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LA CONFESSION MARGOT
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Ce dialogue remontant au début du XVIe siècle exploite l’inépuisable filon de la confession parodique et, en l’occurrence, lubrique1.
Sources : BM1 = Édition conservée au British Museum de Londres sous la cote C 22 a 33 <141 vers>. BM2 = Recueil du British Museum, nº 21 <167 vers>. Sév. = Édition tardive et sans intérêt de la Bibliothèque colombine de Séville. Je publie la version longue (BM2), qui améliore considérablement BM1.2
Structure : Rimes plates.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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La Confession
de Margot la bénigne 3
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À deux personnaiges, c’est assavoir :
LE CURÉ
MARGOT
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MARGOT se met à genoulx devant
le Curé, et dit en plourant :
Je me confesse à vous, beau Père.
J’ay anuyt4 secouru ung frère
En sa grande nécessité.
Je l’ay faict par joyeuseté,
5 Car il en estoit empesché5.
Parquoy, sire, se j’ay péché,
J’en requiers absolution.
LE CURÉ
Fille, dictes vostre raison
Jusqu’à la fin de voz péchéz.
MARGOT
10 Sire, bien veulx que les sachez ;
Je diray tout sans riens rabatre.
Il le me fit6 troys foys ou quatre
Sans descendre, le beau robin7.
Ne sçay s’il estoit Jacobin,
15 Cordelier, Augustin ou Carme8,
Mais je vous jure sur mon âme
Qu’il le faisoit de trèsbon hayt9 !
LE CURÉ
De péché n’y avez point faict :
Il gaigne la gloire des Cieulx,
20 Qui faict bien10 aux religieux.
De cela soyez [bien] certaine.
MARGOT
Avecques moy coucha ung moyne
Dedans la meilleur de noz chambres ;
Ses genoulx mist entre mes jambes
25 Plus de sept foys, celle nuytée !
Je ne sçay se j’en suis dampnée :
Qu’en dictes-vous sur ce passage ?
LE CURÉ
Je vous tiens pour trèsbonne et sage
D’avoir faict si trèsbelle aulmosne.
30 De tous les cardinaulx de Romme11
Vous donray absolution.
MARGOT
Sire, entendez ma raison :
Souvent mon voysin je secours,
Et si, m’en voys à luy le cours,
35 Laissant mon mary quant il dort.
Le péché si fort me remort
Que je ne sçay se je m’en repente.
LE CURÉ
La chose n’est pas convenante
De soy repentir de bien faire.
40 Des grans peines de Purgatoire
Et d’Enfer le tourment villain
Je vous absouldray tout à plain12.
MARGOT
Sire, entendez d’ung pèlerin
Qu’alloit l’autre jour son chemin
45 Et ne sçavoit où aberger13.
Or je vous dis, pour abréger,
Que j’eux14 de luy trèsgrant pitié ;
Et lors, d’une grant amytié,
En ma chambre le fis loger.
50 Si, luy donnay bien à manger
Et à boire pour ce repas.
Puis après, je ne faillis pas
À mon lit faire et arrancher15,
Et avec(ques) moy le fis coucher.
55 Lors, nous mismes en si grand peine
Qu’à peu ne nous faillit l’aleine,
Par force de tarrabaster16.
Nostre lict ne peult arrester17,
Car l’ostel si fort en trembla
60 Que le lict à terre tomba,
Dont j’en fus trèsfort esbahye !
Sire, je ne sçay que j’en die,
Ne se je m’en doy repentir ;
Mais je vous dis bien sans mentir
65 Que j’en fus trèsfort desplaisante.
Ne cuydez pas que je vous mente ;
Par ma foy, je dis vérité.
LE CURÉ
M’amye, vous avez esté
Femme d’une trèsgrand constance,
70 Quant le pèlerin à plaisance
Avez bien logé, et au large18…
MARGOT, en plorant
Sire, ung aultre cas me charge,
Mais ne sçay se je l’ose dire.
LE CURÉ
Pourquoy non ?
MARGOT
Hélas ! c’est le pire
75 Péché que je fis en ma vie.
LE CURÉ
Si fault-il bien qu’on [me] le die,
Ou la confession ne vault oncques.
MARGOT
Sire, je vous [le] diray doncques,
Affin que de tout soye quitte.
80 L’aultre jour, trouvay ung hermite
Près d’ung grant chemin, en ung boys ;19
Lequel tenoit entre ses doys,
À plain poing, une gente chose.
LE CURÉ
Il ne fault point parler par glose20 :
85 Qu’estoit-ce ?
MARGOT
Je croy q’une endo[u]ille
Toute vive…
LE CURÉ
Ou [bien] une couille21 ?
Avisez bien lequel c’estoit.
MARGOT
Sire, par ma foy, ell’ avoit
La teste bien rouge22 devant,
90 Et ung chapperon23 pour le vent,
Qui estoit dessus la couronne24.
Elle estoit d’une façon bonne,
Grosse, belle à l’avenant,
Dure, roide au remanant25 ;
95 Et au pied, deux belles sonnettes26
Tant belles et tant joliettes,
Qui sonnoyent si doulx que rage.
Quant je la vis, j’eux grand courage
De m’aprocher pour mieux la27 veoir.
LE CURÉ
100 Et puis ?
MARGOT
À le vous dire voir28,
Me dit29 que celle belle chose
Avoit grand froid (dont30 je suppose
Qu’il la tenoit entre ses mains).
LE CURÉ
Après, m’amye, c’est du moins31.
105 Et puis ?
MARGOT
Je la prins par la teste,
Cuidant que ce fust une beste,
Et la mis entre mes deux cuisses
Pour l’eschauffer.
LE CURÉ
Ce sont grandz vices !32
La mistes-vous en vostre ventre ?
MARGOT
110 Elle s’i mist ; puis sault33, puis entre,
Si doulcement que c’estoit raige.
LE CURÉ
En cela, n’a point de dommaige :
Ce n’est que bien, comme j’entens.
MARGOT
Quant il eut fatrouillé34 long temps
115 Et qu’il voulut la chose reprendre,
Elle fut si povre, si tendre,
Si molle que c’estoit pitié,
Et plus petite la moytié
Que n’estoit au commencement.
120 Et si, plouroit fort tendrement,
Dont (lasse !) je fus esperdue,
Quant je la vis ainsi fondue
Et gastée par mon meschief35.
Car quant il cuida de rechief
125 S’en jouer comme premièr(e)ment,
Il ne peult ; car, par mon serment,
Elle plia par le milieu.
Si, en requier pardon à Dieu,
Et à vous absolution.
LE CURÉ
130 Vous av[i]ez grand dévotion
D’eschauffer celle pouvre beste.
MARGOT
Je luy frottay trop fort36 la teste,
Et vélà dont vint le dommaige.
LE CURÉ
Il vous partoit d’ung bon couraige37.
135 Qu’i a-il plus ?
MARGOT
Sire, j’ay dit
Tout tant que j’ay faict ne mesdit,
Au moins dont j’aye souvenance.
LE CURÉ
Vous estes femme de conscience.
Et ! qu’avez vescu sainctement !
140 Or, m’amye, premièrement,
Pour pénitence, vous irez
Visiter les lieux où sçaurez
Que sont les frères de nostre Ordre
(Comme les frères de la corde38,
145 Prescheurs, Carmes et Jacobins)
Tous les soirs ou tous les matins,
Tant que vous serez en jeunesse.
Au curé de vostre paroisse,
S’il a de vostre corps mestier39,
150 Ne luy en faictes pas dangier40 :
Paradis gaignera41 terrestre,
Qui fera bien au povre prestre
Et grand prouffit au povre moyne.
Et s’il survient sur la sepmaine
155 Quelque pèlerin deslogé,
Qu’en vostre chambre soit logé,
Et avecques vous le couchez,
Et près de luy vous approchez.42
J’ordonne que faciez debvoir
160 De souvent visiter et veoir
L’hermite du boys, au ramage43 ;
Et portez, comme femme sage,
De bon vin la plaine bouteille,
Pour vous festoyer soubz la feuille44 ;
165 Et apportez ung bon jambon.
Il luy met la main sur la teste, et dit :
Ainsi gaignerez le pardon,
Et voz péchéz s’effaceront.
In secula seculorum 45.
MARGOT
Amen !
Cy fine la Confession Margot
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1 Con fesser = frapper une vulve : Gratien Du Pont, vv. 417-430. 2 On consultera avec profit le travail exhaustif d’André Tissier : Recueil de farces, VI, Droz, 1990, pp. 369-422. 3 La bienveillante. S’agit-il de son patronyme, ou d’un sobriquet ? En tout cas, le prénom Margot était peu reluisant : Trote-menu et Mirre-loret, note 21. 4 Cette nuit. 5 Il était gêné par une érection. 6 Il me fit l’amour. « Vous ne me le ferez plus : ma mère m’a mariée. » Brantôme. 7 Homme de robe, religieux. Mais aussi, prototype du berger en rut : « Un jour, Robin vint Margot empoigner/ En luy monstrant l’oustil de son ouvraige,/ Et sur le champ la voulut besongner. » Clément Marot. 8 Les moines affiliés à un Ordre souffraient apparemment de priapisme : « Ung des beaulx religieux de tout nostre Ordre, aussi bien fourny de ce que ung homme doit avoir que nul de ce royaume. » (Cent Nouvelles nouvelles.) On dit encore : « Bander comme un Carme. » 9 De très bon cœur. 10 Celui qui fait du bien. Idem vers 152. BM1 remplace les vers 21-24 par ce passage non expurgé, où la rime « membre » est plus pertinente que « jambes » :
MARGOT
Ha ! sire, de ce suis honnye,
Car le curé de nostre ville
Angrossie m’a d’une fille,
Que j’ay donnée à mon mary.
LE CURÉ
Dame, faictes tousjours ainsi.
En Paradis sera saulvé
Qui fera bien à son curé.
MARGOT
Ha ! sire, encor(e) suys-je certaine
Qu’avec[ques] moy coucha ung moyne
Nu à nu dedans ma chambre ;
Entre mes jambes mist son membre
11 BM1 : du Rosne (qui rime mieux, bien qu’on trouve ailleurs la rime aumône/Rome. Le Rhône évoque le Palais des Papes d’Avignon au temps où les cardinaux s’y livraient à la débauche.) 12 Pleinement. 13 Héberger, loger. Dans BM1, ce pèlerin « avoit ung bourdon en charge ». Bourdon [bâton] = pénis : « En la main de madame la nonnain il mist son bel et trèspuissant bourdon, qui gros et long estoit. » Cent Nouvelles nouvelles. 14 J’eus. Idem vers 98. 15 Arranger, préparer. 16 Faire du tapage. 17 Ne put rester en place. On songe aux Dames galantes de Brantôme : « Elle et luy s’esmeurent et se remuèrent tellement toute la nuict, qu’ils en rompirent et enfoncèrent le fonds du châlit. » BM1 remplace les vers 59-60 par :
Car sur moy trois foys [il] monta,
Tant que [le] lict en tresbucha
Et que la couche cheut à terre,
Et y cheusmes aussi grant erre.
Nous fusmes bien mis à cul jus,
Et moy dessoubz et luy dessus.
18 On trouve la même pique dans les Récréations de Des Périers : « Madame la Fourrière, vous me logeastes l’autre nuict bien au large ! » 19 BM1 remplace les vers 81-134 par :
Qui tenoit en son poing ung membre
Très dur ; l’a bouté à mon ventre
Plus q’ung petit, à faire « saulce ».
Il parut bien que je fus faulse :
Quant son membre tyra l’hermite,
Il estoit plus mol q’une mitte…
Je m’en confesse et [me] repens.
LE CURÉ
Dame, vous feistes ung grant sens.
Plaine fustes de patience
Quant l’hermite fist sa plaisance
De vous, à son bon vouloir.
Je vous absoulbz de ce, pour voir.
20 Par énigmes. Des énigmes bien transparentes, puisque « chose » = pénis : Troys Gallans et Phlipot, note 53. 21 Couille (au singulier) et andouille désignent le pénis. « Prenez en gré du manche de ma couille…./ Il est tout fait en façon d’une andouille. » Parnasse satyrique du XVe siècle. 22 « Il avoit la teste rouge et un petit trou par le bout, avec deux pendants en forme de couillons. » L’Escole des filles. 23 Un prépuce. « L’usage du prépuce est de servir de chaperon & de couverture au gland. » Pierre Dionis. 24 « Bourrelet circulaire à la base du gland. » (Pierre Guiraud, Dictionnaire érotique.) Jody Enders* a remarqué que cette description d’un pénis correspond à la description d’un moine, dont la couronne désigne officiellement la tonsure. Elle traduit ainsi : « Father, it was like a little tonsured mini-Monk. » *Immaculate Deception and Further Ribaldries, University of Pennsylvania Press, 2022, pp. 59-78. 25 De reste, largement. 26 Testicules. « D’un rouge chapperon il couvre bien souvent/ Sa teste, qu’à tous coups il veut mettre en avant…./ Deux sonnettes il a, quasi de mesme sorte,/ Lesquelles à plusieurs augmentent les esbas. » Jean Louveau. 27 BM2 : le (qui peut s’appliquer à l’ermite.) 28 Pour vous dire la vérité. 29 Il me dit. 30 Et que c’est pour cela. 31 C’est le moins qu’on puisse supposer. 32 Tu parles d’un drame ! 33 Saillir = sauter, sortir, saillir une femelle. 34 Coïté. Cf. Beaucop-veoir et Joyeulx-soudain, vers 19. « Fatrouiller sans danger de chancre, vérole, pisse-chaude. » Rabelais, Cinquième Livre. 35 Mon méchef, ma faute. Les vers 105-127 rappellent un épisode similaire du fabliau Trubert. 36 « Fort », qui manque dans BM2, est suppléé par Sév. 37 Cela partait d’un bon sentiment. 38 Les cordeliers, qui portaient une corde à nœuds en guise de ceinture. 39 Besoin. 40 Difficulté. 41 BM2 : gaigneres (Construit sur le même modèle que 19-20.) 42 Ce vers, qui manque dans BM2, est reconstitué par Sév. 43 Sous la ramée. 44 Pour qu’il vous fasse « voir la feuille à l’envers » (Guiraud), pour qu’il vous couche sur l’herbe : « Soubz arbre de fueilles ramu,/ C’est ung plaisir d’estre à l’envers/ Pour ouÿr chanter le coqu. » (Les quattre Femmes, F 46.) Festoyer = coïter : « L’escolier la fist despouiller toute nue & la fist coucher dedens le lict, & (…) la festoya. » (Les Joyeuses adventures.) BM1 propose une autre fin, dont le dernier vers prouve que cette farce a bien été jouée en public :
Pareillement, au povre moyne
Qui pour vous prendra quelque peine
À vous venir veoir soir et matin :
De vostre corps, aulcun desda[i]ng
Ne luy faictes, pour quelque sy.
Ainsi vous aura à mercy
Dieu, s’il n’est trèsffort empesché…
Affin que je soye despesché
De vous pour ceste heure présente,
Vous yrez demain, moult fervente,
À Sainct-Germain (sans estre folle)
Des-Prés, où est la grant ydolle ;
Et la salurez de la porte,
Disant : « Le grant diable t’emporte ! »
Ainsi gaignerez Paradis,
Le cul dehors, la teste à l’huys ;
De cela je vous certiffie.
Adieu toute la compaignie !
45 On prononçait alors : Ces culs-là, ces culs l’auront. Les « équivoques latins-françois » (comme les nomme Tabourot dans ses Bigarrures) émaillaient toute la littérature comique, souvent écrite par des clercs.