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LE RAPORTEUR
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Le semeur de zizanie qui manipule les personnages de cette farce rouennaise n’a rien à gagner, à part des coups ; il œuvre pour l’amour de l’art, puisque la médisance poussée à un tel degré relève du grand art. Le Raporteur, écrit vers 1510, a de nombreux points communs avec les Chambèrières et Débat, mais il n’en a aucun avec la sottie des Rapporteurs.
En 1499, Louis XII avait institué par lettres patentes la Basoche de Rouen. Cette confrérie studieuse et néanmoins joyeuse, imitant son illustre aînée parisienne, s’adonnait au théâtre ; nous en avons un exemple avec le Ribault marié. En voici un nouvel exemple, si l’on en juge par ses nombreuses références au monde judiciaire. Dans cette farce, nos clercs de procureurs prennent pour tête de Turc un rapporteur, c’est-à-dire un officier de Justice qui rend compte des procès. Ils n’oublient pas non plus d’égratigner leurs rivaux, les Conards de Rouen, qu’ils traitent de cocus à quatre reprises.
Source : Manuscrit La Vallière, nº 30. Beaucoup de vers ont été rayés, expurgés ou rénovés au début du XVIIe siècle, sans doute en vue d’une publication ; je m’en tiens à l’original chaque fois que le ratureur* ne l’a pas rendu illisible. Les éditeurs de 1837 n’ont pas pris tant de peine, et tous ceux qui, faute de mieux, ont lu les 509 vers de leur édition auront d’heureuses surprises s’ils les comparent aux 545 vers non censurés que voici. Mais ne soyons pas médisant. *C’est le même remanieur qui a sévi dans le Tesmoing et dans l’Arbalestre. En revanche, les vrais chefs-d’œuvre du manuscrit La Vallière n’ont pas eu l’heur d’intéresser les hommes du XVIIe siècle.
Structure : Rimes plates, avec 4 triolets.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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Farce du
Raporteur
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À quatre personnages, c’est assavoir :
LE BADIN
LA FEMME [Catherine]
LE MARY
et LA VOYESINE [Janeton]
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LE BADIN commence 1 SCÈNE I
Trop me desplaist le séjourner2 :
Je ne fais cy que m’amuser3.
À perte ou gain, n’a que courage4.
Sy j’ey jamais femme, je gage,
5 Vous en vouérez tost de mar[r]is.
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LA FEMME 5 SCÈNE II
Comment ! est-il dict que maris
Seront maistres en la maison ?
Nennin, vrayment, pas n’est raison !
Trop l’ont tenu pour bien aquis.
10 Est-ce le temps et la saison
Que les femmes n’ont plus saison
D’estre mêtresses ? Quel devys !
Seront il mêtresses en la maison.
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LE MARY 6 SCÈNE III
Voécy ma femme. C’est raison,
15 Y fault bien que je la recorde7.
Je jouray par-dessus la corde8.
Cordin, cordel9. Quant me recorde10,
Concordant je concorderay11.
À la corde descorderay12 :
20 J’entens recorder13 ma voysine.
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LA FEMME SCÈNE IV
Cecy14 me poyse sur l’échyne :
L’honneur des femmes est mys au croq15.
Poulle[s] chantront16 devant le quoq
Avant qu’i soyt la fin de moy17.
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LE BADIN 18 SCÈNE V
25 Dea ! [ma] voy(e)sine, acolez-moy !
Je suys joyeulx de vostre vue.
LA FEMME
J’ey bien désiré ta venue,
Amy : tu soys le bien venu !
Est-il rien de bon survenu ?
30 Je te pry fort, conte-le-moy !
Tu m’ôteras de tout esmoy
De ce que j’ey.
LE BADIN
Je n’eusses pas pensé,
Ma commère, [qu’eussiez passé]19
Le diffame en ceste sorte.
LA FEMME
35 Et quoy, Jésus ?
LE BADIN
Dèrière la porte,
………………………….. 20
Le trouvys qui se démenoyt ;
Elle sy fort le tourmentoyt
[Qu’il me]21 sembloyt (m’estoyt advys)
Qu’il estoyent plus fors qu’ennemys22.
40 Y sembloyt — ou23 je suys trompé —
Qu’il estoyt quasy achopé24 :
Par ma foy ! y n’en pouvoyt plus.
Y l’ont faict quatre foys ou plus.
Mais devynez de la matière25.
LA FEMME
45 C’est mon mary et la chambèrière ?
Jésus ! je suys désonorée.
Il en mauldira la journée,
Et l’en punyray, de ma part !
Ma foy, je le feray conart26,
50 Ou je le batray bien mon soûl !
LE BADIN
Encor est-il beaucoup plus foul
De soy vanter parmy la rue
Que quatre foys vous a batue.
Je m’esbaÿs d’u[n tel] diffame.
55 Vous qui estes fille de Dame27,
Soufrir par un vilain testu
Que vostre honneur soyt abatu,
C’est assez pour vif arager28 !
Sy je ne m’en pou[voy]es venger,
60 Ma foy, je le feroys cocu29.
LA FEMME
Compère, me conseilles-tu
Que toult à mon aise le bate ?
LE BADIN
Escoustez-moy, par saincte Agate !
Ne pensez pas que je vous mente :
65 Poinct ne suys celuy qui se vante.
(Pour raporter, ce m’est assez30.)
Et ! dea, dea ! Vous me congnoyssez,
Vous savez très bien qui je suys.
LA FEMME
Las, Nostre Dame ! Je ne puys
70 Penser comme m’en vengeray.
Je ne say sy je le feray
Conart, ou sy je l’envoyeray paistre31.
LE BADIN
Avisez-y. Voécy le maistre32
Qui vous servira de sa part.
LA FEMME
75 Mais où avoie-ge le regart,
Quant je prins33 ceste sote beste ?
LE BADIN
S’yl est adverty de la feste34,
Ne dictes pas que l’aye dict,
Car je perdroyes mon crédict.
80 Ou aultrement, mandé seray35.
LA FEMME
Non feray, non, vous dictes vray.
LE B[A]DIN
Voy(e)re, mais tenez-moy segret36.
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LE MARY 37 SCÈNE VI
Voécy bon : j’arage de froid,
De fain, de soif, et suys malade.
85 Ma femme fect-elle la fade38,
De moy gecter a remotys39 ?
Par mon âme ! onques [je] ne vis
Femme sy mauvaise à servir.
Mais40, Messieurs, prenez-vous41 plaisir
90 Qu’elle ne me prise un festu42 ?
Encores croi-ge que coqu
Je suys. Et j’arage de fain :
En ma maison n’a poinct de pain,
Ne chose qui soyt pour menger.
95 N’esse pas bien pour arager,
[D’estre venu en ceste place ?]43
Je ne say pas plus que je face44,
Ne sy [je] doibtz rire ou plourer.
Rien ne me sert45 de demourer :
100 Je m’en voys droict à mon repère46.
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Holà, ma femme ! SCÈNE VII
LE BADIN
Et, mon compère !
LA FEMME
[Un compère ? Mais un yvrongne]47 !
Regardez qu’i faict rouge48 trongne !
Tant c’est un homme de bonne foy.
105 Venez hardiment, je vous voy49
Tout à ceste heure mectre la nape !
LE BADIN
Vous portez visage de pape50,
Mon compère. Comme te va ?
LE MARY
À ceste heure-cy, à ceste heure-là,
110 Léger d’argent51.
LE BADIN
Esse cela ?
Tu tiens icy bonne grimasse52 :
C’est toy, c’est toy qui en amasse
Tous les jours, dehors et dedens !
Alons un peu rincher nos dens53,
115 Et laissons ceste gravité54.
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LE MARY SCÈNE VIII
Ma55 femme t’en a bien compté,
Mais je ne l’ay pas entendue.
LE BADIN
Qui ? Ceste vielle refondue56 ?
Laisse-la pour telle qu’el est,
120 Car tu peulx bien penser que c’est57.
Je suys mar[r]y qu’el est ta femme.
Qu’au deable soyt tout son diffamme58,
Pour ton profict et grand honneur !
LE MARY
Comment, compère ?
LE BADIN
Pour le seur59,
125 J’en suys aussy mar[r]y que toy.
LE MARY
Et pourquoy, compère, pourquoy ?
LE BADIN
Pourquoy, compère ? El te difame,
Et de son corps se faict infâme.
Je te le dis cy à l’oreille.
130 Et j’entemps que, jour et nuict, veille
Pour entretenir toutes gens.
LE MARY
Je le say il y a long temps,
Vous ne dictes rien de nouveau.
Mais qui ?
LE BADIN
C’est messire Nicolle Biveau60,
135 Nostre curé, pour chose seure.
En ta maison vient à toute heure :
Tousjours, par elle, est [bien] receu.
LE MARY
Mon compère, as-tu61 aperceu
Le curé ?
LE BADIN
Voyre, le curé ;
140 Ce malheur-là t’a procuré.
Entens : je ne le diroys pas62.
LE MARY
Vielle loudière63 ! Viel cabas !
Je t’avoys bien donné congé
À tous, fors à nostre curé64.
145 [Or çà]65 ! t’es-tu habandonnée ?
Corps bieu ! tu en seras frotée66,
Ou pas ne seray le plus fort67 !
LE BADIN
Compère, mectez y vostre effort
À bien pourvoir à vostre cas.
150 Mais escoustez : ne dictes pas
Que l’ayes dict.
LE MARY
Non, sur ma vye !
Mais grandement vous remercye
De ce que m’avez adverty.
Bien congnoys qu’estes mon amy.
155 Adieu, compère, et grand mercys !
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LE BADIN 68 SCÈNE IX
Et la la la69 ! Il est bien pris.
On luy fera tantost sa saulce70.
Mais quel gentilhomme de Beaulce71 !
Que[l] yvrongne ! Quelle tuache72 !
160 Contemplez un peu sa grimasse,
Comme il s’en va batre sa femme
En l’apelant « villaine infemme » !
Mon Dieu, mon Dieu, quelle m[a]ygnye73 !
Et tant il est fol qu’i se fye
165 Aulx raporteurs plains de méfaict.
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LE MARY 74 SCÈNE X
A ! ma femme, me l’av’ous faict75 ?
Il vous sera bien cher vendu !
Vous m’avez prins au trébuchet76.
A ! ma femme, l’avez-vous faict ?
170 Vous l’avez bien faict et refaict,
Mais c’est à vous mal entendu77.
A ! ma femme, l’avez-vous faict ?
Il vous sera bien cher vendu !
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LA VOYSINE 78 SCÈNE XI
Tout le bon temps s’en va perdu ;
175 Plus n’est saison de bonne chère.
Ainsy comme j’ey entendu,
Tout le bon temps s’en va perdu.
Le mauvais temps est revenu.
Vous en sçavez bien la manyère.
180 Tout le bon temps s’en va perdu ;
Plus n’est saison de bonne chère.
LE BADIN
Voécy, pour Dieu79, bonne matière !
Dea ! voisine, amye très chère,
Dictes-moy un peu la manyère.
185 Ma voysine, je vous en prye :
D’où vient ceste mélencolye,
Dont j’ey ouÿ vostre complaincte ?
LA VOISINE
Du temps présent je me suys plaincte,
Qui n’a en luy doulceur ne grâce.
LE BADIN
190 (Mais escoustez ceste bécasse !)
Vous y dussiez mestre police80.
Sy vous monstrez vostre malice,
Vous ferez encor[e] plus fort.
LA VOISINE
Et quoy ?
LE BADIN
De bonne paix un grand éfort81.
195 (C’est la nature [de nos]82 femmes :
Plus sont haultaines que gens d’armes83
À leurs [amys, mais en tout bien]84.)
LA VOISINE
Que dictes-vous ?
LE BADIN
Je ne dis rien.
Tout vient85 de vous.
LA VOISINE
Quoy ? vous mentez !
200 Par sainct Crespin, vous en mour[r]ez !86
Esse ainsy [myeulx], sote personne ?
LE BADIN
Ne frapez plus, mot je ne sonne87 !
(Le cœur me crève de despit.)
LA VOISINE
Retire-toy, pour ton profit,
205 Et te contente de [ta part]88 !
LE BADIN
(Le gibet y ayt male89 part !
Je ne say plus que90 je veuil dire.)
J’ey veu le temps que souloys rire91,
Et faisoys du bon compaignon
210 Avec commère Janeton92.
Mais [quoy], le temps passé n’est plus ;
Tout s’en va, on n’en parle plus.
On ne tient compte des amys.
LA VOISINE
Mon amy93, il m’estoyt advys
215 Que94 je faisoys en bonne foy.
Et ! dea, voysin, acolez-moy,
Comment vous [me] dictes95.
LE BADIN
Comment ?
À vostre bon commandement,
Tout fin prest à payer de[mye] carte96
220 Devant que nostre jeu départe97,
S’il le vous plaist.
LA VOISINE
Dea, grand mersis !
Vrayment, depuys que ne vous vis,
Vous me semblez98 jolys et beau.
LE BADIN
Je say bien chose de nouveau99,
225 [Mais] à vostre grand déshonneur.
LA VOISINE
Voulez-vous dire ?
LE BADIN
Tout pour le seur,
Je vous ay cherché toute jour100
Pour le vous dire sans séjour101,
Dont je suys en un gros esmoy.
LA VOISINE
230 Voulez-vous dire [un peu de]102 quoy ?
Sachons le faict, je vous en prye !
LE BADIN
Escoustez, commère, ma mye,
L’orde vilain103 putain qu’el est.
S’el[l]e m’avoyt dict ou mesfest104
235 Encontre moy de tel façon…
Aler105 donner tel chaperon
À telle honneste femme de bien !
LA VOISINE
Perdue je suys, je le voy bien.
Je cuyde entendre le mistère :
240 C’est la gorière106 qui veult faire
De la privée107 par-dessus toulte.
LE BADIN
Voyre. Que la senglante goulte108
La puisse saisir de despit !
LA VOISINE
Sav’ous pas bien qu’el109 vous a dict ?
245 Je vous110 prye que je le sache !
LE BADIN
Sans vous en faire grand relâche111,
Que vous alez deçà, delà,
[Et retournez par-cy, par-là,]112
À la maison monsieur Benest113,
250 Et qu’el est plus belle qu’i n’est114.
Vostre mary vous faicte[s] conart ;
Et aussy, y faict le bragart
Cheulx vostre prochaine voisine115.
LA VOISINE
Le deable luy rompe l’eschine,
255 L’orde vilain putain qu’el est !
Esse bien dict ? Esse bien fest
De difamer femme de bien
Plus qu’elle n’est (je le say bien)116 ?
Je luy crèveray les deulx yeulx !
LE BADIN
260 Tousjours jasoit117 de myeulx en myeulx,
Dont j’avoys le cœur sy mar[r]y.
Sy ne fust esté son mary,
Je luy eusse rompu l’eschine.
LA VOISINE
A ! je luy tiendray bonne myne.
265 Sy la rencontre emmy118 la rue,
L’heure mauldira qu’el m’a veue !
LE BADIN
Y fauldra bien que vous jasez,
Et aussy que vous caquetez119,
Quant Catherine120 viendra icy.
LA VOISINE
270 Pas n’aray le cœur endurcy121,
Ne mon caquet, à sa venue !
Je jure Dieu (qui fist la nue) :
L’orde vilaine maquerelle
Comperra122 toute la querelle !
275 [Plus n’en veulx maintenant crier,]123
Ou je ne pouray pas parler
Jusques-là.
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LE BADIN 124 SCÈNE XII
A ! ne vous desplaise,
Y fault — sans que s[o]ies à malaise125 —
Parler un peu de mon procès :
280 Car l’autre jour, je fis excès,
Dont adjourné je suys en126 Court.
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LA VOISINE 127 SCÈNE XIII
Je feray sa saulce à la Court128
Et dens sa maison. Puys après,
M’en iray parler tout exprès
285 À elle, pour veoir qu’el veult dire129.
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LE BADIN SCÈNE XIV
Voylà assez bon jeu pour rire.
Vous voérez tantost la bataille
De femmes par-dessus la paille130.
Mon Dieu, quel déduict ce sera !
290 Mauldict soyt-il qui se faindra131
De fraper, s’y puys ariver132.
Je les ay faictes couroucer :
Par mon serment ! j’en suys joyeulx.
Premièrement, encor je veulx
295 Aler cheulx la grand Catherine133
Pour contempler un peu leur myne
Et voèr que son mary a fect134,
S’il est en bon poinct ou défect135 ;
J’en veulx sçavoir toute la fin.
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300 Holà, ma commère Catin ! SCÈNE XV
Dormez-vous ?
LA FEMME
Dieu gard le beau Père136 !…
Avez-vous veu vostre compère137 ?
Dictes, où l’avez-vous laissé ?
LE BADIN
Il semble estre tout couroucé ;
305 Il est bien mar[r]y, ce me semble.
LA FEMME
Il aura grand peur, [s’il ne tramble]138.
Quant viendra, il sera repu139.
LE BADIN
Et ! comment ? N’est-il pas venu
Dens sa maison ?
LA FEMME
Nennin, nennin.
LE BADIN
310 Nennin ?
LA FEMME
[Non, ce n’est qu’un jénin.]140
[Aussi,] je les despites tous,
Ces malureulx141 et [ces] jaloux.
Je ne suys putain ne paillarde.
LE BADIN
Sy estes, que le feu vous arde142 !
315 Sy dict ainsy vostre voisine.
Mais vous n’estes pas assez fine
Pour entendre ce que je dis.
LA FEMME
El143 l’a dict ?
LE BADIN
Voyre. Et je luy144 dis
Qu’il145 m’en desplaist bien grandement.
LA FEMME
320 Dictes-moy donc le vray. Comment !
Ne respondiez-vous146 rien au fect ?
LE BADIN
Quoy respondre ? Je dis de fect
Que jamais ne fistes de feste
Pour coucher avec aultre147 maistre
325 Comme elle [faict].
LA FEMME
Le viel cabas !
Veult-elle contre moy débas ?
Je luy feray bien maintenir !
LE BADIN
El doibt tantost icy venir ;
Voyons que luy sarons respondre148.
LA FEMME
330 Le gibet me puisse confondre
Sy ne luy abas149 son quaquet !
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LE MARY 150 SCÈNE XVI
Où est ma femme ?
LA FEMME
Ouy dea, niquet151 !
Vous m’avez joué d’un bon tour.
LE MARY
Vous m’avez mys la paste au four152 ;
335 Jamais je ne l’usses pencé.
LE BADIN
Or sus, sus, c’est assez cabassé153 !
Laissons un peu tous ces devys ;
Soyez ensemble bons amys.
Dictes une chanson plaisante !
340 Et puys en après, qu’on régente154
Tous les débas de vostre cas155.
LE MARY
Guères ne me plaist tel fatras,
Mais [c’est] bien pour l’amour de vous156.
[Or,] dison un mot157 gay et doulx
345 Pour resjouir la compaignye.
Ilz chantent une chanson.158
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LE MARY
Ma fem[m]e, quant je suys dehors,
Le curé159 vous ayme, faict pas ?
LA FEMME
Mon mary, vous estes amors160
D’aler monter dessus le corps
350 De la chamb(è)rière, n’êtes pas ?
LE MARY
Jamais je ne face repas161
S’el en fust jamais coustumyère162 !
LA FEMME
Ouy dea, ouy ! Esse la manyère163,
De dire que je vous faictz conard ?
355 Vous parlez164 là de bonne pard,
Mon mary, d’aler « besongner »
Alieurs, et aussy me laisser.
Par Dieu ! je veulx que vous sachez
Que mes membres165 sont myeulx dressés
360 Que ceulx de vostre chambèrière.
LE BADIN
Que sçavez-vous, amye très chère ?
Y peult estre qu’i n’est pas vray.
LA FEMME
Sy est, pour vray ! Car je le sçay
Que ce n’est c’un vilain putier.
LE BADIN
365 (Vous laissez-vous répudïer166,
Compère, ainsy à167 vostre femme ?)
LE MARY
Alez, putain puante infâme !
Méchante layde désonneste !
Par Dieu, je te rompray la teste !
LE BADIN
370 Tout beau, tout beau, mauvais garson !
Dea ! vostre père estoyt sy bon.
[Vous vous mordrez]168 un peu le poulse.
LA FEMME
Va, vilain puant, barbe rousse169 !
Mauldict soyt l’heure que170 te vis
375 Et que jamais tu aprochys
De moy, et que je t’ay congneue !
LE BADIN
Par Dieu ! vous fustes bien pourveue :
Sy ne fust luy, vous fussiez morte171.
Que le grand deable vous emporte !
380 (Dessus, dessus ! Poussez, commère172 !)
LE MARY
Qu’esse que vous dictes, compère ?
LE BADIN
O, je l[uy] ay dict qu’elle se taise,
Sy el est sage [et qu’il luy plaise]173.
LA FEMME 174
Va, vilain ! [Va, mauvais garson !]175
385 Va pisser176 dedens ta maison
Comme tu fais dedens l’église !
LE BADIN
Ce fust, par Dieu, dens sa chemise177
Qu’i[l] y pissa le jour [St Flour]178.
Et ! comment vous faictes le sourt !
390 (Poulsez, commère179, la querelle !)
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LA VOISINE 180 SCÈNE XVII
Où est ceste vielle maquerelle
Qui va disant que suys paillarde ?
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LE BADIN 181 SCÈNE XVIII
Commère, montrez-vous gaillarde :
Sainct Jehan ! voécy vostre voisine.
LA FEMME
395 Par Dieu, je luy rompray l’eschine182 !
Et ! qu’elle vienne hardyment !
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LA VOISINE 183 SCÈNE XIX
[Tu en auras, par mon serment !]184
Vien çà, putain esservelée !
Rongneuse à la teste pelée !
Pÿon185, yvrongne et sac à vin !
400 Viel br[o]yon où meult186 le moulin !
[Viel] visage tout pertuisé187 !
Viel haillon tout avant pelé188 !
Vous avez dict am[m]y189 la rue
Que suys une putain congnue ?
405 Vous avez menty faulcement !
Ilz se batent ensemble.
LA FEMME
A ! cerveau hors d’entendement !
Vieulx refuge des hôpitaulx190 !
Escorcheresse de chevaulx !
Laide puante au nés crochu191 !
410 Par Dieu ! il te sera meschu192,
Reliquère193 de vieulx garsons,
Plaine et garnye de morpïons !
Maulvaise [rousse abominable]194 !
Proserpine, mère du deable !
415 C’est vous qui m’avez diffamée.
LE BADIN
C’est, par bieu, elle.
LA VOISINE
Hau ! maudînée195 !
Je ne [res]semble à ta cousine,
Qui est une vielle quoquine
Et premyer pill[i]er du bordeau196.
LE BADIN
420 (Et son père, qui est méseau197.
Poulsez, commère !)
LA FEMME
Que t(u) es nyce198 !
[LA VOISINE]
Jamais ne desroba[y] galice199
[En contrefaisant le dévot,]200
Com(me) ton mary.
LE MARY
Vous mentez trop,
425 Madame la putain ! Gardez
Mon honneur, et vous regardez201
Autant en yver qu’en esté.
Vray est que l’avoys emprunté,
Aveques tous les corporeaulx202.
LE BADIN
430 Et là ! mile maulx, mile maulx ! 203
(Compère, vous estes trop flac204.)
LA VOISINE
Que dictes-vous ?
LE BADIN
Rien. Mais que le sac
Se deslye, [nous saurons]205 tout.
(Quoy ! n’en voérez-vous pas le boult ?
435 Sus, sus, courage, deffendez-vous !)
LA FEMME
A ! vilaine !
LE BADIN
(Cryez : « Mais206 vous ! »
Courage, prenez bonne alaine !)
LA VOISINE
Retourne, retourne la layne
Que tu desrobas au Palais207 !
LA FEMME
440 Mais toy, retourne rendre le fays
[De sarments]208 prins aulx Jacopins !
LE BADIN
Et, la, la ! En ces bons lopins209,
Alez encontre pour « jouster210 »
Et vostre langue descliquer211.
445 Gardez-vous bien qu’el ne vous gaigne !
Vous la ferez vessir d’engaigne212.
Par devers elle vous fault aller.
(Je m’engresse de leur parler213.)
Sus, ma commère ! Alez la batre !
LA VOISINE
450 Bien le vouldroys, sans plus débatre ;
Mais elle est plus forte que moy.
LA FEMME
Dictes, dame, par vostre foy :
Qui esse qui vous a porté214
Et ce faict icy raporté,
455 Pour quoy [vous me nommez]215 « cabas » ?
LE BADIN
(Commère, ne l’escoustez pas !
Cryez, bréez216 comme une folle !)
LA VOISINE
Demandez-vous qui, teste folle ?
Un homme de parmy le monde.
LA FEMME
460 Mais qui ? Dictes !
LE BADIN
(Tout mal abonde
À elle : ne l’escouste[z] poinct !
Par bieu ! vous la gaignez d’un poinct.
À crier, vous estes mêtresse :
Cryez !)
LA FEMME
Et ! venez [çà, deablesse]217 !
465 Qui esse qui le vous a dict ?
LA VOISINE
Pensez-vous que n’ays pas crédict
Aussy bien que vous ? Sy ay, sy !
LE BADIN
(Commère, laissez tout cecy.
Poulsez, et je vous ayderay.)
LA FEMME
470 Venez [ç]à ! Dictes-moy le vray :
Qui vous a raporté cela ?
LA VOISINE
Nostre compère que voélà,
Lequel le maintiendra de hect218.
LE BADIN
Moy ? Jésus ! je ne say que c’est.
475 Sy je l’ay dict, je m’en desdis.
LA FEMME
C’est luy qui est plain de mesdis219 !
Le voélà, parlez à sa barbe220 !
LE MARY
A ! je vous jure saincte Barbe
Qu’autant il m’en a raporté,
480 Et vostre honneur a détracté221.
Compère, est-il pas vray ? Parlez !
LE BADIN
Y vault myeulx que vous en alez222.
Rien n’entens à vostre devise.
LA VOISINE
Trompés nous a de bonne guise.
485 Voyez-vous, il est bien meschant.
LA FEMME
Payé en sera tout comptant,
Le méchant, de ce qu’il a faict.
LE MARY
Contenté223 sera du méfaict.
Au malureulx224 ! Dessus ! Dessus !
LE BADIN
490 Que me demandez-vous ? Jésus !
Quant à moy, je ne vous demande rien.
LA FEMME
Et nous, on vous demandons bien :
Faictes-vous icy de la beste ?
LA VOISINE
De mon poing aurez sur la teste,
495 Puysque n’ay aultre fèrement225.
LA FEMME 226
Recepvez donc cest instrument,
Maistre227 raporteur de parolle !
LE MARY
Vous en arez228, par mon serment !
LA VOISINE
Recepvez donc cest instrument !
LA FEM[M]E
500 C’est pour vostre gouvernement
Et pour la peine de vostre rôle229.
LE MARY
Recepvez donc cest instrument,
[Maistre] raporteur de parolle !
LE BADIN
À la mort !
LA VOISINE
A ! teste trop folle,
505 Vous l’avez trèsbien mérité !
LE BADIN
Pardonnez-moy, en vérité !
À tous, je vous requiers pardon !
Et en ce jour, j’auray par don230
Que plus ne seray raporteur.
510 A ! raporteur[s] plain[s] de maleur :
Laissez raport231 et faulx parler.
On n’a que mal de raporter.
Jésus ! le costé, et la teste !
Par mon serment ! j’estoys bien beste
515 De me froter en tel ofice232.
Le métier ne m’est pas propice :
Je le quicte pour tout jamais.233
.
LE MARY SCÈNE XX
Fïer ne vous y fault jamais :
Car de raport, c’est chose folle.
LA FEMME
520 Il avoyt mal aprins son rolle.
Or çà, ma gentille commère,
Pardonnez-moy le vitupère
Que je vous ay dict à grand tort.
LA VOISINE
J’ey bien cryé plus hault et fort
525 Que vous n’avez, pardonnez-moy.
LE MARY
A ! nostre femme, j’aperçoy
Que vous vivez en loyaulté234.
Tout ce que j’ey dict a esté
Par faulx raport, pardonnez-moy.
LA FEMME
530 De bon cœur vous pardonne.
LA VOISINE
Et moy235.
LE MARY
Soyons bons amys, désormais !
ENSEMBLE
Sy serons-nous, je vous promais.
.
LE MARY
Sans excuser leur ignorance,
Tous raporteurs sont déchassés.236
535 À eulx, n’y a nule fiance,
[Sans excuser leur ignorance.]
Dont ne fault pas que nul s’avance
Pour raporter : seront cassés.
[Sans excuser leur ignorance]237,
540 [Tous raporteurs sont]238 déchassés.
Messieurs, vous avez veu assez
De quoy vous sert le faulx raport.
[Que] Dieu nous conduye au bon port
De Salut, et la compaignye239,
545 Avec sancté240 et bonne vye !
.
FINIS
*
1 Un Badin est une sorte d’autiste dont les idées excentriques peuvent provoquer des catastrophes. Celui-ci traîne dans la rue, désœuvré. Tous les habitants de ce quartier où il habite sont ses voisins et ses amis. 2 De rester ici sans rien faire. C’est l’oisiveté, mère de tous les vices, qui va pousser le Badin à monter les gens les uns contre les autres. 3 Que perdre mon temps. Le vers est très difficile à lire ; non seulement le remanieur rature, mais en plus, il ajoute des signes et des repères qui peuvent passer pour des lettres. Et parfois, il modifie le texte original en le surchargeant avec une encre plus foncée. 4 En admettant que ce vers soit juste, il n’est pas clair. Je comprends : Qu’on perde ou qu’on gagne, il faut avoir le courage de jouer. 5 Elle s’apprête à rentrer chez elle, dans la même rue. 6 LV : badin (Voyant son épouse entrer dans la maison, le mari préfère rester dehors.) 7 Que je me réconcilie avec elle. On trouve un jeu similaire sur le radical « corde » aux vers 27-33 de Deux hommes et leurs deux femmes. 8 C’est un des coups gagnants du jeu de paume. « Elle jouoit dessus la brune/ En passant par-dessus la corde. » Légier d’Argent. 9 Jeu de mots sur l’expression « C’est corbin et corbel » : c’est bonnet blanc et blanc bonnet. (Le corbin et le corbel sont les anciens noms du corbeau.) 10 Quand il m’en souvient. 11 Je ferai semblant d’être d’accord avec ma femme. 12 Je me déferai du lien du mariage. 13 LV : descorder (J’ai l’intention de « besogner » ma voisine. « Tousjours (elle) me venoit quérir pour la recorder, que je fus une foys contrainct de la recorder plus de huit foys pour un jour. » Nicolas de Troyes.) 14 LV : sesy (Cette situation me pèse.) 15 Est mis de côté. « Pendons soucy au crocq. » (Clément Marot.) Il s’agit tout particulièrement du crochet auquel les juges et les avocats pendent les sacs de procès : « Le procès pend au croc, ne se poursuit point. » Le Roux. 16 LV : chantant (Les versificateurs normands élident le « e » quand ça les arrange : « Je chantray ma première messe. » D’un qui se fait examiner.) « La poule ne doit point chanter avant le coq…. Proverbe qui signifie que la femme ne doit point parler avant son mari. » Le Roux. 17 Avant ma mort. Jeu de mots sur « la fin du mois ». 18 Il entre chez la femme. 19 LV : que eusies pense (Rime du même au même.) Que vous auriez laissé passer un tel déshonneur de cette manière. 20 Il manque 2 vers où le Badin affirme avoir surpris le mari de son interlocutrice avec leur chambrière. 21 LV : qui leur 22 Plus acharnés au « combat » que des ennemis. 23 LV : donc 24 Trébuché. 25 Mais vous devinez de quoi il s’agit. 26 Cornard, cocu. Idem vers 72, 251 et 354. Allusion fielleuse aux Conards de Rouen : voir ma notice. 27 D’une aristocrate. Pour expliquer la mésalliance de la fille, on suppose que le père était un valet. 28 Pour enrager tout vif. Idem vers 83, 92 et 95. 29 Sous-entendu : Vous seriez vengée si vous couchiez avec moi. 30 LV : ases (Rapporter des mensonges aux uns et aux autres, c’est suffisant.) Ce vers est dit en aparté. 31 Ou si je l’enverrai balader. Cf. le Retraict, vers 180. 32 Je suis celui. 33 Quand je pris en mariage. 34 De ce qui se trame contre lui. 35 Je serai convoqué au tribunal pour diffamation. Le Badin est un habitué du prétoire : voir les vers 279-281. 36 Secret, à l’écart. 37 Toujours dans la rue. 38 La folle. « Ha ! povres foulx ! Ha ! povres fades ! » Sermon joyeux à tous les foulx, BM 37. 39 LV : remolys (À l’écart. « Doy-je estre mys a remotis ? » Ung jeune moyne.) C’est une des expressions latines qui ponctuent les plaidoiries. 40 LV : mes (Le scribe s’arroge la même fantaisie à 436.) Le mari prend à témoin les basochiens de l’assistance, qui sont en train de s’esclaffer. Il les invoque une nouvelle fois au vers 541. 41 LV : prenes y (Est-ce que cela vous fait rire.) 42 Pas plus qu’un fétu de paille. 43 Vers manquant. « D’estre venu en ceste place./ Las ! je ne sçay plus que je face./ Mourir me conviendra de fain. » L’Aveugle et le Boiteux. 44 Je ne sais pas que faire de plus. 45 LV : profite 46 Je m’en vais dans ma maison. Le mari rentre chez lui, où sa femme discute avec le Badin. 47 LV : uostre compere monsieur lyurongne (Dites plutôt un ivrogne.) 48 LV : bonne (Anticipation du vers suivant.) Parmi plusieurs dizaines d’exemples de cette locution figée, en voici un de Ronsard : « Le nez et la rouge trongne/ D’un Silène ou d’un yvrongne. » Notons qu’au vers 399, c’est la sobriété de l’épouse accusatrice qui sera fortement remise en cause. 49 Je vais, pour vous. C’est ironique : la femme n’a plus l’intention de servir son mari. 50 Jeu de mots sur paper [manger] : « Je vais morir, je qui suy Pappes…./ Tu me veux tolir [enlever] le papper ? » (Godefroy.) Le censeur a barré cette référence au pape. 51 Je suis à sec. Cf. Légier d’Argent. 52 LV : grimase (Tu es hypocrite.) 53 Rincer nos dents (normandisme) : boire un verre. 54 Ce grave discours. Les deux hommes sortent, dans l’intention d’aller à la taverne. 55 LV : la (Correction du remanieur. Le texte qui transparaît sous la rature est douteux.) Ma femme t’a raconté des horreurs sur moi. 56 Cette vieille rajeunie, grimée. « Il refondoit les vieilles, les faisant ainsi rejeunir. » Rabelais, Vème Livre, 20. 57 Ce que c’est, ce qu’elle m’a dit. 58 Les actes honteux qu’elle commet. Idem vers 34 et 54. 59 Pour sûr. Idem v. 226. 60 Nicole était souvent un prénom masculin (cf. le Sourd, son Varlet et l’Yverongne, vers 84.) Le censeur du ms. et les éditeurs de 1837 ont pudiquement remplacé le curé par un « jeune veau ». Sous la rature, on peut à la rigueur déchiffrer binyau, ou bivyau, ou bujyau. Si le « y » est mis pour un « e », comme c’est de tradition en Normandie (l’yau = l’eau), nous pouvons lire Biveau, qui rime avec « nouveau ». Ce nom était commun dans la région : voir la note 5 de Jéninot qui fist un roy de son chat. 61 LV : jey 62 Je ne le dirais pas si cela n’était pas vrai. 63 Le mari traite son épouse absente de débauchée, puis de vieille prostituée au sexe trop large. On retrouve ce « vieux cabas » aux vers 325 et 455. 64 Je t’avais autorisé tous les hommes sauf le curé. 65 LV : vienca (Voir le v. 521.) Rappelons que l’épouse est restée à la maison. 66 Battue. 67 Ou bien tu seras plus forte que moi. La musculature de cette représentante du sexe faible est encore invoquée au vers 451 : « Mais elle est plus forte que moy. » 68 Il reste dans la rue, entre le domicile des époux et celui de leur voisine. Le mari s’éloigne en direction de sa propre maison. 69 « Et la la la, faictes-luy bonne chière. » Cette chanson de Ninot le Petit, publiée en 1502, revient au vers 442. Les Badins chantent beaucoup. 70 On va l’assaisonner (péjoratif). Idem v. 282. « La pute fausse/ Lui compte toute sa pensée,/ Disant que lui fera sa sausse. » ATILF. 71 Quel pauvre type. Voir la note 99 de Maistre Mymin qui va à la guerre, et la note 244 du Capitaine Mal-en-point. 72 Quel hâbleur (mot normand). « Maint homme, par son blason [sa forfanterie],/ Semble plus hardy que Jason,/ Qui n’est, pour vray, qu’une tuache. » (Guillaume Haudent.) Rime avec le normand « grimache ». 73 Quelle maisnie, quelle maison de fous. 74 Il se dirige vers sa porte. 75 Me l’avez-vous fait : m’avez-vous trompé. La contraction normande « av’ous » ne revient pas aux refrains 169 et 172 de ce triolet : cela est dû au fait que le ms. de base ne donnait que les premiers mots des refrains. 76 Vous m’avez pris au piège comme un oiseau (sans doute un coucou). 77 Vous avez eu tort. Cf. la Confession Rifflart, vers 38. 78 Elle sort de chez elle en chantant une complainte (vers 187). Beaucoup de farces mettent en valeur l’arrivée d’un nouveau personnage par un triolet chanté. 79 LV : rire 80 Vous devriez y mettre bon ordre. 81 Vous ferez (v. 193) un effort pour être en paix avec tout le monde. 82 LV : des bonnes 83 Elles sont plus cruelles à leurs amis que des soldats. 84 LV : anys mais du tout rien (Rime du même au même.) 85 LV : bien (Tous vos malheurs viennent de vous.) 86 La voisine frappe le Badin. 87 Je ne dis plus un mot. 88 LV : ton raport (Influence du titre de l’œuvre.) Contente-toi de la part de coups que tu viens de recevoir. Dans la Nourrisse et la Chambèrière, quand la nourrice « baille sa part » à Johannès, une didascalie précise : « Elle le bat. » 89 Mauvaise. Que vous soyez pendue ! 90 Ce que. Les coups sur le crâne perturbent la mémoire. 91 J’ai connu une époque où j’avais l’habitude de rire. 92 C’est apparemment le nom de la voisine. Pour la reconquérir, le Badin se plaint dans le même ton qu’elle. 93 LV : ame 94 LV : quant (Que je te frappais à juste titre.) 95 Comme vous me l’avez dit au vers 25. LV répète ensuite : coḿent 96 Une demi-quarte de vin. « Pour payer carte de bon vin. » La Veuve. 97 Avant que notre jeu (ou que notre farce) s’achève. Même vers dans le Mystère de la Passion d’Auvergne. 98 LV : combles 99 Une chose nouvelle. 100 Toute la journée. « Je vous ay toute jour cherché. » Frère Guillebert. 101 Sans délai. 102 LV : compere et (Voir le v. 184.) 103 LV : vilaine (Même vers que 255, où on lit « vilain ».) 104 Si elle avait médit ou mal fait. 105 LV : vale (Un chaperon est un coup sur la tête, ici au figuré. « Il bailla à sa femme dronos [un coup], & chaperon de mesme : He bangde, belammed, thumped, swadled her. » Cotgrave.) 106 La demi-mondaine dont je suis voisine. Cf. Colin qui loue et despite Dieu, vers 534. 107 La familière, l’amie intime. Cf. le Poulier à sis personnages, vers 485. 108 Que la douloureuse goutte. Cf. Serre-porte, vers 221. 109 LV : quil (« Sav’ous » est une contraction normande ; voir le v. 166.) Ne savez-vous ce qu’elle vous a dit ? 110 LV : te (Voir le v. 231.) 111 Sans vous faire attendre, elle dit… 112 Vers manquant, suppléé par le remanieur. 113 La maison de monsieur saint Benoît peut être un couvent de Bénédictins. Mais le benêt, forme normande du benoît [bénit], désigne le pénis : « Après que elle auroit manié son benest (…), il coucheroit avecques elle. » Les Joyeuses adventures. 114 Qu’il n’en est : qu’aucune autre femme. 115 Votre mari fait le fringant chez votre plus proche voisine. 116 Une femme plus honnête qu’elle, je suis bien placée pour le savoir. 117 LV : jasent (Elle colportait des rumeurs.) 118 LV : parmy (Voir le v. 403.) 119 LV : naquetes (Que vous jacassiez. « On jaze, on caquète. » Sermon pour une nopce.) 120 LV : guillemete (Voir la note 133.) Les Normands prononçaient Catrine, ou Catline : « La grand Catline dit : “Vraiment,/ J’ay tant pleuré, depis un an.” » La Muse normande. 121 Je n’aurai pas le courage paralysé. 122 LV : comptera (Me le paiera. « Vous le comperrez ! » Les Femmes qui font refondre leurs maris.) 123 Vers manquant. La voisine craint d’arriver aphone devant son ennemie : « De crier je me rons la voys. » (Le Retraict.) Ce ne sera pourtant pas le cas, d’après les vers 524-5. 124 La voisine s’éloigne. Cette tirade du Badin arrive comme un cheveu sur la soupe ; c’est un clin d’œil aux basochiens qui composent le public. 125 Sans que j’en sois préoccupé. « Que tu ne soies à malaise de la bataille. » Lancelot. 126 LV : tout (Je suis convoqué au tribunal. « Adjourné en Court de Parlement. » Josse de Damhouder.) On voit que le Badin n’en est pas à ses premières frasques. 127 Toujours dans la rue, un peu plus loin. 128 Je vais l’assaisonner par mes paroles devant l’Échiquier de Normandie, où siège la cour de Justice. 129 Ce qu’elle aura à dire pour sa défense. 130 Sur la paille qui jonche les rues : elles rouleront par terre. 131 Celui qui fera semblant. « Frappe fort, Gaultier : tu te fains. » La Laitière. 132 Si je peux y arriver. 133 LV : jaqueline (Au vers 300, « Catin » est le diminutif de Catherine : voir la note 37 de Colin qui loue et despite Dieu. Mais le vers 269, qui est d’ailleurs trop long, l’appelait Guillemette.) 134 Et voir ce que son mari a fait. 135 LV : dehect (Défait : abîmé par les taloches de sa femme.) 136 La femme croit à une visite de son amant le curé. En ouvrant la porte, elle déchante. 137 Mon mari. 138 LV : se me semble (à la rime. J’adopte la leçon du remanieur. « Il aura bien chault, s’il ne tremble. » Le Pourpoint rétréchy.) 139 Il sera rassasié de coups. 140 Lacune comblée par le remanieur. Un jénin est un cocu : « Que ma femme m’ayt faict jénin. » Ung mary jaloux. 141 Je les méprise, ces misérables. 142 Vous en êtes une, que le feu de l’Enfer vous brûle ! 143 LV : qui 144 LV : le (Le passé simple « dis » peut rimer contre le présent.) 145 LV : et 146 LV : respondres vous (Au fait qu’elle m’insultait. « Répondre au fait » se dit d’un avocat qui répond sur le fond à la partie adverse.) 147 LV : le (Avec un autre homme.) 148 Ce que nous saurons lui répondre. 149 LV : abaise (Leçon du remanieur. « A ! j’abatray bien ton caquet. » Le Savatier et Marguet.) 150 Il rentre chez lui. 151 Cocu. C’est un dérivé normand de « nice » (vers 421). « Où est » se prononce « wé » en une syllabe, comme à 391. 152 Vous m’avez fait du tort. « Il en portera la paste au four : Il en portera la peine ou le dommage. » Antoine Oudin. 153 LV : cabase (Vous avez assez mystifié les gens. Venant d’un mythomane, la remarque est savoureuse.) 154 Qu’on règle. 155 De votre cause, de votre procès. Cf. l’Aveugle et Saudret, vers 593-5. 156 Par amitié pour vous. « C’est pour l’amour de vous. » Le Ribault marié. 157 Chantons. « Je vous supply que vous et moy/ Nous disons ung mot de chanson. » Deux hommes et leurs deux femmes. 158 Cette chanson, sans doute trop démodée pour que notre copiste la conserve, commençait par un vers en -ie, et s’achevait sur un vers en -ors. 159 Le censeur et les éditeurs de 1837 ont encore escamoté le curé. 160 Enclin (verbe amordre). 161 Je veux bien me passer de manger. 162 Si elle en a pris l’habitude. Cette dénégation est presque un aveu. 163 Est-ce la nouvelle mode. Cf. Marchebeau et Galop, vers 205. 164 LV : par celle (De bonne part = de source sûre. « Vous parlez de très bonne part. » Arnoul Gréban.) 165 Mes membres inférieurs, qui sont en l’air quand vous êtes couché sur moi. La phrase est comique parce que ce rôle « féminin » est tenu par un homme, dont le membre pourrait être dressé. Toutefois, le membre désigne aussi le sexe des femmes : « [Ils] avoient efforcé et violé une jeune fille (…), et après, bruslé le poil de son membre honteux. » Journal d’un bourgeois de Paris sous François Ier. 166 Récuser. Encore un terme de procédure. 167 Par. Pour aiguillonner les protagonistes contre leurs adversaires, le Badin donne à certains d’entre eux des encouragements que les autres n’entendent pas. Je mets ces exhortations entre parenthèses. 168 LV : refroides (« Se mordre les poulces : Se repentir d’un affaire. » Oudin. Nous dirions : Vous vous en mordrez les doigts.) 169 Depuis Judas, les roux ont mauvaise réputation : voir le v. 413. Allusion possible aux frères Barberousse, pirates barbaresques qui, à la même époque, réduisaient en esclavage les Chrétiens. 170 LV : quonques (Leçon du remanieur.) « Mauldit soit l’heure/ Que jamais marié je fus ! » Les Cris de Paris. 171 S’il ne vous avait pas épousée, vous seriez morte de faim. 172 LV : encores 173 Lacune comblée par le remanieur. 174 À son mari. 175 Lacune. On a déjà traité le mari de « mauvais garçon » au vers 370. 176 LV : va paser (Inutile de dire que cette anecdote a été censurée.) Le Badin croit inventer les calomnies qu’il décoche aux uns et aux autres, mais on va s’apercevoir que la réalité est bien pire que ses affabulations. 177 La chemise, qui descend jusqu’aux genoux, rentre dans le haut-de-chausses ; elle est donc la première exposée en cas d’« accident ». « J’avoys chié en ma chemise. » Les Sotz nouveaulx farcéz. 178 LV : est lours (Le jour de la Saint-Flour, le 1er juin.) On respectait le calendrier liturgique plus que les dates chiffrées : « Le lendemain, qui fut le jour sainct Andrieu. » E. de Monstrelet. 179 LV : comences (Voir les vers 380 et 421.) 180 Elle vient vers la maison où se disputent les autres. 181 En regardant par la fenêtre, il voit débouler la voisine. 182 LV : la mine (Voir les vers 254 et 263.) 183 Elle enfonce la porte. 184 Vers manquant. J’adapte le vers 498. Tu en auras, des coups. 185 Alcoolique : cf. Grant Gosier, vers 76. « Allez, yvrongne, sac à vin ! » Le Médecin qui guarist de toutes sortes de maladies. 186 Où moud. L’auteur renouvelle l’image du mortier féminin dans lequel s’agite le pilon viril. Les injures qu’il élabore ici sont beaucoup plus originales que celles qu’on trouve dans ce genre de littérature. 187 Percé de trous par la petite vérole, ou par la grosse. 188 Vieille loque au pubis pelé. 189 Parmi, dans. « De la gecter emmy la rue. » Les Maraux enchesnéz. 190 Vieille pensionnaire des établissements qui accueillent les anciennes prostituées. 191 Comme les sorcières, ou comme les juives. 192 Arrivé malheur. 193 Étui dans lequel on met la relique, en l’occurrence le pénis : « Le frère prédicateur despouille ses bragues [ôte ses braies], & approche ses reliques de dame Agathe. » (A. de Saint-Denis.) Ce vers et le suivant ont, bien entendu, été censurés. 194 LV : rouse apomimable 195 Crève-la-faim, clocharde. « Maudisné : Qui a mal dîné. » La Curne. 196 Un pilier de bordel. 197 Lépreux. 198 Idiote. 199 Un calice. Naturellement, ce sacrilège a été censuré. 200 Vers manquant. « En contrefaisant la dévotte. » Farce de quattre femmes, F 46. 201 Regardez-vous. Nous dirions : Balayez devant votre porte. 202 Le corporal est un linge sur lequel on pose le calice contenant les hosties. « Ung grant ribaut saut avant, et tantost prent le calice et les corporaulx, et s’en va. » ATILF. 203 Ce vers doit provenir d’une chanson. Le Badin l’emploie à double sens : Elle a mis le mot = elle a trouvé le mot juste. 204 Flasque, mou : vous vous laissez faire. 205 LV : se sera (Si chacun vide son sac. Inexplicablement, ces 2 vers anodins ont déchaîné la hargne du censeur.) Le sac, qui renferme les pièces de la procédure, est l’emblème de la justice médiévale. « Est-il temps que le sac on lie. » Pour le Cry de la Bazoche. 206 LV : mes (Plutôt vous !) 207 Rapporte la laine que tu as dérobée au Palais du Neuf-Marché. Plusieurs commerçants de Rouen — parmi lesquels des drapiers — occupaient le rez-de-chaussée de ce nouveau Palais de justice. Nos basochiens visent peut-être un voleur particulier. 208 LV : du serment (Le fagot de sarments que tu as volé chez les Jacobins.) Les femmes des farces vont dans les monastères pour coucher avec des moines. Sur le couvent des Jacobins de Rouen, voir la note 248 de la Pippée. 209 Morceaux, de viande ou de sexe. « Grant bien leur fissent mains loppins,/ Aux povres filles, ennementes,/ Qui se perdent aux Jacoppins. » Villon. 210 Vous allez jouter contre eux. « Mais qu’elle sente et sache premier de quelles “lances” il vouldra jouster encontre son escu. » Cent Nouvelles nouvelles, 15. 211 Faire cliqueter. « Comment sa langue desclique ! » Les Sotz fourréz de malice. 212 Péter de dépit. 213 De leurs paroles, qui sont effectivement un peu « grasses ». 214 LV : aporte 215 LV : me noḿes vous (À cause duquel.) Notons que c’est la femme qui a traité sa voisine de « cabas » au vers 325. 216 LV : brees (Braillez, du verbe braire.) 217 LV : sa belle deesse (Au vers 414, la femme comparait déjà sa voisine à la déesse « Proserpine, mère du diable ». Cf. la Nourrisse et la Chambèrière, vers 151.) 218 De hait : volontiers. 219 De médisances. 220 Réprimandez-le. 221 Et qu’il a été le détracteur de votre honneur. 222 LV : ales (Que vous vous en alliez. Or, c’est le Badin qui est chez ses voisins, et non le contraire.) 223 Remboursé. 224 Sautez sur ce misérable ! Même normandisme au vers 312. 225 Puisque je n’ai pas d’autre arme. Cf. le Moral de Tout-le-Monde, vers 12. 226 Elle brandit un balai. 227 LV : monsieur le (Je corrige au refrain de 503 la même faute, due à la ressemblance des abréviations de monsieur et de maître sur le ms. de base.) Le maître rapporteur fait partie du personnel judiciaire. Mais les rapporteurs de paroles sont des faux témoins : « Accuseurs, controuveurs et rapporteurs de parolles en derrière. » G. de Tignonville. 228 Vous en aurez, des coups. 229 Allusion au rôle de l’acteur, comme à 520. Mais le rôle est également le registre où sont inscrites les causes à plaider. 230 J’aurai obtenu du Ciel. 231 La médisance. Idem vers 519, 529 et 542. 232 De me mêler d’une telle besogne. 233 Le Badin s’enfuit. 234 Que vous m’êtes fidèle. Chacun s’empresse d’oublier les manquements des deux autres. 235 Et moi aussi. 236 Le copiste, qui n’a pas compris que nous avions là un 4e triolet, remonte ce refrain B au-dessus du vers précédent, et il loge ici un vers qui ne rime pas : flateurs menteurs et cabaseurs 237 LV : a eulx ny a nule asurance (Contamination du vers 535 ; mais le refrain A s’impose.) 238 LV : tout par tout seront 239 Ainsi que les basochiens présents. Les 2 derniers vers, un peu trop bachiques, ont été sacrifiés par le censeur et les éditeurs, ce qui a induit en erreur des médiévistes fort estimables. 240 Dans Deulx Gallans et Sancté (LV 12), ce personnage allégorique requinque les jouisseurs : « Puysque Sancté est avec nous,/ Y nous fault prendre esjouyssance…./ Vous nous servirez d’ôtelyère. » Le coït est inséparable de la « bonne vie » : « Et demora la fille à coucher avec luy ; et menèrent bonne vie emsemble ceste nuyt. » Nicolas de Troyes.