UNG BIAU MIRACLE
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UNG BIAU
MIRACLE
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Le fatiste inconnu qui composa vers la fin du XIVe siècle les Miracles madame sainte Geneviève a parfaitement rempli son cahier des charges : ce Mystère de 3127 vers1 baigne dans un prêchi-prêcha qui, à l’époque, faisait hausser les yeux vers le Ciel, et qui aujourd’hui ne nous fait plus hausser que les épaules. Mais le naturel comique de cet auteur transparaît à plusieurs reprises, au point qu’il s’éloigne parfois de son austère modèle latin pour faire rire le public. Par exemple, avec une précision d’inquisiteur, sainte Geneviève accuse une nonne de s’être laissé déflorer par le berger de Gautier Chantelou, dans le jardin de celui-ci, très exactement sous un pêcher, le 3 avril, à la tombée du jour. Nul doute que si le bracelet-montre avait existé, la sainte nous eût révélé l’heure du crime ! Ailleurs, on assiste à une bataille entre des anges et des diables qui se cognent dessus en jurant comme des charretiers. Plus loin, deux porchers dialoguent dans le plus pur style de leur profession :
2129 —Foucault, veulz-tu oïr nouvèles ? —Foucaud, veux-tu entendre des nouvelles ?
—Oïl bien, mèz qu’ilz soiënt tèles —Oui, pourvu qu’elles soient d’une gaîté telle
Que mon ventre breneus s’en sente2…. Que mon ventre plein de merde en soit déchargé.
2161 —Tu as le cul tourné au prône. —Tu tournes le cul à l’église.
Foy que je doy saint Grisogone3 ! Par la foi que je dois à saint Grisogone !
Se tant ne quant tu m’atouchoies, Si tu me touchais si peu que ce soit,
Jamaiz ne heurtebilleroies4 Jamais plus tu ne serais en état de tamponner
Fame qui soit des[so]uz la lune ! Une femme en ce bas monde !
Dans un langage tout aussi fleuri, deux maçons et un charpentier se plaignent d’avoir soif ; sainte Geneviève, égalant Jésus, reproduit pour eux le miracle qu’il avait accompli aux noces de Cana :
2343 Dieu, qui muastes l’iaue en vin Mon Dieu, qui avez transformé l’eau en vin
Ès nopces chiez Archédéclin5 : Aux noces chez Architriclin :
Vueilliez cy vostre grâce estandre ! Veuillez étendre votre grâce jusqu’ici !
Et donc, les trois ouvriers se soûlent grâce à Geneviève :
2412 —Qui oncques-mèz vit tel bevrage ? —Qui vit jamais un si bon breuvage ?
Emplez, pour Dieu, encor ma coupe ! Remplissez encore ma coupe, par Dieu !
—Tu es plus yvre qu’une soupe6 : —Tu es plus imbibé qu’une mouillette :
Comment pourras-tu jà douler ? Comment pourras-tu manier ta doloire ?
—Je feray les asnes voler7, —Je ferai voler les ânes,
Mèz que je boive une foys seule. Pour peu que je boive encore un dernier coup.
À propos d’ânes, douze fous (dont l’un est représenté dans le manuscrit) chantent la messe en imitant le braiment de ces quadrupèdes :
2546 Je suis Cordelier, c’est assez Je suis Cordelier, c’est suffisant
Pour deschanter messe et canon. Pour chanter la messe et le canon.
Sy die en chantant : Qu’il dise en chantant :
« Hynhan ! » dit l’ânesse. « Hinhan ! » dit l’asnon. « Hi han ! » dit l’ânesse. « Hi han ! » dit l’ânon.
Ces fous ne se lassent pas de parodier la messe :
2554 —J’ay clère voiz comme .I. tourel ; —J’ai la voix aussi claire que celle d’un taureau ;
Pour ce, veil-je chanter la messe. Pour cela, je veux chanter la messe.
—Fyfy8, tu as fait une vesse ! —Vidangeur, tu as fait un pet !
En chantant au chant de En chantant sur l’air du
« Sanctus » de Requien : « Sanctus » du Requiem :
—Sanz-tu9 ? Sanz-tu ? Sanz-tu ? Etc. —Sens-tu ? Sens-tu ? Sens-tu ? Sens-tu ?
Nos fous sont possédés par des diables que la sainte va mettre en fuite d’un coup de prière magique. Aussi, les diables s’interrogent à propos de Geneviève :
2509 Sathan, qui est celle viellote Satan, qui est cette petite vieille
Qui tous jours, en alant, barbote Qui toujours, en allant, marmonne
Avéz Maras, Patrès Nostrues, Des Ave Maria et des Pater Noster,
Comme s’el deust voler aux nues ; Comme si elle devait monter aux Cieux ;
Et se défripe, et fait la lipe, Et se démène, et fait la moue,
Et me porte fueilles de tripe10 Et porte des feuilles de mauvais parchemin
2515 Comme .I. livre, soubz sez essèles ? Sous son aisselle, comme un livre ?
Avec ly, maine .II. pucelles Elle mène avec elle deux jeunes filles
Qu’el enchante trop fort, en tant Qu’elle ensorcelle trop bien, de sorte
Que, se tant ne quant vont sentant Que si elles sentent un tant soit peu
Que je leur eschaufe lez rains, Que je leur échauffe les reins de désir,
2520 Lors me prendront branches et rains Elles prendront alors des branches et des rameaux
De boul, d’osières ou d’orties, De bouleau, d’osier ou d’orties,
Ou chardons, ou bonnes courgies ; Ou des chardons, ou de bonnes courroies ;
Batront espaules ou culière : Et elles battront leurs épaules ou leur croupe :
N’y remaindra jà pel entière. Il n’y restera pas un bout de peau intact.
2525 Dessus leur pis, dez poing[s] tabeurent. Elles tambourinent leur poitrine avec leurs poings.
Orent11, pleurent, veillent, labeurent, Elles prient, pleurent, veillent, peinent,
Cengnent12 cordes, vestent la haire. Se ceignent d’une corde, portent la haire.
Satan affirme que Geneviève est « l’abesse de Tirelopines », les turlupins étant des religieux hypocrites connus pour leur liberté sexuelle.
La partie la plus drôle du Mystère, c’est la fin : l’auteur nous dit qu’il va y greffer des scènes de farce pour que ce soit moins ennuyeux. Déboulent alors quelques-uns de ces mendiants infirmes dont riait le théâtre médiéval. Le lépreux réclame de bons petits plats :
2599 .I. tentet de vïande sade ! Donnez-moi un tantinet de bonne viande !
Halas, chétis ! je suis gasté Las, pauvre de moi ! je suis mort
Se je n’ay d’un petit pasté Si je n’ai pas un morceau d’un petit pâté
Et plaine escuèle de boschet Et une pleine écuelle d’hydromel
Ou, au mains, de vin de buffet. Ou, au moins, de vin de cuisine.
Le bossu est atteint par surcroît d’une maladie vénérienne :
2654 Le chancre m’a rongié le menbre. Un chancre m’a rongé le membre.
Las, doulant ! Quant je me remembre Las, malheureux ! Quand je songe
Du dueil que ma fame en démaine, Au chagrin qu’en témoigne ma femme,
C’est mal suz mal, peine suz paine ! C’est un mal qui s’ajoute à un mal !
L’hydropique a lui aussi de bonnes raisons d’aller consulter une sainte :
2636 J’ay au cul lez esmorroïdes ; J’ai des hémorroïdes au cul ;
Sy ne puis chier, c’est grant hides ! Si je ne peux plus chier, c’est l’horreur !
Ces éclopés, qui n’attendent plus rien de la coûteuse et impuissante « merdefine », viennent se faire guérir gratuitement par Geneviève. Quand on voit à combien d’aveugles elle a rendu la vue, à commencer par sa propre mère, on se demande pourquoi les ophtalmologistes ne l’ont pas choisie comme sainte patronne ! Je publie ci-dessous l’incontournable duo de l’Aveugle et de son Valet, duo dont beaucoup de farces et de Mystères proposent une version à peine différente : voir la notice de l’Aveugle, son Varlet et une tripière. On lira ensuite deux extraits de l’ultime miracle : il concerne une vieille maquerelle qui a subtilisé les chaussures de Geneviève.
Source : Paris, bibliothèque Sainte-Geneviève. Ms. 1131, folios 212 rº à 216 rº. Copié au milieu du XVe siècle. Ce manuscrit contient aussi le Geu saint Denis, dont j’ai extrait les Sergents, et la Vie monseigneur saint Fiacre, qui renferme la farce du Brigant et le Vilain.
Structure : Rimes plates.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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Miracles de plusieurs malades.
En farses, pour estre mains fades.
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Ung biau miracle.
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Cy après sont autres miracles de madame sainte Geneviève. Sachiez que chascun emporte13 plusieurs personnages de plus[i]eurs malades, pour cause de briété14. Et a, parmy, farsses entées15, afin que le Jeu soit meins fade et plus plaisans.
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L’AVEUGLE L’AVEUGLE
2715 Varlet ! Mon valet !
LE VARLÉ LE VALET
Maistre ? Mon maître ?
L’AVEUGLE L’AVEUGLE
Par là m’enpiègne16 ! Empoigne-moi par le bras !
Il fust temps d’aler en la ville. Il est temps d’aller quêter en ville.
LE VARLET LE VALET
Maistre, prenez-vous crois, ou pille17 ? Maître, quelles pièces accepterez-vous ?
L’AVEUGLE L’AVEUGLE
Tez-toy ! Alons ! Tais-toi ! Allons-y !
LE VARLET LE VALET
Où ? Où ?
L’AVEUGLE L’AVEUGLE
Au pourchas. À la quête.
LE VARLET LE VALET
Petis poissons sont bons pour chas. Les petits poissons, c’est bon pour les chats.
L’AVEUGLE L’AVEUGLE
2720 Hé ! Diex, quel varlet ! Hé ! Dieu, quel valet !
LE VARLET LE VALET
Diex, quel maistre ! Dieu, quel maître !
L’AVEUGLE L’AVEUGLE
Maine-moy, maine, va, chevestre18 ! Conduis-moi, va, pendard de guide !
LE VARLET LE VALET
Par où ? En passant par où ?
L’AVEUGLE L’AVEUGLE
Par Froit-Vaulx19. Par Froids-Vaux.
LE VARLET LE VALET
Par là ? Par là ?
L’AVEUGLE L’AVEUGLE
Voire. Oui.
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LE VARLET LE VALET
Chantez, vous estes à la Foire20 : Chantez, vous êtes au Lendit :
Tout est plain d’ommes et de fames. C’est plein d’hommes et de femmes.
L’AVEUGLE, hault et à trait 21 : L’AVEUGLE chante d’une voix ferme :
2725 « Halas, mez Seignieurs et mez Dames : « Las, seigneurs et dames :
Pour l’amour saint Pere22 de Romme, Pour l’amour de saint Pierre de Rome,
Faites vostre aumosne au povre homme Faites l’aumône au pauvre homme
Qui ne voit n’oncques ne vit goute Qui ne voit et n’a jamais vu mieux
Nient plus23 dez yelx qu’il fait du coute ! Avec ses yeux qu’avec son coude !
2730 Ainssy vous vueille Diex aidier ! » Et que Dieu vous le rende ! » À part :
Je puis bien seurement plaidier : Je peux bien raconter ce que je veux :
Il n’y a âme qui responne. Il n’y a personne qui me réponde.
Diex ! n’y a-il qui riens me donne, Dieu ! nul ne me donnera-t-il rien,
Ne qui me tende pié ne main ? Même un coup de main, ou de pied ?
2735 Oïl, oïl, c’est à demain24 : Oui, oui, ce sera pour une autre fois :
Madame va à Bèsençon25… Madame va à Baisançon…
Je parole de « Cusençon26 ». Je veux dire : à Cul-zançon.
Nul n’a cure de povre gent. Nul ne se soucie des pauvres gens.
Se je fusse roy ou régent, Si j’étais un roi ou un régent,
2740 Ou .I. grant maistre Aliboron27, Ou un grand ministre,
Chascun ostast son chaperon, Chacun ôterait son chapeau,
Ou m’enclinast, ou me fist rage ; Ou s’inclinerait, ou me servirait ;
Je feusse tenu pour trop sage. Je serais tenu pour un grand sage.
Or me tient-en pour une ordure, Maintenant, on me tient pour une crotte,
2745 Pour .I. fol, pour .I. burelure ; Pour un demeuré, pour un simplet ;
Il n’y a ne grant ne petit Il n’y a personne, grand ou petit,
Qui de moy voir ait appétit. Qui ait envie de me voir. Mon Dieu !
Diex ! qu’il est povre, qui ne voit28 ! Qu’il est pauvre, celui qui n’y voit pas !
S’il va, s’il vient, s’il dort, s’il poit, Qu’il aille, vienne, dorme ou pète,
2750 Autant de l’un comme de l’autre. C’est du pareil au même. L’aveugle
C’est .I. droit ymage de peautre29. N’est qu’un vil médaillon en étain. Au valet :
Hélas, mon filz Hanequinet : Hélas, mon petit Hannequin :
Meine-moy, en ce matinet, Conduis-moi ce matin
À celle bonne et sainte dame À cette bonne et sainte dame
2755 Qui de meschief oste maint[e] âme, Qui tire de malheur maint homme,
Que lez gens nomment Geneviève. Et que les gens nomment Geneviève.
LE VARLET LE VALET
Sire, j’ay tel dueil que je criève Monsieur, j’ai tant de mal que je crève
De ce que je suis sy gouteus Du fait d’être si goutteux
Que dez .II. hanches suis boisteus30 ; Que je boite des deux fémurs ;
2760 Et ay la tous, maise31 poitrine, Et j’ai la toux, de l’asthme,
Clous, pous, cirons32, lentes, vermine ; Des furoncles, des poux, des pustules, des lentes, des vers ;
J’ay la rougole et la vérole33 ; J’ai la rougeole et la variole ;
J’ay, chascun jour, la feinterole34 ; J’ai chaque jour la chiasse ;
J’ay le jaunice35 et suis éthique. J’ai la jaunisse et je suis squelettique.
2765 Ne guérir n’en puis par phisique. Et je ne peux guérir grâce à la science.
Merdefins36 et c[h]iurgïens Les merdecins et les chie-rurgiens
M’ont eu long temps en leurs lïens ; M’ont longtemps tenu en leurs filets ;
Maintenant, quant je n’ay que frire37, Maintenant que je n’ai plus que frire,
Que riens n’a en ma tirelire, Qu’il n’y a plus rien dans ma tirelire,
2770 Par m’âme, il n’ont cure de moy. Ils n’ont plus cure de moi, par ma foi !
L’AVEUGLE L’AVEUGLE
Par mon serment, [bien] je t’en croy ! Je te jure que je veux bien te croire !
Aussy, Hanequin (sy m’aist Diex38 !), Aussi, Hannequin (que Dieu m’assiste !),
Il m’ont du tout crevé lez yeulz. Ils m’ont complètement crevé les yeux.
Mengier puissent-il leur[s] boiaus ! Puissent-ils manger leurs boyaux !
2775 Je dy ceulx qui ne sont loyaus Je parle de ceux qui n’appliquent pas
Selonc leur povoir et savoir. Leurs compétences et leur savoir.
Alons où j’ay dit ! Car là, voir, Allons où je t’ai dit ! Car là, vraiment,
Nous trouverons miséricorde. Nous trouverons de la pitié.
LE VARLET, en baillant LE VALET, en lui faisant
la corde39 : tenir le bout de sa ceinture :
Alons, donc ! Tenez bien la corde ! Allons-y, donc ! Tenez bien ma corde !
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Sainte Geneviève voise en son oratoire40, Que sainte Geneviève aille dans sa
et là se tiegne en oroison, et lez autres chapelle et s’y tienne en prière, et que
où ilz vourront. les miraculés aillent où ils voudront.
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Cy après est DE UNE FAME À QUI Suit le MIRACLE D’UNE FEMME
MADAME SAINTE GENEVIÈVE À QUI SAINTE GENEVIÈVE
RENDIT LA VUE, qu’elle avoit RENDIT LA VUE, qu’elle avait
perdue pour ce qu’elle avoit emblé les perdue parce qu’elle avait volé les
soulers de la dicte vierge. chaussures de ladite sainte.
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LA VIELLE 41 LA VIEILLE
2818 Pour lez boiaus sainte Géline42 ! Par les boyaux de sainte Géline !
Vélà dame Genevéline43, Voilà madame Je-ne-sais-lire,
(en la monstrant) (en la montrant)
2820 Qui ne fait que pseaumes broullier44, Qui ne fait qu’embrouiller les psaumes,
Sez yeulx essuier et moullier, Essuyer ses yeux et les mouiller de larmes,
Qui scet45 trop bien la main où metre. Et qui sait bien où tendre sa main.
Et je puis bien fondre et remetre46 : Moi, je peux bien fondre et maigrir :
Je n’ay que frire ne que daire47. Je n’ai plus rien à frire, ni que dalle.
2825 Lamproiës, luz, barbeaus de Laire Les lamproies, les brochets et les barbeaux de Loire
Ne me prennent pas à la gorge. Ne risquent pas de m’étrangler !
À grant paine ay-je du pain d’orge, À peine puis-je avoir du pain noir,
Qui souloië (las !) sy bien vivre. Moi qui jadis vivais si bien, las !
Tous jours estoie ou plaine48 ou yvre. J’étais toujours bourrée ou ivre.
2830 Et plus me fesoië « coignier 49 » Et je me faisais « cogner » plus souvent
Qu’il [n’est] de coings en .I. coignier. Qu’il n’y a de coings sur un cognassier.
Coignant coign[é]e onc ne coigna Une cognée cognante ne cogna jamais
Tant de coing[s] comme on me coigna ; Autant de coins que je fus cognée.
Et lez coigneurs50, qui me coignoient Et les cogneurs, qui me cognaient
2835 Le coing51, le52 poing d’or me coignoient. Le con, remplissaient d’or mon poing.
Plus n’y seray de coing53 coignie, Je ne serai plus cognée par un poinçon,
Car ma coignie54 est descoignie : Car ma cognée n’a plus de « manche » :
Tant est cuisans, et vielle, et dure, Elle est si sèche, si vieille et si dure
Qu’il n’est coigneur qui en ait cure, Que nul cogneur n’en a cure,
2840 N’argent n’y veult en[s]55 metre, et « coing ». Et ne veut y mettre ni son argent ni son poinçon.
En monstrant sainte Geneviève. En montrant sainte Geneviève.
Et vélà Madame, en son coing56, Et voilà Madame, dans son recoin,
Qui de « coignier » ne sceut onc note Qui n’a jamais su l’art de « cogner »
(Ce dit-on), tant est nice et sote ; (Dit-on), tant elle est naïve et sotte ;
Qui a de l’argent à poignies Qui a de l’argent par poignées
2845 Com s’en le forjast à coignies57. Comme si on le forgeait à la hache.
Chascun ly donne tire-à-tire58 Chacun lui en donne sans relâche,
Et tous jours bret, pleure et soupire. Et pourtant, toujours elle brait, pleure et soupire.
Coigne fort son huis et recoigne, Qu’elle claque et reclaque fort sa porte,
Car je ly baudray tel engroigne59 Car je lui flanquerai un tel coup
2850 (Foy que je doy saint Andrieu le Scot60) (Par saint André d’Écosse)
Que je bevray à son escot Que je boirai à ses frais,
Ou je faurray à faire tente61. Ou j’aurai mal tendu mon piège.
Cy62, la regarde, et puis Ici, qu’elle la regarde, et dise
die en hochant la main : en secouant la main :
Elle est nuz-piéz. Ho ! j’ay m’entente63. Elle est déchaussée. Oh ! j’ai un plan.
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Cy, die à sainte Céline et à Margot : Ici, qu’elle dise à sainte Céline et à Margot :
Dieu vous doint bon jour, Damoysèles ! Une bonne journée, mesdemoiselles !
SAINTE CÉLINE SAINTE CÉLINE
2855 Bien veigniez, Dame ! Quelz nouvelles ? Bienvenue, Madame ! Qu’y a-t-il ?
LA VIELLE, en soy asséant.64 LA VIEILLE, en s’asseyant.
Je me vueil soèr, ne vous desplaise. Je veux m’asseoir, s’il vous plaît.
MARGOT MARGOT
Ha ! Dame, estes-vous en malaise ? Ah ! Madame, avez-vous un malaise ?
LA VIELLE, en prenant lez LA VIEILLE, en chaussant
soullers secrètement : discrètement les souliers :
Oïl, j’ay .I. pou mal au cuer. Oui, j’ai un peu mal au cœur.
SAINTE CÉLINE SAINTE CÉLINE
Diex vous doint santé, bèle suer ! Que Dieu vous donne la santé, ma sœur !
LA VIELLE, en soy levant. LA VIEILLE, en se levant.
2860 Amen ! Adieu, je suis garie ! Amen ! Adieu, je suis guérie !
SAINTE CÉLINE et MARGOT SAINTE CÉLINE et MARGOT
Alez à la Vierge Marie ! Allez remercier la Vierge Marie !
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Cy, s’en voise LA VIELLE, Ici, que LA VIEILLE s’en
en monstrant lez soullers et aille en montrant au public
en disant : les chaussures, et en disant :
Or, dië Madame sez hinnes ! Que Madame récite donc ses hymnes !
Comment que soit, j’ay sez botines. Quoi qu’il en soit, j’ai ses bottines.
Voist nuz-piéz, s’el veult, par la rue ! Qu’elle aille pieds nus par la rue, si elle veut.
2865 Et s’el a froit, sy esternue ! Et si elle a froid aux pieds, qu’elle éternue !
En souriant : En souriant :
Sa pucelle65 me sermonnoit. Sa pucelle me serinait. Les souliers,
Je lez prins : Diex lez me donnoit. Je les ai pris : Dieu me les donnait.
Ay-je bien fait ? Oïl, sans doubte ! Ai-je bien fait ? Oui, sans doute.
…………………………… 66 …………………………..
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3048 Sire, quant à parler apris, Monseigneur, dès que j’appris à parler,
À mentir, à jurer me pris, Je me mis à mentir, à blasphémer,
3050 À jouer, chanter et dancier, À jouer aux dés, à chanter et danser,
À père et mère courouscier, À courroucer mon père et ma mère,
À embler noiz, poires et pommes, À voler des noix, des poires et des pommes,
À accoler ces jeunes hommes. À enlacer les jeunes hommes.
Tantost perdy mon pucellaige. Je perdis bientôt mon pucelage.
3055 J’ay tout honny, et67 mariage. J’ai tout déshonoré, même le mariage.
Et puis ay-je esté maquerelle, Et puis j’ai été maquerelle,
Qui trop empire ma querelle. Ce qui aggrave beaucoup mon cas.
Je suy orguilleuse, envieuse, J’ai commis les péchés d’orgueil, d’envie,
Gloute, yreuse, avaricïeuse, De gourmandise, de colère et d’avarice.
3060 Mesdisant et de maise affaire, Je suis médisante et de mauvaise compagnie,
Et paréceuse de bien faire, Et paresseuse de bien faire,
Janglerresse en oiant lez messes. Et hypocrite en écoutant la messe.
J’ay veuz enfrains, jeûnes, promesses, J’ai enfreint les vœux, les jeûnes, les promesses,
Les commandemens de la Loy. Et les commandements de la loi divine.
3065 Il n’a ne cuer ne sens sur moy Il n’y a rien en toute ma personne
Dont je n’ayë Dieu courouscié, Dont je n’aie offensé Dieu,
Et moy et mon proisme blécié. Et blessé moi et mon prochain.
Dire ne sauroië la disme Je ne saurais vous dire le dixième
De mes péchiéz : c’est ung abisme ! De mes péchés : c’est un gouffre !
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1 Je donne les numéros des vers d’après l’édition de Gabriella PARUSSA : Les Mystères du manuscrit 1131 de la bibliothèque Sainte-Geneviève de Paris. Classiques Garnier, vol. II, 2023, pp. 1552-1810. 2 S’en ressente favorablement. L’humour guérissait déjà la constipation. 3 Confusion populaire entre saint Gris [surnom de saint François d’Assise, qui était vêtu de gris], et l’insignifiant saint Chrysogone. 4 Tu ne frapperais, au sens érotique. « Hurtebillier Hennon et Jennette. » Jehan Molinet. 5 Architriclin était le maître d’hôtel des noces de Cana. « Quant le vin fut failly,/ Aux nopces de Archédéclin,/ (Dieu) ne mua-il pas l’eau en vin ? » Sermon joyeux de bien boire. 6 La soupe est un morceau de pain qu’on trempe dans le vin. « Ilz sont plus ivres qu’une soupe. » Massons et charpentiers. 7 Nous dirions aujourd’hui : Je verrais voler des éléphants roses. 8 Sur cette interjection hautement scatologique, voir la note 24 du Savetier Audin. 9 Prononciation à la française du mot Sanctus. La suite parodie, d’une manière qu’on qualifierait aujourd’hui de sacrilège, Dominus Deus sabaoth. 10 « Les feuilles de tripe sont des feuilles de parchemin de mauvaise qualité obtenues de la peau du cochon. » Gabriella Parussa, p. 1761. 11 Ms : Et eurent (Elles se mettent en oraison. Le v. 3110 dit : « Plorez, orez, jeûnez, veilliez. ») 12 Elles exhibent une corde en guise de ceinture, comme les Cordeliers. La haire est une chemise de crin que les pénitents les plus fanatiques portent à même la peau. On sent que l’auteur désapprouve ce masochisme ostentatoire. 13 Comporte, rassemble. Ce frontispice figure dans l’illustration ci-dessus, où le sous-titre est en rouge. 14 De brièveté. Tous les malades sont réunis dans un seul miracle. 15 Greffées. 16 Ms : mon piegne (Tous les valets d’aveugles guident leur maître quand il va mendier.) 17 Littéralement : voulez-vous jouer à pile ou face ? En fait, le valet ironise sur la modicité des dons, qui ne laisse aucun choix. Sous ce vers, qui est au bas de la colonne, le ms. ajoute entre des plumes dessinées : degrace 18 Le chevêtre est la bride par laquelle on mène un cheval ou un âne. Par extension, c’est également la corde du pendu, et le gibier de potence qui la mérite : « Tu mens, chevestres ! » ATILF. 19 Froids-Vaux = froides vallées. Cette abbaye mythique désigne un taudis glacial peuplé de clochards. Voir la note 155 du Monde qu’on faict paistre. 20 La foire du Lendit se tenait du 11 au 24 juin près de Saint-Denis, où se déroule cette partie du Mystère. Notre manuscrit l’évoque dans le Geu saint Denis : « Fuions-nous-en (dyables l’emportent !)/ Tout droit à la foire au Lendit. » 21 Fermement. Les mendiants aveugles chantent dans les rues. La chanson qui suit rappelle les vers 127-130 de l’Aveugle et Saudret, une autre farce incluse dans un Mystère. 22 Forme picarde de saint Pierre, le premier pape. « Vous serez sainct Pere de Rome. » Le Chauldronnier. 23 Non plus. Niant est la forme normanno-picarde de néant. En Normandie, coute = coude. 24 Cf. les Botines Gaultier, vers 417 et 479. Dans notre manuscrit, l’aveugle de la Conversion saint Denis entend les mêmes excuses : « –Donnez-moy, pour Dieu, quelque chose !/ –Parlez bas, Madame repose./ –Au mains, me tendez vostre main !/ –Oïl, oïl, c’est à demain ! » 25 Jeu de mots sur « baiser ». Avec un calembour similaire, on dit que les femmes qui sortent rejoindre leur amant vont à Saint-Béset ; cf. Tout-ménage, vers 236. Soulignons que le scribe ne note pas les cédilles, et que l’acteur eût été parfaitement compris s’il avait prononcé « baise en con » et « culs en cons ». 26 Cuisançon = peine, tourment. Mais il y a ici un jeu de mots sur « cul ». 27 Un incompétent qui s’occupe d’une quantité d’affaires auxquelles il n’entend rien. Cf. le Temps-qui-court, vers 180. 28 Dans notre manuscrit, l’aveugle de la Conversion saint Denis fait le même constat : « Il est trop povres, qui ne voit. » 29 C’est une vraie médaille d’étain : un objet dépourvu de valeur. 30 En conformité avec la parabole de l’aveugle et du paralytique, beaucoup de valets farcesques qui guident un non-voyant sont eux-mêmes handicapés : « Faictes quelque bien au boiteux/ Qui bouger ne peult, pour [à cause de] la goucte. » (L’Aveugle et le Boiteux.) Voir aussi l’Aveugle et son Varlet tort, de François Briand. 31 Mauvaise. Même picardisme au v. 3060. 32 Pustules provoquées par un acarien. Les lentes sont des œufs de poux. 33 Il s’agit de la petite vérole, ou variole. La grande vérole, ou syphilis, n’apparaîtra qu’un siècle plus tard. 34 Mot inconnu. Peut-être faut-il lire « fienterole ». 35 Le ms., en dépit de son dernier éditeur, donne ce mot au masculin. « Ceste maladie est dicte vulgalment le jaunisse. » (ATILF.) Étique = amaigri par la maladie. « Oncques pauvre paralitique/ Ne fut tant que je suis éthique. » (Le Gouteux.) Cette accumulation de mots et de maux avait le même effet cocasse que la chanson d’Ouvrard : « J’ai la rate/ Qui s’dilate,/ J’ai le foie/ Qu’est pas droit,/ J’ai le ventre/ Qui se rentre,/ J’ai l’pylore/ Qui s’colore,/ J’ai l’gésier/ Anémié… » 36 Les médecins, qui font leur diagnostic en examinant les excréments des malades, sont des spécialistes de la « merde fine ». Au v. 2659, le personnage du Bossu dénonce leur cupidité : « J’ay despendu [dépensé] tout mon argent/ En merdesfines et en mires [médecins]./ Je croy qu’ou monde n’a gents pires :/ Soit tort, soit droit, hapent, ravissent…./ On ne puet mielx lez gens pillier. » Je rétablis la chuintante normanno-picarde de chiurgien, qui permet un autre calembour scatologique sur « chiure ». 37 Plus rien à mettre dans ma poêle. Idem au v. 2824. 38 Si m’aid Dieu : que Dieu m’assiste ! 39 Les pauvres — et les zélatrices de sainte Geneviève — se contentent d’une corde en guise de ceinture. Les aveugles se cramponnaient à celle de leur valet : « Empongnez-moy par la saincture,/ Et nous yrons à l’avanture. » (L’Aveugle, son Varlet et une Tripière.) Voir aussi le vers 360 des Miraculés. 40 Elle l’a fait bâtir à l’Estrée, près de Saint-Denis et du Lendit. 41 Elle est pauvrement vêtue et ne porte pas de chaussures. 42 Jeu de mots irrévérencieux : la Vieille a sous les yeux sainte Céline, une adoratrice de sainte Geneviève. Mais sainte Géline est une poule, sanctifiée par un sermon joyeux, la Vie madame Guéline. 43 En picard, « je ne vé line » = je ne vois pas une ligne. 44 Ce verbe signifie : embrouiller un texte auquel on ne comprend rien ; cf. la Folie des Gorriers, vers 359. Il peut également signifier : salir ; cf. Mahuet, vers 194. D’une manière ou d’une autre, Geneviève fait partie des « brouilleurs de parchemins ». 45 Ms : a (Qui sait où il faut mettre les mains pour amasser de l’argent.) 46 Ces 2 verbes synonymes vont souvent de pair : « Je ne suis fondu ne remis,/ Que ne le luy face à deux coups. » Frère Frappart. 47 Locution inconnue qu’on retrouve dans ce ms. : « S’il eussent que daire,/ Je leur feisse le bien-veignant. » (Geu saint Denis.) On peut la rapprocher de « n’avoir que raire » : n’avoir plus rien à tondre, à gratter. À la limite, ce pourrait être une contrepèterie argotique sur « n’avoir de caire » : ne pas avoir d’argent. Cf. le Mince de quaire. 48 Soûle. Nous dirions : J’étais pleine comme un boudin. 49 Le verbe cogner et le substantif coin, pris au sens érotique, vont générer 14 vers. Le personnage du Fiévreux s’était livré <vv. 2688-2712> à un jeu tout aussi virtuose sur le radical dur. 50 Les amants. « Il m’a très-bien cognée :/ Jamais je ne veis tel coigneux./ Mais moy qui suis obstinée,/ Pour un coup j’en rendis deux. » Gaultier-Garguille. 51 Ma vulve. « Qui luy frapperoit sus son coing/ D’ung gros ‟martel” pesant et lourt. » Jehan Molinet. 52 Ms : du (Me graissaient la patte. « Les poins dorés d’argent. » Le Jeu du capifol.) Dans ce vers, cogner = mettre de force : « Et que dans mon ventre je cogne/ Vin blanc muscat et vin vermeil. » Godefroy. 53 Par un pénis. « Son long coing tremblotant,/ Son coing rouge orangé. » Ronsard, la Bouquinade. 54 Ma vulve. La cognée [hache] possède un trou dans lequel on enfonce le manche. Comme le dit Priape, « coingnée sans manche/ Ne sert de rien ». Rabelais, Prologue du Quart Livre. 55 Dedans. Notre fatiste écrit au v. 1908 : « Ne hors, ne ens. » 56 Sainte Geneviève prie à genoux dans une chapelle ouverte. Elle a laissé ses chaussures à l’entrée, sous un banc où sont assises sa disciple, sainte Céline, et leur servante Margot. 57 À grands coups de hache, sans compter. 58 Cf. le Temps-qui-court, vers 75. 59 Un tel coup sur le groin. « Le villain grongne ?/ Bien luy donray d’une engrongne/ Sur les dentz ! » (Godefroy.) On pourrait lire engaigne : mauvais tour, fourberie. Auquel cas, ce mot rimerait avec « recaigne », à la manière normande. 60 À saint André, le saint patron de l’Écosse. 61 Je faudrai (futur picard de faillir) à poser une tente, un collet tendu. Cf. le Temps-qui-court, vers 114. 62 Ms : Cil (Voir la prochaine didascalie.) 63 Mon intention. Devant ce mot, les Picards apocopent les pronoms mon et son : « Mais qui n’y met toute s’entente. » Les Femmes qui aprennent à parler latin. 64 Feignant d’avoir un malaise, elle s’assoit sur le banc, juste au-dessus des souliers de Geneviève, qui sont par terre. 65 Peut désigner Céline ou Margot : voir le v. 2516. Pour la Vieille, ce terme est injurieux. 66 Après moult péripéties édifiantes, la Vieille va se confesser à l’évêque de Paris, qui n’en perd pas la foi pour autant, ce qui prouve qu’il est lui-même confessé de frais. 67 Ms : en (Et aussi.)
L’AVEUGLE ET LE BOITEUX
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L’AVEUGLE ET
LE BOITEUX
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Cette farce d’André (ou Andrieu) de La Vigne conclut son Mystère de saint Martin, dont fait aussi partie la farce du Munyer, à laquelle je renvoie pour de plus amples détails.
L’Aveugle et le Boiteux est en deux parties. La première est annoncée au folio 220 vº du Mystère, quand saint Martin, mourant, donne ses ultimes consignes. La marge porte : « Nota qu’en ce passage conviendra jouer la farce1. » La seconde partie se joue à la fin du Mystère, quand le corps du saint a été sorti de l’église : « Icy se mectent en ordre de procession lesdits moynes et tous les joueurs les [ungs] après les aultres, et s’en vont en chantant. »
Le thème de cette farce (comment échapper à un miracle pour ne pas avoir à travailler) sera repris et amplifié en 1565 dans un Mystère anonyme, l’Hystoire de la vie du glorieulx sainct Martin :
L’AVEUGLE Compagnon, je te veux compter :
Tout à cest heure, on doibt porter
Le corps de sainct Martin en terre.
Aller nous y fault à grand erre
Pour nous asseoir devant l’esglise ;
Là, mendiant à nostre guise,
Nous aurons (si on nous veult croire)
De l’argent pour largement boire.
LE CONTREFAIT Emporte-moy, par sainct Guérin,
Pour ne rancontrer en chemin
Son corps, lequel nous guériroit,
Ce que mal à point nous seroit.
De guérir je n’ay nul soucy !
L’AVEUGLE Par la chair bieu, ny moy aussi !
Au monde, n’a plus belle vie
Que le train de Bélîtrerie* : * Mendicité.
Car sans endurer nulz travaux*, * Nulle peine.
On y a de friandz morceaux
Et d’argent grande quantité.
LE CONTREFAICT J’ay prouffité, pour un esté,
Pour demander piteusement
Cent florins, que gorgiasement
J’ay mangés avec les filliettes.
L’AVEUGLE J’ay prouffité de presque aultant
En moins de cinq ou de six festes,
Que j’ay despendu quand et quand*, * Dépensé en même temps.
Et n’ay pas ung denier de restes.
Ilz rencontreront le corps de St Martin et seront guéris.
L’AVEUGLE Maudit soyt Dieu ! je voy tout clèr.
Le diable puisse l’emporter !
De Dieu à jamais soit maudit
Celluy qui par cy a conduict
Le corps du sainct homme Martin !
Maudit soit-il soir et matin !
À mes yeux a baillié clarté
Contre ma propre voulonté.
LE CONTREFAICT J’estois bossu, tortu, vousté ;
Et ores — dont je suys marry —
Maulgré mes dens*, je suys guéry. * Malgré moi.
Las ! je vivois sans travailler
De ce qu’on me venoit baillier ;
Je triomphois et faisois rage.
Ores, à sueur de visage,
En regret et mélancolie,
Il me fauldra gagner ma vie.
Car se veux aller demandant,
On me dira : « Allez, truand !
Travailliez pour havoir à vivre ! »
L’AVEUGLE Jamais je ne seray délivre
D’ennuy, car je n’ay pas courage
De m’adonner au labourage.
Car jusques icy, j’ay esté
Nourry en toute oisiveté.
LE CONTREFAICT Chantons doncques d’ung mesme accord
Nostre mal et griefz desconfort
Pour y donner quelque allégeance.
L’AVEUGLE Je veux bien, compagnon. Commence !
LE CONTREFAICT chante la chanson :
Ores, il fault qu’allie chantant :
« Adieu, adieu, Bellîtrerie,
Et à celle plaisante vie
Que nous avions en te suyvant !
Hélas ! avecques toy vivant,
Au cueur n’avions mélancolie.
Et bien peu rarement s’ennuye
Qui selon tes loix va vivant.
Bellistre n’a aulcunement
Ny son cueur, ny sa fantaisie
De regret et soulcy saisye
Si le bléd est gasté du vent.
Le bellistre se rassasie
Du bien d’aultruy joyeulsement.
Hélas, hélas, Bellîtrerie,
Doulce dame : à Dieu te commant* ! » * Je te recommande.
Il nous fauldra doresnavant
Travaillier comme des juïfz,
Et nous vivions auparavant
Gays et fallotz par tous les huys.
LE FOL Mes compagnons, il vous fault fère
— Pour parvenir à quelque honneur —
Ung chescung de vous secrétayre
Des gallères de Monseignieur :
Chescung de vous aura la plume* * Une rame.
De quinze piedz ou environ,
Pour escrire ainsi, de coustume,
De beaux cadeaux ou aviron.
Vous ne boirez que de vin blanc* * De l’eau.
Qui vous rendra le cueur très aise,
Et serez assis sur ung banc.
Vouldriez-vous mieux estre à vostre aise ?
Et lhorsque serez desgoustés
Fère le debvoir à la rame,
Vos espaules seront frottés
D’ung bon fouet à la bonne game.
Source : Ms. fr. 24332 de la Bibliothèque nationale de France, folios 234 rº à 240 vº. Cette pièce, copiée d’après le manuscrit original, est bourrée de fautes, contrairement au reste. Certains pensent qu’elle fut écrite pendant la représentation, pour conclure le spectacle à la place du Munyer, qu’on avait dû jouer au début à cause du mauvais temps. « Cette précipitation expliquerait que la copie de cette nouvelle farce ait été, elle aussi, faite hâtivement et que sa transcription soit çà et là hésitante. » (André Tissier, Recueil de farces, t. XI, Droz, 1997, p. 306.)
Structure : Rimes abab/bcbc, rimes plates, rimes fratrisées (vers 223-230).
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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L’AVEUGLE 2 SCÈNE I
L’aumosne au povre diséteux3
Qui jamais, nul jour, ne vit goucte !
LE BOITEUX
Faictes quelque bien au boiteux
Qui bouger ne peult, pour la goucte4 !
L’AVEUGLE
5 Hellas ! je mourray cy, sans doubte,
Pour la faulte d’un serviteur5.
LE BOITEUX
Cheminer ne puis, somme toute.
Mon Dieu, soyez-moy protecteur !
L’AVEUGLE
Hellas ! le mauvaix détracteur6
10 Qu’en ce lieu m’a laissé ainsi !
En luy n’avoye bon conducteur :
Robé m’a7, puis m’a planté cy.
LE BOITEUX
Hellas ! je suis en grant soucy,
Mèshouan8, de gaigner ma vie.
15 Partir je ne pourroye d’icy,
En eussé-je9 bien grant envie.
L’AVEUGLE
Ma povreté est assouvie10,
S’en brief temps ne treuve ung servant.
LE BOITEUX
Maleurté11 m’a si fort suyvye
20 Qu’à elle je suis asservant12.
L’AVEUGLE
Pour bon service desservant13,
Trouverai-ge poinct ung valet ?
Ung bon en eus en mon vivant14,
Qui jadis s’appelloit Gillet ;
25 Seur estoit15, combien qu’il fust let.
J’ay beaucoup perdu en sa mort.
Plaisant estoit et nouvellet16.
Mauldit[e] celle qui l’a mort17 !
LE BOITEUX
N’aurai-ge de nully confort18 ?
30 Ayez pitié de moy, pour Dieu !
L’AVEUGLE
Qui es-tu, qui te plains si fort ?
Mon amy, tire-t’en ce lieu19.
LE BOITEUX
Hellas ! je suis cy au millieu
Du chemin, où je n’ay puissance
35 D’aller avant. A ! sainct Mathieu,
Que j’ay de mal !
L’AVEUGLE
Viens, et t’avence
Par-devers moy : pour ta plaisance,
Ung petit nous esjoÿrons20.
LE BOITEUX
De parler tu as bien l’aisance21 !
40 Jamais de bien ne joÿrons.
L’AVEUGLE
Viens à moy ! Grant chière ferons,
S’il plaist à Dieu de Paradis.
À nully nous ne mesferons22,
Combien que soyons estourdis23.
LE BOITEUX
45 Mon amy, tu pers bien tes ditz24 :
D’icy bouger je ne sçauroye.
Que de Dieu soyent ceulx maulditz
Par qui je suis en telle voye25 !
L’AVEUGLE
S’à toy aller droit je povoye,
50 Contant seroye de te porter
– Au moins se la puissance avoye –
Pour ung peu ton mal supporter26.
Et toy, pour me réconforter,
Me conduyroye27 de lieux en lieux.
LE BOITEUX
55 De ce, ne nous fault depporter28 :
Possible n’est de dire mieulx.
L’AVEUGLE
À toy, droit m’en voys29, se je peulx.
Voi-ge bon chemin ?
LE BOITEUX
Oy, sans faille.
L’AVEUGLE 30
Pour ce que tomber je ne veulx,
60 À quatre piedz vault mieulx que j’aille.
Voi-ge bien ?
LE BOITEUX
Droit comme une caille31 !
Tu seras tantost devers moy.
L’AVEUGLE
Quant seray près, la main me baille32.
LE BOITEUX
Aussi ferai-ge, par ma foy.
65 Tu ne va[s] pas bien, tourne-toy.
L’AVEUGLE
Par-deçà ?
LE BOITEUX
Mais à la main destre33.
L’AVEUGLE
Ainsi ?
LE BOITEUX
Oy.
L’AVEUGLE
Je suis hors d’émoy34
Puisque je te tiens, mon beau maistre.
Or çà ! ve[u]ille-toy sur moy mectre :
70 Je croy que bien te porteray.
LE BOITEUX
Ad cella me fault entremectre35 ;
Puis apprès, je te conduyray.
L’AVEUGLE
Es-tu bien ?
LE BOITEUX
Oÿ, tout pour vray36.
Garde bien de me laisser choir !
L’AVEUGLE
75 Quant en ce poinct je le feray37,
Je pry Dieu qu’il me puist meschoir !
Mais conduys-moy bien.
LE BOITEUX
Tout pour voir ;
À cella, j’ay [fait le serment]38.
Tiens cecy39 ! Je feray debvoir
80 De te conduyre seurement.
L’AVEUGLE
A ! dea, tu poise40 grandement !
Dont vient cecy ?
LE BOITEUX
Chemine bien,
Et fais nostre cas sagement.
Entens-tu, hay ?
L’AVEUGLE
Oÿ, combien
85 Que trop tu poise[s].
LE BOITEUX
Et ! rien, rien :
Je suis plus légier c’une plume41,
Ventre bieu !
L’AVEUGLE
Tien-té bien [dru],42 tien,
Se tu veulx que je te remplume43.
Par le sainct44 sang bieu ! Onc enclume
90 De mareschal si trèspesante
Ne fut ! De grant chaleur je fume.
Dont vient cecy ?
LE BOITEUX
A ! je me vente
Que charge jamais plus plaisante
Ne fut au monde que tu as
95 Maintenant.
L’AVEUGLE
Mais plus desplaisante !
Trois moys y a que ne chyas !
LE BOITEUX
Mesdieux45 ! Quant de ce ralias46,
[Pource qu’en fus tousjours distraict47,]
Six jours a, par sainct Nycolas,
100 Que bien ne fus à mon retrect48.
L’AVEUGLE
Et ! m’av’ous joué de ce trect49 ?
Par mon serment ! vous descendrez
Et yrez faire aulcun pourtraict50
D’un estron où que vous vouldrez.
LE BOITEUX
105 Contant suis, pourveu qu’atendrez
Que venu soye.
L’AVEUGLE
Oÿ, oÿ.51
Sur ce poinct, le Boiteux descent.52 Et l’Official va
voir se les moynes dorment. Et quant les chanoynes
emportent le corps, ilz 53 recommancent à parler.
*
L’AVEUGLE 54 SCÈNE II
Que dit-on de nouveau ?
LE BOITEUX
Commant !
L’on dit des choses sumptueuses.
Ung sainct est mort nouvellement,
110 Qui fait des euvres merveilleuses :
Malladies les plus p[é]rilleuses
Que l’on sauroit pencer ne dire
Il guérist. S’elles55 sont joyeuses ?
Icy suis pour le contredire !
L’AVEUGLE
115 Commant cela ?
LE BOITEUX
Je n’en puis rire.
L’on dit que s’il passoit par cy,
Que guéry seroye tout de tire56 ;
Semblablement et vous aussi.
Venez çà : s’il estoit ainsi
120 Que n’eussions ne mal ne douleur,
De vivre aurions plus grant soucy
Que nous n’avons.
L’AVEUGLE
Pour le milleur57
Et pour nous oster de malleur,
Je diroye que nous aliss[i]ons58
125 Là où il est.
LE BOITEUX
Se j’estoye seur
Que de tout ne garississ[i]ons59,
Bien le vouldroye. Mais que feussions
De tout guéris, ryen n’en feray !
Trop myeulx vauldroit que fuÿssions60
130 Bien tost d’icy !
L’AVEUGLE
[Mais] dy-tu vray ?
LE BOITEUX
Quant seray gary, je mourray
De fain, car ung chascun dira :
« Allez ouvrer61 ! » Jamais n’yray
En lieu où celuy sainct sera.
135 S’en poinct suis62, l’on m’appellera
Truant63 en disant : « Quel paillart
Pour mectre en gallée64 ! Velle-là65,
Assez propre, miste66 et gaillart. »
L’AVEUGLE
Oncques ne vys tel babillart !
140 Je confesse que tu as droit :
Tu sces bien de ton babil l’art.
LE BOITEUX
Je ne vouldroye poinct aller droit67,
Ny aussi estre plus adroit
Que je suis, je le vous promectz.
L’AVEUGLE
145 Qu’aller là vouldroit se tordroit68.
Et pour tant69, n’y allons jamais.
LE BOITEUX
Se guéry tu estoye, je mectz
Qu’en brief70 courroucé en seroyes.
L’on ne te donroit, pour tous mectz,
150 Que du pain ; jamais tu n’auroyes
Rien de friant.
L’AVEUGLE
Mieulx j’ameroyes
Que grant maleurté me fust cheue71
Qu’au corps l’on m’ostast deux courroyes72,
Que ce qu’on m’eust rendu la veue !
LE BOITEUX
155 Ta bource seroit despourveue
Tantost d’argent.
L’AVEUGLE
Bien je t’en croys !
LE BOITEUX
Jamais jour ne seroit pourveue,
Ne n’y auroit pille ne crois73.
L’AVEUGLE
Mais dy-tu vray ?
LE BOITEUX
Oy, par la Croys !
160 Ainsi seroit que je devise74.
L’AVEUGLE
Jamais de rien ne te mescrois,
Quant pour mon grant bien tu m’avise.
LE BOITEUX
L’on m’a dit qu’il est en l’église ;
Aller ne nous fault celle part75.
L’AVEUGLE
165 Se là nous trouvons, sans faintise,
Le deable en nous auroit bien part !
Pause.76
LE BOITEUX
Tirons par-delà à l’escart.
L’AVEUGLE
Par où ?
LE BOITEUX
Par cy.
L’AVEUGLE
Légièrement77.
LE BOITEUX
Ma foy ! je seroye bien coquart78
170 S’à luy j’aloye79 présentement.
L’AVEUGLE
Allons !
LE BOITEUX
À quel part80 ?
L’AVEUGLE
Droictement
Où le gallant joyeux s’iverne81.
LE BOITEUX
Que82 vellà parlé saigement !
Où yrons-nous ?
L’AVEUGLE
En la taverne :
175 J’y vois83 bien souvant sans lanterne.
LE BOITEUX
Je te dis qu’aussi foy-ge84, moy,
Plus voluntiers qu’en la citerne
Qui est playne d’eau, par ma foy !
Allons acoup !
L’AVEUGLE 85
Escoute…
LE BOITEUX
Quoy ?
L’AVEUGLE
180 Cella qui mayne si grant bruyt.
LE BOITEUX
Se c’estoit ce sainct ?
L’AVEUGLE
Quel esmoy !
Jamais nous ne seryons en bruyt86.
Que puist-ce estre ?
LE BOITEUX 87
Chascun le suyt.
L’AVEUGLE
Regarde voir que ce puist estre.
LE BOITEUX
185 Maleurté de près nous poursuyt :
C’est ce sainct, par ma foy, mon maistre !
L’AVEUGLE
Fuyons-nous-en tost en quelque estre88 !
Hellas ! j’ay grant peur d’estre pris.
LE BOITEUX
Cachons-nous soubz quelque fenestre,
190 Ou au coing de quelque pourpris89.
Garde de choir !
L’AVEUGLE 90
J’ay bien mespris91,
D’estre tumbé si mal appoint !
[Tu fus sage quant tu me pris
Par le collet de mon pourpoint.]92
LE BOITEUX
195 Pour Dieu ! Qu’il ne nous voye poinct,
Car ce seroit trop mal venu !
L’AVEUGLE
De grant peur tout le cueur me poinct.
Il nous est bien mal advenu.
LE BOITEUX
Garde bien d’estre retenu93,
200 Et nous traynons soubz quelque vis94.
L’AVEUGLE (Nota qu’il est guary.)
À ce sainct suis bien entenu95 :
Las ! je voy ce qu’onques ne vis.
Bien sot estoie, je vous plévis96,
De m’estre de luy escarté.
205 Car rien n’y a (à mon advis)
Au monde qui vaille clarté.
LE BOITEUX 97
Le deable le puisse emporter,
Et qui luy scet ne gré ne grâce !
Je me fusse bien déporté98
210 D’estre venu en ceste place.
Las ! je ne sçay plus que je face99.
Mourir me conviendra de fain.
De dueil, j’en mâchure100 ma face.
Mauldit soit le filz de putain101 !
L’AVEUGLE
215 J’estoye bien fol, je suis certain,
D’ainsi foÿr102 la bonne voye,
Tenant le chemin incertain
Lequel, par foleur103, pris j’avoye.
Hellas ! le grant bien ne sçavoye
220 Que c’estoit de voir clèrement.
Bourgoigne104 voys, France, Sçavoye,
Dont Dieu remercye humblement.
LE BOITEUX
Or me va-il bien meschamment.
Meschant qui n’a d’ouvrer105 appris,
225 Pris est ce jour maulvaisement.
Maulvais suis d’estre ainsi surpris.
Seur106, pris seray, aussi repris,
Reprenant107 ma malle fortune.
Fortune108 ! Suis des folz compris109,
230 Comprenant ma grant infortune.
L’AVEUGLE
La renommée est si commune
De tes faitz, noble sainct Martin,
Que plusieurs gens viennent comme une
Merveille vers toy, ce matin.
235 En françoys, non pas en latin,
Te rens grâce de ce bienfait.
Se j’ay esté vers toy mutin110,
Pardon111 requiers de ce meffait.
LE BOITEUX
Puisque de tout je suis reffait112
240 Maulgré mes dens113 et mon visaige,
Tant feray que seray deffait
Encore ung coup de mon corsa[i]ge114.
Car je vous dis bien qu(e) encor sçai-ge
La grant pratique et aussi l’art,
245 Par oignement et par herbaige115,
Combien que soye miste et gaillart,
Qu(e) huy on dira que ma jambe art116
Du cruel mal de sainct Anthoyne.
Reluysant seray plus que lart117 :
250 Ad ce faire, je suis ydoyne118.
Homme n’aura qui ne me donne119
Par pitié et compassion.
Je feray120 bien de la personne
Playne de désolacion :
255 « En l’onneur de la Passion
(Dirai-ge), voyez ce povre homme,
Lequel, par grant extorcion121,
Est tourmenté vous voyez comme ! »
Puis diray que je viens de Romme ;
260 Que j’ay tenu prison en Acre122 ;
Ou que d’icy m’en vois, en somme,
En pèlerinage123 à Sainct-Fiacre.
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1 Pour l’auteur, il s’agit donc bien d’une farce, et non d’une moralité, comme on nous le serine depuis le XIXe siècle. 2 Nous sommes à Candes-sur-Loire en 397. L’Aveugle mendie dans un coin de la scène, tandis que le Boiteux, qu’il ne connaît pas encore, mendie dans un autre coin. 3 Qui souffre de disette, de faim. L’aveugle et le boiteux du Mystère de saint Quentin, de Jehan Molinet, travaillent dans le même registre : « –Donnez l’aumosne au diséteux/ Qui n’a forme d’œil en sa face !/ –Donnez à ce povre boiteux/ Qui n’a jambe qui bien luy face ! » 4 À cause de la goutte. Ce nom englobe toutes sortes de maladies invalidantes. Cf. le Gouteux. 5 Faute d’avoir un serviteur. Tout ce début démarque celui de l’Aveugle et Saudret, que La Vigne avait dû lire dans l’édition récente d’Antoine Vérard. 6 Enjôleur qui… 7 Il m’a dérobé mon argent. Au théâtre, c’est le reproche – justifié – que font tous les aveugles à leur valet. 8 Désormais. 9 Même si j’en avais. 10 Sera complète. 11 Le malheur, la malchance. Idem vers 152 et 185. 12 Asservi. 13 Pour me rendre service. 14 J’en ai eu un seul de bon dans toute ma vie. 15 Il était sûr, fiable. Et tellement laid que même l’aveugle s’en est aperçu. 16 Naïf. Gillet (diminutif de Gilles) n’est pas le nom d’un valet naïf : celui du Mistère de la Saincte hostie engrosse une chambrière. 17 Celle qui l’a tué : la Mort. « Cil qui l’a mort/ Est évesque. » (ATILF.) Mais le public a pu comprendre « qui l’a mors » : la femme enragée qui l’a mordu. 18 Nul ne me réconfortera-t-il financièrement ? 19 Viens ici. 20 Nous nous réjouirons un peu. 21 Tu en parles à ton aise. 22 À nul homme nous ne ferons de tort. 23 Frondeurs. « Il est des folz acariâtres,/ Estourdis et opiniâtres. » Les Sobres Sotz. 24 Tes paroles, ta salive. 25 Maudits soient ceux qui m’ont déposé sur ce chemin (vers 34). 26 Alléger. 27 Tu me guiderais par la voix. C’est la parabole de l’aveugle et du paralytique. 28 Nous ne devons pas nous écarter de cette bonne idée. 29 Je vais. Idem vers 58, 61, 175, 261. 30 Il avance à quatre pattes vers le Boiteux. 31 Qui se jette dans le filet du chasseur. 32 Tends-moi la main. 33 Dextre : sur ta droite. 34 De danger. « Il nous ostera hors d’esmoy. » (Les Queues troussées.) « Vous rirez,/ Mais [pour peu] que vous soyez hors d’esmoy. » (Frère Phillebert.) 35 M’employer difficilement. L’infirme grimpe sur le dos de l’aveugle. 36 Pour tout vrai. Idem vers 77. 37 Si je le faisais. 38 Ms. : le fermement serement (« Serment » fait deux syllabes au vers 102.) 39 Appuie-toi sur ma béquille. 40 Tu pèses. Idem vers 85. 41 Ms. : enclume (À la rime du vers 89.) « Je suis ligier comme une plume. » Le Gaudisseur. 42 Tiens-toi bien fermement. « Tiens-té bien ferme ! » (Farce de Pathelin.) « Nous tenir drut et fort ensamble. » (ATILF.) 43 Que je t’aide à gagner de l’argent. 44 Ms. : saing 45 M’aid Dieu : que Dieu m’assiste ! 46 Quant à ce divertissement. 47 Dérangé par un passant. Il manque ici un vers, que je supplée. 48 Le retrait est le lieu où l’on se retire pour faire ses besoins. Cf. le Retraict. 49 Ce trait : m’avez-vous joué ce mauvais tour ? 50 Le moulage. 51 Il manque un vers en -drez, et un vers en -y. L’auteur n’a pas eu le temps d’intégrer parfaitement cette farce au Mystère (v. ma notice). 52 Il se traîne derrière un buisson pour déféquer. Il y reste jusqu’à la fin du Mystère, en écoutant ce que chuchotent les religieux qui passent près de lui sans le voir. 53 L’Aveugle et le Boiteux. Vers la fin du Mystère, l’Official endort « comme pourceaux » les moines qui veillent le corps de St Martin ; aidé par ses chanoines, il vole ledit corps pour aller l’inhumer à Tours. Nous arrivons au moment où les voleurs sortent avec le catafalque sur lequel repose le saint, qui en profite pour accomplir quelques miracles. « Les maladies fuyoient à la venue du corps sainct Martin, à Quande. » Tiers Livre, 47. 54 Le Boiteux étant de retour, il lui demande ce que disaient les religieux qui passaient près de lui. 55 Ms. : Celles (Si ses œuvres.) 56 Tout d’un coup. 57 Le meilleur parti à suivre. 58 Que nous allions, pour qu’il nous guérisse. Les 4 rimes sont en -sions. 59 Que nous ne guérissions pas de tout, qu’il nous laisse une petite infirmité pour apitoyer nos clients. 60 Que nous fuyions. 61 Œuvrer, travailler. Les mendiants valides étaient suspects ; voir la notice des Maraux enchesnéz. 62 Si je suis en bonne santé par sa faute. 63 Mendiant, avec une connotation péjorative. Voir l’Hystoire de la vie de sainct Martin dans ma notice. 64 On envoyait les vagabonds aux galères. En 1494 et 1495, La Vigne avait pu les voir à Naples, où il suivait Charles VIII. « Ilz sont en gallée, gallée,/ Les maraulx. » La Résurrection Jénin à Paulme. 65 Voyez-le là. 66 Fringant. Idem vers 246. 67 Marcher sans boiter. 68 Celui qui voudrait aller là où est ce saint ferait un grand détour. « Je me tordroye/ De beaucoup, à aler par là. » Farce de Pathelin. 69 Pour cette raison. 70 J’affirme que bien vite. 71 Ms. : dehue (Chue.) 72 J’aimerais mieux qu’il me soit arrivé le grand malheur qu’on m’ôte deux lanières de peau, plutôt qu’on m’ait rendu la vue. « Ils traisnèrent par la ville les corps du Connestable (…) & d’autres seigneurs, enlevèrent des couroyes de la peau de quelques-uns. » Pierre Coppin. 73 Ni côté pile, ni côté face : pas un sou. 74 Ce serait comme je te le dis. 75 De ce côté. 76 Le Boiteux remonte sur le dos de l’Aveugle. Ils s’éloignent de l’église. 77 Prestement. 78 Stupide. Cf. les Maraux enchesnéz, vers 116. 79 Si j’allais devant St Martin. 80 De quel côté ? 81 Là où le bon vivant passe l’hiver. Les tavernes sont chauffées. 82 Ms. : Je 83 J’y vais les yeux fermés. La phrase est comique parce qu’elle est dite par un aveugle. 84 Que je le fais aussi. 85 L’Aveugle a l’ouïe fine : il entend les chants liturgiques du cortège de St Martin, qui se rapproche dangereusement. 86 Nous perdrions notre réputation d’invalides. 87 Juché sur les épaules de l’Aveugle, il voit arriver la procession. 88 En quelque lieu. 89 Jardin. Cf. la Pippée, vers 21. En courant, l’Aveugle trébuche. 90 Il tombe, avec le Boiteux, qui s’accroche à son cou. 91 J’ai commis une belle erreur. 92 Ces deux vers manquent. J’emprunte le second aux Sotz triumphans. 93 Retardé. 94 Sous un escalier extérieur en colimaçon. Le cortège funèbre passe tout près des infirmes, et le facétieux Martin ne peut s’empêcher de les guérir. 95 Tenu : je lui ai des obligations. « Je suys entenu de faire honneur à mon cousin. » Godefroy. 96 Je vous le garantis. Cf. Maistre Mimin estudiant, vers 405. 97 Il est guéri lui aussi. 98 Je me serais bien passé. 99 Plus quoi faire. 100 J’en meurtris. 101 Le Boiteux fait comme les diables du Mystère, qui rappellent par cette injure que la mère* du saint a été infidèle au paganisme : « Ce paillardeau filz de putain, Martin. » « Ce ribauldeau Martin, filz de putain. » *On la surnommait « la Belle Hélène de Constantinople ». Dans le Mystère, son rôle fut tenu par Étienne Bossuet, l’arrière-grand-oncle de l’évêque. 102 De fuir ainsi. 103 Par folie. 104 Le Mystère et ses deux farces furent représentés à Seurre, en Bourgogne ; leur commanditaire était le gendre du duc de Savoie, le futur employeur de La Vigne. 105 D’œuvrer, de travailler. 106 C’est sûr. Le Grand Rhétoriqueur André de La Vigne n’a pas pu se retenir de caser ici des rimes fratrisées, ou enchaînées. 107 Ms. : Reprenanant (Maudissant ma mauvaise fortune.) 108 Invocation à la Fortune, qui personnifie le destin. « Fortune nous est bien contraire. » Les Maraux enchesnéz. 109 Je fais partie des fous. 110 Si je me suis mutiné contre toi. 111 Ms. : Parton 112 Je suis rétabli, guéri. 113 Malgré moi. Voir l’Hystoire de la vie de sainct Martin dans ma notice. 114 Que mon corps sera encore une fois maladif. « Un bœuf de grand corsage. » Godefroy. 115 Les mendiants se fabriquaient de faux abcès, gangrènes et autres maladies de peau grâce à des onguents et à certaines herbes. 116 Est enflammée par le feu de saint Antoine, l’érésipèle. 117 Mes jambes couvertes de fausses inflammations luiront comme du lard. 118 Expert. 119 Il n’y aura aucun homme qui ne me donne de l’argent. 120 Je contreferai. 121 Luxation d’un membre. Là encore, les truqueurs déployaient beaucoup d’imagination, et au bout du compte, se fatiguaient infiniment plus que s’ils avaient travaillé. 122 Qu’en tant que chrétien, j’ai été enfermé dans la citadelle de Saint-Jean-d’Acre par les Turcs. 123 Ms. : voyage (Ceux qui souffrent d’hémorroïdes font un pèlerinage au monastère de Saint-Fiacre-en-Brie.)
L’AVEUGLE ET SAUDRET
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L’AVEUGLE
ET SAUDRET
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Originellement, et étymologiquement, une farce est une préparation bien salée qui farcit un Mystère un peu trop sucré. Pour allécher le public, on truffait certains Mystères avec une ou deux farces : voir ma notice des Tyrans. Mais le Mistère de la Résurrection est farci d’un bout à l’autre par une farce coupée en sept tranches, de même que celui de saint Martin est farci par les deux tranches de l’Aveugle et le Boiteux. La sauce est tellement bien liée que chaque tranche rime au début avec le vers du Mystère qui précède, et à la fin avec celui qui suit. Pourtant, la farce n’est là que pour pimenter le Mystère, comme l’avoue le prologue de la seconde journée :
Aussi y sont, par intervalles,
Aucuns esbatemens et galles
D’un Aveugle et de son Varlet,
Qui guères ne servent au fait,
Si ce n’est pour vous resjouir
Et vos esperis rafreschir.
Cette farce dépourvue de titre met en scène un aveugle et son valet, comme beaucoup d’autres : voir la notice de l’Aveugle, son Varlet et une Tripière.
Le Mistère de la Résurrection fut joué en 1456 à Angers. Certains l’attribuent à Jean Du Prier, un des fournisseurs de théâtre du roi René d’Anjou, devant qui l’œuvre fut représentée. À défaut d’en être l’auteur, il pourrait être le remanieur de la version copiée dans le ms. BnF, qui fait preuve d’un instinct théâtral absent des deux autres sources : dans la farce qui nous intéresse, le remanieur ajoute des scènes comiques, et il gomme des argumentaires juridiques superflus. Enfin, il limite à 50 vers une chanson interminable, et il en remplace une autre, encore plus fastidieuse, par un air à la mode laissé au libre choix des comédiens.
La farce est un peu longue (1 315 vers sur 20 000), mais pas inintéressante : l’auteur, doté d’un humour féroce, nous fait partager la vie des musiciens de rues et des vendeurs de chansons, d’autant plus méconnue que les musicologues ignorent cette source.
Il est longuement question d’un jeu d’enfants, le broche-en-cul : les deux adversaires, courbés, ont les poignets liés à leurs chevilles. Munis d’une broche [d’un bâton], ils doivent piquer le cul si bien exposé de l’autre joueur. Un aveugle est également victime de ce jeu dans l’Aveugle, sa Chambèrière et son Varlet (ou farce de Goguelu, F 45) :
–Advisée me suis d’ung desduit
Auquel le fault faire jouer.
–Quel déduyt c’est ?
–À broche-en-cul.
Luy et moy, par mains et par piedz
Serons en tel façon liéz,
Et aurons entre nos deux mains
Chascun sa broche, c’est du moins.
Tu nous lieras, note cela,
Mais mon lien se deslira,
Non pas le sien, entens-tu bien ?
Son cul je luy rebrasseray,
Et de verges le froteray.
On attache les mains de l’aveugle à ses chevilles afin qu’il soit courbé :
Vous me liez par trop estroit !
Le feu saint Anthoine vous arde
Dont vous m’avez si fort courbé !
Le valet modifie sa voix :
Ma parolle contreferay….
Si bien, ennuit, je ne vous touche,
Je vueil estre sans eaue tondu !
Hau ! jouez-vous à broche-en-cu ?
Le jeu bien cher vous coustera.
L’aveugle a beau être armé d’une broche pour piquer les fesses de sa rivale, cette dernière le renverse : « Vous estes à bas, / J’ay gaigné. » Et revoilà « le Varlet, en faignant sa voix et en lui troussant le cul et en frappant ». Comme il est de tradition, l’aveugle se conchie : « Je chie sus et jus, / Tout partout, devant et derrière. » Les antagonistes se rabibochent « au son de la vielle / Pour dire une chanson nouvelle ». L’auteur de cette farce emprunte beaucoup d’éléments à l’Aveugle et Saudret.
Sources : Mistère de la Résurrection Nostre Seigneur. Ms. fr. 972 de la Bibliothèque nationale de France, copié en 1491. — Manuscrit 615 (632) du Musée Condé de Chantilly, copié avant celui de la BnF. — Antoine Vérard a publié vers 1492 une édition qui attribue faussement le Mystère et la farce à Jehan Michel. Dans son édition intégrale du Mystère (et donc de la farce), Pierre Servet1 s’appuie sur le ms. de Chantilly. Je m’appuierai sur celui de la BnF : la farce y est plus percutante que dans les deux autres versions, que j’utilise pour corriger les fautes, rajouter les vers manquants, et moderniser certaines graphies pour ne pas trop abuser des notes de traduction. Tout ce qu’on va lire provient d’une de ces trois sources, à part les rares choses que j’ai mises entre [ ].
Structure : Rimes plates, deux chansons en dizains, un triolet final.
Cette édition : Cliquer sur Préface. (Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.) Mon but est de faire découvrir aux amateurs de farces une pièce drôle, enfin débarrassée de la gangue qui nuisait à sa lecture. Vu le nombre élevé des notes explicatives, j’ai dû renoncer à mettre en plus un relevé des variantes, sauf lorsque j’introduis une correction personnelle ; les curieux se reporteront à l’édition exhaustive de Pierre Servet.
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[ SAUDRET TOUT-LUY-FAULT, varlet
L’AVEUGLE Gallebois
LE MESSAGIER
L’APOTICAIRE
LE VARLET DU TAVERNIER, ou de l’Oste
L’OSTE ]
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SAUDRET SCÈNE I
J’ay jà cheminé plus d’ung an,
Et suis tant las que plus n’en puis.
[Ce] non obstant, bien près je suis
D’une assez godine[tte]2 ville.
5 Ores, je n’ay ne croix ne pille3,
Qui est ung bon commancement
D’estre logé bien pouvrement :
Car tous houstes4, par droit usaige,
Si ayment mieulx argent que gaige.
10 Or, je n’ay gaige ne argent.
Si fault que je soie diligent
D’aller cercher aucun aveugle5
Qui me donnera quelque meuble6
Pour le conduire bien et bel.
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L’AVEUGLE SCÈNE II
15 Une aumosne à ce povre orbel7
Qui ne voit goutte, bonne gent !
Donnez-lui ou pain ou argent,
Pour l’amour du Dieu de nature !
Car trop est povre créature,
20 Qui point conduire ne se voit.
Je vy que mon corps se savoit
Chevir8, au temps de ma jeunesse ;
Mais par maladie et vieillesse,
Je suis aveugle devenu.
25 Et si, [je] suis au point venu
Que je ne sauroie gaigner maille9.
Et, pour Dieu ! qu(e) aucun se travaille10
D’aucun bon varlet me trouver,
Pour moy mener et ramener
30 Nous pourchacer11. Tous deux ensemble,
Nous trouvassions (comme il me semble)
Trèsbien à boire et à mangier,
Et à chauffer, et à loger
Ainsi comme les autres font,
35 Qui par pays viennent et vont
Pour quérir leur povre de vie12.
Par ma foy ! j’auroie grant envie
D’en avoir ung sans nul deffault.
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SAUDRET 13 SCÈNE III
Voilà trèstout quant qu’il14 me fault,
40 Car c’est à tel sainct, tel offrende15.
Vers luy m’en vais sans plus d’actende16,
Incontinent, je vous affie.
Eat, et dicat ceco : 17
Mon amy, avez-vous envie SCÈNE IV
D’un bon varlet ?
L’AVEUGLE
Ouÿ, pour voir18 !
SAUDRET
45 Se vous en voulez ung avoir,
Je suis content de vous servir.
L’AVEUGLE
Et je le vueil bien desservir19
Sur ce que nous pourrons gaigner.
SAUDRET
À peu parler, bien besongner20 :
50 Que me donrez-vous pour ung an ?
Et je vous menray, mèsouan21,
D’huys en huys et de place en place ;
Et feray si bien la grimace,
Et le povre, et le marmiteux22,
55 Que ceulx seront bien despiteux23
Qui ne nous donront quelque chose.
J’ay servy de varlet grant pose24
L’omme qui fut aveugle né,
Que Jésus a enluminé25,
60 Le saint et glorieux prophète.
Vostre chose sera bien faicte,
Si je m’en mesle : je m’en vant26 !
L’AVEUGLE
Je te demande, mon enfant,
Si tu scez lire ne escripre.
SAUDRET
65 Ouy dea, en papier ou en cire27
Selon mon estat28, sans faillir.
L’AVEUGLE
Se tu me veulx doncques servir,
Je vueil bien que ton maistre soie
Pour ung an, et que je te paie
70 Salaire bon et compétent29.
Mais cependant, vois-tu, j’entent
Que tu escriras des chançons
Qu’entre toy et moy chanterons,
De quoy nous aurons de l’argent30.
75 Cent solz31 auras.
SAUDRET
J’en suis content.
Mais vous me querrez32 ma vesture
Et pareillement ma chaussure ;
Et si, paierez tous mes despens.
L’AVEUGLE
Si les as comme moy33 le temps
80 De ton service, il doit suffire.
Car je ne suis, pour brief te dire,
Pas de mieulx te faire conclus34.
SAUDRET
Aussi n’en demandé-je plus.
Touchez cy35, vous estes mon maistre !
85 Je sauray aussi bien mon estre36,
Mon maintien et mon entregent
Pour truander37 pain et argent,
De la soupe et de la cuisine,
Et de bon vin pinte ou chopine,
90 Ou ung voirre38 tout à la foiz,
Comme homme que je vy jamais39.
Et si, me sauray bien enquerre
Où nous devrons herberge querre40 ;
Et, quant deux festes41 en ung jour
95 Seront, où sera la meillour
Pour y estre plus à nostre aise.
Mais en cas qu’il ne vous desplaise42,
Maistre, comment avez-vous nom ?
L’AVEUGLE
Ne le scays-tu pas43 ?
SAUDRET
Certes non :
100 Je ne le demanderoye mie.
L’AVEUGLE
J’ay nom Gallebois44, je t’affie.
Et toy, comment ?
SAUDRET
J’ay nom Saudret,
Qui fuz sevré ung poy45 tendret.
Et en mon surnom46, Tout-luy-fault.
105 Mon père avoit nom Rien-ne-vault,
Et ma mère Mal-assenée47,
Qui fut fille Lasche-journée48.
Et mon parrain, sans contredit,
Si avoit nom Gaingne-petit,
110 Ainsi que le disoit ma mère.
L’AVEUGLE
Foy que doy l’âme de mon père !
Je suis joyeux de ce marché.
SAUDRET
Vous avez bien à point marché49,
Pour recouvrer tel[l]e adventure ;
115 Car je suis, je le vous assure,
Bien propice pour vous mener.
Maistre, allons-nous-en desjeuner.
Puis nous en irons, comme saiges,
Par pays quérir nos avantages.
120 Il est temps de nous pourchasser.
L’AVEUGLE
Tu dis vray : il y fault chasser
Afin de gaigner de l’argent.
Mais je te pry, soies diligent
De recorder que tu diras50.
SAUDRET
125 À cella ne fauldray-je pas,
Car vostre raison est bien bonne :
« Bonnes gens, faictes vostre aumosne
À cestuy pouvre, ou51 nom de Dieu,
Qui ne voit en place ne lieu,
130 Ne ne vit onc soleil ne lune !
Que sainct Anthoine si l’alume52,
Et ceulx qui du bien luy feront ! »
L’AVEUGLE
Par ainsi, ilz nous donneront
Pain ou vin, ou de la pitance.
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L’AVEUGLE 53 SCÈNE V
135 Saudret !
SAUDRET
Hau !
L’AVEUGLE
Quel « hau54 » ? Mais ung bel
Estront emmy55 vostre visage !
Tu deusses, se tu fusses saige,
Respondre : « Monseigneur mon Maistre. »
SAUDRET
Mais ung gibet et ung chevestre56
140 À vous pendre ! Et ! qui estes-vous57 ?
Ce n’est pas à ung tel poilloux58
Que je dois « Monseigneur » respondre.
L’en me puisse sans eaue tondre59
Si je vous dy jà « Monseigneur » !
145 Ce ne me feroit point d’onneur
D’y appeller ung tel truant60.
L’AVEUGLE
« Truant » ? Paillard !
SAUDRET
Mais vous, puant
Vilain remply de punaisie61 !
L’AVEUGLE
Par celuy Dieu qui ne fault mye62 !
150 Tu as mauvaisement menti !
SAUDRET
Et qu’est-ce donc que j’ay senti ?
Vous puez comme ung viel souyn63.
L’AVEUGLE
Ne me dy touyn ne mouyn64,
Saudret, et je le te conseille :
155 Car si j’ay la puce en l’oreille65,
Je te monstreray qui je suy
À tes despens.
SAUDRET
Et je dy : fy
De vous et de vostre puissance !
Je vous pourroie faire nuysance
160 Plus que vous à moy mille fois.
Vous avez à nom Gallebois,
Qui ne sauriez [seul] vous conduire ;
Et moy Saudret, qui m’en puis fuire
Et vous laisser, se bon me semble.
165 Ou, tant que nous sommes ensemble,
Vous tromper, ou tuer, ou batre.
N’est-il pas vray ?
L’AVEUGLE
Sans plus débatre,
Je conseille, comment qu’il voise66,
Que nous ne facions plus de noise ;
170 Et que, quant je t’appelleray,
Tu me respondes sans délay
En disant : « Que vous plaist, mon Maistre ? »
Car tu sçays bien que je doy estre
De toy appellé Maistre ou rien.
SAUDRET
175 Et, dea ! « Mon maistre » vueil-je bien
Vous respondre et vous appeller ;
Mais de me vouloir compeller67
Par maistrise à vous seigneurir68,
J’aymeroie mieux vous veoir mourir,
180 Car il n’y a point de raison !
L’AVEUGLE
Or je te prye, Saudret, faison
Icy ung bon appointement69
Par lequel nostre accointement70
S’entretienne, et nostre alliance.
185 Ouquel cas, j’ay en toy fiance71
D’avoir des biens, mon amy doulx.
SAUDRET
Quel appointement voulez-vous
Que façons ? Or le blasonnez72.
L’AVEUGLE
Que tous mautalens73 pardonnés
190 Soient. Entens-tu, mon enfanson ?
Et que chantons une chanson
Par accord, afin qu’on nous donne
Or ou argent, ou autre aumosne
De quoy nous nous puissons chevir.
SAUDRET
195 Je ne vis oncques advenir
Qu’à mon autre maistre74 on donnast
Or, pour sermon qu’il sermonnast,
Ne pour hault crier, ne pour braire.
Mais je suis bien content de faire
200 – Soit en chantant, ou en criant,
Ou en plaignant, ou en priant –
Nostre proffit à toutes hertes75
Le mieulx que je pourray. Mais certes,
Qui pourra, si boive ou mangusse76 :
205 Car qui a de l’or, si le musse77
Plustost que le donner pour Dieu78.
L’AVEUGLE
Or chantons doncques en ce lieu,
Et puis questerons de l’argent.
GALLEBOIS et SAUDRET chantent une chanson.79
Or faictes paix, ma bonne gent,
210 Et vous orrez 80 présentement
Une chanson nouvelle
Des biens qu’on a communément
En mariage. Vrayement,
C’est chose bonne et belle.
215 Ce ne sont point motz controuvés 81
Ne plains de menterie,
Mais sont certains et esprouvés,
Je le vous certifie !
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Quant homme vient en sa maison,
220 Tost ou tard, en quelque saison,
Sa femme l’uys luy euvre 82.
Et s’on luy a fait desraison,
Elle l’oste de marrisson 83
Et le couche, et le ceuvre 84.
225 Le feu luy fait, et puis luy cuyt
La belle poire molle.
Joygnant de luy 85, se met au lit
Et le baise, et l’acolle.
.
Après, ses jambes met en croix
230 Sous 86 son mary, comme je croix,
Et puis si l’admonneste
De faire dresser le « harnoys 87 »
Pour faire sonner le hault boys 88
Et luy faire la chosète 89.
235 Les trippes lave et fait boudins,
Le beurre et le fromaige.
Poullaille nourrist, et poussins,
Et oiseletz en caige 90.
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Le lit despièce 91 et le refait.
240 Son mary deschausse et deffait 92,
S’il est yvre ou malade.
Et pour le baigner, de l’eau trait 93.
Et de folie le retrait,
Et luy est douce et sade 94.
245 Quant il se couche le premier,
Elle tient la chandelle ;
Et puis après, le va baiser,
Et son « amy » l’appelle 95.
.
Ses petis enfans luy nourrit 96,
250 Dont se l’un pleure, l’autre rit,
L’autre l’acolle ou baise.
Et s’il advient qu’il se marrit
De rien 97 qu’on luy ait fait ou dit,
Sa femme le rapaise.
255 Moult vault femme, en fais et en ditz,
Soit riche, basse ou haulte.
Mariez-vous, grans et petis :
Si verrez si c’est faulte.
Cy finist la chançon.
L’AVEUGLE 98
Il n’a icy femme si caute99,
260 Pour soy de bien en mieulx muer100,
Qui ne deust trèsbien désirer
À en avoir une copie101
Que je donne, je vous affie,
Pour ung grant blanc102 sans point d’usure.
SAUDRET
265 Avant103 ! Galans qui l’aventure
Voulez prendre à vous marier,
Vous ne povez mieulx charrier104
Qu’à femme avoir qui vueille faire
Ce que ceste chanson déclaire105
270 Des biens qui sont en mariages.
Prenez-en, si ferez que saiges106.
Si saurez quelz biens il en vient.
.
LE MESSAGIER 107 SCÈNE VI
Certainement il me convient
De vostre chanson acheter
275 Plusieurs coppies pour porter
Avecques moy et les revendre.
Car moult de gens si veulent tendre108,
Par où je passe, à s’enquérir
D’où je viens, et me requérir
280 Que je leur die des nouvelles.
Mais je leur en diray de belles
En leur lisant ceste chanson !
Or me respondez sans tençon109 :
Combien me coustera le cent110 ?
L’AVEUGLE
285 Je vous en vendray, à présent,
Ung cent pour dix deniers la pièce.
LE MESSAGIER
Je prie à Dieu qu’il me meschesse111
Si ce n’est ung trèsbon marché !
Si j’eusse par ailleurs marché112,
290 Pas n’eusse ouÿ si bonne chose.
SAUDRET
Par l’âme qui en moy repose !
Mon amy, vous devez savoir
Qu’il nous fault chanter pour avoir
Nostre povre meschante vie.
LE MESSAGER
295 C’est bien fait, je vous certifie.
Baillez çà ! Vécy vostre argent.
Je pense que beaucoup de gent
La vouldront voulentiers apprendre.
Mais on me puist par le col pendre
300 S’ilz en ont de moy, soir ne main113,
Mot114, que n’en soie avant la main115
Payé de plus que je n’en paye.
Tenez !
Nuncius [le Messager] baille argent à Saudret.
L’AVEUGLE
Vise bien la monnoye,
Saudret, qu’il n’y ait rien mauvais116.
SAUDRET
305 Mon maistre, savoir je vous fais
Que tout est bon, n’en doubtez mye.
Saudret baille l’argent à l’Aveugle.
L’AVEUGLE
Beau sire, se Dieu vous bégnye,
De nouveau me direz-vous rien117 ?
LE MESSAGIER
Je ne sçay se vous savez bien
310 La mort de Jésus le prophète,
Dont l’exécucion fut faicte
Au jour d’ier au mont de Calvaire.
L’AVEUGLE
Hélas ! Et qui a ce fait faire ?
Ç’a esté ung cas merveilleux118 !
LE MESSAGIER
315 Trop en parler est périlleux,
Car noz princes de la Loy haient
Ceulx qui en parlent et y croient.
Mais je vous dy bien, si j’estoie
Comme vous estes119, que g’iroye
320 À son sépulcre vitement
Pour luy supplier humblement
Qu’il luy pleust moy enluminer.
Et vers luy me feroie mener.
L’Aveugle-né, quant il vivoit120,
325 Il enlumina, tant qu’il voit
Aussi cler comme homme vivant.
Se vous y allez, je me vant
Qu’il vous rendra le luminaire121.
L’AVEUGLE
Où est son sépulcre ?
LE MESSAGIER
En Calvaire,
330 Qui est dehors ceste cité.
L’AVEUGLE
G’iray doncques, en vérité.
Adieu vous dy, et vous mercie !
LE MESSAGIER
À Dieu donc !
.
SAUDRET SCÈNE VII
Maistre, je vous prye
Qu(e) aillons [tost] quester de l’argent.
*
L’AVEUGLE SCÈNE VIII
335 Saudret ! Meyne-moy sans tarder,
Présentement, à ce tombeau
Où ce prophète bon et beau,
Jhésus, si est ensevely.
SAUDRET
Il puisse mescheoir à celuy
340 Qui vous y menra que je soie122,
Si je n’ay de vostre monnoye
Paiement comptant, et si plainier123
Qu’il ne s’en faille124 ung seul denier
De ce que j’ay gaigné o125 vous !
L’AVEUGLE
345 Tu le seras, mon amy doulx,
Quant nous en serons retournés126.
SAUDRET
Par ma Loy127 ! vous me pardonrez.
Car bien me souvient que mon maistre
Avecques qui je souloye estre,
350 L’Aveugle-né, tant me cria
« Pour Dieu, mercy ! » et me pria,
Qu’à Jésus fust par moy mené.
Mais quant il l’eut enluminé128
Et que je voulu[s] mon salaire
355 De lui avoir, j’avoye beau braire
Et crier, et siffler à baude129 :
Dieu sçait qu’il la me bailla chaude130 !
Car il ne me prisa plus rien,
Ne ne paya. Pour ce, vueil bien
360 Que vous sachez sans nulle faille
Qu’il ne s’en fauldra une maille131
Du sallaire que me devez,
Se g’y voys132. Car quoy ! Vous savez
Qu’il vault mieulx croire que mescroire133.
365 C’est grant péril du sien acroire134
Quant l’en peut bien estre payé.
Je n’en seray jamais rayé135
Comme je fus à l’autre fois.
L’AVEUGLE
Saudret, promesse je te fais
370 Sur mon honneur et mon serment
Que tu seras entièrement
Paié de moy, au retourner136.
SAUDRET
Vous povez assez flagorner137,
Car vous perdez vostre langage.
375 Je seray ung petit138 plus sage
Qu’à l’autre foiz, je m’en fais fort.
L’AVEUGLE
Je m’oblige et te fais transport139
De trèstout quant que j’ay vaillant140,
Si je suis sans plus deffaillant141
380 Par une nuyt ou par ung jour
De toy payer à mon retour.
C’est bien raison que je te poye142.
SAUDRET
Cuidez-vous que je vous en croye ?
Nenny, par la Loy que je tien !
385 On dit que trop mieux vault ung tien
Que ne font deux fois tu l’auras.
L’AVEUGLE
Je te prometz que tu seras
Payé content143, je te dy bien.
SAUDRET
Par ma foy ! je n’en feray rien.
390 Il ne s’en fault jà esmoyer144.
Vous avez bien de quoy paier,
Car icy receu vous avez
Grant argent (comme vous savez)
Qui vous vient de mon industrie145.
395 Je dy fy de vostre maistrie146,
Si je ne suis payé au mains147
Du labeur qui vient de mes mains148.
Et croyez que je le seray,
Ou jà ne vous y mèneray.
400 Je ne seray jà si meschant149.
L’AVEUGLE
Entens, Saudret…
SAUDRET
Hau ! quel marchant !
Vous ne croyez ne Dieu, ne homme.
Je seray payé (c’est la somme)
Du tout ains que j’en bouge jà150.
L’AVEUGLE
405 Puisqu’ainsi le fault faire, or çà !
Avisons combien je te doy[s].
SAUDRET
Quarante solz, [au denier près]151,
Vous me devez tout justement.
L’AVEUGLE
Non fais !
SAUDRET
Si faictes, vrayement.
410 Tant en auray ains que j’en bouge.
Pas n’estes encor assez rouge152
Pour ung denier m’en mescompter153.
L’AVEUGLE
Or avant ! Je les vays compter
Et te payer, puisqu’ainsi est.
Cecus computet pecuniam, et
tradat Saudret, dicendo ei : 154
415 Tien ! Et me meyne sans arrest155
Où je t’ay dit, et sans tarder.
SAUDRET
À ce coup vous vueil-je mener
Où il vous plaira, n’en doubtez.
Et guérissez si vous povez ;
420 Ou si non, il ne m’en chault guière.
L’AVEUGLE
Or allons par bonne manière156 !
N’y sçais-tu pas bien le chemin ?
SAUDRET
Que says-je donc ?
L’AVEUGLE
Mon amy fin,
Saches que se tu me sers bien,
425 Tu auras encore du bien
Par mon moyen, de quelque part.
SAUDRET
Dieux ! que vous estes grant flatart !
Je vous congnois comme pain tendre.
Allons ! Dieu nous vueille deffendre
430 De tout mal et de tout péril !
L’AVEUGLE
Amen, Saudret, ainsi soit-il !
Et me vueille ma clarté157 rendre !
Icy, l’Aveugle et son Varlet s’en vont droit au sépulchre.
Et quant ilz se approuchent dudit tombeau, Sauldret
voit les gardes du tombeau et dit :
SAUDRET
Maistre !
L’AVEUGLE
Quoy ?
SAUDRET
Il nous fault deffendre
Ou fouÿr158, ou nous sommes mors !
L’AVEUGLE
435 Hélas ! pourquoy ?
SAUDRET
Autour du corps
Sont gens armés de pié en cappe159.
L’AVEUGLE
N’allons point en lieu où l’en frappe,
Je te requiers !
SAUDRET
Fuyez, fuyez !
Et si vous povez, vous sauvez !
440 Ou sinon, vous estes perdu.
Car je suys si très esperdu
Que je n’y voy remède[s] nulz
Sinon de faire ung vidimus
À la Mort160. Bénédicité !
445 Venez tost ou, en vérité,
Je vous lerray en l’escrémye161.
L’AVEUGLE
Et ! pour Dieu, ne me laisse mye !
Saudret, je te requier mercy !
SAUDRET
Fuyons-nous-en tantost par cy !
450 Courez tost sans faire délay !
Ou, certes, je vous planteray,
Mais ce sera pour reverdir162.
L’AVEUGLE
Tu me fais tout le cueur frédir163.
Regarde s’ilz nous suivent point,
455 Et se tu verras lieu ne point
Pour nous musser ou nous ruser164.
SAUDRET
Me cuidez-vous cy amuser
À regarder derrière moy ?
Trotez, ou – foy que je vous doy –
460 Je vous lerray pour mieulx165 courir.
L’AVEUGLE
Hé ! Dieu nous vueille secourir !
Nous suivent-ilz ?
SAUDRET
Las ! je ne sçay.
Venez tost, ou je vous lerray,
Par la Loy que je tien de Dieu !
465 A, dea ! il n’y a point de jeu,
D’estre icy tué maintenant.
Ce sont Anglois166 certainement,
Qui nous tueront, soit droit ou tort167.
Saudret mutet vocem et dicat adhuc : 168
À mort, à mort ! Vous futy169 mort !
470 Sainct Georg(e)170 ! Vous demourity cy !
Saudret loquatur suam primam vocem : 171
Las, messeigneurs ! Et ! qu’est-ce cy ?
Voulez-vous tuer ce pouvre homme
Qui s’en vient tout fin droit de Romme
Pour impétrer ung grant pardon172 ?
L’AVEUGLE
475 Las ! je vous requiers en pur don
Que me laissez, soit bel ou lait173 !
SAUDRET mutet iterum vocem, et dicat :
Par sainct Trignan174 ! Vostre varlet
Et vous, mourity sans délay !
Loquatur Saudret suam primam vocem.
Las ! mon maistre, deffendez-moy,
480 Ou je mourray sans plus actendre !
L’AVEUGLE
Las ! Monseigneur, vueillez nous prandre
À rençon, je le vous requier.
Je vous donray sans varier
Dyx beaux solz, je vous certiffy !
SAUDRET mutet suam vocem :
485 Donne dix solz ? Et ! où suty175 ?
Monstre-les-my sans plus resver176 !
L’AVEUGLE 177
Vez-les là, sans plus babiller ;
Et vous suffise de les prandre.
SAUDRET mutet vocem suam :
Bien gardyty-vous de mesprandre !
490 Bigot ! [Bru]lare178 ! Adieu vous dy !
L’AVEUGLE
Sang bieu ! je suis tout estourdy.
Le diable y ait part, en la guerre !
Ce sont des archiers d’Angleterre
Qui nous ont ainsi ravallés.
SAULDRET
495 [Encore y]179 vouliez-vous aller !
Mais nous l’avons eschappé belle.
Cheminons par ceste sentelle180,
C’est le meilleur, pour maintenant.
L’AVEUGLE
Hélas ! Saudret, mon doulx enfant,
500 Et mon seigneur, et mon amy :
Ne me laisse point (las, hémy181 !),
Et vous ne perdrez pas ta peine182.
Car je suis à la grosse alaine183,
Et tout conchié de paour184.
SAUDRET
505 Ha ! fy ! Je ne sens que puour185.
Chié avez, à Dieu l’affy186 !
Fy, de par le grant diable, fy !
Ce n’est que merde que de vous.
Sang bieu ! s’ilz viennent après nous,
510 Ilz nous trouveront à la trace.
L’AVEUGLE
Arrestons-nous en ceste place
Pour savoir s’ilz viennent ou non.
Tu ne vois rien ?
SAUDRET
Ce ne fais mon187.
Je croi que nous n’avons plus garde188.
L’AVEUGLE
515 Il est bien gardé, qui189 Dieu garde.
Dieu soit loué de l’eschappée !
Je n’euz oncques si grant vésée190
De paour comme à ceste fois.
SAUDRET
Certes, mon maistre Gallebois,
520 Vous courez bien pesantement.
*
SAUDRET 191 SCÈNE IX
Si vous voulez que plus vous meyne,
Mon maistre, [or] il me convient boire.
L’AVEUGLE
Boire192, mon enfant ?
SAUDRET
Certes, voire.
Qui eust193 ung morcellet d’andoille
525 Et de bon vin friant qui moille194,
G’y entendisse195 voulentiers !
L’AVEUGLE
Saudret !
SAUDRET
Quoy196 ?
L’AVEUGLE
Quel « quoy » ?
SAUDRET
Quelz pannyers197 ?
L’AVEUGLE
Où sommes-nous198 !
SAUDRET
Icy endroit.
L’AVEUGLE
Certes, Saudret, il conviendroit
530 Désormais « Monseigneur » respondre.
SAUDRET
Le grant diable puisse confondre
Qui « Monseigneur » vous respondra !
L’AVEUGLE
Certainement il le fauldra,
Garçon paillart, vueillez ou non !
SAUDRET
535 Par mon serment ! ne199 fauldra mon.
Ce say-je bien, quant est de moy.
L’AVEUGLE
Or me respons cause pourquoy,
Veu que je suis homme de bien.
SAUDRET
Vous estes ung estron de chien
540 Au milieu de vostre gargate200 !
L’AVEUGLE
Or te tais, que je ne te bate,
Saudret ! Et je le te conseille !
SAUDRET
Vous feriez, ce croy-je, merveille
De ruer, qui vous lairoit faire201 !
L’AVEUGLE
545 Ne parle point de mon affaire
Sinon en bien et en honneur,
Car je suis assez grant seigneur
Pour toy, je vueil que tu le saches.
SAUDRET
C’est bien dit ! « Rechassez202 ces vaches,
550 Puisque Monseigneur le commande ! »
L’AVEUGLE
Vien çà, Saudret : je te demande
Pourquoy ne m(e) honnoreras-tu ?
Si feras, ou seras batu,
Par le grant Dieu, jusqu’au mourir !
SAUDRET
555 S’il vous meschiet de me férir203,
Je vous ferray, soit bel ou let !
L’AVEUGLE
Puisque tu n’es que mon varlet,
Tu me dois faire révérence.
SAUDRET
Et je vous dis en la présence204
560 Que je ne vous en feray rien.
L’AVEUGLE
Se tu fusses homme de bien,
Tu ne te feisses pas prier
De le faire.
SAUDRET
Allez vous chier205,
Et chauffer, et boire de l’eau !
565 Je ne donne pas ung naveau206
De vous ne de vostre « maistrie207 » !
L’AVEUGLE
Or vien çzà, Saudret, je te prie.
Appelle-moy au moins ton Maistre,
Car par raison je le doy estre,
570 Puisque je te donne sallaire.
SAUDRET
A, dea ! Cela vueil-je bien faire ;
Pour « mon maistre » vous appeler,
Je ne m’y vueil point rebeller.
Mais estes ung parfait vilain208 :
575 Pas n’estes digne, pour certain,
Que je vous appelle « mon maistre ».
L’AVEUGLE
Par celluy Dieu qui me fist naistre !
Gars truant209, paillart ! Vous mentez !
SAUDRET
Mais vous, faulx vilain redoublés210,
580 Vilain remply de vilennie !
L’AVEUGLE
L’as-tu dit ?
SAUDRET
Oÿ.
L’AVEUGLE
Je regnye
Trèstout le sang de mon lignaige
Si je ne t’en gecte mon gaige211
En disant que tu as menty,
585 Non pas moy !
SAUDRET
Qu’avez-vous senty212,
De vouloir maintenant combatre ?
Ha ! se vous y voulez esbatre,
Le corps de moy vous actendra213.
L’AVEUGLE
Gars paillart, on vous aprendra
590 De parler ainsi à ton Maistre !
Mieulx te vaulsist214 loing d’icy estre
Qu’en telz parolles habonder215 !
SAUDRET
Et sur quoy vouldriez-vous fonder
Vostre cas et vostre querelle ?
L’AVEUGLE
595 La plaincte que je faiz est telle
Contre toy, en disant vraiment
Que tu as menty faulsement
De m’avoir appellé « vilain ».
Et te combatray main à main,
600 Si tu ne t’en desdiz sans faille.
Et sur ce, je t’en gecte et baille
Mon gaige comme faulx et traïstre !
SAUDRET 216
Et je le liève sur ce tiltre
En disant que j’ay bonne cause.
605 Mais dictes-moy sans plus de pause,
Puisqu’il fault que nous combatons,
Quelles armes et quielx bastons
Voulez avoir pour cest affaire.
Car quant de moy217, g’y pense faire
610 Mon devoir, selon mon endroit218.
L’AVEUGLE
Je suis content en champ estroit219,
Que l’on appelle « broche-en-cul220 ».
Mais je ne sçay s’il y a nul
Homme qui bien nous habillast
615 Et liast, et aussi jugeast
De noz coups et de nostre guerre.
SAUDRET
Taisez-vous, je vous en vais querre
Ung qui bien nous habillera ;
Tout le premier qui passera
620 Par icy en fera l’office.
Demourez cy tant que j’en puisse
Trouver ung… Holà, mon amy !!
Icy faint Saudret sa voix, et s’appelle
FICTUS 221
Que vous plaist-il ?
SAUDRET, en sa voix
Venez à my222,
S’il vous plaist, et je vous en prie !
625 Fine223 fleur de chevallerie,
Vous me semblez homme de bien.
L’AVEUGLE
Voire, pour Dieu !
FICTUS
Je le vueil bien.
Que voulez-vous que je vous face ?
L’AVEUGLE
Mon chier amy, sans longue espace
630 Le vous diray. Vécy le cas :
Nous avons eu aucuns débas,
Mon varlet (qui cy est) et moy.
Et par oultraige, en grant desroy224,
M’a dit injure et desmenti225
635 Sans s’en estre oncques repenti.
Et qui pis est, m’a appellé
« Vilain », tant qu’il m’a compellé
Gecter mon gaige à le combatre
(Afin du grant orgueil abatre
640 De quoy le ribault se vantoit)
En luy respondant qu’il mentoit ;
Et lequel gaige il a levé.
Sur quoy, nous avons accepté
De combatre à ung jeu notable
645 De champ estroit sur une table226,
Mais qu’il y eust227 qui nous liast
Et jugeast, et nous desliast
Sans fallace ne tromperie.
Pour ce, chier amy, je vous prie
650 Que nous y gardez loyaulté.
FICTUS
Je vous promet[z] que féauté228
G’y garderay de tous costés.
Mais il fauldra que vous ostez
Le mantel et la symphonie229.
L’AVEUGLE
655 Je le vueil, se Dieu me bénie !
FICTUS
Or çà, varlet ! Est-il ainsi
Comme cest homme a dit icy ?
SAUDRET
Il vous a bien compté230 son droit.
FICTUS
Comment avez-vous nom ?
SAUDRET
Saudret.
FICTUS
660 Et vous, mon amy ?
L’AVEUGLE
Galleboys.
FICTUS
Or bien, tantost à vous je vois,
Mais que j’aye lié ce varlet.
SAUDRET
Amy, je vous diray qu’il est231 :
Liez-moy bien courtoisement232,
665 Je vous en pry ; ou autrement,
Vous orrez qu’il en ystra noise233.
L’AVEUGLE
Liez-le bien, comment qu’il voise,
Sans luy donner point d’avantaige.
FICTUS
Certes, Gallebois, si feray-je ;
670 Il n’y aura point de faveur.
L’AVEUGLE
Je n’auray point de déshonneur,
Ce croy-je, pour ceste journée.
Car oncques César ne Pompée
Ne se monstrèrent plus vaillans
675 (Se mes sens ne sont deffaillans)
Que je seray, ce m’est advis.
SAUDRET
Ha ! je vous promet[z] et plévis234
Que je suis durement estraint235.
FICTUS
Mais escoutez comment il jaint !
680 Croyez qu’il est bien enserré.
SAUDRET
J’aymeroye mieulx estre enterré
Qu’estre longuement en ce point.
L’AVEUGLE
Croy que je ne te fauldray point236.
Il vous vaulsist mieux toy desdire
685 De ce que tu m’as osé dire
Vilennie, à237 mon desplaisir ;
Car j’ameroie autant mourir
Comme t’en laisser impugni !
FICTUS
Demandes-tu plus rien ?
SAUDRET
Nenny.
690 Je suis habillié et lié.
L’AVEUGLE
Avant ! T’es-tu humilié ?
Te repens-tu de l’entreprise ?
SAUDRET
Si je ne l’avoie entreprise,
Croyez que je l’entreprendroie
695 À mon honneur ; et apprendroie
À vous, mon maistre Gallebois,
De bien vous garder, autres fois,
D’esmouvoir guerre ne débat.
L’AVEUGLE
(Je le serviray au rabat238,
700 Mais que je le puisse tenir.)
FICTUS
Or çà ! Dieu y puisse advenir !
Puisque vostre varlet est prest,
Lier je vous vais sans arrest.
Or me courbez ceste pansète239 !
L’AVEUGLE (Fictus le lie.)
705 Il me fauldra une lancette
Pour festoyer240 mon adversaire.
FICTUS
C’est bien dit. Or, me laissez faire :
Et si je ne vous arme bien,
Si dictes que je ne sçay rien
710 D’abiller gens en fait de guerre.
L’AVEUGLE
(Par ma foy ! il me fauldra perre241 :
Je suis trop malement courbé.)
FICTUS
Puis que je me suis destourbé242
À vous lier et habiller,
715 Je le feray sans sommeiller
Et sans y faire tromperie.
L’AVEUGLE
Je tiens ta querelle périe,
Mon varlet, se tu ne te rens.
SAUDRET
Nenny, rien ! Mais je me deffens
720 Et deffendray de vostre assault,
Et vous feray tomber [d’]ung saut243,
Si je ne faux à mon entente244.
L’AVEUGLE
Si je t’atains, il fauldra tente245
Ès playes que je te feray.
725 Holà, mon amy ! Je perray,
Si me liez si fort les mains.
FICTUS
Vous ne l’estes ne plus ne mains
Qu’est Saudret, je le vous asseure.
L’AVEUGLE
Baillez-moy lance qui soit seure,
730 Mon cher amy, je vous en prye.
FICTUS
Vélà cy246, je vous certifie.
Avant ! Estes-vous bien armé ?
L’AVEUGLE
Se tantost ne suis deffermé247,
Je croy qu’il me fauldra chier.
735 Pour ce, venez-moy deslier,
Mon amy, si je vous appelle.
Avant ! Soustiens-tu ta querelle,
Saudret ?
SAUDRET
Oy !
L’AVEUGLE
Et ! je te deffy
Présentement !
SAULDRET
Et je dy fy248
740 De vous et de vostre puissance !
FICTUS
Chascun de vous a bonne lance :
Pour ce, faictes vostre devoir.
L’AVEUGLE
Saudret ?
SAUDRET
Hau249 !!
L’AVEUGLE
Je te fais savoir
Et te somme que vous desdites
745 Des injures que tu m’as dictes !
Ou si non, que vous deffendez250 !
SAUDRET
Et moy vous251, que vous vous rendez !
L’AVEUGLE
Tu n’as garde que je me rende
À toy !
SAUDRET
Ne vous que ne deffende
750 Ma querelle252 jusques au bout.
FICTUS
Vécy bien commencé partout.
SAUDRET
Je ne le crains !
L’AVEUGLE
Je ne te doubte253 !
SAUDRET
Vous perdrez ceste saqueboute254,
À ce coup, puisque je la tiens !
L’AVEUGLE
755 Holà, holà ! Jà255 n’en fais riens :
Plus n’ay de quoy mestier mener256.
SAUDRET
Si je vous puis les piedz lever,
Vous tomberez de l’autre part.
L’AVEUGLE
Dieux, aidez-moy !
SAUDRET
Il est trop tard.
760 Vous tomberez, comment qu’il soit257.
L’AVEUGLE
Et ! holà ! Que le diable y soit !
Saudret ?
SAUDRET
Hau !!
L’AVEUGLE
Laisse-moy aller 258.
SAUDRET
G’iray, avant, à vous parler259 !
Pas n’échapperez en ce point.
L’AVEUGLE
765 Holà ! Et ! ne me pique point !
Je t’en supplye, mon gentil-homme !
SAUDRET
Je prie à Dieu que l’en m’assomme
Se vous eschappez jà si aise ! Pungat.260
L’AVEUGLE
Je te prie, Sauldret, qu’il te plaise
770 Me laisser aller de bon cueur.
Hé ! Dieu, souverain Créateur :
Me lairrez-vous icy tuer ?
Hau ! hau !
SAUDRET
Vous avez beau huer :
Je vous aprendray à combatre !
FICTUS
775 Il nous fault d’aultre jeu esbatre
Ung peu, avant qu’on se repose.
L’AVEUGLE
Comment ?
FICTUS
[Or], il fault qu’on arrouse
À ung chascun de vous le cul :
Il appartient à broche-en-cul
780 Luy faire261, quoy qu’on se rebelle.
SAUDRET
Ha ! Par le sang bieu, j’en appelle262 !
L’AVEUGLE
Et moy aussi, sans demourée.
FICTUS jactet aquam, dicendo : 263
Vous deux aurez ceste seiglée264,
Je vous promet[z], soit tort ou droit.
785 Tenez !
L’AVEUGLE
Je demande [mon] droit
À ung chascun, et sus et jus !
FICTUS
Il vous fault essuyer les culz,
Après qu’ilz ont esté lavéz.
De ce baston, sans plus baver265,
790 Vous feray doulx comme une turtre266.
Empreu267 ! Et deux ! [Et trois !]
L’AVEUGLE
Au meurtre !
Le sang bieu ! je me conchieray268.
SAUDRET
Par la mort bieu, je lancerray269 !
L’AVEUGLE
N’en fais plus, car je me desdis
795 De trèstout quanque je te dis270 !
Souffist-il, Monseigneur mon Maistre271 ?
SAUDRET
[D’ung estron je vouldrois repaistre]272
Le ribault qu’ainsi nous festye !
FICTUS
Brief ! si voulez que vous deslie,
800 Entre vous deux, me pardonrez
Ce que j’ay fait, et me donrez
Chascun six blans pour aller boire.
SAUDRET
Je le vueil bien, par ma mémoire !
L’AVEUGLE
Et moy aussi, sans varier.
FICTUS
805 Saudret, je vous vais deslier,
Et puis deslierez vostre maistre.
SAUDRET
Par le vray Dieu qui me fist naistre !
Maistre, se plus me r’assaillez,
Je vueil mourir se vous faillez
810 À bien en estre chastié !
L’AVEUGLE
Puisque je t’ay merci crié,
Et qu’à vous je me suis rendu
Sans avoir guères actendu,
Et aussi que me suis desdit
815 De tout cela que je t’ay dit,
Je croy qu’il te doit bien suffire.
Encor, se mestier est273, beau sire,
Je vous pardonne mon injure274.
SAUDRET
Faictes ?
L’AVEUGLE
Ouÿ, je le vous jure,
820 Sans vous savoir mal gré275 quelconques.
SAUDRET
Or avant ! Et ! je le vueil, doncques.
Mais par ma foy, premièrement,
Nous baillerez de vostre argent
Dix solz d’erres276 pour aller boire.
L’AVEUGLE
825 Bien me plaist.
SAULDRET
Comme j’ay dit ?
L’AVEUGLE
Voire.
Deslie[z-]moy, mon amy doulx :
Si vous bailleray ces dix soulz.
Car j’ay esté cy longue pose277.
FICTUS
Si feray-je.
SAULDRET
Je m’y oppose
830 Jusqu’à ce que nous les ayons.
Pensez que se nous le croyons
Et deslions sans les avoir,
Il nous pourroit bien décevoir278
Et donner ung tour de botines279 :
835 Je congnois ses fais et ses signes
Comme moy-mesmes, proprement.
FICTUS
Mais280 qu’il soit deslié, vrayment,
Je croy qu’il fera son devoir.
L’AVEUGLE
Par mon serment ! vous dictes voir :
840 Parjurer ne m’en daigneroye281.
FICTUS
Se c’estoit moy, je le feroye,
Saudret : il semble homme de bien.
SAUDRET
Par ma Loy ! je n’en feray rien.
Nous en serons, avant, payés.
L’AVEUGLE
845 Et ! pour Dieu, que vous les ayez !
Puisqu’ainsi est, or les prenez.
SAUDRET
En quel lieu ?
L’AVEUGLE
Vous les trouverez
En ma manche282, en ung drappelet.
SAUDRET
Y a-il or ?
L’AVEUGLE
Pas ung pellet283 :
850 Je n’en ay point, mon amy fin.
SAUDRET
Touteffois, maistre, à celle fin
Que l’on ne me puisse imposer
Larrecin284, ou rien mal gloser
Contre moy, cest homme de bien
855 Les prendra. Le voulez-vous bien ?
Respondez franchement.
L’AVEUGLE
Ouÿ !
Car je me fie bien en luy,
Pource qu’il me semble bon homme.
FICTUS
J’aymeroye plus chier285 estre à Romme
860 Tout nu en ma propre chemise
Que d’avoir une maille prise
Du vostre sans vostre congié286 !
Vez-les cy.
SAUDRET
N’y ait plus songié287.
Doncques, qu’il me288 soit deslié.
865 Aussi s’est-il humilié
Et congnoist assez son deffault289.
FICTUS
Irons-nous disner ?
SAUDRET
Il le fault.
FICTUS
Mais où ?
L’AVEUGLE
Allons chez le premier
– Ou hostelier, ou tavernier –
870 Qui aura de bon vin à vendre,
Des pois, du lart, de bon pain tendre,
Du rost290, de la pâticerie
Ou de quelque autre lécherie291.
Et nous y disnons bien et fort !
SAUDRET
875 Par mon serment, j’en suis d’accort !
Or y allons nous troys ensemble,
Car nous y boyrons (ce me semble)
Du meilleur vin en paix faisant.
*
L’AVEUGLE 292 SCÈNE X
Saudret !
SAUDRET
Maistre ?
L’AVEUGLE
Je suis refait293
880 Et bien dîné, mon amy doulx,
Dieu mercy !
SAUDRET
Aussi sommes-nous,
Cest homme de bien cy et moy.
FICTUS
Loué soit le souverain Roy294 !
Bien en devons estre contens.
885 Or çà, mes amys, il est temps
Que je m’en aille à mon affaire.
Se plus avez de moy affaire,
Je suis tout au commandement.
SAUDRET
Je vous en mercie grandement
890 Quant de ma part295. Et aussi fait
Mon maistre qui cy est ; de fait,
À son povoir296 je m’en fais fors.
L’AVEUGLE
Voire, par la foy de mon corps !
Mon cher amy, je vous mercie.
SAUDRET
895 Mon maistre, je vous certifie
Que bien estes à luy tenu
De ce qu’il est icy venu
Franchement à nostre débat.
Et si, a laissé son esbat297
900 Ou sa besongne en destourbance298
Pour nous faire la secourance
Que vous savez qu’il nous a faicte.
Si, est droit que luy en soit faicte
Quelque rémunéracion.
L’AVEUGLE
905 Mais combien ?
SAUDRET
Numéracion
De cinq solz de vostre monnoye.
Si Dieu me doint honneur et joye,
Je croy qu’il l’ait bien desservi299.
Oncques-puis que je vous servy,
910 Je ne vis si gracieux300 homme.
L’AVEUGLE
Tu devroies payer ceste somme,
Puisque tu as eu la victoire.
SAUDRET
Sauf vostre grâce ! Mais encoire
Devriez-vous payer tous les frais
915 Quelconques, qui ont esté fais
À cause de nostre discord.
L’AVEUGLE
Pourquoy ?
SAUDRET
Car vous aviez [le] tort.
Puisqu’avez perdu la bataille,
Il esconvient que l’en vous taille301
920 De tous les frais qui en dépendent.
Ainsi le font ceulx qui se rendent,
En bataille : et si, paient rançon.
L’AVEUGLE
Je te prie donc, mon enfançon :
Preste-moy de cinq solz la somme
925 Pour bailler à ce vaillant homme
Qui cy est, avant qu’il s’en aille.
Car je n’ay plus denier ne maille
Sur mon corps. Et je te prometz
Que je les vous rendray [huymais]302,
930 [Mais] que nous en ayons receu.
Ou si tu crains estre déceu
Par moy, demain ou l’en303 demain,
Je suis content que par ta main
Toy-mesmes vous le recevez304.
SAUDRET
935 Par la foy que vous me devez305 !
Maistre, voulez-vous, orendroit306,
Que je les prengne, tort ou droit,
Sur le premier307 de nostre queste,
S’ainsi est que je les vous preste
940 De ma bourse présentement ?
L’AVEUGLE
Ouÿ, Saudret, par mon serment !
Je vous en donne auctorité.
SAUDRET baille cinq solz [à l’Aveugle].
Véez-les cy donc, en vérité :
Ung, deux, trois, quatre, cinq, et six308.
L’AVEUGLE
945 Or venez à moy, beaux amys309 !
Vous me semblez bonne personne :
Vécy cinq solz que je vous donne
De monnoye, en recongnoissance
De voz peines. Car sans doubtance,
950 Vous me semblez homme de bien.
FICTUS
Je vous mercie ! Et s’il est rien
Que vous me vueillez commander,
Ne faictes sinon me mander,
Et vous m’aurez, je vous affie.
955 À Dieu !
L’AVEUGLE
À Dieu, qui vous conduye !
Mais dictes-moy – s’il vous agrée –
Vostre nom, et en quel contrée
Demourez.
FICTUS
J’ay nom Chosefainte310,
Qui suis en Jhérusalem Sainte,
960 La merci de Dieu, qui tout fist !
Vous ne trouverez si petit311
Qui ne vous dye où je demeure.
À Dieu soiez !
L’AVEUGLE
En la bonne heure,
Mon amy, puissez-vous aller !312
SAUDRET
965 Ouÿstes-vous oncques parler,
Maistre, plus gracieusement
Ne plus mélodieusement
Que fait cest homme qui s’en part
D’avecques nous ? Quant de ma part,
970 Je m’en tiens à trèsbien content.
L’AVEUGLE
Aussi l’ay-je payé content :
Il emporte cinq solz du mien.
SAUDRET
Certainement je croy et tien
Qu’ilz sont bien employés, sans doubte.
975 Maistre, vécy une grant route
De gens d’estat et de façon313 ;
Se [nous] chantions une chançon,
Ce seroit bien, je vous plévis.
L’AVEUGLE
Tu es homme de bon advis.
980 Commençons doncques en apert314.
Chançon 315
Dieu, qui le monde a recouvert 316,
Doint bonne destinée
À qui dire sçait 317 de quoy sert
Celle bonne vinée !
.
985 Cil 318 qui par sa bonté nous fist
Soit loué en fais et en dit,
Qui tant de biens nous donne !
De chanter m’est prins appétit
Du fait des beveurs ung petit 319.
990 Quant la vinée est bonne,
À qui n’en prent que par raison
Elle est moult profitable,
Et ne s’en ensuit si bien non 320 :
C’est chose véritable !
.
995 Elle eschauffe et nourrist le corps,
Qui plus en est joyeux et fors ;
Mieulx en parle et devise.
Couleur luy donne, par-dehors,
Plus belle que s’il estoit mors 321,
1000 Et son engin aguise 322.
Médecines fait le vin blanc 323,
Et le cueur réconforte ;
Et le vermeil 324 fait le bon sang,
S’il est de bonne sorte.
.
1005 Il fait gens d’Église coucher,
Souvent, quant ilz deussent veiller
Et dire leur service ;
Escoliers rire ou sommeiller
Quant ilz deussent estudïer,
1010 Comme c’est leur office ;
Nobles chevaliers, escuiers,
Mener vie joyeuse ;
Bourgois, marchans, gens de mestiers
Fait tenir en oyseuse 325.
.
1015 Quant povres gens boivent ung poy,
Ilz sont plus riches que le Roy
Tant comment ilz 326 sont yvres ;
Mais l’endemain est le desroy,
Povre chère et piteux arroy 327,
1020 Quant ilz en sont délivres 328.
Car qui les verroit le matin,
C’est piteuse levée :
Ilz ne parlent plus tel latin
Comment à la sérée 329.
.
1025 En beuvant bon vin près du feu,
Se l’un dit « heu ! », l’autre dit « beu ! »,
L’autre pert le langage.
Il fait à l’un faire son preu 330,
L’autre n’y penser que trop peu,
1030 L’autre se cuider sage.
L’un fait des autres mal parler,
L’autre crier ou braire,
Gens accorder ou discorder,
Et mariages faire.
.
1035 Raconter [nous] ne vous saurions
Tous ces fais et ces signes.
Dieu sauve tous bons compaignons
Et le brouet des vignes !
Cy fine la chanson.
L’AVEUGLE
Je te prie que tu en assignes331,
1040 Saudret, pour dix deniers la pièce,
À celle fin que l’argent chiesse332
Dedens ma bourse sans respit.
Car long temps a que l’on n’y mist
Rien, et qu’on ne cessa d’y prendre.
SAUDRET
1045 Ne vous souvient-il pas que rendre
Vous me devez, avant tout euvre333,
Cinq solz, et que je les receuvre334,
Que vous baillastes au bon homme ?
L’AVEUGLE
Si fais bien ; mais je ne sçay comme
1050 Les te rendray s’il ne m’en vient.
.
LE MESSAGIER SCÈNE XI
Çà, mes amis ! Bien me souvient
Que l’autre jour, vous me vendistes
Une autre chanson, et en pristes
Dix deniers de chascun roullet335.
1055 Si me dictes, gentil varlet,
Combien ung cent me coustera
De ceste336 ?
SAUDRET
Mon maistre en aura
De chascun roulet dix deniers.
LE MESSAGIER
Je les en paieray voulentiers.
1060 Baillez-les çà ! Vécy l’argent.
L’AVEUGLE
Saudret, baille-luy-en ung cent,
Et pren cent grans blans de monnoye.
Sur quoy, prens cinq solz et t’en paye ;
Et m’en baille le remenant337.
1065 Mais advise bien, mon enfant,
Que tout soit bon. Entens-tu bien ?
SAUDRET
Or ne vous soucïez de rien,
Mon maistre, fors de bien dancer338.
LE MESSAGIER
À Dieu !
SAUDRET
Adieu !
.
Allons lancer. SCÈNE XII
L’AVEUGLE
1070 Que veulx-tu que lancer aillons ?
SAUDRET
Du meilleur vin sur noz couillons339,
Puisque nous avons de l’aubert340.
Vous savez bien de quoy vous sert
Le prouffit de mon escripture
1075 Et mon beau chanter.
L’AVEUGLE
Je te jure
Qu(e) aussi te feray-je des biens !
SAUDRET se paye des cinq solz.
Vécy cinq solz que je retiens,
Maistre, et [je] vous rens le surplus.
L’AVEUGLE
Y est-il tout ?
SAUDRET
Ouÿ.
L’AVEUGLE
Or sus !
1080 Allons où nous avons disné,
Car on y est bien aviné341.
Recordons-y nostre leçon342,
Et que nous nous y repesson343 :
As-tu point ne trippe ne foye344 ?
SAUDRET
1085 Et ! si ay. Si Dieu me doint joye,
Certes, vous ne m’avez point veu345
Ny esbahy, ne despourveu.
Allons boire, puisqu’il vous plaist.
*
L’AVEUGLE 346 SCÈNE XIII
Saudret !
SAUDRET
Maistre ?
L’AVEUGLE
Je te demande
1090 Si tu as aucune vitaille347 ;
Et si tu en as, si m’en baille !
Car certes, j’ay grant appétit
De mangier.
SAUDRET
Ne grant, ne petit
N’y en a, foy que je vous doy !
L’AVEUGLE
1095 Hélas, mon amy ! Quelque poy
M’en donne, à ce pressant348 besoing !
SAUDRET
Par ma foy ! je n’ay que le poing,
Dont je puisse férir aux dens349.
L’AVEUGLE
Et pourquoy ?
SAUDRET
Pource que les gens
1100 Ne donnent plus chose qui vaille.
L’AVEUGLE
Si font au moins de la mengea[i]lle
Qui assez est à grant marché350.
Et n’est que par ta mauvaisté
Si nous n’avons bien à manger.
1105 Mais tu fais d’en quérir danger351,
Et chiez352 au péché de paresse.
Je te requiers : or nous adresse353
À quester parmy ceste ville.
Tu te disoys si très habille354,
1110 Quant tu vins o moy demourer,
Et te vantoies de truander
Aussi bien comme homme vivant.
Il ne deust avoir355 (je me vant),
En la cité, bourde356 ne loge
1115 En quoy homme demeure ou loge,
Où tu ne t’allasses bouter :
Tu y trouvasses, sans doubter,
Assez à manger et à boire.
SAUDRET
En la cité ?
L’AVEUGLE
Par la Loy, voire !
1120 Et crier357 haultement et fort.
Or m’y meyne : je me fais fort
Que j’en auray, mais que je crie.
SAUDRET
Je verray donc vostre maistrie358.
Or y allons, et criez bien.
Icy vont devant l’ouvrèr 359 de l’Apoticaire,
et crye l’Aveugle en disant :
L’AVEUGLE
1125 Chères gens, faictes-nous du bien,
Pour l’amour de Dieu, s’il vous haite360 !
Ung denier ou une maillette361 !
Du pain, de la char362, de la souppe,
Et des verses363 de vostre couppe,
1130 Ou du relief, ou quoy que soit
À ce povre qui point ne voit !
Et grant charité vous ferez.
.
L’APOTICAIRE SCÈNE XIV
Venez çà, mes amis, venez,
Et vous arrestez en ce lieu !
1135 Et je vous y donray pour Dieu
Pain et vin, et de la vïande.
SAUDRET
Monseigneur, je vous recommande
Ce povre homme qui ne voit goutte,
Et a tel fain, sans nulle doubte,
1140 Que c’est pitié, bien le sachez.
L’APOTICAIRE 364
Tenez, mes amis : or, mangez
Et beuvez trèstout à vostre aise.
L’AVEUGLE
Grans mercis, des fois plus de treize,
Sire ! Dieu le vous vueille rendre !
1145 Saudret, il seroit bon de prendre
Icy endroit nostre repas.
A ! dea, je ne mentoye pas,
En présent, quant je te disoye
Qu’assez à menger trouveroye
1150 S’il advenoit que je criasse.
SAUDRET
Or nous séons365, car je mengeasse
Aussi voulentiers comme vous.
L’AVEUGLE
Or tranche donc, mon amy doulx,
Pour nous deux, dessus ung volet366.
1155 Et me donne du pain molet367,
Se tu en as, car j’ay grant fain.
SAUDRET
Pain molet ? Il n’y en a grain,
Par l’âme qui en moy repose !
Avoy368, dea ! Vécy bonne chose,
1160 Par ma Loy ! Mon maistre gentilz,
Il n’y a que du pain faitis369 ;
Si en mengez, et louez Dieux.
L’AVEUGLE
C’est bien ; mais s’il y avoit mieulx,
Saudret, j’en vouldroye bien avoir.
SAUDRET
1165 Mon maistre, vous devez savoir
De certain que se j’en avoye,
Jamais ne le vous cèleroye :
Car je suis tousjours coustumier
De vous servir tout le premier
1170 De ce que Dieu nous a presté.
L’AVEUGLE
Par tous les benois jours d’esté !
Il te vauldra, se j’ay à vivre370.
SAULDRET
Vécy le tailloèr371, que je livre
Devant vous, garni de cuisine.
1175 Or mengeon, et que chascun disne.
Et faisons icy, sans renchière372,
Ung tronsonnet373 de bonne chière.
Maistre, je bois à vous d’autant ! Potet.374
L’AVEUGLE
Bon preu te face, mon enfant !
1180 Or verse doncques, et m’en donne ! Potet.
A ! par mon serment, vécy bonne
Vinée, Saudret, mon amy !
Icy, l’Aveugle et Sauldret boyvent.
SAUDRET
Il y a bien moys et demy
Que je ne beu meilleur boisson.
[ L’AVEUGLE
1185 Or verse donc, mon enfançon !
SAUDRET
S’il en reste, qu’on me puist pendre !
L’AVEUGLE ] 375
Dy, hau, Saudret : il fault entendre
D’aller boire chascun sa foiz376.
Car, ainsi comme je le croys,
1190 Il est bien fol qui rien espargne.
SAUDRET
Allons-nous-en [en] la taverne
Sans plus tarder ne çà, ne là.
.
Hau ! Tavernier ! SCÈNE XV
Servus taberne dicat : 377
[LE VARLET DU TAVERNIER]
Qui est-ce là ?
L’AVEUGLE
Sont gens de bien, soiez saichans378.
LE VARLET DU TAVERNIER
1195 Ha ! Nostre Dame, quelx marchans
Pour faire riche une taverne !
Ce sont [des] gens de Mau-Gouverne379,
Je le voy bien à leur livrée.
SAUDRET
Or sus ! à coup nous soit livrée
1200 Une pinte du meilleur vin,
Du plus doulcet380 et du plus fin
Qui soit en toute ceste ville !
LE VARLET
Mais regardez qu’il est habille,
À toute sa roube de toille381 !
1205 C’est à l’enseigne de l’Estoille 382
Que devez boire, mes mignons.
SAUDRET
Dea ! nous sommes bons compaignons,
Pourtant que sommes383 mal vestus.
Nous avons laissé mil escuz
1210 (Par Dieu qui me fist !) à la banque
De Lion384.
LE VARLET DE L’OSTE
Ha, [ha] ! c’est tout quanque
Je disoie présentement.
Car vous estes certainement
Gros marchans et gros usuriers.
1215 Vous en avez bien des deniers,
Et des escuz, et des ducatz.
Ha, vous ne les emporterez pas
Quant vous partirez de ce monde.
L’AVEUGLE
Je pry à Dieu que l’en me tonde385,
1220 Saudret, se de nous ne se mocque !
SAUDRET
Voire, que la fièvre le tocque386 !
De nous se mocque en général387.
Ha, dea ! si nous estions à cheval388,
Et bien habillés et en point,
1225 Il ne nous reffuseroit point,
Je le sçay bien, sans dilatoire389.
L’AVEUGLE
Et ! pour Dieu, donnez-nous à boire :
Nous paieron comme bon[ne] gent390.
LE VARLET DE L’OSTE
Baillez-moy tout premier l’argent,
1230 Et vous en aurez voulentiers.
SAUDRET
À combien est-il ?
LE VARLET
À six deniers
Le pot : vous n’en rabatrez rien.
L’AVEUGLE
Allez-y donc.
LE VARLET
Je le vueil bien ;
Mais je verray, premier, la croix391.
L’AVEUGLE
1235 Vez là six deniers, je le croix.
Regardez-y sans plus songier392.
SAUDRET
Voir(e), mais nous n’avons que mangier393 :
Nous ne mangeasmes, anuyt394, rien.
L’AVEUGLE
Par sainct Pierre395 ! tu diz trèsbien,
1240 Car de fain suis tout translaté396.
LE VARLET
Il (y) a céans ung bon pasté
De bons pigeons et de pollés397,
Que vous aurez se vous voulez,
Car vous n’en povez avoir moins.
L’AVEUGLE
1245 [Et] combien vault-il ?
LE VARLET
Trois unzains398
En baillerez, se vous l’avez399.
L’AVEUGLE
Dea ! c’est trop.
LE VARLET
Ha ! vous ne sçavez
Comme la char est icy chière.
Il n’y a boucher ne bouchière
1250 Qui le vous donnast pour le pris400,
J’en suis certain.
SAUDRET
Il sera prins,
Puisqu’ainsi est. Se par Dieu me gart,
Je paieroie avant de ma part401
Quatre blans que nous ne l’eusson !
1255 Mon maistre, sans plus long sermon,
Tirez bien tost au chevrotin402.
L’AVEUGLE 403
Vez-les là.
SAUDRET
Venez, mon cousin404 !
Allez quérir vin et pictance.
Bien paié serez, sans doubtance,
1260 Je vous promet[z], de bout en bout.
.
LE VARLET SCÈNE XVI
Je ne perdray pas, mèshuy405, tout,
Puisqu’ilz me paient avant la main.
Si chascun le fist, pour certain,
On ne fist nully adjourner406.
1265 Devers eulx m’en vais retourner
Leur porter pain, vin et pictance.
.
Je suis retourné407, sans doubtance. SCÈNE XVII
Tenez, repaissez à vostre aise.
L’AVEUGLE
Mangons sans nous donner malaise,
1270 Car quelq’ung nostre escot paiera,
Certes, qui ne s’en ventera.
Sus ! tastons de ceste boisson !
*
Icy s’assist Jhésus, et sa mère, et les disciples ;
et mangent pendant que l’Aveugle parle.
L’AVEUGLE SCÈNE XVIII
Saudret, puisqu’avons bien408 mangé,
Sans qu’il y ait plus cy songé,
1275 À chemin nous fault advoyer409.
LE VARLET
Il vous convient, avant, payer
Ce que devez, comme je croys.
Car vous avez eu, du su[r]croys,
Pinte de vin, j’en suis certain.
1280 Et aussi avez eu ung pain
Qu’il vous fault payer, s’il vous haicte.
SAUDRET
Aux gallans de Saincte-Souffrète410,
Vueillez despartir411 de voz biens !
Et certes, vous n’y perdrez riens
1285 Que l’actende412, combien qu’il tarde.
LE VARLET
Vous seriez plus fins que moustarde413,
Se414 vous en peussez nullement
Aller sans me faire payement
De ce que me devez, orendroit.
1290 Car aultrement, le me fauldroit
Payer au maistre, de ma bourse.
L’AVEUGLE
Pour Dieu, amy, qu’on ne se cource415 !
O nous416, dommaige vous n’aurez ;
Mais de nous, bien payé serez…
1295 Au retour de nostre voiage.
LE VARLET DE L’OSTE
Ha ! brief j’auray argent ou gaige,
Je le vous dy à ung mot rond417 !
.
L’OSTE 418 SCÈNE XIX
Le grant diable le col te rompt
En brief419, fol vilain et testu !
1300 Et pourquoy ne420 desgaiges-tu
Ces pouvres coquins421 qui n’ont rien ?
Je vueil qu’on leur face du bien,
Désormais, en toute saison.
Or sus ! chantez une chanson
1305 Pour la despence qu’avez faicte.
L’AVEUGLE
Nostre Maistre, puisqu’il vous haicte,
Très voulentiers nous le ferons.
Icy chantent l’Aveugle et Saudret une chançon plaisante et belle,
puis dit SAUDRET :
Chier sire, de vostre pictance
Vous mercÿons en tout degré.
L’OSTE
1310 Amys, prenez en pacience422.
L’AVEUGLE
Chier sire, de vostre pictance,
SAUDRET
Le Dieu qui a toute puissance
Vous en vueille sçavoir bon gré !
L’AVEUGLE et SAUDRET dient emsemble :
Chier sire, de vostre pictance
1315 Vous mercÿons en tout degré !
Icy, Cecus [l’Aveugle] et Saudret s’en vont, et dit Jhésus…423
*
1 Le Mystère de la Résurrection. Angers, 1456. Droz, 1993. 2 volumes. 2 Jolie. (Cf. la Présentation des joyaux, v. 63.) La « godinette ville » dans laquelle entre Saudret n’est autre que Jérusalem, en plein drame biblique. Mais on se croirait à Angers en 1450. Saudret déambule en cherchant de l’embauche comme valet. 3 Ni côté face, ni côté pile : pas un sou. 4 Tous les hôteliers. 5 De chercher un aveugle. Les mendiants aveugles ne peuvent rien faire sans un valet. L’Aveugle du Mystère des Actes des Apostres s’en plaint : « Aller ne sçay par ville ne cité/ Se guyde n’ay tousjours à mon costé. » Il a pourtant « le plus maulvais varlet/ Qui soit, ce croy, en tout le Monde…./ Las ! fiez-vous en telz varletz/ De qui toute malice sourt ! » 6 De l’argent, qui est une chose facile à transporter. 7 Aveugle. 8 Savait se tirer d’affaire. Idem v. 194. 9 Gagner une pièce de monnaie. Idem vers 361, 861, 927, 1127. Je ne répéterai pas les notes de traduction ; donc, prenez des… notes. 10 Que quelqu’un s’efforce. 11 Nous pourvoir de nourriture. Idem v. 120. 12 Leur pauvre vie. « N’en vueil riens avoir fors que ma povre de vie. » P. de la Sippade. 13 Il a entendu les jérémiades de l’Aveugle. 14 Tout ce qu’il. Idem vers 378, 795, 1211. 15 Tel maître, tel valet. Cf. Légier d’Argent, v. 222. 16 D’attente. Idem v. 1285. 17 « Il va, et dit à l’Aveugle. » Les rubriques (que je traduis systématiquement) et les didascalies, réservées aux lecteurs, sont souvent écrites en latin. Cecus = l’Aveugle. Nuncius = le Messager. 18 Pour vrai. Idem v. 839. 19 Rembourser. 20 Parlons peu, parlons bien. La farce va opposer deux hommes qui ont un rapport à l’argent contractuel et procédurier. 21 Désormais. 22 L’hypocrite. Cf. Daru, vers 122. 23 Qu’ils seront bien méprisants, ceux… 24 Une grande pause = pendant longtemps. Idem v. 828. 25 Auquel il a rendu par un miracle la lumière, la vue. Idem vers 322, 325, 353. 26 Je m’en vante. Idem vers 327 et 1113. 27 Pour économiser le papier, on gravait les brouillons sur des tablettes de cire réutilisables. 28 Selon le poste que j’occupe. 29 Approprié. 30 Beaucoup de mendiants aveugles chantaient en s’accompagnant à la vielle (vers 654). Celui-là vend aussi des partitions. 31 100 sous pour l’année. 32 Vous me procurerez. 33 Si tu es aussi mal vêtu et chaussé que moi. 34 Décidé. 35 Topez là ! Cf. Cautelleux, Barat et le Villain, vers 39. 36 Ma manière d’être : ma conduite. 37 Mendier. Idem v. 1111. Ce verbe commençait à prendre une connotation péjorative. 38 Voirre se prononçait verre, tout comme fois se prononçait fais. 39 Comme personne. 40 Chercher un hébergement. « En un bon hostel vous menray/ Où herberge pour vous prendray. » ATILF. 41 Chaque fête paroissiale faisait affluer les mendiants devant la porte de l’église concernée, car les fidèles y étaient plus nombreux et plus généreux que d’habitude. 42 Si vous n’y voyez pas d’inconvénient. 43 L’Aveugle, qui veut passer pour noble, est extrêmement imbu de sa personne. 44 Qui s’amuse et qui boit. « Après boire et après galler. » (ATILF.) Mais la prononciation Gallebais (voir la note 151) nous rapproche de « gueule bée » [bouche ouverte], qui est un beau nom pour un chanteur des rues : « Chantons à gueulle bée ! » Les Sotz triumphans. 45 Un peu. (Idem vers 1015 et 1095.) Qu’on cessa d’allaiter un peu trop tôt : qui est orphelin. 46 Pour nom de famille. Tout lui fault = Tout lui manque : il ne possède rien. C’est, entre autres exemples, le nom d’un mendiant dans les Bélistres. 47 Mal mariée, ce qui est normal pour la femme d’un vaurien. Dans le Messager et le Villain, l’épouse du paysan porte le même nom. Cf. le Munyer, v. 34. 48 La fille de la Paresse. « Sainct Fait-néant : c’est le patron des lasches journées, des paresseux & gaudisseurs. » Pierre Viret. 49 Vous êtes venu au bon endroit. Voir les vers 289-290. 50 De te remémorer ce que tu diras pour émouvoir nos donateurs. 51 Au. 52 Lui rende la lumière, la vue. Mais aussi, et surtout : Que le feu de St Antoine lui donne des hémorroïdes ! « Le cul qui tousjours pète et chie,/ Le feu sainct Anthoine l’alume ! » Tarabin, Tarabas (F 13). 53 Presque cinq mois plus tard. 54 Répondre « hau ! » à quelqu’un qui nous appelle est le comble de l’impolitesse. « –Sottinet ! –Hau ! –Quel “hau” ? » Le Roy des Sotz, qui fut également joué devant le roi René vers la même époque. 55 Parmi, sur. 56 Une corde. 57 Pour qui vous prenez-vous ? 58 Pouilleux. 59 On tondait les fous. Les tonsures se faisaient à l’eau savonneuse chaude : « Je vueil estre sans eau tondu ! » Goguelu (voir ma notice). 60 D’appeler ainsi un mendiant. Idem v. 578. Voir la note 37. 61 De mauvaise odeur. Cf. les Veaux, v. 222. 62 Qui ne commet jamais de faute. Cf. le Messager et le Villain, vers 427. 63 Un vieux cochon, de la famille des suidés. « Hou ! le souin ! » J.-A. de Baïf. 64 Ceci ni cela : ne m’insulte pas. 65 Si ça me démange. Cf. le Capitaine Mal-en-point, v. 282. 66 Quoi qu’il en soit. Idem v. 667. 67 Contraindre. Idem v. 637. 68 À vous appeler « seigneur ». Cf. le Capitaine Mal-en-point, vers 357-8. 69 Un arrangement. Idem v. 187. 70 Notre association. 71 L’assurance. 72 Que nous fassions. Expliquez-le-moi. 73 Tous nos conflits. 74 À l’Aveugle-né (vers 58). 75 En toute occasion. 76 Que celui qui en aura les moyens boive ou mange. 77 Il le cache. 78 Donner pour Dieu = faire la charité. Idem v. 1135. 79 Ils chantent, dansent (vers 1068), et l’Aveugle joue de la vielle. Cette chanson est inconnue. La musique doit être identique à celle de la chanson qui commence au v. 981 : elle est écrite sur les mêmes dizains AAbAAbCdCd (je mets les hexamètres en minuscules). Cette bluette qui prétend louer « les biens qu’on a en mariage » prend le contre-pied des « maux qu’on a en mariage » d’une manière tellement grosse que nul n’est dupe : il s’agit bien d’une chanson antimatrimoniale. 80 Taisez-vous et vous entendrez. 81 Des maux inventés. Cf. le Sermon joyeulx de tous les maulx que l’homme a en mariage. 82 Lui ouvre la porte. Dans les farces, l’épouse n’ouvre au mari qu’après avoir caché son amant. 83 De souci. 84 Elle le couvre. 85 Contre lui. 86 Original : De 87 « Ma foy, dit-elle, vous ne serez pas en mon livre enregistré (…) que je ne sache quel harnois vous portez. » Cent Nouvelles nouvelles, 15. 88 Ce bois qui se lève bien haut est une métaphore phallique. Cf. le Ramonneur, v. 276. 89 « Lors il luy a fait la chosette/ Qu’une fille peut désirer. » Gaultier-Garguille. 90 Dans la Mauvaistié des femmes, l’épouse met en cage un cocu [un coucou]. 91 Elle en enlève les draps sales. 92 Elle le déshabille. 93 Elle tire de l’eau du puits. 94 Gracieuse. 95 Elle l’appelle son ami. Mais on peut comprendre : Son amant l’appelle. 96 Lui, il nourrit ses enfants à elle. 97 Qu’il se met en colère pour quoi que ce soit. Le jeu de mots sur « marri » et « mari » n’est pas nouveau : « Le mary fut fort marry. » Les Joyeuses adventures. 98 Aux femmes du public. Puis son valet s’adressera aux hommes, pour être sûr de n’omettre aucun acheteur potentiel. 99 Il n’y a pas ici de femme si rusée. 100 Pour s’améliorer encore en matière de ruse. 101 Une partition. 102 Pour une pièce de monnaie. Idem vers 802, 1062, 1254. 103 Allons ! Idem vers 413, 691, 732, 737, 821. 104 Vous conduire. « Tant charia/ Qu’en la parfin se maria,/ Comme fols. » ATILF. 105 Déclare, révèle. 106 Prenez nos chansons, vous ferez sagement. 107 Ce personnage du Mystère a écouté la chanson parmi le public. Il monte sur scène. Dans la vie, il aime deux choses : le vin et les chansons misogynes. Ailleurs, il entonne celle-ci : « Je revenoye de cure./ Trouvay une vieille dure/ Qui avoit une grant hure/ Plaine de toute laidure. » 108 S’évertuent. Le Messager sillonne le pays dans tous les sens. 109 Sans contestation. 110 Une centaine de partitions. Idem vers 286, 1056, 1061. L’Aveugle est à la fois détaillant et grossiste. 111 Qu’il me vienne malheur (verbe méchoir). 112 Si j’étais passé ailleurs. 113 Ni soir, ni matin. Cf. Saincte-Caquette, v. 288. 114 Un seul mot. 115 Par avance. Idem v. 1262. 116 Qu’il n’y ait pas de pièce fausse ou rognée. Même méfiance de l’Aveugle aux vers 1065-6. 117 On demande toujours les dernières nouvelles aux messagers, qui voyagent beaucoup (vers 277-280). 118 Une chose terrible. Cf. D’un qui se fait examiner, v. 284. 119 Si j’étais aveugle. 120 Quand Jésus était vivant. 121 La lumière, la vue. Cf. l’Aveugle et Picolin, vers 92. 122 Que ce soit moi. Cf. la Laitière, vers 120 et note. 123 Plénier, complet. 124 Qu’il n’en manque. 125 Avec. Idem vers 1110 et 1293. Cf. les Esbahis, v. 215. Les serviteurs étaient payés une fois par an, et Saudret ne travaille pour l’Aveugle que depuis 146 jours. Mais s’étant fait rouler par son précédent maître, qui a retrouvé la vue grâce à un miracle, il exige d’être payé tout de suite au cas où Gallebois serait lui-même guéri par un miracle. 126 Quand nous serons revenus du sépulcre. 127 Par la loi des chrétiens, opposée à la loi des juifs, qu’on critique au v. 316. Idem vers 384, 464, 843, 1119, 1160. 128 Quand Jésus lui eut rendu la vue. 129 Siffler comme on siffle un chien. Un baude est un chien de chasse. Un des chiens de Charles d’Orléans portait même ce nom : « Laissez Baude buissonner ! » 130 Qu’il me l’a baillée belle. L’aveugle-né s’est vengé d’un hypocrite qui piochait dans son escarcelle, comme il le lui reproche dans le Mystère de la Passion d’Arras : « Oste ta main hors de ma tasse,/ Hardeaux ! Je t’y sens bien aler. » 131 Qu’il ne manquera pas un sou. 132 Si j’y vais, au sépulcre. 133 Il vaut mieux être sûr que de rester dans le doute. 134 De faire crédit de son argent. 135 Rayé de votre livre de comptes. Dans le Mystère de S. Bernard de Menthon, un aveugle recouvre miraculeusement la vue et refuse de payer son valet, dont il n’a plus besoin : V. Payez-moy avant que partez,/ Ou débat à moy vous aurez,/ Car je vous ay très bien serviz./ A. Mon amy, jamais ne te vy/ Jusques or ; ne sçay qui tu es./ V. Mal jour doint Dieu (à celui) qui t’a les yeulx/ Anssy gariz ! Dolent j’en suis./ Ne resteray de quérir huy/ Tant que je treuve ung aultre orbache [aveugle]. » 136 À notre retour du sépulcre. 137 Bavarder. 138 Un peu. Idem v. 989. 139 Cession. 140 De tout mon argent disponible. 141 Négligent. 142 Que je te paye. 143 Comptant, intégralement. Idem v. 971. 144 Il ne faut plus s’en émouvoir, s’en préoccuper. 145 De mon travail de copiste. 146 Je renonce à vous avoir pour maître. 147 Au moins. Cf. la Pippée, v. 764. 148 De mes copies de partitions. 149 Si méprisable, en acceptant de travailler pour rien. 150 Avant que je ne bouge de là. Idem v. 410. 151 Original : ung denier poy (« -ois » rime en « -ais », comme aux vers 90 et 368.) 152 Assez malin. Cf. le Capitaine Mal-en-point, v. 185. 153 Me soustraire. 154 « L’Aveugle compte l’argent et le remet à Saudret en lui disant. » 155 Sans retard. Idem v. 703. 156 Comme il convient. 157 Et qu’Il veuille bien me rendre la vue. 158 Fuir. 159 De pied en cap : des pieds à la tête. 160 De renvoyer la Mort en lui opposant un « vidimus sans queue ». Voir le v. 281 de Marchebeau et Galop, et le v. 247 du Dorellot. 161 Je vous laisserai dans ce combat d’escrime. 162 Je vous planterai là. Cf. les Femmes qui plantent leurs maris pour reverdir. 163 Refroidir. 164 Nous éloigner. « Un peu arrière se rusa. » Godefroy. 165 Orig. : men 166 Des archers anglais de la guerre de Cent Ans. L’auteur joue habilement avec les anachronismes. 167 Qu’ils aient raison ou tort. Idem vers 784 et 937. Saudret s’immobilise tout à coup, et l’Aveugle pendu à ses basques en fait donc autant. 168 « Saudret modifie sa voix, et dit alors. » Il se fait passer pour un soudard anglais, avec un accent caricatural. Le gag du changement de voix remonte au moins au XIIIe siècle : dans la farce du Garçon et de l’Aveugle, un valet gifle son maître aveugle en se faisant passer pour quelqu’un d’autre. Dans la farce de Goguelu (voir ma notice), le valet bat son employeur aveugle en usurpant la voix d’un sergent. 169 Vous êtes (accent anglais). 170 Il sera, un jour lointain, le protecteur de l’Angleterre. Ce mot compte pour 1 syllabe : « Tout Angleter plory, point n’a-ti fable./ Car, by saint Georg ! tout l’a-ty malheureux. » Regrect que faict un Angloys de millort Havart. 171 « Saudret parle avec sa première voix. » Il reprend sa voix naturelle. 172 Pour obtenir du pape le pardon de ses péchés. Encore un anachronisme ! 173 Que cela vous plaise ou pas. Idem v. 556. 174 Il s’agit de saint Ninian, qui évangélisera l’Écosse, quand il sera né… « Sainct Treignan ! foutys-vous d’Escoss ? » (Pantagruel, 9.) Cf. Frère Fécisti, v. 416. 175 Où sont-ils ? 176 L’original semble porter rasler, qui n’a ici aucun sens. Rêver = perdre son temps. « Dea ! Jaquinot, sans plus resver,/ Ayde-moy à lever ta femme ! » Le Cuvier. 177 Il tend 10 sous au faux Anglais. 178 Déformation de : by God ! by’r Lord ! « Foy que doy brulare bigot ! » Villon. 179 Orig. : Encores ny 180 Par ce sentier, plutôt que par la route. Les deux hommes retournent en ville, et il ne sera plus question d’un pèlerinage au sépulcre. 181 Pauvre de moi ! 182 Voulant montrer du respect à son serviteur en le vouvoyant, l’Aveugle commence à mélanger le « tu » et le « vous ». Son trouble ne fera que s’amplifier, jusqu’à en devenir pathologique. 183 Haleine : j’ai le souffle court. 184 De peur. Scandé pa-our, comme à 518. 185 Puanteur. 186 Je l’affirme à Dieu. Eustache Deschamps l’épingle dans sa Ballade des jurons : « (Il) n’y a/ Si meschant qui encor ne die/ “Je regni Dieu !” chascune fie,/ “À Dieu le veu !”, “À Dieu l’affy !” » 187 Je ne vois rien. « Mon » est une particule de renforcement, comme à 535. 188 Plus de raison d’avoir peur. 189 Celui que. 190 Vésarde, frayeur. 191 Les deux mendiants sont revenus à Jérusalem. 192 Or. : Voire 193 Si quelqu’un avait un morceau d’andouille. Saudret se tourne vers le public. 194 Qui mouille le gosier. 195 J’y prêterais attention. 196 Cette réponse est aussi impolie que le « hau ! » de 135. 197 Saudret répond à une question absurde par une autre question encore plus absurde. 198 Dans quel monde vit-on ! Cf. le Ribault marié, vers 99 et 391. Mais Saudret feint d’y voir une question, à laquelle il répond. 199 Or. : ce (Il ne le faudra pas.) 200 De votre gorge. Cf. la Résurrection Jénin à Paulme, v. 122. 201 Si on vous laissait faire ; mais je n’ai pas l’intention de vous laisser faire. 202 Ramenez à l’étable. C’est un ordre qu’on donne aux bouviers. 203 Si vous avez le malheur de me frapper. 204 En votre présence. 205 Allez chier ! Cf. Ung jeune moyne, v. 323. 206 La valeur d’un navet. 207 De votre qualité de maître. Idem v. 395. 208 Un paysan, un roturier. Le mot « vilain » pique au vif le faux noble, et va mettre le feu aux poudres. 209 Misérable mendiant. 210 Or. : redoubtes (Double péquenot sournois.) 211 Quand on provoque un homme en duel, on lui jette un gant, qu’il doit relever (comme au v. 603) s’il accepte le combat. Nous entrons dans une parodie des romans de chevalerie. 212 Qu’est-ce qui vous est passé par la tête. 213 Je vous attends. 214 Te valût, te vaudrait. Idem v. 684. 215 Te répandre. 216 Il ramasse la mitaine sale que l’Aveugle a jetée par terre. 217 Quant à moi. 218 En ce qui me concerne. 219 Je choisis un duel dans un espace limité. 220 Voir ma notice. Seuls les nobles se battaient en duel. L’offensé avait le choix des armes. Ici, tout le cérémonial est ramené à un jeu d’enfants. 221 Après avoir imité la voix d’un soudard, Saudret va contrefaire un preux chevalier, plus susceptible de plaire à l’Aveugle qui, voulant passer pour noble, arbore des sentiments chevaleresques. Ce rôle est à la fois vocal et physique ; c’est pourquoi l’auteur crée un personnage fictif qu’il baptise Fictus. L’écriture de cette scène est d’une modernité qu’aucune avant-garde n’a daigné relever. 222 À moi. « Vous soubvienne de boyre à my pour la pareille ! » Gargantua, Prologue. 223 Or. : Par (« On disoit autrefois d’un chevalier extrêmement accompli, que c’estoit fine fleur de chevalerie. » Dict. de l’Académie françoise.) 224 Tort. Idem v. 1018. 225 Et un démenti à mes paroles. 226 Sur une planche. L’estrade fera l’affaire. 227 Pour peu qu’il y ait quelqu’un. En terme de duel, on nomme cela un témoin. 228 Que la fidélité aux règles du tournoi féodal. 229 La vielle que vous portez en bandoulière. « Dous sons/ De harpes et de simphonies. » ATILF. 230 Conté, exposé. 231 Ce qu’il en est. 232 Délicatement, sans trop serrer. 233 Vous entendrez qu’il en sortira une querelle. 234 Et je vous garantis. Idem v. 978. 235 Attaché. Naturellement, il ne l’est pas. 236 Que je ne te ferai pas défaut. 237 Or. : et — en 238 Au jeu de paume, servir au rabat c’est feinter l’adversaire en rabattant l’éteuf vers le sol. « Mais un tas de mal gratieux/ Veulent tous servir au rabat. » Le Pèlerinage de Mariage. 239 Descendez votre panse, pour que je puisse attacher vos chevilles à vos poignets. 240 Pour lui faire sa fête. Idem v. 798. La broche en bois sert à piquer les fesses de l’adversaire. 241 Péter. Idem v. 725. « Mais quoy ! s’on l’oit vécir ne poire,/ En oultre aura les fièvres quartes ! » (Villon.) Quand il a peur, l’Aveugle ne maîtrise plus son sphincter : voir les vers 504, 734 et 792. 242 Dérangé. 243 Le meilleur moyen pour parvenir à piquer l’adversaire, c’est de le faire tomber en le bousculant. 244 Si je n’échoue pas dans mon intention. Cf. le Ribault marié, v. 134. 245 Une sonde. « Se playe avoit patente,/ Y fauldroit une tente. » Les Sotz fourréz de malice. 246 La voici. Fictus-Saudret donne un bâton court à l’Aveugle et en prend un long pour lui. 247 Libéré, détaché. 248 Le ms. BnF omet ce vers, qui est d’ailleurs litigieux : lui et le suivant reprennent les vers 157-8. 249 Par provocation, Saudret décoche à son adversaire le « hau ! » qu’il lui a défendu au v. 135. Il va récidiver à 762 250 Que vous vous défendiez. Chez l’Aveugle, la confusion des pronoms est à son comble ; comme on dit familièrement, c’est ni toi ni vous. 251 Et moi, je vous somme (dans la continuité du v. 744). 252 Un esprit mal tourné pourrait comprendre « maquerelles ». 253 Je ne te redoute pas. 254 Votre lance. « Saqueboutes, picquetz, estocz. » (ATILF.) Saudret, dont les mains sont libres, arrache à l’Aveugle son bâton. 255 Or. : je 256 Je n’ai plus de lance pour continuer le métier des armes. 257 Saudret agrippe les chevilles de l’Aveugle et le fait tomber à quatre pattes. 258 Aller à la selle. Idem v. 770. L’Aveugle est rattrapé par ses problèmes intestinaux (vers 733-6). 259 J’irai vous dire deux mots ! Avec son bâton, Saudret pique les fesses de l’Aveugle. 260 « Il le pique. » 261 De le faire. Le soi-disant témoin du duel ajoute une règle qui n’était pas prévue. Il est vrai qu’un « fictus testis » est un faux témoin. 262 Je fais appel, je m’y oppose. 263 « Fictus jette de l’eau, disant. » Fictus-Saudret vide un seau d’eau sur le postérieur de l’Aveugle, qui est à quatre pattes. Dans l’Aveugle et son Varlet tort, de François Briand, le valet fait mine de tondre son maître et lui verse de l’eau sur la tête : « L’eau me descend jusques au cul ! » Ledit valet abuse l’Aveugle en prenant une voix de femme : « Vous musez cy trop longuement./ Et ! par Dé, vous aurez de l’eau ! » Il se fera même passer pour Jésus, censé rendre la vue à son maître 264 Cette seillée, ce seau d’eau. 265 Bavarder. 266 Comme le plumage d’une tourterelle. Fictus-Saudret donne des coups de bâton sur les fesses de l’Aveugle, comme on frappe du linge mouillé pour l’essorer. 267 Et d’un ! Cf. Maistre Mymin qui va à la guerre, v. 137. 268 Or. : couscheray (Je vais me conchier. Voir le v. 504.) 269 Je le piquerai de ma lance. 270 De tout ce que je proférai contre toi. 271 Au v. 138, l’Aveugle voulait être honoré de ce titre. 272 Vers manquant. « Mais un estron pour te repaistre ! » (Le Bateleur.) Saudret fait semblant d’être lui aussi victime des coups donnés par Fictus. 273 Si besoin est. 274 L’injure que vous m’avez faite en me traitant de « vilain ». 275 Sans vous garder de mauvais ressentiment. Cf. la Fille esgarée, v. 149. 276 D’arrhes. « Il lui avoit baillé un escu de XVIII s[ous] d’erres. » (ATILF.) Cf. le Mince de quaire, vers 187, 226 et 228. 277 Pause : j’ai été longtemps ficelé. 278 Tromper. 279 Et s’enfuir en courant, « jouer de la botte », comme on dit dans Raoullet Ployart. Remarquons la cruauté de Saudret, qui feint de croire que le vieil Aveugle peut piquer un sprint dans le noir, alors qu’il court « bien pesantement » (vers 520). 280 Pour peu. 281 Je n’oserais. 282 Dans la manche du manteau que l’Aveugle a dû retirer au v. 654 : c’est pour cela qu’il ne peut pas donner l’argent lui-même. Faute de poches, on mettait la bourse dans sa braguette ou dans sa manche ; voir le vers 319 de Massons et charpentiers. Le drapel est un mouchoir noué dans lequel on enveloppe des pièces. « Un petit drappel noué ensemble, ouquel avoit environ LXXVI pièces d’or. » ATILF. 283 Pas un poil. 284 Qu’on ne puisse m’accuser de vol. 285 J’aimerais mieux. Même vers dans Raoullet Ployart. 286 Que d’avoir pris un centime de votre argent sans votre permission. Fictus-Saudret trouve le mouchoir dans la manche du manteau, et en prélève au moins 10 sous. 287 Qu’on n’en parle plus. « Et n’y ait plus dit ne songié. » ATILF. 288 Or. : ne (Que mon maître soit détaché.) Saudret libère l’Aveugle de ses liens. 289 Reconnaît sa faute. 290 De la viande rôtie. Une pâtisserie est une pâte fourrée de viande ou de poisson et cuite au four, comme le pâté de pigeon des vers 1241-2. 291 Gourmandise. 292 L’aveugle et Saudret sortent de la taverne, où le valet a bu et mangé pour deux, sans doute avec le concours intéressé du tavernier. Saudret aurait pu renoncer plus tôt à son alias, Fictus ; mais, étourdi par sa propre virtuosité, il veut s’en griser jusqu’au bout. D’autant que l’Aveugle a encore de l’argent à perdre. 293 Restauré. 294 Dieu. 295 Quant à moi. Idem v. 969. 296 En son nom. 297 Ses occupations. 298 En péril. 299 Mérité. Cf. la Chanson des dyables, vers 122. 300 Serviable. 301 Qu’on vous mette à l’amende. La taille est un impôt. 302 Or. : ne mais (Huimais = aujourd’hui. « Nous yrons huymais à une mienne maison. » La Curne.) 303 Or. : pour (L’en demain = le jour suivant. Idem v. 1018. « L’en demain, le mena le roy Phelippe à Paris. » Gestes au bon roy Phelippe.) 304 Que tu te verses à toi-même cet argent prélevé sur le produit de notre quête. 305 Saudret se prend pour Dieu. 306 Maintenant. 307 Sur le prochain produit. 308 Afin de montrer leur bonne foi dans une transaction verbale, les escrocs ajoutent une petite pièce « pour Dieu ». Ainsi, quand maître Pathelin arnaque le drapier : « Dieu sera/ Payé des premiers, c’est rayson :/ Vécy ung denier. » 309 Mon ami. Cette forme fossile représente un singulier : cf. la Confession Rifflart, v. 185. 310 Une chose feinte est une illusion. 311 D’habitant si modeste. 312 Le soi-disant Chose-feinte est censé partir. Saudret usera de sa voix naturelle jusqu’à la fin. 313 Un grand cortège de gens d’un rang élevé. Cf. le Maistre d’escolle, vers 82. 314 Sans nous cacher. 315 Le remanieur du texte copié dans le ms. BnF (voir ma notice) remplace par une didascalie cette chanson à boire qui n’en finit pas : Icy chantent tous deux quelque belle chançon. À titre indicatif, j’en ai sauvé quelques strophes. 316 A peuplé. 317 Or. : oura — saura (À celui qui sait dire. L’auteur de la chanson parle de lui-même.) 318 Celui : Dieu. 319 J’ai eu envie de chanter un peu la vie des buveurs. 320 Sinon du bien. « En bonne amour n’a se bien non. » Christine de Pizan. 321 Mort. 322 Et la vinée aiguise son esprit. Ou son « engin »… 323 Le vin blanc fait des guérisons. 324 Or. : vermeille (Le vin rouge.) 325 Dans l’oisiveté. 326 Tant qu’ils. 327 Triste figure et piteuse contenance. Bref, la gueule de bois ! 328 Délivrés, dessoûlés. 329 Comme pendant la soirée. 330 Son profit. Idem v. 1179. 331 Que tu distribues nos partitions. 332 Tombe (verbe choir). 333 Avant toute œuvre : avant toute chose. 334 Que je puisse les recouvrer, les récupérer. 335 De chaque rôlet, de chaque exemplaire. Idem v. 1058. 336 De celle-ci. 337 Le restant. 338 L’Aveugle a coutume de danser pendant qu’il chante et joue de la vielle. 339 Sur nos rognons, nos reins. Cf. le Gaudisseur, v. 192. 340 De l’argent. Ce mot d’argot se lit notamment dans le Mistère de la Passion, vers 177 et 186. 341 Bien servi en vin. 342 Révisons nos chansons. Les répétitions pouvaient donc se tenir dans une taverne. 343 Que nous nous y repaissions de nourriture et de vin. 344 Ni foie. N’as-tu pas faim et soif ? 345 Vu, devant une table bien garnie. Mais le sadisme de Saudret refait surface : l’Aveugle n’a rien « vu ». 346 Quelques jours plus tard, alors que le gueuleton à la taverne est depuis longtemps digéré. 347 Si tu as des victuailles. 348 Or. : grant — present 349 Que je puisse frapper avec mes dents. Sous-entendu : Dont je puisse frapper vos dents. 350 Ils nous donnent au moins de la nourriture à bon marché. 351 Scrupule. « Or ne faisons donques dangier/ Ne de boire ne de mengier. » ATILF. 352 Tu chois, tu tombes. 353 Guide-nous. 354 Habile. Idem v. 1203. 355 Il ne devrait y avoir. 356 Ni chaumière. Cf. les Rapporteurs, v. 312. 357 Déclamer un « cri » de mendiants, comme celui des vers 1125-32. 358 Votre talent. Ce mot s’applique aux artisans qui sont passés maîtres dans leur art. 359 L’ouvroir, l’officine. L’Apothicaire tient un rôle dans le Mystère. 360 S’il vous plaît. Idem vers 1281 et 1306. 361 Une petite maille, une piécette. Voir la note 9. 362 De la chair : de la viande. Idem v. 1248. 363 Ce qui déborde. « Pleuvoir à la verse : bien fort, comme qui verseroit de l’eau. » Oudin. 364 Il dépose une cruche et des restes de repas au coin de son étal, et y place deux chaises. 365 Asseyons-nous. Saudret met tous les bons morceaux dans sa bouche ou dans sa besace, et ne donne à l’Aveugle que des miettes. 366 Sur une planche à pain. 367 « On appelle pain mollet un petit pain dont la mie est légère & tendre. » Furetière. 368 Allons donc ! 369 Du pain bis, mal raffiné. 370 Cela te vaudra une récompense, s’il me reste du temps à vivre. 371 Le tailloir est une épaisse tranche de pain qui, sur les tables riches, tient lieu d’assiette. Après le repas, quand il est imbibé de sauce et de graisse, on le donne aux pauvres, si on n’a pas de chien. 372 Sans faire de difficultés. Cf. Frère Frappart, v. 48. 373 Un tronçon, un peu. 374 « Il boit. » 375 J’ajoute ces 2 vers pour les rimes, en recyclant les vers 1180 et 299. Saudret a fini le pot. 376 Chacun son tour. « Allons boire chacun sa foys. » Pierre Gringore. 377 « Le valet de taverne dit. » Dans le Mystère, ce serviteur et son patron tiennent la taverne du village d’Emmaüs. Les deux mendiants ne vont donc pas dans leur taverne habituelle. 378 Sachez-le. 379 Des gens qui ont dilapidé leur bien en se gouvernant mal. « Tu as prins l’estat de taverne,/ Où les enfans de Maugouverne/ Ont mengé tous leurs revenus. » Godefroy. 380 Or. : doulx 381 Habile, avec sa robe de toile, moins riche qu’une robe de laine ou de soie. 382 À l’auberge de la belle étoile. « Car bon vin il y a tousjours/ Au logis de la Belle Estoille. » Mystère des Trois Doms. 383 Bien que nous soyons. Mais on pourrait mettre « si » à la place de « que » : « Pourtant, si je suis mal vestu,/ Doy-je estre ravalé de vous ? » Vie de sainct Didier. 384 Des banquiers genevois étaient installés à Lyon. 385 Qu’on me tonde comme un fou. Voir la note 59. 386 Le touche, le frappe. 387 Devant tout le monde. 388 Dans le Mystère, l’aubergiste explique pourquoi les cavaliers sont plus rentables que les gens à pied : « Il fait grant mal/ À hostelliers de reffuser/ Gens à cheval pour s’amuser/ À loger chez eulx gens à pié,/ Où il n’a pas de la moitié/ Tant de prouffit comme en chevaulx. » 389 Sans hésitation. 390 Comme de braves gens. Idem vers 16 et 209. 391 Votre monnaie, sur laquelle est frappée une croix. Voir la note 3. Il s’agit bien sûr d’un anachronisme. 392 Sans perdre plus de temps. Idem v. 1274. 393 Rien à manger. 394 Aujourd’hui. 395 Le Mystère le qualifie de « saint », alors qu’il n’était encore qu’un disciple de Jésus parmi d’autres. 396 Or. : alastre (Trépassé. « S’il avient que aucuns desdiz évesques (…) soit translaté ou alé de vie à trespas. » Godefroy.) 397 De poulets. 398 Le onzain vaut 10 deniers. Cf. les Sotz triumphans, v. 35. 399 Cette farce fut créée à la cour de René d’Anjou en 1456. Au même endroit, l’année suivante, fut créée la Farce de Pathelin, qui s’inspire du présent marchandage : « –Tant m’en fault-il, se vous l’avez./ –Dea, c’est trop ! –Ha ! vous ne sçavez/ Comment le drap est enchéri. » Voir TRIBOULET : La Farce de Pathelin. GKC, 2011. 400 Pour ce prix. 401 Je paierais plutôt de ma poche. 402 De votre bourse en peau de chevreau. Double sens : « Tirer au chevrotin : To eat, or drink exceeding much. » Cotgrave. 403 Il donne 3 onzains au garçon. 404 Le valet de l’Aveugle nomme le valet de taverne son « cousin », pour le remettre à sa place. 405 Aujourd’hui. 406 Nous ne ferions pas citer à comparaître nos mauvais payeurs. 407 Revenu. Il pose tout sur la table et retourne en cuisine. 408 Or. : beu et 409 Nous mettre en voie, en route. 410 Pénurie. « L’abbaye de Saincte-Souffrète » (Lettre d’escorniflerie) est l’un de ces couvents joyeux dont les adeptes n’ont rien à manger. Dans les Repues franches, « les Gallans sans soucy » ont fait allégeance « à l’abbé de Saincte-Souffrette ». 411 Partager, distribuer. 412 Dieu vous le rendra. « Vous n’y perdrez seulement que l’attente. » Villon. 413 Très malins. Cf. les Sotz triumphans, v. 292. 414 Or. : Que (Si vous pouviez.) 415 Ne vous courroucez pas. 416 Avec nous (note 125), à cause de nous. 417 En un mot. Même vers dans les Drois de la Porte Bodés. 418 L’hôtelier sort de la cuisine en entendant du bruit. 419 Brièvement, bien vite. 420 Or. : me (Pourquoi ne les libères-tu pas de leurs gages ?) 421 Gueux, mendiants. Voir les « deux Coquins » du Pasté et la tarte. 422 Supportez votre pauvreté. 423 L’âme de Jésus, avant de se mettre à prêcher, a eu l’obligeance d’attendre que les resquilleurs aient fini leur dispute et leur chanson. Mais elle n’est pas allée jusqu’à rendre la vue à notre aveugle. Le Brigant et le Vilain, une farce incluse dans la Vie monseigneur saint Fiacre, se termine par une scène de taverne dont le dernier vers donne également la parole à Jésus.
L’AVEUGLE, SON VARLET ET UNE TRIPIÈRE
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L’AVEUGLE,
SON VARLET ET
UNE TRIPIÈRE
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Cette farce normande remonte à la seconde moitié du XVe siècle. À l’époque, d’innombrables faux infirmes exploitaient la générosité des braves gens ; de sorte que les vrais infirmes, s’ils voulaient obtenir une aumône, devaient faire preuve d’autant de roublardise que les simulateurs. Au XIIIe siècle déjà, les dons se faisaient rares ; on peut en juger par la plus ancienne de toutes les farces, Du Garçon et de l’Aveugle, qui met en scène un duo de mendiants constitué d’un aveugle et de son serviteur. Des couples du même acabit provoqueront l’hilarité dans l’Aveugle et son Varlet tort (de François Briand), l’Aveugle et Saudret, Ung biau miracle, l’Aveugle et le Boiteux (d’André de la Vigne), l’Aveugle et Picolin (de Claude Chevalet), ou encore l’Aveugle, sa Chambèrière et son Varlet 1.
D’un naturel peu charitable, les tripières furent elles aussi victimes des rieurs. Dans notre farce, tout comme dans celle de la Trippière (F 52), deux mendiants réclament de la nourriture à une marchande de tripes qui, faute de la leur avoir donnée, se la fera voler.
Source : Manuscrit La Vallière, nº 13. Le texte est dans un état pitoyable, et certains passages ressemblent à de la prose. Je renonce à égaliser les vers trop courts.
Structure : Rimes plates, avec quelques rimes croisées.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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Farce joyeuse
À .III. personnages, c’est asçavoir :
un AVEUGLE
et son VARLET [Goulpharin]
et une TRIPIÈRE [Phlipotes]
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LE VARLET 2 commence SCÈNE I
Sui-ge poinct ung gentil mygnon
Et un bon petit garçon,
Pour un Goulpharin3 ? Ne suys poinct ?
Par le corps bieu ! je seray oingt4,
5 Sy ne retourne vers mon maistre.
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L’AVEUGLE 5 SCÈNE II
Celuy Dieu qui tout a faict naistre
Garde de mal la compaignye !
Ma joye est bien abolye ;
Et sy, ne sçay plus que g’y face6.
10 Mes amys, regardez la face
Du7 bon homme qui ne voyt goute,
Et sy, ne sçayt où il se boute8 ;
Car mon varlet cy m’a lessé.
Je suys jà viel homme cassé,
15 Et assourdy des deulx horeilles.
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LE VARLET SCÈNE III
Maistre, vouécy vos bouteilles.
L’AVEUGLE
Qu’esse que j’os9 ?
LE VARLET
C’est vostre varlet Goulpharin.
L’AVEUGLE
Et d’où viens-tu ?
LE VARLET
Je viens du vin,
Du vin qui est cler et qui est fin10.
L’AVEUGLE
20 Tu me la bailles bien cornue11 !
LE VARLET
Et tout pour la gentille repue12,
Nous vous ferons bien vos raisons13.
L’AVEUGLE
J’ay veu de sy bonnes saisons14…
Dea ! et reviendra poinct nostre temps ?
LE VARLET
25 Ouy, ouy, après ces15 Rouvèsons.
Que nous serons trètous contens !
Et sy, aron argent et or.
Et seron armés (par16 sainct Mor !)
Du pié jusques à la sonnète17.
30 N’ayron besache ne pouquète18
Qui [ne] nous serve plus de rien19.
L’AVEUGLE
Dis-tu ? Et ! tant nous serons bien !
LE VARLET
Maistre, y nous fault aler assaillyr,
S’yl est possible, sans faillyr,
35 Quelque maison de plaine face20,
Et [y] faire un trèsbeau « prouface21 ».
[Que vous en semble :] di-ge bien ?
L’AVEUGLE
Ouy, vrayment. Mais tu sçays [com]bien,
Par ma foy, je [me] meurs de fain !
LE VARLET
40 Nous n’yrons plus guères loing.
[Allons prier quelque tripière
Qu’elle nous face bonne chière.]
L’AVEUGLE
Quoy ! et qu’e[n] pourions-nous avoir ?
LE VARLET
Nous ne povons que [le] sçavoir22.
L’AVEUGLE
45 Et sçays-tu bien là où elle vent23 ?
Dy, despesche-toy vitement !
LE VARLET
Ouy, ouy, je la voy bien, d’icy.
Mais il eschet24, en ce cas-cy,
Maistre, que vous [ne parlerez]25.
L’AVEUGLE
50 Par sainct Pierre, vous mentirez !
Aprochez près26 ; vous luy direz
Que je suys du tout assourdy27,
Et que je n’os grain ne demy28,
Ainsy que luy sérez29 bien dire.
LE VARLET
55 Je ne l’oseroys contredire.
Empongnez-moy par la saincture30,
Et nous yrons à l’avanture31.
Or çà ! Dieu nous veuile conduyre,
Et nous gardons bien de mal dire32 !
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60 Dame Phlip[ot]es33 : Nostre Dame SCÈNE IV
Vous veuile sauver et garder !
Nous vous prions de cœur et d’âme
Qu’i vous plaise icy regarder
[Vers] les povres menbres de Dieu34
65 Qui vous viennent vouèr35 en ce lieu.
Cestuy36 ne voyt, et sy, n’ot gouste.
LA TRIPIÈRE
Y m’est avys sans nule doubte
Que ce bon homme icy oyt37 bien.
LE VARLET
Par ma foy, [ma] dame, y n’ot rien.
LA TRIPIÈRE
70 Comme est son nom ?
LE VARLET
Et ! c’est Marault38.
LA TRIPIÈRE
Je le voys dont crier bien hault39 :
Hau ! [Hau !] Marault, veulx-tu du fée40 ?
L’AVEUGLE
J’estoys plus yvre que la née41
L’endemain de la Sainct-Martin42.
LA TRIPIÈRE
75 Vien çà ! Veulx-tu un boudin ?
Parle à moy : veulx-tu poinct menger ?
As-tu perdu43 ton apétys ?
L’AVEUGLE
J’ey cuydé bien [fort] arager44,
Quant je suys party du logis.
………………………….. 45
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LE VARLET SCÈNE V
80 Dea ! m’en iray-ge [en ce droict poinct]46 ?
Dame, ne m’escondisez47 poinct.
Dame, me donnerez-vous rien ?
LA TRIPIÈRE
Dea ! [Croys-tu qu’on donne son bien]48 ?
Sy tu en veulx avoir, y fault
85 Argent bailler [du premier sault49],
Et [qu’il y coure]50 un double ou deulx.
LE VARLET
Baillez-moy de ce que je veulx.
Et me faictes bonne doublée51 :
Ma besache sera gastée,
90 Se ne le metez au cornet.
LA TRIPIÈRE
Ce que je te baille [est moult]52 net :
[Yl est]53 du mileur de ma gate ;
Yl est fleury comme une mate54,
Et sy, [yl] est blanc55 comme un œuf.
LE VARLET
95 Baillez-moy de ce pié de beuf,
De la panchète, du gras bouel56 ;
Onq(ues), puys la veille de Nouël,
Je n’en mengis grain ne demy57.
LA TRIPIÈRE
Or, saquez58 argent, mon amy,
100 Car [vez-en là]59 pour vostre double.
LE VARLET
Cecy, et qu’esse ? [Du gras double60 ?]
LA TRIPIÈRE
C’est un boudin [tout] plain de gresse.
Sy tu [n’en veulx, je]61 les reverse.
Ne les viens poinct cy patrouiller62,
105 Et va[-t-en] alieurs marchander.
LE VARLET
Et ! baillez-m’ent plus largement,
Sy voulez avoir mon argent,
[Dame.]
LA TRIPIÈRE
Par sainct Jehan, non feray !
LE VARLET
Donques je les reverseray.63
LA TRIPIÈRE
110 Par la croix bieu, tu les pouéras64 !
LE VARLET
Par la mort bieu, [tu mentiras !
Tu ne vaulx rien, orde tripière]65 !
LA TRIPIÈRE
Je vaulx mieulx [que tu ne vaulx] toy,
Ne que [ne valust]66 onq ton père.
115 Me viens-tu faire tant d’esmoy ?
Par l’âme [du bon sainct André]67 !
Huy je te desvisageray68 !
LE VARLET
Au ! [par] ma dame69 saincte Agate !
Elle m’a baillé de sa pate70,
120 Et sy, m’a rompu le visage.
LA TRIPIÈRE
N’y reviens plus, se tu es sage !
Tyre tes chausses71, Poy-d’aquest !
LE VARLET
Adieu, la fille Loriquet72 !
LA TRIPIÈRE
À Dieu, le filz à sa Marguet73 !
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125 Cesser y nous fault le caquet,
Car nous ferions cy la sérye74.
Prenez en gré, la compaignye !
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FINIS
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1 Cette farce est également connue sous le titre de Goguelu (F 45). 2 Dans la rue, il boit du vin à la bouteille, tandis que son patron aveugle attend son retour un peu plus loin. 3 Ce surnom du valet désigne un amateur de bonne chère. « Bons compaignons, rustres et gourfarins. » A. de la Vigne. 4 Battu. 5 Il s’adresse au public. 6 Et même, je ne sais plus que faire. 7 LV : de ce (Ne voir goutte = ne rien y voir. « L’aumosne au povre diséteux/ Qui jamais, nul jour, ne vit goucte ! » L’Aveugle et le Boiteux.) 8 Ne sait pas où il va. 9 Que j’ois, que j’entends. L’aveugle est à moitié sourd, comme il l’a dit au vers 15. 10 Ce vers surnuméraire est probablement le refrain d’une chanson à boire. 11 Tu me la bailles belle. « Vous me la baillez bien cornue ! » L’Homme à mes pois. 12 LV : fue (?) Une repue est un festin. Cf. les Repues franches de maistre Françoys Villon. 13 Je vous ferai concurrence. 14 Des temps meilleurs. 15 LV : ses (Les Rovaisons, ou Rogations, précèdent l’Ascension. « Gardons-le pour les Rouvaisons. » Les Sotz nouveaulx farcéz.) 16 LV : de (Les deux clochards se voient déjà gentilshommes, lesquels avaient seuls le droit de sortir armés.) 17 Jusqu’à la tête, sur laquelle les Sots portent des grelots. « Attache-moy une sonnette/ Sur le front d’un moyne crotté (…) :/ Voylà un Sot de la Bazoche. » Clément Marot, Du coq-à-l’asne. 18 Nous n’aurons plus de besace ni de poche en tissu. C’est là-dedans que les mendiants mettent la nourriture qu’on leur donne : voir le vers 89. Le Valet a un fort accent normand. 19 Qui ne nous serve plus à quoi que ce soit. Rien [chose] avait une valeur positive. 20 À visage découvert, sans nous cacher. 21 Prou vous fasse : (Que cela) vous fasse profit. « PROUFACE est un salut qu’on fait au sortir de table aux conviéz, en souhaittant que ce qu’ils ont mangé leur profite. » Furetière. 22 Nous le saurons bientôt. 23 Les tripières ambulantes vendaient au marché des tripes chaudes que les clients consommaient sur place, dans une écuelle, une chope, ou un cornet de papier fort. Voir la Confession du Brigant, vers 157-160. 24 Il échoit, il convient. 25 LV : parles (Le valet craint que son patron ne soit pas assez fin pour berner une tripière. Il insiste au vers 59.) 26 Il parle à l’oreille du valet, pour ne pas être entendu par la tripière, dont le stand est tout proche (vers 47). 27 Totalement sourd. 28 Que je n’entends ni un mot, ni même la moitié d’un. 29 Saurez (normandisme). 30 Les aveugles se cramponnaient aux basques de leur guide. 31 « Or allons à nostre avanture ! » L’Aveugle, sa Chambèrière et son Varlet (F 45). 32 Gardons-nous de nous trahir. 33 Phélipotte est une des Femmes qui font baster leurs maris aux corneilles (F 29). Ce prénom est souvent abrégé en Phlipote, ou même en Flipote, comme en témoigne le premier vers du Tartuffe : « Allons, Flipote, allons ! Que d’eux je me délivre. » Le valet connaît donc déjà la tripière, puisqu’il sait son nom. 34 « Les povres gens, je le dis sciemment,/ Ce sont membres de Dieu. » L’Ardant miroir de grâce. 35 Voir (normandisme). 36 LV : lequel (Celui-ci n’y voit pas, et même, il n’oit goutte [il n’entend rien].) 37 LV : voyt 38 Un maraud est un maraudeur, un mendiant. Cf. les Maraux enchesnéz. 39 Je vais donc l’appeler très fort. 40 Du foie (normandisme). « Du faye et ung pié de mouton ! » La Trippière, F 52. 41 La naie : l’étoupe avec laquelle on colmate un tonneau de vin. « Quant ung tonneau bien on ne perce,/ Si bien ne l’estoupe-on de naye,/ Que le vin ne suinte. » ATILF. 42 Cette fête des vendanges, le 11 novembre, donnait lieu à des beuveries. « À la Saint-Martin, l’on boit le bon vin. » (Proverbe.) Le lendemain, l’étoupe qui bouchait le tonneau n’avait donc pas eu le temps de sécher. 43 LV : poinct 44 Devenir fou de rage. Ces coq-à-l’âne de Maraut annoncent déjà ceux de Marot (note 17). 45 Il manque ici un long passage, ce qui explique l’anormale brièveté de la pièce. Le faux sourd, habilement « cuisiné » par la tripière, finit par se trahir. Les deux mendiants repartent sans avoir rien obtenu. Ils se disputent, et le valet revient seul pour tenter d’émouvoir la commerçante. 46 LV : ainsy droict joinct (Dans un tel état.) Séparé de son acolyte, le valet parle maintenant à la 1ère personne du singulier. 47 LV : mescondisses (Ne m’éconduisez pas.) 48 LV : os tu on ne me les donne poinct (Ces 4 vers sont encore plus abîmés que les autres. J’ai tenté de mettre un peu d’ordre dans la métrique.) Les biens désignent la marchandise ; dans la Trippière (F 52), un mendiant implore qu’on lui donne des tripes : « En l’honneur de Nostre Seigneur,/ Dame, ung morceau de vos biens ! » 49 De prime-saut, d’emblée. Cf. le vers 65 des Sotz nouveaulx et le vers 148 de Jehan qui de tout se mesle. 50 LV : qui ly coure du tien (Courir = circuler ; se dit d’une monnaie qui a cours.) Un double vaut 2 deniers. 51 Doublure : doublez l’épaisseur de papier du cornet, pour ne pas salir ma besace. Voir la note 23. 52 LV : nest pas trop (Est parfaitement sain.) 53 LV : cest (Voir le vers suivant.) Cela vient du meilleur de ma jatte (normandisme). « C’est une jatte à tripière : il y a des andouilles, des rognons, des trippes. » Bruscambille. 54 Comme la croûte du lait caillé. 55 Les tripes doivent être bien blanches, c’est un signe de fraîcheur. « La blanche trippe, et grasse. » La Trippière, F 52. 56 De la pansette [de la ventrèche], du boyau. Ces deux graphies sont normandes. 57 Je n’en mangeai si peu que ce soit. 58 Tirez de votre bourse (normandisme). « Nul ne paie voulentiers, ne sacque argent hors de sa bourse. » Froissart. 59 LV : vesen la (Voyez-en là : en voilà pour la valeur de votre double denier.) 60 « Gras double : espèce de trippe que vendent les trippières ; c’est le second des quatre ventricules du bœuf, ou des autres animaux qui ruminent. » Furetière. 61 LV : ne les veulx sy (Je les remets dans mon baquet.) 62 Tripoter. « Ne les patrouillez poinct ainsy ! » Le Marchant de pommes. 63 Il fait mine de remettre les tripes dans le baquet avec ses mains douteuses. La tripière l’en empêche. 64 Tu les paieras (normandisme). Les tripes étant souillées, elles deviennent invendables, et le valet peut les garder. Les écoliers des Repues franches emploient la même ruse pour se procurer des tripes gratuitement : « Françoys (…)/ Les voulut tout incontinent/ Remettre dedans le baquet./ El ne les voulut pas reprendre. » 65 LV : tripiere tu mentiras (Le passage 111-116 est corrompu.) La saleté des tripières, qu’on ramène toujours aux excréments contenus dans les intestins, est passée en proverbe. « Ou une orde tripière aussi,/ En vendant du foye ou du (gras) double/ Pour ung denier ou pour ung double,/ Du boyau cullier ou du mol [du mou],/ Jurera saint Pierre ou saint Pol. » (Éloy d’Amerval.) Dans la Trippière (F 52), l’injure « orde trippière » apparaît deux fois. 66 LV : fist 67 LV : de ton grand pere (St André est toujours qualifié de bon : « Ô bon sainct André, que vous aviez bien raison de ne vouloir point quitter la Croix ! » Jacques d’Arbouze.) On reprochait aux tripières de jurer sur les saints : voir le vers 108 et la note 65. 68 Je vais te défigurer. 69 LV : deme (On appelait les saintes madame. « Il fist faire ung monastère en l’honneur de madame saincte Agathe. » Jehan Platine.) 70 Elle m’a donné un coup de patte, une gifle. 71 LV : chauses (Va-t’en !) Peu d’acquêt = rien à gagner. C’est notamment le nom d’un gueux dans la farce des Coquins (F 53), et le nom d’un pauvre dans Marchandise et Mestier (BM 59). 72 Un loricard est un fanfaron : cf. le Résolu, vers 88. Loriquet et sa fille furent sans doute des personnages de farce. Leur nom était prédestiné au théâtre : de 1840 à 1882, plusieurs comédies mettront en scène un mari faible nommé Loriquet. Sa fille paraîtra dans les Noces de mademoiselle Loriquet, de Grenet-Dancourt. 73 LV : mere (qui ne rime pas. Marguet est une épouse échangiste dans le Savatier et Marguet.) Une Marguet, ou une Margot, est une prostituée ; son fils est donc un fils de pute : « Le filz à la grosse Margot ! » Trote-menu et Mirre-loret. 74 Nous y passerions la soirée (normandisme).