » ATILF.   118 Dans votre cloître, votre monastère.   119 De fourberie.   120 LV : habit  (Anticipation du vers suivant.)  Soit ceint, soit revêtu. La prononciation chuintante est normande : « Vostre robe (…) chainte ou troussée. » Le Gentil homme et Naudet.   121 LV : sainct  (Correction d’Émile Picot. Le « f » gothique [f] est souvent confondu avec le « s » long [ſ].)  Impur et hypocrite.   122 Dans votre coquille, comme les Sots, qui naissent dans des œufs.   123 Vous n’aurez pas dit la vérité.   124 LV intervertit ces 3e et 4e vers du triolet. Et il oublie le 6e.   125 À vous donner des coups. « Si ne craignois d’avoir la torche,/ Je vous dirois quelque finesse. » (Le Badin, la Femme et la Chambrière, BM 16.) J’ajoute dessous un vers pour compléter le triolet ABaAabAB.   126 LV : plainctz  (Pleins de ruse.)   127 Sales et vils.   128 LV : nous  (Nous ne nous comportons pas comme des satyres.)  « Hermite suis, frère Frapart / Qui maint “connin” broche sans lard. » Les Triomphes de l’Abbaye des Conards.)   129 LV : droictz demy  (Ce vers sert de modèle au vers 240.)  Nous sommes de véritables léopards. Cf. les Sotz triumphans, vers 9.   130 LV : en disant  (Ce vers suit le modèle du vers 232.)  Nous disons des psaumes. Les moines mendiants quémandaient la charité en échange de prières.   131 Fourbes. LV répète dessous le vers 239.   132 Offrande.   133 Vos supérieurs enquêteront sur vous.   134 Prêchant.   135 LV : enseignementz  (à la rime.)  Vos diaboliques débordements. « Des désordres et desreiglemens qui se commettoient dans les monastères. » Archives de Reims.   136 LV : enseigner  (« Qui le face mal estimer & priser. » Christine de Pizan.)  Font mal juger votre statut de moines.   137 Aux anciens. La diérèse est obligatoire : « Aux ancïens n’appartient plus. » Les Gens nouveaulx.   138 Que ces moines ne sont pas tous sages.   139 Qui portent un habit trompeur. En somme, l’habit ne fait pas le moine.   140 Ayant considéré vos actes.   141 Affranchis de votre Règle, défroqués.   142 LV : grissars grissons  (Cordeliers <note 114>, étalons aux cheveux gris. Dans Ung jeune moyne, le vieux rival du moine se compare à un grison qui peut encore « trotter » avec une femme.)   143 Merles : diseurs d’obscénités, comme les merles qu’on met en cage pour leur apprendre à dire « maquereau ».  « Tu parles aussy droyt c’un mesle/ Qui est en la cage. » Messire Jehan.   144 Ravisseurs. « Tendans les mains comme un griffon/ Qui veut ravir quelque pasture. » Vie de sainct Mathurin.   145 LV : en tauerner  (Allez vous cloîtrer dans une taverne. « Mais dame Gloutenie [gourmandise] se fait ore maistresse :/ Gens fait entavrener. » ATILF.)   146 Certains ermites vivaient dans une grotte.   147 LV : vesis  (Transformez votre vessie en lanterne.)   148 Convoiteux (normandisme). Trétaude va s’adresser au public.   149 LV : leur  (Qu’on les emmène au pas de course.)  « Luy-mesme, à l’hospital s’en va toute la course. » Du Bellay.   150 Que celles qu’on abandonne à ces gens.   151 Il sort une bourse.   152 En quantité.   153 101 écus d’or pour deux prostituées, c’est une plaisanterie de l’auteur ou une faute du copiste. Le Mince de quaire loue deux filles pour « ung escu d’or fin » et quatre pommes.   154 Nous (normandisme).   155 Avant que nous jouissions d’elles.   156 Un branle de Normandie. Idem vers 299. « Qui no fezet danser des courante nouvelle,/ Des gavotte et des brans. » (La Muse normande.) Le branle est une danse lubrique parce que les femmes troussent leur robe : cf. le Savatier et Marguet, vers 75 et note.   157 Bien garnie d’argent. Cf. le Résolu, vers 309.   158 Piétiner sur place, danser.   159 LV : gras ouesson  (L’oison est le petit de l’oie. Cf. Maistre Mimin estudiant, vers 392.)   160 LV : ouee  (Je corrige ici et aux 5 rimes attenantes un des tics du copiste de ce ms., qui consiste à redoubler le « e » de la désinence féminine.)  La Petite Oie est une taverne de Rouen. Mais cette locution désigne aussi les caresses préliminaires : cf. la Résurrection Jénin à Paulme, vers 213 et note.   161 LV : voyee  (Nous ouvre partout la voie, y compris dans une acception érotique : cf. les Botines Gaultier, vers 137 et note.)   162 LV : hru   163 « Le style général de la composition ne permettant guère de la placer après le règne de François Ier, il est probable qu’il y a ici une allusion à la conquête de la Savoie et du Piémont par ce prince au commencement de l’année 1536. » Émile Picot, p. 80.   164 Aussi bien les rasés [les ecclésiastiques] que les amoureux. Cf. les Povres deables, vers 14.   165 Un branle à danser, comme au vers 281. Double sens, confirmé par le fait que Trétaude retrousse sa robe pour mieux danser : un petit excrément. Cf. le Munyer, vers 490.   166 Si nous (normandisme). La troupe n’a pas les moyens de s’offrir un musicien. Notre farce n’a donc pas été jouée par les Conards de Rouen, qui ne faisaient rien sans musique.   167 LV : nostre  (Ne soyez pas moins généreux quand nous allons passer parmi vous pour faire la quête.)  Les comédiens du Bateleur quêtent eux aussi parmi le public : « De vos dons, riens ne comprenons…./ Sy on donne peu, c’est tout un. »   168 Une création dramatique coûte cher à ceux qui la montent : il faut faire copier le livret en plusieurs exemplaires, organiser suffisamment de répétitions, se procurer des costumes et créer le décor.

LES POVRES DEABLES

Ms. La Vallière

Ms. La Vallière

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LES  POVRES

DEABLES

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Le manuscrit La Vallière contient trois sotties normandes qui, chronologiquement, se répondent l’une à l’autre, avec un scénario identique et des personnages analogues. La Mère de ville est une pièce protestante des années 1530 : la « merde vile », alias Mère Sotte, une usurpatrice catholique, tente vainement d’obtenir que ses pitoyables fidèles lui versent une dîme. Son valet, trop conciliant, l’aide mal dans cette tâche impossible. Le décor était posé. Vers la fin des années 1530, la Mère de ville fut réfutée selon le même schéma par une pièce catholique, les Povres deables. Cette dernière se moque allègrement du clergé, comme le faisaient beaucoup de catholiques, mais elle n’attaque pas le culte romain. Le personnage principal ne s’appelle plus la Mère de ville mais la Réformeresse, autrement dit, la réformatrice ; notre diablesse huguenote avoue qu’elle n’est autre que Proserpine1, déesse des enfers. Cette œuvre va susciter peu après 1540 une réplique protestante, nommée justement la Réformeresse, toujours sur le même modèle et avec des rôles équivalents. J’ignore si cette guerre de religion à coups de sotties a généré d’autres ripostes.

Les auteurs et interprètes des Povres deables sont les Conards de Rouen2, dont tous les Rouennais qui avaient quelque chose à cacher redoutaient les sarcasmes publics.

Source : Manuscrit La Vallière, nº 16.

Structure : Rimes plates. Beaucoup de rimes sont groupées par 3 ou par 4, ce qui révèle des ajouts ultérieurs.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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Farce nouvelle

À sept personnages, c’est assavoir :

       LA  RÉFORMERESSE  [Proserpine]

       LE  SERGENT  [Proserpin] 3

       LE  PREBSTRE

       L’AVOCAT 4

       LA  FILLE  ESGARÉE 5

       L’AMOUREUX  VÉROLLÉ 6

       et  LE  MOYNNE

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                         LA  FARCE  DES  POVRES  DEABLES

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                        LA  RÉFORMERESSE  commence 7    SCÈNE  I

        « À bien [parlar, bien besongnar]8 »,

        Dict l’Auvergnat Jehan de Souessons9.

        En ce lieu veulx monstrer mon ard,

        Dire ma harengue et raisons,

5      Et10 faire cent comparaisons.

        Et des autres sérimonye[s]11,

        J’en laisse à ma seur Symonye12,

        À son degré, d’en usurper13.

        Mais moy, je me veux acointer

10    (Selon ma reigle et mon compas)

        À réformer gens, et non pas

        Les bien vivans14 : en leur[s] estas15,

        Je n’y touch[e]. Mais un grand tas

        De razés, tondus et barbus16 :

15    Je veux qu’i me facent tribus17,

        Car congnoys18 que sur tous on prend,

        Et invention on aprend

        De ronger, mordre, d’afiner19,

        Enfondrer, abastre et myner,

20    Et du tout20 bouter en ruÿne

        Pour nourir ma mère Propine21,

        Aussy ma seur et ma cousine22,

        Et moy, donc, qui suys Proserpine,

        Nourisse du grand Astarot23.

25    Mes chevaulx et mon charïot24

        Ne seront poinct entretenus ?

        Je veulx, moy, qu’i ne passe nus25

        De ceulx qui me doyvent hommage

        Qu’i ne m’aportent mon havage26.

30    Où est27 Proserpin, mon sergent ?

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        A[s-]tu pas esté diligent                                             SCÈNE  II

        Faire, ce jourd’uy, mes contrainctes28

        Pour avoir des décimes mainctes29 ?

        Mes30 rentes, mes droictz, mes aveux

35    Des grans et des petis reveux31 :

        As-tu faict tes sommations ?

                        LE  SERGENT

        J’en ay bien cent relations32,

        Et autant de prinses de corps33.

        Tenez, vouez-en cy34 les recors ;

40    Faictes-en ce qu’il vous plaira.

        S’on veult, on les apèlera :

        Je les ay ajournés à ban35,

        Les mal espargneurs36 de Rouen.

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        Follés mal complétionnés37,                                      SCÈNE  III

45    Je vous sommes que vous venez

        Aporter à l’eure présente

        Vostre d[éc]isme et vostre rente

        À Proserpine, la déesse

        D’enfer, d’Astarot la mêtresse !

50    El(le) tient aujourd’uy ses jours haulx38 :

        Comparez-y sans nus défaulx39

        Sur paine d’estre en forfaicture40 !

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                        LE  PREBSTRE 41                                 SCÈNE  IV

        Je me veulx mectre à l’avanture

        D’esviter l’inconvénient42.

55    Hélas ! j’ay esté sy [fay]nient43

        Que je n’ay disme ne c[h]ampart44

        Pour luy aporter, pour sa part,

        Du droict qu’el dict sur nous avoir45.

        Puys donc qu’el46 nous faict assavoir

60    Que ce jour d’uy el nous réforme,

        J’ey bien craincte qu’el ne m’assomme.

        Chascun y plaidera sa cause.

        Je m’y en voys47 sans faire pause ;

        Le premyer seray eschauldé48.

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65    Monssieur, vous nous avez mandé,                            SCÈNE  V

        Sommé, et partout49 faict les cris

        Que nous aportons les escrips,

        Comptes, quictances et descharges

        De ce que50 nous avons les charges.

70    Mais je ne m’ose présenter,

        Car je n’ay de quoy contenter51

        Vous ne la Mêtresse haultaine52.

                        LE  SERGENT

        Mon amy, elle est sy haultaine,

        Sy colère, que c’est pityé !

75    Sans le tiers ou sans la moytié,

        El sera de vous mal contente.

.

        Ma  Dame, vouécy53 qui se présente,                        SCÈNE  VI

        Craintif, honteux et mal en ordre.

                        LA  RÉFORMERESSE

        Et pourquoy ?

                        LE  SERGENT

                                 Il y a désordre

80    À luy, en venant ad ordos 54.

                        LA  RÉFORMERESSE

        Quel estat ?

                        LE  SERGENT

                             Povre sacerdos 55,

        Povre prebstre peu prébendé56,

        De vertu assez mal bendé57.

        Y vous requiert, Dame honorable,

85    Congneu58 qu’il est un povre deable,

        Que luy donnez encor un terme59.

                        LA  RÉFORMERESSE

        Lève la main et parle ferme ;

        Jure : diras-tu vérité ?

                        LE  PREBSTRE

        Et ! ouy, par ma virginité60 !

                        LE  SERGENT

90    Sans faire sy haultain serment,

        Demandez-luy par exament61

        S’il a poinct crainct sa consience

        D’aler plusieurs foys, au dimence62,

        À Sainct-Mor ou à Bansecours63

95    Chanter64, puys revenir le cours,

        Le hault trot65, à Bonne-Nouvelle

        Pour dire messe solennelle,

        Prenant argent [ab utroque]66.

                        LA  RÉFORMERESSE

        Jure-moy : as-tu pratiqué

100  Deulx paymens pour une journée ?

                        LE  PREBSTRE

        Et ! ouy bien.67

                        LE  SERGENT

                                  [Pour une tournée]68,

        Y n’est despesché qu’au matin…

        Ma Dame, yl est bon deablotin.

                        LA  RÉFORMERESSE

        Deablotin ? Mais69 deable parfaict !

105  Et de ce gaing, qu’en as-tu faict ?

        Çà,  ma droicture, pour l’usurfruict70 !

                        LE  SERGENT

        Qu’il71 en a faict ? Il a tout frist :

        Vous voyez qu’i n’a [plus] que frire72.

                        LE  PREBSTRE

        Je penseray myeulx me conduyre,

110  Se Dieu plaist, ma Dame, mèsouen73.

                        LA  RÉFORMERESSE

        Et quoy ! les prebstres de Rouen

        Font-y euvres sy exécrables ?

                        LE  SERGENT

        Il y a de bons povres deables.

        Cestuy-cy [il] ne fault casser74 ;

115  Plaise-vous le laisser passer.

        Vérité dict, s’on luy demande.

                        LA  RÉFORMERESSE

        Va, et revient[s] mais qu’on te mande75 !

.

                        L’AVOCAT 76                                          SCÈNE  VII

        Puysque ma Dame le commande,

        Hélas, à Dieu je me commande77,

120  Tant je doubte78 cest exament.

        En amende seray bien grande79,

        Se n’y voy80 personnellement.

        Ce jour, me fault estre honteux,

        Et confesser publiquement

125  Ma turpitude devant eux.

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                        LE  SERGENT                                        SCÈNE  VIII

        Vouécy qui vault quatre foys myeux !

        Ma Dame, tendez vostre bource,

        Car c’est de finence81 la source.

        Qu’i soyt de par vous réformé !

130  Pas ne fault qu’i soyt réformé82,

        Quoyqu’i semble mélencolique.

                        LA  RÉFORMERESSE

        De quel estat ?

                        L’AVOCAT

                                 D’art de pratique83 :

        Je suys povre praticien.

                        LA  RÉFORMERESSE

        Et ! comment ? On dict qu’à Rouen,

135  Ilz ont pécunes84 innombrables.

                        LE  SERGENT

        Yl y a de bons povres deables

        Qui n’ont pas escus à mill[i]ers.

                        L’AVOCAT

        Depuys ces nouveaux conseillers,

        Autrement nommés « accesseurs85 »,

140  Les pâticiers et rostisseurs

        Ont plus gaigné que je n’ay faict.

                        LA  RÉFORMERESSE

        [Or,] racompte-moy par effaict

        [Où est] ce que tu as tant gaigné

        [Dans] le temps qu’as tant espargné.

145  Communique-le-moy par rolle86.

                        L’AVOCAT

        Je n’ay gaigné que la vérolle87,

        Ny espargné que des ulcères

        Et des goustes qui sont faulcères88.

        Mon parler est tout véritable.

                        LE  SERGENT

150  Laissez passer le povre deable,

        Par ma foy ! J’ay pityé de luy.

                        LA  RÉFORMERESSE

        Et  je n’aray donc droict de nuly89 ?

        À ce compte, je pers mon temps.

                        L’AVOCAT

        Réformeresse, je prétemps,

155  Devant qu’i soyt troys moys passés90,

        Que des tribus arez assez91 :

        La pratique sera plus grande92.

                        LA  RÉFORMERESSE

        Va, et revient[s] mais qu’on te mande !

                        LE  SERGENT 93

        Soys-moy un petit plus pillard !

160  Ayme94 les chiens, ayme le lard.

        Pren-moy argent de ta partye95 ;

        Sytost qu’elle sera partye,

        Va-moy signer le faict contraire96.

        Petit et grand pouras atraire.

165  Ne congnoys parens ne germains97 :

        Pren-moy argent de toutes mains98

        Et me le serre de tes mains.

        Faictz-toy envoyer galons99 plains.

        Ne semons cousins, entens-tu ?

170  Par ce poinct pratiqueras-tu.100

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                        LA  FILLE  ESGARÉE  entre 101.         SCÈNE  IX

        J’ey entendu par estatu102

        Qu’i fault que je soys réformée.

        Pour nyen103 ay grande renommée

        Et le bruict d’estre fort mondaine :

175  Jamais ne vis ma bource plaine

        Que l’endemain el104 ne fût vide.

        Je pence bien, moy, et sy cuyde

        Qu’on parlera bien à mes bestes105 !

        J’ey bien faict à d’aultres leurs restes106 ;

180  Mais icy, y fault que j’aquiesse.

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                        LE  SERGENT                                         SCÈNE  X

        A ! vouécy quelque bonne pièce

        Qui vient pour avoir son absoulte.

        Hau ! ma Dame, [n’]oyez-vous gouste ?

        Parlez à ceste créasture.

185  Pensez qu’el a vostre droicture

        Dedens son mouchoueur amassé107.

                        LA  FILLE  [ESGARÉE]

        Tost gaigné et tost despencé,

        C’est l’estatu108 d’entre nos seurs.

        Puys un an, les frères Fesseurs109,

190  Y ne nous ont guère enrichys ;

        Le temps les a tant enchichys110

        Que la celle qui le myeux double111

        N’a pas vaillant un rouge double112,

        Tant [soyt plaine]113 d’abilité.

                        LA  RÉFORMERESSE

195  Viens çà ! Dy-moy la vérité :

        De quel estat est ta pratique ?

                        LA  FILLE  [ESGARÉE]

        De la religion publique,

        Observantine de Cuissy114.

                        LA  RÉFORMERESSE

        Le droict m’en est eschu aussy :

200  Çà,  ma disme, sans jouer finesse !

                        LE  SERGENT

        Je croy que la povre deablesse

        N’en a pas, Dame, grandement.

        Demandez-luy par exament

        Et par la « foy » qu’elle soutient

205  La [cause vraye]115 à quoy y tient

        Que leur gaigne ne vault plus rien.

                        LA  FILLE  [ESGARÉE]

        Ma foy, je le vous diray bien,

        [Car ceste cause est trop congneue :]116

        Ma Dame, y n’y a guère rue

210  Où y n’y ayt des seurs segrètes117.

        Cela retarde que nos debtes

        Ne sont bien pay[é]es en temps dû.

                        LA  RÉFORMERESSE 118

        N’a-y pas esté deffendu

        — Et par l’estatu de Justice —

215  Que chascun[e], endroict soy119, sortisse ?

        Et se retire au grand Couvent120 ?

                        LA  FILLE  [ESGARÉE]

        Les commandeurs121, le plus souvent,

        Eux-mesmes les vont visiter,

        Recourir122 et soliciter.

220  Voy(e)là de quoy je me mutine.

                        LE  SERGENT

        Je t’en croy, povre deablotine.

        Ma foy, tu as bon cœur, o, va !

        Jamais la pye qui te couva123

        Ne fut brullée de feu grégoys124.

                        LA  FILLE  [ESGARÉE]

225  Les moynes et filz de bou[r]goys,

        Les sergens et gens de pratique125

        Les vont vouèr jusqu(e) à leur boutique,

        Au souèr, et faire leur tripot126.

                        LE  SERGENT

        Il y vont à « muche ten pot127 »,

230  De peur qu’i n’y ayt trop grand presse.

        Et,  passe, passe, povre deablesse :

        Va-t’en avec les deabloteaux.128

.

                        L’AMOUREUX  VÉROLLÉ  entre.      SCÈNE  XI

        En quelques paines et travaulx129

        Que j’aille, présenter me fault130,

235  [Ou je seray mys en défault.]131

        Avez-vous tous ratiffyé132 ?

        Prest je suys et édiffyé,

        Sans sou133, sans targe et sans escu,

        Quoyque le tiers du nez [m’est] cu134,

240  De me vouloir examyner.

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                        LE  SERGENT                                        SCÈNE  XII

        Vous ne povez plus chemyner

        Sans avoir le baston au poing ?

                        LE  VÉROLÉ

        Aussy en ay-ge bon135 besoing.

                        LA  RÉFORMERESSE

        Quel estat est le malureux136

245  Qui a ce mal entre deulx yeux137,

        Qui faict tant de gémissemens ?

                        LE  VÉROLÉ

        Sondeur suys de « bas instrumens138 »,

        En amours vray chevalereux.

                        LE  SERGENT

        Yl est du mestier d’amoureux,

250  Je l’entens sans c’un seul mot tousse139.

                        LA  RÉFORMERESSE

        Je n’ay pas assez grande bourse

        Pour la di[xie]sme140 en recepvoir.

                        LE  VÉROLÉ

        Le deable y puisse part avoir,

        À la d[ixi]esme et à la disme !

255  Je n’y ay gaigné que la rime,

        La tous, les goustes141 nompareilles,

        Et assourdy des deulx horeilles,

        La vérolle, le mal des yeux,

        Et  la pelade (qui ne vault myeux) ;

260  J’ey tout le corps ulcéryé.

                        LE  SERGENT

        Sy tu te fusse maryé142,

        Tu n’usses pas sy bien comprins143.

                        LE  VÉROLÉ

        Je vous les quictes, pour le pris144 :

        Maudictz souent145 les troux dangereux !

                        LA  RÉFORMERESSE

265  Çà,  çà, la dîme des amoureux !

        Y as-tu nus biens conquestés146 ?

                        LE  VÉROLÉ

        Je n’ay gaigné que des postés147

        D’eau[e] puante et infectée

        Qu’on m’a sur la teste gectée148

270  Quant j’en revenoys, au matin.

        C’est le profit et le butin

        Que g’y ay eu, Dame honorable.

                        LE  SERGENT

        Laissez passer le povre deable :

        Payment ne luy fault, ne sucite149.

275  Vous ouez150 bien qu’i vous récite

        Ses douleurs, qui sont incurables.

                        LA  RÉFORMERESSE

        Et  qu’ai-ge affaire des povres deables

        Quant, pour tous mes droictz, je n’ay riens ?

                        LE  SERGENT

        Allez faire prendre leurs biens,

280  Et les portez à la Vieutour151 !

        Et ne faictes poinct de séjour152 :

        Je prétens mes153 rentes avoir.

        Et sans personne ne décepvoir154,

        Faictes-les vendre sans raquict155.

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                        LE  MOYNNE  entre.                              SCÈNE  XIII

285  Or n’ai-ge méreau ny aquict156

        Pour ceste Dame contenter.

        Sy fault-y bien me présenter

        Pour vouèr ma réformation.

        Je doubte ma perdicion157,

290  Puysque je n’ay poinct, d’avanture,

        Argent pour sa réformature.158

.

        Sire qu’on doibt sur tous aymer159 :                          SCÈNE  XIV

        S’y vous plaist, faictes réformer

        Ceste petite créature

295  Qui vient vers vous à l’avanture,

        Mon seigneur, d’une Prieuré

        Où je n’ay guères demouré :

        Mon froc ay gecté aux ortys.

                        LE  SERGENT

        Et pourquoy ?

                        LE  MOYNNE

                               A,  je vous avertys :

300  Nostre baillif supérieur,

        Nostre prieur et souprieur

        Nous deffendent de nous galer,

        De rien vouèr, d’oÿr160, de parler,

        De menger chèr, ne chault pouesson161,

305  De boyre de nule bouesson

        Sur paines de leurs dis[c]iplines162.

        Mais  eux, avant que dire matines,

        Leurs lessons et leur oresmus163,

        Ilz faisouent tous gaudéamus164.

310  Ma Dame, entendre vous debvez

        Qu’ilz estouent sy très despravés

        Que gensderme[r]aux, ne rustiques165,

        Charetiers ne gens mécaniques166

        Ne voudroyent blasphesmer Dieu

315  Ainsy comme y font ! En ce lieu,

        Ilz ont chambres toutes propices,

        Femmes segrètes et nouriches167.

        Y jouent aux cartes et aux dés,

        Aux jeux deffendus iludés168.

320  Mes parolles je tiens certaines.

                        LE  SERGENT

        Et ! vouélà bons deables de moynnes !

                        LA  RÉFORMERESSE

        Et luy, moynnerot renoncé169.

                        LE  MOYNNE

        De ce que vous ay anoncé,

        Plaise-vous mon a[b]soulte170 en faire !

                        LA  RÉFORMERESSE

325  Çà, argent !

                        LE  SERGENT

                             Ma Dame, il espoire,

        Quelque [beau] jour, qu’il en aura ;

        Le deablotin en forgera,

        Et puys y fera son debvoir171.

                        LA  RÉFORMERESSE

        Ce jour172, je vous faictz assavoir

330  Qu’entre vous tous, mal espargneurs,

        Vérolés, gouteurs et rongneurs173,

        Filles publiques, prestres hâtis174,

        Sur paine d’estre mys captis175,

        Que le moys qui ne fauldra poinct

335  L’on me mecte mon droict apoinct176 !

        Un mot compteray177 sur ce poinct :

        « Tel veult que tousjours on luy donne

        Qui jamais ne veult rien donner.

        Tel demande qu’on luy pardonne

340  Qui ne veult jamais pardonner.

        Tel semble estre bonne personne

        Qui est un très mauvais pinard178.

        Tel [fait du simple et]179 mot ne sonne,

        Qui est un très rusé180 regnard. »

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345  Je prye à tout plaisant Conard

        Qu’il ayt mémoyre, mèsouen181,

        Et aucune foys le regard182

        Aux povres deables de Rouen.

        En prenant congé de ce lieu,

350  Une chanson pour dire adieu ! 183

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                                               FINIS

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1 On rencontre Proserpine dans la farce du Munyer et dans de nombreux Mystères.   2 Voir la thèse non éditée de Michel ROUSSE : La Confrérie des Conards de Rouen. Textes de farces, documents d’archives. 1983, pp. 119-134.   3 Ce diablotin n’a pas la fibre assez diabolique pour être percepteur : il est toujours du côté des contribuables.   4 LV : le praticien  (Toutes ses rubriques portent lauocat. Les rubriques sont de l’auteur, ce qui n’est pas toujours le cas de l’index personæ.)   5 LV : desbauchee  (Sa 1ère rubrique porte esgaree.)  Cf. la Fille esgarée.   6 LV : lamant verole  (Sa 1ère rubrique porte lamoureux verolle.)   7 LV ajoute trop tard : et se nomme la farce des poures deables  (J’ai remis ce titre à la place que la tradition lui a dévolue.)   8 LV : parlat bien besongnat  (À bien parler, bien besogner. Ce prétendu patois auvergnat contredit « l’adage italien : Poco parlar & ben besognar. » Le Nouveau Panurge.)   9 LV : souesons  (Bel exemple de l’humour potache des Conards : Soissons n’est pas en Auvergne, l’Auvergne n’est pas la Normandie, et le patois auvergnat n’est pas l’italien.)  Le seul Jean de Soissons dont on aurait pu se souvenir à l’époque est un ancien chambellan du duc de Bourgogne, qui avait trahi son maître en 1471 après avoir bien parlementé et mal besogné. Mais il n’était pas auvergnat.   10 LV : de   11 Des cérémonies catholiques.   12 C’est une conseillère du pape dans la moralité de l’Homme obstiné, de Pierre Gringore. Il est encore question de cette sœur papelarde au vers 22.   13 En user selon son rang. Double sens du verbe usurper.   14 Ceux qui ont une vie édifiante.   15 À leur statut. Idem vers 81, 132, 196, 244.   16 Les rasés sont les ecclésiastiques (vers 82), les tondus sont les fous (vers 44), les barbus sont les amoureux (vers 249).   17 Qu’ils me versent un tribut, une dîme. Idem vers 156.   18 LV : congneu  (Car je sais.)   19 De tromper.   20 Totalement.   21 Pot-de-vin qu’on offre à un ecclésiastique de haut rang pour obtenir un passe-droit. Cf. Saincte-Caquette, vers 40 et note. « Une nouvelle forme d’exaccions de peccune qu’ilz appellent propines, ou don fait au pape. » ATILF.   22 Simonie (vers 7) et Hypocrisie.   23 Aux vers 48-49, Proserpine est présentée comme la maîtresse d’Astaroth ce qui, vu la mentalité des diables, n’est pas incompatible.   24 Michel Rousse (p. 119) fait un lien entre cet attelage et celui de l’abbé des Conards.   25 Nuls, aucun. Idem vers 51 et 266.   26 Sans qu’ils ne m’apportent la part qui me revient sur certaines marchandises.   27 LV : es tu   28 Mes mandements officiels.   29 Maintes dîmes.   30 LV : mais  (Les droits sont une redevance, comme aux vers 199, 278 et 335. Les aveux sont des actes de soumission.)   31 Je veux à nouveau. « L’autre se reveut déporter. » ATILF.   32 Rapports écrits.   33 De prises de corps, d’arrestations.   34 LV : vouesency  (Voyez-en ici les témoins.)  Proserpin montre les cinq pauvres diables, qui restent craintivement à l’écart.   35 Je les ai assignés. Cf. Jehan de Lagny, vers 83.   36 Les mauvais épargnants. Idem vers 330. On reproche à nos pauvres diables de ne pas savoir mettre de côté l’argent qu’ils gagnent.   37 Follets mal bâtis. « Povres mal complexionnés. » La Cène des dieux, T 17.   38 Ses grands jours : ses assises extraordinaires. « Par-devant l’abbé des Cornards, en ses grans jours tenuz à Rouen. » 53ème Arrest d’amours.   39 Comparaissez-y sans faire nulle défection.   40 Sous peine d’être soumis à une amende forfaitaire. « Toutes les amendes et forfaitures. » ATILF.   41 Il est encore à l’autre bout de la scène, avec ses compagnons d’infortune.   42 Je vais prendre le risque d’éviter l’inconvénient d’être mis à l’amende.   43 Fainéant. « Attourné de Gaultier Fait-nyent. » Le Testament Pathelin.   44 Droit qu’avait un seigneur de prélever une part des récoltes. « Sans laissier disme ne champart. » ATILF.   45 Qu’elle prétend avoir sur nous.   46 Donc, puisqu’elle.   47 Je vais à elle. Idem vers 122.   48 Les diables, dont Proserpine fait partie, échaudent [font bouillir] les âmes des pécheurs. On échaude également les volailles — et les hommes — pour mieux les plumer : cf. la Pippée, vers 854. Le prêtre se dirige vers la réformeresse, mais Proserpin l’intercepte.   49 LV : par vous  (Les Conards de Rouen ne manquaient pas de faire leurs Cris publics avant chacune de leurs manifestations.)   50 De ce dont.   51 LV : contempter  (Orthographe correcte au v. 286.)   52 Élevée, noble. À la rime, ce mot a le sens actuel de « orgueilleuse ».   53 Voici quelqu’un. Idem vers 126.   54 À vos ordres. Jeu de mots sur l’Ordre de prêtrise.   55 Prêtre.   56 Touchant une faible prébende, un revenu ecclésiastique modeste.   57 Armé.   58 Connu : étant considéré.   59 Une date plus lointaine pour qu’il économise de quoi vous payer sa dîme.   60 Voilà un serment qui n’engageait pas beaucoup un prêtre ! Cf. les Bélistres, vers 289.   61 Par examen : en l’interrogeant. La rime est en -ment, comme au vers 120, et au vers 203, lequel est d’ailleurs identique à celui-ci.   62 Le dimanche. C’est une forme normande : cf. le Sourd, son Varlet et l’Yverongne, vers 8.   63 Saint-Maur, déformation de « saints Morts », était la chapelle d’un cimetière de Rouen. Bansecours est le nom populaire de l’ancienne église de Bonsecours. « Moy, sy je vays à Bansecours. » Le Trocheur de maris.   64 Dire la messe.   65 Revenir au galop. Le prieuré dont l’église Bonne-Nouvelle faisait partie hébergeait l’Abbaye des Conards. Les protestants l’ont quasiment détruit en 1562.   66 LV : a putroque  (De l’une et de l’autre de ces églises.)   67 LV fait ensuite répéter au prêtre la fin du v. 100 et le v. 102 : pour une journee / y nest despesche quaumatin   68 Voir la note précédente. En enchaînant toutes ces messes, le prêtre n’est libre que le lendemain matin.   69 Plutôt.   70 La droiture est une redevance, comme au vers 185. L’usufruit est la jouissance d’un bien qu’on ne possède pas.   71 Ce qu’il.   72 Qu’il n’a plus rien à mettre dans sa poêle. « Il n’a plus que frire. » Le Dorellot.   73 LV : messouen  (Désormais. Orthographe correcte au vers 346.)   74 Accabler.   75 Si je t’appelle. (Même vers que 158.) Le prêtre rejoint les pauvres diables, parmi lesquels l’avocat, qui monologue avant d’aller plaider sa cause.   76 LV répète dessous le vers 53, mais sans rime correspondante.   77 Je me recommande.   78 Je redoute. Idem vers 289.   79 Je serai soumis à une bien grosse amende.   80 Si je n’y vais.   81 LV : cience  (Car cet avocat est pour nous une source de gains. « Les finances y habondoient comme sourse d’eaue vive. » Alain Chartier.)   82 LV : diffame  (Exempté. À la rime, le sens était : converti à la religion réformée.)   83 De justice.   84 Des rentrées d’argent. Cf. la Mère de ville, vers 192.   85 Les assesseurs sont des juges auxiliaires.   86 Par écrit.   87 Voici donc un premier syphilitique, en attendant l’Amoureux vérolé. La syphilis, surnommée « la gorre de Rouen », entretient une relation privilégiée avec « la ville de Rouen, capitalle de Normandye, où elle a bien faict des siennes…. Sur toutes villes de renom/ Où l’on tient d’amour bonne guyse,/ Midieux, Rouen porte le nom/ De bien véroller marchandise. » (Le Triumphe de dame Vérolle.) Un proverbe entérine cette proximité : « Il n’est crotte que de Paris,/ Ne vérolle que de Rouen. » (Clément Marot.)   88 La goutte, qui est sournoise. Dessous, le scribe a copié puis biffé le vers 260.   89 Je ne percevrai une redevance de personne ?   90 Avant trois mois.   91 Que vous aurez assez de tributs, de versements.   92 Il y aura encore plus d’avocats. Le vieux Rouennais du Tesmoing  s’ébahit de leur prolifération : « J’ey veu qu’i n’estoyt advocas/ Que deulx ou troys, en ceste ville. »   93 LV ajoute dessous des interjections d’acteur : vienca vienca   94 LV : hayt  (Ménage la chèvre et le chou : mets-toi d’accord avec ton client et avec son adversaire.)   95 De la partie adverse, en l’absence de ton client.   96 Affirme qu’elle ne t’a rien donné.   97 Ne ménage ni tes parents, ni tes cousins.   98 De tous les côtés.   99 Des gallons : des pots de vin, dans tous les sens du terme.   100 L’avocat rejoint les pauvres diables.   101 En jargon théâtral, ce verbe signifie : commence à parler. Idem aux rubriques des vers 233 et 285. Toujours au milieu des pauvres diables, la prostituée se lamente sur ce qui va lui arriver.   102 Par décision statutaire. Idem vers 214. Cf. les Drois de la Porte Bodés, vers 319 et 368.   103 Pour néant, pour rien. Voir le v. 55.   104 LV : quel  (« L’endemain, que fist le varlet ? » Beaucop-veoir et Joyeulx-soudain.)   105 Qu’on va me secouer les puces. Souvenir de la Farce de Pathelin : « Il cuide parler à ses bestes. »   106 La figue. « Ung homme courageux/ Qui luy fera et la reste et la figue. » Godefroy.   107 Elle porte l’argent de votre redevance dans son mouchoir noué. « Vous est-il point advis que j’aye/ En mon beau mouchouèr monnoye ? » Les Botines Gaultier.   108 La règle.   109 LV : feseurs  (Depuis un an, les frères Frapparts.)  Ces confesseurs étaient surtout des fesseurs de cons : cf. le Pardonneur, vers 10.   110 Rendus chiches, avares. Ce mot est absent des dictionnaires parce que la déplorable édition de 1837 a omis le vers où il apparaît.   111 LV : houble  (Fait preuve de « doubleté », de duplicité. « Se j’avoye beaucoup doublé,/ Je seray riche marchant. » Ung Fol changant divers propos.)   112 Un traître sou.   113 LV : soyent y plaines  (Correction Rousse.)  Tant soit-elle pleine d’habileté. « Je ne hante femme ne fille,/ Tant soit plaine de bon con fort,/ Qui ne culette bien et fort. » Roger de Collerye.   114 Une religieuse est une prostituée : « Et démener vie joyeuse/ Avecq une religieuse/ Du “bas mestier”. » (Jacques Grévin.) À cause de son nom, l’abbaye de Cuissy, près de Laon, n’était pas prise au sérieux ; cf. le Tournoy amoureux, vers 5.   115 LV : faulte ou  (« Vous cognoissez bien/ L’occasion de mon mal et mon bien,/ Et de tous deux estes la cause vraye. » Ronsard.)   116 Vers manquant.   117 Des sœurs secrètes. Ces prostituées occasionnelles, qui sont en général des bourgeoises mariées, font une concurrence déloyale aux honnêtes professionnelles.   118 LV ajoute dessous : et comment   119 En ce qui la concerne. Cf. Pates-ouaintes, vers 36.   120 Et qu’elle fasse plutôt retraite à l’abbaye de Cuissy, ou à l’abbaye des Conards. Un couvent est un bordel : « Du couvent de Serre-Fessier. » Les Sotz qui remetent en point Bon Temps.   121 Les dignitaires de l’abbaye.   122 LV : recouurir  (Avoir recours à leurs talents.)   123 Les pauvres d’esprit naissent dans des œufs couvés par une pie. Cf. Ung Mary jaloux, vers 23.   124 Le feu grégeois, sorte de bombe incendiaire, symbolise la flamme amoureuse. Cf. le Povre Jouhan, vers 133.   125 LV : justice  (Voir le v. 132.)   126 Le soir, et faire leurs tripotages. Cf. Grant Gosier, vers 49.   127 Cache ton pot. Cette expression normande signifie « à la dérobée », comme quand on se dissimule pour boire. « Quand ils avaient bien endormy Tiennot,/ De sidre et de bon vin ils se lavaient la trippe,/ En drière de ly [en cachette de lui], et à muche ten pot. » La Muse normande.   128 La prostituée retourne auprès des pauvres diables, et le vérolé, s’appuyant sur une canne, leur parle avant de clopiner vers la réformeresse.   129 Et douleurs.   130 Il faut que je me présente devant la réformeresse.   131 Vers manquant. Ou je serai condamné par contumace ; voir le v. 51. « Ou mises seront en deffault,/ S’ilz ne viennent appertement ! » Le Testament Pathelin.   132 Vous êtes-vous mis en règle ?   133 LV : soubt  (La targe est une monnaie : cf. Gautier et Martin, vers 331.)   134 A chu. Prononciation normande : « Quand je cuz par terre,/ Je n’avets oncor beu qu’environ demion d’yau (…),/ Et ch’est che qui me fit tribucher coume un viau…./ Je cus, et me rompis dix dens. » (La Muse normande.) La syphilis pouvait faire choir le nez : « Son nez boutonné [boutonneux],/ Prest à tomber, par fortune,/ De la vérole importune. » (Complainte de messire Pierre Liset sur le trespas de son feu nez.)   135 LV : seigneur  (Tel que je le corrige, c’est le vers 138 des Frans-archiers qui vont à Naples.)   136 À quel statut appartient ce malheureux.   137 Qui a un trou à la place du nez : note 134. Les maquillages imitant des maladies ou des blessures étaient aussi bien connus des acteurs que des faux mendiants.   138 De vulves. Cf. les Sotz qui remetent en point Bon Temps, vers 40 et note.   139 Il ne prononce. Double sens : le syphilitique tousse vraiment, comme il le reconnaît au vers 256.   140 Étymologiquement, la dîme, ou la décime, désigne un prélèvement de la dixième partie d’un tout. « Paier dixiesme et autres subsides au pape. » ATILF.   141 Le rhume, la toux et la goutte. « La rime ou la tous. » ATILF.   142 Au lieu de courir la gueuse.   143 Tu n’aurais pas si facilement pris le con des femmes. Gratien Du Pont dit à propos des syphilitiques : « Il y a maintz (dont je suis des compris)/ Qui de grans maulx ilz ont, par le con, pris. »   144 Je vous laisse les cons, à ce prix.   145 Soient. « Pour avoir la grosse vérolle (…),/ Le danger est loger aux troux. » La Médecine de maistre Grimache.   146 N’y as-tu conquis nuls biens ?   147 Des potées : le contenu des pots de chambre.   148 Jetée. « Trois potz à pisser, pour le moins,/ Que sur ma teste on a casséz. » Marot.   149 Ni subside à payer.   150 LV : oues  (Vous oyez bien, vous entendez.)   151 Allez les vendre aux Halles installées sur la place de la Haute-Vieille-Tour. « Au lieu qui s’appelle la Viétour, qui contient le marché public. » Charles de Bourgueville.   152 Ne tardez pas.   153 LV : mais   154 Sans escroquer personne.   155 Sans les racheter. Le vérolé rejoint les pauvres diables, et le moine soliloque en attendant son tour.   156 Je n’ai ni jeton, ni quittance de paiement.   157 Je redoute ma perte.   158 Le moine se dirige vers la réformeresse. Intercepté par Proserpin, il tente de le flatter.   159 Qu’on doit aimer par-dessus tous.   160 De nous amuser, de voir ou d’entendre quoi que ce soit.   161 De la chair, ni du poisson en sauce, lequel est réservé aux dignitaires du couvent ; les simples moines, lors des jours maigres, se contentent de hareng saur tout froid.   162 Sous peine de recevoir des coups de martinet.   163 Leurs lectures de la Bible et leur Orémus.   164 Ils faisaient bombance. Cf. Gautier et Martin, vers 157.   165 Que des soudards, ou des paysans. Cf. la Mère de ville, vers 224.   166 Ou des travailleurs manuels. Cf. la Fille bastelierre, vers 64.   167 Des femmes cachées, et des nourrices pour allaiter leurs enfants.   168 Ils sont illusionnés par les jeux. « Vostre maistre n’estoit illudé ; c’est vous qui avez illudé le nostre et nous faites des illusions. » Huguet.   169 Moinillon défroqué.   170 M’absoudre de payer. Graphie correcte au vers 182.   171 Il vous paiera avec de la fausse monnaie.   172 Aujourd’hui. La réformeresse parle aux pauvres diables.   173 Goutteux et rogneux [galeux].   174 Hâtifs, impulsifs.   175 En captivité.   176 Qu’on me paye mes droits.   177 Conter un mot = faire une citation. En effet, les vers 337-344 sont empruntés aux Fainctes du monde, composées par Guillaume Alécis vers 1460, et dont venaient de paraître deux éditions en 1532.   178 Scélérat. Cf. les Coquins, vers 15, 201 et 305.   179 Je donne l’original d’Alécis. LV : est fin qui   180 LV : russe  (Alécis : ung affaictié = un renard hypocrite.)  La séduisante hypothèse de M. Rousse à propos dudit Renard, qui serait le nom de l’abbé des Conards, ne tient pas compte du fait que ce vers fut écrit 80 ans avant la pièce. Mais le dramaturge a peut-être choisi cette strophe des Fainctes du monde parce qu’il y était question d’un renard.   181 Qu’il se souvienne désormais de régler sa cotisation à l’Abbé.   182 Et qu’il porte quelquefois son attention.   183 Ce congé n’est qu’une péroraison personnelle du copiste du ms. La Vallière : voir la note 179 de la Mère de ville.

L’ARBALESTRE

Manuscrit La Vallière

Manuscrit La Vallière

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L’ARBALESTRE

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Cette farce normande des années 1510 montre une scène de ménage entre une femme aux prétentions intellectuelles, et son mari (joué par un Badin) qui prend toutes les expressions au pied de la lettre et n’a aucun sens du second degré.

Source : Manuscrit La Vallière, nº 7. Un correcteur est intervenu sur le manuscrit longtemps après le copiste, parfois judicieusement mais pas toujours. Voir la notice du Raporteur. Je m’en tiens au texte original chaque fois qu’il est acceptable.

Structure : Rimes plates.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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Farce  nouvelle

à  deulx  personnages

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C’est assavoir :

       L’HOMME

       Et  LA  FEMME  [sage Sibile]

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                     Et  est  la  Farce  de  l’Arbalestre

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                        LE  MARY  commence 1                       SCÈNE  I

        Je ne say qui me consila2,

        Qui mesmement me barbouila3

        De m’aler mectre en mariage.

        J’estoys, ce m’est avys, plus sage

5      Devant4 que fusses marié.

        Maintenant, je suys harié5.

        Je faulx6 tousjours à mon affaire,

        Voy(e)re dea, et ne sçay rien faire

        Qui plaise ne qui soyt utile

10    À ma femme, Sage Sébile7.

        Maryé fus à la male heure8.

        Quant je luy ris, elle me pleure ;

        Quant je [me] pleure, elle s’en rit.

        Quant je me joue, el se marit9 ;

15    Quant je me maris, el se joue.

        Quant je jou[t]e10, el[le] faict la moue.

        Quant je chante, el[le] tence et compte ;

        Quant je compte, el[le] se mescompte.

        Quant je dors, el[le] veult veiller ;

20    Quant je veille, el veult som[e]iller.

        Quant je danse, el[le] se repose ;

        Quant je repose, elle s’opose.

        Quant je veulx menger, el[le] jeusne ;

        Quant je jeusne, elle [se] desjeune.

25    Quant je faictz le sage, el se moque ;

        Quant je faictz le sot, el se toque11.

        Quant je ne faictz rien [qui soyt bien]12,

        Elle me maudict comme un chien.

        Je ne say que faire à cela,

30    Synon que je lesse tout là

        Et m’en aler à l’avanture.

                        LA  FEMME

        Qui espouse un sot de nature13

        Ne séroyt14 son plaisir avoir.

        Je le puys bien, pour moy15, sçavoir :

35    J’ay16 un sot, le plus desplaisant,

        Plus ydïot, plus mal plaisant

        Que jamais la terre en porta.

        Ne say qui son sens transporta17,

        Car il n’en a pas demy livre.

40    Pleust à Dieu qu’en fusse délivre18,

        Et jamais ne vînt à mon estre19 !

        Hélas ! quel desplaisir puisse estre

        À femme de cœur et courage

        D’avoir un sot en mariage !

45    Sage[sse] n’ayme poinct folye :

        Folye n’est que mélancollie.

        Sagesse requiert gravité ;

        Follye, folle agilité.

        Sagesse veult parler à traict20 ;

50    Folye, un fol parler atrect21.

        Et moy qui suys sage et subtille

        (Mon nom est dict « Sage Sibille »),

        Qui ay prins fol en mariage,

        Comme aurai-ge donc le courage

55    De l’aymer et luy faire chère22 ?

        Que la conjecture23 m’est chère !

        Que maudict soyt-y qui la fit !

        Y cuydoit faire mon profit,

        Mais y me fit mon dommage.

                        LE  MARY

                                                      Voire !

60    Elle me vouldra faire acroire

        Que je suys fol de droicte ligne.

        Jamais Noué24, qui fit la vigne,

        N’eust une sy belle entendoire25.

        Car je say bien l’ard de mémoyre26 ;

65    N’esse pas chose sage et bonne ?

                        LA  FEMME

        Qui vit onc sy sote personne,

        Sy fol, sy dÿot et sy nysse27 ?

        Je ne croys pas [que] du sens n’isse28 :

        Il est sot. De rien ne luy c[h]ault.

                        LE  MARY

70    Il ne luy chault soyt froid ou chault.

        Je ne say sy j’en guériray.

                        LA  FEMME 29

        Sy vous guérissez, j’en yray

        En voyage30 jusques bien loing.

                        LE  MARY

        Escoutez : il n’est pas besoing

75    Que vous y alez sans parler31 ?

                        LA  FEMME

        Non. Vous, vous n’y sariez32 aler.

                        LE  MARY

        Non pas avec vous, ce me semble :

        Car sy nous estions quatre33 ensemble,

        Nous ne gaignerions pas.

                        LA  FEMME

                                                 Allez !

80    Vous estes sot, plus n’en parlez !

                        LE  MARY

        Sy je suys fol, y me fault taire.

        Mais sy je prenoys ung cristère34

        Pour fayre vyder ma folye,

        Hen ?

                        LA  FEMME

                      [Hélas,] quel mélencolye !

85    Et ! mon Dieu, que je suys tennée35 !

                        LE  MARY 36

        Vous souvyent-il de l’autre ennée37

        Des grans neiges, que j’abatis

        Les chièvres et que combatis

        Ces marmotes de pommes cuytes ?

90    Et ! benoist Dieu, les belles truites 38 !

        [Yl estoyent]39 aussy grandes qu’anges,

        Aux « enseignes »40 que les arcanges

        Myrent le siège en Paradis,

        [Où] j’en vis entrer plus de dis,

95    Qui batirent bien un sergent41.

                        LA  FEMME

        Tenez, métez là vostre argent42 ?

        Qu’esse d’un fol ! Qu’esse d’un sot !

                        LE  MARY

        C’est un homme comme un falot43,

        Qu’on apelle « sot » quant on huche44 ;

100  Ou un Sot qui a coqueluche45,

        À qui ne chault des morfondus46,

        Autant des rés47 que des tondus.

        Esse pas bonne invention ?

                        LA  FEMME

        Avez-vous ceste intention48 ?

105  À quel fin cuydez-vous venir ?

                        LE  MARY

        À quel fin ? Joyeux me tenir,

        Mener bon temps, faire grand chère.

        Vous estes bonne ménagère49,

        J’entens assez bien ce passage.

                        LA  FEMME

110  Sy vous fault-y devenir sage

        Ou, autrement, trop je me deux50.

                        LE  MARY

        Vous l’êtes assez pour nos51 deux.

        Dict-on pas en toute saison

        Qu’i ne fault, en52 une maison,

115  C’un sage pour la faire riche ?

        Mais sy j’estoys sage, aussy siche53,

        Tout le monde s’en moqueroyt,

        Et par la rue on s’en riroyt.

                        LA  FEMME

        Vous parlez par trop folement.

                        LE  MARY

120  Et vous, aussy, sy sagement

        Que je ne vouldroys pas estre ange54.

        Au moins, s’y vient quelc’un estrange55

        Parler de sens ou de folye,

        Nous n’airons pas mélencolye56

125  De sçavoir qu’on doyve57 respondre.

        Mais qui feroyt un sage pondre58,

        Escloret-il poinct des petis ?

        J’en passeroys mes apétis59,

        Se g’y estoys.

                        LA  FEMME

                                 Jésus Maria !

130  Femme qui tel sot mary a

        Est bien comblée de douleur.

        C’est la femme d’un basteleur,

        Qu’on apelle Mal-assenée 60.

                        LE  MARY

        De Dieu soyt maudict la journée

135  Quant je vous pris61 !

                        LA  FEMME

                                            Sainct Jehan, amen62 !

                        LE  MARY

        Pour en parler tout clèrement,

        Peu s’en fault que je ne vous quicte.

        Je ne voy Jenne63 ou Marguerite

        Qui face à son mary tel noyse.

                        LA  FEMME

140  Vostre folye sy fort me poise64

        Et me vient trop contrarier.

                        LE  MARY

        Va ! Quant j’estoys à marier 65,

        J’estoys sage, ce me sembloyt :

        Car tout le monde s’assembloyt

145  Pour me venir vouèr deviser.

        Maintenant, je n’ose aviser

        Un passetemps ou quelque dance

        Q’incontinent66 on ne me tence.

        Je ne say plus que67 je doy fère.

                        LA  FEMME

150  Y fault penser à vostre affère.

        Vostre folye est descouverte.

                        LE  MARY

        Que68 deable ay-ge ?

                        LA  FEMME

                                             La teste verte69,

        Fumeuse et toute lunatique.

        Vostre teste est tropt fantastique70,

155  Y vous la fault faire mûrir.

                        LE  MARY

        Y fauldroict donques bien courir,

        Pour éviter ce danger-là ?

                        LA  FEMME

        Brief71 vous le ferez !

                        LE  MARY

                                             Et, holà !

        Faire mûrir72 ma teste, [voire] ?

                        LA  FEMME

160  Sy de cela me voulez croire,

        On vous tiendra sage personne.

                        LE  MARY

        O ! que plus mot on ne me sonne :

        Je say bien comme je feray.73

.

        Or çà ! Or, sage74 me vouéray.                                SCÈNE  II

165  Sy, je feray mûrir ma teste :

        Elle me fume, el me tempeste75,

        Ce dict ma femme. Et sy, ne say76.

        Sy m’en fault-y faire l’essay

        (Car elle a guerre acoustumée)

170  Pour apaiser ceste journée.

        Ce bonnect y me fault ôter,

        Et puys tout soudain la77 bouter

        (Affin que myeulx mon estat vaille)

        Dedens ce beau chapeau de paille,

175  Mûrir comme poyres ou pommes78.

        C’est faict. Voyons cy où nous sommes79

.

        Ma teste est mûre, maintenant.                                 SCÈNE  III

                        LA  FEMME

        Quel homme à faire un lieutenant

        Ou quelque vaillant conseiller80 !

180  C’est bien assez pour m’en aler,

        Et ! povre femme, [à la male heure]81.

                        LE  MARY

        Mais82 que ma teste soyt bien mûre,

        Sy ne la mengerez-vous pas ?

        Je croy qu’i fut faict au compas83,

185  Ce chapeau de paille de seille84.

                        LA  FEMME

        Hélas ! tant plus on luy conseil[l]e,

        Et tant plus y faict au contraire.

        Sy est-il temps de vous retraire85,

        Et ne faictes plus de la beste !

                        LE  MARY

190  N’ei-ge pas faict mûrir ma teste

        Tout ainsy que vous l’avez dict ?

                        LA  FEMME

        Nénin ! Que vous soyez maudict !

        Tout le cas ne s’entent ainsy.

        Ostez86, ostez, ostez cecy !

195  Y vous fault bien changer de meurs.

                        LE  MARY

        Je vous demande, sy je meurs

        Et que voyez ma sépulture,

        Faictes-y mectre en escripture :

        « Cy-gist Jehan le Sot, des Troys Cignes 87,

200  Qui aymoit la purée des vignes,

        Qui trespassa près d’un bary88

        Le jour au souèr qu’i fut mary89. »

        Et auprès, par façon sutille90,

        Y soyt mys : « La Sage Sibile,

205  Sa femme, qui n’est comme sote. »

        Et faictes mectre une marote

        Sur ma tombe91. Encor une foys,

        Tu le feras, se tu m’en croys.

        Et ! entendez bien mes propos ?

                        LA  FEMME

210  Je n’y entens rien ; en deulx mos,

        Vous parlez trop mieulx c’une vache.

        Je n’avoys sur moy c’une tache92,

        De quoy je suys jà indinée93.

                        [LE  MARY] 94

        Quel tache ?

                        [LA  FEMME]

                               Je n’ay poinct d’ainsnée95.

                        [LE  MARY]

215  Devant qu’entendre le sermon96,

        J’auray du sens.

                        LA  FEMME

                                     Jen97 ! ferez mon98,

        Mais que par moy on se gouverne99.

        Plus ne fault hanter la taverne,

        Mouvoir de nuict ne tracasser100 ;

220  Mais vous fault désormais passer101.

        Hostez ces habis figurés102

        Di-ge103 : sy très deffigurés

        Qu’à Dieu et monde y semble lect104.

        Maintenant, y n’ont105 un colet :

225  Tantost, y sont descoletés106,

        Haricotés, deschicotés107,

        Escartelés en maincte guise108.

        Incessamment109, on se desguise

        Sy très bien que c’est rouge rage110.

                        LE  MARY

230  Tient-y poinct111 que je suys trop sage ?

        A ! vrayment, y n’y tiendra plus :

        J’en cheviray bien112.

                        LA  FEMME

                                             Au surplus,

        Gardez bien qu’i n’y ayt que dire113.

                        LE  MARY

        Jamais ne vous entendis dire

235  Qu’abis fissent gens sages estre.

        Vous vouérez que je seray mestre

        Et sage, malgré que j’en aye.

        Mais voy(e)rement, fort je m’émaye114

        Où des beaulx habis je prendray.

240  J’en voys chercher115, et aprendray

        À estre bien sage, à ceste heure.116

.

                        LA  FEMME                                          SCÈNE  IV

        La povre femme qui demeure

        Avec un sot n’est pas contente.

        Y ne faict chose à mon entente :

245  Tout son faict est contrère au mien117.

        Et ! comment séroie-ge avoir bien ?

        Y n’est pas possible, en ce monde.

        Car sus quel propos [qu’]y se fonde118,

        Jamais au boult n’en sayt venir.

250  Qu’i fût pendu, sans revenir,

        Où est le fondateur de Romme119 !

.

                        LE  MARY 120                                       SCÈNE  V

        Je suys maintenant un sage homme.

        Contrepéter me fault-y rien121 ?

        Sens-je poinct mon homme de bien ?

255  Ouy dea, ouy ! Ne sentez-vous poinct ?

        Sibile, sui-ge bien en poinct ?

        À vostre avis, que vous en semble ?

                        LA  FEMME

        Toute douleur à moy s’assemble.

        Voyez : il est fol de nature.

260  Qui vit onc telle créature ?

        J’en ay le cerveau tout cassé.

                        LE  MARY

        C’est ung habit de tresparsé122,

        Quelque chose que voulez dire123.

                        LA  FEMME

        Y me fera mourir de rire,

265  De luy voèr sy sote manière.

                        LE  MARY 124

        Or, regardez-moy par-derière,

        Se je suys sage devenu.

        Je seray pour sage tenu,

        Et ne le cuydoys jamais estre.

270  Je suys sage sans avoir maistre ;

        Mais en vouécy bien la mêtresse.

                        LA  FEMME

        Mourir me fera de détresse,

        Car il n’entent poinct le passage125.

                        LE  MARY

        Sy cest abit ne me faict sage,

275  Je ne say plus que126 je feray.

                        LA  FEMME

        Jamais à mon gré ne seray127.

        Que le deable vous rompt la teste !

                        LE  MARY

        Or regardez, à ma requeste,

        Qu’en grand bonté128 maintenant suys.

                        LA  FEMME

280  Sy vous tairez-vous, sy je puys !

        Qu’en un gibet fussiez pendu !

        Et, dea ! aussy, j’ey entendu129 :

        « Quant y trote parmy la rue,

        Y court130, y mort, regibe et rue. »

285  Et chascun n’en faict que parler.

                        LE  MARY

        Et ! comme doi-ge donc aler ?

        Dictes, car je ne le say pas.

                        LA  FEMME

        Y vous fault marcher par compas131,

        Et, pour sagesse entretenir

290  Et une grand fasson tenir132,

        Marcher133 de plomb poisantement.

                        LE  MARY

        Par mon serment, par mon serment !

        Je suys sage homme, [ou] autant vault.

        Je say maintenant [qu’i me fault

295  Pour]134 estre sage, ne vous chaille.

                        LA  FEMME

        Y ne fera chose qui vaille.

        Que le Dieu le puisse maudire !

                        LE  MARY 135

        Qui esse qui veult contredire

        Que [je ne]136 marche pesanment ?

300  Ouy, ouy, sy très poisantement

        Que les espaules m’en font mal.

        [Et !] par mon âme, c’est grand mal137

        De marcher ainsy comme moy !

        Sibile, n’en ayez esmoy :

305  Je suys sage comme un lévrier138.

                        LA  FEMME

        Et ! Nostre Dame, quel ouvrier !

        Sortir me fera hors du sens.

                        LE  MARY

        Agardez, Sibile : je sens,

        En quelque lieu, dur comme gaulles.

                        LA  FEMME 139

310  Et en quel lieu ?

                        LE  MARY

                                    Sur mes espaules.

        Regardez !

                        LA  FEMME

                             Son sens se transporte.

                        LE  MARY

        Nostre Dame ! Ma mye, je porte

        Poisant plus de vingt-et-dis livres140.

        Alez regarder à vos livres

315  Se je suys sage devenu.

                        LA  FEMME

        Qui en a de plus sot congneu,

        Se n’est pas141 le deable d’enfer ?

                        LE  MARY

        Qui vous emporte au fons d’Enfer,

        [S’]il est assez fort pour ce faire !

320  Et, dea ! on ne séroyt rien faire

        Qui soyt à vostre gré142.

                        LA  FEMME

                                                   Gros veau !

        Or pensez qu’il est bien nouveau143,

        Lourdault et ung parfaict ânon.

        Il144 ne s’entent pas ainsy, non !

325  Y s’entent : marcher puissamment,

        Sans courir trop rebèlement

        Comme les fos de sens délivres145.

        Mais vous n’avez poinct veu les livres

        Où quelque bonne chose eslire146.

                        LE  MARY

330  Et ! sy sai-ge quasy bien lire ;

        Mais je ne congnoys poinct mes l[ett]res.

        Je faictz des espistres, des lestres147

        C’un mileur lisart ne fit148 onques.

                        LA  FEMME

        Or çà ! que n’aprenez-vous donques

335  En regardant les sages fais

        Des nobles vertueux parfais,

        Des sages gens du temps passé ?

        Mais bien tost vous estes lassé

        De lire en un livre un seul poinct.

340  Y149 pense ail[l]eurs, et n’entent poinct

        À ce qu’i lict pour le comprendre.

        Par quoy, n’avez garde150 d’aprendre.

        Un sage et151 de droicte nature

        Doibt tousjours mâcher l’escripture

345  Et gouster le sens.

                        LE  MARY

                                         Ha ! j’entens.

        Par ma foy ! j’ey vescu long temps,

        Mais jamais n’entendis cela.

        Mâcher l’escripture ? Holà !

        Je say bien comme je feray.152

.

                        LA  FEMME                                         SCÈNE  VI

350  Jamais à mon gré ne seray,

        Car certe(s), y n’a nule science.

        Mais y fault prendre en pacience

        Pour l’amour de Dieu, c’est raison.

        Mais pensez-vous quelle maison

355  Seroyt bien gouvernée de luy ?

        Par ma foy ! j’en ay de l’ennuy

        Plus la moytié153 que je ne monstre.

.

                        LE  MARY 154                                       SCÈNE  VII

        Or çà ! Dieu me doinct bonne encontre155 !

        Jamais je n’en fus desjuné156.

360  Seray-ge bien endoctriné ?

        Y sera fort à avaler.

                        LA  FEMME

        Et, sotart !

                        LE  MARY

                             Laissez-moy dîner.

        Abile passe157, tout amasse.

                        LA  FEMME

        Et ! mais que faictes-vous ?

                        LE  MARY

                                                     Je mâche

365  L’escripture. Mais pour le seur158,

        Je n’avale morceau, de peur.

        Tenez : y ne passera poinct.

                        LA  FEMME

        Hélas ! A ! suys-je mal empoinct !

        Jamais je n’en seray délivre159.

                        LE  MARY

370  J’en ay mengé près d’une livre,

        Et sy160, ne suys sage ne rien.

                        LA  FEMME

        Jamais, avec luy, n’aray bien :

        Car y n’a ne sens, ne manyère.

                        LE  MARY

        Par ma foy ! sy je n’ay à boyre161,

375  Jamais le sens n’avaleray.

                        LA  FEMME

        Jamais à vous ne parleray,

        Sotart remply de sote affaire !

                        LE  MARY

        Et ! comme162 deable doy-ge faire ?

        Pour Dieu, qu’on m’en face un extraict163 !

                        LA  FEMME

380  Comment ? Y fault parler à traict164

        Sans plus en estre [en grand ennuy]165.

                        LE  MARY

        Vraiment je parleray à luy,

        Puysqu’à mon sens il est propisse166.

                        LA  FEMME

        Y dira cy quelque malice167

385  Dont me fera mourir de rire.

                        LE  MARY,  parlant à une flesche.168

        Traict, escouste que je veulx dire !

        Traict, mon amy, entens-tu bien ?…

        Je seray, Traict, je le say bien…

        Traict, mon amy, je suys abile…

390  Mais ma femme, Sage Sébile…

        Traict, mon amy, féré devant169

        Et ! Traict, mon amy, plus savant…

        Traict, mon amy, Traict, mon amy !…

        Je suys sage, Traict, à demy…

395  Traict, mon amy, entemps, entemps !…

        Se je suys sage à peu de temps,

        Je seray, Traict, à toy tenu…

        Hay, hau, Traict !…

                                          Je suys retenu170

        Des sages, le Traict escoustant171.

400  A ! vous n’en sariez dire autant.

        C’est bien parlé à Traict, cela ?

                        LA  FEMME

        Que le premier qui m’en parla,

        D’estre avecque vous, fût pendu !

                        LE  MARY

        Ma foy ! y m’a bien entendu,

405  Le Traict : je [feray demain rage]172.

                        LA  FEMME

        Vous estes fol !

                        LE  MARY

                                    Vous estes sage !

        Or, escoustez à ma requeste :

        Vous m’avez faict mûrir ma teste

        Affin qu’elle ne fût plus fole.

410  La vostre est sage, et aussy, mole.

        Y la faict bon contregarder173 ;

        Et à fin de la mieulx garder,

        Et que vos sentences174 soyent vrayes,

        Je l’afluberay175 de mes brayes,

415  Affin que la Science [n’]en sorte176.

                        LA  FEMME

        Me prenez-vous de telle sorte ?

        Et ! que j’endure tout cecy177 ?

                        LE  MARY

        Et ! j’en seray bien resjouy :

        C’est pour garder vostre Science.

                        LA  FEMME

420  Non feray, par ma concience !

        Hostez, hostez ! Quel galopin !

                        LE  MARY

        Et ! non feras ? Par sainct Crespin178 !

        Vous m’avez faict grandes détresses.

        Çà179 ! quant les femmes sont mêtresses,

425  Elles doibvent les brès porter180.

                        LA  FEMME

        Pour Dieu, veuillez vous déporter181 !

        Laissez-moy, c’est trop babillé !

                        LE  MARY

        Du viel temps m’avez despouillé182 ;

        Je vous habil[l]e du nouveau.

                        LA  FEMME

430  Et ! comment ? Seriez-vous sy veau

        De vouloir faire telle chose ?

        Par l’âme qui en moy repose !

        Yl entent mal son cas à trect183.

                        LE  MARY 184

        Vous m’avez faict parler à Trect

435  Comme se j’estoys unne beste ;

        Y fault parler à l’arbalest(r)e !

                        LA  FEMME

        Non feray, vrayment !

                        LE  MARY

                                             Sy ferez !

        Par ma foy, vous y parlerez !

                        LA  FEMME

        Hélas, mon amy, atendez !

440  Dictes comme vous l’entendez :

        Par ma foy ! je ne l’entens mye.

                        LE  MARY

        Or dite(s) : « Arbalestre, ma mye,

        J’ey faict cela, j’ey faict cecy. »

                        LA  FEMME

        Nostre Dame, que de soucy !

445  « Arbalestre, j’ey ung mary

        Qui faict souvent mon cœur mary,

        Et est de mauvaise nature,

        Et la plus sote créature. »

                        LE  MARY

        [Vous le]185 dictes.

                        LA  FEMME

                                          Je le dis aussy :

450  « Et qui n’a morceau de soucy186,

        Et qui me fera mourir d’ire. »

                        LE  MARY

        Or achevez donques de dire !

                        LA  FEMME

        Ô benoist Dieu, miséricorde !

                        LE  MARY

        Y vous fault parler à la corde.

                        LA  FEMME

455  Non feray, par ma concience !

                        LE  MARY

        Sy ferez, car vostre Science

        Le requiert.

                        LA  FEMME

                             « Corde, que tu fusse[s]

        Au gibet, et estranglé eusse[s]

        Mon mary ! »

                        LE  MARY

                                  Et ! c’est très bien dict :

460  Nous en au[r]ons un beau crédict

        Tout [partout], par long et par lé187 !

                        LA  FEMME

        Comment ?

                        LE  MARY 188

                             C’est sagement parlé,

        De souhaicter son mary pendre.

                        LA  FEMME

        Hostez-la, de peur de mesprendre189 ;

465  À cela, je ne me congnoys.

                        LE  MARY

        Y vous fault parler à la noix190

        Ou, par Dieu, il y aura noyse !

                        LA  FEMME

        Non feray, car trop y me poise !

                        LE  MARY 191

        Sy ferez !

                        LA  FEMME

                           Or çà ! « Noix, ma mye,

470  Mon sot mary de sens n’a mye.

        À tous les coups, son sot sens erre. »

                        LE  MARY

        Y vous fault parler à la serre192,

        Pour m’ôter hors de tous ennuictz.

                        LA  FEMME

        Je prye à Dieu que dens un puys

475  Puissez-vous estre bien serré,

        Et de la taigne reserré193 !

        Mon mary, tout cela ceres.

        Tenez, en avez-vous assez ?

                        LE  MARY

        Or sus, plus ne me menassez !

480  C’est quasy tout un, de nos deulx194 :

        Sy vous vous plaignez, je me deulx.

        Femme ne doibt poinct entreprendre

        De vouloir son mary reprendre

        Devant les gens que bien à poinct195.

.

485  Affin qu’on ne me dise poinct

        Que je veuilles parler196 des femmes

        Et gecter sur elles aucuns blâmes,

        De ce faict ne déplaise à Dieu !

        [S’yl y a là]197, en aucun lieu,

490  Un mary qui soyt de la sorte

        De moy, à luy je m’en raporte.

        Car l’homme faict la femme telle

        Qu’i la veult : ou doulce, ou rebelle.

        Ou en luy, n’a poinct de raison.

495  Adieu ! Excusez le blason198 !

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                                  FINIS

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1 Il est devant son établi de savetier. Son épouse, assise, file sa quenouille en lui tournant le dos. Dans les ménages de savetiers, fort pauvres, les femmes vendaient leur ouvrage : « Vrayement, si n’estoit que je fille, (…)/ Vous mourriez de fain, marmouset ! » (Ung Savetier nommé Calbain.) Chacun des époux monologue en feignant de ne pas entendre l’autre.   2 Me conseilla.   3 Me barbouilla, me bredouilla.   4 Avant.   5 Harcelé.   6 J’échoue.   7 Sibile se fait appeler ainsi (vers 52). Ancêtre des Précieuses et grande lectrice de niaiseries, elle a trouvé dans un de ses livres (vers 314) ce cliché qui dépeint traditionnellement la Sibylle de Cumes : « À Cumes, où il trouva la saige Sibille. » Le Grand Olympe des histoires poétiques.   8 Pour mon malheur.   9 Le verbe « se marrir » [se fâcher] est incontournable dans les farces conjugales, où les maris sont toujours marris. Idem vers 15, 202, 446.   10 Jouer se lit déjà au vers 14. Jouter = copuler : cf. Ung jeune Moyne, vers 316.   11 LV : moque  —  Correcteur : toque  (Elle se frappe la tête.)   12 Le correcteur a rendu illisible le texte original en le recouvrant avec : elle ne fet rien   13 Un malade mental. Idem vers 259.   14 Ne saurait, ne pourrait. Même normandisme aux vers 246 et 320.   15 Quant à moi.   16 LV : cest   17 Mit hors de lui. Idem vers 311.   18 Délivrée. Idem vers 327 et 369.   19 À mon domicile.   20 Posément. Idem vers 380 et 433.   21 LV : a trect  (La folie attrait, attire de folles paroles.)   22 De lui faire bonne figure.   23 LV : corecture  (Influencé par le latin corectura, le copiste a mal lu l’abréviation cõiecture. Même faute dans la Geste de Liège, de Jehan des Preis, que le Dictionnaire du moyen français <ATILF> donne malencontreusement en exemple à l’entrée « correcture », laquelle n’a pas lieu d’être.)  Que ce projet m’est pénible.   24 Noé fut le premier à cultiver la vigne et à s’enivrer. Villon commence une ballade contre un ivrogne ainsi : « Père Noé, qui plantastes la vigne ! » Comme tous les savetiers, le Mari adore le vin : vers 200, 218, 374, etc.   25 Un si bel entendement que moi. « J’ay assez belle entendouoire. » Rabelais, Quart Livre, 27.   26 Le Mari n’a bien sûr aucune notion de l’ars memoriæ qu’enseignaient les rhétoriciens. Il fait juste allusion au vin, qui développe la mémoire : « Me donnez à boyre :/ J’en eusse ung peu meilleur mémoyre. » Trote-menu et Mirre-loret.   27 Diot = idiot (les Veaux, vers 102).  Nice = stupide (Jehan qui de tout se mesle, vers 183).   28 Qu’il sorte du sens épisodiquement, qu’il ait des crises de folie. « Et dussiez-vous yssir du sens. » La Pippée.   29 Elle se tourne vers son mari.   30 En pèlerinage, pour remercier saint Acaire ou saint Mathelin, qui guérissent les fous.   31 Certains pèlerinages devaient être accomplis en silence. Voir la note 70 du Grant voiage et pèlerinage de Saincte-Caquette.   32 Sauriez, pourriez : vous êtes trop bavard pour cela.   33 Quatre hommes face à une bavarde comme vous. Le mari a plus d’esprit que ne le prétend sa femme.   34 Un clystère ne vide que les intestins, pas le cerveau.   35 Tannée, tourmentée. Cf. les Femmes qui demandent les arrérages, vers 162.   36 Il va débiter une fatrasie composée sur des noms de tavernes rouennaises. L’idée sera reprise à Rouen vers 1556 dans le Discours démonstrant sans feincte comme maints pions font leur plainte <Montaiglon, XI, 73-82>, où trois de nos tavernes ont subsisté : l’Ange, la Pomme d’Or, et la Chèvre.   37 De l’année.   38 LV : tripes  (La Truite est l’enseigne d’un cabaret de Rouen.)  Ces truites belliqueuses nous ramènent aux batailles de Carême, dont les guerriers sont des poissons.   39 LV : y lestouent  (Elles étaient.)   40 À telle enseigne, de sorte que. Jeu de mots sur l’enseigne qui indique par un dessin l’emplacement d’une taverne.   41 Faux : l’entrée du paradis est défendue aux sergents. Voir les vers 123-130 de Troys Galans et un Badin.   42 Les femmes de savetiers reprochent toujours à leur mari de se ruiner à la taverne : voir les vers 339-342 de Deux hommes et leurs deux femmes, ou les vers 155-156 de Serre-porte. En 1556, un autre Rouennais publiera le Plaisant quaquet et resjuyssance des femmes pour ce que leurs maris n’yvrongnent plus en la taverne <Montaiglon, VI, 179-189>.   43 Un joyeux compagnon. Cf. la Pippée, vers 787.   44 Quand on l’appelle.   45 C’est le bonnet qui coiffe les Sots. Double sens : une épidémie de coqueluche avait sévi en 1510.   46 Qui se fiche bien des malades qui toussent.   47 Des rais, des rasés. Dans les siècles précédents, on appliquait aux fous une tonsure particulière. Bien qu’inapte au langage, le Mari jongle en virtuose avec tous les codes de la sottie.   48 LV : inuention   49 Vous lésinez sur la nourriture et sur le vin.   50 J’en souffre (verbe se douloir). Idem vers 481.   51 Nous. Même normandisme à 480.   52 LV : quen   53 Chiche : et aussi avare, comme vous. Cf. la Réformeresse, vers 103. La sagesse est toujours assimilée à l’avarice : voir le Dialogue du Fol et du Sage.   54 Les anges doivent supporter les sages, qui sont les seuls à gagner le Paradis.   55 D’étranger : de l’extérieur.   56 Le souci.   57 Ce que nous devrons.   58 Si on faisait pondre un sage. Seuls les Sots naissent dans des œufs.   59 Je les mangerais volontiers.   60 LV : asenee  (Une mal assenée est une femme mal mariée.)  Cette chanson plaisait aux dramaturges : « La mal assenée/ Qu’on appelle femme du Bateleur. » (Jeu à .IIII. personnaiges.) Dans la Vie monseigneur sainct Loÿs, de Pierre Gringore, l’épouse du Bateleur se nomme Mal-assenée : « Se j’avoye cy Mal-assenée,/ Ma femme, je vous monstreroye/ Comme c’est que j’estouperoye/ À ung besoin le “trou de bise”. » Dans la Vie de sainct Christofle, de Claude Chevalet, la femme du bateleur s’appelle aussi Mal-assegnée.   61 Où je vous pris pour femme.   62 Prononcé à la française, ce mot rimait en -ment. Voir la note 160 de Régnault qui se marie.   63 Forme locale de Jeanne : « Jenne, qui filait de la layne. » (La Muse normande.) Le mari compare sa mégère à deux de leurs voisines.   64 LV : poisse  (Me pèse. Idem vers 468.)   65 Cette chanson commence le Savatier et Marguet. Les savetiers sont d’intarissables chanteurs : voir le vers 17.   66 Sans qu’aussitôt.   67 Ce que.   68 LV : et quel   69 Pas assez mûre. « Mais tu as la teste si verte. » (L’Aveugle et Picolin.) L’un des Sotz triumphans se nomme Teste Verte.   70 Fantasque. Ce vers a été ajouté par le correcteur.   71 Rapidement.   72 LV : murer   73 Il va ramasser un chapeau de paille derrière son épouse, qui est toujours assise en train de filer.   74 LV : sa je  (Le prétendu sot arrive à commettre des calembours.)  Je me verrai sage : je le deviendrai.   75 Ma tête s’échauffe (vers 153) et devient tempétueuse.   76 Et pourtant, je ne sais.   77 LV : le  (La mettre, ma tête.)   78 On pose les fruits sur de la paille pour les faire mûrir. « Avec le tems & la paille, les nèfles meurissent. » (Dict. de l’Académie françoise.) Le Mari plonge sa tête dans le chapeau de paille.   79 Il palpe sa tête pour voir si elle a mûri. Toujours plongé dans le chapeau, il retourne devant Sibile.   80 Ces deux fonctions exigent un minimum de sagesse, et un chaperon plus austère qu’un chapeau de paille.   81 LV : malureuse  (Voir le vers 11.)   82 Pour peu.   83 Sur mesure.   84 LV : seigle  (Les deux mots sont synonymes. « Il atrapa les derniers, et les abbastoit comme seille, frapant à tors et à travers. » Gargantua, 43.)   85 De vous retirer de ce chapeau.   86 Sibile ponctue chaque mot d’un coup de quenouille sur le chapeau.   87 LV : lignes  (La taverne des Trois Cygnes, rue Saint-Romain, voisinait avec celle de l’Ange, nommée au vers 91.)  Les épitaphes parodiques sont monnaie courante dans les farces : voir les vers 213-219 des Frans-archiers qui vont à Naples, les vers 192-194 de l’Avantureulx, ou les vers 513-518 du Testament Pathelin. Le Mari a d’ailleurs les mêmes préoccupations que ledit Pathelin, qui veut être inhumé « en une cave, à l’advanture,/ Dessoubz ung muy de vin de Beaulne ».   88 D’un baril de vin. Triboulet meurt dans les mêmes conditions.   89 Le soir où il fut contrarié.   90 Subtile : la signature d’une épitaphe est en caractères plus fins que le texte.   91 On enterrait les fous en titre d’office avec leur outil de travail.   92 Qu’un défaut.   93 À cause de laquelle je suis maintenant rendue indigne.   94 LV : la femme  (Le correcteur, qui n’a pas mieux compris ce passage que le scribe, distribue les deux vers précédents au Mari.)   95 LV : desiune  (De sœur aînée.)  Dans les familles modestes, c’est la sœur aînée qui reçoit la dot et qui peut donc se marier. Sibile regrette d’avoir été l’aînée. Les Précieuses auront la même répulsion pour le mariage, qu’elles nommeront l’amour permis, ou l’amour fini, ou l’abîme de la liberté.   96 Avant que ne sonne l’heure de la messe. Le découpage du temps, qu’il soit annuel ou journalier, appartenait à l’Église, qui n’a pas vu d’un bon œil l’apparition des montres individuelles.   97 Raccourci normand de « par saint Jean ! ». Cf. les Sobres Sotz, vers 452.   98 Vous aurez du sens, de la sagesse. « Mon » est une particule de renforcement : « Par saint Jehan ! ce ne feray mon ! » La Mauvaistié des femmes.   99 Pour peu que vous m’obéissiez.   100 Ni aller et venir. « Tracasser de nuyct sans chandelle. » Marchebeau et Galop.   101 Passer votre folie, vous assagir.   102 LV : seigneures  (Décorés de motifs à l’ancienne mode. « Manteaulx de satin figuré. » ATILF.)  Ce mot appelle un calembour sur défiguré. « C’est satin deffiguré. » Le Capitaine Mal-en-point.   103 Je veux dire. Cette formule d’autocorrection est un des gags de l’Avantureulx, aux vers 16, 330 et 347.   104 Cela semble laid, démodé.   105 LV : lont  (Les habits masculins à la mode en ce début du XVIe siècle se contentent d’un « bas collet », parfois presque inexistant. Cf. Gautier et Martin, vers 212 et 245.)   106 Aujourd’hui, ils sont dépourvus de collet.   107 Harigotés = enrichis d’ornements tailladés. Déchiquetés = ornés de franges. « Sont mignons et asriquetés,/ Ont les chapeaux déchiquetés. » Éloy d’Amerval.   108 LV : guisse  (Découpés de mainte façon.)  L’auteur de la pièce, comme tous les satiristes de l’époque, jette un regard critique sur la mode.   109 LV : Insesanment  (Sans cesse. Quelques dandys changeaient de parure plusieurs fois par jour.)   110 C’est de la folie. « Ce vent faict faire rouge rage. » Sermon joyeux des quatre vens.   111 Cela ne tient-il pas au fait.   112 Je viendrai bien à bout de cette sagesse.   113 Qu’il n’y ait rien à redire.   114 Je m’émeus.   115 Je vais en chercher.   116 Il sort par le rideau de fond.   117 LV : bien  (À la rime.)   118 Quoi qu’il veuille faire.   119 Le plus loin possible, car nul ne savait où reposait le corps de Romulus. Sibile est une inconditionnelle de la pendaison : voir les vers 281, 403, 458.   120 Il revient en loques, après avoir « déchiqueté » ses habits à grands coups de ciseaux.   121 Dois-je encore faire quelque chose pour imiter les sages ?   122 LV : trespasse  (Transpercé. « Me tresparsans jusques aux flans. » Villon.)  C’est l’habit de quelqu’un qui a reçu un coup de lance.   123 Quoi que vous en disiez.   124 Il se livre devant sa femme à un défilé de mode.   125 LV : pasage  (Il ne comprend pas ce que je lui ai dit.)  Ces 2 vers s’adressent au public.   126 Ce que.   127 Jamais je ne serai à ma convenance. Même vers que 350.   128 Qu’en grande perfection.   129 J’ai entendu dire de vous. La Seconde Moralité fustige également la démarche chaotique des Sots : « Mais marchez droict sur vos talons/ Sans fléchir ni faillir en rien ;/ Encor ne sçaurez-vous si bien/ Marcher qu’il n’y ait à redire. »   130 « Il faut marcher tout bellement/ Et faire le sage en la rue./ Quand un fol une pierre rue [lance],/ Quand il court, ou qu’il tourne ou vire,/ Le monde ne s’en fait que rire. » Dialogue du Fol et du Sage.   131 D’un pas mesuré.   132 Et pour avoir de l’allure.   133 LV : marchant  (Marcher « à pied de plomb : slowly, dully, heavily, with leaden heeles. » Cotgrave.)   134 LV : qui ne fault / a  (Ce qu’il me faut pour.)   135 Il charge sur son épaule un énorme sac de vieux souliers.   136 LV : ne me   137 LV : trauail  (C’est une grande peine.)   138 On dit seulement « habile comme un lévrier », dans le sens de rapide.   139 Vu le sens grivois de « gaule », elle espère que son mari parle de sa braguette.   140 Vingt-et-dix (sic !) = 30. Le Mari porte donc 15 kg.   141 Connu, si ce n’est.   142 LV : grey  (Voir le vers 276.)  Le Mari laisse tomber son sac sur les pieds de Sibile.   143 Novice. « Tu es encore bien nouveau ! » (Messire Jehan.) Ces 2 vers s’adressent au public.   144 Ce que je vous ai dit.   145 LV : de liures  (Comme les fous privés de sens.)   146 Où il y a une bonne idée à retenir.   147 Je vous dicte des lettres pour mes fournisseurs.   148 LV : vit  (Qu’un meilleur lecteur que moi ne fit jamais.)   149 Il. Encore deux vers destinés au public.   150 Pour cela, vous ne risquez pas.   151 LV : est   152 Il retourne en coulisse.   153 Deux fois plus.   154 Il revient avec un des livres de sa femme. Il en déchire une page et la met dans sa bouche.   155 Que Dieu m’accorde un bon succès.   156 LV : desiunee  (Nourri.)  À la rime, LV donne : endoctrinee   157 Le correcteur écrit : Ung habile home. Le Mari affectionne les tournures proverbiales : voir les vers 102, 114-115, 305, 424-425 et 492-493.   158 Pour le plus sûr.   159 Délivrée (note 18). La fatalité des liens indissolubles du mariage est soulignée par les quatre jamais qu’égrènent les vers 369-376.   160 Et pourtant.   161 Les Normands prononçaient baire. « Du meilleur vin y veulent baire. » La Muse normande.   162 Comment.   163 Un résumé, pour que je puisse mieux le digérer. De tels résumés s’appellent d’ailleurs des digestes : « La science des loix réduite en digestes. » Lacurne.   164 Posément. Mais un « trait » est aussi une flèche d’arbalète.   165 LV : anerty  (Dans l’embarras. « Périclès fut en grant ennuy et pensif. » Les Triumphes de messire Françoys Pétraque.)   166 LV : propise  (Puisqu’il est bon pour mon intelligence.)   167 LV : seruice  (Ces 2 vers s’adressent au public.)   168 Il dialogue avec un carreau d’arbalète comme les Sots dialoguent avec leur marotte. Cet empilement d’anacoluthes est dû au fait que le Mari est le seul à entendre les réponses de la flèche (vers 399), qu’il tient comme un téléphone. À la lecture, ce numéro d’acteur tombe à plat.   169 Le bout des flèches est ferré pour qu’elles ne s’écrasent pas en percutant la cible. « III douzaines de boutz de laiton pour ferrer lesdites fleuches. » ATILF.   170 On m’a retenu pour faire partie des sages.   171 En écoutant ce que m’a répondu la flèche.   172 LV : seray demain sage  (À la rime.)  « Je feray raige ! » Raoullet Ployart.   173 Il faut la protéger.   174 LV : sciences  (Vos paroles concernant la sagesse.)   175 Je vais l’affubler, la coiffer. Des braies servent accidentellement de coiffure à l’abbesse de Sœur Fessue.   176 Le Mari retire ses braies devant tout le monde, et il en coiffe Sibile.   177 LV : cela   178 Saint Crépin est le patron des savetiers. Cf. Troys Gallans et Phlipot, vers 187.   179 LV : car   180 Porter les braies : porter la culotte.   181 Veuillez y renoncer.   182 LV : habille  (Vous m’avez dépouillé de mes habits de l’ancien temps. Voir les vers 221-229.)   183 À trait, calmement (note 20).   184 Il empoigne une arbalète qui sert de décoration murale.   185 LV : sote creature  (C’est vous qui le dites. Cf. Deux hommes et leurs deux femmes, vers 238.)   186 Qui n’a aucun souci, qui ne pense à rien. Au-dessus de ce vers, LV ajoute en vedette : le mary. Au-dessous, il ajoute : la fe   187 En long et en large : en tout lieu. Lorsqu’un homme était pendu, ce déshonneur rejaillissait sur toute la famille : « C’est déshonneur pour le lignaige. » P. Gringore.   188 Il vise sa femme avec l’arbalète.   189 De faire une fausse manœuvre.   190 La partie mobile d’une arbalète, qui tire la corde en arrière.   191 Il enclenche le mécanisme de l’arbalète.   192 La pièce qui bloque l’arbalète bandée.   193 Assiégé.   194 De nous deux : nous sommes à égalité.   195 Autrement que pour de bonnes raisons. Le congé final s’adresse au public.   196 Mal parler.   197 LV : Sy ly en a   198 La satire.

MORAL DE TOUT-LE-MONDE

Ms. La Vallière

Ms. La Vallière

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MORAL  DE

TOUT-LE-MONDE

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Le Monde, et en l’occurrence Tout-le-Monde, est un personnage allégorique présent dans un grand nombre de sotties ou de moralités. Dans cette « sottie moralisée », il est incapable de choisir ce qu’il veut être. Un noble ? Un homme d’Église ? Un marchand ? Un magistrat ? Son costume emprunte des éléments à ces quatre états. Le Temps-qui-court est une autre sottie moralisée provenant du même manuscrit. Elle présente plusieurs points communs avec la nôtre. Là, ce n’est plus le Monde qui arbore un costume bariolé, mais le Temps-qui-court : « Estat n’y a dessus la terre/ Dont je ne soys. » Le Temps-qui-court a infiltré la noblesse : « Et bien que soys de bas lygnage,/ Escuyer ou baron me nomme. » Il s’enrichit grâce à l’Église : « En l’Église prens mes esbas,/ Et en courant les bénéfices,/ Je vens dignités et ofices. » Il pervertit la Justice. Il refuse le travail des champs, trop dur et peu lucratif. Quand il rencontre le Monde, il le déguise en fou1. Les deux pièces ont une morale similaire : « Le Monde, par oultrecuydance,/ Est maintenant fol devenu. » (Chascun.) « Aujourd’uy, Tout-le-Monde est fol. » (Moral.)

Source : Manuscrit La Vallière, nº 49. L’état relativement bon de ce texte normand, ainsi que des allusions à l’époque troublée de Charles IX, me font croire qu’il fut écrit vers 1563, une douzaine d’années avant d’être copié dans ce manuscrit. Il est donc contemporain du Maistre d’escolle, qui figure dans le même manuscrit, et qui fustige lui aussi les abus commis par les protestants rouennais.

Structure : Les 40 premiers vers offrent une curieuse illusion acoustique : on croit entendre des strophes sur trois rimes, mais il n’en est rien. Ensuite, rimes plates, avec deux triolets, un rondel double <177-192>, et une ballade.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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Moral  de

Tout-le-Monde

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À quatre personnages, c’est asçavoir :

       LE  PREMYER  COMPAIGNON 2

       LE  DEUXIESME  [COMPAIGNON]

       et   [LE]  TROYSIÈME  COMPAIGNON

       [TOUT-LE-MONDE]

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                        LE  PREMYER  [COMPAIGNON]  commence

        Compaignons !                                                         SCÈNE  I

                        LE  IIe  COMPAIGNON

                                 Quoy ?

                        LE  PREMYER

                                              Que dict le cœur3 ?

                        LE  IIIe  COMPAIGNON

        Qu’i dict, mon amy ? Le toult vostre4 !

                        LE  PREMYER 5

        De vray ?

                        LE  IIe

                          Comme la patenostre6,

        Vous portant çà et là honneur.

                        LE  IIIe

5      Quel gaudisseur7 !

                        LE  IIe

                                      Quel « enseigneur8 » !

                        LE  PREMYER

        Je ne suys roy ne grand seigneur,

        Mais partoult vouldroys estre maistre.

                        LE  IIe

        Tu9 vouldroys bien aultre chose estre.

                        LE  PREMYER

        Et quoy ?

                        LE  IIIe

                        Ataché d’un chevestre10

10    Par le col, le long d’une toyse11.

                        LE  PREMYER

        Ataché ? Quoy ! cherchez-vous noise ?

        Tireray-ge mes fèremens12 ?

                        LE  IIe

        Mon compaignon, on se dégoise13 ;

        On14 cherchons tous esbatemens.

                        LE  III

15    Et maison couverte d’ardoise,

        Plaine de bons estoremens15.

                        LE  PREMYER

        Vous cherchez donques Passetemps16,

        Est-il pas vray ?

                        LE  IIe

                                    Il est ainsy.

                        LE  PREMYER

        Comme vous, je le cherche aussy.

                        LE  IIe

20    Passe-temps ? Las ! il est transy17.

                        LE  IIIe

        Passe-temps ? Il n’est plus icy,

        Plus avant ne t’en fault enquerre.

                        LE  PREMYER

        Passe-temps a esté soublz terre

        Long temps caché et endormy18.

                        LE  IIe

25    A-ce esté par faulte19 de guerre,

        Ou [de] ne boyre en un cler voirre20,

        Qu’i ne s’est monstré à21 demy ?

                        LE  IIIe

        Sçays-tu pourquoy ?

                        LE  IIe

                                         Non, mon amy.

                        LE  PREMYER

        Ç’a esté, sans te contredire,

30    Pour quelque chose encor à dire.

                        LE  IIe

        Avarice l’a tins en serre22

        Sy long temps qu’il est toult remys23.

                        LE  PREMYER

        Faulte d’argent 24 encor l’enserre.

        Et Erreur l’a à luy submys25.

                        LE  IIIe

35    Faulte d’argent l’a au bas mys.

                        [LE  PREMYER]

        Sy bas qu’il n’est26 qui le retire,

        Pour quelque chose non à dire27.

                        LE  IIe

        Es-tu à [te taire]28 commys ?

        Di-le-nous, ce n’est que pour rire29.

                        LE  PREMYER

40    Non feray : il n’est pas permys.

                        LE  IIIe

        Mais regardez quel plaisant sire !

                        LE  IIe

        Comment ! Nous veulx-tu escondire ?

        Voy-tu quelques mauvais sergens ?

        Sommes-nous pas, tous deulx, bien gens

45    En dict et en faict diligens

        Pour t’ayder, s’y venoyt au poinct30 ?

                        LE  PREMYER

        Amys, je ne le diray poinct ;

        Je n’y aurès profist en riens.

        Sy Tout-le-Monde estoyt des miens31,

50    Je le vous feroys asçavoir.

                        LE  IIe

        Tout-le-Monde ? Y le fault avoir ;

        Ayons-le !

                        LE  IIIe

                          Ouy32, mais où est-il ?

                        LE  PREMYER

        Toult-le-Monde est par trop subtil :

        On ne l’aurons pas aysément.

                        LE  IIe

55    Mot [n’en sonnez]33 présentement !

        Apelons-lay34 à nostre afaire.

        Puys nous voyrons qu’i vouldra faire35,

        Sans mener noyse ny sabas.

        Hau ! Tout-le-Monde, es-tu là-bas ?

60    Amont36, hau ! Tout-le-Monde, amont !

.

                        TOUT-LE-MONDE  entre                    SCÈNE  II

        Je voys, j’entens bien vos débas.

                        LE  IIIe

        Hau ! Tout-le-Monde, es-tu là-bas ?

                        LE  PREMYER

        Pour avoir part à nos esbas,

        Un chascun de nous vous semont37.

                        LE  IIe

65    Hau ! Tout-le-Monde, es-tu là-bas ?

        Amont, hau ! Tout-le-Monde, amont !

                        TOUT-LE-MONDE 38

        D’où vient cela, que ces gens m’ont

        Sy afecté39 ? Que voulez-vous ?

                        LE  IIIe

        Nous voulons t’avoir avec nous,

70    Sy c’est toy qui es Toult-le-Monde.

                        TOUT-LE-MONDE

        Ouy, c’est moy.

                        LE  PREMYER

                                   Que l’on me confonde

        Sy onc[ques], à ma vye40, je fus

        Tant estonné ne sy confus

        De voir Tout-le-Monde en ce poinct,

75    Diférent de robe et pourpoinct,

        De bonnet, et de tous abis41 !

                        LE  IIe

        Onc en telle sorte ne vis

        Le Monde. Ou il est afollé42,

        Ou c’est quelque Sot avollé

80    De nouveau43 qui vers nous s’adresse :

        Y porte l’estat de Noblesse,

        De Marchant, [Justice, et d’Église]44.

                        TOUT-LE-MONDE

        En tous estas je me desguise ;

        Es-tu de cela estonné ?

85    S’on m’a dyvers habit45 donné

        Ou sy je l’ay eu à crédo46,

        Say-ge pas bien faire un Credo47 ?

                        LE  IIIe

        Qu’esse que le Monde babille ?

        Vestu est de blanc, gris et noir.

                        LE  PREMYER

90    C’est Tout-le-Monde qui s’abille

        À crédict pour honneur avoir.

                        LE  IIe

        Tout-le-Monde, y vous faict beau voir !

        D’un costé, vous estes marchant.

                        LE  IIIe

        Alez-vous çà et là marchant

95    Pour mectre grand dérée48 en vente ?

                        TOUT-LE-MONDE

        Ouy : Toult-le-Monde se démente

        De marchandise49, au temps qui court.

                        LE  PREMYER

        Tout-le-Monde (à le faire court50)

        Par marchandise vient en biens

100  Et à honneur.

                        LE  IIe

                                Souvent à riens :

        Car aujourd’uy, tout se marchande.

                        LE  IIIe

        Tout-le-Monde, or, je vous demande :

        Vous dictes qu(e) aymez marchandise,

        Et vous portez l’habit d’Église ;

105  Peuvent ces estas ensemble estre ?

                        TOUT-LE-MONDE

        S’y n’y sont, y les y fault mectre ;

        Je n’y voys poinct de répugnance.

        Cela est plus commun, en France,

        Qu’à Paris la Porte Baudés51.

                        LE  IIIe

110  Parlez bas ! Béaty lourdès 52

        De l’Église qu’on se déporte53.

                        LE  PREMYER

        Y fault bien que méchef54 en sorte,

        Sy Dieu n’y estend son secours.

                        TOUT-LE-MONDE

        Passons oultre.

                        LE  PREMYER

                                  A ! ces habis cours55,

115  Qu’esse icy ?

                        TOUT-LE-MONDE

                               L’abit de Noblesse,

        Que j’ey eu et auray sans cesse.

                        LE  IIe

        Tant je croys qu’il te couste cher !

                        TOUT-LE-MONDE

        Qui n’en a, il en fault chercher.

        Tel a esté petit porcher,

120  Qui n’avoyt vail[l]ant une pomme :

        Maintenant est grand gentil-homme.

                        LE  IIIe

        Et tous ses filz, gentilz-hommeaulx.

                        LE  PREMYER

        Toult-le-Monde en conte de beaulx,

        Et [vînt-il de Constantinnoble]56.

                        LE  IIe

125  Tout-le-Monde veult estre noble,

        Tant, de race, villain soyt-il.

        Chascun se dict estre gentil57,

        Fust-il plus vilain c’un rat mort,

        Voyre, et ne fist onques effort

130  De faire aulx ennemys la guerre58.

                        LE  IIIe

        Bien la faict au pot et au voirre59.

        Par quoy, pour ceste grand prouesse,

        Il se dict extraict de Noblesse.

                        LE  IIe

        L’homme vilain Noblesse blesse.

135  L’homme noble par façon telle,

        Sa femme est donques damoyselle60 ?

                        TOUT-LE-MONDE

        Y n’en fault poinct prendre querelle61.

        Par argent, plus que par combatre,

        Toult-le-Monde est faict gentillâtre62.

                        LE  PREMYER

140  Par argent, vilains laboureurs63

        Parvyennent à nobles honneurs.

                        LE  IIe

        Par argent, mainct vilain méchant

        Sera noble, qui fust marchant64.

                        LE  IIIe

        Cela trop desrogue65 Noblesse :

145  Noblesse s’aquiert par proesse66.

                        LE  IIe

        Noblesse vient de noble cœur,

        Et non pas d’un vilain moqueur.

        Dont, pour gens de noble façon,

        Disons deulx mos d’une chanson.

                        Ilz chantent.

.

                        LE  PREMYER  COM[PAIGNON]

150  Recommençons nostre leçon.

        Revenons à ce Monde encore.

        Pourquoy portes-tu l’escriptoire67

        Et le chaperon de Justice ?

                        TOUT-LE-MONDE

        Cela signifie une ofice68

155  Qui me va tumber sur le col.

                        LE  IIe

        Mon Dieu, que [Tout-]le-Monde est fol !

                        LE  IIIe

        Tout-le-Monde est mys hors des gons69 ;

        Mais, quant est de ses paragons70,

        Toucher y n’y fault que des yeulx.

                        LE  PREMYER

160  Le parler en est dangereulx ;

        Et pour tant, changons de parolle71.

                        LE  IIe 72

        Qu’esse-cy, Monde ?

                        TOUT-LE-MONDE

                                          C’est un rolle73.

                        LE  IIIe

        De mal portes le conterolle

        Où toy-mesmes es enrollé

165  Le premyer ?

                        TOUT-LE-MONDE

                                Voi(e)là bien parlé !

        Mon amy, ce sont lestres closes74

        Qui ne seront par vous descloses,

        Car vous estes trop peu discrès

        Pour voir mon rolle et mes segrès75.

170  J’atens76 à quant c’est, ne vous chaille.

                        LE  IIe

        Tout-le-Monde bien nous en baille77 !

                        LE  PREMYER

        Non faict, il garde bien le sien78.

                        LE  IIe

        Escouste, et nous te dirons bien :

        En l’Église – [l’]espouse et saincte79

175  Plusieurs ont faict injure maincte,

        Et en ont emporté le bien80.

        [En l’Église, tu fais tout tien,

        Cela est vray comme la messe.]81

        En Justice, qu’on dict sagesse,82

180  Bien n’est venu qui ne dict : « Tien83 ! »

                        LE  PREMYER

        Ton labeur meurt84, auprès du sien.

                        LE  IIe

        Ta noblesse pert sa largesse85.

                        LE  IIIe

        En l’Église, tu fais tout tien,

        Cela est vray comme la messe86.

                        LE  PREMYER

185  Tu sçays bien demander « Combien ? »,

        Et d’empruns trouver la finesse87 ;

        Mais de tenir foy et promesse,

        Onques n’en voulus sçavoir rien.

                        LE  IIe

        En l’Église, tu fais tout tien88,

190  Cela est vray comme la messe.

        Ta Justice a peu de sagesse,

        Et n’en use s’on ne dict : « Tien89 ! »

        Toult-le-Monde, cela n’est bien,

        Vouloir troys estas en un mectre :

195  Car de tous tu ne peulx pas estre.

                        LE  IIIe

        Tu ne peulx les troys supporter.

        Quel habit veulx-tu, seul, porter,

        De [tous] ceulx-cy ?

                        TOULT-LE-MONDE

                                          L’habit d’Église.

                        LE  PREMYER

        Pour toy, seroyt bonne devise90,

200  Sy bien en faisoys ton debvoir ;

        Mais en as-tu bien le sçavoir91 ?

                        TOUT-LE-MONDE

        J’ey sçavoir par argent urgent92.

                        LE  IIe

        Toult-le-Monde obtient par argent

        Dignités, prébendes, ofices ;

205  Par argent, il a bénéfices93.

        Par argent, fort et foyble blesse.

                        TOULT-LE-MONDE

        Je veulx donq l’habit de Noblesse.

                        LE  PREMYER

        Le Monde, l’Église délaisse

        Bien tost !

                        LE  IIe

                         Com[m]ent ? Y vist soublz elle94.

                        LE  IIIe

210  Veulx-tu l’abit de damoyselle,

        Afin que toult chascun te loue ?

                        TOUT-LE-MONDE

        De damoyselle ?

                        LE  PREMYER

                                   Voyre.

                        TOULT-LE-MONDE

                                               Moue95 !

        Ma foy, nennin, je n’en veulx poinct.

                        LE  PREMYER

        Y sera bien à ton apoinct96.

215  Mais tiens-nous contenance belle !

                        LE  IIe

        Or, Toult-le-Monde est damoyselle,

        Maintenant.

                        TOULT-LE-MONDE

                             Ostez, c’est simplesse !

        Car, par ma foy, l’estat me blesse :

        Trop me fauldroict de jazerens97,

220  De doreures et de carquens98,

        Force chaŷnes, bagues, aneaulx…

        Et s’y vient des habis nouveaulx,

        Il en fault, et n’en fust-il poinct99.

                        LE  PREMYER

        Et ! qui n’aroyt100 argent à poinct,

225  Y fault tost aler aulx empruns.

                        LE  IIe

        Dieu fasse pardon aulx deffuns,

        Nobles de non101, nobles de grâce,

        Qui s’abillent selon leur race,

        Sans orgeuil ou trop grande pompe102.

                        LE  IIIe

230  Pompe et orgeuil, le Monde trompe.

        Pompes et orgileux103 débas

        Ont mys Toult-le-Monde bien bas.

                        TOULT-LE-MONDE

        Sy bas ? Sy hault m’eslèveray

        [Que plusieurs je surmonteray.]104

                        LE  PREMYER

235  Pourquoy dis-tu cela ?

                        TOULT-LE-MONDE

                                             Pourquoy ?

        Pour ce : mais que j’aye bien de quoy105,

        Je seray vilain anobly.

                        LE  PREMYER

        Tu metras vertu en ombly106.

                        TOUT-LE-MONDE

        Et bien ! donc, que marchant je soye

240  De draps de layne ou draps de soye,

        De labeur107 ou d’aultre trafique.

        Ou que j’aye habit de pratique108 :

        Pour bien vray, le feray valoir.

                        LE  IIe

        Mais auquel est myeulx ton vouloir ?

245  Tu n’es c’un fol esperlucat109.

                        TOUT-LE-MONDE

        Serès-je poinct bon advocat ?

        J’aléguerès bien une Loy.

        Je vous suplye, dictes-le-moy :

        Que vous en semble, mes supos110 ?

                        LE  IIIe

250  Ton dict ne vient poinct à propos.

        Tu seroys meilleur a laboureur.

                        TOULT-LE-MONDE

        A ! je renonce à ce malheur,

        Au laboureur, à son habit :

        J’airoys trop de peine et labit111.

255  Mais baillez-m’en un, je vous prye,

        Qui soyt faict à ma fantasie :

        Car selon l’habit, l’homme vault.

                        LE  PREMYER

        Le Monde ne sçayt qu’i112 luy fault.

                        LE  IIe

        Bail[l]ons-luy habit un peu court

260  Qui sente l’Église et la Court,

        Son laboureur terre cherchant ;

        Habit qui sente son marchant,

        D’un costé long, l’aultre arondy113.

                        LE  IIIe

        Dieu, que le Monde est estourdy114 !

265  Y luy fault bailler une espée

        Et puys un aful de pompée115 :

        Abillé sera au plaisir.

                        TOUT-LE-MONDE

        On ne pouroyt meilleur choisir.

        En un toult sera (ce me semble)

270  La guerre et la paix toult ensemble.

        A ! mort bieu116 ! Et ! que j’en turay !

        Mais au fort117, voylà : je priray

        Pour ceulx-là qui sont deisjà mors.

        Le sang bieu118 ! s’y sont les plus fors,

275  Ceulx-là que poinct je ne menace,

        Comme je leur tiendray carace119,

        S’y font vers moy comparaison120 !

                        LE  PREMYER

        Selon la teste et la raison,

        Le voylà vestu au léger121.

                        LE  IIe

280  Bien est, pour ceste lunaison122,

        Selon la teste et la raison.

                        LE  IIIe

        Le Monde est plus sot c’un ouéson123.

        Est-il privé124, ou estranger ?

                        LE  PREMYER

        Selon la teste et la raison,

285  Le voylà vestu au léger.

        Mais encore, pour abréger :

                        Balade.125

        Messieurs, pour la conclusion,

        Toult-le-Monde, à l’heure présente,

        Est fol et plain d’abusion.

290  C’est luy qui Malheur126 nous présente.

        D’estat127, jamais ne se contente,

        Et s’estime autant que sainct Pol128.

        Pour quoy je dis, en nostre entente,

        Qu’aujourd’uy, Toult-le-Monde est fol129.

                        LE  IIe

295  Le Monde, par confusion,

        A perdu de Raison la sente130 ;

        Et, à sa grand dérision131,

        Est vestu de guise132 indécente.

        Celuy n’y a133 qui ne consente

300  De porter chaŷnes d’or au col ;

        Qui monstre134, où Sagesse s’absente,

        Qu’aujourd’uy, Toult-le-Monde est fol.

                        LE  IIIe

        Le Monde, par ambition,

        Se dict noble, qui135 n’a pas rente ;

305  Et par folle présomption,

        Descongnoyt136 parent et parente.

        Le Monde mect honneur en vente.

        Honte le pende137 d’un licol !

        Dont je dy, veu qu’en mal s’augmente138,

310  Qu’au jourd’uy, Tout-le-Monde est fol.

                        TOULT-LE-MONDE 139

        Aussy souvent que le vent vente,

        Du Monde le cerveau s’esvente140.

        Par foys est dur, par foys est mol ;

        Sans aielles141, souvent prent son vol ;

315  Sans yeulx, veult voir chose latente142.

        Dont concludz (la chose est patente)

        Qu’aujourd’uy, Toult-le-Monde est fol.

.

                                                                   FINIS

*

1 À la fin de la Seconde Moralité de Genève, le Monde se fait aussi habiller en Fol.   2 Ces 3 personnages n’ont pas de nom, ni d’existence individuelle. Ils ne sont que des numéros, comme tous les groupes de 3 Sots peuplant les sotties.   3 Quoi de neuf ? C’est également la question initiale des Hommes qui font saller leurs femmes.   4 Ce qu’il dit ? Il dit qu’il est tout à vous.   5 À partir d’ici, LV abrège ce nom en « le p ». Je ne le suivrai pas.   6 Vrai comme le Pater Noster. Cf. Jolyet, vers 73. Nous aurons la variante « vrai comme la messe » au vers 178.   7 LV : gaudiseur  (Quel plaisantin. Cf. le Gaudisseur.)   8 Sage (ironique).   9 LV : Je   10 D’une corde, au gibet. Voir le vers 308.   11 Métonymie analogue dans un quatrain de Villon : « Et de la corde d’une toise/ Sçaura mon col que mon cul poise [pèse]. »   12 Mon fer, mon épée. Cf. le Raporteur, vers 495.   13 Nous plaisantons. Cf. le Monde qu’on faict paistre, vers 365.   14 Nous. Même normandisme au vers 54.   15 Une maison bien chaude, pleine de provisions.   16 Personnage allégorique. LV l’écrit : pasetemps   17 Refroidi, mort. Cf. le Testament Pathelin, vers 134.   18 Il hibernait en attendant des jours meilleurs, comme son homologue Bontemps dans la Première Moralité de Genève.   19 Par manque. Allusion fielleuse aux guerres de Religion qui déchiraient alors la France.   20 Dans un verre clair, transparent : de n’avoir plus rien à boire.   21 LV : qua  (Ne pas se montrer à demi : ne pas se montrer du tout. « Vous n’y voyez pas à demy. » Le Monde qu’on faict paistre.)   22 L’a tenu dans ses serres. Avarice personnifie le manque de générosité : cf. la Bouteille, vers 259-265.   23 Épuisé. « Il luy semble/ Estre tout pesant, tout remis ;/ Il vous a les yeulx endormys. » Guillaume Coquillart.   24 Personnage allégorique. Cf. la sottie Faulte d’argent, Bon Temps et les troys Gallans sans soucy, F 47.   25 Soumis. Le personnage allégorique Erreur symbolise « l’erreur de Luther », le protestantisme : « –Et qui les maine ? –C’est Erreur. » (Le Maistre d’escolle.) Pendant le carnaval de 1562, les huguenots, qui ne toléraient aucun plaisir, avaient attaqué les Conards de Rouen à coups de pierres : c’est ainsi qu’Erreur a soumis Passe-temps.   26 Qu’il n’y a personne.   27 Pour une raison qu’on n’a pas le droit de dire. Sans doute les impôts engendrés par la guerre civile.   28 LV : se faire  (Es-tu payé pour te taire ? Les partisans de la liberté d’expression n’ont pas beaucoup apprécié le règne de Charles IX.)   29 Les Sots jouissaient d’une grande liberté de parole, surtout lors des jours gras. Mais la censure les a muselés à partir de la Contre-Réforme.   30 Si l’occasion s’en présentait.   31 Était avec moi.   32 LV : Quoy  (Juste avant ce mot, le scribe a tourné deux pages en même temps : les folios 274 vº et 275 rº sont restés blancs.)   33 LV : ien sonrnys  (N’en dites rien. « Mais gardez que mot n’en sonnez ! » ATILF.)  Cf. Trote-menu et Mirre-loret, vers 129 et 160.   34 Appelons-le. Sur le pronom normand « lay », voir la note 12 du Vendeur de livres.   35 LV : dyre  (Ce qu’il voudra faire.)   36 Monte sur la scène ! L’acteur est donc parmi le public.   37 Vous invite à venir.   38 Il grimpe sur l’échafaud.   39 Désiré, recherché.   40 Si jamais, au cours de ma vie. Cf. Jehan de Lagny, vers 297.   41 Ayant des habits si disparates, qui ne vont pas ensemble.   42 Fou.   43 Récemment venu de loin, étranger.   44 LV : labeur et leglise  (Le Monde ne veut rien avoir à faire avec la paysannerie <vv. 252-3>, mais il porte sur lui des éléments de Justice <vv. 152-3>.)   45 LV : habis  (Si on m’a donné un habit fait de bric et de broc.)  Le Monde qu’on faict paistre arbore lui aussi des vêtements bariolés : « Il porte abillement dyvers. »   46 À crédit, du latin credo [je prête]. « Et les payer du grant crédo :/ Assez promettre et rien tenir. » (ATILF.) Ce mot d’argot estudiantin survit encore.   47 Dire la messe comme un véritable homme d’Église.   48 Vos denrées. « Portez vostre derrée en vente. » Marchebeau et Galop.   49 S’occupe de commerce.   50 En un mot.   51 La Porte Baudais, ce haut lieu parisien, était connu jusqu’en province.   52 Ce latin macaronique est l’équivalent de Beati pauperes spiritu, que les rieurs traduisent : Heureux les simples d’esprit. « On passa licentié maistre Antitus des Crossonniers en toute lourderie, comme disent les canonistes : Beati lourdes, quoniam ipsi trebuchaverunt. » Pantagruel, 11.   53 Qu’on cesse de parler, ou nous aurons des problèmes.   54 Qu’un préjudice.   55 Les nobles portaient des habits courts.   56 LV : vingt il de constantin noble  (Même s’il venait de Constantinople. Les voyageurs réels ou supposés racontaient sur cette ville des histoires fabuleuses.)   57 Gentilhomme. Au théâtre, Chacun tient le même rôle que Tout-le-Monde : voir par exemple les Sotz triumphans qui trompent Chacun.   58 Dans l’ancien temps, les nobles étaient des guerriers qui défendaient le royaume. Depuis qu’ils ne gagnaient plus de batailles, on les méprisait ouvertement : voir la notice du Poulier à sis personnages.   59 LV : voierre  (Au verre : même normandisme à 26.)  Il passe son temps à boire.   60 La damoiselle est l’épouse d’un gentilhomme. Idem vers 210 et 216.   61 Il ne faut pas en douter.   62 On devient un nobliau en achetant un titre nobiliaire, et non plus en combattant pour le roi.   63 Les paysans enrichis faisaient l’acquisition d’une terre, et collaient le nom de cette terre à la suite du leur, avec une particule.   64 Alors que c’était un marchand. Ces derniers acquerraient leurs lettres de noblesse en mariant leur fille à un aristocrate ruiné dont ils épongeaient les dettes.   65 Déroge, porte atteinte à.   66 En accomplissant des prouesses militaires.   67 L’écritoire des clercs de justice. Cf. Pernet qui va à l’escolle, vers 35-36. Écritore rime avec encore, à la manière normande : v. la note 85 du Bateleur.   68 Une charge bien payée.   69 Des gonds : il est hors du sens commun.   70 Pour ce qui est de ses parangons, des modèles bien vivants qu’il imite.   71 Pour cela, changeons de sujet.   72 Il remarque le parchemin enroulé que tient Tout-le-Monde.   73 Une liste de futures nominations. « Tu estoie jà escript au rôle/ De quoy on fait les cardinaulx. » Le Villain et son filz Jacob.   74 Des lettres cachetées, qui renferment des secrets d’État. Cf. Ung Mary jaloux, vers 172.   75 Mes secrets.   76 LV : jentens  (J’attends le bon moment.)   77 Nous la baille belle.   78 Non, il garde bien son argent : il ne nous en baille pas. Cf. Mallepaye et Bâillevant, vers 183.   79 On considérait que Sainte Mère Église était l’épouse de Dieu.   80 En 1562, les calvinistes avaient pillé plusieurs églises de Rouen.   81 Le scribe commence un nouveau folio sans réfléchir que le vers d’amorçage de ce rondel double terminait le folio précédent. Croyant rétablir la rime, il remplace les deux premiers refrains de ce rondel double par un vers faux dont il a tenté maladroitement de corriger le début : Et se commect mainte chose faincte   82 Dessous, le copiste reprend son vers faux et l’adapte aux nouvelles rimes : se commect maincte grand finesse   83 Celui qui ne dit pas « prends ceci ! » n’est pas le bienvenu dans un tribunal. Tous les satiristes ont dénoncé la corruption des juges et des avocats.   84 Ton effort disparaît.   85 Sa générosité.   86 LV : maisse  (Voir les refrains 178 et 190.)   87 Et trouver des ruses pour emprunter.   88 LV : bien  (Voir les refrains 177 et 183.)   89 On ne peut en bénéficier si on ne dit pas : Prends !   90 Ce serait un bon projet.   91 Es-tu assez savant en latin et en théologie ?   92 Jeu de mots banal. « Me prester quelque argent urgent dont j’ay bien grant besoing. » François Ier.   93 N’importe quel incapable n’a qu’à payer pour intégrer le haut clergé. Voir le Temps-qui-court (vers 203-6), et les Sotz ecclésiasticques qui jouent leurs bénéfices au content.   94 Sous elle : il vit aux crochets de l’Église.   95 Interjection de refus accompagnée d’une grimace.   96 Cela t’ira bien. Les 3 Sots déguisent Tout-le-Monde en comtesse.   97 De bracelets. « Quelque dorure, quelque jaseran, ou quelque ceincture à la nouvelle façon. » Bonaventure Des Périers.   98 De bijoux et de colliers. « Des grans habis,/ Des chaŷnes, carquens et rubis/ Que vous portez. » Le Vendeur de livres.   99 Même s’il n’y en avait plus. « Il me faut du nouveau, n’en fust-il point au monde. » La Fontaine, 1671.   100 Si on n’a. L’auteur critique les nobles qui vivent au-dessus de leurs moyens et sont à la merci des usuriers : « Et les nobles emprunteront/ À belle usure des Lombars. » Henri Baude.   101 De nom : de naissance.   102 Sans orgueil ou faste.   103 Orgueilleux.   104 Vers omis au changement de folio. « Plusieurs s’efforceront avec moy ; toutesfoys, je les surmonteray tous facilement. » Étienne Dolet.   105 Pour peu que j’aie de l’argent.   106 En oubli (normandisme).   107 D’artisanat.   108 De praticien : d’avocat.   109 Porteur de perruque, comme les magistrats. Cf. le Poulier à sis personnages, vers 70 et note.   110 Les suppôts sont des Sots inféodés à un prince ou à tout autre chef d’une confrérie joyeuse, par exemple l’abbé des Conards de Rouen. « Tu n’es pas digne/ D’estre des suppostz de Follie. » Les Sotz qui corrigent le Magnificat.   111 De tourment.   112 Ce qu’il.   113 Raccourci. LV a d’abord noté, puis biffé : estourdy acoursy   114 Fou. Cf. la Pippée, vers 75.   115 Une coiffe de poupée (normandismes) : cf. la Pippée, vers 551. On affuble Tout-le-Monde avec des jouets d’enfants : une épée en bois, une coiffe de poupée.   116 Tout-le-Monde jure comme un soldat, puisqu’il porte un habit de noble et une fausse épée.   117 Tant que j’y serai. Tout-le-Monde adopte une attitude pateline, puisqu’il porte une robe de prêtre.   118 Il redevient soldat.   119 Je les caresserai de coups. « Vous qui vous caressez ainsi à coups de poing. » (Pierre de Larivey.) Je signale une erreur de Cotgrave : CARASSE, qu’il définit « A huge, or great face », est une faute de transcription pour caraffe, les ff étant alors à peu près identiques aux ss.   120 Confrontation.   121 À la légère, inconsidérément. Les Sots le coiffent d’un bonnet de Sot.   122 La lunaison influence les hommes lunatiques, alors sujets à un coup de folie. Cf. l’Avantureulx, vers 211.   123 Que le petit d’une oie. Cf. Guillerme qui mengea les figues, vers 7.   124 Proche de nous.   125 LV insère ce titre entre les deux vers précédents.   126 Encore une allégorie : cf. Gautier et Martin, vers 133 et 265. C’est à cause de Tout-le-Monde que nous avons tant de malheur.   127 D’un seul état, d’une seule profession. « Celuy est fol qui ne se contente. Tout le monde est donc fol, parce que nul n’est content de sa fortune. » Guillaume Bouchet.   128 Il se prend pour saint Paul.   129 Cette morale hautement médiévale a beaucoup servi et pourrait servir encore. « Tout le monde est fol. En Lorraine, Fou est près Tou [de Toul]. » Rabelais, Tiers Livre, 46.   130 La voie de la Raison, autre allégorie.   131 À son grand ridicule.   132 De manière.   133 Il n’y a personne.   134 Ce qui montre.   135 Alors qu’il.   136 Ne veut plus reconnaître.   137 LV : bende  (« Qu’on le puist pendre/ Et estrangler d’ung bon licol ! » Villon. Cf. Deux hommes et leurs deux femmes, vers 457-8.)  Dans une autre Moralité, les Enfans de Maintenant (BM 51), c’est en effet le personnage allégorique appelé Honte qui conduit au gibet l’homme déshonoré.   138 LV : sauquemente  (Vu qu’il progresse dans le mal.)   139 L’envoi de cette ballade aurait dû comporter 4 vers, et commencer par le mot « Prince ».   140 S’emplit de vent.   141 « C’est folie de vouloir voler sans aile. » Trésor des sentences.   142 Cachée.

D’UN QUI SE FAIT EXAMINER POUR ESTRE PREBSTRE

British Library

British Library

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D’UN  QUI  SE  FAIT

EXAMINER  POUR

ESTRE  PREBSTRE

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Le thème de « l’enfant mis aux écoles1 » faisait rire le peuple, même si ce peuple n’était guère plus instruit que les ignorants aux dents longues dont il riait. Cette farce normande, écrite dans le premier quart du XVIe siècle, est un modèle du genre : un petit paysan se satisfait de garder les oies et de baragouiner son patois ; mais sa mère veut en faire un prêtre ou même un pape, et transforme l’idiot du village en parfait abruti. Quand ce dernier se retrouve devant l’examinateur, le vernis latin craque, et le naturel revient au galop.

Nous avons là une de ces farces de collège2 que les apprentis latinistes jouaient à l’occasion de certaines fêtes. Nous savons que l’obscénité, la scatologie et l’anticléricalisme y étaient bienvenus : voir par exemple Maistre Jehan Jénin, ou la Résurrection Jénin à Paulme.

Sources : Recueil du British Museum, nº 45 : « La Mère, le Filz et l’Examinateur. » Le vrai titre est sous la vignette : « D’un qui se fait examiner pour estre prebstre. » Publié à Paris par Nicolas Chrestien, vers 1550.  —  Manuscrit La Vallière, nº 58 : « La Mère, le Filz (lequel veult estre prestre) et l’Examynateur. » Copié à Rouen vers 1575, peut-être d’après un exemplaire de l’édition Chrestien. Aucune de ces deux adaptations tardives n’étant publiable en l’état, je prends pour base l’édition BM, et je la corrige tacitement sur le manuscrit LV, quand il résout un problème sans en créer un autre.

Structure : Rimes plates. Beaucoup de rimes identiques et d’assonances approximatives.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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Farce  nouvelle  trèsbonne

et  fort  joyeuse

 

À troys personnages, c’est assavoir :

       LA  MÈRE

       LE  FILZ  [Pernet] 3

       et  L’EXAMINATEUR

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            D’UN  QUI  SE  FAIT  EXAMINER

                   POUR  ESTRE  PREBSTRE.

*

 

                            LE  FILZ  commence en chantant 4      SCÈNE  I

        Bouriquet, bouriquet, Hanry bourilane !

        Bouriquet, bouriquet, Hanry bouriquet !

        Ma mère, ay-je pas un beau Moulinet 5 ?

        Agardez6, je l’ay fait comme pour moy.

                            LA  MÈRE

5      Las, que je suis en grand esmoy !

                            LE  FILZ

        [Et ! dictes-moy] pourquoy, ma mère.

                            LA  MÈRE

        Hé(e) ! Dieu ayt l’âme de ton père7 !

        S’il eust vescu, t’eust fait grand homme.

                            LE  FILZ

        Il m’eust fait évesque de Romme,

10    C’est pour le moins, je l’entens bien.

                            LA  MÈRE

        Las ! qu’il estoit homme de bien,

        [N’en desplaise aux villains jaloux.]8

                            LE  FILZ

        Nul n’en dit mal, si ce n’est vous,

        Qui l’appellez [boiteux et] borgne9.

                            LA  MÈRE

15    Tenez, regarde-le-moy à la trongne.

        Jamais ne vis [chose ou personne]10

        [Qui] mieulx ressemble11 l’un[e] à l’autre.

                            LE  FILZ

        Ma mère, il  en fault trouver un autre.

                            LA  MÈRE

        Dis-moy où nous en trouveron.

                            LE  FILZ,  en chantant 12

20    Au Vau13, lure lurette !

        Au Vau, lure luron !

        Mon Dieu, que je suis vray huron14 !

        Mais quand [bien je pense]15 à part moy,

        Hé ! qui suis-je ? Encor je ne sçay.

25    M’a-l’on point escript aux Cronicques16 ?

        Je me gaige que, sus méniques17,

        Que j(e) y suis, avecq Bouderel

        Ou avecq[ues] Jaquet Hurel18,

        Car je suis homme de renom.

30    Mais sçav’ous point comme j’ay nom ?

        « Chose », [a-l’on]19 bouté en escript !

        Je fus né devant20 l’Antéchrist,

        De cela me souvient encore.

        Ma mère avoit nom Li[ber]nore21,

35    Et mon père, messir(e) Gaultier22,

        Aux enseignes de son saultier23,

        Qu’il me donna quand il fut mort.

                            LA  MÈRE

        Par Nostre Dame de Monfort !

        Je croy que  tu es matelineux24 ou yvre.

                            LE  FILZ

40    Ma mère, çà, mon petit livre25 !

        Quia égo volo iré ad Ordos26,

        Affin que je soys sacerdos27

        Devant qu’il soit la Penthecouste28.

                            LA  MÈRE

        Tu le seras, quoy qu’il me couste,

45    Puisque tu as volunté telle.

                            LE  FILZ

        Ma mère, quand esse ? [On frételle]29 ;

        De cela30, vous n’en parlez point.

                            LA  MÈRE

        Ne t’en soucie que bien apoint.

        Mais j’ay envie que tu soys prestre.

                            LE  FILZ

50    Sainct Jehan ! aussi je le veulx estre,

        Car j’ay assez estudié.

                            LA  MÈRE

        Aussi, il t’en est bon mestié31,

        Car c’est une chose commune

        Qu’on32 te demand(e)ra si la plume

55    Tu [ne] sçais très bien manier.

                            LE  FILZ

        La plume ? Sainct Gris, ouy !

        Hé ! c’est[oit] mon premier mestier33 :

        Je ne fis jamais autre chose,

        Et  quand j’aloys mener nostre Chose34

                            LA  MÈRE 35

60    Et, quoy ? Dis-le-moy vistement.

                            LE  FILZ

        Hé ! nostre grand vieille oye au(x) champ(s) ;

        Souvent luy manioye la plume.

                            LA  MÈRE

        Vrayment, tu m’en bailles bien d’une !

        Ce n’est pas ce que je [te] dis.

                            LE  FILZ

65    Elle a de la plume[s], à mon advis ;

        À tout le moins, ma mère, ce croy-je.

                            LA  MÈRE

        Jamais un sot ne sera saige36,

        Au moins un pareil que tu es.

                            LE  FILZ

        Où avez-vous mis mon Donnest 37

70    Qu’aviez l’aultre ier38, dictes, ma mère ?

                            LA  MÈRE

        Vien çà ! Dy-moy : qu’en veulx-tu faire ?

                            LE  FILZ

        Que j’en veulx faire ? [Sainct Didier !]

        Je veulx dedans estudier.

        Ou autrement, je m’en iron39

75    Jouer à l’ombre d’un buisson40.

        Entendez-vous, dictes, ma mère ?

                            LA  MÈRE

        Ce n’est pas ainsi qu’il fault faire ;41

        Tu es un trèsmauvais garson !

        Il fault bien estre plus sage.

80    Çà42 ! je m’en voys à la maison

        De l’examinateur c’est le vicaire43.

                            LE  FILZ

        Hay,  ma mère, dictes-moy que faire ;

        Iray-je point o44 vous ?

                            LA  MÈRE

                                              Nenny.

                            LE  FILZ

        Et pourquoy ?

                            LA  MÈRE

                        Parce que  tu n’es c’un bémy45,

85    Et tu me ferois déshonneur.

                            LE  FILZ

        [Ma mère, à l’examinateur

        Recommandez-moy]46, s’il vous plaist.

                            LA  MÈRE

        Tais-toy, car tu n’as [fors] que plest47.

        Ne pense qu’à faire du sage.48

                            LE  FILZ

90    Luy portez-vous point de fromage,

        Pour luy faire quelque présent49 ?

                            LA  MÈRE

        Ha ! tu ditz vray, par mon serment !

        En voilà, que luy porteray.

        Et à luy te recommand(e)ray.

95    Aussi, je compteray ton affaire.

                            LE  FILZ

        Adieu vous ditz donques, ma mère !

                            Pause.

                            LE  FILZ                                               SCÈNE  II

        Aviser fault à mon affaire,

        Pour me démonstrer homme sage.

        Vestu je suis selon l’usage50.

100  Apprendre veulx comme il fault faire.

        Saluer me fault ce vicaire

        Tout aussi tost que le verray.

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                            LA  MÈRE 51                                      SCÈNE  III

        Dieu vous gard, Monsieur [le Curé] !52

                            L’EXAMINATEUR

        Et vous, m’amye ! Qui vous ameine ?

                            LA  MÈRE

105  Las ! c’est mon filz qui me démaine

        Et me dit qu’il veult estre prebstre.

                            L’EXAMINATEUR

        Possible. Est-il sage53 pour l’estre ?

        Que ne l’avez-vous amené ?

                            LA  MÈRE

        Monsieur, je vous voulois ouÿr parler

110  Et sçavoir vostre volunté.

        Mais je m’en retourne à l’hostel54

        Et l’amèneray devers vous.

                            L’EXAMINATEUR

        Allez doncques, despêchez-vous,

        Ne demourez pas longuement !

                            LA  MÈRE

115  Non feray-je, par mon serment !

        [Je m’y en voys.] Adieu, Monsieur !

        Je prie à [Dieu], Nostre Seigneur,

        Qu’i vous donne55 joye et santé !

.

                            LE  FILZ 56                                          SCÈNE  IV

        Je veulx faire cy un autel

120  Et chanter le Per omnia57,

        En ce temps pendant qu’il n’y a

        Que moy [tout] seul en cest hostel.

        Et si,  me fault apprester mon cas [tel]

        Que je n[’en] aye fascherie.

.

                            LA  MÈRE 58                                       SCÈNE  V

125  Or çà, mon filz, Dieu te bénie !

                            LE  FILZ

        Et ! vous ma mère, que dictes-vous ?

                            LA  MÈRE

        Je pense que tu prieras pour nous59

        Et pour ceulx qui te f(e)ront du bien.

                            LE  FILZ 60

        Qu’en dictes-vous ? Cela61 est-il bien ?

130  Ma mère, escoutez-moy chanter.

                            LA  MÈRE

        As-tu fait toy-mesmes cest autel62 ?

                            LE  FILZ

        Ouy dea, ma mère, Dieu mercy !

                            LA  MÈRE

        Las ! que tu as un bel esprit !

                            LE  FILZ

        Si63, fus-je fait au cymetière ?

135  Or m’escoutez chanter, ma mère :

        Je diray un Per omnia.

                            LA  MÈRE

        Je pense qu’au monde il n’y a

        Homme plus sçavant que tu es.

                            LE  FILZ

        Or escoutez-moy, s’il vous plaist.

                            LA  MÈRE 64

140  Je t’escoute, par mon serment !

                            LE  FILZ,  [en chantant]

        Per omnia sécula séculorum !! Amen !! 65

        [Or] qu’en dictes-vous, voirement ?

        [Une autre fois bien chanteray]66.

                            LA  MÈRE 67

        Par mon âme ! l’on dit bien vray68 ;

145  Mon filz chante deisjà la messe.

        Et ! par Dieu, il sera évesque ;

        Je le sçay bien certainement,

        Voyre, s’il vit bien longuement.

        Aussi l’avois-je bien songé69.

150  Regardez comme il a changé,

        Depuis qu’il ne fut à nourrice.

        Tout ce qu’il fait luy est propice,

        Et sy, fait desjà fort de l’homme.

        Je cuyde70 que d’icy à Romme,

155  Il n’y a [ne] beste ne gent

        Qui ayt si bel entendement

        Comme il a, [vous] le voyez tous71.

        [Çà], mon filz, que je parle à vous !72

        Il fault que tu soyes un curé.

                            LE  FILZ

160  C’est bien dit. Il nous fault aller

        Bien tost vers l’examinateur ;

        Mais qui sera mon conduicteur ?

                            LA  MÈRE

        Moy, pour le plus honnestement.

                            LE  FILZ

        Or dictes-moy, premièrement,

165  Et m’enseignez comme dois faire.

                            LA  MÈRE

        C’est bien dit. Que je te voye faire73 !

                            LE  FILZ

        Monstrez-moy doncq premièrement.

                            LA  MÈRE 74

        Faire fault le pied75 gentement.

        Et saluer Monsieur haultement.

170  Pas ne fault faire l’estourdy76.

                            LE  FILZ

        J’ay entendu ce qu’avez dit,

        Ma mère, ne vous souciez point.

                            LA  MÈRE

        Chemine par bon contrepoint77,

        Et te gouverne honnestement.

                            LE  FILZ

175  Luy fauldra-il bailler argent78 ?

        Car, par ma foy, je n’en ay point.

                            LA  MÈRE

        Je croy qu’il n’en demand(e)ra point ;

        S’il en demande, il en aura.

        Allons-nous-en veoir qu’il79 dira.

180  Au moins, il sçaura que tu scez dire.

                            LE  FILZ

        Je ne me pourray tenir80 de rire,

        Agardez, tant je suis joyeulx.

                            LA  MÈRE

        Regarde-le faire entre deux yeulx :

        Je croy que n’auras fain81 de rire…

185  Mais as-tu plume pour escripre ?

        Et aussi ton escriptoire, [où est-elle] ?

                            LE  FILZ

        Baillez-moy l’autre, elle est plus belle ;

        Car ceste-là ne vault plus rien.

                            LA  MÈRE

        Saincte Marye, tu dis bien !

190  Tien, la voicy ; metz-y tes plumes.

                            LE  FILZ

        Or, tout y est ; ne s’en fault82 qu’une

        Que je mettray à mon oreille.

                            LA  MÈRE

        Prens ton ganif et l’appareille83,

        Que tu escripves comme un pape.

                            LE  FILZ

195  Hay !  Ma serpe, ma mère ! Ma serpe

        Me servira de ganivet84.

                            LA  MÈRE

        Or allons doncques, c’est bien fait.

        Il nous fault tost parler à luy.

        Présente-toy tost devers luy,

200  Et le salue bien haultement.

                            LE  FILZ

        A,  je l’avoys oublié, vrayment.

        Il sera fait, sans y faillir.

        Esse [pas il]85 que voys venir

        Par ce chemin, si gentiment86 ?

                            LA  MÈRE

205  Ouÿ, mon filz, par mon serment !

        Va-t’en à luy honnestement,

        Et le salue bien haultement.

        Fais tout ainsi que je t’ay dit.

.

                            LE  FILZ 87                                          SCÈNE  VI

        Je vous salue bien haultement,

210  Monsieur : ma mère me l’a dit.

                            L’EXAMINATEUR

        Qui m’amaine cest88 estourdy ?

        Pourquoy viens-tu ?

                            LE  FILZ

                                        Pour estre prebstre.

                            L’EXAMINATEUR

        Ceinct89, tu es assez sot pour l’estre !

        Viens-tu pour estre examiné ?

                            LE  FILZ

215  Ita, per quidem, Dominé,

        Si placéat vobis, modo.90

        Car le jour de Quasimodo91,

        Je chant(e)ray ma première messe,

        Entendez-vous pas bien92 ?

                            L’EXAMINATEUR

                                                   Ouy dea ; qu’esse ?

                            LE  FILZ

220  Je vous semons93, ne faillez pas :

        Vous y aurez un bon repas.

        Et si, vous mengerez du rost,

        Voire, et si burez plus de trois potz,

        Sur ma foy, du vin de la feste94.

225  Car  puisque je l’ay mis en ma teste,

        Il sera fait per quoniam95 !

                            L’EXAMINATEUR

        Je ne vis onc(ques), de demy an96,

        Un si grand sot, par sainct Victor97 !

                            LE  FILZ

        Je sçay bien mon Rétributor98,

230  Mon Imanus99, mon Quanterra100,

        Vény Créato, Hora nonna.101

        Et si, cognois toutes mes lettres.

        J’en ay fait reus102 cent fois les maistres

        De nostre escolle, sur mon âme !

                            L’EXAMINATEUR

235  Par la benoiste Nostre Dame !

        Je croy que tu es matelineux ou yvre. 103

                            LE  FILZ

        Ma mère, çà, mon petit livre !

        Quia  égo volo disputaré.

        Déclina michi « létaré »104 :

240  Je vous l’envoye105 de bout en bout.

                            L’EXAMINATEUR

        Et puis, sera-ce tantost tout ?

        Ton blason106 beaucoup me desplaist.

                            LA  MÈRE

        Examinez-le, s’il vous plaist.

                            L’EXAMINATEUR

        Or  çà ! Quo nomine vocaris107 ?

                            LA  MÈRE

245  Il ne fut jamais à Paris,

        Et si108, [il] est si antificque :

        Il sçait toute sa Réthoricque

        Courant comme son ABC.

                            LE  FILZ

        Par bieu ! je suis tout mort de soif109 :

250  Ma mère, çà, nostre bouteille,

        Car je luy veulx tirer l’oreille110 !

                            LA  MÈRE

        Attens que nous soyons hors d’icy.

                            LE  FILZ

        [Instruisez-moy : qui a vécy]111 ?

        Per  fidem méam112, je n’en sçay rien.

                            L’EXAMINATEUR

255  Hé(e), que tu es homme de bien !

        Vien çà, dis. Ad quam, amicé113 

                            LE  FILZ

        Or attendez que j’aye pissé,

        Monsieur : j’auroy à cest heure114 fait.

                            LA  MÈRE

        Tu es un villain trèsparfait !

260  Que ne respons-tu sagement ?

                            LE  FILZ

        Mais qu’esse qu’il dit ? Voirement,

        Per  méam fidem, je n’en sçay rien115.

                            L’EXAMINATEUR

        Ma foy, mon filz, tu ne scez rien ;

        Tu ne sçaurois [parler latin]116.

                            LE  FILZ

265  Égo, vultis117 ? Par sainct Copin !

        Eccé desjà librus méus118.

                            L’EXAMINATEUR

        Or avant, doncq[ues] ! Dicamus119 !

                            LA  MÈRE

        Sire120, il chante bien « Orémus ! » :

        Car autresfois, quand je m’envoys 121

270  Sy122 le laisse seul à l’hostel,

        Il fait de la table un autel

        Et chante le Péromnia123.

        Vous diriez, [en voyant]124 cela,

        Qu’il seroyt digne d’estre pape.

275  [Mais] il met aussi bien la nappe

        À l’heure qu’il nous fault disner125.

                           L’EXAMINATEUR

        Laissons tout, [c’est assez jaser]126 !

        Dy-moy, qu’esse ? Vadis127 mecum ?

                            LE  FILZ

        Allez, villain128 ! Par sainct Symon !

280  Vous estes plain de vitupère.

        [Av’ous parlé]129 du con ma mère ?

        A ! par ma foy, je luy voys dire130 !

.

                            L’EXAMINATEUR

        Messieurs131, ce lourdault me fait rire

        Tant, que c’est un merveilleux cas.132

285  Nous vous prions, tant hault que bas133,

        [Que prenez en gré noz esbatz,]

        [Si vous avons]134 aucun tort fait.

                            LE  FILZ

        Et qui se trouv(e)ra en tel cas,

        Qu’il ne face pis que j’ay fait.135

.

                        FIN

.

*

LE  VILLAIN  ET

SON  FILZ  JACOB 136

*

        ………………………………..

                            LE  VILLAIN

        Je te requiers que tu y137 goucte ;

        Il me tarde que t(u) y soie jà.

                            JACOB

        Jà mauldit soit qui le fera !

        Et puis me diroient cléribus138.

                            LE  VILLAIN

5      Tu seras desvêtus tous nuz,

        Se tu n’y vas de tom bon grey139.

                            JACOB

        Tant que vive, ne le ferey.

        Le diable [sur vous]140 puisse cheoir !

                            LE  VILLAIN

        Tu ne m’eschappes paz encoir,

10    Puisque je te tiens par la main.

                            JACOB

        Vous y serez jusqu(es) à demain :

        En ma vie je n’y entandray141.

                            LE  VILLAIN

        [Par] saint Jehan ! Je t’y pourteray ;

        On verra qui(l) sera plus fort.

                            Pausa.142

15    À la mort ! À l’ayde143 ! À la mort !

        Sanc bieu, qu’il a les dans aguë[s] !

        Hélas, par ma foy, tu me tue[s] !

        Laisse-m(oy) aller, tu n’yras pas.

                            JACOB

        Or, levez144 le doy.

                            Or lèves le doy [le Villain].

                                          …………..

        ………………………………. 145

 20   ……….

                            LE  VILLAIN

                         Saint Jehan ! non feray.

        Tu ne m’aras pas pour tel, fis146.

        Marchant147, puizque [vous] estes prins,

        Vous y [serez porté]148 au sac

        Toust à ceste heure.

                            JACOB

                                         Nac149, nac, [nac] !

25    Encoir ne sommes-nous pas là.

                            LE  VILLAIN 150

        On verra qui plus fort sera.

        Or çà, marchant, entres dedans !

                            JACOB

        Par Dieu ! père, vous perdez tenpz :

        Tant que vive, je n’y entrey151.

                            LE  VILLAIN

30    Par Dieu ! doncques, je t’y bout(e)ray.

        Or çà ! et l’eusse-tu juré152,

        Entres !

                            JACOB

                      Vous avez beaul hué153 :

        Ce ne sera huit154 ne demain.

                            LE  VILLAIN

        Puisque j’ay prins le fait en main,

35    Tu y155 viendras, ribon ribainne !

                            Ilcy, le charge sur ses espaule[s].156

                            JACOB

        Vraiement, vous prenez grant paine

        De chouse qui gaire ne vault.

                            LE  VILLAIN

        Ha ! Nostre Dame, qu’il fait chault !

        J’ay heue cy une malvaise poincte157.

40    Ha,  que le maistre fera grant plainte158,

        Quant il verra mon filz Jacob !

                            JACOB

        Encoir n’y suy-ge pas, siro159.

        Je vous eschaulferey vostre eau160.

                            Ilcy le prant Jacob par 161 les orelles.

                            LE  VILLAIN

        Dea, Jacob, tu me fais courtaud162 !

45    Ce n’est pas fait163 de bon enffant.

                            JACOB

        Or, vous déportez donc à tant164,

        Ou je le[s] vous araicherey !

                            LE  VILLAIN

        Las ! mon filz Jacob, je ferey

        Ce que vouldras165 ; n’an tires plus !

                            JACOB

50    Me quictez-vouz166 ?

                            LE  VILLAIN

                                            Ouy, par Jhésus !

        Jamès [plus] ne t’an requiérey,

        [Ny maistre ne te donneray.]167

        Va, fait[z] du piz que tu pouraz.

        Hélaz, mon trèsbeaul filz, hélas !

55    J’ay les oreilles dessirées168.

        (Hélas ! or pers-je mes soudées169,

        Se Jacob [ne] va à l’escolle.

        Il [l]e fault prendre de parolle170

        Doulcement : sy s’acordera.)

60    Jacob !

                            JACOB

                     Que voulez-vous ?

                            LE  VILLAIN

                                                   Vien çà !

        Beaul filz Jacob, je te suply171

        Que face[s] ce que [je] t’ay dist.

                            JACOB

        Quoy, siro ?

                            LE  VILLAIN

                             Aller à l’escole.

        Tu estoie jà172 escript ou rôle

65    De quoy on fait les cardinaulx.

                            JACOB

        Il ne m’an chault pas de deux aulx173,

        Par Dieu : je veulx garder les pors.

                            LE  VILLAIN

        Jacob, soies de mes acors174

        Et je te donray du fromaige,

70    De la rotiecte175, que sai-ge,

        Et des pommes dedans tom sac.

                            JACOB

        Et quoy avec(que) ?

                            LE  VILLAIN

                                        Des nois aul flac176

        Et ung gros cartier de fromaige.

        Es-tu contant, Jacob ?

                            JACOB

                                            Que sai-ge ?

75    G’y panseray sans dire mot(z).

        Or, enplez doncque mom saichot177,

        Et que j’aye la boutellecte178.

                            LE  VILLAIN

        Ho ! Jacob, par saincte Mamecte,

        Tu auras ce que tu vouldras.

80    Tien, mon enffent. Or, va le pas179,

        Et mez painne180 de bien apprandre,

        Car vraiement, je veulx tout vandre

        Pour toy fère clert181 excellant.

        A Dieu.  Filz Jacob, à Dieu vous commant182 !

                            [JACOB]

        Tandis que le sac durera,

86    [Je feray tout ce qu’on vouldra.]183

                            LE  VILLAIN

        ……………………………………

*

1 Voir Halina LEWICKA : Études sur l’ancienne farce française, pp. 32-46.   2 Voir la note 2 des Sotz escornéz.   3 Dans le recueil du British Museum, cette farce est suivie par une autre, Pernet qui va à l’escolle : on y reconnaît le personnage de la mère, et celui du fils, qui se nomme Pernet. Cette farce où Pernet ânonne l’alphabet précède la nôtre, qui en reprend de nombreux vers. On peut donc en déduire que le nom du fils est le même dans les deux pièces.   4 Hari bouriquet, chanson franco-provençale de Claudin de Sermisy. « Hari, bourriquet ! » est une injonction pour faire avancer les ânes. Elle est vite passée dans le registre érotique : « Ce petit paillard tousjours tastonoit ses gouvernantes, c’en dessus dessoubz, c’en devant derrière, harry bourriquet ! Et desjà commençoyt exercer sa braguette. » (Gargantua, 11.) Le prénom Hanry doit viser un des magisters du collège rouennais qui créa cette œuvre. La copie LV rend au prénom son orthographe originale : « Bouriquet, bouriquet, Henry boury lane !/ Bouriquet, bouriquet, et Henry bouriquet ! » Pour se moquer d’un prêtre ainsi prénommé, les huguenots modifieront de la sorte ce refrain : « Le prestre se vest,/ Henri, Henri l’asne,/ Le prestre se vest,/ Henri bouriquet ! » (La Gabelle de la messe, ms. Cinq cents de Colbert 488.)   5 Bâton au bout duquel pend une vessie de porc emplie de pois secs, que les enfants et les Sots font tourner pour produire du bruit : cf. le Jeu du Prince des Sotz, vers 157. Je laisse aux érudits rouennais le soin de vérifier si la victime de cette chanson ne serait pas un certain Henry Mo(u)linet : de nombreux Normands portèrent ce nom.   6 Regardez, voyez. Même normandisme au vers 182. Pernet chante les deux derniers décasyllabes sur le même air.   7 Comme beaucoup de Badins, Pernet est le fils d’un prêtre. Cf. Jénin, filz de rien.   8 Vers manquant.   9 Je comble arbitrairement cette lacune d’après Lucas Sergent, bouéteulx et borgne. En tout cas, ce père n’était pas manchot : dans Pernet qui va à l’escolle (note 3), il bat son fils et il fend du bois à la hache. Borgne rime en -o(r)ne.   10 BM : chose  —  LV : personne  (La mère observe son fils, qui a peut-être un bandeau sur l’œil.)   11 BM-LV : ressembler   12 Chanson inconnue ; voir H. M. Brown, nº 31. Le refrain imite une flûte, comme le confirme ce Noël : « De la fleûte, lure lurette. » Mais il pourrait s’agir d’une musette : « La cornemuse, avec lire lirette, lire liron, commence à fredonner plusieurs sortes de danses. » Histoire maccaronique de Merlin Coccaïe.   13 Nous vous trouverons un amant au Vau (au Val-de-Vire). Cette vallée normande fournira de nombreuses chansons à boire : « D’une chanson du Vau-de-Vire/ Le fault servir, à ce matin. » Actes des Apostres.   14 Sagouin. « Ce n’est q’ung sot,/ Filz de quelque huron saulvaige (…),/ Et c’est ung prestre de villaige,/ Ou le clerc de quelque vieil moyne. » (Guillaume Coquillart.) Pernet s’adresse au public.   15 BM : ie pense  —  LV : je pence bien  (Mai rime avec sai, à la manière normande. Cf. Messire Jehan, vers 194.)   16 Dans la farce de George le Veau (BM 22), un orphelin en quête de parents demande au curé : « Av’ous point une croniquaille/ Pour y regarder ? » Il s’y choisit un père et une mère : « Voy-les-cy en droictes cronicques. »   17 Litote normande : « Sur mon âme ! » Cf. Jolyet, vers 38. La répétition de « que » au vers suivant est populaire.   18 Pernet, qui ne connaît personne en-dehors de son village, ne peut se comparer qu’à deux notables du cru. Ou aux deux cancres du collège.   19 BM-LV : ma lon point  (Il va de soi que son père, le curé, n’allait pas l’inscrire dans le registre des baptêmes sous son propre nom.)  « Chose » est un pseudonyme pratique : voir le v. 96 de la Résurrection Jénin à Paulme, le v. 37 des Chambèrières et Débat, ou le v. 194 de Mallepaye et Bâillevant.   20 Avant. Les prêcheurs apocalyptiques prétendaient que l’Antéchrist venait juste de naître. « Fuyons-nous-en : j’ay entendu/ Que l’Antéchrist si est jà  ! » Les Menus propos.   21 Le psautier dont Pernet a hérité de son père (vers 36-37) s’ouvre comme tant d’autres sur un ex-libris en latin de sacristie : « Liber in honore * messire Gaultier. » Pernet, qui a une forte tendance à estropier les expressions latines, n’a retenu que le début et la fin de liber in honore, et il s’imagine que le nom de sa mère précède le nom de son père.  *Un auteur normand nous a laissé un Liber in honore sancti Petri et sancti Philiberti.   22 Le Savetier qui ne respond que chansons (F 37) évoque ce curé lubrique : « À confesse,/ Vous distes à messir(e) Gaultier/ Que je subtenoys ma maistresse. » On prononce « messer ».   23 D’après ce qu’indique l’ex-libris de son psautier.   24 Atteint de folie, le mal de saint Mathelin. « Mathellineux,/ Foulx, estourdis. » (Le chastiement du Monde.) La Mère s’indigne que Pernet croie ne pas être son fils.   25 Donnez-moi mon manuel de latin ! Dans un souci tout campagnard de faire durer le matériel, la mère conserve toutes les affaires de son fils, et lui prête au compte-gouttes ses livres, son Donat (v. 69), son écritoire neuve (v. 190), et même sa serpe (v. 195).   26 Car je veux entrer dans les Ordres. « Et comment envoyoit-on ad ordos gens si ignorans ? Il fault noter que ceux qui les examinoyent n’en savoyent guère davantage qu’eux. » Henri Estienne.   27 Prêtre.   28 Avant la Pentecôte. Cf. les Femmes qui font refondre leurs maris, vers 406.   29 BM : que lon fretille  —  LV : que on fretelle  (On se contente de bavarder. Cf. Deux hommes et leurs deux femmes, vers 41.)   30 De la date de mon investiture.   31 Il t’en est bien besoin.   32 BM-LV : Que lon  (Il s’agit de la plume d’oie pour écrire. Mais pour le public, qui a l’esprit mal tourné, une plume est un pénis : cf. le Dorellot, vers 119 et note. Nous avons conservé la vieille expression érotique « tailler une plume ».)   33 Enfant, Pernet gardait les oies, tout comme Maistre Mimin estudiant. Dans le Villain et son filz Jacob, que je publie en appendice, le petit paysan garde les cochons.   34 Pernet a baptisé son oie de son propre nom de famille : Chose.   35 Elle ne comprend pas qu’il s’agit de l’oie, et elle pense que son fils ne trouve plus ses mots.   36 Même constat dans les Sobres Sotz, vers 123.   37 Manuel de grammaire latine de Donatus. Cf. le Maistre d’escolle, vers 11. « Ce petit Donet je (lui) présente,/ Pour tant qu’il a mis son entente/ À volloir grammaire sçavoir. » Jehan Molinet.   38 L’autre hier = l’autre jour. BM : lautruy/   39 BM-LV : iray  (Forme populaire normande. « G’irons au marché. » La Mauvaistié des femmes.)  À la rime, le « s » final est facultatif, comme au vers 19.   40 Pernet retient mieux les chansons que les prières. D’innombrables refrains nous renseignent sur l’utilité des buissons : « Trois foys il l’a fringuée à l’ombre d’ung buisson. » (Fringuez, moynes, fringuez.) « Livre-la-moy en ung lict toute nue (…),/ Ou la m’envoye en l’umbre d’ung buisson. » (C. Marot.) « Ma belle se repose/ À l’ombre du buisson./ Moy, j’embroche son chose/ De mon roide poinçon. » (Chansons folastres.)   41 BM-LV intervertissent ce vers et le suivant.   42 BM-LV : Car  (Allons ! je m’en vais…)   43 Le vicaire-examinateur, suppléant de l’official, interrogeait les candidats à la prêtrise.   44 BM-LV : auecq  (En Normandie, « o » = avec. « Voulez-vous demourer o moy ? » Les Esbahis.)   45 BM-LV : fol  (Un niais. À propos de ce normandisme, cf. la Veuve, vers 100 et note.)   46 BM-LV : Recommandez moy a lexaminateur / Dictes ma mere   47 Pas autre chose que plaidoirie, contestation. « Et ne leur laissent nullement/ Avoir fors que plait et riote. » Eustache Deschamps.   48 Les vers 89-91 s’inspirent librement des vers 55-57 de Pernet qui va à l’escolle (note 3).   49 Le bon sens paysan du villageois resurgit.   50 Pernet porte le costume usuel des Badins, décrit dans la note 4 de Colinet et sa Tante, une farce qui développe le même thème que la nôtre. <Voir aussi André TISSIER : Recueil de farces, t. 5, 1989. On consultera la n. 15 de la p.114, et la n. 99 de la p.137.>   51 Elle arrive devant l’examinateur.   52 Les vers 103-7 s’inspirent librement des vers 76-80 de Pernet, mais ne comblent pas ses lacunes.   53 En-dehors d’une farce, on attendrait plutôt la question : Est-il d’âge pour l’être ? Dans la vraie vie, l’âge canonique était alors de 25 ans.   54 À la maison. Idem vers 122 et 270. La mère châtie son langage, et ne parvient qu’à produire un effet comique : J’amènerai l’hôtel devant vous. Hô rime avec volon ; voir les vers 118-9 et 130-1.   55 BM-LV : doint   56 Il installe sur la table un autel de fortune, fait avec du linge de maison et des ustensiles de cuisine.   57 C’est le cheval de bataille des candidats à la clergie : cf. Maistre Mymin qui va à la guerre, vers 348.   58 Elle rentre. Son fils, qui gueule à tue-tête le Per omnia, ne l’entend pas.   59 Quand tu seras prêtre.   60 Désignant l’autel qu’il a bricolé sur la table.   61 Pour la mesure, on pourrait adopter la forme populaire normande « chla » : « Vrayment, chla va bien autrement. » La Muse normande.   62 Pour la mesure, on pourrait adopter la forme populaire normande « st’autel ». « Entendant discourir avant-hier de st’affaire. » La Muse normande.   63 BM-LV : Possible  (Pour lui, un esprit est un fantôme.)  Des prostituées racolaient dans certains cimetières.   64 BM-LV ajoutent dessous : Chante mon filz   65 Par tous les siècles des siècles. C’est le premier vers de Pernet. « Amen » rime en -an : voir la note 160 de Régnault qui se marie.   66 BM-LV : Je chanteray bien une autre fois  (Je chanterais bien une fois de plus.)   67 Au public.   68 Cela confirme le proverbe : « Tel père, tel fils. » La tirade 144-158 reprend les vers 5-19 de Pernet.   69 Voir la note 6 de Pernet.   70 BM-LV : croy  —  Pernet : cuyde   71 BM-LV : vous   72 Dans Pernet, ce vers contenait le nom de l’enfant : Pernet que ie parle a vous   73 Fais le salut que tu feras devant lui.   74 Elle imite gestuellement et vocalement ce qu’elle croit être une grande dame. Rappelons que cette fermière simplette, vêtue d’un tablier, d’un fichu et de sabots, fut jouée par un collégien.   75 BM-LV : petit  (Faire le pied-arrière, ou le pied-derrière, ou le pied de veau, ou le pied : faire une révérence. Voir la note 206 de Gautier et Martin.)  Gentement = avec noblesse.   76 Le fou. Idem vers 211.   77 Avec mesure.   78 BM-LV : de largent  (Nouvelle manifestation du bon sens paysan.)   79 Ce qu’il.   80 Me retenir. « Celui qui ce nous récitoit/ Les assistans tant incitoit/ Qu’ils ne pouvoyent tenir de rire. » (Le Banquet des chambrières.) « Monsieur de Nançay (…) ne pust tenir de rire. » (Marguerite de Navarre.)   81 Faim, envie. « J’ay grant fain de rire. » Serre-porte.   82 Il n’en manquera. Les clercs et les comptables avaient toujours une plume derrière l’oreille, comme les épiciers d’avant-guerre y auront un crayon.   83 Aiguise ton canif : il sert à tailler le bec des plumes, pour écrire aussi fin qu’un chancelier pontifical.   84 Au lieu du petit canif, le paysan aura une vulgaire serpe à la main. « La serpe/ Me servira de canivet. » (Pernet qui va à l’escolle.) Sarpe rime avec pape.   85 BM-LV : il pas  (N’est-ce pas lui ? « Le vélà, c’est il, vrayement. » Les Sotz fourréz de malice.)   86 Noblement. Idem vers 168.   87 Il barre la route à l’examinateur en brandissant sa serpe.   88 BM-LV : se sot   89 BM : Sainct  —  LV : ma foy  (« Le prestre ceint d’une ceinture de chanvre. » Anastase Cochelet.)   90 Oui, par mon quidam, Monsieur, / S’il plaît à vous, du moins. Pernet a beau avoir appris ce salut par cœur, il prononce « per quidem », qui n’a aucun sens, au lieu de « per fidem » [par ma foi]. Un jeune clerc inculte commettra la même boulette au vers 461 de l’Avantureulx.   91 Le dimanche qui suit Pâques.   92 Sous l’effet du trac, Pernet lâche un pet sonore. « Mais sy je lâche le derière/ Par avanture, (entendez-vous ?),/ Vostre part y sera tousjours. » (Le Bateleur.) Nous aurons la suite de ses aventures intestinales au vers 253.   93 Je vous y invite. Lorsqu’un jeune curé célèbre sa première messe, la famille et les amis organisent ensuite une fête bien arrosée. Cf. le Clerc qui fut refusé à estre prestre, vers 105-6 et note : dans cette farce, un candidat à la prêtrise est renvoyé deux fois par son examinateur.   94 « Le cuysinier cy m’a semons/ Pour boire du vin de la feste. » La Présentation des joyaux.   95 Pernet veut sans doute dire « perquam » : tout à fait.   96 En six mois.   97 Le mal de saint Victor est la folie. « Malade du mal S. Victor, et lié comme homme hors du sens. » Godefroy.   98 Peut-être le Confiteor. Le retributor est celui qui paye.   99 BM : in manus  —  LV : imanus  (BM nomme correctement cette prière qui accompagne l’extrême-onction, mais l’ignare Pernet ne peut que la nommer incorrectement : je choisis donc la version LV.)  « Je sçay bien mon Avé salus,/ Mon Imanus, mon Déo pars. » La Bouteille.   100 Prononciation à la française de l’hymne Quem terra pontus. Voir la note 79 de Maistre Jehan Jénin.   101 Seul LV consigne ce vers, qui manque dans BM. On ne présente plus le Veni Creator. La 9ème heure (hora nona), ou heure de none, désigne dans les monastères la prière de 15 heures.   102 À bout d’arguments : cf. le Maistre d’escolle, vers 85. Pernet qui va à l’escolle raconte le laborieux apprentissage de l’alphabet par notre futur pape.   103 Ce vers et le suivant reprennent hors de saison les vers 39-40.   104 Moi je veux discuter : / Conjugue-moi le verbe « tuer ». Pernet confond lætare [réjouir] et letare [tuer]. « Declina mihi » est la rengaine des manuels de latin destinés aux enfants.   105 Je vous le conjugue à toute vitesse.   106 Ton discours. Cf. Marchebeau et Galop, vers 274.   107 Par quel nom es-tu appelé ? Pernet ne comprend pas cette question banale et reste muet. Sa mère tente de sauver la situation.   108 Et pourtant. Les villageoises qui s’aventurent à user d’un terme « scientifique » se prennent toujours les pieds dans le râteau, comme la mère de Maistre Jehan Jénin : « De trologie et merdecine. »   109 LV transcrit phonétiquement la prononciation normande : say. La leçon de latin de Pernet qui va à l’escolle joue sur cette homophonie : « –“C”./ –Et ! j’ay le dyable si j’ay soif ! » Voir la note 33 de Troys Galans et un Badin.   110 Une anse.   111 BM : Construise moy quia fecit  —  LV : construises moy quia fecy  (« Caillette a vécy ! » La Résurrection Jénin à Paulme.)  Comme au vers 219, le candidat a vessi, a pété. Le trac fait remonter à la surface tout ce qui était mal enfoui : le patois <v. 249>, le besoin d’alcool <v. 250>, le relâchement de l’anus <v. 253> ou de la vessie <v. 257>, la sexualité <v. 281>.   112 Par ma foi ! Même vers que 262.   113 À laquelle, mon ami… Pernet interrompt l’examinateur parce qu’il pense avoir enfin compris un mot latin : « aquam » = eau, urine. Or, le seul examen qu’il soit en mesure de réussir, c’est justement un examen d’urine. (Voir la note 256 d’André Tissier.)   114 Pour la mesure, on pourrait adopter la forme populaire normande « asteure » : « De che qu’on fet et dit, asteure, dans Rouen. » La Muse normande.   115 Les clercs qui ont peur en perdent leur latin. Terrorisé par Pantagruel <chap. 6>, l’écolier limousin oublie son jargon universitaire et retrouve instantanément le patois de Limoges ; cet épisode a également une conclusion scatologique, qui est la réponse naturelle du corps à ce genre de stress.   116 BM-LV : dire oremus  —  Pernet donne ici le vers original, que notre plagiaire a sacrifié : Mais dieu il fault parler latin  (La correction est de Tissier.)   117 Moi, vous voulez (que je parle latin) ? Les vers 264-7 reprennent les vers 202-5 de Pernet.   118 Voici déjà mon livre.   119 Disons : parle !   120 BM-LV : Monsieur  (Voyant que les choses se gâtent, la mère monte d’un degré dans la flagornerie.)  Oremus = prions.   121 Les vers 269-277 reprennent les vers 138-146 de Pernet, où ce vers était justifié par celui qui le précédait : « Il y a long temps que le congnois. » Là encore, notre plagiaire a bâclé son travail.   122 BM : Et ie  —  LV : sy je   123 Le Per omnia du vers 120. La mère de cet autre futur pape qu’est Maistre Jehan Jénin n’aurait pas dit mieux : « On chantoit Perronnia/ À haulte voix. »   124 BM-LV : quant a   125 Voir la note 64 de Pernet.   126 BM-LV : le iasement  —  Pernet : cest assez iase  (L’examinateur poursuit sa route ; Pernet marche à ses côtés.)   127 BM-LV : adire  (Vas-tu avec moi ?)  On prononçait à la française, et en l’occurrence à la normande : « Va, dis-mé con. » [Va, dis-moi « con ».] Le con désigne le sexe de la femme. On trouve la même astuce de collégiens aux vers 207-211 de Pernet, d’où proviennent les vers 279-283.   128 Paysan. C’est le monde à l’envers ! Dans Pernet, la mère traite de « villain » le professeur de son fils quand il lui enseigne la lettre Q.   129 BM : Vous auez parle  —  LV : parles vous  —  Pernet : Auous parle  (Av’ous est la contraction normande d’avez-vous.)  « Du con ma mère » est un génitif archaïque : du con de ma mère.   130 Je vais le lui dire. Pernet retourne vers sa mère, qui est restée au même endroit.   131 Le public du collège est masculin.   132 Les vers 284-5 reprennent les vers 214-5 de Pernet, dont le congé final attribue le spectacle aux collégiens : « Nous vous prions que, hault et bas,/ Pardonnez aux gentilz enfans/ De ceste ville ces esbatz/ Qu’ont voulu faire en passant temps. »   133 Autant les maîtres que les élèves. Le vers suivant est perdu.   134 BM-LV : Sans vous auoir  (Ce tercet sera textuellement repris à la fin du Savetier Audin.)   135 Ce distique bâclé, dit par un personnage qui n’est plus censé être là, inspirera celui qui clôt le Savetier Audin : « Si vous trouvez voz femmes en tel cas,/ Donnez-les au dyable comme j’ay faict. » Le scribe du ms. La Vallière — et lui seul — ajoute comme d’habitude sa péroraison personnelle : « En prenant congé de se lieu,/ Une chanson pour dyre adieu ! »   136 Faute de savoir où le mettre, je colle ici un bout de farce sans titre dont il manque le début et la fin. Ce fragment de 84 vers se trouve dans le manuscrit fr. 904 de la Bibliothèque nationale de France, à la suite d’un Mystère avec lequel il n’a aucun rapport. Il nous en reste ce dialogue entre un Vilain [un paysan] qui veut que son fils fasse des études pour obtenir un diplôme de cardinal, et ledit fiston qui préfère garder les porcs. C’est peut-être la première apparition théâtrale d’un « enfant mis aux écoles » : ses éditeurs, D. W. Tappan et S. M. Carrington*, le font remonter au milieu du XVe siècle.  *Deux pièces comiques inédites du manuscrit B.N. fr. 904. Romania, t. 91 nº 362, 1970. Pages 161-169.   137 Ms : il  (Que tu goûtes à l’école : que tu y ailles au moins une fois.)   138 On me dirait que je fais partie des clercs.   139 De ton plein gré.   140 Ms : y   141 Je n’y consentirai pas.   142 Pendant cette pause, le père attrape son fils pour le mettre sur ses épaules. Jacob lui mord un doigt et refuse de le lâcher.   143 Ms : la mort  (« À la mort ! À l’ayde ! À la mort !/ Ha, hay ! ha, hay ! hay ! Il me mord ! » Le Roy des Sotz.)   144 Ms : leues  (Enlevez votre doigt de ma bouche.)   145 Le ms. n’est pas détérioré : c’est le copiste qui a omis un passage.   146 Tu ne m’auras pas comme cela, mon fils.   147 Marchandeur. Idem vers 27.   148 Ms : seres porter  (Le scribe a une orthographe et une grammaire très personnelles.)   149 « Gnac ! » transcrit le bruit d’une morsure. (Cf. André de La Vigne, vers 11.) Jacob menace son père de le mordre à nouveau.   150 Il ouvre par terre un grand sac pour y enfermer son fils. On n’a pas attendu les Fourberies de Scapin pour mettre des acteurs dans un sac : cf. les Veaux, ou Janot dans le sac, ou Resjouy d’Amours, ou la Laitière, ou Cautelleux, Barat et le Villain. Le catalogue d’un libraire de Tours au XVe siècle mentionne la farce de Chascun qui mect Tout en son sac.   151 Je n’entrerai pas dans votre sac.   152 Même si tu avais juré le contraire.   153 Hurler. « Tu as beau huer. » Troys Gallans et Phlipot.   154 Hui, aujourd’hui.   155 Ms : en  (Ribon, ribaine = De gré ou de force. C’est le nom d’un arriviste dans Pates-ouaintes.)   156 Cette didascalie est notée dans la marge gauche du distique suivant. Le père jette sur son épaule le sac entrouvert, d’où émergent la tête et les mains de Jacob.   157 J’ai un point de côté.   158 Ms : conpte   159 Petit sire ? Idem vers 63. Ce mot rime avec Jaco.   160 Je vais uriner dans votre bouteille, qui est au fond du sac.   161 Ms : por  (Par les oreilles.)   162 Ms : mal  (Un courtaud est un chien – ou un cheval, ou un voleur – auquel on a coupé les oreilles. « Le courtault gris qui ast les aureilles couppé. » Guillaume de Nassau.)   163 Un fait, une action. Dessous, le ms. répète dans la marge gauche la didascalie : Icy le prant jacob pour les orelles   164 Renoncez à cela.   165 Ms : vouldres  (Le Vilain tutoie presque toujours son fils.)   166 Me tenez-vous quitte ? Cf. le Poulier à sis personnages, vers 699.   167 Vers manquant. Le Vilain pose le sac, et Jacob s’en extirpe.   168 Déchirées.   169 Mon argent. « Les diz Anglois avoient esté bien paiéz de leurs gaiges et souldées. » ATILF.   170 Il faut le bercer de paroles. Le point faible de tous les Badins, c’est la gourmandise.   171 Ms : prie  (« Je te suply, ayons ta femme ! » Le Savatier et Marguet.)   172 Ms : jay  (Être inscrit au rôle : être sur la liste.)  Dans D’un qui se fait examiner (v. ci-dessus), la mère voit déjà son fils évêque ou pape.   173 Cela ne m’importe pas plus que deux grains d’ail.   174 Sois d’accord avec moi. « Je suys de vos acors. » Troys Gallans et Phlipot.   175 Mot inconnu. S’agit-il d’une boisson pétillante ? Dans le même esprit, l’argot des gargotes a baptisé « roteuse » la bouteille de champagne. Mais peut-être faut-il lire bouteillette, comme au vers 77.   176 Des noix à flac, en quantité. « Monsieur de Sic-Sac,/ Lequel a des escutz à flac. » Légier d’Argent.   177 Emplissez mon sac avec ce que vous m’avez promis.   178 Ma petite bouteille de rotiette (note 175). Cf. l’Amoureux, vers 209.   179 Va à l’école d’un bon pas.   180 Mets peine, applique-toi.   181 Pour faire de toi un clerc.   182 Je vous recommande à Dieu. Cf. le Munyer, vers 118.   183 Vers manquant. Je le restitue d’après les vers 48-49. La rubrique suivante montre que la farce n’est pas finie. Au prochain folio commence la Moralité novelle de la Croix Faubin, copiée par la même main, et elle aussi incomplète.

LE SAVATIER ET MARGUET

Ms. La Vallière

Ms. La Vallière

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LE  SAVATIER

ET  MARGUET

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Cette farce normande fut écrite au XVIe siècle, mais elle est assez moderne, puisqu’on y pratique l’échangisme, le sadisme et le masochisme1. Le personnage du savetier se comporte comme un dompteur : il dresse les femmes, et quand elles lui mangent dans la main, il les répudie parce qu’elles l’ennuient.

Les savetiers chantent beaucoup, comme on peut l’entendre dans le Savetier qui ne respond que chansons (F 37) et dans Calbain, mais aussi dans Serre-porte, le Pauvre et le Riche, Grant Gosier, ou les Queues troussées. La présente farce ne cite pas moins de quinze chansons2, et se conclut sur une seizième, donnée intégralement. Ces compositions appartiennent au répertoire normand, et la plupart des airs ont servi de timbres à des Noëls.

Source : Manuscrit La Vallière, nº 74.

Structure : Rimes plates, avec 2 triolets.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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Farce  joyeuse

À .V. personnages, c’est asçavoir :

       LE  SAVATIER

       MARGUET

       JAQUET

       PROSERPINE

       et  L’OSTE  [JOYEULX]

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                          LE  SAVATIER 3  commence en chantant

        Quant j’estoys à marier,                                            SCÈNE  I

        Sy très joly j’estoye.4

        Marguet !

                          MARGUET

                         Que vous plaist, mon amy ?

                          LE  SAVATIER

        Aportez-moy tost du fillé5,

5      Un bon carteron et demy6.

        Marguet !

                          MARGUET

                         Que vous plaist, mon amy ?

                          LE  SAVATIER

        Du ligneuil7 n’ay pas à demy.

                          MARGUET

        Atendez que j’en ai[e]s fillé.

                          LE  SAVATIER

        Marguet !

                          MARGUET

                         Que vous plaist, mon amy ?

                          LE  SAVATIER

10    Aportez-moy tost du fillé.

        Un bon carteron et demy.

        Je l’ay bien aymée sept ans et demy.8

                          MARGUET

        A ! vous n’estes pas endormy,

        Dieu mercy ! Je vous entens bien.

                          LE  SAVATIER

15    Ne suys-je pas homme de bien,

        De besongner pour desjuner9 ?

                          MARGUET

        Aultrement, vous fauldroict juner,

        Car nous n’avons plus…

                          LE  SAVATIER

                                               Quoy ?

                          MARGUET

                                                           D’argent.

                          LE  SAVATIER

        D’argent ne fault estre sergent.10

20    Quant j’en ay…

                          MARGUET

                                 Quoy ?

                          LE  SAVATIER

                                             Soulcy me lye,

        Et suys en grand mélencolye11.

                          MARGUET

        J’en veulx avoir, moy.

                          LE  SAVATIER

                                         Par vostre foy ?

                          MARGUET

        Voyre, vrayment.

                          LE  SAVATIER

                                    Je vous en croy :

        Faulte d’argent, c’est douleur nompareille.12

                          MARGUET

25    [Aus]sy, n’esse pas grand merveille13

        De vous voyr resjouir, mon mary ?

                          LE  SAVATIER

        Marguet, par Dieu ! je suys mar[r]y.

        Y  fault du lygneul, de cuir, de poys14,

        Du fourmage15, du beure, et16 poys,

30    Vin, vïandes, pourpoinctz, jaquestes,

        [Tant jours ouvrables que les festes :]17

        Car y fault nourir la m[a]ygnye18.

                          MARGUET

        Aussy, vous avez compaignye,

        Vous estes couché mol et blanc19,

35    Et ne vous couste pas un blanc20.

        Que voulez-vous plus, mon amy ?

                          LE  SAVATIER

        Ce soulier m’a tant endormy

        Que je vouldroys qu’il fust de fer !

                          MARGUET

        A,  vous ne me sériez21 commander

40    Chose que pour vous je ne fisse.

                          LE  SAVATIER

        Marguet, monstrez-moy [vostre cuisse]22.

        Ha ! ha ! ha !

                          MARGUET

                               Quoy ! vous la sentez ?

                          LE  SAVATIER

        A ! je veulx que vous [me] chantez

        Un bien petit mot et demy23.

                          MARGUET

45    Or, me respondez24, mon amy.

        J’ey un connyn25 vestu de soye,

        Et est bordé de velours tout entour.

        C’est pour mygnons qui ont de la monnoye.

                          LE  SAVATIER

        J’ey un billard de quoy biller souloye26 ;

50    Mais mon billard est usé par le boult :

        C’est de trop souvent fraper en la roye27.

                          MARGUET

        N’esse pas un bien grand plaisir

        [Qu’]à son désir, sans desplaisir,

        ……………………………. ?

                          LE  SAVATIER

        Et quoy ?

                          MARGUET

                       [De] trouver une amye28.

                          LE  SAVATIER

55    Mais omblier29 ne vous puys mye,

        Marguet.

                          MARGUET

                        Hau !

                          LE  SAVATIER

                                   Je vous fais à sçavoir :

        Vers30 moy, faictes vostre debvoir !

        Et sy [ne gardez le « guichet »]31,

        Par la mort bieu, par le colet

60    Je vous coup(e)ray le gargaty32 !

                          MARGUET

        Vrayment, vous estes bien averty33 :

        Jamais ne vous feroys cela.

                          LE  SAVATIER

        Corbieu ! vous passerez34 par là.

                          MARGUET

        Ouy ?

                          LE  SAVATIER

                   Ouy, ouy,  de cela je suys sceur35.

                          MARGUET

65    Mon amy, n’en ayez pas peur ;

        Sy36 je ne change ma pensée.

                          LE  SAVATIER

        Je suys en grand pensée

        Des gens d’armes du Roy,

        Qu’i feront l’aultre année37.

70    Marguet, vous estes dispencée,

        Ouy, sy vous voulez, de bien faire.

                          MARGUET

        Veuillez [tost] ce soullier parfaire38

        Pour dîner, [car] j’ey apétit.

                          LE  SAVATIER

        Marguet, dansez [donc] un petit39.

                          MARGUET

75    Bien.          Elle dance.

                          LE  SAVATIER

                  Dancez  le « branlle des Amoureulx40 »,

        Il est fort beau.

                          MARGUET

                                 Mon  amy, je le veulx.     Elle dance.

                          LE  SAVATIER

        (Mon amy, comme elle se galle41 !

        Que luy puysse venir la galle,

        Et au-dessus des yeulx, la taigne !)

80    Sus ! le « trihory de Bretaigne42 »,

        Que je vous voys recommencer !

                          MARGUET

        Je ne séroys sy dru marcher,

        Mon amy.

                          LE  SAVATIER

                         Non ?

                          MARGUET

                                    Non, par ma foy !

                          LE  SAVATIER

        Chantez donc, pour l’amour de moy.

                          MARGUET

85    Le  voulez-vous ?

                          LE  SAVATIER

                                   Ouy.

                          MARGUET

                                           Je le veulx bien.

        Mauldict soyt le petit chien

        Qui abaye43, abaye, abaye,

        Qui abaye et ne voyt rien !

                          LE  SAVATIER

        Et ! par Dieu, je vous ayme bien !

90    Mais je te prye, couche-toy là.

                          MARGUET

        Ouy dea, mon amy ! Ouy, cela !

        Je f(e)ray tout ce que vous vouldrez.

                          LE  SAVATIER

        Marguet !

                          MARGUET

                        Mon  amy ?

                          LE  SAVATIER

                                            Vous estendrez

        Vos bras.

                          MARGUET

                        [Or] avant44 ! je le veulx.

                          LE  SAVATIER

95    Et ! ne suys-je pas bien heureulx

        [Mille foys], de t’avoir pour femme ?

        Deboult !

                          MARGUET

                        Et pourquoy ?

                          LE  SAVATIER

                                               Deboult, ma  dame !

        C’est assez faict ! Sans [plus] de caquet45,

        Alez-vous-en quérir Jaquet

100  Pour desjuner aveques moy.

                          MARGUET

        A ! je n’yray pas, par ma foy,

        [Non !] Car sa femme, Proserpine46,

        Quant el[le] me voyt, poinct ne fine47

        De crier. Je m’esbaÿs d’elle.

                          LE  SAVATIER

105  Marguet, vous n’estes pas aintelle48.

                          MARGUET

        Et ! mon amy…

                          LE  SAVATIER

                                 Quoy ? Taisez-vous !

        Je m’y envoys49 tout seul pour nous.

        Mais vous [demourrez cy]50 seullète.

.

                          JAQUET 51   entre en chantant           SCÈNE  II

        Adieu, adieu, Kathelinète52,

110  Joly[e] fleur de Lymousin.

                          PROSERPINE  entre

        À tous les deables le bésin53 !

        Vilain, meschant, pouilleux, rongneulx,

        Chancreulx, vérollé, farcineulx54,

        Laron, gourmand, coquin, bélistre !

                          LE  SAVATIER 55

115  (Sang bieu ! voy(e)là un trèsbeau tiltre56.

        Marguet à elle ne ressemble.)

                          JAQUET

        Je vous suply, vivons ensemble

        En bonne amour.

                          PROSERPINE

                                     Va, va, vilain !

        Je te donray cent coups de poing !

120  A ! j’abatray bien ton caquet !

                          LE  SAVATIER

        (Sy me fault-il avoir Jaquet.)

        [Huit ! Huit]57 ! Heust ! Heust !

                          JAQUET

                                                          Je voy58, je voy.

                          PROSERPINE 59

        Qui est ce vilain que je voy ?

                          JAQUET 60

        Et ! parlez bas, je vous emprye.

                         PROSERPINE

125  Qui deable esse-là qui te crye61 ?

        A ! je te rompray le musel,

        Ladre62 puant, meschant mésel !

                          JAQUET

        Va,  vielle honhon63, vielle cyterne !

        Va,  vielle qui porta la lanterne64

130  Quant sainct Pierre renya Dieu !

        Me viens-tu mauldire en ce lieu ?

                          PROSERPINE

        Tenez ! [Soyez-vous]65 estonné !

                          JAQUET

        Suys-je pas de malle66 heure né,

        De te voir [estre] ainsy mêtresse ?

                          PROSERPINE

135  A[dieu] ! Je m’en voys à la messe.

        Pren[ez] bien garde en la maison67 !

                          JAQUET

        Or, va ! Que de malle poyson68

        Tu soys aujourd’uy [bien] repue !

                          LE  SAVATIER 69

        Elle s’en va. A ! je l’ay veue.

.

140  Jaquet, hay ! Hay !                                                   SCÈNE  III

                          JAQUET

                                      Je voys, je voys.

        Comment tu sifle à haulte voys !

        Tu ne crains poinct, [toy,] la mellée.

                          LE  SAVATIER

        Et puys ? Elle s’en est allée ?

                          JAQUET

        Ouy.

                          LE  SAVATIER

                 Quoy ! je ne t’osoys70 sonner,

145  Ma foy !

                          JAQUET

                      Alons-m’en desjuner,

        Alon ! Mais où est le vin amoureulx ? 71

                          LE  SAVATIER

        Où dea, Jaquet ? Cheulx l’Oste Joyeulx72 ;

        C’est le milleur, par Nostre Dame !

                          JAQUET

        Je te suply, ayons ta femme.

                          LE  SAVATIER

150  J’en suys content, en bonne foy.73

.

        Marguet !                                                                 SCÈNE  IV

                          MARGUET

                        Quoy ?

                          LE  SAVATIER

                                    [ Venez avec moy !

                          MARGUET ]

        Que [me] voulez-vous ?

                          JAQUET

                                              Je vous prye

        Que vous nous tenez compaignye

        À disner74 cheulx l’Oste Joyeulx.

                          MARGUET

155  D[is]ner ? A ! vrayment, je le veulx,

        Car j’ey un très bon apétit.

                          LE  SAVATIER

        Or, alons donc ! C’est trèsbien dict.75

.

        Hay ! [Hay ! Maistre, av’ous]76 du vin ?                  SCÈNE  V

                          L’HOSTE  [JOYEULX]  entre

                                                                      Ouy !

                          LE  SAVATIER

        A,  vrayment, j’en suys bien resjouy.

                          L’HOSTE

160  [Le bon soir !] Voulez-vous repaistre ?

                          LE  SAVATIER

        Bon soir, [bon soir] ! Dieu vous gard, maistre !

        Av’ous77 bon vin ?

                          L’HOSTE

                                      Ouy dea : vin blanc,

        Rouge, cléret. Tout à un blanc78.

                          LE  SAVATIER

        Or sus, [or] sus ! Y nous fault boyre.

                          JAQUET

165  Et puys, Marguet, que veulx-tu faire ?

                          MARGUET

        Et  que voulez-vous faire, tous deulx ?

                          LE  SAVATIER

        Marguet, tu ne sçays que je veulx ?

        [Chante donc]79, pour l’amour de moy.

                          MARGUET

        Mon  amy, je le veuil, par ma foy !

170  Dieu doinct des raisins aulx vignes,

        Et aulx chans des [b]lés,

        Et aulx couldres de[s] noysilles80,

        Et à nous sancté ! Et à nous sancté !

                          JAQUET

        Compère, vélà bien chanté !

175  Par Dieu, vous estes bien heureulx !

                          LE  SAVATIER

        Veulx-tu changer ?

                          JAQUET

                                      Moy ? Je le veulx !

                          LE  SAVATIER 81

        C’est faict ! Mais baille-moy ta femme.

.

                          PROSERPINE 82                                SCÈNE  VI

        Où es-tu, meschant vilain infâme ?

        Te trouverai-ge jamais siens83 ?

                          JAQUET

180  Cheust84 ! [Sy] je ne suys pas seans dedens,

        Compère, elle viendra icy.

                          LE  SAVATIER

        Par ma foy ! je le veulx, aussy :

        J’en suys maintenant amoureulx.

.

                          PROSERPINE 85                                 SCÈNE  VII

        Dieu vous gard, hay, l’Hoste Joyeulx !

185  Mon coquin est-il pas séans ?

                          L’HOSTE

        Je pense bien qu’i soyt léans86,

        Aveques compaignye honneste.

                          PROSERPINE

        Et,  le deable luy rompe la teste,

        Tant il me donne de [la] paine !

.

                          LE  SAVATIER 87                               SCÈNE  VIII

190  Hau ! commère, [quel vent]88 vous maine ?

        Voulez-vous pas boyre avec nous ?

                          PROSERPINE

        Compère, bien89 vous portez-vous ?

        Je suys joyeuse de vous voir.

                          LE  SAVATIER

        Commère, venez-vous-en soir90,

195  Car j’ey bien à parler à vous.

                          PROSERPINE

        Je le veulx.

                          JAQUET 91

                           Or çà ! ferons-nous

        Ce que vous sçavez, dictes ?

                          PROSERPINE

                                                     Quoy ?

                          LE  SAVATIER

        Je le vous diray, par ma foy :

        Vostre mary vous a donn[é]e

200  À moy, et je luy ay donné baill[é]e

        Marguet.

                          PROSERPINE

                       Par ma foy, je le veulx !

                          JAQUET

        Et [quoy] ! vrayment ? J’en suys joyeulx.

        Marguet, je vous prye, touche[z] là92 !

                          MARGUET

        A,  je suys contente de cela,

205  Je le veulx : c’est, Jaquet, raison.

                          JAQUET

        Or, alon-m’en à la maison !

                          L’HOSTE

        A ! [par] Dieu, hay ! N’aurai-ge rien ?

        Qui me payera ?

                          LE  SAVATIER

                                    Je payeray bien.

                          L’HOSTE

        Qui me payera mon vin93, mon rost ?

                          LE  SAVATIER

210  Taisez-vous : je viendray94 tantost,

        J’en respons. Vous  me ferez crédit ?

                          L’HOSTE

        A ! vrayment ouy, ouy.

                          LE  SAVATIER

                                              C’est assez dict.95

.

        Tantost je vous feray bien rire,                                SCÈNE  IX

        Proserpine. Je vous veulx dire…

                          PROSERPINE

215  Quoy ?

                          LE  SAVATIER 96

                    Or, chantez pour  « L’Amour de moy97 ».

                          PROSERPINE

        Chanter ? Non f(e)ray.

                          LE  SAVATIER

                                              Non ?

                          PROSERPINE

                                                         Non.

                          LE  SAVATIER

                                                                   Pourquoy ?

        Par sainct Pierre, vous chanterez !

                          PROSERPINE

        Par sainct Pierre, vous mentirez

        Par la gorge et par les dens98 !

                          LE  SAVATIER

220  Je vous batray tant, cy dedens,

        Que je vous rendray toute morte.

        Chantez !

                          PROSERPINE

                       Non feray.

                          LE  SAVATIER 99

                                        Qu’elle est forte100 !

        Proserpine, tost  chantez-ent deulx101 !

                          PROSERPINE

        Et !  Mon Dieu, mon Dieu ! Que je me deulx102 !

225  Vous m’avez [tout] rompu la teste.

                          LE  SAVATIER

        [Ne] chanteras-tu pas, dict[z], beste ?

        Chante [donc] !

                          PROSERPINE

                                  Et que chanterai-ge ?

        Je n’en sçay poinct.

                          LE  SAVATIER

                                       Et que sai-ge ?

        Et pour l’amour du compaignon,103

                          [PROSERPINE]   Elle chante :

230  …Donne-toy garde, champion.

                          [LE  SAVATIER]

        Je te prye, couche-t(oy) en ce lieu !

                          PROSERPINE 104

        A,  Je le veulx bien.

                          LE  SAVATIER

                                       Ouy ?

                          PROSERPINE

                                                Ouy, par Dieu !

        Je f(e)ray vostre commandement.

                          LE  SAVATIER

        Or, faict[z] un pet !

                          PROSERPINE

                                       Un pet ? Comment !

235  Jamais femme ne fist un pet105 !

                          LE  SAVATIER

        A ! par Dieu, vous en ferez sept,

        Ou je vous batray tant et106 tant !

                          PROSERPINE

        Mon  amy, mon cul me va pétant :

        Pouf ! Pouf ! Pouf ! Pouf ! Pouf ! Qu’esse-cy ?

                          LE  SAVATIER

240  A,  Proserpine, tu as vessy !

        Et ! tourne, vire, tourne-toy ! 107

                          PROSERPINE

        Tourner ? Je le veulx, par ma foy !

                          LE  SAVATIER

        Poulces108 ! Poulces !

                          PROSERPINE

                                          Quoy ?

                          LE  SAVATIER

                                                    Faict[z] un sault !

                          PROSERPINE

        Ma foy, je le voy faire hault109.

245  Qu’esse-là ? Esse bien saulté ?

                          LE  SAVATIER

        Depuys que tu m’as enhanté110,

        Tu sçais beaucoup [plus] de mestiers,

        Par Dieu ! Tu en sçays plus, deulx tiers,

        Que tu ne faisoys par111 avant.

.

                          JAQUET 112                                        SCÈNE  X

250  Et puys, ma mye ? En vous riant,

        Je vous prye que vous [me] riez.

                          MARGUET

        Il ne fault pas que me priez :

        Je riray pour l’amour de vous.

        Ha ! ha ! hé ! hé ! ha !

                          JAQUET

                                         Encor(e) deulx coups !

                          MARGUET

255  Ha ! ha ! ha ! ha ! ha ! Qu’esse-là ?

        Esse [pas] là bien ris ?

                          JAQUET

                                           Voy(e)là

        Aussy bien ris que je vis jamais !

                         MARGUET

        Se je ris bien, je n’en puys mais113 ;

        Je vous prye, n’en soyez mar[r]y.

                          [JAQUET]

260  [Vous rendray-je à vostre mary ?]114

                          MARGUET

        Non, non, mon amy, je vous prye.

.

                          LE  SAVATIER                                    SCÈNE  XI

        Proserpine, estes-vous mar[r]ye ?

                          PROSERPINE

        Mar[r]ye ? [Non,] mais fort joyeuse !

        [Car] je me tiens la plus heureuse

265  De ce monde.

                                     *

                          JAQUET 115                                        SCÈNE  XII

                              Et puys, comment

        Vous portez-vous ?

                          PROSERPINE

                                      Joyeusement,

        Preste à faire vostre désir.

                          JAQUET

        Ma foy ! ce m’est un grand plaisir116

        Que vous estes sy bien [re]faicte117.

                          LE  SAVATIER

270  Voulez-vous [pas] qu’elle caquète118 ?

                          JAQUET

        Ouy, je vous prye.

                          LE  SAVATIER

                                      C’est faict, Jaquet.

        Dictes « Mon beau petit péroquet119 » !

                          PROSERPINE

        Mon petit péroquet royal,

        Saincte Pasque Dieu, à cheval !

275  Je suys roy, roy d’Entioche.

                          JAQUET 120

        Et ! ma mye, que j[e  m’]aproche

        De vous !

                          PROSERPINE

                         Non feray, non feray !

                          JAQUET

        Par sainct Pierre ! je vous auray

        Tout à ceste heure.

                          LE  SAVATIER

                                       Vous l’airez ?

                          JAQUET

280  Voyre !

                          LE  SAVATIER

                     Jaquet, vous mentirez :

        Vous ne l’airez pas.

                          PROSERPINE

                                       Nostre Dame !

                          JAQUET

        Et ! compère, que j[’ay]es ma famme !

                          LE  SAVATIER

        Vous ne l’airez pas.

                          PROSERPINE

                                        Je suys à luy.

                          MARGUET

        Il est vray.

                          PROSERPINE

                         [Jaquet,] mon amy…

                          MARGUET

285  C’est son mary121, hay !

                          LE  SAVATIER

                                               Voyre122 moy !

                          PROSERPINE

        Voyre luy123.

                          JAQUET

                              Non est, par ma foy :

        C’est moy !

                          MARGUET

                          C’est mon124.

                          PROSERPINE

                                                 Et,  sy est125, vrayment.

                          JAQUET

        Ouy, moy !

                          LE  SAVATIER

                          Mauldict soyt il qui en ment !

                          JAQUET

        Qui ? Mais vous126 !

                          LE  SAVATIER 127

                                         A ! Dieu ! Hay, Jaquet,

290  Me payez-vous de ce caquet128 ?

        Jaquet, je vous feray mar[r]y !

        Hau, Marguet !

                          MARGUET

                                Qu’esse, mon mary ?

                          LE  SAVATIER

        Ma mye, revient[s]-t’en avec moy !

                          MARGUET

        A ! je le veuil bien, par ma foy !

295  Mais faictes concluzion brèfve.

.

                          LE  SAVATIER

        Conclusion (qui ne me grèfve129,

        Mais el me faict au cœur la feste130) :

        Femme qui son mary tempeste,

        Qu’on ne la baille pas à [un] Jaquest131,

300  Car envers luy, faict132 trop la beste.

        Femme qui son mary tempeste,

        C’on me la baille, car sa teste

        Amolyray, et son quaquet.

        Femme qui son mary tempeste,

305  Qu’on ne la baille à [un] Jaquet.

        Jaquet, veulx-tu [dire], en ce lieu,

        Une chanson pour dire adieu ?

.

                                                 FINIS

                                       Du faict le faict.133

*

1 Ce mot est récent, mais Rabelais signalait déjà les hommes qui « ne peuvent le nerf caverneux vers le cercle æquateur dresser s’ilz ne sont très bien fouettéz ». (Quart Livre, 12.) Un autre médecin, Bernard de Gordon, conseillait même aux impuissants : « Faites le vit grant en le batant de vergettes doulcement & souvent. »   2 Voir H. M. BROWN : Music in the french secular theater. Harvard University Press, 1963, pp. 80-81.   3 Il travaille dans son atelier, en compagnie de sa femme.   4 Refrain de la chanson Chascun me crie « marie-toy », qu’on chante au début de Régnault qui se marie. Le vers 142 de l’Arbalestre cite ce refrain.   5 Du filé : du ligneul empesé. Voir le vers 8.   6 38 brins. Un quarteron = 25.   7 Le ligneul est un fil enduit de poix qui sert à coudre le cuir. Idem vers 28.   8 La chanson originale dit : « Hélas ! je l’ay aymée/ Bien sept ans et demy. »   9 Pour déjeuner, pour payer notre nourriture.   10 Il ne faut pas être esclave de l’argent. Ce même proverbe est chanté au vers 188 du Pèlerinage de Mariage. Car il fut apparemment associé à une chanson, comme d’autres proverbes concernant l’argent : celui qu’on chante au vers 24 est colligé dans les Proverbia gallica de Janus Gruterus.   11 Les savetiers ne sont pas faits pour être riches. Bonaventure Des Périers raconte l’histoire du savetier Blondeau, qui trouva un trésor : « Il commença de devenir pensif ; il ne chantoit plus. » À la fin, il jeta ce trésor dans la rivière « et noya toute sa mélancholie ».   12 Célèbre chanson de Josquin Des Préz. Cf. le Jeu du Prince des Sotz, vers 359.   13 Surprenant.   14 La poix sert à durcir le ligneul. Beaucoup d’énumérations théâtrales furent gonflées par des acteurs désireux de rallonger leur rôle. (Cf. les Sotz fourréz de malice, vers 271.) Visiblement, celle-ci ne fait pas exception à cette fâcheuse règle. Voir aussi la note 93.   15 Du fromage.   16 LV : par  (Les pois sont une des bases de l’alimentation.)   17 Vers manquant. J’emprunte le vers 129 des Femmes qui demandent les arrérages.   18 La maisnie : la maisonnée, la famille.   19 Sur un matelas mou, avec des draps blancs. « Je veux avoir le lict blanc & mol, les habits beaux & précieux. » François de Belleforest.   20 Un sou. Idem vers 163.   21 Sauriez, pourriez. Même normandisme au vers 82. Commandèr rime avec fer.   22 LV : auise  (Il pose trois baisers sur la cuisse de Marguet.)  Embrasser la cuisse de sa dame est une galanterie : « Descouvrant sa cuisse blanche,/ Je la luy vouluz baiser. » (Pernette Du Guillet.) Mais Marguet ignore les rites courtois.   23 Comprenons : quelques notes.   24 En réponse à ma partie, chantez la vôtre. Cette chanson de Jacotin débute ainsi : « –J’ay ung billard/ De quoy biller souloye./ Mais mon billard/ Si est tout débiffé :/ C’est de souvent/ Frapper dedans la roye./ –J’ay ung congnin/ Qui est bordé de soye ;/ Mais mon congnin,/ Il est frisque et mignon :/ C’est pour ces gallans/ Qui ont de la monnoye. »   25 Un sexe.   26 Un « bâton » avec lequel j’ai l’habitude de frapper. « Billier, jambillier/ Et hurtebillier/ Hennon et Jennette. » Jehan Molinet.   27 Dans la raie. Cf. la Présentation des joyaux, vers 79.   28 Une petite amie, une maîtresse. L’enchaînement est abrupt : il manque au moins 2 vers avant celui-ci.   29 Vous oublier (normandisme). Ce vers, tiré de la chanson Les Regretz que j’ay de m’amye, est chanté dans le Pèlerinage de Mariage.   30 LV : quenuers  (Envers moi, soyez fidèle. « Elle est vers moy trop dure. » ATILF.)   31 LV : me gardes le tacelet  (Si vous ne surveillez pas votre sexe.)  Garder le guichet = surveiller la porte. « Portière du petit guichet : une sage-femme. » Antoine Oudin.   32 La gargate, la gorge.   33 Vous avez des idées préconçues.   34 LV : paseries  (Vous serez infidèle, comme toutes les femmes.)   35 Sûr.   36 Jody Enders* <p. 492, note 21> souligne l’ambiguïté de cette phrase : « si » peut se lire « ainsi, aussi facilement » ; mais il peut également introduire une condition.  *Holy Deadlock and further ribaldries. University of Pennsylvania Press, Philadelphia, 2017.   37 De ce qu’ils feront l’année prochaine. La version chantée dans les Bâtars de Caulx (LV 48) préfère : ceste année   38 Achever.   39 Un peu. Le savetier chante un air rythmé en tapant la mesure avec son marteau, comme le faisaient les artisans : voir la note 25 des Queues troussées.   40 Cette danse véhicule une forte connotation érotique. « Charlotte m’a appris le branle de l’amour/ En me serrant de près, à ventre contre ventre. » (Chansons folastres.) Le branle est un peu l’ancêtre du french cancan : « Les ménestriers sonnèrent un bransle, auquel toutes les dames se misrent à danser, & troussèrent toutes leurs robbes & cottes par-devant. » (La Navigation du Compaignon à la bouteille.)   41 Comme elle prend du plaisir.   42 Danse particulièrement dévergondée. Cf. le Bateleur, vers 209.   43 Qui aboie. La Chanson du petit chien est un des « tubes » de l’époque. Le Vendeur de livres (vers 205-7) et l’épouse de Calbain (vers 340-2) en chantent le même extrait que Marguet.   44 Allons. Marguet est couchée, avec les bras en croix.   45 De bavardage. « À table, sans plus de caquet ! » Mistère du Viel Testament.   46 Nous avons donc là une épouse infernale. Proserpine est le nom d’une diablesse dans la farce du Munyer, et c’est le nom d’une protestante dans la sottie rouennaise des Povres deables.   47 Ne finit, ne cesse.   48 Comme elle.   49 Je m’y en vais.   50 LV : demoures sy  (Vous demeurerez ici toute seule.)   51 Il est chez lui, avec Proserpine. On ignore quelle est sa profession. Le verbe entrer ne qualifie pas une action scénique, mais marque la prise de parole d’un nouveau personnage ; même chose aux vers 111 et 158.   52 Diminutif de Catherine. La version chantée dans le Savetier qui ne respond que chansons (F 37) donne : Kathelinote   53 Cet ivrogne. « Bésyn : Well nigh whittled, almost drunke, somwhat overseene. » Cotgrave.   54 Atteint du farcin, une maladie spécifique aux chevaux.   55 Sans être vu, il écoute et regarde par la fenêtre ouverte.   56 L’acte officiel qui énumère les titres de noblesse d’un grand seigneur.   57 LV : hict hict  (L’onomatopée « huit ! » imite le sifflement dont parle le vers 141 ; voir la note 93 du Capitaine Mal-en-point.)  L’onomatopée « heust ! » imite la toux.   58 J’y vais : je viens. Idem vers 140. Dans une farce très proche de la nôtre, Deux hommes et leurs deux femmes, l’un des maris appelle l’autre par la fenêtre : « –Mathieu, hau ! Viendrez-vous ? –Je voys. »   59 Elle se tourne vers la fenêtre. Le savetier se baisse.   60 Jody Enders remarque que cette supplication peut s’adresser à Proserpine ou au savetier.   61 Qui t’appelle.   62 LV : lardre  (Ladre et mésel sont synonymes de lépreux.)   63 Râleuse. « Vieille haha, vieille hon-hon,/ Vieille corneille, vieux héron ! » (Tabourot.) Maintenant qu’il se sait observé, Jacquet tente de reprendre le dessus.   64 Hédroit, la vieille forgeronne mal embouchée dont le Mistère de la Passion dit : « Ceste dyablesse Proserpine/ N’est aise sinon quant el tence. » Hédroit éclaire avec sa lanterne l’arrestation de Jésus, et c’est elle qui suscite les deux premiers reniements de saint Pierre.   65 LV : le voyes vous  (Proserpine donne une gifle à son mari.)  Puissiez-vous en être assommé comme par la foudre !   66 Mauvaise. Idem vers 137. Cf. les Maraux enchesnéz, vers 182.   67 Garde la maison. C’est ce que les femmes disent à leur chien ou à leur mari quand elles sortent : voir le vers 80 du Poulier à quatre personnages, ou le vers 178 du Povre Jouhan.   68 De mauvais poison. Ce mot était souvent féminin : « Que malle poyson et venin/ Vous crève ! » Le Povre Jouhan.   69 Il attend que Proserpine soit partie, puis il se remet à la fenêtre pour appeler Jacquet.   70 LV : vous osoys  (Je n’osais pas t’appeler.)   71 LV attribue au savetier ce décasyllabe, qui provient sans doute d’une chanson à boire. Voir la note 30 de J. Enders.   72 C’est le nom d’une taverne et de son propriétaire. « Un hoste joyeux, plaisant & récréatif, ou amiable. » (Dictionaire François-Flamen.) Cheulx = chez ; idem vers 154.   73 Les deux hommes font un crochet par l’échoppe du savetier.   74 LV : desiuner  (Je corrige la même hypermétrie au vers suivant.)  L’auteur emploie indifféremment dîner (vers 73) ou déjeuner (vers 100 et 145). D’après le « bonsoir » du vers 161, il s’agit du repas du soir. Mais ce n’est pas une preuve non plus, puisque bonsoir et bonjour sont interchangeables : « –Bon soir, mounyer ! –Bon jour, bon jour ! » Le Poulier à sis personnages.   75 Le trio entre dans la taverne.   76 LV : maison a vous  (Le Savetier appelle encore le tavernier « maître » au vers 161.)  « Av’ ous » est la forme normande de « avez-vous ».   77 LV : a ce  (Voir le vers 158.)   78 À 1 sou : voir le vers 35. Le clairet est un vin rosé. « Vin vermeil, vin cléret et blanc !/ Et si, n’est qu’à ung petit blanc. » (Te rogamus audi nos.) Le tavernier pose des chopes sur la table.   79 LV : Je te pry chante  (Voir le vers 84.)   80 Aux noisetiers des noisettes. LV intervertit ce vers et le précédent, puis il rallonge le suivant : je rétablis le découpage de la chanson.   81 Il tope dans la main de Jacquet pour sceller le contrat.   82 Elle revient de la messe. Ne trouvant pas Jacquet à la maison, elle se met à crier dans la rue ; on l’entend jusqu’à la taverne, dont la fenêtre est ouverte.   83 Prononciation normande de « céans ».   84 Chut ! Il parle à ses deux compagnons de table.   85 Au tavernier. Dans Serre-porte aussi, la femme d’un savetier interroge le tenancier d’une taverne pour savoir si son mari est chez lui. Voir la note 36 de J. Enders.   86 Là-dedans.   87 Voyant arriver Proserpine.   88 LV : qui  (« Ma commère, quel vent vous maine ? » Les Femmes qui font refondre leurs maris.)   89 LV : comment  (« Vous portez-vous bien, frère Pierre ? » Serre-porte.)   90 Vous asseoir.   91 Au savetier.   92 Topez là, comme le mari l’a fait au vers 177. Mais Marguet comprend : « Touchez-la ! »   93 LV : pain mon vin / ma chair  (Au sujet des énumérations rallongées, voir la note 14.)   94 LV : reuiendray   95 Les deux nouveaux couples rentrent dans leur maison respective.   96 LV répète dessous les vers 198-200 et le début du vers 201.   97 « L’Amour de moy si est enclose » est la plus jolie chanson de la Renaissance. On en chante des bribes dans la sottie Deulx Gallans et Sancté (LV 12), dans le Pèlerinage de Mariage, et dans la Comédie de Mont-de-Marsan (Marguerite de Navarre). Elle contient des sous-entendus érotiques d’une extrême finesse. J’ai eu le bonheur de chanter l’Amour de moy chez le comte de Colbert, sous la direction de Claire Garrone.   98 Votre bouche n’aura pas dit la vérité. « Tu as menty/ Par la gorge et parmy les dens ! » Le Mince de quaire.   99 Il frappe Proserpine.   100 Coriace.   101 Chantez deux chansons. Le copiste du ms. La Vallière transcrit parfois le pronom « en » par « ent » : v. le vers 262 de la Veuve, le vers 393 de l’Homme à mes pois, etc.   102 Que j’ai mal. Verbe se douloir.   103 Il entame un air que Proserpine va continuer. Cette chanson ne nous est pas parvenue. Clément Marot l’a parodiée dans un coq-à-l’âne : « Si tu menges des champignons,/ Donne-toy garde du boucon [du poison] ! »   104 Tout comme Marguet aux vers 90-92, Proserpine est toujours d’accord pour faire l’amour. Elle méprise Jacquet parce qu’il ne la satisfaisait pas.   105 La Farce du Pet prouve le contraire.   106 LV : bien  (« Elle parla tant et tant que son mary retourna au médicin pour remède de la faire taire. » Rabelais.)   107 Extrait d’une chanson : « Et ! moulinet, vire, tourne,/ Moulinet, tourne, vire, tourne-toy. » Proserpine y voit une invitation érotique.   108 Stop ! Proserpine essaie-t-elle de violer le savetier ?   109 Je vais faire un saut périlleux. Certains acteurs étaient d’authentiques acrobates : voir la notice des Sobres Sotz.   110 LV : en hante  (Que tu me fréquentes.)   111 LV : pas  (Auparavant. « Paravant, nul n’en faisoit conte. » Godefroy.)   112 Chez lui, avec sa nouvelle compagne.   113 Je n’y peux rien.   114 Vers manquant. Je le supplée sans aucune garantie. La rime mary / marry revient 2 autres fois.   115 Acte 2. Quelques semaines plus tard, les deux nouveaux couples se rencontrent dans la rue.   116 LV : desir  (À la rime.)   117 En pleine forme. Mais aussi : corrigée de vos défauts.   118 Qu’elle chante comme une poule. Les deux amis, qui se tutoyaient, se vouvoient : leur rupture est proche.   119 Chanson inconnue.   120 Maintenant que sa femme est devenue vivable, il aimerait bien la reprendre.   121 Jacquet est son mari, et non pas son ami. Marguet, déçue elle aussi par la sexualité routinière de Jacquet, voudrait bien revenir avec le savetier.   122 Plutôt.   123 Mon vrai mari, c’est le savetier.   124 C’est exact. Cf. Régnault qui se marie, vers 256.   125 Le savetier est mon mari.   126 C’est vous qui mentez, savetier.   127 Il abdique devant l’insistance de Jacquet et de Marguet, qui ont la loi de leur côté.   128 LV : laquet  (Avec de telles paroles.)   129 Qui ne me coûte rien.   130 Qui me réjouit le cœur.   131 « Un Jacquet : un badin, un niais. » Oudin.   132 Elle fait.   133 C’est la devise de l’auteur, mais lequel ? Émile Picot <Sotties, I, 14> rappelle que dans le même manuscrit, la devise de Pierre Du Val, « Rien sans l’esprit », signe la moralité Nature et Loy de rigueur (LV 46). Il conjecture que « Du faict le faict » pourrait bien être la devise d’un nommé Du Faict. Le patronyme « Du Fay », ou « Dufay », est courant dans la région rouennaise.

MESSIRE JEHAN

Ms. La Vallière

Ms. La Vallière

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MESSIRE  JEHAN

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Messire Jean est une des incarnations de l’ecclésiastique paillard et sans scrupule : on le rencontre dans Jénin filz de rien, dans Jehan de Lagny, dans le Testament Pathelin, dans le Savetier Audin, etc. Ici, tout comme dans l’Eugène d’Étienne Jodelle (1552), messire Jean est le chapelain d’un prêtre. Ce dernier, qui convoite la maîtresse du chapelain, n’est pas le personnage le moins pervers de la pièce : en virtuose de la confession, il extorque les détails les plus scabreux au jeune Jacquet (le fils bâtard de messire Jean et de sa maîtresse), un simple d’esprit qu’on fait parler ou qu’on fait taire en lui offrant du vin.

Source : Manuscrit La Vallière, nº 29. Cette farce normande remonte aux années 1520 ; elle avait donc beaucoup circulé avant que le copiste idiot du ms. La Vallière ne la dégrade encore, un demi-siècle plus tard : bref, elle est dans un état déplorable.

Structure : Rimes plates, avec 1 triolet.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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Farce   nouvelle

À quatre personnages, c’est assavoir :

       MESSIRE  JEHAN

       LA  MÈRE  DE  [JAQUET]

       JAQUET,  qui est Badin 1

       LE  CURÉ

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                        MESSIRE  JEHAN 2  commence          SCÈNE  I

        Dieu te gard, Jaquet, mon amy !

        Je ne te voys pas à demy3,

        Tant suys espris de ton amour.

                        LE  BADIN  [Jaquet]

        Et mon Dieu, que vous estes flatour4 !

5      Savons bien pourquoy vous le dictes.

                        MESSIRE  JEHAN

        Pourquoy esse ? Dy-lay5 !

                        LE  BADIN

                                                  Vresmyques6 !

        Je ne vous en diray [plus] rien.

                        MESSIRE  JEHAN

        Tu ne feras donques pas bien :

        Tu te peulx bien à moy fier.

                        LE  BADIN

10    Et ! mon Dieu, que vous seriez fier7

        Se vous le saviez, messir(e)8 Jehan !

                        MESSIRE  JEHAN

        Tu n’auras rien donc de cest an9.

                        LE  BADIN

        [Ne] me donr[i]ez-vous donc à boyre10,

        Sy vous veniez onc11 veoir ma mère ?

15    [Aussy] de la chair ou du choisne12,

        Dictes ?

                        MESSIRE  JEHAN

                        Ouÿ, par sainct Anthoeine !

        Je t’en donray, tu en auras.

                        LE  BADIN

        A ! je ne le vous diray pas :

        Vous viendr[i]ez au logis en13 ville.

                        MESSIRE  JEHAN

20    Escouste, parle à moy, anguille14 !

        Tu es un très merveilleur15 corps !

                        LE  BADIN

        Sy vous savyez [qu’il fust]16 dehors

        De l’ostel17, de messir(e) Jehan, mon père18,

        Bien tost viendryez-vous19 voèr ma mère.

25    Mays je ne le [vous] diray mye.

                        MESSIRE  JEHAN

        Vien çà ! Dy-moy [donc], je te prye,

        Quant viendra20 ? Dy-moy hardyment ;

        Poinct ne t’acuseray, vrayment.

                        LE  BADIN

        Qui vous a dict qu’il est dehors ?

30    Le deable me [rompe le corps]21 !

        Je croy que vous [m’oignez bien d’]22 huylle.

                        MESSIRE  JEHAN

        Or je te pry par raisons23 mille :

        Dy-moy quant c’est qu’i reviendra.

                        LE  BADIN

        À retourner el24 l’atendra

35    (Mauldict soye-ge !) demain au soir.

        C’est un homme de grant valoir.

        Messir(e) Jehan, y vous fault pencer

        Que me donnerez à souper,

        Se venez coucher cheulx25 ma mère.

                        MESSIRE  JEHAN

40    Je le veulx bien.

                        LE  BADIN

                                    Sans vous desplaire26.

                        MESSIRE  JEHAN

        (Tu es un garson odieulx.)

                        LE  BADIN

        Mon serment ! el vous ayme myeulx

        Que mon père, je le say bien.

                        MESSIRE  JEHAN

        Taisez-vous27 !

                        LE  BADIN

                                   Je n’en diray rien

45    À mon père, ne vous en chaille,

        Car mon père poinct ne me baille

        Du vin à boyre comme vous.

                        MESSIRE  JEHAN

        Et ! qu’esse icy ? Vous térez-vous ?

                        LE  BADIN

        Et ! comment donc ? Qui esse qui m’ot28 ?

                        MESSIRE  JEHAN 29

50    Tès-toy, ne parle mèsuy30 mot !

        Entens[-y], je te prye, beau sire.

                        LE  BADIN

        En bonne foy, je le voys31 dire

        À ma mère, alant le [grant] pas32.

                        MESSIRE  JEHAN

        Quoy ?

                        LE  BADIN

                      Je luy diray que de beaulx draps

55    Blans elle mète à nostre lict,

        Et qu(e) y coucherez ceste nuict,

        Ainsy que vous avez amors33

        Quant mon père est alé dehors.

                        MESSIRE  JEHAN

        Ne luy dist pas, el te batroict.

                        LE  BADIN

60    Aussy bien elle y en métroyct ;

        Et ! qu’av’ous34 perdu qu’on luy die ?

                        MESSIRE  JEHAN

        Non feras, que Dieu te mauldie !

                        LE  BADIN

        Bien35.

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                   Je say bien que36 je feray.                          SCÈNE  II

        Par mon serment ! je mengeray

65    De bon pain blanc et de la cher37,

        Car messir(e) Jehan s’en vient coucher

        Ceste nuict avec[ques] ma mère.

        Et sy, n’en séra38 rien mon père.

.

        Escouste[z], hay ! Ma mère, hau !                            SCÈNE  III

                        LA  MÈRE  entre 39

70    Que veulx-tu ? C’a-il40 de nouveau ?

                        LE  BADIN

        Messir(e) Jen vient : boutez41 la table !

                        LA  MÈRE

        Et ! taisez-vous, de par le deable !

        …………………………………….

        « Enfant ayme qui beau luy dict.42 »

                        LE  BADIN

        In Jen43 ! je soys de Dieu mauldict !

75    Mon père le séra, alez.

                        LA  MÈRE

        Par ma foy ! sy vous en parlez,

        Ma foy, je vous assommeray !

        Et sy, vous n’érez44 rien de moy

        Qui ne soyt après la Sainct-Jehan.

                        LE  BADIN

80    Par mon serment ! messire Jehan

        M’a promys qu’i me donnera…

        Voyre dea : qu’il45 aportera

        À boyre et de toult aultre bien.

        Mais je ne vous en diray rien.

                        LA  MÈRE

85    Par ma foy, tu es bien subtil !

                        LE  BADIN

        Par mon serment ! il est gentil ;

        Y m’ayme bien, c’est un bon homme.

        S’y n’avoyt à luy c’une pomme,

        Sur ma foy, il me la bauldroict46.

                        LA  MÈRE

90    Tu es fol naturel à droict47,

        Par l’image du crucefis48 !

                        LE  BADIN

        A ! il m’ayme comme son fis.

        Tout plain de gens disent, aussy,

        Que suys son fis : est-il ainsy ?

95    Vous semble-il que je soys aintel49 ?

                        LA  MÈRE

        Et ! tais-toy ! Tu n’as que frestel50

        [Et que babil.]

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                        MESSIRE  JEHAN 51                           SCÈNE  IV

                                     Holà ! Holà !

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                        LE  BADIN                                             SCÈNE  V

        Escouste, escouste, le voylà ! 52

        Ma mère, vécy messir(e) Jehan.

                        LA  MÈRE

100  Paix ! Que Dieu te mect[e] en mal an53 !

                        LE  BADIN

        Que je suys fier54, [par] Nostre Dame !

                        LA  MÈRE

        Se tèra ce garson infâme ?

                        LE  BADIN 55

        Entrez, entrez : mon père n’y est pas.

                        LA  MÈRE

        Ne parleras-tu poinct plus bas ?

105  Tu en auras56, par sainct Remy !

                        LE  BADIN

        Voécy [messir(e) Jehan, mon amy]57 ;

        Ma mère, en estes-vous bien fière ?

                        LA  MÈRE

        Tu [en] éras sur ton dèrière,

        Je le voys bien.

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                        MESSIRE  JEHAN 58                           SCÈNE  VI

                                    Dieu gard, commère !

                        LA  MÈRE

110  Et à vous aussy, mon compère !

                        MESSIRE  JEHAN

        Métez ce pot de vin à poinct59.

                        LA  MÈRE

        A ! vrayment, il n’en faloyt poinct.

                        MESSIRE  JEHAN

        Tiens60, Jaquet, voélà une pomme.

                        LE  BADIN

        Vrayment, vous estes un bon homme.

                        LA  MÈRE

115  Remercye-lay, Dieu te mauldye !

                        LE  BADIN

        Vous n’avez garde que je dye

        À mon père que venez seans61.

                        LA  MÈRE

        Je croy qu’i se moque des gens :

        N’est-il pas moins62 sot qu’i ne semble ?

                        LE  BADIN

120  Couchez-vous tous [les] deulx ensemble !

                        LA  MÈRE

        Mais regardez-moy quel danger !

                        MESSIRE  JEHAN

        Il ne fault poinct, pour abréger,

        Que devant luy rien nous fasson.

        Y nous fault trouver la fasson

125  De l’envoyer à la chandelle63.

                        LA  MÈRE

        Y le fault batre comme toylle64 !

        Vien çà, Jaquet !

                        LE  BADIN

                                   Hau !

                        LA  MÈRE

                                            [Mais quel « hau » ?]65

        Tu es encore bien nouveau66 ;

        Ne says-tu67 dire : « Que vous plaist ? »

                        LE  BADIN

130  Hau ! hau ! « Que vous plaist ! »

                        LA  MÈRE

                                                       Bo,  que de plaict68 !

        Aler te fault aler  au prébitaire69.

                        LE  BADIN

        Nostre Dame ! qu’iray-ge faire ?

        Vous m’envoyez tousjours ainsy,

        Quant messire Jehan est icy.

                        LA  MÈRE

135  Et, dea ! fault-il [tant] c’on quaquète ?

                        LE  BADIN

        Que j’ayes70 donc de ceste bouète

        Que messir(e) Jehan vous a baillée !

                        MESSIRE  JEHAN

        C’est raison qu’il ayt la lipée71 ;

        Jaquet, à toy je m’en voy boyre.

                        LE  BADIN

140  Je vous remercye, mon père72

        C’est « messir(e) Jehan » que je doys dire.

                        MESSIRE  JEHAN

        Comment, « ton père » ? Hélas, beau sire,

        Tu ne says pas bien que73 tu dis !

                        LE  BADIN

         Par mon serment ! y m’est avis,

145  Quant parles à mon propre père,

        Que c’est à vous.

                        MESSIRE  JEHAN

                                    Je croy que voire.

        Boy vitement ! Sy, partiras.

                        LE  BADIN

        G’y voys74.

                        LA  MÈRE

                             Qu’esse que tu dyras ?

        Où t’en vas-tu ?

                        LE  BADIN

                                      Au prébitaire.

                        LA  MÈRE

150  Et ! voire ; mais qu’i vas-tu faire ?

                        LE  BADIN

        Et ! vous ne m’avez poinct dict qué75.

                        LA  MÈRE

        Y pert que les py[e]s l’ayent76 cauqué.

        Tristre77 vilain, mauldist soys-tu78 !

        Tu luy diras, vilain testu,

155  Se c’est son plaisir, qu’i nous preste

        Une chandelle. Et [sy], n’areste

        (Entens-tu bien ?) ne brin ne gouste79 !

                        LE  BADIN

        Non ferai-ge, n’en ayez doubte80.

                        LA  MÈRE

        Vien çà ! Comme luy dyras-tu ?

                        LE  BADIN

160  Je luy diray : « Vilain testu… »

                        LA  MÈRE

        Je pry Dieu que tu soys mauldict !

                        LE  BADIN

        Sur ma foy ! vous me l’avez dict.

                        LA  MÈRE

        Et ! ne séroys-tu myeulx parler ?

        Ainsy te fauldra commencer :

165  « Monsieur le Curé, désbonsoir81 ! »

        Ou « désbonnuyct », ce m’est tout un.

        Saluer le convyent par run82.

        Puys gentiment emprunteras

        La83 chandelle. Et tousjours éras

170  La main au bonnet84.

                        LE  BADIN

                                            Et ! bien, bien.

                        LA  MÈRE

        Par ma foy ! tu ne congnoys rien ;

        Tu es plus sot qu’agnyau qui belle85.

        Va-t-en disant « une chandelle »,

        Afin que tu ne l’omblye86 pas.

175  Et revyens87 plus tost que le pas !

.

                        LE  BADIN 88                                        SCÈNE  VII

        [Je le veulx mettre en ma cervelle :]89

        « Une chandelle. Une chandelle… »90

        Que deable ! je ne say que c’est ;

        À bien peu que je ne suys quest91.

180  Le deable y ayt part à la pierre !

        Je ne say plus que je voys querre92,

        Maintenant… Je seray mengé93.

.

        Ma mère, je suys trébuché ;                                     SCÈNE  VIII

        Par mon serment, un bien grant sault94 !

185  Je ne sçay plus ce qu’il me fault.

                        LA  MÈRE

        Une chandelle, dy,  vilain !

                        LE  BADIN

                                              Et bien,  bien.95

                        LA  MÈRE

        Garde-toy bien de dire rien

        De messir(e) Jehan !

                        LE  BADIN

                                          Et ! je n’ay garde96.

.

                        LA  MÈRE                                             SCÈNE  IX

        Par ma foy ! quant je [le] regarde,

190  Ce garson est encor bien sot.

                        MESSIRE  JEHAN

        Ne me chault, mais qu’i ne dye mot

        De moy : car je seroys infâme.

.

                        LE  BADIN 97                                         SCÈNE  X

        Holà ! Hay ! A-il céans âme98 ?

                        LE  CURÉ  entre 99

        Qui esse là ?

                        LE  BADIN

                          Et !  c’est mé100.

                        LE  CURÉ

                                                       Qui, « mé » ?

                        [ LE  BADIN

195  Jaquet.

                        LE  CURÉ ]

                     Que ne t’es-tu nommé ?

                        LE  BADIN

        Et ! c’est Jaquet.

                        LE  CURÉ

                                     Entre, beau sire,

        Et c’on sache que101 tu veulx dire.

                        LE  BADIN 102

        Dieu gard ! Dieu soyt ceans ! Désbonsoir !

                        LE  CURÉ

        Entre, Jaquet, et viens te soir103.

                        LE  BADIN

200  Ma mère se commande104 à vous

        Plus de cent foys, entendez-vous ?

        Elle m’a dict deulx ou troys coups

        Qu’el[le] vous prira par amours

        Que luy envoye[z]… je ne say quoy.

205  Je n’en says rien, quant est à moy105,

        Car par ma foy, j’ey omblyé ;

        Par quoy, j’en suys tant ennuyé.

        À ma mère savoir je voys106.

.

        Ma mère, qu’esse que je doys                                   SCÈNE  XI

210  À nostre curé emprunter ?

                        LA  MÈRE

        Le deable te puisse emporter !

        Faloyt-il, pour ce107, revenir ?

        Et ne séroys-tu retenir

        « Une chandelle », dy, vilain ?

                        LE  BADIN

215  Et bien,  bien108.

.

                        MESSIRE  JEHAN                               SCÈNE  XII

                                    Entendez vous : pour tout certain,

        Y nous joura un mauvays jeu.

                        LA  MÈRE

        Ma foy, il est sot en toult lieu.

                        [MESSIRE  JEHAN] 109

        Ma foy, c’est un dangereulx sot,

        Pour le vous dire [bref et]110 tost ;

220  Et en érons froyde nouvelle111.

.

                        LE  BADIN 112                                      SCÈNE  XIII

        Mon seigneur113, c’est une damoyselle !

                        LE  CURÉ

        Tu en éras, Jaquet, vrayment !

        Pourquoy as-tu sy longuement

        Mys  la main à ton bonnet ?

                        LE  BADIN

                                                      Et ! voyre.

                        LE  CURÉ

225  Pourquoy esse ? Dy-lay !

                        LE  BADIN

                                                 Ma mère

        M’a dict que je [l’y ayes]114 tousjours

        Quant je vouldray parler à vous.

                        LE  CUR[É]

        [Ne le fault à tort, mais]115 à droyt.

                        LE  BADIN

        Ma foy ! ma mère me batroyt.

                        LE  CURÉ

230  Vous l’ôterez116, vrayment, beau sire.

                        LE  BADIN

        Bien ; mais il ne le fault poinct dire

        À ma mère, [m’]entendez-vous ?

                        LE  CURÉ

        Vien çà, Jaquet.

                        LE  BADIN

                                  Que voulez-vous ?

                        LE  CURÉ

        Et ! que tu parles sotement !

235  Parle un petit117 plus gentement.

                        LE  BADIN 118

        « Que vous fault-il ? » Je parle aussy gresle

        Comme faict une Damoyselle119.

                        LE  CURÉ

        Tu parle[s] aussy droyt c’un mesle

        Qui est en la cage120, beau sire.

                        LE  BADIN

240  Me voulez-vous [pas] faire dire

        Ce que ma mère a121 défendu ?

                        LE  CURÉ

        Ce n’est pas trop mal entendu.

                        LE  BADIN

        Aussy je ne le diray mye.

                        LE  CURÉ

        Or vien çà ! Dy-moy, je te prye,

245  Beau sire, qui est cheulx122 ta mère.

                        LE  BADIN 123

        Que voélà de beau rouge [à] boyre !

                        LE  CURÉ

        Vrayment, Jaquet, tu en buras ;

        Mais av[ant], sy, tu me diras

        Qui est cheulx ta mère, entens-tu ?

                        LE  BADIN

250  Par ma foy ! je seroys batu.

                        LE  CURÉ 124

        Tien, tien, avale ce petit,

        Et goûte de quel apétit

        Il est, se tu n’es équeuré.

                        LE  BADIN 125

        Grand mercy, monsieur le Curé !

                        LE  CURÉ

255  Il est bien meileur que cervoyse.

                        LE  BADIN

        Mon serment, vous estes bien èse126 !

        En buvez-vous tousjours de tel ?

                        LE  CURÉ

        Dy-moy qui est à vostre hostel,

        Tu buras encor de mon vin.

                        LE  BADIN

260  Et ! mon Dieu, que vous estes fin !

        Vous voulez tousjours [tout] sçavoir.

        Mon serment ! je vouldroys avoir

        Une  aussy belle robe que vous.

                        LE  CURÉ

        Mais qu’en feroys-tu ? Dy-le-nous,

265  Afin que plus tu ne crételle127.

        Messir(e) Jehan [n’a-il]128 poinct de telle ?

                        LE  BADIN

        [Nennin,] elle n’est poinct pelue129

        – Au moins celle qu’il a vestue130

        Par-dedens, comme la vostre est.

                        LE  CURÉ

270  Jaquet, tu n’es pas encor prest

        D’avoir chandelle, sûrement,

        Se ne me dis premièrement

        Se messir(e) Jehan est à l’ôtel.

                        LE  BADIN

        Qui vous a donné ce coustel131 ?

275  Il est bel. Où en est la gayne ?

                        LE  CURÉ

        Or me dis132 donc, sans plus de paine,

        Se messir(e) Jehan est à vostre astre133.

                        LE  BADIN

        A ! vous me voulez faire batre

        À ma mère, je le voys bien.

                        LE  CURÉ

280  Vrayment, elle n’en séra rien.

                        LE  BADIN

        Par ma foy ! el(le) frape tousjours ;

        Se messir(e) Jehan ne m’eust rescous134,

        L’autre jour, el m’eust bien batu.

                        LE  CURÉ

        Messir(e) Jehan [couche tout vestu]135,

285  Ou y se despouile136, avec ta mère ?

                        LE  BADIN

        Il se despouile quant mon père

        Ne doibt poinct au soir revenir.

                        LE  CURÉ

        Quant tu as137 deu icy venir,

        Avec ta mère il y estoyt ?

                        LE  BADIN

290  Et ! sur mon âme, non estoyt !

                        LE  CURÉ

        Vrayment, il y debvoyt souper ?

                        LE  BADIN

        Ma foy, poinct n’avez vostre pèr138 :

        Au moins, tousjours tout vous savez.139

        Monsieur le Curé, vous avez

295  Icy de belles gens, av’ous140 ?

                        LE  CURÉ

        Voyre, Jaquet.

                        LE  BADIN

                                Que [n’estes-vous]141

        Parmy ces belles damoyselles !

                        LE  CURÉ

        Veulx-tu poinct coucher avec elles ?

                        LE  BADIN

        Ouy, ouy,  mais vous en seriez mar[r]y.

                        LE  CURÉ

300  Veulx-tu poinct estre le142 mary

        D’une d’icy ?

                        LE  BADIN

                              [Moy ?] Et quoy donques143 !

        [De plus belles je ne vys oncques.]144

        Nous serions tant aise, nos deulx145 !

        Demandez-vous sy je la veulx ?

305  Ouÿ ! Et sy, veulx estre prestre146.

                        LE  CURÉ

        Tu ne séroys, ce me semble, estre

        Prestre et marié [tout] ensemble.

                        LE  BADIN

        Pourquoy ? [Cela n’est sans example]147 :

        Ma mère, sans estre hariée148

310  (Entendez-vous ?) est mariée

        À mon père ; et sy149, est prestresse.

                        LE  CURÉ

        Or je te pry : dy-moy qui esse,

        Gentil Jaquet, qui te l’a dict.

                        LE  BADIN

        In Jen ! je soys de Dieu maudict

315  Sy vous n’êtes fort enquérant150 !

        Qui mengeust vostre demourant151,

        Monsieur le Curé ? Vostre basse152 ?

                        LE  CURÉ

        Voyre, Jaquet.

                        LE  BADIN

                                Elle est bien grasse,

        D’avoir de sy bonne mengaille153 !

                        LE  CURÉ

320  Jaquet, y fault que je t’en baille.

                        LE  BADIN

        Et ! baillez çà !

                        LE  CURÉ

                            Atens154 encor,

        Car tu me diras, par sainct Mor,

        Quant c’est que messir(e) Jehan y vient.

                        LE  BADIN

        Par ma foy ! oncques155 il n’y vient

325  Synon quant mon père est dehors ;

        Maishuy156 survyent.

                        LE  CURÉ

                                           Mengust ung mors157,

        Puys tu auras tantost à boyre.

                        LE  BADIN

        Vous me faictes bien bonne chère,

        Monsieur le Curé, de ce choisne.

                        LE  CURÉ

330  Je t’ayme mieulx, par sainct Anthoine,

        Que s’estoys158 mon cousin germain !

                        LE  BADIN

        Ne mengez-vous oncques159 de pain ?

        Meng’ous160 du choisne ou de la miche ?

                        LE  CURÉ

        Par ma foy ! je ne suys pas siche161.

                        LE  BADIN

335  Mon Dieu, qu’estes-vous èse162, icy !

                        LE  CURÉ

        Par ma foy ! tu seras ainsy

        (Le cas venu) y  aparyé163,

        Sy t(u) es une foys marié.

        Vien  çà ! laquelle veulx-tu avoir ?

                        LE  BADIN

340  Et ! vous la v[i]endriez souvent voir,

        Comme messir(e) Jehan faict ma mère !

                        LE  CURÉ

        Quant y vient-il ?

                        LE  BADIN

                                    C’est quant mon père…

        A ! il n’y vient poinct, sur ma foy,

        Car ouez vous a je me croy

345  Voir164 ma mère, par le grand Roy !

        El me batroyt de vous le dire.

                        LE  CURÉ

        Je te pry, dy[-le-]moy, beau sire.

                        LE  BADIN

        Donnez-moy donc de vostre cher165,

        [Car je n’ay plus rien à mascher.]

                        LE  CURÉ

350  Tu en éras, vrayment, Jaquet ;

        Or tien, emple bien ton saquet166.

        Que cest os-là vous soyt curé167 !

                        LE  BADIN

        Gros mersy, monsieur le Curé !

                        LE  CURÉ

        (Y se168 faict gras comme un ouéson.)

                        LE  BADIN

355  Voécy une belle maison,

        Monsieur le Curé !

                        LE  CURÉ

                                      Ma foy, voire.

                        LE  BADIN

        Par mon serment, elle est bien clère !

        Voilà de belles Nostres Dames169 !

        Et ! je vous demande : ces femmes

360  Sont-elles trèstoutes vos basses170 ?

                        LE  CURÉ

        Nennin dea, Jaquet. Je me passes

        À moins171 ; il ne m’en fault poinct tant.

                        LE  BADIN 172

        Je vous pry, baillez-moy contant173

        Ma174 chandelle, je vous emprye.

                        LE  CURÉ

365  Vien çà ! Quant ton père n’est mye

        À l’ôtel, tu le vas quérir175

        Et le fais promptement venir,

        Ainsy comme un simple valet ?

                        LE  BADIN 176

        Mon serment ! je n’en ay que faire :

370  Il y vient bien tout seulet.

                        LE  CURÉ

                                            Mais  voyre ?

        ……………………………………

                        LE  BADIN

        Y se couchent177 entre deulx draps

        Et s’entre-acolent178 bras à bras

        Dedens un lict, de boult en boult.

        Par mon serment ! vous savez toult ?

375  Qui vous l’a dict ?

                        LE  CURÉ

                                      Et [sy], ton père

        Faict à messir(e) Jehan bonne chère179 ;

        Bien aise est de l’entretenir.

                        LE  BADIN

        A ! il n’a garde d’y venir,

        À l’ostel, quant mon père y est.

                        LE  CURÉ

380  Jaquet, voycy qui me desplaist !

        Que tousjours messire Jehan casse

        La fenestre par où il passe,

        C’est une mauvaise besongne !

                        LE  BADIN

        Par mon serment, ce n’est que hongne180 !

385  N’a-il pas la181 clef de nostre us

        De dèrière ? Y n’y passe plus182

                        LE  CURÉ

        Quant y  vient, les chiens disent-il rien ?

                        LE  BADIN

        Nennin, y le congnoissent bien.

                        LE  CURÉ

        Et qui [se] couche aveques eulx183 ?

                        LE  BADIN

390  Y n’y couche âme que ces184 deulx.

                        LE  CURÉ

        Et toy, Jaquet, où couches-tu ?

                        LE  BADIN

        En un câlict185.

                        LE  CURÉ 186

                                  [Rien n’entens-tu]187,

        Jaquet ? S’entr’ébatent-il poinct188 ?

                        LE  BADIN

        J’os bien messire Jehan qui gainct189,

395  Et ma mère luy va disant :

        « Messir(e) Jehan, vous estes pesant ! »

                        LE  CURÉ

        Et que font-il, par ton serment ?

                        LE  BADIN

        Et ! mauldict soyt-il qui ament190 !

        Ce191, vous le savez myeulx que moy.

400  Et sy agardez  je vous en croy, ma foy,

        Je seray assommé de coups,

        Monsieur le Curé, et192 par vous.

        [Çà !] donnez-moy une chandelle !

                        LE  CURÉ

        Tien, Jaquet, veulà une belle ;

405  Les troys [en] valent myeulx que sis.

                        LE  BADIN

        Adieu donc !

                        LE  CURÉ

                              Adieu ! Grand[s] mersis !

                        LE  BADIN

        Y n’y a de quoy.

                        LE  CURÉ

                                    Sy a, sy193.

.

                        LE  BADIN 194                                      SCÈNE  XIV

        Or tenez, ma mère, en voécy.

                        LA  MÈRE

        [Que] tu as beaucoup aresté195 !

                        LE  BADIN

410  Le curé m’a bien demandé

        Qui estoyt seans.

                        LA  MÈRE

                                      Et qu’as-tu dict ?

                        LE  BADIN

        Je n’ay poinct – ou je soys mauldict –

        Rien parlé que de messir(e) Gen.

                        LA  MÈRE

        Luy as-tu dict, sot cahuen196 ?

                        LE  BADIN 197

415  Ç’a esté luy qui me l’a dict.

                       MESSIRE  JEHAN

        Va, que de Dieu soys-tu mauldict !

        Maintenant, nous sommes au boult198.

                        LE  BADIN

        Par mon serment ! y sçayt bien tout :

        Y m’a bien dict que quant mon père

420  N’y est, que  couchez avec ma mère.

                        LA  MÈRE

        Et ! je t’avoys tant dict, beau sire,

        Que te gardasse de le dire !

        Que de taigne soys-tu coifé !

                        LE  BADIN

        Je luy ay bien dict, sur ma fé199,

425  Que me l’avyez bien défendu.

                        MESSIRE  JEHAN

        Le deable y est, tout est perdu !

        C’est un maleur que de telz sos.

        Je disoys bien à tous propos

        C’une foys nous la bauldroyt200 belle.

                        LE  BADIN

430  Je201 n’usse poinct eu de chandelle :

        Et alors202, vous m’ussiez mengé.

                        LA  MÈRE

        Le deable m’en a bien engé203 !

        Tousjours nous ferez vitupère204.

        A205 poinct demandé sy ton père

435  Sayt bien que messir(e) Jehan y vienne ?

                        LE  BADIN

        Qu’a-il dict, donc ?

                        LA  MÈRE

                               Y fault  qu’il t’en souvyenne206 !

        Et qu’as-tu dict ? Que le feu t’arde207 !

                        LE  BADIN

        Et ! je luy ay dict qu’il208 n’a garde

        De venir quant mon père y est.

                        [MESSIRE  JEHAN] 209

440  Par Nostre Dame ! y nous meschest210.

                        [LA  MÈRE]

        Tousjours ferez ainsy ? Ferez ?

        Par la croys bieu, vous en érez !

        Je vouldroys que fussiez en byère211 !

        Alons-nous-en icy dèrière212,

445  Les verges ne sont pas icy.

                        LE  BADIN

        Ma mère, je vous cry mercy !

                       LA  MÈRE

        Et ! par Dieu, le sang en sauldra213 !

        Me donras-tu tant de soucy ?

                        LE  BADIN

        Ma mère, je vous cry mercy !

                        MESSIRE  JEHAN

450  D’encreté j’ey le cœur noirsy214.

        Et de ce cas, mal nous en prendra215.

                        LE  BADIN

        Ma mère, je vous cry mercy !

                        LA  MÈRE

        Et ! par Dieu, le sang en sauldra !

.

        Mes bons seigneurs, y nous fauldra,

455  Pour mestre hors mérencolye,

        Chanter216 hault – chascun l’entendra –

        Une chanson qui soyt jolye.

                        MESSIRE  JEHAN

        Ne prenez poinct garde à folye ;

        Aussy, sages gens n’en font compte :

460  Car la parole est abolye

        D’un fol, fust-il roy, duc ou compte.

        Et au départir de ce lieu,

        Une chanson pour dire adieu ! 217

.

                                        FINIS

*

1 Sur ce type comique qui a fait les beaux jours de la farce médiévale, voir la note 1 de Jénin filz de rien.   2 Il rencontre Jacquet près de l’église.   3 Aussi souvent que je le voudrais.   4 Flatteur. Jacquet parle comme un petit paysan normand.   5 Dis-le. On retrouve ce pronom normand aux vers 115 et 225.   6 Euphémisme pour « vrai Dieu » ; c’est un croisement entre vraibique et vrémy. Jacquet va monnayer un secret que l’amant de sa mère aimerait connaître : son père est absent jusqu’au lendemain soir.   7 Content. Idem vers 101 et 107. Cf. le Clerc qui fut refusé, vers 154.   8 LV : mesire  (Graphie personnelle du copiste.)  On prononçait « messer Jean » ; voir la note 74 du Testament Pathelin.   9 Je ne te donnerai rien cette année, si tu ne parles pas. LV ajoute dessous : dis le moy   10 Les Normands transformaient le son « oi » en « è », ce qui explique cette rime et celles des vers 78, 126, 139, 146, 165, 224, 246, 255, 327, 356, 370.   11 LV : donc  (Si jamais vous veniez voir ma mère.)   12 De la viande ou du pain de chanoine, qui est un pain blanc de qualité supérieure, alors que Jacquet se contente ordinairement de pain bis. On ne peut que songer au proverbe : « Faire comme les enfans du prestre, manger son pain blanc le premier. » Antoine Oudin.   13 LV : bien  (Les Badins prennent facilement un petit village pour une grande ville. La maison de Jacquet, dont la porte de derrière donne sur une cour où veillent des chiens, est plutôt caractéristique d’un village. De même, la pierre contre laquelle il va buter rend mieux compte d’un chemin que d’une rue.)   14 LV : inutille  (Une anguille est un homme insaisissable, qui nous glisse entre les mains : « Il est mouvant comme une anguille. » Maistre Mymin qui va à la guerre.)   15 LV : merueilleurs  (Un étonnant personnage. « Par leurs grans cris, plains et pleurs merveilleurs. » ATILF.)   16 LV : quay faict  (Voir le vers 29.)   17 De notre maison. Idem vers 258, 273, 366, 379.   18 Ambiguïté de langage propre aux Badins. 1) Si vous saviez que mon père est hors de notre maison. 2) Messire Jean, mon père : voir le vers 140.   19 LV : viendryes o  (Vous viendriez voir.)   20 Quand reviendra ton père.   21 LV : rompt le colrps   22 LV : lyes  (Oindre d’huile = flatter, embobiner. Les ecclésiastiques emploient de l’huile pour les onctions.)   23 LV : auoir  (« Comme il affiert par raisons mille. » Jardin de Plaisance.)   24 LV : il  (Ma mère attend son retour.)   25 LV : auec  (Si vous venez coucher chez ma mère. Voir le vers 245.)   26 Si cela ne vous déplaît pas. Les gens qui ont du savoir-vivre énoncent cette formule de politesse avant de demander une faveur, et non après l’avoir obtenue.   27 Rappelons que la scène se déroule près d’une église, et que les Badins parlent fort (vers 104).   28 Qui m’oit, qui m’entend.   29 À partir d’ici, LV abrège les rubriques en : mesire i   30 LV : messuy  (Maishui = désormais.)   31 Vais. Idem vers 139, 148, 181, 208.   32 En marchant vite. « Aler le grant pas. » ATILF.   33 Accoutumé. Cf. l’Avantureulx, vers 265.   34 Qu’avez-vous (normandisme). Idem vers 295.   35 C’est le mot que prononce Jacquet chaque fois qu’il feint de se plier aux règles des adultes : voir les vers 170, 186, 215, 231. Il retourne chez lui.   36 Ce que.   37 Le choine et la chair promis au vers 15. Même graphie de chair à 348.   38 Saura (normandisme). Idem vers 75, 163, 213, 280, 306.   39 Cette didascalie marque le début d’un rôle, comme celui du Curé au vers 194. La mère est dans la maison, où Jacquet déboule avec son raffinement habituel.   40 Qu’y a-t-il.   41 LV : bouter  (Mettez la table : installez la planche sur les tréteaux.)   42 Variante du proverbe : « Enfant aime moult qui beau l’appelle. » L’incongruité de ce proverbe à cet endroit et la réplique hors de propos du garçon montrent qu’il manque au moins 2 vers au-dessus.   43 Forme normande de « saint Jean », comme au vers 314, qui est d’ailleurs identique à celui-ci. Cf. le Bateleur, vers 217.   44 Vous n’aurez (normandisme). Idem vers 108, 169, 220, 222, 350, 442.   45 LV : et sy  (Jacquet se reprend.)   46 Il me la baillerait. C’est d’ailleurs ce qui va se produire au vers 113.   47 Tu es vraiment un fou authentique. Cf. la Pippée, vers 65.   48 Du crucifix.   49 Tel. « Vous le faictes aintel qu’il est. » Les Bâtars de Caulx, LV 48.   50 Du bavardage. « Ung Sainct-Frestel,/ Filz de Babil. » Saincte Caquette.   51 Il frappe à la porte.   52 Jacquet ne tutoie pas sa mère ; il chante quelques notes graves de la Chasse, de Clément Janequin : « Escoute, escoute à cestuy- ! » Dans cette chanson, qui était à coup sûr populaire avant d’être éditée en 1528, des chasseurs finissent par tomber sur une « beste noire » ; malheureusement, il s’agit d’un « gris caffart », d’un Cordelier, comme l’est peut-être notre chapelain.   53 En mauvaise année, en malheur. « Que Dieu si te mecte en mal an ! » Le Prince et les deux Sotz.   54 Content. Voir la note 7.   55 Il crie par la fenêtre.   56 Tu auras des coups de verges sur les fesses. Idem vers 108, 222, 350, 442.   57 LV : mon amy mesire iehan   58 Il entre.   59 Dans un endroit frais. Les amants qui vont chez leur maîtresse apportent toujours de quoi boire : « Que ceste bouteille boutée/ Me soyt en un lieu proprement ! » Le Poulier à sis personnages.   60 LV : tient   61 Céans. Les Normands prononçaient parfois sian en 1 syllabe. Idem vers 198 et 411.   62 LV : plus  (C’est la question qu’on se pose toujours face à un Badin, qui joue de ses inaptitudes bien réelles pour parvenir à ses fins.)   63 De l’éloigner. Comme toujours dans les farces, cette expression va être prise au sens littéral.   64 Les lavandières battaient le linge au lavoir. Toile se prononce tèle.   65 La fin du vers manque. « Hau ! », pour répondre à un appel, est impoli : « –Sottinet ! –Hau !Quel “hau” ? » (Le Roy des Sotz.) Aux vers 9-22 de Jénin filz de rien, la mère du badin donne à son fils la même leçon de politesse.   66 Novice. « Voicy ung homme bien nouveau ! » Les Cris de Paris.   67 LV : seroys tu  (« Dictes : “Que vous plaist ?” » Jénin filz de rien.)   68 Que de plaid, de discours.   69 Au presbytère, chez le curé.   70 LV : ges  (La boite est la boisson, i.e. le pot de vin du vers 111. « Ilz vendangeoient leur cloz, auquel estoit leur boyte de tout l’an fondée. » Gargantua, 27.)   71 Une gorgée de vin. Le chapelain emplit deux gobelets, et trinque avec l’enfant.   72 « Ouy, cheux mon père messir(e) Jehan. » Jénin filz de rien.   73 Ce que.   74 J’y vais. Jacquet vide son verre et s’apprête à sortir.   75 Prononciation patoisante de « quoi ». « Que t’importe quay ny comment ? » La Muse normande.   76 LV : laict  (Il appert que des pies l’ont engendré.)  Cauquer = côcher, saillir un oiseau : « J’avon notte vieux coq, je le bouteron cuire ;/ Ossi bien, asteur-chy, y ne s’ret pu cauquer. » (Muse normande.) Les Sots naissent dans des œufs, et les imbéciles sont couvés par une pie : « Jamais la pye qui te couva/ Ne fut brullée de feu grégeoys. » Les Povres deables.   77 Traître.   78 LV : soyt tu   79 Et aussi, ne tarde aucunement.   80 Crainte.   81 Forme extrêmement vulgaire de : « Que Dieu vous doint une bonne soirée ! » (Cf. Jolyet, vers 189.) Avec un professeur de maintien aussi distingué, on comprend pourquoi l’élève a de si bonnes manières… Souèr rime avec commencèr.   82 Selon son rang.   83 LV : une   84 Là encore, le professeur s’exprime mal : Tu auras ton bonnet à la main.   85 Qu’un agneau bêlant.   86 L’oublies. Idem vers 206.   87 LV : reuyent   88 Il va vers le presbytère.   89 Vers manquant. « Je ne veux mettre en ma cervelle,/ Pour le présent, autre nouvelle. » Jean Godard.   90 Jacquet ferme les yeux pour se concentrer sur le mot « chandelle ». Il achoppe contre une pierre et manque de tomber.   91 Forme patoisante de « chu ». « Une autre quet le cul en bas. » Muse normande.   92 Ce que je vais demander.   93 Je vais me faire dévorer tout cru par ma mère. Idem vers 431. Cf. le Badin qui se loue, vers 7 et 181. Jacquet retourne à la maison, où le couple adultère est en chemise de nuit.   94 Jeu de mots involontaire sur « grand sot ».   95 LV a tenté de caser ici le vers 214 et le début du vers 215.   96 Je m’en garderai bien. Jacquet repart, en faisant un large détour pour éviter la pierre.   97 Il tambourine contre la porte du presbytère.   98 Y a-t-il quelqu’un là-dedans ?   99 Entre en scène ; voir la note 39.   100 Prononciation patoisante de « moi ». « Vous disputiez la fille, et ch’est may qui l’éray ! » Muse normande.   101 Ce que.   102 Il reste sur le seuil et fait des révérences au curé en alignant toutes les formules de politesse qu’il connaît.   103 T’asseoir. Jacquet entre, et se laisse choir dans le fauteuil du curé.   104 LV : recommande  (« Je vous commande à Dieu ! » Le Cuvier.)   105 Quant à moi.   106 Je vais le demander. Jacquet retourne à la maison, laissant le curé abasourdi. Tout aussi confus sera le couple adultère, qui allait se mettre au lit.   107 LV : sen  (Pour si peu.)   108 Jacquet repart, en contournant la pierre qu’il avait heurtée.   109 LV : le cure   110 LV : bien  (« Pour la françoise terre/ Conquester bref et tost. » J’ay vu roy d’Angleterre.)   111 Nous en aurons une mauvaise expérience.   112 Il entre sans frapper dans le presbytère. Jusqu’au vers 231, il tient la main contre son bonnet, qui est toujours sur sa tête.   113 Scander « mon sieur » en 2 syllabes. (Cf. le Roy des Sotz, vers 165.) Au lieu de réclamer une chandelle, Jacquet demande une demoiselle : il est troublé par la vision d’élégantes jeunes filles qui sont peintes sur un grand tableau religieux.   114 LV : dyes   115 LV : y le fault a tort ou  (Mais à bon escient.)   116 Votre bonnet. Mais Jacquet comprend : votre main. La scène du badin qui ne songe pas à ôter son bonnet devant un prêtre était déjà dans Jénin filz de rien, vers 114-119.   117 Un peu.   118 Il prononce la formule correcte en minaudant.   119 Les femmes de la Noblesse prenaient une voix haut perchée parce qu’elles croyaient que c’était plus distingué. Le compositeur Émile Martin nous racontait que dans les églises de son enfance, les femmes du peuple chantaient la partie d’alto, alors que les bourgeoises s’égosillaient dans les aigus.   120 On mettait des merles en cage pour leur apprendre à écorcher quelques mots. « Le merle (…) apprend aisément ce qu’on luy montre, comme parler & siffler. » Louis Liger.   121 LV : ma   122 Chez. Le curé se met au niveau du petit paysan pour mieux l’amadouer.   123 Parmi les reliefs du repas, il aperçoit sur la table une bouteille de vin rouge.   124 Il verse à l’enfant un plein gobelet de vin pour le soûler.   125 Il boit d’abord, et il remercie ensuite.   126 Aise, qui rime avec cervaise.   127 Tu ne caquettes. Cf. le Trocheur de maris, vers 85.   128 LV : en ile   129 Fourrée.   130 Celle qu’il porte aujourd’hui.   131 Ce couteau. Jacquet voudrait bien qu’on le lui offre en échange de ses confidences. Les Badins ne comprennent rien d’autre que leur intérêt, comme l’avoue celui de Jénin filz de rien, qui s’est fait offrir l’écritoire de messire Jean : « Je suis à qui le plus me donne. »   132 LV : dict   133 À votre âtre, votre foyer.   134 N’était venu à ma rescousse.   135 LV : coucha tout verstu   136 LV : despouila  (Je corrige la même faute au vers suivant.)  Il se dépouille, se déshabille.   137 LV : es  (Quand tu as dû, quand on t’a obligé.)   138 Votre pair. « Oncques-mais je ne vy ton pèr. » Les Sergents.   139 Jacquet observe le tableau qui représente les jeunes saintes.   140 N’est-ce pas ? Voir la note 34.   141 LV : vous estes vrous   142 LV : la  (S’il n’était pas question de mariage, on pourrait lire « l’amarri », le voisin de lit. Cf. les Femmes qui demandent les arrérages, vers 79.)   143 Et comment donc ! Cf. le Capitaine Mal-en-point, vers 351.   144 Vers manquant. « C’est la plus belle qu’onques vy. » Le Poulier à quatre personnages.   145 Nous deux : elle et moi.   146 Beaucoup d’enfants stupides veulent accéder à cette sinécure qu’est la prêtrise : voir par exemple le Clerc qui fut refusé à estre prestre. Jacquet fait preuve d’une solide vocation : il veut boire du bon vin, manger de bonnes choses, porter de beaux habits, loger dans une maison confortable, avoir une servante, et lutiner des femmes mariées.   147 LV : celle est ases ample  (Il y en a des exemples. « Pour monstrer que mon advis n’est sans exemple. » Michel de l’Hospital.)   148 Persécutée.   149 Et pourtant. La prêtresse est la concubine d’un prêtre : cf. Jénin filz de rien, vers 165.   150 Inquisiteur, poseur de questions. Jénin lorgne depuis un moment les restes du repas qui traînent sur la table.   151 Qui mange vos restes ?   152 LV : base  (Graphie personnelle du copiste.)  Votre servante. Idem vers 360. « Icelle baasse ou chambèrière dudit prestre. » Godefroy, à l’article Baiasse.   153 Mangeaille, nourriture.   154 LV : atemps  (Attends avant d’en avoir.)   155 LV : poinct  (Même erreur de lecture du copiste au vers 332.)   156 LV : mais il  (À ce moment il survient. Voir le vers 50.)  LV répète dessous le vers 58 : quant mon pere est ale dehors   157 Mange un morceau. Le curé lui donne du choine [du pain blanc].   158 Que si tu étais. Le curé sert à l’enfant un autre gobelet de vin.   159 LV : poinct   160 Mangez-vous seulement. Voir la note 34.   161 Chiche, regardant à la dépense. Cf. la Réformeresse, vers 103. En fait, les curés se laissaient nourrir et vêtir par les bigotes de la paroisse : ils n’achetaient presque rien.   162 LV : esse  (Aise, comme au vers 256.)   163 Sur un pied d’égalité avec moi ? Possible confusion avec « appareillé » : loti, fourni.   164 LV : de  (Le grand Roi est le Roi des cieux : Dieu.)   165 Chair. Voir la note 37. Le vers suivant est perdu.   166 Emplis bien ta besace (ou ton ventre). « Or, enplez doncque mon saichot. » ATILF.   167 Récuré, car il y a encore de la viande autour.   168 LV : le  (Jacquet devient gras comme une oie.)   169 Retour au tableau qui représente les jeunes saintes.   170 LV : bases  (Vos servantes : note 152.)   171 Je me contente de moins. « Je me passasse bien à moins. » Le Capitaine Mal-en-point.   172 LV met cette rubrique après le vers 363.   173 Comptant, sans frais.   174 LV : une   175 Tu vas chercher messire Jean.   176 LV met cette rubrique après le vers 369.   177 LV : couchoyt  (Jacquet ne répond jamais à des questions qu’on ne lui a pas posées ; il manque donc au moins 2 vers au-dessus.)   178 LV : sentre acolest   179 Bonne figure.   180 C’est une calomnie. Cf. les Femmes qui font escurer leurs chaulderons, vers 177.   181 LV : une  (L’huis de derrière est traditionnellement la porte par où se faufile l’amant d’une dame.)  « Messire Jehan ne failloit point à entrer par un huys derrière, dont elle luy avoit baillé la clef, et se venoit mettre au lict en la place du mareschal. » Bonaventure Des Périers.   182 Ce petit « guichet » (c’est son nom officiel) ne permet plus au chapelain de passer, car il est devenu trop gros : vers 396.   183 Avec ta mère et messire Jean.   184 LV : leur  (Personne d’autre que ces deux-là.)   185 Un châlit, une couchette. (Cf. la Veuve, vers 8.) Les familles modestes n’avaient qu’une chambre, dans laquelle on disposait plusieurs lits.   186 LV met cette rubrique après le vers 392.   187 LV : bien men tens tu   188 LV remplace le mot « poinct » par un nouveau vers : dy moy viensa les os tu poinct   189 Qui geint.   190 L’expression exacte est : qui en ment [celui qui ment]. « Ou mauldict soyt-il qui en ment ! » (La Veuve.) Jacquet commet un lapsus sur le mot amant.   191 LV : se  (Cela.)   192 LV : cest  (Et à cause de vous. « Et par vous, Sotte Occasion. » Jeu du Prince des Sotz.)   193 Grâce aux renseignements qu’il vient d’obtenir, le curé va pouvoir limoger son chapelain, et soumettre la mère de Jacquet.   194 Il rentre chez lui et donne la chandelle à sa mère.   195 Tardé. Idem vers 156.   196 Un chat-huant est un lourdaud. « À grand-peine sçauroit-on faire/ D’ung chahuan ung espervier. » Gilles Corrozet.   197 LV ajoute dessous : nennin nennin   198 Nous sommes acculés.   199 Prononciation patoisante de « foi ». « Ma mère,/ J’en jure sur ma fay ! Je crain trop les bâtons. » Muse normande.   200 LV : bailleroyt  (Voir le vers 89.)  Qu’un jour il nous la baillerait belle.   201 Si je ne lui avais pas tout raconté, je…   202 LV : puys   203 Pourvu, fait un cadeau empoisonné. « Le grant diable m’a bien engé/ De vostre corps ! » Frère Guillebert.   204 Honte.   205 LV : y  (N’a-t-il point.)   206 Tâche de t’en souvenir !   207 Te brûle.   208 Que messire Jean.   209 LV : la mere  (Messire Jean ne parle qu’à sa maîtresse, et emploie le collectif « nous ».)   210 Il nous méchoit : nous jouons de malchance.   211 Dans un cercueil. « Elle vouldroit que fusse en bière. » Le Messager et le Villain.   212 Derrière le rideau de fond.   213 Jaillira de vos fesses.   214 Je me fais un sang d’encre.   215 Il nous adviendra du mal. LV attribue cet hémistiche à la Mère.   216 LV : chantes   217 Ce congé standard, dû au copiste du ms. La Vallière, clôt notamment le Vendeur de livres.

LA MÈRE DE VILLE

Manuscrit La Vallière

Manuscrit La Vallière

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LA  MÈRE  DE  VILLE

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Il va de soi qu’aucune femme ne fut maire de la ville de Dieppe dans les années 1530 : le bailli en était alors un licencié ès Lois du nom de Guillaume Gallye. Mais le titre de cette sottie protestante comporte un jeu de mots : la Maire de ville = la merde vile. Comme dans d’autres pièces composées en Normandie et recueillies par le manuscrit La Vallière, nous assistons à un défilé de personnages ridicules ou pitoyables devant une réformatrice1 qui ne peut rien en tirer. C’est le thème de la Réformeresse (qui est également protestante), et des Povres deables. Pour la chronologie des trois sotties, voir la notice de cette dernière.

Source : Manuscrit La Vallière, nº 28.

Structure : Rimes plates, avec une ballade initiale, et une strophe de ballade à la fin.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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Farce  nouvelle

À cinq personnages, c’est à sçavoir :

       LA   MÈRE  DE   VILLE

       LE  VARLET  [Soulcyclet]

       LE  GARDE-POT

       LE  GARDE-NAPE

       et  LE  GARDE-CUL

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                     LA  MÈRE  DE  VILLE  commence 2      SCÈNE  I

        Il n’a rien, qui ne s’avanture3,

        Dict Jan4 Parmentier, bon pilote.

        C’est par trop mys5, je vous assure,

        Quant on court après sa p[e]lote6.

5      Les uns me nomment Mère Sote7,

        Despourveue de sens, peu abille8.

        Mais, malgré eulx et leur cohorte,

        Sy serai-ge Mère de ville !

        Je congnoys les loix de « droicture »9,

10    Ut sol la my la10, et la note.

        J’ey régenté et faict lecture

        À Potiers11, bonne ville forte.

        [D’esprit] je suys vive, et non morte ;

        J’ey sancté, poinct ne suys débille.

15    Quelque propos qu’on me raporte12,

        Sy serai-ge Mère de ville !

        On dict qu’il y aura murmure,

        Et est13 danger qu’on ne me frote ;

        Je n’y prétens gain ny usure,

20    Mais que l’ommage on m’en raporte14.

        Je congnoys un porteur de hote,

        Un sifleur pourveu d’ustensille15.

        D’acord suys que la teste on m’ôte

        Sy je ne suys Mère de ville !

25    Prince16 : Que je face ouverture

        De saisine [et] judicature17.

        Et sy je faulx, qu’on me grédille18,

        Dont ce seroyt contre nature

        Sy je n’estoys Mère de ville.

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30    Soussyclet19 ? Y fault qu’on t’étrille,                        SCÈNE  II

        Car devers moy tousjours tu faulx20.

        Où sont mynutes et défaulx,

        Délaictz et lestres de respis21 ?

        De ces oficiers-cy, d’espis

35    Nouveaulx tu te faictz décorer22,

        Et peult-estre les mains dorer23 ;

        S’argent24 tu prens pour leur excuse,

        Je meure25 sy je ne t’acuse

        En te présentant à la gayne26 !

40    Tu congnoys que j’ey tant de peine

        Pour tenir justice royalle,

        Et tu me mais en intervalle27

        De tous ceulx que je t’ay nommés.

                     LE  VARLET

        O deable ! Je les ay sommés28.

45    [Ol ont]29 trèstous bien cault o fesses ;

        O craignent leurs partis adverses30

        Comme la galle de sainct Job31.

                     LA  MÈRE  DE  VILLE

        Mais où sont-y ? Il mectent trop32.

        Y fault que contre toy j’étrive33.

                     LE  VARLET

50    Mon Sauvour34, qu’estes-vous hastive !

        Vous n’avez pet35 de pacience.

        Ne soyez pet caulde36 en sentence,

        Ce seret pour vous desplacher37 :

        On vous feroyt aler prescher

55    Pardon38 à la Court souveraine…

        Les oficiers de ce démayne39 :

        Venez, au son de la trompille40,

        Parler à la Mère de ville

        Sur paine d’estre tous forfaictz !

.

                     LE  GARDE-NAPE  entre 41                   SCÈNE  III

60    Pugny seray pour42 mes méfaictz,

        Sy je suys trouvé variable43.

        Hélas, que je suys misérable

        Que je n’ay aquicté mes droictz !

        J’ey ofencé en mains endroictz ;

65    Et sy, juifz44 m’ont favorisé,

        Tant le monde est lors divisé.

        Qui peult avoir lasché le tierre45,

        Q’une femme se mecte en chaire

        Pour adjurer les gardëans46 ?

.

                     LE VARLET                                             SCÈNE  IV

70    Entrez facilement47 cëans !

        Dame, tenez-vous sus vos gardes :

        Vécyne48 un de vos nouveaulx gardes.

        I fault qu’i soyt de vous examiné.

        A !  C’est quelque maistre Domine49,

75    C’est quelque voleur50 de cull[i]ers.

        Tant j’ey veu de telz sou[r]goulliers51

        Estre mauvais aulx povres gens !

                     LE  GARDE-NAPE

        Dame, le Dieu des passïens52

        Vous garde de fortune grande53 !

80    De cœur, à vous me recommande.

        Vostre commys nous a sommés

        Comme gens très mal renommés ;

        [S’en avons]54 faict nostre debvoir.

                     LA  MÈRE  DE  VILLE

        Vien çà à moy ! Je veulx sçavoir

85    De quel estat est ton estape55.

                     LE  GARDE-NAPE

        Ma dame, je suys garde-nape.

                     LE  VARLET

        Garde-nape ?

                     LE  GARDE-NAPE

                                Ouy, garde-nape.

        Je l’ay gardée cheulx56 le Pape,

        Cheulx cardinaulx, cheulx leurs esvesques,

90    Que cherbons volans ne flamesques57

        Ne souillassent leur sacré linge.

                     LE  VARLET

        Myeulx te vauldroict garder un singe

        Sans horeilles, sans nes, sans coue58,

        Que cela de quoy tu te loue !

95    Garde-nape, quel estat esse ?

                     LE  GARDE-NAPE

        Devant eulx, ny tache, ny gresse,

        Ny ordure, ne vilenye

        (Veu que leur personne est bénye)

        Leur cœur ne séroyt59 endurer.

                     LA  MÈRE  DE  VILLE

100  Garde-toy de te parjurer !

        Es-tu garde sy bien sçavant,

        Soyt en buvant ou en mengant60,

        De les garder de salissure ?

                     LE  GARDE-NAPE

        A ! s’il y a quelque brouillure

105  Mauvaise à li[p]eurs61 estrangers,

        Pour escus pesans ou légers

        Ilz vous les font blans comme fouaches62.

                     LA  MÈRE  DE  VILLE

        Ce sont laveurs de male[s] taches :

        Quelz desgresseurs ! A ! mes amys,

110  Le[ur]s abus au monde sont mys63.

        Gare le bec pour le héron64 !

                      LE  VARLET

        Et ! men serment, s’yl est laron,

        C’on me l’emprisonne à la gaule65,

        Et c’on me le late et le gaulle66

115  Sy ferme qu’i luy en souvyenne

        Et que jamais il ne revienne !

                     LA  MÈRE  DE  VILLE

        Sans tribut67 va-t’en, je te prye.

        Soulcyclet, c’un aultre on me crye68,

        Et que cestuy-cy se sépare !

                     LE  VARLET

120  [S’]il e[st] plus âme qui compare69,

        Soyt de Lompam70 ou de Carville,

        Venez vers la Mère de ville

        Afin que soyez despeschés !

.

                     LE  GARDE-POT 71                                SCÈNE  V

        J’ey tous les peulx72 du cul dressés

125  De craincte et de peur véhémente :

        Car ceste femme qui régente

        Et qui tient le lieu de bailifve73

        Me semble assez vindictative.

        Mais s’el74 me debvoyt escorcher,

130  Sy me fault-il d’elle aprocher,

        Quoy qu’el ayt eu de moy raport75.

        Je suys le garde, garde-pot ;

        Je suys [garde-bras]76, garde-espée.

        Je suys le garde-bras, le fort.

135  Garde-robe, garde-poupée.

        Sy sera-’le77 de moy pipée,

        Sy je puys : car pour tous tribus78,

        N’aura de moy synon abus79.

        Quoy ! Mathiolus80 le Bigame

140  A-il permys [qu’aul]cune femme

        Tienne siège et qu’el[le] préside ?

        A ! c’est par trop lasché la bride !

        G’y voys81, en peyne qu’el me tue.

.

                     LE  VARLET                                            SCÈNE  VI

        Voécyne quelqu(e) un qui s’a[r]guë82 ;

145  Vertu bieu, qu’il a d’astivelle83 !

        C’est Génim-qui-de-tout-se-melle84 !

        Il est plus dangereulx c’un leu85.

        Dame, examinez-le un peu.

        O deable ! il est gendermatique86.

                     LA  MÈRE  DE  VILLE

150  Vien çà ! Dy-moy de quel pratique87

        Tu es. Ne me faictz plus le sot !

                     LE  GARDE-POT

        Moy, dame, je suys le garde-pot,

        Garde-robe, garde-poupée,

        Garde-bras, aussy garde-espée,

155  Garde[-alebarde et garde-espieulx]88.

                     LA  MÈRE  DE  VILLE

        Tu es gardïen [aux cent yeulx]89 !

        Et ! qui jamais vist de telz gardes ?

        Gardes-canons, garde-bombardes,

        Garde-espieulx, gardes-alebardes,

160  Garde-espée, aussy90 garde-bras ?

        Jamais le vailant Fierabras91

        N’eust tant de charge[s] que tu as.

                     LE  VARLET

        Il a gardé Garguentuas

        Quant il trébuça92 aulx Enfers.

                     LA  MÈRE  DE  VILLE

165  [Dictz donc]93 quelz gens c’est que tu sers,

        Et m’en faictz icy le raport !

                     LE  GARDE-POT

        Je suys le garde, garde-pot

        De ma dame Relision94 :

        Je garde ainsi95 le marmiton

170  Et la marmite96, qui est creuse,

        Qu’i n’y ayt quelque maleureuse

        Personne qui la veuille abatre.

        Je faictz acroyre de troys quatre97,

        Et de feing faulxché que c’est feurre98.

175  Je faictz acroyre que le beurre

        N’est poinct bon au pouesson99 salé.

        Je dix que tel est trésallé100

        Qui est plus sain que moy deboult.

        Et tousjours ma marmyte boult ;

180  Jamais ne me sens de cherté101.

                     LA  MÈRE  DE  VILLE

        Pour espargner102 la vérité

        Et faire du faulx le certain,

        Tu as tousjours le ventre plain.

        Voélà comment plusieurs en font.

185  Je m’esbaÿs que tout ne font103.

        Au fort, c’est le règne qui court,

        Tant  à la ville comme à la Court :

        Se  Monsieur Dict-bien104 est soutenu.

        Va-t’en comme tu es venu ;

190  N’entre en mon prétoyre jamais.

.

                     LE  VARLET                                             SCÈNE  VII

        De ceulx qui viendront désormais,

        N’en prendrez-vous nules pécunes ?

        De quoy vivrons-nous donc ? De prunes ?

        Par la vertu saincte Vénisse105 !

195  Se j’avoys une telle ofice

        Comme vous, ou telle prébende,

        Je les taxerès en amende106

        Sy fort qu’i seroyent despeschés107.

                     [LA  MÈRE  DE  VILLE] 108

        Pès109 ! Alez pleurer vos péchés

200  [Dans les fossés]110 de la bastille !

        Une bonne Mère de ville

        Ne doibt prendre denier aucun,

        Tant du riche que du commun,

        Se n’est par don d’onnesteté.

.

                     LE  GARDE-CUL  entre 111                    SCÈNE  VIII

205  Je croys que chascun a esté

        Examyné, fors que moy seul.

        Me fera-’lle mourir de deuil ?

        Fera-’le de mon faict calcul ?

        Je suys le garde, garde-cul

210  Sur toult le sexe fémynin.

        Doibz-je craindre d’entrer ? Nénin :

        Car, puysqu’el est [Mère de]112 ville,

        El sçayt bien, quant el estoyt fille,

        Comme le sien113 estoyt gardé…

215  G’y voys, tout veu et regardé114,

        Et dussai-ge estre assacagé115.

.

                     LE  VARLET                                            SCÈNE  IX

        Vécyne un demy aragé116

        D’entrer ; c’est quelque bon payeur.

        Je croys que nous sommes en heur

220  De gens aulx testes à l’estourdille117.

                     LE  GARDE-CUL

        Où esse qu’est la Mèr(e) de ville ?

        Je veulx un peu parler à elle !

                     LE  VARLET

        Toult doulx, ne soyez sy rebelle,

        Ne faictes du gendermerel118 !

225  Je vous jugeroys maquerel,

        À vèr vostre fachon de fère119.

                     LE  GARDE-CUL

        Faict[z-]moy donq parler à la Mère

        De ville !

                     LE  VARLET

                          Estes-vous120 caluroulx !

        Et ! mon seigneur, déportez-vous :

230  Faire la pouriez sammeller121.

.

                     LA  MÈRE  DE  VILLE                           SCÈNE  X

        Qu(i) esse qui veult à moy parler ?

        Soussyclet, n’en refuse nul !

                     LE  VARLET

        Qu(i) estes-vous ?

                     LE  GARDE-CUL

                                       Je suys le garde-cul,

        Aussy chault que cherbon122 de forge.

                     LE  VARLET

235  [Quoy ?] Garde-cul ? Vertu sainct George !

        Garde-cul ? Vertu sainct Crespin !

        Vous gardez un friant lopin123,

        Quant les veneurs124 sont afamés.

        Çà, çà, jurez et afermez

240  Et veuilez la vérité dyre !

        S’y n’y a sur125 vous que redire,

        Ne tremblez pet, assurez-vous.

        Orains126, estiez sy calouroulx :

        Estes-vous refroydé deisjà ?

                     LE  GARDE-CUL

245  Jurer ? Je ne jureray gà127 ;

        J’aymeroys myeulx perdre la veue !

                     LA  MÈRE  DE  VILLE

        Sus quelz gens faictz-tu ta reveue128 ?

        Puysque tu as possession

        De ceste nomination129,

250  Quelz droictz te sont de droict escus130 ?

                     LE  GARDE-CUL

        Je vous donneray dis escus,

        Ma dame, et une jocondale131 ;

        Et que jamais on ne m’en parle,

        De ceulx dont je suys gardëans.

                     LA  MÈRE  DE  VILLE

255  Ma foy ! vous le direz, cëans,

        Devant que du lieu132 vous partez.

                     LE  GARDE-CUL

        Prenez [l’]or, et vous départez

        De l’enqueste que vous me faictes.

                     LE  VARLET

        Et ! ort133 garde-cul que vous estes,

260  Pourquoy ne confesserez-vous ?

        Je vous pendray par les genoulx,

        Ou vous mectray à la torture !

        Garde-cul vilain, plain d’ordure,

        N’aurons-nous jà de vous le boult134 ?

                     LE  GARDE-CUL

265  Pour argent, on apaise toult :

        Prenez mon or et le contez ;

        Et pour ce jour, vous déportez135

        Des lieux où c’est que je visite.

        Parole vault myeulx tue que dicte,

270  Cela est escript au Décrect136.

                     LE  VARLET

        Le garde-cul est fort segret,

        Ma dame, chascun le congnoyt.

        Et pis137 le lieu n’est pas trop nect :

        [Qu’]il garde l’ort 138, et gardons l’or !

                     LA  MÈRE  DE  VILLE

275  Eschapé y n’est pas encor.

        Est-il pas de faulse nature,

        Qu’i n’acuse la139 forfaicture

        Qu’i treuve sur sa garderye ?

                     LE  GARDE-CUL

        Déportez-vous, je vous en prye :

280  Je donnes sent couronnes haultes140,

        Et ne vous démentez141 des faultes.

        Laissez garder qui gardera.

                     LA  MÈRE  DE  VILLE

        Et qui t’en récompensera142 ?

                     LE  GARDE-CUL

        N’ayez soulcy qui ce sera.

285  Cela ne m’est pas une herbète143 :

        Y ne fault c’une brebiète

        [Et l’]144 empraincte d’un lou-servin

        Pour avoir sent escus de vin.

                     LE  VARLET

        N’enquérez pet où bon vin creust145,

290  Car sus tous estas y font grupt146.

                     LE  GARDE-CUL

        Il ne fault c’une seur Fessue

        Ayant vouloir [d’]estre pansue147

        De quelc’un qui l’ayt regardée ;

        Et sy je l’avoys engardée148,

295  Alors je perdroys mes profis.

                     LA  MÈRE DE VILLE

        [A !] c’est donc149 là où tu te fis ?

                     LE  GARDE-CUL

        Sy je voys quelque bèquerelle

        Segrète150, g’iray après elle.

        Se son vouloir vouloys garder151,

300  Elle me feroyt desgrader152 :

        J’aroys un licol espousé153.

                     LA  MÈRE  DE  VILLE

        Tu es un garde trop rusé.

                     LE  GARDE-CUL

        Ces « chambèrières » de chaloinnes154

        – Dont j’en congnoys quatre dousainnes –

305  S’en vont jouer hors les faulx-bours

        Pour acomplir leurs plaisans tours.

        Et, eulx au logis revenus155,

        Feront des déesses Vénus156,

        Rouges comme [boulets à feux]157.

310  Et s’y survient quelque moqueux158,

        Descroteur de chaulse ou semelle,

        Et s’y leur dict : « Monsieur s’en melle159 ?

        Q[ue] vostre veu160 est sy loingtain ! »

        Il l’apelleront segrétain161,

315  Et luy diront : « Grande pécore162 !

        Capelain vostre langue dore163.

        Dict[z] à Monsieur, ains qu’i s’ingère164,

        Que tu me165 sers de ménagère,

        Tailant vers moy166 des deulx côtés. »

320  Prenez mon argent, et m’ôtez

        Du rôle167 : j’ey assez parlé.

                     LE  VARLET

        Il deust avoir le bec sellé168 !

        Plus dict en a que je ne veulx.

                     LA  MÈRE  DE  VILLE

        Qui recueuillira169 mes aveulx ?

325  Faictes venir le170 garde-nape

        Et le garde-pot (qu’i n’échape),

        Afin que je soys asseur[é]e

        D’estre en saisine demourée171.

        Pour lors, c’est la façon commune :

330  S’yl y a quelqu(e) un ou quelq’une

        Qui veuile joÿssance prendre

        D’ofice172, on le viendra reprendre,

        Disant qu’il n’a pas assez leu173

        Pour congnoistre se mal faict Dieu174.

.

335  Donc, gardes, ouez175 ma sentence,                         SCÈNE  XI

        Qui n’est pas de grand conséquence :

        ………………………………… 176

        Se contre vous je n’ay peu résister,

        Gardes ingras, éféminés de cœur,177

        Me cuydez-vous garder d’y assister

340  En lieu présent178, pour déchasser l’ereur ?

        S’on me rép[ro]uve et on me tient rig[u]eur,

        Dictes à ceulx dont leur langue vacile

        Que je ne crains leur cruelle douleur.

        Prenez en gré de la Mère de ville !

345  En prenant congé de ce lieu,

        Une chanson pour dire adieu ! 179

.

                                          FINIS

*

1 À partir des années 1530, la Réforme fit de nombreux convertis à Dieppe, jusqu’au sein du Conseil municipal.   2 Le décor représente la « Maison de ville » de Dieppe, c.-à-d. la mairie.   3 Celui qui ne prend pas de risques. Ce vers proverbial se trouve notamment dans le Dorellot, dans le Pasté et la tarte, et dans Resjouy d’Amours. Désireuse de paraître plus docte qu’elle ne l’est, la soi-disant maire l’attribue au Dieppois Jan Parmentier, navigateur et poète mort en 1529.   4 LV : le  (Cf. la Moralité très excellente à l’honneur de la glorieuse Assumption Nostre Dame…. Composée par Jan Parmentier, bourgeois de la ville de Dieppe. Et jouée audit lieu. L’an de grâce mil cinq cens vingt & sept.)   5 C’est très long. Idem vers 48.   6 Quand on essaie de parvenir à un résultat ; en l’occurrence, prendre la place du bailli de Dieppe.   7 Ce personnage était incarné par le Normand Pierre Gringore, mort en 1539. Voir son Jeu du Prince des Sotz et Mère Sotte, ou l’usurpatrice ne se prétend pas maire de Dieppe mais carrément pape de Rome.   8 Habile.   9 Elle ne connaît pas les règles du Droit mais les conditions de l’érection : cf. les Femmes qui font escurer leurs chaulderons, vers 69.   10 Un Sot l’a mis là. « Vostre pasquin est magnifique,/ Mais deffectueux en cela :/ On ne l’a pas mis en musique/ Pour chanter “un Sot l’a mis là”. » (Malherbe.) À propos de ces rébus musicaux, voir la note 45 de la Première Moralité de Genève.   11 Dans la ville de Poitiers. La maire veut faire croire qu’elle fréquentait sa brillante faculté de Droit, mais les femmes n’y étaient pas admises.   12 Quoi qu’on en dise.   13 LV : en  (Correction d’Émile Picot : Recueil général des sotties, III, pp. 99-120.)  Il y a danger qu’on me batte.   14 Je ne le fais pas pour l’argent mais pour l’honneur.   15 LV : par stille  (Un pipeur d’oiseaux muni de son appeau.)  Après avoir étalé son mince bagage intellectuel, la prétendue maire se targue de connaître deux Dieppois illustres.   16 L’envoi des sottes ballades est toujours adressé au Prince des Sots.   17 Qu’on me laisse exercer la magistrature municipale.   18 Si j’échoue, qu’on me brûle. Forme normande de grésiller.   19 LV : sousyclet  (Même graphie –propre à ce ms.– au vers 232, mais soulcyclet à 118.)  C’est le nom du valet de la maire, qui lui tient lieu de commis [d’adjoint au maire]. Ce mot dérive de la soucicle, appellation normande du roitelet huppé : « Pinsons, chardonnerets, rougegorges, soulcicles. » (Philippe d’Alcripe.) Le nom Souciclet semble vouloir faire concurrence à Grimpsulais, un bouffon dont les pitreries ponctuaient les spectacles de marionnettes donnés par les catholiques dieppois le jour de l’Assomption : voir la note 110.   20 Tu manques à tes devoirs.   21 La maire déballe tous les termes administratifs qu’elle connaît, alors que la plupart ne concernent pas son office.   22 Tu te fais couronner d’épis d’or, comme le poète qui remportait le prix annuel de poésie au Puy de Dieppe. Jan Parmentier y fut couronné.   23 Graisser la patte avec de l’or.   24 LV : sergens  (Si tu acceptes leur argent pour les exempter de venir à ma convocation.)   25 LV : meurs  (Que je meure.)   26 À la gehaine, la torture. Dieppe disposait pour cela d’une « chambre de la question ».   27 Tu me mets en retard vis-à-vis.   28 Souciclet a sommé les gardes municipaux de comparaître devant la nouvelle maire, pour qu’elle puisse les réformer (au sens religieux) ou les mettre à l’amende s’ils ont fauté.   29 LV : o lont  (Ils ont chaud aux fesses. Cf. Beaucop-veoir et Joyeulx-soudain, vers 142.)  Le valet a un très fort accent normand, qui est plus discret chez les autres protagonistes.   30 Ils craignent les procès.   31 La syphilis. « Mal de Naples : la maladie de St Job. » Furetière.   32 Ils mettent trop de temps à venir comparaître.   33 Je me querelle.   34 Mon Sauveur, mon Dieu !   35 Pas. Idem vers 52, 242 et 289.   36 Pas si échauffée, si pressée de rendre une sentence.   37 Ce serait bon pour qu’on vous éloigne de la Maison de ville.   38 Prêcher les pardons consistait à vendre des indulgences aux naïfs, au grand dam des protestants. Cf. le Pardonneur.   39 De cette cour, c’est-à-dire du bailliage que la maire prétend administrer. Il s’agit des gardes municipaux.   40 À son de trompe. Souciclet souffle dans celle qu’il porte en bandoulière.   41 Il reste à l’écart et soliloque en attendant qu’on l’appelle. Au sens propre, un garde-nappe est un dessous-de-plat.   42 LV : par  (Je serai puni pour mes sacrilèges.)   43 Si je me contredis devant elle.   44 LV : jey  (Et même, des juifs.)  Le garde-nappe représente la papauté, à laquelle on reprochait sa collusion avec certains juifs. Voir les notes 162 et 163 du Jeu du Prince des Sotz.   45 La bride qui sert à attacher une bête dans un pâturage.   46 Les gardes. « Gar-di-ans » compte pour 3 syllabes et rime avec « cians », comme aux vers 254-5.   47 Sans crainte.   48 Voici. Idem vers 144 et 217.   49 Un hypocrite. Cf. le Dorellot, vers 383.   50 LV : lauour  (Un voleur de cuillères en argent.)   51 Faux-témoins. « Tant réguliers que sourgouilliers. » Philippe d’Alcripe.   52 Que le dieu de ceux qui souffrent.   53 Formule de politesse inversée. Voir la note 79 de Guillerme qui mengea les figues.   54 LV : se nauons  (Pourtant, nous nous sommes fait un devoir de venir à votre appel.)   55 LV : estrape  (De quel genre est ta boutique. « Estappe tenez/ Pour avoir pratiques [des clients] et gains. » ATILF.)   56 Chez.   57 De peur que les étincelles et les flammèches de la cheminée.   58 Sans nez et sans queue.   59 Ne saurait.   60 Soit que tes patrons boivent ou qu’ils mangent.   61 À des bâfreurs. « De gaudisseurs, yvrongnes et lippeurs. » Charles de Bourdigné.   62 Comme des fouaces. Nous dirions : blancs comme neige. Le Vatican vendait des pardons (vers 55), et les pires péchés pouvaient être absous du moment qu’on y mettait le prix.   63 Les abus de l’Église sont mis au grand jour.   64 Avertissement que le fauconnier crie à son oiseau quand il va capturer un héron. « On dit aussi “Garde le bec !” à la chasse du héron, quand l’oiseau de proye est prest à fondre sur luy. » (Dict. de l’Académie françoise.) Dans le Vol pour héron, de Claude Gauchet, un héron menacé par un gerfaut dirige vers lui son bec pointu, « afin que l’oyseau fort/ Qui dévalle du ciel pour luy donner la mort/ Se la donne à luy-mesme. Alors un cri commence :/ “Gare, gare le bec !” »   65 Dans une geôle. On retrouve ce « g » dur normand dans gayne (v. 39), mangant (v. 102) et gà (v. 245).   66 Qu’on le frappe avec une latte ou avec une gaule.   67 Sans avoir à me payer d’amende. Idem vers 137.   68 On appelle à son de trompe.   69 S’il y a encore un garde municipal qui comparaît.   70 Aujourd’hui Longpaon. Ces deux paroisses de Darnétal (à 55 km de Dieppe) sont aussi réunies dans la Fille bastelierre : « À Sainct-Léger, Lompan, Carville. »   71 Il reste d’abord en retrait. Au sens propre, un garde-pot est un couvercle.   72 Les poils. Cf. Maistre Mimin estudiant, vers 49.   73 Qui tient lieu de baillive. Ce mot ne désignait que la femme du bailli, lequel avait à peu près l’autorité d’un maire actuel.   74 Même si elle.   75 Quoi qu’on lui ait dit sur moi. Les Normands amuïssaient le dernier « r » du mot rapport, qui rime donc avec pot, comme aux vers 166-7.   76 L : le garde  (« Garde-bras » a glissé au vers suivant. Voir les vers 154 et 160.)  Au sens propre, ce mot désigne la partie d’une armure qui couvre l’avant-bras.   77 Sera-t-elle. (Même contraction normande aux vers 207 et 208.) Elle sera trompée par moi.   78 En guise de tribut, d’amende.   79 Elle n’aura de moi que des mensonges.   80 Mathéolus, auteur de Lamentations particulièrement misogynes. (Cf. Régnault qui se marie, vers 163.) Le passage 139-142 reformule les vers 67-69.   81 Je vais vers elle.   82 Voici venir quelqu’un qui s’impatiente. « Ne m’arguë plus, va-t’en donc ! » Le Clerc qui fut refusé.   83 De hâte, de vivacité.   84 C’est un homme prêt à tout. Voir la notice de Jehan qui de tout se mesle.   85 Qu’un loup.   86 Martial, combatif.   87 De quel métier.   88 LV : boyre et garde menger  (Reprise en miroir de ce vers à 159.)   89 LV : estranger  (Le « gardien aux cent yeux » est Argus, qui gardait la génisse Io : « Ce gardïen de ma divine vache./ O sus ! voicy cest Argus aux cent yeux. » Nicolas de Montreux.)   90 LV : et  (Reprise en miroir du vers 154.)   91 Le vaillant Fierabras, héros d’une chanson de geste.   92 Quand il fut précipité. Cet épisode ne figure ni dans les chroniques gargantuines, ni dans Rabelais. Le valet confond peut-être Gargantua avec « Pantagruel, petit dyable » qui, dans les Actes des Apostres, fut plongé au fond de l’Enfer pour avoir désobéi à Lucifer. Dans ce cas, Souciclet traite le garde-pot de gardien des enfers.   93 LV : dict dont   94 Religion, avec un jeu de mots sur le latin relisa : rejetée.   95 LV : que   96 Les réformateurs décrivaient le Vatican comme une marmite entourée de marmitons. Émile Picot (pp. 112-113) énumère des titres de pamphlets protestants qui contiennent ces mots, par exemple l’Extrême-onction de la marmite papale.   97 Les luthériens accusaient les catholiques d’avoir introduit Marie dans la Trinité, composée jusque-là du Père, du Fils, et du Saint-Esprit : 3 faisaient donc 4.   98 Que le foin fauché n’est que de la paille. J’ignore quelle allusion anticatholique est dissimulée dans ce vers de circonstance.   99 Poisson. Les jours maigres, les catholiques avaient droit au hareng saur, mais pas au beurre. Ils se contentaient donc des « enfans de Dieppe : des harencs, parce qu’on les apporte de ce lieu-là. » Antoine Oudin.   100 Trépassé. Chaque année, à l’Assomption, une jeune Dieppoise jouait « le trespassement de la Vierge », et « recommandoit en vers françois de faire inhumer son corps ». (David Asseline, les Antiquitéz et chroniques de la ville de Dieppe.) Les supporteurs voyait alors des Apôtres et des Juifs s’arracher le cercueil dans lequel se cramponnait la fausse morte, jusqu’à ce que l’arbitre divin accorde la victoire à l’équipe des Apôtres. On conçoit que les huguenots aient moyennement apprécié de telles fariboles.   101 Je ne me ressens jamais du coût des denrées : pour moi, tout est gratuit.   102 À force de ne pas solliciter.   103 Ne fonde, comme à Sodome et Gomorrhe.   104 Le prédicateur Gerson mettait cette flagornerie dans la bouche des flatteurs et des courtisans, qui « disent : Monsieur fait bien, Monsieur dit bien. »  « Ses ministres (…) tousjours dient : Monsieur dit bien, Monsieur fait bien, il a (bon) droit. »   105 LV : venise  (Vénisse est le nom sous lequel les Normands honorent sainte Véronique.)  Ce juron n’est pas très calviniste, mais Souciclet, qui a la tête dure, n’a pas encore perdu ses anciennes habitudes : vers 47, 235, 236.   106 « On tauxeroit bien grosse admende. » Mallepaye et Bâillevant.   107 LV : desbauches  (Expédiés. « Y l’eust tué et despesché. » Le Poulier à quatre personnages.)   108 LV place cette rubrique après le vers 200.   109 La paix ! Silence !   110 LV : au foses  (Une bastille est un fortin.)  On évoque ici la bastille la plus connue : celle que les Anglais avaient construite pour défendre Dieppe, qu’ils occupaient : « Devant Dieppe, (Talbot) fit dresser une bastille dans laquelle il se retrancha après l’avoir fait ceindre de fosséz. » (David Asseline.) Le 14 août 1443, le futur Louis XI fit jeter des ponts de bois sur les fossés pleins d’eau, qu’il traversa d’abord tout seul « pour combattre les Anglois main à main, comme un simple soldat ». Dieppe fut libérée. En hommage à la Vierge et à Louis, on instaura la fête des Mitouries : pendant deux siècles, le dauphin escaladeur de ponts y fut représenté sous le nom de Grimpsulais [grimpe sur l’ais = grimpe sur la planche] : « No veulent-t-y dans Rouen assiéger ?/ Ouy, les bourgais [bourgeois] en ont l’âme allermée,/ Craignant de vair oncor Grimpe-su-l’ais ! » La Muse normande.   111 Il reste en retrait. Un garde-cul est un sigisbée qui sert de garde du corps à une femme. C’est aussi un jupon qui tient lieu de ceinture de chasteté ; le Mary jaloux en parle souvent : « Gardeculz qu’on faict (à) présent/ Font chascun mary estre exempt/ D’estre coqu. »   112 LV : de mere   113 Comment son cul.   114 J’y vais, tout bien considéré.   115 LV : asacage  (Saccagé, massacré.)   116 Enragé. Voici un homme qui est pressé d’entrer (ironique).   117 Nous sommes en veine d’attirer des étourdis, des Sots. Le valet s’approche du garde.   118 Ne vous comportez pas comme un soudard.   119 Maquereau, à voir votre façon de faire. Le garde-cul est effectivement un protecteur des dames ; ses manières et sa tenue – que le public identifiait au premier coup d’œil – l’ont trahi.   120 LV : questes vous  (Correction Picot.)  Calureux = chaleureux, bouillant. Idem vers 243.   121 Vous pourriez lui faire avoir un coup de sang. « Hercules fu tout sangmeslé et plain de grant ire. » ATILF.   122 Que du charbon enflammé. Idem vers 90.   123 Un morceau appétissant.   124 Alors que les chasseurs de culs, les dragueurs.   125 LV : sceu  (Corr. Picot.)  S’il n’y a en vous rien à redire.   126 Tout à l’heure. Cf. Serre-porte, vers 304.   127 Jà, jamais.   128 Ta garde.   129 LV : domination  (Puisque tu es en charge de ce titre.)   130 Échus. Par contagion, la maire se met à patoiser.   131 Une pièce de monnaie allemande.   132 Avant que d’ici.   133 Ord, sale : les culs qu’il protège ne sont pas très propres, comme le confirment les vers 263, 273 et 274.   134 N’en viendrons-nous pas à bout ?   135 Éloignez-vous.   136 Dans le Décret de Gratien, le principal recueil de Droit canonique. On voit que le garde-cul travaille pour des hommes d’Église.   137 LV : pieux  (Et puis. « Et pis je ne sis pas expert à contrefère/ Men maintien que j’avais d’estre garde-cochon. » La Muse normande.)   138 Qu’il surveille le cul.   139 LV : sa  (Corr. Picot.)  De ne pas révéler la faute.   140 La somme de 100 écus d’or à un taux élevé. « Les couronnes seront aussy haultes qu’elles furent jamès. » ATILF.   141 Ne vous préoccupez plus.   142 Qui t’en dédommagera ?   143 Ne me gêne pas plus qu’un brin d’herbe.   144 LV : dieu  (Et l’empreinte d’une patte de lynx.)  Le berger vole une brebis à son patron en lui faisant croire qu’un lynx l’a emportée, puis il la revend au tavernier. Le berger de la farce de Pathelin usait d’un stratagème équivalent. Au second degré, la brebiette désigne une ouaille innocente.   145 Crût : ne cherchez pas chez qui il boit du bon vin. La cave des hauts ecclésiastiques était réputée.   146 Car les prélats commettent leurs larcins dans tous les milieux.   147 Qu’une religieuse qui veuille se retrouver enceinte à cause. La farce de Sœur Fessue est copiée dans le même manuscrit que celle-ci.   148 Si je l’en avais gardée, empêchée. Ce vers manque dans l’édition Picot, comme il manquait déjà dans la déplorable édition de Leroux de Lincy et Francisque Michel.   149 LV : dont  (C’est donc à cela que tu te fies, c’est là-dessus que tu comptes.)  Le Garde-cul ne protège pas les femmes contre les violeurs, mais il les protège pendant qu’elles fricotent avec leur amant : c’est plus lucratif.   150 Une bigote qui copule secrètement.   151 Si je voulais nuire à sa volonté de copuler.   152 Renvoyer.   153 J’aurais la corde au cou.   154 De chanoines. Et nous arrivons au passage réputé illisible, qui a fait dire à Petit de Julleville que « cette pièce est des plus obscures ». Ce passage bien digne d’une sottie était truffé d’allusions satiriques au clergé dieppois ; mais le copiste tardif ne les a pas comprises et les a corrompues irrémédiablement.   155 Quand les chanoines seront rentrés.   156 Elles se comporteront comme la déesse de l’Amour, à laquelle on comparait les bonnes amantes : « Toutes les fois que nous sommes venus/ À nous baiser, ô seconde Vénus ! » Mellin de Saint-Gelais.   157 LV : poules a fleur  (« On pourra jetter avec le canon des boulets à feu fort commodément. » Pierre Noizet.)  On tirait à boulets rouges en utilisant « des boulets de fer ardents ou rougis au feu ». Ibid.   158 LV : moqueur  (Forme normande. « Contrefaictes-vous le mocqueux ? » Le Faulconnier de ville.)   159 Un chanoine se mêle de fornication ?   160 LV : veue  (Votre vœu de chasteté.)   161 Les chanoines le traiteront de sacristain, d’hypocrite.   162 Grande bête. « Hé ! grosse pécore ! » Pantagruel, 17.   163 Le chapelain emmielle votre langue. (Peut-être s’agit-il d’un Dieppois nommé Capelain.) Le chanoine va maintenant donner un ordre à sa « chambrière ».   164 Avant qu’il ne le demande indiscrètement.   165 LV : luy   166 LV : luy  (Taillant la viande à ma droite et à ma gauche.)   167 Enlevez-moi du livret de cette pièce.   168 Il devrait avoir la bouche scellée.   169 LV : receiulira  (La prétendue maire, ignorante du vocabulaire technique, veut probablement dire : Qui recueillera mes aveaux, c.-à-d. mes volontés, mes ordres.)   170 LV : la   171 De rester en possession de ce poste de maire.   172 Qui veuille jouir d’un office public, comme celui de maire.   173 Assez lu : qu’il n’est pas assez lettré, assez savant.   174 LV : veu  (Si Dieu se trompe.)  Les deux autres gardes reviennent, accompagnés par Souciclet et sa trompe.   175 Oyez, entendez.   176 Ladite sentence a été perdue en même temps que les 2 premières strophes et l’envoi de cette ballade en décasyllabes.   177 LV intervertit ce vers et le suivant. Ce huitain, tout comme ceux de la ballade initiale, obéit au schéma classique « ababbcbC ».   178 LV : plaisant  (Présente en personne. « En lieu présent, pasturage aux corbeaux,/ Le sage et fol Colligny tout ensemble,/ Au gré du vent est un pendu qui tremble. » Épitaphe de l’amiral de Coligny.)  D’assister en personne au Conseil municipal pour en chasser le catholicisme.   179 Ces deux octosyllabes sont toujours ajoutés par le copiste du manuscrit La Vallière : voir la note 73 du Sourd, son Varlet et l’Yverongne.

LE SOURD, SON VARLET ET L’YVERONGNE

Bibliothèque nationale de France

Bibliothèque nationale de France

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LE  SOURD,  SON

VARLET  ET

L’YVERONGNE

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Comme tous les hommes affligés d’un handicap, les sourds étaient des personnages providentiels pour les auteurs comiques : la farce du Gouteux en montre deux, qui malmènent un infirme ! Les ivrognes étaient aussi de bons clients : l’auteur de cette parade normande a fait appel à des valeurs sûres. Des points communs existent entre cette farce et l’Aveugle, son Varlet et une Tripière.

Source : Manuscrit La Vallière, nº 21. Cette pièce est en bien meilleur état que les autres : elle n’avait pas eu le temps de circuler beaucoup quand on l’a copiée, vers 1575.

Structure : Rimes plates.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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Farce  nouvelle

À troy[s] personnages, c’est asçavoir :

       LE  SOURD

       SON  VARLET

       et  L’YVERONGNE

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                        LE  SOURD 1  commence                   SCÈNE  I

        Or çà ! Y fault que je m’aplicque

        À trouver moyen et praticque

        De gaigner quelque peu d’argent.

        Mon varlet !

                        LE  VARLET 2

                              Je suys diligent

5      Quant vous m’apelez. Que vous plaist ?

        [Ne] fais-je pas bien le souplaist3 ?

                        LE  SOURD

        Laisse4 ta besongne et t’avance !

        Entens-tu5 ?

                        LE  VARLET

                            Ouy dea, c’est dimence6

        Que nous irons à la grand-messe.

                        LE  SOURD

10    Ne t’ai-ge pas faicte promesse

        De t’abiller ? Tu seras brave7.

                        LE  VARLET

        Par Dieu ! ce ne sera que bave8 :

        Sai-ge pas bien quant vous mentez ?

                        LE  SOURD

        Assez souvent me contentez,

15    Mais…

                        LE  VARLET

                    Ouy, ouy : [Metz9], c’est en Loraine !

                        LE  SOURT

        Devant qu’en passe la sepmaine10,

        Y tombera quelque advanture11.

                        LE  VARLET

        Vous me donrez vostre saincture12,

        Je le sçay bien.

                        LE  SOURD

                                  Je te feray

20    Un riche homme, et [te] donneray

        De l’argent.

                        LE  VARLET

                            Gardez-lay13 pour vous.

                        LE  SOURT

        Quoy ? Qu’esse-là ? Me bastrez-vous ?

        A ! je ne m’y accordes pas.

                        LE  VARLET

        Escoustez !… Il ne m’entent pas14 ;

25    Il est sourt, en ? Que vous en semble ?

        Jamais nous n’acordons ensemble :

        Cela me rompt tant le cerveau15 !

                        LE  SOURD

        Ouy ! mon varlet m’apelle veau,

        Badin, badault, ainsy qu’i veult.

30    A ! par ma foy, le cœur me deult16

        Tèlement qu’i vous fauldra…

                        LE  VARLET

                                                      Quoy ? Quoy ?

        Je vous feray taire tout quoy17,

        À ce jourd’uy, sy je m’enpongne18 !

                        LE  SOURD

        J’entens bien : c’est vostre besongne

35    Qui est aucune foys19 bien faicte,

        Aucune foys el est mal faicte.

        Mais je n’en parles pas.

                        LE  VARLET

                                              Non, non,

        Y ne fault poinct tant de sermon :

        Payez-moy, et je m’en iray.

                        LE  SOURT

40    J’entens bien20 : je vous aymeray

        Autant qu’il y ayt sur terre homme,

        Mais que tu fasses ta besongne.

                        LE  VARLET

        Le deable en emporte le sot !

                        LE  SOURD

        Pendant qu’il y aura au pot

45    Du vin, a ! nous burons d’audace21.

                        LE  VARLET

        Y conviendra vuyder la place22,

        Car il ne vient poinct à propos23.

                        LE  SOURD

        Ouy dea, nous en aurons deulx pos

        Pour nous donner dessus l’oreille24.

                        LE  VARLET

50    Qui vit jamais raison pareille ?

        Je n’y trouve sens ne raison.

                        LE  SOURD

        Je vuyderay de ma maison ?

        Et ! par la chair bieu, non feray !

                        LE  VARLET

        Le sang bieu ! je me fascheray

55    De vivre en un tel desconfort.

                        LE  SOURT

        Dictes que vous estes sy fort ?

                        LE  VARLET

        Je vous feray la teste fendre25 !

                        LE  SOURD

        Ouy, ouy, je me says bien deffendre

        En un besoing, tant hault que bas !

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                        L’YVRONGNE  entre 26                    SCÈNE  II

60    Hau ! [hau !] Tarabin, tarabas27 !

        En ! Qu’esse ? [Holà,] hau ! l’ôtesse28,

        Venez cy ! Respondez ! En ! Qu’esse ?

        N’aron-nous poinct encor pochine29 ?

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                        LE  VARLET                                     SCÈNE  III

        Ne vous, ne luy, ne sa vouésine,

65    Ne son vouésin Pierre, ou Guillot,

        Trubert, Lambert, Roger, Phlipot,

        Jehan, Jénin, Jouan ou Janote,

        Périn, Pérot, Pierre, Pérote

        Ne me feront nul desplaisir !

                        LE  SOURD

70    J’entens bien que me faictes plaisir30

        De besongner, à ma boutique !

        Bren31 pour vous !

                        LE  VARLET

                                      Ouy dea : je pratique

        Soublz vous, et vous [aussy] soublz moy32

        Mais ne vivons plus en esmoy.

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                        L’YVRONGNE                                  SCÈNE  IV

75    Bon boyre faict33. Et puys, quel bruict34 ?

        Que dict-on de moy ? Fais-je bruict

        Pour avoir crédict, sur les champs35 ?

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                        LE  SOURD                                       SCÈNE  V

        Besongnons !

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                        L’YVRONGNE 36                              SCÈNE  VI

                               Dieu gard les gallans !

        Et puys, qui veult payer d’un pot ?

80    Sera-ce toy ?

                        LE  VARLET

                              Ne me dis mot,

        Par bieu : je suys furelufé37 !

                        L’YVRONGNE

        Et ! comment ? Qui t’a escauffé38 ?

        Qu’as-tu ? Qui t’a mis en [tel] colle39,

        Dy : asse esté maistre Nicolle40 ?

85    Es-tu de couroulx relié41 ?

                        LE  VARLET

        Je suys [triste et fantasié]42.

        Mon maistre, ce sourdault43 icy,

        M’a de deuil tout mys en soucy.

                        L’YVRONGNE

        Va, va, ne te cou[rou]ce poinct.

90    Chantons fleurtis44 ou contrepoinct,

        Et puys je vous apaiseray.

                        LE  VARLET

        Pour luy, poinct [je] ne me tairay45 !

        Mauldict soyt-il qui se taira46 !

                        [LE  SOURD] 47

        Quoy ? Dict-il pas qu’i me bastra ?

95    Y n’oseroyt !

                        LE  VARLET

                              Voécy pour rire !

                        L’YVRONGNE

        Par bieu ! vous érez bien du pire48.

        Taisez-vous !

                        LE  SOURD

                              Je vous ayme bien,

        Car vous estes homme de bien,

        Sage et entendeu.

                        L’YVRONGNE

                                     Mot ! Silence !

100  Apaisez-vous, car quant je pence,

        Noyse ne vault rien sans débat49.

                        LE  VARLET

        Y ne fault poinct tant de sabat50 !

        Ventre bieu ! fault-y tant de bave ?

                        LE  SOURD

        Dieu ! il dict tousjours que je bave :

105  A-il pas tort ?

                        L’YVRONGNE

                               Mais il a droict !

                        LE  SOURD

        Et ! vraiment, quant il y fauldroict51,

        Je ne veulx pas qu’il prengne peine.

                        LE  VARLET

        Il ne veult sa fièbvre quartaine !

                        L’YVRONGNE

        Chantons, et laissons tout cecy.

                        LE  SOURT

110  Mort bieu ! dis-tu que j’ey vessy52 ?

        À mort ! [À mort53 !]

                        L’YVRONGNE

                                           À vie ! [À vie !]

                        LE  VARLET 54

        Par la chair bieu ! je vous deffye :

        Sy vous causez, vous estes mort !

                        L’YVRONGNE

        Corps bieu ! dictes-vous que j’ey tort ?

                        LE  SOURD

115  Hélas, [pour moy] laissez-lay vivre55 !

                        LE  VARLET 56

        Frapons tous deulx sur cest homme yvre :

        Il est cause de noz débas.

        Frapons, tarabin, tarabas57 !

        N’espargnons poingz58 : il a bon dos.

                        L’YVRONGNE

120  Le deable en emporte les sos59 !

        Et ! laissez-moy, de par le deable !

        Tout doulx, tout doulx ! Ce n’est pas fable60 :

        Vous frapez à bon essien61.

                        LE  VARLET

        Laudez, laudez ce passien62

125  Sans l’espargner !

                        [ LE  SOURD

                                  Frapons63 ! ]

                        L’YVRONGNE

                                                       Tout doulx !

        Et ! comment ? [Dea !] vous moquez-vous ?

        Au lieu de paix, suys en souffrance.

                        LE  VARLET

        Onques on ne veist dedens France

        Gens sy meslés comme nous sommes.

.

                        L’YVRONGNE 64                             SCÈNE  VII

130  Vertu bieu ! je porte les sommes65.

        [Qui qu’ayt]66 chanté, j’ey respondu.

        Mais content suys d’estre tondu67

        Sy jamais en un tel sabat,

        [Parmy ce]68 tumulte ou débat,

135  [Je reviens ! Lors,] je m’en remue69.

.

                        LE  VARLET                                     SCÈNE  VIII

        [Poinct n’en aurons brèfve venue…]70

        Nostre cas71 est très fort meslé.

        Que nous avons bien querellé !

.

        Mais je conclus, comme il me semble,

140  Q’un yvrongne et un sourd ensemble

        Ne peult durer : car l’un est sourd,

        Et l’aultre, langaige luy sourd72.

        Le sourd ne peult pas bien oÿr,

        Et l’autre se veult resjouir.

145  Et pour conclure la matière,

        Une chanson voulons chanter,

        Affin que vous ayez manière

        D’aveques vous chagrin chasser.

        En prenant congé de ce lieu,

150  Une chanson pour dire adieu ! 73

.

                                        FINIS

*

1 Il exerce la profession de potier d’étain. L’auteur met en scène l’expression « être sourd comme un pot ».   2 Le Valet, i. e. l’ouvrier, travaille devant son établi.   3 Le souple, le lèche-cul. « Encor ferai-ge le souplaist. » (Frère Phillebert.) Cet aparté s’adresse au public.   4 LV : fais   5 Le Sourd a une prédilection pour le verbe « entendre » : vers 34, 40, 70, 99.   6 Prononciation normande de « dimanche » : cf. les Povres deables, vers 93. Le Valet s’amuse à entamer un dialogue de sourds.   7 Élégant, grâce aux habits que je vais t’acheter. « Estre braves en accoustremens. » Godefroy.   8 Du bavardage, des promesses en l’air.   9 La ville de Metz se prononçait « mè », d’où le jeu de mots sur mais.   10 « Avant que passe la sepmaine. » Les Sotz fourréz de malice.   11 Nous ferons une bonne affaire.   12 Vous me donnerez des coups de ceinture.   13 Gardez-le, vous êtes plus miteux que moi. Le pronom normand « lay » reparaît au vers 115. Le Sourd comprend quelque chose comme « frapperai sur vous ».   14 Le Valet se tourne vers le public.   15 « Vous vous rompez tout le cerveau. » Testament Pathelin.   16 Me fait mal, du verbe douloir.   17 Tout coi. « S’y ne veult se taire tout quoy. » Les Sobres Sotz.   18 Si j’en prends la peine.   19 Parfois.   20 Quand on leur réclame de l’argent, les sourds mettent en application ce proverbe : « Il n’est point de plus maulvais sours/ Que ceulx qui ne veullent ouÿr. » Le Gouteux.   21 Nous boirons de bon cœur.   22 Il faudra que je m’en aille.   23 Il ne parle pas de mon salaire.   24 Pour nous taper sur les oreilles. Les chopes sont très larges et leur bord monte jusqu’aux oreilles du buveur.   25 LV : rendre  (« Fendre la teste. » Le Faulconnier de ville.)   26 Cette didascalie marque le début d’un rôle, en non un déplacement. L’Ivrogne est toujours dans la rue ; en apercevant les chopes d’étain alignées sur la fenêtre du potier, il croit être devant une taverne.   27 Cette interjection qui marque l’exaspération peut à la rigueur se traduire par : « Allons ! » Panurge l’emploie quand il s’impatiente des réponses d’un philosophe : « –Mais conseillez-moy, de grâce : que doibs-je faire ? –Ce que vouldrez. –Tarabin, tarabas ! » (Tiers Livre, 36.) Cette locution aux multiples sens donna lieu à une chanson (v. le vers 45 des Queues troussées), et même à une farce : Tarabin, Tarabas (F 13). Ici, elle revient au vers 118.   28 Tavernière ! « Où l’hostesse est belle, le vin est bon. » Godefroy.   29 L’Ivrogne confond la chopine, et le pochin, qui est une mesure de vin différente : « Pour un pochin de vin. » Godefroy.   30 Je veux que vous me fassiez le plaisir.   31 Merde ! « Bren pour toy ! » La Nourrisse et la Chambèrière.   32 Double sens du verbe pratiquer : Je travaille sous vos ordres, et vous gagnez de l’argent grâce à moi. « Quel bien ? J’ay un pourpoinct de serge :/ C’est tout ce que j’ay pratiqué. » La Réformeresse.   33 Il fait bon boire.   34 Quelles nouvelles ? Toujours dans la rue, l’Ivrogne interroge le public.   35 Ai-je une assez bonne réputation pour qu’on me fasse crédit, en ces lieux ?   36 Il entre dans l’atelier de poterie, et s’installe à l’établi où travaille le Valet.   37 Fou furieux (normandisme). Cf. Jolyet, vers 10. « Furluféz ainchin que des coqs/ Qui ont mangé de la tôtée. » La Muse normande.   38 Qui t’a échauffé la bile (graphie normande).   39 Dans une telle disposition. « Aultrefoys m’a mis en tel colle. » Deux hommes et leurs deux femmes.   40 A-ce été le médecin ? « Qui bien dort, pisse et crolle [se remue]/ N’a mestier [besoin] de maistre Nicolle. » (Thrésor de sentences dorées.) « Tu m’affranchis de chancre et de vérole,/ De maistre Ambroise [Paré] et de maistre Nicole. » (Philippe Desportes.) Par dérision, c’est également un nom de bourreau, comme dans le Mystère des Trois Doms : « Maistre Nycolle, bourreau. »   41 LV : deslie  (Atteint. « Que de la fièvre cartaine/ Puissez-vous estre relié ! » Le Povre Jouhan.)   42 LV : bisti fantarie  (Il se peut que l’auteur ait écrit biscarié [en mauvais état] : « Je suys toute biscariée. » Le Povre Jouhan.)  Je suis perturbé. « –Vous me semblez fantasiée./ –Je suys avec vous sy troublée ! » Deulx Gallans et Sancté, LV 12.   43 Ce sourdingue. Cf. le Gouteux, vers 25, 37 et 265.   44 Des fioritures, des ornements du plain-chant. « Réprouvant les fleuretis en la musique. » Godefroy.   45 LV : mectreay   46 LV : bastra  (À la rime.)   47 LV : liurongne   48 Vous aurez bien pire. Il parle au Sourd qui, pour une fois, croit entendre une phrase positive à son égard.   49 Même proverbe dans Guillerme qui mengea les figues et dans le Pèlerinage de Mariage.   50 De tumulte, d’agitation. Idem vers 133.   51 Quand bien même mon ouvrier y manquerait (à se fatiguer en travaillant).   52 Que j’ai pété. Le Sourd tape sur l’Ivrogne.   53 Le manuscrit que le copiste a recopié ne dupliquait pas les interjections, sachant que les comédiens le feraient naturellement. Voir le second hémistiche et le vers 60.   54 À l’Ivrogne. L’ouvrier prend le parti de son patron.   55 Laissez-le-moi vivant !   56 À son patron.   57 Allons ! Voir la note 27.   58 LV : poinct  (Nos poings.)   59 Les sots. Voir le vers 43.   60 LV : paille  (Ce n’est pas une blague. « Ce que je dis, ce n’est pas fable. » Guillerme qui mengea les figues.)  Cf. l’Antéchrist, vers 220.   61 Vraiment. Cf. l’Avantureulx, vers 316.   62 Frappez ce patient [celui qui subit]. « Lauder : frapper, battre. » Louis Du Bois, Glossaire du patois normand.   63 LV attribue ce mot à l’Ivrogne. Les deux artisans se livrent contre lui à une véritable mêlée.   64 Il s’échappe de la mêlée.   65 On m’a chargé de coups comme une bête de somme est chargée de marchandise. « Asnes qui portent somes. » ATILF.   66 LV : quique ayt  (Quel que soit celui qui a chanté le thème.)   67 LV : tondeu  (Je mériterais qu’on me traite de fou. Voir les notes 31 et 86 des Sotz triumphans.)   68 LV : pour moy se   69 Je m’en éloigne. « Il nous fault d’icy remuer. » (ATILF.) Le bord gauche du manuscrit de base devait être déchiré à cet endroit.   70 LV : en brefue nue  (Nous ne le verrons pas revenir de sitôt. « L’on nous donne espoir de sa brèfve venue icy. » Cardinal de Granvelle.)   71 Notre cause : nous sommes réconciliés.   72 Sa parole jaillit hors de propos.   73 Ces 2 derniers vers sont greffés par le copiste lui-même à la fin de beaucoup de pièces du ms. La Vallière : le Tesmoing, l’Avantureulx, Sœur Fessue, Frère Phillebert, le Trocheur de maris, etc.

LA VEUVE

Manuscrit La Vallière

Manuscrit La Vallière

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LA  VEUVE

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On a vu dans cette comédie normande une de ces « farces de noces » qui agrémentaient les banquets de fiançailles ou de mariage (voir la notice de la Présentation des joyaux). Je n’y crois pas beaucoup : les quatre personnages et l’espace scénique requis par cette œuvre ne conviennent pas à ce genre d’« entremets ». De plus, l’argument n’est pas assez général pour une noce ordinaire, et la conclusion est trop sociale, voire politique, pour plaire à tous les convives. Les mêmes restrictions sont applicables à Poncette et l’Amoureux transy, et au Nouveau marié. Quant à l’Ordre de Mariage et de Prebstrise (F 31), où quatre personnages nous assènent 458 vers, il ne prouve rien : la mention « Farce nouvelle trèshonneste et joyeuse pour jo[u]er à toutes nopces » est un argument de vente mis en avant par l’éditeur.

Les filles qu’on mariait vers l’âge de 15 ans à des hommes de 40 se retrouvaient veuves très jeunes. Pour peu qu’elles récupèrent leur dot ou que l’héritage du défunt soit confortable, elles pouvaient se remarier en choisissant elles-mêmes leur nouvel époux. L’opinion publique ne se manifestait (sous forme de charivari) que si la veuve était beaucoup plus âgée que son futur, ce qui n’est pas le cas de la nôtre. Mais les veuves qui épousaient leur valet observaient une discrétion de bon aloi, et n’auraient sûrement pas commandité une farce pour immortaliser leurs faits d’armes. Le prêtre rouennais Guillaume Haudent leur consacra l’un de ses apologues, D’une Veufve & de son asne verd :

       Certaine veufve, appétant jours et nuictz

       Sentir encor les plaisirs et déduictz

       Du jeu d’aymer (dont n’estoyt assouvie),

       Désiroit fort et avoit grand envie

       D’abandonner son estat de vefvage

       Et, derechef, prendre aulcun personnage

       Qui fût ouvrier pour la bien labourer,

       Et pour son baz fermement rembourer.

       Mais el n’osoit, pour le blason des gentz,

       Lesquelz sont promptz et aussi diligentz

       À mal parler et mesdire des femmes,

       Les réputant meschantes et infâmes

       Si leur advient qu’elles se remarient,

       Pour tant qu’en dictz et parolles varient.

       Ce qu’entendant, une sienne commère

       – Laquelle eust bien, par eage, esté sa mère –

       Luy vint à dire et à persuader

       Qu’à bien grand peine el pourroit évader

       Qu’on n’en parlast pour le commencement,

       Mais qu’en aprèz, le bruit, tout doulcement,

      S’appaiseroit.  <La commère incite la veuve à peindre en vert son âne blanc ; le peuple en fait des gorges chaudes, puis s’habitue, et finit par se taire.>

       Par quoy, sans plus le blason ne le dict

       Des gens doubter, a voulu se remettre

       En mariage, affin qu’elle peust estre

       À son plaisir, et qu’à chascune foys

       Qu’elle vouldroict, on fourbist son harnoys.

La pièce ne comportant pas de titre, chaque éditeur y est allé du sien. Depuis l’édition d’Emmanuel Philipot1, on s’en tient presque toujours à la Veuve.

Source : Manuscrit La Vallière, nº 55. L’encre est excessivement pâle ; c’est un problème de plus pour ce manuscrit qui les accumule.

Structure : Rimes plates, avec 5 triolets.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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Farce  joyeuse

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À quatre personnaiges, c’est asçavoir :

       ROBINET,  Badin 2

       LA  FEMME  VEFVE

       LA  COMMÈRE

       et  L’ONCLE  MICHAULT,  oncle de Robinet

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*

 

                        ROBINET  commence 3                     SCÈNE  I

        C’est un honneste sacrement4,

        O[u] mauldict soyt-il qui en ment5 !

        À mon avys, sy je l’estoys6

.

                        LA  FEMME  VEFVE  entre             SCÈNE  II

        Robinet ! Par ta foy,  sy tu me hétoys7,

5      Me vouldroys-tu ?

                        ROBINET

                   Vouloir, vouloir.  Vertu sainct Gris8 !

        Que vous tinsai-ge de mes gris9,

        Acollée dens un beau lict !

                        LA  FEMME  VEFVE

        Feroys-tu branler le câlict10 ?

                        ROBINET

        Ouy bien, car je le pousseroys

10    Sy fort que le desfonceroys,

        Ma mestresse, par la chair dienne11 !

                        LA  FEMME  VEFVE

        Y fault donc que ton oncle12 vienne,

        Et ma commère d’icy près.

        Et puys on voy(e)ron13 par après

15    Sy feron quelque assemblement

        De no[u]s deulx.

                        ROBINET

                                     Ouy, certainnement, je le veulx,

        Ou je meure de mort amère !

        Et puys y fauldra que ma mère

        Aporte, à ce soyr14, de la tarte.

                        LA  FEMME  VEFVE

20    C’est bien dict. Je payeray carte15

        Du meilleur que faire se peult.

.

                        ROBINET 16                                      SCÈNE  III

        Qui rien ne sume17, rien ne c[u]eult18.

        Çà, çà, g’éray19 les gans a[ulx] mains

        Pour semondre20 tous les humains.

25    Subitement me fault courir.

        Par Dieu, j’aymeroys mieulx mourir21 !

        Le prestre nous espousera22.

.

                        LA  COMMÈRE  entre 23                  SCÈNE  IV

        Et puys, qu’esse qu’il y a[ura],

        Robinet ? Le séroys-tu24 dire ?

                        ROBINET

30    Venez tost, tout se parfera25.

                        LA  COMMÈRE

        Et puys, qu’esse qu’il y aura ?

                        ROBINET

        A ! je l’éray ou el m’éra26.

        Je la27 prens au bon ou au pire.

                        LA  COMMÈRE

        Et puys, qu’esse qu’il y aura,

35    Robinet ? Le séroys-tu dire ?

        Sy tu devoys enrager d’ire28,

        Sy sérai-ge pourquoy tu viens !

                        ROBINET

        Je n’éray soufrète29 de riens,

        Jamais, car je seray un homme30.

40    De venir souldain je vous somme

        À ma mêtresse, qui vous mande.

                        LA  COMMÈRE

        Et pour quoy [dea] ?

                        ROBINET

                                           La chose31 est grande.

        Venez vitement, hastez-vous !32

                        LA  COMMÈRE

        Sçays-tu qu’il est33 ? Alon tout doulx,

45    Car les chemins sont coustéables34.

                        ROBINET

        Et ! venez, de par le[s] grand[s] deables,

        Que je n’ay[e]s blasme ou vitupère !35

.

                        LA  COMMÈRE                               SCÈNE  V

        Honneur ! honneur !

                        LA  FEMME  [VEFVE]

                             Dieu vous gard, ma commère !

        Vous soyez la très bien venue !

                        LA  COMMÈRE

50    Comme vous va ?

                        LA  FEMME  [VEFVE]

                                         Bien je prospère.

                        LA  COMMÈRE

        Honneur !

                        LA  FEMME  [VEFVE]

                             Dieu vous gard, ma commère !

                        LA  COMMÈRE

        Vous passez temps36 ?

                        LA  FEMME  [VEFVE]

                                              Se mydieulx37, voyre !

                        LA  COMMÈRE

        En bon poinct38 estes devenue.

        Honneur !

                        LA  FEMME  [VEFVE]

                           Dieu vous gard, ma commère !

55    Vous soyez la trèsbien venue !

                        ROBINET

        Et ! dictes [vostre bienvenue]39

        Et vous despeschez ! Qu’on se haste,

        Car j’ey peur que le rost se40 gaste,

        Qui sera mengé à la feste.

                        LA  COMMÈRE

60    Mais de quoy se ront-il la teste ?

        Dictes, y m’a faict tant de presse

        En me disant : « C’est ma mêtresse

        Qui s’est à vous recommandée. »

                        LA  FEMME  [VEFVE]

        Sachez que je vous ay mandée

65    Comme ma commère et ma mye

        À qui, du tout41, je me confye,

        Pour42 me conseiller et aprendre

        Se je doys espouser ou prendre

        Mon sot valet à mariage.

                        LA  COMMÈRE

70    Je vous diray, sur ce passage,

        Ma commère, et en peu de plet43 :

        S’il est honneste et il vous plêt

        – Mais qu’il ne soyt fol ne volage,

        Estourdy, de léger courage –

75    Et posé le cas qu’i n’a rien,

        Pourveu qu’i soyt de gens de bien,

        Sur ma foy, vous le debvez faire.

                        ROBINET

        Je subviendray à son afaire44,

        Car je suys bien envytaillé45.

                        LA  COMMÈRE

80    Par Dieu ! Robinet est taillé

        De vous faire un très grand service

                        LA  FEMME  [VEFVE]

        Tandy[s] qu’il est simple [et] novice,

        J’auray tousjours de luy maistrise46.

        Et sy, feray myeulx à ma guise

85    Aveq luy qu’avec un riche homme :

        Car on n’ose dormyr grand somme,

        Aveq un qui a tant de quoy47.

                        ROBINET

        Ma foy, je me téray tout quoy48

        Quant vous viendrez des grans banquès,

90    De menger les bons saupiquès49,

        Des gésines50, d’aveq des51 maistres,

        Mais que ne hantez52 poinct ces prestres

        Qu[’on] nous dict estre billoqués53,

        Et un tas d’Espaignos toqués54

95    Qui font tant des esperlucas55.

                        LA  FEMME  [VEFVE]

        À vostre avys, esse mon cas ?

                        LA  COMMÈRE

        Ma commère, on en parlera56 ;

        Pensez que l’un l’aultre dira :

        « O !  elle a espousé son varlet,

100  Ce [grand] bémy57, ce sotelet,

        [Ce conardeau]58, cest escollier.

        El [l’]a trouvé franc du collier59. »

                        ROBINET

        Aussy suis-je bien60, sur mon âme !

        Je tire, je hale [sans blasme]61

105  D’un voirre62 droict comme une ligne63.

                        LA  FEMME  [VEFVE]

        On dict qu’il est de bonne ligne64,

        Et de gens de bien.

                        LA  COMMÈRE

                                          Et ! tant myeulx.

        Robinet me semble bon fieulx65.

        Vous [le] congnoissez de pièçà66 ?

                        LA  FEMME  [VEFVE]

110  Troys moy[s] y a qu’i commença

        À me servir, et est loyal.

                        ROBINET

        Par sainct Jehan, voyre ! et virginal :

        Et sy j’ey encor mon pucelage ;

        Synon unne foys, au village,

115  Au parmy d’une chanevyère67,

        Aveq[ues] unne chambèryère…

        Mais je ne sçay que je luy fis.

                        LA  COMMÈRE

        Robinet me semble bon fis68,

        Bien servïable et bien honneste.

                        LA  FEMME  [VEFVE]

120  Je crains qu’il ne change de teste69

        Quant y viendra à se congnoistre70 ;

        Qu’i ne veuille faire du maistre,

        Mes71 biens diciper et menger.

                        LA  COMMÈRE

        Par sainct Jehan, voylà le danger !

125  Assez voyt-on de telz novices

        Qui, en servant, font beaulx ofices ;

        Mais quant y viennent à puissance,

        Y veulent fayre à leur plaisance.

        Et sy on leur dict un seul mot,

130  Y gectent la pinte et le pot

        À la teste72.

                        LA  FEMME  [VEFVE]

                              Il est vérité :

        Quant y sont en auctorité,

        Y viennent félons et mauvais.

                        ROBINET

        [Moy,] je rateray les navès73.

135  Et sy, feray bien la lessive.

        Je berseray Tiennot, Olive74.

        Au soir, le feu je couvryray ;

        Au matin, j[e l’]alumeray.

        Et sy, porteray vos chandelles75

140  Aulx églises et aulx chapelles.

        Et sy, de peur que n’ayez mal,

        Je tiendray vostre oficial76

        Quant vous lâcherez vostre urine.

                        LA  COMMÈRE

        Il semble, à veoir à sa courine77,

145  Qu’i vous fera grand loy[a]ulté.

                        LA  FEMME  [VEFVE]

        S’y me faisoyt desloyaulté,

        Comme ceulx qui vont à ces mons

        Jecter fumelles contre-mont78,

        Je luy aracheroys les… yeulx !

                        ROBINET

150  A ! nennin, nennin, semydieulx !

        Je ne toucheray aulx fumelles :

        Combien qu’i soyent79 bonnes et belles,

        Je n’éray rien que l’ordinaire80.

                        LA  FEMME  [VEFVE]

        Y nous fault mander le vicaire,

155  Et les voisins, et le curé.

                        ROBINET

        Voylà tout mon cas asceuré.

        Mais81 que mon oncle soyt venu,

        Je seray riche devenu,

        Car il est homme de façon82.

                        LA  COMMÈRE

160  Sus, Robinet : une chanson !

        Vostre oncle viendra cependant.

                        ROBINET

        Voulez-vous que nous la danson ?

                        LA  FEMME  [VEFVE]

        Sus, Robinet : une chanson !

                        ROBINET

        Ma mêtresse, prenez le ton83,

165  Et puys je lèveray le chant84.

                        LA  COMMÈRE

        Sus, Robinet : unne chanson !

        Vostre oncle viendra cependant.

                        Ilz chantent.85  Après la chanson :

                        LA  FEMME  [VEFVE] 86

        An, an, an ! J’ey le cueur mar[r]y.

                        ROBINET

        Et  de quoy ?

                        LA  FEMME  [VEFVE]

                                De mon deffunt mary :

170  Du bon Roger, dont Dieu ayt87 l’âme !

        Car c’estoyt le meilleur, pour femme88,

        Qui fust jamais dessus la terre.

                        ROBINET

        Il est mort.

                        LA  FEMME  [VEFVE]

                             Je ne le puys croire.

        Toutes les nuyctz, y m’est avys

175  Que je le voys là, vis-à-vis.

        Et sy, me monte en rêverye89

        Que jamais ne me remarye.

                        LA  COMMÈRE

        Ma commère, c’est grand folye

        De s’en donner mérencolye.

180  Toutefoys, quant il en souvyent,

        Pleurer et gémyr en convyent

        Pour s’aquicter envers nature.

                        LA  FEMME  [VEFVE]

        A ! la bénigne90 créature

        Que c’estoyt ! Et tant secourable !

185  Un chascun l’avoyt agréable.

        Je crains bien, à changer, de pire.

                        LA  COMMÈRE

        Ne craignez pas qu’i vous empire ;

        Tousjours irez de myeulx en myeulx.

        Robinet est assez joyeulx,

190  Tournant vite comme une meulle.

        Ce n’est rien c’une femme seulle,

        Ma mye : un chascun la déboulte.

                        LA  FEMME  [VEFVE]

        Raison veult que je m’y reboulte91,

        Car Dieu m’en a amonnestée92 ;

195  Car dès la premyère nuyctée,

        Qu’on sonnoyt pour le trespassé

        Dont le deuil n’estoyt pas passé,

        J(e) ouÿs bien, de nostre maison,

        Les cloches disant en leur son

200  Insessamment, ce me sembloyt :

        Prent ton valet ! Prent ton valet ! 93

                        ROBINET 94

        C’est moy, c’est moy ! C’est moy, [c’est moy] !

                        LA  COMMÈRE

        Mon Dieu, vous me contez merveilles !

        L’av’ous95 ouÿ de vos oreilles ?

                        LA  FEMME  [VEFVE]

205  Ouy, par ma foy !

                        LA  COMMÈRE

                                      Dieu l’a voulu,

        Et pour vous Robinet esleu96 :

        On le voyt, la chose est certaine.

.

                        L’ONCLE  MICHAULT  entre          SCÈNE  VI

        Tant je suys venu à grand-payne,

        Pour le temps qui est ainsy chault !

                        ROBINET

210  Mon Dieu ! c’est mon oncle Mychault,

        Ma mêtresse !

                        LA  FEMME  [VEFVE]

                                  Y vient bien à poinct.

                        MYCHAULT

        Voycy des bonnès97, un pourpoinct,

        Une chemise, un devantel98,

        Que j’ey aporté de l’ôtel99

215  Pour toy, mon nepveu Robinet.

                        ROBINET

        Et ! que je seray godinet100 !

        Je seray plus gay101 que satin.

                        LA  COMMÈRE

        Et ! au moins, paye[z] le festin.

                        MYCHAULT

        Quel festin ?

                        ROBINET

                               De nos fiansailles.

220  Vous serez à nos espousailles,

        Nostre oncle. À vostre bienvenue !

                        MICHAULT

        Vous me la chantez bien cornue102 !

                        ROBINET

        Non103 faison, par saincte Marye !

        C’est elle et moy qui se marye

225  Ceste semaine proprement.

        Voilà104 pour le commencement :

        Preu105, et [deulx, le]106 tiers, et le cart !

                        MYCHAULT

        Holà ! Que le deable y ayt part !

        N’en faictes plus, car je m’en sens107 !

                        ROBINET 108

230  Vous serez plus bastu que lard109 !

                        MYCHAULT

        Holà ! Que le deable y ayt part !

                        ROBINET 110

        Et vous, qui estes à l’écart,

        Du plaisir ne serez absens.

                        MICHAULT

        Holà ! Que le deable y ayt part !

235  N’en faictes plus, car je m’en sens !

        Par Dieu ! j’ey eu plus de cinq cens

        [Gros coups de]111 poing dessus ma teste !

                        ROBINET

        Et ! c’est à cause de ma feste112 :

        Je vous étrenne d’abordée113.

                        MYCHAULT

240  J’ey la teste toute eslourdée114 ;

        N’en faictes plus !

                        ROBINET

                                       Par la chair dienne !

        C’est afin qu’i vous en souvyenne115,

        Mon oncle Mychault.

                        MYCHAULT

                                            C’est bien faict.

        Je suys bien joyeulx, en effaict,

245  Que ton bon heur t’est avenu.

                        LA  FEMME  [VEFVE]

        Pas ne sera circonvenu116 :

        Il a esté mon serviteur,

        Y sera mon gubernateur117

        En tout temps et toute saison,

250  Le maistre de nostre maison.

        Y taillera, y coupera

        Ainsy que bon luy semblera

        De[ns] tous mes biens en général.

                        MYCHAULT

        Par sainct Jehan ! Dieu vous gard de mal118,

255  Et vous en face bien joyeuse !

                        LA  COMMÈRE

        Puysqu’el est de toy119 amoureuse,

        Ce sera un bon mariage.

                        ROBINET

        Qu’av’ous120 aporté du village,

        Mon oncle, pour faire nos noces121 ?

                        MYCHAULT

260  Force lopins, aultres négoces122

        Pour rire et pour faire la galle123.

                        ROBINET

        Alons-nous-ent124 à nostre salle,

        Là-derière, faire la chière125.

                        MYCHAULT

        J’ey argent à ma gibecière

265  Pour payer carte de [bon] vin.

        S’y plaist au benoyst Roy divin,

        Je veulx digner126 !

                        ROBINET

                                          Et moy aussy !

                        LA  COMMÈRE 127

        Seigneurs, nous concluons icy

        C’un serviteur bon et loyal,

270  Honneste, bénin et féal128,

        Par bien servir et loyal estre,

        De129 serviteur devyent le maistre,

        En bourgoiserye et noblesse.

                        MYCHAULT

        Mainct a espousé sa mêtresse

275  Qui est parvenu à honneur.

                        ROBINET

        Et pour s’oster130 hors de détresse,

        Mainct a espousé sa mêtresse.

                        MYCHAULT

        Par prudence, honneur et sagesse,

        Le page devyent grand seigneur.

                        ROBINET

280  Mainct a espousé sa mêtresse

        Qui est parvenu à honneur.

        Je prye à Dieu le Créateur,

        Qui doibt resjouir cest oulvrage131.

        Une chanson de trèsbon cœur

285  Chantons, mon oncle de vilage,

        Pour achever le mariage !

.

                                          FINIS

*

1 Six farces normandes du Recueil La Vallière, Plihon, 1939, pp. 153-186. Voir aussi l’édition d’André TISSIER : Recueil de farces, Droz, t. IX, 1995, pp. 243-293. Pour les possibles sources de l’œuvre, je renvoie aux préfaces de ces deux éditions.   2 Badin n’est aucunement le patronyme du personnage : c’est sa fonction symbolique, tout comme c’est celle de « Jehan de Lagny, Badin », ou celle de « Mahuet, Badin natif de Baignollet ». Ces demi-fous sont décrits en détail dans les Sobres Sotz. « Robinet », diminutif de « Robin », désigne le pénis : « Il tire alors de sa prison/ Le robinet de son écluse,/ D’où l’eau s’élance à gros bouillons. » Joseph Vasselier.   3 Il est employé comme valet chez une jeune veuve.   4 Le sacrement du mariage.   5 Celui qui nous l’a fait croire.   6 Si j’étais marié. Robinet est interrompu par l’arrivée de sa patronne, en grand deuil.   7 Si tu me plaisais, du verbe haiter.   8 Saint François d’Assise, qui portait une robe grise.   9 Si je vous tenais entre mes griffes (normandisme). Cf. Tout-ménage, vers 61 et note.   10 Le châlit (prononciation normande). « Et un câlit couvert d’un pelichon/ Presqu’erréné par le tabut des fesses. » La Muse normande.   11 Euphémisme pour « Dieu ». Idem vers 241.   12 Ton tuteur. Robinet est orphelin de père. Cet oncle vit dans un village, mais il vient une fois par an à la ville (Rouen ?) pour apporter du linge à son neveu.   13 Nous verrons (normandisme).   14 Le soir du mariage. La mère de Robinet doit vivre dans le même village que l’oncle, puisque son fils y habitait (vers 114) avant d’être embauché par la veuve.   15 Une quarte [une double pinte] du meilleur vin, comme au vers 265. « Je suis contant de paier quarte/ Pour desjeuner. » Jehan qui de tout se mesle.   16 Il sort pour aller chercher la voisine.   17 LV : fume  (Le « f » et le « s » sont à peu près identiques.)  Sumer = semer. « La graine que je sume/ En vostre champ. » Villon, Testament, 1398.   18 Ne cueille. « Qui petit sème, petit cueult ; & qui sème en bénédiction cueult en bénédiction. » La Bible en françoys.   19 J’aurai. Même normandisme aux vers 32, 38 et 153. Dans la haute bourgeoisie d’avant guerre, un jeune homme mettait encore des gants blancs pour faire sa demande en mariage.   20 Pour inviter à mes noces.   21 Plutôt que de ne pas convoler avec ma patronne.   22 Nous mariera. Cette expression ambiguë est disséquée aux vers 300-327 des Cris de Paris.   23 Cette didascalie marque le début d’un rôle, et non un déplacement. En fait, c’est Robinet qui entre chez la voisine.   24 Saurais-tu. Même normandisme au vers 37.   25 Tout ira à son terme.   26 Je l’aurai en mariage ou c’est elle qui m’aura. Dans Jehan de Lagny, Trétaude veut épouser le Badin : « M’y deust-il couster trente souz,/ Je vous éray ou vous m’érez ! »   27 LV : le  (Je la prends pour le meilleur et pour le pire.)  Jeu de mots sur « prendre au bond », comme si la veuve était un éteuf du jeu de paume.   28 Même si tu devais enrager de colère.   29 Marié à cette riche veuve, je n’aurai pénurie de rien. « Que n’arez souffrète de rien. » La Fille bastelierre.   30 Un Monsieur, un notable.   31 L’affaire. Double sens priapique : « Mon Dieu, que vostre chose est grande ! » Jénin filz de rien.   32 Dans la rue, Robinet traîne la voisine jusqu’au logis de la veuve.   33 Sais-tu quoi ?   34 Coûtent beaucoup de peine. « Et ch’est chen qui no z’est oncor pu coûtiable. » [Et c’est ce qui nous est encore plus pénible.] La Muse normande.   35 Ils arrivent chez la veuve.   36 Vous prenez du bon temps ?   37 Si m’aid Dieu : que Dieu m’assiste ! Idem vers 150. En Normandie, voire se prononçait vaire, tout comme croire se prononce craire à 173.   38 Dodue, ayant de l’embonpoint.   39 LV : ma desconuenue  (Achevez vos mondanités.)   40 LV : ne  (Que le rôti du repas de fiançailles ne brûle.)  Dans la farce du Pasté (F 19), le mari ne cesse de vouloir empêcher un pâté de brûler : « Par ma foy, ce pasté se gaste ! »   41 Totalement.   42 LV : de   43 De plaid, de discours. Malgré cette promesse, la voisine se perd dans les circonvolutions diplomatiques.   44 À son sexe. « S’il y a quelque mariée (…),/ Incontinent, par un beau Frère/ Sera visité son affaire. » Discours joyeux des Friponniers.   45 Bien pourvu de vit. (L’édition de 1837 omet pudiquement la fin du vers.) Un autre badin et valet, Jéninot, se targue devant sa patronne de pouvoir lui offrir de pareils avantages : « Je n’en crains pas homme qui viengne/ Pour estre bien envitaillé. » Jéninot qui fist un roy de son chat.   46 LV : seruice  (Je le dominerai toujours.)   47 Double niveau de langage : 1) On n’ose pas faire la grasse matinée, avec un homme si riche. 2) On ne songe pas à dormir, près d’un homme si bien envitaillé.   48 Tout coi. « S’y ne veult se taire tout quoy. » Les Sobres Sotz.   49 Un saupiquet est un plat en sauce piquante.   50 De visiter les accouchées. Cf. Saincte Caquette, vers 41 et note.   51 LV : mes  (D’écouter des prédicateurs.)   52 « Pourvu que vous ne fréquentiez… » Note d’A. Tissier.   53 Qui pratiquent la bilocation, et peuvent se trouver à deux endroits en même temps ; tel était le cas de saint François d’Assise (note 8), qui institua les Cordeliers, ces modèles de débauche que le peuple traitait de « frères Frappart ». Tout près de là, en Picardie, les bilokes désignaient les testicules ; on pourrait donc traduire : Ces cordeliers couillus.   54 Coiffés d’une toque particulièrement voyante. « La toque à l’espaignole (…) garnie d’un petit plumail garny de grosses perles. » Amadis de Gaule.   55 Les galants emperruqués. Cf. le Trocheur de maris, vers 133.   56 Votre mariage va faire jaser.   57 Ce niais. Cf. Lucas Sergent, vers 69.   58 LV : se conate  (Jeune Sot affilié aux Conards de Rouen, qui ont peut-être créé la pièce. « Conars, ayez à subvenir/ À l’Abbé et ses conardeaux ! » Les Veaux.)   59 Bon amant. « Franc du collier,/ Et qui ne se face prier/ Quant ce viendra à la “besongne”. » Le Trocheur de maris.   60 Je le suis, franc du collier, comme un cheval de trait.   61 LV : sus mon ame  (à la rime. Correction suggérée par Tissier.)  Je tire et je hale comme un cheval de trait.   62 LV : voyre  (Cf. les Sotz escornéz, vers 23.)  Je tire le contenu d’un verre.   63 En droite ligne, cul sec.   64 Qu’il descend d’une bonne lignée. « Je suys de gens de bien extraicte,/ Et de ligne bonne et parfaicte. » Lucas Sergent.   65 Un bon fils (vers 118), un bon gars.   66 Depuis longtemps.   67 Au milieu d’une chènevière, d’une plantation de chanvre.   68 Un bon fils, un bon gars (note 65).   69 De caractère.   70 À connaître ses pouvoirs. « Or il est temps de vous congnoistre :/ Prenez à destre et à sénestre ! » Villon.   71 LV : mais   72 « Et le mien m’a voulu ruer/ Ung pot d’estain parmy la teste. » Les Femmes qui font refondre leurs maris.   73 Je raclerai la peau des navets à la cuisine. « Se les navès ne sont ratés,/ Ilz ne feront jà nette souppe. » Les Menus propos.   74 Étienne et Olive sont les bébés de la veuve.   75 Les cierges que vous offrez aux saints. Cf. le Trocheur de maris, vers 97.   76 « Un pot à pisser, c’est un official. » Gargantua, 9.   77 Sa corine, son cri du cœur.   78 Jeter des femmes en l’air. Cette allusion à un fait divers local serait peut-être identifiable si l’on n’avait pas détérioré le vers précédent, qui rimait en -ont.   79 Bien qu’elles soient.   80 Je me contenterai de ma femme.   81 Pour peu. L’oncle vient toujours voir son neveu à la même date (note 12). Cette date estivale (vers 209) est probablement la Saint-Jean d’été, le 24 juin, qui servait de repère pour toutes sortes d’échéances : cf. la Fille esgarée, vers 116.   82 De qualité.   83 Donnez la première note, pour que nous ayons la tonalité. « Chantons ! Je m’en vays le ton prendre. » Maistre Mymin qui va à la guerre.   84 Je chanterai. « La chançon fut moult douce, et [Anthoines] bien la leva/ À chant et à deschant. » Tristan de Nanteuil.   85 La chanson n’a pas été gardée. Elle commençait par une rime en -ant, pour se raccorder au triolet qui précède.   86 Elle sanglote avec ostentation. Le dialogue qui suit dépeint admirablement la mentalité médiévale face aux convenances, qu’il faut ménager pour qu’elles nous autorisent à les transgresser.   87 LV : et   88 C’était un de ces vieillards en adoration devant leur jeune épouse, comme ceux des Femmes qui font refondre leurs maris.   89 Il me vient en rêve.   90 L’inoffensive.   91 Que je me remarie. Cf. les Sobres Sotz, vers 429.   92 Admonestée : m’y a exhortée.   93 La veuve chante sur un timbre de cloches à 4 tons. Les présages de ce type étaient pris au sérieux ; quand Panurge hésite à convoler, des cloches lui disent : « Marie-toy ! Marie-toy ! » (Tiers Livre, 27.) Tous les commentateurs citent à cet endroit un sermon de Jean Raulin publié en 1518, De Viduitate, dans lequel des cloches ordonnent à une veuve : « Prens ton varlet ! Prens ton varlet ! » Le sermon est en latin, mais les cloches s’expriment en français. Il semble que Raulin, l’auteur de la Veuve et Rabelais puisent à une source antérieure, peut-être folklorique.   94 Il répond sur le même timbre de cloches. Ce vers échappe au schéma des rimes.   95 L’avez-vous (normandisme). « L’av’ous point veu icy venir ? » La Résurrection Jénin à Paulme.   96 Dieu a élu [choisi] Robinet pour vous.   97 Des bonnets. Michaut apporte toujours un sac de vêtements à son neveu.   98 Un devanteau : un tablier.   99 De ma maison, de mon village.   100 Plaisant.   101 Plus vif. L’expression courante est : Plus gai qu’une mitaine.   102 Vous me la baillez belle ! « Vous me la baillez bien cornue ! » L’Homme à mes pois.   103 LV : nous  (« Non fais, je vous promais ma foy ! » Le Gentil homme et son Page.)   104 Le copiste a noté voilela, puis il a biffé le « e ».   105 Le premier. « Empreu, et deux, et trois, et quatre. » (Farce de Pathelin.) Cf. Maistre Mymin qui va à la guerre, vers 137.   106 LV : le deulx  (Et voilà pour le premier coup de poing, pour le deuxième, pour le troisième, et pour le quatrième !)  Chaque fois, Robinet donne un coup sur la tête de son oncle, selon une coutume nuptiale que Rabelais décrit dans le Quart Livre <chap. 12> : « Les parolles dictes et la mariée baisée au son du tabour, vous tous baillerez l’un à l’aultre du souvenir des nopces : ce sont petitz coups de poing…. Telz coups seront donnéz en riant, scelon la coustume observée en toutes fiansailles. » Les vers 152-154 des Sotz nouveaulx farcéz évoquent cette tradition. Robinet oublie que le poing doit être ganté afin d’adoucir les coups.   107 Je m’en ressens. Cf. le Ribault marié, vers 576. Le copiste avait d’abord écrit, puis biffé : deulx (du verbe se douloir).   108 Il continue à frapper.   109 Plus tanné que du cuir.   110 Il menace le public.   111 LV : coups de gros   112 De mes fiançailles.   113 De prime abord, avant les autres invités.   114 Étourdie. Cf. les Sobres Sotz, vers 397.   115 Aujourd’hui, on rapporte de la noce une photo-souvenir ; à l’époque, on en rapportait une bosse ou un bleu : « Des nopces vous en soubvieine ! » Quart Livre, 14.   116 Dupé.   117 Mon gouverneur, mon maître.   118 Jeu de mots conventionnel : Que Dieu vous éloigne des mâles !   119 LV : moy  (La voisine s’adresse à Robinet.)   120 LV : quaues vous  (Note 95.)   121 Qui puisse servir pour ces noces.   122 Affaires.   123 Pour prendre du plaisir. « Et Dieu scet se on faict la galle,/ À mener dancer ces bourgeoises ! » Guillaume Coquillart.   124 Cf. le Gentil homme et son Page, vers 252.   125 LV : chaire  (Pour faire bonne chère.)   126 Dîner.   127 Au public. La conclusion laisse poindre une critique des arrivistes, dont beaucoup se servaient du mariage pour monter en grade.   128 Bon et fidèle.   129 LV : le  (Hors de tout contexte, le même copiste a noté dans un recueil palinodique <BnF, ms. fr. 19184, fº 208 rº> : « Par bien servir et loyal estre,/ Le serviteur devyent le maistre. »)   130 LV : loster  (Pour échapper à la misère.)   131 Qui doit bénir ce mariage. Mais l’auteur considère peut-être que l’ouvrage en question n’est autre que sa pièce.

LES SOBRES SOTZ

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Ms. La Vallière

Ms. La Vallière

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LES  SOBRES

SOTZ

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Le titre de cette sottie est un calembour. En effet, les Sots n’ont jamais été particulièrement « sobres », que ce soit en matière de vin, ou en matière de paroles. En revanche, ils ont un jeu de scène plutôt acrobatique, et sont passés maîtres dans l’art du sobresaut (ou soubresaut, ou souple saut), qui est une sorte de cabriole : « C’est ung grant tour d’abilité/ Que de bien faire ung sobressault. » Sotie de Estourdi et Coquillart (T 2).

Nos sobres Sots sont également des scieurs d’ais [de planches]. On inflige ce quolibet aux maris qui ne sont pas maîtres dans leur ménage. Les deux scieurs de long qui débitent un tronc tiennent chacun un bout de la scie, et celui qui est en bas dirige le mouvement : « Il n’y auroit pas tant de scieurs d’ais qu’il y a pour le présent. On appelle ainsi ceux qui sont valets de leurs femmes ; car entre les scieurs d’ais, le maistre est tousjours dessous. » (Les Récréations françoises.) Les époux qui s’imaginent avoir le dessus ne maîtrisent rien ; voilà des « sotz maistres comme cïeurs d’aictz ». (Monologue des Sotz joyeulx.)

Édouard Fournier1 et Émile Picot2 présument que cette sottie fut créée au Palais de justice de Rouen par ses basochiens, lors du Carnaval de 1536. La pièce est truffée d’allusions satiriques qui étaient comprises desdits basochiens à cette date, mais qui aujourd’hui nous échappent. À l’époque, on n’écrivait pas pour la postérité ; une farce était jetable et biodégradable.

Source : Manuscrit La Vallière, nº 64. Pour une fois, le scribe a eu sous la main une copie d’excellente qualité, peut-être même l’original.

Structure : Rimes plates, avec 3 triolets.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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Farce  moralle  et  joyeuse  des

Sobres  Sotz

entremellé[s]  avec

les  Sÿeurs  d’ais

.

À .VI. personnages, c’est asçavoir :

       [Cinq  SOTZ] 3

       et  LE  BADIN

.

*

                        LE  PREMYER  SOT  commence      SCÈNE  I

       J’en ay4 !

                        LE  .IIe.  SOT 5

                      J’en say.

                        LE  .IIIe.  SOT

                                   J’en voy.

                        LE  .IIIIe.  SOT

                                                 J’en tiens6.

                        LE  .Ve.  SOT

       Et moy, j’en faictz come de cire7.

                        LE  P[REMYER  SOT]

       Voulez-vous pas estre des myens ?

       J’en ay.

                        LE  .IIe.  [SOT]

                    J’en say.

                        LE  .IIIe.  [SOT]

                                  J’en voy.

                        LE  .IIIIe.  [SOT]

                                                 J’en tiens.

                        LE  .Ve.  [SOT]

5     J’espoire [en] avoir plus de biens

       C’on n’en séroyt8 conter ou dire.

                        LE  P[REMYER  SOT]

       J’en ay.

                        LE  .IIe.  [SOT]

                    J’en sçay.

                        LE  .IIIe.  [SOT]

                                   J’en voy.

                        LE  .IIIIe.  [SOT]

                                                  J’en tiens.

                        LE  .Ve.  [SOT]

       Et moy, j’en faictz comme de cire.

                        LE  P[REMYER  SOT]

       Dictes-moy lequel est le pire :

10   Le trop boyre, ou le trop menger ?

                        LE  .IIe.  [SOT]

       Le commun9, et non l’estranger,

       En pouroyt dire quelque chose.

                        LE  .IIIe.  [SOT]

       Je le diroys bien, mais je n’ose,

       Car le parler m’est deffendu10.

                        LE  .IIIIe.  [SOT]

15   C’est tout un : on n’a pas rendu

       Compte de tout ce qu’on pensoyt.

       Tel commençoyt et ne cessoyt

       De poursuyvir tousjours son conte11,

       Qui là, pourtant, n’a pas son compte ;

20   Tout froidement de[ut] le quicter12.

                        LE  .Ve.  [SOT]

       On ne se peult plus aquicter

       Tout en un coup de grosses debtes.

                        LE  P[REMYER  SOT]

       Faulte d’avoir grosses receptes,

       Ou un bon recepveur commys.

25   La mort bieu ! s’il m’estoyt permys

       D’avoir cent mile escus de rente…

       Tel au monde ne se contente

       Qui bien tost se contenteroyt !

                        LE  .IIe.  SOT

       Le plus sage, pour lors, seroyt

30   Mys au reng des sos « malureulx »13.

                        LE  .IIIe.  SOT

       On véroyt le temps rigoureulx

       Revenir à son premyer estre14.

                        LE  .IIIIe.  SOT

       Ceulx qui espluchent le salpaistre15

       Auront fort temps16, l’anée qui vient.

                        LE  .Ve.  SOT

35   À tel le menton on soutient17,

       En plusieurs lieux favorisé,

       Qui ne seroyt pas trop prisé

       S’il ne changoyt d’acoutumance18.

                        LE  P[REMYER]  S[OT]

       C’est grand cas, d’avoir souvenance

40   De deulx cens ans ou envyron.

                        LE  .IIe.  S[OT]

       Qui eust pensé que l’avyron

       Eust eu sy grand bruyct19, ceste anée ?

                        LE  .IIIe.  S[OT]

       Pour tant que la gent obstinée20

       Est plaine de rébellions.

                        LE  .IIIIe.  S[OT]

45   Qui eust pencé que « pavillons »

       Eussent esté sy cher vendus21 ?

                        LE  .Ve.  S[OT]

       Qui eust pensé que gens tous nus,

       Qui ne servent synon de monstre22,

       Eussent porté sy bonne encontre

50   Que d’estre en un camp estimés ?

                        LE  P[REMYER]  S[OT]

       Qui eust pensé gens anymés23

       Fondre au soleil comme la glace ?

                        LE  .IIe.  S[OT]

       Qui eust pencé qu’en forte place24

       On fust entré plus aisément ?

                        LE  .IIIe.  S[OT]

55   C’est pource que le bastiment

       Ne se sairoyt tout seul deffendre.

                        LE  .IIIIe.  S[OT]

       Voylà que c’est que d’entreprendre

       Menger la lune25 à belles dens.

                        LE  .Ve.  SOT

       Tel se treuve en gros acidens26

60   Qui en pence bien eschaper.

                        LE  P[REMYER]  S[OT]

       Tel ne sairoyt un coup fraper,

       Qui toutefoys se faict bien craindre.

                        LE  .IIe.  S[OT]

       Tel prent grand plaisir à veoir paindre27

       Qui ne saroyt bien faire un traict28.

                        LE  .IIIe.  S[OT]

65   Tel va bien souvent au retraict29

       Qui de chier n’a poinct d’envye.

                        LE  .IIIIe.  S[OT]

       Vive le temps !

                        LE  .Ve.  S[OT]

                                   Vive la vye !

       Elle vault myeulx, comme j’entens.

                        LE  P[REMYER]  S[OT]

       Or, vive la vie et le temps,

70   Mais qu’ilz ne soyent poinct rigoureulx !

                        LE  .IIe.  S[OT]

       Chasson au loing ces gens peureulx

       Qui sont éfrayés de leur ombre.

                        LE  .IIIe.  S[OT]

       Ne prenons jamais garde au nombre,

       Mais au bon vouloir seullement ;

75   Car où la volonté ne ment,

       Tousjours est bonne l’entrepri(n)se.

.

                        LE  BADIN  entre                              SCÈNE  II

       À gens qui [n’]ont la barbe grise30

       Ne vous fiez, se me croyez ;

       J’entens de ceulx que vous voyez

80   Qui sont gris par la couverture31.

                        TOUS  ENSEMBLE

       Pourquoy cela ?

                        LE  BADIN

                                    Car de nature,

       Y sont prodigues de propos.

       Or, Dieu vous gard, les Sobres Sos !

       J’avoys omblyé32 à le dire.

85   Mais dictes-moy, avant que rire :

       Vous apelle-on pas ainsy ?

                        LE  .IIIIe.  S[OT]

       Ouy, vrayment : ailleurs et icy,

       Tousjours les Sobres Sos nous sommes.

                        LE  BADIN

       Je le croy. Mais estes-vous hommes

90   Ainsy c’un aultre, comme moy ?

                        LE  .Ve.  S[OT]

       Nénin, dea.

                        LE  BADIN

                             Nennyn ? Et pourquoy ?

       Que j’en sache l’intelligence.

                        LE  P[REMYER]  S[OT]

       Pource qu’il y a bien différence

       Entre badins, sages et sos.

95   Les badins ne sont pas vrays fos33,

       Mais ilz ne sont ne sos, ne sages.

                        LE  BADIN

       Je n’entens pas bien vos langages.

       Vous estes de ces sïeurs d’ais :

       Vous me semblez assez naudès34

100  Pour estre sortis de leur enge35.

                        LE  .IIe.  S[OT]

       Ne nous faictz poinct telle lédenge36,

       Ou tu te feras bien froter !

       Qu’esse que tu viens barboter37 ?

       Dis-nous tost que c’est qui te maine38.

                        LE  BADIN

105  Par la benoiste Madalaine !

       Y sont tous de la grand frarye39

       Des sïeurs d’ays. Saincte Marye,

       Que j’en voy, devant moy deboult40 !

       Deçà, delà, en bas41, partout,

110  Tout est perfumé de Sirye42.

                        LE  .IIIe.  S[OT]

       Tu es plain de grand moquerye.

       Le deable en emport le lourdault !

                        LE  .IIIIe.  S[OT]

       Mais gectons-lay43 de bas en hault !

       Doi-ge dire : de hault en bas44 ?

                        LE  P[REMYER]  S[OT]

115  Y fault bien qu’i parle plus bas,

       S’y ne veult se taire tout quoy45

                        LE  BADIN

       Je me tairay ? Gen46 ! je ne say.

       Vous estes tous sos, n’estes pas ?

                        LE  [.IIe.  SOT] 47

       Ouy, vrayment.

                        LE  BADIN

                                 A ! voi(e)cy le cas :

120  Sy vous estes sos en tout temps,

       Fault que soyez, comme j’entens,

       Sos par nature ou par usage.

       Un sot ne sera pas un sage ;

       Vous ne le serez donq jamais.

                        LE  .IIIe.  S[OT]

125  Povre badin, je te promais

        Qu’il ne t’apartient pas de l’estre48.

                        LE  BADIN

       Non, vrayment : car il fault congnoistre

       C’un badin qui ne pence à rien

       Sçayt plus d’honneur ou plus de bien

130  C’un sot ne sçayt toute sa vye.

                        LE  .IIIIe.  S[OT]

       Pour ce mot, j’airoys grand envye

       De te soufleter à plaisir !

                        LE  BADIN

       Vous n’en auriez pas le loisir.

       Ne faictes poinct sy lourde omosne :

135  J’ey maincte foys esté au prosne,

       Mais le curé n’en disoyt rien49.

       Or çà, messieurs, vous voyez bien

       Quelle prudence gist en eulx.

       Soufleter ? Dea ! alez, morveulx !

140  Un badin vault myeulx en chiant,

       Mengant, buvant, dansant, riant,

       Que ne font tous les sos ensemble.

                        LE  .Ve.  S[OT]

       Es-tu badin ?

                        LE  BADIN

                              Ouy, ce me semble.

       Suys-je tout seul donc ? Nennin, non :

145  Je sçay des gens de grand renon

       Qui le sont bien autant que moy,

       Pour le moins.

                        LE  P[REMYER]  S[OT]

                                 Pense un peu à toy50 !

       Tu ne sçays pas que51 tu veulx dire.

                        LE  BADIN

       Je ne sçay ? Mais voécy pour rire !

150  Je ne parle grec ne latin :

       Je vous dis que je suys badin.

       Et tel, souvent, on chaperonne52

       « Homme savant », à qui on donne

       Le bruict53 d’entendre bien les loix,

155  Qui est vray badin, toutefoys.

       Mais prenez54 qu’il n’en sache rien.

                        LE  .IIe.  S[OT]

       Coment se faict cela ?

                        LE  BADIN

                                          Trèsbien.

       Le veulx-tu sçavoir ? Or, escouste !

       Y ne fault poinct faire de doubte

160  Que l’homme qui a belle femme

       – Combien que sage on le réclame55,

       Bien estimé en plusieurs lieux,

       Qu’i soyt mys au nombre des dieux –,

       Eust-il cent mille frans de rente,

165  Sy sa femme ne se contente56,

       Il sera badin en tout poinct.

                        LE  .IIIe.  S[OT]

       Pour vray, je ne l’entendès poinct.

       (Je ne le pensoys pas sy sage.)

                        LE  BADIN

       Un sot – retenez ce passage –,

170  Fust-il au nombre des neuf Preux57,

       Sy d’avanture y vient aulx lieux

       Où il soyt congneu58 seulement,

       On luy dira tout plainement :

       « Un sïeur d’ays, luy ? C’est un sot ! »

175  Mais d’un badin, on n’en dict mot,

       Car partout on l’estime et crainct.

                        LE  .IIIIe.  S[OT]

       À ce coup, tu as bien atainct59.

       Or, parlons des fos, maintenant.

                        LE  BADIN

       Je le veulx bien, le cas avenant,

180  Que sy ma parolle est despite60,

       Je seray tousjour[s] franq et quicte,

       Comme le jour du Mardy gras61.

                        LE  .Ve.  S[OT]

       Tu mérite[s] le tour du bras62 ;

       Quicte seras, je t’en as[se]ure.

                        LE  BADIN

185  Je vous veulx compter en peu d’heure

       Un cas qui, puys huict jours en çà63,

       Est avenu, et [par deçà]64,

       D’un grand lourdault qui porte barbe.

       Contre luy, sa femme rebarbe65,

190  Luy faict balier66 la maison ;

       Souvent, el vous prent un tison,

       Luy gectant au travers la teste67,

       En luy faisant telle tempeste

       Tellement qu’i fault qu’il s’enfuye.

                        LE  P[REMYER]  S[OT]

195  C’est un des « docteurs de Sirye68 » :

       Il a souvent des poys [en grain]69.

       Dictes, a-il [poinct nom]70 Sandrin ?

       Sy je pouvoys sçavoir son non,

       Je luy feroys un tel renon,

200  Par Dieu, qu’il seroyt croniqué71 !

       Où, grand deable, s’est-il fiqué72 ?

       Se va-il jouer à son maistre73 ?

                        LE  .IIe.  S[OT]

       Mais, dictes-moy, peult-il poinct estre

       De nos paroissiens74, en somme ?

                        LE  BADIN

205  Luy, mon amy ? C’est un bon homme.

       Y n’est pas grain de Sainct-Vivien75 :

       Je vous dis en bon essien

       Qu’i n’y demoura de sa vye.

                        LE  .IIIe.  S[OT]

       On76 n’en parlons pas par envye,

210  Certainement je vous asseure !

                        LE  BADIN

       Avant qu’il soyt la demye-heure,

       Tout aultre vous m’estimerez

       Que ne pensez et penserez.

       Venons à ces fos77, il est temps.

                        LE  P[REMYER]  S[OT]

215  Nous aurons nostre passetemps,

       Pour le moins.

                        LE  BADIN

                                Nous avons des fos

       Qui n’ont cervelle ne propos.

       Çà78 ! s’y vous trouvent en la rue,

       Gardez-vous d’un coup de massue79,

220  Ou pour le moins, de leur poing clos !

       Ceulx-là sont très dangereulx fos,

       Et ne s’y frote qui vouldra.

                        LE  .IIe.  S[OT]

       Passons oultre, il m’en souvyendra

       D’icy à long temps, sy je puys.

                        LE  BADIN

225  Or çà, où esse que j’en suys ?

       A ! j’estoys aulx fos dangereulx.

       Il est des fos qui sont joyeulx,

       Comme Jouen, Pernot ou Josse,

       Qui n’ont pas la teste plus grosse

230  C’une pomme de capendu80.

       De ceulx-là, on en a vendu

       Cent escus ou deulx cens la pièce81.

       Ces sos-là sont plains de lyesse ;

       Ce sont singes en la maison.

235  Ilz ont mains82 de sens c’un oyson.

       Toutefoys, ce sont les meilleurs ;

       Et volontiers les grans seigneurs

       En ont, qu’i gardent chèrement.

                        LE  .IIIe.  S[OT]

       Ilz sont traictés humainement

240  Par le commandement du maistre.

                        LE  BADIN

       Par le cors bieu ! je vouldroys estre

       De ces folz-là en compaignye,

       Ou pour le moins, de la lygnye83 :

       Car ilz sont en tout temps requis.

245  Quant on voyt un sot bien exquis84

       Et qui est des folz l’outre-passe85,

       On en veult avoir de la race

       Ne plus ne moins que de lévrie[r]s.

                        LE  .IIIIe.  S[OT]

       Ceulx-là sont logés par fouriers86,

250  Quelque temps qui puisse venir.

                        LE  BADIN

       Y m’est venu à souvenir

       D’un homme, il n’y a pas long temps,

       Qui de sa femme eust sept enfans,

       Tous mâles, ainsy le fault-il croire.

255  Vendist le plus jeune à la foyre

       Beaucoup d’argent, cela est seur,

       Et jura à son achateur

       Que des sept, c’estoyt le plus sage ;

       Mais, par mon âme, pour son âge,

260  C’est le plus fol qu’on vist jamais !

                        LE  .Ve.  S[OT]

       Aulx aultres donq, je vous promais,

       N’y avoyt guères de prudence.

                        LE  BADIN

       Le marchant en eust récompence

       De sinquante ou soixante escus.

                        LE  P[REMYER]  S[OT]

265  Et d’aultres fos, n’en est-il plus ?

       Or sus, amy, faictz ton devoir !

                        LE  BADIN

       Messieurs, je vous fais asçavoir

       Qu’il est des folz acariâtres,

       Estourdis et opiniâtres

270  Comme femme qui vent harens87.

       Ceulx-là ont beaucoup de parens

       Qui sont quasy aussy fos qu’eulx.

       J’en nommeroys bien un ou deulx,

       Sy je vouloys ; mais chust, chust, mot !

275  Je suys badin, et non pas sot88 ;

       Ces sos que voyez maintenant

       L’eussent nommé incontinent,

       Car ilz sont « sobres », ce dict-on.

                        LE  .IIe.  S[OT]

       Je te prye, oste ce dicton :

280  Nous ne parlon que sagement.

                        LE  BADIN

       Je croy bien ; mais c’est largement89,

       Et ne vous en sariez garder.

       On ne saroyt par trop farder

       Le penser qu’on a sur le cœur.

285  A ! messieurs, sy je n’avoys peur

       Qu’on me serrast trop fort les doys,

       En peu de mos, je vous diroys

       Des choses qui vous feroyent rire.

                        LE  .IIIe.  S[OT]

       À ces jours-cy, y fault tout dyre

290  Ce qu’on sayt : on le prent à bien.

                        LE  BADIN

       Par sainct Jehan ! je n’en diray rien,

       Y m’en pouroyt venir encombre.

                        LE  [.IIIIe.  SOT] 90

       Vien çà ! En sçays-tu poinct le nombre91 ?

       De le sçavoir il est besoing.

                        LE  [.Ve.  SOT]

295  Qui les peult esviter de loing

       Est, en ce monde, bien heureulx.

                        LE  P[REMYER]  S[OT]

       Ceulx qui se peuvent moquer d’eulx

       Font bien du ramyna-gros-bis92.

                        LE  BADIN

       S’on les congnoissoyt aulx abis,

300  Et c’un chascun portast massue,

       Je croy qu’i n’y a, à Rouen, rue

       Où on n’en trouvast plus d’un cent93.

                        LE  .IIe.  S[OT]

       Ton parler me semble dessent,

       Et qui resjouyst les souldars94.

                        LE  .IIIIe.  S[OT]

305  Parlons des glorieulx cocars95 ;

       Ce sont sos de mauvaise grâce.

                        LE  BADIN

       Quant on voyt ces fos en la face,

       Et s’on leur donne le loysir

       D’estre escoustés, c’est le plaisir !

310  Mais y se fault garder de rire.

                        LE  .Ve.  S[OT]

       Et qui les vouldroyct contredire

       Ne seroyt pas le bien venu.

                        LE  BADIN

       Cétuy-là seroyt fol tenu,

       Aussy bien que le glorieulx.

                        LE  P[REMYER]  S[OT]

315  Je suys grandement curieulx

       D’avoir les aultres en mémoyre96.

                        LE  BADIN

       En poursuyvant, il vous fault croire

       Que les folz qu’on nomme subtilz

       Et ingénieux sont gentilz

320  Et plains de récréations.

       Ilz trouvent des inventions

       Sy parfondes97, en leurs espritz,

       Qu’en donnant foy à leurs escriptz98,

       Y sont cousins germains de Dieu99 !

                        LE  .IIe.  S[OT]

325  Je désire sçavoir le lieu

       Dont viennent ces fos que vous dictes.

                        LE  BADIN

       Je croy que jamais vous n’en vîtes.

       Et sy100, n’en sçay rien toutefoys,

       Car il s’en trouve aulcune foys101 ;

330  Mais c’est bien peu, comme je pence.

                        LE  .IIIe.  S[OT]

       Sy ne sont-y pas sans prudence.

                        LE  .IIIIe.  S[OT]

       Laisses-lay parler : c’est à luy !

                        LE  BADIN

       C’est assez, tantost, pour mèshuy102 :

       Encor[e] dis ou douze mos.

335  Venons maintenant à ces fos

       Qui sont mutins103 et obstinés.

       Ces fos, sy bien le retenez,

       Ce sont ceulx (ainsy que l’on dict)

       Qui se font bruller à crédit

340  Pour dire : « C’est moy qui babille !

       Je suys le reste de dix mille,

       Qui pour le peuple voys104 mourir. »

                        LE  .Ve.  S[OT]

       On ne gaigne guère à nourir

       Ces gens-là, qui sont sy mutins.

                        LE  BADIN

345  Ny Grectz, ny Ébreutz, ne Latins105

       Ne me feront croyre au parler

       Qu’i se faille laisser bruller.

       Bren, bren, bren ! Y n’est que de vivre !

                        LE  P[REMYER]  S[OT]

       Or sus, sus ! y nous fault poursuyvre ;

350  C’est assez parlé de telz veaulx.

                        LE  BADIN

       Y fault parler des fos nouveaulx106 :

       Messieurs, n’en vistes-vous jamais ?

       On en void tant, en ce Palais,

       Qui les uns les aultres empeschent !

355  Les uns vont, les aultres despeschent107 ;

       Les uns escoustent ce qu’on dict108 ;

       Les aultres sont encor au lict,

       Qui despeschent tousjours matierre

       Et par-devant, et par-derierre.

360  Et de cracher gloses et loix

       Aussy dru que mouches de boys109 !

       J’entens110 ceulx qui sont aprentys :

       Incontinent qu’i sont sortis

       Hors d’Orliens ou de Potiers111,

365  Quoter112 y vouldroyent volontiers ;

       Toutefoys, y sont sy morveulx

       Que, de cent, on n’en voyt pas deulx

       À qui ne faille baverète.

                        LE  .IIe.  S[OT]

       Cela leur sert d’une cornète

370  Pour contrepéter113 l’avocat.

                        LE  BADIN

       Chacun veult estre esperlucat114,

       Pour estre estimé davantage.

                        LE  P[REMYER]  S[OT]

       Tout homme qui s’estime sage,

       Il doibt estre fol réputé.

                        LE  .IIe.  S[OT]

375  C’est assez des fos disputé,

       Des sos et des badins aussy.

                        LE  .IIIe.  S[OT]

       Il est temps de partir d’icy :

       Ce badin nous faict arager !

                        LE  BADIN

       Par Dieu ! j’oseroys bien gager

380  Que la pluspart de tous ces gens

       Qui nous sont venus veoir céans

       Pour escouster nos beaulx propos

       Sont sïeurs d’ays, ou folz, ou sos

       (Prenez lesquelz que vous vouldrez).

                        LE  .IIIIe.  S[OT]

385  Je croys bien. Mais vous nous tiendrez

       Plus sages que badins ou fos,

       Ne ferez pas ?

                        LE  BADIN

                                Ouy. À propos,

       Je t’ay dict en d’aulcuns passages115

       Que sos ne séroyent estre sages ;

390  Mais badins le pevent bien estre.

                        LE  .Ve.  S[OT]

       C’est abus : y sera le maistre,

       Car il est par trop obstiné !

                        LE  P[REMYER]  S[OT]

       A ! c’est un badin afiné116,

       On le congnoist apertement117.

                        LE  BADIN

395  Y fault bien parler aultrement118

       De nostre sïage ; à quant esse ?

                        LE  .IIe.  S[OT]

       A ! tu nous eslourdes119 sans cesse ;

       Veulx-tu poinct changer ton propos ?

                        LE  BADIN

       Sÿeurs d’ays ne sont en repos. 120

400  Sÿeurs d’ays sont en grand détresse.

                        LE  .IIIe.  S[OT]

       A ! tu nous eslourdes sans cesse.

                        LE  BADIN

       Y sont logés cheulx leur mêtresse121,

       Qui leur torche122 bien sur le dos.

                        LE  .IIIIe.  S[OT]

       A ! tu nous eslourdes sans cesse ;

405  Veulx-tu poinct changer ton propos ?

                     LE  BADIN

       Nostre procès n’est encor clos :

       J’ay bien aultre chose à plaider ;

       Car je veulx un petit larder123

       Cinq ou sis qui sont cy présens.

410  Ilz ont grand nombre de parens

       Logés chascun jour cheulx leur maistre124.

                        LE  .Ve.  S[OT]

       Y vauldroict myeulx s’en aller paistre

       Qu’estre sy martir marié !

       Quant un homme est sy harié125,

415  Il est bien fâché de sa vye.

                        LE  BADIN

       Mon amy, c’est une farye126

       Que de femmes ; car il est dict

       Et en leurs grans Livres escript :

       In usu de quelongnybus127.

420  De leur rien dire128, c’est abus.

       S’ilz se prennent129 par les costés,

       Y fault que bien tost vous trotez :

       Avisez l’huys de la maison130 !

       Ne dictes mot, c’est bien raison ;

425  Y seront mêtresses, pour vray.

                        LE  P[REMYER]  S[OT]

       Et ! je sçay bien que je feray.

       Sy je suys hors de mariage,

       Je puisse mourir de la rage

       Sy je m’y reboulte131, beau syre !

430  Le mectre hors132 ? Dea, qu’esse à dyre ?

       Et ! c’est trop faict de la mêtresse133 !

       Et sy, n’oseroyt contredire ?

       Le mectre hors ! Dea, qu’esse à dire ?

       Par Dieu ! je me mectroys en ire134

435  Et la turoys ! A ! la tritresse135 !

       Le mectre hors ? Dea, qu’esse à dire ?

       Et ! c’est trop faict de la mêtresse !

       Or ne m’en faictes plus de presse136,

       Car je seray le maistre, en somme.

                        LE  BADIN

440  Y fault que la teste [il] luy sonne137,

       S(y) el ne veult se taire [tout] quoy138.

                        LE  .IIe.  S[OT]

       Je feray bien aultrement, moy :

       De peur de me trouver aulx coups,

       Sang bieu, je m’enfuyray tousjours,

445  Car je ne veulx estre batu.

                        LE  BADIN

       Tu me sembles un sot testu.

       Et ! n’as-tu poinct d’aultre courage ?

       Mon amy, sy ta femme arage,

       Arage deulx foy[s] contre elle une139,

450  Et te saisist de quelque lune140

       Qui sente Colin du Quesnay141,

       En luy disant : « Jen ! sy j’en ay142,

       Vous arez cent coups contre deulx ! »

                        LE  .Ve.  S[OT]

       Quant un homme est prins aulx cheveulx,

455  Comme esse qu’il en chevira143 ?

       Le deable emport qui s’y fira !

       Y vault myeulx s’en courir bien loing.

                        LE  BADIN

       Comment ? N’avez-vous pas un poing

       Qu’on apelle Martin Baston144,

460  Pour faire paix en la maison ?

       Mais gardez d’estre le plus fièble145.

                        LE  P[REMYER]  S[OT]

       Myeulx vauldroict assaillir un deable

       Que d’assaillir aucunes146 femmes !

                        LE  BADIN

       Aulx bonnes ne faisons difemmes147,

465  Qu’i148 ne le prennent pas en mal ;

       Mais, qui veult149 dire en général

       Le bien, l’honneur et la prudence

       Que l’on veoit aulx femmes de France,

       Ce seroyt grand confusion.

.

470  Sÿeurs d’ays, pour conclusion,

       Sans vous tenir plus long propos,

       Sont plus sages que fos ne sos ;

       Et ne peult estre convaincu

       Sïeur d’ays que d’estre cocu.

475  Mais à vous tous je m’en raport[e]…

       Tout le monde est de telle sorte ;

       Y n’en fault poinct prendre d’ennuy.

       Chantez, c’est assez pour mèshuy !

.

                                                 FINIS

*

1 Le Théâtre français avant la Renaissance, 1872, pp. 429-437.   2 Recueil général des Sotties, t. 3, 1912, pp. 45-77.   3 LV : v galans  (Il n’y a aucun rôle de Galant dans cette œuvre. L’index personæ n’est presque jamais de l’auteur. On lit au-dessous : le premy galant comence)   4 Je suis pris : je suis cocu. Cf. le Tesmoing, vers 350.   5 LV alterne systématiquement le 1er sot, le 2e, le 3e, le 4e, et le 5e.*  Mais le copiste a redonné par erreur la seconde réplique au 1er Sot ; du coup, il a cafouillé jusqu’au vers 2. Voir l’illustration.  *Ce schéma mécanique sera rompu à cinq reprises sans qu’on puisse déceler la moindre lacune.   6 Je porte des cornes.   7 Je modèle ma femme comme si elle était en cire. Cf. Raoullet Ployart, vers 186.   8 Saurait (même normandisme aux vers 56, 61, 389). On reprochait aux maris complaisants de s’enrichir grâce aux amants de leur épouse.   9 Le peuple de cette ville, qui n’a ni pain ni vin, « pour ce que l’année [1535] fut si fort pluvieuse, et furent les blédz et vignes coulléz ». (Cronique du roy Françoys, premier de ce nom.) Les Français se plaignaient d’être moins bien traités que les étrangers, en l’occurrence les Italiens bichonnés par François Ier.   10 La censure –dont il est encore question aux vers 285-292– pouvait prendre des formes assez brutales.   11 LV : compte  —  Rime suivante : conte   12 Il dut abandonner le conte [le récit] qu’il était en train de faire, à cause de la censure.   13 Voudrait être mis au rang des malheureux sots devenus si riches. « Sots malheureux, Sots misérables,/ Sots mariés, Sots amoureux,/ Sots maistres comme sïeux d’ais. » Monologue des Nouveaulx Sotz (je montre le texte original parce que l’édition de Montaiglon le rend méconnaissable).   14 À son premier état : à l’Âge d’or.   15 Qui récoltent du salpêtre sur les parois humides. On en faisait de la poudre à canon.   16 Auront beaucoup de travail. « Les princes voisins dudict royaulme [de France], tant des Allemaignes, Espaigne que Italye, se armoyent et faisoyent de grands préparatifz pour la guerre. » Cronique du roy Françoys.   17 On permet que tel courtisan garde la tête hors de l’eau. « Soutenir le menton : Manière de parler pour dire protéger, ou favoriser. » Le Roux.   18 S’il ne changeait pas son naturel pour flatter ses soutiens. Nous arrivons à un exercice de style fort goûté des auteurs de sotties : l’écriture en « menus propos » ; c’est un enchaînement de coq-à-l’âne greffés sur des distiques dont le second vers fournit la première rime au prochain intervenant, pour soulager sa mémoire.   19 Que les rames des galères auraient tant fait parler. Le 21 juillet 1535, Charles Quint et les galères occidentales avaient conquis Tunis, libérant 20 000 chrétiens réduits en esclavage par les barbaresques. Toute la France fut admirative, excepté son roi qui, jaloux de l’empereur espagnol, avait refusé de se joindre aux européens.   20 C’est parce que les fanatiques musulmans.   21 En ce mois de février 1536, François Ier venait à nouveau de se déshonorer vis-à-vis du monde chrétien en signant avec les Turcs un « traité des capitulations », par lequel l’empire ottoman accordait un « droit de pavillon » aux bateaux français qui faisaient du commerce en Méditerranée. Pour parvenir à ses fins, le roi dut offrir au sultan une tiare qui avait coûté aux contribuables la bagatelle de 115 000 ducats.   22 Qu’à être montrés. En septembre 1534, l’explorateur Jacques Cartier était venu montrer à François Ier deux jeunes Iroquois vêtus de leur costume tribal.   23 On retourne à Tunis, et aux Arabes enflammés par leur religion.   24 Dans la place forte de La Goulette, qui protégeait Tunis.   25 Le croissant, l’emblème des musulmans.   26 Inconvénients.   27 Caricaturer quelqu’un. Cf. le Dorellot, vers 251.   28 Un trait d’esprit.   29 Au cabinet. Cf. le Retraict. Jeu de mots sur « rester en retrait », comme François Ier quand il n’avait pas voulu prendre part à la coalition européenne montée par Charles Quint.   30 Aux hommes qui se teignent la barbe. « L’aultre fera sa barbe taindre/ En noir, pour faire la fanfare [pour fanfaronner]. » Blason des barbes.   31 Par leur chevelure.   32 Oublié (normandisme).   33 Précisons une fois pour toutes que les sos sont les sots, et que les fos sont les fols. Cette sottie est importante parce qu’elle nous fournit une nomenclature détaillée des Sots (personnages de théâtre), des fous (psychopathes, simples d’esprit et bouffons), des sages (fous qui s’ignorent), et des badins (demi-fous). Malheureusement, cette nomenclature n’a été mise en pratique que par l’auteur de la présente pièce.   34 Niais. Naudet est le nom d’un badin dans plusieurs farces, notamment le Gentil homme et Naudet.   35 De leur engeance, de leur race.   36 Injure.   37 Marmonner.   38 Ce qui t’amène ici.   39 Confrérie.   40 Que la représentation ait lieu dehors ou dedans, les spectateurs restaient debout.   41 Au bas de l’estrade : les hommes qui composent le public font évidemment partie de la grande famille des scieurs d’ais.   42 Jeu de mots sur la « scierie » des scieurs d’ais. Idem vers 195. Édouard Fournier flaire là un calembour scatologique sur « parfumé de chierie ».   43 Jetons-le. On retrouve le pronom normand lay [le] au vers 332.   44 En le faisant dégringoler de l’estrade.   45 Tout coi, pour toujours.   46 Abréviation normande de : « Par saint Jean ! » Idem vers 452. Cf. Jehan de Lagny, vers 153.   47 LV : ve   48 Que tu n’es pas digne d’être un sot comme nous.   49 Ne disait pas de donner une aumône sous forme de gifle. Le Badin s’adresse maintenant au public.   50 Parle pour toi.   51 Ce que.   52 On qualifie. Le chaperon fourré est la coiffure des hommes de loi : nous sommes dans le Palais de justice de Rouen, où travaillent les basochiens qui jouent cette pièce.   53 La réputation.   54 Admettons.   55 On le clame, on le déclare.   56 Ne se contente pas de lui et prend un amant.   57 Hector, Alexandre le Grand, Jules César, Judas Macchabée, le roi David, le roi Arthur, Charlemagne, Roland, Godefroy de Bouillon.   58 Connu en tant que sot.   59 Tu as touché juste.   60 Rejetée, censurée.   61 Ce jour-là, les acteurs de sotties avaient plus de liberté d’expression que d’habitude. Voir les vers 289-290. Le Badin prend ses précautions au cas où l’on croirait qu’il s’attaque à François Ier.   62 Qu’on tourne le bras : qu’on tourne le pouce, en signe de condamnation.   63 Il y a 8 jours.   64 LV : de pieca  (De ce côté-ci : dans les environs.)   65 Est rébarbative, regimbe.   66 Balayer. Émile Picot publie une Chanson nouvelle des Scieurs d’ais, dans laquelle un mari dominé par sa femme se plaint : « Tous les jours, sans faute,/ Je balie la maison. »   67 Le lui jetant en travers de la tête. En 1521, François Ier avait reçu un tison brûlant sur la tête ; depuis, ce « grand lourdaud » de 1,98 m portait la barbe.   68 On donne ce titre à des docteurs de l’Église dont le plus connu est saint Luc.   69 LV : landrin  (Sa femme lui fait manger des pois crus. Cf. le Capitaine Mal-en-point, vers 248-9 et note.)   70 LV : non poinct  (Correction Picot.)  Sandrin est le diminutif d’Alexandre ; or, les flatteurs comparaient François Ier à Alexandre le Grand.   71 Que les auteurs de satires parleraient de lui.   72 Fiché (normandisme).   73 Se jouer à = copuler avec ; cf. Guillerme qui mengea les figues, vers 238 et 240. Le « maître » est l’épouse dominatrice, comme au vers 411, ou la « maîtresse » dans tous les sens du terme. Il est vrai qu’Anne de Pisseleu, la favorite royale, avait son petit caractère.   74 Un scieur d’ais, comme nous.   75 Il n’est pas du tout de Saint-Vivien. Cette paroisse de Rouen abritait les « purins », la plèbe des ouvriers du textile. Le fastueux François Ier n’a donc aucun rapport avec ce quartier ; sauf que, dans le ms. La Vallière, la farce rouennaise qui suit notre sottie a pour titre : Farce joyeuse des Langues esmoulu[e]s pour avoir parlé du Drap d’Or de Sainct-Vivien. Le camp du Drap d’Or, en 1520, restait pour le peuple un sommet indépassable du gaspillage royal : « Tel se moque du Drap d’Or (…),/ Qui n’a vaillant une estamyne/ Quant ses debtes seront payés. » Les Langues esmoulues, LV 65.   76 Nous. Ce « purinisme » révèle que celui qui l’emploie est né à Saint-Vivien.   77 LV : sos  (Le « s » et le « f » sont presque identiques.)  Le badin parle maintenant des vrais fous, puis des attardés mentaux que les grands de ce monde embauchent comme bouffons.   78 LV : car   79 De marotte. Idem vers 300.   80 Variété de pomme rouge. Triboulet, le bouffon de René d’Anjou, était microcéphale : voir la note 78 des Vigilles Triboullet.   81 Pour la somme de 100 ou de 200 écus chacun.   82 Moins (normandisme).   83 De leur lignée.   84 Remarquable.   85 L’apogée.   86 Sont bien logés.   87 Sur le caractère buté des harengères, voir l’Antéchrist et Grant Gosier.   88 Au théâtre et dans les palais royaux, seuls les Sots pouvaient s’exprimer sans aucune limite, puisqu’ils étaient fous. De nouveau, le Badin s’adresse au public.   89 Vous parlez abondamment.   90 LV : ve s  (Interversion avec la rubrique suivante, que j’ai corrigée : iiiie s)   91 Le nombre des fous, qui est infini, comme nul ne l’ignorait : « Stultorum infinitus est numerus. » L’Ecclésiaste.   92 Sont des personnages importants. « Font-ilz du raminagrosbis ? » Maistre Mymin qui va à la guerre.   93 D’une centaine.   94 En réalité, ce qui réjouissait les soudards était rarement décent…   95 Des prétentieux imbéciles.   96 Que vous me rappeliez les autres types de fous.   97 Profondes, pénétrantes.   98 Que si on en croit leurs livres. Le poète qui a composé ce texte n’épargne pas la folie proverbiale de ses confrères.   99 C’est un des points communs entre les poètes et les ivrognes : « Qui bien boit (dire le vueil)/ Tant que la larme vient à l’œil,/ Ceulx sont cousins germains de Dieu. » Sermon joyeux de bien boire.   100 Et cependant.   101 On en voit quelquefois.   102 Pour maintenant. Idem vers 478.   103 Mutinés, révoltés. Idem vers 344. Nous arrivons aux fous de Dieu.   104 Vais. Picot consacre une longue note aux protestants rouennais qui choisirent le bûcher plutôt que l’abjuration : « Le 5 mai 1535, un hérétique qui se disait “le promis de la Loi”, fut brûlé à Rouen…. C’est lui peut-être qui avait prononcé les paroles rapportées dans la sottie. »   105 Aucun protestant. La connaissance de ces trois langues permettait un accès direct aux écrits bibliques, enfin débarrassés de l’exégèse catholique. « Quand cest Hébrieu, Grec et Latin/ Rendirent en prose et en vers/ Le pot aux roses descouvers. » (Satyres chrestiennes de la cuisine papale.) « Ce Grec, cest Hébreu, ce Latin/ Ont descouvert le pot aux roses. » (Clément Marot.)   106 À la mode.   107 Bâclent les procès.   108 Nous espionnent.   109 « Les mouches de jardin ou de bois volent par bandes ou essaims. » M. Perrault.   110 J’entends discourir.   111 Des facultés de droit d’Orléans et de Poitiers. Pantagruel (chap. 5), qui a fréquenté les deux, affirme que leurs étudiants ne font rien d’autre que « banqueter à force flacons », ou « danser et jouer à la paulme ».   112 LV : quoy  (Coter : gloser un texte de loi. « Ès décretz ne ès Droitz cotéz. » Guillaume Coquillart.)   113 Contrefaire. La cornette est le chaperon qui coiffe les avocats ; voir la note 4 du Testament Pathelin. L’écharpe de cette cornette, enroulée autour du cou, est ici comparée à un bavoir.   114 Porteur de perruque : juge. Voir la note 29 du Poulier à sis personnages.   115 À un certain moment : au vers 123.   116 Fin, rusé.   117 On le voit clairement.   118 Un autre jour.   119 Tu nous étourdis. Cf. la Veuve, vers 240.   120 N’ayant pas vu qu’il recopiait un triolet, le scribe ajouta ce vers pour rimer avec le précédent.   121 Chez leur femme, qui est le véritable maître de la maison.   122 Frappe. « Torche ! Frappe ! » Colin, filz de Thévot.   123 Piquer.   124 Chez leur femme (note 121).   125 Malmené.   126 Une féerie, un prodige. (Mes prédécesseurs ont lu furye.) « Dieu ! voicy faerie ! » Jolyet.   127 Les clercs de justice, qui parlent très bien le latin, se moquent ici des femmes, qui l’ignorent mais qui en font des livres. Quelogne = quenouille. De l’usage des quenouilles est à rapprocher des Évangiles des Quenouilles.   128 Si on leur dit quelque chose.   129 LV : fument  (Si elles mettent leurs poings sur leurs hanches dans une posture frondeuse, comme la Grosse Margot : « Par les costés se prent cest antécrist./ Crie, et jure par la mort Jhésucrist/ Que non fera ! » François Villon.)   130 Prenez la porte ! « Advisez l’huis ou la fenestre ! » Resjouy d’Amours.   131 Si je m’y remets. « Il n’eut garde de se rebouter en mariage ! » (Cent Nouvelles nouvelles.) Cf. la Veuve, vers 193.   132 Mettre son mari dehors, comme au vers 423.   133 Elle joue trop à la patronne.   134 En colère, si j’étais à la place du mari expulsé.   135 La traîtresse.   136 N’insistez pas.   137 Qu’il lui frappe sur la tête comme sur une cloche.   138 Tout coi. Voir le vers 116.   139 Enrage deux fois plus qu’elle.   140 Foucade, coup de folie.   141 Prononciation normande du chenet. Cette pièce métallique de la cheminée pouvait servir à battre une femme en cas de besoin : « S’estant saisi de l’un des chenets du foyer, il voulut en descharger un coup sur le dos de Clorinde. » (Oudin de Préfontaine.) Colin du Chenet est donc l’alter ego de Martin Bâton (vers 459). La commune normande de Portbail possède encore aujourd’hui une rue Colin du Quesnay.   142 Par saint Jean ! si je reçois des coups. (Mes prédécesseurs et mes successeurs ont lu : J’en ay, j’en ay.)   143 Qu’il viendra à bout de sa femme.   144 Cf. la farce de Martin Bâton qui rabbat le caquet des femmes.   145 Gardez-vous d’être le plus faible du couple. Rime avec « dièble » : « Dièbles d’enfer. » La Muse normande.   146 Certaines.   147 Diffamation, injures.   148 Qu’elles.   149 Si on voulait.

FRÈRE PHILLEBERT

Ms. La Vallière

Ms. La Vallière

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FRÈRE

PHILLEBERT

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Beaucoup de farces n’auraient pas vu le jour si une chanson ne leur avait servi de point de départ : le Ribault marié, le Povre Jouhan, le Bateleur, Jehan de Lagny, Régnault qui se marie à La Vollée, etc. Une chanson intitulée la Pauvre Garce a motivé l’écriture de cette farce picarde du XVIe siècle.

Le mot « garce », qui désigne une fille, n’est pas forcément péjoratif : « Les vieilles gens, parmy le menu peuple, disent la pauvre garce pour la pauvre fille. » (Gilles Ménage.) Une garce peut même être vierge : « La povre garse, cognoissant assez qu’on la menoit à la boucherie de sa chasteté & pudicité, & au dernier supplice de la fleur de sa virginité. » (F. de Belleforest.) C’est d’ailleurs sa virginité qui rend malade notre pauvre garce : elle souffre d’une maladie que les auteurs comiques appellent la « trop-fille ». Besogne-faite en est atteinte, de même que la Fille égarée. Nous remarquerons que toutes les victimes de ce terrible fléau sont des chambrières. Mais heureusement, elles se soignent ! D’ailleurs, nous avons sans doute là une de ces farces de carabins qu’on jouait dans les facultés de médecine, où l’humour potache et irrévérencieux était de mise1.

Voici la chanson de LA POVRE GARCE. À gauche, la version originale de Guyard2 ; à droite, la parodie de Janequin3. Je surligne les passages repris par l’auteur de la pièce.

       M’y levay, par ung matin,                            M’i levay par ung matin :

       Plus matin que l’alouette.                            Ne pouvois dormir seulette.

       M’en entray en ung jardin                            Descendis en mon jardin

       (Tan ouist, tan gay, tan farelarigoy)           Pour cuillir la violette.

       Pour cueillir la violette.                                Je trouvai le mien amy

       (Ouistan, ouistegay, gay, gay !)                  (Tant fringant, gay, tant frire larigay),

       Vray Dieu ! qu’elle est malade,                Qui me coucha sur l’herbette.

       Hé, Dieu, la Povre Garce !                        (Gai, tout gay, et la la la !)

       M’en entray en ung jardin                            Hellas ! qu’ell’ est malade,

       Pour cueillir la violette ;                               La Povre Garce !

       Là trouvay le mien amy                                 Je trouvai le mien amy,

       (Tan ouist, tan gay, tan farelarigoy),           Qui me coucha sur l’herbette.

       Qui me pria d’amourette.                              Il me leva mon coutron4

       (Ouistan, ouistegay, gay, gay !)                   Et aussi ma chemisette ;

       Vray Dieu ! qu’elle est malade,                 Il débrida son moreau5

       Hélas, la Povre Garce !                               (Tant uistant, gay, tant frire larigay),

                                                                          Qui avoit la bouche fresche.

                                                                          (Gai, tout gai, et la la la !)

                                                            Hellas ! qu’ell’ est malade,

                                                            La Povre Garce, la Povre Garce !

Source : Manuscrit La Vallière, nº 63. Le nombre anormalement élevé des indications scéniques me fait croire que le scribe a recopié le livret d’un chef de troupe.

Structure : Rimes plates, avec 4 triolets, et 4 sixains sur deux refrains alternés.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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*

Farce  nouvelle  de

Frère  Phillebert

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À .IIII. personnages, c’est assavoir :

       FRÈRE  FILLEBERT 6

       LA  VOY(E)SINE

       LA  MAISTRESSE

       PERRÈTE  [POVRE-GARCE] 7

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*

                     FRÈRE  FILLEBERT 8  commence         SCÈNE  I

       C’est bien vray dict ; en chascun lieu,

       L’on dict : « Qui est aymé de Dieu

       Est aymé du monde. » N’est mye9 ?

       Aussy je ne me soulcye mye.

5     Et puysque je suys en Sa grâce,

       Moy, mes parens, tous de ma race

       Avons la lumyère divyne

       Pour guérir tous maulx qu’on devygne10

       Car il n’y a, en ceste ville,

10   Médecin, tant soyt-il habille11,

       Qui sceût donner alégement

       À la Povre Garce, vrayment.

       Mais en brief temps12, je me faictz fort

       Qu’el aura, par moy, bon « confort13 ».

15   Ainsy donques, pour abréger,

       En ce lieu me viens héberger14

       Pour luy ordonner15 guérison.

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                     LA MÊTRESSE DE LA POVRE GARCE  entre.16

       Voysine !                                                                SCÈNE  II

                     LA  VOYSINE  entre.17

                         Plaist-il ?

                     LA  MÊTRESSE

                                           Devison

       De ceste povre créature

20   Qui n’ust jamais biens de Nature :

       Qu’est-il possible de luy faire18 ?

                     LA  VOYSINE

       Y fault penser à son afaire,

       Qu’el ne soyt pas ainsy débille19.

                     LA  MAÎTRESSE

       Il est renom20, en ceste ville,

25   D’un nommé frère Fillebert21.

       Mais il n’est Trubert ne Hébert22

       Guillebert, Robert ne Lambert

       Qu’incontinent ne remédye

       À guérir toute maladye.

30   Alons le veoir.

                     LA  VOYSINE

                                Sus, qu’on desmarche23 !

       S’y peult guérir la Povre Garce,

       Ce sera plaisir faict à vous.

       Alons !

                     LA  MÊTRESSE

                      Menons-la quant et nous24,

       Afin qu’el soyt hors de tristesse.

35   Perrète25 !

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                     PÉRÈTE  POVRE-GARCE  entre.          SCÈNE  III

                          Plaist-il, ma mêtresse ?

                     LA  MÊTRESSE

       Vien avant26, et faict[z] ton urine !

                     FRÈRE  FILLEBERT 27

       (Dieu luy doinct « chose » qui se dresse !)

                     LA  MÊTRESSE

       Pérète !

                     PÉRÈTE

                       Plaist-il, ma mêtresse ?

                     LA  VOYSINE

       Mais où luy tient tant de détresse ?

                     PERRÈTE

40   C’est au cœur [et] à la pouét(e)rine28.

                     LA  MÊTRESSE

       Perrète !

                     PÉRÈTE

                       Plaist-il, ma mêtresse ?

                     LA  MÊTRESSE

       Vien avant, et faict[z] ton urine !

                     PÉRÈTE  aporte un urinal.29

       Voyes, en voécy dens une verrine30,

       Que j’ey faicte nouvellement.

                     LA  VOYSINE

45   Voyez, sa couleur poinct ne ment :

       Elle a deisjà le vière fade31.

                     FRÈRE  FILLEBERT

       (Hélas !)

                     LES  DEULX  FEMMES  chantent :

                        Vray Dieu ! qu’elle est mallade,

       Hélas, d’aymer, la Povre Garce ! 32

                     FRÈRE  FILLEBERT

       (Voycy à gaigner33 ! J’os34 l’estrade.

50   Hon, hon !)

                     LES  FEMMES,  en chantant :

                            Vray Dieu, qu’elle est malade !

                     PERRÈTE

       Il n’y a chant, rondeau, ballade35

       Qui me donne joye ; tout me fâche.

                     FRÈRE  FILLEBERT

       (Hélas !)

                     LES  FEMMES  chantent :

                        Vray Dieu ! qu’el est mallade,

       Hélas, d’aymer, la Povre Garce !

                     Pérète toust 36, et sa mêtresse tient son front.

                     LA  MÊTRESSE

55   Hardiment tousse fort et crache !37

                     LA  VOYSINE

       En efect, il y fault pourvoir38.

                     PERRÈTE

       Han ! Dieu, le cœur !39

                     LA  MÊTRESSE

                                             Allons, pour veoir

       Ce bon médecin sy expert.

       Car vous voyez bien qu’il apert

60   Qu’elle a le povre cœur failly.

                     LA  VOYSINE

       Sus donques, qu’il soyt assailly !

       Devant40 ! l’honneur vous apartient.

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                     LA  MÊTRESSE                                     SCÈNE  IV

       Voycy le lieu où il se tient.

       Y nous fault heurter à la porte.

65   Holà !

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                     FRÈRE  FILLEBERT 41                         SCÈNE  V

                  Qui esse  ?

                     LA  VOYSINE

                                       L’ on vous aporte

       L’urine de la Povre Garce.

       Il42 n’y a lieu, place ne marche

       Où on sceût médecin trouver

       Qui son sçavoir puisse esprouver

70   Pour aulcunement43 la guérir.

       Voyez.

                     FRÈRE  FILLEBERT,  la regardant :

                     Elle44 est presqu’au mourir.

       Sa maladye est fort diverse45.

                     LA  MÊTRESSE,  en soupirant :

       Ne la sauriez-vous secourir ?

       Voyez.

                     FRÈRE  FILLEBERT

                     Elle46 est presqu’au mourir :

75   Car la mort en peult encourir,

       Sy el ne tumbe à la reverse47.

       Voyez, elle est presqu’au mourir.

       Sa maladye est fort diverse.

                     LA  VOYSINE

       Que luy fault-il ?

                     FRÈRE  FILLEBERT

                                    Qu’elle « converse »

80   Avec le gerre48 masculin

       Vitement, soyt Pierre ou Colin49.

       Car je vous dy sans moquerye :

       Sans cela, jamais n’est guérye.

       Que je voye un petit vostre œuil…

85   Y fault bien acomplir mon veuil,

       Ou jamais vous ne guérirez.

                     PÉRÈTE

       An ! Dieu, le cœur !

                     FRÈRE  FILLEBERT

                                         [Le cul]50 ! Vous rirez,

       Mais que vous soyez hors d’esmoy51.

       Or, venez çà ! Parlez à moy :

90   D’où vient ce mal qui vous conteste ?

                     LA  MÊTRESSE

       Dy hardiment !

                     PERRÈTE

                                 C’est de la teste,

       Dont je ne puys prendre liqueur52.

       Puys il me vient descendre au cœur,

       Et cela me respont53 à l’ayne.

                     FRÈRE  FILLEBERT

95       Au cul !

                     [LA  MÊTRESSE]

                          O ! saincte Marye Madeleine !

       Je le disoys bien, gnegnegnie54 !

       Ne l’avoys pas [donc devygnie]55 ?

       A ! Povre Garce !

                     LA  VOYSINE

                                     Mais, beau sire,

       [Ouvrez-en]56 ainsy que de cyre,

100  Et monstrez vostre habilité57.

                     FRÈRE  FILLEBERT

       A ! s’el a une foys lysté

       Avec le malle58, je sçay bien

       Que son mal ne viendra qu’en bien59.

                     LA  MÊTRESSE

       Or sus, donq, plus ne babillon60 !

                     FRÈRE  FILLEBERT   prent ses lunètes,

                     puys escript une recepte61.

105  « Recepte pour le cotillon62

       Que la Povre Garce a perdu :

       Y fault qu’el face un tortillon63.

       Recepte pour le cotillon. »

                     En parlant à eux 64 :

       Prengne le galant bastillon65 !

110  [Qu’il] féra[i]lle66, ou qu’il soyt pendu !

                     En luysant 67 :

       « Recepte pour le cotillon

       Que la Povre Garce a perdu. »

       Sy l’un d’eulx se trouve esperdu68,

       L’un sera pour l’autre enseigner

115  Que bien tost la convyent seigner69.

       Puys après, fera gargarin70

       D’un bon clistère barbarin71.

       Et pour luy remplir bien ses vaines,

       La fault seigner entre deulx aynes72

120  Tant qu’elle en puisse estre assouvye.

                     TOUTES  TROYS  ensemble

       Sainct Jehan ! Dieu vous doinct bonne vye !

                     FRÈRE  FILLEBERT

       Après, s’il vient quelque chalant73,

       Vitement prengne le gallant74 !

       Et garde bien qu’il ne s’absente

125  Le jour, la nuyct, tant qu’il s’en sente75

       Depuys la teste jusqu(es) à l’ongle.

                     TOUTES  TROYS  ensemble

       Dieu vous doinct bonne vie et longue !

                     FRÈRE  FILLEBERT

       En après, sans plus de recorps76,

       Prenne le galant par le corps.

130  Qu’il sache gaser comme un gay77,

       Et bien faire farlarigoy78

       Jusqu(es) à tant qu’elle soyt ravie.

                     TOUTES  TROYS

       Sainct Jehan ! Dieu vous doinct bonne vye !

                     FRÈRE  FILLEBERT

       Puys, pour acomplir ma recepte79,

135  Prenne le gallant (je l’acepte) ;

       Et qu’il face bien « ouyste ouyste80 »

       En remuant le cul bien vite.

       Mais gardez bien qu’il ne soyt hongre81 !

                     TOUTES  TROYS

       Dieu vous doinct bonne vie et longue !

                     LA  MÊTRESSE

140  Frère Fillebert, mon amy,

       Voi(e)là deulx escus et demy ;

       Vous prendrez en gré82, s’il vous plaist.

                     FRÈRE  FILLEBERT

       Encor ferai-ge le souplaist

       À cul ouvert83 et sens rassis,

145  Vous disant cent mille mercis.

       Mais c’est le souverain remède

       De prendre le galant fort royde,

       À povre garce ou jeune fille.

       Et que le galant bien frétille,

150  Pour luy garir sa maladye.

.

       Vous priant84, à chascun, qu’on dye

       Un petit motet85 de chanson,

       Voullez-vous pas ?

                     LA  VOYSINE

                                       Ouy, commençon.

       Je seray bien aise d’ouÿr

155  Bien chanter, pour me resjouyr.

       En prenant congé de ce lieu,

       Une chanson pour dire « à Dieu » !

.

                                           FINIS

*

1 Voir la note 51 du Pèlerinage de Saincte-Caquette.   2 Vingt et huyt Chansons musicales, imprimées l’an mil cinq centz trente et troys, au moys de mars, par Pierre Attaingnant.   3 Il secondo libro de Canzon francese a quatro voci di Clément Janequin. (Antonio Gardano, 1560.)   4 Mon cotteron : mon cotillon, mon jupon. « [Je] la jettis dessus le jonc,/ Luy levis son cotteron. » (M’amye, voulez-vous dancer.)   5 Il libéra de sa braguette son pénis. Au sens propre, le moreau est un cheval noir.   6 Ce nom est orthographié « Fillebert » tout au long de la pièce, mais « Phillebert » dans le titre, qui n’est jamais de l’auteur. Ce charlatan a beau se faire appeler « frère », ce n’est pas plus un homme d’Église qu’un homme de science.   7 LV : venes tost  (Perrette Venez-tôt est elle-même un personnage de chanson et de farce : cf. Jehan de Lagny. Mais la nôtre se nomme Perrette Pauvre-garce, comme en témoigne le vers 35.)   8 Vêtu en médecin, il se dirige vers la maison où travaille Perrette Pauvre-garce.   9 N’est-ce pas vrai ? Non : plusieurs proverbes affirment exactement le contraire. « L’homme ne peult en mesme temps esre aymé de Dieu & du monde ensemble. » François de Belleforest.   10 Qu’on devine sans que j’aie besoin de les préciser. Il s’agit des maladies honteuses que soigne la Fille bastelierre aux vers 172-210.   11 Habile.   12 Dans peu de temps.   13 Un « con » fort, capable de résister aux assauts de ses amants. Cf. le Sermon pour une nopce, vers 105.   14 Planter.   15 Prescrire par ordonnance.   16 Entre en scène, comme aux deux occurrences qui vont suivre. L’employeuse de la chambrière Perrette sort dans la rue et appelle sa voisine. Philebert se cache à proximité.   17 Elle sort de chez elle et rejoint sa commère dans la rue.   18 Que pouvons-nous faire pour Perrette ?   19 Affaiblie.   20 LV : onm   21 La réputation de ce charlatan dépasse même la ville : « La belle Gribouille, accompaignée de la Péronnelle, & de frère Philbert (de quoy l’on parle tant en France). » Les Croniques admirables du puissant roy Gargantua.   22 Il n’y a nul malade.   23 Qu’on se mette en marche.   24 Avec nous.   25 L’employeuse, qui est dans la rue, appelle sa servante par la fenêtre, où elle apparaît.   26 Viens ici. L’urine est la première chose qu’examinait un médecin : cf. la Seconde Moralité, vers 223-227.   27 Caché près de là, il commente en aparté l’action qui se déroule sous ses yeux.   28 À la poitrine. Le ms., copié en Normandie, revendique cette graphie locale : « La pouétrine m’est sy enflée ! » Sermon pour un banquet.   29 Elle rejoint les deux femmes dans la rue, avec une carafe d’eau trouble à la main.   30 Dans un flacon de verre.   31 Le visage pâle. Cf. Frère Frappart, vers 128.   32 « L’aultre jour m’en chevauchay,/ Tant uistz, tant gay, tant farelarigay…./ Hé ! Dieu, la Pouvre Garse, hélas, qu’elle est malade ! » (Brian Jeffery, Chanson verse of the early Renaissance, II, p. 124.) Voir aussi H. M. Brown, Music in the french secular theater, pp. 135-136 et nº 300.   33 Il y a là de l’argent à gagner.   34 J’ois, j’entends : je connais l’art du pillage.   35 Pour soulager la chambrière de Tout-ménage, qui souffre du même mal que Perrette, on lui dit : « Vous me semblez bien fort malade ;/ Vous fault-il chanson ne ballade/ Pour vous esjouir ? »   36 Tousse. Sa patronne vérifie alors si elle a de la fièvre.   37 Saisi par le virus de la poésie, mais peu au fait de ses règles, le copiste a ajouté dans la marge de gauche : frere fillebert    gare le pet   38 Il faut faire quelque chose pour elle.   39 Après avoir copié le vers 87, le scribe est revenu ajouter dans la marge de gauche : frere fillebert dict    helas le cul   40 Marchez devant, cet honneur vous est dû. « Allons, marche devant, l’honneu’ t’apartien ! » (L’Agréable conférance de deux Normans.)  Philebert retourne vite chez lui.   41 Il vient sur le pas de sa porte.   42 LV : qui   43 En quelque manière.   44 LV : du soroboro elle  (Un acteur a défiguré ce triolet avec des formules magiques vaguement latines. Celle-ci fait référence au personnage biblique Zorobabel, qui assurera le succès de l’Homme à mes pois.)  Tout récemment, Jody Enders* a émis l’intéressante hypothèse qu’il pourrait s’agir de l’ouroboros, le symbole alchimique du serpent qui se mord la queue.  *Immaculate Deception and Further Ribaldries, University of Pennsylvania Press, 2022, p. 167.   45 Redoutable.   46 LV : da usque me he / el  (Voir la note 44.)   47 Elle risque de mourir, si elle ne se couche pas sous un homme. Cf. Jehan de Lagny, vers 21. « Se je ne tumbe à la renverse,/ Je sçay bien que je mourray. » (On dit que le mal de dents.)   48 Le genre masculin : les hommes.   49 Peu importe avec qui.   50 LV : helas le cul / et tant  (Voir le vers 95.)   51 Quand vous serez hors de danger.   52 De la force. « Force n’ay plus, substance ne liqueur. » François Villon.   53 Rejaillit.   54 LV : que qnengne  (Juron qui sert de refrain à la Pauvre Garce. « Gnygnegnies !/ Hé ! Dieu, la Pouvre Garse !/ Hélas, qu’elle est malade ! » Jeffery, II, 124.) Il s’agit d’une des altérations euphémiques du juron « je regnie ! » [je renie Dieu]. Selon le même principe, « sacré nom de Dieu ! » finira par donner scrongneugneu, et « nom de Dieu ! » aboutira au rogntudjuu que connaissent tous les lecteurs de Gaston Lagaffe.   55 LV : dict deuygne  (Ne l’avais-je donc pas devinée ? Voir le vers 8. Nous avons là une terminaison purement picarde.)   56 LV : ouures nen  (En œuvrer comme de cire : à la perfection. « Ilz en œuvrent comme de cire », dit maître Pathelin à propos des médecins.)   57 Votre habileté. Dans Jénin filz de rien, un autre charlatan vante son « habilité et science ».   58 « Lutté » avec un mâle. Cf. Guillerme qui mengea les figues, vers 240.   59 Ne pourra que s’améliorer.   60 Ne perdons plus de temps à des bavardages.   61 La recette tient le juste milieu entre l’ordonnance médicale, la formule alchimique, et le grimoire des sorcières. Maistre Doribus en fourgue de semblables aux naïfs : « Recepte pour quelque mignon/ Qui aura les cheveux caducques…./ Femmes qui ont les fesses molles :/ Recepte pour les faire dures. »   62 Le jupon : c’est le « coutron » que chante Janequin (v. ma notice). Ce curieux triolet, qui ne s’intègre à la pièce ni par le fond, ni par la forme, pourrait être une chanson préexistante.   63 LV : bastillon  (Au lieu d’enlever sa jupe pour faire l’amour, au risque de la perdre, il faut qu’elle l’enroule sur son ventre.)   64 Aux étudiants et aux médecins qui composent le public. Cette didascalie et la suivante furent notées après coup dans la marge de gauche.   65 LV : bataillon  (Que le galant prenne le bastion de Perrette !)  Dans la phraséologie érotico-militaire, le pucelage est un « bastion » que la femme doit défendre et que l’homme doit prendre de force.   66 Qu’il s’active de son braquemart. On pendait les déserteurs : cf. Troys Gallans et Phlipot, vers 435. Le verbe ferrailler, cantonné au jargon de la soldatesque, n’a été admis en littérature qu’au XVIIe siècle.   67 En lisant son ordonnance.   68 Ne sait pas ce qu’il doit faire.   69 Qu’il faut lui déchirer son hymen.   70 Elle fera un gargarisme, mais avec une autre cavité que sa bouche…   71 « Et je lui bauldray ung clistoire/ Qu’on dit barbarin. » (Chagrinas.) Cette expression ne désigne pas uniquement la sodomie : « Donner un barbarin clystère/ Par devant, et non par derrière,/ À quelqu’une. » Le Pasquil des cocus.   72 Entre les cuisses. « Qu’il nous donnast deux ou troys chartées de ses filles (…) pour les saigner (respondit Frère Jan) droict entre les deux gros horteilz. » Rabelais.   73 Ami, client.   74 Que Perrette prenne vite ce galant.   75 Tant et si bien qu’il s’en ressente.   76 Sans plus de discours. Cf. le Ramonneur de cheminées, vers 164.   77 Jaser comme un geai (double picardisme). On mettait ces oiseaux en cage pour leur apprendre à parler : cf. le Monde qu’on faict paistre, vers 163 et note.   78 LV : faire larigoy  (Voir la chanson de Guyard dans ma notice.)  « J’avisay son jolys con/ –Tant miste, tant gay, tant falarigoy/ Qui avoit la barbe faicte…./ Et ! Dieu ! qu’elle est malade,/ Hélas, la Paovre Garse ! »  Jeffery, II, p. 223.   79 Mon ordonnance.   80 Onomatopée qui sert de refrain à la Pauvre Garce : « Ouistan, ouistegay ! » (Guyard.) « Tant uistz, tant gay, tant farelarigay,/ Mon chemin droict à Salette,/ Tant voistz, tant voiste, gnygnegnies !/ Hé ! Dieu, la Pouvre Garse !/ Hélas, qu’elle est malade ! » (Jeffery, II, 124.) « Je la gettay sur l’herbette, oette, oette…./ Et ! Dieu, qu’elle est malade,/ Hélas, la Povre Garse ! » (Jeffery, II, 223.) Ces graphies flottantes pourraient renvoyer à l’expression picarde « faire ouste à ouste » : faire sans précaution, grossièrement. Cf. le Dictionnaire rouchi-français, de Hécart.   81 Châtré.   82 Vous les accepterez.   83 Je ferai le souple, en effectuant une profonde révérence. « La révérence à cul ouvert/ Je fais. » Chambrière à louer, à tout faire.   84 LV : prians   85 Quelques mots.

LE POULIER à quatre personnages

Ms. La Vallière

Ms. La Vallière

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LE  POULIER

à  quatre  personnages

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Le manuscrit La Vallière contient deux farces normandes du XVIe siècle qui se nomment le Poulier [le poulailler] : celle-ci, à quatre personnages, et une autre, fort différente, qui compte six personnages. Le Poulier à quatre personnage est un digne ancêtre du théâtre de Boulevard : dès que la femme infidèle crie « Ciel, mon mari ! » (ou en l’occurrence : « Voici mon mari ! »), son amant se cache dans un poulailler, faute de placard.

En 1616, Béroalde de Verville réutilisa la scène des « jamais » (vers 230-263) :

On hurta à la porte assez espouventablement. Lors elle, comme surprise : « Hélas, Monsieur, où vous mettrez-vous ? Je suis perdue ! » D’autre costé, on frappoit, disant : « Ouvrez-moy, Françoise, ouvrez vistement ! Je suis mort ! Je te prie, ouvre viste ! » Elle crioit : « Mon mary, je me lève en si grand haste que je ne sçay que je fay. » Cependant, elle aydoit au curé à monter sur un travers [une soupente] où les poules nichoyent. Cela fait, comme tout hors de soy, elle vint ouvrir la porte à son mary, & luy dit : « –Et où allez-vous si tard ? Il est belle heure de venir ! –Ha ! m’amie, excusez-moy. Je suis mort. Ne te fasche point. Tu ne me verras plus guère, je me meurs. Envoyez quérir monsieur le curé, que je me confesse. » Il se tenoit le ventre auprès du feu comme s’il eut eu la colique, & faisoit semblant parfois de s’esvanouyr. Il fait appeller des voisins à l’aide, qui s’assemblent à le réconforter, & le mettent sur un lict à terre. Mais il ne faisoit plus que souspirer, & dire : « –Jamais, jamais… –Hé ! compère, prenez courage. –Jamais… –Ce ne sera rien. Or sus, mon amy ! Là, aydez-vous. –Jamais… –Il faut avoir monsieur le curé. –Jamais… –Il vous dira quelque bonne parole. –Jamais… –Encor ne faut-il pas se laisser ainsi aller. –Jamais… –Il semble que vous ne nous cognoissiez point. –Jamais… –Voilà mon compère cetuy-cy, mon cousin cettuy-là, qui vous sont venus voir. –Jamais… » Quand presque toute la parroisse fut assemblée, & que l’on lui va dire : « Or çà, compère, debout ! Allons au lict, vous y serez mieux. Et bien, que vous faut-il ? » Adonc, jettant les yeux & dressant la main vers le curé, il va dire : « Jamais je ne vy un tel jau1 avec mes poules. » <Le Moyen de parvenir, chap. 69.>

Source : Manuscrit La Vallière, nº 45.

Structure : Rimes aabaab/bbcbbc, abab/bcbc, rimes plates, avec un triolet.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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La  farce  du

Poulier

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À quatre personnages, c’est assavoir :

       LE  MARY 2

       LA  FEMME

       et  L’AMOUREULX

       et  LA  VOYSINE

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                        L’AMOUREULX 3  commence et dict :

       Est-il [donc] un plus grand plaisir                            SCÈNE  I

       Que de joÿr à son désir

       D’une dame de bonne grâce,

       Au lict aveq elle gésir,

5     Et l’acoler à son loysir

       Pendant qu’on a lieu ou espasse4 ?

       Je croys que non et, sans falasse5,

       [Poinct ne vouldroys laisser ma place.]

       Par une, mon cœur est ravy ;

10   De la baiser, poinct ne m’en lasse.

       En la voyant, je me solasse6.

       C’est la plus belle qu(e) onques vy.

       Mais elle a un sot de mary :

       De l’ostel n’eslongne7 d’un pas.

15   Sang bieu ! je le feray mar[r]y.

       Sans luy, je feroys bien mon cas8.

       Sy perdre debvoys9 mon repas,

       Je feray encore un voyage

       Par-devant son logis.

.

                        LE  MARY 10                                       SCÈNE  II

                                         Je gaige

20   Que c’est l’un de nos amoureulx ;

       Je ne séroys dormir, pour eulx11 :

       Il ne cessent toutes les nuictz.

       L’un viendra heurter à mon huys,

       Puys l’autre à mes fenestres rue12 ;

25   L’un sifle ou chante amy13 la rue.

       C’est pityé, je n’ay nul repos.

       Encore, sy j’en tiens propos

       À ma femme, elle me veult batre.

       « Quoy ! (faict-elle), laissez-les esbatre :

30   Ce sont jeunes gens. » Quel raison !

       Mais [qu’ont à faire ma]14 maison,

       Ma rue, ma fenestre ou ma porte,

       Ma femme [ou] moy, qu’on leur aporte

       Telz réveillemens, sur la nuyct ?

35   Par la mort ! cela trop me nuyt.

       Mais s’il advient c’un je rencontre,

       Je luy bailleray mal encontre15,

       Me deust-il couster cent escus16 !

       Le grand deable y ayt part, aulx cus !

40   Je dis : ceulx qui sont plains de noise17,

       Comme celuy de ma bourgoise.

       Mais sy j’en veulx avoir raison,

       Tenir18 me fault en ma maison

       Afin d’en garder le pissot19.

.

                        LA  FEMME 20                                    SCÈNE  III

45   Femme qui a un mary sot

       Est bien malheureuse, en ce monde.

       J’en ay un (que Dieu le confonde !)

       Sot, malaustru21 et tant jaloux !

       Que menger le puissent les loups !

50   Je ne séroys22 avoir loysir

       D’acomplir en rien mon plaisir.

       Contemplez un peu sa manyère.23

.

                        LE  MARY                                           SCÈNE  IV

       D’où venez-vous ?

                        LA  FEMME

                                     De là-derière,

       D’aruner24 un peu mon ménage.

                        LE  MARY

55   Par la mort bieu ! vous faictes rage

       D’aler. Tenez-vous à l’ostel25 !

                        LA  FEMME

       Qui vist jamais un homme tel

       Que vous ? Mais quant je vous escouste,

       Il semble que soyez en doubte

60   De moy26.

                        LE  MARY

                          A ! par ma foy, non suys !

       Mais toutesfoys, sy je poursuys27,

       Et28 qu’en poursuyvant…

                        LA  FEMME

                                              Quoy ?

                        LE  MARY

                                                           Rien, rien,

       Vous estes trop femme de bien ;

       Mais le cul…

                        LA  FEMME

                             Quoy ?

                        LE  MARY

                                          Il est honneste,

65   Je n’en dis mot.

                        LA  FEMME

                                 Estes-vous beste !

       Je m’ébaÿs que n’avez honte.

                        LE  MARY

       Ma mye, sy j’ey la langue prompte

       À dire quelque petit mot,

       Il n’y a icy que vous qui m’ot29.

70   Mais sy j’en trouvès un…

                        LA  FEMME

                                                [Un quoy]30 ?

       N’est poinct vostre esprit à requoy31 !

                        LE  MARY

       N’en parlons plus, et nous taison.

                        LA  FEMME

       Il me semble qu’il fust saison

       De nous estorer32 de pourceaulx :

75   Y nous en fault deulx ou troys beaulx

       Pour nostre estorment33.

                        LE  MARY

                                               In Jehan34, voyre !

                        LA  FEMME

       Irez-vous demain à la foyre35,

       Mon amy, veoir s’on en aron36 ?

                        LE  MARY

       Ouy, ouy, nous y aviseron.

                        LA  FEMME

80   Ou gardez icy37, et g’iray.

                        LE  MARY

       Non feray, tudieu38, non feray !

       G’y veulx aler moy-mesmes. Mais…

                        LA  FEMME

       Et ! tousjours a son entremais39.

       Dea ! n’arez-vous jamais repos ?40

                        LE  MARY

85   Pourquoy leur tenez-vous propos ?

                        LA  FEMME

       À qui ?

                        LE  MARY

                     Je n’en parle plus. Mais…

                        LA  FEMME

       Quel « mais » ?

                        LE  MARY

                                 Qu’i n’y viennent jamais !

       Gardez-vous de les escouter.

                        LA  FEMME

       Vous vous voulez donques doubter41

90   De moy ?

                        LE  MARY

                        Je ne daigneroys42 ! Mais…

                        LA  FEMME

       Quel « mais » ? Quel « mais » ?

                        LE  MARY

                                                         Je vous promais

       (Touchez là43 !), sy je les tenoys,

       Sans espargner foyble ne fort,

       Je ruroys tant que je pouroys

95   Dessus : « Tip ! Toup ! Tap ! Tu es mort ! »

                        LA  FEMME

       Sans confession44 ?

                        LE  MARY

                                       Droict ou tort45.

       Et pour tant46, qu’il vous en souvyenne !

                        LA  FEMME

       Je garderay bien qu’il n’en vienne

       Pièce47 céans.

                        LE  MARY

                                Je vous en prye,

100  Se n’en voulez estre marrye :

       Je les turoys tous sans pityé !

                        LA  FEMME

       Je ne vous cherches qu’amytié ;

       Tout vostre bon plaisir feray.

                        LE  MARY

       Çà donc, de l’argent48 ! Et g’iray,

105  À la foyre, des pourceaulx quère.

                        LA  FEMME

       Or tenez ! Et alez grand erre49,

       Afin que vous revenez d’heure50.

.

                        L’AMOUREULX 51                             SCÈNE  V

       Mon homme s’en va grand aleure52.

       Je m’en voys53 visiter sa femme,

110  Puysqu’il est party.

.

                                       Bon jour, Dame !                    SCÈNE  VI

       Et54 ce mary, il est en voye ?

                        LA  FEMME

       Pour l’amour de vous, je l’envoye

       À la foyre, mon amy doulx ;

       Car il est de moy tant jaloux

115  Qu’il ne s’oze alongner55 d’un pas.

                        L’AMOUREULX

       Ma doulce amye, croyez d’un cas56

       Que j’ey faict plus de mile tours57

       Par cy-devant, depuys huict jours,

       Désirant fort à vous parler ;

120  Mais tousjours le voyès aler

       Ou venir à l’entour de vous.

                        LA  FEMME

       Il en faict autant tous les coups,

       Tant est plain de sote folye.

.

                        LE  MARY                                           SCÈNE  VII

       Au ! vertu goy58, voécy la pluye !

125  Bren ! Et le temps estoyt tant beau !

       Je m’envoys quérir mon chapeau :

       D’estre mouillé seroys marry.59

.

                        LA  FEMME                                        SCÈNE  VIII

       Mon amy, voécy mon mary !

                        L’AMOUREULX

       Et ! vertu bieu, que ferons-nous ?

                        LA  FEMME

130  Métez-vous souldain à genous

       Icy, soublz ceste couverture60.

                        L’AMOUREULX

       Voécy pour moy male adventure.

       Le deable en emport le vilain !

.

                        LA  FEMME 61                                    SCÈNE  IX

       Où retournez-vous sy souldain ?

135  Av’ous62 amené un pourceau ?

                        LE  MARY

       Je venoys quérir mon chapeau,

       Car vous voyez, le temps se brouille ;

       Et puys, vous savez, la pluye mouille.

       Je le veulx porter, puysqu’i pleust.

                        LA  FEMME

140  Et esse tout ce qui vous meust63 ?

       Tenez, le voélà. Que d’ensongne64 !

                        LE  MARY

       Voécy une belle besongne :

       Que faict cy ceste couverture ?

                        LA  FEMME

       Laissez-la, sote créature !

145  Alez où vous devez aler !

                        LE  MARY

       Non feray, tu as beau parler !

       Je la65 veulx remectre en son lieu.

                        LA  FEMME

       Et ! non ferez, sire, par Dieu !

       On en puisse avoir froide joye66 !

                        LE  MARY

150  Et pourquoy ?

                        LA  FEMME

                               Je ne veulx pas qu’on voye

       En ce poinct mes67 nécessités.

                        LE  MARY

       Je congnoistray vos vérités,

       À ce coup-cy !

                        LA  FEMME

                                Estes-vous yvre ?

       Je prye à Dieu qu’i m’en délivre !

155  Puysqu’il vous fault conter l’afaire,

       Là-dessoublz sont tous mes menus68

                        LE  MARY

       Quelz menus ? D’où sont-ilz venus,

       Ces menus ? Hau ! et qu’esse à dire,

       Ses menus ? Je n’en congnoys nus.

160  « Ses menus » ? Voécy [bien] pour rire !

                        LA  FEMME

       Mais vous le fault-il tant redire ?

       Ce sont mes menus drapelés.

       Quant ilz sont [sy] sales et lais,

       Encores les fault-il blanchir69.

                        LE  MARY

165  Bien, va, je te laisse ves[t]ir70.

       Je voys parfaire mon voyage.

                        LA  FEMME

       Et alez !71

.

                          Que la male rage                                  SCÈNE  X

       M’en puisse bien tost despescher72 !

       Sortez dehors, mon amy cher.

170  J’ey eu pour vous belle bésarde73.

                        L’AMOUREULX

       Que le feu sainct Anthoine74 l’arde !

       Je n’en seray d’une heure asseur75.

       Je n’ay membre qui ne me tremble.

       Que debvons-nous faire, ma seur76 ?

                        LA  FEMME

175  Y nous fault banqueter ensemble77 ;

       C’est le meilleur, comme il me semble.

       Je voys aprester le dîner.

.

                        LE  MARY                                           SCÈNE  XI

       Au ! voécy bon pour retourner :

       Quant mes afaires je recordes78,

180  Je n’ay poinct aporté de cordes

       Pour mes deulx pourceaulx amener.

       Y fault à l’hostel retourner

       En quérir.79

.

                        LA  FEMME                                        SCÈNE  XII

                             Jésus ! Mon amy,

       Voécy revenir mon mary !

185  La Mort m’en puisse despescher !

                        L’AMOUREULX

       Et où me pourai-ge cacher ?

       Pleust à Dieu qu’i fust en la bière80 !

                        LA  FEMME

       Entrez souldain icy derière81,

       Et montez à nostre poulier.

                        L’AMOUREULX

190  La fièbvre le puisse relier !

       Y me donne bien de la paine.

.

                        LA  FEMME                                        SCÈNE  XIII

       Mais qui esse qui vous ramaine ?

       D’aler et venir ne cessez.

                        LE  MARY

       Et, [in] Jen ! g’ay82 du trouble assez.

195  Puysqu’il fault que je le recorde83,

       J’avoys omblyé84 une corde

       Pour [nos deulx pourceaulx]85 amener ;

       C’est ce qui86 me faict retourner.

       S’y s’enfuy[oy]ent, je les perdroye.

                        LA  FEMME

200  On en puisse avoir male joye !

       Et esse tout ce qu’il vous fault ?

       J’en voys quérir une là-hault.

                        LE  MARY

       Va tost87 !

                        LA  FEMME

                          Atendez-moy à l’uys.

.

                        LE  MARY 88                                       SCÈNE  XIV

       À l’uys ? Non feray, sy je puys.

205  À l’uys ? Vertu bieu, qu’esse à dire ?

       À l’uys ? À l’uys ? Voécy pour rire !

       À l’uys ? Et ! je feray89 le deable !

       À l’uys ? Voécy pas bonne fable ?

       À l’uys, vilaine ? À l’uys, infâme ?

210  « À l’uys ! », faict ma deable de femme.

       « À l’uys ! » Il y a quelque chose90

       À l’uys91 fault entrer, mais je n’ose :

       Se c’est un homme de courage,

       Y m’enpongnera au visage.

215  À l’uys. Mot92 ! je [le vay]93, en traïson,

       Atendre à l’uys de ma maison :

       [S’il vient] à l’uys, par le grand Dieu,

       Le feray mourir en ce lieu !

       Voélà une trop grosse honte94

220  A ! vertu bieu, voécy mon compte !

       À l’uys95 ! Voélà un de mes gens96.

       À l’uys ! Et ! venez-vous céans

       Humer les œufz de nos guélines97 ?

       Y me fault faire bonnes mynes,

225  Mais que98 des cordes el m’aporte.

.

                        LA  FEMME                                        SCÈNE  XV

       Tenez, en voélà une bien forte ;

       C’est assez pour en lier deulx.

       Hastez-vous bien tost, car je veulx

       Nous estorer mieulx qu’onques-mais99.

                        LE  MARY 100

230  Jamais, jamais, jamais, jamais…

                        LA  FEMME

       Et pourquoy ? Voécy la saison

       Qu’i fault estorer la maison

       De blé, de lard, je vous promais.

                        LE  MARY

       Jamais, jamais, jamais, jamais…

                        LA  FEMME

235  Hélas ! et qu’esse qui vous poinct101 ?

       Hau ! mon amy, parlez-vous poinct ?

       Av’ous faily à vos amès102 ?

                        LE  MARY

       Jamais, jamais, jamais, jamais…

                        LA  FEMME 103

       Hélas ! à l’ayde, bonnes gens !

240  Mon mary est troublé de sens !

       Venez tost icy, je vous prye !

.

                        LA  VOISINE 104                                 SCÈNE  XVI

        Et ! qu’esse ?

                        LA  FEMME

                              Mon mary, ma mye :

       Hélas ! je cuyde qu’il afolle105.

                        LA  VOISINE

       Alez, alez, vous estes folle,

245  Voisine ! Ne vous tuez mye.

                        LA  FEMME

       Hélas ! [ma] voisine, ma mye :

       Voécy un piteulx entremais106.

                        LE  MARY

       Jamais, jamais, jamais, jamais…

                        LA  VOISINE

       Hélas ! mon voisin, mon amy :

250  Seignez-vous107, c’est quelque ennemy

       Qui ne vous veult laisser en pais.

                        LE  MARY

       Jamais, jamais, jamais, jamais…

                        LA  FEMME

       Hélas ! mon amy, bon courage !

       Pour vous je feray un voyage

255  À Sainct-Mary108, je vous promais.

                        LE  MARY

       Jamais, jamais, jamais, jamais…

                        LA  VOISINE

       Ma voisine, courez bien vite109 :

       Alez quérir de l’eau bénite,

       Car je croy qu’i voyt le Mauvais.

                        LE  MARY

260  Jamais, jamais, jamais, jamais,

       Jamais ne me fusse doubté

       Qu’i se fust au poulier bouté

       Pour faire pondre nos guélines.

                        LA  VOISINE

       Et ! qu’esse qu’il110 montre par signes ?

265  Nostre Dame ! Et ! esse cela ?

                        [LE  MARY]

       Sus, sus ! Sortez, galant, de là !

       Maintenant serez chaponné111 !

                        LA  FEMME

       Hélas ! il est tout estonné,

       Le povre homme : y n’y pence poinct112.

270  Mais je vous veulx dire le poinct

       Pourquoy en ce poulier s’est mys.

       Deulx gros ribaulx, ses ennemys,

       Le cachoyent113 à grans coups d’espée ;

       La teste luy eussent coupée,

275  S’y ne l’eust gaigné au courir114.

       Et pour le povre secourir,

       Je l’ay faict entrer en ce lieu.

       Et m’a pryé, au nom de Dieu,

       Que je ne l’encuse115 à personne.

280  Aussytost est venu un homme

       Le chercher, son baston tout nu116,

       Sy furé117 que s’y l’eust tenu,

       Y l’eust tué et despesché.

                        LE  MARY

       A ! vertu bieu, c’est trop presché !

285  Vous ne m’en ferez plus mouler118.

       Çà ! hastez-vous de dévaler119,

       Que je ne vous face descendre !

                        L’AMOUREULX 120

       Pour Dieu, veuilez-leur donc deffendre

       [D’entrer : ce]121 sont mauvais garçons !

                        LA  VOISINE

290  Encor fault-il que nous sachons

       Le débat122.

                        L’AMOUREULX

                             Pour un coup d’espieu123

                        LE  MARY

       Estes-vous monté de par Dieu ?

       Or124, dessendez de par le deable

       (Puysqu’il fault que tant je m’endiable125) !

295  Santo126 santorun, dessendez !

                        L’AMOUREULX

       Pour l’honneur de Dieu, atendez

       Qu’i soyent bien loing de la maison !

                        LE  MARY

       Et ! vertu bieu, que de blason127 !

       Et ! alez faire vostre plaincte128 !

                        L’AMOUREULX

300  Non feray. Je n’ay poinct de craincte :

       Mais que j’aye l’espée au poing,

       Je ne les doubte près ne loing129.

       Sang bieu, je leur rompray les dens !

                        LE  MARY

       A ! voécy mes bateurs de gens.

305  Je puisse estre de mort oultré

       Se maintenant n’êtes chastré !

                        LA  FEMME 130

       Hé, mon mary !

                        LA  VOISINE

                                 Hé, mon voisin !

       Hélas, et ! c’est vostre cousin,

       Bien prochain de vostre lygnage131.

                        LE  MARY

310  Et ! vertu bieu, quel cousinage !

       C’est donc[ques] lignage de cul.

       Cousin, me faictes-vous coqu ?

       A ! je vous feray fauverète132.

       Et ! vertu bieu, langue safrète133 !

315  Mais quoy, vous le venez deffendre ?

       Et ! vous avez le cul134 trop tendre,

       De par tous les grandz deables, commère135 !

                        LA  VOISINE

       Çà ! vous avez tort, mon compère.

       Pour Dieu, cessez ceste querelle !

                        LE  MARY

320  Et ! vous en estes maquerelle136,

       De par tous les grands deables, voyre !

       Vous servez pour avoir à boyre :

       Vostre nés en est tout violet.

                        LA  VOISINE

       Maquerelle ? Ce mot est let137 !

                        LE  MARY

325  Par sainct Jehan, sy le faictes paindre138 !

                        L’AMOUREULX

       Vous avez tort, cousin.

                        LE  MARY

                                           Tant gaindre139,

       Morbieu ! Et ! y revenez-vous ?

                        LA  VOISINE

       On nous debv(e)royt meurdrir140 de coups,

       De nous laisser tant lédenger141.

330  Sus, voisine, sans calenger142,

       Qu’i me soyt de coups tout noircy143 !

                        LE  MARY 144

       Mes amys, je vous crye mercy,

       Au nom de Dieu et des apostres !

                        LA  VOISINE

       Que dis-tu ?

                        LE  MARY

                            Tous mes biens sont vostres !

                        LA  VOISINE

335  Suis-je telle comme tu dys145 ?

                        LE  MARY

       Sy j’ey rien dict146, je m’en desdis.

       Pour Dieu, laisson tous ces débas !

                        LA  FEMME

       Je te mectray en Paradis147 !

                        LE  MARY

       Sy j’ey rien dict, je m’en desdis.

                        [L’AMOUREULX]

340  [Quoy ! tu m’injuries]148 ou mauldis,

       Mon cousin, à cause du « bas149 » ?

                        [LE  MARY]

       Sy j’ey rien dict, je m’en desdis.

       Pourdieu, laisson tous ces débas !

       Tout est à vous, et hault et « bas » :

345  N’espargnez poinct nostre maison.

                        L’AMOUREULX

       Grand mercy, cousin !

                        LE  MARY

                                           C’est raison.

       Couvrez-vous150 ! (Il n’y a de quoy151,

       Dont y me fault taire tout quoy152.)

.

       Pour congnoistre et venir à fin,

350  Il n’y a homme, tant soyt fin,

       Et tant [e]ust-il la teste fine153,

       Que fine femme, en fin, n’afine154.

       Et ! pour oster nostre mérenc[o]lye155,

       Une chanson, je vous emprye !

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                                      FINIS

*

1 Les éditions donnent « Jan », et de fait, le curé adultère s’appelle messire Jan. Mais le « jau » est un coq, mieux à sa place dans un poulailler : « Ils n’auroient pas assez de demye douzaine de femmes, non plus qu’ung jau de poulles. » Nicolas de Troyes.   2 LV : maistre   3 Il est dans la rue. L’auteur va enchaîner trois monologues dans lesquels les personnages se présentent eux-mêmes.   4 Du temps. « Durant quelque espace. » Marchebeau et Galop.   5 Sans mentir. Le vers suivant est perdu.   6 Je prends du soulas, du plaisir.   7 LV : neslongneroyt  (De la maison il ne s’éloigne jamais d’un pas. Voir le vers 115.)   8 Ma petite affaire.   9 Quitte à sauter.   10 Il est à sa fenêtre et aperçoit l’amoureux qui, l’ayant vu, passe devant lui sans ralentir.   11 Je ne saurais dormir, à cause d’eux.   12 Il jette des petits cailloux contre la vitre afin d’attirer l’attention de sa maîtresse. « Ledit Amoureux (…) vint ruer deux ou trois grosses pelottes de neige contre les fenestres de sadite Dame. » Martial d’Auvergne.   13 Enmi : parmi.   14 LV : qua afaire la   15 Une malchance, un malheur.   16 D’amende.   17 Aux culs qui sont pleins de bruit et de fureur. « Tu me remplis le cul de noyse. » Trote-menu et Mirre-loret.   18 Me tenir, rester.   19 L’appareil urinaire de ma femme.   20 Elle s’approche de sa maison.   21 Malotru.   22 Je ne saurais, je ne pourrais (normandisme). Idem vers 21.   23 Elle entre dans la maison.   24 De mettre en ordre.   25 Au logis. Idem vers 14 et 182.   26 Que vous doutiez de ma fidélité.   27 Si j’enquête sur vous.   28 LV et LV2 : en   29 Qui m’oit, qui m’entend. LV2 : lot   30 LV : et quoy un  —  LV2 : quoy   31 En repos.   32 De nous fournir, en prévision de l’hiver. (Idem vers 229 et 232.) Par association d’idées, l’épouse passe de ses amants aux cochons.   33 LV : estoyrerement  —  LV2 : estorement  (Pour notre provision. « Quar qui a bon vin d’estorment,/ Il ne doit pas boire à la mare. » ATILF.)   34 Forme normande de « saint Jean », comme au vers 194. « In Gen ! c’est mon : c’est mon frérot. » Le Bateleur.   35 La foire du Pardon s’ouvrait à Rouen le 23 octobre ; c’est là que les Rouennais se fournissaient pour l’hiver. Cf. les Veaux, vers 72.   36 Si nous en aurons, des porcs.   37 Sinon, gardez la maison.   38 LV : vertu bieu  —  LV2 : tu dieu   39 Il a toujours une objection toute prête.   40 Le scribe, sans même s’en apercevoir, duplique ensuite les vers 57-84. J’ai tenu compte de sa seconde copie (LV2) lorsqu’elle est plus satisfaisante que la première.   41 Méfier.   42 Je n’oserais pas.   43 Topez là pour accepter ma promesse. « Touchez là, le marché est fait ! » L’Homme à mes pois.   44 Vous les laisseriez mourir sans confession ?   45 À bon droit ou à tort.   46 Pour cette raison.   47 Un seul. « Il n’y en a pièce : Il n’y a personne d’entr’eux. » Antoine Oudin.   48 Donnez-moi de l’argent. C’est souvent l’épouse qui gère la cagnotte du ménage : cf. le Ramonneur de cheminées, vers 108.   49 En toute hâte.   50 De bonne heure.   51 Il voit le mari s’en aller. Cet amoureux se comporte exactement comme le Résolu : « Est-il party, est-il vuydé ?/ Comme ung amoureux bien guydé,/ Derrièr’ la porte, d’une tire,/ Gaillardement je me retire. »   52 D’une bonne allure.   53 Vais. Idem vers 166, 177, 202.   54 LV : ou est   55 Éloigner. Voir le vers 14.   56 Croyez bien. « Si nourrices n’ont point de laict/ Ès mammelles, croyez d’un cas/ Qu’il leur faut quelque gros varlet/ Pour leur battre souvent leur “bas”. » La Médecine de maistre Grimache.   57 Dans le Badin qui se loue, l’Amoureux se plaint de même à la Femme : « Certes, m’amye, je vous asseure/ Que depuis environ huyt jours,/ J’ay fait plus de quarante tours/ Icy entour vostre logis./ Mais tousjours vostre grand longis/ De mary présent y estoit. »   58 Ho ! par la vertu de Dieu !   59 Il revient sur ses pas, et frappe à sa porte.   60 Dans Frère Guillebert aussi, la femme expédie son époux au marché ; mais il revient à l’improviste parce qu’il a oublié son bissac. Elle cache alors sous du linge le postérieur de son amant agenouillé.   61 Elle ouvre, et son mari entre.   62 Avez-vous (normandisme). Idem vers 237.   63 Vous meut, vous motive.   64 Que de soins, de tracas !   65 LV : le  (Il veut remettre la couverture à sa place, mais son épouse l’empêche d’y toucher.)   66 Mauvaise joie, malheur. « Qu’il en ait froide joye ! » Serre-porte.   67 LV : vos  (Mes affaires intimes.)   68 Son mari l’interrompt avant qu’elle ait eu le temps d’ajouter drapelets : chiffons qui tenaient lieu de serviettes hygiéniques. Voir le vers 162.   69 Nettoyer. Pour porter le linge au lavoir, on l’enveloppait dans un drap noué.   70 Mettre ton manteau pour aller au lavoir.   71 Elle referme la porte sur son mari.   72 Débarrasser. Idem vers 185 et 283.   73 Forme normande de vésarde : frayeur. « Ma foy, j’avoys belle bésarde ! » Les Sotz nouveaulx farcéz.   74 LV : anthoeine  (Que le mal des ardents [l’ergotisme] le brûle !)   75 LV : aseur  (Je n’en serai pas rassuré avant une heure.)   76 Ma sœur : terme affectueux.   77 Avant de passer à l’acte, les amants prennent toujours des forces. Cf. le Poulier à sis personnages.   78 Je récapitule.   79 Il revient sur ses pas, et frappe à sa porte.   80 Dans un cercueil. Mais le public normand a pu comprendre : noyé dans la bière.   81 Derrière le rideau de fond, une échelle permet de monter dans le poulailler, qui n’est autre qu’une mezzanine, un demi plafond à claire-voie : il suffit de lever la tête pour voir l’individu qui s’y cache.   82 Le « g » dur normand remplace le « j » : bourgoise (v. 41), guéline (v. 223), gaindre (v. 326).   83 Que je le raconte.   84 Oublié (normandisme). Cf. l’Homme à mes pois, vers 260, 278, etc.   85 LV : nostre pourceau  (Voir le vers 181.)   86 LV : quil   87 Vas-y vite. Mais le public normand a pu comprendre que le mari traitait sa femme de chiasse : « N’apportez point de vin nouveau,/ Car il faict avoir la va-tost. » (Testament Pathelin.) C’est également une maladie vénérienne : « Les ungz font la beste à deux dos…./ Les autres gaignent le vatos/ Et la chaudepisse. » Jehan Molinet.   88 Il reste sur le seuil (à l’huis), pendant que sa femme passe derrière le rideau de fond.   89 J’attendrai. (Faire est subrogé au verbe du vers 203.)   90 De loin, il entrevoit quelque chose dans le poulailler.   91 Par la porte.   92 Ne disons pas un mot.   93 LV : laray   94 Honteux d’avoir exprimé une idée aussi lâche, le mari entre, lève la tête, et aperçoit l’amoureux.   95 À lui ! C’est-à-dire : À l’attaque ! Cf. le Roy des Sotz, vers 141 et 183.   96 Un de ces prétendants qui me font passer des nuits blanches.   97 Forme normande de « géline » : poule. « Au poulier à noz guélines. » (Le Poulier à sis personnages.) Pour « humer » un œuf : prenez un œuf cru du jour. Percez avec la pointe d’un couteau le sommet de sa coquille. Bouchez ce trou avec l’index. Retournez l’œuf et percez l’autre côté. Renversez la tête en arrière. Appliquez ce nouveau trou contre vos lèvres. Enlevez l’index qui bouche le trou du dessus. Aspirez lentement le contenu de l’œuf.   98 Je ne dois faire semblant de rien en attendant que…   99 Que jamais.   100 Les yeux au ciel, il arbore un air extatique.   101 Qu’est-ce qui vous prend ?   102 Êtes-vous à cours de (questions) pièges ? « Vous y estes sy très propice/ Et si soubtil en tous ametz. » ATILF.   103 Elle ouvre la porte et crie dans la rue.   104 Elle entre.   105 Qu’il devient fou.   106 Divertissement. C’est le vers 238 de Frère Frappart.   107 Signez-vous : faites le signe de la croix, car vous êtes possédé. L’Ennemi, ou le Mauvais du v. 259, c’est le diable, qu’on chasse avec l’eau bénite du v. 258. La voisine est très superstitieuse.   108 Au pèlerinage de Notre-Dame-des-Miracles, à Mauriac, où on adorait les reliques de saint Mary. Ce nom prête à un calembour facile : saint mari.   109 À l’église.   110 LV : y  (La voisine lève la tête et voit l’amoureux.)   111 Châtré comme un coq. Le mari réitère sa menace au vers 306.   112 Il n’est pas venu là pour faire la bagatelle.   113 Le chassaient (prononciation normande). « Vive Bon Temps ! Cachons [chassons] mélancolie,/ Qui nous engendre une pure folie ! » La Muse normande.   114 S’il n’avait pas couru plus vite qu’eux.   115 Que je ne le dénonce.   116 Avec son arme dégainée. « Et les troiziesmes bastons estoient deux dagues. » ATILF.   117 Furieux (normandisme). « Il est entré tout furé au logis et, prenant un baston, s’est mis à nous charger. » Huguet.   118 « On dit qu’on en fera bien mouler à quelqu’un, pour dire qu’on lui en donnera bien de la peine. » Le Roux.   119 De descendre du poulailler.   120 Il juge plus prudent de rester perché, en prétextant la fiction inventée par sa maîtresse.   121 LV : quilz nentrent se   122 Quel contentieux vous avez avec eux.   123 L’amoureux commence à forger une histoire ; mais il s’arrête net quand il se souvient que l’épieu a un double sens phallique.   124 Maintenant.   125 LV : rable  (« Judas (…) commença à s’endiabler. » Gabriel Chappuys.)   126 LV : santy  (Sancto sanctorum ! Par le Saint des saints : au nom de Dieu !)   127 Que de discours.   128 Allez vous plaindre d’eux aux autorités.   129 Je ne les redoute ni de près, ni de loin.   130 Les deux femmes se désolent devant une perspective si regrettable. Dans une circonstance analogue, la maîtresse de Frère Guillebert se lamente aussi, au vers 237.   131 Dans le Munyer, on veut aussi faire admettre au cocu qu’il est le cousin de l’amant de sa femme : « –Dieu vous doinct bon jour, mon cousin !/ –Il suffit bien d’estre voisin/ Sans estre de si grant lignaige. » Même jeu dans Pernet qui va au vin : « C’est vostre grant cousin germain. »   132 Si vous faites de moi un coucou, je ferai de vous une fauvette : j’irai pondre dans votre nid. « Coqu ne pond qu’un œuf, qu’il met au nid de la Fauvette. » Pierre Belon, Histoire de la nature des oyseaux.   133 Frétillante. Le mari vitupère la voisine, qui a inventé ce cousinage pour sauver les attributs de l’amoureux.   134 En principe, on dit « le cœur ». Mais voir Deux Hommes et leurs deux femmes, dont l’une a malle teste, et l’autre est tendre du cul.   135 LV : voyre  (Il n’y a aucune raison que ce vers, qui n’est pas un refrain, soit identique au vers 321.)   136 Vous êtes son entremetteuse.   137 Laid, injurieux.   138 Faites repeindre ce mot, pour qu’il soit moins laid ; ou votre nez, pour qu’il soit moins rouge.   139 Geindre.   140 On devrait nous tuer. Meurtrir = commettre un meurtre.   141 Injurier. Cf. le Poulier à sis personnages, vers 700.   142 Sans contester. Forme normande du vieux verbe « challenger ».   143 LV : noiercy  (Les deux femmes tapent sur le mari.)   144 LV : la mere  (Le copiste a vainement gribouillé un « y » sur le « e » final.)   145 Suis-je toujours une maquerelle ?   146 Si j’ai dit quoi que ce soit.   147 Je vais te tuer.   148 LV : ou inimres   149 Du sexe de ta femme. Cf. les Femmes qui font renbourer leur bas. Même jeu de mots à 344.   150 Remettez votre chapeau. Cf. le Povre Jouhan, vers 198-201.   151 Il n’y a pas la place : le plafond est trop près du poulailler pour que l’amoureux puisse mettre son chapeau.   152 Tout coi, sans parler. « Mais j’y ay fait des escolliers/ Taire tout coy. » Serre-porte.   153 L’esprit fin.   154 Ne trompe. Les mêmes jeux de langage alimentent ce Rondeau.   155 Ma mélancolie. « Et pour oster mérencolie. » Charles d’Orléans.

LA FILLE ESGARÉE

Ms. La Vallière

Ms. La Vallière

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LA  FILLE

ESGARÉE

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Quoi qu’en dise le manuscrit, ce monologue du XVIe siècle n’est pas un sermon joyeux, puisqu’on n’y parodie jamais la liturgie. Le titre nous promet aussi une fille égarée, c’est-à-dire une prostituée, comme la « Fille esgarée » qui traverse la sottie des Povres deables. Or, la chambrière qui en tient lieu se plaint d’être toujours vierge ; elle est tout au plus égarée psychologiquement à cause de son encombrante virginité, comme la « chambèrière esgarée » de Tout-ménage. Il serait bon de rétablir le titre que porte la version imprimée : Monologue de la Chambrière esprouvée1 du mal d’amours.

Nous possédons plusieurs de ces monologues, qui étaient joués par des hommes travestis : la Fille bastelierre, le Sermon pour une nopce, dit par un « prescheur habillé en femme », le Monologue de Mémoyre, dont l’acteur doit « estre abillé en déesse »… Noël Du Fail évoqua un rôle travesti du comédien Nicolas Michel : « Ou bien qu’il jouast –aiant un couvrechef de femme sur sa teste, & le devanteau ou tablier attaché à ses grandes & amples chausses à la suisse, avec sa longue & grosse barbe noire– une jeune garse allant à l’eau, interrogeant sa compagne nouvellement mariée sur les points & articles de la première nuit de ses noces. » Contes et discours d’Eutrapel (1585).

Les héroïnes barbues des monologues et des farces revendiquent l’égalité sexuelle ; évidemment, les auteurs de ces œuvres comiques se moquent des femmes qui prétendent agir et parler comme des hommes. À ce propos, réglons tout de suite son compte au 10ème vers du présent monologue : « De qui je me tiens serviteure. » Ce hideux synonyme de servante, bien attesté, ne fut pas créé pour l’occasion ; il peut être mis au compte des inévitables maladresses commises par des écrivains qui n’étaient pas professionnels et qui ne disposaient d’aucun dictionnaire, à une époque où les manuels de grammaire étaient en latin, et où le langage était loin d’être fixé2. Regardons plutôt pourquoi des satiristes d’un certain niveau commettaient de pareilles cacophonies : leur but n’était certes pas de féminiser le vocabulaire, contrairement à nos précieuses d’aujourd’hui, mais bien de masculiniser les femmes qui se comportaient comme des hommes. Dans le Mistère du Viel Testament3, Adam se plaint d’Ève, qu’il masculinise de la sorte :

           Pleure, dolente femme, pleure !

           Et de pleurs, tout ton corps espleure,

           D’avoir esté médiateure

           Du serpent, et intercesseure

           Envers moy, pour moy décevoir.

           Requier à Dieu qu’il te sequeure !

           Repens-toy, povre malfacteure,

           Femme fragille, détracteure,

           De tout vice procurateure !

Dans le même Mystère4, sur un rythme imparfait d’heptasyllabe, Rébecca se flatte d’avoir désobéi à son époux, Isaac :

           Dieu soit loué de ceste heure

           Que j’ay esté inventeure,

           Première procurateure

           De ce fait, et conducteure !

           Soit aussi bonté divine

           Louée, qui la facteure

           En est, et médiateure,

           Et finalle parfacteure,

           Qui m’a faicte promoteure

           De mouvoir chose si digne !

Que le discours soit tenu par un homme ou par une femme, la féminisation des substantifs masculins faisait déjà mauvais genre…

Sources : Manuscrit La Vallière, nº 44. Je corrige tacitement d’après le Monologue nouveau fort joyeulx de la Chambrière despourveue du mal d’amours (Montaiglon, t. II, pp. 245-252), qui publie 12 vers manquants, mais qui omet 24 vers apocryphes du ms. Les chambrières ont généré beaucoup de monologues ; la question de savoir s’ils sont dramatiques ou purement littéraires n’est pas tranchée. Ainsi, La Vallière est la seule des trois versions de ce texte qui s’achève sur un congé adressé à des spectateurs ; et encore, il y a été plaqué artificiellement (v. la note 89), peut-être à l’occasion d’une représentation publique.

Structure : Rimes abab/bcbc parasitées par des rimes plates, avec un triolet initial en décasyllabes.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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Sermon  joyeulx  de

la  Fille  esgarée

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                        [LA  CHAMBÈRIÈRE,   en chantant :]

        Seule, esgarée de tout joyeulx plaisir5,

        Dire me puys en amour malureuse.

        [Tant que vivray, n’aray que desplaisir,6

        Seule, esgarée de tout joyeulx plaisir.]

5      Au lict d’ennuy, il me convyent gésir

        Sur l’oriler7 de vie langoureuse.

        Seulle, esgarée de tout joyeux plaisir,

        Dire me puis en amours malheureuse.

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        Vénus, la déesse joyeuse

10    De qui je me tiens serviteure,

        Serez-vous envers moy piteuse8 ?

        Fault-il qu’en cest estat je meure

        Sans « coup » férir9 ? A ! j’en suys seure :

        Sy de moy pityé vous n’avez,

15    De rechef fauldra que je pleure

        Larmes, dont j’ay les yeulx cavés10.

        Or vivez, Cupido11, vyvez !

        Et Vénus, la noble déesse !

        Et à mon secours arivez !

20    Remétez mon cœur en léesse12 !

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        Il y a de la gentillesse

        En13 moy ; et sy, a du couraige.

        Mais Fortune vers moy s’adresse,

        Qui me tourne son faulx14 visage.

.

25    J’ey quinze ans, ce n’est que fleur d’âge15 ;

        Je suis sur la coupe16 de seize.

        Je suys au péril d’une rage17

        Sy, de bref, mon mal ne s’apaise.

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        On va, on vient, on touche, on baise,

30    On dict, on me corne à l’oreille,

        On couche de dix et de treize18,

        On fait de babiller merveille.

        Mais nul quidam ne s’apareille19

        À me dire le mot du guet20.

35    Veu c’un pareil quiert sa pareille21,

        Le tant atendre mal me faict22.

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        Volontiers me misse en effaict23

        De faire de mon « cas » ouverture24

        À quelque mignon, en effect,

40    Sy ne me tournast à injure25.

        Mais, par la mercy Dieu, j’en jure :

        Quant j’en aray bien attendu26,

        Un « coup » feray à l’avanture,

        Et en dust tout estre perdu27.

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45    Sui-ge pas sur le hault verdu28 ?

        Je ne suys poinct, mydieulx, [de cestes]29

        [Dont tout le corps est défendu]

        De voilètes30 ny de templètes :

        J’ey, sans plus, blanches colerètes,

50    Robes faictes en mesnagère31,

        Et tous beaulx habis et honnestes,

        Comme [en] a simple chambèrière.

        Bonnes gestes, bonne manière,

        Ferme de rains, dure [de tette]32.

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55    Mais, pour déclarer la matière33,

        J’ey du jeu d’aymer grand soufreste34.

        Au myeulx que je puys je m’apreste,

        Désirant compaignye françoise35.

        Mais nul l’oreille ne me preste

60    À mon désir, dont ce me poise36.

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        Sy vaul-ge bien une bourgoise37,

        Par Dieu ! Voyre une damoyselle38,

        Ou quelque fille vilagoise

        Refaicte comme une groiselle39.

65    Je ne suys fière ne rebelle ;

        J’apète la doulce aléance40.

        Conclusion, la chose est telle :

        Il n’est trésor que de plaisance41.

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        Je passe temps, je ris, je dance,

70    Je devise avec les amoureulx42

        (Cela me semble gratieulx)

        En oyant [des] choses bien faictes

        Pour récréer les amourètes

        Aveques ces jeunes garsons

75    Qui manyent nos tétons

        En devisant de toutes choses,

        Et aultres dont dire je n’oses.

        Et sy43, souvent fort je m’avance

        À dancer de[hors] quelque dance,

80    En esté, avec ces fillètes.

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        Mais onques n’us la joÿssance

        De ce plaisant jeu d’amourètes,

        Pour la craincte des eschoguètes44

        Et du danger de Male Bouche45.

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85    Mais n’y46 ferai-ge mes aprestes

        D’en avoir quelque jour la touche47 ?

        Jamais ne seray sy farouche !

        Sy quelque homme me vient à gré48,

        L’escondirai-ge d’une49 touche,

90    À quelque cornet de degré50 ?

        Nennin, nennin ! Sy un me vient à51 cœur,

        Je le prendray comme amateur52,

        Amoureulx de jeune jeunesse53,

        À qui l’engin souvent se dresse.

95    À aultre chose n’ay regret.

        Craincte plus ne m’y survyendra

        Que je ne prenne bien en gré

        Mon bien54, à l’heure qu’il viendra,

        À quelque garçon qui sera55,

100  Et me dira un jour : « Ma doulce amye,

        J’ey [du bien, ne l’espargnez]56 mye ;

        J’ey de l’or [et] j’ey de l’avoir

        Pour [le] vostre amour recepvoir. »

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        Puys quelque mygnon surviendra,

105  De vilage, ou varlet d’ostel57,

        Qui à espouse me prendra

        Sans sçavoir que le cas soyt tel58.

        Telle a mys cent foys le martel

        En vente59, et faict sa destinée

110  (Dont on n’a poinct tenu frestel60),

        Qui a esté bien maryée.

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        Trouc avant61, trouc ! Je suys louée62.

        Pourtant, s’on l’a un peu presté63,

        Quant la chemise est abaissée64,

115  Il n’y pert qu’on y65 ayt esté…

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        Ains qu’il soyt la Sainct-Jehan d’esté66,

        En danger que la panse dresse67,

        Avec quelc’un feray traicté68,

        Et d’Amours je feray l’adresse69.

120  Pour estre un petit myse en presse70,

        Je n’en seray que plus marchande71.

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        Y convyent aquérir jeunesse72,

        Car Vénus le veult et commande,

        Pour l’éguillon qui [seul se bande]73.

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        ………………………………….

125  Il y a maincte vielle mule,

        Mariée et à marier,

        Qui n’en a poinct faict de scrupule

        Ne l’empeschée74, de75 harier !

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        Et pour tant76, sans plus en crier,

130  Je le feray (par saincte Marye)

        Aller, sy l’on me vient prier,

        Le manche après la cougnie77 !

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        À qui trop atent, il ennuye.

        Qui n’a dîné, volontiers soupe78.

135  Je suis donc(ques) tentée, sur ma vie,

        De bouter le feu à l’estoupe.

        On taille tant que l’on se coupe.

        On crye tant Noël qu’i vient79.

        On faict souvent, de pain blanc, soupe80.

140  On per[t] souvent ce que l’on tient.

        Au bon joueur, l’éteur81 luy vient.

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        Somme, je demeure obstinée

        Que sy la fortune me vient,

        Je passeray ma destinée82.

.

145  J’ey troys seurs, je suys la puisnée83 ;

        Chascune a bien faict son debvoir84,

        Tant la moyenne que l’aŷnée.

        Quant à moy, j’en ay le vouloir.

        Mal gré ne me vueilez sçavoir85,

150  Sy quelc’un me vient à courage86,

        Que je ne prenne bien d’avoir87

        Faict88 aler le chat au fourmage !

.

        Icy feray fin de langage,

        En vous faisant à tous prière

155  Qu’il vous souvyenne du courage

        De la despourveue chambèrière.

.

        Pour mectre fin à la matière,89

        Prenez garde tousjours à l’âge

        De la fille bonne ouvrière90.

160  En prenant congé de ce lieu,

        En vous disant à tous adieu !

.

                             FINIS

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1 Éd. : despourueue  (Atteinte. Confusion avec le vers 156.)  Le mal d’amour est le besoin maladif de perdre sa virginité. La chambrière de Tout-ménage en est atteinte elle aussi : « Le mal d’amour si fort me blesse ! »   2 On disait indifféremment une prieuse, une prieuresse, ou une prieure. Cette troisième forme, influencée par le masculin prieur, l’emporta ; mais elle ne parvint jamais à détrôner la sous-prieuse. En conclusion, la prieure, qu’on nous présente comme une victoire des femmes, n’est pas autre chose que la femelle du prieur.   3 Une rumeur narquoise prétend que des universitaires féministes, pour ne pas dire des féministes universitaires, désireuses de justifier les castrations malsonnantes qu’elles infligent à notre pauvre langue française, brandissent péremptoirement ce passage comme une preuve que les écrivains médiévaux sont à l’origine du charabia féministe. N’ayant pas lu les quelque 50 000 vers qui composent le Mistère du Viel Testament, nos « auteures » l’ont daté de 1605, en plein Moyen Âge selon elles, alors qu’il fut élaboré vers 1450. Le chiffre « 1605 » n’est autre que le numéro du premier vers du passage incriminé, d’après l’édition Rothschild (tome 1, p. 64), une édition que ces « professeures » ne connaissent pas. Il paraît qu’elles ont découvert ce texte par hasard, dans le dictionnaire de Frédéric Godefroy, qu’elles ont mal compris. En tout cas, nos « écrivaines » devraient s’abstenir de faire dire aux auteurs du Moyen Âge, qui ne sont plus là pour se défendre, l’exact contraire de ce qu’ils ont réellement dit. L’inculture et le dogmatisme n’excusent pas tout.   4 Édition Rothschild, tome 2, p. 170. Ces rimes contre nature ont tellement choqué certains éditeurs du XVIe siècle qu’ils les ont déclarées fausses (sic !), ou qu’ils les ont tout bonnement remplacées par des rimes en -euse.   5 Gilles Binchois composa vers 1450 une chanson qui commence par le même vers que celle-ci, mais la suite est différente.   6 Ce vers étant perdu, j’intègre ici le 5ème vers de la chanson de Binchois. Les refrains 7 et 8 figurent dans les deux imprimés mais pas dans le ms.   7 Sur l’oreiller. Langoureuse = languissante, mélancolique.   8 Pitoyable, charitable.   9 Sans avoir tiré un coup. Seure = sûre.   10 Creusés, cernés.   11 Dans Ung jeune Moyne et ung viel Gendarme, Cupidon procure un amant à une jeune fille neurasthénique dont le caractère est tout à fait celui de notre chambrière.   12 En liesse, en joie.   13 LV : a  (Il y a de la noblesse en moi, et aussi, il y a du courage.)   14 Sournois.   15 La vie étant brève, il fallait se dépêcher d’en profiter. « Je suys en la fleur de jeunesse,/ Et sy, je n’ay poinct d’amoureulx./ J’ey bien des ans quinze ou quatorze. » Les Mal contentes.   16 À la limite.   17 Je risque de devenir enragée.   18 On mise sur moi 10 ou 13 écus. « Jouez, c’est de douze que je couche. » Eustache Deschamps.   19 Nul homme ne se dispose.   20 Le mot de passe qui lui ouvrirait la porte de ma chambre. « C’est le mot du guet d’amour,/ Qui plaît seul à ma maîtresse. » Dictionaire comique, satyrique, critique, burlesque, libre & proverbial.   21 Que chacun recherche sa semblable.   22 L’attendre aussi longtemps me fait mal.   23 En mesure.   24 D’ouvrir mon sexe. Même calembour au vers 107. « Je vous prometz/ De vous fère [laisser] foutre une foys/ Ma femme, qui est un grand cas. » Le Vilein, sa Femme et le Curé.   25 Si cela ne tournait pas à mon déshonneur.   26 Quand j’en aurai eu assez d’attendre.   27 Même si je devais y perdre mon honneur.   28 Ne suis-je pas élégante ? « Vous estes sur le hault verdus. » Le Monde qu’on faict paistre.   29 LV : fardee  (Je ne suis pas –Dieu m’assiste !– de celles-là…)  Le vers suivant manque.   30 LV : violetes  (De voiles légers.)  Les templettes sont des bandeaux qui rabattent les cheveux sur les tempes, cachant les oreilles et les joues.   31 À la manière bourgeoise.   32 LV : comme une traiste  —  Éd. : comme ung treste  (Vers trop long.)  Tette = tétons. « Belle femme doit avoir (…)/ Dures tettes,/ Dures fesses/ Et dur ventre. » La Louenge et beauté des dames.   33 Pour tout vous dire.   34 Une grande pénurie. Cf. Frère Guillebert, vers 101.   35 Galante, amoureuse. Cf. les Chambèrières et Débat, vers 455.   36 Cela me pèse, m’est insupportable. « –Mais n’estes-vous point mariée ?/ –Nenny encor, dont ce me poise. » Ung jeune Moyne.   37 Pourtant, je vaux bien une bourgeoise.   38 Une femme noble.   39 Ronde et rouge comme une groseille. « Princesse de basse contrée/ Et preste à “chevaucher” sans selle (…),/ Refaicte comme une groselle. » Guillaume Coquillart.   40 Je recherche l’alliance charnelle.   41 Ce vers proverbial apparaît notamment dans le Temps-qui-court, que le ms. La Vallière donne juste avant notre monologue.   42 Les vers 70-79, écrits en rimes plates et absents des imprimés, sont apocryphes. Les quatre passages interpolés sont probablement l’œuvre du comédien, qui aura voulu briller en ajoutant des grivoiseries. Malheureusement, son style pénible et artificiel plombe le texte original.   43 Et même. Idem vers 22.   44 Des échauguettes, des postes d’observation : par crainte d’être vue.   45 Mauvaise langue. Ce personnage du Roman de la Rose symbolise la médisance.   46 LV : sy  —  Éd. : cy  (Mes apprêts, mes préparatifs.)   47 Ce terme d’escrime est passé, comme tant d’autres, dans le vocabulaire érotique. La chambrière réclame un coup de braquemart. Cf. Frère Guillebert, vers 517.   48 Me plaît.   49 LV : pour une  (Avec une tape, une gifle. « Touche : Coups qu’on donne à quelqu’un qu’on maltraite. » Dictionaire comique.)   50 Dans un recoin d’escalier. Vu l’étroitesse des escaliers en colimaçon, un homme qui montait ne pouvait faire autrement que de frôler une femme qui descendait.   51 LV : de  (Les vers 91-94 sont apocryphes.)   52 Amant, du latin amator.   53 D’une jeunette. Idem vers 122.   54 Mon plaisir.   55 Qui soit : à n’importe quel garçon. Les vers 99-103 sont apocryphes.   56 LV : des biens ne les espargnes   57 Le valet est l’homologue masculin de la chambrière, et son époux prédestiné.   58 Sans savoir que je ne suis plus vierge. Jeu de mots : Sans savoir que mon sexe est dans un tel état. V. la note 24.   59 A conclu des transactions amoureuses. « (Il fault) mettre le marteau en la vente/ En despit de luy, ma commère. » Les Femmes qui font escurer leurs chaulderons.   60 Fait de bavardages. Cf. Deux hommes et leurs deux femmes, vers 296.   61 Allons ! On dit aussi truc, ou trut. « Trut avant, trut ! C’est à demain ? » Les Frans-archiers qui vont à Naples.   62 Pour ma vertu.   63 Si on a prêté son sexe. « Pleust à Dieu que la chambrière/ Et moy fussions emmy ces boys,/ Et el m’eust presté son harnoys ! » Le Badin, la Femme et la Chambrière, BM 16.   64 Une fois qu’on a rebaissé sa chemise longue, qu’on avait enroulée sur le buste pour faire l’amour.   65 LV : ny  (Il n’apparaît pas qu’un homme y soit entré.)   66 Avant le 24 juin.   67 Que je me retrouve enceinte. « Sy vostre “esperon”/ Faisoyt tant que la pance dresse. » Le Gallant quy a faict le coup.   68 Un traité, un contrat de mariage. Voilà très exactement le thème de Jolyet, par qui une femme enceinte se fait épouser.   69 Je réparerai les torts de Cupidon. « Pour la cause de ce que m’en faciez adresse ne raison. » Godefroy.   70 En me couchant un peu sous lui. « –Il vous a mys le corps en presse ?/ –Il me feist choir en la reverse. » Jehan de Lagny.   71 Meilleure commerçante, pour discuter le contrat.   72 Il faut épouser une jeunette. Idem vers 93.   73 LV : seueille  (« Jadis, [son instrument] se bandoit seul. » Béroalde de Verville.)  « L’esguillon qui leur fait l’enflure de neuf mois. » (La Ronce.) Il manque 3 vers au-dessous.   74 Faire de l’empêché : se gêner. « Vous faictes bien de l’empesché ! » L’Homme à mes pois.   75 LV : ne  (Harier = secouer, au sens érotique. « Vostre “poulain” ainsi la harioit. » Cent Nouvelles nouvelles.)   76 Pour toutes ces raisons.   77 Détournement érotique du proverbe « Jeter le manche après la cognée ». Le manche = le pénis : les Femmes qui font renbourer leur bas, vers 74. Cogner = coïter : Jeu du Prince des Sotz, vers 130. Comme dit Priapus : « S’il est ainsi que coingnée sans manche/ Ne sert de rien, ne houstil sans poingnée,/ Affin que l’un dedans l’autre s’emmanche,/ Prends que soys manche, et tu seras coingnée. » Rabelais, Quart Livre.   78 Se rattrape au souper.   79 Cette litanie de proverbes emprunte ici le refrain de la Ballade des Proverbes, de Villon.   80 Même le pain de luxe peut finir trempé dans du bouillon.   81 L’éteuf, la balle du joueur de paume. Cf. le Monde qu’on faict paistre, vers 187.   82 Je mènerai joyeuse vie. Idem vers 109.   83 La dernière née.   84 Son devoir conjugal, ou extra-conjugal.   85 Ne m’en veuillez pas. « Sans vous savoir mal gré quelconques. » L’Aveugle et Saudret.   86 Au cœur : à l’esprit. « Ce qui me vient à cueur et à couraige. » ATILF.   87 LV : en grey  (Si je ne prends le plaisir d’avoir…)   88 LV : laiser  (« Laisser aller le chat au fromage : Manière de parler libre & basse, qui se dit d’une fille qui a accordé la dernière faveur, qui s’est laissé persuader à faire faux bond à son pucelage, qui a fait brèche à son honneur. » Dictionaire comique.)   89 Cette fin est apocryphe : elle est absente des imprimés, les rimes reprennent maladroitement les rimes précédentes, et le distique final recopie le congé de la Fille bastelierre et du Monologue de Mémoyre, dont je parle dans ma notice.   90 Qui travaille bien, y compris au lit. Cf. le Dorellot, vers 168.

L’AVEUGLE, SON VARLET ET UNE TRIPIÈRE

Bibliothèque nationale de France

Bibliothèque nationale de France

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L’AVEUGLE,

SON  VARLET  ET

UNE  TRIPIÈRE

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Cette farce normande remonte à la seconde moitié du XVe siècle. À l’époque, d’innombrables faux infirmes exploitaient la générosité des braves gens ; de sorte que les vrais infirmes, s’ils voulaient obtenir une aumône, devaient faire preuve d’autant de roublardise que les simulateurs. Au XIIIe siècle déjà, les dons se faisaient rares ; on peut en juger par la plus ancienne de toutes les farces, Du Garçon et de l’Aveugle, qui met en scène un duo de mendiants constitué d’un aveugle et de son serviteur. Des couples du même acabit provoqueront l’hilarité dans l’Aveugle et son Varlet tort (de François Briand), l’Aveugle et Saudret, Ung biau miracle, l’Aveugle et le Boiteux (d’André de la Vigne), l’Aveugle et Picolin (de Claude Chevalet), ou encore l’Aveugle, sa Chambèrière et son Varlet 1.

D’un naturel peu charitable, les tripières furent elles aussi victimes des rieurs. Dans notre farce, tout comme dans celle de la Trippière (F 52), deux mendiants réclament de la nourriture à une marchande de tripes qui, faute de la leur avoir donnée, se la fera voler.

Source : Manuscrit La Vallière, nº 13. Le texte est dans un état pitoyable, et certains passages ressemblent à de la prose. Je renonce à égaliser les vers trop courts.

Structure : Rimes plates, avec quelques rimes croisées.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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Farce joyeuse

À .III. personnages, c’est asçavoir :

       un  AVEUGLE

       et  son  VARLET  [Goulpharin]

       et   une  TRIPIÈRE  [Phlipotes]

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                        LE  VARLET 2  commence                 SCÈNE  I

        Sui-ge poinct ung gentil mygnon

        Et un bon petit garçon,

        Pour un Goulpharin3 ? Ne suys poinct ?

        Par le corps bieu ! je seray oingt4,

5      Sy ne retourne vers mon maistre.

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                        L’AVEUGLE 5                                   SCÈNE  II

        Celuy Dieu qui tout a faict naistre

        Garde de mal la compaignye !

        Ma joye est bien abolye ;

        Et sy, ne sçay plus que g’y face6.

10    Mes amys, regardez la face

        Du7 bon homme qui ne voyt goute,

        Et sy, ne sçayt où il se boute8 ;

        Car mon varlet cy m’a lessé.

        Je suys jà viel homme cassé,

15    Et assourdy des deulx horeilles.

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                        LE  VARLET                                     SCÈNE  III

        Maistre, vouécy vos bouteilles.

                        L’AVEUGLE

        Qu’esse que j’os9 ?

                        LE  VARLET

                                    C’est vostre varlet Goulpharin.

                        L’AVEUGLE

        Et d’où viens-tu ?

                        LE  VARLET

                                    Je viens du vin,

        Du vin qui est cler et qui est fin10.

                        L’AVEUGLE

20    Tu me la bailles bien cornue11 !

                        LE  VARLET

        Et tout pour la gentille repue12,

        Nous vous ferons bien vos raisons13.

                        L’AVEUGLE

        J’ay veu de sy bonnes saisons14

        Dea ! et reviendra poinct nostre temps ?

                        LE  VARLET

25    Ouy, ouy, après ces15 Rouvèsons.

        Que nous serons trètous contens !

        Et sy, aron argent et or.

        Et seron armés (par16 sainct Mor !)

        Du pié jusques à la sonnète17.

30    N’ayron besache ne pouquète18

        Qui [ne] nous serve plus de rien19.

                        L’AVEUGLE

        Dis-tu ? Et ! tant nous serons bien !

                        LE  VARLET

        Maistre, y nous fault aler assaillyr,

        S’yl est possible, sans faillyr,

35    Quelque maison de plaine face20,

        Et [y] faire un trèsbeau « prouface21 ».

        [Que vous en semble :] di-ge bien ?

                        L’AVEUGLE

        Ouy, vrayment. Mais tu sçays [com]bien,

        Par ma foy, je [me] meurs de fain !

                        LE  VARLET

40    Nous n’yrons plus guères loing.

        [Allons prier quelque tripière

        Qu’elle nous face bonne chière.]

                        L’AVEUGLE

        Quoy ! et qu’e[n] pourions-nous avoir ?

                        LE  VARLET

        Nous ne povons que [le] sçavoir22.

                        L’AVEUGLE

45    Et sçays-tu bien où elle vent23 ?

        Dy, despesche-toy vitement !

                        LE  VARLET

        Ouy, ouy, je la voy bien, d’icy.

        Mais il eschet24, en ce cas-cy,

        Maistre, que vous [ne parlerez]25.

                       L’AVEUGLE

50    Par sainct Pierre, vous mentirez !

        Aprochez près26 ; vous luy direz

        Que je suys du tout assourdy27,

        Et que je n’os grain ne demy28,

        Ainsy que luy sérez29 bien dire.

                        LE  VARLET

55    Je ne l’oseroys contredire.

        Empongnez-moy par la saincture30,

        Et nous yrons à l’avanture31.

        Or çà ! Dieu nous veuile conduyre,

        Et nous gardons bien de mal dire32 !

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60    Dame Phlip[ot]es33 : Nostre Dame                   SCÈNE  IV

        Vous veuile sauver et garder !

        Nous vous prions de cœur et d’âme

        Qu’i vous plaise icy regarder

        [Vers] les povres menbres de Dieu34

65    Qui vous viennent vouèr35 en ce lieu.

        Cestuy36 ne voyt, et sy, n’ot gouste.

                        LA  TRIPIÈRE

        Y m’est avys sans nule doubte

        Que ce bon homme icy oyt37 bien.

                        LE  VARLET

        Par ma foy, [ma] dame, y n’ot rien.

                        LA  TRIPIÈRE

70    Comme est son nom ?

                        LE  VARLET

                                           Et ! c’est Marault38.

                        LA  TRIPIÈRE

        Je le voys dont crier bien hault39 :

        Hau ! [Hau !] Marault, veulx-tu du fée40 ?

                        L’AVEUGLE

        J’estoys plus yvre que la née41

        L’endemain de la Sainct-Martin42.

                        LA  TRIPIÈRE

75    Vien çà ! Veulx-tu un boudin ?

        Parle à moy : veulx-tu poinct menger ?

        As-tu perdu43 ton apétys ?

                        L’AVEUGLE

        J’ey cuydé bien [fort] arager44,

        Quant je suys party du logis.

        ………………………….. 45

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                        LE  VARLET                                     SCÈNE  V

80    Dea ! m’en iray-ge [en ce droict poinct]46 ?

        Dame, ne m’escondisez47 poinct.

        Dame, me donnerez-vous rien ?

                        LA  TRIPIÈRE

        Dea ! [Croys-tu qu’on donne son bien]48 ?

        Sy tu en veulx avoir, y fault

85    Argent bailler [du premier sault49],

        Et [qu’il y coure]50 un double ou deulx.

                        LE  VARLET

        Baillez-moy de ce que je veulx.

        Et me faictes bonne doublée51 :

        Ma besache sera gastée,

90    Se ne le metez au cornet.

                        LA  TRIPIÈRE

        Ce que je te baille [est moult]52 net :

        [Yl est]53 du mileur de ma gate ;

        Yl est fleury comme une mate54,

        Et sy, [yl] est blanc55 comme un œuf.

                        LE  VARLET

95    Baillez-moy de ce pié de beuf,

        De la panchète, du gras bouel56 ;

        Onq(ues), puys la veille de Nouël,

        Je n’en mengis grain ne demy57.

                        LA  TRIPIÈRE

        Or, saquez58 argent, mon amy,

100  Car [vez-en là]59 pour vostre double.

                        LE  VARLET

        Cecy, et qu’esse ? [Du gras double60 ?]

                        LA  TRIPIÈRE

        C’est un boudin [tout] plain de gresse.

        Sy tu [n’en veulx, je]61 les reverse.

        Ne les viens poinct cy patrouiller62,

105  Et va[-t-en] alieurs marchander.

                        LE  VARLET

        Et ! baillez-m’ent plus largement,

        Sy voulez avoir mon argent,

        [Dame.]

                        LA  TRIPIÈRE

                      Par sainct Jehan, non feray !

                        LE  VARLET

        Donques je les reverseray.63

                        LA  TRIPIÈRE

110  Par la croix bieu, tu les pouéras64 !

                        LE  VARLET

        Par la mort bieu, [tu mentiras !

        Tu ne vaulx rien, orde tripière]65 !

                        LA  TRIPIÈRE

        Je vaulx mieulx [que tu ne vaulx] toy,

        Ne que [ne valust]66 onq ton père.

115  Me viens-tu faire tant d’esmoy ?

        Par l’âme [du bon sainct André]67 !

        Huy je te desvisageray68 !

                        LE  VARLET

        Au ! [par] ma dame69 saincte Agate !

        Elle m’a baillé de sa pate70,

120  Et sy, m’a rompu le visage.

                        LA  TRIPIÈRE

        N’y reviens plus, se tu es sage !

        Tyre tes chausses71, Poy-d’aquest !

                        LE  VARLET

        Adieu, la fille Loriquet72 !

                        LA  TRIPIÈRE

        À Dieu, le filz à sa Marguet73 !

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125  Cesser y nous fault le caquet,

        Car nous ferions cy la sérye74.

        Prenez en gré, la compaignye !

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                                             FINIS

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1 Cette farce est également connue sous le titre de Goguelu (F 45).   2 Dans la rue, il boit du vin à la bouteille, tandis que son patron aveugle attend son retour un peu plus loin.   3 Ce surnom du valet désigne un amateur de bonne chère. « Bons compaignons, rustres et gourfarins. » A. de la Vigne.   4 Battu.   5 Il s’adresse au public.   6 Et même, je ne sais plus que faire.   7 LV : de ce  (Ne voir goutte = ne rien y voir. « L’aumosne au povre diséteux/ Qui jamais, nul jour, ne vit goucte ! » L’Aveugle et le Boiteux.)   8 Ne sait pas où il va.   9 Que j’ois, que j’entends. L’aveugle est à moitié sourd, comme il l’a dit au vers 15.   10 Ce vers surnuméraire est probablement le refrain d’une chanson à boire.   11 Tu me la bailles belle. « Vous me la baillez bien cornue ! » L’Homme à mes pois.   12 LV : fue  (?)  Une repue est un festin. Cf. les Repues franches de maistre Françoys Villon.   13 Je vous ferai concurrence.   14 Des temps meilleurs.   15 LV : ses  (Les Rovaisons, ou Rogations, précèdent l’Ascension. « Gardons-le pour les Rouvaisons. » Les Sotz nouveaulx farcéz.)   16 LV : de  (Les deux clochards se voient déjà gentilshommes, lesquels avaient seuls le droit de sortir armés.)   17 Jusqu’à la tête, sur laquelle les Sots portent des grelots. « Attache-moy une sonnette/ Sur le front d’un moyne crotté (…) :/ Voylà un Sot de la Bazoche. » Clément Marot, Du coq-à-l’asne.   18 Nous n’aurons plus de besace ni de poche en tissu. C’est là-dedans que les mendiants mettent la nourriture qu’on leur donne : voir le vers 89. Le Valet a un fort accent normand.   19 Qui ne nous serve plus à quoi que ce soit. Rien [chose] avait une valeur positive.   20 À visage découvert, sans nous cacher.   21 Prou vous fasse : (Que cela) vous fasse profit. « PROUFACE est un salut qu’on fait au sortir de table aux conviéz, en souhaittant que ce qu’ils ont mangé leur profite. » Furetière.   22 Nous le saurons bientôt.   23 Les tripières ambulantes vendaient au marché des tripes chaudes que les clients consommaient sur place, dans une écuelle, une chope, ou un cornet de papier fort. Voir la Confession du Brigant, vers 157-160.   24 Il échoit, il convient.   25 LV : parles  (Le valet craint que son patron ne soit pas assez fin pour berner une tripière. Il insiste au vers 59.)   26 Il parle à l’oreille du valet, pour ne pas être entendu par la tripière, dont le stand est tout proche (vers 47).   27 Totalement sourd.   28 Que je n’entends ni un mot, ni même la moitié d’un.   29 Saurez (normandisme).   30 Les aveugles se cramponnaient aux basques de leur guide.   31 « Or allons à nostre avanture ! » L’Aveugle, sa Chambèrière et son Varlet (F 45).   32 Gardons-nous de nous trahir.   33 Phélipotte est une des Femmes qui font baster leurs maris aux corneilles (F 29). Ce prénom est souvent abrégé en Phlipote, ou même en Flipote, comme en témoigne le premier vers du Tartuffe : « Allons, Flipote, allons ! Que d’eux je me délivre. » Le valet connaît donc déjà la tripière, puisqu’il sait son nom.   34 « Les povres gens, je le dis sciemment,/ Ce sont membres de Dieu. » L’Ardant miroir de grâce.   35 Voir (normandisme).   36 LV : lequel  (Celui-ci n’y voit pas, et même, il n’oit goutte [il n’entend rien].)   37 LV : voyt   38 Un maraud est un maraudeur, un mendiant. Cf. les Maraux enchesnéz.   39 Je vais donc l’appeler très fort.   40 Du foie (normandisme). « Du faye et ung pié de mouton ! » La Trippière, F 52.   41 La naie : l’étoupe avec laquelle on colmate un tonneau de vin. « Quant ung tonneau bien on ne perce,/ Si bien ne l’estoupe-on de naye,/ Que le vin ne suinte. » ATILF.   42 Cette fête des vendanges, le 11 novembre, donnait lieu à des beuveries. « À la Saint-Martin, l’on boit le bon vin. » (Proverbe.) Le lendemain, l’étoupe qui bouchait le tonneau n’avait donc pas eu le temps de sécher.   43 LV : poinct   44 Devenir fou de rage. Ces coq-à-l’âne de Maraut annoncent déjà ceux de Marot (note 17).   45 Il manque ici un long passage, ce qui explique l’anormale brièveté de la pièce. Le faux sourd, habilement « cuisiné » par la tripière, finit par se trahir. Les deux mendiants repartent sans avoir rien obtenu. Ils se disputent, et le valet revient seul pour tenter d’émouvoir la commerçante.   46 LV : ainsy droict joinct  (Dans un tel état.)  Séparé de son acolyte, le valet parle maintenant à la 1ère personne du singulier.   47 LV : mescondisses  (Ne m’éconduisez pas.)   48 LV : os tu on ne me les donne poinct  (Ces 4 vers sont encore plus abîmés que les autres. J’ai tenté de mettre un peu d’ordre dans la métrique.)  Les biens désignent la marchandise ; dans la Trippière (F 52), un mendiant implore qu’on lui donne des tripes : « En l’honneur de Nostre Seigneur,/ Dame, ung morceau de vos biens ! »   49 De prime-saut, d’emblée. Cf. le vers 65 des Sotz nouveaulx et le vers 148 de Jehan qui de tout se mesle.   50 LV : qui ly coure du tien  (Courir = circuler ; se dit d’une monnaie qui a cours.)  Un double vaut 2 deniers.   51 Doublure : doublez l’épaisseur de papier du cornet, pour ne pas salir ma besace. Voir la note 23.   52 LV : nest pas trop  (Est parfaitement sain.)   53 LV : cest  (Voir le vers suivant.)  Cela vient du meilleur de ma jatte (normandisme). « C’est une jatte à tripière : il y a des andouilles, des rognons, des trippes. » Bruscambille.   54 Comme la croûte du lait caillé.   55 Les tripes doivent être bien blanches, c’est un signe de fraîcheur. « La blanche trippe, et grasse. » La Trippière, F 52.   56 De la pansette [de la ventrèche], du boyau. Ces deux graphies sont normandes.   57 Je n’en mangeai si peu que ce soit.   58 Tirez de votre bourse (normandisme). « Nul ne paie voulentiers, ne sacque argent hors de sa bourse. » Froissart.   59 LV : vesen la  (Voyez-en là : en voilà pour la valeur de votre double denier.)   60 « Gras double : espèce de trippe que vendent les trippières ; c’est le second des quatre ventricules du bœuf, ou des autres animaux qui ruminent. » Furetière.   61 LV : ne les veulx sy  (Je les remets dans mon baquet.)   62 Tripoter. « Ne les patrouillez poinct ainsy ! » Le Marchant de pommes.   63 Il fait mine de remettre les tripes dans le baquet avec ses mains douteuses. La tripière l’en empêche.   64 Tu les paieras (normandisme). Les tripes étant souillées, elles deviennent invendables, et le valet peut les garder. Les écoliers des Repues franches emploient la même ruse pour se procurer des tripes gratuitement : « Françoys (…)/ Les voulut tout incontinent/ Remettre dedans le baquet./ El ne les voulut pas reprendre. »   65 LV : tripiere tu mentiras  (Le passage 111-116 est corrompu.)  La saleté des tripières, qu’on ramène toujours aux excréments contenus dans les intestins, est passée en proverbe. « Ou une orde tripière aussi,/ En vendant du foye ou du (gras) double/ Pour ung denier ou pour ung double,/ Du boyau cullier ou du mol [du mou],/ Jurera saint Pierre ou saint Pol. » (Éloy d’Amerval.) Dans la Trippière (F 52), l’injure « orde trippière » apparaît deux fois.   66 LV : fist   67 LV : de ton grand pere  (St André est toujours qualifié de bon : « Ô bon sainct André, que vous aviez bien raison de ne vouloir point quitter la Croix ! » Jacques d’Arbouze.)  On reprochait aux tripières de jurer sur les saints : voir le vers 108 et la note 65.   68 Je vais te défigurer.   69 LV : deme  (On appelait les saintes madame. « Il fist faire ung monastère en l’honneur de madame saincte Agathe. » Jehan Platine.)   70 Elle m’a donné un coup de patte, une gifle.   71 LV : chauses  (Va-t’en !)  Peu d’acquêt = rien à gagner. C’est notamment le nom d’un gueux dans la farce des Coquins (F 53), et le nom d’un pauvre dans Marchandise et Mestier (BM 59).   72 Un loricard est un fanfaron : cf. le Résolu, vers 88. Loriquet et sa fille furent sans doute des personnages de farce. Leur nom était prédestiné au théâtre : de 1840 à 1882, plusieurs comédies mettront en scène un mari faible nommé Loriquet. Sa fille paraîtra dans les Noces de mademoiselle Loriquet, de Grenet-Dancourt.   73 LV : mere  (qui ne rime pas. Marguet est une épouse échangiste dans le Savatier et Marguet.)  Une Marguet, ou une Margot, est une prostituée ; son fils est donc un fils de pute : « Le filz à la grosse Margot ! » Trote-menu et Mirre-loret.   74 Nous y passerions la soirée (normandisme).

L’HOMME À MES POIS

Ms. La Vallière

Ms. La Vallière

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L’HOMME  À

MES  POIS

*

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Délaissée par les éditeurs modernes1, cette farce normande écrite au milieu du XVIe siècle eut apparemment son heure de gloire, puisqu’on s’en souvenait encore en 1682 : je publie en appendice un extrait de l’Enfant sans soucy qui pioche bon nombre d’éléments dans ladite farce.

Le mari n’est désigné que par son emploi de badin ; on confiait toujours ce rôle verbal et physique à un acteur exceptionnel. (Voir la notice de Troys Galans et un Badin.) Bernard Faivre dit du nôtre : « Toute la pièce repose sur ce personnage clownesque…. La farce est avant tout un numéro d’acteur : le Badin paysan, buté, bêta, naïf.2 »

Source : Manuscrit La Vallière, nº 51.

Structure : Rimes plates, avec 4 triolets.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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*

Farce  nouvelle

à  quatre  personnaiges

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C’est à sçavoir :

       LA  FEMME  [Périne]

       LE  BADIN,  son mary  [Colinet]

       LE  PREMYER  VOUÉSIN 3

       LE  DEUXIÈME  VOUÉSIN

       [LE  VICAIRE] 4

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*

                        LA  FEMME  commence.  Et est  L’HOMME  À  MES  POIS 5

        Hau, Colinet !                                                        SCÈNE  I

                        LE  BADIN

                                Plaist-il, Périne ?

                        LA  FEMME

        Mais que faictes-vous là-derière ?

                        LE  BADIN

        Je lâches un petit6 d’urine.

                        LA  FEMME

        Hau, Colinet !

                        LE  BADIN

                                Plaist-il, Périne ?

                        LA  FEMME

5     Ne viendrez-vous poinct, sote myne7 ?

                        LE  BADIN

        Esgouter fault la pissotierre8.

                        LA  FEMME

        Hau, Colinet !

                        LE  BADIN

                                Plaist-il, Périne ?

                        LA  FEMME

        Mais que faictes-vous là-derière ?

                        LE  BADIN

        Je racoutroys une chauldière9,

10    Ma mye,10 qui a le cul rompu.

                        LA  FEMME

        Vostre male mort, sot testu !

        Cela n’est pas vostre mestier.

                        LE  BADIN

        Je racoustris bien, devant-yer11,

        Le cul d’une femme12.

                        LA  FEMME

                                               Comment ?!

                        LE  BADIN

15    De sa chauldière, voyrement,

        Pource qu’il estoyt esrouillé.

                        LA  FEMME

        Et ! paix, paix, c’est trop babillé !

        Que n’alez-vous au labourage,

        Ainsy c’un homme de ménage13

20    Doibt faire pour aulx biens venir14 ?

                        LE  BADIN

        A ! il m’en vient de souvenir.

        G’y voys15, mais il fault desjuner.

                        LA  FEMME

        Je ne vous séroys rien16 donner

        Que du pain bis et des châtaignes.

                        LE  BADIN

25    C’est à faire aulx gens des montaignes !

        Ce n’est poinct ce que je désire ;

        Je veulx…

                        LA  FEMME

                         Quoy ?

                        LE  BADIN

                                     Je ne l’ose dyre.

        Mon Dieu, que c’est un grand menger !

        J’en vouldroys bien.

                        LA  FEMME

                                         Tant langager !

30    Dictes que17 c’est, que je le sache.

        Du mouton ? Ou d’une béca[c]he18 ?

        D’une perdris ? Ou d’un levrault19 ?

                        LE  BADIN

        Nénin, non, c’est bien20 qui myeulx vault :

        C’est de…

                        LA  FEMME

                       De quoy ?

                        LE  BADIN

                                      Ho ! saincte Voye21 !

35    Toult le ventre me rit de joye,

        Quant g’y pence.

                        LA  FEMME

                                   Esse du mouton ?

        D’un bon cerveau22 ? Ou d’un chapon ?

        D’un lapin ? Ou d’une poulaille ?

                        LE  BADIN

        Nénin, non, ce n’est rien qui vaille

40    Auprès de cela que j’entens23.

                        LA  FEMME

        Voécy térible passetemps !

        Encor[e] me fault-y sçavoir

         Que c’est.

                        LE  BADIN

                          Sy j’en povès avoir,

        Je le dyrois bien souldain ; mais…

                        LA  FEMME

45    Vous en aurez, je le promais.

        Mais aussy, quant vous en aurez,

        Incontinent [aulx champs irez]24.

                        LE  BADIN

        Touchez là25, le marché est faict !

        Mais sy je n’en ay en efaict,

50    Ne pot, ne pelle, ne ménage,

        Ne labour, ny le labourage 26

        Par moy ne sera avancé27.

                        LA  FEMME

        C’est ainsy que je l’ay pensé ;

        Je l’entens toult en ceste sorte.

                        LE  BADIN

55    Jurez !

                        [LA  FEMME]

                   Le deable vous emporte

        En Enfer ou en Paradis

        S’y n’est ainsy que je le dis !

                        [LE  BADIN]

        Le prométez-vous pas, au moins ?

                        LA  FEMME

                                                               Ouy dea.

                        LE  BADIN 28

        Je vous prens pour tesmoingtz ;

60    Souvyenne-vous-en, mes amys !

                        LA  FEMME

        Dictes que c’est, voécy trop mys29 ;

        Ne faictes plus du papelart30.

                        LE  BADIN

        C’est…

                        LA  FEMME

                    Quoy ?

                        LE  BADIN

                              C’est…

                        LA  FEMME

                                         Et ! quoy ?

                        LE  BADIN

                                                          [C’est…] du lart.

        O ! Périne, la grand vïande !

65    J’en veulx, car mon fruict en demande31.

        Agardez32 : le ventre m’en sue.

                        LA  FEMME

        Vous me la baillez bien cornue33 !

        À toulx les deables le saullard34 !

                        LE  BADIN

        Périne, ma mye, c’est du lard.

70    Qu’i soyt gros, gras35 comme le poing,

        Pour gresser un morceau de pain.

        J’en veulx, y se fault despescher !

                        LA  FEMME

        Par sainct Jehan ! alez en chercher :

        Ciens36 n’en a morceau quelconques.

                        LE  BADIN 37

75    Je ne suys plus laboureur, donques.

                        LA  FEMME

        D’aultre vïande aurez assez.

                        LE  BADIN

        Par ma foy, j’ey les rains cassés ;

        Sans lard, je ne séroys rien faire.

                        LA  FEMME 38

        Voyez, c’est tousjours à refaire.

80    Esse ainsy que les aultres font ?

                        LE  BADIN

        Puysque je l’ay mys à mon front39,

        De cest an40, rien je ne feray

        Sy je n’ay du lard. J’en éray41,

        Puysque je l’ay détermyné !

                        LA  FEMME

85    Nostre trouye a cochonné42 :

        Vous érez du lard des petis,

        Vous y prendrez plus d’apétis.

        Et ! levez-vous, je vous emprye !

                        LE  BADIN

        Ma foy ! j’éray du lard, ma mye,

90    Premyer43 que d’icy je ne bouge.

                        LA  FEMME

        Nous avons une44 poulle rouge :

        Voulez-vous que on la mengons45 ?

                        LE  BADIN

        Je ne veulx poulles, ne cochons,

        Ne oysons : je veulx du lard, merde !

                        LA  FEMME

95    Fault-il que le labour se perde

        Pour atendre tant sur le tard ?

                        LE  BADIN

        Aportez-moy donques du lard,

        Et je seray bien tost levé.

                        LA  FEMME

        Cest homme[-cy est enrêvé]46.

100  Et ! levez-vous, je vous emprye !

                        LE  BADIN

        Je suys bien malade, ma mye.

                        LA  FEMME

        Je voys le médecin quérir.

                        LE  BADIN

        S’yl est lard, faictes-lay47 venir ;

        Mais s’y n’est de lard, laissez-lay.

                        LA  FEMME

105  Je ne sçay donq que je feray.

        Synon48, n’avons[-nous] un pourceau ?

        Tuons-le, puys en un vaisseau

        Le salerons. Et par ce poinct,

        Du lard aurez à vostre apoinct.

110  Je ne séroys faire aultre chose.

                        LE  BADIN 49

        Voy(e)là trèsbien parlé, ma roze.

        Mon Dieu, que vous me faictes aise !

        Hé ! Périne, que je vous baise !

        J’éray du lard, du lard, du lard ! 50

                        LA  FEMME

115  Colinet, ains51 qu’i soyt plus tard,

        Aler vous fauldra, comme habille52,

        Quérir du sel jusqu(e) à la ville,

        Entendez-vous, pour le saller.

                        LE  BADIN

        Ouy dea, je suys prest d’y aler.

120  Mais de payer, quoy ? Je n’ay croys53.

                        LA  FEMME

        Colinet, nous avons des poys :

        Y vous en fault un boysseau54 prendre

        Sur vostre col, et l’aler vendre ;

        Y vault sept soublz et un denyer55.

125  Et puys vous yrez au grenyer56

        Quérir du sel.

                        LE  BADIN

                                G’y voys courir.

        Mais il se fault donq enquérir

        Quant il sera jour de marché.

                        LA  FEMME

        Vous faictes bien de l’empesché !

130  Alez-y, puysque le vous dy.

        Y sera demain samedy57.

        Soyez sage, doulx et courtoys.

        Et ne faictes pas grans despens.

                        LE  BADIN

        Par ma foy, Périne, g’y voys.

135  Mais reviendrai-ge assez à temps ?

                        LA  FEMME

        Ouy, ouy, ainsy que je prétemps.

                        LE  BADIN

        Bien, g’y voys. À Dieu !

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                        LA  FEMME                                       SCÈNE  II

                                               Quel marchant58 !

        En est-il, sur terre marchant,

        Encor un de telle mémoyre ?

140  Je croy que non.

.

                        LE  BADIN 59                                     SCÈNE  III

                                    Et ! voy(e)re, voy(e)re,

        Nous arons du lard, sy Dieu plaist. 60

        Or çà ! y me61 fault, sans long plaist

       — Car je suys un marchant gaillard62

        Pour achater un boisseau de lard

145  Pour menger de mes poix pillés63

        Ou bien y fault des poix sallés

        Pour le sel du grenyer au lard ?…

        Des poix… Le grand deable y ayt part !

        Il ne m’en puyst [plus] souvenir.

.

                        LE  PREMYER  VOÉSIN                 SCÈNE  IV

150  Voésin !

                        LE  IIe  VOÉSIN

                       Hau !

                        LE  PREMYER  VOÉSIN 64

                                 Veulx-tu pas venir

        Au marché ?

                        LE  IIe  VOÉSIN

                             J’en suys bien d’acord :

        De blé suys encor à fournyr65.

                        LE  PREMYER  VOÉSIN

        Voésin !

                        LE  IIe  VOÉSIN

                      Hau !

                        LE  PREMYER  VOÉSIN

                               Veulx-tu pas venir ?

                        LE  IIe  VOÉSIN

        Ouy bien. Mais y fault revenir66,

155  Que n’aye à ma femme discord.

                        LE  PREMYER  VOÉSIN

        Voésin !

                        LE  IIe  VOÉSIN

                       Hau !

                        LE  PREMYER  VOÉSIN

                                Veulx-tu pas venir

        Au marché ?

                        LE  IIe  VOÉSIN

                             J’en suys bien d’acord.

        Me voélà prest.

                        LE  PREMYER  VOÉSIN

                                 Marchons donq fort,

        Car il sera tantost grand heure.

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                        LE  BADIN                                          SCÈNE  V

160  Voécy où la Hale demeure.

        Garder se fault de gens meschans.

        Qu’i y éra de beaulx marchans67,

        Mais68 que g’y soys !

                                             G’y suys venu69.

        Carculer70 fault par le menu

165  Comme il me fault jà gouverner71.

        Toult premyer, me fault, au grenyer,

        Vendre les poix de mon pourceau

        Afin d’achater un boysseau

        De lard… de poix… de sel… Bren ! Merde !

170  Y fault, afin que je ne perde,

        Prendre de l’argent pour bailler

        Des poix au grenyer du célier…

        De la chambre72… Non : à la salle,

        Pour avoir, du lard de la Halle,

175  Un boysseau de sel, c’est cela.

        A ! je l’ay trouvé, le voy(e)là !

        Et ! vertu bieu, qu’i m’a cousté !

.

                        LE  PREMYER  VOÉSIN 73            SCÈNE  VI

        Voésin, as-tu pas escousté

        Le propos de cest homme nisse74 ?

                        LE  IIe  VOÉSIN

180  Ouy, bien j’en rys.

                        LE  PREMYER  VOÉSIN

                                        Qu’on me punisse

        Comme un méchant75 sy je n’emporte

        Sac et poix ! Demeure à la porte,

        Et tu voyras tantost beau jeu.

.

                        LE  BADIN 76                                      SCÈNE  VII

        Çà, marchant[s, çà], çà, de par Dieu !

185  Qui aura, qui aura mes poys ?

        Sont-y refaictz, sont-il de poys77 !

        Y sont aussy nès78 c’une perle.

                        LE  PREMYER  VOÉSIN

        Dieu vous gard !

                        LE  BADIN

                                   Qui esse qui parle ?

        Qui en aura, qui en aura ?

                        LE  PREMYER  VOÉSIN

190  Parlez : combien me coustera

        Ce boysseau de poix ?

                        LE  BADIN

                                             Nostre Dame !

        Ce sont poys sucrés, c’est un basme79.

        Ma foy, ce sont de mestres poys80.

                        LE  PREMYER  VOÉSIN

        Vous estes sourd, comme je croys.

195  Respondez-vous poinct ?

                        LE  BADIN

                                                 Sont-ilz beaulx !

        Y cuisent bien en toutes eaulx ;

        Et sy81, ne leur fault c’un bouillon.

                        LE  PREMYER  VOÉSIN

        C’est grand plaisir !

                        LE  BADIN

                                        Sainct Jehan, c’est mon82 !

        Ne m’en metez au feu qu’autant :

200  Par-dessus le pot croistront tant,

        Qu’i vous en convyendra oster83.

        Y sont tant bons à afester84 !

        Y portent85 leur sel et leur lard.

                        LE  PREMYER  VOÉSIN

        Vrayment, tu es marchant gaillard.

205  Mès du pris que me cousteront ?

                        LE  BADIN

        Vistes[-vous] onc chose plus ront ?

        Quel beau grain ! Y n’y a qu’eslire86.

                        LE  PREMYER  VOÉSIN

        Despeschez-vous donc de me dire

        Que j’en pouéray87, et vous hastez !

                        LE  BADIN

210  Ma foy, mès que vous en tastez88,

        Vous en vouldrez bien de la sorte ;

        Mais aussy, mais que j’e[n] aporte,

        Vous en aurez par-dessus tous89.

                        LE  PREMYER  VOÉSIN

        Voyre, mès que les vendez-vous ?

215  Ne me tenez plus de90 blason.

                        LE  BADIN

        Ilz sont telz dessus que dessoublz91.

                        LE  PREMYER  VOÉSIN

        Voy(e)re, mais que les vendez-vous ?

                        LE  BADIN

        J’en ay bien encor à cinq soublz,

        De mesmes, dens nostre maison.

                        LE  PREMYER  VOÉSIN

220  Voy(e)re, mais que les vendez-vous ?

        Ne me tenez plus [de] blason.

                        LE  BADIN

        Sur ma foy, vous avez raison.

        Vous en pay(e)rez… Que sai-ge, moy ?

        Dix soublz92, c’est trop ?

                        LE  PREMYER  VOÉSIN

                                                  A ! par ma foy,

225  C’est trop : ce sont sept et demy.

                        LE  BADIN

        Vrayment, c’est trop peu, mon amy,

        Pour la bonté93 qui est en eulx.

                        LE  PREMYER  VOÉSIN

        [Or] ne cuisent-il pas comme œufs94.

                        LE  BADIN

        Demandez-vous fris, ou rostis95 ?

230  Pour leur donner plus d’apétis,

        Metez-les cuyre à petit feu ;

        Le pot sera remply d’un peu.

                        LE  PREMYER  VOÉSIN

        Vous en arez huict soublz, alez.

        Et que jamais ne m’en parlez96 !

                        LE  BADIN

235  Et ! Par mon âme, ce seront neuf !

                        LE  PREMYER  VOÉSIN

        Je n’en donroys pas plus d’un œuf.

        Par Dieu ! fault-il tant barquigner97 ?

                        LE  BADIN

        Prenez-le donc pour m’estréner98.

        Haster me fault, car l’heure est haulte.

                        LE  PREMYER  VOÉSIN

240  Y fault que vous venez sans faulte

        [À mon huis]99 quérir vostre argent.

                        LE  BADIN

        Y me fault estre diligent,

        Premyer, de100 m’aler faire escripre

        À celuy qui garde la cyre101

245  Du sel pour le lard, afin d’estre

        Des premyers escriptz, nostre maistre,

        Pour m’en retourner vitement.102

                        LE  PREMYER  VOÉSIN

        Vous n’avez poinct d’entendement :

        Je suys un homme de Vernon103.

250  Mais que je vous aye dict mon non

        Et le cartier où je demeure,

        Vous ne mectrez pas demy-heure104.

        Entendez bien, et retenez.

                        LE  BADIN

        Ouy, ouy, g’iray à veue de nes105.

255  Et ! qui langue a va bien à Romme.

                        LE  PREMYER  VOÉSIN

        Entendez-vous bien ? On me nomme,

        Par mon droict non106, Zorobabel,

        Demourant dessoublz le Moussel107.

        Or alez, notez bien ce poinct.

                        LE  BADIN

260  Non, non, je ne l’ombliray108 poinct.

        Zoroborel, n’est pas109, mon maistre ?

                        LE  PREMYER  VOÉSIN

        Zorobabel !

                        LE  BADIN

                            Y le fault mestre

        Bien avant dedens mon cerveau.

        [Zorobarel, ce]110 non est beau.

265  Zora comment ?

                        LE  PREMYER  VOÉSIN

                                   Zorobabel !

                        LE  BADIN

        Depuys le temps du bon Abel,

        Je n’ay veu un non sy gentil.

        O Dieu !

                        LE  PREMYER  VOÉSIN

                        (O Dieu, est-il subtil !)

                        LE  BADIN

        Tousjours le diray en alant111.

.

                        LE  PREMYER  VOÉSIN 112          SCÈNE  VIII

270  Et puys ?

                        LE  IIe  VOÉSIN

                         Tu es un vray chalant113 :

        Tu poys114 contant sans bource ouvrir.

                        LE  PREMYER  VOÉSIN

        Ay-ge des poys sans descouvrir

        Croix ne pille115 ?

                        LE  IIe  VOÉSIN

                                        Je n’y difère116.

                        LE  PREMYER  VOÉSIN

        Or sçays-tu bien qu’i nous fault fayre117 ?

275  Y te fault en ce lieu tenir ;

        Tantost le voiras118 revenir

        Me chercher, et demandera

        Mon non. Bien sçay qu’i l’omblyra,

        Mais garde-toy bien de luy dire.

                        LE  IIe  VOÉSIN

280  Et ! laisse-moy faire, beau syre :

        Je n’ay pas peur d’estre déceu119.

        Y m’est advys qu[e l’]ay aperceu.120

.

                        LE  BADIN                                          SCÈNE  IX

        Je suys des premyers mys au roulle121.

        Mais premyer que le jour s’escoulle122,

285  Ma pouche123 et argent quérir voys.

        C’est Gorget124 Barbel, toute foys ?

        Georges Barbès, c’est bien parlé.

        Mais la rue125 a un non salé.

                        LE  IIe  VOÉSIN

        (Voécy assez bon colibet126.)

                        LE  BADIN

290  Où demeure Gorget Barbet ?

        Enseignez-le-moy, mon cousin.

                        LE  IIe  VOÉSIN

        Demandez-vous Gorget Bardin ?

        Y demeure auprès du marché.

                        LE  BADIN

        Je ne suys poinct bien adressé127 :

295  C’est un aultre non, plus sallé.

                        LE  IIe  VOÉSIN

        Je sçay bien : c’est Mathieu Salé128.

        Y tire bien de l’arbalestre129.

.

                        LE  BADIN                                           SCÈNE  X

        Cest homme icy me fera pestre.

        Ce n’est ne Gorgin, ne Gorget,

300  Ne Rogerin, ne Rogeret ;

        C’est un deable de non, ce croi-ge.

        Or çà ! Maintenant, or m’en voi-ge

        Sans sel, sans argent et sans pouche.

        Suys-je poinct plus lourd c’une souche,

305  De l’avoir ainsy omblyé ?

        À Dieu mes poys ! Je suys payé

        Sans mauvais argent130 recevoir.

        Or çà, y me fault aller voir

        Que c’est que me dira Périne.

310  El me fera bien laide mine.

        Poinct je ne mengeray de lard.131

.

        Périne !                                                                  SCÈNE  XI

                        LA  FEMME

                     Et ! d’où venez-vous sy tard ?

        Où sont vos poys ? Sont-il ven[d]us ?

                        LE  BADIN.

        Y sont, ma mye, par Dieu, perdus :

315  Je n’ay sceu trouver le marchant.

                        LA  FEMME

        Vous estes bien lâche132 et méchant,

        De l’avoir omblyé ainsy.

                        LE  BADIN

        C’est un deable de non, aussy ;

        Je n’en vis jamais de la sorte.

                        LA  FEMME

320  Colinet, y fault qu’on s’assorte133,

        Puysque ce non est sy estrange,

        D’aler prier sainct Michel l’ange

        Et monsieur sainct Martin des Champs134,

        Qu’i nous radresse[nt] nos marchans135

325  Pour en avoir bonne nouvelle.

                        LE  BADIN

        G’y voys donc, Périne la belle ;

        Je n’atendray pas à dimence136.

                        LA  FEMME

        Alez tost, la messe commence.

        Mectez-vous en dévotion.

.

                        [LE  VICAIRE] 138                            SCÈNE  XII

330  Et post transmys gracion 139,

        Jéconiam autem génuyt Salatyel.

        Salatiel autem génuyt Zorobabel…

                        LE  BADIN

        Zorobabel ? Et ! Nostre Dame !

        C’est l’homme à mes poys, par mon âme !

335  Monsieur, monsieur, artez-vous140 là !

                        [LE  VICAIRE]

        Te tèras-tu, méchant infâme ?

                        LE  BADIN

        C’est l’homme à mes poys, par mon âme !

                        [LE  VICAIRE] 141

        Messieurs, voi(e)cy un gros difame.

        Et ! faictes taire ce fol-là !

                        LE  BADIN

340  C’est l’homme à mes poys, par mon âme !

        Monsieur, monsieur, artez-vous là !

        Par ma foy, c’est celuy qui l’a,

        Mon boysseau de poys, que je charche142.

                        [LE  VICAIRE]

        Te tèras-tu ? Tu es bien lâche :

345  Tu rons le service divin.

                        LE  BADIN

        Et ! Monsieur, je pay(e)ray du vin,

        Et tournez un peu le feuillet :

        Vous trouverez, sans plus de plet,

        La rue où c’est qu’est son143 demeure.

                        [LE  VICAIRE]

350  Peu s’en fault que de deuil144 ne meure

        Pour ce paillard qui m’a troublé.

                        LE  BADIN

        Monsieur, je vous pay(e)ray en blé ;

        Vous ne perdrez pas vostre peine.

        Sy vous aymez myeulx de l’avoynne,

355  J’en feray bastre samedy.

                        [LE  VICAIRE]

        Voi(e)cy un bon sot estourdy !

        Y me fera sortir du sens.

                        LE  BADIN

        Hélas ! y n’est guères de gens

        Qui l’eussent sceu adevigner145

360  Comme vous.

                        [LE  VICAIRE]

                                C’est pour badiner146 !

        Je voys reclore mon messel147.

                        LE  BADIN

        C’est mon, c’est la rue au Moussel148 !

        Vous estes un homme de Dieu,

        D’avoir dict la place et le lieu ;

365  Et tant de gens ne l’ont sceu dire.

        Ç’a esté par vostre clergie,

        Puysqu’i fault que je le dye.

        Mais escripvez-le-moy, beau sire,

        À celle fin que ne l’omblye.

                        [LE  VICAIRE]

370  (Je ne fus onques, en ma vye

        D’homme, sy très fort empesché.

        Mais pour en estre despesché,

        Escripre luy voys bien et bel.)

        Comme[nt] esse ?

                        LE  BADIN

                                      Zorobabel.

375  Ne l’av’ous149 pas ainsy nommé ?

        C’est un homme bien renommé.150

                        [LE  VICAIRE]

        Ouy dea ! Où esse qu’i se tient ?

                        LE  BADIN

        Or atendez, il m’en souvyent :

        En refermant vostre messel,

380  M’avez dict à « la rue au [Mous]sel ».

                        [LE  VICAIRE]

        C’est vray. (Escrire y luy convyent151.)

                        LE  BADIN

        (Ilz sçayvent toult ce qu’il advyent

        Par ces livres, ma foy, ces prestres.

        A ! sy j(e) eusse congnu les lestres

385  Qui sont à la croys de par Dieu 152,

        J’eusses esté grand clerq, par Dieu !

        J’ouÿs153 dire que toult y est.)

                        [LE  VICAIRE]

        Voylà vostre mémoyre154 prest.

        Despeschez-vous, que l’on s’en voise155 !

                        LE  BADIN

390  A ! je m’en voys sans faire noyse,

        Monsieur ; ne prenez plus de peine.

                        [LE  VICAIRE]

        Ce n’est point cela qui me maine.

        Alez-vous-ent, c’est trop parlé !

                        LE  BADIN

        Mais que nostre vache ayt veslé156,

395  Ma mère vous donra du lect,

        Vrayment, voire : nostre valect

        La maine en un bon erbage157.

        Et sy ma femme faict du fourmage158,

        Vous en érez une douzaine.

                        [LE  VICAIRE]

400  (Y me tiendra toulte159 semaine.)

        Alez, plus ouÿr ne vous veulx !

                        LE  BADIN

        Mon amy, nous avons de[s] œufz

       — Les plus très gros et les plus beaulx —

        De guéline160 ; il ont deulx mouyaulx161,

405  [Sy blons que]162 ma femme Périne :

        C’est de nostre grise guéline.

        Se voulez venir quant et quant163,

        Nous ferons Karesme-prenant164 :

        Par ma foy, nous ferons grand chère !

                        [LE  VICAIRE]

410  Beau sire, tirez-vous arière,

        Alez-vous-en ! Tenu je suys

        À Dieu165.

                        LE  BADIN

                            À Dieu, et grand[s] mersis !166

.

        De bonne heure167 me suys levé :                         SCÈNE  XIII

        [Au] premyer168 il est retrouvé,

415  Mon boysseau de poys.

                        LA  FEMME

                                               Jésuchrist !

                        LE  BADIN

        J’ey le non de l’homme en escript,

        Et la rue où c’est qu’il demeure.

                        LA  FEMME

        Alez-y demain en quelque heure,

        Sans qu’il y ayt plus de séjour169.

                        LE  BADIN

420  Ainsy feray-ge, n’ayez pour170.

                        LA  FEMME

        Qui vous a [peu ce]171 plaisir faire ?

                        LE  BADIN

        Ma mye, ç’a faict le vicaire.

        Quant je fus dedens le moustier172,

        Y se print tout hault à crier

425  « Zorobabel », l’homme à mes poys.

        Et je cours et je m’y en voys,

        Là où je fis sy bon enquest173

        Qu’i m’enseigna le lieu où c’est

        Et la rue [là] où il se tien.

                        LA  FEMME

430  Hélas, il est homme de bien !

                        LE  BADIN

        Aussy, s’y vient en la maison,

        N’épargnez poullet ny oyson,

        Car nous [lu]y sommes bien tenus.

                        LA  FEMME

        Ses plaisirs seront recongnus,

435  Soyt en blé, en orge ou en boys,

        Tandy[s] qu’irez chercher vos poys174.

        Piéçà175 sy grande joye je n’us.

.

                        LE  BADIN 176                                    SCÈNE  XIV

        À Dieu vous dis, grans et menus.

        Souvyenne-vous de mes bons poys.

440  Car on ne m’y trompera plus,

        Une aultre foys, sy g’y revoys.

        Pourquoy esse ? Car je congnoys

        Le compaignon Zorobabel :

        Je m’en voys toult droict à l’ostel177.

445  Mais qu’i plaise à la compaignye,

        Une chanson, je vous emprye !

.

                                     FINIS

*

.

.

PLAISANT  RENCONTRE

D’UN  HOMME  À  QUI  ON  AVOIT

DÉROBÉ  DES  POIS 178

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Un certain homme, ayant achepté des pois pour passer son Caresme, les mit dans son grenier pour les y conserver. Mais un bon drosle, envieux d’en manger sa part, résolut de les desrober sans se soucier beaucoup de s’en confesser à Pâques ; ce qu’il fit, au grand regret du possesseur, lequel ne manqua pas d’en faire faire les perquisitions possibles pour se venger ensuite du larron. Estant enfin venu à la connoissance179 de celuy qui avoit fait le coup, il sceut que c’estoit un certain homme nommé Zorobabel, qu’il n’avoit jamais veu. Il retint pendant quelque temps ce nom ; mais comme il estoit estrange pour luy, il l’oublia, en sorte qu’il ne fut plus en son pouvoir de le trouver ny de le poursuivre.

La feste de Nostre Dame180 estant venue longtemps après, il alla à la messe sans songer plus à son voleur ; et, entendant que l’Évangile, qui fait la généalogie de la Vierge, disoit : Genuit Zorobabel, Zorobabel autem genuit etc, il s’écria : « Ah ! ah ! le voylà, l’homme à mes pois ! C’est luy qui me les a desrobés ! » Ce qui surprit extrêmement tous les assistans, lesquels excusèrent son procédé, et luy aydèrent à trouver celuy qui l’avoit desrobé ; lequel fut obligé de s’acorder avec sa partie, crainte de quelque funeste sentence de la part des juges en cas qu’on l’eust poussé en Justice.

.

*

1 Une édition peu intelligente est parue en 1837, sous le titre la Femme et le Badin.   2 Répertoire des Farces françaises. Imprimerie nationale, 1993, p. 207.   3 Le 1er Voisin et le 2ème Voisin logent dans le même quartier de Vernon. Le couple de fermiers habite dans un village à proximité.   4 Par souci d’économie, l’acteur qui jouait le Premier Voisin tenait aussi le rôle du Vicaire, que le régisseur a nommé partout « le Premier Voisin ». Les copistes ultérieurs n’ont pas rétabli le nom logique. Voir le commentaire de B. Faivre, p. 207, et la notice des Drois de la Porte Bodés, une farce qui présente la même particularité.   5 Ce titre est repris aux vers 334 et 425, et dans l’Enfant sans soucy.   6 Un peu. Colinet est derrière le rideau de fond.   7 Sotte Mine est un personnage des Sotz qui remetent en point Bon Temps.   8 Ms : pisotierre  (Ma verge. « Montrer à tous ma povre pissotière. » La Muse normande.)   9 Je réparais un chaudron.   10 Vu les errements de Colinet en matière de syntaxe, il y a gros à parier que son interprète escamotait cette virgule : ma mie qui as le cul rompu.   11 Avant-hier.   12 Ces allusions scabreuses abondent dans les Femmes qui font escurer leurs chaulderons.   13 Bon ménager, soucieux de ses intérêts.   14 Pour acquérir des biens.   15 « Voys » signifie « vais » tout au long de la pièce.   16 Ms : que  (Je ne saurais rien vous donner d’autre.)  « Séroys » est une forme normande de saurais, avec le sens de pourrais. Idem vers 78 et 110.   17 Ce que. Idem vers 43, 61, 105, 274, 309.   18 Bécasse (normandisme).   19 Un jeune lièvre.   20 C’est un bien, une chose précieuse.   21 Ms : voyee  (Colinet semble confondre la sainte voie, qui mène au Paradis, et sainte Avoie, qui mène au bordel : cf. le Povre Jouhan, vers 190 et note.)   22 De la cervelle de mouton. Mais peut-être faut-il corriger : chevreau.   23 À côté du mets auquel je pense.   24 Ms : vous ires / aulx champs   25 Topez là.   26 Ni mon devoir conjugal. Cf. Raoullet Ployart, vers 15 et 67.   27 Accompli.   28 Il s’adresse aux hommes du public.   29 Voilà trop de temps perdu.   30 Ne tournez plus autour du pot.   31 On cédait aux envies de nourriture des femmes enceintes pour que leur fruit [leur enfant] naisse sans tare. Cf. Frère Guillebert, vers 178 et note.   32 Regardez (normandisme).   33 Ms : cosue  (« Il nous baille des plus cornues : Il nous dit de grandes sottises, il nous en fait croire. » Oudin.)  « Tu me la bailles bien cornue ! » L’Aveugle, son Varlet et une Tripière.   34 Le soûlard. C’est le vers 460 du Poulier à sis personnages.   35 Colinet, qui maîtrise mal la syntaxe, inverse les deux adjectifs.   36 Céans, ici. Cf. Lucas Sergent, vers 81.   37 Il se couche par terre.   38 Elle s’adresse aux femmes du public.   39 Dans ma tête.   40 Ms : en  (De toute cette année. « Il n’y fut planté de cest an. » Pour porter les présens.)   41 Forme normande du verbe avoir, comme aux vers 86, 89, 114, 141, 162, 233, 399.   42 Notre truie a mis bas. Les Normands scandaient « trou-ie » en 2 syllabes, comme dans ce refrain octosyllabique de la Muse normande : « Un loup prins par une trouye. »   43 Avant. Idem vers 166, 243, 284.   44 Ms : dune   45 Que nous la mangions (normandisme).   46 Ms : sy est en reue  (Il est délirant. « N’est-il pas bien hors de raison,/ Sot batheleur et enresvé ? » Le Savetier qui ne respond que chansons, F 37.)  Le vers suivant reprend le vers 88.   47 Forme normande du pronom « le », comme au vers suivant.   48 Ms : sy nons   49 Il se relève.   50 Ce vers est probablement chanté.   51 Avant.   52 Comme un homme habile.   53 Je n’ai ni croix ni pile (vers 273) : je n’ai pas un sou. Cela démontre que le vers 133 est apocryphe.   54 Un sac de 13 kg.   55 Périne, qui vit loin de la grande ville, pense que pour un boisseau de pois, le prix du marché est toujours de 7 sous et un douzième de sou. En fait, il est passé à 7,5 sous (vers 225).   56 Au grenier à sel, où un fonctionnaire vend le sel soumis à l’impôt de la gabelle.   57 Demain il fera jour. Cependant, à Vernon, le marché se tenait le samedi : voir Edmond Meyer, Histoire de la ville de Vernon, t. II, 1876, p. 173. Colinet s’apprête donc à manger du lard un vendredi, jour maigre.   58 C’est exactement ce que dit la femme de maître Pathelin quand son mari sort pour « acheter » du drap. Les allusions à la Farce de Pathelin sont nombreuses.   59 Avec un sac de pois sur l’épaule, il sort du village et se dirige vers la ville.   60 Colinet chante toujours quand il est content (vers 114). Il paraphrase ici Tu disoys que j’en mourroys, une chanson érotique à la mode, mise en musique par Claudin de Sermisy et publiée en 1530 : « Et ! voire, voire,/ Tu disoys, tu l’as dit, tu disoys. »   61 Ms : ne  (Plaid = discours. Idem vers 348.)   62 Vaillant et hardi. Au vers 204, on reconnaît ironiquement que Colinet est un « marchant gaillard ».   63 L’expression n’est pas mise dans la bouche d’un demi-sot par hasard. Depuis Adam de la Halle, les pois pilés sont la nourriture des fous : « Donne-m’assez de pois pilés,/ Car je sui, voi, un sos clamés. » (Jeu de la Feuillée.) Les Sots font d’ailleurs tournoyer une vessie de porc dans laquelle tintent des pois secs. Tout cela débouchera sur un nouveau genre dramatique, le jeu des pois pilés, qui est « une fatrasie divisée en couplets et récitée en public par des sots ou des badins ». (Émile Picot, Recueil général des Sotties, t. 1, pp. V-VI.)   64 À partir d’ici, le ms. abrège les rubriques en le p v et le iie v ; je ne le suivrai pas.   65 Il me faut du blé.   66 Je dois revenir très vite.   67 De clients qui marchandent. Idem vers 184, 315, 324.   68 Pour peu. Idem vers 201, 212, 250, 394, 445.   69 Je suis arrivé. Colinet pose son sac. Il ne voit pas les deux voisins, qui s’arrêtent derrière lui.   70 Calculer. Cf. la Folie des Gorriers, vers 215.   71 Comment je dois me comporter : ce que je dois faire, et dans quel ordre.   72 La chambre à sel des Andelys dépendait du grenier à sel de Vernon. « Chaque minot de sel vendu et distribué au grenier établi en la dite ville de Vernon, et chambre à sel d’Andeli en dépendant. » E. Meyer, p. 95.   73 Les deux voisins s’éloignent un peu.   74 Ms : nise  (Stupide. Cf. les Cris de Paris, vers 411.)   75 Un bon à rien. Idem vers 316 et 336.   76 Il déclame les cris traditionnels des vendeurs. Le 1er Voisin va vers lui.   77 Qu’ils sont gros, qu’ils ont un bon poids.   78 Nets. Cf. Mahuet, vers 208. Les mésaventures du badin Mahuet ressemblent beaucoup à celles du badin Colinet.   79 Un baume, un nectar.   80 De maîtres pois : des pois d’exception.   81 Et même.   82 C’est mon avis. (Idem vers 362.) Colinet montre au client une poignée de pois.   83 Que vous devrez en enlever pour que le pot ne déborde pas.   84 Ils sont si faciles à préparer (verbe affaiter).   85 Ils supportent bien. Colinet revient à ses obsessions du moment : le sel, et le lard.   86 Ce n’est même pas la peine de les choisir : ils sont tous bons. « (Je) say bien les poys eslyre. » La Bouteille.   87 Ce que j’en paierai.   88 Pour peu que vous y goûtiez.   89 Avant tout le monde.   90 Ms : en  (Même faute au refrain, vers 221.)  Ne me tenez plus de discours futiles. « Sans point tenir tant de blason,/ Retourner fault à la maison. » Deux hommes et leurs deux femmes.   91 Je n’ai pas mis les plus beaux dessus pour cacher ceux qui sont pourris.   92 Voir la note 55.   93 La qualité.   94 Ms : eulx  (Ils ne cuisent pourtant pas aussi vite que des œufs.)   95 Des œufs au plat, qui cuisent vite, ou des « œufz rostis en la broche », dont Taillevent explique l’interminable préparation.   96 N’en parlons plus. Maître Pathelin, quand il veut escroquer le drapier, accepte lui aussi d’être perdant au marchandage afin de le rassurer.   97 Barguigner, marchander.   98 Pour conclure ma première vente. « Souffist-il se je vous estraine/ D’escus d’or, non pas de monnoye ? » (Farce de Pathelin.) Mais Colinet ne fera pas d’autre vente, puisqu’il n’a plus rien à vendre.   99 Ms : auecques  (Nouvelle référence à Pathelin, qui proposait au drapier de venir récupérer ses 6 écus chez lui : « Vous les prendrez/ À mon huis, en or ou monnoye. »)   100 Ms : que  (Colinet ne peut suivre son client, car il doit d’abord aller s’inscrire auprès du fonctionnaire de la gabelle.)   101 Le cachet du grènetier.   102 Le ms. attribue ce vers au 1er Voisin.   103 Ms : Rouen  (Tôt ou tard, la pièce a dû être jouée à Rouen ; mais ce nom, qui fut placé là pour l’occasion, ne rime pas.)  La ville normande de Vernon-sur-Seine, dans l’actuel département de l’Eure, possédait un grenier à sel où s’approvisionnaient les paroisses avoisinantes : « Chacune prise de sel qui sera monté & levé par eaux & contremont la rivière de Seine, audessus & outre les limites du grenier à sel de Vernon. » (Louis XII.) Edmond Meyer consacre à cet important grenier un chapitre de son Histoire de la ville de Vernon, t. II, pp. 88-98.   104 Pour venir vous faire payer chez moi.   105 À vue de nez : les yeux fermés.   106 Par mon nom de famille. Zorobabel est un personnage biblique.   107 Ms : Risel  (Au bas de la chapelle Saint-Jean-du-Moussel, dans la rue du Moussel, à Vernon. Voir E. Meyer, p. 230.)  Lors des représentations rouennaises, on a sans doute remplacé Moussel par Ruissel, une rue de Rouen.)   108 Omblier = oublier (normandisme). Idem vers 278, 305, 317, 369.   109 N’est-ce pas.   110 Ms : zorobart se   111 Je me le répéterai tout le long du chemin. Colinet se rend au grenier à sel pour réserver son tour.   112 Chargé du sac de pois, il rejoint son comparse, qui assistait à la scène d’un peu plus loin.   113 Client.   114 Tu paies.   115 Sans mettre à l’air mes deniers (note 53). Quand Pathelin rentre avec le drap qu’il vient d’extorquer au drapier, il dit à sa femme : « En ay-je ? »   116 Je ne dis pas le contraire.   117 Lorsque Pathelin attend que le drapier vienne réclamer son dû, il enrôle sa femme pour mieux le tromper : « Mais vécy qu’il nous fauldra faire. » Escroquer les simples d’esprit ne suffit pas : il faut aussi se moquer d’eux, comme c’est encore le cas dans Mahuet.   118 Ms : voires  (Tu le verras.)   119 D’être trompé : de me trahir.   120 Le ms. attribue ce vers au Badin. Le 2ème Voisin aperçoit Colinet, qui revient du grenier à sel. Le 1er Voisin se cache en emportant le sac de pois.   121 Inscrit sur le rôle, sur le registre du grenier au sel.   122 Avant que le soir tombe.   123 Ma poche : le sac de toile qui contenait les pois. Idem vers 303.   124 Georget. On retrouve ce « g » dur normand aux vers 290, 292 et 299 (Georgin).   125 La rue du Moussel.   126 Voilà une question idiote.   127 Vous ne m’envoyez pas à la bonne adresse.   128 C’est ainsi qu’on appelait Mathusalem, autre personnage biblique. « Vivre autant que Mathieusalé. » Villon, Testament, 64.   129 Expression érotique très employée (v. la note 18 des Femmes qui font escurer leurs chaulderons), mais peut-être excessive pour un homme de 969 ans. Colinet s’éloigne.   130 Pièces dépourvues de valeur. « Non évalué, légier, bouly, rongé, ou aultre maulvais argent. » Josse de Damhoudère.   131 Colinet retourne au village.   132 Relâché. Idem vers 344.   133 Qu’on se prépare.   134 On invoquait les saints en toute occasion, par exemple pour retrouver des objets perdus ou des mots oubliés.   135 Afin qu’ils nous remettent sur la voie de notre acheteur.   136 Dimanche (normandisme).   138 Ici et ailleurs, le ms. indique : le p voesin (Voir la note 4.) Mais il est bien question d’un vicaire au vers 422. Nous sommes dans la chapelle d’un monastère (vers 423).   139 Ms : gracione  (La rime est en -ion.)  Mais le texte est faux de toute manière : les curés des Farces, piètres latinistes, ont du mal à faire une citation biblique correcte. L’Évangile selon saint Matthieu dit : « Et post transmigrationem Babylonis, Jechonias genuit Salathiel. Salathiel autem genuit Zorobabel. » Cette généalogie est lue pendant la messe qui célèbre la Nativité de Marie, le 8 septembre.   140 Arrêtez-vous (normandisme).   141 Il s’adresse aux paroissiens, autrement dit, au public.   142 Ms : cherche  (La rime, normande, est en -a(r)che. « Que veult-on plus ? Que peult-on charcher mieulx/ En aultres lieux ? » Le Triomphe des Normans.)   143 Sa. « Pour m’avoir en son vil demeure. » Jehan Molinet.   144 De douleur.   145 Qui auraient pu deviner le nom de mon client.   146 C’est une plaisanterie !   147 Je vais refermer mon missel : je vais m’en aller.   148 Ms : cel  (Le vers est trop court.)  Voir la note 107.   149 Ne l’avez-vous (normandisme).   150 Le ms. met ce vers avant 378.   151 Je vais le lui écrire.   152 Si j’avais su lire. La croix de par Dieu est un abécédaire pour apprendre l’alphabet : cf. Troys Galans et un Badin, vers 62.   153 Ms : Jey oy   154 Un mémoire est un document succinct.   155 Afin que vous vous en alliez.   156 Dès que notre vache aura mis bas. Même vers proverbial dans Troys Galans et un Badin.   157 La syntaxe très personnelle de Colinet peut faire croire qu’on mène paître sa mère, et non sa vache.   158 Fromage étant au singulier, on pourrait penser que le vicaire aura une douzaine de femmes.   159 Ms : toulte a  (Toute la semaine. « Gaheriet (…), qui toute sepmaine avoit chevauché par le pays. » Tristan, chevalier de la Table Ronde.)   160 De géline, de poule.   161 Deux moyeux : deux jaunes.   162 Ms : son nyon de  (Aussi blonds que.)   163 Avec nous. Cf. Guillerme qui mengea les figues, vers 47.   164 Les réjouissances carnavalesques et culinaires qui précèdent le Carême. « Mais il a le gousier tout gras/ Encor de Caresme-prenant. » Le Roy des Sotz.   165 Je suis au service de Dieu. « Tout le monde est subject & tenu à Dieu. » (Robert Estienne.) Colinet comprend « Adieu ! », et fait ses adieux au vicaire. Même quiproquo dans la Confession du Brigant au Curé (vers 86).   166 Colinet rentre chez lui en tenant précautionneusement le papier du vicaire.   167 Sous une bonne étoile : j’ai eu de la chance.   168 Du premier coup. « Qui, au premier, son affaire regarde,/ On dit souvant qu’en la fin, bien se treuve. » André de La Vigne.   169 Ms : se jour  (De retard.)   170 N’ayez pas peur.   171 Ms : pense  (Qui a pu.)   172 Le monastère.   173 Questionnement.   174 L’argent des pois. Dans les farces, les prêtres qui visitent une épouse en l’absence du mari réclament un autre type de « plaisirs ».   175 Depuis longtemps.   176 Au public.   177 À sa maison.   178 Un(e) rencontre est un hasard. Cette nouvelle est extraite de : L’Enfant sans soucy divertissant son père Roger Bontemps et sa mère Boute-tout-cuire, éd. de 1682, pp. 311-312. Je mets en gras les emprunts à notre farce. Notons que ce plagiat fut lui-même plagié en 1699 dans les Nouveaux contes à rire et aventures plaisantes de ce temps (sic !!), ou Récréations françoises.   179 Ayant enfin appris le nom.   180 La Nativité de Marie (note 139).

LES VEAUX

Ms. La Vallière

Ms. La Vallière

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LES  VEAUX

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En 1550, Rouen eut l’honneur d’accueillir Henri II, et sa femme Catherine de Médicis. L’organisation des spectacles qui accompagnaient cette entrée royale fut confiée à la confrérie des Conards de Rouen1 : ils s’efforcèrent, « par nouvelles inventions, subtilz problèmes [énigmes] et dictons, et par plaisantes Moralitéz2, donner entière récréation au Roy et à toute la suyte de sa Court. » Le 9 octobre 1550, les Veaux furent donc au menu. En février 1559, la pièce fut redonnée à Paris, au collège de Beauvais, sous le haut patronnage d’Henri II : voir la note 16 de Rouge-affiné, Bec-affillé et Décliquetout.

Source : Manuscrit La Vallière, nº 34.

Structure : Rimes plates.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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La  farce  des

Veaux

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jouée  devant  le  Roy

en  son  entrée  à  Rouen

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       [ LE  RECEPVEUR

       L’OFICIAL

       LE  PROMOTEUR

       LE  BADIN

       LE  MALOTIN ]

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                             LE  RECEPVEUR 3  commence           SCÈNE  I

         Monssieur, je me viens plaindre4 à vous

         Que les veaux [s]ont mengé[s] des5 loups,

         Qui est, pour l’Abbé, un(e) grand sisme6.

         Nous n’avons aucuns veaux de disme7,

5       Quoyque tous estas8 nous en doybvent ;

         Dont l’Abbé et couvent9 reçoyvent

         Grand fain, grand perte et grand dommage.

         L’Abbé n’auroyt pas un fourmage10

         Pour cent escus prês à compter11.

10     On lesse les veaulx tant téter

         Qu’i sont quasy demy-toreaulx12.

         C’est pourquoy nous n’avons nus veaulx13

         À nostre Abbaye excellente.

         Et sy14, on nous en doibt de rente

15     Plus qu’i n’est de vaches au monde.

         Metez-y ordre, ou que tout fonde :

         Je suys povre, et l’Abbé destruict.

                             L’OFICIAL 15

         Promoteur16 ! Estes-vous instruict

         De la plaincte du Recepveur ?

         [N’est-ce point bien icy malheur,]17

20     De laisser perdre sy grand fruict18,

         Qui tant à nostre couvent duict19 ?

         Ce seroyt nostre déshonneur.

         Il luy fault bien porter faveur20,

         Afin que nos veaulx souent dismés21.

                             LE  PROMOTEUR

25     Sus, Recepveur ! Icy nommez

         Qui22 sont à l’Abbé redevables.

         Commencez aux plus honorables,

         Et n’espargnez grans ne petis.

                             LE  RECEPVEUR

         Je feray à voz apétis,

30     Messieurs, c’est ce que je désire.23

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         « Les veaux de disme de l’Empire24

         Du Gras25 Conseil, premièrement. »

                             LE  PROMOTEUR

         Ilz sont grand nombre ?

                             LE  RECEPVEUR

                                                   A ! ouy, vrayment.

                             L’OFICIAL

         [Où se]26 veulent-ilz contenir ?

35     Qui les a gardés de venir

         Dismer leurs veaux ? Sçavoir le veux !

                             LE  RECEPVEUR

         C’est à raison de leurs beaux jeux27,

         Qu’ilz ont faictz au couronnement

         De leur Empereur, sotement,

40     Le28 cernant (à leur honte et blasme)

         De la couronne Nostre-Dame

         À [Ponthoise, ces]29 jours passés.

                             LE  PROMOTEUR

         Y nous est dû des veaux assez30 :

         Pas n’est31 que quelc’un n’en aporte.

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                             LE  BADIN 32                                SCÈNE  II

45     Holà ! hau !

                             L’OFICIAL

                               On heurte à la porte ;

         Ouvrez, c’est quelque cas nouveau.

                             LE  BADIN

         Monsieur, j’aporte ce33 gras veau,

         Pour34 l’Empereur du Gras35 Conseil.

         En pesanteur n’a son pareil :

50     Y m’a rompu tout l’estomac.

                             LE  RECEPVEUR

         Pourquoy l’as-tu mys dens ce sac ?

                             LE  BADIN

         Craignant [qu’il me fist]36 trop d’excès ;

         Car il est noury de procès :

         Y m’eust bien peu37 menger ou mordre.

                             L’OFICIAL

55     L’Abbé et moy y métrons ordre.

         Recepveur, suyvez vos escriptz38 !

                             LE  RECEPVEUR

         « Les veaux des badaux de Paris39,

         Qui baill[oi]ent leurs femmes et cons

         À garder aux souldars gascons,

60     Lorsque sans cause ne raisons

         Habandonnèrent leurs maisons

         (Pour la peur) de cent lieues40 loing. »

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                             LE  MALOTIN 41                          SCÈNE   III

         Ma foy ! [me voicy]42 à ce coing,

         Voire. Que dictes-vous du veau ?

65     Sainct Anthoine ! yl a gros mureau43.

         Y vault bien tras frans, tras dourains44,

         Ares45. Il est beau, mes courains46.

         Vous prendrez en gré47, s’y vous plaist.

                             L’OFICIAL

         Or après, voyons quel il est…48

70     O ! qu’il est fessu, gros et gras !

                             LE  MALOTIN

         Y m’a tant chié sur les bras,

         Com(me) je revenoys de la foyre49

         Et [que] j’aliens50 à Sainct-Magloire51 !

         Mais je vous jure par sainct Pierre :

75     Y m’a pensé ruer par terre52.

         Voyez comme je suys breneux.

                             LE  BADIN

         Ce nom demourera pour eux53 :

         Foureux54 et badaulx tout ensemble.

                             L’OFICIAL

         Après, que le reste on assemble,

80     Et les apelez en briefz mos !

                             LE  RECEPVEUR

         « Le gras veau du Prince des Sos55,

         Qui sa femme a bien acoustrée

         Pour du Roy venir veoir l’entrée :

         Luy par terre, l’autre par eau. »

85     Esse pas le faict d’un gros veau,

         Pour un des subjectz de l’Abbé56 ?

                             LE  PROMOTEUR

         Y fault bien qu’i vienne à jubé57,

         D’estre party sans congé prendre

         Du couvent, et à l’Abbé rendre

90     L’hommage tel qu’i luy est deu58.

                             L’OFICIAL

         Despeschez, c’est trop atendeu !

         Où est ce veau ? Qu’i soyt dismé !

                             LE  MALOTIN 59

         Monssieur, qu’i ne soyt pas blasmé ;

         Le voicy dedens ceste hotte.

                             LE  RECEPVEUR 60

95     Il est [plus sot que Mère Sotte]61,

         Qui n’a poinct de cerveau en teste.

                             LE  MALOTIN

         Pourtant esse une grosse beste62 ;

         Le veau luy pouroyt ressembler.

                             L’OFICIAL

         Les aultres courez63 assembler !

100   Par-devant nous apelez-les !64

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                             LE  RECEPVEUR                         SCÈNE  IV

         « Les veaux du régent du Palais65,

         Lesquelz ont esté sy dÿos66

         De paindre douze charios67,

         Pensant à l’Entrée estre veus68. »

105   Mais il estoyent sy despourveus

         D’argent, que tous leurs beaux pourtrais

         Ne servent plus qu’à leurs retrais69,

         Qui est une grosse reproche

         À ce régent de la Basoche.

                             LE  BADIN 70

110   Voi(e)cy le plus gros veau du monde :

         […………………….. -onde.]

         Dismé est pour une douzaine71.

         De l’engresser on a prins paine,

         Du labeur des soliciteurs72.

                             LE  RECEPVEUR

         « Les veaux de noz conars Messieurs

115   Du73 Chapitre. »

                             [L’OFICIAL]

                                       Qu’ilz se comparent74,

         Et que la disme tost préparent

         Sans délay et sans intervalle !

                             LE  BADIN 75

         En voi(e)cy un en ceste malle,

         Où je l’ay par craincte cla[n]ché76,

120   Craignant payer le pié fourché77,

         Comme on faict payer par la voye78.

                             LE  PROMOTEUR

         Ouvre la malle, qu’on le voye,

         S’il est tel qu’il est ordonné 79.

                             LE  RECEPVEUR

         Y a-il long temps qu’il est né ?

125   Dy-le-nous.

                             LE  BADIN

                               Il fust né ce aoust 80.

                             LE  PROMOTEUR

         Sang bieu ! il a chié partout,

         Et a gasté malle et habis.

                             L’OFICIAL 81

         Et ces gros raminas grobis82,

         Quant pairont-il le demourant ?

                             LE  BADIN

130   Contentez-vous, pour maintenant ;

         Les aultres s’engressent tousjours.

                             LE  RECEPVEUR

         « Les veaux des souveraines cours

         Et finances de l’Abbaye,

         Qui trop ont rendue esbaÿe

135   Nostre conarde république. »

                             LE  PROMOTEUR

         Y mérite[nt] bien qu’on les pique83 !

         Car il ont très mal besongné,

         D’atendre que tout fût ruyné

         Pour garder l’honneur de leur prince.

                             LE  BADIN 84

140   En voécy un.

                             LE  RECEPVEUR

                                 Dieu ! qu’il est minse,

         Pour donner à85 sy gros prélat !

                             LE  BADIN

         Qu’il a le ventre vide et plat !

         Y n’est pas noury à demy.

                             LE  PROMOTEUR

         Chascun tire à soy86, mon amy.

                             LE  BADIN

145   Cela procède d’Avarice,

         Dont y sont de mère nourice87 ;

         Chascun le peult apercepvoir.

         Y ne font de dismer debvoir88,

         En tous lieux ny en toutes places.

                             L’OFICIAL 89

150   Chascun congnoist bien leurs falaces90,

         Par les chans, aussy par les voyes91.

                             [LE  RECEPVEUR]

         « Les [veaulx généraux]92 des Monnoyes,

         Maintenant riches du billon93. »

                             LE  BADIN 94

         J’en ay un à mon corbillon95 :

155   C’est un veau de l’an des merveilles96.

                             LE  RECEPVEUR 97

         Et ! comment ? Y n’a poinct d’oreilles98 :

         En tel estat ne le veulx poinct !

                             LE  BADIN

         Rongner99 l’ont faict à leur apoinct100.

         Tel qu’il est y le vault mieux prendre.

                             LE  PROMOTEUR

160   Y n’en sont pas moingtz à reprendre101.

         À la fin, tout se congnoistra.

                             L’OFICIAL 102

         Aveq les aultres ne sera ;

         Métez-lay103 hors de nostre compte.

         C’est un veau dismé de grand honte,

165   Tout escourté104, ort, sale et ville.

                             [LE   RECEPVEUR]

         « Les veaux non dismés de la Ville105. »

                             LE  PROMOTEUR

         Réservez-les jusques à cras 106.

                             L’OFICIAL

         Je les remés à nos jours gras107.

                             LE  RECEPVEUR

         Or sus, or sus ! prenons courage.

170   [Re]prenons :

                                  « Les veaux du108 Bailliage. »

                             LE  BADIN

         Il y en y a un sy grand nombre

         Tout partout, qui nous font encombre !

         Laissez-les entrer en bonté109.

                             LE  RECEPVEUR

         Après :

                       « Les veaux de Viconté110,

175   Crians et bellant tous encemble,

         Sy fort qu’aux bonnes gens [il] semble

         Que leur cause doibt estre bonne. »

                             L’OFICIAL

         Laissez-les là jusqu(e) à l’autonne ;

         Et durant ceste mession111,

180   N’en faictes poinct de mention.

         Car ilz sont trop mesgres et sès112.

                             LE  BADIN

         On ne les a que par procès :

         C’est leur façon, au temps qui court.

                             LE  RECEPVEUR

         « La disme des veaulx de [la] Court,

185   S’estimans113 savans sans sçavoir. »

                             LE  BADIN

         On n’en peult congnoissance avoir,

         Pource qu’i contrefont114 les sages.

         Mais on voyt bien à leurs visages

         Qu’i sont veaulx parfaictz, de nature.

                             LE  PROMOTEUR 115

190   Tenez, voécy pour leur droycture116.

         Contentez-vous, c’est pour le myeux.

                             LE  BADIN 117

         Que ce beau veau 118 est glorieux,

         Brave d’estomac et gentil119 !

         Mais je croy qu’il est peu subtil,

195   Couard, et foyble120 de courage.

                             LE  RECEPVEUR

         « Les veaulx des gens de labourage

         Anoblys121 par force d’argent. »

         [Ilz sçavent bien leur entregent]

         Pour leur possession acroistre.

                             LE  PROMOTEUR

         Y sont petis, laissons-les croiestre

200   Et alecter cheux122 le bouvier.

                             LE  BADIN

         On ne faict poinct d’un esprevier

         Un busart123, en ville ne champs…

                             L’OFICIAL

         Poursuyvez124 !

                             LE  RECEPVEUR

                                      « Les veaulx des marchans,

         Lesquelz ayment mieux trop cher vendre

205   Que bailler à crédict, ne prendre

         De crédict, car CRÉDICT NE VAULT RIEN ;

         SY LE COMPTANT125. Vous sçavez bien. »

         Aucune foys126, le plus souvent,

         Cela s’en va avant le vent127.

210   Et [sy, sont]128 povres somme toute.

                             LE  BADIN

         De leurs veaulx vous font banque-route129 :

         Cherchez voz dismes aultre part.

                             L’OFICIAL

          Au reste, abrégez : il est tard.

                             LE  RECEPVEUR

         « Les veaulx de ces maris coqus

215   Qui, soublz ombre130 de vieux escus,

         [Ou qu’on]131 donne ou disne[r ou] bague,

         Endurent détacher la brague132

         Pour estre veaux coqus parfaictz. »

                             LE  PROMOTEUR

         Ostez ces veaulx, y sont infaictz !

220   Car tant133 a de telz sur la terre

         Qu’ilz font l’un contre l’autre guerre.

         Leur punaisye134 infaicte en l’air.

         Y ne valent pas en parler.

         Leurs veaulx desplaisent aux Conars.

                             LE  RECEPVEUR

225   « Les veaux des gros moynes soûlars135,

         Qui contrefont des papelars136

         Devant les gens ; et en derière,

         Ilz ont la grosse chambèrière137,

         Laquelle y senglent138 jour et nuict. »

                             L’OFICIAL

230   Apelez-les ! Sans faire bruict139

         L’Abbé ceste chose supporte ?

                             [LE  BADIN] 140

         Tenez, monssieur : cétuy141 j’aporte,

         Qui en vault plus de dixseneuf.

         Un jour, sera aussy gros beuf

235   Que nostre Abbé, n’en faictes doubte.

                             LE  PROMOTEUR

         Pas n’est besoing qu’on le reboutte142 :

         Il est de prinse143, et recepvable.

                             LE  RECEPVEUR

         C’est mon144, ou je vous donne au deable,

         Monssieur, pour la disme des veaulx145 !

                             LE  PROMOTEUR

240   Puysqu’en avez de bons et beaulx,

         Contentez-vous pour le présent.

                             L’OFICIAL

         L’Abbé est maintenant exempt

         D’avoir des veaulx nécessité146 ;

         Car au monde n’y a cité

245   Où il ne prenne le dîmage.

         Et sy147, en aura davantage

         Et de plus gras pour l’avenir.

                             LE  BADIN

         Tous Conars, ayez à subvenir

         À l’Abbé et ses conardeaux :

250   Payez148 la disme de voz veaux.

         Sy n’estes de payer dispos,

         Vous serez c[e]rtes contra nos 149.

.

                                   FINIS

*

1 Voir MICHEL ROUSSE : La Confrérie des Conards de Rouen. Textes de farces, documents d’archives. Rennes, 1983. (La sottie des Veaux y est retranscrite aux pages 140-149.)   2 Les sotties étaient souvent cataloguées parmi les moralités parce que, pour donner le change, l’auteur concluait sa pièce avec une maxime hautement morale. La Première Moralité jouée à Genève est incontestablement une sottie.   3 Le décor représente une salle de l’abbaye des Conards. Le trésorier de ladite abbaye discute avec son Official, sous le regard de son Promoteur. Ils sont habillés en Sots.   4 LV : prendre  (Voir le vers 19.)   5 LV : les  (Être mangé des loups : être en voie de disparition. Cf. Troys Galans et un Badin, vers 108.)   6 Schisme, sujet de querelle. Sur l’Abbé des Conards de Rouen, voir les Triomphes de l’Abbaye des Conards.   7 La dîme est une redevance que les paroissiens versent à l’église sous la forme d’un veau gras. À l’abbaye des Conards, ces veaux de dîme sont des imbéciles : « [Ils] n’estoyent que gros veaulx de disme, ignorans de tout ce qu’est nécessaire à l’intelligence des loix. » (Pantagruel, 10.) Les « veaux » en question vont représenter chacun une catégorie sociale.   8 Toutes les classes de la société.   9 L’abbaye des Conards. « Gentilz Conardz tous remplis de noblesse (…),/ Si vostre Abbé, aussi tout le couvent,/ Passent poingtz cloz. » Triomphes de l’Abbaye des Conards.   10 Pas même un fromage.   11 Même en payant 100 écus. Mes prédécesseurs ont lu « pas » au lieu de « pour » : voir la copie du ms. ci-dessus.   12 Qu’ils sont presque aussi grands que des taureaux. « Cy-gist le jeune Jehan Le Veau/ Qui, en sa grandeur et puissance,/ Fust devenu Bœuf ou Taureau ;/ Mais la mort le print dès enfance :/ Il mourut Veau. » Clément Marot.   13 Nul veau.   14 Et pourtant.   15 Le juge de l’abbaye des Conards.   16 Il tient le rôle du ministère public au tribunal de l’abbaye des Conards.   17 Vers manquant. J’emprunte le vers 390 de Frère Guillebert.   18 Profit.   19 Est bénéfique.   20 Nous devons répondre favorablement au Receveur.   21 Nous soient payés.   22 Ceux qui.   23 Le Receveur ouvre son registre et lit à haute voix.   24 Les confréries joyeuses n’hésitaient pas à se qualifier d’empires, et leurs chefs d’empereurs. Les clercs des procureurs de la Chambre des Comptes rivalisaient avec les clercs du Palais (les Basochiens) sous la dénomination d’Empire de Galilée. On connaît aussi l’Empire d’Orléans : « Le terme s’approche/ Qu’Empiriens, par-dessus la Bazoche/ Triumpheront. » (Marot : Cry du Jeu de l’Empire d’Orléans.) Les Conards n’étaient pas plus modestes que leurs rivaux : « L’Abbé, qui n’a que frire,/ Viendra soupper avec ses suscepots [suppôts ¦ suce-pots]/ Dedans l’Escu, où il tient son Empire. » (Triomphes…)   25 LV : grand  (Même correction inadéquate à 48.)  « Le Gras Conseil des Conardz & l’Abbé. » (Triomphes…) Sur ce Gras Conseil, voir la note 132 de Jehan de Lagny.   26 LV : ouy  (Où se tiennent-ils ? « Il se contint en son Dauphiné. » ATILF.)   27 De leurs frasques.   28 LV : se  (Couronnant ce nouvel Empereur : v. la note 24.)   29 LV : ponthoisse ses  (L’église Notre-Dame, à Pontoise, près de Rouen. Cette couronne était probablement un des ex-voto qui ornaient la chapelle de la Vierge.)   30 Beaucoup.   31 Il n’est pas permis.   32 Il frappe à la porte.   33 LV : un  (Le prétendu veau est enfermé dans un grand sac de toile. On ne verra aucun des « veaux » mentionnés.)   34 De la part de.   35 LV : grand  (Voir les vers 31-32.)   36 LV : luy fere  (Ce « veau » est un avocat : ces derniers fourraient les actes des procès dans un sac. Cf. le Testament Pathelin, vers 10.)   37 Pu. Les avocats dévoraient la fortune de leurs clients.   38 Poursuivez votre lecture.   39 « Le peuple de Paris est tant sot, tant badault et tant inepte de nature. » (Gargantua, 17.) Idem vers 78.   40 LV : lieux  (Correction de Michel Rousse. Lieu-es compte pour 2 syllabes.)  Rousse voit ici une allusion aux troupes de Charles Quint qui assiégèrent Paris en 1544 ; or, elles n’y entrèrent pas, et il n’y avait aucun Gascon parmi elles. D’après moi, il faut remonter en 1415. Beaucoup de partisans des Bourguignons avaient alors fui la capitale, par peur des Armagnacs, qui en avaient pris possession, et qui en avaient confié la garde à des capitaines Gascons et à leurs soudards : « Paris estoit gardé par gens estrangers ; et estoient leurs cappitaines ung nommé Rémonet de la Guerre, Barbasan, et autres, tous mauvais et sans pitié ». (Journal d’un bourgeois de Paris.) Cet épisode resta dans les mémoires ; en 1534, Étienne Dolet reviendra sur l’inconduite de ces Gascons vis-à-vis des Parisiennes : « Quis Lutetiæ (…) vitium virginibus adferre dicitur ? Vasco ! »   41 Les Normands traitaient les Parisiens de maillotins. Voir la note 93 du Cousturier et son Varlet. Ce personnage à l’accent ridicule est vêtu et coiffé à la mode de Paris ; il porte sur son épaule un grand sac.   42 LV : le voiecy   43 Museau. « Les Parisiens prononcent une r au lieu d’une s, & une s où il faut une r”. » (Tabourot.) Clément Marot caricature ce snobisme verbal dans l’Épistre du biau fys de Pazy [du beau fils de Paris] : « je vous aime » devient « je vous raime », une « joyeuse chose » devient une « joyeure chore », un « visage » devient un « virage », etc. Bref, ce Maillotin est l’ancêtre des Inc’oyables et des Me’veilleuses.   44 3 francs et 3 douzains. Pour les snobs parisiens, le chiffre « 3 » se prononçait « tras » : voir la note 4 du Dorellot.   45 Présentement.   46 Mes cousins.   47 Vous l’accepterez.   48 Les trois notables regardent dans le sac.   49 D’acheter ce veau à la foire du Pardon. Double sens : foire = diarrhée.   50 Et que nous allions, le veau et moi. Le fys de Pazy dit « j’estien » au lieu de « nous étions ».   51 Le Maillotin confond l’abbaye parisienne de Saint-Magloire avec l’église rouennaise de Saint-Maclou. Ce détail a dû beaucoup faire rire les spectateurs locaux ; quant aux courtisans venus de Paris, attifés comme le Maillotin et parlant comme lui, ont-ils seulement compris qu’on se moquait d’eux ?   52 Il a failli me faire tomber.   53 Pour les Parisiens.   54 Foireux (normandisme) : cf. les Sotz nouveaulx farcéz, vers 202. Sur les Parisiens badauds, v. ci-dessus, note 39.   55 C’est un concurrent de l’abbé des Conards. Les Triomphes ne l’épargnent pas : « L’Abbé veut que des Sots le Prince/ Vienne en la normande province/ Se noyer dans les marins flots ! » « L’Abbé (…)/ Se fournit en hyver de moufles/ Pour nifler [moucher] le Prince des Sots. »   56 LV : la ville be  (Pour quelqu’un qui est un suppôt de l’Abbé des Conards.)  Ce vers semble répondre à l’Épistre des enfans de Paris envoiée aux enfans de Rouen, qui menace les Conards « de rescripre, pour le Prince des Sotz,/ Aux Rouennois, lesquelz, par maintz assaulx,/ Faintisement luy veullent faire injure./ C’est trop mal faict : vous estes ses vassaulx ! » M. Rousse a publié cette épître de 1532.   57 Qu’il se soumette. Cf. les Sotz escornéz, vers 423.   58 Dû.   59 Il pousse une hotte à couvercle au milieu de la scène.   60 Il regarde dans la hotte.   61 LV laisse en blanc ce passage autocensuré ; je le comble sans aucune garantie. Dans le Jeu du Prince des Sotz, Pierre Gringore –poète d’origine normande– avait représenté le pape Jules II sous le costume de Mère Sotte.   62 Mère Sotte est une grosse bête. Elle symbolise n’importe quel pape ; en l’occurrence, le pontife régnant, Jules III. Ce dernier n’était pas stupide, mais velléitaire et paresseux.   63 LV : courent  (Rousse corrige : convient)   64 Le Maillotin sort pour trouver d’autres veaux. Il ne reparaîtra plus.   65 Du Roi de la Basoche. Le Palais de Justice de Rouen, comme celui de Paris, abritait une troupe de basochiens qui s’adonnaient au théâtre et faisaient concurrence aux Conards.   66 Si idiots. « Tous foulz et diotz sont vrays sainctz. » ATILF.   67 Lors du Carnaval et d’autres festivités joyeuses, on faisait défiler des chars peints sur lesquels on représentait des scènes satiriques. Henri II voulut voir « la triumphante et joyeuse chevauchée des Conardz », qui comprenait une « traŷnée de chars de triumphes ». (Voir M. Rousse.) Une gravure des Triomphes nous montre l’abbé des Conards : il trône sur un char, coiffé de sa mitre, et jette au peuple un de ces libelles tant redoutés. Il tient dans la main gauche une ramure de cerf. (Étymologiquement, les conards sont très proches des cornards : « Cornudz Conardz qui portez cornudz corps. » Triomphes…) Des musiciens et des porteurs de flambeaux le précèdent.   68 Être vus à l’occasion de cette entrée royale. Dès le mois de juillet, les basochiens avaient intrigué pour pouvoir participer aux cérémonies, ce qui leur fut refusé : « Deffenses seront faictes à toutes personnes de faire théâtres sans la licence et permission des conseillers de ladite ville. » (Voir M. Rousse.)   69 Ils ont mis leurs affiches peintes dans leur cabinet, pour se torcher avec. Le ms. La Vallière contient une farce du Retraict, passablement scatologique.   70 Il traîne un énorme sac.   71 Il en vaut bien 12.   72 Les solliciteurs de bénéfices ou de pensions lui ont graissé la patte.   73 LV : de  (Le chapitre de la cathédrale Notre-Dame de Rouen est une assemblée de chanoines. Un de ses membres, le chanoine de Boisrobert, composera une Requeste à Messieurs du Chapitre de Rouen.)   74 Qu’ils comparaissent devant nous. « De provocquer maint jeune Conard à comparer en bon esquipaige à la monstre du sieur Abbé. » Triomphes…   75 Il pousse une malle close.   76 Correction de M. Rousse. Clencher = fermer une porte avec la clenche, le loquet.   77 Ce veau d’église a les pieds fourchus, comme le diable.   78 À l’entrée des villes, l’octroi faisait payer le « droit du pied fourché » aux paysans qui venaient vendre du bétail aux pieds fendus.   79 S’il est tonsuré, puisqu’il a été ordonné prêtre.   80 Il y a gros à parier que les Conards, selon leur redoutable habitude, jouent ici sur le nom d’un personnage réel. « Aoust » se prononçait « ou ». Quatre ans plus tôt, le Parlement avait condamné les Conards parce qu’ils s’en étaient pris à un chanoine du chapitre de Rouen. Il se nommait « de la Houssaie » ; or, une houssaie est un lieu planté de houx. Les Conards avaient la rancune tenace, et une allusion à ce saint homme était encore assez fraîche pour être comprise par leurs admirateurs.   81 LV : le recepueur  (Il est douteux que l’Official ne dise plus un mot entre les vers 100 et 168.)   82 Ces gens qui font les importants. (Cf. Maistre Mymin qui va à la guerre, vers 141.) Il s’agit probablement des docteurs de l’Université, car on voit mal pourquoi ils seraient les seuls que ce jeu de massacre épargnerait.   83 Avec un pique-bœuf, pour les faire avancer.   84 Il porte un sac très léger.   85 LV : en  (Le gros prélat est l’Abbé des Conards, qui est obèse : vers 234-235.)   86 Œuvre pour son profit personnel.   87 Qui a été leur mère nourricière.   88 Ils ne s’acquittent pas de la dîme.   89 LV : le recepueur  (Note 81.)   90 Leurs fourberies.   91 LV : voeys  (Par les champs et par les rues. Calembour : par nos chants et par nos voix.)   92 LV : generaux veaulx  (Les veaux des généraux des Monnaies du Roi.)   93 Le billon, alliage de métal précieux et de métal ordinaire, donne des monnaies de valeur moindre. Or, le roi venait juste de faire frapper une monnaie de billon, le « gros de Nesle ». L’effronterie de notre auteur dépasse celle de P. Gringore qui, dans le Jeu du Prince des Sotz (vers 604-619), attaquait les généraux des Monnaies sans le dire explicitement.   94 Il pousse une corbeille fermée.   95 Dans ma corbeille.   96 D’une année que les financiers nous promettent exceptionnelle. « Il est l’an des merveilles :/ Actes voyons dont n’en fust de pareilles. » (Triomphes…) Cf. le Prince et les deux Sotz, vers 6.   97 Il regarde dans la corbeille.   98 On coupait les oreilles des voleurs. Les généraux des Monnaies sont donc accusés de prévarication. En plus, n’ayant pas d’oreilles, ils restent sourds aux malheurs du peuple.   99 Essoriller. Mais on rognait les monnaies pour récupérer illégalement du métal précieux.   100 À leur convenance.   101 Ils n’en sont pas moins à réprimander.   102 LV : le recepueur  (Note 81.)   103 Mettez-le (normandisme). Cf. le Vendeur de livres, vers 19 et 195.   104 Aux oreilles coupées, comme un chien courtaud.   105 De la municipalité.   106 Jusqu’à demain (mot latin).   107 On mange les veaux gras pendant les jours gras qui précèdent le Carême.   108 LV : de  (Le bailliage est la juridiction du bailli, qui donnait aux Conards l’autorisation de manifester ou d’imprimer.)  Le Receveur reprend sa lecture.   109 Devenir meilleurs, au sens moral plus qu’au sens culinaire. « Pour vous sui en houneur monté ;/ Jou qui iere [moi qui étais] adont ahonté,/ Sui par vous entrés en bonté. » Roman de Tristan en prose.   110 La Vicomté de l’Eau, à Rouen, s’ingérait dans les disputes concernant les poids et mesures. Cf. le Cousturier et son Varlet, vers 170.   111 Pendant la période de vacance des tribunaux. « Tous les justiciers de Normendie se régleront sur le temps de la mession. » ATILF.   112 Maigres et secs.   113 LV : cestimans  (Qui se croient informés des secrets d’État.)  Henri II admettait qu’on se moquât des courtisans, et il était le premier à rire des sales blagues que leur jouait Brusquet. Ledit bouffon profita de l’entrée royale pour se livrer à des pitreries devant les dames de la Cour (dont la reine de France et la reine douairière d’Écosse) : en plein tribunal, il parodia un invraisemblable procès dont il mimait tous les intervenants. (Voir M. Rousse. Le document qu’il produit nomme par erreur la reine d’Espagne au lieu de la reine d’Écosse.)   114 Parce qu’ils imitent. C’est un des thèmes des sottties : « Contrefaire nous fault le sage. » (Seconde Moralité.) « Il vous fault contrefaire/ Du saige et du bon entendeur. » (Les Sotz triumphans.)   115 Il apporte un sac orné d’un blason. On attaque maintenant la Noblesse.   116 Leur redevance.   117 Il regarde dans le sac.   118 Faut-il voir là une pique contre René II de Beauvau, qui venait de mourir ?   119 Rengorgé et noble.   120 Faible. Les nobles étaient souvent vus comme des lâches.   121 LV : a nobtys  (Correction de Le Roux de Lincy et F. Michel, 1837.)  Le vers suivant est perdu.   122 Croître et allaiter chez. Nouvelle allusion à un personnage réel. Le patronyme « Le Bo(u)vier » était commun en Normandie : Fontenelle se nommait Le Bovier.   123 Renversement carnavalesque d’un proverbe : « L’on ne sçauroit faire d’un busart un esprevier. » (Triomphes…) L’épervier est l’oiseau que les nobles utilisent pour la chasse ; le busard n’est bon qu’à attraper des poules.   124 LV : poursuys  (L’Official invite le Receveur à poursuivre sa lecture.)   125 Le paiement comptant, si !   126 Bien des fois.   127 De-ci, de-là, avant que le vent n’imprime une direction. « Je suys variable et muable/ Comme une plume avant le vent. » (Mestier et Marchandise, LV 73.) Les Conards ont employé cette expression : « Et puis du demeurant, tout va avant le vent. » Triomphes…   128 LV : se font  (Et pourtant, ils sont pauvres. Dans LV, le « f » est exactement la même lettre que le « s », avec une petite barre transversale au milieu.)   129 Ils vous privent.   130 Sous prétexte.   131 LV : ont  (L’auteur griffe les maris complaisants qui se laissent acheter par l’amant de leur épouse. Voir la note 75 du Povre Jouhan.)   132 Acceptent que l’amant baisse ses braies pour copuler avec leur épouse. « Dame Proserpine/ Fust espinée de l’“espine”/ Qui est en ta brague cachée. » Rabelais.   133 LV : trop  (Ils sont si nombreux qu’ils se font concurrence.)   134 Leur puanteur morale.   135 Soûlards. (Cf. le Poulier, vers 460.) On a peut-être censuré coullars [couillards]. « Se Vénus nudz nous tient en ses lacs, las,/ Par Bacchus ! culz sçauront du coullart l’art. » Guillaume Crétin.   136 Qui jouent les bigots. C’est le vers 67 du Sermon pour un banquet.   137 Accusation récurrente. « Ces bons vicaires/ Qui ont ces grosses chambèrières/ Secrètement. » Sermon pour un banquet.) Dans la sottie des Povres deables, qui appartient au répertoire des Conards de Rouen, la Réformeresse tente de se faire verser une dîme par de pauvres diables ; un moine lui dénonce l’hypocrisie de ses supérieurs, qui prônent la vertu la plus ascétique alors qu’ « ilz ont chambres toutes propices,/ Femmes secrètes et nourices ».   138 Qu’ils sanglent, qu’ils besognent. Cf. le Cousturier et son Varlet, vers 219.   139 Sans protester.   140 Il roule un énorme sac au milieu de la scène.   141 LV : setuy  (Celui-ci : ce veau.)   142 Qu’on le repousse.   143 C’est une bonne prise.   144 C’est mon avis. Cf. le Prince et les deux Sotz, vers 151.   145 En tant que « veau », vous servirez pour payer la dîme du diable.   146 Il est maintenant à l’abri d’une pénurie de « veaux ».   147 Et même, il y aura de plus en plus d’imbéciles, et ils seront de plus en plus bêtes.   148 LV : payer   149 Contre nous (mots latins). Cf. les Femmes qui demandent les arrérages, vers 23.

JEHAN DE LAGNY

Ms. La Vallière

Ms. La Vallière

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JEHAN  DE  LAGNY

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Cette farce rouennaise fut écrite en 1515. L’auteur a pioché le nom des trois femmes de sa pièce dans des chansons gaillardes, aujourd’hui perdues. Le nom du personnage principal vient d’une autre chanson : « Leus-tu jamais en Fierabras / La Chanson de Jean de Laigni ? » (L’Amoureux passetemps.) Cette chanson – également perdue – raillait le fait que Jean sans Peur, en 1416, cantonnait depuis longtemps à Lagny-sur-Marne, et qu’il n’arrivait pas à se décider sur la suite des opérations. Ses ajournements perpétuels lui valurent les quolibets des Parisiens, ce dont il se fâcha tout rouge. « Le duc Jehan de Bourgoingne (…) alla logier à Lagny-sur-Marne, où il fut grant temps. Et tant y fut, que ceulx de Paris (…) l’apeloient Jehan de Lagny. » <Mémoires de Pierre de Fénin.> À défaut de la chanson, nous avons conservé deux proverbes sur les atermoiements de Jean sans Peur : « Jehan de Lagny, qui n’a point de haste. » Et : « Il est des gens de Lagny, il n’a pas haste. »1

Le héros de notre farce est baptisé Jean de Lagny parce qu’il promet toujours le mariage à ses conquêtes, mais qu’il temporise indéfiniment : « J’ey promis et promais encore/ Vous espouser je ne say quant. » Dans la farce du Retraict, qui appartient au même manuscrit, on disait déjà d’un homme velléitaire : « Voylà un bon Jehan de Lagny ! »

Après le succès de la pièce, Jacquet de Berchem composa cette chanson, qui fut publiée en 1540 :

     Jehan de Lagny,

     Mon bel amy,

     Vous m’avez abusée.

     Se ce n’eust esté vostre amour,

     Je fusse mariée.

     Vous avez ouvert le « guichet »,

     La « mouche » y est entrée2.

     Se j’avois connu vos façons,

     Fille serois restée.

     On doist bien brider le « mulet »,

     S’il entre à l’escurie.

Dans la farce du Tesmoing, un prévenu refuse d’épouser une femme, qu’il a subornée en lui promettant le mariage. Or, le juge est un official, comme il se doit dans ce genre d’affaires. Ici, trois femmes séduites par un seul homme veulent l’épouser, et font appel à un juge laïc qui n’est pas compétent dans ce domaine. En outre, ce fantoche de juge rend la justice en pleine rue, et n’a aucun moyen de faire appliquer ses sentences, qui sont d’ailleurs illégales. On le traite de « fol » à l’avant-dernier vers, et tout laisse croire que ce suppôt des Conards de Rouen fut effectivement joué par un Sot.

Source : Manuscrit La Vallière, nº 31. Le texte est dans un état si décourageant que nul ne s’est risqué à en donner une édition critique.

Structure : Rimes plates, avec 4 triolets.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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*

Farce  joyeuse

À sis personnages, c’est assavoir :

       JEHAN  DE  LAGNY,  Badin

       MESSIRE  JEHAN  [VIRELINQUIN]

       TRÉTAULDE 3

       OLIVE 4

       PÉRÈTE  VENEZ-TOST 5

       et  LE  JUGE

.

*

           TRÉTAULDE 6  commence,

           tenant un baston à sa main.      SCÈNE  I

     Tant, pour chercher Jehan de Lagny,

     J’ey de douleur et de destresse !

     À Parys, à Troys7, à Magny,

     Tant, pour chercher Jehan de Laigny.

5    Pendu soyt-il comme Margny8

     En un gibet de grand haultesse,

     Tant, pour chercher Jehan de Laigny,

     J’ey de douleur et [de] détresse !

           PÉRÈTE  VENEZ-TOST

     Et moy, par semblable finesse9,

10   Jehan de Laigny [m’a engyné]10.

     Pensez qu’il sera démené,

     Se je le tiens bref en rudesse !

           OLIVE

     Il ne m’a pas tenu promesse,

     Jehan de Laigny, ce trompereau.

15   Je requiers Dieu que le boureau

     Le puisse atraper à son erse11 !

           PÉRÈTE

     Dictes-moy, s’y vous plaist, comme esse

     Qu’i vous trompa, et en quel rue.

     Ainsy que vous ay aperceue12,

20   Il vous a mys le corps en presse13 ?

           TRÉTAULDE

     Il me feist choir en la reverse14

     En me disant :

              « Grosse trongnaulde15 !

     Combien que vous soyez courtaulde16,

     J’éray la copie17 de ce corps ! »

25   Et vous, [qui estes-vous, pour lors] ?

           PÉRÈTE

     Pérète Venez-tost.

           TRÉTAULDE

                 « Pérète,

       Vous ma seurète »18,

     Dont on parle parmy19 ces rus ?

     Enda ! à peu20 que ne mourus

     D’entendre21, par un samedy,

30   Un grand Sot, garson estourdy,

     Estant22 aveques un supost,

     Chantant :

             « Pérète, venez tost !

     Gay là, gay23 ! la chose [est] preste. »

     Et l’ort vilain Sot désonneste

35   Prononsoyt en dict et propos

     Qu’i l’avoyt « aussy dur c’un os ».

     [S]y esse vous, doulce compa(i)gne ?

           PÉRÈTE

     Ouy, c’est moy.

           OLIVE

               Pour Dieu, qu’on n’espargne

     Jehan de Lagny, se on24 le treuve !

40   Et qu’i n’ayt relâche ne treuve25

     Jusqu(es) à ce que la mort s’ensuyve26 !

           TRÉTAULDE

     Et vostre nom ?

           OLIVE

                Moy, c’est Olive.

           TRÉTAULDE

     [Quoy ! estes-vous « la belle fille » ?]27

     Y vous a serré la « quoquille »,

     Se disent enfans à leurs chans28.

45   Ceulx qui vont le pavé marchans

     Vous chantent29 aussy bien que nous.

           PÉRÈTE

     Je requier Dieu à deulx genoulx

     Qu’on cherchon30 tant qu’il soyt trouvé.

     S’y n’est de par moy esprouvé

50   Méchant31, que je soys difam[é]e !

           OLIVE

     Jehan de Laigny ?

           TRÉTAULDE

                 Sa renommée

     Sera perdue, ce coup icy.

     Non obstant, vous veulx dire un sy32

     Qui nous servyra bien.

           PÉRÈTE

                   Et quoy ?

           TRÉTAULDE

55   Que chascun se taise [tout coy]33,

     Et tenons icy un concille.

     Ayons un clerc de ceste ville,

     Ou un prestre qui soyt savant,

     Qui vienne avec nous poursuyvant

60   Jehan de Lagny, ce faulx nerquin34.

           OLIVE

     Messire Jehan Virelinquin35

     Est bien homme pour nous conduyre.

     Vous plaist-il que luy aille dyre

     Qu’i vienne à vous parler souldain ?

           PÉRÈTE

65   Alez souldain ou tost !

           TRÉTAULDE

                  Mais ne targez grain36.

           OLIVE

     Le voécy, c’est Dieu qui l’envoye !

.

     Messire Jehan, Dieu vous doinct joye          SCÈNE  II

     De ce que vostre cœur désire !

     Vous est-il bien37 ?

           MESSIRE  JEHAN  [VIRELINQUIN]

                 Gras comme [une oye]38 !

           TRÉTAULDE

70   Messire Jehan, Dieu vous doinct joye !

           MESSIRE  JEHAN

     Tant [je voy cy]39 une mont-joye

     De bonnes commères pour rire !

           PÉRÈTE

     Messire Jehan, Dieu vous doinct joye

     De ce que vostre cœur désire !

           TRÉTAULDE

75   Escoutez un petit40 mon dyre

     Aussy vray comme le soleil41 :

     Aydez-nous de vostre conseil,

     En vous payant42 de vostre paine.

           MESSIRE  JEHAN

     Prononcez !

           PÉRÈTE

             C’est chose certaine

80   Que Jehan de Lagny on cherchon.

     Fust-il pendu à Alenson,

     Ou son corps brullé à Bréban43 !

           MESSIRE  JEHAN

     Faictes-lay adjourner à ban44,

     Citer45 à ouÿe de paroisse.

85   Y fauldra qu’i boyve l’engoysse46,

     Fust-il des gens de Hanequin47.

           OLIVE

     Et ! monsieur Jehan Virelinquin,

     Tant on sommes à vous tenu[e]s !

           MESSIRE  JEHAN

     S’il estoyt caché48 soublz les nu[e]s

90   On le trouveron, sy Dieu plaist.

           TRÉTAULDE 49

     Escrivez-nous [cy] nostre explet50,

     Et narez en vostre registre

     Que c’est moy-mesme qui le cite,

     Tout par despist de sa ribaulde.

           [MESSIRE  JEHAN] 51  escript.

95   Vostre non à vous ?

           TRÉTAULDE

                  C’est Trétaulde.

           MESSIRE  JEHAN

     Trétaulde52 ?! Dieu de Nazaret !

           TRÉTAULDE

     Qu’i ne s’en faille un tiret

     Qu’i ne compare53, le coquin !

           PÉRÈTE 54

     Messire Jehan Virelinquin,

100  Mectez que c’est moy qui le cherche.

    Sy tenir le puys à mon erse,

    Il éra la prison pour lot55.

    J’ey non56 Pérète Venez-tost,

    Afin que pas ne l’ombliez57.

105  Ne luy ne toulz ses alyés58

    Ne valent pas le[s] mestre au feu59.

           MESSIRE  JEHAN

    Mais ayez pacience un peu,

    Que j’[ay]es escript ce mot icy.

           OLIVE

    Virelinquin, mectez aussy,

110  Monsieur, que dire doys premyer60

    Qu’il est aussy sot c’un prunyer

    D’aler tant de filles tromper.

    Et sy on le puist atraper,

    Rien ne luy vauldra son moquer61.

           MESSIRE  JEHAN

115  Il ne [me séroyt]62 révoquer,

    Puysque j’ey procuration.

           TRÉTAULDE

    Faictes-luy assignation

    De comparer63 à ma requeste.

           PÉRÈTE

    Et moy aussy.

           MESSIRE  JEHAN

               A ! j’ey la teste

120  Assez ferme pour le bien faire.

           OLIVE

    Monsieur Virelinquin, mon Frère :

    [Que] n’omblyez pas à m’y mectre !

           MESSIRE 64  JEHAN

    Nennin. Mais signez ceste lestre,

    Et puys me laissez faire, moy.

.

           LE  BADIN 65  entre en chantant :   SCÈNE  III

125  C’est à ce joly moys de may

    Que toutes herbes renouvelles.

    Et vous présenteray, les belles,

    Entièrement le cœur de moy.66

.

           TRÉTAULDE 67             SCÈNE  IV

    Aussy vray qu’i n’est c’une Loy,

130  J’ey entendu Jehan de Laigny !

    Je vous suply qu’i soyt pugny,

    Messire Jehan, s’il est possible.

           MESSIRE  JEHAN

    Uson de finesse paisible68.

    Que l’une de vo[u]s troys l’amuse69,

135  En parlant doulcement, de ruse ;

    Et [moy], j’escousteray de loing.

    Je vous servyray de tesmoing

    Au besoing, plus que ne font sis70.

           PÉRÈTE

    Aussy vous érez des mersis71,

140  Sy Dieu plaist, plus de quatre cens.

.

           LE  BADIN 72              SCÈNE  V

    Sainct Jehan ! depuys les Innocens73

    Que je suys party de Rouen,

    Je fais [le] veu à sainct Ouen74

    Que je n’ay veu femme ne fille,

145  Quelle qu’el soyt, tant soyt habille

    Qu’il sont icy75 ! Très âprement,

    Voir je m’en voys bénignement76

    Trétaulde, Pérète et Olyve,

    Et faire le petit convyve77

150  Avec eulx78 gratieusement.

    Et puys pensez que l’instrument 79

    Y fauldra bien que l’on me preste.

           TRÉTAULDE,  en dèrière 80

    In Gen81 ! beau sire, sy je le preste,

    Que l’on me pende sans mercy !

           PÉRÈTE

155  Non pas moy.

           OLYVE

             [Et] ne moy aussy82.

.

           LE  BADIN               SCÈNE  VI

    Dieu gard les belles sans soulcy !

           TRÉTAULDE,  en ruze.

    Et ! Jehan de Lagny, Dieu vous gard !

           LE  BADIN

    Vous est-il bien ?

           PÉRÈTE

                 Ouy, Dieu mercy !

           LE  BADIN

    Dieu gard les belles sans soulsy !

160  Tousjours seulètes ?

           OLYVE

                  Il est ainsy.

           LE  BADIN

    Joyeulx suys de vostre regard.

    Dieu gard les belles sans soulsy !

           LES  TROYS  ensemble

    Et ! Jehan de Lagny, Dieu vous gard !

           LE  BADIN

    Ma foy, je suys frapé du dard

165  D’Amours, tant de vous suys joyeulx.

           TRÉTAULDE

    En tout temps estes amoureulx ;

    Jamais ne vous en passerez ?

    (Mydieulx ! vous récompenserez

    Mon honneur, qui est difamé !)

           LE  BADIN

170  Ouy dea, je pence estre famé83

    Et renommé en tant de lieux.

    Sy vostre cœur est envyeux

    De chose qui soyt en ce monde,

    Je suys d’acord qu’on me confonde

175  Sy ne l’avez pour souhaiter84.

           TRÉTAULDE

    Y vous plaira me relater85

    La promesse que m’avez faict :

    Combien qu’il soyt gardé segret86,

    Avoir la veulx en ma mémoyre87.

           LE  BADIN

180  J’ey promys et promais encore

    Vous espouser je ne say quant.

           MESSIRE  JEHAN 88

    (Sainct Jehan ! vous vélà prins pour tant89 :

    Cétuy mot pas je n’omblyray.)

           PÉRÈTE

    Et quant esse que je seray

185  En honneur mise de par vous ?

           LE  BADIN

    Quant et90 Trétaulde.

           OLYVE

                 Et moy ?

           LE  BADIN

                        Et91 vous.

           TRÉTAULDE

    M’y deust-il couster trente soublz,

    Je vous éray ou vous m’érez !

           LE  BADIN

    Afin que le cas assurez92,

190  Alon, pour le temps advenir,

    Le fère93 un coup pour souvenir.

    Et puys la chère nous94 feron.

           MESSIRE  JEHAN 95

    Esse pas cy mon aulteron96,

    Dont j’ey sur luy lestre de prinse97 ?

195  Puysque j’ey sus vous la main myse,

    Parler vous viendrez à Monsieur98 !

           LE  BADIN

    Me prenez-vous pour transgresseur99 ?

    Estes-vous oficier100 du Roy ?

           MESSIRE  JEHAN

    Vous viendrez présent quant et moy101 !

200  Par Dieu j’en jure et jureray !

           LE  BADIN  loche 102 la teste

    Et ! par la vertu, non feray !

    J’ey comme toy une caboce103.

    Me pence-tu mener à force

    Aulx prisons ? Jen ! tu as beau nes104.

           MESSIRE  JEHAN

205  Pourtant y fault que vous venez

    Malgré vos dens et vostre cœur105.

           LE  BADIN

    Par la mort ! vous serez menteur106.

           MESSIRE  JEHAN

    Le deable m’enport ! non seray.

    Maintenant je te montreray

210  Que j’ey de te prendre licence107.

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           LE  JUGE 108              SCÈNE  VII

    J’ey entendu quelqu(e) un qui tence

    En blaphémant Dieu de sang meu109.

    Y fault sçavoir dont est esmeu

    Le débat de leur diférent110.

215  Car je n’ay amy ne parent,

    Pourveu que mon Dieu y blaphesme,

    Qu’en dure prison je n’enferme

    Long temps sans boyre que de l’eau !

           MESSIRE  JEHAN

    Monsieur, voyez cest estourneau

220  Qui pour le présent se rebelle.

    J’ey dessus luy plaincte formelle,

    Et ne vous veult pas obaïr.

           LE  BADIN

    Monsieur, y vous plaira ouÿr

    Comme c’est qu’il m’a voulu prendre

225  En lieu honneste sans m’entendre111.

    Je m’en croys aulx femmes de bien112.

           LE  JUGE

    En vos propos je n’entens rien.

    Dictes-moy que luy demandez.

           MESSIRE  JEHAN

    Monsieur, voulontiers. Atendez :

230  Examynez113 ces créatures,

    Puys vous voy(e)rez les escriptures114

    Que j’ey par procuration.

           LE  BADIN

    Je demande relation115

    De luy, qui se dict ma partye116.

           LE  JUGE

235  Ta harengue sera ouÿe

    Comme la sienne en cestuy lieu.

           MESSIRE  [JEHAN]  lict :

    « Françoys117, par la grâce de Dieu

    Roy de France, et cetera… »

           LE  BADIN

    On voi(e)ra bien que ce118 sera…

240  Monsieur, au moingtz, [qu’ayt les]119 despens.

    Et sy, qu’i demeure suspens120,

    S’y n’a du bien121 à sa maison.

           LE  JUGE

    On te fera toulte raison ;

    [Ay]es pacïence, mon amy.

           LE  BADIN

245  Je ne seray pas endormy,

    Sy je vous rencontre à la chaulde122.

           MESSIRE  JEHAN  lict :

    « Tout premièrement, j’ey Trétaulde,

    – Honneste fille et [fort] poulsyve123 –,

    Pérète Venez-tost, et Olyve,

250  Qui font sus Jehan de Laigny plainctes

    Et veulent que toutes contrainctes

    Souent124 faictes de luy par les villes :

    Car c’est un violleur de filles,

    Un abuseur, un séducteur,

255  Un babillard, vanteur, menteur,

    Qui promect de les espouser ;

    Et puys il les va abuser

    Et se moque d’eulx tous les jours.

    Pour avoir plus d’aide et secours

260  À faire [l’]information125,

    On passon procuration

    À messire Jehan Vir(e)linquin,

    Trop plus congnoissant c’un Turquin

    En lard 126 et sçavoir de pratique. »

           LE  BADIN

265  Monsieur, [ce poinct dessus]127 me pique,

    Et en ce mot-là je m’areste :

    Comment ! il est sergent, et prestre,

    Et procureur, et advocat ?

    Alez chanter Magnyficat128

270  À l’église, et [cy] vous tésez !

           MESSIRE  JEHAN

    Il a les filles abusés,

    Monsieur, de quoy c’est grand pityé.

           TRÉTAULDE

    Par sa méchante mauvestyé129,

    Y m’a faict telle comme telle130.

           PÉRÈTE

275  Et moy aussy.

           LE  BADIN

             A ! j’en apelle131,

    S’on me faict tort, au Gras132 Conseil ;

    Et là, [en mon hault]133 apareil,

    [J’oposeray de ce]134 procès.

           LE  JUGE

    Femmes, vous a-il faict excès

280  De vous presser oultre mesure ?

           LES  FEMMES  ensemble

    Ouy ! Ouy ! Ouy !

           LE  BADIN

               A ! nénin.

           MESSIRE  JEHAN

                  Monsieur, je jure

    Que sy a135 : c’est chose certaine.

           LE  BADIN

    Et j’ey faict vos fièbvres cartainnes !

    Alez, procureur mengereau136 !

285  Sang bieu ! vous estes maquereau

    De trèstoustes, je le soutiens !

           TRÉTAULDE

    Monsieur le Juge, je retiens

    Jehan de Lagny pour mon espoulx.

           PÉRÈTE  VENEZ-TOST

    Je le veulx avoir devant137 vous !

           OLYVE

290  Et moy, je l’aray la premyère !

           LE  JUGE

    Je n’entens à ceste matyère

    Nul propos, par le Dieu vyvant138 !

           LE  BADIN

    Monsieur, estre veulx poursuyvant

    Contre luy comme faulx taquin139.

295  C’est que ledict Virelinquin

    A plus de bruict [p]a[r]my les rus140

    Que jamais à ma vye je n’us,

    Dont je demandes intérest141.

           LE  JUGE

    Par qui esse qu’on le sérest142 ?

300  Rien n’a en cause qu’i ne prouve143.

           MESSIRE  JEHAN

    Monsieur, voyez comme il controuve

    À parler dessus mon estat144.

           LE  BADIN

    Je soutiens qu’il est apostat,

    Tesmoingtz les femmes que voécy.

           MESSIRE  JEHAN

305  Monsieur, je vous déclare aussy

    Qu’i veult toutes femmes séduyre.

           LE  JUGE

    Sav’ous145 quoy ? Y vous fault produyre

    Vostre procès avant ma main146

    Aujourd’uy, pource que demain,

310  J’en feray expédition.

           MESSIRE  JEHAN  produict 147

    Voélà la procuration

    D(e) Olive et [aussy] de Trétaulde,

    Et de Pérète la pétaulde148.

    Je ne plède poinct à faulx fret149.

           LE  BADIN  produict.

315  Moy, je produyray mainct brevet

    De vostre vye, et la légende150,

    Afin que le monde l’entende151.

    Monsieur, faictes[-en] la lecture

    Sans nous faire de forfaicture ;

320  Et qui a bon droict, sy le garde !

           LE  JUGE  lict :

    « Primo, cestuy que je regarde,

    Messire Jehan Virelinquin,

    Plus paillard que n’est un bouquin152.

    Un jour qu’il n’avoyt que deulx lyars153,

325  On l’envoya teurdre des hars154

    En la forest de Rouverey155. »

           MESSIRE  JEHAN

    Je luy nye !

           LE  BADIN

             Je le prouveray.

           MESSIRE  JEHAN

    Le deable en emport qui en ment !

           LE  BADIN

    Je m’en croys du tout156 au serment

330  De Trétaulde, la plus sensible.

           LE  JUGE  faict faire serment à Trétaulde.

    Par l’Évangille de la Bible,

    Nous direz-vous pas vérité

    De ce mot que j’ey récité157 ?

    Est-il mensonge, ou [est-il] vray ?

           TRÉTAULDE

335  C’est bien force que je diray

    Vérité, sy je la congnoys.

    Il y a envyron deulx moys

    Que messire Jehan Vir(e)linquin

    Vint descouvrir son manequin158

340  Sans marabès159 ne sans teston.

    Mais il laissa le hoqueton160

    Et gaignyst chemin161 o plus tost.

           LE  JUGE 162

    Or çà, Pérète Venez-tost,

    Dictes-en ce que vous sçavez.

           MESSIRE  JEHAN

345  Et ! comment, Monsieur ? Vous rêvez !

    Qu’esse qu’el séroyt de moy dire ?

           LE  BADIN 163

    Monsieur, ne me veuillez desdire.

    Laissez-la, Vir(e)linquin, [parler] ;

    Y fault Pérète examyner,

350  Ou que dannée [el] soyt au deable !

           LE  JUGE

    Or me faictes serment valable164,

    Pérète, et vous despeschez !

           PÉRÈTE

    Il est vray que ces jours passés,

    Aulx Troys Mores 165 (ou Morequin)

355  Vint messire Je[ha]n Vir(e)linquin

    Pour une fille desbaucher.

    Quant ce vint à se rechausser166,

    Y dict qu’il n’avoyt grand blanc nul167.

    Lors luy convint ouvrir le cul168

360  Au plus tost, et gaigner les boys169.

           LE  BADIN

    Ouvrir le cul170 ?! Vray Roy des roys !

    Vrayment, il le faisoyt beau voir !

           LE  JUGE

    Or çà, or çà ! Il fault sçavoir

    S’Olive en a rien retenu :

365  Çà, Olyve, le contenu

    Des sermens qu’avez ouÿ faire171 !

    Y ne fault poinct que l’on172 difère,

    Sur paine de dannation.

           OLIVE

    Un peu devant l’Ascention173,

370  Auprès des chambres Hamelin174

    Vint à moy monsieur Vir(e)linquin

    En me disant :

               « La belle fille,

    J’aperçoy que vostre quoquille

    A bien métier175 de resserrer. »

           LE  BADIN

375  Et vous voulez considérer

    Que s’elle tumboyt, d’avanture,

    Que ce seroyt double enfouture176 ;

    Par quoy vous le lessâtes faire.

           OLYVE

    Il est vray.

           LE  BADIN

            Or177, veu la matière,

380  Monsieur, ordonnez la sentence.

           LE  JUGE

    Quant au faict de vo[u]s deulx je pence,

    Jehan de Lagny et Vir(e)linquin,

    Tous deulx ne valez178 un coquin,

    [D’où qu’on]179 doyve de vous parler.

385  Jehan de Lagny s’en doibt aler

    Franc et quicte avec ses despens.

    Et Vir(e)linquin sera suspens180

    De ses faultes, deisjà prescrites181.

           OLIVE 182

    Veu les parolles que vous dictes,

390  Il doibt avoir pugnition ;

    Ou faire restitution183

    À Jehan de Lagny, sa partye.

           LE  JUGE

    Et bien, qu’il ayt une partye

    De sa génitoyre coupée.

           [MESSIRE  JEHAN] 184

395  [Las !] fault-il qu’el soyt départye185 ?

           LE  BADIN

    Ouy, Vir(e)linquin, unne partye.

           [PÉRÈTE]

    Voécy térible départye186,

    Qu’il l’ayt187 en ce poinct découpée188 !

           LE  BADIN

    Y fault qu’il ayt une partye

400  De sa génitore coupp[é]e.

           TRÉTAULDE

    Il payera de tous la soupée189

    Pour faire nostre apoinctement190.

.

    Seigneurs, regardez bien comment

    Jehan de Lagny a sy bien faict

405  Qu’il est exemp191 de son méfaict.

    L’autre, qui n’estoyt ocuppé192,

    A esté de vice achoppé193.

    Comme on pugnyst en tous cartiers

    De plusieurs gens entremetiers 194

410  De quoy on a la congnoissance,

    Aussy, je diroys volontiers

    Un mot ou deulx, voi(e)re le tiers195 :

    De fol juge, brèfve sentence196.

    Une chanson pour récompence !

.

                  FINIS

*

1 Par dérision, le duc de Parme, Alexandre Farnèse, sera lui-même surnommé Jean de Lagny après avoir conquis provisoirement cette ville en 1590. Ce qui nous valut un nouveau proverbe : « Jean prist Lagny, et Lagny Jean. » Satyre Ménippée.   2 « Tu m’as bien bourdonnée,/ Tu t’es rompu le fillet./ Tu m’as ouvert le guichet ;/ La mouche y est entrée. » B. Jeffery, Chanson verse of the early Renaissance, t. I, p. 118.   3 C’est le nom d’une vieille maquerelle dans une autre farce du ms. La Vallière, les Brus.   4 Dans l’Enqueste, de Guillaume Coquillart, une prostituée se nomme Olive de Gatte-fatras.   5 La chanson Perrette, venez tost est signalée par Noël Du Fail en 1547 (Propos rustiques, VI). Une autre farce du ms. La Vallière, Frère Phillebert, donne par erreur le nom de Perrette Venez-tost à Perrette Povre-garce, à qui il faut d’urgence un « chose qui se dresse ».   6 Les trois femmes ne se connaissent pas. Elles se rencontrent sur une place de Rouen, et découvrent qu’elles cherchent le même homme.   7 À Troyes. Plusieurs communes de l’actuel Calvados ont pour nom Magny.   8 Le Normand Enguerrand de Margny (ou Marigny) avait été pendu en 1315 après un procès à charge ; en Normandie, cette injustice avait marqué les esprits durablement.   9 LV : sans cesse  (Une finesse est une ruse, comme à 133.)   10 LV : de la guyne  (Enginer = tromper, séduire. « Yl la vouleyt à sa volenté avèr, ou par promesse ou par don engyner, ou par force ravyr. » Godefroy.)  Jeu de mots sur enguinner [engainer, pénétrer] : « Roydement (il) l’enguinna & accomplit son désir. » Les Joyeuses adventures.   11 Confusion entre la herse et l’esse, qui est un crochet de boucher. (Idem vers 101.) Dessous, LV fait répéter à Trétaude les vers 7 et 8.   12 D’après ce que je vois.   13 Il s’est couché sur vous. Mais aussi : Il vous a aplatie (allusion impertinente au fait que Trétaude est obèse). Pour la rime, on pourrait lire : il vous a mise en perce (comme une barrique).   14 À la renverse. Cf. Frère Phillebert, vers 76.   15 Trogne, figure bouffie.   16 LV : tretaulde  (Inconnu en tant que substantif.)  « De ceste courtaude fessue. » J.-A. de Baïf.   17 J’aurai la jouissance. « De l’ostesse avoir la coppie. » (G. Coquillart.) La copie est aussi l’abondance : « En grande copie ou habondance. » (ATILF.) Trétaude est visiblement très grosse.   18 Extrait de la chanson Perrette, venez tost (note 5). Ce refrain est donc chanté, comme les autres emprunts distillés par Trétaude, qui se venge du vers 20.   19 LV : amy  (Enmi = parmi, mais le vers est trop court. Je fais la même correction à 296.)  L’auteur, qui adore les chansons, connaissait forcément Quant je vous voy parmy les rues (1505).   20 LV : peur  (Il s’en fallut de peu que je ne meure. « À peu que n’en ay encouru/ La mort. » Le Poulier.)  Enda est un juron féminin. Cf. Frère Guillebert, vers 112 et 149.   21 LV : de fere   22 LV : chantant  (1er mot du vers suivant.)  Notre farce est associée au répertoire des Conards de Rouen, qui se présentaient comme les suppôts de leur abbé. « Pour mieulx servir l’Abbé et ses suppostz. » (Triomphes de l’Abbaye des Conards.) Certains jours de l’année, ils sortaient déguisés en Sots, et passaient en revue les scandales de Rouen. « On devisoit mainte sornette/ Plus estimée de noz Sotz/ Que d’ung advocat la cornette. » (Triomphes…)   23 Cette interjection revient dans beaucoup de chansons normandes : « Gay ! gay, ma mère !/ J’ay de l’argent pour bère. » La chose a une acception phallique : cf. le Prince et les deux Sotz, vers 102.   24 LV : nous   25 Ni trêve.   26 LV : en ensuyue   27 Vers manquant. « La belle fille » est un extrait de la chanson qui s’en prenait à Olive, dont on rajuste la « coquille* » en tapant dessus. Il en est encore question aux vers 372-378.  *« Une belle fille/ Fait souvent fourbir sa coquille. » Digeste Vieille.   28 LV : champs  (Dans leurs chansons.)  Les enfants qui « vont à la moutarde » s’attroupent aux carrefours et chantent des couplets qui dénoncent les nouveaux scandales de la ville.   29 Vous chansonnent.   30 Que nous le cherchions (normandisme). Voir le vers 80.   31 Si je ne prouve pas sa méchanceté.   32 Une condition, une remarque. Cf. Frère frappart, vers 67.   33 Rime manquante. « Mais j’y ay fait mes escolliers/ Taire tout coy. » Serre-porte.   34 Ce maudit gueux. « Narquin (…), qui signifie mandian, contrefaisant le soldat détroussé. » Laurens Bouchel.   35 Le nom de ce prêtre paillard fait penser au virebrequin [pénis] : « Le virebrequin de maistre Aliborum. » (Chansons folastres.) L’auteur a commis une maladresse en le prénommant Jehan, comme Lagny.   36 Ne tardez pas.   37 Vous portez-vous bien ? Idem vers 158.   38 LV : un oyee  (Le copiste du ms. La Vallière, qui ne brille pas par son intelligence, croit que la rime -oyee transcrit la prononciation normande -oé. Ailleurs, je corrige tacitement.)   39 LV : vous voesy  (Que je vois ici un grand nombre.)   40 Un peu.   41 Aussi réel que le soleil.   42 Nous vous paierons. Et plutôt « en chair qu’en argent », comme le procureur du Balet des Andouilles l’exige des dames.   43 Ces deux villes ne sont là que pour la rime.   44 Faites-le assigner en justice. Cf. les Povres deables, vers 42.   45 LV : ou siter  (Dénoncer publiquement. « Les préconizacions avoient esté faites à oÿe de parroesse solempnement. » ATILF.)   46 Qu’il mange la poire d’angoisse [instrument de torture qui écarte les mâchoires]. « Mengier d’angoisse mainte poire. » François Villon.   47 Même s’il faisait partie des chevaliers fantômes de la « maisnie Hannequin » (ou Hellequin). Voir le Roman de Fauvel.   48 LV : chase  (Même s’il était caché sous les nuages ; ou sous les femmes nues…)   49 À l’oreille du prêtre, pour que les « ribaudes » n’entendent pas.   50 Notre exploit, notre acte d’assignation. Cf. Lucas Sergent, vers 241. Comme tous les clercs, le prêtre porte une écritoire pendue à sa ceinture. Voir Maistre Mymin qui va à la guerre atout sa grant escriptoire pour mettre en escript tous ceulx qu’il y tuera.   51 LV : monsieur   52 Visiblement, le prêtre connaît la chanson gaillarde qui met en scène Trétaude.   53 Qu’aucun oubli ne vienne empêcher qu’il ne comparaisse au tribunal.   54 À l’oreille du prêtre.   55 LV : ost  (Il aura la prison pour récompense.)   56 J’ai pour nom.   57 Que vous ne l’oubliiez pas.   58 Ni lui, ni tous ses alliés.   59 Ne valent pas le bois pour les brûler.   60 Que je dois dire au préalable.   61 Sa moquerie.   62 LV : se seroyt pas  (Il ne pourra pas me révoquer.)   63 De comparaître.   64 LV : monsieur   65 Jehan de Lagny est typiquement un rôle de Badin, de demi-sot. Voir la notice de Troys Galans et un Badin.   66 Chanson normande tirée du ms. de Bayeux : « C’est à ce jolly moys de may,/ Que toute chose renouvelle,/ Et que je vous présentay, belle,/ Entièrement le cueur de moy. » L’Église chante ce couplet au début d’une Moralité à troys personnages du ms. La Vallière (LV 23).   67 Les femmes et le prêtre sont de l’autre côté de l’estrade, et ne voient pas encore Lagny.   68 LV : posible  (L’encre est très effacée. En 1837, Le Roux de Lincy et F. Michel ont lu posible, mais ce mot est à la rime.)  Usons d’une ruse qui endormira sa méfiance.   69 Le trompe par ruse.   70 Mon témoignage en vaudra six. Le prêtre se cache à proximité.   71 Vous aurez des remerciements.   72 Il aperçoit les trois femmes.   73 Depuis la fête des Saints-Innocents, le 28 décembre. C’est aussi le jour de la Fête des Fous, où les Conards de Rouen se déchaînent.   74 Ce saint rime presque toujours avec Rouen, où il fut évêque. Cf. le Tesmoing, vers 207.   75 LV : ne sy  (Aussi habile au jeu de l’amour qu’elles le sont ici.)  Âprement = vivement. « Chevauchons asprement ! » ATILF.   76 Je m’en vais voir courtoisement.   77 Un banquet. « Ledit grant Turcq luy fist ung grand disner et convive. » Godefroy.   78 Avec elles. Les trois femmes sont jouées par des hommes, et l’auteur s’en amuse encore aux vers 55, 146 et 258.   79 Leur sexe. « L’official condamna la pauvre fille à prester son beau et joly instrument à son mary pour y besongner. » Bonaventure Des Périers.   80 En aparté.   81 Abréviation normande de « par saint Jean ! ». Elle est encore réduite à « Jen » au vers 204.   82 Perrette et Olive aimeraient bien prêter de nouveau leur « instrument » à Lagny.   83 Réputé.   84 Selon votre souhait.   85 Vous trouverez bon de me rappeler.   86 Bien qu’elle soit secrète.   87 Les Normands prononçaient mémore, comme ils prononçaient génitore au vers 400. Cf. le Bateleur, vers 159-160.   88 Toujours caché, il note l’aveu de Lagny.   89 Pour ce que vous venez de dire.   90 En même temps que. Nous avons là 3 rimes en -ous, dont les deux premières sont identiques.   91 LV : quant  (Vous aussi.)  Lagny compte donc épouser trois femmes le même jour et devant le même curé.   92 Afin de sceller nos fiançailles. Sur cette tradition populaire, voir la note 18 du Tesmoing.   93 Faire l’amour. « Ung jeune fils qui se fiança,/ À sa fiancée emprunta/ Ung coup sur le temps advenir. » Sermon joyeux d’un Fiancé.   94 LV : on  (Et puis nous banquetterons.)  « –Dînerons-nous, ma chère, ou si nous le ferons ?/ –Tout comme il vous plaira (dit-elle)./ Et puis après, nous dînerons. » Henri Pajon.   95 Voyant que ses trois clientes sont sur le point de céder, Virelinquin jaillit de sa cachette et empoigne Lagny.   96 En Normandie, un aoûteron est un journalier qui moissonne sur les terres des autres. « Vous estes un bon aulteron ! » Le Gallant quy a faict le coup.   97 Une lettre de prise de corps.   98 Au juge.   99 Pour un homme qui transgresse les lois.   100 Un sergent.   101 Avec moi.   102 Secoue négativement.   103 Une caboche, une tête de mule.   104 Tu as le nez rouge : tu as bu.   105 Malgré vous et à contrecœur.   106 Votre injonction ne sera pas vraie.   107 La permission.   108 Habillé en juge, il passe là par hasard (comme tous les autres intervenants), et se dirige vers les chicaneurs.   109 En ayant le sang ému par la colère. Naturellement, le blasphémateur n’est autre que le prêtre.   110 D’où est né leur différend.   111 LV : me prendre  (Sans écouter ma défense.)   112 Je m’en rapporte à ces trois femmes.   113 Interrogez. (Idem vers 349.) Le mot créature désigne souvent une prostituée.   114 Les documents.   115 Le rapport où mes faits délictueux sont relatés. Cf. le Tesmoing, vers 63.   116 Ma partie adverse. Idem vers 392.   117 En 1515, François Ier venait d’accéder au trône.   118 LV : se  (Ce que Virelinquin va dire.)  Sous-entendu politique : On verra bien ce que sera le règne de ce nouveau roi.   119 LV : que ies  (Que Virelinquin paye les frais de justice.)   120 Et même, qu’il soit suspendu de son ministère. On voit qu’il s’agit d’une pièce de Carnaval : un juge civil n’avait pas le droit de juger un clerc, qui relevait de la cour d’Église.   121 De l’argent pour payer les dépens.   122 Dans le feu de l’action, très bientôt.   123 Poussive : Trétaude est obèse (notes 13 et 17).   124 Soient.   125 L’instruction, l’enquête.   126 En l’art judiciaire. La gestuelle du comédien devait mettre en valeur la graphie « lard » du ms., laquelle ironise sur l’embonpoint du prêtre (vers 69), et sur les Turcs qui ne mangent pas de lard. Jadis, on disait à la Comédie française que le maquillage de Cyrano était un effet de l’art (un nez fait de lard).   127 LV : desus se poinct  (Le point ci-dessus me chiffonne.)   128 « L’Abbé (des Conards), estant en son pontificat,/ Après avoir chanté Magnificat,/ Fait à sçavoir à ses joyeux supposts,/ Autres aussi aimans vuider les pots. » Triomphes…   129 Mauvaiseté, déloyauté.   130 Telle que je suis. Grosse et délurée ?   131 J’interjette un appel.   132 LV : grand  (Au « Gras Conseil des Conardz ». Triomphes…)  « Sçavoir faisons qu’avec le Gras Conseil/ Avons, ces jours, faict édict nompareil/ Pour abolir la longueur des procès. » (Ibid.) Cf. les Veaux, vers 32 et 48.   133 LV : un nouueau  (En tenue d’apparat. « Le grandissime, magnifiquissime et potentissime sieur Abbé, accoustré en son haut appareil. » Triomphes…)   134 LV : je imposeray de  (Je ferai opposition. « Pour plaidier ne pour opposer. » ATILF.)   135 Qu’il l’a fait.   136 Pillard.   137 Avant.   138 L’ennemi des blasphémateurs (vers 211-218) se met à jurer le nom de Dieu.   139 Parce qu’il est un sournois coquin. Cf. les Mal contentes, vers 108. « Et luy, avecques ce coquin (…)/ Et ne sçay quel aultre tacquin,/ Se promenoyent. » ATILF.   140 A plus de mauvaise réputation dans la rue. Voir la note 19.   141 Des dommages et intérêts.   142 Qu’on le saurait, qu’on pourrait le savoir.   143 Il n’y a rien dans la cause qu’il ne prouve.   144 Comme il invente des calomnies sur mon état de prêtrise.   145 Savez-vous (normandisme). Cf. le Poulier, vers 409 et 520.   146 Préalablement.   147 Il donne son papier au juge.   148 La péteuse. « Mouflarde [joufflue], pétaude fessue ! » Lacurne.   149 « On appelle faux frais toutes les menues despenses qu’on est obligé de faire. » Furetière.   150 Leur explication. Comme par hasard, Lagny a tous les papiers dans sa poche.   151 La comprenne.   152 Un vieux bouc.   153 2 liards, 2 piécettes : ce n’était pas suffisant pour payer la prostituée. « On n’excommuniera point, au prosne,/ Ceux qui “hocheront” sans argent,/ S’ils n’ont le vit plus long qu’une aulne. » La Grande et véritable pronostication des cons sauvages (…) nouvellement imprimée par l’autorité de l’Abbé des Conars.   154 Tresser des harts, des cordes. « On ne pourroit sèche hart tordre. » Proverbe.   155 La forêt du Rouvray, au sud de Rouen, était infestée de brigands qui ficelaient leurs victimes à des arbres, quand ils ne les y pendaient pas purement et simplement. Rue Eau-de-Robec, on peut encore voir l’ex-voto d’un drapier qui fut dépouillé par ces brigands, et qui dut la vie à son cheval, parti chercher du secours.   156 Je m’en remets totalement.   157 Au sujet du passage que je viens de lire.   158 LV : maroquin  (Vint découvrir son pénis à une de mes pensionnaires. « Que nous fissions, vous et moy, un transon de chère lie, jouans des manequins à basses marches. » Pantagruel, 21.)   159 Sans avoir un seul maravédis [monnaie espagnole]. Le teston est une petite pièce d’argent. Dans les Brus, la maquerelle Trétaulde refuse de louer ses pensionnaires aux hommes d’Église s’ils ne paient pas d’avance.   160 Son corset, en gage.   161 Prit la route, s’enfuit.   162 LV met sur la même ligne, plus loin : greffier   163 Il s’adresse d’abord au juge, puis à Virelinquin.   164 LV : saluable  (Le serment valable prend Dieu à témoin. « Si, par serment vallable, & sans y estre forcé, il leur promet cent escus. » Jacques Jacquet.)   165 Hôtel borgne sis rue Beauvoisine, à Rouen. Morequin aurait pu désigner le Petit More, un jeu de paume assez mal fréquenté.   166 LV : deschauser  (Quand il remit son haut-de-chausses, son pantalon.)   167 Aucune pièce de monnaie. Le grand blanc est le salaire des prostituées de bas étage. « Ung beau grand blanc –qui n’est pas trop grant somme–/ Fist le marché. » Les Sept marchans de Naples.   168 Faire la révérence. « S’il advient que quelqu’un entre (…),/ La révérence à cul ouvert/ Je fais. » (Chambrière à louer, à tout faire.) « Elle fit une révérence à cul ouvert à la compagnie. » (Charles Sorel.)   169 La forêt du Rouvray (vers 326).   170 Lagny feint de prendre cette expression au pied de la lettre.   171 Prononcez le serment que vos deux compagnes ont prononcé aux vers 331 et 351.   172 LV : nous  (Que vous fassiez un serment différent.)   173 LV : la sention  (C’est à des fautes de ce genre qu’on évalue le niveau d’un copiste…)   174 Auberge que les Triomphes de l’abbaye des Conards nomment le « trou Hamelin ». Les trous sont des lieux mal famés : les Rouennais fréquentaient aussi « le Grand Grédil, qu’on dit le trou ». (Montaiglon, XI, 75.) Paris avait « le trou de la Pomme-de-Pin ». (Villon.)   175 Besoin. Pour cette référence à une chanson qui se moquait d’Olive, v. la note 27.   176 Que vous seriez doublement foutue pour que votre coquille soit remise en place.   177 LV : on   178 LV : valent  (L’expression exacte est : ne pas valoir un sequin.)   179 LV : dont on  (D’où qu’on se place pour parler de vous.)   180 Aura un sursis.   181 LV : predites  (Prescrites : annulées parce qu’il y a prescription.)   182 LV : le greffier  (Voir la note 162.)  Il est inconcevable qu’on introduise un nouveau personnage – absent de la liste initiale – pour déclamer 4 vers. La très mauvaise édition de 1837 attribue les vers 396-398 à ce greffier inexistant. Tout ce passage est confus.   183 Il doit restituer les trois femmes.   184 LV : tretaulde  (Au vers 396, Lagny répond à Virelinquin.)  Les refrains de ce triolet ne sont même pas identiques !   185 Partagée en deux. On veut lui enlever un testicule ; dans beaucoup de fabliaux et de nouvelles, les moines paillards perdent les deux.   186 Division, amputation.   187 LV : est   188 LV : ocupe  (Découper : trancher chirurgicalement.)   189 Le souper.   190 Pour que nous fassions la paix avec lui.   191 Acquitté.   192 Qui n’était pas concerné par cette affaire.   193 Pris.   194 Qui se mêlent des affaires des autres.   195 Et même un troisième.   196 Sentence immédiate. « Sage est le juge qui escoute, & tard juge ; car de fol juge, brièfve sentence. » Anthoine Loisel.

LE TESMOING

Ms. La Vallière

Ms. La Vallière

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LE  TESMOING

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On a pris l’habitude injustifiée de baptiser cette farce sans titre l’Oficial, du nom d’un de ses personnages qui ne déclame que 79 vers. Le rôle principal (187 vers) n’est pas ce juge qui – circonstance aggravante dans une farce – est honnête et compétent, ni la fille déshonorée qui voudrait bien épouser son joli suborneur, ni le garçon qui abusa de sa naïveté en lui promettant le mariage, ni la mère un tant soit peu maquerelle qui connaît mieux les lois qu’un juriste. Non, le clou du spectacle, c’est le témoin : ce vieux radoteur au langage archaïque et patoisant ne cesse d’opposer la perfection (toute relative) de l’ancien temps, à la décadence du monde moderne. Au Moyen Âge, on trouvait déjà que c’était mieux avant. Au XIVe siècle, le poète Eustache Deschamps regrettait le XIIIe siècle, où on préférait le XIIe, qui ne valait pourtant pas le XIe, tellement inférieur au Xe… Faute de titre, j’ai donc pris la liberté de mettre en valeur le Tesmoing.

Cette farce rouennaise date de la première moitié du XVIe siècle. L’auteur connaît son métier : il commence in medias res et expose son intrigue avec un grand naturel.

Je recommande la mise en scène de la Farce du Témoin menée tambour battant (20 minutes !) par des étudiants diplômés et des professeurs de l’Université de Western Ontario, à London (Canada).

Source : Manuscrit La Vallière, nº 22.1 Un censeur a barré en tout 14 vers qui avaient un lointain rapport avec l’Église, et leur a substitué des niaiseries dont je n’ai pas tenu compte. (Voir la notice du Raporteur.) Dans les rubriques, il a systématiquement remplacé L’OFICIAL par LE JUGE : un official est un juge ecclésiastique ; tout ce qui entoure le sacrement du mariage dépend de lui, et non d’un juge civil. La farce du Clerc qui fut refusé à estre prestre fait aussi appel à l’official de Rouen.

Structure : Rimes plates.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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Farce  nouvelle

à  cinq  personnages

C’est asçavoir :

       LA  MÈRE

       LA   FILLE  [Marion]

       LE  TESMOING   [Guillot des Noix]

       L’AMOUREULX  [le beau Colin]

       et  L’OFICIAL

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           LA  MÈRE  commence         SCÈNE  I

     Par la Dieu2 ! j’aymeroys myeulx

     Luy avoir crevé les deulx yeulx

     Que je n’en eusses la raison3 !

     Faire à4 ma fille, en ma maison,

5     Et puys dire, pour tout potage :

     « Y n’y a poinct de tesmoingnage

     Pour le preuver5. »  On le voeyra6

           LA  FILLE

     Par ma foy ! bien faict ce sera :

     C’est un trompeur, est pas7, ma mère ?

           LA  MÈRE

10   A ! que j’ey de douleur amère

     De ta fortune8, Marion !

     Il fault que nous te marion,

     S’y debvoyt9 tout fol enrager.

           LA  FILLE

     Et, dea ! pourquoy vint-il rager10

15   Tant de foys, comme vous savez ?

           LA  MÈRE

     A ! Marion, pas vous n’avez

     L’esprit encor assez propice

     Pour vous garder de la malice

     De tel deable.

           LA  FILLE

              Vous dictes vray.

           LA  MÈRE

20   Sy veulx-je sçavoir [et sçauray]11

     Qu’en dira le juge, par Dieu !

     Je me suys trouvée en mainct lieu

     Où j’ay faict consultation

     Du cas ; mais la probation12

25   Nous fera gaigner nostre cause

     Avec, se j’entens bien, la clause13.

     Tu congnoys bien Guillot des Noix14 ?

           LA  FILLE 15

     Ouy, ma mère, je le congnoys :

     C’est celuy qui trèsbien l’oÿst,

30   Quant à ma16 chambre m’encloÿst,

     Et qu’il disoyt :

               « Ma Marion,

     Trèsbien ensemble nous serion ;

     Voulez-vous pas estre ma femme ? »

     Quant luy respondis, sur mon âme,

35   Que j’en estoys trèsbien contente,

     Lo[r]s y fist tout à son entente17,

     Car ainsy vous me l’aviez dict18.

     Guillot est homme de crédict,

     On le croiera du premier coup.

           LA  MÈRE

40   C’est très bien dict. À coup19, à coup !

     Je m’en voys, sans me contrister20,

     Chercher sergent pour le citer21.

     Je croy qu’il n’y faillira pas.

           LA  FILLE

     Alon, ma mère, pas à pas ;

45   Sa maison22 n’est pas loing d’icy.

.

           L’OFICIAL  entre            SCÈNE  II

     Il y a long temps que n’issy23

     Hors du logis pour aler veoir

     Mes24 gens, et faire mon debvoir ;

     Je m’y en voy tout maintenant.

50   Celuy qui est Droict maintenant25

     Est prisé de Dieu et des hommes.

.

           La Fille et la Mère, parlant ensemble

           dens la salle 26, revenant du sergent.

           LA  FILLE                SCÈNE  III

     Mère, c’est icy, nous y sommes.

           LA  MÈRE

     Ce chemin est beaucoup plus court.

           LA  FILLE

     Par mon serment ! voécy la Court,

55   Je le congnoy27. Et ! que de gens !

     Que l’on médise des sergens

     Qui28 vouldra ; trèsbien je m’en loue.

     Il ne me fera plus la moue29,

     Le trompeur30. Monsieur le sergent

60   A esté bien fort diligent

     De le citer31 : voécy la lestre,

     Où il ne fault oster ne mectre32.

     La voélà, la relation33 !!

           L’OFICIAL

     Mon Dieu, quel exclamation !

65   D’où vient ce grand bruict et tempeste ?

           LA  MÈRE

     Marion, tu es fine beste :

     I[l] fault finement sermonner34.

           L’OFICIAL

     Ceulx[-cy me fault questionner]35

     De leur procès.

           LA  MÈRE

               Dieu vous gard, sire !

           L’OFICIAL

70   Or çà ! qu’avez-vous à me dire ?

           LA  MÈRE

     Monsieur, la plus grand traÿson,

     Meschante[té] et déraison36

     Que vous ouÿstes de vostre âge37 !

           L’OFICIAL

     Or bien. Qui est le personnage

75   Qui vous a faict tel déshonneur ?

           LA  MÈRE

     Ce n’est pas un trop grand seigneur,

     C’est un nommé le beau Colin.

     Que le chault mal sainct Mathelin38

     Luy puisse ronger la cervelle !

80   J’avoys une fille très belle ;

     Le meschant l’a déshonorée.

     Et voécy la povre esplourée,

     Qui de luy justice requiert.

           L’OFICIAL

     Est-il cité comme il afiert39 ?

85   Aultrement, n’y saroys que fère40.

           LA  FILLE 41

     Que pour cela on ne diffère42 :

     En voécy la relation.

           LA  MÈRE

     O ! quelle babillation43 !

     Laisse-moy parler, sy tu veulx !

90   Monsieur, de Colin je me deulx44,

     Qui a ma fille viollée,

     Puys dict qu’i ne l’a acollée,

     Combien qu’i luy ayt, sur bon gage,

     Promys sa foy en mariage.

           L’OFICIAL,  parlant à la Fille :

95   Est-il vray ? Or dictes, ma mye.

           LA  FILLE

     Je n’estoyes pas sy endormye

     Que ne me soyes bien aperceue

     D’avoir esté ainsy déceue.

     Mais à nul mal je n’y pensoy[e]s.

           L’OFICIAL

100  Colin, vien cy, où que tu soyes !

    Aultrement, te mès en deffault45.

.

           LE  BEAU  COLIN  entre       SCÈNE  IV

    Il [ne] me fault crier plus hault46 :

    Me voécy à vostre présence.

           L’OFICIAL

    Or vien çà ! Par ta concience,

105  As-tu congneu charnellement

    Ceste fille icy ?

           COLIN

              Elle ment,

    Je m’en raporte à tout le monde.

           LA  MÈRE

    Y ment, le malureux immunde !

    Je le veulx prouver fermement.

           L’OFICIAL 47

110  Or le prouvez donc vitement,

    Je vous en donne tout loysir.

           [COLIN]

    Male mort me puisse saisir

    Sy je luy fis48 rien de ma vie !

           LA  MÈRE 49

    Par la doulce Vierge Marye !

115  Monsieur, sans atendre plus loing,

    Voécy à présent mon tesmoing ;

    Examinez-le50, s’il vous plaist.

.

           L’OFICIAL                 SCÈNE  V

    Tesmoing, parlez sans plus de plaist51.

    Vous jurrez52 par la Passion

120  De Dieu, par53 la salvation

    Ou dannation de vostre âme

    (Ou vous puissez estre soublz lame54

    Dedens quatre jours enfouy),

    Que vous me direz vray ?

           LE  TESMOING  entre 55

                   Ouÿ,

    [Je le jure par l’Évangille !]56

125  Monsieur, je ne suy sy habille57

    Pour en sçavoir juger sy bien.

    Je ne vous mentiray de rien.

    Je vous diray ce que j’en say58.

    Au temps passé, que commensay

130  À devenir frisque59 et dispos,

    On mectoyt chopines et pos60

    Sur la table, et ne servoyt-on

    En buffect61 par un valeton,

    Comme on faict en ce temps icy62.

           L’OFICIAL

135  Et à quel propos tout cecy ?

           LE  TESMOING

    Monsieur, monsieur, sauf vostre grâce,

    Il ne faloyt farder sa face

    Pour sembler belle à son amy.

    On ne parloyt mot ne demy63

140  De mules qui ne mengent poinct64.

           L’OFICIAL

    Vrayment, voécy un aultre poinct ;

    Que veulx-tu dire par ce dict ?

           LE  TESMOING

    Je dis qu’on chevauche à crédict,

    En espargnant avoyne et foing.

145  Il n’estoyt poinct sy grand besoing

    De décroter65 robe à vasquine

    Pour madame la musequine66 ;

    Ny de Monsieur l’acoustrement,

    Qui chevauche en cuir seulement67.

150  Ô chambèrières bien fasch[é]es

    De veoir sy bien enharnach[é]es

    Voz mêtresses de belle crote !

    Page, alez quérir une hote :

    Vous l’emplirez certainnement

155  Des fenges qui ont plainement

    Gasté la robe à vostre maistre.

    Par mon âme ! on deust mener paistre

    Ces muletons, muleurs68, muliers69

    Qui, pour ne gaster leurs souliers,

160  Mectent grand-peine, pour [ce jour]70,

    Se rompre le col nuict et jour

    À faire la tourne-bouelle71.

    Au temps de la dague à rouelle72

    Et des souliers à la poulaine73,

165  On ne faisoyt telle fredaine

    Ne74 telles folyes, mydieulx !

           L’OFICIAL

    Mais qu’esse-cy ?

           LE  TESMOING

               Je suys des vieulx :

    Je parle de long temps, Monsieur.

           L’OFICIAL

    Vous estes un plaisant rieur.

170  Respondez à ce qu’on demande.

           LE  TESMOING

    Monsieur, monsieur, la chose est grande75 :

    Il y fault de plus loing venir.

    J’ey veu c’on faisoyt convenir

    Tout le monde en Court de l’Église76.

175  J’ey veu qu’on ne prenoyt chemise

    Fors que de deulx moys en deulx moys77.

    J’ey veu la mesure de boys

    Estre pour six beaulx soublz donnée78,

    Qui a bien valu ceste année

180  Quarante-six ! C’est piteulx cas.

    J’ey veu qu’i n’estoyt advocas

    Que deulx ou troys en ceste ville79.

    J’ey veu deulx cens cas, voyre mille,

    Qui sont au renq des trespassés80.

           L’OFICIAL

185  Encore n’esse pas assez81 ?

    Sus, respondez82 sans faulte nulle !

           LE  TESMOING

    J’ey veu qu’i n’estoyt83 c’une mulle,

    Et une seulle Damoyselle84

    En ceste ville, layde ou belle ;

190  Maintenant, on en voidt un cent.

    Je ne say pas que cela sent85,

    Sinon que tous nobles deviennent86 ;

    Et sy plus d’aultres en surviennent,

    Adieu vous dy la marchandise87 !

195  J’ey veu qu’on ne parloyt de Frise,

    De vasquines ne vertugales88 ;

    Mais la maladye de galles 89

    En a trouvé l’invention.

    J’ey veu qu’on disoyt un « s[a]yon90 » ;

200  Maintenant, c’est un « casaquin ».

    Dont est venu le damasquin91

    Qu’on grave en espée ou [en] dague ?

    Pour vray, ma dame saincte Brague92

    En fust la première inventrice.

205  J’ey veu qu’on ne trouvoyt nourice93

    Dedens la ville de Rouen ;

    Mais94, j’asseure, par sainct Ouen,

    Que pour une, on en trouve douse.

    D’où vient que tout chacun se house95

210  Pour se pourmener à l’église ?

    Par mon âme ! quant je m’avise,

    Tout est tourné à la rebours96.

    Les moutons d’or97 n’ont plus le cours :

    On ne parle que de ducas98.

215  Et pour99 l’or à douze caras,

    On en faict bien à .X., et huict100.

    J’ey veu qu’on ne blessoyt de nuict

    Les passans, comme l’on veoyt fère.

    Maintenant, tout est à refère,

220  Et tourné c’en dessus dessoublz.

    Du temps qu’on disoyt mésuroulz101,

    On ne parloyt poinct de catère102 ;

    Maintenant, n’y a eau103 ne terre

    Qui ne soyt toute catéreuse104.

225  Ô que la femme estoyt heureuse

    Et riche, qui au temps passé,

    Portoyt [un surcot]105 rebrassé

    De belle sarge ou ostadine106 !

    Ô qu’elle sembloyt [bien] godinne107,

230  Qui avoyt en toute108 saison

    Robe de drap en sa maison,

    Fourée de beaulx dos de gris109

    Ou de grignos ! Ventre sainct Gris !

    Y m’est advis que je les voy.

           L’OFICIAL

235  (Je croy qu’il est tout hors de soy.)

    Mon amy, parle[z] à propos.

    Je croy qu’avez rinché les pos110.

    Je ne parle du temps jadis.

    Respondez à mes propres dis :

240  Avez-vous veu le beau Colin

    Avoir faict le « heurte-belin111 »

    Avec ceste fille présente ?

           LE  TESMOING

    Vous ne voulez pas que je mente ;

    Aussy ne veulx-je, mon seigneur.

245  Acoustez112, voécy le greigneur

    Compte que vous oÿstes onques113.

           L’OFICIAL

    Or sus, amy, despeschez donques !

    Je ne veuil estre icy mèsuy114.

           LE  TESMOING

    Encor[e] ne say-ge où j’en suy…

250  Atendez, Monsieur : je disoys

    Que le monde est crû de .X. foys

    Plus grand qu’il n’estoyt de mon temps115.

    Et pource que bien je n’entens116

    (Car tout est changé, comme on voyt)

255  Sy on le faict comme on souloyt117,

    Je ne say que je vous doys dire.

    Mais sy vous dirai-ge sans rire

    Et sans mentir, que sy on faict

    L’œuvre118 des noces en effaict

260  Comme on faisoyt au temps passé,

    Tout en est moulu et cassé119.

    Je le jure certainnement.

           L’OFICIAL

    Tu le pence donc vrayement ?

           LE  TESMOING

    Ouy, Monsieur. Et sy, le tesmoingne120,

265  Sy on faict ainsy la beso[i]ngne

    Comme on faisoyt quant je fus né.

           L’OFICIAL

    C’est honnestement tesmoingné.

    Tu les vis donc tous deulx ensemble ?

           LE  TESMOING

    Ouÿ, Monsieur, comme il me semble.

270  Mais Marion estoyt dessoublz.

           L’OFICIAL

    Quans escus, quans testons ou soublz121

    Luy bail[l]a-il ?

           LE  TESMOING

               Je n’en say rien,

    [Monsieur.] Mais je vous diray bien

    – Et jurray122 sur ma conscience –

275  Qu’el prenoyt tout en pacience,

    Et sans crier fort haultement.

    « Faictes ! »  (dict-el tout bellement.)

    « Colin, vous estes bel et sage :

    Mais c’est à nom123 de mariage,

280  Entendez-vous, mon doulx amy ? »

    Colin ne faisoyt l’endormy,

    Mais ce mot un peu luy despleust124.

           L’OFICIAL

    Toutefoys, en fin, le voulust ;

    Feist-il pas ?

           LE  TESMOING

            Ouy, Monsieur, sans faulte.

285  Car elle avoyt la jambe haulte,

    L’une sur l’aultre fermement125,

    Qui n’estoyt grand esbatement

    Au pauvre Colin, qui mouvoyt126.

    Mais elle dict qu’il ne feroyt

290  Rien qui fust sans qu’il fist promesse

    De l’espouser à la grand-messe,

    En l’église de leur vilage.

    Colin disoyt :

              « Huy, huy : formage127 ! »

    (Contrefaisant la basse voix.)128

295  « Un formage ? Par saincte Croix !

    Pour un fourmage, n’en feray

    Un coup tant que vive seray ! »

    (Dict-elle.) Ce voyant, Colin

    Se laissa mener en belin129

300  Et bender130. Tout à son bel aise,

    Y vous la tâtonne, y la baise,

    Y vous la couche sur le dos,

    Et après cinq ou sis bons mos,

    Feist entrer Geufray au bissaq131 !

305  Le châlic[t]132 faisoyt tic et taq,

    Cric, crac, cric, croq ! C’estoyt merveille.

           L’OFICIAL

    Par où l’oyès-tu ?

           LE  TESMOING

                Par l’oreille,

    Car on n’ot pas du boult du nes133.

    J’avoys rompu le boult d’un ays134

310  D’entre leur maison et la mienne,

    Bien que chascune m’apartienne ;

    Et par là, voy[oy]es clèrement

    Tout leur joly contentement

    Que je vous ay cy racompté.

           L’OFICIAL

315  Vraiment, tu m’en as bien compté !

    Faictes aprocher les partyes135 !

           LA  MÈRE

    Et bien, serons-nous départyes136 ?

    Avons-nous bien prouvé le cas ?

           L’OFICIAL

    Poinct ne fault avoir d’avocas,

320  Car la matière est to[u]te claire.

           LA  FILLE

    Qu’en esse ?

           L’OFICIAL

            Vous voulez-vous taire ?

    Nous disons Colin avoir tort.

    Et de ce, doibt estre bien fort

    Blasmé, et en payer l’amende,

325  Oultre combien qu’il se deffende

    (Mais à tort) d’avoir rien promys137

    À Marion. La Court l’a mys

    Et mect, pour aulx povres donner,

    À cent soublz (sans plus sermonner)

330  D’amende ; et le condampne aussy

    De demander grâce et mercy

    À Marion, à deulx genoulx138,

    Nues jambes. Entendez-vous ?

    Et sy, pay(e)ra à la Justice

335  Les frais, sans que sortir y[l] puisse

    De prison premier que139 payer.

           LA  MÈRE

    Or sus, as-tu bel abayer140 ?

           L’OFICIAL

    Tout beau ! Et sy, l’a condamné

    D’estre en son église amené

340  Aveq flutte141, tabour et loure ;

    Et là, sans que plus loing on coure,

    Il espousera142 Marion

    En grande consolation.

    Voeylà ma sentence donnée.

           LA  MÈRE

345  Dieu vous envoye bonne journée,

    Tant vous estes homme de bien143 !

           COLIN

    Un gros vilain estron de chien

    Luy puisse estouper les babines !

    Voylà des frauldes féminines !

350  J’en ay144 !

           LE  TESMOING

            Y te convient [de] prendre

    En gray145.

           COLIN

            Que l’on te puisse pendre !

    C’est par toy que je suys ainsy !

           LE  TESMOING

    Pourquoy luy faisoys-tu, aussy ?

.

    Messieurs : celuy146 qui veult promectre         SCÈNE  VI

355  (Soyt par foy, par tesmoingtz ou lestre),

    Y doibt sa parolle tenir.

    Car on doibt quelque jour venir

    Devant le très souverain Juge,

    Qui [les] vis147 et trespassés juge ;

360  Et qui148 menteur trouvé sera,

    Pour149 ses meffaictz le jugera.

    Il n’est donc qu’estre véritable

    Et, en foy, très constant et stable.

    Nous ne pensons avoir dict chose

365  Où aulcuns puissent faire glose150 :

    Sy on s’en sent piqué ou poinct151,

    Messieurs, on ne l’entendons poinct152.

    Mais prions le Dieu supernel153

    Nous154 donner repos éternel.

370  En prenant congé de ce lieu,

    Une chanson pour dire « à Dieu »155 !

                                 FINIS

*

.

D’UNE   JEUNE  FILLE 156

.

Une jeune fille, ayant fait mettre prisonnier un jeune homme, [et] qui avoit – à ce qu’elle disoit – eu parole de luy de l’espouser, ce jeune homme, qui fut arresté par elle157, nia absolument d’avoir eu affaire avec elle. Elle, maintenant son accusation, demande être receue à en faire la preuve. Il faut examiner plusieurs tesmoins, & entre autres un, aagé de plus de quatre-vingt ans. On l’interrogea sur l’accusation de la fille ; on l’obligea de dire ce qu’il avoit veu. Il dit avoir veu que cet homme mena cette fille dans l’estable aux vaches158.

« Mais que vistes-vous de plus ? » dit le Juge.

« Je vis (dit le bon homme) qu’il la jetta sur le lict. »

« Et que vistes-vous de plus ? » dit le Juge.

« Je vis (dit le bon homme) qu’il monta dessus. »

« Et bien (dit le Juge), que faisoient-ils ? »

« Je ne vis pas (dit le bon vieillard) ce qu’ils faisoient. Mais si on le fait de ce temps icy comme on le faisoit du nostre, par ma foy, Monsieur, il luy faisoit tout ainsi comme autrefois je faisois à nostre femme pour avoir des enfans. »

Si le tesmoignage fut valable ou non, je m’en rapporte à ce qui en est.

.

*

1 Pour les divers problèmes que pose ce texte, je renvoie à deux éditions critiques : EMMANUEL PHILIPOT, Six farces normandes du Recueil La Vallière. Plihon, 1939. ANDRÉ TISSIER, Recueil de farces, tome II. Droz, 1987.   2 Par la croix de Dieu. Notre copiste a beaucoup utilisé cet emblème (voir l’illustration) dans un recueil de palinods, poèmes religieux destinés à concourir au Puy de Rouen <BnF, ms. fr. 19184>.   3 Plutôt qu’un juge ne me fasse raison de Colin.   4 LV : en  (Faire l’amour à ma fille. Le verbe faire a le même sens elliptique aux vers 255, 277 et 353.)  La fille, qui est très jeune, habite chez sa mère.   5 LV : premier  (Correction Philipot.)   6 On verra ça.   7 N’est-ce pas.   8 À cause de ton sort.   9 Même si ton suborneur devait.   10 Me reprocher de ne pas me donner à lui.   11 LV : de vray  (Rime du même au même et vers trop court.)  Cette manière de renforcer un verbe est plutôt normande : « Par Dieu j’en jure et jureray ! » Jehan de Lagny.   12 La preuve apportée par notre témoin.   13 Et nous fera aussi gagner la conclusion du procès.   14 C’est leur vieux voisin, et leur propriétaire. On compare à des noix ce qui n’a plus aucune valeur : « Ma trompe ne vault pas deux noix. » Les Sotz triumphans.   15 LV : femme   16 LV : sa  (Quand Colin m’enferma dans ma chambre. L’acte a été commis dans la maison des deux femmes : vers 4.)   17 Selon ses désirs.   18 La Mère a conseillé à sa fille de coucher avec Colin à condition qu’il promette de l’épouser, afin de sceller leurs fiançailles. On disait alors que le fiancé « empruntait un pain sur la fournée ».   19 Allons !   20 LV : consister  (Sans me lamenter. « Le Roy ne pouvoit voir ces choses si funestes sans se contrister. » Pierre Matthieu.)   21 Pour citer Colin à comparaître.   22 La maison du sergent.   23 Que je ne sortis.   24 LV : mais  (L’official se rend à la salle d’audience de l’archevêché de Rouen.)   25 Qui maintient le Droit, qui applique la Justice.   26 Dans la salle de l’Officialité.   27 Je le devine. « Que de gens » s’applique aux spectateurs.   28 Celui qui. Sur la haine qu’on vouait aux sergents, voir les vers 469-472 du Testament Pathelin.   29 Il ne se moquera plus de moi.   30 Colin, son séducteur.   31 LV : cister  (De le citer à comparaître. Même fantaisie graphique du copiste à 84, mais pas à 42.)   32 Parce qu’elle est parfaite. « L’on n’y sçauroit oster ni mettre », dit-on d’une lettre dans la Première Moralité de Genève.   33 Le rapport du sergent où les faits délictueux sont relatés. (Cf. Jehan de Lagny, vers 233.) La Fille dit ces derniers mots très fort.   34 Plaider.   35 LV : sy ne me font questonner  (Corr. Philipot.)   36 LV : deraission  (La méchanteté, qui est le vice du méchant, peut s’employer pour un violeur : « Ne pouvant obtenir ce qu’il désiroit du gré de Lysca, il la força, aydé par un valet complice de sa meschanteté. » Jean-Pierre Camus.)   37 De toute votre vie.   38 Que la folie. Cf. Tout-ménage, vers 227.   39 LV : apert  (Corr. Philipot.)  Comme il convient. « Moult belle dame, et qui parler sçavoit/ Comme il affiert & comme elle devoit. » Alain Chartier.   40 Je ne pourrai rien faire.   41 Elle donne à l’official la lettre du sergent.   42 Qu’on n’ajourne pas le procès pour cela !   43 Que de bavardage ! La Mère, qui s’y connaît en Droit et qui, en tant que veuve, est habilitée à plaider devant un tribunal, veut empêcher son idiote de fille de nuire à ses intérêts.   44 Je me plains.   45 Je te condamne par défaut, par contumace. Colin, qui est dans le public, monte sur la scène.   46 Il n’est pas nécessaire de m’appeler plus fort.   47 LV : colin   48 LV : fus  (Si je lui fis quelque chose.)   49 Elle remarque Guillot des Noix dans le public.   50 Interrogez-le. Guillot monte sur la scène. C’est un vieillard, vêtu comme au siècle précédent et chaussé de souliers à la poulaine.   51 De plaid, de perte de temps.   52 LV : jureres  (Contraction du futur normand, comme jurray au vers 274. « Regardez à qui vous lairrez :/ Je demourray povre et seullette. » Testament Pathelin.)   53 LV : a   54 Sous une pierre tombale. « Quant est du corps, il gist soubz lame. » François Villon.   55 En jargon théâtral, ce verbe signifie : commence à parler. Voir la note 35 du Bateleur.   56 Dans Jehan de Lagny, « le Juge faict faire serment à Trétaulde par l’Évangille de la Bible ». À la place de ce vers manquant, LV porte en vedette, de la main du scribe puis du censeur : loficial le Juge   57 Habile. Ce vers n’ayant plus de rime, il a été raturé.   58 Trop heureux d’avoir enfin un auditoire qui écoute ses radotages sans le faire taire, Guillot fait durer son plaisir.   59 Frais.   60 Les pots : les marmites. On ne mangeait pas encore dans des assiettes mais sur des tranchoirs, et on se servait directement dans le plat, avec les doigts. Tissier cite la Comédie de proverbes (1633), d’Adrien de Monluc : « Il ne fut jamais si bon temps que quand le feu roy Guillot vivoit : on mettoit les pots sur la table, on ne servoit point au buffet. »   61 Dans de la vaisselle. « Agatocle (…) se faisoit servir à buffet de terre, en commémoration de ce qu’il estoit fils d’un potier. » Godefroy.   62 LV : sy  (Voir le vers 106.)   63 Pas du tout, car cela n’existait pas.   64 Chacun était propriétaire de sa mule, et avait intérêt à bien la nourrir. Aujourd’hui qu’on les loue, elles ne mangent plus à leur faim.   65 LV : denoster  (Corr. Philipot.)  Les robes à la basquine furent à la mode au tout début du siècle. Cf. le Cousturier et son Varlet, vers 177. Les satiristes brocardent souvent les femmes qui passent leur temps dehors, et qui rentrent crottées par la fange des rues : « Johan nétoye la robe/ De sa femme, qui est crotée. » Le Povre Jouhan.   66 LV : mousequine  (Le petit museau : la mignonne. « [Il] s’amouracha d’une musequine friande, blondelette, mignardelette. » Marcellin Allard.)   67 Aujourd’hui, les cavaliers sont contraints de s’habiller tout en cuir, pour qu’on puisse nettoyer plus facilement les éclaboussures provoquées par leur cheval. Guillot sous-entend que les rues sont beaucoup plus sales que jadis.   68 Ces gens qui montent sur une mule pour ne pas salir leurs souliers.   69 Ces épouses (lat. mulier). « Je ne vi dammoisele, pucelle ne moullier. » ATILF.   70 LV : seiour  (Corr. Philipot.)  « Jour » a ici le sens de date, et à la rime le sens de journée.   71 La culbute (les Sotz nouveaulx, vers 221) : à tomber de leur mule.   72 Cette arme d’un maniement délicat était périmée. (Cf. Colin, filz de Thévot, vers 84.) Clément Marot traite de la sorte une ancienne coquette : « Retirez-vous, vieille dague à rouelle !/ Retirez-vous, car vous n’estes plus celle/ Qui jadis sceut aux hommes tant complaire. »   73 Ces chaussures fragiles et peu pratiques se prolongent d’une corne en tissu qui se tordait sous la semelle et provoquait des accidents. Leur mauvaise réputation les réservait aux Fous et aux hommes efféminés. « Du temps qu’on portoit souliers à la poullaine, mes amys, et que on mettoit le pot sur la table. » Noël Du Fail.   74 LV : qne   75 Importante.   76 Qu’on faisait venir tout le monde à la cour de l’Officialité ; aujourd’hui, les calvinistes refusent ses convocations. « Mon procureur en Court d’Église. » Villon.   77 On ne changeait de chemise que tous les deux mois.   78 Être vendue 6 sous.   79 L’avocat normand Robert Angot dira la même chose un siècle plus tard : « Où cent cliens souloient parêtre,/ Ils n’avoient que six avocas ;/ Où cent avocas on voit être,/ Six cliens ne se trouvent pas. »   80 J’ai vu 200 personnes mises au rang des trépassés. Plus Guillot vieillit, plus il voit mourir de gens de sa génération.   81 On peut comprendre : Ce n’est pas bientôt fini ? Ou bien : Il n’en meurt pas encore assez (puisque vous êtes toujours vivant).   82 LV : respons   83 Qu’il n’y avait. Dans les grandes villes, la mule était le moyen de transport des élites appartenant à l’université, la magistrature ou le haut clergé.   84 Femme noble. « Les deulx femmes des deulx gentilz hommes, abillées en damoyselles. » Le Poulier à sis personnages.   85 Ce que cela nous annonce.   86 Tout le monde se fait anoblir.   87 Le commerce disparaîtra, puisque les nobles refusent de travailler.   88 De robes de Frise, de robes à la basquine (note 65), ni de jupons évasés par un bourrelet. « Ô la gente musquine !/ Qu’elle a une belle basquine !/ Sa vertugalle est bien troussée/ Pour estre bien tost engrossée. » Le Blason des basquines et vertugalles.   89 Des galants, qui ne pensent qu’à galer, qu’à s’amuser. « Jeulx, gales ou esbatemens. » ATILF.   90 Une casaque avec des manches.   91 Les lames damasquinées, incrustées d’or ou d’argent.   92 La sainte patronne des bragards, des élégants. « Pour mieulx gorrer [frimer] et faire de grans bragues,/ Le beau pourpoinct, la cappe bigarrée. » ATILF.   93 Les mères allaitaient elles-mêmes, alors qu’aujourd’hui, elles craignent de flétrir leur poitrine.   94 Désormais.   95 Chausse des bottes de cavalier. Guillot ne précise pas que de son temps, on se plaignait des nobles qui entraient dans l’église en tenue de fauconnier avec leur meute : « Qui sur son poing porte espervier/ Dedans le temple, et faict bruyt (…)/ De ses chiens. » Le Grand nauffraige des Folz.   96 « En contre-sens, à l’envers, au rebours. » Mémento du patois normand, p. 235.   97 Anciennes pièces d’or.   98 Le ducat est une monnaie vénitienne. Or, Guillot est foncièrement xénophobe : il n’aime pas les robes de Frise (italiennes), les vertugales (espagnoles), les vasquines (basques), ni les lames de Damas. Il ignore apparemment que les chaussures à la poulaine sont originaires de Pologne…   99 Au lieu de.   100 À 10 carats, et même à 8.   101 À l’époque qu’on qualifiait de malheureuse. (Méshuroux est un normandisme pour mésheureux.) « Ce meschant mésurous. » Le Triomphe des Normans.   102 On n’attrapait pas de catarrhe : de sinusite avec complications bronchiques. « Vif fust encores, si ne fust ung caterre/ Qui trop soubdain l’a tombé jusqu’à terre. » ATILF.   103 Tous mes prédécesseurs ont lu : can   104 Qui ne favorise l’apparition d’un catarrhe. « La chambre est froide et caterreuse. » Godefroy.   105 LV : en son cul  (Corr. Philipot.)  Rebrassé = retroussé. « Sottes doulces qui rebrassez voz cottes. » Jeu du Prince des Sotz.   106 La serge et l’ostadine sont des étoffes légères.   107 Réjouie.   108 LV : tante  (Celle qui avait en toute saison.)   109 De fourrure d’écureuil. Le grignot du vers suivant semble être la même chose.   110 Que vous avez rincé les pots : que vous avez bu.   111 Litt. : frappe, bélier ! Ce mot fut contaminé par heurtebiller, qui signifie coïter, et par beliner, qui a le même sens.   112 Écoutez. Cf. Lucas Sergent, vers 218.   113 Voici le meilleur conte que vous ayez jamais entendu.   114 LV : messuy  (Maishui = indéfiniment. Cf. le Gentil homme et son Page, vers 117.)   115 Guillot a quand même entendu parler de la découverte de l’Amérique.   116 Je ne sais.   117 Si on fait l’amour comme on le faisait. Dans son édition, Philipot cite Guillaume Bouchet : « Si on le fait comme on faisoit de mon temps. » (Les Sérées, 1584.) Le même Philipot a repéré cette formule proverbiale dans un conte de d’Ouville que je publie en appendice.   118 LV : doeuure  (L’œuvre des noces : le coït. « L’Apostre exempte de tout crime l’œuvre des nopces, disant : & quand bien tu auras prins femme, tu n’as pas péché pour cela. » Pierre Coton.)   119 Tout est consommé : l’acte a bien eu lieu.   120 Et même, je vous l’atteste.   121 Combien d’écus, de testons ou de sous.   122 LV : jureray  (Note 52.)   123 Sous condition. Le noble vieillard, en contrefaisant les gestes et la voix d’une pucelle, devait obtenir un beau succès public.   124 Lui déplut.   125 Sur les conseils de sa mère, elle croisait les jambes pour empêcher la pénétration.   126 Qui bougeait le bassin.   127 Oui, oui, (plutôt que de vous épouser, je vous donnerai un) fromage. « Hui » semble être une minoration de « oui » ; à moins qu’il ne s’agisse d’un sifflement : voir la note 93 du Capitaine Mal-en-point. Tissier se réfère aux Nouvelles récréations de Bonaventure Des Périers (1558) : l’Enfant de Paris qui fit le fol pour jouyr de la jeune vefve ne cesse de dire devant elle : « Ha ! ha ! formage ! »   128 Parlant à voix basse. Mais il pourrait s’agir là d’une didascalie : le Témoin, après avoir contrefait la voix aiguë de la fille, contrefait la voix grave du garçon. Dans ce cas, le vers suivant est apocryphe.   129 Comme un mouton. Ou comme un bélier : cf. le sens érotique du « heurte-belin » (vers 241) et de « beliner » (Pantagruel, 23).   130 Bander les yeux. Mais pas seulement les yeux : « Le paillard outil d’un amant se bande sans guindal [treuil], de luy-mesme. » Béroalde de Verville.   131 LV : bisaq  (Cf. Frère Guillebert, vers 14.)  Tissier rappelle qu’on trouve cette expression chez le Normand Philippe d’Alcripe, et chez Gabriel Chappuys, rouennais d’adoption : « Elle commença à mettre la main sur son braquemard à fin de le loger (…), & mit Geoffroy au bissac. »   132 Le châlit. « Je vous souhaide toute nue/ Entre mes bras, dessus mon lyt,/ Pour assayer se le châly/ Endure bien qu’on s’y remue. » Quant je vous voy.   133 On n’entend pas avec le nez.   134 D’une planche. Ce n’est plus un témoin, c’est un voyeur ! « Je regardois par une fente/ Qui est à l’huys de ma chambrette,/ Où je l’ay veu sur la couchette/ Avec ma fille Madalêne. » Jacques Grévin.   135 Les plaignants. Jeu de mots sur les parties sexuelles.   136 Départagés.   137 D’avoir promis quelque chose.   138 À genoux sur le lit pour coïter avec elle. « Je vous amèneray la nonnette jolie ;/ Boutez-vous en prières trèstous à deux genoulx,/ Et devant qu’i soit nonne, nous fringuerons trèstous. » (Fringuez, moynes, fringuez.) Cf. Sœur Fessue, vers 71.   139 Avant de.   140 As-tu un bel aboiement : as-tu encore une grande gueule ? (Le sarcasme s’adresse à Colin.) « Tu as bel abbayer, mastin [chien] ! » Louis Des Masures.   141 LV : un  (La flûte et le tambourin sont les instruments traditionnels pour faire danser une noce. « Soyez-y avecques vostre flutte et tabour. Les parolles dictes, et la mariée baisée au son du tabour… » Rabelais.)  La loure est une cornemuse.   142 LV : espoussera  (= il époussettera. Mais « il épousera » est plus logique.)   143 Dans les Cent Nouvelles nouvelles (nº 86), une mère plaide avec sa fille devant l’official de Rouen pour une histoire de sexe ; ayant obtenu gain de cause, elle s’écrie : « Grand mercy, monseigneur l’Official ! Vous avez trèsbien jugé. »   144 Je suis pris. « J’en ay pour une ! » Testament Pathelin.   145 De le prendre en gré, de faire contre mauvaise fortune bon cœur.   146 LV : colin  (Corr. Philipot.)   147 Les vifs, les vivants.   148 Et celui qui.   149 LV : par   150 Trouver à critiquer.   151 Ou piqué.   152 « Nous ne comprenons pas pourquoi. » (Tissier.) La tournure est normande.   153 Suprême.   154 LV : vous  (De nous.)   155 Cette ultime scène, tellement moralisatrice que le censeur n’y a rien trouvé à redire, n’est peut-être pas du même auteur que le reste. Elle est dépourvue de la moindre originalité, et le distique final sert de conclusion à de nombreuses pièces. Le ms. La Vallière inflige le même traitement à Sœur Fessue, et à l’Avantureulx ; mais dans cette dernière farce, la fin moralisatrice et le congé banal ont carrément été biffés.   156 La farce du Tesmoing demeura longtemps populaire en Normandie. En 1643, un dramaturge normand, Antoine Le Métel d’Ouville, en publia ce résumé dans ses Contes aux heures perdues.   157 À sa demande.   158 D’Ouville ne mentionne pas la chambre (et le trou percé dans la cloison) ; mais plus bas, il parle d’un lit, qui n’a rien à faire dans une étable.

LE POULIER à sis personnages

Ms. La Vallière

Ms. La Vallière

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LE  POULIER

À  SIS  PERSONNAGES

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Cette farce normande fut composée au début du XVIème siècle. Le manuscrit La Vallière contient deux farces du Poulier, c’est-à-dire du poulailler : une à quatre personnages, et celle-ci. Leur seul point commun, c’est qu’un poulailler sert de cachette à des amants dérangés par un mari. La pièce que je publie relève davantage de la comédie que de la farce : la psychologie des protagonistes est assez fouillée, et l’auteur ne nous fait grâce d’aucun détail pour justifier l’action, quitte à mettre 730 vers là où 400 eussent largement suffi. Comme d’habitude, le personnage le plus subtil est une femme, en l’occurrence une meunière ; c’est elle qui réfléchit, et qui manipule les autres, notamment son lourdaud de mari.

Le théâtre n’a pas attendu Beaumarchais pour tourner en dérision les nobles, vrais ou faux : voir le Moral de Tout-le-Monde, ou le Jeu du capifol. La noblesse avait une raison d’être à l’époque féodale : elle défendait le territoire contre les ennemis extérieurs et intérieurs. À la fin du Moyen Âge, avec le développement des armes à feu, la guerre devint une affaire de spécialistes ; or, les nobles n’avaient d’autre formation militaire que les tournois, et n’hésitaient pas à trahir en échange d’un comté. Le peuple s’est vite rendu à l’évidence : l’ordre nobiliaire ne servait plus à grand-chose, et on l’entretenait pour rien, comme cet autre boulet qu’était le clergé.

La notion même de noble fut contestée ; on insinua que beaucoup de ceux qui croyaient l’être n’étaient que des fils de cuisiniers ou de palefreniers1. De fait, les femmes des deux gentilshommes de notre farce couchent avec un vulgaire meunier, et celle du Gentil homme et Naudet s’abandonne à un paysan. On ignore si elles ont des enfants, mais si c’est le cas, ils risquent fort d’être des fils de roturiers.

Les nobles se mariaient entre eux, et rarement par amour. Quand ils devenaient pauvres, ils mettaient « du fumier sur leurs terres » (sic) en épousant des filles de riches marchands désireux de s’offrir une particule. Ces couples mal assortis alimentèrent de plus en plus la chronique scandaleuse. Le droit de cuissage n’a jamais existé, mais les tribunaux et la littérature témoignent que certains hobereaux s’arrogeaient le droit de trousser les femmes qui dépendaient d’eux, en croyant leur faire un grand honneur.

On n’eut donc plus aucun scrupule à mettre en scène un gentilhomme ridiculisé par son page, ou par un braconnier, ou, comme ici, par un meunier. Un autre meunier bafoue un aristocrate dans la farce du Musnier et du Gentil-homme : « Et vous vallez, par adventure,/ Environ vingt-neuf deniers. »

Source : Manuscrit La Vallière, nº 27.

Structure : Rimes aabaab/bbcbbc, rimes plates, avec 1 triolet.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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Farce  nouvelle

à  sis  personnages

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C’est asçavoir :

       DEULX  GENTILZ  HOMMES  (Monsieur de la Papillonnyère

             et monsieur de la Hanetonnyère2)

       LE   MOUNYER  (Lucas)

       LA  MUNYÈRE

       LES  DEULX  FEMMES  DES   DEULX  GENTILZ  HOMMES,

           abillés3 en damoyselles4.

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         MONSIEUR  DE  LA  PAPILLONNYÈRE5 

         commence, et est la Farce du Poulier.    SCÈNE  I

     Honneur, cousin !

         MONSIEUR  DE  LA  HANETONNYÈRE

               Honneur aussy !

         LA  PAPILLONNYÈRE

     De vous voyr, joyeulx suys icy,

     Puysque sancté en vous raisine6.

         LA  HANETONNYÈRE

     Je suys sain et dru7, Dieu mercy,

5   Et n’ay sur moy, ne çà ne cy8,

     De desplaisir à ma saisine9.

         LA  PAPILLONNYÈRE

     [……………………………… -ine :]

     Qui desplaisir d’aultruy machyne10,

     C’est bien de droict qu’i soyt bany.

         LA  HANETONNYÈRE

     L’homme qui le mal ymagine

10   Et en son cœur a la racyne11,

     Doibt estre des aultres pugny.

         LA  PAPILLONNYÈRE

     Vous estes tousjours bien garny

     De cela que vous debvez dire12.

         LA  HANETONNYÈRE

     Garny comme vous.

         LA  PAPILLONNYÈRE

                 Mais, beau sire,

15   Est-il bien à nostre mounyère13 ?

         LA  HANETONNYÈRE

     Qu’en sai-ge, moy ?

         LA  PAPILLONNYÈRE

                 Par quel(le) manière

     Le pourai-ge donques sçavoir,

     Veu qu’en faictes vostre debvoir14 ?

     Car bien souvent vous y hantez

20   Entour elle, et y fréquentez

     Le soir, la nuict et le matin.

     On congnoyt bien vostre latin15,

     Et le gibier de vostre chasse.

     Mais n’av’ous poinct de peur qu’on sache

25   Toutes vos alés et venu[e]s ?

     Un délict faict dessoublz les nu[e]s

     Est sceu16, entendre le debvez.

         LA  HANETONNYÈRE

     Vrayment, cousin, vous ne savez

     Comment. Vous veulx17 ramentevoir :

30   Un chascun vous y a peu voir,

     On me l’a donné à entendre.

     Et puys vous me venez reprendre,

     Moy qui ne suys en rien coupable !

     Vous estes, en parler, muable

35   Et bien digne d’estre repris.

     Gardez que n’y soyez surpris :

     La vérité seroyt congneue.

         LA  PAPILLONNYÈRE

     Autant d’escus18 que toute nue

     Vous l’avez tenue à vostre esse19 !

         LA  HANETONNYÈRE

40   Autant d’escus qu’à la renverse

     Vous l’avez sus son lict jectée !

     Dea ! vostre personne gectée20

     Y sera, donnez-vous-en garde.

         LA  PAPILLONNYÈRE

     Qui aura bon droict, sy le garde.

45   N’en faisons ne noyse, ne bruict.

     On congnoyt à l’arbre le fruict,

     Et le bon vin à la lic[qu]eur.

     Adieu je vous dis de bon cœur !

     Un jour ferons chère planière21.

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         LA  MOUNYÈRE  entre en chantant 22

50   O 23 va la mounyère ?                  SCÈNE  II

     O va, o va la mounyère ?

         LE  MOUNYER  commence

     Tousjours tu trouveras manière

     De chanter sans prendre soulcy.

     Ma foy ! sy je faisoys ainsy,

55   Tout yroit c’en devant derière.

     J’ey soulcy de faire et deffaire,

     J’ey soulcy d’aler et venir.

     Je ne me séroys soutenir24.

     Que mauldict soyt la trumelière25 !

         LA  MOUNYÈRE

60   Dieu ! qu’avez-vous ?

         LE  MOUNYER

                  Nostre matière26

     Se perdra, j’en ay grosse peur ;

     Car j’ey afaire à un trompeur,

     [À] un soublz-destre27, un trompereau.

     Plusît à Dieu que le boureau

65   L’eust pendu à mon apétit !

     Il n’y a ne grand ne petit

     Qui ne le congnoisse, à la Court28 ;

     Quant il arive là, on acourt

     Vers luy : procureurs, advocas,

70   Et sergens, & esperlucas29.

     Et prent argent à toutes mains.

         LA  MOUNYÈRE

     Y fault que l’un de ces demains,

     Que vous et moy nous y alons,

     Et que fermement nous parlons

75   Aulx juges et à l’assistence ;

     Et sy vostre partye30 me tence,

     Je luy saray bien que respondre !

     Je le f(e)ray par-de[vant]31 moy fondre

     Dens la terre, fust-il Régent !

         LE  MOUNYER

80   On ne plaide poinct sans argent.

     Le deable emporte le procès !

     Y me fera mectre en décès

     Vingt ans devant mon âge deue32.

         LA  MOUNYÈRE

     Il n’est pas dict que l’en se tue ;

85   Vous voulez-vous pendre, ou défaire ?

     Nostre Dame ! laissez-moy faire :

     J’aray de l’argent promptement.

         LE  MOUNYER

     De l’argent ?

         LA  MOUNYÈRE

             Voyre, finement :

     Il n’est finesse qu’on ne face.

         LE  MOUNYER

90   Et ! belle dame, que je sache

     Comme argent pouriez atraper.

     [………………………… -per.]

     Je serès tant aise de veoir

     De l’ argent, pour à mon cas pourvoir :

     Des escus vingt, trente ou quarante.

         LA  MOUNYÈRE

95   Nous en aurons plus de cinquante,

     Aussy rouges33 que séraphins34.

     Mais y fauldroict que fussions fins,

     Et que ne dissions mot de rien.

         LE  MOUNYER

    Par la mort [bieu] ! je feray bien

100  [Le fin, pour argent]35 atraper !

    En doibtz-tu aulcuns apiper36

    À ton entente ou jobelin37 ?

         LA  MOUNYÈRE

    Les maistres de nostre moulin38

    Sont fort amoureulx de mon corps ;

105  Sy vous faignyez aler dehors

    Envyron vingt jours ou un moys,

    Nous aurions des escus de poys39

    En leur faisant la ruze acroyre.

    Et puys revenez sur vostre erre40

110  Quant de l’argent serons41 muny :

    Jamais un regnard prins au ny42

    Ne fust sy péneulx43 qu’i seront.

    Possible qu’i nous donneront

    De nostre moulin les louages

115  Aveques tous les ariérages44

    Qu’on leur debvons du temps passé.

         LE  MOUNYER

    Par la mort bieu, c’est bien pencé !

    Que doys-je faire pour complaire ?

         LA  MOUNYÈRE

    Dormez-vous45, et me laissez faire ;

120  Je suys de langage pourveue…

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         MONSIEUR  DE  LA  PAPILLONNYÈRE46

    N’aurai-ge poinct une venue47              SCÈNE  III

    De la femme de mon mounyer ?

    À peu près [suys de renyer]48

    La Loy nouvelle et l’ancienne !

125  Sang bieu ! sy tenir la puys myenne

    À mon désir et mon entente,

    Je la baiseray des foys trente

    En faisant l’amoureulx délict49.

    Ô ! que la tenir sus un lict,

130  Pour la ribaulder50 quinze jours !…

    Vers elle m’en voys tout le cours51,

    Afin que mon ennuy soyt hors.

.

    Hau52 ! mounyer !                    SCÈNE  IV

         LE  MOUNYER53

                Dictes que je dors

    Hardiment ; y ne s’en fault guère.

         LA  MOUNYÈRE54

135  Honneur, Monsieur !

         LA  PAPILLONNYÈRE

                 Dieu gard, mounyère !

    Aurai-ge de l’argent de vous55 ?

         LE  MOUNYER

    (L’argent est bien court, endroict nous56 ;

    Qui cherche argent cherche débat.)

         LA  MOUNYÈRE

    Comment ! avez-vous pris l’esbat57

140  De venir à ceste heure icy ?

         LA  PAPILLONNYÈRE

    Ouy, car je suys à demy transy58,

    Sy de vous ne suys secouru.

    À peu que n’en ay encouru

    La mort, par le Dieu de nature !

         LA  MOUNYÈRE

145  Ce me seroyt une laidure

    Et une honte difamable

    Que d’estre trouvée variable59,

    Au désonneur de mon mary !

         LA  PAPILLONNYÈRE

    Vous me faictes le cœur mar[r]y,

150  Et me rendez du tout60 confus.

    Sy vous faictes de moy refus,

    Dictes-le-moy, je m’en iray ;

    Mais, par la mort, je vous feray

    Du desplaisir et de l’ennuy !

         LA  MOUNYÈRE

155  Ce ne séroyt estre aujourd’uy61,

    Sy vous ne parlez à Lucas

    Et le conseillez62 de son cas

    Honnestement en lieu secret :

    On nous veult passer par décret

160  Nostre héritage à nous subject.

    Pour venir à la fin du ject63,

    Prester nous fault argent à force64.

    Et puys après, que l’en s’éforce

    Faire de moy ce qu’on poura…

         LA  PAPILLONNYÈRE

165  A ! pencez qu’i ne demour(e)ra

    Pas envers moy pour cent ducas !

    Deboult, mounyer !

         LA  MOUNYÈRE

                 Deboult, Lucas !

    Dormyrez-vous toute ajournée ?

         LA  PAPILLONNYÈRE

    Or çà, mounyer : [d’]une fournée

170  D’argent je vous feray quictance.

         LE  MOUNYER

    Tousjours survyent quelc’un qui tence

    Et se monstre mon ennemy.

         LA  MOUNYÈRE

    Il est encor tout endormy,

    Et a faict un térible somme.

175  Voécy65 monsieur le gentil homme

    Qui vient avec nous deviser.

    Y s’est bien voulu amuser66,

    Dont je mercye son personnage67.

    Nous parlions de nostre héritage,

180  Qu’on dict qui nous sera tolye68 ;

    Et il dict que vous ferez folye

    Sy vous n’y estes vertueulx69,

    Car pour un cent70 [d’]escus ou deulx,

    Vous jouyrez paisiblement.

         LE  MOUNYER

185  Cent escus, c’est bien largement :

    Y sufiroyt de quatre-vins

    Pour payer saulces, lestres, vins71,

    Ariérages, mises et debtes.

    Par ma foy ! de toutes receptes72,

190  Je ne sache c’un gros qui court73.

         LA  PAPILLONNYÈRE

    Dea ! mounyer, pour le faire court,

    Pour vray74, cent escus d’or de pois

    Je les vous preste.

         LE  MOUNYER

                Je vous en doibtz.

         LA  PAPILLONNYÈRE

    C’est toult un, vous pay(e)rez tousjours.

195  Mais ne faictes pas longs séjours :

    Partez-moy plus tost que plus tart.

    Je les avoys boutés à part75

    Pour cuyder un payment parfaire.

    Alez, pensez à vostre afaire,

200  Et pensez tost de revenir !

         LE  MOUNYER

    Cent escus, c’est pour suvenir76

    De toult mon afaire à honneur.

         LA  PAPILLONNYÈRE

    Adieu, mounyer !

         LE  MOUNYER

               À Dieu, Monsieur !

         LA  PAPILLONNYÈRE

    [Mounyère, adieu !]77

         LA  MOUNYÈRE

                  Monsieur, à Dieu !

         LA  PAPILLONNYÈRE78

205  Dictes de79 revenir au lieu,

    Que je soys de l’eure adverty.

         LA  MOUNYÈRE

    Mais que le mounyer soyt party,

    À cinq heures.

         LA  PAPILLONNYÈRE

             Voilà le cas.

    J’aporteray, pour le repas,

210  Un gras chapon avec un[e] ouée80.

         LA  MOUNYÈRE

    Et du vin !

         LA  PAPILLONNYÈRE

            Pour faire la joée81.

    Puys nos plaisirs seront vaincus.82

.

         LE  MOUNYER               SCÈNE  V

    Çà, de par Dieu ! j’ey cent escus !

    Cent escus d’or ! Mort bieu, je t’ayme !

215  Tu es de finesse la crayme,

    Et subtille par-dessus tous.

         LA  MOUNYÈRE

    Ce n’est encor rien, taisez-vous !

    Dormez-vous, faictes bonne myne83.

    Je suys, pour Messieurs, assez fyne.

220  Mot84 ! voécy l’aultre qui revyent.

    Vous orrez85 de moy le maintient.

    Mais ne sonnez mot, quoy qu’i soyt !

.

         MONSIEUR  DE  LA  HANETONNYÈRE86

    L’amour d’une femme déçoyt              SCÈNE  VI

    Le cœur de l’homme, assez souvent.

225  Sy fault-il plus tost87 que le vent

    Que je treuve fasson d’aler

    À la munyère (ou au mounyer)

    Qui tient mon cœur à sa sa[i]sine.

    Ce m’est force que je domyne

230  [Sur elle]88, ou mourir me convient.

    Car cent mile foys me souvient89

    De sa contenance90 courtoyse.

.

    Hau ! mounyer !                     SCÈNE  VII

         LA  MOUNYÈRE91

               Faictes basse noyse,

    Monsieur : vostre mounyer repose.

         LA  HANETONNYÈRE

235  A ! mon tétin, m’amour, ma rose !

    Te tînsai-ge92 à ma volonté,

    Tant j’ey le cœur entalenté93

    D’acomplir… ce que je veuil dire.

    Où est le mounyer ?

         LA  MOUNYÈRE

                 Il dort, sire.

240  Il est un peu mal disposé.

         LA  HANETONNYÈRE

    Qu’esse qu’il a ?

         LA  MOUNYÈRE

              Il n’a ozé,

    Le temps passé, rien emprunter,

    Et s’est bien lessé endéter

    Nostre héritage de vilage

245  De cent frans tout en ariérage ;

    Et est de le conter94 honteulx.

    Sy nous trouvyons de bons prêteu(r)s,

    Ou gens bail[l]ans argent à rente,

    Ma foy, tout(e) à l’heure présente,

250  L’héritage95 iroyt recouvrer :

    Vous le vouériez, par Dieu, troter

    Comme un savatier portant cuir !

         LA  HANETONNYÈRE

    S’y vous plaist me laisser joÿr

    De vostre corps un jour, sans plus,

255  Je presteray sis-vins flipus96

    Aveques [cent souz]97 de monnoye.

         LA  MOUNYÈRE

    Hélas, Monsieur, je n’oseroye !

    Comment ! vous estes maryé.

         LA  HANETONNYÈRE

    L’amour de vous m’a charyé98

260  Et faict en cestuy lieu venir.

    S’y vous plaist me laisser joÿr

    À mon grand désir et entente,

    Vous aurez à l’heure présente

    Sis-vins filipus d’or et de poix

265  Aveq(ues) un cent [de souz]99 tournoix

    De monnoye que vous aurez.

         LA  MOUNYÈRE

    Au moins, Monsieur, considérez

    De garder l’honneur qui s’ensuict.

         LA  HANETONNYÈRE

    Mot ! je n’y viendray que de nuict.

270  Et sy, ferons chère papale100.

         LA  MOUNYÈRE

    Je l’accepte.

         LA  HANETONNYÈRE

            Çà ! que je parle

    Au mounyer pour bailler argent.

         LA  MOUNYÈRE

    Pas ne sera sy négligent

    Qu’il101 ne pence de son profict.

275  [Mounyer, resterez-vous]102 confict

    Ceste journée-cy à dormir ?

         LE  MOUNYER

    Tu me faictz tout le sang frémir.

    Comme ceste-cy me tempeste !

         LA  MOUNYÈRE

    Vous ne povez lever la teste ;

280  Tant dormir, ce n’est pas sancté.

    Voécy Monsieur, qui s’est vanté

    Et dict, pour nous faire plaisir,

    De nous prester d’un bon désir

    Sis-vins flipus avec cent sou(bl)z,

285  Afin que nous soyons résoublz103

    De l’éritage à nostre [en]vye.

         LE  MOUNYER

    Sainct Jehan ! Dieu luy doinct bonne vye,

    Et le tienne en prospérité !

         LA  HANETONNYÈRE

    Tenez, voé-le-là104 tout compté.

290  Pencez tost de vostre profist.

    Estimez que mon cœur ne feist,

    Comme povez apercepvoir,

    Jamais [tant]. De meil[l]eur vouloir

    Ne prestay argent, à ma vye,

295  Qu’à vos deulx, je vous certifie !

    Quant partez-vous, que je le sache ?

         LA  MOUNYÈRE

    Monsieur, je le tiendrès pour lâche

    S’il ne partoyt expressément.

         LE  MOUNYER

    Je partiray présentement,

300  Devant qu’i soyt heure et demye.

         LA  HANETONNYÈRE105

    Dictes de revenir, ma mye :

    Quant pourai-ge de soir venir ?

         LA  MOUNYÈRE

    Je pouray à vous suvenir106

    Entre sis et sept, c’est bonne heure.

         LA  HANETONNYÈRE

305  Je n’ay [peur fors]107 que je ne meure

    D’atendre sy tant… Or adieu !

    Préparez la place et le lieu ;

    De revenir, j’auray le soing.108

.

         LE  MOUNYER               SCÈNE  VIII

    Çà, çà ! j’ay de l’or à plain poing !

310  Femmes sont fines à merveilles.

    Quant l’homme faict grandes oreilles109,

    Il ne luy en peult que bien prendre.

    À mon faict il me fault entendre ;

    Tout primo, y me fault aler,

315  Et les laisser un peu parler

    Ensemble, et [entre] eulx deviser.

    Secondo, y me fault adviser

    Que de droict le guet je feray.

    Le celuy que j’atraperay

320  Avec ma femme nu à nu,

    Premier110 qu’i soyt de moy conu,

    Je luy monstreray mon éfort111 !

         LA  MOUNYÈRE

    J’aymeroys mieulx estre à la mort

    Que fisse de mon corps ofence !

325  Mais ayez en vous la science112

    De survenir bri[e]f après eulx.

    Ce que je faictz, c’est pour le myeulx113 ;

    Ainsy vous le debvez entendre.

         LE  MOUNYER

    Laisse-moy ce faict entreprendre :

330  Tout viendra bien, g’y ay pencé.

.

         MONSIEUR  DE  LA  PAPILLONNYÈRE114

    Serai-ge poinct récompencé               SCÈNE  IX

    Des cent escus de mon mounyer ?

    De moy n’eust pas eu un denyer,

    Se n’eust esté de par sa femme ;

335  Car son cœur le myen tant enflame

    Que j’en suys presque[s] au mourir.

    Voécy l’heure que secourir

    Elle m’a dict qu’el(le) poura bien ;

    Je m’y en voys sans cr[a]indre rien.

340  De tant endurer, je ne puys.

.

    Holà115 ! hau ! [hau !]                  SCÈNE  X

         LA  MOUNYÈRE

                  Qui esse à l’huys ?

         LA  PAPILLONNYÈRE116

    Vous ay-ge failly de promesse ?

         LA  MOUNYÈRE

    Révérence à vostre noblesse !

    Vous estes venu sans servant ?

         LA  PAPILLONNYÈRE

345  Je n’y veulx aulcun poursuyvant,

    Car le troysiesme poinct n’y fault.

    Goustons un peu que ce vin vault,

    Puys nous ferons colation.

         LE  MOUNYER117

    (Sy vous faictes cullation,

350  Mounyère, avec Monsieur le Brave118,

    Par la mort bieu sy je n’enclave

    Ma dague dedens vostre sain !)

         LA  PAPILLONNYÈRE

    Mon cœur n’a garde d’estre sain,

    Mounyère, quant je vous contemple,

355  Jusque [à] ce que vostre cœur emple119

    Et assouvice mon voulloir.

         LA  MOUNYÈRE

    Puysque de moy avez pouvoir,

    Après souper nous esbatron.

         LA  PAPILLONNYÈRE

    Où peult estre nostre pat[r]on120,

360  Depuys l’heure que party est ?

         LA  MOUNYÈRE

    Bien à sept lieux121.

         LA  PAPILLONNYÈRE

                 Par Dieu, non est !

         LA  MOUNYÈRE

    Y ne s’en séroyt faloir guère122.

         LE  MOUNYER

    (Monsieur de la Papilonnyère

    Vouldroict que je fusse n[o]yé123.

365  S’y n’est de par moy relyé124

    Aujourd’uy, que l’on me dessire125 !)

         LA  PAPILLONNYÈRE

    Je boys à vous !

         LA  MOUNYÈRE

              Grand mercy, sire !

         LE  MOUNYER

    (Voélà tantost le marché faict.

    Et tant de telz galans on sayt

370  Qui n’en tiennent conte ne taille126 !)

.

         MONSIEUR  DE  LA  HANETONNYÈRE127

    Voécy l’heure qu’i fault que j’aille             SCÈNE  XI

    Voèr celle-là qui m’a promys

    Que seray l’un de ses128 amys.

    C’est bien de droict que g’y compare129.

375  Je pence, moy, qu’elle prépare

    Son logis pour me recepvoir.

    Mon sang ne se faict qu’esmouvoir

    De despit que deisjà n’y suys.

.

    Ouvrez ! ouvrez !                     SCÈNE  XII

         LA  MOUNYÈRE

                Qui esse à l’uys ?

         LA  PAPILLONNYÈRE

380  Sang bieu ! j’ey entendu quelqu(e) un.

    Encor j’ey lessé mon verdun130

    Et ma dague pour me deffendre.

         LA  HANETONNYÈRE131

    Holà ! holà !

         LA  MOUNYÈRE

             Y fault atendre132 !

         LA  PAPILLONNYÈRE

    Mon Dieu, que j’ey le cœur mar[r]y !

385  Je croy que c’est vostre mary.

    Jésus ! y m’yra publier133.

         LA  MOUNYÈRE

    Cachez-vous dedens ce poulier134

    Jusqu(es) à ce qu’i soyt retourné.

.

         LA  HANETONNYÈRE135         SCÈNE  XIII

    Je n’ay pas long temps séjourné136

390  Après l’heure délimytée.

    Que ceste bouteille boutée

    Me soyt en un lieu proprement !

    Voélà pour faire gentiment

    Le banquet, pour l’amour de vous.

         LA  MOUNYÈRE

395  Semblablement, voécy pour nous

    Banquet que j’ey tost apresté.

    Est-il rien de novalité137,

    Monsieur de la Hanetonnyère ?

         LE  MOUNYER

    (Monsieur de la Papilonnyère

400  Est prochain vouésin138 de nos poules ;

    Et ! pencez qu’i n’a pas les couilles

    En sy bon poinct come il avoyt139…)

         LA  PAPILLONNYÈRE

    (Et qui, tous les deables, sçavoyt

    Que Monsieur la Hanetonnyère

405  Vînt visiter nostre mounyère

    Comme moy ? A ! je suys surpris.

    Un[e] aultre foys, seray apris

    De faire mon cas plus asseur140.)

         LA  HANETONNYÈRE

    Sav’ous que vous ferez, ma seur ?

410  Je boy à vous à voère plain.

         LA  PAPILLONNYÈRE

    (Par le sainct sang bieu ! le vilain141

    Boyt mon vin et menge mon pain !

    Encor n’en oseroys parler ?

    Sy je me mais à dévaler142,

415  Le jeu ne te sera pas beau !)

         LA  HANETONNYÈRE

    Alons derière le rydeau143

    Acomplir le jeu d’amourètes.

         LA  MOUNYÈRE

    Non, pas encor.

         LE  MOUNYER

              (Et ! je vous guètes,

    Monsïeur le hanetonneur !

420  Vous ne venez pas par honneur

    À ma maison, c’est chose seure.)

         LA  HANETONNYÈRE

    Me secour[r]ez-vous, à cest heure ?

    Serai-ge de ma douleur hors ?

         LA  MOUNYÈRE

    Après souper, prenez le corps,

425  Faictes-en(t) à vostre plaisir.

    Mais devisons tout à loysir.

    Mon cœur s’embrase, en vous voyant.

         LE  MOUNYER

    (A ! je n’en puys endurer tant.

    J’en pers sens, mémoyre et la voys.

430  Par la mort bieu ! je m’y en voys :

    En ce lieu je ne puys plus vivre.

    Y fault contrefaire de l’ivre.

    Sang bieu, ilz seront esgorgés !)

.

    Ouvrez ! ouvrez !                     SCÈNE  XIV

         LA  MOUNYÈRE

                Ne vous bougez !

435  Qui vous faict ainsy tournyer ?

         LA  HANETONNYÈRE

    J’ey entendu nostre mounyer !

    Jésuchrist, je suys diffamé !

         LA  MOUNYÈRE

    An, Jésus !

         LA  HANETONNYÈRE

            Je l’ay réclamé144 ;

    Qu’i me préserve [par sa grâce]145 !

         LA  MOUNYÈRE

440  Lancez-vous tost en ceste place,

    Hault au poulier à noz guélines146.

    Car ses penc[é]es sont sy fines147

    Qu’i vous turoyt, c’est chose seure.148

         LA  PAPILLONNYÈRE

    Vous y voélà prins, à ceste heure,

445  À ce poulier, ainsy que moy.

         LE  MOUNYER149

    Je say bien, moy, que je métray

    L’huys hors des gons, sy tu ne m’euvre !

         LA  MOUNYÈRE

    Mon Dieu, voécy une belle œuvre !150

    Jamais je ne vis vostre per.

         LE  MOUNYER

450  Par la mort bieu, je veulx pomper151 !

         LA  HANETONNYÈRE

    À Dieu commant152 nostre souper :

    Y sera tantost dévoré.

         LE  MOUNYER

    Or çà, mon petit con doré153,

    Qu’as-tu acoustré à repaistre154 ?

         LA  MOUNYÈRE

455  Chommez-vous155 ? Vous debvez congnoistre

    Qu’on avons assez, et de bon :

    Voélà du bouilly, du jambon,

    Pain, vin, perdriaulx et mauvys156.

         LA  PAPILLONNYÈRE

    C’est faict, nous voélà desservys157.

460  À tous les deables le saulard158 !

         LE  MOUNYER

    Que ce vin icy est gaillard,

    En159 un souper prins d’un bon zelle !

    Va-moy quérir ma damoyselle

    Dame de la Papillonnyère :

465  Qu’el vienne avec moy faire chère,

    Et qu’el ne se soucye de rien.

         LA  MOUNYÈRE

    Je m’y envoys.

         LE  MOUNYER

              Mais says-tu bien ?

    Ne me cesse pas de courir160.

.

         LA  PAPILLONNYÈRE           SCÈNE  XV

    Ce vilain me fera mourir !

470  C’est ma femme qu’il envoye querre.

    Se jamais il est bruict de guerre161,

    Je le feray bien régenter162 !

         LA  HANETONNYÈRE

    S’y nous ot sy parlementer163,

    Il abaissera nostre ton.

         LE  MOUNYER,  en chantant

475  Hau ! biboton 164, biboton, biboton !

    Encore, encore, encore, encore !

    Hau ! biboton, biboton, biboton !

    Encore, [encore] un horion 165 !

         LA  PAPILLONNYÈRE

    Mais pense-il qu(e) on en rion ?

480  Il a beau chanter sy je dance166.

    Je n’ay poinct de resjouyssance.

    Que mauldict de Dieu soyt ton ventre !

.

         LA  MOUNYÈRE167             SCÈNE  XVI

    Il ne vous desplaist pas sy j’entre,

    Et que je face à l’arivée,

485  Ma Damoyselle, la privée168 ?

    Lucas à vous se recommande,

    Et vous prye d’une amour grande

    Que vous en venez [sans esmoy]169.

         LA  PREMYÈRE  DAMOYSELLE

    Et où, mounyère ?

         LA  MOUNYÈRE

                Aveques moy,

490  Plaisanter et mener léesse170.

         LA  P[REMYÈRE]  DAMOYSELLE

    Je n’oseroys.

         LA  MOUNYÈRE

             Et pourquoy esse ?

    A ! il n’y a poinct de danger.

    Y vous fera bien estranger171

    Mélencolye, sy vous l’avez.

         LA  P[REMYÈRE]  DAMOYSELLE

495  Alons, donques172. Mais vous savez

    Que long temps je ne puys pas mectre :

    Sy monsieur mon mary, mon maistre,

    Survenoyt, je seroyes tencée173.

         LA  MOUNYÈRE

    Je ne suys pas sy incensée

500  De vous laisser faire séjour.

.

         LA  P[REMYÈRE]  DAMOYSELLE    SCÈNE  XVII

    Bon soir, mounyer !

         LE  MOUNYER

                Bon jour, bon jour !

    Bien-venue [à] ma Damoyselle !

         LA  MOUNYÈRE

    Séez-vous [des]sus ceste selle174,

    Afin que soyez à vostre aise.

         LA  P[REMYÈRE]  DAMOYSELLE

505  Grand mercy.

         LA  MOUNYÈRE

              Ne vous desplaise.

         LA  P[REMYÈRE]  DAMOYSELLE175

    Lessez, mounyer !

         LA  PAPILLONNYÈRE

                Quoy ! y la baise ?

    Meschant, qu’esse que tu feras ?

         LA  HANETONNYÈRE

    Par la mort bieu ! tu te tèras,

    Et dussons-nous icy pourir !

         LE  MOUNYER176

510  Vien çà : va-moy encor quérir

    Ma dame la Hanetonnyère ;

    Qu’el vienne avec moy faire chère,

    Que je la traicte à mon vouloir.177

.

         LA  P[REMYÈRE]  DAMOYSELLE   SCÈNE  XVIII

    Et ! vous faictes plus que debvoir178 :

515  C’est trop de coust pour ceste foys.

         LE  MOUNYER

    Ma Damoyselle, à vous je boys.

         LA  P[REMYÈRE]  DAMOYSELLE

    A ! mounyer, la vostre mercy !

         LA  PAPILLONNYÈRE

    De glaive [ay]es-tu le cœur transy179,

    Tant tu nous faictz sy chagri(g)ner !

         LE  MOUNYER

520  Sav’ous que viens d’adevi(g)ner180,

    Ma Damoyselle, à ceste foys ?

         LA  P[REMYÈRE]  DAMOYSELLE

    Et quoy, mounyer ?

         LE  MOUNYER

                Par Saincte Croys !

    Je vous vouldroys bien demander,

    Sy je vous vouloys embrasser,

525  Sy vous me lesseriez poinct faire.

         LA  P[REMYÈRE]  DAMOYSELLE

    Déportez-vous de cest afaire,

    Car on n’oserions, en ce lieu !

         LE  MOUNYER

    Et pourquoy ?

         LA  P[REMYÈRE]  DAMOYSELLE

              C’est ofence[r] Dieu.

         LE  MOUNYER

    Ofence[r] Dieu ? A ! ce n’est rien :

530  D’aultres que nous l’ofencent bien !

    Lessez-moy gouster de l’amorse181.

         LA  PAPILLONNYÈRE

    Elle fera ta male bosse182,

    Traistre, meschant, méseau rendu183 !

         LA  HANETONNYÈRE

    Tant de foys je t’ay deffendu,

535  Mort bieu, que tu ne dye un mot !

    Sy cest yvrongne icy nous ost184,

    Qui est maintenant à son aise185,

    Y nous pouroict bien, par sainct Blaise,

    Faire mourir de mort infâme.

         LA  PAPILLONNYÈRE

540  Quoy ! y le veult faire186 à ma famme !

         LA  HANETONNYÈRE

    Et bien ? combien as-tu perdu ?

         LA  PAPILLONNYÈRE

    J’aymeroys myeulx qu’i fust pendu !

    J’avoue Dieu et Marye la belle !

         LE  MOUNYER

    Le ferons-nous, ma Damoyselle,

545  À celle fin que soys guéry ?

         LA  P[REMYÈRE]  DAMOYSELLE

    N’en parlez pas à mon mary.

         LE  MOUNYER

    J’aymeroys mieulx estre danné !

    Alons faire le démené187,

    Que je combate vostre escu188.

         LA  PAPILLONNYÈRE

550  A ! c’est faict, me voélà coqu !

    Quel douleur, pour povres marys !

         LA  HANETONNYÈRE

    Pour un, il en faict deulx mar[r]is.

         LA  PAPILLONNYÈRE

    Se faict[z] mon que tuer le vouée189 !

.

         LA  MOUNYÈRE190             SCÈNE  XIX

    Je [me suys]191 boultée à la vouée

555  De vous venir vouèr, Damoyselle.

    Mon mary a la pensée telle

    Qu’i vous veult à souper donner.

         LA  IIe  DAMOYSELLE

    Je ne le séroys guerdonner192

    Du grand service qu’i me faict.

         LA  MOUNYÈRE

560  Voélà qu’i m’a dict, en éfaict,

    Que vous en venez quant et moy193.

         LA  IIe  DAMOYSELLE

    Vrayment, très volontiers g’iray ;

    Mais il sera récompencé.

.

         LA  PAPILLONNYÈRE           SCÈNE  XX

    Qui, tous194 les deables, eust pencé

565  Que ma femme eust faict cest acort

    Qu’à ce meschant, vilain et ort195

    Eust abandonné son maujoinct196 ?

    Le vilain ! je l’os là qui197 gainct.

    Le pourceau ! y me faict génin198.

         LE  MOUNYER199

570  Vous ai-ge blessée ?

         LA  P[REMYÈRE]  DAMOYSELLE

                Nénin, nennin.

         LA  PAPILLONNYÈRE

    Tu blesseras ta male rage !

         LA  HANETONNYÈRE

    Savoure un petit200 ce brevage,

    Et prens pacience en ton cœur.

         LA  P[REMYÈRE]  DAMOYSELLE

    Aulmoins, gardez-moy mon honneur,

575  Mon amy : je me fye à vous.

.

         LA  IIe  DAMOYSELLE201         SCÈNE  XXI

    Bon soir, mounyer !

         LE  MOUNYER

                Sy [fays à]202 vous :

    Vous soyez la trèsbien venue !

    Çà, çà ! y fault faire reveue203

    Sus nostre vin : je boys à vous.

         LA  MOUNYÈRE

580  Ma Damoyselle, qu’avez-vous ?

    Vous me semblez en desplaisance.

         LA  P[REMYÈRE]  DAMOYSELLE

    Las ! y m’est prins une faillance204.

    En ce lieu, je me sens mal sayne.

         LE  MOUNYER205

    Y vault myeulx que tu la remaine.

         LA  MOUNYÈRE

585  Je le veulx bien.

         LA  P[REMYÈRE]  DAMOYSELLE

               Alons, mounyère.206

.

         LE  MOUNYER               SCÈNE  XXII

    Çà, ma dame la Hanetonnyère,

    J’ey de vous voir resjouyssance.

         LA  IIe  DAMOYSELLE

    Je suys venue en bonne chanse :

    Voécy pain, vin, vïande assez.

         LE  MOUNYER

590  Il y a quatre moys passés

    Que j’ey de vous traiter207 envye.

         LA  IIe  DAMOYSELLE

    Je vous mercye208.

         LE  MOUNYER

               Fustes-vous mye209,

    Cinq jours [a, dens]210 nostre moulin ?

    Vos tétins aussy blans que lin

595  Furent garsonnés211 sur le blé.

         LA  IIe  DAMOYSELLE

    Mon corps fust par vous acolé,

    Mais je ne vous lessay pas faire.

         LE  MOUNYER

    Sang bieu ! y ne s’en falut guère

    Que je ne [me] misse au pertuys212 :

600  Sans une de derière l’huys213,

    J’alès mesler mes deulx genoulx214.

         LA  HANETONNYÈRE

    Sang bieu ! y se moque de nous.

    Y livre babil à la mienne !

         LA  PAPILLONNYÈRE

    Et ! pense-tu donc qu’i se tienne

605  Qu’i ne luy face215 comme à l’autre ?

    Que mon corps soyt bouilly en peaultre216

    S’y luy fault217 ! A ! je le voys bien.

         LE  MOUNYER

    Ma Damoyselle, n’épargnez rien :

    Bevez, mengez de cœur joyeulx.

         LA  IIe  DAMOYSELLE

610  Ces mounyers sont tant amoureulx !

    Y n’est finesse qui n’en sorte.

         LA  HANETONNYÈRE

    Et ! tais-toy, tais[-toy], povre sote !

    Tiens-tu babil à ce badault ?

         LE  MOUNYER

    Sy j’avoys veu vostre bydault218,

615  Je seroys guéry, ce me semble.

    Mais pour voir219 un peu sy ressemble

    À celuy de ma ménagère.

         LA  PAPILLONNYÈRE

    Mais regardez comme il s’ingère

    À parler, qui le veult ouÿr220,

620  Pour mieulx de la femme jo[u]yr !

         LA  HANETONNYÈRE

    C’est un méchant, pour toult potage.

    J’ay tel despit et telle rage

    Que je ne sçays à qui le dire.

         LE  MOUNYER

    Dame, vous plaist-y m’escondire ?

625  Serai-ge remys en vig[u]eur ?

         LA  PAPILLONNYÈRE

    Mais ta male roide lang[u]eur !

    Tu l’as bien faict à nos despens.

         LE  MOUNYER

    Me tiendrez-vous ainsy suspens221,

    En misère et calamyté ?

         LA  IIe  DAMOYSELLE

630  Et, voyre… Mais sy [ récité

    Est ]222 à mon mary, ou qu’i soyt

    Faict223 c’un jour il s’en apersoyt,

    Tousjours me le reprochera.

         LE  MOUNYER

    Le deable emport qui luy dira !

         LA  IIe  DAMOYSELLE

635  Alon, don[ques], je m’y acorde.224

         LA  HANETONNYÈRE

    Nostre Dame, miséricorde !

    Y tient ma femme, ce meschant !

         LA  PAPILLONNYÈRE

    Par Dieu, vous quicterez ce chant

    Ou j’estrangleray vostre gorge !

640  Y l’a faict une heure d’orloge

    À la myenne, et tu m’as faict taire.

         LA  HANETONNYÈRE

    Et ! il la tient !

         LA  PAPILLONNYÈRE

              Qu’i veulx-tu faire ?

    Tu sçays qu’il a le deable au corps.

         LA  HANETONNYÈRE

    A ! mes amys miséricors225 !

645  Y soufle et pète tout d’un traint226.

    Et ! fault-il que je soys contrainct

    De l’ouÿr ainsy remuer ?

         LA  PAPILLONNYÈRE

    Vous nous voulez faire tuer ?

    À cest heure, vous vous tairez !

         LA  HANETONNYÈRE

650  Par la mort bieu, vous mentirez !

         LA  PAPILLONNYÈRE

    Sy ferez-vous, par la vertu !

    Et ! comment ? Je me suys bien tu.227

         LA  HANETONNYÈRE

    Au meurdre !

         LA  PAPILLONNYÈRE

             À l’aide !

         LA  HANETONNYÈRE

                   Que ferai-ge ?

         LA  PAPILLONNYÈRE

    Tu te tairas !

         LA  HANETONNYÈRE

            Plustost mourai-ge !

655  À l’ayde, messieurs228, je suys mort !

         LA  PAPILLONNYÈRE

    Pourquoy deable crye-tu sy fort ?

         LA  HANETONNYÈRE

    Tu m’as afollé par les couilles !

         LE  MOUNYER229

    Il y a quelqu(e) un à nos poulles,

    Par la mort bieu ! je m’en voys voèr230.

         LA  IIe  DAMOYSELLE

660  Adieu, mounyer !

         LE  MOUNYER

               Jusqu(e) au revoir,

    Ma Damoyselle. Grand[s] mercys !

    Quelque bon jour, de sens rassys231,

    Nous ferons chère232 plus meilleure.

.

         LA  MOUNYÈRE233            SCÈNE  XXIII

    Vous en alez-vous à ceste heure ?

         LA  IIe  DAMOYSELLE

665  Ouy, je me voys mectre en la voée234.

         LA  MOUNYÈRE

    Y vault myeulx que je vous convoée235.

         LA  IIe  DAMOYSELLE

    Je m’en yray toute seulète.236

.

         LE  MOUNYER               SCÈNE  XXIV

    A ! il y a quelque bellète

    Ou beste avec[ques] ma poulaille.

670  Vien-t’en avec moy, et me baille

    La palète de nostre feu237.

         LA  MOUNYÈRE

    En avez-vous eu quelque peu

    D’apercevance ?

         LE  MOUNYER

              Ouy, comme il me semble :

    Car ilz238 caquètent tous ensemble,

675  Le faict entendu et comprins239.

         LA  PAPILLONNYÈRE

    C’est faict de nous, nous voylà prins.

    Miséricorde, mes amys !

         LE  MOUNYER240

    Et qui, tous les deables, a mys

    Ces galans-là parmy mes poules ?

680  Par la mort bieu sy je ne brouilles241

    Vos testes, à ceste heure icy !

         LA  PAPILLONNYÈRE

    A ! monsieur le Mounyer, mercy242 !

    Ayez pitié de nos personnes !

         LA  MOUNYÈRE

    Et ! ce sont nos deulx gentilz hommes

685  Qui viennent céans pour gaber243.

         LE  MOUNYER

    A ! y me veulent desrober :

    Je soustiens la querelle à poinct.

    Puysque je les tiens sur ce poinct,

    Y vault myeulx que je les esgorge.

         LA  MOUNYÈRE

690  Et ! non ferez !

         LE  MOUNYER

              Vertu sainct George !

    Chascun d’eulx sy a trop vescu.

         LA  PAPILLONNYÈRE

    Vous avez cent et un escu

    De moy ; vrayment, je les vous donne,

    Et de bon cœur vous en guerdonne244.

695  Et que de moy ne parlez plus.

         LA  HANETONNYÈRE

    Et moy, de mes six-vingtz phlipus,

    De ma monnoye et [mes] testons245.

    Toult d’un acord, nous submectons

    Vous en quicter246 et descharger.

700  Et ! nous voulez-vous lédenger247 ?

    Tous deulx vous demandons pardon.

         LE  MOUNYER

    Me les donnez-vous à pur don ?

         LA  PAPILLONNYÈRE

    Ouy, sans jamais rien demander.

         LA  HANETONNYÈRE

    Ce qui vous plaira commander,

705  Nous le ferons à vostre grey.

         LE  MOUNYER

    Sy direz-vous, bon gré mal grey,

    Combien que vous soyez faschés,

    Pourquoy vous estes-vous cachés

    Finement248 avec ma poulaille.

         LA  PAPILLONNYÈRE

710  Craincte de vous.

         LA  MOUNYÈRE

               Et ! ne vous chaille249.

         LE  MOUNYER

    Taisez-vous, je les veulx ouÿr !

         LA  HANETONNYÈRE

    Chascun de nous pensoyt jouyr

    De vostre femme, folement.

         LA  PAPILLONNYÈRE

    Vous avez eu bien finement

715  La jouyssance des deulx nostres…

         LE  MOUNYER

    Par monsieur sainct Tibault250 l’apostre !

    Contre vo[u]s deulx auray débat !

         LA  HANETONNYÈRE

    Nous avons couroult pour esbat.

         LA  PAPILLONNYÈRE

    Pour joye, avons mélencolye.

         LE  MOUNYER

720  L’homme amoureulx faict [mainct combat]251.

         LA  HANETONNYÈRE

    Nous avons couroult pour esbat.

         LE  MOUNYER

    Vous voélà donq prins au rabat252,

    Dont c’est à vous grosse folye.

         LA  HANETONNYÈRE

    Nous avons couroult pour esbat.

         LA  PAPILLONNYÈRE

725  Pour joye, avons mélencolye.

    Quant Amour un homme fol lye253,

    Y pert sçavoir et contenance.

         LE  MOUNYER

    Je prens congé de l’assistence,

    Sy peu que mon sçavoir contient,

730  Et dictz pour toute récompence

    Qu’à trompeur, tromperye luy vient254.

    Et pour resjouir nos esprys,

    Unne chanson, je vous suplys !

                 FINIS

*

1 Brantôme s’en fait plusieurs fois l’écho dans les Dames galantes. « Un bon gros vallet bien à séjour [reposé] vaut bien autant qu’un beau et vaillant gentilhomme lassé. » Il affirme que la reine Catherine de Médicis, voyant pisser « un grand cordonnier estrangement proportionné (…), elle se prostitua à luy en condition qu’elle en engroissa ».   2 Les deux nobliaux de village sont qualifiés d’insectes, de parasites. Une hannetonnière est un élevage de hannetons, c’est-à-dire une chose futile qui ne produit rien de bon, comme l’avoue cet escroc de Panurge : « J’ayme mieux leur donner toute ma cacquerolière [mon élevage d’escargots], ensemble ma hannetonnière. »Tiers Livre, 5.   3 Habillées. Au sujet de ce masculin, voir l’édition d’André Tissier <Recueil de farces, t. I, Droz, 1986, pp. 307-394>: « C’est peut-être parce que les joueurs étaient des hommes que l’accord se faisait avec le masculin. » Tissier fait un parallèle avec le Monologue de Mémoyre (LV 6), « où il est indiqué dans le titre que Mémoire doit “estre abillé en déesse” ».   4 Une demoiselle est l’épouse d’un gentilhomme. Les nôtres n’ont pas de prénom ; La Fontaine, dans le conte des Rémois, les baptisera Alis et Simonette.   5 LV : le premier gentil homme  (Cette rubrique est souvent abrégée en le p g h. Pour plus de clarté, je rends au personnage son véritable nom <vers 464>, de même qu’au second gentilhomme, abrégé en le ii g h.)   6 Est enracinée. « Et le bien qui en luy résine. » Jehan Molinet.   7 Réminiscence de la farce de Pathelin : « Estes-vous sain et dru, Guillaume ? »   8 LV : sy  (Ni là, ni ailleurs.)   9 En ma possession : en moi.   10 Recherche.   11 La racine du mal.   12 Vous avez toujours un raisonnement tout prêt.   13 Va-t-elle bien.   14 Vu que vous la fréquentez.   15 Vos ruses.   16 Est su.   17 LV : vous  (Je veux vous rafraîchir la mémoire. « S’aucune chose en oubli met,/ Bien li saray, je vous promet,/ Ramentevoir ! » ATILF.)   18 Je parie tant d’écus.   19 À votre aise. Mais aussi : sur votre « crochet ».   20 Guettée. « Garder et gettier tous les destrois et les passages. » ATILF.   21 Nous ferons bonne chère, nous dînerons ensemble. Les deux hommes se séparent.   22 On n’est pas au moulin, mais dans la maison (vers 421) du couple de meuniers.   23 Où. Chanson inconnue. Voir Brown, nº 330.   24 Je ne tiens plus debout.   25 Cette coureuse. Abusé par la rime, le scribe répète dessous les vers 52-55.   26 Notre bien.   27 Un soudard, un mufle. (Cf. le Trocheur de maris, vers 44.) Le Meunier est en procès avec cet homme pour un héritage.   28 Au tribunal.   29 Porteurs de perruques. « Un homme ayant la barbe rase, et au demeurant, avec sa grande perruque, bien esperlucat. » (Henri Estienne.) Au tribunal, ces porteurs de perruques sont les juges : « Esperlucatz/ Portans brodequins et pentouffles,/ Procureurs, jeunes advocatz. » (Guillaume Coquillart.) « Perrucatz,/ Procureurs, nouveaux advocats. » (Repues franches.) Cf. les Sobres Sotz, vers 371.   30 La partie adverse.   31 J’adopte une correction suggérée par André Tissier, p. 338.   32 Avant l’heure.   33 L’or était parfois qualifié de rouge : « Jà rouge or n’en prendra, ne argent. » (Godefroy.) Les écus d’or aussi, par conséquent : « Ou povre clerc que vient de Rome,/ Que a perdu cent escuz toulx roges. » (Sottie à 3 personnages.) Mais rouge signifie également rusé, malhonnête.   34 Les séraphins (ou chérubins) ont des ailes rouges : cf. Sœur Fessue, vers 90.   35 LV : argent pour le fin  (C’est peut-être un lapsus du Meunier, qui maîtrise moins bien que sa femme les délicatesses du langage.)   36 Dois-tu tromper des gens en les séduisant. « Pour savoir apiper par belles menteries. » (Jacques Le Gras.) C’est un verbe normand.   37 Avec ta ruse ou ton baratin.   38 Les deux gentilshommes, qui sont cousins et voisins, possèdent un moulin en commun. Ils le louent au Meunier.   39 Ayant le poids réglementaire. Idem vers 192 et 264. Cf. les Sotz qui remetent en point Bon Temps, vers 51.   40 Sur vos pas.   41 LV : seres   42 Un renard surpris par le fermier dans un poulailler. Le même sort attend les deux gentilshommes.   43 Penaud.   44 Les loyers en retard que nous leur devons.   45 LV : dormes vous  (Couchez-vous. Idem vers 218. Cf. le Messager et le Villain, vers 311.)   46 Il sort de chez lui, et se dirige vers la maison du meunier.   47 Un coït. « N’arions-nous poinct une venue/ D’une de voz brus toute nue ? » Les Brus.   48 LV : de renyer suys  (Je suis sur le point de renier le Nouveau et l’Ancien Testament.)  Au-dessus de ce vers, le scribe ajoute au détriment de toute logique les vers 333-340.   49 L’amour. « Sy c’est au lict,/ Yl empesche l’amoureux délict. » Sermon joyeux des quatre vens.   50 « Ribauder : faire adultère. » Godefroy.   51 Je vais en hâte.   52 Le gentilhomme frappe à la porte du Meunier.   53 Il donne des instructions à sa femme, puis il fait semblant de dormir sur le lit, derrière le rideau de fond qui est relevé.   54 Elle fait entrer le gentilhomme. On trouve une scène équivalente dans Pathelin : l’avocat est couché, et sa femme discute à voix basse avec le drapier venu réclamer son dû.   55 Les loyers du moulin.   56 En ce qui nous concerne.   57 La liberté.   58 À moitié mort.   59 Infidèle.   60 Totalement.   61 Ce n’est pas aujourd’hui (que nous pourrons coucher ensemble).   62 LV : conseiler   63 Pour en venir au but.   64 En quantité.   65 LV : vostre   66 Il a bien voulu y consacrer du temps.   67 Sa personne.   68 Enlevé.   69 Attentif.   70 Une centaine.   71 On soudoyait les juges en leur offrant toutes sortes de gâteries. Voir la note 85 de Colin filz de Thévot. Les sauces et les vins désignaient par euphémisme les pots-de-vin. « Le hérault férit son cheval des esperons, et passa oultre sans donner ou payer vin ne sauce. » Jacques Du Clercq.   72 De toutes mes rentrées d’argent.   73 Je n’ai qu’une pièce encore valable. Cf. le Gentil homme et son Page, vers 90-92. On comprend mal pourquoi notre meunier est si pauvre, sachant que cette profession abritait d’authentiques voleurs : cf. le Munyer, vers 409-426.   74 LV : vn  (Le gentilhomme donne sa bourse au Meunier.)   75 Encore une réminiscence de Pathelin : « J’avoye mis appart quatre-vings/ Escus pour retraire une rente. »   76 Venir à bout.   77 LV : adieu mounyere   78 Il parle à l’oreille de la Meunière.   79 Dites-moi quand je dois. Idem vers 301.   80 Une oie.   81 La joie, la noce.   82 Le gentilhomme s’en va. Le Meunier saute du lit.   83 Jouez bien votre rôle. Cf. le Munyer, vers 190.   84 Plus un mot ! (Idem vers 269.) Par la fenêtre, la Meunière voit venir M. de la Hannetonnière.   85 LV : ores  (Futur du verbe ouïr. Vous verrez comment je vais me comporter.)   86 Il s’approche de la maison du Meunier, qui se recouche derrière le rideau de fond relevé.   87 Plus vite.   88 LV : delle  (Que j’en vienne à bout.)   89 LV : conuient  (Une main plus tardive a écrit « souvient » à droite de cette ligne.)   90 LV : conuenance  (« Belles paroles, doux langage, humble & courtoise contenance. » Guillaume Du Bartas.)   91 Elle fait entrer le gentilhomme en parlant bas. C’est un dédoublement de la scène IV ; la scène équivalente de Pathelin est aussi un dédoublement.   92 LV : tinsaige  (Si je te tenais.)   93 Désireux.   94 De vous en parler.   95 LV : nostre heritage   96 120 philippus, pièces d’or frappées sous Philippe le Bon.   97 LV : sent soublz  (Le copiste normand note partout : monnoyee.)   98 Transporté.   99 LV : soublz  (Les sous tournois étaient jadis frappés à Tours.)   100 La gourmandise des grands prélats est un sujet banal. Les protestants décrivaient le Vatican comme une marmite entourée de marmitons. « Faites mener cervelas et jambons :/ Vous nous verrez avoir lors les cœurs bons. » La Polymachie des Marmitons, ou la gendarmerie du Pape. (Montaiglon, VII.)   101 LV : sy   102 LV : la mounyere / Il est  (La Meunière secoue son mari.)   103 Payés.   104 LV : voelela  (Le voilà.)  Le gentilhomme donne sa bourse au Meunier.   105 Il parle à l’oreille de la Meunière.   106 Subvenir.   107 LV : pas peur  (N’avoir peur fors que = ne craindre rien d’autre que. « Je n’ay paour fors que d’Entendement. » Eustache Deschamps.)   108 Il s’en va. Le Meunier saute du lit.   109 Écoute les femmes. « [Tu dois l’]escouter/ Sans ce que contre lui t’orgueilles :/ Faire lui dois grandes oreilles. » (ATILF.) Le meunier commet un double sens involontaire : Quand l’homme fait l’âne. « Nous appelons les gens indoctes et sans esprit : grandes oreilles, et grands asnes. » (Godefroy.)   110 Avant.   111 Ma force.   112 L’intelligence.   113 Pour notre intérêt.   114 Il sort de chez lui avec un panier de provisions, et se dirige vers la maison du Meunier.   115 Le gentilhomme frappe à la porte du Meunier.   116 Il entre.   117 Il écoute et regarde par une fenêtre sise sur un côté de la maison. La porte est sur le côté opposé.   118 Formule de défi. « Monsieur le brave, nous nous verrons autre part où les épées ne seront pas toutes d’un côté. » Scarron.   119 Accomplisse.   120 Le Meunier.   121 7 lieues normandes = 31 km. Cf. le Gentil homme et son page, vers 138.   122 Il ne saurait en manquer beaucoup. « Y ne s’en falust que deulx lieux. » L’Avantureulx.   123 « J’aymeroie par Dieu mieulx que vous fussiez noyé ! » Cent Nouvelles nouvelles, 44.   124 Cousu dans un suaire.   125 Qu’on me déchire, me mette en pièces.   126 Ni compte, ni inscription. « Si suffist-il, sans compte ou taille,/ Que vous nous livrez les argens. » (ATILF.) Les dons Juans ne tenaient pas encore un catalogue de leurs conquêtes, comme ce sera le cas dans le Festin de pierre, de Dorimond, en 1658 : « Et celles que le temps m’oste du souvenir/ Sont dedans cette liste. »   127 Il sort de chez lui avec un panier de provisions, et se dirige vers la maison du Meunier.   128 LV : vos   129 Que je comparaisse devant elle.   130 Mon épée.   131 Il frappe à la porte.   132 LV : entendre  (La Meunière crie au nouveau-venu d’attendre qu’elle ouvre.)   133 Il rendra public le fait que je courtise une villageoise.   134 Le poulailler intérieur est une mezzanine, un demi plafond auquel on accède par un escabeau. « Les ungs s’avallent [descendent] en celliers,/ Les aultres montent en poulliers. » (J. Molinet.) Dans le Poulier à quatre personnages, quand survient le mari, la femme dit à son amoureux : « Montez à nostre poulier ! » Le gentilhomme va s’allonger au bord du plancher pour voir ce qui se passe en bas ; le public verra sa tête.   135 Il entre.   136 Tardé.   137 Y a-t-il quelque chose de nouveau ?   138 Proche voisin.   139 Les oiseaux de basse-cour, amateurs de graines, avaient la réputation de gober les testicules des enfants. On prétendra que Boileau s’était fait châtrer par un dindon ! (Je rappelle que Boileau est l’auteur d’une Satire contre la Noblesse <nº 5> qui égrène tous les reproches accumulés contre cet ordre.)   140 LV : aseur  (D’une manière plus sûre.)   141 Ce roturier. C’est l’injure favorite de M. de la Papillonnière : vers 469, 566, 568.   142 Si je me mets à descendre du poulailler. « Çà ! hastez-vous de dévaler (du poulailler) ! » Le Poulier à quatre personnages.   143 Il baisse le rideau de fond, derrière lequel se trouve le lit où le Meunier faisait semblant de dormir.   144 J’ai déjà imploré Jésus.   145 LV : en ceste place  (Anticipation du vers suivant. Cf. le Munyer, vers 429.)   146 Nos gélines, nos poules.   147 Si perfides.   148 La Hannetonnière grimpe dans le poulailler.   149 Il secoue la porte.   150 Elle ouvre la porte.   151 Aspirer du liquide : boire du vin. Pour mieux effrayer les deux nobles, le Meunier fait semblant d’être soûl (vers 432).   152 Je recommande à Dieu. « À Dieu vous commant ! » Le Munyer, v. 118.   153 Nous apprenons indirectement que la Meunière est blonde.   154 Préparé à manger.   155 Faites-vous maigre ? « –Vous me ferez mourir de fain./ –Tu ne chaumeras de pain, vin. » Le Badin qui se loue.   156 Des perdreaux et des grives.   157 LV : deseruys  (Il va desservir la table qui était préparée pour nous.)   158 Le soûlard. C’est le vers 68 de l’Homme à mes pois.   159 LV : et   160 Fais vite.   161 S’il est question d’un assaut sexuel.   162 Fouetter, comme par un régent de collège.   163 S’il nous entend parler ainsi.   164 « Bibotter : buvotter. » (Glossaire étymologique anglo-normand.) Cette chanson à boire est perdue.   165 Un coup à boire. Cf. le Testament Pathelin, vers 78 et 256.   166 Il devra beaucoup chanter s’il veut que je danse.   167 Elle entre chez Mme de la Papillonnière.   168 La familière. Cf. le Raporteur, vers 241.   169 LV : quant et moy  (Rime du même au même, et reprise du vers 561.)   170 Liesse, joie.   171 Sortir hors de vous.   172 Les deux femmes se mettent en route vers la maison du Meunier.   173 L’auteur rappelle à juste titre que dans la petite noblesse provinciale, la condition des femmes était beaucoup moins enviable que dans la bourgeoisie.   174 Asseyez-vous sur ce tabouret.   175 Le Meunier tente de l’embrasser, mais en présence de la Meunière, elle refuse. Il récidivera quand son épouse sera partie.   176 À sa femme.   177 La Meunière s’en va.   178 Que votre devoir.   179 Transpercé.   180 De supposer.   181 De cet excitant.   182 LV : bose  (Ta peste bubonique.)  Ces imprécations médicales étaient courantes : « Ta male bosse, vilain gueux ! » Béroalde de Verville.   183 Lépreux cloîtré. Les lépreux étaient mis à l’écart dans des maladreries.   184 Nous entend.   185 Qui est chez lui. Le Meunier porte une dague (vers 352), alors que les gentilshommes sont venus désarmés (vers 381-2). Il a le droit de tuer des intrus qui en veulent à son épouse*, à condition de plaider qu’il n’avait pas reconnu les deux nobles : d’où l’intérêt d’avoir bu de l’alcool.  *« Il est permis tuer ceux qu’on trouve en sa maison en tel forfait. » P. de Larivey.   186 Il veut faire l’amour. Cf. le Dorellot, vers 6.   187 Le coït. « (Il) vit les deux amoureux qui se démenoient tellement l’un contre l’autre. » Cent Nouvelles nouvelles, 87.   188 L’écu, bouclier contre lequel frappe une lance, désigne le sexe de la femme. Cf. Ung jeune moyne, vers 318. Le Meunier emmène sa conquête derrière le rideau de fond.   189 Il est certain que je vais le tuer ! (Tissier, p. 377.)   190 Elle entre chez Mme de la Hannetonnière.   191 LV : metoys  (Je me suis mise en voie.)   192 Je ne saurais le récompenser.   193 Avec moi.   194 LV : tout  (Par tous les diables. Voir les vers 403 et 678.)   195 Sale : les meuniers sont blancs de farine. Au théâtre, c’est leur signe distinctif.   196 Son « mal joint », son sexe. Cf. le Trocheur de maris, vers 183.   197 LV : ou y  (Je l’entends là qui geint.)   198 Cocu. « Te feroit-elle point janin,/ Ta femme ? » Deux hommes et leurs deux femmes.   199 Le couple revient dans la salle.   200 Un peu. Ce vers signifie : Avale ça !   201 Elle entre avec la Meunière.   202 LV : fasy   203 Une inspection : une dégustation.   204 Une défaillance. « Et puis me prent une faillance. » Les Femmes qui demandent les arrérages.   205 À sa femme.   206 Mme de la Papillonnière et la Meunière sortent.   207 De vous inviter à dîner. Mais aussi : de coucher avec vous.   208 LV : remercye  (Voir le v. 178.)   209 Ne fûtes-vous pas.   210 LV : dedens  (Il y a 5 jours. « Trois jours a que morceau de pain/ Je n’ay mangé. » Pierre Boaystuau.)   211 Violentés sur les sacs de blé. « Il n’(y) a, jusqu’à la Mer Bétée,/ Garçon qui ne l’ait garçonée. » Roman de Renart.   212 Dans votre trou. Cf. la Fille bastelierre, vers 48.   213 Si une cliente n’était pas arrivée derrière la porte.   214 « Ses genoulx (il) mist entre mes jambes/ Plus de sept foys, celle nuytée. » La Confession Margot.   215 Qu’il se retienne de lui faire.   216 Soit immergé dans du plomb bouillant (c’est une des peines de l’enfer) : que je sois damné.   217 S’il lui fait défaut.   218 Votre sexe.   219 Mais voyons. Dans le Gentil homme et Naudet, Naudet compare le pubis de sa femme avec celui de sa noble maîtresse, devant l’époux de cette dernière.   220 Si on l’écoute.   221 Suspendu, dans l’incertitude.   222 LV : resite / estoyt  (Si cela est raconté.)   223 LV : et   224 Elle suit le Meunier derrière le rideau.   225 Miséricordieux. Les deux aristocrates implorent la compassion du public, autrement dit, du peuple. Idem aux vers 655 et 677.   226 En même temps.   227 Il tente de bâillonner son compère, qui se défend à coups de poing.   228 Il s’adresse au public (note 225).   229 Il revient dans la salle avec sa maîtresse.   230 Je vais voir.   231 LV : rasys  (Posément. « Je, Françoys Villon, escollier,/ Considérant de sens rassis (…)/ Qu’on doit ses œuvres conseillier. » Villon.)   232 Jeu de mots sur les plaisirs de la chère, et ceux de la chair.   233 Elle revient.   234 Je vais me mettre en voie, en route.   235 Que je vous convoie, que je vous raccompagne.   236 Elle s’en va.   237 La pelle de la cheminée fut l’arme domestique la plus meurtrière. « (Il lui) donna ung seul et bien petit coup du plat d’une palette de boys…. Sur quoy, trébucha celluy Loÿs ; et en celluy jour, sans qu’il y eust bléceure, que apparust sang ne playe, il ala de vie à trespas. » Lettre de rémission.   238 Les poules. Dans le Monologue du baing, attribué à Guillaume Coquillart, l’amant dissimulé « en ung poullier » est aussi trahi par les poules : « Coco coco coco co quoy,/ Faisoient ces deables de guélines. »  Nos deux intrus ont de la chance : dans le 22ème Arrest d’Amours, de Martial d’Auvergne, l’amant qui est caché nu dans le poulailler reçoit tellement de coups de becs qu’il en meurt !   239 Tout bien considéré.   240 Il monte dans le poulailler.   241 LV : bredoiules  (Si je ne barbouille pas de sang. « Et fust Priam brouillé du sang de son dit filz (…), et de son sang furent brouilléz les autelz. » Godefroy.)   242 Pitié ! Les deux gentilshommes descendent du poulailler.   243 Pour nous faire une blague.   244 Je vous en fais cadeau.   245 Mes piécettes d’argent.   246 Nous nous engageons à vous en acquitter.   247 Nous outrager. « Je soye reprochée, lesdengée et tencée. » (ATILF.) Cf. les Sotz qui remetent en point Bon Temps, vers 6.   248 Sournoisement.   249 Peu vous importe ! (Elle parle à son mari.)   250 Le Meunier feint de confondre l’apôtre Thomas avec saint Thibaud, qui est le patron des cocus au même titre que saint Arnoul. Dans la Ballade 1473, d’Eustache Deschamps, une femme jure « par saint Arnoul et saint Thiébault » de tromper son mari.   251 LV : maincte folye  (C’est le 3ème vers du triolet ABaAabAB.)   252 Feinte du jeu de paume qui consiste à rabattre l’éteuf vers le sol pour tromper l’adversaire.   253 « Car cest amour, qui bientost les folz lye. » Gratien Du Pont.   254 La farce du Musnier et du Gentil-homme (v. ma notice) finit sur ce vers du meunier : « À trompeur, trompeur et demy. » Dans le Gentil homme et Naudet, un noble fait « la beste à deux dos » avec Lison, la femme du paysan Naudet. Ce dernier se venge en besognant l’épouse dudit gentilhomme, puis il formule une conclusion d’une insolence tonitruante contre le mélange des genres, ou plutôt des castes, dont la morale est : « À trompeur, trompeur et demy. »

LE COUSTURIER ET LE BADIN

Ms. La Vallière

Ms. La Vallière

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LE  COUSTURIER

ET  LE  BADIN

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Parmi les métiers malhonnêtes qui prêtaient le flanc à la caricature, celui de couturier tenait une bonne place. On le dénigre dans le Cousturier et Ésopet, dans Deux jeunes femmes qui coifèrent leurs maris, dans la Seconde Moralité de Genève, et sans doute dans le Pauvre et le Riche. La satire anticouturière nous a aussi légué deux fragments de farces que je publie ci-dessous : le Cousturier et le Badin, et le Cousturier et son Varlet. Ces deux pièces écrites vers 1540 appartiennent au répertoire des Conards de Rouen1, une confrérie joyeuse qui régnait sur le théâtre comique normand.

Nous avons là ce que les numismates appellent une « pièce fourrée2 ». Quelqu’un eut l’idée de « coudre », à l’intérieur d’une farce α dont il manquait le milieu, un morceau d’une farce β, qui est aujourd’hui perdue. Ce rapiéçage est cousu de fil blanc, mais les rôles et le sujet des deux œuvres font assez bon ménage.

  α : Le Cousturier et le Badin va du vers 1 au vers 124, puis du vers 236 à la fin. Les personnages sont un Couturier et un Badin (Colin) qui ne se connaissent pas, une Première Commère et une Deuxième Commère, qui sont voisines et amies, ainsi que Gillette, la Chambrière de la seconde.

  β : Le Cousturier et son Varlet va du vers 125 au vers 235. Les personnages sont ceux qu’énumère l’incipit du manuscrit : un Couturier, son Valet de longue date, deux Jeunes Filles (dont une est Chambrière), et une Vieille ; les trois femmes ne se connaissent pas, et se font une concurrence impitoyable chez le couturier.

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Source : Le Cousturier et le Badin : Manuscrit La Vallière, nº 20, folios 95 v° à 98 r°, puis folios 100 v° à 101 r°. Le Cousturier et son Varlet : Manuscrit La Vallière, nº 20, folios 98 r° à 100 v°.

Structure : Rimes plates, avec 1 triolet dans α, et 3 dans β.

Cette édition : Cliquer sur Préface. (Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.) Je mets entre [ ] tous les noms que j’ai modifiés dans les rubriques. Je numérote sans coupure les vers.

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Farce  à  .V.  personnaiges

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C’est asçavoir :

       LE  COUSTURIER

       [LE  BADIN   (Colin)

       LA  PREMIÈRE  COMMÈRE

       LA  DEUXIÈSME  COMMÈRE

       LA  CHAMBÈRIÈRE  (Gillecte)]

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           LE  COUSTURIER3  commence     SCÈNE  I

     Est-il, soublz la machine ronde4,

     Cousturier qui ouvrage mieulx

     En habis que moy ? Je me fonde

     Qu’i n’en est nul debsoublz les cieulx.

5    Je fais (tant aulx jeunes qu’aulx vieulx,

     Prestres, laïq(ue)s, femmes, méquines5

     Et filles) habis à basquines6.

     Fays collès7, robes et pou[r]poinctz.

     Et sy, subtillement je guignes8

10   À bien souvent remplir mes poingz9.

     Aultre-foys ai-ge faict sans poinctz,

     Sans pièce et sans cousture, habit

     Qui ne me faisoyt grand labit10.

     J’en sortissoys11 honnestement.

15   Et sy, Dieu sçayt certainement

     Comme g’y faisoys ma banière12 :

     Grande, planturesse et planière13,

     Selon l’habit que povet estre.

     Mais ce jourd’uy, on y faict mectre

20   Sy peu de drap, en bonne foy,

     Qu’on n’en séroyt grumer un doy14

     Pour refère un tallon de chausse.

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           LA  [PREMIÈRE]  COMMÈRE15    SCÈNE  II

     Hau ! ma commère !

           LA  DEUXIESME  COMMÈRE16

                 Je me chaulse.

     Que vous fault-il, à ce matin ?

           LA  [PREMIÈRE]

25   Faictes-vous saulpiquet17, ou saulce ?

     Hau ! ma commère !

           LA  .IIe.  COMMÈRE

                 Je me chaulse.

           LA  [PREMIÈRE]

     S’y fault c’une foys vous deschaulse,

     Au feu mectray vostre patin18 !

     Hau ! ma commère !

           LA  .IIe.

                 Je me chaulse.

30   Que vous fault-il, à ce matin ?

           LA  [PREMIÈRE]

     Il m’est prins à mon advertin19,

     Sy quelqu(e) un avec moy s’escote20,

     De faire tailler unne cote21.

     Me veulx-tu tenir compaignye,

35   Ma commère ?

           LA  .IIe.  COMMÈRE

              Dieu vous bénye !

     Ouy, vrayment, et marcher devant.

           LA  [PREMIÈRE]

     Or alons, puysqu’avons bon vent.

     Apelez vostre chambèrière.

           [LA  DEUXIESME]22

     Gillecte, es-tu poinct là-derière ?

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           LA  CHAMBÈRIÈRE23          SCÈNE  III

40   Ouy, metresse.

           LA  .IIe.  COMMÈRE

              Viens[-t’en], vien-t’en !

     Et t’estrique24 assez gentiment :

     Je te veulx de bref marier.

           LA  CHAMBÈRIÈRE

     Je ne me fais poinct harier25 ;

     Alons là où il vous plaira26.

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           LE  BADIN27                SCÈNE  IV

45   Je ne say qui l’aura, l’aura,

     Cest an, la croche 28 des Conars.

     Il y aura force regnars 29

     Prins, cest esté, à la vollée.

     Par Dieu ! j’ey la teste affoll[é]e.

50   Trouver quelque maistre y me fault.

     Je fais, moy, en troys pas un sault30.

     Colin, c’est assez devisé !

     Mais n’ai-ge pas, là, advisé

     Un compaignon31 ? A ! c’est mon homme !

55   À luy je voys32 parler, en somme.

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     Dieu [vous] gard, Maistre !                 SCÈNE  V

           LE  COUSTURIER

                    Honneur !

           LE  BADIN

                           Et puys ?

     [……………………………….. -uys.]

           LE  COUSTURIER

     Av’ous affaire à ma boutique ?

           LE  BADIN

     Comme se nom[m]e la pratique ?

           LE  COUSTURIER

     J’ey servy les roys et les princes ;

60   Mais quant y falloyt que je prinses33

     Mesure, a ! vous debvez sçavoir

     Que je ne les voulloys que veoir34.

     Étoye-ce besongne, compaing ?

           LE  BADIN

     Y vous faloyt faire le baing35 :

65   Vrayment, vous l’avez bien gaigné.

     Devant, que je soyes enseigné36 :

     Mais dictes-moy de quel mestier

     Vous vous meslez de savatier ?

     Masson ? menuysier ? charpentier ?

70   Ce sont tous mestiers de mesure.

           LE  COUSTURIER

     Rien n’en diray, je vous asseure,

     Tant que [ne] m’ayez dict le vostre.

           LE  BADIN

     Aussy vray que la patenostre37,

     Desclarer vous veuil mon affaire :

75   Stilé suys à tous métiers faire38,

     Et plusieurs aultres.

           LE  COUSTURIER

                 C’est assez.

     Ains que nos propos soyent passés39,

     Vous voulez-vous louer à moy ?

           LE  BADIN

     Ouy [dea], vrayment.

           LE  COUSTURIER

                 En bonne foy,

80   Quans escus40 voulez bien gaigner ?

           LE  BADIN

     Et ! vous [me] vouérez besongner,

     Puys après nous ferons du pris41.

           LE  COUSTURIER42

     Vous estes homme bien apris.

     Cousturier suys, à la Couldrète43.

85   Besongner y fault.

           LE  BADIN

                Bien me hète44.

     Aruné45 me voy(e)là tantost.

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           LA  [PREMIÈRE  COMMÈRE]     SCÈNE  VI

     Alons, commère !

           LA  [DEUXIESME  COMMÈRE]

                [En chemyn]46 tost !

     Trop long temps avons séjourné.

           LA  CHAMBÈRIÈRE

     Mon maistre aura tantost dîné47 :

90   Gardons bien d’estre avisés d’âme48.

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     Dieu gard, cousturier !                   SCÈNE  VII

           LE  COUSTURIER

                   Honneur, Dame !

     Comme vous portez-vous ?

           LA  [PREMIÈRE]

                     Très bien.

           LE  COUSTURIER

     J’en suys joyeulx.

           LE  BADIN

               A ! bonne femme !

           LA  [DEUXIESME]

     Dieu gard, cousturier !

           LE  COUSTURIER

                  Honneur, Dame !

           LE  BADIN

95   Chascun de nous, de corps vous ame49.

     Entrez [cy], et ne craignez rien.

           LA  CHAMBÈRIÈRE

     Dieu gard, cousturier !

           LE  COUSTURIER

                  Honneur, Dame !

           LE  BADIN

     Et comme vous portez-vous ?

           LA  CHAMBÈRIÈRE

                     Très bien.

           LE  COUSTURIER

     Av’ous affaire de mon bien ?

100  Commandez tout ce qu’il vous plaist.

           LE  BADIN

    (Y l’amuseront de leur plait50.)

    Maistre, vous gastez la besongne.

           LE  COUSTURIER

    Paix, valet ! Que poinct on ne hongne51 !

    Vous n’estes pas encor stillé52.

           LE  BADIN

105  Il y aura bien babillé

    Premier qu’il53 partent hors d’icy.

           LE  COUSTURIER

    A ! vous me donnez grand soulcy,

    Varlet ; vous vous ferez charger54.

           LE  BADIN

    Pour vous il y auroyt danger

110  Que ne me misses en deffence.

           LE  COUSTURIER

    À qui parlez-vous, quant g’y pence ?

    Vous pensez-vous de moy railler ?

    Sang bieu ! vous vous ferez bailler

    De l’aune55, et bastre de mesure !

           LE  BADIN

115  Vous n’oseriez, je vous asseure :

    Je ne suys pas à vous loué56.

    Venez-y, beau sire !

           LE  COUSTURIER

                Avoué

    Vous m’avez57, [le] corps de moy Dieu58 !

    Vous semble-il que ce soyt jeu ?

120  Meschant ! vous gaignerez au pié59.

           LE  BADIN  s’enfuyt 60

    (Par Dieu ! quant j’ay bien espié61,

    Je croy que bastre [il] me vouldroict.

    Quel maistre ! Mieulx fuïr vauldroict

124  Que se trouver debsoublz sa main.)

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LE  COUSTURIER

ET  SON  VARLET 62

*

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Farce  à  .V.  personnaiges

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C’est asçavoir :

       LE  COUSTURIER

       et  SON  VARLET

       [LA  JEUNE

       LA  CHAMBÈRIÈRE]63

       et  UNE  VIELLE

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           LA  VIELLE  dict :

125  Serai-ge icy jusqu(e) à demain ?

    Despeschez-moy64 !

           LA  JEUNE

                Et moy !

           LA  CHAMBÈRIÈRE

                      Et moy !

           LE  COUSTURIER

    Quoy ! despescher tous troys ensemble ?

           LE  [VARLET]65

    Y vous metront en grand esmoy.

           LA  CHAMBÈRIÈRE

    Despeschez-moy !

           LA  JEUNE

               Et moy !

           LA  VIELLE

                     Et moy !

           LE  COUSTURIER

130  Et ! qu’esse icy ?

           LE  [VARLET]

               En bonne foy,

    Maistre, la peau du cul vous tremble.

           LA  VIELLE

    Despeschez-moy !

           LA  JEUNE

               Et moy !

           LA  CHAMBÈRIÈRE

                     Et moy !

           LE  COUSTURIER

    Quoy ! despescher tous troys ensemble ?

           LA  VIELLE

    Cousturier, comme bien66 me semble,

135  Premier me debvez despescher.

           LA  JEUNE  et  LA  CHAMBÈRIÈRE  ensemble :

    Mais moy ! [Mais moy ! Mais…]

           LE  COUSTURIER

                       Tant prescher !

    Le deable vous puisse enlever !

           LA  CHAMBÈRIÈRE

    Sy me faictes le poing lever,

    Je vous casseray le museau !

           LE  COUSTURIER

140  Non ferez ?

           LE  [VARLET]

            Bastez, bastez ce veau,

    Qu’i soyt vané à double vant !

           LE  COUSTURIER

    Or çà, çà : laquelle va devant ?

           LES  .III.  ENSEMBLE

    C’est moy !!

           LE  COUSTURIER

            En mal an puissez entrer !

    S’y me fault ma folye monstrer,

145  Toutes troys je vous housseray67 !

           LA  CHAMBÈRIÈRE

    Vous, vilain ? Par Dieu ! j’esséray

    Sy pour moy vous seriez trop fort68.

           LA  JEUNE

    Et moy !

           LA  VIELLE

          Et moy !

           LE  COUSTURIER

                A ! je suys mort !

    Et ! holà ! Je suys affollé69.

           LE  [VARLET]

150  Et ! là, là ! Qu’i soyt bien roullé70 !

    Qu’il ayt la teste amolyée !

           LA  VIELLE

    Cuydez-vous ma force lyée

    Pour tant que71 je suys antienne ?

           LE  COUSTURIER

    Hélas ! monseigneur sainct Estienne,

155  Délivrez-moy de ce tourment !

    Et ! Jésus Marie72 !

           LE  [VARLET],  en frapant :

                Et ! vrayment,

    Il en a assez, ma commère.

    Maistre, et ! servez73 la bonne mère

    La première, et puys l’autre après ;

160  Et je serviray par exprès

    Ceste chambèrière joyeuse.

    Alons, vien-t’en, mon amoureuse74 !

    Veulx-tu que ta mesure prengne ?

           LA  CHAMBÈRIÈRE

    Je veulx qu’en la fasson d’Espaigne75

165  Me fasses une verte cote76.

    Que le corps77 viengne…

           LE  [VARLET]

                   Sus la mote78 ?

    Je voy mectre un jartier79 à poinct.

    Comment mon maistre a esté oingt !

    Maistre, avez-vous les coupx compté ?

170  N’alez poinct à la Viconté80

    Demander le poix de leur[s] mains :

    Bien le sçavez !

           LE  COUSTURIER

              (C’est pour le moingtz :

    Tousjours les perdans sont moqués.)

           LA  VIELLE

    Gardez bien que vous n’ahoquez81

175  Vos doys à mon drap, cousturier.

    Or commenceons !

           LE  COUSTURIER,  en mesurant :

                Çà ! tout premier :

    Vous les voulez à la vasquine82 ?

           LA  VIELLE

    Ouy dea.

           LE  [VARLET]

          Et toy, à la turquine83,

    Depuys les rains jusqu(es) au colet ?

           LA  CHAMBÈRIÈRE

180  A ! que mauldict soyt le valect !

    Tousjours se moquera de moy.

           LE  COUSTURIER

    Ma Dame, je suys en esmoy84

    Sy nous le fendron par-devant85.

           LA  JEUNE

    Et ! ouy, ouy. Que que Dieu vous avant86 !

185  C’est le myeulx, comme il m’est advis.

           LE  [VARLET]

    Veulx-tu le tien au « pont-levys87 »,

    Descousu jusqu(e) auprès du ventre,

    Toult ainsy ?

           LA  CHAMBÈRIÈRE

             Qu’en mal an tu entre !

    Ta parolle est par trop vilaine !

           LE  [VARLET]

190  Le corps88 est joingnant de[ssus] l’aine,

    Et la « poincte » sur le margault89.

           LE  COUSTURIER

    Or çà, çà ! mesurer fault le hault.

    Vostre croisée90 est assez grande.

           [LA  JEUNE]91

    A ! c’est une chose gallande.

195  Faictes-moy la manche poupine92.

           LA  CHAMBÈRIÈRE

    Faictz le mien à la mail[l]otine93,

    Badin, tu auras un escu.

           LE  [VARLET]

    Depuys le talon chuche94 au cu ?

    [Ma foy !] j’entens bien la manière.

200  Et, sus ! dressez-vous, chambèrière,

    Que je prenne un peu mes longuesses95.

    (Il[s] ont bien sept quartiers de fesses,

    Ces grosses garces mamelus96 !

    Quant quelques povres trupelus97

205  Leur font faire la tournebouelle98,

    Y chuchent toute leur mouëlle99

    Et100 substance ; y ne faillent pas.)

    La « poincte » sera assez101 bas,

    Là endroict ?

           LA  CHAMBÈRIÈRE

             An ! qu’il est friant102 !

210  Tousjours faict quelque cas riant.

    Encor plus longue la demande !

           LE  [VARLET]

    Vertu103 bieu !

           LE  COUSTURIER104

              Je vous faictz demande :

    De velours la voulez bordée ?

           LA  VIELLE

    Ainsy vous l’ai-ge commandée.

215  Nous en avons tout d’achapté105.

           LA  JEUNE

    Ne me faictes pas lascheté :

    Serclez-moy106 la mienne par bas.

           LE  COUSTURIER

    Je le veulx bien !

           LE  [VARLET]

               Mès par esbas107,

    Voulez-vous bien que je vous « sengle108 »

220  Par le ventre ?

           LA  CHAMBÈRIÈRE

              Je veulx le corps sengle109,

    Et que la « poincte » serre fort.

           LE  [VARLET]

    Je veulx mourir de layde mort

    Sy le « cas110 » ne vient de mesure !

    Dressez-vous droict, que je mesure

225  La grandeur du « bas » un petit.

           LA  CHAMBÈRIÈRE

    Hay111 ! hay ! hay !

           LE  [VARLET]

            Vous me faictes apétit,

    Me faisant dresser la « palète112 ».

    Mais laissez-moy prendre, fillète,

    Un peu ma mesure113 à loisir.

           LA  CHAMBÈRIÈRE

230  Trop me faictes de desplaisir,

    De me toucher en cest endroict.

           LE  [VARLET]

    Sy faul[t]-y que vous vous tenez droict.

    Hault les bras !

           LA  CHAMBÈRIÈRE

              Là ?

           LE  [VARLET]

                  Et là dea, c’est cela.

    Je suys bien joyeulx, car voy(e)là

235  Ma mesure toute parfaicte114.

.

*

           LA  CHAMBÈRIÈRE

236  Or, que ma besongne soyt faicte

    Demain au matin.

           LE  BADIN

               Bien, bien.

           LA  CHAMBÈRIÈRE

                      Or adieu !

           LE  BADIN

    (Sainct Jehan ! j’esviteray le lieu.

    Au moins, le drap me demour[r]a115.

240  Après moy âme116 ne cour[r]a.

    Autant ay-ge icy qu’à Paris117.)

           LA  [DEUXIESME  COMMÈRE]

    Avez-vous faict, cousturier ?

           LE  COUSTURIER

               Mais que j’ès pris

    Un petit des bras la longueur…

    C’est faict. [À demain !]

           LA  [PREMIÈRE  COMMÈRE]

                   En bon heur118

245  Puisse estre le cas achevé !

           LE  COUSTURIER

    Or, demain, après le Salve 119,

    Aportez du bort120, pour assouèr.

           LA  [DEUXIESME]

    À Dieu, cousturier !

           LE  COUSTURIER

                 Le bon souèr !

    Je m’en voys commencer à coultre121.

           LE  BADIN

250  (Dessus l’establye s’en va souèr122.)

    Adieu, cousturier !

           LE  COUSTURIER

                Le bon souèr !

           LA  [PREMIÈRE]

    Nous vous viendrons demain revoir ;

    Mais gardez que ne passons oultre123 !

           TOUTES  ENSEMBLE

    Adieu, cousturier !

           LE  COUSTURIER

                Le bon souèr !

255  Je m’en voys commencer à coultre.

           LE  BADIN

    Dictes, ne faictes pas descoultre

    Voz habis124

              Donnez la chanson125 !

           LA  CHAMBÈRIÈRE

    Et ! tu es assez bon garçon :

    Poinct tu ne seras escondict.

           LA  [PREMIÈRE]

260  Or commençons, puysqu’il [l’]a dict.

    En prenant congé de ce lieu,

    Chantons, amys, pour dire « à Dieu » !

.

                   FINIS

.

*

1 Le manuscrit La Vallière, copié en Normandie, en comporte un assez grand nombre.   2 C’est aussi le cas des Femmes qui vendent amourettes en gros et en détail : on a fourré au milieu 127 vers d’une autre farce. (Voir Jelle Koopmans, le Recueil de Florence, pp. 521-535.) Quant à la farce d’Ung mary jaloux, elle est précédée par un dialogue de Colinet et sa Tante qui n’a rien à faire là.   3 Il est dehors, à la recherche d’un apprenti. À Rouen, ceux qui proposaient un emploi et ceux qui en cherchaient un, se rencontraient sur l’aître Notre-Dame (le parvis de la cathédrale), où la pièce fut peut-être jouée. Voir la note 19 de Tout-ménage.   4 Dans l’univers.   5 Servantes. Cf. le Vendeur de livres, vers 155.   6 À la mode basque, avec un cerceau pour élargir le bas de la jupe, qui est serrée à la taille. On serait curieux de voir ce que cela donne sur des prêtres, à moins qu’ils n’aient les mêmes goûts que celui dont se moque Béranger de La Tour : « Ce messire Jean de qui je parle/ Sent plustost sa femme qu’un masle ;/ Et si portoit la robe ainsi,/ Pour femme on le prendroit aussi. »   7 Je fais des collets : des fichus.   8 Et aussi, je veille du coin de l’œil.   9 LV : poinctz  (À dérober du tissu.)   10 Qui ne faisait pas mon malheur.   11 Je m’en sortais. Sur cette forme normanno-picarde, voir la note 114 de Marchebeau et Galop.   12 Le client apportait son étoffe au couturier, lequel avait la fâcheuse habitude d’en voler un morceau, qu’on appelait la bannière. « Le drap porterons ;/ Et devant nous, tailler ferons :/ Car cousturiers et cousturières/ Sont tousjours à faire banières. » (Le Cousturier et Ésopet.) Voir la note 185 du Munyer. À Rouen, une Ordonnance Conarde de 1541 précise : « Nous voulons que cousturiers,/ S’ils ne sont fins [rusés] ouvriers,/ Ne pourront faire bannière. »   13 Plantureuse et plénière.   14 Qu’on ne saurait en détourner un seul doigt.   15 Elle est devant la fenêtre ouverte de sa voisine.   16 Elle se montre à la fenêtre.   17 Une sauce piquante, qu’il faut piler interminablement. Cf. Maistre Doribus, vers 19.   18 Votre semelle de bois.   19 Le caprice m’a pris. Même vers au début du Marchant de pommes.   20 Paye son écot, sa part.   21 Une tunique ajustée qui s’élargit vers le bas.   22 Cette rubrique manque.   23 À la fenêtre.   24 Attife-toi. Cf. Maistre Mimin estudiant, vers 22.   25 Prier. Les domestiques dépourvues de famille pouvaient, si elles étaient d’accord, être mariées par leurs patrons.   26 LV ajoute dessous : preste je suys   27 Il déambule sur l’aître Notre-Dame en chantonnant.   28 La crosse de l’abbé des Conards de Rouen est l’équivalent de la marotte des fous. La forme « croche » est normande : cf. Colinet et sa Tante, vers 64. Le Mardi gras, les Conards banquetaient en regardant « plusieurs farces et comédies, dances et morisques en grand nombre, avec bonnes moralitéz et de bonne audace ». Puis on votait pour désigner le personnage le plus sot de la ville, afin de lui porter en grandes pompes « le trèshonoré, digne et précieux baston pastoral, communément appelé la crosse ». Les Triomphes de l’Abbaye des Conards nous apprennent qu’en 1541, « la digne crosse » fut adjugée à un homme qui avait joué sa femme aux dés ! On élisait en beaucoup d’autres lieux l’homme le plus fou de l’année ; voici ce qu’en dit le Fol de l’Abuzé en Court : « Ung notable seigneur avons, qui nous assemble chacun an chiez luy et à ses despens. Et quant tous sommes assemblés comme nous povons, il donne à celuy le plus fol et lequel a le moins de sens, ung chapperon à deux oreilles. » On trouvait même des professionnels prêts à « marcher aux foires pour gaigner le prix de l’Archifolie ». Hochepot ou salmigondi des Folz.   29 Beaucoup de renards [d’hommes rusés] seront pris.   30 Saut en longueur auquel s’amusent les enfants. « [Gargantua] luctoit, couroit, saultoit, non à troys pas un sault, non à clochepied. » Gargantua, 23.   31 Un artisan passé maître compagnon, et revêtu de ses oripeaux.   32 Je vais.   33 LV : princes  (Que je prisse.)   34 Qu’il me suffisait de les voir pour connaître leurs mensurations.   35 Vous étiez assez fort pour réussir le bain philosophal cher aux alchimistes.   36 D’abord, renseignez-moi.   37 Que le Pater Noster. On trouve ce vers et le vers 100 dans une sottie normande contemporaine, la Réformeresse.   38 Nombre de monologues donnent la parole à ces incapables qui prétendent pouvoir exercer tous les métiers : Varlet à louer à tout faire, Maistre Aliborum qui de tout se mesle, Watelet de tous mestiers, etc.   39 Avant que nous ayons fini de parler.   40 Combien d’écus. Scène semblable dans Tout-ménage, vers 70-71.   41 Nous fixerons le prix, mon salaire.   42 LV : badin   43 LV : pouldrete  (Était-ce un lieudit de Rouen ? Je ne connais que le quartier de la Poudrière.)  La Coudrette, forêt de coudres au nord de Rouen, permet un opportun jeu de mots sur le verbe « coudre ».   44 Cela me convient.   45 Fin prêt. « M’y voélà deisjà arunné. » (Le Jeu du capifol.) Les deux hommes se rendent à l’atelier de couture.   46 LV : chemynos  (La 2ème Commère et sa Chambrière sont sorties, et accompagnent la 1ère Commère chez le Couturier.)   47 Le mari de la 2ème Commère ne va pas tarder à rentrer. Les hommes dînaient souvent à la taverne, avec leurs confrères ou leurs clients.   48 D’être aperçues par quelqu’un. Les 3 femmes, jouées par des hommes, sont encore masculinisées aux vers 101, 106, 127-128, 202-207.   49 Vous aime.   50 LV : plaist  (Leur plaid : elles lui feront perdre son temps avec leurs bavardages.)   51 Ne murmurez pas.   52 Stylé, expert dans ce métier.   53 Avant qu’elles ne. Voir la note 48.   54 Je vais charger de bois vos épaules : je vais vous battre.   55 Du bâton. « Quiconques est batu de bastons de bois d’ausne. » ATILF.   56 Engagé.   57 Vous m’avez accepté pour patron (au v. 79).   58 « Le corps de moy Dieu ! » Roger de Collerye.   59 Vous déguerpirez.   60 Il s’écarte pour n’être pas battu.   61 À bien y regarder.   62 Voir ma notice.   63 LV : deulx jeunes filles  (Toutes les rubriques les concernant stipulent : LA JEUNE, et LA CHAMBÈRIÈRE.)   64 Expédiez mon affaire.   65 En dépit des dramatis personæ, LV le nomme jusqu’au bout « le Badin ». C’est d’ailleurs un rôle de badin.   66 LV : il  (La Vieille arguë de son grand âge pour passer avant les autres.)   67 Je vous frapperai. Mais aussi : je vous besognerai. Cf. le Ramonneur de cheminées, vers 30 et 214.   68 Je vais voir si vous êtes plus fort que moi. Elle frappe le Couturier, rejointe par les deux autres femmes. Le Cousturier et Ésopet montre aussi un couturier qui se fait battre par une chambrière.   69 Assommé.   70 Dérouillé, au propre et au figuré.   71 LV : sy  (Parce que je suis âgée.)   72 LV : maria   73 LV : suyues  (Occupez-vous de la Vieille en premier. Cf. le vers 160.)   74 Il pousse la Chambrière à l’autre bout de l’atelier. L’auteur va entremêler leur dialogue à celui du trio restant.   75 À la mode basque (note 6).   76 Faire la cotte verte à une fille, c’est la culbuter dans l’herbe. « Contrefaisans la dévotte,/ Et d’aller jouer au village/ Pour avoir la verte cotte. » Farce de quattre femmes, F 46.   77 Le corsage. Idem vers 190 et 220.   78 Sur le mont de Vénus. Cf. le Povre Jouhan, vers 316.   79 Une jarretière.   80 La Vicomté de l’Eau, à Rouen, conservait les étalons des poids et mesures. Cf. les Veaux, vers 174.   81 De ne pas accrocher. La Vieille ne veut pas que le Couturier la frôle, ce qu’il n’a aucunement l’intention de faire.   82 À la basquine (note 6).   83 À la turque, en référence à la prédilection des Turcs pour la sodomie. « Elle s’étoit fiché un bâton, devinez où…. Ce n’est point à la turque. » Sévigné/Coulanges.   84 Je me demande. Après s’être débarrassé de la Vieille, le Couturier mesure –et pelote– la Jeune. Les couturiers, à cette époque, étaient encore hétérosexuels ; il faut attendre 1639 pour en trouver un qui soit bisexuel : « Je suis bon tailleur de dame,/ Je le suis pour homme aussi./ Je vis d’ordinaire ainsi/ Sans que personne me blasme./ Et si c’est fille ou garçon,/ Je ne prends rien pour la façon…./ Je couds debout et assis,/ Par devant et par derrière. » Chansons pour danser et pour boire.   85 Le fendu, la fente et la fendasse désignent le sexe de la femme. « À ton âge, faut-il t’apprendre/ Que tu n’as icy rien à fendre ?/ Il n’est déjà que trop fendu ! » Nouveau Parnasse satyrique.   86 Que Dieu vous aide ! Cf. le Monde qu’on faict paistre, vers 120.   87 « Aïant au derrière une ouverture couverte d’une pièce de drap quarrée, qui se haussoit & baissoit à la façon d’un pont-levis. » (Le Duchat.) « Un pont-levis de cul, pour plus aisément fianter. » (Gargantua, 20.) Le Valet insinue que la Chambrière utilisera ce pont-levis comme les mignons d’Henri III, qui « les faisoient servir à un tout autre usage que celui pour lequel on les avoit inventés ». (Le Duchat.)   88 Le corsage (note 77). Mais aussi : mon corps.   89 Sur ton « chat ». « M’amie, dit l’Abbesse, le vostre n’est qu’un petit minon ; quand il aura autant estranglé de rats que le mien, il sera chat parfait, il sera marcou, margut & maistre mitou ! » (Béroalde de Verville.) Margauder = s’accoupler, en parlant des chats. Une Margot est une prostituée.   90 LV : croiessee  (Votre décolleté.)   91 LV : le badin   92 Mignonne.   93 À la parisienne. Les Normands traitaient les Parisiens de maillotins. « [Le roy] n’entend pas qu’on dise dans Rouen :/ Les maillotins n’avalleront plus d’ouistres ! » (La Muse normande.) Les Triomphes de l’Abbaye des Conards ne sont pas en reste : « Je plains les os des Maillotins ! » Dans la sottie des Veaux, un Parisien caricatural se nomme « le Malotin ».   94 Ce normandisme peut se lire « jusque », mais aussi –et surtout– « suce », comme au vers 206. Voir la note 111 du Vendeur de livres.   95 Mes longueurs.   96 À grosses mamelles.   97 Sots. Cf. les Maraux enchesnéz, vers 212.   98 La culbute. Cf. les Sotz nouveaulx, vers 221.   99 Elles sucent tout leur sperme. Voir la note 108 de Pour porter les présens.   100 LV : la   101 LV : tel ases  (Le Valet appuie sa braguette –et donc sa pointe– contre les fesses de la Chambrière, ce qui lui vaut la réplique du vers 211.)  « [Il n’est] mamelles que de Normandes (…),/ Ne jeu que de cul et de pointe. » Parnasse satyrique.   102 Ardent.   103 LV : vers tu   104 Il s’adresse de nouveau à la Vieille.   105 Acheté d’avance. La Vieille donne le ruban de velours au Couturier. En tant qu’aînée, elle s’arroge un « nous » de majesté.   106 Cousez un cercle au bas de ma jupe (note 6). Mais aussi : sarclez-moi par le bas.   107 Par plaisanterie. Allusion aux ébats sexuels.   108 « Il l’embrace,/ Et la sangle au moings mal qu’il peult. » (Sermon de l’Endouille.) Cf. Frère Guillebert, vers 196.   109 Un corsage non doublé. « Laquelle robe estoit sengle, sanz aucune fourreure ou doubleure. » (ATILF.) On peut aussi comprendre : je veux ton corps nu.   110 Mon pénis. Cf. les Cris de Paris, vers 429.   111 La Chambrière n’est pas scandalisée, car il en fallait plus que cela pour scandaliser une chambrière ; elle est juste un peu chatouilleuse.   112 Au sens propre, c’est une partie de l’arbalète.   113 Mon plaisir. (Idem vers 235.) « Mesure » intègre aussi un contexte grivois aux vers 233 et 258 de Ung jeune Moyne.   114 Le Valet vient de jouir. Pour conclure, nous revenons à la pièce α, infiniment plus chaste.   115 Le tissu que la Chambrière m’a confié me restera. Il ne s’agit donc plus du Valet en titre de la pièce β, qui aurait intérêt à revenir travailler, mais du faux apprenti nouvellement embauché dans la pièce α.   116 Personne.   117 L’escroc est donc parisien, ce qui ne pouvait que plaire à un public normand.   118 Qu’avec succès.   119 LV : saleue  (Après le Salve Regina : après la messe.)   120 Du ruban de bordure, pour que je le fixe.   121 Coudre.   122 S’asseoir.   123 Que nous ne soyons pas obligées de revenir plus tard. Les 3 femmes sont à nouveau ensemble, ce qui confirme le retour à la pièce α.   124 Ne vous faites plus battre par ces clientes.   125 Chantez la chanson qui conclut la Farce. Dans le domaine lyrique, le répertoire des Conards était aussi impressionnant que dans le domaine dramatique. On en voit un bref exemple aux vers 45-48.

LA FILLE BASTELIERRE

Ms. La Vallière

Ms. La Vallière

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LA  FILLE

BASTELIERRE

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Composé vers 1536, ce monologue normand est à peu près contemporain de la farce du Bateleur, où joue une bateleuse nommée Binette. La bateleuse (ou batelière) du présent monologue est plutôt la version féminine1 du charlatan Pierre Doribus : désireuse de vendre ses remèdes miraculeux et ses philtres magiques, elle ne recule devant aucune esbroufe pour attirer les gogos.

Source : Manuscrit La Vallière, nº 1.

Structure : Rimes plates, abab/bcbc, aabaab.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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Monologue  nouveau  et  fort  récréatif  de  la

 Fille  bastelierre

 

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                           [LA  FILLE  BASTELIERRE]

         Comme une servante mect peine2

         D’aprendre ce qu’elle void faire,

         J’ey servy mainct an et semaine

         Mon maistre3 en toute bonne afaire,

5       J’ey esté la chambèrière d’un bateleur.

         Or escoustez la grand valleur,

         Le bon sçavoir et providence

         Dont il m’a aprins la science.

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         Luy et moy, un jour de dimence,

10     À l’essue4 d’une grand-messe,

         Me vint à faire la promesse

         Et me dict en ceste manyère :

         « Or venez çà, ma chambèrière !

         Long temps a que [vous] me servez,

15     Mais encor[e] vous ne sçavez

         Le setille5 ny le l’entregent

         Comme il fault avoir de l’argent

         Des bonnes gentz de ces villages.

         Boutez-moy bas tous vos bagages,

20     Et vous despouillez toute nue.

         Mais qu’ayez eu une venue6

         De mon corps, je vous certiffye

         Que vous gaignerez vostre vye

         En tous pays où vous irez.

25     Et sy, quoy7 ? Vous vous trouverez

         De ma science sy trèsbien,

         Que n’arez souffrète8 de rien,

         En quelque lieu où vous allez.

         Y convyent que vous avalez9

30     Cela aussy doulx comme layct. »

         Quant j’aperceutz qu’i me bail[l]aict

         Ce sçavoir ameureusement,

         Je le prins sçavoureusement

         En remercyant mon doulx maistre.

35     Il me dict que je povès estre

         De son métier passée mêtresse.

.

         Alors, je prins la hardiesse.

         Engin(s) ouver(s) comme ponètes10,

         J’ey aporté bissaqz, bouètes11

40     Plains d’ongnementz, pouldres, racines,

         Pour faire grosses médecines12

         À ceulx qui en éront besoing.

         J’ey esté en un lieu sy loing

         Avec mon maistre, sans mêtresse :

45     En Judée, au[x] rivaud[s]13 de Gresce,

         À Madère, et à Lisbonne

         (Où j’ey eu de la graine bonne

         Pour faire croistre les pertuys14).

         J’ey esté en d’aultres partys15 :

50     En une nation de Mores16,

         Les hommes ont les génitores

         De la longueur de VII cartiers17.

         J’ey esté en d’aultres cartiers18

         Où les femmes ne peuent mentir ;

55     Et les ay veu bien acoustrés.

         De ce lieu ne voulus partir

         Sans en congnoistre l’expérience19.

.

                            Icy, monte sur une sécabelle 20, et dict :

         Pour démonstrer l’efect21 de ma science,

         En ce lieu-cy convyent que je m’aplique ;

60     Et vous vouérez tous, en vostre présence,

         En quelle œuvre j’ordonne ma pratique.

         S’il y a homme qui soyt garny d’étique22,

         Je le guéris, et sy23, le rens tout sain

         ([Qu’il soyt] clerq, lé, ou homme mécanique24),

65     Sy tost [que j’ay]25 sur luy bouté la main.

.

         Je pence avoir sur moy le souverain,

         L’expert remède pour faire ouvrer caleux26

         Dès27 aujourd’uy sans atendre à demain.

         Je rens sancté à toutes gentz galeux.

.

70     J’ey dessus moy d’une erbe la racine28

         Dont, s’il convyent c’une fille macine29

         À décepvoir30 quelque [sien] amoureulx,

         Joyeusement, en luy faisant le signe31,

         Viendra [sy tost] à elle en la cuisyne

75     En luy donnant ung regard de ses yeulx.

.

         J’ey de la pouldre sy notable et propice

         [Que] s’yl y a céans quelque nourisce

         Qui ayt perdu le cours de son ruysseau32,

         Qu’el soyt lyée33 au plus près de sa cuisse :

80     Je veulx mourir sy, en deulx jours, ne pisse

         Assez pour faire mouldre ung moullin à eau.

.

         J’ey des drogues de sy grande valleur !

         S’un compaignon est muny de chaleur,

         Son corps soyt prys de chaulde maladye34,

85     Vienne vers moy, et qu’il soyt tout asseur35 :

         Se ne luy faictz séparer de son cœur36

         À moingtz d’un jour, je veulx perdre la vye !

         Puysque je suys en ce lieu espartye37,

         De mon effect je veulx faire acongnoistre.

                            Icy dévalle 38 de dessus la sécabelle,

                       et prent unne verge 39 en sa main

                       et faict ung tour ou deulx. Et prent

                           ung chien 40 vestu de quelque toylle

                       de coulleur, et dict ce qui ensuyct :

90     Or, réveillez la male beste41 !

         Petis enffans, mouchez vos nés42,

         Et de toutes contrés, venez

         Icy vous faire aparoistre.

         Or, réveillez la malle beste !

95     Malle beste, retirez-vous !

         Autant à dextre qu’à sénestre43 !

         Or çà ! De par Dieu, male beste,

         [Qu’on voye]44 que vous [vous des]portez !!

.

         J’ey esté en en plusieurs costés,

100  Dont maintenant je suys icy.

         Et vous diray, en ce lieu-cy :

                            Icy, remonte sus une sécabelle, et dict :

         J’ey, pour donner sancté au corps,

         Sur moy, d’une herbe qui mect hors

         Le basaq45 et les escruelles,

105   Les fièvres cartes et gravelles46,

         Douleurs de testes47 et de dens,

         Mal de coste, aultre[s] acidens.

         Se la personne estoyt gouteuze,

         Ou dessus la partye honteuze

110   Le chancre l’avoyt assail[l]ye,

         Soudainnement seroyt guérye

         Devant que partir48 de mes mains.

         Or çà ! levez trèstous les mains,

         Petis et grandz, sans secrupules.

115   Qui n’éra grandz blans ou sizains49,

         Je prendray brevès et cédules50.

         J’ey mys en sancté maintes mules :

         Je les faictz courir par monceaulx.

.

         J’ey esté à Tours, à Bordeaulx,

120   À Toulouze, La Bonne-ville51.

         J’en ay vendu à plus de mille,

         Tout partout, à mont et à val :

         À Sainct-Aubin, à Dernétal52,

         À Sainct-Léger, Lompan, Carville,

125   À Sainct-Hyllaire et à Sainct-Gille,

         Et à tous ceulx de ceste ville53 ;

         À Sainct-Gervais et à Yonville54,

         Et à tous ceulx de Bondeville,

         À Bouvereul et à Déville,

130   À Cauchoise prèz ceste ville,

         À Tous-vens55 [et] à Malaunay,

         Et à Sainct-Jehan-du-Cardonney,

         À Barentin, à Pavilly,

         [Et] à Roumare, et à Pissy,

135   À Montygny et à Maromme,

         Et à tous ceulx du Grand-Couronne,

         J’en ay vendu à Quevyl[l]y,

         À La Bouille [et] à Moullineaux,

         Et à toutz ceulx d’entour les eaux56,

140   À Sainct-Sever, à Soteville,

         Et à Eauplet57, à Martainville,

         À Ménil, mesmes à Blon[v]ille,

         À Brun[ev]al, à Franqueville,

         À Bo[o]s et à La Neuville,

145   [Au Faulx, et au Bourg]58 Baudouin,

         À La Myvée59, au port Sainct-Ouen,

         [Et] à Oyssel, et à Tourville,

         [Et] à Bédenne60, et à Sainct-Gille,

         À Orival, à Ellebeuf,

150   À Freneuze [et] à Criquebeuf,

         À Léry, [et] au Pont-de-l’Arche

         (Où je vidys61 tant ma besache),

         Au Val-de-Reuil, et à Lovyers62

         (Où je remplys tous mes pényers63).

155   Et de là, m’en alys grand erre64

         À Pîtres & au Pont-Sainct-Pierre,

         À Rommylli, à Radepons

         (Où je trouvys de grans fripons,

         Lesquelz me vouloyent prendre à force65.

160   Alors, je vins monte[r] à force

         Hault la montaigne de Fleury66,

         Ayant le cœur triste et mary.)

         À Gaillard-Boys et à Gran[v]ille,

         À Noyon67 et à Cressanville.

165   Mais plus oultre passer n’osay,

         Pour68 les garnementz de Rozey.

         Lors, m’en alay à Escouys

         (Où toutz mes saqués j’escouys69),

         À Frenelle[s], à Boysemont

170   (Où toutes filles bien le font),

         À Richeville, à Muchegros70.

.

         Toutes les filles de dehors

         Acouroyent vers moy sy très royde71,

         Ne72 disant que de ce remède.

175   Les aultres me disouent : « Ma mye,

         Et ! pourdieu, ne m’oubliez mye :

         J’ey la raye du cul essanée73. »

.

         Une nourisse réclamée74

         Me vint dire un mot à l’oreille :

180   « Hélas ! (dict-el), pour la pareille,

         Que j’aye ung peu de ceste pouldre !

         Et me faictes un [peu ressouldre]75

         Mon ventre, qui est sourbatu76. »

         Or escoustez la grand vertu

185   Des bonnes drogues que je porte :

         Je fis bouter la pauvre sote

         En la reverse devant moy ;

         Mais, aussy vray qu’i n’est q’un Roy,

         Luy vint ouvrir le pauvre creux

190   Sy gros77, qu’il [s’]est fendu en deulx !

.

         Ung bon viel homme de vilage

         Vint à moy du meilleur courage,

         Et me dict en ceste manière :

         « Et, Vierge Marye ! Bastelière,

195   Tant vos racines portent vertus ?

         Mon povre menbre ne tient plus78. »

         Et soudain, sans atendre plus,

         Je luy happe son instrument,

         Et je luy lave doulcement.

200   Quant je l’eutz lavé une pose79,

         Soudain se va dresser son chose ;

         Et le povre viellard de rire.

         Et je luy dix : « En ! et puys, sire ? »

         Et de me faire la gohée80 :

205   « Ma femme sera racollée81.

         En82 chemin, ne le lâche poinct.

         Mon Dieu ! ne reviendrez-vous poinct ? »

         Ce me disoyt-il tous les jours :

         « Et ! tant je suys tenu à vous,

210   De m’avoir ce service faict. »

.

         Seigneurs, vous avez veu l’effaict

         De la fille de la Science.

         Je pry Jh[ésu]s, qui a tout faict,

         Qu’il préserve [ceste assistence]83,

215   En prenant congé de ce lieu,

         En vous disant à tous : à Dieu !

                                       FINIS

*

1 Cependant, ce rôle fut joué par un homme : on n’eût pas toléré qu’une vraie femme débitât de pareilles cochonneries devant un public en partie masculin. En tête du Sermon pour une nopce, Roger de Collerye indique : « Le Prescheur, habillé en femme. »   2 S’évertue.   3 Un apothicaire ambulant.   4 À l’issue, en sortant. Les deux escrocs vont à la messe pour rassurer les « bonnes gens de ces villages » afin de les plumer.   5 Le style, l’art et la manière.   6 Quand vous aurez eu un accouplement. « N’aurai-ge poinct une venue/ De la femme de mon mounyer ? » Le Poulier à sis personnages.   7 Et aussi, quoi d’autre ?   8 Que vous ne manquerez. « Je n’éray soufrète de riens. » La Veuve.   9 Que vous supportiez. « Cela » désigne le lait spermatique : « Si continuellement ne exerces ta mentule, elle perdra son laict et ne te servira que de pissotière. » (Rabelais, Tiers Livre, 27.) Pour l’expression « l’avaler doux comme lait », voir le v. 84 de Pierre Doribus.   10 Ayant le sexe ouvert comme une pouliche. « El avoyt l’engin trop ouvert/ Pour estre faicte religieuse. » Sœur Fessue.   11 J’ai porté des bissacs, et des boîtes contenant des produits mystérieux, comme les « boètes » du nécromancien dans le Monde qu’on faict paistre, vers 250.   12 Médicaments.   13 Aux rivages (pluriel de « rival », ou « rivail »).   14 On vendait plutôt des produits destinés à rétrécir la vulve des femmes, comme la poudre que la batelière emploiera aux vers 181-190. Voir aussi la note 35 de Sœur Fessue.   15 Pays. « De Cananée je party/ Pour m’en venir en ce party. » Godefroy.   16 D’Africains.   17 « Le quartier désigne le quart d’une longueur admise ; si l’on admet que la longueur moyenne d’un phallus est de 16 cm, le quartier équivaut à 4 cm, et le phallus des Maures mesure 28 cm. » Thierry Martin, Trois études sur la sexualité médiévale, GKC, 2001, p. 12.   18 Quartiers, contrées.   19 Avant de vérifier ce prodige par moi-même.   20 Une escabelle, un tabouret. La Batelière se prend pour la pythie de Delphes, qui rendait ses oracles juchée sur un trépied. Elle adopte d’ailleurs le décasyllabe, plus sentencieux que l’octosyllabe.   21 Le pouvoir, la puissance. Idem vers 89 et 211.   22 Atteint d’étisie.   23 Et aussi.   24 Laïc ou travailleur manuel. Cf. les Povres deables, vers 313.   25 LV : queray   26 Pour faire travailler les paresseux, qui ont un cal dans la main (et non pas un poil, comme on le dit trop souvent). « Tu n’es rien qu’un caleux ! » La Muse normande.   27 LV : tres   28 La racine d’une herbe, comme celle qui composait le « vin herbé », le philtre d’amour de Tristan et Iseut. On notera qu’aujourd’hui, Iseut travaille à la cuisine…   29 Machine, manigance.   30 De séduire, d’ensorceler.   31 Dès qu’elle lui fera signe.   32 Qui n’ait plus de lait.   33 Que ce sachet de poudre soit fixé. On portait souvent des sachets à même la peau, en guise de parfum ou de talisman.   34 Du chaud mal, de fièvre continue. Cf. Saincte-Caquette, vers 378.   35 Il peut en être sûr.   36 Si je ne fais éloigner de son cœur la fièvre.   37 Mise à l’écart, condamnée au bannissement.   38 Elle descend.   39 Une baguette magique.   40 Les bateleurs montraient des chiens savants. Celui-ci, tout comme celui du devin dans Jénin filz de rien, représente l’Antéchrist ; il est vêtu de vert : cf. les Cris de Paris, vers 293. On revient aux octosyllabes.   41 L’Antéchrist, incarné dans le petit chien. « Aulcuns gens ont mis avant que l’Antéchrist estoit nés en Babilone…. Je cuide qu’elle a fait son cours, la malle beste. » (Jehan Molinet.) C’est un truc publicitaire des bateleurs : « Ung batelleur qui crye “la malle beste ! la malle beste !” pour assembler le peuple, et quant il est assemblé, ilz vendent leurs coquilles, font leur profit, et néanmoins la malle beste ne se treuve point. » (Archives nationales.) « Et fuyez de la male beste,/ Qui donne à vivre aux basteleurs ! » (Cabinet satyrique.) La Batelière veut faire croire que ses herbes ont le pouvoir de chasser le diable ; telle était la réputation du millepertuis, surnommé « chasse-diable » : voir la note 49 des Sotz nouveaulx.   42 Les bonimenteurs déclament ce vers proverbial pour obtenir l’attention du public. C’est le vers 3 du Bateleur.   43 À droite et à gauche.   44 LV : que on vouee  (Au nom de Dieu, qu’on vous voie quitter les lieux !)  Le chien s’enfuit derrière le rideau de fond.   45 LV : bausaq  (Un refroidissement. « À rafreschir cet estomac,/ Toutes fois, garde le basac !/ De tant refroidir la bedaine,/ Qu’une belle fièvre soudaine,/ Tierce et puis continue après,/ Trop tost les envoye ad patres. » Pronostication généralle.)  La guérison des écrouelles était un privilège royal.   46 Les calculs.   47 Les testes au pluriel sont les testicules (lat. testes). Cf. le Faulconnier de ville, vers 392.   48 Avant qu’elle ne parte.   49 Des pièces de monnaie.   50 Des quittances et des reconnaissances de dettes.   51 Les spectateurs normands pouvaient reconnaître Tour (dans l’actuel Calvados), Bordeau (Seine-Maritime), Tourouvre (Orne), et La Bonneville (Manche). « La Bonneville, Bonport, Bons-Moulins, Boos, Bordeaux. » <Masseville.> Quelques années plus tôt, Rabelais plaisantait sur « Londres en Cahors » (dans l’actuel Lot-et-Garonne), et « Bordeaux en Brie » (Seine-et-Marne). La Pippée, au vers 583, fait l’apologie de Pontoise, minuscule village de Picardie.   52 Darnétal. Toutes ces communes ou ces paroisses proches de Rouen furent ajoutées au gré des tournées. L’auteur n’y est pour rien, comme en témoignent la désorganisation du schéma des rimes, les particularismes verbaux <note 61>, et le fait que Saint-Gilles est nommé deux fois. On reconnaît beaucoup des noms ci-dessous dans les Beautéz de la Normandie ou l’origine de la ville de Rouen, de Jean Oursel, et dans l’État géographique de la province de Normandie, du sieur de Masseville.   53 De Rouen, où le monologue fut créé.   54 Les spécialistes de Flaubert affirment qu’il a « inventé » ce bourg normand pour y situer Madame Bovary. Or, le lieudit Yonville figure dans le ms. La Vallière depuis le XVIe siècle. D’après Jean Oursel, une « source d’Yonville, ou de S. Filleul » coulait à Rouen. Voir aussi les Triomphes de l’Abbaye des Conards : « À Pîtres, Romilly, Sotteville et Yonville. »   55 Tousvents : hameau proche d’Yvetot.   56 Des îles de la Seine. « Bru de Loviers et de Gaillon,/ Bru de La Bouille et Moulineaulx,/ Bru des isles par tout les eaulx,/ Bru [de Sainct-Aubin], Dernétal,/ Bru partout, tant amont qu’aval. » Les Brus.   57 LV : eau pleust  (Eauplet, au bord de la Seine, avait des guinguettes mal fréquentées : « Les gaillards & filles de joye (…)/ Allaient gouster dedans Yauplait. » La Muse normande.)  Sotteville-lès-Rouen avait une spécialité locale : « Les pucelles de Sotteville…./  Qu’elles le soient ou non, qu’importe ;/ Mais on les nomme de la sorte. » Le Tracas de la Foire du Pré.   58 LV : o faulx o bort  (Le Faulq est une commune du Calvados : « Franqueville, Le Faux, Roüen. » <J. Oursel.>)  Bourg-Beaudouin est dans l’Eure : « Ch’est le milleur garçon qui soit o Bourbaudouin. » (La Muse normande.) L’hésitation du scribe tient au fait qu’on l’appelait aussi Port-Baudouin.   59 Amfreville-la-Mi-Voie. « En ce temps-là, tu allets, drolatique,/ À la My-vais. » La Muse normande.   60 Prononciation normande de Bédanne, près de Tourville.   61 Je vidai ma besace : je vendis toute ma marchandise. Le Normand qui a rallongé le texte a encore usé de conjugaisons locales aux vers 155, 158, 168 et 175.   62 Louviers.   63 Mes paniers d’herbes médicinales.   64 Je m’en allai rapidement. Marot se gaussa des terminaisons normandes : « Collin s’en allit au Lendit,/ Où n’achetit ni ne vendit. » Sur quelques mauvaises manières de parler.   65 Violer. La Batelière ne se laisse pas faire, ce qui prouve que ce passage est apocryphe.   66 Fleury-sur-Andelle. Voir la Carthe topographique du chemin de la montagne de Fleury, à cinq lieües de Rouën.   67 Noyon-le-Sec.   68 À cause. Rosay ne semble pas avoir été un lieu dangereux.   69 Je secouai tous mes sachets (après en avoir vendu le contenu). « J’ai ci assez ma bourse escouse. » Godefroy.   70 « Richeville, Sausay, Boisemont, Frenelles, Muchegros, Escouy. » J. Oursel.   71 Si vite.   72 LV : me  (En ne parlant de rien d’autre que de ce remède.)   73 Ensanglantée. Il n’était pas rare que des femmes acceptent la sodomie, ne serait-ce qu’à des fins contraceptives. « Elle contoit à son amy que de toutes les parties de son corps, elle n’avoit réservé à son mary que le cul, qu’elle luy donnoit de bon cueur. » Les Joyeuses adventures.   74 Réputée, recherchée.   75 LV : petit resouldre  (Faites un peu se ressouder, se refermer.)   76 Courbatu, fourbu.   77 Elle vint à ouvrir son sexe si largement.   78 Ne tient plus en érection.   79 LV : posse  (Une pause : un instant.)   80 Il me fit une démonstration de joie.   81 Accolée de nouveau.   82 LV : son  (Pendant le trajet du retour, je ne lâche pas mon phallus, de peur qu’il ne ramollisse.)   83 LV : lassistence

LE BATELEUR

Ms. La Vallière

Ms. La Vallière

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LE  BATELEUR

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Jouée en Normandie au milieu du XVIe siècle, cette farce est un hommage au théâtre et surtout à ses interprètes, dont elle fait quasiment des saints. Elle nous immerge dans une troupe de bateleurs. Les forains attiraient les badauds avec des chansons, des tours d’adresse et des acrobaties. Quelques-uns jouaient des saynètes ; plusieurs de ces bonimenteurs se découvrirent une vocation théâtrale. Mais ici, nous sommes loin de Mondor et Tabarin, ou même de Descombes et Grattelard : la troupe, médiocre, tente d’écouler des images tout aussi médiocres qui glorifient des acteurs célèbres dans les environs de Rouen. (Une troupe de bateleurs du même acabit vend de fausses images pieuses dans la Vie de sainct Christofle, de Claude Chevalet.) On peut trouver touchante la sincérité de l’auteur et des comédiens, qui exercent leur apostolat malgré la mesquinerie des bourgeois.

Le personnage de Binette et les détails qui la concernent proviennent d’une chanson normande du XIVe siècle, réimprimée plusieurs fois dans les années 1530 : Mon père m’envoie. Je surligne les passages que l’auteur de la farce a utilisés :

     Mon père m’envoye           Et bien aultre chose

     Garder les moutons.           Que je vous diray. »

     Après moy envoye            « –De mon pucellaige

     (Dureau la duroye),           (Dureau la durette),

     Après moy, envoye            De mon pucellaige,

     Ung beau valeton.            Présent vous feray.

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     Après moy envoye            De mon pucellaige,

     Ung beau valeton,            Présent vous feray,

     Qui d’amours me prie          Et de bon couraige1

     (Dureau la duroye),           (Dureau la durette),

     Qui d’amours me prie.          Et de bon couraige

     Et je luy responds.            Je vous aymeray.

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     Qui d’amours me prie.          Et de bon couraige

     Et je luy respondz :            Je vous aymeray. »

     « Allez à Binette             Andely-sus-Seine

     (Dureau la durette),           (Dureau la durette),

     Allez à Binette,               Andely-sus-Seine,

     Plus belle que moy.             Trois basteaulx y a.

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     Allez à Binette,                 Andely-sus-Seine,

     Plus belle que moy.             Trois basteaulx y a,

     S’elle vous reffuse              C’est pour mener Binette

     (Dureau la durette),             (Dureau la durette),

     S’elle vous reffuse,              C’est pour mener Binette

     Revenez à moy.                  Au Chasteau Gaillart.

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     S’elle vous reffuse,              C’est pour mener Binette

     Revenez à moy. »               Au Chasteau Gaillart.

     « Elle m’a reffusé              Que fera Binette

     (Dureau la durette),             (Dureau la durette),

     Elle m’a reffusé :               Que fera Binette

     Je reviens à vous.               Au Chasteau Gaillart ?

.

     Elle m’a reffusé :               Que fera Binette

     Je reviens à vous.               Au Chasteau Gaillart ?

     J’ay en ma boursette             Fera la lessive

     (Dureau la durette),              (Dureau la durette),

     J’ay en ma boursète             Fera la lessive

     Cent escus de roy.                Pour blanchir les draps.

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     J’ay en ma boursète              Fera la lessive

     Cent escus de roy,               Pour blanchir les draps.

     Et bien aultre chose              Servira son maistre

     (Dureau la durette),               (Dureau la durette),

     Et bien aultre chose              Servira son maistre

     Que je vous diray2…              Quand il luy plaira.

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Source : Manuscrit La Vallière, nº 70.

Structure : Rimes plates, avec des quatrains à rimes embrassées et 3 triolets.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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Farce  joyeuse

à  .V.  personnages

C’est asçavoir :

       LE  BATELEUR

       Son  VARLET

       BINÈTE

       Deulx  FEMMES

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                           LE  BATELEUR  commence en chantant,

                                                  en 3 tenant son Varlet.

         Arière, arière, arière, arière 4 !                              SCÈNE  I

         Venez le5 voir mourir, venez !

         Petis enfans, mouchez vos nés6,

         Pour faire plus belle manyère.

5      Arière, arière, arière, arière !

         Voécy le monstre7 des Badins,

         Qui n’a ne ventre ne boudins8

         Qu’ilz ne soyent subjectz au derière9.

         Arière, arière, arière, arière !

10    Voicy celuy, sans long frétel10,

         Qui de badiner ne fut tel11 ;

         L’expérience en est planière12.

         Arière, arière, arière, arière !

         Veoicy celuy qui passe tout.

15    Sus ! faictes le sault13 ! Hault ! Deboult !

         Le demy-tour ! Le souple sault14 !

         Le faict, le défaict15, sus ! J’ay chault !

         J’ey froid16 ! Est-il pas bien apris ?

         En efect, nous aurons le pris

20    De badinage17, somme toute.

         Mon varlet ?

                           LE  VARLET

                                 Hau, mon maistre !

                           LE  BATELIER18

                                                                     Escoute :

         Y fault bien se monstrer abille19

         Tant qu’on ayt le bruict20 de la ville ;

         Car cela nous poura servyr

25    Pour nostre plaisir21 assouvyr.

         Entens-tu bien ?

                           LE  VARLET

                                         Je vous entens :

         Nous ne ferons que passetemps22

         Pour resjouyr gens à plaisir.

                           LE  BATELIER

         Les fièbvres vous puissent saisir,

30    Mon varlet !

                           LE  VARLET

                                 Mais c’est pour le Maistre !

                           LE  BATELEUR

         Mais un estron pour te repaistre !

         Aussy bien, junes-tu23 souvent.

                           LE  VARLET

         Je desjunes souvent de vent :

         Mon ventre est plus cler24 que verière.

35    Mais sy je lâche le derière25

         Par avanture26, (entendez-vous ?27),

         Vostre part y sera tousjours !

                           LE  BATELEUR

         Tu me veulx assez souvent bien…

         Hau, mon varlet : passe28 ! Revien !

40    Or, va quérir ma tétinète,

         Ma trètoute : ma mye Binète29.

         Et de bref, luy faict[z] asçavoir

         Qu’on la désire fort à veoir.

         Car icy nous fault employer

45    De30 nostre sçavoir desployer :

         En efect, nous aurons le bruict31.

                           LE  VARLET

         Le bruict aurons sans avoir fruict,

         Car les dons apetissent32 fort.

                           LE  BATELEUR

         Or va !

                          LE  VARLET

                          Je feray mon effort

50    Myeulx que varlet qui soyt en ville.33

.

                        En chantant :                            SCÈNE  II

         Je suys amoureulx d’une fille ;

         Et sy 34, ne l’ose dire, la tourelourela !

         Ma mêtresse, hau !                                         SCÈNE  III

                           BINÈTE  entre 35

                                            Qui esse-là ?

                           LE  VARLET

         Venez !

                           BINÈTE

                        En quel lieu ?

                           LE  VARLET

                                                   Tant prescher36 !

55    Maintenant convyent desmarcher37 :

         Tant avons troté et marché

         Que nous avons trouvé marché

         Pour nostre marchandise vendre.

                           BYNÈTE

         C’est don[c] marchandise à despendre38 :

60    Poinct ne profitons aultrement.

         Toutesfoys, alons.

                           LE  VARLET

                                           Vitement !        Il chante :

         El a les yeulx vers et rians,39

         Et le corps faict à l’avenant.

         Quant je la voy, mon cœur soupire ;

65            Et sy, ne l’ose dyre,

                 Tourelourela.

                           BYNÈTE40

         C’est trop chanté, charge cela !

                           LE  VARLET

         Charger ? J’ey encor à dîner41.

         J’aymes beaucoup myeulx le traîner ;

70    Aussy bien, n’esse que bagage.

                           BYNÈTE

         Au moins, fais-toy valoir42.

                           LE  VARLET

                                                            Je gage

         Que je feray des tours sans cesse.

                           LE  BATELYER                      SCÈNE  IV

         Que tantost j’auray belle presse43 !

         Varlet ?

                           LE  VARLET

                        Hau !

                           LE  BATELEUR44

                                    C’est bruict que de luy.

                           LE  VARLET

75    Voyci Binète d’Andely45.

         Venez, venez à la vollée46 !

                           LE  BATELEUR

         Venez la voir, la Désollée47 !

         Aprochez tous !

                           BYNÈTE

                                        A ! mon baron48

                           LE  VARLET

         « Que je soys de vous acollée. »

                           LE  BATELEUR

80    Venez la voir, la Désollée !

                           LE  VARLET

         El est, de présent, afollée :

         On le voit à son chaperon.

                           LE  BATELEUR

         Venez la voir, la Désollée !

         Aprochez tous !

                           BINÈTE

                                       Et ! mon baron…

                           LE  BATELEUR

85    Or, me dictes qu’on49 chanteron,

         Ce pendant qu’on50 s’assemblera.

         Mon varlet, qui commencera ?

                           LE  VARLET

         Ce sera moy !

                           BINÈTE

                                  Mais moy !

                           LE  BATELEUR

                                                         Mais moy51 !

                       LE  VARLET

         Mauldict soyt-il qui ce sera !

                           LE  BATELEUR

90    Mon valet, qui commencera ?

                           LE  VARLET

         Ce sera moy !

                           BINÈTE

                                   Mais moy !

                           LE  BATELEUR

                                                         Mais moy !

                           LE  VALET

         Sy je vis jusqu(e) au moys de may,

         Je seray maistre52.

                           BINÈTE

                                            C’est la raison.

                           LE  BATELIER

         Chantons, et ôtons ce blason53.

                           LE  VARLET

95    C’est bien dict. Mêtresse, chantons !

                           BYNÈTE,  en chantant :

         Or, escoustez !

                           LE  BATELYER,  en chantant :

                                     Or, escoustez !

                           LE  VARLET

         Or, escoustez sy vous voulez

         Une plaisante chansonnète.

                           BYNÈTE

         Vos gorges sont trop refoulés54.

                           LE  VARLET

100   Sans boyre55, la mienne n’est nète.

                       Les deulx femmes entrent.56             SCÈNE  V

                           [LE  VARLET,]  en chantant :

         Alons à Binète, duron la durète,

         Alons à Binète, au Chasteau Gaillart.57

                           LE  BATELEUR58

         Or sus, faictes un sault, paillart !

         Pour l’amour des Dames, hault ! Sus !

                           LA  P[REMIÈRE]  FEMME  entre      SCÈNE  VI

105   Ces gens-là nous ont aperceutz :

         Y font quelque chose pour nous.

                           LE  BATELEUR

         Aprochez-vous, aprochez-vous,

         Et vous orrez59 choses nouvelles.

                           LE  VARLET

         Venez voir la belle des belles !

110   Arière, arière, faictes voye60 !

                           LA  IIe  FEMME

         Y fault bien que cecy je voye,

         Car à mon plaisir suys subjecte61.

                           LE  BATELEUR

         Aprochez ! Qui veult que je gecte

         Hault62 les mains ?

                           BYNÈTE

                                             L’on vous veult monstrer

115   Que n’en sceûtes un rencontrer63

         Qui tant fŷt de joyeuseté.

                           LE  BATELEUR,  [en chantant :]

         G’y ay esté, g’y ay esté,

         Au grand pays de Badinage.64

                           LA  PREMIÈRE  FEMME

         Av’ous quelque beau personnage

120   Pour nous ? Car c’est ce qui nous mayne.

                           LE  VARLET

         Tous nouveaulx, faictz de la sepmayne ;

         Des plus beaulx que jamais vous vistes.

                           LE  BATELEUR

         Valet, sçav’ous bien que vous dictes ?

         Qui sera maistre, de no[u]s deulx ?

125   Laisse-moy parler !

                           LE  VALET

                                                Je le veulx.

                           [BINÈTE]

         Et Binète la Désolée,

         Fault-il poinct qu’el ayt sa pallée65 ?

         Hen ?

                           LE  BATELIER

                       Pais, que je ne vous esterde66 !

                           BYNÈTE

         Je l’aray !

                           LE  BATELEUR

                                   Mais plus tost la merde !

                           LE  VARLET

130   Mengez-la donq, qu’el ne se perde !

         Car qui la mengera l’aura.

                           BINÈTE

         Je parleray !

                           LA  IIe  FEMME

                                 El parlera !

         Femmes ont-il pas leur planète67 ?

                           LE  VARLET

         S’el ne parle, elle afollera68.

                           BINÈTE

135   Je parleray !

                           LE  BATELEUR

                                   El parlera ?

                           LA  PREMIÈRE  FEMME

         Dea ! s’el ne parle, el vous laira69.

                           LE  BATELEUR

         Et ! la place en sera plus nète.

                           BINÈTE

         Je parleray !

                           LES  DEULX  FEMMES  ensemble

                                   El parlera !70

                           LA  IIe  FEMME

         Femmes ont-y pas leur planète ?

                           LE  BATELEUR

140   Ouy, quant ilz ont leur hutinète71,

         Tesmoing mon varlet…

                           LE  VARLET

                                                     Il est vray.

                           [BINÈTE]

         N’est pas72, donc !                                 Ilz 73 chantent :

                                              Qu’en dira Binète,

                 Qui a le cœur gay ?

                           BYNÈTE

         [Monstrons nos pourtraictz, par ma foy !]74

         Hault, qui en veult, lève le doy75.

                           LE  BATELEUR

145   À sept cens frans !

                           [LA  IIe  FEMME]76

                                             Mais à sept blans77 !

                           LE  VARLET

         Nous ne sommes pas assez78 blans.

         Sang bieu ! il n’y a croix79 en France.

                           LE  BATELIER

         J’aymasse80 autant vendre à créance !

         Qui en veult ? Je les voys remectre81.

                           LE  VARLET

150   Encor fault-il vendre, mon maistre.

                          LE  BATELIER

         Vendre ? Mais trocher82, c’est le myeulx.

         De trocher, je seroys joyeulx :

         Sy de femme estoys myeulx pourveu…          [Il chante :]

         Et ! vous n’avez rien veu, rien veu.83

                           LA  PREMIÈRE  FEMME

155   Vous ne nous monstrez que folye ;

         Monstrez quelque face jolye

         Qui ressemble à la créature84.

                           BINÈTE

         Vous voirez maincte pourtraicture

         Des gens de quoy on faict Mémoyre85.

                           LE  VALET

160   Et ! vous n’avez rien veu encore,

         Depuys que vous estes cëans.

         Voécy des Badins antiens86 ;

         Voécy les ceulx du temps jadis,

         Qui sont lassus87 en Paradis

165   Sans soufrir paines ne travaulx88 :

         Voécy maistre Gilles des Vaulx89,

         Rous[s]ignol90, Brière, Peng[u]et,

         Et Cardinot91 qui faict le guet,

         Robin Mercier, Cousin92, Chalot,

170   Pierre Régnault (ce bon falot93),

         Qui chans de Vires94 mectoyent sus.

                           LA  IIe  FEMME

         Est-il vray ?

                           LE  VARLET

                                  Ilz sont mys là-sus95.

         Y n’ont faict mal qu’à la boysson96.

                           LE  BATELEUR

         Chantres, de Dieu sont tous receups97.

                           LA  PREMIÈRE  FEMME

175   Est-il vray ?

                           LE  BATELIER

                                    Y sont mys là-sus.

                           LE  VARLET

         Myracles en sont aperceups98.

         Dieu veult qu’on le serve à bon son99.

                           LES  DEULX  FEMMES  ensemble

         Est-il vray ?

                           BYNÈTE

                                   Ilz sont mys là-sus.

         Y n’ont faict mal qu’à la boysson.

                           LE  BATELEUR

180   Je vous dis que Robin Moysson

         De nouveau100 nous l’a révellé.

         Et atendent101, nole, velle,

         Pour chanter en leur parc d’honneur102,

         Un surnommé « le Pardonneur103 »,

185   Un Toupinet ou un Coquin,

         Ou un Grenier104 aymant le vin,

         Pour devant Dieu les secourir.

                           LE  VARLET

         Je ne veulx poinct encor mourir,

         Car je m’ayme trop myeulx icy !

                           LE  BATELYER

190   Voiécy les vivans, [voy-les cy]105,

         Maintenant je les vous présente,

         Voyez.

                           LA  PREMIÈRE  FEMME

                         Poinct n’en veulx estre exempte

         Que je n’en aye106 tout mon plaisir.

                           LA  IIe  FEMME

         Veuil[l]ez-nous les mylleurs choisir,

195   Afin que nous les achatons.

                           LE  VARLET

         Je les voys choisir à tâtons

         Jusques au fons de la banète107.

                           LA  PREMIÈRE  FEMME

         Et combien ?

                           LE  BATELEUR

                                   Parlez à Binète : 108

         De tout el vous fera marché109.

                           BINÈTE

200   Nous aurons tantost tout cherché

         Sans vendre ; je n’y entens rien110.

                           LE  BATELEUR

         À combien, Dames, à combien ?

         À un liard111 ! Qui en vouldra,

         Maintenant, Dames, on voyra.

                           LA  IIe  FEMME

205   Poinct n’en voulons.

                           LE  BATELEUR

                                                  Rien n’y entens.

         Vous ne voulez que passetemps,

         Pour rire en chambres et jardins.

                           LE  VARLET

         Voécy cy112 les nouveaulx Badins

         Qui vont dancer le trihory.

210   Vécy ce badin de F[l]oury113,

         Et le badin de Sainct-Gervais :

         Les voulez-vous ?

                           LA  PREMIÈRE  FEMME

                                            Que je les voys114.

         Replyez, tout cela me semble ville.

                           LE  BATELEUR

         Bien. Le badin de Soteville115 ?

215   Ou le celuy de Martainville116 ?

         Les voulez-vous ?

                           LA  IIe  FEMME

                                             Et ! c’est Pierrot117 ?

                           LE  VARLET

         In Gen118 ! C’est mon : c’est mon frérot119.

         Aussy Le Boursier120, et Vincenot ;

         Sainct-Fes[s]in121, ce mengeur de rost :

220   Retenez-lay122, il est gentil.

                           LE  BATELYER

         Que tous aultres soyent au vétil123,

         Car toutes f[l]aches124 vous en estes.

                           BINÈTE

         Voécy le Badin aulx lunètes,

         Et puis125 aultres petis badins

225   Qui vous avalent ces bons vins :

         Seront-il de la retenue ?

                           LA  PREMIÈRE  FEMME

         Son badinage dymynue,

         Pour tout vray ; mais ses compaignons

         On ne prison pas deulx ongnons126,

230   Car y ne font que fringoter127.

         Y ne nous feroyent qu’assoter128.

                           LE  VALET

         Vous ne voulez rien acheter ?

         Vous estes assez curieuses

         De voir inventions129 joyeuses ;

235   Mais quant vient à faire payment,

         Rien ne voulez tirer130, vraiment.

         Et ! ce poinct icy retenez :

         Chantres et badins sont tennés131.

         Ainsy, prou vous face132, mes Dames !

                           LA  IIe  FEMME

240   De dons133 ne povons avoir blâmes :

         Nous-mesmes voulons qu’on nous donne.

                           LE  BATELEUR

         Aussy, honneur vous abandonne.

         Vous voulez avoir vos plaisirs,

         Vos acomplimens134, vos désirs.

245   Nous entendons bien vos façons.

                           LE  VARLET

         Sy vient un rompeur135 de chansons,

         Un fleurecon136, un babillart

         Faisant de l’amoureux raillart,

         Qui vienne saisir le costé137,

250   Y sera plus tost escousté

         C’une plaisante chansonnète138.

                           LA  PREMIÈRE  FEMME

         Dictes-vous ?

                           LE  VARLET,  [en chantant :]

                                     Parlez à Binète.

                           LA  PREMIÈRE  FEMME

         Sy d’avanture on nous gauldit139,

         Ou nostre mary nous mauldit :

255   Où prendron-nous nostre recours140 ?

         Qui nous veuille donner secours,

         Synon d’ouÿr quelque sonnète141 ?

                           LE  BATELEUR

         Dictes-vous ? Parlez à Binète,

         Qui se tient au Chasteau Gaillart.

                           LA  IIe  FEMME

260   Sy nostre mary est viellart,

         Qu’i ne face que rioter142 :

         Où irons-nous pour gogueter143 ?

         De ce, voulons estre certaines.

                           LE  VALET

         S’y vous dient144 : « Vos fièbvres cartaines ! »,

265   Incontinent je vous réfère

         Que leur debvez responce fère :

         « Mais vous ! », car cela est honneste.

                           LES  II  FEMMES  e[n]semble

         Dictes-vous ?

                           LE  VALET,  [en chantant :]

                                     Parlez à Binète.

                           LE  BATELYER

         Binète vous en rendra compte145.

                           LA  PREMIÈRE  FEMME

270   De nous, ne faictes pas grand compte,

         Mais bien on s’en raporte à vous.

                           LE  VALET

         Aussy ne faictes-vous de nous146 :

         Unne personne de valleur

         N’apelle un chantre « bateleur »,

275   Ne « farceur », mais, à bien choisir,

         « Gens de cœur plains de tout plaisir ».

         De vos dons, riens ne conprenons147 ;

         Mais nostre plaisir on prenons

         De chans, pour estre esbanoyés148

280   Sans jamais estre desvoyés149.

                           BINÈTE

         De Dieu, poinct ne vous défiez :

         De Luy serez glorifiés150.

         Sy on donne poy, c’est tout un151.

         Riez, chantez et solfiez ;

285   Jeutz & esbas signifiez152,

         De jour, de nu[i]ct, quant il faict brun.

         Subjectz ne soyez au commun153 :

         Nostre154 plaisir nous assouvyt.

         Qui plus v[o]it de monde155, plus vit.

                           LE  BATELYER

290   Récréons-nous, chantons subit !

                           LE  VARLET

         Hardiment faisons-nous valloir !

         Soulcy d’argent n’est que labit156.

         De petit don ne peult chaloir157,

         [Sy] chantons et faisons debvoir.

                                          FINIS

*

1 De bon cœur.   2 Boursette = braguette.   3 LV : on  (Le Bateleur tient son valet quand il lui fait exécuter un numéro d’équilibriste.)   4 Comme au vers 110, on demande à l’assistance de reculer pour ne pas gêner les artistes. Ce refrain est chanté ; il ouvrait déjà la farce de Légier d’Argent.   5 LV : la  (Le Bateleur attire les voyeurs en leur faisant croire que l’équilibriste exécute un numéro dangereux.)   6 Mouchez votre nez maintenant pour ne pas faire de bruit quand le spectacle aura commencé. Le Bateleur de la Vie monseigneur sainct Loÿs, de Gringore, déclamait déjà ce vers, de même que celui des Basteleurs, de Chevalet. On le trouve également dans la Fille bastelierre, qui met en scène une bateleuse, et dans les Sotz qui corrigent le Magnificat, où évoluent des comédiens amateurs.   7 Le phénomène de foire. Les Badins sont spécialisés dans les rôles de demi-sots. V. la notice de Troys Galans et un Badin.   8 Ni bedaine.   9 Qui ne soient sujets à émettre des pets. Voir les vers 34-35. Le Valet se produit donc comme chanteur, acrobate, comédien et… pétomane. Ces « flatulistes » divertissaient les cours d’Europe, comme les deux qui exercent leur art sur la droite de cette gravure.   10 Bavardage. Cf. Saincte Caquette, vers 22.   11 Qui n’eut jamais d’égal pour jouer la comédie.   12 Plénière, patente.   13 Un saut périlleux. Le Bateleur donne ces ordres à son valet.   14 Soubresaut acrobatique. « Saillir en hault,/ Faire un tour et ung souple sault. » Sermon joyeux des quatre vens.   15 Peut-être une cabriole en arrière et une en avant, ou le contraire. « Le déposer [destituer], ce seroyt acte de batelleurs qui font le faict et le deffaict. » Rabelais, Lettre à G. d’Estissac.   16 Le Valet mime un homme qui a chaud, puis un homme qui a froid.   17 Le premier prix de comédie.   18 Sic. Le ms. La Vallière commence d’ailleurs avec la Fille bastelierre, qui raconte les pérégrinations d’une bateleuse normande.   19 Habile.   20 Jusqu’à ce que nous soyons connus. Il s’agit donc d’une troupe itinérante qui vient d’arriver.   21 Le plaisir d’être sur scène.   22 Nous nous produirons gratuitement.   23 Tu jeûnes, à cause de notre pauvreté.   24 Plus clair, plus transparent qu’une vitre.   25 Si je pète (note 9).   26 LV : dauanture   27 Cette incise était accompagnée d’un bruit de pet, comme aux vers 348 et 366 du Sermon joyeux des quatre vens. En Normandie, vous rime avec toujous, qui subit l’amuïssement du « r » final.   28 Les acrobaties reprennent.   29 C’est la compagne du Bateleur. À l’autre bout du tréteau, elle est assise sur la malle aux accessoires pendant que les deux hommes sont partis en reconnaissance.   30 Il faut nous appliquer à.   31 Ainsi, nous aurons du succès.   32 Se rapetissent.   33 Le Valet se dirige vers Binette.   34 Et pourtant. La chanson est de Jehan Guyot : « Je suis amoureux d’une fille,/ Mais je ne l’ose dire./ Va-t’en, garila turlura !/ Elle a les yeux vers et rians,/ Va-t’en, garila turlura. » Cf. le Savetier Audin, vers 93. Le Valet fait de cette ritournelle une déclaration d’amour pour Binette.   35 En jargon théâtral, ce verbe signifie : commence à parler. Idem après le vers 104.   36 (Faut-il) tant bavarder ?   37 Il faut marcher, avancer.   38 À dépenser sans profit.   39 Suite de la chanson précédente (note 34), toujours destinée à Binette.   40 Elle montre au Valet la malle d’osier contenant des portraits de comédiens. À titre d’exemple, voici un portrait de Pierre Gringore.   41 Je n’ai pas encore dîné : je n’ai donc pas assez de force pour porter un fardeau.   42 Mets-toi en valeur devant le public. Ils rejoignent le Bateleur en traînant la malle.   43 Un public dense.   44 Il vante aux spectateurs la célébrité de son valet. Un siècle plus tard, « l’Illustre Théâtre » du jeune Poquelin pratiquera l’autopromotion avec le même opportunisme.   45 Du Petit-Andely, près de Rouen. (V. ma notice.) Binette n’est pas originaire de ce village, mais elle a fréquenté sa prison, le Château Gaillard, où des femmes adultères furent incarcérées.   46 Rapidement.   47 L’ancienne prisonnière est spécialisée dans les rôles tragiques : c’est pourquoi le chaperon qui la coiffe est en désordre (vers 82). Là encore, l’auteur semble s’inspirer d’un personnage plus ancien : voir l’Arbalestre, vers 132-133 et note.   48 Mon mari, dans le style noble des tragédies et dans le style parodique des farces : « Mon baron,/ Que vous plaist-il que je vous face ? » (L’Amoureux.) Binette a un trou de mémoire ; le Valet lui souffle son texte.   49 Ce que nous.   50 Pendant que le public.   51 Passage interpolé, comme l’explique André Tissier dans son édition <Recueil de farces, IV. Droz, 1989, pp. 247-295>. « Moy » rime avec le « may » du vers 92.   52 Je remplacerai le Bateleur.   53 Ce sujet de disputes. Les 2 vers qui suivent sont interpolés (Tissier, p. 270).   54 Éraillées.   55 Si je ne bois pas de vin. « Fault tenir sa gorge nette/ Et byen souvent la mouiller. » Vaudevires.   56 Elles se dirigent vers les bateleurs, mais ne commencent à parler qu’au vers 105. Le Valet continue donc sa tirade. Voir Tissier, p. 271.   57 Voir la chanson originale dans ma notice. Le Château Gaillard est une ancienne prison du Petit-Andely : « Il envoya le Navarrois sous bonne garde au Chasteau Gaillard d’Andelis. » (M.-E. de Mézeray.) On y avait enfermé des femmes débauchées : « Les deux autres furent encloses, et depuis furent mises au Chasteau Gaillard, en Normandie. » (Alain Bouchard.)   58 Voyant les spectatrices, il demande à son valet de faire des acrobaties. Les deux femmes, qui veulent tout voir sans rien acheter, sont les copies des deux commères du Vendeur de livres.   59 LV : ores  (Vous entendrez.)   60 Laissez le passage. Le Valet feint d’être bousculé par une nombreuse assistance.   61 Soumise.   62 LV : mon scauoir hault  (Que je saute en levant les bras. C’est un tour de force, pour un homme qu’on suppose âgé et corpulent.)   63 Que vous n’avez pu rencontrer un seul homme.   64 Cette chanson inconnue devait viser les habitants du « pays de Badaudage », autrement dit les Parisiens, plus connus en Normandie sous le nom de badauds. « Je vous veux compter par plaisir (…)/ Ce qu’au païz de Badaudage/ Est arrivé depuis huict jours. » Godefroy.   65 Son tour de parole (normandisme). Cf. Jolyet, vers 216. « Les plus hupéz de st’assemblée (…)/ M’en ont deffendu la palée. » La Muse normande.   66 Si vous ne voulez pas que je vous frotte.   67 Leurs caprices. Les femmes étaient gouvernées par deux planètes : la Lune, sous l’ascendant de la déesse vierge Diane ; et Vénus, vouée à la déesse du plaisir.   68 Elle deviendra folle.   69 Elle vous laissera.   70 Dans LV, le Varlet pollue le triolet 132-139 avec une locution scatologique en patois normand qu’on lira aussi dans la Friquassée crotestyllonnée : et leque foure mengera   71 LV : haultinete  (Quand elles ont une envie de hutin, de coït. « J’ay mignons prêtz autour de moy,/ Avitailléz pour le hutin. » <Guillaume Coquillart.> Cf. Frère Guillebert, vers 133.)  Le Bateleur insinue que son valet couche avec Binette, qui est la seule à le nier.   72 Ce n’est pas vrai.   73 Les deux hommes.   74 Vers manquant. Binette veut détourner la conversation.   75 Que celui qui en veut lève bien haut le doigt.   76 LV : binete   77 Plutôt à 7 sous.   78 LV : a sept  (Blanc = candide, facile à duper. Cf. les Trois amoureux de la croix, vers 560.)   79 Il n’y a plus d’argent. Cf. Colin qui loue et despite Dieu, vers 37. Par métonymie, on appelait « croix » les monnaies dont le côté face s’ornait d’une croix.   80 LV : jaymes  (J’aimerais autant les vendre à crédit.)   81 Je vais les ranger.   82 Troquer. Songeant à une autre farce normande, le Trocheur de maris, le Bateleur voudrait bien troquer sa femme contre une nouvelle.   83 Il semble s’agir d’une chanson, qui continue au vers 160.   84 À l’original.   85 Des comédiens sur lesquels on a écrit des chroniques. Les Normands prononçaient mémore. « Je m’esmerveille comme encore/ Il est du contraire mémore. » Le Triomphe des Normans.   86 Ancians rime avec cians.   87 Là-haut. Coup de griffe contre l’Église, qui désapprouvait le métier de saltimbanque.   88 Ni tourments : sans être en enfer.   89 Auteur et comédien dont on a conservé quelques poèmes religieux. Les gens de théâtre s’anoblissaient en collant à leur nom celui d’une ville qui leur était chère. Voir « Binette d’Andely » au vers 75. Les Vaux-de-Vire (aujourd’hui Val-de-Vire), en Normandie, furent le foyer des « vaudevires », ces chansons à boire qui ont abouti aux rondes de table nommées vaudevilles.   90 Il avait appartenu à la troupe de Triboulet. Voir la note 6 des Vigilles Triboullet.   91 On lui attribue parfois la célèbre sottie des Menus propos.   92 Le comédien Jehan Cousin émargeait dans la troupe du Pardonneur (vers 185).   93 Ce bon compagnon. Cf. le Capitaine Mal-en-point, vers 338.   94 Qui rehaussaient les vaudevires : note 89.   95 Là-haut, au Paradis.   96 Ils n’ont attaqué que des bouteilles.   97 Reçus au Paradis.   98 Aperçus. Le comédien Triboulet fait aussi des miracles après sa mort : les Vigilles Triboullet, vers 148 et 300.   99 En chantant bien.   100 Récemment.   101 LV : atendant  (Nolle, velle : qu’on le veuille ou non.)   102 Au paradis des anciens badins.   103 C’est le surnom de Pierre le Carpentier, acteur et chef de troupe rouennais. Tout ce passage est éclairé par un article magistral de Michel Rousse : Une représentation théâtrale à Rouen en 1556. <European Medieval Drama, vol. 7, 2003, pp. 87-116.> Un pardonneur est un bateleur qui vend des indulgences à des dupes auxquelles il fait baiser de fausses reliques. Cf. le Pardonneur.   104 C’est le nom de notre Valet, qui aime bien le vin (vers 100), mais qui aime aussi vivre sur terre.   105 LV : voy lessy  (Les voici.)  Après les acteurs défunts ou âgés, on passe aux jeunes bien vivants.   106 Sans en avoir.   107 De la malle d’osier (vers 67-70).   108 Ce refrain correspond au « Allez à Binette » de la chanson que je signale dans ma notice ; il est forcément chanté, de même qu’aux vers 252, 258 et 268. Le Badin qui se loue le chantait déjà aux vers 28-29.   109 Elle conclura la transaction. Mais aussi : Elle vous fera marcher. Cette expression militaire avait déjà une connotation péjorative : « On avoit mal faict de n’avoir donné quelques sachées d’avoyne aux officiers desdictes trouppes pour les faire marcher plus oultre. »   110 Nous aurons bientôt sorti tous les portraits sans en vendre un seul ; je n’y comprends rien.   111 Un sou.   112 LV : vecy  (Le trihori est une danse bretonne appréciée des farceurs. Cf. le Savatier et Marguet, vers 80.)   113 De Fleury, dans la Manche. Saint-Gervais est un quartier de Rouen.   114 LV : voye  (Les Normands prononçaient « vais ».)   115 Sotteville-lès-Rouen. Pour un joueur de sotties, ce nom était prédestiné.   116 Quartier de Rouen. C’est le pseudonyme de l’acteur Nicollas Michel. Voici ce qu’en dira Noël Du Fail dans les Contes et discours d’Eutrapel (1585) : « Comme j’ay veu à l’issue des Farces de ce gentil, docte & facétieux Badin, sans béguin, masque ne farine, Martin-ville de Rouen, soit qu’en mesme chambre il eust si dextrement contrefait messire Maurice disant son bréviaire au fin matin, cependant faisant l’amour [parlant d’amour] aux chambrières qui alloient au puits tirer de l’eau ; ou le cousturier, qui fist une cappe au gentil-homme, d’un drap invisible fors à ceux qui estoient fils de putain ; ou bien qu’il jouast –aiant un couvrechef de femme sur sa teste, & le devanteau ou tablier attaché à ses grandes & amples chausses à la suisse, avec sa longue & grosse barbe noire– une jeune garse allant à l’eau, interrogeant sa compagne nouvellement mariée sur les points & articles de la première nuit de ses noces. »   117 Le Pierrot normand — ou le Piarrot — est un paysan naïf, têtu et assoiffé. « –Je buvions demistier [un demi-sétier], toujours, en attendant…./ –Aga, Piarot, le tarrible accident ! » Nouvelles parodies bachiques, mêlées de Vaudevilles ou Rondes de table.   118 Saint Jean (interjection normande). C’est mon = c’est exact.   119 Mon compagnon de ripailles. « Un jour, ce gentil frérot estant entré en la maison du roy à l’heure du disner, ne voulant point perdre l’occasion de se soûler. » Bonaventure Des Périers.   120 Pseudonyme de l’acteur rouennais Nicollas Coquevent.   121 Ce comédien jouait pour la confrérie joyeuse des Conards de Rouen. Quand leur abbé les invite à « l’escolle/ Où l’on apprend mouver le croupion/ Et comme aussi les dames on bricolle », cet abbé ajoute : « Petites sœurs de l’Ordre Saint-Fessin,/ Faillirez-vous de visiter la place ? » En effet, lorsqu’on est une femme, « soubz umbre de pèlerinage,/ On va veoir le clerc (de) sainct Fessin ».   122 Prenez-le.   123 Soient remis dans le coffre. « Car je sçay bien tourner la clef/ De tout vétil. » Mistère du Viel Testament.   124 Ramollies (normandisme). « Juges négligens et flaches. » Godefroy. (Fâ-ché-es compterait pour 3 syllabes.)   125 LV : plusieurs   126 Nous ne les estimons pas plus que deux oignons. Parle-t-on du Badin aux lunettes et des « autres petits badins » ? Ou bien, comme le pense Tissier, de Binette et de ses deux acolytes ?   127 Que chantonner (au lieu de jouer la comédie). « Je chante tout seul, je fringote. » Deulx Gallans et Sancté, LV 12.   128 LV : quasoter  (Ils ne feraient que nous rendre sottes.)   129 Des nouveautés.   130 De votre bourse.   131 Nous sommes tannés, fatigués.   132 Grand bien vous fasse.   133 Pour nos maigres dons.   134 LV : acomplisemens  (Vos satisfactions. « Le Créateur (…) vous doint l’acompliment de vos bons désirs ! » Claude Savoye.)   135 LV : rourpeur  (Un coupeur de parole.)  « Rompeur de chansons : A continuall interrupter of such as talke more wisely then himselfe. » Cotgrave.   136 Un amateur de sexe féminin. Les chiens de chasse, eux aussi, traquent le connin à l’odeur.   137 Qui vous prend par la taille.   138 Rappel des vers 97-98.   139 On se moque de nous.   140 Une compensation.   141 Les sornettes des galants.   142 Que nous chercher querelle. « Mais il ne faict que rioter. » Le Trocheur de maris.   143 Pour nous amuser.   144 Si vos maris vous disent.   145 Car elle sait répliquer aux hommes.   146 Vous ne faites pas non plus grand compte de nous.   147 Nous ne prenons rien. Ce finale s’adresse au public, parmi lequel on commence à faire la quête en chantant. Il est truffé de rimes proliférantes : les cabotins qui ne savent pas quitter la scène ont tendance à « rallonger la sauce ».   148 Nous prenons notre plaisir à chanter, pour nous divertir.   149 Sans faire fausse route, au sens religieux.   150 Mis au Paradis.   151 Si on nous donne peu, ce n’est pas grave.   152 Accomplissez des jeux théâtraux et des divertissements.   153 Ne cédez pas au conformisme.   154 LV : vostre  (Notre plaisir de jouer nous satisfait, nous suffit.)   155 Celui qui voit le plus de pays. Les forains voyageaient beaucoup, au moins dans leur région.   156 Tourment.   157 Nous n’avons que faire de petits dons. Nos artistocrates affichent leur mépris pour les bourgeois, quitte à mourir de faim.

LE VENDEUR DE LIVRES

Ms. La Vallière

Ms. La Vallière

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LE  VENDEUR

DE  LIVRES

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Cette farce composée vers 1515 est assez drôle. Mais elle est surtout désolante : en effet, elle égrène une longue liste de pièces, de libelles ou de chansons qui sont presque tous perdus.

Comme Tout-ménage1, la pièce fut créée à Rouen, sur le parvis de la cathédrale Notre-Dame. Le stand du vendeur de livres voisinait donc avec les étals des véritables marchands.

Sources : Manuscrit La Vallière, nº 15. Au nº 41, le même manuscrit présente une autre version de cette farce : Troys Commères et un Vendeur de livres. Elle comporte un rôle de femme supplémentaire. Je prends pour base la première version (LV1), et je la complète ou la corrige d’après la seconde (LV2).

Structure : Rimes plates, avec 1 triolet, 3 huitains à refrain.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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Farce  joyeuse

à  troys  personnages

C’est asçavoir :

       Un  VENDEUR   DE  LIVRES

       .II.  FEMMES

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                           L’HOMME2  commence                 SCÈNE  I

         Livres ! Livres ! Livres ! Livres !

         Chansons, balades et rondeaux !

         J’en portes pour3 plus de cent livres !

         Livres ! Livres ! Livres ! Livres !

5       Venez tost, que je vous en livres !

         Jamais n’en vistes de sy beaux !

         Livres ! Livres ! Livres ! Livres !

         Chansons, balades et rondeaux !

         La Farce Jénin aux fiseaux 4 !

10     Le Testament maistre Mymin 5

         Et Maistre Pierre Patelin 6 !

         Et les Cent Nouvelles nouvelles 7,

         Pour dames et pour damoyselles

         Qui ayment à passer le temps8 !

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                           LA  PREMYÈRE  FEMME9         SCÈNE  II

15     Ma commère ?

                           LA  DEUXIESME  FEMME

                                       Je vous atens.

                           LA  PREMYÈRE10

         Et qu’esse que j’ay ouÿ crier ?

                           LA  DEUXIESME

         Ce sont les gens [à leur mestier] :

         [Quelque chose nouvelle on porte.]11

                           LA  PREMYÈRE

         Laisson-lay12 crier à la porte ;

20     [Et] puis s’il a rien qui nous duict13,

         Nous yrons, pour nostre déduict,

         L’acheter.

                           LA   DEUXIESME

                              Vous dictes très bien.

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                           L’HOMME                                       SCÈNE  III

         L’Estat de ceulx qui ne font rien !

         Et le Gouvernement des nouriches 14 !

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                           LA  PREMYÈRE                            SCÈNE  IV

25     Vouélà des traictés beaux et riches,

         De quoy n’oÿs jamais parler.

                           LA  DEUXIESME

         Y le fault laisser estaller15 ;

         Puys on prendron ce qui nous fault.

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                           L’HOMME                                       SCÈNE  V

         Le Trespassement sainct Bidault 16 !

30     La Vye saincte Pèrenelle 17 !

         La Chanson de la Péronnelle 18 !

         La Vye monsieur sainct Françoys 19 !

         Le Confitéor des Angloys 20 !

         Le Trespassement de la Rayne 21,

35     Avec la Gésine de Saine 22

         Et l’Obstination des Suysses 23 !

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                           LA  PREMYÈRE                            SCÈNE  VI

         Par don24 voulontiers je les visses,

         Et me deust-il couster mes niques25 !

                           LA  DEUXIESME

         Aussy fissai-ge, par méniques26 !

40     Ma commère, parlon à luy.

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                           L’HOMME                                       SCÈNE  VII

         Et puys ? serai-ge icy mèshuy27,

         À crier sans mes livres vendre ?

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                           LA  PREMYÈRE                            SCÈNE  VIII

         Nous le faison beaucoup atendre,

         Ma commère.

                           LA  DEUXIESME

                                     Faison28 ? Vresmys !

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                           L’HOMME                                       SCÈNE   IX

45     La Propriété des rubys,

         Avec la Nature des pierres !

         Le Devis des Mers et des Terres,

         Aveques le Dict des Pays 29 !

                           LA  PREMYÈRE

         Pardon… Nous sommes esbaÿs

50     D’ouÿr tant de nouvelles choses.

                           LA  DEUXIESME

         Av’ous le Romant de la Roze ?

                           L’HOMME

         Ouy, ma dame.

                           LA   PREMYÈRE

                                       Monstrez-le-nous.

                           L’HOMME

         Il est enfermé tout dessoublz30 :

         Pas ne l’arez sy promptement.

                           LA  DEUXIESME

55     Montrez-nous le trespassement

         De quelque bon sainct glorieulx.

                           L’HOMME

         Ma dame, je vous feray bien myeulx :

         Vous aurez la Mort sainct Bidault 31.

                           LA  PREMYÈRE

         Fy, fy ! ostez ! Il ne nous fault

60     À lyre qu’Avita Patron 32.

                           L’HOMME

         Je l’ay lessé, pour le patron

         D’imprimerye, à l’imprimeur.

                           LA   DEUXIESME

         Quelz livres av’ous donc, seigneur,

         Plaisans à lire ?

                           L’HOMME

                                      J’ey la grand farce

65     Des Femmes qui ont la langue arse 33

         Quant [ilz blasonnent]34 leurs marys.

                           LA  PREMYÈRE

         Monstrez les Regrectz des marys 35,

         Sy vous les avez : ilz sont beaux.

                           L’HOMME

         Je n’ay que livres tous nouveaux,

70     Composés tout nouvellement36.

                           LA  DEUXIESME

         Montrez-nous le [Viel Testament]37,

         Et38 la Prophétie de Balam,

         Le Sacriffice d’Abraham,

         Le Jugement de Salomon.

                           L’HOMME

75     Et ! vous les érez au sermon

         Que l’en fera tout ce Karesme39.

                           LA   PREMYÈRE

         Et ! venez çà, c’est tout de mesme40 :

         Et les beaulx Dis des [Pères] sains 41,

         Les av’ous poinct entre vos mains ?

80     Les portez-vous poinct imprimés ?

                           L’HOMME

         Nennin. Mais j’ay les Dis rimés

         De Mariage, qui se plainct

         De ce qu’il y a coqu mainct

         Qui sayt que sa femme le faict.

                           LA  DEUXIESME

85     Fy, fy ! ôtez, cela est infaict !42

                           L’HOMME43

         J’ey le Devys des grans habis,

         Des chaynes, carquens44 et rubis

         Que vous portez, et des grans manches45,

         Des patenostres sur vos panches46,

90     Et des petis souliers trop ouvers,

         Et vos grans tétins descouvers47,

         Aveq vostre cul contrefaict48.

                           [LA  PREMYÈRE]49

         Fy, fy ! ostez, cela est infaict !

                           L’HOMME

         J’ey le Voyage des fumelles

95     Qui s’en vont à Bonnes-Nouvelles50,

         Faignant d’humblement prier Dieu ;

         Lors, se retirent audict lieu

         où l’en vuyde flagons51, bouteilles,

         En faisant… choses nompareilles,

100  Desquelles Dindo52 rien ne sçayt.

                           LA  PREMYÈRE

         Fy, fy ! ostez, cela est infaict !

                           [LA  DEUXIESME]

         Et ! on faict des facteurs53 nouveaux

         Qui ne savent nomplus que veaux,

         Et ne séroyent54 trouver manière55

105   De rimer selon leur ma[t]ière

         S’y ne blasonnent nos estas56.

                           LA  PREMYÈRE

         Vous dictes vray. J’en says un tas

         Qui ne sayvent mectre57 ne prose,

         Et parlent de métamorfose58,

         [De grand-mère, de filofie,]59

110   D’arismétique et theologie60 ;

         Et sy61, n’en virent jamais livre.

                           L’HOMME

         Dame, vous savez qu’i fault vivre

         Ainsy qu’on peult62.

                           LA  DEUXIESME

                                                 Mais justement63,

         Ne parlant d’aultruy malement64.

115   Et vous voyez : ces quocardeaux

         Qui font balades, chansons, rondeaux

         Tant dissolus et tant difames,

         Que n’en desplaise aux bonnes femmes

         Et gentz de bien !

                           LA  PREMYÈRE

                                           Et non sans cause :

120   Y ne séroyent faire une clause65

         Que de paillardise ou d’ordure.

         Et n’y a [ne] pié, ne mesure,

         Setille66, ne bon art, ne vaine.

                           L’HOMME

         Voyez la Gésine de Saine 67 :

125   Est-el pas bien faicte et rimée ?

                           LA  DEUXIESME

         Et ! qui deable l’a imprimée ?

         Il n’y a rime ne raison.

                           L’HOMME

         Vouécy la Farce Jehan Loyson,

         Et le Testament Pierre Maistre.

                           LA  PREMYÈRE

130   O ! nous n’en voulons rien congnoistre,

         Car il n’y a passe-temps nul68.

                           L’HOMME

         De69 Ceulx qui ont le feu au cul

         Veulà la farce.

                           LA  DEUXIESME

                                      Paix, vilain !

                           L’HOMME

         Je vous la vens avant la main70.

135   Et la Chanson du petit chien 71 ?

                           LA  PREMYÈRE

         Et ! tu sçays72 bien qu’el ne vault rien

         Et qu’el est [trop] orde et infaicte ;

         Que maudict soyt-il, qui l’a faicte

         Ainsy au désonneur des dames !

                           L’HOMME

140   Vouécy le Romant de ces femmes

         Qui sont deulx ou troys jours perdu[e]s ;

         Et semble, à voèr, qu’i soyent fondu[e]s73.

         Et sont en quelque lieu en mue74,

         Où bien75 souvent on leur remue

145   Le derière, aussy le devant.

                           LA  DEUXIESME

         Nous ne voulons poinct ce romant !

                           L’HOMME

         Quoy, donc ?

                           LA  PREMYÈRE

                                    La Vie saincte Agnès.

                           L’HOMME

         Vouécy l’acte des Johanès 76

         Qui font plaisir à leur maîtresse

150   Sans que personne le congnoisse77,

         Tandy que leur maistre est dehors.

                           LA   DEUXIESME

         Par le grand Dieu miséricors !

         Tu ne vaulx rien qu’à dire mal.

                           L’HOMME

         Voulez-vous poinct le Dotrinal 78

155   Des chambèrières et 79 méquines

         Qui vont cheux d’aucunes vouésines80,

         Faignant aler à la fontaine ?

         Et sont perdus une semaine,

         Ou troys ou quatre nuictz, du mains81.

                           LA  PREMYÈRE

160   [Fy !] Tant il est d’hommes vilains

         Et désonnestes de leur bouche !

                           L’HOMME

         Vouécy [le livre]82 sans reproche

         Des ceulx qui se vont estaler

         À Nostre-Dame83 pour parler

165   À quelqu(e) un : ou qu’i baille signe

         (Le jour, l’heure), ou qu’il détermine

         De se trouver au lieu prédict.

                           LA  DEUXIESME

         Tu es un homme bien maudict !

                           L’HOMME

         Tenez, vouélà le Contredict

170   De la chambèrière et du prestre.

                           LA  PREMYÈRE

         O ! nous n’en voulons rien congnoistre.84

                           LA  DEUXIESME

         Says-tu quoy85 ? Va hors de ceste Estre86,

         Ou l’on te fera bien vyder87 !

         Comment on te deust lapider,

175   Et ceulx qui parlent mal d’aultruy !

                           L’HOMME

         Ma dame, vouécy, à ce papier flestry,

         L’estat de cest[e] enfant soublz âge88

         Qui bailla89 à son hoste un gage

         Pour plus la moytié qu’i ne vault.

                           LA  PREMYÈRE

180   Faulx bagoulart, faictes un sault90 !

                           L’HOMME

         De Luc et Noc 91 le bel assault !

         De Tournay 92 le despucelage !

                           LA  DEUXIESME

         Faulx bagoulart, faictes un sault,

         Ou vous viendrez tost au partage

185   Des coups93 !

                           L’HOMME

                                      La Dame et le dîmage 94 !

         Les Femmes qui ont le fillet 95 !

         Ceulx 96 qui renouvellent leur lect !

                           LA  PREMYÈRE

         Te tèras-tu ?

                           L’HOMME

                                   Les Mal contentes 97 !

                           LA  DEUXIESME

         Iray-ge à toy ?

                           L’HOMME

                                     Les Fieux et rentes 98

190   Des Filles nouvelles rendus 99 !

         La farce des Nouveaux ponus 100 !

         Et le Despuceleur de nouriches 101 !

                           LA  PREMYÈRE

         Ma commère, nous sommes siches102

         De l’empongner ?

                           LA  DEUXIESME

                                             Ce sommes mon103 !

195   Prenon-lay, sans plus de sermon,

         L’une a[ux] cheveulx, l’autre à la gorge104.

                           L’HOMME

         Et ! qu’esse ycy, vertu sainct George ?

         J’aray icy beaucoup affaire.

                           LA  PREMYÈRE

         Et ! çà, çà ! L’on vous fera taire,

200   Puysqu’on vous tient ! À tout ! à tout !

                           L’HOMME  [en chantant]

                 O ! Va, deboult, deboult, [deboult] !

                 Dieu gard de mal la « cheville » ! 105

                           LA  DEUXIESME

         Vous en arez, des coups, cent mille,

         Faulx bagoulard, sy vous dictes rien106 !

                           L’HOMME  [en chantant]

205           Maudict soyt le petit chien

                 Qui abouaye, abouaye, abouaye,

                 Qui abouaye et ne voyt rien ! 107

                           LA  PREMYÈRE

         Sus, à genoulx ! Et qu’on le bède108 !

                           L’HOMME  [en chantant]

         Ne l’y 109 boutez poinct, poinct, s’y n’est rède !

                           LA  PREMYÈRE

210   Encor chante et tousjours caquète ?

                           L’HOMME  [en chantant]

                 Trou du cul ! Perrète,

                 Choques des talons 110,

                 Chuces la pignète 111,

                 Vydes les gallons 112 !         [Puis dict :]

215   Le Trespassement des nonnains 113 !

         Le Devys [des …………. putains]114 !

         Le Blason du marché aux fesses 115 !

                           LA  DEUXIESME

         Nous n’en sérions estre metresses,

         Ma commère : nous perdon temps.

                           LA  PREMYÈRE

220   On ne séroyt tenir les gens

         De parler, et les faire taire.

                           L’HOMME

         Mais me feriez-vous bien retraire116 ?

         Non, non, pour or ny pour argens.

         Prenez en gré le passe-temps.

225   Et au [dé]partir117 de ce lieu,

         Une chanson pour dire « à Dieu » !

.

                                                      FINIS

*

1 Voir sa note 19.   2 C’est un vendeur de livres. Il est en train d’installer son stand au milieu des autres, sur le parvis de la cathédrale, tout en déclamant le « cri » des marchands de « babiolles » afin d’attirer des clients : « Livres nouveaux !/ Chansons, balades et rondeaux !/ Le Passetemps Michaut !/ La farce du Mau marié !/ La Patience des femmes/ Obstinées contre leurs maris ! » (Les Cris de Paris que l’on crie par chascun jour.) Il nomme un par un les livres qu’il sort de sa hotte et qu’il pose sur la table.   3 LV : a  (Pour plus de 100 livres tournois.)   4 Aux fuseaux, tel Hercule qui filait la laine aux pieds d’Omphale. Jénin est un badin qui apparaît dans beaucoup de pièces, dont Jénin filz de rien, la Résurrection de Jénin Landore, ou la Résurrection Jénin à Paulme.   5 C’est, lui aussi, un héros récurrent. Il évoque son testament au vers 273 de Maistre Mymin qui va à la guerre.   6 Selon la ponctuation qu’on adopte, il peut s’agir de la Farce de maistre Pathelin, ou du Testament Pathelin.   7 Célèbre recueil de contes grivois, réédité en 1506.   8 À prendre du bon temps.   9 Juste à côté, la scène représente le logis de la 1ère Femme, que son amie vient chercher.   10 À partir d’ici, LV1 abrège les noms des femmes en « la p » et « la IIe ». Je ne le suivrai pas.   11 LV1 : qui quelque chosse de nouueau aporte  —  LV2 : qui tousiours jenesequoy porte  (Voir le vers 50.)  Le vers 17 est tronqué dans les deux copies.   12 Le pronom normand « lay » équivaut à « le ». Idem au vers 195.   13 S’il a quelque chose qui nous plaît   14 La littérature comique met souvent les nourrices à contribution : voir le vers 192.   15 Installer son étal.   16 Pénis : « Il convenoit qu’il montast sur sa femme, & mist son bidault au secret d’icelle. » (Les Joyeuses adventures.) Ce sermon joyeux est encore mentionné au vers 58. Voir aussi la note 4 de Frère Guillebert.   17 La Vie de sainte Perrennelle, fille de saint Pierre. Nous en conservons un grand nombre de manuscrits ; l’un d’eux fut apparemment imprimé.   18 On chante « Av’ous point veu la Perronnelle » dans le Savetier qui ne respond que chansons (F 37) et dans Calbain. On la chantait encore au théâtre en 1640, dans la Comédie de chansons.   19 Saint François d’Assise avait fondé les Franciscains, ou Cordeliers, qu’on appelait aussi « frères Frapparts » à cause de leur débauche. Les femmes baisaient les braies de saint François pour tomber enceintes (voir les vv. 418-520 de Frère Guillebert). Le cordon de saint François désignait le pénis : « L’homme d’Église/ Lui mit ès mains son joïeux éguillon…./ C’est le cordon de saint François d’Assise. » J.-B. Rousseau.   20 Je ne connais que le Pater noster des Angloys, imprimé vers 1513. Réédité par A. de Montaiglon, Recueil de poésies françoises, t. I, pp. 125-130.   21 Les Épitaphes en rondeaux de la Royne, d’André de La Vigne. (Imprimé en 1514. Réédité par Montaiglon, XII, 111-127.) Anne de Bretagne fut reine deux fois, en épousant Charles VIII, puis Louis XII.   22 L’accouchement de la Seine qui, pendant les guerres, était grosse de cadavres. Il en est encore question au vers 124.   23 LV1 : souyches  (Pour la rime, je rétablis la graphie de Gringore. Les vers 25-36 manquent dans LV2.)  Pierre Gringore composa ce pamphlet vers 1512-1513, pour contrer l’humeur belliqueuse des mercenaires helvétiques : « Suysses, congnoissez le forfaict/ Que commectez, faisant à autruy guerre ! » Montaiglon, VIII, 283-289.   24 Par faveur.   25 Mes monnaies de billon.   26 Je le ferais bien aussi, par mon âme ! Cf. Jolyet, vers 38.   27 À partir de maintenant.   28 LV : se faison mon  (Vraimis est un euphémisme normand de « vrai Dieu » : cf. le Badin qui se loue, vers 142. La forme courante, vraibis, rimerait mieux, mais ce terme équivoque faisait rougir les Normandes bien éduquées : voir la note 111 des Chambèrières et Débat.)  Les Femmes sortent de la maison, et se dirigent vers le libraire.   29 Imprimé peu avant 1515. Voir Montaiglon, V, 106-116.   30 Il est encore au fond de la hotte.   31 Note 16.   32 La bourgeoise inculte prétend vouloir lire en latin le De Vita Patrum [la Vie des Pères], de saint Grégoire de Tours. Il semble qu’on ait imprimé à Rouen une brochure de ce texte à partir du gros volume des œuvres de Grégoire publié à Paris en 1512. « Patrum » rimait en -on.   33 Brûlée. « Qu’eussiez-vous ores la langue arse ! » Saincte Caquette.   34 LV1 : y blament  (Quand elles critiquent.)   35 Des époux indignes exhalent leurs plus pathétiques regrets dans le Purgatoire des mauvais maris, imprimé au plus tard en 1484. Nous avons droit, par exemple, aux « regrez » des maris « jaloux de leurs preudes femmes ».   36 Sous-entendu : les maris d’aujourd’hui ne regrettent plus d’avoir embêté leur femme.   37 LV1 : trespassement  (L’Ancien Testament.)   38 LV : comme   39 Nous sommes donc en pleine période de Carnaval, particulièrement féconde pour le théâtre comique. Les restrictions du Carême vont suivre.   40 C’est la même chose (que la Vie des Pères).   41 « Les Sybilles (…) meslèrent les dictz des Pères sainctz avecques leurs révélations. » Jehan le Blond.   42 Trop long ; mais c’est le refrain des trois huitains 78-101.   43 Le passage 86-101 manque dans LV1. Cette accumulation de lieux communs contre la mode emprunte beaucoup à Guillaume Coquillart.   44 Colliers. « Autour du col, chaynes, coliers, carcans. » (ATILF.) Cf. Moral de Tout-le-Monde, vers 220-1.   45 La critique des grandes manches visait essentiellement les hommes. Pourtant, les femmes n’échappaient pas à ce ridicule : « Méliadice (…) fut revestue d’une cotte juste de velloux tout vert à grans manches traînantes jusques à terre, et larges autant que la robbe. » Clériadus et Méliadice.   46 Votre panse (normandisme). Les mondaines accrochaient à leur ceinture un chapelet précieux. « À sa ceinture, un grand viet d’aze [vit d’âne il] portoit, comme les femmes portent patenostres. » Rabelais, Vème Livre, 17.   47 Les moralistes ironisaient sur la profondeur des décolletés. « Vos tétins descouvers et paréz de colliers, cheynes & afficquetz. » (Jehan Bouchet.) Cf. les Sotz qui corrigent le Magnificat, vers 97-98.   48 Les « faux culs » que ces dames cachaient sous leur robe faisaient enrager les hommes. Voir la note 42 du Povre Jouhan.   49 LV2 : la III c  (Les vers 86-101 manquent dans LV1.)   50 Église de Rouen. (Cf. le Trocheur de maris, vers 96.) Les lieux de culte et de pèlerinage servaient d’alibi aux épouses qui sortaient rejoindre leur amant.   51 Flacons (normandisme). « Bouteilles, flagons, pots et pintes. » ATILF.   52 Le dindon de la Farce, leur mari trompé. « Le dendo faict bouillir le pot. » G. Coquillart.   53 Des faiseurs de vers. Cf. la Réformeresse, vers 250.   54 Ne sauraient, ne pourraient.   55 LV : matiere  (Et au vers suivant : maniere)   56 S’ils ne critiquent notre condition de femme.   57 LV1 : lestre  (Qui ne savent écrire ni en mètre [en vers] ni en prose.)  « Tant soit en prose comme en mettre. » Pierre Grognet.   58 De métaphore. Dans les farces, toutes les femmes qui se risquent à user de termes techniques les estropient. Cf. Colin filz de Thévot (vv. 186-190), ou Ung jeune moyne (v. 175), et surtout Maistre Jehan Jénin (passim). Au vers 110, notre bourgeoise écorche les mots « arithmétique » et « théologie ».   59 Vers manquant. Je l’ai comblé grâce à Molière : « –Veux-tu toute ta vie offencer la Grammaire ?/ Qui parle d’offencer grand-mère ny grand-père ? » (Les Femmes sçavantes.) « Je n’entens point le latin, & je n’ay pas apris, comme vous, la filofie dans le Grand Cyre. » (Les Précieuses ridicules.)   60 Le peuple prononçait « tio-lo-gie » en 3 syllabes. Cf. Tout-ménage (v. 94), et les Sotz escornéz (v. 109).   61 Et pourtant.   62 Il faut bien vivre…   63 (Il faut vivre) chrétiennement. « Toute la perfection du Chrétien consiste en ces trois points, à sçavoir : (…) Vivre justement, ne faisant tort à personne. » François Péan.   64 LV : nulement  (Voir le vers 175.)  Malement = méchamment. « [Mes amis] ont parlé malement/ Et fraudulentement,/ Contre moy conspirans. » Jehan de Cartheny.   65 Ils ne sauraient écrire une strophe.   66 Ni style. Veine = inspiration. Nous voyons là, bien avant l’heure, les Précieuses qu’épinglera Somaize : « Elles sont toutes deux également critiques. En effet, cette passion de reprendre les accompagne tellement, qu’il est presque impossible de leur monstrer quatre lignes où elles ne trouvent à redire. » Grand Dictionaire historique des Prétieuses.   67 Note 22.   68 Il n’y a nul plaisir à leur lecture. En bonnes critiques littéraires, les deux femmes dénigrent des œuvres qu’elles n’ont pas lues.   69 LV : les  (« Pourquoy les femmes qui ayment le déduit hantent les gens de cloistre ? C’est pource qu’elles ont le feu d’enfer au cul : il faut des couilles bénistes pour l’esteindre. » Béroalde de Verville.)  L’auteur met presque toujours ceux pour celles : vv. 23, 163, 187.   70 En avant-première. Elle venait donc d’être imprimée, ce que les vers 69-70 confirment.   71 Nous en aurons un extrait aux vers 205-207.   72 Cette chanson n’est pas misogyne : elle parle d’un chien qui aboie alors que l’amant est au lit avec sa maîtresse, et que le mari est dans la maison. Les deux bourgeoises commencent à tutoyer le bouquiniste, auquel elles s’estiment supérieures.   73 Qu’elles aient disparu, comme de la glace qui a fondu.   74 En prison.   75 LV : que   76 LV1 : jehanes  —  LV2 : jehennes  (Un johannès est un faiseur de cocus. C’est le nom du curé érotomane dans les Chambèrières qui vont à la messe.)   77 Le sache.   78 Un doctrinal est un manuel de bonnes manières.   79 LV1 : ou  (Meschines = servantes, généralement peu farouches. « La meschine y prit son plaisir,/ Car elle avoit parfaict désir/ Que son connin fust embroché. » Sermon joyeulx pour l’Entrée de table.)   80 Chez certaines voisines.   81 Du moins.   82 LV1 : a ce papier flestry  (Anticipation du vers 176.)  « Reproche » rime en -ouche : Trote-menu et Mirre-loret, vers 119.   83 De celles qui vont exposer leur « marchandise » sur le parvis de la cathédrale. L’aître Notre-Dame était aussi un lieu de racolage.   84 LV2 remplace cette inutile reprise du vers 130 par : tu es un homme bien mauldict / et regardes il nen a lestre   85 LV : quil y a   86 De l’aître Notre-Dame. Voir ma notice.   87 Vider les lieux.   88 Mineure. « Ledit enfant est mineur d’ans et sous aage. » ATILF.   89 LV : baille  (Qui vendit.)  Gage = pucelage. « Je suis prest d’estre votre espoux ;/ Mais permettez-moy que pour gage,/ Je prenne votre pucellage. » L’abbé Cotin.   90 Méchant calomniateur, faites un saut dans le vide : soyez pendu. « Vous aurez ung collier de corde,/ Gentil galland : faictes le sault ! » Mistère du Viel Testament.   91 LV2 : lue et noe  —  LV1 : lue et noue  (LUC est l’anagramme de cul : « La feste sainct LUC trouverez/ Quand vostre CUL retournerez. » <Jehan Molinet.> NOC est l’anagramme de con : « Mais je crains que, comme le coq,/ Qu’à tout le monde il ne le die :/ Alors, que deviendroit mon NOC ? » <Claude d’Esternod.>)  Cet Assaut de Luc et Noc est l’ancêtre de la Dispute entre le Luc et le Noc : « Un jour, un LUC plein de fierté/ Tint au NOC ce langage :/ Foutras-tu toujours à mon nez/ Et dans mon voisinage ? »   92 LV : tournoy  (Le Dépucellage de la ville de Tournay, de Laurent Desmoulins, édité en 1513, est un libelle politique contre l’Angleterre. Nos deux pimbêches voient le mal partout !)   93 LV attribue ces deux mots à l’Homme.   94 Dans la 32ème des Cent Nouvelles nouvelles <v. le vers 12>, des moines paillards obtiennent que toutes les épouses leur paient le disme [le dixième] des coïts qu’elles accordent à leur mari : « Mes compaignons et moy avons fait acroire à toutes les femmes de ceste ville qu’elles doivent le disme des foiz que vous couchez avec elles. »   95 Le filet. « Un encyliglotte soubs la langue », diagnostiquera le docteur Rabelais : c’est l’infirmité dont souffre la muette dans la farce de Celluy qui avoit espousé une femme mute (Tiers Livre, 34). « Pourquoy ne parles-tu ?…./ On devroit oster le fillet. » Le Roy des Sotz.   96 Celles. Les nourrices renouvelaient leur lait en se faisant mettre enceintes par leur patron. « Quelle viande ce seroit/ Pour bien renouveller le laict/ Des nourrisses ! » Les Chambèrières qui vont à la messe.   97 Cette farce des Mal contentes est aussi dans le ms. La Vallière, au nº 61.   98 Les fiefs et rentes (formule notariale).   99 Les Filles-Rendues, ou Filles-Repenties, sont d’anciennes prostituées devenues pénitentes. « Les Noëlz trèsdévotz et joieulx, lesquelz chantent les Filles-Rendues, par dévotion. »   100 Les vers 8 et 110 des Sotz nouveaulx farcéz couvéz prouvent qu’il s’agit de la même pièce. « Pondus » rimerait mieux.   101 Le Sermon joyeux d’un Dépucelleur de nourrices. Montaiglon, VI, 199-208.   102 Chiches, capables. C’est la première occurrence de cette expression qui passera dans le langage écrit au XIXe siècle.   103 Nous le sommes ! « Mon » est une particule de renforcement : Serre-porte, vers 554.   104 Elles tapent sur le colporteur.   105 Le Savetier qui ne respond que chansons (F 37) complète ce refrain : « Or va debout, debout, debout !/ Dieu gard de mal la cheville/ (Au ! va, va debout, debout)/ Qui soupire par le bout. » Il faut corriger : la cheville qui transpire par le bout. Le sens priapique du mot « cheville » est flagrant au vers 85 des Chambèrières qui vont à la messe.   106 Calomniateur, si vous dites quelque chose.   107 Ces 3 vers sont le refrain de la Chanson du petit chien (vers 135). On les chante aussi dans Calbain et dans le Savatier et Marguet.   108 Qu’on l’oblige à s’en aller. « On les fist sur pié, sur bille,/ Bien tost beder et retourner. » (Godefroy.) Ce vers 208 manque dans LV1.   109 LV2 : ly  —  LV1 : luy  (Dans la liste de chansons du Vème Livre, Rabelais mentionne : « N’y boutez pas tout ! »)   110 Contre les reins de l’homme qui te chevauche. Perrette est le prototype de la Normande jouisseuse : « Perrette,/ Qui fait aux morfondus redresser la brayette. » Triomphes de l’Abbaye des Conards.   111 Suce la pinette. « Veus-tu jouër (…)/ À la chuche-pinnette ? » Friquassée crotestyllonnée.   112 Les testicules. Le gallon est un pot ayant une capacité réglementaire : « Et puis nous buron plain galon/ Du meilleur vin de la cité. » ATILF.   113 Le bouquiniste revient à l’énumération de titres obscènes. L’intensité de la grivoiserie augmente en même temps que la vitesse du débit et que la force des coups. Sur la lubricité des nonnes, voir Sœur Fessue, et les vers 467-468 du Testament Pathelin.   114 LV1 omet ce vers. LV2 réduit ces 3 vers à : le blason des nonnains / le deuys ou marche aulx fesses   115 Du bordel. « Les autres (mangeoient leur bien) allans au marché aux fesses. » Béroalde de Verville.   116 LV : taire  (Faire retraire = forcer à se retirer, faire partir. « Dez gens armés (…) lez firent  retrayre dedens ladicte Bastide. » ATILF.)  Les Femmes s’enfuient.   117 Ce congé standard, dû au copiste du ms. La Vallière, clôt notamment Messire Jehan.

TROYS GALANS ET UN BADIN

Ms. La Vallière

Ms. La Vallière

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TROYS  GALANS

ET  UN  BADIN

*

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Cette pièce normande écrite en 1572 se distingue par un ton euphorique plutôt rare à cette époque ; il est vrai que l’auteur aimait bien le vin de Beaune… L’euphorie n’empêche pas les habituels coups de griffes contre les commerçants voleurs, les artisans malhonnêtes, les clercs ignorants, les sergents brutaux, ou les femmes bavardes.

Il s’agit là d’une sottie, puisqu’elle a pour interprètes un Badin0, et des Galants joués par des Sots. On voyait, « à la distribution des rolles, le personaige du Sot et du Badin estre tousjours représenté par le plus périt [habile] et perfaict joueur de leur compaignie ». (Rabelais, Tiers Livre, 37.) Dans la sottie des Sobres Sotz, un Badin et cinq Sots nous expliquent en détail la différence entre les Sots et les Badins.

Source : Manuscrit La Vallière, nº 40.

Structure : Rimes abab/bcbc, rimes plates, avec 1 triolet.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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Farce  nouvelle

à  quatre  personnages

C’est asçavoir :

        TROYS  GALANS

        UN  BADIN   [Naudin  Belle-Mémoyre]

*

                           LE  PREMYER  GALANT  commence

         [Qu’est-il]1 de faire ?                                          SCÈNE  I

                           LE   IIe  GALANT

                                                Quoy ? De rire

         Sans avoir espritz endormys.

                           LE  IIIe  GALANT

         Joyeulx, joyeulx !

                           LE  PREMIER  [GALANT]

                                         Promptz à bien dire.

                           LE  IIe  GALANT2

         Qu’est-il de faire ?

                           LE  IIIe  GALANT

                                           Quoy ? De rire.

                           LE  PREMYER  GALANT

5       Y nous fault chagrin interdire.

                           LE  IIe  GALANT

         Et de soulcy ?

                           LE  IIIe  GALANT

                                   Du tout démys3.

                           LE  PREMYER  GALANT

         Qu’est-il de faire ?

                           LE  IIe  GALANT

                                           Quoy ? De rire

         Sans avoir espritz endormys.

                           LE  IIIe  GALANT

         De joye mon cœur est4 transmys.

                           LE  PREMYER  GALANT

10     Désormais, ainsy que j’entens,

         Cause aurons de nous resjouir.

                           LE  IIe  GALANT

         Soublz5 bonne espoirance, j’atens

         Tout bon heur dont pourons joÿr.

                           LE  IIIe  GALANT

         Que reste-il plus ?

                           LE  PREMYER  GALANT

                                          Couroulx fuÿr,

15     Et mectre tout en[n]uy au bas.

                           LE  IIe  GALANT

         Et apéter6 ?

                           LE  IIIe  GALANT

                               Bons mos ouïr,

         Et laisser noyses et débas.

                           LE  PREMYER  GALANT

         Que fault-y cesser ?

                           LE   IIe  GALANT

                                            Les combas,

         Et à bien faire s’employer7.

                           LE  IIIe  GALANT

20     Que fault-il chercher ?

                           LE  PREMYER  GALANT

                                                 Les esbas,

         Et de bon cœur Dieu8 suplyer

         Qu’i nous veuille ayder en ce lieu.

                           LE  IIe  GALANT

         De plaisir faisons nostre apieu9.

                           LE  IIIe  GALANT

         Et de soulas ?

                           LE  PREMYER  GALANT

                                   Une mémoyre10.

                           LE  IIe  GALANT

25     De plaisance et de joye ?

                           LE  IIIe  GALANT

                                                    C’est [gloyre.

                           LE  PREMYER  GALANT]11

         Bien dict !

.

                           LE  BADIN  entre 12                         SCÈNE  II

                             Verdin, verdin jolys13 !

         In camera caritatis 14.

         Sept : troys [et] quatre. Dix faict… quot 15 ?

         Il demoura pour son escot

30     À la taverne, le quoquin.

         Et ! faloyt-il qu’i bût du vin ?

         Et sy, n’avoyt denier ne maille16.

         Il réquapa17, vaille que vaille,

         Mais on le print par le colet.

                           LE  PREMYER  GALANT

35     Voécy quelque bon sotelet ;

         Vers luy il se fault adresser.

                           LE  IIe  GALANT

         Y nous fera le temps passer,

         À le veoir.

                           LE  IIIe  GALANT

                             Y dort, ou il ronge18 ?

                           LE  PREMYER  GALANT

         Que faictz-tu, mon amy ?

                           LE  BADIN

                                                     Je songe.

                           LE  IIe  GALANT

40     Tu songe[s] et tu ne dors pas ?

                           LE  BADIN

         Vous n’entendez pas bien le cas.

                           LE  IIIe  GALANT

         Comme quoy19 ?

                           LE  BADIN

                                        Je veille, et sy, dors.

         Pour tant20, sy je branle [le] corps,

         La teste dort.

                           LE  PREMYER  GALANT

                                  C’est aultre chose.

                           LE  BADIN

45     A ! je ne peulx plus faire pose21 :

         Il me fault vitement aler

         Voy(e)r ma mère, pour réveller

         Le grand secret de ma science.

                           LE  IIe  GALANT

         En as-tu ?

                           LE  BADIN

                             Par ma consience !

50     Ma teste n’en peult tant porter.

                           LE  IIIe  GALANT

         Devant que de te transporter22,

         Conte-nous quelque cas nouveau.

                           LE  BADIN

         Mais23 que nostre vache ayt vellé,

         Bien séray qu’el ara24 un veau.

                           LE  IIe  GALANT

55     Il est grand clerq.

                           LE  BADIN

                                          [In nobis]25 velle.

                           LE  PREMYER  GALANT

         Il ne me semble pas badin.

                           LE  IIIe  GALANT

         Et vostre nom ?

                           LE  BADIN

                                      J’ey non Naudin.

                           LE  PREMYER  GALANT

         Naudin comment ?

                           LE  BADIN

                                           Belle-Mémoyre26,

         [Comme cela est tout notoyre,]27

         Per fidem 28, dedens nostre escolle.

                           LE  IIIe  GALANT

60     [Tel escollier]29 ne vis jamais en rolle,

         [Ny] ne cuyday veoir en ce lieu.

                           LE  BADIN

         J’emprins30 une Croix de par Dieu

         Toute nouvelle.

                           LE  PREMYER  GALANT

                                      Or dis comment.

                           LE  BADIN

         On disoyt antiennement :

65     A, B, C, D, E, F, G.

         [Ores, j’ay tout cela changé.]31

                           LE  IIe  GALANT

         Veulx-tu donc[ques] dire aultrement ?

                           LE  BADIN

         Et ouy, vrayment.

                           LE  PREMYER  GALANT

                                         Or dis comment.

         Tu seras quelque jour abé32 !

                           LE  BADIN

         [D’abord,] il y a : «G C. B ! »33

70     Car quant un homme [qui] aura

         Trop mengé, et à dire viendra :

         [« G C », l’oste]34 luy respondra :

         « Et B ! »35 N’esse pas donc le poinct

         De « –G C. B ! » ?

                           LE  IIe  GALANT

                                             Il ne ment poinct.

                           LE  IIIe  GALANT

75     Toute science en luy se hape36.

                           LE  BADIN

         J’ey songé que j’estoys [le] pape37.

                           LE  PREMYER  GALANT

         Le pape ? Bénédicité !

                           LE  BADIN

         Ouy, par ma foy, je l’ay esté,

         N’en ayez la pensée troublée.

80     Car j’ey faict faire l’assemblée

         Des princes crestiens, que menoye

         Sur les Turs38, et les combatoye.

         Et quant m’esveillay au matin,

         J’aperceuptz que j’estoys Naudin ;

85     Et puys après, je m’endormys.

                           LE  IIe  GALANT

         Il sera pape, mes amys,

         Puysqu’il [l’]a songé.

                           LE  BADIN

                                               Non seray !

                           LE  IIIe  GALANT

         Et pourquoy ?

                           LE  BADIN

                                   Bien m’en passeray.

                           LE  PREMYER  GALANT

         Pourtant, bien vous siéroyt39 la chape.

                           LE  BADIN

90     Sy je venoys estre le pape

         Et que j’alasse en la bataille,

         On y frape d’estoq et de taille.

         Ainsy que malheur vient à coup40,

         Y ne fauldroict c’un méchant coup

95     De canon, qui trop pince et mort :

         Pétouf ! voy(e)là le pape mort,

         Et Naudin tout ensemblement.

         Ne m’en faictes plus parlement41 ;

         Gardez bien de m’y eschaufer42.

                           LE  IIe  GALANT

100   Quant tu serès armé de fer,

         Tu n’aroys garde43, non, Naudin.

                           LE  BADIN

          J’ayme trop mieulx estre badin

         Et vivre ainsy tout désarmé,

         Que de mourir & estre armé,

105   Je vous le dis par mos exprès.

         Mais aussy, j’ey songé après

         Un songe merveilleux.

                           LE  IIIe  GALANT

                                                 Dy-nous44.

                           LE  BADIN

         Que j’estoys…

                           LE  PREMYER  GALANT

                                     Quoy ? Mengé des loups ?

                           LE  BADIN

         Nénin, nénin, c’estoyent bien plus beaulx dis :

110   Que j’estoys Dieu en Paradis.

                           LE  IIe  GALANT

         Sy tu l’estoys, que feroys-tu ?

                           LE  BADIN

         Que je feroys ? Es-tu testu !

                           LE  IIIe  GALANT

         Dy-le-nous, et plus ne varye45.

                           LE  BADIN

         Ma femme46 : la vierge Marye ;

115   Et ma sceur : saincte Katherine.

                           LE  PREMYER  GALANT

         Comment cela ?

                           LE  BADIN

                                      Or adevine.

                           LE  IIe  GALANT

         Et nos troys47 ?

                           LE  BADIN

                                     Sainct Pierre, et sainct Pol,

         Et sainct Berthélemy48 o long col.

         Au moins, s’y venoyt à la porte

120   Un fol pour entrer de main forte,

         Vous luy [barrerez le passage]49.

                           LE  IIIe  GALANT

         Nous en sérons50 très bien l’usage.

         Y n’y entreroyt nulz sergens ?

                           LE  BADIN

         Non, car trop [il] sont diligens51 :

125   Il en pouroyent haper quelqu(e) un.

         On les metrions tous en un run52 !

         Les sergens, qui sont dangereulx,

         De tourmenter ne sont peureulx.

         Tout cela iroyt en enfer

130   Plaider aveques Lucifer,

         Pour acomplir tous leurs travaulx53.

                           LE  PREMYER  GALANT

         Marchans de boys et de chevaulx54

         Yront-y poinct en Paradis ?

                           LE  BADIN

         Nénin, car y sont trop mauldis,

135   Impétueulx, trop incertains,

         Et tourmentent trop les humains.

                           LE  IIe  GALANT

         Et gens de guerre ?

                           LE  BADIN

                                           Encores mains55 !

         Enfer seroyt leur propre lieu.

         Y renient et maugrient56 Dieu

140   Pour moins que rien, en tous cartiers.

                           LE  IIIe  GALANT

         Et ceulx qui boyvent voulontiers,

         Seront-y poinct aveques vous57 ?

                           LE  BADIN

         Assis auprès de moy trèstous,

         Car j’ayme les bons pigourniers58.

                           LE  PREMYER  GALANT

145   Les boulengers et les monnyers59,

         Loger les fauldroyt, sans trufer60.

                           LE  BADIN

         Trèstous en enfer, en enfer !

         Boulengers font le petit pain61,

         Monniers desrobent le bon grain :

150   Pour tant62, c’est leur droicte maison

         Qu’en enfer.

                           LE  IIe  GALANT

                                 Vous avez raison.

                           LE  IIIe  GALANT

         Les povres laboureurs des champs,

         Qui à maulx sont tousjours marchans63

         Et par la guerre désolés :

155   Ne seroyent-il poinct consolés

         De vous par œuvre méritoyre ?

                           LE  BADIN

         Je les metroys en purgatoyre

         Pour parfaire leur pénitence.

                           LE  PREMYER  GALANT

         Ménestrieurs, chantres de plaisance64,

160   Qui n’ont jamais le bon cœur vain

         Et ayment tant fort ce bon vin :

         Seroyent-y poinct aveques vous ?

                           LE  BADIN

         Assis auprès de moy trèstous,

         Car telz gens de joyeuseté

165   Ont bien, en leur temps, mérité

         D’estre boutés en Paradis.

                           LE  IIe  GALANT

         Et ainsy [ceulx] que je vous dis,

         De morisques qu’on dict baleurs65,

         Aultrement [dict], les beaulx danseurs :

170   Seront-il poinct saulvés ?

                           LE  BADIN

                                                      Nennin, nennin.

                           LE  IIIe  GALANT

         Dictes-nous la raison, Naudin,

         Car ilz sont tous de bonne sorte.

                           LE  BADIN

         Je leur feroys fermer la porte

         À fine force ou66, de danser,

175   Y me pouroyent bien tost casser

         Le plancher de mon Paradis67.

                           LE  PREMYER  GALANT

         Je me resjouys à ses dis.

         Et où seroyent-il donq ?

                           LE  BADIN

                                                   Par sainct Pierre !

         Je les laisseroys sur la terre :

180   Au moins, quant danser il vouldroyent,

         Mon plancher poinct [il] ne romproyent ;

         Y danseroyent plus sûrement.

                           LE  IIe  GALANT

         Je vous demandes voy(e)rement :

         Où seroyent les bons biberons68

185   (Qui du bon vin font69 mouilerons),

         Et des bons buveurs les afins70 ?

                           LE  BADIN

         Assis auprès des chérubins71,

         Car y sont supos de Bacus 72

                           LE  IIIe  GALANT

         Et ceulx qui ont engins bécus73,

190   Comme barbaudiers74, barbaudières ?

                           LE  BADIN

         Y laveront [tous] les chauldières75

         D’enfer, pour fère leur brassin76.

                           LE  PREMYER  GALANT

         Taverniers qui brouillent le vin,

         Noyent77 le viel parmy les nouveaulx,

195   Où seront-ilz ?

                           LE  BADIN

                                     Aux78 deabloteaulx !

                           LE  IIe  GALANT

         Tous [les] brouilleurs seroyent dannés ?

                           LE  BADIN

         Voyre, et par moy condampnés ;

         Pas un seul n’en eschaperoyt.

                           LE  IIIe  GALANT

         Vostre bonté les sauveroyt79

200   En quelque coing.

                           LE  BADIN

                                          Non feroyt, nom !

         Je n’éroys que gens de renom,

         Comme pâtissiers, rôtisseurs,

         Chantres, ménestreurs et farceurs80.

         Au moins, sy faisoys un banquet,

205   Les uns feroyent le saupiquet81,

         Et les aultres fero[ye]nt leur cas82.

                            LE  IIe  GALANT

         Voyre ; mais on n’y menge pas,

         En Paradis.

                            LE  BADIN

                               Et ! je [vous dis]83

         Qu’on mengeroyt en Paradis

210   Jambons, bonnes poules, bouilys84 ;

         Et aulx vendredys, samedys,

         De bon pouesson85 par adventure,

         Pour soustenir la86 créature.

         Et pour [tout] vous dire, au certain,

215   Venir feroys87 les pierres en pain.

                           LE  IIIe  GALANT

         ………………. En brièfves sommes,

         Puysqu’avons tant parlé des hommes,

         Dictes-nous, sans semer diffames,

         S’en Paradis yront les femmes.

                           LE  BADIN

220   Y n’y entreroyt que les bonnes,

         [Les doulcinettes, les mignonnes.]88

         Les mauvaises n(’y) entreroyent pas.

                           LE  PREMYER  GALANT

         Naudin, mais dictes-nous le cas

         Pourquoy c’est qu’i n’y entreroyent.

                           LE  BADIN

         Et ! pource que s’il y estoyent

225   Toutes par tropeaulx assemblés,

         Avant qu’ilz fussent dessemblés89,

         Y mainneroyent un tel sabat,

         Une sy grand noise et débat,

         Que moy (Dieu), les sainctes et sainctz,

230   De leur parler ne serions sains90 :

         Car leur caquet, qui fort enteste,

         Nous pouroyt bien casser la teste

         Et engendrer grand maladye.

                           LE  IIe  GALANT

         Naudin, y fault bien c’un cas dye :

235   Que l’homme passer ne se peult

         De femme, au moins sy une veult.

         Vous [le] sçavez bien, qui homme estes91.

                           LE  BADIN

         Je les feroys toutes muètes.

         Sy tost qu’en Paradis iroyent,

240   À jamais il ne parleroyent

         Jusqu(e) à ce que leur fisse signe.

                           LE  IIIe  GALANT

         Naudin en ce lieu nous assigne

         Pour nous resjouir de beaulx dis.

                           LE  BADIN

         Sy j’estoys Dieu de Paradis,

245   On ne mengeroyt que perdreaulx,

         Bécaces, faisans, lapereaulx,

         Et ce qui viendroyt en mémoyre92.

                           LE  PREMYER  GALANT

         Dea ! Naudin, tu laisses le boyre ?

         Y fault parler de telz matières.

                           LE  BADIN

250   Je feroys que les rivières

         –Sans en mentir poulce ny aune93

         Seroyent de vin clairet de Byaune94,

         Et le reste de vin françoys95.

                           LE  IIe  GALANT

         Par sainct Jehan ! [bien] je le vouldroys,

255   Que fussiez Dieu.

                           LE  BADIN

                                        Et de la guerre,

         Jamais ne seroyt sur la terre,

         Car les canons et les bombardes,

         Les piques et les halebardes

         Seroyent tout de sucre scandis96.

                           LE  IIIe  GALANT

260   Je me resjouys à ses dis.

         En très bel estat nous en sommes.

                           LE  BADIN

         Je feroys venir les viés97 hommes

         À l’âge de vingt et deulx ans,

         Qui seroyent corporus98 et grans.

                           LE  PREMYER  GALANT

265   Et les99 femmes ?

                           LE  BADIN

                                          Tout droict à quinze.

         Et sy, tourneroyent comme un singe100,

         Et aussy doulces c’un aigneau.

                           LE  IIe  GALANT

         Ce cas-là seroyt fort beau ;

         Bien en priseroys101 les fassons.

                           LE  BADIN

270   [Et] je feroys que les buissons

         Et arbres qui sont par tropeaulx

         Aporteroyent de beaulx chapeaulx ;

         Les aubépines, des souliers ;

         Pareilement, les groiséliers102

275   Porteroyent pourpoinctz de velours.

                           LE  IIIe  GALANT

         Nos abis ne seroyent pas lours,

         Ne nos [teinctures poinct]103 trop faulces.

                           LE  PREMYER  GALANT

         Quel remède104 d’avoir des chaulses ?

         Cela me semble fort estrange.

                           LE  BADIN

280   Va-toy mectre [de]dens la fange

         Jusques au cul.

                           LE  IIe  GALANT

                                    Qui le feroyt105,

         Certes, on les aporteroyt,

         Comment il [se] dict106, « toutes faictes ».

                           LE  IIIe  GALANT

         Comme auroyt-on des éguillètes107 ?

285   Voy(e)là de quoy il me souvient.

                           LE  BADIN

         L’erbe qui dedens les prés vient108

         Seroyent éguillètes ferr[é]es.

                           LE  PREMYER  GALANT

         Et quant y seroyent deffér[é]es ?

                           [LE  BADIN]

         Du fer en demour[r]oyt un boult109.

                           LE  IIe  GALANT

290   Encores ne dis-tu pas tout :

         Et que mengeroyent les chevaulx ?

                           LE  BADIN

         Y prendroyent peines et travaulx

         Sans menger et sans se lasser.

                           LE  IIIe  GALANT

         Naudin nous faict le temps passer ;

295   Il ne dict pas choses infammes.

                           LE  BADIN

         Je permétroys changer les femmes

         Comme les chevaulx et les mules.

                           LE  PREMYER  GALANT

         On voy(e)royt beaucoup de cédules110

         En plusieurs pays despécer111 !

                           LE  BADIN

300   Affin de tout sagrin112 c[h]asser,

         On seroyt franc dens les tavernes113.

         Je feroys de vessies lanternes114.

         Et pour mieulx venir à mon esme115,

         Jamais il ne seroyt Karesme116

305   (C’en est autant de despesché) :

         Ce seroyt aussy grand péché

         De jeusner que tuer un homme.

         J’asouldroys117 sans aller à Romme.

         Entendez bien que je propose.

                           LE  IIe  GALANT

310   Ce ne seroyt pas peu de chose ;

         Bien en priseroys les fassons.

                           LE  BADIN

         Je feroys que tous les glassons118

         Seroyent formage119 d’Engleterre.

         [Et s’on vouloit]120 faire la guerre,

315   On combatroyt à coup de poing.

         Je permétroys rompre le pain121

         Sur le genouil, sans nulz cousteaulx.

         Y ne fauldroict poinct de courtaultz122

         Pour s’enfuïr, sans nul besoing123.

320   Jamais homme n’yroyt sy loing

         Combastre : aulx maisons se tiendroyt124.

                           LE  IIIe  GALANT

         Vigne jamais ne gèleroyt ?

                           LE  BADIN

         Non, par ma foy, sy j’estoys Dieu !

         Y me fault partir de ce lieu

325   Pour aler dire mon sçavoir

         À ma mère, et pour sçavoir

         Sy je seray Dieu.

                           LE  PREMYER  GALANT

                                        Et sy vous l’estes ?

                           LE  BADIN

         Voz besongnes sont toutes faictes125 :

         Jamais ne serez malureux,

330   Mais tous troys serez sy heureux

         Qu’on ne vit onques les semblables.

                           LE  IIe  GALANT

         Que vous nous soyez profitables,

         Naudin !

                           LE  BADIN

                          Je vous feray des biens

         Tant126, que jamais n’en voy(e)rez riens :

335   Y vous viendront tous endormys127.

                           LE  IIIe  GALANT

         Adieu, Naudin !

                           LE  BADIN

                                     Adieu, mes amys !

                           LE  PREMYER  GALANT

         Mais concluez.

                           LE  BADIN                                       SCÈNE  III

                                      Pour conséquence,

         Et du sens avoir la sentence128,

         Plusieurs Sos de tel[z] propos font129.

340   Sy povèr130 avoyent plus qu’i n’ont,

         Y feroyent choses impossibles

         Qui ne sont pas à eulx loisibles131,

         Comme avez veu en ceste place.

         Or chantons [tous] de bonne grâce !

345   En prenant congé de ce lieu,

         Nous vous dison à tous adieu.

                      

                          FINIS

*

0 Les badins animent aussi les farces : « On n’escoute que les badins,/ Car c’est le meilleur d’une farce. » Eustorg de Beaulieu.   1 LV : Q est i  (Refrain correct aux vers 4 et 7.)  Que faire ?   2 À partir d’ici, LV abrège ce mot en G. Le Premier Galant devient LE P G.   3 (Que nous en soyons) totalement mis hors.   4 LV : ay  (Mon cœur est transporté de joie.)   5 Sous, avec.   6 Désirer, rechercher.   7 LV : l employer   8 LV : luy   9 Notre appui. « Ung des disciples/ Qui en ce faict soit ferme appieu. » Godefroy.   10 Une coutume.   11 Lacune. (LV met sur une même ligne : cest bien dict ) « C’est gloire, entre nous autres, d’aymer. » Ollenix du Mont-Sacré.   12 Complètement ivre, il mélange les cris de métiers, le latin scolaire, l’arithmétique, et les souvenirs de taverne.   13 Déformation du cri des marchands de verre : « Verre, verre joli ! » Cf. les Cris de Paris, vers 131. Le verdin est un sot : cf. la Résurrection Jénin à Paulme, vers 254.   14 C’est le vers 92 de Sœur Fessue.   15 Combien ? Le Badin, qui se prétend « escollier », a des relents de latin : vers 27, 28, 55, 59.   16 Et pourtant, il n’avait pas un sou.   17 Il s’échappa.   18 Il rumine dans son esprit. « Toute nuyt n’ay faict que songer/ En ma fantasie, et ronger/ Par quels moyens pouvons juger/ Noz grans adversaires à mort. » Godefroy.   19 C’est-à-dire ?   20 Pour autant. Le Badin somnole entre deux vins, dans un état de dort-veille. « En un lit où pas ne dormoie,/ Einsois faisoie la dorveille,/ Com cils qui dort et encor veille. » (Guillaume de Machaut.) Le délire éthylique ne va pas tarder.   21 LV : posse  (Faire pause = rester ici.)   22 Chez ta mère.   23 Pour peu. On retrouve ce vers proverbial dans l’Homme à mes pois.   24 Je saurai bien qu’elle aura.   25 LV : a noble  (St Paul a écrit : « Deus est qui operatur in nobis velle. » [C’est Dieu qui opère en nous le vouloir.] L’auteur tourne en dérision une maxime sur la grâce qui est à l’origine de la Réforme.)   26 L’alcool était censé accroître la mémoire : « Me donnez à boyre :/ J’en eusse ung peu meilleur mémoyre. » (Trote-menu et Mirre-loret.) Mais dans le prologue du Quart Livre, Priape fait souvent une confusion entre la mémoire (mens) et sa mentule (mentula est le diminutif de mens) : « Et me soubvient, car j’ay mentule… voyre diz-je mémoire, bien belle et grande assez pour emplir un pot beurrier. » Rabelais.   27 Vers manquant. Je mets à contribution le vers 157 de la Première Moralité jouée à Genève.   28 Par ma foi ! C’est le juron favori d’un autre clerc inculte, Guermouset (vers 442 et 461).   29 LV : Je  (Le copiste, qui n’a pas compris ce dialogue, a déplacé « tel escollier » sous le vers 61. La correction est d’Émile Picot : Recueil général des sotties, III, p. 329.)  En rôle = par écrit. Mais aussi : dans un livret de pièce. « Je sçay jouer Farces sans rolles. » Maistre Hambrelin.   30 LV : jey aprins  (J’ai entrepris, du verbe emprendre : « Depuis que j’emprins la queste. » Perceforest.)  Une « croix de par Dieu » est un abécédaire pour apprendre l’alphabet. « Cet enfant sçait desjà bien sa croix de par Dieu. » (Dict. de l’Académie françoise.) Voir le vers 385 de l’Homme à mes pois, et le vers 100 de Pernet qui va à l’escolle.   31 Je reconstitue ce vers manquant d’après une autre farce, le Médecin malgré luy : « Ouy, cela estoit autrefois ainsi ; mais nous avons changé tout cela. » (Molière.)   32 Les abbés passaient pour être savants. Le copiste n’a rien compris aux vers 69-74, et les éditeurs modernes non plus : « Il y a là, sur la prononciation des lettres, quelque malice qui nous échappe absolument. » Édouard Fournier.   33 Prononciation normande de : « J’ai soif. Bois ! » Dans la farce rouennaise D’un qui se fait examiner pour estre prebstre, « ABC » rime avec « mort de soif ». Dans celle de Pernet qui va à l’escolle, « C » rime avec « j’ay soif ». Le ms. Vu 22 de la Bibliothèque royale de Stockholm donne ce triolet normand flanqué d’une traduction française :

           G. C.           J’ai soif,

           M. I.             ami.

           T. T.             Tais-toi !

           G. C.           J’ai soif.

           O. B.            Or, bois

           R. I.              et ris.

           G. C.           J’ai soif,

           M. I.             ami.

34 LV : Jey c et y  (L’hôte est un tavernier, comme l’Hoste Joyeulx dans le Savatier et Marguet.)   35 Eh ! bois. Dans la farce rouennaise de Pernet qui va à l’escolle, quand le maître lui dit « B », Pernet répond : « Je viens tout fin droit de boire. »   36 S’accroche.   37 Le 2ème des Sotz ecclésiasticques rêve lui aussi de devenir pape (v. 268) et Dieu (v. 272).   38 Contre les Turcs. « Ce passage semble bien faire allusion à la ligue formée par le pape Pie V contre les Turcs, ligue qui aboutit à la bataille de Lépante (1571). » Note d’Émile Picot.   39 LV : suymroyt  (La chape vous conviendrait bien.)   40 Tout à coup.   41 Ne m’en parlez plus.   42 De m’y inciter.   43 Si tu avais une armure, tu ne craindrais rien. Nul n’avait oublié que le pape Jules II portait une armure et des armes : voir la note 218 du Jeu du Prince des Sotz.   44 LV : dy le nous  (Anticipation du vers 113.)   45 Ne tourne plus autour du pot.   46 Suite du vers 112 : Je ferais de ma femme, etc.   47 Normandisme pour « nous trois ». Cf. l’Avantureulx, vers 103 et 275.   48 Ce saint dénué d’importance n’a rien à faire avec Pierre et Paul. Mais le dramaturge ne l’a pas choisi par hasard. Les protestants avaient commis beaucoup d’exactions à Rouen (v. les notes 36 et 44 du Trocheur de maris). On leur rappelle ici que le massacre de la Saint-Barthélemy venait d’avoir lieu, le 24 août. Les huguenots de Rouen furent d’ailleurs pris à partie en automne. Le « long col » fait de l’humour noir sur l’amiral de Coligny, auquel on avait rallongé le col par pendaison. (En réalité, il n’avait plus de tête, et on l’avait seulement posé sur le gibet de Montfaucon.) François de Chantelouve pratiqua le même humour dans un pamphlet où il fait dire à Coligny : « & du vilain licol,/ De mes bourrèles mains haut estraindre mon col. » On reprochait à l’Amiral d’avoir plaidé la cause des réformateurs normands auprès du roi.   49 LV : barerres au vissage   50 LV : feron  (Nous en saurons. Au vers 54, « séray » = saurai.)   51 Ils sont trop zélés (à mal faire). Sur la mauvaise réputation des sergents, voir le Testament Pathelin, vers 469-472. Dans la Résurrection de Jénin Landore, Jénin revient du Paradis : « Çà, Jénin : quant est de sergens,/ Paradis en est bien pourveu ?/ –Corbieu ! je n’y en ay point veu. »   52 Nous les remettrions à leur place. « Nous metrion tantost gens à rung. » (ATILF.) Cf. Mallepaye et Bâillevant, vers 48.   53 Leurs pénitences. Mais le dernier des travaux d’Hercule consistait à capturer Cerbère, qui gardait la porte des Enfers.   54 Les maquignons en prennent pour leur grade aux vers 47-57 du Sermon joyeux des quatre vens. Éloy d’Amerval dénonce leurs astuces dans le Livre de la Deablerie <II, chap. 112>.   55 LV : moins  (Le sens est identique, mais la forme « mains », qui rime mieux, est normande. Cf. Pates-ouaintes, vers 45, 167 et 319.)   56 Blasphèment. Cf. la Confession du Brigant, vers 104.   57 Feignant de respecter ce futur dieu, les Galants se mettent à le vouvoyer.   58 Buveurs. Picorner = s’enivrer.   59 Les meuniers falsifiaient les quantités, ajoutaient des additifs prohibés, spéculaient sur la hausse des céréales, et vendaient du grain pourri. Voir la notice du Munyer.   60 Sans plaisanter.   61 Vendent leur pain au-dessous du poids réglementaire. Voir la notice des Sotz qui remetent en point Bon Temps.   62 Pour cela. Droite = légitime.   63 Qui vont toujours en peine.   64 Les « ménestrieurs et chantres » [joueurs de vielle et chanteurs profanes] étalent leur vie débridée dans la Réformeresse.   65 Ceux qu’on appelle des danseurs de morisques. Ces bacchanales bruyantes exigent qu’on fasse des bonds et qu’on martèle le sol avec ses pieds. Voir la note 63 du Trocheur de maris.   66 LV : car  (Ou = sinon.)   67 Le Paradis céleste reposait sur des nuages.   68 Buveurs. Cf. les Rapporteurs, vers 26.   69 LV : sont  (Le « s » et le « f » gothiques sont similaires. Voir la note 129.)  Les mouillerons sont des mouillettes de pain qu’on trempe dans le vin. Cf. la Résurrection Jénin à Paulme, vers 241.   70 Les proches, les semblables. « Voz parens, amis et affins. » ATILF.   71 Des anges.   72 Ils sont les suppôts de Bacchus, mais aussi des « bas culs », comme les habitants de Sodome qui se jetèrent sur des anges. Le dieu du vin couchait avec Ampélos et peut-être avec Adonis ; il en fut vilipendé par François Habert : « Puis, si la trogne en vient faire Bacchus [même si Bacchus fait la gueule],/ Venez, flaccons [flacs cons, vulves flasques], et mettez à bas culz ! » (Le Songe de Pantagruel.) Les « bas culs » se trouvent dans Rabelais <Vème Livre, 45>, de même que le « flac con à vitz » <Gargantua, chap. 4 de la 1ère éd.>.   73 Ceux qui ont le nez pointu, c’est-à-dire les alcooliques. « De jeune femme (portée) sur le vin, nez rouge et beccu. » Trésor des sentences.   74 Brasseurs de bière.   75 Les chaudrons dans lesquels on fait bouillir les âmes des pécheurs. Voir le vers 453 du Munyer, et le vers 200 de la Chanson des dyables.   76 Leur bière. Les brasseurs y mettaient toutes sortes de cochonneries. « Item, l’en deffend à tous brasseurs de servoises et bières qu’ilz ne mettent en leurs brassins poiz ne herbes ou autres mixtions deffendues. » ATILF.   77 LV : et metent  (Les fonds de tonneaux, éventés et piqués, ne pouvaient être vendus. Des taverniers sans scrupules les mélangeaient au vin nouvellement percé, qu’ils « brouillaient » de la sorte. « En ung tonneau,/ On met le vieil et le nouveau. » Les Esbahis.)  Les mêmes fraudeurs « mouillaient » le vin en y ajoutant de l’eau. Le taux d’alcool du vin étant très faible (entre 7 et 10 degrés), il fallait beaucoup de bonne volonté pour parvenir à se soûler avec une telle piquette.   78 LV : aveq tous les  (Ils iront aux diables !)   79 LV répète ensuite le v. 198, et le v. 199 en l’attribuant au 1er Galant.   80 D’après la Réformeresse (vers 229), les « joueurs de Farces » sont aussi débauchés que les ménestreurs et les chantres.   81 Pileraient des épices pour faire une sauce piquante. Cf. Maistre Pierre Doribus, vers 19.   82 Leur numéro.   83 LV : feroys bis   84 Des viandes cuites dans leur bouillon.   85 Du poisson les jours maigres.   86 LV : ma  (Expression appliquée aux femmes enceintes qui ont des envies de nourriture.)  « Aidans la femme à soustenir la créature, de manière que par la nouvelle imagination du manger, ils (ses esprits vitaux) viennent à l’estomac. » Gabriel Chappuys.   87 Je transformerais. C’est encore plus fort que la multiplication des pains !   88 Vers manquant. Je recycle le v. 202 du Ramonneur de cheminées, qui rime aussi avec « bonne ».   89 Séparées. Les vers 223-227 et 240 parlent des femmes au masculin. C’est fréquent dans le théâtre comique, où des hommes tenaient les rôles féminins.   90 LV : sainctz  (Nous ne sortirions pas indemnes de leur bavardage.)  Au Paradis, Jénin Landore <note 51> a appris à « garder les femmes de parler », en emplissant leur bouche avec du vin.   91 Vous qui êtes un homme.   92 Ce dont on aurait envie.   93 Sans mentir si peu que ce soit, comme les drapiers qui trichent sur les mesures. Naudin confond le Paradis avec le pays de Cocagne.   94 De Beaune, en Bourgogne. Dans le Fabliaus de Coquaigne aussi, « Cele rivière que je di/ Est de vin vermeil jusqu’emmi,/ Du meillor que l’en puist trover/ En Biaune. »   95 Pour le peuple, l’ancien duché de Bourgogne n’était pas tout à fait français. La guerre des Bourguignons pro-Anglais contre les Armagnacs du roi de France n’était pas encore digérée.   96 Candi (normandisme). 24 ans avant l’édition du ms. La Vallière parue en 1837, Béranger composa un Voyage au pays de Cocagne où il y a des « hallebardes/ De sucre candi », et où les « fontaines,/ Au lieu d’eaux malsaines,/ Versent, toujours pleines,/ Le beaune. »   97 Revenir les vieux. Naudin ne précise pas s’il compte les rajeunir en les baignant dans la fontaine de Jouvence, comme le préconise le Fabliaus de Coquaigne, ou en les introduisant dans la fournaise des Femmes qui font refondre leurs maris. D’après une estampe du XVIIe siècle, au pays de Cocagne, « tousjours y boult une chaudière plaine/ D’eau, qui les vieux en jeunesse rameine ».   98 Solidement bâtis.   99 LV : vielles  (Les hommes appréciaient tout particulièrement les filles de 15 ans. Cf. le Capitaine Mal-en-point, vers 449.)  Quant à l’abbaye de Thélème –une autre utopie que notre auteur avait lue–, « les femmes y estoient receues depuis dix jusques à quinze ans ». Gargantua, 52.   100 Comme les singes obéissant au doigt et à l’œil aux bateleurs qui les font danser en public.   101 LV : presen eroys  (C’est le même vers que 311.)   102 Les groseilliers. Le linge et les accessoires seraient fournis gratuitement par tous ces végétaux, ce qui éviterait d’avoir affaire aux drapiers, couturiers, teinturiers et autres escrocs. La Grande Confrarie des Soulx d’ouvrer mentionne « une sorte d’arbres qui portent toutes manières d’habillemens, comme robbes, cappes, manteaulx ». Dans une estampe du XVIIe siècle représentant le pays de Cocagne, « un arbre y a, large & hault, qui rapporte/ Chappeaux, chaussure, habitz de toute sorte ».   103 LV : aduantures  (La « mauvaise et desloyalle teincture » ne tenait pas longtemps. On avait « reprins les taincturiers par plusieurs foiz des faulces teinctures qu’ils feroient ès draps ». Archives de Bourges.)   104 Quel moyen.   105 Si on le faisait. La boue, en séchant, ressemblerait à une paire de chausses.   106 Comme on dit. Les chaussetiers faisaient déjà du prêt-à-porter ; on trouvait dans leur boutique des « chausses faictes & prestes à vendre ». Ordonnances du Roy.   107 L’aiguillette est un lacet qui ferme la braguette. (Avoir l’aiguillette nouée : être impuissant.) Les deux bouts du cordon sont ferrés avec du métal pour qu’on puisse les passer dans les boutonnières. Ce souci du détail vient encore de l’abbaye de Thélème, où « les aguillettes de soye » ont des « fers d’or bien esmailléz ». (Gargantua, 56.)   108 Pousse.   109 Il resterait suffisamment de métal (pour qu’on puisse fermer la braguette).   110 De promesses de mariage.   111 Mises en pièces, déchirées. Cf. le Sermon joyeux de bien boire, vers 135.   112 Chagrin. « Et mectre tout sagrin arière. » Le Lazare, LV 42.   113 Les joueurs de cartes et de dés ne tricheraient plus.   114 Depuis Diogène jusqu’à Rabelais (Vème Livre, 32), la lanterne fut l’emblème de la sagesse, alors que la vessie était l’emblème des fous : Jeu du Prince des Sotz, note 68. Il existe une farce des Femmes qui font acroire à leurs maris de vécies que ce sont lanternes.   115 À mon but. Cf. la Résurrection Jénin à Paulme, vers 88.   116 Jeûne de 40 jours qui suit le Carnaval. Le Fabliaus de Coquaigne limite les Carêmes à un tous les 20 ans.   117 J’absoudrais les péchés sans que ceux qui les ont commis aient besoin d’aller soudoyer le pape. Cf. Serre-porte, vers 268 et 375.   118 Les grêlons qui, en abîmant les vignes, sont préjudiciables aux amateurs de vin. Voir aussi le vers 322.   119 Seraient faits de fromage mou. « Une plaine pipe [tonneau] de fromaige d’Angleterre. »   120 LV : en son vouloir  (Si on voulait.)   121 LV : poing  (Formule liturgique remontant à la Cène.)  L’auteur joue sur une expression plus triviale, « rompre l’anguille au genou : Faire une chose impossible, ou prendre un mauvais moyen pour faire réussir une affaire. » Furetière.   122 LV : cousteaulx  (Le courtaud est un cheval. Cf. le Gentil homme et son page, vers 234.)   123 Puisqu’on n’aurait plus besoin de s’enfuir.   124 LV : viendroyt  (On resterait à la maison au lieu d’aller faire la guerre au loin.)   125 Votre sort sera réglé.   126 Tellement. Une autre sottie normande, Troys Gallans et Phlipot, exploite la naïveté d’un badin qui se croit messager de Dieu : « Pourvoyez-nous, en vostre règne./ Aussy ferai-ge. »   127 Pendant que vous dormirez. « Li païs a à non Coquaigne./ Qui plus i dort, plus i gaaigne :/ Cil qui dort jusqu’à miedi/ Gaaigne cinc sols et demi. » Li Fabliaus de Coquaigne.   128 La signification.   129 LV : sont  (Note 69.)   130 Du pouvoir (normandisme). Cf. les Femmes qui font renbourer leur bas, vers 141.   131 LV : posibles  (Permises, faisables. « Et nous pensons encor toutes choses loysibles,/ Aisées, sans reproche, honnestes et possibles. » A. de Rivaudeau.)

LE TROCHEUR DE MARIS

Ms. La Vallière

Ms. La Vallière

*

LE  TROCHEUR

DE  MARIS

*

La farce rouennaise du Troqueur de maris fut composée vers 1540. Elle n’a guère inspiré les éditeurs modernes, et on se contentait jusqu’ici d’une édition de 18371. Plus courageuse que les médiévistes français, mon amie Jody Enders, de l’Université de Californie, vient d’en inclure une réjouissante adaptation dans son nouveau recueil de farces françaises : Holy Deadlock and further ribaldries. University of Pennsylvania Press, Philadelphia, 2017, pp. 318-339.

Source : Manuscrit La Vallière, nº 60.

Structure : Rimes plates, avec 2 triolets. Comme dans toutes les pièces qui circulent longtemps, le texte original a souffert, et de nombreux vers d’acteurs ont été ajoutés. Les innombrables redites prouvent que l’auteur a œuvré en très peu de temps. Il n’a même pas écrit de congé final : c’est le copiste qui a mis le sien (voir la note 73 du Sourd, son Varlet et l’yverongne).

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

*

Farce  nouvelle  du

Trocheur  de  maris

*

À quatre personnaiges, c’est asçavoir :

       LE  TROCHEUR  DE  MARIS

       LA  PREMYÈRE  FEMME

       LA  DEUXIESME  FEMME

       LA  TROISIÈME  FEMME

*

           LE  TROCHEUR  commence     SCÈNE  I

         Qui vouldra2 sçavoir mon métier,

         Je suys trocheur prompt et habille,

         Nouveau venu en ce quartier.

         Qui vouldra sçavoir mon métier,

5    Mon « engin » est sain et entier3.

         Ma science n’est poinct labille4.

         Qui vouldra sçavoir mon métier,

         Je suys trocheur promp[t] et habille.

         Ne parlez plus de la Dandrille 5,

10   Du Flagollet de sainct Vuandrille 6,

         De Génin 7 qui de toult se melle,

         De l’Aysné de Caulx qui se melle

         D’aprendre à faire des enfans8,

         Ny des Clers 9 subtis et sçavans :

15   Car je suys un homme parfaict,

         Autant par dict comme par faict.

         Je faictz changer, je faictz trocher

         (Et sy, ne couste poinct trop cher)

         Un mary fol et sotouart10

20   En un mary frisque11 et gaillart,

         Un mary testu et génin12

         À un mary doulx et bénin,

         Un mary sot et mal-à-dextre13

         À un mary bon à congnoistre14,

25   Un mary mal endoctriné

         À un mary bien afiné,

         Un mary yvrongne ou lourdoys

         À un bon mary toutefoys.

         Et pourtant que15 je le puys faire,

30   Femmes ont de moy bien afaire

         En ce pays, comme j’entens !

         Par quoy, icy je les atens

         Pour aléger leur(s) fantasie16.

.

           LA  PREMYÈRE  COMMÈRE     SCÈNE  II

         [[ Vous soyez la trèsbien venue !17

           LA  DEUXIESME  COMMÈRE

35   Ma commère, Dieu vous bénye !

           LA   TROISIÈME  COMMÈRE

         Je vous ay presque descongnue.

           LA   PREMYÈRE18

         Vous soyez la trèsbien venue !

           LA   TROISIÈME

         Quant en ce poinct je vous ay veue,

         [À peu que ne fusse esbahye.]

           LA   PREMYÈRE

         Vous soyez la trèsbien venue !

           LA  DEUXIESME

40   Ma commère, Dieu vous bénye, ]]

         Car vous venez [cy] bien apoinct.

           LA  [PREMYÈRE]

         A ! vous ne sçavez qui me poinct19,

         Ma sceur, ma mye.

           LA  [DEUXIESME]

                                      Y peult bien estre20.

           LA  [PREMYÈRE]

         J’ey un mary le plus sousdaistre21,

45   Le plus fol, le plus obstiné

         Qui fust jamais au monde né,

         Le plus cruel, le plus despict22.

         En luy, n’a beau faict ne beau dict.

           LA  [DEUXIESME]

         Et ! j’en ay un le plus mauldict.

50   Vray est qu’il est de bon esprit23

         Et sy je mens, Dieu me confonde !

         C’est le pire de tout le Monde,

         Le plus fier qui soyt sur [la] Terre.

           LA  [TROISIÈME]

         Et [moy] j’en ay un, par sainct Pierre,

55   À qui y ne souvyent de rien.

         Y ne mect son cœur qu’à son bien.

         C’est un balourt tout burelustre24.

           LA  [PREMYÈRE]

         Par sainct Jehan ! le myen, c’est un rustre

         Qui entretient une commère.

60   Encor, s’elle estoyt fresche ou clère25,

         Et qu’il luy fist bon ordinaire,

         J’éroys un peu de pacience.

           LA  [DEUXIESME]

         Le myen est plain d’impacience,

         Je dy vray, sur ma consience !

65   Un obstiné, un mal-aultru.

         C’est [un homme]26 le plus testu :

         Y ne vault pas un tout seul lyard27.

           LA  [TROISIÈME]

         Et le myen n’est que trop gaillard,

         Eust-il le col en une hard,28

70   Et trop franq à baiser29 ou joindre.

           LA  DEUXIESME

         Vous avez tort de vous en plaindre.

           LA  TROISIÈME

         Non ay.

           LA  PREMYÈRE

                          Sy avez.

           LA  [TROISIÈME]

                                         A ! ma commère,

         C’est un homme qui trop s’ingère

         À faire [leur désir]30 aulx femmes :

75   Voulentiers faict plaisir aulx dames ;

         Tousjours est emprès ou dessus.

           LA   [DEUXIESME]

         Et vous en plaignez-vous ? Jésus !

           LA  [TROISIÈME]

         Ouy, ma commère.

           LA   [DEUXIESME]

                                       Vous avez tort.

         Le myen, c’est un grand villain tort31,

80   Le plus salle et le plus ort

         Lâche-amanché32, un viel cabas ;

         Tant, qu’i fauldroict bien un vindas33,

         Durant la nuict, à le lever.

         Tousjours ne cesse de rêver,

85   De cresteler et ragacer34.

           LA  [PREMYÈRE]

         Y vous le fault donques trocher.

           LA   [DEUXIESME]

         Sy je danse en unne feste,

         Qui est une chose honneste,

         Il en aura mal à la teste

90   Et puys me vient bastre ou tencer.

           LA  PREMYÈRE

         Y vous le fault donques trocher.

           LA  DEUXIESME

         Et ! nous qui sommes sy mygnardes,

         Nous fault-il pas estre bragardes35

         Pour nos maris bien contenter ?

           LA  [PREMYÈRE]

95   Y nous les fault donques trocher.

           LA  [TROISIÈME]

         Sy je voys36 à Bonnes-Nouvelles,

         Y me plaindra [mes] deux chandelles.

         Cela ne couste pas trop cher.37

         Y ne fera que rechiner38.

           LA  [PREMYÈRE]

100   Y nous les fault tous III trocher.

           LA  [DEUXIESME]

         [Moy,] sy je voys à Bansecours39,

         Il envoye après moy le cours40

         Un garçon ou une chamb(e)rierre ;

         Et semble que j’aille, en dèrierre41,

105   En quelque lieu me resjouyr.

         Où ? Je n’en ay nul souvenir.

         Cela m’est bien fort à passer42.

           LA   [TROISIÈME]

         Y nous les fault tous troys trocher.

           LA  [PREMYÈRE]

         Hélas ! sy je suys à malaise43,

110   Le myen s’en rist et est bien aise,

         Et ne tient nul conte de moy.

         Je vous jure et promais ma foy :

         Y vouldroict que je fusse morte,

         Pour avoir unne huguenote44,

115   Soyt-elle layde, belle et orde.

         Ma vye me fera abréger.

           LA  TROISIÈME

         Y nous les fault tous III trocher.

           LA   [DEUXIESME]

         Et ! quant je suys auprès du myen,

         [Onc] il ne parle, il ne dict rien ;

120   « Je suys là », [dy-je,] ou je soupire,

         Et ne me veult pas un mot dire.

         Suys-je pas en grand martire ?

         Moy, je ne demand que soullas45,

         En l’acollant de mes deulx bras ;

125   Mais il ne faict que rioter46.

           LA   [PREMYÈRE]

         Y nous les fault tous troys trocher.

           LA  TROISIÈME

         Par quel moyen ?

           LA  PREMYÈRE

                                  J’ey entendu

         C’un trocheur sage et entendu47

         Est arivé en ces quartiers,

130   Qui nous trochera voulontiers

         Nos troys maris trop nonchalans

         À troys aultres gentis, gallans,

         Gorgias & esperlucas48.

.

           LE  TROCHEUR 49            SCÈNE  III

         Je croy que j’ay bien vostre cas,

135   Car j’en ay [là] de toutes sortes.

         Dictes-moy50, que je vous en sortes,

         Sy vous plaist, à vostre apétit.

           LA  [TROISIÈME]

         Je vousisse51 un mary petit,

         Qui fût gentil, honneste et sage,

140   Qui gardît bien son mariage,

         Qui n’ayt Thomyne ne Lucette52

         À maintenyr, et qu’il m’achette

         [Choses bonnes, comme]53 liqueur

         Pour mectre auprès de mon cœur,

145   Soyt de relevée54 ou de matin ;

         Et aussy avoir de bon vin,

         Pain [blanc], cher55, vergus et vin-aigre.

           LA   [DEUXIESME]

         Et j’en veulx un qui soyt alaigre,

         Libéral, pront, franc du collier,

150   Et qui ne se face poinct prier

         Quant ce viendra à la « besongne » ;

         Et que sans dire mot, y m’enpongne

         Entre deulx dras56 sans faire noyse.

           LA   PREMYÈRE

         Et moy qui suys bonne galloyse,

155   Refaicte comme une bourgoyse,

         Je ne [vous] demande aultre chose

         Synon un mary (dire n’ose)

         Qui soyt de volonté françoyse57.

           LE  TROCHEUR

         Or bien, ma dame, sans faire noyse,

160   Je vous entens : pour abréger,

         Vous demandez un « cul léger »58,

         Un verd gallant bien ataché59

         Et qui ne soyt lâche amanché,

         Quant la derrée60 sy le vault.

           LA  DEUXIESME

165   Avez-vous [bien] ce qu’il me fault ?61

           LE  TROCHEUR

         Ouy ma dame.

           LA  TROISIÈME

                        Çà, çà, montrez !

           LE  TROCHEUR

                                                    V’en là62 un frisque.

           LA  PREMYÈRE

         C’est un pestilleur de morisque63,

         Un jolyet, un beau pigné64 !

         Et qui deable l’a égr[a]tiné ?

170   Il a le nes mengé de mites65.

           LE  TROCHEUR

         Sa66 vostre grâce, mes deulx hermytes

         Le trouvèrent en un tesnyer67,

         Au coupeau d’un petit grenyer68,

         Qui l’abillèrent en ce poinct69.

           LA  DEUXIESME

175   Par ma foy, y ne me duict poinct.

         Ostez, ce n’est c’un loquebault70 !

           LE  TROCHEUR

         Escoute[z], Dame, y n’est poinct ribault ;

         Et [s’il ajustoit]71 son pourpoinct…

           LA  TROISIÈME

         [Par] ma foy, y ne me duict poinct.

           LE  TROCHEUR

180   Vésensy72 un sobre de bouche,

         Et n’est ne fier ne farouche,

         Qui baillera souldain la « touche

         D’Alemant73 » au gentil maujoinct74.

           LA   PREMYÈRE

         Par ma foy, il ne me duict poinct.

           LE  TROCHEUR

185   Vensy75 un honneste et gaillard.

         Y n’est ne putier ne paillard.

         Et sy, est juste à son pourpoinct76.

           LA  DEUXIESME

         [Par] ma foy, il ne me duict poinct,

         Et il a le cul tout rompu.

           LE  TROCHEUR

190   Vésensy un tout jolletru77,

         Et qui est ferme contre l’escu78 :

         Et sy, il ne faillyra poinct.

           LA  TROISIÈME

         [Par] ma foy, il ne me duict poinct.

           LE  TROCHEUR

         Tenez cy79 un homme de guerre,

195   Lequel [on] ne tient poinct [en] serre80 :

         Le cul luy pique81 et sy luy poinct !

           LA   DEUXIESME

         Par ma foy, [il ne me duict]82 poinct.

           LE  TROCHEUR

         En voulez-vous un vertueulx ?

         Il en fera autant que deulx.

200   Et sy, fera à vostre apoinct83.

           LA  TROISIÈME

         Par ma foy, [il ne me duict] poinct.

           LE  TROCHEUR

         Voulez-vous un musicien,

         Tant soyt-il viel ou antien ?

         Ou quelque donneur d[e g]ambades84 ?

205   Ou quelque forgeur de salades85 ?

         Un serurier, ou bonnetier ?

         Un drapier, ou un estaymier86 ?

         Un boulenger, un chaussetier ?

         Un masson, ou un cherpentier ?

210   Prenez-en un à vostre apoinct.

           LA  PREMYÈRE

         De tout cela je ne veulx poinct,

         Car je n’en veulx poinct de mestier87.

           LE  TROCHEUR

         Je ne vous séroys rien trocher88 ;

         Je n’ay donc rien qui vous soyt propre89.

215   Quelque mary(s) que je vous offre,

         Rien ne vous duict. Pour abréger,

         Alez en90 aultre lieu changer :

         On ne peult trocher mariage.

           LA  PREMYÈRE

         Il est certain, nous sommes d’âge

220   Que nous ne debvons poinct changer ;

         Il est certain, pour abréger.

           LA  DEUXIESME

         On ne doibt croire un estranger.

         Y n’amende poinct91 de changer.

           LA  TROISIÈME

         Chascun se deust de nous railler.

225   Y n’amende poinct de changer.

         En prenant congé de ce lieu,

         Une chanson pour dire « à Dieu » !

.

                  FINIS

*

1 Recueil de farces, moralités et sermons joyeux, publiés d’après le manuscrit de la Bibliothèque royale par Antoine Le Roux de Lincy et Francisque Michel. Ces deux érudits n’avaient pas lu Rabelais, puisqu’au vers 183, arguant que le copiste du ms. emploie la même graphie pour le « n » et pour le « u », ils transcrivent « manjoinct » au lieu de « maujoinct ». (Pour la même raison, dans leur recueil, ils ont rebaptisé « sœur Fesne » la sœur Fesue chère à Rabelais.)   2 Si on veut.   3 Non châtré, comme un cheval entier. Pour le double sens d’engin, cf. Raoullet Ployart, vers 92.   4 Labile, fragile.   5 La couille. « Et l’empoigna par ses dandrilles, car les Cordeliers sont cours-vestuz. » (Bonaventure Des Périers.) Nous avons là une énumération d’œuvres dramatiques normandes. Les deux premières sont perdues. Le troqueur sous-entend que la farce dont il est le héros vaut mieux que toutes les autres.   6 Fondateur de l’abbaye de Fontenelle (aujourd’hui Saint-Wandrille), près de Rouen. Flageolet [flûte] = pénis : « Un conseiller plein de cautelle [ruse],/ Fourny d’engin comme un mulet,/ Pour séduire une damoiselle/ Monstroit de loin son flageolet. » Cabinet satyrique.   7 Diminutif de Jean. « C’est Génim qui de tout se melle. » (La Mère de ville.) Cette farce nous est parvenue sous le titre Jehan qui de tout se mesle.   8 La farce des Bâtars de Caulx (LV 48) se trouve dans le même manuscrit que la nôtre, et elle est peut-être du même auteur. « L’aîné, qui est Henry » donne un cours d’éducation sexuelle à sa jeune sœur : « Tu bouteras tous les coups/ Deulx culz avec quatre genoulx,/ Après que seras maryée. »   9 Peut-être les trois « petits clercs » de la sottie des Esbahis.   10 Sot. Cf. le Povre Jouhan, vers 6. Naturellement, Le Roux de Lincy et F. Michel ont transcrit « sotonart ».   11 Fringant. Idem vers 166.   12 Stupide.   13 LV : male a dextre  (Maladroit.)   14 À connaître charnellement.   15 Parce que.   16 Leur mélancolie.   17 Ce triolet <vers 34-40>, qui annonce comme d’habitude un changement de scène, est en désordre dans le manuscrit. Je l’ai remis d’aplomb. La 1ère commère est habillée ou coiffée d’une façon inhabituelle : les deux autres ont du mal à la reconnaître.   18 LV abrège les noms dans les rubriques : la p c, la ii c, et la iii c. Je ne le suivrai pas, d’autant que la distribution parle de femmes et non de commères. En outre, LV se livre une fois de plus <cf. le Monde qu’on faict paistre, note 26> à un numérotage mécanique des personnages (1ère, 2ème, 3ème) qui ne tient jamais compte des caractères et de l’action. LA PREMIÈRE COMMÈRE se plaint d’avoir épousé un rustre qui entretient une maîtresse ; LA DEUXIÈME COMMÈRE a épousé un tyran domestique, impuissant ; LA TROISIÈME COMMÈRE a épousé un avare doublé d’un obsédé sexuel. Jody Enders a donné des noms aux trois femmes, ce qui facilite la lecture.   19 Ce qui me chagrine.   20 Peut-être que si.   21 Soudard, mufle. « Alez, sousdextre !/ Comment ? Esse à vous à congnoistre/ Que c’est que du féminin genre ? » Les Brus.   22 Malfaisant. « Conduicte par gens cruelz, despitz. » Godefroy.   23 De bon vouloir (ironique).   24 LV : butelutre  (Burelustre = fou. « Sotz bons rustres,/ Sotz lourdaux et sots burelustres. » Monologue des Nouveaulx Sotz.)   25 « Une commère,/ Laquelle sera fresche et clère. » Les Bâtars de Caulx (v. note 8).   26 LV : lhomme  (Même construction qu’au vers 44. « C’est ung garson le plus testu/ Que je veis oncques. » Le Fossoieur et son Varlet.)   27 Il ne vaut pas un sou. « Il ne vault pas ung liart. » Pernet qui va au vin.   28 Quand bien même il aurait la corde au cou.   29 LV : baisser  (Trop prompt à me baiser et à me faire l’amour.) Le verbe baiser avait le même sens qu’aujourd’hui, bien que les commentateurs du Malade imaginaire veuillent faire croire que Thomas Diafoirus, quand il dit « Baiseray-je ? », songe seulement à embrasser la main de sa promise. « Baiser en toutes postures. » (Maynard, Priapées.) « Cinq ou six fois je l’ay baisée. » (Chansons folastres.) « Vous avez baisé la vieille ? » (Donneau de Visé.)  Le verbe joindre avait un sens analogue : « Tenir sa dame/ Et sy bien joindre, par mon âme,/ Qu’on luy face tourner les yeulx. » (Parnasse satyrique.)   30 LV : plaisir  (Trop court, et plus justifié au vers suivant.)  Faire leur désir = leur passer tous leurs désirs.   31 Tordu, débandé. « [Elles] ayment mieux le droit que le tort. » (La Fluste à Robin.) Cf. les Sotz fourréz de malice, vers 363.   32 Mou du manche, impuissant. (Idem vers 163.) C’est un personnage de Pates-ouaintes, note 15.   33 Un guindas, un treuil pour « bander » une arbalète.   34 De délirer, de crier comme une poule, et de rouspéter.   35 Élégantes.   36 Si je vais brûler des cierges. L’église Bonne-Nouvelle, à Rouen, sera quasiment détruite en 1562 par les protestants. Le prieuré dont elle faisait partie hébergeait l’illustre Abbaye des Conards de Rouen, une confrérie joyeuse qui exploitait un vaste répertoire de farces et de sotties ; le ms. La Vallière en contient plusieurs.   37 Réfection du vers 18.   38 Rechigner, montrer les dents.   39 L’ancienne église de Bonsecours, à Rouen. C’est une prononciation populaire : « À Sainct-Mor ou à Bansecours. » Les Povres deables.   40 Il envoie courir après moi.   41 Derrière son dos.   42 Difficile à supporter.   43 Si je suis malade. Jody Enders traduit : When it’s my time of the month. [Quand j’ai mes règles.]   44 La rime originale était en -orte. Le vocable « huguenot », qui n’était pas usité à l’époque où la pièce fut écrite, est typique des rajeunissements auxquels se livraient les copistes et les imprimeurs au gré de l’actualité : le ms. La Vallière fut copié vers 1575 en Normandie, où sévissaient alors les guerres de Religion (voir la note 36).   45 Du plaisir.   46 Quereller.   47 Compréhensif.   48 Élégants et coquets. Cf. la Veuve, vers 95.   49 Les femmes s’étant rapprochées, il a entendu la fin de leur conversation. Au-dessus du v. 134, LV ajoute : ma dame   50 Dites-moi comment vous le voulez.   51 LV : vousise  (Je voudrais.)  Au-dessus de ce vers, LV ajoute : mon amy trocheur   52 Qui n’ait pas de maîtresses à entretenir.   53 LV : chosses de bonnes  (Liqueur = cordial, vin pharmaceutique destiné à soutenir le cœur.)   54 L’après-midi. Cf. Colin, filz de Thévot, vers 30.   55 Chair = viande. Verjus = jus de raisin vert utilisé comme le vinaigre. Le pain blanc était réservé aux riches.   56 Cf. le Povre Jouhan, vers 146.   57 « Likely a synonym for the sex act, as expertly practiced by the French, of course. » (Jody Enders.) De fait, l’adjectif « français » était devenu synonyme d’amoureux, d’érotique. Par exemple, la compagnie française désignait une maîtresse ou un amant : « Il luy donnoit de bon vin, et le fournissoit quelquefoys de compagnie françoyse. » (Des Périers.) Le baiser à la française qualifiait le french kiss : « Lui voulant sauter au col pour la baiser à la françoise. » (Recueil des plaisantes nouvelles, 1555.)   58 Un amant vigoureux.   59 Dont les attributs sont solidement attachés.   60 La denrée, la marchandise féminine. Cf. les Botines Gaultier, vers 362 et note.   61 LV ajoute dessous : trocheur   62 Vois-en là, en voilà. Le jeu de scène consiste à montrer des hommes qui font partie du public : ce gag toujours apprécié permet aux comédiens de mettre les rieurs de leur côté. Voir par exemple les Rapporteurs, vers 41 à 60.   63 Un danseur portant des « habis de drap de soye de pluiseurs coulleurs, propices à danser la morisque ». Bien entendu, elle plaisante : c’est un clochard déguenillé. Cette bacchanale orientalisante, parce qu’elle n’obéit à aucune règle –pas même à celles de la décence–, ne pouvait que plaire aux Sots qui, lors des « festes qu’ils font des saincts et patrons de chacune parroisse, s’en vont aussi en habits de Fols, avec des marottes au poing et des sonnettes aux jambes, baguenaudans et dansant la morisque parmi les maisons et les places ». (Jean de Léry.)   64 Un mignon bien peigné.   65 Des rats lui ont rongé le nez (note 68).   66 Sauf. Avec votre permission. Cf. la Confession Rifflart, vers 118.   67 Une tanière, un abri de fortune.   68 Au sommet d’un silo à grains. Cf. le Faulconnier de ville, vers 443. Ces « graniers » étaient envahis par les rats, qui avaient la réputation de ronger le nez des dormeurs. Je possède un Libelle contre les meusniers, contemporain de notre farce : « Ces raz/ Qu’ilz laissent courre en leurs guarniers/ Puissent-ilz, de nuict, aux meusniers/ Venir roigner nez et oreilles ! »   69 Les ermites étant eux-mêmes couverts de haillons, ils ne l’ont pas vêtu luxueusement.   70 Un loqueteux. Cf. les Femmes qui plantent leurs maris, vers 578.   71 LV : sy est iuste a  (Le copiste a anticipé le vers 187.)   72 Voyez-en ici, en voici. Idem à 190.   73 Les escrimeurs germaniques avaient mis au point le meisterhau [maître coup], qui consistait à porter une touche en cours de parade et non en fin. Dans le langage érotique, touche = coup. (Frère Guillebert, vers 517.)   74 Le mal joint, le sexe de la femme. (Cf. le Poulier à sis personnages, vers 567.) L’aîné des Bâtars de Caulx (v. note 8) veut que sa sœur se rase le maujoint, comme leur mère se le rasait.   75 Vois-en ici, en voici.   76 Il est tellement gros qu’il y entre juste. D’ailleurs, l’arrière de ses chausses a craqué (vers 189).   77 Jeune galant. Cf. Maistre Mimin estudiant, vers 214.   78 L’écu [le bouclier sur lequel on frappe] désigne le sexe de la femme : « Pource qu’elle avoit trouvée la lance de son champion si grosse, ne luy avoit osé bailler l’escu, doubtant qu’il ne la tuast. » (Cent Nouvelles nouvelles.) Les spectateurs pouvaient entendre « les culs ».   79 LV : voycy   80 Qu’on ne peut pas retenir, tant il est fougueux. « Conseillez-nous que nous ferons/ Pour les tenir tousjours en serre. » Grant Gosier.   81 Lui démange (de s’agiter). C’est donc un « cul léger » comme on en réclamait au vers 162.   82 LV : ie nen veulx  (Ce refrain resurgit aux vers 176, 180, 185, 189, 194, et avec la même faute à 201.)   83 Pour votre profit.   84 On hésite entre « donneur d’aubades » [chanteur], et « faiseur de gambades » [danseur].   85 De casques.   86 Un étameur, un orfèvre.   87 Je ne veux pas d’artisan.   88 Je ne saurais rien vous fournir.   89 Propice.   90 LV : les   91 Il n’est pas avantageux. Effectivement, les Femmes qui font refondre leurs maris se mordent les doigts d’avoir troqué leur vieil époux débonnaire contre un jeune qui les bat.

LE GENTIL HOMME ET SON PAGE

Ms. La Vallière

Ms. La Vallière

*

LE  GENTIL  HOMME

ET  SON  PAGE

*

Ce dialogue normand, composé après le mois d’octobre 15251, campe un nobliau famélique et mythomane, contredit par un valet insolent qui a malgré tout de l’affection pour lui, oscillant entre Sancho Pança et Figaro. On trouvait le même couple bancal dans Légier d’Argent, et des emprunts à cette farce émaillent le présent dialogue.

Source : Manuscrit La Vallière, nº 10.

Structure : Rimes plates, avec 1 triolet.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

*

Farce joyeuse à deulx personnages, 

 c’est asçavoir

ung Gentil homme

et son Page

lequel devient laquès

*

                              LE  GENTIL  HOMME  commence

            Mon page !

             LE  PAGE

                                 Qui fut et n’est plus.

             LE  GENTIL  HOMME

           Pourquoy ?

             LE  PAGE

                               Je veulx changer de maistre2.

             LE  GENTIL  HOMME

           La raison ?

             LE  PAGE

                              Vous estes reclus3.

             LE  GENTIL  HOMME

           Mon page !

             LE  PAGE

                               Qui fut et n’est plus.

           [ ………………………………. -us

           ……………………………….. -estre.

             LE  GENTIL  HOMME

5     Mon page !

             LE  PAGE

                               Qui fut et n’est plus. ]

             LE  GENTIL  HOMME

           Pour quoy cela ?

             LE  PAGE

                                      Je veulx changer de maistre.

             LE  GENTIL  HOMME

           Beaucoup de bons tours puys congnoistre,

           Que t’ay monstré le temps passé.

             LE  PAGE

           Vous chûtes par une fenestre,

10    À la montre4, et fustes cassé.

             LE  GENTIL  HOMME

           Pource que j’estoys espassé5

           Et hardy en une bataille,

           On m’a cassé6 ; car on me baille,

           Le temps avenir, plus grand charge.

             LE  PAGE

15    Vous avez beau mentir ; que per-ge7 ?

           Car je cuyde, pour abréger,

           Que vous estes hors de danger

           De rien prendre8 à l’argent du Roy.

             LE  GENTIL  HOMME

           Tient-on pas grand conte9 de moy,

20    Quant je suys parmy les seigneurs ?

             LE  PAGE

           Ouy dea. Mes ce sont les greigneurs10

           Avec qui je vous vis jamais

           Que le Fin-Vergus11 de Beauvais,

           Monsieur du Croq, Hape-Gibet,

25    Qui ont tant usé de débet12

           Et trouvé13 chose[s] non perdus :

           Yl ont esté tous troys pendus

           Par le prévost des mareschaulx.

             LE  GENTIL  HOMME

           Viençà, viençà !

           Nombrerès-tu bien les monceaulx

30    Des cors que j’ey mys à [la] fin14 ?

             LE  PAGE

           Ouy dea ! ouy dea ! Se j’avois un coffin15

           Des poulx qu’avez mys à [la] mort16,

           Yl en seroyt plain jusque au bort,

           Et fût-y grand comme un boysseau.

             LE  GENTIL  HOMME

35    M’a[s]-tu pas veu porter l’oyseau17,

           Et tenir train de gentillesse18 ?

             LE  PAGE

           [L’oyseau ?] Ouy dea, par hardiesse :

           Mais c’estouent poulès19 dérobés.

             LE  GENTIL  HOMME

           Touchant joueurs de cartes et de dés,

40    En vis-tu onc[ques] en ta vye

           Un mieulx prisé en seigneurye20,

           N(y) un plus beau joueur que je suys ?

           Car certainnement, je poursuys

           Tousjours le train des gentis hommes.

             LE  PAGE

45    Jamais vous n’y perdîtes grans sommes

           En un jour de vostre vivant :

           Car jamais je ne vous vis vailant

           Troys soublz que vous n’en dussiez sis21.

             LE  GENTIL  HOMME

           Je ne sçay plus comme je suys ;

50     Mon varlet se moque de moy.

             LE  PAGE

           Non fais, je vous promais ma foy.

           Mais je ne me puys convertir22

           À vous ouïr sy fort mentir

           Et vous gorgier23 en ce poinct.

             LE  GENTIL  HOMME

55    Or viençà ! Ne te souvient-y poinct

           Que j’entris sans plus d’atente

           Vailamment [de]dens une tente

           Où je conquestis une enseigne24 ?

           Et sy, je prins un capitaine

60     Et deulx pièces d’artillerye.

             LE  PAGE

           [Et] où fusse ?

             LE  GENTIL  HOMME

                                    Dens une tente.

             LE  PAGE

           Où ?

             LE  GENTIL  HOMME

                    Dens une tente.

             LE  PAGE

                                               [ Où bien vite

           Avez fuy ?

             LE  GENTIL  HOMME ]

                             Une bonne fuyte

           Vault mieulx c’une mauvaise atente25.

             [LE  PAGE]

65    Quant de cela, je n’en sçay rien.

           Mais vrayment, y me souvient bien

           Qu’à la Journée des Esperons26,

           [Par la crainte des horions,]

           Vous fuÿtes dens ung fossé.

           Et puys quant tout fut [d]éblocé27,

70    Vous [ac]courûtes au pillage28.

             LE  GENTIL  HOMME

           Tant tu me fais de dommage,

           De desplaisir et destourbier29 !

           Et sy tu me vouloys un petit suplier

           Et me coloquer30 en tous lieux,

75    Tu t’en trouverès beaucoup mieux :

           Je te pourvoyerès devant tous.

             LE  PAGE

           Je vous emprie, prenez pour vous

           Des biens, sy en povez avoir31 ;

           Garde n’avez de m’en bailler,

80    Ce croi-ge, sy n’en avez d’aultres.

             LE  GENTIL  HOMME

           Y fauldra que je vous épiaultres32,

           Sy de bref vous ne vous changez !

             LE  PAGE

           Y fauldra bien que vous rengez33,

           Ou que vous vous servez vous-mesmes !

             LE  GENTIL  HOMME

85    Tu sçays bien que tu es à mesmes34

           De tout mon bien d’or et d’argent.

           Tu congnoys tout entièrement,

           Maistre et seigneur de mes mugos35

           –Et tu m’entens bien en deulx mos36.

             LE  PAGE

90    Le deable emport qui [ne] vous vit

           Jamais que des gros [sans crédit]

           Qui courent parmy ces maraus37 !

           Vous n’avez jumens, ne chevaus,

           Ny habis qui ne souent en gage38 ;

95    Vostre chemyse est de louage.

           Et sy39, vous fault ung serviteur !

             LE  GENTIL  HOMME

           Tu says bien que tu es menteur :

           J’ay troys ou quatre nobles fieulx40,

           Et de la terre en plusieurs lieux.

100    Parmy les dames, qui [m’en croyt41,

           Quant auprès d’elles on me voyt,]42

           Je ne say aux-quelles entendre.

             LE  PAGE

           Il est bien vray que je vous vis prétendre,

           En un soeir43, au cler de la lune,

105    De coucher avec[que] que[l]que une

           Qui d’une main estoyt manquete44 ;

           Et vous eng[ign]a d’une pouquete45

           La galande, et revîntes tout nu46.

             LE  GENTIL  HOMME

           Voylà pour toy bien mal congneu

110    Le bon plaisir que je t’ay faict.

           Je t’ay acoustré, en effaict,

           Depuys l’espasse de dix ans.

           Voylà le train des bons enfans,

           Maintenant : ne congnoyssent rien.

             LE  PAGE

115    Sy vous ay-ge faict plus de bien

           Que vous ne m’avez déservy47.

             LE  GENTIL  HOMME

           Ne soyons poinct icy mèsuy48.

           As-tu poinct veu mon estan ?

             LE  PAGE

           Ouy, ouy, [et] les neiges d’anten49 !

120    (Y n’a ny estan, ne clapier50 :

           C’est ung grand fossé de bourbier

           Où sont gregnouiles et mûrons51.)

             LE  GENTIL  HOMME

           Que dis-tu ?

             LE  PAGE

                               Je dis Monssieur que : « Les hérons

           Vous [y] ont faict un grand dommage52. »

             LE  GENTIL  HOMME

125    Vers quel costé ?

             LE  PAGE

                                         Vers le rivage.

           Yl ont gasté le petit fieu.

             LE  GENTIL  HOMME

           Je t’en croy bien, page, par Dieu :

           Sy avoyt-y force pouesson53.

             LE  PAGE

           Il y en y a autant c’un ouéson

130    Porteroyt bien dedans son bec.

             LE  GENTIL  HOMME

           Mon grand muret […….. sec],

           Combien contient-y bien de tour ?

             LE  PAGE

           Autant qu’on feroit, de ce jour,

           À boyre chopine de vin.

135    (Y n’a terre, vigne, ne vin54 :

           Je dis vray, par saincte Marye !)

             LE  GENTIL  HOMME

           Que dis-tu ?

             LE  PAGE

                              [Que] vostre prarye

           Contient envyron quatre lieux55.

             LE  GENTIL  HOMME

           A ! tu as dict vray, semydieux56 :

140    Yl y sont à la grand mesure.

           Quans herpens57 ay-ge de pasture ?

             LE  PAGE

           Envyron III ou IIII cens.

             LE  GENTIL  HOMME

           Qui ne te croyt, y n’a pas sens.

             LE  PAGE

           (Ouy, bien autant de sens, je dis,

145     Que sur la queue d’une souris.)

             LE  GENTIL  HOMME

           Tous mes grains, où seront-y mis ?

             LE  PAGE

           y seront ?

             LE  GENTIL  HOMME

                               Ouy, ouy.

             LE  PAGE

                                              Cheux vos amys58 !

           Et me semble qu’i seroyt bon

           De les mectre en un mulon59,

150    Près du grenier où est le foing.

           (Par ma foy ! y n’a pain ne grain

           Qu’i séroyt60 mectre en sa gorge.

           Je dis vray, par monsieur sainct George !)

             [ LE  GENTIL  HOMME

           Mon avoynne61 est-elle battue ?

             LE  PAGE

           Par ] ma foy, je ne l’ay poinct veue.

155     (El est d’une estrange couleur !

           D’avoynne ? Vouélà grand douleur.

           Je ne say qui luy eust baillée :

           Y n’en a pas une escullée62,

           De cela je suys bien certain.)

             LE  GENTIL  HOMME

160    Et du reste de l’autre grain,

           Nous en avon à grand foyson ?

             LE  PAGE

           Ouy dea, assez et de raison,

           Ma foy, Monsieur, pour nostre année.

             LE  GENTIL  HOMME

           Viençà, page ! Ceste journée,

165    As-tu pas veu mes grans chevaux63 ?

             LE  PAGE

           Ouy, ma foy, Monssieur : y sont beaux.

           Y les faict bon vouèr à l’estable.

           (Des grans chevaulx ? Yl a le deable !

           Y n’a que de vielles jumens

170     Qui n’ont aux g[u]eulles nules dens :

           Vouélà tous les chevaux qu’il a.)

             LE  GENTIL  HOMME

           Page, viençà ! Qui me bailla

           Ce cheval qui est à ma femme ?

             LE  PAGE

           Ce fust le roy, Monssieur. (Mon âme !

175    Comme y baille de la bigorne !

           C’est un viel cheval qui est borgne,

           Et n’est c’une vielle carongne

           De jument à qui les os percent ;

           Le cul et les jambes luy herchent64

180    De malle fine povreté.)

             LE  GENTIL  HOMME

           Viençà, page ! Suy-ge monté,

           À ton advis, à l’avantage65 ?

             LE  PAGE

           Ouy Monssieur, [ainsy] comme [un] page

           Qui va à pié le plus66 du jour.

             LE  GENTIL  HOMME

185    Je ne doibtz pas avoir de pa[o]ur67,

           Quant je me trouve en quelque assault.

           Page !

             LE  PAGE

                    Monssieur ?

             LE  GENTIL  HOMME

                                      Pren mon courtault68 :

           Je te le donne pour ton étrène ;

           Le tien te faict par trop de peine,

190    Car y me semble par trop las.

             LE  PAGE

           Grand mercy, Monssieur ! Et ! quel soulas !

           Je me doys bien réconforter.

          (S’il en avoyt pour le porter

           Luy-mesmes, le povre cocu,

195    De XX soublz69 ou d’un povre escu,

           Pensez-vous qu’i feroyt du maistre ?)

             LE  GENTIL  HOMME

           Page !

             LE  PAGE

                     Monssieur ?

             LE  GENTIL  HOMME

                                         Y te fault estre

           Dedens un moys en Angleterre.

             LE  PAGE

           Et pour quoy faire ?

             LE  GENTIL  HOMME

                                            Tu m’iras querre

200    Douze haquenés70 à Hantonne,

           Que le roy [des] Engloys me donne ;

           Y valent bien, chascun, cent frans.

           Tu luy mairas71 mes chiens courans

           Pour coupler avec ses lév(e)riers.

             LE  PAGE

           Ouy, par ma foy !

205    (Y n’a que des chiens à bergers,

           Tous aussy velus c’une vache ;

           Et sy, ont l’oreille aussy flache

           Et aussy mole c’une trippe.)

             LE  GENTIL  HOMME

           Que dis-tu ?

             LE  PAGE

                              Que c’est [de] la tippe72,

210    Monssieur ? Voulez-vous qu’on luy maine ?

             LE  GENTIL  HOMME

           Laquelle esse ?

             LE  PAGE

                                   C’est Marjollaine,

           [C’est] la plus belle du tropeau.

           (Par ma foy ! on luy voyt73 la peau,

           Tant est morfondue et rongneuse.)

             LE  GENTIL  HOMME

215    Que dis-tu ?

             LE  PAGE

                                 Elle est plaisante y amoureuse74,

           Ceste chienne, la plus du monde.

             LE  GENTIL  HOMME

           Et ! c’est cela où je me fonde.

             LE  PAGE

           Voulez-vous qu’el y soyt menée ?

             LE  GENTIL  HOMME

           Ouy dea !

             LE  PAGE

                           [Sy elle n’est]75 traînée,

220    Ceste chienne va sy à loysir

           Qu’à peine poura-’le suyvir76

           Un cheval sy tost que le pas

           –Entendez-vous ? je ne mens pas–,

           Tant [elle] est vilaine, orde et salle.)

             LE  GENTIL  HOMME

225    Page !

             LE  PAGE

                       Monssieur ?

             LE  GENTIL  HOMME

                                          Dedens ma salle77,

           Y faict-y pas maintenant beau ?

             LE  PAGE

           Ouy de[a], Monssieur, tout de nouveau78

           [Vous] l’avez faict paindre, pour seur.

           (Mais quelle salle ! c’est hideur :

230    Il n’en a poinct, que sa chemise79 ;

           C’est celle-là dont y devise

           Et de quoy il entent80 parler.)

             LE  GENTIL  HOMME

           Page !

             LE  PAGE

                     Monssieur ?

             LE  GENTIL  HOMME

                                        Va-moy seller

           Mon courtault, qui est à l’estable !

             LE  PAGE

235    Vostre courtault81 ? (De par le deable !

           Je n’en sache poinct qui vous hète82,

           Que celuy de vostre brayète,

           Qui vous donne bien du tourment…)

             LE  GENTIL  HOMME

           Page !

             LE  PAGE

                     Monssieur ?

             LE  GENTIL  HOMME

            Aproche-toy légèrement !

240    Et ! tout le temps que me83 servy[s],

           –Je me croy bien à ton avis84,

           [Dis-moy le vray, par ton serment]–,

           T’ai-ge pas payé ton paiment

           Vaillamment, par chascun cartier85 ?

             LE  PAGE

           Y n’a poinct falu de papier

245     Pour en escripre la quictance !

           (J’en tiens86 encores sans doubtance

           Tout ce qu[e j’]en receus jamais.)

             LE  GENTIL  HOMME

           Gens qui ont serviteurs parfaictz

           Les doibvent bien entretenir.

             LE  PAGE

250     Mais leur laisser tout leur[s] aquestz

           Vailamment, sans rien retenir.

           Je vous suplye, alons-nous-ent87

           Bien tost ; parton légèrement,

           Et laissez ceste vanterye

255    Dont estes plain : c’est moquerye

           [Que] de vous et de vostre affaire.

           Adieu, ne vous veuile desplaire88 !

                                             FINIS

*

1 André Tissier : Recueil de farces, tome 10, pp. 187-189. Droz, 1996.   2 D’après le titre, il veut devenir laquais [valet d’armée]. Un page ne restait jamais dix ans <vers 112> dans cette fonction peu lucrative, et surtout, réservée aux enfants : car un page devait être le modèle réduit de son maître, comme en témoigne l’eau-forte de Jacques Callot intitulée un Gentilhomme et son Page (1617).   3 Cloîtré : la misère lui interdit toute vie sociale.   4 En regardant défiler la troupe. Il faisait donc partie des badauds, et non des soldats qui paradaient.   5 Loin de mes camarades (qui étaient restés en arrière).   6 Cassé aux gages, révoqué sans solde. Il fait semblant de mal comprendre le « cassé » du vers 9, qui se rapportait à ses fractures.   7 Vous mentez pour rien ; qu’ai-je à perdre ?   8 LV : perdre  (Vous ne risquez pas d’être payé par l’État, contrairement aux militaires.)   9 Jeu de mots involontaire sur « tenir compte » et « tenir des contes » [se livrer à des racontars].   10 Les plus importants.   11 Fin-verjus est un savetier alcoolique et roublard (F 33, T 11). Le croc est le crochet des tireurs de bourses, et un outil pour crocheter les serrures : « Successeurs de Villon en l’art de la pinse et du croq. » (Marot.) Happe-gibet est synonyme de brigand, meurtrier et voleur (les Épithètes de M. de la Porte). Bref, le Gentilhomme ne fréquente que du gibier de potence.   12 Des reconnaissances de dettes. (Lat. debet = il doit.)   13 Euphémisme pour « volé ».   14 Parviendrais-tu à compter les ennemis que j’ai tués ? « Je ne cognois deux ne trois tant soyent puissans hommes que (il) ne les eust bien mys à la fin. » A. de La Sale.   15 Un couffin, une corbeille.   16 Forme attestée : « Furent jugés & mys à la mort. » Brut. Cf. Troys Gallans et Phlipot, vers 422.   17 Le faucon, que les nobles portaient sur leur poing quand ils chassaient. Cf. le Faulconnier de ville.   18 Le train de vie de la Noblesse (vers 43-44).   19 C’étaient des poulets.   20 Parmi les seigneurs, qui jouaient gros jeu.   21 Vous n’avez jamais eu trois sous vaillants sans en devoir six.   22 Résoudre.   23 Vous rengorger, vous vanter.   24 Un étendard dans une tente de l’ennemi.   25 « Le proverbe qui dict qu’une bonne fuitte vaut mieux qu’une mauvaise attente. » (P. de Larivey.) Pour garder ce proverbe intact, notre auteur a dû introduire un quatrain abba.   26 LV : alemans   Le 20 mai 1525, la « guerre des Boures » (ou des Rustauds) donna lieu à la bataille de Scherwiller : les soldats lorrains (renforcés par quelques gentilshommes français) battirent l’armée des paysans luthériens allemands. Mais aucune « Journée des Allemands » n’est connue sous ce nom. La seule « journée » qui avait marqué les esprits, c’est la Journée des Éperons (bataille de Guinegatte, 16 août 1513), lors de laquelle les soldats français avaient pris la fuite, à l’instar de notre Gentilhomme : cf. l’Avantureulx, vers 408 et note 114. Remarquons d’ailleurs que ce vers 67 n’a pas de pendant : on ignore s’il rimait en -ans ou en -ons. Il est probable qu’un des premiers copistes a modifié ce vers en songeant au traité de Moore (30 août 1525), sur lequel la France comptait encore en octobre pour établir une paix durable avec la perfide Albion ; plutôt que de rappeler aux Normands, déjà furieux contre ce traité, qu’Henri VIII d’Angleterre était en plus le vainqueur de Guinegatte, il valait mieux détourner l’attention populaire sur des vaincus allemands.   27 Quand le blocus fut levé. « Les habitans commencèrent à débloquer et sortir. » Godefroy.   28 Comme un vulgaire troupier : « Plusieurs soldats accoururent de tous costéz, (…) chacun accourant au pillage. » (Le Mercure françois.)  Les combattants français de Guinegatte guerroyèrent surtout contre des poules : « Actes de batailles/ Font contre poulailles/ Noz gens. » (G. Cretin, Lascheté des gensd’armes de France à la Journée des Esperons.)   29 De contrariété.   30 Me mettre en bonne place. Il demande à son page de le valoriser devant les gens, comme le gentilhomme de Légier d’Argent (v. notice) : « Jaquet, tu me fais grant plaisir/ Des biens que vas disant de moy. »   31 Rime normande avèr / baillèr.   32 Fracasse. « Courbatu, espaultré et froissé. » Rabelais, Quart Livre, 14.   33 Que vous vous corrigiez.   34 Gérant. « Je vous mettray à mesme mes biens, où vous pourrez puiser et prendre tant de richesse comme il vous plaira. » Amyot.   35 LV : tresors  (En Normandie, mugot = trésor <cf. Godefroy>. « Nous trouvasmes force trésors inutiles ; nous descouvrismes (…) le beau et ample mugot de Molan. » Satyre Ménippée.)   36 À demi-mot : je n’en dis pas plus pour ne pas révéler où ils sont cachés.   37 Des pièces dévaluées qui ont cours chez les vauriens que vous fréquentez. « De toutes receptes,/ Je ne sache c’un gros qui court. » Le Poulier à sis personnages.   38 Qui ne soient hypothéqués.   39 Pourtant.   40 Fiefs. Idem à 126.   41 Si vous m’en croyez. Cf. le vers 143.   42 LV : plus est / ne me croyent pas la on y me vouent   43 Un soir.   44 Manchote.   45 Elle vous escroqua d’une bourse.   46 Sans argent. Galande = galante : cf. la Réformeresse, vers 89.   47 Payé de retour. « Jamais je ne pourroye/ Vous desservir les biens que me donnez. » Charles d’Orléans.   48 LV : messuy  (Maishui = indéfiniment. Cf. le Tesmoing, vers 248.)  Entre la rubrique et le vers 117, LV a intercalé des pattes de mouches sans rime ni rythme : Vienca nen parle iamais   49 De l’an passé. Clin d’œil à Villon : « Mais où sont les neiges d’antan ? »   50 Ni étang, ni monceau de pierres. Les vers 118-161 sont à rapprocher de ceux où Messieurs de Mallepaye et de Bâillevant font l’état des lieux de leurs domaines en ruines (vers 247-249). Beaucoup d’autres thèmes sont communs à ces deux dialogues.   51 Des grenouilles et des mûriers-ronces.   52 En exterminant les grenouilles dont vous vous nourrissez.   53 Beaucoup de poisson.   54 Rime dupliquée, qu’on pourrait remplacer par « grain » ou « foin ».   55 4 lieues normandes = 17,7 km.   56 Atténuation de « si m’ait Dieu » [si Dieu m’aide]. Cf. Deux jeunes femmes qui coifèrent leurs maris, vers 174.   57 Combien d’arpents.   58 Chez les affamés avec qui vous frayez. La formule annonce le « cheulx mes amys » des Troys Gallans et Phlipot, v. 442.   59 D’en faire une meule : « Deux petiz mullons de blé. » (Godefroy.) Mais le page parle-t-il des grains, ou des amis de son maître ?   60 Qu’il saurait, qu’il pourrait.   61 À la place du fragment que j’ajoute entre crochets, le copiste a écrit puis biffé : davoynne   62 De quoi emplir une écuelle.   63 Ceux qu’on utilisait à l’armée. De là vient l’expression : « Monter sur ses grands chevaux. »   64 Se traînent.   65 Ai-je une bonne monture ? M. de Mallepaye (vers 176) s’en inquiétait déjà.   66 La plus grande partie. Cf. Légier d’Argent : « Et par deffault d’une jument,/ Il va à pié le plus souvent. »   67 De peur, puisque j’ai un bon destrier.   68 Cheval de selle. Idem vers 234.   69 Pour 20 sous : lorsqu’il a un peu d’argent.   70 Montures réservées aux femmes : « Ils sont suivis des litières & des hacquenés de Sa Sainteté. » (Du Mont.) Hantonne = Southampton : « [Ils] singlèrent devers Angleterre ; puis arrivèrent et prirent terre à Hantonne. » (Froissart.)   71 Mèneras. Henri VIII n’aurait jamais abâtardi ses lévriers greyhounds ! On rapproche les vers 199-204 du Journal d’un bourgeois de Paris sous le règne de François Ier : « Au dict an 1525, environ le huictiesme octobre, passèrent parmy la ville de Paris vingt ou vingt-cinq hacquenées d’Angleterre que le roy d’Angleterre envoyoit à monsieur le Daulphin estant à Bloys ; et envoia aussi un grand nombre de chiens de chasse, comme cent ou plus, où y avoit grandz dogues d’Angleterre. » Si la référence aux chevaux paraît convaincante, la référence aux chiens l’est beaucoup moins, puisque c’est les chiens français que le page doit conduire en Angleterre, et non l’inverse.   72 « Que doit-on faire de la tippe ? » Mot inconnu ; c’est peut-être un de ces normandismes dont la pièce regorge.   73 LV : vord   74 Digne d’être aimée. « La plus belle dame du roiaulme d’Engleterre, et la plus amoureuse. » Froissart.   75 LV : quelle   76 Pourra-t-elle suivre.   77 La salle principale du château.   78 Tout récemment.   79 Jeu de mots : il n’a de « sale » que sa chemise.   80 Il veut.   81 Le Gentilhomme oublie qu’il vient de le donner au page (vers 187-188). Ce dernier se venge en dénigrant son autre courtaud, c’est-à-dire son pénis : cf. la Complainte d’ung Gentilhomme à sa dame, note 94.   82 Qui puisse vous faire plaisir.   83 LV : mas   84 LV : serment  (Je me fie à ton avis.)   85 Chaque trimestre.   86 Je retiens de mémoire.   87 Rime attestée : Maistre Mymin qui va à la guerre, vers 193.   88 Ce congé s’adresse-t-il au public, comme il se doit, ou au Gentilhomme ?

SŒUR FESSUE

Ms. La Vallière

Ms. La Vallière

*

SŒUR  FESSUE

*

Dans la première moitié du XVIe siècle, un auteur de farces eut l’idée de combiner deux histoires connues : celle d’une nonne trop discrète, et celle d’une abbesse trop pressée. La nonne est enceinte, mais l’abbesse aurait pu l’être aussi. On connaît d’ailleurs plusieurs versions scéniques d’un Miracle de l’abbesse grosse, où une mère supérieure, enceinte de son clerc, obtient de la Vierge Marie un accouchement indolore et discret, contrairement à celui des honnêtes femmes ; la Vierge confie le bébé à un ermite, et comme bon sang ne saurait mentir, elle en fera bientôt un évêque.

La pièce est résolument comique, mais on voit affleurer cette nostalgie du monde qui aigrissait des religieuses dont la plupart étaient cloîtrées malgré elles. La religieuse des Mal contentes exhale quelques jolis soupirs aux vers 424-429.

Source : Manuscrit La Vallière 1, nº 38.

Structure : Rimes plates, truffées d’adjonctions apocryphes que j’ai barrées.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

*

Farce  nouvelle

à  cinq  personnages

 

C’est assavoir :

    L’ABEESSE

    SEUR  DE  BON-CŒUR

    SEUR  ESPLOURÉE

    SEUR  SAFRÈTE 2

    SEUR  FESSUE

*

           SEUR  ESPLOURÉE  commence   SCÈNE  I

        Seur de Bon-cœur, je suys perdue,

        Et me treuve tant esperdue

        Que plus n’en puys !

           [SEUR  DE  BON-CŒUR] 3

                                         Qu’esse, ma seur ?

        Quel nouvèle av’ous entendue ?

5    Quoy ! vous estes-vous estendue

        Sur l’erbe, atendant la doulceur4 ?

           SEUR  ESPLOURÉE

        Nénin.

           SEUR  DE  BON-CŒUR

                     Rendez mon esprit seur5.

           SEUR  ESPLOURÉE

         Je ne le diray poinct.

           SEUR  DE  BON-CŒUR

                                         Hélas !

         Donner je vous pouroys soulas,

10    Et vous garder de desplaisir.

         Dictes-le-moy tout [à] loysir :

         À ses amys, rien ne se celle.

           SEUR  ESPLOURÉE

         A ! ma mye…

           SEUR  DE  BON-CŒUR

                                   Prenez une selle6.

         Vous estes bien fort couroucée.

15   Déclarez-moy vostre pencée :

         Qu’avez-vous ?

           SEUR  ESPLOURÉE

                                    Rien.

          SEUR  DE  BON-CŒUR

                                              À brief parler,

         Dictes-moy et [ne] mentez poinct.

         Vous estes-vous laissée aler7,

         Que8 vous tourmentez en ce poinct ?

20   Dictes !

          SEUR  ESPLOURÉE

                         Je ne le diray poinct.

         Agardez, l’honneur en despent.

          SEUR  DE  BON-CŒUR

         C’est mal chanté son contrepoinct ;

         L’honneur sy près du cul ne pent.

          SEUR  ESPLOURÉE

         Sy vous avez hapé le roide9,

25   Agardez, il n’y a remède :

         Nostre abesse en faict bien autant !

          SEUR  DE  BON-CŒUR

         Par ma foy ! mon cœur se repent

         Qu’i fault que j’en oye parler tant.

          SEUR  ESPLOURÉE

         Je vous veuil dire tout contant

30   Que c’est que céans il y a :

         Vous congnoyssez bien seur Fessue ?

         Frère Roydimet l’a déseue10

         Et gastée11.

          SEUR  DE  BON-CŒUR

                             Avé Maria !

          SEUR  ESPLOURÉE

         Elle est deigà grosse et ensaincte.

35   Sceur, ouez12, dea ! ce n’est pas faincte :

         Nous sommes toutes à quia13

         Par son faict.

          SEUR  DE  BON-CŒUR

                                  Avé Maria !

         Et ! Jésus ! Et ! je l’ay tant faict,

         Et à mon plaisir satisfaict

40   Sans estre grosse !

          SEUR  ESPLOURÉE

                                       Hélas, mon Dieu !

         Aussy l’ai-ge faict en mainct lieu,

         Comme elle.

          SEUR  DE  BON-CŒUR

                                  Avé Maria !

         Que j’en ay au cœur de détresse

         Et de douleur !

          SEUR  SAFRÈTE             SCÈNE  II

                                Et ! qu’esse ? qu’esse ?

45    Que j’entende vostre débat !

         Comptez-moy, par forme d’esbat,

         Ce que maintenant vous disiez.

          SEUR  ESPLOURÉE

         Ce n’est rien, non.

          SEUR  SAFRÈTE

                                        Vous devisiez

         D’amour, en ce lieu, en commun ?

50    Mais c’est tout un, ouy, c’est tout un :

          Je n’en fais pas moins, en tout temps,

         Que les bonnes seurs de céans.

         Dictes hardiment !

          SEUR  DE  BON-CŒUR

                                        On le sçayt bien

          Que toutes on n’espargnons rien

55    Du nostre ; mais tel pissendalle14

         Sera cause d’un grand scandalle

         Dont nous serons désonor[é]es15.

          SEUR  SAFRÈTE

         Vous me semblez fort esplour[é]es :

         Quelle chose av’ous aperceue ?

60    Qui a failly ?

          SEUR  ESPLOURÉE  et  SEUR  DE  BON-CŒUR

          ensemble disent :

                               C’est sceur Fessue

         Qui a faict…

          SEUR  SAFRÈTE

                              Quoy ?

          SEUR  DE  BON-CŒUR

                                          Nous n’osons dire.

          SEUR  SAFRÈTE

         Dictes, sy ce n’est que pour rire.

          SEUR  ESPLOURÉE

         Rire ? Hélas ! Mais j’en pleure et plains,

         Et de larmes sont mes yeulx plains,

65    Pour la douleur que j’ey conceue.

          SEUR  SAFRÈTE

         Qui cause cela ?

          SEUR  DE  BON-CŒUR  et  SEUR  ESPLOURÉE

          ensemble disent :

                                   Seur Fessue.

          SEUR  ESPLOURÉE

         Dormir je n’en peulx nuict ne jour ;

         Je n’ay ne repos, ne séjour,

         Ains de douleur je tremble et sue.

          SEUR  SAFRÈTE

70    Qui vous faict ce mal ?

          SEUR  DE  BON-CŒUR  et  SEUR  ESPLOURÉE

          ensemble disent :

                                              Sceur Fessue,

         Qui a faict…

          SEUR  SAFRÈTE

                              Ouy, mectre à genoulx16

         Quelque un ?

          SEUR  ESPLOURÉE

                                 Elle a faict comme nous ;

         Mais le pire, c’est qu’el est grosse.

          SEUR  SAFRÈTE

         Grosse ? Jésuchrist ! quel endosse17 !

75    Esbahy[e] suys qu’on le permect.

         Mais déclarez-nous, je vous prye,

         Sans que son honneur on descrye,

         Qui l’a faict ?

          SEUR  ESPLOURÉE

                                  Frère Rèdymet.

          SEUR  SAFRÈTE

         Hélas ! el est déshonorée.

80    Et ! Vierge Marie honorée !

         Où la pourons-nous [bien] cacher,

         Le jour qu’el poura acoucher ?

          SEUR  DE  BON-CŒUR

         Je ne sçay.

          SEUR  ESPLOURÉE

                             J’ey bien descouvert

         Aultre foys, qu’el estoyt joyeuse,

85    Et qu’el avoyt l’engin18 trop ouvert

         Pour estre faicte religieuse.

          SEUR  SAFRÈTE

         Elle est plaisante et amoureuse.

         Long temps il y a qu’el aymoyt.

          SEUR  ESPLOURÉE

         Qui, ma sœur ?

          SEUR  SAFRÈTE

                                     Frère Rèdymet,

90    Rouge comme un beau chérubin19.

         Un jour, avec frère Lubin20,

         In caméra charitatis 21,

         Tout doulcement je m’esbatis ;

         Mais il [n’est sy]22 fort compaignable.

          SEUR  DE  BON-CŒUR

95    Il est tant doulx et amyable,

         Sœur Safrète, quant y s’y mect !

          SEUR  ESPLOURÉE

         Ouy, le bon frère Rèdymet,

         Quant il a la « teste » dressée

         Et que de luy suys embrassée,

100   Ma leçon23 bien tost se comprent.

          SEUR  DE  BON-CŒUR

         A ! jamais il ne me reprent24.

         Nous vivons no[u]z deulx comme amys :

         Aussy mon cœur luy ay promys.

         Bon Amour25 ainsy le permect.

          SEUR  ESPLOURÉE

105   Quant au bon frère Rèdymet,

         Je le congnoy digne d’aymer.

         Mais afin de n’estre à blasmer,

         Pour faindre estre de saincte vye,

         Je veuil déclarer par envye26

110   À nostre abesse (ce n’est faincte)

         Comme sœur Fessue est ensaincte.

          SEUR  DE  BON-CŒUR

         C’est bien faict.

          SEUR  SAFRÈTE

                                  C’est bien faict, ma sœur.

         Nostre bon père confesseur

         En orra27 le miséréré.

          SEUR  DE  BON-CŒUR

115   Je vouldroys qu’i28 fust enserré

         En ma chambre, pour sa prison.

          SEUR  SAFRÈTE

         Sainct Pierre ! vous avez rayson :

         D’amour, aparence il y a

         En vos dictz.

          SEUR  ESPLOURÉE,

          allant à l’abeesse pour parler à elle :

                                Avé Maria !                SCÈNE  III

          L’ABEESSE

120   Gratia pléna 29 ! Qu’avez-vous,

         Qui vous amène devers nous30 ?

          SEUR  ESPLOURÉE

         Sans cause je [ne] vous viens voyr31.

          L’ABEESSE

         Certes, j’estoys en ce parloyr,

         En saincte… contemplation

125   Des mos d’édiffication32,

         Atendant l’heure du… menger33.

          SEUR  ESPLOURÉE

         Sy Mort m’estoyt venue charger,

         Hélas ! je seroys bien heureuse.

          L’ABEESSE

         Et ! qu’esse ? Estes-vous amoureuse ?

130   Regrétez-vous encor le monde ?

                       SEUR  ESPLOURÉE

         Nénin, non.

          L’ABEESSE

                                Céans, il habonde

         Autant de plaisir[s] savoureulx

         Comme au monde. Et qu’il ne soyt ainsy,

         [De]dens ceste maison icy,

135   Povez avoir un amoureulx.

          SEUR  ESPLOURÉE

         Hélas ! mon cœur trop douloureulx

         Ne peult oultrer34. D’effort j’en sue.

          L’ABEESSE

         Et ! qu’esse, ma mye ?

          SEUR  ESPLOURÉE

                                             Seur Fessue,

         Qui a faict…

          L’ABEESSE

                               Vous dict-elle injure ?

140   Croyez-moy, par Dieu ! sy j’en jure,

         Elle en sera incarsérée.

         Comment ! faict-el la reserrée35 ?

          SEUR  ESPLOURÉE

         Elle a faict…

          L’ABEESSE

                             Je n’y entens rien en effaict.

          SEUR  ESPLOURÉE

         Elle a faict…

          L’ABEESSE

                               Et quoy ?

          SEUR  ESPLOURÉE

                                                 F[r]icatorès 36.

          L’ABEESSE

145   Ô le grosson peccatorès 37 !

         Per Dieu38, [elle] habuyct grandos

         Punitionnès 39 sur le dos !

         Qui l’eust pencé ?

          SEUR  ESPLOURÉE

                                       Elle [l’]a faict,

         Et a son péché satisfaict,

150   Car elle est grosse.

          L’ABEESSE

                                          Ô la laide !

         Il y convient mectre remède.

         Mais à qui a-elle adonné

         Son corps ?

          SEUR  ESPLOURÉE

                             [El l’a]40 habandonné

         À frère Rèdymet, le moynne,

155   Il y a long temps.

          L’ABEESSE

                                        Que de peine41 !

         Tenamus chapitrum totus ! 42

         Sonnaté 43 clochétas bien totus !

         Qu’el véniat 44 !

.

.

          SEUR  DE  BON-CŒUR        SCÈNE  IV

                                  Sus ! entre nous,

         Y nous convient mectre à genoulx45,

160   À ce chapitre.

          SEUR  SAFRÈTE

                                  C’est bien dict ;

         Je n’y mectray nul contredict.

          L’ABEESSE

         Or, chantez !

          SEUR  ESPLOURÉE

                                 Bénédicité !    O lieu de le dire, y chantent 46 :

                 Voz « huys » sont-il tous fermés ?

                 Fillètes, vous dormez.47

165       Quant pour vous sont consumméz48

                 Dormez-vous,

                 (Fillètes, fillètes vous dormez)

                 [Mes sens d’amour]49 enflamés,

                 Dormez-vous, fillètes ?

                 Fillètes, vous dormez.50

          SEUR  FESSUE  entre          SCÈNE  V

170   A ! j’éray quelque advercité ;

         Je crains fort le punis[s]antés 51.

          L’ABEESSE

         Vénité, et aprochantez !

         Madamus, agenouillaré,

         Quia vo[u]z fécit mouillaré

175   Le boudin52 : il est bon à voir !

          SEUR  DE  BON-CŒUR

         Vous avez laissé décepvoir

         Vostre honneur, dont le nostre en souffre.

          L’ABEESSE

         Vous en sentirez feu et souffre

         En Enfer ; et de vostre vye,

180   N’irez en bonne compaignye

         Sans injure. Et ! comme a-ce esté

         Qu’avez faict ceste lascheté ?

         Vous en souffrirez le trespas !

          SEUR  FESSUE

         A ! mon Dieu, vous ne voyez pas

185   Ce qui vous pent devant les yeulx ?

          L’ABEESSE

         Mon cœur ne fust onc curieulx

         D’estre d’honneur tant descouverte53.

          SEUR  FESSUE

         Hélas ! vostre veue est couverte,

         Dont vostre grand faulte despent :

190   Ce que devant les yeulx vous pent

         N’est pas de tous en congnoissance54.

          L’ABEESSE

         Puys que sur vous j’ey la puissence,

         Je vous pugniray bien à poinct.

          SEUR  FESSUE

         A ! mon Dieu, vous ne voyez poinct

195   Ce qui est devant vostre veue ?

         J’ey failly comme despourveue

         De sens, dont coupable me sens.

         Mais…

          L’ABESSE

                    Quel mais ?

          SEUR  FESSUE

                                       Il en est cinq cens

         Qui n’en ont causé nul55 esmoy ;

200   Et sy56, ne font pas mieulx que moy.

          L’ABEESSE

         [Encore vous]57 levez la teste ?

         Vous estes une faulse58 beste,

         Et avez grandement erré.

          SEUR  ESPLOURÉE

         Y luy fault le Miséréré,

205   Pour la faulte qui est yssue59.

          SEUR  FESSUE

         Et ! pardonnez à sœur Fessue !

          SEUR  SAFRÈTE

         Y luy fault donner telle peine

         Que de douleur soyt toute plaine,

         Puysqu’on la void ainsy déceue.

          SEUR  FESSUE

210   Et ! pardonnez à seur Fessue,

         Pour cela qu’el a entour60 elle.

          SEUR  ESPLOURÉE

         Vrayment, el a juste querelle61 :

         Y ne fault pas son fruict62 gaster.

          SEUR  FESSUE

         Qui vous eust voulu trop63 haster,

215   Lors qu’estiez ainsy comme moy,

         En plus grand douleur et esmoy

         Eussiez esté que je ne suys.

          L’ABEESSE

         Demeurez ! Plus oultre poursuys64 :

         Qui vous a ainsy oultragée ?

220   Vous estes grosse, et tant chergée65

         Que plus n’en povez.

          SEUR  FESSUE

                                          A ! ma dame,

         Frère Rèdymet faict ce blasme

         En mainte religion66 bonne.

         Mais je vous pry qu’on me pardonne.

          L’ABEESSE

225   Où fusse ?

          SEUR  FESSUE

                         [De]dens le dorteur67,

         À ma chambre, près le monteur68.

         Ici tant enquérir ne s’en fault69

          SEUR  DE  BON-CŒUR

         Et que ne criez-vous bien hault ?

          SEUR  FESSUE

         Crier ? Je ne sçay qui en crye70.

          SEUR  SAFRÈTE

230   Comment ! voécy grand moquerye !

         Nostre abeesse en sera blasmée.

          SEUR  FESSUE

         Comment, crier ? J’estoys pasmée.

         Et puys en nostre reigle est dict

         (Où je n’ay faict nul contredict)

235   Qu’au dorteur on garde silence.

         Et sy j’eusse faict insolence,

         Bruict ou tumulte, ou quelque plaincte,

         C’estoyt, contre nostre Ordre, faincte71.

         Voyélà pourquoy n’osay mot dire.

          SEUR  ESPLOURÉE

240   Vouélà bonne excuse pour rire !

          SEUR  DE  BON-CŒUR

         Très bien le silence el garda…

          L’ABEESSE

         Mais escoustez : qui vous garda

         De faire signe pour secours ?

         On y fust alé le grand cours72,

245   Et n’ussiez receu tel acul73.

                       SEUR  FESSUE

         Las ! je faisoys signe du cul,

         Mais nul(e) ne me vint secourir74.

          SEUR  SAFRÈTE

         Je n’eusse eu garde d’y courir.

          SEUR  ESPLOURÉE

         Signe du cul ?

          SEUR  SAFRÈTE

                                  Il est possible :

250   Frère Rèdymet est terrible ;

         Et n’eust sceu ceste povre ânière75

         Faire signe d’aultre manière.

          SEUR  ESPLOURÉE

         C’est le signe d’un tel mestier76

          L’ABEESSE

         Mais il y a un an entier

255   Qu’el est grosse77 ; et ! n’eust-elle sceu

         Nous dire qu’el avoyt conceu ?

          SEUR  FESSUE

         Dire ? Hélas !

          SEUR  DE  BON-CŒUR

                                   Ouy, dire, ouy, dire.

          SEUR  FESSUE

         J’ey bien cause d’y contredire.

          SEUR  SAFRÈTE

         Et comment ?

          SEUR  FESSUE

                                 Hélas ! quant j’eu failly,

260   Mon cœur alors fut assailly

         De repentance et de grand peur

         Que l’Ennemy78, qui est trompeur,

         Ne m’enportast pour telle faulte.

         Demanday à la bonté haulte79

265   Pardon, lequel aulx bons permect.

         Et au bon frère Rèdymect

         Je demanday confession ;

         Lequel, à l’asolution80,

         Lors que bien il me descharga81,

270   Absolutement m’encharga

         De ne dire ce qu’avions faict

         No[u]z deulx, ce que j’ey bien parfaict

         Pour craincte de dannation :

         Car dire sa confession

275   Et dire le secrect du prestre,

         C’est assez pour à jamais estre

         Danné avec les obstinés82.

          SEUR  ESPLOURÉE

         Certes, nous voélà bien menés !

         Ses excuses sont suffisantes.

          L’ABEESSE

280   Punye en serez, je me vantes.

         Ô la [grand] faulte ! ô le grand blasme !

          SEUR  FESSUE

         Hélas ! je vous suply, ma dame :

         Ne regardez tant mon péché,

         Que le vostre (qui est caché)

285   Ne considérez83.

          L’ABEESSE

                                   Ha ! rusée,

         Suys-je de toy scandalisée84 ?

          SEUR  FESSUE

         On veoyt à l’œuil d’aultruy tout oultre

         Un petit festu odieulx,

         Mais on ne veoyt poinct une poultre

290   Qu’on a souvent devant les yeulx85

          L’ABEESSE

         Ma renommée se porte mieulx

         Que la tienne.

          SEUR  FESSUE

                                 Ne jugez poinct86 !

         Les jugemens sont odieulx

         Au Seigneur, qui est dieu des dyeulx.

295   Vous le sçavez de poinct en poinct.

         Paul87, glorieulx apostre sainct,

         Dict que celuy n’aura refuge

         D’excuse, qui sera tasché ;

         Et que luy-mesme il se juge

300   S’il est subject à tel péché.

          L’ABEESSE

         Voyélà suffisamment presché !88

         Suys-je comme toy, dy, meschante ?

         Par Celle-là de qui on chante89 !

         Je te feray bien repentir.

          SEUR  SAFRÈTE

305   Elle se poura convertir,

         Ma dame : ce sera le myeulx.

          SEUR  FESSUE

         Ce qui vous pent devant les yeulx,

         Qui faict vostre faulte congnoistre,

         Nous démonstre qu’i ne peult estre

310   Que vous ne fassiez de beaulx jeux90.

          L’ABEESSE

         Ce qui me pent devant les yeux ?

         Avé Maria ! qu’esse-cy ?

         Vous m’avez trop hastée, aussy :

         De venir, j’estoys empeschée.

315   Et ! mon Dieu, que je suys faschée !

          SEUR  ESPLOURÉE

         Croyez, sy les loix ne sont faulces,

         Que c’est icy un hault-de-chaulces.

          L’ABEESSE

         Avé Maria ! Saincte Dame !

         Je ne suys moins digne de blasme

320   Que sœur Fessue.

          SEUR  DE  BON-CŒUR

                                     Sont-il d’usance91,

         Hault-de-chaulses ?

          L’ABEESSE

                                        J’ey desplaisance

         De mon faict.

          SEUR  SAFRÈTE

                                  Et ! Dieu, quel outil !

         Les abeesses en portent-il,

         Maintenant ? J’en suys en soucy92.

          SEUR  ESPLOURÉE

325   Un hault-de-chaulses !

          SEUR  DE  BON-CŒUR

                                             Qu’esse-cy ?

          L’ABEESSE

         Et ! n’en parlons plus.

          SEUR  SAFRÈTE

                                            C’est pour rire ?

         A ! vous ne debvez escondire

         Seur Fessue d’absolution.

          SEUR  DE  BON-CŒUR

         C’est bien nouvelle invention,

330   Porter des chaulces sur la teste.

          L’ABEESSE

         On en puisse avoir male feste !

          SEUR  SAFRÈTE

         Or sus, sus ! chantons-en93 d’une aultre.

         On dict bien c’un barbier raid94 l’aultre,

         Et q’une main l’autre suporte95.

335   Y convient faire en ceste sorte :

         Donnez-luy l’asolution.

          SEUR  ESPLOURÉE

         Voeylà très bonne invention.

         Vous estes à noz96 audinos.

          L’ABEESSE

         Tu fessisti sicut et nos 97 ;

340   Parquoy absolvo te gratis

         In pécata 98. Nunc dimitis

         [In cor bonnum]99, comme au passé100.

         Plus oultre, vadé in passé 101 !

          SEUR  FESSUE

         Gratias ! Me voeylà garie.

345   Je n’ay cause d’estre marie102.

          SEUR  ESPLOURÉE           SCÈNE  VI

         Conclusion : Je trouve erreur caché

         Que cestuy-là veult un péché reprendre,

         Duquel il est taché et empesché,

         Et par lequel en fin on le peult prendre.

350   Vous le pouvoez en ce lieu-cy comprendre.

         La faulte en est à vo[u]z deulx aperceue,

         Tesmoing l’abeesse aveques seur Fessue. 103

         En prenant congé de ce lieu,

         Unne chanson pour dire « à Dieu » !

                 FINIS

*

1 Dans ce même manuscrit, la Mère de ville (composée dans les années 1530) fait dire au Garde-cul : « Il ne fault c’une seur Fessue/ Ayant vouloir d’estre pansue. »   2 Lascive.   3 LV : la IIe seur esplouree  (Je rétablis le nom des trois sœurs ; LV les numérote : la p[remiere], la IIe, la IIIe.)   4 Au 1° degré, la sœur demande à Éplorée si elle a pris froid. Au 2° degré, douceur se réfère au membre viril : « Quant elle eut la doulceur sentie/ De ce doulx membre qui fut roys [roide]. » Parnasse satyrique du XVe siècle.   5 Sûr : éclairez mon esprit.   6 Un siège.   7 Avez-vous fauté ?   8 LV : qui   9 Le raide, le phallus. V. note 10.   10 Déçue, abusée. « Raide y met » est un calembour latin : « Quel verset des Pseaumes aiment mieux les femmes ? C’est (…) Et ipse redimet, c’est-à-dire, Rède y met, ou roide y met. » Tabourot.   11 Engrossée.   12 LV : oues  (Ouez = oyez, écoutez.)   13 En mauvaise posture.   14 Pisser sur les dalles d’un cimetière est un sacrilège : « Qu’on me brusle ce savetier :/ Il a pissé au cymitière ! » Clément Marot.   15 J’ai féminisé le masculin ici, à 58, et à 75 ; mais je n’ai pas touché à l’effarant Madamus de 173. Les cinq rôles de femmes étaient tenus par des hommes. Je signale que deux rôles féminins sont tenus par des messieurs dans la réjouissante interprétation de Sœur Fessue qu’ont donné des étudiants diplômés et des professeurs de l’Université de Western Ontario, à London (Canada).   16 Pour coïter, l’amant se met à genoux sur le lit : cf. le Tesmoing, vers 332. On pourrait renforcer le comique de répétition des vers 61 et 144 en écrivant « Quoy ? » au lieu de « Ouy, ».   17 Fardeau. « Le maistre à son clerc persuade/ De donner l’amoureuse aubade/ À la pauvre pucelle grosse,/ Affin que le clerc eust l’andosse/ D’espouser la mère et l’enfant. » Pour le Cry de la Bazoche.   18 L’esprit ; mais aussi, le sexe. Cf. les Femmes qui aprennent à parler latin, vers 129 et 448. « D’un jeune sotouard, lequel ne sut trouver l’engin de sa femme la première nuit. » Les Joyeuses narrations.   19 « Sotz rouges comme chérubins. » (Monologue des Sotz joyeulx.) Mais on associe traditionnellement la couleur rouge au phallus : la Confession Margot <v. 89>, le Faulconnier de ville <v. 64 et note 22>.   20 Un des innombrables prototypes de moines paillards : « Pour desbaucher par un doulx style/ Quelque fille de bon maintien,/ Frère Lubin le fera bien. » Marot.   21 Dans la salle de charité, une pièce du couvent qu’on ouvrait lorsqu’il fallait nourrir des pèlerins.   22 LV : est bien  (Lubin n’est pas aussi bon compagnon que Raidymet. « [Ils] ne sont pas si compaignables à boire & à manger. » Miroir de la navigation.)   23 Lecture d’un texte biblique. Double sens érotique : « L’un la fout en cul, l’autre en con./ Pour s’exercer en ce manège,/ Elle répète sa leçon/ Avecque le Sacré Collège. » Blot.    24 Il ne trouve rien à corriger lors de ma « leçon ».   25 La Bonne Amour, c’est l’amour courtois, d’après le Roman de la Rose, le Dit de la Rose, ou le Libro de buen amor de Juan Ruiz. Voilà un habillage bien romantique pour de vulgaires histoires de fesses et de Fessue ! Par pudeur, l’obscénité répondait au romantisme, comme ce croquis matérialiste dans la marge d’un manuscrit répond à l’enluminure officielle.   26 Les trois jalouses vont se venger de leur amant volage, et de sœur Fessue qui déshonore le couvent.   27 LV : aura  (Orra = ouïra, entendra notre prière. Miserere mei = aie pitié de moi.)   28 Qu’il (frère Raidymet) soit incarcéré. On emprisonnait les religieux fautifs dans un cachot nommé in pace. Cf. vers 141.   29 « Je vous salue, Marie, pleine de grâce. » Contre toute attente, il s’agit là d’une farce mariale : vers 33, 37, 42, 80, 119, 303, 312, 318, 345. Notre fatiste avait lu le Miracle de l’abbesse grosse : voir ma notice.   30 Lapsus : elle était censée être seule dans sa cellule.   31 LV : voyer  (Je ne viens pas vous voir sans raisons.)   32 Je lisais mon bréviaire. En fait, elle était au lit avec frère Raidymet (note 41). Dérangée par sœur Éplorée, elle a mis sur sa tête la culotte du frère au lieu de son voile. En s’appuyant sur Boccace, La Fontaine déplorera sa bévue dans le conte du Psautier : « Madame n’estoit/ En oraison, ny ne prenoit son somme :/ Trop bien alors dans son lit elle avoit/ Messire Jean, curé du voisinage…./ Elle se lève en haste, étourdiment,/ Cherche son voile, et malheureusement,/ Dessous sa main tombe du personnage/ Le haut-de-chausse, assez bien ressemblant/ (Pendant la nuit, quand on n’est éclairée)/ À certain voile aux Nonnes familier…./ La voilà donc de grègues affublée. » Au XIVe siècle, Jehan de Condé mit « un beau abbé joli » dans le lit de l’abbesse ; laquelle, « kant son couvrechief cuida prendre,/ (…) les braies à l’abbé prist,/ Et puis les jeta erranment/ Sur son chief. » <Le Dit de la Nonnète.>   33 Elle a failli commettre un nouveau lapsus : l’heure du berger est « l’heure favorable à un amant pour gagner sa maîtresse ». (Furetière.)   34 Aller plus loin.   35 La fausse pucelle : les jeunes mariées qui voulaient passer pour vierges allaient voir « l’étrécisseuse » qui, avant leur nuit de noce, utilisait l’eau de tan, « les eaux de myrthe, alun & autres astringens pour resserrer & consolider les parties casuelles des femmes ». Noël Du Fail.   36 Des frottements. Le sens érotique s’appliquait surtout aux lesbiennes : « Tribades se disent fricatrices. » Brantôme.   37 Ô le gros péché ! (Le latin de sacristie va s’aggraver en même temps que l’indignation de l’abbesse.)   38 LV : perdien  (Le « n » et le « u » sont souvent confondus. La forme courante est per Diem, mais Noël Du Fail emploie per Dieu.)   39 Elle aura de grandes pénitences. (Au futur, il faudrait habebit.)   40 LV : elle a   41 Le chagrin de l’abbesse montre que c’est bien frère Raidymet qui était dans son lit.   42 Tenons ensemble chapitre [une assemblée].   43 LV : sonnare  (Sonnez toutes les cloches.)   44 Qu’elle vienne.   45 Les sœurs étant à genoux, elles ne pourront voir le haut-de-chausses qui coiffe l’abbesse.   46 Au lieu de dire le Benedicite, les nonnes chantent une chanson paillarde, insérée après coup entre les vers 162 et 170, qui riment ensemble. Je corrige ce texte (mis en musique entre 1536 et 1547 par Robert Godard) d’après une partition publiée en 1547. Cf. André Tissier, Recueil de Farces, XI, Droz, 1997, pp. 246-7.   47 La partition ajoute : Ouvrez-les-moy, si m’aymez./ Dormez-vous, fillettes ?/ Fillettes, vous dormez./ Dormez-vous seulettes ?   48 Partition : consummez    LV : consommes   49 Partition : Mes sens damour    LV : mais sans amours   50 La partition ajoute : Dormez-vous seulettes ?   51 La punition, en langage macaronique.   52 « Madame, agenouillez-vous, parce que vous avez fait mouiller le boudin. » Ce mot avait le même sens phallique que l’andouille : « Membre de moine, exorbitant boudin. » (Sénac de Meilhan.) On ne sort d’ailleurs pas de la religion, puisque sainct Boudin allait de pair(e) avec saincte Fente, d’après la farce du Pardonneur.   53 Dégarnie.   54 N’est pas (encore) connu de tous.   55 LV : ny   56 Et pourtant.   57 LV : leues  (L’insolente ose lever la tête… et contempler la coiffe de l’abbesse.)   58 Perfide. Ce vers provient d’une Moralité imprimée en 1507, la Condamnacion de Bancquet.   59 Il lui faut le pardon, pour la faute qui est avouée.   60 En latin de sacristie, on pourrait mettre : inter (à l’intérieur d’elle). Cf. le vers 213.   61 Elle a raison de se plaindre.   62 Son enfant. On voit qu’il s’agit d’une farce : dans la réalité, les religieuses enceintes n’avaient d’autre choix que d’avorter ou de tuer le nouveau-né. « Quant à celles qui sont meurtrières de leurs enfans aussitost qu’ils sont sortis du ventre, les jettans ou les faisans jetter, il y a quelques années que les monastères des nonnains en eussent fourni bon nombre d’exemples (aussi bien que de celles qui les meurdrissent [tuent] en leur ventre). » Henri Estienne, Apologie pour Hérodote, XVIII. Le chap. VII ajoute : « Les nonnains (…) font mourir leur fruict estant encore en leur corps, par le moyen de quelques breuvages, ou bien estranglent leur enfant si tost qu’il est sorti. »   63 LV : tant  (Si on avait voulu trop vous hâter : si on était entré dans votre cellule, au lieu d’attendre que vous en sortiez.)   64 Restez ici ! Je continue.   65 Chargée, alourdie.   66 Maison de religion, couvent. « Du jeune garçon qui se nomma Thoinette pour estre receu à une religion de nonnains. » Bonaventure Des Périers.   67 LV : dortoueur  (qui n’est pas une rime riche. Dorteur = dortoir, vers 235. Cf. le Maistre d’escolle, vers 4.)   68 Près de « l’échelle pour monter au dorteur des dames » (Comptes de l’aumosnerie de S. Berthomé).   69 Toutes les nonnes l’ont fait au même endroit.   70 Je ne sais pas quelle autre aurait crié.   71 Une tromperie. (On peut préférer : fraincte [infraction].) Jean-Baptiste de Grécourt opposera une abbesse à une nonne enceinte dans son poème le Silence, qui s’achève ainsi : « –Vous n’aviez qu’à crier de tout votre pouvoir./ –Oui, mais (dit la nonnain) c’étoit dans le dortoir,/ Où notre règle veut qu’on garde le silence. »   72 En courant.   73 Une telle contrainte.   74 « Je (respondit la Fessue) leur faisois signes du cul tant que povois, mais personne ne me secourut. » Rabelais, Tiers Livre <1546> : le chapitre 19 emprunte à notre farce les aventures de sœur Fessue et du frère Royddimet.   75 Et cette oie blanche n’aurait pas pu.   76 Qu’on connaît l’amoureux métier, le bas métier.   77 Cf. Gargantua (chap. 3) : « Elle engroissa d’un beau filz et le porta jusques à l’unziesme moys. Car autant, voire dadvantage, peuvent les femmes ventre porter. » Le docteur Rabelais conclut malicieusement que les veuves peuvent donc jouer du serre-croupière deux mois après le trépas de leur mari.   78 Le diable.   79 À Dieu.   80 LV : la solution  (L’absolution, confirmée par le jeu de mots de 270. Idem vers 336.)   81 Me déchargea. 2° degré : me procura un orgasme : « Elles déchargent quand on les secoue. » (Cyrano de Bergerac.)   82 Les hérétiques.   83 Saint Paul, Épître aux Romains, II-3.   84 Transformée en objet de scandale.   85 Évangile selon saint Matthieu, VII-3.   86 Matthieu, VII-1.   87 Romains, II-1.   88 L’ennuyeux passage 291-301, envahi de rimes proliférantes, est visiblement interpolé : une simple nonne ignorant le latin n’argumente pas une discussion théologique !   89 Au nom de la Vierge, dont on chante les louanges.   90 Qu’il n’est pas possible que vous ne vous adonniez à des jeux amoureux. Les trois nonnes agenouillées vont enfin relever la tête et voir l’objet du délit. Ce passage doit beaucoup au Dit de la Nonnète : « Que savez-vous que il vous pent,/ Belle dame, devant vos ieuls ?…./ Un couvrechef à menus plis/ Vous y pent, dame, ce me samble,/ Qui, par le cor Dieu, bien resamble/ Ce de quoi on couvre son cul. »   91 Est-ce la mode (de porter sur la tête).   92 LV : esmoy  (Cf. les Gens nouveaulx, v. 244.)   93 LV : changons en  (Chantons d’une autre manière, changeons de ton.)   94 Rase. « On dit qu’un Barbier rait l’autre, pour dire qu’il faut que chacun dans sa profession se rende des offices réciproques. » Furetière.   95 Qu’une main aide l’autre.   96 LV : voz  (Vous êtes soumise à notre volonté [audi nos = écoute-nous]. « I li fet tous ses audinos » : il lui passe toutes ses volontés.)   97 Tu as fait comme nous.   98 Je t’absous sans pénitence pour tes péchés.   99 LV : Incorbennem  (Dans un cœur bon : « In cor bonum et devotum. » Nicolai de Gorrani.)   100 Maintenant, tu peux t’en aller avec un cœur pur, comme par le passé.   101 Va en paix.   102 Ultime pirouette sur le nom de Marie, qui avait elle aussi conçu sans péché.   103 Ces décasyllabes aux rimes mal disposées recyclent maladroitement les vers 283-285. Le congé final est commun à beaucoup de farces et de sotties.

LE MONDE QU’ON FAICT PAISTRE

Ms. La Vallière

Ms. La Vallière

*

LE  MONDE 

QU’ON  FAICT  PAISTRE

*

Cette Moralité normande de la fin du XVe siècle échappe aux critères convenus : ici, le personnage du Monde refuse d’être victime des trompeurs, et il se défend contre leurs abus. C’est la seule pièce médiévale où le Monde est content de son sort ! Le snobisme de ce nouveau riche ne le rend pas plus sympathique pour autant.

Source : Manuscrit La Vallière, nº 26. Quand on voit le nombre de fautes que le copiste accumule dans les refrains des poèmes à forme fixe, on devine que son travail n’est pas très soigné.

Structure : abab/bcbc et rimes plates, avec 10 triolets et 1 double triolet.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

*

Farce joyeuse

à cinq personnages

 

C’est asçavoir :

     TROYS  GALANS

     LE  MONDE,  qu’on faict paistre

     ORDRE

*

                                      LE  PREMIER  GALLANT  comence et dict :

             Et puis1, est-il façon aulcune ?              SCÈNE  I

                                      LE  IIe  GALANT

             De quoy faire ?

                                      LE  IIIe  GALANT

                                        D’aquicter2 tout.

                                      LE  PREMIER  GALANT

             Y souldra3 quelqu(e) un ou quelqu(e) une

             De bref, qui nous mectra deboult.

5       Je songe.

                                      LE  IIe  GALANT

                             Je suys en escoust4.

                                      LE  IIIe  GALANT

              J’ey mains, et sy5 ne puys rien prendre.

                                      LE  PREMIER  GALANT

             Je suys frais, frais.

                                      LE  IIe  GALANT

                                          Et j’ey bon goust.

                                      LE  IIIe  GALANT

             J’aprens, et sy suys à raprendre.

                                      LE  PREMIER  GALANT

             De sancté, j’en ay à revendre6

10      Largement, trop plus que de paille.

                                      LE  IIe  GALANT

             Et au surplus, on doibt entendre

             Qu’en tout le trésor pas n’a7 maille.

                                      LE  IIIe  GALANT

             A ! sy fault-il tenir bataille,

             Pour combastre ses ennemys.

                                      LE  PREMIER  GALANT

15      C’est force ; ou que chascun s’en aille,

             Car, par Dieux, nous avons trop mys8.

                                      LE  IIe  GALANT

             Et ! fault-il que les bons amys

             Départent sy hastivement ?

                                      LE  IIIe  GALANT

             Dictes : sy n’ai-ge rien promys

20      À nul, par foy ny par serment.

                                      LE  PREMIER  GALANT

             Ce qu’on faict volontairement

             Vault mieulx qu’à force mile foys.

                                      LE  IIe  GALANT

             Quoy ! nous fauldra l’entendement9 ?

             Prenons courage ! Hault le boys10,

25      Encore un coup !

                                      LE  IIIe  GALANT

                                         A ! je m’en voys,

             Quant à moy. Qui veult y demeure.

                                      LE  PREMIER  GALANT

             (Y sera chevalier en loix,

             Sy s’en va dedens un cart d’heure.11)

                                      LE  IIe  GALANT

             Sy, fault-il que chascun labeure

30      Du meileur cuir de son panier12.

             Sans s’effréer, chascun s’asseure !

             Ce jour sy n’est pas le dernier.

                                      LE  IIIe  GALANT

             Nous sommes sas13 à charbonnier.

                                      LE  PREMIER  GALANT

             Comment ?

                                      LE  IIe  GALANT

                              L’un l’aultre honnissons14.

                                      LE  IIIe  GALANT

35      Mais, nous sommes sas de munyer :

             Plus vivons et plus blancissons15.

                                      LE  PREMIER  GALANT

             Plus nyeis que jeunes moys[s]ons16

             Nous sommes, tous troys.

                                      LE  IIe  GALANT

                                                  Comme quoy17 ?

                                      LE  IIIe  GALANT

              Plus vivons et moins congnoissons.

                                      LE  PREMIER  GALANT

40      Laissons ce babil, c’est esmoy.

             L’en ne me doibt rien ; sy, ne doy :

             C’est à payer quant on l’aira18.

                                      LE  IIe  GALANT

             O ! que chascun pence de soy !

                                      LE  IIIe  GALANT

             C’est bien dict, mon filz. Va-y, va.

45      (Aussy tost qu’il arivera,

             Y trouvera le baing toult chault19.)

                                      LE  PREMIER  GALANT

             Seurement, sans parler plus hault,

             Y nous fault icy adviser

             Où nous irons, et deviser20

50      Vitement. Et qu’on se délivre.

                                      LE  IIe  GALANT

             G’iray avec le Monde vivre,

             Sy je puys, par quelque manière.

             Et vous ?

                                      LE  IIIe  GALANT

                          Pour mieulx mon cas poursuyvre,

             G’iray avec le Monde vivre.

                                      LE  PREMIER  GALANT

55      Par ma foy ! sy je ne suys yvre,

             Comme vous soublz vostre banyère,

             G’iray avec le Monde vivre,

             Sy je puys, par quelque manière.

                                      LE  IIe  GALANT

             G’iray le chemin de derière.

                                      LE  IIIe  GALANT

60      Et moy, le chemin de travers.

                                      LE  PREMIER  GALANT

             Et moy à la gauche, en arière,

             Pource qu’on veoyt trop d’ieulx ouvers21.

             Nous irons les chemins couvers22,

             Que le soleil sy ne nous brûle.

                                      LE  IIe  GALANT

65      Nos chevaulx ?

                                      LE  IIIe  GALANT

                                        Ilz sont trop dyvers23 :

             Nous aurons chascun une mule.

                                      LE  PREMIER  GALANT

             Aulx talons24

                                      LE  IIe  GALANT

                                   Sy je dissimule,

             Et je le treuve en quelque coing,

             De luy dire…

                                      LE  IIIe  GALANT

                                  Y fault qu’on recule,

70      Bien souvent, pour saillir plus loing25.

                                      LE  [IIe]  GALANT

             Je vous suplye, prenons le soing

             De faire le Monde une beste.

             Dictz-je bien ?

                                      LE  [IIIe]  GALANT

                                    Moy, j’ey à la teste

             De l’aveugler, c’est mon vouloir,

75      Et luy faire entendre que noir

             Sera blanc. Et vous, nostre maistre ?

                                      LE  PREMIER  GALANT26

             Et ! je feray ce Monde paistre,

             De quoy vous parlez, devant tous,

             Luy disant qu’il a une toux

80      Qu’i fault que par herbe on garisse.

                                      LE  IIe  GALANT

             Que nul de nous ne se marisse27 :

             Y fault qu’à la fin28 chascun tende.

                                      LE  IIIe  GALANT

             Il n’y a plus tiltre ne bende29 :

             Chascun fera son faict à part.

                                      LE  PREMIER  GALANT

85      Sans argent, ofice ou prébende,

             Y n’y a plus tiltre ne bende.

                                      LE  IIe  GALANT

             On ne debvons pas grand amende30

             De chanter à nostre départ.

                                      LE  IIIe  GALANT

             Il n[’y] a plus tiltre ne bende31 :

90      Chascun fera son faict à part.

                                      LE  PREMIER  GALANT

             Or chantons, que Dieu y ayt part !

                                     Ilz chantent unne chanson.

                                      LE  IIe  GALANT

             À Dieu, hau32 !

                                      LE  IIIe  GALANT

                                    Va-t’en, va !

                                      LE  PREMIER  GALANT

                                                       Revien !

                                      LE  IIe  GALANT

             Says-tu quoy ? Dresse un grand mestier33.

                                      LE  IIIe  GALANT

             Ne vous chault, je n’ombliray rien.

95      Adieu, hau !

                                      LE  PREMIER  GALANT

                                   Va-t’en, va !

                                      [LE  IIIe  GALANT]

                    Et revien !

                                      LE  IIe  GALANT

             Nous nous trouverons, aussy bien,

             Ensemble cheulx le pel[le]tier34.

                                      LE  IIIe  GALANT

             Adieu, hau !

                                      LE  PREMIER  GALANT

                                 Va-t’en, va !

                                      LE  IIe  GALANT

                                                     Et revien !

              Say-tu quoy ? Dresse un grand35 mestier.

                                      LE  [PREMIER]  GALANT

100    Que chascun tire son cartier36.

             Passons37 ce qu’avons entrepris.

                                      LE  [IIIe]  GALANT        SCÈNE  II

             Le mieulx faisant doibt avoir pris38.

             Y fault subtilement ouvrer

             Afin d’aulcun bien recouvrer39

105    Du Monde. Hau là ! je le voy.

             Pleust à Dieu qu’i n’y eust que moy

             À le gouverner, ce mignon !

             Comment ! y faict du compaignon40 ?

             Il me semble plus éveillé

110    Et nouvèlement abillé41

             Qu’aultre foys. Je voys42 par-delà.

             Dieu gard, Monde !                   SCÈNE  III

                                      LE  MONDE  entre

                                         Que faictz-tu là ?

             Vien(t) par-devant, vien par-devant !

                                      LE  [IIIe]  GALANT,  derière le Monde

             Y a-il personne ? Holà !

115    Dieu gard, le Monde !

                                      LE  MONDE

                                               Que faictz-tu là ?

                                      LE  IIIe  GALANT

             Je viens par-derière.

                                      LE  MONDE

                                          Cela !

             Mais d’où me vient ce poursuyvant ?

                                      LE  [IIIe]  GALANT

             Dieu gard, Monde !

                                      LE  MONDE

                                             Que faictz-tu là ?

             Vien par-devant, vien par-devant !

                                      LE  [IIIe]  GALANT

120    J’eusse bien dict : « Dieu vous avant43 ! »

             Mais c’eust esté faict en village44.

                                      LE  MONDE

             Sy tu joue ton personnage45,

             Sy le dy ! T’ose-tu monstrer ?

                                      LE  [PREMIER]  GALANT    SCÈNE  IV

              J’ey grand désir de rencontrer

125    Ce Monde ; y fault que g’y converse.

             Je voys46, je viens puys je traverse,

             Pour cuyder venir à mes fins.

             On dict qu’i sayt des tours sans47 fins,

             Et jamais n’en fust sy subtil.

130    Je le voys. Non est… A ! c’est il :

             Il porte abillemens dyvers.

                                      LE  MONDE

             Cestuy-cy y vient de travers,

             Et l’aultre est venu par-derière.

                                      LE  PREMIER  GALANT

             Vous n’entendez pas bien les vers48.

                                      LE  MONDE

135    Cestuy-cy [y vient]49 de travers.

                                      LE  [PREMIER]  GALANT

             Voz yeulx sont changés50 à l’envers ?

                                      LE  MONDE

             J’ey pour vous assez grand lumière.

             (Cestuy-cy il vient de travers,

             Et l’aultre est venu par-derière.

140    Je n’entens pas bien la matière :

             Le faict-il pour me faire rire ?

             Sy sérai-ge qu’i veulent dyre51,

             Afin de me désennuyer52.)

             Honneur, mon seigneur l’escuyer53 !

                                      LE  [PREMIER]  GALANT

145    Monde, Dieu vous face joyeulx !

             Comme vous va ?

                                      LE  MONDE

                                         De mieulx en mieulx ;

             Remply de biens, sain, en bon poinct.

             Et vous ?

                                      LE  PREMIER  GALANT

                              Comme sy n’en fust poinct :

             J’en suys plus bas qu’au fons du puys.

                                      LE  MONDE

150    Vostre compaignye en vault pis ;

             Je ne vous cherche pas un grain54.

                                    LE  IIe  GALANT,  en chantant  SCÈNE  V

             Atendez à demain, atendez à demain 55 !

             (Il y sont ; chascun faict sa main56.

             Par Dieu ! sy, n’ay-ge pas trop mys57.)

155    Congnoissez vos petis amys,

             Monde gratïeulx, et plaisant…

                                      LE  MONDE

                                                         Hauche58 !

             Cestuy-ci revient à la gauche.

             Que voulez-vous ? Que Dieu le sache !

                                      LE  [IIe]  GALANT

             Ainsy que Robin danse en tache59,

160    Nous venons vers vous.

                                      LE  MONDE

                                               C’est bien faict.

                                      LE  PREMIER  GALANT

             Vous en desplaist-il ?

                                      LE  MONDE

                                            Tout me plaist.

                                      LE  IIe  GALANT

             Je suys le vostre60, moy.

                                      LE  MONDE

                                                   Et61 moy.

                                      LE  IIIe  GALANT

             Le Monde parle.

                                      LE  MONDE

                                         Myeulx c’un gay62.

             Sus ! mon œuvre j’aprens assez.

165    Et puys, quoy ? Estes-vous [c]assés63 ?

                                      LE  PREMIER  GALANT

             Cassés ? Nous sommes tous entiers.

             Vers vous avons prins les sentiers

             Pour avoir en vous abitude64.

                                      LE  MONDE

             Ilz sont clers.

                                      LE  IIe  GALANT

                                  Venans de l’estude.

                                      LE  MONDE

170    Aussy, je vous faictz as[ç]avoir

             Qu’i fault quelque sience avoir,

             Qui65 veult aveq moy convercer.

                                LE  IIIe  GALANT,  à toult un esteur 66 blanc

              à sa main, et à l’aultre main, un esteur noir.

             Chascun a l’engin67 pour perser

             Un mur de saise piedz d’épès.

175    Or paix, or paix, mes amys, pès !

             Le maistre va jouer son jeu.

             Je voys68 aveugle[r] en ce lieu

             Le Monde.

                                       LE  MONDE

                              Je t’en garderay !

             Mais vien par-devant.

                                      LE  [IIIe]  GALANT

                                              Non feray.

                                      LE  MONDE

180    Par Dieu ! sy portai-ge assez d’yeulx

             Pour veoir loing et en divers lieux ;

             Et sy, chascun en vault bien dis69.

                                      LE  [IIIe]  GALANT

             Sy ferai-ge tant, par mes dis,

             Que je vous feray aveugler.

                                      LE  MONDE

185    Bref tu ne me séroys tant sengler70

             Qu’en la fin tout [n’]en vaille un blanc71 !

                                      LE  IIIe  GALANT

             Quel est cest esteur ?

                                      LE  MONDE

                                                 Il est blanc.

                                      LE  [IIIe]  GALANT

             Il est noir. Chaussez vos lunètes72 !

                                      LE  MONDE

             C’est bien dict, mymin73 à sonnètes.

190    Et fust-il de sire74, il est jaulne.

             Voylà bien joué [le béjaulne]75,

             À veue d’euil, sans art d’Anemy76.

                                      LE  [IIIe]  GALANT

             Vous n’y voyez pas à demy.

                                      LE  MONDE

             Sy faictz bien, car je voys partoult,

195    D’un costé et de l’aultre boult.

                                      LE  IIIe  GALANT

             Vous n’avez pas des yeulx au col77.

                                      LE  MONDE

             Or voy-ge bien que tu es fol,

             Bien lourdault, bien badin, bien beugle78,

             D’ainsy me cuyder faire aveugle.

                                      LE  PREMIER  GALANT

200    Vous n’avez pas des yeulx au cul.

                                      LE  MONDE

             Y ne fault poinct tant de calcul.

                                      LE  [IIIe]  GALANT

             Mon serment ! vous voyez bien loing.

                                      LE  MONDE

             Bien loing, y m’en est bien besoing.

             Encor plus loing que vous ne dictes.

205    Je voys bien des regnars79 hermites,

             Je voys mygnons, je voy mignonnes,

             Je voys ceulx qui en font de bonnes.

                                      LE  IIIe  GALANT

             Vous voyez jusques en levent80 ?

                                      LE  MONDE

             Je voy par-derière et davent.

210    En éfaict, je voy toulte gent.

                                      LE  PREMIER  GALANT

             Vous ne voyez pas nostre argent.

                                      LE  MONDE

             Tant y seroit fort à conter81 !

                                      LE  [PREMIER]  GALANT, 

                à toult 82 des herbes en sa main

             Ce qui vous plaist à racompter

             Est vray, mais vous n’y voyez gouste.

215    Monde, voécy qui est bon pour la gouste83 :

             Ce sont herbes substantieuses84,

             Très bonnes et fort vertueuses,

             S’y vous survenoyt aulcun mal.

                                      LE  MONDE

             Bail[l]ez-les à vostre cheval !

                                      LE  [PREMIER]  GALANT

220    Ilz sont bonnes.

                                      LE  MONDE

                                      Sy, les mengez !

                                      LE  PREMIER  GALANT

             Alez, alez !

                                      LE  MONDE

                              Ne vous bougez !

                                      LE  [PREMIER]  GALANT

             Agardez, j’avois ouÿ dire

             Que vous aviez perdu le rire ;

             Voécy pour resjouir le cœur.

                                      LE  MONDE

225    Je n’eus jamais telle vigueur85,

             Ne tel force, ne tel vertu86.

             Vous me cuidez faire abatu

             Au devant que l’on m’ait87 touché.

                                      LE  [PREMIER]  GALANT

             Hay !

                                      LE  MONDE

                       Tron88 !

                                      LE  PREMIER  GALANT

                                     Sy vous estiez couché

230    Pour vous reposer un petit,

             Cecy vous donroyt apétit,

             Et seriez sain comme un piot89.

                                      LE  MONDE

             Quel « sain » ? Je boy à vous90 d’un pot.

             Quelz herbes ? Ostez ce brouil[l]is,

235    Il ne me fault poinct de coulis91 :

             Je mengeüstz bien sans médecine.

                                      LE  [PREMIER]  GALANT

             Par Dieu ! je n’y prens poinct bon sine.

                                      LE  MONDE

             Sy prenez d’un paon92.

                                      LE  [PREMIER]  GALANT

                                                  Da !

                                      LE  MONDE

                                                           Quel « da » ?

             Et ! voécy bon Génin Dada93 !

240    Et alez, alez, nostre maistre.

             Et ! me cuidez-vous faire paistre,

             Et l’autre aveugler ? Qu’esse-cy ?

                                      LE  PREMIER  GALANT

             Tant le Monde est fort à congnoistre !

                                      LE  MONDE

             Et ! me cuidez-vous faire paistre ?

245    Esse ce qui vous maine en cest estre94 ?

                                      LE  [PREMIER]  GALANT

             Monde, alez-y tout beau.

                                      LE  MONDE

                                                  Cecy !

             Et ! me cuidez-vous faire paistre,

             Et l’aultre aveugler ? Qu’esse-cy ?

             Et vous, savez-vous rien95 aussy ?

250    Qu’estes-vous ?

                                      LE  [IIe],  à tout des boètes 96

                                          Nigromansien97.

             Je sçays le viel art antien

             Du magique.

                                      LE  MONDE

                                  Il sent donc le jaulne98,

             Ce vièlard99 ? Et ! qu’il est béjaulne,

             Qui me vient gâcher100, assaillir !

255    Dont peuent101 ces troys mignons saillir,

             Qui me rompent ainsy la teste ?

             Que me veulx-tu ?

                                      LE  IIe  GALANT

                                            Vous faire beste.

             En ce lieu, sans vous remuer,

             Instamment vous feray muer

260    En cerf, en ours et en lyon102.

                                      LE  MONDE

             J’ayme(s) myeulx payer demyon103

             Et que je ne soys poinct mué104,

             Tant l’or seroyt bien remué

             De telz mygnons.

                                      LE  IIIe  GALANT

                                         En ? Vous rail[l]ez !

265    En av’ous105 ? Or nous en baillez.

                                      LE  MONDE

             Endroict vous, l’or seroyt segret106 !

                                      LE  PREMIER  GALANT

             Tout se pert.

                                      LE  IIe  GALANT

                                   Il le bat trop froid.

                                      LE  IIIe  GALANT

             Qui eust cuydé qu’il eust tant sceu ?

                                      LE  PREMIER  GALANT

             Nous ne frapons poinct à l’endroict107.

270    Toult se pert.

                                      LE  IIe  GALANT

                                       Y le bat trop froid.

                                      LE  IIIe  GALANT

             Y congnoyt le tort et le droict.

                                      LE  PREMIER  GALANT

             Quant j’ey bien son cas aperceu,

             Toult se pert.

                                      LE  IIe  GALANT

                                     Y le bat trop froid.

                                      LE  IIIe  GALANT

             Qui eust cuydé qu’il eust tant sceu ?

                                      LE  PREMIER  GALANT

275    On ne frapons poinct à l’endroict.

             Toult se pert.

                                      LE  IIe  GALANT

                                    Y le bat trop froid.

                                      LE  IIIe  GALANT

             Y congnoyt le tort et le droict.

                                      LE  PREMIER  GALANT

             Quant j’ey [bien son cas]108 aperceu,

             Toult se pert.

                                      LE  IIe  GALANT

                                    Y le bat trop froid.

                                      LE  IIIe  GALANT

280    Qui eust pensé qu’il eust tant sceu ?

                                      LE  PREMIER  GALANT

             Jamais il ne seroyt déceu109,

             En ce poinct. C’est pour toult gaster.

             Un mot, hau ! Y le fault flater110

             Pour mieulx en chevir111, ce me semble.

                                      LE  IIe  GALANT

285    Pour l’abatre et [pour] le mater,

             Un mot, hau, y le fault flater.

                                      LE  MONDE

             Musars, vous avez beau bater112 ;

             N’en tenez jà conseil ensemble.

                                      LE  IIIe  GALANT

             Un mot, hau ! Y le fault flater

290    Pour mieulx en chevir, ce me semble.

                                      LE  MONDE

             Chantez hardiment tous ensemble ;

             Ou aultrement, pour toult potage,

             C’est mal cherché vostre avantage.

                                       Ilz chantent une chanson.

                                      LE  PREMIER  GALANT

             Monde mondain, plaisant, subtil,

295    Honneste, gratïeulx, subtil, gentil :

             Tu reluys en mer et en terre.

             Pour néant [je te]113 requiers ?

                                      LE  MONDE

                                                         Serre114 !

                                      LE  IIe  GALANT

             Gentil Monde, tant tu es riche !

             Endroict115 moy que tu ne soys chische.

300    Puysqu’en toy déshonneur s’eslongne,

             Donne-moy de tes grans biens.

                                      LE  MONDE

                                                       Congne116 !

             Dieu ayt l’âme de Raul Flatart117 !

             Par Dieu ! vous y venez plus118 tart

             Que celuy qui crye la moutarde.

                                      LE  IIIe  GALANT

305    Et ! Monde : quant je te regarde,

             Tu me semble très gentement

             Vestu en ton acoustrement119.

             C’est fin drap, toultes foys ; n’est mye120 ?

                                      LE  MONDE

             C’est mon121, mais vous ne l’arez mye.

                                      LE  PREMIER  GALANT

310    Vous estes sur le hault verdus122.

             Vos beaulx jours ne sont pas perdus,

             Tant voécy un maistre pourpoinct !

                                      LE  MONDE

             C’est mon, mais vous ne l’arez poinct.

                                      LE  IIe  GALANT

             Tant tu as maincte belle chose,

315    Monde ! Ta toque sent la rose,

             Et est bien tournée par compas123.

                                      LE  MONDE

             C’est mon, mais vous ne l’aurez pas.

             Qui me vouldroict ainsy navrer124,

             Y me fauldroict bien enyvrer,

320    Et boyre cinq foys davantage.

             Vous y perdez vostre langage,

             Afin qu’âme ne s’y efforce.

                                      LE  IIIe  GALANT

             Nous viv[r]ons aveq vous par force,

             Bon gré, mal gré.

                                      LE  MONDE

                                         Sus vostre dam125.

                                      LE  PREMIER  GALANT

325    Qu’en dictes-vous ? Suis-je souldam126 ?

             À quel jeu l’avons-nous perdu ?

                                      LE  IIe  GALANT

             Nous sommes tous d’Ève et d’Adam127 ;

             Qu’en dictes-vous ? Suis-je souldam ?

                                      LE  IIIe  GALANT

             Qu’en faict-on plus en un quidem

330    Qui est, de nouveau, descendu128 ?

                                      LE  PREMIER  GALANT

             Qu’en dictes-vous ? Suis-je souldam ?

             À quel jeu l’avons-nous perdu ?

                                      LE  IIe  GALANT

             [Je vous gouvernray]129 en temps dû,

             Ainsy comme les aultres font.

                                      LE  MONDE

335    De mes130 biens, toult n’est pas fondu :

             Ceulx qui les pratiquent131 les ont.

                                      ORDRE  entre            SCÈNE  VI

             Est le vent d’aval ou d’amont132 ?

             N’ai-ge pas oÿ un tamboys133

             Vers ce cartier ? Je m’y envoys

340    Pour veoir que c’est134 à retirer.

             Quant je voys d’aulcuns folyer135,

             Ou d’aultres regiber ou mo[r]dre,

             G’y doibtz aler, car je suys Ordre,

             Qui mais les choses à leur droict.

345    Je voys136 fraper en bon endroict

             Sur toult ce qu’il y a de jeu137.

             C’est le Monde. Bien, de par Dieu.

             Sy j’estoys tousjours avec luy,

             Il n’aroyt soulcy ny ennuy.

350    Quelz gens [sont-ce là qui le lassent]138 ?

             Il semble, à les veoir, qu’i l’agassent.

             Qu’âme ne parte de son lieu               SCÈNE  VII

             Pour moy ! Monde, Dieu vous gard ! Dieu

             Gard139 les aultres pareillement,

355    Toult ainsy comme vous !

                                      LE  MONDE

                                                   Paciamment,

             Y me fault tous heurs140 endurer.

             Combien que je ne puys pleurer,

             Car j’ey des biens plus que des maulx,

             Dieu mercy !

                                      ORDRE

                                  Que dient et ces vassaulx141,

360    Qui sont en ce poinct arivés ?

                                      LE  MONDE

             Ce sont troys povres engelés142

             Qui me veulent menger143 toult cru.

                                      ORDRE

             Monde, s’on leur a rien acreu144,

             Qu’on les paye afin qu’i s’en voisent145.

365    Que vous fault-il ?

                                      LE  MONDE

                                          Y se dégoisent146,

             Moytié figues, moytié raisins,

             Combien qu’i sont tous mes voisins.

             Mais pour vous compter la manière,

             Ce fol est venu par-derière

370    Pour m’aveugler.

                                      ORDRE

                                          Esse où il tent ?

                                      LE  IIIe  GALANT

             Chascun le faict comme il entent.

                                      LE  MONDE

             Et l’aultre est venu de travers

             En me servant de mos couvers ;

             Et avoyt de l’erbe, ce maistre,

375    Dont y m’a cuydé faire paistre

             Non obstant que rien ne me deult147.

                                      LE  PREMIER  GALANT

             A ! y gaigne le gal148 qui peult.

                                      LE  MONDE

             Le tiers estudye nigromance149,

             Et dict qu’il est en sa puissance

380    De me faire devenir beste.

                                      ORDRE

             Quoy ? Y vous ont rompeu la teste ?

                                      LE  MONDE

             Toutefoys, il [m’]ont toult gasté.

                                      ORDRE

             Comme quoy ?

                                      LE  MONDE

                                     Il m’ont tant flaté,

             Et dict [de moy]150, à ma présence,

385    Tant de biens151, sus ma consience,

             Que ne m’en savoys délivrer.

             En fin, y m’ont cuydé navrer

             En me disant « Ce drap est fin,

             Ce pourpoinct est beau et godin152 »,

390    Voy(e)re, et153 plusieurs mos arunés,

             Cuydant que je dise : « Tenez ! »

             Y n’avoyent garde de ce coup154 !

                                      ORDRE

             Or vous retirez tous à coup !

             Servez-vous de telles offices ?

395    Alez impétrer bénéfices

             Soublz l’abaÿe de Frévaulx155 !

             Vuydez156 !

                                      LE  IIe  GALANT

                              Qui tiendra vos chevaulx157 ?

             Comme vous vous éfervuez158 !

                                      ORDRE

             Quelz estoremens159, quelz joyaulx !

400    Vydez !

                                      LE  IIIe  GALANT

                             Qui tiendra vos chevaulx ?

                                      ORDRE

             Telz gens ne font que trop de maulx

             Au Monde. Sus, ne160 revenez !

             Vuydez !

                                      LE  PREMIER  GALANT

                            Qui tiendra vos chevaulx ?

             Comme vous vous éfervuez !

                                      LE  IIe  GALANT

405    S’on ne sommes mors ou tués,

             Nous vivrons au Monde, vrayment.

                                       ORDRE

             Comment ?

                                       LE  IIIe  GALANT

                               Ne vous chaille comment,

             Tant que le Grand Maistre161 vouldra.

                                       ORDRE

             Voy(e)re ; mais donc, y vous fauldra

410    Vivre aultrement pour toulte reste.

             Aveugler, paistre, faire beste ?

             Chassez162 au loing, chassez, chassez !

                                      LE  PREMIER  GALANT

             Et, comment ! Vous nous ravassez163 ?

             Demandes qu’il est.

                                      LE  IIe  GALANT

                                                Vostre nom ?

                                      ORDRE

415    Mais le vostre ?

                                       LE  IIIe  GALANT

                                         Nostre renom

             S’épant oultre la Grande Mer164.

                                      ORDRE

             Et je me faictz Ordre nommer :165

             Je maine à reigle et à compas.

                                      LE  PREMIER  GALANT

             Ordre, je ne vous congnoys pas.

                                      ORDRE

420     Je vous en croys sans en jurer !

             Monde, s’on vous veult martirer,

              Je suys qui en faictz la raison.

                                      LE  MONDE

             Je vous ay veu longue saison166 ;

             Long temps a que je vous congnoys.

                                      LE  IIe  GALANT

425    Sus, qu(e) aurons-nous ?

                                      LE  MONDE

                                                 Troys vins de nois167 !

             Vous estes bien sos rassotés168.

                                       LE  IIIe  GALANT

             Sy conterons-nous vos pastés169,

             Monde, quelque jour qui viendra.

                                      LE  MONDE

             Ceste170 foys n’en mengerez jà,

430    Car vous m’avez pris sur le vert171.

                                      ORDRE

             Vienne le grand chemin ouvert172

             Qui veult des biens du Monde avoir !

                                       LE  PREMIER  GALANT

             Voylà nostre cas descouvert.

                                      ORDRE

             Vienne le grand chemin ouvert,

435    Sans tenir173 le sentier couvert.

                                      LE  MONDE

             À tous je l’ay faict asçavoir :

             Vienne le grand chemin ouvert

             Qui veult des biens du Monde avoir !

                                      ORDRE                 SCÈNE  VIII

             Enfans, qu’il174 nous face debvoir

440    De chanter, à la départye,

             Quelque chanson qui soyt partye175.

             Hardiment, je vous en dispense176.

                                      LE  IIe  GALANT

             Voylà pour nostre récompense.177

                                                             FINIS

*

1 Ces deux mots servent également d’introduction aux sotties du Temps-qui-court, des Sotz fourréz de Malice et des Cris de Paris.   2 LV : de quicter   3 Il surgira, il viendra.   4 À l’écoute, aux aguets. Cf. Resjouy d’Amours, vers 327.   5 Et pourtant.   6 Cf. le proverbe : « Povres d’argent, prou [beaucoup] de santé. » (Mallepaye et Bâillevant.)   7 LV : la  (Il n’y a pas un sou.)   8 Trop dépensé.   9 Notre bonne entente nous fera-t-elle défaut ?   10 Exclamation d’encouragement. Cf. les Premiers gardonnéz, vers 215.   11 Incompréhensible. Étant donné que l’auteur ne recule pas devant les pires calembours, on pourrait oser : il sera chevalet en bois, s’il s’en va dans l’atelier d’un cardeur. « Le cardeur travaillait sur un chevalet en bois. »   12 Travaille avec le meilleur cuir tiré de son panier, comme un bon cordonnier.   13 Des sacs. « Ils sont comme les sacs du charbonnier : l’un gaste l’autre. » Antoine Oudin.   14 Nous noircissons.   15 Plus nous sommes « mis à blanc », appauvris. « Les Arabes qui sont là aux aguetz, prests à vous dévaliser et mettre à blanc. » Godefroy.   16 Plus niais que des moineaux. Cf. la Pippée, vers 94.   17 C’est-à-dire ? Idem vers 383.   18 Quand on l’aura.   19 Il sera attendu (ironique).   20 Nous diviser. « Le temple fut devisé en deux parties. » Godefroy.   21 Parce que si j’arrivais par-devant, le Monde me verrait venir.   22 Par les chemins forestiers.   23 Capricieux.   24 Une engelure. (Cf. les Sotz escornéz, vers 57-58.) Étant trop pauvres pour avoir de vraies mules, les Galants ne sauraient avoir des chevaux.   25 Il faut reculer pour mieux sauter.   26 Sur cette rubrique, LV en met une autre : LE IIIe G. Soucieux de respecter bêtement l’alternance 1e, 2e, 3e, le copiste ne suit plus l’action : le 1e Galant aborde le Monde en travers pour le faire paître ; le 2e l’aborde par la gauche pour le rendre bête ; le 3e l’aborde par-derrière pour l’aveugler. Toutes les rubriques entre [ ] étaient fausses.   27 Ne s’égare.   28 Qu’au but.   29 Fi des titres nobiliaires et des bandes sur les blasons ! (On suppose que les Galants n’en ont pas plus que de chevaux.)   30 Ça ne nous coûtera rien. « On ne devons » est un normandisme, comme à 275 et 405.   31 LV : prebende   32 LV : hay  (Voir les refrains 95 et 98.)   33 Tends un piège (au Monde). « Vous estes bien femme/ Pour luy dresser quelque mestier. » Pernet qui va au vin.   34 « On dit proverbialement : Nous nous retrouverons, nous nous reverrons chez le pelletier, pour dire que nous devons tous arriver au mesme terme, qui est la mort. » Dict. de l’Académie françoise.   35 LV : aultre   36 Aille de son côté.   37 Exécutons.   38 Le meilleur (des trois) doit remporter le prix. Le « mieux faisant » sera donc le plus malfaisant.   39 Afin d’obtenir de l’argent.   40 Il fait le glorieux.   41 LV : a baille  (Habillé à la nouvelle mode.)  Le Monde porte des vêtements excentriques. Voir le vers 131.   42 Je vais par là, derrière le Monde.   43 Vous aide (forme populaire du verbe avancer).   44 Comme un villageois, un paysan. (Le Galant rappelle au Monde, qui le snobe, ses origines roturières.)   45 Si tu me joues une farce. « Lardeurs [les moqueurs] jouent leur parsonnaige. » Les Coppieurs et Lardeurs.   46 Je vais.   47 LV : tans  (On a le choix entre « sans » et « tant ».)   48 Vous ne comprenez rien.   49 LV : est venu   50 Tournés : vous voyez derrière vous ?   51 Aussi, je saurai ce qu’ils veulent me dire.   52 En devenant sage, le Monde a « perdu le rire » (vers 223). Érasme le reconnaîtra dans l’Éloge de la Folie <trad. Halewyn> : « Selon la diffinition des stoïciens, la vie des hommes, sans Folie, n’est que toute tristesse. » C’est une constante du théâtre médiéval : les hommes qui ont réussi font bavarder le premier venu pour distraire leur ennui (les Sotz ecclésiasticques, vers 137) ou leur mélancolie (le Capitaine Mal-en-point, vers 542).   53 Le sodomite (jeu de mots sur « cul »), puisqu’il n’arrive jamais par-devant. « Et la chair qu’on prend par la bouche,/ L’escuyer luy met par le cu. » (Parnasse satyrique.) Voir le vers 145 des Deux jeunes femmes qui coifèrent leurs maris, et le vers 833 de la Pippée.   54 Je ne recherche pas du tout votre compagnie.   55 Une vieille ronde, Il étoit un bon homme, a pour refrain : « Attendez à demain, mon voisin, attendez à demain. » Ce refrain fait une apparition au vers 405 de Jénin filz de rien. H. M. Brown, nº 27 : « No music has been found. »   56 « On dit familièrement faire sa main, pour dire : Piller quand on en a l’occasion. » Dict. de l’Académie françoise.   57 Pourtant, je n’ai pas mis trop de temps pour venir.   58 Interjection obscène. Hocher = secouer : « Quant une femme mariée/ A esté baysée et hochée/ D’ung autre que de son mary. » Moralité de Charité (BM 64). Le Monde lâchera deux autres interjections obscènes, à 297 et 301.   59 Sans ordre ni méthode. Robin est le type traditionnel du berger, qui danse sans avoir appris. « Robin, par l’âme ton père,/ Ses-tu bien baler [danser] du piet ? » Adam de la Halle.   60 Votre serviteur.   61 LV : De  (Et moi = moi de même. Mai rime avec geai, à la manière normande.)   62 Qu’un geai. « On nourrit les geays en cage, & on leur apprend à parler. » (Louis Liger.) « De caqueter trop mieulx qu’ung geay/ Je sçay la façon. » (Monsieur de Delà et monsieur de Deçà.)   63 Il traite les Galants de francs-archers, ces reîtres de sac et de corde que Louis XI avait cassés aux gages (révoqués sans solde) en 1481. Cf. Mallepaye et Bâillevant, vers 12.   64 Fréquentation.   65 Quand on.   66 Avec un éteuf, une balle pour jouer au jeu de paume. (Cf. la Fille esgarée, vers 141.) Il veut faire croire au Monde que le blanc est noir et que le noir est blanc.   67 L’intelligence. Mais le mot engin développe souvent un double sens phallique : cf. Digeste Vieille, vers 3 et note.   68 LV : vous  (Voys = vais.)  Le Galant va tenter de mettre ses deux balles devant les yeux du Monde, pour l’empêcher d’y voir.   69 Chacun de mes yeux en vaut dix.   70 Tu ne saurais tant me contraindre.   71 Que tes efforts ne vaillent pas un sou.   72 Les lunettes symbolisent la folie du savoir. Les Fols doivent donc en posséder, surtout si elles n’ont pas de verres.   73 Héros de Maistre Mymin qui va à la guerre. Les sonnettes sont les grelots qui ornent le costume et le capuchon des Sots : « Un certain bouffon & fol tout à faict (…) portoit deux oreilles droites faites de drap, lesquelles il avoit attachées à son capuchon, auquel il avoit des sonnettes cousues. » Histoire maccaronique de Merlin Coccaïe.   74 Pour peu qu’il soit en cire, il serait jaune.   75 LV : de rechange  (Béjaune [bec jaune] = blanc-bec, novice. Idem vers 253.)   76 Sans être sorcier. L’art de l’Ennemi [du diable], c’est la magie noire du vers 250.   77 Derrière la nuque.   78 Veau, imbécile.   79 Des renards, des hypocrites.   80 LV : eluent  (Le levant : l’est, où se lève le soleil ; l’Asie Mineure.)   81 Il serait bien difficile à compter (car vous n’en avez pas).   82 Avec. Il veut « faire paître » le Monde, le mystifier. (Cf. le Povre Jouhan, vers 398.) Vouloir faire paître le Monde n’est pas une nouveauté ; le Roman de Fauvel disait déjà : « Fauvel fet pestre le Monde. »   83 Cette herbe annonce le pantagruélion, qui guérit « les gouttes nouées ». (Rabelais, Tiers Livre, 51.)   84 Qui sustentent, qui réconfortent.   85 LV : liqueur   86 Puissance. « La force et vertu de son corps. » Godefroy.   87 LV : mect  (Avant qu’on ne m’ait touché.)   88 Jeu de mots sur « étron ».   89 Une petite pie.   90 « Je bois à vous, à vostre santé. » Furetière.   91 Suc roboratif. Cf. Monsieur de Delà et monsieur de Deçà, vers 119.   92 LV : pain  (Jeu de mots sur « signe » et « cygne ». Le cygne et le paon se mangeaient : « Poons rostiz et bons cisnes poivreis. » <Raoul de Cambrai.> Ces deux plats sont souvent accouplés : Testament Pathelin, vers 293.)  Le Monde est amateur de calembours : vers 144, 229, 238, 253, 304.   93 Un imbécile. « Au ruisseau (elles) crottent leurs souliers/ Affin que Jényn Dada [leur mari crédule] croye/ Qu’ilz [qu’elles] viennent de Haubervilliers. » <G. Coquillart.> Allusion au personnage de « Jehan Dada,/ Qui pleure quant son asne trote ». <Éloy d’Amerval.>   94 En ce lieu.   95 Êtes-vous savant en quelque chose ?   96 Avec des boîtes.   97 Nécromancien, sorcier.   98 La merde.   99 Jeu de mots sur le « vieil art » du vers 251.   100 LV : agacher  (qu’on trouve sous une forme préférable à 351. Gâcher = souiller.)   101 Forme normande de « peuvent ».   102 LV : leon  (qui rime pour l’oreille mais pas pour l’œil.)  Dans l’Odyssée d’Homère et dans les Métamorphoses d’Ovide, la magicienne Circé transformait déjà les hommes en animaux.   103 Une petite chopine. « Avoir demion de vin. » Godefroy.   104 Transmué, transformé en or par un alchimiste.   105 En avez-vous, de l’or ?   106 Avec vous, l’or serait bien caché.   107 Au bon endroit.   108 LV : congneu et   109 Trompé.   110 LV : haster  (Voir les refrains 286 et 289.)   111 En venir à bout.   112 Baster = guetter. Beter = harceler.   113 LV : se que tu  (Je t’invoque pour rien ?)   114 Interjection obscène : serrer = masturber. « Poste [la verge] à Gaultier si serrez ung peu mieulx. » Villon, Ballades en argot homosexuel <Mille et une Nuits, 1998>.   115 Envers, vis-à-vis de.   116 Interjection obscène : « Coigner une femme : faire l’acte charnel. » (Antoine Oudin.) « Quand Gros Jan me vient besoigner,/ Il ne me coingne que du cul. » Rabelais.   117 Prototype du flatteur, comme Raoullet Ployart est un prototype de l’impuissant.   118 LV : bien  (Les marchands de moutarde avaient un cri public : « Moustarde ! » <Cf. les Cris de Paris, vers 66.> Le peuple faisait mine d’entendre : « Moult tarde ! » Selon la définition de Furetière : « Moult tarde, ou demeure beaucoup à venir. »)   119 Flatterie éhontée : voir le vers 131.   120 Le Galant se souvient de maître Pathelin escroquant le drapier.   121 C’est exact.   122 Élégant. Voir le vers 122 de Mallepaye et Bâillevant, et le vers 45 de la Fille esgarée.   123 Elle est bien proportionnée.   124 Faire du tort. Idem vers 387.   125 À vos risques et périls.   126 Suis-je un sultan ? Autrement dit, suis-je battu ? Le sultan Boabdil, battu par les catholiques, avait perdu le Royaume de Grenade en 1492.   127 Nous sommes tous chrétiens.   128 Que peut-on faire de plus à un quidam qui, ayant été à la mode, a déchu ? (Possible rappel de la chute d’Adam.)   129 LV : de vous gouuerner   130 LV : mais   131 Qui les négocient, les font fructifier.   132 D’où vient le vent ?   133 LV : timboys  (Tambois = vacarme. « De cors et de buisines [trompettes] fu moult grans li tambois. » Godefroy.)  Plusieurs dictionnaires affirment que « timbois » est attesté par le Französisches Etymologisches Wörterbuch : ces dictionnaires ont tort.   134 Ce qu’il y a.   135 Être fous furieux.   136 Je vais.   137 Les jeux de hasard –et parfois les jeux théâtraux– étaient des facteurs de désordre.   138 LV : sonse la qui deplassent  (Je corrige sous toutes réserves.)   139 LV : et   140 Leurs heurts, leurs attaques.   141 Ces jeunes gens.   142 Transis de froid, mal couverts.   143 Cf. la sottie des Gens nouveaulx qui mengent le Monde.   144 Si vous leur avez acheté quelque chose à crédit. (Du verbe accroire.)   145 LV : ailent  (Qu’ils s’en aillent.)   146 Ils s’ébattent. Cf. Moral de Tout-le-Monde, vers 13.   147 Bien que je n’aie mal nulle part : je n’ai donc pas besoin d’herbes médicinales.   148 L’avantage.   149 LV : en igromansie  (La nécromancie, la magie noire. « Un homme fort savant en nigromence. » Godefroy.)   150 LV : des biens  (Mastic avec le vers suivant.)   151 LV : moy   152 Seyant.   153 LV : en  (Arunés = judicieusement disposés.)   154 Ils ne risquaient pas que je le fasse.   155 Ce lieu mythique désigne un taudis glacial où « l’abbé de Froictz-Vaulx, qui n’endure/ Challeur (…),/ Vous chauffera comme luy-mesme ». (Monologue des Sotz joyeulx.) Ses moines « ne sçayvent les dens où mettre,/ Et sans soupper s’en vont coucher ». (Jeu du Prince des Sotz.)   156 Videz les lieux !   157 Quand un riche allait à l’église à cheval, il trouvait toujours un mendiant qui l’aidait pour descendre et pour monter, afin d’obtenir une pièce.   158 S’effervuer  (lat. effervescere) = s’agiter. « L’autre s’effervue et se trouble. » Coquillart, Droitz nouveaulx, éd. Galliot du Pré.   159 Quels accoutrements.   160 LV : sus   161 Dieu. « Nostre grant Maistre en la croix estendu. » Ronsard.   162 Filez !   163 Rabâchez. Mais il pourrait s’agir d’une forme normande de ravesquer [rabrouer]. Au vers suivant, le 1er Galant s’adresse au 2ème.   164 L’océan Atlantique.   165 « Mer / nommer » est la rime normande par excellence. LV ajoute dessous : que ceulx qui me veulent aymer   166 Pendant longtemps. « Impossible est d’avoir en guerre bruyt [chance]/ Longue saison sans mauvaise adventure. » Pierre Gringore.   167 Vin dans lequel on a fait macérer des noix vertes.   168 LV : radotes  (« Sotz rassotéz, sotz nyais, sotz subtils. » Jeu du Prince des Sotz.)   169 Nous compterons votre galette, votre argent.   170 LV : voyere quelque   171 « On dit qu’un homme a été pris sur le vert, pour dire : sur le fait. » Furetière.   172 Qu’il vienne en face, et non par des chemins détournés.   173 Suivre. « La droite voie tenir. » Godefroy.   174 LV : que  (Que nous nous fassions un devoir.)   175 À plusieurs parties ; polyphonique. À la fin de Messire Jehan, les acteurs veulent chanter « une chanson qui soyt jolye ».   176 Je vous y autorise.   177 LV ajoute dessous : le premier va deuant commence

LA RÉFORMERESSE

Ms. La Vallière

Ms. La Vallière

*

LA  RÉFORMERESSE

*

Cette pièce écrite en Normandie après 1540 est une sottie protestante, comme sa cousine la Mère de ville ; car les catholiques n’étaient pas les seuls à montrer d’heureuses dispositions pour la pornographie et la scatologie. Elle s’oppose à la sottie catholique des Povres deables, dont le personnage principal se nomme la Réformeresse. Pour la chronologie des trois œuvres, voir la notice des Povres deables. La Réformeresse calviniste met par écrit les agissements des libertins, puis place cette confession sous une presse afin de « reformater » <vers 75> leur mauvaise vie.

Beaucoup d’auteurs dramatiques jouaient dans leurs pièces (Triboulet, Gringore, Lesnauderie…) : je pense que l’auteur anonyme de la Réformeresse tenait son propre rôle en la personne du 3ème Galant, ce qui rend plus savoureux les vers 239-257.

Source : Manuscrit La Vallière, nº 18.

Structure : Rimes plates, avec 1 rondel double et 4 chansons.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

*

Farce à VI personnages

C’est assavoir :

     LA  RÉFORMERESSE

     LE  BADIN

     III  GALLANS

     UN  CLERQ

*

                                   LA  RÉFORMERESSE  comence

              Par un art que Dieu m’a donné,          SCÈNE  I

              Nommée suys Réformeresse ;

              Je mais chascun estat3 en presse

              Ainsy qu’il m’est préordonné.

                                   LE  BADIN4

5      Un serviteur bien ordonné

              Vous plai[rai]st-y poinct, ma mêtresse ?

                                   LA  RÉFORMERESSE

              Par un art que Dieu m’a donné,

              Nommée suys Réformeresse.

              L’homme de savoir guerdonné5

10      Me fera révérence expresse

              Ou, comme une vielle compresse,

              Yl est de moy habandonné.

              Par un art que Dieu m’a donné,

              Nommée suys Réformeresse ;

15      Je mais chascun estat en presse

              Ainsy qu’il m’est préordonné.

                                   LE  BADIN

              Croyez que tantost, belle presse6

              Vous aurez,

              Puysqu’ainsy vous réformerez

20      Hommes et femmes par vos ars.

              [Ne] diront-y Domynus 7 pars,

              Comme à ceulx qu’on donne couronne ?

                                    LA  RÉFORMERESSE

              Qu’esse que cestuy fol blasonne,

              Qui me ront8 la teste en ce poinct ?

                                   LE  BADIN

25      Je demande s’y vous fault poinct

              De serviteur,

              Que je fusse réformateur

              Après que vous m’érez aprins9.

                                   LA  RÉFORMERESSE

              Quelz sçavoirs sont en toy comprins ?

30      Dy[-le-]moy, je te le commande10.

              Et davantage, je te demande

              Pourquoy tel instrument11 tu porte.

                                    LE  BADIN

              Pourquoy ? Sainct Jehan ! y me suporte12 ;

              Et sy13, par luy, j’ay du suport.

35      Passé dis ans14 je fusse mort,

              N’ust esté cestuy instrument.

              Souvent, mélencolieusement

              Vyvoys ; mais15, g’y prens mes esbas.

              Quant je voys contens16 ou débas,

40      Je prens l’instrument et m’en joue.

              Pour tant, se voulez que me loue

              [De vous, mectez-moy à l’essay :]17

              Vous vouérez que fère séray18.

                                    Le Badin sonne d’un sistre 19 et chante.

               Dens Paris la bonne ville,

               L’Empereur 20 est arivé.

45       Il y a eu mainte fille

               Qui a eu le cul rivé.

               Je l’ay dict et le diray ;

               C’est une chose avérée 21,

               Je l’ay dict et le diray.

                                     LA  RÉFORMERESSE

50      Et ! vrayment, je vous retiendray22.

              Savez-vous bien telle chanson ?

              Y fault publier à plain son

              Les Estas23, qu’i nous viennent vouèr.

              Par ce poinct, on poura prévoir

55      Que ma presse soyt assouvye.

                                     LE  BADIN  joue et chante.

               Vous ferez follye,

               Mêtresse, ma mye ;

               Vous ferez follye :

               Ne le faictes pas.

                                     LA  RÉFORMERESSE

60      Pourquoy [ne] m’apartient-y pas ?

              Je veulx qu’i souent24 tous réformés ;

              Au moins ceulx qui sont renommés

              De ne pas bien se25 gouverner.

                                     LE  BADIN

              Sainct Jehan ! vous érez beau corner26,

65      Sy en font rien qui soyt pour vous !

              Les prédicateurs, tous les jours,

              Braient27 et crient. Apetissez-les :

              Les chambèrières et valès

              Le[s] cressent28. Par bieu ! je le dis :

70      S’y devoyent perdre Paradis,

              Y n’en ferouent rien ; c’est simplesse.

                                     LA  RÉFORMERESSE

              Comment ? Je suys réformeresse ;

              Ne viendront-y poinct en ce lieu ?

                                     LE  BADIN

              Nénin. Foy que je doy à Dieu,

75      Vous aurez beau réformater.

              Mais penseryez-vous bien master29

              Les Estas et [les] mectre en presse30 ?

              Vous seriez plus grande mêtresse

              Que n’est pas la femme d’un roy !

80      Mais (escoutez un peu), je croy,

              Un tas de petis populaires,

              Pour en presser un couple d’aires31,

              Cela ce peult bien avenir.

                                     LA  RÉFORMERESSE

              Toute foys, je veulx soutenir :

85      Y fault bien que ma presse serve

              Souèt à presser servant ou serve,

              Ou aultres gens en général.

.

                                 Icy entre[nt UN CLERQ et] III GALANS, qui chantent :

              Nous sommes une bende                SCÈNE  II

             [Friande, galande] 32, normande ;

90      Nous sommes une bende

              D’un joly cœur loyal.

                                     LE  PREMYER  GALANT

              Par le sang bieu ! j’ay le sommal

              De la teste persécuté :

               J’ay beu33, moy.

                                     [LE  IIIe  GALANT]

                                            Sy l’on34 eust esté

95      Chanter ainsy comme [l’]on chante,

              Vous eussiez eu plus de cinquante

              Personnes pour offrir à boyre.

              Maintenant, n’en est plus mémoyre.

              C’est pityé que gens sont recuictz35.

                                     LE  IIe  GALANT

100    Quant est de moy, ma foy, j’en suys

             Fâché aussy bien comme toy ;

             Car pour lors, le Monde je voy

             Sy avaricieux et siche36.

             Il a pour nean[t] beau estre riche,

105    Les gallans ne s’amendent37 plus.

                                     LE  IIIe  GALANT

             J’ay veu que nous estions repus,

             Cheux les bourgoys, le temps passé ;

             Maintenant, tout y est cassé,

             Le tout sans avoir38 pié bouté.

110    S’un homme ne faict le conté39,

             On l’apelle fol et prodigue.

             On ne gaigne plus une figue ;

             Pour neant sommes-nous ramentus40.

                                    LE  CLERQ

             J’ay veu qu’on estions revestus41,

115    Entre nos, chantres, serviteurs ;

             Mais pour cest heure, les flateurs

             Gardent qu(e) on ne [nous] donne rien.

             Eux-mesmes emportent le bien

             Qui apartient aux bons galans.

120    Or çà, n’en alons plus parlans,

             Mais dison[s] deulx mos de chanson

             Pour passer nostre marisson42.

                                   Ilz chantent ensemble :

              Jacobin, la chose [est] tant doulcète 43 !

.

                                    LE  BADIN44             SCÈNE  III

             Dormez-vous ? Qu’esse que vous faicte(s) ?

125    Vouécy de l’euvre45 qui nous vient.

             Je croy vrayment qu’i nous convyent

             Bien réformer ces gallans-cy.

                                    LA  RÉFORMERESSE

             Que sont-il ?

                                    LE  BADIN

                                   Enfans sans soucy46,

             Qui cherchent besongnes mal faictes.

130    C’est dommages qu’i n’ont receptes

             À requellir47 : quelz aplicans48 !

             Jamais les raseurs de G[u]ingans49

             N’alissent50 la sorte qu’i vont.

                                    LA  RÉFORMERESSE

             Va [leur] dire qu(e) on les semont51

135    Et somme(s) de venir vers moy,

             Et que je les réformeray

             Et mectray en leur vraye essence52.

                                    LE  BADIN

             Par sainct Jehan, g’y voy[s]. Mais je pence

             Qu’i parleront bien à vous, tous.

.

140    Dieu gard, messieurs !                SCÈNE  IV

                                    TOUS  ENSEMBLE

                                                 Que dictes-vous ?

                                    LE  BADIN53

             C’est ma mêtresse qui vous mande

             Par moy, et aussy54 vous commande

             Que vous venez parler à elle.

                                    LE  PREMIER  GALANT

             Je vous prye, pour nostre querelle55,

145    Alon la vouèr.

             S’el[le] nous peûlt56 trèstous pourvoir,

             Nous serions ceste année hureux.

                                    LE  IIe  GALANT

             S’el me faisoyt chevalereux57,

             Je seroys hors d’un grand soulcy.

.

                                    LE  BADIN               SCÈNE  V

150    Dictes, mêtresse, les vouécy.

             Commandez [tout] ce qu’il vous plaist.58

             Y ne leur fault guère de plaist59 :

             Plaisans ilz sont et triumphans.

                                    TOUS  ENSEMBLE

             Honneur, Dame !

                                    LA  RÉFORMERESSE

                                             A ! [mes] beaux enfans,

155    Vous soyez les trèsbien venus !

             Qui vous gouverne ?

                                    TOUS  ENSEMBLE

                                                 Vénus60.

                                    LE  BADIN

             Vouère ! Ménestr[i]eurs et chantres61,

             Bien souvent telz gens ont les chancres62,

             Poursuyvans leurs plaisirs menus.

                                    LA  RÉFORMERESSE

160    Chascun de vous estes tenus

             De me livrer cy, par estat63,

             Toute vostre vye et estat,

             Affin qu’ilz souent boutés en presse.

                                    LE  IIe  GALANT

             Ma dame la Réformeresse,

165    Nous n’avon estat ne demy64,

             Quoy qu’il soyt.

                                    LA  RÉFORMERESSE

                                         Voy(e)là, mon amy :

             Y fault que je l’aye65. Et le vostre ?

                                    LE  IIIe  GALANT

             Aussy vray que la patenostre66,

             Je diray le mien sans mentir.

                                    LE  CLERQ

170    Et moy, je vous veux advertir

             Que ne mentiray nulement.

                                    LE  BADIN  escript

             Or çà donc[ques], premièrement,

             Je m’en voys là [le] vostre escripre.

             S’il y a un peu à construyre67,

175    Il amendera à la presse.

             Vostre nom ?

                                    LE  IIe  GALANT

                                     Raul.

                                    LE  PREMIER  GALANT

                                                 Je le confesse.

                                    LE  BADIN  escript

             Esse pas Raul le Mal-pencé68 ?

                                    LE  [PREMIER  GALANT]69

             Et qui, tous les deables, eust pencé

             Qu’il eust sceu mon surnon par cœur ?

180    Vertu bieu, quel fin docteur !

             N’y mectez rien que vérité.

                                    LA  RÉFORMERESSE

             Tout le bien qu’avez mérité,

             Récitez-le, c’est vostre charge.

                                    LE  PREMIER  GALANT

             Quel bien ? J’ay un pourpoinct de sarge70 ;

185    C’est tout ce que j’ay pratiqué71.

                                    LE  BADIN  escript

             Avez-vous poinct communiqué

             Aultre foys en lieux dissolus ?

                                    LE  [PREMIERGALANT

             Et ! ouy dea.

                                    LE  BADIN

                                   Et puys les karolus72,

             De vos jeux, s’y treuvent fessés73 ?

                                    LE  PREMIER  GALANT

190    Que deable, vous en congnoissez !

             A ! vous estes trop fin pour moy.

                                    LA  RÉFORMERESSE

             Au demourant ?

                                    LE  [PREMIERGALANT

                                          Je le diray :

             J’ay beu, mengé et faict grand chère74.

                                    LA  RÉFORMERESSE

             Donné pour Dieu ?

                                    LE  BADIN

                                                Par ma foy, guère :

195    Ce n’est pas tous le[s] jours un soult.

                                    LE  PREMIER  GALANT

             Par Nostre Dame ! y congnoyt tout.

             Je pense, moy, qu’il soyt propheste.

                                    LA  RÉFORMERESSE

             Escrivez qu’on demeure en reste

             Au tavernier souvente foys,

200    Quant y convyent que les bourgoys75

             Leur donnent présens trop petis.

                                    LE  [PREMIERGALANT

             Ouy vrayment, des foys plus de dis76.

             Voy(e)là le mot qui clost la lestre.

                                    LE  BADIN

             Y fault cecy en presse mectre,

205    On vouerra s’il amendera.

                                    LA  RÉFORMERESSE

             Çà ! après, qui commencera ?

             Ménestr[i]eur, tost aprochez,

             Que vous soyez tous despeschés

             Et réformés trètous ensemble.

                                    LE  [IIe]  GALANT

210    Je le veux bien.

                                    LE  BADIN

                                         In Gen77 ! y me semble

             Que cest estat-cy vauldra deux :

             Je congnoy des ménestrieux

             Qui sont plus paillars que marmos78.

                                    LA  RÉFORMERESSE

             Soudain abrégez en deulx mos,

215    Que vostre estat tost on congnoisse.

                                    LE  IIe  GALANT

             Ma dame la Réformeresse,

             Vray est que je suys amoureux.

             À dire, je m’en tiens joyeux

             Quant y fault que ma mye j’enjambe.

                                    LE  BADIN

220    N’en79 avez-vous poinct eu la « jambe »

             Aucune foys grosse par bas80 ?

                                    LE  IIe  GALANT

            Ouy dea.

                                    LE  BADIN

                           Et vouélà mes esbas !

             De telz gens, je say la légende.

             Par Dieu ! je veulx qu[e l’]on me pende

225    Se bien d’aultres on ne desgorge !

                                    LE  IIe  GALANT

             Quant je voy « l’amoureuse forge81 »,

             Je suys d’y hanter82 curieux.

                                    LE  BADIN

             Vous di-ge pas ? Ménestrieu(r)x,

             Musiciens, joueurs de Farces :

230    Yl ayment ces petites garces

             Plus qu’i ne font83 leur Créateur.

                                    LA  RÉFORMERESSE

             Çà, monssieur le compositeur84,

             Venez vers moy prendre l’adresse85.

                                    LE  BADIN

             Y fault cecy bouter en presse.
235    Il amendera, ce pensai-ge.

                                    LA  RÉFORMERESSE

             Que dictes-vous ?

                                    LE  IIIe  GALANT

                                            Moy ? Et que say-ge !

             Voulez-vous presser mon honneur ?

                                    LE  BADIN

             Quel pratique86 ?

                                    [LE  IIIe  GALANT]87

                                             Compositeur.

                                    LE  BADIN

             Faiseur de Farces et de rimes ?

240    A ! il y a en eux des crimes,

             Sur ma foy, aussy bien qu’aux aultres.

             Et quelque foys, entre les vostres88,

             Faictes-vous poinct quelque dizain,

             Quelque rondeau, quelque huictain

245    Pour envoyer à vostre amye ?

                                    LE  IIIe  GALANT

             Ouy, bien souvent ; mais ce n’est mye

             De jour : cela se faict de nuict89.

                                    LE  BADIN

             Alez, alez, tout s’entresuyct :90

             Y sont tous sus le « bas métier91 ».

                                    LA  RÉFORMERESSE

250    Un facteur92 est-y [à] chastier

             Comme chantres ou ménestreu(r)s ?

                                    LE  BADIN

             Et ouy, ouy, y le sont plus qu’eux.

             Y le narent en leur devise93.

             J’en congnoys à la court d’Église,

255    À94 la court laye et haulte court ;

             Mais par Dieu, jamais un chien court95

             Ne fut plus paillard qu’i sont tous !

             Je le voys bouter là-dessoublz

             Et le presser bien fermement.

                                    LA  RÉFORMERESSE96

260    Or çà, çà, le beau filz ! vitement,

             Dictes vérité sans rudesse.

                                    LE  CLERQ

             Ma dame la Réformeresse,

             Je la diray sy je la sçays.

                                    LE  BADIN

             Avez-vous pas97 aucunefoys,

265    Quant quelc’une alez98 réveiller,

             Pencé là : « Soublz vostre oreiller,

             Mon Dieu, vouélà un beau téton ! »

             Et99, chantant le petit dicton,

             Dire : « Pleust à Dieu estre grand,

270    Et estre là le demourant

             De la nuict, avec ceste dame ! »

                                    LE  CLERQ

             Ouy, yl est vray.

                                    LE  BADIN

                                       Et ! par mon âme,

             Je vous en croys, n’en jurez jà !

                                    [LA  RÉFORMERESSE]

             Or çà, vous commencez100 deisjà

275    À penser à ceste folye ?

                                    LE  PREMYER  GALANT

             Pour éviter mélencolye,

             Presseur qui pressez nos estas,

             Laissez-les en la presse à tas ;

             Puys demain, seront despressés.

280    Affin que vous resjouyssez

             Les honnestes gens de ce lieu,

             Une chanson pour dire adieu !101

                                                         FINIS

*

3 Je mets sous la presse chaque état, chaque condition.   4 LV relègue ce 2e quatrain à la fin du rondel, après le vers 16.   5 Doté du savoir.   6 Une belle affluence.   7 LV : domynus que  (« Les paroles que le clerc profère en prenant la tonsure sont celles-cy : Dominus pars hereditatis meae… » Catéchismes, 1690.)  Au vers suivant, couronne = tonsure.   8 LV : rend  (Qui me rompt.)   9 Que vous m’aurez appris.   10 LV : demande  (à la rime.)   11 Un cistre, avec lequel le Badin s’accompagne quand il chante. Voir la note 19.   12 Il me fait vivre.   13 Et aussi, et donc.   14 Il y a dix ans que.   15 Désormais.   16 Des contentieux, des disputes.   17 Vers manquant. « Mettez-moy à l’essay, & vous recognoistrez que mes paroles sont les vrayes images de mon cœur. » H. C. Chastelleraudois.   18 Vous verrez ce que je saurai faire.   19 Les premiers éditeurs et les derniers ont lu « fifre », mais le manuscrit porte indubitablement « sistre ». Toutefois, la graphie est ambiguë : le sistre, vieil instrument qu’on agitait pour marquer le rythme, est encore nommé à cette époque, mais uniquement dans des textes concernant l’Antiquité. Notre Badin joue donc du cistre, un instrument à cordes pincées en vogue dans ces années-là.   20 Charles Quint, le 1er janvier 1540. Cet événement donna lieu à une autre chanson, beaucoup plus présentable : « Quand l’empereur de Rome/ Arriva dans Paris. »   21 LV : ariue  (« C’est un fait avéré. Une chose avérée. » Dict. de l’Académie françoise.)   22 Je vais vous embaucher.   23 La tenue des États généraux, réunissant les trois États. « Les trois Estats du Royaume sont le Clergé, la Noblesse & le tiers Estat. » Dict. de l’Académie françoise.   24 Qu’ils soient (prononcé « swè »). Au vers 71, ferouent = feraient.   25 LV : leur   26 LV : sorner  (« Vous aurez beau corner/ S’il vous revient jamais aulcune corne. » Responce à l’Abbé des Conardz de Rouen.)  Le vers proverbial « Sainct Jehan ! vous aurez beau corner » apparaît dans une autre sottie normande du ms. La Vallière, Troys Gallans et Phlipot.   27 LV : Braist   28 Les accroissent, leur redonnent de l’influence aux dépens des huguenots. La doctrine de Luther toucha les intellectuels bien avant d’atteindre le peuple.   29 Mater, dompter.   30 Contrepèterie protestante : « les prêtres en messe. » Le clergé constituait l’un des trois ordres qui participaient aux États généraux.   31 Pendant 2 heures. Heure pouvait s’écrire oire : « Si fait tant, en poi [peu] d’oire. » (Godefroy.) En Normandie, oire se prononçait aire, et on écrivait « beire » ou « creire ». Ce vers est problématique malgré tout, puisque « couple » devrait être féminin : « Laissez bouilloner les matières ensemble pandant une couple d’heures. » (Jacques de Solleysel.)   32 LV : Galande friande  (C’est l’adaptation d’une chanson rapportée dans Calbain : « Je suis allemande,/ Friscande, gallande./ Je suis allemande,/ Fille d’ung Allemand. » Brown <Music in the french secular theater, nº 315> suggère d’autres sources, mais pas celle-là, qu’il étudie au nº 219.)   33 LV : veu  (Il a mal au crâne pour avoir trop bu.)   34 LV : nous  (Si nous avions chanté aussi bien.)  Philippe de Vigneulles confirme que « les Enffans sans soucy (…) chantoient tant bien que merveille ».   35 Comme les gens sont retors. « Et si félon et si recuit. » Godefroy.   36 Chiche, pingre. Ce Monde, qui est riche mais qui refuse l’aumône à trois Galants, est le héros d’une moralité normande du même manuscrit : Les troys Galans et le Monde qu’on faict paistre.   37 LV : mamendent  (S’amender = s’enrichir.)   38 LV : le  (Sans y avoir mis un pied.)   39 L’économe, celui qui a compté.   40 Rappelés à leur bon souvenir.   41 J’ai connu un temps où nous étions bien vêtus. « Entre nos » est un idiotisme normand pour « nous autres ».   42 Notre contrariété.   43 Brown (nº 256) identifie cette chanson avec L’autre jour de bon matin, de Clément Janequin : Guillemette, couchée sous un pèlerin, l’encourage ainsi : « Guigne [cogne], pélerin !/ La chose est tant doulcette. »   44 Il interroge la Réformeresse, qui écoute de loin le quatuor.   45 De l’ouvrage, du travail.   46 La « bande normande » (v. 89) des Enfants sans souci était une confrérie joyeuse qui s’adonnait au théâtre comique. En 1512, Clément Marot leur consacre une ballade, Des Enfans sans soucy, dans laquelle il est déjà question de marrisson, de chanter, de simplesse, de boire, de presse, d’amour, de Vénus, etc.   47 Qu’ils n’aient pas de rentrées d’argent à recueillir.   48 Gaillards. Cf. les Coppieurs et Lardeurs, vers 142.   49 Les rasoirs de Guingamp étaient réputés : « Rasouèr de Guingant/ Ne fut plus affilé qu’elle est. » (La Pippée.) Les raseurs de Guingamp devaient donc être rapides et adroits.   50 LV : nalist a  (N’alissent = n’allassent. « Que (…) toutes filles communes s’en allissent demourer au bordelz. » Jehan Aubrion.)  51 Que je les convoque.   52 Dans la vraie religion (celle des protestants), qui s’opposait à la vraie religion (celle des catholiques).   53 LV ajoute dessous : venu suys par deuers vous   54 LV : on   55 LV : apetis  (Querelle = cause, profit. « Ils bataillent pour nous & pour nostre querelle. » Calvin.)   56 Pût.   57 Fastueux comme un chevalier. « Sondeur suys de bas instrumens [de vulves],/ En amours vray chevalereux. » Les Povres deables.   58 Même vers dans le Cousturier et le Badin, ce qui confirme ma correction.   59 De plaidoiries, de discours.   60 « Par Vénus gouverné,/ Qui rend homme amoureux en son adolescence. » Ronsard.   61 Les joueurs de vielle et les chanteurs profanes menaient une vie de bohème assez débridée. En jouant des aubades ou des sérénades, ils mettaient leur art au service des galants désireux de séduire une belle. Leur répertoire comprenait beaucoup de chansons gaillardes, souvent sur des poèmes de Clément Marot, qui était proche des réformateurs.   62 Des maladies vénériennes.   63 Sous la forme d’un mémoire.   64 Ni même la moitié d’un.   65 LV : les  (Ensuite, la Réformeresse parle aux autres Galants.)   66 Que le Pater noster. On trouve également ce vers dans le Cousturier et le Badin.   67 À améliorer. Le Badin s’adresse au 1er Galant.   68 Maulpensé [mal nourri] est un personnage du Capitaine Mal-en-point.   69 LV : IIIe g  (Comme d’habitude, le copiste du ms. La Vallière suit mécaniquement l’alternance Ie, IIe, IIIe, et ne s’occupe pas de l’action. Le 1er Galant, Raoul le Mal-pansé, est chantre <chanteur profane> ; le 2ème Galant est ménestreur <joueur de vielle> ; le 3ème Galant est compositeur <poète>. Toutes les rubriques entre [ ] étaient fausses.)   70 De serge, d’étoffe légère. Il croit qu’on lui parle de ses biens matériels.   71 Gagné.   72 Pièces de monnaie frappées sous Charles VIII.   73 Claqués, dépensés au jeu.   74 « Des goinfres & des desbauchéz qui s’appellent autrement enfants sans soucy, qui ne cherchent qu’à se divertir. » Furetière.   75 Les bourgeois qui entretiennent les Galants : voir le vers 107.   76 C’est arrivé plus de dix fois.   77 Abréviation normande de « par saint Jean ! ».   78 Que des singes.   79 LV : Et men   80 L’œdème des jambes n’est pas un symptôme syphilitique, contrairement au chancre de la verge (vers 158). Les prétentieux nommaient leur pénis « la jambe du milieu », ou « la troisième jambe » (la terza gamba).   81 Métaphore désignant le sexe de la femme.   82 Fréquenter. Jeu de mots sur enter [greffer]. « Monseigneur m’a conneue/ Et hanté[e] naturellement. » (Mistère du Viel Testament.) Cf. les Sotz qui remetent en point Bon Temps, vers 53.   83 Qu’ils n’aiment.   84 Poète, qui compose du théâtre en vers. (On examine le cas du 3ème Galant.)   85 Pour être redressé. « Y metre correpcion [correction] et adresce se le cas le doit. » Godefroy.   86 Quel métier ? LV ajoute : est il   87 LV : la reformeresse   88 LV : aultres  (Entre vous.)   89 « Dessus le soir, pour l’amour de s’amye,/ Devant son huys la petite chanson. » Marot, Des Enfans sans soucy.   90 LV ajoute dessous : farceurs rimeurs et rimaleurs   91 Le coït. « Et jouèrent tant du bas mestier que plus ne povoient. » Cent Nouvelles nouvelles.   92 Un faiseur de vers.   93 « Amour », la devise des poètes, engendra une célèbre chanson : J’ay pris Amours en ma devise (Löpelmann, nº 470). Cf. Ung jeune moyne, vers 271.   94 LV : de  (La cour laie [laïque] est un tribunal séculier, au contraire de la cour d’église. Cf. les Femmes qui demandent les arrérages, vers 28 et 37.)  Les basochiens qui œuvraient dans les tribunaux étaient fort impliqués dans le théâtre comique ; voir par exemple la Sotie pour porter les présens.   95 Un courtaud, dont on a coupé la queue.   96 Elle s’adresse au clerc, c.-à-d. à l’étudiant.   97 LV : veu   98 LV : aues  (Vous allez.)  Certains clercs étaient en pension chez un professeur ; ledit professeur se levant aux aurores, le clerc avait pour mission de réveiller sa femme plus tard. « Le clerc d’un procureur trouva/ Un jour Madame sur un lict,/ Lequel tout soudain se força/ Luy donner, en dormant, déduit. » Gaultier-Garguille.   99 LV : en   100 LV : penses  (La folie est l’acte sexuel : « Je luy levay son corset, en après sa chemise,/ Et je luy fis la petite follie. » En revenant de Sainct-Anthoine en Brie.)   101 En farce, tout finit par des chansons. Mais cette fin abrupte pourrait indiquer que l’ultime feuillet a disparu, ou que la pièce est inachevée (ce qui expliquerait les vers incomplets). Plus il y avait de personnages, plus la pièce était longue : on n’aurait jamais enrôlé six acteurs pour jouer 282 vers. À titre de comparaison, la farce du Poulier à sis personnages fait 733 vers.

L’AVANTUREULX

Ms. La Vallière

Ms. La Vallière

*

L’AVANTUREULX

*

Cette farce normande écrite en 1526 appartient au genre bien fourni du Miles gloriosus, du soldat fanfaron. C’est un chef-d’œuvre de satire psychologique qui épingle avec jubilation les peureux, les hâbleurs, les incapables et les pistonnés. Les monologues y abondent, ainsi que les autocorrections.

Source : Manuscrit La Vallière, nº 56.

Structure : Rimes plates.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

*

Farce  nouvelle

à  quatre  personnages

 

C’est asçavoir :

      L’AVANTUREULX

      et  GUERMOUSET

      GUILLOT  [LE  MAIRE]

      et  RIGNOT

*

  

                                   L’AVANTUREULX  commence    SCÈNE  I

          Qu’esse d’homme qui s’avanture1,

          Qui son bruict et honneur procure,

          Et qui est tousjours sur les rens

          Sans jamais dire « Je me rens » ?

5     Il est bon [à voir]2 se partye

          A la chair couarde ou3 hardye.

          Mais quant vient à bailler le cop4,

          Y ne se fault pas haster trop,

          Mais se tenir un peu plus loing,

10    Voyre, quant il en est besoing.

          Pencez que je suys renommé ;

          Et sy, suys de chascun nommé

          « Le trèshardy Avantureux ».

          Quant on me voy[oy]t en mains lieux,

15    On crioyt : « Venez, y s’en fuyst ! »

          Di-ge5 : « Fuyez, y fera bruict ! »

          Ma foy ! quant j’avoys mon héaulme6,

          Y n’y avoyt homme, au réaulme

          Des Francz7, qui m’osast dire mot.

20    Ne vainqui-ge pas Talebot8 ?

          Ouy, par bieu. Et son filz aussy.

          Et sy9, par ma foy, me voicy.

                                   GUERMOUSET  entre         SCÈNE   II

          Mon père !

                                   L’AVANTUREUX

                               Et qu’as-tu, Guermouset ?

                                    GUERMOUSET

          Que j’ey ? Dea, vertu Trou-biset10 !

25    Que j’ey ? Je ne suys poinct content.

          Je deusse estre pourveu présent11,

          Et par vos haultes avantures,

          Avoir bénéfices et cures.

          N’est-il pas temps qu’on me pourvoye ?

                                     L’AVANTUREULX

30    Atens encore, g’y pensoye.

          Tu seras pourveu, par sainct Jaque,

          Mais que je sache qu’il en vaque12.

          J’ey faict plus grandes avantures !

          Par ma foy, tu auras deulx cures

35    Où il cherra13 maincte fortune.

          À tout le moins en auras une,

          Sy je puys, en quelque chapelle.

          Vertu ! sy quelqu(e) un se rebelle,

          Y ne fera pas pour le myeulx :

40    C’est grand faict d’un avantureulx.14

          Sang bieu ! j’entreprins une foys

          Une matière de grand poys15,

          Car j’alay prendre une jument

          À troys lieux16 loing de toute gent ;

45    Et la conquestay de léger17,

          N’eust esté [qu’]un vilain berger

          Vint sur moy à tout18 sa houlète

          En me disant : « Vilain, areste ! »

          Y vint sur moy, et de fuÿr.

50    J(e) ouÿ je ne sçay quoy brouyr19 :

          Je cuydois que ce fussent gens ;

          Par le sang bieu ! c’estoyent les vens20.

          Je m’en repentis bien, après,

          Mais je cuydoie qu’i21 fussent près.

                                     GUERMOUSET

55    Et, mon père, vostre jument ?

                                     L’AVANTUREULX

          Je la lessay de peur du vent.

          Et sy22, avoyt le corps plus grand

          Que celle de Guillot23 d’aultant.

          Voylà comment je fus déceu.

                                    GUERMOUSET

60    Mon père, que je soys pourveu !

          Je veulx avoir, en un bref mot,

          Le bénéfice de Rignot,

          Qui est filz de Guillot le maire.

                                    L’AVANTUREUX

          Comment se poura cela faire ?

65    N’en a-il pas joÿssion24 ?

                                    GUERMOUSET

          Ô ! quelque possidation25

          Qu’il y ayt, il y26 a remyde.

                                    L’AVANTUREULX

          Et comment ?

                                    GUERMOUSET

                                 Il est omicyde :

          Il ocyt, en une mellée27,

70    La poulle d’Inde et de Guynée28.

          Ergo donc, selon l’Escripture29,

          Il ne doibt tenir nulle cure.

          Le philosophe30 le racompte.

                                    L’AVANTUREUX

          Guermouset, tu [me] dictz un compte31 !

75    S’il est vray, je faictz veu32 à Dieu

          Que je te mectray dens le lieu

          À puissance et à force d’armes.

          Mais pour entretenyr ces termes,

          Y fault, sans que plus on atende,

80    L’aler sommer qu’i me la rende33.

                                   GUERMOUSET

          G’iray donc[ques], j’en suys joyeulx.

                                   L’AVANTUREULX

          Dis-luy : « Le grant Avantureulx,

          Renommé plus fort que Raulet34

          Du temps qu[’à] la Grant Guerre aloyt35 ;

85    Cil que congnoissez où qu’il aille,

          Courant36 ainsy sur la poulaille ;

          Qui frape sy tost, qui [qu’en haigne]37… »

                                   GUERMOUSET

          Mon père, donnez-moy enseigne38.

                                   L’AVANTUREUX

          Guermouset, tu diras ainsy :

90    « Vous, hommes qui estes icy,

          Le grand Avantureulx vous mande

          Et expressément vous commande,

          Sans aultre débat ne procès,

          Que le bénéfice laissez,

95    De Rignot, dessoublz ma puissance !

          Ou aultrement, à coup de lance

          A pencé de le conquérir. »

          Et pour aulx enseignes venir,

          Tu luy diras que c’est celuy

100   Qui se loga39 auprès de luy,

          À quatre lyeulx de la ryvée40 ;

          Et qui, tout en une journée,

          S’enfuÿct, nos deulx coste à coste.

          Il est bien sot s’il ne le note.

105   Combien qu’il fust le plus léger,

          Encor parti-ge le premyer.

          Ces enseignes seront congnus.

                                   GUERMOUSET

          Or g’y voys, ne m’en parlez plus :

          J’ey bien le message en mémoyre.

                                   L’AVANTUREULX

110   Guermouset, prens ton escriptoyre,

          S’y faloyt tabellyonner41.

          Quant ce viendra à l’ajourner42,

          Mais-y bien ta sommation.

                                  GUERMOUSET

          C’est mon imagination43 :

115   Vélà cy. Laissez-moy aler.

                                 GUILLOT  entre              SCÈNE   III

          Et ! me la debvoyt-on céler,

          La guerre44 ? A ! je n’y faulderay45 ;

          Seurement a je m’y combatray,

          Et là, montreray mon courage46.

120   Combien que je soys sur mon âge,

          Sy portai-ge assez bonne lance.

          Ceulx qui ont jousté à oultrance…

          Non pas oultrance proprement.

          Sy j(e) eusse esté sur ma jument

125   Que Rignot perdit à l’armée,

          Il y eust eu lance brisée,

          Ouy dea, ouy dea. Tout en un mot,

          Chascun sçayt bien qui est Guil[l]ot.

          Par Dieu ! le courage m’afolle.

130   Trèsbien je m’enfuys de Marolle47 ;

          Aussy, en estoyt-il besoing.

          Sy, ne m’en tenois-je pas loing,

          Mais me retiray à mon aise,

          Autant que d’icy à Pontoise.

135   Car un souldard qui est souldain

          À fraper se doibt bien tenir loing.

          Jamais je n’us intention

          De faire omycidation.

          Or çà ! les trêves sont faillyes48,

140   Les espeautres49 jà assaillyes.

          J’ey un petit trop demeuré.

                                 RIGNOT                   SCÈNE  IV

          Mon père, je suys ajourné :

          Je croy bien que perdray ma cure,

          Car l’Avantureulx me procure50,

145   [Et dict]51 que suys insufisant.

          A ! vous le vérez maintenant :

          Son filz Guermouset est tout prest

          De vous sommer, sans poinct d’arest,

          Incontinent de vous combatre.

                                GUILLOT

150   Mon filz, s’y ne sont plus de quatre,

          Je les combatray une foys.

          Au moins s’y ne sont plus de troys,

          S’il en veulent à moy, j’en veulx !

          Sang bieu ! s’y ne sont plus de deulx,

155   J’en feray repentir aulcun52,

          Rignot. Mais qu’i n’y en ayt c’un,

          Je luy présenteray mon gage,

          Ouy dea, ouy, et fût-il un page53 !

          Laissez-lay venir sûrement.

160   Le bénéfice, et la jument

          Et le jaques, qui est perdu54,

          Fournyront bien au résidu55.

          Par Dieu ! le grand Avantureulx

          Se trouvera bien malureulx.

165   Je croy qu’il y poura faillyr.

                                GUERMOUSET               SCÈNE  V

          Guillot !

                                GUILLOT

                         Me viens-tu assaillir ?

                                GUERMOUSET

          A ! nénin, Guillot, par ma foy.

                                GUILLOT

          Ne t’aproche poinct près de moy,

          Car il ne t’en est pas besoing.

                               GUERMOUSET

170   Bien. Donq, je parleray de loing

          En vous proposant mon message.

                               GUILLOT

          Parle de loing, sy tu es sage !

          Garde que rien je ne te donne !

          (Rignot, ne pers pas ta couronne56.

175   Y fault escouster qu’i dira ;

          Et puys après, y s’en yra

          Tout aussy tost qu’il est venu.)

                             RIGNOT

          C’est bien faict, il sera receu.

                             GUILLOT

          Or je te pry, sans plus gloser,

180   Rignot, que je l’os57 proposer.

          Au moins ne puys-je que l’ouÿr.

                             GUERMOUSET

          Guillot, y vous fault enfuÿr ;

          Ou me lessez, en un bref mot,

          Le bénéfice de Rignot.

185   Je suys filz de l’Avantureulx ;

          Mon père dict que je vaulx myeulx

          Que Rignot, et que par puissance

          Y vous veult combatre à la lance,

          Sy le voulez rédargüer58.

                              GUILLOT

190   Et me viens-tu cy argüer59 ?

                              GUERMOUSET

          Y se veult combatre au plus fort60.

                              GUILLOT

          Or çà, Rignot61, sy je suys mort,

          On dira : « Cy-gist par oultrance

          Le plus vaillant qui soyt en France. »

195   Rignot, regarde qu’il y a.

                             RIGNOT

          Sy n’estoyt mon Per omnya 62,

          Je leur montrerois bien qui esse !

                            GUILLOT

          Ne te chaille jà de la messe,

          Mais [metz bien] tout parmy le tout.

                            RIGNOT

200   San bieu ! sy en viendrai-ge à boult,

          Quelque chose qu’en doybve faire !

                            GUILLOT

          Guermouset, va dire à ton père

          Qu’il n’a garde que je luy faille :

          S’y veult noyse, je veulx bataille !

205   Et qu’i se garde des horions,

          Car s’une foys nous aprochons,

          Il ne rencontra onc tel homme.

          Va luy dire, sy je l’assomme,

          Qu’i me pardonnera sa mort.

                            GUERMOUSET

210   Nostre Dame ! mon père est fort,

          Quant il entre en sa lunèson63.

                            GUILLOT

          Mais qu’il ne frape en traïson,

          Je n’y aconte pas deulx poys64.

          Va-t’en vistement !

                            GUERMOUSET

                                          Je m’(y) envoys.

215   Mon père, je suys revenu.                 SCÈNE   VI

                            L’AVANTUREULX

          Qui t’a sy longuement [tenu],

          Guermouset ? As-tu vu Guillot ?

                            GUERMOUSET

          Y m’a menacé ; et moy, mot.

          Et dict qu’i nous tura tous deulx.

                            L’AVANTUREULX

220   Est-il encor sy courageulx

          Comme il estoyt le temps passé ?

                            GUERMOUSET

          A ! y vous a bien menacé,

          Et dict bien qu’i ne vous crainct poinct.

                           L’AVANTUREULX 65

          Çà, mon harnoys m’est-il à poinct ?

225   A ! je l’auray ou il m’éra,

          Et fraperay qui frapera !

          Je say de jouster la manyère.

          Mais arme-moy bien par-derière66,

          Et que mon harnoys soyt bien clos.

                            GUERMOUSET

230   Quoy ! voulez-vous tourner le dos ?

                            L’AVANTUREULX

          Nénin pas ; mais quant nous fuyons,

          Y fault craindre les horions

          Autant devant comme derière.

          Çà, ma lance et puys ma banyère !

235   Et puys que j’aye mon espée d’armes ;

          Guillot aura les rains bien fermes,

          Sy je ne luy faictz bien sentir.

          Et ! veult-il contre moy tenir ?

          Par les plès bieu67 ! je le turay.

240   Guermouset, tu seras curay

          Avant qu’il soyt demain mydy.

          Sy68, l’on me dict qu’il est hardy

          Et qu’il a fréquenté les armes ;

          Mais quoy ! je luy jouray telz termes

245   Que de fuyr luy sera besoing.

          Mais (os-tu ?) ne te tiens69 pas loing

          De moy, mais frapes dessus luy.

          S’une foys je l’ay assailly,

          Y convyendra bien qu’il endure.

250   Mais, Guermouset, une aultre cure

          Ne seroyt-el poinct aussy bonne

          Comme est celle que je te donne,

          Sans combatre ne dire mot ?

                            GUERMOUSET

          Je croy que vous craignez Guillot ?

255   Et ! quel avantureulx vous estes !

                            L’AVANTUREULX

          Je ne crains rien, s’y n’a deulx testes70,

          Mais qu’il ne frape par la pance.

          Guermouset, baille-moy ma lance,

          Et que je la boulte à l’arest71.

                            [GUERMOUSET]

260   Aujourd’uy, je voieray que c’est

          Que du gentil Avantureulx.

                            [L’AVANTUREULX]

          Je croy, moy, que ce fust le myeulx

          Qu’il y eust apoinctations72 :

          C’est grand faict que de horions,

265   À gens qui ne l’ont poinct amors73.

          Sy ai-ge vaincu les plus fors !

          Au moins, je les ay menacés…

          Je n’en parle plus, c’est acez ;

          Car deulx courages sy vaillans

270   Demeurent tousjours sur les champs74.

          Guermouset, pour75 toy me combas :

          Sy on me tue, ne m’oublye pas.

          Je te recommende mon corps.

                            GUILLOT                   SCÈNE  VII

          Sang bieu ! il (y) en aura de mors.

275   Il y moura l’un de nos deulx.

          A ! domyné 76 l’Avantureulx !

          Et ! me viendrez-vous faire guerre

          Et m’assaillyr dessus ma terre ?

          Corps bieu ! je ne vous fauldray poinct77.

280   Rignot, mais78 mon jaques à poinct,

          Et puys me baille mon héaulme79.

          A ! je vous auray, sur mon âme,

          Maistre Avantureulx, de plain bont80,

          Voyre, sy ma lance ne ront ;

285   Mais je cuyde qu’el(le) sera ferme.

          A ! qu’esse-là ? Y crye à l’erme81 ?

          Rignot, haste-toy de venir !

          Je m’en pouray bien revenir

          Sy tost que je l’aray tué.

290   Car pour toy82 il m’a argüé,

          Et je ne luy dema[n]doye rien.

                             L’AVANTUREULX              SCÈNE  VIII

          Et ! par Dieu, ainsy que je tien83,

          Un apoinctement84 seroyt bon :

          Quant g’éray rompu mon bâton,

295   Je n’y conquesteray pas maille85.

          Sy86, fault-il bien que je l’assaille,

          Car les voylà, luy et son filz.

          Guermouset, dis [tes Profondictz]87,

          Tes Gauldès et ta grand Crédo.

                            GUILLOT

300   Jésus ! qu’esse-cy que j’o88 ?

          L’Avantureulx aproche fort.

                            L’AVANTUREULX

          À mort, vilain ! À mort, à mort !

                            GUILLOT

          Vilain, dictes-vous ? C’est oultrage

          À un grand maire de vilage.

305   (A ! Rignot, il est courageulx,

          Pour un homme, et avantureulx,

          Et térible quant il se fume89.)

          J’ey le cœur plus dur c’une enclume,

          De haste que j’ey de combatre !

310   Par le sang bieu ! j’en turay quatre.

          Vous ne vistes onc tel déduict.

          (Il aura grand pour90, s’y ne s’enfuyct ;

          Mais je ne couray pas après.)

                            L’AVANTUREULX

          Or çà, Guillot, nous sommes prês :

315   Jouston ! A ! qui esse qui tient91 ?

                            GUILLOT

          Dictes-vous à bon essient ?

          Vrayment, je ne vous fauldray pas.

                            L’AVANTUREULX

          A ! dea, dea ! Ne me frapez pas,

          Combien que riens je ne vous crains.

                            GUILLOT

320   Sang bieu ! se g’y boulte les mains…

          Je m’en raporte bien à toy :

          Ne t’aproche pas près de moy,

          Sy tu veulx que je me deffende.

                            L’AVANTUREULX

          Vault-y poinct myeulx que je me rende ?

325   Guermouset, que t’en semble bon ?

                            GUILLOT

          Y vault mieulx que nous apoincton92,

          Rignot93, les coups sont dangereulx :

          C’est grand faict d’un avantureulx.

          Je crains qu’i ne soyt trop hardy.

                            L’AVANTUREULX

330   Je te deffy… di-ge : Je dy

          Que tu reculle un peu plus loing.

                            GUERMOUSET

          Voulez-vous faillir au besoing ?

          Frapez, et vous aurez du myeulx.

                            L’AVANTUREULX

          Sy je fusse armé94 par les yeulx,

335   Je seroys bien plus sûrement.

                            RIGNOT

          Assaillez-lay légèrement,

          Mon père.

                            GUILLOT

                             G’y voys95, par ma foy !

          Rignot, [tiens-toy]96 auprès de moy.

          Jésus ! doys-je dire « Qui vive97 » ?

                            GUERMOUSET

340   Sus ! voicy Guillot qui arive,

          Y ne fault plus dissimuler.

                            L’AVANTUREULX

          Laisse-moy un peu reculer,

          Et je prendray myeulx ma visée.

                            GUILLOT

          Que sa lance est longue amanchée !

345   Elle est plus longue que la myenne.

                            L’AVANTUREULX

          Çà ! qui vouldra venir, qu’i vienne…

          Di-ge : Voyse-s’en98 qui vouldra.

                            GUILLOT

          Mauldict soyt-il qui te fauldra99 !

          Par Dieu, je voys donner100 dedens.

                            L’AVANTUREULX

350   Mauldict soys-je se je me rens !

                            GUILLOT

          Sy feras, se tu faictz que sage101.

                            L’AVANTUREULX

          Ne frape poinct par le visage,

          Ou, par Dieu, je te bauldray belle102 !

                            GUILLOT

          Par Dieu, Rignot103, y se rebelle :

355   Je cuyde qu’i me veult fraper.

                            L’AVANTUREULX

          Guermouset, sy peulx eschaper,

          Jamais joustes n’entreprendray.

                            GUILLOT

          Je cuyde que je me rendray ;

          Rignot, par ta foy, qu’en dis-tu ?

                            RIGNOT

360   Vous ne valez pas un festu !

          Et ! je vous ay veu sy hardy.

                            GUILLOT

          Et ! par Dieu, Rignot, je te dy :

          Y n’y a rien sceur104, en procès.

                            L’AVANTUREULX

          A ! Guillot, vous me menacez ?

365   Souvyenne-vous bien de Marolles105 :

          Vous en fuŷtes, sans parolles ;

          Je vous y vis bien, par ma foy.

                            GUILLOT

          Sainct Jehan ! vous fuŷtes devant moy,

          Combien que je couroye myeulx.

370   Y ne s’en falust que deulx lieux106

          Que nous ne fussions prins d’assault.

                            L’AVANTUREULX

          À mort, vilain !

                            GUILLOT

                                    À mort, ribault !

          Tu n’as garde de m’atraper.

                            L’AVANTUREULX

          Voulez-vous jouer à fraper ?

375   Nostre Dame ! je ne vous crains.

          Combatons-nous à coups de poins,

          Et boutons nos lances en bas.

                            GUILLOT

          Par sainct Jehan ! je n’y gouray pas107 :

          Homme qui combat à oultrance,

380   Y fault bien qu’il ayt unne lance,

          Sy bon jousteur on le renomme.

                            L’AVANTUREULX

          Onques je ne fus sy preudhomme

          En quelque guerre que108 j’alasse.

          (Y vaulsît myeulx que j’apoinctace.)109

                            GUILLOT

385   À mort, à mort !

                            L’AVANTUREULX

                                          À mort, à mort !

                            RIGNOT

          Chascun de vous est le plus fort ;

          Mon père, n’alez plus avant.

                            GUERMOUSET

          Vous l’avez gaigné tout contant110,

          Mon père, mais n’aprochez pas.

                            GUILLOT

390   Qui ne me tînt, tu fusses bas !

          (Jamais je n’en eusse eu mercy111.)

                            L’AVANTUREULX

          Par Dieu, tu fusses mort aussy :

          Et puys ce seroyt deulx gens mors.

                            GUILLOT

          Veulx-tu poinct liter112 corps à corps,

395   Et que tu n’ais poinct de bâton ?

                            L’AVANTUREULX

          Y vault myeulx que nous apointon :

          Le moindre bruict est le m[e]illeur.

                            GUILLOT

          Veulx-tu apoincter cœur à cœur ?

                            L’AVANTUREULX

          C’est le meilleur, comme y me semble.

                            GUERMOUSET

400   Y fault parler vos deulx ensemble,

          Et mectre bas chascun sa lance.

                            L’AVANTUREULX

          Bas, Guillot ?

                            GUILLOT

                               Esse assurance ?

                            L’AVANTUREULX

          Ouy, vélà mon bâton à terre.

                            GUILLOT

          Hélas ! fault-y faire la guerre

405   Pour les biens où chascun a part ?

                            L’AVANTUREULX

          Hélas ! fault-il faire départ113 ?

          Te souvyent-y poinct de l’armée ?

          Des esperons de la Journée114 ?

          Ô l’amityé, le grand soulas115 !

410   Fault-il faire la guerre ?

                            TOUS  ENSEMBLE

                                                     Hélas !

                            GUILLOT

          Et quant je116 fus quasy malade,

          Et que je bus dens ta salade117,

          Lors que de fuÿr estoys las ?

          Me haÿr à ceste heure !

                            TOUS  ENSEMBLE

                                                 Hélas !

                            L’AVANTUREULX

415   Et quant je passay la rivyère,

          [Là] où tu demouras derière ?

          En ce lieu, tu me consolas118.

          Je t’ayday bien aussy.

                            TOUS  ENSEMBLE

                                              Hélas !

                            GUILLOT

          Et quant nous fûmes à Hédin119 ?

420   Je prins d’assault un grand gardin :

          Je te vis eschaper des las120 ;

          Garde n’us d’y aller !

                            TOUS  ENSEMBLE

                                             Hélas !

                            RIGNOT

          Tant ce sont gens de grand renon !

                            GUERMOUSET

          Hélas ! mon amy, ce sont mon121 :

425   Ce sont gens en faictz magnifiques.

                           RIGNOT

          Escriptz seront dens les croniques

          Aussy bien que le roy Clovys.

                            GUERMOUSET

          Jamais de telz gens je ne vis

          En cas de fuÿr toult discord.

                            GUILLOT

430   Vien çà, compère ! Es-tu d’acord

          De guerre, ou paix ? Dis vérité.

                            L’AVANTUREULX

          Je croy que Dieu soyt yrité

          De nos fais, là où chascun [qui]erre

          Prendre bénéfice122 par guerre.

435   Je ne l’entens pas bonnement.

                            GUILLOT

          Sy est-il faict communément,

          Quoy que le faict [ne] soyt condigne123.

                            RIGNOT

          Je dis que je suys le plus digne.

          Et sy, suys magister en Ars124.

                            GUERMOUSET

440   Voyre à tuer poules125, canars.

          Comme l’argument le126 décide,

          Per fidem 127, tu es homicide ;

          Ergo, tu ne seras curé.

                            GUILLOT

          Sy ce débat est procuré

445   Par vos deulx, vous l’apaiserez.

                            LES  DEULX  FILZ

          Et ! mon père, vous m’ayderez.

                            L’AVANTUREULX

          Mes128 amys, paix est acordée :

          Ne troublez pas la [ras]semblée129,

          Car ce n’est pas petit de cas.

450   Plus tost baillerons dis ducas

          Que de fraper un horion.

                            GUERMOUSET

          Or bien, donc, nous disputeron

          Des grans argumens de Paris130.

          Or dis, Rignot, quis vocarys 131.

                            L’AVANTUREULX

455   Or sus, soustiens132 cest exament !

                            RIGNOT

          Quis vocaris ? [Par] prénoment 133 ?

                            GUERMOUSET

          Noment, quid est ?

                            RIGNOT

                                        Octo.

                            GUERMOUSET

                                                   Quare ? 134

                            RIGNOT

          Quia, s’il est bien procuré,

          Casy plurali numery.

                            GUILLOT

460    Voylà Guermouset bien mary135.

                            GUERMOUSET

          A ! per quidem 136, tu mentiris !

          Dy quem artem profiteris.

                            RIGNOT

          « Il est simplicis figuré. »137

                            L’AVANTUREULX

          Voylà son honneur recouvré.

465   L’un contre l’autre tiennent serre138.

          Ainsy que sommes gens de guerre,

          Ainsy chascun d’eulx est expert139.

          Il est bon à voir140 : il y pert

          Qu’il ont trèsbien estudyé.

                            GUERMOUSET

470   Rignot sera répudyé !

                            L’AVANTUREULX

          Non sera ; voicy qu’on feron,

          Qui m’en croira : nous changeron

          Ceste cure, sans long apel,141

          À la chapelle de Gripel142

475   Et à la vâtine d’Aufy143.

                            GUILLOT

          Je le veulx bien.

                            LES  ENFANS

                                     Et nous aussy.

                            L’AVANTUREULX

          Je ne veulx pas que tu grumelles ;

          Car sy un jour tu te rebelles,

          Pas ne m’éras du premyer coup.

480   Qui me dict « sap ! », je luy dis « soup144 ! » ;

          Qui me dict « torche ! », je dis « serre ! »145.

          Jamais je ne mourus en guerre ;

          Et sy146, j’ey veu aulx avangardes

          Aucune-foys tirer bombardes :

485   Tip ! tap ! toup ! toup147 ! C’estoyt abismes148.

                            GUILLOT

          Ce fust quant nous nous enfuŷmes.

                            L’AVANTUREULX

          Et [qu’eussions-nous]149 gaigné d’atendre ?

          Car on nous menassoyt à pendre150.

          Or sus, sus ! changons de propos :

490   Quel cure veulx-tu, en deulx mos,

          Guermouset ? Choisis sans apel.

                            GUERMOUSET

          Je veulx la cure de Gripel.

                            RIGNOT

          Et moy ?

                            L’AVANTUREULX

                        Tu auras les vâtines.

          Or, alez chanter vos matines

495   En plain-chant ou en contrepoinct.

                            GUERMOUSET                SCÈNE  IX

          Conclusion, voyci le poinct :

          De sotes gens, sote(s) raison.

          De les hanter151 on ne doibt poinct,

          Mais fuÿr en toulte saison.

500   Prendre aussy de Dieu la maison,152

          Les biens et la divine ofice,

          L’usurfruict et le bénéfice,

          Par gens où vertu se périt

          Et gens d’armes en maléfice,153

505   C’est un péché contre l’esprit.

          En prenant congé de ce lieu,

          Une chanson pour dire adieu !

                                     FINIS

*

1 Qui prend des risques, notamment à la guerre.   2 LV : auoir  (Il est bon de voir si la partie adverse.)  3 LV : et  4 À donner le coup.   5 « Je veux dire. » Cette formule d’autocorrection va revenir souvent.  6 Mon heaume, mon casque.   7 LV : faictz  (Au royaume de France.)  8 Le capitaine anglais John Talbot et son fils furent tués en 1453 à la bataille de Castillon, où le courage des francs-archers français fut pourtant modéré : « La journée de Tallebot/ S’en fuyrent les plus légers. » (Sottie de maître Georges.)  9 Et malgré tout.   10 Trou de bise = anus (P. Guiraud, Dictionnaire érotique). Le Dictionnaire des saints imaginaires et facétieux de Merceron ne répertorie que saint Trou, saint Troufignon et saint Troubaise.  11 Pourvu d’une cure [d’une charge de curé], présentement.   12 Qu’il y ait une cure vacante.   13 LV : querra  (« Cherra » est le futur de choir : « La bobinette cherra. »)  Les charges et bénéfices ecclésiastiques les plus lucratifs se vendaient fort cher, et il n’était même pas obligatoire d’être ordonné prêtre pour en obtenir un. Cf. les Sotz ecclésiasticques qui jouent leur bénéfices au content.  14 Même vers que 328.  15 De poids, d’importance.   16 Lieues.   17 Je l’emmenai facilement.   18 Avec.   19 Bruire, comme un ventre qui gargouille. « Et au resveil, quant le ventre luy bruit. » Villon.   20 La peur fait péter. Cf. Frère Guillebert, vers 281-290.   21 Que ces gens.   22 Et pourtant.   23 Voir les vers 124 et 160, ainsi que la note 54.   24 La jouissance.   25 Droit de possession.   26 LV : ny  (Il y a un remède, une solution.)   27 Au cours d’une bagarre (dont il était probablement spectateur).   28 Il occit une dinde et une pintade. Les fils de soldats sont des voleurs de poules, comme leur père : voir le vers 86.   29 Le droit canonique interdisait aux clercs de verser le sang. Le pape Grégoire édicta ce décret fort peu suivi : « Reos sanguinis defendat Ecclesia, ne effusionis sanguinis particeps fiat. » [Que l’Église défende les condamnés à mort, et ne participe pas à l’effusion du sang.] Quant à l’adage « Ecclesia abhorret a sanguine », créé de toutes pièces au XVIIIe siècle, c’est par inadvertance que beaucoup d’historiens le font remonter au concile de Tours (1163).  30 Guermouset se vante d’avoir lu un philosophe, mais il serait bien en peine de nous dire lequel.   31 Tu me racontes des histoires.   32 LV : vay  (Veu = vœu.)  33 Sa cure.   34 Roland, le neveu de Charlemagne ? Raulet est le diminutif de Raoul.   35 LV : avlet, ou aulet, ou anlet  (La Grande Guerre, ou guerre de Cent Ans, avait pris fin en 1453. Déjà aux vers 20-21, l’Aventureux prétendait y avoir combattu.)  36 LV : Courans  37 LV : men hengne  (Qui qu’en haigne = même si quelqu’un grogne.)  38 Une preuve verbale pour me faire reconnaître.  39 Logea.   40 À 4 lieues de la rive.   41 Dresser un acte notarial. Maître Mymin, lui non plus, ne part jamais en guerre sans son écritoire.   42 À lui assigner un rendez-vous. Réminiscence de Chrétien de Troyes : « Et quant ce vint à l’anjornée. » Chevalier de la charrette, v. 5763.  43 Mon intention (d’emporter mon écritoire).   44 Fallait-il me cacher qu’une nouvelle guerre se préparait ? La France n’intervint physiquement dans la 7ème guerre d’Italie qu’en 1528. Mais depuis 1526 (voir la note 48), elle poussait au crime ses alliés de la Ligue de Cognac. Des rumeurs d’entrée en guerre bruissaient dans tout le pays.   45 Je ne lui ferai pas défaut.   46 LV : oultrage   47 Les troupes du duc de Vendôme occupèrent Maroilles en 1521.  48 Le 14 janvier 1526, François Ier avait signé le traité de Madrid, qui mettait fin aux guerres d’Italie. Deux mois plus tard, il le renia.   49 LV : aultres  (Épeautres = blés. Les soldats et leurs chevaux dévastaient les champs.)  50 Me traite en procureur.   51 LV : dire  (Insuffisant = qui ne remplit pas les conditions requises.)   52 Un des deux.   53 Un enfant. « Mon gantelet vélà pour gaige./ Par le sang bieu ! je ne crains paige,/ S’il n’a point plus de quatorze ans. » Franc-archier de Baignollet.   54 Contamination d’une autre farce, Colin, filz de Thévot le maire, où le fils du maire a perdu sa jument et son jaque [vêtement militaire]. Voir la note 93.  55 Ce qui reste à léguer. « Et au résidu de tous et chacun ses autres biens meubles et immeubles qu’il n’a cy-dessus donné ny légué. » (Formule testimoniale.)   56 Ta tonsure de clerc.  57 Que je l’oie, que je l’entende faire ses propositions.   58 Contredire.   59 Presser. Idem vers 290.   60 À celui des deux qui sera le plus fort.   61 LV : guillot  62 Si cela ne m’était pas interdit par le droit canon. Maître Mymin (au vers 348) chante aussi le Per omnia. Ces deux mots se prononçaient « père on n’y a » : « On chantoit Perronnia/ À haulte voix. » Maistre Jehan Jénin.  63 Quand il a un coup de folie. La lune faisait des lunatiques.   64 Je n’en donne pas deux pois. « Je n’y aconte une bille. » Godefroy.   65 LV : guillot  (écrit par une autre main.)  66 Maître Mymin (vers 234-238) protège lui aussi ses arrières.   67 Les plaies du Christ.   68 Cependant.   69 LV : tient  (Ois-tu = entends-tu.)  70 S’il n’est pas le diable.   71 Cheville métallique fixée au côté droit du harnais, et sur laquelle les cavaliers appuient leur lance à l’horizontale. Cf. les Sotz escornéz, vers 208-9.   72 Des négociations.   73 Qui n’en ont pas l’habitude. (Du verbe amordre.)  74 Les champs de batailles.   75 LV : par  (Vers 290.)  76 Monsieur.   77 Je ne vous ferai pas défaut. Idem à 317.   78 Mets (comme au vers 113). Le jaque est une jaquette rembourrée. Cf. Colin, filz de Thévot, vers 37, 80 et 116.  79 Rime en -âme, de même que « baume » s’écrivait « basme » et se prononçait « bâme ».  80 Au jeu de paume, de plein bond signifie d’un seul coup. « [Ils] s’en vindrent férir de plain bond (…) ès premiers que ils rencontrèrent. » Froissart.   81 Aux armes. « Je crie “À l’arme !” ou “À l’assault !” » Franc-archier de Cherré.   82 LV : quoy  (Vers 271.)  À cause de toi, il m’a harcelé.  83 Selon moi.   84 Un arrangement.   85 Je n’y gagnerai rien.   86 Pourtant.   87 Prie pour moi ! LV : desprofondictz  (Voir le vers suivant. Les pères parlent aussi mal le latin que leurs fils.)   88 J’ois, j’entends.   89 Quand il se met en colère. (Cf. Mallepaye et Bâillevant, vers 100.) Les deux poltrons, à distance l’un de l’autre, vont tourner autour de la scène sans se toucher. Leurs enfants, cachés derrière eux, tentent de les pousser en avant.   90 Peur.   91 Jeu de scène très visuel : il fait croire que son fils le retient, comme Guillot à 390. « Qui me tint, que ne l’ay fendu/ Jusqu’au pommeau de mon espée ? » Les Frans-archiers qui vont à Naples.   92 Que nous trouvions un terrain d’entente.   93 LV : colin  (Nouvelle confusion avec Colin, filz de Thévot <note 54>, dont notre farce « est une réplique redoublée », d’après Halina Lewicka. Même confusion au vers 354.)   94 Protégé d’une armure.   95 J’y vais. Mais il ne bouge pas d’un pouce.   96 LV : tient toy   97 Cri de reconnaissance des soldats. Cf. les Troys Gallans et Phlipot, vers 490, 499 et 503.   98 S’en aille.   99 Celui qui te fera défaut, qui se défilera.   100 Frapper.   101 Si tu es sage. Cf. les Sotz ecclésiasticques, vers 261.   102 Je te la baillerai belle, je t’en flanquerai une.   103 LV : colin  (Note 93.)   104 Rien de sûr. Procès = affrontement.   105 Maroilles : note 47.   106 Lieues.   107 Je n’y jouerai pas, je ne m’y amuserai pas.   108 LV : ou   109 Il vaudrait mieux que je négocie. LV ajoute dessous : combien que je suys le plus fort   110 Comptant, sans faute.   111 Jamais il ne m’aurait fait grâce.   112 Lutter.   113 Faut-il que nous soyons séparés ?   114 La défaite de Guinegatte (16 août 1513), dite « Journée des éperons », tant la fuite des cavaliers français fut rapide. Cf. le Gentil homme et son page, vers 67-68.   115 Plaisir.   116 LV : tu   117 Ton casque. « Combien que je fusse malade,/ Je mis la main à la salade,/ Car el m’estouffoit le visaige. » Franc-archier de Baignollet.   118 Tu me soutins.   119 En 1521, les Français prirent Hesdin. Et Guillot prit un jardin…   120 Des lacs, des nœuds coulants. Certains propriétaires de vergers tendaient des collets pour dissuader les chapardeurs.   121 Ils sont tels.   122 Cherche à prendre un bénéfice ecclésiastique.   123 Ne soit pas digne d’un chrétien.   124 L’ignorance des maîtres ès Arts [docteurs ès Lettres] était proverbiale : « (Nous verrons) beaucoup d’ânes mestres aux Ars. » (Sottie de l’Astrologue.) Les Arts et la Grammaire rendaient fou : « C’est la cage des fols ; chacun, en icelle, se piccotte la cervelle & pesche des mousches en l’air. Du nombre de ces gens icy sont les grammairiens & la race des maistres ès Arts. » Histoire maccaronique de Merlin Coccaïe.   125 Tu es digne de tuer de la volaille. Voir le vers 70.   126 LV : se   127 Par ma foi ! (Avec un jeu de mots sur « perfide ».)   128 LV : Mais  129 La réconciliation. Coup de griffe à l’éphémère traité de Madrid (note 48).   130 La faculté des Arts de Paris cultivait la disputatio, aboutissement de la scolastique médiévale, qui consistait à parler pour ne rien dire en faisant un bel étalage de latin de cuisine.   131 Comment tu t’appelles.   132 LV : a   133 LV : pronoment  (Le scribe a interverti les répliques de l’Avantureulx et de Rignot. Quand il s’en est aperçu, il a biffé l’actuel vers 456.)   134 R : Comment je m’appelle ? Par mon prénom ? G : Ton nom, quel est-il ? R : Huit. G : Pourquoi ? R : Parce que si on réfléchit bien, c’est quasiment un pluriel. « “Fidelle” est numeri singularis, & “sont” numeri pluralis. » Pierre de Larivey.   135 Marri, embarrassé.   136 Au lieu de per fidem, comme à 442. Un jeune clerc fait la même faute au vers 215 de la farce D’un qui se fait examiner pour estre prebstre.   137 G : Par ma foi, tu mens ! Dis-moi quelle règle tu utilises. R : Il est d’une forme simple. (Rignot s’empêtre dans la règle Propria nomina locorum simplicis figure. Mais ce vers peut se traduire autrement : « Mon nom est représenté par un simple d’esprit. » Donc, Rignot a perdu.)   138 Tiennent bon. Cf. le Testament Pathelin, vers 495.   139 Savant.   140 LV : auoir  (Il y pert = il apparaît, du verbe paroir.)   141 LV répète dessous : nostre cure sans long apel   142 Contre la chapelle de Notre-Dame du Grippel, rattachée au prieuré de Saint-Lô. En 1525, un dénommé Nicolas, prieur de Saint-Lô, y fut présenté pour en briguer le bénéfice.   143 Le prieuré Notre-Dame d’Auffay. Le manuscrit La Vallière brocarde à nouveau les « vâtines d’Aufy » dans la farce normande des Bâtars de Caulx (LV 48). Vâtine = gâtine : terrain inculte.   144 Ces onomatopées imitent le bruit d’une dague qui transperce un corps. Cf. Colin, filz de Thévot, vers 197.   145 Torcher = cogner (Colin, filz de Thévot, vers 148). Serrer = frapper : « Del fort espié grant cop li serre. » (Gormont et Isembart.)   146 Et pourtant.   147 « D’artillerie grosse et gresle,/ Vous eussez ouÿ pesle-mesle :/ “Tip ! tap ! sip ! sap !” » (Franc-archier de Baignollet.) Dans sa Chanson de la Guerre, Clément Janequin donne à entendre des onomatopées similaires.   148 C’était un enfer. Cf. les Rapporteurs, vers 19.   149 LV : queusons nous   150 « S’on ne m’eust menassé à pendre. » Franc-archier de Cherré.   151 Fréquenter.    152 La maison de Dieu : les églises. Les huit derniers vers sont rayés verticalement dans le manuscrit, mais c’est toute cette tirade moralisatrice qui est apocryphe : après le vers 495, la pièce finissait comme il se doit sur une chanson polyphonique.   153 Les soldats qui tuaient se trouvaient en état de péché mortel. Les aumôniers militaires furent créés pour qu’on puisse s’étriper avec la bénédiction divine.