LA CONFESSION DU BRIGANT AU CURÉ

Biblioteca Apostolica Vaticana
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LA CONFESSION DU BRIGANT
AU CURÉ
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Ce dialogue normand1 du XVIème siècle présente une particularité : le prêtre ne succombe ni au péché de luxure, ni au péché de gourmandise ; seul le péché d’avarice lui est imputable. Dans une forêt obscure, un bandit de grand chemin réclame sa bourse à un curé, qui la prétend vide, mais qui accepte de confesser le brigand. Celui-ci, à genoux aux pieds du curé, vide peu à peu la sainte bourse, tout en commentant son forfait dans les termes d’une confession en règle.
Source : Recueil de Florence, nº 10.
Structure : Rimes embrassées, rimes plates, rimes croisées. Les 44 derniers vers, dans un état désespéré, semblent avoir été reconstitués de mémoire.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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Farce nouvelle du Curé et du Brigant
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À deux personnaiges, c’est assavoir :
LE BRIGANT
LE CURÉ
La Confession
du Brigant au Curé
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LE BRIGANT commence SCÈNE I
Je suis desconfit de quinquaille2,
Tout mon argent est despendu3.
À malle hart4 soit-il pendu,
Qui soustient ne denier ne maille5 !
5 Or n’est-il riens qui ne me faille,
Et [n’ay] grant planté6 d’escuz vieulx.
Ma robbe a le ventre creux
Depuis que je n’ay eu nul gaige.
Tout me fauldra7, en mon mesnaige :
10 Du pain, du lart et du fourmaige.
Je ne le tiendray pas à saige,
Qui8 passera ains que je couche.
LE CURÉ SCÈNE II
Voicy la feste qui s’approuche
De Pasques ; et pource, à ma cure
15 Je veulx aller à l’aventure
Confesser mes paroissiens,
Car ilz sont si trèsnégligens
Que ce n’est que toute ignorance.
Pour acquiter ma conscience,
20 La Dieu mercy, je suis tout prest.
Aller me fault sans nul arrest ;
Et si, convient que [me haston]9.
Mais ung homme sans baston
Est à la mercy des chiens10.
25 Or avant ! Je ne crains [plus] riens.
Dieu me conduye, et Nostre Dame !
LE BRIGANT SCÈNE III
Par la croix bieu ! il ne passe âme.
Je ne fois icy que morfondre…
Je prie à Dieu qu’il me confonde
30 Si je ne voy là quelque proye.
Ho, ho ! Il convient que je voye
S’il y a point de compaignie.
Sang bieu ! vous y perdrez la vie
Tantost, domine Curate11.
LE CURÉ SCÈNE IV
35 Je me suis [assez tost]12 hasté,
Je seray bientost à mon estre13.
LE BRIGANT 14
À mort ! à mort ! Demourez, prestre :
Il fault retourner par-deçà15 !
LE CURÉ
Hélas, hélas ! Et ! qu’esse-là ?
40 Pour Dieu, ne me faictes nul mal !
LE BRIGANT
[Vient-on]16, à pié ou à cheval ?
LE CURÉ
Je n’ay veu âme. [Quel tourment]17 !
LE BRIGANT
Vous avez peur, maistre gallant18 ?
LE CURÉ
Je cuydoye premièrement
45 Que ce fussent mauvaises gens ;
Mais [voy que] non sont, Dieu mercy !
LE BRIGANT
Jamais ne partiray d’icy
Que n’aye compté vostre monnoye.
LE CURÉ
(C’est donc pis que [je] ne cuydoye.)
50 Las, ne me faites nul effors !
LE BRIGANT
Je te mettray la dague au corps,
Par la chair Dieu, se tu dis mot !
LE CURÉ
Nenny, je ne suis pas si sot ;
Il n’en sera jamais nouvelle19.
LE BRIGANT
55 Çà, de l’argent !
LE CURÉ
Il n’y a rouelle20,
Par le Dieu qui me fist21, en ma tasse.
LE BRIGANT
Parle bas, [de peur] qu’i ne passe
Quelq’un qui face empeschement.
LE CURÉ
Vous dictes vray, par mon serment ;
60 [Desjà] je l’avoye oublié.
J’ay mon argent tout employé
Au luminaire de la feste.
LE BRIGANT
Par le sang bieu, ribault [de] prestre,
Vous chanterez d’autre martin22 !
LE CURÉ
65 Je vous don(ne)ré ung pot de vin,
Beau sire, et soyons amys.
LE BRIGANT
Baille des escus cinq ou six :
Tu n’auras garde qu’on [les t’emble]23.
LE CURÉ
Je n’en vis oncques tant ensemble,
70 Par Dieu qui me fist, en ma bource.
LE BRIGANT
S’il convient que je me courouce…
LE CURÉ
[Ce me]24 seroit une grant peine.
LE BRIGANT
Voicy desjà25 longue sepmaine
Que je veulx estre confessé.
LE CURÉ
75 A ! par Dieu, tout sera laissé
Devant que je ne vous confesse.
Or sus, mectez-vous à vostre aise,
Debout, assis, agenoillé26,
Et dictes : « Benedicite,
80 Dominus27. »
LE BRIGANT
Dy-le pour moy, [don28].
LE CURÉ
Benedicite… Sempiternum…
[Et] spiritus sancti… Amen !
Or, dites donc : « Je me confesse. »
LE BRIGANT
85 Dy-le pour moy.
LE CURÉ
Je me co[n]fesse
À Dieu31.
LE BRIGANT
Et maulgré bieu du villain prestre32 !
T’en veulx-tu desjà aller [paistre] ?
LE CURÉ
C’est ung mot de confession.
LE BRIGANT
Par la mort ! sans rémission
90 Je te tueray, se tu quaquettes.
LE CURÉ
Or sus, dictes voz besongnettes33 :
Avez-vous prins rien de l’autruy34 ?
LE BRIGANT
[Se j’ay prins ?] Et ! morbieu, ouÿ :
Quant je jou[o]ye aulx espinettes35
95 Avec[ques] les belles fillettes,
Je leur ostoye leurs espilles36
Et les donnoye à d’autres filles.
LE CURÉ
Or Dieu le vous pardoint, [beau] sire !
Comment vous va du péché d’ire37 ?
100 Vous courro[u]cez-vous voluntiers ?
LE BRIGANT
Quant je vois38 parmy les santiers,
[S’]une ronce ou une espinette
Me happe parmy ma jambette,
Incontinent je maulgroye Dieu
105 Et la couppe par le mellieu ;
Voire tout bas39, sans mot sonner.
LE CURÉ
Dieu le vous vueille pardonner !
Mais d’argent prendre, il s’en fault f[r]aindre40.
LE BRIGANT 41
Si fois-je, quant n’y puis actaindre.
LE CURÉ
110 C’est bien fait, car Dieu s’en courrouce.
Avez-vous point, voyant42 la bource
À ces gallans, et joué de « force »43 ?
LE BRIGANT
Nenny, [pas encore, par Dieu]44.
LE CURÉ
Or sus, faicte[s] bien vostre deu45 ;
115 Il faul[t] laisser, chascun, son fais46.
LE BRIGANT
Par le sang bieu, je suis emprès ;
Encor(e) ne fais que commencer.
LE CURÉ
Il vous fault trèsbien [a]penser
À mettre tout hors, mon amy.
LE BRIGANT
120 Aussi fais-je tant que je puis,
Mais le pertuis47 est trop petit.
LE CURÉ
Ce sera [pour] vostre prouffit,
Mon amy : ne laissez rien.
LE BRIGANT
[Pour] mon prouffit ? Par sainct Julien,
125 Au moins y ay-je espérance !
LE CURÉ
N’avez-vous pas en Dieu fiance ?
Dea ! ne vous hastez48 qu’à vostre aise.
LE BRIGANT
Nenny dea, je suis bien aise.
Vous fais-je point de desplaisir ?
LE CURÉ
130 Nenny non, faictes tout à loisir ;
De vous amender j’ay grant joye.
LE BRIGANT
Je vaulx mieulx que je ne faisoye
Des escus, par Dieu, plus de six49.
LE CURÉ
Vostre confession, beau filz,
135 Elle doit estre parfaicte.
LE BRIGANT
El(le) sera, par Dieu, toute nette,
Se je puis, avant que [je cesse]50.
LE CURÉ
Dea, il ne fault pas que l’en laisse
Aucuns péchés : n’en laissez nulz.
LE BRIGANT
140 Je prens les grans et les menus,
Certes, j’en foys bien mon effors.
LE CURÉ
Dieu vous sera miséricors.
Or çà, savez-vous autre chose ?
LE BRIGANT
L’autre jour, il y a grant pose51,
145 On avoit mis ung gras confit52
À la gelée53, toute [une] nuyt ;
Et je le prins.
LE CURÉ
[C’est bien forgé]54 !
LE BRIGANT
Par le sang bieu ! je le mengay
Sans sel55, dont je m’en confesse.
LE CURÉ
150 Or çà, oyez-vous point la messe,
Au dimenche, quant elle sonne ?
LE BRIGANT
Je l’oy bien d’où je suis.
LE CURÉ
[Grant somme
Avez]56, mais que faites vous tousjours ainsi ?
LE BRIGANT
J’en ay beaucoup, [la] Dieu mercy57 !
LE CURÉ
155 Or mon amy dictes, après, [vos reliques58],
Sans [me] faire tant de répliccques.
LE BRIGANT
Je mengay l’autre jour des trippes
D’une59 tripière, [à fines lippes]60 ;
Et luy abbatis [sa tripière]61
160 Tant que la gresse cheut à terre.
Et [j’ay] laissé là son62 couteau.
LE CURÉ
Dea, nous en sommes bien et63 beau !
Confession est-elle faicte ?
LE BRIGANT
Par le sang bieu ! elle est [bien] nette :
165 Je ne sçay en [tout mon couraige]64
Plus riens seul, s’il n’est bien sauvaige65.
LE CURÉ
C’est vostre prouffit, j’ay66 fiance.
LE BRIGANT
Or sus doncques, que l’en s’avance67 !
LE CURÉ
Il vous fault avoir pénitence,
170 Pour des68 péchéz pardon avoir69.
LE BRIGANT
Monsïeur, vueillez y penser :
Car si vous me baillez grant charge,
Je ne la sçauroie porter70.
LE CURÉ
…………………. Ego asvote71…
175 De la crouste d’ung pasté72…
Sicut erat… Sempiternam…
[Et] spiritu sancti… Amen !
LE BRIGANT 73 SCÈNE V
Sire Morise, mon amy,
[De grant sens vous estes garny]74.
LE CURÉ
180 Vertu bieu ! je [chante mercy]75
Que je n’é pas laissé l’endosse76.
Morbieu ! se je reviens par cy…
Je m’en vois à mon sacerdoce77,
Confesser mes parroisiens.
185 Prenez en gré l’esbatement !
Sire Dieu [vous donne tous biens]78 !
Adieu vous dy pour maintenant.
FINIS
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1 Comme d’habitude, les particularismes normands n’ont survécu que dans les rimes : vers 16 et 17, 22 et 23, 111 et 112, 113 et 114, 170 et 171… Mais il nous reste un couplet sur les tripes, spécialité normande ! 2 Cliquaille, monnaie. 3 Dépensé. 4 À une maudite corde. 5 Celui qui a des deniers ou des piécettes. 6 Quantité. Les écus vieux furent décriés le 5 décembre 1511. 7 Me fera défaut (verbe faillir, vers 5). 8 Celui qui passera avant que je ne me couche. 9 F : ie me haste (Tournure normande : « Je n’avons pas putost eu gagé, que j’avons vu les deux hommes tout à plain. » Molière, Dom Juan, II, 1.) 10 Il ramasse une branche morte, et l’utilise comme canne pour marcher et se défendre pendant le long trajet entre son presbytère et la cure où il officie. Les villes se trouvaient dans la forêt, alors peuplée de chiens sauvages, de loups, et de détrousseurs. 11 Monsieur le Curé. C’est du vrai latin, contrairement à celui que va écorcher le curé. 12 F : asses toust 13 À destination. 14 Il surgit de derrière un arbre. 15 Par ici, vers moi. Il attrape le curé qui s’enfuyait. 16 F : Vient il (Est-ce que quelqu’un d’autre vient ?) 17 F : quelconques (« N’y est-elle point ? Quel tourment ! » Farce des bottines Gaultier, F 9.) 18 Les prêtres avaient une réputation de séducteurs. 19 F : nouuoelles (Je n’en parlerai à personne.) 20 Aucune pièce de monnaie. 21 Même expression au vers 70. Tasse = bourse : « Prens dix escus en ma tasse. » Le Ramonneur de cheminées (F 30). 22 Vous changerez de ton. « Bientost vous ferai d’autre martin chanter. » Godefroy. 23 F : le lemble (Tu ne craindras plus qu’on te les vole.) 24 F : Se (On se demande si le curé plaint le brigand ou son argent.) 25 F : la 26 F : ou a genoulx (Cf. la confession du Nouveau Pathelin : « –Çà, dictes, sans plus vous brouiller,/ Tout premier Benedicite…./ –Seray-je cy agenoillé ? » 27 Nombreux points communs avec la confession du Testament Pathelin (notamment les vers 327-330), et la confession du Munyer (vers 390-391). 28 Donc. On plaquait parfois cette rime commode à la fin d’un vers bancal : « Il suffist, je n’en dy rien, don. » Maistre Pierre Doribus. 29 Il faut comprendre Sursum corda [élevons nos cœurs]. Le curé a tellement peur qu’il mélange et estropie les textes liturgiques. Voir la note de Gustave Cohen, Recueil de farces françaises, p. 82. 30 F : predicale (qui ne rime pas. Emprunt classique à saint Augustin : divino eloquio praedicatam = prêchée par une éloquence divine — que ne possède visiblement pas notre pauvre curé de campagne.) Prédicatan rime avec aman, de même que le sempiternon du vers précédent rime avec don. 31 Le brigand comprend « Adieu ! », et croit que le curé va s’en aller. On trouve exactement le même jeu scénique dans la farce de Celuy qui se confesse à sa voisine (F 2), vers 403-405. 32 Maudit soit ce vilain prêtre ! « Maugré du vieux ! » Farce de la Cornette. 33 Vos petites affaires. Double sens érotique (besogner = coïter) : « Vous sçavez bien la besongnette…./ Une autre foys, en la couchette,/ Nous jouerons entre deux draps. » Farce de Jolyet (BM 5). 34 Du bien d’autrui. Cf. la confession du Testament Pathelin, vers 388. 35 Espine = pine, pénis. « Dame Proserpine/ Fust espinée de l’espine/ Qui est en ta brague cachée. » (Rabelais, V, 46.) On peut comprendre : quand je faisais l’amour. 36 F : espingles (Les espilles sont des épingles qui fermaient les robes : « S’il choit à la dame une espille. » XV Joyes de mariage.) 37 La colère est un péché capital. 38 Vais. 39 Silencieusement. 40 Se retenir (Godefroy). Le curé estime moins grave d’enfreindre le deuxième Commandement (« Tu ne prendras point le nom du Seigneur ton Dieu en vain ») que le septième (« Tu ne desroberas point »). 41 À partir de là, le brigand à genoux entrouvre discrètement l’aumônière du curé, puis en sort les pièces une à une. Le curé lui parle de sa conscience qu’il doit vider de tout péché, mais le brigand parle de la bourse du curé, qu’il vide de ses écus. 42 F : veu en 43 Les forces étaient les ciseaux des coupeurs de bourses. Voir l’édition Koopmans, p.176, note 32. 44 F : par dieu pas encore (Cf. Koopmans, note 33.) 45 Votre devoir. « Diu » rime avec « dû », à la manière normande. 46 Chacun doit laisser son fardeau moral. Le brigand songe plutôt à un fardeau métallique. 47 Le goulot de ma conscience. (Et l’ouverture de votre bourse.) 48 F : hastrs 49 Je vaux 6 écus de plus que je ne valais avant de me confesser. 50 F : la laisse (Rime du même au même.) 51 Il y a longtemps. 52 F : chappon 53 À la campagne, on laissait refroidir les plats chauds sur une fenêtre, pour le plus grand plaisir des chapardeurs. 54 F : Dea iulfhange (C’est bien combiné.) 55 Goulûment, comme le chat de Renart le nouvel quand il dévore un héron « sans nape et sans sel ». 56 F : Par dieu vous auez grant somme (Vous avez tellement sommeil, que vous restez couché au lieu d’aller à l’église ? Le brigand va équivoquer sur les sommes d’argent. Cf. Koopmans, note 49.) 57 Même exclamation au vers 20. Cf. la Seconde Moralité de Genève, vers 129. 58 Le reliquat, le reste. « S’il y a encores en vous quelques reliques de l’amour passée. » Marguerite de Navarre. 59 F : A une (Vers trop long.) Les tripières vendaient au marché des tripes chaudes que les clients consommaient sur place, dans une écuelle ou une chope : « Demandé luy ay du brouet [sauce],/ En mon escuelle, de ses trippes. » (Farce de la Trippière, F 52.) « Je payeray choppine de tripes. » (Le Disciple de Pantagruel.) À défaut, on versait les tripes dans un cornet de papier fort : « Ma besace sera gastée,/ Se ne le metez au cornet. » (Un Aveugle, son varlet et une tripière, LV 13.) Les tripières de la littérature comique sont toujours victimes de resquilleurs, comme dans les Repues franches de maistre François Villon. 60 F : qui passoit (« Regardez là quelz fines lippes/ Pour tesmoigner d’ung plat de tripes. » Le Capitaine Mal-en-point.) 61 F : son bacquet (Tripière = large pot en terre cuite muni d’un petit couvercle.) 62 F : mon (Je me suis enfui avant qu’elle me poignarde.) Le redoutable couteau à double tranchant des tripières était passé en proverbe : « L’Évangile est un cousteau de tripière, qui coupe des deux costéz. » Satyre Ménippée. 63 F : el (Ce « nous » de majesté désigne le curé lui-même, qui regrette charitablement que la tripière n’ait pas tué le brigand.) 64 F : ma conscience (Dans mon cœur, dans mon âme. « Ce sont choses (…) qui moult me grièvent et poisent en mon courage. » Froissart.) 65 Je n’ai pas laissé un sou, à moins qu’il n’ait des griffes. 66 F : Se ie ny ay part iay 67 Qu’on en finisse. 68 F : vos 69 Rime normande : avèr rime avec pensèr. Cf. Pates-ouaintes, vers 420 et 422. 70 Il faudrait une rime en -arge, ou à la rigueur en -age. 71 Ego absolvo te [je t’absous]. Pressé d’en finir, le curé recommence à dire n’importe quoi (note 29). 72 « De la croûte » évoque Juxta crucem [près de la croix], et « D’un pâté » rappelle Deus Pater [Dieu le Père]. 73 Il s’éloigne en se parlant à lui-même. On apprend qu’il se nomme Maurice. 74 F : Vous estes garny de grant sens 75 F : eschape bien aucy (Chanter merci = rendre grâces à Dieu.) 76 Le bas du dos : le curé se félicite de ne pas s’être fait violer ! Voir le glossaire des Ballades en argot homosexuel de Villon <édition de Thierry Martin>. D’après le Dictionnaire érotique de Pierre Guiraud, « se faire endosser » = se faire sodomiser. 77 F : avanture (Réminiscence des vers 15-16.) 78 F : le vous pardonne (Encore une fois, ces « biens » sont plus terrestres que spirituels.)
LES SOTZ ECCLÉSIASTICQUES

Recueil Trepperel
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LES SOTZ ECCLÉSIASTICQUES
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Cette sottie anticléricale fut peut-être composée en 1511. Trois parvenus ont acheté des charges ecclésiastiques1, et les jouent aux cartes en éructant des propos sacrilèges. « Les plus grans blasphèmes se desgorgent ordinairement ès jeux de cartes et de déz. » (Henri Estienne.) Les Sots vivent sans Dieu depuis que les Psaumes 13 et 52 ont fait dire à l’insipiens [au fou] : « Non est Deus ! » [Dieu n’est pas. = Il n’y a pas de Dieu.] Cet épisode a beaucoup influencé l’iconographie médiévale.
Source : Recueil Trepperel, nº 14.
Structure : ababbcbc, avec 5 quatrains en abaB.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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Sotie nouvelle à quatre personnages trèsexcellente des
Sotz ecclésiasticques
qui jouent leurs bénéfices au content
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C’est assavoir :
LE PREMIER SOT
LE SECOND SOT
LE TIERS SOT
HAULTE FOLLIE 2
*
LE PREMIER SOT commence SCÈNE I
Soctars,
LE SECOND SOT
Soctereaulx,
LE TIERS SOT
Socteletz,
LE PREMIER
Les vrays filz de Haulte Follie ;
LE SECOND
Sotz approuvéz,
LE TIERS
Fermes folletz ;
LE PREMIER
Et nous meslons
LE SECOND
De symonye,
LE TIERS
5 De faire [toute] mocquerie3,
D(e) éveschéz ;
LE PREMIER
Ce sont noz praticques.
LE SECOND
Nous sommes (puisqu’il fault qu’on die)
[Les] vrays Sotz ecclésiasticques,
LE TIERS
Suyvant les garces4 erraticques
10 Quant on les treuve en quelque lieu.
LE PREMIER
Que vault ton esveschier, par Dieu ?
LE SECOND
Sans me partir de ceste ville,
On m’a apporté quinze mille5.
LE TIERS
Quinze mille ? Dieux !
LE PREMIER
Quinze mille ?
LE SECOND
15 Et en vault tant sans ce qu’on pille
Sur les seaulx des collacions6.
LE PREMIER
Voire, qui ne sont pas esgalles.
LE SECOND
Ce sont grandes exactions
Contre toutes noz Décrétalles7.
LE PREMIER
20 Grimault8 nous tiendra en ses salles.
LE SECOND
Il fault que tout rompe ou dessire9.
LE TIERS
Les coustumes sont [si] trèsmalles
De vendre tant ung peu de cire10.
LE PREMIER
Je ne dy pas qu’on ne retire
25 Son droit ainsi et ainsi[n]11.
LE SECOND
C’est ung mal de [tous] maulx le pire12,
Et une grande larrecin13.
LE TIERS
Fault-il, pour ung seau et [ung] sin14…
LE PREMIER
Ta[i]s-toy !
LE TIERS
Pour Dieu, que je le dye !
LE SECOND
30 Escoutons jusques en la fin.
LE TIERS
Rien, c’est trop clère simonie.
Je voue à Dieu, se l’en m’en prie,
D’aller au Conseil15 de Lyon.
Qui qu’en parle ne qui qu’en rie16,
35 Je le mettray in médium17.
LE PREMIER
Tousjours nous nous humilion.
LE TIERS
Par noz humiliacions,
On réduira in nichillium 18,
En brief, noz nominations.
LE PREMIER
40 Traitons19 quelque[s] transations
À passer temps.
LE SECOND
Qu’on s’y employe !
LE TIERS
Pensons-y.
LE PREMIER
Çà donc, advisons !
Il est la saison qu’on folloye.
LE SECOND
Je vous veil racompter d’une20 oye
45 Qui (ou [que] saint Anthoine m’arde !)
A ponnu21 près les murs de Troye
Ung euf plus gros q’une bombarde.
LE TIERS
Tu mens bien : c’est ung euf d’austarde22.
LE SECOND
Et si, y a une fontaine
50 Où sourd maintenant la moustarde.
LE PREMIER
Il y a ta fièvre quartaine !
LE TIERS
Parlons qu’ès23 pays d’Aquitaine,
Une cingesse a esté veue,
Qui e[u]t, par messure24 certaine,
55 Quatorze cens lances toises de queue.
Et plus fort : quant el(le) se remue,
El y va de si grant estoc
Que les cogs25, au long d’une lieue,
Chantent de peur : « Coquericog ! »
LE SECOND
60 Tu souffles d’abhic et d’abhoc26.
LE PREMIER
Mais anquéron27, je vous en prie,
Que fait en Paradis Énoc
Et son bon compaignon Hélye28.
LE SECOND
Mais com ung homme d’Itallye
65 A montay (dont je m’esmerveil)
Ès cieulx atout29 une poullye
Pour pisser contre le soleil30.
LE TIERS
Vécy ung doubte nompareil
S(e) ung Sot qui a la teste socte
70 Doit31 pas mener terrible dueil
Quant il a perdu sa marocte.
LE PREMIER
Vous compteray-je de la crocte
D’une souris de Barbarie,
A[u]ssi grosse q’une pelocte32 ?
LE SECOND
75 Cela, ce n’est [que] mincerie33.
LE TIERS
Qui sçaura34 donc m[i]eulx, si le die.
LE PREMIER
Vous diray-je…
[LE SECOND]
Allons de ce pas
Requérir à Haulte Follie
Qu’el nous conseille nostre cas.
.
LE PREMIER SCÈNE II
80 Honneur !
LE SECOND
Déduit !
LE TIERS
Joye !
LE SECOND
Soulas !
HAULTE FOLLIE
Qui estes-vous ? [………….. -ie.]
LE PREMIER
Et ! ne nous congnoissez-vous pas,
Nostre mère Haulte Follie ?
HAULTE FOLLIE
Certes, je ne vous congnois mye.
LE PREMIER
85 Nous sommes Sotz si vollaticques35,
LE TIERS
Vrays Sotz,
LE PREMIER
Vrays enfans de Sottie,
LE SECOND
Voz vrays Sotz ecclésiasticques.
HAULTE FOLLIE
Hommes sotz, propres et mist[icqu]es :
Il n’y a point, certainement,
90 De Sotz qui soient plus autenticque[s],
D’Orient jusqu’en Occident.
Vous estes mes Sotz, voirement.
Mais je ne vous congnoissoyes plus,
Car vous estes, pour le présent,
95 Merveilleusement disollus.
Jamais ne vous eusse congneuz.
N’eusse point en36 intention
Que vous fussiez oncques venus
À si grant dissollucion.
100 Quel est la cogitation
Et la cause de la venue ?
LE TIERS
Nous voullons passer la saison37 ;
Enseignez-nous, ma mère deue38,
LE PREMIER
Joyeuseté entretenue.
105 Car quoy ! nous sommes gros et gras,
Nourris comme chappons39 en mue.
Nous demandons jeuz et esbatz.
LE SECOND
Vélà tout.
HAULTE FOLLIE
J’entens vostre cas.
Advisez que vous voullez faire.
LE PREMIER
110 Nous sçavons beaucoup de fatras,
Se nous ne vous peussions desplaire.
LE SECOND
Vous semble-il qu’il feust bon de boire ?
[Jà bois.]40
LE TIERS
Oua !
LE PREMIER
Oua !
LE SECOND
Oua !
HAULTE FOLLIE
Tout41 cecy n’est pas nécessaire :
115 Vo42 estat n’est pas ad cela.
LE TIERS
Je fisse si bien broua[ha] !
LE PREMIER
Je feroyes rage43.
LE SECOND
Je t’en croy.
LE TIERS
Ha ! jamais homme n’aboya44,
Pour ung Sot, [aus]si bien que moy.
LE PREMIER
120 Seroit-il bon, par vostre foy,
Que nous fissions des arbalestes
Pour tuer, sur le moys de may,
Ung tas de petites mouschectes
Qui vollent parmy ces sallectes ?
LE SECOND
125 Dictes s’on y besongnera.
HAULTE FOLLIE
Ces jeux-là ne sont pas honnestes ;
Vo estat n’est pas ad cela.
LE TIERS
Je sçay bien donc que l’en fera :
Que deux de nous monstrent les culz,
130 Debout, et l’aultre chacera
À prendre les petz à la glus.
LE PREMIER
Voire ; mais s’ilz estoient vellus45 ?
LE SECOND
C’est du moins : tout y [e]scoura46.
LE TIERS
Voullez-vous bien ?
HAULTE FOLLIE
N’en parlez plus :
135 Vo estat n’est point ad cela.
LE PREMIER
Dictes-nous donc que l’en fera.
LE SECOND
Despeschez !
LE TIERS
Il nous ennuyst47 tant !
HAULTE FOLLIE
Je sçay ung beau jeu, qui voul[d]ra48.
LE PREMIER
Quel jeu ?
HAULTE FOLLIE
C’est le jeu du content49.
LE TIERS
140 Au content ? Jhésus !
LE PREMIER
Au content ?
LE SECOND 50
Or entendez mon51, que j’advise.
Par le sang bieu ! je suis content :
C’est ung droict jeu pour gens d’Église.
LE TIERS
Je ne sçay jeu qui mieulx nous duyse.
LE PREMIER
145 Entre nous, telz jeux sont propices52.
LE SECOND
Chascun de nous scet la maistrise
De macquignonner53 bénéfices.
HAULTE FOLLIE
Di-moy, [toy] qui as tant d’offices :
Qu’as-tu fait en ton jeune aage54 ?
LE TIERS
150 J’ay menay des chiens et des lisses55
Chacer de nuit au verd boucaige :
Ung maistre gardeur d’esquipaige56 !
Jamais, en ma vie, je n’euz peur
D’actendre la beste sauvaige.
HAULTE FOLLIE
155 De loix ? de décret57 ?
LE TIERS
C’est erreur.
Tout mon t[e]mps, j’é esté chaceur58.
HAULTE FOLLIE
Tu as maintenant tant de biens :
Qui t’a mis en si grant honneur ?
LE TIERS
Mon seigneur. J’ay esté des siens.
160 J’ay pensé que les clers n’ont riens
Pour chose qu’ilz aient leu ne veu.
J’ay esté gouverneur de chiens,
Et suis maintenant bien pourveu :
J’ay trois cures (c’est pour empreu59),
165 Sept prieuréz, t[r]oys abbaïes,
La [grand chappelle]60 de Beaulieu,
Et quatorze chanoyneries.
LE PREMIER
Ne vélà pas grant deableries ?
LE SECOND
Les clers bien lestréz ont des poulx
[………………………………. -ies]
170 Qui les rongent jusques aux oux61.
HAULTE FOLLIE
Çà, aux aultres ! Qui estes-vous ?
LE SECOND
Sans tant despriser le mestier,
Je le diray devant trèstous :
Mon père fut ung savetier.
175 Quant il fut tout las de crier
Partout « Vieux souliers ! Vieux houseaux62 ! »,
Il ayma mieulx estre courtier,
Et fut macquignon de chevaulx.
Dieu scet combien [j’ay eu]63 de maulx,
180 En tracassant parmy la ville !
Aller trocter sur les quarreaulx,
J’en sçavoyes trèsbien le s[e]tille64.
Ung seigneur m’a trouvay habille65 ;
Je le servy. Il m’a donné
185 De revenu cinq ou six mille.
Je suis maintenant ung abbé66.
LE PREMIER
Mais cuidez-vous qu’il a67 frocté
Mainte jument et mainte rosse ?
LE TIERS
Le grant deable l’a bien aidé
190 De porte[r] maintenant la crosse68.
LE PREMIER
Jamais il ne fut à tel nopce.
LE TIERS
Fait-on des abbéz si nouveaulx ?
LE SECOND
Je suis abbé, qui que en grosse69.
LE PREMIER
Voire des abbéz fériaulx70.
HAULTE FOLLIE
195 Et vous ?
LE PREMIER
Je suis des fringueriaulx71
De Court, [où] j’ay long temps esté
Ung des principaulx macquereaulx
Qui jamais entrast en l’osté72
De73 mon seigneur. J’ay tampesté,
200 Servy, brouillié troys ou quatre ans :
Tant, que [je] suis bien appoincté74
Et ay deux ou troys mille frans.
HAULTE FOLLIE
Or çà, mes principaulx enfans,
Vous estes tous troys de bas lieu.
205 Dictes-moy : estes-vous contens ?
LE PREMIER
Nenny.
LE TIERS
Nenny.
LE SECOND
Nenny, par Dieu !
HAULTE FOLLIE
Çà doncques, jouons ad ce jeu.
Sc[é]ez-vous75. Tien, vélà pour toy.
LE PREMIER
C’est la cure [de] saint Mathieu76 !
HAULTE FOLLIE
210 Tien, prens cela !
LE SECOND
Ho, par ma foy !
LE PREMIER
Qu’i a-il ?
LE TIERS
Je ne sçay quoy.
LE SECOND
Si vault ma quarte bien autant.
LE PREMIER
Or çà, doncques, baillez-la-moy :
Changons, je ne suis pas content.
LE SECOND
215 J’ay trèsbonne cure, pourtant.
LE PREMIER
Et moy, une bonne chappelle.
LE SECOND
Qui change ?
LE PREMIER
Je me tiens à tant77.
HAULTE FOLLIE
[Çà, recommençons]78 de plus bell[e].
Tenez !
LE PREMIER
Vécy bonne nouvelle.
LE SECOND
220 Par ta foy ! que t’a-l’en donné ?
LE PREMIER
Je ne vueil jà qu’on le vous celle :
C’est une archédïaconé79.
Toy, qu’as-tu ?
LE SECOND
J’ay une évesché.
LE PREMIER
Tien ma carte ; que j’ayes la tienne.
LE SECOND
225 Ha, corps bieu ! vous estes trompé :
L’archédïaconé est mienne.
LE TIERS
Corps bieu ! vélà bonne fredaine.
LE SECOND
Ma carte ne vault ne croix ne pille.
Et toutesfois, j’ay eu la sienne,
230 Qui me vauldra deux80 ou trois mille.
Qu’as-tu ?
LE TIERS
Office.
LE SECOND
Et vault ?
LE TIERS
Trois mille.
LE SECOND
Changon !
LE TIERS
Ce seroit symonie.
LE SECOND
On fait cela au coup la quille81,
Posay82 que [ne] soit grant follie.
HAULTE FOLLIE
235 Tenez83 !
LE PREMIER
Je ne vous lairay mye84.
LE SECOND
Qu’esse la ? N’a-il bonnes nouvelles ?
LE PREMIER
Par mon serment ! sans menterie85,
C’est la doyenné de « Grenelles »86 !
LE SECOND
Cestes-cy ne sont pas trop belles.
LE TIERS
240 Y a-il chose qui le grève ?
LE SECOND
J’ay beau87 visiter les ruelles :
C’est la chanoinerie de « Brève »88 !
Pour toy faire sentence brièfve,
La prébende Saint-Innocent89.
LE TIERS
245 Feroit-on point de changement ?
LE PREMIER
Je doubte, puis je [me] demande…
LE TIERS
Quant est à moy, je suis content.
LE SECOND
Chascun gardera sa prébende.
HAULTE FOLLIE
Tenez ! Ha, je veil qu’on me pende
250 Se90 mot…
LE SECOND
Fy ! cecy ne vault rien.
LE TIERS
Que chascun à son cas entende.
LE SECOND
Veulx-tu changer à moy ça tien ?
LE PREMIER
C’est bien moins91, je le voy [trop] bien.
LE SECOND
Hé ! beau sire !
LE PREMIER
Ton cas va mal.
255 Je suis content.
LE SECOND
Cecy est mien :
Par ma foy ! je suis cardinal.
LE TIERS
Il en a92 !
LE SECOND
Ce n’est pas grant mal.
LE PREMIER
Dieux ! et t’en fault-il si hault braire ?
[LE SECOND]
Je ne suis pas trop au raval93.
LE PREMIER
260 Qu’as-tu ?
LE SECOND
Je suis prothenotaire94.
LE PREMIER 95
J’ay fait que saige96 de moy taire.
LE TIERS
Par mon serment ! j’ay raige rouge97.
[LE] SECOND
Ha, corps bieu ! tu auras beau faire98
Se je change le chappeau rouge.
LE TIERS
265 C’est ainsi que Follie te louge99.
HAULTE FOLLIE
Tien cecy !
LE PREMIER
Hon, hon ! Je vous happe100.
LE SECOND
Hélas, pour Dieu ! qu’omme ne bouge !
Je suis homme pour estre pape.
LE PREMIER
Vous n’avez garde qu’el101 m’eschappe,
270 S’elle peut venir en mon lieu.
LE SECOND
Mort bieu ! s’une fois je l’actrappe102,
Encor[e] vouldroy-je estre Dieu.
HAULTE FOLLIE
Tien, prens cela !
LE SECOND
Ha, [la] mort bieu !
LE TIERS
Hon, hon !
LE PREMIER
Sommes-nous bien content[s] ?
LE SECOND
275 Toy103, Premier : par ta foy, qu’a[s]-tu104 ?
LE PREMIER
Je suis arcevesque de Sens.
LE SECOND
Veulx-tu changier ?
LE TIERS
Je m’y consens105.
LE SECOND
Qu’as-tu, [toy] ?
LE TIERS
Deux bons prieuréz
Vallans deux ou trois mille francs.
LE SECOND
280 Tien : tu auras106 mes doyennéz.
HAULTE FOLLIE
Voullez-vous à [ce] coup jouer ?
LE TIERS
Et ! jouons encor une lasche107.
HAULTE FOLLIE
Que veulx-tu pour te contenter ?
LE TIERS
Je voulsisse estre patriarche.
LE SECOND
285 Et tu seras ung estront !
LE PREMIER
Masche108 !
LE TIERS
Mais faictes ce vieil bracquemar109
Abbé ou prieur de la « Marche »110 !
LE SECOND
Hée, villain ! t’en fault-il parler ?
[LE TIERS]
Tu as esté pallefrenier
290 Et houspaillier111 toute ta vie,
Filz d’ung co[u]rtier, d’ung savetier ;
Et si, ne te contente[s] mye ?
LE PREMIER
Et moy, ay-je assez ? Qu’on le die !
LE SECOND
Voyez ce macquereau putier,
295 Régent en macque[rel]lerie :112
Est évesque, et n’est pas content !
LE PREMIER
Et toy aussi, maistre appliquant113 !
Hélas, quel abbé de [Froit-Vaulx]114 !
LE SECOND
Tu es ung macquereau, pourtant.
LE PREMIER
300 Hé ! torcheur de cul de chevaulx115 !
LE TIERS
Mais advisez quelz truandeaux !
LE SECOND
Ha, par bieu ! vous le vallez bien,
Maistre chas[s]eur de lappereaux !
LE PREMIER
Suyvez hardiement vostre116 train !
HAULTE FOLLIE
305 [Discord ne]117 débat ne vault rien.
LE PREMIER
Que j’eusse encor une118 abbahye !
HAULTE FOLLIE 119
J’en ay une.
LE PREMIER
Je la retien :
Donnez-la-moy, Haulte Follie !
HAULTE FOLLIE
Seras-tu content ?
LE PREMIER
De ma vie,
310 Rien je ne vous demanderay120.
HAULTE FOLLIE
Vélà la.
LE PREMIER
Je vous remercie.
HAULTE FOLLIE
……………………….. cecy :
Se tu estoyes Dieu, mon amy,
Seroyes-tu content de ton eu121 ?
LE PREMIER
315 Je croy bien qu’il n’y a celluy
Qu’il ne fust content d’estre Dieu.
HAULTE FOLLIE
Chascun de vous est bien pourveu :
Estes-vous content[s], mes amis ?
LE SECOND
Nenny : je veil estre au millieu,
320 Et le plus hault en Paradis122.
HAULTE FOLLIE
Es-tu bien content ?
LE SECOND
Je ne sçay.
HAULTE FOLLIE
Et toy ?
LE TIERS
Se j’eusse ung éveschié,
Je fusse content.
HAULTE FOLLIE
Vez-le là.
Es-tu bien content ?
LE TIERS
Je ne sçay.
325 Je ne n’ay pas tant que cestuy-là.
HAULTE FOLLIE
Et toy, aussi ?
LE PREMIER
Qui me123 donra
Ung chappeau rouge [par surcroy],
Je seray content de cela.
HAULTE FOLLIE
Tien ! Es-tu content ?
LE PREMIER
Je le croy.
330 Si ne le sçay pas bien, de vray.
HAULTE FOLLIE
Vécy grant bestialité124 !
LE PREMIER
J’eusse eu (par l’âme de moy)
Voulentiers la Papalité.
HAULTE FOLLIE
Au moins, seras-tu bien content[é],
335 S’une foiz la te donne ?
LE PREMIER
Ouÿ.
HAULTE FOLLIE
Mais vouldroyes-tu point la déité ?
LE PREMIER
Si125 la vouldroyes avoir [aussi].
HAULTE FOLLIE
Il n’est pas possible, mes filz :
Jamais vous n’en verrez la porte126.
340 Il fault, selon ce que je lis,
Que le grant deable vous emporte.
LE SECOND
Est-il ainsi ?
HAULTE FOLLIE
Je vous enorte127
Que telz gens n’y pevent entrer128.
LE TIERS
Nous vivons de si bonne sorte !
HAULTE FOLLIE
345 Vous ne vous sçavez contenter.
Vous voullez aussi hault monter
Comme Dieu, mais vous estes fo[u]lz,
On le vous sçaura bien monstrer.
LE PREMIER
S’il est ainsi, qu’en ferons-nous ?
HAULTE FOLLIE
350 Dieu scet s’on vous sçaura tourner
En la chauldière129, sus et soubz !
LE SECOND
En quel lieu ?
HAULTE FOLLIE
Au fin fons d’Enfer.
LE SECOND
S’il est ainsi, qu’en ferons-nous ?
HAULTE FOLLIE
Vous estes servis, honnoréz,
355 Bien nourris, remplis, [gras et grous]130 :
Qu’esse donc que vous demendez ?
LE PREMIER
S’il est ainsi, qu’en ferons-nous ?
HAULTE FOLLIE
Devez-vous pas considérer131
Que vous estes de bas lieu, tous,
360 Et que vous soulliez truander132 ?
LE SECOND
S’il est ainsi, qu’en ferons-nous ?
HAULTE FOLLIE
Devez-vous pas considérer
Que chascun [vous ploie]133 les genoux,
Et que vous soulliez coquiner134 ?
LE TIERS
365 S’il est ainsi, qu’en ferons-nous ?
HAULTE FOLLIE
Je puis doncques délibérer
Que les vrays Sotz de maintenant
Ne sçavent à quoy temps passer
S’ilz ne vont jouer au content.
EXPLICIT
*
*

Eugène Lebrun : Nouveau manuel complet des jeux de calcul et de hasard. (Roret, 1840.)
*
1 On nommait déjà les « Sotz ecclésiasticques » au 5ème vers des Sotz triumphans. 2 Son portrait figurera dans le Triumphe de Haulte Folie. 3 « Il luy semble que c’est toute mocquerie. » (Loÿs de Granate.) Parmi ces moqueries, le vers suivant fait référence à l’évêque des Fous, qui exerçait son grave ministère pendant la Fête de l’Âne. 4 T : graces (Les « garces erratiques » sont les filles errantes, les prostituées : « Papes et cardinaulx/ (Saulve l’honneur des ecclésiastiques)/ De bien dancer sçavent tous les praticques./ Povres amans et garces erraticques/ Y vont souvent visiter cette feste. » Octavien de Saint-Gelais.) 5 Il faudrait une rime en -ieu (peut-être « milieu »), d’autant que mille ne peut rimer avec mille, en dépit des vers 130-1. 6 Les sceaux des actes permettant de conférer un bénéfice ecclésiastique. Il semble manquer 3 vers : -ille, -ons, -ons. 7 Règles religieuses. 8 « Grimaut, le père au diable. » (Adrien de Montluc.) C’est le « maistre Grimouart » que le Gaudisseur rencontre au Purgatoire <vers 83>. 9 Se déchire. 10 La cire des cachets du vers 16. 11 D’une manière ou d’une autre. « Qu’il soit ainsin ou ainsy. » Montaigne, I, 21. 12 T : prie (C’est le pire de tous les maux.) 13 Un grand larcin. 14 Un sceau et un seing (vers 16). 15 Le Concile de Lyon se tint en avril 1511. Voir la préface à l’édition de notre pièce qu’Eugénie Droz a publiée dans : Le Recueil Trepperel. Les Sotties. 16 T : grongne 17 Jeu de mots : « Sur mon médius. » On imagine que l’acteur levait son poing fermé en tendant le majeur, comme le diable le fit à saint Bernard. Les Sots émaillaient leur jeu de gestes obscènes, que Rabelais décrira dans Pantagruel (chap. 19) et dans le Tiers Livre (chap. 20). Medium se prononçait médïon. 18 À rien (in nihilum). Nos ecclésiastiques baragouinent quelques mots de latin. 19 T : Trainons (Faisons quelques transactions pour passer le temps.) 20 T : dug 21 T : pomnu (Ponnu = pondu. « De quatre corbeillées de Folz/ Tous nouveaulx ponnus et esclos. » Les Sotz nouveaulx farcéz, couvéz.) 22 D’outarde. 23 T : qui es 24 Mesure. 25 Coqs. 26 De bric et de broc. « Parlo ab hic et ab hoc, il parle sans savoir ce qu’il dit. » (Lou Tresor dóu Felibrige.) 27 T : auqueron (Enquérons-nous.) 28 Hénoch et Élie furent transportés vivants au Paradis. 29 Avec. 30 Rabelais dira aussi que le jeune Gargantua « pissoyt contre le soleil ». 31 T : Dait il 32 Balle à jouer. 33 Broutille. « Fy ! fy ! ce n’est que mincerie. » Roger de Collerye. 34 T : scauira 35 Volages. 36 T : eu (Avoir en intention = avoir dans l’esprit : « Que vous l’aiez tousjours en vostre intention. » Jehan Des Preis.) 37 Passer le temps. 38 Due. Jeu de mots sur merdeux, comparable à celui de Villon : « Oncques ne vey les mères d’eulx. » 39 T : choppons (On met les chapons en mue [en cage] pour les engraisser.) 40 Il y avait là un jeu de mots sur boire et aboyer, confirmé par les aboiements qui suivent et par le vers 119. Les « ou-a » sont dissyllabiques. 41 T : Tant 42 Forme normande de « votre ». 43 On reste dans le registre canin. 44 T : nauoya (V. note 40.) 45 Un pet velu est particulièrement viril. 46 Tout en sera secoué. 47 Nous nous ennuyons. 48 Si vous voulez. Cf. Maistre Mymin, vers 204. 49 On peut lire ci-dessus la règle du jeu du content, aussi nommé « jeu de trente et un » (Littré). 50 T : tiers 51 Attendez ! « Mon » est une particule affirmative qui étaye un verbe : C’est mon, à savoir mon, ce ferai mon, etc. Ce vers était sans doute dit par Haute Folie. 52 T : prepices 53 T : macquignonnez (Maquignonner = surévaluer un cheval pour le vendre plus cher. Le Second Sot a justement été maquignon <vers 178-180>.) 54 Scander a-age. « On prononçoit anciennement éage. » Gilles Ménage. 55 Lices = chiennes de chasse. Cf. les Sotz fourréz de malice, vers 15. 56 T : de bocaige (Déjà à la rime. Équipage = meute de chiens de chasse.) 57 As-tu étudié la théologie ? 58 T : chanceur 59 Et d’une ! Cf. Raoullet Ployart, vers 277. 60 T : grande eau (Les eaux de Beaulieu, en Auvergne, n’appartenaient pas au clergé. En revanche, on connaît d’innombrables chapelles de Beaulieu.) 61 Jusqu’aux os. 62 Cri de savetier ambulant. Cf. les Cris de Paris, vers 113. 63 T : ieuz 64 Le style, la manière. « Vous ne sçavez/ Le setille ny l’entregent/ Comme il fault avoir de l’argent. » La Fille bastelierre (LV 1). Cf. le Faulconnier de ville, vers 45. 65 Habile. 66 J’ai pu acheter une charge d’abbé avec cet argent. 67 T : la 68 L’abbé des Fous (note 70) brandissait une crosse en forme de marotte. 69 Même si on grogne. « Je retourneray, qui qu’en grousse,/ Chiez cest advocat d’eaue doulce. » Pathelin. 70 Festifs. L’abbé des Fous se livrait à des parodies liturgiques lors de plusieurs festivités carnavalesques, comme la fête des Fous. Voir par exemple le Cry pour l’Abbé de l’église d’Ausserre et ses suppostz, de Roger de Collerye : « Sortez, saillez, venez de toutes pars,/ Sottes et Sotz, plus promps que lyépars :/ Car par l’Abbé, sans troubler voz cerveaulx,/ Et ses suppostz, orrez demain merveilles ! » 71 Galants. 72 L’hôtel, la maison. 73 T : Da 74 J’ai de bons appointements. 75 Asseyez-vous devant la table. Haute Folie va distribuer les cartes, qui représentent des édifices sacrés. Pierre Gringore écrivait dans les Folles entreprises : « Abbayes, cures, prieuréz, par faintise/ Sont baillées (affin que l’entendez)/ À des joueurs de cartes ou de déz. » Lors de la fête des Fous, le clergé jouait aux cartes et aux dés dans les églises. 76 Patron des usuriers. « Il feste saint Matthieu » = il est avare. Haute Folie semble avoir été un peu chiche en donnant une cure peu lucrative. 77 Je m’en tiens à ce que j’ai. 78 T : Sa recommensont 79 Un archidiaconé est la juridiction d’un archidiacre. 80 T : daux 81 Au petit bonheur. « –Estes-vous bien ? –Oïl, nenny./ (Il respondoit à coup la quille.) » Guillaume Coquillart. 82 À supposer. 83 T : Venez (Elle lui donne une nouvelle carte.) 84 Je ne vous laisserai pas faire. 85 T : merite 86 Difficile de deviner le jeu de mots que l’auteur a placé ici à l’origine : les comédiens adaptaient au gré des tournées les mentions géographiques contenues dans les pièces. 87 J’aurai vite fait de. 88 On m’a donné une chanoinerie minuscule. 89 C’est une prébende particulièrement maigre, puisque le cimetière des Saints-Innocents abritait surtout des squelettes… Il semble manquer un vers en -ève et un vers en -ent. 90 T : Ce (Si j’ajoute un mot.) 91 T : maint 92 Il a des cornes de cocu, pour être aussi chanceux. 93 Trop mal loti. 94 Protonotaire, secrétaire pontifical. 95 T : second 96 J’ai eu raison. Cf. l’Avantureulx, vers 351. 97 T : raige (Rage rouge = grande colère. « Je voy lever Envie et rouge rage/ Pour alumer ou trahyson ou guerre. » Jehan Lemaire de Belges.) 98 Tu auras fort à faire pour que j’échange mon chapeau de cardinal. 99 T : longe (Louger = loger. « J’espère que l’on s’i pourra bien lougier. » Louis XII.) 100 Il serait tentant de lire « tappe », en référence à la folie dans la Résurrection Jénin à Paulme (vers 30, 90, 178-180). 101 Elle = la papauté. 102 T : tactrappe (On parle toujours de la papauté du vers 268.) 103 T : Tous 104 Une rime en -ieu serait préférable. 105 Il est normal qu’un fou n’ait que faire de « sens ». 106 T : amas 107 Une partie. 108 Formule courante qui correspond à l’actuel : « –Merde ! –Mange ! » Cf. la Vie de sainct Christofle : « –Tu ne vaulx pas ung estron ! –Masche ! » 109 Épée, ou pénis. On prononçait braquemèr. 110 Faites-le s’en aller. 111 Valet qui garde les chevaux des soldats. Cette tirade vise le Second Sot (vers 174-180). 112 Il semble manquer 4 vers : -er, -er, -ent, -er. 113 Gaillard. Cf. la Réformeresse, note 48. 114 T : froit vault (Sur cet abbé de carnaval, cf. le Monde qu’on faict paistre, note 155.) 115 « Les torcheculz de mulles, de chevaulx,/ Courtiers d’amours appelléz maquereaulx,/ Ont dessoubz eulx chapellains et vicaires. » Pierre Gringore. 116 T : nostre (Revenez à vos moutons !) 117 T : Adcord ce (« Jamais il n’avoit eu noise, discord ne débat avec ledit Alexandre. » Actes royaux du Poitou.) 118 T : ung 119 T : science 120 Il faudrait une rime en -y. 121 De ce que tu as eu. 122 On peut être à la gauche ou à la droite du Père, mais pas au milieu, à moins d’être Dieu. De même, au plus haut des Cieux (in excelsis), il n’y a que Dieu. Il semble manquer 3 vers : -is, -é, -is. 123 T : men (Si on me donne un chapeau de cardinal.) 124 Voilà une grande bêtise. 125 T : Se (On a le choix entre Si et Je.) 126 Du Paradis. 127 T : euorte (Enhorter = prévenir.) 128 Au Paradis. 129 Dans le chaudron du diable. Cf. le Munyer, vers 453. Haute Folie dira dans le Triumphe de Haulte Folie : « Je, Folie, pour ma plaisance,/ Dedans Enfer les folz admeine. » 130 T : gros et gras (Grous = gros. « Neuf cens cinquante quatre pourceaulx grous et gras. » Journal du siège d’Orléans.) 131 T : considerez (Même faute avec l’infinitif de 360 et de 362.) 132 Alors que vous aviez l’habitude de mendier. 133 T : vons ploise (S’incline devant vous.) 134 Mendier. « Coquinans et mendians sa faveur. » La Boétie.
SŒUR FESSUE

Manuscrit La Vallière
*
SŒUR FESSUE
*
Dans la première moitié du XVIe siècle, un auteur de farces eut l’idée de combiner deux histoires connues : celle d’une nonne trop discrète, et celle d’une abbesse trop pressée.
La pièce est résolument comique, mais on voit affleurer cette nostalgie du monde qui aigrissait des religieuses dont la plupart étaient cloîtrées malgré elles. Dans les Mal contentes (LV 61), l’une d’elles soupire ces jolis vers : « Matines sont de chante-pleure,/ Des regrets, des soupirs d’euillades,/ Des petis remors de ballades ;/ Et la Messe, de piteux chans ;/ Les Vespres, des regrets perçans,/ Et toute doulleur acomplye. »
Source : Manuscrit La Vallière1, folios 204 verso à 211 verso.
Structure : Rimes plates, truffées d’adjonctions apocryphes que j’ai barrées.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
*
Farce nouvelle
*
À cinq personnages, c’est assavoir :
L’ABEESSE
SEUR DE BON-CŒUR
SEUR ESPLOURÉE
SEUR SAFRÈTE 2
SEUR FESSUE
*
SEUR ESPLOURÉEE commence SCÈNE I
Seur de Bon-cœur, je suys perdue,
Et me treuve tant esperdue
Que plus n’en puys !
[SEUR DE BON-CŒUR] 3
Qu’esse, ma seur ?
Quel nouvèle av’ous entendue ?
5 Quoy ! vous estes-vous estendue
Sur l’erbe, atendant la doulceur4 ?
SEUR ESPLOURÉE
Nénin.
SEUR DE BON-CŒUR
Rendez mon esprit seur5.
SEUR ESPLOURÉE
Je ne le diray poinct.
SEUR DE BON-CŒUR
Hélas !
Donner je vous pouroys soulas,
10 Et vous garder de desplaisir.
Dictes-le-moy tout [à] loysir :
À ses amys, rien ne se celle.
SEUR ESPLOURÉE
A ! ma mye…
SEUR DE BON-CŒUR
Prenez une selle6.
Vous estes bien fort couroucée.
15 Déclarez-moy vostre pencée :
Qu’avez-vous ?
SEUR ESPLOURÉE
Rien.
SEUR DE BON-CŒUR
À brief parler,
Dictes-moy et [ne] mentez poinct.
Vous estes-vous laissée aler7,
Que8 vous tourmentez en ce poinct ?
20 Dictes !
SEUR ESPLOURÉE
Je ne le diray poinct.
Agardez, l’honneur en despent.
SEUR DE BON-CŒUR
C’est mal chanté son contrepoinct ;
L’honneur sy près du cul ne pent.
SEUR ESPLOURÉE
Sy vous avez hapé le roide9,
25 Agardez, il n’y a remède :
Nostre abesse en faict bien autant !
SEUR DE BON-CŒUR
Par ma foy ! mon cœur se repent
Qu’i fault que j’en oye parler tant.
SEUR ESPLOURÉE
Je vous veuil dire tout contant
30 Que c’est que céans il y a :
Vous congnoyssez bien seur Fessue ?
Frère Roydimet l’a déseue10
Et gastée11.
SEUR DE BON-CŒUR
Avé Maria !
SEUR ESPLOURÉE
Elle est deigà grosse et ensaincte.
35 Sceur, ouez12, dea ! ce n’est pas faincte :
Nous sommes toutes à quia13
Par son faict.
SEUR DE BON-CŒUR
Avé Maria !
Et ! Jésus ! Et ! je l’ay tant faict,
Et à mon plaisir satisfaict
40 Sans estre grosse !
SEUR ESPLOURÉE
Hélas, mon Dieu !
Aussy l’ai-ge faict en mainct lieu,
Comme elle.
SEUR DE BON-CŒUR
Avé Maria !
Que j’en ay au cœur de détresse
Et de douleur !
SEUR SAFRÈTE SCÈNE II
Et ! qu’esse ? qu’esse ?
45 Que j’entende vostre débat !
Comptez-moy, par forme d’esbat,
Ce que maintenant vous disiez.
SEUR ESPLOURÉE
Ce n’est rien, non.
SEUR SAFRÈTE
Vous devisiez
D’amour, en ce lieu, en commun ?
50 Mais c’est tout un, ouy, c’est tout un :
Je n’en fais pas moins, en tout temps,
Que les bonnes seurs de céans.
Dictes hardiment !
SEUR DE BON-CŒUR
On le sçayt bien
Que toutes on n’espargnons rien
55 Du nostre ; mais tel pissendalle14
Sera cause d’un grand scandalle
Dont nous serons désonoré[e]s15.
SEUR SAFRÈTE
Vous me semblez fort esplouré[e]s :
Quelle chose av’ous aperceue ?
60 Qui a failly ?
SEUR ESPLOURÉE et SEUR DE BON-CŒUR ensemble disent :
C’est sceur Fessue
Qui a faict…
SEUR SAFRÈTE
Quoy ?
SEUR DE BON-CŒUR
Nous n’osons dire.
SEUR SAFRÈTE
Dictes, sy ce n’est que pour rire.
SEUR ESPLOURÉE
Rire ? Hélas ! Mais j’en pleure et plains,
Et de larmes sont mes yeulx plains,
65 Pour la douleur que j’ey conceue.
SEUR SAFRÈTE
Qui cause cela ?
SEUR DE BON-CŒUR et SEUR ESPLOURÉE ensemble disent :
Seur Fessue.
SEUR ESPLOURÉE
Dormir je n’en peulx nuict ne jour ;
Je n’ay ne repos, ne séjour,
Ains de douleur je tremble et sue.
SEUR SAFRÈTE
70 Qui vous faict ce mal ?
SEUR DE BON-CŒUR et SEUR ESPLOURÉE ensemble disent :
Sceur Fessue,
Qui a faict…
SEUR SAFRÈTE
Ouy, mectre à genoulx16
Quelque un ?
SEUR ESPLOURÉE
Elle a faict comme nous ;
Mais le pire, c’est qu’el est grosse.
SEUR SAFRÈTE
Grosse ? Jésuchrist ! quel endosse17 !
75 Esbahy[e] suys qu’on le permect.
Mais déclarez-nous, je vous prye,
Sans que son honneur on descrye,
Qui l’a faict ?
SEUR ESPLOURÉE
Frère Rèdymet.
SEUR SAFRÈTE
Hélas ! el est déshonorée.
80 Et ! Vierge Marie honorée !
Où la pourons-nous [bien] cacher,
Le jour qu’el poura acoucher ?
SEUR DE BON-CŒUR
Je ne sçay.
SEUR ESPLOURÉE
J’ey bien descouvert
Aultre foys, qu’el estoyt joyeuse,
85 Et qu’el avoyt l’engin18 trop ouvert
Pour estre faicte religieuse.
SEUR SAFRÈTE
Elle est plaisante et amoureuse.
Long temps il y a qu’el aymoyt.
SEUR ESPLOURÉE
Qui, ma sœur ?
SEUR SAFRÈTE
Frère Rèdymet,
90 Rouge comme un beau chérubin19.
Un jour, avec frère Lubin20,
In caméra charitatis21,
Tout doulcement je m’esbatis ;
Mais il [n’est sy]22 fort compaignable.
SEUR DE BON-CŒUR
95 Il est tant doulx et amyable,
Sœur Safrète, quant y s’y mect !
SEUR ESPLOURÉE
Ouy, le bon frère Rèdymet,
Quant il a la « teste » dressée
Et que de luy suys embrassée,
100 Ma leçon23 bien tost se comprent.
SEUR DE BON-CŒUR
A ! jamais il ne me reprent24.
Nous vivons no[u]z deulx comme amys :
Aussy mon cœur luy ay promys.
Bon Amour25 ainsy le permect.
SEUR ESPLOURÉE
105 Quant au bon frère Rèdymet,
Je le congnoy digne d’aymer.
Mais afin de n’estre à blasmer,
Pour faindre estre de saincte vye,
Je veuil déclarer par envye26
110 À nostre abesse (ce n’est faincte)
Comme sœur Fessue est ensaincte.
SEUR DE BON-CŒUR
C’est bien faict.
SEUR SAFRÈTE
C’est bien faict, ma sœur.
Nostre bon père confesseur
En orra27 le miséréré.
SEUR DE BON-CŒUR
115 Je vouldroys qu’i28 fust enserré
En ma chambre, pour sa prison.
SEUR SAFRÈTE
Sainct Pierre ! vous avez rayson :
D’amour, aparence il y a
En vos dictz.
SEUR ESPLOURÉE, allant à l’abeesse pour parler à elle :
Avé Maria ! SCÈNE III
L’ABEESSE
120 Gratia pléna29 ! Qu’avez-vous,
Qui vous amène devers nous30 ?
SEUR ESPLOURÉE
Sans cause je [ne] vous viens voyr31.
L’ABEESSE
Certes, j’estoys en ce parloyr,
En saincte… contemplation
125 Des mos d’édiffication32,
Atendant l’heure du… menger33.
SEUR ESPLOURÉE
Sy Mort m’estoyt venue charger,
Hélas ! je seroys bien heureuse.
L’ABEESSE
Et ! qu’esse ? Estes-vous amoureuse ?
130 Regrétez-vous encor le monde ?
SEUR ESPLOURÉE
Nénin, non.
L’ABEESSE
Céans, il habonde
Autant de plaisir[s] savoureulx
Comme au monde. Et qu’il ne soyt ainsy,
[De]dens ceste maison icy,
135 Povez avoir un amoureulx.
SEUR ESPLOURÉE
Hélas ! mon cœur trop douloureulx
Ne peult oultrer34. D’effort j’en sue.
L’ABEESSE
Et ! qu’esse, ma mye ?
SEUR ESPLOURÉE
Seur Fessue,
Qui a faict…
L’ABEESSE
Vous dict-elle injure ?
140 Croyez-moy, par Dieu ! sy j’en jure,
Elle en sera incarsérée.
Comment ! faict-el la reserrée35 ?
SEUR ESPLOURÉE
Elle a faict…
L’ABEESSE
Je n’y entens rien en effaict.
SEUR ESPLOURÉE
Elle a faict…
L’ABEESSE
Et quoy ?
SEUR ESPLOURÉE
F[r]icatorès36.
L’ABEESSE
145 Ô le grosson peccatorès37 !
Per Dieu38, [elle] habuyct grandos
Punitionnès39 sur le dos !
Qui l’eust pencé ?
SEUR ESPLOURÉE
Elle [l’]a faict,
Et a son péché satisfaict,
150 Car elle est grosse.
L’ABEESSE
Ô la laide !
Il y convient mectre remède.
Mais à qui a-elle adonné
Son corps ?
SEUR ESPLOURÉE
[El l’a]40 habandonné
À frère Rèdymet, le moynne,
155 Il y a long temps.
L’ABEESSE
Que de peine41 !
Tenamus chapitrum totus !42
Sonnaté43 clochétas bien totus !
Qu’el véniat44 !
SEUR DE BON-CŒUR SCÈNE IV
Sus ! entre nous,
Y nous convient mectre à genoulx45,
160 À ce chapitre.
SEUR SAFRÈTE
C’est bien dict ;
Je n’y mectray nul contredict.
L’ABEESSE
Or, chantez !
SEUR ESPLOURÉE
Bénédicité ! O lieu de le dire, y chantent 46 :
Voz « huys » sont-il tous fermés ?
Fillètes, vous dormez.47
165 Quant pour vous sont consumméz48
Dormez-vous,
(Fillètes, fillètes vous dormez)
[Mes sens d’amour]49 enflamés,
Dormez-vous, fillètes ?
Fillètes, vous dormez.50
SEUR FESSUE entre SCÈNE V
170 A ! j’éray quelque advercité ;
Je crains fort le punis[s]antés51.
L’ABEESSE
Vénité, et aprochantez !
Madamus, agenouillaré,
Quia vo[u]z fécit mouillaré
175 Le boudin52 : il est bon à voir !
SEUR DE BON-CŒUR
Vous avez laissé décepvoir
Vostre honneur, dont le nostre en souffre.
L’ABEESSE
Vous en sentirez feu et souffre
En Enfer ; et de vostre vye,
180 N’irez en bonne compaignye
Sans injure. Et ! comme a-ce esté
Qu’avez faict ceste lascheté ?
Vous en souffrirez le trespas !
SEUR FESSUE
A ! mon Dieu, vous ne voyez pas
185 Ce qui vous pent devant les yeulx ?
L’ABEESSE
Mon cœur ne fust onc curieulx
D’estre d’honneur tant descouverte53.
SEUR FESSUE
Hélas ! vostre veue est couverte,
Dont vostre grand faulte despent :
190 Ce que devant les yeulx vous pent
N’est pas de tous en congnoissance54.
L’ABEESSE
Puys que sur vous j’ey la puissence,
Je vous pugniray bien à poinct.
SEUR FESSUE
A ! mon Dieu, vous ne voyez poinct
195 Ce qui est devant vostre veue ?
J’ey failly comme despourveue
De sens, dont coupable me sens.
Mais…
L’ABESSE
Quel mais ?
SEUR FESSUE
Il en est cinq cens
Qui n’en ont causé nul55 esmoy ;
200 Et sy56, ne font pas mieulx que moy.
L’ABEESSE
[Encore vous]57 levez la teste ?
Vous estes une faulse58 beste,
Et avez grandement erré.
SEUR ESPLOURÉE
Y luy fault le Miséréré,
205 Pour la faulte qui est yssue59.
SEUR FESSUE
Et ! pardonnez à sœur Fessue !
SEUR SAFRÈTE
Y luy fault donner telle peine
Que de douleur soyt toute plaine,
Puysqu’on la void ainsy déceue.
SEUR FESSUE
210 Et ! pardonnez à seur Fessue,
Pour cela qu’el a entour60 elle.
SEUR ESPLOURÉE
Vrayment, el a juste querelle61 :
Y ne fault pas son fruict62 gaster.
SEUR FESSUE
Qui vous eust voulu trop63 haster,
215 Lors qu’estiez ainsy comme moy,
En plus grand douleur et esmoy
Eussiez esté que je ne suys.
L’ABEESSE
Demeurez ! Plus oultre poursuys64 :
Qui vous a ainsy oultragée ?
220 Vous estes grosse, et tant chergée65
Que plus n’en povez.
SEUR FESSUE
A ! ma dame,
Frère Rèdymet faict ce blasme
En mainte religion66 bonne.
Mais je vous pry qu’on me pardonne.
L’ABEESSE
225 Où fusse ?
SEUR FESSUE
[De]dens le dorteur67,
À ma chambre, près le monteur68.
Ici tant enquérir ne s’en fault69…
SEUR DE BON-CŒUR
Et que ne criez-vous bien hault ?
SEUR FESSUE
Crier ? Je ne sçay qui en crye70.
SEUR SAFRÈTE
230 Comment ! voécy grand moquerye !
Nostre abeesse en sera blasmée.
SEUR FESSUE
Comment, crier ? J’estoys pasmée.
Et puys en nostre reigle est dict
(Où je n’ay faict nul contredict)
235 Qu’au dorteur on garde silence.
Et sy j’eusse faict insolence,
Bruict ou tumulte, ou quelque plaincte,
C’estoyt, contre nostre Ordre, faincte71.
Voyélà pourquoy n’osay mot dire.
SEUR ESPLOURÉE
240 Vouélà bonne excuse pour rire !
SEUR DE BON-CŒUR
Très bien le silence el garda…