Archives de Tag: Sorbonne

LE GOUTEUX

British Library

British Library

.

*

LE  GOUTEUX

*

.

On pense que maître Mimin et Richard le Pelé, nommés uniquement dans la liste des personnages de cette farce rouennaise, sont les acteurs qui l’ont créée1. Les comédiens s’appropriaient parfois le nom du personnage qui était à l’origine de leur renommée ; par exemple, Pierre le Carpentier se rebaptisa « le Pardonneur » après avoir joué ce rôle dans la farce éponyme, et Pierre Gringore signait couramment « Mère Sotte2 », profitant du succès populaire de ce personnage dont il endossait le travesti. Nous ne savons rien de Richard le Pelé, mais il nous reste deux farces3 — elles aussi normandes — à la gloire de maître Mimin : Maistre Mymin qui va à la guerre, et Maistre Mimin estudiant. La présente pièce étant dépourvue de titre et ne comportant aucun maître Mimin, je l’intitule donc le Goutteux, en conformité avec les rubriques.

Sur l’usage que les farceurs faisaient des dialogues de sourds, voir le Sourd, son Varlet et l’Yverongne, le Marchant de pommes et les Miraculés.

Un valet croit soulager la crise de goutte de son maître en lui racontant les aventures de Gargantua. Il s’agit d’un des volets — d’ailleurs inconnu — des Chroniques gargantuines4, qui parurent sans doute à partir de 1526, et dont Rabelais s’inspira. Notons que dans son prologue de Pantagruel, le docteur Rabelais prescrit le même remède : « Mais que diray-je des pauvres véroléz et goutteux ? Toute leur consolation n’estoit que de ouÿr lire quelque page dudict livre [les Grandes et inestimables chronicques de l’énorme géant Gargantua]. Et en avons veu qui se donnoyent à cent pipes de vieulx diables en cas que ilz n’eussent senty allégement manifeste à la lecture dudict livre. »

Source : Recueil du British Museum, nº 35. Publié à Lyon, en la maison de feu Barnabé Chaussard, entre 1532 et 1550.

Structure : Rimes plates, avec 2 triolets. La versification est extrêmement soignée, malgré un grand nombre d’hiatus qu’on aurait pu combler sans difficulté.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

.

*

Farce nouvelle trèsbonne

et fort joyeuse

À troys personnaiges, c’est assavoir :

       [ LE  GOUTEUX,  Philipot 5

       SON  VARLET  SOURD,  Pinsonnet ]

       et  LE  CHAUSSETIER

*

                        Cy commence  LE  GOUTEUX 6            SCÈNE  I

        Hé ! Dieu, hélas ! Mauldicte goutte,

        Qui7 tant mon povre cueur desgouste !

        Fault-il que par toy cy je meure ?

        Mon varlet, hau ! Vien çà ! Escouste :

5      Va moy quérir — quoy qu’il me couste —

        Ung médecin, et sans demeure8 !

                        LE  VARLET  SOURD

        Monsieur, quant la grappe fut meûre9,

        Incontinent l’on vendengea.

        Gargantua beut, et mengea

10    À son desjeuner seullement

        Douze-vingt miches de fourment10,

        Ung beuf, deux moutons et ung veau.

        Et si, a mis du vin nouveau,

        À deux petis traictz, dans sa trippe11 :

15    Deux poinçons avec une pipe12,

        En attendant qu’on deust disner13.

                        LE  GOUTEUX

        J’ay bien cause de m(e) indigner

        Contre toy, sourd de Dieu mauldit14 !

        Entens-tu point que15 je t’ay dit ?

20    Va moy chercher ung médecin,

        Ou me viens chauffer ung bacin16.

        Tant tu me faictz crier et braire !

                        LE  VARLET

        Mon serment ! j’en croy le libraire :

        Il m’a cousté six karolus17.

                        LE  GOUTEUX

25    Sourdault18, va quérir ung bolus

        Et ung cyrot bien délyé19 !

                        LE  VARLET

        J’en eusse prins ung relyé,

        Mais il eust cousté davantaige.

                        LE  GOUTEUX

        Faictz-moy faire quelque potaige20

30    Au médecin ! Entens-tu bien,

        Mon varlet sourd ? Va et revien !

        Auras-tu point l’esp(e)rit ouvert ?

                        LE  VARLET

        Vous voulez donc qu’il soit couvert

        De cuyr ou de fort parchemin ?

                        LE  GOUTEUX

35    Hélas ! je suis bien prins sans vert.

        Mourray-je icy, en [c]e termin21,

        Par ce meschant varlet sourdault ?

                        LE  VARLET

        Le libraire n’est point lourdault :

        Couvert sera mignonnement.

40    Tenez-vous tousjours chauldement,

        Car j’entens trèsbien vostre affaire.

        Et du livre laissez-moy faire :

        Vous en aurez du passetemps.

                        Vadit.22

.

                        LE  GOUTEUX                                        SCÈNE  II

        De mourir icy je m’atens,

45    Car je n’ay plus sang ne couleur.

        Tu m’agraves bien ma douleur !

        Oncques pauvre paralitique23

        Ne fut tant que je suis éthique24.

        À crier je me romps la teste.

50    Hélas ! ung homme est bien beste

        Qui prent servant à sourde oreille ;

        C’est une teste nompareille,

        Et qui n’entend « ne my, ne gourd25 ».

        Que mauldit de Dieu soit le sourd,

55    Et qui oncques le m(e) adressa !

        Jamais que mal ne me brassa26.

        Il cognoist bien que suis malade,

        Et que nuyt et jour ne repose :

        Il me vient lyre une Balade !

60    Propos ne tient d’aulcune chose27.

        Ha, Nostre Dame de Briose28 !

        Je suis de luy mal rencontré29.

.

                        LE  VARLET 30                                       SCÈNE  III

        Or çà ! il est tout acoustré,

        Vostre livre, [et] est bien empoint.

                        LE  GOUTEUX

65    Voyre bien, amaines-tu point

        De médecin pour mon affaire ?

                        LE  VARLET

        Il y a tousjours à reffaire !

        Comment ! est-il cousu trop large ?

        Vrayment, il est de bonne marge

70    Et [est] de belle impressïon.

                        LE  GOUTEUX

        Tant tu me faictz d’oppression !

        M’as-tu faict chauffer ung bassin ?

        Ouÿ dea31 ! Et de médecin ?

        (Autant entent l’ung32 comme l’autre.)

75    Si j’estois sain, t(u) yrois au peaultre33 !

        Sçaurois-tu barbier34 attrapper ?

        (Autant gaignerois à frapper

        Ma teste contre la muraille.)

                        LE  VARLET

        Il m’a cousté sept solz et maille35,

80    Car j’ay baillé demy trézain36,

        Deux solz tournois37 puis ung unzain :

        Autant le convint achapter38.

        Attendez, je m’en vois getter39 ;

        Ung, et deux, et trois : ce sont quatre.

85    Et puis il nous [en] fault rabatre40

        Justement toute la moytié.

        C’est le compte. Sans l’amytié41,

        Je ne l’eusse eu pour le pris.

                        LE  GOUTEUX

        C’est bien à propos entrepris42 !

90    Dieu me doint avoir patience !

                        LE  VARLET

        Il a du livre en la science43,

        À qui bien la sçauroit gouster.

        Or pensez, Maistre, d’écouster44,

        Et vous voirrez icy comment

95    Gargantua faict argument45,

        Lequel estoit bona46 quercus :

        Ung béd[o]uault47 a quinze culz ;

        Or, si par48 ung apoticaire

        Luy estoit baillé ung clistoire,

100  Queritur comment49, et par où ?

        Par quel50 pertuys ou [par] quel trou ?

        Que diriez-vous, sur ce passaige51 ?

                        LE  GOUTEUX

        Tu monstres que tu n’es pas saige.

        Ton livre et toy n’est que follie.

105  Il est plus que fol, qui follye52

        Avec toy. Pour bien conquérir53,

        Fuis-toy d’icy et va quérir

        Ung médecin ! Entens-tu bien ?

                        LE  VARLET

        (Qu’esse qu’il dict ? Qui en sçait rien ?

110  Par Dé54 ! à ce que je puis cognoistre,

        Je croy bien que ce soit le prestre

        Qu’il demande. À vostre advis ?)

        Ha ! j’entens tout vostre devis :

        Demandez-vous pas le curé ?

                        LE  GOUTEUX

115  Hée, Dieu, que je suis escuré55 !

        Nenny non : c’est l’apoticaire.

                        LE  VARLET

        Or bien : le curé ou vicaire,

        Ce vous est ung, ou56 chappelain.

        Vous estes en maulvais pelin57 :

120  Pensez de vostre conscience58.

                        LE  GOUTEUX

        Tu me fais perdre patience

        Par tes responces et lardons59.

                        LE  VARLET

        Ouÿ dea, il y eust60 pardons,

        Se estiez confèz à61 celuy

125  Lequel a chanté aujourd’huy,

        À Rouen62, sa première messe.

        Je le voys quérir, et promesse

        Vous fais qu’il viendra, si le treuve.

                        LE  GOUTEUX

        Voys-en cy une toute neufve63 !

130  Va-t’en, que bon gré en ayt bieu64 !

                        LE  VARLET

        (Trouver me fault en quelque lieu

        Ung chappellain soubdainement.)

        Si faictes quelque testament,

        N’oubliez pas ce qu’il m’est deû65.

                        LE  GOUTEUX

135  Si maistre Jehan Babault66 m’eust veu,

        Il me pourroit tout sain guarir ;

        Et de ma jambe oster le feu.

        Je te supplie, va le quérir !67

.

        Hé ! Dieu me vueille secourir.                                   SCÈNE  IV

140  Je croy qu’il m’a bien entendu.

.

                        LE  VARLET                                           SCÈNE  V

        Parmy le col68 je soys pendu

        Se je sçay par69 où ce peult estre

        Que je rencontreray ung prebstre,

        Lequel mon maistre ainsi demande.

145  Faire convient ce qu’il commande.

        J’en70 voys chercher tout à ceste heure.

.

                        LE  CHAUSSETIER 71                          SCÈNE  VI

        Se ce drap icy me demeure,

        J’en feray des chausses pour moy.

        Plus ne vient marchant72, à ceste heure.

150  Si73 ce drap icy me demeure,

        Je prie Dieu qu’il me sequeure74 !

        Je l’acheptay à la Guibray75.

        Si ce drap icy me demeure,

        J’en feray des chausses pour moy.

.

                        LE  VARLET                                           SCÈNE  VII

155  Hau, le chaussetier ! Dictes-moy

        Si m’enseignerez le vicaire

        Où demeure le presbitaire76

        (Que dis-je ?)  Où c’est que peult estre

        Ung bon chapellain pour mon maistre,

160  Qu’il luy pleust77 donner réconfort ?

                        LE  CHAUSSETIER

        Voylà bon drap : ung morquin78 fort,

        De la tainture de Paris.

                        LE  VARLET

        (Il dit vray, il n’y a pas ris79 :

        Sa robe [en] est de la couleur80.)

                        LE  CHAUSSETIER

165  J’en ay encores de meilleur

        Qui n’est point gros, ne trop pressé81.

                        LE  VARLET

        Il demande estre confessé

        Et ne peult venir à l’église.

                        LE  CHAUSSETIER

        Regardez quelle marchandise :

170  C’est ung fin drap comme satin.

                        LE  VARLET

        Dea ! s’il n’eust chanté si matin82,

        Je luy eusse faict avoir messe83.

                        LE  CHAUSSETIER

        Vous estes homme de promesse84,

        Mais je seray payé content85.

                        LE  VARLET

175  Sa douleur le va surmontant ;

        Empiré luy est aujourd’huy.

        Il fault que quelc’ung vienne à luy,

        Puisqu’il veult estre confessé.

                        LE  CHAUSSETIER

        Dictes-vous qu’il est trop pressé ?

180  Voyez qu’il a la lèse grande86.

                        LE  VARLET

        C’est ung prestre que je demande.

                        LE  CHAUSSETIER

        Je le vous dis, je le vous mande :

        Quarante solz, tout à ung mot87.

                        LE  VARLET

        Par Dé ! de ce, suis bien marmot88 :

185  Il n’entend pas ce que je dy.

                        LE  CHAUSSETIER

        Quant vous les aurez ? Samedy.

        Mais vous pay(e)rez ou pinte ou pot89.

                        LE  VARLET

        Qui c’est ? Mon maistre Philipot,

        [Qui ne vivra deux jours entiers.]90

                        LE  CHAUSSETIER

190  Il vous en fauldroit trois quartiers91 ;

        Aultrement, vous tiendroyent trop gourd92.

                        LE  VARLET

        (Mon serment ! je croy qu’il est sourd

        Comme moy.)  Adieu, teste dure !

                        LE  CHAUSSETIER

        Prendre fault, premier93, la mesure :

195  Qu’à besongner nous esbaton94 !

                        LE  VARLET

        Comment ! tendez-vous ung baston

        Sur moy pour demander95 ung prebstre ?

        Je m’en vois le dire à mon maistre !

        Cela debvez faire à ung paige96.

                        LE  CHAUSSETIER

200  Ce n’est donc pas pour vostre usaige ?

        Allons donc sa mesure prendre.97

.

                        LE  GOUTEUX                                       SCÈNE  VIII

        Hélas ! j’ay beau icy attendre

        Pinsonnet98 ou l’apoticaire.

        Mon varlet ne me peult entendre.

205  Hélas ! j’ay beau icy attendre.

        Que la foyre99 le puisse prendre

        Tout royde de mort s’il met100 plus guère !

        Hélas ! j’ay beau icy attendre

        Pinsonnet ou l’apoticaire.

.

                        LE  VARLET 101                                    SCÈNE  IX

210  En luy demandant ung vicaire

        Qui vînt mon maistre confesser,

        Voyez comme(nt) il me veult fesser !

        Je m’en plaindray à la Justice.

                        LE  CHAUSSETIER

        Si la chausse n’est bien faict[ic]e102,

215  J’en attend[e]ray103 le repro[u]che.

        Marche[z] devant !

                        LE  VARLET

                                         Dea, ne me touche !

        (Voicy ung sourd hors de raison.)

                        LE  CHAUSSETIER

        Bevrons-nous point, à la maison ?

        Ouÿ, puisque c’est pour le maistre.

                        LE  VARLET

220  Cité serez à comparoistre,

        À ma requeste, en jugement !

        Demain auray (par mon serment)

        Trefves104 de vous et asseurance !

                        LE  CHAUSSETIER

        Monstrez-moy tost la demeurance105,

225  Car j’ay haste de besongner.

                        LE  VARLET

        Ha ! je vous feray empoigner,

        Car vous me suyvez de trop court106.

.

        Mon maistre, hau ! Voicy ung sourt                           SCÈNE  X

        Qui me veult battre et faire ennuy.

230  Et n’ay onc sceu107 sçavoir de luy

        Où est l’homme que demandez.

                        LE  GOUTEUX

        Au diable soyez commandéz108,

        Tant vous me faictes de laydure109 !

                        LE  CHAUSSETIER

        Prendre fauldroit vostre mesure ;

235  Çà, la jambe ! Bon soir, mon Maistre !

                        LE  GOUTEUX

        Tu me faictz bien besler et paistre110 !

        [Ha !] que mauldit soit le coquin !

                        LE  CHAUSSETIER 111

        Voicy la pièce de morquin

        De quoy bien je le[s] vous feray.

240  Mais, Monsïeur, je vous diray :

        Vostre varlet ne m’entent pas.

                        LE  GOUTEUX

        (Bien voy que suis à mon trespas.)

        Ce n’est pas ce que je demande !

                        LE  CHAUSSETIER

        Une chausse doibt estre grande,

245  Pour y entrer plus à son ayse112.

        Çà, la jambe ! Ne vous desplayse :

        Elles seront prestes matin113.

                        LE  GOUTEUX

        À l’ayde !! Larron !! Chien mastin !!

        Tu m’as bien achevé de paindre114.

                        LE  CHAUSSETIER

250  Le drap, Monsieur115 ? Je l’ay faict taindre

        [En beau pourprin]116, sans faulte nulle.

                        LE  GOUTEUX

        Hélas ! j’avoy icy la mulle117,

        Que ce larron m’a faict seigner.

                        LE  VARLET

        Il ne m’a voulu enseigner

255  La maison, aussi le vicaire

        Où demeure le presbitaire118

        Que vous [me] demandez ainsi.

                        LE  CHAUSSETIER

        Dea ! je fourniray bien aussi

        De doubleure, cela s’entend.

                        LE  VARLET

260  Ma foy, mon Maistre : il prétend

        Tirer de vous je ne sçay quoy.

        Voyre, et ce congnoist autant

        En médecine comme moy.

                        LE  GOUTEUX

        Que j’ay soulcy et grant esmoy

265  Par ces deux sourdaulx119 inscïens !

        Allez-vous-en hors de cëans,

        Que jamais je ne vous revoye !

                        LE  CHAUSSETIER

        Je borderay ung peu la braye

        Et la découperay [dès jà]120.

                        LE  VARLET

270  Par ma foy ! vous n’en bevrez jà,

        Puisque vous m’avez voulu battre.

                        LE  GOUTEUX

        La malle mort vous puisse abatre

        Sans que puissez avoir secours !

        Il n’est point de plus maulvais sours

275  Que ceulx qui ne veullent ouÿr121.

.

        Messeigneurs : pour vous resjouyr,

        Oyons tous [que] la comédye

        Supplyé122 a la maladie.

.

                                        FINIS

*

1 Voir notamment Bernard FAIVRE : Répertoire des farces françaises, 1993, note de la p. 242.   2 Voir son Jeu du Prince des Sotz et Mère Sotte.   3 Nous avons perdu le Testament maistre Mymin, que mentionne le Vendeur de livres : c’était peut-être une œuvre dramatique, comme le Testament Pathelin.   4 Voir Abel LEFRANC : Œuvres de François Rabelais, t. 1, 1913, pp. XXXII-XXXV. La Mère de ville, une autre farce normande, contemporaine de la nôtre, évoque les aventures de Gargantua aux enfers, qui appartenaient sans doute au même livre perdu. Voir André TISSIER : Recueil de farces, t. 5, 1989, p. 68.   5 C’est le nom que lui attribue le vers 188. Le nom du valet se lit au vers 203. À des fins publicitaires, l’éditeur introduit dans ces deux lignes les noms des comédiens, qui ne figurent nulle part dans le texte : Maistre Mimin le gouteux. / Son varlet Richard lepele sourd.   6 « Celui-ci est assis dans une sorte de fauteuil, une couverture lui couvrant les jambes (voir v. 40). » <A. Tissier, p. 79.> Son valet sourd lui résume un exemplaire broché des Chroniques gargantuines.   7 BM : Que  (Qui ôtes à mon cœur le goût de vivre.)   8 Sans tarder.   9 Mûre. Les Chroniques gargantuines font une large place au vin.   10 240 pains de froment.   11 Et aussi, en deux petites gorgées, il a mis du vin nouveau dans son intestin. Du côté de Caen, les chansons à boire cuisinent le mot tripe [intestin] à toutes les sauces : « Ceux qui breuvage d’eau/ Ne mettent dans leur trippe. » (Vaux de Vire.) « De sidre et de bon vin ils se lavaient la trippe. » (Muse normande.)   12 Deux tonneaux et une barrique.   13 Qu’il soit l’heure de dîner. Cette tirade rappelle les vers 139-145 des Vigilles Triboullet.   14 Les infirmités sont vues comme une malédiction divine.   15 Ce que.   16 Une bassinoire de cuivre dans laquelle on dépose des braises et dont on se sert pour « bassiner » le lit ou, en l’occurrence, pour se chauffer les pieds. Idem vers 72. La chaleur était le seul traitement contre la goutte : « Il n’a garde de sentir goute :/ Il est fourré bien chauldement. » (Le Mince de quaire.) Voir le vers 40.   17 60 deniers. Les valets de farces profitent du handicap de leur maître pour l’escroquer : voir par exemple l’Aveugle et Saudret.   18 Sourdingue. Idem vers 37 et 265. Cf. le Sourd, son Varlet et l’Yverongne, vers 87. Le bolus est l’ancêtre de la gélule : « Un homme de quarante ans contracta une chaude-pisse par un atouchement impur. Je lui ordonay au commencement un bolus d’une once de casse avec une dragme de rhubarbe pulvérisée, & autant de cristal de tartre. » François de Boze.   19 Un sirop bien fin.   20 Un bouillon curatif. « En après, donnoit un potaige d’alica [de semoule]. Ces trois remèdes souffisent (…) pour la cure des maladies aguës. » Jehan Canappe.   21 En cet instant. « Véchi grant larrechin/ Que par che chevalier m’avient, en ce termin. » Bauduin de Sebourc.   22 Il s’en va (chez le relieur).   23 Certaines paralysies passaient pour une forme de goutte. L’Aveugle et le Boiteux nous montre un paralytique « qui bouger ne peult pour [à cause de] la goucte ».   24 Ne fut étique [maigre] autant que je le suis.   25 Ni nuit, ni jour. Le goutteux imite la manière dont son valet déforme ses propos.   26 Il ne me mijota jamais que du mal.   27 Il n’a aucune suite dans les idées.   28 De Briouze, en Normandie.   29 Malencontré : mal loti.   30 Il revient de chez le relieur.   31 Cause toujours ! « Me parlez-vous de marier ?/ Ouy dea ! » Le Povre Jouhan.   32 BM : lune  (Je mets entre parenthèses tous les apartés qui s’adressent au public.)   33 Au diable. Cf. Beaucop-veoir, vers 222.   34 Les barbiers pratiquent certains actes médicaux simples.   35 7 sous et 1 centime. Le valet gonfle la facture ; à titre de comparaison, dans l’Homme à mes pois, 13 kg de pois coûtent 7 sous et 1 denier.   36 Le treizain est difficilement divisible par 2. L’embrouillamini monétaire auquel se livre le valet n’a d’autre but que de dissimuler ses prévarications. « Dix-sept solz et un onzain, et vingt-et-cinq solz moings un trézain, combien vallent-ils ? » Bonaventure Des Périers.   37 BM : et trois  (2 sous du monnayage de Tours. « Un cent de souz tournoix. » Le Poulier à sis personnages.)  Le onzain vaut 10 deniers : notre mal-entendant improvise des chiffres qui dépassent… l’entendement.   38 Il a fallu que je l’achète à ce prix-là.   39 Je vais calculer avec des jetons. « Compter et gecter soubz maistre Jehan Blondel, singulier arisméticien. » (ATILF.) Mais on se demande si le valet ne fait pas rouler trois dés par terre : « Ung homme a getté troys déz. » (ATILF.)   40 Soustraire. « Vous comptez sans rabatre. » Farce de Pathelin.   41 BM : lamoytie  (Si je n’avais pas été un ami du relieur, je ne l’aurais jamais eu à un si bon prix.)   42 BM : ilz sont prins  (Voilà qui est fait au bon moment ! « Sur ma foy, c’est bien à propos ! » Jénin filz de rien.)   43 Le valet, qui a tendance à inverser les propositions (v. la note 76), a voulu dire : Il y a de la science dans ce livre. Le prologue de Gargantua parlera de « substantificque mouelle ».   44 BM : degouster  (D’écouter ma lecture. François Ier se faisait lire Rabelais à haute voix.)   45 Les arguments sont les sophismes qu’égrènent les professeurs de logique : cf. les Femmes qui aprennent à parler latin, vers 354-7. Ce passage égratigne l’enseignement sclérosé que dispensait la faculté de théologie de la Sorbonne. Voir Emmanuel PHILIPOT : Revue des Études Rabelaisiennes, t. 9, 1911, pp. 378-9.   46 BM : bonum  (Son argument était solide comme un bon chêne. Quercus est féminin.)  Pietro Bembo créa ce calembour étymologique dans son éloge du pape Jules II, qui s’appelait della Rovere [du chêne] : « Bona quercus honores. » Cette lourde flatterie était connue en France : Du Bellay en enduira l’évêque Jérôme de la Rovère en 1559. Emmanuel Philipot <pp. 382-3> ignorait ces éléments, mais il a pu établir que le « Chêne » dont se moque notre farce est Guillaume Du Chesne, un très rétrograde docteur en Sorbonne que la Farce des Théologastres surnomme « la maxima Quercus » [la grandissime Du Chesne].   47 Un blaireau. « Ces manteaulx de loup et de bédouault. » (Rabelais, Quart Livre, 24.) Un blaireau doté de 15 anus et un donneur de clystères figuraient donc dans cet épisode des Chroniques gargantuines ; on regrette vivement qu’il soit perdu ! Philipot <pp. 382-4> identifie ce bédouault à Noël Béda, syndic de la Sorbonne. Il nous dit que le calviniste Théodore de Bèze, « parlant des deux docteurs Quercus et Béda, les appelle ‟deux grosses bestes qui estoient lors les chefs de cette faculté”. » Bref, la Sorbonne est ici représentée par une tête de bois et un blaireau !   48 BM : pour  (Les apothicaires fabriquent et administrent les clystères.)  Les corrections des vers 98-101 reviennent à E. Philipot, p. 379, note 2.   49 BM : conuient  (Il est demandé comment. Cette question imite le charabia franco-latin de la scolastique sorbonicole, qui n’est guère plus ridicule que le charabia inclusif de la Sorbonne actuelle. « Quæritur comment il y peut remédier. » Charles Loyseau.)   50 BM : quelque  (Pertuis = anus. « Au derrière estoit encores un aultre pertuys. » Pantagruel, 15.)   51 Sur ce point. « Qu’en dictes-vous, sur ce passage ? » (La Confession Margot.) Nous avons là l’archétype des rimes équivoquées : « Tu voids bien que tu n’es pas saige/ D’estre tout nu en ce passaige. » Moralité du Lymon et de la Terre, T 19.   52 Celui qui fait le fou. « Fol qui follie, il n’est follet. » Le Prince et les deux Sotz.   53 Pour acquérir des biens : pour que je t’accorde une prime.   54 Par Dieu. Même euphémisme au vers 184. Cet aparté s’adresse au public.   55 Lessivé, fatigué.   56 BM : quel  (Pour vous, c’est tout un, ou bien un chapelain. Il est question de ce chapelain aux vers 132 et 159.)   57 Le pelain est un bain de chaux vive destiné à faire tomber les poils qui restent sur le cuir. Au figuré : Vous êtes dans une situation délicate. « Brichemers est en mal pelain. » Godefroy.   58 C’est ce qu’on dit aux mourants : « Si près estes de vostre fin,/ Pensez de vostre conscience. » Le Testament Pathelin.   59 Et tes sarcasmes. Cf. la Pippée, vers 46, 481 et 770.   60 BM : a  (Vous gagneriez des pardons, des indulgences.)   61 Si vous étiez confessé par.   62 BM : romme  (En contradiction avec les 2 vers qui suivent. Notre éditeur lyonnais remplace trop souvent les toponymes normands par d’autres plus neutres.)  Un jeune curé qui célèbre sa première messe accorde une indulgence plénière aux fidèles, afin de les attirer. « [Il] chante au jourd’huy sa première messe, à l’assistence de laquelle y a une infinité de grands pardons. » Antoine de Saint-Denis.   63 En voilà une bien bonne !   64 Euphémisme pour « Dieu ».   65 Ce qui m’est dû. Il est d’usage qu’un mourant fasse un petit legs aux serviteurs, afin d’obtenir leurs prières et non leur malédiction.   66 C’est apparemment le nom du médecin. Non loin de là, en Picardie, un babau désigne un nigaud.   67 Le valet se précipite dans la rue.   68 Que par le cou. C’est le vers 366 de Pathelin, auquel notre auteur emprunte beaucoup.   69 BM : pas  (Le valet ignore le chemin qui mène au presbytère. Nous sommes donc à une heure tardive où l’église est fermée : voir le vers 149.)   70 BM : Je y  (Je vais en chercher un. « J’en voys chercher. » L’Arbalestre.)   71 Le fabricant de chausses guette les clients à la devanture de son atelier. Il est aussi sourd que le valet. Contrairement aux couturiers, et surtout aux savetiers, les chaussetiers n’ont pas fait carrière au théâtre ; on ne peut citer que celui des Deux jeunes femmes qui coifèrent leurs maris.   72 De marchandeurs, de clients. Cf. Cautelleux, Barat et le Villain, vers 252.   73 BM : Car  (Refrains corrects aux vers 147 et 153.)   74 Qu’il me secoure : que Dieu me pardonne !   75 Importante foire près de Rouen ; les artisans y achètent leurs fournitures au prix de gros. Guibray rime avec may, à la manière normande.   76 Le valet inverse encore les propositions (note 43) ; il veut dire : Indiquez-moi le presbytère où demeure le vicaire. Il commet le même cafouillage aux vers 255-6.   77 Qui veuille bien lui.   78 Le molequin, ou morquin, est un tissu précieux. Idem vers 238.   79 Il n’y a pas de blague. Les chaussetiers, comme les couturiers, prélèvent discrètement une « bannière », c.-à-d. un lambeau de l’étoffe payée par le client ; puis ils s’en servent pour se confectionner leurs propres habits. Pour une fois, le valet n’a pas été dur d’oreille.   80 Est de la même couleur, preuve qu’il l’a taillée dans le même tissu.   81 On met les draps sous presse afin de les rendre plus unis, mais pas trop longtemps pour ne pas les durcir. Idem vers 179.   82 Si le prêtre ne s’était pas levé aux aurores pour chanter les matines. C’est une moquerie des huguenots contre les moines : « De quoy servent tant de libelles,/ Tant en françoys comme en latin,/ Disant qu’on chante trop matin ? » La Bouteille.   83 Je lui aurais acheté une messe pour mon maître. Sur les ventes de messes — qui étaient aussi dans le collimateur des protestants —, voir la Seconde Moralité de Genève, vers 191-207.   84 De parole : auquel on peut se fier.   85 Comptant. « Tu seras/ Payé content. » L’Aveugle et Saudret.   86 Mon tissu a un grand lé, une grande largeur.   87 C’est mon dernier mot. « –Voulez-vous à ung mot ? –Ouy./ –Chascune aulne vous coustera/ Vingt-et-quattre solz. » Pathelin.   88 Bête (un marmot est un singe). « Je tiens qu’il faut estre marmot/ De vous aymer sans dire mot. » Adam Billaut.   89 Un professionnel travaille en priorité pour un client s’il lui offre à boire ou un pourboire. « Que je paye pinte ou chopine,/ Et que j’en aye pour mon argent ! » Tout-ménage.   90 « Deux jours entiers en vie ne sera. » (Octovien de Saint-Gelais.) Pour remplacer ce vers perdu, BM duplique le vers 193.   91 Trois quarts d’une aune. « Me fault .III. quartiers de brunette [drap]/ Ou une aulne. » Pathelin.   92 Des chausses trop serrées vous gêneraient.   93 Premièrement.   94 BM : esbatons.  (Mettons-nous au travail.)  Le chaussetier empoigne son aune, qui est une longue règle graduée.   95 Parce que je demande.   96 Les pages turbulents peuvent recevoir des coups de règle sur les fesses, comme les cancres : « Ilz font fouetter monsieur du paige. » (Pantagruel, 17.) Le valet s’éloigne.   97 Armé de son aune, le chaussetier emboîte le pas au valet, qui tente de le semer.   98 Ce n’est pas le médecin, qui s’appelle Jehan Babault ; c’est donc le valet. « Petit pinson » convient bien à une tête de linotte.   99 Que la dysenterie.   100 BM : est  (S’il met encore plus de temps à revenir. « Mais où sont-y ? Il mectent trop ! » La Mère de ville.)   101 Il court de plus en plus vite pour échapper au chaussetier, qui lui colle au train en brandissant son aune.   102 Faite sur mesure. « J’ai chauces de Bruges faitices. » D’un mercier.   103 Pour le rythme, j’introduis un « e » svarabhaktique normanno-picard. « De ces choses n’ay jusques icy fet nulle poursuite, mès en atenderay leur plèsir. » Philippe de Commynes.   104 BM : Trefuez  (Une injonction de cesser vos menaces. « [Si, en plaids] ou en assises, aucun demande à avoir trêves d’aucun, le juge doit contendre que donnés feussent. » ATILF.)   105 La demeure de votre maître.   106 De trop près. Le valet s’engouffre dans la maison et se jette aux pieds du goutteux, ou plutôt sur ses pieds ; le chaussetier fait de même.   107 Et je n’ai jamais pu.   108 Recommandés. Cf. Digeste Vieille, vers 474.   109 De douleur. « Vous souffez grant laidure,/ Grant peinne et doleur importune. » ATILF.   110 Faire bêler et paître quelqu’un : le traiter comme un mouton promis à l’abattoir.   111 Il laisse tomber son rouleau de drap sur les cuisses du goutteux.   112 Et surtout, pour que le chaussetier puisse détourner le plus d’étoffe possible à son profit.   113 Demain matin. Le chaussetier manipule sans douceur la jambe malade du goutteux.   114 Tu m’as donné le coup de grâce. « On me puist estraindre/ S’il n’est bien achevay de paindre ! » Le Dorellot.   115 BM : mõseigneur   116 BM : Pour perrin  (En pourpre. « Une thunique de taffetas pourprin. » Jehan Lemaire de Belges.)   117 Un abcès au pied : le fait qu’on le crève explique la guérison miraculeuse du prétendu goutteux à la fin de la pièce. Le cas le plus connu d’une telle guérison est celui de la Papesse Jeanne, dont les protestants faisaient alors des gorges chaudes.   118 Même vers que 157, avec la même inversion des mots vicaire et presbytère.   119 BM : lourdaulx  (Voir les vers 25 et 37.)  Inscients = dépourvus de science, ignorants. Ce mot rime avec « cians », à la manière normande.   120 BM : qui vouldra.  (Vers trop long et rime pauvre.)  Dès à présent. Le valet comprend : Et là, des coupes (de vin) aurai déjà.   121 Jehan de Meung écrivait : « N’est si mal [mauvais] sourd comme cil qui ne veut ouïr goutte. » N’ouïr goutte résume bien cette farce. Le goutteux se lève, et chasse les deux sourds à coups de pied au derrière.   122 Supplyez  (A suppléé la maladie, y a remédié. « Il vous fault un amy gaillard/ Pour supplier à l’escripture. » Frère Guillebert.)  Le goutteux est guéri grâce au théâtre.

LE VOYAGE DE FRÈRE FÉCISTI

Bibliothèque de Genève

Bibliothèque de Genève

*

LE  VOYAGE  DE

FRÈRE  FÉCISTI

*

.

.

L’écrivain calviniste Jacques Bienvenu, né vers 1525 à Genève, est l’auteur de plusieurs pièces de polémique religieuse. Il composa cette farce en 1563, du vivant des trois hommes qu’elle met en scène :

1. Nostradamus <Michel de Nostredame, 1503-1566>. L’astrologue provençal a beaucoup fait ricaner les luthériens ; ils lui reprochaient sans doute de ne pas prédire le triomphe de la Réforme.

2. Brusquet <Jean-Antoine Lombard, 1510-1568>. Cet autre Provençal fut le fou de plusieurs rois. En 1566, on l’accusera d’avoir trahi au profit des huguenots1 : Bienvenu a eu du flair en le prenant comme porte-parole. L’acteur qui joue le bouffon royal est costumé en fou, comme les acteurs de sotties ; Bienvenu mettra plusieurs Sots dans sa Comédie du Monde malade et mal pansé (1568).

3. Frère Fécisti2 <Antoine Cathalan, né vers 1500, mort après 1566>. C’est un cordelier lubrique, à l’image de frère Frappart, nommé au vers 65. Noël du Fail évoquera sa paillardise dans les Contes et discours d’Eutrapel : « Le plus brave et galant tabourdeur qu’elle eust onc veu en telles matières s’apelloit frater Fécisti…. Lassée, rompue et barbouillée, fut à moy [de] luy dire : “Monsieur Frater Fécisti, je vous prie me laisser un peu en paix…. Et n’y a dix, voire douze femmes (…) qui peussent soustenir si furieux coups et chocs umbilicaires….” Frater Fécisti, quasi diceret [autrement dit] : Mon doux frère, as-tu faict [as-tu fini de faire l’amour] ? »

Dans la vraie vie, ce cordelier n’est autre que l’arithméticien Antoine Cathalan (ou Cathelan), une des bêtes noires des réformateurs3. Les Satyres chrestiennes de la cuisine papale, pamphlet anticatholique de 1560, dressent son portrait : « Antoine Catelan, condamné pour bougre[rie] en son convent d’Alby, foitté4 pour adultère au convent de l’Observance à Thoulouse (…), depuis devenu maistre Aliboron5 en Italie, & de là, ayant contrefaict l’évangéliste6 avec une putain par l’espace de deux ans, par faute de trouver qui s’en voulust servir7, devenu pillier de la foy catholicque. » Ayant reçu des coups de verges sur les fesses lorsqu’il était au couvent, Cathalan faillit en recevoir d’autres à Lausanne : il commit une faute de latin devant son professeur, Théodore de Bèze ; ce dernier, « fasché de telle asnerie, luy remonstra qu’il devoit estre envoyé aux verges…. Il fut banni, sur peine du fouet8. » Le cordelier redevint donc papiste, et se vengea des luthériens, qui le lui rendirent au centuple, comme cette farce en porte le témoignage.

Source : Édition imprimée officiellement à Nîmes (et officieusement à Genève) en 1589, et conservée à la bibliothèque de Genève, Hf 2204 (4).

Structure : Rimes plates.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

*

Comédie facétieuse

et très plaisante du

Voyage  de  frère  Fécisti

en  Provence  vers

Nostradamus,

pour savoir certaines nouvelles

des clefs de Paradis & d’Enfer,

que le pape avoit perdues.

.

*

      [ BRUSQUET

       FRÈRE  FÉCISTI

       NOSTRADAMUS ]

.

*

           BRUSQUET9               SCÈNE  I

     Dieu soit céans ! Dieu vous gard tous et toutes

     Du mal des dents, des fièvres et des gouttes !

     Et tous ces maux, au lieu de vous venir,

     Puissent plustost aux moynes subvenir10 !

5     Ho ! qu’ay-je dict ? En voilà ung qui passe.

     S’il m’a ouÿ, j’auray sa malle grâce11 ;

     Et à ma mort, dire ne voudra jà

     De profondis, ny Ave Maria.

     Mais je le veux de plus près recognoistre,

10   Pour adviser au moings quel il peut estre,

     Et luy parler par quelque bon moyen.

.

     Beau Père, Dieu vous gard de bien12 !         SCÈNE  II

           FRÈRE  FÉCISTI

     Et S. François13 vous gard de mesme,

     Monsieur !

           BRUSQUET

             Quoy ! vous estes tout blesme :

15   Vous semblez tout fasché, de vray.

     Qu’avez-vous, beau Père ?

           FRÈRE  FÉCISTI

                    Que j’ay ?

     J’ay la teste un petit14 plus grosse

     Que le poing.

           BRUSQUET

               Vous craignez la trousse15,

     Beau Père, je voy bien que c’est16.

20   Mais déclairez-moy, s’il vous plaist,

     Hardiment vostre maladie.

           FRÈRE  FÉCISTI

     Que voulez-vous que je vous die ?

     Peut-estre estes-vous huguenot,

     Que voulez icy par un mot

25   Me tirer quelque ver du nez.

           BRUSQUET

     Non suis, non, ne vous estonnez !

     Je ne le suis ny ne le veux estre.

           FRÈRE  FÉCISTI

     Je vous voudrois donc bien cognoistre,

     Avant que vous déceler rien17.

           BRUSQUET

30   Comment me cognoistriez-vous bien ?

     Je ne me cognoy qu’à grand-peine.

           FRÈRE  FÉCISTI

     L’asseurance est donc peu certaine

     Pour vous déclarer tout mon cas.

           BRUSQUET

     Dittes-l(e) ou ne le dittes pas :

35   Je ne vous y veux point contraindre.

     Mais si18, ne devez-vous pas craindre

     De me dire vostre secret,

     Car j’aurois un trop grand regret

     De l’aller redire à personne.

           FRÈRE  FÉCISTI

40   Vostre parole est assez bonne,

     Mais que l’effect soit aussi seur19.

           BRUSQUET

     Ho ! beau Père, en avez-vous peur ?

     Seur comme une planche pourrie.

           FRÈRE  FÉCISTI

     Ha ! benoiste Vierge Marie,

45   Quel homme auray-je icy trouvé !

     Vrayement, je suis [bien] arrivé20 :

     De me noyer je n’ay jà garde21.

           BRUSQUET

     Non pas, si bien le gibbet garde

     Les droicts qu’il peut avoir sur vous22.

           FRÈRE  FÉCISTI

50   Hélà, Monsieur ! parlons tout doux.

     Vous tenez un fort gros langage.

     Vous me faites cy un présage

     Dont je ne vous sçay point de gré.

     Vous seriez plus haut d’un degré23,

55   Si vous danciez s[o]us une eschelle.

     Or, Monsieur, ma charge m’appelle

     En autre part. Vostre congé24 !

           BRUSQUET

     Ha ! frater, vous l’avez songé25

     Pour vous oster de ma présence.

           FRÈRE  FÉCISTI

60   Non ay, car je vay en Provence

     Pour un affaire de grand pois.

           BRUSQUET

     À Dieu donc, jusqu’une autre fois

     Que boire nous pourrons ensemble.

.

           Le moine s’en va 26, et Brusquet

           demeure seul, qui dict :

     Je suis trompé, ou il me semble             SCÈNE  III

65   Avoir veu ce frère Frapart27

     N’a pas long temps en quelque part.

     Mais de son nom je n’ay mémoire…

     Et ! quasi que je cuide croire

     Que c’est un moyne de Romans28

70   Que29, depuis environ sept ans,

     « Frère Fécisti » l’on surnomme.

     Et sçavez-vous pourquoy et comme

     Ce nom, « Fécisti », luy fut mis ?

     Il s’estoit un jour entremis

75   D’embrasser30 ne sçay quelle garce ;

     Mais ce fut le pis de la farce

     Que, quand le cas fut descouvert,

     Dieu sçait s’il fut fessé bien vert31

     Par les autres, dans le chappitre32 !

80   Et pource qu’au povre bélistre33

     Les autres moynes disoyent tous,

     En assé[n]ant sur luy les coups :

     « Hei ! mi frater, quid fecisti ?

     Ordinem inquinavisti ! 34 »

85   Depuis, par occasion telle,

     « Frère Fécisti » l’on l’appelle.

     Et luy vient ce nom bien à point :

     Car je croy qu’au monde n’est point

     Un plus grand avaleur de brayes35 !

90   Et luy apprestois bien des bayes36,

     S’il ne se fust sauvé si tost.

     Mais je l’atteindray bien tantost,

     Puisqu’il est allé en Provence.

     Et s’il vous plaît en patience

95   Attendre un petit en ce lieu,

     Je vous feray (s’il plaist à Dieu)

     Entendre à plain de son affaire.

     Car je veux sçavoir qu’il37 va faire

     Si vistement en mon païs38.

           Pause.

           Et Brusquet va après le moine. 39

              *

           NOSTRADAMUS,   estant en son

           estude, regardant une sphère. 40

100  Plusieurs seront fort esbahis               SCÈNE  IV

    À l’advenir, quoy que l’on die :

    Car je voy que la mélodie

    Du grand navire du désert41

    De petit à petit se pert,

105  Si Saturne n’en prent la cure42.

    Juppiter se joint à Mercure,

    La Lune se lève à midi43.

    Mars est devenu fort hardi :

    Il court comm’ un lappin en & broche44.

110  Vénus le suit et ne l’approche ;

    Orion45 se met entredeux,

    Qui causera grand cherté d’œufs,

    Et à foison de cacqueroles46.

    Vulcan menace les idoles47

115  De la challeur de ses forneaux.

    Lorsque la toison des agneaux

    Sera plus chèrement vendue…

.

           FRÈRE  FÉCISTI,  en cheminant 48

    Si sainct François a entendue              SCÈNE  V

    La prière que luy ay faict,

120  Je tien pour asseuré mon faict

    Comme49 desjà dedans ma manche ;

    Car sa volonté est si franche,

    Et mesmement envers les siens50,

    Qu’il ne les esconduit de riens,

125  Mais tout, volontiers, leur ottroye51.

    Or me voici droit en la voye

    Qui conduit à Salon-de-Craux52,

    Où j’estime (si je ne faux53)

    Que ce Nostradamus demeure.

130  Sainct François vueille qu’à telle heure

    Je puisse vers luy arriver !

    Qu’il me face bien tost trouver

    Ce que je cerche à si grand-peine !

.

           BRUSQUET54               SCÈNE  VI

    Je suis quasi tout hors d’haleine

135  Du viste55 que je suis venu

    Pour voir que seroit devenu

    Mon maistre moyne à haute lice56.

    Son sainct luy sera bien propice57,

    S’il eschappe sans me parler :

140  Car il ne peut en lieu aller

    Qu’il ne vienne58 par ce passage.

    Mais puisque j’ay pris l’advantage

    Jusques icy, et cependant

    Que j’ay loisir en attendant

145  Qu’il vienne, afin qu’il ne m’ennuye59,

    Il me prend désir et envie

    De visiter Nostradamus,

    Pour veoir comment il est camus

    Quand ses diables luy font la moue60.

.

           NOSTRADAMUS,  seul, hors de son

           estude, tenant tousjours sa sphère.

150  Je voy Herculès qui se joue                SCÈNE  VII

    D’un vieil sabot61 avec Juno.

    D’autre costé, voilà Bruno62

    Qui desplore fort sa Chartrousse63.

    Et quelques-uns auront la trousse,

155  Qui n’auront guères bien dancé.

.

           BRUSQUET,  en le tirant par sa robbe

    Holà, Monsieur ! C’est trop pensé,           SCÈNE  VIII

    C’est trop espié les estoiles :

    L’orage est grand, calez64 les voiles,

    Et puis laissez faire au Patron65.

           NOSTRADAMUS,  en se retirant 66

160  Ho, ho ! Brusquet, que dira-on67 ?

    Qui vous ameine en ceste terre ?

           BRUSQUET

    Comment ! vous en faut-il enquerre68 ?

    Vous estes devin jusqu’au bout.

           NOSTRADAMUS

    Mais je ne pense pas en tout.

           BRUSQUET

165  Je vien pour voir vostre horologe69 :

    Car je ne sçay, là où je loge,

    À quelle heure sonne midi.

           NOSTRADAMUS

    Dittes-vous ?

           BRUSQUET

             Voire, je le dy.

    Et vous prie m’en satisfaire,

170  Au moins si n’avez autre affaire

    Qui vous presse pour ceste fois.

.

           FRÈRE  FÉCISTI,  en entrant chez Nostradamus 70

    Dieu soit céans, et sainct François !           SCÈNE  IX

           NOSTRADAMUS

    Qu’est là ?

           BRUSQUET,  en le regardant

             C’est un frère Mitaine71.

           NOSTRADAMUS

    Le cognoissez-vous72 ?

           BRUSQUET

                    À grand-peine,

175  Si de plus près je ne le voy.

           Puis en s’approchant de frère Fécisti,

           et le regardant en face :

    Ha ! frère Fécisti ! Et quoy ?

    Vous voicy desjà en Provence ?

    Vous faictes grand[e] diligence.

    C’est trèsbien sauté, pour un veau73.

           FRÈRE  FÉCISTI

180  Que vous estes homme nouveau74 !

    Vous prenez de moy grand merveille75.

    Et moy-mesme, je m’esmerveille

    De vous, qui y estes plus tost.

           BRUSQUET

    Aussi mangeray-je du rost

185  Premier que vous76. Car pour vous dire,

    Je suis de ce païs, beau syre,

    Et en sçay tous les droits sentiers77.

           FRÈRE  FÉCISTI,  en parlant à Nostradamus

    Monsieur, je voudrois volontiers

    Vous dire en secret quelque chose.

           NOSTRADAMUS

190  Dittes.

           FRÈRE  FÉCISTI

           Pardonnez-moy, je n’ose

    Le vous dire sinon à part.

           NOSTRADAMUS

    Et pourquoy ?

           BRUSQUET

              De peur de la hart78,

    Si au baston avoit ordure79.

           NOSTRADAMUS

    Vous ne voulez, par adventure,

195  Me dire rien par-devant luy ?

           FRÈRE  FÉCISTI

    Nenni, certes ! Car ce jourd’huy,

    Il m’a jà quasi faict cognoistre

    Qu’il n’estoit guère amy du maistre80

    En se mocquant des serviteurs.

           BRUSQUET

200  Desquels ?

           FRÈRE  FÉCISTI

             Des povres sectateurs

    Du bon sainct François séraphique.

           BRUSQUET

    Ha ! beau Père, vous cerchez picque81,

    Car je n’y ay jamais pensé.

           FRÈRE  FÉCISTI

    Si ! Vous vous estes dispensé82

205  À me parler d’estrange sorte.

           BRUSQUET

    Et bien ? Toute faute n’apporte

    Qu’amende83 et satisfaction :

    Sçachons la réparation

    Que vous voulez que je vous face,

210  Et vous verrez qu’en ceste place

    Je feray vers vous tout devoir.

           FRÈRE  FÉCISTI

    Monsieur, je n’en veux point avoir

    (Pour le présent) aucune amende.

    Tant seulement, je vous demande

215  Que, de grâce, vous en sortiez

    Hors de céans, et permettiez

    Que nous puissions parler ensemble84.

           BRUSQUET

    Beau Père, je croy qu’il vous semble

    Que je sois des85 diables damnéz,

220  Si fort je voy que me craignez.

    Mais enquérez-vous de mon estre86

    Icy, vers monsieur nostre maistre :

    Vous orrez qu’il87 vous en dira.

           NOSTRADAMUS

    Beau Père, ne vous craignez jà88 :

225  J’ay de luy bonne cognoissance.

    Dites-moy vostre doléance

    Sans de luy en rien vous douter89.

           BRUSQUET

    Voire, car de me faire oster

    D’icy pour sortir en la rue,

230  La raison seroit un peu crue,

    Car le serain90 y est trop frais.

           FRÈRE  FÉCISTI

    Or bien, je la vous diray91. Mais

    Je protesteray donc qu’il tienne

    Mon cas secret, et qu’il ne vienne

235  À s’en mocquer aucunement !

           BRUSQUET

    Je proteste pareillement

    Que si je venois point à dire

    Le petit mot joyeux pour rire,

    Qu’en mal, point vous ne le prendrez.

240  Car jamais vous ne me tiendrez92

    De dire quelque mot de gorge93.

           FRÈRE  FÉCISTI

    Mais qu’ils ne soyent point de la forge

    Des huguenots, va de par Dieu !

           NOSTRADAMUS

    Nenni : il ne vient pas de lieu

245  Où les huguenots se nourrissent94.

           FRÈRE  FÉCISTI

    Et d’où donc ?

           BRUSQUET

               D’où les diables pissent

    Vers la Sorbonne95 de Paris.

           FRÈRE  FÉCISTI

    Ô sainct François ! Quels mots de ris96 !

    Osez-vous nommer la Sorbonne

250  – Où est mainte saincte personne –

    Pot à pisser d’esprits malins97 ?

           BRUSQUET

    Ou malins, ou à mal enclins.

    Ne sçay s’ils y pissent ou chient ;

    Mais je sçay comme, aussi, tous crient

255  Qu’il y put plus qu’en un retrait98.

           NOSTRADAMUS

    Cela n’est pas de nostre faict.

    Beau Père, prenez patience ;

    Si vous voulez faire défence

    À tous les mots que vous orrez99,

260  Jamais, avec luy, faict n’aurez,

    Car il parle ainsi de nature100.

           FRÈRE  FÉCISTI

    Et ! voulez-vous donc que j’endure

    Le déshonneur101 des gens sacréz ?

           BRUSQUET

    Je vous dy que tous les degréz

265  De leur doctorat ny prestrise,

    Parfun, encens ne vent de bize

    N’en osteroyent la puanteur.

           NOSTRADAMUS

    Ho ! beau Père, n’ayez jà peur

    De luy pour toutes ces paroles,

270  Car il dit maintes fariboles

    Où il n’y a pas grand esgard102.

           FRÈRE  FÉCISTI,  en s’adressant à Nostradamus

    Monsieur, je vien cy de la part

    De nostre sainct-père le pape103.

           BRUSQUET

    Auquel le fondement eschappe104,

275  De peur qu’il a des huguenots.

           FRÈRE  FÉCISTI

    Et pour vous ouvrir en deux mots

    Le secret de mon ambassade,

    Sçachez qu’il est bien fort mallade105

    D’un regret qui trèsfort le point106.

           [BRUSQUET]

280  Par adventure, son pourpoint

    Se trouve trop long pour ses chausses ?

           FRÈRE  FÉCISTI

    C’est que, par inventions fausses,

    Ces huguenots tant desrégléz107

    Ont faict qu’il a perdu ses clefs108

285  Du Ciel et de l’Enfer horrible.

           BRUSQUET

    La perte seroit bien terrible

    Si c’estoyent les clefs du cellier109 !

           FRÈRE  FÉCISTI

    Parquoy, je vien me conseiller

    Vers vous, duquel la renommée

290  Est par tout le Monde semée

    Pour deviner tout ce qu’on veut110.

           BRUSQUET

    Seulement sçavoir il ne peut

    Le gouvernement de sa femme111

           FRÈRE  FÉCISTI

    Donc, en l’honneur de Nostre Dame112

295  Et du glorieux sainct François,

    Je vous prie qu’à ceste fois

    Vous mettiez tout[e] vostre estude,

    Soin, labeur et sollicitude

    Pour ces clefs nous faire trouver.

           BRUSQUET

300  Ou le pape s’en va crever.

           FRÈRE  FÉCISTI

    Car ne pouvant, par telle perte,

    Ses amis selon leur desserte113

    Récompenser après leur mort,

    Ni de ceux qui luy ont faict tort

305  Se venger ainsi qu’il désire,

    Cela le rend plus que martyre,

    Se voyant sans aucun pouvoir.

           NOSTRADAMUS

    Peut-il pas le moyen avoir

    D’envoyer aux Limbes des Pères114

310  Les siens, et ces fauces115 vipères

    D’huguenots au feu plus ardent

    De Purgatoire, en attendant

    Que ces clefs retrouver se puissent ?

           BRUSQUET

    Il craint que les huguenots pissent

315  En Purgatoire, s’ils y vont.

    Car il sçayt jà comment ils l’ont

    Descouvert et mis à la pluye116.

           FRÈRE  FÉCISTI

    En attendant l’heureuse vie117,

    Les siens aux Limbes il a bien mis.

320  Mais ses malheureux ennemis

    Qu’il veut mander118 en Purgatoire

    Ne veulent obéir ne croire,

    Mais s’en mocquent ouvertement.

           NOSTRADAMUS

    Beau Père, croyez hardiment

325  Que marry suis de telle chose.

    Mais j’espère bien et propose

    Y pourvoir par quelque moyen ;

    Car j’entens, comme sçavez bien,

    L’art de sçavoir toute adventure

330  Présente, passée119 et future.

    Et n’obmettray rien en ce faict,

    Car je suis serviteur parfaict

    Du Saint-Père, qui cy vous mande120.

           BRUSQUET

    Mais le pape et toute sa bande

335  De cardinaux et de prélats,

    Comment ne s’advisent-il[s] pas

    D’un moyen ?

           FRÈRE  FÉCISTI

             Quel ?

           BRUSQUET

                  Prompt et facile :

    De faire par toute la ville

    Viste la perte publier ;

340  Et l’ayant ainsi faict crier121,

    S’ils n’en oyent nouvelles seures122,

    Qu’ils fissent lever les serrures123,

    Et d’autres clefs viste forger.

    Et alors, ils pourront loger

345  Tous leurs hostes à leur plaisance.

           FRÈRE  FÉCISTI

    Il faut en toute diligence

    Mander124 au pape vostre advis !

           BRUSQUET

    Voire da !

           NOSTRADAMUS125

             Laissons ces devis,

    Et advisons qu’il faudra faire

350  Pour y pourvoir.

           FRÈRE  FÉCISTI

                Quant à l’affaire,

    Monsieur, vous entendez que c’est126 :

    Advisez ores, s’il vous plaist,

    D’en dire en quelque bon[n]e sorte.

           BRUSQUET

    Voulez-vous que je vous apporte

355  Icy un crible et des cizeaux,

    Pour voir, comme les devineaux127,

    Que128 ces clefs seront devenues ?

           NOSTRADAMUS

    Ces façons-là sont trop cogneues.

    J’ay maint autre plus grand moyen,

360  Où peu de gens entendent rien129.

           BRUSQUET

    Et vous, aussi peu que nul autre.

           NOSTRADAMUS

    L’efficace du sçavoir nostre

    Est plus grand[e] que ne pensez,

    Et vous le cognoistrez assez

365  Par une vraye certitude.

    Je me retire en mon estude

    Pour vous respondre sur cecy.

           BRUSQUET

    Vous attendrons-nous icy ?

           NOSTRADAMUS

    Nenni, vous pourriez trop attendre.

370  Mais ne failliez pas à vous rendre

    Icy demain, de plus matin.

           BRUSQUET

    Et quoy ! pour humer un tastin130

    De muscat ou de malvoysie ?

           NOSTRADAMUS

    Je vay mettre ma fantasie131

375  Et employer tous mes esprits

    En tous les arts qu’oncques j’appris,

    Affin que la perte132 se treuve ;

    Tout ce qu’à Tolède133 on espreuve,

    Soit des Hétrusques anciens

380  Ou modernes magiciens,

    Comme Agrippa134 et ses semblables.

           BRUSQUET

    Je croy bien qu’à messieurs les diables

    Vous ferez bravement la cour135.

           NOSTRADAMUS

    Or, frater, pour le faire cour[t],

385  Je ne lairray136 contrée aucune,

    Depuis la sphère de la Lune

    Jusqu’à la plus haute des cieux,

    Où, d’un soin plus que curieux,

    Ces clefs perdues je ne cerche.

390  Et s’elles sont en croc ou perche137

    Pendues138 en lieu que ce soit,

    Si mon espoir ne me déçoit,

    Vous en aurez quelque nouvelle.

    Car j’entens la praticque belle

395  (Outre l’aspect des astres beaux139)

    De bien deviner par les eaux,

    Par l’aer, par le feu, par la cire.

    Je sçay qu’onimance140 veut dire,

    Et lécanomancie141 avec.

400  J’entens le vol et son du bec

    Des oyseaux. Par aruspicine142,

    Je sçay que c’est d’extispicine143.

           BRUSQUET

    Et de l’estronspicine144 aussi !

           NOSTRADAMUS

    Bref ! je mettray hors de souci

405  Et le S[ainct-]Père vostre maistre,

    Et vous, pour vous faire cognoistre

    Le vouloir145 que j’ay envers luy.

           FRÈRE  FÉCISTI

    Je prendrai donc, pour ce jourd’huy,

    Congé de vous jusques à l’aube.

410  S. François vueille de son aube

    Vous affeubler146, à vostre mort !

           BRUSQUET

    Monsieur, j’aurois de vous grand tort

    Si je partois de ceste terre

    Sans vuider chez vous quelque verre

415  De ce bon vin de Frontignan.

           NOSTRADAMUS

    Vous dittes vray, par S. Trégnan147 !

    Et vous prie n’y faire faute.

    Mais puisque la nuict est jà haute,

    Ce sera quand aurez loisir.

           FRÈRE  FÉCISTI

420  Vrayement, j’eusse bien pris plaisir

    Qu’il nous148 eust invité à boire.

           BRUSQUET

    Je suis tousjours de loisir149, voire ;

    Mais vous m’abrevez de caquet.

           NOSTRADAMUS,  en s’enfermant en son estude

    Jusqu’au revoir, seigneur Brusquet !

.

           FRÈRE  FÉCISTI,  en parlant à Brusquet

425  Monsieur, mais qu’il ne vous desplayse,         SCÈNE  X

    Par mon habit150, je suis fort aise

    De vous cognoistre, maintenant.

    Et suis marri qu’incontinent

    Ne vous ay cogneu d’arrivée151.

           BRUSQUET

430  Ma jambe s’en est bien trouvée152,

    Depuis que vous m’avez cogneu !

           FRÈRE  FÉCISTI

    Certes, je vous avois tenu

    Pour quelque hérétique volage,

    Jugeant de vous par le langage ;

435  Dont je vous demande pardon.

           BRUSQUET

    Bien nous dirons à G[r]allardon153

    Qu’il vous en despesche vos bules154.

    Mais recommandez-moy aux mules155

    De Rome, quand vous y serez ;

440  Et de celles que panserez156,

    Gardez bien le pied de derrière !

           FRÈRE  FÉCISTI

    Or bien, Monsieur, laissons arrière

    Ces propos de petit acquest157,

    Et me promettez, s’il vous plaist,

445  Que ne nous ferez point la honte

    D’aller faire à la Cour158 le compte

    De ce que j’ay dit devant vous.

           BRUSQUET

    Je ne le veus pas dire à tous,

    Encor qu’à quelc’un je le disse ;

450  Et si159, ne sera par malice,

    Mays seulement par passetemps.

           FRÈRE  FÉCISTI

    Ha ! Monsieur, bien je vous entens.

    Mais pour Dieu, qu’il ne vous eschappe :

    Ce seroit pour mettre le pape

455  Hors de crédit jusques au bout,

    Si cela se sçavoit partout160.

    Le bon S. François vous en garde !

           BRUSQUET

    Beau Père, quand je vous regarde,

    Puisque me cognoissez ainsi,

460  Je vous cuide cognoistre aussi.

    Vous ay-je point veu à Valence161 ?

           FRÈRE  FÉCISTI

    Il peut bien estre162.

           BRUSQUET

                  Mais je pense

    Vous avoir veu en autre lieu.

           FRÈRE  FÉCISTI

    À Romans ?

           BRUSQUET

              Voire, de par Dieu !

465  Or çà ! j’ay rencontré mon homme163 :

    N’est-ce pas vous que l’on surnomme

    « Frère Fécisti », au couvent164 ?

           FRÈRE  FÉCISTI

    Jésus Maria ! que souvent

    D’autres m’ont pris, en telle sorte,

470  Pour cestui-là qui ce nom porte,

    Pource que nous nous ressemblons !

           BRUSQUET

    Ho ! beau Père, les propos longs

    Font le temps court165. N’aiez vergongne :

    Je sçai sur le doit166 la besongne

475  Plus de sept bons ans il y a167.

           FRÈRE  FÉCISTI

    Besongne ? Jésus Maria !

    Quelle besongne ?

           BRUSQUET

                De la garce,

    Dont on vous fit jouer la farce,

    Les ha[i]llons sur le cul troussés168.

           FRÈRE  FÉCISTI

480  Hé ! Monsieur, que ce soit assez

    Se mocquer du pauvre beau Père !

    Je vous ay jà, par raison clère,

    Monstré que ce n’estoit pas moy.

           BRUSQUET

    Vraiement, quand plus je vous voy,

485  Pour Fécisti mieux je vous treuve.

    Et si j’avois besoin de preuve,

    J’aurois encor bien des tesmoins.

           FRÈRE  FÉCISTI

    Voire, c’est bien dict169 !

           BRUSQUET

                   Mais au moins,

    Vous ne passastes la journée,

490  Comme l’asne à sainct Irénée,

    Sans estre estrillé et frotté.

           FRÈRE  FÉCISTI

    Pleust à Dieu que fussiez esté

    Au lieu170 de celui que vous dittes !

           BRUSQUET

    Mais bien171, que pour vos beaux mérites

495  Vous fussiez encor(e) du festin172 !

           FRÈRE  FÉCISTI

    J’aimerois mieux que le mastin173

    De S. Hubert vous tinst aux fesses !

           BRUSQUET

    On dit que vous faisiez des vesses174

    Comme les mulets trop sanglés.

           FRÈRE  FÉCISTI

500  Hé ! que bien vous me resemblez

    Merle175 mocqueur, tel que vous estes !

           BRUSQUET

    Et vous, la plus lourde des bestes,

    Dessous vostre grisastre habit176 !

           FRÈRE  FÉCISTI

    Comment, « beste » ? Qu’avez-vous dict ?

           BRUSQUET

505  Je te di fol, larron et asne.

           FRÈRE  FÉCISTI

    Ha ! maudit huguenot profane177,

    Me viens-tu ainsi outrager ?

           BRUSQUET

    Viençà, moyne : veux-tu gager

    Que je diray de bons exemples

510  Par lesquels fort bien tu ressembles

    Un fol, un asne et un larron ?

    Premièrement, ton chapperon,

    C’est proprement d’un fol la cappe178.

    Un larron, de peur qu’il n’eschappe,

515  De corde est lié comme toy.

    Tu es vestu de gris, en quoy

    La robe d’un asne tu portes.

    Car aussi, de toutes ces sortes

    Tu en tiens, comment que ce soit179.

520  Et voilà pourquoi l’on te voit

    Frocqué, encordé et grisastre.

           FRÈRE  FÉCISTI

    Vous vous pourriez bien faire battre,

    Si ne cessez de vous mocquer !

           BRUSQUET

    Tu te ferois bien deffrocquer180,

525  Si tu faisois par181 trop du brave !

           FRÈRE  FÉCISTI

    Je ne te crain pas d’une rave182,

    Tout borgne183, Brusquet, que tu es !

           BRUSQUET,  en le frappant

    Tien ! voilà pour ton nés punais184 !

           FRÈRE  FÉCISTI

    À l’aide ! Le meschant me frappe !

           BRUSQUET

530  Crie185 ton s[ainct-]père le Pape !

           FRÈRE  FÉCISTI

    Je t’excommunie, huguenot !

           BRUSQUET,  en frappant tousjours

    Et je te bourre, moine sot !

*

1 Il perdit « sa maison, qui fut pillée aux premiers troubles ; et fut contrainct de sortir de Paris et se sauver ». Brantôme, Vies des grands capitaines : le chap. 69 raconte incidemment toute la vie de Brusquet, que Brantôme a connu. Voir aussi ma note 183.   2 Ce mot latin est expliqué aux vers 72-84. On prononce à la française « fessisti », avec un jeu de mots sur fesses.   3 Ils lui reprochaient le dialogue de Passevent, parisien, respondant à Pasquin, romain (1556), une chronique scandaleuse du sectarisme genevois qu’on avait longtemps attribuée à Artus Désiré. Toujours en 1556, le cordelier dirigea contre Calvin une Épistre catholique et chrestienne envoyée par Anthoine Cathalan aux seigneurs et sindiques de Genève. Ce titre inspira le calviniste dissident Guillaume Guéroult, qui publia en 1559 une Épistre du seigneur de Brusquet aux magnifiques & honnorés seigneurs syndicz & Conseil de Genève. Cette lettre* imputée au bouffon royal faisait croire qu’il voulait abjurer le catholicisme. Jacques Bienvenu s’en est souvenu quand il a choisi Brusquet comme personnage.  *Elle contient une allusion à la bisexualité de Cathalan : « On ne me pourra reprocher que j’aye esté ny moyne, ny bougre, & que j’aye faict la court à quelque abesse : car je n’ayme point estre porté en crouppe. Fy de crouppions ! »   4 Fouetté par ses congénères : on l’avait surpris avec une femme mariée.   5 Homme à tout faire du pape. Cf. les Ditz de Maistre Aliborum qui de tout se mesle : « À Romme vins, où je fis saint nouveau./ Peu s’en faillit que ne fus cardinal :/ Mais ung vent vint, qui m’osta le chapeau. » Bienvenu fera de maître Aliborum l’un des personnages du Monde malade et mal pansé.   6 Ayant adhéré à l’Église évangélique. Cathalan s’était réfugié en Suisse pour y vivre tranquillement avec sa concubine, Marie Piédeloup. De retour en France, il dira l’avoir épousée « à la mode de Genève ».   7 Quelqu’un qui veuille l’employer. Calvin lui règle son compte dans Réformation pour imposer silence à un certain bélistre nommé Antoine Cathelan, jadis cordelier d’Albigeois (1556) : « Estant arrivé à Genève en la compagnie d’une putain qu’il traînoit partout, il commença par demander l’aumosne…. Il impétra pension d’escolier, pour estre nourri en l’escole de Lausanne. Estant là venu, pource qu’on descouvrit tantost quelle sorte de beste c’estoit, il ne fut pas trop bien receu à son gré. »   8 Calvin, Réformation…   9 Nous sommes à Paris, devant une écurie. Henri II avait nommé Brusquet « maistre de la Poste de Paris » (Brantôme) : il louait des chevaux aux voyageurs.   10 Éd. : se tenir  (Arriver.)  Un cordelier entre sur la pointe des pieds, le visage dissimulé sous sa capuche. Il vient de louer un cheval.   11 Il va me maudire.   12 Jeu de mots sur « Dieu vous garde bien » et « Dieu vous gard [vous éloigne] de bien ». Voir la note 79 de Guillerme qui mengea les figues. On passe du décasyllabe à l’octosyllabe, moins solennel dans un dialogue. Bienvenu fera la même chose dans sa Comédie du Monde malade.   13 L’ordre des franciscains, qu’on surnommait les cordeliers, fut fondé par saint François d’Assise. Brantôme raconte comment Brusquet, qui méprisait les moines, paya deux cordeliers pour exorciser au péril de leur vie le maréchal Strozzi.   14 Un peu. Le moine, qui ne veut pas répondre, s’en tire par une pirouette.   15 Un croc-en-jambe, une tromperie. (Idem vers 154.) « Il congneut bien que l’on luy avoit donné une trousse. Dont il pensoit bien se taire, pour crainte d’estre mocqué ; mais les compagnons le jouèrent le lendemain sur l’eschafaut [sur scène], dont chacun se prit à rire. » (Tabourot.) Cf. le Munyer, vers 413.   16 Je le devine.   17 Avant de vous révéler quoi que ce soit.   18 Cependant.   19 Espérons que vos actes sont aussi sûrs (que vos propos).   20 Je suis bien tombé. Littéralement : J’ai rejoint la rive. Même vers dans Calbain.   21 Je ne risque pas (puisque j’ai atteint la rive).   22 Vous ne finirez pas noyé mais pendu.   23 Vous seriez à la place d’honneur, si nous étions pendus. Dans sa jeunesse, Brusquet se fit passer pour médecin au camp d’Avignon, où ses remèdes tuèrent des lansquenets suisses (!). Condamné à être pendu, il fut sauvé in extremis par le futur Henri II.   24 Adieu ! Litt. : Donnez-moi la permission de me retirer.   25 Vous avez imaginé ce rendez-vous urgent.   26 Sur un cheval de louage. Brusquet s’adresse alors au public.   27 Bienvenu répond à Cathalan, qui applique ce sobriquet aux calvinistes : « Le soyr, le grand paillard Calvin sortoit pour aller, là où bon luy sembloit, soupper ; & là trouvoit l’assemblée des frères Frapards. » Passevent (v. note 3).   28 Romans-sur-Isère, encore cité au vers 464. En 1562, les cordeliers avaient fui la ville par peur des protestants.   29 Éd. : Qui   30 Même double sens que le verbe baiser.   31 Bien vigoureusement.   32 Les moines fautifs qu’on « mettait au chapitre » se faisaient « chapitrer » par leurs congénères, et pouvaient alors subir toutes sortes de brimades.   33 « Il n’est pas possible de choisir gens à louage qui mettent en plus grand opprobre tout le clergé du Pape, que fait ce bélistre. » Calvin, Réformation pour imposer silence à un certain bélistre nommé Antoine Cathelan.   34 Hélas, mon frère, qu’as-tu fait ? Tu as déshonoré notre Ordre.   35 Baisseur de pantalon. « Li prestre (…)/ Si avoit ses braies avalées,/ Et les coilles granz et enflées/ Qui pendoient. » Le Flabel d’Aloul. (Cf. les Premiers gardonnéz, vers 213.) Les braies de saint François ont fait carrière dans la littérature libertine ; voir la note 149 de Frère Guillebert.   36 Des moqueries. « M. de Strozze, se doubtant des bayes accoutumées dudict Brusquet. » Brantôme.   37 Ce qu’il.   38 Brusquet naquit à Antibes. « Païs » est la forme provençale de « pays », comme au vers 186.   39 Il monte sur un de ses chevaux.   40 Un globe. L’astrologue affectait cette pose inspirée. L’acte II se déroule chez lui, à Salon-de-Provence. Sous la didascalie, l’édition ajoute, en vedette : Nostradamus.   41 Bienvenu imite –sans trop de peine– le galimatias des Prophéties.   42 N’en prend pas soin, ne s’en occupe pas.   43 Un des pires libelles écrits contre Nostradamus le fut par un autre astrologue provençal, Laurens Videl : Déclaration des abus, ignorances et séditions de Michel Nostradamus, de Salon-de-Craux en Provence, 1558. Videl lui reproche d’une manière très argumentée de ne rien connaître à l’astronomie : « À midi, ce jour que tu dis, la lune est à XI degréz & trante-huit minutes ; en quinze heures, n’auroit-elle fait qu’un degré & troys minutes ? N’es-tu pas du tout [complètement] ignorant ? »   44 Bienvenu se moque des esperluettes (&) qui parasitent les Prophéties, et qu’on doit supprimer pour que le vers retrouve sa mesure et un semblant de sens. Voici quelques décasyllabes extraits de la Centurie première (éd. 1555) : « Lors accomplir & mine ma prophétie.// Seur marchera par ciel, terre, mer, & onde.// Son puy & crédit à un coup viendra mince. » Nous devons donc lire : « Il court comme un lapin en broche. »   45 Chasseur mythologique qui donna son nom à une constellation.   46 D’escargots. Ces prophéties doivent beaucoup à la Pantagruéline prognostication, de Rabelais : « À cause de Pisces [des Poissons] ascendant, il sera grand année de caquerolles. » Ce mot est provençal : Rabelais avait fait ses études de médecine à la faculté de Montpellier, dont Michel de Nostredame (le futur Nostradamus) venait d’être expulsé.   47 Les statues en métal qui représentent des saints. La forge de Vulcain, dieu du feu, se trouve sous l’Etna.   48 Il arrive lentement sur son cheval. Le soir tombe.   49 Comme si je l’avais.   50 Et surtout envers ceux de son Ordre. Voir la note 13.   51 Il leur octroie, leur accorde.   52 Éd. : Salem de Craux  (Salon-de-Provence, où résidait Nostradamus.)   53 Si je ne me trompe pas.   54 Ayant dépassé le moine, il descend de cheval devant la maison de son ami Nostradamus. Il ignore que c’est aussi la destination du cordelier.   55 À cause de la vitesse.   56 Finement tissé, comme un tapis de haute lisse.   57 Saint François lui aura été bien utile.   58 Sans arriver.   59 Pour ne pas m’ennuyer en attendant qu’il passe.   60 Pour voir comment il est penaud quand ses démons ne l’inspirent plus. « Alors sera Nostradamus/ Fort estonné & bien camus. » La Déclination des papes : Contrepronostication à celle de Nostradamus de Pie quatrième (diatribe anticatholique de 1561). Brusquet passe pour être l’auteur d’un coq-à-l’âne adressé à Ronsard : « Mais ceux-là qui ont le nez court,/ Ainsi que dict Nostradamus,/ Sont en dangier d’estre camus/ À cause de Mars descendant. »   61 Avec une toupie : « Un exemple de la touppie ou du sabot dont les enfans se jouent. » (ATILF.) Junon est l’épouse de Jupiter.   62 Saint Bruno, fondateur du monastère de la Grande Chartreuse, que les protestants avaient pillé puis incendié en 1562.   63 Sa Chartreuse. « En chartrousse me veux retrayre [retirer]. » ATILF.   64 Ramenez les voiles (comme sur un bateau pendant l’orage).   65 À Dieu.   66 En se dégageant. Nostradamus et Brusquet, tous deux Provençaux, se connaissent.   67 Quelles nouvelles ?   68 Avez-vous besoin de le demander, vous qui prétendez lire l’avenir ?   69 Votre horloge. L’astrologue s’entourait d’instruments de mesure. (N.B. : la Tour de l’Horloge n’existait pas encore.)   70 Il est complètement dissimulé sous son froc et sa capuche.   71 C’est un moine tout emmitouflé. Bienvenu répond à Cathalan, qui avait traité les Genevois de « frères Mitou(ards) », c’est-à-dire d’hypocrites : « Affin de faire mieulx du pauvre, & la chatte-mitte*, & du bon frère Mittou…. À fin qu’ilz aient plus de courage de bien servir les frères Mittouards, & en dire du bien. » Passevent (v. note 3).  *La chochotte. « Benoist fait bien la chattemitte,/ Benoist est un bon sodomite. » Ms. fr. 22560.   72 Le reconnaissez-vous ?   73 Pour un imbécile comme vous. « Les appelant veaulx et idiotz. » Rabelais, Pantagruéline prognostication.   74 Vous êtes né de la dernière pluie. « Voicy ung homme bien nouveau ! » Les Cris de Paris.   75 Vous vous étonnez beaucoup à mon sujet.   76 Avant vous : premier arrivé, premier servi ! Mais le protestant rappelle qu’il peut manger de la viande en ce jour maigre, contrairement au catholique.   77 J’en connais tous les raccourcis.   78 De la corde : de peur d’être pendu.   79 Si c’était un « bâton merdeux », une affaire douteuse. Sur ce bâton qu’on ne sait par quel bout tenir, voir la note 124 du Roy des Sotz.   80 Du pape, comme au vers 405.   81 Vous me cherchez des noises.   82 Autorisé.   83 Qu’amende honorable, que réparation.   84 Nostradamus et moi.   85 Un des.   86 De mon identité.   87 Vous entendrez ce qu’il.   88 N’ayez plus peur.   89 Sans vous méfier de lui.   90 L’humidité du soir.   91 La raison de ma venue.   92 Vous ne m’empêcherez.   93 Quelque blasphème. « Les huguenots (…) disoient mille mots de gorge & de blasphème contre l’honneur & service de Dieu. » Florimond de Ræmond.   94 La cour de Charles IX n’était pas très favorable aux huguenots. (C’est d’ailleurs sous ce règne qu’aura lieu le massacre de la Saint-Barthélemy.) Nostradamus connaissait la cour, où son admiratrice Catherine de Médicis l’avait invité ; il y a probablement croisé le véritable Brusquet.   95 Vers la faculté de théologie, opposée à la Réforme.   96 Quels sarcasmes. Ce passage évoque Gargantua (chap. 17) : depuis la cathédrale Notre-Dame, dont les gargouilles représentent des diables, le bon géant pisse « par rys » (cette formule est employée trois fois) sur le Quartier latin, et donc sur la Sorbonne. Bienvenu, comme tous les protestants, est un grand lecteur de Rabelais.   97 Maléfiques.   98 Que cela pue plus dans la Sorbonne que dans un cabinet. (Cf. le Retraict.) Le défaut d’hygiène de l’enseignement catholique était proverbial : les poux du collège de Montaigu, proche de la Sorbonne, passaient pour être aussi gros que des éperviers (Gargantua, 37).   99 Que vous entendrez.   100 C’est son langage naturel.   101 Qu’il déshonore.   102 Auxquelles il ne faut pas faire attention.   103 Pie IV régna de 1559 à 1565. Les protestants affirment que ce père de trois enfants est mort dans les bras d’une courtisane.   104 Qui se chie dessus.   105 La Comédie du Pape malade et tirant à sa fin est une pièce anticatholique attribuée à Conrad Bade (1561).   106 Le pique.   107 Qui se sont écartés de la règle.   108 Les clés de saint Pierre. Pie IV les retrouverait s’il se retournait : elles figurent dans ses armoiries.   109 L’ivrognerie des prêtres est un sujet inépuisable.   110 On comprend la discrétion du pape et de son envoyé : Nostradamus était mal vu par les chrétiens. Seuls les prophètes inspirés par Dieu pouvaient prévoir l’avenir (Deus scit et non alius) ; les autres étaient inspirés par le diable. Circonstance aggravante, Nostradamus était d’origine juive : « Ces tant évidentes menteries descrites en voz petitz paquectz annuelz [dans vos Almanachs], qui sentent encores leur judaïsme à pleine gorge. » Le Monstre d’abus (1558).   111 Ce que fait sa femme. C’est un premier emprunt au chapitre 25 du Tiers Livre, de Rabelais : « Prædisant tout l’advenir, seulement [il] ne voyoit sa femme brimballante. » On ignore si les huit enfants de Nostradamus sont tous de lui. Mais on est sûr que Brusquet, lui, était cocu : sa femme avait beau être « la plus laide que le diable chia jamais », elle épousa le facteur qui lui annonçait la (fausse) mort de son mari !   112 De la Vierge Marie. Mais l’astrologue s’appelle Nostredame. Il a latinisé son nom pour être enfin pris au sérieux. Sa véritable profession est apothicaire, comme maître Doribus ; Laurens Videl le traite de « triacleur [charlatan] & aracheur de dens ». Et il ajoute plus loin : « En voulant fuir le tiltre d’ignorant, tu tomberas à un pire : à savoir de faulcère, trompeur, & abuzeur de peuple. »   113 Selon les services qu’ils lui ont rendus. Cf. la Laitière, vers 351. Sur les indulgences et les pardons vendus par le Vatican, voir le Pèlerinage de Saincte-Caquette.   114 Là où vont les âmes des justes qui ont eu la malchance de mourir avant la création du christianisme. « Moÿse s’en est allé aux Limbes des Pères. » L’Alcoran des Cordeliers.   115 Perfides.   116 Comment les luthériens ont ruiné l’idée de Purgatoire. Voir l’Invention du Purgatoire, de Jacques Le Goff.   117 La vie éternelle, le Paradis.   118 Expédier.   119 On est désormais sûr que les prophéties de Nostradamus concernent des événements du passé. Voir l’édition critique des Premières Centuries ou Prophéties, par Pierre Brind’Amour (Droz, 1996).   120 Qui vous envoie ici. Pour endormir la méfiance des catholiques, Nostradamus avait dédié à Pie IV les Prédictions de l’almanach de l’année 1562.   121 Et après l’avoir ainsi fait annoncer par un crieur public.   122 Sûres.   123 Qu’ils fassent démonter les serrures du Paradis et de l’Enfer pour en prendre les empreintes.   124 Faire connaître. Le moine est tellement bête qu’il omet un détail : si on démonte les serrures, tout le monde pourra sortir de l’Enfer, et entrer au Paradis…   125 Il s’inquiète pour son salaire, qui risque d’être compromis. L’avarice de Nostradamus est encore soulignée aux vers 416-419. Laurens Videl en parle : « Tu es un ignorant, fol escervelé, lunatique resveur, fuyant les hommes sinon pour en tirer quelque proufit, n’ayant autre amy que ton vilain gaing. »   126 Vous comprenez ce que c’est.   127 Les devins pratiquaient la coscinomancie : pour retrouver les objets volés, « on se servoit d’un crible & de ciseaux. Une des pointes des ciseaux étant plantée dans le bord du crible, on faisoit reposer l’autre pointe sur l’ongle de celui qui proféroit ces mots : douwima, touwima, entimemaus ; puis on prononçoit les noms de ceux qu’on soupçonnoit, & le crible tournoit au nom de celui qui avoit volé. » (Ambassades mémorables.) Brusquet suppose donc que le voleur est présent : ce ne peut être que Fécisti, qui revient du Vatican.   128 Ce que.   129 Comprennent quelque chose.   130 Un coup. Le muscat est un vin doux de Frontignan (vers 415) ; la malvoisie est un vin doux de Grèce. (Sur les petits-déjeuners alcoolisés, voir la note 68 des Vigilles Triboullet.) Laurens Videl considère que les visions de Nostradamus sont provoquées par « le vin vieulx tout pur. Car tu ne te contantes boire par toutes les bonnes maisons, mais vas boire par toutes les tavernes & cabaretz. »   131 Mon imagination.   132 Le trousseau perdu.   133 Ville espagnole célèbre pour son école de magie. (Voir la note 37 de Tout-ménage.) « Jouer des arts de Tolède » = tromper.   134 L’ésotériste allemand Corneille Agrippa, mort en 1535. Rabelais le ridiculise dans le Tiers Livre (chap. 25) sous le nom de Her Trippa. Bienvenu emprunte au Tiers Livre la coscinomancie <vers 355>, l’hydromancie <396>, l’aéromancie, la pyromancie et la céromancie <397>, l’onomancie <398>, la lécanomancie <399>, l’ornithomancie <400>, l’haruspicine <401>, l’extispicine <402>, et… l’étronspicine <403>.   135 Je crois que vous allez employer le satanisme.   136 Je ne laisserai de côté.   137 Jeu de mots géographique sur « en Craux ou en Perche ».   138 Éd. : Perdues  (Écho du vers 389.)  Pen-du-es compte pour 3 syllabes.   139 En plus de l’astrologie.   140 Divination par les lettres d’un nom. En examinant celui-ci, on devine que c’est l’anagramme d’onanisme. Quant à « Nostradamus », il fut transformé en Monstre d’abus ; c’est le titre d’un pamphlet qu’un protestant a décoché à celui qu’il traite d’ « oracle de Salon ». L’anagramme « monstres d’abus » se retrouve dans les Satyres chrestiennes de la cuisine papale. Ailleurs, « la philosophie de Nostradamus » est devenue : « La fol s’y fie de Monstradabus. » (Montaiglon, IV, 294.)   141 Divination par les gouttes d’huile flottant sur de l’eau.   142 Divination par les entrailles d’un animal.   143 Idem. On lit dans la Centurie tierce : « Interprétés seront les extispices. »   144 « Par estronspicine ! respondit Panurge. » (Tiers Livre, 25.) La divination par l’étron s’appelle scatomancie, ou copromancie.   145 Le bon vouloir.   146 Veuille faire de sa robe blanche votre suaire.   147 « Sainct Treignant d’Escosse fera de miracles tant et plus. » Rabelais, Pantagruéline prognostication.   148 Éd. : vous  (Si on en croit Calvin, Cathalan était un ivrogne.)   149 Je suis disponible (pour aller boire avec vous).   150 Le moine jure sur son habit. Il est content d’avoir connu l’homme qui lui a donné l’idée de faire un double des clés (vers 343).   151 D’emblée.   152 Cela me fait une belle jambe !   153 « Gras lardon », c’est-à-dire « gros lard », désigne le pape. Pie IV n’était pas obèse, mais on brocardait traditionnellement la gloutonnerie des grands prélats, qui passaient leurs journées à table et qui s’octroyaient entre eux des dispenses pour se goinfrer les jours maigres. (Cf. les Satyres chrestiennes de la cuisine papale.) Dans le Quart Livre de Rabelais <chap. 40>, Graslardon est un cuisinier.   154 Qu’il vous envoie une bulle pontificale pour vous nommer évêque. « Aussi c’est un terrible cas/ De payer deux mille ducas/ Pour avoir du Pape une bulle. » Brusquet, Coq-à-l’asne envoyé à Ronsart.   155 Aux montures des cardinaux. Pour Brusquet, les « mules de Rome » sont les cardinaux eux-mêmes.   156 Éd. : penserés  (Attention que les mules que vous brosserez ne vous envoient pas une ruade avec leurs pattes arrière.)  Brusquet rabaisse le futur évêque au grade de palefrenier : le 2ème des Sotz ecclésiasticques était aussi palefrenier, avant d’être cardinal.   157 De peu d’intérêt.   158 Dès qu’il avait fait une sale blague, Brusquet courait la raconter au roi.   159 Et même.   160 Pie IV n’aurait pas été le premier pape à entretenir un astrologue juif : voir la note 162 du Jeu du Prince des Sotz.   161 Les huguenots avaient chassé de Valence les cordeliers en 1560.   162 C’est possible.   163 Je vous reconnais.   164 Bienvenu commet une maladresse : le moine est déjà démasqué au vers 176.   165 Dites-moi tout.   166 Sur le bout du doigt, parfaitement. Cf. les Femmes qui aprennent à parler latin, vers 266. Double sens de besogne : l’affaire, et le coït.   167 Depuis plus de 7 ans. Cf. le vers 70.   168 Votre robe retroussée sur vos reins pendant que vous receviez la fessée.   169 C’est vite dit.   170 À la place inconfortable.   171 Mais plutôt, plût à Dieu que…   172 Vous soyez encore régalé de coups. « Le lendemain de Saint-Martin,/ Me sentant encor du festin. » Jean Du Teil.   173 Le chien : saint Hubert est le patron des chasseurs. Dans le Dom Juan de Molière, le petit chien de monsieur Dimanche, qui mord les jambes des gens, se nommera Brusquet.   174 Des pets, pendant qu’on vous frappait sur les fesses. Mais pour les huguenots, vesse = messe : « Ces povres clabaudeurs [aboyeurs] de vesses,/ Ou si tu l’aimes mieux, de messes…./ Messe, vesse, si tu as sens,/ C’est tout un :/ Ils ont mesme sens. » Satyres chrestiennes de la cuisine papale.   175 Éd. : Vostre  (Il faut ici un nom d’animal, pour motiver la réponse de Brusquet.)  Que vous me semblez être un merle noir.   176 Les cordeliers se reconnaissent à leur froc gris, et à la corde à nœuds (vers 515) qui leur tient lieu de ceinture.   177 Athée.   178 « Attache-moy une sonnette/ Sur le front d’un moyne crotté,/ Une oreille à chaque costé/ Du capuchon de sa caboche :/ Voylà un Sot de la Bazoche/ Aussy bien painct qu’il est possible ! » (Clément Marot.) Un protestant a dit de saint François d’Assise : « Luy & les siens ont pris un habit de fol. » (L’Alcoran des Cordeliers.)   179 Quoi qu’il en soit.   180 Mettre le derrière à nu, pour recevoir une nouvelle fessée. « Tous les cordeliers mériteroyent bien qu’on usast sur leurs dos maintes poignées de verges. » L’Alcoran des Cordeliers.   181 Éd. : point   182 Pas plus qu’une rave.   183 Brusquet, peu avant sa mort, écrivit à Charles IX : « Vostre ancien bouffon, gravelleur [souffrant de calculs], pierreux [“], borgne, bossu et manchot, bany de sa Poste, sacagé en sa maison, vollé de ses serviteurs, mary de la plus laide et mauvaise teste de femme qui soit en France. » Advertissement de Brusquet au roy de France, touchant les troubles qui sont de présent en France pour le fait de la religion, 1568.   184 Ton nez puant. Brusquet traite Fécisti de Juif. « Blasmant les Juifs, vos parens (vous) diffamez/ Comme un maudit enfant et de traistre nature./ Si vostre nez punais désormais s’aventure/ À lascher dessus moy ses traits enveniméz… » Forget au nez tortu.   185 Appelle. Cri-e compte pour 2 syllabes.