LES MAL CONTENTES
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LES MAL
CONTENTES
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De ce débat normand, nous ne possédons plus qu’un manuscrit copié vers 1575 ; mais il y en avait eu avant 1515 une édition rouennaise, nommée au vers 188 du Vendeur de livres.
Source : Manuscrit La Vallière, nº 61.
Structure : Rimes mêlées, avec 10 groupes de quatrains à refrain et 6 groupes de sixains à refrain. Signalons au titre de bizarrerie une rotrouenge écartelée (vers 242-281).
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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Farce joyeuse
À quatre personnages, c’est assavoir :
LA JEUNE FILLE
LA MARYÉE
LA FEMME VEFVE
et LA RELIGIEUSE
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Et sont LES MAL CONTENTES
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LA JEUNE FILLE commence en chantant SCÈNE I
Las ! quant serai-ge maryée ? 1
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Dieu m’y veuille réconforter,
Et de tous mes2 maulx aléger !
Je croys que mal3 suys fortunée.
5 Et afin que chascun congnoisse
Pourquoy je faictz chans douloureulx,
Je suys en la fleur de jeunesse
Et sy4, je n’ay poinct d’amoureulx.
J’ey bien des ans quinze5 ou quatorze,
10 Ou plus ; c’est le poinct d’arager6 !
Et les tétins plus blans que roze
Pour y toucher sans grand danger7.
Ne suys-je pas bien mal menée,
Que ne puys amy rencontrer ?
15 Et sy, sçay mon gent corps monstrer
Myeulx que personne qui soyt née8.
Mais voélà : c’est ma destinée,
C’est le train, c’est la pénitence
Que je doy souffrir en enfance.
20 Je ne sçay sy mon impotance9
Ressemble à la vielle arbalestre10,
Mais on m’a sellé ma quictance11 ;
Au moins, j’en porte belle lestre12 !
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LA MARIÉE entre. SCÈNE II
Qu’esse-là ? Où cuydez-vous estre ?
25 Mygnonne, d’où vient ce brocart13 ?
Y sauroyt14-on remède mectre,
S’on se15 rencontroict à l’écart ?
Esse poinct quelque sot quocart,
Oultrecuidé16, jeune mygnon ?
LA JEUNE
30 Par mon âme, moquin mocart17 !
Je ne congnoys s’on m’ayme ou non.
L’une foys vient un compaignon
Qui dict qu’il est mon assoté18.
L’aultre se tient soublz un pignon19,
35 Qui me regarde de costé20.
Après, vient un vilain botté21 :
Voulentiers feroit son plaisir.
L’aultre foys, un mal raboté22,
Des héritiers Jehan de Loisir23.
LA MARIÉE
40 Vous avez donques beau choisir24,
Puysqu’on vous presse jours et nuictz.
LA JEUNE
Y n’est poinct plus grand desplaisir
Que tant de truans à un huys25.
L’un me dict : « Hélas ! je ne puys
45 Vous compter au long mes clamours. »
L’autre se souhaicte en un puys
S’y ne joïst de ses amours26.
LA MARYÉE
Et bien ? Ce ne sont pas des27 tours
Pour jouyr d’amours bien apoinct,
50 À dames de plaisans atours ?
LA JEUNE
Encor[e] n’y estes-vous poinct.
LA MARIÉE
Pourquoy ?
LA JEUNE
Vous ne venez au poinct
Où je prétens planter ma bourne28.
LA MARIÉE
Comme quoy29 ?
LA JEUNE
Qu’on lesse en ce poinct
55 Fresche desrée30 quant elle est bonne !
Se l’un y mect31 et l’autre donne
Pour bien venir à son entente32
En désirant qu’on s’abandonne33,
Ce34 n’est poinct où j’ey mon entente.
LA MARIÉE
60 Vous estes donques mal contente ?
LA JEUNE
Se ne suys mon35 qu’on ne vient au poinct
Une foys. Trop mal me contente
D’amours, car jouy n’en ay poinct.
LA MARIÉE
Est-il vray ?
LA JEUNE
C’est le contrepoinct
65 De quoy j’en suys désanuyée36
Quant la douleur d’amours m’espoinct :
(En chantant.)
Ne serai-ge poinct mariée ?
LA MARIÉE
A ! fille folle, desvoyée !
Souhaitez-vous avoir mary ?
70 S’une foys y estes lyée,
Vous en aurez le cœur mar[r]y.
Pleust à Dieu et à sainct Mary
…………………………… 37
Dont chantent les cocus38 au boys.
Que le myen vous eust, aulx aboys39,
75 Un jour, [à cœur de fiancer]40,
Et [des coups eussiez]41 .XX. et troys.
Et [ce fust]42 à recommencer.
LA JEUNE
Et ! comment ? Vous l’aymez sy cher43 ?
Est desjà l’amour recullée ?
LA MARIÉE
80 Je n’ay besoing d’ouÿr prescher :
Souvent je suys capitulée44,
Sy je voys tiltre ma télée45
Sans mener varlet ou méquine46.
Au retour me rompra l’échine.
LA JEUNE
85 Est-il vray ?
LA MARIÉE
Tousjours il rechine47
Se je requiers cote ou corset.
Nul ne congnoist quel descord c’est48.
Il tient à chime et à racine49.
LA JEUNE
Est-il vray ?
LA MARIÉE
Tousjours y rechigne.
90 Sy je demande estre gorierre50,
Souflez51 ! Il tend le cul arierre52,
Et le terme à deulx ans m’assigne.
LA JEUNE
Est-il vray ?
LA MARIÉE
Tousjours y rechine.
LA JEUNE
Et quant y voyt la queue troussée53,
95 Large, espanye, damassée54,
Et les beaulx pongnés55 de velou(r)s :
Que dict-il ?
LA MARIÉE
Il en est jaloux56.
LA JEUNE
Les chaînes tant bien avenantes,
Et ces cordelières57 trainnantes
100 Un pié au-dessoublz des genoulx :
Qu’en dict-il ?
LA MARIÉE
Il en est jaloux.
LA JEUNE
Aussy, quant il voyt ces signés58,
Ces dyamans, ces moulinés59
Esmaillés dessus et dessoublz :
105 Qu’en dict-il ?
LA MARIÉE
Il en est jaloux.
Et m’en fault fuÿr tous les coups,
S’y se monte à son vercoquin60.
LA JEUNE
C’est donques quelque viel taquin61
Qui ne peult plus ses rains traŷner ?
LA MARIÉE
110 C’est un droict amyrabaquin62,
À luy veoir ses mos desruner63.
Il me voulsit faire aruner64
À son plaisir, et je ne daigne65.
LA JEUNE
Vous le voulsissiez gouverner66 ?
115 Je vous entens bien, ma compaigne :
La chose trop67 plus vous engaigne.
LA MARIÉE
Pleust à Dieu qu’i fust à Coquengne68,
En Lombardye ou en Espaigne !
Tant que je l’alasse quérir,
120 L’ort vilain y deust conquérir
Et gaigner pavyllons et tentes69.
LA JEUNE
Je voy bien, sans plus e[n]quérir,
Que nous sommes des mal contentes.
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LA VEFVE 70 entre. SCÈNE III
Comment, mes belles filles gentes !
125 De quel lieu viennent ces complainctes,
Vos regrés et piteuses plainctes ?
Dictes-moy dont ce conseil sourt71.
LA MARIÉE
Par ma foy ! c’est conseil à sourt72.
Le tiers73 y peult bien davantage.
LA JEUNE
130 Voyez-vous bien ce bel ymage74,
Ce corps traitif75, ces rains toufus ?
Un chascun me deust faire hommage ;
Le moindre76 faict, de moy, refus.
LA MARIÉE
Jamais sy empoinct je ne fus,
135 Ne sy friande à l’esperon77 ;
Mais mon courage est tout confus,
Quant je regarde mon baron78.
LA JEUNE
Y n’y a sy villain huron79,
Sy lourdault ne sy vilagoys
140 — N’eust-il ne maison, ne buron80 —
Qu’i me responde en ambagoys81.
LA MARY[É]E
Bref ! je feroye le feu grégoys82
Et [je porteroys]83 le velou(r)s
Autant que femme de bourgoys,
145 Sy mon mary [n’]estoyt jaloux.
LA VEFVE
Comment ! Je m’esbaÿs de vous,
Ma jeune dame maryée :
Vous estes mal aparellée84
Avec ceste jeune mygnonne.
LA MARIÉE
150 Plust à Dieu que je fusse nonne,
Et je n’usse mary ne maistre !
LA JEUNE
Mais pleust à Marye la bonne
Qu’il ne tensît qu’à la main mectre85,
Et je fusse devant le prestre
155 Pour donner le consentement.
Sy meschant ne pouroyt-il estre86
Qu’i n’eust mon acord promptement.
LA VEFVE
Vous acordez bien durement87 :
L’une veult son mary blasmer,
160 Et l’aultre meurt entièrement
Qu’el88 ne trouve qui veult [l’]aymer.
LA MARIÉE
Que le myen fust gecté en la mer !
LA JEUNE
Et pleust à Dieu que j’en eusse un !
Y seroyt bien dur à aymer,
165 Sy ne le mectoye bien à run89.
LA VEFVE
C’est un proverbe bien commun :
Deuil de vielle90 n’est pas uny.
L’un veult du blanc, l’aultre du brun.
L’une dict « ouy », l’aultre « nenny91 ».
170 L’une souhaicte son mary
Fringant, joyeulx et esbatant,
Et l’autre a le cœur fort mar[r]y
Que son mary luy dure tant.
LA MARIÉE
Par ma foy, c’est parlé contant92 !
LA VEFVE
175 Hélas ! et j’avoys le meilleur,
Et l’homme le plus travailleur,
Bon preudhomme [le jour, vaillant]93
[De nuict]. Hélas, y m’aymoyt tant !
Et quant il se trouvoyt à l’ouvrage94,
180 C’estoyt tout cœur et tout courage.
Mauldicte puisse estre la Mort !95
LA JEUNE
Qu’avez-vous ?
LA VEFVE
Hélas ! il est mort.
Pensez-vous, quant je m’en aloye
À l’esbat là où je vouloye
185 Cheux mes antes96 ou [cheux] mes nyèces,
Mais que je raportasses mes pièces97
Au soir ? [C’eust esté]98 le plus fort !
LA JEUNE
Qu’avez-vous ?
LA VEFVE
Hélas ! il est mort.
Le regret m’en faict le cœur fendre.
LA MARIÉE
190 Taisez-vous, nous ferons plus fort :
Se voulez à moy condécendre99,
Y nous le fault bruller en cendre,
Afin qu’en ayons de l’engendre100.
LA VEFVE
A ! fille, qu’on te puisse pendre !
195 Tu dis cela pour [la revendre]101.
LA MARYÉE
Et moy, [ne m’oseroys]102 deffendre ?
Suys-je d’un tel lieu103 venue,
Pour estre ainsy court tenue
De soir et de matin ?
200 Par Dieu qui fist la nue104 !
J’en auray une venue105.
LA VEFVE
Elle entend bien son latin106.
LA MARIÉE
Je ne suys pas sy grue107,
Sy je rencontre en la rue
205 Quelque beau palatin108,
Que je ne le salue
Ou que l’œuil ne luy rue109.
LA JEUNE
Elle entent bien son latin.
LA MARIÉE
Puysque je m’évertue,
210 Je seray revestue
De cote de satin
Et de robe tyssue ;
Puys, s’il a deuil, sy sue110 !
LA VEFVE
Elle entent bien son latin.
LA MARIÉE
215 Que sert oyseau en mue111 ?
Y fault qu’on se remue
Pour monstrer ce tétin,
Ceste face tendue112
Et facunde113 entendue.
LA JEUNE
220 Elle entent bien son latin.
Je voy bien à son advertin114
Qu’el ne vient pas à son entente.
LA MARIÉE
Je voue à Dieu et sainct Martin
Sy jamais fus[t] plus mal contente !
225 Et, afin que je vous contente,
J’ey espousé le plus rongneux115,
Le plus ort [et] le plus rafleux116
Qui soyt d’icy à Pampelune.
LA JEUNE
Des mal contentes, j’en suys l’une.
LA MARIÉE
230 Sy je veuil l’un, y veult de l’autre ;
Et sy je veulx coucher au peaultre117,
Y me contrainct coucher au lict.
Bref ! jamais je n’y eustz délict118 :
Tout ce que j’ayme luy répugne.
LA JEUNE
235 Des mal contentes, j’en suys l’une.
LA VEFVE
Mais moy, j’en suys la principalle.
Hélas ! je n’estoys pas sy palle119,
Quant y vivoyt, le bon des bons :
À pou près y faisoyt les bons,
240 De quoy recepvoys la vollée120.
LA MARIÉE
Y vous fault estre consollée.
LA VEFVE
Hélas ! j’estoye acollée
Et baisée
Toutes foys qu’il me plaisoyt ;
245 Et de plaisans mos consollée,
Apaisée121
De ce qu’il me devisoyt.
Jamais mot122 ne me diso[y]t
Nul qui soyt,
250 Ny parolle ne demye123,
Synon « ma trèsdoulce amye ».
LA MARYÉE
Et j’ey le plus rigoureulx
Et rongneulx,
Et le plus rébarbatif,
255 Le plus meschant orguilleux
En tous lieux,
Qui soyt en ce monde vif ;
Le plus ort, le plus poussif,
Excessif,
260 Dont en nul124 jour parler j’oye.
Je n’ay de luy ne bien ne joye.
LA JEUNE
Hé, mon Dieu ! [J’envoye ambassades]125
Et œuillades
De mes yeulx rians et vers.
265 Je faictz petis saulz, jambades126
Et ambades
De long, de hault, et de travers.
Mais je treuve amans pervers,
Au revers
270 De complaire à mes clamours :
[J’essuye le refus]127 d’amours.
LA VEFVE
[De deuil suys inconsolable]128,
Povre vefve mysérable
Qui a son mary perdu.
LA MARIÉE
275 Et je suys celle [ qui s’acable
Que le diable
Ne l’ayt ]129 au gibet pendu.
LA VEFVE
A, dame, c’est mal entendu
[Et rendu.]130
LA MARIÉE
280 Pourquoy est ? Mais le myeulx du monde !
Car je vous pry qu’on me responde :
De quoy sert un mary folastre131,
Le long d’un jour assis en l’astre132,
À doller à tout son coustel133 ?
LA JEUNE
285 C’est tout empeschement d’ostel134.
LA MARIÉE
S’on ne va que jusqu(e) à la porte135,
Y fault que compte on luy raporte
Que c’est qu’on veult, et tel et quel136.
LA VEFVE
C’est tout empeschement d’ostel.
LA MARIÉE
290 Et s’on va jusques à l’église,
Y fault, après, qu’on luy devise137
Le lieu, la chapelle et l’autel.
LA VEFVE
C’est tout empeschement d’ostel.
LA MARIÉE
Ce m’est bien un glève mortel,
295 D’estre sy court tenue ainsy.
LA VEFVE
Hélas ! il n’estoyt pas aintel138,
Le mien. Dieu luy face mercy !
S’il me falloyt cela, cecy,
Robes, chaperons deulx ou troys,
300 Je n’en estoys poinct en soulcy,
[Quant mon mary estoyt icy.]139
LA MARIÉE
J’aroys plus140 tost de la vraye croys !
LA VEFVE
S’il me falloyt or ou argent,
Ne joyaul41 qui fust exigent
305 Pour orner le corps ou les doys,
Luy-mesmes estoyt diligent
De venir parer mon corps gent.
LA MARIÉE
J’aroys plus tost de la vraye crois !
LA VEFVE
Sy j’eusse désiré(e) avoir
310 [De la lune]142, ou Paradis voir,
Je le cuyde et ainsy le crois
Que luy-mesmes eust faict debvoir
D’en chercher et de m’en pourvoir.
LA MARIÉE
J’aroys plus tost de la vraye croys,
315 Ou des reliques sainct Françoys
— Qu’on doibt orer143 à deulx genoulx —
Que je seusse trouver à choys144
Un145 mary qui ne fust [bon galoys]146.
LA VEFVE
C’est pire que chasser [aulx loups]147.
LA JEUNE
320 Hélas ! je poursuys et pourchasse148 ;
Et en chassant, je faictz ma chasse
Sur les beaulx corps plaisans et doulx.
Mais, quelque chose que je face,
Faulx Danger vient149, qui me déchace.
LA VEFVE
325 C’est pire que chasser aulx loups.
LA MARIÉE
Je chasse devant et dèrière150
Que mon mary me fist gorière,
En l’esjouyssant tous les coups ;
Mais tant plus chasse à sa barière151,
330 Et plus tire le cul arière152.
LA VEFVE
C’est pire que chasser aulx loups.
Seurement y tient plus qu’à cloux153,
L’argent du faulx154 villain infâme.
LA JEUNE
Vilains de leurs biens ainsy gloux155
335 Ne feront156 jamais bien à femme.
Non obstant, je prens sur mon âme :
Ne m’en chauldroyt, fût [droict ou tort]157,
Crocheu158, contrefaict, laict ou ort159,
Mais c’un seul m’apelast sa mye.
LA MARIÉE
340 Qui emprunte ne choisit mye160.
LA JEUNE
Que me chauldroict-il de quel âge,
De bonne ville ou de village,
Mais qu’il entretînt mes estas
Et j’eusse des joyaulx à tas,
345 Avèques la croste et la mye161 ?
LA VEFVE
Qui emprunte ne choisit mye.
LA JEUNE
Ce m’est tout un, jeune ou vefvyer162,
Villain ou portant esprevyer163,
Mais que j’en menasse un en lesse164.
350 Quant je voy c’un chascun me lesse,
Je n’ay plaisance ne demye165.
LA MARIÉE
Qui emprunte ne choisit mye.
LA VEFVE
Mydieulx non. Et puys, ma gentil mygnonne,
Quoy que la derrée soyt bonne,
355 Il y vient sy pou166 de marchans,
Tant de la ville que des champs,
Qu’on ne sçayt y167 avoir recours.
Marchandise n’est poinct de cours168,
Puys est peu de telle derrée.
LA MARIÉE 169
360 Vous faictes trop de la serrée170 !
Y fault hanter où on171 les vent.
LA JEUNE
En plain marché, le plus souvent,
J’estalle ma desrée en vente.
LA VEFVE
Vous congnoissez quel vent y vente172 ?
LA JEUNE
365 Je congnoys ce que je congnoys.
LA MARIÉE
A ! sy j’avoye un tel mynoys…
LA JEUNE
A ! sy j’avoye un tel corps sage173,
Je ne donneroys un tournoys
[D’un homme qui tordît]174 visage.
LA MARIÉE
370 J’ey du voulloir.
LA JEUNE
J’ey du courage.
LA MARIÉE
J’ey du maintien.
LA VEFVE
Mais du raceuil175.
Et sy, avez, pour faire rage
À tous venans, un regard d’euil176.
LA MARIÉE
Enterré fust-il soublz le seuil !
LA JEUNE
375 Qui ?
LA MARIÉE
Qui, dea ? Le jaloux [contrariant177].
S’y vouloyt faire tout mon veuil178,
Mon cœur ne seroyt récréant179 :
G’yroie jouant, chantant, riant,
En grans banqués180 et en ris[é]es.
380 Or181, le faulx jaloux mescréant
Me faict desvyder mes fuzées182.
LA JEUNE
Sommes-nous pas mal aryvées183 ?
LA VEFVE
Sommes-nous loing de nos ententes184 !
LA MARIÉE
À ouÿr nos plainctes pryv[é]es,
385 Nous sommes troys des mal con[ten]tes.
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LA RELIGIEUSE entre. SCÈNE IV
Je voy troys povres pénitentes185,
Troys povres dames escartées186
Qui me semblent fort esgarées187,
À oïr leurs regrés piteux.
390 L’amant seroyt bien merveilleux,
S’y se trou[v]oyt dessoublz leurs elles188.
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Dieu gard les belles damoyselles ! SCÈNE V
LA JEUNE
Et Dieu gard la religieuse !
LA MARIÉE
Ma belle dame gracieuse,
395 Je pry Dieu qu’il vous doinct confort 189 !
LA VEFVE
Et vous face victorieuse
S’un conquérant vous faict effort190 !
LA RELIGIEUSE
Par Nostre Dame de Montfort !
Mais vous191, mes trèsgentes mignonnes !
400 Vous sçavez bien qu’entre nos192, nonnes,
Bénignes dames enmurées193,
Sommes à tousjours demourées194,
Sans195 jamais du lieu ne vider.
LA VEFVE
Ainsy vous veuille Dieu ayder !
LA RELIGIEUSE
405 Vous sçavez qu’au lieu où nous sommes
Il n’y hante grans gentilz hommes,
Synon le prestre chantant messe,
Qui a faict serment et promesse196
De jamais rien nous demander.
LA JEUNE
410 Ainsy vous veuille Dieu ayder !
LA RELIGIEUSE
Vous sçavez (ce n’est pas nouvelle)
Que nous avons au chef le velle197
Comme espouse[s] de Saincte Église.
Pour aymer, nus ne nous élise198 !
415 On y auroyt beau procéder199.
LA VEFVE
Ainsy vous veuille Dieu ayder !
Ma dame, que vous dictes vray !
Çà, çà, je vous entretiendray200,
Puysque vous venez à la bende201 :
420 Par vostre foy, à la prébende
Ou au monastère d’Amours202,
De quoy faictes-vous vos clamours203 ?
Y vous fault chanter [messe] à l’heure.
LA RELIGIEUSE
Matines sont de chante-pleure204,
425 Des regrés, des soupirs205 d’euillades,
Des petis remors de ballades206 ;
Et la messe, de piteux chans ;
Les Vespres, des regrés perchans207 ;
Et toute doulleur à Complye208.
LA VEFVE
430 Quoy ! n’est poinct l’église remplye
De prime, tierce, siste, nonne209 ?
LA RELIGIEUSE
Il n’y a sy petite nonne
— Soyt prieure, dame ou novice210 —
Qui ne soyt subjecte au service.
435 Nous chantons de jour et de nuict,
Et levons souvent à mynuict :
Se fault lever quant le sainct211 sonne.
LA MARIÉE
Je l’entens bien : c’est en personne.
LA RELIGIEUSE
Aussytost que le secrétain212
440 Ouvre l’huys, c’est pour tout certain :
Y fault afluber sa couronne213.
LA VEFVE
Je l’entens bien : c’est en personne.
LA RELIGIEUSE
Sy le clerq ou le chapelain
Veult carilonner tout à plain214,
445 Y fault que secours on luy donne.
LA MARIÉE
Je l’entens bien : c’est en personne.
LA RELIGIEUSE
Y ne fault plus qu’on en blasonne215 :
Il ne tient ny à roy ny à roq216.
S’une foys, de hanche ou de croq217,
450 Je pouvoys trouver mes partyes218,
Le voyez-vous, ce maistre froq ?
Je le gecteroys aulx ortyes219 !
LA VEFVE
Nous endurrions220 le coup d’estoq,
S’ainsy nous estions convertyes221.
LA RELIGIEUSE
455 Je vous jures, coquery coq222 !
Je le gecteroys aulx orties.
Quoy ! nous sommes plus amortyes223,
Plus pasles, plus défigurées224,
Entre nos, povres enmur[é]es,
460 Que se l’âme estoyt hors du corps.
LA MARIÉE
Le feu n’en est pas encor hors.
LA RELIGIEUSE
À nous veoir ainsy desguis[é]es,
Nous sommes des gens desprisées225,
Et banyes [d’amoureux recors]226.
LA JEUNE
465 Le feu n’en est pas pourtant hors.
LA RELIGIEUSE
Il y a troys [quartiers de]227 l’an
Qu(e) on ne veoit que messire Jehan228
Ou deulx clers qui sont lais et ors229.
LA MARIÉE
Le feu n’en est pas pourtant hors.
470 Je l’entens bien, dame nonnète :
Vous voulsissiez que l’eau benoiste230
Se fist quatre foys la semaine.
LA RELIGIEUSE
Quoy ! suis-je pas aussy honneste
Comme est ma cousine germaine ?
475 Aussy femme, et aussy humaine231 ?
De beaulx membres et de corps sage ?
Que la senglante Mort amaine232
Qui premyer en fist le message !
LA VEFVE
Y n’est estat que mariage.
LA RELIGIEUSE
480 C’est estat de salvation233.
Mourir puist-il de male rage,
Qui234 me mist en religion !
LA MARIÉE
Et, par Dieu ! Soublz corection235,
Quant tout est bien solicité,
485 On faict bien sa confession,
Debsoublz le bénédicité236.
LA VEFVE
On trouve bien l’invention237
C’un beau Père soyt incité238 ;
On faict bien sa commission239,
490 Dessoublz le bénédicité.
LA MARIÉE
Et par bonne excusation,
Tout le monde est de parenté240
Pour couvrir la conception241
Dessoublz le bénédicité.
LA RELIGIEUSE
495 Mon Dieu, que c’est bien récité,
Fust-il escript en parchemin242 !
Eussiez-vous, [en sy]243 bon chemin,
Une année toute acomplye ?
LA JEUNE
Et pourquoy ?
LA RELIGIEUSE
Pour aller à Complye
500 Et puys se lever à Matines244.
Pas n’auriez ainsy les tétines
Ne les mynes sy reluysans.
LA MARIÉE
Vresbis245 ! les vos sont plus plaisans,
Plus petis et myeulx redréchés246
505 Que les nostres.
LA RELIGIEUSE
Vous gaudissez247 !
LA VEFVE
Quant vous vous trouvez sur les champs248,
Vos regardz sont aussy perchans
Et aussy en parfons fichés249
Que les aultres.
LA RELIGIEUSE
Vous gaudissez !
LA JEUNE
510 Sur vos beaulx yeulx et fins, flambans250,
Vous avez vos crévechers251 blans
Là où sont vos cheveulx tressés252.
Est-il pas vray ?
LA RELIGIEUSE
Vous gaudissez
De la povre religieuse,
515 La plus triste et [plus] ennuyeuse253
Qui soyt sur terre, à mon entente254.
LA MARIÉE
Vous estes donques mal contente ?
LA RELIGIEUSE
Hélas, mon Dieu ! que suys-je donques ?
Je le suys bien, s’il en fust onques.
520 Et sy, est mon mal incurable.
LA MARIÉE
C’est une chose incomparable :
Voécy ceste belle mygnonne
Qui se souhaictoyt255 estre nonne
Pource qu’el n’a poinct d’amoureulx.
525 Et voicy, auprès de nos deulx,
Une vefve toute esplourée,
Mal contente et désespoirée
Qu’elle a perdu son bon mary.
LA RELIGIEUSE
Et vous, quoy ?
LA MARIÉE
J’ey le cœur mar[r]y
530 Encontre mon vilain jaloux.
Que fust-il estranglé des loups,
Et qui256 le premyer m’en parla !
LA RELIGIEUSE
Ceste maladye tient à tous257 ;
Ne prenons poinct garde à cela.
LA VEFVE
535 C’est pis que le mal de la toux :
Y nous fault tous passer par là.
LA RELIGIEUSE
C’est assez devisé, holà !
Assez avons de telz parentes258 :
On trouve deçà et delà
540 Un plat fourny259 de mal contentes.
LA MARIÉE
S’il y a feste ne banquet
Où soyent mys pavillons ou tentes,
Vous y trouverez au caquet260
Un plat fourny de mal contentes.
LA JEUNE
545 Quant filles sont sur le banquet261,
S’ilz ne viennent à leurs ententes262,
Vous lèveriez263, pour un bouquet,
Un plat fourny de mal contentes.
LA VEFVE
Ces langues à demy-cliquet264,
550 Plus afil[é]es que serpentes265,
Y trouvent bien pour un niquet266
Un plat fourny de mal contentes.
LA RELIGIEUSE
Poissonnyères ont peu d’aquest267,
Sy ne parviennent à leurs ventes ;
555 Vous trouverez dens leur baquet
Un plat fourny de mal contentes.
.
LA VEFVE 268
Seigneurs, pour éviter caquet,
Nous vous donrons lestres patentes269
Qu’on a trouvé en plain Parquet270
560 Un plat fourny de mal contentes.
En prenant congé de ce lieu,
Une chanson pour dire adieu ! 271
.
FINIS
*
1 Chanson inconnue, dont nous avons sans doute un deuxième extrait au vers 67. La présence de chansons et le congé final prouvent que ce débat fut joué au théâtre. 2 LV : mais 3 LV : je (Que je suis malchanceuse. « Mal suis fortunéz. » Le Ribault marié.) 4 Et pourtant. Idem vers 15, 372 et 520. 5 LV : quinse (« J’ey quinze ans, ce n’est que fleur d’âge. » La Fille esgarée.) 6 Il y a de quoi enrager. 7 Sans risquer de prendre une gifle. 8 Mieux que nulle au monde. 9 LV : inconstance (Mon incapacité à perdre mon pucelage. « Virginité par impotence de nature. » Oresme.) 10 Les vieilles arbalètes avaient beaucoup moins de puissance que les modernes. 11 On m’a tenue quitte de mes désirs. 12 Une grande contrariété. Cf. Raoullet Ployart, vers 142 et note. 13 Ce sarcasme. 14 LV : scoreoyt 15 LV : le (Si nous parlions entre nous.) 16 Prétentieux. « Sot oultrecuydé. » Sermon pour une nopce. 17 À malin, malin et demi : Vous êtes plus maline que moi. Cf. les Maraux enchesnéz, vers 115. 18 LV : asote (Qu’il est fou de moi. Cf. le Dorellot, vers 265.) 19 Dissimulé dans l’ombre du faîte d’une maison. Cf. le Gentil homme et Naudet, vers 13. 20 Qui me reluque du coin de l’œil. 21 LV : boste (« On appelle un vilain botté un homme de ville qui a des bottes, à cause que cela n’appartenoit autrefois qu’aux nobles qui alloient à la guerre…. On appelle par injure un méchant cavalier un villain botté. » Furetière.) 22 Un malpoli. 23 Un paresseux. « Les personnes qui se trouvent de repos & de la confrarie de Jean de Loisir. » Les de Relais. 24 Vous avez l’embarras du choix. 25 Tant de mendiants devant une porte. On se méfiait de ceux qui opéraient en équipe : cf. les Bélistres, vers 171-2. 26 Noyé dans un puits s’il ne peut jouir de moi. 27 LV : les 28 Ma borne : à quelle hauteur je prétends placer la barre. 29 C’est-à-dire ? 30 Ma fraîche denrée féminine. Idem vers 354, 359 et 363. Cf. le Trocheur de maris, vers 164. 31 Y met de l’argent, me paye. « Je n’y mettroye pas ung niquet. » Cautelleux, Barat et le Villain. 32 Pour parvenir à ses fins. 33 Que je m’abandonne à lui. 34 LV : et (Ce n’est pas ce que je recherche.) 35 Je le suis. « Se suis mon ! » La Résurrection de Jénin Landore, et Jolyet. 36 Tirée de mon ennui, de ma peine. 37 Il manque un vers en -oys et un vers en -ry. 38 Les coucous. Ce calembour est banal : « En ces boys qui sont si vers (…),/ C’est ung plaisir d’estre à l’envers/ Pour ouÿr chanter le coqu. » Farce de quattre femmes, F 46. 39 Serrée de près. 40 LV : aceuillye a tencer (Que mon mari ait à cœur, un jour, de se fiancer avec vous.) 41 LV : vous en eusies (Et vous auriez 23 coups de poing.) La précision du nombre est comique : « Tu auras des coups plus de huit ! » Grant Gosier. 42 LV : je fuse (Et ce serait.) 43 Ironique : Vous l’aimez si peu. 44 Chapitrée par mon mari. 45 Si je vais tisser ma toile chez une voisine. Cf. les Femmes qui font refondre leurs maris, vers 160-1. 46 Un valet ou une servante, pour me surveiller. Le vers qui suit est de trop : ces 3 quatrains riment en aabB. 47 Il rechigne, il refuse de payer. 48 LV : set (Quel désaccord il y a entre nous.) « Je n’ay pas ung povre corset./ Nul ne congnoist quel discord c’est. » Calbain. 49 Mon mari tient par la cime et par la racine : il est obstiné. « Il i tient à cisme et à racine. » Bib. mun. Lille. 50 LV : porierre (À être élégante. Idem v. 327.) La Gorrière est un personnage de la Farce de quattre femmes (F 46), qui n’est pas sans rapport avec la nôtre ; par exemple, la dernière à entrer n’est autre que la Théologienne, comme c’est ici la Religieuse. 51 Causez toujours ! Cf. Deux hommes et leurs deux femmes, vers 368. 52 Il recule. Idem v. 330. 53 La traîne cousue derrière le col de votre robe, et dont le bout est troussé sous la ceinture. Voir les Queues troussées. 54 Épanouie, et tissée à la façon du damas. 55 Les poignets désignent le bas des manches. 56 Il en devient jaloux : il croit que je me pare ainsi pour séduire d’autres hommes. 57 Ces ceintures de soie. 58 Les signets sont des bagues surmontées d’un sceau. Cf. Beaucop-veoir et Joyeulx-soudain, vers 128. 59 Les moulinets sont probablement des broches. « Un petit moulinet d’or garni de perles. » Godefroy. 60 S’il prend la mouche. « Et quant le ver coquin au front le picque,/ Il romproit tout, s’il n’estoit enchêné,/ L’homme enragé. » ATILF. 61 Un vieux grigou. Cf. Jehan de Lagny, vers 294. 62 C’est un vrai barbare, comme le sultan Bajazet Ier. Voir la note 192 des Trois amoureux de la croix. 63 À le voir jeter des mots désordonnés, qui sont le contraire des « mos arunés » (le Monde qu’on faict paistre, vers 390). 64 Il voudrait me ranger. Cf. le Cousturier et le Badin, vers 86. Ceux qui ont lu desrimer et arimer ont mal lu : le scribe n’a pas surmonté ces prétendus « i » d’un accent aigu, comme il le fait partout ailleurs. 65 Je ne l’accepte pas. 66 Vous voudriez le gouverner ? 67 LV : qui (Vous irrite beaucoup.) 68 Au pays fabuleux de Cocagne. 69 Ce sale bouseux aurait le temps d’y conquérir les campements de tous nos ennemis. Les pavillons et les tentes reviennent au vers 542, mais dans un contexte moins guerrier. 70 La veuve porte un costume de deuil, comme celle qui est coiffée de noir sur cette gravure. 71 La raison de cette assemblée. 72 C’est un dialogue de sourds. 73 Un troisième intervenant. 74 Ce corps de statue. La fille soulève sa robe pour se montrer sous tous les angles à la veuve et au public. 75 Bien tourné. On croirait entendre la belle Heaumière de Villon évoquer son « cler vis traictiz » et « ces larges rains ». 76 L’homme le plus minable. 77 Ni si gourmande d’être chevauchée. 78 Mon époux tyrannique. Voir la note 5 de l’Amoureux. 79 Sauvage. Cf. Daru, vers 304. 80 Ni cabane. « Il n’[y] a ne maison, ne buron. » ATILF. 81 En ambageois = avec des ambages, des circonvolutions trompeuses. « Il respont tout par enbagés. » Le Messager et le Villain. 82 Le feu grégeois, sorte de bombe incendiaire, symbolise la flamme amoureuse. Cf. le Povre Jouhan, vers 133. 83 LV : gouuerneroys (« Johannès porte le velours. » Science et Asnerye.) 84 Appareillée, assortie. 85 Qu’il ne tienne qu’à mettre ma main dans celle d’un homme pour sceller nos fiançailles. Double sens : Qu’il ne tienne qu’à mettre ma main dans sa braguette. « Elle commença à mettre la main sur son braquemard. » Gabriel Chappuys. 86 Mon fiancé ne pourrait être si misérable. 87 Vous vous accordez bien mal, toutes les deux. 88 LV : quil (Voir les vers 222 et 524.) 89 Si je ne le mettais au pas. « C’est dommaige/ Que ne mettons villains en run. » Mallepaye et Bâillevant. 90 Chaque vieille femme a son deuil à elle. « Chascune vieille son dueil plaind. » Cotgrave. 91 LV : nennyn 92 Comptant, comme dans la locution « payé comptant ». 93 LV : bon trauaillant 94 Quand il accomplissait « l’ouvraige de rains ». Les Botines Gaultier. 95 La veuve s’évanouit dans les bras de ses compagnes. Ses jérémiades rappellent celles de la Veuve juste avant qu’elle n’épouse son jeune et vigoureux valet : « J’ey le cueur marry (…) de mon deffunt mary,/ Du bon Roger, dont Dieu ayt l’âme !/ Car c’estoyt le meilleur, pour femme. » 96 Chez mes tantes. Cf. l’Antéchrist, vers 16. 97 Que je rapportais à la maison l’ouvrage que j’avais filé, pour prouver à mon mari que je n’avais pas fait autre chose. 98 LV : cestoyt (La veuve s’évanouit à nouveau.) 99 Si vous voulez me faire plaisir. 100 Nous devons réduire votre défunt en cendres, afin que nous en ayons un autre de la même race que lui. Allusion au phénix, qui renaît de ses cendres. La veuve se redresse brusquement. 101 LV : ta reuenge (Tu veux revendre la cendre de mon mari aux autres femmes.) 102 LV : je noseroys (Je n’oserai pas me défendre ?) 103 D’un mauvais lieu, d’un bordel. « Je ne suis point du lieu venue ! » L’Amoureux. 104 Le ciel. 105 Un accouplement. « N’aurions-nous poinct une venue/ D’une de voz brus toute nue ? » Les Brus. 106 Elle connaît ses intérêts. « Nous entendons nostre latin. » Le Capitaine Mal-en-point. 107 Pas si dinde. « Je n’estoye pas si grue. » Les Maraux enchesnéz. 108 Courtisan. 109 Ou que je ne lui jette une œillade. 110 Si mon jaloux en a du dépit, qu’il l’évacue en suant à grosses gouttes ! 111 À quoi sert un oiseau en cage ? « Chappons en mue. » Les Sotz ecclésiasticques. 112 Sans rides. 113 Cette faconde, cette éloquence. 114 À sa furie. Cf. Serre-porte, vers 216 et note. 115 Galeux. Idem v. 253. 116 Le plus sale et le plus galeux. « Je suis si ord et si raffloux. » ATILF. 117 Sur une paillasse, pour ne pas devoir partager son lit. « Jényn couchoit au peaultre. » La Résurrection Jénin à Paulme. 118 Je n’y aurais de plaisir. 119 La pâleur des femmes dénote un manque d’activité sexuelle, comme au vers 458. Cf. les Chambèrières qui vont à la messe, vers 68-69 et note. 120 Les bonds et la volée sont des termes du jeu de paume qui sont vite passés dans le langage érotique. 121 LV : y aisee 122 Un mot désagréable. 123 Ni même la moitié d’une. Idem v. 351. 124 LV : un (Dont j’aie jamais entendu parler.) 125 LV : jauoye balades (Une ambassade est un clin d’œil. « Vostre œil mignon feriez embassadeur. » Jardin de Plaisance.) 126 Sortes de ruades. « Le cheval (…) vient à faire jambades,/ Bondissementz, soupplessaultz & pennades. » (Guillaume Haudent.) Les ambades sont des farandoles : « De ce vent qui faict ceste ambade. » Sermon joyeux des quatre vens. 127 LV : je suys le resus 128 LV : jesuys de deuil lincomparable 129 LV : coupable / qui souhaicte estre capable / du myen (Je refais sous toutes réserves ces 3 vers faux et dépourvus de sens.) « Le grant deable l’en puisse pendre ! » Les Trois amoureux de la croix. 130 Vers manquant. Entendre les plaignants et rendre un jugement sont les deux mamelles de la Justice. « Mais qu’il ayt le cas entendu,/ Tantost sentence aura rendu. » Le Pauvre et le Riche. 131 À moitié fou. 132 Devant la cheminée. 133 En train de sculpter une bûche avec son couteau. 134 C’est un embarras dans la maison. Jeu de mots sur « empêchement d’autel » : en droit, l’empêchement est un fait qui peut empêcher un mariage (à l’autel de l’église). 135 Même si je ne vais pas plus loin que notre porte. 136 Il faut que je lui rende compte de ce que je veux faire, et ceci, et cela. 137 Que je lui précise. 138 Ainsi, tel. Cf. Messire Jehan, vers 95. 139 Vers manquant. (Ces 3 sixains riment en aabaaB.) « Se mon mary estoit icy. » Le Pardonneur. 140 LV : pleust (Voir les refrains de 308 et 314.) J’aurais plus vite un morceau de la vraie croix de Jésus. 141 LV : jouyau (Voir le v. 344.) « Exigent » était encore un substantif : un exigent est une nécessité. 142 LV : des nues (« Il auroit plustost de la lune ! » Les Botines Gaultier.) 143 Adorer. Les reliques de saint François d’Assise étaient un sujet de plaisanterie : Frère Guillebert fait s’agenouiller les bigots pour adorer, en guise de relique, des braies puantes qu’il attribue au saint homme. 144 Plutôt que de pouvoir trouver au choix. 145 LV : mon 146 LV : jaloux (Ces 3 sixains riment en aabaaB.) Un bon galois est un bon compagnon, généreux. « Tel porte face d’estre chiche/ Qui non pourtant est bon galloys. » Guillaume Alécis. 147 LV : gõloups (Voir les refrains de 325 et 331.) Il est encore plus difficile d’attraper un bon mari que d’attraper un loup avec un piège à loups. Cela dit, on peut « prendre un loup par la queue » (Antoine Oudin), tout comme le mari du vers 153. 148 Je recherche. 149 LV : veult (Ce sournois danger est un personnage très négatif de la poésie allégorique : « Que Faulx Dangier, vostre adversaire. » Rondeau.) 150 Je cherche à obtenir par tous les moyens. 151 Plus je le pousse dans ses retranchements. C’est une expression militaire. 152 Et plus il recule. Idem v. 91. « Ne tire point le cul arrière ! » Le Fol et la Folle. 153 Il tient plus solidement que si sa bourse était clouée. 154 Perfide. Idem vers 324 et 380. 155 Gloutons, avides. 156 LV : seront (« Et ceulx qui du bien luy feront. » L’Aveugle et Saudret.) 157 LV : tort ou droict (Correction d’André Tissier : Recueil de farces, t. IX, 1995, pp. 297-364. Ces 3 sixains riment en aabbcC.) Peu m’importerait que mon ami soit droit ou tordu. 158 Voûté. 159 Laid ou sale. Idem v. 468. 160 « Tel que vous le pourrez avoir./ Qui emprunte ne choisist mye. » Farce de Pathelin. 161 Avec la croûte et la mie : avec tout ce dont j’ai besoin, notamment d’un point de vue sexuel. 162 Veuf. 163 Roturier, ou noble qui chasse en portant un épervier sur son poing. 164 Pourvu que j’en mène un en laisse. 165 Ni même la moitié. 166 Il vient si peu de marchands de maris. On en trouve un dans le Trocheur de maris, la farce qui précède la nôtre dans le ms. La Vallière. 167 LV : en (Il est possible de corriger : En avoir secours.) Qu’on ne saurait recourir à eux. 168 Cette marchandise n’a plus cours. 169 À la pucelle. 170 Vous parlez comme une pucelle. « On sçaura qui fait la serrée,/ Et qui franche [libérale] est de sa derrée. » Saincte-Caquette. 171 LV : nous (Il faut fréquenter les endroits où l’on vend des maris.) 172 Vous savez ce qui s’y passe ? Les foires, où les marchands et les acheteurs allaient sans leur femme, attiraient des prostituées. 173 Le corsage désigne le corps, et plus rarement la poitrine : cf. les Sotz fourréz de malice, vers 220. 174 LV : a homme qui portit (Je ne donnerais pas un sou d’un homme qui me dédaignerait.) 175 Et même, vous êtes accueillante. 176 Une œillade. 177 Mot manquant. « Et aucuns sont [Il y a des hommes] qui, tout au contraire, sont contrarians en toutes choses. » (ATILF.) Contrariant rime à la manière normande avec récriant, riant et mécriant. 178 Toutes mes volontés. 179 À bout de force. « Je n’avoye cueur récréant ne failly. » Octovien de Saint-Gelays. 180 On reparle au vers 541 de ces banquets où les femmes sérieuses évitent d’aller. Voir Régnault qui se marie, vers 131-5. 181 LV : ou (Faux = sournois. Mécréant = soupçonneux, qui ne croit pas sa femme.) 182 LV : fuzes (« Va desmesler tes fuzées ! » L’Antéchrist.) M’oblige à filer ma quenouille : c’est l’activité principale d’une bourgeoise honnête. 183 LV : aryues (Mal tombées.) 184 De nos premières intentions. 185 D’après André Tissier, « penitent a ici son sens étymologique latin : “qui est mécontent, qui a du regret” ». 186 LV : esgares (à la rime.) À l’écart. 187 LV : esgares (Perturbées. « Quelque chambèrière esgarée. » Tout-ménage.) 188 Ce serait merveilleux qu’elles trouvent un amant sous leur aile, comme une poule y trouve un poussin. 189 Jeu de mots pour banquets de noces : Que Dieu vous donne un sexe endurant. « Dieu te doint ung bien bon “confort”,/ S’il advient que trop grant effort/ Te face, la nuyt, ton mary ! » Sermon pour une nopce. 190 Si un soldat vous prend de force. La littérature anticléricale montre des nonnes peu effarouchées par l’intrusion de la soldatesque ennemie. « Sœur Monique s’écrie : “Eh bien !/ Quand est-ce donc que l’on viole ?” » J.-F. Guichard. 191 Que Dieu vous l’accorde plutôt à vous ! 192 Entre nous. Même normandisme aux vers 459 et 525. 193 LV : amures (Voir le v. 459.) Douces dames murées, cloîtrées. 194 LV : demoures (Nous sommes là pour toujours.) 195 LV : et (Sans jamais abandonner le cloître.) 196 Vœu de chasteté. Visiblement, notre religieuse ne vit pas dans le même couvent que Sœur Fessue… 197 Un voile sur la tête. 198 Que nul homme ne nous choisisse. 199 On aurait beau faire : toutes les tentatives seraient vaines. 200 Je vous pose la question. 201 Puisque vous rejoignez notre coterie. 202 La phraséologie courtoise voyait l’amour comme une dévotion. « (Son Éminence) luy fit demande à son tour/ De quelque prébende d’amour. » Le Mercure burlesque. 203 De quel droit allez-vous vous plaindre ? 204 De plaintes. 205 Des souvenirs. 206 Le regret des ballades que les galants composent pour leur belle. Voir la Réformeresse, vers 243-7. 207 Perçants. Même prononciation normande à 507. 208 Aux complies : à l’office du soir, après les vêpres. Idem v. 499. 209 Les heures de prime, de tierce, de sexte et de none rythment, par les prières qu’on y associe, la vie monotone du couvent. 210 LV : nonne (Correction Tissier.) Une novice est une jeune entrante qui n’a pas encore prononcé ses vœux. 211 Le seing, la cloche. « Quant le gros sainct si sonnera,/ Bien temps sera de vous lever. » ATILF. 212 Que le sacristain. 213 LV : guerronne (Affubler = coiffer : « Affublez ces chappeaulx. » La Folie des Gorriers.) La couronne désigne le frontelet, un bandeau dont les religieuses ceignent leur front en souvenir de la couronne d’épines. C’est l’équivalent féminin de la couronne [tonsure] des moines. 214 Veut sonner toutes les cloches. 215 Qu’on en plaisante. 216 Cela ne dépend de personne. (Le roi et le roc [la tour] sont des pièces du jeu d’échec.) « Il ne tenoit de roy ne de rot. » ATILF. 217 D’une manière ou d’une autre. Cf. les Tyrans, vers 23. 218 Toucher ma part d’héritage. Les héritiers mâles étaient plus avantagés que leurs sœurs, et les sœurs aînées plus que leurs cadettes. « Filles (…), vous eussiez eu vostre partie, ne fust la fausseté de vostre père, qui vous et moy a mis en grant misère sans fin. » (ATILF.) Les filles spoliées de leur héritage ne pouvaient se constituer la dot qui leur eût permis de trouver un époux ; il ne leur restait plus qu’à entrer au couvent ou au bordel. Ou au service d’un maître qui abusait parfois de ses prérogatives. 219 Je serais défroquée. « Mon froc ay gecté aux ortys. » Les Povres deables. 220 LV : andurions (Le conditionnel normanno-picard use volontiers du « r » géminé. « Mais ainchoys [plutôt] endurrions-nous le plus grant tourment que oncques gens firent. » Jehan le Bel.) Nous préférerions endurer un coup d’épée. 221 Si nous étions ainsi converties de force. 222 Cocorico ! Cette interjection belliqueuse représente le coq qui monte sur ses ergots pour attaquer. Cf. le Pardonneur, vers 138 et 156. 223 Plus anéanties. 224 LV : defigures (Méconnaissables.) 225 LV : desprises (Nous sommes méprisées par les gens.) 226 LV : damours remors (Des entretiens amoureux. « Et de Vénus les amoureux recors. » Lancelot Carles.) 227 LV : partys a (Les trois quarts de l’année. « Par chascun an, et par trois quartiers de l’an. » ATILF.) 228 Partout ailleurs, c’est l’une des incarnation de l’ecclésiastique paillard et sans scrupule. Voir par exemple Messire Jehan. 229 Laids et sales. 230 L’eau bénite désigne le sperme lancé par le « goupillon » du curé. « Vostre eaue béniste bien ne coulle,/ Domne Johannès : jettez fort ! » (Les Chambèrières qui vont à la messe de cinq heures pour avoir de l’eaue béniste.) Les Normands prononçaient « bénète » : cf. le Retraict, vers 429. 231 Tartuffe dira : « Ah ! pour estre dévot, je n’en suis pas moins homme. » 232 Emmène, emporte le premier qui l’a prétendu. 233 Les épouses peuvent accomplir le devoir conjugal tant qu’elles veulent, elles seront sauvées le jour du Jugement dernier. 234 Celui qui. Voir la note 218. 235 Sauf erreur. « Soubz correction, (elle) ne pouvoit dire qu’elle eust esté surprise. » 53e Arrest d’Amours. 236 Sous le secret de la confession. Martial d’Auvergne fait parler un confesseur : « Dire me povez hardiment,/ Cy, soubz le Bénédicité,/ Vostre vouloir et pensement. » 237 On peut bien trouver le moyen. 238 Soit incité à commettre le péché de la chair. 239 LV : confession (Influence du vers 485.) L’action de confier ses péchés au confesseur. Double sens : l’action de commettre une faute. La « commission de l’adultère » fut longtemps une des gourmandises du prétoire. 240 Est d’accord. 241 LV : condition (Le fait d’avoir conçu un enfant.) À la fin de Sœur Fessue, tout le monde pardonne à la religieuse enceinte, et parodie le texte latin de l’absolution. Un peu avant, les sœurs veulent dire leur Bénédicité ; « o lieu de le dire, y chantent » une chanson paillarde. 242 C’est aussi bien dit que si c’était écrit sur du parchemin. « Toutes deux parlent bon latin,/ Et fust pour mettre en parchemin. » La Nourrisse et la Chambèrière. 243 LV : ansy (Auriez-vous tenu un an dans les mêmes conditions que moi ?) 244 On chantait les matines avant l’aurore, quelques heures seulement après les complies. Les religieuses conventuelles dormaient très peu, ce qui n’améliorait ni leur caractère, ni leur apparence physique. 245 Euphémisme pour « vrai Dieu » : cf. Jénin filz de rien, vers 338 et 434. Les vos = les vôtres. 246 Redressés (prononciation normande). En principe, les religieuses n’avaient pas d’enfants : leurs seins restaient donc plus fermes que ceux des mères. 247 Vous plaisantez. 248 Hors du couvent. 249 Aussi perçants, et aussi profondément plantés sur les hommes. 250 Étincelants. 251 Prononciation normande de « couvre-chef ». Cf. le Marchant de pommes, vers 120. « Aveuc men crévecher et men biau devantel [mon beau tablier]. » La Muse normande. 252 LV : dreses (La fille reproche à la religieuse de dissimuler des tresses sous sa coiffe.) Les moniales n’ont pas le droit de tresser leurs cheveux : tout leur temps doit être consacré à Dieu, et non à des futilités. En outre, la coquetterie leur est défendue. 253 Chargée d’ennui. 254 À mon avis. 255 LV : souhaicte (En fait, c’est la mariée elle-même qui, au vers 150, aurait voulu être nonne.) 256 Celui qui. Les mal mariées ne pardonnent jamais à leur marieur : « Qu’estranglé soit cestuy des loups,/ Qui nous mist une foys ensemble ! » Les Femmes qui font refondre leurs maris. 257 LV : toux (à la rime.) Nous souffrons toutes de mécontentement. 258 Nous avons beaucoup de consœurs de notre sorte. 259 Un plein plat. « (Ils) furent bien serviz de dix-huict ou vingt platz fournys. » N. Volcyr. 260 En train de bavarder. « J’ay fréquenté aussi maint lieu/ Comme festes, convis, bancquetz,/ Où l’on devise des caquetz. » Farce de quattre femmes, F 46. 261 LV : chonquet (Le banquet, au sens propre, est la banquette sur laquelle s’assoient les convives. « Les Lorains estoient sur ung autre bancquet assis, près du dit bancquet où nos seigneurs estoient assis. » Jehan Aubrion.) 262 Si elles ne parviennent pas à leurs fins en séduisant des hommes. 263 LV : les veries (Vous captureriez. C’est un terme de chasse.) Les filles naïves cèdent en échange d’un bouquet : « En un banquet,/ On dance, on donne le bouquet,/ On baise, on parle à son amye. » Marchebeau et Galop. 264 Inconséquentes, qui cliquettent à tort et à travers. « Lors monstrerez que vous aurez cervelle/ Pour déclicquer [bavarder] à ung demy-clicquet,/ Et estes gens où il y a peu d’arrest [de réflexion]. » Pierre Michault. (Cette expression découle de celle-ci : « Leur langue va comme un cliquet de moulin. » Le Roux.) 265 Que des vipères, dont la langue est affilée. 266 Pour un sou. 267 De gain. Les poissonnières, elles non plus, ne sont jamais contentes : voir l’Antéchrist, ou Grant Gosier, ou les Laudes et complainctes de Petit-Pont. 268 Aux spectateurs. 269 Nous vous donnerons des lettres royales décrétant. 270 Dans la salle du tribunal où les plaideuses expriment leur mécontentement. Voir la note 78 de Pour porter les présens. 271 Ce distique apocryphe est la signature habituelle du copiste de ce ms. La Vallière.
LE TOURNOY AMOUREUX
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LE TOURNOY
AMOUREUX
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Ce fabliau1 inédit remonte au XIVe siècle. Il obéit à la loi du genre en parodiant les chansons de geste et la littérature courtoise.
Source : Manuscrit Vu 22 de la Bibliothèque royale de Stockholm (copié peu avant 1480), folios 68 r° à 69 v°. Le texte a été modernisé, mais beaucoup d’archaïsmes ont survécu. Il est précédé par une page de gribouillis où l’on discerne deux phallus.
Structure : Rimes (très) plates.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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LE TOURNOY AMOUREUX
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Pource qu(e) on parle de tournoys2,
Et de joustes, et d’esbanoys3,
Vous vueil parler d’un grant behours4
Qui fut moult hideux et moult lours,
5 Entre Co[ni]mbre[s]5 et Cuissy6.
Là estoit le roy de Victry7,
Et le prince de Panillières8
(Qui avoit rouges les paupières9),
Et [le] palazin de Foucy10,
10 Et le damoiseau de Coully11,
(Qui contre le roy de Co[ni]mbres
Levèrent enseignes et timbres12),
Et le prince de Grantmont13
(Qui est seigneur de Valparfont14),
15 Qui leur octroya ce tournoy.
.
Chacun s’arma comme par soy.
Le roy de Valparfont manda
Trèstous les cons, et commanda
Qu’ilz apportassent leurs héaulmes15
20 Pour mieulx soubstenir leurs royaulmes ;
Et qu’ilz portassent16 leurs escus
Contre ces grans coullons17 cornus.
Ainsi fut fait, à brief parler.
Là véist-on18 cons assembler,
25 De maint lieu et de mainte terre :
Cons de Flandres, cons d’Angleterre,
Cons de Gascongne, cons de Bretaigne,
Cons de Hénaut19, cons d’Allemaigne,
Cons françois, cons de Normandie,
30 Cons lorrains, cons de Picardie,
Cons de Berry et cons d’Anjou,
Cons d’Auvergne et cons de Poitou,
Cons de Bourgongne à grant[s] fendasses20,
Cons lombars parfons21 comme nasses.
35 Tant [il] y avoit de grans cons
Où il n’avoit rive ne fons22,
Que sembloit, par champs et par préz,
Que ce feussent trèstous fosséz,
Ou grans caveaulx à prendre leux23,
40 Tant furent parfons et hideux !
.
En tant que24 les cons se rengèrent,
Les vis d’autre part s’avoulèrent25.
Là véist-on vis de prescheurs26,
De carmes, de frères myneurs27,
45 Vis de prestres, et vys de moynes
Noirs et blans28, et vis de chanoines,
Vis de doiens29, vis d’arcevesques30,
Vis d’officïaulx31, vis d’évesques,
Vis d(e) hermites, vis d’augustins,
50 Vis gros, vis longs vis de jacobins.
Vis de ribaulx, vis de truans,
Et vis d’Espaigne qui sont grans.32
Tant y ot33 de vis assembléz,
Roides, tendus et reboulléz34,
55 Vis cours, vis longs, vis de moison35,
Que compter ne les povoit-on.
Contre ung con, ot bien .XXX. vis36 ;
Et si37, furent tous desconfis…
.
Sur les champs s’allèrent renge[a]ns.
60 Mais les cons s’alèrent hastans
(Gueulle bée, sans [faire] retraicte)
Contre les vis, la langue traicte38.
Le con d’une nonnain s’avance :
À ung grant et gros vit se lance.
65 Si fort le print par la visière39
Qu’il lui rompit la cornillière40 !
.
Alors commença la bataille :
L’un fiert41 d’estoc, l’autre de taille ;
Li ung42 se rit et l’autre pleure ;
70 [Et] li ung queurt à l’autre seure43.
Si que les culs prindrent à tromper44,
Et les coulles à tabourer45.
Mais de la fumée des cus
Furent les coullons esperdus,
75 Si que tabourer ne povoient.
Mais le[s] cus, tout adèz46, trompoient
Les cons, en icellui termine47.
Si s’en esmeurent de tel myne48
Qu’il convint les coullons pasmer49.
80 Et ne se povant remuer,
Lors se trayent50 les vis arrière,
Plourans et faisans mate chière51 :
Chacun avoit la larme à l’ueil.
.
Quant, par de cost[e] ung petit brueil52,
85 Saillirent deux grans viz de prescheurs,
Et deux grans de frères mineurs,
Et deux grans, reboulléz, de carmes
(Qui [n’]avoient à l’ueil les larmes),
Deux vis d’augustins, et deux d(e) hermites
90 (Qui avoient abatues leurs mitres53
Pour mieulx regarder la chipoe54
Des cons qui faisoient la moe55).
Lors s’avance là ung des vis
Par soubtillesse et par advis56,
95 Pour porter, devant, la banière :
[ …………………………… -ière
……………………………… ]57
Mais à leur encontre première,
Trouvèrent si parfond(e) croslière58
Que, jusques au neu du baudréz59,
Furent au parfont enfondréz60.
100 Les cons, qui furent despiteux,
Les estrangloient deux et deux61.
Les vis62 des communs deffièrent :
Mater et vaincre les cuidèrent.
.
Là vint le vit d’un advocat63,
105 Aussi gros qu(e) ung homme a le bras,
Atout une grand(e) coulle gaupe64,
Velue et noire comme une tauppe.
En la vallée de Cuissy,
Se lança comme ung estourdy
110 Contre le con d’une tripière
Qui portoit en son alloière65
Une froissure66 de mouton ;
Il67 se lança par tel randon
Qu’il la cousit jusques au foye,
115 Tant que le con en rit de joye.
Puis y ot-il trahison grant,
Car le vit s’en yssit plourant68,
Maté69, et au nez la roupie.
Lors s’escrièrent par envye
120 Tous les cons : « À ce cop, mo[u]rrez70 ! »
Lors furent tous les vis lasséz ;
À genoulx, crièrent mercys.
S(i) en furent les cons plus hardys.
Mais ilz firent accordement71
125 Que [tous], par foy et par serment,
Tant que vis pourroient conquester72,
Aux cons les devoient apporter,
Et faire à genoulx révérence73.
Mais tant ont les vis d’abondance74
130 Que se les trompeurs75 trompent plus,
Des coullons leur bat(e)ront les culs !
Ainsi fut la paix accordée ;
Mais ce fut une paix fourrée76 :
Car depuis se sont combatus
135 Coulles et vis, et cons et cus,
Et font encor(es) par maint pays.
Icy endroit fine mes dis77.
*
1 Ou ce Dit : les deux mots sont interchangeables. 2 Le jongleur vient de réciter un épisode chevaleresque. Il s’apprête à le dynamiter joyeusement avec un fabliau, pour le plus grand plaisir des gens raffinés qui l’écoutent. Ce « tournois amoureux » ne sera que sexuel : « Conardz aymantz les amoureux tournoys. » Les Triomphes de l’Abbaye des Conards. 3 De réjouissances, y compris sexuelles : « Faire l’esbanoy/ Tel que femme désire. » (ATILF.) Les mots tournoi et joute offrent le même double sens. 4 Tournoi. Double sens érotique : « Adieu, dames belles,/ Tournois et behours,/ Et joustes sans selles ! » Parnasse satyrique du XVe siècle. 5 Le camp masculin est représenté par Connimbre. (C’est le nom français d’une ville portugaise, Coïmbre : cf. le Capitaine Mal-en-point, vers 584.) Jeu de mots sur le connin, le sexe de la femme : « (Il) vouloit assaillir la place de Connimbre, assise en une vallée fort profonde qui est la plus plaisante qui soit en ce monde…. Quand il fut près de la valée de Connimbre, (il) frétilla tant du bout de son bourdon [pénis] que le portier [clitoris] qui gardoit l’huys de la cité de Connimbre print plaisir au jeu tant, qu’il luy fit ouverture. » Nicolas de Troyes. 6 Le camp féminin est représenté par l’abbaye de Cuissy, près de Laon. Les satiristes en font un couvent de prostituées : dans la sottie des Povres deables, la « fille esgarée » avoue être « de la religion publique,/ Observantine de Cuissy ». 7 Jeu de mots sur vit. « Le roi de » se lit « le roide », comme aux vers 11 et 17. 8 Pénilière = pubis féminin. « De ce tien braquemart, dont l’estoc roide et fort/ A tant de fois percé les drues pénillères/ Des nimphes des forests. » Ronsard, la Bouquinade (où l’on assiste à un tournoi amoureux entre un satyre et la courtisane Laïs ; naturellement, c’est Laïs qui l’emporte). 9 Il copule toute la nuit au lieu de dormir. 10 Le comte palatin qui fout ci [pénètre ici]. 11 Le fils du sire de Couilly (aujourd’hui Couilly-Pont-aux-Dames). D’après A.-F. Le Double, les habitants de ce village étaient nommés les Couillons. (Rabelais anatomiste et physiologiste, p. 204.) 12 Ms : tombres (Sur les enseignes des chevaliers, les timbres surmontent les armoiries. « Escus, timbres, enseignes & devises. » César de Nostradamus.) 13 De Grammont. Jeu de mots sur grand mont de Vénus. « Contentons nos amourettes./ Entre ce grant mont fendu,/ Çà, jouons à la fossette ! » Que tu es belle à mon gré. 14 Le couvent du Val-Parfond : « À Vau-Parfonde,/ Lez nonnains boivent, en couvent. » (Les Sergents.) Vallée profonde = vagin : « Ferons fourrager val parfont…./ En ce trou mettrons la “cheville”. » (Octovien de Saint-Gelays.) Tous les personnages susnommés sont donc dans le camp féminin. 15 Le heaume est un casque. Donnait-on ce nom au cache-sexe métallique des ceintures de chasteté ? 16 Ms : apportassent (Trop long, et déjà au v. 19.) L’écu, bouclier sur lequel frappent les braquemarts, symbolise le sexe de la femme : cf. le Trocheur de maris, vers 191. 17 Les couillons [testicules], les vits et les cons sont personnifiés ; ils représentent à la fois un organe, et l’individu qui le porte. Cornu = érigé : « Se mon instrument est cornu,/ Ung jour viendra que je l’auray (…)/ Grant et gros, vif, vert et veinu. » Jehan Molinet. 18 Forme archaïque de « vit-on ». Idem au vers 43. Parmi tous les cons énumérés, seuls les anglais furent connus pour leur grande taille : « Ribauz de Troies,/ Putains de Prouvins,/ Cons d’Angleterre,/ Viz d’Espaigne,/ Coilles de Lorraigne. » Concile d’apostoile. 19 Du comté de Hainaut. Ce passage en revue des cons est assez proche de celui que Jehan Molinet détaillera dans le Mandement de froidure pour le Roy de la Pye. 20 Fentes. « –Il est trop gros, et long à l’advantaige !/ –Bien (dit Robin) : tout en vostre fendasse/ Ne le mettray. » Clément Marot. 21 Profonds. Double sens de nasse : « Hurter ne veult plus à mon huis derrière./ Si n’en puis mais. Si, j’ay le cuer marri/ Quant son engin en autrui nasse trait [tire]. » Eustache Deschamps. 22 Cf. les Sotz qui remetent en point Bon Temps, vers 66. 23 Des fosses pour piéger les loups. (Voir le fabliau Du Prestre et du leu.) « Leu » est archaïque. 24 Dans la mesure où. 25 Volèrent, accoururent. 26 Ms : prescheux (Voir le vers 85. Les frères prêcheurs sont les dominicains.) Le camp masculin se compose de religieux, comme il se doit dans un fabliau. 27 De cordeliers. Cf. les Chambèrières et Débat, vers 325. 28 De moines noirs (bénédictins), et de moines blancs (cisterciens). 29 De doyens (responsables d’une communauté ecclésiastique). 30 Jeu de mots sur arcer [bander]. « Janeton, pour recommencer,/ Solicitoit mon vit d’arcer. » Denis de Saint-Pavin. 31 Un official est un juge ecclésiastique. 32 Ces 2 vers semblent apocryphes, malgré la bonne réputation des vits espagnols (note 18). 33 Il y eut tant. 34 Décalottés. (Idem vers 87.) « Vit gros, vit cort, vit reboulé. » Fabliau des .IIII. Souhais saint Martin. 35 De bonne mesure. 36 Il y eut bien 30 vits. 37 Et pourtant. 38 Le clitoris sorti. « Et ! con, pourquoy ne parle-tu,/ Quant tu as langue et barbe ? » Jacquet, mon con est esragé. 39 Le con prit le vit si durement par le prépuce. 40 Le gosier, le cou. 41 Frappe (verbe férir). « [Je] prens mon “baston” en mon poing/ Et frappe d’estoc et de taille. » Le Faulconnier. 42 L’un. Le copiste n’a pas modernisé cet archaïsme. 43 Ms : sequeure (L’un s’attaque à l’autre. « Cellui ne doit pas estre tenuz pour vaillant qui queurt seure à cellui qui ne se peut deffendre. ») 44 Si bien que les culs se prirent [se mirent] à trompeter. 45 Les couilles se mirent à tambouriner contre les cons. Cf. les Sotz nouveaulx farcéz, vers 210. 46 Aussitôt. Les culs ont enfumé l’air : « Qui tant a fait, du cul, puant fumée. » (E. Deschamps.) Profitant de ce manque de clarté, ils usurpent la place des cons. Les fabliaux accumulent les allusions à la sodomie. Dans l’un d’entre eux, le Débat du Con et du Cul, un con reproche à son puant voisin de le concurrencer : « Quar il le font contre nature,/ [Ceux] qui me lessent et à toi vont. » 47 Pendant ce temps. 48 Ms : ranyne (En faisant une grimace telle.) 49 Que les couillons eurent une défaillance. 50 Se retirent. 51 Pleurant et faisant triste figure. 52 Tout à coup, à côté d’un petit bosquet. 53 Décalotté leur prépuce. « Maistre Ponce Arrache-boyaulx,/ Maistre Gracien Tâte-mistre. » Guillaume Coquillart. 54 La grimace. Prononcer « chipoue ». 55 La moue, la grimace. Le con n’est qu’une bouche grimaçante : « Si les cons font laide grimace. » Pronostication des cons saulvaiges avec la manière de les apprivoiser. 56 Avec subtilité et sagesse. Cf. le Pourpoint rétréchy, vers 213. 57 Abusé par les rimes en -ière, le scribe a sauté au moins 3 vers. Avant cette lacune, un seul vit s’avance ; après, ils sont plusieurs. 58 Une croulière, un bourbier si profond. Au sens érotique : « Ce sont goufres, ce sont ordes crollières,/ Tant sont les troux horribles et parfonds !/ Qui boutte avant, pour y trouver le fond,/ Il est confus. » J. Molinet. 59 Jusqu’au nœud du baudrier, de la ceinture. Expression courante dans les chansons de geste : « La barbe eut longue jusqu’au neu du baudré. » La Mort Aymeri de Narbonne. 60 Les vits furent engloutis au fond des vagins. 61 Deux par deux. 62 Ms : cons (Ils défièrent les vits des membres des communautés religieuses.) 63 D’un avocat de la Cour ecclésiastique. 64 Avec un scrotum sale. Dans le fabliau De la Coille noire, une femme se plaint que son mari a la couille plus noire que la chape d’un moine, et velue comme la peau d’un ours. 65 Dans sa gibecière. Les vraies dames y rangeaient leur missel, mais il y a là un calembour sur l’aloyau de bœuf. 66 De la fressure, des abats. 67 Ms : les cus (Le vit de l’avocat s’élança avec une telle impétuosité.) 68 Sortit du con en pleurant. 69 Ms : Mathes (V. le vers 103.) 70 Cette fois, vous mourrez. Double sens érotique de « coup ». Ce n’est pas le seul fabliau où les cons s’expriment : cf. Du Chevalier qui fist les cons parler. 71 Les vits et les cons signèrent un accord. 72 Chaque fois qu’ils pourraient capturer des vits. 73 Un cunnilingus. 74 Mais les vits sont si abondants. 75 Que si ceux qui prennent des culs pour des cons. 76 Une fausse paix, comme une monnaie fourrée est une fausse monnaie. Double sens érotique de « fourrée ». 77 Ici je termine mon récit. Formule conclusive de plusieurs Dits : on la trouve telle quelle à la fin du Dit de chascun (Montaiglon, I, 227), et de Pourquoi on doit femmes honorer (de Jehan de Condé).
LA CONFESSION DU BRIGANT AU CURÉ
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LA CONFESSION DU BRIGANT
AU CURÉ
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Ce dialogue normand1 du XVIème siècle présente une particularité : le prêtre ne succombe ni au péché de luxure, ni au péché de gourmandise ; seul le péché d’avarice lui est imputable. Dans une forêt obscure, un bandit de grands chemins réclame sa bourse à un curé, qui la prétend vide, mais qui accepte de confesser le brigand. Celui-ci, à genoux aux pieds du curé, vide peu à peu la sainte bourse, tout en commentant son forfait dans les termes d’une confession en règle.
Le Plaisant boutehors d’oysiveté (1553) relate la même tromperie, intitulée D’un Pipeur venant à confesse à un bon prebstre :
… Car cependant qu’il estoit à genoux
Devant Monsieur, faignant jetter courroux
Et maints souspirs pour son vice & péché,
Et que ce prebstre estoit bien empesché
À s’enquérir, certainement, ce hère
Fouilloit dedans la bourse ou gibes[s]ière
De ce bon prebstre, où estoyent sept escus,
Dont en print cinq comme à luy bien escheuz ;
Les autres deux il laissa jusque à tant
Que Monsieur vînt à luy dire entre-tant :
« Çà, mon amy, criez à Dieu mercy
De vos péchéz ! & vous souvienne aussi
Vous repentir, & de ne laisser rien
Que vous puissiez. Car –entendez-vous bien ?–
Vous ne seriez pas absouls, autrement. »
Sur quoy, il a respondu promptement :
« De cela faire, ainsi m’aid Dieu, prétends,
Mais que donnez le loisir & le temps. »
« C’est la raison (dit Monsieur). Besongnez,
Et à tout dire & confesser, songnez. »
Sur tel propos, cestuy mignon, encore,
Eust de rechef le soing & la mémoire
De refouiller dedans la gibecière
De son prédit confesseur ou beau Père,
Tant qu’à la fin, les sept escus il eust.
Puis, par après les avoir, dire il peust
Au confesseur que plus rien ne sçavoit….
Dont sans tarder absolution donne
Audit gallant, auquel encore ordonne
Tant seullement trois patenostres dire.
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Source : Recueil de Florence, nº 10.
Structure : Rimes embrassées, rimes plates, rimes croisées. Les 44 derniers vers, dans un état désespéré, semblent avoir été reconstitués de mémoire.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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Farce nouvelle du Curé et du Brigant
*
À deux personnaiges, c’est assavoir :
LE BRIGANT
LE CURÉ
La Confession
du Brigant au Curé
*
LE BRIGANT commence SCÈNE I
Je suis desconfit de quinquaille2,
Tout mon argent est despendu3.
À malle hart4 soit-il pendu,
Qui soustient ne denier ne maille5 !
5 Or n’est-il riens qui ne me faille,
Et [n’ay] grant planté6 d’escuz vieulx.
Ma robbe a le ventre creux
Depuis que je n’ay eu nul gaige.
Tout me fauldra7, en mon mesnaige :
10 Du pain, du lart et du fourmaige.
Je ne le tiendray pas à saige,
Qui8 passera ains que je couche.
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LE CURÉ SCÈNE II
Voicy la feste qui s’approuche
De Pasques ; et pource, à ma cure
15 Je veulx aller à l’aventure
Confesser mes paroissiens,
Car ilz sont si trèsnégligens
Que ce n’est que toute ignorance.
Pour acquiter ma conscience,
20 La Dieu mercy, je suis tout prest.
Aller me fault sans nul arrest ;
Et si, convient que [me haston]9.
Mais ung homme sans baston
Est à la mercy des chiens10.
25 Or avant ! Je ne crains [plus] riens.
Dieu me conduye, et Nostre Dame !
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LE BRIGANT SCÈNE III
Par la croix bieu ! il ne passe âme.
Je ne fois icy que morfondre…
Je prie à Dieu qu’il me confonde
30 Si je ne voy là quelque proye.
Ho, ho ! Il convient que je voye
S’il y a point de compaignie.
Sang bieu ! vous y perdrez la vie
Tantost, domine Curate 11.
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LE CURÉ SCÈNE IV
35 Je me suis [assez tost]12 hasté,
Je seray bientost à mon estre13.
LE BRIGANT 14
À mort ! à mort ! Demourez, prestre :
Il fault retourner par-deçà15 !
LE CURÉ
Hélas, hélas ! Et ! qu’esse-là ?
40 Pour Dieu, ne me faictes nul mal !
LE BRIGANT
[Vient-on]16, à pié ou à cheval ?
LE CURÉ
Je n’ay veu âme. [Quel tourment]17 !
LE BRIGANT
Vous avez peur, maistre gallant18 ?
LE CURÉ
Je cuydoye premièrement
45 Que ce fussent mauvaises gens ;
Mais [voy que] non sont, Dieu mercy !
LE BRIGANT
Jamais ne partiray d’icy
Que n’aye compté vostre monnoye.
LE CURÉ
(C’est donc pis que [je] ne cuydoye.)
50 Las, ne me faites nul effors !
LE BRIGANT
Je te mettray la dague au corps,
Par la chair Dieu, se tu dis mot !
LE CURÉ
Nenny, je ne suis pas si sot ;
Il n’en sera jamais nouvelle19.
LE BRIGANT
55 Çà, de l’argent !
LE CURÉ
Il n’y a rouelle20,
Par le Dieu qui me fist21, en ma tasse.
LE BRIGANT
Parle bas, [de peur] qu’i ne passe
Quelq’un qui face empeschement.
LE CURÉ
Vous dictes vray, par mon serment ;
60 [Desjà] je l’avoye oublié.
J’ay mon argent tout employé
Au luminaire de la feste.
LE BRIGANT
Par le sang bieu, ribault [de] prestre,
Vous chanterez d’autre martin22 !
LE CURÉ
65 Je vous don(ne)ré ung pot de vin,
Beau sire, et soyons amys.
LE BRIGANT
Baille des escus cinq ou six :
Tu n’auras garde qu’on [les t’emble]23.
LE CURÉ
Je n’en vis oncques tant ensemble,
70 Par Dieu qui me fist, en ma bource.
LE BRIGANT
S’il convient que je me cour(ou)ce…
LE CURÉ
[Ce me]24 seroit une grant peine.
LE BRIGANT
Voicy desjà25 longue sepmaine
Que je veulx estre confessé.
LE CURÉ
75 A ! par Dieu, tout sera laissé
Devant que je ne vous confesse.
Or sus, mectez-vous à vostre aise,
Debout, assis, agenoillé26,
Et dictes : « Bénédicité,
80 Dominus 27. »
LE BRIGANT
Dy-le pour moy, [don28].
LE CURÉ
Bénédicité… Sempiternum…
[Et] spiritus sancti… Amen !
Or, dites donc : « Je me confesse. »
LE BRIGANT
85 Dy-le pour moy.
LE CURÉ
« Je me co[n]fesse
À Dieu31. »
LE BRIGANT
Et maulgré bieu du villain prestre32 !
T’en veulx-tu desjà aller [paistre] ?
LE CURÉ
C’est ung mot de confession.
LE BRIGANT
Par la mort ! sans rémission
90 Je te tueray, se tu quaquettes.
LE CURÉ
Or sus, dictes voz besongnettes33 :
Avez-vous prins rien de l’autruy34 ?
LE BRIGANT
[Se j’ay prins ?] Et ! morbieu, ouÿ :
Quant je jou[o]ye aulx espinettes35
95 Avec[ques] les belles fillettes,
Je leur ostoye leurs espilles36
Et les donnoye à d’autres filles.
LE CURÉ
Or Dieu le vous pardoint, [beau] sire !
Comment vous va du péché d’ire37 ?
100 Vous courro[u]cez-vous voluntiers ?
LE BRIGANT
Quant je vois38 parmy les santiers,
[S’]une ronce ou une espinette
Me happe parmy ma jambette,
Incontinent je maulgroye Dieu
105 Et la couppe par le mellieu ;
Voire tout bas39, sans mot sonner.
LE CURÉ
Dieu le vous vueille pardonner !
Mais d’argent prendre, il s’en fault f[r]aindre40.
LE BRIGANT 41
Si fois-je, quant n’y puis actaindre.
LE CURÉ
110 C’est bien fait, car Dieu s’en courrouce.
Avez-vous point, voyant42 la bource
À ces gallans, et joué de « force »43 ?
LE BRIGANT
Nenny, [pas encore, par Dieu]44.
LE CURÉ
Or sus, faicte[s] bien vostre deu45 ;
115 Il faul[t] laisser, chascun, son fais46.
LE BRIGANT
Par le sang bieu, je suis emprès ;
Encor(e) ne fais que commencer.
LE CURÉ
Il vous fault trèsbien [a]penser
À mettre tout hors, mon amy.
LE BRIGANT
120 Aussi fais-je tant que je puis,
Mais le pertuis47 est trop petit.
LE CURÉ
Ce sera [pour] vostre prouffit,
Mon amy : ne laissez rien.
LE BRIGANT
[Pour] mon prouffit ? Par sainct Julien,
125 Au moins y ay-je espérance !
LE CURÉ
N’avez-vous pas en Dieu fiance ?
Dea ! ne vous hastez48 qu’à vostre aise.
LE BRIGANT
Nenny dea, je suis bien aise.
Vous fais-je point de desplaisir ?
LE CURÉ
130 Nenny non, faictes tout à loisir ;
De vous amender j’ay grant joye.
LE BRIGANT
Je vaulx mieulx que je ne faisoye
Des escus, par Dieu, plus de six49.
LE CURÉ
Vostre confession, beau filz,
135 Elle doit estre parfaicte.
LE BRIGANT
El(le) sera, par Dieu, toute nette,
Se je puis, avant que [je cesse]50.
LE CURÉ
Dea, il ne fault pas que l’en laisse
Aucuns péchés : n’en laissez nulz.
LE BRIGANT
140 Je prens les grans et les menus,
Certes, j’en foys bien mon effors.
LE CURÉ
Dieu vous sera miséricors.
Or çà, savez-vous autre chose ?
LE BRIGANT
L’autre jour, il y a grant pose51,
145 On avoit mis ung gras confit52
À la gelée53, toute [une] nuyt ;
Et je le prins.
LE CURÉ
[C’est bien forgé]54 !
LE BRIGANT
Par le sang bieu ! je le mengay
Sans sel55, dont je m’en confesse.
LE CURÉ
150 Or çà, oyez-vous point la messe,
Au dimenche, quant elle sonne ?
LE BRIGANT
Je l’oy bien d’où je suis.
LE CURÉ
[Grant somme
Avez]56, mais que faites vous tousjours ainsi ?
LE BRIGANT
J’en ay beaucoup, [la] Dieu mercy57 !
LE CURÉ
155 Or mon amy dictes, après, [vos reliques58],
Sans [me] faire tant de réplicques.
LE BRIGANT
Je mengay l’autre jour des trippes
D’une59 tripière, [à fines lippes]60 ;
Et luy abbatis [sa tripière]61
160 Tant que la gresse cheut à terre.
Et [j’ay] laissé là son62 couteau.
LE CURÉ
Dea, nous en sommes bien et63 beau !
Confession est-elle faicte ?
LE BRIGANT
Par le sang bieu ! elle est [bien] nette :
165 Je ne sçay en [tout mon couraige]64
Plus riens seul, s’il n’est bien sauvaige65.
LE CURÉ
C’est vostre prouffit, j’ay66 fiance.
LE BRIGANT
Or sus doncques, que l’en s’avance67 !
LE CURÉ
Il vous fault avoir pénitence,
170 Pour des68 péchéz pardon avoir69.
LE BRIGANT
Monsïeur, vueillez y penser :
Car si vous me baillez grant charge,
Je ne la sçauroie porter70.
LE CURÉ
…………………. Égo asvoté 71…
175 De la crouste d’ung pasté72…
Sicut érat… Sempiternam…
[Et] spiritu sancti… Amen !
.
LE BRIGANT 73 SCÈNE V
Sire Moris[s]e, mon amy,
[De grant sens vous estes garny]74.
LE CURÉ
180 Vertu bieu ! je [chante mercy]75
Que je n’é pas laissé l’endosse76.
Morbieu ! se je reviens par cy…
Je m’en vois à mon sacerdoce77,
Confesser mes parroisiens.
185 Prenez en gré l’esbatement !
Sire Dieu [vous donne tous biens]78 !
Adieu vous dy pour maintenant.
FINIS
*
1 Comme d’habitude, les particularismes normands n’ont survécu que dans les rimes : vers 16 et 17, 22 et 23, 111 et 112, 113 et 114, 170 et 171… Mais il nous reste un couplet sur les tripes, spécialité normande ! 2 Cliquaille, monnaie. Cf. les Tyrans, vers 49. 3 Dépensé. 4 À une maudite corde. 5 Celui qui a des deniers ou des piécettes. « Je ne soustiens denier ne maille. » La Confession Rifflart. 6 Quantité. Les écus vieux furent décriés le 5 décembre 1511. Voir la note 124 du Jeu du Prince des Sotz. 7 Me fera défaut (verbe faillir, vers 5). 8 Celui qui passera avant que je ne me couche. 9 F : ie me haste (Tournure normande : « Je n’avons pas putost eu gagé, que j’avons vu les deux hommes tout à plain. » Molière, Dom Juan, II, 1.) 10 Il ramasse une branche morte, et l’utilise comme canne pour marcher et se défendre pendant le long trajet entre son presbytère et la cure où il officie. Les villes se trouvaient dans la forêt, alors peuplée de chiens sauvages, de loups, et de détrousseurs. 11 Monsieur le Curé. C’est du vrai latin, contrairement à celui que va écorcher le curé. « Et ma femme banquètera/ Avecques domine Curate./ Ell’ en ara le cul frapé. » Le Vilein, sa Femme et le Curé. 12 F : asses toust 13 À destination. 14 Il surgit de derrière un arbre. 15 Par ici, vers moi. Il attrape le curé qui s’enfuyait. 16 F : Vient il (Est-ce que quelqu’un d’autre vient ? Voir le vers 32.) 17 F : quelconques (« N’y est-elle point ? Quel tourment ! » Les Botines Gaultier.) 18 Les prêtres avaient une réputation de séducteurs. 19 F : nouuoelles (Je n’en parlerai à personne. Cf. Beaucop-veoir et Joyeulx-soudain, vers 256.) 20 Aucune pièce de monnaie. 21 Même expression au vers 70. Tasse = bourse : cf. le Ramonneur de cheminées, vers 61. 22 Vous changerez de ton. « Bientost vous ferai d’autre martin chanter. » Godefroy. 23 F : le lemble (Tu ne craindras plus qu’on te les vole.) 24 F : Se (On se demande si le curé plaint le brigand ou son argent.) 25 F : la (Il y a déjà longtemps.) 26 F : ou a genoulx (Cf. la confession du Nouveau Pathelin : « –Çà, dictes, sans plus vous brouiller,/ Tout premier Bénédicité…./ –Seray-je cy agenoillé ? » 27 Nombreux points communs avec la confession du Testament Pathelin (notamment les vers 327-330), et la confession du Munyer (vers 390-391). 28 Donc. On plaquait parfois cette rime commode à la fin d’un vers bancal : « Il suffist, je n’en dy rien, don. » Maistre Pierre Doribus. 29 Le curé amalgame le début de secula et la fin de sursum corda [élevons nos cœurs]. Il a tellement peur qu’il mélange et estropie les textes liturgiques. Voir la note de Gustave Cohen, Recueil de farces françaises, p. 82. 30 F : predicale (qui ne rime pas. Emprunt classique à saint Augustin : divino eloquio praedicatam = prêchée par une éloquence divine — que ne possède visiblement pas notre pauvre curé de campagne.) Prédicatan rime avec aman, de même que le sempiternon du vers précédent rime avec don. 31 Le brigand comprend « Adieu ! », et croit que le curé va s’en aller. On trouve exactement le même jeu scénique dans la farce du Ribault marié, vers 403-405. Et dans la 13e Nouvelle de Philippe de Vigneulles : « “Or dictes doncques ainsi, sire : Je me confesse à Dieu”, ce dit le curé. Et le rusticque, pensant qu’il eust désjà fait (…), dit : “Et ! adieu ? Messire prebtre, en voullez-vous desjà aller ?” » 32 Maudit soit ce vilain prêtre ! « Maugré du vieux ! » Farce de la Cornette. 33 Vos petites affaires. Double sens érotique (besogner = coïter) : cf. Jolyet, vers 54. 34 Du bien d’autrui. Cf. la confession du Testament Pathelin, vers 388. 35 Espine = pine, pénis. « Dame Proserpine/ Fust espinée de l’espine/ Qui est en ta brague cachée. » (Rabelais, V, 46.) On peut comprendre : quand je faisais l’amour. 36 F : espingles (Les espilles sont des épingles qui fermaient les robes : « S’il choit à la dame une espille. » XV Joyes de mariage.) 37 La colère est un péché capital. 38 Vais. 39 Silencieusement. 40 Se retenir (Godefroy). Le curé estime moins grave d’enfreindre le deuxième Commandement (« Tu ne prendras point le nom du Seigneur ton Dieu en vain ») que le septième (« Tu ne desroberas point »). 41 À partir de là, le brigand à genoux entrouvre discrètement l’aumônière du curé, puis en sort les pièces une à une. Le curé lui parle de sa conscience qu’il doit vider de tout péché, mais le brigand parle de la bourse du curé, qu’il vide de ses écus. 42 F : veu en 43 Les forces étaient les ciseaux des coupeurs de bourses. Voir l’édition Koopmans, p.176, note 32. 44 F : par dieu pas encore (Cf. Koopmans, note 33.) 45 Votre devoir. « Diu » rime avec « dû », à la manière normande. 46 Chacun doit laisser son fardeau moral. Le brigand songe plutôt à un fardeau métallique. 47 Le goulot de ma conscience. (Et l’ouverture de votre bourse.) 48 F : hastrs 49 Je vaux 6 écus de plus que je ne valais avant de me confesser. 50 F : la laisse (Rime du même au même.) 51 Il y a longtemps. 52 F : chappon 53 À la campagne, on laissait refroidir les plats chauds sur une fenêtre, pour le plus grand plaisir des chapardeurs. 54 F : Dea iulfhange (C’est bien combiné.) 55 Goulûment, comme le chat de Renart le nouvel quand il dévore un héron « sans nape et sans sel ». 56 F : Par dieu vous auez grant somme (Vous avez tellement sommeil, que vous restez couché au lieu d’aller à l’église ? Le brigand va équivoquer sur les sommes d’argent. Cf. Koopmans, note 49.) 57 Même exclamation au vers 20. Cf. la Seconde Moralité de Genève, vers 129. 58 Le reliquat, le reste. « S’il y a encores en vous quelques reliques de l’amour passée. » Marguerite de Navarre. 59 F : A une (Vers trop long.) Les tripières vendaient au marché des tripes chaudes que les clients consommaient sur place, dans une écuelle ou une chope : « Demandé luy ay du brouet [sauce],/ En mon escuelle, de ses trippes. » (Farce de la Trippière, F 52.) « Je payeray choppine de tripes. » (Le Disciple de Pantagruel.) À défaut, on versait les tripes dans un cornet de papier fort : « Ma besace sera gastée,/ Se ne le metez au cornet. » (L’Aveugle, son Varlet et une Tripière.) Les tripières de la littérature comique sont toujours victimes de resquilleurs, comme dans les Repues franches de maistre François Villon. 60 F : qui passoit (« Regardez là quelz fines lippes/ Pour tesmoigner d’ung plat de tripes. » Le Capitaine Mal-en-point.) 61 F : son bacquet (Tripière = large pot en terre cuite muni d’un petit couvercle.) 62 F : mon (Je me suis enfui avant qu’elle me poignarde.) Le redoutable couteau à double tranchant des tripières était passé en proverbe : « L’Évangile est un cousteau de tripière, qui coupe des deux costéz. » Satyre Ménippée. 63 F : el (Ce « nous » de majesté désigne le curé lui-même, qui regrette charitablement que la tripière n’ait pas tué le brigand.) 64 F : ma conscience (Dans mon cœur, dans mon âme. « Ce sont choses (…) qui moult me grièvent et poisent en mon courage. » Froissart.) 65 Je n’ai pas laissé un sou, à moins qu’il n’ait eu des griffes. 66 F : Se ie ny ay part iay 67 Qu’on en finisse. 68 F : vos 69 Rime normande : avèr rime avec pensèr. Cf. Pates-ouaintes, vers 420 et 422. 70 Il faudrait une rime en -arge, ou à la rigueur en -age. Les pénitents resquillent toujours pour diminuer leur pénitence ; le meilleur exemple se trouve dans la Confession Rifflart. 71 Ego absolvo te [je t’absous]. Pressé d’en finir, le curé recommence à dire n’importe quoi (note 29). 72 « De la croûte » évoque Juxta crucem [près de la croix], et « D’un pâté » rappelle Deus Pater [Dieu le Père]. 73 Il s’éloigne en se parlant à lui-même. On apprend qu’il se nomme Maurice. 74 F : Vous estes garny de grant sens 75 F : eschape bien aucy (Chanter merci = rendre grâces à Dieu.) 76 Le bas du dos : le curé se félicite de ne pas s’être fait violer ! Voir le glossaire des Ballades en argot homosexuel de Villon <édition de Thierry Martin>. D’après le Dictionnaire érotique de Pierre Guiraud, « se faire endosser » = se faire sodomiser. 77 F : avanture (Réminiscence des vers 15-16.) 78 F : le vous pardonne (Encore une fois, ces « biens » sont plus terrestres que spirituels.)
LES SOTZ ECCLÉSIASTICQUES
*
LES SOTZ
ECCLÉSIASTICQUES
*
Cette sottie anticléricale fut peut-être composée en 1511. Trois parvenus ont acheté des charges ecclésiastiques1, et les jouent aux cartes en éructant des propos sacrilèges. « Les plus grans blasphèmes se desgorgent ordinairement ès jeux de cartes et de déz. » (Henri Estienne.) Les Sots vivent sans Dieu depuis que les Psaumes 13 et 52 ont fait dire à l’insipiens [au fou] : « Non est Deus ! » [Dieu n’est pas. = Il n’y a pas de Dieu.]
Beaucoup de princes de l’Église auraient pu se reconnaître dans nos trois Sots. Il était fréquent que des rabatteurs de gibier à quatre pattes ou à deux jambes soient embauchés par de grands prélats ; une fois qu’ils étaient dans la place, leur génie de l’intrigue les faisait monter en grade très vite. Dans la Sotye des Croniqueurs, Pierre Gringore dira en parlant de ces « macquereaux » : « Ung chien, une fille, ung cheval/ Valloit pour lors troys cens royaulx. »
Le 2º Sot n’est autre que le célèbre cardinal Balue, mort en 1491. Ce jouisseur inculte et athée débuta comme palefrenier. Il fut remarqué par l’évêque de Poitiers (le patriarche d’Antioche), dont il détourna la succession, puis par l’évêque d’Angers, qu’il fit excommunier pour prendre sa place. Il grimpa les échelons ecclésiastiques quatre à quatre et s’enrichit d’une manière éhontée. Vendu à Charles le Téméraire, il trahit Louis XI, dont il avait réussi à devenir le principal conseiller. La sottie est un décalque du Processus Balue, un dit rimé de 1470 qui narre toutes ces péripéties :
Ton premier (métier), ce fut pourvoieur
D’avoine et foing pour les chevaulx.
Puis, par subtilz moyens et caulx,
Le patriarche (d’Antioche) prins au poing….
(Il) te fist estre curé de Boing….
Le Roy te fist premièrement
Prieur et son grant aumosnier,
Évesque d’Évreux droicturier,
Et puis de Romme cardinal.
…. Ordure et puterie,
Où estudioys de cueur fin,
Mieulx en savoys l’art que latin….
Tu cuidoys, (toi) qui es de bas lieu,
Estre pappe et puis estre Dieu.
<Eugène Déprez : La trahison du cardinal Balue (1469).
Chanson et ballades inédites.>
Balue embaucha des farceurs pour le représenter dans son costume : « Entre lesquelz joueurs de farces, il y avoit ung personnaige feingnant ledit Balue cardinal, qui (…) disoit telz motz : “Je fay feu, je fay raige, je fay bruit, je fay tout ; il ne est nouvelle que de moy.” »
.
Source : Recueil Trepperel, nº 14.
Structure : ababbcbc, avec 5 quatrains en abaB.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
*
Sotie nouvelle à quatre personnages trèsexcellente des
Sotz ecclésiasticques
qui jouent leurs bénéfices au content
C’est assavoir :
LE PREMIER SOT
LE SECOND SOT
LE TIERS SOT
HAULTE FOLLIE 2
*
LE PREMIER SOT commence
Soctars, SCÈNE I
LE SECOND SOT
Soctereaulx,
LE TIERS SOT
Socteletz,
LE PREMIER
Les vrays filz de Haulte Follie ;
LE SECOND
Sotz approuvéz,
LE TIERS
Fermes folletz ;
LE PREMIER
Et nous meslons
LE SECOND
De symonye,
LE TIERS
5 De faire [toute] mocquerie3,
D(e) éveschéz ;
LE PREMIER
Ce sont noz praticques.
LE SECOND
Nous sommes (puisqu’il fault qu’on die)
[Les] vrays Sotz ecclésiasticques,
LE TIERS
Suyvant les garces4 erraticques
10 Quant on les treuve en quelque lieu.
LE PREMIER
Que vault ton esveschier, par Dieu ?
LE SECOND
Sans me partir de ceste ville,
On m’a apporté quinze mille5.
LE TIERS
Quinze mille ? Dieux !
LE PREMIER
Quinze mille ?
LE SECOND
15 Et en vault tant sans ce qu’on pille
Sur les seaulx des collacions6.
LE PREMIER
Voire, qui ne sont pas esgalles.
LE SECOND
Ce sont grandes exactions
Contre toutes noz Décrétalles7.
LE PREMIER
20 Grimault8 nous tiendra en ses salles.
LE SECOND
Il fault que tout rompe ou dessire9.
LE TIERS
Les coustumes sont [si] trèsmalles
De vendre tant ung peu de cire10.
LE PREMIER
Je ne dy pas qu’on ne retire
25 Son droit ainsi et ainsi[n]11.
LE SECOND
C’est ung mal de [tous] maulx le pire12,
Et une grande larrecin13.
LE TIERS
Fault-il, pour ung seau et [ung] sin14…
LE PREMIER
Ta[i]s-toy !
LE TIERS
Pour Dieu, que je le dye !
LE SECOND
30 Escoutons jusques en la fin.
LE TIERS
Rien, c’est trop clère simonie.
Je voue à Dieu, se l’en m’en prie,
D’aller au Conseil15 de Lyon.
Qui qu’en parle ne qui qu’en rie16,
35 Je le mettray in médium 17.
LE PREMIER
Tousjours nous nous humilion.
LE TIERS
Par noz humiliacions,
On réduira in nichillium 18,
En brief, noz nominations.
LE PREMIER
40 Traitons19 quelque[s] transations
À passer temps.
LE SECOND
Qu’on s’y employe !
LE TIERS
Pensons-y.
LE PREMIER
Çà donc, advisons !
Il est la saison qu’on folloye.
LE SECOND
Je vous veil racompter d’une20 oye
45 Qui (ou [que] saint Anthoine m’arde !)
A ponnu21 près les murs de Troye
Ung euf plus gros q’une bombarde.
LE TIERS
Tu mens bien : c’est ung euf d’austarde22.
LE SECOND
Et si, y a une fontaine
50 Où sourd maintenant la moustarde.
LE PREMIER
Il y a ta fièvre quartaine !
LE TIERS
Parlons qu’ès23 pays d’Aquitaine,
Une cingesse a esté veue,
Qui e[u]t, par messure24 certaine,
55 Quatorze cens lances toises de queue.
Et plus fort : quant el(le) se remue,
El y va de si grant estoc
Que les cogs25, au long d’une lieue,
Chantent de peur : « Coquericog ! »
LE SECOND
60 Tu souffles d’abhic et d’abhoc 26.
LE PREMIER
Mais anquéron27, je vous en prie,
Que fait en Paradis Énoc
Et son bon compaignon Hélye28.
LE SECOND
Mais com ung homme d’Itallye
65 A montay (dont je m’esmerveil)
Ès cieulx atout29 une poullye
Pour pisser contre le soleil30.
LE TIERS
Vécy ung doubte nompareil
S(e) ung Sot qui a la teste socte
70 Doit31 pas mener terrible dueil
Quant il a perdu sa marocte.
LE PREMIER
Vous compteray-je de la crocte
D’une souris de Barbarie,
A[u]ssi grosse q’une pelocte32 ?
LE SECOND
75 Cela, ce n’est [que] mincerie33.
LE TIERS
Qui sçaura34 donc m[i]eulx, si le die.
LE PREMIER
Vous diray-je…
[LE SECOND]
Allons de ce pas
Requérir à Haulte Follie
Qu’el nous conseille nostre cas.
.
LE PREMIER SCÈNE II
80 Honneur !
LE SECOND
Déduit !
LE TIERS
Joye !
LE SECOND
Soulas !
HAULTE FOLLIE
Qui estes-vous ? [………….. -ie.]
LE PREMIER
Et ! ne nous congnoissez-vous pas,
Nostre mère Haulte Follie ?
HAULTE FOLLIE
Certes, je ne vous congnois mye.
LE PREMIER
85 Nous sommes Sotz si vollaticques35,
LE TIERS
Vrays Sotz,
LE PREMIER
Vrays enfans de Sottie,
LE SECOND
Voz vrays Sotz ecclésiasticques.
HAULTE FOLLIE
Hommes sotz, propres et mist[icqu]es :
Il n’y a point, certainement,
90 De Sotz qui soient plus autenticque[s],
D’Orient jusqu’en Occident.
Vous estes mes Sotz, voirement.
Mais je ne vous congnoissoyes plus,
Car vous estes, pour le présent,
95 Merveilleusement disollus.
Jamais ne vous eusse congneuz.
N’eusse point en36 intention
Que vous fussiez oncques venus
À si grant dissollucion.
100 Quel est la cogitation
Et la cause de la venue ?
LE TIERS
Nous voullons passer la saison37 ;
Enseignez-nous, ma mère deue38,
LE PREMIER
Joyeuseté entretenue.
105 Car quoy ! nous sommes gros et gras,
Nourris comme chappons39 en mue.
Nous demandons jeuz et esbatz.
LE SECOND
Vélà tout.
HAULTE FOLLIE
J’entens vostre cas.
Advisez que vous voullez faire.
LE PREMIER
110 Nous sçavons beaucoup de fatras,
Se nous ne vous peussions desplaire.
LE SECOND
Vous semble-il qu’il feust bon de boire ?
[Jà bois.]40
LE TIERS
Oua !
LE PREMIER
Oua !
LE SECOND
Oua !
HAULTE FOLLIE
Tout41 cecy n’est pas nécessaire :
115 Vo42 estat n’est pas ad cela.
LE TIERS
Je fisse si bien broua[ha] !
LE PREMIER
Je feroyes rage43.
LE SECOND
Je t’en croy.
LE TIERS
Ha ! jamais homme n’aboya44,
Pour ung Sot, [aus]si bien que moy.
LE PREMIER
120 Seroit-il bon, par vostre foy,
Que nous fissions des arbalestes
Pour tuer, sur le moys de may,
Ung tas de petites mouschectes
Qui vollent parmy ces sallectes ?
LE SECOND
125 Dictes s’on y besongnera.
HAULTE FOLLIE
Ces jeux-là ne sont pas honnestes ;
Vo estat n’est pas ad cela.
LE TIERS
Je sçay bien donc que l’en fera :
Que deux de nous monstrent les culz,
130 Debout, et l’aultre chacera
À prendre les petz à la glus.
LE PREMIER
Voire ; mais s’ilz estoient vellus45 ?
LE SECOND
C’est du moins : tout y [e]scoura46.
LE TIERS
Voullez-vous bien ?
HAULTE FOLLIE
N’en parlez plus :
135 Vo estat n’est point ad cela.
LE PREMIER
Dictes-nous donc que l’en fera.
LE SECOND
Despeschez !
LE TIERS
Il nous ennuyst47 tant !
HAULTE FOLLIE
Je sçay ung beau jeu, qui voul[d]ra48.
LE PREMIER
Quel jeu ?
HAULTE FOLLIE
C’est le jeu du content49.
LE TIERS
140 Au content ? Jhésus !
LE PREMIER
Au content ?
LE SECOND 50
Or entendez mon51, que j’advise.
Par le sang bieu ! je suis content :
C’est ung droict jeu pour gens d’Église.
LE TIERS
Je ne sçay jeu qui mieulx nous duyse.
LE PREMIER
145 Entre nous, telz jeux sont propices52.
LE SECOND
Chascun de nous scet la maistrise
De macquignonner53 bénéfices.
HAULTE FOLLIE
Di-moy, [toy] qui as tant d’offices :
Qu’as-tu fait en ton jeune aage54 ?
LE TIERS
150 J’ay menay des chiens et des lisses55
Chacer de nuit au verd boucaige :
Ung maistre gardeur d’esquipaige56 !
Jamais, en ma vie, je n’euz peur
D’actendre la beste sauvaige.
HAULTE FOLLIE
155 De loix ? de décret57 ?
LE TIERS
C’est erreur.
Tout mon t[e]mps, j’é esté chaceur58.
HAULTE FOLLIE
Tu as maintenant tant de biens :
Qui t’a mis en si grant honneur ?
LE TIERS
Mon seigneur. J’ay esté des siens.
160 J’ay pensé que les clers n’ont riens
Pour chose qu’ilz aient leu ne veu.
J’ay esté gouverneur de chiens,
Et suis maintenant bien pourveu :
J’ay trois cures (c’est pour empreu59),
165 Sept prieuréz, t[r]oys abbaïes,
La [grand chappelle]60 de Beaulieu,
Et quatorze chanoyneries.
LE PREMIER
Ne vélà pas grant deableries ?
LE SECOND
Les clers bien lestréz ont des poulx,
[Ès collièges de pouilleries,]
170 Qui les rongent jusques aux oux61.
HAULTE FOLLIE
Çà, aux aultres ! Qui estes-vous ?
LE SECOND
Sans tant despriser le mestier,
Je le diray devant trèstous :
Mon père fut ung savetier.
175 Quant il fut tout las de crier
Partout « Vieux souliers ! Vieux houseaux62 ! »,
Il ayma mieulx estre courtier,
Et fut macquignon de chevaulx.
Dieu scet combien [j’ay eu]63 de maulx,
180 En tracassant parmy la ville !
Aller trocter sur les quarreaulx,
J’en sçavoyes trèsbien le s[e]tille64.
Ung seigneur m’a trouvay habille65 ;
Je le servy. Il m’a donné
185 De revenu cinq ou six mille.
Je suis maintenant ung abbé66.
LE PREMIER
Mais cuidez-vous qu’il a67 frocté
Mainte jument et mainte rosse ?
LE TIERS
Le grant deable l’a bien aidé
190 De porte[r] maintenant la crosse68.
LE PREMIER
Jamais il ne fut à tel nopce.
LE TIERS
Fait-on des abbéz si nouveaulx ?
LE SECOND
Je suis abbé, qui que en grosse69.
LE PREMIER
Voire des abbéz fériaulx70.
HAULTE FOLLIE
195 Et vous ?
LE PREMIER
Je suis des fringueriaulx71
De Court, [où] j’ay long temps esté
Ung des principaulx macquereaulx
Qui jamais entrast en l’osté72
De73 mon seigneur. J’ay tampesté,
200 Servy, brouillié troys ou quatre ans :
Tant, que [je] suis bien appoincté74
Et ay deux ou troys mille frans.
HAULTE FOLLIE
Or çà, mes principaulx enfans,
Vous estes tous troys de bas lieu.
205 Dictes-moy : estes-vous contens ?
LE PREMIER
Nenny.
LE TIERS
Nenny.
LE SECOND
Nenny, par Dieu !
HAULTE FOLLIE
Çà doncques, jouons ad ce jeu.
Sc[é]ez-vous75. Tien, vélà pour toy.
LE PREMIER
C’est la cure [de] saint Mathieu76 !
HAULTE FOLLIE
210 Tien, prens cela !
LE SECOND
Ho, par ma foy !
LE PREMIER
Qu’i a-il ?
LE TIERS
Je ne sçay quoy.
LE SECOND
Si vault ma quarte bien autant.
LE PREMIER
Or çà, doncques, baillez-la-moy :
Changons, je ne suis pas content.
LE SECOND
215 J’ay trèsbonne cure, pourtant.
LE PREMIER
Et moy, une bonne chappelle.
LE SECOND
Qui change ?
LE PREMIER
Je me tiens à tant77.
HAULTE FOLLIE
[Çà, recommençons]78 de plus bell[e].
Tenez !
LE PREMIER
Vécy bonne nouvelle.
LE SECOND
220 Par ta foy ! que t’a-l’en donné ?
LE PREMIER
Je ne vueil jà qu’on le vous celle :
C’est une archédïaconé79.
Toy, qu’as-tu ?
LE SECOND
J’ay une évesché.
LE PREMIER
Tien ma carte ; que j’ayes la tienne.
LE SECOND
225 Ha, corps bieu ! vous estes trompé :
L’archédïaconé est mienne.
LE TIERS
Corps bieu ! vélà bonne fredaine.
LE SECOND
Ma carte ne vault ne croix ne pille.
Et toutesfois, j’ay eu la sienne,
230 Qui me vauldra deux80 ou trois mille.
Qu’as-tu ?
LE TIERS
Office.
LE SECOND
Et vault ?
LE TIERS
Trois mille.
LE SECOND
Changon !
LE TIERS
Ce seroit symonie.
LE SECOND
On fait cela au coup la quille81,
Posay82 que [ne] soit grant follie.
HAULTE FOLLIE
235 Tenez83 !
LE PREMIER
Je ne vous lairay mye84.
LE SECOND
Qu’esse la ? N’a-il bonnes nouvelles ?
LE PREMIER
Par mon serment ! sans menterie85,
C’est la doyenné de « Grenelles »86 !
LE SECOND
Cestes-cy ne sont pas trop belles.
LE TIERS
240 Y a-il chose qui le grève ?
LE SECOND
J’ay beau87 visiter les ruelles :
C’est la chanoinerie de « Brève »88 !
Pour toy faire sentence brièfve,
La prébende Saint-Innocent89.
LE TIERS
245 Feroit-on point de changement ?
LE PREMIER
Je doubte, puis je [me] demande…
LE TIERS
Quant est à moy, je suis content.
LE SECOND
Chascun gardera sa prébende.
HAULTE FOLLIE
Tenez ! Ha, je veil qu’on me pende
250 Se90 mot…
LE SECOND
Fy ! cecy ne vault rien.
LE TIERS
Que chascun à son cas entende.
LE SECOND
Veulx-tu changer à moy ça tien ?
LE PREMIER
C’est bien moins91, je le voy [trop] bien.
LE SECOND
Hé ! beau sire !
LE PREMIER
Ton cas va mal.
255 Je suis content.
LE SECOND
Cecy est mien :
Par ma foy ! je suis cardinal.
LE TIERS
Il en a92 !
LE SECOND
Ce n’est pas grant mal.
LE PREMIER
Dieux ! et t’en fault-il si hault braire ?
[LE SECOND]
Je ne suis pas trop au raval93.
LE PREMIER
260 Qu’as-tu ?
LE SECOND
Je suis prothenotaire94.
LE PREMIER 95
J’ay fait que saige96 de moy taire.
LE TIERS
Par mon serment ! j’ay raige rouge97.
[LE] SECOND
Ha, corps bieu ! tu auras beau faire98
Se je change le chappeau rouge.
LE TIERS
265 C’est ainsi que Follie te louge99.
HAULTE FOLLIE
Tien cecy !
LE PREMIER
Hon, hon ! Je vous happe100.
LE SECOND
Hélas, pour Dieu ! qu’omme ne bouge !
Je suis homme pour estre pape.
LE PREMIER
Vous n’avez garde qu’el101 m’eschappe,
270 S’elle peut venir en mon lieu.
LE SECOND
Mort bieu ! s’une fois je l’actrappe102,
Encor[e] vouldroy-je estre Dieu.
HAULTE FOLLIE
Tien, prens cela !
LE SECOND
Ha, [la] mort bieu !
LE TIERS
Hon, hon !
LE PREMIER
Sommes-nous bien content[s] ?
LE SECOND
275 Toy103, Premier, [qu’as-tu dans ton jeu]104 ?
LE PREMIER
Je suis arcevesque de Sens.
LE SECOND
Veulx-tu changier ?
LE TIERS
Je m’y consens105.
LE SECOND
Qu’as-tu, [toy] ?
LE TIERS
Deux bons prieuréz
Vallans deux ou trois mille francs.
LE SECOND
280 Tien : tu auras106 mes doyennéz.
HAULTE FOLLIE
Voullez-vous à [ce] coup jouer ?
LE TIERS
Et ! jouons encor une lasche107.
HAULTE FOLLIE
Que veulx-tu pour te contenter ?
LE TIERS
Je voulsisse estre patriarche.
LE SECOND
285 Et tu seras ung estront !
LE PREMIER
Masche108 !
LE TIERS
Mais faictes ce vieil bracquemar109
Abbé ou prieur de la « Marche »110 !
LE SECOND
Hée, villain ! t’en fault-il parler ?
[LE TIERS]
Tu as esté pallefrenier
290 Et houspaillier111 toute ta vie,
Filz d’ung co[u]rtier, d’ung savetier ;
Et si, ne te contente[s] mye ?
LE PREMIER
Et moy, ay-je assez ? Qu’on le die !
LE SECOND
Voyez ce macquereau putier,
295 Régent en macque[rel]lerie :112
Est évesque, et n’est pas content !
LE PREMIER
Et toy aussi, maistre appliquant113 !
Hélas, quel abbé de [Froit-Vaulx]114 !
LE SECOND
Tu es ung macquereau, pourtant.
LE PREMIER
300 Hé ! torcheur de cul de chevaulx115 !
LE TIERS
Mais advisez quelz truandeaux !
LE SECOND
Ha, par bieu ! vous le vallez bien,
Maistre chas[s]eur de lappereaux !
LE PREMIER
Suyvez hardiement vostre116 train !
HAULTE FOLLIE
305 [Discord ne]117 débat ne vault rien.
LE PREMIER
Que j’eusse encor une118 abbahye !
HAULTE FOLLIE 119
J’en ay une.
LE PREMIER
Je la retien :
Donnez-la-moy, Haulte Follie !
HAULTE FOLLIE
Seras-tu content ?
LE PREMIER
De ma vie,
310 Rien je ne vous demanderay120.
HAULTE FOLLIE
Vélà la.
LE PREMIER
Je vous remercie.
HAULTE FOLLIE
Cecy [encore te diray] :
Se tu estoyes Dieu, mon amy,
Seroyes-tu content de ton eu121 ?
LE PREMIER
315 Je croy bien qu’il n’y a celluy
Qu’il ne fust content d’estre Dieu.
HAULTE FOLLIE
Chascun de vous est bien pourveu :
Estes-vous content[s], mes amis ?
LE SECOND
Nenny : je veil estre au millieu,
320 Et le plus hault en Paradis122.
HAULTE FOLLIE
Es-tu bien content ?
LE SECOND
Je ne sçay.
HAULTE FOLLIE
Et toy ?
LE TIERS
Se j’eusse ung éveschié,
Je fusse content.
HAULTE FOLLIE
Vez-le là.
Es-tu bien content ?
LE TIERS
Je ne sçay.
325 Je ne n’ay pas tant que cestuy-là.
HAULTE FOLLIE
Et toy, aussi ?
LE PREMIER
Qui me123 donra
Ung chappeau rouge [par surcroy],
Je seray content de cela.
HAULTE FOLLIE
Tien ! Es-tu content ?
LE PREMIER
Je le croy.
330 Si ne le sçay pas bien, de vray.
HAULTE FOLLIE
Vécy grant bestialité124 !
LE PREMIER
J’eusse eu (par l’âme de moy)
Voulentiers la Papalité.
HAULTE FOLLIE
Au moins, seras-tu bien content[é],
335 S’une foiz la te donne ?
LE PREMIER
Ouÿ.
HAULTE FOLLIE
Mais vouldroyes-tu point la déité ?
LE PREMIER
Si125 la vouldroyes avoir [aussi].
HAULTE FOLLIE
Il n’est pas possible, mes filz :
Jamais vous n’en verrez la porte126.
340 Il fault, selon ce que je lis,
Que le grant deable vous emporte.
LE SECOND
Est-il ainsi ?
HAULTE FOLLIE
Je vous enorte127
Que telz gens n’y pevent entrer128.
LE TIERS
Nous vivons de si bonne sorte !
HAULTE FOLLIE
345 Vous ne vous sçavez contenter.
Vous voullez aussi hault monter
Comme Dieu, mais vous estes fo[u]lz,
On le vous sçaura bien monstrer.
LE PREMIER
S’il est ainsi, qu’en ferons-nous ?
HAULTE FOLLIE
350 Dieu scet s’on vous sçaura tourner
En la chauldière129, sus et soubz !
LE SECOND
En quel lieu ?
HAULTE FOLLIE
Au fin fons d’Enfer.
LE SECOND
S’il est ainsi, qu’en ferons-nous ?
HAULTE FOLLIE
Vous estes servis, honnoréz,
355 Bien nourris, remplis, [gras et grous]130 :
Qu’esse donc que vous demendez ?
LE PREMIER
S’il est ainsi, qu’en ferons-nous ?
HAULTE FOLLIE
Devez-vous pas considérer131
Que vous estes de bas lieu, tous,
360 Et que vous soulliez truander132 ?
LE SECOND
S’il est ainsi, qu’en ferons-nous ?
HAULTE FOLLIE
Devez-vous pas considérer
Que chascun [vous ploie]133 les genoux,
Et que vous soulliez coquiner134 ?
LE TIERS
365 S’il est ainsi, qu’en ferons-nous ?
HAULTE FOLLIE
Je puis doncques délibérer
Que les vrays Sotz de maintenant
Ne sçavent à quoy temps passer
S’ilz ne vont jouer au content.
EXPLICIT
*
*
Eugène Lebrun : Nouveau manuel complet des jeux de calcul et de hasard. (Roret, 1840.)
*
1 On nommait déjà les « Sotz ecclésiasticques » au 5ème vers des Sotz triumphans. 2 Son portrait figurera dans le Triumphe de Haulte Folie. 3 « Il luy semble que c’est toute mocquerie. » (Loÿs de Granate.) Parmi ces moqueries, le vers suivant fait référence à l’évêque des Fous, qui exerçait son grave ministère pendant la Fête de l’Âne. 4 T : graces (Les « garces erratiques » sont les filles errantes, les prostituées : « Papes et cardinaulx/ (Saulve l’honneur des ecclésiastiques)/ De bien dancer sçavent tous les praticques./ Povres amans et garces erraticques/ Y vont souvent visiter cette feste. » Octovien de Saint-Gelais.) 5 Il faudrait une rime en -ieu (peut-être « milieu »), d’autant que mille ne peut rimer avec mille, en dépit des vers 130-1. 6 Les sceaux des actes permettant de conférer un bénéfice ecclésiastique. Il semble manquer 3 vers : -ille, -ons, -ons. 7 Règles religieuses. 8 « Grimaut, le père au diable. » (Adrien de Montluc.) C’est le « maistre Grimouart » que le Gaudisseur rencontre au Purgatoire <vers 83>. 9 Se déchire. 10 La cire des cachets du vers 16. 11 D’une manière ou d’une autre. « Qu’il soit ainsin ou ainsy. » Montaigne, I, 21. 12 T : prie (C’est le pire de tous les maux.) 13 Un grand larcin. 14 Un sceau et un seing (vers 16). 15 Le Concile de Lyon se tint en avril 1511. Voir la préface d’Eugénie Droz. <Le Recueil Trepperel. Les Sotties.> 16 T : grongne 17 Jeu de mots : « Sur mon médius. » On imagine que l’acteur levait son poing fermé en tendant le majeur, comme le diable le fit à saint Bernard. Les Sots émaillaient leur jeu de gestes obscènes, que Rabelais décrira dans Pantagruel (chap. 19) et dans le Tiers Livre (chap. 20). Medium se prononçait médïon. 18 À rien (in nihilum). Nos ecclésiastiques baragouinent quelques mots de latin. 19 T : Trainons (Faisons quelques transactions pour passer le temps.) 20 T : dug 21 T : pomnu (Ponnu = pondu. Cf. les Sotz nouveaulx, vers 8, 13, etc.) 22 D’outarde. 23 T : qui es 24 Mesure. 25 Coqs. 26 De bric et de broc. « Parlo ab hic et ab hoc, il parle sans savoir ce qu’il dit. » (Lou Tresor dóu Felibrige.) 27 T : auqueron (Enquérons-nous.) 28 Hénoch et Élie furent transportés vivants au Paradis. 29 Avec. 30 Rabelais dira aussi que le jeune Gargantua « pissoyt contre le soleil ». 31 T : Dait il 32 Balle à jouer. 33 Broutille. « Fy ! fy ! ce n’est que mincerie. » Roger de Collerye. 34 T : scauira 35 Volages. 36 T : eu (Avoir en intention = avoir dans l’esprit : « Que vous l’aiez tousjours en vostre intention. » Jehan Des Preis.) 37 Passer le temps. 38 Due. Jeu de mots sur merdeux, comparable à celui de Villon : « Oncques ne vey les mères d’eulx. » 39 T : choppons (On met les chapons en mue [en cage] pour les engraisser.) 40 Il y avait là un jeu de mots sur boire et aboyer, confirmé par les aboiements qui suivent et par le vers 119. Les « ou-a » sont dissyllabiques. 41 T : Tant 42 Forme normande de « votre ». 43 On reste dans le registre canin. 44 T : nauoya (V. note 40.) 45 Un pet velu est particulièrement viril. 46 Tout en sera secoué. 47 Nous nous ennuyons. 48 Si vous voulez. Cf. Maistre Mymin, vers 204. 49 On peut lire ci-dessus la règle du jeu du content, aussi nommé « jeu de trente et un » (Littré). 50 T : tiers 51 Attendez ! « Mon » est une particule affirmative qui étaye un verbe : C’est mon, à savoir mon, ce ferai mon, etc. Ce vers était sans doute dit par Haute Folie. 52 T : prepices 53 T : macquignonnez (Maquignonner = surévaluer un cheval pour le vendre plus cher. Le Second Sot a justement été maquignon <voir ma notice, et les vers 178-180>.) 54 Scander a-age. « On prononçoit anciennement éage. » Gilles Ménage. 55 Lices = chiennes de chasse. Cf. les Sotz fourréz de malice, vers 15. 56 T : de bocaige (Déjà à la rime. Équipage = meute de chiens de chasse.) 57 As-tu étudié la théologie ? 58 T : chanceur 59 Et d’une ! Cf. Raoullet Ployart, vers 277. 60 T : grande eau (Les eaux de Beaulieu, en Auvergne, n’appartenaient pas au clergé. En revanche, on connaît d’innombrables chapelles de Beaulieu.) 61 Jusqu’aux os : « Car je n’ay rien, sinon des pouz/ Qui me mangeront jusqu’aux ouz. » (Mistère du Roy Advenir.) Le vers précédent, perdu, rappelle que les collèges parisiens se méfiaient de l’hygiène : « Au colliège de pouillerie qu’on nomme Montagu. » Gargantua, 37. 62 Cri de savetier ambulant. Cf. la Laitière, vers 13. 63 T : ieuz 64 Le style, la manière. « Vous ne sçavez/ Le setille ny l’entregent/ Comme il fault avoir de l’argent. » (La Fille bastelierre.) Cf. le Faulconnier de ville, vers 45. 65 Habile. Ce seigneur est Jacques Juvénal des Ursins, évêque de Poitiers et patriarche d’Antioche. Voir ma notice. 66 J’ai pu acheter une charge d’abbé avec cet argent. 67 T : la 68 L’abbé des Fous (note 70) brandissait une crosse en forme de marotte. 69 Même si on grogne. « Je retourneray, qui qu’en grousse,/ Chiez cest advocat d’eaue doulce. » Pathelin. 70 Festifs. L’abbé des Fous se livrait à des parodies liturgiques lors de plusieurs festivités carnavalesques, comme la fête des Fous. Voir par exemple le Cry pour l’Abbé de l’église d’Ausserre et ses suppostz, de Roger de Collerye. 71 Galants. 72 L’hôtel, la maison. 73 T : Da 74 J’ai de bons appointements. 75 Asseyez-vous devant la table. Haute Folie va distribuer les cartes, qui représentent des édifices sacrés. Pierre Gringore écrivait dans les Folles entreprises : « Abbayes, cures, prieuréz, par faintise/ Sont baillées (affin que l’entendez)/ À des joueurs de cartes ou de déz. » Lors de la fête des Fous, le clergé jouait aux cartes et aux dés dans les églises. 76 Patron des usuriers. « Il feste saint Matthieu » = il est avare. Haute Folie semble avoir été un peu chiche en donnant une cure peu lucrative. 77 Je m’en tiens à ce que j’ai. 78 T : Sa recommensont 79 Un archidiaconé est la juridiction d’un archidiacre. 80 T : daux 81 Au petit bonheur. « –Estes-vous bien ? –Oïl, nenny./ (Il respondoit à coup la quille.) » Guillaume Coquillart. 82 À supposer. 83 T : Venez (Elle lui donne une nouvelle carte.) 84 Je ne vous laisserai pas faire. 85 T : merite 86 Difficile de deviner le jeu de mots que l’auteur a placé ici à l’origine : les comédiens adaptaient au gré des tournées les mentions géographiques contenues dans les pièces. 87 J’aurai vite fait de. 88 On m’a donné une chanoinerie minuscule. 89 C’est une prébende particulièrement maigre, puisque cette église ne possédait que le cimetière des Saints-Innocents, qui abritait surtout des squelettes… Il semble manquer un vers en -ève et un vers en -ent. 90 T : Ce (Si j’ajoute un mot.) 91 T : maint 92 Il a des cornes de cocu, pour être aussi chanceux. Cf. Frère Frappart, vers 267. 93 Trop mal loti. 94 Protonotaire, secrétaire pontifical. 95 T : second 96 J’ai eu raison. Cf. l’Avantureulx, vers 351. 97 T : raige (Rage rouge = grande colère : cf. les Coppieurs et Lardeurs, vers 230. « Je voy lever Envie et rouge rage/ Pour alumer ou trahyson ou guerre. » Jehan Lemaire de Belges.) 98 Tu auras fort à faire pour que j’échange mon chapeau de cardinal. 99 T : longe (Louger = loger. « J’espère que l’on s’i pourra bien lougier. » Louis XII.) 100 Il serait tentant de lire « tappe », en référence à la folie dans la Résurrection Jénin à Paulme (vers 30, 90, 178-180). 101 Elle = la papauté. 102 T : tactrappe (On parle toujours de la papauté du vers 268.) Sur la prétention de Balue, qui est « de bas lieu » <vers 204 et 359>, à devenir pape et Dieu, voir ma notice. 103 T : Tous 104 T : par ta foy quatu 105 Il est normal qu’un fou n’ait que faire de « sens ». 106 T : amas 107 Une partie. 108 Formule courante qui correspond à l’actuel : « –Merde ! –Mange ! » Cf. le Cousturier et Ésopet (vers 31-32), et la Vie de sainct Christofle : « –Tu ne vaulx pas ung estron ! –Masche ! » 109 Épée, ou pénis. On prononçait braquemèr. 110 Faites-le s’en aller. 111 Valet qui garde les chevaux des soldats. Cette tirade vise le Second Sot (vers 174-180). 112 Il semble manquer 4 vers : -er, -er, -ent, -er. 113 Gaillard. Cf. la Réformeresse, note 48. 114 T : froit vault (Sur cet abbé de carnaval, cf. le Monde qu’on faict paistre, note 155.) 115 « Les torcheculz de mulles, de chevaulx,/ Courtiers d’amours appelléz maquereaulx,/ Ont dessoubz eulx chapellains et vicaires. » (Gringore.) Jehan Bouchet pensait sans doute à Balue quand il écrivit : « Qui est cause de ces abuz, fors les prélatz qui reçoivent à ordre de prestrise les torcheculz de chevaulx, bastarz, et gensdarmes qui à peine sçavent lire leur nom ? » 116 T : nostre (Revenez à vos moutons !) 117 T : Adcord ce (« Jamais il n’avoit eu noise, discord ne débat avec ledit Alexandre. » Actes royaux du Poitou.) 118 T : ung 119 T : science 120 Il faudrait une rime en -y. 121 De ce que tu as eu. 122 On peut être à la gauche ou à la droite du Père, mais pas au milieu, à moins d’être Dieu. De même, au plus haut des Cieux (in excelsis), il n’y a que Dieu. Il semble manquer 3 vers : -is, -é, -is. 123 T : men (Si on me donne un chapeau de cardinal.) 124 Voilà une grande bêtise. 125 T : Se (On a le choix entre Si et Je.) 126 Du Paradis. 127 T : euorte (Enhorter = prévenir.) 128 Au Paradis. 129 Dans le chaudron du diable. Cf. le Munyer, vers 453. Haute Folie dira dans le Triumphe de Haulte Folie : « Je, Folie, pour ma plaisance,/ Dedans Enfer les folz admeine. » 130 T : gros et gras (Grous = gros. « Neuf cens cinquante quatre pourceaulx grous et gras. » Journal du siège d’Orléans.) 131 T : considerez (Même faute avec l’infinitif de 360 et de 362.) 132 Alors que vous aviez l’habitude de mendier. 133 T : vons ploise (S’incline devant vous.) 134 Mendier. « Coquinans et mendians sa faveur. » La Boétie.
SŒUR FESSUE
*
SŒUR FESSUE
*
Dans la première moitié du XVIe siècle, un auteur de farces eut l’idée de combiner deux histoires connues : celle d’une nonne trop discrète, et celle d’une abbesse trop pressée. La nonne est enceinte, mais l’abbesse aurait pu l’être aussi. On connaît d’ailleurs plusieurs versions scéniques d’un Miracle de l’abbesse grosse, où une mère supérieure, enceinte de son clerc, obtient de la Vierge Marie un accouchement indolore et discret, contrairement à celui des honnêtes femmes ; la Vierge confie le bébé à un ermite, et comme bon sang ne saurait mentir, elle en fera bientôt un évêque.
La pièce est résolument comique, mais on voit affleurer cette nostalgie du monde qui aigrissait des religieuses dont la plupart étaient cloîtrées malgré elles. La religieuse des Mal contentes exhale quelques jolis soupirs aux vers 424-429.
Source : Manuscrit La Vallière 1, nº 38.
Structure : Rimes plates, truffées d’adjonctions apocryphes que j’ai barrées.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
*
Farce nouvelle
à cinq personnages
C’est assavoir :
L’ABEESSE
SEUR DE BON-CŒUR
SEUR ESPLOURÉE
SEUR SAFRÈTE 2
SEUR FESSUE
*
SEUR ESPLOURÉE commence SCÈNE I
Seur de Bon-cœur, je suys perdue,
Et me treuve tant esperdue
Que plus n’en puys !
[SEUR DE BON-CŒUR] 3
Qu’esse, ma seur ?
Quel nouvèle av’ous entendue ?
5 Quoy ! vous estes-vous estendue
Sur l’erbe, atendant la doulceur4 ?
SEUR ESPLOURÉE
Nénin.
SEUR DE BON-CŒUR
Rendez mon esprit seur5.
SEUR ESPLOURÉE
Je ne le diray poinct.
SEUR DE BON-CŒUR
Hélas !
Donner je vous pouroys soulas,
10 Et vous garder de desplaisir.
Dictes-le-moy tout [à] loysir :
À ses amys, rien ne se celle.
SEUR ESPLOURÉE
A ! ma mye…
SEUR DE BON-CŒUR
Prenez une selle6.
Vous estes bien fort couroucée.
15 Déclarez-moy vostre pencée :
Qu’avez-vous ?
SEUR ESPLOURÉE
Rien.
SEUR DE BON-CŒUR
À brief parler,
Dictes-moy et [ne] mentez poinct.
Vous estes-vous laissée aler7,
Que8 vous tourmentez en ce poinct ?
20 Dictes !
SEUR ESPLOURÉE
Je ne le diray poinct.
Agardez, l’honneur en despent.
SEUR DE BON-CŒUR
C’est mal chanté son contrepoinct ;
L’honneur sy près du cul ne pent.
SEUR ESPLOURÉE
Sy vous avez hapé le roide9,
25 Agardez, il n’y a remède :
Nostre abesse en faict bien autant !
SEUR DE BON-CŒUR
Par ma foy ! mon cœur se repent
Qu’i fault que j’en oye parler tant.
SEUR ESPLOURÉE
Je vous veuil dire tout contant
30 Que c’est que céans il y a :
Vous congnoyssez bien seur Fessue ?
Frère Roydimet l’a déseue10
Et gastée11.
SEUR DE BON-CŒUR
Avé Maria !
SEUR ESPLOURÉE
Elle est deigà grosse et ensaincte.
35 Sceur, ouez12, dea ! ce n’est pas faincte :
Nous sommes toutes à quia13
Par son faict.
SEUR DE BON-CŒUR
Avé Maria !
Et ! Jésus ! Et ! je l’ay tant faict,
Et à mon plaisir satisfaict
40 Sans estre grosse !
SEUR ESPLOURÉE
Hélas, mon Dieu !
Aussy l’ai-ge faict en mainct lieu,
Comme elle.
SEUR DE BON-CŒUR
Avé Maria !
Que j’en ay au cœur de détresse
Et de douleur !
SEUR SAFRÈTE SCÈNE II
Et ! qu’esse ? qu’esse ?
45 Que j’entende vostre débat !
Comptez-moy, par forme d’esbat,
Ce que maintenant vous disiez.
SEUR ESPLOURÉE
Ce n’est rien, non.
SEUR SAFRÈTE
Vous devisiez
D’amour, en ce lieu, en commun ?
50 Mais c’est tout un, ouy, c’est tout un :
Je n’en fais pas moins, en tout temps,
Que les bonnes seurs de céans.
Dictes hardiment !
SEUR DE BON-CŒUR
On le sçayt bien
Que toutes on n’espargnons rien
55 Du nostre ; mais tel pissendalle14
Sera cause d’un grand scandalle
Dont nous serons désonor[é]es15.
SEUR SAFRÈTE
Vous me semblez fort esplour[é]es :
Quelle chose av’ous aperceue ?
60 Qui a failly ?
SEUR ESPLOURÉE et SEUR DE BON-CŒUR
ensemble disent :
C’est sceur Fessue
Qui a faict…
SEUR SAFRÈTE
Quoy ?
SEUR DE BON-CŒUR
Nous n’osons dire.
SEUR SAFRÈTE
Dictes, sy ce n’est que pour rire.
SEUR ESPLOURÉE
Rire ? Hélas ! Mais j’en pleure et plains,
Et de larmes sont mes yeulx plains,
65 Pour la douleur que j’ey conceue.
SEUR SAFRÈTE
Qui cause cela ?
SEUR DE BON-CŒUR et SEUR ESPLOURÉE
ensemble disent :
Seur Fessue.
SEUR ESPLOURÉE
Dormir je n’en peulx nuict ne jour ;
Je n’ay ne repos, ne séjour,
Ains de douleur je tremble et sue.
SEUR SAFRÈTE
70 Qui vous faict ce mal ?
SEUR DE BON-CŒUR et SEUR ESPLOURÉE
ensemble disent :
Sceur Fessue,
Qui a faict…
SEUR SAFRÈTE
Ouy, mectre à genoulx16
Quelque un ?
SEUR ESPLOURÉE
Elle a faict comme nous ;
Mais le pire, c’est qu’el est grosse.
SEUR SAFRÈTE
Grosse ? Jésuchrist ! quel endosse17 !
75 Esbahy[e] suys qu’on le permect.
Mais déclarez-nous, je vous prye,
Sans que son honneur on descrye,
Qui l’a faict ?
SEUR ESPLOURÉE
Frère Rèdymet.
SEUR SAFRÈTE
Hélas ! el est déshonorée.
80 Et ! Vierge Marie honorée !
Où la pourons-nous [bien] cacher,
Le jour qu’el poura acoucher ?
SEUR DE BON-CŒUR
Je ne sçay.
SEUR ESPLOURÉE
J’ey bien descouvert
Aultre foys, qu’el estoyt joyeuse,
85 Et qu’el avoyt l’engin18 trop ouvert
Pour estre faicte religieuse.
SEUR SAFRÈTE
Elle est plaisante et amoureuse.
Long temps il y a qu’el aymoyt.
SEUR ESPLOURÉE
Qui, ma sœur ?
SEUR SAFRÈTE
Frère Rèdymet,
90 Rouge comme un beau chérubin19.
Un jour, avec frère Lubin20,
In caméra charitatis 21,
Tout doulcement je m’esbatis ;
Mais il [n’est sy]22 fort compaignable.
SEUR DE BON-CŒUR
95 Il est tant doulx et amyable,
Sœur Safrète, quant y s’y mect !
SEUR ESPLOURÉE
Ouy, le bon frère Rèdymet,
Quant il a la « teste » dressée
Et que de luy suys embrassée,
100 Ma leçon23 bien tost se comprent.
SEUR DE BON-CŒUR
A ! jamais il ne me reprent24.
Nous vivons no[u]z deulx comme amys :
Aussy mon cœur luy ay promys.
Bon Amour25 ainsy le permect.
SEUR ESPLOURÉE
105 Quant au bon frère Rèdymet,
Je le congnoy digne d’aymer.
Mais afin de n’estre à blasmer,
Pour faindre estre de saincte vye,
Je veuil déclarer par envye26
110 À nostre abesse (ce n’est faincte)
Comme sœur Fessue est ensaincte.
SEUR DE BON-CŒUR
C’est bien faict.
SEUR SAFRÈTE
C’est bien faict, ma sœur.
Nostre bon père confesseur
En orra27 le miséréré.
SEUR DE BON-CŒUR
115 Je vouldroys qu’i28 fust enserré
En ma chambre, pour sa prison.
SEUR SAFRÈTE
Sainct Pierre ! vous avez rayson :
D’amour, aparence il y a
En vos dictz.
SEUR ESPLOURÉE,
allant à l’abeesse pour parler à elle :
Avé Maria ! SCÈNE III
L’ABEESSE
120 Gratia pléna 29 ! Qu’avez-vous,
Qui vous amène devers nous30 ?
SEUR ESPLOURÉE
Sans cause je [ne] vous viens voyr31.
L’ABEESSE
Certes, j’estoys en ce parloyr,
En saincte… contemplation
125 Des mos d’édiffication32,
Atendant l’heure du… menger33.
SEUR ESPLOURÉE
Sy Mort m’estoyt venue charger,
Hélas ! je seroys bien heureuse.
L’ABEESSE
Et ! qu’esse ? Estes-vous amoureuse ?
130 Regrétez-vous encor le monde ?
SEUR ESPLOURÉE
Nénin, non.
L’ABEESSE
Céans, il habonde
Autant de plaisir[s] savoureulx
Comme au monde. Et qu’il ne soyt ainsy,
[De]dens ceste maison icy,
135 Povez avoir un amoureulx.
SEUR ESPLOURÉE
Hélas ! mon cœur trop douloureulx
Ne peult oultrer34. D’effort j’en sue.
L’ABEESSE
Et ! qu’esse, ma mye ?
SEUR ESPLOURÉE
Seur Fessue,
Qui a faict…
L’ABEESSE
Vous dict-elle injure ?
140 Croyez-moy, par Dieu ! sy j’en jure,
Elle en sera incarsérée.
Comment ! faict-el la reserrée35 ?
SEUR ESPLOURÉE
Elle a faict…
L’ABEESSE
Je n’y entens rien en effaict.
SEUR ESPLOURÉE
Elle a faict…
L’ABEESSE
Et quoy ?
SEUR ESPLOURÉE
F[r]icatorès 36.
L’ABEESSE
145 Ô le grosson peccatorès 37 !
Per Dieu38, [elle] habuyct grandos
Punitionnès 39 sur le dos !
Qui l’eust pencé ?
SEUR ESPLOURÉE
Elle [l’]a faict,
Et a son péché satisfaict,
150 Car elle est grosse.
L’ABEESSE
Ô la laide !
Il y convient mectre remède.
Mais à qui a-elle adonné
Son corps ?
SEUR ESPLOURÉE
[El l’a]40 habandonné
À frère Rèdymet, le moynne,
155 Il y a long temps.
L’ABEESSE
Que de peine41 !
Tenamus chapitrum totus ! 42
Sonnaté 43 clochétas bien totus !
Qu’el véniat 44 !
.
.
SEUR DE BON-CŒUR SCÈNE IV
Sus ! entre nous,
Y nous convient mectre à genoulx45,
160 À ce chapitre.
SEUR SAFRÈTE
C’est bien dict ;
Je n’y mectray nul contredict.
L’ABEESSE
Or, chantez !
SEUR ESPLOURÉE
Bénédicité ! O lieu de le dire, y chantent 46 :
Voz « huys » sont-il tous fermés ?
Fillètes, vous dormez.47
165 Quant pour vous sont consumméz48
Dormez-vous,
(Fillètes, fillètes vous dormez)
[Mes sens d’amour]49 enflamés,
Dormez-vous, fillètes ?
Fillètes, vous dormez.50
SEUR FESSUE entre SCÈNE V
170 A ! j’éray quelque advercité ;
Je crains fort le punis[s]antés 51.
L’ABEESSE
Vénité, et aprochantez !
Madamus, agenouillaré,
Quia vo[u]z fécit mouillaré
175 Le boudin52 : il est bon à voir !
SEUR DE BON-CŒUR
Vous avez laissé décepvoir
Vostre honneur, dont le nostre en souffre.
L’ABEESSE
Vous en sentirez feu et souffre
En Enfer ; et de vostre vye,
180 N’irez en bonne compaignye
Sans injure. Et ! comme a-ce esté
Qu’avez faict ceste lascheté ?
Vous en souffrirez le trespas !
SEUR FESSUE
A ! mon Dieu, vous ne voyez pas
185 Ce qui vous pent devant les yeulx ?
L’ABEESSE
Mon cœur ne fust onc curieulx
D’estre d’honneur tant descouverte53.
SEUR FESSUE
Hélas ! vostre veue est couverte,
Dont vostre grand faulte despent :
190 Ce que devant les yeulx vous pent
N’est pas de tous en congnoissance54.
L’ABEESSE
Puys que sur vous j’ey la puissence,
Je vous pugniray bien à poinct.
SEUR FESSUE
A ! mon Dieu, vous ne voyez poinct
195 Ce qui est devant vostre veue ?
J’ey failly comme despourveue
De sens, dont coupable me sens.
Mais…
L’ABESSE
Quel mais ?
SEUR FESSUE
Il en est cinq cens
Qui n’en ont causé nul55 esmoy ;
200 Et sy56, ne font pas mieulx que moy.
L’ABEESSE
[Encore vous]57 levez la teste ?
Vous estes une faulse58 beste,
Et avez grandement erré.
SEUR ESPLOURÉE
Y luy fault le Miséréré,
205 Pour la faulte qui est yssue59.
SEUR FESSUE
Et ! pardonnez à sœur Fessue !
SEUR SAFRÈTE
Y luy fault donner telle peine
Que de douleur soyt toute plaine,
Puysqu’on la void ainsy déceue.
SEUR FESSUE
210 Et ! pardonnez à seur Fessue,
Pour cela qu’el a entour60 elle.
SEUR ESPLOURÉE
Vrayment, el a juste querelle61 :
Y ne fault pas son fruict62 gaster.
SEUR FESSUE
Qui vous eust voulu trop63 haster,
215 Lors qu’estiez ainsy comme moy,
En plus grand douleur et esmoy
Eussiez esté que je ne suys.
L’ABEESSE
Demeurez ! Plus oultre poursuys64 :
Qui vous a ainsy oultragée ?
220 Vous estes grosse, et tant chergée65
Que plus n’en povez.
SEUR FESSUE
A ! ma dame,
Frère Rèdymet faict ce blasme
En mainte religion66 bonne.
Mais je vous pry qu’on me pardonne.
L’ABEESSE
225 Où fusse ?
SEUR FESSUE
[De]dens le dorteur67,
À ma chambre, près le monteur68.
Ici tant enquérir ne s’en fault69…
SEUR DE BON-CŒUR
Et que ne criez-vous bien hault ?
SEUR FESSUE
Crier ? Je ne sçay qui en crye70.
SEUR SAFRÈTE
230 Comment ! voécy grand moquerye !
Nostre abeesse en sera blasmée.
SEUR FESSUE
Comment, crier ? J’estoys pasmée.
Et puys en nostre reigle est dict
(Où je n’ay faict nul contredict)
235 Qu’au dorteur on garde silence.
Et sy j’eusse faict insolence,
Bruict ou tumulte, ou quelque plaincte,
C’estoyt, contre nostre Ordre, faincte71.
Voyélà pourquoy n’osay mot dire.
SEUR ESPLOURÉE
240 Vouélà bonne excuse pour rire !
SEUR DE BON-CŒUR
Très bien le silence el garda…
L’ABEESSE
Mais escoustez : qui vous garda
De faire signe pour secours ?
On y fust alé le grand cours72,
245 Et n’ussiez receu tel acul73.
SEUR FESSUE
Las ! je faisoys signe du cul,
Mais nul(e) ne me vint secourir74.
SEUR SAFRÈTE
Je n’eusse eu garde d’y courir.
SEUR ESPLOURÉE
Signe du cul ?
SEUR SAFRÈTE
Il est possible :
250 Frère Rèdymet est terrible ;
Et n’eust sceu ceste povre ânière75
Faire signe d’aultre manière.
SEUR ESPLOURÉE
C’est le signe d’un tel mestier76…
L’ABEESSE
Mais il y a un an entier
255 Qu’el est grosse77 ; et ! n’eust-elle sceu
Nous dire qu’el avoyt conceu ?
SEUR FESSUE
Dire ? Hélas !
SEUR DE BON-CŒUR
Ouy, dire, ouy, dire.
SEUR FESSUE
J’ey bien cause d’y contredire.
SEUR SAFRÈTE
Et comment ?
SEUR FESSUE
Hélas ! quant j’eu failly,
260 Mon cœur alors fut assailly
De repentance et de grand peur
Que l’Ennemy78, qui est trompeur,
Ne m’enportast pour telle faulte.
Demanday à la bonté haulte79
265 Pardon, lequel aulx bons permect.
Et au bon frère Rèdymect
Je demanday confession ;
Lequel, à l’asolution80,
Lors que bien il me descharga81,
270 Absolutement m’encharga
De ne dire ce qu’avions faict
No[u]z deulx, ce que j’ey bien parfaict
Pour craincte de dannation :
Car dire sa confession
275 Et dire le secrect du prestre,
C’est assez pour à jamais estre
Danné avec les obstinés82.
SEUR ESPLOURÉE
Certes, nous voélà bien menés !
Ses excuses sont suffisantes.
L’ABEESSE
280 Punye en serez, je me vantes.
Ô la [grand] faulte ! ô le grand blasme !
SEUR FESSUE
Hélas ! je vous suply, ma dame :
Ne regardez tant mon péché,
Que le vostre (qui est caché)
285 Ne considérez83.
L’ABEESSE
Ha ! rusée,
Suys-je de toy scandalisée84 ?
SEUR FESSUE
On veoyt à l’œuil d’aultruy tout oultre
Un petit festu odieulx,
Mais on ne veoyt poinct une poultre
290 Qu’on a souvent devant les yeulx85…
L’ABEESSE
Ma renommée se porte mieulx
Que la tienne.
SEUR FESSUE
Ne jugez poinct86 !
Les jugemens sont odieulx
Au Seigneur, qui est dieu des dyeulx.
295 Vous le sçavez de poinct en poinct.
Paul87, glorieulx apostre sainct,
Dict que celuy n’aura refuge
D’excuse, qui sera tasché ;
Et que luy-mesme il se juge
300 S’il est subject à tel péché.
L’ABEESSE
Voyélà suffisamment presché !88
Suys-je comme toy, dy, meschante ?
Par Celle-là de qui on chante89 !
Je te feray bien repentir.
SEUR SAFRÈTE
305 Elle se poura convertir,
Ma dame : ce sera le myeulx.
SEUR FESSUE
Ce qui vous pent devant les yeulx,
Qui faict vostre faulte congnoistre,
Nous démonstre qu’i ne peult estre
310 Que vous ne fassiez de beaulx jeux90.
L’ABEESSE
Ce qui me pent devant les yeux ?
Avé Maria ! qu’esse-cy ?
Vous m’avez trop hastée, aussy :
De venir, j’estoys empeschée.
315 Et ! mon Dieu, que je suys faschée !
SEUR ESPLOURÉE
Croyez, sy les loix ne sont faulces,
Que c’est icy un hault-de-chaulces.
L’ABEESSE
Avé Maria ! Saincte Dame !
Je ne suys moins digne de blasme
320 Que sœur Fessue.
SEUR DE BON-CŒUR
Sont-il d’usance91,
Hault-de-chaulses ?
L’ABEESSE
J’ey desplaisance
De mon faict.
SEUR SAFRÈTE
Et ! Dieu, quel outil !
Les abeesses en portent-il,
Maintenant ? J’en suys en soucy92.
SEUR ESPLOURÉE
325 Un hault-de-chaulses !
SEUR DE BON-CŒUR
Qu’esse-cy ?
L’ABEESSE
Et ! n’en parlons plus.
SEUR SAFRÈTE
C’est pour rire ?
A ! vous ne debvez escondire
Seur Fessue d’absolution.
SEUR DE BON-CŒUR
C’est bien nouvelle invention,
330 Porter des chaulces sur la teste.
L’ABEESSE
On en puisse avoir male feste !
SEUR SAFRÈTE
Or sus, sus ! chantons-en93 d’une aultre.
On dict bien c’un barbier raid94 l’aultre,
Et q’une main l’autre suporte95.
335 Y convient faire en ceste sorte :
Donnez-luy l’asolution.
SEUR ESPLOURÉE
Voeylà très bonne invention.
Vous estes à noz96 audinos.
L’ABEESSE
Tu fessisti sicut et nos 97 ;
340 Parquoy absolvo te gratis
In pécata 98. Nunc dimitis
[In cor bonnum]99, comme au passé100.
Plus oultre, vadé in passé 101 !
SEUR FESSUE
Gratias ! Me voeylà garie.
345 Je n’ay cause d’estre marie102.
SEUR ESPLOURÉE SCÈNE VI
Conclusion : Je trouve erreur caché
Que cestuy-là veult un péché reprendre,
Duquel il est taché et empesché,
Et par lequel en fin on le peult prendre.
350 Vous le pouvoez en ce lieu-cy comprendre.
La faulte en est à vo[u]z deulx aperceue,
Tesmoing l’abeesse aveques seur Fessue. 103
En prenant congé de ce lieu,
Unne chanson pour dire « à Dieu » !
FINIS
*
1 Dans ce même manuscrit, la Mère de ville (composée dans les années 1530) fait dire au Garde-cul : « Il ne fault c’une seur Fessue/ Ayant vouloir d’estre pansue. » 2 Lascive. 3 LV : la IIe seur esplouree (Je rétablis le nom des trois sœurs ; LV les numérote : la p[remiere], la IIe, la IIIe.) 4 Au 1° degré, la sœur demande à Éplorée si elle a pris froid. Au 2° degré, douceur se réfère au membre viril : « Quant elle eut la doulceur sentie/ De ce doulx membre qui fut roys [roide]. » Parnasse satyrique du XVe siècle. 5 Sûr : éclairez mon esprit. 6 Un siège. 7 Avez-vous fauté ? 8 LV : qui 9 Le raide, le phallus. V. note 10. 10 Déçue, abusée. « Raide y met » est un calembour latin : « Quel verset des Pseaumes aiment mieux les femmes ? C’est (…) Et ipse redimet, c’est-à-dire, Rède y met, ou roide y met. » Tabourot. 11 Engrossée. 12 LV : oues (Ouez = oyez, écoutez.) 13 En mauvaise posture. 14 Pisser sur les dalles d’un cimetière est un sacrilège : « Qu’on me brusle ce savetier :/ Il a pissé au cymitière ! » Clément Marot. 15 J’ai féminisé le masculin ici, à 58, et à 75 ; mais je n’ai pas touché à l’effarant Madamus de 173. Les cinq rôles de femmes étaient tenus par des hommes. Je signale que deux rôles féminins sont tenus par des messieurs dans la réjouissante interprétation de Sœur Fessue qu’ont donné des étudiants diplômés et des professeurs de l’Université de Western Ontario, à London (Canada). 16 Pour coïter, l’amant se met à genoux sur le lit : cf. le Tesmoing, vers 332. On pourrait renforcer le comique de répétition des vers 61 et 144 en écrivant « Quoy ? » au lieu de « Ouy, ». 17 Fardeau. « Le maistre à son clerc persuade/ De donner “l’amoureuse aubade”/ À la pauvre pucelle grosse,/ Affin que le clerc eust l’andosse/ D’espouser la mère et l’enfant. » Pour le Cry de la Bazoche. 18 L’esprit ; mais aussi, le sexe. Cf. les Femmes qui aprennent à parler latin, vers 129 et 448. « D’un jeune sotouard, lequel ne sut trouver l’engin de sa femme la première nuit. » Les Joyeuses narrations. 19 « Sotz rouges comme chérubins. » (Monologue des Sotz joyeulx.) Mais on associe traditionnellement la couleur rouge au phallus : la Confession Margot <v. 89>, le Faulconnier de ville <v. 64 et note 22>. 20 Un des innombrables prototypes de moines paillards : « Pour desbaucher par un doulx style/ Quelque fille de bon maintien,/ Frère Lubin le fera bien. » Marot. 21 Dans la salle de charité, une pièce du couvent qu’on ouvrait lorsqu’il fallait nourrir des pèlerins. 22 LV : est bien (Lubin n’est pas aussi bon “compagnon” que Raidymet. « [Ils] ne sont pas si compaignables à boire & à manger. » Miroir de la navigation.) 23 Lecture d’un texte biblique. Double sens érotique : « L’un la fout en cul, l’autre en con./ Pour s’exercer en ce manège,/ Elle répète sa leçon/ Avecque le Sacré Collège. » Blot. 24 Il ne trouve rien à corriger lors de ma « leçon ». 25 La Bonne Amour, c’est l’amour courtois, d’après le Roman de la Rose, le Dit de la Rose, ou le Libro de buen amor de Juan Ruiz. Voilà un habillage bien romantique pour de vulgaires histoires de fesses et de Fessue ! Par pudeur, l’obscénité répondait au romantisme, comme ce croquis matérialiste dans la marge d’un manuscrit répond à l’enluminure officielle. 26 Les trois jalouses vont se venger de leur amant volage, et de sœur Fessue qui déshonore le couvent. 27 LV : aura (Orra = ouïra, entendra notre prière. Miserere mei = aie pitié de moi.) 28 Qu’il (frère Raidymet) soit incarcéré. On emprisonnait les religieux fautifs dans un cachot nommé in pace. Cf. vers 141. 29 « Je vous salue, Marie, pleine de grâce. » Contre toute attente, il s’agit là d’une farce mariale : vers 33, 37, 42, 80, 119, 303, 312, 318, 345. Notre fatiste avait lu le Miracle de l’abbesse grosse : voir ma notice. 30 Lapsus : elle était censée être seule dans sa cellule. 31 LV : voyer (Je ne viens pas vous voir sans raisons.) 32 Je lisais mon bréviaire. En fait, elle était au lit avec frère Raidymet (note 41). Dérangée par sœur Éplorée, elle a mis sur sa tête la culotte du frère au lieu de son voile. En s’appuyant sur Boccace, La Fontaine déplorera sa bévue dans le conte du Psautier : « Madame n’estoit/ En oraison, ny ne prenoit son somme :/ Trop bien alors dans son lit elle avoit/ Messire Jean, curé du voisinage…./ Elle se lève en haste, étourdiment,/ Cherche son voile, et malheureusement,/ Dessous sa main tombe du personnage/ Le haut-de-chausse, assez bien ressemblant/ (Pendant la nuit, quand on n’est éclairée)/ À certain voile aux Nonnes familier…./ La voilà donc de grègues affublée. » Au XIVe siècle, Jehan de Condé mit « un beau abbé joli » dans le lit de l’abbesse ; laquelle, « kant son couvrechief cuida prendre,/ (…) les braies à l’abbé prist,/ Et puis les jeta erranment/ Sur son chief. » <Le Dit de la Nonnète.> 33 Elle a failli commettre un nouveau lapsus : l’heure du berger est « l’heure favorable à un amant pour gagner sa maîtresse ». (Furetière.) 34 Aller plus loin. 35 La fausse pucelle : les jeunes mariées qui voulaient passer pour vierges allaient voir « l’étrécisseuse » qui, avant leur nuit de noce, utilisait l’eau de tan, « les eaux de myrthe, alun & autres astringens pour resserrer & consolider les parties casuelles des femmes ». Noël Du Fail. 36 Des frottements. Le sens érotique s’appliquait surtout aux lesbiennes : « Tribades se disent fricatrices. » Brantôme. 37 Ô le gros péché ! (Le latin de sacristie va s’aggraver en même temps que l’indignation de l’abbesse.) 38 LV : perdien (Le « n » et le « u » sont souvent confondus. La forme courante est per Diem, mais Noël Du Fail emploie per Dieu.) 39 Elle aura de grandes pénitences. (Au futur, il faudrait habebit.) 40 LV : elle a 41 Le chagrin de l’abbesse montre que c’est bien frère Raidymet qui était dans son lit. 42 Tenons ensemble chapitre [une assemblée]. 43 LV : sonnare (Sonnez toutes les cloches.) 44 Qu’elle vienne. 45 Les sœurs étant à genoux, elles ne pourront voir le haut-de-chausses qui coiffe l’abbesse. 46 Au lieu de dire le Benedicite, les nonnes chantent une chanson paillarde, insérée après coup entre les vers 162 et 170, qui riment ensemble. Je corrige ce texte (mis en musique entre 1536 et 1547 par Robert Godard) d’après une partition publiée en 1547. Cf. André Tissier, Recueil de Farces, XI, Droz, 1997, pp. 246-7. 47 La partition ajoute : Ouvrez-les-moy, si m’aymez./ Dormez-vous, fillettes ?/ Fillettes, vous dormez./ Dormez-vous seulettes ? 48 Partition : consummez — LV : consommes 49 Partition : Mes sens damour — LV : mais sans amours 50 La partition ajoute : Dormez-vous seulettes ? 51 La punition, en langage macaronique. 52 « Madame, agenouillez-vous, parce que vous avez fait mouiller le boudin. » Ce mot avait le même sens phallique que l’andouille : « Membre de moine, exorbitant boudin. » (Sénac de Meilhan.) On ne sort d’ailleurs pas de la religion, puisque sainct Boudin allait de pair(e) avec saincte Fente, d’après la farce du Pardonneur. 53 Dégarnie. 54 N’est pas (encore) connu de tous. 55 LV : ny 56 Et pourtant. 57 LV : leues (L’insolente ose lever la tête… et contempler la coiffe de l’abbesse.) 58 Perfide. Ce vers provient d’une Moralité imprimée en 1507, la Condamnacion de Bancquet. 59 Il lui faut le pardon, pour la faute qui est avouée. 60 En latin de sacristie, on pourrait mettre : inter (à l’intérieur d’elle). Cf. le vers 213. 61 Elle a raison de se plaindre. 62 Son enfant. On voit qu’il s’agit d’une farce : dans la réalité, les religieuses enceintes n’avaient d’autre choix que d’avorter ou de tuer le nouveau-né. « Quant à celles qui sont meurtrières de leurs enfans aussitost qu’ils sont sortis du ventre, les jettans ou les faisans jetter, il y a quelques années que les monastères des nonnains en eussent fourni bon nombre d’exemples (aussi bien que de celles qui les meurdrissent [tuent] en leur ventre). » Henri Estienne, Apologie pour Hérodote, XVIII. Le chap. VII ajoute : « Les nonnains (…) font mourir leur fruict estant encore en leur corps, par le moyen de quelques breuvages, ou bien estranglent leur enfant si tost qu’il est sorti. » 63 LV : tant (Si on avait voulu trop vous hâter : si on était entré dans votre cellule, au lieu d’attendre que vous en sortiez.) 64 Restez ici ! Je continue. 65 Chargée, alourdie. 66 Maison de religion, couvent. « Du jeune garçon qui se nomma Thoinette pour estre receu à une religion de nonnains. » Bonaventure Des Périers. 67 LV : dortoueur (qui n’est pas une rime riche. Dorteur = dortoir, vers 235. Cf. le Maistre d’escolle, vers 4.) 68 Près de « l’échelle pour monter au dorteur des dames » (Comptes de l’aumosnerie de S. Berthomé). 69 Toutes les nonnes l’ont fait au même endroit. 70 Je ne sais pas quelle autre aurait crié. 71 Une tromperie. (On peut préférer : fraincte [infraction].) Jean-Baptiste de Grécourt opposera une abbesse à une nonne enceinte dans son poème le Silence, qui s’achève ainsi : « –Vous n’aviez qu’à crier de tout votre pouvoir./ –Oui, mais (dit la nonnain) c’étoit dans le dortoir,/ Où notre règle veut qu’on garde le silence. » 72 En courant. 73 Une telle contrainte. 74 « Je (respondit la Fessue) leur faisois signes du cul tant que povois, mais personne ne me secourut. » Rabelais, Tiers Livre <1546> : le chapitre 19 emprunte à notre farce les aventures de sœur Fessue et du frère Royddimet. 75 Et cette oie blanche n’aurait pas pu. 76 Qu’on connaît l’amoureux métier, le bas métier. 77 Cf. Gargantua (chap. 3) : « Elle engroissa d’un beau filz et le porta jusques à l’unziesme moys. Car autant, voire dadvantage, peuvent les femmes ventre porter. » Le docteur Rabelais conclut malicieusement que les veuves peuvent donc jouer du serre-croupière deux mois après le trépas de leur mari. 78 Le diable. 79 À Dieu. 80 LV : la solution (L’absolution, confirmée par le jeu de mots de 270. Idem vers 336.) 81 Me déchargea. 2° degré : me procura un orgasme : « Elles déchargent quand on les secoue. » (Cyrano de Bergerac.) 82 Les hérétiques. 83 Saint Paul, Épître aux Romains, II-3. 84 Transformée en objet de scandale. 85 Évangile selon saint Matthieu, VII-3. 86 Matthieu, VII-1. 87 Romains, II-1. 88 L’ennuyeux passage 291-301, envahi de rimes proliférantes, est visiblement interpolé : une simple nonne ignorant le latin n’argumente pas une discussion théologique ! 89 Au nom de la Vierge, dont on chante les louanges. 90 Qu’il n’est pas possible que vous ne vous adonniez à des jeux amoureux. Les trois nonnes agenouillées vont enfin relever la tête et voir l’objet du délit. Ce passage doit beaucoup au Dit de la Nonnète : « Que savez-vous que il vous pent,/ Belle dame, devant vos ieuls ?…./ Un couvrechef à menus plis/ Vous y pent, dame, ce me samble,/ Qui, par le cor Dieu, bien resamble/ Ce de quoi on couvre son cul. » 91 Est-ce la mode (de porter sur la tête). 92 LV : esmoy (Cf. les Gens nouveaulx, v. 244.) 93 LV : changons en (Chantons d’une autre manière, changeons de ton.) 94 Rase. « On dit qu’un Barbier rait l’autre, pour dire qu’il faut que chacun dans sa profession se rende des offices réciproques. » Furetière. 95 Qu’une main aide l’autre. 96 LV : voz (Vous êtes soumise à notre volonté [audi nos = écoute-nous]. « I li fet tous ses audinos » : il lui passe toutes ses volontés.) 97 Tu as fait comme nous. 98 Je t’absous sans pénitence pour tes péchés. 99 LV : Incorbennem (Dans un cœur bon : « In cor bonum et devotum. » Nicolai de Gorrani.) 100 Maintenant, tu peux t’en aller avec un cœur pur, comme par le passé. 101 Va en paix. 102 Ultime pirouette sur le nom de Marie, qui avait elle aussi conçu sans péché. 103 Ces décasyllabes aux rimes mal disposées recyclent maladroitement les vers 283-285. Le congé final est commun à beaucoup de farces et de sotties.
LA CONFESSION MARGOT
*
LA CONFESSION MARGOT
*
Ce dialogue remontant au début du XVIe siècle exploite l’inépuisable filon de la confession parodique et, en l’occurrence, lubrique1.
Sources : BM1 = Édition conservée au British Museum de Londres sous la cote C 22 a 33 <141 vers>. BM2 = Recueil du British Museum, nº 21 <167 vers>. Sév. = Édition tardive et sans intérêt de la Bibliothèque colombine de Séville. Je publie la version longue (BM2), qui améliore considérablement BM1.2
Structure : Rimes plates.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
*
La Confession
de Margot la bénigne 3
*
À deux personnaiges, c’est assavoir :
LE CURÉ
MARGOT
*
MARGOT se met à genoulx devant
le Curé, et dit en plourant :
Je me confesse à vous, beau Père.
J’ay anuyt4 secouru ung frère
En sa grande nécessité.
Je l’ay faict par joyeuseté,
5 Car il en estoit empesché5.
Parquoy, sire, se j’ay péché,
J’en requiers absolution.
LE CURÉ
Fille, dictes vostre raison
Jusqu’à la fin de voz péchéz.
MARGOT
10 Sire, bien veulx que les sachez ;
Je diray tout sans riens rabatre.
Il le me fit6 troys foys ou quatre
Sans descendre, le beau robin7.
Ne sçay s’il estoit Jacobin,
15 Cordelier, Augustin ou Carme8,
Mais je vous jure sur mon âme
Qu’il le faisoit de trèsbon hayt9 !
LE CURÉ
De péché n’y avez point faict :
Il gaigne la gloire des Cieulx,
20 Qui faict bien10 aux religieux.
De cela soyez [bien] certaine.
MARGOT
Avecques moy coucha ung moyne
Dedans la meilleur de noz chambres ;
Ses genoulx mist entre mes jambes
25 Plus de sept foys, celle nuytée !
Je ne sçay se j’en suis dampnée :
Qu’en dictes-vous sur ce passage ?
LE CURÉ
Je vous tiens pour trèsbonne et sage
D’avoir faict si trèsbelle aulmosne.
30 De tous les cardinaulx de Romme11
Vous donray absolution.
MARGOT
Sire, entendez ma raison :
Souvent mon voysin je secours,
Et si, m’en voys à luy le cours,
35 Laissant mon mary quant il dort.
Le péché si fort me remort
Que je ne sçay se je m’en repente.
LE CURÉ
La chose n’est pas convenante
De soy repentir de bien faire.
40 Des grans peines de Purgatoire
Et d’Enfer le tourment villain
Je vous absouldray tout à plain12.
MARGOT
Sire, entendez d’ung pèlerin
Qu’alloit l’autre jour son chemin
45 Et ne sçavoit où aberger13.
Or je vous dis, pour abréger,
Que j’eux14 de luy trèsgrant pitié ;
Et lors, d’une grant amytié,
En ma chambre le fis loger.
50 Si, luy donnay bien à manger
Et à boire pour ce repas.
Puis après, je ne faillis pas
À mon lit faire et arrancher15,
Et avec(ques) moy le fis coucher.
55 Lors, nous mismes en si grand peine
Qu’à peu ne nous faillit l’aleine,
Par force de tarrabaster16.
Nostre lict ne peult arrester17,
Car l’ostel si fort en trembla
60 Que le lict à terre tomba,
Dont j’en fus trèsfort esbahye !
Sire, je ne sçay que j’en die,
Ne se je m’en doy repentir ;
Mais je vous dis bien sans mentir
65 Que j’en fus trèsfort desplaisante.
Ne cuydez pas que je vous mente ;
Par ma foy, je dis vérité.
LE CURÉ
M’amye, vous avez esté
Femme d’une trèsgrand constance,
70 Quant le pèlerin à plaisance
Avez bien logé, et au large18…
MARGOT, en plorant
Sire, ung aultre cas me charge,
Mais ne sçay se je l’ose dire.
LE CURÉ
Pourquoy non ?
MARGOT
Hélas ! c’est le pire
75 Péché que je fis en ma vie.
LE CURÉ
Si fault-il bien qu’on [me] le die,
Ou la confession ne vault oncques.
MARGOT
Sire, je vous [le] diray doncques,
Affin que de tout soye quitte.
80 L’aultre jour, trouvay ung hermite
Près d’ung grant chemin, en ung boys ;19
Lequel tenoit entre ses doys,
À plain poing, une gente chose.
LE CURÉ
Il ne fault point parler par glose20 :
85 Qu’estoit-ce ?
MARGOT
Je croy q’une endo[u]ille
Toute vive…
LE CURÉ
Ou [bien] une couille21 ?
Avisez bien lequel c’estoit.
MARGOT
Sire, par ma foy, ell’ avoit
La teste bien rouge22 devant,
90 Et ung chapperon23 pour le vent,
Qui estoit dessus la couronne24.
Elle estoit d’une façon bonne,
Grosse, belle à l’avenant,
Dure, roide au remanant25 ;
95 Et au pied, deux belles sonnettes26
Tant belles et tant joliettes,
Qui sonnoyent si doulx que rage.
Quant je la vis, j’eux grand courage
De m’aprocher pour mieux la27 veoir.
LE CURÉ
100 Et puis ?
MARGOT
À le vous dire voir28,
Me dit29 que celle belle chose
Avoit grand froid (dont30 je suppose
Qu’il la tenoit entre ses mains).
LE CURÉ
Après, m’amye, c’est du moins31.
105 Et puis ?
MARGOT
Je la prins par la teste,
Cuidant que ce fust une beste,
Et la mis entre mes deux cuisses
Pour l’eschauffer.
LE CURÉ
Ce sont grandz vices !32
La mistes-vous en vostre ventre ?
MARGOT
110 Elle s’i mist ; puis sault33, puis entre,
Si doulcement que c’estoit raige.
LE CURÉ
En cela, n’a point de dommaige :
Ce n’est que bien, comme j’entens.
MARGOT
Quant il eut fatrouillé34 long temps
115 Et qu’il voulut la chose reprendre,
Elle fut si povre, si tendre,
Si molle que c’estoit pitié,
Et plus petite la moytié
Que n’estoit au commencement.
120 Et si, plouroit fort tendrement,
Dont (lasse !) je fus esperdue,
Quant je la vis ainsi fondue
Et gastée par mon meschief35.
Car quant il cuida de rechief
125 S’en jouer comme premièr(e)ment,
Il ne peult ; car, par mon serment,
Elle plia par le milieu.
Si, en requier pardon à Dieu,
Et à vous absolution.
LE CURÉ
130 Vous av[i]ez grand dévotion
D’eschauffer celle pouvre beste.
MARGOT
Je luy frottay trop fort36 la teste,
Et vélà dont vint le dommaige.
LE CURÉ
Il vous partoit d’ung bon couraige37.
135 Qu’i a-il plus ?
MARGOT
Sire, j’ay dit
Tout tant que j’ay faict ne mesdit,
Au moins dont j’aye souvenance.
LE CURÉ
Vous estes femme de conscience.
Et ! qu’avez vescu sainctement !
140 Or, m’amye, premièrement,
Pour pénitence, vous irez
Visiter les lieux où sçaurez
Que sont les frères de nostre Ordre
(Comme les frères de la corde38,
145 Prescheurs, Carmes et Jacobins)
Tous les soirs ou tous les matins,
Tant que vous serez en jeunesse.
Au curé de vostre paroisse,
S’il a de vostre corps mestier39,
150 Ne luy en faictes pas dangier40 :
Paradis gaignera41 terrestre,
Qui fera bien au povre prestre
Et grand prouffit au povre moyne.
Et s’il survient sur la sepmaine
155 Quelque pèlerin deslogé,
Qu’en vostre chambre soit logé,
Et avecques vous le couchez,
Et près de luy vous approchez.42
J’ordonne que faciez debvoir
160 De souvent visiter et veoir
L’hermite du boys, au ramage43 ;
Et portez, comme femme sage,
De bon vin la plaine bouteille,
Pour vous festoyer soubz la feuille44 ;
165 Et apportez ung bon jambon.
Il luy met la main sur la teste, et dit :
Ainsi gaignerez le pardon,
Et voz péchéz s’effaceront.
In secula seculorum 45.
MARGOT
Amen !
Cy fine la Confession Margot
*
1 Con fesser = frapper une vulve : Gratien Du Pont, vv. 417-430. 2 On consultera avec profit le travail exhaustif d’André Tissier : Recueil de farces, VI, Droz, 1990, pp. 369-422. 3 La bienveillante. S’agit-il de son patronyme, ou d’un sobriquet ? En tout cas, le prénom Margot était peu reluisant : Trote-menu et Mirre-loret, note 21. 4 Cette nuit. 5 Il était gêné par une érection. 6 Il me fit l’amour. « Vous ne me le ferez plus : ma mère m’a mariée. » Brantôme. 7 Homme de robe, religieux. Mais aussi, prototype du berger en rut : « Un jour, Robin vint Margot empoigner/ En luy monstrant l’oustil de son ouvraige,/ Et sur le champ la voulut besongner. » Clément Marot. 8 Les moines affiliés à un Ordre souffraient apparemment de priapisme : « Ung des beaulx religieux de tout nostre Ordre, aussi bien fourny de ce que ung homme doit avoir que nul de ce royaume. » (Cent Nouvelles nouvelles.) On dit encore : « Bander comme un Carme. » 9 De très bon cœur. 10 Celui qui fait du bien. Idem vers 152. BM1 remplace les vers 21-24 par ce passage non expurgé, où la rime « membre » est plus pertinente que « jambes » :
MARGOT
Ha ! sire, de ce suis honnye,
Car le curé de nostre ville
Angrossie m’a d’une fille,
Que j’ay donnée à mon mary.
LE CURÉ
Dame, faictes tousjours ainsi.
En Paradis sera saulvé
Qui fera bien à son curé.
MARGOT
Ha ! sire, encor(e) suys-je certaine
Qu’avec[ques] moy coucha ung moyne
Nu à nu dedans ma chambre ;
Entre mes jambes mist son membre
11 BM1 : du Rosne (qui rime mieux, bien qu’on trouve ailleurs la rime aumône/Rome. Le Rhône évoque le Palais des Papes d’Avignon au temps où les cardinaux s’y livraient à la débauche.) 12 Pleinement. 13 Héberger, loger. Dans BM1, ce pèlerin « avoit ung bourdon en charge ». Bourdon [bâton] = pénis : « En la main de madame la nonnain il mist son bel et trèspuissant bourdon, qui gros et long estoit. » Cent Nouvelles nouvelles. 14 J’eus. Idem vers 98. 15 Arranger, préparer. 16 Faire du tapage. 17 Ne put rester en place. On songe aux Dames galantes de Brantôme : « Elle et luy s’esmeurent et se remuèrent tellement toute la nuict, qu’ils en rompirent et enfoncèrent le fonds du châlit. » BM1 remplace les vers 59-60 par :
Car sur moy trois foys [il] monta,
Tant que [le] lict en tresbucha
Et que la couche cheut à terre,
Et y cheusmes aussi grant erre.
Nous fusmes bien mis à cul jus,
Et moy dessoubz et luy dessus.
18 On trouve la même pique dans les Récréations de Des Périers : « Madame la Fourrière, vous me logeastes l’autre nuict bien au large ! » 19 BM1 remplace les vers 81-134 par :
Qui tenoit en son poing ung membre
Très dur ; l’a bouté à mon ventre
Plus q’ung petit, à faire « saulce ».
Il parut bien que je fus faulse :
Quant son membre tyra l’hermite,
Il estoit plus mol q’une mitte…
Je m’en confesse et [me] repens.
LE CURÉ
Dame, vous feistes ung grant sens.
Plaine fustes de patience
Quant l’hermite fist sa plaisance
De vous, à son bon vouloir.
Je vous absoulbz de ce, pour voir.
20 Par énigmes. Des énigmes bien transparentes, puisque « chose » = pénis : Troys Gallans et Phlipot, note 53. 21 Couille (au singulier) et andouille désignent le pénis. « Prenez en gré du manche de ma couille…./ Il est tout fait en façon d’une andouille. » Parnasse satyrique du XVe siècle. 22 « Il avoit la teste rouge et un petit trou par le bout, avec deux pendants en forme de couillons. » L’Escole des filles. 23 Un prépuce. « L’usage du prépuce est de servir de chaperon & de couverture au gland. » Pierre Dionis. 24 « Bourrelet circulaire à la base du gland. » (Pierre Guiraud, Dictionnaire érotique.) Jody Enders* a remarqué que cette description d’un pénis correspond à la description d’un moine, dont la couronne désigne officiellement la tonsure. Elle traduit ainsi : « Father, it was like a little tonsured mini-Monk. » *Immaculate Deception and Further Ribaldries, University of Pennsylvania Press, 2022, pp. 59-78. 25 De reste, largement. 26 Testicules. « D’un rouge chapperon il couvre bien souvent/ Sa teste, qu’à tous coups il veut mettre en avant…./ Deux sonnettes il a, quasi de mesme sorte,/ Lesquelles à plusieurs augmentent les esbas. » Jean Louveau. 27 BM2 : le (qui peut s’appliquer à l’ermite.) 28 Pour vous dire la vérité. 29 Il me dit. 30 Et que c’est pour cela. 31 C’est le moins qu’on puisse supposer. 32 Tu parles d’un drame ! 33 Saillir = sauter, sortir, saillir une femelle. 34 Coïté. Cf. Beaucop-veoir et Joyeulx-soudain, vers 19. « Fatrouiller sans danger de chancre, vérole, pisse-chaude. » Rabelais, Cinquième Livre. 35 Mon méchef, ma faute. Les vers 105-127 rappellent un épisode similaire du fabliau Trubert. 36 « Fort », qui manque dans BM2, est suppléé par Sév. 37 Cela partait d’un bon sentiment. 38 Les cordeliers, qui portaient une corde à nœuds en guise de ceinture. 39 Besoin. 40 Difficulté. 41 BM2 : gaigneres (Construit sur le même modèle que 19-20.) 42 Ce vers, qui manque dans BM2, est reconstitué par Sév. 43 Sous la ramée. 44 Pour qu’il vous fasse « voir la feuille à l’envers » (Guiraud), pour qu’il vous couche sur l’herbe : « Soubz arbre de fueilles ramu,/ C’est ung plaisir d’estre à l’envers/ Pour ouÿr chanter le coqu. » (Les quattre Femmes, F 46.) Festoyer = coïter : « L’escolier la fist despouiller toute nue & la fist coucher dedens le lict, & (…) la festoya. » (Les Joyeuses adventures.) BM1 propose une autre fin, dont le dernier vers prouve que cette farce a bien été jouée en public :
Pareillement, au povre moyne
Qui pour vous prendra quelque peine
À vous venir veoir soir et matin :
De vostre corps, aulcun desda[i]ng
Ne luy faictes, pour quelque sy.
Ainsi vous aura à mercy
Dieu, s’il n’est trèsffort empesché…
Affin que je soye despesché
De vous pour ceste heure présente,
Vous yrez demain, moult fervente,
À Sainct-Germain (sans estre folle)
Des-Prés, où est la grant ydolle ;
Et la salurez de la porte,
Disant : « Le grant diable t’emporte ! »
Ainsi gaignerez Paradis,
Le cul dehors, la teste à l’huys ;
De cela je vous certiffie.
Adieu toute la compaignie !
45 On prononçait alors : Ces culs-là, ces culs l’auront. Les « équivoques latins-françois » (comme les nomme Tabourot dans ses Bigarrures) émaillaient toute la littérature comique, souvent écrite par des clercs.
LES CHAMBÈRIÈRES QUI VONT À LA MESSE
*
LES CHAMBÈRIÈRES
QUI VONT À LA MESSE DE CINQ HEURES
*
Cette farce parisienne (elle ne sort pas du Quartier latin) est égrillarde et anticléricale. Il se peut que les Chambèrières soient une reprise des Gouppillons, cette charge misogyne qui avait fait scandale au collège du Cardinal-Lemoine : voir Ung Fol changant divers propos, vers 91. L’œuvre fut imprimée vers 1550, mais elle est plus ancienne qu’on ne le dit : beaucoup de pièces du XVe siècle ont été imprimées au XVIe, après un dépoussiérage plus ou moins agressif. Les vers 138 à 150 semblent se référer aux années 1451-1454 : les étudiants parisiens se livrèrent à des émeutes lorsqu’on leur reprit la pierre du Pet-au-diable, qu’ils avaient dérobée. La garde tira, un étudiant fut tué. François Villon a connu ces échauffourées sanglantes, qu’il évoque quelques années plus tard dans le Testament : « Je luy donne ma librairie/ Et le Rommant du Pet-au-deable. » Il fait ce legs à Guillaume de Villon, son père adoptif, qui était chapelain de l’église Saint-Benoît-le-Bétourné (nommée au v. 139), rue Saint-Jacques. Dans la même rue se trouvait alors la taverne du Mortier d’or (nommée au v. 150), que Villon cite dans le Laiz : « Item, laisse le Mortier d’or/ À Jehan l’espicier de la Garde. » Le passage 146-155 développe une allusion transparente à la sodomie ; nous savons que les homosexuels – dont on admet aujourd’hui que Villon faisait partie1 – fréquentaient certaines tavernes : pourquoi pas le Mortier d’or ? Enfin, Guillaume et François résidaient au cloître Saint-Benoît, nommé au v. 143. L’auteur pourrait donc être un camarade de Villon, comme le fut probablement l’auteur des Repues franches de maistre Françoys Villon et ses compaignons. En tout cas, l’œuvre ne manque pas de finesse, quoi qu’en disent les puritains.
Les chambrières et les nourrices n’étaient pas réputées pour leur pudeur farouche, comme le soulignent nombre de textes comiques. Dans les Chambèrières et Débat, les nourrices en prennent pour leur grade ; et dans le recueil du British Museum, notre pièce est précédée par un croquignolet Débat de la Nourrisse et de la Chambèrière, où l’on trouve aussi un clerc nommé Johannès.
Les actes sexuels ne sont pas montrés ; on les symbolise grâce à des gestes et à des objets, en l’occurrence un goupillon avec lequel le curé paillard lance de l’eau bénite sur ses ouailles délurées. La symbolique religieuse joue des mêmes ressorts que la symbolique charnelle : aucune différence entre une sainte en extase et une amante en plein orgasme, d’autant que les peintres utilisaient leurs maîtresses en guise de modèles. Quand Lluis Borrassa peint la flagellation du Christ, chacun est libre d’y voir deux hommes qui se masturbent ; ou quand il peint deux hommes qui se masturbent, on peut, avec beaucoup d’imagination, fantasmer dans son tableau la flagellation du Christ.
Source : Recueil du British Museum, nº 50.
Structure : Rimes plates.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
*
Farce nouvelle des
Chambèrières
qui vont à la messe de cinq heures
pour avoir de l’eaue béniste
*
À quatre personnages, c’est assavoir :
DOMINE JOHANNÈS
TROUSSETAQUEUE 2
LA NOURRISSE
SAUPIQUET 3
*
SAUPICQUET commence SCÈNE I
Troussetaqueue, hastons-nous viste !
Si voulons estre à l’eaue béniste4
De cinq heures, il nous fault partir.
TROUSSETAQUEUE
Saupicquet, pour vous advertir,
5 Enda ! je suis toute lassée5.
SAUPICQUET
Pourquoy ?
TROUSSETAQUEUE
M’amye, de nuictée
Ne reposay. Ceste bigote
(Par sainct Velu !) qui est mon hoste6
Vouloit faire la renchérie
10 Hier au soir, et par fâcherie
Ne vouloit point aller coucher
Avec Monsieur, ne luy toucher ;
Mais vouloit faire un lict à part.
SAUPICQUET
Quant elle se trouve à l’escart,7
15 Par ma foy, elle entend bien jeu.
TROUSSETAQUEUE
El(le) disoit qu’elle avoit fait veu
À madame saincte Nytouche
De ne coucher (mais, bonne bouche,
Pour l’amour de son amarry8)
20 Jamais avecques son mary
Les vendredis et samedys.
SAUPIQUET
Il sembloit doncques, à ses ditz,
Qu’el9 fût tendre du petit ventre.
TROUSSETAQUEUE
Je croy, par ma foy, qu’on y entre
25 Assez souvent sans chaussepied.
SAUPICQUET
Ma maistresse est femme de pied10 :
El n’a garde de faire telz veux11.
Elle en logeroit avant deux
Que son « logis » ne fust fourny12 !
TROUSSETAQUEUE
30 Si, est mon maistre bien garny
De vitailles13 pour un repas.
Il luy dit : « [Ne] viendrez-vous pas
[Vous] coucher tost en vostre lieu ? »
« – Nenny, [car] j’ay promis à Dieu. »
35 Ce disoit ma maistresse. Adonc
Dist mon maistre : « Je m’en vois donc
Coucher avec(ques) Troussetaqueue,
Nostre chambrière. »
SAUPICQUET
Si la queue
Fust dressée, tu eusses, ce croy,
40 Esté bien fière14 ! Mais, par ta foy,
[Ne] l’eusses-tu pas bien voulu ?
TROUSSETAQUEUE
Pourquoy non ? S’il fust [ad]venu
Que mon maistre m’eust accollée,
J’estois maistresse.
SAUPICQUET
À la vollée
45 Se fait15 de bons marchéz, sans doubte.
Monsieur et Madame j’escoute
Aucunesfois, quand sont couchéz.
Ma maistresse dit : « Approchez,
Mon amy ! Et pour ce matin,
50 N’oubliez pas le picotin16. »
Et mon maistre respond tousjours :
« M’amye, nous sommes en décours17 ;
Attendre fault la plaine lune
Et le croissant18. »
TROUSSETAQUEUE
C’est la commune
55 Deffaicte. Que fait Saupiquet
Quand telz motz oyt ?
SAUPICQUET
Je vous prometz,
M’amye, que, de force de rire,
Je suis contraincte (à bref vous dire)
Mordre mes draps à belles dentz !
.
LA NOURRISSE SCÈNE II
60 Je suis venue assez à temps
Pour aller ensemble à la messe
De cinq heures.
TROUSSETAQUEUE
Puis, nourrisse ? Esse,
Par ta foy, après desjeuner19 ?
LA NOURRISSE
Ma foy, je n’y puis que20 jeusner,
65 Tant ay mal au cueur, au matin.
Si je ne boy troys doigtz de vin,
Je ne fais bien de la journée.
TROUSSETAQUEUE
Il semble que soyez débiffée21 :
Vous avez la couleur tant pasle !
SAUPIQUET
70 Elle sent trop souvent le masle :
Je croy qu’elle encharge22 d’un filz.
LA NOURRISSE
Si, a-il long temps que ne fis
Bonne chère entre deux tresteaulx23.
SAUPICQUET
Tu n’es point orde à tes drapeaulx24,
75 Car tu es souvent remuée…
TROUSSETAQUEUE
El(le) veult faire bonne buée25 :
El(le) manie souvent le pissot26.
LA NOURRISSE
Par ma foy ! il seroit bien sot,
Qui me27 penseroit restouper28.
TROUSSETAQUEUE
80 [Ne] te sens-tu point dégoustée ?
Le « morceau » te semble-il amer ?
LA NOURRISSE
Je pers le boire et le menger,
Alors que le mal me presse.
SAUPICQUET
Tu semble aux sainctz29 de la parroisse :
85 Tousjours as la « cheville » au trou.
TROUSSETAQUEUE
Il ne luy chault pas beaucoup où30,
Mais qu’el(le) rue31 son coup à l’emblée.
SAUPIQUET
Il y aura bonne assemblée32,
S’elle n’emporte la victoire !
LA NOURRISSE
90 Il y a un prothenotaire33
Qui vient souvent à nostre hostel.
Mais entendez : le cas est tel
Qu’il baise34 souvent ma maistresse.
On y songe de la finesse
95 Plus fine que vous ne pensez.
TROUSSETAQUEUE
[Et] ne la fait-il point dancer35
Aucunesfois la basse note ?
LA NOURRISSE
Ma foy, m’amye, cela desnote36 :
Mon maistre est bon37 à appaiser
100 De peu de chose !
SAUPICQUET
Le38 baiser
De chambrières ou de maistresses,
C’est un adjournement39 de fesses.
TROUSSETAQUEUE
Voire, qui seroit dangereuse40
Du « bas ».
SAUPIQUET
Vous estes bien heureuse,
105 Nourrisse, d’avoir [à bandon]41
Pain et vin en vostre maison.
LA NOURRISSE
Et puis le beau vin de coucher42 :
Par ma foy ! il n’y a rien cher43,
Quand le prothenotaire y vient.
TROUSSETAQUEUE
110 Ma foy, m’amye, à rien ne tient
Que nostre maison ne soit riche ;
Mais ma maistresse est si chiche,
Enda, qu’el(le) me fait bien tirer
Tout en gros un demy septier
115 Pour elle et mon maistre. Mais mot44 !
El(le) me fait mettre de l’eaue au pot
Bien largement, n’en doubtez point,
Pourtant que Monsieur n’en met point
En son vin durant le disner.
SAUPICQUET
120 Nous pourrions [cy] tant séjourner
Que nous perdrions l’eaue béniste.
TROUSSETAQUEUE
La messe n’est pas encor(e) dicte,
On la sonne de tous costéz.
LA NOURRISSE
Où irons-nous ?
TROUSSETAQUEUE
Mais, escoutez,
125 Allons à Sainct-Paul45 hardiement.
SAUPICQUET
Aller à Sainct-Paul ? Mais comment !
On dit [qu’]après que le vicaire
Eut fait tout ce qu’il vouloit faire
De sa chambrière, il luy mist46 sus
130 Qu’elle a desrobé ses escus !
LA NOURRISSE
Montons là-hault47 vers Sainct-Estienne :
Nous y trouverons quelque moyne
Qui dira la messe de prime.
SAUPICQUET
C’est bien dit ; car comme j’estime,
135 L’aspergès48 d’un moyne, sans doubte,
Est si bon qu’il n’en jette goutte
Qu’el(le) ne soit béniste deux fois.
LA NOURRISSE
Enda ! je voys aucunesfois49
À Sainct-Benoist.
SAUPIQUET
Ce n’est pas jeu50 !
140 J’entens que les bastons à feu51
Y ont, cest an, sonné si ferme
Qu’ilz ont estonné tout le germe
De toutes mes dames [du Cloistre]52,
Qui n’a peu proffiter ne croistre
145 En sorte qu(e) ayent peu engrossir.
TROUSSETAQUEUE
Je ne prens point trop grand plaisir
À leurs eaues bénistes : j’entens
Qu’on y a fait, puis peu de temps,
Un aspergès, mais assez or[d],
150 Non pas là, mais au « mortier d’or53 »…
LA NOURRISSE
Comment ?
[TROUSSETAQUEUE]
En lieu de verjus,
J’ay entendu qu’on mist du jus
D’un clistère au moyne, se dit-on,
Pour54 l’eaue béniste d’un chappon…
SAUPICQUET
155 Ilz estoient bien à55 loysir !
TROUSSETAQUEUE
Nous avons assez beau choisir56 :
Nous sommes au plus fort de Paris.
LA NOURRISSE
Voicy trop de charivaris,
Et fusse pour un pèlerin
160 De Romme !
TROUSSETAQUEUE
Allons à Sainct-Sév(e)rin :
Dom(i)ne Johannès57 dit la messe,
Qui fait si bien que c’est noblesse
L’aspergès à ses chambrières.
SAUPICQUET
Dea ! je ne croy pas que son père
165 Ne fust du mestier58 comme luy.
LA NOURRISSE
Ne tençons pas mèshuy icy.
TROUSSETAQUEUE
Nourrisse, vous avez grand haste.
SAUPIQUET
Puis qu’el(le) n’a plus ne pain, ne paste,
El(le) n’enrage que de bluster59.
.
DOMINE JOHANNÈS SCÈNE III
170 Asperges me, Domine,
Ys[s]opo, et lavabis me.
Miserere mei, Deus ! 60
Aprochez-vous ! Qui dit « J’en veulx » ?
Gloria Patri ! 61 N’en vient-il point ?
TROUSSETAQUEUE
175 Nous sommes venues62 bien apoint
Pour l’eaue béniste recevoir
Des premières.
LA NOURRISSE
J’en veulx avoir
Devant qu’il y ayt plus grand foulle.
SAUPICQUET
Vostre eaue béniste bien me coulle,
180 Dom(i)ne Johannès : jettez fort !
DOMINE JOHANNÈS
Mes dames, vous avez grand tort.
TROUSSETAQUEUE
Tu lavabis me hardiement !
LA NOURRISSE
Dea, dom(i)ne Johannès : et comment !
La nourrisse n’aura-el(le) rien ?
DOMINE JOHANNÈS
185 Paix là ! je vous fourniray bien.
Asperges [me]…
SAUPICQUET
Deçà63, deçà !
DOMINE JOHANNÈS
Attendez, chacun en aura,
Mais je ne puis tout faire ensemble.
Asperges… Je croy qu’il vous semble
190 Que mon « eaue » fault64 ? Non fait, jamais.
SAUPICQUET
Encores, dom(i)ne Johannès !
Asperges me hardi[e]ment,
Et lavabis me [promptement] !
TROUSSETAQUEUE
Jettez plus fort ! Vostre aspergès
195 Est par trop court.
DOMINE JOHANNÈS
Approchez vous près,
Mon coup ne s’estend pas si loing.
SAUPICQUET
Par ma foy ! j(e) y mettray la main,
Se ne faictes vostre devoir.
TROUSSETAQUEUE
Cette folle veult tout avoir.
200 Sainct Jehan ! j’en auray comme vous.
SAUPICQUET
Au moins, maniez-le tout doulx :
Vous y allez moult rudement.
Si vous romp[i]ez l’instrument
De [dom(i)ne Johannès]65, dommage
205 Ce seroit.
LA NOURRISSE
Et si en auray-je,
Par la mercy Dieu, [quoy qu’on en ayt]66 !
Ou je vous happ(e)ray au « collet »67,
Et fussiez-vous dom(i)ne Johannès
De Sainct-Sév(e)rin !
TROUSSETAQUEUE
Vous [le] romp(e)rez :
210 Son vipillon laissez entier68 !
SAUPICQUET
S’el(le) l’avoit en son benoistier69,
Elle aymeroit plus cher mourir
Que l’oster, et y deust-il pourrir !
DOMINE JOHANNÈS
Par ma foy ! [plus] je ne sçaurois
215 Ainsi fournir à toutes trois :
Plus n’ay d’eaue à mon benoistier70.
LA NOURRISSE
La nourrisse en a bon mestier71,
De si petit qu’il en y a72.
DOMINE JOHANNÈS
Or, taisez-vous ! on vous fera
220 Bien mieulx.
TROUSSETAQUEUE
Et quoy ?
DOMINE JOHANNÈS
Vous vous en yrez ;
Et puis dimenche reviendrez,
Et je y fourniray (mais qu’on vueille
Escouter un peu à l’oreille)
À chascune d’un vipillon.
TROUSSETAQUEUE
225 Que j’en aye bon eschantillon !
DOMINE JOHANNÈS
Du meilleur endroit de la beste
Qui s’enfle au pot73…
SAUPIQUET
Pour ceste feste,
Je me passeray74 bien au vostre,
Dom(i)ne Johannès.
LA NOURRISSE
Que le nostre
230 Soit bon et gros, [n’y faillez point] !
DOMINE JOHANNÈS
[Assez] pour tenir à plain poing.
SAUPICQUET
[Il seroit bien gros, par ma foy,]75
Si elle en faisoit à deux fois !
LA NOURRISSE
Quelle vïande ce seroit,
235 Pour bien renouveller le laict
Des nourrisses, […… -née] !
TROUSSETAQUEUE
Elle emprunte sur [la fournée]76
Souvent un pain pour son repas.
LA NOURRISSE
Je vous prie, ne faillez donc pas.
DOMINE JOHANNÈS
240 Ne vous souciez, croyez-moy.
Allez-vous-en chascun par soy.
SAUPICQUET
Nourrisse, vous estes caulte77
En pourchatz.
LA NOURRISSE 78
Mais qu’il n’y ayt faulte,
Car a[près] vous nous attendrons !
DOMINE JOHANNÈS
245 Allez-vous-en en voz maisons
Veoir si l’endouille est [jà] rostie79 !
Je m’en vois d’une autre partie.
Prou vous face80 la compagnie !
FIN
*
1 Pierre Guiraud : Le Jargon de Villon ou le gai savoir de la Coquille. Christine Martineau-Génieys : L’Homosexualité dans le Lais et le Testament de François Villon. Yvan Lepage : François Villon et l’homosexualité. Thierry Martin : Ballades en argot homosexuel de Villon, etc. 2 Voir les Queues troussées. 3 Sauce piquante ; mais aussi : mauvais tour. En argot : casseur de coffres. « Saupicqués frouans des gours arques. » (Villon, Ballade en jargon nº 4.) Dans la farce, il s’agit d’une chambrière. 4 La messe de prime (vers 133), la première de la journée, était dite à 5 heures du matin. Dans notre farce, l’eau bénite désigne le sperme : « Car je mettray le “diable” au profond de l’enfer./ Le rustre ne faudra [ne manquera pas] de s’y engouffrer viste ;/ Je l’en retireray jettant de l’eau béniste. » L’Allusion du Capitaine Lasphrise. 5 BM : fresche (Montaiglon <cf. note 7> : « Le mal qu’elle a est qu’elle est fort lassée :/ Huyct jour [y] a qu’elle ne s’est point couchée. ») Enda est un juron féminin : vers 113, 138. 6 Qui m’héberge chez elle : autrement dit, ma patronne. Saint Velu est le héros priapique d’un sermon joyeux (Koopmans, Recueil de Sermons joyeux, Droz, 1988, nº 29). 7 Le Caquet des bonnes chambrières (Montaiglon, Recueil de Poésies françoises, V, pp. 79-80) reprend les vers 7-27, 46-50, 57-59, et 90-97 de notre farce. Il donne ici : Quoy qu’elle en voulsist pour sa part/ Deux piedz voire, pour tout le moin,/ Plustost aujourd’huy que demain. 8 Au profit de son soupirant. « Et puis me prent une faillance/ Quand ne sens point mon amarris. » (Les Femmes qui demandent les arrérages.) BM intervertit les vers 19 et 20, que je rétablis d’après Montaiglon. 9 BM : Quil — Montaiglon : Qu’elle (Il y avait des femmes tendres du bas <T 23>, et des femmes tendres du cul <BM 10>.) 10 A les pieds sur terre. Jody Enders* rappelle à juste titre qu’un homme de pied est un fantassin. Il est vrai que nos chambrières ne reculent jamais devant un braquemart. Enders en veut pour preuve les vers martiaux qui, dans le Caquet des bonnes chambrières, suivent ces deux vers : « Elle se mect à l’advant-garde / Pour recepvoir les premiés coups. » *Immaculate Deception and Further Ribaldries, University of Pennsylvania Press, 2022, p. 375. 11 Des vœux à sainte Nitouche (vers 16-17). 12 Elle en engloutirait deux avant que son vagin ne soit plein. Cf. la Pippée, vers 416. 13 De victuailles, c’est-à-dire de vit. D’où la locution : « Être bien envitaillé. » 14 Si tu l’avais refusée. 15 Il se fait. 16 Ma ration de sperme. Cf. le Jeu du Prince des Sotz, note 10. 17 Déclin, débandade. 18 La croissance, l’érection. 19 As-tu déjà déjeuné ? Les nourrices étaient des goinfres et des ivrognes. « Il faut du vin pour la nourrisse, affin qu’elle ayt plus de laict. » Pierre de Larivey. 20 BM : plus 21 En mauvais état. La pâleur des femmes dénote un manque d’activité sexuelle, comme en témoigne Gilles d’Aurigny dans sa Recepte pour les palles couleurs : « Puisque le cul avez si chault,/ Sçavez-vous bien qu’il vous fault faire ?/ Allez-vous-en tout d’un plein sault/ Vous rendre en quelque monastère ;/ Là trouverez quelque bon hère/ De Frère, ou quelque boutecul,/ Qui vous bailleront un clystère/ Pour vous chasser le feu du cul. » 22 Qu’elle est enceinte. On reprochait aux nourrices leurs mœurs dépravées : « Nous aymons mieulx (respond une nourrice)/ Ung pié d’andouille entre les deux jambons. » Parnasse satyrique. 23 Les tables étaient des planches posées sur deux tréteaux. Accessoirement, les tréteaux désignent les jambes. 24 Ton linge ne risque pas d’être poussiéreux, car tu es souvent secouée. 25 Lessive. 26 Le robinet du cuvier à linge, et celui de l’homme. On a beaucoup glosé sur l’effet d’optique obtenu par Dürer à partir d’un robinet, mais les effets d’optique de ce genre sont légion. Quoi qu’il en soit, les femmes avaient l’habitude de prendre les choses en main. 27 BM : te 28 BM : rescourre (Retouper = boucher un trou, une vulve : « Mais n’oubliez pas vostre “broche” :/ Tousjours avons un fer qui loche/ Ou quelque trou à restoupper. » Les Femmes qui font escurer leurs chaulderons.) La rime restouper/dégoustée est irrégulière, mais pensez/dancer aussi, à 95. 29 Aux icônes suspendues à une cheville. Ce mot a un double sens : « (Elle) quiert partout une grosse cheville/ Pour estouper le trou d’emprès la cuisse. » Les Gouges. 30 Dans quel trou. V. le vers 150. 31 Tire. 32 C’est qu’il y aura vraiment beaucoup d’hommes. 33 Un protonotaire, un secrétaire pontifical. 34 Embrasse. 35 Montaiglon donne ici : « Il luy faict dancer une dance,/ Combien qu’il ne soit ménestrier ;/ Il la chevauche sans estrier,/ Sans avoir esperon ne botte,/ Le trihory en basse notte. » 36 Démontre que. 37 Facile. 38 BM : De 39 Une promesse. 40 Pour une femme qui serait exigeante. 41 BM : habandon (à bandon = à discrétion.) 42 « On appelle Vin de coucher un verre de vin, ou une petite collation qu’on présente à ceux qui se mettent au lit. » Furetière. 43 Rien n’est trop cher. 44 Chut ! Ne dites mot ! 45 L’ancienne église Saint-Paul-des-Champs, sise dans le Marais, est trop loin. J’opterais plutôt pour l’ex-église Saint-Côme. Le vers 126 deviendrait : Aller à Sainct-Cosme ? Et ! comment ? 46 BM : met (Mettre sus = mettre sur le dos de quelqu’un, accuser.) 47 L’ancienne église Saint-Étienne-du-Mont trônait au sommet de la montagne Sainte-Geneviève. 48 Le goupillon, avec un sens phallique. « Et souvent, d’un coquin de qui l’on ne fait conte,/ La papiste bigotte aime fort l’aspergès. » (L’Allusion du Capitaine Lasphrise.) Il jette des gouttes de sperme : « Elle suceroit bien la goutte/ De quelque gros vit. » (Cabinet satyrique.) 49 Je vais parfois. L’Église Saint-Benoît-le-Bétourné [le mal tourné, parce qu’elle était orientée à l’ouest] fut victime du vandalisme d’Haussmann, comme tant d’autres merveilles du Moyen Âge que le vandalisme révolutionnaire avait épargnées. 50 Ce n’est pas sans danger. 51 Les armes à feu, dont le bruit a fait avorter des religieuses enceintes. V. ma notice. 52 BM : des carmes (Des bénédictines fréquentaient les chanoines du cloître Saint-Benoît.) 53 Non par-devant, mais par-derrière. Le mortier avait un sens libre : « L’outil de mariage…. après avoir bien pilé en son mortier, il crache dedans. » (Béroalde de Verville.) L’or, avec un jeu de mots sur ord [sale], désignait les excréments : « L’or de touche est au cul des foiratiers. » (Molinet.) Dans sa traduction des Poèmes homosexuels de Villon <GKC, 2007, p.23, note 2>, Thierry Martin voit dans ce mortier d’or une allusion à la sodomie. 54 À la place de. Le chapon [coq châtré] est un homme efféminé. L’image du clystère permettait de jouer impunément avec le thème de l’homosexualité, comme dans cette Énigme : « Je veux que mon amy sur le ventre se couche ;/ Et pour le soulager, voicy ce que je fais :/ Je prens à belles mains la chose, et puis la mets/ Dedans le trou ouvert, si bien que je le bouche./ Poussant et repoussant sans jamais avoir paix,/ Je laisse cheoir dedans je ne sçay quoy d’épais./ Toujours je l’entretiens de toute ma puissance,/ Tellement que jamais il n’est de moy laissé/ [Sans] que l’un, tout estonné, n’en ait pleine la pance,/ Et l’autre ne s’en aille et recru et lassé. » 55 BM : a de (Être bien à loisir = ne pas s’en faire : « J’estois bien à loisir quand j’escrivois cecy. » Brantôme.) La hiérarchie catholique a si souvent fulminé contre les moines homosexuels, qu’on pourrait croire que les monastères en étaient pleins. 56 Choix, en matière d’églises. 57 Faut-il identifier le paillard Johannès au cardinal Guillaume d’Estouteville, chanoine de l’église Saint-Séverin et père d’au moins cinq enfants ? Dans le Laiz et dans le Testament, Villon parlera de son cousin, Robert d’Estouteville, prévôt de Paris. 58 Ait été un aussi bon prêtre que son fils. En effet, le père de Guillaume exerçait la sinécure de grand bouteiller de France. 59 Tamiser la farine ; et coïter : « En cas que autant de foys je ne belute ma femme future la première nuyct de mes nopces. » (Rabelais, Tiers Livre, 11.) Pain = pénis : « Les boullengers sassent et bluttent deux fois la sepmaine pour mettre au four leur pain. » (La Fluste à Robin.) Pâte = pénis : « Car vos fours sont bien souvent chauds/ Que la paste n’est pas propice [levée]. » (Nous sommes bluteurs en amour.) Il manque un vers en -ter. 60 « Tu m’aspergeras, Seigneur, avec de l’hysope, et tu me laveras. Aie pitié de moi, mon Dieu ! » L’hysope est une plante aphrodisiaque : cf. la Complainte d’ung gentilhomme, note 92. 61 Gloire au Père ! (Au grand bouteiller de France ?) 62 BM : venus (Rappelons que nous avons affaire à trois comédiens travestis en femmes. Les vers 187 et 241 portent chacun au lieu de chacune.) 63 Par ici ! 64 Fait défaut, manque. Sa vantardise est digne de Panurge : « Me avez-vous trouvé en la confrairie des faultiers [impuissants] ? Jamais, jamais, au grand fin jamais ! » Tiers Livre, 11. 65 BM : messire Jehan quel (Confusion avec un des nombreux curés farcesques baptisés « messire Jehan » : cf. le Testament Pathelin.) 66 BM : qui que en die (Quoi qu’on en pense. « Ici, quoi qu’on en ait, les gens ont la manie/ De vous trouver toujours nouvelle compagnie. » Dalban.) 67 Au pénis. « Ce collet qui va en roidissant. » La Fluste à Robin. 68 BM : entrer (Vipillon = goupillon = phallus : « Laissez les nonnains se donner du goupillon à l’opposite des reins. » Béroalde de Verville.) 69 Ici, le bénitier désigne le sexe de la femme. (Guiraud, Dictionnaire érotique.) 70 Ici, ce mot désigne les testicules. « Au chevet du lit, pour tous jeux,/ Pend un benoistier qui est gourd [lourd],/ Avec un aspergès joyeulx/ Tout plain d’eaue benoiste de Court. » Coquillart. 71 Besoin. 72 Si peu qu’il y en ait. 73 Au vagin. « Glissez-vous au fin fonds du creux ;/ Or fouillez bien au fond du pot. » (Joyeusetéz, XIII.) La bête désigne le pénis : « Il fist tout son debvoir et pouvoir pour la cuider saillir, mais à ce faillit, car la beste ne volut oncque tendre. » (Ph. de Vigneulles.) 74 Je me contenterai. 75 BM : Par ma foy il seroit bien gros (La rime foy/fois présente la même irrégularité que Saupiquet/prometz, ou chambrières/père.) « –Par noz dieux ! il seroit bien gros,/ S’elles en faisoient deux morceaulx ! » Les Tyrans au bordeau. 76 BM : lautre cuisse (« Emprunter un pain sur la fournée : coucher avec une fille avant que de l’espouser. » Antoine Oudin.) « Les filles donnent tant de privauté aux jeunes gens, que bien souvent ils empruntent un pain sur la fournée. » Caquets de l’accouchée. 77 Cauteleuse, rusée. 78 Elle s’adresse à Johannès. 79 Allez voir ailleurs si j’y suis ! Mais l’andouille est un cliché de la littérature érotique : cf. le Sermon de l’endouille (Koopmans, nº 7). 80 Grand bien vous fasse. Cet ultime vers a été ajouté.
LE MUNYER
*
LE MUNYER
*
André (ou Andrieu) de La Vigne composa cette pièce scatologique pour servir d’intermède à son très édifiant Mystère de saint Martin 1. (Saint Martin est le patron des meuniers.) Ce spectacle de quatre jours s’acheva sur une autre farce du même auteur, l’Aveugle et le Boiteux. Sur l’usage de truffer les Mystères avec des farces, voir ma notice des Tyrans. Le Munyer fut représenté à Seurre, en Bourgogne, le 9 octobre 1496.
« Les meusniers, qui sont ordinairement larrons2 », avaient une réputation exécrable : on les accusait de vendre « paille pour grain » et « bran pour farine ». Ils profitaient des disettes en spéculant sur les céréales qu’ils stockaient. La farce peut nous paraître morbide, mais le public devait beaucoup rire en voyant un meunier moribond battu par sa femme.
Source : Ms. fr. 24332 de la Bibliothèque nationale de France, folios 241 recto à 254 verso. C’est une copie (légèrement fautive) du manuscrit original, qui est perdu.
Structure : abab/bcbc, aabaab/bbcbbc, aababb/ccdccd.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
*
Farce du
Munyer
de qui le Deable emporte l’âme en Enffer
*
[ LE MUNYER
LA FEMME 3
LE CURÉ
LUCIFFER 4
SATHAN
ASTAROTH 5
PROSERPINE 6
BÉRITH ]
*
LE MUNYER, couché en ung lit, comme malade 7.
Or suis-je en piteux desconfort SCÈNE I
Par maladie grièfve et dure ;
Car espoir je n’ay de confort8
Au grant mal que mon cueur endure.
LA FEMME
5 Fault-il, pour ung peu de froidure,
Tant de fatras mectre dessus ?
MUNYER
J’ay moult grant peur, si le froit dure,
Qu’aulcuns en seront trop déceux9.
A ! les rains !
FEMME
Sus, de par Dieu ! sus,
10 Que plus grant mal ne vous coppie10 !
MUNYER
Femme, pour me mectre au-dessus11,
Baillez-moy…
FEMME
Quoy ?
MUNYER
La gourde pie12.
Car Mort de si trèsprès m’espie
Que je vaulx mains que trespassé.
FEMME
15 Mais qu’ayez tousjours la roupie
Au nez13 !
MUNYER
C’est bien compassé14 !
Avant que j’aye au moins passé
Le pas15, pour Dieu, donnez-m’à boire !
[……………………… -passé.]
A ! Dieu, le ventre !
FEMME
Et voire, voire ;
20 J’ay ung trèsgracieux douaire16
De vostre corps, quant bien j(e) y pence.
MUNIER
Le cueur me fault17.
FEMME
Bien le doy croire.
MUNYER
Mort suis pour toute récompence,
Se je ne refforme ma pence
25 De vendange délicieuse.
Ne me plaignez poinct la despence,
Femme ; soyez-moy gracieuse.
FEMME
Estre vous doybs malicieuse18
À tout le moins ceste journée :
30 Car vie trop maulgracieuse
M’avez en tous temps démenée.
MUNYER
Femme ne sçay de mère née
Qui soit plus aise que vous estes.
FEMME
Je suis bien la malle assenée19,
35 Car nuyt ne jour, rien ne me faictes20.
MUNYER
Aux jours ouvriers21 et jours de festes,
Je foys tout ce que vous voulez.
Et tant de petis tours22…
FEMME
Parfaictes23 !
MUNYER
[Ha ! ha !]24
FEMME
Dictes tout !
MUNYER
Vous vollez25,
40 Vous venez, et…
FEMME
Quoy ?
MUNYER
Vous allez
Puis chetz Gaultier, puys chetz Martin ;
L’un gauldissez, l’autre gallez26,
Aultant de soir que de matin.
Pencez que dens mon advertin27,
45 Les quinzes joyes n’en ay mye28.
FEMME
L’avez-vous dit, villain mastin29 ?
Vous en aurez ! Elle fait semblant de le batre 30.
MUNYER
Dictes, m’amye :
Ou31 nom de la vierge Marie,
Maintenant ne me batez poinct !32
FEMME
50 Tenez, tenez ! Elle le bat.
MUNYER
Qui se marye
Pour avoir ung tel contrepoinct33 ?
Je ne sçay robe ne pourpoint
Qui tantost n’en fust descousu. Il pleure.
FEMME
Cella vous vient trop bien à poinct34.
MUNYER
55 A ! c’est le bon temps qu’avez heu,
Et le bien.
FEMME
Commant ?
MUNYER
Ho ! Jhésu !
Que gaignez-vous à me férir35 ?
FEMME
(Il en est taillé et cousu36.)
MUNYER
Vous me voulez faire mourir ?
60 Mais se je puis ung coup guérir,
Mort bieu ! je [vous] fe…
FEMME
Vous grongnez ?
Encore faictes ?
MUNYER
Requérir,
Mains joinctes, vous veulx.
FEMME
Empoignez (Elle frappe)
Ceste prune37 !
MUNYER
Or besongnez,
65 Puisque vous l’avez entrepris.
FEMME
Par la croix bieu ! si vous fongnez38…
MUNYER
A ! povre munyer, tu es pris,
Et trop à tes despens repris.
Que bon gré sainct Pierre de Romme39 !
FEMME
70 Vous m’avez le mestier appris
À mes despens, Mais[tre].40
MUNYER
En somme,
De grant despit vécy ung homme
Mort, pour toute solucion.
FEMME
Je n’en donne pas une pomme41.
MUNYER
75 En l’onneur de la Passion,
Je demande confession,
Pour mourir catholiquement.
FEMME
Mais plus tost la potacion42,
Tandis qu’avez bon santement43.
MUNYER
80 Vous vous mocquez, par mon serment !
Quant mes douleurs seront estainctes44,
Se par vous vois à dampnement45,
À Dieu je feray mes complainctes.
LE CURÉ46 SCÈNE II
Il y a des sepmaynes maintes
85 Que je ne vis nostre munyère.
Pour ce, je m’en vois aux actaintes47
La trouver.
MUNYER SCÈNE III
[De mal] coustumyère48,
À ceste extrémyté dernyère,
Estes trop.
FEMME
Qu’esse que tu dis ?
MUNYER
90 Je conteray vostre manyère,
Mais49 que je soye en Paradis.
Avoir tous les membres roidis,
Estre gisant sur une couche,
Et batre ung homme50 ! Je mauldis (Il pleure)
95 L’eure que jamais, bonne bouche51…
FEMME
Fault-il qu’encore je vous touche ?
Qu’esse-cy ? Faictes-vous la beste ?
MUNYER
Laissez-m’en paix52 ! Trop fine mouche
Estes pour moy.
FEMME
Ho ! qui barbecte53 ?
100 Qui gronde ? qui ? Qu’esse-cy ? qu’esse ?
Commant ! serai-ge poinct maistresse ?
Que mèshuy plus ung mot je n’oye !
LE CURÉ54 SCÈNE IV
Madame, Dieu vous doinct lyesse,
Et planté55 d’escus vous envoye !
FEMME
105 Bien venu soyez-vous ! J’avoye
Vouloir de vous aller quérir,
Et maintenant partir debvoye.
CURÉ
Pour quoy ?
FEMME
Pour ce que mourir
Veult mon mary, dont j’en ay joye.
CURÉ
110 Il fauldra bien qu’on se resjoye,
S’ainsi est.
FEMME
Chose toute seure56.
À son cas fault que l’on pourvoye
Sagement, sans longue demeure.
MUNYER
Hellas ! et fault-il que je meure
115 (Hon, hon, hon57) ainsi meschamment58 ? Il pleure.
FEMME
Jamais il ne vivra une heure ;
Regardez.
CURÉ59
A ! par mon serment,
Est-il vray. À Dieu vous commant60,
Munyer ! Baa, il est despesché61.
FEMME
120 Curé, nous vivrons gayement,
S’il peult estre en terre couché62.
CURÉ
Trop long temps vous a empesché.
FEMME
Je n’y eusse peu63 contredire.
MUNYER
Que mauldit de Dieu (sans péché,
125 Touteffois, le puissé-je dire)
Soit la pu…64
FEMME
Qu’esse-cy à dire ?
Convient-il qu’à vous je revoise ?
CURÉ
Gauldir fauldra !
FEMME
Chanter65 !
CURÉ
Et rire !
FEMME
Vous me verrez bonne galloise66.
CURÉ
130 Et moy gallois.
FEMME
Sans bruyt67.
CURÉ
Sans noyse.
FEMME
Des tours ferons ung million.
CURÉ
De nuyt et de jours.
MUNYER
Quel(z) bourgeoise !
T(u) en es bien, povre munyer !
FEMME
Hon68 ?
MUNYER
Robin a trouvé Marion ;
135 Marion tousjours Robin treuve. [Il chante :]
Hellas ! pour quoy se marye-on 69 ?
FEMME
Je feray faire robe neufve,
Si la Mort ung petit s’espreuve70
À le me mectre [à une]71 part.
CURÉ
140 Garde n’a que de là se meuve72,
Ne que plus en face départ,
M’amye. Il l’embrace.
MUNYER
Le deable y ait part
À l’amytié, tant ell’ est grande !
A ! En faict-on ainsi ?
FEMME
Paix, coquart !
CURÉ
145 Ung doulx baiser je vous demande. Il l’embras[s]e.
MUNYER
Orde vielle putain ! truande73 !
En faictes-vous ainsi ? Non mye74,
Vécy pour moy trop grant esclandre !
Par le sainct sang…
Il fait semblant de se lever, et la fe[mme]
vient à luy et fait semblant de le batre.
FEMME
Quoy ?
MUNYER
Rien, m’amye.
FEMME
150 Hoon !
MUNYER
C’est le cueur qui me frémye75
Dedens le corps, et me fait braire
Il a76 plus d’une heure et demye.
CURÉ
Mais commant vous le faictes taire !
FEMME
S’il dit rien qui me soit contraire,
155 Causer le fois à mon devis77.
CURÉ
Vous avez povoir voluntaire
Dessus luy, selon mon advis.
MUNYER
Congé me fault prandre des vifz78,
Et m’en aller aux trespasséz
160 De bon cueur, et non pas envis79,
Puisque mes beaux jours sont passéz…
CURÉ
Avez-vous rien80 ?
FEMME
Assez, assez,
De cella ne fault faire doubte.
MUNYER
Qu’esse que tant vous rabassez81 ?
FEMME
165 Je cuyde, moy, que tu radoubte82.
MUNYER
Vous semble-il que je n’oy goucte83 ?
Si fois, dea ! Qui est ce gallant ?
Il vous guérira de la goucte84,
Bien le sçay.
FEMME
C’est vostre parent,
170 À qui vostre mal apparent
A esté par moy figuré85.
MUNYER
Ce lignaige est trop différant.
FEMME
Par Dieu ! non est.
MUNIER
C’est bien juré !
Commant deable nostre curé
175 Est-il de nostre parentaige ?
FEMME
Quel curé ?
MUNIER
C’est bien procuré86 !
FEMME
Par mon âme !
MUNIER
Vous dictes raige !
FEMME
[Hé ! hé !]87
MUNIER
Ho ! [ho !]
FEMME
Tant de langaige !
C’est il, à payne d’un escu88.
MUNYER
180 Sainct Jehan ! s’il est de mon lignaige,
C’est du cartier devers le cu89.
Je sçay bien que je suis coquu.
Mais quoy ? Dieu me doint pascience !
FEMME
A ! paillart, esse bien vescu
185 De dire ainsi ? Ma conscience !
Vous verrez vostre grant science,
Car je le vois faire venir. Elle vient au curé.
CURÉ
Qu’i a-il ? Quoy ?
FEMME
Faictes scilence.
Pour mieulx à noz fins parvenir,
190 Bonne myne vous fault tenir,
Quant serez devant mon villain ;
Et veillez90 tousjours maintenir
Qu’estes son grant cousin germain.
Entendez-vous ?
CURÉ
Oÿ.
FEMME
La main
195 Luy mectrez dessus la poitryne,
En luy affermant que demain
Le doibt venir voir sa cousine ;
Et advienra91 quelque voisine
Pour luy donner alégement.
200 Mais il vous fault légyèrement92
De ceste robe revestir
Et ce chappeau.
CURÉ93
Par mon serment !
Pour faire nostre effect sortir94,
Si vous ne voyez bien mentir,
205 Je suis contant que l’on me pende
Sans plus de ce cas m’advertir.
MUNYER
[…………………….. -ande.]
A ! très orde vielle truande,
Vous me baillez du cambouys95.
Mais quoy ! vous en pairez l’amende,
210 Se jamais de santé joÿs96.
Qu’esse-cy ? Dea ! je m’esbaÿs :
Qui deable la tient ? Somme toute,
J’en despescheré97 le pays,
Par le sang bieu, quoy qu’il me couste98 !
CURÉ
215 Que faictes-vous là ?
FEMME
[Paix !] j’escoute99
La complainte de mon badin.
CURÉ
(Il fault qu’en bon train on le boute100.)
Dieu vous doinct bon jour, mon cousin !
MUNYER
Il suffit bien d’estre voisin101
220 Sans estre de si grant lignaige.
FEMME
Regardez ce grox Lymosin102
Qui a tousjours son hault couraige !
Parlez à vostre parentaige,
S’il vous plaist, en luy faisant feste.
CURÉ
225 Mon cousin, quelle est votre raige103 ?
MUNYER
Haÿ ! vous me rompez la teste.
FEMME
Par mon serment ! c’est une beste :
Ne pencez poinct à ce qu’il dit,
Je vous en prie.
MUNYER
Celle requeste
230 Aura devers luy bon crédit104.
CURÉ
Vous ai-ge meffait ne mesdit,
Mon cousin ? Dont nous vient cecy ?
FEMME
Sus, sus ! que de Dieu soit mauldit
Le villain ! Et ! parlez icy.
MUNYER
235 Laissez-m’en paix !
FEMME
Est-il ainsi ?
Voire, ne parlerez-vous point ?
MUNIER
J’ay de dueil105 le corps tout transsi.
CURÉ
Par ma foy ! je n’en doubte poinct.
Où esse que le mal vous poinct ?
240 Parlez à moy, je vous emprie.
MUNYER
Las ! mectez-moy la teste appoinct106,
Car la Mort de trop près m’espie.
FEMME
Parlez à Régnault Croque-pie107,
Vostre cousin, qui vous vient voir.108
MUNIER
245 Croque-pie ?
FEMME
Oÿ, pour voir109 !
Pour faire vers vous son debvoir,
Il est venu légièrement.
MUNYER
Se n’est-il pas.
FEMME
Si est, vrayment.
MUNIER
Ha ! mon cousin, par mon serment,
250 Humblement mercy110 vous demande
De [très]bon cueur.
CURÉ
Et puis commant111,
Mon cousin, dictes-moy, s’amende112
Vostre douleur ?
MUNIER
Ell’ est si grande
Que je ne sçay commant je dure.
CURÉ
255 Pour sçavoir qui se recommande
À vous113, mon cousin, je vous jure
Ma foy (dea, poinct ne me parjure114)
Que c’est Biétris115 vostre cousine,
Ma femme Jehenne Turelure116,
260 Et Mélot117 sa bonne voisine,
Qui ont pris du chemin saisine118
Pour vous venir réconforter.
MUNIER
Loué soit la grâce divine !
Cousin, je ne me puis porter119.
CURÉ
265 Il vous fault ung peu déporter120,
Et pencer de faire grant chière.
MUNIER
Je ne me puis plus comporter,
Tant est ma malladie chière121.
Femme, sans faire la renchière122,
270 Mectez acoup la table icy
Et luy apportez une chière123 :
Si se serra124.
CURÉ
A ! grant mercy,
Mon cousin, je suis bien ainsi ;
Et si125, ne veulx menger ne boire.
MUNYER
275 J’ay si trèsgrant douleur par cy !
CURÉ
A ! cousin, il est bien à croire.
Mais s’il plaist au doulx Roy de gloire126,
Tantost recouvrerez santé.
FEMME
Je vois quérir du vin.
MUNIER
Voire127, voire.
280 Et apportez quelque pasté.
FEMME
Oncques de tel ne fut tasté128.
Séez-vous.
MUNYER
Cousin, prenez place.
FEMME
Vécy pain et vin à planté129.
Vous serrez-vous ?
CURÉ
Sauf vostre grâce130 !
MUNYER
285 Fault-il que tant de myne131 on face ?
Par le sang bieu (c’est bien juré),
Vous vous serrez !
CURÉ
Sans plus d’espace132,
Que vous ne soyez parjuré.
MUNYER
A ! si c’estoit nostre curé133,
290 Pas tant je ne l’en prieroye !
CURÉ
Et pour quoy ?
MUNIER
Il m’a procuré
Aulcun cas134 que je vous diroye
Voluntiers ; mais je n’oseroye,
De peur.
CURÉ
Dictes hardi[e]ment !
MUNIER
295 Non feray, car batu seroye.
CURÉ
Rien n’en diray, par mon serment !
MUNIER
Or bien donc, vous sçavez commant
Ces prestres sont adventureux ;
Et nostre curé, mesmement,
300 Est fort de ma femme amoureux135.
De quoy j’ay le cueur douloureux
Et remply de proplexité136 :
Car coquu je suis, maleureux,
Bien le sçay.
CURÉ
Bénédicité 137 !
MUNIER
305 Le poinct de mon adversité
Gist illec138, sans nul contredit.
Gardez qu’il ne soit récité139.
CURÉ
Jamais140, [jamais] !
FEMME
Qu’esse qu’il dit ?
Je suis certayne qu’il mesdit
310 De moy ou d’aulcun myen amy :
[Ce villain mastin me mauldit,]141
Ne fait pas ?
MUNIER
Non, par sainct Rémy !
CURÉ
Il me disoit qu’il n’a dormy
Depuis quatre ou cinq jours en çà,
Et qu’il n’a si grox c’un fremy142
315 Le cueur ne les boyaulx.
FEMME
Or çà !
Beuvez delà, menge[z] deçà,
Mon cousin, sans plus de langaige.
LUCIFFER143 SCÈNE V
Haro ! deables d’Enffer ! J’enraige,
Je meurs de dueil, je pers le sens ;
320 J’ay laissé puissance et couraige,
Pour la grant douleur que je sens.
SATHAN
Nous sommes bien mil et cinq cens144
Devant toy (que nous veulx-tu dire ?),
Fiers, fors, félons145, deables puissans
325 Pour tout le monde à mal induyre146.
LUCIFFER
Coquin[s], paillars, il vous fault duyre147
D’aller tout fouldroyer sur terre,
Et de mal faire vous déduyre148.
Que la sanglante Mort vous serre !
330 S’il convient que je me defferre149
De ceste gouffrineuse lice150,
Je vous mectray, sans plus enquerre151,
En ung ténébreux maleffice !
ASTAROTH
Chacun de nous a son office152,
335 En Enffer : que veulx-tu qu’on face ?
PROSERPINE
De faire nouvel édiffice153
Tu n’as pas maintenant espace154.
ASTAROTH
Je me contente155.
SATHAN
Et je me passe
De demander une aultre charge.
ASTAROTH
340 Je joue icy de passe-passe156
Pour mieulx faire mon tripotaige157.
BÉRITH
Luciffer : à peu de langaige158,
En Enffer, je ne sçay que faire ;
Car je n’ay office ne gaige
345 Pour ma volunté bien parfaire.
LUCIFFER
Qu’on te puisse au gibet deffaire,
Filz de putain ort et immunde159 !
Doncques, pour ton estat reffaire,
Il te fault aller par le Monde,
350 À celle fin que tu confonde
Bauldement160 ou à l’aventure
Dedens nostre habisme parfonde161
L’âme d’aulcune créature.
BÉRITH
Puisqu’il fault que ce mal procure,
355 Dy-moy doncques légièrement
Par où l’âme faict ouverture,
Quant elle sort premièrement.
LUCIFFER
Elle sort par le fondement162 ;
Ne faiz le guet qu’au trou du cu.
BÉRITH
360 Ha ! j’en auray subtillement
Ung millier pour moins d’un escu.
Je m’y en voys. Il s’en va.
MUNIER SCÈNE VI
D’avoir vescu
Si long temps en vexacion,
De la Mort est mon corps vaincu.
365 Pour toute résolucion,
Doncques, sans grant dilacion163,
Allez-moy le prestre quérir,
Qui me donrra confession,
S’il luy plaist, avant que mourir.
CURÉ
370 Or me dictes : fault-il courir,
Ou se j’yray164 tout bellement ?
MUNIER
S’il ne me vient tost secourir,
Je suis en ung piteux tourment.
Il 165 se va desvestir, et revestir en curé.
BÉRITH166 SCÈNE VII
(Vellà mon faict167 entièrement.
375 Munyer, je vous voys soulager168.
L’âme en auray soubdaynement,
Avant que d’icy me bouger.
Or me fault-il, pour abréger,
Soubz son lit ma place comprandre169 :
380 Quant l’âme vouldra desloger,
En mon sac je la pourray prandre.)
Il se musse soubz le lit du munier, atout son sac.
CURÉ170 SCÈNE VIII
Commant dea ! je ne puis entendre
Vostre cas, munyer : qu’esse-cy ?
MUNIER
À la mort me convient estandre.
385 Avant que je parte d’icy,
Pourtant, je crie à Dieu mercy,
Devant que le dur pas passer.
Sur ce poinct, mectez-vous icy171,
Et me veillez tost confesser.
CURÉ
390 Dictes.
MUNIER
Vous devez commancer,
Me disant mon cas en substance172.
CURÉ
Et ! commant ? Je ne puis pencer173
L’effect de vostre conscience.
MUNIER
A ! curé, je pers pascience.
CURÉ
395 Commancez tousjours, ne vous chaille ;
Et ayez en Dieu confience174.
MUNIER
Or çà donques, vaille que vaille,
Quoyqu’à la mort fort je travaille,
Mon cas vous sera relaté.
400 Jamais je ne fus en bataille ;
Mais pour boire en une boutaille,
J’ay tousjours le mestier hanté175.
Aussi (fust d’iver, fust d’esté),
J’ay bons champions176 fréquenté,
405 Et gourmetz de fine vinée ;
Tant que, rabatu et conté177,
Quelque chose qu’il m’ait costé178,
J’ay bien ma face enluminée.
Apprès, tout le long de l’année,
410 J’ay ma volunté ordonnée
(Comme sçavez) à mon moulin179,
Où, plus que nul de mère née,
J’ay souvant la trousse180 donnée
À Gaultier, Guillaume ou Colin.
415 Et en sacs de chanvre ou de lin,
De bléd valent plus d’un carlin181,
Pour la doubte des adventures182,
Atout ung petit picotin183,
Je pris de soir et de matin
420 Tousjours d’un sac doubles moustures184.
De cela fis mes nourritures,
Et rabatis mes grans coustures185
(Quoy qu’il soit faisant bonne myne)
Somme186, de toutes créatures.
425 Pour surporter187 mes forfaictures,
Tout m’estoit bon, bran188 et faryne.
CURÉ
Celuy qui ès haulx [cieulx] domine189
Et qui les mondains enlumyne190
Vous en doint pardon par sa grâce !
MUNIER
430 Mon ventre trop se détermine191.
Hellas ! je ne sçay que je face.
Ostez-vous !
CURÉ
A ! sauf vostre grâce.
MUNIER
Ostez-vous, car je me conchye !
CURÉ
Par sainct Jehan ! sire, preu vo[us] face192 !
435 Fy [fy]193 !
MUNIER
C’est merde reffreschie.
Apportez tost une bréchie194
Ou une casse195, sans plus braire,
Pour faire ce qu’est neccessaire.
Las ! à la mort je suis eslit196.
FEMME
440 Pencez, si vous voulez, de traire
(Pour mieulx prandre vostre délit197)
Vostre cul audehors du lit :
Par là s’en peult vostre âme aller.
MUNIER
Hellas ! regardez si voller
445 La verrez poinct par l’er du temps198.
Il mect le cul dehors du lict. Et le deable
tend son sac cepend[ant] qu’il chie dedans,
puis s’en va cryant et hurlant.
BÉRITH199 SCÈNE IX
J’ay beau gauldir200, j’ay beau galler !
Roy Luciffer, à moy entens !
J’en ay fait de si maulxcontens201,
Que proye nouvelle j’apporte.
LUCIFFER
450 Actens, ung bien petit202 actens !
Je te voys faire ouvrir la porte.
Deables d’Enffer, sus ! Qu’on luy porte
Une chauldière203 en ce lieu-cy !
Et saichez comme se comporte
455 Le butin qu’il admayne icy.
Ilz luy apportent une chauldière ; puis il vuyde
son sac, qui est plain de bran mou[i]llé 204.
SATHAN
Qu’esse-là ?
PROSERPINE
Que deable esse-cy ?
Ce semble merde toute pure.
LUCIFFER
C’est mon205 : je la sens bien d’icy.
Fy fy, ostez-moy celle ordure !
BÉRITH
460 D’un munier remply de froidure,
Voy-en cy206 l’âme toute entière :
[Je viens d’en faire la capture.]
LUCIFFER
D’un munyer ?
SATHAN
Fy ! quelle « matière » !
LUCIFFER
Par où la prins-tu ?
BÉRITH
Par-derrière,
Voyant le cu au descouvert.
LUCIFFER
465 Or, qu’il n’y ait coing ne carrière
D’Enffer que tout ne soit ouvert207 !
Ung tour nous a baillé trop vert208.
Brou209 ! je suis tout enpuanti.
Tu as mal ton cas recouvert210.
SATHAN
470 Oncques tel(z) chose ne senty.
LUCIFFER
Sus ! acoup qu’il soit assorty211,
Et batu trèsvillaynement !
SATHAN
Je luy feray maulvais party. Ilz le batent.
BÉRITH
À la mort !
LUCIFFER
Frappez hardiment !
BÉRITH
475 À deux genoulx, trèshumblement,
Luciffer, je te cry mercy,
Te promectant certaynement
(Puisque congnoys mon cas ainsi)
Que jamais n’apporteray cy
480 Âme de munyer ne munyère.
LUCIFFER
Or te souviengne de cecy,
Puisque tu as grâce planyère212.
Et garde d’y tourner arrière213
D’aultant que tu ayme ta vie.
485 Aussi, devant ne de costière214,
Sur payne de haynne assouvye215,
Deffens que nulluy216, par envie,
Désormais l’âme ne procure
De munyer estre icy ravie :
490 Car ce n’est que bran et ordure.
*
1 Publié par André Duplat. Droz, 1979. André Tissier publia le Meunier dans son Recueil de farces, t. IV. Droz, 1989. 2 Rabelais, Tiers Livre, 2. 3 Les 15 rôles féminins du Mystère furent dévolus à des hommes dont les noms nous sont parvenus. L’un de ces comédiens tint dans notre farce le rôle de la meunière. Selon toute probabilité, ce travesti qui trompe son mari avec un prêtre fut joué par Étienne Bossuet, qui interprétait la mère de saint Martin au début du Mystère. C’était l’arrière-grand-oncle de l’évêque Bossuet, qui pourfendit le théâtre et la débauche tout en flattant Louis XIV, lequel se produisait sur les planches et s’affichait avec ses maîtresses. 4 Les cinq diables sont les mêmes que dans le Mystère, dont la farce utilise le décor infernal et les machineries. Lucifer est le roi de l’enfer (vers 447). Le Mystère commence par une de ces diableries dont le public était friand. Voir la Chanson des dyables. 5 Amant de Proserpine. « À Proserpine, la déesse/ D’enfer, d’Astarot la mêtresse. » Les Povres deables. 6 Avant d’être récupérée par le folklore chrétien, Proserpine était l’épouse de Pluton, dieu des enfers : cf. les Rapporteurs, vers 21. La nôtre fut jouée par « messire Ponsot ». Dans le Mystère des trois Doms, elle sera jouée par « maistre P. Drijon, notaire ». 7 Jouant le malade. Les didascalies furent ajoutées dans la marge à l’intention exclusive des acteurs ; voilà pourquoi elles parlent toutes de faire semblant. 8 De réconfort, de guérison. 9 Lésés. Il parle pour lui-même. 10 Ne vous frappe. « Noz ennemys copier. » A. de La Vigne. 11 Pour me remonter. 12 Le bon vin (argot). « Ma bouteille n’est point remplie/ De gourde pie, à ce matin./ Trois jours a que ne beuz de vin. » (La Tour de Babel.) Nous aurons un Croque-pie à 243. 13 Le nez qui coule, à cause de l’alcool et non du froid. 14 Imaginé. « Verrez la fin de nostre Jeu/ Ainsi que l’avons compassé. » Mystère de St Martin. 15 Le passage : avant que je sois mort. (Idem vers 387.) Cf. le vers 163 du Testament Pathelin, une autre farce qui montre un mourant alcoolique. 16 Revenu. 17 Me manque (verbe faillir). 18 Méchante. 19 Une mal mariée. « Sa femme est bien mal assenée,/ Qui à tel villain est donnée. » (Chagrinas.) Cf. Trote-menu et Mirre-loret, vers 40. 20 Vous ne faites rien pour moi. Ou bien : vous ne me faites pas l’amour (vers 20-21). 21 Ouvrables : les jours où il est permis de travailler. 22 Et (vous me jouez) tant de mauvais tours. Voir le vers 131. 23 Finissez votre phrase ! Voir le vers 345. 24 Ms : Haaa 25 Vous courez à droite et à gauche. « Il vaut mieux voller en amour qu’en mariage. » Adages et proverbes de Solon de Voge. 26 Vous vous réjouissez avec l’un, vous vous divertissez avec l’autre. 27 Dans mon esprit inquiet. « Jalouse, fascheuse, et sugette/ À son avertin. » Godefroy. 28 Je n’en ai aucune joie. La bluette virginale des Quinze Joyes de Nostre-Dame inspirera une satire misogyne, Les quinze Joyes de Mariage. 29 Sale chien. « Où estes-vous, traistres, villains mastins ? » (Mystère de St Martin.) Mais « vilain » [paysan], qui revient à 191 et 234, n’est pas un hasard : notre farce s’appuie sur un dit de Rutebeuf, le Pet au Vilain. 30 Elle le bat vraiment (note 7). La meunière se venge de son mari qui la frappait (vers 70). « Ès jours gras de Caresmeprenant », on punissait les hommes qui se laissaient battre par leur épouse en leur faisant chevaucher un âne sur lequel ils étaient assis à l’envers. Parfois –car on théâtralisait tout– c’est « le voisin de cest homme battu par sa femme » qui jouait son rôle, et qui était « conduict sur un asne à rebours, & mené triumphant par une trouppe folastre desguisée de masques hideux & vestemens fantasques, brayant d’une voix confuse & insolente ». (Claude Noirot.) 31 Au. « Ou non de la vierge Marie. » Les Drois de la Porte Bodés. 32 Ms ajoute une réplique tirée du Povre Jouhan (vers 395) : Malade suis 33 De telles réponses (de sa femme). 34 Vous pleurez en temps utile. 35 Me frapper. 36 Réduit au silence. Cf. Science et Asnerye, vers 215. Nous disons toujours : bouche cousue. 37 Nous dirions : cette châtaigne. « Tiens ceste prune ! » Massons et charpentiers. 38 Si vous grognez. 39 Même vers dans la Farce de Pathelin, et dans les Repues franches. 40 « Il a tant appris d’un tel maistre/ Le mestier de fourbe et de traistre. » (La Miliade.) Donc, le meunier battait sa femme. C’est encore le cas dans une chanson où l’amant de la dame est aussi un curé : « Le musnier est arrivé,/ Qui a battu la musnière./ Le curé est survenu :/ –Pourquoy battez ma commère ?/ –Je l’ay battue et battray/ Car elle va au presbitère ;/ Je vous laisses à penser/ La chose qu’elle y va faire. » (C’est le curé de Lyon.) 41 Pas plus cher qu’une pomme. « Qu’el ne prise pas une pomme. » Roman de la Rose. 42 Un coup à boire. 43 Sentiment, conscience. « Empeschier/ (il) ne doit mie son sentement/ Par boire ou mengier gloutement. » Christine de Pizan. 44 Quand je serai mort. 45 À damnation. Voir Troys Galans et un Badin, vers 145-151. 46 Il est devant l’église. 47 À l’improviste. Il se dirige vers la maison du meunier. 48 « Souvent repris,/ Et de mal coustumier. » Proverbe au Vilain. 49 Si tant est. 50 Raccourci syntaxique relevant de l’anacoluthe. 51 Pareil à un cheval qui obéit au mors. « Ceus qui ont la bouche bonne, c’est-à-dire qui ne sont endurcis en leurs folies. » Dampmartin. 52 Ms : pay (Voir le vers 235.) 53 Grommelle. Rupture du schéma des rimes (il manque un vers en -ette, un en -esse et un en -ette). Même licence après 108, 199, 317 et 443. Mais la farce fut écrite en quelques jours. 54 Il entre dans la maison ; la porte extérieure donne sur la cuisine, qui jouxte la chambre. La meunière sort de la chambre, dont elle laisse la porte ouverte. 55 Une quantité. Le curé, qui aime « gaudir et rire » (vers 128) et qui ne croit en rien, fait peut-être un jeu de mots irrévérencieux : « Et qu’il vous envoie planter des culs. » N’oublions pas que la meunière était jouée par un homme. 56 La chose est sûre : il va mourir. 57 Représentation sonore des pleurs, comme au vers 184 des Sotz triumphans. 58 Sans confession. 59 Jusqu’au vers 217, il reste devant l’entrée de la chambre avec la femme. Le meunier, couché, ne peut pas les voir ; mais il entend certaines de leurs paroles et leurs baisers bruyants. 60 Je vous recommande. (Il dit ces mots en aparté.) 61 Expédié, mort. 62 Ms : perche (Mis en terre.) « Voicy Holophernes couché en terre ; et si, n’est pas sa teste avec luy. » La Saincte Bible. 63 Pu. Elle devait obéir à son époux. 64 Le meunier prononcera le mot complet au vers 146. 65 Ms : chantez 66 Jouisseuse. 67 Sans publicité. Les « prêtresses », concubines des curés, vivaient dans la discrétion pour ne pas être victimes d’un charivari de la part des jeunes gens du village. Le Mystère voue à l’enfer les « vieilles ribauldes et paillardes prestresses ». 68 Hein ? Elle menace de loin son mari qui ronchonne. 69 Début d’une chanson citée dans Marchebeau et Galop. Voir H. M. Brown, Music in the french secular theater, nº 154. Le Jeu de Robin et Marion est d’Adam de la Halle. 70 S’évertue un peu. Au décès de leur époux, les femmes riches faisaient faire une robe de deuil ; mais cela ne paraît pas être l’intention de notre veuve joyeuse. 71 Ms : dune (À une part = à l’écart : « Et metre à une part les muebles. » Continuation de Guillaume de Tyr.) 72 Il ne risque pas de bouger de là. 73 Sale vieille putain, misérable. 74 Non pas. 75 Vu les problèmes intestinaux du meunier, cette expression peut renfermer le même sens scatologique que dans Maistre Mymin qui va à la guerre, vers 313, note 125. 76 Il y a ; depuis. 77 Je le fais parler selon mon désir. 78 Des vivants. 79 Malgré moi. 80 Avez-vous de l’argent ? Cf. le vers 104. 81 Vous rabâchez. 82 Tu radotes. Elle s’approche du lit. Le curé reste à l’entrée, il ne peut être vu du malade. 83 Que je n’entends rien. 84 Il vous couchera sur le dos avec les pieds en l’air. 85 Décrit. 86 Plaidé. 87 Ms : Hee 88 C’est lui (c’est votre parent), je suis prête à parier un écu. « Le vélà, c’est il, vrayement. » Les Sotz fourréz de malice. 89 Du côté du cul. « –C’est vostre cousin,/ Bien prochain de vostre lygnage./ –Et, vertu bieu ! quel cousinage !/ C’est donc lignage de cul./ Cousin, me faictes-vous coqu ? » Le Poulier à quatre personnages. 90 Veuillez. Idem vers 389. 91 Il viendra. 92 Rapidement. (Idem vers 247 et 355.) Au-dessus, il semble manquer un vers en -ine, et un en -ment. 93 Il enlève sa soutane, et met une robe et un chapeau appartenant au meunier. 94 Pour atteindre notre but. 95 Vous salissez mon honneur. 96 Je jouis : si je guéris. 97 J’en débarrasserai le pays : je la tuerai. 98 Ms : gouste (Même si cela me coûte la vie.) 99 « –S’en est-il alé ? –Paix ! j’escoute/ Ne sçay quoy qu’il va flageolant. » Farce de Pathelin. 100 Qu’on le mette dans de bonnes dispositions en faisant le « boute-en-train ». Le curé entre dans la chambre. Il modifie sa voix pour n’être pas reconnu par le meunier. 101 Même vers dans Pernet qui va au vin, où la femme fait passer son amant pour le cousin du mari, comme ici. 102 Ce rustre (cf. le villain de la note 29). « Tousjours quelque besongne entame,/ Dont ne peult ce gros Lymosin/ Sortir qu’à sa honte et diffame. » Clément Marot. 103 Où avez-vous mal ? Il appuie sa main sur le front du malade. 104 Sera bien reçue. 105 De douleur. 106 Arrangez mon oreiller. 107 Boit vin. C’est un personnage des Vigilles Triboullet, qui montrent aussi un mourant alcoolique. Dans les Queues troussées, on chante : « Crocque-la-pie se marie. » 108 Il paraît manquer un vers en -pie, de même qu’un vers en -voir après 247. 109 Oui, vraiment. 110 Pardon. 111 Ms : commande 112 S’améliore. 113 Qui vous transmet ses amitiés. 114 Étant athée, je ne me parjure pas si je jure sur ma foi. 115 Béatrice. Cf. Frère Guillebert, vers 57. 116 Pénis : « (Je) vous pri/ Qu’au-dessoubz de vostre sainture/ Me laissez de la turelure/ Et de ma chevrette [verge] jouer. » (Eustache Deschamps.) Ce mot, qui désigne au sens propre une cornemuse dans laquelle on souffle, pourrait bien être à l’origine de la turlute [fellation] : l’homosexuel Cambacérès aura pour sobriquet « tante Turlurette ». Au XVe s., Jennin Turelurette et Robin Turlure étaient des noms de cocus. 117 Prénom féminin : « Je te prie, Mélot m’amie,/ Aime-moy à fond. » L’autrier, jà piéçà. 118 Qui ont pris possession du chemin : qui se sont mises en route. 119 Je me porte très mal. 120 Vous distraire. 121 Pénible. 122 La renchérie, la difficile. « Sans faire la renchière,/ Je vous remercye humblement. » Mystère de St Martin. 123 Une chaire, une chaise. 124 Ainsi, il s’assiéra. 125 Et même. 126 À Dieu. 127 Oui (vers 19). Mais de la part de cet ivrogne, on peut comprendre : « Un verre ! » Cf. le Gaudisseur, vers 26. 128 Goûté. « Le pasté/ De quoy je n’ay oncques tasté. » (Farce des III nouveaulx martirs, F 40.) On trouve les mêmes rimes dans la Farce du Pasté (F 19), mais elles sont différentes dans le Mystère des Trois Doms : « Lucifer en aura pasté/ Pour souper, à la sibollette./ Oncques de tel ne fust goutté. » 129 En quantité. Les religieux ne refusaient jamais de goûter au « sang du Seigneur ». 130 Avec votre permission, je resterai debout. 131 De grimaces, de manières. Visiblement, le curé n’est pas très à l’aise. 132 De retard. Il s’assoit près du lit, et se penche sur le malade. La meunière n’entend pas ce qu’ils se disent. 133 Le meunier a parfaitement reconnu le curé, et il veut le mettre dans l’embarras. 134 Une certaine mésaventure. 135 Les meunières sont très convoitées. Celle du Poulier à sis personnages l’avoue : « Les maistres de nostre moulin/ Sont fort amoureulx de mon corps. » 136 De perplexité. « Tant suis en grant proplexité. » Mystère de St Martin. 137 Le curé se trahit en laissant échapper un terme liturgique. 138 La cause de mon malheur se trouve là. 139 Ne le répétez pas. 140 Pour une fois, il est sincère. 141 Vers manquant, que je reconstitue sous toutes réserves à partir des vers 46 et 124. 142 Pas plus gros qu’une fourmi : « Le cueur n’ay si grox c’un fremy. » Mystère de St Martin. 143 « Icy se commence à monstrer Luciffer, faisant cris et hurlemens orribles. » (Début du Mystère.) Un décor grand-guignolesque représente l’Enfer. Du bruit et de la fumée s’en échappent. Les diables sont tapis dans des trous qu’on appelait des secrets : « Icy sortent les deables de leurs secretz, l’un cy, l’autre là, avecques feu et fouldre orrible, crians et braillans. » (Mystère de saint Martin.) 144 Il englobe le public parmi les démons, de même que les acteurs de sotties considèrent que leur auditoire est composé de fous. 145 Cruels. Le Mystère affirme que le futur saint, qui est encore officiellement païen, est « fier, fort, félon, fringant, adventureux ». La lettre F, qui symbolise le feu et l’enfer, est éminemment diabolique. Dans la Vie et passion de monseigneur sainct Didier, un démon s’écrie : « Fayson feu, forte belle flame !/ Fine finesse fantasticque/ Faulcement mon faulx cueur enflame. » Dans le même Mystère, un possédé hurle : « Félonnie, fureur fantasticque,/ Feu flamboyant, fière finesse,/ Forte fumée frénéticque,/ Force faillant, fade foiblesse/ Font forger faulcheuse détresse ! » 146 Ms : produyre (« Le diable tente (…) pour nous induire à mal, pour nous perdre & damner. » Pierre Viret.) 147 Vous devez vous réjouir. Cf. les Sotz qui remetent en point Bon Temps, vers 48 148 De vous amuser à faire le mal. 149 Que je brise mes fers. D’après l’Apocalypse, Lucifer a été enchaîné dans un gouffre. Il s’en plaint au v. 5451 du Mystère : « J’enraige, maulgré Dieu, du lyen ! » La chaîne est assez longue pour qu’il puisse franchir la grille de l’enfer : « [Luciffer] sort d’Enfer, faisant grant feu, fumée et grant tonnerre. » (Mystère de St Martin.) Mais pour aller corrompre les humains, il est tributaire de ses diables. 150 De ce caverneux enclos : « Puys infernal, dampné gouffrineux roc. » (Mystère de St Martin.) La lice est également le filet du diable : « C’est li Maufé [le diable] qui là nous maine,/ Qui tant nous fait plongier ès vices/ Qu’il nous enclot dedanz ses lices. » (Bestiaire divin.) 151 Sans chercher plus loin. 152 A déjà une charge. Les diables sont débordés par le nombre croissant des pécheurs. 153 D’édifier une nouvelle fonction. 154 Le temps. 155 … du travail que j’ai déjà. 156 Je dois faire des prodiges. 157 Mes magouilles. « En son faulx tripotaige. » Mystère de St Martin. 158 En peu de mots. Bérith est un jeune diablotin qui débute et n’a pas encore d’attributions. 159 Sale et immonde. 160 Franchement. 161 Dans notre abîme profond. 162 « Ainsi leur sort l’âme par le cul. » Rabelais, Quart Livre, 43. 163 Sans délai. 164 Ms : jey ray (Ou bien irai-je normalement ?) 165 Le curé. Il retourne dans la cuisine, enlève la robe et le chapeau, remet sa soutane et prend son bréviaire. 166 Invisible des autres personnages, le diablotin entre dans la chambre par le rideau de fond. Il tient un sac de cuir, comme le précise Rutebeuf dans le Pet au Vilain : « Un sac de cuir au cul lui pent. » Un sac de toile n’aurait pas convenu pour du son mouillé (note 204). Dans la Vie de sainct Christofle, un diable emporte aussi l’âme d’un meunier dans son sac (vers 11-13). 167 Voilà ce qu’il me faut. 168 Je vais vous soulager de votre âme. 169 Prendre : « Je poursuivray mes ennemys et les comprendray. » (Godefroy.) Bérith s’exclame donc : Il faut que je prenne place sous son lit. Certains lisent « prandre », avec une rime du même au même, alors que ce mot est précédé par un 9 tironien, l’abréviation latine de « cum », qui, dans les inscriptions gothiques, abrège traditionnellement « con- » et « com- ». 170 Il revient dans la chambre. Il reprend sa vraie voix. 171 Sur la même chaise que tout à l’heure. 172 Le meunier est si peu pratiquant qu’il ignore tout de la confession. Même cas de figure dans le Testament Pathelin, vers 325-332. 173 Deviner. 174 Même vers dans le Testament Pathelin, v. 151. 175 J’y ai toujours œuvré. 176 Buveurs. « Quel vray champion de taverne ! » Sermon joyeux de bien boire. 177 Au bout du compte. 178 Quelque argent que cela m’ait coûté. 179 Vin et moulin sont réunis dans un dicton bourguignon, sous l’égide de St Martin : « À la Saint-Martin, bois ton vin/ Et laisse l’eau courre au moulin. » 180 Un croc-en-jambe, une tromperie. « Comme elle luy a bien donné soudain la trousse, faisant ceste moquerie de vous et de moy ! » François d’Amboise. 181 De blé valant plus d’une pièce d’argent. 182 Par crainte des vicissitudes. 183 Avec une dosette. 184 Il emploie au sens littéral l’expression « Tirer d’un sac double moulture : double proffit d’une mesme chose. » (Antoine Oudin.) Gargantua <chap. 11> « tiroyt d’un sac deux moustures, faisoyt de l’asne pour avoir du bren. » Les particuliers portaient au moulin leur blé à moudre <Tout-ménage, v. 19>. Les meuniers malhonnêtes (pléonasme !) en détournaient discrètement une partie, comme au vers 67 du Sermon joyeux des quatre vens. Ensuite, pour retrouver le poids, ils ajoutaient du son à la farine <v. 426>, ou même de la cendre <les Rapporteurs, vv. 245-7>. 185 Je commis des détournements. En coupant des rabats trop larges, les couturiers malhonnêtes (encore un pléonasme !) volaient une partie de l’étoffe que les clients leur confiaient. On appelait cet escamotage une bannière. Cf. le Cousturier et Ésopet, ou le Cousturier et le Badin. En 1555, les Comptes du monde adventureux narreront les malversations d’un « cousturier qui avoit acoustumé de faire sa banière », et qui, « prenant un moulin à ferme, de cousturier se fist musnier ». 186 En somme. 187 Favoriser. 188 Le bran désigne la partie du son la plus grossière ; mais c’est aussi la merde, comme on le verra plus loin. 189 Le Mystère donne ce vers dans son intégralité (v. 6567). 190 Qui éclaire les humains. À ce stade, le curé fait le signe de la croix. Dans le Mystère, dès que quelqu’un se signe, tous les diables s’enfuient en hurlant ; mais le curé est tellement dépourvu de la grâce divine, que Bérith ne le craint pas du tout. 191 Arrive à son terme. 192 Que cela vous fasse bon profit ! Cf. les Sotz escornéz, vers 142. 193 Le redoublement du fy permet de combler la mesure, et de faire un jeu de mots sur « maistre fy-fy », le surnom des vidangeurs, qu’on invoquait en présence d’excréments : « Maistre Fyfy, je croy que j’ay/ Le cul aussy foireux qu’ung geay. » (Jehan Molinet, Mistère de saint Quentin.) Même jeu de mots vers 459. 194 Une cruche. 195 Une casserole. Cf. Colin qui loue et despite Dieu, vers 443. « Deux poilles et une casse de fert, un mortier avec son pillon. » (Inventaire fait après le décès de Brantôme.) Les éditeurs de la farce ont tous lu « une tasse ». 196 Admis. 197 Vos aises. 198 Dans les airs. 199 Devant la grille de l’Enfer. 200 J’ai des raisons de me réjouir. Ce vers est un écho du vers 42. 201 J’ai causé tant de mécontentement (au meunier). 202 Un petit peu. 203 Un chaudron pour faire bouillir l’âme. 204 Le son mouillé a la même couleur et la même consistance que les excréments (note 188). 205 C’est mon avis. 206 En voici. Le vers suivant est perdu. 207 Afin d’aérer. 208 Il nous l’a baillée belle ! « Vrayement, il la baille bien verte ! » Pernet qui va à l’escolle. 209 Exclamation favorite des diables. Dans le Mystère, ils hurlent à plusieurs reprises : « Brou ! brou ! ha ! ha ! » C’est l’origine du brouhaha. Cf. les Sotz ecclésiasticques, vers 116. 210 Employé. « Vellà commant mon temps est recouvert. » Mystère de St Martin. 211 Fourni (de coups). 212 Maintenant que je te fais grâce. 213 D’y revenir, de recommencer. 214 Devant ou de côté : d’une manière ou d’une autre. 215 Le copiste a d’abord écrit (puis biffé) : perdre la vie 216 Je défends que nul démon.