LE MESSAGER ET LE VILLAIN

Bibliothèque nationale de France

Bibliothèque nationale de France

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LE  MESSAGER

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ET  LE  VILLAIN

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Beaucoup de Mystères comportent une scène opposant un messager qui demande son chemin à un paysan, lequel prend un malin plaisir à le « faire marcher » dans tous les sens du terme ; voir par exemple la Vie de sainct Christofle. C’est aussi le cas du Mystère de saint Clément de Metz (~1440), d’où je tire ces trois petites farces indépendantes du drame.

Le messager se nomme ici Mange-matin [goinfre], comme l’un des sergents du Geu saint Denis. Nous le retrouverons dans Massons et charpentiers. À l’instar de tous ses congénères, il fait grand usage d’une bouteille de vin pendue à son col : « Dire vous vueil grande merveille. / Mais premier, me fault ma bouteille / Baiser. » Les paysans n’aiment pas les messagers, ces porteurs de mauvaises nouvelles et ces annonciateurs de guerres qui les traitent avec condescendance et brutalité ; aussi, quand notre laboureur confond saint Félix avec l’un d’entre eux, il s’en excuse vivement.

Sources : La Vie et les Miracles de saint Clément, évesque de Metz. Malheureusement, ce manuscrit du XVe siècle disparut en 1944, après l’incendie du fort qui abritait les incunables de la bibliothèque de Metz. Heureusement, Charles ABEL l’avait publié : Le Mystère de St Clément. <Rousseau-Pallez, Metz, 1861.> Malheureusement, la plupart des 141 exemplaires de cette édition furent victimes d’un nouvel incendie chez l’imprimeur. Heureusement, on en sauva quelques-uns. Malheureusement, l’avocat Charles Abel n’était pas médiéviste, et sa lecture du manuscrit demande quelques améliorations. Heureusement, le philologue Fritz TINIUS en publia des extraits plus corrects : Studien über das Mystère de Saint Clement. <Greifswald, 1909.> Malheureusement, aucun des textes que j’ai choisis n’y figure. Heureusement, Tinius avait recopié tout le manuscrit, et son travail de fourmi est déposé aux Archives de l’Université catholique de Louvain-la-Neuve, sous le nº 218 du Fonds Stengel. Malheureusement, je n’allais pas me taper les 9 220 vers qu’il empile pour n’en garder que 430. Heureusement, Jean-Charles HERBIN a reproduit certaines leçons de Tinius : Du nouveau sur le Mystère de saint Clément de Metz. <Romania, vol. 132, nº 527-528, 2014, pp. 428-460.> Il s’agit là d’un compte-rendu de lecture de l’édition critique fournie par Frédéric DUVAL : Le Mystère de saint Clément de Metz. <Droz, 2011.> J’utiliserai donc prioritairement Tinius revu par Herbin (T-H), puis Abel (A), et enfin les corrections de Duval (D). Lorsque je conserve faute de mieux les « restitutions » d’Abel, je les imprime en bleu clair. Mes modifications personnelles sont toujours entre [ ], et mon relevé des variantes ne tient pas compte des « restitutions », qui ne proviennent pas du manuscrit.

Structure : Rimes plates.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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                        LE  MESSAGER

        Je requiers à Nostre Seignour

        Que grâce me doint d’esploitier1

        À Rom[m]e2 le grant droit sentier.

        Aler me convient, bien le voy ;

5      Et se3, ne sçay (en bonne foy)

        Quel chemin me convient tenir.

        Je voy là ung villain venir,

        Tout bossu et tout contrefait.

        Parler vueil à lui de bon hait4,

10    Savoir s’enseigner me vouldroit

        Lequel chemin est le plus droit

        D’aler en la cité de Romme.

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                        Icy, doit parler le Messager au Villain :

        Dieu vous ait5, Dieu vous ait, proud’omme !

        Dieu vous envoit joie et santé !

15    Je vous requier, par grant bonté,

        Que m’enseigniez le droit sentier

        À Romme, car j’ay grand mestier

        D’esploitier sans faire séjour6.

                        LE  VILLAIN

        Par Dieu ! j’ay à non7 « Jehan Dufour »,

20    Le plus méchant8 de nostre ville.

        Se ma femme heust esté soustille9,

        Nous heussions esté riches gens :

        S(e) heussions mené les vaiches aux champs,

        Je n’eusse pas heu tant de paine.

25    Et ! ce m’est choze trop grevaine10

        De labourer à col tendu11.

                        LE  MESSAGER

        (Se Dieu me gart d’estre pendu,

        Vécy grand rage de cest homme !)

        Proud’on12, où est le chemin à Romme ?

30    Je vous requier en bonne foy

        [Que] ne me faites point d’annoy13 :

        Dittes-le-moy sans varier14.

                        LE  VILLAIN

        Je ne sçay riens de charier,

        Par Dieu, ne de mener chevaulx.

35    Je sçay mieux garder les pourceaulx :

        C’est ung mestier pour reposer,

        Et je n’é mestier de choser15.

        Tu le vois bien à mon maintien.

                        LE  MESSAGER

        [Foy que je] doy saint Gracïen16 !

40    [Vois-je17], maugracïeux villain,

        [Attendre] jusques à demain ?

        [Parlez], villain bossu dérous18 !

        [Je veulx que] puissiez estre cous19

        [Et battu] en une journée,

45    [Se ne dictes]20 sans demourée

        De Romme le chemin ; ou senon,

        [Vous aurez] ung coup de baston21.

        [Vous me fai]tes trop sermonner.

                        LE  VILLAIN

        En quel lieu me veulx-tu mener

50    [Au ser]mon ? Je n’en ay que faire ;

        [Mais qu’il]22 ne te vuelle desplaire,

        [Déjà] je suis bien sermonné :

        [Chez moy], je suis bien23 atourné

        [Quant] je reviens des champs, par m’âme !

55    [Mal-]assenée24, nostre famme,

        [Ne] cessera de rioter25 ;

        Et il me convient le26 porter :

        Autrement, je n’aroie pas paix.

                        LE  MESSAGER

        Je n’eusse peu croire jamais27

60    (Par l’âme qui ou28 corps me bat)

        Que tu sceusses tant de débat,

        Telz truffes29 ne telz mocqueries.

        Je te pry que plus ne varies :

        Il est heure de moy partir.

65    Je t’en pry, dis-moy sans mentir

        Mon chemin le plus droit à Romme.

                        LE  VILLAIN

        À Romme ? Il n’est30, d’essy là, homme

        Qui31 mieux le te sceût enseigner

        Sans toy nullement engigner32.

70    Tu ne povoies mieulx assigner33 :

        Oncques ne feis que cheminer34.

        Par foy35 ! j’en suis trètous bossu.

        J’ay esté fort, et bien ossu,

        Ung tems passé ; et cheminoie

75    À deux piés comme fait une oie36.

        Et il me fault aler à trois37.

                        LE  MESSAGER

        Je vous pry à ung mot courtoix,

        Beau père38 : sans tant sermonner,

        Dittes-moy où je doy tourner.

80    Ou senon, que je m’en revoise39.

                        LE  VILLAIN

        Ho là ! ne faisons plus de noise,

        Nous avons assez estrivé40.

        Tu iras droit à Saint-Privé41.

        Et de Saint-Privé, à Moullins :

85    C’est le chemin des pellerins

        Droit à Boulogne-sur-la-Mer42.

        [Va] à Béthune, à Saint-Thomer43.

        De là, t’en iras sur le Ryn :

        À Coulogne c’est le chemin44.

90    De là, t’en iras à Arras,

        À Bruges ou à Carpantras45,

        [Ou] à l’Escluse46 aux harangs frais.

        Et de là, t’en iras après

        À Callés et à Canthorbie47.

95    Que ton chemin ne perdes mie !

        [Puis iras] tout droit à Rouen ;

        [Ou se tu v]eulx, à Saint-O[u]en.

        [Finiras dr]oit à Montfaulcon48,

        [Où finit] notable maison.

100  [Tu iras à Rains49], à Angiers.

        [Aler tu p]eulx droit à Louviers.

        [De là, à] Troyes-en-Champaigne.

        [Pour que tu] n’aies tant de paine,

        [Vécy ung bien] plus court chemin :

105  [Tu iras] droit à Saint-Quaintin50,

        [À Alen]çon et à Soissons,

        [Puis en Avign]on, à Lyons,

        [En Ber]ry et en Bourbonnois,

        En Brethaigne et en Gathinois51,

110  En Portugal, en Arragon.

        C’est ung chemin notable et bon.

        Puis revendras droit en Bourgogne

        (C’est le [plus] seur52 de ta besongne),

        À Salins, et droit à Saint-Glaude53.

115  Et là, aras-tu une chaude54

        [De] monter le mont des Faucilles55 :

        Autant vauldroit jouer aux guilles56

        Que d’avoir cest ébastement !

        Et là, verras-tu franchement

120  Que jamais ne pourras fa[i]llir

        À ton chemin tout droit tenir

        À Romme, la noble cité.

        Or me suis-je bien acquitté

        De toy montrer la droite sente.

125  Je me fais fort — et sy, me vente57

        Que n’est [nul] homme en la contrée

        Qui58 la voie mieulx t’eust monstrée.

        Quant te plaist, tu t’en pues aler59.

                        LE  MESSAGER

        Deables vous apprist à parler,

130  Or[d]60, vil, sanglant villain derrous !

        Je vous romperé tout de coups !

        M’enseignez-vous donc telle voie

        Où n’ait enseigne ne monjoie61 ?

        Teneis, allez vous reposer !

135  Et s(e) ad ce voullez opposer62,

        Vous aurez cela et tant moins63 !

        Vous m’envoiez de Bruge(s) à Rains,

        En Bourbonnois, en Arragon ?

        Or tenez ce coup de baston !

140  Villain,  deables vous ont cy apporté !64

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                        LE  VILLAIN,  se frottant l’eschine :

        Lasse ! com’ sui desconforté,

        Maleureux et povre méchant !

        Il m’en fault aller tout clochant65

        En la maison Ma[l-]assenée66.

145  Certes, elle sera desvée67

        Et hors du sens, quant me verra.

        Je sçay bien que ne se pourra

        Tenir de moy bien lédenger68.

        Or est-il bien en grant denger,

150  Par m’âme, qui69 est marié !

        Encore en [est-]il harié70.

        Il me convient bien que g’y aille.

        Or avant, sus ! Va[i]lle que va[i]lle,

        [J’iray luy]71 dire mon méhain ;

155  Mais je sçay bien, tout de certain,

        Qu’elle menra jà grant tempeste.

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                        Icy, le Villain doit parler à

                        sa femme, et dire ainsy :

        Je suis venu72. [N’]esse grant feste73,

        Par m’âme : j’en revien clochant.

                        LA  FEMME

        Ha, que tu seras [bon] truant74 !

160  M[on Dieu], est-il bien méhaigné75 !

        [Il a son trav]ail bien waigné76 :

        [Il a] toute la hanche route77.

                        LE  VILLAIN

        [Hélas, Mal-]assenée ! Escoute,

        [M’amie] : je suis tout derrous.

                        LA  FEMME

165  [Par m’âme !] vécy grant courrous,

        [Grant dammage] et grand desplaisance.

        [Par Nostre] Dame de Lience78,

        [Vécy] bien piteuse journée !

        Ô doulce Vierge couronnée !

170  Quelz gens avez-vous rencontré(s) ?

                        LE  VILLAIN

        A ! en mal an79 soit-il entré(s),

        Qui80 ce m’a fait, et en mal jour !

        A ! m’amie, ma suer81, m’amour :

        Ç’a fait un messager, par m’âme !

                        LA  FEMME

175  Ung messager ? Par Nostre Dame,

        C’est82 bien fait ! Dame83 glorïeuse !

        Jamais parolle gracïeuse

        De vostre bouche n’istrera84.

                        LE  VILLAIN

        Je voy bien qu’il me convenra85

180  (Par m’âme) prendre en pacience,

        Et mes maulx mettre en oubliance.

        À ma femme n’en chaut86 que peu ;

        Par Dieu, el(le) ne donrroit ung cleu87,

        S’on me metoit demain en terre.

                        LA  FEMME

185  Or pleust à monseignour saint Pierre,

        Villain, qu’en88 feussiez seppelit !

        Oncques un seul jour n’eus délit89,

        Joie ne soulas, aveuc vous.

        Vous estes bossus et derrous.

190  J’ay toute perdue ma jouvente90.

        Vous n’aurez jamais aultre entente91

        Que d’avoir une grosse escuelle

        De mattons92, et seoir sur la celle

        En l’aatre93, comme un pouppart.

195  Avoir de la joutte94 et du lart,

        Par foy, c’est toute vostre vie.

        Hé, Dieu ! com’ je feis grant folie

        Quand je vous pris ! Je m’en repens,

        Par Dieu ! Si vous viviez cent ans,

200  Tousjours ar[oi]es95 paine et doullour.

        Bien fûtes plein de grant follour96,

        [Et] de sottie, et d’envoiseure97,

        Quant premier meistes vostre cure98

        De prendre femme en mariage,

205  Qui99 ne sçavez riens de mesnage.

        Se bien vous vient, c’est aventure100.

        Bien estes meschant créature.

        Allez[-vous-]en, villain paisant101 !

        À personne n’estes plaisant.

210  Jamais jour102 ne vous serviray.

                        LE  VILLAIN

        A ! ma suer, je m’adviseray103.

        Pour Dieu, ne me délaissiez mie !

        Je suis à la fin de ma vie.

        Par foy ! jamais ne vous diray

215  Desplaisir, se ne suis en ivray104,

        Hors mes sens, ou matelineux105

        [Du tout]106. Encore amé-je mieulx,

        M’amour107, que vous soiez jolie,

        [Gaye, mignote]108 et envoisie.

220  [Je feray] tout vostre vouloir,

        [Quant bien je] m’en deusse douloir109.

        [De moy] ne partez, je vous prie !

        [Se demourez,] ma doulce amie,

        [Je vous feray] assez de bien110.

                        LA  FEMME

225  Loué en soit saint Gracïen !

        Mon mari devient ung peu sage.

        Onc(ques) ne [le] veis en tout son âge111

        Plus gay, plus joly. Tant112 plus vault !

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Un autre jour, le messager demande l’heure au paysan : les hommes des champs vivent au rythme des cloches et savent toujours quelle heure il est, sauf quand ils sont aussi sourds que notre vigneron… Les deux ennemis ne se reconnaissent pas. Pour des raisons pratiques, je continue le numérotage des vers.

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                        LE  MESSAGER

        Dites-moy tost, se vous voullez,

230  Quelle heure il est, je vous en prie113.

                        LE  VILLAIN

        En Brie, compains114 ? Dieu vous conduie !

        Ha, la bonne contrée, par m’âme !

       Je voudroie que moy et ma femme

        Fussiens demourans à Paris.

235  Hé, Dieu ! quant esse bon païs115 !

        Je suis dollant que n’y demourre.

        Toute jour116 me tue et laboure :

        À paine ai-ge pain à mengier ;

        Encore l’ai-ge à grant dengier.

240  Et  se g’y estoie, à l’adventure,

        Je porteroie l’enffeutrure117.

        Au moins, j’aroie118 fructus ventris.

        Se piessà m’en fusse près pris119,

        Il m’en fust mieulx, bien dire l’ose.

                        LE  MESSAGER

245  N’arai-ge de vous aultre chose ?

        Dites, villain ! Parlez à moy,

        Ou (foy que je doy saint Elloy)

        Vous saurez que mon baston poise120 !

                        LE  VILLAIN

        A, dea ! où veulx-tu que je voise121 ?

250  Tu ne sces comment122 je cheminne :

        Par Dieu ! quand je vois123 en la vigne,

        G’y mès, à venir, demi jour.

        Je te requier par fine amour124 :

        Laisse-moy issy, s’y te plaist !

                        LE  MESSAGER

255  Dites-moy doncq quel heure il est !

        Vrament, vessy grant deablerie !

                        LE  VILLAIN

        Quelle heure il est ? Sainte Marie !

        C’est forte chose125 à deviner.

        Or, par ma foy, j’y vueil penser ;

260  Jà tost le te saray à dire126.

                        LE  MESSAGER

        Abrégez-vous127, je vous pry, sire !

        Certes, vessy grant villonnie128 !

                        LE  VILLAIN

        Il est les douze et la demie129.

        Par foy ! il est tems de dîgner130.

265  Dis-moy : où veulx-tu cheminer ?

        La chose est-elle moult hâtive131 ?

                        LE  MESSAGER

        A ! Jésu Crist, quel rétentive132 !

        Tant de fois lui ay recordé133 !

        N’est [homs qui]134 n’en fust alourdé.

270  Huy, ne [luy] demande aultre chose

        Que me meist en135 chemin de Gorze.

        Vessy moult grande ruderie,

        Grant despit et grant mocquerie

        De ce villain. Pendu soit-il !

                        LE  VILLAIN

275  Foy que doy moy136 ! Compains gentil,

        Je vous enseigneré la voie,

        Je vous promés, se Dieu me voie137.

        Je vous diray tout proprement

        Le chemin, par mon sacrement,

280  Aussy droit comme une faucille138.

        N’est pas tout vray comme Euvangille

        Quanque139 je dis, soiez certain.

        Mais, foy que je doy saint Guilain140,

        Tu me sembles fort et habille141.

285  Premier, iras à Thïonville,

        À Luxembourc, à Saint-Hubert.

        Et pour tenir le plus couvert142,

        Le meilleur et le plus commun,

        T’en revenras droit à Verdun,

290  À Clermont [et] ès bos143 d’Argonne.

        Et affin que tu environne

        Le païs144 et qu’i t’en soubviengne,

        Au Neuf-Chastel145 (droit en Lorraine),

        À Widesmont146, à Espinal.

295  Et se tu veulx descendre aval

        Pour trouver la voie plus belle,

        Venras à Chastel-sur-Mézelle147,

        À Thoul et à Vorengéville148,

        À Nensey149 puis à Gondreville,

300  Et (sans faire plus lonc sermon)

        Le grand chemin droit à Mousson.

        De là, ne pourras-tu fa[i]llir

        — Se tu ne veulx plus loing sa[i]llir —

        Que ne voises tout droit à Gorze.

                        LE  MESSAGER

305  Par saint Jehan ! Villain, je m’oppose

        À vos dis et à vo conceil150.

        Deablement avez grant flaveil151 !

        Qu’en mal an et malle sepmaine,

        En maul jour et en male estraine152

310  Soiez-vous mis ! Tenez cela !

        Tenez ! Tenez ! Dormez-vous153

        En attendant que je reviengne154 !

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                        LE  VILLAIN

        Ay mi155 ! il m’a rompu l’eschigne,

        Tant m’a féru despitement156.

315  Morir puist-il villainement157 !

        Jamais ne pourré labourer.

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                        LA  FEMME 158

        Je ne veis oncques demourer

        (Par mon serment), qu’i m’en soubviengne159,

        Mon mari sy tart à la vigne.

320  Par foy ! je doubte160 qu’i ne soit

        Malade, voire, ou [bien] qu’il n’ait

        Quelque accident. G’y vueil aler :

        Je n’en puis riens plus supposer161.

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        Ha, Nostre Dame de Boulogne !

325  Qui vit oncq-mais telle besongne162 ?

        Ha ! Jehan Dufour, ami, quel ch[i]ère163 ?

        Ce n’est pas cy belle manière.

        Ay my, lasse, desconfortée !

                        LE  VILLAIN

        Vous faites la chatte mou[i]llée164.

330  A ! sainte Marie, quel feste !

        Comment ? elle [a] mal en sa teste165 ?

        Par foy ! je sui bien assené166.

        Sytost que j’ay le dos tourné,

        Par foy, vous me faites la nicque167.

335  A ! Nostre Dame, quel pratique !

        Esse bien joué de sa168 dame ?

        Elle fait semblant qu’elle m’ame169 :

        Elle vouldroit que fusse en bière170.

        Mais c’est des femmes la manière :

340  Souvent jouent de passe-passe171.

                        LA  FEMME

        Et que voulez-vous que je fasse ?

        Dittes, sire ! Je vous cuidoie

        Faire joieulx, et y prenoie

        Plaisir plus qu’à nulx homs172 vivant ;

345  Et je voy bien, dorénavant,

        Que j’ay perdu tout mon labour173.

                        LE  VILLAIN

        A ! Dieu, escoutez le bon tour !

        Par foy ! vélà cy bien trouvée.

        Ma femme s’est bien esprouvée174 :

350  Elle m’aime mieux que no prestre175 ?

        Par Dieu ! elle me menroit pestre176

        Bien souvent ; et dit bien et bel,

        Des nues, que ce sont pel de veel177.

        Je suis bien marié, par m’âme !

                        LA  FEMME

355  A ! glorïeuse Vierge, Dame !

        Cest homme est entré en fantosme178.

        Foy que doy monseigneur saint Cosme !

        Jehan Dufour, vécy laide chose.

                        LE  VILLAIN

        Je t’en pry, que point ne me chose179 :

360  Va-t’en d’es[s]y, car tu m’ennuye !

                        LA  FEMME

        Bien doy180 haïr toy et ta vie,

        Méchant villain bossu derrous !

        Bien doy avoir au cuer courrous.

        Quant oncques te veis, fut dammage181.

365  Il geist issy comme une vache ;

        Or, fais du pis182 que tu porras.

        Mais de cest an, ne me verras.

        Je me tenré gaie et jolie183.

*

Saint Félix, à la recherche d’un messager, se renseigne auprès du vigneron sourd, qui le prend lui-même pour un représentant de cette profession exécrée. Il faut vraiment que le saint soit confessé de frais !

.

                        [SAINT]  FÉLIX

        Ho, beau père ! Ho, beau cousin !

370  Parlez ! Dieu vous met’ en bon an184

        [Et vous doint joye et santé !]185

                        LE  VILAIN

                                                             Han186 ?

        [Han ? Han ?] Quel choze [me] dit-on ?

                        [SAINT]  FÉLIX

        Il est en Vermendois, proud’on,

        « Han ». Ne le saviez-vous [donc] mie ?

                        LE  VILAIN

375  Nennin, par la Vierge Marie !

        Ha ! sire, dea, ne vous desplaise :

        Je cuidoie (foy que doy saint Blaise)

        Que vous fussiez ung messager.

        A ! il[z] m’ont, hui, fait enrrager !

380  Ce sont très maulvaise(s) mardaille187 !

                        SAINT  FÉLIX

        Coisiez-vous188, proud’on ! Ne vous chaille :

        Il fault tout prendre en pacïence.

                        LE  VILLAIN

        Par Nostre Dame de Liance !

        Syre, non189 (se Dieu me sequeure),

385  Je ne sçay où elle190 demeure :

        Je ne vous saroie l’enseigner.

                        SAINT  FÉLIX

        Or vessy bien pour soy seignier191 !

        Qui « enseigner » ? Dieu, quel science !

        [Qui « enseigner » ?]

                        LE  VILLAIN

                                           Qui ? Pacience :

390  Ne la demandez-vous pas, sire ?

                        SAINT  FÉLIX

        C’est issy assez pour bien rire,

        Qui aroit bonne voulenté192.

        Adieu ! Dieu vous envoit senté !

        Proud’on,  je m’envois ; à Dieu vous commant193 !

395  Adieu, villain !

.

                                 Mès advisez comment

        Ce proud’on respont aux pensées !

        Il m’eust jà tenu trois journnées,

        Se l’eusse194 voulu escouter.

        Je ne saroie raconter

400  Son parler195 en une heure entière.

        C’est la chansson de la Bergière196 :

        Tousjours est-ce à recommancier.

        ………………………….. 197

        J’ay là trouvé ung pellerin198,

        Ung homme de peu de value ;

405  Il se tient tout enmy la rue ;

        Il ne respont riens à proppos.

                        LE  MESSAGER

        A ! sire, par foy : c’est ung sos199.

        Il respont tout par enbagés200.

                        SAINT  FÉLIX

        Je vous pry que vous201 abrégez !

410  Passons tost, sans nul mot sonner :

        Il nous vouldroit arrésonner202.

        Je sçay bien qu’il ot203 ung peu dur.

        Soiez hardiement tout asseur204,

        Et passez tost et vitement !

                        LE  MESSAGER

415  Voulentiers, par mon sacrement205 !

        Allez devant, tost cheminez !

.

                        LE  VILLAIN 206

        Ho ! syre, sire, revenez !

        A ! dea, vous doubtez le babbou207 ?

                        SAINT  FÉLIX

        [ Or paix, villain !

                        LE  VILLAIN

                                        Harou !! harou !! ]208

                        LE  MESSAGER

420  Or paix, villain ! Demourez là !

        A ! dea, villain, esse cela ?

        Vous mocquez-vous des compangnons ?

.

                        LE  VILLAIN

        Ore (par Dieu ne par ses noms209),

        C’est bien passe[r] en larressin210 !

425  A, quelz esplucheurs de pressin211 !

        Sont-ilz bien passés coiëment212 !

        Or (par Dieu qui ne fault213 ne ment),

        Je cuide, par ma grant science,

        Que c’est cil qui quiert214 Pacience :

430  Il a215 trouvé ce qu’il quéroit.

*

1 De parcourir. Idem vers 18. « Exploitons chemin ! » ATILF.   2 De Rome. Idem vers 17, 29, 66 et 122. Que Dieu me donne la grâce de suivre le bon chemin pour Rome. On voit qu’en dépit du proverbe, tous les chemins ne mènent pas à Rome.   3 Et pourtant.   4 De bon cœur. Le messager et le vilain se sont déjà disputés au tout début du Mystère, mais curieusement, chacune de leurs rencontres annule les précédentes. Il en est de même pour les maçons que le messager recrute à plusieurs reprises comme si c’était la première fois. On pourrait croire que deux auteurs ont travaillé sur cette œuvre indépendamment, ce qui ne serait pas un cas unique : voir le chanoine Pra et Claude Chevalet pour le Mystère des trois Doms.   5 Que Dieu vous aide ! « Dieu vous aist, Dieu vous aist, prod’ome ! » St Clément.   6 J’ai besoin de le suivre sans tarder.   7 J’ai pour nom. Le paysan est très sourd et comprend tout de travers ; il croit que le messager lui a demandé son nom.   8 Misérable. Idem vers 142, 207 et 362.   9 Subtile. Ses frères ont hérité des troupeaux, tandis qu’elle ne recevait qu’une modeste vigne. Voir la note 2 de Raoullet Ployart.   10 Pénible.   11 Avec effort. « Ouvrer vueil à col estendu. » St Clément.   12 Prud’homme, homme sage. Même flatterie injustifiée aux vers 13, 373, 381, etc. « Où est » se prononce « wé » en 1 syllabe : voir ma préface.   13 D’ennui, de difficulté.   14 A : harier  (Sans tergiverser. « Je m’en vais sans plus varier. » St Clément.)  Le sourd a entendu « sans charrier » : sans conduire une charrette attelée.   15 Avec les porcs, je n’ai pas besoin de me quereller. Idem vers 359. « On ne vous devroit mie choser. » (St Clément.) Préférer garder des cochons est le summum de la rustrerie : « Je veulx garder les pors ! » Le Villain et son filz Jacob.   16 Par la foi que je dois à St Gratien. Voir les vers 247 et 283.   17 Vais-je. Idem vers 251 et 394. « Je voys atendre icy devant. » Lucas Sergent.   18 Brisé ; participe passé de dérompre. Idem vers 130, 164, 189 et 362. L’auteur anonyme est lorrain : son vocabulaire et sa graphie s’en ressentent, même s’ils sont imprégnés de picard et de wallon.   19 Cocu : « Les femmes font coux leurs maris. » (Les Esbahis.) Dans les farces, beaucoup de maris trompés sont battus par leur épouse : « Marié, coqu, battu. » Rabelais, Tiers Livre, 20.   20 A : [Vous me] dist  (Si vous ne dites pas sans retard. « Allons-nous-en sans demourée. » Le Mince de quaire.)   21 « Vous aurez cent coups de baston ! » (Le Pasté et la tarte.) Le « bâton » des messagers est une lance au bout de laquelle flotte la bannière de leur patron. Notre messager dit ailleurs : « Ma lance prendrai vistement. » Voir les vers 139 et 248.   22 A : [Por c]eu  (Ne t’en déplaise. « Mais qu’il ne vous vueille desplaire. » Le Médecin qui guarist.)   23 A : tel  (Bien accablé. « Me voicy bien atourné. » Frère Guillebert.)   24 Nom générique des femmes mal mariées : « Mon père avoit nom Rien-ne-vault,/ Et ma mère Mal-assenée. » (L’Aveugle et Saudret.) Voir la note de Duval. L’épouse du laboureur est encore nommée ainsi aux vers 144 et 163. L’autre fatiste baptisera de la sorte la femme d’un pilier de tavernes : cf. Massons et charpentiers, vers 342.   25 De me quereller. Cf. le Ribault marié, vers 116.   26 A : de  (Il faut que je le supporte. « Il m’est mestier [nécessité]/ De le porter pacïemment. » Les Gens nouveaulx.)   27 Je n’aurais jamais pu croire.   28 Au. « Qui ou corps nous ait rendu vie. » St Clément.   29 Plaisanteries. « Sans truffe ou sornette. » Le Testament Pathelin.   30 A : n’y ait  —  D : n’ait  (Il n’y a pas, par ici, un seul homme qui.)   31 T-H : Que  —  A : Qui   32 Sans te tromper aucunement.   33 Mieux choisir.   34 Je ne fis jamais autre chose que voyager.   35 Par ma foi ! Idem vers 196, 214, 264, etc.   36 Par conséquent, il se dandinait d’un pied sur l’autre d’une façon ridicule.   37 Sur trois pieds : avec une canne. Allusion à l’énigme que résolut Œdipe.   38 On attendrait « beau sire » ; mais « beau père » est plus révérencieux quand on s’adresse à un vieil homme. Idem vers 369.   39 Ou sinon, que je m’en retourne.   40 Chicané.   41 Saint-Privé-la-Montaigne se nomme aujourd’hui Saint-Privat-la-Montagne. Cette commune lorraine jouxte Moulins-lès-Metz. L’index nominum de Duval gagnerait à être revu.   42 Qui mène à Boulogne-sur-Mer. Ce n’est évidemment pas là que se trouve le célèbre pèlerinage de Notre-Dame-de-Boulogne, nommé au vers 324 : c’est à Boulogne-Billancourt. Mais le paysan, qui n’a jamais quitté sa vigne, commet des confusions toponymiques.  Abel décale ce vers et le suivant après le vers 89.   43 Nouvelle erreur du paysan : c’est Saint-Omer qui est près de Béthune.   44 C’est le chemin de Cologne, ville allemande traversée par le Rhin. Le laboureur veut sans doute parler de Coblence, qui est en rapport direct avec la Lorraine puisque la Moselle, qui arrose Metz, se jette dans le Rhin à Coblence.   45 Cette ville provençale n’a rien à faire ici. Le paysan la confond peut-être avec le hameau flamand de Capendu.   46 Port de pêche hollandais, non loin de Bruges.   47 Cantorbéry [Canterbury] est une ville anglaise, comme le fut Calais entre 1347 et 1558.   48 À Montfaucon-d’Argonne. Mais le laboureur envoie le messager au gibet de Montfaucon, où ont fini plusieurs fils de famille et leur maison [leur lignée].   49 Le paysan doit nommer Reims quelque part, comme le vers 137 le stipule.   50 À Saint-Quentin, en Picardie.   51 Dans le Gâtinais.   52 Sûr, prudent. « C’est le plus seur. » Saoul-d’ouvrer et Maudollé.   53 Saint-Claude, dans le Jura, non loin de Salins-les-Bains.   54 Tu auras un coup de chaud.   55 On pourrait croire à une nouvelle erreur du paysan, mais ce lieu existe bien, et la Moselle y prend sa source.   56 Forme lorraine de « quilles ». Voir la note de Duval.   57 Et aussi, je me vante. « Et si, me vante sans abus/ De juger eaulx. » Jénin filz de rien.   58 T-H : Que  —  A : Qui   59 Tu peux t’en aller.   60 Sale.  Déroupt = rompu, bossu ; voir la note 18.   61 Ni écriteau, ni croix indicatrice aux carrefours. « Là eut une croix-de-par-Dieu/ Plantée à l’endroit du meillieu,/ Qui aux passans sert de montjoye. » (ATILF.) Mais notre ivrogne songe peut-être aux enseignes de tavernes : « C’est à l’enseigne de l’Estoille/ Que devez boire. » (L’Aveugle et Saudret.) « À l’enseigne du Pot d’estain. » (Le Badin qui se loue.)  Le messager flanque au vigneron des coups avec le bâton de sa lance.   62 Et si vous voulez faire opposition à cela, à ces coups de bâton.   63 À tout le moins. Cette expression accompagne parfois les coups que l’on donne : « –Vous recevrez ce passe-avant [ce coup]/ Et tant moins sur vostre museau !/ –M’as-tu frappée ? » La Laitière.   64 Le messager poursuit sa route.   65 En boitant. Idem vers 158.   66 De Mal-assenée, mon épouse. Génitif archaïque : « À la maison monsieur Benest. » Le Raporteur.   67 Folle de rage. Cf. Frère Guillebert, vers 243.   68 A : le denger  —  D : ledenger.  (Qu’elle ne pourra se retenir de bien m’humilier. « De nous laisser tant lédenger. » Le Poulier à quatre personnages.)   69 Celui qui.   70 Harcelé. La poésie antimatrimoniale fait toujours rimer « harié » avec « marié » (et « mari » avec « marri »).   71 A : Je lui ire  (Où le bât me blesse. « Dy-moy, je t’en pry, le méhain. » Massons et charpentiers.)  Le paysan clopine vers sa chaumière.   72 Me voilà. C’est la formule qu’on prononce quand on rentre à la maison : « Dieu gard, mère ! Je suis venus. » Mahuet.   73 Ce n’est pas une grande joie. « J’en ay grant feste. » Le Brigant et le Vilain.   74 Les truands sont des mendiants qui exhibent une blessure ou une infirmité. « Quel argent ? Tu es bon truant ! » Le Mince de quaire.   75 Blessé.   76 Gagné (graphie lorraine). « Vous l’avez bien waingnié. » St Clément.   77 Rompue. « J’en ay toute la hanche route. » St Clément.   78 Le plus célèbre pèlerinage de Picardie est encore nommé à 383.   79 Dans une mauvaise année. Idem vers 308. « Ha ! Qu’il soit entré en mal an ! » Le Pardonneur.   80 T-H : Que  —  A : Qui  (Celui qui m’a fait cela.)   81 Ma sœur : petit nom que les maris donnent à leur femme. Idem vers 211. « M’a-mi-e » [mon amie] compte pour 3 syllabes.   82 A : Il ait  (C’est une bonne chose qu’il vous ait battu. Quand les épouses des Hommes qui font saller leurs femmes envisagent de bastonner leur mari, l’une d’elles ajoute : « Par ma foy, ce sera bien faict ! »)   83 A : la  (Sainte Vierge ! Idem vers 355. « Je pry la glorieuse Dame. » St Clément.)   84 A : n’istrerait  (Cette désinence du futur, source de confusions avec le conditionnel, est fréquente dans notre Mystère mais pas systématique ; je rétablis donc la forme usuelle, de même qu’à la rime. Issir = sortir.)  Il vous a battu parce que vous l’avez offensé.   85 Conviendra, faudra. Ce futur, qui est notamment lorrain, réapparaît aux vers 289, 297 et 368.   86 Cela n’importe.   87 Elle n’en donnerait pas même un clou. « Je n’en donroie pas ung cleu. » (Massons et charpentiers.) Nous disons toujours : Cela ne vaut pas un clou.   88 A : qu’on vous  (Sepeli = enseveli. « Que brièfment en terre soit mys/ Et sepelis. » St Clément.)   89 Du plaisir, y compris sexuel. La Mariée des Mal contentes se plaint de son époux dans les mêmes termes : « Bref ! jamais je n’y eustz délict. »   90 Ma jeunesse.   91 Désir.   92 De fromages mous. Voir le vers 306 de Massons et charpentiers. « Ma mère, que j’aye des matons ! » Mahuet.   93 Et de vous asseoir sur un siège, devant la cheminée. On scande « a-a-tre » en 3 syllabes.  Un poupard est un nourrisson.   94 De la soupe aux choux.   95 J’aurais. Idem vers 58, où -roie compte aussi pour 1 syllabe.   96 De grande folie. « Folleur seroit que vous détinse/ D’abus. » Colin qui loue et despite Dieu.   97 De sottise et de frivolité.   98 La première fois que vous avez mis votre soin.   99 T-H : Que  —  A : Qui  (Vous qui.)   100 Si vous gagnez de l’argent, c’est par hasard. « Le bien vous vient lors que vous y pensez le moingz. » Blaise de Montluc.   101 Paysan. Prononcer « pè-san » en 2 syllabes, qui rime avec plaisant, comme dans Troys Gallans et Phlipot : « Tu t’abilleras en paisant ;/ Or luy sera le cas plaisant/ De voir que supédicterons/ Le paysant, et demanderons/ Des vivres. »   102 Nul jour.   103 Ma sœur [ma femme], je me corrigerai.   104 Enivré. « –Nous boirons gros comme le bras,/ S’une foys j’en suys délivré./ –Va-t’en, et ne soys pas yvré ! » Le Gallant quy a faict le coup.   105 Atteint de folie, le mal de saint Mathelin. « Tu es matelineux ou yvre. » D’un qui se fait examiner.   106 A : De tout çà  (Totalement. « Si, nous a resjouys du tout. » Les Sotz qui remetent en point Bon Temps.)   107 A : M…..ner  (Voir le vers 173.)  J’aimerais encore mieux que vous soyez jolie, quitte à ce que vous plaisiez aux autres hommes.   108 A : [Mais non] déuote  (Gaie, gracieuse et joyeuse. « Sottes gayes, délicates, mignottes. » Jeu du Prince des Sotz.)   109 Même si je devais m’en repentir.   110 « Soys-moy tousjours loyal, Gaultier,/ Je te feray assez de biens. » Les Sotz escornéz.   111 Je ne l’ai jamais vu, de toute sa vie.   112 A : ne  (Il vaut d’autant mieux. « Tant plus vault le chevalier, et moins se prise. » Clériadus.)  Jeu de mots : mon mari est encore plus veau [bête]. « Et si le mary est si veau. » Les Cris de Paris.   113 Nouveau dialogue de sourds ; le vigneron a cru entendre : « Je vais en Brie. »   114 Compagnon. Idem vers 275.   115 Que c’est un bon coin !   116 Toute la journée, je… « De braire et crier toute jour. » St Clément.   117 Un porteur d’enfeutrure est un porte-faix, dont les épaules sont protégées par du feutre rembourré. Idéal pour ne plus sentir les coups de bâton ! « Porteurs à l’enfeutreure, brou[é]tiers, lyeurs de fardeaulx. » ATILF.   118 T-H : aroi ge  (J’aurais mon fruit de ventre : quelque nourriture à me mettre dans le ventre. « Pour la pitance,/ Pour fructus ventris, pour la pence. » Mallepaye et Bâillevant.)   119 Je comprends : Si je m’y étais pris plut tôt. Cependant, « près pris » signifie encerclé, acculé. Quoi qu’il en soit, le laboureur fait l’apologie de Paris dans un Mystère commandé par des Messins.   120 Combien pèse le bâton de ma lance. « Sçauras que ma main poise ! » Gournay et Micet.   121 Que j’aille. Idem vers 304. Le sourd croit que le messager veut l’emmener avec lui.   122 Avec quelles difficultés.   123 Je vais.   124 Par amitié. « Je vous requiers par fine amour,/ Mon doulx seigneur ! » St Clément.   125 Une chose difficile.   126 Je saurai [pourrai] bientôt te le dire. Le laboureur examine la position du soleil dans le ciel.   127 Taisez-vous ! Idem vers 409. « Abrégez-vous sans plus enquerre [questionner] ! » Jeu du Prince des Sotz.   128 Voilà une grande vilenie, une honte. « Villonie et déshonneur. » (ATILF.) C’est également la condition du vilain, du paysan.   129 Il est midi et demi.   130 De dîner.   131 Urgente.   132 Quelle mémoire il a.   133 Je lui ai rappelé ma question.   134 A : homme  (« Il n’est homs qui n’en fust esbahis. » Les Vœux du Paon.)  Il n’y a nul homme qui n’en soit étourdi.   135 T-H : on  —  A : en  (Gorze est proche de Metz, où les deux interlocuteurs se trouvent. Les Lorrains prononçaient « Gôze », qui rime encore ailleurs avec chose, mais aussi avec oppose.)   136 Même juron blasphématoire au vers 298 de Massons et charpentiers. Un bon chrétien aurait dit plus modestement : « Foy que doy Dieu ! » Serre-porte.   137 Déformation populaire de « si Dieu m’avoie » : si Dieu me conduit. « En Galle allons, se Dieu me voie ! » St Clément.   138 Par des voies sinueuses. « En Paradis yrons/ Aussi droit comme une faucille. » Maistre Jehan Jénin.   139 T-H : Quancq que  —  D : Quancque  (Tout ce que je dis n’est point parole d’Évangile. « Je me desdis/ De très tout quanque je te dis. » L’Aveugle et Saudret.)   140 Duval note : « Jeu de mots sur guile ‟tromperie”. »   141 Habile, apte à marcher longtemps.   142 Pour prendre un chemin forestier. « Nous irons les chemins couvers,/ Que le soleil sy ne nous brûle…./ Sans tenir le sentier couvert. » Le Monde qu’on faict paistre.   143 Aux bois. Cette forêt s’étend dans les Ardennes, près de Clermont-en-Argonne et de Verdun.   144 Que tu fasses le tour de la région.   145 À Neufchâtel-devant-Metz.   146 Erreur du paysan pour Vaudémont, en Lorraine.   147 Tu viendras à Châtel-sur-Moselle. Grave confusion du laboureur : méselle = lépreuse. « Vieille putain méselle ! » ATILF.   148 À Toul et à Varangéville. Nouvelle prononciation fautive du paysan.   149 Nancy. Cette forme était alors correcte ; pour une fois, le vigneron n’a pas failli.   150 À votre assistance.   151 Les lépreux font en permanence cliqueter leur flavel [leurs castagnettes], ici comparé à la langue du paysan. Flaveler = bavarder : le Pourpoint rétréchy, vers 591.   152 Dans un mauvais jour et en mauvaise fortune. « En malle estraine Dieu la mette ! » (Le Testament Pathelin.)  Le messager donne au vigneron des coups avec le bâton de sa lance.   153 Couchez-vous. « Dormez-vous et me laissez faire ! » Le Poulier à sis personnages.   154 Rime en -igne, comme à 318.  Le messager s’en va. Le paysan, blessé, reste couché sur la route.   155 Pauvre de moi ! Idem vers 328.   156 Tant il m’a frappé violemment.   157 D’une manière vile. « Que mourir puist vilainement ! » (Le Brigant et le Vilain.) Mais aussi : à la manière d’un vilain, d’un paysan.   158 Elle est chez elle.   159 Pour autant que je m’en souvienne.   160 Je redoute.   161 A : supporter  (Je ne sais plus quoi penser.)  La femme sort et se dirige vers la vigne. Elle découvre son mari couché par terre.   162 Qui vit jamais une telle affaire ?   163 Comment allez-vous ? « Que dictes-vous, les Sotz ligiers ?/ Quelle chière ? » Les Sotz escornéz.   164 La chattemite. « Je croy (dit le mary, qui la véoit à genoux, plorant et gémissant) qu’elle scet bien faire la chate moillée. Et, qui la vouldroit croire, elle scéroit bien abuser gens. » Cent Nouvelles nouvelles, 61.   165 La femme se tient la tête d’un air désolé. « Car j’ay trèsgrant mal en ma teste. » La Confession Rifflart.   166 Bien loti, avec une épouse pareille. Rappelons que ladite épouse se nomme Mal-assenée.   167 Vous me narguez en faisant un geste obscène de la tête. « Femme qui fornique/ Seult [a l’habitude de] faire à son mary la nique. » Jehan Le Fèvre.   168 A : ma  (Mène-t-elle assez bien son jeu ? Aux échecs, la « dame » est un pion crucial. « G’i ai bien joué de ma dame. » ATILF.)   169 Qu’elle m’aime. Idem vers 217.   170 Que je sois mort et enterré. « Je vouldroys que fussiez en byère ! » Messire Jehan.   171 Elles nous font des tours de passe-passe. Désigne aussi le va-et-vient du coït : cf. les Rapporteurs, vers 177.   172 Nul homme. Cette locution archaïque ne représentait plus que le singulier : « Nulz homs blasmer ne vous saroit. » Massons et charpentiers.   173 Tout mon labeur, tous mes efforts. Mais le labour désigne le coït, comme dans Raoullet Ployart.   174 S’est montrée telle qu’elle est.   175 Elle m’aime plus qu’elle n’aime notre prêtre ? Le mari soupçonne que sa femme couche avec le curé : « Elle va souvent à la messe./ Par Dieu, c’est très bonne coustume./ Mais j’ay trop grand paour qu’elle ne tume [trébuche] :/ Tant va le pot à l’eaue qu’il brise. »   176 Elle me mènerait paître : elle me mystifierait.   177 Que les nuages sont des peaux de veaux : elle me fait prendre des vessies pour des lanternes.   178 En fantaisie, en délire.   179 Je te prie de ne pas me quereller. Voir la note 15.   180 J’ai bien raison de. Idem vers 363.   181 Le jour où je te vis, ce fut pour moi un dommage, un malheur.   182 Calembour sur le « pis » de la vache ; voir la note de Duval. « Va, faitz du piz que tu pouraz. » Le Villain et son filz Jacob.   183 Je me tiendrai avenante pour les autres hommes. La femme reprend à son compte le vers 228.   184 Que Dieu vous donne une bonne année. Cf. Deux jeunes femmes, vers 4.   185 Je comble cette lacune d’après le vers 14.   186 Hein ? « –Il convyent que tu soys baillé/ À quelque maistre pour aprendre./ –Hen ? » (La Bouteille.) Cette question est grossière, même posée par un sourd qui fait répéter son interlocuteur ; Félix feint de croire que le rustaud invoque une ville du Vermandois, Ham, qu’on prononçait « Han ». Voir la note 4359 de Duval.   187 De dangereux mendiants. Même vers dans Massons et charpentiers. « Plus il ne viendra/ À mon huis un tas de merdailles. » Les Esbahis.   188 Restez coi, taisez-vous. « Ho ! coisez-vous, vécy le maistre ! » St Clément.   189 A : ne  (Le sourd croit comprendre que Félix cherche une femme prénommée Patience. Voir la note 4372 de Duval.)  Si Dieu me secourt = que Dieu m’assiste ; cf. la Laitière, vers 67.   190 A : quelle  (« Et le lieu où elle demeure. » Les Trois amoureux de la croix.)   191 Il y a de quoi se signer, face à un tel diable. Le laboureur est encore diabolisé aux vers 129, 140, 256 et 307 : les infirmités (il est sourd et bossu) étaient vues comme des punitions divines.   192 Si on en avait envie.   193 Je m’en vais et je vous recommande à Dieu. Ce vers, tel que je le corrige, est le vers 152 de Jehan qui de tout se mesle.   194 A : j’eusse   195 Je ne saurais répéter ses paroles.   196 D’innombrables pastourelles comportent un refrain cyclique qu’on reprenait en chœur.   197 Félix embauche le messager. Il lui parle du paysan, devant lequel les deux hommes doivent repasser.   198 Un quidam. Cf. la Fièbvre quarte, vers 5. Cette acception existe toujours dans le langage populaire.   199 Un sot. Dans les Mystères, le paysan joue souvent un rôle de fou ; on aimerait savoir s’il en portait le costume.   200 Par ambageais : avec des ambages, des circonvolutions trompeuses. « Il n’y a sy villain huron,/ Sy lourdault ne sy vilag[e]oys,/ Qu’il me responde en ambag[e]oys. » Les Mal contentes.   201 T-H : nous  —  D : vous  (Je vous prie de vous taire, car nous devons passer près de lui silencieusement. Idem vers 261.)   202 Arraisonner, aborder avec des paroles. Cf. les Miraculés, vers 269.   203 Qu’il oit (verbe ouïr) : qu’il est un peu dur d’oreille.   204 Marchez avec assurance.   205 Le messager adopte devant saint Félix un juron chrétien ; mais précédemment, ce païen jurait sur « Mahon [Mahomet], Apolin [Apollon], Tavergant [Tervagant],/ Nos dieux en qui est mon courage [mon cœur] ». Il disait même à un chapelain : « Sire, Mahom vous doint santé ! » Et à saint Clément lui-même : « Vénus, Mahom et Appolin/ Sault et gard ceste compangnie ! » Ou encore : « Se Mahommet m’envoit grant joie ! »   206 À Félix, qui passe près de lui sur la pointe des pieds, suivi du messager.   207 Redoutez-vous la baboue, sorte de croquemitaine invoqué pour faire peur aux enfants. « Une femme nourrice menace son enfant de la baboue. » Godefroy.   208 A : Benou, Benou.  (En bon croquemitaine, le laboureur pousse les mêmes hurlements que les diables de ce Mystère : « Harou ! Lucifer, je revien./ Harou ! harou ! Tout est perdu. »)   209 Les noms de Dieu sont : le Père, le Fils et le Saint-Esprit.   210 En catimini, comme des voleurs. « Et puis s’en ala-il de ceuls de Valenciennes en larrecin. » Godefroy.   211 Cette expression inconnue laisse penser que les éplucheurs de persil (tout aussi inconnus) sont des gens discrets. Mais ne s’agirait-il pas plutôt d’espresseurs de raisin, qui piétinent des grappes dans une cuve au bas de laquelle se trouve un robinet qui laisse passer le jus ? On ne peut davantage exclure que le paysan traite le saint et son acolyte d’escumeurs de latin : voir les Coppieurs et Lardeurs.   212 Silencieusement.   213 Qui ne commet jamais de faute. Cf. l’Aveugle et Saudret, vers 149.   214 Celui qui cherche.   215 A : ait  (Cette graphie gênante est peut-être imputable au copiste.)  Le paysan conclut que le messager se nomme Patience.

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