LE GOUTEUX

British Library

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LE  GOUTEUX

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On pense que maître Mimin et Richard le Pelé, nommés uniquement dans la liste des personnages de cette farce rouennaise, sont les acteurs qui l’ont créée1. Les comédiens s’appropriaient parfois le nom du personnage qui était à l’origine de leur renommée ; par exemple, Pierre le Carpentier se rebaptisa « le Pardonneur » après avoir joué ce rôle dans la farce éponyme, et Pierre Gringore signait couramment « Mère Sotte2 », profitant du succès populaire de ce personnage dont il endossait le travesti. Nous ne savons rien de Richard le Pelé, mais il nous reste deux farces3 — elles aussi normandes — à la gloire de maître Mimin : Maistre Mymin qui va à la guerre, et Maistre Mimin estudiant. La présente pièce étant dépourvue de titre et ne comportant aucun maître Mimin, je l’intitule donc le Goutteux, en conformité avec les rubriques.

Sur l’usage que les farceurs faisaient des dialogues de sourds, voir le Sourd, son Varlet et l’Yverongne, le Marchant de pommes et les Miraculés.

Un valet croit soulager la crise de goutte de son maître en lui racontant les aventures de Gargantua. Il s’agit d’un des volets — d’ailleurs inconnu — des Chroniques gargantuines4, qui parurent sans doute à partir de 1526, et dont Rabelais s’inspira. Notons que dans son prologue de Pantagruel, le docteur Rabelais prescrit le même remède : « Mais que diray-je des pauvres véroléz et goutteux ? Toute leur consolation n’estoit que de ouÿr lire quelque page dudict livre [les Grandes et inestimables chronicques de l’énorme géant Gargantua]. Et en avons veu qui se donnoyent à cent pipes de vieulx diables en cas que ilz n’eussent senty allégement manifeste à la lecture dudict livre. »

Source : Recueil du British Museum, nº 35. Publié à Lyon, en la maison de feu Barnabé Chaussard, entre 1532 et 1550.

Structure : Rimes plates, avec 2 triolets. La versification est extrêmement soignée, malgré un grand nombre d’hiatus qu’on aurait pu combler sans difficulté.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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Farce nouvelle trèsbonne

et fort joyeuse

À troys personnaiges, c’est assavoir :

       [ LE  GOUTEUX,  Philipot 5

       SON  VARLET  SOURD,  Pinsonnet ]

       et  LE  CHAUSSETIER

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                        Cy commence  LE  GOUTEUX 6            SCÈNE  I

        Hé ! Dieu, hélas ! Mauldicte goutte,

        Qui7 tant mon povre cueur desgouste !

        Fault-il que par toy cy je meure ?

        Mon varlet, hau ! Vien çà ! Escouste :

5      Va moy quérir — quoy qu’il me couste —

        Ung médecin, et sans demeure8 !

                        LE  VARLET  SOURD

        Monsieur, quant la grappe fut meûre9,

        Incontinent l’on vendengea.

        Gargantua beut, et mengea

10    À son desjeuner seullement

        Douze-vingt miches de fourment10,

        Ung beuf, deux moutons et ung veau.

        Et si, a mis du vin nouveau,

        À deux petis traictz, dans sa trippe11 :

15    Deux poinçons avec une pipe12,

        En attendant qu’on deust disner13.

                        LE  GOUTEUX

        J’ay bien cause de m(e) indigner

        Contre toy, sourd de Dieu mauldit14 !

        Entens-tu point que15 je t’ay dit ?

20    Va moy chercher ung médecin,

        Ou me viens chauffer ung bacin16.

        Tant tu me faictz crier et braire !

                        LE  VARLET

        Mon serment ! j’en croy le libraire :

        Il m’a cousté six karolus17.

                        LE  GOUTEUX

25    Sourdault18, va quérir ung bolus

        Et ung cyrot bien délyé19 !

                        LE  VARLET

        J’en eusse prins ung relyé,

        Mais il eust cousté davantaige.

                        LE  GOUTEUX

        Faictz-moy faire quelque potaige20

30    Au médecin ! Entens-tu bien,

        Mon varlet sourd ? Va et revien !

        Auras-tu point l’esp(e)rit ouvert ?

                        LE  VARLET

        Vous voulez donc qu’il soit couvert

        De cuyr ou de fort parchemin ?

                        LE  GOUTEUX

35    Hélas ! je suis bien prins sans vert.

        Mourray-je icy, en [c]e termin21,

        Par ce meschant varlet sourdault ?

                        LE  VARLET

        Le libraire n’est point lourdault :

        Couvert sera mignonnement.

40    Tenez-vous tousjours chauldement,

        Car j’entens trèsbien vostre affaire.

        Et du livre laissez-moy faire :

        Vous en aurez du passetemps.

                        Vadit.22

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                        LE  GOUTEUX                                        SCÈNE  II

        De mourir icy je m’atens,

45    Car je n’ay plus sang ne couleur.

        Tu m’agraves bien ma douleur !

        Oncques pauvre paralitique23

        Ne fut tant que je suis éthique24.

        À crier je me romps la teste.

50    Hélas ! ung homme est bien beste

        Qui prent servant à sourde oreille ;

        C’est une teste nompareille,

        Et qui n’entend « ne my, ne gourd25 ».

        Que mauldit de Dieu soit le sourd,

55    Et qui oncques le m(e) adressa !

        Jamais que mal ne me brassa26.

        Il cognoist bien que suis malade,

        Et que nuyt et jour ne repose :

        Il me vient lyre une Balade !

60    Propos ne tient d’aulcune chose27.

        Ha, Nostre Dame de Briose28 !

        Je suis de luy mal rencontré29.

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                        LE  VARLET 30                                       SCÈNE  III

        Or çà ! il est tout acoustré,

        Vostre livre, [et] est bien empoint.

                        LE  GOUTEUX

65    Voyre bien, amaines-tu point

        De médecin pour mon affaire ?

                        LE  VARLET

        Il y a tousjours à reffaire !

        Comment ! est-il cousu trop large ?

        Vrayment, il est de bonne marge

70    Et [est] de belle impressïon.

                        LE  GOUTEUX

        Tant tu me faictz d’oppression !

        M’as-tu faict chauffer ung bassin ?

        Ouÿ dea31 ! Et de médecin ?

        (Autant entent l’ung32 comme l’autre.)

75    Si j’estois sain, t(u) yrois au peaultre33 !

        Sçaurois-tu barbier34 attrapper ?

        (Autant gaignerois à frapper

        Ma teste contre la muraille.)

                        LE  VARLET

        Il m’a cousté sept solz et maille35,

80    Car j’ay baillé demy trézain36,

        Deux solz tournois37 puis ung unzain :

        Autant le convint achapter38.

        Attendez, je m’en vois getter39 ;

        Ung, et deux, et trois : ce sont quatre.

85    Et puis il nous [en] fault rabatre40

        Justement toute la moytié.

        C’est le compte. Sans l’amytié41,

        Je ne l’eusse eu pour le pris.

                        LE  GOUTEUX

        C’est bien à propos entrepris42 !

90    Dieu me doint avoir patience !

                        LE  VARLET

        Il a du livre en la science43,

        À qui bien la sçauroit gouster.

        Or pensez, Maistre, d’écouster44,

        Et vous voirrez icy comment

95    Gargantua faict argument45,

        Lequel estoit bona46 quercus :

        Ung béd[o]uault47 a quinze culz ;

        Or, si par48 ung apoticaire

        Luy estoit baillé ung clistoire,

100  Queritur comment49, et par où ?

        Par quel50 pertuys ou [par] quel trou ?

        Que diriez-vous, sur ce passaige51 ?

                        LE  GOUTEUX

        Tu monstres que tu n’es pas saige.

        Ton livre et toy n’est que follie.

105  Il est plus que fol, qui follye52

        Avec toy. Pour bien conquérir53,

        Fuis-toy d’icy et va quérir

        Ung médecin ! Entens-tu bien ?

                        LE  VARLET

        (Qu’esse qu’il dict ? Qui en sçait rien ?

110  Par Dé54 ! à ce que je puis cognoistre,

        Je croy bien que ce soit le prestre

        Qu’il demande. À vostre advis ?)

        Ha ! j’entens tout vostre devis :

        Demandez-vous pas le curé ?

                        LE  GOUTEUX

115  Hée, Dieu, que je suis escuré55 !

        Nenny non : c’est l’apoticaire.

                        LE  VARLET

        Or bien : le curé ou vicaire,

        Ce vous est ung, ou56 chappelain.

        Vous estes en maulvais pelin57 :

120  Pensez de vostre conscience58.

                        LE  GOUTEUX

        Tu me fais perdre patience

        Par tes responces et lardons59.

                        LE  VARLET

        Ouÿ dea, il y eust60 pardons,

        Se estiez confèz à61 celuy

125  Lequel a chanté aujourd’huy,

        À Rouen62, sa première messe.

        Je le voys quérir, et promesse

        Vous fais qu’il viendra, si le treuve.

                        LE  GOUTEUX

        Voys-en cy une toute neufve63 !

130  Va-t’en, que bon gré en ayt bieu64 !

                        LE  VARLET

        (Trouver me fault en quelque lieu

        Ung chappellain soubdainement.)

        Si faictes quelque testament,

        N’oubliez pas ce qu’il m’est deû65.

                        LE  GOUTEUX

135  Si maistre Jehan Babault66 m’eust veu,

        Il me pourroit tout sain guarir ;

        Et de ma jambe oster le feu.

        Je te supplie, va le quérir !67

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        Hé ! Dieu me vueille secourir.                                   SCÈNE  IV

140  Je croy qu’il m’a bien entendu.

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                        LE  VARLET                                           SCÈNE  V

        Parmy le col68 je soys pendu

        Se je sçay par69 où ce peult estre

        Que je rencontreray ung prebstre,

        Lequel mon maistre ainsi demande.

145  Faire convient ce qu’il commande.

        J’en70 voys chercher tout à ceste heure.

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                        LE  CHAUSSETIER 71                          SCÈNE  VI

        Se ce drap icy me demeure,

        J’en feray des chausses pour moy.

        Plus ne vient marchant72, à ceste heure.

150  Si73 ce drap icy me demeure,

        Je prie Dieu qu’il me sequeure74 !

        Je l’acheptay à la Guibray75.

        Si ce drap icy me demeure,

        J’en feray des chausses pour moy.

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                        LE  VARLET                                           SCÈNE  VII

155  Hau, le chaussetier ! Dictes-moy

        Si m’enseignerez le vicaire

        Où demeure le presbitaire76

        (Que dis-je ?)  Où c’est que peult estre

        Ung bon chapellain pour mon maistre,

160  Qu’il luy pleust77 donner réconfort ?

                        LE  CHAUSSETIER

        Voylà bon drap : ung morquin78 fort,

        De la tainture de Paris.

                        LE  VARLET

        (Il dit vray, il n’y a pas ris79 :

        Sa robe [en] est de la couleur80.)

                        LE  CHAUSSETIER

165  J’en ay encores de meilleur

        Qui n’est point gros, ne trop pressé81.

                        LE  VARLET

        Il demande estre confessé

        Et ne peult venir à l’église.

                        LE  CHAUSSETIER

        Regardez quelle marchandise :

170  C’est ung fin drap comme satin.

                        LE  VARLET

        Dea ! s’il n’eust chanté si matin82,

        Je luy eusse faict avoir messe83.

                        LE  CHAUSSETIER

        Vous estes homme de promesse84,

        Mais je seray payé content85.

                        LE  VARLET

175  Sa douleur le va surmontant ;

        Empiré luy est aujourd’huy.

        Il fault que quelc’ung vienne à luy,

        Puisqu’il veult estre confessé.

                        LE  CHAUSSETIER

        Dictes-vous qu’il est trop pressé ?

180  Voyez qu’il a la lèse grande86.

                        LE  VARLET

        C’est ung prestre que je demande.

                        LE  CHAUSSETIER

        Je le vous dis, je le vous mande :

        Quarante solz, tout à ung mot87.

                        LE  VARLET

        Par Dé ! de ce, suis bien marmot88 :

185  Il n’entend pas ce que je dy.

                        LE  CHAUSSETIER

        Quant vous les aurez ? Samedy.

        Mais vous pay(e)rez ou pinte ou pot89.

                        LE  VARLET

        Qui c’est ? Mon maistre Philipot,

        [Qui ne vivra deux jours entiers.]90

                        LE  CHAUSSETIER

190  Il vous en fauldroit trois quartiers91 ;

        Aultrement, vous tiendroyent trop gourd92.

                        LE  VARLET

        (Mon serment ! je croy qu’il est sourd

        Comme moy.)  Adieu, teste dure !

                        LE  CHAUSSETIER

        Prendre fault, premier93, la mesure :

195  Qu’à besongner nous esbaton94 !

                        LE  VARLET

        Comment ! tendez-vous ung baston

        Sur moy pour demander95 ung prebstre ?

        Je m’en vois le dire à mon maistre !

        Cela debvez faire à ung paige96.

                        LE  CHAUSSETIER

200  Ce n’est donc pas pour vostre usaige ?

        Allons donc sa mesure prendre.97

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                        LE  GOUTEUX                                       SCÈNE  VIII

        Hélas ! j’ay beau icy attendre

        Pinsonnet98 ou l’apoticaire.

        Mon varlet ne me peult entendre.

205  Hélas ! j’ay beau icy attendre.

        Que la foyre99 le puisse prendre

        Tout royde de mort s’il met100 plus guère !

        Hélas ! j’ay beau icy attendre

        Pinsonnet ou l’apoticaire.

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                        LE  VARLET 101                                    SCÈNE  IX

210  En luy demandant ung vicaire

        Qui vînt mon maistre confesser,

        Voyez comme(nt) il me veult fesser !

        Je m’en plaindray à la Justice.

                        LE  CHAUSSETIER

        Si la chausse n’est bien faict[ic]e102,

215  J’en attend[e]ray103 le repro[u]che.

        Marche[z] devant !

                        LE  VARLET

                                         Dea, ne me touche !

        (Voicy ung sourd hors de raison.)

                        LE  CHAUSSETIER

        Bevrons-nous point, à la maison ?

        Ouÿ, puisque c’est pour le maistre.

                        LE  VARLET

220  Cité serez à comparoistre,

        À ma requeste, en jugement !

        Demain auray (par mon serment)

        Trefves104 de vous et asseurance !

                        LE  CHAUSSETIER

        Monstrez-moy tost la demeurance105,

225  Car j’ay haste de besongner.

                        LE  VARLET

        Ha ! je vous feray empoigner,

        Car vous me suyvez de trop court106.

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        Mon maistre, hau ! Voicy ung sourt                           SCÈNE  X

        Qui me veult battre et faire ennuy.

230  Et n’ay onc sceu107 sçavoir de luy

        Où est l’homme que demandez.

                        LE  GOUTEUX

        Au diable soyez commandéz108,

        Tant vous me faictes de laydure109 !

                        LE  CHAUSSETIER

        Prendre fauldroit vostre mesure ;

235  Çà, la jambe ! Bon soir, mon Maistre !

                        LE  GOUTEUX

        Tu me faictz bien besler et paistre110 !

        [Ha !] que mauldit soit le coquin !

                        LE  CHAUSSETIER 111

        Voicy la pièce de morquin

        De quoy bien je le[s] vous feray.

240  Mais, Monsïeur, je vous diray :

        Vostre varlet ne m’entent pas.

                        LE  GOUTEUX

        (Bien voy que suis à mon trespas.)

        Ce n’est pas ce que je demande !

                        LE  CHAUSSETIER

        Une chausse doibt estre grande,

245  Pour y entrer plus à son ayse112.

        Çà, la jambe ! Ne vous desplayse :

        Elles seront prestes matin113.

                        LE  GOUTEUX

        À l’ayde !! Larron !! Chien mastin !!

        Tu m’as bien achevé de paindre114.

                        LE  CHAUSSETIER

250  Le drap, Monsieur115 ? Je l’ay faict taindre

        [En beau pourprin]116, sans faulte nulle.

                        LE  GOUTEUX

        Hélas ! j’avoy icy la mulle117,

        Que ce larron m’a faict seigner.

                        LE  VARLET

        Il ne m’a voulu enseigner

255  La maison, aussi le vicaire

        Où demeure le presbitaire118

        Que vous [me] demandez ainsi.

                        LE  CHAUSSETIER

        Dea ! je fourniray bien aussi

        De doubleure, cela s’entend.

                        LE  VARLET

260  Ma foy, mon Maistre : il prétend

        Tirer de vous je ne sçay quoy.

        Voyre, et ce congnoist autant

        En médecine comme moy.

                        LE  GOUTEUX

        Que j’ay soulcy et grant esmoy

265  Par ces deux sourdaulx119 inscïens !

        Allez-vous-en hors de cëans,

        Que jamais je ne vous revoye !

                        LE  CHAUSSETIER

        Je borderay ung peu la braye

        Et la découperay [dès jà]120.

                        LE  VARLET

270  Par ma foy ! vous n’en bevrez jà,

        Puisque vous m’avez voulu battre.

                        LE  GOUTEUX

        La malle mort vous puisse abatre

        Sans que puissez avoir secours !

        Il n’est point de plus maulvais sours

275  Que ceulx qui ne veullent ouÿr121.

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        Messeigneurs : pour vous resjouyr,

        Oyons tous [que] la comédye

        Supplyé122 a la maladie.

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                                        FINIS

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1 Voir notamment Bernard FAIVRE : Répertoire des farces françaises, 1993, note de la p. 242.   2 Voir son Jeu du Prince des Sotz et Mère Sotte.   3 Nous avons perdu le Testament maistre Mymin, que mentionne le Vendeur de livres : c’était peut-être une œuvre dramatique, comme le Testament Pathelin.   4 Voir Abel LEFRANC : Œuvres de François Rabelais, t. 1, 1913, pp. XXXII-XXXV. La Mère de ville, une autre farce normande, contemporaine de la nôtre, évoque les aventures de Gargantua aux enfers, qui appartenaient sans doute au même livre perdu. Voir André TISSIER : Recueil de farces, t. 5, 1989, p. 68.   5 C’est le nom que lui attribue le vers 188. Le nom du valet se lit au vers 203. À des fins publicitaires, l’éditeur introduit dans ces deux lignes les noms des comédiens, qui ne figurent nulle part dans le texte : Maistre Mimin le gouteux. / Son varlet Richard lepele sourd.   6 « Celui-ci est assis dans une sorte de fauteuil, une couverture lui couvrant les jambes (voir v. 40). » <A. Tissier, p. 79.> Son valet sourd lui résume un exemplaire broché des Chroniques gargantuines.   7 BM : Que  (Qui ôtes à mon cœur le goût de vivre.)   8 Sans tarder.   9 Mûre. Les Chroniques gargantuines font une large place au vin.   10 240 pains de froment.   11 Et aussi, en deux petites gorgées, il a mis du vin nouveau dans son intestin. Du côté de Caen, les chansons à boire cuisinent le mot tripe [intestin] à toutes les sauces : « Ceux qui breuvage d’eau/ Ne mettent dans leur trippe. » (Vaux de Vire.) « De sidre et de bon vin ils se lavaient la trippe. » (Muse normande.)   12 Deux tonneaux et une barrique.   13 Qu’il soit l’heure de dîner. Cette tirade rappelle les vers 139-145 des Vigilles Triboullet.   14 Les infirmités sont vues comme une malédiction divine.   15 Ce que.   16 Une bassinoire de cuivre dans laquelle on dépose des braises et dont on se sert pour « bassiner » le lit ou, en l’occurrence, pour se chauffer les pieds. Idem vers 72. La chaleur était le seul traitement contre la goutte : « Il n’a garde de sentir goute :/ Il est fourré bien chauldement. » (Le Mince de quaire.) Voir le vers 40.   17 60 deniers. Les valets de farces profitent du handicap de leur maître pour l’escroquer : voir par exemple l’Aveugle et Saudret.   18 Sourdingue. Idem vers 37 et 265. Cf. le Sourd, son Varlet et l’Yverongne, vers 87. Le bolus est l’ancêtre de la gélule : « Un homme de quarante ans contracta une chaude-pisse par un atouchement impur. Je lui ordonay au commencement un bolus d’une once de casse avec une dragme de rhubarbe pulvérisée, & autant de cristal de tartre. » François de Boze.   19 Un sirop bien fin.   20 Un bouillon curatif. « En après, donnoit un potaige d’alica [de semoule]. Ces trois remèdes souffisent (…) pour la cure des maladies aguës. » Jehan Canappe.   21 En cet instant. « Véchi grant larrechin/ Que par che chevalier m’avient, en ce termin. » Bauduin de Sebourc.   22 Il s’en va (chez le relieur).   23 Certaines paralysies passaient pour une forme de goutte. L’Aveugle et le Boiteux nous montre un paralytique « qui bouger ne peult pour [à cause de] la goucte ».   24 Ne fut étique [maigre] autant que je le suis.   25 Ni nuit, ni jour. Le goutteux imite la manière dont son valet déforme ses propos.   26 Il ne me mijota jamais que du mal.   27 Il n’a aucune suite dans les idées.   28 De Briouze, en Normandie.   29 Malencontré : mal loti.   30 Il revient de chez le relieur.   31 Cause toujours ! « Me parlez-vous de marier ?/ Ouy dea ! » Le Povre Jouhan.   32 BM : lune  (Je mets entre parenthèses tous les apartés qui s’adressent au public.)   33 Au diable. Cf. Beaucop-veoir, vers 222.   34 Les barbiers pratiquent certains actes médicaux simples.   35 7 sous et 1 centime. Le valet gonfle la facture ; à titre de comparaison, dans l’Homme à mes pois, 13 kg de pois coûtent 7 sous et 1 denier.   36 Le treizain est difficilement divisible par 2. L’embrouillamini monétaire auquel se livre le valet n’a d’autre but que de dissimuler ses prévarications. « Dix-sept solz et un onzain, et vingt-et-cinq solz moings un trézain, combien vallent-ils ? » Bonaventure Des Périers.   37 BM : et trois  (2 sous du monnayage de Tours. « Un cent de souz tournoix. » Le Poulier à sis personnages.)  Le onzain vaut 10 deniers : notre mal-entendant improvise des chiffres qui dépassent… l’entendement.   38 Il a fallu que je l’achète à ce prix-là.   39 Je vais calculer avec des jetons. « Compter et gecter soubz maistre Jehan Blondel, singulier arisméticien. » (ATILF.) Mais on se demande si le valet ne fait pas rouler trois dés par terre : « Ung homme a getté troys déz. » (ATILF.)   40 Soustraire. « Vous comptez sans rabatre. » Farce de Pathelin.   41 BM : lamoytie  (Si je n’avais pas été un ami du relieur, je ne l’aurais jamais eu à un si bon prix.)   42 BM : ilz sont prins  (Voilà qui est fait au bon moment ! « Sur ma foy, c’est bien à propos ! » Jénin filz de rien.)   43 Le valet, qui a tendance à inverser les propositions (v. la note 76), a voulu dire : Il y a de la science dans ce livre. Le prologue de Gargantua parlera de « substantificque mouelle ».   44 BM : degouster  (D’écouter ma lecture. François Ier se faisait lire Rabelais à haute voix.)   45 Les arguments sont les sophismes qu’égrènent les professeurs de logique : cf. les Femmes qui aprennent à parler latin, vers 354-7. Ce passage égratigne l’enseignement sclérosé que dispensait la faculté de théologie de la Sorbonne. Voir Emmanuel PHILIPOT : Revue des Études Rabelaisiennes, t. 9, 1911, pp. 378-9.   46 BM : bonum  (Son argument était solide comme un bon chêne. Quercus est féminin.)  Pietro Bembo créa ce calembour étymologique dans son éloge du pape Jules II, qui s’appelait della Rovere [du chêne] : « Bona quercus honores. » Cette lourde flatterie était connue en France : Du Bellay en enduira l’évêque Jérôme de la Rovère en 1559. Emmanuel Philipot <pp. 382-3> ignorait ces éléments, mais il a pu établir que le « Chêne » dont se moque notre farce est Guillaume Du Chesne, un très rétrograde docteur en Sorbonne que la Farce des Théologastres surnomme « la maxima Quercus » [la grandissime Du Chesne].   47 Un blaireau. « Ces manteaulx de loup et de bédouault. » (Rabelais, Quart Livre, 24.) Un blaireau doté de 15 anus et un donneur de clystères figuraient donc dans cet épisode des Chroniques gargantuines ; on regrette vivement qu’il soit perdu ! Philipot <pp. 382-4> identifie ce bédouault à Noël Béda, syndic de la Sorbonne. Il nous dit que le calviniste Théodore de Bèze, « parlant des deux docteurs Quercus et Béda, les appelle ‟deux grosses bestes qui estoient lors les chefs de cette faculté”. » Bref, la Sorbonne est ici représentée par une tête de bois et un blaireau !   48 BM : pour  (Les apothicaires fabriquent et administrent les clystères.)  Les corrections des vers 98-101 reviennent à E. Philipot, p. 379, note 2.   49 BM : conuient  (Il est demandé comment. Cette question imite le charabia franco-latin de la scolastique sorbonicole, qui n’est guère plus ridicule que le charabia inclusif de la Sorbonne actuelle. « Quæritur comment il y peut remédier. » Charles Loyseau.)   50 BM : quelque  (Pertuis = anus. « Au derrière estoit encores un aultre pertuys. » Pantagruel, 15.)   51 Sur ce point. « Qu’en dictes-vous, sur ce passage ? » (La Confession Margot.) Nous avons là l’archétype des rimes équivoquées : « Tu voids bien que tu n’es pas saige/ D’estre tout nu en ce passaige. » Moralité du Lymon et de la Terre, T 19.   52 Celui qui fait le fou. « Fol qui follie, il n’est follet. » Le Prince et les deux Sotz.   53 Pour acquérir des biens : pour que je t’accorde une prime.   54 Par Dieu. Même euphémisme au vers 184. Cet aparté s’adresse au public.   55 Lessivé, fatigué.   56 BM : quel  (Pour vous, c’est tout un, ou bien un chapelain. Il est question de ce chapelain aux vers 132 et 159.)   57 Le pelain est un bain de chaux vive destiné à faire tomber les poils qui restent sur le cuir. Au figuré : Vous êtes dans une situation délicate. « Brichemers est en mal pelain. » Godefroy.   58 C’est ce qu’on dit aux mourants : « Si près estes de vostre fin,/ Pensez de vostre conscience. » Le Testament Pathelin.   59 Et tes sarcasmes. Cf. la Pippée, vers 46, 481 et 770.   60 BM : a  (Vous gagneriez des pardons, des indulgences.)   61 Si vous étiez confessé par.   62 BM : romme  (En contradiction avec les 2 vers qui suivent. Notre éditeur lyonnais remplace trop souvent les toponymes normands par d’autres plus neutres.)  Un jeune curé qui célèbre sa première messe accorde une indulgence plénière aux fidèles, afin de les attirer. « [Il] chante au jourd’huy sa première messe, à l’assistence de laquelle y a une infinité de grands pardons. » Antoine de Saint-Denis.   63 En voilà une bien bonne !   64 Euphémisme pour « Dieu ».   65 Ce qui m’est dû. Il est d’usage qu’un mourant fasse un petit legs aux serviteurs, afin d’obtenir leurs prières et non leur malédiction.   66 C’est apparemment le nom du médecin. Non loin de là, en Picardie, un babau désigne un nigaud.   67 Le valet se précipite dans la rue.   68 Que par le cou. C’est le vers 366 de Pathelin, auquel notre auteur emprunte beaucoup.   69 BM : pas  (Le valet ignore le chemin qui mène au presbytère. Nous sommes donc à une heure tardive où l’église est fermée : voir le vers 149.)   70 BM : Je y  (Je vais en chercher un. « J’en voys chercher. » L’Arbalestre.)   71 Le fabricant de chausses guette les clients à la devanture de son atelier. Il est aussi sourd que le valet. Contrairement aux couturiers, et surtout aux savetiers, les chaussetiers n’ont pas fait carrière au théâtre ; on ne peut citer que celui des Deux jeunes femmes qui coifèrent leurs maris.   72 De marchandeurs, de clients. Cf. Cautelleux, Barat et le Villain, vers 252.   73 BM : Car  (Refrains corrects aux vers 147 et 153.)   74 Qu’il me secoure : que Dieu me pardonne !   75 Importante foire près de Rouen ; les artisans y achètent leurs fournitures au prix de gros. Guibray rime avec may, à la manière normande.   76 Le valet inverse encore les propositions (note 43) ; il veut dire : Indiquez-moi le presbytère où demeure le vicaire. Il commet le même cafouillage aux vers 255-6.   77 Qui veuille bien lui.   78 Le molequin, ou morquin, est un tissu précieux. Idem vers 238.   79 Il n’y a pas de blague. Les chaussetiers, comme les couturiers, prélèvent discrètement une « bannière », c.-à-d. un lambeau de l’étoffe payée par le client ; puis ils s’en servent pour se confectionner leurs propres habits. Pour une fois, le valet n’a pas été dur d’oreille.   80 Est de la même couleur, preuve qu’il l’a taillée dans le même tissu.   81 On met les draps sous presse afin de les rendre plus unis, mais pas trop longtemps pour ne pas les durcir. Idem vers 179.   82 Si le prêtre ne s’était pas levé aux aurores pour chanter les matines. C’est une moquerie des huguenots contre les moines : « De quoy servent tant de libelles,/ Tant en françoys comme en latin,/ Disant qu’on chante trop matin ? » La Bouteille.   83 Je lui aurais acheté une messe pour mon maître. Sur les ventes de messes — qui étaient aussi dans le collimateur des protestants —, voir la Seconde Moralité de Genève, vers 191-207.   84 De parole : auquel on peut se fier.   85 Comptant. « Tu seras/ Payé content. » L’Aveugle et Saudret.   86 Mon tissu a un grand lé, une grande largeur.   87 C’est mon dernier mot. « –Voulez-vous à ung mot ? –Ouy./ –Chascune aulne vous coustera/ Vingt-et-quattre solz. » Pathelin.   88 Bête (un marmot est un singe). « Je tiens qu’il faut estre marmot/ De vous aymer sans dire mot. » Adam Billaut.   89 Un professionnel travaille en priorité pour un client s’il lui offre à boire ou un pourboire. « Que je paye pinte ou chopine,/ Et que j’en aye pour mon argent ! » Tout-ménage.   90 « Deux jours entiers en vie ne sera. » (Octovien de Saint-Gelais.) Pour remplacer ce vers perdu, BM duplique le vers 193.   91 Trois quarts d’une aune. « Me fault .III. quartiers de brunette [drap]/ Ou une aulne. » Pathelin.   92 Des chausses trop serrées vous gêneraient.   93 Premièrement.   94 BM : esbatons.  (Mettons-nous au travail.)  Le chaussetier empoigne son aune, qui est une longue règle graduée.   95 Parce que je demande.   96 Les pages turbulents peuvent recevoir des coups de règle sur les fesses, comme les cancres : « Ilz font fouetter monsieur du paige. » (Pantagruel, 17.) Le valet s’éloigne.   97 Armé de son aune, le chaussetier emboîte le pas au valet, qui tente de le semer.   98 Ce n’est pas le médecin, qui s’appelle Jehan Babault ; c’est donc le valet. « Petit pinson » convient bien à une tête de linotte.   99 Que la dysenterie.   100 BM : est  (S’il met encore plus de temps à revenir. « Mais où sont-y ? Il mectent trop ! » La Mère de ville.)   101 Il court de plus en plus vite pour échapper au chaussetier, qui lui colle au train en brandissant son aune.   102 Faite sur mesure. « J’ai chauces de Bruges faitices. » D’un mercier.   103 Pour le rythme, j’introduis un « e » svarabhaktique normanno-picard. « De ces choses n’ay jusques icy fet nulle poursuite, mès en atenderay leur plèsir. » Philippe de Commynes.   104 BM : Trefuez  (Une injonction de cesser vos menaces. « [Si, en plaids] ou en assises, aucun demande à avoir trêves d’aucun, le juge doit contendre que donnés feussent. » ATILF.)   105 La demeure de votre maître.   106 De trop près. Le valet s’engouffre dans la maison et se jette aux pieds du goutteux, ou plutôt sur ses pieds ; le chaussetier fait de même.   107 Et je n’ai jamais pu.   108 Recommandés. Cf. Digeste Vieille, vers 474.   109 De douleur. « Vous souffez grant laidure,/ Grant peinne et doleur importune. » ATILF.   110 Faire bêler et paître quelqu’un : le traiter comme un mouton promis à l’abattoir.   111 Il laisse tomber son rouleau de drap sur les cuisses du goutteux.   112 Et surtout, pour que le chaussetier puisse détourner le plus d’étoffe possible à son profit.   113 Demain matin. Le chaussetier manipule sans douceur la jambe malade du goutteux.   114 Tu m’as donné le coup de grâce. « On me puist estraindre/ S’il n’est bien achevay de paindre ! » Le Dorellot.   115 BM : mõseigneur   116 BM : Pour perrin  (En pourpre. « Une thunique de taffetas pourprin. » Jehan Lemaire de Belges.)   117 Un abcès au pied : le fait qu’on le crève explique la guérison miraculeuse du prétendu goutteux à la fin de la pièce. Le cas le plus connu d’une telle guérison est celui de la Papesse Jeanne, dont les protestants faisaient alors des gorges chaudes.   118 Même vers que 157, avec la même inversion des mots vicaire et presbytère.   119 BM : lourdaulx  (Voir les vers 25 et 37.)  Inscients = dépourvus de science, ignorants. Ce mot rime avec « cians », à la manière normande.   120 BM : qui vouldra.  (Vers trop long et rime pauvre.)  Dès à présent. Le valet comprend : Et là, des coupes (de vin) aurai déjà.   121 Jehan de Meung écrivait : « N’est si mal [mauvais] sourd comme cil qui ne veut ouïr goutte. » N’ouïr goutte résume bien cette farce. Le goutteux se lève, et chasse les deux sourds à coups de pied au derrière.   122 Supplyez  (A suppléé la maladie, y a remédié. « Il vous fault un amy gaillard/ Pour supplier à l’escripture. » Frère Guillebert.)  Le goutteux est guéri grâce au théâtre.

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