LE GOUTEUX
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LE GOUTEUX
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On pense que maître Mimin et Richard le Pelé, nommés uniquement dans la liste des personnages de cette farce rouennaise, sont les acteurs qui l’ont créée1. Les comédiens s’appropriaient parfois le nom du personnage qui était à l’origine de leur renommée ; par exemple, Pierre le Carpentier se rebaptisa « le Pardonneur » après avoir joué ce rôle dans la farce éponyme, et Pierre Gringore signait couramment « Mère Sotte2 », profitant du succès populaire de ce personnage dont il endossait le travesti. Nous ne savons rien de Richard le Pelé, mais il nous reste deux farces3 — elles aussi normandes — à la gloire de maître Mimin : Maistre Mymin qui va à la guerre, et Maistre Mimin estudiant. La présente pièce étant dépourvue de titre et ne comportant aucun maître Mimin, je l’intitule donc le Goutteux, en conformité avec les rubriques.
Sur l’usage que les farceurs faisaient des dialogues de sourds, voir le Sourd, son Varlet et l’Yverongne, le Marchant de pommes et les Miraculés.
Un valet croit soulager la crise de goutte de son maître en lui racontant les aventures de Gargantua. Il s’agit d’un des volets — d’ailleurs inconnu — des Chroniques gargantuines4, qui parurent sans doute à partir de 1526, et dont Rabelais s’inspira. Notons que dans son prologue de Pantagruel, le docteur Rabelais prescrit le même remède : « Mais que diray-je des pauvres véroléz et goutteux ? Toute leur consolation n’estoit que de ouÿr lire quelque page dudict livre [les Grandes et inestimables chronicques de l’énorme géant Gargantua]. Et en avons veu qui se donnoyent à cent pipes de vieulx diables en cas que ilz n’eussent senty allégement manifeste à la lecture dudict livre. »
Source : Recueil du British Museum, nº 35. Publié à Lyon, en la maison de feu Barnabé Chaussard, entre 1532 et 1550.
Structure : Rimes plates, avec 2 triolets. La versification est extrêmement soignée, malgré un grand nombre d’hiatus qu’on aurait pu combler sans difficulté.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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Farce nouvelle trèsbonne
et fort joyeuse
À troys personnaiges, c’est assavoir :
[ LE GOUTEUX, Philipot 5
SON VARLET SOURD, Pinsonnet ]
et LE CHAUSSETIER
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Cy commence LE GOUTEUX 6 SCÈNE I
Hé ! Dieu, hélas ! Mauldicte goutte,
Qui7 tant mon povre cueur desgouste !
Fault-il que par toy cy je meure ?
Mon varlet, hau ! Vien çà ! Escouste :
5 Va moy quérir — quoy qu’il me couste —
Ung médecin, et sans demeure8 !
LE VARLET SOURD
Monsieur, quant la grappe fut meûre9,
Incontinent l’on vendengea.
Gargantua beut, et mengea
10 À son desjeuner seullement
Douze-vingt miches de fourment10,
Ung beuf, deux moutons et ung veau.
Et si, a mis du vin nouveau,
À deux petis traictz, dans sa trippe11 :
15 Deux poinçons avec une pipe12,
En attendant qu’on deust disner13.
LE GOUTEUX
J’ay bien cause de m(e) indigner
Contre toy, sourd de Dieu mauldit14 !
Entens-tu point que15 je t’ay dit ?
20 Va moy chercher ung médecin,
Ou me viens chauffer ung bacin16.
Tant tu me faictz crier et braire !
LE VARLET
Mon serment ! j’en croy le libraire :
Il m’a cousté six karolus17.
LE GOUTEUX
25 Sourdault18, va quérir ung bolus
Et ung cyrot bien délyé19 !
LE VARLET
J’en eusse prins ung relyé,
Mais il eust cousté davantaige.
LE GOUTEUX
Faictz-moy faire quelque potaige20
30 Au médecin ! Entens-tu bien,
Mon varlet sourd ? Va et revien !
Auras-tu point l’esp(e)rit ouvert ?
LE VARLET
Vous voulez donc qu’il soit couvert
De cuyr ou de fort parchemin ?
LE GOUTEUX
35 Hélas ! je suis bien prins sans vert.
Mourray-je icy, en [c]e termin21,
Par ce meschant varlet sourdault ?
LE VARLET
Le libraire n’est point lourdault :
Couvert sera mignonnement.
40 Tenez-vous tousjours chauldement,
Car j’entens trèsbien vostre affaire.
Et du livre laissez-moy faire :
Vous en aurez du passetemps.
Vadit.22
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LE GOUTEUX SCÈNE II
De mourir icy je m’atens,
45 Car je n’ay plus sang ne couleur.
Tu m’agraves bien ma douleur !
Oncques pauvre paralitique23
Ne fut tant que je suis éthique24.
À crier je me romps la teste.
50 Hélas ! ung homme est bien beste
Qui prent servant à sourde oreille ;
C’est une teste nompareille,
Et qui n’entend « ne my, ne gourd25 ».
Que mauldit de Dieu soit le sourd,
55 Et qui oncques le m(e) adressa !
Jamais que mal ne me brassa26.
Il cognoist bien que suis malade,
Et que nuyt et jour ne repose :
Il me vient lyre une Balade !
60 Propos ne tient d’aulcune chose27.
Ha, Nostre Dame de Briose28 !
Je suis de luy mal rencontré29.
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LE VARLET 30 SCÈNE III
Or çà ! il est tout acoustré,
Vostre livre, [et] est bien empoint.
LE GOUTEUX
65 Voyre bien, amaines-tu point
De médecin pour mon affaire ?
LE VARLET
Il y a tousjours à reffaire !
Comment ! est-il cousu trop large ?
Vrayment, il est de bonne marge
70 Et [est] de belle impressïon.
LE GOUTEUX
Tant tu me faictz d’oppression !
M’as-tu faict chauffer ung bassin ?
Ouÿ dea31 ! Et de médecin ?
(Autant entent l’ung32 comme l’autre.)
75 Si j’estois sain, t(u) yrois au peaultre33 !
Sçaurois-tu barbier34 attrapper ?
(Autant gaignerois à frapper
Ma teste contre la muraille.)
LE VARLET
Il m’a cousté sept solz et maille35,
80 Car j’ay baillé demy trézain36,
Deux solz tournois37 puis ung unzain :
Autant le convint achapter38.
Attendez, je m’en vois getter39 ;
Ung, et deux, et trois : ce sont quatre.
85 Et puis il nous [en] fault rabatre40
Justement toute la moytié.
C’est le compte. Sans l’amytié41,
Je ne l’eusse eu pour le pris.
LE GOUTEUX
C’est bien à propos entrepris42 !
90 Dieu me doint avoir patience !
LE VARLET
Il a du livre en la science43,
À qui bien la sçauroit gouster.
Or pensez, Maistre, d’écouster44,
Et vous voirrez icy comment
95 Gargantua faict argument45,
Lequel estoit bona46 quercus :
Ung béd[o]uault47 a quinze culz ;
Or, si par48 ung apoticaire
Luy estoit baillé ung clistoire,
100 Queritur comment49, et par où ?
Par quel50 pertuys ou [par] quel trou ?
Que diriez-vous, sur ce passaige51 ?
LE GOUTEUX
Tu monstres que tu n’es pas saige.
Ton livre et toy n’est que follie.
105 Il est plus que fol, qui follye52
Avec toy. Pour bien conquérir53,
Fuis-toy d’icy et va quérir
Ung médecin ! Entens-tu bien ?
LE VARLET
(Qu’esse qu’il dict ? Qui en sçait rien ?
110 Par Dé54 ! à ce que je puis cognoistre,
Je croy bien que ce soit le prestre
Qu’il demande. À vostre advis ?)
Ha ! j’entens tout vostre devis :
Demandez-vous pas le curé ?
LE GOUTEUX
115 Hée, Dieu, que je suis escuré55 !
Nenny non : c’est l’apoticaire.
LE VARLET
Or bien : le curé ou vicaire,
Ce vous est ung, ou56 chappelain.
Vous estes en maulvais pelin57 :
120 Pensez de vostre conscience58.
LE GOUTEUX
Tu me fais perdre patience
Par tes responces et lardons59.
LE VARLET
Ouÿ dea, il y eust60 pardons,
Se estiez confèz à61 celuy
125 Lequel a chanté aujourd’huy,
À Rouen62, sa première messe.
Je le voys quérir, et promesse
Vous fais qu’il viendra, si le treuve.
LE GOUTEUX
Voys-en cy une toute neufve63 !
130 Va-t’en, que bon gré en ayt bieu64 !
LE VARLET
(Trouver me fault en quelque lieu
Ung chappellain soubdainement.)
Si faictes quelque testament,
N’oubliez pas ce qu’il m’est deû65.
LE GOUTEUX
135 Si maistre Jehan Babault66 m’eust veu,
Il me pourroit tout sain guarir ;
Et de ma jambe oster le feu.
Je te supplie, va le quérir !67
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Hé ! Dieu me vueille secourir. SCÈNE IV
140 Je croy qu’il m’a bien entendu.
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LE VARLET SCÈNE V
Parmy le col68 je soys pendu
Se je sçay par69 où ce peult estre
Que je rencontreray ung prebstre,
Lequel mon maistre ainsi demande.
145 Faire convient ce qu’il commande.
J’en70 voys chercher tout à ceste heure.
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LE CHAUSSETIER 71 SCÈNE VI
Se ce drap icy me demeure,
J’en feray des chausses pour moy.
Plus ne vient marchant72, à ceste heure.
150 Si73 ce drap icy me demeure,
Je prie Dieu qu’il me sequeure74 !
Je l’acheptay à la Guibray75.
Si ce drap icy me demeure,
J’en feray des chausses pour moy.
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LE VARLET SCÈNE VII
155 Hau, le chaussetier ! Dictes-moy
Si m’enseignerez le vicaire
Où demeure le presbitaire76…
(Que dis-je ?) Où c’est que peult estre
Ung bon chapellain pour mon maistre,
160 Qu’il luy pleust77 donner réconfort ?
LE CHAUSSETIER
Voylà bon drap : ung morquin78 fort,
De la tainture de Paris.
LE VARLET
(Il dit vray, il n’y a pas ris79 :
Sa robe [en] est de la couleur80.)
LE CHAUSSETIER
165 J’en ay encores de meilleur
Qui n’est point gros, ne trop pressé81.
LE VARLET
Il demande estre confessé
Et ne peult venir à l’église.
LE CHAUSSETIER
Regardez quelle marchandise :
170 C’est ung fin drap comme satin.
LE VARLET
Dea ! s’il n’eust chanté si matin82,
Je luy eusse faict avoir messe83.
LE CHAUSSETIER
Vous estes homme de promesse84,
Mais je seray payé content85.
LE VARLET
175 Sa douleur le va surmontant ;
Empiré luy est aujourd’huy.
Il fault que quelc’ung vienne à luy,
Puisqu’il veult estre confessé.
LE CHAUSSETIER
Dictes-vous qu’il est trop pressé ?
180 Voyez qu’il a la lèse grande86.
LE VARLET
C’est ung prestre que je demande.
LE CHAUSSETIER
Je le vous dis, je le vous mande :
Quarante solz, tout à ung mot87.
LE VARLET
Par Dé ! de ce, suis bien marmot88 :
185 Il n’entend pas ce que je dy.
LE CHAUSSETIER
Quant vous les aurez ? Samedy.
Mais vous pay(e)rez ou pinte ou pot89.
LE VARLET
Qui c’est ? Mon maistre Philipot,
[Qui ne vivra deux jours entiers.]90
LE CHAUSSETIER
190 Il vous en fauldroit trois quartiers91 ;
Aultrement, vous tiendroyent trop gourd92.
LE VARLET
(Mon serment ! je croy qu’il est sourd
Comme moy.) Adieu, teste dure !
LE CHAUSSETIER
Prendre fault, premier93, la mesure :
195 Qu’à besongner nous esbaton94 !
LE VARLET
Comment ! tendez-vous ung baston
Sur moy pour demander95 ung prebstre ?
Je m’en vois le dire à mon maistre !
Cela debvez faire à ung paige96.
LE CHAUSSETIER
200 Ce n’est donc pas pour vostre usaige ?
Allons donc sa mesure prendre.97
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LE GOUTEUX SCÈNE VIII
Hélas ! j’ay beau icy attendre
Pinsonnet98 ou l’apoticaire.
Mon varlet ne me peult entendre.
205 Hélas ! j’ay beau icy attendre.
Que la foyre99 le puisse prendre
Tout royde de mort s’il met100 plus guère !
Hélas ! j’ay beau icy attendre
Pinsonnet ou l’apoticaire.
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LE VARLET 101 SCÈNE IX
210 En luy demandant ung vicaire
Qui vînt mon maistre confesser,
Voyez comme(nt) il me veult fesser !
Je m’en plaindray à la Justice.
LE CHAUSSETIER
Si la chausse n’est bien faict[ic]e102,
215 J’en attend[e]ray103 le repro[u]che.
Marche[z] devant !
LE VARLET
Dea, ne me touche !
(Voicy ung sourd hors de raison.)
LE CHAUSSETIER
Bevrons-nous point, à la maison ?
Ouÿ, puisque c’est pour le maistre.
LE VARLET
220 Cité serez à comparoistre,
À ma requeste, en jugement !
Demain auray (par mon serment)
Trefves104 de vous et asseurance !
LE CHAUSSETIER
Monstrez-moy tost la demeurance105,
225 Car j’ay haste de besongner.
LE VARLET
Ha ! je vous feray empoigner,
Car vous me suyvez de trop court106.
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Mon maistre, hau ! Voicy ung sourt SCÈNE X
Qui me veult battre et faire ennuy.
230 Et n’ay onc sceu107 sçavoir de luy
Où est l’homme que demandez.
LE GOUTEUX
Au diable soyez commandéz108,
Tant vous me faictes de laydure109 !
LE CHAUSSETIER
Prendre fauldroit vostre mesure ;
235 Çà, la jambe ! Bon soir, mon Maistre !
LE GOUTEUX
Tu me faictz bien besler et paistre110 !
[Ha !] que mauldit soit le coquin !
LE CHAUSSETIER 111
Voicy la pièce de morquin
De quoy bien je le[s] vous feray.
240 Mais, Monsïeur, je vous diray :
Vostre varlet ne m’entent pas.
LE GOUTEUX
(Bien voy que suis à mon trespas.)
Ce n’est pas ce que je demande !
LE CHAUSSETIER
Une chausse doibt estre grande,
245 Pour y entrer plus à son ayse112.
Çà, la jambe ! Ne vous desplayse :
Elles seront prestes matin113.
LE GOUTEUX
À l’ayde !! Larron !! Chien mastin !!
Tu m’as bien achevé de paindre114.
LE CHAUSSETIER
250 Le drap, Monsieur115 ? Je l’ay faict taindre
[En beau pourprin]116, sans faulte nulle.
LE GOUTEUX
Hélas ! j’avoy icy la mulle117,
Que ce larron m’a faict seigner.
LE VARLET
Il ne m’a voulu enseigner
255 La maison, aussi le vicaire
Où demeure le presbitaire118
Que vous [me] demandez ainsi.
LE CHAUSSETIER
Dea ! je fourniray bien aussi
De doubleure, cela s’entend.
LE VARLET
260 Ma foy, mon Maistre : il prétend
Tirer de vous je ne sçay quoy.
Voyre, et ce congnoist autant
En médecine comme moy.
LE GOUTEUX
Que j’ay soulcy et grant esmoy
265 Par ces deux sourdaulx119 inscïens !
Allez-vous-en hors de cëans,
Que jamais je ne vous revoye !
LE CHAUSSETIER
Je borderay ung peu la braye
Et la découperay [dès jà]120.
LE VARLET
270 Par ma foy ! vous n’en bevrez jà,
Puisque vous m’avez voulu battre.
LE GOUTEUX
La malle mort vous puisse abatre
Sans que puissez avoir secours !
Il n’est point de plus maulvais sours
275 Que ceulx qui ne veullent ouÿr121.
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Messeigneurs : pour vous resjouyr,
Oyons tous [que] la comédye
Supplyé122 a la maladie.
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FINIS
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1 Voir notamment Bernard FAIVRE : Répertoire des farces françaises, 1993, note de la p. 242. 2 Voir son Jeu du Prince des Sotz et Mère Sotte. 3 Nous avons perdu le Testament maistre Mymin, que mentionne le Vendeur de livres : c’était peut-être une œuvre dramatique, comme le Testament Pathelin. 4 Voir Abel LEFRANC : Œuvres de François Rabelais, t. 1, 1913, pp. XXXII-XXXV. La Mère de ville, une autre farce normande, contemporaine de la nôtre, évoque les aventures de Gargantua aux enfers, qui appartenaient sans doute au même livre perdu. Voir André TISSIER : Recueil de farces, t. 5, 1989, p. 68. 5 C’est le nom que lui attribue le vers 188. Le nom du valet se lit au vers 203. À des fins publicitaires, l’éditeur introduit dans ces deux lignes les noms des comédiens, qui ne figurent nulle part dans le texte : Maistre Mimin le gouteux. / Son varlet Richard lepele sourd. 6 « Celui-ci est assis dans une sorte de fauteuil, une couverture lui couvrant les jambes (voir v. 40). » <A. Tissier, p. 79.> Son valet sourd lui résume un exemplaire broché des Chroniques gargantuines. 7 BM : Que (Qui ôtes à mon cœur le goût de vivre.) 8 Sans tarder. 9 Mûre. Les Chroniques gargantuines font une large place au vin. 10 240 pains de froment. 11 Et aussi, en deux petites gorgées, il a mis du vin nouveau dans son intestin. Du côté de Caen, les chansons à boire cuisinent le mot tripe [intestin] à toutes les sauces : « Ceux qui breuvage d’eau/ Ne mettent dans leur trippe. » (Vaux de Vire.) « De sidre et de bon vin ils se lavaient la trippe. » (Muse normande.) 12 Deux tonneaux et une barrique. 13 Qu’il soit l’heure de dîner. Cette tirade rappelle les vers 139-145 des Vigilles Triboullet. 14 Les infirmités sont vues comme une malédiction divine. 15 Ce que. 16 Une bassinoire de cuivre dans laquelle on dépose des braises et dont on se sert pour « bassiner » le lit ou, en l’occurrence, pour se chauffer les pieds. Idem vers 72. La chaleur était le seul traitement contre la goutte : « Il n’a garde de sentir goute :/ Il est fourré bien chauldement. » (Le Mince de quaire.) Voir le vers 40. 17 60 deniers. Les valets de farces profitent du handicap de leur maître pour l’escroquer : voir par exemple l’Aveugle et Saudret. 18 Sourdingue. Idem vers 37 et 265. Cf. le Sourd, son Varlet et l’Yverongne, vers 87. Le bolus est l’ancêtre de la gélule : « Un homme de quarante ans contracta une chaude-pisse par un atouchement impur. Je lui ordonay au commencement un bolus d’une once de casse avec une dragme de rhubarbe pulvérisée, & autant de cristal de tartre. » François de Boze. 19 Un sirop bien fin. 20 Un bouillon curatif. « En après, donnoit un potaige d’alica [de semoule]. Ces trois remèdes souffisent (…) pour la cure des maladies aguës. » Jehan Canappe. 21 En cet instant. « Véchi grant larrechin/ Que par che chevalier m’avient, en ce termin. » Bauduin de Sebourc. 22 Il s’en va (chez le relieur). 23 Certaines paralysies passaient pour une forme de goutte. L’Aveugle et le Boiteux nous montre un paralytique « qui bouger ne peult pour [à cause de] la goucte ». 24 Ne fut étique [maigre] autant que je le suis. 25 Ni nuit, ni jour. Le goutteux imite la manière dont son valet déforme ses propos. 26 Il ne me mijota jamais que du mal. 27 Il n’a aucune suite dans les idées. 28 De Briouze, en Normandie. 29 Malencontré : mal loti. 30 Il revient de chez le relieur. 31 Cause toujours ! « Me parlez-vous de marier ?/ Ouy dea ! » Le Povre Jouhan. 32 BM : lune (Je mets entre parenthèses tous les apartés qui s’adressent au public.) 33 Au diable. Cf. Beaucop-veoir, vers 222. 34 Les barbiers pratiquent certains actes médicaux simples. 35 7 sous et 1 centime. Le valet gonfle la facture ; à titre de comparaison, dans l’Homme à mes pois, 13 kg de pois coûtent 7 sous et 1 denier. 36 Le treizain est difficilement divisible par 2. L’embrouillamini monétaire auquel se livre le valet n’a d’autre but que de dissimuler ses prévarications. « Dix-sept solz et un onzain, et vingt-et-cinq solz moings un trézain, combien vallent-ils ? » Bonaventure Des Périers. 37 BM : et trois (2 sous du monnayage de Tours. « Un cent de souz tournoix. » Le Poulier à sis personnages.) Le onzain vaut 10 deniers : notre mal-entendant improvise des chiffres qui dépassent… l’entendement. 38 Il a fallu que je l’achète à ce prix-là. 39 Je vais calculer avec des jetons. « Compter et gecter soubz maistre Jehan Blondel, singulier arisméticien. » (ATILF.) Mais on se demande si le valet ne fait pas rouler trois dés par terre : « Ung homme a getté troys déz. » (ATILF.) 40 Soustraire. « Vous comptez sans rabatre. » Farce de Pathelin. 41 BM : lamoytie (Si je n’avais pas été un ami du relieur, je ne l’aurais jamais eu à un si bon prix.) 42 BM : ilz sont prins (Voilà qui est fait au bon moment ! « Sur ma foy, c’est bien à propos ! » Jénin filz de rien.) 43 Le valet, qui a tendance à inverser les propositions (v. la note 76), a voulu dire : Il y a de la science dans ce livre. Le prologue de Gargantua parlera de « substantificque mouelle ». 44 BM : degouster (D’écouter ma lecture. François Ier se faisait lire Rabelais à haute voix.) 45 Les arguments sont les sophismes qu’égrènent les professeurs de logique : cf. les Femmes qui aprennent à parler latin, vers 354-7. Ce passage égratigne l’enseignement sclérosé que dispensait la faculté de théologie de la Sorbonne. Voir Emmanuel PHILIPOT : Revue des Études Rabelaisiennes, t. 9, 1911, pp. 378-9. 46 BM : bonum (Son argument était solide comme un bon chêne. Quercus est féminin.) Pietro Bembo créa ce calembour étymologique dans son éloge du pape Jules II, qui s’appelait della Rovere [du chêne] : « Bona quercus honores. » Cette lourde flatterie était connue en France : Du Bellay en enduira l’évêque Jérôme de la Rovère en 1559. Emmanuel Philipot <pp. 382-3> ignorait ces éléments, mais il a pu établir que le « Chêne » dont se moque notre farce est Guillaume Du Chesne, un très rétrograde docteur en Sorbonne que la Farce des Théologastres surnomme « la maxima Quercus » [la grandissime Du Chesne]. 47 Un blaireau. « Ces manteaulx de loup et de bédouault. » (Rabelais, Quart Livre, 24.) Un blaireau doté de 15 anus et un donneur de clystères figuraient donc dans cet épisode des Chroniques gargantuines ; on regrette vivement qu’il soit perdu ! Philipot <pp. 382-4> identifie ce bédouault à Noël Béda, syndic de la Sorbonne. Il nous dit que le calviniste Théodore de Bèze, « parlant des deux docteurs Quercus et Béda, les appelle ‟deux grosses bestes qui estoient lors les chefs de cette faculté”. » Bref, la Sorbonne est ici représentée par une tête de bois et un blaireau ! 48 BM : pour (Les apothicaires fabriquent et administrent les clystères.) Les corrections des vers 98-101 reviennent à E. Philipot, p. 379, note 2. 49 BM : conuient (Il est demandé comment. Cette question imite le charabia franco-latin de la scolastique sorbonicole, qui n’est guère plus ridicule que le charabia inclusif de la Sorbonne actuelle. « Quæritur comment il y peut remédier. » Charles Loyseau.) 50 BM : quelque (Pertuis = anus. « Au derrière estoit encores un aultre pertuys. » Pantagruel, 15.) 51 Sur ce point. « Qu’en dictes-vous, sur ce passage ? » (La Confession Margot.) Nous avons là l’archétype des rimes équivoquées : « Tu voids bien que tu n’es pas saige/ D’estre tout nu en ce passaige. » Moralité du Lymon et de la Terre, T 19. 52 Celui qui fait le fou. « Fol qui follie, il n’est follet. » Le Prince et les deux Sotz. 53 Pour acquérir des biens : pour que je t’accorde une prime. 54 Par Dieu. Même euphémisme au vers 184. Cet aparté s’adresse au public. 55 Lessivé, fatigué. 56 BM : quel (Pour vous, c’est tout un, ou bien un chapelain. Il est question de ce chapelain aux vers 132 et 159.) 57 Le pelain est un bain de chaux vive destiné à faire tomber les poils qui restent sur le cuir. Au figuré : Vous êtes dans une situation délicate. « Brichemers est en mal pelain. » Godefroy. 58 C’est ce qu’on dit aux mourants : « Si près estes de vostre fin,/ Pensez de vostre conscience. » Le Testament Pathelin. 59 Et tes sarcasmes. Cf. la Pippée, vers 46, 481 et 770. 60 BM : a (Vous gagneriez des pardons, des indulgences.) 61 Si vous étiez confessé par. 62 BM : romme (En contradiction avec les 2 vers qui suivent. Notre éditeur lyonnais remplace trop souvent les toponymes normands par d’autres plus neutres.) Un jeune curé qui célèbre sa première messe accorde une indulgence plénière aux fidèles, afin de les attirer. « [Il] chante au jourd’huy sa première messe, à l’assistence de laquelle y a une infinité de grands pardons. » Antoine de Saint-Denis. 63 En voilà une bien bonne ! 64 Euphémisme pour « Dieu ». 65 Ce qui m’est dû. Il est d’usage qu’un mourant fasse un petit legs aux serviteurs, afin d’obtenir leurs prières et non leur malédiction. 66 C’est apparemment le nom du médecin. Non loin de là, en Picardie, un babau désigne un nigaud. 67 Le valet se précipite dans la rue. 68 Que par le cou. C’est le vers 366 de Pathelin, auquel notre auteur emprunte beaucoup. 69 BM : pas (Le valet ignore le chemin qui mène au presbytère. Nous sommes donc à une heure tardive où l’église est fermée : voir le vers 149.) 70 BM : Je y (Je vais en chercher un. « J’en voys chercher. » L’Arbalestre.) 71 Le fabricant de chausses guette les clients à la devanture de son atelier. Il est aussi sourd que le valet. Contrairement aux couturiers, et surtout aux savetiers, les chaussetiers n’ont pas fait carrière au théâtre ; on ne peut citer que celui des Deux jeunes femmes qui coifèrent leurs maris. 72 De marchandeurs, de clients. Cf. Cautelleux, Barat et le Villain, vers 252. 73 BM : Car (Refrains corrects aux vers 147 et 153.) 74 Qu’il me secoure : que Dieu me pardonne ! 75 Importante foire près de Rouen ; les artisans y achètent leurs fournitures au prix de gros. Guibray rime avec may, à la manière normande. 76 Le valet inverse encore les propositions (note 43) ; il veut dire : Indiquez-moi le presbytère où demeure le vicaire. Il commet le même cafouillage aux vers 255-6. 77 Qui veuille bien lui. 78 Le molequin, ou morquin, est un tissu précieux. Idem vers 238. 79 Il n’y a pas de blague. Les chaussetiers, comme les couturiers, prélèvent discrètement une « bannière », c.-à-d. un lambeau de l’étoffe payée par le client ; puis ils s’en servent pour se confectionner leurs propres habits. Pour une fois, le valet n’a pas été dur d’oreille. 80 Est de la même couleur, preuve qu’il l’a taillée dans le même tissu. 81 On met les draps sous presse afin de les rendre plus unis, mais pas trop longtemps pour ne pas les durcir. Idem vers 179. 82 Si le prêtre ne s’était pas levé aux aurores pour chanter les matines. C’est une moquerie des huguenots contre les moines : « De quoy servent tant de libelles,/ Tant en françoys comme en latin,/ Disant qu’on chante trop matin ? » La Bouteille. 83 Je lui aurais acheté une messe pour mon maître. Sur les ventes de messes — qui étaient aussi dans le collimateur des protestants —, voir la Seconde Moralité de Genève, vers 191-207. 84 De parole : auquel on peut se fier. 85 Comptant. « Tu seras/ Payé content. » L’Aveugle et Saudret. 86 Mon tissu a un grand lé, une grande largeur. 87 C’est mon dernier mot. « –Voulez-vous à ung mot ? –Ouy./ –Chascune aulne vous coustera/ Vingt-et-quattre solz. » Pathelin. 88 Bête (un marmot est un singe). « Je tiens qu’il faut estre marmot/ De vous aymer sans dire mot. » Adam Billaut. 89 Un professionnel travaille en priorité pour un client s’il lui offre à boire ou un pourboire. « Que je paye pinte ou chopine,/ Et que j’en aye pour mon argent ! » Tout-ménage. 90 « Deux jours entiers en vie ne sera. » (Octovien de Saint-Gelais.) Pour remplacer ce vers perdu, BM duplique le vers 193. 91 Trois quarts d’une aune. « Me fault .III. quartiers de brunette [drap]/ Ou une aulne. » Pathelin. 92 Des chausses trop serrées vous gêneraient. 93 Premièrement. 94 BM : esbatons. (Mettons-nous au travail.) Le chaussetier empoigne son aune, qui est une longue règle graduée. 95 Parce que je demande. 96 Les pages turbulents peuvent recevoir des coups de règle sur les fesses, comme les cancres : « Ilz font fouetter monsieur du paige. » (Pantagruel, 17.) Le valet s’éloigne. 97 Armé de son aune, le chaussetier emboîte le pas au valet, qui tente de le semer. 98 Ce n’est pas le médecin, qui s’appelle Jehan Babault ; c’est donc le valet. « Petit pinson » convient bien à une tête de linotte. 99 Que la dysenterie. 100 BM : est (S’il met encore plus de temps à revenir. « Mais où sont-y ? Il mectent trop ! » La Mère de ville.) 101 Il court de plus en plus vite pour échapper au chaussetier, qui lui colle au train en brandissant son aune. 102 Faite sur mesure. « J’ai chauces de Bruges faitices. » D’un mercier. 103 Pour le rythme, j’introduis un « e » svarabhaktique normanno-picard. « De ces choses n’ay jusques icy fet nulle poursuite, mès en atenderay leur plèsir. » Philippe de Commynes. 104 BM : Trefuez (Une injonction de cesser vos menaces. « [Si, en plaids] ou en assises, aucun demande à avoir trêves d’aucun, le juge doit contendre que donnés feussent. » ATILF.) 105 La demeure de votre maître. 106 De trop près. Le valet s’engouffre dans la maison et se jette aux pieds du goutteux, ou plutôt sur ses pieds ; le chaussetier fait de même. 107 Et je n’ai jamais pu. 108 Recommandés. Cf. Digeste Vieille, vers 474. 109 De douleur. « Vous souffez grant laidure,/ Grant peinne et doleur importune. » ATILF. 110 Faire bêler et paître quelqu’un : le traiter comme un mouton promis à l’abattoir. 111 Il laisse tomber son rouleau de drap sur les cuisses du goutteux. 112 Et surtout, pour que le chaussetier puisse détourner le plus d’étoffe possible à son profit. 113 Demain matin. Le chaussetier manipule sans douceur la jambe malade du goutteux. 114 Tu m’as donné le coup de grâce. « On me puist estraindre/ S’il n’est bien achevay de paindre ! » Le Dorellot. 115 BM : mõseigneur 116 BM : Pour perrin (En pourpre. « Une thunique de taffetas pourprin. » Jehan Lemaire de Belges.) 117 Un abcès au pied : le fait qu’on le crève explique la guérison miraculeuse du prétendu goutteux à la fin de la pièce. Le cas le plus connu d’une telle guérison est celui de la Papesse Jeanne, dont les protestants faisaient alors des gorges chaudes. 118 Même vers que 157, avec la même inversion des mots vicaire et presbytère. 119 BM : lourdaulx (Voir les vers 25 et 37.) Inscients = dépourvus de science, ignorants. Ce mot rime avec « cians », à la manière normande. 120 BM : qui vouldra. (Vers trop long et rime pauvre.) Dès à présent. Le valet comprend : Et là, des coupes (de vin) aurai déjà. 121 Jehan de Meung écrivait : « N’est si mal [mauvais] sourd comme cil qui ne veut ouïr goutte. » N’ouïr goutte résume bien cette farce. Le goutteux se lève, et chasse les deux sourds à coups de pied au derrière. 122 Supplyez (A suppléé la maladie, y a remédié. « Il vous fault un amy gaillard/ Pour supplier à l’escripture. » Frère Guillebert.) Le goutteux est guéri grâce au théâtre.
LE MARCHANT DE POMMES ET D’EULX
.
*
LE MARCHANT DE
POMMES ET D’EULX
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Ce Marchand de pommes et d’œufs mêle cinq thèmes comiques qui ont fait leurs preuves séparément : 1> Un paysan madré mais peu doué qui va vendre à la ville. (Voir Cautelleux, Barat et le Villain.) 2> Un sourd qui répond toujours à côté. (Voir le Sourd, son Varlet et l’Yverongne.) 3> Une bagarre de femmes sur un marché. (Voir l’Antéchrist.) 4> Des fonctionnaires de justice corrompus. (Voir Lucas Sergent.) 5> Des bavardes impénitentes. (Voir Saincte Caquette.)
Source : Manuscrit La Vallière, nº 71. L’état relativement bon de cette pièce rouennaise démontre qu’elle n’était pas écrite depuis longtemps lorsqu’elle fut copiée dans ce manuscrit, vers 1575. Beaucoup de rubriques sont abrégées : je les complète tacitement.
Structure : Rimes abab/bcbc, rimes plates, avec 4 triolets.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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Farce nouvelle
À .V. personnages, c’est asçavoir :
LE MARCHANT DE POMMES ET D’EULX
L’APOINCTEUR
LE SERGENT
et DEULX FEMMES
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LE MARCHANT commence en chantant SCÈNE I
Hélas ! Jehan ! Je ne me puys lever au matin.1
Y m’est prins à mon avertin2
D’aller au marché. Dont3, irai-ge ?
Je ne sçay. Mais, par sainct Martin,
5 Y m’est prins à mon avertin.
S’y survyent Bardin ou Bertin4,
Combien marchandise vendrai-ge ?
Y m’est prins à mon avertin
D’aller au marché. Dont, irai-ge ?
10 Mais à qui m’en consilerai-ge5 ?
G’y voys6 : c’est le myeulx, ce me semble.
Et dont, se g’y voys, porterai-ge
Mes eux7 et mes pommes ensemble ?
Ouy, y fault que je les assemble8.
15 Et bien, les voylà amassés.
Mais de grand peur le cul me tremble9
De mes eux, qu’i ne soyent cassés.
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L’APOINCTEUR 10 commence SCÈNE II
Sommes-nous tennés11 et lassés
D’amasser et de profiter ?
LE SERGENT entre
20 L’on ne nous séroyt effriter12,
Sy nous voyons quelque débat,
Que nous n’en eussions pour l’esbat,
Au moins, un bien petit13 d’argent.
L’APOINCTEUR
Voyre pour vous, gentil sergent.
25 De cela ne vous suys flateur14.
LE SERGENT
Mais pour vous, monsieur l’apoincteur !
Vous estes tousjours prest de prendre.
L’APOINCTEUR
Ma foy, on ne nous doibt reprendre15
De prendre : c’est nostre entreprise16.
LE SERGENT
30 Je comprens qu’on doibt nul17 su[r]prendre
De prendre, qu’on ne nous desprise.
.
LE MARCHANT SCÈNE III
Que tant marchandise je prise18 !
Aussy, tout mon bien g’y consommes.
C’est pourquoy marchandise ay prise
35 Pour la vendre. Adieu, pommes, pommes ! 19
.
L’APOINCTEUR SCÈNE IV
Maintenant au marché nous sommes.
Y n’est pas qu’i n’y vienne plaict20.
LE SERGENT
Tournÿons21 un peu, s’y vous plaict,
Atendans le cours du marché22.
.
LA PREMIÈRE FEMME entre 23 SCÈNE V
40 Hay avant ! c’est assez presché,
Voysine. Voulez-vous venir ?
LA IIe FEMME entre
Mon pié est deisjà desmarché24.
Hay avant !
LA PREMIÈRE FEMME
C’est assez presché.
LA IIe FEMME
Mais que marché ayons cherché25,
45 Achèterons-nous ?
LA PREMIÈRE FEMME
Tant tenir26 !
Hay avant !
LA IIe FEMME
C’est assez presché,
Voysine.
LA PREMIÈRE FEMME
Voulez-vous venir ?
LA IIe FEMME
Dea ! quoy qu’il en doybve advenir,
Au marché veulx bien achater.
50 Et premyer qu’achaster, taster27,
De peur que je ne soys trompée.
LA PREMIÈRE FEMME
Sy d’engin28 je suys atrapée,
Ce sera le commencement29.
LA IIe FEMME
Jamais d’engin ne fus frapée,
55 Que de mon mary seulement.
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LE MARCHANT SCÈNE VI
Or voécy quelque assemblement.
Je voys30 desployer par exprès
Mes pommes et mes eulx, vrayment.
Qui en veult ? « À mes beaulx eulx31 frais !! »
LA PREMIÈRE FEMME
60 Mon amy, qu’esse que tu brais ?
Que veulx-tu vendre ? Tout cecy ?
LA IIe FEMME
Tout cecy ne vault pas…
LE MARCHANT
Mes brays32 !
Ne les patrouillez poinct ainsy33 !
L’une34 de vos deulx a vessy :
65 C’est de malice, je m’en gage.
LA PREMIÈRE FEMME
La bonne dérée35 est icy ;
Tout des[so]us, ce n’est que bagage36.
LE MARCHANT
Ilz sont ponnus37 dens une cage,
Vous ne cuydez pas sy bien dire.
LA IIe FEMME 38
70 Voicy une poyre bocage.
LE MARCHANT
Je ne vous veulx poinct escondire39.
Tendez40 !
LA PREMIÈRE FEMME
Combien, sans contredire ?
Mais que vos pommes sont menus !
LE MARCHANT
Mais vous, me venez-vous mauldire ?
75 Ilz sont vrayment nouveaulx ponnus,
Voyez.
LA IIe FEMME
Nous sommes bien venus,
Et ne sarions myeulx adresser41.
LE MARCHANT
S’y ne sont [dignes de Vénus]42,
Je veulx estre prest d’escorcher !
[LA IIe FEMME]43
80 Quans eux pour un blanc44 ?
LE MARCHANT
Tant prescher !
Je les plévys de reuvÿel45.
LA IIe FEMME
Sont y frais ?
LE MARCHANT
Alez en chercher !
Y46 sont plus doulces que mÿel.
LA PREMIÈRE FEMME
Il est sourd.
LE MARCHANT
Queuillyes de nou[v]el47,
85 Vous di-ge. Est-il pas bon à voir ?
LA IIe FEMME
Combien le cent48 ?
LE MARCHANT
C’est fruyct nouvel,
De bon goust49, qui en veult avoir.
Meilleures on n’en peult trouver.
Mais de vous je suys trop fâché
90 Sy je ne vens comme au marché.
Pourquoy marchandez-vous à moy
Sy n’avez argent50 ?
LA PREMIÈRE FEMME
Tant d’esmoy !
LE MARCHANT
Troys blans.
LA [PREMIÈRE FEMME]51
Myeulx proposer ne vis.
LE MARCHANT
Quoy ? Dictes-vous qu’i sont couvys52 ?
95 Vous mentez, c’est chose certaine !
Tendez, vous en aurez l’étraine53.
Venez-moy voir une aultre foys.
[Tendez] ! En preult54, et deulx,55 et troys.
Y portent leur chucre avec56 eulx.
100 Vos tabliers sont bien estroys.
Tendez57 ! En preult, et deulx, et troys.
LA PREMIÈRE FEMME
Des pommes vous avez le choys58.
LA IIe FEMME
Et le choys vous avez des eulx.
LE MARCHANT
[Tendez ! En]59 preu, [et] deulx, [et] troys.
105 Y portent leur chucre avec eux.
………………………….. 60
.
L’APOINCTEUR SCÈNE VII
Maintenant ne sommes pas seulx61 :
Voycy le marché qui s’assemble.
.
LE MARCHANT SCÈNE VIII
Servies62 ne sériez estre ensemble ;
Targez63 un peu.
LA PREMIÈRE FEMME
Servye seray !
LA IIe FEMME
110 Aussy serai-ge, ce me semble !
LA PREMIÈRE FEMME, remétant les eux 64 :
Et moy, quoy ?
LE MARCHANT
Je m’en passeray.
LA IIe FEMME
Aussy bien que vous [je feray]65 !
LA PREMIÈRE FEMME
Sy de ma main je vous atains…
LE MARCHANT
Là, là !
LA IIe FEMME
Je vous avanceray…
LA PREMIÈRE FEMME
115 Et quoy ?
LA IIe FEMME
Ma main dessus vos crains66 !
LA PREMIÈRE FEMME
Qui, vous ?
LA IIe FEMME
Guères je ne vous crains.
LA PREMIÈRE FEMME
Vos fièbvres cartaines, alez !
LA IIe FEMME
Mais à vous-mesmes, bien estrains67 !
LA PREMIÈRE FEMME
Regardez à qui vous parlez !
LE MARCHANT
120 Hardiment crévechers volez68.
LA IIe FEMME
M’a[s-]tu pas toute deffulée69 ?
LE MARCHANT
Et ! ho ! ho ! Vous vous entre-afolez70.
.
LE SERGENT 71 SCÈNE IX
Corps bieu ! il y aura meslée72 :
Alons-y comme à la volée,
125 Car il y gist apoinctement73.
.
LE MARCHANT SCÈNE X
Ma derrée est bien estallée74 !
LA PREMIÈRE FEMME
En as-tu75 ?
.
L’APOINCTEUR SCÈNE XI
Alons vitement !
Qu’esse-cy ? Hau ! tout bellement76 !
Je vous envoyray là-dedens77.
LA IIe FEMME
130 Un coup n’auras pas seulement78 !
LA PREMIÈRE FEMME
Tu mentiras parmy les dens79 !
L’APOINCTEUR
Ostez-moy tous ces accidens80 !
Pourquoy est ainsy meu[e]81 leur noyse ?
LE MARCHANT
Y82 sentent comme la framboyse ;
135 Mylleures qu’e[ux] ne vistes onques.
LA IIe FEMME
Monsieur !
LA PREMIÈRE FEMME
Monsieur !
L’APOINCTEUR
Taisez-vous donques83 !
Sergent, mectez-les en prison !
LE MARCHANT
Monsieur, je n’en says rien quelconques.
Je croys qu’on l’apelle Alyson.
LE SERGENT
140 Ce n’est poinct ce qu’on devison84 :
D’où vient leur débat ?
LE MARCHANT
Par mydieulx !
Que je soys payé ! C’est raison :
Ilz85 ont mes pommes et mes eux.
LA IIe FEMME
Monsieur !
LA PREMIÈRE FEMME
Et !
L’APOINCTEUR
Taisez-vous tous deulx86 !
LE SERGENT
145 Mais pour quoy sont [meus leurs]87 débas ?
LE MARCHANT
Et de tirer à beaulx cheveulx88 !
Jamais je ne vis telz esbas.
LA IIe FEMME
El m’a faict…
LE MARCHANT
Y font les combas.
LA PREMIÈRE FEMME
Monsieur, el m’a…
LE MARCHANT
Monsieur, mes pommes,
150 Qui m’en payera ?
L’APOINCTEUR
Paix ! Parlez bas !
LE MARCHANT
Grand mercys !
L’APOINCTEUR
Où esse que nous sommes !
Faictes-vous tel honneur aulx hommes
Qui sont de Justice ?
LE SERGENT
Paix là !
LE MARCHANT
J’en avoys envyron deulx sommes89
155 Que j’ey vendus.
LA IIe FEMME
Monsieur !
LA PREMIÈRE FEMME
Elle a…
L’APOINCTEUR
Enda90 !
LE MARCHANT 91
La pire, la vélà ;
Regardez-là entre deulx yeulx.
LA IIe FEMME
C’est elle !
LA PREMIÈRE FEMME
Mais elle !
L’APOINCTEUR
Hollà !
LE MARCHANT
Da ! ceste-là tence le myeulx.
LE SERGENT
160 Tous troys ne serez pas joyeulx,
S’y fault qu’en la prison vous mène92.
LA IIe FEMME
Monsieur !
LA PREMIÈRE FEMME
Elle…
L’APOINCTEUR
Y sont hors d’alaine.
Contez vostre cas tout en paix !
LA IIe FEMME
Et, Monsieur !
LA PREMIÈRE FEMME
Monsieur !
L’APOINCTEUR
Paix là !
LE SERGENT
Paix !
LE MARCHANT
165 Elle a commencé la premyère.
LA IIe FEMME
Monsieur, c’est ma…
LA PREMIÈRE FEMME
C’est ma commère !
LA IIe FEMME
C’est ma…
LE MARCHANT
Que payement on m’assine93 !
LE SERGENT
Paix !
LA IIe FEMME
[Monsieur,] c’est…
LA PREMIÈRE FEMME
C’est ma voisine !
LE MARCHANT
Y m’ont — par Dieu, Monsieur — mauldict,
170 Après qu’ilz ont eu…
LA IIe FEMME
El m’a dict…
LA PREMIÈRE FEMME
C’est elle qui a commencé.
LA IIe FEMME
El m’a dict…
L’APOINCTEUR
Esse assez tencé ?
LA IIe FEMME
Je dy : Le deable vous emporte !
LA PREMIÈRE FEMME
El(le) m’a frapé.
LE MARCHANT
C’est la plus forte.
LA IIe FEMME
175 J’en apelle94 !
LE MARCHANT
Atout le mains95,
Que j’ayes…
L’APOINCTEUR
Bren ! Métez-y les mains96,
Sergent, sans faire long caquet.
LE MARCHANT
Par ma foy, Monsieur, c’est [peu d’aquêt]97 :
Au moins, aurai-ge pas argent
180 De mes eux ?
LA PREMIÈRE FEMME
Monsieur le sergent !
LA IIe FEMME
Escoustez !
LE MARCHANT
Da ! s’elle soupire…
LA PREMIÈRE FEMME
Je quiers98 justice !
LE MARCHANT
C’est la pire
Qui pissa onc de con à terre99.
L’APOINCTEUR
Sergent, c’on les maine grand erre100
185 En la prison !
LE MARCHANT 101
Par Nostre Dame !
Voyez, en voécy une qui se pasme.
LE SERGENT
Entre vos bras vous la prendrez.
LE MARCHANT
Devant Dieu vous en respondrez,
Monsieur le juge.
L’APOINCTEUR
C’est tout un102 :
190 Tel mal aux femmes est commun ;
Ce ne sont poinct grans acidens.
LE SERGENT
Y ly fault déserrer les dens103.
L’APOINCTEUR
Coupez son lacet, y la grefve104.
[LA PREMIÈRE FEMME]105
Monsieur !
LE MARCHANT
Faictes justice brefve,
195 Et me faictes payer106 !
L’APOINTEUR
Allez !
Rien n’aurez, puysque vous parlez.
LE SERGENT
Monsieur, qu’i soyt mys en amende !
LE MARCHANT
Acomplicez-vous ma demande ?
L’APOINCTEUR
Qu’i soyt en prison embûché107 !
LE MARCHANT
200 A[u] marché, n’y a que marché108.
Entre nous, marchans, délarrons109
Le marché : car, messieurs, larons
Nous serions sans en avoir rien110.
L’APOINCTEUR
Faictes arest111 sur tout son bien
205 Entre vos mains !
LE SERGENT 112
Arest je fais.
LE MARCHANT
Et ! vous casserez mes eux frais.
Atendez, prenez garde à elle113.
L’APOINCTEUR
Prenez un petit de chandelle114 :
Femmes sont assez tost guéris.
LE MARCHANT
210 Y luy tient à son amaris115.
Mais l’une et l’autre guérira.
Et puys chascune maudira
Tout ainsy que pierres amères116,
Comme font aintelles117 commères.
215 Par la benoiste Madalaine !
Ceste aultre-cy n’a plus d’alaine118.
Je m’en voys, je quicte la place.
L’APOINCTEUR
Alons, sergent, que l’on desplace119 !
Nous n’aurons poinct icy d’aquest120.
LE MARCHANT
220 Juges, sans faire long caquest,
Faictes raison à tout le moins !
Plus121 examyner de tesmoings,
Plus d’arês, de cytations,
D’intérês, d’amonicions122,
225 Plus d’ajournemens et défaulx123.
Et puys en fin, juger124 le faulx,
Tous ceulx qui mengent povres gens
En la présence des sergens.
Mais prenez bien garde à ces femmes !
LE SERGENT
230 En la fin, nous serons infâmes125.
Rien ne gaignons126 d’y faire exployt.
L’APOINCTEUR
Pour petit procès, peu de plet.
Aultrement, y romprions nos testes.
LE MARCHANT
Gens de vilages ne sont bestes.
LE SERGENT
235 Dict-il vray ?
L’APOINCTEUR 127
Bénédicité !
LE MARCHANT 128
Regardez que d’aversité129.
LE SERGENT
Qu’i ferons-nous ?
LE MARCHANT
C’est mal vescu130 ;
Chascun en fut131 bien incité !
Regardez !
L’APOINCTEUR
Que d’avercité !
LE SERGENT
240 Que leur mal nous soyt récité132 !
LE MARCHANT
Sy en payerez-vous mainct escu.
Regardez !
LE SERGENT
Que d’aversité !
L’APOINCTEUR
Qu’i ferons-nous ?
LE MARCHANT
C’est mal vescu :
Y n’ont alaine que du cu133.
245 Je m’en voys, y fault détaler134.
LE SERGENT
Je crains qu’il ne nous soyt mécu135.
Vitement y s’en fault aler.
L’APOINCTEUR
Qui garde136 femmes de parler,
Il en sont malades et palles,
250 Et n’en séroyent que pirs valoir137.
On le voyt, ilz sont ainsy males138.
LE MARCHANT
Chantons devant139 que je détalles,
Et ce pendant, y revyendront140.
Pommes, trongnons, eulx et escalles141,
255 Au marché mèshuy142 ne v[i]endront.
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FINIS
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1 Chanson inconnue, à moins qu’elle n’estropie Nous sommes de l’Ordre de saint Babouin, que chante Jénin à Paulme : « L’Ordre ne dit mye de lever matin. » Le paysan est encore dans sa ferme, devant une corbeille de pommes et une corbeille d’œufs. 2 Il m’a pris la fantaisie. C’est le vers 31 du Cousturier et le Badin. 3 Donc. Idem vers 12. 4 Un acheteur quelconque. « Gorget Bardin ?/ Y demeure auprès du marché. » L’Homme à mes pois. 5 À qui demanderai-je conseil ? 6 J’y vais. Idem vers 12, 57, 217, 245. 7 Mes œufs. Cette graphie aberrante court tout au long de la pièce. 8 Le marchand mélange des pommes et des œufs dans un panier, ce qui prouve qu’il n’y connaît rien : les pommes risquent de casser les œufs. 9 Mon cul tremble. Cf. Frère Guillebert, vers 233. 10 Ce fonctionnaire juridique est un médiateur qui a le pouvoir de régler des conflits comme ceux qui fleurissent sur les marchés. Pour mieux rançonner les vendeurs et les clients, il fait équipe avec un sergent aussi corrompu que lui. Les deux racketteurs se dirigent vers le marché. 11 LV : venes (Tanné = fatigué. « Et ! mon Dieu, que je suys tennée. » L’Arbalestre.) 12 On ne saurait nous effrayer. « Ces ordonnances (…) donnèrent quelque terreur, au commencement, aux facilles à effriter. » (Triomphes de l’Abbaye des Conards.) Cf. le Porteur de pénitence, vers 127. 13 Un peu. 14 Je le dis sans vouloir vous flatter. 15 Blâmer. On remarquera les rimes batelées des vers 29 et 31. 16 LV : enteprinse (C’est notre but.) 17 LV : mal (Nous devons surprendre quelqu’un en train de voler, pour qu’on ne nous dénigre pas.) 18 Que j’aime le métier de marchand ! 19 Sans doute un extrait de chanson. Le paysan arrive au marché, encore désert, et pose son panier. 20 Il n’est pas possible qu’il n’y vienne aucun plaid, aucune dispute. 21 Faisons un tour dans le marché. 22 Un barème était fixé quotidiennement pour les marchandises de base. On l’appelait aussi le prix du marché ; la farce de Mahuet qui donne ses œufz au Pris du Marché dépeint, comme la nôtre, l’incompétence d’un paysan venu vendre ses œufs à la ville. 23 Les deux voisines bavardent dans la rue. 24 Est déjà en marche. Nous dirions : J’ai déjà le pied levé. 25 Si nous trouvons une bonne affaire. 26 Tant rester sur place ! 27 Avant d’acheter, je veux tâter la marchandise. 28 Si par la roublardise d’un commerçant. Le double sens phallique du mot « engin » va surgir deux vers plus bas, comme il se doit dans une conversation entre femmes. 29 Ce sera bien la première fois. 30 Je vais. Le marchand tend aux deux femmes ses mains, qui contiennent une pomme et un œuf. 31 Œufs. Ce « cri » convient à tous les marchands : « À mes beaux épinars !…/ À mes belles pommes ! » Les Cris de Paris. 32 Mes braies, ma culotte ! « Quel grant conseillier de mes brayes ! » (Le Capitaine Mal-en-point.) Aujourd’hui, nous dirions carrément : Mon cul ! 33 Ne tripotez pas ainsi mes pommes. « Ne les viens poinct cy patrouiller/ Et va-t-en alieurs marchander ! » L’Aveugle, son Varlet et une Tripière. 34 LV : quelcune (L’une de vous deux a lâché une vesse en se penchant sur le panier qui est posé par terre. Un malheur analogue est le sujet de la Farce du Pet.) 35 Denrée. Même normandisme à 126. La 1ère femme examine les pommes. 36 Ce n’est que de la camelote. « D’argent ? Point : ce n’est que bagage. » (Le Résolu.) Les commerçants mettent les beaux fruits dessus, et les pourris dessous. 37 Pondus. Idem vers 75. « L’œuf d’un moyne/ Qui fut ponnu en Barbarie. » (Le Pardonneur.) Le marchand est sourd : quand on lui parle de pommes, il répond à propos d’œufs, et réciproquement. 38 Elle découvre une poire des bois parmi les pommes. À moins que cette bonne poire villageoise ne soit le marchand lui-même. 39 Éconduire : refuser de vous vendre mes pommes. 40 Tendez-moi la poche de votre tablier, pour que j’y mette vos achats. Idem vers 96 et 101. 41 Et nous ne saurions mieux tomber. Cette remarque est ironique. 42 LV : du lieu deuenus (Vénus est célèbre — entre autres raisons — pour la pomme d’or qui consacra sa beauté. Les pommes du marchand vont, elles aussi, devenir des pommes de discorde.) 43 LV : lapf (C’est la 2e femme qui s’intéresse aux œufs.) 44 Combien aurai-je d’œufs pour 5 deniers ? 45 LV : dauyel (Je vous les garantis comme étant des pommes de rovel : des reinettes rouges. « Pommes de blandurel, de reuviel ou de chaucennin. » ATILF.) 46 Mes pommes. « Mi-el » dissyllabique est une particularité normande : cf. les Femmes qui demandent les arrérages, vers 283 et note. 47 Elles ont été cueillies récemment. 48 La centaine d’œufs. Quand on connaît ce prix rond, il est facile de diviser par le nombre d’œufs qu’on souhaite acheter. 49 LV : houlx (Qui a bon goût, si vous voulez en avoir. Les Normands prononçaient « avèr », qui rime avec « trouvèr », comme « valèr » rime avec « parlèr » à 250.) 50 LV : marche 51 LV : ii f (C’est la 1ère femme qui, à son corps défendant, va recevoir les œufs.) 52 Que mes œufs ont été couvés, ce qui les rend immangeables. 53 La première vente de la journée. Le marchand dépose des œufs dans le tablier de la 1ère femme, qui voulait des pommes. 54 Et un ! « Empreu, et deux, et trois, et quatre ! » (Farce de Pathelin.) Le marchant dépose trois pommes dans le tablier de la 2e femme, qui voulait des œufs. 55 LV ajoute : la ii f / contes bien / le marchant (Ce refrain A du triolet doit servir de modèle aux vers 101 et 104.) 56 LV : auant (Je corrige la même faute au refrain de 105. « Chucre » est une chuintante normanno-picarde.) Ces pommes sont naturellement sucrées. « Ce laict (…) porte son sucre avec soy. » Laurent Bouchet. 57 Le marchant dépose encore trois pommes dans le tablier de la 2e femme. 58 Voilà le sujet de la brouille entre les deux voisines : la 1ère voulait des pommes, mais le sourd lui a donné les œufs que sa commère convoitait. La 2e voulait des œufs, mais elle a eu les pommes que désirait sa voisine. 59 LV : cest pepin fanas (Ce débris de la locution « fatrin-fatras » <Jolyet, v. 58> n’a que faire dans ce refrain A du triolet.) Le marchant ajoute trois pommes dans le tablier de la 2e femme. 60 Il manque un vers en -eux et un vers en -emble. Chacune des clientes exige d’avoir enfin le produit qu’elle désire, et d’en être servie la première. 61 Seuls. Les Normands prononçaient « seu », qui rime avec « eux ». 62 LV : seruir (Vous ne sauriez être servies en même temps.) 63 Attendez. 64 Elle repose les œufs dans le panier. 65 LV : danfẽray (Elle repose les pommes dans le panier.) 66 Sur vos crins : je vous arracherai les cheveux. 67 Bien virulentes. 68 Vous faites voler vos couvre-chefs. Cf. les Mal contentes, vers 511 et note. 69 Défublée, découverte. Les harpies qui se crêpent le chignon sont jouées par des hommes ; dans un gag très attendu, chacun arrache la perruque de l’autre. Aux vers 148, 162, 169, 170, 244, 249, 251 et 253, l’auteur désignera les deux femmes par le pronom « ils », comme le fit Jehan Le Happère pour ses harengères bagarreuses : « À beaulx cheveux — s’ilz en ont — touz se prennent. » Dans les Chambèrières et Débat, deux servantes jouées par des hommes s’arrachent mutuellement la perruque, si bien qu’un autre personnage peut parler d’elles au masculin : « Je requiers Dieu qu’il me pardoint/ Se sur tous deux ne frapperay ! » Ce « tous deux » désigne les prétendues femmes de notre pièce au vers 144. 70 Vous vous blessez mutuellement. 71 Il entend les hurlements des deux belligérantes. 72 Il doit y avoir une bagarre. 73 Car il y a là de l’argent à gagner. 74 LV : destallee (Mes denrées sont bien mises en valeur sur leur étal. « En plain marché, le plus souvent,/ J’estalle ma desrée en vente. » Les Mal contentes.) 75 En as-tu assez reçu, des coups ? Cf. la Laitière, vers 270. 76 Tout beau ! 77 Je vais vous envoyer dans un cachot. Au service militaire, l’adjudant, auquel je répondais respectueusement en latin, me disait toujours : Je vais vous fourrer dedans ! 78 Tu n’auras pas qu’un seul coup. 79 Tu n’auras pas dit la vérité. 80 Tous ces détails secondaires. 81 Mue. De quoi est née leur querelle ? 82 Mes pommes. Au Moyen Âge, les fruits étaient bons s’ils avaient goût à framboise. « Cela sont poyres trop fascheuses :/ Y ne sentent point leur framboyse. » (Le Pèlerinage de Mariage.) Aujourd’hui, tous les aliments sont priés d’avoir un goût de noisette, depuis les huîtres jusqu’au vin, alors que les huîtres devraient avoir un goût d’huîtres, et le vin un goût de vin, nom de Dieu ! 83 Ce vœu — maintes fois réitéré — de faire taire les deux plaignantes, porte le dénouement de la pièce. 84 De cela que nous parlons. 85 Elles. Voir la note 69. Le vendeur passe sous silence le fait que les clientes lui ont rendu sa marchandise. 86 Toutes deux. Voir la note 69. 87 LV : meulx / leques (Voir le vers 133.) 88 Par les cheveux. « Nous veinmes à nous empongner/ À beaulx cheveulx et dépeigner. » Le Pionnier de Seurdre. 89 Deux fois le chargement d’une bête de somme. Le marchand surévalue le contenu de son modeste panier pour en tirer un gros dédommagement. 90 Dans une pièce qui parle des femmes au masculin, quoi de plus normal que de voir un homme user d’un juron strictement féminin ? Voir les vers 5, 113 et 138 des Chambèrières qui vont à la messe, ou les vers 112, 149 et 224 de Frère Guillebert. 91 Il montre la 2e femme. 92 LV : mete 93 LV : me asine (Qu’on m’assigne [m’accorde] le paiement de ce qu’elles me doivent.) 94 Je fais appel. L’appel est impossible tant que le jugement n’a pas été prononcé. 95 Pour le moins (normandisme). 96 Merde ! Faites-les taire. Mais un esprit mal tourné pourrait comprendre : Mettez vos mains dans la merde. 97 LV : lequet (Au vers 219, « d’acquêt » rime aussi avec « sans faire long caquet ».) C’est un petit profit. « Poissonnyères ont peu d’aquest. » (Les Mal contentes.) Mais notre auteur se souvient plutôt de la farce de Pathelin : « C’est Peu-d’aquest. » 98 LV : requiers 99 Qui pissa jamais par terre avec son con. « Puisque son con tel chose pisse. » L’Amoureux. 100 Rapidement. 101 Il soutient la 2e femme, qui s’évanouit. 102 Ce n’est pas grave. 103 On desserrait les dents des épileptiques. Pour les bavardes, ce traitement est contre-indiqué ; dans Saincte Caquette, un mari qui veut faire taire son épouse lui dit : « Mot, mot ! Les dens serrez tousjours ! » 104 Coupez le cordon qui ferme sa robe, il la gêne pour respirer. L’acteur qui joue la 2e femme va donc se retrouver quasiment torse nu. 105 LV : lapoincteur (C’est malheureusement la dernière réplique déclamée par une des deux femmes.) 106 Faites en sorte qu’elles me payent. 107 Entravé. 108 Les affaires sont les affaires. 109 Nous délaisserons. Menace syndicale : Si vous continuez à nous embêter, nous ne viendrons plus vendre chez vous. Voir le dernier vers de la farce. 110 Nous volerions nos clients sans aucun profit. 111 Un arrêt, une saisie. 112 Il empoigne le panier du marchand. 113 Occupez-vous de la 1ère femme. Elle s’évanouit également. Le sergent repose le panier pour la soutenir. 114 Ne prenez pas beaucoup de chandelle pour la veiller. 115 Cela est dû à sa maladie de langueur. (Louis Du Bois, Glossaire du patois normand, p.382.) Mais les dames ont aussi une défaillance quand elles ne sentent plus leur amant à leur côté dans le lit : « Et puis me prent une faillance/ Quand ne sens point mon amarris. » Les Femmes qui demandent les arrérages. 116 Expression normande : « Les modiront chent fais pu [cent fois plus] que pierres amères. » La Muse normande. 117 De telles. 118 N’a plus de souffle. Croyant que la 2e femme va mourir et qu’il risque alors d’avoir des ennuis, le marchand la laisse tomber par terre. 119 Changeons de place, partons. 120 Nous ne gagnerons rien ici. 121 Vous devez encore plus. 122 D’admonitions : de citations à comparaître. 123 D’assignations en justice et de constats de non-comparution. 124 Condamner. 125 Déshonorés. 126 LV : gaigneron (Un exploit est une notification de justice. Les Normands prononçaient « explait », qui rime avec « plaid ». Cf. Lucas Sergent, vers 241.) 127 Il voit que le sergent laisse tomber par terre la 1ère femme. 128 Il montre les deux malades étendues sur le sol. 129 Quelle adversité, quelle calamité. 130 C’est une mauvaise chose. 131 LV : est (Vous avez été mal inspirés. « De ce fustes bien incité ! » La Correxion des Liégois.) 132 Qu’on nous dise de quelle maladie elles souffrent. Ce mal, qui frappe les femmes qu’on empêche de caqueter, « c’est le mal de saincte Caquette », comme le nomme la farce de Saincte Caquette. 133 Elles n’ont plus de souffle ailleurs qu’en leur cul. Le vers 64 confirme ce diagnostic. 134 Ranger mon étal, partir. Idem vers 252. C’est l’origine du moderne « détaler ». Cf. l’Antéchrist, vers 115 et 260. 135 Méchu (forme normande). Je crains qu’il ne nous soit arrivé un malheur. Les deux fonctionnaires pensent que les bavardes qu’ils ont fait taire vont en mourir. 136 Si on empêche les. Jénin Landore a rapporté du paradis le don de « garder les femmes de parler ». 137 Et elles ne peuvent que valoir pis. 138 Elles sont si mauvaises. Mais on peut entendre : Ils sont ainsi mâles. 139 Avant. 140 Pendant ce temps, elles se ranimeront. 141 Œufs et coquilles. 142 Maishui, désormais.
LE SOURD, SON VARLET ET L’YVERONGNE
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LE SOURD, SON
VARLET ET
L’YVERONGNE
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Comme tous les hommes affligés d’un handicap, les sourds étaient des personnages providentiels pour les auteurs comiques : la farce du Gouteux en montre deux, qui malmènent un infirme ! Les ivrognes étaient aussi de bons clients : l’auteur de cette parade normande a fait appel à des valeurs sûres. Des points communs existent entre cette farce et l’Aveugle, son Varlet et une Tripière.
Source : Manuscrit La Vallière, nº 21. Cette pièce est en bien meilleur état que les autres : elle n’avait pas eu le temps de circuler beaucoup quand on l’a copiée, vers 1575.
Structure : Rimes plates.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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Farce nouvelle
À troy[s] personnages, c’est asçavoir :
LE SOURD
SON VARLET
et L’YVERONGNE
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LE SOURD 1 commence SCÈNE I
Or çà ! Y fault que je m’aplicque
À trouver moyen et praticque
De gaigner quelque peu d’argent.
Mon varlet !
LE VARLET 2
Je suys diligent
5 Quant vous m’apelez. Que vous plaist ?
[Ne] fais-je pas bien le souplaist3 ?
LE SOURD
Laisse4 ta besongne et t’avance !
Entens-tu5 ?
LE VARLET
Ouy dea, c’est dimence6
Que nous irons à la grand-messe.
LE SOURD
10 Ne t’ai-ge pas faicte promesse
De t’abiller ? Tu seras brave7.
LE VARLET
Par Dieu ! ce ne sera que bave8 :
Sai-ge pas bien quant vous mentez ?
LE SOURD
Assez souvent me contentez,
15 Mais…
LE VARLET
Ouy, ouy : [Metz9], c’est en Loraine !
LE SOURT
Devant qu’en passe la sepmaine10,
Y tombera quelque advanture11.
LE VARLET
Vous me donrez vostre saincture12,
Je le sçay bien.
LE SOURD
Je te feray
20 Un riche homme, et [te] donneray
De l’argent.
LE VARLET
Gardez-lay13 pour vous.
LE SOURT
Quoy ? Qu’esse-là ? Me bastrez-vous ?
A ! je ne m’y accordes pas.
LE VARLET
Escoustez !… Il ne m’entent pas14 ;
25 Il est sourt, en ? Que vous en semble ?
Jamais nous n’acordons ensemble :
Cela me rompt tant le cerveau15 !
LE SOURD
Ouy ! mon varlet m’apelle veau,
Badin, badault, ainsy qu’i veult.
30 A ! par ma foy, le cœur me deult16
Tèlement qu’i vous fauldra…
LE VARLET
Quoy ? Quoy ?
Je vous feray taire tout quoy17,
À ce jourd’uy, sy je m’enpongne18 !
LE SOURD
J’entens bien : c’est vostre besongne
35 Qui est aucune foys19 bien faicte,
Aucune foys el est mal faicte.
Mais je n’en parles pas.
LE VARLET
Non, non,
Y ne fault poinct tant de sermon :
Payez-moy, et je m’en iray.
LE SOURT
40 J’entens bien20 : je vous aymeray
Autant qu’il y ayt sur terre homme,
Mais que tu fasses ta besongne.
LE VARLET
Le deable en emporte le sot !
LE SOURD
Pendant qu’il y aura au pot
45 Du vin, a ! nous burons d’audace21.
LE VARLET
Y conviendra vuyder la place22,
Car il ne vient poinct à propos23.
LE SOURD
Ouy dea, nous en aurons deulx pos
Pour nous donner dessus l’oreille24.
LE VARLET
50 Qui vit jamais raison pareille ?
Je n’y trouve sens ne raison.
LE SOURD
Je vuyderay de ma maison ?
Et ! par la chair bieu, non feray !
LE VARLET
Le sang bieu ! je me fascheray
55 De vivre en un tel desconfort.
LE SOURT
Dictes que vous estes sy fort ?
LE VARLET
Je vous feray la teste fendre25 !
LE SOURD
Ouy, ouy, je me says bien deffendre
En un besoing, tant hault que bas !
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L’YVRONGNE entre 26 SCÈNE II
60 Hau ! [hau !] Tarabin, tarabas27 !
En ! Qu’esse ? [Holà,] hau ! l’ôtesse28,
Venez cy ! Respondez ! En ! Qu’esse ?
N’aron-nous poinct encor pochine29 ?
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LE VARLET SCÈNE III
Ne vous, ne luy, ne sa vouésine,
65 Ne son vouésin Pierre, ou Guillot,
Trubert, Lambert, Roger, Phlipot,
Jehan, Jénin, Jouan ou Janote,
Périn, Pérot, Pierre, Pérote
Ne me feront nul desplaisir !
LE SOURD
70 J’entens bien que me faictes plaisir30
De besongner, à ma boutique !
Bren31 pour vous !
LE VARLET
Ouy dea : je pratique
Soublz vous, et vous [aussy] soublz moy32…
Mais ne vivons plus en esmoy.
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L’YVRONGNE SCÈNE IV
75 Bon boyre faict33. Et puys, quel bruict34 ?
Que dict-on de moy ? Fais-je bruict
Pour avoir crédict, sur les champs35 ?
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LE SOURD SCÈNE V
Besongnons !
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L’YVRONGNE 36 SCÈNE VI
Dieu gard les gallans !
Et puys, qui veult payer d’un pot ?
80 Sera-ce toy ?
LE VARLET
Ne me dis mot,
Par bieu : je suys furelufé37 !
L’YVRONGNE
Et ! comment ? Qui t’a escauffé38 ?
Qu’as-tu ? Qui t’a mis en [tel] colle39,
Dy : asse esté maistre Nicolle40 ?
85 Es-tu de couroulx relié41 ?
LE VARLET
Je suys [triste et fantasié]42.
Mon maistre, ce sourdault43 icy,
M’a de deuil tout mys en soucy.
L’YVRONGNE
Va, va, ne te cou[rou]ce poinct.
90 Chantons fleurtis44 ou contrepoinct,
Et puys je vous apaiseray.
LE VARLET
Pour luy, poinct [je] ne me tairay45 !
Mauldict soyt-il qui se taira46 !
[LE SOURD] 47
Quoy ? Dict-il pas qu’i me bastra ?
95 Y n’oseroyt !
LE VARLET
Voécy pour rire !
L’YVRONGNE
Par bieu ! vous érez bien du pire48.
Taisez-vous !
LE SOURD
Je vous ayme bien,
Car vous estes homme de bien,
Sage et entendeu.
L’YVRONGNE
Mot ! Silence !
100 Apaisez-vous, car quant je pence,
Noyse ne vault rien sans débat49.
LE VARLET
Y ne fault poinct tant de sabat50 !
Ventre bieu ! fault-y tant de bave ?
LE SOURD
Dieu ! il dict tousjours que je bave :
105 A-il pas tort ?
L’YVRONGNE
Mais il a droict !
LE SOURD
Et ! vraiment, quant il y fauldroict51,
Je ne veulx pas qu’il prengne peine.
LE VARLET
Il ne veult sa fièbvre quartaine !
L’YVRONGNE
Chantons, et laissons tout cecy.
LE SOURT
110 Mort bieu ! dis-tu que j’ey vessy52 ?
À mort ! [À mort53 !]
L’YVRONGNE
À vie ! [À vie !]
LE VARLET 54
Par la chair bieu ! je vous deffye :
Sy vous causez, vous estes mort !
L’YVRONGNE
Corps bieu ! dictes-vous que j’ey tort ?
LE SOURD
115 Hélas, [pour moy] laissez-lay vivre55 !
LE VARLET 56
Frapons tous deulx sur cest homme yvre :
Il est cause de noz débas.
Frapons, tarabin, tarabas57 !
N’espargnons poingz58 : il a bon dos.
L’YVRONGNE
120 Le deable en emporte les sos59 !
Et ! laissez-moy, de par le deable !
Tout doulx, tout doulx ! Ce n’est pas fable60 :
Vous frapez à bon essien61.
LE VARLET
Laudez, laudez ce passien62
125 Sans l’espargner !
[ LE SOURD
Frapons63 ! ]
L’YVRONGNE
Tout doulx !
Et ! comment ? [Dea !] vous moquez-vous ?
Au lieu de paix, suys en souffrance.
LE VARLET
Onques on ne veist dedens France
Gens sy meslés comme nous sommes.
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L’YVRONGNE 64 SCÈNE VII
130 Vertu bieu ! je porte les sommes65.
[Qui qu’ayt]66 chanté, j’ey respondu.
Mais content suys d’estre tondu67
Sy jamais en un tel sabat,
[Parmy ce]68 tumulte ou débat,
135 [Je reviens ! Lors,] je m’en remue69.
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LE VARLET SCÈNE VIII
[Poinct n’en aurons brèfve venue…]70
Nostre cas71 est très fort meslé.
Que nous avons bien querellé !
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Mais je conclus, comme il me semble,
140 Q’un yvrongne et un sourd ensemble
Ne peult durer : car l’un est sourd,
Et l’aultre, langaige luy sourd72.
Le sourd ne peult pas bien oÿr,
Et l’autre se veult resjouir.
145 Et pour conclure la matière,
Une chanson voulons chanter,
Affin que vous ayez manière
D’aveques vous chagrin chasser.
En prenant congé de ce lieu,
150 Une chanson pour dire adieu ! 73
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FINIS
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1 Il exerce la profession de potier d’étain. L’auteur met en scène l’expression « être sourd comme un pot ». 2 Le Valet, i. e. l’ouvrier, travaille devant son établi. 3 Le souple, le lèche-cul. « Encor ferai-ge le souplaist. » (Frère Phillebert.) Cet aparté s’adresse au public. 4 LV : fais 5 Le Sourd a une prédilection pour le verbe « entendre » : vers 34, 40, 70, 99. 6 Prononciation normande de « dimanche » : cf. les Povres deables, vers 93. Le Valet s’amuse à entamer un dialogue de sourds. 7 Élégant, grâce aux habits que je vais t’acheter. « Estre braves en accoustremens. » Godefroy. 8 Du bavardage, des promesses en l’air. 9 La ville de Metz se prononçait « mè », d’où le jeu de mots sur mais. 10 « Avant que passe la sepmaine. » Les Sotz fourréz de malice. 11 Nous ferons une bonne affaire. 12 Vous me donnerez des coups de ceinture. 13 Gardez-le, vous êtes plus miteux que moi. Le pronom normand « lay » reparaît au vers 115. Le Sourd comprend quelque chose comme « frapperai sur vous ». 14 Le Valet se tourne vers le public. 15 « Vous vous rompez tout le cerveau. » Testament Pathelin. 16 Me fait mal, du verbe douloir. 17 Tout coi. « S’y ne veult se taire tout quoy. » Les Sobres Sotz. 18 Si j’en prends la peine. 19 Parfois. 20 Quand on leur réclame de l’argent, les sourds mettent en application ce proverbe : « Il n’est point de plus maulvais sours/ Que ceulx qui ne veullent ouÿr. » Le Gouteux. 21 Nous boirons de bon cœur. 22 Il faudra que je m’en aille. 23 Il ne parle pas de mon salaire. 24 Pour nous taper sur les oreilles. Les chopes sont très larges et leur bord monte jusqu’aux oreilles du buveur. 25 LV : rendre (« Fendre la teste. » Le Faulconnier de ville.) 26 Cette didascalie marque le début d’un rôle, en non un déplacement. L’Ivrogne est toujours dans la rue ; en apercevant les chopes d’étain alignées sur la fenêtre du potier, il croit être devant une taverne. 27 Cette interjection qui marque l’exaspération peut à la rigueur se traduire par : « Allons ! » Panurge l’emploie quand il s’impatiente des réponses d’un philosophe : « –Mais conseillez-moy, de grâce : que doibs-je faire ? –Ce que vouldrez. –Tarabin, tarabas ! » (Tiers Livre, 36.) Cette locution aux multiples sens donna lieu à une chanson (v. le vers 45 des Queues troussées), et même à une farce : Tarabin, Tarabas (F 13). Ici, elle revient au vers 118. 28 Tavernière ! « Où l’hostesse est belle, le vin est bon. » Godefroy. 29 L’Ivrogne confond la chopine, et le pochin, qui est une mesure de vin différente : « Pour un pochin de vin. » Godefroy. 30 Je veux que vous me fassiez le plaisir. 31 Merde ! « Bren pour toy ! » La Nourrisse et la Chambèrière. 32 Double sens du verbe pratiquer : Je travaille sous vos ordres, et vous gagnez de l’argent grâce à moi. « Quel bien ? J’ay un pourpoinct de serge :/ C’est tout ce que j’ay pratiqué. » La Réformeresse. 33 Il fait bon boire. 34 Quelles nouvelles ? Toujours dans la rue, l’Ivrogne interroge le public. 35 Ai-je une assez bonne réputation pour qu’on me fasse crédit, en ces lieux ? 36 Il entre dans l’atelier de poterie, et s’installe à l’établi où travaille le Valet. 37 Fou furieux (normandisme). Cf. Jolyet, vers 10. « Furluféz ainchin que des coqs/ Qui ont mangé de la tôtée. » La Muse normande. 38 Qui t’a échauffé la bile (graphie normande). 39 Dans une telle disposition. « Aultrefoys m’a mis en tel colle. » Deux hommes et leurs deux femmes. 40 A-ce été le médecin ? « Qui bien dort, pisse et crolle [se remue]/ N’a mestier [besoin] de maistre Nicolle. » (Thrésor de sentences dorées.) « Tu m’affranchis de chancre et de vérole,/ De maistre Ambroise [Paré] et de maistre Nicole. » (Philippe Desportes.) Par dérision, c’est également un nom de bourreau, comme dans le Mystère des Trois Doms : « Maistre Nycolle, bourreau. » 41 LV : deslie (Atteint. « Que de la fièvre cartaine/ Puissez-vous estre relié ! » Le Povre Jouhan.) 42 LV : bisti fantarie (Il se peut que l’auteur ait écrit biscarié [en mauvais état] : « Je suys toute biscariée. » Le Povre Jouhan.) Je suis perturbé. « –Vous me semblez fantasiée./ –Je suys avec vous sy troublée ! » Deulx Gallans et Sancté, LV 12. 43 Ce sourdingue. Cf. le Gouteux, vers 25, 37 et 265. 44 Des fioritures, des ornements du plain-chant. « Réprouvant les fleuretis en la musique. » Godefroy. 45 LV : mectreay 46 LV : bastra (À la rime.) 47 LV : liurongne 48 Vous aurez bien pire. Il parle au Sourd qui, pour une fois, croit entendre une phrase positive à son égard. 49 Même proverbe dans Guillerme qui mengea les figues et dans le Pèlerinage de Mariage. 50 De tumulte, d’agitation. Idem vers 133. 51 Quand bien même mon ouvrier y manquerait (à se fatiguer en travaillant). 52 Que j’ai pété. Le Sourd tape sur l’Ivrogne. 53 Le manuscrit que le copiste a recopié ne dupliquait pas les interjections, sachant que les comédiens le feraient naturellement. Voir le second hémistiche et le vers 60. 54 À l’Ivrogne. L’ouvrier prend le parti de son patron. 55 Laissez-le-moi vivant ! 56 À son patron. 57 Allons ! Voir la note 27. 58 LV : poinct (Nos poings.) 59 Les sots. Voir le vers 43. 60 LV : paille (Ce n’est pas une blague. « Ce que je dis, ce n’est pas fable. » Guillerme qui mengea les figues.) Cf. l’Antéchrist, vers 220. 61 Vraiment. Cf. l’Avantureulx, vers 316. 62 Frappez ce patient [celui qui subit]. « Lauder : frapper, battre. » Louis Du Bois, Glossaire du patois normand. 63 LV attribue ce mot à l’Ivrogne. Les deux artisans se livrent contre lui à une véritable mêlée. 64 Il s’échappe de la mêlée. 65 On m’a chargé de coups comme une bête de somme est chargée de marchandise. « Asnes qui portent somes. » ATILF. 66 LV : quique ayt (Quel que soit celui qui a chanté le thème.) 67 LV : tondeu (Je mériterais qu’on me traite de fou. Voir les notes 31 et 86 des Sotz triumphans.) 68 LV : pour moy se 69 Je m’en éloigne. « Il nous fault d’icy remuer. » (ATILF.) Le bord gauche du manuscrit de base devait être déchiré à cet endroit. 70 LV : en brefue nue (Nous ne le verrons pas revenir de sitôt. « L’on nous donne espoir de sa brèfve venue icy. » Cardinal de Granvelle.) 71 Notre cause : nous sommes réconciliés. 72 Sa parole jaillit hors de propos. 73 Ces 2 derniers vers sont greffés par le copiste lui-même à la fin de beaucoup de pièces du ms. La Vallière : le Tesmoing, l’Avantureulx, Sœur Fessue, Frère Phillebert, le Trocheur de maris, etc.
L’AVEUGLE, SON VARLET ET UNE TRIPIÈRE
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L’AVEUGLE,
SON VARLET ET
UNE TRIPIÈRE
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Cette farce normande remonte à la seconde moitié du XVe siècle. À l’époque, d’innombrables faux infirmes exploitaient la générosité des braves gens ; de sorte que les vrais infirmes, s’ils voulaient obtenir une aumône, devaient faire preuve d’autant de roublardise que les simulateurs. Au XIIIe siècle déjà, les dons se faisaient rares ; on peut en juger par la plus ancienne de toutes les farces, Du Garçon et de l’Aveugle, qui met en scène un duo de mendiants constitué d’un aveugle et de son serviteur. Des couples du même acabit provoqueront l’hilarité dans l’Aveugle et son Varlet tort (de François Briand), l’Aveugle et Saudret, Ung biau miracle, l’Aveugle et le Boiteux (d’André de la Vigne), l’Aveugle et Picolin (de Claude Chevalet), ou encore l’Aveugle, sa Chambèrière et son Varlet 1.
D’un naturel peu charitable, les tripières furent elles aussi victimes des rieurs. Dans notre farce, tout comme dans celle de la Trippière (F 52), deux mendiants réclament de la nourriture à une marchande de tripes qui, faute de la leur avoir donnée, se la fera voler.
Source : Manuscrit La Vallière, nº 13. Le texte est dans un état pitoyable, et certains passages ressemblent à de la prose. Je renonce à égaliser les vers trop courts.
Structure : Rimes plates, avec quelques rimes croisées.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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Farce joyeuse
À .III. personnages, c’est asçavoir :
un AVEUGLE
et son VARLET [Goulpharin]
et une TRIPIÈRE [Phlipotes]
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LE VARLET 2 commence SCÈNE I
Sui-ge poinct ung gentil mygnon
Et un bon petit garçon,
Pour un Goulpharin3 ? Ne suys poinct ?
Par le corps bieu ! je seray oingt4,
5 Sy ne retourne vers mon maistre.
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L’AVEUGLE 5 SCÈNE II
Celuy Dieu qui tout a faict naistre
Garde de mal la compaignye !
Ma joye est bien abolye ;
Et sy, ne sçay plus que g’y face6.
10 Mes amys, regardez la face
Du7 bon homme qui ne voyt goute,
Et sy, ne sçayt où il se boute8 ;
Car mon varlet cy m’a lessé.
Je suys jà viel homme cassé,
15 Et assourdy des deulx horeilles.
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LE VARLET SCÈNE III
Maistre, vouécy vos bouteilles.
L’AVEUGLE
Qu’esse que j’os9 ?
LE VARLET
C’est vostre varlet Goulpharin.
L’AVEUGLE
Et d’où viens-tu ?
LE VARLET
Je viens du vin,
Du vin qui est cler et qui est fin10.
L’AVEUGLE
20 Tu me la bailles bien cornue11 !
LE VARLET
Et tout pour la gentille repue12,
Nous vous ferons bien vos raisons13.
L’AVEUGLE
J’ay veu de sy bonnes saisons14…
Dea ! et reviendra poinct nostre temps ?
LE VARLET
25 Ouy, ouy, après ces15 Rouvèsons.
Que nous serons trètous contens !
Et sy, aron argent et or.
Et seron armés (par16 sainct Mor !)
Du pié jusques à la sonnète17.
30 N’ayron besache ne pouquète18
Qui [ne] nous serve plus de rien19.
L’AVEUGLE
Dis-tu ? Et ! tant nous serons bien !
LE VARLET
Maistre, y nous fault aler assaillyr,
S’yl est possible, sans faillyr,
35 Quelque maison de plaine face20,
Et [y] faire un trèsbeau « prouface21 ».
[Que vous en semble :] di-ge bien ?
L’AVEUGLE
Ouy, vrayment. Mais tu sçays [com]bien,
Par ma foy, je [me] meurs de fain !
LE VARLET
40 Nous n’yrons plus guères loing.
[Allons prier quelque tripière
Qu’elle nous face bonne chière.]
L’AVEUGLE
Quoy ! et qu’e[n] pourions-nous avoir ?
LE VARLET
Nous ne povons que [le] sçavoir22.
L’AVEUGLE
45 Et sçays-tu bien là où elle vent23 ?
Dy, despesche-toy vitement !
LE VARLET
Ouy, ouy, je la voy bien, d’icy.
Mais il eschet24, en ce cas-cy,
Maistre, que vous [ne parlerez]25.
L’AVEUGLE
50 Par sainct Pierre, vous mentirez !
Aprochez près26 ; vous luy direz
Que je suys du tout assourdy27,
Et que je n’os grain ne demy28,
Ainsy que luy sérez29 bien dire.
LE VARLET
55 Je ne l’oseroys contredire.
Empongnez-moy par la saincture30,
Et nous yrons à l’avanture31.
Or çà ! Dieu nous veuile conduyre,
Et nous gardons bien de mal dire32 !
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60 Dame Phlip[ot]es33 : Nostre Dame SCÈNE IV
Vous veuile sauver et garder !
Nous vous prions de cœur et d’âme
Qu’i vous plaise icy regarder
[Vers] les povres menbres de Dieu34
65 Qui vous viennent vouèr35 en ce lieu.
Cestuy36 ne voyt, et sy, n’ot gouste.
LA TRIPIÈRE
Y m’est avys sans nule doubte
Que ce bon homme icy oyt37 bien.
LE VARLET
Par ma foy, [ma] dame, y n’ot rien.
LA TRIPIÈRE
70 Comme est son nom ?
LE VARLET
Et ! c’est Marault38.
LA TRIPIÈRE
Je le voys dont crier bien hault39 :
Hau ! [Hau !] Marault, veulx-tu du fée40 ?
L’AVEUGLE
J’estoys plus yvre que la née41
L’endemain de la Sainct-Martin42.
LA TRIPIÈRE
75 Vien çà ! Veulx-tu un boudin ?
Parle à moy : veulx-tu poinct menger ?
As-tu perdu43 ton apétys ?
L’AVEUGLE
J’ey cuydé bien [fort] arager44,
Quant je suys party du logis.
………………………….. 45
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LE VARLET SCÈNE V
80 Dea ! m’en iray-ge [en ce droict poinct]46 ?
Dame, ne m’escondisez47 poinct.
Dame, me donnerez-vous rien ?
LA TRIPIÈRE
Dea ! [Croys-tu qu’on donne son bien]48 ?
Sy tu en veulx avoir, y fault
85 Argent bailler [du premier sault49],
Et [qu’il y coure]50 un double ou deulx.
LE VARLET
Baillez-moy de ce que je veulx.
Et me faictes bonne doublée51 :
Ma besache sera gastée,
90 Se ne le metez au cornet.
LA TRIPIÈRE
Ce que je te baille [est moult]52 net :
[Yl est]53 du mileur de ma gate ;
Yl est fleury comme une mate54,
Et sy, [yl] est blanc55 comme un œuf.
LE VARLET
95 Baillez-moy de ce pié de beuf,
De la panchète, du gras bouel56 ;
Onq(ues), puys la veille de Nouël,
Je n’en mengis grain ne demy57.
LA TRIPIÈRE
Or, saquez58 argent, mon amy,
100 Car [vez-en là]59 pour vostre double.
LE VARLET
Cecy, et qu’esse ? [Du gras double60 ?]
LA TRIPIÈRE
C’est un boudin [tout] plain de gresse.
Sy tu [n’en veulx, je]61 les reverse.
Ne les viens poinct cy patrouiller62,
105 Et va[-t-en] alieurs marchander.
LE VARLET
Et ! baillez-m’ent plus largement,
Sy voulez avoir mon argent,
[Dame.]
LA TRIPIÈRE
Par sainct Jehan, non feray !
LE VARLET
Donques je les reverseray.63
LA TRIPIÈRE
110 Par la croix bieu, tu les pouéras64 !
LE VARLET
Par la mort bieu, [tu mentiras !
Tu ne vaulx rien, orde tripière]65 !
LA TRIPIÈRE
Je vaulx mieulx [que tu ne vaulx] toy,
Ne que [ne valust]66 onq ton père.
115 Me viens-tu faire tant d’esmoy ?
Par l’âme [du bon sainct André]67 !
Huy je te desvisageray68 !
LE VARLET
Au ! [par] ma dame69 saincte Agate !
Elle m’a baillé de sa pate70,
120 Et sy, m’a rompu le visage.
LA TRIPIÈRE
N’y reviens plus, se tu es sage !
Tyre tes chausses71, Poy-d’aquest !
LE VARLET
Adieu, la fille Loriquet72 !
LA TRIPIÈRE
À Dieu, le filz à sa Marguet73 !
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125 Cesser y nous fault le caquet,
Car nous ferions cy la sérye74.
Prenez en gré, la compaignye !
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FINIS
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1 Cette farce est également connue sous le titre de Goguelu (F 45). 2 Dans la rue, il boit du vin à la bouteille, tandis que son patron aveugle attend son retour un peu plus loin. 3 Ce surnom du valet désigne un amateur de bonne chère. « Bons compaignons, rustres et gourfarins. » A. de la Vigne. 4 Battu. 5 Il s’adresse au public. 6 Et même, je ne sais plus que faire. 7 LV : de ce (Ne voir goutte = ne rien y voir. « L’aumosne au povre diséteux/ Qui jamais, nul jour, ne vit goucte ! » L’Aveugle et le Boiteux.) 8 Ne sait pas où il va. 9 Que j’ois, que j’entends. L’aveugle est à moitié sourd, comme il l’a dit au vers 15. 10 Ce vers surnuméraire est probablement le refrain d’une chanson à boire. 11 Tu me la bailles belle. « Vous me la baillez bien cornue ! » L’Homme à mes pois. 12 LV : fue (?) Une repue est un festin. Cf. les Repues franches de maistre Françoys Villon. 13 Je vous ferai concurrence. 14 Des temps meilleurs. 15 LV : ses (Les Rovaisons, ou Rogations, précèdent l’Ascension. « Gardons-le pour les Rouvaisons. » Les Sotz nouveaulx farcéz.) 16 LV : de (Les deux clochards se voient déjà gentilshommes, lesquels avaient seuls le droit de sortir armés.) 17 Jusqu’à la tête, sur laquelle les Sots portent des grelots. « Attache-moy une sonnette/ Sur le front d’un moyne crotté (…) :/ Voylà un Sot de la Bazoche. » Clément Marot, Du coq-à-l’asne. 18 Nous n’aurons plus de besace ni de poche en tissu. C’est là-dedans que les mendiants mettent la nourriture qu’on leur donne : voir le vers 89. Le Valet a un fort accent normand. 19 Qui ne nous serve plus à quoi que ce soit. Rien [chose] avait une valeur positive. 20 À visage découvert, sans nous cacher. 21 Prou vous fasse : (Que cela) vous fasse profit. « PROUFACE est un salut qu’on fait au sortir de table aux conviéz, en souhaittant que ce qu’ils ont mangé leur profite. » Furetière. 22 Nous le saurons bientôt. 23 Les tripières ambulantes vendaient au marché des tripes chaudes que les clients consommaient sur place, dans une écuelle, une chope, ou un cornet de papier fort. Voir la Confession du Brigant, vers 157-160. 24 Il échoit, il convient. 25 LV : parles (Le valet craint que son patron ne soit pas assez fin pour berner une tripière. Il insiste au vers 59.) 26 Il parle à l’oreille du valet, pour ne pas être entendu par la tripière, dont le stand est tout proche (vers 47). 27 Totalement sourd. 28 Que je n’entends ni un mot, ni même la moitié d’un. 29 Saurez (normandisme). 30 Les aveugles se cramponnaient aux basques de leur guide. 31 « Or allons à nostre avanture ! » L’Aveugle, sa Chambèrière et son Varlet (F 45). 32 Gardons-nous de nous trahir. 33 Phélipotte est une des Femmes qui font baster leurs maris aux corneilles (F 29). Ce prénom est souvent abrégé en Phlipote, ou même en Flipote, comme en témoigne le premier vers du Tartuffe : « Allons, Flipote, allons ! Que d’eux je me délivre. » Le valet connaît donc déjà la tripière, puisqu’il sait son nom. 34 « Les povres gens, je le dis sciemment,/ Ce sont membres de Dieu. » L’Ardant miroir de grâce. 35 Voir (normandisme). 36 LV : lequel (Celui-ci n’y voit pas, et même, il n’oit goutte [il n’entend rien].) 37 LV : voyt 38 Un maraud est un maraudeur, un mendiant. Cf. les Maraux enchesnéz. 39 Je vais donc l’appeler très fort. 40 Du foie (normandisme). « Du faye et ung pié de mouton ! » La Trippière, F 52. 41 La naie : l’étoupe avec laquelle on colmate un tonneau de vin. « Quant ung tonneau bien on ne perce,/ Si bien ne l’estoupe-on de naye,/ Que le vin ne suinte. » ATILF. 42 Cette fête des vendanges, le 11 novembre, donnait lieu à des beuveries. « À la Saint-Martin, l’on boit le bon vin. » (Proverbe.) Le lendemain, l’étoupe qui bouchait le tonneau n’avait donc pas eu le temps de sécher. 43 LV : poinct 44 Devenir fou de rage. Ces coq-à-l’âne de Maraut annoncent déjà ceux de Marot (note 17). 45 Il manque ici un long passage, ce qui explique l’anormale brièveté de la pièce. Le faux sourd, habilement « cuisiné » par la tripière, finit par se trahir. Les deux mendiants repartent sans avoir rien obtenu. Ils se disputent, et le valet revient seul pour tenter d’émouvoir la commerçante. 46 LV : ainsy droict joinct (Dans un tel état.) Séparé de son acolyte, le valet parle maintenant à la 1ère personne du singulier. 47 LV : mescondisses (Ne m’éconduisez pas.) 48 LV : os tu on ne me les donne poinct (Ces 4 vers sont encore plus abîmés que les autres. J’ai tenté de mettre un peu d’ordre dans la métrique.) Les biens désignent la marchandise ; dans la Trippière (F 52), un mendiant implore qu’on lui donne des tripes : « En l’honneur de Nostre Seigneur,/ Dame, ung morceau de vos biens ! » 49 De prime-saut, d’emblée. Cf. le vers 65 des Sotz nouveaulx et le vers 148 de Jehan qui de tout se mesle. 50 LV : qui ly coure du tien (Courir = circuler ; se dit d’une monnaie qui a cours.) Un double vaut 2 deniers. 51 Doublure : doublez l’épaisseur de papier du cornet, pour ne pas salir ma besace. Voir la note 23. 52 LV : nest pas trop (Est parfaitement sain.) 53 LV : cest (Voir le vers suivant.) Cela vient du meilleur de ma jatte (normandisme). « C’est une jatte à tripière : il y a des andouilles, des rognons, des trippes. » Bruscambille. 54 Comme la croûte du lait caillé. 55 Les tripes doivent être bien blanches, c’est un signe de fraîcheur. « La blanche trippe, et grasse. » La Trippière, F 52. 56 De la pansette [de la ventrèche], du boyau. Ces deux graphies sont normandes. 57 Je n’en mangeai si peu que ce soit. 58 Tirez de votre bourse (normandisme). « Nul ne paie voulentiers, ne sacque argent hors de sa bourse. » Froissart. 59 LV : vesen la (Voyez-en là : en voilà pour la valeur de votre double denier.) 60 « Gras double : espèce de trippe que vendent les trippières ; c’est le second des quatre ventricules du bœuf, ou des autres animaux qui ruminent. » Furetière. 61 LV : ne les veulx sy (Je les remets dans mon baquet.) 62 Tripoter. « Ne les patrouillez poinct ainsy ! » Le Marchant de pommes. 63 Il fait mine de remettre les tripes dans le baquet avec ses mains douteuses. La tripière l’en empêche. 64 Tu les paieras (normandisme). Les tripes étant souillées, elles deviennent invendables, et le valet peut les garder. Les écoliers des Repues franches emploient la même ruse pour se procurer des tripes gratuitement : « Françoys (…)/ Les voulut tout incontinent/ Remettre dedans le baquet./ El ne les voulut pas reprendre. » 65 LV : tripiere tu mentiras (Le passage 111-116 est corrompu.) La saleté des tripières, qu’on ramène toujours aux excréments contenus dans les intestins, est passée en proverbe. « Ou une orde tripière aussi,/ En vendant du foye ou du (gras) double/ Pour ung denier ou pour ung double,/ Du boyau cullier ou du mol [du mou],/ Jurera saint Pierre ou saint Pol. » (Éloy d’Amerval.) Dans la Trippière (F 52), l’injure « orde trippière » apparaît deux fois. 66 LV : fist 67 LV : de ton grand pere (St André est toujours qualifié de bon : « Ô bon sainct André, que vous aviez bien raison de ne vouloir point quitter la Croix ! » Jacques d’Arbouze.) On reprochait aux tripières de jurer sur les saints : voir le vers 108 et la note 65. 68 Je vais te défigurer. 69 LV : deme (On appelait les saintes madame. « Il fist faire ung monastère en l’honneur de madame saincte Agathe. » Jehan Platine.) 70 Elle m’a donné un coup de patte, une gifle. 71 LV : chauses (Va-t’en !) Peu d’acquêt = rien à gagner. C’est notamment le nom d’un gueux dans la farce des Coquins (F 53), et le nom d’un pauvre dans Marchandise et Mestier (BM 59). 72 Un loricard est un fanfaron : cf. le Résolu, vers 88. Loriquet et sa fille furent sans doute des personnages de farce. Leur nom était prédestiné au théâtre : de 1840 à 1882, plusieurs comédies mettront en scène un mari faible nommé Loriquet. Sa fille paraîtra dans les Noces de mademoiselle Loriquet, de Grenet-Dancourt. 73 LV : mere (qui ne rime pas. Marguet est une épouse échangiste dans le Savatier et Marguet.) Une Marguet, ou une Margot, est une prostituée ; son fils est donc un fils de pute : « Le filz à la grosse Margot ! » Trote-menu et Mirre-loret. 74 Nous y passerions la soirée (normandisme).