Archives de Tag: Sourd

LE MESSAGER ET LE VILLAIN

Bibliothèque nationale de France

Bibliothèque nationale de France

.

*

LE  MESSAGER

.

ET  LE  VILLAIN

*

.

Beaucoup de Mystères comportent une scène opposant un messager qui demande son chemin à un paysan, lequel prend un malin plaisir à le « faire marcher » dans tous les sens du terme ; voir par exemple la Vie de sainct Christofle. C’est aussi le cas du Mystère de saint Clément de Metz (~1440), d’où je tire ces trois petites farces indépendantes du drame.

Le messager se nomme ici Mange-matin [goinfre], comme l’un des sergents du Geu saint Denis. Nous le retrouverons dans Massons et charpentiers. À l’instar de tous ses congénères, il fait grand usage d’une bouteille de vin pendue à son col : « Dire vous vueil grande merveille. / Mais premier, me fault ma bouteille / Baiser. » Les paysans n’aiment pas les messagers, ces porteurs de mauvaises nouvelles et ces annonciateurs de guerres qui les traitent avec condescendance et brutalité ; aussi, quand notre laboureur confond saint Félix avec l’un d’entre eux, il s’en excuse vivement.

Sources : La Vie et les Miracles de saint Clément, évesque de Metz. Malheureusement, ce manuscrit du XVe siècle disparut en 1944, après l’incendie du fort qui abritait les incunables de la bibliothèque de Metz. Heureusement, Charles ABEL l’avait publié : Le Mystère de St Clément. <Rousseau-Pallez, Metz, 1861.> Malheureusement, la plupart des 141 exemplaires de cette édition furent victimes d’un nouvel incendie chez l’imprimeur. Heureusement, on en sauva quelques-uns. Malheureusement, l’avocat Charles Abel n’était pas médiéviste, et sa lecture du manuscrit demande quelques améliorations. Heureusement, le philologue Fritz TINIUS en publia des extraits plus corrects : Studien über das Mystère de Saint Clement. <Greifswald, 1909.> Malheureusement, aucun des textes que j’ai choisis n’y figure. Heureusement, Tinius avait recopié tout le manuscrit, et son travail de fourmi est déposé aux Archives de l’Université catholique de Louvain-la-Neuve, sous le nº 218 du Fonds Stengel. Malheureusement, je n’allais pas me taper les 9 220 vers qu’il empile pour n’en garder que 430. Heureusement, Jean-Charles HERBIN a reproduit certaines leçons de Tinius : Du nouveau sur le Mystère de saint Clément de Metz. <Romania, vol. 132, nº 527-528, 2014, pp. 428-460.> Il s’agit là d’un compte-rendu de lecture de l’édition critique fournie par Frédéric DUVAL : Le Mystère de saint Clément de Metz. <Droz, 2011.> J’utiliserai donc prioritairement Tinius revu par Herbin (T-H), puis Abel (A), et enfin les corrections de Duval (D). Lorsque je conserve faute de mieux les « restitutions » d’Abel, je les imprime en bleu clair. Mes modifications personnelles sont toujours entre [ ], et mon relevé des variantes ne tient pas compte des « restitutions », qui ne proviennent pas du manuscrit.

Structure : Rimes plates.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

*

                        LE  MESSAGER

        Je requiers à Nostre Seignour

        Que grâce me doint d’esploitier1

        À Rom[m]e2 le grant droit sentier.

        Aler me convient, bien le voy ;

5      Et se3, ne sçay (en bonne foy)

        Quel chemin me convient tenir.

        Je voy là ung villain venir,

        Tout bossu et tout contrefait.

        Parler vueil à lui de bon hait4,

10    Savoir s’enseigner me vouldroit

        Lequel chemin est le plus droit

        D’aler en la cité de Romme.

.

                        Icy, doit parler le Messager au Villain :

        Dieu vous ait5, Dieu vous ait, proud’omme !

        Dieu vous envoit joie et santé !

15    Je vous requier, par grant bonté,

        Que m’enseigniez le droit sentier

        À Romme, car j’ay grand mestier

        D’esploitier sans faire séjour6.

                        LE  VILLAIN

        Par Dieu ! j’ay à non7 « Jehan Dufour »,

20    Le plus méchant8 de nostre ville.

        Se ma femme heust esté soustille9,

        Nous heussions esté riches gens :

        S(e) heussions mené les vaiches aux champs,

        Je n’eusse pas heu tant de paine.

25    Et ! ce m’est choze trop grevaine10

        De labourer à col tendu11.

                        LE  MESSAGER

        (Se Dieu me gart d’estre pendu,

        Vécy grand rage de cest homme !)

        Proud’on12, où est le chemin à Romme ?

30    Je vous requier en bonne foy

        [Que] ne me faites point d’annoy13 :

        Dittes-le-moy sans varier14.

                        LE  VILLAIN

        Je ne sçay riens de charier,

        Par Dieu, ne de mener chevaulx.

35    Je sçay mieux garder les pourceaulx :

        C’est ung mestier pour reposer,

        Et je n’é mestier de choser15.

        Tu le vois bien à mon maintien.

                        LE  MESSAGER

        [Foy que je] doy saint Gracïen16 !

40    [Vois-je17], maugracïeux villain,

        [Attendre] jusques à demain ?

        [Parlez], villain bossu dérous18 !

        [Je veulx que] puissiez estre cous19

        [Et battu] en une journée,

45    [Se ne dictes]20 sans demourée

        De Romme le chemin ; ou senon,

        [Vous aurez] ung coup de baston21.

        [Vous me fai]tes trop sermonner.

                        LE  VILLAIN

        En quel lieu me veulx-tu mener

50    [Au ser]mon ? Je n’en ay que faire ;

        [Mais qu’il]22 ne te vuelle desplaire,

        [Déjà] je suis bien sermonné :

        [Chez moy], je suis bien23 atourné

        [Quant] je reviens des champs, par m’âme !

55    [Mal-]assenée24, nostre famme,

        [Ne] cessera de rioter25 ;

        Et il me convient le26 porter :

        Autrement, je n’aroie pas paix.

                        LE  MESSAGER

        Je n’eusse peu croire jamais27

60    (Par l’âme qui ou28 corps me bat)

        Que tu sceusses tant de débat,

        Telz truffes29 ne telz mocqueries.

        Je te pry que plus ne varies :

        Il est heure de moy partir.

65    Je t’en pry, dis-moy sans mentir

        Mon chemin le plus droit à Romme.

                        LE  VILLAIN

        À Romme ? Il n’est30, d’essy là, homme

        Qui31 mieux le te sceût enseigner

        Sans toy nullement engigner32.

70    Tu ne povoies mieulx assigner33 :

        Oncques ne feis que cheminer34.

        Par foy35 ! j’en suis trètous bossu.

        J’ay esté fort, et bien ossu,

        Ung tems passé ; et cheminoie

75    À deux piés comme fait une oie36.

        Et il me fault aler à trois37.

                        LE  MESSAGER

        Je vous pry à ung mot courtoix,

        Beau père38 : sans tant sermonner,

        Dittes-moy où je doy tourner.

80    Ou senon, que je m’en revoise39.

                        LE  VILLAIN

        Ho là ! ne faisons plus de noise,

        Nous avons assez estrivé40.

        Tu iras droit à Saint-Privé41.

        Et de Saint-Privé, à Moullins :

85    C’est le chemin des pellerins

        Droit à Boulogne-sur-la-Mer42.

        [Va] à Béthune, à Saint-Thomer43.

        De là, t’en iras sur le Ryn :

        À Coulogne c’est le chemin44.

90    De là, t’en iras à Arras,

        À Bruges ou à Carpantras45,

        [Ou] à l’Escluse46 aux harangs frais.

        Et de là, t’en iras après

        À Callés et à Canthorbie47.

95    Que ton chemin ne perdes mie !

        [Puis iras] tout droit à Rouen ;

        [Ou se tu v]eulx, à Saint-O[u]en.

        [Finiras dr]oit à Montfaulcon48,

        [Où finit] notable maison.

100  [Tu iras à Rains49], à Angiers.

        [Aler tu p]eulx droit à Louviers.

        [De là, à] Troyes-en-Champaigne.

        [Pour que tu] n’aies tant de paine,

        [Vécy ung bien] plus court chemin :

105  [Tu iras] droit à Saint-Quaintin50,

        [À Alen]çon et à Soissons,

        [Puis en Avign]on, à Lyons,

        [En Ber]ry et en Bourbonnois,

        En Brethaigne et en Gathinois51,

110  En Portugal, en Arragon.

        C’est ung chemin notable et bon.

        Puis revendras droit en Bourgogne

        (C’est le [plus] seur52 de ta besongne),

        À Salins, et droit à Saint-Glaude53.

115  Et là, aras-tu une chaude54

        [De] monter le mont des Faucilles55 :

        Autant vauldroit jouer aux guilles56

        Que d’avoir cest ébastement !

        Et là, verras-tu franchement

120  Que jamais ne pourras fa[i]llir

        À ton chemin tout droit tenir

        À Romme, la noble cité.

        Or me suis-je bien acquitté

        De toy montrer la droite sente.

125  Je me fais fort — et sy, me vente57

        Que n’est [nul] homme en la contrée

        Qui58 la voie mieulx t’eust monstrée.

        Quant te plaist, tu t’en pues aler59.

                        LE  MESSAGER

        Deables vous apprist à parler,

130  Or[d]60, vil, sanglant villain derrous !

        Je vous romperé tout de coups !

        M’enseignez-vous donc telle voie

        Où n’ait enseigne ne monjoie61 ?

        Teneis, allez vous reposer !

135  Et s(e) ad ce voullez opposer62,

        Vous aurez cela et tant moins63 !

        Vous m’envoiez de Bruge(s) à Rains,

        En Bourbonnois, en Arragon ?

        Or tenez ce coup de baston !

140  Villain,  deables vous ont cy apporté !64

.

                        LE  VILLAIN,  se frottant l’eschine :

        Lasse ! com’ sui desconforté,

        Maleureux et povre méchant !

        Il m’en fault aller tout clochant65

        En la maison Ma[l-]assenée66.

145  Certes, elle sera desvée67

        Et hors du sens, quant me verra.

        Je sçay bien que ne se pourra

        Tenir de moy bien lédenger68.

        Or est-il bien en grant denger,

150  Par m’âme, qui69 est marié !

        Encore en [est-]il harié70.

        Il me convient bien que g’y aille.

        Or avant, sus ! Va[i]lle que va[i]lle,

        [J’iray luy]71 dire mon méhain ;

155  Mais je sçay bien, tout de certain,

        Qu’elle menra jà grant tempeste.

.

                        Icy, le Villain doit parler à

                        sa femme, et dire ainsy :

        Je suis venu72. [N’]esse grant feste73,

        Par m’âme : j’en revien clochant.

                        LA  FEMME

        Ha, que tu seras [bon] truant74 !

160  M[on Dieu], est-il bien méhaigné75 !

        [Il a son trav]ail bien waigné76 :

        [Il a] toute la hanche route77.

                        LE  VILLAIN

        [Hélas, Mal-]assenée ! Escoute,

        [M’amie] : je suis tout derrous.

                        LA  FEMME

165  [Par m’âme !] vécy grant courrous,

        [Grant dammage] et grand desplaisance.

        [Par Nostre] Dame de Lience78,

        [Vécy] bien piteuse journée !

        Ô doulce Vierge couronnée !

170  Quelz gens avez-vous rencontré(s) ?

                        LE  VILLAIN

        A ! en mal an79 soit-il entré(s),

        Qui80 ce m’a fait, et en mal jour !

        A ! m’amie, ma suer81, m’amour :

        Ç’a fait un messager, par m’âme !

                        LA  FEMME

175  Ung messager ? Par Nostre Dame,

        C’est82 bien fait ! Dame83 glorïeuse !

        Jamais parolle gracïeuse

        De vostre bouche n’istrera84.

                        LE  VILLAIN

        Je voy bien qu’il me convenra85

180  (Par m’âme) prendre en pacience,

        Et mes maulx mettre en oubliance.

        À ma femme n’en chaut86 que peu ;

        Par Dieu, el(le) ne donrroit ung cleu87,

        S’on me metoit demain en terre.

                        LA  FEMME

185  Or pleust à monseignour saint Pierre,

        Villain, qu’en88 feussiez seppelit !

        Oncques un seul jour n’eus délit89,

        Joie ne soulas, aveuc vous.

        Vous estes bossus et derrous.

190  J’ay toute perdue ma jouvente90.

        Vous n’aurez jamais aultre entente91

        Que d’avoir une grosse escuelle

        De mattons92, et seoir sur la celle

        En l’aatre93, comme un pouppart.

195  Avoir de la joutte94 et du lart,

        Par foy, c’est toute vostre vie.

        Hé, Dieu ! com’ je feis grant folie

        Quand je vous pris ! Je m’en repens,

        Par Dieu ! Si vous viviez cent ans,

200  Tousjours ar[oi]es95 paine et doullour.

        Bien fûtes plein de grant follour96,

        [Et] de sottie, et d’envoiseure97,

        Quant premier meistes vostre cure98

        De prendre femme en mariage,

205  Qui99 ne sçavez riens de mesnage.

        Se bien vous vient, c’est aventure100.

        Bien estes meschant créature.

        Allez[-vous-]en, villain paisant101 !

        À personne n’estes plaisant.

210  Jamais jour102 ne vous serviray.

                        LE  VILLAIN

        A ! ma suer, je m’adviseray103.

        Pour Dieu, ne me délaissiez mie !

        Je suis à la fin de ma vie.

        Par foy ! jamais ne vous diray

215  Desplaisir, se ne suis en ivray104,

        Hors mes sens, ou matelineux105

        [Du tout]106. Encore amé-je mieulx,

        M’amour107, que vous soiez jolie,

        [Gaye, mignote]108 et envoisie.

220  [Je feray] tout vostre vouloir,

        [Quant bien je] m’en deusse douloir109.

        [De moy] ne partez, je vous prie !

        [Se demourez,] ma doulce amie,

        [Je vous feray] assez de bien110.

                        LA  FEMME

225  Loué en soit saint Gracïen !

        Mon mari devient ung peu sage.

        Onc(ques) ne [le] veis en tout son âge111

        Plus gay, plus joly. Tant112 plus vault !

*

Un autre jour, le messager demande l’heure au paysan : les hommes des champs vivent au rythme des cloches et savent toujours quelle heure il est, sauf quand ils sont aussi sourds que notre vigneron… Les deux ennemis ne se reconnaissent pas. Pour des raisons pratiques, je continue le numérotage des vers.

.

                        LE  MESSAGER

        Dites-moy tost, se vous voullez,

230  Quelle heure il est, je vous en prie113.

                        LE  VILLAIN

        En Brie, compains114 ? Dieu vous conduie !

        Ha, la bonne contrée, par m’âme !

       Je voudroie que moy et ma femme

        Fussiens demourans à Paris.

235  Hé, Dieu ! quant esse bon païs115 !

        Je suis dollant que n’y demourre.

        Toute jour116 me tue et laboure :

        À paine ai-ge pain à mengier ;

        Encore l’ai-ge à grant dengier.

240  Et  se g’y estoie, à l’adventure,

        Je porteroie l’enffeutrure117.

        Au moins, j’aroie118 fructus ventris.

        Se piessà m’en fusse près pris119,

        Il m’en fust mieulx, bien dire l’ose.

                        LE  MESSAGER

245  N’arai-ge de vous aultre chose ?

        Dites, villain ! Parlez à moy,

        Ou (foy que je doy saint Elloy)

        Vous saurez que mon baston poise120 !

                        LE  VILLAIN

        A, dea ! où veulx-tu que je voise121 ?

250  Tu ne sces comment122 je cheminne :

        Par Dieu ! quand je vois123 en la vigne,

        G’y mès, à venir, demi jour.

        Je te requier par fine amour124 :

        Laisse-moy issy, s’y te plaist !

                        LE  MESSAGER

255  Dites-moy doncq quel heure il est !

        Vrament, vessy grant deablerie !

                        LE  VILLAIN

        Quelle heure il est ? Sainte Marie !

        C’est forte chose125 à deviner.

        Or, par ma foy, j’y vueil penser ;

260  Jà tost le te saray à dire126.

                        LE  MESSAGER

        Abrégez-vous127, je vous pry, sire !

        Certes, vessy grant villonnie128 !

                        LE  VILLAIN

        Il est les douze et la demie129.

        Par foy ! il est tems de dîgner130.

265  Dis-moy : où veulx-tu cheminer ?

        La chose est-elle moult hâtive131 ?

                        LE  MESSAGER

        A ! Jésu Crist, quel rétentive132 !

        Tant de fois lui ay recordé133 !

        N’est [homs qui]134 n’en fust alourdé.

270  Huy, ne [luy] demande aultre chose

        Que me meist en135 chemin de Gorze.

        Vessy moult grande ruderie,

        Grant despit et grant mocquerie

        De ce villain. Pendu soit-il !

                        LE  VILLAIN

275  Foy que doy moy136 ! Compains gentil,

        Je vous enseigneré la voie,

        Je vous promés, se Dieu me voie137.

        Je vous diray tout proprement

        Le chemin, par mon sacrement,

280  Aussy droit comme une faucille138.

        N’est pas tout vray comme Euvangille

        Quanque139 je dis, soiez certain.

        Mais, foy que je doy saint Guilain140,

        Tu me sembles fort et habille141.

285  Premier, iras à Thïonville,

        À Luxembourc, à Saint-Hubert.

        Et pour tenir le plus couvert142,

        Le meilleur et le plus commun,

        T’en revenras droit à Verdun,

290  À Clermont [et] ès bos143 d’Argonne.

        Et affin que tu environne

        Le païs144 et qu’i t’en soubviengne,

        Au Neuf-Chastel145 (droit en Lorraine),

        À Widesmont146, à Espinal.

295  Et se tu veulx descendre aval

        Pour trouver la voie plus belle,

        Venras à Chastel-sur-Mézelle147,

        À Thoul et à Vorengéville148,

        À Nensey149 puis à Gondreville,

300  Et (sans faire plus lonc sermon)

        Le grand chemin droit à Mousson.

        De là, ne pourras-tu fa[i]llir

        — Se tu ne veulx plus loing sa[i]llir —

        Que ne voises tout droit à Gorze.

                        LE  MESSAGER

305  Par saint Jehan ! Villain, je m’oppose

        À vos dis et à vo conceil150.

        Deablement avez grant flaveil151 !

        Qu’en mal an et malle sepmaine,

        En maul jour et en male estraine152

310  Soiez-vous mis ! Tenez cela !

        Tenez ! Tenez ! Dormez-vous153

        En attendant que je reviengne154 !

.

                        LE  VILLAIN

        Ay mi155 ! il m’a rompu l’eschigne,

        Tant m’a féru despitement156.

315  Morir puist-il villainement157 !

        Jamais ne pourré labourer.

.

                        LA  FEMME 158

        Je ne veis oncques demourer

        (Par mon serment), qu’i m’en soubviengne159,

        Mon mari sy tart à la vigne.

320  Par foy ! je doubte160 qu’i ne soit

        Malade, voire, ou [bien] qu’il n’ait

        Quelque accident. G’y vueil aler :

        Je n’en puis riens plus supposer161.

.

        Ha, Nostre Dame de Boulogne !

325  Qui vit oncq-mais telle besongne162 ?

        Ha ! Jehan Dufour, ami, quel ch[i]ère163 ?

        Ce n’est pas cy belle manière.

        Ay my, lasse, desconfortée !

                        LE  VILLAIN

        Vous faites la chatte mou[i]llée164.

330  A ! sainte Marie, quel feste !

        Comment ? elle [a] mal en sa teste165 ?

        Par foy ! je sui bien assené166.

        Sytost que j’ay le dos tourné,

        Par foy, vous me faites la nicque167.

335  A ! Nostre Dame, quel pratique !

        Esse bien joué de sa168 dame ?

        Elle fait semblant qu’elle m’ame169 :

        Elle vouldroit que fusse en bière170.

        Mais c’est des femmes la manière :

340  Souvent jouent de passe-passe171.

                        LA  FEMME

        Et que voulez-vous que je fasse ?

        Dittes, sire ! Je vous cuidoie

        Faire joieulx, et y prenoie

        Plaisir plus qu’à nulx homs172 vivant ;

345  Et je voy bien, dorénavant,

        Que j’ay perdu tout mon labour173.

                        LE  VILLAIN

        A ! Dieu, escoutez le bon tour !

        Par foy ! vélà cy bien trouvée.

        Ma femme s’est bien esprouvée174 :

350  Elle m’aime mieux que no prestre175 ?

        Par Dieu ! elle me menroit pestre176

        Bien souvent ; et dit bien et bel,

        Des nues, que ce sont pel de veel177.

        Je suis bien marié, par m’âme !

                        LA  FEMME

355  A ! glorïeuse Vierge, Dame !

        Cest homme est entré en fantosme178.

        Foy que doy monseigneur saint Cosme !

        Jehan Dufour, vécy laide chose.

                        LE  VILLAIN

        Je t’en pry, que point ne me chose179 :

360  Va-t’en d’es[s]y, car tu m’ennuye !

                        LA  FEMME

        Bien doy180 haïr toy et ta vie,

        Méchant villain bossu derrous !

        Bien doy avoir au cuer courrous.

        Quant oncques te veis, fut dammage181.

365  Il geist issy comme une vache ;

        Or, fais du pis182 que tu porras.

        Mais de cest an, ne me verras.

        Je me tenré gaie et jolie183.

*

Saint Félix, à la recherche d’un messager, se renseigne auprès du vigneron sourd, qui le prend lui-même pour un représentant de cette profession exécrée. Il faut vraiment que le saint soit confessé de frais !

.

                        [SAINT]  FÉLIX

        Ho, beau père ! Ho, beau cousin !

370  Parlez ! Dieu vous met’ en bon an184

        [Et vous doint joye et santé !]185

                        LE  VILAIN

                                                             Han186 ?

        [Han ? Han ?] Quel choze [me] dit-on ?

                        [SAINT]  FÉLIX

        Il est en Vermendois, proud’on,

        « Han ». Ne le saviez-vous [donc] mie ?

                        LE  VILAIN

375  Nennin, par la Vierge Marie !

        Ha ! sire, dea, ne vous desplaise :

        Je cuidoie (foy que doy saint Blaise)

        Que vous fussiez ung messager.

        A ! il[z] m’ont, hui, fait enrrager !

380  Ce sont très maulvaise(s) mardaille187 !

                        SAINT  FÉLIX

        Coisiez-vous188, proud’on ! Ne vous chaille :

        Il fault tout prendre en pacïence.

                        LE  VILLAIN

        Par Nostre Dame de Liance !

        Syre, non189 (se Dieu me sequeure),

385  Je ne sçay où elle190 demeure :

        Je ne vous saroie l’enseigner.

                        SAINT  FÉLIX

        Or vessy bien pour soy seignier191 !

        Qui « enseigner » ? Dieu, quel science !

        [Qui « enseigner » ?]

                        LE  VILLAIN

                                           Qui ? Pacience :

390  Ne la demandez-vous pas, sire ?

                        SAINT  FÉLIX

        C’est issy assez pour bien rire,

        Qui aroit bonne voulenté192.

        Adieu ! Dieu vous envoit senté !

        Proud’on,  je m’envois ; à Dieu vous commant193 !

395  Adieu, villain !

.

                                 Mès advisez comment

        Ce proud’on respont aux pensées !

        Il m’eust jà tenu trois journnées,

        Se l’eusse194 voulu escouter.

        Je ne saroie raconter

400  Son parler195 en une heure entière.

        C’est la chansson de la Bergière196 :

        Tousjours est-ce à recommancier.

        ………………………….. 197

        J’ay là trouvé ung pellerin198,

        Ung homme de peu de value ;

405  Il se tient tout enmy la rue ;

        Il ne respont riens à proppos.

                        LE  MESSAGER

        A ! sire, par foy : c’est ung sos199.

        Il respont tout par enbagés200.

                        SAINT  FÉLIX

        Je vous pry que vous201 abrégez !

410  Passons tost, sans nul mot sonner :

        Il nous vouldroit arrésonner202.

        Je sçay bien qu’il ot203 ung peu dur.

        Soiez hardiement tout asseur204,

        Et passez tost et vitement !

                        LE  MESSAGER

415  Voulentiers, par mon sacrement205 !

        Allez devant, tost cheminez !

.

                        LE  VILLAIN 206

        Ho ! syre, sire, revenez !

        A ! dea, vous doubtez le babbou207 ?

                        SAINT  FÉLIX

        [ Or paix, villain !

                        LE  VILLAIN

                                        Harou !! harou !! ]208

                        LE  MESSAGER

420  Or paix, villain ! Demourez là !

        A ! dea, villain, esse cela ?

        Vous mocquez-vous des compangnons ?

.

                        LE  VILLAIN

        Ore (par Dieu ne par ses noms209),

        C’est bien passe[r] en larressin210 !

425  A, quelz esplucheurs de pressin211 !

        Sont-ilz bien passés coiëment212 !

        Or (par Dieu qui ne fault213 ne ment),

        Je cuide, par ma grant science,

        Que c’est cil qui quiert214 Pacience :

430  Il a215 trouvé ce qu’il quéroit.

*

1 De parcourir. Idem vers 18. « Exploitons chemin ! » ATILF.   2 De Rome. Idem vers 17, 29, 66 et 122. Que Dieu me donne la grâce de suivre le bon chemin pour Rome. On voit qu’en dépit du proverbe, tous les chemins ne mènent pas à Rome.   3 Et pourtant.   4 De bon cœur. Le messager et le vilain se sont déjà disputés au tout début du Mystère, mais curieusement, chacune de leurs rencontres annule les précédentes. Il en est de même pour les maçons que le messager recrute à plusieurs reprises comme si c’était la première fois. On pourrait croire que deux auteurs ont travaillé sur cette œuvre indépendamment, ce qui ne serait pas un cas unique : voir le chanoine Pra et Claude Chevalet pour le Mystère des trois Doms.   5 Que Dieu vous aide ! « Dieu vous aist, Dieu vous aist, prod’ome ! » St Clément.   6 J’ai besoin de le suivre sans tarder.   7 J’ai pour nom. Le paysan est très sourd et comprend tout de travers ; il croit que le messager lui a demandé son nom.   8 Misérable. Idem vers 142, 207 et 362.   9 Subtile. Ses frères ont hérité des troupeaux, tandis qu’elle ne recevait qu’une modeste vigne. Voir la note 2 de Raoullet Ployart.   10 Pénible.   11 Avec effort. « Ouvrer vueil à col estendu. » St Clément.   12 Prud’homme, homme sage. Même flatterie injustifiée aux vers 13, 373, 381, etc. « Où est » se prononce « wé » en 1 syllabe : voir ma préface.   13 D’ennui, de difficulté.   14 A : harier  (Sans tergiverser. « Je m’en vais sans plus varier. » St Clément.)  Le sourd a entendu « sans charrier » : sans conduire une charrette attelée.   15 Avec les porcs, je n’ai pas besoin de me quereller. Idem vers 359. « On ne vous devroit mie choser. » (St Clément.) Préférer garder des cochons est le summum de la rustrerie : « Je veulx garder les pors ! » Le Villain et son filz Jacob.   16 Par la foi que je dois à St Gratien. Voir les vers 247 et 283.   17 Vais-je. Idem vers 251 et 394. « Je voys atendre icy devant. » Lucas Sergent.   18 Brisé ; participe passé de dérompre. Idem vers 130, 164, 189 et 362. L’auteur anonyme est lorrain : son vocabulaire et sa graphie s’en ressentent, même s’ils sont imprégnés de picard et de wallon.   19 Cocu : « Les femmes font coux leurs maris. » (Les Esbahis.) Dans les farces, beaucoup de maris trompés sont battus par leur épouse : « Marié, coqu, battu. » Rabelais, Tiers Livre, 20.   20 A : [Vous me] dist  (Si vous ne dites pas sans retard. « Allons-nous-en sans demourée. » Le Mince de quaire.)   21 « Vous aurez cent coups de baston ! » (Le Pasté et la tarte.) Le « bâton » des messagers est une lance au bout de laquelle flotte la bannière de leur patron. Notre messager dit ailleurs : « Ma lance prendrai vistement. » Voir les vers 139 et 248.   22 A : [Por c]eu  (Ne t’en déplaise. « Mais qu’il ne vous vueille desplaire. » Le Médecin qui guarist.)   23 A : tel  (Bien accablé. « Me voicy bien atourné. » Frère Guillebert.)   24 Nom générique des femmes mal mariées : « Mon père avoit nom Rien-ne-vault,/ Et ma mère Mal-assenée. » (L’Aveugle et Saudret.) Voir la note de Duval. L’épouse du laboureur est encore nommée ainsi aux vers 144 et 163. L’autre fatiste baptisera de la sorte la femme d’un pilier de tavernes : cf. Massons et charpentiers, vers 342.   25 De me quereller. Cf. le Ribault marié, vers 116.   26 A : de  (Il faut que je le supporte. « Il m’est mestier [nécessité]/ De le porter pacïemment. » Les Gens nouveaulx.)   27 Je n’aurais jamais pu croire.   28 Au. « Qui ou corps nous ait rendu vie. » St Clément.   29 Plaisanteries. « Sans truffe ou sornette. » Le Testament Pathelin.   30 A : n’y ait  —  D : n’ait  (Il n’y a pas, par ici, un seul homme qui.)   31 T-H : Que  —  A : Qui   32 Sans te tromper aucunement.   33 Mieux choisir.   34 Je ne fis jamais autre chose que voyager.   35 Par ma foi ! Idem vers 196, 214, 264, etc.   36 Par conséquent, il se dandinait d’un pied sur l’autre d’une façon ridicule.   37 Sur trois pieds : avec une canne. Allusion à l’énigme que résolut Œdipe.   38 On attendrait « beau sire » ; mais « beau père » est plus révérencieux quand on s’adresse à un vieil homme. Idem vers 369.   39 Ou sinon, que je m’en retourne.   40 Chicané.   41 Saint-Privé-la-Montaigne se nomme aujourd’hui Saint-Privat-la-Montagne. Cette commune lorraine jouxte Moulins-lès-Metz. L’index nominum de Duval gagnerait à être revu.   42 Qui mène à Boulogne-sur-Mer. Ce n’est évidemment pas là que se trouve le célèbre pèlerinage de Notre-Dame-de-Boulogne, nommé au vers 324 : c’est à Boulogne-Billancourt. Mais le paysan, qui n’a jamais quitté sa vigne, commet des confusions toponymiques.  Abel décale ce vers et le suivant après le vers 89.   43 Nouvelle erreur du paysan : c’est Saint-Omer qui est près de Béthune.   44 C’est le chemin de Cologne, ville allemande traversée par le Rhin. Le laboureur veut sans doute parler de Coblence, qui est en rapport direct avec la Lorraine puisque la Moselle, qui arrose Metz, se jette dans le Rhin à Coblence.   45 Cette ville provençale n’a rien à faire ici. Le paysan la confond peut-être avec le hameau flamand de Capendu.   46 Port de pêche hollandais, non loin de Bruges.   47 Cantorbéry [Canterbury] est une ville anglaise, comme le fut Calais entre 1347 et 1558.   48 À Montfaucon-d’Argonne. Mais le laboureur envoie le messager au gibet de Montfaucon, où ont fini plusieurs fils de famille et leur maison [leur lignée].   49 Le paysan doit nommer Reims quelque part, comme le vers 137 le stipule.   50 À Saint-Quentin, en Picardie.   51 Dans le Gâtinais.   52 Sûr, prudent. « C’est le plus seur. » Saoul-d’ouvrer et Maudollé.   53 Saint-Claude, dans le Jura, non loin de Salins-les-Bains.   54 Tu auras un coup de chaud.   55 On pourrait croire à une nouvelle erreur du paysan, mais ce lieu existe bien, et la Moselle y prend sa source.   56 Forme lorraine de « quilles ». Voir la note de Duval.   57 Et aussi, je me vante. « Et si, me vante sans abus/ De juger eaulx. » Jénin filz de rien.   58 T-H : Que  —  A : Qui   59 Tu peux t’en aller.   60 Sale.  Déroupt = rompu, bossu ; voir la note 18.   61 Ni écriteau, ni croix indicatrice aux carrefours. « Là eut une croix-de-par-Dieu/ Plantée à l’endroit du meillieu,/ Qui aux passans sert de montjoye. » (ATILF.) Mais notre ivrogne songe peut-être aux enseignes de tavernes : « C’est à l’enseigne de l’Estoille/ Que devez boire. » (L’Aveugle et Saudret.) « À l’enseigne du Pot d’estain. » (Le Badin qui se loue.)  Le messager flanque au vigneron des coups avec le bâton de sa lance.   62 Et si vous voulez faire opposition à cela, à ces coups de bâton.   63 À tout le moins. Cette expression accompagne parfois les coups que l’on donne : « –Vous recevrez ce passe-avant [ce coup]/ Et tant moins sur vostre museau !/ –M’as-tu frappée ? » La Laitière.   64 Le messager poursuit sa route.   65 En boitant. Idem vers 158.   66 De Mal-assenée, mon épouse. Génitif archaïque : « À la maison monsieur Benest. » Le Raporteur.   67 Folle de rage. Cf. Frère Guillebert, vers 243.   68 A : le denger  —  D : ledenger.  (Qu’elle ne pourra se retenir de bien m’humilier. « De nous laisser tant lédenger. » Le Poulier à quatre personnages.)   69 Celui qui.   70 Harcelé. La poésie antimatrimoniale fait toujours rimer « harié » avec « marié » (et « mari » avec « marri »).   71 A : Je lui ire  (Où le bât me blesse. « Dy-moy, je t’en pry, le méhain. » Massons et charpentiers.)  Le paysan clopine vers sa chaumière.   72 Me voilà. C’est la formule qu’on prononce quand on rentre à la maison : « Dieu gard, mère ! Je suis venus. » Mahuet.   73 Ce n’est pas une grande joie. « J’en ay grant feste. » Le Brigant et le Vilain.   74 Les truands sont des mendiants qui exhibent une blessure ou une infirmité. « Quel argent ? Tu es bon truant ! » Le Mince de quaire.   75 Blessé.   76 Gagné (graphie lorraine). « Vous l’avez bien waingnié. » St Clément.   77 Rompue. « J’en ay toute la hanche route. » St Clément.   78 Le plus célèbre pèlerinage de Picardie est encore nommé à 383.   79 Dans une mauvaise année. Idem vers 308. « Ha ! Qu’il soit entré en mal an ! » Le Pardonneur.   80 T-H : Que  —  A : Qui  (Celui qui m’a fait cela.)   81 Ma sœur : petit nom que les maris donnent à leur femme. Idem vers 211. « M’a-mi-e » [mon amie] compte pour 3 syllabes.   82 A : Il ait  (C’est une bonne chose qu’il vous ait battu. Quand les épouses des Hommes qui font saller leurs femmes envisagent de bastonner leur mari, l’une d’elles ajoute : « Par ma foy, ce sera bien faict ! »)   83 A : la  (Sainte Vierge ! Idem vers 355. « Je pry la glorieuse Dame. » St Clément.)   84 A : n’istrerait  (Cette désinence du futur, source de confusions avec le conditionnel, est fréquente dans notre Mystère mais pas systématique ; je rétablis donc la forme usuelle, de même qu’à la rime. Issir = sortir.)  Il vous a battu parce que vous l’avez offensé.   85 Conviendra, faudra. Ce futur, qui est notamment lorrain, réapparaît aux vers 289, 297 et 368.   86 Cela n’importe.   87 Elle n’en donnerait pas même un clou. « Je n’en donroie pas ung cleu. » (Massons et charpentiers.) Nous disons toujours : Cela ne vaut pas un clou.   88 A : qu’on vous  (Sepeli = enseveli. « Que brièfment en terre soit mys/ Et sepelis. » St Clément.)   89 Du plaisir, y compris sexuel. La Mariée des Mal contentes se plaint de son époux dans les mêmes termes : « Bref ! jamais je n’y eustz délict. »   90 Ma jeunesse.   91 Désir.   92 De fromages mous. Voir le vers 306 de Massons et charpentiers. « Ma mère, que j’aye des matons ! » Mahuet.   93 Et de vous asseoir sur un siège, devant la cheminée. On scande « a-a-tre » en 3 syllabes.  Un poupard est un nourrisson.   94 De la soupe aux choux.   95 J’aurais. Idem vers 58, où -roie compte aussi pour 1 syllabe.   96 De grande folie. « Folleur seroit que vous détinse/ D’abus. » Colin qui loue et despite Dieu.   97 De sottise et de frivolité.   98 La première fois que vous avez mis votre soin.   99 T-H : Que  —  A : Qui  (Vous qui.)   100 Si vous gagnez de l’argent, c’est par hasard. « Le bien vous vient lors que vous y pensez le moingz. » Blaise de Montluc.   101 Paysan. Prononcer « pè-san » en 2 syllabes, qui rime avec plaisant, comme dans Troys Gallans et Phlipot : « Tu t’abilleras en paisant ;/ Or luy sera le cas plaisant/ De voir que supédicterons/ Le paysant, et demanderons/ Des vivres. »   102 Nul jour.   103 Ma sœur [ma femme], je me corrigerai.   104 Enivré. « –Nous boirons gros comme le bras,/ S’une foys j’en suys délivré./ –Va-t’en, et ne soys pas yvré ! » Le Gallant quy a faict le coup.   105 Atteint de folie, le mal de saint Mathelin. « Tu es matelineux ou yvre. » D’un qui se fait examiner.   106 A : De tout çà  (Totalement. « Si, nous a resjouys du tout. » Les Sotz qui remetent en point Bon Temps.)   107 A : M…..ner  (Voir le vers 173.)  J’aimerais encore mieux que vous soyez jolie, quitte à ce que vous plaisiez aux autres hommes.   108 A : [Mais non] déuote  (Gaie, gracieuse et joyeuse. « Sottes gayes, délicates, mignottes. » Jeu du Prince des Sotz.)   109 Même si je devais m’en repentir.   110 « Soys-moy tousjours loyal, Gaultier,/ Je te feray assez de biens. » Les Sotz escornéz.   111 Je ne l’ai jamais vu, de toute sa vie.   112 A : ne  (Il vaut d’autant mieux. « Tant plus vault le chevalier, et moins se prise. » Clériadus.)  Jeu de mots : mon mari est encore plus veau [bête]. « Et si le mary est si veau. » Les Cris de Paris.   113 Nouveau dialogue de sourds ; le vigneron a cru entendre : « Je vais en Brie. »   114 Compagnon. Idem vers 275.   115 Que c’est un bon coin !   116 Toute la journée, je… « De braire et crier toute jour. » St Clément.   117 Un porteur d’enfeutrure est un porte-faix, dont les épaules sont protégées par du feutre rembourré. Idéal pour ne plus sentir les coups de bâton ! « Porteurs à l’enfeutreure, brou[é]tiers, lyeurs de fardeaulx. » ATILF.   118 T-H : aroi ge  (J’aurais mon fruit de ventre : quelque nourriture à me mettre dans le ventre. « Pour la pitance,/ Pour fructus ventris, pour la pence. » Mallepaye et Bâillevant.)   119 Je comprends : Si je m’y étais pris plut tôt. Cependant, « près pris » signifie encerclé, acculé. Quoi qu’il en soit, le laboureur fait l’apologie de Paris dans un Mystère commandé par des Messins.   120 Combien pèse le bâton de ma lance. « Sçauras que ma main poise ! » Gournay et Micet.   121 Que j’aille. Idem vers 304. Le sourd croit que le messager veut l’emmener avec lui.   122 Avec quelles difficultés.   123 Je vais.   124 Par amitié. « Je vous requiers par fine amour,/ Mon doulx seigneur ! » St Clément.   125 Une chose difficile.   126 Je saurai [pourrai] bientôt te le dire. Le laboureur examine la position du soleil dans le ciel.   127 Taisez-vous ! Idem vers 409. « Abrégez-vous sans plus enquerre [questionner] ! » Jeu du Prince des Sotz.   128 Voilà une grande vilenie, une honte. « Villonie et déshonneur. » (ATILF.) C’est également la condition du vilain, du paysan.   129 Il est midi et demi.   130 De dîner.   131 Urgente.   132 Quelle mémoire il a.   133 Je lui ai rappelé ma question.   134 A : homme  (« Il n’est homs qui n’en fust esbahis. » Les Vœux du Paon.)  Il n’y a nul homme qui n’en soit étourdi.   135 T-H : on  —  A : en  (Gorze est proche de Metz, où les deux interlocuteurs se trouvent. Les Lorrains prononçaient « Gôze », qui rime encore ailleurs avec chose, mais aussi avec oppose.)   136 Même juron blasphématoire au vers 298 de Massons et charpentiers. Un bon chrétien aurait dit plus modestement : « Foy que doy Dieu ! » Serre-porte.   137 Déformation populaire de « si Dieu m’avoie » : si Dieu me conduit. « En Galle allons, se Dieu me voie ! » St Clément.   138 Par des voies sinueuses. « En Paradis yrons/ Aussi droit comme une faucille. » Maistre Jehan Jénin.   139 T-H : Quancq que  —  D : Quancque  (Tout ce que je dis n’est point parole d’Évangile. « Je me desdis/ De très tout quanque je te dis. » L’Aveugle et Saudret.)   140 Duval note : « Jeu de mots sur guile ‟tromperie”. »   141 Habile, apte à marcher longtemps.   142 Pour prendre un chemin forestier. « Nous irons les chemins couvers,/ Que le soleil sy ne nous brûle…./ Sans tenir le sentier couvert. » Le Monde qu’on faict paistre.   143 Aux bois. Cette forêt s’étend dans les Ardennes, près de Clermont-en-Argonne et de Verdun.   144 Que tu fasses le tour de la région.   145 À Neufchâtel-devant-Metz.   146 Erreur du paysan pour Vaudémont, en Lorraine.   147 Tu viendras à Châtel-sur-Moselle. Grave confusion du laboureur : méselle = lépreuse. « Vieille putain méselle ! » ATILF.   148 À Toul et à Varangéville. Nouvelle prononciation fautive du paysan.   149 Nancy. Cette forme était alors correcte ; pour une fois, le vigneron n’a pas failli.   150 À votre assistance.   151 Les lépreux font en permanence cliqueter leur flavel [leurs castagnettes], ici comparé à la langue du paysan. Flaveler = bavarder : le Pourpoint rétréchy, vers 591.   152 Dans un mauvais jour et en mauvaise fortune. « En malle estraine Dieu la mette ! » (Le Testament Pathelin.)  Le messager donne au vigneron des coups avec le bâton de sa lance.   153 Couchez-vous. « Dormez-vous et me laissez faire ! » Le Poulier à sis personnages.   154 Rime en -igne, comme à 318.  Le messager s’en va. Le paysan, blessé, reste couché sur la route.   155 Pauvre de moi ! Idem vers 328.   156 Tant il m’a frappé violemment.   157 D’une manière vile. « Que mourir puist vilainement ! » (Le Brigant et le Vilain.) Mais aussi : à la manière d’un vilain, d’un paysan.   158 Elle est chez elle.   159 Pour autant que je m’en souvienne.   160 Je redoute.   161 A : supporter  (Je ne sais plus quoi penser.)  La femme sort et se dirige vers la vigne. Elle découvre son mari couché par terre.   162 Qui vit jamais une telle affaire ?   163 Comment allez-vous ? « Que dictes-vous, les Sotz ligiers ?/ Quelle chière ? » Les Sotz escornéz.   164 La chattemite. « Je croy (dit le mary, qui la véoit à genoux, plorant et gémissant) qu’elle scet bien faire la chate moillée. Et, qui la vouldroit croire, elle scéroit bien abuser gens. » Cent Nouvelles nouvelles, 61.   165 La femme se tient la tête d’un air désolé. « Car j’ay trèsgrant mal en ma teste. » La Confession Rifflart.   166 Bien loti, avec une épouse pareille. Rappelons que ladite épouse se nomme Mal-assenée.   167 Vous me narguez en faisant un geste obscène de la tête. « Femme qui fornique/ Seult [a l’habitude de] faire à son mary la nique. » Jehan Le Fèvre.   168 A : ma  (Mène-t-elle assez bien son jeu ? Aux échecs, la « dame » est un pion crucial. « G’i ai bien joué de ma dame. » ATILF.)   169 Qu’elle m’aime. Idem vers 217.   170 Que je sois mort et enterré. « Je vouldroys que fussiez en byère ! » Messire Jehan.   171 Elles nous font des tours de passe-passe. Désigne aussi le va-et-vient du coït : cf. les Rapporteurs, vers 177.   172 Nul homme. Cette locution archaïque ne représentait plus que le singulier : « Nulz homs blasmer ne vous saroit. » Massons et charpentiers.   173 Tout mon labeur, tous mes efforts. Mais le labour désigne le coït, comme dans Raoullet Ployart.   174 S’est montrée telle qu’elle est.   175 Elle m’aime plus qu’elle n’aime notre prêtre ? Le mari soupçonne que sa femme couche avec le curé : « Elle va souvent à la messe./ Par Dieu, c’est très bonne coustume./ Mais j’ay trop grand paour qu’elle ne tume [trébuche] :/ Tant va le pot à l’eaue qu’il brise. »   176 Elle me mènerait paître : elle me mystifierait.   177 Que les nuages sont des peaux de veaux : elle me fait prendre des vessies pour des lanternes.   178 En fantaisie, en délire.   179 Je te prie de ne pas me quereller. Voir la note 15.   180 J’ai bien raison de. Idem vers 363.   181 Le jour où je te vis, ce fut pour moi un dommage, un malheur.   182 Calembour sur le « pis » de la vache ; voir la note de Duval. « Va, faitz du piz que tu pouraz. » Le Villain et son filz Jacob.   183 Je me tiendrai avenante pour les autres hommes. La femme reprend à son compte le vers 228.   184 Que Dieu vous donne une bonne année. Cf. Deux jeunes femmes, vers 4.   185 Je comble cette lacune d’après le vers 14.   186 Hein ? « –Il convyent que tu soys baillé/ À quelque maistre pour aprendre./ –Hen ? » (La Bouteille.) Cette question est grossière, même posée par un sourd qui fait répéter son interlocuteur ; Félix feint de croire que le rustaud invoque une ville du Vermandois, Ham, qu’on prononçait « Han ». Voir la note 4359 de Duval.   187 De dangereux mendiants. Même vers dans Massons et charpentiers. « Plus il ne viendra/ À mon huis un tas de merdailles. » Les Esbahis.   188 Restez coi, taisez-vous. « Ho ! coisez-vous, vécy le maistre ! » St Clément.   189 A : ne  (Le sourd croit comprendre que Félix cherche une femme prénommée Patience. Voir la note 4372 de Duval.)  Si Dieu me secourt = que Dieu m’assiste ; cf. la Laitière, vers 67.   190 A : quelle  (« Et le lieu où elle demeure. » Les Trois amoureux de la croix.)   191 Il y a de quoi se signer, face à un tel diable. Le laboureur est encore diabolisé aux vers 129, 140, 256 et 307 : les infirmités (il est sourd et bossu) étaient vues comme des punitions divines.   192 Si on en avait envie.   193 Je m’en vais et je vous recommande à Dieu. Ce vers, tel que je le corrige, est le vers 152 de Jehan qui de tout se mesle.   194 A : j’eusse   195 Je ne saurais répéter ses paroles.   196 D’innombrables pastourelles comportent un refrain cyclique qu’on reprenait en chœur.   197 Félix embauche le messager. Il lui parle du paysan, devant lequel les deux hommes doivent repasser.   198 Un quidam. Cf. la Fièbvre quarte, vers 5. Cette acception existe toujours dans le langage populaire.   199 Un sot. Dans les Mystères, le paysan joue souvent un rôle de fou ; on aimerait savoir s’il en portait le costume.   200 Par ambageais : avec des ambages, des circonvolutions trompeuses. « Il n’y a sy villain huron,/ Sy lourdault ne sy vilag[e]oys,/ Qu’il me responde en ambag[e]oys. » Les Mal contentes.   201 T-H : nous  —  D : vous  (Je vous prie de vous taire, car nous devons passer près de lui silencieusement. Idem vers 261.)   202 Arraisonner, aborder avec des paroles. Cf. les Miraculés, vers 269.   203 Qu’il oit (verbe ouïr) : qu’il est un peu dur d’oreille.   204 Marchez avec assurance.   205 Le messager adopte devant saint Félix un juron chrétien ; mais précédemment, ce païen jurait sur « Mahon [Mahomet], Apolin [Apollon], Tavergant [Tervagant],/ Nos dieux en qui est mon courage [mon cœur] ». Il disait même à un chapelain : « Sire, Mahom vous doint santé ! » Et à saint Clément lui-même : « Vénus, Mahom et Appolin/ Sault et gard ceste compangnie ! » Ou encore : « Se Mahommet m’envoit grant joie ! »   206 À Félix, qui passe près de lui sur la pointe des pieds, suivi du messager.   207 Redoutez-vous la baboue, sorte de croquemitaine invoqué pour faire peur aux enfants. « Une femme nourrice menace son enfant de la baboue. » Godefroy.   208 A : Benou, Benou.  (En bon croquemitaine, le laboureur pousse les mêmes hurlements que les diables de ce Mystère : « Harou ! Lucifer, je revien./ Harou ! harou ! Tout est perdu. »)   209 Les noms de Dieu sont : le Père, le Fils et le Saint-Esprit.   210 En catimini, comme des voleurs. « Et puis s’en ala-il de ceuls de Valenciennes en larrecin. » Godefroy.   211 Cette expression inconnue laisse penser que les éplucheurs de persil (tout aussi inconnus) sont des gens discrets. Mais ne s’agirait-il pas plutôt d’espresseurs de raisin, qui piétinent des grappes dans une cuve au bas de laquelle se trouve un robinet qui laisse passer le jus ? On ne peut davantage exclure que le paysan traite le saint et son acolyte d’escumeurs de latin : voir les Coppieurs et Lardeurs.   212 Silencieusement.   213 Qui ne commet jamais de faute. Cf. l’Aveugle et Saudret, vers 149.   214 Celui qui cherche.   215 A : ait  (Cette graphie gênante est peut-être imputable au copiste.)  Le paysan conclut que le messager se nomme Patience.

LES MIRACULÉS

Bibliothèque nationale de France

Bibliothèque nationale de France

.

*

LES  MIRACULÉS

*

.

Beaucoup de Mystères contiennent des farces intégrales ou des scènes de farces ; voir la notice des Tyrans. Le Mystère de sainte Barbe (dans sa version en cinq journées) ne fait pas exception à cette règle : là comme ailleurs, les mendiants infirmes sont des personnages comiques. Déplorant que leurs dieux païens ne puissent les guérir, ils vont se livrer à un test comparatif entre ces dieux et les saints chrétiens ; ils accorderont à ces derniers la préférence après avoir bénéficié de leurs miracles. Les deux pauvres du Mystère de saint Vincent se livrent aux mêmes calculs : « Ou Jupiter ou Jhésucrist / Il ne me chault que l’en aoure [qu’on adore], / Mais que point en vain ne laboure [pourvu que je ne me fatigue pas pour rien] / Et du meilleur tousjours je boyve. » Aussi, quand un chrétien leur fait la charité : « À boire et à menger avons ; / Jhésus bien aimer nous devons / Mieulx qu’Apolo ne que Mercure. »

L’auteur inconnu du Mystère est picard, mais le scribe qui nous a légué cet unique manuscrit ne l’est pas plus que ses prédécesseurs : tous ces copistes ont introduit des traits bretons, angevins, ou même savoyards. Pour ne pas surcharger de notes mon édition, j’ai sacrifié quelques particularités dialectales propres aux copistes.

Source : Liber beate Barbare. Bibliothèque nationale de France, ms. fr. 976. J’utilise les folios 57 vº à 58 vº (1re journée), 181 vº à 184 rº (3ème journée), et 318 rº à 326 rº (5ème journée). Ce manuscrit étant en réfection jusqu’en 2025, il ne m’a pas été possible d’en obtenir une copie numérique.

Structure : Rimes abab/bcbc, rimes plates, avec 1 rondel double, 2 rondels « doublés en la fin », 4 triolets, 8 dizains ababbccdcd.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

*

.

                            STULTUS  loquitur.1                             SCÈNE  I

        Dieux [tous] puissans2, donnez-moy ou vendez

        Ung peu de sens pour en garnir ma teste !

        Je pouroys bien de vos dons amender3,

        S’il vous plaisoit, à ceste grande feste4.

5      Je vis tousjours en deul et en moleste5 ;

        En moy je n’ay ne sens, n’entendement ;

        Je n’ay de vous [nul] bien quel6 d’une beste.

        Ce coup7 aurez, mes dieux, présentement !

                            BRIFFAULT,  demoniacusRetrograde primo.8

        [ Ce coup aurez, mes dieux, présentement !

10    Je n’ay de vous [nul] bien quel d’une beste.

        En moy je n’ay ne sens, n’entendement.

        Je vis tousjours en deul et en moleste.

        S’il vous plaisoit, à ceste grande feste,

        Je pouroys bien de vos dons amende[r].

15    Ung peu de sens pour en garnir ma teste,

        Dieux [tous] puissans, donnez-moy ou vendez ! ]

        ………………………………….

                            MALIVERNÉ9,  aveugle.

        Nos dieulx, vous m’avez fait aveugle :

        En moy, clarté est endormye.

        Si jadis n’eusse fait du10 beugle

20    Et donné vent que je n’ay mye11,

        Vostre grâce me fust amye.

        Dire puis que je n’ay nul bien.

        Vostre bonté m’est ennemye.

        Mauldit soit qui vous donra12 rien !

                            MAUNOURY13,  boyteux.

25    Jadis, vous me feistes bouéteux,

        Mes dieux : ce fut bien [faulx14] vouloir.

        Je suys pouvre, paillart15, gouteux ;

        Je [n’ay] chevance ne avoir16.

        Je vous faiz icy assavoir

30    Qu’à vous je suys bien pou17 tenu ;

        Et pour ce, pour dire le voir18,

        Rien n’aurez de mon revenu !

                            LINART19,  sourt.

        Mes dieux, vous m’avez asourdi :

        Je n’ouay quelle une pier[r]e dure20.

35    Je me treuve tout alourdi.

        Par vous, grant pouvreté j’endure.

        J’eusse [mys] m’amour et ma cure21

        En vous, si vous m’eussez donné

        Ouÿe ; mais vous et Nature

40    M’avez pouvrement ordonné22.

        Du tout23 m’avez abandonné

        À meschef, yver et esté.

        De moy, rien ne sera donné

        En ceste grant solempnité !

                            CLICQUE-PATE24,  pouvre.

45    Pour tant25 que pouvre j’ay esté

        — Vivant en deul et en esmoy,

        Mandïant en grant pouvreté —,

        Les dieux, vous n’aurez rien de moy !

                            MALAISÉ26,  pouvre.

        Tousjours suys en meschant aroy27.

50    Je n’ay, de vous, chose qui vaille.

        Les dieux, vous n’aurez (par ma foy)

        De moy présent, denier ne maille28 !

*

                            MALAISÉ,  primus pauper29.               SCÈNE  II

        Hélas ! est-il âme qui donne

        Ung blanc30 aux pouvres créatures ?

55    Nous n’avons argent ne pastures ;

        Tousjours pouvreté nous fouésonne31.

                            CLIQUE-PATE,  secundus pauper.

        Ta voix meschantement32 résonne :

        Desclar[e]s hault33 nos adventures.

                            MALAISÉ 34

        Hélas !! est-il âme qui donne

60    Ung blanc aux pouvres créatures ??

                            CLIQUE-PATE

        Ha, dea ! ceste foiz-là est bonne,

        Affin qu’on oye tes murmures.

                            MALAISÉ

        Pour compter noz malaventures,

        Husche hault35, car raison l’ordonne.

                            CLIQUE-PATE 36

65    Hélas !!! est-il âme qui donne

        Ung blanc aux pouvres créatures ???

        Nous n’avons argent ne pastures !!!

        Pouvreté tousjours nous fouésonne !!!

                            MALAISÉ

        Sang que Dieu fist ! Ha ! tu m’estonne(s)

70    Toute la cervelle, de braire !

        Se tu estoys à Sainct-Lazaire37,

        Si scez-tu bien ton parsonnaige38.

                            CLIQUE-PATE

        Pour gripper fouéson de fourmaige39,

        Force de bribes [ou de trippe]40,

75    Tu faiz la plus terrible lippe41

        Qu’oncques vy faire à compaignons

        De ce mestier.

                            MALAISÉ

                                  Et pour quignons

        À fouéson atrapper de pain42,

        Tu as le cry le plus haultain43

80    Que j’ouÿ [oncques. En ton]44 presche,

        Tu as une voix si griesche45

        Et si farouche que c’est raige !

        Par ma Loy46 ! ce fut grant dommaige

        Que tu ne fuz presbtre ou doyen47.

                            CLIQUE-PATE

85    Pourquoy ?

                            MALAISÉ

                            Tu as ung beau moyen.

                            CLIQUE-PATE

        De quoy, « moyen » ? De quérir pain ?

                            MALAISÉ

        Mais moyen de mourir de fain !

        Nous avons beau commencement48.

                            CLIQUE-PATE

        Je ne voullisse49 seullement

90    Qu’autant d’escuz qu’on en mectroit

        Dedans les sacz que l’on coustroit50

        Des agu[i]lles qui bien poinroient51,

        En ceste place.

                            MALAISÉ

                                 Que feroient

        Les bélistrïens52 compaignons

95    [De tant d’escus]53 ? Nous ne tendrions

        Compte de menue monnoye.

                            CLIQUE-PATE

        Lessez54 la grosse aller sa voye :

        El ne nous est pas si tost55 preste.

        ……………………………….

                            MALAISÉ

        Nous n’avons pain, vin ne pitance :

100  C’est bien cause de lamenter.

                            CLIQUE-PATE

        Héé dieux ! vez cy56 piteuse chance.

        Nous n’avons vin, pain ne pitance,

        Potaige, lait n(e) aultre substance

        Pour nous nourir et substanter.

                            MALAISÉ

105  Aucun57 nous v[u]eille présenter

        Or, argent ou aultre chevance !

        Nous n’avons pain, vin ne pitance.

                            CLIQUE-PATE

        C’est bien cause de lamenter.

.

                            BARBARA 58                                        SCÈNE  III

        …………………………..

        Je vous donne ces pièces d’or ;

110  Elles viennent du grant trésor

        Du Roy : vous en serez tous riches.

                            MALAISÉ

        On ne nous donne point telz miches59

        Ailleurs. Nous vous mercïons, Dame !

                            CLIQUE-PATE

        Chez ces usuriers qui sont riches,

115  Dont ce leur est honte et diffame, 60

        On ne nous donne point telz miches.

        Cecy vault myeulx que poilz de bisches

        Ou de cerfs.

                            BARBARA

                             Usez-en sans blasme !

                            MALAISÉ

        On ne nous donne point telz miches

120  Aillieurs.

                            CLIQUE-PATE

                        Nous vous mercïons, Dame !61

.

                            MALAISÉ                                              SCÈNE  IV

        Qu’en ferons-nous ?

                            CLIQUE-PATE

                                         Villain infâme,

        Parle bas, qu’on ne nous escoute !

        Allons [deviser sur le coute]62

        Tout à coup, et crocquer la « pie63 ».

125  Et quand la « pie » sera juchie64,

        Le demourant aura conseil65.

                            MALAISÉ

        Tu diz bien. Pour ce, je conseil’

        Que nous en aillons (à brief mot)

        Boire du meilleur vin ung pot

130  Mainctenant, à sang rapaisé.

                            CLIQUE-PATE

        Chemine davant, Malaisé !

        Je te suyvré tantost à haste.

                            MALAISÉ

        Mais où yrons-nous, Clique-pate,

        Despendre deux onces d’or fin ?

                            CLIQUE-PATE

135  Nous en yrons chez ,

                       ,66 et burons du meilleur.

*

                            MALIVERNÉ,  cecus67.                        SCÈNE  V

        Hélas ! Je suys en grant destresse

        Et en engouesseuse tristesse

        De touz les langoreux congneue68,

140  Car j’ay perdu toute ma veue ;

        Et oncques, de moy, ne fut veue

              Quelque clarté.

        En ténèbres suys si69 arté

        Que je ne sçay, par loyauté70,

145        Que c’est lumière71.

        J’ay perdu par ceste misère,

        Par ceste pugnicïon fi[è]re72,

              Joye mondaine.

        Las ! ung crapault et une irraigne73

150  Ont74 une grant joye certaine

              Dont suys privé :

        Car ilz voyent bien, en leur privé,

        Où chascun d’eulx est arivé.

              Pour eulx conduire,

155  Ilz voyent trèsbien le soleil75 luire

        De jour, et la lune reluyre

              Durant la nuyt.

        Je me complains et faiz ung bruit76

        De Nature, qui moult me nuyst

160        Et contrarie :

        Car [à] mainte beste garnye

        De sens, el(le) donne et aparie

              Veue plaisant.

        Mais el a esté reffusant

165  Me donner veue suffisant :

              Je la pers toute.

        Bien pouvre est-il, qui ne voit goute.

        Je saveure bien peu et gouste77

              Des biens du monde.

170  Le sens de veue — où je me fonde

        Selon raisonnable faconde

              Et78 véritable —

        [Est] nommé le plus délectable,

        Plus plaisant ou plus prouffitable

175        Par sa noblesse.

                            MAULNOURY,  claudus79.

        Hélas ! Or suys-ge en grant féblesse

              Et moult débille80 :

        Moy qui deusse avoir corps abille81,

              Fort et puissant,

180  Suys contrefaict et impuissant,

              Tort [et] bouesteux82.

        Je suys de santé souffreteux,

              Et de support83.

        Nature, [tu] me faiz grant tort

185        En cest endroit.

        À quoy tient que je ne voys84 droit ?

              Comme ung estrange85,

        Droit naturel de moy s’estrange86.

              Et, vertueulx,

190  Je suys ung suppost monstrueux

              Et deffectif87 ;

        Je suys ung suppost illusif88

              De touz mocqué :

        Je suys de touz foulx abrocqué89

195        Par mocquerie.

        Nature tout ainsi me lie.

              Corps imparfaict,

        Il semble que j’ay esté fait

              En grant despit

200  D’aulcun90 des dieux, lequel me fist,

              Dont suys dolant.

        Las ! si j(e) alasse à mon tallant91

              Où je voulsisse,

        Je gaignasse par mon service

205        Ma vie humaine.

        Mais à grant-paine je me traîne

              Sur le careau.

        Ung cheval, ung beuf, ung toreau

              Est bien eureux

210  En ce cas, et moy malheureux,

              Qui ne me bouge.

        Hélas ! ung oiseau grix ou rouge

              Peult bien voller,

        Mais je ne puis ung pas aller

215        Ne pas ne cours92.

                            LINART,  surdus93.

        Las ! Jamais je ne me res[c]ours94.

        Je suys nommé ung [des] très lours95

        De ce monde, aussi des [plus] sours

              Et inutille.

220  Je suys plus sourt q’un pot à huille96.

        Ès champs, en chasteau ne en ville,

        Il n’est — pierre, ne boys, ne tuylle —

              Chose plus sourde

        Que moy. J’ay la teste si lourde,

225  [L’oreille tant forte]97 et tant gourde !

        S’on me dit quelque mal ou bourde,

              Je n’entens note.

        Quelque parolle qu’on me note98,

        [Rien n’entens, que chascun le note.]99

230  Je ne sçay, pour prendre ma note,

              Riens que respondre100.

        On me peult mauldire ou confondre,

        Parler ou de fiens ou de pondre101,

        Sermonner de brebiz à tondre

235        Sans quelque entente.

        Je dy que ma vïe patente102

        Est [la] plus mauldicte, impotente,

        La plus meschant, la plus dolante

              Qui soit, ce croy,

240  [De quoy je suys en grant esmoy.]103

        Bien voy ceulx qui parlent à moy :

        Respondre ne sçay cy ne quoy104

              À leur[s] propos105.

        S’on parle bas, je respons gros106 ;

245  S’on me dit « pain », je respons « pos107 » ;

        S’on dit « Bonjour ! » : « [À quel propos]108 ? »

              Ou s’on se taist,

        Rien ne sçay, dont il me desplaist.

        Si, v[u]eil donc conclure, d’effaict109,

250  Que je suys le plus imparfaict

              Qui soit en vie.

                            MALIVERNÉ

        La[s] ! voycy pouvre compaignie :

        Aveugles, bouéteux, aussi sours,

        Et gens de misérable vie.

                            MALNOURY

255  Las ! voycy pouvre compaignie.

        Nature n’est pas nostre amye,

        Qui nous a faiz touz ainsi lours.

                            LINART

        Las ! voycy pouvre compaignie :

        Aveugles, boyteux, aussi sours.

                            MALIVERNÉ

260  Nature : en nous, mal tu resours110 ;

        Tes manières nous111 sont amères.

        Pourquoy du ventre de noz mères

        Veinmes-nous ainsi mal aiséz112 ?

                            MALNOURI

        En113 nous, n’a aucuns bienaiséz

265  Qui n’ai[e]nt de bien excepcïon.

                            LINART

        Il fault114 une perfection

        À chascun de nous, dont c’est perte.

                            MALIVERNÉ

        Malnoury, par demande aperte115,

        Araisonnons ung peu ce sourt.

270  Comment va Linart ?

                            LINART

                                           Dont il sourt116 ?

        Il sourt d’une doulce fontaine

        Qui est assise en une plaine,

        Ainsi comme j’ay ouÿ dire.

                            MALNOURY

        Do[i]nt bon jour117 !

                            LINART

                                           S’il porte navire ?

275  Ouy, .III. ou .IIII. [queues à queues]118.

                            MALIVERNÉ

        De quel boys ?

                            LINART

                                Il y a troys l[i]eues,

        Mais on dit que l’une est petite.

                            MALNOURI

        À quel propos119 ?

                            LINART

                                       De pierre cuite120

        Jusques dedans Paris n’a mye.

                            MALIVERNÉ

280  Beau sire, avez-vous point d’amye

        Par amour ?

                            LINART

                             A ! je lay prestée

        Au curé.

                            MALNOURI

                       Quoy ?

                            LINART

                                    Quoy ? Mon espée,

        Qui est du temps du roy Basac121.

                            MALIVERNÉ

        Où fut-elle faicte ?

                            LINART

                                       En ung sac

285  Qui tenoit bien quatre septiers :

        J’e[n] apporte bien deux milliers

        En mon coul, [sur ma fleur de]122 lis.

                            MALNOURY

        De quoy ?

                            LINART

                         De quoy ?

                            MALIVERNÉ

                                           C’est ung palis123

        Entre son oreille et la nostre.

290  Où est la [chose, qui fut vostre]124,

        De quoy nous parlasmes le plus ?

                            LINART

        Comment ?

                            MALNOURI

                           Comment ?

                            LINART

                                              Il n’en vient plus

        Passé davant la Chandeleur125.

        Ilz prennent l’autr[u]y et le leur126.

295  La ribaudaille ! Je m’en plains.

        Hé ! pardieu, ilz seront restrains127

        Et j’en seray ung jour vengé !

                            MALIVERNÉ

        Par ma Loy, c’est bien vendengé128 !

        Mais il n’y a ne fons, ne rive129.

                            LINART

300  Quand ? Dea ! quand on fait la lessive :

        Lors est ma braye bien lavée.

        A  la crapaudaille soit130 noyée !

        À la laver use mes131 doiz.

                            MALNOURY

        Il lave cy en quoquardoys132

305  Aussi bien qu’oncques laver vy.

                            LINART

        Il n’en seroit pas assovy

        Pour une escullée de mattes133.

                            MALIVERNÉ

        Qui, Linart ?

                            LINART

                               Le prince de Nates134.

                            MALNOURY

        Voycy bon temps pour exploicter135.

                            LINART

310  Demandez-vous s’il est natier136 ?

                            MALIVERNÉ

        On n’en aura mèshuy le bout137.

                            LINART

        Esse de noéz138 ou tout le brout

        Que vous parlez ? Ou d’escaillées139 ?

                            MALNOURY

        Vous luy avez belles baillées140 !

315  Vous en respondez comme saige.

        Adieu, Linart !

                            LINART

                                [Myeulx] ? Et ! que sai-ge :

        Selon que la brunète141 est fine.

.

                            MALIVERNÉ                                        SCÈNE  VI

        Laissons-le cy, car il devine142.

        C’est cy une v[i]eille vïelle143.

320  Il a trop longue kyrïelle144 :

        On n’en auroit le bout145 en piesse.

                            MALNOURI

        Nous avons esté longue pièce146

        En captivité très patente147.

        Nous avons nature impotente,

325  De quoy point nous ne nous louons.

        D’autre part, garir ne povons148

        Par noz dieux : car je sçay, de voir149,

        Qu’ilz n’ont mye tout le povair150

        De garir noz débilitéz151.

330  Maintes foys les ay incitéz

        Par152 prièr[e] qu’ilz me garissent ;

        Mais chascun coup, ilz m’escondissent153.

        Ilz ne m’ont en rien avancé.

        Sy [ay-je] en moy-mesme pencé

335  Que maint beau fait et maint miracle

        Se font ou154 petit habitacle

        Où le corps de Barbe repose.

        Et, partant, du tout je propose

        D’y aller expérimenter155.

340  S’elle fait mon mal absenter

        Et qu’elle me garisse nect,

        Je suys déterminé et prest

        De prendre la Loy qu’el avoit156.

                            MALIVERNÉ

        Tu as trèsbien dit : car on voit

345  Que plusieurs y ont recouvré

        Santé. Ce seroit bien ouvré157

        S’elle nous garissoit tous deux.

                            MALNOURY

        Allons-y !

                            MALIVERNÉ

                          Allons, je le veulx !

        On [ne] peult perdre à essayer.

                            MALNOURY

350  Il ne fault pas hault abaier158,

        Affin que les gens ne nous oyent :

        Car si les Païens advisoi[e]nt

        Nostre bonne dévocion,

        Seroit nostre destruction.

355  Aller tout cayement159 il nous fault.

                            MALIVERNÉ

        Chascun quiert santé, quant luy fault160 ;

        Aussi [sont mes deux yeulx]161 perduz.

        Prendre aymerays myeulx les vertuz162

        Ou d’un homme ou d’une femme

360  Je le vous jure sur mon âme

        Que d’estre aveugle tousjours.

                            MALNOURI

                                                      Âme163

        N’en saura rien, car nul n’aborde

        Où elle est164.

                            MALIVERNÉ

                                Tien donc ceste corde165

        Et me maine à sa sépulture !

                            MALNOURI

365  Or y allons, à l’aventure !

        Quant est à moy, j’ay grant fiance

        Que nous y aurons recouvrance

        De santé et de vallitude166.

                            MALIVERNÉ

        Nous sauron bien la plénitude

370  Du povair que son dieu luy donne.

.

                            SANCTUS  VALENTINUS 167            SCÈNE  VII

        Je voy venir mainte personne

        Débille168, impotent[e] et mallade.

        Au sainct sépulcre doulx et sade169

        De Barbe, que chascun reluyse !

375  Dieu v[u]eille que chascun y puisse

        Recouvrer santé endroit soy170,

        Pour l’acroissement de la Foy

        Et pour le salut des loyaulx171 !

.

                            MALNOURY                                        SCÈNE  VIII

        Je sens bien alléger mes maulx

380  Pource que le lieu aprouchons.

        Je vous pry que nous avancyons :

        Si sera le labour finé172.

                            Maliverné intret in habitaculo

                            sepulcri, et Malnoury cum eo.173

                            MALIVERNÉ

        Vray174 Dieu, je suis enluminé !

                            MALNOURY

        Et moy, je ne suis plus bouéteux !

                            MALIVERNÉ

385  Ton povair est cy désigné,

        Vray Dieu : je suys enluminé !

                            MALNOURI

        Ce lieu dévot est assigné

        Pour garir malades piteux.

                            MALIVERNÉ

        Vray Dieu, je suis enluminé !

                            MALNOURY

390  Et moy, je ne suys plus bouéteux !

                            MALIVERNÉ

        Voycy ung lieu délicïeux

        De très mervoilleuse influence ;

        Il rend les désoléz joyeux,

        Tant a de vertuz affluence175.

395  Voycy une grant apparence

        Pour [en] conclure évidenment

        Que le corps qui segrètement

        Repose en ce tugurïon176

        Est de divin exaulcement

400  Et digne [d’]aprobacion.

                            Dicat genibus flexis : 177

        Ô Barbe, en dignité promeue :

        Humblement je te remercye

        Que tu m’as ma veue rendue,

        Qui davant178 estoit obscursie.

405  M’âme est joyeuse et esclarsie179

        Par celuy miracle divin.

        Pour tant, d’humble cueur et inclin180,

        Je mect[z] ma foy en adhérence181

        À Jésus Crist, ton dieu bénin182 :

410  Tousjours luy feray révérence.

                            MALNOURI

        Voycy eupvre183 miraculeuse,

        Sans charme184, sans enchantement ;

        Ce n’est pas eupvre frauduleuse,

        Ne faicte sophisticquement185

415  [Par des deables, malignement,]

        Car deables n’ont point lieu ycy.

        Nous sommes186 tous sains (Dieu mercy !)

        Par la seulle intercessïon

        De Barbe, dont le corps transsi

420  Repose en ceste mansion187.

                            Dicat genibus flexis :

        Ô digne lieu sainct et dévot,

        Plain de grâce c[é]lestïelle

        Qui es[t] cy mys[e] en ung dépost :

        Je t(e) honnore pour l’amour d’elle,

425  Dont le digne corps sans mamelle188

        Repose189 en toy honnestement.

        Ce puisse estre à l’acroissement

        De la foy que Barbe tenoit :

        Car, de cueur et de pencement190,

430  Je croy en Dieu qu’elle croyoit.

        Pour tant, je me vueil occupper

        À la servir de bon endroit.

        Je puis saillir, coure, trocter191,

        Reculler et aller tout droit.

435  Celuy est foul qui ne vouldroit

        Croire en une vierge si saincte.

        [Je ne faiz plus regret ne plaincte,]192

        Car de santé certain je suys.

        Toute personne forte actaincte193

440  Est garie en entrant à l’uys194.

                            Exeant locum sepulcri.195

.

                            LINART                                                 SCÈNE  IX

        Ha, a ! Que c’est là ? Oncque, puis

        Que Dieu m’estouppa les oreilles196,

        Je ne vy aussi grans merveilles,

        Et si, ne fuz si esbahiz.

445  Ces deux hommes-là sont gariz

        En mains qu’on ne pourroit toussir197.

        Ilz n’ont fait qu’entrer et yssir

        En celle petite maison,

        Et ilz sont sains comme ung poisson.

450  Ne sçay s’il y a là ung mire198

        Qui les gens garist et remire199

        D’erbe, de racine ou d’escorce.

        Ou se c’est par la trèsgrant force

        Et200 vertu du lieu ? J’en faiz doubte.

455  Maliverné ne véoit201 goutte,

        Et il voit myeulx que moy beaucop202.

        Et puis Malnouri, qui fut clop203,

        Qui ne povait avant aller,

        Peult saillir, triper204 et baller,

460  Et courir sans mal endurer.

        Il me convient adventurer

        [Et] aussi bien qu’eulx y entrer,

        Pour veoir se pouray rencontrer205

        Ma santé et me resjouyr,

465  Et ma sourdesse évacuer206.

        Je croy que j’auré beau huer207 !

        Au mains, je sçauray qu’on dira208.

        Et quand Briffault209 me mauldira,

        Luy210 dira[y] « bon jour ! » ou « bon vespre ! ».

470  Je m’y envoys ains qu’il211 avespre,

        En espérance de garir.

.

                            MALIVERNÉ                                        SCÈNE  X

        Malnoury, voy-tu acourir

        Ce sourdault212 à ceste logecte,

        Com nous avons fait ?

                            MALNOURY

                                           Or [m’en] guecte213 :

475  Je cuyde que garir poura.

        Esprouvons un pou s’il orra214

        Comme il [n’]a fait puis215 qu’il fut né.

                            Intret Linart locum sepulcri.

                            MALIVERNÉ

        Linart !

                            LINART.  [Intrent Maliverné et Malnoury]

                                                             in habitaculo sepulcri.

                      Qu’esse, Maliverné ?

                            MALIVERNÉ

        Fièbvre au cueur216, beaussire ?

                            LINART

                                                           Or, prenez

480  Qu(e) ainsi soit217 : qu’en est-il ?

                            MALNOURI

                                                            Tenez !

        Entent-il bien, le chambellan ? 218

        Linart !

                            LINART

                      Hau !

                            MALNOURI

                                 Empoigne mal an219 !

                            LINART

        Baisse-toy et le pran [delà220] !

        Qu’est-ce cy, seigneurs ? Comment, dea !

485  Je  suys hors de périlleuse voye.

        Cuydez-vous que tousjours je n’oye

        Aussi bien que vous ? Si faiz, voir221 !

        Certes je vous [faiz] assavoir

        Qu’aussitost que j’euz mes deux piéz

490  Cy-dedans, j’ouÿ tout sus piéz222

        Aussi bien ou myeulx comme vous.

        La mercy du hault Dieu trèsdoulx

        Que Barbe servoit, et la sienne !

        La gloire, pourtant, n’est pas myenne223 :

495  C’est à Dieu et à la dévote

        Saincte Barbe (que je dénote

        Estre fort224 prévileigiée

        Ou Ciel, où el est cituée).

        Il n’est homme si langoureux,

500  Si maladif, si douloureux,

        Si vil et inhumain pécheur,

        S’i la requiert de dévot cueur,

        Que tantost el ne le sequeure225.

                            MALIVERNÉ

        En petit d’heure, Dieu labeure226 :

505  On le voit par expérience.

                            MALNOURI

        Ce dit227 est vray, je vous asseure :

        En petit d’heure, Dieu labeure.

        Nous sommes gariz sans demeure228,

        Sans phisicque229 ou aultre science.

                            LINART

510  En petit d’heure, Dieu labeure :

        On le voit par expérience.

        Pource, en tant que j’ay audience,

        Je regraciré Dieu mil230 foiz.

                            Dicat Linart, genibuz flexis :

        Ô Jésus, qui sceiz et congnoys

515  Les cueurs des humains au parfond231 ;

        Qui d’un seul regart sceiz et voiz

        Les choses qui furent et sont,

        Et qui ou temps futur seront.

        Tu voiz et congnoys mon désir :

520  Je n’apète riens, ne232 désir’,

        Sinon toy servir et amer233.

        Ne me laisse jamais gésir

        En la Loy qu’on doit diffamer234 !

        Tu m’as gary soudainement

525  Et as mes oreilles ouvertes,

        Dont je te mercy haultement,

        Car davant, el(le)s furent couvertes :

        Tu as les tayes descouvertes 235

        Empeschans mon audicion.

530  Tout [as fait]236 sans succession,

        Qui est eupvre dessus Nature237.

        Nulz homs sans disposicïon238

        Ne sçauroi[e]nt faire telle cure.

        Vierge martire et saincte dame,

535  Entre les sainctes honnorée,

        Je [me commande]239 corps et âme

        En ta main tant qu’auré durée240.

        Vierge de vices espurée,

        V[u]eilles que si bien je te serve

540  Qu’en fin de mes jours je déserve241

        Estre avec toy ès Cieulx logié !

        Et mon esprit tousjours préserve,

        Qu’i ne soit en Enfer plongé !

                           Exea[n]t sepulcrum.

                           MALIVERNÉ

        Allons quérir cest enraigé

545  Briffault, qui est démonïacle242 ;

        Amenons-l(e) en cest habitacle

        Par charité et par aulmosne,

        Affin que la pouvre personne

        Y puisse recouvrer santé.

                            MALNOURY

550  S’i nous avoit ung peu heurté

        De ses fers243, par acord, nous troys,

        Il nous vauldroit myeulx tenir coys :

        [Car] nous n’en aurions aultre chose244.

                            LINART

        Allons hardiment ! Je suppose

555  Que le lieu245 luy prouffitera

        Sitost qu’en [luy] habitera

        [Dessuz l’autel]246 et couverture.

                           MALIVERNÉ

        Il n’a riens, qui ne s’aventure247 ;

        Et s’aucun ne s’aventuroit

560  Pour luy, tousjours ainsi seroit

        Sans recouvrer ce qu’il luy fault.

        Allons hardiement !

.

                            MALNOURY                                         SCÈNE  XI

                                        Çzà, Briffault !

        Nous te mainerons par le braz

        Au sainct lieu.

                            BRIFFAULT,  demoniacus.

                                Tien-toy coy248 ! Feras,

565  Traistre laron, filz de putain ?

                            LINART

        Tantost, santé recouv[r]eras

        Au sainct lieu.

                            BRIFFAULT

                                Tien-toy coy ! Feras ?

        Si tu aproches, tu auras

        Ung coup de mes fers sur le groing249 !

                            MALIVERNÉ

570  Ha[y] avant, hay250 ! C’est à demain ?

        Vous viendrez sans plus de fatras

        Au sainct lieu !

                            BRIFFAULT

                                 Tien-toy coy ! Feras,

        Traistre laron, filz de putain ?

        Va-t’en voir messire Jourdain251,

575  Qui avec ta femme est couché ;

        Ne sçay s’il y aura « loché252 ».

        Bêê, bêê ! Va, jennin253 que tu es !

        Hélas, hélas ! tu as beau nés254.

        Où allez-vous, nostre beau maistre ? 255

580  Par ma foy, on te fait bien paistre !

        Mais au fort, tu en as le brout256.

        Vien çzà, mon cousin ! Par quel bout

        Se desnoue le neu257 d’amours ?

        Alarme, alarme ! Tost, secours !

585  Je voy les deables cy venir.

                            MALNOURI

        A ! il commence [de venir]258

        Et entrer en sa frénaisie.

                            BRIFFAULT

        Si j’ay plus de ma fantaisie259,

        Va y voir, je le te conseille !

                            Cantet : 260

590  Viendras-tu à la veille261,

              Jennin, Jennot,

              Marguin, Margot ?

        Viendras-tu à la veille

              Sus l’escarbot 262 ?

595  Dieu dit que [je] l’esveille

              Huy assez tost

              Sans dire mot.

        Viendras-tu à la veille,

              Jennin, Jennot,

600        Marguin, Margot ?

        Dieu poira263 la chande[i]lle

              Et tout l’escot.

              Ce dit Perrot :

        [Là boirons]264 soubz la treille

605        Chascun son pot.

        Viendras-tu à la veille,

              Jennin, Jennot,

              Marguin, Margot ?

        Viendras-tu à la veille

610        Sur l’escarbot ?

.

        Qu’en dictes-vous, maistre Mignot ? 265

        C’est bien chanté, n’est mye ? N’es[t-]ce ?

        Ton père chante la grant-messe,

        Au dimenche, en nostre parroche266.

                            MALIVERNÉ

615  Pren delà ! Vien, Linart, aproche !

        Empongne-le par le267 braz destre,

        Et puys moy par le braz sénestre.

        Et Malnoury nous conduyra.

                            BRIFFAULT

        Haro268 ! Las ! Et ! on me prendra !

620  Au meurtre, bonnes gens ! À l’aïde269 !

                            MALNOURY

        Vous y serez mené sans bride.

        Avant que vous mangez de pain,

        Vous y vendrez270, paillart villain,

        Hastivement, de chaulde trace271 !

                            Pausa. Ducant eum in habitaculo sepulcri, et

                            sanetur272. Et postea, dicat genibus flexis :

                            BRIFFAULT

625  Ha ! trèsdoulx Dieu, voycy grant grâce.

        Mes fers me sont chuz hors des mains.

        Mirez-vous273 icy, cueurs humains,

        En ces miracles apparens274 !

        J’estoye, a[u] matin, hors du sens,

630  Démonïacle, enraigé, foul ;

        Pendu me fusse par le coul,

        S’on ne m’e[n] eust trèsbien gardé.

        Mais Jésus Crist m’a regardé

        De son œil de quoy il regarde

635  Barbe, son espouse, qu’il garde

        De vice et de toute macule275.

        En moy, n’avoye raison nulle,

        Intelligence qu’en servaige.

        J(e) avoye lors perdu l’usaige

640  De mon petit entendement

        Et de raison totallement,

        De mémoire et de voulenté.

        Car le deable avoit supplanté

        Mon âme, qu’il avoit liée.

645  Mais à présent, est desliée

        Par la puissance et aliance

        De Jésus, en qui j’ay fiance,

        Moyennant276 Barbe la très digne.

        Le deable est277, par elle, en ruÿne,

650  Qui si longuement m’a tenu.

        Parquoy, humblement, le chef nu278,

        Dieu et Barbe je remercy,

        Et vous, mes bons amys279, aussi,

        Qui avez esté le motif

655  De faire garir ce chétif.

        Si, vous prie que me pardonnez

        Les coups que je vous ay donnéz,

        Les mesfaiz, aussi les mesdiz

        Que je vous [ay] ou faiz ou diz,

660  Pour Dieu et pour tous se[s] saincts noms.

                            LINART

        Amy, nous le te pardonnons,

        Et Dieu aussi le te pardonne.

*

1 Le Fou parle. C’est le seul endroit du Mystère où le texte de ce personnage est noté. Ailleurs, on nous dit qu’il parle, mais nous ignorons ce qu’il raconte. Certains médiévistes croient qu’il improvisait en vers, ce qui est impossible, ou en prose, ce qui est improbable. Il devait emprunter des monologues de fous à d’autres Mystères, ou à des sotties, ou à des monologues dramatiques.   2 On lit, quelques vers plus tôt : « Dieux tous puissans résidans sur les cyeulx. »   3 Ms : amendez  (La rime est juste, mais le sens est faux. L’auteur fait mal la différence entre les infinitifs et les participes passés ; je corrigerai tacitement ces dévergondages grammaticaux.)  Je pourrais bien m’améliorer.   4 On célèbre au temple « la feste de l’immortel/ Jupiter, qui est aujourd’huy ».   5 En douleur et en désagrément.   6 Pas plus que. Cette curieuse tournure, qu’on retrouve au vers 34 et encore quatre fois dans ce Mystère, est examinée par Mario LONGTIN : Édition critique de la cinquième journée du Mystère de sainte Barbe en cinq journées. (University of Edinburgh, 2001, p. 99.) C’est Longtin qui a intitulé « farce des miraculés » la comédie que je publie aux vers 137-662.   7 Au lieu de déposer des présents devant la statue de Jupiter, le fou la gifle.   8 Briffaut [gourmand] est un démoniaque possédé par le diable. Il récite en sens rétrograde le couplet qui précède, à partir du dernier vers. Dans cet épisode et dans la 5ème journée, beaucoup d’autres acteurs se livrent à ce jeu de rhétoriciens : le copiste met le couplet normal dans la bouche d’un personnage, puis, sans le récrire, il note que tel autre personnage doit le rétrograder.   9 Mal hiverné, mal ravitaillé pour passer l’hiver. Comme toujours, le nom des mendiants est taillé sur mesure.   10 Ms : ung  (Si je n’avais pas fait l’imbécile, vous ne m’auriez pas rendu aveugle. « Tu es fol,/ Bien lourdault, bien badin, bien beugle,/ D’ainsy me cuyder faire aveugle. » Le Monde qu’on faict paistre.)   11 Et promis ce que je n’ai pas.   12 Ms : dira  (Celui qui vous donnera quelque chose. Notre Mystère emploie souvent cette contraction picarde : « Que Dieu nous donra le povair [pouvoir]. »)   13 Mal nourri. Il marche avec des béquilles.   14 Une mauvaise action. « Et leur faulx vouloir multiplient. » Jeu du Prince des Sotz.   15 Je couche sur la paille. Cf. les Bélistres, vers 57.   16 Ni fortune, ni richesse.   17 Peu. Idem vers 476. Voir L.-F. DAIRE, Dictionnaire picard, gaulois et françois.   18 Le vrai, la vérité. Idem vers 327 et 487.   19 Prénom picard. Voir René DEBRIE, Glossaire du moyen picard.   20 Je n’ois [n’entends] pas plus qu’une pierre dure. Voir la note 6.   21 Mon amour et mon soin.   22 Agencé, pourvu.   23 Totalement. Idem vers 338.   24 Jambe de bois. Ce mendiant est un faux infirme.   25 Pour la raison. Idem vers 407 et 431.   26 Qui ne vit pas dans l’aisance ; voir le vers 263. « Malaisé de biens. » Godefroy.   27 En mauvais état.   28 Ni un présent, ni un denier, ni une piécette.   29 Premier pauvre. Voici un dialogue entre les mendiants professionnels Clique-patte et Mal-aisé. Allergiques au travail, ils laissent croire à sainte Barbe qu’ils sont chrétiens pour obtenir d’elle une aumône, qu’ils iront boire à la taverne, comme les deux bonimenteurs du Mystère des trois Doms après qu’ils ont apitoyé trois saints.   30 Une pièce de 5 deniers.   31 Ms : fouessonne  (Je corrige aussi les vers 68 et 73, d’après le vers 78.)  Nous avons à foison. « Souspeçon tousjours me foisonne. » ATILF.   32 Médiocrement, faiblement.   33 Plus haut, en parlant plus fort, afin que d’éventuels donateurs entendent tes plaintes.   34 En hurlant.   35 Appelle le public avec force. « Hucher » est picard : voir Debrie.   36 En hurlant plus fort que son camarade.   37 Quand bien même tu serais hébergé à Saint-Lazare. On nommait ainsi les lazarets, les léproseries. Leurs pensionnaires, qui n’étaient pas nourris, sortaient pour mendier ; ils faisaient alors beaucoup de bruit en criant et en agitant leurs cliquettes [castagnettes].   38 Tu sais bien ton rôle.   39 Pour attraper foison [quantité] de fromages. On rencontre la métathèse « fourmage » en Picardie : voir Debrie.   40 Ms : je les grippe  (Les mendiants cherchent toujours à se procurer des tripes : voir l’Aveugle, son Varlet et une Tripière, ou la Trippière <F 52>.)   41 Moue, grimace de douleur. Les faux malades qui mendient ont un sens du mime très développé. « Regarde comme il fait la lipe :/ Il lui fault un morssel de tripe. » Le Martyre S. Estiene.   42 Pour resquiller à foison des croûtons de pain.   43 Haut, sonore.   44 Ms : onc que on me   45 Si dure.   46 Par ma religion. Idem vers 298, 343 et 523.   47 Prêtre, ou responsable d’une communauté ecclésiastique : ces deux professions exigent une voix de stentor.   48 Nous avons bien commencé (à mourir de faim).   49 Je ne voulusse, je ne voudrais. La forme picarde correcte est voulsisse, comme au vers 203.   50 Qu’on coudrait avec.   51 Ms : ponroint  (Piqueraient : conditionnel picard de « poindre ».)  Les vers 92-95 sont très abîmés ; je ne garantis pas mes corrections.   52 Ms : palestiens  (Mot inconnu.)  Bélîtrien = bélître, mendiant. « Et ces méseaulx [lépreux], bélistriens,/ Taingneux. » Les Sotz fourréz de malice.   53 Ms : Quel de fieus  (Tendrions : forme picarde de tiendrions. « Quant entre mes bras la tendray [je la tiendrai]. » Les Trois amoureux de la croix.)   54 Ms : Lesser  (Laissez la grossesse aller à son terme : laissez faire les choses.)   55 Ms : toust  (Très souvent, le copiste note « ou » au lieu de « o » : toust, suppoust, chouse, propous, noustre, voustre, dépoust, etc. Je corrige tacitement cette graphie dialectale, qui n’est pas due au fatiste.)   56 Voyez ici : voici.   57 Que quelqu’un.   58 Sainte Barbe est le modèle de la nouvelle convertie intolérante et bornée, qui croit que vandaliser des œuvres d’art gréco-romaines est un acte de foi (en portugais : auto da fe). Profitant de ce qu’elle est la fille du roi*, elle vient de saccager — et de piller — le trésor royal.  *Voir la Chanson en divers son, tirée du même Mystère.   59 De tels dons.   60 Ce n’est pas avec de bons sentiments qu’on fait de la bonne poésie : ce vers apocryphe dénature le triolet ABa(b)AabAB.   61 Sainte Barbe s’éloigne.   62 Ms : diuiser sur le coude  (Discuter en étant accoudés à la table d’une taverne. « Deviser sur le coute, coste le [à côté du] vin. » ATILF.)  La rime exige coute, que le Dictionnaire picard, gaulois et françois de Daire écrit « couste ».   63 Avaler du vin. Cf. Te rogamus audi nos, vers 64.   64 Ms : juchee  (Rime picarde. « Quant la pye est juchie. » Ballade en jargon que Thierry Martin attribue au Picard Colin de Cayeux : VILLON, Ballades en argot homosexuel, Mille et une nuits, 1998, pp. 71-72.)   65 La somme restante fera l’objet d’un vif débat.   66 L’auteur a laissé des blancs pour qu’on puisse ajouter des noms de tavernes selon la ville où se joue le Mystère. Tant bien que mal, un copiste du XVIIIe siècle a résolu ces deux vers de la sorte : « Nous en irons chez Lambotin,/ À la Croix d’or, et burons du meilleur. »   67 Cæcus : aveugle. Voir les vers 17-24. Cet épisode est situé après la mort de sainte Barbe.   68 Connue de tous les malheureux. Idem vers 499.   69 Ms : cy  (« Arté » est une syncope picarde : arrêté, figé. Voir Debrie.)   70 En vérité.   71 Ce qu’est la lumière.   72 Féroce. « Fier comme ung lyon. » Colin filz de Thévot.   73 Le crapaud et l’araignée sont les animaux les plus vils. « Yraigne » est picard : voir Debrie.   74 Ms : A  (La suite est au pluriel.)   75 Ms : soulail   76 Une plainte au sujet.   77 Je savoure peu et je goûte peu.   78 Ms : Est  (Selon l’opinion commune et vraie.)   79 Atteint de claudication, boiteux. Voir les vers 25-32.   80 Je suis très débile, faible. Idem vers 372.   81 Habile.   82 Tordu et boiteux. « Boué-teux » compte pour deux syllabes aux vers 25, 253 et 384.   83 De finances.   84 Que je ne vais pas.   85 Comme si j’étais un étranger.   86 S’éloigne. « Ce faisoit joie estrangier de moi. » ATILF.   87 Défectueux, frappé d’un défaut physique.   88 Illusoire.   89 Embroché, transpercé. Debrie donne abrocqui.   90 Par l’un.   91 Si je pouvais aller selon mon désir où je voulais. Cf. la Complainte d’ung gentilhomme, vers 14.   92 Ni au pas, ni à la course. « Et ne vont jamais les chevaulx, en icelluy pays, que le pas ou le cours. » ATILF.   93 Sourd. Vers 33-44.   94 Je ne me reconstitue, physiologiquement ou financièrement. « Pour me rescourre,/ Iray de bonne heure à la queste. » Les Bélistres.   95 Un des plus accablés. Idem vers 257.   96 Je suis sourd comme un pot.   97 Ms : Loraille tant sorte  (« Oraille » est la graphie du copiste ; je la corrige encore au vers 442, qui rime en -eilles, et à 525.)  J’ai l’oreille si dure et si engourdie.   98 Qu’on m’adresse.   99 Vers manquant. « Je vueil bien que chascun le note. » Jeu du Prince des Sotz.   100 Je ne sais pas sur quelle note je dois chanter les répons des Vigiles. Dans la Chanson en divers son, notre Mystère fait chanter les Vigiles à Lucifer, et leurs répons aux démons. « Chantez, mère, nous respondrons. » (Les Vigilles Triboullet.) L’auteur oublie que Linard est encore païen.   101 Ms : pouldre  (Les références de Linard concernent la ferme : fumier, poules, moutons.)   102 Publique. Idem vers 323.   103 Au changement de folio, le copiste a sauté un vers. « J’en suis en grand esmoy. » Folconduit.   104 Ni ceci, ni cela. « Sans plus dire ne si, ne quoy. » Les Drois de la Porte Bodés.   105 Je rectifie les rimes du copiste : propoux, groux, ouy, propoux. Voir la note 55.   106 Avec une grosse voix.   107 Ms : ouy  (Pots de vin. « Et tousjours du vin à plains pos. » Les Chambèrières et Débat.)   108 Ms : ad ce propoux  (C’est à quel sujet ? Au vers 278, Mal-nourri pose cruellement cette question à Linard.)   109 En réalité. « Ce petit livre, attendu que, d’effait,/ Il est d’un gros et rude stille fait. » (Le Plaisant boutehors d’oysiveté.) Mario Longtin conserve « deffaict ».   110 Tu t’illustres mal. Verbe ressourdre.   111 Ms : nont   112 Sommes-nous venus au monde si mal lotis.   113 Parmi.   114 Il manque (verbe faillir). Idem vers 356 et 561.   115 En lui faisant des demandes pressantes. Nous arrivons au passage obligé : le dialogue de sourds. Voir la notice du Gouteux.   116 D’où ce fleuve tire sa source ?   117 Que Dieu te donne une bonne journée ! « Doint bon jour, ma dame ! » Les Sotz fourréz de malice.   118 Ms : bien breues  (« Queuë à queuë : À la file, immédiatement l’un après l’autre…. Ces bateaux estoient queuë à queuë. » Dict. de l’Académie françoise.)  3 ou 4 navires l’un derrière l’autre.   119 C’est à quel sujet ? Voir la note 108.   120 Ms : forte  (De brique. « Comment pierre cuite/ Fust faite et pollie, et enduite. » ATILF.)  Là où on ne produisait pas de briques, on les faisait venir par transport fluvial.   121 Du sultan Bajazet Ier. « Plus vaillant que Basac. » (Mystère de Ste Barbe.) Voir Mario Longtin, p. 296.   122 Ms : par ma foy du  (On imprimait une fleur de lis au fer rouge sur l’épaule des coupeurs de bourses.)  Le bissac, porté sur le col, pend sur les deux épaules.   123 Il y a une palissade, un mur. Voir Debrie.   124 Ms : housse qui fut voustre  (Le copiste remplace « chose » par « chousse » aux vers 517, 553, etc. La chose dont nous avons le plus parlé. « La chouse de quoy yl estoit le plus marry. » Ph. Duplessis-Mornay.)  Mal-hiverné joue sur le double sens phallique du mot chose : « Dieu luy doinct chose qui se dresse ! » Frère Phillebert.   125 Après le 2 février, qui est une des dates de l’année où se payent les termes.   126 Les collecteurs d’impôts mélangent notre argent avec le leur. « Mectre l’aultruy avec le sien. » Le Temps-qui-court.   127 Limités dans leurs actions, ou limités en nombre.   128 Ms : destenge  (En argot, vendanger = voler. « L’auroys-tu poinct bien vendengée ? » Le Retraict.)   129 Il n’y a aucune limite à leurs exactions.   130 Ms : sote  (Ces crapauds sont les ribauds du vers 295.)   131 Ms : ses  (J’use mes doigts à laver ma braie, ma culotte. Voir le vers suivant.)   132 Comme un fou. « En cocardois, comme fol et infâme. » ATILF.   133 Ms : macres  (Avec une écuelle de lait caillé, nourriture préférée des fous. « Laquelle lui avoit préparé une bonne, belle et grande platelée [platée] de mattes. » Godefroy.)  Escullée = écuellée, contenu d’une écuelle : le Gentil homme et son Page, vers 158.   134 De fesses. Plusieurs pochades carnavalesques nomment ce faux prince désargenté : le Privilège et l’auctorité d’avoir deux femmes, ou les Ordonnances & réformations composées par le grant prieur de Bondeculage & Serrefessier. (Contrairement à ce qu’on dit parfois, il est absent du Monologue des Sotz joyeulx.) Il tiendra un rôle dans le Jeu du Prince des Sotz.   135 Pour réussir. Daire donne esploictier. « Se je puis esploitier, il n’i revenront [reviendront] jamès à temps. » ATILF.   136 Si le prince de Nates est un fabricant de nattes. « Car oncques je ne vy natier/ Qui peust recouvrer grant chevance. » Bien advisé et Mal advisé.   137 On n’en verra pas le bout aujourd’hui.   138 De noix, dont l’enveloppe se nomme le brou : « De broust de noiz. » ATILF.   139 Ms : descaillez  (De noix écalées, extraites de leur coque.)   140 Vous la lui avez baillée belle ! Cf. le Fossoieur et son Varlet, vers 30.   141 Sorte d’étoffe : « Drap de brunette. » (Le Ribault marié.) Mais c’est également une femme réputée pour sa finesse d’esprit : « Or pleust à Dieu qu’il fût ès mains/ De la brunète que tu scez ! » (La Pippée.)  Mal-nourri et Mal-hiverné s’en vont.   142 Il vaticine comme un prophète, il dit n’importe quoi.   143 Rengaine : « –Il en fait plus grant kyrielle…/ –Quelz moutons ? C’est une vïelle ! » (Farce de Pathelin.) Ayons à l’esprit que Mal-hiverné porte en bandoulière la vielle sur laquelle tous les mendiants aveugles s’accompagnent quand ils chantent dans la rue.   144 Suite de phrases absurdes.   145 On n’en verrait jamais le bout.  En pièce = avant longtemps.   146 Longuement.   147 Prisonniers de nos infirmités.   148 Nous ne pouvons guérir. « Garir » est picard : voir Debrie.   149 De vrai. Les Picards prononçaient « vair ».   150 Le pouvoir. Idem vers 370 et 385.   151 Nos infirmités. Cf. le Ramonneur de cheminées, vers 215.   152 Ms : Et de   153 Les dieux m’éconduisent. Voir Jules CORBLET : Glossaire du patois picard ancien et moderne.   154 Au. Même forme picarde (voir Corblet) aux vers 498 et 518.  L’habitacle est la « logette » (v. 473) ou la « petite maison » (v. 448) qui abrite le tombeau de sainte Barbe.   155 D’aller en faire l’expérience.   156 D’adopter la religion chrétienne. Les convictions religieuses de nos mendiants ne relèvent pas de la théologie mais du plus trivial intérêt personnel : ils vont au plus offrant.   157 Œuvré.   158 Aboyer : parler trop fort. Debrie donne abbayer.   159 Jeu de mots sur coiement [silencieusement : voir Daire] et sur cayement, ou caïmant, terme d’argot qui désigne un mendiant ; cf. Daru, vers 44 et note.   160 Quand elle lui fait défaut.   161 Ms : est mon corps  (Le vers est trop court, et l’adjectif est au pluriel.)  « Perdu j’ay les yeulx. » (Daru.) « As-tu perdu les deux yeux/ En jouant de ta vielle ? » Gaultier-Garguille.   162 La sainteté.   163 Aucun païen. « Âme n’y sçauroit contredire. » (Raoullet Ployart.) Ce mot étant relégué au début de la ligne, le copiste a cru que ce vers ne rimait pas ; il a donc rajouté l’inutile vers 360.   164 Nul ne va là où Barbe est inhumée.   165 La corde servait à guider les aveugles, tel celui d’Ung biau miracle : « Le Varlet, en baillant la corde : / Alons, donc ! Tenez bien la corde ! »   166 « État de celui qui est en bonne santé. » Daire, Dictionnaire picard, gaulois et françois.   167 Saint Valentin est le fondateur du tombeau miraculeux de Barbe. Il préfigure le curé vénal qui présente à un public payant la relique de sainte Caquette : « Si pourrons-nous, ce jour, acquerre/ Richesses, dons et grans offrendes :/ Car vécy le peuple à grans bendes. »   168 Débile, faible. Idem vers 177. Mario Longtin préfère lire « De ville ».   169 Agréable.   170 En ce qui le concerne. Cf. les Povres deables, vers 215.   171 Paradoxalement, les « loyaux » sont ici les apostats qui ont abjuré le paganisme.   172 Ainsi notre peine sera finie.   173 Que Mal-hiverné entre dans la loge du tombeau, et Mal-nourri avec lui.   174 Ms : Vroy  (Je corrige la même lubie du copiste aux refrains 386 et 389, ainsi qu’au vers 506.)  Enluminé = qui a recouvré la lumière, la vue : cf. l’Aveugle et Saudret, vers 59, 322, 325, 353.   175 Tant il a une grosse quantité de vertus.   176 Prononciation à la française du latin tugurium : cabane. « Léopaldus (…) se mussoit en ung petit tugurion. » Le Violier des histoires romaines.   177 Qu’il dise avec les genoux fléchis.   178 Qui auparavant. Idem vers 527.   179 Mon âme est joyeuse et éclaircie [éclairée].   180 Pour cela, avec un cœur humble et incliné.   181 En adhésion.   182 Ms : benign  (Bienveillant.)   183 Une œuvre. Idem vers 413 et 531.   184 Sans sortilège.   185 Ni faite dans l’intention de tromper. Le vers suivant est perdu.   186 Ms : suymes  (C’est là, comme au vers 508, une variante bretonne de sommes due au copiste ; l’auteur écrit « sommes » à la rime. Voir Longtin, p. 94.)  Jeu de mots sur « sains » et « saints ».   187 Dans cette demeure.   188 D’après la légende, le bourreau avait arraché les seins à Ste Barbe.   189 Ms : Respuse  (Voir les vers 337, 398 et 420.)   190 De pensée.   191 Sauter, courir, trotter.   192 Vers manquant. « Luy faisant mes regrectz et plainctes. » Monsieur de Delà et monsieur de Deçà.   193 Gravement atteinte.   194 Par l’huis, la porte de la loge.   195 Qu’ils sortent du lieu du sépulcre. Au loin, Linard les voit sortir en bonne santé.   196 Jamais, depuis que Dieu me boucha les oreilles.   197 En moins de temps qu’il n’en faut pour tousser. « Mains » et « toussir » sont picards : voir Debrie.   198 Un médecin (voir Daire). Cf. le Brigant et le Vilain, vers 93.   199 Soigne avec un remire [remède].   200 Ms : De  (Transcription fautive de « & ». « Luy donnent force & vertu. » Pierre de L’Ostal.)   201 Ne voyait.   202 Ms : beaucoup  (Voir Debrie.)  Et maintenant, il y voit beaucoup mieux que moi.   203 Éclopé.   204 Ms : tromper  (Sautiller. « Saulter, tripper, tumber, baler. » Sermon joyeux des quatre vens.)  Baller = danser.   205 Avoir de la chance. Ignorant cette acception picarde, le copiste adjoint à ce mot un vers explicatif.   206 Faire disparaître ma surdité.   207 Crier, implorer. « Vous avez beau huer. » Les Trois amoureux de la croix.   208 Au moins, je saurai ce qu’on dira autour de moi.   209 Ms : Herfault  (Briffaut, possédé par le démon, passe son temps à maudire tout le monde : voir les vers 565 et 577.)   210 Ms : On  (Bon vêpre = bonsoir. Voir Corblet.)   211 Ms : que  (J’y vais avant qu’il fasse nuit. Daire donne avesprir. Beaucoup de chansons de geste offrent la variante : « Ains qu’il soit avespré. »)   212 Ce sourdingue. Cf. le Gouteux, vers 25, 37 et 265. Le fatiste ne trouve pas anormal qu’un ancien aveugle reconnaisse Linard sans l’avoir jamais vu.   213 Je m’en méfie. « Point ne s’en guectent les gallans. » Les Coppieurs et Lardeurs.   214 Vérifions un peu s’il entendra (verbe ouïr).   215 Depuis.   216 Êtes-vous agité ? « Quand sa maistresse avoit la fièvre au cœur. » P. de l’Écluse.   217 Admettons qu’il en soit ainsi.   218 Sans doute un refrain de chanson.   219 Une année de malheur. Cette expression paraît désigner ici un étron. Les temps ont changé : de nos jours, marcher dedans porte bonheur.   220 Mot manquant. Prends-le pour toi ! Voir le vers 615 : « Pren delà ! »   221 J’entends aussi bien que vous, vraiment.   222 Je me mis à entendre sur le champ. « Tout sur piedz m’en feusse vengé. » Les Bélistres.   223 Ne m’en revient pas.   224 Ms : sort  (Fort privilégiée : en bonne place auprès de Dieu.)   225 Ms : secoure  (Même sens, mais les rimes sont en -eure. Voir Daire.)  « Je prie Dieu qu’il me sequeure. » Le Gouteux.   226 En peu de temps, Dieu fait beaucoup de travail. Proverbe courant.   227 Ce dicton, ce proverbe.   228 Nous sommes guéris sans retard.   229 Sans médecine. Cf. le Médecin qui guarist, vers 22.   230 Ms : ma  (Je rendrai grâce mille fois à Dieu. « L’en mercia à tot le mains/ Plus de mil foiz. » Rutebeuf.)   231 En profondeur. Voir Debrie.   232 Ms : de  (Je ne souhaite ni ne désire rien. « Et voi bien que c’est ton désir/ De fère quanque [tout ce que] je désir’. » La Clef d’amors.)   233 T’aimer.   234 Dans la religion païenne.   235 Tu as retiré les taies qui couvraient mes tympans. Au sens propre, la taie [cataracte] recouvre les yeux.   236 Ms : atoy  (Tu as tout fait sans perte de temps.)   237 Ce qui est une œuvre surnaturelle, un miracle.   238 Nul homme dépourvu d’un don divin.   239 Ms : recommande  (Je me recommande. « À Dieu je me commande. » Les Povres deables.)   240 Tant que je vivrai. « Tant qu’aurons au monde durée. » Les Sotz triumphans.   241 Qu’à la fin de mes jours je mérite. « Tu seras payé/ Ainsi comme l’as desservy. » Jéninot qui fist un roy de son chat.   242 Possédé par le démon. Voir les vers 9-16.   243 Les fous dangereux portaient des espèces de menottes ; voir les vers 569 et 626.  Par accord = ensemble : « Alon par acord veoir le bon/ Oudinet. » Le Gallant quy a faict le coup.   244 Ms : chousse  (Car nous n’aurions rien d’autre de lui. « Car il n’en aura aultre chose. » Le Testament Pathelin.)   245 Le tombeau de Ste Barbe.   246 Ms : De soubz loustel  (Une couverture est une pierre d’autel : « La couverture dudit grant autel, qui est moult grant et molt grosse, est la propre couverture du Saint Sépulcre. » ATILF.)   247 Celui qui ne prend pas de risques. Même proverbe dans Resjouy d’Amours.   248 Ms : quoy  (Voir les refrains 567 et 572.)  Tiens-toi tranquille ! Le feras-tu ? « Tais-toy ! Feras ? » Sermon joyeux de bien boire.   249 Ms : croing  (Sur le groin, sur le museau. « Tu prendras cela sur ton groing ! » La Nourrisse et la Chambèrière.)   250 En avant ! « Hay avant, hay ! » (Cautelleux, Barat et le Villain.)  C’est à demain = C’est pour aujourd’hui ou pour demain ? « Trut avant, trut ! C’est à demain ? » Les Frans-archiers qui vont à Naples.   251 Peut-être le curé mentionné au vers 282. Les prêtres des farces débauchent leurs paroissiennes : « À ma femme,/ Messire Jehan aprenoit sa game…./ Messire Jehan, qui la besongnoit. » Les Trois nouveaulx martirs, F 40.   252 S’il l’aura secouée sexuellement.   253 Niais, comme le sont les moutons. Corblet donne janin. « Tant tu es jényn ! » Les Botines Gaultier.   254 Tu es un ivrogne. « Qui a beau nez boit ès bouteilles. » Les Rapporteurs.   255 Ce vouvoiement hors de propos semble indiquer que nous avons là un refrain de chanson.   256 Quelque chose à brouter, à paître. « Gaigner le broust. » Mallepaye et Bâillevant.   257 Le nœud. Cette image peut provenir du Roman de la Rose : « Lors t’auray le neu desnoé/ Que tousjours trouveras noé…./ Amour si est paix haïneuse. »   258 Ms : adeuenir   259 Ms : tenaisie  (Si ma furie augmente. Cf. le Cousturier et Ésopet, vers 260.)   260 Qu’il chante. Cette chanson à boire annonce celle qu’Antonio Gardano publiera en 1539 : « Robin, Robin, viendras-tu à la veille ?/ Si tu i vien, n’oblie pas la bouteille,/ Et tu voirras là chose non pareille. »   261 Le copiste écrit voille ici et aux refrains, et esvoille au v. 595 ; je rétablis la rime en -eille fournie par les vers 589 et 604. Viendras-tu à la veillée ?   262 En chevauchant un bousier, sorte de coléoptère coprophage. Pour la rime, il vaudrait mieux lire : l’escargot. Les fous trouvaient naturel qu’on soit « monté dessus ung lymaçon ». Ung fol changant divers propos.   263 Paiera. Mais aussi : pétera. « S’on l’oit vécir [péter] ne poire. » (Villon.) Les enfants jouaient à éteindre une chandelle avec un pet. « Chandeille » est picard : voir Debrie.   264 Ms : Labourons  (Là, nous boirons sous la tonnelle. « Et furent trère du vin, et burent souz leur treille. » Godefroy.)   265 Ce vers hétérogène pourrait appartenir à la même chanson que le vers 579.   266 Ms : parroyche  (Voir Debrie.)  Dans notre église paroissiale.  Sur les enfants de curés, voir par exemple Jénin filz de rien.   267 Ms : les  (Empoigne-le par le bras droit.)   268 Hurlement que poussent les diables. « Haro ! deables d’Enffer ! » Le Munyer.   269 Rime picarde en -ide. Voir Debrie. « Jamais n’en aurez grant aÿde./ On luy eust bien lasché la bride. » Le Ramonneur de cheminées.   270 Viendrez (forme picarde). Cf. le Brigant et le Vilain, vers 10 et 225.   271 Rapidement, tant que la trace du gibier est chaude et que les chiens peuvent suivre sa piste.   272 Ms : sanatur  (Toutes les didascalies latines sont au subjonctif : elles transmettent des ordres aux comédiens. Pour des raisons qui m’échappent, Mario Longtin lit : sanativo.)  Qu’ils le conduisent dans la loge du tombeau, et qu’il soit guéri. Et après, qu’il dise, en ayant les genoux fléchis.   273 Prenez exemple. « Mirez-vous là ! » (Le Povre Jouhan.) Mario Longtin préfère lire « Ajuréz vous ».   274 Visibles.   275 Tache, péché.   276 Par l’intermédiaire de.   277 Ms : cest   278 La tête nue : en tenant mon bonnet de fou à la main. Dans tous les Mystères, la conversion au christianisme s’accompagne d’un abandon total du sens critique, du sens de l’humour, du sens de la formule, et plus généralement, de l’amour de la vie : un converti ne songe plus qu’à mourir en martyr, après avoir renoncé à tous les plaisirs de l’existence au profit d’un masochisme bouffi d’orgueil : « Mais ces chrestïens sont si folz/ Qu’ilz preignent plaisir qu’on les bate. » La Vie de sainct Christofle.   279 « Dieu mercy,/ Et vous, et tous mes bons amys ! » Le Roy des Sotz.

LE GOUTEUX

British Library

British Library

.

*

LE  GOUTEUX

*

.

On pense que maître Mimin et Richard le Pelé, nommés uniquement dans la liste des personnages de cette farce rouennaise, sont les acteurs qui l’ont créée1. Les comédiens s’appropriaient parfois le nom du personnage qui était à l’origine de leur renommée ; par exemple, Pierre le Carpentier se rebaptisa « le Pardonneur » après avoir joué ce rôle dans la farce éponyme, et Pierre Gringore signait couramment « Mère Sotte2 », profitant du succès populaire de ce personnage dont il endossait le travesti. Nous ne savons rien de Richard le Pelé, mais il nous reste deux farces3 — elles aussi normandes — à la gloire de maître Mimin : Maistre Mymin qui va à la guerre, et Maistre Mimin estudiant. La présente pièce étant dépourvue de titre et ne comportant aucun maître Mimin, je l’intitule donc le Goutteux, en conformité avec les rubriques.

Sur l’usage que les farceurs faisaient des dialogues de sourds, voir le Sourd, son Varlet et l’Yverongne, le Marchant de pommes et les Miraculés.

Un valet croit soulager la crise de goutte de son maître en lui racontant les aventures de Gargantua. Il s’agit d’un des volets — d’ailleurs inconnu — des Chroniques gargantuines4, qui parurent sans doute à partir de 1526, et dont Rabelais s’inspira. Notons que dans son prologue de Pantagruel, le docteur Rabelais prescrit le même remède : « Mais que diray-je des pauvres véroléz et goutteux ? Toute leur consolation n’estoit que de ouÿr lire quelque page dudict livre [les Grandes et inestimables chronicques de l’énorme géant Gargantua]. Et en avons veu qui se donnoyent à cent pipes de vieulx diables en cas que ilz n’eussent senty allégement manifeste à la lecture dudict livre. »

Source : Recueil du British Museum, nº 35. Publié à Lyon, en la maison de feu Barnabé Chaussard, entre 1532 et 1550.

Structure : Rimes plates, avec 2 triolets. La versification est extrêmement soignée, malgré un grand nombre d’hiatus qu’on aurait pu combler sans difficulté.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

.

*

Farce nouvelle trèsbonne

et fort joyeuse

À troys personnaiges, c’est assavoir :

       [ LE  GOUTEUX,  Philipot 5

       SON  VARLET  SOURD,  Pinsonnet ]

       et  LE  CHAUSSETIER

*

                        Cy commence  LE  GOUTEUX 6            SCÈNE  I

        Hé ! Dieu, hélas ! Mauldicte goutte,

        Qui7 tant mon povre cueur desgouste !

        Fault-il que par toy cy je meure ?

        Mon varlet, hau ! Vien çà ! Escouste :

5      Va moy quérir — quoy qu’il me couste —

        Ung médecin, et sans demeure8 !

                        LE  VARLET  SOURD

        Monsieur, quant la grappe fut meûre9,

        Incontinent l’on vendengea.

        Gargantua beut, et mengea

10    À son desjeuner seullement

        Douze-vingt miches de fourment10,

        Ung beuf, deux moutons et ung veau.

        Et si, a mis du vin nouveau,

        À deux petis traictz, dans sa trippe11 :

15    Deux poinçons avec une pipe12,

        En attendant qu’on deust disner13.

                        LE  GOUTEUX

        J’ay bien cause de m(e) indigner

        Contre toy, sourd de Dieu mauldit14 !

        Entens-tu point que15 je t’ay dit ?

20    Va moy chercher ung médecin,

        Ou me viens chauffer ung bacin16.

        Tant tu me faictz crier et braire !

                        LE  VARLET

        Mon serment ! j’en croy le libraire :

        Il m’a cousté six karolus17.

                        LE  GOUTEUX

25    Sourdault18, va quérir ung bolus

        Et ung cyrot bien délyé19 !

                        LE  VARLET

        J’en eusse prins ung relyé,

        Mais il eust cousté davantaige.

                        LE  GOUTEUX

        Faictz-moy faire quelque potaige20

30    Au médecin ! Entens-tu bien,

        Mon varlet sourd ? Va et revien !

        Auras-tu point l’esp(e)rit ouvert ?

                        LE  VARLET

        Vous voulez donc qu’il soit couvert

        De cuyr ou de fort parchemin ?

                        LE  GOUTEUX

35    Hélas ! je suis bien prins sans vert.

        Mourray-je icy, en [c]e termin21,

        Par ce meschant varlet sourdault ?

                        LE  VARLET

        Le libraire n’est point lourdault :

        Couvert sera mignonnement.

40    Tenez-vous tousjours chauldement,

        Car j’entens trèsbien vostre affaire.

        Et du livre laissez-moy faire :

        Vous en aurez du passetemps.

                        Vadit.22

.

                        LE  GOUTEUX                                        SCÈNE  II

        De mourir icy je m’atens,

45    Car je n’ay plus sang ne couleur.

        Tu m’agraves bien ma douleur !

        Oncques pauvre paralitique23

        Ne fut tant que je suis éthique24.

        À crier je me romps la teste.

50    Hélas ! ung homme est bien beste

        Qui prent servant à sourde oreille ;

        C’est une teste nompareille,

        Et qui n’entend « ne my, ne gourd25 ».

        Que mauldit de Dieu soit le sourd,

55    Et qui oncques le m(e) adressa !

        Jamais que mal ne me brassa26.

        Il cognoist bien que suis malade,

        Et que nuyt et jour ne repose :

        Il me vient lyre une Balade !

60    Propos ne tient d’aulcune chose27.

        Ha, Nostre Dame de Briose28 !

        Je suis de luy mal rencontré29.

.

                        LE  VARLET 30                                       SCÈNE  III

        Or çà ! il est tout acoustré,

        Vostre livre, [et] est bien empoint.

                        LE  GOUTEUX

65    Voyre bien, amaines-tu point

        De médecin pour mon affaire ?

                        LE  VARLET

        Il y a tousjours à reffaire !

        Comment ! est-il cousu trop large ?

        Vrayment, il est de bonne marge

70    Et [est] de belle impressïon.

                        LE  GOUTEUX

        Tant tu me faictz d’oppression !

        M’as-tu faict chauffer ung bassin ?

        Ouÿ dea31 ! Et de médecin ?

        (Autant entent l’ung32 comme l’autre.)

75    Si j’estois sain, t(u) yrois au peaultre33 !

        Sçaurois-tu barbier34 attrapper ?

        (Autant gaignerois à frapper

        Ma teste contre la muraille.)

                        LE  VARLET

        Il m’a cousté sept solz et maille35,

80    Car j’ay baillé demy trézain36,

        Deux solz tournois37 puis ung unzain :

        Autant le convint achapter38.

        Attendez, je m’en vois getter39 ;

        Ung, et deux, et trois : ce sont quatre.

85    Et puis il nous [en] fault rabatre40

        Justement toute la moytié.

        C’est le compte. Sans l’amytié41,

        Je ne l’eusse eu pour le pris.

                        LE  GOUTEUX

        C’est bien à propos entrepris42 !

90    Dieu me doint avoir patience !

                        LE  VARLET

        Il a du livre en la science43,

        À qui bien la sçauroit gouster.

        Or pensez, Maistre, d’écouster44,

        Et vous voirrez icy comment

95    Gargantua faict argument45,

        Lequel estoit bona46 quercus :

        Ung béd[o]uault47 a quinze culz ;

        Or, si par48 ung apoticaire

        Luy estoit baillé ung clistoire,

100  Queritur comment49, et par où ?

        Par quel50 pertuys ou [par] quel trou ?

        Que diriez-vous, sur ce passaige51 ?

                        LE  GOUTEUX

        Tu monstres que tu n’es pas saige.

        Ton livre et toy n’est que follie.

105  Il est plus que fol, qui follye52

        Avec toy. Pour bien conquérir53,

        Fuis-toy d’icy et va quérir

        Ung médecin ! Entens-tu bien ?

                        LE  VARLET

        (Qu’esse qu’il dict ? Qui en sçait rien ?

110  Par Dé54 ! à ce que je puis cognoistre,

        Je croy bien que ce soit le prestre

        Qu’il demande. À vostre advis ?)

        Ha ! j’entens tout vostre devis :

        Demandez-vous pas le curé ?

                        LE  GOUTEUX

115  Hée, Dieu, que je suis escuré55 !

        Nenny non : c’est l’apoticaire.

                        LE  VARLET

        Or bien : le curé ou vicaire,

        Ce vous est ung, ou56 chappelain.

        Vous estes en maulvais pelin57 :

120  Pensez de vostre conscience58.

                        LE  GOUTEUX

        Tu me fais perdre patience

        Par tes responces et lardons59.

                        LE  VARLET

        Ouÿ dea, il y eust60 pardons,

        Se estiez confèz à61 celuy

125  Lequel a chanté aujourd’huy,

        À Rouen62, sa première messe.

        Je le voys quérir, et promesse

        Vous fais qu’il viendra, si le treuve.

                        LE  GOUTEUX

        Voys-en cy une toute neufve63 !

130  Va-t’en, que bon gré en ayt bieu64 !

                        LE  VARLET

        (Trouver me fault en quelque lieu

        Ung chappellain soubdainement.)

        Si faictes quelque testament,

        N’oubliez pas ce qu’il m’est deû65.

                        LE  GOUTEUX

135  Si maistre Jehan Babault66 m’eust veu,

        Il me pourroit tout sain guarir ;

        Et de ma jambe oster le feu.

        Je te supplie, va le quérir !67

.

        Hé ! Dieu me vueille secourir.                                   SCÈNE  IV

140  Je croy qu’il m’a bien entendu.

.

                        LE  VARLET                                           SCÈNE  V

        Parmy le col68 je soys pendu

        Se je sçay par69 où ce peult estre

        Que je rencontreray ung prebstre,

        Lequel mon maistre ainsi demande.

145  Faire convient ce qu’il commande.

        J’en70 voys chercher tout à ceste heure.

.

                        LE  CHAUSSETIER 71                          SCÈNE  VI

        Se ce drap icy me demeure,

        J’en feray des chausses pour moy.

        Plus ne vient marchant72, à ceste heure.

150  Si73 ce drap icy me demeure,

        Je prie Dieu qu’il me sequeure74 !

        Je l’acheptay à la Guibray75.

        Si ce drap icy me demeure,

        J’en feray des chausses pour moy.

.

                        LE  VARLET                                           SCÈNE  VII

155  Hau, le chaussetier ! Dictes-moy

        Si m’enseignerez le vicaire

        Où demeure le presbitaire76

        (Que dis-je ?)  Où c’est que peult estre

        Ung bon chapellain pour mon maistre,

160  Qu’il luy pleust77 donner réconfort ?

                        LE  CHAUSSETIER

        Voylà bon drap : ung morquin78 fort,

        De la tainture de Paris.

                        LE  VARLET

        (Il dit vray, il n’y a pas ris79 :

        Sa robe [en] est de la couleur80.)

                        LE  CHAUSSETIER

165  J’en ay encores de meilleur

        Qui n’est point gros, ne trop pressé81.

                        LE  VARLET

        Il demande estre confessé

        Et ne peult venir à l’église.

                        LE  CHAUSSETIER

        Regardez quelle marchandise :

170  C’est ung fin drap comme satin.

                        LE  VARLET

        Dea ! s’il n’eust chanté si matin82,

        Je luy eusse faict avoir messe83.

                        LE  CHAUSSETIER

        Vous estes homme de promesse84,

        Mais je seray payé content85.

                        LE  VARLET

175  Sa douleur le va surmontant ;

        Empiré luy est aujourd’huy.

        Il fault que quelc’ung vienne à luy,

        Puisqu’il veult estre confessé.

                        LE  CHAUSSETIER

        Dictes-vous qu’il est trop pressé ?

180  Voyez qu’il a la lèse grande86.

                        LE  VARLET

        C’est ung prestre que je demande.

                        LE  CHAUSSETIER

        Je le vous dis, je le vous mande :

        Quarante solz, tout à ung mot87.

                        LE  VARLET

        Par Dé ! de ce, suis bien marmot88 :

185  Il n’entend pas ce que je dy.

                        LE  CHAUSSETIER

        Quant vous les aurez ? Samedy.

        Mais vous pay(e)rez ou pinte ou pot89.

                        LE  VARLET

        Qui c’est ? Mon maistre Philipot,

        [Qui ne vivra deux jours entiers.]90

                        LE  CHAUSSETIER

190  Il vous en fauldroit trois quartiers91 ;

        Aultrement, vous tiendroyent trop gourd92.

                        LE  VARLET

        (Mon serment ! je croy qu’il est sourd

        Comme moy.)  Adieu, teste dure !

                        LE  CHAUSSETIER

        Prendre fault, premier93, la mesure :

195  Qu’à besongner nous esbaton94 !

                        LE  VARLET

        Comment ! tendez-vous ung baston

        Sur moy pour demander95 ung prebstre ?

        Je m’en vois le dire à mon maistre !

        Cela debvez faire à ung paige96.

                        LE  CHAUSSETIER

200  Ce n’est donc pas pour vostre usaige ?

        Allons donc sa mesure prendre.97

.

                        LE  GOUTEUX                                       SCÈNE  VIII

        Hélas ! j’ay beau icy attendre

        Pinsonnet98 ou l’apoticaire.

        Mon varlet ne me peult entendre.

205  Hélas ! j’ay beau icy attendre.

        Que la foyre99 le puisse prendre

        Tout royde de mort s’il met100 plus guère !

        Hélas ! j’ay beau icy attendre

        Pinsonnet ou l’apoticaire.

.

                        LE  VARLET 101                                    SCÈNE  IX

210  En luy demandant ung vicaire

        Qui vînt mon maistre confesser,

        Voyez comme(nt) il me veult fesser !

        Je m’en plaindray à la Justice.

                        LE  CHAUSSETIER

        Si la chausse n’est bien faict[ic]e102,

215  J’en attend[e]ray103 le repro[u]che.

        Marche[z] devant !

                        LE  VARLET

                                         Dea, ne me touche !

        (Voicy ung sourd hors de raison.)

                        LE  CHAUSSETIER

        Bevrons-nous point, à la maison ?

        Ouÿ, puisque c’est pour le maistre.

                        LE  VARLET

220  Cité serez à comparoistre,

        À ma requeste, en jugement !

        Demain auray (par mon serment)

        Trefves104 de vous et asseurance !

                        LE  CHAUSSETIER

        Monstrez-moy tost la demeurance105,

225  Car j’ay haste de besongner.

                        LE  VARLET

        Ha ! je vous feray empoigner,

        Car vous me suyvez de trop court106.

.

        Mon maistre, hau ! Voicy ung sourt                           SCÈNE  X

        Qui me veult battre et faire ennuy.

230  Et n’ay onc sceu107 sçavoir de luy

        Où est l’homme que demandez.

                        LE  GOUTEUX

        Au diable soyez commandéz108,

        Tant vous me faictes de laydure109 !

                        LE  CHAUSSETIER

        Prendre fauldroit vostre mesure ;

235  Çà, la jambe ! Bon soir, mon Maistre !

                        LE  GOUTEUX

        Tu me faictz bien besler et paistre110 !

        [Ha !] que mauldit soit le coquin !

                        LE  CHAUSSETIER 111

        Voicy la pièce de morquin

        De quoy bien je le[s] vous feray.

240  Mais, Monsïeur, je vous diray :

        Vostre varlet ne m’entent pas.

                        LE  GOUTEUX

        (Bien voy que suis à mon trespas.)

        Ce n’est pas ce que je demande !

                        LE  CHAUSSETIER

        Une chausse doibt estre grande,

245  Pour y entrer plus à son ayse112.

        Çà, la jambe ! Ne vous desplayse :

        Elles seront prestes matin113.

                        LE  GOUTEUX

        À l’ayde !! Larron !! Chien mastin !!

        Tu m’as bien achevé de paindre114.

                        LE  CHAUSSETIER

250  Le drap, Monsieur115 ? Je l’ay faict taindre

        [En beau pourprin]116, sans faulte nulle.

                        LE  GOUTEUX

        Hélas ! j’avoy icy la mulle117,

        Que ce larron m’a faict seigner.

                        LE  VARLET

        Il ne m’a voulu enseigner

255  La maison, aussi le vicaire

        Où demeure le presbitaire118

        Que vous [me] demandez ainsi.

                        LE  CHAUSSETIER

        Dea ! je fourniray bien aussi

        De doubleure, cela s’entend.

                        LE  VARLET

260  Ma foy, mon Maistre : il prétend

        Tirer de vous je ne sçay quoy.

        Voyre, et ce congnoist autant

        En médecine comme moy.

                        LE  GOUTEUX

        Que j’ay soulcy et grant esmoy

265  Par ces deux sourdaulx119 inscïens !

        Allez-vous-en hors de cëans,

        Que jamais je ne vous revoye !

                        LE  CHAUSSETIER

        Je borderay ung peu la braye

        Et la découperay [dès jà]120.

                        LE  VARLET

270  Par ma foy ! vous n’en bevrez jà,

        Puisque vous m’avez voulu battre.

                        LE  GOUTEUX

        La malle mort vous puisse abatre

        Sans que puissez avoir secours !

        Il n’est point de plus maulvais sours

275  Que ceulx qui ne veullent ouÿr121.

.

        Messeigneurs : pour vous resjouyr,

        Oyons tous [que] la comédye

        Supplyé122 a la maladie.

.

                                        FINIS

*

1 Voir notamment Bernard FAIVRE : Répertoire des farces françaises, 1993, note de la p. 242.   2 Voir son Jeu du Prince des Sotz et Mère Sotte.   3 Nous avons perdu le Testament maistre Mymin, que mentionne le Vendeur de livres : c’était peut-être une œuvre dramatique, comme le Testament Pathelin.   4 Voir Abel LEFRANC : Œuvres de François Rabelais, t. 1, 1913, pp. XXXII-XXXV. La Mère de ville, une autre farce normande, contemporaine de la nôtre, évoque les aventures de Gargantua aux enfers, qui appartenaient sans doute au même livre perdu. Voir André TISSIER : Recueil de farces, t. 5, 1989, p. 68.   5 C’est le nom que lui attribue le vers 188. Le nom du valet se lit au vers 203. À des fins publicitaires, l’éditeur introduit dans ces deux lignes les noms des comédiens, qui ne figurent nulle part dans le texte : Maistre Mimin le gouteux. / Son varlet Richard lepele sourd.   6 « Celui-ci est assis dans une sorte de fauteuil, une couverture lui couvrant les jambes (voir v. 40). » <A. Tissier, p. 79.> Son valet sourd lui résume un exemplaire broché des Chroniques gargantuines.   7 BM : Que  (Qui ôtes à mon cœur le goût de vivre.)   8 Sans tarder.   9 Mûre. Les Chroniques gargantuines font une large place au vin.   10 240 pains de froment.   11 Et aussi, en deux petites gorgées, il a mis du vin nouveau dans son intestin. Du côté de Caen, les chansons à boire cuisinent le mot tripe [intestin] à toutes les sauces : « Ceux qui breuvage d’eau/ Ne mettent dans leur trippe. » (Vaux de Vire.) « De sidre et de bon vin ils se lavaient la trippe. » (Muse normande.)   12 Deux tonneaux et une barrique.   13 Qu’il soit l’heure de dîner. Cette tirade rappelle les vers 139-145 des Vigilles Triboullet.   14 Les infirmités sont vues comme une malédiction divine.   15 Ce que.   16 Une bassinoire de cuivre dans laquelle on dépose des braises et dont on se sert pour « bassiner » le lit ou, en l’occurrence, pour se chauffer les pieds. Idem vers 72. La chaleur était le seul traitement contre la goutte : « Il n’a garde de sentir goute :/ Il est fourré bien chauldement. » (Le Mince de quaire.) Voir le vers 40.   17 60 deniers. Les valets de farces profitent du handicap de leur maître pour l’escroquer : voir par exemple l’Aveugle et Saudret.   18 Sourdingue. Idem vers 37 et 265. Cf. le Sourd, son Varlet et l’Yverongne, vers 87. Le bolus est l’ancêtre de la gélule : « Un homme de quarante ans contracta une chaude-pisse par un atouchement impur. Je lui ordonay au commencement un bolus d’une once de casse avec une dragme de rhubarbe pulvérisée, & autant de cristal de tartre. » François de Boze.   19 Un sirop bien fin.   20 Un bouillon curatif. « En après, donnoit un potaige d’alica [de semoule]. Ces trois remèdes souffisent (…) pour la cure des maladies aguës. » Jehan Canappe.   21 En cet instant. « Véchi grant larrechin/ Que par che chevalier m’avient, en ce termin. » Bauduin de Sebourc.   22 Il s’en va (chez le relieur).   23 Certaines paralysies passaient pour une forme de goutte. L’Aveugle et le Boiteux nous montre un paralytique « qui bouger ne peult pour [à cause de] la goucte ».   24 Ne fut étique [maigre] autant que je le suis.   25 Ni nuit, ni jour. Le goutteux imite la manière dont son valet déforme ses propos.   26 Il ne me mijota jamais que du mal.   27 Il n’a aucune suite dans les idées.   28 De Briouze, en Normandie.   29 Malencontré : mal loti.   30 Il revient de chez le relieur.   31 Cause toujours ! « Me parlez-vous de marier ?/ Ouy dea ! » Le Povre Jouhan.   32 BM : lune  (Je mets entre parenthèses tous les apartés qui s’adressent au public.)   33 Au diable. Cf. Beaucop-veoir, vers 222.   34 Les barbiers pratiquent certains actes médicaux simples.   35 7 sous et 1 centime. Le valet gonfle la facture ; à titre de comparaison, dans l’Homme à mes pois, 13 kg de pois coûtent 7 sous et 1 denier.   36 Le treizain est difficilement divisible par 2. L’embrouillamini monétaire auquel se livre le valet n’a d’autre but que de dissimuler ses prévarications. « Dix-sept solz et un onzain, et vingt-et-cinq solz moings un trézain, combien vallent-ils ? » Bonaventure Des Périers.   37 BM : et trois  (2 sous du monnayage de Tours. « Un cent de souz tournoix. » Le Poulier à sis personnages.)  Le onzain vaut 10 deniers : notre mal-entendant improvise des chiffres qui dépassent… l’entendement.   38 Il a fallu que je l’achète à ce prix-là.   39 Je vais calculer avec des jetons. « Compter et gecter soubz maistre Jehan Blondel, singulier arisméticien. » (ATILF.) Mais on se demande si le valet ne fait pas rouler trois dés par terre : « Ung homme a getté troys déz. » (ATILF.)   40 Soustraire. « Vous comptez sans rabatre. » Farce de Pathelin.   41 BM : lamoytie  (Si je n’avais pas été un ami du relieur, je ne l’aurais jamais eu à un si bon prix.)   42 BM : ilz sont prins  (Voilà qui est fait au bon moment ! « Sur ma foy, c’est bien à propos ! » Jénin filz de rien.)   43 Le valet, qui a tendance à inverser les propositions (v. la note 76), a voulu dire : Il y a de la science dans ce livre. Le prologue de Gargantua parlera de « substantificque mouelle ».   44 BM : degouster  (D’écouter ma lecture. François Ier se faisait lire Rabelais à haute voix.)   45 Les arguments sont les sophismes qu’égrènent les professeurs de logique : cf. les Femmes qui aprennent à parler latin, vers 354-7. Ce passage égratigne l’enseignement sclérosé que dispensait la faculté de théologie de la Sorbonne. Voir Emmanuel PHILIPOT : Revue des Études Rabelaisiennes, t. 9, 1911, pp. 378-9.   46 BM : bonum  (Son argument était solide comme un bon chêne. Quercus est féminin.)  Pietro Bembo créa ce calembour étymologique dans son éloge du pape Jules II, qui s’appelait della Rovere [du chêne] : « Bona quercus honores. » Cette lourde flatterie était connue en France : Du Bellay en enduira l’évêque Jérôme de la Rovère en 1559. Emmanuel Philipot <pp. 382-3> ignorait ces éléments, mais il a pu établir que le « Chêne » dont se moque notre farce est Guillaume Du Chesne, un très rétrograde docteur en Sorbonne que la Farce des Théologastres surnomme « la maxima Quercus » [la grandissime Du Chesne].   47 Un blaireau. « Ces manteaulx de loup et de bédouault. » (Rabelais, Quart Livre, 24.) Un blaireau doté de 15 anus et un donneur de clystères figuraient donc dans cet épisode des Chroniques gargantuines ; on regrette vivement qu’il soit perdu ! Philipot <pp. 382-4> identifie ce bédouault à Noël Béda, syndic de la Sorbonne. Il nous dit que le calviniste Théodore de Bèze, « parlant des deux docteurs Quercus et Béda, les appelle ‟deux grosses bestes qui estoient lors les chefs de cette faculté”. » Bref, la Sorbonne est ici représentée par une tête de bois et un blaireau !   48 BM : pour  (Les apothicaires fabriquent et administrent les clystères.)  Les corrections des vers 98-101 reviennent à E. Philipot, p. 379, note 2.   49 BM : conuient  (Il est demandé comment. Cette question imite le charabia franco-latin de la scolastique sorbonicole, qui n’est guère plus ridicule que le charabia inclusif de la Sorbonne actuelle. « Quæritur comment il y peut remédier. » Charles Loyseau.)   50 BM : quelque  (Pertuis = anus. « Au derrière estoit encores un aultre pertuys. » Pantagruel, 15.)   51 Sur ce point. « Qu’en dictes-vous, sur ce passage ? » (La Confession Margot.) Nous avons là l’archétype des rimes équivoquées : « Tu voids bien que tu n’es pas saige/ D’estre tout nu en ce passaige. » Moralité du Lymon et de la Terre, T 19.   52 Celui qui fait le fou. « Fol qui follie, il n’est follet. » Le Prince et les deux Sotz.   53 Pour acquérir des biens : pour que je t’accorde une prime.   54 Par Dieu. Même euphémisme au vers 184. Cet aparté s’adresse au public.   55 Lessivé, fatigué.   56 BM : quel  (Pour vous, c’est tout un, ou bien un chapelain. Il est question de ce chapelain aux vers 132 et 159.)   57 Le pelain est un bain de chaux vive destiné à faire tomber les poils qui restent sur le cuir. Au figuré : Vous êtes dans une situation délicate. « Brichemers est en mal pelain. » Godefroy.   58 C’est ce qu’on dit aux mourants : « Si près estes de vostre fin,/ Pensez de vostre conscience. » Le Testament Pathelin.   59 Et tes sarcasmes. Cf. la Pippée, vers 46, 481 et 770.   60 BM : a  (Vous gagneriez des pardons, des indulgences.)   61 Si vous étiez confessé par.   62 BM : romme  (En contradiction avec les 2 vers qui suivent. Notre éditeur lyonnais remplace trop souvent les toponymes normands par d’autres plus neutres.)  Un jeune curé qui célèbre sa première messe accorde une indulgence plénière aux fidèles, afin de les attirer. « [Il] chante au jourd’huy sa première messe, à l’assistence de laquelle y a une infinité de grands pardons. » Antoine de Saint-Denis.   63 En voilà une bien bonne !   64 Euphémisme pour « Dieu ».   65 Ce qui m’est dû. Il est d’usage qu’un mourant fasse un petit legs aux serviteurs, afin d’obtenir leurs prières et non leur malédiction.   66 C’est apparemment le nom du médecin. Non loin de là, en Picardie, un babau désigne un nigaud.   67 Le valet se précipite dans la rue.   68 Que par le cou. C’est le vers 366 de Pathelin, auquel notre auteur emprunte beaucoup.   69 BM : pas  (Le valet ignore le chemin qui mène au presbytère. Nous sommes donc à une heure tardive où l’église est fermée : voir le vers 149.)   70 BM : Je y  (Je vais en chercher un. « J’en voys chercher. » L’Arbalestre.)   71 Le fabricant de chausses guette les clients à la devanture de son atelier. Il est aussi sourd que le valet. Contrairement aux couturiers, et surtout aux savetiers, les chaussetiers n’ont pas fait carrière au théâtre ; on ne peut citer que celui des Deux jeunes femmes qui coifèrent leurs maris.   72 De marchandeurs, de clients. Cf. Cautelleux, Barat et le Villain, vers 252.   73 BM : Car  (Refrains corrects aux vers 147 et 153.)   74 Qu’il me secoure : que Dieu me pardonne !   75 Importante foire près de Rouen ; les artisans y achètent leurs fournitures au prix de gros. Guibray rime avec may, à la manière normande.   76 Le valet inverse encore les propositions (note 43) ; il veut dire : Indiquez-moi le presbytère où demeure le vicaire. Il commet le même cafouillage aux vers 255-6.   77 Qui veuille bien lui.   78 Le molequin, ou morquin, est un tissu précieux. Idem vers 238.   79 Il n’y a pas de blague. Les chaussetiers, comme les couturiers, prélèvent discrètement une « bannière », c.-à-d. un lambeau de l’étoffe payée par le client ; puis ils s’en servent pour se confectionner leurs propres habits. Pour une fois, le valet n’a pas été dur d’oreille.   80 Est de la même couleur, preuve qu’il l’a taillée dans le même tissu.   81 On met les draps sous presse afin de les rendre plus unis, mais pas trop longtemps pour ne pas les durcir. Idem vers 179.   82 Si le prêtre ne s’était pas levé aux aurores pour chanter les matines. C’est une moquerie des huguenots contre les moines : « De quoy servent tant de libelles,/ Tant en françoys comme en latin,/ Disant qu’on chante trop matin ? » La Bouteille.   83 Je lui aurais acheté une messe pour mon maître. Sur les ventes de messes — qui étaient aussi dans le collimateur des protestants —, voir la Seconde Moralité de Genève, vers 191-207.   84 De parole : auquel on peut se fier.   85 Comptant. « Tu seras/ Payé content. » L’Aveugle et Saudret.   86 Mon tissu a un grand lé, une grande largeur.   87 C’est mon dernier mot. « –Voulez-vous à ung mot ? –Ouy./ –Chascune aulne vous coustera/ Vingt-et-quattre solz. » Pathelin.   88 Bête (un marmot est un singe). « Je tiens qu’il faut estre marmot/ De vous aymer sans dire mot. » Adam Billaut.   89 Un professionnel travaille en priorité pour un client s’il lui offre à boire ou un pourboire. « Que je paye pinte ou chopine,/ Et que j’en aye pour mon argent ! » Tout-ménage.   90 « Deux jours entiers en vie ne sera. » (Octovien de Saint-Gelais.) Pour remplacer ce vers perdu, BM duplique le vers 193.   91 Trois quarts d’une aune. « Me fault .III. quartiers de brunette [drap]/ Ou une aulne. » Pathelin.   92 Des chausses trop serrées vous gêneraient.   93 Premièrement.   94 BM : esbatons.  (Mettons-nous au travail.)  Le chaussetier empoigne son aune, qui est une longue règle graduée.   95 Parce que je demande.   96 Les pages turbulents peuvent recevoir des coups de règle sur les fesses, comme les cancres : « Ilz font fouetter monsieur du paige. » (Pantagruel, 17.) Le valet s’éloigne.   97 Armé de son aune, le chaussetier emboîte le pas au valet, qui tente de le semer.   98 Ce n’est pas le médecin, qui s’appelle Jehan Babault ; c’est donc le valet. « Petit pinson » convient bien à une tête de linotte.   99 Que la dysenterie.   100 BM : est  (S’il met encore plus de temps à revenir. « Mais où sont-y ? Il mectent trop ! » La Mère de ville.)   101 Il court de plus en plus vite pour échapper au chaussetier, qui lui colle au train en brandissant son aune.   102 Faite sur mesure. « J’ai chauces de Bruges faitices. » D’un mercier.   103 Pour le rythme, j’introduis un « e » svarabhaktique normanno-picard. « De ces choses n’ay jusques icy fet nulle poursuite, mès en atenderay leur plèsir. » Philippe de Commynes.   104 BM : Trefuez  (Une injonction de cesser vos menaces. « [Si, en plaids] ou en assises, aucun demande à avoir trêves d’aucun, le juge doit contendre que donnés feussent. » ATILF.)   105 La demeure de votre maître.   106 De trop près. Le valet s’engouffre dans la maison et se jette aux pieds du goutteux, ou plutôt sur ses pieds ; le chaussetier fait de même.   107 Et je n’ai jamais pu.   108 Recommandés. Cf. Digeste Vieille, vers 474.   109 De douleur. « Vous souffez grant laidure,/ Grant peinne et doleur importune. » ATILF.   110 Faire bêler et paître quelqu’un : le traiter comme un mouton promis à l’abattoir.   111 Il laisse tomber son rouleau de drap sur les cuisses du goutteux.   112 Et surtout, pour que le chaussetier puisse détourner le plus d’étoffe possible à son profit.   113 Demain matin. Le chaussetier manipule sans douceur la jambe malade du goutteux.   114 Tu m’as donné le coup de grâce. « On me puist estraindre/ S’il n’est bien achevay de paindre ! » Le Dorellot.   115 BM : mõseigneur   116 BM : Pour perrin  (En pourpre. « Une thunique de taffetas pourprin. » Jehan Lemaire de Belges.)   117 Un abcès au pied : le fait qu’on le crève explique la guérison miraculeuse du prétendu goutteux à la fin de la pièce. Le cas le plus connu d’une telle guérison est celui de la Papesse Jeanne, dont les protestants faisaient alors des gorges chaudes.   118 Même vers que 157, avec la même inversion des mots vicaire et presbytère.   119 BM : lourdaulx  (Voir les vers 25 et 37.)  Inscients = dépourvus de science, ignorants. Ce mot rime avec « cians », à la manière normande.   120 BM : qui vouldra.  (Vers trop long et rime pauvre.)  Dès à présent. Le valet comprend : Et là, des coupes (de vin) aurai déjà.   121 Jehan de Meung écrivait : « N’est si mal [mauvais] sourd comme cil qui ne veut ouïr goutte. » N’ouïr goutte résume bien cette farce. Le goutteux se lève, et chasse les deux sourds à coups de pied au derrière.   122 Supplyez  (A suppléé la maladie, y a remédié. « Il vous fault un amy gaillard/ Pour supplier à l’escripture. » Frère Guillebert.)  Le goutteux est guéri grâce au théâtre.

LE MARCHANT DE POMMES ET D’EULX

Ms. La Vallière

Ms. La Vallière

.

*

LE  MARCHANT  DE

POMMES  ET  D’EULX

*

.

Ce Marchand de pommes et d’œufs mêle cinq thèmes comiques qui ont fait leurs preuves séparément : 1> Un paysan madré mais peu doué qui va vendre à la ville. (Voir Cautelleux, Barat et le Villain.) 2> Un sourd qui répond toujours à côté. (Voir le Sourd, son Varlet et l’Yverongne.) 3> Une bagarre de femmes sur un marché. (Voir l’Antéchrist.) 4> Des fonctionnaires de justice corrompus. (Voir Lucas Sergent.) 5> Des bavardes impénitentes. (Voir Saincte Caquette.)

Source : Manuscrit La Vallière, nº 71. L’état relativement bon de cette pièce rouennaise démontre qu’elle n’était pas écrite depuis longtemps lorsqu’elle fut copiée dans ce manuscrit, vers 1575. Beaucoup de rubriques sont abrégées : je les complète tacitement.

Structure : Rimes abab/bcbc, rimes plates, avec 4 triolets.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

.

*

Farce nouvelle

À .V. personnages, c’est asçavoir :

       LE  MARCHANT  DE  POMMES  ET  D’EULX

       L’APOINCTEUR

       LE  SERGENT

       et  DEULX  FEMMES

*

                        LE  MARCHANT  commence en chantant      SCÈNE  I

        Hélas ! Jehan ! Je ne me puys lever au matin.1

        Y m’est prins à mon avertin2

        D’aller au marché. Dont3, irai-ge ?

        Je ne sçay. Mais, par sainct Martin,

5      Y m’est prins à mon avertin.

        S’y survyent Bardin ou Bertin4,

        Combien marchandise vendrai-ge ?

        Y m’est prins à mon avertin

        D’aller au marché. Dont, irai-ge ?

10    Mais à qui m’en consilerai-ge5 ?

        G’y voys6 : c’est le myeulx, ce me semble.

        Et dont, se g’y voys, porterai-ge

        Mes eux7 et mes pommes ensemble ?

        Ouy, y fault que je les assemble8.

15    Et bien, les voylà amassés.

        Mais de grand peur le cul me tremble9

        De mes eux, qu’i ne soyent cassés.

.

                        L’APOINCTEUR 10  commence             SCÈNE  II

        Sommes-nous tennés11 et lassés

        D’amasser et de profiter ?

                        LE  SERGENT  entre

20    L’on ne nous séroyt effriter12,

        Sy nous voyons quelque débat,

        Que nous n’en eussions pour l’esbat,

        Au moins, un bien petit13 d’argent.

                        L’APOINCTEUR

        Voyre pour vous, gentil sergent.

25    De cela ne vous suys flateur14.

                        LE  SERGENT

        Mais pour vous, monsieur l’apoincteur !

        Vous estes tousjours prest de prendre.

                        L’APOINCTEUR

        Ma foy, on ne nous doibt reprendre15

        De prendre : c’est nostre entreprise16.

                        LE  SERGENT

30    Je comprens qu’on doibt nul17 su[r]prendre

        De prendre, qu’on ne nous desprise.

.

                        LE  MARCHANT                                    SCÈNE  III

        Que tant marchandise je prise18 !

        Aussy, tout mon bien g’y consommes.

        C’est pourquoy marchandise ay prise

35    Pour la vendre. Adieu, pommes, pommes ! 19

.

                        L’APOINCTEUR                                    SCÈNE  IV

        Maintenant au marché nous sommes.

        Y n’est pas qu’i n’y vienne plaict20.

                        LE   SERGENT

        Tournÿons21 un peu, s’y vous plaict,

        Atendans le cours du marché22.

.

                        LA  PREMIÈRE  FEMME  entre 23      SCÈNE  V

40    Hay avant ! c’est assez presché,

        Voysine. Voulez-vous venir ?

                        LA  IIe  FEMME  entre

        Mon pié est deisjà desmarché24.

        Hay avant !

                        LA  PREMIÈRE  FEMME

                             C’est assez presché.

                        LA  IIe  FEMME

        Mais que marché ayons cherché25,

45    Achèterons-nous ?

                        LA  PREMIÈRE  FEMME

                                        Tant tenir26 !

        Hay avant !

                        LA  IIe  FEMME

                             C’est assez presché,

        Voysine.

                        LA  PREMIÈRE  FEMME

                        Voulez-vous venir ?

                        LA  IIe  FEMME

        Dea ! quoy qu’il en doybve advenir,

        Au marché veulx bien achater.

50    Et premyer qu’achaster, taster27,

        De peur que je ne soys trompée.

                        LA  PREMIÈRE  FEMME

        Sy d’engin28 je suys atrapée,

        Ce sera le commencement29.

                        LA  IIe  FEMME

        Jamais d’engin ne fus frapée,

55    Que de mon mary seulement.

.

                        LE  MARCHANT                                    SCÈNE  VI

        Or voécy quelque assemblement.

        Je voys30 desployer par exprès

        Mes pommes et mes eulx, vrayment.

        Qui en veult ? « À mes beaulx eulx31 frais !! »

                        LA  PREMIÈRE  FEMME

60    Mon amy, qu’esse que tu brais ?

        Que veulx-tu vendre ? Tout cecy ?

                        LA  IIe  FEMME

        Tout cecy ne vault pas…

                        LE  MARCHANT

                                                Mes brays32 !

        Ne les patrouillez poinct ainsy33 !

        L’une34 de vos deulx a vessy :

65    C’est de malice, je m’en gage.

                        LA  PREMIÈRE  FEMME

        La bonne dérée35 est icy ;

       Tout des[so]us, ce n’est que bagage36.

                        LE  MARCHANT

        Ilz sont ponnus37 dens une cage,

        Vous ne cuydez pas sy bien dire.

                        LA  IIe  FEMME 38

70    Voicy une poyre bocage.

                        LE  MARCHANT

        Je ne vous veulx poinct escondire39.

        Tendez40 !

                        LA  PREMIÈRE  FEMME

                            Combien, sans contredire ?

        Mais que vos pommes sont menus !

                        LE  MARCHANT

        Mais vous, me venez-vous mauldire ?

75    Ilz sont vrayment nouveaulx ponnus,

        Voyez.

                        LA  IIe  FEMME

                      Nous sommes bien venus,

        Et ne sarions myeulx adresser41.

                        LE  MARCHANT

        S’y ne sont [dignes de Vénus]42,

        Je veulx estre prest d’escorcher !

                        [LA  IIe  FEMME]43

80    Quans eux pour un blanc44 ?

                        LE  MARCHANT

                                                       Tant prescher !

        Je les plévys de reuvÿel45.

                        LA  IIe  FEMME

        Sont y frais ?

                        LE  MARCHANT

                               Alez en chercher !

        Y46 sont plus doulces que mÿel.

                        LA  PREMIÈRE  FEMME

        Il est sourd.

                        LE  MARCHANT

                              Queuillyes de nou[v]el47,

85    Vous di-ge. Est-il pas bon à voir ?

                        LA  IIe  FEMME

        Combien le cent48 ?

                        LE  MARCHANT

                                           C’est fruyct nouvel,

        De bon goust49, qui en veult avoir.

        Meilleures on n’en peult trouver.

        Mais de vous je suys trop fâché

90    Sy je ne vens comme au marché.

        Pourquoy marchandez-vous à moy

        Sy n’avez argent50 ?

                        LA  PREMIÈRE  FEMME

                                           Tant d’esmoy !

                        LE  MARCHANT

        Troys blans.

                        LA  [PREMIÈRE  FEMME]51

                              Myeulx proposer ne vis.

                        LE  MARCHANT

        Quoy ? Dictes-vous qu’i sont couvys52 ?

95    Vous mentez, c’est chose certaine !

        Tendez, vous en aurez l’étraine53.

        Venez-moy voir une aultre foys.

        [Tendez] ! En preult54, et deulx,55 et troys.

        Y portent leur chucre avec56 eulx.

100  Vos tabliers sont bien estroys.

        Tendez57 ! En preult, et deulx, et troys.

                        LA  PREMIÈRE  FEMME

        Des pommes vous avez le choys58.

                        LA  IIe  FEMME

        Et le choys vous avez des eulx.

                        LE  MARCHANT

        [Tendez ! En]59 preu, [et] deulx, [et] troys.

105  Y portent leur chucre avec eux.

        ………………………….. 60

.

                        L’APOINCTEUR                                     SCÈNE  VII

        Maintenant ne sommes pas seulx61 :

        Voycy le marché qui s’assemble.

.

                        LE  MARCHANT                                    SCÈNE  VIII

        Servies62 ne sériez estre ensemble ;

        Targez63 un peu.

                        LA  PREMIÈRE  FEMME

                                      Servye seray !

                        LA  IIe  FEMME

110  Aussy serai-ge, ce me semble !

                        LA  PREMIÈRE  FEMME,  remétant les eux 64 :

        Et moy, quoy ?

                        LE  MARCHANT

                                   Je m’en passeray.

                        LA  IIe  FEMME

        Aussy bien que vous [je feray]65 !

                        LA  PREMIÈRE  FEMME

        Sy de ma main je vous atains…

                        LE  MARCHANT

        Là, là !

                        LA  IIe  FEMME

                      Je vous avanceray…

                        LA  PREMIÈRE  FEMME

115  Et quoy ?

                        LA  IIe  FEMME

                          Ma main dessus vos crains66 !

                        LA  PREMIÈRE  FEMME

        Qui, vous ?

                        LA  IIe  FEMME

                              Guères je ne vous crains.

                        LA  PREMIÈRE  FEMME

        Vos fièbvres cartaines, alez !

                        LA  IIe  FEMME

        Mais à vous-mesmes, bien estrains67 !

                        LA  PREMIÈRE  FEMME

        Regardez à qui vous parlez !

                        LE  MARCHANT

120  Hardiment crévechers volez68.

                        LA  IIe  FEMME

        M’a[s-]tu pas toute deffulée69 ?

                        LE  MARCHANT

        Et !  ho ! ho ! Vous vous entre-afolez70.

.

                        LE  SERGENT 71                                    SCÈNE  IX

        Corps bieu ! il y aura meslée72 :

        Alons-y comme à la volée,

125  Car il y gist apoinctement73.

.

                        LE  MARCHANT                                    SCÈNE  X

        Ma derrée est bien estallée74 !

                        LA  PREMIÈRE  FEMME

        En as-tu75 ?

.

                        L’APOINCTEUR                                    SCÈNE  XI

                               Alons vitement !

        Qu’esse-cy ? Hau ! tout bellement76 !

        Je vous envoyray là-dedens77.

                        LA  IIe  FEMME

130  Un coup n’auras pas seulement78 !

                        LA  PREMIÈRE  FEMME

        Tu mentiras parmy les dens79 !

                        L’APOINCTEUR

        Ostez-moy tous ces accidens80 !

        Pourquoy est ainsy meu[e]81 leur noyse ?

                        LE  MARCHANT

        Y82 sentent comme la framboyse ;

135  Mylleures qu’e[ux] ne vistes onques.

                        LA  IIe  FEMME

        Monsieur !

                        LA  PREMIÈRE  FEMME

                            Monsieur !

                        L’APOINCTEUR

                                                Taisez-vous donques83 !

        Sergent, mectez-les en prison !

                        LE  MARCHANT

        Monsieur, je n’en says rien quelconques.

        Je croys qu’on l’apelle Alyson.

                        LE  SERGENT

140  Ce n’est poinct ce qu’on devison84 :

        D’où vient leur débat ?

                        LE  MARCHANT

                                               Par mydieulx !

        Que je soys payé ! C’est raison :

        Ilz85 ont mes pommes et mes eux.

                        LA  IIe  FEMME

        Monsieur !

                        LA  PREMIÈRE  FEMME

                            Et !

                        L’APOINCTEUR

                                     Taisez-vous tous deulx86 !

                        LE  SERGENT

145  Mais pour quoy sont [meus leurs]87 débas ?

                        LE  MARCHANT

        Et de tirer à beaulx cheveulx88 !

        Jamais je ne vis telz esbas.

                        LA  IIe  FEMME

        El m’a faict…

                        LE  MARCHANT

                               Y font les combas.

                        LA  PREMIÈRE  FEMME

        Monsieur, el m’a…

                        LE  MARCHANT

                                         Monsieur, mes pommes,

150  Qui m’en payera ?

                        L’APOINCTEUR

                                        Paix ! Parlez bas !

                        LE  MARCHANT

        Grand mercys !

                        L’APOINCTEUR

                                   Où esse que nous sommes !

        Faictes-vous tel honneur aulx hommes

        Qui sont de Justice ?

                        LE  SERGENT

                                            Paix là !

                        LE  MARCHANT

        J’en avoys envyron deulx sommes89

155  Que j’ey vendus.

                        LA  IIe  FEMME

                                     Monsieur !

                        LA  PREMIÈRE  FEMME

                                                         Elle a…

                        L’APOINCTEUR

        Enda90 !

                        LE  MARCHANT 91

                          La pire, la vélà ;

        Regardez-là entre deulx yeulx.

                        LA  IIe  FEMME

        C’est elle !

                        LA  PREMIÈRE  FEMME

                           Mais elle !

                        L’APOINCTEUR

                                               Hollà !

                        LE  MARCHANT

        Da ! ceste-là tence le myeulx.

                        LE  SERGENT

160  Tous troys ne serez pas joyeulx,

        S’y fault qu’en la prison vous mène92.

                        LA  IIe  FEMME

        Monsieur !

                        LA  PREMIÈRE  FEMME

                             Elle…

                        L’APOINCTEUR

                                        Y sont hors d’alaine.

        Contez vostre cas tout en paix !

                        LA  IIe  FEMME

        Et, Monsieur !

                        LA  PREMIÈRE  FEMME

                                  Monsieur !

                        L’APOINCTEUR

                                                      Paix là !

                        LE  SERGENT

                                                                     Paix !

                        LE  MARCHANT

165  Elle a commencé la premyère.

                        LA  IIe  FEMME

        Monsieur, c’est ma…

                        LA  PREMIÈRE  FEMME

                                           C’est ma commère !

                        LA  IIe  FEMME

        C’est ma…

                        LE  MARCHANT

                           Que payement on m’assine93 !

                        LE  SERGENT

        Paix !

                        LA  IIe  FEMME

                    [Monsieur,] c’est…

                        LA  PREMIÈRE  FEMME

                                                    C’est ma voisine !

                        LE  MARCHANT

        Y m’ont — par Dieu, Monsieur — mauldict,

170  Après qu’ilz ont eu…

                        LA  IIe  FEMME

                                            El m’a dict…

                        LA  PREMIÈRE  FEMME

        C’est elle qui a commencé.

                        LA  IIe  FEMME

        El m’a dict…

                        L’APOINCTEUR

                               Esse assez tencé ?

                        LA  IIe  FEMME

        Je dy : Le deable vous emporte !

                        LA  PREMIÈRE  FEMME

        El(le) m’a frapé.

                        LE  MARCHANT

                                     C’est la plus forte.

                        LA  IIe  FEMME

175  J’en apelle94 !

                        LE  MARCHANT

                                 Atout le mains95,

        Que j’ayes…

                        L’APOINCTEUR

                              Bren ! Métez-y les mains96,

        Sergent, sans faire long caquet.

                        LE  MARCHANT

        Par  ma foy, Monsieur, c’est [peu d’aquêt]97 :

        Au moins, aurai-ge pas argent

180  De mes eux ?

                        LA  PREMIÈRE  FEMME

                                Monsieur le sergent !

                        LA  IIe  FEMME

        Escoustez !

                        LE  MARCHANT

                             Da ! s’elle soupire…

                        LA  PREMIÈRE  FEMME

        Je quiers98 justice !

                        LE  MARCHANT

                                          C’est la pire

        Qui pissa onc de con à terre99.

                        L’APOINCTEUR

        Sergent, c’on les maine grand erre100

185  En la prison !

                        LE  MARCHANT 101

                                 Par Nostre Dame !

        Voyez,  en voécy une qui se pasme.

                        LE  SERGENT

        Entre vos bras vous la prendrez.

                        LE  MARCHANT

        Devant Dieu vous en respondrez,

        Monsieur le juge.

                        L’APOINCTEUR

                                      C’est tout un102 :

190  Tel mal aux femmes est commun ;

        Ce ne sont poinct grans acidens.

                        LE  SERGENT

        Y ly fault déserrer les dens103.

                        L’APOINCTEUR

        Coupez son lacet, y la grefve104.

                        [LA  PREMIÈRE  FEMME]105

        Monsieur !

                        LE  MARCHANT

                            Faictes justice brefve,

195  Et me faictes payer106 !

                        L’APOINTEUR

                                                 Allez !

        Rien n’aurez, puysque vous parlez.

                        LE  SERGENT

        Monsieur, qu’i soyt mys en amende !

                        LE  MARCHANT

        Acomplicez-vous ma demande ?

                        L’APOINCTEUR

        Qu’i soyt en prison embûché107 !

                        LE  MARCHANT

200  A[u] marché, n’y a que marché108.

        Entre nous, marchans, délarrons109

        Le marché : car, messieurs, larons

        Nous serions sans en avoir rien110.

                        L’APOINCTEUR

        Faictes arest111 sur tout son bien

205  Entre vos mains !

                        LE  SERGENT 112

                                      Arest je fais.

                        LE  MARCHANT

        Et ! vous casserez mes eux frais.

        Atendez, prenez garde à elle113.

                        L’APOINCTEUR

        Prenez un petit de chandelle114 :

        Femmes sont assez tost guéris.

                        LE  MARCHANT

210  Y luy tient à son amaris115.

        Mais l’une et l’autre guérira.

        Et puys chascune maudira

        Tout ainsy que pierres amères116,

        Comme font aintelles117 commères.

215  Par la benoiste Madalaine !

        Ceste aultre-cy n’a plus d’alaine118.

        Je m’en voys, je quicte la place.

                        L’APOINCTEUR

        Alons, sergent, que l’on desplace119 !

        Nous n’aurons poinct icy d’aquest120.

                        LE  MARCHANT

220  Juges, sans faire long caquest,

        Faictes raison à tout le moins !

        Plus121 examyner de tesmoings,

        Plus d’arês, de cytations,

        D’intérês, d’amonicions122,

225  Plus d’ajournemens et défaulx123.

        Et puys en fin, juger124 le faulx,

        Tous ceulx qui mengent povres gens

        En la présence des sergens.

        Mais prenez bien garde à ces femmes !

                        LE  SERGENT

230  En la fin, nous serons infâmes125.

        Rien ne gaignons126 d’y faire exployt.

                        L’APOINCTEUR

        Pour petit procès, peu de plet.

        Aultrement, y romprions nos testes.

                        LE  MARCHANT

        Gens de vilages ne sont bestes.

                        LE  SERGENT

235  Dict-il vray ?

                        L’APOINCTEUR 127

                                 Bénédicité !

                        LE  MARCHANT 128

        Regardez que d’aversité129.

                        LE  SERGENT

        Qu’i ferons-nous ?

                        LE  MARCHANT

                                        C’est mal vescu130 ;

        Chascun en fut131 bien incité !

        Regardez !

                        L’APOINCTEUR

                             Que d’avercité !

                        LE  SERGENT

240  Que leur mal nous soyt récité132 !

                        LE  MARCHANT

        Sy en payerez-vous mainct escu.

        Regardez !

                        LE  SERGENT

                             Que d’aversité !

                        L’APOINCTEUR

        Qu’i ferons-nous ?

                        LE  MARCHANT

                                         C’est mal vescu :

        Y n’ont alaine que du cu133.

245  Je m’en voys, y fault détaler134.

                        LE  SERGENT

        Je crains qu’il ne nous soyt mécu135.

        Vitement y s’en fault aler.

                        L’APOINCTEUR

        Qui garde136 femmes de parler,

        Il en sont malades et palles,

250  Et n’en séroyent que pirs valoir137.

        On le voyt, ilz sont ainsy males138.

                        LE  MARCHANT

        Chantons devant139 que je détalles,

        Et ce pendant, y revyendront140.

        Pommes, trongnons, eulx et escalles141,

255  Au marché mèshuy142 ne v[i]endront.

.

                               FINIS

*

1 Chanson inconnue, à moins qu’elle n’estropie Nous sommes de l’Ordre de saint Babouin, que chante Jénin à Paulme : « L’Ordre ne dit mye de lever matin. » Le paysan est encore dans sa ferme, devant une corbeille de pommes et une corbeille d’œufs.   2 Il m’a pris la fantaisie. C’est le vers 31 du Cousturier et le Badin.   3 Donc. Idem vers 12.   4 Un acheteur quelconque. « Gorget Bardin ?/ Y demeure auprès du marché. » L’Homme à mes pois.   5 À qui demanderai-je conseil ?   6 J’y vais. Idem vers 12, 57, 217, 245.   7 Mes œufs. Cette graphie aberrante court tout au long de la pièce.   8 Le marchand mélange des pommes et des œufs dans un panier, ce qui prouve qu’il n’y connaît rien : les pommes risquent de casser les œufs.   9 Mon cul tremble. Cf. Frère Guillebert, vers 233.   10 Ce fonctionnaire juridique est un médiateur qui a le pouvoir de régler des conflits comme ceux qui fleurissent sur les marchés. Pour mieux rançonner les vendeurs et les clients, il fait équipe avec un sergent aussi corrompu que lui. Les deux racketteurs se dirigent vers le marché.   11 LV : venes  (Tanné = fatigué. « Et ! mon Dieu, que je suys tennée. » L’Arbalestre.)   12 On ne saurait nous effrayer. « Ces ordonnances (…) donnèrent quelque terreur, au commencement, aux facilles à effriter. » (Triomphes de l’Abbaye des Conards.) Cf. le Porteur de pénitence, vers 127.   13 Un peu.   14 Je le dis sans vouloir vous flatter.   15 Blâmer. On remarquera les rimes batelées des vers 29 et 31.   16 LV : enteprinse  (C’est notre but.)   17 LV : mal  (Nous devons surprendre quelqu’un en train de voler, pour qu’on ne nous dénigre pas.)   18 Que j’aime le métier de marchand !   19 Sans doute un extrait de chanson. Le paysan arrive au marché, encore désert, et pose son panier.   20 Il n’est pas possible qu’il n’y vienne aucun plaid, aucune dispute.   21 Faisons un tour dans le marché.   22 Un barème était fixé quotidiennement pour les marchandises de base. On l’appelait aussi le prix du marché ; la farce de Mahuet qui donne ses œufz au Pris du Marché dépeint, comme la nôtre, l’incompétence d’un paysan venu vendre ses œufs à la ville.   23 Les deux voisines bavardent dans la rue.   24 Est déjà en marche. Nous dirions : J’ai déjà le pied levé.   25 Si nous trouvons une bonne affaire.   26 Tant rester sur place !   27 Avant d’acheter, je veux tâter la marchandise.   28 Si par la roublardise d’un commerçant. Le double sens phallique du mot « engin » va surgir deux vers plus bas, comme il se doit dans une conversation entre femmes.   29 Ce sera bien la première fois.   30 Je vais. Le marchand tend aux deux femmes ses mains, qui contiennent une pomme et un œuf.   31 Œufs. Ce « cri » convient à tous les marchands : « À mes beaux épinars !…/ À mes belles pommes ! » Les Cris de Paris.   32 Mes braies, ma culotte ! « Quel grant conseillier de mes brayes ! » (Le Capitaine Mal-en-point.) Aujourd’hui, nous dirions carrément : Mon cul !   33 Ne tripotez pas ainsi mes pommes. « Ne les viens poinct cy patrouiller/ Et va-t-en alieurs marchander ! » L’Aveugle, son Varlet et une Tripière.   34 LV : quelcune  (L’une de vous deux a lâché une vesse en se penchant sur le panier qui est posé par terre. Un malheur analogue est le sujet de la Farce du Pet.)   35 Denrée. Même normandisme à 126. La 1ère femme examine les pommes.   36 Ce n’est que de la camelote. « D’argent ? Point : ce n’est que bagage. » (Le Résolu.) Les commerçants mettent les beaux fruits dessus, et les pourris dessous.   37 Pondus. Idem vers 75. « L’œuf d’un moyne/ Qui fut ponnu en Barbarie. » (Le Pardonneur.) Le marchand est sourd : quand on lui parle de pommes, il répond à propos d’œufs, et réciproquement.   38 Elle découvre une poire des bois parmi les pommes. À moins que cette bonne poire villageoise ne soit le marchand lui-même.   39 Éconduire : refuser de vous vendre mes pommes.   40 Tendez-moi la poche de votre tablier, pour que j’y mette vos achats. Idem vers 96 et 101.   41 Et nous ne saurions mieux tomber. Cette remarque est ironique.   42 LV : du lieu deuenus  (Vénus est célèbre — entre autres raisons — pour la pomme d’or qui consacra sa beauté. Les pommes du marchand vont, elles aussi, devenir des pommes de discorde.)   43 LV : lapf  (C’est la 2e femme qui s’intéresse aux œufs.)   44 Combien aurai-je d’œufs pour 5 deniers ?   45 LV : dauyel  (Je vous les garantis comme étant des pommes de rovel : des reinettes rouges. « Pommes de blandurel, de reuviel ou de chaucennin. » ATILF.)   46 Mes pommes. « Mi-el » dissyllabique est une particularité normande : cf. les Femmes qui demandent les arrérages, vers 283 et note.   47 Elles ont été cueillies récemment.   48 La centaine d’œufs. Quand on connaît ce prix rond, il est facile de diviser par le nombre d’œufs qu’on souhaite acheter.   49 LV : houlx  (Qui a bon goût, si vous voulez en avoir. Les Normands prononçaient « avèr », qui rime avec « trouvèr », comme « valèr » rime avec « parlèr » à 250.)   50 LV : marche   51 LV : ii f  (C’est la 1ère femme qui, à son corps défendant, va recevoir les œufs.)   52 Que mes œufs ont été couvés, ce qui les rend immangeables.   53 La première vente de la journée. Le marchand dépose des œufs dans le tablier de la 1ère femme, qui voulait des pommes.   54 Et un ! « Empreu, et deux, et trois, et quatre ! » (Farce de Pathelin.) Le marchant dépose trois pommes dans le tablier de la 2e femme, qui voulait des œufs.   55 LV ajoute : la ii f / contes bien / le marchant  (Ce refrain A du triolet doit servir de modèle aux vers 101 et 104.)   56 LV : auant  (Je corrige la même faute au refrain de 105. « Chucre » est une chuintante normanno-picarde.)  Ces pommes sont naturellement sucrées. « Ce laict (…) porte son sucre avec soy. » Laurent Bouchet.   57 Le marchant dépose encore trois pommes dans le tablier de la 2e femme.   58 Voilà le sujet de la brouille entre les deux voisines : la 1ère voulait des pommes, mais le sourd lui a donné les œufs que sa commère convoitait. La 2e voulait des œufs, mais elle a eu les pommes que désirait sa voisine.   59 LV : cest pepin fanas  (Ce débris de la locution « fatrin-fatras » <Jolyet, v. 58> n’a que faire dans ce refrain A du triolet.)  Le marchant ajoute trois pommes dans le tablier de la 2e femme.   60 Il manque un vers en -eux et un vers en -emble. Chacune des clientes exige d’avoir enfin le produit qu’elle désire, et d’en être servie la première.   61 Seuls. Les Normands prononçaient « seu », qui rime avec « eux ».   62 LV : seruir  (Vous ne sauriez être servies en même temps.)   63 Attendez.   64 Elle repose les œufs dans le panier.   65 LV : danfray  (Elle repose les pommes dans le panier.)   66 Sur vos crins : je vous arracherai les cheveux.   67 Bien virulentes.   68 Vous faites voler vos couvre-chefs. Cf. les Mal contentes, vers 511 et note.   69 Défublée, découverte. Les harpies qui se crêpent le chignon sont jouées par des hommes ; dans un gag très attendu, chacun arrache la perruque de l’autre. Aux vers 148, 162, 169, 170, 244, 249, 251 et 253, l’auteur désignera les deux femmes par le pronom « ils », comme le fit Jehan Le Happère pour ses harengères bagarreuses : « À beaulx cheveux — s’ilz en ont — touz se prennent. » Dans les Chambèrières et Débat, deux servantes jouées par des hommes s’arrachent mutuellement la perruque, si bien qu’un autre personnage peut parler d’elles au masculin : « Je requiers Dieu qu’il me pardoint/ Se sur tous deux ne frapperay ! » Ce « tous deux » désigne les prétendues femmes de notre pièce au vers 144.   70 Vous vous blessez mutuellement.   71 Il entend les hurlements des deux belligérantes.   72 Il doit y avoir une bagarre.   73 Car il y a là de l’argent à gagner.   74 LV : destallee  (Mes denrées sont bien mises en valeur sur leur étal. « En plain marché, le plus souvent,/ J’estalle ma desrée en vente. » Les Mal contentes.)   75 En as-tu assez reçu, des coups ? Cf. la Laitière, vers 270.   76 Tout beau !   77 Je vais vous envoyer dans un cachot. Au service militaire, l’adjudant, auquel je répondais respectueusement en latin, me disait toujours : Je vais vous fourrer dedans !   78 Tu n’auras pas qu’un seul coup.   79 Tu n’auras pas dit la vérité.   80 Tous ces détails secondaires.   81 Mue. De quoi est née leur querelle ?   82 Mes pommes. Au Moyen Âge, les fruits étaient bons s’ils avaient goût à framboise. « Cela sont poyres trop fascheuses :/ Y ne sentent point leur framboyse. » (Le Pèlerinage de Mariage.) Aujourd’hui, tous les aliments sont priés d’avoir un goût de noisette, depuis les huîtres jusqu’au vin, alors que les huîtres devraient avoir un goût d’huîtres, et le vin un goût de vin, nom de Dieu !   83 Ce vœu — maintes fois réitéré — de faire taire les deux plaignantes, porte le dénouement de la pièce.   84 De cela que nous parlons.   85 Elles. Voir la note 69. Le vendeur passe sous silence le fait que les clientes lui ont rendu sa marchandise.   86 Toutes deux. Voir la note 69.   87 LV : meulx / leques  (Voir le vers 133.)   88 Par les cheveux. « Nous veinmes à nous empongner/ À beaulx cheveulx et dépeigner. » Le Pionnier de Seurdre.   89 Deux fois le chargement d’une bête de somme. Le marchand surévalue le contenu de son modeste panier pour en tirer un gros dédommagement.   90 Dans une pièce qui parle des femmes au masculin, quoi de plus normal que de voir un homme user d’un juron strictement féminin ? Voir les vers 5, 113 et 138 des Chambèrières qui vont à la messe, ou les vers 112, 149 et 224 de Frère Guillebert.   91 Il montre la 2e femme.   92 LV : mete   93 LV : me asine  (Qu’on m’assigne [m’accorde] le paiement de ce qu’elles me doivent.)   94 Je fais appel. L’appel est impossible tant que le jugement n’a pas été prononcé.   95 Pour le moins (normandisme).   96 Merde ! Faites-les taire. Mais un esprit mal tourné pourrait comprendre : Mettez vos mains dans la merde.   97 LV : lequet  (Au vers 219, « d’acquêt » rime aussi avec « sans faire long caquet ».)  C’est un petit profit. « Poissonnyères ont peu d’aquest. » (Les Mal contentes.) Mais notre auteur se souvient plutôt de la farce de Pathelin : « C’est Peu-d’aquest. »   98 LV : requiers   99 Qui pissa jamais par terre avec son con. « Puisque son con tel chose pisse. » L’Amoureux.   100 Rapidement.   101 Il soutient la 2e femme, qui s’évanouit.   102 Ce n’est pas grave.   103 On desserrait les dents des épileptiques. Pour les bavardes, ce traitement est contre-indiqué ; dans Saincte Caquette, un mari qui veut faire taire son épouse lui dit : « Mot, mot ! Les dens serrez tousjours ! »   104 Coupez le cordon qui ferme sa robe, il la gêne pour respirer. L’acteur qui joue la 2e femme va donc se retrouver quasiment torse nu.   105 LV : lapoincteur  (C’est malheureusement la dernière réplique déclamée par une des deux femmes.)   106 Faites en sorte qu’elles me payent.   107 Entravé.   108 Les affaires sont les affaires.   109 Nous délaisserons. Menace syndicale : Si vous continuez à nous embêter, nous ne viendrons plus vendre chez vous. Voir le dernier vers de la farce.   110 Nous volerions nos clients sans aucun profit.   111 Un arrêt, une saisie.   112 Il empoigne le panier du marchand.   113 Occupez-vous de la 1ère femme. Elle s’évanouit également. Le sergent repose le panier pour la soutenir.   114 Ne prenez pas beaucoup de chandelle pour la veiller.   115 Cela est dû à sa maladie de langueur. (Louis Du Bois, Glossaire du patois normand, p.382.) Mais les dames ont aussi une défaillance quand elles ne sentent plus leur amant à leur côté dans le lit : « Et puis me prent une faillance/ Quand ne sens point mon amarris. » Les Femmes qui demandent les arrérages.   116 Expression normande : « Les modiront chent fais pu [cent fois plus] que pierres amères. » La Muse normande.   117 De telles.   118 N’a plus de souffle. Croyant que la 2e femme va mourir et qu’il risque alors d’avoir des ennuis, le marchand la laisse tomber par terre.   119 Changeons de place, partons.   120 Nous ne gagnerons rien ici.   121 Vous devez encore plus.   122 D’admonitions : de citations à comparaître.   123 D’assignations en justice et de constats de non-comparution.   124 Condamner.   125 Déshonorés.   126 LV : gaigneron  (Un exploit est une notification de justice. Les Normands prononçaient « explait », qui rime avec « plaid ». Cf. Lucas Sergent, vers 241.)   127 Il voit que le sergent laisse tomber par terre la 1ère femme.   128 Il montre les deux malades étendues sur le sol.   129 Quelle adversité, quelle calamité.   130 C’est une mauvaise chose.   131 LV : est  (Vous avez été mal inspirés. « De ce fustes bien incité ! » La Correxion des Liégois.)   132 Qu’on nous dise de quelle maladie elles souffrent. Ce mal, qui frappe les femmes qu’on empêche de caqueter, « c’est le mal de saincte Caquette », comme le nomme la farce de Saincte Caquette.   133 Elles n’ont plus de souffle ailleurs qu’en leur cul. Le vers 64 confirme ce diagnostic.   134 Ranger mon étal, partir. Idem vers 252. C’est l’origine du moderne « détaler ». Cf. l’Antéchrist, vers 115 et 260.   135 Méchu (forme normande). Je crains qu’il ne nous soit arrivé un malheur. Les deux fonctionnaires pensent que les bavardes qu’ils ont fait taire vont en mourir.   136 Si on empêche les. Jénin Landore a rapporté du paradis le don de « garder les femmes de parler ».   137 Et elles ne peuvent que valoir pis.   138 Elles sont si mauvaises. Mais on peut entendre : Ils sont ainsi mâles.   139 Avant.   140 Pendant ce temps, elles se ranimeront.   141 Œufs et coquilles.   142 Maishui, désormais.

LE SOURD, SON VARLET ET L’YVERONGNE

Bibliothèque nationale de France

Bibliothèque nationale de France

*

LE  SOURD,  SON

VARLET  ET

L’YVERONGNE

*

.

Comme tous les hommes affligés d’un handicap, les sourds étaient des personnages providentiels pour les auteurs comiques : la farce du Gouteux en montre deux, qui malmènent un infirme ! Les ivrognes étaient aussi de bons clients : l’auteur de cette parade normande a fait appel à des valeurs sûres. Des points communs existent entre cette farce et l’Aveugle, son Varlet et une Tripière.

Source : Manuscrit La Vallière, nº 21. Cette pièce est en bien meilleur état que les autres : elle n’avait pas eu le temps de circuler beaucoup quand on l’a copiée, vers 1575.

Structure : Rimes plates.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

.

*

Farce  nouvelle

À troy[s] personnages, c’est asçavoir :

       LE  SOURD

       SON  VARLET

       et  L’YVERONGNE

.

*

                        LE  SOURD 1  commence                   SCÈNE  I

        Or çà ! Y fault que je m’aplicque

        À trouver moyen et praticque

        De gaigner quelque peu d’argent.

        Mon varlet !

                        LE  VARLET 2

                              Je suys diligent

5      Quant vous m’apelez. Que vous plaist ?

        [Ne] fais-je pas bien le souplaist3 ?

                        LE  SOURD

        Laisse4 ta besongne et t’avance !

        Entens-tu5 ?

                        LE  VARLET

                            Ouy dea, c’est dimence6

        Que nous irons à la grand-messe.

                        LE  SOURD

10    Ne t’ai-ge pas faicte promesse

        De t’abiller ? Tu seras brave7.

                        LE  VARLET

        Par Dieu ! ce ne sera que bave8 :

        Sai-ge pas bien quant vous mentez ?

                        LE  SOURD

        Assez souvent me contentez,

15    Mais…

                        LE  VARLET

                    Ouy, ouy : [Metz9], c’est en Loraine !

                        LE  SOURT

        Devant qu’en passe la sepmaine10,

        Y tombera quelque advanture11.

                        LE  VARLET

        Vous me donrez vostre saincture12,

        Je le sçay bien.

                        LE  SOURD

                                  Je te feray

20    Un riche homme, et [te] donneray

        De l’argent.

                        LE  VARLET

                            Gardez-lay13 pour vous.

                        LE  SOURT

        Quoy ? Qu’esse-là ? Me bastrez-vous ?

        A ! je ne m’y accordes pas.

                        LE  VARLET

        Escoustez !… Il ne m’entent pas14 ;

25    Il est sourt, en ? Que vous en semble ?

        Jamais nous n’acordons ensemble :

        Cela me rompt tant le cerveau15 !

                        LE  SOURD

        Ouy ! mon varlet m’apelle veau,

        Badin, badault, ainsy qu’i veult.

30    A ! par ma foy, le cœur me deult16

        Tèlement qu’i vous fauldra…

                        LE  VARLET

                                                      Quoy ? Quoy ?

        Je vous feray taire tout quoy17,

        À ce jourd’uy, sy je m’enpongne18 !

                        LE  SOURD

        J’entens bien : c’est vostre besongne

35    Qui est aucune foys19 bien faicte,

        Aucune foys el est mal faicte.

        Mais je n’en parles pas.

                        LE  VARLET

                                              Non, non,

        Y ne fault poinct tant de sermon :

        Payez-moy, et je m’en iray.

                        LE  SOURT

40    J’entens bien20 : je vous aymeray

        Autant qu’il y ayt sur terre homme,

        Mais que tu fasses ta besongne.

                        LE  VARLET

        Le deable en emporte le sot !

                        LE  SOURD

        Pendant qu’il y aura au pot

45    Du vin, a ! nous burons d’audace21.

                        LE  VARLET

        Y conviendra vuyder la place22,

        Car il ne vient poinct à propos23.

                        LE  SOURD

        Ouy dea, nous en aurons deulx pos

        Pour nous donner dessus l’oreille24.

                        LE  VARLET

50    Qui vit jamais raison pareille ?

        Je n’y trouve sens ne raison.

                        LE  SOURD

        Je vuyderay de ma maison ?

        Et ! par la chair bieu, non feray !

                        LE  VARLET

        Le sang bieu ! je me fascheray

55    De vivre en un tel desconfort.

                        LE  SOURT

        Dictes que vous estes sy fort ?

                        LE  VARLET

        Je vous feray la teste fendre25 !

                        LE  SOURD

        Ouy, ouy, je me says bien deffendre

        En un besoing, tant hault que bas !

.

                        L’YVRONGNE  entre 26                    SCÈNE  II

60    Hau ! [hau !] Tarabin, tarabas27 !

        En ! Qu’esse ? [Holà,] hau ! l’ôtesse28,

        Venez cy ! Respondez ! En ! Qu’esse ?

        N’aron-nous poinct encor pochine29 ?

.

                        LE  VARLET                                     SCÈNE  III

        Ne vous, ne luy, ne sa vouésine,

65    Ne son vouésin Pierre, ou Guillot,

        Trubert, Lambert, Roger, Phlipot,

        Jehan, Jénin, Jouan ou Janote,

        Périn, Pérot, Pierre, Pérote

        Ne me feront nul desplaisir !

                        LE  SOURD

70    J’entens bien que me faictes plaisir30

        De besongner, à ma boutique !

        Bren31 pour vous !

                        LE  VARLET

                                      Ouy dea : je pratique

        Soublz vous, et vous [aussy] soublz moy32

        Mais ne vivons plus en esmoy.

.

                        L’YVRONGNE                                  SCÈNE  IV

75    Bon boyre faict33. Et puys, quel bruict34 ?

        Que dict-on de moy ? Fais-je bruict

        Pour avoir crédict, sur les champs35 ?

.

                        LE  SOURD                                       SCÈNE  V

        Besongnons !

.

                        L’YVRONGNE 36                              SCÈNE  VI

                               Dieu gard les gallans !

        Et puys, qui veult payer d’un pot ?

80    Sera-ce toy ?

                        LE  VARLET

                              Ne me dis mot,

        Par bieu : je suys furelufé37 !

                        L’YVRONGNE

        Et ! comment ? Qui t’a escauffé38 ?

        Qu’as-tu ? Qui t’a mis en [tel] colle39,

        Dy : asse esté maistre Nicolle40 ?

85    Es-tu de couroulx relié41 ?

                        LE  VARLET

        Je suys [triste et fantasié]42.

        Mon maistre, ce sourdault43 icy,

        M’a de deuil tout mys en soucy.

                        L’YVRONGNE

        Va, va, ne te cou[rou]ce poinct.

90    Chantons fleurtis44 ou contrepoinct,

        Et puys je vous apaiseray.

                        LE  VARLET

        Pour luy, poinct [je] ne me tairay45 !

        Mauldict soyt-il qui se taira46 !

                        [LE  SOURD] 47

        Quoy ? Dict-il pas qu’i me bastra ?

95    Y n’oseroyt !

                        LE  VARLET

                              Voécy pour rire !

                        L’YVRONGNE

        Par bieu ! vous érez bien du pire48.

        Taisez-vous !

                        LE  SOURD

                              Je vous ayme bien,

        Car vous estes homme de bien,

        Sage et entendeu.

                        L’YVRONGNE

                                     Mot ! Silence !

100  Apaisez-vous, car quant je pence,

        Noyse ne vault rien sans débat49.

                        LE  VARLET

        Y ne fault poinct tant de sabat50 !

        Ventre bieu ! fault-y tant de bave ?

                        LE  SOURD

        Dieu ! il dict tousjours que je bave :

105  A-il pas tort ?

                        L’YVRONGNE

                               Mais il a droict !

                        LE  SOURD

        Et ! vraiment, quant il y fauldroict51,

        Je ne veulx pas qu’il prengne peine.

                        LE  VARLET

        Il ne veult sa fièbvre quartaine !

                        L’YVRONGNE

        Chantons, et laissons tout cecy.

                        LE  SOURT

110  Mort bieu ! dis-tu que j’ey vessy52 ?

        À mort ! [À mort53 !]

                        L’YVRONGNE

                                           À vie ! [À vie !]

                        LE  VARLET 54

        Par la chair bieu ! je vous deffye :

        Sy vous causez, vous estes mort !

                        L’YVRONGNE

        Corps bieu ! dictes-vous que j’ey tort ?

                        LE  SOURD

115  Hélas, [pour moy] laissez-lay vivre55 !

                        LE  VARLET 56

        Frapons tous deulx sur cest homme yvre :

        Il est cause de noz débas.

        Frapons, tarabin, tarabas57 !

        N’espargnons poingz58 : il a bon dos.

                        L’YVRONGNE

120  Le deable en emporte les sos59 !

        Et ! laissez-moy, de par le deable !

        Tout doulx, tout doulx ! Ce n’est pas fable60 :

        Vous frapez à bon essien61.

                        LE  VARLET

        Laudez, laudez ce passien62

125  Sans l’espargner !

                        [ LE  SOURD

                                  Frapons63 ! ]

                        L’YVRONGNE

                                                       Tout doulx !

        Et ! comment ? [Dea !] vous moquez-vous ?

        Au lieu de paix, suys en souffrance.

                        LE  VARLET

        Onques on ne veist dedens France

        Gens sy meslés comme nous sommes.

.

                        L’YVRONGNE 64                             SCÈNE  VII

130  Vertu bieu ! je porte les sommes65.

        [Qui qu’ayt]66 chanté, j’ey respondu.

        Mais content suys d’estre tondu67

        Sy jamais en un tel sabat,

        [Parmy ce]68 tumulte ou débat,

135  [Je reviens ! Lors,] je m’en remue69.

.

                        LE  VARLET                                     SCÈNE  VIII

        [Poinct n’en aurons brèfve venue…]70

        Nostre cas71 est très fort meslé.

        Que nous avons bien querellé !

.

        Mais je conclus, comme il me semble,

140  Q’un yvrongne et un sourd ensemble

        Ne peult durer : car l’un est sourd,

        Et l’aultre, langaige luy sourd72.

        Le sourd ne peult pas bien oÿr,

        Et l’autre se veult resjouir.

145  Et pour conclure la matière,

        Une chanson voulons chanter,

        Affin que vous ayez manière

        D’aveques vous chagrin chasser.

        En prenant congé de ce lieu,

150  Une chanson pour dire adieu ! 73

.

                                        FINIS

*

1 Il exerce la profession de potier d’étain. L’auteur met en scène l’expression « être sourd comme un pot ».   2 Le Valet, i. e. l’ouvrier, travaille devant son établi.   3 Le souple, le lèche-cul. « Encor ferai-ge le souplaist. » (Frère Phillebert.) Cet aparté s’adresse au public.   4 LV : fais   5 Le Sourd a une prédilection pour le verbe « entendre » : vers 34, 40, 70, 99.   6 Prononciation normande de « dimanche » : cf. les Povres deables, vers 93. Le Valet s’amuse à entamer un dialogue de sourds.   7 Élégant, grâce aux habits que je vais t’acheter. « Estre braves en accoustremens. » Godefroy.   8 Du bavardage, des promesses en l’air.   9 La ville de Metz se prononçait « mè », d’où le jeu de mots sur mais.   10 « Avant que passe la sepmaine. » Les Sotz fourréz de malice.   11 Nous ferons une bonne affaire.   12 Vous me donnerez des coups de ceinture.   13 Gardez-le, vous êtes plus miteux que moi. Le pronom normand « lay » reparaît au vers 115. Le Sourd comprend quelque chose comme « frapperai sur vous ».   14 Le Valet se tourne vers le public.   15 « Vous vous rompez tout le cerveau. » Testament Pathelin.   16 Me fait mal, du verbe douloir.   17 Tout coi. « S’y ne veult se taire tout quoy. » Les Sobres Sotz.   18 Si j’en prends la peine.   19 Parfois.   20 Quand on leur réclame de l’argent, les sourds mettent en application ce proverbe : « Il n’est point de plus maulvais sours/ Que ceulx qui ne veullent ouÿr. » Le Gouteux.   21 Nous boirons de bon cœur.   22 Il faudra que je m’en aille.   23 Il ne parle pas de mon salaire.   24 Pour nous taper sur les oreilles. Les chopes sont très larges et leur bord monte jusqu’aux oreilles du buveur.   25 LV : rendre  (« Fendre la teste. » Le Faulconnier de ville.)   26 Cette didascalie marque le début d’un rôle, en non un déplacement. L’Ivrogne est toujours dans la rue ; en apercevant les chopes d’étain alignées sur la fenêtre du potier, il croit être devant une taverne.   27 Cette interjection qui marque l’exaspération peut à la rigueur se traduire par : « Allons ! » Panurge l’emploie quand il s’impatiente des réponses d’un philosophe : « –Mais conseillez-moy, de grâce : que doibs-je faire ? –Ce que vouldrez. –Tarabin, tarabas ! » (Tiers Livre, 36.) Cette locution aux multiples sens donna lieu à une chanson (v. le vers 45 des Queues troussées), et même à une farce : Tarabin, Tarabas (F 13). Ici, elle revient au vers 118.   28 Tavernière ! « Où l’hostesse est belle, le vin est bon. » Godefroy.   29 L’Ivrogne confond la chopine, et le pochin, qui est une mesure de vin différente : « Pour un pochin de vin. » Godefroy.   30 Je veux que vous me fassiez le plaisir.   31 Merde ! « Bren pour toy ! » La Nourrisse et la Chambèrière.   32 Double sens du verbe pratiquer : Je travaille sous vos ordres, et vous gagnez de l’argent grâce à moi. « Quel bien ? J’ay un pourpoinct de serge :/ C’est tout ce que j’ay pratiqué. » La Réformeresse.   33 Il fait bon boire.   34 Quelles nouvelles ? Toujours dans la rue, l’Ivrogne interroge le public.   35 Ai-je une assez bonne réputation pour qu’on me fasse crédit, en ces lieux ?   36 Il entre dans l’atelier de poterie, et s’installe à l’établi où travaille le Valet.   37 Fou furieux (normandisme). Cf. Jolyet, vers 10. « Furluféz ainchin que des coqs/ Qui ont mangé de la tôtée. » La Muse normande.   38 Qui t’a échauffé la bile (graphie normande).   39 Dans une telle disposition. « Aultrefoys m’a mis en tel colle. » Deux hommes et leurs deux femmes.   40 A-ce été le médecin ? « Qui bien dort, pisse et crolle [se remue]/ N’a mestier [besoin] de maistre Nicolle. » (Thrésor de sentences dorées.) « Tu m’affranchis de chancre et de vérole,/ De maistre Ambroise [Paré] et de maistre Nicole. » (Philippe Desportes.) Par dérision, c’est également un nom de bourreau, comme dans le Mystère des Trois Doms : « Maistre Nycolle, bourreau. »   41 LV : deslie  (Atteint. « Que de la fièvre cartaine/ Puissez-vous estre relié ! » Le Povre Jouhan.)   42 LV : bisti fantarie  (Il se peut que l’auteur ait écrit biscarié [en mauvais état] : « Je suys toute biscariée. » Le Povre Jouhan.)  Je suis perturbé. « –Vous me semblez fantasiée./ –Je suys avec vous sy troublée ! » Deulx Gallans et Sancté, LV 12.   43 Ce sourdingue. Cf. le Gouteux, vers 25, 37 et 265.   44 Des fioritures, des ornements du plain-chant. « Réprouvant les fleuretis en la musique. » Godefroy.   45 LV : mectreay   46 LV : bastra  (À la rime.)   47 LV : liurongne   48 Vous aurez bien pire. Il parle au Sourd qui, pour une fois, croit entendre une phrase positive à son égard.   49 Même proverbe dans Guillerme qui mengea les figues et dans le Pèlerinage de Mariage.   50 De tumulte, d’agitation. Idem vers 133.   51 Quand bien même mon ouvrier y manquerait (à se fatiguer en travaillant).   52 Que j’ai pété. Le Sourd tape sur l’Ivrogne.   53 Le manuscrit que le copiste a recopié ne dupliquait pas les interjections, sachant que les comédiens le feraient naturellement. Voir le second hémistiche et le vers 60.   54 À l’Ivrogne. L’ouvrier prend le parti de son patron.   55 Laissez-le-moi vivant !   56 À son patron.   57 Allons ! Voir la note 27.   58 LV : poinct  (Nos poings.)   59 Les sots. Voir le vers 43.   60 LV : paille  (Ce n’est pas une blague. « Ce que je dis, ce n’est pas fable. » Guillerme qui mengea les figues.)  Cf. l’Antéchrist, vers 220.   61 Vraiment. Cf. l’Avantureulx, vers 316.   62 Frappez ce patient [celui qui subit]. « Lauder : frapper, battre. » Louis Du Bois, Glossaire du patois normand.   63 LV attribue ce mot à l’Ivrogne. Les deux artisans se livrent contre lui à une véritable mêlée.   64 Il s’échappe de la mêlée.   65 On m’a chargé de coups comme une bête de somme est chargée de marchandise. « Asnes qui portent somes. » ATILF.   66 LV : quique ayt  (Quel que soit celui qui a chanté le thème.)   67 LV : tondeu  (Je mériterais qu’on me traite de fou. Voir les notes 31 et 86 des Sotz triumphans.)   68 LV : pour moy se   69 Je m’en éloigne. « Il nous fault d’icy remuer. » (ATILF.) Le bord gauche du manuscrit de base devait être déchiré à cet endroit.   70 LV : en brefue nue  (Nous ne le verrons pas revenir de sitôt. « L’on nous donne espoir de sa brèfve venue icy. » Cardinal de Granvelle.)   71 Notre cause : nous sommes réconciliés.   72 Sa parole jaillit hors de propos.   73 Ces 2 derniers vers sont greffés par le copiste lui-même à la fin de beaucoup de pièces du ms. La Vallière : le Tesmoing, l’Avantureulx, Sœur Fessue, Frère Phillebert, le Trocheur de maris, etc.

L’AVEUGLE, SON VARLET ET UNE TRIPIÈRE

Bibliothèque nationale de France

Bibliothèque nationale de France

.

*

L’AVEUGLE,

SON  VARLET  ET

UNE  TRIPIÈRE

*

.

Cette farce normande remonte à la seconde moitié du XVe siècle. À l’époque, d’innombrables faux infirmes exploitaient la générosité des braves gens ; de sorte que les vrais infirmes, s’ils voulaient obtenir une aumône, devaient faire preuve d’autant de roublardise que les simulateurs. Au XIIIe siècle déjà, les dons se faisaient rares ; on peut en juger par la plus ancienne de toutes les farces, Du Garçon et de l’Aveugle, qui met en scène un duo de mendiants constitué d’un aveugle et de son serviteur. Des couples du même acabit provoqueront l’hilarité dans l’Aveugle et son Varlet tort (de François Briand), l’Aveugle et Saudret, Ung biau miracle, l’Aveugle et le Boiteux (d’André de la Vigne), l’Aveugle et Picolin (de Claude Chevalet), ou encore l’Aveugle, sa Chambèrière et son Varlet 1.

D’un naturel peu charitable, les tripières furent elles aussi victimes des rieurs. Dans notre farce, tout comme dans celle de la Trippière (F 52), deux mendiants réclament de la nourriture à une marchande de tripes qui, faute de la leur avoir donnée, se la fera voler.

Source : Manuscrit La Vallière, nº 13. Le texte est dans un état pitoyable, et certains passages ressemblent à de la prose. Je renonce à égaliser les vers trop courts.

Structure : Rimes plates, avec quelques rimes croisées.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

.

*

Farce joyeuse

À .III. personnages, c’est asçavoir :

       un  AVEUGLE

       et  son  VARLET  [Goulpharin]

       et   une  TRIPIÈRE  [Phlipotes]

.

*

                        LE  VARLET 2  commence                 SCÈNE  I

        Sui-ge poinct ung gentil mygnon

        Et un bon petit garçon,

        Pour un Goulpharin3 ? Ne suys poinct ?

        Par le corps bieu ! je seray oingt4,

5      Sy ne retourne vers mon maistre.

.

                        L’AVEUGLE 5                                   SCÈNE  II

        Celuy Dieu qui tout a faict naistre

        Garde de mal la compaignye !

        Ma joye est bien abolye ;

        Et sy, ne sçay plus que g’y face6.

10    Mes amys, regardez la face

        Du7 bon homme qui ne voyt goute,

        Et sy, ne sçayt où il se boute8 ;

        Car mon varlet cy m’a lessé.

        Je suys jà viel homme cassé,

15    Et assourdy des deulx horeilles.

.

                        LE  VARLET                                     SCÈNE  III

        Maistre, vouécy vos bouteilles.

                        L’AVEUGLE

        Qu’esse que j’os9 ?

                        LE  VARLET

                                    C’est vostre varlet Goulpharin.

                        L’AVEUGLE

        Et d’où viens-tu ?

                        LE  VARLET

                                    Je viens du vin,

        Du vin qui est cler et qui est fin10.

                        L’AVEUGLE

20    Tu me la bailles bien cornue11 !

                        LE  VARLET

        Et tout pour la gentille repue12,

        Nous vous ferons bien vos raisons13.

                        L’AVEUGLE

        J’ay veu de sy bonnes saisons14

        Dea ! et reviendra poinct nostre temps ?

                        LE  VARLET

25    Ouy, ouy, après ces15 Rouvèsons.

        Que nous serons trètous contens !

        Et sy, aron argent et or.

        Et seron armés (par16 sainct Mor !)

        Du pié jusques à la sonnète17.

30    N’ayron besache ne pouquète18

        Qui [ne] nous serve plus de rien19.

                        L’AVEUGLE

        Dis-tu ? Et ! tant nous serons bien !

                        LE  VARLET

        Maistre, y nous fault aler assaillyr,

        S’yl est possible, sans faillyr,

35    Quelque maison de plaine face20,

        Et [y] faire un trèsbeau « prouface21 ».

        [Que vous en semble :] di-ge bien ?

                        L’AVEUGLE

        Ouy, vrayment. Mais tu sçays [com]bien,

        Par ma foy, je [me] meurs de fain !

                        LE  VARLET

40    Nous n’yrons plus guères loing.

        [Allons prier quelque tripière

        Qu’elle nous face bonne chière.]

                        L’AVEUGLE

        Quoy ! et qu’e[n] pourions-nous avoir ?

                        LE  VARLET

        Nous ne povons que [le] sçavoir22.

                        L’AVEUGLE

45    Et sçays-tu bien où elle vent23 ?

        Dy, despesche-toy vitement !

                        LE  VARLET

        Ouy, ouy, je la voy bien, d’icy.

        Mais il eschet24, en ce cas-cy,

        Maistre, que vous [ne parlerez]25.

                       L’AVEUGLE

50    Par sainct Pierre, vous mentirez !

        Aprochez près26 ; vous luy direz

        Que je suys du tout assourdy27,

        Et que je n’os grain ne demy28,

        Ainsy que luy sérez29 bien dire.

                        LE  VARLET

55    Je ne l’oseroys contredire.

        Empongnez-moy par la saincture30,

        Et nous yrons à l’avanture31.

        Or çà ! Dieu nous veuile conduyre,

        Et nous gardons bien de mal dire32 !

.

60    Dame Phlip[ot]es33 : Nostre Dame                   SCÈNE  IV

        Vous veuile sauver et garder !

        Nous vous prions de cœur et d’âme

        Qu’i vous plaise icy regarder

        [Vers] les povres menbres de Dieu34

65    Qui vous viennent vouèr35 en ce lieu.

        Cestuy36 ne voyt, et sy, n’ot gouste.

                        LA  TRIPIÈRE

        Y m’est avys sans nule doubte

        Que ce bon homme icy oyt37 bien.

                        LE  VARLET

        Par ma foy, [ma] dame, y n’ot rien.

                        LA  TRIPIÈRE

70    Comme est son nom ?

                        LE  VARLET

                                           Et ! c’est Marault38.

                        LA  TRIPIÈRE

        Je le voys dont crier bien hault39 :

        Hau ! [Hau !] Marault, veulx-tu du fée40 ?

                        L’AVEUGLE

        J’estoys plus yvre que la née41

        L’endemain de la Sainct-Martin42.

                        LA  TRIPIÈRE

75    Vien çà ! Veulx-tu un boudin ?

        Parle à moy : veulx-tu poinct menger ?

        As-tu perdu43 ton apétys ?

                        L’AVEUGLE

        J’ey cuydé bien [fort] arager44,

        Quant je suys party du logis.

        ………………………….. 45

.

                        LE  VARLET                                     SCÈNE  V

80    Dea ! m’en iray-ge [en ce droict poinct]46 ?

        Dame, ne m’escondisez47 poinct.

        Dame, me donnerez-vous rien ?

                        LA  TRIPIÈRE

        Dea ! [Croys-tu qu’on donne son bien]48 ?

        Sy tu en veulx avoir, y fault

85    Argent bailler [du premier sault49],

        Et [qu’il y coure]50 un double ou deulx.

                        LE  VARLET

        Baillez-moy de ce que je veulx.

        Et me faictes bonne doublée51 :

        Ma besache sera gastée,

90    Se ne le metez au cornet.

                        LA  TRIPIÈRE

        Ce que je te baille [est moult]52 net :

        [Yl est]53 du mileur de ma gate ;

        Yl est fleury comme une mate54,

        Et sy, [yl] est blanc55 comme un œuf.

                        LE  VARLET

95    Baillez-moy de ce pié de beuf,

        De la panchète, du gras bouel56 ;

        Onq(ues), puys la veille de Nouël,

        Je n’en mengis grain ne demy57.

                        LA  TRIPIÈRE

        Or, saquez58 argent, mon amy,

100  Car [vez-en là]59 pour vostre double.

                        LE  VARLET

        Cecy, et qu’esse ? [Du gras double60 ?]

                        LA  TRIPIÈRE

        C’est un boudin [tout] plain de gresse.

        Sy tu [n’en veulx, je]61 les reverse.

        Ne les viens poinct cy patrouiller62,

105  Et va[-t-en] alieurs marchander.

                        LE  VARLET

        Et ! baillez-m’ent plus largement,

        Sy voulez avoir mon argent,

        [Dame.]

                        LA  TRIPIÈRE

                      Par sainct Jehan, non feray !

                        LE  VARLET

        Donques je les reverseray.63

                        LA  TRIPIÈRE

110  Par la croix bieu, tu les pouéras64 !

                        LE  VARLET

        Par la mort bieu, [tu mentiras !

        Tu ne vaulx rien, orde tripière]65 !

                        LA  TRIPIÈRE

        Je vaulx mieulx [que tu ne vaulx] toy,

        Ne que [ne valust]66 onq ton père.

115  Me viens-tu faire tant d’esmoy ?

        Par l’âme [du bon sainct André]67 !

        Huy je te desvisageray68 !

                        LE  VARLET

        Au ! [par] ma dame69 saincte Agate !

        Elle m’a baillé de sa pate70,

120  Et sy, m’a rompu le visage.

                        LA  TRIPIÈRE

        N’y reviens plus, se tu es sage !

        Tyre tes chausses71, Poy-d’aquest !

                        LE  VARLET

        Adieu, la fille Loriquet72 !

                        LA  TRIPIÈRE

        À Dieu, le filz à sa Marguet73 !

.

125  Cesser y nous fault le caquet,

        Car nous ferions cy la sérye74.

        Prenez en gré, la compaignye !

.

                                             FINIS

*

1 Cette farce est également connue sous le titre de Goguelu (F 45).   2 Dans la rue, il boit du vin à la bouteille, tandis que son patron aveugle attend son retour un peu plus loin.   3 Ce surnom du valet désigne un amateur de bonne chère. « Bons compaignons, rustres et gourfarins. » A. de la Vigne.   4 Battu.   5 Il s’adresse au public.   6 Et même, je ne sais plus que faire.   7 LV : de ce  (Ne voir goutte = ne rien y voir. « L’aumosne au povre diséteux/ Qui jamais, nul jour, ne vit goucte ! » L’Aveugle et le Boiteux.)   8 Ne sait pas où il va.   9 Que j’ois, que j’entends. L’aveugle est à moitié sourd, comme il l’a dit au vers 15.   10 Ce vers surnuméraire est probablement le refrain d’une chanson à boire.   11 Tu me la bailles belle. « Vous me la baillez bien cornue ! » L’Homme à mes pois.   12 LV : fue  (?)  Une repue est un festin. Cf. les Repues franches de maistre Françoys Villon.   13 Je vous ferai concurrence.   14 Des temps meilleurs.   15 LV : ses  (Les Rovaisons, ou Rogations, précèdent l’Ascension. « Gardons-le pour les Rouvaisons. » Les Sotz nouveaulx farcéz.)   16 LV : de  (Les deux clochards se voient déjà gentilshommes, lesquels avaient seuls le droit de sortir armés.)   17 Jusqu’à la tête, sur laquelle les Sots portent des grelots. « Attache-moy une sonnette/ Sur le front d’un moyne crotté (…) :/ Voylà un Sot de la Bazoche. » Clément Marot, Du coq-à-l’asne.   18 Nous n’aurons plus de besace ni de poche en tissu. C’est là-dedans que les mendiants mettent la nourriture qu’on leur donne : voir le vers 89. Le Valet a un fort accent normand.   19 Qui ne nous serve plus à quoi que ce soit. Rien [chose] avait une valeur positive.   20 À visage découvert, sans nous cacher.   21 Prou vous fasse : (Que cela) vous fasse profit. « PROUFACE est un salut qu’on fait au sortir de table aux conviéz, en souhaittant que ce qu’ils ont mangé leur profite. » Furetière.   22 Nous le saurons bientôt.   23 Les tripières ambulantes vendaient au marché des tripes chaudes que les clients consommaient sur place, dans une écuelle, une chope, ou un cornet de papier fort. Voir la Confession du Brigant, vers 157-160.   24 Il échoit, il convient.   25 LV : parles  (Le valet craint que son patron ne soit pas assez fin pour berner une tripière. Il insiste au vers 59.)   26 Il parle à l’oreille du valet, pour ne pas être entendu par la tripière, dont le stand est tout proche (vers 47).   27 Totalement sourd.   28 Que je n’entends ni un mot, ni même la moitié d’un.   29 Saurez (normandisme).   30 Les aveugles se cramponnaient aux basques de leur guide.   31 « Or allons à nostre avanture ! » L’Aveugle, sa Chambèrière et son Varlet (F 45).   32 Gardons-nous de nous trahir.   33 Phélipotte est une des Femmes qui font baster leurs maris aux corneilles (F 29). Ce prénom est souvent abrégé en Phlipote, ou même en Flipote, comme en témoigne le premier vers du Tartuffe : « Allons, Flipote, allons ! Que d’eux je me délivre. » Le valet connaît donc déjà la tripière, puisqu’il sait son nom.   34 « Les povres gens, je le dis sciemment,/ Ce sont membres de Dieu. » L’Ardant miroir de grâce.   35 Voir (normandisme).   36 LV : lequel  (Celui-ci n’y voit pas, et même, il n’oit goutte [il n’entend rien].)   37 LV : voyt   38 Un maraud est un maraudeur, un mendiant. Cf. les Maraux enchesnéz.   39 Je vais donc l’appeler très fort.   40 Du foie (normandisme). « Du faye et ung pié de mouton ! » La Trippière, F 52.   41 La naie : l’étoupe avec laquelle on colmate un tonneau de vin. « Quant ung tonneau bien on ne perce,/ Si bien ne l’estoupe-on de naye,/ Que le vin ne suinte. » ATILF.   42 Cette fête des vendanges, le 11 novembre, donnait lieu à des beuveries. « À la Saint-Martin, l’on boit le bon vin. » (Proverbe.) Le lendemain, l’étoupe qui bouchait le tonneau n’avait donc pas eu le temps de sécher.   43 LV : poinct   44 Devenir fou de rage. Ces coq-à-l’âne de Maraut annoncent déjà ceux de Marot (note 17).   45 Il manque ici un long passage, ce qui explique l’anormale brièveté de la pièce. Le faux sourd, habilement « cuisiné » par la tripière, finit par se trahir. Les deux mendiants repartent sans avoir rien obtenu. Ils se disputent, et le valet revient seul pour tenter d’émouvoir la commerçante.   46 LV : ainsy droict joinct  (Dans un tel état.)  Séparé de son acolyte, le valet parle maintenant à la 1ère personne du singulier.   47 LV : mescondisses  (Ne m’éconduisez pas.)   48 LV : os tu on ne me les donne poinct  (Ces 4 vers sont encore plus abîmés que les autres. J’ai tenté de mettre un peu d’ordre dans la métrique.)  Les biens désignent la marchandise ; dans la Trippière (F 52), un mendiant implore qu’on lui donne des tripes : « En l’honneur de Nostre Seigneur,/ Dame, ung morceau de vos biens ! »   49 De prime-saut, d’emblée. Cf. le vers 65 des Sotz nouveaulx et le vers 148 de Jehan qui de tout se mesle.   50 LV : qui ly coure du tien  (Courir = circuler ; se dit d’une monnaie qui a cours.)  Un double vaut 2 deniers.   51 Doublure : doublez l’épaisseur de papier du cornet, pour ne pas salir ma besace. Voir la note 23.   52 LV : nest pas trop  (Est parfaitement sain.)   53 LV : cest  (Voir le vers suivant.)  Cela vient du meilleur de ma jatte (normandisme). « C’est une jatte à tripière : il y a des andouilles, des rognons, des trippes. » Bruscambille.   54 Comme la croûte du lait caillé.   55 Les tripes doivent être bien blanches, c’est un signe de fraîcheur. « La blanche trippe, et grasse. » La Trippière, F 52.   56 De la pansette [de la ventrèche], du boyau. Ces deux graphies sont normandes.   57 Je n’en mangeai si peu que ce soit.   58 Tirez de votre bourse (normandisme). « Nul ne paie voulentiers, ne sacque argent hors de sa bourse. » Froissart.   59 LV : vesen la  (Voyez-en là : en voilà pour la valeur de votre double denier.)   60 « Gras double : espèce de trippe que vendent les trippières ; c’est le second des quatre ventricules du bœuf, ou des autres animaux qui ruminent. » Furetière.   61 LV : ne les veulx sy  (Je les remets dans mon baquet.)   62 Tripoter. « Ne les patrouillez poinct ainsy ! » Le Marchant de pommes.   63 Il fait mine de remettre les tripes dans le baquet avec ses mains douteuses. La tripière l’en empêche.   64 Tu les paieras (normandisme). Les tripes étant souillées, elles deviennent invendables, et le valet peut les garder. Les écoliers des Repues franches emploient la même ruse pour se procurer des tripes gratuitement : « Françoys (…)/ Les voulut tout incontinent/ Remettre dedans le baquet./ El ne les voulut pas reprendre. »   65 LV : tripiere tu mentiras  (Le passage 111-116 est corrompu.)  La saleté des tripières, qu’on ramène toujours aux excréments contenus dans les intestins, est passée en proverbe. « Ou une orde tripière aussi,/ En vendant du foye ou du (gras) double/ Pour ung denier ou pour ung double,/ Du boyau cullier ou du mol [du mou],/ Jurera saint Pierre ou saint Pol. » (Éloy d’Amerval.) Dans la Trippière (F 52), l’injure « orde trippière » apparaît deux fois.   66 LV : fist   67 LV : de ton grand pere  (St André est toujours qualifié de bon : « Ô bon sainct André, que vous aviez bien raison de ne vouloir point quitter la Croix ! » Jacques d’Arbouze.)  On reprochait aux tripières de jurer sur les saints : voir le vers 108 et la note 65.   68 Je vais te défigurer.   69 LV : deme  (On appelait les saintes madame. « Il fist faire ung monastère en l’honneur de madame saincte Agathe. » Jehan Platine.)   70 Elle m’a donné un coup de patte, une gifle.   71 LV : chauses  (Va-t’en !)  Peu d’acquêt = rien à gagner. C’est notamment le nom d’un gueux dans la farce des Coquins (F 53), et le nom d’un pauvre dans Marchandise et Mestier (BM 59).   72 Un loricard est un fanfaron : cf. le Résolu, vers 88. Loriquet et sa fille furent sans doute des personnages de farce. Leur nom était prédestiné au théâtre : de 1840 à 1882, plusieurs comédies mettront en scène un mari faible nommé Loriquet. Sa fille paraîtra dans les Noces de mademoiselle Loriquet, de Grenet-Dancourt.   73 LV : mere  (qui ne rime pas. Marguet est une épouse échangiste dans le Savatier et Marguet.)  Une Marguet, ou une Margot, est une prostituée ; son fils est donc un fils de pute : « Le filz à la grosse Margot ! » Trote-menu et Mirre-loret.   74 Nous y passerions la soirée (normandisme).