SAOUL-D’OUVRER ET MAUDOLLÉ
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SAOUL-D’OUVRER
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ET MAUDOLLÉ
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La farce de Gournay et Micet, qui oppose un maître à son valet, « farcit » le Mistère du Viel Testament. Elle-même est farcie par une autre farce qui oppose encore un maître à son valet : Saoul-d’ouvrer et Maudollé. Si le charpentier est « soûl d’œuvrer1 » [fatigué de travailler], son apprenti est « mal dollé2 » [mal raboté, malpoli], d’où leur relation conflictuelle. Toutefois, le prévôt leur commande un gibet personnel afin d’y pendre le juif Mardochée, qui refuse de lui faire la révérence. Mais le prévôt étrennera lui-même sa potence privée, tandis que sa femme prendra la fuite — et l’argenterie — avec son serviteur.
Enfin, on ne saurait évoquer les artisans du Mistère du Viel Testament sans donner la parole aux plus glorieux d’entre eux, les bâtisseurs de la tour de Babel.
Sources : Je prends pour base le Très excellent & sainct Mystère du Viel Testament, imprimé par Jehan Réal en 1542 ; il reproduit — avec moins de fautes — le Mistère du Viel Testament par personnages, imprimé par Pierre Le Dru vers 1500.
Structure : Rimes plates.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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SAOUL-D’OUVRER, charpentier3. SCÈNE I
Maudollé !
MAUDOLLÉ, varlet.
Voycy la relique
De l’ung des os de sainct Belin4.
SAOUL-D’OUVRER
Viendras-tu à moy ?
MAUDOLLÉ 5
C’est bon vin.
Qui boit bon vin, mieulx en besongne.
SAOUL-D’OUVRER
5 Mais regardez-moy quel yvrongne !
Sans cesser il avalle ou mâche.
MAUDOLLÉ
Quant on a achevé sa tâche,
Doit-on pas prendre son repas ?
SAOUL-D’OUVRER
Ouÿ ; mais tu ne gaignes pas
10 L’eaue que tu boys, c’est le point6.
MAUDOLLÉ
Par Dieu ! maistre, je n’e[n] boy point :
Il est bon à veoir à mon nez7.
SAOUL-D’OUVRER
Dea ! mon varlet, vous vous donnez
Du bon temps.
MAUDOLLÉ
[Maistre], en doubtez-vous ?
15 Se charpentiers ne sont bien saoulz,
Jà ne feront bonne journée.
J’ay ma besaguë retournée8,
Au matin, son9 devant derrière.
SAOUL-D’OUVRER
Tu fais tous les soirs si grant chère
20 Qu(e) encor en es yvre au matin.
MAUDOLLÉ
Mon maistre, ce n’est que de vin,
Car je n’ayme ne citre10 ne bière.
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BARATHA 11 SCÈNE II
Si me fault-il trouver manière
De parler à ce charpentier,
25 Qu’il vienne ouvrer12 de son mestier.
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Es-tu céans, Saoul-d’ouvrer ? SCÈNE III
SAOUL-D’OUVRER, charpentier.
Ouy.
Pensez que vous ay bien ouÿ
Crier à haulte voix et forte.
BARATHA
Vien à Monseigneur, et apporte
30 Les ostilz de charpenterie13 !
SAOUL-D’OUVRER
À cella ne fauldray-je mye14 :
Drille ne gaignay de cest an15.
N’esse pas à Monseigneur…
BARATHA
Aman.
SAOUL-D’OUVRER
J’entens : monseigneur le prévost.16
35 Allons acop ! Bien tost, bien tost !
Voicy mes instrumens tous prestz17.
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Aman, Monseigneur : par exprès18, SCÈNE IV
Sur tous19 vous vouldroye servir.
Commandez vostre bon plaisir !
40 Vostre serviteur suis piéçà20,
Monseigneur le prévost.
AMAN
Vien çà !
Plante-moy une grosse poultre
Qui soit fort[e] et puissant21 tout oultre.
Entens-tu bien ?
SAOUL-D’OUVRER
Je le feray,
45 Mais où22 ?
AMAN
Je le te monstreray ;
Je la23 vueil cy avoir, et estre
En ma court, devant ma fenestre
De ma grant chambre principalle.
SAOUL-D’OUVRER
Pour la façon espécïalle24,
50 Monseigneur, la haulteur me fault.
AMAN
De cinquante couldées de hault25.
SAOUL-D’OUVRER
En26 quelle façon, s’il vous plaist ?
AMAN
Ainsi que fault faire ung gibet.
Faulte n’y ait, ainsi le veulx !27
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55 Ha, hay ! que je seray joyeulx SCÈNE V
Quant, à mon coucher et lever,
Je verray ce juif orgueilleux
À ce gibet icy bransler28 !
Matin ne se sçauroit passer
60 Que je ne m’y29 vienne habiller
Pour Mardochée regarder,
Que feray en ce lieu lyer.
…………………………
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SAOUL-D’OUVRER SCÈNE VI
Voylà tout appointé30.
Voylà ung beau postel31, je pense.
65 Voylà une belle potence,
Mais ung gibbet tout eslevé.
Celluy qui y sera levé32,
Si n’a garde de desvoyer33,
Se n’est par faulte du cordier34
70 Ou par deffaulte du bourreau.
Il est composé bien et beau :
Le boys est de cueur de noyer.
On doit telz ouvriers employer !
Il est bien, à la vérité.
………………………..
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BARATHA 35 SCÈNE VII
75 Madame !
ZARÈS
Quoy ?
BARATHA
Il fault brouer36 !
ZARÈS
Et ! qu(e) as-tu ? Que tu es esmeu !
BARATHA
Je ne le vous vueil point celer :
Mon maistre sera huy pendu.
ZARÈS
Tay-toy, Baratha ! Que dis-tu ?
BARATHA
80 Ha ! je l’ay ouÿ condampner.
ZARÈS
Ô Fortune, l’as-tu déceu37 ?
BARATHA
On ne sçait comme on doit tourner.
ZARÈS
Le sçais-tu bien38 ?
BARATHA
Le cas est tel.
ZARÈS
Il sera pendu ? Quel orreur !
BARATHA
85 En ce gibbet, en cest hostel39.
ZARÈS
Que reste-il ?
BARATHA
Prendre du meilleur
Et escarrir40.
ZARÈS
C’est le plus seur41.
Tien là !
BARATHA
Pensez de bien foncer42.
ZARÈS
Ô Fortune !
BARATHA
Peu de valleur43 :
90 On ne sçait comment doit tourner.
Ne laissez riens, que vous puissiez44.
ZARÈS
Nenny, Baratha. Tien, emporte !
BARATHA
Brouez au large, escarrissez45 !
Besoing est d’adviser la porte46.
ZARÈS
95 O ! mallement me desconforte,
Aman, quant ainsi fault finer47.
BARATHA
Dame Fortune est de tel sorte :
On ne sçait comment doit tourner.
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LA TOUR
DE BABEL 48
*
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CASSE-TUYLLEAU49, masson. SCÈNE I
Que veulx-tu dire, Gaste-bois ?
Sçais-tu rien qui soit de nouveau ?
GASTE-BOIS 50, charpentier.
Par Dieu ! nenny, Casse-tuilleau :
Rien de nouveau n’est inventé.
CASSE-TUILLEAU
5 Pille-mortier51, Cul-éventé52 !
Est jà vostre tasche acomplie ?
CUL-ESVENTÉ, [couvreur].
Ma bouteille n’est point remplie
De gourde pie53, à ce matin.
PILLE-MORTIER
Trois jours a54 que ne beuz de vin
10 Par faulte d’avoir ung vaisseau55.
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CHUS 56 SCÈNE II
Sus, Gaste-bois, Casse-tuilleau,
Cul-éventé, Pille-mortier !
Ouvrer fault de vostre mestier,
On a trèsgrand besoing de vous.
GASTE-BOIS
15 Nous nous sommes préparéz tous,
Et noz houstilz pareillement,
Pour besongner joyeusement
En maisons, manoirs ou chasteaulx.
CHUS
Bastir fault ouvrages nouveaulx
20 Et édifier quant et quant57.
Mais je croy que n’estes pas tant
D’ouvriers que je vueil bien avoir.
CASSE-TUILLEAU
Vous ne sçauriez [bien] concepvoir
La science que nous avons ;
25 Car tousjours les moyens trouvons
De parvenir à noz attainctes58.
CUL-ESVENTÉ
Nous ne besongnons point par fainctes59 :
Car voicy charpentiers, massons,
Couvreurs de diverses façons,
30 Qui nous congnoissons au mestier.
Et puis voicy Pille-mortier,
Qui de nous servir sçait l’usage.
PILLE-MORTIER
Jamais nul homme, s’il est sage,
À servir massons n’entreprenne !
35 Toutesfois — advienne qu(e) advienne —
Je suis en leur subjection60.
CHUS
Il fault faire expédition
De venir par-devers Nembroth,
Qui veult qu’on luy dépesche tost61
40 Une tour qu’il devisera62.
GASTE-BOIS
Si trèsbien on le servira
Qu’il n’y trouvera que63 redire.
CHUS
Hastez-vous, car il vous veult dire
Ce qu’il a entrepris de faire.
CASSE-TUILLEAU
45 Tout ce qui sera nécessaire
Nous ferons, ne vous soucïez.
Mais que nous soyons advoyéz64,
Il nous fera beau veoir en face.
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CUL-ESVENTÉ SCÈNE III
Sire, que vous plaist-il qu’on face ?
PILLE-MORTIER
50 Voicy gens pour faire édifices.
En ce cas ne65 nous monstrons nices
Mais sommes expers, sans doubtance.
NEMBROTH
À vous veoir, je prens grand plaisance.
Car je croy — et m’est bien advis —
55 Que vous comprendrez le devis66
D’une tour que voulons pourtraire67.
GASTE-BOIS
Commandez, et nous laissez faire !
NEMBROTH
Si de la faire prenez charge,
Il fault qu’elle soit si trèslarge
60 Et de si fors fondemens faicte
Que, devant qu’elle soit parfaicte68,
El puisse jusqu(e) au ciel toucher.
CASSE-TUILLEAU
Autres ouvriers ne fault cercher
Que nous : nous entendons le cas.
NEMBROTH
65 Gardez bien que ne faillez pas
À la faire grosse et massive.
Je vueil qu’elle soit excessive :
C’est-à-dire qu’on puisse aller,
Par elle, au ciel.
CUL-ÉVENTÉ
Sans plus parler,
70 Nembroth, nostre souverain maistre,
En besongne nous allons mettre69,
Puisque nous l’avez ordonné.
Ilz s’en vont besongner.
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PILLE-MORTIER SCÈNE IV
Si est Nembroth désordonné70,
De la vouloir faire si haulte.
GASTE-BOIS
75 Faicte sera, s’il n’y a faulte,
Puisque nous y mettons les mains.
CASSE-TUILLEAU
L’entreprise beaucoup je crains ;
L’ouvrage est fort à assaillir71.
CUL-ESVENTÉ
On ne peult, en fin, que faillir.
80 Besongnons, mais qu(e) on nous paye bien.
PILLE-MORTIER
Telles gens que nous n(e) acroient rien72,
Mais tousjours sont prestz d’emprunter.
GASTE-BOIS
Si se fault-il diligenter73
De commencer [l]a nostre ouvrage74.
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NEMBROTH SCÈNE V
85 Sus, enfans ! Prenez bon courage,
Et vous serez bien contentéz75.
CHUS
Je vous prie que diligentez :
Tard m’est que la voye commencée76.
GASTE-BOIS
J’ay jà la manière pensée
90 D’y besongner, n’ayez soucy.
NEMBROTH
Nous reviendrons de bref icy
Pour veoir vostre façon de faire.
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CASSE-TUILLEAU SCÈNE VI
Commencer fault, qui veult parfaire77.
Gaste-bois !
GASTE-BOIS
Tu dis vérité.
95 Besongne bien de ton costé,
Et de moy ne prens nul soucy.
CASSE-TUILLEAU
Cul-esventé !
CUL-ESVENTÉ
Hau ?
CASSE-TUILLEAU
Viens icy !
GASTE-BOIS
Pille-mortier !
PILLE-MORTIER
Je voys78 à vous.
Préparé suis vous servir tous.
100 J’ay jà l’instrument sur le col79.
CASSE-TUILLEAU
Cul-esventé !
CUL-ESVENTÉ
Hau ?
CASSE-TUILLEAU
Gâche mol80 !
CUL-ESVENTÉ
Combien ?
CASSE-TUILLEAU
Une demye-augée81.
GASTE-BOIS
Çà, du mesrien82 ! Faictz-tu du fol ?
CASSE-TUILLEAU
Pille-mortier !
PILLE-MORTIER
Hau ?
CASSE-TUILLEAU
Gâche mol !
PILLE-MORTIER
105 Délyé83 ?
CASSE-TUILLEAU
Nenny, de plein vol84.
GASTE-BOIS
Apporte ma large congnie85 !
Icy font la tour de Babel.86
CASSE-TUILLEAU
Cul-esventé !
CUL-ESVENTÉ
Hau ?
CASSE-TUILLEAU
Gâche mol !
CUL-ESVENTÉ
Combien ?
CASSE-TUILLEAU
Une demye-augée.
PILLE-MORTIER
C’est une droicte87 dyablerie
110 Que servir maçons, au jourd’uy !
CUL-ESVENTÉ
Malheureux est qui sert aultruy
Pourveu qu’il s’en puisse passer88…
GASTE-BOYS
Sus, sus, il se fault advancer !
Vous aymez trop besongne faicte89.
…………………………. 90
115 Pille-mortier !
PILLE-MORTIER
Hau ?
GASTE-BOYS
Es-tu prest ?
PILLE-MORTIER
Ouÿ, de vous donner à boire.
CASSE-TUILLEAU
Cul-esventé ! Tost, sans arrest
Besongne : si, acquerrons gloire.
Apporte du mortier !
PILLE-MORTIER
Enco[i]re91 ?
CASSE-TUILLEAU
120 Despesche-toy ! Dieu te mauldie !
PILLE-MORTIER
Tenez, voylà vostre dolloère92 ;
Est-elle pas belle et jollie ?
CASSE-TUILLEAU
Çà, du cyment !
CUL-ESVENTÉ
Vostre congnie ?
Je l’ay portée à l’esmoulleur.
GASTE-BOYS
125 Ma besaguë !
PILLE-MORTIER 93
C’est du meilleur
Que vous beustes de la sepmaine.
GASTE-BOYS
Dieu te mette en fièvre quartaine !
Baille-moy acoup mon compas,
Affin que je ne faille pas
130 De faire ceste tour trèsbelle.
CUL-ESVENTÉ
J’ay apporté vostre truelle ;
Est-ce pas ce que demandez ?
CASSE-TUILLEAU
Du mortier !
PILLE-MORTIER
La main tost tendez
À la tuille qu’ay94 apportée !
CASSE-TUILLEAU
135 Du cyment !
CUL-ESVENTÉ
Je l’ay apprestée,
L’ardoise, avec le clou à late95.
CASSE-TUILLEAU
Haste-toy, mon mortier se gaste !
PILLE-MORTIER
Voicy ung chevron escarry96 ;
C’est dommage qu’il est pourry,
140 Veu ce qu’il a la poincte aguë.
GASTE-BOYS
Apporte-moy ma besaguë
Et mon marteau, que je martelle !
CASSE-TUILLEAU
Elle est belle, vostre truelle :
Je l’ay de nouveau esclarcie97.
GASTE-BOYS
145 Que j’aye ma moyenne congnie !
Entens-tu, hay, maistre Accippé98 ?
PILLE-MORTIER
Le mortier ? Je l’ay bien trempé :
Il est aussi mollet que laine.
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CHUS SCÈNE VII
Nembroth, nostre grand capitaine,
150 Mes gens sont quasi affolléz99 :
Il semble qu’ilz soient désoléz100,
Et qu(e) ayent perdu l’entendement.
NEMBROTH
Sus ! besongnez incessamment,
Ouvriers, à tort et à droicture !
CASSE-TUILLEAU
155 Çà, du plomb pour la couverture101 !
PILLE-MORTIER
J’ay apporté ung instrument
Pour commencer le fondement :
Car il n’a pas faict, qui commence102.
JÉTRAN
Voicy une grande insolence !
160 Maçons, charpentiers, qu’est cecy ?
GASTE-BOYS 103
Orïolla gallaricy,
Breth gathahat mirlidonnet.
Juidamag alacro bronet 104 :
Mildafaronel adaté !
NEMBROTH
165 Voyllà nostre ouvrage gasté.
CASSE-TUILLEAU
Quanta, quéso a lamyta105 ?
La seigneurie la polita.
Vollé daré le coupe toue106 ?
CHANAAN
Qu’est cecy ? Fault-il qu’on se joue
170 De nous ? Mais d’où vient cest erreur ?
CUL-ESVENTÉ
Bïanath acaste folleur.
Huidebref, abasténïent.
CHUS
Bref, je ne sçay d’où cecy vient.
Jamais ne veis tel fantasie.
PILLE-MORTIER
175 Rotaplasté a la casie,
Emy maleth a lacastot.
JÉTRAN
Nous perdons temps icy, Nembroth,
Car nous povons assez congnoistre
Que Dieu ne nous veult point permettre
180 Que ceste tour parachevons.
*
1 L’un des Maraux enchesnéz, vagabond professionnel, a aussi pour nom Soudouvrer, de même qu’un des brigands du Mystère de saint Martin, d’André de La Vigne. La chambrière paresseuse de Tout-ménage est surnommée Saudouvray. On signale une « grande Confrarie des Soûlx d’ouvrer et enragéz de rien faire ». 2 D’une façon moins pertinente, le Viel Testament donne aussi ce nom à un bourreau. Dans le Mystère de saint Clément, l’apprenti du charpentier porte aussi un nom ridicule : Col-de-grue. 3 Il entre dans une taverne pour en extirper son valet, qui trône devant une table bien garnie. 4 Le valet ronge un gros os de belin, de mouton. Comme le déplore l’hagiographe du Sermon de sainct Belin, « ung cuisinier plain de grant mal/ En eut le brichet [l’os de la poitrine] et l’espaulle,/ Et les rostist en une gaulle ». 5 Il boit. 6 Voilà le problème. « Eau-e » compte pour 2 syllabes. 7 Il est facile de voir à mon nez rouge que je ne bois jamais d’eau. 8 Un charpentier peut tenir sa besaiguë dans un sens ou dans l’autre, selon qu’il a besoin du ciseau ou du bédane. 9 Sens. 10 Ni le cidre. 11 Serviteur du prévôt Aman. Il a vu Soûl-d’œuvrer s’introduire dans la taverne. 12 Œuvrer. Cf. la tour de Babel, vers 13. Baratha pénètre dans l’obscure taverne et appelle très fort Soûl-d’œuvrer, qu’il ne voit pas. 13 Tes outils de charpentier. 14 Je ne manquerai pas. 15 De toute l’année, je n’ai pas gagné une miette. Cf. la Bouteille, vers 225 et note. 16 Dessous, les imprimés ajoutent en vedette Gasteboys. C’est le nom du charpentier dans l’épisode de la tour de Babel, que je publie à la suite. 17 Baratha et les charpentiers se rendent chez le prévôt. Maudollé n’interviendra plus, mais la construction d’un gibet nécessite au minimum deux ouvriers. 18 Spécifiquement. « Et je serviray par exprès/ Ceste chambèrière joyeuse. » Le Cousturier et son Varlet. 19 Par-dessus tous les autres. 20 Depuis longtemps. 21 Dans cette locution, seul l’adjectif puissant est mixte : « Forte et puissant com ung lyon. » Les Sotz fourréz de malice. 22 Cette question souligne l’ambiguïté de ce que vient de dire Aman : la « poutre » désigne un gros pénis, et « tout outre » veut dire « au travers du corps ». 23 Éd : le (Aman indique la cour de son palais, devant la fenêtre.) 24 Pour vous la faire spécialement, sur mesure. 25 Les Mystères de la procession de Lille* comportent le même vers dans une scène équivalente, bien que totalement dépourvue d’humour. (*Éd. Alan Knight, Droz, 2004, t. III, p. 429.) Pour une fois, le prévôt ne respecte pas à la lettre les ordres de son épouse : elle réclamait « une bien grant poultre/ De soixante couldées de hault,/ Qui pour ung gibet assez vault ». 26 Éd : Et (Dans quel style ?) 27 Les charpentiers s’en vont. Dessous, les imprimés répètent la rubrique Aman. 28 Se balancer « puis çà, puis là, comme le vent varie ». Villon, Ballade des pendus. 29 Éd : me (Sans que je ne vienne m’habiller devant cette fenêtre.) 30 Tout est fait. La potence est installée dans la cour du prévôt. 31 Poteau. 32 Pendu. 33 Il ne risque pas de tomber. 34 Sinon par la faute de celui qui aura tressé une mauvaise corde. 35 Aman est condamné à être pendu chez lui, à son propre gibet. Son serviteur court avertir Zarès, l’épouse du prévôt, qu’elle doit s’enfuir ; cette femme étant a priori une ancienne prostituée, leur conversation a des relents d’argot. 36 Fuir (argot). Idem vers 93. Cf. le Mince de quaire, vers 151 et 259. 37 Trompé. 38 Es-tu sûr de ce que tu dis ? 39 Dans ce palais où nous sommes. 40 Prendre l’or et décamper. Idem vers 93. Cf. les Frans-archiers qui vont à Naples, vers 126. 41 Sûr. Zarès commence à remplir ses poches et celles du serviteur, avec qui elle compte s’enfuir. 42 De soudoyer les gardes. Cf. Marchebeau et Galop, vers 10, 140, 217, 303. 43 Emportez peu de choses difficiles à écouler. 44 Si vous pouvez. « Vous souvienne aussi/ Vous repentir, et de ne laisser rien,/ Que vous puissiez. » Le Plaisant boutehors d’oysiveté. 45 Fuyez au loin, déguerpissez ! « Brouez au large, et vous esquarrissez ! » Villon, Ballades en jargon, 8. 46 De prendre la porte, de partir. 47 Tu dois finir, mourir. 48 J’utilise encore l’imprimé de Jehan Réal, celui de Pierre Le Dru, et celui de Trepperel. Le passage que je reproduis s’intitule De la tour Babel. 49 Les tuileaux sont des briques en argile cuite : « Il nous fault faire des tuilleaux/ Que par feu désormais cuyrons :/ Par ce point, les endursirons. » (Viel Testament.) Pour plus de clarté, je sépare avec un tiret les noms composés. 50 Qui gâte le bois qu’on lui confie. « Gaste-plastre, Gaste-bois, Gaste-cuirs : se dit des compagnons ignorans qui gastent les matières qu’ils employent. » Furetière. 51 On s’attendrait à ce que le manœuvre des maîtres compagnons fabrique du mortier, mélange de sable et de chaux délayés dans l’eau. Mais pas du tout : d’après son nom, il pile des ingrédients dans un mortier pour faire de la sauce. Rabelais donna ce patronyme à un cuisinier : « Grasboyau, Pillemortier, Leschevin. » (Quart Livre, 40.) Il fut suivi par Bruscambille : « Monsieur Pillemortier : De la manière de faire tourtes. » (Prologues tant sérieux que facécieux.) 52 Ce couvreur (vers 29) travaille sur le toit : il a donc le cul au vent. Avec moins d’à-propos, la Vengance Nostre Seigneur en fait un soldat ; lui aussi a besoin d’être incité au travail : « Cul-esventé, tu ne faits rien :/ Besongne ! » 53 De bon vin (argot). Cf. le Munyer, vers 12. 54 Il y a. 55 Un bassin assez grand pour le contenir. 56 Chus, Jétran, Chanaan et leur chef Nemrod contestent un abus de pouvoir dont ils sont les victimes innocentes. Leur ancêtre Noé, soûl comme un cochon, fut trouvé par terre, dormant avec le sexe à l’air. Cela provoqua l’hilarité de son fils Cham. Contre toute logique, l’obscène poivrot crut devoir punir la future descendance de Cham : elle fut maudite et réduite en esclavage, alors qu’elle n’était pour rien dans les bouffonneries du nouveau Silène. Bref, les quatre victimes de cette injustice approuvée par Dieu veulent bâtir une tour qui monte jusqu’au ciel. 57 Avec nous. Cf. l’Homme à mes pois, vers 407. Cette locution adverbiale est originaire de Picardie : René DEBRIE, Glossaire du moyen picard, p. 329. 58 À notre but. Cf. Chagrinas, vers 350. 59 Nous ne feignons pas de travailler. 60 En leur sujétion : à leurs ordres. Cf. Folconduit, vers 70. 61 Qu’on lui exécute vite. 62 Dont il va tracer le plan. 63 Rien à. 64 Pour peu que nous soyons dirigés. 65 Éd : que (Nous ne nous montrons pas novices.) 66 Le plan. 67 Construire. 68 Qu’avant qu’elle ne soit achevée. 69 Nous allons nous mettre au travail. 70 Nemrod est un peu détraqué. 71 Est difficile à aborder. 72 Les gens comme nous ne font pas crédit. 73 Il faut faire diligence. Idem vers 87. 74 Ce mot était parfois féminin. « C’est une ouvraige si bien faicte. » Viel Testament. 75 Payés. 76 Il me tarde de la voir commencée. 77 Si on veut en venir à bout. 78 Je vais. 79 Je porte déjà la hache de Gâte-bois sur mon épaule. 80 Délaye du plâtre dans beaucoup d’eau. Les vers 101-108 constituent un triolet. 81 La moitié d’une auge. Cette partie du Viel Testament fut composée par un Picard ; on prononce donc « augie », qui rime avec cognie et diablerie. 82 Du merrain, du bois de charpente. 83 Le plâtre doit-il être bien délayé ? 84 Assez ferme pour que je puisse le jeter à la volée avec ma truelle. 85 Ma cognée, ma hache. Prononciation picarde. 86 Les comédiens hissent sur des montants une fausse tour en toile, comme ceux de la Vengance Nostre Seigneur : « Ilz lèvent icy une tourelle faicte de toille. » 87 Une véritable. « Pas ne ressemblent les [aux] maçons,/ Que servir fault à si grant peine. » Villon. 88 Quand il a les moyens de travailler à son compte. Allusion méprisante au fait que Pile-mortier n’a pas de tels moyens. 89 Le travail qui a déjà été fait. La chambrière paresseuse de Tout-ménage a pour nom Besongne-faicte. 90 Dieu tremble pour ses privilèges ; afin de saboter l’ouvrage des humains, il décide que « charpentiers, maçons,/ En soixante-et-douze façons/ Parleront, et nul n’entendra/ Ce que son compaignon vouldra ». 91 Forme picarde de « encore ». Voir Debrie, Glossaire du moyen picard, p. 165. « Encoire viendra ung déluge (…),/ Par quoy fault faire une tour haulte. » Viel Testament. 92 Votre doloire [hache]. C’est un mot picard : Debrie, p. 153. 93 Il tend une bouteille de vin à Gâte-bois. « C’est du meilleur que je beuz oncques. » Le Gentil homme et Naudet. 94 Éd : quauons (Prenez ces tuiles.) 95 Clou servant à fixer l’ardoise sur les lattes d’un toit. « Clou à latte pour empléer en la couverture de la pierre ardaise sur troys maisons. » ATILF. 96 Une poutre équarrie qui supporte les lattes et l’ardoise du toit. Il vaut mieux qu’elle ne soit pas pourrie ! 97 Je l’ai récemment éclaircie, fourbie. 98 Terme d’injure qui vise les faux savants. « Dictes-vous vray, maistre Accipé ? » (Dyalogue pour jeunes enfans.) « Quel maistre Accipé/ Vécy ! » (Le Capitaine Mal-en-point.) La transcription de Rothschild* est à revoir, et son vers 37200 doit se lire ainsi : « Tenez, tenez, maistre Accipé ! » *Le Mistére du Viel Testament, t. I, 1878, p. 270. De même, la transcription de la Vie de sainct Didier par J. Carnandet est fautive p. 347, où le ms. porte : « Maistre Accipé de Barbarie,/ Docteur en choppinacion [en soûlerie]. » 99 Devenus fous. 100 Égarés. 101 Pour calfater le toit. 102 Il n’a pas fini, celui qui commence. Les fondements de la tour ont précédé sa construction (vers 60). 103 Le gag de la langue inconnue plaisait aux acteurs : pour s’en convaincre, il suffit d’écouter le Pèlerin de Colin filz de Thévot (vers 245-294). 104 Éd : brouet (La rime est en -onet. Le « n » à l’envers est la faute d’impression la plus fréquente.) 105 Emanuele ARIOLI vient de publier une étude d’un extrême intérêt : La Tour de Babel dans le théâtre de la fin du Moyen Âge : le Mystère du Vieil Testament. Le médiéviste franco-italien propose de lire ici : Quanta, che so alla metà ? « Pourrait-on comprendre le premier vers comme ‟Combien, car je suis à la moitié” ? Il pourrait se référer à la tour inachevée ou alors à l’auge à moitié pleine (‟Une demye augee”). Pourrait-on entendre le deuxième vers comme ‟Votre seigneurie l’a nettoyée” (‟l’ha pulita” en italien) ? Il pourrait faire allusion à la ‟truelle.. / de nouveau esclarcie”. Dans le troisième vers, ‟volle dare” signifie ‟voulut donner” : faut-il entendre ‟A-t-il voulu rejeter la faute sur toi” ? » 106 En latin, volo dare = je veux donner. Culpā tuā = par ta faute.
LE FOSSOIEUR ET SON VARLET
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LE FOSSOIEUR
ET SON VARLET
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Quand on évoque les différentes sortes d’humour qui animent le théâtre médiéval, on oublie toujours l’humour noir. Les danses macabres doivent pourtant beaucoup aux farces et aux Mystères. Voici les extraits les plus « gore » d’une scène de cimetière que nous détaille avec complaisance le Mistère du Viel Testament.
Un fossoyeur et son valet se livrent une concurrence particulièrement cynique. Plus loin, nous verrons la concurrence non moins éhontée que se livrent, dans ce même Mystère, un bourreau et son valet qui n’ont rien à envier au fameux Daru, le bourreau des Actes des Apostres.
Sources : Le passage que je conserve s’intitule « Du débat du Fossoieur et de son Varlet ». Je prends pour base le Très excellent & sainct Mystère du Viel Testament, imprimé par Jehan Réal en 1542 ; il reproduit — avec moins de fautes — le Mistère du Viel Testament par personnages, imprimé par Pierre Le Dru vers 1500. L’édition Trepperel, parue vers 1520, propose quelques corrections utiles.
Structure : Rimes abab/bcbc, rimes plates.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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Du débat du Fossoieur
et de son Varlet
*
LE FOSSOIEUR SCÈNE I
Mon pic s(e) enrouille1, et si, se gaste ;
Et ma pelle est toute moysie.
De besongne[r] n’ay point de haste.
Mes varletz2 !
LE VARLET DU FOSSOIEUR
Le cul me frémie3 !
LE FOSSOIEUR
5 Cuydez-vous comme il s’en soucye ?
Viendras-tu ?
LE VARLET
Bénédicité !
Ma besongne est piéçà basie4 :
Besongner n’est nécessité.
LE FOSSOIEUR
Du temps de la mortalité,
10 Ma bourse d’argent estoit grosse5.
LE VARLET
Et ! aussi, c’est abilité6,
Maistre, de bien faire une fosse…
LE FOSSOIEUR
Où est le temps que Mort escosse7
Grans et petis, jeunes et vieulx,
15 Aussi drus comme pois en cosse ?
On s’en cource8, et j’en suis joyeulx.
LE VARLET
Bref, mon maistre est aussi piteux9
Comme ung chien mastin enragé :
Il les enterre deux et deux10.
LE FOSSOIEUR
20 Aussi, c’est le plus abrégé11.
LE VARLET
Je vouldroye qu’à mort fust jugé12,
Et qu(e) une fosse je luy feisse :
Il seroit bien avant13 plongé,
Affin que j’eusse son office14.
LE FOSSOIEUR
25 Tu es encore trop novice
Pour si grande charge entreprendre.
LE VARLET
Pourquoy ?
LE FOSSOIEUR
Tu n’as pas la notice15
Du fosso[y]aige, [à] bien comprendre16.
LE VARLET
Vray(e)ment, il est fort17 à apprendre !
30 Mon maistre, vous luy baillez belle18.
Il ne fault seullement que prendre
Une houe, ung pic, une pelle,
Et puis bêcher.
LE FOSSOIEUR
La chose est telle.
Toutesfois, il y a moyen
35 De la faire à façon nouvelle19.
LE VARLET
Il ne m’en fault apprendre rien20 :
Quant c’est ung grant homme de bien,
Il le fault bouter plus avant21
Q’ung povre homme.
LE FOSSOIEUR
Tu l’entens bien.
LE VARLET
40 Je suis ung maistre poursuyvant22.
.
LE SECOND PARENT 23 SCÈNE II
Nostre maistre, Dieu vous avant24 !
LE FOSSOIEUR
Et vous aussi !
LE VARLET
Que dictes-vous25 ?
LE FOSSOIEUR
Tays-toy, ou tu auras des coups !
De quoy dyable te mesle-tu ?
45 C’est ung26 garson le plus testu
Que je veis oncques !
LE SECOND PARENT
Ne vous chaille…
LE VARLET
Se nous avons rien27 qui vous faille,
Ne l’espargnez point.
LE FOSSOIEUR
Se je metz
La main sur toy, je te prometz
50 Q’une bigne28 y viendra, bien grosse !
LE SECOND PARENT
Je viens commander une fosse ;
Dépescher se fault de la faire.
LE VARLET
De quel aage29…
LE FOSSOIEUR
Te sçais-tu taire ?
LE VARLET
Il fault bien sçavoir la grandeur,
55 La largeur et la profondeur.
Car à faire « pourpointz sans manches30 »,
Besongnons festes et dimanches ;
Et jamais ne sommes repris31.
Il ne fault point parler du pris32.
60 J(e) y besongne d’entendement33.
LE FOSSOIEUR
Et ! de quel aage, voirement,
Est cest homme ?
LE SECOND PARENT34
De soixante ans.
LE VARLET
Je m’en voys35 donc chausser mes gans
Pour besongner à forte main.
65 C’est follie d’attendre à demain
Ce qu’aujourd’huy on peult bien faire.
LE SECOND PARENT
Dépeschez-vous tost de la faire !
LE FOSSOIEUR
N’en parlez plus : j’en suis records36.
LE SECOND PARENT
Après, venez quérir le corps.
70 Et puis on vous contentera37.
LE FOSSOIEUR
Si bien on y besongnera
Que vous en serez tous contens.38
.
LE VARLET SCÈNE III
Mon maistre !
LE FOSSOIEUR
Quoy ?
LE VARLET
Voicy bon temps !
S’il en mouroit tous les jours quatre,
75 Nous nous [sç]aurions [plus] bel esbatre39
Et boire tousjours du meilleur.
LE FOSSOYEUR
Depuis que je suis fossoieur,
J’en ay enfouy plus de mille.
Besongne ! Feras40, malabille ?
80 Tenez : il semble qu’il n’y touche41.
LE VARLET
Attendez ung peu, je me mouche.
Vous estes mallement42 hastif !
LE FOSSOIEUR
Il n’est pas temps d’estre tardif :
Quant l’aquest43 vient, il le fault prendre.
85 Et si, ne fault rien entreprendre
Qu’on n’en vienne44 à son grant honneur.
…………………………………. 45
LE VARLET
Voicy une fosse jolye.
Se vous estiez mort, mon [doulx] maistre,
El seroit bonne pour vous mettre :
90 C’est droictement46 vostre mesure.
LE FOSSOIEUR
Par ma foy, varlet, je n’ay cure
D’y estre logé !
LE VARLET
Par raison,
Si aurez-vous une maison
De cinq47 piedz de long, une foys.
LE FOSSOIEUR
95 Vien-t’en avec moy !
LE VARLET
Bien j(e) y vois ;
Allez devant, je vous suyvray.
.
…………………………… 48. SCÈNE IV
LE FOSSOIEUR
Seigneur, la fosse est préparée.
Le corps mort quérir nous venons
À celle fin que l’enterrons,
100 Ainsi qu’on a acoustumé.
LE TIERS FILZ
Raison veult qu’il soit inhumé.
…………………………… 49
LE SECOND FILZ
Qu’il soit bouté en sa tesnière50 !
LE FOSSOIEUR
Soustien devant !
LE VARLET
Prenez derrière !
LE FOSSOIEUR
Hardy !
LE VARLET
Là, là !
Ilz le mettent en la fosse.
LE PREMIER FILZ
Qu’il soit couvert51 !
105 Dépesche-toy, hay, mal apert52 !
La pueur53 me vient jà au nez.
LE VARLET
Mon maistre !
LE FOSSOIEUR
Que veulx-tu ?
LE VARLET
Prenez
Ceste pelle, dépeschez-vous,
Et le couvrez !
…………………………..
LE FOSSOIEUR
110 Est-il enterré proprement ?
Il n’a garde de revenir54.
LE PREMIER FILZ
Nous ne voulons pas retenir
Ta vacation55 ne ta peine :
Voylà pour toy !
LE FOSSOIEUR
Trèsbonne estraine56
115 Vous vueille envoyer le grant Dieu !
LE VARLET
Vuydons, vuydons hors de ce lieu57 !
.
Argent avez, c’est le plus fort. SCÈNE V
Allons boire nous deux d’accord,
Car j’ay l’estomac tout haslé58.
LE FOSSOIEUR
120 Tantost y aura bien hallé59,
Mais que nous soyons sur le banc60.
De l’argent de61 nostre escot franc
Nous demourra, mon valetton.
.
…………………………… 62 SCÈNE VI
LE PREMIER PARENT
Où estes-vous ? Hay, Malhabille63 !
LE VARLET
125 Mon maistre, voicy du gaignage64
Qui nous vient.
LE FOSSOYEUR
Que la malle raige
Te puisse happer par les dens65 !
LE SECOND PARENT
Qui est céans ?
LE VARLET
Entrez dedans !
Il n’y a que moy et mon maistre.
LE FOSSOYEUR
130 Qu’esse qu’il y a ?
LE PREMIER PARENT
Il fault mettre
— Sur la peine66 d’amande grosse —
Cest homme mort hors de la fosse,
Et le porter devant le Roy.
LE FOSSOYEUR
Le déterrer ? Cause pourquoy67 ?
135 Vous vous mocquez !
LE SECOND PARENT
Sauf vostre grâce
— Car il est force qu’il se face68 —,
Bien et beau69 le déterrerez.
Soubz son arbre70 le porterez,
En vous payant71 de vostre peine.
.
LE FOSSOYEUR SCÈNE VII
140 Sus ! dépesche-toy, traîne gaine72 !
Il fault besongner ric-à-ric73.
LE VARLET
Prenez la pelle ; j’ay le pic.
Et regardez se je m’y fains74.
LE FOSSOYEUR
Besongne ! Hay, comme tu jains75 !
145 Est-il pansu, est-il enflé !
Voyez comme il est boursouflé !
Que fais-tu ?
LE VARLET
J’estouppe mon nez76.
LE FOSSOYEUR
Et ! prenez-le par là, prenez !
Paillart, vous ne sçaurez jà rien ?
LE VARLET
150 Il suffit, puisque je le tien.
LE FOSSOYEUR
Soustien fort !
LE VARLET
Aussi fais-je pas ?
LE PREMIER PARENT
Or, cheminons tout le beau pas77
Pour faire le vouloir du Roy !
.
…………………………… 78 SCÈNE VIII
SALOMON
Or sus ! faictes-le transporter
155 Au pied de l’arbre, entendez-vous ?
Metez-le debout devant nous !
Puis après, jugement ferons.
LE FOSSOYEUR
Vostre vouloir accomplirons,
[Il n’en fault point prendre d’ennuy.]79
160 Dresse !
LE VARLET
Haussez !
LE FOSSOYEUR
Tien bien !
LE VARLET
À luy !
À grant-peine le remuons.
LE FOSSOYEUR
Est-il pas bien ?
LE VARLET
Or, le lyons,
À celle fin qu’il se tienne mieulx.
Mais je suis mélencolieux
165 Que c’est que80 le Roy en veult faire.
LE FOSSOYEUR
Beau sire, pense à ton affaire !
Le voylà ainsi qu’il doit estre.
LE VARLET
C’est mon81. Vray(e)ment, vous estes maistre :
Ouvré avez d’entendement82.
.
…………………………. 83 SCÈNE IX
SALOMON
170 Gallans, devant84 qu’il soit plus tart,
Allez le corps sépulturer !
LE VARLET
Sire, l’irons-nous enterrer ?
SALOMON
Allez le remettre en son lieu !
LE FOSSOYEUR
Nous y allons. Çà, de par Dieu !
175 Mais voirement, qui me payera ?
LE PREMIER PARENT
Trèsbien on vous contentera.
LE VARLET
Qu’on ne nous tienne point sur fons85 !
LE PREMIER PARENT
Nenny non, je vous en respons.
Allez l’enterrer tout batant86,
180 Et puis je vous payray content.
LE FOSSOYEUR
Il suffit, je n’en parle plus.
*
.
.
GOURNAY
ET MICET 87
*
ATACH 88 SCÈNE I
Gournay, estes-vous cy dedans ?
GOURNAY, bourreau.
Ouy. Qui est là ?
ATACH
[C’est moy,] Atach.
GOURNAY
Et que te fault-il ? Ung vieil sac
Pour te getter en la rivière89 ?
ATACH
5 Que fais-tu, Gournay ?
GOURNAY
Quoy ? Grant chère
Avecques mon varlet Micet.
MICET, varlet du bourreau.
Vien boire avec nous, s’il te plaist ;
Et fais, comme nous, ton devoir.
ATACH
Pas n’ay soif mais, à dire voir90,
10 Content suis de boire une fois.
GOURNAY
Par noz dieux, tu es bon galloys91 !
Or, tien franc, Atach, et à tâche92 !
ATACH
Voulentiers.
MICET
Il a fait sa tâche93.
Ha, a ! quel avalleur94 de vins !
GOURNAY
15 Çà ! qu’i a-il, à toutes fins ?
ATACH
Voulez-vous que le cas desqueuvre95 ?
Gournay, il fault faire ung chief-d’euvre96.
GOURNAY
Et comment ? Quoy ? Je te supplie !
ATACH
Aller fault à la « torterie97 »,
20 C’est-à-dire au jolly gibbet.
MICET
Ha, ha !
GOURNAY
Y a-il point d’aquest98 ?
Ne le nous vueille point celer !
ATACH
Or çà ! que voulez-vous donner ?
Et je vous en diray la fin.
GOURNAY
25 Point ne fault de cela doubter :
Tu en auras quelque loppin.
MICET
Qui, Atach ? A ! il est si fin
Pour vif bailler ung coup de pelle99 !
Où il a sellé son Martin100,
30 Il en apporte ou pied, ou elle101.
ATACH
Gournay !
GOURNAY
Atach ?
ATACH
La chose est telle
Que deux hommes il vous fault pendre
[Sans] séjour102. N’y fault plus attendre.
Venez par-devers le prévost103 !
.
GOURNAY SCÈNE II
35 Nous avons gaigné nostre escot104.
Dépesche-toy ! Fais-tu le fol ?
MICET
Et ! je ne pourroye plus tost105,
Se je ne me rompoye le col.
GOURNAY
Garde d(e) oublier ung licol106 !
40 Il en fault bien estre songneux.
MICET
De moy jouez au capifol107 ?
Dea ! mon maistre, sont-ce beaulx jeux ?
GOURNAY
Pourquoy ?
MICET
Vous sçavez qu’il[z] sont deux.
GOURNAY
Ha ! que tu es ung rouge gueux108
45 Et ung fin [hoste, ce]109 me semble !
MICET
Les pendrez-vous tous deux ensemble,
Mon maistre Gournay, d’une corde110 ?
Il me plaist trèsbien, je l’accorde,
Se faire le voulez ainsi.
GOURNAY
50 Micet, vostre bonne mercy111,
Qui si bien d’accord voulez estre
Que de donner congé au maistre.
Et ! vous n’estes que le varlet.
Micet !
MICET
Gournay ?
GOURNAY
Tost au gibet !
55 Il ne nous fault plus cy targier112.
.
MICET
Maistre, vous irez le premier ;
Et puis après, vostre varlet.
L’honneur humerez113, s’il vous plaist.
Quant à ce cas seigneurïeux114,
60 S’il nous115 y fault aller tous deux,
J’en suis d’accord : car, il me semble,
Si belle perte n’est, que ensemble116.
.
ATACH 117 SCÈNE III
Dépeschez-vous !
.
GOURNAY SCÈNE IV
Je vois Atach.
Micet !
MICET
Gournay ?
GOURNAY
As-tu le sac ?
MICET
65 Nenny, je n’ay que la besace.
GOURNAY
Noz dieux te donnent malle grâce118 !
MICET
À vous je suis prest d(e) obéyr.
GOURNAY
Or te garde bien de faillir
D(e) oublier les cordes, Micet !
MICET
70 Ne m’en souvenoit, sans mentir ;
Je ne portoye que du fouet.
GOURNAY
Que tu es ung fin mitouflet119 !
MICET
Mais vous me raillez en tous temps,
Gournay.
GOURNAY
N(e) oublie point mes gans :
75 Tu sçais bien qu’ilz sont nécessaires.
MICET
Mon maistre, il [vous] en fault deux paires :
Et ! ne pendez-vous pas deux hommes ?
GOURNAY
Cecy120 ! Je ne sçay où nous sommes !
Tu me veulx, ce croy, faire paistre121 ?
80 Allons légièrement122 !
MICET
[Mon] maistre,
Rien seulement qu’une demande,
Voire bien honneste.
GOURNAY
Demande !
MICET
L’accordez-vous ?
GOURNAY
Content en suis123.
MICET
Je vous requiers tant que je puis,
85 Par ma loy124 !
GOURNAY
Que de preschement !
À coup dis125 !
MICET
Hélas, Gournay !
GOURNAY
Quoy126 ?
MICET
Ha, [ha], mon maistre !
GOURNAY
Seurement
Demande tost, je te l’octroy.
Mais…
MICET
Mais quoy ?
GOURNAY
Porte-moy honneur127.
MICET
90 Comment diray-je ?
GOURNAY
« Monseigneur. »
Et tu auras…
MICET
Quoy ?
GOURNAY
Une belle office128.
MICET
Hélas !
GOURNAY
Bien tost129 !
MICET
Et ! que je feisse…
GOURNAY
Sus !
MICET
Vous m’escondirez.
GOURNAY
Non feray.
Hardiment !
MICET
Haa !
GOURNAY
Que tu es nice130 !
95 Demande tost, je le t’octroy.
MICET
Par ma loy131 ! vous m’escondiriez.
GOURNAY
Non feray, non.
MICET
[Et !] si feriez.
GOURNAY
Et ! non feray, de par le dyable !
La requeste ?
MICET
Elle est raisonnable.
100 Héé, héé !
GOURNAY
Je me cour[rou]ceray.
MICET
Par tous noz dieux !
GOURNAY
Est-elle notable ?
Demande tost, je le t’octroy.
MICET
Hé ! me vouldriez-vous escondire ?
GOURNAY
Ce follastre-cy132 me fait rire.
MICET
105 M(e) octroyez-vous donc ma demande ?
GOURNAY
Dépesche-toy, à coup demande !
Je suis icy tout ennuyé.
MICET
Ou au gibet soyez lié !
GOURNAY
Tu me tennes133, à dire voir.
MICET
110 Ou qu’il vous134 puist du corps mescheoir !
GOURNAY
Se je te prens, je me fais fort…
MICET
Ou que le dyable vous emport !
GOURNAY
Par noz dieux, ce coquart est fol !
MICET
Ou qu’on vous puist rompre le col !
GOURNAY
115 Je suis icy tout tempesté.
MICET
Ou que jamais n’ayez santé !
GOURNAY
Ce follastre est en ses fumées135.
MICET
Ou qu(e) unze mille charretées
De dyables, aussi de dyablesses,
120 Se vous ne tenez voz promesses,
Vous emportent136 et corps et âme !
GOURNAY
Et va, va, va, paillart infâme !
Encor ne t’ay-je rien promis.
MICET
Je vous requier tant que je puis,137
125 À joinctes mains et à genoux,
Affin que j’apprengne de vous,
Que l’ung en pendez, et moy l’autre.
GOURNAY
Que tu y feroys ung beau peaultre138 !
Tays-toy, tays, pas ne sommes là139 !
MICET
130 A, dea ! Je dis, quant là viendra,
Que j’apprengne vostre labeur140.
GOURNAY
Et ! bien, bien, on y pensera,
Pour veoir qui sera le meilleur.
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…………………………. 141 SCÈNE V
GOURNAY
Sire, je les vois dépescher142.
135 Micet !
MICET
Gournay ?
GOURNAY
Sans tant prescher,
Monte en hault veoir s’il y fault rien143 ;
Et regarde se tout est bien,
Tandis que les appointeray144.
MICET
J(e) y voys. Au moins, j’e[n] apprendray
140 Petit à petit le mestier.
Ceste eschelle si eust mestier145
D’avoir de plus fors eschellons ;
Car quant telz happars eschellons146,
Il y chiet147 ung trèsgrant dangier.
GOURNAY
145 Dépesche-toy ! Tant langagier !
Dieu te met148 en fièvres quartaines !
MICET
Maistre, pour vous, voicy des chaînes
Qui sont seurement149 enchaînées.
…………………………… 150
Maistre, je vous prie
150 En tant151 que je vous puis prier,
Que vous me laissez dépescher
Cest homme-cy de bonne tire152.
GOURNAY
Et va, [va], paillart, va !
MICET
Beau sire !
GOURNAY
Tu ne t’y congnoys nullement.
MICET
155 Je vous prie si humblement !
GOURNAY
Mais regardez ce coquibus153 !
MICET
Jamais ne vous requerray plus154.
GOURNAY
Que dyable ! tu ne t’y congnois.
MICET
Tant seulement pour ceste fois !
160 Au moins, quant de vous j’apprendray,
Après vostre mort, je diray
Que je tiens de vous le mestier.
Au besoing, s’il estoit mestier155
— Dont noz dieux vous vueillent garder ! —,
165 Je vous feroye deffiner156
La vie tout doulx en ce gibet.
Que je le pende, s’il vous plaist !
Ne faictes point tant de fatras !
GOURNAY
Çà ! je verray que157 tu feras
170 Pour ung homme158, ne plus ne moins.
MICET
Premier, il fault lyer les mains ;
Cela, ce n’est pas de nouveau159.
GOURNAY
Va, va, va, va, paillart bourreau !
Va, va, tu ne sçais que tu fais !
175 Je te donray tant de souffletz
Que je te rompray le museau.
MICET
Ha ! il ne tient [qu’à ung]160 noyau.
(Que maudis soient les fouëtz !)
GOURNAY
Et va, va, va, paillart bourreau !
180 Va, va, tu ne sçais que tu fais !
MICET 161
Fais-je bien ?
GOURNAY
A, que tu es veau !
MICET
N’ay-je pas bien serré les traitz162 ?
GOURNAY
Nenny non, ilz sont trop estroictz163.
MICET
Il fault les rongner d’ung cousteau.
GOURNAY
185 Va, va, va, va, paillart bourreau !
Va, va, tu ne sçais que tu fais !
Je te donray tant de souffletz
Que je te rompray le museau.
MICET
Par noz dieux ! il164 est bien et beau,
190 Et mieulx que ne le sçauriez faire.
GOURNAY
Va, va, je te feray bien taire !
Mais me cuyde-tu faire paistre ?
MICET
Voylà de quoy : puisqu’il est maistre,
Il n’en fera qu(e) à son plaisir.
………………………….. 165
.
GOURNAY
195 Micet !
MICET
Gournay ?
GOURNAY
Liève166 mes gans !
Fièvres te puissent espouser167 !
MICET
Pour vous je les vouldray[s] garder :
On ne sçait de quel tuille on queuvre168.
Ou, quant je feray mon chef-d’euvre169,
200 Ilz me viendront trèsbien à goust170.
GOURNAY
Micet !
MICET
Gournay ?
GOURNAY
Or, serre tout171
Et allons boire ! C’est la somme172.
MICET
Gournay, vous estes trèsbon homme.
Aussi est faicte la journée.
.
…………………………….. 173 SCÈNE VI
GOURNAY
205 [Hau], Micet ! Hau, Micet !
MICET
Gournay ?
GOURNAY
Il faulsist174 ces meschans despendre.
MICET
Je suis tout fin prest d’y entendre175.
Iray-je ?
GOURNAY
Ouy, mais va bien tost
Demander congé176 au prévost :
210 Car sans congé, je n’oseroye.
MICET
Par mon serment, j’en ay grant joye !
Et n’y sçavez-vous autre chose ?
GOURNAY
Pourquoy, Micet ?
MICET
Je présuppose
Que j’en viendray à mon attainte177.
GOURNAY
215 Par quel moyen ?
MICET
Par une fainte :
Par ung beau joncher178 évident,
Luy diray que chascun passant
Se complaignent de ces pendus.
Quant mes cas aura entendus,
220 En tant qu’ilz sont du chemin près,
[J’en auray]179 (ne vous souciez)
Incontinent le mandement180.
G’y voys.
GOURNAY
À coup !
MICET
Premièrement,
Mon maistre Gournay, tu m’accordes181
225 Que vous me délivrez les cordes,
Les fouëtz, et tous les licolz
Dont ilz sont penduz par les colz.
Aussi, vous vous donnez au dyable182
Que vous n’aurez cordes ne châbles183,
230 Car tout cela me sera bon.
GOURNAY 184
Je le vueil bien.
MICET
Encor ung don
Je vous requier, il m’est propice.
GOURNAY
Et quel ?
MICET
C’est que je face l’office
De despendre ces malheureux.
GOURNAY
235 Va quérir congé, je le veulx185 !
J’ay en toy ung trèsbon varlet186 !
MICET
Ho, ho ! J’y voys187.
.
Vive Micet ! SCÈNE VII
Vive Micet ! J’auray honneur :
Je vois parler à Monsïeur188,
240 Il m’orra189 parler. S’il luy plaist,
Je luy bailleray d’ung touchet190,
Ainsi que je l’ay devisé191.
Micet, tu te es bien advisé.
Par tous les dieux qui m’ont faict naistre !
245 Je seray, l’autre année192, maistre ;
J’auray l’office de Gournay.
.
Cerbérus vous garde d’ennoy193 ! SCÈNE VIII
Et dame Juno, monsïeur,
Si vous accroisse vostre honneur !
AMAN
250 Micet, qu’i a-il de nouveau ?
MICET
Il n’y a rien que bien et beau.
Mon maistre, monsïeur, Gournay,
A entendu (comme je croy),
Et moy aussi, que les passans
255 Se complaignent que194 ces pendans
Qui sont penduz à ce gibet
Sont infectz et puant[z]. De faict,
S’il vous plaist qu’ilz soient despendus,
En terre les mettray, tous nudz.
260 S’il vous plaist, congé195 !
AMAN
À comprendre
Ce que me donnes à entendre,
Je le vueil bien. Or, va bon erre196 !
Qu’ilz soient ostéz et mis en terre,
Et que plus on n’en face frime197.
MICET
265 (Par noz dieux ! Gournay198, une mine
Fera199 longue jusque[s] aux piedz.)
Monsïeur, à noz dieux soyez !
Je voys acomplir mon office.
.
Gournay ! SCÈNE IX
GOURNAY
Micet ?
MICET
Quoy ! suis-je nice ?
270 J’ay congé — et n’en parlez plus ! —
De despendre ces deux pendus
Qui sont mors à honte villaine.
GOURNAY
Et ! tu as ta fièvre quartaine !
MICET 200
Prenez cela ! Vous m’aiderez,
275 À ce coup, et me servirez.
Ne voulez-vous pas que j(e) apprengne ?
GOURNAY
Quel follastre !
MICET
Se je m’engaigne201…
GOURNAY
Que feras-tu ?
MICET
J’ay aliance202 :
M’avez-vous pas donné puissance,
280 Avec le congé du prévost,
Que hastivement et bien tost
Soient de par moy despendus ?
G’y voys bref, et n’en parlons plus.
GOURNAY
Et ! tu feras ton senglant dyable !
MICET
285 Sans songer, baillez-moy ung châble203 !
GOURNAY 204
Tu auras ung coup de fouët !
MICET
Que ce neu205 est serré estroit !
Tirez fort, tirez, qu’il n’eschappe !
GOURNAY
Par le grant dieu ! se je te happe,
290 Il y aura ung grant bissestre206.
MICET
A, je regny207 ! Je seray maistre,
Quelque chose qu’alliez208 brouillant.
Il est à terre, le gallant.
Sus ! à l’autre, qu’il n’y ayt noyse209.
GOURNAY
295 Ennuyt sçauras que ma main poise210 !
Fault-il que serve ce coquin ?
MICET
Ouÿ, vray(e)ment. Je suis bien fin.
GOURNAY
Tu n’entens à demy ton cas211.
MICET
Je suis maistre. Descendez bas
300 Et tirez fort, comment qu’il soit212 !
Vive le bon maistre Micet,
Qui est des pendus despendeur !
GOURNAY
Vive Gournay !
MICET
J’en ay l’honneur213.
Sus tost ! il les fault enterrer.
GOURNAY
305 Dépesche-toy sans plus tarder !
Prens cela ! Je te vueil aider :
Il ne nous fault plus cy baver214.
MICET215
À ce coup, revestu seray216.
.
…………………………. 217 SCÈNE X
ATACH
Gournay, il te fault labourer218 ;
310 Dépesche-toy bien tost !
GOURNAY
Ha, ha !
Et qu’i a-il de bon, Atach,
Ma gracieuse et gente trongne ?
ATACH
O ! il y a grosse besongne.
GOURNAY
Comme quoy ? Dy-le à ung mot.
ATACH
315 Il te fault pendre le prévost
Aman.
GOURNAY
Haro, que de fredaines !
Et ! il fait tes fièbvres quartaines !
Te cuydes-tu railler de moy ?
ATACH
Je te dis tout vray, par ma loy !
320 Ainsi Assuaire le veult.
MICET
Ne nous chault, non. Vienne qui peult219 !
De ce, ne nous fault entremettre220.
Mais221 que nous gaignons bien, mon maistre,
Il souffit bien.
GOURNAY
La chose est clère.
325 Par noz dieux ! Fust son propre père222,
Puisqu(e) ainsi est, il le fault faire.
Trèstout ce qui est nécessaire,
Apporte-le en ta besace !
MICET
Gournay, allez saulter en place223 !
330 Cuydez-vous que soye apprentis ?
.
GOURNAY 224 SCÈNE XI
Honneur soit partout !
ÉGÉUS 225
Beaux amys,
Cest homme fault exécuter.
Il n’y fault point dissimuller :
Il le convient, propos final.
GOURNAY
335 Par ma loy, il m’en fait bien mal !
Çà, des cordes pour le lier !
MICET 226
De cella ne vous soucïez !
Manteau227 gaudy, Gournay, tenez :
Esse assez ?
GOURNAY
Or me pardonnez
340 Vostre mort, et je vous en prie.
AMAN
Et ! me fault-il perdre la vie
À mon hostel228 ? Hélas, ouÿ.
Fortune229 — noz dieux la mauldie ! —,
Fault-il que je deffine ainsi ?
345 Mardochée, ce gibet-cy
J’ay fait faire tout neuf pour toy ;
Hélas ! quel douloureux party :
J’ay fait faire ung gibet pour moy.
GOURNAY 230
Or montez ! Les dieux de la Loy
350 Dépriez, si ferez science231.
Mon seigneur, prenez en pascïence232,
Vous en mourrez beaucoup plus ayse.
AMAN
Il [le] convient, plaise ou non plaise ;
Contre je ne puis.
GOURNAY
Monseigneur,
355 Se vous avez rien233 sur le cueur,
Si le dictes tost, pour le mieulx.
Recommandez-vous à noz dieux,
Qu’ilz facent de vous leur plaisir.
ÉGÉUS
Gournay, ne le fais point mourir
360 (Entens-tu bien ?) sans congnoissance234.
GOURNAY
Estes-vous à vostre plaisir235 ?
ATACH
(Quel plaisir !)
AMAN
Ouy.
GOURNAY
N’ayez doubtance236.
AMAN
Promothéus, aye237 bienvueillance !
Et vous aussi, Deucalïon,
365 Pareillement Démogorgon,
Où j’ay eu parfaicte fiance238 !
GOURNAY
Noz dieux priez en doléance,
Qu(e) aux infernaulx soyez propice239.
ÉGÉUS
Il fault faire de la justice
370 Rapport au Roy, j’en ay la charge.240
.
GOURNAY
Micet !
MICET
Gournay ?
GOURNAY
Happe la charge241
Et entonne ce ront au creux242 !
MICET
Mon maistre, attendez, se tu veulx243.
Que dyable tu avez grant haste !
375 Nous pierons, en ceste grant mate,
Gourdement244, voicy chose grosse.
GOURNAY
Or, taillé avons quelque endosse245 ;
Elle n’est point de juiverie246.
MICET
Gournay, c’est toute [gourde pie]247 :
380 Voicy bon fons pour la pience248.
GOURNAY
Est-il homme de congnoissance
Où nous le [peussons mettre en plant]249 ?
MICET
Vous soucïez-vous ? Hay avant !
De ce, point je ne me soucie.
GOURNAY
385 Où vas-tu ?
MICET
À la frèperie250 :
J(e) y trouveray Martin Marchant251.
La fourrure en sera gaudie252.
GOURNAY
Où vas-tu ?
MICET
À la frèperie.
(Au gibet veulx perdre la vie
390 Se je n’en ay ung grain253 content,
Gournay, que vous ne sçaurez mie :
Je ne le vous diray pas, pour tant.)
GOURNAY
Où vas-tu ?
MICET
À la frèperie :
G’y trouveray Martin Marchant.
GOURNAY
395 À butin254 ?
MICET
Qui en est doubtant ?
GOURNAY
Revien bien tost !
MICET
J(e) y voys de tire255.
GOURNAY
Or va, n’arreste point, beau sire !
Si yrons croquer ceste pie256.
MICET
À ce, je ne failliray mie :
400 Quant je puis croquer de ce moust257
Qui me semble de si bon goust,
Je suis guéry de la pépie258.
.
Je voys vendre ma marchandie259, SCÈNE XII
Et ne seray pas si cosnart260
405 Que je n’en mette ung grain261 à part,
De quoy Gournay n’en sçaura rien.
Et au retourner, je sçay bien
— Ou entré [je] soye en mal an262 —,
Se j’en ay le georget263 d(e) Aman
410 (Dont ma feulle sera gaudie264)
Et les tirandes265, sur ma vie,
Je le feray266, et sans mot dire.
………………………… 267
Il est temps de faire le guet :
N’y268 a âme entour la Justice ?
415 Je seroye bien tenu pour nice269
Se je n’avoye le demourant,
S’il a aux doys quelque brocant270
Et que de moy soit entendu271.
Après qu(e) auray trèstout vendu,
420 Gaultier272 en sera souldoyé.
Aussi, d’autre part, j’ay congé
D’estre despendeur ceste année.
Se Gournay sçavoit la traînée273,
J’auroye de luy ung tour de pelle274.
425 Il fault monter en ceste eschelle
Et prendre garde au compaignon.
Ce sera « l’escot du mignon275 ».
Je croy qu’il [n’]en demourra ung276.
Ô Aman, comment le commun
430 Tient maintenant de toy son plait277 !
.
GOURNAY 278 SCÈNE XIII
(Mais regardez nostre varlet !
Fièvres le puissent espouser !
Ha, ha ! me cuyde-il abuser ?
J’attendray encor ung tantet279.)
MICET
435 Par noz dieux ! ta mort me desplaist,
Aman. Mais pour venir au point,
Bien gourt280 me sera ce pourpoint.
Se Gournay sçavoit ce labour281,
Il me pourroit jouer d’ung tour.
440 Mais nenny, car la chose est seure.
Regarder fault, à l’adventure,
Qu’on ne me voye de quelque part282.
O nenny !!
GOURNAY
Héé ! maistre coquart283,
Me jouez-vous de ce jeu-là ?
445 Sçavez-vous bien faire cela ?
Quel marchant284 !
MICET
Venez-moy ayder !
GOURNAY
Ha, ha !
MICET
Fault-il tant commander285 ?
Aydez-moy !
GOURNAY
Héé, quel dorellot286 !
MICET
N’ay-je pas congé du prévost ?
450 Si ay. Et vous tenez tout seur
Que je suis maistre despendeur,
Et ne vous en courroucez point.
GOURNAY
Voulez-vous avoir le pourpoint ?
Ha, ha ! quel vaillant serviteur !
455 Par tous noz dieux ! maistre beffleur287,
Vous venez à la blefflerie288.
Et ! cuydez-vous, par tromperie,
Confoncer ceste aumuce gourde289 ?
MICET
Gournay, ne cuydez que me bourde290.
460 Vous sçavez que vous ay servy
Bien loyaulment jusques icy,
Tant, que suis maistre despendeur.
De pendre vous avez l’honneur ;
Au moins ne puis-je que despendre.
465 Et pour vous donner à entendre,
Content suis de perdre ma peine291.
GOURNAY
Et ! tu es ta fièvre quartaine !
MICET
Pour vous292 le voulloye despouiller,
Vrayment. Mais ung tout seul denier
470 Je n’en eusse pris, sans doubtance :
Car je croy, sur ma conscience,
Que tout ce qu’il a est à vous.
GOURNAY
Hélas, Micet, que tu es doulx !
Quel ouvrier, quel amïelleur293 !
MICET
475 Je vous dy vray.
GOURNAY
Et ! quel seigneur294 !
MICET
Seurement…
GOURNAY
Je [te] congnois trop.
Encore en eusses eu295 beaucop,
Se dessus n’eusse296 mis la poue.
C’est ung poisson ; mais quoy, il noue297.
480 Ne me jonche298 point ! Quel preudhomme !
MICET
A, dea ! mon maistre, c’est la somme
Que ce jolly georget299 joyeulx,
Au vray, appartienne300 à nous deux,
Et les tirandes301. Sans attendre,
485 Il le302 convient bientost despendre.
(Souffle303, coquardeau304 ! [Quoy qu’auray]305,
[Tout en sera bien enfermé]306
Tant que l’huys en pourra souffrir307.)
Pour à nostre ayse desvestir
490 Ce corps mort, il le fault despendre.
Vueillez à ceste eschelle entendre308,
Et m’aydez tost à l’abréger309.
GOURNAY
Descens, paillart ! Je vueil monter.
MICET
Non ferez, dea, sauf vostre honneur !
495 Se je suis vostre serviteur,
Si feray-je aujourd’huy le maistre.
GOURNAY
À mau gibet310 te puist-on mettre !
MICET
Maistre, tenez le bout du châble !
GOURNAY
Dépesche-toy, de par le dyable,
500 Qui te puisse rompre le col !
MICET
Se, sera pour vous ce licol311.
Tirez fort, il est près de terre !…
Il est bas312.
GOURNAY
La fièvre te serre !
Descens tost, il le fault oster313.
MICET
505 Vive Micet !
GOURNAY
Et despouiller
Il [le] nous convient sans attendre.
MICET
À cela je suis prest d’entendre314.
Je suis Micet, ce gracïeulx « seigneur315 ».
Je suis Micet, despendeur bas et hault.
510 Je suis Micet, maistre bourreau d’honneur.
Je suis Micet, ce gracieulx lourdault.
Je suis Micet, pour flestrir d’ung fer chault 316.
Je suis Micet, pour coupper une oreille317.
Je suis Micet, pour faire ung escharfault 318.
515 Je suis Micet, qui point ne se traveille319.
Je suis Micet, qui jamais ne sommeille.
Je suis Micet, bateur sur les carreaulx320.
Je suis Micet, qui à mal s’appareille321.
Je suis Micet, le varlet des bourreaulx.
GOURNAY
520 Je suis Gournay, ouvrier espécïaulx322.
Je suis Gournay, à la haulte-œuvre prêt 323.
Je suis Gournay, qui ay fait maintz assaulx324.
Je suis Gournay, pour pendre à ung gibet.
Je suis Gournay, où beffleur[s] vont d’aguet 325.
525 Je suis Gournay, pour coupper une teste.
Je suis Gournay, pour les brigans [de guet] 326.
Je suis Gournay, où n’a nulle conqueste327.
Je suis Gournay, qui fais fouldre et tempeste.
Je suis Gournay, pour boullir et ardoir328.
530 Je suis Gournay, qui de mal maine feste.
Je suis Gournay, pillorieux329, de voir,
Dont maint homme n’est guère resjouy.
*
1 Se rouille, parce que je n’ai plus l’occasion de m’en servir. Les deux fossoyeurs au chômage sont assis sur des tombes. 2 Le fossoyeur oublie que, par ces temps de vaches maigres, il n’a plus qu’un seul valet. 3 Tremble, pète sous l’effet de la peur. 4 Éd : bastie (Les valets de farces font souvent appel à l’argot, comme au vers 56. Basi = mort. « Le bon maistre Pierre est basy. » Le Testament Pathelin.) Affirmer que le métier de fossoyeur est mort depuis longtemps relève de l’humour noir. 5 Pendant la dernière épidémie de peste, ma bourse était enceinte d’argent. 6 C’est une question d’habileté, que vous ne possédez pas. « Cela n’est qu’abilité. » Les Enfans de Borgneux. 7 Dépouille. La Mort est personnifiée, comme dans les danses macabres. 8 Le peuple s’en courrouce. 9 A autant de pitié pour les morts. 10 Deux par deux. 11 C’est plus rapide. 12 Il soit condamné. 13 Profondément. Idem vers 38. 14 Sa charge de fossoyeur. Le moindre valet d’artisan rêve de remplacer son patron : ce Mystère nous fournira ensuite une querelle encore plus cynique entre un maître bourreau et son assistant. 15 La connaissance. 16 Tout bien considéré. « À bien comprendre et la matière entendre,/ Chascun doit tendre à tenir cest usaige. » La Condamnacion de Bancquet. 17 Cela est bien difficile (ironique). 18 Le valet adapte une locution proverbiale : « Tu luy bailles belle, Michault ! » Beaucop-veoir et Joyeulx-soudain. 19 Selon la dernière mode. « Ung chaperon faitis/ Qui soit de nouvelle façon. » Les Femmes qui plantent leurs maris. 20 Je n’ai plus rien à apprendre. 21 Il faut l’enterrer plus profondément, pour que les intempéries ou les chiens ne le déterrent pas. 22 Un bon candidat pour devenir maître fossoyeur. 23 Il vient embaucher les fossoyeurs pour enterrer son cousin. 24 Que Dieu vous aide. Cf. Maistre Mimin estudiant, vers 382 et note. 25 Que désirez-vous ? Dans les farces, les valets d’artisans ont le défaut de répondre à la place de leur patron. 26 Le. « C’est un homme le plus testu. » Le Trocheur de maris. 27 Quelque chose. « Si vous avez rien qu’il luy faille. » Farce du Pet. 28 Qu’une bosse. 29 En ces temps de forte mortalité infantile, l’âge du défunt est une indication pour la grandeur de la fosse. 30 Expression argotique pour désigner les suaires. 31 Réprimandés. L’Église interdit de travailler les dimanches et jours de fête ; mais elle est moins sévère pendant les épidémies, où les cadavres contagieux doivent disparaître le plus tôt possible. 32 Du prix : de notre salaire. On trouve ce vers proverbial dans la Pippée, Serre-porte, la Mauvaistié des femmes, etc. 33 Avec bon sens. Idem vers 169. 34 Éd : cousin 35 Vais. Idem vers 95. 36 J’en suis informé. « J’en suis maintenant bien recors. » Le Capitaine Mal-en-point. 37 On vous paiera. Idem vers 176. 38 Le client s’en va. Il n’a pas dit où se trouve le corps : c’est là une convention théâtrale qui permet de gagner du temps. 39 Nous pourrions plus agréablement nous divertir. « Et ne sçavent lieu où ilz s’aillent/ Plus bel esbatre ne desduire. » Bestiaire d’amour rimé. 40 Le feras-tu ? Cette question qui confirme un ordre est souvent suivie d’une insulte : « Habille-toy ! Feras, landroye ? » (Maistre Mimin estudiant.) « Malhabile » est le surnom du valet : voir le vers 124. À 105, on le traite de « malapert » : maladroit. 41 On croirait qu’il n’y connaît rien. Nous dirions : il ne touche pas sa canette. 42 Terriblement. 43 De l’argent à acquérir. 44 Sans qu’on ne s’en tire. 45 Je saute les disputes entre héritiers, qui se déroulent dans la maison du défunt ; mon numérotage des vers n’en tient pas compte. Les fossoyeurs ont fini de creuser. 46 Exactement. 47 Éd : sept (Les fosses individuelles mesuraient généralement 5 pieds [1,62 m], et non 7 pieds [2,27 m] ! C’est d’autant plus vrai que les gens du peuple n’avaient pas de cercueil, et qu’on leur pliait les genoux pour gagner de la place.) 48 Les fossoyeurs entrent dans la maison du défunt. 49 Les fossoyeurs emportent la dépouille enveloppée d’un linceul, sans cercueil. 50 Dans sa tanière, dans son trou. 51 Recouvert de terre. Idem vers 109. 52 Éd : a part (Maladroit. Ce qualificatif s’adresse au valet : la chambrière du Gallant quy a faict le coup se nomme Mal-aperte.) 53 La puanteur du cadavre. 54 Il ne risque pas de se transformer en revenant. « Qu’il fût pendu, sans revenir ! » L’Arbalestre. 55 Te retenir ton salaire. Il donne de l’argent au fossoyeur. 56 Bonne fortune. 57 Vidons les lieux. Les fossoyeurs quittent le cimetière. 58 Hâlé, desséché. « Et boyre tousjours ung tatin, (…)/ Car ilz ont l’estomach hallé/ Comme la gueulle d’ung four chault. » Actes des Apostres. 59 Haler du vin = tirer du vin. « Je tire, je hale sans blasme/ D’un verre. » La Veuve. 60 Pour peu que nous soyons assis dans une taverne. 61 Éd : et (L’écot franc est la part que chaque client paye au tavernier. « Ou bien d’un escot franc payé à la taverne. » F. Remi.) 62 Le roi Salomon, dans sa grande sagesse, ordonne que le corps soit exhumé. Les cousins du défunt vont chercher les fossoyeurs à la taverne. 63 Les cousins, à la porte de la taverne, aperçoivent d’abord le valet, que son patron surnomme « Malhabile » : note 40. Les tavernes, que leurs clients baptisent les « trous », sont des lieux obscurs où on économise la chandelle. Il est donc normal que les gens qui viennent de la rue n’y voient rien. Voir ci-dessous le premier vers de Gournay et Micet. 64 Un gain. 65 Puisses-tu avoir une mauvaise rage de dents ! Le fossoyeur n’aime pas être dérangé quand il boit. 66 Sous peine. « Sur peine de très grosse amende. » Les Drois de la Porte Bodés. 67 Pour quelle raison ? 68 Car il faut que cela se fasse. 69 Bel et bien vous… 70 Sous l’arbre qu’il a planté dans son jardin, et qui est à l’origine de la querelle entre ses héritiers. 71 Vous serez payés. Même vers dans Jehan de Lagny. Les fossoyeurs et les cousins retournent au cimetière. 72 Éd : gaigne (La gaine est le fourreau d’une épée. Un traîne-gaine est un tire-au-flanc. « Rien-ne-vaulx [vauriens], rustres, challans [compères], hapelopins [pique-assiette], trainne-guainnes. » Gargantua, 25.) 73 Avec une grande rigueur. Cf. le Résolu, vers 15 et note. 74 Si je feins de travailler, si je fais semblant. 75 Tu geins, tu gémis. 76 Je me bouche le nez, à cause de l’odeur de charogne. « Estoupez vos nez ! » Sermon joyeux des quatre vens. 77 D’un bon pas. 78 Les fossoyeurs et leur macabre chargement retournent chez le défunt. Salomon les y attend, avec Bananyas, et ordonne qu’on attache le corps à l’arbre que les héritiers se disputent. 79 Ce vers manque dans toutes les éditions, à moins que le suivant ne soit un ajout d’acteurs. Je lui supplée le vers 477 des Sobres Sotz. 80 Je me demande avec inquiétude ce que… 81 C’est mon avis. Cf. Troys Pèlerins et Malice, vers 58. 82 Vous avez œuvré avec discernement. « Que n’y ouvrez d’entendement. » Les Femmes qui font renbourer leur bas. 83 Salomon rend son jugement, puis ordonne aux fossoyeurs de reconduire le mort au cimetière. 84 Avant. 85 Qu’on ne nous prenne par pour des enfants, comme ces bébés qu’on tient sur les fonts baptismaux. « De tenir sur fons son enfant. » ATILF. 86 Tout droit. Cf. Chagrinas, vers 245. 87 J’utilise là encore l’imprimé de Jehan Réal, celui de Pierre Le Dru, et celui de Trepperel. Le passage que je conserve s’intitule : De Gournay et Micet. 88 L’homme à tout faire du roi de Perse Assuérus ouvre la porte d’une taverne obscure (note 63) qui est le quartier général du bourreau. Ces deux filous se connaissent bien, puisqu’ils partagent les bénéfices de leurs exactions (vers 23-26). « Atach » se prononce Atak ou Ata, selon la rime. 89 On enfermait les gêneurs dans un sac qu’on jetait à l’eau. « Que fust-il, en ung sac, en Seine ! » Martin de Cambray, F 41. 90 Vrai. Idem vers 109 et 531. 91 Un joyeux compagnon. 92 Tenir à tâche = prendre à tâche, s’efforcer de. Jeu homophonique entre Atak et à tâque : ce Mystère provient de Normandie, où « ch » pouvait se prononcer « k » : « Y me vint une taque [tache] oprès le bout du day [doigt]. » La Muse normande. 93 Il a fini son travail, il peut donc manger. « Quant on a achevé sa tâche,/ Doit-on pas prendre son repas ? » Saoul-d’ouvrer et Maudollé. 94 Éd : malleur (« Je suis bon avalleur de vins. » Les Sotz escornéz.) 95 Que je vous découvre l’affaire. 96 On ne peut devenir maître dans sa profession qu’en accomplissant un chef-d’œuvre. À 199, l’apprenti songe déjà au sien. 97 À la potence (mot d’argot), où l’on emploie des cordes tortes, tressées. « Et que point, à la turterie,/ En l’hurme ne soiez assis. » Villon, Ballades en jargon, 6. 98 Un gain à acquérir. 99 Un coup dans le dos. Idem vers 424. « Or, luy baillez troys cops de pelle ! » La Pippée. 100 Son âne. Cf. le Médecin qui guarist, vers 69 et note. 101 Un pied ou une aile : il parvient à resquiller quelque chose. Cf. le Roy des Sotz, vers 58. 102 Sans délai. Cf. le Raporteur, vers 228. 103 Le vizir, l’officier principal du roi. Atach sort de la taverne. 104 Nos frais de taverne. 105 Je ne pourrais aller plus vite. Le valet porte les sacs contenant le matériel du bourreau. 106 Une corde courte munie d’un nœud coulant. Idem vers 226 et 501. Le maître a tort de réclamer une seule corde alors qu’il y aura deux pendus. 107 Vous me prenez pour un imbécile. Cf. le Jeu du Capifol. 108 Un malin. Sur cette locution argotique, voir le Capitaine Mal-en-point, vers 185 et note. 109 Éd : arbre se (Un fin renard. « Ma foy, que tu es ung fin hoste ! » Les Enfans de Borgneux.) 110 Avec une seule corde. 111 Merci à vous. 112 Tarder. Les bourreaux quittent la taverne sans payer : encore une convention théâtrale. 113 Vous goûterez. « Il humera d’honneur/ Largement. » Le Capitaine Mal-en-point. 114 En ce qui concerne cette affaire royale. 115 Éd : vous (Correction de ROTHSCHILD et PICOT : Le Mistére du Viel Testament, t. VI, 1891, pp. 75-177.) 116 On ne perd pas autant de temps et d’énergie quand on est deux. 117 Il est déjà sous le gibet, avec les officiels, et exhorte les deux traînards. 118 Une disgrâce. « En la malle grâce des dieux. » Les Premiers gardonnéz. 119 Hypocrite. C’est le nom d’un personnage du Roy des Sotz. 120 Ça, par exemple ! Cf. la Laitière, vers 337. 121 Tu veux me faire marcher ! Idem vers 192. 122 Rapidement. 123 Je suis d’accord. 124 Par ma religion, le paganisme. Idem vers 96, 319 et 335. 125 Dis-le vite. 126 Les imprimés portent Micet ou Gournay. Correction de Rothschild et Picot. 127 Désigne-moi par un titre honorifique, en l’occurrence « Monseigneur ». Le patron de Saudret exige aussi que son valet l’appelle « Monseigneur mon Maistre ». 128 Micet réclame un office de bourreau ; on ne lui propose qu’une office, le garde-manger d’une cuisine : « Que vous estes bonne à l’office ! » Les Queues troussées. 129 Exprime-toi vite. 130 Éd : mice (Bête. Idem vers 269 et 415.) 131 Éd : foy (Note 124.) 132 Ce fou. Idem vers 117 et 277. 133 Tu me tannes, tu me fatigues ; cf. le Sermon joyeux des quatre vens, vers 363. À dire voir = à vrai dire (note 90). 134 Les imprimés portent me ou puis. (Corr. Rothschild et Picot.) « Il me puisse meschoir du corps/ Se ne commist son bon désir. » Guillerme qui mengea les figues. 135 Dans les vapeurs de l’alcool. Cf. Deux jeunes femmes, vers 101 et note. 136 « Que mille charretées/ De dyables te puissent emporter ! » Ung mary jaloux. 137 Même vers que 84. Le suivant figure dans le Ribault marié. 138 Un mauvais alliage d’étain et de plomb. 139 Nous n’en sommes pas encore là. 140 Votre métier. 141 Les bourreaux s’approchent de la potence, où l’on amène les condamnés. 142 Monsieur le Prévôt, je vais les expédier. 143 Monte en haut de l’échelle pour voir s’il ne manque rien. 144 Pendant que je préparerai les condamnés. 145 Aurait besoin. On fait grimper le condamné sur cette échelle, on lui passe autour du cou une corde extrêmement courte, puis on le pousse dans le vide pour lui rompre les vertèbres cervicales. Une pendaison nécessite la présence d’au moins deux bourreaux. 146 Quand nous faisons monter à l’échelle de tels gibiers de potence. Happer = voler. 147 Il choit, il advient. 148 Subjonctif réservé aux imprécations, pour faire croire qu’elles sont déjà réalisées. « Dieu te met en fièvre quartaine ! » Trote-menu et Mirre-loret. 149 Solidement. Ces chaînes joignent les poteaux du gibet à la poutre horizontale. 150 Gournay pend le premier condamné. Micet exprime à nouveau son amour du travail bien fait et son louable désir d’apprendre un si beau métier. 151 Autant. Idem vers 220. 152 Tout de suite. 153 Ce sot. Cf. le Pasté et la tarte, vers 113. 154 Après, je ne vous demanderai plus rien. 155 S’il en était besoin : si vous étiez condamné vous-même à être pendu. 156 Finir. Idem vers 344. On comparera cette attention délicate avec celle du valet du Fossoyeur qui voudrait que son maître soit pendu pour avoir l’honneur de l’enterrer (vers 21-24). 157 Ce que. Le bourreau cède à son valet. 158 Pour ce seul et unique condamné. 159 Au lieu de tirer du sac une ficelle pour attacher dans le dos les mains du condamné, il en sort un fouet (vers 71). Les vers 173-188 constituent un rondel double. 160 Éd : que a ce (Cela tient à peu de chose, il s’en faut de peu.) 161 Ayant trouvé la ficelle, il attache les mains du condamné, puis ses chevilles. 162 Les treuils, les entraves qui lient les chevilles du condamné. 163 Trop serrés : il ne pourra pas monter les échelons. 164 Cela : le résultat de mon travail. 165 C’est finalement Gournay qui pend le second condamné. 166 Retire-moi. Micet met les gants du bourreau dans sa propre poche. 167 Saisir. Idem vers 432. 168 Avec quelles tuiles on couvre un toit : on ne sait pas si on aura du bon matériel. 169 Ma plus belle exécution capitale. Note 96. 170 Vos gants me conviendront bien. « Quel train nous viendroit mieulx à goust. » Mallepaye et Bâillevant. 171 Enferme tout notre matériel dans les sacs. 172 C’est l’aboutissement normal. Idem vers 481. 173 Le bourreau veut décrocher les pendus, sans expliquer pourquoi : convention théâtrale. 174 Il faudrait. 175 De m’en occuper avec vous. Idem vers 491 et 507. 176 Une autorisation pour que nous puissions tous deux décrocher les pendus. Micet demandera cette autorisation pour lui-même. 177 À mon but : convaincre le prévôt. Cf. le Faulconnier de ville, vers 133. 178 Une tromperie (mot d’argot). Voir le vers 480. 179 Éd : Je lauray (J’aurai de lui.) 180 Le commandement, l’ordre. 181 Se croyant déjà l’égal de son maître, le serviteur introduit un peu de tutoiement dans son vouvoiement. Il récidivera aux vers 373-4. 182 Vous me jurez sous serment. 183 Câbles : filins servant à dépendre les corps. Idem vers 285 et 498. J’explique leur utilisation à la note 203. 184 Il croit que Micet va, comme d’habitude, porter les sacs contenant tout ce matériel. 185 Je veux que tu ailles chercher notre autorisation. Micet comprend : Je veux que tu dépendes les corps. 186 Ironique : quel mauvais valet ! 187 J’y vais. Micet court chez le prévôt. 188 Je vais parler à monseigneur le prévôt. 189 Il m’écoutera. Verbe ouïr. 190 Je lui toucherai la main. 191 Décidé. 192 L’année prochaine. 193 D’ennui, de contrariété. Dans le Mistère du Viel Testament, Cerbère n’est plus le chien qui gardait l’Enfer gréco-romain : c’est un authentique diable. Micet s’adresse au prévôt, Aman. 194 Éd : de (Corr. Rothschild et Picot.) 195 Accordez-moi cette permission. 196 Vas-y d’un bon pas. 197 De grimace. « Mais tout portoit paciamment/ Sans en faire semblant ne frime. » ATILF. 198 Éd : iauray 199 Éd : Qui sera (Gournay fera « une moue longue d’une aune » : sa figure s’allongera.) 200 Il jette à Gournay ses gants. 201 Si je m’énerve. 202 J’ai un allié, le prévôt. 203 Sans perdre de temps, donnez-moi un câble, un filin. Micet grimpe à l’échelle. Il attache le filin sous les aisselles du pendu, et jette l’autre bout par-dessus la poutre principale, afin qu’il retombe par terre de l’autre côté. Gournay n’aura plus qu’à tirer sur ce filin pour que le pendu remonte et que Micet puisse alors défaire le nœud coulant de son cou. Ensuite, il n’y aura plus qu’à dérouler ledit filin pour que le corps descende jusqu’au sol. 204 Il obéit aux ordres de son apprenti, non sans rechigner. 205 Le nœud coulant du pendu. 206 Un grand revers, un malheur. Cf. Ung mary jaloux, vers 252 et note. 207 Je renie nos dieux. 208 Éd : que aillez (Quoi que vous alléguiez.) Micet parvient à défaire le nœud du pendu, que Gournay peut alors laisser choir. 209 Pour qu’ils ne se disputent pas. 210 Tu vas savoir aujourd’hui combien pèse ma main. « Ce coup auras auparavant,/ Pour sçavoir ce que ma main poise ! » L’Antéchrist. 211 Tu ne sais pas la moitié de ce qu’il faut savoir. Gournay monte le filin à son serviteur, et l’aide à attacher le buste du second pendu. 212 Quoi qu’il en soit. Gournay redescend et tire sur le filin. Micet défait le nœud coulant du pendu, que Gournay laisse alors tomber par terre. 213 C’est moi qui ai l’honneur d’avoir dépendu ces deux hommes. 214 Bavarder. 215 Trepp. : Aman 216 Je serai revêtu des insignes de maître compagnon. 217 Dans ce vaste jeu de dupes, le prévôt lui-même finit par être condamné à mort. Une fois de plus, l’homme à tout faire du roi Assuérus va chercher les bourreaux à la taverne, leur quartier général. 218 Faire ton labeur, travailler. 219 Peu nous importe, advienne que pourra. 220 Nous ne devons pas nous mêler des bisbilles entre le roi et son prévôt. 221 Pourvu. 222 Fût-ce notre propre père. 223 Allez faire le bouffon ; cf. les Vigilles Triboullet, vers 174. Le serviteur se prend pour un maître, il ne veut plus obéir. 224 Atach et les bourreaux arrivent devant le gibet que le prévôt a fait ériger sous sa fenêtre : il comptait y pendre Mardochée (vers 345), mais c’est ce dernier qui va l’y faire pendre. « D’Aman suis esperdu,/ Qui devant son huis fut pendu/ Au propre gibet qu’il fist faire. » Les Esbahis. 225 Cet eunuque est le gardien du sérail d’Assuérus. 226 Comme cela se faisait toujours, il retire au prévôt son riche manteau, qui gênerait la pendaison à cause de son poids et de son col fourré. Les bourreaux se partageaient légalement les effets du supplicié. 227 Éd : Maistre (Gaudi = riche. Idem vers 387 et 410. « À Parouart [Paris], la grant mathe [ville] gaudie. » Villon, Jargon, 1.) Vous tenez déjà un riche manteau. 228 Devant ma maison. Note 224. 229 La roue de Fortune élève ou rabaisse les mortels. 230 Il fait monter le prévôt à l’échelle. Note 145. 231 Priez, vous ferez sagement. 232 Supportez. « Amys, prenez en pacience ! » L’Aveugle et Saudret. 233 Quelque chose. 234 Sans le lui faire savoir au préalable. 235 Êtes-vous préparé ? 236 N’ayez crainte. Gournay passe la corde au cou du prévôt. 237 Éd : en (Prométhée, aie pitié de moi !) 238 Confiance. Démogorgon fut inventé par Boccace au milieu du XIVe siècle. 239 Pour que vous soyez bien vu des dieux de l’Enfer. « Leurs âmes/ Sont maintenant aux infernaulx. » (Viel Testament.) Gournay pousse le prévôt dans le vide. 240 Les officiels s’en vont. Les bourreaux évaluent le manteau du supplicié. Leurs bas instincts revenant pour l’occasion, ils se chamaillent dans l’argot des truands. Lazare SAINÉAN consacre à ce dialogue les pages 266-269 des Sources de l’argot ancien, tome 1, 1912. Son glossaire est dans le t. 2, pp. 264-468. Je ne suis pas toujours d’accord avec lui, et encore moins avec Francisque MICHEL, qui étudiait en 1856 ce même dialogue aux pages xl-xli de ses Études de philologie comparée sur l’argot. 241 Prends le manteau du prévôt. 242 Enferme ce manteau à la maison. Ront = manteau : « Le ront est pelé et tondu. » (Les Tyrans au bordeau.) Creux = maison : « Il avoit débridé la lourde [fracturé la porte] du creux d’un rastichon [curé]. » Response et complaincte au grand Coesre. 243 Le valet recommence à mélanger le tutoiement et le vouvoiement. Note 181. 244 Nous boirons beaucoup, dans cette grande ville. Pier = boire de la pie, du vin ; cf. Grant Gosier, vers 81. Mathe = ville : « Bignez [visez] la mathe sans targer [tarder]. » (Villon, Jargon, 5.) Gourdement = beaucoup ; cf. Gautier et Martin, vers 140. 245 Nous avons taxé son manteau. Cf. le Dorellot, vers 153. Tailler = soumettre à l’impôt de la taille ; l’argot moderne connaît toujours « taxer un objet » dans le sens de « le voler ». 246 Éd : miuerie (« Ju » s’écrivait « iu », d’où la confusion avec « m ».) Il ne vient pas de chez un tailleur juif. Le prévôt détestait les juifs, et notamment Mardochée, qui a eu sa peau. 247 Éd : gourderie (C’est parfait pour avoir du bon vin. « Ma bouteille n’est point remplie/ De gourde pie, à ce matin./ Trois jours a que ne beuz de vin. » La Tour de Babel.) 248 Un bon capital pour payer la boisson. Cf. le Gentil homme et Naudet, vers 291. 249 Éd : penson mettre en plaint. (Connais-tu un fripier chez qui nous puissions l’écouler ?) 250 À la friperie, avec le manteau du prévôt. Les vers 385-394 constituent un « rondel doublé en la fin », qui réunit l’art des Rhétoriqueurs et celui des truands. 251 Nom générique des marchands, comme Martin Garant est celui des commerçants qui font crédit. 252 Le commerce de la fourrure en sera enrichi. 253 « Grain : un escu. » (Le Jargon de l’argot réformé.) Idem vers 405. 254 Vas-tu au butin, au gain ? « À butin tous noz prisonniers ! » Turelututu et Granche-vuyde. 255 J’y vais tout de suite. 256 Puis nous irons boire du vin. Cf. Jehan qui de tout se mesle, vers 10. 257 Boire de ce vin nouveau. Cf. le Brigant et le Vilain, vers 250. 258 De la soif. Cf. Pernet qui va au vin, vers 214. 259 Éd : marchandise (« Vivoit de l’honeste présent/ Qu’on luy donnoit par courtoisie/ Pour débit de la marchandie. » J.-A. de Baïf.) 260 Si sot. « Faire d’un tel conard un prestre ! » Science et Asnerye. 261 Un écu d’or. Note 253. 262 Ou que je sois entré dans une mauvaise année. « Ha ! qu’il soit entré en mal an ! » Le Pardonneur. 263 Le pourpoint. Même terme argotique au vers 482. « J’euz deux andosses [manteaux], deux georgetz. » Gautier et Martin. 264 Dont ma feuille [ma fouille, ma bourse] sera enrichie. « Jehan, mon amy, qui les fueilles desnoue. » Villon, Jargon, 10. 265 Ses chausses. Même terme argotique au vers 484. « Il n’a tirandes, ne endosse [manteau]. » Les Tyrans. 266 J’irai les vendre. C’est la suite du vers 403, et une anticipation du vers 419. 267 Au retour de la friperie, Micet revient discrètement vers le pendu. 268 Éd : Sil y (N’y a-t-il personne autour du gibet ? « Il n’y a âme/ Autour de ce jardin. » Viel Testament.) 269 Niais. Note 130. 270 Bague (argot). « Gros braceletz, signetz [chevalières], boucles, brocans. » ATILF. 271 Et que je sois habile. « C’est à toy très bien entendu. » L’Antéchrist. 272 Sans doute un fonctionnaire. On lit ce nom dans quantité de textes en argot ; cf. Gautier et Martin. 273 Mes raisons. « J’entens, à ce coup, la traisnée. » Chagrinas. 274 Des coups. Note 99. 275 La rétribution qu’une femme riche verse à son jeune amant. Micet grimpe à l’échelle, puis il fouille le pendu. 276 Qu’il ne restera plus un bijou à voler. 277 Se livre à des cancans, te maltraite. « Des chambèrières, tous les jours/ Tenez voz plaitz. » La Nourrisse et la Chambèrière. 278 Il vient dépouiller le pendu. Voyant Micet qui tente de défaire le magnifique pourpoint du prévôt, il se cache derrière un poteau du gibet. 279 Un tantinet, un peu. 280 Bon. Même terme argotique aux vers 379 et 458. 281 Ce travail, ce trafic. 282 Micet regarde par terre et aperçoit Gournay. Sous l’effet de la surprise, ses pieds glissent de l’échelle et il se cramponne à la poutre horizontale. 283 L’apprenti voulait devenir « maistre Micet » (vers 301), mais il n’est plus qu’un maître sot : « Je me rys d’ung maistre coquart,/ Le plus follas que je viz oncques. » La Pippée. 284 « C’est un bon marchand : par raillerie, un bon compagnon, un fin drolle. » Antoine Oudin. 285 Tant vous commander, vous supplier. 286 Quel morveux. Cf. le Dorellot. 287 Tricheur. Même terme argotique au vers 524. « Là sont beffleurs au plus hault bout assis [pendus]. » Villon, Jargon, 7. 288 Tricherie. Cette graphie est autorisée par Villon et Claude Chevalet, qui écrivent « bléfleurs ». 289 Confisquer ce riche capuchon. « Confoncer » n’existe ni en argot, ni ailleurs. 290 Ne croyez pas que je plaisante. 291 Je veux bien vous donner ce que j’ai pris la peine de voler. 292 À votre profit je… 293 Quel répandeur de miel pour attirer les mouches : cf. le Prince et les deux Sotz, vers 145-8. 294 Compliment très ironique. « Mais regardez-moy quel seigneur ! » Le Povre Jouhan. 295 Éd : tu (Tu en aurais eu beaucoup, des bijoux.) 296 Éd : eussez (Si je n’avais pas mis la patte sur toi. « Ung ange [sergent] mist sur moy la poue. » Gautier et Martin.) 297 Il nage, il nous file entre les doigts. « Et voit poissons par mer nouer. » (Godefroy.) Jeu de mots sur « nouer » : faire un nœud de pendu. 298 Trompe. « Joncheurs jonchans en joncherie,/ Rebignez [regardez] bien où joncherez. » Villon, Jargon, 5. 299 C’est normal que ce pourpoint. Note 263. 300 Éd : appartient 301 Ainsi que ses chausses. Note 265. 302 Éd : les (Il faut dépendre le prévôt bien vite. Voir le vers 490.) 303 Éd : Huffle (Cause toujours ! « Souffle, Michault ! » Les Sotz qui remetent en point Bon Temps.) Nous avons là les deux vers les plus difficiles, sur les 49386 que compte ce Mystère. Je ne garantis pas mes corrections, et encore moins celles de mes prédécesseurs. 304 Éd : coquart de (Naïf. « C’est la nature/ De tous ces jeunes coquardeaux. » Beaucop-veoir.) 305 Éd : quoqueree (Quoi que je puisse avoir.) 306 Éd : Vous en serez bien enfermee 307 Tant que la porte du coffre pourra résister à vos coups. 308 Occupez-vous de cette échelle pour que je puisse me rétablir. 309 À en finir avec lui. Gournay remet l’échelle d’aplomb, puis il jette un filin à Micet pour qu’il attache le corps (note 203). 310 Sur un mauvais gibet. Le valet s’y trouve déjà… 311 Plutôt, cette corde vous rompra le vôtre. Gournay tire sur le filin, et Micet défait le nœud du pendu. 312 Le pendu est au sol. 313 Il faut l’enlever de là pour l’enterrer. 314 Cette fois, je suis prêt à vous écouter. Le finale est en décasyllabes, sans doute chantés. 315 Jeu de mots sur saigneur : bourreau. « Seigneur, ‟saigneurs”, ce sont barbiers [les chirurgiens]. » Le Faulconnier de ville. 316 Pour imprimer au fer rouge une marque de flétrissure. 317 On coupait une oreille aux voleurs. 318 Pour dresser un échafaud. 319 Éd : trauaille (Qui ne se fatigue pas trop. « Le chemin est long à merveille ;/ Si crains que trop ne se traveille. » ATILF.) 320 Qui bat le carreau, le pavé : qui marche beaucoup. 321 Qui s’apprête à faire le mal. Son maître n’est pas en reste : voir le vers 530. 322 Spécial, extraordinaire. Ce pluriel est une licence poétique. « Il fault ouvriers espécïaulx. » (Viel Testament.) Les bourreaux sont fiers de leur art : « C’est moy, c’est moy qui faiz merveilles :/ Je bas de verges, couppe oreilles,/ Je couppe testes, j’escartelle ;/ Et pour monter sur une eschelle/ Quant on veult que je pende ung homme,/ Je croy qu’il n’a, d’icy à Romme,/ Ung tel ouvrier comme je suis. » Pierre Gringore, la Vie monseigneur sainct Loÿs. 323 Éd : faire (Un bourreau porte le titre de « maistre des haultes-œuvres ». ATILF.) 324 Des assauts sexuels. « Pensez qu’il y a maints assaulx. » Les Premiers gardonnéz. 325 Vers qui les tricheurs ne vont qu’avec une extrême vigilance. 326 Éd : daguet (À la rime.) Pour punir ces brigands que sont les « guetteurs de chemins » : cf. les Tyrans, vers 78 et note. 327 Avec qui il n’y a rien à gagner. 328 Pour faire bouillir les faux-monnayeurs, et pour mettre les criminels sur le bûcher. 329 Pilorieur, en vérité. Il expose au pilori les délinquants.
LE RETRAICT
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LE RETRAICT
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L’une des Cent Nouvelles nouvelles, que je publie en appendice, a inspiré cette farce normande. Toutefois, le dramaturge a eu le génie d’y ajouter un rôle de valet, et de le confier à l’un de ces « badins » bornés, goinfres, ivrognes et cupides qui tyrannisent leurs maîtres. Et de fait, le valet Guillot a de nombreux rapports avec les badins Janot ou Jéninot.
Source : Manuscrit La Vallière, nº 54.
Structure : Rimes plates, avec 2 triolets.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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Farce nouvelle
et fort joyeuse
À quatre personnages, c’est asçavoir :
LE MARY
LA FEMME
GUILLOT, [varlet]
et L’AMOUREULX [monsieur Lacoque]
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LA FEMME 1 commence SCÈNE I
Sy le myen cœur est remply d’ire ?
Las ! à bon droict je le puys dire.
J’ey bien raison de me complaindre,
Et de mon mauvais [sort] me plaindre2 :
5 Car mon mary me tient soublz las3
De grand rigueur, dont n’ay soulas4.
En luy, n’a poinct de passetemps.
Dont bien souvent mauldictz le temps,
Le jour, et l’heure de ma naissance.
10 Pensez-vous que prenne plaisance
En luy ? Non, non, je vous promais !
Sy le servirai-ge d’un mais5,
Par Dieu, dont pas il ne se doubte.
Car j’ey mys mon amytié toute
15 En un beau filz6 : voylà, je l’ayme.
Je mouray plustost à la payne
Que je ne face son désir.
J’ey espoir avec luy gésir7,
Sy mon mary s’en va aulx champs.
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GUILLOT, varlet8, en chantant : SCÈNE II
20 Hau ! les gans, bergère ! Hau ! les gans, les gans ! 9
LA FEMME
Par Dieu, voylà de très doulx chans !
Vien ç[à], Guillot !
GUILLOT
Plaist-il, Mêtresse ?
LA FEMME
Tu mes10 mon cœur en grand détresse,
Car tu n’es poinct…
GUILLOT
Je ne suys poinct ?
LA FEMME
25 Je ne t’ose dire le poinct,
Tant tu es léger du cerveau.
GUILLOT
Je ne suys pas bon maquereau :
Esse pas ce que voulez dire ?
LA FEMME
(Par mon âme ! il me faict [bien] rire.)
30 Ce n’est pas cela, malautru11 !
GUILLOT, en chantant :
Turelututu, tutu, tutu,
Turelututu, chapeau poinctu ! 12
LA FEMME
Ne chante plus, escouste-moy !
GUILLOT, en chantant :
C’est de la rousée de moy13.
LA FEMME
35 Vien çà, Guillot ! Es-tu tigneulx14 ?
Comment ! tu n’es poinct gratieulx15,
Que ne mes16 la main au bonnet.
GUILLOT, [en chantant :]
Y faict bon aymer l’oyselet 17.
Parlez-vous du bonnet de nuict ?
40 Quant je le frotes, il me cuyct ;
Y tient bien fort à mon tygnon18.
LA FEMME
Tant tu es [un] bon compaignon !
Sy je te pensoys sage et discret,
Je te diroys tout mon segret19 ;
45 Mais, par Dieu, tu n’es c’un lourdault.
GUILLOT
D’un baston rond20 comme un fer chault
Soyez[-vous] batue toulte nue !
« Lourdault21 » ?
LA FEMME
Voyre : [des]soublz la nue,
N’a poinct de plus lourdault que toy.
GUILLOT
50 Ha, ha ! « Lourdault » ?
LA FEMME
Escouste-moy !
Sy parfaire veulx mon désir,
Je te feray tant de plaisir
Qu’en toy jamais n’aura défault22.
GUILLOT
Vous m’avez apelé lourdault ;
55 Mais, par Dieu, le mot vous cuyra23 !
[LA FEMME]24
Guillot, laissons ces propos là :
Plus ne t’en fault estre mar[r]y.
Vien çà ! Tu sçays que mon mary,
Aujourd’uy, est alé aulx champs,
60 Ouïr des oysillons les chans25 ;
Pas ne doibt, ce jour, revenir.
Et mon amy doibt cy venir
Pour coucher entre mes deulx bras.
Tu auras ce que tu vouldras
65 Sy tu veulx guéter à la porte.
GUILLOT
Guéter ? Le deable donc m’emporte !
Je guèteray en bas, en hault,
Et vous m’apèlerez gros lourdault ?
Taisez-vous, c’est tout un !
LA FEMME
Guillot,
70 Sy j’ey dict quelque mauvais mot,
Pardonne-moy. Je te promais
Par la main qu’en la tienne mais26 :
Ne t’apelleray jà27 lourdault.
GUILLOT
Par Dieu ! vous fistes un lourd sault28,
75 Quant vous me dictes telle injure.
« Lourdault » ?
LA FEMME
Guillot, par Dieu j’en jure :
Je le disoys en me riant.
GUILLOT
Apelez-moy plustost Friant29.
LA FEMME
Et ! bien je te prye, au surplus :
80 Laissons cela, n’en parlons plus.
Vray est que ce mot ay lasché.
GUILLOT
Sainct n’y a30 qui n’en fust fasché,
De leur dire sy vilain nom31.
Ne m’y apelez plus !
LA FEMME
Non, non,
85 J’aymerois plus cher32 estre morte.
Guillot, va garder à la porte.
Veulx-tu, Guillot ?
GUILLOT
Et pour quoy faire ?
LA FEMME
Jésus ! n’entens-tu poinct l’afaire ?
Tant tu es un friant bémy33 !
GUILLOT
90 A ! j’entens bien : c’est vostre amy
Qui doibt venir.
LA FEMME
Ouy. Tu sourys34 ?
GUILLOT
Y vous ostera bien les sourys,
Tantost, du cul.
LA FEMME
Parle tout doulx !
GUILLOT
Or çà ! que me donnerez-vous ?
LA FEMME
95 Dy-moy en un mot : que veulx-tu ?
GUILLOT
Donnez-moy un bonnet35 poinctu,
Puys je garderay à la porte.
LA FEMME
Tien ! en voylà un de la sorte.
Es-tu content ?
GUILLOT
Par sainct Jehan, ouy !
100 Jésus, que je seray joly(s) !
LA FEMME
Sy ton maistre estoyt36, d’avanture,
Venant, ne luy fais ouverture
Sans nous advertir.
GUILLOT
Bien, bien, bien.
Y n’y viendra ny chat37, ny chien.
.
L’AMOUREULX entre 38 SCÈNE III
105 Fy d’avoir, qui n’a son plaisir39 !
Fy d’or, fy d’argent ! Fy de richesse !
Hors de mon cœur toult déplaisir !
Fy d’avoir, qui n’a son plaisir !
Toult passetemps je veulx choisir,
110 Chassant de moy deuil et tristesse.
Fy d’avoir, qui n’a son plaisir !
Fy d’or, d’argent ! Fy de richesse !
Y fault aler voir ma mêtresse.
Car c’est mon plaisir et soulas.
115 C’est celle qui, de moy, tracas40
Faict évader.
.
LA FEMME SCÈNE IV
Viendra poinct, las,
Celuy en qui je me conforte ?
Guillot, voys-tu rien en la porte ?
Ne voys-tu nul icy venir41 ?
GUILLOT 42
120 Deffendez-vous, car assaillir
On vous vient par cruel effort !
.
L’AMOUREULX 43 SCÈNE V
Holà ! hau44 !
GUILLOT
Qui est là ? Vous buquez45 bien fort !
Quoy ? Que demandez-vous ?
L’AMOUREULX
La Dame.
GUILLOT
Monsieur, soyez sûr, par mon âme,
125 Que la Dame n’est pas céans.
L’AMOUREULX
Où est le maistre ?
GUILLOT
Il est léans46,
Là où il prépare la cuysine
Avec une sienne voysine47.
LA FEMME
Ouvre, Guillot ! Et ! tu te moque :
130 C’est mon amy monsieur Lacoque48.
Faictz-l(ay)49 entrer !
GUILLOT
Ouy, mais que je sache
Qu’il ayt quelque cas en besache50,
Aussy le vin pour le varlet51.
LA FEMME
Va, méchant ! Va, vilain ! Va, let52 !
135 Entrez, Monsieur.
GUILLOT
Quoy ? Voycy rage !
Je servyray de maquelerage53,
Et sy54, ne seray poinct payé ?
Et « Monsieur » sera apuyé
Avec Madame sur un lict
140 Où trèsbien prendra son délict55 ?
Et moy, un povre maquereau,
Feray la grue56 ainsy c’un veau ?
Non, non, je ne suys pas sy beste57 !
L’AMOUREULX
Ouvre, ouvre !
GUILLOT
Vous me rompez la teste !
145 Pensez-vous que vous laisse entrer
Sans argent en main me planter58 ?
A ! non, jamais !
L’AMOUREULX
Tien un escu.
GUILLOT 59
Sainct Jehan, voylà très bien vescu60 !
Je ne demandoys aultre chose.
LA FEMME
150 Guillot, que la porte soyt close !
Faict[z] bien le guet !
GUILLOT
Laissez-moy faire.
Monsieur, faictes-la-moy61 bien tayre :
N’avez62 garde de la fâcher.
Aportez-vous poinct à mâcher63 ?
155 Que je me sente64 du festin !
L’AMOUREULX
Acolez-moy, mon musequin65 !
Quant je vous voys, je suys transy66.
GUILLOT
Et67 mon Maistre qui n’est icy !
Mort bieu, comme il riroyt des dens !
LA FEMME
160 A ! mon Dieu amy, entrez dedens
Hardiment68 : mon mary est dehors
S’en est alé. Ne craignez fors69
Que de faire le « passe-temps70 ».
Mon mary est alé aulx chans71 ;
165 Aujourd’uy pas ne reviendra.
Par quoy, amy, il vous plaira
Coucher ensemble entre deulx dras,
Tous nus, nous tenans par les bras.
Voulez-vous poinct ?
L’AMOUREULX
Ma doulce amye,
170 Vous obéir pas ne dénye72.
[GUILLOT]
Jamais n’us sy grand fain de boyre.
[L’AMOUREULX]
Baisez-moy !
LA FEMME
Acolez-moy !
GUILLOT
Et voyre !
« Fermy[n]73, sengles-moy le mulet ! »
L’AMOUREULX
Je suys maintenant à souhaict74 ;
175 Jamais ne fus sy à mon aise.
Venez, ma mye, que je vous baise !
Tousjours serez mon doulx tétin75.
GUILLOT
Tentost aura son picotin76.
Et ! ventre bieu, où est mon Maistre ?
180 Je croy qu’i vous envoyret pestre77.
Regardez bien s’y la mordra.
L’AMOUREULX
Nul, au78 monde, tel temps n’aura
Jamais, car j’ey tout à pouvoir79
Ce c’un amoureulx doibt avoir :
185 J’ey belle amye, j’ey or, monnoye,
J’ey jeunesse, sancté et joye.
GUILLOT
Il est bien vray ; mais j’ey grand peur
Qu’i n’y ayt tantost du malheur.
L’AMOUREULX
Menger nous fault ceste bécace80.
[LA FEMME]
190 Hélas ! que j’aporte [une casse81].
GUILLOT
Puysque je suys leur maquereau,
J’en mengeray quelque morceau,
Y n’est pas possible aultrement.
L’AMOUREULX
[Boyre du bon]82 pareillement.
195 Or sus, ma mye, faisons grand chère !
Chose je n’ay, tant fust-el chère,
Qu’elle ne soyt du toult83 à vous,
Il est ainsy, ma mye. Je boys84 à vous,
À Dieu, et à la Vierge Marye !
LA FEMME
200 Grand mercy, syre85 !
GUILLOT
El86 est mar[r]ye
D’estre vis-à-vis du galant.
[ L’AMOUREULX
Je boy à vous !
LA FEMME
Non pas d’aultant87 !
GUILLOT ]88
Or là couraige ! sus, ma Mêtresse !
Sang bieu, vous pétez bien de gresse89 !
.
205 Monsieur, gardez-la un petit90 : SCÈNE VI
El a l’estomac fort petit,
[Trop] plus petit c’unne pucelle.
Moy, je vous plègeray pour elle91.
Or regardez : ay-je failly ?
210 Il est dedens, et non sailly
Au deable92. Laissez faire à moy.
L’AMOUREULX
Tu es bon garson, par ma foy !
LA FEMME
De boyre, jamais ne reboulle93.
GUILLOT
Monsieur, sy je faulx par la goulle94,
215 Ne vous fiez jamais en beste95.
Ne laissez poinct à96 faire feste,
Je voys en la porte.
LA FEMME
Or va !
.
LE MARY commence 97 SCÈNE VII
Holà, hau ! Ouvrez l’uys !
GUILLOT
Qu(i) est là ?
LE MARY
Ouvrez ! Le deable vous emporte !
GUILLOT
220 Ce deable abastra [donc] la porte,
[Ou,] par la Mort, vous atendrez !
LE MARY
Ouvrez, de par le deable ! Ouvrez !
Ouvriras-tu, meschant folastre ?
GUILLOT
Atendez, je n’ay pas [grand] haste.
LE MARY
225 Par Nostre Dame d’Orléans !
Sy je [ne] puys entrer léans98,
Les os je te rompray de coulx99 !
GUILLOT
A ! Dieu gard(e) la lune100 des loups !
Mais pensez-vous qu’il est mauvais !
LE MARY
230 Ouvriras-tu, méchant punays101 ?
Par la Mort, je te tu[e]ray !
GUILLOT 102
Dis-moy ton nom103, puys j’ouvriray.
Pense-tu que je soy[e]s beste ?
LE MARY
Comment ! tu ne congnoys ton maistre ?
GUILLOT
235 Vrayment, vos blés sont bien saclés104 :
Mon Maistre, je voys quérir les clés.
.
Ma Mêtresse, voy(e)cy mon Maistre ! SCÈNE VIII
L’AMOUREULX
Vray Dieu ! Où me pourai-ge mestre ?
Je suys perdu, je suys péry,
240 Puysque voycy vostre mary.
Conseillez-moy que105 je doy faire.
Jamais ne fus en tel afaire.
Hélas ! ma mye, voycy ma fin.
GUILLOT
Tantost arez du ravelin106,
245 Quatre ou cinq grans coups toult d’un traict.
LA FEMME
Tost mectez-vous en ce retraict107,
Mon amy. Ne vous soulciez.
Sy d’avanture vous toussiez,
Boutez la teste [en ce]108 pertuys.
.
LE MARY SCÈNE IX
250 Et puys ? Hau ! Ouvriras-tu l’huys ?
.
L’AMOUREULX SCÈNE X
Voycy, pour moy, piteux délict109.
Sy me métoys debsoublz le lict,
Ce seroyt le meilleur, ma mye.
LA FEMME
Hélas ! ne vous y mectez mye :
255 Car sy dessoublz le lict visoyt110
Et là caché vous advisoyt,
Mourir nous feroyt langoureulx111.
GUILLOT
Sus ! au retraict ! Sus, amoureulx !
Car je [luy] voys ouvrir la porte.
260 Encor j’ey peur qu’i ne me frote112.
Mais devant113 que céans il entre,
Ce vin je métray à mon ventre.114
L’AMOUREULX
Las115, Guillot !
GUILLOT
Monsieur, qu’on se cache !
Mêtresse, ostez-moy la bécache116.
265 Sy esse117 que j’auray cecy.
.
LE MARY SCÈNE XI
An ! Nostre Dame, qu’esse-cy ?
De crier je me rons la voys118.
GUILLOT
Holà, mon Maistre, [à vous ge]119 voys.
Entrez ! Vous soyez bien venu !
270 Vous est-il nul mal avenu,
Depuys le temps [qu’estiez aux vignes]120 ?
LE MARY
Je vous romp[e]ray les échignes121 !
[Vous vous ferez]122 rompre la teste !
GUILLOT
Vous puissiez avoir male123 feste !
275 Rompu vous m’avez le serveau124.
LE MARY
Dictes-moy quelque cas nouveau :
Où est ma femme ?
LA FEMME
A ! mon mary,
Bien voys qu[e vous] estes mar[r]y :
Le marchant125 ne vous a payé ?
LE MARY
280 Non126.
LA FEMME
Ne s’est-il poinct essayé
De vous faire quelque raison127 ?
LE MARY
Raison ? Par ma foy, ma mye, non :
Car trouvé ne l’ay au logis.
Onques-puys que [je] le logys128,
285 [Je] ne l’ay veu.
LA FEMME
Vierge Marye !
Je ne fus jamais sy mar[r]ye.
À tous les deables soyent les meschans
Qui trompent ainsy les marchans,
Les gens d’honneur et gens de bien !
LE MARY
290 Et de nouveau y129 a-il rien ?
Que dict-on de bon ?
LA FEMME
Tout va bien.
GUILLOT
Tout va bien, puysque [on mect] la nappe130.
LA FEMME
Y fauldra [donc] que je te happe131 ?
GUILLOT
Mon Maistre, voicy la nape myse.
295 Il[z] ont bien levé la chemyse.
LE MARY
Qui, Guillot ?
GUILLOT
Qui ? Ma foy, personne.132
.
LA FEMME SCÈNE XII
Guillot, que [plus] mot on ne sonne133 !
GUILLOT
Qui, moy ? Sy feray, par mon âme !
Que me donnerez-vous, ma Dame ?
300 Et je n’en diray rien.
LA FEMME 134
Guillot,
Voylà pour toy. Ne sonne mot !
GUILLOT
Voicy ce que je demandoys.
Et ! que l’amoureulx est courtoys135,
D’estre sy long temps au retraict !
LA FEMME
305 Tays-toy ! Auras-tu tant de plet136 ?
.
Et puys, mon mary ? Comme[nt] esse SCÈNE XIII
Qu’il vous a joué de finesse,
Ce méchant, [ce] malureulx homme ?
GUILLOT
Y vouldroict bien [myeulx] estre à Romme,
310 Vostre amoureulx dont n’ose dire.
LA FEMME
J’ey le myen cœur tant remply d’ire
De ce sot qui ront137 nos propos !
Y s’en estoyt alé dehors,
Ce meschant ?
LE MARY
Ouy, [ne l’ay trouvé]138.
315 C’est un méchant laron prouvé139 !
Je suys fort las : j’ey tant troté !
GUILLOT
Hélas ! povre Amoureulx140 croté,
Tu es bien en [un] grand soulcy !
LE MARY
« [Povre] amoureulx » ? Dea ! qu’esse-cy ?
320 A-il un amoureulx céans ?
LA FEMME
A ! Nostre Dame d’Orléans !
Prenez-vous garde à ce qu’i dict ?
LE MARY
Je puisse estre de Dieu mauldict
Sy ne j’en sçay la vérité !
325 Vien ç[à ! Dy,] qui t’a incité
De parler d’un [povre] amoureulx ?
Je ne seray jamais joyeulx
Jusques à ce que le séray141.
GUILLOT
Que je l’ay dict, il n’est pas vray :
330 Jamais [je] n’en parlis, mon Maistre.
LE MARY
Vertu142 bieu ! Que peu[lt-]ce cy estre143 ?
Je l’ay ouÿ de mes horeilles144.
LA FEMME
Mon mary, [trop] je m’émerveilles
Que prenez garde à ce… lourdault.
LE MARY
335 Je l’ay ouÿ dire145 toult hault.
Vien çà, malhureulx ! Qu’as-tu dict ?
GUILLOT
Rien, ou je soys de Dieu mauldict !
LE MARY
Rien ? Et de quoy parlès-tu donques ?
GUILLOT
Escoustez que je [dis adonques]146 :
340 Je parloys de la haquenée147,
Qui a esté bien chevauchée
D’un aultre bien myeulx que de vous.
LE MARY
Je prye à Dieu que les maulx loups148
Te puisse[nt] le gosier ronger !
[LA FEMME]
345 Ce fol ne faict [cy] que songer ;
Laissez cela.
[LE MARY]
Avez-vous rien
À menger ? Je mengeroys bien :
Je n’ay mengé puys que partys.
GUILLOT
Quoy ! voulez-vous d’une perdris149 ?
350 Baillez-moy, sans plus enquérir,
De l’argent : je l’iray quérir.
LE MARY
Tient, voylà cinq soublz150.
.
GUILLOT 151 SCÈNE XIV
Voylà la beste.
A ! mort bieu, je leur en apreste152 !
Je prens argent à toutes mains153.
355 Voycy pour moy, c’est pour le moins ;
Je le métray dedens ma bource.154
.
Mon Maistre cher155, qu’on ne se course156 ! SCÈNE XV
Voicy la perdrys, que j’aporte.
LE MARY
Où l’as-tu prise ?
GUILLOT
Où157 ? En la porte.
LE MARY
360 La portoyt-il toute rôtye ?
GUILLOT
Ouy. Et avec [est] la rostye158,
Que vous voyez icy dessoublz.
LE MARY
Combien couste-elle ?
GUILLOT
Cinq soublz159.
LE MARY
Sus, sus, mengeons ! Qu’on s’esjouisse !
365 Comment ! qu’est devenu la cuisse ?
LA FEMME
Par Nostre Dame ! je ne sçay160.
LE MARY
Qu’en as-tu faict ?
GUILLOT
Je [la laissay]161
Tumber, puys le chat l’a mengée.
LE MARY
L’auroys-tu162 poinct bien vendengée ?
370 Tu as esté, par Dieu, le chat !
LA FEMME
C’est pour la paine de l’achat ;
Cela luy a faict un grand bien.
GUILLOT
Sy mengée l’ay, je n’en sçay rien ;
Plus ne m’en souvyent, par la mort !
LE MARY
375 Mengez, ma femme ! Tiens, Guillot :
Mors163 ! Puys après, nous verse à boyre !
GUILLOT
Buvez donc tout [fin] plain le voyr[r]e164,
Puys après, je vous plègeray165.
Atendez, je commenceray.
380 Je boys à vous, tous deulx ensemble166 !
Et puys, mon Maistre : que vous en semble167 ?
Ay-ge failly ?
LE MARY
A ! par Dieu, non !
LA FEMME
Guillot est un bon compaignon.
GUILLOT
À bien « sifler168 », ne faulx jamais.
.
L’AMOUREULX SCÈNE XVI
385 Je suys servy d’un piteulx mais169.
Hélas ! je ne séroys issir170.
.
LE MARY SCÈNE XVII
Qu[i] esse là que j’os171 toussir ?
GUILLOT
Que c’est ? C’est vostre bidouart172
Qui a la toux…
LE MARY
Dieu y ayt part173 !
.
LA FEMME 174 SCÈNE XVIII
390 Mon amy, vous nous gasterez175.
Je vous prye, quant vous toussirez,
Afin qu’on ne vous oye, [de faict]176,
Métez la teste [en ce]177 retraict.
.
L’AMOUREULX SCÈNE XIX
Voycy des mos fort rigoureulx.
395 Hélas ! fault-il c’un Amoureulx
Mète la teste en sy ort178 lieu ?
Et ! qu’esse-cy ? Hélas, vray Dieu !
Las ! je ne puys [r]avoir179 ma teste.
Voicy, pour moy, dure tempeste.
400 Et oultre plus, la puanteur,
Hélas, me faict faillir le cœur.
J’ey le visage plain d’ordure.
.
GUILLOT,180 [en chantant :] SCÈNE XX
Endure, povre Amoureulx, endure ! 181
Parlez plus bas, de par le deable !
L’AMOUREULX
405 Voicy un cas fort pitoyable.
Fault-il que je meures icy ?
GUILLOT
Par la chair bieu ! il a vessy182,
Au moins, ou183 ne sent guère bon.
Et vous faisiez du compaignon,
410 Naguères, avec ma Mêtresse.
.
LE MARY 184 SCÈNE XXI
Guillot !
GUILLOT 185
Qu’esse ?
LE MARY
Sy grand détresse
M’est venu[e] empongner sy fort
Au petit ventre186 ! Que nul confort
Trouver ne puys. Y fault d’un traict
415 M’aler esbatre à mon retraict,
Afin que mon mal s’amolice.
GUILLOT
Et moy, un peu fault que je pisse.
Et ! je vous tiendray compagnye.
LE MARY
Hélas, le ventre !
GUILLOT
Et ! la vessye !
LE MARY
420 Je croy que tu faictz de la beste.
L’AMOUREULX
Las ! y me chiront sur la teste.187
LE MARY 188
Et ! qu’esse-cy ? Las ! je suys mort !
L’AMOUREULX
Brou ! [Brou !] Ha ! Ha189 !
GUILLOT
Et ! fuyons fort !
Gardez bien qu’i ne vous emporte !
LA FEMME
425 A ! Nostre Dame, je suys morte !
L’AMOUREULX
Je vous porteray en Enfer
Avec le maistre Lucifer,
Lequel vous romp[e]ra la teste !
GUILLOT
Et ! aportez de l’eau bénoiste190 !
430 Asperges me, Domyne191 !
Mon Maistre, vous estes danné :
[L’afreux]192 deable vous vient quérir.
LE MARY
Et ! doulx Dieu !193
.
L’AMOUREULX SCÈNE XXII
Et ! de [tant] courir,
De la grand peur, y sont fuÿs.
.
LA FEMME SCÈNE XXIII
435 De courir, hors d’alaine suys.
GUILLOT
Et moy aussy.
LE MARY
A ! Nostre Dame,
En vostre garde ayez194 mon âme !
GUILLOT
Et moy la mienne ! Où est-il alé ?
Je croy qu’i soyt redévalé
440 Là-bas, au grand [puits] infernal195.
LA FEMME
Qu’i m’a faict de peur et de mal !
LE MARY
Hélas196 ! doulx Dieu, que pouroit-ce estre ?
GUILLOT
A ! je sçay bien que c’est197, mon Maistre.
LE MARY
Et quoy ?
GUILLOT
Au deable les jaloux198 !
445 Il199 vous eust e[n]traîné trè[s]toulx200
En Enfer, se n’eust esté moy201.
Escoustez la raison pourquoy :
C’est que tantost, par cas difame202,
Avez esté vers203 vostre femme
450 Jaloux, sans cause ny raison.
Et n’ust esté mon oraison204,
Le deable des jaloux porté205
Vous eust là-bas, et transporté.
Or, ne soyez jamais jaloux.
455 Métez-vous donc à deulx genoulx ;
Cryez mercy206 à vostre espouse.
LE MARY
La fièbvre cartaine m’espouse
Sy jamais je [ne seray]207 jaloux !
GUILLOT
Métez[-vous donc à deulx]208 genoulx.
LE MARY
460 Je pry Dieu que ravissans loups209
M’estranglent se plus je marmouse210 !
GUILLOT
Mectez-vous donc à deulx genoulx ;
Criez mercy à vostre espouse.
[LA FEMME] 211
Me voylà.
GUILLOT
Sus ! que l’on ne bouge212 !
465 Ne luy criez-vous pas mercy ?
LE MARY
Ouy, et me mes213 à [sa] mercy.
Du toult, à elle m’abandonne.
GUILLOT
Pardonnez-luy !
LA FEMME
Je luy pardonne.
GUILLOT
Voylà vescu honnestement.
470 Vous luy pardonnez ?
LA FEMME
Ouy, vraiment.
GUILLOT
Or sus ! Mon Maistre, levez-vous.
Vous ne serez jamais jalous,
Ores214 ?
LE MARY
Que je soys donq bany !
GUILLOT
(Voylà un bon Jehan de Lagny215,
475 [La] mort bieu ! Il en a bien d’une216.)
.
L’AMOUREULX SCÈNE XXIV
J’ey eschapé belle fortune217 !
Sans ma218 finesse, j’estoys mort.
Ce n’est pas tout que d’estre fort ;
Mais c’est le tout (pour abréger),
480 Quant l’on est en quelque danger,
[Que] trouver fault manyère et stille219
D’en eschaper, et estre abille220
En évytant la mort et blâme.
Messieurs, de peur qu’on ne nous blâme,
485 Disons, au partir de ce lieu,
Une chanson pour dire adieu !
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FINIS
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D’UNG GENTIL HOMME DE PICARDIE 221
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…Le douloureux222 mary, plus jaloux que nul homme vivant, fut contrainct d’abandonner le mesnaige & aller aux affaires, qui tant luy touchoient que, sans y estre en personne, il perdoit une grosse somme de deniers…. En laquelle gaignant, il conquist bien meilleur butin, comme d’estre nommé coux223, avec le nom de jaloux qu’il avoit auparavant. Car il ne fut pas si tost sailli de l’ostel224, que le gentil homme, qui ne glatissoit225 après aultre beste, vint pour se fourrer dedans ; & sans faire long séjour, incontinent exécuta ce pour quoy il venoit, et print de sa dame tout ce que ung serviteur en ose ou peut demander….
Ce dyable de mary (…) revint le soir, dont la belle compaignie — c’est assavoir de noz deux amoureux — fut bien esbahie….
Nostre povre gentil homme ne sceut aultre chose que faire, ne où se mussier226, sinon que de soy bouter dedens le retraict de la chambre…. Le povre gentil homme rendoit bien gaige227 du bon temps qu’il avoit eu ce jour, car il mouroit de fain, de froit et de paour. Et encores, pour plus engrégier228 son mal, une toux le va prendre, si grande et si horrible que merveille…. La dame, qui avoit l’œil et l’oreille tousjours à son ami, l’entre-ouÿt d’aventure, dont elle eut grant frayeur au cueur, doubtant229 que son mary ne l’ouÿst aussi. Si treuve manière, tantost après souper, de soy bouter seulette en ce retraict ; et dist à son amy, pour Dieu, qu’il se gardast ainsi de toussir….
Quant ce bon escuier se vit en ce point assailly de la toux, il ne sceut aultre remède, affin de non estre ouÿ, que de bouter sa teste au trou du retrait, où il fut bien ensensé (Dieu le sçait !) de la confiture de léans230…. La toux le laissa. Et se cuidoit tirer hors ; mais il n’estoit pas en sa puissance de se retirer, tant estoit avant et fort bouté léans…. Il se força tant, qu’il esracha l’ais percé231 du retrait, et le raporta à son col. Mais en sa puissance ne eust esté de l’en oster….
À tout l’ais232 du retraict à son col, l’espée nue en sa main, la face plus noire que charbon, commença à saillir233 de la chambre. Et de bonne encontre, le premier qu’il trouva, ce fut le dolent234 mary, qui eut de le veoir si grant paour — cuidant que ce fust le dyable — qu’il se laissa tumber du haut de luy235 à terre (que à peu qu’il ne se rompît le col), & fut longuement pasmé236. Sa femme, le voyant en ce point, saillit avant, monstrant plus de semblant d’effrey qu’elle ne sentoit beaucoup237…. Il dist, à voix casse238 et bien piteuse : « –Et ! n’avez-vous point veu ce deable que j’ay encontré ? –Certes, si ay (dist-elle). À peu que je n’en suis morte de la frayeur que j’ay eue de le veoir ! –Et dont peult-il venir céans (dist-il), ne qui le nous a envoyé ?…. »
Et depuis, continua arrière le dyable dessusdit, le mestier que chascun fait si volentiers, au desceu239 du mary et de tous aultres, fors de une chambèrière secrète.
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1 Chez elle, seule. 2 LV : complaindre (à la rime.) 3 Sous ses lacs, sous son joug. 4 Plaisir. Idem vers 114. 5 Aussi, je le servirai d’un mets, d’un plat à ma façon. Idem vers 385. 6 Dans un beau garçon. 7 De coucher avec lui. 8 Il entre par le rideau de fond, et accomplit une quelconque tâche ménagère en chantant. 9 Chanson inconnue. Brown, nº 143. 10 Tu mets. Cette graphie du verbe mettre, qui revient aux vers 37 et 466, est propre au copiste. 11 Imbécile. Un Sot des Coppieurs et Lardeurs se nomme Malostru. 12 Les versions actuelles de cette comptine reflètent mal ce que devait être la version originale, certainement beaucoup moins innocente. Le très rabelaisien Philippe d’Alcripe s’en souviendra en 1579 : « Descharge, tu as vendu ! Turlututu, chappeau pointu ! » Le Mistère du Viel Testament en a tiré un personnage ridicule, monsieur Turelututu. 13 Cette chanson normande a pour titre : C’est de la rosée de mai. La « rosée de moi » qu’évoque Guillot s’apparente à la « douce rosée de Nature » que Béroalde de Verville fait couler du « manche de Priape ». 14 Es-tu atteint de la teigne, que tu gardes ton bonnet sur la tête ? 15 Poli. 16 De ne pas mettre. Il faut enlever son bonnet quand on parle à des gens qui nous sont supérieurs. Dans Messire Jehan, on prie un autre badin de s’adresser au curé en ayant toujours « la main au bonnet ». 17 Le petit oiseau. Chanson d’Antoine de Févin, mort en 1512. Le vers 195 du Pèlerinage de Mariage en est tiré. Brown, nº 173. 18 À mon chignon. Mais aussi : à mes plaques de teigne, ce qui répond au vers 35. 19 Mon secret, mon projet. 20 LV : ronge (« Mais si j’empoigne un baston rond,/ Bien te feray tirer tes guestres ! » Le Cousturier et Ésopet.) 21 Guillot s’indigne de ce mot bénin, alors que sa patronne l’a précédemment traité de cerveau léger, de malotru et de teigneux, et qu’elle va encore le traiter impunément de friand bémi [de glouton niais], de méchant, de vilain, de laid, de sot, de fou, et de… lourdaud (vers 334). Mais Guillot, qui est un grand amateur de chansons, a peut-être en mémoire celle qui s’intitule Lourdault, lourdault, lourdault : je l’ai publiée dans la notice de Régnault qui se marie. 22 Que tu ne manqueras jamais de rien. 23 Vous le regretterez. « Par Dieu, la chanson vous cuyra ! » Le Ribault marié. 24 LV : guillot 25 En fait, il est allé se faire payer les fournitures dont il a fait crédit à un autre marchand. 26 Je te promets sur ma main, que je mets dans la tienne en guise de gage. 27 LV : jamais 28 Un faux pas. 29 Appétissant. C’est bien ce que fera sa patronne au vers 89, mais elle donnera au mot « friand » son autre sens : goinfre. LV ajoute dessous : que lourdault 30 Il n’y a aucun saint, aussi saint soit-il. 31 LV : non 32 LV : chere (J’aimerais mieux. « J’aymeroye plus cher estre à Romme. » Raoullet Ployart, et l’Aveugle et Saudret.) 33 Un glouton niais. Cf. Lucas Sergent, vers 69. 34 LV : soublz rys 35 Les Badins sont coiffés d’un béguin [bonnet de nourrisson]. Rien ne leur fait plus plaisir que de pouvoir empiler un bonnet d’adulte par-dessus. « Et un bonnet te donneray. » C’est ce que promet au Badin qui se loue l’amant de sa patronne ; voir la note 87 de ladite farce. Notons que le bonnet pointu est l’apanage des juifs, des astrologues et des médecins, trois catégories qui prêtaient à rire. 36 LV : venoyt (Être venant = venir. « Bien soyez venant ! » ATILF.) 37 LV : chast (Sous ce vers, il manque un vers en -sir pour amorcer le triolet.) 38 Il est dans la rue, et s’approche de la maison. 39 Peu importe l’argent, si on n’a pas de plaisir. 40 LV : est metresse (à la rime.) C’est celle qui fait sortir de mon cœur les soucis. 41 On songe à la Barbe bleue, de Charles Perrault : « Ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir ? » 42 Par la porte entrouverte, il voit venir l’amoureux. Il se dépêche de refermer. 43 Il toque à la porte, chargé d’une besace pleine de victuailles. 44 LV : hola (Voir le vers 218.) 45 Vous frappez à la porte. Cf. Beaucop-veoir et Joyeulx-soudain, vers 25. 46 Là-dedans. Idem vers 226. 47 LV : voyesine 48 La femme invente ce sobriquet pour ne pas compromettre le noble, qui doit avoir un nom à particule. Dans les Cent Nouvelles nouvelles, le patronyme du gentilhomme picard n’est pas davantage révélé. À tout hasard, on trouvait en Normandie des sieurs de La Cocquerie. 49 Fais-le. Ce pronom normand peut s’élider devant une voyelle : « Alons-nous-en, laisson–l(ay) en pais. » Troys Gallans et Phlipot. 50 À condition que je sache s’il a de la nourriture dans sa besace. 51 Du vin en guise de pourboire : ce mot vient de là. 52 Laid. « Soit bel ou let. » L’Aveugle et Saudret. 53 Prononcer « maclerage ». Cette forme métathétique de maquerellage est bien attestée : « Une de ses femmes, qui sçavoit parfaictement le mestier de macqueleraige. » (Anthoine Le Maçon.) La forme contractée est plus souvent macrelage : « De faire ung secret macrelaige/ Pour ung gueux bien anvitallié. » (Jehan Molinet.) 54 Et pourtant. 55 Son plaisir. Idem vers 251. « Coucher dedens quelque beau lit./ Et là prendrez vostre délit. » Régnault qui se marie. 56 Je ferai le pied de grue, je monterai la garde. Un veau est un imbécile. 57 Guillot vient de se métamorphoser lui-même en trois bêtes : un poisson, un oiseau, un ruminant. 58 Sans que vous me mettiez de force de l’argent dans la main. 59 Il laisse entrer l’amoureux, et il met l’écu dans sa bourse. 60 Voilà de bonnes manières. Idem vers 469. 61 LV : faictes le moy (Faites-lui l’amour. « Pour la bien faire taire,/ Il luy fault prendre ung bon “clystère”…./ S’el prent médecine par “bas”,/ Jamais tu n’auras nulz débas. » Deux hommes et leurs deux femmes.) Guillot, près de la porte, se livre à des commentaires qui prennent à témoins les spectateurs ; le couple est trop loin pour l’entendre. 62 LV : vous maues (Vous ne risquez pas.) 63 Quelque chose à manger. 64 Que je me ressente, que je profite. 65 Museau, minois : jolie fille. Cf. les Tyrans, vers 202. 66 LV : transye (Je suis transporté. Cf. Lucas Sergent, vers 282.) 67 LV : ou est (Et dire que mon maître n’est pas là !) 68 Pénétrez-moi, puisque mon mari en est sorti. 69 Ne vous souciez pas d’autre chose. 70 « L’amoureux passe-temps. » La Ruse et meschanceté des femmes. 71 Aux champs : dans un lointain village. C’est la litote qu’emploient les marchands qui ont rendez-vous avec un gros client : voir les vers 48-49 et la note 79 d’Ung Mary jaloux. 72 Je ne refuse pas de vous obéir. 73 Firmin. « Fermyn de Mésan. » (Débat de deux gentilz hommes espagnolz.) Sangler une femme, c’est la besogner : cf. les Sotz qui corrigent le Magnificat, vers 88. « Mulet » joue sur le latin mulier [femme] : « Sanglée comme ung beau mulet. » Le Povre Jouhan. 74 J’ai tout ce que je souhaite. 75 Terme affectueux. Cf. Jolyet, vers 57. 76 Le mulet du vers 173 aura bientôt sa ration d’avoine. Mais la femme aura bientôt sa ration de sperme : cf. le Jeu du Prince des Sotz, vers 15 et note. 77 Qu’il vous enverrait paître, avec le même sens qu’aujourd’hui. Cf. le Raporteur, vers 72. Les amants s’embrassent. 78 LV : en ce 79 LV : souhaict (J’ai à mon entière disposition.) 80 L’amoureux tire de sa besace un papier dans lequel est enveloppée une volaille rôtie, pour la collation qui précède traditionnellement le coït : « J’aporteray pour le repas/ Un gras chapon avec une oie. » (Le Poulier à sis personnages.) LV ajoute dessous : ma mye 81 Il faut que j’apporte une casserole. (Cf. le Munyer, vers 437 et note.) La femme en prend une et pose le gibier rôti dedans. LV reporte le mot casse au début du vers suivant. 82 LV : voyre du don (Il nous faut aussi boire du bon vin. « Que je perds les biens et la veue/ À force de boire du bon. » Olivier Basselin.) Le galant tire de sa besace une bouteille. 83 Totalement. Idem vers 467. 84 LV : vous (« Je bois à vous, à vostre santé. » Furetière.) 85 Tout comme dans les Cent Nouvelles nouvelles, l’amant est un gentilhomme : « –Je boys à vous ! –Grand mercy, sire ! » Le Poulier à sis personnages. 86 LV : quel 87 Pas autant que moi. « Maistre, je bois à vous d’autant ! » L’Aveugle et Saudret. 88 LV met ce fragment sous le vers 204. 89 Vous pétez de santé. L’enfant Gargantua <chap. 11> « pettoyt de gresse » et, comme au vers 228, « gardoyt la lune des loups ». Guillot abandonne la porte et rejoint les deux buveurs. 90 Épargnez-la un peu. 91 Je vous ferai raison à sa place, en vous portant des toasts. Idem vers 378. Guillot boit le verre de sa patronne. 92 Le vin n’est pas ressorti de mon estomac. 93 LV : reculle (Jamais il ne rechigne. « Et ce firent sans rebouler. » Godefroy.) 94 La gueule (normandisme). « Il nous fault eschauffer/ Par la goulle. » (Les Femmes qui font escurer leurs chaulderons.) Faillir par la gueule, ou par le bec, c’est être à court d’arguments. Mais Guillot sous-entend : si ma bouche a une défaillance au moment de boire. 95 En aucune créature. Ou bien : En aucun idiot. 96 Ne cessez pas de. 97 Il tape à la porte, derrière laquelle se trouve Guillot. Le couple est trop loin pour entendre leur dialogue. 98 LV : dedens (Là-dedans.) 99 De coups. « Coux » signifie cocu, comme dans les Cent Nouvelles nouvelles. 100 LV : quenee (Que Dieu nous protège ! « Les enfans de Dieu peuvent bien dire à tous leurs ennemis ce qu’on dit en commun proverbe : Dieu gard la lune des loups ! » Pierre Viret.) 101 Puant. 102 LV : le mary guillot 103 LV : non (Feignant de n’avoir pas reconnu la voix de son patron, Guillot en profite pour le tutoyer.) 104 Sarclés. « Sacler blés. » (Godefroy.) Vos affaires vont bien. 105 Ce que. « Conseillez-moy que faire doy. » Jeu du Prince des Sotz. 106 Vous aurez du ravaut, du bâton. Voir la note d’André Tissier : Recueil de farces, t. I, 1986, pp. 179-242. 107 Dans les cabinets, qui sont fermés par une porte. 108 LV : dens le (Je corrige de même le vers 393.) 109 Un pitoyable plaisir. 110 S’il regardait sous le lit. 111 Bien malheureux. Cf. Poncette et l’Amoureux transy, vers 81. 112 Qu’il ne me frotte les reins avec un bâton. L’auteur normand amuït le « r » de « po(r)te », comme celui de « sa(r)clé » à 235 ; ce phénomène d’amuïssement explique les rimes des vers 30, 145, 223, 234, 313, 374. 113 Avant. 114 Guillot boit le verre de l’amoureux. 115 LV : helas 116 La bécasse (prononciation normande). 117 Il est certain. Guillot arrache une cuisse et la mange. La femme pose la casserole compromettante sur le bord extérieur de la fenêtre. 118 Je me casse la voix. 119 LV : gy (Je vais à vous. « À vous je vois. » L’Aveugle et Saudret.) Guillot ouvre la porte. 120 LV : que ne vous vimes (Les vignes représentent un village campagnard, comme les champs des vers 19, 59 et 164.) 121 L’échine. « Rom-pe-rai » compte pour 3 syllabes, grâce au « e » svarabhaktique normanno-picard, comme à 428. « Je te romperay le museau ! » Jéninot qui fist un roy de son chat, et les Chambèrières et Débat. 122 LV : me faictes vous (« Vous vous ferez bien batre ! » Le Mince de quaire.) Le maître tape sur la tête de son valet. 123 Une mauvaise. 124 Ce n’est pas une grosse perte : Guillot était déjà « léger du cerveau » (vers 26). 125 LV : mechant (Le mari, qui est grossiste, avait rendez-vous avec un commerçant qui devait lui payer des marchandises achetées à crédit ; mais ce dernier lui a posé un lapin.) 126 LV : nom 127 N’a-t-il pas essayé de vous faire réparation ? 128 Depuis que je l’ai logé ici. Sur la route des foires, les commerçants trouvaient plus économique — et moins risqué — de loger chez un confrère. 129 LV : et (Le copiste a confondu le « y » du manuscrit de base avec une esperluette « & ».) Y a-t-il quelque chose de nouveau ? 130 « On dit aussi qu’on met la nappe, quand on reçoit la compagnie chez soy, lorsque les autres apportent de quoy manger. » Furetière. 131 Que je t’attrape. Cf. le Pardonneur, vers 226. 132 Le mari va chercher ses bagages, qu’il a laissés devant la porte. 133 Ne dis plus rien. « O ! que plus mot on ne me sonne ! » L’Arbalestre. 134 Elle donne de l’argent au valet, qui le met dans sa bourse. 135 LV : je croys (Cette remarque est ironique : il était discourtois de monopoliser les toilettes.) 136 De plaids, de bavardages. Le mari revient. 137 Qui interrompt. 138 LV : pour vray (Au vers 283, le mari disait déjà : « Car trouvé ne l’ay au logis. ») 139 Un fieffé voleur. « Tu sembles bien larron prouvé ! » Le Brigant et le Vilain. 140 Extrait d’une chanson non identifiable que Guillot reprend au vers 403. 141 Jusqu’à ce que je le sache. Même forme normande à 386. 142 LV : vert tu (« Vertu bieu ! qu’esse à dire ? » Le Poulier à quatre personnages.) 143 Qu’est-ce donc ? « Que peult-ce estre ? » Frère Guillebert. 144 Quoi qu’on en dise, ce « h » initial est bien attesté : voir par exemple le v. 257 des Povres deables, le v. 93 de la Mère de ville, ou le v. 15 de l’Aveugle, son Varlet et une Tripière. 145 LV : y disoyt 146 LV : vous comptes (Ce que je dis maintenant.) 147 De votre jument. Mais aussi : De votre femme. Voir la ballade intitulée Une haquenée atout le doré frain, dont le refrain est : « Ainsi que dient ceulx qui l’ont chevauchée. » Poésie homosexuelle en jobelin, GKC, 2007, pp. 98-100. 148 Que les maudits lupus, que les ulcères. « Les loups luy mangent les jambes : il a les jambes mangées d’un mal que l’on appelle loups. » Antoine Oudin. 149 C’est encore une perdrix au vers 358, mais c’était une bécasse aux vers 189 et 264. Les versificateurs étaient soumis à la tyrannie de la rime… 150 5 sous. 151 Il sort, et prend sur la fenêtre la casserole où se trouve la volaille, amputée d’une cuisse. 152 LV : baille (Confusion avec « apprêter des bayes [des moqueries] ». « Et luy apprestois bien des bayes. » Frère Fécisti.) En apprêter à quelqu’un = lui préparer un mauvais tour. 153 De tous les côtés : cf. les Povres deables, vers 166. 154 Guillot met les 5 sous dans sa bourse, et porte la casserole dans la maison. 155 LV : grand chere 156 Ne vous courroucez pas. Cf. Beaucop-veoir et Joyeulx-soudain, vers 237. 157 LV : cy (Le rôtisseur ambulant passait devant notre porte.) 158 La tranche de pain grillé sur laquelle coule la graisse de la volaille. C’est encore la recette de la caille sur canapé. 159 Guillot va donc garder pour lui les 5 sous, en plus de l’écu qu’il a extorqué au galant comme droit d’entrée (vers 147), de l’argent grâce auquel l’épouse a acheté son silence (vers 301), du bonnet dont elle lui a fait cadeau pour le soudoyer (vers 96). Et je ne compte pas la nourriture et la boisson, ni le plaisir qu’il a dû prendre à se moquer de tous ces gens supérieurs qui le traitent de lourdaud. 160 LV : scays (Voir les vers 324, 373 et 443.) 161 LV : lay laissee (Cf. l’Avantureulx, vers 56.) 162 LV : laires tu (Vendanger = voler. Le Badin Guillerme, qui a gobé une des deux figues que le curé lui a confiées, lui montre la dernière, s’attirant cette remarque : « Il n’y en a qu’une ?/ Je croy que l’autre est vendangée. ») 163 LV : mort (Le mari donne à Guillot l’os de la seconde cuisse pour qu’il morde dedans.) 164 Ce verre bien plein. 165 Je vous ferai raison (note 91). 166 Guillot boit les verres de ses patrons. 167 « Et puis, m’amour, que vous en semble ? » Deux hommes et leurs deux femmes. 168 Boire. « Siffler le vin en abondance. » (Parnasse des Muses.) Nous disons toujours : Siffler un verre. 169 D’un pitoyable aliment. 170 Je ne saurais sortir. Le galant tousse. 171 Que j’ois, que j’entends tousser. 172 LV : haquenee (Un bidouard est un petit cheval : cf. le Gaudisseur, vers 86. Mais c’est également un des noms du pénis, qui tousse quand il est trop vieux.) 173 Que Dieu lui vienne en aide ! 174 Elle entre dans les toilettes. 175 Vous nous ferez découvrir par mon mari. 176 LV : en efaict (En pratique. « De faict,/ Y me fault aler au retraict. » Lucas Sergent.) 177 LV : dens le (Note 108.) La femme retourne à table. 178 Sale. L’amoureux plonge sa tête dans le trou. 179 Récupérer. Mahuet, aux vers 117 et 220, ne peut « ravoir » sa main, qu’il a coincée dans un bocal de crème. 180 Il entre dans les toilettes, en chantant pour couvrir les plaintes de l’Amoureux. 181 Voir la note 140. Nous ne possédons plus cette rengaine, qui a dû finir dans un retrait, mais des quantités d’autres serinent les mêmes clichés ; voir par exemple celle qui figure aux vers 28-35 du Povre Jouhan. 182 Il a vessé, pété. 183 LV : on 184 En se tenant le ventre, il essaie d’ouvrir la porte des toilettes, que Guillot a fermée de l’intérieur. 185 Sans ouvrir la porte. 186 Au bas-ventre. Cf. les Chambèrières qui vont à la messe, vers 23. 187 L’amoureux se relève en arrachant la planche, qu’il porte autour de son cou comme un pilori. Sa figure est noire d’excréments. Pour ce genre de « maquillage », on utilisait du son mouillé, qui a la consistance et la couleur voulue ; voir la note 204 du Munyer. 188 Il parvient à ouvrir la porte, et tombe nez à nez avec un diable noir qui brandit son épée en hurlant. Voir l’illustration des Cent Nouvelles nouvelles. John Harington, le poète (car il en fallait bien un pour cela) qui inventa la chasse d’eau en 1596, publia une gravure où le diable fuit un homme assis sur un retrait. Nous devons cette trouvaille à Jody Enders, la traductrice américaine de notre farce : Holy Deadlock and further ribaldries. University of Pennsylvania Press, 2017, pp. 59-99. 189 Dans les Mystères, c’est le hurlement traditionnel des diables. « Brou ! Brou ! Ha ! Ha ! Puissans deables iniques ! » (Mystère de saint Martin.) Dans les Trois amoureux de la croix, un amoureux déguisé en diable profère ce cri au vers 429. 190 De l’eau bénite, pour l’exorciser. Les Normands prononçaient « bénète » : « Dame nonnète,/ Vous voulsissiez que l’eau bénoiste.» Les Mal contentes. 191 Tu m’aspergeras, Seigneur ! (Psaume 51.) Même vers dans les Chambèrières qui vont à la messe de cinq heures pour avoir de l’eaue béniste. 192 LV : lamoureulx (La confusion tient au fait que c’est l’Amoureux qui fait le diable.) 193 Le mari, la femme et Guillot s’enfuient de la maison. Le mari a complètement oublié son besoin pressant ; il s’est peut-être conchié de peur, comme tant d’autres personnages de farces. 194 LV : prenes 195 « Puys infernal, dampné gouffrineux roc !/ Deable d’Enfer, que vault ton villain croc ? » (Mystère de saint Martin.) Là-bas = en bas, en enfer. Idem vers 453. 196 LV : et 197 Ce que c’est, de quoi il retourne. 198 Quand on voue les jaloux au diable, il les emporte en enfer. 199 LV : qui (Le diable.) 200 Tout entier. 201 Si je n’avais pas été là pour le faire fuir à coup de latin (vers 430). 202 Infâme. 203 Envers. 204 Ma conjuration latine. 205 LV : emporte (Voir le vers 426.) 206 « À jointes mains et à genoux,/ (Ton mari) te crira mercy. » Le Ribault marié ; ledit ribaud, du moins, implore à genoux le pardon de son épouse parce qu’il l’a trompée, et non pas parce qu’elle l’a trompé avec la complicité intéressée du confesseur. 207 LV : suys (Voir le vers 472.) Dans Martin de Cambray <F 41>, un amoureux déguisé en diable emporte la femme d’un jaloux, qui promet alors de ne plus l’être : « M’amye, je vous cri mercy !/ Jamais, nul jour, ne le seray ! » Le vers précédent, qui provient des Chambèrières et Débat, perturbe le triolet. 208 LV : metes vous a (Même refrain que 455 et 462.) 209 Des loups ravisseurs. « De ces loups ravissans remplis de cruauté. » La Chasse du loup. 210 Si je grogne encore. Cf. les Coquins, vers 297. 211 LV : le mary 212 La rime est anormalement faible, sauf si Guillot prononce « bouse », pour se moquer du peureux qui s’est chié dessus. 213 Et je me mets. 214 LV : or non (Désormais.) 215 Un homme velléitaire, qui n’a aucune suite dans les idées. Voir la notice de Jehan de Lagny. 216 On lui en a fait une bien bonne. « Tu m’en bailles bien d’une ! » D’un qui se fait examiner. 217 Je l’ai échappé belle. 218 LV : la (Sans ma présence d’esprit.) 219 Style. Qu’il faut trouver l’art et la manière. 220 Habile. 221 Voici des extraits de la 72e des Cent Nouvelles nouvelles, qui a fourni le sujet de la farce. 222 Le fâcheux. 223 Cocu. 224 Sorti de sa maison. 225 Qui ne chassait. 226 Se musser, se cacher. 227 Remboursait avec les intérêts. 228 Aggraver. 229 Redoutant. 230 Qui était là-dedans. 231 Qu’il arracha la planche percée sur laquelle on s’assied. Ladite planche, qu’on appelle aujourd’hui la lunette, se nommait l’anneau : voir la 11e nouvelle de l’Heptaméron, de Marguerite de Navarre. 232 Avec la planche. 233 À sortir. 234 Le fâcheux. 235 De toute sa hauteur. 236 Évanoui. 237 Affichant plus d’effroi qu’elle n’en éprouvait. 238 Faible (féminin de l’adjectif cas). « J’ay la voix, dit-il, ung peu casse. » ATILF. 239 À l’insu.
LE BADIN QUI SE LOUE
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LE BADIN
QUI SE LOUE
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Janot, le Badin qui se loue, offre plus d’un rapport avec Jéninot qui fist un roy de son chat : dans ces deux farces nordiques, publiées par le même éditeur et tardivement réunies dans le même recueil, un personnage de Badin, de demi-fou, est embauché comme valet par un couple qui va s’en mordre les doigts.
Le gag principal du Badin qui se loue sert de moteur à d’autres farces (le Pasté, Messire Jehan, Pernet qui va au vin, etc.) : un couple illégitime, pour se débarrasser d’un importun, l’envoie faire une commission à l’autre bout de la ville. Mais le gêneur, qui ne comprend pas — ou fait semblant de ne pas comprendre — ce qu’on lui demande, exécute des va-et-vient ininterrompus qui empêchent le couple de se livrer à un autre genre de va-et-vient.
Beaucoup de vers ne comportent que 7 syllabes, et une bonne quinzaine d’autres, surtout vers la fin, font entre 3 et 5 syllabes. L’auteur1 n’a pas eu le temps, du moins sur le manuscrit que l’éditeur a publié, de « remplir » tous les octosyllabes ; mais il en a sauvé l’essentiel : la signification et la rime.
Source : Recueil du British Museum, nº 11. La pièce, écrite peu avant 1500, fut publiée vers 1550 à Paris par Nicolas Chrestien.
Structure : Rimes plates.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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*
Farce nouvelle
trèsbonne et fort joyeuse
À quatre personnages, c’est assavoir :
LE MARY
LA FEMME [Guillemette]
LE BADIN qui se loue [Janot]
et L’AMOUREUX
*
LE MARY commence 2 SCÈNE I
[Où estes-vous ? Hau,3] Guillemette !
LA FEMME
Le diable vous rompe la teste !
Jamais je ne vis un tel homme.
Il ne fauldroit [plus] faire, en somme,
5 Autre chose qu’estre après vous4.
LE MARY
Je vous prie, parlez tout doulx !
Je croy que vous me mengerez5.
LA FEMME
Par mon serment ! vous louerez
Une chambrière ou varlet6.
10 Car pensez que cela est laid
Qu’il faille7 que tousjours je voyse
Au vin et à la cèr[e]voyse8
Comme une pauvre chambrière.
LE MARY
Hé ! mon Dieu, que [tant] tu es fière9 !
15 Fault-il qu’ainsi parles à moy ?
LA FEMME
Je vous prometz, en bonne foy,
Que plus si beste ne seray,
Ne si bien ne vous serviray
Que j’ay fait par icy devant10.
20 Parquoy, louez quelque servant
Ou quelque bonne chambrière
Qui voyse quérir de la bière,
Du vin et de la cèr[e]voise.
Il n’y a si pauvre bourgeoyse
25 Qui n’ait chambrière ou varlet.
LE MARY
Et ! bien, bien, ainsi11 sera fait :
Vous en aurez un. Sus donc, [beste12] !
.
LE BADIN,13 en chantant : SCÈNE II
Parlez à Binette, dureau la dure[tt]e,
Parlez à Binette, plus belle que moy.
30 Sang bieu ! je suis en grand esmoy
Que je ne puis maistre trouver14.
Et si15, ne cesse de crier :
« Varlet à louer16 ! Varlet à louer !
Varlet (tous17 les diables) à louer ! »
.
LE MARY 18 SCÈNE III
35 J’ay là ouÿ quelqu’un crier,
Ce me semble, en ceste rue.
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LE BADIN SCÈNE IV
Par la mort bieu ! je pette et rue,
De rage de fain que je sens.
.
LA FEMME SCÈNE V
Il semble qu’il soit hors du sens,
40 À l’ouÿr crier et besler.
Je m’en le vois appeller19.
.
Venez çà, hé, mon amy !
LE BADIN
Hen ? Je vous ay bien ouÿ ;
Je m’en voys à vous parler.
LA FEMME
45 Es-tu pas varlet à louer ?
LE BADIN
Et ! Jan20, ouy !
LA FEMME
[Sans plus discourir,]
Se tu me veulx venir servir,
Assez bien je te traicteray.
LE BADIN
Bien doncq[ues] : je vous serviray
50 De toute ma puissance, vrayement.
LA FEMME 21
Il le fault louer vistement,
S’il est bon à vostre appétit22.
LE BADIN
Mort bieu, que j’ay bon appétit !
Pensez que [je] desgourdirois
55 Un jambon, se je le tenois,
Avecq une quarte de vin.
LE MARY
Dy-moy, sans faire [icy] le fin23,
Comme c’est qu[’à droit24] on te nomme.
LE BADIN
Les aucuns m’appellent « bon homme25 »,
60 Les autres m’appellent Janot.
LE MARY
Janot26 est le vray nom d’un sot.
Veulx-tu demourer avecq moy ?
LE BADIN
Et ! j’en suis content, par ma foy !
LE MARY
Mais combien, [dy,] te donneray-je ?
LE BADIN
65 Et ! [mais27 que soys nourry,] que sçay-je ?
Ha ! escoutez, j’auray six francs pour le moins.
Et si, ne veulx avoir de groings28,
Au moins s’ilz ne sont de pourceau29.
LE MARY
Ha ! par monseigneur sainct Marceau,
70 Tu en auras [bien] davantage !
LA FEMME
Il fauldra faire le30 mesnage
Et balier31 nostre maison.
LE BADIN
Bailleray-je du foing à Gryson32,
Ou de la fourche sur la teste ?
LA FEMME
75 Je ne [te] ditz pas cela, beste !
Je dis que ballies la maison33.
LE BADIN
[Sainct] Jean ! ce n’est pas là raison.
LE MARY
Voylà la clef de la maison,
Pour fermer l’huys et la cloison34
80 Quand tu vouldras aller dehors.
LE BADIN
Ce n’est pas tout ce qu’i fault [lors] :
Baillez-moy, je vous prie, la clef
De la cave, et [si]35, du célier,
Du lard, du pain et de l’argent.
85 Je m’y monstreray diligent :
J’ay esté frippon36 d’un collège.
LE MARY
Les femmes ont le privilège
Porter les clefz en leurs pochettes.
LE BADIN
J’en auray donc, si vous n’y estes,
90 Privilège de rompre l’huys.
[Si me nourrissez de pain bis,]37
Vous me ferez mourir de fain.
LA FEMME
Tu ne chaumeras38 de pain, de vin,
Ne d’aucune39 chose quelconque.
LE BADIN
95 Je vous prie, donnez-moy doncque
À disner, ma bonne maistresse.
LA FEMME
Tiens40, voylà une grosse pièce
De pain bis41 : disne si tu veulx.
LE BADIN
Vous [disiez que seroye]42 heureux,
100 Et que me traicteriez si bien.
LA FEMME
Si vous n’avez aujourd’huy bien,
Vous aurez mieulx une autre foys.
Et ! vous mengez tout à la foys ?
Il y fault aller gentement43.
LE BADIN
105 Je ne sçauroys, par mon serment,
Car mes dentz sont trop aguisées.
LA FEMME
Quel bailleur de billevesées !
Voyez un peu comment il masche44 !
LE BADIN
Par la mort bieu ! [fort] il me fasche45
110 Que je n’ay quelque bon bruvage46.
LE MARY
Pensez à faire le mesnage,
Car je m’en voys à mon affaire47.
LE BADIN
Sang bieu ! que [diable] en ay-je affaire ?
Je demande à boyre du vin.
LE MARY
115 Par ma foy ! tu en auras demain
(De cela, très48 bien je t’asseure),
[Car] je m’en voys tout à cest heure
À mes affaires pourveoir.
LE BADIN
Adieu donc(ques) jusques au revoir !
.
L’AMOUREUX SCÈNE VI
120 Si fault-il que je voise veoir,
Quelque chose que l’on en dye49,
Se je trouveray mon amye
Seule50, affin de la gouverner
Et avec elle raisonner.
125 Je m’y en voys sans [plus] targer51,
Car riens n’y vault le songer52.
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Ma dame et [ma] trèsbonne amye, SCÈNE VII
Dieu vous doi[n]t bonne et longue vie
Avec[ques] tous voz bons désirs !
LA FEMME
130 Jésus, le roy de Paradis,
Vueille acomplir vostre vouloir !
Je vous prie, venez vous asseoir
Pour prendre un peu resjouyssance.
L’AMOUREUX
Certes, de toute ma puissance
135 Mettray peine53 à vous obéyr,
Et feray vostre bon plaisir,
S’il vous plaist me le commander54.
LE BADIN
Sang bieu ! vous venez sans mander55.
Et qui vous a mené icy ?
LA FEMME
140 Te tairas-tu, dy ? [Qu’esse-cy ?56]
C’est un de noz meilleurs amys.
LE BADIN
Et ! il aura donc[ques], vraymis57,
Un bonnadiès58 de ma personne :
Dieu [vous] gard[e] de santé59 bonne,
145 Monsieur [nostre] meilleur amy !
L’AMOUREUX
À vous aussi, [à vous aussi] !
M’amye60, dictes-moy, je vous prie :
Qui vous a ainsi bien garnye
De ce bon serviteur icy ?
LA FEMME
150 Moy-mesmes, certes, mon amy,
Pource que beaucoup me faschoit
Que tousjours aller me failloit61
Au vin et aux autres prochas62,
Quant venez pour faire le cas63
155 [À la desrobée64] avec moy.
L’AMOUREUX
Il me suffist. Mais dictes-moy :
Où est allé vostre mary ?
LA FEMME
Je vous asseure, mon amy,
Qu’il est allé à sa besongne.
160 Dieu sçait que c’est [bien], car il hongne65
Sans cesse, quand il est céans.
LE BADIN
Ce bonnet vous e[s]t bien céant66,
Voyre, ou le dyable vous emport67 !
L’AMOUREUX
Par mon serment, vous avez tort !
165 Ne vous sçauriez-vous un peu taire ?
LA FEMME
Tu gaste[ra]s tout le mystère68 ;
Je te prie, ne nous dy plus mot.
LE BADIN
Non feray-je69, par sainct Charlot70 !
Croyez-moy, puisque j’en jure.
L’AMOUREUX
170 Certes, m’amye, je vous asseure
Que depuis environ huyt jours,
J’ay fait plus de quarante tours
Icy entour71 vostre logis ;
Mais tousjours vostre grand longis72
175 De mary présent y estoit.
LA FEMME
Il me pense tenir estroit
Les mains, comme on fait [à] une oye73,
Voyre dea. Et si, n’ay de joye
Pas un seul bien, avec[ques] luy.
180 Encor(es) — par nenda74 ! — aujourd’huy,
Je pensoys qu’il me deust menger.
Si estroit ne me puis renger75
Que encores je ne luy nuyse.
LE BADIN
Quand il vous haulse la chemise76,
185 Vous n’avez garde d(e) ainsi dire.
LA FEMME
Ha, ha ! vous avez fain77 de rire.
[Par mon serment]78, c’est bien raison !
L’AMOUREUX 79
Je vous prie, madame Alyson :
Un doulx baiser de vostre bouche ! Il la baise.
LE BADIN 80
190 Là, là ! [Les yeulx] fort je me bousche
Affin de ne vous veoir pas.
Vous n’y allez pas par compas81 ;
Tout doulx ! tout doulx, et que dyable faictes-vous ?
Vous faictes la beste à deux doulx82 ?
195 Je le diray à mon [bon] maistre.83
LA FEMME
Te tairas-tu, [dy,] filz de prebstre84 ?
LE BADIN
Je le diray à mon [bon] maistre.
Je sçay bien que85 je vous ay veu faire.
LA FEMME
Mercy Dieu ! je te feray taire,
200 Si je metz la patte sur toy.
LE BADIN
Quoy ? Mort bieu ! [qu’on s’esbatte] o86 moy ?
Je le diray à mon [bon] maistre.
L’AMOUREUX
Tais-toy ! Si tu me veulx promettre
Qu(e) aucune chose ne diras
205 À ton maistre, [un don] tu auras,
Et un bonnet te donneray87.
LE BADIN
Rien doncques [jà] je n’en diray.
Mais ne vous mocquez pas de moy !
LA FEMME
Je te prometz, en bonne foy,
210 Que tu l’auras [bien] promptement.
L’AMOUREUX
Mais tien : va-t’en dès maintenant
Achepter quelque bon pasté88.
LE BADIN
Et ! mais89 que je l’ay[e] apporté,
M’en donrez-vous [un bout90], au moins ?
L’AMOUREUX
215 Ouy, toutes plaines tes deux mains91,
Sans y avoir aulcune92 faulte.
LE BADIN
Çà donc[ques] ! De l’argent, mon hoste93 !
Mais escoutez : j’en mengeray ?
L’AMOUREUX
Vrayement je t’en donneray.
220 Tien, hay, [prens] : voylà de l’argent.
LE BADIN
Hé ! qu’il est [un entregent] gent94 !
J’en achepteray un pasté.95
.
LA FEMME SCÈNE VIII
Ce [fol] folastre96 a tout gasté ;
Je me repens de l’avoir prins.
L’AMOUREUX
225 Ma foy, il a bien fort mesprins97 !
Et sans luy, nous estions trop bien.
.
LE BADIN SCÈNE IX
Hé, mon Dieu ! Je ne sçay combien
C’est qu’ilz m’ont dit que j’en apporte.
Je retourneray à la porte.98
.
230 Combien de pastéz voulez-vous ? SCÈNE X
LA FEMME
Hé ! [quel gaudisseur99,] vray Dieu doulx !
Apporte-en un. Tant tu es fol !
Que tu te puisses rompre le col
Je prie Dieu, en retournant100 !
LE BADIN
235 Je m’y en vois [très]tout courant101 ;
Et si, je n’arresteray point.
.
L’AMOUREUX SCÈNE XI
Cecy ne vient pas bien à point.
Mais rien n’y vault le desconfort :
Prenez, je vous prie, réconfort102,
240 Et à cela plus ne songez.
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LE BADIN SCÈNE XII
De quel pris esse que voulez,
[Dictes-le-moy,] que je l’achepte ?
LA FEMME
Hélas ! mon Dieu, que tu es beste !
Et ! ne sçaurois-tu marchander ?
LE BADIN
245 Hé ! mais je vous veulx demander
Comment esse que l’on marchande ;
Je ne sçay, par saincte Marande,
Que c’est à dire [de] cela103.
L’AMOUREUX
Mon amy, mais que tu soys là104,
250 Demande un pasté de trois so[u]lz.
LE BADIN
Bien. Allez ! pour l’amour de vous,
[Tout maintenant105] je m’y en vois.
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L’AMOUREUX SCÈNE XIII
Ma foy, voylà un grand lourdois106 !
Il a moins d’esp(e)rit qu(e) un thoreau107.
.
LE BADIN SCÈNE XIV
255 Porteray-je108 un pasté de veau,
Ou un de poulle, ou de chappon ?
L’AMOUREUX
Ce m’est tout un, mais qu’il soit bon.
[Mon amy doulx,] dépesche-toy109 !
LE BADIN
Je n(e) iray ja[mais], sur ma foy,
260 Si ne dictes lequel110 voulez.
LA FEMME
(Nous sommes certes demouréz111.)
Demande un pasté de chappon.
LE BADIN
Je m’y en voys, par sainct Bon112 !
.
LA FEMME SCÈNE XV
Voylà un merveilleux113 garson !
265 Je n’en vis oncques de la sorte.
.
LE BADIN SCÈNE XVI
Qu’esse que voulez que j(e) apporte ?
L’AMOUREUX
Apporte un pasté de chappon.
LE BADIN
Mais escoutez : où les vend-on,
Affin que plus [je] ne revienne ?
LA FEMME
270 Au bout de la rue d’Albène114,
À l’enseigne du Pot d’estain.
.
Monsieur, vous estes tout chagrin ; SCÈNE XVII
Je vous prie, prenez en patience,
[Mon amy.]
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LE BADIN SCÈNE XVIII
Silence, silence !
275 J’ay oublié ce que m’avez dit.
Si ce n’estoit pour l’appétit115,
Je n’y tournerois116, par bieu, jà !
L’AMOUREUX
Et ! es-tu encore[s] yla117 ?
Demande un pasté de chappon !
LE BADIN
280 Bien. J’en apporteray un bon.
Mais le voulez-vous froit ou chault ?
L’AMOUREUX
[Je le veulx] chault.
LE BADIN
N’esse pas au…
Où [dictes-vous] ?
LA FEMME
Au Pot d’estain !
LE BADIN 118
Je voy mon maistre en ce chemin,
285 Qui s’en vient cy, par Nostre Dame !
L’AMOUREUX
Adieu vous dy doncques, madame !
[Adieu donc] jusques au reveoir !119
LE BADIN
Par bieu ! si veulx-je [tost] avoir
Mon bonnet, entendez-vous ?
LA FEMME
290 Monsieur, je prens congé de vous,
Vous priant m’avoir excusée.
LE BADIN
Soubz telle manière rusée120,
Perd[e]ray-je ainsi mon bonnet ?
Et ! je l’auray, par sainct Bonnet,
295 Avant que partiez hors d’icy121 !
LA FEMME
Je vous prie, rendez-le-luy ;
Et demain en aurez un autr[e].
LE BADIN
Ma maistresse, parlez-moy d’autre122 :
Car, par bieu, il ne l’aura jà !
.
LE MARY SCÈNE XIX
300 Ho, ho ! Quel bonnet est-ce-là ?
C’est le bonnet d’un123 grand gallant.
LE BADIN
C’est mon124, c’est mon : c’est un alland.
Il a luyté125 à ma maistresse ;
Mais de prime126 luyte [et] adresse,
305 Il la vous a couchée en bas.
LA FEMME
Mon mary, ne le croyez pas !
LE MARY
Je vueil estre informé du cas.
Que demandoit-il ? Dis-le-moy !
LE BADIN
Il vouloit faire, com(me) je croy127,
310 Un hault-de-cha[u]sse à ma maistresse,
Car il regardoit que sa pièce128
Estoit assez haulte pour elle.
LE MARY
Vieille paillarde ! Macquerelle !
Orde souillon ! Salle putain !
315 Vous fault-il mener un tel train,
Quand je suis hors de ma maison ?
LA FEMME
N’estes-vous homme de raison ?
Pourquoy ainsi me diffamez ?
LE MARY
Et, mort bieu ! fault-il que causez ?
320 Du cas suis assez informé.
Par Dieu (qui m’a fait et formé),
Je vous batt[e]ray tout mon saoul !129
LA FEMME
Fault-il que pour un meschant foul
Je sois ainsi mal démenée ?
325 Mon Dieu, il m’a presque assommée !
Je vous [en] prie, abstenez-vous !
LE BADIN
Hon, hon ! [Ma maistresse,] quelz coups !
[LA FEMME]130
Ha ! mort bieu, suis-je encore(s) icy131 ?
Mon mary, je vous crie mercy !
330 Je vous prie que me pardonnez !
LE MARY
Si jamais vous y retournez,
Pas ne serez quitte à tel pris.
.
Si en riens nous avons mespris132,
Nous prirons à la compagnie
335 Qui est icy ensemble unie
Qu’i luy plaise, sans reffuser,
Nous vouloir trèstous excuser.
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FIN
*
1 Peut-être s’agit-il d’un comédien qui, voulant reconstituer la pièce de mémoire, a surtout retenu les hémistiches rimés. 2 Le couple est chez lui. Pour l’instant, Guillemette est derrière le rideau de fond. 3 Je comble cette lacune en recopiant à l’identique le vers 5 du Testament Pathelin. L’épouse de Pathelin sert d’ailleurs son mari avec autant de mauvaise grâce que celle-ci. 4 Que vous suivre pour vous servir de bonne. 5 Que vous allez me mordre. Idem vers 181. 6 La petite bourgeoisie lorgnait du côté de la grande, et même de la noblesse. « Louez varlet ou chambèrière…./ Je suis assez femme notable/ Pour tenir varlet ou servante. » Les Drois de la Porte Bodés. 7 BM : fault 8 Que j’aille chercher du vin ou de la bière à la cave. Nous avons là une scansion populaire de cervoise, comme au vers 23. « Boire ung pot de cèrevoise. » Les Ordonnances, Édictz, Statuz. 9 C’est une tournure normande : « A ! Cuider, que tant tu es cault ! » La Pippée. 10 Auparavant. 11 BM : /il (« Ainsi sera faict, Monseigneur. » Actes des Apostres.) 12 J’ajoute pour la rime ce petit mot affectueux qu’on retrouve à la fin du vers 75 ; les maris l’appliquent sans méchanceté à leur femme : cf. le Savatier et Marguet, vers 226. 13 Dans la rue, face à la maison. Il interprète le 3e couplet d’une vieille chanson normande que j’ai publiée dans la notice du Bateleur, où elle est également chantée. 14 Dans le Cousturier et le Badin, le Badin en question cherche de l’embauche comme valet : « –Trouver quelque maistre y me fault…./ –Vous voulez-vous louer à moy ? » 15 Et pourtant. 16 Ce cri public sert de titre à un monologue de Christofle de Bordeaux : Varlet à louer à tout faire. 17 BM : de par tous (« Que, tous les diables, faictes-vous ? » Pour porter les présens.) 18 Il ouvre la porte. 19 Je m’en vais l’appeler. Guillemette sort devant la porte. 20 Raccourci normand de : « Par saint Jean ! » Cf. Deux hommes et leurs deux femmes, vers 359. 21 Elle fait entrer le Badin, et parle à son époux. 22 S’il est à votre goût, s’il vous convient. 23 Le malin. « Ainsi, sans faire icy le fin. » C. Huguet. 24 Officiellement. « Mais je te nomme à droit Bacus le Vendomois. » Ronsard. 25 Simplet. Cf. Jéninot qui fist un roy de son chat, vers 86. 26 Tous les dérivés de « Jean » désignent des naïfs. « Jéninot est le nom d’un sot. » Jéninot qui fist un roy. 27 Pour peu. Voir le vers 249. 28 Et aussi, je ne veux pas qu’on me fasse la gueule. Cf. les Drois de la Porte Bodés, vers 15. 29 Le museau de porc est un plat réputé. « Groins de pourceaux, et ung gigot farcy d’aulx [d’ail], que le roy donna au Bailly. » ATILF. 30 BM : nostre (Voir le vers 111.) 31 Balayer. Le soi-disant valet ignore ce mot, qu’il confond avec « bailler » : donner. 32 BM : loyson (Le couple, qui habite en ville, ne possède pas d’oies. Mais il a sûrement un cheval, comme tous les bourgeois. Grison est le nom dont on baptise spontanément les chevaux gris : « Il a bridé Grison et luy a mis la selle. » Ne sçauroit-on trouver.) 33 Elle donne un balai à Janot, qui ne sait pas comment on doit le tenir. 34 La grille, ou le portail. 35 Et aussi. La clé du cellier intéresse beaucoup les ivrognes, et donc les Badins : « Baillez-moy la clef du chélier. » Le Gentil homme et Naudet. 36 Gâte-sauce, ou plutôt goûte-sauces, toujours prêt à grappiller dans les casseroles. « Un gourmand, un frippon qui guette les morceaux pour les avaler. » Dict. de l’Académie françoise. 37 Vers manquant. Janot sera bel et bien nourri de pain bis au vers 98. 38 Tu ne manqueras. Cf. le Poulier à sis personnages, vers 455. On chôme certains jours fériés en faisant maigre, en ne mangeant presque rien. 39 BM : dautre 40 BM : Tenez (Au vers suivant, Guillemette continue à tutoyer son valet.) 41 BM : pis/ (Les pauvres et les domestiques se contentent de ce pain noir. Cf. Colinet et sa Tante, vers 24.) 42 BM : diriez que seriez si 43 Il faut manger avec noblesse, modération. 44 BM : me fasche (à la rime.) 45 Cela me contrarie. « Fort il me fasche/ Quand vous parlez de desloger. » Jacques Jacques. 46 Breuvage alcoolisé. « Quand tu éras gousté de chu bruvage. » La Muse normande. 47 Je m’en vais à mes affaires, à mon travail. 48 BM : et 49 Que j’aille voir, quoi qu’on en dise. 50 BM : Pour (Gouverner une femme = obtenir ses faveurs, y compris sexuelles. Cf. les Brus, vers 263.) 51 Tarder. « Sans plus targer,/ Vers la croix vais. » Les Trois amoureux de la croix. 52 La rêverie, la perte de temps. « Qu’i vault le songer ? » (Le Résolu.) L’Amoureux toque à la porte de Guillemette. 53 Je m’efforcerai. 54 BM : recommander. (L’Amoureux entre avec Guillemette, et s’assoit. Près de lui, avec des gestes dangereux, Janot essaie de comprendre le délicat maniement du balai.) 55 Sans y être invité. « Car je suis venus sans mander. » ATILF. 56 Je comble cette lacune d’après Jénin filz de rien : « Te tairas-tu point ? Qu’esse-cy ? » 57 Euphémisme normand pour « vrai Dieu ». Cf. la Farce du Pet, vers 130. 58 En latin de collégiens, bona dies = bonjour. Cf. le Mince de quaire, vers 165. 59 BM : sorte (Salutation parodique de collégiens : « Dieu vous gard/ De bien et de bonne santé ! » Les Cris de Paris. Le jeune clerc Guillerme s’en gargarise aux vers 177-8.) 60 BM : Mais (Voir le vers 170.) 61 Qu’il fallait que j’aille toujours. 62 Pourchas, provisions. 63 Pour faire l’amour. Cf. Frère Guillebert, vers 364. 64 En cachette. « Licurgue ordonna que les mariéz de Lacédémone ne se pourroient “prattiquer” qu’à la desrobée. » Montaigne. 65 Il grogne. Cf. le Ribault marié, vers 37. 66 Seyant. Les élégants portent leur bonnet incliné sur l’œil. Les Badins sont coiffés d’un béguin [bonnet de nourrisson] sur lequel ils peuvent mettre un bonnet grotesque : « Et coiffé d’un béguin d’enfant/ Et d’un hault bonnet triumphant. » (Marot : De Jean Serre, excellent joueur de Farces.) 67 Encore une formule de politesse inversée. Un homme bien élevé doit dire : Ou que le diable m’emporte ! 68 Ce mot couvre aussi les mystères de la chambre à coucher. « Je gasterois tout le mistère./ J’ayme beaucoup mieulx vous le faire. » Le Gentil homme et Naudet. 69 Cette réponse ambiguë est bien digne d’un Badin. On peut comprendre : « Je ne dirai plus un mot. » Ou, au contraire : « Je ne me tairai pas. » 70 Saint Charles. Le peuple était proche des saints, qu’il invoquait familièrement, avec des diminutifs dénués de toute moquerie. 71 Autour de. L’Amoureux du Poulier à quatre personnages sert les mêmes platitudes à sa maîtresse : « Ma doulce amye, croyez d’un cas/ Que j’ey faict plus de mile tours/ Par cy-devant depuys huict jours..../ Mais tousjours le [votre mari] voyais aler/ Ou venir à l’entour de vous. » 72 Lambin. Voir le Glossaire du patois normand, de Louis Du Bois. 73 On attache les pattes d’une oie qu’on veut aller vendre au marché. Ici, l’oie a des mains ; au vers 200, la femme a des pattes… 74 C’est une des multiples déformations du juron féminin « par mon enda ». « Par ma nanda ! j’en jure la bonne feste de madame la Sainct-Jean ! » Béroalde de Verville. 75 Je ne peux me faire si petite. 76 Quand il vous trousse. 77 Faim, envie. Cf. D’un qui se fait examiner, vers 184. 78 BM : Vrayment (La patronne du Badin Jéninot dit de son valet : « C’est bien raison ! Par mon serment,/ Ce coquin ne fait que railler. ») 79 Il chante un air à la mode. Sa maîtresse a pour nom Guillemette (vers 1), et non Alison. 80 Il met la main sur ses yeux pour ne pas voir, mais il regarde entre ses doigts. 81 Avec modération. 82 La bête à deux dos. « Et faisoient eulx deux souvent ensemble la beste à deux douz. » Gargantua, 3. 83 Les vers 195-202, avec leur triple refrain, révèlent un vestige de triolet. 84 Beaucoup de Badins ont pour père un homme d’Église : voir Jénin filz de rien, D’un qui se fait examiner pour estre prebstre, Messire Jehan, etc. 85 Janot n’a rien vu du tout, puisque les amants n’ont rien fait. Mais les Badins, qui ont un sixième sens, ne voient pas et n’entendent pas la même chose que nous. 86 Cette préposition normande signifie avec. « Voulez-vous demourer o moy ? » (Les Esbahis.) Janot croit comprendre que sa patronne veut coucher avec lui. 87 C’est le plus beau cadeau qu’on puisse faire à un Badin. Celui du Retraict réclame à sa patronne le prix de son silence : « Donnez-moy un bonnet poinctu. » Le Porteur de pénitence veut soudoyer un Badin en lui disant : « Je te donray un beau bonnet. » 88 De la pâte fourrée de viande ou de poisson et cuite au four. Les taverniers, tout comme les rôtisseurs et les boulangers, en font de la vente à emporter. 89 Pour peu. 90 Un morceau, un quignon. « Envoyez-luy ung bout de rost [de rôti]. » Légier d’Argent. 91 BM : moins (Le vers précédent rimait en « au mains », à la manière normande : « Si je ne suis payé au mains/ Du labeur qui vient de mes mains. » L’Aveugle et Saudret.) Tu en auras les mains pleines. 92 BM : nulle (Sans faute.) 93 Par cette injonction d’hôtelier, Janot réclame de quoi payer le pâté. 94 Comme cet argent est un bon intermédiaire ! « D’entregent gent ont nobles Franchois choix. » (Guillaume Crétin.) Janot complique le jeu en agglutinant un 3e gen au début du vers qui suit ; les Grands Rhétoriqueurs nommaient cette prouesse une « triple équivoque ». 95 Janot sort en laissant son balai par terre. Les amants s’embrassent. 96 Guillemette répond dans le même style, en commettant ce que les Grands Rhétoriqueurs appellent un « vrai kakemphaton ». « Folz folastres, serveaux asserveléz. » Folle Bobance, BM 40. 97 Il a mal agi. Idem vers 333. 98 Janot rentre dans la maison sans frapper, dérangeant les tourtereaux. Ce jeu de scène va se reproduire encore quatre fois. 99 Quel mauvais plaisant. « Quel gaudisseur ! » Moral de Tout-le-Monde. 100 Je prie Dieu pour que tu puisses te rompre le cou, au retour. 101 Immédiatement. « Car je m’en voys trèstout courant. » Maistre Doribus. 102 Du plaisir. 103 Ce que cela veut dire. « Adverty que c’est à dire de ladicte renonciation. » (Le Guidon des practiciens.) Les Badins, vissés à leur propre conception du réel, n’ont aucun sens du marchandage : voir par exemple Mahuet qui donne ses œufz au Pris du Marché. 104 Quand tu seras là-bas, chez le tavernier. 105 Immédiatement. « Je m’y en voy tout maintenant. » Le Tesmoing. 106 Lourdaud (normandisme). Cf. le Trocheur de maris, vers 27. 107 « Vous estes plus lourt q’ung taureau. » Les Queues troussées. 108 BM : Apporteray ie 109 L’amant du Gentil homme et Naudet, pour se débarrasser d’un Badin, l’envoie quérir du vin dans une taverne. Au gêneur, qui revient poser des questions saugrenues, l’amant répond : « Mon amy doulx, despesche-toy ! » 110 BM : quel le (Correction d’André Tissier.) 111 Retardés. 112 Ce saint normand existe : cf. les Brus, vers 70. Mais pour la mesure, et pour rester dans la nourriture, on peut lui préférer saint Jambon, qui est le héros d’un sermon joyeux. « Par sainct Jambon de Maïance ! » (La Resjouissance des harangères.) Enfin, il serait injuste de ne pas rendre l’hommage qu’il mérite à saint Jean Bon, l’ermite mantouan qui fonda en 1217 l’ordre des Jeanbonites. 113 Un effarant. 114 BM : de bieure (L’éditeur parisien a remplacé une rue rouennaise par la rue de Bièvre.) La taverne du Pot-d’étain faisait le coin de la rue d’Albène, prononciation normande et graphie attestée de la rue d’Albane, qui deviendra la rue des Quatre-Vents. 115 BM : un petit (Janot vante son appétit au vers 53.) 116 BM : retournerois (« COLIN, en s’en allant : Tu dis vray, g’y tourne. » Colin qui loue et despite Dieu.) 117 En latin, illa = par là. Cf. la Farce du Pet, vers 45 et note. 118 Il se retourne vers la porte ouverte comme s’il allait sortir encore une fois. 119 Je reprends le vers 119. 120 La politesse est une convention étrangère à l’univers des Badins. Nous avons eu des exemples de leur politesse personnelle aux vers 144 et 163. 121 Tandis que l’Amoureux passe devant lui pour fuir, Janot lui arrache son bonnet, et s’en coiffe d’une manière ridicule. 122 Parlez d’autre chose. 123 BM : en 124 C’est vrai. Cf. Lucas Sergent, vers 172. Un allant est un homme à femmes : « Il se dit père, oyez-vous, d’Olivier Galland./ O ! de par Dieu, c’est un allant ! » Godefroy. 125 Lutté corps à corps. « “La belle,/ Jouons-nous et luyttons bien fort !”/ Mais mon maistre est bien le plus fort :/ Il la gette tousjours en bas. » Guillerme qui mengea les figues. 126 BM : la premiere (De prime lutte = au premier assaut : « Maistre Bidault de Cullebute,/ Chappellain d’Emmanche-Faucille,/ Grant abbateur de prime lute. » Guillaume Coquillart.) De prime adresse = directement : « De prime adresse jusques en Castille. » ATILF. 127 « La loy punist par glayve, com je croys. » L’Ystoire de Eurialus et Lucresse. 128 BM : brayette (La pièce est le coupon de tissu dans lequel on taille un haut-de-chausses [un pantalon]. C’est également le pénis : « Vécy des coustures bien faictes :/ J’ay mis la pièce auprès [à côté] du trou. » Les Botines Gaultier.) 129 Le mari ramasse le balai que Janot a laissé par terre, et cogne sur son épouse. 130 BM descend cette rubrique sous le vers suivant. 131 Suis-je encore de ce monde ? 132 Si nous avons fauté en quoi que ce soit.
JÉNINOT QUI FIST UN ROY DE SON CHAT
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JÉNINOT QUI FIST
UN ROY DE SON CHAT
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Dans beaucoup de farces, les personnages de « badins1 » ne demandent qu’à travailler, mais leur travail subit la même distanciation par rapport au réel que leur vie quotidienne. De plus, ils prennent le langage au pied de la lettre, et sont persuadés qu’ils ont raison et que les autres ont tort.
Cette farce, écrite aux confins de la Normandie et de la Picardie, fut jouée à l’occasion d’une fête des Rois : le 6 janvier, jour de l’Épiphanie, on tirait le « roi de la fève », et les troupes joyeuses montaient des pièces de théâtre. Voir la notice de Pour porter les présens à la feste des Roys.
Source : Recueil du British Museum, nº 17. Cette farce fut peut-être composée vers 1500 ; un demi-siècle plus tard, Nicolas Chrestien l’a publiée à Paris, en la modernisant et en gommant certains particularismes picards.
Structure : Rimes abab/bcbc, rimes plates. L’auteur, qui est certainement un comédien, se satisfait de rimes très incorrectes ou même d’assonances, mais il a un véritable instinct des situations visuelles. Malheureusement, ses comparses ont encombré le texte en y ajoutant des bribes de vers et une infinité d’interjections qui étaient acceptables pour le public, mais qui ne le sont plus pour des lecteurs ; j’ai barré impitoyablement toutes ces marques de cabotinage.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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Farce nouvelle trèsbonne
et fort joyeuse de
Jéninot qui fist
un roy de son chat
par faulte d’autre compagnon, en criant :
« Le Roy boit ! » Et monta sur sa
maistresse pour la mener à la messe.
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À trois personnages, c’est assavoir :
LE MARY
LA FEMME
et JÉNINOT
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LE MARY 2 commence [en chantant :] SCÈNE I
Pourquoy fault-il tant de tourment souffrir,
En ce monde, pour avoir seulement
La pauvre vie et à la fin mourir ?
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Bref, cela n[e m’]est point plaisant.
5 Je veulx avoir doresnavant
Un varlet qui me servira3 ;
Et puis me don(ne)ray du bon temps.
Advienne ce qu(e) advenir vouldra ! 4
LA FEMME
Vous dictes trèsbien de cela,5
10 Mon mary. Car en vérité,
Nous n’aurons pas nécessité6
(Se Dieu plaist) tandis que vivrons,
Car assez de biens nous aurons
Pour nous nourrir honnestement.
15 Mais je vous prie chèrement
Que nous ayons quelque varlet.
LE MARY
Nous en aurons un, soit beau ou layt,
Mais qu’il nous soit bien servïable7
Autant à besongner comme à la table8.
20 Car, m’amye, je vous dis bien
[Que] s’il ne nous servoit de rien,
D’en avoir un se seroit simplesse9.
LA FEMME
Il me mèn[e]ra à la messe.
Et si, gardera la maison.
25 Quand je vouldray aller au sermon,
Aussi10 me portera ma scelle.
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JÉNINOT entre11 à tout un chat, et
luy baille12 sur l’oreille en disant :
Minault13, vous aurez sus l’oreille ! SCÈNE II
À l’ayde, il me tient aux oreilles !
[Ha !] saincte sang bieu, quel gallant14 !
30 À peu15 qu’il ne m’a mis16 les dens !
Que le diable emporte le minault !
LE MARY
Voicy [là] tout ce qu’il nous fault.
Escoutes [çà, hau]17, mon amy !
Entends à moy : veulx-tu servir ?
35 Déclaire-moy un peu ton fait.
JÉNINOT
Et quoy doncques18, [si] en effect
Vous voulez bien estre mon maistre.
LE MARY
Ouy, vrayement je le veulx bien estre,
Mais que tu soye bon garson
40 Et que tu sçaches la façon
De faire tout19 sans riens faillir.
JÉNINOT
Je fairay bien le pot bouillir
Ainsi comme une chambèrière ;
De cela sçay bien la manière,
45 Sans point mouiller mon pain dedans :
Cela, c’est à faire à frians20.
Je me garde de tel affaire.
LE MARY
Or çà, ditz-moy : que sçais-tu faire ?
JÉNINOT
Je sçay bien [bailler vin]21 à boire,
50 Autant au soir comme au matin.
Et si, parleray bien latin,
Voire[ment], mais [qu’on me]22 l’apreigne.
Je n’en crains [pas] homme qui viengne
Pour estre bien envitaillé23.
LA FEMME
55 A, paillard, le fault-il révéler24 ?
Tu n’as25 pas chose qui me haitte.
JÉNINOT
Quant je tiens une tartelette,
Un flanet, ou un cassemuseau26,
Je le fourre soubz mon museau
60 Aussi bien qu(e) homme de la ville.
LE MARY
Par sainct Jehan, tu es fort habille27 !
Or çà, dis-moy combien veulx-tu gaigner ?
JÉNINOT 28
Je vouldroye bien estre habillé,
Et gaigner dix-huit frans le moys.
65 Mais aussi, je veulx avoir des noix
Pour m[’y] aller souvent esbatre29.
LE MARY
La mal[e] mort te puisse abatre !
Quel varlet j’é trouvé icy !
JÉNINOT
Mon maistre, vous avez vécy30.
70 [Prou vous fasse]31 ! Saincte Marie,
Recullez-vous, je vous en prie :
Jamais chose ne fut si aigre !
LE MARY
Et ! je faitz ta sanglante fièbvre,
Villain infâme, larronseau !
75 Je te romperay32 le museau,
[Se mets]33 la main sur ton collet !
JÉNINOT
Voulez-vous batre vo34 varlet ?
Vous estes un vaillant monsieur !
Il m’est venu une sueur
80 Au cul, de la paour35 qu’il m’a fait[e].
Chanter vouloyt36 de chose infaicte,
Se n’eusse retraict37 le cornet.
LE MARY
Que ne parle-tu franc et net,
Sans te mocquer ainsi des gens ?
JÉNINOT
85 Aussi fais-je, par mon serment,
Mon maistre. Ay ! vous estes bon homme38.
LE MARY
Se tu te veulx louer, en somme,
[À moy39], trois francs te don[ne]ray
Tous les ans, et t’abilleray,
90 Puisque habillé40 tu veulx [doncq] estre.
JÉNINOT
Je vous remercie, mon maistre.
De vous servir suis bien contend.
LE MARY
Comment as-tu non vrayement ?
JÉNINOT
Par mon serment, je croy que j’ay nom Jéninot41.
LE MARY
95 Jéninot est le nom d’un sot42 ;
Mais aussi n’es-tu pas trop sage.
Or çà ! laissons [là] ce passage.
[Or], Jéninot, je te diray :
Moy et ma femme allons soupper43
100 Chez nostre voysin icy près.
Souppe-toy44 sans aucun arrest,
Et garde45 bien la maison ! [Feras46 ?]
JÉNINOT
Voire ; mais s’el s’enfuyt, voylà :
Fauldra-il que je coure après ?
LA FEMME
105 Mon Créateur, que t(u) es nÿés47 !
Et ! va, va, elle n’a[ura] garde48.
[Seulement donne-toy bien garde]49
Que nul[ly]50 n’entre point céans.
JÉNINOT
De cela je suis recordant51.
110 Mais venez çà, hau ! Voirement,
[Avant vostre département,]52
Au moins donnez-moy un gasteau :
[Ain]si, feray un roy nouveau53
À ce soir, pour me rigoller.
LA FEMME
115 A ! Jéninot, tu veulx voller54.
Or sus, tien, voylà un liart55 ;
Et ne [nous] fais point du criart.
Va querre56 un gasteau vistement !
JÉNINOT
Aussi voys-je57, par mon serment !
.
120 Hon, hon ! J’auray un bon gasteau, SCÈNE III
Mais je ne bevray que de l’eau.
Hélas, que servans ont de peine ! 58
.
Icy, Jéninot doit avoir un gasteau.
Or [je] su[i]s en la bonne estraine59 !
Tout le monde crie « le Roy boit ! » :
125 Je suis tout seul icy endroit.
Et, par bieu ! je feray un roy.
Il couppe le gasteau.
Et voicy, [tout] premier, pour moy :
On dit qu’il est fol qui60 s’oublye.
Par la doulce Vierge Marie !
130 Vous verrez tantost un beau jeu61.
Or sus ! Après, voylà pour Dieu62.
Et, dea ! j’ay trop fait d’une part63.
Par mon âme ! c’est pour le chat :
Je ne la sçaurois mieulx bailler.
135 Or çà, je [m’en] vois regarder
Auquel [morceau] c’est qu’est la fève.
Tel cuyde bien faire qu’il resve64.
Or sus ! à l’autre65… Dieu y ayt part,
Par mon âme : c’est nostre chat !
140 Or voicy bien pour enrager.
Par bieu ! si me fault-il crier66.
Par mon âme ! si burez-vous,
Ou je vous donneray des coups !
Entendez-vous, monsieur le Roy ?
145 Serez-vous cy mèshuy67, ou quoy ?
Faictes-nous un peu de raison68.
Tenez, voylà de la boisson :
N’espargnez pas ce vin cléret69.
Icy, fault qu’il face boire le chat.
Le Roy boit !! Le Roy boit !! Le Roy boit !!
150 A ! dea, nostre chat boit70. Et puis ?
[Ne buvez tout, j’en veulx aussi.]
Que dictes-vous, monsieur le Roy ?
Je me suis mis en grand desroy71
Pour en payer la folle enchère72.
155 Or çà, çà, faictes bonne chère :
Tenez, voylà de la pitance.
Vous faictes belle contenance.
Si payerez-vous la royaulté73.
Et ! non ferez ? En vérité,
160 Vous n’en serez pas ainsi quite :
Or buvez doncq ! Je vous en quitte74,
Que n’en soyez plus en esmoy.
Icy, fault qu’il face boire le chat.
Le Roy boit !! Le Roy boit !! Le Roy boit !!
.
LE MARY 75 SCÈNE IV
J’ay ouÿ un terrible bruyt !
[ LA FEMME
165 Qui maine tel desroy76 de nuyct ?
LE MARY ]
C’est nostre varlet le testu.
[Et !] dea, Jéninot, que fais-tu ?
Tu maine[s] un trèsgrand desroy.
JÉNINOT
Mon maistre, nostre chat est roy ;
170 Regardez comme il fait le Mage77.
LA FEMME
Mon Créateur, que tu es sage !
Ne sçaurois-tu crier plus bas ?
JÉNINOT
Ma maistresse, vous ne sçavez pas :
Nostre chat est roy du gasteau.
175 Ne luy f(e)rez-vous pas un chappeau78
Pour luy boutter dessus la teste ?
LA FEMME
Saincte Marie, que tu79 es beste !
N’as-tu pas souppé, dy, porchier ?
Despêche-toy, va te coucher !
180 Et te liève de bon matin !
JÉNINOT
Aussi f(e)ray-je, par sainct Martin,
Devant que je voise pisser80.
Mais aydez-moy à deschausser,
Hau, mon maistre, pour la pareille81.
LE MARY
185 Le dyable t’a fait la cervelle !
Couche-toy tost, c’est trop farcer !
JÉNINOT
Et, je n’ay point de pot à pisser :
Ou82 [lict] voulez-vous que je pisse ?
LE MARY
Mauldict soys-tu ! Quel[le] devise83 !
190 Ce lourdault-cy me rompt la teste.
JÉNINOT, en se couchant dedans un lict.
Et fault qu’il soit despouillé 84.
Et, vous estes un terrible maistre !
[On] ne vous ose85 dire mot.
LA FEMME
Pour neant n’a pas non « Jéninot »86 !
Son langage par trop me nuyst.
JÉNINOT
195 Vous ne dictes pas : « Bonne nuyct
Vous doint Dieu ! » Esse la façon ?
LE MARY
Le dyable emporte le garson,
Tant il est sot et peu subtil !
[Çà,] ma femme ?
LA FEMME
Que vous plaist-il ?
LE MARY
200 Faictes que j’aye [un peu] à boire87
Car, par le benoist Roy de gloire88,
Je meurs de soif, aussi de fain89.
LA FEMME
Tenez, mengez : voylà du pain
Et du vin que j’ay recouvré90.
205 Mais gardez de vous enyvrer :
Vous perderiez91 vostre mémoire.
LE MARY
Me cuydez-vous garder de boire ?
Vous avez bon foye92, vrayement !
Versez plain voirre93 seullement,
210 Et ne vous souciez de cela !
JÉNINOT, en resvant :
Nostre vache, qui acoucha
L’autre demain94 de trois pourceaulx ;
Saincte Marie, qu’il[z] estoient beaulx !
Il leur fauldra donner du laict.
LE MARY
215 Qu’esse que j’au95 ?
LA FEMME
C’est no96 varlet ;
Je croy [bien] qu’il a quelque fièbvre.
JÉNINOT, en resvant :
Ma mère ! Ma mère ! Ma mère, la chèvre
M’a mordu [de] par le tallon97 :
Apportez-moy tost un baston,
220 Que je luy casse le museau !
LE MARY
Il luy procède98 du cerveau.
En effect, je croy qu’il affable99.
JÉNINOT, [en resvant :]
Et, dépeschez-vous, de par le dyable !
Apportez-moy ma grande espée !
225 Ceste orde100 vieille ridée
Ne me lairra101 jamais en paix ?
LE MARY
Et ! paix, de par le diable, paix102 !
Voylà beau déluge103 à plaisir.
Allez me le jetter hors du lict,
230 Et me l’éveillez tost acoup !
LA FEMME
Sus, Jéninot ! Debout, debout !
N’est-il pas temps de se lever ?
JÉNINOT
Et, laissez-moy un peu reposer !
Que diable vous estes fâcheux104 !
LE MARY
235 Te lèveras-tu, dy, pouilleux ?
Quel mignon105 ! Comment il devise !
JÉNINOT
Allez-moy chauffer ma chemise106
Et me l’apportez vistement !
LA FEMME
C’est bien raison ! Par mon serment,
240 Ce coquin ne fait que railler.
JÉNINOT
Et ne me devez-vous pas habiller107
Tandis que je seray céans ?
LE MARY
Ouy bien, de quels108 habillemens ?
Voylà bon109 ! Comment l’entens-tu ?
JÉNINOT
245 Comment ? Que je soye vestu
Et habillé tous les matins,
Et qu’on me chausse mes patins110
Quand je vouldray faire tratra111.
LE MARY
Or il n’y a ne cy ne ça112 !
250 Ne fais point icy le follastre :
Liève tost, que [je] ne te lattre113,
Ou tu pourras bien avoir du pire.
JÉNINOT
Par sainct Jehan ! pour bien le vous dire,
Je ne me sçaurois habiller
255 [Si ma mère ne vient m’ayder.]114
LE MARY
Il fault doncq[ues] que je t(e) habille ?
JÉNINOT
Et quoy ! [oncq n’y fustes habille]115 ?
Vous deussiez avoir desjà fait.
LE MARY
[Ma femme, pour dire le fait,]116
260 Puisqu(e) ainsi est, sans flagoller117,
Venez m(oy) ayder à l’abiller,
Affin qu’il vous maine à la messe.
Icy, fault que le mary et la femme habillent Jéninot.
JÉNINOT
Et ! [dea, tout beau]118, hé, ma maistresse !
Que dyable vous estes maussade119 !
LA FEMME
265 Mon Créateur, que tu es sade120 !
Regardez quel museau gourmant :
Son visage e[s]t aussi plaisant
Que le cul de la Barbouillée121.
JÉNINOT
N’auray-je pas une toustée122
270 Au beurre mol123, pour grignoter ?
Je diray mon Bénédicité 124,
Et aussi mon Avé Marïa.
LE MARY
Le grand dyable ceans te chïa125 !
Entens à moy, dy, estourdy !
275 On pert ses peines, avec126 luy.
Aller te fault par bonne adresse127,
Gentiment128, mener ta maistresse
À la grand-messe à Nostre-Dame129.
JÉNINOT
Quant je vous regarde, sur m’âme130,
280 Il me semble que soyez fol.
Elle n’a bride ne licol :
Comment voulez-vous que je la maine ?
LE MARY
[Que] la forte fièvre quartaine
Te puisse serrer le visage !
285 Despêche-toy, si tu es sage,
Ou tu seras trèsbien frotté !
JÉNINOT
Il ne fault point tant tourmenter ;
J(e) y voys, puisque faire le fault.
Icy, fault que Jéninot monte
sus le dos de sa maistresse.
LA FEMME
Qu’esse que tu fais, dy, lourdault ?
JÉNINOT 131
290 Hay ! hay ! dia !
LA FEMME
À l’ayde, il me rompt [le râble]132 !
Descends !
JÉNINOT
Hay ! De par tous les diables,
Tant vous me donnez de [la] peine !
LE MARY 133
Descends ! Que de fièbvre quartaine
Soyes-tu serré134, [en male estraine !]
JÉNINOT
295 M’avez-vous pas dit que la maine
Je ne sçay pas où à135 la messe ?
Vous m’avez tant rompu la fesse !
Jamais je ne fus si estonné.
LE MARY
Comment la voulois-tu mener ?
JÉNINOT
300 Comment ? Comme j’avois acoustumé
De mener [nostre jumant]136 paistre,
Quand j’estoie cheux137 mon autre maistre :
Il me faisoit dessus monter.
LE MARY
Quel(le) raison, bénédicité !
305 [Un sot ne sera pas un sage !]138
Dea ! Jéninot, en ton vilage,
Meine-on ainsi une femme ?139
JÉNINOT
[Et !] je n’en sçay rien, par mon âme,
[Comment on fait les femmes paistre.]140
310 Mais un jour, [j’ay trouvé] mon maistre
[Qui] montoit dessus ma maistresse
Et luy secouet tant la fesse ;
Et si141 ne vouloit : « Hay avant ! »
[Mais] je ne sçay pas bonnement
315 Si vous voulliez que je fisse ainsi.
LE MARY
Mais quel [grand] raillart esse-cy !
Te fault-il tant142 mocquer de nous ?
Vrayement, je te don(ne)ray de[s] coups : En frappant.143
Or tien, tien ! En as-tu assez ?
JÉNINOT
320 Et, tout beau ! Hé, vous me blessez !
Le dyable vous emport ! Quel maistre !
Vous m’avez tout(e) rompu la teste.
Jamais je ne vous serviray.
LE MARY
Va t’en donc !
JÉNINOT
Et ! payez-moy, je m’en iray,
325 [Mais payez-moy ce que devez.]144
LE MARY
A ! vrayement, tu seras payé
Ainsi comme tu l’as desservy145.
LA FEMME
Frappez, frappez dessus cest estourdy !
Ne l’espergnez nomplus que plastre146 !
JÉNINOT
330 Et ! pourquoy me voullez-vous batre ?
Hé ! suis-je en vostre chastiment ?
Si vous estiez hors de céans,
Je vous gallerois bien [le dos]147.
LE MARY
Saincte Marie, que t(u) es nouveau148 !
335 On s’i romp(e)roit l’entendement ;
Car on ne sçauroit nullement,
D’un busart, faire un esprevier149.
Par quoy je vous vueil supplier
Que nous pardonnez, je vous prie.
340 Adieu vous dis, toute la compagnie !
.
FIN
*
1 Demi-sots. Nous dirions aujourd’hui des autistes. Le Badin des Sobres Sotz détaille les caractéristiques de ce rôle qu’on réservait aux meilleurs comédiens. 2 Il est chez lui, avec sa femme. Cette chanson en décasyllabes n’a pas été conservée. 3 Le même éditeur a publié le Badin qui se loue, qui a peut-être inspiré la présente farce : un couple en quête de serviteur embauche le Badin Janot, qui comprend tout de travers et qui ne songe qu’à boire et à manger. De Janot à Jéninot, il n’y a qu’un pas. 4 Si on remplace vouldra par pourra, nous obtenons un refrain qui figure dans une liste de chansons de la Condamnacion de Bancquet. Il apparaît également au vers 365 des Premiers gardonnéz (exemple non relevé par H. M. Brown, nº 5). On le trouve aussi dans une ballade de Charles d’Orléans. 5 Les premiers vers composés par l’auteur (4-9) dissimulent l’acrostiche BIVEAU. C’est un nom fréquent dans la région concernée. Mais il peut s’agir d’une coïncidence. Rappelons toutefois que les 12 premiers vers de la farce du Pèlerin et de la Pèlerine (recueil de Copenhague) portent en acrostiche le nom de l’auteur, CLAUDE MERMET. Les rares archives qui ont été explorées jusqu’à présent ne permettent pas d’identifier cet hypothétique Biveau. 6 Nous ne deviendrons pas nécessiteux. 7 Cette diérèse est normande : cf. la Veuve, vers 119. 8 Pour faire le ménage et pour servir à table. 9 Ce serait de la simplicité d’esprit, de la bêtise. 10 BM : Et si (BM intervertit les vers 25 et 26.) Les bourgeoises qui n’ont pas de place réservée à l’église y apportent leur selle [leur tabouret] plutôt que de s’asseoir sur un banc avec les femmes du peuple. Au siècle suivant, la selle en question sera percée, et munie d’un petit pot de chambre nommé le bourdalou, permettant aux dévotes à larges robes de soulager leur vessie pendant les interminables sermons du prédicateur Bourdaloue. 11 Il est dehors, et commence à parler : voir la note 51 du Savatier et Marguet. À tout = avec. Les chats étant difficiles à gérer, surtout dans les représentations extérieures où des chiens pouvaient gâcher un spectacle, on les remplaçait probablement par des peluches. Il y a un de ces chats dans les Esveilleurs du chat qui dort et dans Pernet qui va à l’escolle ; voir la note 20 de Tout-ménage. Les Badins et les Sots s’entendent bien avec ces félins, dont ils partagent le caractère. 12 Lui donne un coup. 13 Au lieu de ce nom repris au vers 31, BM met en vedette au-dessus : Jeninot. (« Oreille » rime avec « selle », comme « pareille » rime avec « cervelle » à 184-5.) 14 Jéninot a failli être mordu par son chat. Les Coppieurs et Lardeurs donnent ce vers proverbial sous une autre forme : « Ha ! saincte sang bieu, quelz chalans ! » 15 BM : petit (Il s’en faut de peu qu’il ne m’ait mordu. « À peu qu’el ne s’est arrachée/ La langue, à force de caquet. » Saincte-Caquette.) 16 BM : mange (« Ilz nous eussent dévoréz tous…./ Loué soit Dieu, qui n’a permis/ Que sur nous eussent mis les dentz ! » Jan Poictevin.) L’homme et la femme sortent de leur domicile et voient Jéninot. 17 BM : sa hault 18 Et comment donc ! 19 BM : tous (Voir le Varlet à louer à tout faire.) 20 À des gourmands. La sobriété des serviteurs, en matière de nourriture et de boisson, était un critère d’embauche non négligeable. D’où le gros mensonge de Jéninot qui, en parfait Badin, ne va pas tarder à se trahir. 21 BM : abiller (« Poinct ne me baille/ Vin à boyre. » Messire Jehan.) En Normandie, boire se prononçait baire : « Du meilleur vin y veulent baire. » La Muse normande. 22 BM : comme (Pour peu qu’on me l’apprenne.) 23 BM : en vitaille (Bien fourni de vit.) Le Badin et valet de la Veuve se targue des mêmes avantages pour plaire à sa patronne : « Car je suys bien envytaillé. » 24 BM : reigler 25 BM : nes (Tu n’as rien qui me convienne.) La femme est gênée par la présence de son mari ; beaucoup de bourgeoises profitaient de leur valet plutôt que de faire venir un amant de l’extérieur. 26 BM : cassemureau (Un casse-museau est un gâteau : cf. les Cris de Paris, vers 185. Un flanet est un petit flan.) 27 Habile. 28 BM ajoute dessous : Et que scay ie moy (C’est une contamination du Badin qui se loue : « –Mais combien te donneray-je ?/ –Et que sçay-je ? ») 29 Le jeu des noix est réservé aux enfants. « Mieux eusses faict de te jouer aux noix. » La Prinse de Guynes et de Calais. 30 Vessé, pété. Ce reproche injuste est fait aux personnes qu’on veut faire taire. Cf. la Bouteille, vers 112. Une chanson eut même pour refrain : « Pouac ! vous avez vessy !/ Vertu, qu’elle est puante ! » Calbain. 31 BM : On fas (Que cela vous fasse profit !) On lance cet équivalent de « à vos souhaits » à toute personne qui éternue, qui rote, qui pète, ou même pire (cf. le Munyer, vers 434). Le juge de la très scatologique Farce du Pet ordonne que si l’un des époux vient à péter, « l’autre luy dira : “Prou vous face !” » 32 Ce vers revient deux fois dans les Chambèrières et Débat. L’éditeur parisien a laisser passer un « e » svarabhaktique picard, comme au vers 206. Celui de 335 n’est pas justifié. 33 BM : Semes (Si je te mets la main au collet.) 34 BM : vostre (L’éditeur parisien a résolu l’apocope picarde « vo ». Cf. le Pasté et la tarte, vers 80, 99, 216, 254.) 35 De la peur, en 1 syllabe. 36 BM : vouloye (Il voulait me dire des horreurs.) 37 BM : retrainct (Si je ne lui avais pas retiré l’encrier : si je ne l’en avais pas empêché.) 38 Une bonne poire, comme le Badin qui se loue : « Les aucuns m’appellent “bon homme”,/ Les autres m’appellent Janot. » Cf. la Ruse et meschanceté des femmes, vers 193 et note. 39 Je comble une lacune. L’artisan du Cousturier et le Badin embauche aussi un Badin : « Vous voulez-vous louer à moy ? » 40 BM : habiller (Nous sommes loin des 18 francs mensuels que Jéninot réclamait au vers 64.) Le Badin qui se loue n’exige pas qu’on lui paye sa livrée ; il touchera donc chaque année « six francs pour le moins ». Les Chambèrières et Débat témoignent du même écart de salaires : l’une des deux touche 4 francs par an, et l’autre plus de 8. Mais la première pourrait gagner jusqu’à 6 francs si elle couchait avec son maître. 41 Cette indécision est un des traits caractéristiques du Sot et du Badin. « Et si, ne sçay comme j’ay nom. » Les Sotz nouveaulx. 42 Dans le Badin qui se loue, le mari juge ainsi le patronyme de son nouveau valet : « Janot est le vray nom d’un sot. » Jéninot est un diminutif de Jénin, qui est lui-même un diminutif de Jehan. Or, le prénom Jean et tous ses dérivés servent à nommer des nigauds : voir Jehan qui de tout se mesle, Jénin filz de rien, Janot dans le sac, etc. 43 Le soir de l’Épiphanie, on se réunissait à plusieurs pour tirer les rois. 44 Dîne. « Soupe-toy d’air ainsi comme tu nous as fait souper ! » (Amadis de Gaule.) Sans arrêt = sans retard : cf. l’Aveugle et Saudret, vers 415 et 703. 45 Surveille. Mais le jeune paysan, qui est né dans une ferme (v. 211) et qui a travaillé pour un fermier (v. 302), sait bien que quand on « garde » un animal, on doit lui courir après s’il s’enfuit. 46 BM ajoute dessous : Entens-tu (Le feras-tu ? « –Feras ? –Ouÿ, car c’est l’usage. » Le Ribault marié.) 47 Niais. On retrouve l’élision normande « t’es » au vers 334 et, entre autres, dans ce décasyllabe de la Muse normande : « T(u) es un nïais, che n’est pas là l’affaire. » Cf. Deux hommes et leurs deux femmes, vers 405 et 434. 48 Elle ne s’y risquera pas. 49 BM : Donne toy garde seulement 50 Que nul, que personne. Cf. les Premiers gardonnéz, vers 40. 51 BM : receans (Je me souviendrai. « La chièvre, recordant et ayant souvenance de la doulce saveur de ceste herbe. » ATILF.) Jéninot rappelle le couple, qui est en train de sortir. 52 Vers manquant. Avant votre départ. « Baisez-moy, mon doulx plaisir,/ Au moins, à vo département. » Le Povre Jouhan. 53 Je tirerai les rois. « Que vous me faciez ung gasteau :/ Nous voulons faire ung roy nouveau. » Jehan qui de tout se mesle. 54 Peut-être faut-il comprendre : Tu veux voler sans ailes, en devenant roi. 55 Une petite pièce pour aller acheter un gâteau. 56 BM : querir 57 J’y vais. Idem vers 135 et 288. L’homme et la femme s’en vont. 58 Jéninot entonne l’air célèbre « Vray Dieu, qu’amoureux ont de paine ! », qui inaugure le dialogue du Viel Amoureulx et du jeune Amoureulx (LV 9). Il sort, et revient en portant un gâteau des rois. 59 J’ai bien de la chance (ironique). Dehors, il a entendu que tous les foyers fêtaient les Rois. 60 Celui qui. 61 Une bonne blague. « Et tu voyras tantost beau jeu. » L’Homme à mes pois. 62 Il coupe une deuxième part pour en faire la charité à un éventuel mendiant. Cf. Frère Guillebert, vers 128-9. 63 J’ai fait une 3ème part en trop. Les Normands amuïssaient le « r » final, comme aux vers 33-34, 138-9 et 228-9. Voir la note 75 de la Mère de ville. 64 J’ai cru bien faire en prenant cette part, mais j’ai rêvé puisque la fève n’y est pas. 65 Jéninot examine la part de Dieu : aucune fève à l’intérieur. (Jeu de mots sur « Dieu y ait part ».) Il en conclut que la fève est dans le morceau qu’il a donné au chat. 66 Celui qui tire la fève (en l’occurrence le chat) devient roi ; toute l’assistance crie alors : « Le Roi boit ! » Et à chaque cri, le roi puis ses sujets boivent une gorgée de vin. Inutile de dire qu’on a vu plus d’un roi tomber de son trône… « Nous cririons bien hault : “Le Roy boy !” » Les Maraux enchesnéz. 67 Resterez-vous éternellement sans boire ? 68 Faire raison à un buveur, c’est trinquer à sa santé après qu’il a trinqué à la nôtre. « Je viens du vin…./ Nous vous ferons bien vos raisons. » L’Aveugle, son Varlet et une Tripière. 69 Ce vin est d’autant plus clair qu’il s’agit d’eau (v. 121). Clairet rime avec boit, que les Normands prononcent « bé » : cf. Troys Galans et un Badin, vers 73 et note. 70 BM : ho (« Sçais-tu point pourquoy boit chat eau ?/ C’est pource qu’il n’a point de vin. » Les Actes des Apostres.) Le vers suivant est perdu. 71 Désordre financier. Jéninot exagère : c’est sa patronne qui a payé le gâteau. 72 Pour m’endetter. 73 Vous paierez le prochain gâteau des rois. 74 Je vous tiens quitte de fournir un nouveau gâteau. Cf. le Villain et son filz Jacob, vers 50. 75 Il arrive devant la porte, avec sa femme. 76 Vacarme. Je reconstitue ce vers manquant d’après le vers 168. 77 BM : sage (à la rime.) La fête des Rois fait honneur aux Rois mages. 78 Une couronne. La synalèphe du verbe faire, qu’on retrouve à 181, est plutôt normande ; cf. le Savatier et Marguet, vers 92, 216 et 233. 79 BM : te (On remarquera qu’en cette fête des Rois mages, Marie est invoquée cinq fois, même si elle n’en sort pas grandie.) 80 BM : chasser (Je me lèverai avant que j’aille pisser. Ce grand enfant joue encore aux noix <vers 65>, mais il ne pisse plus au lit. Cependant, voir le vers 188.) 81 En attendant que je vous rende la pareille. 82 Au. Voir le Glossaire étymologique et comparatif du patois picard ancien et moderne, de Corblet. « Beuvez du meilleur, attendans que l’aultre amendera ; et ne chiez plus dorénavant ou lict. » Pantagruéline prognostication. 83 Quels devis, quel bavardage. 84 Déshabillé, juste vêtu d’une chemise longue. Les deux lits sont dans la pièce principale. 85 BM : oseroit on (On ne peut rien vous dire. « On ne vous ose dire rien ! » Adam Fier des Couilles, F 38 bis.) 86 Il ne s’appelle pas Jéninot pour rien. Les Picards <la Pippée, v. 580> et les Normands <le Clerc qui fut refusé, v. 86> prononcent « nian », en 1 syllabe. 87 « S’ung peu ne me donnez à boyre :/ J’en eusse ung peu meilleur mémoyre. » Trote-menu et Mirre-loret. 88 Par Dieu. « Ou nom du benoist Roy de gloire,/ Mon amy, donne-nous bon vin ! » Serre-porte. 89 L’auteur oublie que le mari vient de consommer du gâteau et du vin chez son voisin. 90 BM : recouert (Que j’ai récupéré dans la cuisine.) Notre piètre versificateur fait encore rimer le participe passé avec l’infinitif aux vers 54-5, 62-3, 286-7, 299-300. 91 Vous perdriez. Sur ce picardisme, voir la note 32. Normalement, dans les farces, le vin favorise la mémoire ; voir la note 87. 92 « Vous avez bon foye : Vous avez tort. » (Antoine Oudin.) Les ravages de l’alcool sur le foie n’étaient pas encore connus. 93 Un plein verre de vin. Cette graphie normande n’influe pas sur la prononciation. Cf. le Moral de Tout-le-monde, vers 26 et 131. 94 L’autre jour. « L’autre hier, j’avois une jument/ Qui cochonna [qui mit bas comme une truie] quinze thoreaux. » (Les Sotz nouveaulx.) Les Badins et les Sots côtoient un bestiaire fantastique dont on trouve d’innombrables représentations dans les enluminures marginales des manuscrits. 95 Que j’ois, que j’entends. Possible graphie picarde du normand « j’os ». 96 BM : nostre (Sur ce possessif affaibli, voir la note 34.) 97 Le dormeur se remémore un souvenir d’enfance. 98 Cela lui vient. « Il y a folies maintes…./ Tout procède de la cervelle. » La Folie des Gorriers. 99 BM : resue (Qu’il affabule, qu’il délire. « N’a-l’on point de honte/ De tellement nous avillier ?/ Cella me fait tout affabler. » Moralité de la Croix Faubin.) 100 Sale : les chèvres ont une odeur spéciale. 101 Laissera. 102 « Et ! paix, de par le dyable, paix !/ Vous resveillez le chat qui dort. » Les Sotz qui corrigent le Magnificat. 103 BM : delinge (Voilà un beau vacarme. « Tu orras tantost beau déluge ! » Éloy d’Amerval.) 104 BM : facheuse (Jéninot parle de l’homme et de la femme.) 105 Quel jeune insolent. C’est une formule péjorative : « Quel mignon ! Qu’il est vertmolu !/ Mais regardez ce fol testu ! » Le Prince et les deux Sotz. 106 Le matin, les serviteurs font tiédir la chemise de leur maître devant la cheminée. Cf. le Cuvier, vers 85-86. L’Épiphanie donne le départ du Carnaval, qui renverse toutes les valeurs : les maîtres servent alors les valets. On constate déjà cette inversion aux vers 143-4, 169, 183, 241, 247, 269, 333. Mais quand ce fantoche de Jéninot dit à son employeur « Il me semble que soyez fol » (v. 280), c’est vraiment le monde à l’envers ! 107 Le maître a promis au serviteur qu’il l’habillerait (v. 89), c’est-à-dire qu’il lui paierait ses vêtements. Jéninot, qui prend tout au pied de la lettre, a compris qu’on lui enfilerait ses habits. 108 BM : tes 109 En voilà une bien bonne ! Cf. le Faulconnier de ville, vers 249. 110 Semelles de bois qui isolent les chaussures du froid et de la boue. Un « Jénin Patin » est un benêt : cf. Légier d’Argent, vers 80. Un « claque-patins » est un jeune galant qui marche en faisant du bruit pour que les dames le remarquent. 111 BM : lralra (Les éditeurs anciens et modernes n’ont pas compris cette onomatopée qui reproduit le bruit des patins. « Tric trac, on traisne les patins. » Guillaume Coquillart.) 112 Ni ceci, ni cela : rien du tout. 113 Que je ne te frappe. « S’el [si ma femme] n’est latrée,/ Riens ne vail. » (Le Brigant et le Vilain.) BM ajoute ensuite des caractères inutiles et très défectueux : est r 114 Vers manquant. Jéninot invoque l’aide de sa mère au vers 217. Les Badins sont de grands enfants : voir la note 80. 115 BM : doncq abille abille (N’avez-vous jamais été assez habile pour cela ? « Chascun d’eux y est bien habille. » Maistre Doribus.) 116 Vers manquant. 117 Sans flageoler, sans perdre votre temps à des bavardages. C’est un mot normand : cf. Maistre Mimin estudiant, vers 107. 118 BM : tousbeau (Allez-y doucement.) On se demande si la femme, en enfilant ses chausses à Jéninot, ne vérifie pas manuellement s’il est aussi bien « envitaillé » qu’il s’est vanté de l’être au vers 54. 119 D’un contact désagréable. 120 Gracieux. 121 D’une femme mal torchée. Un proverbe plaignait le sort de cette pauvre femme : « Vous vous mocquez de la Barboüillée : Vous ne devez pas faire ce que vous faites. » Oudin. 122 Une tôtée : une tartine de pain grillé. Les Anglais en ont tiré le toast. 123 BM : mô maistre 124 On récite cette prière avant le repas. Ayant la reconnaissance du ventre, Jéninot veut même dire un Ave Maria, qui est totalement hors de propos. 125 BM : cheria (Le bouffon Brusquet déplorait d’être le « mary de la plus laide que le diable chia jamais ».) En Normandie, céans pouvait se prononcer « cian » en 1 syllabe : cf. le Savatier et Marguet, vers 179. 126 BM : de paler a 127 Avec adresse. 128 Gentement, avec noblesse. 129 C’est le nom des cathédrales d’Amiens, de Laon et de Rouen. 130 BM : mon ame (« Qui se moque d’ung sot, par m’âme ! » Mahuet.) 131 Il crie à sa monture les injonctions qu’on crie à un cheval. Hay = hue ! Dia = à gauche ! Là encore, Jéninot prend une expression au pied de la lettre : il veut « mener » sa patronne à la messe comme il menait sa jument au pré. 132 BM : la robbe (Il m’écrase le bas du dos.) 133 Il tape sur les fesses de Jéninot et, quand il vise trop bas, sur celles de sa femme. 134 BM : sarrez (Puisses-tu être serré : voir les vers 283-284.) Je comble ensuite une lacune d’après l’Antéchrist : « En male estraine/ Eusse-tu la fièvre quartaine ! » 135 BM : est (« Je ne sais où » s’explique parce que le jeune paysan, qui arrive de son village <v. 306>, n’a pas retenu le nom de la cathédrale.) 136 BM : noz iumans (Il ne pouvait monter que sur une seule jument à la fois.) 137 Chez (morphologie normanno-picarde). 138 Vers manquant. J’emprunte le vers 123 des Sobres Sotz : il annonce nos vers 336-7. 139 BM ajoute : a la messe 140 Vers manquant. Jéninot emploie faire paître au 1er degré, comme tout Badin qui se respecte ; mais au 2ème degré, cette locution veut dire tromper : « Que tu feroys bien les gens paistre ! » La Nourrisse et la Chambèrière. 141 Et si elle. Hay = hue, comme aux vers 290 et 291. 142 BM : ainsi 143 BM descend cette didascalie sous le vers suivant. 144 Vers manquant. Je recycle le « payez-moy » qui est de trop dans le vers précédent. Le valet du Sourd, son Varlet et l’Yverongne réclame lui aussi ses gages : « Payez-moy, et je m’en iray. » 145 Comme tu l’as mérité. 146 Ne l’épargnez pas plus que du plâtre : battez-le comme plâtre. Cf. le Cuvier, vers 138. 147 BM : vostre poyreau (« Mais bien vous galleray le dos ! » Godefroy.) BM ajoute sous ce vers : Sortez pour veoir 148 Novice. Cf. Messire Jehan, vers 128. 149 L’épervier est l’oiseau que les nobles utilisent pour la chasse ; le busard n’est bon qu’à attraper des poules. Le Badin des Veaux renverse comme il se doit ce proverbe : « On ne faict poinct d’un esprevier/ Un busart. » Les derniers vers s’adressent au public.
L’AVEUGLE ET SAUDRET
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L’AVEUGLE
ET SAUDRET
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Originellement, et étymologiquement, une farce est une préparation bien salée qui farcit un Mystère un peu trop sucré. Pour allécher le public, on truffait certains Mystères avec une ou deux farces : voir ma notice des Tyrans. Mais le Mistère de la Résurrection est farci d’un bout à l’autre par une farce coupée en sept tranches, de même que celui de saint Martin est farci par les deux tranches de l’Aveugle et le Boiteux. La sauce est tellement bien liée que chaque tranche rime au début avec le vers du Mystère qui précède, et à la fin avec celui qui suit. Pourtant, la farce n’est là que pour pimenter le Mystère, comme l’avoue le prologue de la seconde journée :
Aussi y sont, par intervalles,
Aucuns esbatemens et galles
D’un Aveugle et de son Varlet,
Qui guères ne servent au fait,
Si ce n’est pour vous resjouir
Et vos esperis rafreschir.
Cette farce dépourvue de titre met en scène un aveugle et son valet, comme beaucoup d’autres : voir la notice de l’Aveugle, son Varlet et une Tripière.
Le Mistère de la Résurrection fut joué en 1456 à Angers. Certains l’attribuent à Jean Du Prier, un des fournisseurs de théâtre du roi René d’Anjou, devant qui l’œuvre fut représentée. À défaut d’en être l’auteur, il pourrait être le remanieur de la version copiée dans le ms. BnF, qui fait preuve d’un instinct théâtral absent des deux autres sources : dans la farce qui nous intéresse, le remanieur ajoute des scènes comiques, et il gomme des argumentaires juridiques superflus. Enfin, il limite à 50 vers une chanson interminable, et il en remplace une autre, encore plus fastidieuse, par un air à la mode laissé au libre choix des comédiens.
La farce est un peu longue (1 315 vers sur 20 000), mais pas inintéressante : l’auteur, doté d’un humour féroce, nous fait partager la vie des musiciens de rues et des vendeurs de chansons, d’autant plus méconnue que les musicologues ignorent cette source.
Il est longuement question d’un jeu d’enfants, le broche-en-cul : les deux adversaires, courbés, ont les poignets liés à leurs chevilles. Munis d’une broche [d’un bâton], ils doivent piquer le cul si bien exposé de l’autre joueur. Un aveugle est également victime de ce jeu dans l’Aveugle, sa Chambèrière et son Varlet (ou farce de Goguelu, F 45) :
–Advisée me suis d’ung desduit
Auquel le fault faire jouer.
–Quel déduyt c’est ?
–À broche-en-cul.
Luy et moy, par mains et par piedz
Serons en tel façon liéz,
Et aurons entre nos deux mains
Chascun sa broche, c’est du moins.
Tu nous lieras, note cela,
Mais mon lien se deslira,
Non pas le sien, entens-tu bien ?
Son cul je luy rebrasseray,
Et de verges le froteray.
On attache les mains de l’aveugle à ses chevilles afin qu’il soit courbé :
Vous me liez par trop estroit !
Le feu saint Anthoine vous arde
Dont vous m’avez si fort courbé !
Le valet modifie sa voix :
Ma parolle contreferay….
Si bien, ennuit, je ne vous touche,
Je vueil estre sans eaue tondu !
Hau ! jouez-vous à broche-en-cu ?
Le jeu bien cher vous coustera.
L’aveugle a beau être armé d’une broche pour piquer les fesses de sa rivale, cette dernière le renverse : « Vous estes à bas, / J’ay gaigné. » Et revoilà « le Varlet, en faignant sa voix et en lui troussant le cul et en frappant ». Comme il est de tradition, l’aveugle se conchie : « Je chie sus et jus, / Tout partout, devant et derrière. » Les antagonistes se rabibochent « au son de la vielle / Pour dire une chanson nouvelle ». L’auteur de cette farce emprunte beaucoup d’éléments à l’Aveugle et Saudret.
Sources : Mistère de la Résurrection Nostre Seigneur. Ms. fr. 972 de la Bibliothèque nationale de France, copié en 1491. — Manuscrit 615 (632) du Musée Condé de Chantilly, copié avant celui de la BnF. — Antoine Vérard a publié vers 1492 une édition qui attribue faussement le Mystère et la farce à Jehan Michel. Dans son édition intégrale du Mystère (et donc de la farce), Pierre Servet1 s’appuie sur le ms. de Chantilly. Je m’appuierai sur celui de la BnF : la farce y est plus percutante que dans les deux autres versions, que j’utilise pour corriger les fautes, rajouter les vers manquants, et moderniser certaines graphies pour ne pas trop abuser des notes de traduction. Tout ce qu’on va lire provient d’une de ces trois sources, à part les rares choses que j’ai mises entre [ ].
Structure : Rimes plates, deux chansons en dizains, un triolet final.
Cette édition : Cliquer sur Préface. (Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.) Mon but est de faire découvrir aux amateurs de farces une pièce drôle, enfin débarrassée de la gangue qui nuisait à sa lecture. Vu le nombre élevé des notes explicatives, j’ai dû renoncer à mettre en plus un relevé des variantes, sauf lorsque j’introduis une correction personnelle ; les curieux se reporteront à l’édition exhaustive de Pierre Servet.
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[ SAUDRET TOUT-LUY-FAULT, varlet
L’AVEUGLE Gallebois
LE MESSAGIER
L’APOTICAIRE
LE VARLET DU TAVERNIER, ou de l’Oste
L’OSTE ]
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SAUDRET SCÈNE I
J’ay jà cheminé plus d’ung an,
Et suis tant las que plus n’en puis.
[Ce] non obstant, bien près je suis
D’une assez godine[tte]2 ville.
5 Ores, je n’ay ne croix ne pille3,
Qui est ung bon commancement
D’estre logé bien pouvrement :
Car tous houstes4, par droit usaige,
Si ayment mieulx argent que gaige.
10 Or, je n’ay gaige ne argent.
Si fault que je soie diligent
D’aller cercher aucun aveugle5
Qui me donnera quelque meuble6
Pour le conduire bien et bel.
.
L’AVEUGLE SCÈNE II
15 Une aumosne à ce povre orbel7
Qui ne voit goutte, bonne gent !
Donnez-lui ou pain ou argent,
Pour l’amour du Dieu de nature !
Car trop est povre créature,
20 Qui point conduire ne se voit.
Je vy que mon corps se savoit
Chevir8, au temps de ma jeunesse ;
Mais par maladie et vieillesse,
Je suis aveugle devenu.
25 Et si, [je] suis au point venu
Que je ne sauroie gaigner maille9.
Et, pour Dieu ! qu(e) aucun se travaille10
D’aucun bon varlet me trouver,
Pour moy mener et ramener
30 Nous pourchacer11. Tous deux ensemble,
Nous trouvassions (comme il me semble)
Trèsbien à boire et à mangier,
Et à chauffer, et à loger
Ainsi comme les autres font,
35 Qui par pays viennent et vont
Pour quérir leur povre de vie12.
Par ma foy ! j’auroie grant envie
D’en avoir ung sans nul deffault.
.
SAUDRET 13 SCÈNE III
Voilà trèstout quant qu’il14 me fault,
40 Car c’est à tel sainct, tel offrende15.
Vers luy m’en vais sans plus d’actende16,
Incontinent, je vous affie.
Eat, et dicat ceco : 17
Mon amy, avez-vous envie SCÈNE IV
D’un bon varlet ?
L’AVEUGLE
Ouÿ, pour voir18 !
SAUDRET
45 Se vous en voulez ung avoir,
Je suis content de vous servir.
L’AVEUGLE
Et je le vueil bien desservir19
Sur ce que nous pourrons gaigner.
SAUDRET
À peu parler, bien besongner20 :
50 Que me donrez-vous pour ung an ?
Et je vous menray, mèsouan21,
D’huys en huys et de place en place ;
Et feray si bien la grimace,
Et le povre, et le marmiteux22,
55 Que ceulx seront bien despiteux23
Qui ne nous donront quelque chose.
J’ay servy de varlet grant pose24
L’omme qui fut aveugle né,
Que Jésus a enluminé25,
60 Le saint et glorieux prophète.
Vostre chose sera bien faicte,
Si je m’en mesle : je m’en vant26 !
L’AVEUGLE
Je te demande, mon enfant,
Si tu scez lire ne escripre.
SAUDRET
65 Ouy dea, en papier ou en cire27
Selon mon estat28, sans faillir.
L’AVEUGLE
Se tu me veulx doncques servir,
Je vueil bien que ton maistre soie
Pour ung an, et que je te paie
70 Salaire bon et compétent29.
Mais cependant, vois-tu, j’entent
Que tu escriras des chançons
Qu’entre toy et moy chanterons,
De quoy nous aurons de l’argent30.
75 Cent solz31 auras.
SAUDRET
J’en suis content.
Mais vous me querrez32 ma vesture
Et pareillement ma chaussure ;
Et si, paierez tous mes despens.
L’AVEUGLE
Si les as comme moy33 le temps
80 De ton service, il doit suffire.
Car je ne suis, pour brief te dire,
Pas de mieulx te faire conclus34.
SAUDRET
Aussi n’en demandé-je plus.
Touchez cy35, vous estes mon maistre !
85 Je sauray aussi bien mon estre36,
Mon maintien et mon entregent
Pour truander37 pain et argent,
De la soupe et de la cuisine,
Et de bon vin pinte ou chopine,
90 Ou ung voirre38 tout à la foiz,
Comme homme que je vy jamais39.
Et si, me sauray bien enquerre
Où nous devrons herberge querre40 ;
Et, quant deux festes41 en ung jour
95 Seront, où sera la meillour
Pour y estre plus à nostre aise.
Mais en cas qu’il ne vous desplaise42,
Maistre, comment avez-vous nom ?
L’AVEUGLE
Ne le scays-tu pas43 ?
SAUDRET
Certes non :
100 Je ne le demanderoye mie.
L’AVEUGLE
J’ay nom Gallebois44, je t’affie.
Et toy, comment ?
SAUDRET
J’ay nom Saudret,
Qui fuz sevré ung poy45 tendret.
Et en mon surnom46, Tout-luy-fault.
105 Mon père avoit nom Rien-ne-vault,
Et ma mère Mal-assenée47,
Qui fut fille Lasche-journée48.
Et mon parrain, sans contredit,
Si avoit nom Gaingne-petit,
110 Ainsi que le disoit ma mère.
L’AVEUGLE
Foy que doy l’âme de mon père !
Je suis joyeux de ce marché.
SAUDRET
Vous avez bien à point marché49,
Pour recouvrer tel[l]e adventure ;
115 Car je suis, je le vous assure,
Bien propice pour vous mener.
Maistre, allons-nous-en desjeuner.
Puis nous en irons, comme saiges,
Par pays quérir nos avantages.
120 Il est temps de nous pourchasser.
L’AVEUGLE
Tu dis vray : il y fault chasser
Afin de gaigner de l’argent.
Mais je te pry, soies diligent
De recorder que tu diras50.
SAUDRET
125 À cella ne fauldray-je pas,
Car vostre raison est bien bonne :
« Bonnes gens, faictes vostre aumosne
À cestuy pouvre, ou51 nom de Dieu,
Qui ne voit en place ne lieu,
130 Ne ne vit onc soleil ne lune !
Que sainct Anthoine si l’alume52,
Et ceulx qui du bien luy feront ! »
L’AVEUGLE
Par ainsi, ilz nous donneront
Pain ou vin, ou de la pitance.
*
L’AVEUGLE 53 SCÈNE V
135 Saudret !
SAUDRET
Hau !
L’AVEUGLE
Quel « hau54 » ? Mais ung bel
Estront emmy55 vostre visage !
Tu deusses, se tu fusses saige,
Respondre : « Monseigneur mon Maistre. »
SAUDRET
Mais ung gibet et ung chevestre56
140 À vous pendre ! Et ! qui estes-vous57 ?
Ce n’est pas à ung tel poilloux58
Que je dois « Monseigneur » respondre.
L’en me puisse sans eaue tondre59
Si je vous dy jà « Monseigneur » !
145 Ce ne me feroit point d’onneur
D’y appeller ung tel truant60.
L’AVEUGLE
« Truant » ? Paillard !
SAUDRET
Mais vous, puant
Vilain remply de punaisie61 !
L’AVEUGLE
Par celuy Dieu qui ne fault mye62 !
150 Tu as mauvaisement menti !
SAUDRET
Et qu’est-ce donc que j’ay senti ?
Vous puez comme ung viel souyn63.
L’AVEUGLE
Ne me dy touyn ne mouyn64,
Saudret, et je le te conseille :
155 Car si j’ay la puce en l’oreille65,
Je te monstreray qui je suy
À tes despens.
SAUDRET
Et je dy : fy
De vous et de vostre puissance !
Je vous pourroie faire nuysance
160 Plus que vous à moy mille fois.
Vous avez à nom Gallebois,
Qui ne sauriez [seul] vous conduire ;
Et moy Saudret, qui m’en puis fuire
Et vous laisser, se bon me semble.
165 Ou, tant que nous sommes ensemble,
Vous tromper, ou tuer, ou batre.
N’est-il pas vray ?
L’AVEUGLE
Sans plus débatre,
Je conseille, comment qu’il voise66,
Que nous ne facions plus de noise ;
170 Et que, quant je t’appelleray,
Tu me respondes sans délay
En disant : « Que vous plaist, mon Maistre ? »
Car tu sçays bien que je doy estre
De toy appellé Maistre ou rien.
SAUDRET
175 Et, dea ! « Mon maistre » vueil-je bien
Vous respondre et vous appeller ;
Mais de me vouloir compeller67
Par maistrise à vous seigneurir68,
J’aymeroie mieux vous veoir mourir,
180 Car il n’y a point de raison !
L’AVEUGLE
Or je te prye, Saudret, faison
Icy ung bon appointement69
Par lequel nostre accointement70
S’entretienne, et nostre alliance.
185 Ouquel cas, j’ay en toy fiance71
D’avoir des biens, mon amy doulx.
SAUDRET
Quel appointement voulez-vous
Que façons ? Or le blasonnez72.
L’AVEUGLE
Que tous mautalens73 pardonnés
190 Soient. Entens-tu, mon enfanson ?
Et que chantons une chanson
Par accord, afin qu’on nous donne
Or ou argent, ou autre aumosne
De quoy nous nous puissons chevir.
SAUDRET
195 Je ne vis oncques advenir
Qu’à mon autre maistre74 on donnast
Or, pour sermon qu’il sermonnast,
Ne pour hault crier, ne pour braire.
Mais je suis bien content de faire
200 – Soit en chantant, ou en criant,
Ou en plaignant, ou en priant –
Nostre proffit à toutes hertes75
Le mieulx que je pourray. Mais certes,
Qui pourra, si boive ou mangusse76 :
205 Car qui a de l’or, si le musse77
Plustost que le donner pour Dieu78.
L’AVEUGLE
Or chantons doncques en ce lieu,
Et puis questerons de l’argent.
GALLEBOIS et SAUDRET chantent une chanson.79
Or faictes paix, ma bonne gent,
210 Et vous orrez 80 présentement
Une chanson nouvelle
Des biens qu’on a communément
En mariage. Vrayement,
C’est chose bonne et belle.
215 Ce ne sont point motz controuvés 81
Ne plains de menterie,
Mais sont certains et esprouvés,
Je le vous certifie !
.
Quant homme vient en sa maison,
220 Tost ou tard, en quelque saison,
Sa femme l’uys luy euvre 82.
Et s’on luy a fait desraison,
Elle l’oste de marrisson 83
Et le couche, et le ceuvre 84.
225 Le feu luy fait, et puis luy cuyt
La belle poire molle.
Joygnant de luy 85, se met au lit
Et le baise, et l’acolle.
.
Après, ses jambes met en croix
230 Sous 86 son mary, comme je croix,
Et puis si l’admonneste
De faire dresser le « harnoys 87 »
Pour faire sonner le hault boys 88
Et luy faire la chosète 89.
235 Les trippes lave et fait boudins,
Le beurre et le fromaige.
Poullaille nourrist, et poussins,
Et oiseletz en caige 90.
.
Le lit despièce 91 et le refait.
240 Son mary deschausse et deffait 92,
S’il est yvre ou malade.
Et pour le baigner, de l’eau trait 93.
Et de folie le retrait,
Et luy est douce et sade 94.
245 Quant il se couche le premier,
Elle tient la chandelle ;
Et puis après, le va baiser,
Et son « amy » l’appelle 95.
.
Ses petis enfans luy nourrit 96,
250 Dont se l’un pleure, l’autre rit,
L’autre l’acolle ou baise.
Et s’il advient qu’il se marrit
De rien 97 qu’on luy ait fait ou dit,
Sa femme le rapaise.
255 Moult vault femme, en fais et en ditz,
Soit riche, basse ou haulte.
Mariez-vous, grans et petis :
Si verrez si c’est faulte.
Cy finist la chançon.
L’AVEUGLE 98
Il n’a icy femme si caute99,
260 Pour soy de bien en mieulx muer100,
Qui ne deust trèsbien désirer
À en avoir une copie101
Que je donne, je vous affie,
Pour ung grant blanc102 sans point d’usure.
SAUDRET
265 Avant103 ! Galans qui l’aventure
Voulez prendre à vous marier,
Vous ne povez mieulx charrier104
Qu’à femme avoir qui vueille faire
Ce que ceste chanson déclaire105
270 Des biens qui sont en mariages.
Prenez-en, si ferez que saiges106.
Si saurez quelz biens il en vient.
.
LE MESSAGIER 107 SCÈNE VI
Certainement il me convient
De vostre chanson acheter
275 Plusieurs coppies pour porter
Avecques moy et les revendre.
Car moult de gens si veulent tendre108,
Par où je passe, à s’enquérir
D’où je viens, et me requérir
280 Que je leur die des nouvelles.
Mais je leur en diray de belles
En leur lisant ceste chanson !
Or me respondez sans tençon109 :
Combien me coustera le cent110 ?
L’AVEUGLE
285 Je vous en vendray, à présent,
Ung cent pour dix deniers la pièce.
LE MESSAGIER
Je prie à Dieu qu’il me meschesse111
Si ce n’est ung trèsbon marché !
Si j’eusse par ailleurs marché112,
290 Pas n’eusse ouÿ si bonne chose.
SAUDRET
Par l’âme qui en moy repose !
Mon amy, vous devez savoir
Qu’il nous fault chanter pour avoir
Nostre povre meschante vie.
LE MESSAGER
295 C’est bien fait, je vous certifie.
Baillez çà ! Vécy vostre argent.
Je pense que beaucoup de gent
La vouldront voulentiers apprendre.
Mais on me puist par le col pendre
300 S’ilz en ont de moy, soir ne main113,
Mot114, que n’en soie avant la main115
Payé de plus que je n’en paye.
Tenez !
Nuncius [le Messager] baille argent à Saudret.
L’AVEUGLE
Vise bien la monnoye,
Saudret, qu’il n’y ait rien mauvais116.
SAUDRET
305 Mon maistre, savoir je vous fais
Que tout est bon, n’en doubtez mye.
Saudret baille l’argent à l’Aveugle.
L’AVEUGLE
Beau sire, se Dieu vous bégnye,
De nouveau me direz-vous rien117 ?
LE MESSAGIER
Je ne sçay se vous savez bien
310 La mort de Jésus le prophète,
Dont l’exécucion fut faicte
Au jour d’ier au mont de Calvaire.
L’AVEUGLE
Hélas ! Et qui a ce fait faire ?
Ç’a esté ung cas merveilleux118 !
LE MESSAGIER
315 Trop en parler est périlleux,
Car noz princes de la Loy haient
Ceulx qui en parlent et y croient.
Mais je vous dy bien, si j’estoie
Comme vous estes119, que g’iroye
320 À son sépulcre vitement
Pour luy supplier humblement
Qu’il luy pleust moy enluminer.
Et vers luy me feroie mener.
L’Aveugle-né, quant il vivoit120,
325 Il enlumina, tant qu’il voit
Aussi cler comme homme vivant.
Se vous y allez, je me vant
Qu’il vous rendra le luminaire121.
L’AVEUGLE
Où est son sépulcre ?
LE MESSAGIER
En Calvaire,
330 Qui est dehors ceste cité.
L’AVEUGLE
G’iray doncques, en vérité.
Adieu vous dy, et vous mercie !
LE MESSAGIER
À Dieu donc !
.
SAUDRET SCÈNE VII
Maistre, je vous prye
Qu(e) aillons [tost] quester de l’argent.
*
L’AVEUGLE SCÈNE VIII
335 Saudret ! Meyne-moy sans tarder,
Présentement, à ce tombeau
Où ce prophète bon et beau,
Jhésus, si est ensevely.
SAUDRET
Il puisse mescheoir à celuy
340 Qui vous y menra que je soie122,
Si je n’ay de vostre monnoye
Paiement comptant, et si plainier123
Qu’il ne s’en faille124 ung seul denier
De ce que j’ay gaigné o125 vous !
L’AVEUGLE
345 Tu le seras, mon amy doulx,
Quant nous en serons retournés126.
SAUDRET
Par ma Loy127 ! vous me pardonrez.
Car bien me souvient que mon maistre
Avecques qui je souloye estre,
350 L’Aveugle-né, tant me cria
« Pour Dieu, mercy ! » et me pria,
Qu’à Jésus fust par moy mené.
Mais quant il l’eut enluminé128
Et que je voulu[s] mon salaire
355 De lui avoir, j’avoye beau braire
Et crier, et siffler à baude129 :
Dieu sçait qu’il la me bailla chaude130 !
Car il ne me prisa plus rien,
Ne ne paya. Pour ce, vueil bien
360 Que vous sachez sans nulle faille
Qu’il ne s’en fauldra une maille131
Du sallaire que me devez,
Se g’y voys132. Car quoy ! Vous savez
Qu’il vault mieulx croire que mescroire133.
365 C’est grant péril du sien acroire134
Quant l’en peut bien estre payé.
Je n’en seray jamais rayé135
Comme je fus à l’autre fois.
L’AVEUGLE
Saudret, promesse je te fais
370 Sur mon honneur et mon serment
Que tu seras entièrement
Paié de moy, au retourner136.
SAUDRET
Vous povez assez flagorner137,
Car vous perdez vostre langage.
375 Je seray ung petit138 plus sage
Qu’à l’autre foiz, je m’en fais fort.
L’AVEUGLE
Je m’oblige et te fais transport139
De trèstout quant que j’ay vaillant140,
Si je suis sans plus deffaillant141
380 Par une nuyt ou par ung jour
De toy payer à mon retour.
C’est bien raison que je te poye142.
SAUDRET
Cuidez-vous que je vous en croye ?
Nenny, par la Loy que je tien !
385 On dit que trop mieux vault ung tien
Que ne font deux fois tu l’auras.
L’AVEUGLE
Je te prometz que tu seras
Payé content143, je te dy bien.
SAUDRET
Par ma foy ! je n’en feray rien.
390 Il ne s’en fault jà esmoyer144.
Vous avez bien de quoy paier,
Car icy receu vous avez
Grant argent (comme vous savez)
Qui vous vient de mon industrie145.
395 Je dy fy de vostre maistrie146,
Si je ne suis payé au mains147
Du labeur qui vient de mes mains148.
Et croyez que je le seray,
Ou jà ne vous y mèneray.
400 Je ne seray jà si meschant149.
L’AVEUGLE
Entens, Saudret…
SAUDRET
Hau ! quel marchant !
Vous ne croyez ne Dieu, ne homme.
Je seray payé (c’est la somme)
Du tout ains que j’en bouge jà150.
L’AVEUGLE
405 Puisqu’ainsi le fault faire, or çà !
Avisons combien je te doy[s].
SAUDRET
Quarante solz, [au denier près]151,
Vous me devez tout justement.
L’AVEUGLE
Non fais !
SAUDRET
Si faictes, vrayement.
410 Tant en auray ains que j’en bouge.
Pas n’estes encor assez rouge152
Pour ung denier m’en mescompter153.
L’AVEUGLE
Or avant ! Je les vays compter
Et te payer, puisqu’ainsi est.
Cecus computet pecuniam, et
tradat Saudret, dicendo ei : 154
415 Tien ! Et me meyne sans arrest155
Où je t’ay dit, et sans tarder.
SAUDRET
À ce coup vous vueil-je mener
Où il vous plaira, n’en doubtez.
Et guérissez si vous povez ;
420 Ou si non, il ne m’en chault guière.
L’AVEUGLE
Or allons par bonne manière156 !
N’y sçais-tu pas bien le chemin ?
SAUDRET
Que says-je donc ?
L’AVEUGLE
Mon amy fin,
Saches que se tu me sers bien,
425 Tu auras encore du bien
Par mon moyen, de quelque part.
SAUDRET
Dieux ! que vous estes grant flatart !
Je vous congnois comme pain tendre.
Allons ! Dieu nous vueille deffendre
430 De tout mal et de tout péril !
L’AVEUGLE
Amen, Saudret, ainsi soit-il !
Et me vueille ma clarté157 rendre !
Icy, l’Aveugle et son Varlet s’en vont droit au sépulchre.
Et quant ilz se approuchent dudit tombeau, Sauldret
voit les gardes du tombeau et dit :
SAUDRET
Maistre !
L’AVEUGLE
Quoy ?
SAUDRET
Il nous fault deffendre
Ou fouÿr158, ou nous sommes mors !
L’AVEUGLE
435 Hélas ! pourquoy ?
SAUDRET
Autour du corps
Sont gens armés de pié en cappe159.
L’AVEUGLE
N’allons point en lieu où l’en frappe,
Je te requiers !
SAUDRET
Fuyez, fuyez !
Et si vous povez, vous sauvez !
440 Ou sinon, vous estes perdu.
Car je suys si très esperdu
Que je n’y voy remède[s] nulz
Sinon de faire ung vidimus
À la Mort160. Bénédicité !
445 Venez tost ou, en vérité,
Je vous lerray en l’escrémye161.
L’AVEUGLE
Et ! pour Dieu, ne me laisse mye !
Saudret, je te requier mercy !
SAUDRET
Fuyons-nous-en tantost par cy !
450 Courez tost sans faire délay !
Ou, certes, je vous planteray,
Mais ce sera pour reverdir162.
L’AVEUGLE
Tu me fais tout le cueur frédir163.
Regarde s’ilz nous suivent point,
455 Et se tu verras lieu ne point
Pour nous musser ou nous ruser164.
SAUDRET
Me cuidez-vous cy amuser
À regarder derrière moy ?
Trotez, ou – foy que je vous doy –
460 Je vous lerray pour mieulx165 courir.
L’AVEUGLE
Hé ! Dieu nous vueille secourir !
Nous suivent-ilz ?
SAUDRET
Las ! je ne sçay.
Venez tost, ou je vous lerray,
Par la Loy que je tien de Dieu !
465 A, dea ! il n’y a point de jeu,
D’estre icy tué maintenant.
Ce sont Anglois166 certainement,
Qui nous tueront, soit droit ou tort167.
Saudret mutet vocem et dicat adhuc : 168
À mort, à mort ! Vous futy169 mort !
470 Sainct Georg(e)170 ! Vous demourity cy !
Saudret loquatur suam primam vocem : 171
Las, messeigneurs ! Et ! qu’est-ce cy ?
Voulez-vous tuer ce pouvre homme
Qui s’en vient tout fin droit de Romme
Pour impétrer ung grant pardon172 ?
L’AVEUGLE
475 Las ! je vous requiers en pur don
Que me laissez, soit bel ou lait173 !
SAUDRET mutet iterum vocem, et dicat :
Par sainct Trignan174 ! Vostre varlet
Et vous, mourity sans délay !
Loquatur Saudret suam primam vocem.
Las ! mon maistre, deffendez-moy,
480 Ou je mourray sans plus actendre !
L’AVEUGLE
Las ! Monseigneur, vueillez nous prandre
À rençon, je le vous requier.
Je vous donray sans varier
Dyx beaux solz, je vous certiffy !
SAUDRET mutet suam vocem :
485 Donne dix solz ? Et ! où suty175 ?
Monstre-les-my sans plus resver176 !
L’AVEUGLE 177
Vez-les là, sans plus babiller ;
Et vous suffise de les prandre.
SAUDRET mutet vocem suam :
Bien gardyty-vous de mesprandre !
490 Bigot ! [Bru]lare178 ! Adieu vous dy !
L’AVEUGLE
Sang bieu ! je suis tout estourdy.
Le diable y ait part, en la guerre !
Ce sont des archiers d’Angleterre
Qui nous ont ainsi ravallés.
SAULDRET
495 [Encore y]179 vouliez-vous aller !
Mais nous l’avons eschappé belle.
Cheminons par ceste sentelle180,
C’est le meilleur, pour maintenant.
L’AVEUGLE
Hélas ! Saudret, mon doulx enfant,
500 Et mon seigneur, et mon amy :
Ne me laisse point (las, hémy181 !),
Et vous ne perdrez pas ta peine182.
Car je suis à la grosse alaine183,
Et tout conchié de paour184.
SAUDRET
505 Ha ! fy ! Je ne sens que puour185.
Chié avez, à Dieu l’affy186 !
Fy, de par le grant diable, fy !
Ce n’est que merde que de vous.
Sang bieu ! s’ilz viennent après nous,
510 Ilz nous trouveront à la trace.
L’AVEUGLE
Arrestons-nous en ceste place
Pour savoir s’ilz viennent ou non.
Tu ne vois rien ?
SAUDRET
Ce ne fais mon187.
Je croi que nous n’avons plus garde188.
L’AVEUGLE
515 Il est bien gardé, qui189 Dieu garde.
Dieu soit loué de l’eschappée !
Je n’euz oncques si grant vésée190
De paour comme à ceste fois.
SAUDRET
Certes, mon maistre Gallebois,
520 Vous courez bien pesantement.
*
SAUDRET 191 SCÈNE IX
Si vous voulez que plus vous meyne,
Mon maistre, [or] il me convient boire.
L’AVEUGLE
Boire192, mon enfant ?
SAUDRET
Certes, voire.
Qui eust193 ung morcellet d’andoille
525 Et de bon vin friant qui moille194,
G’y entendisse195 voulentiers !
L’AVEUGLE
Saudret !
SAUDRET
Quoy196 ?
L’AVEUGLE
Quel « quoy » ?
SAUDRET
Quelz pannyers197 ?
L’AVEUGLE
Où sommes-nous198 !
SAUDRET
Icy endroit.
L’AVEUGLE
Certes, Saudret, il conviendroit
530 Désormais « Monseigneur » respondre.
SAUDRET
Le grant diable puisse confondre
Qui « Monseigneur » vous respondra !
L’AVEUGLE
Certainement il le fauldra,
Garçon paillart, vueillez ou non !
SAUDRET
535 Par mon serment ! ne199 fauldra mon.
Ce say-je bien, quant est de moy.
L’AVEUGLE
Or me respons cause pourquoy,
Veu que je suis homme de bien.
SAUDRET
Vous estes ung estron de chien
540 Au milieu de vostre gargate200 !
L’AVEUGLE
Or te tais, que je ne te bate,
Saudret ! Et je le te conseille !
SAUDRET
Vous feriez, ce croy-je, merveille
De ruer, qui vous lairoit faire201 !
L’AVEUGLE
545 Ne parle point de mon affaire
Sinon en bien et en honneur,
Car je suis assez grant seigneur
Pour toy, je vueil que tu le saches.
SAUDRET
C’est bien dit ! « Rechassez202 ces vaches,
550 Puisque Monseigneur le commande ! »
L’AVEUGLE
Vien çà, Saudret : je te demande
Pourquoy ne m(e) honnoreras-tu ?
Si feras, ou seras batu,
Par le grant Dieu, jusqu’au mourir !
SAUDRET
555 S’il vous meschiet de me férir203,
Je vous ferray, soit bel ou let !
L’AVEUGLE
Puisque tu n’es que mon varlet,
Tu me dois faire révérence.
SAUDRET
Et je vous dis en la présence204
560 Que je ne vous en feray rien.
L’AVEUGLE
Se tu fusses homme de bien,
Tu ne te feisses pas prier
De le faire.
SAUDRET
Allez vous chier205,
Et chauffer, et boire de l’eau !
565 Je ne donne pas ung naveau206
De vous ne de vostre « maistrie207 » !
L’AVEUGLE
Or vien çzà, Saudret, je te prie.
Appelle-moy au moins ton Maistre,
Car par raison je le doy estre,
570 Puisque je te donne sallaire.
SAUDRET
A, dea ! Cela vueil-je bien faire ;
Pour « mon maistre » vous appeler,
Je ne m’y vueil point rebeller.
Mais estes ung parfait vilain208 :
575 Pas n’estes digne, pour certain,
Que je vous appelle « mon maistre ».
L’AVEUGLE
Par celluy Dieu qui me fist naistre !
Gars truant209, paillart ! Vous mentez !
SAUDRET
Mais vous, faulx vilain redoublés210,
580 Vilain remply de vilennie !
L’AVEUGLE
L’as-tu dit ?
SAUDRET
Oÿ.
L’AVEUGLE
Je regnye
Trèstout le sang de mon lignaige
Si je ne t’en gecte mon gaige211
En disant que tu as menty,
585 Non pas moy !
SAUDRET
Qu’avez-vous senty212,
De vouloir maintenant combatre ?
Ha ! se vous y voulez esbatre,
Le corps de moy vous actendra213.
L’AVEUGLE
Gars paillart, on vous aprendra
590 De parler ainsi à ton Maistre !
Mieulx te vaulsist214 loing d’icy estre
Qu’en telz parolles habonder215 !
SAUDRET
Et sur quoy vouldriez-vous fonder
Vostre cas et vostre querelle ?
L’AVEUGLE
595 La plaincte que je faiz est telle
Contre toy, en disant vraiment
Que tu as menty faulsement
De m’avoir appellé « vilain ».
Et te combatray main à main,
600 Si tu ne t’en desdiz sans faille.
Et sur ce, je t’en gecte et baille
Mon gaige comme faulx et traïstre !
SAUDRET 216
Et je le liève sur ce tiltre
En disant que j’ay bonne cause.
605 Mais dictes-moy sans plus de pause,
Puisqu’il fault que nous combatons,
Quelles armes et quielx bastons
Voulez avoir pour cest affaire.
Car quant de moy217, g’y pense faire
610 Mon devoir, selon mon endroit218.
L’AVEUGLE
Je suis content en champ estroit219,
Que l’on appelle « broche-en-cul220 ».
Mais je ne sçay s’il y a nul
Homme qui bien nous habillast
615 Et liast, et aussi jugeast
De noz coups et de nostre guerre.
SAUDRET
Taisez-vous, je vous en vais querre
Ung qui bien nous habillera ;
Tout le premier qui passera
620 Par icy en fera l’office.
Demourez cy tant que j’en puisse
Trouver ung… Holà, mon amy !!
Icy faint Saudret sa voix, et s’appelle
FICTUS 221
Que vous plaist-il ?
SAUDRET, en sa voix
Venez à my222,
S’il vous plaist, et je vous en prie !
625 Fine223 fleur de chevallerie,
Vous me semblez homme de bien.
L’AVEUGLE
Voire, pour Dieu !
FICTUS
Je le vueil bien.
Que voulez-vous que je vous face ?
L’AVEUGLE
Mon chier amy, sans longue espace
630 Le vous diray. Vécy le cas :
Nous avons eu aucuns débas,
Mon varlet (qui cy est) et moy.
Et par oultraige, en grant desroy224,
M’a dit injure et desmenti225
635 Sans s’en estre oncques repenti.
Et qui pis est, m’a appellé
« Vilain », tant qu’il m’a compellé
Gecter mon gaige à le combatre
(Afin du grant orgueil abatre
640 De quoy le ribault se vantoit)
En luy respondant qu’il mentoit ;
Et lequel gaige il a levé.
Sur quoy, nous avons accepté
De combatre à ung jeu notable
645 De champ estroit sur une table226,
Mais qu’il y eust227 qui nous liast
Et jugeast, et nous desliast
Sans fallace ne tromperie.
Pour ce, chier amy, je vous prie
650 Que nous y gardez loyaulté.
FICTUS
Je vous promet[z] que féauté228
G’y garderay de tous costés.
Mais il fauldra que vous ostez
Le mantel et la symphonie229.
L’AVEUGLE
655 Je le vueil, se Dieu me bénie !
FICTUS
Or çà, varlet ! Est-il ainsi
Comme cest homme a dit icy ?
SAUDRET
Il vous a bien compté230 son droit.
FICTUS
Comment avez-vous nom ?
SAUDRET
Saudret.
FICTUS
660 Et vous, mon amy ?
L’AVEUGLE
Galleboys.
FICTUS
Or bien, tantost à vous je vois,
Mais que j’aye lié ce varlet.
SAUDRET
Amy, je vous diray qu’il est231 :
Liez-moy bien courtoisement232,
665 Je vous en pry ; ou autrement,
Vous orrez qu’il en ystra noise233.
L’AVEUGLE
Liez-le bien, comment qu’il voise,
Sans luy donner point d’avantaige.
FICTUS
Certes, Gallebois, si feray-je ;
670 Il n’y aura point de faveur.
L’AVEUGLE
Je n’auray point de déshonneur,
Ce croy-je, pour ceste journée.
Car oncques César ne Pompée
Ne se monstrèrent plus vaillans
675 (Se mes sens ne sont deffaillans)
Que je seray, ce m’est advis.
SAUDRET
Ha ! je vous promet[z] et plévis234
Que je suis durement estraint235.
FICTUS
Mais escoutez comment il jaint !
680 Croyez qu’il est bien enserré.
SAUDRET
J’aymeroye mieulx estre enterré
Qu’estre longuement en ce point.
L’AVEUGLE
Croy que je ne te fauldray point236.
Il vous vaulsist mieux toy desdire
685 De ce que tu m’as osé dire
Vilennie, à237 mon desplaisir ;
Car j’ameroie autant mourir
Comme t’en laisser impugni !
FICTUS
Demandes-tu plus rien ?
SAUDRET
Nenny.
690 Je suis habillié et lié.
L’AVEUGLE
Avant ! T’es-tu humilié ?
Te repens-tu de l’entreprise ?
SAUDRET
Si je ne l’avoie entreprise,
Croyez que je l’entreprendroie
695 À mon honneur ; et apprendroie
À vous, mon maistre Gallebois,
De bien vous garder, autres fois,
D’esmouvoir guerre ne débat.
L’AVEUGLE
(Je le serviray au rabat238,
700 Mais que je le puisse tenir.)
FICTUS
Or çà ! Dieu y puisse advenir !
Puisque vostre varlet est prest,
Lier je vous vais sans arrest.
Or me courbez ceste pansète239 !
L’AVEUGLE (Fictus le lie.)
705 Il me fauldra une lancette
Pour festoyer240 mon adversaire.
FICTUS
C’est bien dit. Or, me laissez faire :
Et si je ne vous arme bien,
Si dictes que je ne sçay rien
710 D’abiller gens en fait de guerre.
L’AVEUGLE
(Par ma foy ! il me fauldra perre241 :
Je suis trop malement courbé.)
FICTUS
Puis que je me suis destourbé242
À vous lier et habiller,
715 Je le feray sans sommeiller
Et sans y faire tromperie.
L’AVEUGLE
Je tiens ta querelle périe,
Mon varlet, se tu ne te rens.
SAUDRET
Nenny, rien ! Mais je me deffens
720 Et deffendray de vostre assault,
Et vous feray tomber [d’]ung saut243,
Si je ne faux à mon entente244.
L’AVEUGLE
Si je t’atains, il fauldra tente245
Ès playes que je te feray.
725 Holà, mon amy ! Je perray,
Si me liez si fort les mains.
FICTUS
Vous ne l’estes ne plus ne mains
Qu’est Saudret, je le vous asseure.
L’AVEUGLE
Baillez-moy lance qui soit seure,
730 Mon cher amy, je vous en prye.
FICTUS
Vélà cy246, je vous certifie.
Avant ! Estes-vous bien armé ?
L’AVEUGLE
Se tantost ne suis deffermé247,
Je croy qu’il me fauldra chier.
735 Pour ce, venez-moy deslier,
Mon amy, si je vous appelle.
Avant ! Soustiens-tu ta querelle,
Saudret ?
SAUDRET
Oy !
L’AVEUGLE
Et ! je te deffy
Présentement !
SAULDRET
Et je dy fy248
740 De vous et de vostre puissance !
FICTUS
Chascun de vous a bonne lance :
Pour ce, faictes vostre devoir.
L’AVEUGLE
Saudret ?
SAUDRET
Hau249 !!
L’AVEUGLE
Je te fais savoir
Et te somme que vous desdites
745 Des injures que tu m’as dictes !
Ou si non, que vous deffendez250 !
SAUDRET
Et moy vous251, que vous vous rendez !
L’AVEUGLE
Tu n’as garde que je me rende
À toy !
SAUDRET
Ne vous que ne deffende
750 Ma querelle252 jusques au bout.
FICTUS
Vécy bien commencé partout.
SAUDRET
Je ne le crains !
L’AVEUGLE
Je ne te doubte253 !
SAUDRET
Vous perdrez ceste saqueboute254,
À ce coup, puisque je la tiens !
L’AVEUGLE
755 Holà, holà ! Jà255 n’en fais riens :
Plus n’ay de quoy mestier mener256.
SAUDRET
Si je vous puis les piedz lever,
Vous tomberez de l’autre part.
L’AVEUGLE
Dieux, aidez-moy !
SAUDRET
Il est trop tard.
760 Vous tomberez, comment qu’il soit257.
L’AVEUGLE
Et ! holà ! Que le diable y soit !
Saudret ?
SAUDRET
Hau !!
L’AVEUGLE
Laisse-moy aller 258.
SAUDRET
G’iray, avant, à vous parler259 !
Pas n’échapperez en ce point.
L’AVEUGLE
765 Holà ! Et ! ne me pique point !
Je t’en supplye, mon gentil-homme !
SAUDRET
Je prie à Dieu que l’en m’assomme
Se vous eschappez jà si aise ! Pungat.260
L’AVEUGLE
Je te prie, Sauldret, qu’il te plaise
770 Me laisser aller de bon cueur.
Hé ! Dieu, souverain Créateur :
Me lairrez-vous icy tuer ?
Hau ! hau !
SAUDRET
Vous avez beau huer :
Je vous aprendray à combatre !
FICTUS
775 Il nous fault d’aultre jeu esbatre
Ung peu, avant qu’on se repose.
L’AVEUGLE
Comment ?
FICTUS
[Or], il fault qu’on arrouse
À ung chascun de vous le cul :
Il appartient à broche-en-cul
780 Luy faire261, quoy qu’on se rebelle.
SAUDRET
Ha ! Par le sang bieu, j’en appelle262 !
L’AVEUGLE
Et moy aussi, sans demourée.
FICTUS jactet aquam, dicendo : 263
Vous deux aurez ceste seiglée264,
Je vous promet[z], soit tort ou droit.
785 Tenez !
L’AVEUGLE
Je demande [mon] droit
À ung chascun, et sus et jus !
FICTUS
Il vous fault essuyer les culz,
Après qu’ilz ont esté lavéz.
De ce baston, sans plus baver265,
790 Vous feray doulx comme une turtre266.
Empreu267 ! Et deux ! [Et trois !]
L’AVEUGLE
Au meurtre !
Le sang bieu ! je me conchieray268.
SAUDRET
Par la mort bieu, je lancerray269 !
L’AVEUGLE
N’en fais plus, car je me desdis
795 De trèstout quanque je te dis270 !
Souffist-il, Monseigneur mon Maistre271 ?
SAUDRET
[D’ung estron je vouldrois repaistre]272
Le ribault qu’ainsi nous festye !
FICTUS
Brief ! si voulez que vous deslie,
800 Entre vous deux, me pardonrez
Ce que j’ay fait, et me donrez
Chascun six blans pour aller boire.
SAUDRET
Je le vueil bien, par ma mémoire !
L’AVEUGLE
Et moy aussi, sans varier.
FICTUS
805 Saudret, je vous vais deslier,
Et puis deslierez vostre maistre.
SAUDRET
Par le vray Dieu qui me fist naistre !
Maistre, se plus me r’assaillez,
Je vueil mourir se vous faillez
810 À bien en estre chastié !
L’AVEUGLE
Puisque je t’ay merci crié,
Et qu’à vous je me suis rendu
Sans avoir guères actendu,
Et aussi que me suis desdit
815 De tout cela que je t’ay dit,
Je croy qu’il te doit bien suffire.
Encor, se mestier est273, beau sire,
Je vous pardonne mon injure274.
SAUDRET
Faictes ?
L’AVEUGLE
Ouÿ, je le vous jure,
820 Sans vous savoir mal gré275 quelconques.
SAUDRET
Or avant ! Et ! je le vueil, doncques.
Mais par ma foy, premièrement,
Nous baillerez de vostre argent
Dix solz d’erres276 pour aller boire.
L’AVEUGLE
825 Bien me plaist.
SAULDRET
Comme j’ay dit ?
L’AVEUGLE
Voire.
Deslie[z-]moy, mon amy doulx :
Si vous bailleray ces dix soulz.
Car j’ay esté cy longue pose277.
FICTUS
Si feray-je.
SAULDRET
Je m’y oppose
830 Jusqu’à ce que nous les ayons.
Pensez que se nous le croyons
Et deslions sans les avoir,
Il nous pourroit bien décevoir278
Et donner ung tour de botines279 :
835 Je congnois ses fais et ses signes
Comme moy-mesmes, proprement.
FICTUS
Mais280 qu’il soit deslié, vrayment,
Je croy qu’il fera son devoir.
L’AVEUGLE
Par mon serment ! vous dictes voir :
840 Parjurer ne m’en daigneroye281.
FICTUS
Se c’estoit moy, je le feroye,
Saudret : il semble homme de bien.
SAUDRET
Par ma Loy ! je n’en feray rien.
Nous en serons, avant, payés.
L’AVEUGLE
845 Et ! pour Dieu, que vous les ayez !
Puisqu’ainsi est, or les prenez.
SAUDRET
En quel lieu ?
L’AVEUGLE
Vous les trouverez
En ma manche282, en ung drappelet.
SAUDRET
Y a-il or ?
L’AVEUGLE
Pas ung pellet283 :
850 Je n’en ay point, mon amy fin.
SAUDRET
Touteffois, maistre, à celle fin
Que l’on ne me puisse imposer
Larrecin284, ou rien mal gloser
Contre moy, cest homme de bien
855 Les prendra. Le voulez-vous bien ?
Respondez franchement.
L’AVEUGLE
Ouÿ !
Car je me fie bien en luy,
Pource qu’il me semble bon homme.
FICTUS
J’aymeroye plus chier285 estre à Romme
860 Tout nu en ma propre chemise
Que d’avoir une maille prise
Du vostre sans vostre congié286 !
Vez-les cy.
SAUDRET
N’y ait plus songié287.
Doncques, qu’il me288 soit deslié.
865 Aussi s’est-il humilié
Et congnoist assez son deffault289.
FICTUS
Irons-nous disner ?
SAUDRET
Il le fault.
FICTUS
Mais où ?
L’AVEUGLE
Allons chez le premier
– Ou hostelier, ou tavernier –
870 Qui aura de bon vin à vendre,
Des pois, du lart, de bon pain tendre,
Du rost290, de la pâticerie
Ou de quelque autre lécherie291.
Et nous y disnons bien et fort !
SAUDRET
875 Par mon serment, j’en suis d’accort !
Or y allons nous troys ensemble,
Car nous y boyrons (ce me semble)
Du meilleur vin en paix faisant.
*
L’AVEUGLE 292 SCÈNE X
Saudret !
SAUDRET
Maistre ?
L’AVEUGLE
Je suis refait293
880 Et bien dîné, mon amy doulx,
Dieu mercy !
SAUDRET
Aussi sommes-nous,
Cest homme de bien cy et moy.
FICTUS
Loué soit le souverain Roy294 !
Bien en devons estre contens.
885 Or çà, mes amys, il est temps
Que je m’en aille à mon affaire.
Se plus avez de moy affaire,
Je suis tout au commandement.
SAUDRET
Je vous en mercie grandement
890 Quant de ma part295. Et aussi fait
Mon maistre qui cy est ; de fait,
À son povoir296 je m’en fais fors.
L’AVEUGLE
Voire, par la foy de mon corps !
Mon cher amy, je vous mercie.
SAUDRET
895 Mon maistre, je vous certifie
Que bien estes à luy tenu
De ce qu’il est icy venu
Franchement à nostre débat.
Et si, a laissé son esbat297
900 Ou sa besongne en destourbance298
Pour nous faire la secourance
Que vous savez qu’il nous a faicte.
Si, est droit que luy en soit faicte
Quelque rémunéracion.
L’AVEUGLE
905 Mais combien ?
SAUDRET
Numéracion
De cinq solz de vostre monnoye.
Si Dieu me doint honneur et joye,
Je croy qu’il l’ait bien desservi299.
Oncques-puis que je vous servy,
910 Je ne vis si gracieux300 homme.
L’AVEUGLE
Tu devroies payer ceste somme,
Puisque tu as eu la victoire.
SAUDRET
Sauf vostre grâce ! Mais encoire
Devriez-vous payer tous les frais
915 Quelconques, qui ont esté fais
À cause de nostre discord.
L’AVEUGLE
Pourquoy ?
SAUDRET
Car vous aviez [le] tort.
Puisqu’avez perdu la bataille,
Il esconvient que l’en vous taille301
920 De tous les frais qui en dépendent.
Ainsi le font ceulx qui se rendent,
En bataille : et si, paient rançon.
L’AVEUGLE
Je te prie donc, mon enfançon :
Preste-moy de cinq solz la somme
925 Pour bailler à ce vaillant homme
Qui cy est, avant qu’il s’en aille.
Car je n’ay plus denier ne maille
Sur mon corps. Et je te prometz
Que je les vous rendray [huymais]302,
930 [Mais] que nous en ayons receu.
Ou si tu crains estre déceu
Par moy, demain ou l’en303 demain,
Je suis content que par ta main
Toy-mesmes vous le recevez304.
SAUDRET
935 Par la foy que vous me devez305 !
Maistre, voulez-vous, orendroit306,
Que je les prengne, tort ou droit,
Sur le premier307 de nostre queste,
S’ainsi est que je les vous preste
940 De ma bourse présentement ?
L’AVEUGLE
Ouÿ, Saudret, par mon serment !
Je vous en donne auctorité.
SAUDRET baille cinq solz [à l’Aveugle].
Véez-les cy donc, en vérité :
Ung, deux, trois, quatre, cinq, et six308.
L’AVEUGLE
945 Or venez à moy, beaux amys309 !
Vous me semblez bonne personne :
Vécy cinq solz que je vous donne
De monnoye, en recongnoissance
De voz peines. Car sans doubtance,
950 Vous me semblez homme de bien.
FICTUS
Je vous mercie ! Et s’il est rien
Que vous me vueillez commander,
Ne faictes sinon me mander,
Et vous m’aurez, je vous affie.
955 À Dieu !
L’AVEUGLE
À Dieu, qui vous conduye !
Mais dictes-moy – s’il vous agrée –
Vostre nom, et en quel contrée
Demourez.
FICTUS
J’ay nom Chosefainte310,
Qui suis en Jhérusalem Sainte,
960 La merci de Dieu, qui tout fist !
Vous ne trouverez si petit311
Qui ne vous dye où je demeure.
À Dieu soiez !
L’AVEUGLE
En la bonne heure,
Mon amy, puissez-vous aller !312
SAUDRET
965 Ouÿstes-vous oncques parler,
Maistre, plus gracieusement
Ne plus mélodieusement
Que fait cest homme qui s’en part
D’avecques nous ? Quant de ma part,
970 Je m’en tiens à trèsbien content.
L’AVEUGLE
Aussi l’ay-je payé content :
Il emporte cinq solz du mien.
SAUDRET
Certainement je croy et tien
Qu’ilz sont bien employés, sans doubte.
975 Maistre, vécy une grant route
De gens d’estat et de façon313 ;
Se [nous] chantions une chançon,
Ce seroit bien, je vous plévis.
L’AVEUGLE
Tu es homme de bon advis.
980 Commençons doncques en apert314.
Chançon 315
Dieu, qui le monde a recouvert 316,
Doint bonne destinée
À qui dire sçait 317 de quoy sert
Celle bonne vinée !
.
985 Cil 318 qui par sa bonté nous fist
Soit loué en fais et en dit,
Qui tant de biens nous donne !
De chanter m’est prins appétit
Du fait des beveurs ung petit 319.
990 Quant la vinée est bonne,
À qui n’en prent que par raison
Elle est moult profitable,
Et ne s’en ensuit si bien non 320 :
C’est chose véritable !
.
995 Elle eschauffe et nourrist le corps,
Qui plus en est joyeux et fors ;
Mieulx en parle et devise.
Couleur luy donne, par-dehors,
Plus belle que s’il estoit mors 321,
1000 Et son engin aguise 322.
Médecines fait le vin blanc 323,
Et le cueur réconforte ;
Et le vermeil 324 fait le bon sang,
S’il est de bonne sorte.
.
1005 Il fait gens d’Église coucher,
Souvent, quant ilz deussent veiller
Et dire leur service ;
Escoliers rire ou sommeiller
Quant ilz deussent estudïer,
1010 Comme c’est leur office ;
Nobles chevaliers, escuiers,
Mener vie joyeuse ;
Bourgois, marchans, gens de mestiers
Fait tenir en oyseuse 325.
.
1015 Quant povres gens boivent ung poy,
Ilz sont plus riches que le Roy
Tant comment ilz 326 sont yvres ;
Mais l’endemain est le desroy,
Povre chère et piteux arroy 327,
1020 Quant ilz en sont délivres 328.
Car qui les verroit le matin,
C’est piteuse levée :
Ilz ne parlent plus tel latin
Comment à la sérée 329.
.
1025 En beuvant bon vin près du feu,
Se l’un dit « heu ! », l’autre dit « beu ! »,
L’autre pert le langage.
Il fait à l’un faire son preu 330,
L’autre n’y penser que trop peu,
1030 L’autre se cuider sage.
L’un fait des autres mal parler,
L’autre crier ou braire,
Gens accorder ou discorder,
Et mariages faire.
.
1035 Raconter [nous] ne vous saurions
Tous ces fais et ces signes.
Dieu sauve tous bons compaignons
Et le brouet des vignes !
Cy fine la chanson.
L’AVEUGLE
Je te prie que tu en assignes331,
1040 Saudret, pour dix deniers la pièce,
À celle fin que l’argent chiesse332
Dedens ma bourse sans respit.
Car long temps a que l’on n’y mist
Rien, et qu’on ne cessa d’y prendre.
SAUDRET
1045 Ne vous souvient-il pas que rendre
Vous me devez, avant tout euvre333,
Cinq solz, et que je les receuvre334,
Que vous baillastes au bon homme ?
L’AVEUGLE
Si fais bien ; mais je ne sçay comme
1050 Les te rendray s’il ne m’en vient.
.
LE MESSAGIER SCÈNE XI
Çà, mes amis ! Bien me souvient
Que l’autre jour, vous me vendistes
Une autre chanson, et en pristes
Dix deniers de chascun roullet335.
1055 Si me dictes, gentil varlet,
Combien ung cent me coustera
De ceste336 ?
SAUDRET
Mon maistre en aura
De chascun roulet dix deniers.
LE MESSAGIER
Je les en paieray voulentiers.
1060 Baillez-les çà ! Vécy l’argent.
L’AVEUGLE
Saudret, baille-luy-en ung cent,
Et pren cent grans blans de monnoye.
Sur quoy, prens cinq solz et t’en paye ;
Et m’en baille le remenant337.
1065 Mais advise bien, mon enfant,
Que tout soit bon. Entens-tu bien ?
SAUDRET
Or ne vous soucïez de rien,
Mon maistre, fors de bien dancer338.
LE MESSAGIER
À Dieu !
SAUDRET
Adieu !
.
Allons lancer. SCÈNE XII
L’AVEUGLE
1070 Que veulx-tu que lancer aillons ?
SAUDRET
Du meilleur vin sur noz couillons339,
Puisque nous avons de l’aubert340.
Vous savez bien de quoy vous sert
Le prouffit de mon escripture
1075 Et mon beau chanter.
L’AVEUGLE
Je te jure
Qu(e) aussi te feray-je des biens !
SAUDRET se paye des cinq solz.
Vécy cinq solz que je retiens,
Maistre, et [je] vous rens le surplus.
L’AVEUGLE
Y est-il tout ?
SAUDRET
Ouÿ.
L’AVEUGLE
Or sus !
1080 Allons où nous avons disné,
Car on y est bien aviné341.
Recordons-y nostre leçon342,
Et que nous nous y repesson343 :
As-tu point ne trippe ne foye344 ?
SAUDRET
1085 Et ! si ay. Si Dieu me doint joye,
Certes, vous ne m’avez point veu345
Ny esbahy, ne despourveu.
Allons boire, puisqu’il vous plaist.
*
L’AVEUGLE 346 SCÈNE XIII
Saudret !
SAUDRET
Maistre ?
L’AVEUGLE
Je te demande
1090 Si tu as aucune vitaille347 ;
Et si tu en as, si m’en baille !
Car certes, j’ay grant appétit
De mangier.
SAUDRET
Ne grant, ne petit
N’y en a, foy que je vous doy !
L’AVEUGLE
1095 Hélas, mon amy ! Quelque poy
M’en donne, à ce pressant348 besoing !
SAUDRET
Par ma foy ! je n’ay que le poing,
Dont je puisse férir aux dens349.
L’AVEUGLE
Et pourquoy ?
SAUDRET
Pource que les gens
1100 Ne donnent plus chose qui vaille.
L’AVEUGLE
Si font au moins de la mengea[i]lle
Qui assez est à grant marché350.
Et n’est que par ta mauvaisté
Si nous n’avons bien à manger.
1105 Mais tu fais d’en quérir danger351,
Et chiez352 au péché de paresse.
Je te requiers : or nous adresse353
À quester parmy ceste ville.
Tu te disoys si très habille354,
1110 Quant tu vins o moy demourer,
Et te vantoies de truander
Aussi bien comme homme vivant.
Il ne deust avoir355 (je me vant),
En la cité, bourde356 ne loge
1115 En quoy homme demeure ou loge,
Où tu ne t’allasses bouter :
Tu y trouvasses, sans doubter,
Assez à manger et à boire.
SAUDRET
En la cité ?
L’AVEUGLE
Par la Loy, voire !
1120 Et crier357 haultement et fort.
Or m’y meyne : je me fais fort
Que j’en auray, mais que je crie.
SAUDRET
Je verray donc vostre maistrie358.
Or y allons, et criez bien.
Icy vont devant l’ouvrèr 359 de l’Apoticaire,
et crye l’Aveugle en disant :
L’AVEUGLE
1125 Chères gens, faictes-nous du bien,
Pour l’amour de Dieu, s’il vous haite360 !
Ung denier ou une maillette361 !
Du pain, de la char362, de la souppe,
Et des verses363 de vostre couppe,
1130 Ou du relief, ou quoy que soit
À ce povre qui point ne voit !
Et grant charité vous ferez.
.
L’APOTICAIRE SCÈNE XIV
Venez çà, mes amis, venez,
Et vous arrestez en ce lieu !
1135 Et je vous y donray pour Dieu
Pain et vin, et de la vïande.
SAUDRET
Monseigneur, je vous recommande
Ce povre homme qui ne voit goutte,
Et a tel fain, sans nulle doubte,
1140 Que c’est pitié, bien le sachez.
L’APOTICAIRE 364
Tenez, mes amis : or, mangez
Et beuvez trèstout à vostre aise.
L’AVEUGLE
Grans mercis, des fois plus de treize,
Sire ! Dieu le vous vueille rendre !
1145 Saudret, il seroit bon de prendre
Icy endroit nostre repas.
A ! dea, je ne mentoye pas,
En présent, quant je te disoye
Qu’assez à menger trouveroye
1150 S’il advenoit que je criasse.
SAUDRET
Or nous séons365, car je mengeasse
Aussi voulentiers comme vous.
L’AVEUGLE
Or tranche donc, mon amy doulx,
Pour nous deux, dessus ung volet366.
1155 Et me donne du pain molet367,
Se tu en as, car j’ay grant fain.
SAUDRET
Pain molet ? Il n’y en a grain,
Par l’âme qui en moy repose !
Avoy368, dea ! Vécy bonne chose,
1160 Par ma Loy ! Mon maistre gentilz,
Il n’y a que du pain faitis369 ;
Si en mengez, et louez Dieux.
L’AVEUGLE
C’est bien ; mais s’il y avoit mieulx,
Saudret, j’en vouldroye bien avoir.
SAUDRET
1165 Mon maistre, vous devez savoir
De certain que se j’en avoye,
Jamais ne le vous cèleroye :
Car je suis tousjours coustumier
De vous servir tout le premier
1170 De ce que Dieu nous a presté.
L’AVEUGLE
Par tous les benois jours d’esté !
Il te vauldra, se j’ay à vivre370.
SAULDRET
Vécy le tailloèr371, que je livre
Devant vous, garni de cuisine.
1175 Or mengeon, et que chascun disne.
Et faisons icy, sans renchière372,
Ung tronsonnet373 de bonne chière.
Maistre, je bois à vous d’autant ! Potet.374
L’AVEUGLE
Bon preu te face, mon enfant !
1180 Or verse doncques, et m’en donne ! Potet.
A ! par mon serment, vécy bonne
Vinée, Saudret, mon amy !
Icy, l’Aveugle et Sauldret boyvent.
SAUDRET
Il y a bien moys et demy
Que je ne beu meilleur boisson.
[ L’AVEUGLE
1185 Or verse donc, mon enfançon !
SAUDRET
S’il en reste, qu’on me puist pendre !
L’AVEUGLE ] 375
Dy, hau, Saudret : il fault entendre
D’aller boire chascun sa foiz376.
Car, ainsi comme je le croys,
1190 Il est bien fol qui rien espargne.
SAUDRET
Allons-nous-en [en] la taverne
Sans plus tarder ne çà, ne là.
.
Hau ! Tavernier ! SCÈNE XV
Servus taberne dicat : 377
[LE VARLET DU TAVERNIER]
Qui est-ce là ?
L’AVEUGLE
Sont gens de bien, soiez saichans378.
LE VARLET DU TAVERNIER
1195 Ha ! Nostre Dame, quelx marchans
Pour faire riche une taverne !
Ce sont [des] gens de Mau-Gouverne379,
Je le voy bien à leur livrée.
SAUDRET
Or sus ! à coup nous soit livrée
1200 Une pinte du meilleur vin,
Du plus doulcet380 et du plus fin
Qui soit en toute ceste ville !
LE VARLET
Mais regardez qu’il est habille,
À toute sa roube de toille381 !
1205 C’est à l’enseigne de l’Estoille 382
Que devez boire, mes mignons.
SAUDRET
Dea ! nous sommes bons compaignons,
Pourtant que sommes383 mal vestus.
Nous avons laissé mil escuz
1210 (Par Dieu qui me fist !) à la banque
De Lion384.
LE VARLET DE L’OSTE
Ha, [ha] ! c’est tout quanque
Je disoie présentement.
Car vous estes certainement
Gros marchans et gros usuriers.
1215 Vous en avez bien des deniers,
Et des escuz, et des ducatz.
Ha, vous ne les emporterez pas
Quant vous partirez de ce monde.
L’AVEUGLE
Je pry à Dieu que l’en me tonde385,
1220 Saudret, se de nous ne se mocque !
SAUDRET
Voire, que la fièvre le tocque386 !
De nous se mocque en général387.
Ha, dea ! si nous estions à cheval388,
Et bien habillés et en point,
1225 Il ne nous reffuseroit point,
Je le sçay bien, sans dilatoire389.
L’AVEUGLE
Et ! pour Dieu, donnez-nous à boire :
Nous paieron comme bon[ne] gent390.
LE VARLET DE L’OSTE
Baillez-moy tout premier l’argent,
1230 Et vous en aurez voulentiers.
SAUDRET
À combien est-il ?
LE VARLET
À six deniers
Le pot : vous n’en rabatrez rien.
L’AVEUGLE
Allez-y donc.
LE VARLET
Je le vueil bien ;
Mais je verray, premier, la croix391.
L’AVEUGLE
1235 Vez là six deniers, je le croix.
Regardez-y sans plus songier392.
SAUDRET
Voir(e), mais nous n’avons que mangier393 :
Nous ne mangeasmes, anuyt394, rien.
L’AVEUGLE
Par sainct Pierre395 ! tu diz trèsbien,
1240 Car de fain suis tout translaté396.
LE VARLET
Il (y) a céans ung bon pasté
De bons pigeons et de pollés397,
Que vous aurez se vous voulez,
Car vous n’en povez avoir moins.
L’AVEUGLE
1245 [Et] combien vault-il ?
LE VARLET
Trois unzains398
En baillerez, se vous l’avez399.
L’AVEUGLE
Dea ! c’est trop.
LE VARLET
Ha ! vous ne sçavez
Comme la char est icy chière.
Il n’y a boucher ne bouchière
1250 Qui le vous donnast pour le pris400,
J’en suis certain.
SAUDRET
Il sera prins,
Puisqu’ainsi est. Se par Dieu me gart,
Je paieroie avant de ma part401
Quatre blans que nous ne l’eusson !
1255 Mon maistre, sans plus long sermon,
Tirez bien tost au chevrotin402.
L’AVEUGLE 403
Vez-les là.
SAUDRET
Venez, mon cousin404 !
Allez quérir vin et pictance.
Bien paié serez, sans doubtance,
1260 Je vous promet[z], de bout en bout.
.
LE VARLET SCÈNE XVI
Je ne perdray pas, mèshuy405, tout,
Puisqu’ilz me paient avant la main.
Si chascun le fist, pour certain,
On ne fist nully adjourner406.
1265 Devers eulx m’en vais retourner
Leur porter pain, vin et pictance.
.
Je suis retourné407, sans doubtance. SCÈNE XVII
Tenez, repaissez à vostre aise.
L’AVEUGLE
Mangons sans nous donner malaise,
1270 Car quelq’ung nostre escot paiera,
Certes, qui ne s’en ventera.
Sus ! tastons de ceste boisson !
*
Icy s’assist Jhésus, et sa mère, et les disciples ;
et mangent pendant que l’Aveugle parle.
L’AVEUGLE SCÈNE XVIII
Saudret, puisqu’avons bien408 mangé,
Sans qu’il y ait plus cy songé,
1275 À chemin nous fault advoyer409.
LE VARLET
Il vous convient, avant, payer
Ce que devez, comme je croys.
Car vous avez eu, du su[r]croys,
Pinte de vin, j’en suis certain.
1280 Et aussi avez eu ung pain
Qu’il vous fault payer, s’il vous haicte.
SAUDRET
Aux gallans de Saincte-Souffrète410,
Vueillez despartir411 de voz biens !
Et certes, vous n’y perdrez riens
1285 Que l’actende412, combien qu’il tarde.
LE VARLET
Vous seriez plus fins que moustarde413,
Se414 vous en peussez nullement
Aller sans me faire payement
De ce que me devez, orendroit.
1290 Car aultrement, le me fauldroit
Payer au maistre, de ma bourse.
L’AVEUGLE
Pour Dieu, amy, qu’on ne se cource415 !
O nous416, dommaige vous n’aurez ;
Mais de nous, bien payé serez…
1295 Au retour de nostre voiage.
LE VARLET DE L’OSTE
Ha ! brief j’auray argent ou gaige,
Je le vous dy à ung mot rond417 !
.
L’OSTE 418 SCÈNE XIX
Le grant diable le col te rompt
En brief419, fol vilain et testu !
1300 Et pourquoy ne420 desgaiges-tu
Ces pouvres coquins421 qui n’ont rien ?
Je vueil qu’on leur face du bien,
Désormais, en toute saison.
Or sus ! chantez une chanson
1305 Pour la despence qu’avez faicte.
L’AVEUGLE
Nostre Maistre, puisqu’il vous haicte,
Très voulentiers nous le ferons.
Icy chantent l’Aveugle et Saudret une chançon plaisante et belle,
puis dit SAUDRET :
Chier sire, de vostre pictance
Vous mercÿons en tout degré.
L’OSTE
1310 Amys, prenez en pacience422.
L’AVEUGLE
Chier sire, de vostre pictance,
SAUDRET
Le Dieu qui a toute puissance
Vous en vueille sçavoir bon gré !
L’AVEUGLE et SAUDRET dient emsemble :
Chier sire, de vostre pictance
1315 Vous mercÿons en tout degré !
Icy, Cecus [l’Aveugle] et Saudret s’en vont, et dit Jhésus…423
*
1 Le Mystère de la Résurrection. Angers, 1456. Droz, 1993. 2 volumes. 2 Jolie. (Cf. la Présentation des joyaux, v. 63.) La « godinette ville » dans laquelle entre Saudret n’est autre que Jérusalem, en plein drame biblique. Mais on se croirait à Angers en 1450. Saudret déambule en cherchant de l’embauche comme valet. 3 Ni côté face, ni côté pile : pas un sou. 4 Tous les hôteliers. 5 De chercher un aveugle. Les mendiants aveugles ne peuvent rien faire sans un valet. L’Aveugle du Mystère des Actes des Apostres s’en plaint : « Aller ne sçay par ville ne cité/ Se guyde n’ay tousjours à mon costé. » Il a pourtant « le plus maulvais varlet/ Qui soit, ce croy, en tout le Monde…./ Las ! fiez-vous en telz varletz/ De qui toute malice sourt ! » 6 De l’argent, qui est une chose facile à transporter. 7 Aveugle. 8 Savait se tirer d’affaire. Idem v. 194. 9 Gagner une pièce de monnaie. Idem vers 361, 861, 927, 1127. Je ne répéterai pas les notes de traduction ; donc, prenez des… notes. 10 Que quelqu’un s’efforce. 11 Nous pourvoir de nourriture. Idem v. 120. 12 Leur pauvre vie. « N’en vueil riens avoir fors que ma povre de vie. » P. de la Sippade. 13 Il a entendu les jérémiades de l’Aveugle. 14 Tout ce qu’il. Idem vers 378, 795, 1211. 15 Tel maître, tel valet. Cf. Légier d’Argent, v. 222. 16 D’attente. Idem v. 1285. 17 « Il va, et dit à l’Aveugle. » Les rubriques (que je traduis systématiquement) et les didascalies, réservées aux lecteurs, sont souvent écrites en latin. Cecus = l’Aveugle. Nuncius = le Messager. 18 Pour vrai. Idem v. 839. 19 Rembourser. 20 Parlons peu, parlons bien. La farce va opposer deux hommes qui ont un rapport à l’argent contractuel et procédurier. 21 Désormais. 22 L’hypocrite. Cf. Daru, vers 122. 23 Qu’ils seront bien méprisants, ceux… 24 Une grande pause = pendant longtemps. Idem v. 828. 25 Auquel il a rendu par un miracle la lumière, la vue. Idem vers 322, 325, 353. 26 Je m’en vante. Idem vers 327 et 1113. 27 Pour économiser le papier, on gravait les brouillons sur des tablettes de cire réutilisables. 28 Selon le poste que j’occupe. 29 Approprié. 30 Beaucoup de mendiants aveugles chantaient en s’accompagnant à la vielle (vers 654). Celui-là vend aussi des partitions. 31 100 sous pour l’année. 32 Vous me procurerez. 33 Si tu es aussi mal vêtu et chaussé que moi. 34 Décidé. 35 Topez là ! Cf. Cautelleux, Barat et le Villain, vers 39. 36 Ma manière d’être : ma conduite. 37 Mendier. Idem v. 1111. Ce verbe commençait à prendre une connotation péjorative. 38 Voirre se prononçait verre, tout comme fois se prononçait fais. 39 Comme personne. 40 Chercher un hébergement. « En un bon hostel vous menray/ Où herberge pour vous prendray. » ATILF. 41 Chaque fête paroissiale faisait affluer les mendiants devant la porte de l’église concernée, car les fidèles y étaient plus nombreux et plus généreux que d’habitude. 42 Si vous n’y voyez pas d’inconvénient. 43 L’Aveugle, qui veut passer pour noble, est extrêmement imbu de sa personne. 44 Qui s’amuse et qui boit. « Après boire et après galler. » (ATILF.) Mais la prononciation Gallebais (voir la note 151) nous rapproche de « gueule bée » [bouche ouverte], qui est un beau nom pour un chanteur des rues : « Chantons à gueulle bée ! » Les Sotz triumphans. 45 Un peu. (Idem vers 1015 et 1095.) Qu’on cessa d’allaiter un peu trop tôt : qui est orphelin. 46 Pour nom de famille. Tout lui fault = Tout lui manque : il ne possède rien. C’est, entre autres exemples, le nom d’un mendiant dans les Bélistres. 47 Mal mariée, ce qui est normal pour la femme d’un vaurien. Dans le Messager et le Villain, l’épouse du paysan porte le même nom. Cf. le Munyer, v. 34. 48 La fille de la Paresse. « Sainct Fait-néant : c’est le patron des lasches journées, des paresseux & gaudisseurs. » Pierre Viret. 49 Vous êtes venu au bon endroit. Voir les vers 289-290. 50 De te remémorer ce que tu diras pour émouvoir nos donateurs. 51 Au. 52 Lui rende la lumière, la vue. Mais aussi, et surtout : Que le feu de St Antoine lui donne des hémorroïdes ! « Le cul qui tousjours pète et chie,/ Le feu sainct Anthoine l’alume ! » Tarabin, Tarabas (F 13). 53 Presque cinq mois plus tard. 54 Répondre « hau ! » à quelqu’un qui nous appelle est le comble de l’impolitesse. « –Sottinet ! –Hau ! –Quel “hau” ? » Le Roy des Sotz, qui fut également joué devant le roi René vers la même époque. 55 Parmi, sur. 56 Une corde. 57 Pour qui vous prenez-vous ? 58 Pouilleux. 59 On tondait les fous. Les tonsures se faisaient à l’eau savonneuse chaude : « Je vueil estre sans eau tondu ! » Goguelu (voir ma notice). 60 D’appeler ainsi un mendiant. Idem v. 578. Voir la note 37. 61 De mauvaise odeur. Cf. les Veaux, v. 222. 62 Qui ne commet jamais de faute. Cf. le Messager et le Villain, vers 427. 63 Un vieux cochon, de la famille des suidés. « Hou ! le souin ! » J.-A. de Baïf. 64 Ceci ni cela : ne m’insulte pas. 65 Si ça me démange. Cf. le Capitaine Mal-en-point, v. 282. 66 Quoi qu’il en soit. Idem v. 667. 67 Contraindre. Idem v. 637. 68 À vous appeler « seigneur ». Cf. le Capitaine Mal-en-point, vers 357-8. 69 Un arrangement. Idem v. 187. 70 Notre association. 71 L’assurance. 72 Que nous fassions. Expliquez-le-moi. 73 Tous nos conflits. 74 À l’Aveugle-né (vers 58). 75 En toute occasion. 76 Que celui qui en aura les moyens boive ou mange. 77 Il le cache. 78 Donner pour Dieu = faire la charité. Idem v. 1135. 79 Ils chantent, dansent (vers 1068), et l’Aveugle joue de la vielle. Cette chanson est inconnue. La musique doit être identique à celle de la chanson qui commence au v. 981 : elle est écrite sur les mêmes dizains AAbAAbCdCd (je mets les hexamètres en minuscules). Cette bluette qui prétend louer « les biens qu’on a en mariage » prend le contre-pied des « maux qu’on a en mariage » d’une manière tellement grosse que nul n’est dupe : il s’agit bien d’une chanson antimatrimoniale. 80 Taisez-vous et vous entendrez. 81 Des maux inventés. Cf. le Sermon joyeulx de tous les maulx que l’homme a en mariage. 82 Lui ouvre la porte. Dans les farces, l’épouse n’ouvre au mari qu’après avoir caché son amant. 83 De souci. 84 Elle le couvre. 85 Contre lui. 86 Original : De 87 « Ma foy, dit-elle, vous ne serez pas en mon livre enregistré (…) que je ne sache quel harnois vous portez. » Cent Nouvelles nouvelles, 15. 88 Ce bois qui se lève bien haut est une métaphore phallique. Cf. le Ramonneur, v. 276. 89 « Lors il luy a fait la chosette/ Qu’une fille peut désirer. » Gaultier-Garguille. 90 Dans la Mauvaistié des femmes, l’épouse met en cage un cocu [un coucou]. 91 Elle en enlève les draps sales. 92 Elle le déshabille. 93 Elle tire de l’eau du puits. 94 Gracieuse. 95 Elle l’appelle son ami. Mais on peut comprendre : Son amant l’appelle. 96 Lui, il nourrit ses enfants à elle. 97 Qu’il se met en colère pour quoi que ce soit. Le jeu de mots sur « marri » et « mari » n’est pas nouveau : « Le mary fut fort marry. » Les Joyeuses adventures. 98 Aux femmes du public. Puis son valet s’adressera aux hommes, pour être sûr de n’omettre aucun acheteur potentiel. 99 Il n’y a pas ici de femme si rusée. 100 Pour s’améliorer encore en matière de ruse. 101 Une partition. 102 Pour une pièce de monnaie. Idem vers 802, 1062, 1254. 103 Allons ! Idem vers 413, 691, 732, 737, 821. 104 Vous conduire. « Tant charia/ Qu’en la parfin se maria,/ Comme fols. » ATILF. 105 Déclare, révèle. 106 Prenez nos chansons, vous ferez sagement. 107 Ce personnage du Mystère a écouté la chanson parmi le public. Il monte sur scène. Dans la vie, il aime deux choses : le vin et les chansons misogynes. Ailleurs, il entonne celle-ci : « Je revenoye de cure./ Trouvay une vieille dure/ Qui avoit une grant hure/ Plaine de toute laidure. » 108 S’évertuent. Le Messager sillonne le pays dans tous les sens. 109 Sans contestation. 110 Une centaine de partitions. Idem vers 286, 1056, 1061. L’Aveugle est à la fois détaillant et grossiste. 111 Qu’il me vienne malheur (verbe méchoir). 112 Si j’étais passé ailleurs. 113 Ni soir, ni matin. Cf. Saincte-Caquette, v. 288. 114 Un seul mot. 115 Par avance. Idem v. 1262. 116 Qu’il n’y ait pas de pièce fausse ou rognée. Même méfiance de l’Aveugle aux vers 1065-6. 117 On demande toujours les dernières nouvelles aux messagers, qui voyagent beaucoup (vers 277-280). 118 Une chose terrible. Cf. D’un qui se fait examiner, v. 284. 119 Si j’étais aveugle. 120 Quand Jésus était vivant. 121 La lumière, la vue. Cf. l’Aveugle et Picolin, vers 92. 122 Que ce soit moi. Cf. la Laitière, vers 120 et note. 123 Plénier, complet. 124 Qu’il n’en manque. 125 Avec. Idem vers 1110 et 1293. Cf. les Esbahis, v. 215. Les serviteurs étaient payés une fois par an, et Saudret ne travaille pour l’Aveugle que depuis 146 jours. Mais s’étant fait rouler par son précédent maître, qui a retrouvé la vue grâce à un miracle, il exige d’être payé tout de suite au cas où Gallebois serait lui-même guéri par un miracle. 126 Quand nous serons revenus du sépulcre. 127 Par la loi des chrétiens, opposée à la loi des juifs, qu’on critique au v. 316. Idem vers 384, 464, 843, 1119, 1160. 128 Quand Jésus lui eut rendu la vue. 129 Siffler comme on siffle un chien. Un baude est un chien de chasse. Un des chiens de Charles d’Orléans portait même ce nom : « Laissez Baude buissonner ! » 130 Qu’il me l’a baillée belle. L’aveugle-né s’est vengé d’un hypocrite qui piochait dans son escarcelle, comme il le lui reproche dans le Mystère de la Passion d’Arras : « Oste ta main hors de ma tasse,/ Hardeaux ! Je t’y sens bien aler. » 131 Qu’il ne manquera pas un sou. 132 Si j’y vais, au sépulcre. 133 Il vaut mieux être sûr que de rester dans le doute. 134 De faire crédit de son argent. 135 Rayé de votre livre de comptes. Dans le Mystère de S. Bernard de Menthon, un aveugle recouvre miraculeusement la vue et refuse de payer son valet, dont il n’a plus besoin : V. Payez-moy avant que partez,/ Ou débat à moy vous aurez,/ Car je vous ay très bien serviz./ A. Mon amy, jamais ne te vy/ Jusques or ; ne sçay qui tu es./ V. Mal jour doint Dieu (à celui) qui t’a les yeulx/ Anssy gariz ! Dolent j’en suis./ Ne resteray de quérir huy/ Tant que je treuve ung aultre orbache [aveugle]. » 136 À notre retour du sépulcre. 137 Bavarder. 138 Un peu. Idem v. 989. 139 Cession. 140 De tout mon argent disponible. 141 Négligent. 142 Que je te paye. 143 Comptant, intégralement. Idem v. 971. 144 Il ne faut plus s’en émouvoir, s’en préoccuper. 145 De mon travail de copiste. 146 Je renonce à vous avoir pour maître. 147 Au moins. Cf. la Pippée, v. 764. 148 De mes copies de partitions. 149 Si méprisable, en acceptant de travailler pour rien. 150 Avant que je ne bouge de là. Idem v. 410. 151 Original : ung denier poy (« -ois » rime en « -ais », comme aux vers 90 et 368.) 152 Assez malin. Cf. le Capitaine Mal-en-point, v. 185. 153 Me soustraire. 154 « L’Aveugle compte l’argent et le remet à Saudret en lui disant. » 155 Sans retard. Idem v. 703. 156 Comme il convient. 157 Et qu’Il veuille bien me rendre la vue. 158 Fuir. 159 De pied en cap : des pieds à la tête. 160 De renvoyer la Mort en lui opposant un « vidimus sans queue ». Voir le v. 281 de Marchebeau et Galop, et le v. 247 du Dorellot. 161 Je vous laisserai dans ce combat d’escrime. 162 Je vous planterai là. Cf. les Femmes qui plantent leurs maris pour reverdir. 163 Refroidir. 164 Nous éloigner. « Un peu arrière se rusa. » Godefroy. 165 Orig. : men 166 Des archers anglais de la guerre de Cent Ans. L’auteur joue habilement avec les anachronismes. 167 Qu’ils aient raison ou tort. Idem vers 784 et 937. Saudret s’immobilise tout à coup, et l’Aveugle pendu à ses basques en fait donc autant. 168 « Saudret modifie sa voix, et dit alors. » Il se fait passer pour un soudard anglais, avec un accent caricatural. Le gag du changement de voix remonte au moins au XIIIe siècle : dans la farce du Garçon et de l’Aveugle, un valet gifle son maître aveugle en se faisant passer pour quelqu’un d’autre. Dans la farce de Goguelu (voir ma notice), le valet bat son employeur aveugle en usurpant la voix d’un sergent. 169 Vous êtes (accent anglais). 170 Il sera, un jour lointain, le protecteur de l’Angleterre. Ce mot compte pour 1 syllabe : « Tout Angleter plory, point n’a-ti fable./ Car, by saint Georg ! tout l’a-ty malheureux. » Regrect que faict un Angloys de millort Havart. 171 « Saudret parle avec sa première voix. » Il reprend sa voix naturelle. 172 Pour obtenir du pape le pardon de ses péchés. Encore un anachronisme ! 173 Que cela vous plaise ou pas. Idem v. 556. 174 Il s’agit de saint Ninian, qui évangélisera l’Écosse, quand il sera né… « Sainct Treignan ! foutys-vous d’Escoss ? » (Pantagruel, 9.) Cf. Frère Fécisti, v. 416. 175 Où sont-ils ? 176 L’original semble porter rasler, qui n’a ici aucun sens. Rêver = perdre son temps. « Dea ! Jaquinot, sans plus resver,/ Ayde-moy à lever ta femme ! » Le Cuvier. 177 Il tend 10 sous au faux Anglais. 178 Déformation de : by God ! by’r Lord ! « Foy que doy brulare bigot ! » Villon. 179 Orig. : Encores ny 180 Par ce sentier, plutôt que par la route. Les deux hommes retournent en ville, et il ne sera plus question d’un pèlerinage au sépulcre. 181 Pauvre de moi ! 182 Voulant montrer du respect à son serviteur en le vouvoyant, l’Aveugle commence à mélanger le « tu » et le « vous ». Son trouble ne fera que s’amplifier, jusqu’à en devenir pathologique. 183 Haleine : j’ai le souffle court. 184 De peur. Scandé pa-our, comme à 518. 185 Puanteur. 186 Je l’affirme à Dieu. Eustache Deschamps l’épingle dans sa Ballade des jurons : « (Il) n’y a/ Si meschant qui encor ne die/ “Je regni Dieu !” chascune fie,/ “À Dieu le veu !”, “À Dieu l’affy !” » 187 Je ne vois rien. « Mon » est une particule de renforcement, comme à 535. 188 Plus de raison d’avoir peur. 189 Celui que. 190 Vésarde, frayeur. 191 Les deux mendiants sont revenus à Jérusalem. 192 Or. : Voire 193 Si quelqu’un avait un morceau d’andouille. Saudret se tourne vers le public. 194 Qui mouille le gosier. 195 J’y prêterais attention. 196 Cette réponse est aussi impolie que le « hau ! » de 135. 197 Saudret répond à une question absurde par une autre question encore plus absurde. 198 Dans quel monde vit-on ! Cf. le Ribault marié, vers 99 et 391. Mais Saudret feint d’y voir une question, à laquelle il répond. 199 Or. : ce (Il ne le faudra pas.) 200 De votre gorge. Cf. la Résurrection Jénin à Paulme, v. 122. 201 Si on vous laissait faire ; mais je n’ai pas l’intention de vous laisser faire. 202 Ramenez à l’étable. C’est un ordre qu’on donne aux bouviers. 203 Si vous avez le malheur de me frapper. 204 En votre présence. 205 Allez chier ! Cf. Ung jeune moyne, v. 323. 206 La valeur d’un navet. 207 De votre qualité de maître. Idem v. 395. 208 Un paysan, un roturier. Le mot « vilain » pique au vif le faux noble, et va mettre le feu aux poudres. 209 Misérable mendiant. 210 Or. : redoubtes (Double péquenot sournois.) 211 Quand on provoque un homme en duel, on lui jette un gant, qu’il doit relever (comme au v. 603) s’il accepte le combat. Nous entrons dans une parodie des romans de chevalerie. 212 Qu’est-ce qui vous est passé par la tête. 213 Je vous attends. 214 Te valût, te vaudrait. Idem v. 684. 215 Te répandre. 216 Il ramasse la mitaine sale que l’Aveugle a jetée par terre. 217 Quant à moi. 218 En ce qui me concerne. 219 Je choisis un duel dans un espace limité. 220 Voir ma notice. Seuls les nobles se battaient en duel. L’offensé avait le choix des armes. Ici, tout le cérémonial est ramené à un jeu d’enfants. 221 Après avoir imité la voix d’un soudard, Saudret va contrefaire un preux chevalier, plus susceptible de plaire à l’Aveugle qui, voulant passer pour noble, arbore des sentiments chevaleresques. Ce rôle est à la fois vocal et physique ; c’est pourquoi l’auteur crée un personnage fictif qu’il baptise Fictus. L’écriture de cette scène est d’une modernité qu’aucune avant-garde n’a daigné relever. 222 À moi. « Vous soubvienne de boyre à my pour la pareille ! » Gargantua, Prologue. 223 Or. : Par (« On disoit autrefois d’un chevalier extrêmement accompli, que c’estoit fine fleur de chevalerie. » Dict. de l’Académie françoise.) 224 Tort. Idem v. 1018. 225 Et un démenti à mes paroles. 226 Sur une planche. L’estrade fera l’affaire. 227 Pour peu qu’il y ait quelqu’un. En terme de duel, on nomme cela un témoin. 228 Que la fidélité aux règles du tournoi féodal. 229 La vielle que vous portez en bandoulière. « Dous sons/ De harpes et de simphonies. » ATILF. 230 Conté, exposé. 231 Ce qu’il en est. 232 Délicatement, sans trop serrer. 233 Vous entendrez qu’il en sortira une querelle. 234 Et je vous garantis. Idem v. 978. 235 Attaché. Naturellement, il ne l’est pas. 236 Que je ne te ferai pas défaut. 237 Or. : et — en 238 Au jeu de paume, servir au rabat c’est feinter l’adversaire en rabattant l’éteuf vers le sol. « Mais un tas de mal gratieux/ Veulent tous servir au rabat. » Le Pèlerinage de Mariage. 239 Descendez votre panse, pour que je puisse attacher vos chevilles à vos poignets. 240 Pour lui faire sa fête. Idem v. 798. La broche en bois sert à piquer les fesses de l’adversaire. 241 Péter. Idem v. 725. « Mais quoy ! s’on l’oit vécir ne poire,/ En oultre aura les fièvres quartes ! » (Villon.) Quand il a peur, l’Aveugle ne maîtrise plus son sphincter : voir les vers 504, 734 et 792. 242 Dérangé. 243 Le meilleur moyen pour parvenir à piquer l’adversaire, c’est de le faire tomber en le bousculant. 244 Si je n’échoue pas dans mon intention. Cf. le Ribault marié, v. 134. 245 Une sonde. « Se playe avoit patente,/ Y fauldroit une tente. » Les Sotz fourréz de malice. 246 La voici. Fictus-Saudret donne un bâton court à l’Aveugle et en prend un long pour lui. 247 Libéré, détaché. 248 Le ms. BnF omet ce vers, qui est d’ailleurs litigieux : lui et le suivant reprennent les vers 157-8. 249 Par provocation, Saudret décoche à son adversaire le « hau ! » qu’il lui a défendu au v. 135. Il va récidiver à 762 250 Que vous vous défendiez. Chez l’Aveugle, la confusion des pronoms est à son comble ; comme on dit familièrement, c’est ni toi ni vous. 251 Et moi, je vous somme (dans la continuité du v. 744). 252 Un esprit mal tourné pourrait comprendre « maquerelles ». 253 Je ne te redoute pas. 254 Votre lance. « Saqueboutes, picquetz, estocz. » (ATILF.) Saudret, dont les mains sont libres, arrache à l’Aveugle son bâton. 255 Or. : je 256 Je n’ai plus de lance pour continuer le métier des armes. 257 Saudret agrippe les chevilles de l’Aveugle et le fait tomber à quatre pattes. 258 Aller à la selle. Idem v. 770. L’Aveugle est rattrapé par ses problèmes intestinaux (vers 733-6). 259 J’irai vous dire deux mots ! Avec son bâton, Saudret pique les fesses de l’Aveugle. 260 « Il le pique. » 261 De le faire. Le soi-disant témoin du duel ajoute une règle qui n’était pas prévue. Il est vrai qu’un « fictus testis » est un faux témoin. 262 Je fais appel, je m’y oppose. 263 « Fictus jette de l’eau, disant. » Fictus-Saudret vide un seau d’eau sur le postérieur de l’Aveugle, qui est à quatre pattes. Dans l’Aveugle et son Varlet tort, de François Briand, le valet fait mine de tondre son maître et lui verse de l’eau sur la tête : « L’eau me descend jusques au cul ! » Ledit valet abuse l’Aveugle en prenant une voix de femme : « Vous musez cy trop longuement./ Et ! par Dé, vous aurez de l’eau ! » Il se fera même passer pour Jésus, censé rendre la vue à son maître 264 Cette seillée, ce seau d’eau. 265 Bavarder. 266 Comme le plumage d’une tourterelle. Fictus-Saudret donne des coups de bâton sur les fesses de l’Aveugle, comme on frappe du linge mouillé pour l’essorer. 267 Et d’un ! Cf. Maistre Mymin qui va à la guerre, v. 137. 268 Or. : couscheray (Je vais me conchier. Voir le v. 504.) 269 Je le piquerai de ma lance. 270 De tout ce que je proférai contre toi. 271 Au v. 138, l’Aveugle voulait être honoré de ce titre. 272 Vers manquant. « Mais un estron pour te repaistre ! » (Le Bateleur.) Saudret fait semblant d’être lui aussi victime des coups donnés par Fictus. 273 Si besoin est. 274 L’injure que vous m’avez faite en me traitant de « vilain ». 275 Sans vous garder de mauvais ressentiment. Cf. la Fille esgarée, v. 149. 276 D’arrhes. « Il lui avoit baillé un escu de XVIII s[ous] d’erres. » (ATILF.) Cf. le Mince de quaire, vers 187, 226 et 228. 277 Pause : j’ai été longtemps ficelé. 278 Tromper. 279 Et s’enfuir en courant, « jouer de la botte », comme on dit dans Raoullet Ployart. Remarquons la cruauté de Saudret, qui feint de croire que le vieil Aveugle peut piquer un sprint dans le noir, alors qu’il court « bien pesantement » (vers 520). 280 Pour peu. 281 Je n’oserais. 282 Dans la manche du manteau que l’Aveugle a dû retirer au v. 654 : c’est pour cela qu’il ne peut pas donner l’argent lui-même. Faute de poches, on mettait la bourse dans sa braguette ou dans sa manche ; voir le vers 319 de Massons et charpentiers. Le drapel est un mouchoir noué dans lequel on enveloppe des pièces. « Un petit drappel noué ensemble, ouquel avoit environ LXXVI pièces d’or. » ATILF. 283 Pas un poil. 284 Qu’on ne puisse m’accuser de vol. 285 J’aimerais mieux. Même vers dans Raoullet Ployart. 286 Que d’avoir pris un centime de votre argent sans votre permission. Fictus-Saudret trouve le mouchoir dans la manche du manteau, et en prélève au moins 10 sous. 287 Qu’on n’en parle plus. « Et n’y ait plus dit ne songié. » ATILF. 288 Or. : ne (Que mon maître soit détaché.) Saudret libère l’Aveugle de ses liens. 289 Reconnaît sa faute. 290 De la viande rôtie. Une pâtisserie est une pâte fourrée de viande ou de poisson et cuite au four, comme le pâté de pigeon des vers 1241-2. 291 Gourmandise. 292 L’aveugle et Saudret sortent de la taverne, où le valet a bu et mangé pour deux, sans doute avec le concours intéressé du tavernier. Saudret aurait pu renoncer plus tôt à son alias, Fictus ; mais, étourdi par sa propre virtuosité, il veut s’en griser jusqu’au bout. D’autant que l’Aveugle a encore de l’argent à perdre. 293 Restauré. 294 Dieu. 295 Quant à moi. Idem v. 969. 296 En son nom. 297 Ses occupations. 298 En péril. 299 Mérité. Cf. la Chanson des dyables, vers 122. 300 Serviable. 301 Qu’on vous mette à l’amende. La taille est un impôt. 302 Or. : ne mais (Huimais = aujourd’hui. « Nous yrons huymais à une mienne maison. » La Curne.) 303 Or. : pour (L’en demain = le jour suivant. Idem v. 1018. « L’en demain, le mena le roy Phelippe à Paris. » Gestes au bon roy Phelippe.) 304 Que tu te verses à toi-même cet argent prélevé sur le produit de notre quête. 305 Saudret se prend pour Dieu. 306 Maintenant. 307 Sur le prochain produit. 308 Afin de montrer leur bonne foi dans une transaction verbale, les escrocs ajoutent une petite pièce « pour Dieu ». Ainsi, quand maître Pathelin arnaque le drapier : « Dieu sera/ Payé des premiers, c’est rayson :/ Vécy ung denier. » 309 Mon ami. Cette forme fossile représente un singulier : cf. la Confession Rifflart, v. 185. 310 Une chose feinte est une illusion. 311 D’habitant si modeste. 312 Le soi-disant Chose-feinte est censé partir. Saudret usera de sa voix naturelle jusqu’à la fin. 313 Un grand cortège de gens d’un rang élevé. Cf. le Maistre d’escolle, vers 82. 314 Sans nous cacher. 315 Le remanieur du texte copié dans le ms. BnF (voir ma notice) remplace par une didascalie cette chanson à boire qui n’en finit pas : Icy chantent tous deux quelque belle chançon. À titre indicatif, j’en ai sauvé quelques strophes. 316 A peuplé. 317 Or. : oura — saura (À celui qui sait dire. L’auteur de la chanson parle de lui-même.) 318 Celui : Dieu. 319 J’ai eu envie de chanter un peu la vie des buveurs. 320 Sinon du bien. « En bonne amour n’a se bien non. » Christine de Pizan. 321 Mort. 322 Et la vinée aiguise son esprit. Ou son « engin »… 323 Le vin blanc fait des guérisons. 324 Or. : vermeille (Le vin rouge.) 325 Dans l’oisiveté. 326 Tant qu’ils. 327 Triste figure et piteuse contenance. Bref, la gueule de bois ! 328 Délivrés, dessoûlés. 329 Comme pendant la soirée. 330 Son profit. Idem v. 1179. 331 Que tu distribues nos partitions. 332 Tombe (verbe choir). 333 Avant toute œuvre : avant toute chose. 334 Que je puisse les recouvrer, les récupérer. 335 De chaque rôlet, de chaque exemplaire. Idem v. 1058. 336 De celle-ci. 337 Le restant. 338 L’Aveugle a coutume de danser pendant qu’il chante et joue de la vielle. 339 Sur nos rognons, nos reins. Cf. le Gaudisseur, v. 192. 340 De l’argent. Ce mot d’argot se lit notamment dans le Mistère de la Passion, vers 177 et 186. 341 Bien servi en vin. 342 Révisons nos chansons. Les répétitions pouvaient donc se tenir dans une taverne. 343 Que nous nous y repaissions de nourriture et de vin. 344 Ni foie. N’as-tu pas faim et soif ? 345 Vu, devant une table bien garnie. Mais le sadisme de Saudret refait surface : l’Aveugle n’a rien « vu ». 346 Quelques jours plus tard, alors que le gueuleton à la taverne est depuis longtemps digéré. 347 Si tu as des victuailles. 348 Or. : grant — present 349 Que je puisse frapper avec mes dents. Sous-entendu : Dont je puisse frapper vos dents. 350 Ils nous donnent au moins de la nourriture à bon marché. 351 Scrupule. « Or ne faisons donques dangier/ Ne de boire ne de mengier. » ATILF. 352 Tu chois, tu tombes. 353 Guide-nous. 354 Habile. Idem v. 1203. 355 Il ne devrait y avoir. 356 Ni chaumière. Cf. les Rapporteurs, v. 312. 357 Déclamer un « cri » de mendiants, comme celui des vers 1125-32. 358 Votre talent. Ce mot s’applique aux artisans qui sont passés maîtres dans leur art. 359 L’ouvroir, l’officine. L’Apothicaire tient un rôle dans le Mystère. 360 S’il vous plaît. Idem vers 1281 et 1306. 361 Une petite maille, une piécette. Voir la note 9. 362 De la chair : de la viande. Idem v. 1248. 363 Ce qui déborde. « Pleuvoir à la verse : bien fort, comme qui verseroit de l’eau. » Oudin. 364 Il dépose une cruche et des restes de repas au coin de son étal, et y place deux chaises. 365 Asseyons-nous. Saudret met tous les bons morceaux dans sa bouche ou dans sa besace, et ne donne à l’Aveugle que des miettes. 366 Sur une planche à pain. 367 « On appelle pain mollet un petit pain dont la mie est légère & tendre. » Furetière. 368 Allons donc ! 369 Du pain bis, mal raffiné. 370 Cela te vaudra une récompense, s’il me reste du temps à vivre. 371 Le tailloir est une épaisse tranche de pain qui, sur les tables riches, tient lieu d’assiette. Après le repas, quand il est imbibé de sauce et de graisse, on le donne aux pauvres, si on n’a pas de chien. 372 Sans faire de difficultés. Cf. Frère Frappart, v. 48. 373 Un tronçon, un peu. 374 « Il boit. » 375 J’ajoute ces 2 vers pour les rimes, en recyclant les vers 1180 et 299. Saudret a fini le pot. 376 Chacun son tour. « Allons boire chacun sa foys. » Pierre Gringore. 377 « Le valet de taverne dit. » Dans le Mystère, ce serviteur et son patron tiennent la taverne du village d’Emmaüs. Les deux mendiants ne vont donc pas dans leur taverne habituelle. 378 Sachez-le. 379 Des gens qui ont dilapidé leur bien en se gouvernant mal. « Tu as prins l’estat de taverne,/ Où les enfans de Maugouverne/ Ont mengé tous leurs revenus. » Godefroy. 380 Or. : doulx 381 Habile, avec sa robe de toile, moins riche qu’une robe de laine ou de soie. 382 À l’auberge de la belle étoile. « Car bon vin il y a tousjours/ Au logis de la Belle Estoille. » Mystère des Trois Doms. 383 Bien que nous soyons. Mais on pourrait mettre « si » à la place de « que » : « Pourtant, si je suis mal vestu,/ Doy-je estre ravalé de vous ? » Vie de sainct Didier. 384 Des banquiers genevois étaient installés à Lyon. 385 Qu’on me tonde comme un fou. Voir la note 59. 386 Le touche, le frappe. 387 Devant tout le monde. 388 Dans le Mystère, l’aubergiste explique pourquoi les cavaliers sont plus rentables que les gens à pied : « Il fait grant mal/ À hostelliers de reffuser/ Gens à cheval pour s’amuser/ À loger chez eulx gens à pié,/ Où il n’a pas de la moitié/ Tant de prouffit comme en chevaulx. » 389 Sans hésitation. 390 Comme de braves gens. Idem vers 16 et 209. 391 Votre monnaie, sur laquelle est frappée une croix. Voir la note 3. Il s’agit bien sûr d’un anachronisme. 392 Sans perdre plus de temps. Idem v. 1274. 393 Rien à manger. 394 Aujourd’hui. 395 Le Mystère le qualifie de « saint », alors qu’il n’était encore qu’un disciple de Jésus parmi d’autres. 396 Or. : alastre (Trépassé. « S’il avient que aucuns desdiz évesques (…) soit translaté ou alé de vie à trespas. » Godefroy.) 397 De poulets. 398 Le onzain vaut 10 deniers. Cf. les Sotz triumphans, v. 35. 399 Cette farce fut créée à la cour de René d’Anjou en 1456. Au même endroit, l’année suivante, fut créée la Farce de Pathelin, qui s’inspire du présent marchandage : « –Tant m’en fault-il, se vous l’avez./ –Dea, c’est trop ! –Ha ! vous ne sçavez/ Comment le drap est enchéri. » Voir TRIBOULET : La Farce de Pathelin. GKC, 2011. 400 Pour ce prix. 401 Je paierais plutôt de ma poche. 402 De votre bourse en peau de chevreau. Double sens : « Tirer au chevrotin : To eat, or drink exceeding much. » Cotgrave. 403 Il donne 3 onzains au garçon. 404 Le valet de l’Aveugle nomme le valet de taverne son « cousin », pour le remettre à sa place. 405 Aujourd’hui. 406 Nous ne ferions pas citer à comparaître nos mauvais payeurs. 407 Revenu. Il pose tout sur la table et retourne en cuisine. 408 Or. : beu et 409 Nous mettre en voie, en route. 410 Pénurie. « L’abbaye de Saincte-Souffrète » (Lettre d’escorniflerie) est l’un de ces couvents joyeux dont les adeptes n’ont rien à manger. Dans les Repues franches, « les Gallans sans soucy » ont fait allégeance « à l’abbé de Saincte-Souffrette ». 411 Partager, distribuer. 412 Dieu vous le rendra. « Vous n’y perdrez seulement que l’attente. » Villon. 413 Très malins. Cf. les Sotz triumphans, v. 292. 414 Or. : Que (Si vous pouviez.) 415 Ne vous courroucez pas. 416 Avec nous (note 125), à cause de nous. 417 En un mot. Même vers dans les Drois de la Porte Bodés. 418 L’hôtelier sort de la cuisine en entendant du bruit. 419 Brièvement, bien vite. 420 Or. : me (Pourquoi ne les libères-tu pas de leurs gages ?) 421 Gueux, mendiants. Voir les « deux Coquins » du Pasté et la tarte. 422 Supportez votre pauvreté. 423 L’âme de Jésus, avant de se mettre à prêcher, a eu l’obligeance d’attendre que les resquilleurs aient fini leur dispute et leur chanson. Mais elle n’est pas allée jusqu’à rendre la vue à notre aveugle. Le Brigant et le Vilain, une farce incluse dans la Vie monseigneur saint Fiacre, se termine par une scène de taverne dont le dernier vers donne également la parole à Jésus.
LA VEUVE
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LA VEUVE
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On a vu dans cette comédie normande une de ces « farces de noces » qui agrémentaient les banquets de fiançailles ou de mariage (voir la notice de la Présentation des joyaux). Je n’y crois pas beaucoup : les quatre personnages et l’espace scénique requis par cette œuvre ne conviennent pas à ce genre d’« entremets ». De plus, l’argument n’est pas assez général pour une noce ordinaire, et la conclusion est trop sociale, voire politique, pour plaire à tous les convives. Les mêmes restrictions sont applicables à Poncette et l’Amoureux transy, et au Nouveau marié. Quant à l’Ordre de Mariage et de Prebstrise (F 31), où quatre personnages nous assènent 458 vers, il ne prouve rien : la mention « Farce nouvelle trèshonneste et joyeuse pour jo[u]er à toutes nopces » est un argument de vente mis en avant par l’éditeur.
Les filles qu’on mariait vers l’âge de 15 ans à des hommes de 40 se retrouvaient veuves très jeunes. Pour peu qu’elles récupèrent leur dot ou que l’héritage du défunt soit confortable, elles pouvaient se remarier en choisissant elles-mêmes leur nouvel époux. L’opinion publique ne se manifestait (sous forme de charivari) que si la veuve était beaucoup plus âgée que son futur, ce qui n’est pas le cas de la nôtre. Mais les veuves qui épousaient leur valet observaient une discrétion de bon aloi, et n’auraient sûrement pas commandité une farce pour immortaliser leurs faits d’armes. Le prêtre rouennais Guillaume Haudent leur consacra l’un de ses apologues, D’une Veufve & de son asne verd :
Certaine veufve, appétant jours et nuictz
Sentir encor les plaisirs et déduictz
Du jeu d’aymer (dont n’estoyt assouvie),
Désiroit fort et avoit grand envie
D’abandonner son estat de vefvage
Et, derechef, prendre aulcun personnage
Qui fût ouvrier pour la bien labourer,
Et pour son baz fermement rembourer.
Mais el n’osoit, pour le blason des gentz,
Lesquelz sont promptz et aussi diligentz
À mal parler et mesdire des femmes,
Les réputant meschantes et infâmes
Si leur advient qu’elles se remarient,
Pour tant qu’en dictz et parolles varient.
Ce qu’entendant, une sienne commère
– Laquelle eust bien, par eage, esté sa mère –
Luy vint à dire et à persuader
Qu’à bien grand peine el pourroit évader
Qu’on n’en parlast pour le commencement,
Mais qu’en aprèz, le bruit, tout doulcement,
S’appaiseroit. <La commère incite la veuve à peindre en vert son âne blanc ; le peuple en fait des gorges chaudes, puis s’habitue, et finit par se taire.>
Par quoy, sans plus le blason ne le dict
Des gens doubter, a voulu se remettre
En mariage, affin qu’elle peust estre
À son plaisir, et qu’à chascune foys
Qu’elle vouldroict, on fourbist son harnoys.
La pièce ne comportant pas de titre, chaque éditeur y est allé du sien. Depuis l’édition d’Emmanuel Philipot1, on s’en tient presque toujours à la Veuve.
Source : Manuscrit La Vallière, nº 55. L’encre est excessivement pâle ; c’est un problème de plus pour ce manuscrit qui les accumule.
Structure : Rimes plates, avec 5 triolets.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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Farce joyeuse
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À quatre personnaiges, c’est asçavoir :
ROBINET, Badin 2
LA FEMME VEFVE
LA COMMÈRE
et L’ONCLE MICHAULT, oncle de Robinet
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ROBINET commence 3 SCÈNE I
C’est un honneste sacrement4,
O[u] mauldict soyt-il qui en ment5 !
À mon avys, sy je l’estoys6…
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LA FEMME VEFVE entre SCÈNE II
Robinet ! Par ta foy, sy tu me hétoys7,
5 Me vouldroys-tu ?
ROBINET
Vouloir, vouloir. Vertu sainct Gris8 !
Que vous tinsai-ge de mes gris9,
Acollée dens un beau lict !
LA FEMME VEFVE
Feroys-tu branler le câlict10 ?
ROBINET
Ouy bien, car je le pousseroys
10 Sy fort que le desfonceroys,
Ma mestresse, par la chair dienne11 !
LA FEMME VEFVE
Y fault donc que ton oncle12 vienne,
Et ma commère d’icy près.
Et puys on voy(e)ron13 par après
15 Sy feron quelque assemblement
De no[u]s deulx.
ROBINET
Ouy, certainnement, je le veulx,
Ou je meure de mort amère !
Et puys y fauldra que ma mère
Aporte, à ce soyr14, de la tarte.
LA FEMME VEFVE
20 C’est bien dict. Je payeray carte15
Du meilleur que faire se peult.
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ROBINET 16 SCÈNE III
Qui rien ne sume17, rien ne c[u]eult18.
Çà, çà, g’éray19 les gans a[ulx] mains
Pour semondre20 tous les humains.
25 Subitement me fault courir.
Par Dieu, j’aymeroys mieulx mourir21 !
Le prestre nous espousera22.
.
LA COMMÈRE entre 23 SCÈNE IV
Et puys, qu’esse qu’il y a[ura],
Robinet ? Le séroys-tu24 dire ?
ROBINET
30 Venez tost, tout se parfera25.
LA COMMÈRE
Et puys, qu’esse qu’il y aura ?
ROBINET
A ! je l’éray ou el m’éra26.
Je la27 prens au bon ou au pire.
LA COMMÈRE
Et puys, qu’esse qu’il y aura,
35 Robinet ? Le séroys-tu dire ?
Sy tu devoys enrager d’ire28,
Sy sérai-ge pourquoy tu viens !
ROBINET
Je n’éray soufrète29 de riens,
Jamais, car je seray un homme30.
40 De venir souldain je vous somme
À ma mêtresse, qui vous mande.
LA COMMÈRE
Et pour quoy [dea] ?
ROBINET
La chose31 est grande.
Venez vitement, hastez-vous !32
LA COMMÈRE
Sçays-tu qu’il est33 ? Alon tout doulx,
45 Car les chemins sont coustéables34.
ROBINET
Et ! venez, de par le[s] grand[s] deables,
Que je n’ay[e]s blasme ou vitupère !35
.
LA COMMÈRE SCÈNE V
Honneur ! honneur !
LA FEMME [VEFVE]
Dieu vous gard, ma commère !
Vous soyez la très bien venue !
LA COMMÈRE
50 Comme vous va ?
LA FEMME [VEFVE]
Bien je prospère.
LA COMMÈRE
Honneur !
LA FEMME [VEFVE]
Dieu vous gard, ma commère !
LA COMMÈRE
Vous passez temps36 ?
LA FEMME [VEFVE]
Se mydieulx37, voyre !
LA COMMÈRE
En bon poinct38 estes devenue.
Honneur !
LA FEMME [VEFVE]
Dieu vous gard, ma commère !
55 Vous soyez la trèsbien venue !
ROBINET
Et ! dictes [vostre bienvenue]39
Et vous despeschez ! Qu’on se haste,
Car j’ey peur que le rost se40 gaste,
Qui sera mengé à la feste.
LA COMMÈRE
60 Mais de quoy se ront-il la teste ?
Dictes, y m’a faict tant de presse
En me disant : « C’est ma mêtresse
Qui s’est à vous recommandée. »
LA FEMME [VEFVE]
Sachez que je vous ay mandée
65 Comme ma commère et ma mye
À qui, du tout41, je me confye,
Pour42 me conseiller et aprendre
Se je doys espouser ou prendre
Mon sot valet à mariage.
LA COMMÈRE
70 Je vous diray, sur ce passage,
Ma commère, et en peu de plet43 :
S’il est honneste et il vous plêt
– Mais qu’il ne soyt fol ne volage,
Estourdy, de léger courage –
75 Et posé le cas qu’i n’a rien,
Pourveu qu’i soyt de gens de bien,
Sur ma foy, vous le debvez faire.
ROBINET
Je subviendray à son afaire44,
Car je suys bien envytaillé45.
LA COMMÈRE
80 Par Dieu ! Robinet est taillé
De vous faire un très grand service…
LA FEMME [VEFVE]
Tandy[s] qu’il est simple [et] novice,
J’auray tousjours de luy maistrise46.
Et sy, feray myeulx à ma guise
85 Aveq luy qu’avec un riche homme :
Car on n’ose dormyr grand somme,
Aveq un qui a tant de quoy47.
ROBINET
Ma foy, je me téray tout quoy48
Quant vous viendrez des grans banquès,
90 De menger les bons saupiquès49,
Des gésines50, d’aveq des51 maistres,
Mais que ne hantez52 poinct ces prestres
Qu[’on] nous dict estre billoqués53,
Et un tas d’Espaignos toqués54
95 Qui font tant des esperlucas55.
LA FEMME [VEFVE]
À vostre avys, esse mon cas ?
LA COMMÈRE
Ma commère, on en parlera56 ;
Pensez que l’un l’aultre dira :
« O ! elle a espousé son varlet,
100 Ce [grand] bémy57, ce sotelet,
[Ce conardeau]58, cest escollier.
El [l’]a trouvé franc du collier59. »
ROBINET
Aussy suis-je bien60, sur mon âme !
Je tire, je hale [sans blasme]61
105 D’un voirre62 droict comme une ligne63.
LA FEMME [VEFVE]
On dict qu’il est de bonne ligne64,
Et de gens de bien.
LA COMMÈRE
Et ! tant myeulx.
Robinet me semble bon fieulx65.
Vous [le] congnoissez de pièçà66 ?
LA FEMME [VEFVE]
110 Troys moy[s] y a qu’i commença
À me servir, et est loyal.
ROBINET
Par sainct Jehan, voyre ! et virginal :
Et sy j’ey encor mon pucelage ;
Synon unne foys, au village,
115 Au parmy d’une chanevyère67,
Aveq[ues] unne chambèryère…
Mais je ne sçay que je luy fis.
LA COMMÈRE
Robinet me semble bon fis68,
Bien servïable et bien honneste.
LA FEMME [VEFVE]
120 Je crains qu’il ne change de teste69
Quant y viendra à se congnoistre70 ;
Qu’i ne veuille faire du maistre,
Mes71 biens diciper et menger.
LA COMMÈRE
Par sainct Jehan, voylà le danger !
125 Assez voyt-on de telz novices
Qui, en servant, font beaulx ofices ;
Mais quant y viennent à puissance,
Y veulent fayre à leur plaisance.
Et sy on leur dict un seul mot,
130 Y gectent la pinte et le pot
À la teste72.
LA FEMME [VEFVE]
Il est vérité :
Quant y sont en auctorité,
Y viennent félons et mauvais.
ROBINET
[Moy,] je rateray les navès73.
135 Et sy, feray bien la lessive.
Je berseray Tiennot, Olive74.
Au soir, le feu je couvryray ;
Au matin, j[e l’]alumeray.
Et sy, porteray vos chandelles75
140 Aulx églises et aulx chapelles.
Et sy, de peur que n’ayez mal,
Je tiendray vostre oficial76
Quant vous lâcherez vostre urine.
LA COMMÈRE
Il semble, à veoir à sa courine77,
145 Qu’i vous fera grand loy[a]ulté.
LA FEMME [VEFVE]
S’y me faisoyt desloyaulté,
Comme ceulx qui vont à ces mons
Jecter fumelles contre-mont78,
Je luy aracheroys les… yeulx !
ROBINET
150 A ! nennin, nennin, semydieulx !
Je ne toucheray aulx fumelles :
Combien qu’i soyent79 bonnes et belles,
Je n’éray rien que l’ordinaire80.
LA FEMME [VEFVE]
Y nous fault mander le vicaire,
155 Et les voisins, et le curé.
ROBINET
Voylà tout mon cas asceuré.
Mais81 que mon oncle soyt venu,
Je seray riche devenu,
Car il est homme de façon82.
LA COMMÈRE
160 Sus, Robinet : une chanson !
Vostre oncle viendra cependant.
ROBINET
Voulez-vous que nous la danson ?
LA FEMME [VEFVE]
Sus, Robinet : une chanson !
ROBINET
Ma mêtresse, prenez le ton83,
165 Et puys je lèveray le chant84.
LA COMMÈRE
Sus, Robinet : unne chanson !
Vostre oncle viendra cependant.
Ilz chantent.85 Après la chanson :
LA FEMME [VEFVE] 86
An, an, an ! J’ey le cueur mar[r]y.
ROBINET
Et de quoy ?
LA FEMME [VEFVE]
De mon deffunt mary :
170 Du bon Roger, dont Dieu ayt87 l’âme !
Car c’estoyt le meilleur, pour femme88,
Qui fust jamais dessus la terre.
ROBINET
Il est mort.
LA FEMME [VEFVE]
Je ne le puys croire.
Toutes les nuyctz, y m’est avys
175 Que je le voys là, vis-à-vis.
Et sy, me monte en rêverye89
Que jamais ne me remarye.
LA COMMÈRE
Ma commère, c’est grand folye
De s’en donner mérencolye.
180 Toutefoys, quant il en souvyent,
Pleurer et gémyr en convyent
Pour s’aquicter envers nature.
LA FEMME [VEFVE]
A ! la bénigne90 créature
Que c’estoyt ! Et tant secourable !
185 Un chascun l’avoyt agréable.
Je crains bien, à changer, de pire.
LA COMMÈRE
Ne craignez pas qu’i vous empire ;
Tousjours irez de myeulx en myeulx.
Robinet est assez joyeulx,
190 Tournant vite comme une meulle.
Ce n’est rien c’une femme seulle,
Ma mye : un chascun la déboulte.
LA FEMME [VEFVE]
Raison veult que je m’y reboulte91,
Car Dieu m’en a amonnestée92 ;
195 Car dès la premyère nuyctée,
Qu’on sonnoyt pour le trespassé
Dont le deuil n’estoyt pas passé,
J(e) ouÿs bien, de nostre maison,
Les cloches disant en leur son
200 Insessamment, ce me sembloyt :
Prent ton valet ! Prent ton valet ! 93
ROBINET 94
C’est moy, c’est moy ! C’est moy, [c’est moy] !
LA COMMÈRE
Mon Dieu, vous me contez merveilles !
L’av’ous95 ouÿ de vos oreilles ?
LA FEMME [VEFVE]
205 Ouy, par ma foy !
LA COMMÈRE
Dieu l’a voulu,
Et pour vous Robinet esleu96 :
On le voyt, la chose est certaine.
.
L’ONCLE MICHAULT entre SCÈNE VI
Tant je suys venu à grand-payne,
Pour le temps qui est ainsy chault !
ROBINET
210 Mon Dieu ! c’est mon oncle Mychault,
Ma mêtresse !
LA FEMME [VEFVE]
Y vient bien à poinct.
MYCHAULT
Voycy des bonnès97, un pourpoinct,
Une chemise, un devantel98,
Que j’ey aporté de l’ôtel99
215 Pour toy, mon nepveu Robinet.
ROBINET
Et ! que je seray godinet100 !
Je seray plus gay101 que satin.
LA COMMÈRE
Et ! au moins, paye[z] le festin.
MYCHAULT
Quel festin ?
ROBINET
De nos fiansailles.
220 Vous serez à nos espousailles,
Nostre oncle. À vostre bienvenue !
MICHAULT
Vous me la chantez bien cornue102 !
ROBINET
Non103 faison, par saincte Marye !
C’est elle et moy qui se marye
225 Ceste semaine proprement.
Voilà104 pour le commencement :
Preu105, et [deulx, le]106 tiers, et le cart !
MYCHAULT
Holà ! Que le deable y ayt part !
N’en faictes plus, car je m’en sens107 !
ROBINET 108
230 Vous serez plus bastu que lard109 !
MYCHAULT
Holà ! Que le deable y ayt part !
ROBINET 110
Et vous, qui estes à l’écart,
Du plaisir ne serez absens.
MICHAULT
Holà ! Que le deable y ayt part !
235 N’en faictes plus, car je m’en sens !
Par Dieu ! j’ey eu plus de cinq cens
[Gros coups de]111 poing dessus ma teste !
ROBINET
Et ! c’est à cause de ma feste112 :
Je vous étrenne d’abordée113.
MYCHAULT
240 J’ey la teste toute eslourdée114 ;
N’en faictes plus !
ROBINET
Par la chair dienne !
C’est afin qu’i vous en souvyenne115,
Mon oncle Mychault.
MYCHAULT
C’est bien faict.
Je suys bien joyeulx, en effaict,
245 Que ton bon heur t’est avenu.
LA FEMME [VEFVE]
Pas ne sera circonvenu116 :
Il a esté mon serviteur,
Y sera mon gubernateur117
En tout temps et toute saison,
250 Le maistre de nostre maison.
Y taillera, y coupera
Ainsy que bon luy semblera
De[ns] tous mes biens en général.
MYCHAULT
Par sainct Jehan ! Dieu vous gard de mal118,
255 Et vous en face bien joyeuse !
LA COMMÈRE
Puysqu’el est de toy119 amoureuse,
Ce sera un bon mariage.
ROBINET
Qu’av’ous120 aporté du village,
Mon oncle, pour faire nos noces121 ?
MYCHAULT
260 Force lopins, aultres négoces122
Pour rire et pour faire la galle123.
ROBINET
Alons-nous-ent124 à nostre salle,
Là-derière, faire la chière125.
MYCHAULT
J’ey argent à ma gibecière
265 Pour payer carte de [bon] vin.
S’y plaist au benoyst Roy divin,
Je veulx digner126 !
ROBINET
Et moy aussy !
LA COMMÈRE 127
Seigneurs, nous concluons icy
C’un serviteur bon et loyal,
270 Honneste, bénin et féal128,
Par bien servir et loyal estre,
De129 serviteur devyent le maistre,
En bourgoiserye et noblesse.
MYCHAULT
Mainct a espousé sa mêtresse
275 Qui est parvenu à honneur.
ROBINET
Et pour s’oster130 hors de détresse,
Mainct a espousé sa mêtresse.
MYCHAULT
Par prudence, honneur et sagesse,
Le page devyent grand seigneur.
ROBINET
280 Mainct a espousé sa mêtresse
Qui est parvenu à honneur.
Je prye à Dieu le Créateur,
Qui doibt resjouir cest oulvrage131.
Une chanson de trèsbon cœur
285 Chantons, mon oncle de vilage,
Pour achever le mariage !
.
FINIS
*
1 Six farces normandes du Recueil La Vallière, Plihon, 1939, pp. 153-186. Voir aussi l’édition d’André TISSIER : Recueil de farces, Droz, t. IX, 1995, pp. 243-293. Pour les possibles sources de l’œuvre, je renvoie aux préfaces de ces deux éditions. 2 Badin n’est aucunement le patronyme du personnage : c’est sa fonction symbolique, tout comme c’est celle de « Jehan de Lagny, Badin », ou celle de « Mahuet, Badin natif de Baignollet ». Ces demi-fous sont décrits en détail dans les Sobres Sotz. « Robinet », diminutif de « Robin », désigne le pénis : « Il tire alors de sa prison/ Le robinet de son écluse,/ D’où l’eau s’élance à gros bouillons. » Joseph Vasselier. 3 Il est employé comme valet chez une jeune veuve. 4 Le sacrement du mariage. 5 Celui qui nous l’a fait croire. 6 Si j’étais marié. Robinet est interrompu par l’arrivée de sa patronne, en grand deuil. 7 Si tu me plaisais, du verbe haiter. 8 Saint François d’Assise, qui portait une robe grise. 9 Si je vous tenais entre mes griffes (normandisme). Cf. Tout-ménage, vers 61 et note. 10 Le châlit (prononciation normande). « Et un câlit couvert d’un pelichon/ Presqu’erréné par le tabut des fesses. » La Muse normande. 11 Euphémisme pour « Dieu ». Idem vers 241. 12 Ton tuteur. Robinet est orphelin de père. Cet oncle vit dans un village, mais il vient une fois par an à la ville (Rouen ?) pour apporter du linge à son neveu. 13 Nous verrons (normandisme). 14 Le soir du mariage. La mère de Robinet doit vivre dans le même village que l’oncle, puisque son fils y habitait (vers 114) avant d’être embauché par la veuve. 15 Une quarte [une double pinte] du meilleur vin, comme au vers 265. « Je suis contant de paier quarte/ Pour desjeuner. » Jehan qui de tout se mesle. 16 Il sort pour aller chercher la voisine. 17 LV : fume (Le « f » et le « s » sont à peu près identiques.) Sumer = semer. « La graine que je sume/ En vostre champ. » Villon, Testament, 1398. 18 Ne cueille. « Qui petit sème, petit cueult ; & qui sème en bénédiction cueult en bénédiction. » La Bible en françoys. 19 J’aurai. Même normandisme aux vers 32, 38 et 153. Dans la haute bourgeoisie d’avant guerre, un jeune homme mettait encore des gants blancs pour faire sa demande en mariage. 20 Pour inviter à mes noces. 21 Plutôt que de ne pas convoler avec ma patronne. 22 Nous mariera. Cette expression ambiguë est disséquée aux vers 300-327 des Cris de Paris. 23 Cette didascalie marque le début d’un rôle, et non un déplacement. En fait, c’est Robinet qui entre chez la voisine. 24 Saurais-tu. Même normandisme au vers 37. 25 Tout ira à son terme. 26 Je l’aurai en mariage ou c’est elle qui m’aura. Dans Jehan de Lagny, Trétaude veut épouser le Badin : « M’y deust-il couster trente souz,/ Je vous éray ou vous m’érez ! » 27 LV : le (Je la prends pour le meilleur et pour le pire.) Jeu de mots sur « prendre au bond », comme si la veuve était un éteuf du jeu de paume. 28 Même si tu devais enrager de colère. 29 Marié à cette riche veuve, je n’aurai pénurie de rien. « Que n’arez souffrète de rien. » La Fille bastelierre. 30 Un Monsieur, un notable. 31 L’affaire. Double sens priapique : « Mon Dieu, que vostre chose est grande ! » Jénin filz de rien. 32 Dans la rue, Robinet traîne la voisine jusqu’au logis de la veuve. 33 Sais-tu quoi ? 34 Coûtent beaucoup de peine. « Et ch’est chen qui no z’est oncor pu coûtiable. » [Et c’est ce qui nous est encore plus pénible.] La Muse normande. 35 Ils arrivent chez la veuve. 36 Vous prenez du bon temps ? 37 Si m’aid Dieu : que Dieu m’assiste ! Idem vers 150. En Normandie, voire se prononçait vaire, tout comme croire se prononce craire à 173. 38 Dodue, ayant de l’embonpoint. 39 LV : ma desconuenue (Achevez vos mondanités.) 40 LV : ne (Que le rôti du repas de fiançailles ne brûle.) Dans la farce du Pasté (F 19), le mari ne cesse de vouloir empêcher un pâté de brûler : « Par ma foy, ce pasté se gaste ! » 41 Totalement. 42 LV : de 43 De plaid, de discours. Malgré cette promesse, la voisine se perd dans les circonvolutions diplomatiques. 44 À son sexe. « S’il y a quelque mariée (…),/ Incontinent, par un beau Frère/ Sera visité son affaire. » Discours joyeux des Friponniers. 45 Bien pourvu de vit. (L’édition de 1837 omet pudiquement la fin du vers.) Un autre badin et valet, Jéninot, se targue devant sa patronne de pouvoir lui offrir de pareils avantages : « Je n’en crains pas homme qui viengne/ Pour estre bien envitaillé. » Jéninot qui fist un roy de son chat. 46 LV : seruice (Je le dominerai toujours.) 47 Double niveau de langage : 1) On n’ose pas faire la grasse matinée, avec un homme si riche. 2) On ne songe pas à dormir, près d’un homme si bien envitaillé. 48 Tout coi. « S’y ne veult se taire tout quoy. » Les Sobres Sotz. 49 Un saupiquet est un plat en sauce piquante. 50 De visiter les accouchées. Cf. Saincte Caquette, vers 41 et note. 51 LV : mes (D’écouter des prédicateurs.) 52 « Pourvu que vous ne fréquentiez… » Note d’A. Tissier. 53 Qui pratiquent la bilocation, et peuvent se trouver à deux endroits en même temps ; tel était le cas de saint François d’Assise (note 8), qui institua les Cordeliers, ces modèles de débauche que le peuple traitait de « frères Frappart ». Tout près de là, en Picardie, les bilokes désignaient les testicules ; on pourrait donc traduire : Ces cordeliers couillus. 54 Coiffés d’une toque particulièrement voyante. « La toque à l’espaignole (…) garnie d’un petit plumail garny de grosses perles. » Amadis de Gaule. 55 Les galants emperruqués. Cf. le Trocheur de maris, vers 133. 56 Votre mariage va faire jaser. 57 Ce niais. Cf. Lucas Sergent, vers 69. 58 LV : se conate (Jeune Sot affilié aux Conards de Rouen, qui ont peut-être créé la pièce. « Conars, ayez à subvenir/ À l’Abbé et ses conardeaux ! » Les Veaux.) 59 Bon amant. « Franc du collier,/ Et qui ne se face prier/ Quant ce viendra à la “besongne”. » Le Trocheur de maris. 60 Je le suis, franc du collier, comme un cheval de trait. 61 LV : sus mon ame (à la rime. Correction suggérée par Tissier.) Je tire et je hale comme un cheval de trait. 62 LV : voyre (Cf. les Sotz escornéz, vers 23.) Je tire le contenu d’un verre. 63 En droite ligne, cul sec. 64 Qu’il descend d’une bonne lignée. « Je suys de gens de bien extraicte,/ Et de ligne bonne et parfaicte. » Lucas Sergent. 65 Un bon fils (vers 118), un bon gars. 66 Depuis longtemps. 67 Au milieu d’une chènevière, d’une plantation de chanvre. 68 Un bon fils, un bon gars (note 65). 69 De caractère. 70 À connaître ses pouvoirs. « Or il est temps de vous congnoistre :/ Prenez à destre et à sénestre ! » Villon. 71 LV : mais 72 « Et le mien m’a voulu ruer/ Ung pot d’estain parmy la teste. » Les Femmes qui font refondre leurs maris. 73 Je raclerai la peau des navets à la cuisine. « Se les navès ne sont ratés,/ Ilz ne feront jà nette souppe. » Les Menus propos. 74 Étienne et Olive sont les bébés de la veuve. 75 Les cierges que vous offrez aux saints. Cf. le Trocheur de maris, vers 97. 76 « Un pot à pisser, c’est un official. » Gargantua, 9. 77 Sa corine, son cri du cœur. 78 Jeter des femmes en l’air. Cette allusion à un fait divers local serait peut-être identifiable si l’on n’avait pas détérioré le vers précédent, qui rimait en -ont. 79 Bien qu’elles soient. 80 Je me contenterai de ma femme. 81 Pour peu. L’oncle vient toujours voir son neveu à la même date (note 12). Cette date estivale (vers 209) est probablement la Saint-Jean d’été, le 24 juin, qui servait de repère pour toutes sortes d’échéances : cf. la Fille esgarée, vers 116. 82 De qualité. 83 Donnez la première note, pour que nous ayons la tonalité. « Chantons ! Je m’en vays le ton prendre. » Maistre Mymin qui va à la guerre. 84 Je chanterai. « La chançon fut moult douce, et [Anthoines] bien la leva/ À chant et à deschant. » Tristan de Nanteuil. 85 La chanson n’a pas été gardée. Elle commençait par une rime en -ant, pour se raccorder au triolet qui précède. 86 Elle sanglote avec ostentation. Le dialogue qui suit dépeint admirablement la mentalité médiévale face aux convenances, qu’il faut ménager pour qu’elles nous autorisent à les transgresser. 87 LV : et 88 C’était un de ces vieillards en adoration devant leur jeune épouse, comme ceux des Femmes qui font refondre leurs maris. 89 Il me vient en rêve. 90 L’inoffensive. 91 Que je me remarie. Cf. les Sobres Sotz, vers 429. 92 Admonestée : m’y a exhortée. 93 La veuve chante sur un timbre de cloches à 4 tons. Les présages de ce type étaient pris au sérieux ; quand Panurge hésite à convoler, des cloches lui disent : « Marie-toy ! Marie-toy ! » (Tiers Livre, 27.) Tous les commentateurs citent à cet endroit un sermon de Jean Raulin publié en 1518, De Viduitate, dans lequel des cloches ordonnent à une veuve : « Prens ton varlet ! Prens ton varlet ! » Le sermon est en latin, mais les cloches s’expriment en français. Il semble que Raulin, l’auteur de la Veuve et Rabelais puisent à une source antérieure, peut-être folklorique. 94 Il répond sur le même timbre de cloches. Ce vers échappe au schéma des rimes. 95 L’avez-vous (normandisme). « L’av’ous point veu icy venir ? » La Résurrection Jénin à Paulme. 96 Dieu a élu [choisi] Robinet pour vous. 97 Des bonnets. Michaut apporte toujours un sac de vêtements à son neveu. 98 Un devanteau : un tablier. 99 De ma maison, de mon village. 100 Plaisant. 101 Plus vif. L’expression courante est : Plus gai qu’une mitaine. 102 Vous me la baillez belle ! « Vous me la baillez bien cornue ! » L’Homme à mes pois. 103 LV : nous (« Non fais, je vous promais ma foy ! » Le Gentil homme et son Page.) 104 Le copiste a noté voilela, puis il a biffé le « e ». 105 Le premier. « Empreu, et deux, et trois, et quatre. » (Farce de Pathelin.) Cf. Maistre Mymin qui va à la guerre, vers 137. 106 LV : le deulx (Et voilà pour le premier coup de poing, pour le deuxième, pour le troisième, et pour le quatrième !) Chaque fois, Robinet donne un coup sur la tête de son oncle, selon une coutume nuptiale que Rabelais décrit dans le Quart Livre <chap. 12> : « Les parolles dictes et la mariée baisée au son du tabour, vous tous baillerez l’un à l’aultre du souvenir des nopces : ce sont petitz coups de poing…. Telz coups seront donnéz en riant, scelon la coustume observée en toutes fiansailles. » Les vers 152-154 des Sotz nouveaulx farcéz évoquent cette tradition. Robinet oublie que le poing doit être ganté afin d’adoucir les coups. 107 Je m’en ressens. Cf. le Ribault marié, vers 576. Le copiste avait d’abord écrit, puis biffé : deulx (du verbe se douloir). 108 Il continue à frapper. 109 Plus tanné que du cuir. 110 Il menace le public. 111 LV : coups de gros 112 De mes fiançailles. 113 De prime abord, avant les autres invités. 114 Étourdie. Cf. les Sobres Sotz, vers 397. 115 Aujourd’hui, on rapporte de la noce une photo-souvenir ; à l’époque, on en rapportait une bosse ou un bleu : « Des nopces vous en soubvieine ! » Quart Livre, 14. 116 Dupé. 117 Mon gouverneur, mon maître. 118 Jeu de mots conventionnel : Que Dieu vous éloigne des mâles ! 119 LV : moy (La voisine s’adresse à Robinet.) 120 LV : quaues vous (Note 95.) 121 Qui puisse servir pour ces noces. 122 Affaires. 123 Pour prendre du plaisir. « Et Dieu scet se on faict la galle,/ À mener dancer ces bourgeoises ! » Guillaume Coquillart. 124 Cf. le Gentil homme et son Page, vers 252. 125 LV : chaire (Pour faire bonne chère.) 126 Dîner. 127 Au public. La conclusion laisse poindre une critique des arrivistes, dont beaucoup se servaient du mariage pour monter en grade. 128 Bon et fidèle. 129 LV : le (Hors de tout contexte, le même copiste a noté dans un recueil palinodique <BnF, ms. fr. 19184, fº 208 rº> : « Par bien servir et loyal estre,/ Le serviteur devyent le maistre. ») 130 LV : loster (Pour échapper à la misère.) 131 Qui doit bénir ce mariage. Mais l’auteur considère peut-être que l’ouvrage en question n’est autre que sa pièce.
L’AVEUGLE, SON VARLET ET UNE TRIPIÈRE
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L’AVEUGLE,
SON VARLET ET
UNE TRIPIÈRE
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Cette farce normande remonte à la seconde moitié du XVe siècle. À l’époque, d’innombrables faux infirmes exploitaient la générosité des braves gens ; de sorte que les vrais infirmes, s’ils voulaient obtenir une aumône, devaient faire preuve d’autant de roublardise que les simulateurs. Au XIIIe siècle déjà, les dons se faisaient rares ; on peut en juger par la plus ancienne de toutes les farces, Du Garçon et de l’Aveugle, qui met en scène un duo de mendiants constitué d’un aveugle et de son serviteur. Des couples du même acabit provoqueront l’hilarité dans l’Aveugle et son Varlet tort (de François Briand), l’Aveugle et Saudret, Ung biau miracle, l’Aveugle et le Boiteux (d’André de la Vigne), l’Aveugle et Picolin (de Claude Chevalet), ou encore l’Aveugle, sa Chambèrière et son Varlet 1.
D’un naturel peu charitable, les tripières furent elles aussi victimes des rieurs. Dans notre farce, tout comme dans celle de la Trippière (F 52), deux mendiants réclament de la nourriture à une marchande de tripes qui, faute de la leur avoir donnée, se la fera voler.
Source : Manuscrit La Vallière, nº 13. Le texte est dans un état pitoyable, et certains passages ressemblent à de la prose. Je renonce à égaliser les vers trop courts.
Structure : Rimes plates, avec quelques rimes croisées.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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Farce joyeuse
À .III. personnages, c’est asçavoir :
un AVEUGLE
et son VARLET [Goulpharin]
et une TRIPIÈRE [Phlipotes]
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LE VARLET 2 commence SCÈNE I
Sui-ge poinct ung gentil mygnon
Et un bon petit garçon,
Pour un Goulpharin3 ? Ne suys poinct ?
Par le corps bieu ! je seray oingt4,
5 Sy ne retourne vers mon maistre.
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L’AVEUGLE 5 SCÈNE II
Celuy Dieu qui tout a faict naistre
Garde de mal la compaignye !
Ma joye est bien abolye ;
Et sy, ne sçay plus que g’y face6.
10 Mes amys, regardez la face
Du7 bon homme qui ne voyt goute,
Et sy, ne sçayt où il se boute8 ;
Car mon varlet cy m’a lessé.
Je suys jà viel homme cassé,
15 Et assourdy des deulx horeilles.
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LE VARLET SCÈNE III
Maistre, vouécy vos bouteilles.
L’AVEUGLE
Qu’esse que j’os9 ?
LE VARLET
C’est vostre varlet Goulpharin.
L’AVEUGLE
Et d’où viens-tu ?
LE VARLET
Je viens du vin,
Du vin qui est cler et qui est fin10.
L’AVEUGLE
20 Tu me la bailles bien cornue11 !
LE VARLET
Et tout pour la gentille repue12,
Nous vous ferons bien vos raisons13.
L’AVEUGLE
J’ay veu de sy bonnes saisons14…
Dea ! et reviendra poinct nostre temps ?
LE VARLET
25 Ouy, ouy, après ces15 Rouvèsons.
Que nous serons trètous contens !
Et sy, aron argent et or.
Et seron armés (par16 sainct Mor !)
Du pié jusques à la sonnète17.
30 N’ayron besache ne pouquète18
Qui [ne] nous serve plus de rien19.
L’AVEUGLE
Dis-tu ? Et ! tant nous serons bien !
LE VARLET
Maistre, y nous fault aler assaillyr,
S’yl est possible, sans faillyr,
35 Quelque maison de plaine face20,
Et [y] faire un trèsbeau « prouface21 ».
[Que vous en semble :] di-ge bien ?
L’AVEUGLE
Ouy, vrayment. Mais tu sçays [com]bien,
Par ma foy, je [me] meurs de fain !
LE VARLET
40 Nous n’yrons plus guères loing.
[Allons prier quelque tripière
Qu’elle nous face bonne chière.]
L’AVEUGLE
Quoy ! et qu’e[n] pourions-nous avoir ?
LE VARLET
Nous ne povons que [le] sçavoir22.
L’AVEUGLE
45 Et sçays-tu bien là où elle vent23 ?
Dy, despesche-toy vitement !
LE VARLET
Ouy, ouy, je la voy bien, d’icy.
Mais il eschet24, en ce cas-cy,
Maistre, que vous [ne parlerez]25.
L’AVEUGLE
50 Par sainct Pierre, vous mentirez !
Aprochez près26 ; vous luy direz
Que je suys du tout assourdy27,
Et que je n’os grain ne demy28,
Ainsy que luy sérez29 bien dire.
LE VARLET
55 Je ne l’oseroys contredire.
Empongnez-moy par la saincture30,
Et nous yrons à l’avanture31.
Or çà ! Dieu nous veuile conduyre,
Et nous gardons bien de mal dire32 !
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60 Dame Phlip[ot]es33 : Nostre Dame SCÈNE IV
Vous veuile sauver et garder !
Nous vous prions de cœur et d’âme
Qu’i vous plaise icy regarder
[Vers] les povres menbres de Dieu34
65 Qui vous viennent vouèr35 en ce lieu.
Cestuy36 ne voyt, et sy, n’ot gouste.
LA TRIPIÈRE
Y m’est avys sans nule doubte
Que ce bon homme icy oyt37 bien.
LE VARLET
Par ma foy, [ma] dame, y n’ot rien.
LA TRIPIÈRE
70 Comme est son nom ?
LE VARLET
Et ! c’est Marault38.
LA TRIPIÈRE
Je le voys dont crier bien hault39 :
Hau ! [Hau !] Marault, veulx-tu du fée40 ?
L’AVEUGLE
J’estoys plus yvre que la née41
L’endemain de la Sainct-Martin42.
LA TRIPIÈRE
75 Vien çà ! Veulx-tu un boudin ?
Parle à moy : veulx-tu poinct menger ?
As-tu perdu43 ton apétys ?
L’AVEUGLE
J’ey cuydé bien [fort] arager44,
Quant je suys party du logis.
………………………….. 45
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LE VARLET SCÈNE V
80 Dea ! m’en iray-ge [en ce droict poinct]46 ?
Dame, ne m’escondisez47 poinct.
Dame, me donnerez-vous rien ?
LA TRIPIÈRE
Dea ! [Croys-tu qu’on donne son bien]48 ?
Sy tu en veulx avoir, y fault
85 Argent bailler [du premier sault49],
Et [qu’il y coure]50 un double ou deulx.
LE VARLET
Baillez-moy de ce que je veulx.
Et me faictes bonne doublée51 :
Ma besache sera gastée,
90 Se ne le metez au cornet.
LA TRIPIÈRE
Ce que je te baille [est moult]52 net :
[Yl est]53 du mileur de ma gate ;
Yl est fleury comme une mate54,
Et sy, [yl] est blanc55 comme un œuf.
LE VARLET
95 Baillez-moy de ce pié de beuf,
De la panchète, du gras bouel56 ;
Onq(ues), puys la veille de Nouël,
Je n’en mengis grain ne demy57.
LA TRIPIÈRE
Or, saquez58 argent, mon amy,
100 Car [vez-en là]59 pour vostre double.
LE VARLET
Cecy, et qu’esse ? [Du gras double60 ?]
LA TRIPIÈRE
C’est un boudin [tout] plain de gresse.
Sy tu [n’en veulx, je]61 les reverse.
Ne les viens poinct cy patrouiller62,
105 Et va[-t-en] alieurs marchander.
LE VARLET
Et ! baillez-m’ent plus largement,
Sy voulez avoir mon argent,
[Dame.]
LA TRIPIÈRE
Par sainct Jehan, non feray !
LE VARLET
Donques je les reverseray.63
LA TRIPIÈRE
110 Par la croix bieu, tu les pouéras64 !
LE VARLET
Par la mort bieu, [tu mentiras !
Tu ne vaulx rien, orde tripière]65 !
LA TRIPIÈRE
Je vaulx mieulx [que tu ne vaulx] toy,
Ne que [ne valust]66 onq ton père.
115 Me viens-tu faire tant d’esmoy ?
Par l’âme [du bon sainct André]67 !
Huy je te desvisageray68 !
LE VARLET
Au ! [par] ma dame69 saincte Agate !
Elle m’a baillé de sa pate70,
120 Et sy, m’a rompu le visage.
LA TRIPIÈRE
N’y reviens plus, se tu es sage !
Tyre tes chausses71, Poy-d’aquest !
LE VARLET
Adieu, la fille Loriquet72 !
LA TRIPIÈRE
À Dieu, le filz à sa Marguet73 !
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125 Cesser y nous fault le caquet,
Car nous ferions cy la sérye74.
Prenez en gré, la compaignye !
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FINIS
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1 Cette farce est également connue sous le titre de Goguelu (F 45). 2 Dans la rue, il boit du vin à la bouteille, tandis que son patron aveugle attend son retour un peu plus loin. 3 Ce surnom du valet désigne un amateur de bonne chère. « Bons compaignons, rustres et gourfarins. » A. de la Vigne. 4 Battu. 5 Il s’adresse au public. 6 Et même, je ne sais plus que faire. 7 LV : de ce (Ne voir goutte = ne rien y voir. « L’aumosne au povre diséteux/ Qui jamais, nul jour, ne vit goucte ! » L’Aveugle et le Boiteux.) 8 Ne sait pas où il va. 9 Que j’ois, que j’entends. L’aveugle est à moitié sourd, comme il l’a dit au vers 15. 10 Ce vers surnuméraire est probablement le refrain d’une chanson à boire. 11 Tu me la bailles belle. « Vous me la baillez bien cornue ! » L’Homme à mes pois. 12 LV : fue (?) Une repue est un festin. Cf. les Repues franches de maistre Françoys Villon. 13 Je vous ferai concurrence. 14 Des temps meilleurs. 15 LV : ses (Les Rovaisons, ou Rogations, précèdent l’Ascension. « Gardons-le pour les Rouvaisons. » Les Sotz nouveaulx farcéz.) 16 LV : de (Les deux clochards se voient déjà gentilshommes, lesquels avaient seuls le droit de sortir armés.) 17 Jusqu’à la tête, sur laquelle les Sots portent des grelots. « Attache-moy une sonnette/ Sur le front d’un moyne crotté (…) :/ Voylà un Sot de la Bazoche. » Clément Marot, Du coq-à-l’asne. 18 Nous n’aurons plus de besace ni de poche en tissu. C’est là-dedans que les mendiants mettent la nourriture qu’on leur donne : voir le vers 89. Le Valet a un fort accent normand. 19 Qui ne nous serve plus à quoi que ce soit. Rien [chose] avait une valeur positive. 20 À visage découvert, sans nous cacher. 21 Prou vous fasse : (Que cela) vous fasse profit. « PROUFACE est un salut qu’on fait au sortir de table aux conviéz, en souhaittant que ce qu’ils ont mangé leur profite. » Furetière. 22 Nous le saurons bientôt. 23 Les tripières ambulantes vendaient au marché des tripes chaudes que les clients consommaient sur place, dans une écuelle, une chope, ou un cornet de papier fort. Voir la Confession du Brigant, vers 157-160. 24 Il échoit, il convient. 25 LV : parles (Le valet craint que son patron ne soit pas assez fin pour berner une tripière. Il insiste au vers 59.) 26 Il parle à l’oreille du valet, pour ne pas être entendu par la tripière, dont le stand est tout proche (vers 47). 27 Totalement sourd. 28 Que je n’entends ni un mot, ni même la moitié d’un. 29 Saurez (normandisme). 30 Les aveugles se cramponnaient aux basques de leur guide. 31 « Or allons à nostre avanture ! » L’Aveugle, sa Chambèrière et son Varlet (F 45). 32 Gardons-nous de nous trahir. 33 Phélipotte est une des Femmes qui font baster leurs maris aux corneilles (F 29). Ce prénom est souvent abrégé en Phlipote, ou même en Flipote, comme en témoigne le premier vers du Tartuffe : « Allons, Flipote, allons ! Que d’eux je me délivre. » Le valet connaît donc déjà la tripière, puisqu’il sait son nom. 34 « Les povres gens, je le dis sciemment,/ Ce sont membres de Dieu. » L’Ardant miroir de grâce. 35 Voir (normandisme). 36 LV : lequel (Celui-ci n’y voit pas, et même, il n’oit goutte [il n’entend rien].) 37 LV : voyt 38 Un maraud est un maraudeur, un mendiant. Cf. les Maraux enchesnéz. 39 Je vais donc l’appeler très fort. 40 Du foie (normandisme). « Du faye et ung pié de mouton ! » La Trippière, F 52. 41 La naie : l’étoupe avec laquelle on colmate un tonneau de vin. « Quant ung tonneau bien on ne perce,/ Si bien ne l’estoupe-on de naye,/ Que le vin ne suinte. » ATILF. 42 Cette fête des vendanges, le 11 novembre, donnait lieu à des beuveries. « À la Saint-Martin, l’on boit le bon vin. » (Proverbe.) Le lendemain, l’étoupe qui bouchait le tonneau n’avait donc pas eu le temps de sécher. 43 LV : poinct 44 Devenir fou de rage. Ces coq-à-l’âne de Maraut annoncent déjà ceux de Marot (note 17). 45 Il manque ici un long passage, ce qui explique l’anormale brièveté de la pièce. Le faux sourd, habilement « cuisiné » par la tripière, finit par se trahir. Les deux mendiants repartent sans avoir rien obtenu. Ils se disputent, et le valet revient seul pour tenter d’émouvoir la commerçante. 46 LV : ainsy droict joinct (Dans un tel état.) Séparé de son acolyte, le valet parle maintenant à la 1ère personne du singulier. 47 LV : mescondisses (Ne m’éconduisez pas.) 48 LV : os tu on ne me les donne poinct (Ces 4 vers sont encore plus abîmés que les autres. J’ai tenté de mettre un peu d’ordre dans la métrique.) Les biens désignent la marchandise ; dans la Trippière (F 52), un mendiant implore qu’on lui donne des tripes : « En l’honneur de Nostre Seigneur,/ Dame, ung morceau de vos biens ! » 49 De prime-saut, d’emblée. Cf. le vers 65 des Sotz nouveaulx et le vers 148 de Jehan qui de tout se mesle. 50 LV : qui ly coure du tien (Courir = circuler ; se dit d’une monnaie qui a cours.) Un double vaut 2 deniers. 51 Doublure : doublez l’épaisseur de papier du cornet, pour ne pas salir ma besace. Voir la note 23. 52 LV : nest pas trop (Est parfaitement sain.) 53 LV : cest (Voir le vers suivant.) Cela vient du meilleur de ma jatte (normandisme). « C’est une jatte à tripière : il y a des andouilles, des rognons, des trippes. » Bruscambille. 54 Comme la croûte du lait caillé. 55 Les tripes doivent être bien blanches, c’est un signe de fraîcheur. « La blanche trippe, et grasse. » La Trippière, F 52. 56 De la pansette [de la ventrèche], du boyau. Ces deux graphies sont normandes. 57 Je n’en mangeai si peu que ce soit. 58 Tirez de votre bourse (normandisme). « Nul ne paie voulentiers, ne sacque argent hors de sa bourse. » Froissart. 59 LV : vesen la (Voyez-en là : en voilà pour la valeur de votre double denier.) 60 « Gras double : espèce de trippe que vendent les trippières ; c’est le second des quatre ventricules du bœuf, ou des autres animaux qui ruminent. » Furetière. 61 LV : ne les veulx sy (Je les remets dans mon baquet.) 62 Tripoter. « Ne les patrouillez poinct ainsy ! » Le Marchant de pommes. 63 Il fait mine de remettre les tripes dans le baquet avec ses mains douteuses. La tripière l’en empêche. 64 Tu les paieras (normandisme). Les tripes étant souillées, elles deviennent invendables, et le valet peut les garder. Les écoliers des Repues franches emploient la même ruse pour se procurer des tripes gratuitement : « Françoys (…)/ Les voulut tout incontinent/ Remettre dedans le baquet./ El ne les voulut pas reprendre. » 65 LV : tripiere tu mentiras (Le passage 111-116 est corrompu.) La saleté des tripières, qu’on ramène toujours aux excréments contenus dans les intestins, est passée en proverbe. « Ou une orde tripière aussi,/ En vendant du foye ou du (gras) double/ Pour ung denier ou pour ung double,/ Du boyau cullier ou du mol [du mou],/ Jurera saint Pierre ou saint Pol. » (Éloy d’Amerval.) Dans la Trippière (F 52), l’injure « orde trippière » apparaît deux fois. 66 LV : fist 67 LV : de ton grand pere (St André est toujours qualifié de bon : « Ô bon sainct André, que vous aviez bien raison de ne vouloir point quitter la Croix ! » Jacques d’Arbouze.) On reprochait aux tripières de jurer sur les saints : voir le vers 108 et la note 65. 68 Je vais te défigurer. 69 LV : deme (On appelait les saintes madame. « Il fist faire ung monastère en l’honneur de madame saincte Agathe. » Jehan Platine.) 70 Elle m’a donné un coup de patte, une gifle. 71 LV : chauses (Va-t’en !) Peu d’acquêt = rien à gagner. C’est notamment le nom d’un gueux dans la farce des Coquins (F 53), et le nom d’un pauvre dans Marchandise et Mestier (BM 59). 72 Un loricard est un fanfaron : cf. le Résolu, vers 88. Loriquet et sa fille furent sans doute des personnages de farce. Leur nom était prédestiné au théâtre : de 1840 à 1882, plusieurs comédies mettront en scène un mari faible nommé Loriquet. Sa fille paraîtra dans les Noces de mademoiselle Loriquet, de Grenet-Dancourt. 73 LV : mere (qui ne rime pas. Marguet est une épouse échangiste dans le Savatier et Marguet.) Une Marguet, ou une Margot, est une prostituée ; son fils est donc un fils de pute : « Le filz à la grosse Margot ! » Trote-menu et Mirre-loret. 74 Nous y passerions la soirée (normandisme).
LE COUSTURIER ET LE BADIN
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LE COUSTURIER
ET LE BADIN
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Parmi les métiers malhonnêtes qui prêtaient le flanc à la caricature, celui de couturier tenait une bonne place. On le dénigre dans le Cousturier et Ésopet, dans Deux jeunes femmes qui coifèrent leurs maris, dans la Seconde Moralité de Genève, et sans doute dans le Pauvre et le Riche. La satire anticouturière nous a aussi légué deux fragments de farces que je publie ci-dessous : le Cousturier et le Badin, et le Cousturier et son Varlet. Ces deux pièces écrites vers 1540 appartiennent au répertoire des Conards de Rouen1, une confrérie joyeuse qui régnait sur le théâtre comique normand.
Nous avons là ce que les numismates appellent une « pièce fourrée2 ». Quelqu’un eut l’idée de « coudre », à l’intérieur d’une farce α dont il manquait le milieu, un morceau d’une farce β, qui est aujourd’hui perdue. Ce rapiéçage est cousu de fil blanc, mais les rôles et le sujet des deux œuvres font assez bon ménage.
α : Le Cousturier et le Badin va du vers 1 au vers 124, puis du vers 236 à la fin. Les personnages sont un Couturier et un Badin (Colin) qui ne se connaissent pas, une Première Commère et une Deuxième Commère, qui sont voisines et amies, ainsi que Gillette, la Chambrière de la seconde.
β : Le Cousturier et son Varlet va du vers 125 au vers 235. Les personnages sont ceux qu’énumère l’incipit du manuscrit : un Couturier, son Valet de longue date, deux Jeunes Filles (dont une est Chambrière), et une Vieille ; les trois femmes ne se connaissent pas, et se font une concurrence impitoyable chez le couturier.
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Source : Le Cousturier et le Badin : Manuscrit La Vallière, nº 20, folios 95 v° à 98 r°, puis folios 100 v° à 101 r°. Le Cousturier et son Varlet : Manuscrit La Vallière, nº 20, folios 98 r° à 100 v°.
Structure : Rimes plates, avec 1 triolet dans α, et 3 dans β.
Cette édition : Cliquer sur Préface. (Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.) Je mets entre [ ] tous les noms que j’ai modifiés dans les rubriques. Je numérote sans coupure les vers.
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Farce à .V. personnaiges
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C’est asçavoir :
LE COUSTURIER
[LE BADIN (Colin)
LA PREMIÈRE COMMÈRE
LA DEUXIÈSME COMMÈRE
LA CHAMBÈRIÈRE (Gillecte)]
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LE COUSTURIER3 commence SCÈNE I
Est-il, soublz la machine ronde4,
Cousturier qui ouvrage mieulx
En habis que moy ? Je me fonde
Qu’i n’en est nul debsoublz les cieulx.
5 Je fais (tant aulx jeunes qu’aulx vieulx,
Prestres, laïq(ue)s, femmes, méquines5
Et filles) habis à basquines6.
Fays collès7, robes et pou[r]poinctz.
Et sy, subtillement je guignes8
10 À bien souvent remplir mes poingz9.
Aultre-foys ai-ge faict sans poinctz,
Sans pièce et sans cousture, habit
Qui ne me faisoyt grand labit10.
J’en sortissoys11 honnestement.
15 Et sy, Dieu sçayt certainement
Comme g’y faisoys ma banière12 :
Grande, planturesse et planière13,
Selon l’habit que povet estre.
Mais ce jourd’uy, on y faict mectre
20 Sy peu de drap, en bonne foy,
Qu’on n’en séroyt grumer un doy14
Pour refère un tallon de chausse.
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LA [PREMIÈRE] COMMÈRE15 SCÈNE II
Hau ! ma commère !
LA DEUXIESME COMMÈRE16
Je me chaulse.
Que vous fault-il, à ce matin ?
LA [PREMIÈRE]
25 Faictes-vous saulpiquet17, ou saulce ?
Hau ! ma commère !
LA .IIe. COMMÈRE
Je me chaulse.
LA [PREMIÈRE]
S’y fault c’une foys vous deschaulse,
Au feu mectray vostre patin18 !
Hau ! ma commère !
LA .IIe.
Je me chaulse.
30 Que vous fault-il, à ce matin ?
LA [PREMIÈRE]
Il m’est prins à mon advertin19,
Sy quelqu(e) un avec moy s’escote20,
De faire tailler unne cote21.
Me veulx-tu tenir compaignye,
35 Ma commère ?
LA .IIe. COMMÈRE
Dieu vous bénye !
Ouy, vrayment, et marcher devant.
LA [PREMIÈRE]
Or alons, puysqu’avons bon vent.
Apelez vostre chambèrière.
[LA DEUXIESME]22
Gillecte, es-tu poinct là-derière ?
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LA CHAMBÈRIÈRE23 SCÈNE III
40 Ouy, metresse.
LA .IIe. COMMÈRE
Viens[-t’en], vien-t’en !
Et t’estrique24 assez gentiment :
Je te veulx de bref marier.
LA CHAMBÈRIÈRE
Je ne me fais poinct harier25 ;
Alons là où il vous plaira26.
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LE BADIN27 SCÈNE IV
45 Je ne say qui l’aura, l’aura,
Cest an, la croche 28 des Conars.
Il y aura force regnars 29
Prins, cest esté, à la vollée.
Par Dieu ! j’ey la teste affoll[é]e.
50 Trouver quelque maistre y me fault.
Je fais, moy, en troys pas un sault30.
Colin, c’est assez devisé !
Mais n’ai-ge pas, là, advisé
Un compaignon31 ? A ! c’est mon homme !
55 À luy je voys32 parler, en somme.
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Dieu [vous] gard, Maistre ! SCÈNE V
LE COUSTURIER
Honneur !
LE BADIN
Et puys ?
[……………………………….. -uys.]
LE COUSTURIER
Av’ous affaire à ma boutique ?
LE BADIN
Comme se nom[m]e la pratique ?
LE COUSTURIER
J’ey servy les roys et les princes ;
60 Mais quant y falloyt que je prinses33
Mesure, a ! vous debvez sçavoir
Que je ne les voulloys que veoir34.
Étoye-ce besongne, compaing ?
LE BADIN
Y vous faloyt faire le baing35 :
65 Vrayment, vous l’avez bien gaigné.
Devant, que je soyes enseigné36 :
Mais dictes-moy de quel mestier
Vous vous meslez de savatier ?
Masson ? menuysier ? charpentier ?
70 Ce sont tous mestiers de mesure.
LE COUSTURIER
Rien n’en diray, je vous asseure,
Tant que [ne] m’ayez dict le vostre.
LE BADIN
Aussy vray que la patenostre37,
Desclarer vous veuil mon affaire :
75 Stilé suys à tous métiers faire38,
Et plusieurs aultres.
LE COUSTURIER
C’est assez.
Ains que nos propos soyent passés39,
Vous voulez-vous louer à moy ?
LE BADIN
Ouy [dea], vrayment.
LE COUSTURIER
En bonne foy,
80 Quans escus40 voulez bien gaigner ?
LE BADIN
Et ! vous [me] vouérez besongner,
Puys après nous ferons du pris41.
LE COUSTURIER42
Vous estes homme bien apris.
Cousturier suys, à la Couldrète43.
85 Besongner y fault.
LE BADIN
Bien me hète44.
Aruné45 me voy(e)là tantost.
.
LA [PREMIÈRE COMMÈRE] SCÈNE VI
Alons, commère !
LA [DEUXIESME COMMÈRE]
[En chemyn]46 tost !
Trop long temps avons séjourné.
LA CHAMBÈRIÈRE
Mon maistre aura tantost dîné47 :
90 Gardons bien d’estre avisés d’âme48.
.
Dieu gard, cousturier ! SCÈNE VII
LE COUSTURIER
Honneur, Dame !
Comme vous portez-vous ?
LA [PREMIÈRE]
Très bien.
LE COUSTURIER
J’en suys joyeulx.
LE BADIN
A ! bonne femme !
LA [DEUXIESME]
Dieu gard, cousturier !
LE COUSTURIER
Honneur, Dame !
LE BADIN
95 Chascun de nous, de corps vous ame49.
Entrez [cy], et ne craignez rien.
LA CHAMBÈRIÈRE
Dieu gard, cousturier !
LE COUSTURIER
Honneur, Dame !
LE BADIN
Et comme vous portez-vous ?
LA CHAMBÈRIÈRE
Très bien.
LE COUSTURIER
Av’ous affaire de mon bien ?
100 Commandez tout ce qu’il vous plaist.
LE BADIN
(Y l’amuseront de leur plait50.)
Maistre, vous gastez la besongne.
LE COUSTURIER
Paix, valet ! Que poinct on ne hongne51 !
Vous n’estes pas encor stillé52.
LE BADIN
105 Il y aura bien babillé
Premier qu’il53 partent hors d’icy.
LE COUSTURIER
A ! vous me donnez grand soulcy,
Varlet ; vous vous ferez charger54.
LE BADIN
Pour vous il y auroyt danger
110 Que ne me misses en deffence.
LE COUSTURIER
À qui parlez-vous, quant g’y pence ?
Vous pensez-vous de moy railler ?
Sang bieu ! vous vous ferez bailler
De l’aune55, et bastre de mesure !
LE BADIN
115 Vous n’oseriez, je vous asseure :
Je ne suys pas à vous loué56.
Venez-y, beau sire !
LE COUSTURIER
Avoué
Vous m’avez57, [le] corps de moy Dieu58 !
Vous semble-il que ce soyt jeu ?
120 Meschant ! vous gaignerez au pié59.
LE BADIN s’enfuyt 60
(Par Dieu ! quant j’ay bien espié61,
Je croy que bastre [il] me vouldroict.
Quel maistre ! Mieulx fuïr vauldroict
124 Que se trouver debsoublz sa main.)
.
.
*
LE COUSTURIER
ET SON VARLET 62
*
.
.
Farce à .V. personnaiges
.
C’est asçavoir :
LE COUSTURIER
et SON VARLET
[LA JEUNE
LA CHAMBÈRIÈRE]63
et UNE VIELLE
.
*
LA VIELLE dict :
125 Serai-ge icy jusqu(e) à demain ?
Despeschez-moy64 !
LA JEUNE
Et moy !
LA CHAMBÈRIÈRE
Et moy !
LE COUSTURIER
Quoy ! despescher tous troys ensemble ?
LE [VARLET]65
Y vous metront en grand esmoy.
LA CHAMBÈRIÈRE
Despeschez-moy !
LA JEUNE
Et moy !
LA VIELLE
Et moy !
LE COUSTURIER
130 Et ! qu’esse icy ?
LE [VARLET]
En bonne foy,
Maistre, la peau du cul vous tremble.
LA VIELLE
Despeschez-moy !
LA JEUNE
Et moy !
LA CHAMBÈRIÈRE
Et moy !
LE COUSTURIER
Quoy ! despescher tous troys ensemble ?
LA VIELLE
Cousturier, comme bien66 me semble,
135 Premier me debvez despescher.
LA JEUNE et LA CHAMBÈRIÈRE ensemble :
Mais moy ! [Mais moy ! Mais…]
LE COUSTURIER
Tant prescher !
Le deable vous puisse enlever !
LA CHAMBÈRIÈRE
Sy me faictes le poing lever,
Je vous casseray le museau !
LE COUSTURIER
140 Non ferez ?
LE [VARLET]
Bastez, bastez ce veau,
Qu’i soyt vané à double vant !
LE COUSTURIER
Or çà, çà : laquelle va devant ?
LES .III. ENSEMBLE
C’est moy !!
LE COUSTURIER
En mal an puissez entrer !
S’y me fault ma folye monstrer,
145 Toutes troys je vous housseray67 !
LA CHAMBÈRIÈRE
Vous, vilain ? Par Dieu ! j’esséray
Sy pour moy vous seriez trop fort68.
LA JEUNE
Et moy !
LA VIELLE
Et moy !
LE COUSTURIER
A ! je suys mort !
Et ! holà ! Je suys affollé69.
LE [VARLET]
150 Et ! là, là ! Qu’i soyt bien roullé70 !
Qu’il ayt la teste amolyée !
LA VIELLE
Cuydez-vous ma force lyée
Pour tant que71 je suys antienne ?
LE COUSTURIER
Hélas ! monseigneur sainct Estienne,
155 Délivrez-moy de ce tourment !
Et ! Jésus Marie72 !
LE [VARLET], en frapant :
Et ! vrayment,
Il en a assez, ma commère.
Maistre, et ! servez73 la bonne mère
La première, et puys l’autre après ;
160 Et je serviray par exprès
Ceste chambèrière joyeuse.
Alons, vien-t’en, mon amoureuse74 !
Veulx-tu que ta mesure prengne ?
LA CHAMBÈRIÈRE
Je veulx qu’en la fasson d’Espaigne75
165 Me fasses une verte cote76.
Que le corps77 viengne…
LE [VARLET]
Sus la mote78 ?
Je voy mectre un jartier79 à poinct.
Comment mon maistre a esté oingt !
Maistre, avez-vous les coupx compté ?
170 N’alez poinct à la Viconté80
Demander le poix de leur[s] mains :
Bien le sçavez !
LE COUSTURIER
(C’est pour le moingtz :
Tousjours les perdans sont moqués.)
LA VIELLE
Gardez bien que vous n’ahoquez81
175 Vos doys à mon drap, cousturier.
Or commenceons !
LE COUSTURIER, en mesurant :
Çà ! tout premier :
Vous les voulez à la vasquine82 ?
LA VIELLE
Ouy dea.
LE [VARLET]
Et toy, à la turquine83,
Depuys les rains jusqu(es) au colet ?
LA CHAMBÈRIÈRE
180 A ! que mauldict soyt le valect !
Tousjours se moquera de moy.
LE COUSTURIER
Ma Dame, je suys en esmoy84
Sy nous le fendron par-devant85.
LA JEUNE
Et ! ouy, ouy. Que que Dieu vous avant86 !
185 C’est le myeulx, comme il m’est advis.
LE [VARLET]
Veulx-tu le tien au « pont-levys87 »,
Descousu jusqu(e) auprès du ventre,
Toult ainsy ?
LA CHAMBÈRIÈRE
Qu’en mal an tu entre !
Ta parolle est par trop vilaine !
LE [VARLET]
190 Le corps88 est joingnant de[ssus] l’aine,
Et la « poincte » sur le margault89.
LE COUSTURIER
Or çà, çà ! mesurer fault le hault.
Vostre croisée90 est assez grande.
[LA JEUNE]91
A ! c’est une chose gallande.
195 Faictes-moy la manche poupine92.
LA CHAMBÈRIÈRE
Faictz le mien à la mail[l]otine93,
Badin, tu auras un escu.
LE [VARLET]
Depuys le talon chuche94 au cu ?
[Ma foy !] j’entens bien la manière.
200 Et, sus ! dressez-vous, chambèrière,
Que je prenne un peu mes longuesses95.
(Il[s] ont bien sept quartiers de fesses,
Ces grosses garces mamelus96 !
Quant quelques povres trupelus97
205 Leur font faire la tournebouelle98,
Y chuchent toute leur mouëlle99
Et100 substance ; y ne faillent pas.)
La « poincte » sera assez101 bas,
Là endroict ?
LA CHAMBÈRIÈRE
An ! qu’il est friant102 !
210 Tousjours faict quelque cas riant.
Encor plus longue la demande !
LE [VARLET]
Vertu103 bieu !
LE COUSTURIER104
Je vous faictz demande :
De velours la voulez bordée ?
LA VIELLE
Ainsy vous l’ai-ge commandée.
215 Nous en avons tout d’achapté105.
LA JEUNE
Ne me faictes pas lascheté :
Serclez-moy106 la mienne par bas.
LE COUSTURIER
Je le veulx bien !
LE [VARLET]
Mès par esbas107,
Voulez-vous bien que je vous « sengle108 »
220 Par le ventre ?
LA CHAMBÈRIÈRE
Je veulx le corps sengle109,
Et que la « poincte » serre fort.
LE [VARLET]
Je veulx mourir de layde mort
Sy le « cas110 » ne vient de mesure !
Dressez-vous droict, que je mesure
225 La grandeur du « bas » un petit.
LA CHAMBÈRIÈRE
Hay111 ! hay ! hay !
LE [VARLET]
Vous me faictes apétit,
Me faisant dresser la « palète112 ».
Mais laissez-moy prendre, fillète,
Un peu ma mesure113 à loisir.
LA CHAMBÈRIÈRE
230 Trop me faictes de desplaisir,
De me toucher en cest endroict.
LE [VARLET]
Sy faul[t]-y que vous vous tenez droict.
Hault les bras !
LA CHAMBÈRIÈRE
Là ?
LE [VARLET]
Et là dea, c’est cela.
Je suys bien joyeulx, car voy(e)là
235 Ma mesure toute parfaicte114.
.
*
LA CHAMBÈRIÈRE
236 Or, que ma besongne soyt faicte
Demain au matin.
LE BADIN
Bien, bien.
LA CHAMBÈRIÈRE
Or adieu !
LE BADIN
(Sainct Jehan ! j’esviteray le lieu.
Au moins, le drap me demour[r]a115.
240 Après moy âme116 ne cour[r]a.
Autant ay-ge icy qu’à Paris117.)
LA [DEUXIESME COMMÈRE]
Avez-vous faict, cousturier ?
LE COUSTURIER
Mais que j’ès pris
Un petit des bras la longueur…
C’est faict. [À demain !]
LA [PREMIÈRE COMMÈRE]
En bon heur118
245 Puisse estre le cas achevé !
LE COUSTURIER
Or, demain, après le Salve 119,
Aportez du bort120, pour assouèr.
LA [DEUXIESME]
À Dieu, cousturier !
LE COUSTURIER
Le bon souèr !
Je m’en voys commencer à coultre121.
LE BADIN
250 (Dessus l’establye s’en va souèr122.)
Adieu, cousturier !
LE COUSTURIER
Le bon souèr !
LA [PREMIÈRE]
Nous vous viendrons demain revoir ;
Mais gardez que ne passons oultre123 !
TOUTES ENSEMBLE
Adieu, cousturier !
LE COUSTURIER
Le bon souèr !
255 Je m’en voys commencer à coultre.
LE BADIN
Dictes, ne faictes pas descoultre
Voz habis124…
Donnez la chanson125 !
LA CHAMBÈRIÈRE
Et ! tu es assez bon garçon :
Poinct tu ne seras escondict.
LA [PREMIÈRE]
260 Or commençons, puysqu’il [l’]a dict.
En prenant congé de ce lieu,
Chantons, amys, pour dire « à Dieu » !
.
FINIS
.
*
1 Le manuscrit La Vallière, copié en Normandie, en comporte un assez grand nombre. 2 C’est aussi le cas des Femmes qui vendent amourettes en gros et en détail : on a fourré au milieu 127 vers d’une autre farce. (Voir Jelle Koopmans, le Recueil de Florence, pp. 521-535.) Quant à la farce d’Ung mary jaloux, elle est précédée par un dialogue de Colinet et sa Tante qui n’a rien à faire là. 3 Il est dehors, à la recherche d’un apprenti. À Rouen, ceux qui proposaient un emploi et ceux qui en cherchaient un, se rencontraient sur l’aître Notre-Dame (le parvis de la cathédrale), où la pièce fut peut-être jouée. Voir la note 19 de Tout-ménage. 4 Dans l’univers. 5 Servantes. Cf. le Vendeur de livres, vers 155. 6 À la mode basque, avec un cerceau pour élargir le bas de la jupe, qui est serrée à la taille. On serait curieux de voir ce que cela donne sur des prêtres, à moins qu’ils n’aient les mêmes goûts que celui dont se moque Béranger de La Tour : « Ce messire Jean de qui je parle/ Sent plustost sa femme qu’un masle ;/ Et si portoit la robe ainsi,/ Pour femme on le prendroit aussi. » 7 Je fais des collets : des fichus. 8 Et aussi, je veille du coin de l’œil. 9 LV : poinctz (À dérober du tissu.) 10 Qui ne faisait pas mon malheur. 11 Je m’en sortais. Sur cette forme normanno-picarde, voir la note 114 de Marchebeau et Galop. 12 Le client apportait son étoffe au couturier, lequel avait la fâcheuse habitude d’en voler un morceau, qu’on appelait la bannière. « Le drap porterons ;/ Et devant nous, tailler ferons :/ Car cousturiers et cousturières/ Sont tousjours à faire banières. » (Le Cousturier et Ésopet.) Voir la note 185 du Munyer. À Rouen, une Ordonnance Conarde de 1541 précise : « Nous voulons que cousturiers,/ S’ils ne sont fins [rusés] ouvriers,/ Ne pourront faire bannière. » 13 Plantureuse et plénière. 14 Qu’on ne saurait en détourner un seul doigt. 15 Elle est devant la fenêtre ouverte de sa voisine. 16 Elle se montre à la fenêtre. 17 Une sauce piquante, qu’il faut piler interminablement. Cf. Maistre Doribus, vers 19. 18 Votre semelle de bois. 19 Le caprice m’a pris. Même vers au début du Marchant de pommes. 20 Paye son écot, sa part. 21 Une tunique ajustée qui s’élargit vers le bas. 22 Cette rubrique manque. 23 À la fenêtre. 24 Attife-toi. Cf. Maistre Mimin estudiant, vers 22. 25 Prier. Les domestiques dépourvues de famille pouvaient, si elles étaient d’accord, être mariées par leurs patrons. 26 LV ajoute dessous : preste je suys 27 Il déambule sur l’aître Notre-Dame en chantonnant. 28 La crosse de l’abbé des Conards de Rouen est l’équivalent de la marotte des fous. La forme « croche » est normande : cf. Colinet et sa Tante, vers 64. Le Mardi gras, les Conards banquetaient en regardant « plusieurs farces et comédies, dances et morisques en grand nombre, avec bonnes moralitéz et de bonne audace ». Puis on votait pour désigner le personnage le plus sot de la ville, afin de lui porter en grandes pompes « le trèshonoré, digne et précieux baston pastoral, communément appelé la crosse ». Les Triomphes de l’Abbaye des Conards nous apprennent qu’en 1541, « la digne crosse » fut adjugée à un homme qui avait joué sa femme aux dés ! On élisait en beaucoup d’autres lieux l’homme le plus fou de l’année ; voici ce qu’en dit le Fol de l’Abuzé en Court : « Ung notable seigneur avons, qui nous assemble chacun an chiez luy et à ses despens. Et quant tous sommes assemblés comme nous povons, il donne à celuy le plus fol et lequel a le moins de sens, ung chapperon à deux oreilles. » On trouvait même des professionnels prêts à « marcher aux foires pour gaigner le prix de l’Archifolie ». Hochepot ou salmigondi des Folz. 29 Beaucoup de renards [d’hommes rusés] seront pris. 30 Saut en longueur auquel s’amusent les enfants. « [Gargantua] luctoit, couroit, saultoit, non à troys pas un sault, non à clochepied. » Gargantua, 23. 31 Un artisan passé maître compagnon, et revêtu de ses oripeaux. 32 Je vais. 33 LV : princes (Que je prisse.) 34 Qu’il me suffisait de les voir pour connaître leurs mensurations. 35 Vous étiez assez fort pour réussir le bain philosophal cher aux alchimistes. 36 D’abord, renseignez-moi. 37 Que le Pater Noster. On trouve ce vers et le vers 100 dans une sottie normande contemporaine, la Réformeresse. 38 Nombre de monologues donnent la parole à ces incapables qui prétendent pouvoir exercer tous les métiers : Varlet à louer à tout faire, Maistre Aliborum qui de tout se mesle, Watelet de tous mestiers, etc. 39 Avant que nous ayons fini de parler. 40 Combien d’écus. Scène semblable dans Tout-ménage, vers 70-71. 41 Nous fixerons le prix, mon salaire. 42 LV : badin 43 LV : pouldrete (Était-ce un lieudit de Rouen ? Je ne connais que le quartier de la Poudrière.) La Coudrette, forêt de coudres au nord de Rouen, permet un opportun jeu de mots sur le verbe « coudre ». 44 Cela me convient. 45 Fin prêt. « M’y voélà deisjà arunné. » (Le Jeu du capifol.) Les deux hommes se rendent à l’atelier de couture. 46 LV : chemynos (La 2ème Commère et sa Chambrière sont sorties, et accompagnent la 1ère Commère chez le Couturier.) 47 Le mari de la 2ème Commère ne va pas tarder à rentrer. Les hommes dînaient souvent à la taverne, avec leurs confrères ou leurs clients. 48 D’être aperçues par quelqu’un. Les 3 femmes, jouées par des hommes, sont encore masculinisées aux vers 101, 106, 127-128, 202-207. 49 Vous aime. 50 LV : plaist (Leur plaid : elles lui feront perdre son temps avec leurs bavardages.) 51 Ne murmurez pas. 52 Stylé, expert dans ce métier. 53 Avant qu’elles ne. Voir la note 48. 54 Je vais charger de bois vos épaules : je vais vous battre. 55 Du bâton. « Quiconques est batu de bastons de bois d’ausne. » ATILF. 56 Engagé. 57 Vous m’avez accepté pour patron (au v. 79). 58 « Le corps de moy Dieu ! » Roger de Collerye. 59 Vous déguerpirez. 60 Il s’écarte pour n’être pas battu. 61 À bien y regarder. 62 Voir ma notice. 63 LV : deulx jeunes filles (Toutes les rubriques les concernant stipulent : LA JEUNE, et LA CHAMBÈRIÈRE.) 64 Expédiez mon affaire. 65 En dépit des dramatis personæ, LV le nomme jusqu’au bout « le Badin ». C’est d’ailleurs un rôle de badin. 66 LV : il (La Vieille arguë de son grand âge pour passer avant les autres.) 67 Je vous frapperai. Mais aussi : je vous besognerai. Cf. le Ramonneur de cheminées, vers 30 et 214. 68 Je vais voir si vous êtes plus fort que moi. Elle frappe le Couturier, rejointe par les deux autres femmes. Le Cousturier et Ésopet montre aussi un couturier qui se fait battre par une chambrière. 69 Assommé. 70 Dérouillé, au propre et au figuré. 71 LV : sy (Parce que je suis âgée.) 72 LV : maria 73 LV : suyues (Occupez-vous de la Vieille en premier. Cf. le vers 160.) 74 Il pousse la Chambrière à l’autre bout de l’atelier. L’auteur va entremêler leur dialogue à celui du trio restant. 75 À la mode basque (note 6). 76 Faire la cotte verte à une fille, c’est la culbuter dans l’herbe. « Contrefaisans la dévotte,/ Et d’aller jouer au village/ Pour avoir la verte cotte. » Farce de quattre femmes, F 46. 77 Le corsage. Idem vers 190 et 220. 78 Sur le mont de Vénus. Cf. le Povre Jouhan, vers 316. 79 Une jarretière. 80 La Vicomté de l’Eau, à Rouen, conservait les étalons des poids et mesures. Cf. les Veaux, vers 174. 81 De ne pas accrocher. La Vieille ne veut pas que le Couturier la frôle, ce qu’il n’a aucunement l’intention de faire. 82 À la basquine (note 6). 83 À la turque, en référence à la prédilection des Turcs pour la sodomie. « Elle s’étoit fiché un bâton, devinez où…. Ce n’est point à la turque. » Sévigné/Coulanges. 84 Je me demande. Après s’être débarrassé de la Vieille, le Couturier mesure –et pelote– la Jeune. Les couturiers, à cette époque, étaient encore hétérosexuels ; il faut attendre 1639 pour en trouver un qui soit bisexuel : « Je suis bon tailleur de dame,/ Je le suis pour homme aussi./ Je vis d’ordinaire ainsi/ Sans que personne me blasme./ Et si c’est fille ou garçon,/ Je ne prends rien pour la façon…./ Je couds debout et assis,/ Par devant et par derrière. » Chansons pour danser et pour boire. 85 Le fendu, la fente et la fendasse désignent le sexe de la femme. « À ton âge, faut-il t’apprendre/ Que tu n’as icy rien à fendre ?/ Il n’est déjà que trop fendu ! » Nouveau Parnasse satyrique. 86 Que Dieu vous aide ! Cf. le Monde qu’on faict paistre, vers 120. 87 « Aïant au derrière une ouverture couverte d’une pièce de drap quarrée, qui se haussoit & baissoit à la façon d’un pont-levis. » (Le Duchat.) « Un pont-levis de cul, pour plus aisément fianter. » (Gargantua, 20.) Le Valet insinue que la Chambrière utilisera ce pont-levis comme les mignons d’Henri III, qui « les faisoient servir à un tout autre usage que celui pour lequel on les avoit inventés ». (Le Duchat.) 88 Le corsage (note 77). Mais aussi : mon corps. 89 Sur ton « chat ». « M’amie, dit l’Abbesse, le vostre n’est qu’un petit minon ; quand il aura autant estranglé de rats que le mien, il sera chat parfait, il sera marcou, margut & maistre mitou ! » (Béroalde de Verville.) Margauder = s’accoupler, en parlant des chats. Une Margot est une prostituée. 90 LV : croiessee (Votre décolleté.) 91 LV : le badin 92 Mignonne. 93 À la parisienne. Les Normands traitaient les Parisiens de maillotins. « [Le roy] n’entend pas qu’on dise dans Rouen :/ Les maillotins n’avalleront plus d’ouistres ! » (La Muse normande.) Les Triomphes de l’Abbaye des Conards ne sont pas en reste : « Je plains les os des Maillotins ! » Dans la sottie des Veaux, un Parisien caricatural se nomme « le Malotin ». 94 Ce normandisme peut se lire « jusque », mais aussi –et surtout– « suce », comme au vers 206. Voir la note 111 du Vendeur de livres. 95 Mes longueurs. 96 À grosses mamelles. 97 Sots. Cf. les Maraux enchesnéz, vers 212. 98 La culbute. Cf. les Sotz nouveaulx, vers 221. 99 Elles sucent tout leur sperme. Voir la note 108 de Pour porter les présens. 100 LV : la 101 LV : tel ases (Le Valet appuie sa braguette –et donc sa pointe– contre les fesses de la Chambrière, ce qui lui vaut la réplique du vers 211.) « [Il n’est] mamelles que de Normandes (…),/ Ne jeu que de cul et de pointe. » Parnasse satyrique. 102 Ardent. 103 LV : vers tu 104 Il s’adresse de nouveau à la Vieille. 105 Acheté d’avance. La Vieille donne le ruban de velours au Couturier. En tant qu’aînée, elle s’arroge un « nous » de majesté. 106 Cousez un cercle au bas de ma jupe (note 6). Mais aussi : sarclez-moi par le bas. 107 Par plaisanterie. Allusion aux ébats sexuels. 108 « Il l’embrace,/ Et la sangle au moings mal qu’il peult. » (Sermon de l’Endouille.) Cf. Frère Guillebert, vers 196. 109 Un corsage non doublé. « Laquelle robe estoit sengle, sanz aucune fourreure ou doubleure. » (ATILF.) On peut aussi comprendre : je veux ton corps nu. 110 Mon pénis. Cf. les Cris de Paris, vers 429. 111 La Chambrière n’est pas scandalisée, car il en fallait plus que cela pour scandaliser une chambrière ; elle est juste un peu chatouilleuse. 112 Au sens propre, c’est une partie de l’arbalète. 113 Mon plaisir. (Idem vers 235.) « Mesure » intègre aussi un contexte grivois aux vers 233 et 258 de Ung jeune Moyne. 114 Le Valet vient de jouir. Pour conclure, nous revenons à la pièce α, infiniment plus chaste. 115 Le tissu que la Chambrière m’a confié me restera. Il ne s’agit donc plus du Valet en titre de la pièce β, qui aurait intérêt à revenir travailler, mais du faux apprenti nouvellement embauché dans la pièce α. 116 Personne. 117 L’escroc est donc parisien, ce qui ne pouvait que plaire à un public normand. 118 Qu’avec succès. 119 LV : saleue (Après le Salve Regina : après la messe.) 120 Du ruban de bordure, pour que je le fixe. 121 Coudre. 122 S’asseoir. 123 Que nous ne soyons pas obligées de revenir plus tard. Les 3 femmes sont à nouveau ensemble, ce qui confirme le retour à la pièce α. 124 Ne vous faites plus battre par ces clientes. 125 Chantez la chanson qui conclut la Farce. Dans le domaine lyrique, le répertoire des Conards était aussi impressionnant que dans le domaine dramatique. On en voit un bref exemple aux vers 45-48.