LE FOL ET LA FOLLE
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LE FOL ET
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LA FOLLE
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En dehors des sotties, le théâtre médiéval ne fait guère appel aux folles : les farces s’en tiennent aux fous, et les prétendues « folles » des Mystères ne sont que des hystériques qui se croient possédées par le diable. Pourtant, Claude Chevalet1 dissimula dans sa Vie de sainct Christofle (~1510-1514) une authentique sottie, où une Folle rivalise de hardiesse avec un Fol.
Ce Mystère narre aussi les tribulations d’une troupe de bateleurs itinérants : ils sont à la fois clowns, jongleurs, montreurs d’animaux plus ou moins savants, faiseurs de bons tours, joueurs de mauvais tours, accompagnateurs de danses, marchands de fausses gravures pieuses et de partitions, chansonniers, etc. Leur troupe minable a beaucoup de points communs avec celle de la farce du Bateleur.
Source : La Vie de sainct Christofle, élégamment composée en rime françoise et par personnages par maistre Chevalet. Imprimé à Grenoble en 1530. Bibliothèque nationale de France, Rés. YF 116. Je recommande l’édition critique de Pierre SERVET : La Vie de sainct Christofle ; Droz, 2006.
Structure : Rimes plates, avec 3 triolets, et une ballade sans envoi.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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LE FOL 2 SCÈNE I
Gare ! Gare ! Faictes-moy place !
Reculle-toy, fol ydïot !
Car je suis ung estradïot3
Aussi légier4 q’ung lymasson.
5 Pour menger soit cher5 ou poisson,
Jamais ne m’en treuve malade.
Seray-je point de l’ambassade ?
Aray-je perdu mon crédit ?
Vous sçavez bien que chescum dit :
10 « Souvent, en ung mauvais passage6,
Ung fol enseigne bien7 ung saige
Quant le saige voyt qu’il se noye8. »
Si j’eusse la robe de soye,
Je m’en yrois en Gastinoys :
15 Car, quant on verra mon mynois,
On dira que je suis ung Conte9.
Fait-on testes de folz de fonte,
Ainsi que l’on fait une cloche ?
Celuy qui me fit la caboche
20 La me fit ung petit trop creuse10.
LA FOLLE
Il a dit vray ! Et bien fumeuse11 :
Elle va tousjours fumassant.
L’on ne trouveroit, en ung cent,
Teste que mieulx [vercoquin pille]12 :
25 Elle est ronde comme une bille
Et légière comme une plume.
LE FOL
Il fault donc, si ma teste fume,
Que je porte13 le feu au cul :
Car en effect, oncque ne fut
30 Fumée qu’il n’y eust du feu14.
Viens çà ! Il n’y a point de jeu15,
Car mon cul souffle si souvent
Que j’ay paour qu’il face, du vent,
Allumer le feu à la forge16,
35 Qui me sortira par la gorge
Et me brûlera le museau.
LA FOLLE
Va-t’en mettre le cul en l’eau
Prestement en celle rivière :
Si le feu est en ton derrière,
40 Il sera incontinent mort.
LE FOL
Je le veulx bien, j’en suis d’acord.
Viens-moy ayder et sera fait.
LA FOLLE
Garde-toy bien de faire ung pet,
Affin que le feu ne s’alume.
LE FOL 17
45 Regarde ! Voy-tu rien qui fume ?
LA FOLLE
Ne bouge le cul d’une place !
LE FOL
Ceste eau est plus froide que glace.
LA FOLLE
Ne te chault : prens en pacience
Sans bouger.
LE FOL
Par ma conscience !
50 Je suis en ung aultre danger :
Ces poissons me veullent18 menger
Tout vif 19. Il me fault reculler.
Et pour me garder de brûler,
Je ne sçay remède que boire.20
*
LE FOL SCÈNE II
55 Qui m’aura emblé21 ma marote,
Si me la rende incontinent
Sur peine d’excommuniment22 !
Ou [bien] j’en feray faire une aultre
Qui aura la teste de peaultre23,
60 Le cul de fer, d’acier le joys24 ;
Et l’une de[s] jambes, de boys ;
Et l’aultre, de pierre de taille ;
Le bec grant comme une poullaille25,
Et les tétins de deux molettes26.
65 « Venez achepter ces lunettes27
(Estront de chien) pour vostre nez !
Or advancez-vous, advancez
Pour parler à ce Jehan Testu28 ! »
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Holà, ma sotte ! Où es-tu ? SCÈNE III
70 Je croy que tu fais l’arquimye29.
Viens çà ! approuche-toy, m’amye :
Il te fault recouldre le ventre30,
Car je me doubte que g’y entre,
Quelque jour, chaussé et vestu.
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LA FOLLE SCÈNE IV
75 Me voicy ! Que demandes-tu ?
Je viens pour te faire merveilles :
Il te fault coupper les oreilles
À faire deux manches d’estrilles31.
Et si, te raseray les « billes »
80 Rasibus du cul32, par-derrière.
Ne tire point le cul arrière33,
Car je les auray, par mon âme !
LE FOL
Alarme, bonnes gens, alarme !
Gardez-moy qu’elle ne me tue !
85 Elle me veult, dessoubz la « queue »,
Couper les bataulx34 de la cloche,
Les oreilles de la caboche35.
[Hare ! hare]36 ! Qu’elle soit prise !
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Seigneurs, je demande franchise37. SCÈNE V
90 Hé ! Jupiter, secourez-moy,
Et je vous voue38 (sur ma foy)
Boire tousjours le vin sans eau ;
Et ne mengeray beuf, ne veau,
Mouton, chevreau, qui ne soit cuyct ;
95 Et juneray toute toute la nuyct,
Au moins si je ne me réveille.
Mesmement39 le jour de la veille
De vostre grant solemnité40,
Car je serois déshérité
100 D’avoir perdu ung tel « joyau41 ».
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LA FOLLE 42 SCÈNE VI
Où est-il allé, mon luneau43 ?
Je te44 trouveray, quoy qu’il t’arde.
LE FOL
Je suis en franchise, regarde !
N’aprouche point de moy, Babeau45 !
LA FOLLE
105 Je vous auray, ou le feu m’arde46 !
LE FOL
Je suis en franchise, regarde !
LA FOLLE
Je te chastieray — quoy qu’il t’arde —
Tout maintenant, de ce cousteau !
LE FOL
Je suis en franchise, regarde !
110 N’aprouche point de moy, Babeau !
Voicy le Temple bon et beau :
Garde-toy bien de faire noyse !
LA FOLLE
Qui me garde que je n’y voyse47 ?
Oncques nul des dieux n’en parla.
115 Et si, vous fault passer par là,
Au moins s’ilz ne sont les plus fors48.
LE FOL
A ! jambes, saulvez-moy le corps49,
Et je vous donray chausse[s] neufves !
Tu n’as garde que tu me treuves,
120 Et fust la lune en [son croissant]51.
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LA FOLLE 52 SCÈNE VII
Hau, follaton ! Viens-moy passer
Maintenant delà la marine53,
Car je suis bonne pèlerine
Qui, pour avoir le « picotin54 »,
125 M’en vueil aller à Sainct-Trotin55,
Où je gaigneray le pardon56.
LE FOL
Scez-tu pas bien que mon « bourdon57 »
Est trop court pour trouver le fons58 ?
Il est aussi foible que joncs
130 Pour ployer. Entens-tu la note59 ?
LA FOLLE
Ne sces-tu prendre ta « marotte60 »,
Celle qui a la teste rouge61 ?
Approuche-toy, et ne te bouge !
Il n’est pas temps que l’on rechigne.
135 Je te voys monter sur l’eschine62 ;
Garde-toy bien de répiter63.
LE FOL
Mais te garde bien de péter
Ainsi que tu as de coustume !
Car, par Dieu, s’il fault que j’en hume,
140 Je sçay bien que nous aurons noyse.
Ventre sainct Gris, comme tu poyse64 !
Oncques ne portay tel fardeau.65
LA FOLLE
Je te rendray ce tour, lourdeau !
M’as-tu laissé tomber par terre ?
145 Or te metz là, que je te serre66 !
Ou, par Dieu, je te froteray67.
LE FOL
Que veulx-tu ?
LA FOLLE
Je remonteray,
Il ne fault point estre rebelle !
LE FOL
Il fault donc avoir une eschelle,
150 Ou tout versera, j’en suis seur.
LA FOLLE
Tien-toy ferme et [n’aye pas peur]68 ;
Et garde bien de me lascher !
Je suis bien. Pense de marcher69
— As-tu entendu ? — fort et rède !
LE FOL 70
155 Aay, ay, ay ! Que ceste eau est froide !
Elle entre dedans mon soullier.
LA FOLLE
Sus avant, maistre lymonnyer71 !
Nous serons tantost au millieu.
LE FOL
Et ! qu’est cecy ? Bon gré ’n72 ayt Dieu !
160 Paillarde, avez-vous vécy73 ?
Descendez, et m’attendez cy,
Que j’aye l’eschine plus forte.74
LA FOLLE
Alarme, alarme ! Je suis morte,
Je suis noyée, somme toute.
LE FOL
165 Je luy ay faict de son cul souppe75,
Non pas en vin mais en bel[le] eau.
Scez-tu quoy ? Attens-moy, Babeau,
Et je voy quérir ung cheval76.
Avez-vous faict le vent d’aval77,
170 Et vescy à vostre privé78 ?
Vous en avez le cul lavé,
Affin que l’on y remédie !
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LES BASTELEURS 79
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MAULOUÉ80, basteleur, commence. SCÈNE I
Où es-tu ? Hau, Mal-assegnée81,
Apporte-moy tous mes bateaux82,
Estrilles, focilles, cousteaux83 ;
Bastons, bacins84, siffléz85, timballe ;
5 Les gobeletz, les noys de galle86 ;
Le synge, la chièvre, le chien
Et l’ours (que nous n’oublions rien),
Avec le mole87 des ymages,
Pour courir villes et villages.
10 Maufourbie [es]t-elle [où ell’ est]88 ?
Où est Henriet, mon varlet,
Pour chanter avec sa guiterne89 ?
MAL-ASSEGNÉE
Il est allé à la taverne.
Qu’à tous les diables puist tout estre,
15 Autant le varlet que le maistre !
L’on me laisse cy toute seulle.
L’ours brayt de fain et le chien ule90 ;
Le singe dit sa pateno[u]stre91.
Et si, vous dis encor en oultre
20 Que nous n’avons denier ne maille.
MAULOUÉ
Hé ! nous en aurons — ne te chaille —,
Quelque jour, de l’argent content…
S’il en pleust, dea, cela s’entent !
MAL-ASSEGNÉE
Esse donc tout ?
MAULOUÉ
Ma [donna, sy]92 !
MAL-ASSEGNÉE
25 N’en prendrez-vous autre soussy ?
Je suis bien de mal heure93 née !
MAULOUÉ
Et ! n’es-tu pas Mal-assegnée ?
Le nom est de mesme l’ouvrage94.
Acoup, qu’on charge le bagage !
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30 Henriet, vien çà ! Qu’on se haste ! SCÈNE II
HENRIET, varlet.
Laissez-moy mouller la gargatte95,
Qui est si sèche, pour le hâle96.
Qu’en buvant, jamais je ne parle :
Ma mère me le deffendy.
MAULOUÉ
35 Qu’est cecy ? Es-tu estourdy ?
Dont te vient ce mal, mon varlet ?
Est-ce point de menger du laict
Que tu as la couleur vermeille ?
HENRIET
Je l’ay prins en ceste bouteille.
MAL-ASSEGNÉE
40 Je cuyde qu’il a veu les anges
Qui tumbent du ciel en vendanges.
C’est la douleur qui le travaille97.
HENRIET
Je l’ay pris en ceste bo[u]teille.
MAULOUÉ
Tu as vendangé sans cousteau98.
45 Mais tu y jouras du basteau
Et99 du bassin, je le conseille.
HENRIET
Je l’ay pris en ceste bouteille.
MAL-ASSEGNÉE
Pour vous guérir de ce farcin100,
Avallez-moy ce plain bassin
50 D’eau claire ! C’est la médecine,
Il ne fault point faire la myne101.
Tenez, et vous lavez la gorge !
HENRIET
Qu’ell’ est froide, bon gré sainct George !
J’aymoys mieulx celle du barry102.
MAULOUÉ
55 Or viens çà ! N’es-tu point guéry ?
HENRIET
Je n’entens point la guérison :
J’en ay pris une trancheyson103
Qui me fera les boyaulx fendre.
MAULOUÉ
Sus devant ! Car il nous fault prendre
60 Le chemin tout droit à Damas.
Mais je ne sçay point que tu m’as
Fait104, aujourd’huy, de ma trompette.
HENRIET
Voy là cy105, maistre.
MAULOUÉ
Qu’on se mette
En voye, c’est le principal.
65 [Que] chescum preigne son bestial
Du trein de la bastellerie106.
N’avons-nous pas d’ymagerie107 ?
C’est le principal du mestier108.
MAL-ASSEGNÉE
Il en y a ung cent entier109 ;
70 C’est assez pour une sepmaine.
MAULOUÉ
Henriet ! Il fault que tu meine,
Pour ta part, l’ours avec le chien.
Garde que nous n’oublions rien,
Mon varlet ! As-tu entendu ?
HENRIET
75 Je vouldrois que tout fust vendu.
Car incessamment je travaille,
Et si110, n’ay ne denier ne maille
Ne, souvent, de quoy me repaistre.
MAULOUÉ
Tais-toy ! Je te passeray maistre111
80 Avant que soit jamais troys moys.
Et si, auras quatre tournoys
Toutes les sepmaines pour boyre.
MAL-ASSEGNÉE
Il ne boyt que trop !
HENRIET
Voyre, voyre,
Belle dame, laissez-moy vivre !
85 Si, d’aventure, je suis yvre,
Je me couche bien tout vestu112.
MAL-ASSEGNÉE
Et de quoy [donc t’esbranles-tu]113 ?
HENRIET
J’ay en la teste la migraine.
Puis après, il fault que je traîne
90 Ce bestial114 à force de corps.
Mais, par tous les dieux, si tu mors,
Tu auras une bastonade !
MAULOUÉ
Nous deussions jà estre à Grenade115,
Pour le vous dire à brief parler.
95 Avançons, et pensons d’aller !
Et qu’on me laisse ce desbat !
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MAULOUÉ 116 SCÈNE III
Dieu gart et le Roy et la Court,
Les dames et les damoiselles !
MAL-ASSEGNÉE
Ostez vostre chapeau, tout lourt117 !
HENRIET
100 Dieu gart et le Roy et la Court !
MAULOUÉ
Nous sommes, pour le temps qui court,
Mynces118 d’argent et sans rouelles.
MAL-ASSEGNÉE
Dieu gart et le Roy et la Court,
Les dames et les damoiselles !
LE ROY DE DAMAS
105 Scez-tu nulles chançons nouvelles ?
Voulentiers les vouldrois ouÿr
Pour la compaignie resjouyr.
Si tu scez rien119, que l’on le voye !
MA[U]LOUÉ
Je fais, d’une chièvre, blanche120 oye ;
110 D’ung ourseau121, ung molin à vent ;
Et d’ung franc, dix solz122, bien souvent.
Henriet, acoup, ma trompette !
Bran123 ! qu’est cecy ? Ell’ est maulnette124.
Je cuyde que Mal-assegnée
115 Ou mon varlet l’ont embrenée.
C’est merde, que vous le sachez.
Advancez-vous et vous mouchez,
Petitz enfans125 ! Çà : Maufourbie,
Que j’ay porté de Conturbie126
120 Pour [y] en faire une levée127 :
Puisqu’ell’ est ung petit roullée128,
Ne vous chaille, c’est bien du moins129 !
[Car] pour une espée à deux mains,
Au monde n’en a point de telle.
125 Regardez-moy quelle alumelle130 !
Elle reluyct comme charbon131.
HENRIET
Et ! par tous noz dieux, voylà bon !
Pourquoy me frappez-vous, beausire ?
Je ne dis pas pour vous mauldire,
130 Mais tous les diables y ai[en]t part132 !
MAULOUÉ
Et ! par Dieu, voylà bon coquart133 !
Quant tu cognois134 que je m’esbas
De Maufourbie [et] hault et bas135,
Ne te scez-tu tirer arrière ?
135 Tu sces bien que c’est la manière
[Que] de faire136 à son maistre place.
HENRIET
Bref, je n’en sçay ne gré, ne grâce ;
Et de vray, n’en suis point content.
Et vous en desportez à tant137,
140 Car, par Dieu, le jeu ne vault rien !
MAULOUÉ
Or çà ! il fault jouer138 du chien :
Admeyne-le-moy cy en place.
Hau ! Le boys tost passe139 !… Repasse !…
Saultez, et vous ferez que saige140 !…
HENRIET
145 Il est en son aprentissage,
Et n’est pas encores bon maistre141.
MAULOUÉ
Pensez : qui le laissera croistre142,
Ce sera ung chien tout de mesme143
Pour menger [du] beurre en Caresme
150 Par faulte de chair144.
HENRIET
Hé, caroigne145 !
Par le sang que Dieu fist ! il groigne.
Je146 croy qu’il a, de paour, la fièvre.
MAULOUÉ
Çà, le singe !
MAL-ASSEGNÉE
Mais bien147 la chièvre,
Qui vous mettra au cul la corne !
MAULOUÉ
155 Laisse-la là ; qu’elle séjourne148 :
Ell’ est ung peu mal disposée149.
HENRIET
Mais faisons-en une espousée,
Et luy mettons ung couvrechef
Sur les cornes, dessus le chef,
160 Pour luy donner en mariage
Le synge.
MAULOUÉ
Tu devise rage150 !
Je suis bien content qu’il151 se face.
Ameine tout !
MAL-ASSEGNÉE
Quel chiche-face152
Pour [bien] faire ung charivary !
HENRIET
165 L[e] synge, qui est son mary,
Vouldroit bien qu’elle fust à Can…153
MAULOUÉ
Dancez, madame de Bo[u]can154 !
Et je vous mèneray la feste155.
MAL-ASSEGNÉE
Hé ! que mauldicte soit la beste !
170 Regardez quelle contenance !
MAULOUÉ
Henriet, tu menras la dance.
Et me tiens le singe de près156 !
Et ma femme yra après,
Qui fera la chièvre dancer.
HENRIET
175 Je suis tout prest de commencer.
MAL-ASSEGNÉE
Et moy, de [me] mettre au millieu157.
MAULOUÉ
Or sus ! Hay advant, de par Dieu !
Et je menray du flajolet158.
HENRIET
Hé ! Dieu, que le synge est lait !
MAL-ASSEGNÉE
180 Que la chièvre fait bonne troigne !
HENRIET
Tire avant, teste de mulet159 !
MAL-ASSEGNÉE
Hé ! Dieu, que le synge est lait !
HENRIET
La chièvre tiens par le collet.
MAULOUÉ
Oncques ne vistes tel besoigne.
MAL-ASSEGNÉE
185 Hé ! Dieu, que le synge est lait !
HENRIET
Que la chièvre fait bonne troigne !
MAULOUÉ
Elle semble une cygoigne160.
Hau ! c’est assez, laissez la dance !
Mal-assegnée, qu’on commence
190 Faire monstre de noz ouvrages :
Il fault vendre de noz ymages,
Voylà la cause qui nous meine.
MAL-ASSEGNÉE
Voyez-en cy une douzaine.161
Desployez tout à l’adventure.
MAULOUÉ
195 Seigneurs, voicy la pourtraicture
Du glorieux sainct Al[i]pantin162,
Qui fust escorché d’ung patin163
Le jour de Karesme-Prenant164.
Après, voicy sainct Pimponant
200 Avecques sainct Tribolandeau,
Qui furent tous deux d’ung seau d’eau
Décolléz165, dont ce fut dommage…
Puis voicy le dévot ymage
Du glorïeux martir sainct Pran166,
205 Qui fust jadis boully en bran
Et lapidé de pommes cuyctes167 ;
Et par ses glorïeux mérites,
Je le maintiendray devant tous :
Il guérit les chatz de la touz168,
210 Quant ilz y ont dévotion.
Si vous avez intention
De les avoir, je les vous baille
Les deux pour .III. deniers et maille ;
Mais toutesfoys, argent content169 !
215 Ung peintre n’en feroit pas tant
De bonnes couleurs pour .II. francs.
Avant170, avant, petitz enfans !
Vous n’en payez pas la façon171.
MAL-ASSEGNÉE
Il [nous] fault dire une chançon172
220 En attendant qu’on les vendra173.
MAULOUÉ
Je le veulx bien. Qui m’aydera ?
HENRIET
Tous deux ensemble, je l’entens.
MAULOUÉ ET LES AUTRES
Resveillez-vous, gentilz gallans,
Et entendez bien mon latin174 !
225 Gentilz pïons175, mes bons chalans,
Ne vous levez point trop matin.
Quant vous aurez beu ung tatin176,
Cela vous réconfortera.
Mais si vous mettez d’eau au vin,
230 Le diable vous emportera.
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Ne rompez point les huys ouvers177,
C’est sur peine178 d’estre pendu ;
Et mettez femmes à l’envers,
Car cela n’est point deffendu.
235 Joingnez « tendu » contre « fendu » :
La besoigne se parfera.
Ou sinon — av’ous entendu ? —
Le diable vous emportera.
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Nourrisses ne dépucellez179 !
240 Vous entendez bien le trippot 180 ?
Et quant aux tavernes allez,
Ne payez point deux foys l’escot :
Car qui mengera ung fagot 181
Sans boyre, il s[’en] estranglera.
245 Et si vous faictes le bigot,
Le diable vous emportera.
LE ROY DE DAMAS
Bénédicité ! Marïa !
Oncques je n’ouÿs chançon telle.
Je croy qu’il [l’]a faicte nouvelle
250 Tout maintenant dessus les rans182.
Séneschal, donnez-luy dix francs
Pour boyre et pour l’esbatement !
LE SÉNESCHAL
Tiens, prens cela légièrement :
C’est argent pour crocquer la pie183.
MAULOUÉ
255 Chier sire, je vous remercie.
Je ne gaignay tant de dix jours.
Tout est vostre : le synge, et l’ours,
La chièvre, et Mal-assegnée.
Je vouldrois qu’on l’en [l’]eust menée,
260 Affin d’en estre despêché184 !
J’en ferois tousjours bon marché,
Et n’en eussé-je [qu’]une maille185.
*
1 Sur ce fatiste de Vienne, voir la notice des Deux pouvres. 2 Imitant les Sots des sotties, il traite les spectateurs de fous, et les bouscule pour monter sur scène. 3 Un cavalier albanais qu’on envoie en éclaireur. Cf. le vers 287 de L’Andureau et L’Andurée, autre farce provenant du même Mystère. Le Fol chevauche sa marotte. 4 Rapide. 5 De la chair, de la viande. 6 Quand un sage s’est mis dans un mauvais pas. 7 Fait la leçon à. « J’ay souvent ouÿ en proverbe vulgaire [populaire] qu’un fol enseigne bien un saige. » Rabelais, Tiers Livre, 37. 8 Le fou donne une leçon de prudence au sage qui est en train de se noyer, au lieu de le secourir, « comme celuy qui, estant sur le bord d’une rivière, assiste de parolles son amy qui se noye ». (Cardinal de Richelieu.) 9 Il y a bien longtemps que le Gâtinais n’était plus un comté. 10 Un peu trop creuse : ma tête sonne creux comme si c’était une cloche en fonte. 11 Sa tête est bien fantasque. « La teste verte,/ Fumeuse et toute lunatique. » L’Arbalestre. 12 Éd : uerticoquille (Le ver coquin* est logé dans la tête des gens qui ont une lubie. « Leurs femmes ont mis ce ver coquin amoureux dans leurs testes. » Brantôme.) Il faut comprendre : Parmi cent personnes, on ne trouverait pas une tête que la folie dévaste mieux. *Ce Mystère emploie aussi la variante avertin : « Puis qu’elles ont prins l’avertin/ En la teste, tout est perdu. » 13 Que j’aie. Le Vendeur de livres signale une farce de Ceulx qui ont le feu au cul. 14 Il n’y a pas de fumée sans feu. Les Fols des sotties prennent toujours les expressions au pied de la lettre. 15 Il ne faut pas plaisanter. 16 J’ai peur que mon cul ne se transforme en soufflet de forge. 17 Il baisse ses chausses et plonge son postérieur dans la rivière, laquelle joue un rôle prépondérant dans ce Mystère ; nous la retrouverons aux vers 121-172. 18 Éd : uueillent 19 Les spectateurs ont entendu « tout vit », qui se prononce de la même façon : tout mon pénis. « Femmes enseintes/ Qui ont esté au ‟ vif ” atainctes. » Sermon pour un banquet. 20 Le Fol boit, mais pas l’eau de la rivière. La sottie ne reprend qu’au bout de 4 550 vers. 21 Que celui qui m’aura volé. 22 Sous peine d’excommunication. Même vers dans Saincte-Caquette. 23 D’étain. Cf. Ung biau miracle, vers 2751. 24 Le sexe. Cf. L’Andureau et L’Andurée, vers 418. « Pour luy faire fondre la gresse/ Du cropion autour du joys. » St Christofle. 25 Comme le bec d’une poule. Ou bien : comme une poule. 26 Les seins rembourrés par du molleton. « Pour mauvais tétins/ Et pour ceulx qui portent mollettes. » Maistre Pierre Doribus. 27 Sur les fous à lunettes, voir la note 72 du Monde qu’on faict paistre. 28 Pour parler à Jehan le Fol. 29 L’alchimie : que tu es en train de faire l’amour avec un autre. « N’avez-vous pas eu assez temps/ De faire vostre paillardise ?/ Faictes-vous encor l’arquemye ? » St Christofle. 30 Il faut te recoudre le bas-ventre, la vulve. 31 Il faut couper tes oreilles de Sot pour en faire deux manches de brosses. 32 Et aussi, je te trancherai les testicules d’un coup de rasoir, au ras du cul. 33 Ne recule pas. Cf. L’Andureau et L’Andurée, vers 146. 34 Les batteaux : les battants, qui pendent. Ce mot désigne les testicules. « Un bel ‟ouvrier de nature”, fort bandé, qui à bon droit mérite estre appelé membre, accompagné de deux battans au-dessoubs qui luy servent d’ornement. » Nous sommes bluteurs. 35 Les oreilles de ma tête (vers 77). Mais aussi : les testicules de ma verge. « Le membre de Colin, deffaict,/ Se retira, penchant l’oreille. » (Cabinet satyrique.) « Au moyen du vin de Baccus,/ Pour lequel souvent on bat culz,/ Sa grosse caboche dressa. » (Sermon de Billouart.) 36 Éd : Pare pare (Cri par lequel on excite les chiens pour qu’ils attrapent une proie. « Hare ! hare ! Si me mordez,/ Je le diray à l’empereur. » Daru.) 37 L’asile en zone franche, comme au vers 103. Le Fol se réfugie dans l’inviolable temple de Jupiter. 38 Je vous jure. Ces promesses ne coûtent rien : le Fol boit déjà le vin sans eau, mange déjà sa viande cuite, et il jeûne déjà pendant qu’il dort. 39 Je jeûnerai aussi. 40 « La feste de l’immortel/ Jupiter. » Mystère de sainte Barbe. 41 Mes bijoux de famille, dont j’ai hérité de mon père. 42 Elle pénètre dans le temple de Jupiter. 43 Mon lunatique. « Parlez tout doulx, car il tient de la lune…./ Il est luneau, vous le ferez troublé. » Marchandise et Mestier, BM 59. 44 Éd : le (Ce vers sert de modèle au v. 107.) Quoi qu’il t’arde = même si tu es ardent, en érection. Jeu de mots sur deux verbes qu’on distinguait mal : arder [brûler], et arser [bander]. Idem vers 107. 45 La Folle se prénomme Isabeau, dont Babeau est le diminutif, comme à 167. « ‟Certes, je n’y entreray point”,/ Respond à la mère Ysabeau…./ Elle y entra. Babeau se couche. » (Le Banquet des chambrières.) On traite de « Babeau » les femmes de mauvaise vie : cf. L’Andureau et L’Andurée, vers 54. « Approuchez-vous, dame hydeuse !/ Avez-vous entendu, Babeau ? » St Christofle. 46 Ou que le feu de l’Enfer me brûle. La châtreuse poursuit le Fol dans le temple, en brandissant un couteau. 47 Qui m’empêche d’y aller ? 48 Si les dieux ne sont pas plus forts que moi. 49 Courez assez vite pour que je puisse échapper à la châtreuse. L’Andureau, voulant échapper à sa mégère, s’écrie : « Jambes, portez le corps arrière ! » 51 Éd : decroissant (« De la lune en son croissant. » Ronsard.) Tu ne risques pas de me trouver, même avec l’aide du clair de lune. La sottie reprend au bout de 3 000 vers. 52 Elle veut passer de l’autre côté de la rivière (vers 38) en montant sur les épaules du Fol. Chevalet parodie la légende de saint Christophe, qui exerce le métier de passeur ; son plus notable client n’est autre que Jésus, auquel il vient de faire traverser la même rivière juché sur ses épaules. Chevalet parodie aussi Tristan qui, déguisé en lépreux, fait franchir un gué à Iseut en la portant sur son dos ; Tristan et Iseut deviennent donc Jean Têtu et Babeau. 53 De l’autre côté de l’eau. 54 Ma ration de sperme. « Sottes qui veulent avoir leur picotin. » Jeu du Prince des Sotz. 55 Pèlerinage où les épouses vont trotter sans leur mari. Dans ce Mystère, un cocu dit à sa femme : « Or va (sans faire le revien)/ Au diable et à Sainct-Trotin ! » 56 Où je commettrai un péché pour faire pardonner les précédents. « En divers lieux (elles) vont gaigner les pardons/ Pour en leurs lacs attraper la ‟vitaille”. » L’Advocat des dames de Paris touchant les pardons Sainct-Trotet. 57 Mon bâton de pèlerin. Double sens : mon pénis. Cf. le Pèlerinage de Mariage, vers 137 et note. 58 Le fond de la rivière. Double sens : le fond de ton vagin. « J’en ay une que j’aime ung peu./ On n’y treuve ne fons, ne rive. » Les Sotz qui remetent en point Bon Temps. 59 Comprends-tu mes paroles ? 60 Ton phallus. La marotte est un emblème phallique composé d’un bâton surmonté d’une tête. 61 Celle qui est munie d’un gland. « Ell’ avoit/ La teste bien rouge devant. » La Confession Margot. 62 Je vais monter sur ton dos. 63 D’exiger un répit, de différer. 64 Ventre de saint François d’Assise, que tu pèses ! 65 Le Fol laisse tomber la Folle par terre. 66 Afin que je te serre entre mes cuisses. 67 Je te battrai. 68 Éd : nay paour (« Et n’ayez peur que je vous faille. » Colin qui loue et despite Dieu.) 69 Je suis bien installée, dépêche-toi de traverser la rivière. « Pense d’aller et de marcher ! » Folconduit. 70 Il entre dans la rivière avec la Folle sur ses épaules. 71 Cheval d’attelage. Elle donne au Fol un coup de cravache avec sa marotte. 72 Aphérèse du pronom en. « Bon gré ’n ait bieu ! » Le Capitaine Mal-en-point. 73 Vessi, lâché une vesse, un pet. Idem vers 170. « Ell’ a du cul vessy. » (La Ruse et meschanceté des femmes.) Les vers 137-8 nous ont informé des problèmes aérophagiques de la Folle. 74 Il laisse tomber la Folle dans la rivière. 75 La soupe est un morceau de pain qu’on trempe dans le vin. « Ilz sont plus ivres qu’une soupe. » Massons et charpentiers. 76 Éd : cheuau (Je vais chercher un cheval.) 77 Éd : dariau (En terme de marine, le vent d’aval désigne le vent arrière : « Que désirons-nous ? Vent d’aval. » Gautier et Martin. Dans un registre plus scatologique, on devine d’où provient ce vent de derrière…) 78 Et pété discrètement. Mais les privées sont aussi les latrines : « (Ton père) curoit les privées. » Le Savetier Audin. 79 Cette farce en deux actes est un peu mieux intégrée au Mystère que la sottie. 80 Mal loué, mal considéré. 81 Mal assenée = mal mariée. C’est le nom générique des épouses insatisfaites. La nôtre fit l’objet d’une chanson : « C’est la femme d’un basteleur/ Qu’on apelle Mal-assenée. » (L’Arbalestre. Pour d’autres références, voir la note 60 de cette farce.) 82 Mes accessoires de bateleur. Idem vers 45. « Je susse jouer de bateaux,/ Se j’eusse ung ours ou une chièvre. » Les Menus propos. 83 Pour impressionner le public, on jongle avec des outils ou des armes munis de lames (soigneusement émoussées). 84 Le bâton est une baguette par-dessus laquelle on fait sauter le chien, comme au vers 143. Le bassin, encore nommé à 46, est un récipient qu’on utilise pour la quête : « Et faire cracher au bassin/ Ceulx-là. » Pour le cry de la Bazoche. 85 Éd : soufflez (Nos clowns sont bardés d’instruments de musique : une guitare, une trompette, un flageolet ; et donc, un sifflet [un mirliton] et une timbale [un tambour].) 86 Les gobelets servent pour les tours de passe-passe ; dans l’Escamoteur, Jérôme Bosch en a peint deux. (Nous remarquerons, au pied du bateleur, son chien savant, qui est assis près d’un cerceau en attendant de sauter au travers.) La noix de galle sert à faire de l’encre, peut-être pour réaliser les images pieuses que vendent nos baladins. Pour Pierre Servet, « il s’agit sans doute d’un élément de maquillage des jongleurs ». 87 Le moule, le pochoir avec lequel nous confectionnons des images coloriées qui représentent des saints. Voir les vers 191-216. La troupe du Bateleur vend elle aussi des portraits médiocres, mais ils représentent des comédiens. 88 Éd : quellest (Est-elle à sa place, dans le fourreau que je porte à ma ceinture ?) Maufourbie = Mal astiquée. C’est le nom que le bateleur donne à son épée, à l’instar d’un archer du Mystère de Saint Louis : « Vécy mon espée, Mal-fourbye. » Voir les vers 118 et 133. Chevalet parodie Excalibur (l’épée du roi Arthur), et Durandal (celle de Roland). 89 En s’accompagnant à la guitare. 90 Hurle. 91 « Quand un homme gronde & murmure entre ses dents, on dit qu’il dit la patenôtre du singe. » Le Roux, Dictionaire comique, satyrique. 92 Éd : donne cy (Probable refrain d’une de ces chansons que les musiciens français de l’époque composaient sur des paroles italiennes.) 93 À une mauvaise heure, sous une mauvaise étoile. Même vers dans le Nouveau marié, notamment. 94 Le nom correspond à la chose. 95 Mouiller mon gosier. « Arouse souvent la gargatte. » (Philippe Bouton.) Le valet boit à la bouteille ; il titube et sa figure est rouge. 96 À cause de la chaleur du soleil. « Ces pÿons [ivrognes] en avalleront/ Mainte chopine, pour le halle. » St Christofle. 97 C’est là son unique maladie. 98 Tu as tout perdu à la taverne. « Il n’y a plus denier ne maille ;/ Tout est vendangé sans cousteau. » Gautier et Martin. 99 Éd : Cest (Tu te renfloueras en utilisant nos accessoires de bateleurs, et tu feras la quête pour que le public crache au bassinet.) 100 Vos taches éthyliques ressemblent à une maladie qui affecte la peau des chevaux. 101 La grimace. Mal-assenée pince le nez du valet pour qu’il ouvre la bouche, dans laquelle elle verse l’eau du bassin. 102 Du baril de vin de la taverne. Cf. L’Andureau et L’Andurée, vers 84. 103 Des tranchées intestinales, des coliques. Il est exact que l’eau, pas toujours potable, provoquait un certain nombre de maladies. Les hommes du moyen âge n’ont pas attendu Louis Pasteur pour découvrir que « le vin peut être à bon droit considéré comme la plus saine, la plus hygiénique des boissons ». 104 Ce que tu as fait. 105 La voici. Henriet montre la trompette qui déforme avantageusement le devant de ses chausses tachées de crotte. 106 Que chacun prenne un des animaux de notre ménagerie. 107 D’images représentant des saints. Voir la note 87. 108 C’est ce qui nous rapporte le plus. 109 Une bonne centaine. 110 Et pourtant. 111 Je te ferai accéder au grade de maître bateleur. Ce grade imaginaire est employé comme insulte : « O ! que tu la nous vends trop chère,/ Maistre basteleur ! » Satyres chrestiennes de la cuisine papale. 112 Je ne vous demande pas de venir me déshabiller. 113 Éd : doncques branle tu (De quoi te mets-tu en peine, pourquoi t’énerves-tu ? « T’esbranles-tu au souffle du vent d’une seulle adversité ? » Jean du Croset.) 114 Cet ours et ce chien. Justement, le chiot se rebiffe. 115 Nous devrions déjà être ailleurs. « Quant il nous aura veu,/ Il vouldroit estre à Grenade ! » St Christofle. 116 La troupe rencontre le roi de Damas et la reine. Mauloué les salue sans retirer son chapeau. 117 Lourdaud. « Il avoit l’entendement tout lourd. » Histoire maccaronique de Merlin Coccaïe. 118 Dépourvus : cf. le Mince de quaire. Une rouelle est une pièce de monnaie : cf. la Confession du brigant, vers 55. 119 Si tu sais quelque chose. Le roi ne s’intéresse qu’aux chansons : voir les vers 247-252. 120 Éd : une (Une oie blanche est une pucelle ; or, aux vers 157-161, on déguise la chèvre en jeune mariée.) 121 Éd : pourceau (Nos bateleurs ont une chèvre et un ours, mais pas de porc. « Ourse alaittant ses ourseaux. » ATILF.) 122 Je fais 10 sous, une somme bien moindre. 123 Merde ! Ce juron est bien choisi : Henriet extirpe de ses chausses breneuses une trompette qui ne l’est pas moins, victime des coliques du vers 57. 124 Mal nette, malpropre. 125 Les bonimenteurs commencent toujours par cette phrase afin d’obtenir le silence : cf. le Bateleur, vers 3 et note. Sauf qu’ici et au vers 217, ces « petits enfants » auxquels on parle de merde désignent un roi et une reine. Le saltimbanque dégaine Maufourbie, sa piteuse épée (note 88). 126 Canterbury, qui est rebaptisé « Canthorbie » dans le Messager et le Villain. Les Mystères mettent un point d’honneur à ridiculiser tout ce qui rappelle la perfide Albion. 127 Pour livrer un assaut aux Anglais. « Que les François si ont esté/ Ès Anglois faire une levée. » ATILF. 128 Si elle est un peu rouillée. 129 C’est la moindre des choses. 130 Quelle lame. 131 Mauloué n’ayant pas précisé « comme du charbon ardent », force est de s’en tenir à ce qu’il a dit : Elle reluit aussi peu que du charbon. Le bateleur mime un assaut d’escrime contre son valet désarmé, qu’il touche avec le plat de sa lame. 132 Que tous les diables vous emportent ! Si ce n’est pas une malédiction, qu’est-ce que c’est ? 133 Un bon corniaud. 134 Quand tu as connaissance, quand tu vois. 135 Dans toutes les directions. « Prens tost tes fouetz, et le batz/ Du long, du lé [de long en large], et hault et bas ! » Daru. 136 Que c’est la règle de laisser. 137 Abstenez-vous-en pour le moment. « Je vous prie que vous vous déportez atant de ceste requeste faire. » ATILF. 138 Se servir. 139 Saute par-dessus la baguette ! Naturellement, le petit chien passe dessous. Même jeu dans l’autre sens. Ce gag fut longtemps au répertoire des clowns de cirques. 140 Vous ferez sagement. Le chien repasse sous la baguette. 141 Une œillade aux spectateurs suffit à faire comprendre qu’Henriet ne parle pas du chien mais de Mauloué, qui a prétendu le faire passer maître (vers 79). 142 Si on le laisse grandir. 143 Pareillement. 144 Pour s’adapter à toutes les situations. Pendant le jeûne du Carême, les catholiques ne consommaient ni beurre, ni viande, à moins d’acheter des dispenses à l’Église. 145 Charogne ! Le chiot l’a mordu. 146 Éd : Et (Je crois que la peur qu’il a eue lui a donné la fièvre.) 147 Mais plutôt. « Les chièvres alloient tout de reng./ La corne de la dèrenière/ Fut mise au cul de la première./ Quelle chièvre pourroit mieulx dire :/ ‟J’ay la corne au cul.” » Les Sotz escornéz. 148 Qu’elle se repose. 149 Elle n’est pas dans de bonnes dispositions. « Il dort, sire :/ Il est un peu mal disposé. » Le Poulier à sis personnages. 150 Tu dis bien. 151 Que cela. 152 Ce loup-garou se nourrit exclusivement d’épouses qui obéissent à leur mari ; voilà pourquoi il est d’une maigreur squelettique. Les charivaris admettent les déguisements les plus bestiaux. 153 Loin de Damas, où la scène se déroule. Henriet est interrompu après avoir prononcé la première syllabe de Cancale, qu’un passage similaire donne en entier : « Mieulx vous vauldroit estre à Cancalle ! » 154 C’est le nom de la chèvre, qui aimerait se faire boucaner, se faire saillir. « Boucaner, ou bouquaner, faire le bouc. » Godefroy. 155 Je mènerai la danse avec ma flûte (vers 178). 156 Par crainte qu’il ne consomme le mariage devant tout le monde. Les singes ont une réputation de lubricité. 157 Éd : meilleu (Voir le vers 158 du Fol et la Folle.) 158 Je mènerai la danse avec ma flûte champêtre. 159 Avance, tête de mule ! Henriet s’adresse à la chèvre. 160 Couverte par le voile nuptial, elle est blanche en haut et noire en bas, comme une cigogne. 161 On pourrait supprimer ce point en considérant que « déployés » est un participe passé qui se rapporte aux images du vers 191. « Image » était souvent masculin, par exemple au vers 203. 162 Les saints dont nos bateleurs vendent le portrait relèvent de la plus haute fantaisie. On se reportera aux notes de Pierre SERVET, ainsi qu’au Dictionnaire des saints imaginaires et facétieux, de Jacques MERCERON. Rabelais a définitivement rattaché Saint Alipentin à la scatologie : « Le pauvre Lymosin conchioit toutes ses chausses (…), dont dist Pantagruel : “Sainct Alipentin, quelle civette [puanteur] !” » (Pantagruel, 6.) 163 Par une semelle de bois : il reçut des coups de pied au cul qui lui écorchèrent les fesses. « Ung bien vaillant homme/ Qui n’est pas escous [secoué] d’ung patin. » Le Capitaine Mal-en-point. 164 Le Mardi-gras. Tout ce passage a une couleur fortement carnavalesque. 165 Traditionnellement, on jette un seau d’eau pour décoller deux chiens qui s’accouplent sur la voie publique. Ici, on sépare deux hommes dans la même posture. Le Carnaval autorise toutes les inversions. Chevalet évoquera encore la sodomie homosexuelle dans les Tyrans au bordeau (vers 476-9), et la sodomie hétérosexuelle aux vers 456-7 de L’Andureau et L’Andurée. 166 Prends ! On faisait bouillir les faux-monnayeurs, mais pas dans de la merde. 167 « Que j’abatis/ Les chièvres, et que combatis/ Ces marmotes [guenons] de pommes cuytes. » L’Arbalestre. 168 Cette expression revient dans de nombreux textes. Mais ici, Carnaval oblige, nous sommes encore dans la scatologie : « C’est mon cul qui a la toux. » (Chansons des comédiens françois.) On voyait en effet des enseignes représentant un chat qui pète. 169 Vous paierez tout de suite, pour que je ne me fasse pas rouler par vous. Rappelons que Mauloué s’adresse à un roi. 170 En avant, allons ! « Avant, avant, petit naquet ! » (Trote-menu et Mirre-loret.) Les « petits enfants » sont toujours le roi et la reine, comme au vers 118. 171 Pour ce prix-là, vous ne payez même pas le coût de leur fabrication. 172 Ce vers, tel que je le complète, est le vers 565 de la Pippée. 173 Ce n’est pas clair : vont-ils vendre leurs images, ou bien les partitions des chansons ? Les chanteurs des rues vendent la chanson qu’ils viennent d’interpréter : « Il me convient/ De vostre chanson acheter/ Plusieurs coppies. » (L’Aveugle et Saudret.) Au bas de cette planche, sur une estrade, on voit deux chanteurs proposer leurs partitions. 174 Mon langage. 175 Buveurs de vin (vers 254). « Pÿon, yvrongne et sac à vin. » (Le Raporteur.) Les chalands sont les bons compagnons. 176 Bu un coup. « Va me mener à la taverne ;/ Et là, nous burons ung tatin. » (L’Aveugle et Picolin.) Beaucoup de chansons reprochent aux moines de faire la grasse matinée et de ne se lever que pour boire. Par exemple celle-ci : « L’Ordre ne dit mye de lever matin./ Dormir jusqu’à prime et boire bon vin,/ Et chanter matines sur ung pot de vin. » La Résurrection Jénin à Paulme. 177 N’enfoncez pas les portes ouvertes. Ces « huis » béants désignent le sexe des femmes. « Je suis (celui) qui romps les huis ouvers/ Et despucelle les nourrisses. » Sermon joyeux d’un Dépucelleur de nourrices. 178 Sous peine. « Et sur peine d’estre pendu. » Légier d’Argent. 179 Éd : de pucelles (Voir la note 177.) Une nourrice a du lait parce qu’elle a eu un enfant ; malgré quelques précédents illustres, elle a donc peu de chances d’être encore pucelle. « Saint Velu (…)/ Despucella maintes nourrisses. » Sermon de saint Velu. 180 L’affaire. Mais aussi : le coït. « En faisant l’amoureux tripot. » Pernet qui va au vin. 181 Celui qui avalera un fagot. Mais aussi : celui qui dépensera un fagot. Les taverniers facturent aux clients le bois de chauffage (et la chandelle). « Brûler le fagot : aller boire bouteille ensemble au cabaret, & y brûler un fagot pour se chauffer en buvant. » Le Roux. 182 Ici même : qu’il vient de l’improviser. 183 Pour boire du vin. Cf. Te rogamus audi nos, vers 64. 184 Qu’on l’ait emmenée, afin que j’en sois débarrassé. 185 Je la céderais à bas prix, même si cela ne me rapportait qu’un centime.
MASSONS ET CHARPENTIERS
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MASSONS ET
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CHARPENTIERS
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À défaut de suivre un plan rigoureux, le Mystère de saint Clément fait la part belle aux architectes : on y voit un maître charpentier, flanqué de son apprenti (Col-de-grue), lesquels sont rejoints par un maître maçon et son apprenti. Puis viendront les charpentiers Guillaume et Garnier, adjoints des maçons Maucoutel et Hermen. On devine déjà que tous ces bâtisseurs d’églises préfèrent les tavernes aux chantiers.
Sources : La Vie et les Miracles de saint Clément, évesque de Metz. Sur les tribulations de ce manuscrit du XVe siècle aujourd’hui perdu, voir la notice du Messager et le Villain. J’emprunte les vers 35-254 à Fritz TINIUS <T> : Studien über das Mystère de Saint Clement. (Greifswald, 1909, pp. 73-78.) Le reste vient de Charles ABEL <A> : Le Mystère de St Clément. (Metz, 1861.) J’utilise les leçons inédites de F. Tinius publiées par Jean-Charles HERBIN <T-H> : Du nouveau sur le Mystère de saint Clément de Metz. (Romania, vol. 132, nº 527-528, 2014, pp. 428-460.) Quelques corrections sont fournies par Frédéric DUVAL <D> : Le Mystère de saint Clément de Metz. (Droz, 2011.)
Structure : Rimes plates.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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LE VARLET
Maistre, je voy que bonnement
Ne povez tant d’outils porter :
Je vous vueil ung peu supporter1,
Se vostre plaisir s’y adonne2.
LE CHARPENTIER
5 Par Dieu, tu es vaillant personne !
Or sus, varlet ! sus, Col-de-grue !
Prenez-moy tost la besaguë3,
La hache et tout ly aultre outil !
Icy, doit le varlet du charpentier
prenre tous les outtils.
LE VARLET
Maistre, regardez cy : est-il
10 [Homme tant]4 bien enharnaché(s) ?
Sachez : je suis bien empesché(s)
De les porter. Le col me ront5.
LE CHERPENTIER
Et ! il fait, sire, ung grant estront !
Quel beau va[r]let d’estront de chien6 !
LE VARLET
15 Par saint Mor(s) ! Maistre, sachez bien :
Vous ne sentez mie la mézaise7.
Dea ! vous devisez à vostre aise.
[LE CHERPENTIER]
Pour Dieu, cheminez, messag[i]er8 !
LE MESSAGER
Dites-moy, gentil cherpentier
20 (Car9 aler et parler puet-on) :
Savez-vous cy près nul masson ?
Avoir le fault sans nulle essongne10.
LE CHERPENTIER
Je sçay trop bien vostre besongne11,
À cela ne pouvez faillir.
LE VARLET
25 Je sçay bien tel12 qui assa[il]lir
Oseroit bien ung pot de vin,
Ung petit pâté metre à fin :
C’est ung ouvrier à trente-deulx13.
LE CHERPENTIER
Et ! quoise-toy14, quoise, bourdeulx !
30 Dieux vous mette en male sepmaine15 !
LE VALET
Maistre, sachez chose certaine :
Huy-mais16, ung seul mot ne diray.
Une autre fois m’aviseray.
Pardonnez-moy pour ceste fois.
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Ici interviennent un maître maçon et son apprenti, Mal-esveillé, qui ne disent rien de drôle. 2 103 vers plus tard, le second fatiste17 présente deux compagnons maçons qui sortent d’une taverne passablement éméchés.
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MAUCOUTEL 18
35 Hermen, tu as bien bu jusqu(es) à ivre19 ;
Saint Mor ! tu ne sces que tu fais20.
Je n’eusse peu croire jamais21
Que tu fusse sy grant buvierre22.
HERMEN
Allez chier, allez, tricherre23 !
40 Dieu vous met’ en male sepmaine !
MAUCOUTEL
Mais à vous la fièvre quartaine !
Truant, pourquoy me maudis-tu ?
HERMEN
Pource que tu dis que j’ay bu
À outrage. Vous y mentez !
45 Se je devoie estre menés
En la cruppe24, se vous battrai-ge !
MAUCOUTEL
Hermen, tu n’as pas l’aventaige ;
Le plus fort, sy, l’enportera25.
HERMEN
Or se revenge qui poura26,
50 Mais vous arez ceste première !
MAUCOUTEL
Hermen, t(u) as la main trop légère.
Or tien27 ! Et sy, t’en vas dormir !
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GUILLAUME 28
Et ! dont nous29 puet cecy venir ?
Qu’est cecy ? Dont vient la bataille ?
GARNIER
55 Ce sont très mauvaise mardaille30 :
Ilz sont plus ivres qu’une soupe31.
MAUCOUTEL
Son baston n’estoit pas d’estoupe :
Il y pert32 bien à mon espaule.
GUILLAUME
Par ma foy ! le vin vous affolle.
60 Encor n’en est pas la pais faite.
GARNIER
Saint Mor ! j’en vueil faire l’enqueste33.
Pour la paix, s’en mollerons nos bouches34.
Hermen, vien çà, et cy t’aprouches !
Dy-moy, je t’en pry, le méhain35.
HERMEN
65 Je te tenroie36 jusqu(es) à demain,
Se je te contoie la manière.
Mais je le feray à ta prière ;
Bien brief j’en vueil estre délivre37.
Il di[s]t : « Tu as bu jusqu’à ivre. »
70 Et m’aloit apeller « buvierre ».
Sachiez, je l’apellé : « Tricherre !
Dieu vous met’ en malle sepmaine ! »
GARNIER 38
Dieu vous doint la fièvre quartaine !
Wardez39 comment il me maudit !
HERMEN
75 Enhen, sire ! [Aussy, il]40 me di[s]t :
« Truant, pourquoy me maudis-tu ? »
GARNIER 41
Truant ? Truant ? Et dont fus-tu42,
Dy, paillart ? Or tien ceste prune43 !
El ne charra de ceste lune44,
80 Tant soit le souloil fort ardant45.
HERMEN
Je ne disoie qu’en récitant46,
Et vous l’avez prins en despit47.
Toutesfois, se j’avoie dit
Chose qui vous despleust, Garnier,
85 Jamès ne le vouldroie nier.
Mais ung peu estes trop fumeus48.
MAUCOUTEL
Je ne vouldroie pas qu’i fist49 mieulx,
Hermen : vous avez trouvé maistre.
HERMEN
Une aultre fois, pourra bien estre
90 Que je le vous rendré à double…
GUILLAUME
Je vous requier : nul ne se trouble !
Allons boire par paix faisant50 !
Je seroie trop desplaisant51
Se le débat reconmansoit.
HERMEN
95 Sire, je veulx bien qu’il en soit
À vous52, se juger en voulez.
GARNIER
Et moy, mais que ne me foulez53 ;
Ce ne seroit pas54 conpangnie.
MAUCOUTEL
Hermen a la buffe gaignie55 :
100 Toutesfois, il ara cela.
GUILLAUME
S’ara mon56. Hau, escoutez là !
Hermen, tu commensas premier57 ;
[Et Maucoutel]58 ; après, Garnier.
Vous estes trètous de la feste59.
105 Ne me menez bruit ne temppeste !
Tous trois paierez cinq solz à boire.
Une aultre fois, arez mémoire60,
Se j’ay bien jugé, vraiement.
GARNIER
Il me desplaît61 trop grandement,
110 Guillaume, je le vous dy bien.
HERMEN
C’est « bien dit », Garnier ? Vien çà, vien !
Cuides-tu ainsy estre quitte ?
Nennin pas, par saint Jehan Baptiste !
Il fault baisier le babbouin62.
MAUCOUTEL
115 A ! que c’est « bien dit », mon cousin !
Garnier est prins à la baboue63.
GARNIER
Escoutez : point ne vous avoue64.
Se je paie, c’est malgré moy.
GUILLAUME
Nous t’en croions bien, par ma foy !
120 Il ne t’y vault le reculer65.
HERMEN
Se nous te deviens despoullier
Ta robe, sy venras-tu boire66 !
Il ne te vault pas une poire :
Trètout ton refus ne vault rien.
GARNIER
125 Saint Mor ! il [le] me semble bien ;
Mais toutesfois, il m’en desplaist.
GUILLAUME
Il me semble que Garnier est
Mout simple67. Que t’en semble, Hermen ?
HERMEN
C’est mon68, certes. Allons-nous-en,
130 Je vous requier, boire d’autant69 !
MAUCOUTEL
Saint Jehan ! j’en suis bien consentant.
Je vois devant plus que le trot70.
GUILLAUME
Garnier, vous pa[i]rez mon esquot.
N’en faites jà sy pute moue71 !
GARNIER
135 Escoutez : point ne vous avoue.
Se je paie, c’est malgré moy.72
.
MAUCOUTEL
Hau ! tavernier !
LE TAVERNIER
Hau là !
MAUCOUTEL
[Par foy]73,
As-tu point de bon vin séans ?
LE TAVERNIER
Ouy dea, et des pastés frians,
140 Ne doubtez. Vous serez bien aise.
MAUCOUTEL
Or c’est bien dit, par saint Gervaise74 !
Maishuy n’oÿ75 meilleurs nouvelles.
GUILLAUME
Aportez-nous, en deux escuelles76,
Deux pastés, et vous ferez bien.
HERMEN
145 [Que] deux pastés ? Estront de chien !
Par saint Mor, sire, il en fault quatre !
GARNIER
Encor[e] te feras-tu batre
Hermen, advant que la dance départe77 !
Entens-tu ?
HERMEN
De par Dieu, de cela, quel parte78 !
150 En lair[r]ai-ge pour tant le79 boire ?
Je n’en perdré jà mon mémoire80.
Aportez-nous quatre pastés !
LE TAVERNIER
Voulentiers ! Il sont aprestés.
Et conbien voulez-vous de vin ?
GUILLAUME
155 Par saint Jehan ! c’est bien dit, cousin.
Aportez-nous-en une quarte !
LE TAVERNIER
Très voulentiers, par sainte Barte81 !
[Sept sestiers]82, se vous le voullez.
MAUCOUTEL
Tavernier, allez tost, allez !
160 Garnier, je vous pry : siette[z] cy83 !
LE TAVERNIER
Mes gentilz amis, voiez cy
Quatre pastés, ung pot de vin.
Or le mettez tentost à fin :
Quant vous vouldrez, g’iray à l’autre84.
GARNIER
165 Advisez-moy cy quel apostre85 !
Sens que j’en aie oncques tasté.
Et ! vraiement, tu es bien paillart !
HERMEN
Avisez-moy le pappellart
170 Qui va menger les crucifix88 !
Sire, se j’en mengoie dix,
De cella que vouldriez-vous dire89 ?
LE TAVERNIER
Seigneurs, ne vous mouvez en ire90 !
Je vous pry : comptez vostre esquot91.
GUILLAUME
175 C’est bien dit. Nulz ne sonne mot92 !
Mettez l’esquot en une somme93.
Vous me semblez très bon proud’omme :
Rien ne vouldriez avoir du nostre94 ?
LE TAVERNIER
Non, sire, par saint Pol l’apostre !
180 Il me souffit de mon escot.
GUILLAUME
Or sus, ami(s), or comptez tost !
Nous n’avons mestier95 de débatre.
LE TAVERNIER
Pour96 tout, devez sinq solz et quatre.
Paiez, je me tenray97 content.
GUILLAUME
185 Hau, hau ! Nous ne devons pas tant.
Je vous pry, comptez par raison.
Ce compte n’est point de saison :
Vous n’estes pas léal98 marchant.
LE TAVERNIER
Par saint Matellin de Larchant99 !
190 Vous n’arez de moy aultre compte.
Et ! par le corps Dieu, c’est grant honte
À vous d’en parler100 pour sy peu.
GUILLAUME
Je n’en donroie pas ung cleu101 !
Pour la « honte », c’est mon dammaige102.
195 Pourquoy doncques n’en parlerai-ge ?
N’ay-je pas bien raison, Garnier ?
GARNIER
J[e m’]en iroie, avant, plaidier,
Que vous accordasse la somme103.
LE TAVERNIER
Vous estes ung merveilleus104 homme !
200 Sire, ne105 voullez-vous paier ?
Me cuidez-vous doncq esmaier106
Se vous parlez de « plaidoirie » ?
HERMEN
Vous vous coursiez107, sainte Marie !
Dittes à ung mot108 : que nous devrons ?
LE TAVERNIER
205 Sinc solz et quatre.
MAUCOUTEL
Non ferons !
Vous nous feriez ainssois109 conbatre.
LE TAVERNIER
Or sus ! vous n’en pa[i]rez que quatre.
Je ne veulx point avoir de noise.
GUILLAUME
A, dia ! la parolle est courtoise.
210 Seigneurs, avisez qui paira !
Voulez-vous où le sort charra110,
De vous trois, qu’i paie cest esquot ?
MAUCOUTEL
Quant est à moy, je m’y accort.
HERMEN
Et my111.
GARNIER
Et my aussy. Faites les los112.
215 Mais que chascun ait les yeulx clos,
De nous trois, et qu’on ne voie goute !
GUILLAUME
Au ! dia, Hermen, estoupe-te113 :
Il me semble que tu vois clèr.
HERMEN
Non fais, non.
GUILLAUME
Or çà, qui tire le premier ?
220 Il fault que ne-sçay-qui commence ;
Garnier, tu mèneras la dance.
Il paie l’esquot qui a le plus lonc.
Ainsy jouent les enfans ; ne font114 ?
Garnier, avise bien à traire115 !
GARNIER
225 Il ne vous en fault jà tant braire :
Je tireray à l’aventure…
J’ay le plus grant, à la malle heure !
Or sus ! je suis pris à la moue116.
HERMEN
Garnier, c’est pour toy, cest escroue117 :
230 Ami(s), tu n’en paieras jà mains118.
GARNIER
Je te jure par ces deux mains119
Qu’une aultre fois m’en souvenra120 !
TOUS LES OUVRIERS ensemble :
Adieu ! Cest, issy121, vous paiera ;
Retenez son122 bien pour le(s) gaige.
.
LE TAVERNIER
235 Saint Jehan, créez que sy ferai-ge123,
Se, senon124, que je soie paié !
GARNIER
Je ne suis pas bien advoié125 :
Hélas, je n’ay denier ne maille
Sur moy, ne chose qui rien126 vaille,
240 Se je n’alloie quérir ma hache127.
LE TAVERNIER
Or va donc tost, et te despêche !
Aportes-moy gaige ou argent !128
.
GARNIER
Ouy dea. Je suis eschappé bel et gent ;
Il ne me verra de129 sepmaine
245 (Foy que doy), [n’]à la Magdalène130 !
Je suis eschapé, Dieu mercy !
.
LE TAVERNIER
Saint Jehan ! je voy bien que je sui
Bartey131 : mon hoste ne vient point.
A, Dieu, quel [des]piesse[ur]132 de pourpoint !
250 Par ma foy ! il s’en est alley.
Je suis de mon esquot paiey.
Or sus ! plus que tant ay perdu133 ;
Je n’en seray jà esperdu
Pour quatre solz, ne plus ne mains.
*
Quand les ouvriers ne sont pas encore ivres, saint Clément leur fait bâtir des églises. D’un naturel taquin, ils se cachent mutuellement leurs outils, ce qui donne lieu à quelques blaguounettes graveleuses. On aurait tort de croire que les bâtisseurs de cathédrales travaillaient dans un recueillement religieux : ils les ont décorées avec quelques-unes des sculptures et des boiseries les plus obscènes et les plus scatologiques du Moyen Âge, à l’instar des enlumineurs de psautiers qui se défoulaient dans les marges. Ce Mystère nous offre un exemple unique de ce que furent les conversations profanes des artistes sacrés.
.
GARNIER
255 À qui est-ce que j’ay presté
Ma queulx134 ? Ne le sces-tu, Guillaume ?
GUILL[AUM]E
Nennin, par monseigneur saint Cosme,
Le bon saint qui gist à Luzarches !
Or, vas voir s’el(le) seroit ès arches
260 Des[s]oux Jouy135, ou là autour.
GARNIER
A, dea ! tu me joues d’un tour ;
Ce n’est pas la première fois.
…………………………
HERMEN
Guillaume, tu n’as mie ta soye136 :
As-tu rien oublié çà bas ?
GUILLAUME
265 Ore, tu ne t’en tenrois pas137,
De toy mocquier ainsy du monde !
Vraiement, je doubt qu’i ne redonde
Une scie138 quant à tes despens…
HERMEN
Ore, vraiment, je me repens
270 De t’en avoir donné mémoire.
(Ils ont cuer ainsy qu’une poire139.
Estront ! on ne leur puet rien dire.)
………………………….
HERMEN
Avisez commant il s’atèche140 !
Maucoutel, warde les lanières141 !
MAUCOUTEL
275 Point n’as oublié tes manières :
Tousjours te truffes-tu142 du monde.
………………………….
MAUCOUTEL
Par foy, vécy bonne fontaine143 !
Hermen, je t’en pri : or y essaie !
HERMEN
Et ! je t’en requier que j’en aie :
280 Sy sauray quel goust elle sent…
[Dea !] je cuide, à mon essïent,
Qu(e) ung mort en [re]susciteroit
Se ung seul godet en buvoit.
C’est droite eaue à faire vinaige144 !
MAUCOUTEL
285 Or (par mon serment) tu dis raige145,
Hermen : les mors n’en boivent point.
HERMEN
Par saint [Mor146] ! c’est ung aultre point ;
J’ay bien dit : « S’il en povoit boire. »
MAUCOUTEL
Ton parler ne vault une poire !
290 Je te pri qu’on nous reposons
Et, tout icy, ung pouc dormons147 ;
C’est le meilleur tour que g’y voie.
HERMEN
Saint Jehan ! sire, j’en ay grant joie :
Après menger, on doit dormir.
*
Saint Clément finit par payer les maçons. Ou plutôt, comme il est radin, il les envoie se faire payer par un aubergiste qui retient en gage le marteau d’Hermen. Munis de leur florin, les ouvriers n’ont rien de plus urgent que d’aller boire autre chose que de l’eau : « Mèshuy ne buvrey de fontaine / Tant que ce florin durera. / Maudit soit qui ne buvera / À plain museau de ce bon vin ! » Mais après cette nouvelle beuverie, il faut de nouveau régler la note du tavernier.
.
HERMEN
295 Maucoutel, qu’esse que tu dis ?
[MAUCOUTEL]
Nous avons trop esté séans148.
LE TAVERNIER
Merde149 ! qu’esse-cy ? Quels truans !
Foy que doy moy150, véci grant honte !
MAUCOUTEL
Nous n’attendons mais que le conte151 ;
300 Mais certes, nous n’osions hurter152.
Vueillez-vous153 ung pouc déporter,
Beaux hostes154 : comptez nostre esquot.
LE TAVERNIER
Vous avez de vin plain ung pot
— Une quarte à la grant mesure —,
305 Pain, et char, fourmaige[s] en présure155 ;
[Ou sont moulés : ce]156 sont matons.
Je suis content que nous comptons.
Trois soulz pour [tout], vous souffit-il ?
HERMEN
Ouÿ dia, compangnon gentil :
310 Vous avez compté tout à droit157.
Nulz homs blasmer ne vous saroit158.
Il vous convient argent, ou gaige ?
LE TAVERNIER
Or paiez (sy ferez que saige159)
Tout lïément sans harier160 !
MAUCOUTEL
315 Nous ne voulons grain varier161 :
Vous serez paié, bel cousin.
Hermen, tire fieur162 le florin !
Il nous convient avoir du change163.
HERMEN
Ne sçay s’il est cheu de ma mange164…
320 Ce seroit bien au pis venir…
Je la pense brièfment tenir165.
Çà, beaux hostes, de la monnoie !
LE TAVERNIER
Voulentiers, se Dieu m’envoit joie !
Il vous fault à chascun sincq soulz.
HERMEN
325 Dieu ! sire, vous estes bien soûlz166 !
Laissiez-moy les dis soulz venir ;
Après, m’en laissiez convenir167.
Vous estes paié, n’estes mye ?
LE TAVERNIER
Ouÿ. Adieu la compangnye !
330 À Dieu voisiez-vous168, belz enfans !
HERMEN
Alons-en d’écy169, il est temps :
Nous avons prins nostre repas.170
.
Maucoutel, ne te cource pas171 :
J’ay dix soulz qui sont à nous deux.
335 Je les garderay, si tu veux ;
Ou se, senon172, véci ta part.
MAUCOUTEL
De les p[r]enre seray espart173 :
C’est pour gouverner le mesnaige.
HERMEN
Dya ! Maucoutel, tu deviens saige
340 D’esparnier, par mon sacrement !
MAUCOUTEL
Coise-toy174 (ce n’est pas souvent) !
Je doubte trop Mal-assenée175 :
Il semble qu’el soit forsenée
Toutes fois que n’aporte argent.
HERMEN
345 Je t’en crois bien, par mon serment !
Hahay, Dieu ! qu’elle est male famme176 !
MAUCOUTEL
Toutefois, elle [a bonne fame]177 ;
Mais elle parle ung pouc trop hault.
HERMEN
La myenne, tel fois est, m’assault178.
350 Par mon serment, tu ne croiroies !
Par foy ! s(e) escouter la vouloie
Et faire tout à son plaisir,
Je croy qu’il me fauldroit morir.
Mais je fais du tout au contraire179.
MAUCOUTEL
355 Par foy ! ainsy me fault-il faire :
A, dea ! c’est ung très bon conceil.
Il me desplaist — et sy, m’en dueil180 —
Qu’ainsy subget suis à ma famme.
*
1 Je veux vous aider un peu. « À vous aider et supporter. » Les Esveilleurs du chat qui dort. 2 Si cela vous est agréable. 3 Ma besaiguë. Le maître charpentier refile toutes les corvées à son apprenti, qui est beaucoup plus servile que celui du charpentier Saoul-d’ouvrer. 4 A : Sommes nous (« Est-il homme tant fol qui se ausast promettre vivre troys ans ? » Rabelais, Tiers Livre, 2.) 5 Se rompt. Col-de-grue, comme son nom l’indique, a un cou long et grêle, et ne peut y colleter des objets lourds, ce qui était pourtant possible du fait que les outils modernes étaient plus légers que les anciens ; le valet du charpentier mis en scène par P. Gringore est moins délicat : « Je viens de mettre/ Noz outilz à point, par saint Pol,/ Et les porter dessus mon col/ (Par Dieu) à la mode nouvelle. » La Vie monseigneur sainct Loÿs. 6 Quel valet de merde ! « Mon beau maistre d’estronc de chien. » Le Cousturier et Ésopet. 7 Mon malaise, ma gêne. 8 Nos charpentiers suivent un messager qu’on a expédié à Metz pour qu’il recrute des ouvriers afin de bâtir une église. C’est le même que dans le Messager et le Villain. 9 T-H : On dit que (Car on peut parler tout en marchant. « Aller & parler peut-on ; boire & manger, non. » Cotgrave.) 10 Sans essoine : sans retard. 11 J’ai votre affaire. 12 T-H : fel — A : tel (Je connais un maçon.) 13 Qui a 32 dents : qui est vorace. Voir la note de Frédéric Duval. 14 Tiens-toi coi : tais-toi ! Idem vers 341. Bourdeux = menteur ; cf. la Laitière, vers 313. 15 Dans une mauvaise passe. Même vers que 40 et 72. 16 Aujourd’hui. Nous aurons la forme « maishuy » à 142. 17 Voir la note 4 du Messager et le Villain. 18 Mauvais couteau. Le couteau est un outil qu’on utilise en maçonnerie. 19 Jusqu’à devenir ivre. Idem vers 69. 20 Tu ne sais pas ce que tu fais. « Va, va, tu ne sçais que tu fais ! » Gournay et Micet. 21 Je n’aurais jamais pu croire. 22 Buveur. Idem vers 70. La confusion éthylique est symbolisée par un mélange inextricable de tutoiement et de vouvoiement, y compris dans une même phrase. 23 Tricheur, trompeur. Idem vers 71. « Judas le tricherre. » Godefroy. 24 T : suppe, (Crupe = croupe. « La cruppe de son cheval. » Raoul Le Fèvre.) Même si je devais subir la peine infamante de la claie : on attache le malfaiteur sur un treillis, lui-même attaché à la croupe d’un cheval qui le traîne. 25 À 11 reprises, le futur en -ra prend la marque du conditionnel en -rait. Je corrige tacitement cette inutile complication. 26 Vengez-vous si vous pouvez. Hermen donne un coup sur l’épaule de Maucoutel (vers 58) avec sa toise en bois. 27 Il flanque une gifle à Hermen. 28 Deux charpentiers passent dans la rue ; ils reconnaissent les belligérants et les séparent. 29 T : me (D’où peut nous venir cela ?) 30 De dangereux mendiants. Même vers dans le Messager et le Villain. 31 Plus imbibés qu’un morceau de pain trempé dans du vin. « Tu es plus yvre qu’une soupe. » Ung biau miracle. 32 Cela apparaît. Verbe paroir. 33 Je veux vous interroger. 34 Pour votre réconciliation, nous mouillerons notre bouche : nous trinquerons ensemble. Voir le vers 92. 35 Dis-moi où le bât blesse. « J’iray luy dire mon méhain. » Le Messager et le Villain. 36 Je te tiendrais ici. 37 Délivré. « –Que jamais n’en seras délivre./ –Dictes tout. –Je ne suis pas yvre ! » Mahuet. 38 Il croit qu’Hermen l’injurie. 39 Regardez. Même particularisme lorrain à 274. 40 T : ainsy 41 Il prend pour lui la question d’Hermen, qui ne faisait que citer le vers 42 prononcé par Maucoutel. 42 Et d’où crois-tu venir ? « Dont fus-tu néz, et de quiex genz ? » (Geffroi de Paris.) Un paillard est un pauvre qui couche sur la paille ; cf. les Miraculés, vers 27. 43 Nous dirions : cette châtaigne. « Empoignez/ Ceste prune ! » (Le Munyer.) Garnier donne un coup sur la tête d’Hermen. 44 Elle ne tombera pas de tout ce mois. « Mais il sera bien ancien :/ Il ne sera de ceste lune. » (St Clément.) « Charra » est le futur de choir, comme à 211. 45 Même si le soleil est très chaud, il ne fera pas mûrir et tomber la bosse que je viens de te faire. 46 Hermen citait les injures échangées aux vers 35-42. 47 En mauvaise part. 48 Coléreux. 49 T : fust (Je ne voudrais pas que Garnier ait fait autre chose que de vous frapper.) 50 Ceux qui se sont querellés parce qu’ils ont trop bu iront donc faire la paix devant un verre de vin. 51 Cela me déplairait trop. 52 Que cette affaire d’injures vous soit confiée, Guillaume. 53 Et moi aussi, à condition que vous ne m’accabliez pas. 54 T : par — T-H : pas (Ce ne serait pas confraternel : Guillaume et Garnier sont compagnons charpentiers.) 55 A bien gagné cette baffe. « Tenez ceste buffe au visaige ! » Le Mince de quaire. 56 T : Saramon (Il l’aura. « Aura-il assez de cecy ?/ Ha ! s’aura mon, par sainct Gobin ! » Les Femmes qui font renbourer leur bas.) « Mon » est une particule de renforcement, comme à 129. 57 Tu commenças la dispute le premier. 58 T : Maucoutel et (Puis Maucoutel.) 59 Vous êtes tous à mettre dans le même sac. 60 Vous vous en souviendrez. 61 Cela me déplaît de devoir payer à boire. 62 « Baiser le babouin : rendre obéyssance. » Antoine Oudin. 63 A perdu comme s’il avait joué aux dés. « À d’aulcuns jeux de sort,/ Comme à la baboue ou aux tables [au trictrac]. » (Éloy d’Amerval.) Connivence sonore avec « babouin ». 64 Je ne vous reconnais pas comme arbitre, Guillaume. 65 Ce n’est pas la peine de reculer. « Riens n’y vault le songer. » Le Badin qui se loue. 66 Même si nous devions te dépouiller de ta robe, tu viendrais boire avec nous. 67 Bien bête de ne pas vouloir boire. « Il est simple et novice. » La Veuve. 68 C’est mon avis. Cf. le Fossoieur et son Varlet, vers 168. 69 Boire à la santé les uns des autres. « Allons-nous-en boire d’autant,/ Trèstous ! » Maistre Mimin estudiant. 70 Je vais devant plus vite que le trot. Dans une scène antérieure, Guillaume déclamait le même vers. 71 Une si laide grimace. « Par despit, elle en faisoit/ La pute moe. » Le Vergier d’Honneur. 72 Reprise des vers 117-8. Les ouvriers entrent dans la taverne. 73 T : Foy que tu doy (Par ta foi ! Voir les vers 277, 351 et 355.) 74 St Gervais, ici féminisé pour la rime, comme au vers 227 du Mariage Robin Mouton. 75 Jusque-là, je n’ouïs jamais de… 76 « É-cuelle » compte pour 2 syllabes : cf. le Messager et le Villain, vers 192. Les taverniers ne servent pas d’assiettes individuelles, mais des plats pour deux ou trois personnes qui s’en partagent le contenu. Guillaume commande deux pâtés, qui sont des pâtes feuilletées farcies de viande hachée ou de poisson et cuites au four. 77 Ne s’achève. « Ains que le jeu depparte. » Le Pourpoint rétréchy. 78 Quelle perte ! (Parte = perte : « Onques ne feismes telle parte :/ Tout avons perdu. » St Clément.) « Mais, pour Dieu, regardez quel perte/ Ce seroit ! » Deux hommes et leurs deux femmes. 79 T : a (La boisson, le vin. « Dea, Naudin, tu laisses le boyre ? » Troys Galans et un Badin.) Renoncerai-je à boire pour autant ? 80 Ma mémoire, qui est renforcée par le vin. « De peur de perdre mon mémoire,/ Je vous prie, donnez-moy à boire ! » Sermon pour une nopce. 81 Sainte Berthe. Pour la prononciation, voir la note 78. 82 T : Ung sepsestier (Le setier fait environ un demi-litre, ce qui est trop peu pour quatre assoiffés.) 83 Asseyez-vous ici. « Siettez-vous donc. » Glossaire des patois et des parlers de l’Anjou. 84 J’irai chercher l’autre pot. 85 Cette comparaison peu flatteuse vise Hermen. « Voyez quel appostre ! » Les Premiers gardonnéz. 86 T : ait (Je corrige encore cette désinence gênante à 222.) 87 T : son 88 L’hypocrite qui embrasse publiquement les crucifix. « Ypocrite et vray papelart,/ Ung grant mengeur de crucifix/ Qui jamais bien à nul ne fis. » Éloy d’Amerval. 89 Si je mangeais dix pâtés, qu’auriez-vous à redire ? 90 Ne vous mettez pas en colère. Le tavernier, qui a déjà vu ces ivrognes à l’œuvre, commence à craindre pour sa vaisselle et pour sa rémunération. 91 Préparez votre écot, la part que chacun me doit. 92 Que nul ne prononce un mot ! 93 Regroupez les quatre additions en une seule. 94 De notre argent : vous ne voudriez rien nous escroquer ? « Je ne vueil rien du vostre. » Les Trois amoureux de la croix. 95 Besoin. 96 T : Par (Voir le vers 308.) Pour l’ensemble, vous me devez 5 sous et 4 deniers ; idem vers 205. 97 Je me tiendrai : je serai. 98 Un loyal, un honnête. 99 C’est le saint patron des fous, notamment de ceux qui se croient possédés par le diable. Voir la Vie de sainct Mathurin de Larchant hystoriée. Montaiglon-Rothschild, XII, pp. 357-414. 100 De discuter. 101 Un clou. Cf. le Messager et le Villain, vers 183 et note. 102 Mon dommage, mon affaire. Réponse au vers 191. 103 Il s’adresse au tavernier : J’aimerais mieux aller plaider en Justice que de vous accorder cette somme. 104 Extravagant. 105 T : que 106 Croyez-vous m’émouvoir, m’impressionner ? 107 Vous vous courroucez. Idem vers 333. 108 Quel est votre dernier mot ? « Quarante solz, tout à ung mot. » Le Gouteux. 109 Avant, plutôt. 110 Que celui sur qui le sort tombera. Voir la note 44. Les buveurs vont tirer à la courte paille. Ce jeu d’enfants (vers 223) est décrit aux vers 63-77 du Jeu du capifol. 111 Moi aussi. 112 Les lots : préparez les pailles que nous allons tirer. Guillaume, le meneur de jeu, ramasse trois fétus de paille — deux courts et un long — et les dispose dans son poing. Le sol des tavernes est jonché de paille, pour absorber les flaques de vin et de vomi. 113 Bouche-toi les yeux. Le rimeur ne s’est pas trop fatigué. 114 N’est-ce pas ? 115 Choisis bien la paille que tu vas tirer. 116 À mes propres grimaces, à mon propre jeu. « Il est prins par sa moue. » Le Pourpoint rétréchy. 117 Ce qu’il y a à payer. L’écroue est le livre de comptes d’une maison princière, où sont notées les dépenses. 118 Jamais moins. Idem vers 254. 119 Façon de prêter serment à la manière des chevaliers. 120 Il m’en souviendra. 121 Celui-ci, cet homme ici. 122 T : le (Ce qu’il possède. « Faictes arest sur tout son bien ! » Le Marchant de pommes.) Maucoutel, Guillaume et Hermen quittent la taverne. 123 Croyez bien que je ferai ainsi. 124 Ou sinon. Idem vers 336. « Ou se, se non, mal vous venra/ Et grant ennuy. » (Mystère de saint Crespin.) Laissez-moi quelque chose en gage, ou payez-moi. 125 En bonne voie, en fonds. 126 T : le (Qui vaille quelque chose. « Et s’il vend chose qui rien vaille. » Sermon joyeux de Mariage.) 127 À moins que je n’aille chercher ma hache pour vous la laisser en gage le temps que je trouve de l’argent. Le tavernier aurait dû se méfier : un charpentier sans doloire ne peut plus gagner d’argent. 128 Garnier s’en va. 129 T : des (De toute la semaine. « Tu ne me verras de sepmaine. » Grant Gosier.) 130 Ni le jour de la Sainte-Madeleine (22 juillet), qui est un des termes de l’année prévus pour payer les dettes. « À paier aus termes qui s’ensivent, c’est assavoir à la Magdaleine 60 livres tournois, et au jour de Karesme 50 livres tournois. » Arch. nat. 131 « Graphie syncopée de barater. » (F. Duval.) Baratter = faire usage de barat, de tromperie. « Mais par ta flatterie j’ey esté barattée. » Godefroy. 132 Quel dépeceur. Il est si pauvre qu’il vend au détail des morceaux de son pourpoint. 133 J’ai déjà perdu plus que cela. « J’ay assez plus que tant perdu. » Les Gens nouveaulx. 134 Ma pierre à aiguiser. Queue = pénis : « Au moyns serez-vous bien joyeuse/ Quant ma queue verte sentirez. » Les Femmes qui plantent leurs maris. 135 Jouy-aux-Arches, près de Metz, fournit deux calembours grivois : Jouir d’une femme = lui faire l’amour : « Nostre chappellain/ Jouyt de ma femme. » (Ung mary jaloux.) « Arches » = fesses. Cf. TRIBOULET : la Farce de Pathelin et autres pièces homosexuelles. GKC, 2011, p. 368. 136 Ta scie de charpentier : « Ma grant hache prendrai en l’eure,/ Mon sizel, ma soie, ma congnie. » (St Clément.) Double sens : ta fourrure de porc. « De la soye de pourceau. » (Les Queues troussées.) 137 Tu ne pourrais pas te retenir. 138 A : scay (Je redoute qu’une scie ne retombe sur tes pendants, sur tes testicules.) 139 Ils ont le cœur aussi dur qu’une poire verte. 140 Comment Maucoutel s’attache. Les couvreurs sont retenus par des sangles. Contre toute logique, ce Mystère ne comporte aucun rôle de couvreur, contrairement à la Tour de babel, où œuvre l’indissociable trio : « Charpentiers, massons,/ Couvreurs de diverses façons. » Il faut croire que Maucoutel s’occupe lui-même de la toiture. Dans l’Invencion du corps de monsieur saint Quentin, c’est le charpentier Taillant et son apprenti qui s’improvisent couvreurs, et non le maçon Brisepierre. 141 Prends garde aux lanières, avec lesquelles on fustige les fesses des cancres. 142 Tu te moques. Cf. L’Andureau et L’Andurée, vers 125. 143 Les maçons viennent d’édifier une fontaine miraculeuse qui leur donne envie de boire de l’eau : saint Clément vient d’accomplir son plus grand miracle ! 144 C’est vraiment une eau digne d’en faire du vin. « Petites bouteilles de verre pour mectre le vinage. » ATILF. 145 Tu dis n’importe quoi. Cf. Mahuet, vers 45. 146 Lacune. Saint Mor [St Maur] est nommé aux vers 15, 36, 61, 125 et 146. Hermen fait un calembour sur « mort ». 147 Et que sur ce chantier nous dormions un peu. 148 Nous sommes restés trop longtemps dans cette taverne. Mais le tavernier comprend : Nous avons trop pété ici. J’ai connu l’époque où tous les étudiants en Lettres classiques savaient par cœur ces vers bien innocents de Jean de La Péruse : « Je n’ay que trop esté,/ Repeu du vent de vos promesses vaines. » Je me souviens que notre chouchou était alors Jacques de La Taille, qui fit parler Darius mourant : « ‟Ô Alexandre, adieu, quelque part où tu sois !/ Ma mère et mes enfans aye en recommenda…”/ Il ne peust achever, car la mort l’en garda. » 149 T-H : Me dia (Conséquence scatologique du vers précédent.) 150 Même juron blasphématoire au vers 275 du Messager et le Villain. 151 Plus que le compte, que l’addition. 152 Heurter notre table avec un pot métallique, pour attirer votre attention. Quelques siècles plus tard, on heurtera la sous-tasse avec une cuillère à café. « Encore nous fault-il ung verre./ S’y fault plus rien, nous hurterons. » St Clément. 153 T-H : nous — D : [v]ous (Veuillez vous écarter un peu. « Vueillez vous déporter un poy. » ATILF.) 154 Bel hôte. Même singulier à 322. 155 De la chair [charcuterie], du fromage caillé. 156 A : On sonuoules, se (Ou bien ces fromages sont moulés.) Les matons sont des fromages mous ; cf. le Messager et le Villain, vers 193. Il serait d’ailleurs judicieux de remplacer moulés par mollets : « Fourmaige frais qu’on appelle ‟mollet”. » Fleurs et antiquitéz des Gaules. 157 Avec exactitude. 158 Nul homme ne saurait [pourrait] vous blâmer. Cf. le Messager et le Villain, vers 344 et note. 159 Vous ferez sagement. « Taisez-vous, si ferez que sage. » Le Savetier Audin. 160 De bonne grâce, sans chicaner. 161 Pas du tout nous dédire. 162 Forme lorraine de fors [hors]. « Et soies fieur d’incrédulité » St Clément. 163 Il faut que le tavernier nous rende la monnaie pour que nous puissions nous la partager. 164 Si ce florin a chu de ma manche. Pour inquiéter le tavernier, Hermen fait semblant d’avoir perdu la bourse qu’il gardait dans sa manche : voir les vers 844-9 de l’Aveugle et Saudret. 165 Je pense tenir enfin ma bourse. Hermen donne le florin au tavernier. 166 Soûl. L’hôpital se moque de la charité. 167 Laissez-moi décider de leur usage. Le tavernier donne les 10 sous à Hermen. 168 Que vous alliez à Dieu ! 169 Allons-nous-en d’ici. 170 Les deux maçons se retrouvent dans la rue. 171 Ne te courrouce pas. 172 Ou sinon. Idem vers 236. 173 Je serai expert, habile pour prendre les 5 sous qui me reviennent. « Hermen est gracieulx et doulx,/ Et bien espart quant il s’y boute. » St Clément. 174 Tais-toi ! Idem vers 29. 175 Mal-mariée, mon épouse. Voir la note 24 du Messager et le Villain. 176 Elle est mauvaise femme, puisqu’elle parle plus fort que son époux, et qu’elle lui reproche de se ruiner à la taverne. « –(Elle) veult, par son caquet mauldit,/ Estre mestresse comme moy./ –Elle est malle fame pour toy. » Les Drois de la Porte Bodés. 177 T-H : est preude famme (Rime du même au même. Elle a une bonne réputation. « Elle se dist estre femme de bonne famme et renommée. » ATILF.) 178 Certaines fois, m’agresse. 179 Totalement le contraire de ce qu’elle exige. 180 Et aussi, je m’en plains.
SERMON JOYEUX DE BIEN BOIRE
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SERMON JOYEUX
DE BIEN BOIRE
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Cette œuvre débute comme un sermon joyeux1. Mais les spectateurs vont découvrir avec surprise qu’il s’agit en fait d’une farce à deux personnages. Elle raconte l’histoire d’un prêcheur public qui tente de prononcer un sermon alors qu’un trublion veut l’en empêcher. Imaginons la scène : le prêcheur, en habit de moine, est juché sur un tonneau, au milieu d’une place. Complètement ivre, il fait l’éloge du vin, et se cramponne à son lutrin pour ne pas perdre l’équilibre. Il a le nez rouge. Entre deux phrases, il tète le goulot d’une bouteille. Dans le public se tient un de ces rôtisseurs qui vendent sur les places et les marchés. Le nôtre est armé d’une broche et d’un litron. Il est aussi soûl que le prêcheur. Notons qu’un authentique sermon joyeux, le Sermon de la choppinerie <Koopmans, pp. 142-165>, confronte aussi un Sermonneur et un Opposant ; mais il fut probablement joué par un seul comédien.
Source : Recueil du British Museum, nº 23. Publié vers 1545 à Lyon, chez feu Barnabé Chaussard.
Structure : Rimes plates.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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Sermon joÿeux
de bien boire
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À deux personnaiges, c’est assavoir :
LE PRESCHEUR
et LE CUYSINIER
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LE PRESCHEUR commence
Bibite et comedite2 !
(Mathei, [vicesima sexta]3.)
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Messeigneurs, faictes paix4 ! Holà !
Les parolles cy proposées
5 Si furent jadis composées
Dedans le fons d’ung beau sélier5
(Comme récite Sainct-Valier6),
Escriptes d’or en lettre jaune
Sur ung tonneau de vin de Beaune7.
10 Et furent racompt[é]es et dittes
Du tout8, et de nouveau escriptes
Au quart livre, ad Epheseos9,
[Et decimo]10, ad Hebreos,
Là où dit monseigneur sainct Pou11
15 Qu’on doibt boire jusques au clou12
Tandis qu’on a denier ne maille13.
Et puis après, vaille que vaille,
Dominus providebit 14 nos.
LE CUISINIER
Et ! qui est ce vuideur de potz
20 Qui nous vient icy empescher
De chanter ? Voise15 ailleurs prescher !
Mais avisez quel champïon16 !
Or est-il le plus franc pÿon17
Qui soit point d’icy en Bourguoigne18.
LE PRESCHEUR
25 Et ! faictes taire cest yvroigne,
Que mon sermon puisse parfaire !
LE CUISINIER
Il y auroit beaucop à faire !
Me tairé-je pour ung yvrays19 ?
Quel vaillant prescheur de mes brays20 !
30 Pas ne sçait son Deprofundis21.
LE PRESCHEUR
Seigneurs, entendez à mes dis :
Dieu pourvoyra tousjours ceulx-là
Qui croiront ces articles-là
Que, qui bien boit (dire le vueil)
35 Tant que la lerme22 vient à l’œil,
Ceulx23 sont cousins germains de Dieu.
Com est24 récité en ce lieu :
« Hebrei sunt 25 ? Et ego ! »
Dieu le dit de sa bouche. Ergo,
40 Au matin te doibs avancer26
De boyre, pour bien commencer.
Et pour mieulx resjouyr ton sang,
Fay une rostie27 au vin blanc.
Et puis, pour trouver le goust bon,
45 Prens-moy28 la cuisse d’ung chapon29
Dont tu mangeras ung petit30 :
Cela te donra appétit,
Et en bevras mieulx tout le jour.
De beau vin claret31, sans séjour
50 Boy, après, jusques à minuyt.
LE CUYSINIER
Despêche-toy, car il m’ennuyt32 !
Ne nous fay point long preschement !
Il a tant beu (par mon serment)
Qu’il ne scet qu’il faict ne qu’il dit33.
LE PRESCHEUR
55 Or es-tu bien de Dieu mauldit,
De me destourber34 ma parolle !
LE CUYSINIER
Tout ce qu’il dit n’est que frivolle,
Et nous tiendra jusqu’à demain.
LE PRESCHEUR
Dieu a commandé de sa main
60 Qu’on se doit, au matin, lever
Pour bien arrouser le gosier ;
Car « qui bien boit, longuement vit35 ».
Ainsi que le note David :
« Media nocte surgebam36. »
65 Pourquoy ? Pour arrouser la dent.
Car qui veult ès sainctz Cieulx aller,
Luy convient souvent avaller
Bonum vinum et optimum37.
LE CUYSINIER
Escoutez quel vaillant sermon !
70 L’aultre jour, but tant (se m’ait Dieux38)
Qu’il perdit presque l’ung des yeulx ;
Et de l’aultre n’estoit pas sain.
Tenez : quel nés de Sainct-Poursain39
Enluminé de vin de Beaune !
LE PRESCHEUR
75 Et ! faites taire ce becjaune40
Qui quaquette tant, là-derrière41 !
LE CUYSINIER
Il a bien haulcé la bavière42 !
Tenez : il ne scet où il est43.
LE PRESCHEUR
Seigneurs, escoutez, s’il vous plaist,
80 Exposer la loy de Vinum44
Qui est escripte (ce dit-on)
En Digeste, ou .XII. livre45.
Ne cuidez pas que je soye yvre !
LE CUYSINIER
Non, mais il est n[o]yé46. Tenez :
85 Qui luy tordroit47 ung peu le nez,
De vin rendroit une symaise48.
LE PRESCHEUR
Tu en parles bien à ton ayse !
Voyez com il est desvié49 !
LE CUYSINIER
Mais où a-il si bien pÿé50 ?
90 Il a tant beu qu’il ne voit « goutte ».
LE PRESCHEUR
Et, paix ! Que vous ayez la goutte !
LE CUYSINIER
[Ce aura]51 mon prochain voysin.
LE PRESCHEUR
Tu as bien mangé du raysin52 !
LE CUYSINIER
Je ne boys fors53 que du meilleur.
LE PRESCHEUR
95 Nostre Dame !
LE CUISINIER
Nostre Seigneur !
LE PRÊCHEUR
Mourir puisses de malle54 toux !
LE CUISINIER
Je suis sauvé ; priez pour vous !
LE PRESCHEUR
Pour Dieu, qu’on face paix, mèshuyt55 !
LE CUISINIER
Despêche-toy, car il m’ennuyt.
100 Ne nous fay point longue traînée56 !
LE PRESCHEUR
Dieu te mette en très male année !
Tu ne deusses point boyre de vin.
Mais qui tousjours boit du plus fin
Ne peut avoir que bon courage57.
LE CUISINIER
105 Mourir puisses de malle rage !
L’autre jour, beut par tel délit58
Qu’il en chia59 dedens son lict,
Sauf l’honneur de la compaignie60.
LE PRESCHEUR
Tu as menty : je le te nye !
LE CUYSINIER
110 Je m’en rapporte à son hostesse61 :
Car en cuidant faire une vesse62,
Il fit tant du prim et du gros63
Qu’il luy fallut64 payer deux gros
Pour luy avancer de blancz draps.
LE PRESCHEUR
115 Or en dy ce que tu vouldras.
Mais tu es du tout, en effaict,
Le plus fort yvroigne parfaict
Qui soit d’icy en Avignon.
LE CUISINIER
Et vous estes mon compaignon :
120 Nous povons bien aller ensemble.
LE PRESCHEUR
Or Messeigneurs, se bon vous semble,
Ouez65, s’il vous est acceptable,
Que dit ung bon Docteur notable66 :
« La loy Vinum n’est pas antique67 ;
125 Elle chet68 souvant, en practique. »
Se tu es en mérancolye,
Boy bon vin : et, sans mocquerie,
Tu seras en bon point tantost.
(E)spécïalement le moys d’aoust
130 Et aussi en toute saison,
On doit boyre vin à foyson,
Sans point y mettre de aqua69.
Car on70 dit que le rébéqua
D’y mettre eau, c’est trop [grant] meffaict :
135 Despécer71 ce que Dieu a faict,
On en doibt bien estre repris.
LE CUISINIER
Aussi ne l’as-tu pas apris72.
Soit au disner ou quant on gouste,
Vray(e)ment, s’il en met une goutte,
140 Je veulx estre tué d’ung vouge73 !
Il luy pert bien74 à son nés rouge,
Qui est si trèsplein de bubettes75.
S’il ne porte encor les cliquettes76,
Je suis content d’estre tondu77 !
LE PRESCHEUR
145 Va, tu puisses estre pendu !
[Car] le trèspuissant Roy divin
Dit qu’on boyve du meilleur vin
Et nous deffend de boyre l’eau :
Car autant en faict ung chevau78
150 Quant on le meine à la rivière.
Et le Prophète nous déclère :
« Nolite fieri sicut equus et mulus,
Quibus non est intellectus79. »
[Puis] le Prophète a desclaré
155 Qu’on boyve muscadet, claré,
Ypocras et vin de pyneau ;
Et dit qu’on n’y mette point d’eau,
Qui jure : « Se tu y [en] metz,
Vray(e)ment, tu n’entreras jamais
160 En Paradis ! » Croy cest article,
Car il est escript en la Bible,
Undecimo, Libri Regum80.
LE CUYSINIER
Il n’y a, d’icy en Arragon,
Ung plus fort yvroigne qu’il est.
165 Et aussi, on voyt bien que c’est81 :
Il fut, en jeunesse, nourry
De vin tant qu’il en est pourry
Et resemble [à ung droit]82 méseau.
LE PRESCHEUR
Tu puisses perdre le museau
170 Et mourir de sanglante83 rage !
LE CUYSINIER
Mais bien vostre sanglant visaige,
Car il ne fut anuyt84 lavé !
LE PRESCHEUR
Cecy ! Et ! vélà trop bavé85 !
LE CUYSINIER
Regardez ce seigneur notable !
LE PRESCHEUR
175 Or vous taysez, de par le dyable !
LE CUYSINIER
Qui vous puisse rompre le col !
LE PRESCHEUR
Et ! qu’on face taire ce fol86,
[Très ort]87 villain, puant pugnays !
LE CUYSINIER
Plus honneste suis que tu n’es88 !
180 Le vez-vous là, ce [sainct] Baboyn89 ?
Vrayement, il put tant le vin
Que je sens d’icy son alaine90.
LE PRESCHEUR
Et tu fais ta fièbvre quartaine !
LE CUYSINIER
C’est bien dit : reliez-vous-la91 !
185 Tenez-vous bien !
LE PRESCHEUR
Cecy !
LE CUISINIER
Cela !
LE PRESCHEUR
Tant de mynes92 !
LE CUISINIER
Tant de quaquet !
LE PRESCHEUR
Je te feray…
LE CUISINIER
Manger ung pet ?
LE PRESCHEUR
En ton nés !
LE CUISINIER
Mais bien en ta gorge93 !
LE PRESCHEUR
Tais-toy ! Feras ?
LE CUISINIER
On le te forge94 !
LE PRESCHEUR
190 N’es-tu pas content que je presche ?
LE CUISINIER
Ouÿ bien, mais qu’on se despesche :
Ne voys-tu pas qu’il est [jà] tard95 ?
LE PRESCHEUR
Escoutez que dit saint Bernard :
« De pardon mille quarenteines96
195 Auront ceulx qui grans tasses97 pleines
De vin boiront tout à ung trait. »
Aussi je l’ay98 treuvé extrait
En ung sien livre, où il [est] dit :
« Bene bibens Deum videbit 99. »
200 Sont toutes parolles dorées100 ;
En [son livre les]101 ay trouvées,
Où n’ay mis grant peine à le[s] lire.
Et pour tant102, vous ose bien dire
Quod ille qui bene bibat,
205 [Que] par raison bene pissat 103,
S’il n’a la vessie estouppée.
Et pour tant, la bonne purée104,
À mes amys, je vous recommande.
À bien boyre chascun entende
210 Tant qu’on pourra finer de croix105.
[On faict les]106 gosiers si estroictz
Faulte de bien les arrouser.
Bevons jusques aux yeulx plourer107 !
Car qui bien boyt, bien se gouverne.
215 Et qui ne va à la taverne,
Luy fault envoyer son varlet108.
S’il est aigre, nihil valet 109,
[ Dont il fait mal aux bons buveux ;
Préférer luy fault le vin vieulx ]110
220 À l’avaller délicieux :
J’en boy si fort que vers les cieulx
Fays tourner les yeulx de ma teste.
LE CUYSINIER
Et ! cest yvrongne déshonneste
Fera-il huy que quaqueter ?
225 Mais que povez-vous conquester111
À luy ? Le me vez-vous là bien112 ?
LE PRESCHEUR
Ce dit ung théologïen :
« Bon vin, selon cours de nature,
Faict grand bien à la créature113. »
230 Par auctorité je le preuve :
Je suis si ayse quant je treuve
Ung trèsbon vin emmy ma voye !
Ung bon vin jamais ne desvoye114
Ainsi que faict ung vin petit.
235 Quant j’ay vin à mon appétit,
Je m’y porte aussy vailla[mme]nt115
Que fist Olivier et Rollant116
En bataille qu’ilz firent oncques.
Or je vous pry : bevons fort, doncques !
240 Et aussi, Dieu nous avisa
De bien boyre, et nous devisa117
Et nous dist ce mot : « Sitio118 ! »
LE CUYSINIER
Et ! ho, de par le dyable, ho !
Durera mèshuy ce language
245 De parler fors119 que du beuvrage ?
Le paillart n’a aultre mémoire
Fors à gourmander120 et à boyre :
Soit au dîner ou quant on soupe,
Il est yvre com une soupe121
250 Et s’en va coucher tout vestu.
LE PRESCHEUR
Mais escoutez ce fol testu122 !
Comme souffrez-vous tel fol coquart123 ?
Vous vez que ce n’est q’ung paillart,
Ung coquillart et ung yvroing124.
LE CUYSINIER
255 Il y pert bien à vostre groing125 :
Comme[nt] il est enluminé126 !
LE PRESCHEUR
De la fièbvre soys-tu myné !
LE CUYSINIER
Mais127 vostre corps et vostre teste !
LE PRESCHEUR
Je fais à tous humble requeste
260 Que vous ouez, grans et menus,
Ung proverbe de Martinus128 :
« Martinus fuit bonus homo,
Et ad bibendum totus primo129. »
Chascun n’entend pas mon130 latin,
265 Car il fut faict d’estain trop fin,
Engendré d’ung viel pot de cuyvre ;
Nul ne l’entend s’i n’est bien yvre.
Consommé fut de viel léton131,
Et le dit132 le docteur Platon
270 En son derrenier quolibet133.
LE CUYSINIER
Et il fist ton sanglant gibet !
T’apartient-il prescher en chayre ?
On te deust en une rivière
Getter, qui feroit134 son devoir.
LE PRESCHEUR
275 Bonne feste ne peult avoir135
— Comme je treuve en Réthoricque —
S’il n’y a de bon vin qui picque.
Vous sçavez que Nostre Seigneur
A dit qu’on boyve du meilleur ;
280 Je le puis tesmoigner par luy.
Aussi, quant le vin fut failly,
Aux nopces de Archédéclin136,
Ne mua-il pas l’eau en vin ?
Bonum vinum bibat etiam137 !
LE CUYSINIER
285 Et, paix ! Dieu te mette en mal an,
Sanglant paillart, yvroignibus138 !
Il nous tient cy en ces abus,
Et tout ce qu’il dit ne vault rien.
Le vez-vous, cest homme de bien ?
290 Aussitost qu’il a ung lyard139,
Par ma foy, la gorge luy ard140
Qu’il ne le porte au tavernier141.
LE PRESCHEUR
Mais toy, qui n’as pas ung denier ?
À ses142 voysins je m’en rapporte :
295 Avisez quel habit il porte !
Est-il habille compagnon143 ?
S[on] amye est en Avignon144 ;
Ses chausses tirent contrebas145.
Au fort, laissons tous ces débas.
300 Cathon note et met [en] avant
Qu’on se doibt tremper bien souvant
En bon vin, quant il s’avisa
Dire : « Vino te tempera146.
.
Or, omnibus, attendite147,
305 Et venons à comedite148 :
Se voulez ès sainctz Cieulx aller,
Et non pas embas149 dévaller,
Se faictes (ainsi que j’entens)
Que ne jeûnez point en nul temps.
310 S’on ne vous faict jeûner par force.
Ès croniques du roy d’Escosse
Il est escript en droit civil
Qu’il est notable, non pas vil.
Les jeûnes sont à débouter150
315 Du droit civil, sans en doubter.
Mais quoy ! Sces-tu que tu feras ?
À double jeûne doubleras,
Et feras double[s] tes morceaux151.
LE CUYSINIER
C’est belle vie de pourceaux !
320 C’est bien, à toy, parlé en beste152 !
LE PRESCHEUR
Ce ne vous est pas chose honneste
Q’un tel follastre me gouverne.
LE CUYSINIER
Quel vray champïon de taverne
Qui vient cy trancher du sage homme153 !
LE PRESCHEUR
325 Je cuyde que d’icy à Romme,
Meilleur que moy on ne doibt querre
Pour bien prescher.
LE CUYSINIER
Au pot et au verre !
De cela il a bon renon.
LE PRESCHEUR
Encor(e) ? Mais [te] tayras-tu ?
LE CUYSINIER
Non !
LE PRESCHEUR
330 Et pourquoy ?
LE CUYSINIER
Il ne me plaist pas.
À bas154, de par le dyable, à bas !
Car vous ne sçavez que155 vous dictes.
Tout son faict ne sont que redictes :
Tousjours presche156 sur la vendenge.
LE PRESCHEUR
335 S’il convient que de toy me venge,
Tu le congnoistras par Justice !
LE CUISINIER
Tu es bien sot !
LE PRESCHEUR
Tu es bien nice157 !
Laisse-m’achever158 mon sermon !
LE CUYSINIER
Par ma foy ! si ne feray mon159,
340 Car tu ne dis chose qui vaille.
LE PRESCHEUR
Que tu as le bec plain de raille160 !
Faictes-le taire ou je m’en voys !
LE CUYSINIER
Et dyables après161 !
LE PRESCHEUR
Or, te tays !
Dire vueil chose souveraine.
LE CUYSINIER
345 Tu feras ta fi[è]bvre quartaine !
J’ay le cul tout plain de ta noyse162.
LE PRESCHEUR
Puisqu’il convient que je m’en voyse,
Par ce paillart, à tel[z] diffames,
Adieu vous dy, seigneurs et dames !
350 Plus ne demour[r]ay en ce lieu.
LE CUYSINIER
Adieu, de par le dyable, adieu !
Le prescheur va croquer la pye163,
Et je voys prendre la copye164
Du vin qui est en la despense165.
.
355 Seigneurs et dames d’excellence,
Je vous supplye, [et] hault et bas,
Que prenez en gré noz esbas !
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FINIS
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1 Jelle KOOPMANS l’a d’ailleurs incluse dans son Recueil de sermons Joyeux. Droz, 1988, pp. 560-580. 2 Buvez et mangez ! « Comedite : hoc est corpus meum…. Bibite ex hoc omnes. » (Matth., 26.) Les sermons joyeux parodient scrupuleusement les sermons sérieux, lesquels se présentent comme une variation sur un thème en latin, ou theume, tiré des Écritures. Voir le début du Sermon pour une nopce. 3 BM : vndecima secunda. (26ème chapitre de l’Évangile selon saint Matthieu.) Les copistes, chacun à sa manière, abrégeaient ce genre de chiffres : l’imprimeur a mal résolu les abréviations de son ms. de base, et a donc publié un vers incorrect doublé d’une référence inexacte. 4 Faites silence ! 5 D’un cellier, d’une cave à vin. 6 Peut-être le nom d’un tavernier local. 7 L’ivrogne du Testament Pathelin veut être inhumé « en une cave, à l’advanture,/ Dessoubz ung muy de vin de Beaulne./ Puis faictes faire en lettre jaulne,/ Dessus moy, en beau parchemin :/ ‟Cy repose et gist Pathelin.” » 8 Totalement. Idem vers 116. 9 BM met ce vers sous le vers 9. L’Épître aux Éphésiens, attribuée à saint Paul, ne contient pas plus la citation initiale au chapitre 4 que dans les autres. Au contraire, le chapitre 5 condamne l’abus du vin. 10 BM : Undecimo (Et au chapitre 10 de l’Épître aux Hébreux, attribuée à saint Paul. En fait, la citation initiale ne s’y trouve nulle part.) Jeu de mots banal — on le retrouve au vers 38 — sur le latin ebriosus [ivrogne] : « Ung visaige il ha d’esbrieu. » Les Sotz qui corrigent le Magnificat. 11 Saint Paul. Mais il existe un Sermon de Monsieur saint Pou ; malheureusement, « sa boisson n’est pas dans le vin ». Koopmans, p. 486. 12 Jusqu’à la dernière goutte. « Quant ils boyvent jusques au clou. » Sermon joyeulx de sainct Raisin <Koopmans, p. 535>. 13 Ou une piécette. « S’il emporte denier ne maille. » Les Tyrans. 14 BM : prouidebis (Le Seigneur y pourvoira pour nous. Voir le v. 32.) 15 Qu’il aille. Idem vers 347. Le « cri » des marchands ambulants est parfois chanté. 16 Un champion de taverne est un pilier de bars. Voir le v. 323. 17 Le plus grand « croqueur de pie », avaleur de vin. « –Plus boire ne pourroye./ –Hé, franc pion ! » Grant Gosier. 18 Qui soit d’ici jusqu’en Bourgogne, une région célèbre pour son vin. 19 À cause d’un ivrogne. 20 De mes braies. « Quel grant conseillier de mes brayes ! » Le Capitaine Mal-en-point. 21 Le De profundis est une prière de base que tout religieux, même soûl, doit se rappeler. 22 Prononciation parisienne de larme. « Et boy d’autant, vueille ou non vueille,/ Tant que la larme en vient à l’œil. » La Nourrisse et la Chambèrière. 23 Ceux-là. « (Les folz) sont cousins germains de Dieu. » Les Sobres Sotz. 24 BM : il (Comme cela est dit dans saint Paul. « Comme est récité/ Aulx Hystoires. » Le Testament d’un amoureux.) 25 BM : sont (Saint Paul, Épître aux Corinthiens, 11.) Comprenons, d’après la note 10 : Ils sont en état d’ébriété ? Moi aussi ! 26 Tu dois t’apprêter. 27 Une tranche de pain grillé qu’on trempe dans le vin. 28 BM : Prenes moy 29 BM : iambon (« Une cuysse/ De gras chapon. » Le Cousturier et Ésopet.) 30 Un peu. 31 Clairet : vin rosé. Idem vers 155. Sans séjour = sans délai. 32 Je m’ennuie. Même vers que 99. 33 Ce qu’il fait ni ce qu’il dit. 34 Troubler. 35 Réfutation de deux proverbes : « Qui boit et mange sobrement/ Vit, de coustume, longuement. » « Boy par raison, tu vivras longuement. » 36 Je me levais au milieu de la nuit. Psaume 118. 37 Du bon vin et du meilleur. Le prêcheur remplace Dieu par le vin : « Deum bonum et optimum credimus. » (Tertullien.) On prononçait « optimon », à la française. 38 Que Dieu m’assiste ! Nous allons découvrir au fur et à mesure que les deux adversaires se connaissent bien ; sont-ils d’anciens compagnons de taverne ? 39 Quel nez rouge, par allusion au vin rouge de Saint-Pourçain : voir le v. 141. « –Quel visage de Saint-Poursain !/ –Si ont esté ces gros vins rouges/ Qui nous ont paincturé ainsi/ Les narines de cramoysi. » Le Ramonneur de cheminées. 40 Ce béjaune, ce blanc-bec. 41 Derrière les spectateurs. Si le cuisinier était au 1er rang et tournait le dos au public, on ne l’entendrait pas bien. 42 La partie du casque protégeant le menton ; pour boire, les soldats sont obligés de la soulever. Nous dirions aujourd’hui : hausser le coude. 43 BM : nest. 44 On prononçait « vinon ». Cette loi Vinum quod mutuum — dont il est encore question au vers 124 — concerne la façon de rendre du vin qui a été prêté. Elle est connue pour sa niaiserie, et Rabelais ne l’a pas épargnée : « La loy Quinque pedum [5 pieds], la loy Vinum, la loy Si Dominus. » Pantagruel, 13. 45 Au 12e livre du Digeste, titre 1. « Une contestation qu’il eut avec un de ses confrères sur l’intelligence de la Loi Vinum, au Digeste. » Gilles Ménage. 46 Noyé dans le vin. « Quant il sont yvres et noyés. » ATILF. 47 Si on lui tordait. 48 Une cimaise : un plein pot à vin. Cf. Baudet, Blondète et Mal-enpoint, vers 17. 49 BM : dessire. (Dévoyé. « Dévier, c’est forvoier et aler hors le droit chemin. » ATILF.) 50 Bu. Voir la note 17. 51 BM : Sera a (C’est mon plus proche voisin qui l’aura. On suppose que ce voisin n’est autre que le prêcheur.) 52 Du jus de raisin fermenté : du vin. 53 Si ce n’est. Idem vers 245 et 247. 54 Male = mauvaise. Idem vers 101, et vers 105, qui est construit sur le même modèle que celui-ci. 55 Maishui, désormais. Idem vers 244. 56 Ne traîne pas ! 57 Un cœur vaillant. 58 Il but tellement. 59 BM : pissa (Voir les vers 111-4.) 60 Sauf le respect que je vous dois. Cette formule excuse les allusions aux excréments : « Le caqua, sauf l’honneur de vous. » Saincte-Caquette. 61 À sa logeuse. Le cuisinier montre une quelconque spectatrice. 62 Un pet silencieux. 63 Du fin et du gros : des excréments. 64 BM : faillit (Le gros est une pièce de monnaie.) 65 Oyez ; idem vers 260. Écoutez, si vous voulez. 66 Ce que dit un célèbre docteur en Droit. S’il existait vraiment, le prêcheur le nommerait. 67 BM : etyque (N’est pas très ancienne. « En celle loy antique. » ATILF.) 68 Elle achoppe. Verbe choir. 69 D’eau. 70 BM : il (Le rébéca = l’abus. Cf. Frère Frappart, vers 152.) 71 Mettre en pièces. Cf. Troys Galans et un Badin, vers 299. 72 Tu n’as pas l’habitude de mettre de l’eau dans ton vin. « Je n’ay point apris que l’on crie/ Devant ma prédication. » Le Pardonneur. 73 Long bâton prolongé par une lame ou une serpe. 74 Cela se voit, est apparent. Même forme du verbe paroir à 255. 75 De petits bubons, de pustules. 76 Les castagnettes, comme un lépreux qui doit signaler sa présence. Le cuisinier traite encore le prêcheur de lépreux à 168. 77 Je veux bien être tondu comme un fou. Cf. le Sourd, son Varlet et l’Yverongne, vers 132 et note. 78 « Son chevau,/ Sa jument, son asne. » Sermon pour une nopce. 79 Ne soyez pas comme un cheval ou un mulet, qui ne sont pas intelligents. Psaume 31, attribué à David. Mais la suite n’est pas de lui, quoi que prétende le prêcheur. 80 Les Livres des Rois n’abordent pas plus ce sujet capital au livre 11 qu’ailleurs. Regum se prononçait « régon ». 81 Ce que c’est, de quoi il s’agit. 82 BM : droit ung (« Il semble ung droit varlet de cartes. » Le Povre Jouhan.) Il ressemble à un véritable lépreux. 83 Maudite. Idem vers 171, 271 et 286. 84 Aujourd’hui. Le prêcheur a une telle aversion pour l’eau qu’il ne se lave jamais. 85 Trop bavardé. Cf. Pernet qui va au vin, vers 216. 86 « Faictes taire ce fol ! » Cette réplique est tirée du Pardonneur où, comme ici, deux rivaux veulent se faire taire mutuellement pour capter l’attention des passants. 87 BM : Tresort (Très sale. « Très ort villain ! » La Laitière.) Punais = puant. Le cuisinier, lui non plus, ne se passe jamais d’eau sur le corps. 88 BM : nays (Honnête = propre. Cf. Grant Gosier, vers 22.) 89 Le voyez-vous bien, ce sectateur d’un Ordre bachique ? « Nous sommes de l’Ordre de Saint-Baboyn./ Dormir jusqu’à prime et boire bon vin,/ Et chanter matines sur ung pot de vin. » (La Résurrection Jénin à Paulme.) « Tous ces suppoz de l’Ordre Sainct-Babouyn/ Haront tousjour pertroublé le cerveau,/ Les ungs d’iceulx par trop boire de vin,/ Et la pluspart pour ne boire point d’eau. » Pronostication d’Habenragel. 90 Son haleine. 91 Attrapez-la. « Que de la fièvre cartaine/ Puissez-vous estre relié ! » (Le Povre Jouhan.) Le prêcheur, qui ne se cramponne plus à son lutrin, se met à chanceler. 92 Que de grimaces, de chichis. « Tant de mines ! » Le Dorellot. 93 Dans ta bouche. Les imprécations sont volontiers scatophagiques : « Ung estront/ De chien chié emmy vostre gorge ! » Colin qui loue et despite Dieu. 94 Réponse narquoise qu’on fait à une personne trop exigeante. « –Je vous demande/ Pour six aulnes, bon gré saint George,/ De drap, dame. –On le vous forge ! » Farce de Pathelin. 95 « Despeschez-vous, ma femme,/ Il est jà tard. » Le Testament Pathelin. 96 Les buveurs obtiendront des indulgences qui leur permettront de quitter le Purgatoire avec 40 000 jours d’avance. « Gaignasmes sept ans et sept quarantaines de pardon. » ATILF. 97 De grandes chopes. « Pleine tasse/ De vin. » (Le Capitaine Mal-en-point.) Saint Bernard n’a jamais proféré de telles fredaines. 98 BM : le (Voir le v. 201.) 99 Qui bene bibit, Deum videbit : Celui qui boit bien verra Dieu. Ce proverbe existait avant saint Bernard. 100 Tellement sages qu’elles valent de l’or. 101 BM : mon liure len 102 Et pour cela. Idem vers 207. 103 Que celui qui boit bien, il pisse bien. On rencontre parfois la variante bene dormiat. 104 Et pour cela, le vin. « Nous beuvons/ De la purée du raisin. » (Pernet qui va au vin.) « La purée des vignes. » (L’Arbalestre.) « Purée septembrale. » (Gargantua, 7.) 105 Tant qu’on pourra trouver de l’argent. Finer de = se procurer : « Tu ne sauroies finer d’ung blanc [un sou]. » (Les Drois de la Porte Bodés.) Les « croix » sont des pièces frappées d’une croix sur leur côté face. 106 BM : Qui faictes (On rend les gosiers si étroits, si desséchés.) 107 Jusqu’à ce que nos yeux pleurent. Voir le v. 35. 108 Il n’a qu’à y envoyer son valet à sa place. 109 Si le vin est aigre, il ne vaut rien. 110 Lacune. « Les vins sont bien vers, ceste année,/ Dont il fait mal aux bons buveux./ Ceulx qui ont gardé les vins vieulx/ N’y perdront rien. » (Raoullet Ployart.) On préférait le vin vieux au vin nouveau : voir le Testament Pathelin, vers 173-180. 111 Gagner. 112 Le voyez-vous bien, là ? Nous dirions : Regardez-moi ça ! « Vez » = voyez ; idem vers 180, 253 et 289. 113 À l’être humain. Ce prétendu « théologien » ressemble à Guillaume Dufay, le compositeur de la chanson Bon jour, bon mois : « Bon vin/ Pour maintenir la créature saine. » 114 Ne dévoie les intestins, ne cause une diarrhée. Cf. Lucas Sergent, vers 44. 115 Je me comporte aussi bravement. « (Il) se porta si vaillamment qu’il en emporta l’onneur de ladicte jouste. » ATILF. 116 Les deux héros de la Chanson de Roland. Notons que les ivrognes plaignent beaucoup Roland depuis qu’une légende affirme qu’il est mort de soif : cf. le Ribault marié, vers 200 et note. 117 Nous déclara. 118 J’ai soif. C’est l’une des sept dernières paroles du Christ en croix. Rabelais l’a parodiée dans ses Propos des bien yvres : « Le grand Dieu feist les planettes, et nous faisons les platz netz. J’ai la parolle de Dieu en bouche : Sitio ! » Gargantua, 5. Ce passage ne figure que dans la seconde édition, de 1542 : entre-temps, Rabelais avait peut-être vu notre pièce. 119 De ne parler d’autre chose que du breuvage, de l’alcool. « Il n’est beuvraige que de vin. » ATILF. 120 Sinon à faire preuve de gourmandise. 121 La soupe est le morceau de pain qu’on trempe dans le bouillon. Même vers dans Deux hommes et leurs deux femmes. 122 Entêté. « Mais regardez ce fol testu ! » Le Prince et les deux Sotz. 123 Un tel sot. 124 Un imbécile et un ivrogne. 125 Cela se voit à votre museau. « Il y pert bien à mes habitz. » Les Sotz qui remetent en point Bon Temps. 126 Peint en rouge vif. « Il a le groing enluminé. » Le Ramonneur de cheminées. 127 Mais que ce soit plutôt. 128 Saint Martin de Tours (Martinus Turonensis) est fêté le 11 novembre, jour de la fête des vendanges. On le mêle à plusieurs proverbes concernant le vin : « À la Saint-Martin,/ L’on boit le bon vin. » « À la Saint-Martin, bois ton vin/ Et laisse l’eau courre au moulin. » Le Sermon joyeulx de sainct Raisin lui rend hommage : « Prions monseigneur sainct Martin,/ À laquelle feste on boict vin. » Koopmans, p. 534. 129 Martin fut un bon compagnon, et toujours le premier à boire. Quand la rime consiste en un mot latin accentué sur l’avant-dernière syllabe, comme c’est le cas dans le présent distique, la dernière syllabe est atone, ce qui permet d’obtenir un octosyllabe régulier. Même scansion pénultième aux vers 2 et 199. 130 BM : bien (« Chacun n’entend pas mon latin,/ Car il est faict de fin estaing. » Farce de Guilliod.) Le prêcheur prend cette expression au pied de la lettre, puisqu’on buvait dans des chopes en étain. 131 Il fut consommé de vieux laiton. Cette phrase n’a aucun sens, et voici pourquoi : les collégiens s’amusaient à transcrire platement le latin prononcé à la française. On devine ici que « consommé fut » transcrit le biblique « consummatum est », et que « viel laiton » transcrit littéralement « vel lætum ». Mais quelle est la phrase latine qui a suscité ce jeu ? En tout cas, elle n’est pas dans les adaptations de Platon en latin. 132 BM : fit (Le docte Platon. « De ce docteur Platon à teste folle. » François de Fougerolles.) 133 Son dernier « quod libet », son dernier dialogue philosophique. Voir les Demandes joyeuses en forme de quolibet. On ignore quel est le dernier dialogue écrit par Platon, et notre sermon ne renvoie à aucun d’entre eux. 134 Si on faisait. 135 Il ne peut y avoir. Le prêcheur fait croire à un auditoire inculte que la rébarbative Rhétorique d’Aristote exalte les fêtes et le vin. 136 Architriclin était le maître d’hôtel des noces de Cana, où Jésus changea l’eau en vin. Les suppôts de Bacchus n’omettent jamais cette pieuse évocation : « Ce fut qu’il mua l’eaue en vin/ Aux nopces de l’Architriclin. » Sermon de sainct Raisin <Koopmans, p. 533>. 137 BM : illam. (Le pronom féminin illam ne se rapporte à rien.) Qu’il boive encore du bon vin. Etiam [encore] se prononçait alors « étian ». 138 Ivrognibus. 139 Un sou. 140 Lui brûle. 141 D’habitude, cette récrimination est faite par les épouses : « Je n’ay mye ung tant seul hardy [sou]/ Qu’il ne le porte à la taverne. » Serre-porte. 142 BM : ces (Aux gens qui sont actuellement près de lui. Le cuisinier est toujours derrière les spectateurs.) 143 Un habile compagnon : un maître cuisinier. 144 La cité des papes était réputée pour ses bordels. « Ne n’est bourdeau qu’en Avignon. » Le Dict des pays. 145 Descendent sur ses chevilles. 146 C’est un des distiques moraux attribués à Caton : « Vino te tempera : Boy du vin sobrement. Boy par mesure et sans excèz. » D’après le vers 301, le prêcheur traduit tout au contraire : Dans le vin tu te tremperas. 147 Attendez tous. Un collégien d’aujourd’hui traduirait : « Attendez l’omnibus ! » 148 Au verbe manger. C’est le second point du sermon, énoncé dès le 1er vers. 149 En bas, en enfer. 150 Retirer. 151 Les morceaux de viande que tu mangeras pendant les jours maigres. « Si en prenez tout à la foys/ Double morceau ! » Le Capitaine Mal-en-point. 152 « Un hérétique qui ne croit ny Ciel, ny Enfer, ny Diable ; qui passe cette vie en véritable beste brute : un pourceau d’Épicure ! » Molière, Dom Juan. 153 Qui vient contrefaire le sage. « Flater en Court, trancher du saige. » Gautier et Martin. 154 Descendez de votre tonneau ! 155 Ce que. 156 BM : parle (« Prescher sur la vendange : discourir long temps avec le verre à la main. » Antoine Oudin.) « Certain curé/ Qui preschoit peu, sinon sur la vendange. » La Fontaine. 157 Naïf. 158 Laisse-moi achever. « Laisse-m’aler ! » La Laitière. 159 Je ne le ferai pas. « Mon » est une particule de renforcement. « Par saint Jehan ! ce ne feray mon ! » La Mauvaistié des femmes. 160 De raillerie. 161 Et les diables courront après lui pour l’expédier en enfer. 162 J’en ai plein le cul de ta furie. « Tu me remplis le cul de noyse ! » Trote-menu et Mirre-loret. 163 Avaler du vin. Cf. le Chauldronnier, vers 195 et note. Le prêcheur descend de son tonneau. 164 Je vais avoir la jouissance. « J’auray la copie de ce corps. » Jehan de Lagny. 165 Dans la cave. « Or venez boire, je vous pry,/ En ma despense. » (ATILF.) Le cuisinier s’empare du tonneau que le prêcheur a laissé.
LE POURPOINT RÉTRÉCHY
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LE POURPOINT
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RÉTRÉCHY
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Ce Pourpoint rétréci1 est l’une des nombreuses et excellentes pièces que des fatistes picards composèrent pour Paris2 dans le premier tiers du XVIe siècle : voir la notice du Mince de quaire. Celle-ci a l’ampleur de deux longues farces ; mais si elle commence comme une farce, elle finit comme une tragédie.
Source : Recueil de Florence, nº 44.
Structure : Rimes plates.
Cette édition : Cliquer sur Préface. (Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.) Le nombre considérable de particularismes picards m’oblige à inclure une traduction juxtalinéaire pour ne pas surcharger les notes.
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Farce nouvelle très
bonne et fort joyeuse
À .III. personnaiges3, c’est assavoir :
RICHARD [NÉGOCE]
GAULTIER [SAULCERON]
TIERRY [MÂCHOUE]
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LE POURPOINT RÉTRÉCHY.
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La farce du Pourpoint rétréchy, trèsjoyeuse.
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RICHART commence 4 RICHARD SCÈNE I
Sang bieu ! es-tu desjà levé ? Sambleu ! tu es déjà levé ?
Tu n’as pas encore achevé Tu n’as pas encore achevé
De dormir ton vin. De cuver ton vin.
GAULTIER GAUTIER
Tu dis bien. Tu as raison.
Et toy, as-tu dormy le tien ? Et toi, as-tu cuvé le tien ?
5 Par le sang de moy ! tu estoyes Bon sang ! tu étais
Si yvre que tu ne sçavoyes Si ivre que tu ne savais plus
Dire ne « papa » ne « menmen5 ». Dire « papa » ni « maman ».
RICHARD RICHARD
Maudit soit il qui en men[t] ! Maudit soit ce menteur !
GAULTIER GAUTIER
Amen6 ! Amen !
Or, prenez qu’ainsi soit il, beau sire : Supposez qu’il en soit ainsi, beau sire :
10 Mais que gaignez-vous ad ce dire ? Mais que gagnez-vous à l’avouer ?
Je me fois fort7 qu’il me souvient Je me vante de me souvenir
— Puisque8 dire le me convient — — Puisqu’il faut que je le dise —
De trèstout quanque9 je fais[i]on De tout ce que je faisais
[Arsoir10]. Hier soir.
RICHARD RICHARD
Par m’âme ! je baision11 Par mon âme !
15 Plus souvent que chat ne se mouche12 Plus souvent qu’un chat ne se mouche,
Les hanaps. J’embrassais les coupes.
GAULTIER GAUTIER
Et voire, o13 la bouche, Et même, avec la bouche,
Je beu[vion] tant que j’en suis mate14. Je buvais tant que j’en suis moite.
RICHARD RICHARD
Il n’y avoit ne pié ne paste15 Il n’y avait personne
Qui ne fust yvre, à nostre16 feste ; Qui ne soit ivre, à notre fête ;
20 Fors moy, qui hurté de la teste Sauf moi, qui me suis cogné la tête
Tant que je cheu sur les thisons. Au point de choir sur les tisons de l’âtre.
GAULTIER GAUTIER
Je te prie que nous advisons17 Avisons, je te prie,
Où les gallans desjeuneront : Où nous déjeunerons :
Car certes le ventre me rompt Car, certes, mon ventre se creuse
25 (Ce m’est advis) par cy endroit. Par ici, à mon avis.
RICHARD RICHARD
Et, par saint Jaques ! Qui prendroit Eh, par saint Jacques ! Si nous soignions
Du poil de chien18, à ce matin, Le mal par le mal, ce matin,
Ce ne seroit pas faulx latin19 : Ce ne serait pas abusif :
Car je me médecine à boyre Car je me soigne en buvant
30 Du meilleur vin, certes. Du meilleur vin, certes.
GAULTIER GAUTIER
Et ! voire. C’est sûr.
Mais il nous [y] faulsist ung tiers20. Mais il nous faudrait un troisième.
RICHARD RICHARD
Cestuy y vendra21 vollentiers, Il viendra volontiers, celui
D’arsoir. D’hier soir.
GAULTIER GAUTIER
Qui ? Colin Renbouré22 ? Qui ? Colin le rembourré ?
RICHARD RICHARD
Hahay ! nenny : je ne pouré Ha ! non : car je ne pourrais pas
35 Assener ung pet en sa joue23. Flanquer un pet entre ses deux joues.
C’est ce meschant Tierry Mâchoue24 ; Je parle de ce vilain Thierry Mâchoue.
[Moy,] je n’y pou[r]oye advenir. Moi, je ne pourrais pas payer.
GAULTIER GAUTIER
Tierry ? Il n’y pourroit venir Thierry ? Pardieu ! il ne pourrait venir
(Se m’aist Dieux25) n’en pièce, n’en pose26. Ni en personne, ni en peinture.
RICHARD RICHARD
40 Non ? Et pourquoy ? Non ? Et pourquoi ?
GAULTIER GAUTIER
Il se repose Il se repose
En son lict et reposera ; Dans son lit et il continuera ;
Et dict qu’il ne besongnera Et il dit qu’il ne fera aucune besogne
Anuyt27 qu’il ne soit près de nonne. Aujourd’hui avant midi.
RICHARD RICHARD
Il a la seconde personne28, Il a le second rôle,
45 Doncques, puisqu’il ne s’est levé ; Donc, puisqu’il ne s’est pas levé ;
Ou il fut, arsoir, abruvé29 Ou bien il fut, hier soir, abreuvé
Ung petit plus qu’i ne soulloit. Un peu plus qu’il n’avait coutume.
Car j’ay apprins qu’il se soûloit30 Car j’ai appris qu’il se soûlait
Tous les jours avant qu’il allast Tous les jours avant d’aller
50 Nulle part31 et qu’il se gallast, Quelque part, ni de s’amuser,
Ne qu’il entrast en la taverne. Ni d’entrer à la taverne.
GAULTIER GAUTIER
Dieu scet comment il se gouverne Dieu sait comment il se comporte
Dedans son lit en paillardoys32 ! Dans son lit, en paresseux !
Par Dieu ! se tu le regardoys, Pardieu ! si tu le regardais,
55 Je sçay bien qu’il te fero[i]t rire : Je sais bien qu’il te ferait rire :
Il romfle, il soufle [et] il souppire Il ronfle, il souffle et il soupire
Par emblées33 en esternuant, Bruyamment en éternuant,
Tellement qu’il sent si puant Tellement que ça pue beaucoup
En sa chambre. Dans sa chambre.
RICHARD RICHARD
Dort-il encores ? Dort-il encore ?
GAULTIER GAUTIER
60 Ouÿ, par Dieu ! J’en venoye ores Oui, par Dieu ! J’en venais juste
Ung peu davant que tu venisse[s]. Un peu avant que tu n’arrives.
RICHARD RICHARD
Allons le prendre par les cuisses34 Allons le soulever par les cuisses
(Dy-je bien ?), et le traîneron (Dis-je bien ?), et nous le traînerons
En la taverne : et si, buron À la taverne : et ainsi, nous boirons
65 Sur sa robbe35 trois solz ou quatre. À ses frais pour 3 ou 4 sous.
GAULTIER GAUTIER
Pour le faire bien fort débatre, Pour le faire enrager bien fort,
Je te pry que nous advisons Je te prie que nous avisions
Comment bien le cabuserons, Comment nous le bernerons bien,
Qu’il en soit à long temps mémoire. Pour qu’on s’en souvienne longtemps.
RICHARD RICHARD
70 Par saint Mor ! Faisons-luy acroyre Par saint Maur ! Faisons-lui croire
Qu’il a tonné et esparty36 Qu’il y a eu du tonnerre et des éclairs
Si fort, que le ciel est party37 ; Si forts que le ciel s’est ouvert en deux ;
Et tant, qu’il est bien cheu à terre Tellement qu’il est bien tombé sur terre
Deux cens mille anges ; et saint Pierre 200 000 anges ; et saint Pierre
75 Chéoit, s’il ne se fust bien tenu Serait tombé, s’il ne s’était tenu
Au mantel Dieu, qui est venu, Au manteau de Dieu, qui est venu,
Et en chéant, le releva. Et qui le releva dans sa chute.
Et dirons que le monde va Et nous lui dirons que tout le monde va
À miracles véoir les anges Par merveille voir les anges,
80 Pource que ce sont gens estranges. Parce que ce sont des gens étranges.
Et je te prometz qu’il yra. Et je te promets qu’il ira.
GAULTIER GAUTIER
Voire. Mais quant on luy dira, D’accord. Mais quand on le lui dira,
Il ne fauldra point que l’en rie. Il ne faudra pas qu’on rie.
RICHARD RICHARD
Ha ! non, par la Vierge Marie ! Ha ! non, par la Vierge Marie !
85 Mais l’afermer38 comme Évangille. Mais l’affirmer comme parole d’Évangile.
C’e[st] qu’ilz estoient bien cent mille C’est qu’ils étaient bien 100 000
Anges au39 mains, ou troys ou quatre, Anges au moins, ou trois ou quatre,
Qui s’aloient arsoir40 esbatre ; Qui allaient hier soir se divertir ;
Et [tout] ainsi comme ilz courroient, Et tandis qu’ils courraient,
90 La nue sur quoy ilz estoient Le nuage sur lequel ils étaient
Cheut à terre [tout d’une tire41]. Tomba sur terre tout d’un coup.
GAULTIER GAUTIER
C’est bien dit. Et luy faudra dire C’est bien dit. Et il faudra lui dire
Que les povres anges gravissent42 Que les pauvres anges escaladent
Les montaignes affin qu’ilz puissent Les montagnes afin de pouvoir
95 Arrière remonter ès cieulx. Remonter dans les cieux.
Et y en a jà sur les haulx lieux Et il y en a déjà sur les hauteurs
Comme sur les tours Nostre-Dame. Comme les tours de Notre-Dame.
RICHARD RICHARD
Et ! par le péril de mon âme ! Eh ! par mon âme !
C’est si bien dit qu’il n’y fault rien. C’est si bien dit qu’il n’y manque rien.
100 Au tertre de Mont Valérien, Au sommet du Mont Valérien,
Sont jà montés sur l’ermitaige43 Sont déjà montés sur l’ermitage
Tel nombre d’anges que c’est raige, Un tel nombre d’anges que c’est fou,
Si trèsbeaux et si très précïeux. Si beaux et si vénérables.
Et dirons qu’on voyt Dieu, des cieux Et nous lui dirons qu’on voit Dieu,
105 De là-dessus, chantant la messe. Du haut des cieux, chanter la messe.
GAULTIER GAUTIER
Or seroit-ce trop grant simplesse Ce serait une trop grande crédulité
À luy de croyre tel baierie44. De sa part que de croire un tel baratin.
RICHARD RICHARD
Non seroit, par sainte Marie ! Non, par sainte Marie !
Ne luy fi-ge pas entendant45 Ne lui fis-je pas croire
110 Arsoir mesmes, en actendant, Hier soir même, en attendant le vin,
Que l’en avoit, ceste sepmaine, Qu’on avait cette semaine
Pesché trois harencs sortz en Seine Pêché trois harengs saurs dans la Seine,
Tous vifs46 ; et devoient deux andoulles Vivants, et que deux andouilles devaient
Jouster contre eulx de leurs queno[u]illes ; Jouter contre eux avec leur quenouille ?
115 Et doibt Karesme-prenant47 estre Et que Mardi-gras doit être
Leur juge (aussi est-il leur maistre). Leur arbitre, car il est leur maître ?
Mais il m’en croyoit plainement. Mais Thierry me croyait pleinement.
Et puis luy dis si, proprement, Et puis je lui dis aussi, littéralement,
Que les .XV. Vings48 appreno[i]ent Que les aveugles apprenaient
120 Mestier49, et que les ungs estoient Un métier, et que les uns étaient
Cousturiers et poigneurs50 d’alesne ; Couturiers et cordonniers ;
Et les aultres, clercs de taverne51 ; Et les autres, serveurs de tavernes ;
Et d’aultres — ung grant cariaige — Et d’autres — une pleine charrette —
Si bons barbiers que c’estoit raige ; Si bons barbiers que c’était fou ;
125 Et les aultres, faiseurs de greaulx52… Et les autres, faiseurs de graux…
GAULTIER GAUTIER
[Quoy ?] Comment dea ? Quoi ? Comment ?
RICHARD RICHARD
« Graveurs de seaulx », « Graveurs de sceaux »,
Et si bons osteurs de sirons53 Et si bons piqueurs de pustules
Que merveille ! Que c’est prodigieux !
GAULTIER GAUTIER
Nous luy dirons Nous dirons à Thierry
Une chose plus évident : Une chose plus crédible :
130 Dy-luy que je suis président Dis-lui que je suis président
En Parlement, ou chancelier, Au Parlement, ou chancelier,
Et suis mussé en ung cellier Et que je me suis caché dans un cellier
Pour ce que je ne le vueil estre ; Parce que je ne veux plus l’être ;
Et par ma foy, le gentil maistre Et par ma foi, notre gentil maître
135 L’yra impétrer pour luy54. Ira demander cette charge pour lui.
RICHARD RICHARD
Voire, Certes,
Jamais [il] ne m’en vouldroit croire55. Jamais il ne voudrait me croire.
Pensons une aultre tromperie. Pensons à une autre tromperie.
GAULTIER GAUTIER
Vécy quoy, par saincte Marie ! En voici une, par sainte Marie !
Vien çà : nous lui demanderon Approche : nous lui demanderons
140 Son songe, et l[uy] exposeron De raconter son rêve, et nous lui dirons
— Quelconque chose qu’il nous dye — — Quoi qu’il nous raconte —
Que c’est signe de maladie. Que c’est un signe de maladie.
Et si, luy ferons entendant Et même, nous lui ferons croire
Qu’il s’en yra par le pendant56 Qu’il finira pendu
145 — Et que son songe le devise — — Et que son rêve l’atteste —
S’il ne se boute57 en franchise S’il ne se réfugie en religion
Tantost, tout nud, sans arrester, Bien vite, tout nu, sans tarder,
Et qu’il se voise apprester58 Et qu’il aille se faire prêtre
Au moustier. Et nous porteron Au monastère. Et nous lui apporterons
150 À lui sa robe. Sa robe.
RICHARD RICHARD
Non feron : Nous ne la lui apporterons pas :
Nous la porteron aultre part59, Nous la porterons ailleurs,
Et sçaurons chacun d’une part, Et saurons, en ayant chacun sa part,
Tout au long, ce qu’elle vauldra. Combien elle vaut de haut en bas.
Mais, par Nostre Dame, il fauldra Mais, Sainte Vierge, il faudra
155 Qu’on face bien l’eschauffouray60. Que nous menions bien notre attaque.
GAULTIER GAUTIER
Par le sang bieu ! je ne pourray, Palsambleu ! je ne pourrai
[Se m’aist Dieux,] moy tenir de rire. Me retenir de rire, sans l’aide de Dieu.
RICHARD RICHARD
Dea, si feras ! Et fauldra dire Mais si ! Et il faudra dire à Thierry
Que sergens la nous ont emblée61, Que des sergents nous ont volé sa robe,
160 Et [qu’ilz] sont jà telle assemblée Et qu’il y en a déjà une telle troupe
Qui le quèrent que c’est merveille ! Qui le cherchent que c’est fou !
GAULTIER GAUTIER
Je te donneray ma dextre oreille Je donnerai mon oreille droite
S’il en croyt rien et s’i le fait. S’il le croit et s’il le fait.
Ho ! j’ay visé ung62 aultre fait : Oh ! je songe à autre chose :
165 Mais qu’on luy puisse faire entendre Si nous pouvons lui faire admettre
Qu’il est mort, nous luy pourrons prendre Qu’il est mort, nous pourrons lui prendre
Quanqu’il a devant son visaige. Tout ce qu’il possède.
Et puis, s’il mue son courage Et s’il change d’avis
En disant qu’il n’est mie mort, En disant qu’il n’est pas mort,
170 Disons-luy qu’il regibe et mort63 Disons-lui qu’il se rebelle
Et qu’il est tout mal couraigé. Et qu’il n’a aucun courage.
RICHARD RICHARD
Voire, et [est] trèstout enragé, Oui, et qu’il est tout enragé,
Et point64 aux dens comme ung lyon. Et montre les dents comme un lion.
GAULTIER GAUTIER
[Il fauldra que nous le lion]65 Il faudra que nous l’attachions
175 Comme s’il estoit forcené ; Comme si c’était un forcené ;
Et dirons qu’il sera mené Et nous dirons qu’il doit être mené
À Sainct-Mathurin66. À l’asile des fous.
RICHARD RICHARD
Je pensoye Je pensais,
(Ce m’est advis) trop meilleur voye ; À mon avis, à un meilleur moyen ;
Et si, diras bien qu’elle est bonne. Et tu diras bien qu’il est bon.
180 Je ne congnoys guère personne Je ne connais presque personne
Qui s’en scéust appercevoir, Qui puisse s’en apercevoir,
Mais qu’on face bien son devoir. Si nous faisons bien notre travail.
GAULTIER GAUTIER
Et qu’esse ? Et qu’est-ce que c’est ?
RICHARD RICHARD
Je le te diray : Je vais te le dire :
Tu t’en yras — ou moy g’iray — Tu iras — ou j’irai moi-même —
185 En sa chambre tout67 gentement, Dans sa chambre tout doucement,
Et prendras trèstout bellement68 Et tu prendras en silence
Son pourpoint sans ce qu’il s’esveille. Son pourpoint sans qu’il s’éveille.
Et puis fauldra qu’on s’apareille Puis il faudra qu’on se débrouille
Tellement qu’il en soit osté Tant et si bien qu’on en enlève
190 Troys [bons] doys de chascun costé. Cinq bons centimètres de chaque côté.
Et puis quant il s’esveillera, Et puis quand il s’éveillera,
Voys-tu bien, et il trouvera Vois-tu bien, et qu’il trouvera
Son pourpoint ainsi rétroissé Son pourpoint ainsi rétréci
Sans ce qu’il le voye deffroissé. Sans qu’il le voie en désordre.
195 Et puis nous le recouldrons arrière, Puis nous le recoudrons comme avant,
Ce croy-je, par ytel(le) manière Je pense, d’une telle manière
Et si trèsbien qu’il n’y perra69. Et si bien qu’il n’y paraîtra rien.
Par mon serment ! quant il verra Par mon serment ! quand Thierry verra
Que70 son pourpoint ne pourra joindre, Qu’il ne pourra plus fermer son pourpoint,
200 Tu luy verras la chair espoindre71, Tu le verras avoir la chair de poule,
[Et] frémir, et muer coulleur72, Et frémir, et rougir,
Si fort que ce sera doulleur. À un point que ce sera terrible.
Et puis fauldra bien qu’on luy dye Et il faudra qu’on lui dise bien
Qu’il est enflé par maladye, Qu’il est enflé par la maladie,
205 Et que, se tantost n’y pourvoie73, Et que s’il n’y pourvoit bien vite,
Qu’il est mort. Il est mort.
GAULTIER GAUTIER
Se Dieu me doint joye, Que Dieu me bénisse !
Vécy trèsbon appointement ! Voilà un très bon tour.
RICHARD RICHARD
N’est pas ? N’est-ce pas ?
GAULTIER GAUTIER
Si est, par mon serment ! Oui, par mon serment !
On ne pourroit mieux deviser. On ne pourrait inventer mieux.
210 Il ne s’en sçauroit adviser, Thierry ne pourrait se douter de rien,
Par le sang que Dieu m’a donné ! Par ma vie !
RICHARD RICHARD
Cuidera il estre empoisonné Il croira avoir été empoisonné
Par advis74. Subrepticement.
GAULTIER GAUTIER
Ouÿ, fermement. Oui, sûrement.
Et bauldra75, au commencement, Et il nous donnera, dès le début,
215 Argent pour monstrer son orrine76. De l’argent pour faire examiner son urine.
RICHARD RICHARD
Voire, par saincte Katherine ! Oui, par sainte Catherine !
Nous en aurons du moins deux francs Nous aurons de lui au moins 2 francs
Pour bailler aux phisicïens77 Pour donner aux prétendus médecins
— Ou ung escu, que je ne mente. — Ou un écu, pour être précis.
GAULTIER GAUTIER
220 Se nous n’en avons plus de trente, Si nous n’en avons pas plus de 30
Des francs, au moins, se tu m’en croys, Pour le moins, des francs, crois-moi,
Je vueil estre tondu en croyx78 ! Je veux bien être tondu comme un fou !
[Hier,] il a gaigné tout le nostre Hier soir, il a gagné tout notre argent
Aux détz. Aux dés.
RICHARD RICHARD
Par saint Pere79 l’appostre ! Par saint Pierre l’apôtre !
225 Tu dis voir ; mais il le rendra. Tu dis vrai ; mais il nous le rendra.
Or[e] ne sçai-ge où on prendra Je ne sais pas où nous trouverons
Une [esguille. Et]80 ! en as-tu point ? Une aiguille. Hé ! n’en as-tu pas ?
GAULTIER GAUTIER
Ouÿ. Va querre le pourpoint, Si. Va chercher son pourpoint,
Ne te soucye d’aultre chose. Ne te soucie pas d’autre chose.
RICHARD RICHARD
230 Par l’âme qui en moy repose ! Par mon âme !
J’y81 voys. J’y vais.
GAULTIER GAUTIER
Or va tout bellement ! Vas-y silencieusement !
RICHARD RICHARD
Ore, par le Dieu qui ne ment, Maintenant, par Dieu,
Je doubte qu’il ne dorme pas. Je redoute que Thierry ne dorme pas.
Mais g’iray si délyé pas Mais j’irai d’un pas si léger
235 Que je croy qu’il ne m’orra goute82. Que je crois qu’il ne m’entendra pas.
GAULTIER GAUTIER
Quant tu seras là, si escoute Quand tu seras à sa porte, écoute
S’il souppire point, ne s’il hongne. S’il ne soupire pas, ou ne grogne pas.
.
RICHARD 83 RICHARD
Vé-le cy. Sus, sus, en besongne ! Voici le pourpoint. Allons, au travail !
Descouson84 ! Décousons-le !
GAULTIER GAUTIER
Si dort-il ? Dort-il ?
RICHARD RICHARD
Ouÿ, Oui,
240 Si fort qu’il ne m’a point ouÿ. Si fort qu’il ne m’a pas entendu.
J’eusse bien prins toute sa robe, J’aurais pu prendre toute sa robe,
Par le sang Dieu ! Il ne se hobe Palsambleu ! Il ne bouge
Ne que fait ung pourceau qui pisse. Pas plus qu’un pourceau qui pisse.
GAULTIER GAUTIER
Par Nostre Dame ! Que je puisse85, Sainte Vierge ! Si je peux,
245 Mes co[u]stures ne perront point. Mes coutures n’apparaîtront pas.
RICHARD RICHARD
Coulx-moy, coux86, hardiement bon point ! Couds, cocu, et fais de beaux points !
Tu coulx tro(u)p pontifficalment. Tu couds trop solennellement.
GAULTIER GAUTIER
Il le fault faire esgallement, Il faut le faire d’une manière égale,
Qu’il n’apperçoyve la cousture : Pour que Thierry n’aperçoive pas la couture :
250 S’il l’appercevoit d’adventure, S’il l’apercevait par extraordinaire,
Tout nostre fait se gasteroit87. Toute notre affaire se gâterait.
RICHARD RICHARD
Le diable s’en adviseroit ! Seul le diable la remarquerait !
Il ne s’en sçauroit adviser. Thierry ne pourrait pas s’en aviser.
GAULTIER GAUTIER
Pour mieulx nostre fait deviser, Pour mieux organiser notre action,
255 Je te diray qu’il convendra : Je vais te dire ce qu’il faudra faire :
Je vendray ainsi qu’il tendra J’entrerai tandis que Thierry tiendra
Son pourpoint, et le hucheray ; Son pourpoint, et je l’appellerai ;
Et quant je le regarderay, Et quand je le regarderai,
Je me seigneray88. Voys-tu bien ? Je me signerai. Vois-tu bien ?
RICHARD RICHARD
260 Prens-moy ce fil, tu ne fais rien ! Prends ce fil, tu ne fais rien !
Enfille ceste esguille, enfille ! Enfile cette aiguille, enfile-la !
GAULTIER GAUTIER
Mais toy ! Tu n’es de rien habille, Mais plutôt toi ! Tu n’es bon à rien,
Se n’est tousjours à deviser. Si ce n’est à toujours bavarder.
RICHARD RICHARD
Il fault saigement adviser Il faut examiner avec sagesse
265 Comment la besongne en ira. Comment se déroulera notre affaire.
GAULTIER GAUTIER
Par le sang bieu ! On luy dira Palsambleu ! Nous dirons à Thierry,
— Quant vendra au faire et au prendre — Quand nous viendrons au vif du sujet,
Tant, qu’il ne sçaura où entendre. Tant de choses qu’il en sera perdu.
Quant tu auras encommencé, Quand tu auras commencé à parler,
270 Mais que tu n’ayes avancé Si tu n’as pas assez avancé
La besongne sans que g’y soye… La besogne sans moi…
RICHARD RICHARD
Par Dieu ! c’est ce que je pensoye, Pardieu ! c’est ce que je pensais,
[Et] ainsi le voulloy-ge dire. Et je voulais le dire ainsi.
GAULTIER GAUTIER
Quoy ? Que veulx-je dire, beau sire ? Quoi ? Que veux-je dire, beau sire ?
275 Sces-tu ? Le sais-tu ?
RICHARD RICHARD
Par mon serment, nenny. Par mon serment, non.
GAULTIER GAUTIER
M’aist Dieux ! je t’en croy. Entens-y Dieu ! je t’en crois. Réfléchis-y
Doncques, et puis tu le sçauras. Donc, et puis tu le sauras.
Je te dy que quant tu auras Je te dis que quand tu auras
Sans moy commencé la besongne… Commencé sans moi la besogne…
RICHARD RICHARD
280 Par Nostre Dame de Boulongne ! Par Notre Dame de Boulogne !
Ce fut bien dit. C’était bien dit.
GAULTIER GAUTIER
Le quoy, bien dit ? Qu’est-ce qui était bien dit ?
RICHARD RICHARD
Par le sang que Dieu respandyt ! Par le sang du Christ !
Je ne sçay. Mais [ce devoit]89 estre Je ne sais pas. Mais ce devait être
Bien parlé, et de main de maistre90. Bien parlé, et de main de maître.
285 Dy toujours ! Dis toujours !
GAULTIER GAUTIER
Or escoutes doncques : Alors écoute donc :
Quant j’entreray… Quand j’entrerai dans sa chambre…
RICH[A]RD RICHARD
Je ne vy oncques, Je n’ai jamais vu
Certes, mieulx dire, que je sçaiche ! Mieux dire, certes, que je sache !
GAULTIER GAUTIER
Si, ne sces-tu ne q’une vache, Tu ne sais pas plus qu’une vache
Vrayement, à quel fin je vueil tendre ! Où je veux en venir, vraiment !
RICHARD RICHARD
290 Ne te chault ! Je n’y vueil entendre Qu’importe ! Je n’entends que ceci,
(Pour Dieu) que, sans plus sermonner, Pour Dieu : sans plus de discours,
G’iray doncques l’araisonner. J’irai donc apostropher Thierry.
Et puis vien après ? Et puis après ?
GAULTIER GAUTIER
Et puis g’iray Et puis je viendrai
Assez tost après, et diray, Assez vite après toi, et je dirai,
295 Mais que sa chambre ne soit close91… Si sa chambre n’est pas fermée…
RICHARD RICHARD
Que vécy [une] bonne chose ! Que voilà une bonne chose !
Hélas, tu dis le mieulx du monde ! Ah ! tu parles le mieux du monde.
GAULTIER GAUTIER
Par sainct Mor ! je vueil qu’on me tonde Par saint Maur ! j’accepte qu’on me tonde
Se tu sces dire ne penser Si tu peux dire ni même penser
300 Ce que je vueil en[c]ommencer ! Ce que je veux entreprendre !
Comment sces-tu ce que je pense ? Comment saurais-tu ce que je pense ?
RICHARD RICHARD
Et ! si fais (par ma conscience) Eh ! sur ma conscience, je le sais
Mieulx que tu ne fais quatre foiz ! Quatre fois mieux que toi !
GAULTIER GAUTIER
Tu le sces mieulx que je ne fais ? Tu le sais mieux que moi ?
305 Or le dy doncques, et je t’en prie ! Alors dis-le donc, je t’en prie !
Que fu-ce ? Qu’est-ce que c’était ?
RICHARD RICHARD
Par saincte Marie ! Par sainte Marie !
Je ne sçay, ny ne m’en souvient. Je ne sais pas, et ne m’en souviens plus.
GAULTIER GAUTIER
Et ! je te dy qu’il esconvient Eh ! je te dis qu’il vaut mieux
Que tu ne me die [plus] rien. Que tu ne me dises plus rien.
RICHARD RICHARD
310 Hen, voire, tu dis bien. Oui, vraiment, tu dis bien.
Je t’entens sans en faillir rien. Je comprends tout sans rien rater.
Ha ! bien sera bonne devise ! Ah ! ce sera un bien bon projet !
Il sera prins par bonne guise, Thierry sera pris d’une bonne manière,
Mieulx que poussin n’est d’une escouffle92. Mieux qu’un poussin par un milan.
GAULTIER GAUTIER
315 Quoy dea ! tu sembles sainte Pentouffle93 : Ah ! tu ressembles à sainte Pantoufle :
Tu responds aux pensées. Tu réponds aux pensées.
RICHARD RICHARD
Voire : C’est vrai :
J’ay ainsi esgu le mémoire94, J’ai une mémoire si aiguë
Et l’engin95 si vif que c’est raige ! Et un esprit si vif que c’est fou !
GAULTIER GAUTIER
Je sçay bien que tu es trop saige96 ; Je sais bien que tu es trop sage ;
320 Mais je te pry, pour Dieu, beau sire, Mais pour Dieu, beau sire, je te prie
Que tu me laisses trèstout dire Que tu me laisses dire tout
Quanque je pense, se tu veuilx. Ce que je pense, si tu veux bien.
RICHARD RICHARD
Or, par le sang bieu, je le veulx ; Palsambleu ! je suis d’accord ;
Je ne te destourberay97 point. Je ne te troublerai plus.
GAULTIER GAUTIER
325 Par sainct Mor, et ! Vécy le point Par saint Maur ! Voici le moyen
Comment je l’espoventeray, Par lequel je ferai peur à Thierry,
Voys-tu ? Vécy que je feray : Vois-tu ? Voici ce que je ferai :
Or… Par le sainct souleil qui raye98 ! Donc… Par le saint soleil qui luit !
Je ne sçay de quoy je parloye ; Je ne sais plus de quoi je parlais ;
330 Tu le m’as fait entr’oublier. Tu me l’as fait oublier.
RICHARD RICHARD
C’est que nous l’allissons lier C’est que nous allions ligoter Thierry
Parmy les bras et par99 les cuisses. Aux bras et aux cuisses.
GAULTIER GAUTIER
Or, par le sang bieu ! Que tu puisses, Palsambleu ! Alors, si tu peux,
Homme que toy ne parlera ? Aucun homme, à part toi, ne parlera ?
335 Ho, et ! Vécy qu’il en sera : Oh ! voici ce qui sera fait :
Pour mieulx nostre fait confermer, Pour mieux assurer notre besogne,
Luy yras100 dire et affermer Tu iras dire et affirmer à Thierry
Que deux des gallans qui souppèrent Que deux des noceurs qui soupèrent
Et s’esbatirent, et jouèrent Et se divertirent, et jouèrent aux dés
340 Arsoir101 o nous, sont trespasséz ; Hier soir avec nous, sont trépassés ;
Et sont jà les gens amasséz Et que les gens sont déjà rassemblés
Pour les veoir aller enterrer. Pour aller à leur enterrement.
RICHARD RICHARD
Se je ne luy fais bien serrer Si je ne lui serre bien
Le cueur, je vueil que l’en me tonde ! Le cœur, j’accepte qu’on me tonde !
345 Je le feray le mieulx du monde, Je le ferai le mieux du monde,
Et diray qu’ilz sont mors d’enflure Et je lui dirai qu’ils sont morts d’enflure
Et de poysons. Et à cause d’un poison.
GAULTIER GAUTIER
Et ! je t’asseure Eh ! je t’assure
Qu’il aura bien chault, s’il ne tremble102 : Qu’il aura bien chaud, s’il ne tremble pas :
Car puisqu’ilz souppèrent ensemble, Car puisqu’ils ont soupé ensemble,
350 Il cuidera estre brouÿ103. Thierry pensera déjà brûler en enfer.
RICHARD RICHARD
Ce pourpoint est-il bien ? Ce pourpoint est-il terminé ?
GAULTIER GAUTIER
Ouÿ, Oui,
Si que n’y a que régaller104. Si bien qu’il n’y a plus qu’à se régaler.
RICHARD RICHARD
Or, entrons cy : je vueil aller Entrons dans sa chambre : je veux aller
Le remettre sur luy arrière. Remettre le pourpoint chez lui.
GAULTIER GAUTIER
355 Va doncques, par bonne manière. Va donc, de la manière qui convient.
Et garde qu’il ne se resveille ! Et prends garde qu’il ne se réveille pas.
RICHARD RICHARD
Il aura la pusse en l’oreille105, Il aura l’oreille qui siffle,
Ce croy-ge, ains que le jeu depparte106. Je crois, avant la fin du jeu.
GAULTIER GAUTIER
Et s’il [entroit en fièvre quarte]107 Et s’il attrapait une jaunisse
360 De [la] peur que nous luy feron, À cause de la peur que nous lui ferons,
Ou qu’il meure ? Nous en seron Ou s’il en mourrait ? Nous en serons
Tenus et pugnis laidement. Arrêtés et punis vilainement.
RICHARD RICHARD
Tais-toy, ce n’est qu(e) esbatement. Tais-toi, ce n’est qu’un jeu.
[Mais] s’il mouroit, nous luy dirion Mais s’il mourrait, nous lui dirions
365 Que c’est[oit] jeu, et le ferion Que c’était un jeu, et nous le ferions
Menger, [pour] qu’il en [p]eust revivre. Manger, pour qu’il puisse revivre.
GAULTIER GAUTIER
Va-t’en doncques, et te108 délivre ! Vas-y donc, et fais ton travail !
Metz109 bien le pourpoint en [son] lieu. Remets bien le pourpoint à sa place.
.
RICHARD 110 RICHARD
Par les sainctes engoisses bieu111 ! Par la Passion du Christ !
370 Il dort proprement comme ung lièvre : Il dort vraiment comme un lièvre :
Et ! [il] reuvre ainsi la baulièvre Eh ! il ouvre comme ceci la lèvre
De dessoubz, et a l’œil ouvert112. Du bas, et il a un œil ouvert.
GAULTIER GAUTIER
Et ne l’as-tu pas recouvert Et tu ne l’as pas recouvert
Du pourpoint, par bonne manière ? Avec le pourpoint, comme il se doit ?
RICHARD RICHARD
375 Et quoy donc ? Et puis quoi, encore ?
GAULTIER GAUTIER
Iras-tu arrière, Y retourneras-tu,
Ou moy qui ira[y] le premier ? Ou est-ce moi qui irai le premier ?
RICHARD RICHARD
Tu yras ; g’iray le dernier : Tu iras, et j’irai après toi :
Je me fois fort, par bonne guise113, Je sais que selon les bonnes manières,
Pour Dieu, que la table114 soit mise Pour Dieu, la table sera alors mise
380 Pour115 [l’]entremetz. Pour cette surprise du chef.
GAULTIER GAUTIER
Or ne t’en116 doubte ! N’en doute pas !
SCÈNE II
Hau ! Tierry ! [Tierry !] Il n’oit goutte. Ho ! Thierry ! Thierry ! Il n’entend rien.
Tierry ! Fais-tu la sourde oreille ? Thierry ! Fais-tu la sourde oreille ?
TIERRY, en faisant la croix.117 THIERRY, en se signant.
Quel118 dyable esse-là qui m’esveille Quel diable est-ce-là qui m’éveille
(Amen !), qui est plus noir que meûre ? (Amen !), plus noir qu’une mûre ?
GAULTIER GAUTIER
385 Sang bieu, et ! Dors-tu à ceste heure ? Sambleu ! Dors-tu à cette heure ?
[Par ma foy,] es-tu bien fétard119 ! Par ma foi, tu es bien cossard !
TIERRY THIERRY
Mauldit soys-je se, sus le tard, Que je sois maudit si, plus tard,
Je buray tant que120 ceste année ! Je bois autant que cette année !
J’ay la teste si estonnée J’ai la tête si assommée
390 D’arsoir ! D’hier soir !
GAULTIER 121 GAUTIER
Ja[ques122] ! Saincte Marie ! Saint Jacques ! Sainte Marie !
Qu’esse-cy ? Vécy deablerie ! Qu’est-ce-là ? C’est une diablerie !
Et ! ne sens-tu point de doulleur ? Eh ! ne ressens-tu pas de douleur ?
[Onc ne fut plus fade coulleur !]123 On ne vit jamais une couleur plus pâle.
TIERRY THIERRY
Va chier, va ! Quel coulleur ai-ge ? Va chier, va ! Quelle couleur ai-je ?
GAULTIER GAUTIER
395 Benoiste Dame, quel visaige ! Bonne Mère, quel visage !
Par mon serment, tu m’espoventes ! Par mon serment, tu m’épouvantes !
Et ! n’est-il chose que tu sentes ? Eh ! ne ressens-tu rien ?
TIERRY THIERRY
Ouÿ, [de la seuf]124. Si, de la soif.
GAULTIER GAUTIER
Ha, sainct George ! Ah, saint Georges !
Taste ton visaige et ta gorge ! Tâte ton visage et ton cou !
400 Tant plus te voy, et plus t’empire. Plus je te regarde, et plus tu empires.
TIERRY THIERRY
Par le sang bieu ! tu me fais rire. Palsambleu ! tu me fais rire.
Mais qu’as-tu, se Dieu te doint joye ? Mais qu’as-tu, au nom de Dieu ?
GAULTIER GAUTIER
Par ma foy ! se Dieu n’y pourvoye, Ma foi ! si Dieu n’y pourvoit,
Jamais ne verras nouveau125 jour. Tu ne verras jamais un nouveau jour.
405 Levez-vous126 sans faire séjour, Levez-vous sans tarder,
Se vous povez, je vous conseille. Si vous pouvez, je vous le conseille.
Vray(e)ment, vécy la nonpareille Vraiment, voilà la plus singulière
Maladie que je vis[se] oncques ! Maladie que j’aie jamais vu !
TIERRY THIERRY
Et si, ne sens-je riens quelconques, Et pourtant, je ne sens rien du tout,
410 Se ce n’est ung peu en la teste ; Si ce n’est un peu dans la tête ;
Mais ce n’est que de la tempeste Mais ce n’est dû qu’à la tempête
Du vin d’ersoir127, je le sçay bien. Du vin d’hier soir, je le sais bien.
GAULTIER GAUTIER
Or escoutez : ne croyez rien Écoutez : ne me croyez pas
Se vous ne voullez. Si vous ne voulez pas.
TIERRY THIERRY
Et ! quel « croire » ? Eh ! quel « croire » ?
415 Je voys me lever : si yrons [boire], Je vais me lever : nous irons boire,
Et le boire me guérira. Et la boisson me guérira.
GAULTIER GAUTIER
Dieu scet comment il en ira, Dieu sait comment il en ira,
Mais je me doubte que non face. Mais je redoute que non.
Ha ! benoiste Dame, quel face ! Ah ! bonne Mère, quelle figure !
420 Voz joes ressemblent vrayment Vos joues ressemblent vraiment
À voz deux fesses proprement, À vos deux fesses, véritablement,
Tant sont enflées et bouffies. Tant elles sont enflées et bouffies.
TIERRY THIERRY
Sang de moy, que tu te soucyes ! Bon sang, que tu t’inquiètes pour rien !
Que deable dis-tu ? Que diable dis-tu ?
GAULTIER GAUTIER
Que je dy ? Ce que je dis ?
425 Jamais ne verrez vendredy, Jamais vous n’atteindrez vendredi,
Se tantost [il] n’y est pourveu. Si on n’y pourvoit rapidement.
TIERRY THIERRY
Quoy ! que deable ai-ge ? [Qu’as-tu veu]128 ? Quoi ! que diable ai-je ? Que vois-tu ?
Et ! suis-je enflé, sans mocquerie ? Eh ! suis-je enflé, sans moquerie ?
GAULTIER GAUTIER
Et ! levez-vous, je vous en prie : Eh ! levez-vous, je vous en prie :
430 Si irons aux phisicïens. Nous irons chez le médecin.
TIERRY THIERRY
Il soit lié de maulx lïens129, Que je sois enchaîné en Enfer
Qui en sçau[r]oit rien, que je soye130 ! Si je suis celui qui le saurait !
Encore (se Dieu me doint joye) Pourtant (si Dieu m’assiste)
Croy-ge que tu me veulx tempter : Je crois que tu veux me mettre à l’épreuve :
435 Tu le dis pour m’espoventer. Tu dis cela pour me faire peur.
Je suis enflé ? C’est bon à croire ! Je suis enflé ? C’est difficile à croire !
GAUTIER GAUTIER
Vous estes enflé, Jaques ! voire, Vous êtes enflé, par saint Jacques, oui,
Dont il me poise. Se je peusse Ce qui me peine. Si je pouvais
Y remédïer… Y remédier…
TIERRY THIERRY
Je t’en creusse ; Je te croirais bien ;
440 Ma[i]s tu es [ung] si fort tromperre131 ! Mais tu es un si grand trompeur !
Et ! qu’esse-cy ? Maulgré saint Pere ! Eh ! qu’est-ce-là ? Par saint Pierre !
Ce pourpoint icy n’est pas mien. Ce pourpoint-ci n’est pas le mien.
Hélas ! si est. Or, voi-ge bien Hélas si ! Là, je vois bien
Que je suis enflé, maintenant. Que je suis enflé, maintenant.
GAULTIER GAUTIER
445 Vous estoit-il goute-prenant132, Votre pourpoint était-il si court
Avant ce [jour-]cy, par les rains ? Sur les reins, avant ce jour-ci ?
TIERRY THIERRY
Par le sang dont je fusmes raims133 ! Par le sang du Christ !
Nenny. Ançzoys le boutonnoye Non. Avant, je le boutonnais
Si aise comme je vouloie Aussi facilement que je voulais
450 Sans y tire[r] ne sans sacher. Sans tirer ni arracher. Aujourd’hui,
Et je ne le sçay tant lascher Je ne peux le détendre assez sans
Qu’à deux piéz il s’i puisse joindre. Qu’il ne manque 65 cm pour le fermer.
GAULTIER GAUTIER
Sentez-vous point la chair espoindre, Ne sentez-vous pas votre chair piquer,
Et [si], frémir en aulcuns lieux ? Et aussi frémir à certains endroits ?
TIERRY THIERRY
455 Je croy que je ne sçay. Hé, Dieux ! Je crois que je ne sais pas. Eh, Dieu !
Que puis-je avoir ? Suis-je ydroppicque, Que puis-je avoir ? Suis-je hydropique,
[Moy qui mourois de seuf éthique ?]134 Moi qui mourais d’une soif dévorante ?
Et si, ne sens mal ne moleste, Pourtant, je ne sens ni mal, ni douleur,
Se ce135 n’est ung peu en la teste. Si ce n’est un peu à la tête.
460 Mais que peult[-ce] estre, Nostre Dame ? Mais qu’est-ce que ça peut être ?
.
RICHARD 136 RICHARD SCÈNE III
[Hau !] qui est léans ? Aucune âme ?137 Ho ! qui est là ? Personne ?
Dyeux aist à mon amy Gaultier ! Que Dieu assiste mon ami Gautier !
Faisons tantost dire ung psaultier Faisons vite dire des psaumes
Pour l’âme d’eux, nous ferons bien. Pour leur âme, nous ferons bien.
GAULTIER GAUTIER
465 Et ! qu’esse-là ? Y a-il rien ? Qu’est-ce-là ? Y a-t-il quelque chose ?
RICHARD RICHARD
Par ma foy, c’est moult grant dommaige ! Ma foi, c’est une bien grande perte !
S’il pleust à Dieu, il estoit saige. Avec l’aide de Dieu, c’eût été un sage.
GAULTIER GAUTIER
Qui esse ? Qui est-ce ?
RICHARD RICHARD
Henry l’Atirail Henri l’Attirail
— Qui avoit si doulx souppirail — Qui avait une si bonne trappe
470 À mectre vin en son gosier — Pour mettre du vin dans son gosier —
Est mort. Et Perrot le Closier138 Est mort. Et Perrot le Closier
Est allé à quando celis139. Est allé au Paradis.
Ilz [seront jà]140 ensevelis, Ils seront déjà ensevelis sans nous,
Hélas ! Aprestez-vous grant erre : Hélas ! Préparez-vous vite :
475 Si serons à les mettre en terre. Nous serons là pour les mettre en terre.
Ilz estoient bons à tout faire141. Ils étaient bons à tout faire.
TIERRY THIERRY
Ha ! beau trèsdoux Dieu débonnaire ! Ah ! bon Dieu ! Sont-ils morts ?
Sont-ilz mors ? Hélas ! nous soupasmes Hélas ! nous avons soupé
Arsoir ensemble, et [nous] menasmes Hier soir ensemble, et nous avons mené
480 Si bonne vie et si liée142 ! Une si bonne et si joyeuse vie !
GAULTIER GAUTIER
Or n’est-il jour qui ne mesch[i]ée Il n’est pas de jour qui ne soit néfaste
À qui que soit [tout uniment]143. À quelqu’un, sans distinction.
[TIERRY] THIERRY
Vécy grant esbahissement ! Voilà une grande stupéfaction !
Ha ! sainte Royne couronnée ! Ah ! sainte Reine des cieux !
RICHARD RICHARD
485 Ceste poison leur fut donnée144 Ce poison leur fut donné
Arsoir, je ne m’en doubte mye. Hier soir, je n’en doute pas.
TIERRY THIERRY
Ha ! c’est ce faulx espidimye145 Ah ! c’est cette sournoise épidémie
Qui en cest point les a[ura] mis. Qui les aura mis dans cet état.
RICHARD RICHARD
Espidimye, beaulx amys ? Une épidémie, mes beaux amis ?
490 Hélas ! n’y a-il aultre chose ? Hélas ! n’y a-t-il pas autre chose ?
Par mon serment ! je ne vous ose Par mon serment ! je n’ose vous
Dire leur mal et leur martire : Décrire leur mal et leur martyre :
Il n’est homme, s’i l’oyoit dire, Il n’est nul homme, s’il l’entendait,
Tant eust le cueur dur, gros ne ferme, Tant eût-il le cœur dur, gros et ferme,
495 Qui ne pleurast à chaulde lerme146. Qui ne pleurerait à chaudes larmes.
Oncques-mais je ne vy telz raiges ; Jamais je ne vis de telles horreurs ;
Car, en bonne foy, leur[s] visaige[s] Car, en bonne foi, leur visage
Et le[ur]s corps leur sont eslevéz Et leur corps ont boursouflé
Et enfléz tant, qu’ilz sont crevéz Et enflé tellement qu’ils ont crevé
500 Par les ventres. Par le ventre.
TIERRY THIERRY
Ha, saincte Dame ! Ah ! Sainte Vierge !
Enfléz ? Las ! Enflé ? Las !
RICHARD RICHARD
Voire, par cest âme ! Oui, par mon âme !
Et la femme qui les gardoit147, Et la femme qui les soignait,
Si comme elle(s) les regardoit Tandis qu’elle les regardait
Crever148 (mon doux amy loyaux), Crever (mon doux ami loyal),
505 Par ma foy, ung de leurs boyaulx Par ma foi, un de leurs boyaux
La [vint assener]149 droictement Vint la frapper tout droit
En l’ung des yeulx, si roidement Dans un des yeux, si fort
Qu’il est crevé et ne voit goute. Qu’il est crevé et n’y voit plus.
TIERRY THIERRY
Hélas ! mes amis, je me doubte Hélas ! mes amis, je redoute
510 Que j[’en] aye des gants des nopces150. De subir les mêmes effets qu’eux.
GAULTIER GAUTIER
Et n’avoient-ilz nulles bosses, Et n’avaient-ils aucun bubon,
Ne maladie que d’enfleure ? Ni d’autre maladie que cette enflure ?
RICHARD RICHARD
Nenny, Gaultier, je t’en asseure Non, Gautier, je te le jure sur Dieu.
Par Dieu. Qui croira [que]…151 Sainct George ! Qui croira que… Saint Georges !
515 Quel gros visaige, et quelle gorge ! Quel gros visage il a, et quel cou !
Il est, par le Dieu qui ne ment, Par le Dieu de vérité ! Thierry est
Enflé comme eulx, pareillement ! Enflé comme eux, pareillement !
Ne t’en apperceuz-tu mèshuy ? Ne t’en es-tu pas aperçu avant ?
TIERRY THIERRY
Ha ! je voy trop bien que je suy Ah ! je vois trop bien que je suis
520 Mort, tout mort, il n’y a remède. Mort, tout mort, il n’y a pas de remède.
GAULTIER GAUTIER
Ilz ont eu, en porée de bède, Ils ont eu dans leur bouillie de blettes
Quelque poison, eulx troys ensemble. Du poison, tous les trois ensemble.
Et en bonne foy, il me semble Et en bonne foi, il me semble
— Sauf meilleur conseil que le mien —, — Sauf meilleur avis que le mien —,
525 Tierry, ce ne seroit que bien, Thierry, que ce serait une bonne chose
Mon doulx amy, d’avoir le prestre152 : D’avoir un prêtre, mon doux ami :
Car vous n’en pourrez que mieux estre. Car vous ne pourrez que mieux en être.
Sy n’avez-vous, si Dieu plaist, garde ? N’y prenez-vous pas garde, par Dieu ?
RICHARD RICHARD
Garde ? Doulce Dame ! Regarde Garde ? Bonne Mère ! Regarde
530 Ses [deux] yeulx, son nez et sa bouche. Ses deux yeux, son nez et sa bouche.
Monstrez ce bras, qu(e) icy [je] touche Montrez votre bras, pour que je le tâte
[Et vostre poulx ung peu je taste.]153 Et que je prenne un peu votre pouls.
Hélas ! pour Dieu, qu[e l’]on se haste ! Hélas ! au nom de Dieu, qu’on se hâte !
Penson qu’il ait son ordonnance154. Permettons-lui de recevoir l’extrême-onction.
GAULTIER GAUTIER
535 Comment va ? Comment va-t-il ?
RICHARD RICHARD
Il est en ballance, Il est dans un état critique,
Il en est pic155. Tenez, sentez ! Il est fichu. Tenez, sentez son pouls.
GAULTIER GAUTIER
Beau sire, vous l’espoventez : Beau sire, vous l’épouvantez :
Parlez bas, qu’il ne vous entende. Parlez plus bas, qu’il ne vous entende .
RICHARD 156 RICHARD
Venez çà ! Je veulx qu’on me pende Approchez ! Je veux qu’on me pende
540 Par cy se jamais en eschappe ! Par le cou si jamais il en réchappe !
Gardons157 que le Mort ne le happe Prenons garde que la Mort ne le happe
(Entendez-vous ?) soubdainement. Sans confession, entendez-vous ?
Car les aultres, pareillement, Car les deux autres, pareillement,
Sont mors de telle maladie. Sont morts de la même maladie.
TIERRY THIERRY
545 Pour Dieu, mes amys : qu’on me dye Pour Dieu, mes amis : qu’on me parle
Tout hault ! Ne me celez plus rien, Tout haut ! Ne me cachez plus rien,
Ne conseillez158 plus ! Je voy bien Ne chuchotez plus ! Je vois bien
Que je meurs. Que je meurs.
GAULTIER GAUTIER
Non ferez, beau sire, Mais non, beau sire,
Se Dieu plaist, s’il ne vous empire, Grâce à Dieu, si cela ne s’aggrave pas,
550 Ou qu(e) aulcune bosse vous prenne, Ou qu’aucun bubon n’apparaisse,
Ou que la fièvre vous surprenne Ou que la fièvre ne vous prenne
Tant que vous perdiez le mémoire. Au point que vous perdiez conscience.
— Dont Dieu vous gard, touteffois ! — Que Dieu vous en garde, toutefois !
RICHARD RICHARD
Voire. Certes.
[Mais] qu’il ne159 faille aucunement Mais que Thierry ne manque pas
555 À160 recongnoistre dignement D’honorer dignement
Son Créateur. Son Créateur.
TIERRY THIERRY
Mon trèsdoulx maistre Mon très doux maître
Richard, je vous requiers le prestre, Richard, je vous demande le prêtre,
Puisque vous voyez qu’il m’enpire. Puisque vous voyez que mon état empire.
Si, ne sens (à vérité dire) Pourtant, à dire vrai, je ne ressens
560 Guères de mal que j’aperçoyve. Aucune douleur perceptible.
RICHARD RICHARD
Je croy qu’il sera bon qu’il boive, Je crois qu’il serait bon qu’il boive
[Ore,] ung bien petit de triacle161 : Maintenant un petit peu de thériaque :
Il devient tout démonïacle162, Il devient comme un possédé,
Ce me semble à163 sa contenance. Il me semble, à voir son comportement.
GAULTIER GAUTIER
565 Je vous en prie, que l’en s’avance ! Je vous en prie, avançons !
Je m’en voys au phisicïen, Je vais chez le médecin,
Et vous au prestre (di-ge bien ?) Et vous chez le prêtre (dis-je bien ?)
Sans luy dire plus rien quelconques. Sans plus rien dire d’autre à Thierry.
RICHARD RICHARD
Or avant, venez-vous-en doncques !164 Allons, Gautier, venez donc !
SCÈNE IV
570 Est-il point prins, Tierry Mâchoue ? N’est-il pas pris, Thierry Mâchoue ?
GAULTIER GAUTIER
Prins ? Dea ! il est prins par sa moue165 Pris ? Il est pris à ses propres grimaces
Si trèsbien qu’on ne pourroit mieulx. Si bien qu’il ne pourrait l’être mieux.
RICHARD RICHARD
Or, par le sang bieu, se tu v[i]eulx166, Palsambleu ! maintenant, si tu veux,
Nous sçaurons quanqu’il a ou167 ventre. Nous saurons ce qu’il a dans le ventre.
575 Mais il convient que l’en y entre Mais il faut qu’on y entre
Par bonne manière, et soubtille. Par une bonne méthode, et subtile.
GAULTIER GAUTIER
Ou[ÿ] : s’il y a filz ou fille, Oui : s’il y a dedans un fils ou une fille,
Il le couvendroit168 doncques fendre. Il faudra donc lui faire une césarienne.
RICHARD RICHARD
Quoy ? Tu ne me sçais [pas] entendre : Quoi ? Tu ne me comprends pas :
580 Je te dy que je sçauray bien, Je te dis que je saurai bien,
Sans faillir, le mal et le bien Sans faute, le mal et le bien
Qu’il a fait, [ne] pensé, ne dit. Qu’il a fait, ou pensé, ou dit.
GAULTIER GAUTIER
Et comment ? Et comment ?
RICHARD RICHARD
S’il ne le me dit, S’il ne me le dit pas,
Ou à toy, je vueil qu’on me tonde ! Ou à toi, je veux bien qu’on me tonde !
GAULTIER GAUTIER
585 Ce seroit le mieulx fait du monde169, Ce serait fait le mieux du monde,
Par l’âme qui en moy repose ! Par mon âme !
Il a fait mainte faulse chose, Il a fait maintes choses mauvaises,
Je te prometz, puis qu’il nasqui. Depuis qu’il est né, je te le dis.
RICHARD RICHARD
Il ne fist oncques chose qui Il n’a jamais fait aucune chose qui
590 Ne nous soit ennuyt170 révélé. Ne nous soit aujourd’hui révélée.
Sans ce qu’il en soit plus flavelé171, Sans plus caqueter,
Je te diray toute la guise : Je vais te dire toutes mes intentions :
Il fault qu’un172 de nous se desguise ; Il faut qu’un de nous deux se déguise ;
Celluy qui mieux semblera estre Celui qui sera le plus ressemblant
595 Se mectra en habit de prestre Se mettra en habit de prêtre
Et yra pour le confesser. Et ira confesser Thierry.
Mais il se fault bien bas baisser, Mais il faudra baisser la tête bien bas,
Qu’il n’apperçoive le visaige173 ; Pour qu’il n’aperçoive pas le visage ;
Et fauldra muer son langaige Et il faudra modifier notre langage
600 (Voys-tu bien ?) le mieulx qu’on po[u]ra. Le mieux qu’on pourra, vois-tu ?
Et riens qui soit ne demourra174 Et il ne demeurera rien
Qu’il ne die en confession. Qui ne soit dit par lui en confession.
GAULTIER GAUTIER
Se Dieu me doint rédemption, Dieu me pardonne !
Vécy saigement advisé ! Voilà sagement avisé.
605 Tel conseil doyt estre prisé, Un tel conseil doit être estimé,
Par celuy Dieu qui me fist naistre ! Par le Dieu qui m’a créé !
Je sçauré bien faire le prestre, Je saurai bien faire le prêtre,
Se tu vieulx ; et si, parleré Si tu veux ; et même, je parlerai
Breton ou picard, et175 feray Breton ou picard, et j’aurai
610 La conten[an]ce si trèsbien Une si bonne contenance
Que, je croy, qui ne me fauldra rien, Qu’il n’y manquera rien, je crois,
Tant qu’il [luy] semblera vrayment Au point qu’il lui semblera vraiment
Que c’est le prestre proprement. Que c’est le prêtre en personne.
Ou [bien] toy-mesmes, se tu vieulx, Ou bien toi-même, si tu veux,
615 [Le ferois]176 trèsbien. Tu le ferais très bien.
RICHARD RICHARD
Se m’aist Dieux ! Que Dieu m’assiste !
Ne me chault lequel d’une177 maille. Peu m’importe lequel de nous deux.
GAULTIER GAUTIER
Par le sang bieu ! Vaille que vaille, Palsambleu ! Vaille que vaille,
Puisqu’ainsi va, je le feray. Puisque c’est comme ça, je le ferai.
RICHARD RICHARD
C’est bien dit. Je t’abilleray, C’est bien dit. Je t’habillerai
620 Je te prometz, bien proprement. Bien convenablement, je te jure.
GAULTIER GAUTIER
Hélas ! les habitz, voirement, Mais les habits, vraiment,
Sont-ilz prestz ? Sont-ils prêts ?
RICHARD RICHARD
Ouÿ, par saint P(i)erre ! Oui, par saint Pierre !
Actends178 ung peu, je les voys querre. Attends un peu, je vais les chercher.
Despouille-toy, tandis. Déshabille-toi, cependant.
GAULTIER GAUTIER
C’est bien.179 Très bien.
.
RICHARD RICHARD
625 Sont-ilz bien ? Te fault-il plus rien ? Sont-ils bien ? Te faut-il autre chose ?
Vestz premièr[e]ment ceste robe. Enfile d’abord ce froc.
GAULTIER 180 GAUTIER
Sang que Dieu me fit181 ! Sambleu !
RICHARD RICHARD
Dea, ne te hobe ! Ne bouge pas sans y voir !
Je le mectray tantost à point, J’ajusterai ce capuchon tout à l’heure,
Si qu’il ne te congnoistra point. Si bien que Thierry ne te reconnaîtra pas.
630 Tien cy : sains-moy ceste sainture ! Tiens : attache cette ceinture.
GAULTIER GAUTIER
On y danceroit la turlure182 Dedans, on pourrait danser la turlure
(Par le sang bieu) ou la morisque183 ! Ou la morisque, palsambleu !
Je suis habillé sur le frisque. Je suis habillé à la dernière mode.
Je suis bien, devant et derrière ? Je suis bien, devant et derrière ?
RICHARD RICHARD
635 Tu es (par monseigneur saint Pere) Par l’apôtre saint Pierre ! tu as
Bien espaullé parmy le ventre184. Les épaules sur le ventre.
Regardon : est-il bon que j’entre Réfléchissons : est-il bon que j’entre
Aussitost que tu entreras ? Chez Thierry dès que tu entreras ?
GAULTIER GAUTIER
Ouÿ, mais tu te musseras Oui, mais tu te cacheras
640 Pour ouÿr ce qu’il me dira. Pour entendre ce qu’il me dira.
Mais (par mon serment) qui rira, Mais si on rit, par mon serment,
Ce sera pour trèstout gaster. Cela gâchera tout.
RICHARD RICHARD
Allons-m’en185, il nous fault haster ; Allons-y, il faut nous hâter ;
Va devant ! Va devant !
GAULTIER GAUTIER
G’iray en présence. J’y vais à l’instant présent.
645 Mais dy-moy, par ta conscience, Mais dis-moi en ton âme et conscience
Se je semble bien estre prestre. Si je semble bien être un prêtre.
RICHARD RICHARD
Sembles ? Dea, tu me sembles estre Si tu sembles ? Hé ! tu me sembles être
Ung espoventail de chènevière186 Un épouvantail dans une chènevière,
(Par Dieu qui187 me fist) par-derrière. Vu de derrière, par Dieu qui me créa !
650 Va-t’en, entre premièrement ! Vas-y, entre d’abord !
GAULTIER GAUTIER
Vien après, le plus bellement Viens après moi, le plus doucement
Que tu pouras oncques venir. Que tu pourras venir.
RICHARD RICHARD
Attens, je ne me puis tenir Attends, je ne peux pas me retenir
De rire, quant je te regarde. De rire, quand je te regarde.
GAULTIER GAUTIER
655 Si feras, le deable en soit garde ! Tu te retiendras, au nom du diable !
Tu gasterois tout. [Or,] va-t’en ! Tu gâcherais tout. Maintenant, va-t’en !
RICHARD RICHARD
Non feray, bon gré [bieu188] ! Aten Pas encore, nom de Dieu ! Attends
Que j’aye avant ris. Que j’aie ri, avant.
GAULTIER GAUTIER
Ris assez ! Ris suffisamment !
RICHARD RICHARD
Quant je voy tes soulliers lasséz189 Quand je vois tes souliers à lacets
660 Dessoubz cest habit prestratif, Sous cet habit ecclésiastique,
[Et ton visaige potatif,]190 Et ton visage aviné,
Je m’en ry, quant je te regarde. J’en ris, quand je te regarde.
GAULTIER GAUTIER
Or tu ris191 bien ; or t’en prens garde ! Ici tu ris bien ; là, prends-y garde !
Mais je ne doubte que si face.192 Mais je ne crains pas que tu fasses ainsi.
SCÈNE V
665 Ha, mon amy ! Dieu, par sa grâce, Ah, mon ami ! Que Dieu, par sa grâce,
Vous v[u]eille donner patience Veuille vous donner constance
Et santé, par ma conscience ! Et santé, par ma conscience !
Voicy grant esbahissement193 : Voilà une grande stupéfaction :
Les deux aultres, pareillement, Les deux autres, pareillement,
670 Sont mors de telle maladie. Sont morts de la même maladie.
TIERRY THIERRY
Pour Dieu, sire, que je vous die Pour Dieu, mon Père, il faut que je vous dise
Quatre motz en confession. Quatre mots de confession.
GAULTIER GAUTIER
Pensez bien à la Passion Pensez bien à la Passion
De Jhésucrist, vous ferez bien. De Jésus Christ, vous ferez bien.
675 De vostre corps n’est-il plus rien194 ; Il n’est plus rien de votre corps ;
Dictes-moy ce que vous vouldrez. Dites-moi ce que vous voudrez.
TIERRY THIERRY
Je ne sçay se vous m’absouldrez, Je ne sais si vous m’absoudrez,
Et se vous avez la puissance : Et si vous en avez le pouvoir :
Car (par ma foy) dès mon enffance, Car depuis mon enfance, par ma foi,
680 Je ne cessay onc de mal faire. Je n’ai jamais cessé de mal faire.
GAULTIER GAUTIER
Vous me povez dire et retraire Vous pouvez me dire et me raconter,
Trèstout, en article de mort, Étant à l’article de la mort, tout
Dont conscience vous remord ; Ce que votre conscience vous reproche.
Et je vous absouldray, amys. Et je vous absoudrai, mon ami.
TIERRY THIERRY
685 Hélas, sire ! Péché m’a mis Hélas, mon Père ! C’est le péché qui m’a mis
En ce point195, je n’e[n] fais pas doubte. En ce point, je n’en doute pas.
A-il âme qui nous escoute ? Y a-t-il quelqu’un qui nous écoute ?
GAULTIER GAUTIER
Nenny, dictes tout seurement. Non, dites tout sans crainte.
TIERRY THIERRY
Je suis si trèsfaulx garnement Je suis un si mauvais garnement
690 Qu’il n’est homme qui le sceust dire. Que nul homme ne pourrait le dire.
Hélas ! vous congnoissez bien, sire, Hélas, mon Père, vous connaissez bien,
Ce croy-ge, ces deux jeunes hommes Je crois, ces deux jeunes hommes
Qui me gardent ? Qui me soignent ?
GAULTIER GAUTIER
Voire : nous sommes, Oui : nous sommes
Je vous promectz, amys ensemble. Amis, je vous l’assure.
TIERRY THIERRY
695 L’un d’eulx est allé, ce me semble, L’un d’eux est allé, me semble-t-il,
Veoir se vous estiez point venu. Voir si vous n’étiez pas arrivé.
GAULTIER GAUTIER
Ouÿ dea. Oui.
TIERRY THIERRY
Las ! ilz m’ont tenu Las ! ils m’ont tenu
Et tiennent, en ma maladie, Et me tiennent, pendant cette maladie,
Tous deux si bonne compaignie, Tous deux si bonne compagnie,
700 Comme s’ilz estoient mon frère. Comme s’ils étaient mes frères.
GAULTIER GAUTIER
Tirez-vous ung petit arrière196 ! Reculez-vous un peu !
Dic[t]es tousjours ! Dites toujours !
TIERRY THIERRY
Et ! par mon âme, Eh ! par mon âme,
Sire : je n[e v]oy homme ou197 femme Mon Père : je ne vois ni homme ni femme
— Se ce ne sont eulx — qui me garde198. Qui me soigne, si ce n’est eux.
705 Mais ilz ont prins de moy le199 garde, Mais ils tiennent à me veiller,
Com vous povez appercevoir. Comme vous pouvez le voir.
Et par ma foy, à dire voir, Et par ma foi, à dire vrai,
Je fusse mort soubdainement, Je serais mort soudainement,
Tout mort, sans ce qu’aulcunement Tout mort, sans que jamais
710 Moy-mesmes l’eusse peu sçavoir. J’aie pu moi-même le savoir.
Certes, je ne cuidoye point avoir Certes, je ne croyais avoir
Aulcun mal, quant ilz m’esveillèrent ; Aucun mal, quand ils m’éveillèrent ;
Mais si tost qu’ilz me regardèrent, Mais aussitôt qu’ils me regardèrent,
Ilz me dirent ma maladie. Ils me dévoilèrent ma maladie.
715 Or est-il temps que je vous die Maintenant, il est temps que je vous dise
La faulceté, la traïson, La fausseté, la trahison,
Le mal et la grant desraison Le mal et la grande folie
Que je leur ay fait à tous deux. Que je leur ai faits à tous deux.
J’ay esté si acointé d’eulx J’ai été si proche d’eux
720 Que, par ma foy, mon acoinctance Que, par ma foi, ma proximité
Leur a fait [grant] mal et grevence. Leur a fait beaucoup de mal et de tort.
Et voicy la manière, sire : Et voici comment, mon Père :
Vous avez piéçà ouÿ dire Vous avez déjà ouï dire
Comment l’ung d’eux si fut batu ? Comment l’un d’eux fut battu ?
GAULTIER GAUTIER
Voire. Certes.
TIERRY THIERRY
725 Hélas ! il n’eust jamais peu croyre, Hélas ! il n’aurait jamais pu croire,
Veu qu’il cuidoyt que je l’aimasse, Vu qu’il pensait que je l’aimais bien,
Que tel mal je luy pourchassasse200 ; Que je lui procurerais un tel mal ;
Mais [si fu-ge qui]201 le fis batre Mais je fus celui qui le fit battre
À ung soir. Et estions bien quatre Un soir. Et nous étions bien quatre
730 Qui frappions [tous] sur luy en tasche202. Qui frappions tous sur lui au hasard.
Le povre Richart n’eut onc(ques) lasche203 Le pauvre Richard n’eut pas de relâche
Tant que nous fussions tous lasséz Jusqu’à ce que nous soyons tous las
Et cuidions qu’il fust trespasséz ; Et que nous pensions qu’il était mort ;
Et s’il se fust point remué, Et s’il avait remué,
735 Par ma foy, nous l’eussions tué. Par ma foi, nous l’aurions tué.
Il fut batu plus q’ung vieil chien, Il fut plus battu qu’un vieux chien,
Tant qu’il ne sera204 jamais bien : Tellement qu’il n’ira jamais bien :
Nous luy baillasmes des coups orbes205 Nous lui avons donné tant de coups sourds
Tant qu’il en a tous les rains co(u)rbes, Qu’il en garde le dos courbé
740 Et sur luy mainte grosse bosse. Et plusieurs grosses bosses sur lui.
GAULTIER GAUTIER
Ha ! le povre Richard Négoce ! Ah ! le pauvre Richard Négoce !
Il est venu trèstout venant206 Il est venu tout à l’heure
Moy quérir pour vous. Maintenant, Me chercher pour vous. Maintenant,
Je croy qu’il ne vous en mescroit207 Je crois qu’il ne vous soupçonne
745 Ne peu, ne goutte208. Si peu que ce soit.
TIERRY THIERRY
Hélas ! [il croit]209 Hélas ! il croit
(Par mon serment) tout le contraire ; Tout le contraire, par mon serment !
Et si, fu-ge qui le fist faire, Pourtant, je suis celui qui le fit battre,
Comme faulx traist[r]e que j’estoye. Comme un traître sournois que j’étais.
Et moy-mesmes le vous frappoye Et moi-même je le frappais
750 Tant que je povoye férir. Tant que je pouvais cogner.
Il a, depuis, fait enquérir Depuis, il a fait chercher
Qui [ce avoit]210 fait ; mais vrayment, Qui a fait cela ; mais vraiment,
Nous le fismes si caultement Nous l’avons fait si secrètement
Qu’onques riens n’en a peu savoir. Qu’il n’a jamais rien pu en savoir.
GAULTIER GAUTIER
755 Quel haine povoit-il avoir Quelle haine pouvait-il y avoir
Entre vous deux, ne quel rancune ? Entre vous deux, et quelle rancune ?
TIERRY THIERRY
Certes, sire, ce fut pour une Certes, mon Père, ce fut à cause d’une
Femme que j’ayme et que j’aymoye Femme que j’aime, et que j’aimais
Dès lors, dont je le mescréoye211 Déjà : je le soupçonnais
760 Et cuidoye, pour ce qu’il hantoit Et me méfiais de lui parce qu’il fréquentait
Avec son mary, et chantoit212, Son mari, et qu’il chantait,
Et estoient tousjours ensemble. Et qu’ils étaient toujours ensemble.
Si estoie-je, [à] ce qu’il me semble, J’en étais au point, me semble-t-il,
Que j’en entray en jalousie, Que j’en suis devenu jaloux,
765 Tellement qu’il ne failloit mye Tellement qu’il ne pouvait manquer
À en avoir de la donnée213, D’en avoir une distribution de taloches,
Com j’ay dit, de tel randonnée214 Comme j’ai dit, avec une telle force
Qu’onques ne sentit mieulx ses coups. Que jamais il ne sentit mieux des coups.
GAULTIER GAUTIER
Or me dictes : le pouvre coux Mais dites-moi : le pauvre cocu
770 À qui vous maintenez215 sa femme, Dont vous entretenez la femme,
En scet-il riens ? Le sait-il ?
TIERRY THIERRY
Nenny, par m’âme ! Non, par mon âme !
Il n’en scet riens, ainçzoys se fye Il n’en sait rien, mais il se fie
Tout en moy, n’il ne se deffye Totalement à moi, et ne se méfie
Nemplus qu’il feroit de son frère. Pas plus de moi que de son frère.
775 Et, par ma foy, c’est chose clère Et, par ma foi, il est clair
Que216 deux filz qu’il cuide estre siens Que deux fils qu’il croit être de lui
Ne le sont pas, ainçzoys sont miens. Ne le sont pas, mais sont de moi.
Or[e], je vien en repentance, Maintenant, je me repends,
Et [je] vous requiers pénitance, Et je vous demande une pénitence,
780 Cher sire, et absolucion. Mon bon Père, et l’absolution.
GAULTIER GAUTIER
Affin que la confession, Pour que la confession
Mon amy, soit plus entérine, Soit plus entière, mon ami,
Il fault que l’on me détermine Il faut qu’on me précise
De tout ce fait-cy la muance, Les détails de toute cette histoire,
785 Et les nons, et la dépendance, Et les noms, et la filiation,
Affin — s’ilz sont de ma parroisse, Afin — s’ils sont de ma paroisse,
Véez-vous [bien] — que je congnoisse Voyez-vous bien — que je connaisse
Vostre péché plus clèrement. Votre péché plus clairement.
TIERRY THIERRY
Le fault-il ? Le faut-il ?
GAULTIER GAUTIER
Ouÿ, vrayement : Oui, vraiment :
790 La confession en vault mieulx. La confession en vaut mieux.
TIERRY THIERRY
Et ! quant il vous plaist, je le v[i]eulx ; Eh ! si cela vous plaît, je le veux bien.
La chose n’en peut que mieulx estre. Notre affaire n’en peut que mieux aller.
GAULTIER GAUTIER
Puisque c’est oreille217 de prestre, Puisque c’est une oreille de prêtre,
D’aultre ne sera jà scéu. Cela ne sera jamais su par un autre.
TIERRY THIERRY
795 Ore, vous avez bien véu Aujourd’hui, vous avez bien vu
Ces deux compaigno[n]s qui me tiennent Ces deux compagnons qui me tiennent
Compaingnie, et [qui] vont et viennent Compagnie, et qui vont et viennent
Partout pour quérir ma santé ? Partout pour garantir ma santé ?
GAULTIER GAUTIER
C’est voir. C’est vrai.
TIERRY THIERRY
Ilz m’ont trèstant hanté Ils m’ont tant fréquenté
800 Qu’il leur en est du218 pis, par m’âme ! Qu’ils en ont eu du mal, par mon âme !
L’un d’eulx est mary de la femme L’un d’eux est le mari de la femme
Que je maintien, dont je parloye. Que j’entretiens et dont je vous parlais.
Tirez-vous plus près, qu’i ne l’oye219 ! Venez plus près, qu’il ne l’entende pas !
Et je batis l’aultre pour elle. Et j’ai battu Richard à cause d’elle.
GAULTIER GAUTIER
805 Et comment220 esse qu’on l’appelle ? Et comment est-ce qu’on l’appelle ?
TIERRY THIERRY
La femme ? La femme ?
GAULTIER GAUTIER
Voire. Oui.
TIERRY THIERRY
Alizon. Alison.
GAULTIER GAUTIER
Alizon !? Venez çà ! Dison Alison !? Approchez ! Disons
Alizon ; le mary, comment ? Alison ; et le mari, comment ?
Dictes tost, car en ung moment, Parlez vite, car dans un moment,
810 Par ma foy, nous vous laisseron221. Par ma foi, nous vous quitterons.
TIERRY THIERRY
Il a non Gaultier Saulceron222, Il a pour nom Gautier Sauceron :
Qui m’a aujourd’huy esveillé, C’est lui qui aujourd’hui m’a réveillé,
Et fut trèstout esmerveillé Et qui fut tout ébahi
Quant il me vit ainsi enflé. Quand il m’a vu enflé.
GAULTIER GAUTIER
Gaultier ? Gautier ?
815 Celluy qui est si présentier223 ? Celui qui a si bonne mine ?
TIERRY 224 THIERRY
Et qui est tousjours prest de boire. Et qui est toujours prêt à boire.
Hélas, par m’âme, sire, voire ! Hélas oui, mon Père, par mon âme !
GAULTIER GAUTIER
Voire dea ? Et si, n’ouÿs-je oncques Vraiment ? Pourtant, je n’entendis jamais
À homme n’à femme quelconques Homme ou femme que ce soit
820 Dire nul mal ne nul diffame Dire aucun mal ni aucune infamie
(Qu’il me souvien[n]e) de sa femme. De sa femme, à mon souvenir.
TIERRY THIERRY
Escoutez : puis cinq ans en çà Écoutez : depuis cinq ans
Que l’acoinctance commença, Que notre relation commença,
Par ma foy, je n’euz d’aultre amye. Je n’eus pas d’autre maîtresse, ma foi.
GAULTIER GAUTIER
825 Et ! par Dieu, elle n’en a mye Eh ! par Dieu, elle n’en a pas
Le renon. La réputation.
TIERRY THIERRY
Je vous en croy bien. Je veux bien le croire.
GAULTIER GAUTIER
Demourez illec, je revien ; Restez ici, je reviens ;
Actendez-moy ung seul petit225 ! Attendez-moi un petit peu !
.
RICHARD RICHARD SCÈNE VI
Qu’a-il dit ? J’ay tel appétit Qu’a-t-il dit ? J’ai une si grande envie
830 De le reveoir. Sus ! quelz nouvelles ? De le revoir ! Alors, quelles nouvelles ?
GAULTIER GAUTIER
Maugré bieu ! Ne bonnes, ne belles, Nom de Dieu ! Ni bonnes, ni belles,
Par226 le sang que Dieu respendit ! Par le sang du Christ !
RICHARD RICHARD
Et ! qu’esse-là ? A-il rien dit ? Eh ! qu’est-ce ? A-t-il dit quelque chose?
[As-tu]227 ne sçay quoy entr’ouÿ ? As-tu entendu je ne sais quoi ?
GAULTIER GAUTIER
835 S’il a rien dit ? Sainct Jehan ! ouÿ, S’il a dit quelque chose ? Saint Jean ! oui,
Qui m’a jusques au cueur frappé ! Et qui m’a frappé jusqu’au cœur !
Haro ! je suis bien attrappé : Hélas ! je suis bien attrapé :
Je suis coux, il maintient ma femme. Je suis cocu, il entretient ma femme.
RICHARD RICHARD
Que deable dis-tu228 ? Que diable dis-tu ?
GAULTIER GAUTIER
Par cest âme ! Par mon âme !
840 Confessé le m’a de sa bouche. Il me l’a confessé de sa bouche.
RICHARD RICHARD
Et n’a-il riens dit qui me touche ? Et n’a-t-il rien dit qui me concerne ?
GAULTIER GAUTIER
Si a : c’est il229 qui te fist tant batre. Si : c’est lui qui te fit battre.
Allons-m’en sans plus nous débatre Allons sans plus débattre
Le tuer, et luy couper la gorge ! Le tuer, lui couper la gorge !
RICHARD RICHARD
845 Fist-il230 ce ? Que mau gré sainct George ! Me fit-il cela ? Par saint George !
Ha ! le senglant traistre prouvé ! Ah ! le foutu traître fieffé !
Je fus231 villainement trouvé ! Je suis bien mal tombé !
Vrayement, nous sommes trop mieulx Vraiment, nous sommes beaucoup plus
Trompéz qu’il n’est232. Mais se tu v[i]eulx, Trompés qu’il ne l’est. Mais si tu veux,
850 Jamais il ne nous trompera… Jamais plus il ne nous trompera…
GAULTIER GAUTIER
Mais je te pry ! Parle, je t’en prie !
RICHARD RICHARD
Vécy qu’il fauldra : Voici ce qu’il faudra faire :
Allons le prendre ; et luy diron Allons le chercher ; et nous lui dirons
Qu’il a mal air cy environ, Qu’il y a un mauvais air par ici,
Et que le phisicïen mande, Et que le médecin ordonne
855 Comment qu’il soit, et le commande, Et commande, quoi qu’il en résulte,
Qu’il change [d’]air, et qu’on le porte Qu’il change d’air, et qu’on l’emporte
D’illec. Et puis hors de la Porte233 D’ici. Et puis à l’extérieur de Paris
(Voys-tu ?), nous l’envelopperon (Comprends-tu ?) nous l’envelopperons
En ung drap, et le gecteron Dans un drap, et nous le jetterons
860 En [la boue dans]234 ung fossé : Dans la boue d’un fossé :
Et là sera-il enfossé235, Et là Thierry sera enfoui,
Ne jamais n’en sera nouvelle. Et jamais plus on n’en aura de nouvelles.
GAULTIER GAUTIER
Par saincte Marie la Belle ! Par sainte Marie la Belle !
Tu dis bien. Sus, allons le prendre ! Tu dis bien. Vite, allons le prendre !
865 [Puis] nous l’irons noyer ou pendre, Puis nous irons le noyer ou le pendre,
Par le sang que Dieu print à Romme236 ! Par le sang du Christ !
.
TIERRY THIERRY SCÈNE VII
Hélas ! ne viendra-il [nul] homme ? Hélas ! ne viendra-t-il personne ?
Où povent-ilz [bien] trèstous estre ? Où peuvent-ils bien être, tous ?
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GAULTIER GAUTIER SCÈNE VIII
Oste-moy cest habit de prestre ! Ôte-moi cet habit de prêtre !
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RICHARD 237 RICHARD SCÈNE IX
870 Que faictes-vous ? Que faites-vous ?
TIERRY THIERRY
Ha ! Richard, rien. Ah ! Richard, rien.
RICHARD RICHARD
Écoutez : vous n’estes pas bien, Écoutez : vous n’êtes pas bien,
Cy238. Vostre phisicïen tient Ici. Votre médecin pense
(Entendez[-vous] ?) qu’il vous conv[i]ent (Entendez-vous ?) qu’il vous faut
Muer l’air et [vuider239] la place. Changer d’air et quitter la place.
TIERRY THIERRY
875 Hélas, mes amys ! Qu’on me face Hélas, mes amis ! Faites-moi autant
Tant de bien que m’en aperçoyve ; De bien que je puisse en constater ;
Mais je vous requier que je boyve, Mais par pitié, donnez-moi à boire,
Car j’ay tel seuf que plus n’en puis. Car j’ai si soif que je n’en peux plus.
GAULTIER GAUTIER
Vous ne bustes autant, depuis Vous n’aurez pas bu autant, depuis
880 Six jours en çà, que vous ferez. Six jours, que vous allez le faire.
RICHARD RICHARD
Vous burez tant, que vous serez Vous boirez tellement que vous serez
Guéry de tous maulx, je me vant240. Guéri de tous vos maux, je l’affirme.
Prenez à charrier devant241 ! Gautier, prenez-le par les pieds et passez devant !
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FINIS
*
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D’UNG COUSTURIER & UNG VICONTE 242
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… Jehan Galéace, viconte, fut père de l’ancien duc de Millan, & estoit ung grant homme gras qui voulentiers emplissoyt son ventre de vins & de viandes.
Advint qu’il fist faire à son cousturier ung pourpoint propre243 pour lui. Lequel pourpoint fait, il vestit par ung matin, & le trouva trèsbien.
Quant ce vint au soir, cestuy Jehan — qui avoit accoustumé de faire grant chère — beut & mengea tant, que le ventre luy enfla. Si que son pourpoint luy sembla trop estroit. Si, manda son cousturier, & en le blâmant, luy dist qu’il luy avoit fait son pourpoint trop estroit, et que incontinent il luy allast eslargir. Le cousturier, qui n’osa pas contredire, dist que aussi feroit-il. Et print le pourpoint, & le getta sur la perche244 sans y faire autre chose. Adoncques, les autres serviteurs luy demandèrent pourquoy il n’alloyt eslargir le pourpoint qui contraignoit trop le ventre de Monseigneur. Respondit le cousturier : « Au pourpoint je ne feray riens. Demain, à son lever, après qu’il aura faicte sa digestion & après qu’il aura esté au retrait245, je luy bailleray son pourpoint, & il le trouvera trop large. »
À ce faire ne faillit pas le cousturier, qui vint au lever du seigneur & luy aporta son pourpoint, lequel il trouva assez large, car son ventre estoit désenflé….
*
1 « RESTRÉCHIR : rétrécir. » René Debrie, Glossaire du moyen picard. 2 Elle nomme la cathédrale Notre-Dame (v. 97), le Mont Valérien (v. 100), la Seine (v. 112), l’hospice des Quinze-Vingts (v. 119), la chapelle Saint-Mathurin (v. 177), et l’une des Portes de la ville (v. 857). 3 Ce mot est donné par l’édition de Gustave Cohen en 1949, mais a été omis dans celle de Jelle Koopmans : Le Recueil de Florence, Paradigme, 2011, pp. 607-628. 4 Les deux fêtards, encore passablement éméchés, se rencontrent en fin de matinée devant la maison de Thierry, leur compagnon de débauche. Ils ont la gueule de bois, et leurs idées sont loin d’être claires. 5 Ni maman. « Se tu as papa ou memmen. » Sottie des Menus propos. 6 Ce mot, prononcé à la française, rime en -an : voir la note 160 de Régnault qui se marie. Gautier répond en écho au « en ment » de Richard. 7 Je me fais fort = Je me vante. Idem vers 378. 8 F : Puis qua (« Puisque dire le fault. » Le Povre Jouhan.) 9 Tout quanque = tout ce que. Même picardisme aux vers 167, 322 et 574. Je faision = je faisais. Cette tournure picarde reviendra souvent, à commencer par le prochain vers. 10 Hier soir. Même idiotisme picard aux vers 33, 46, 88, 110, 340, 390, 412, 479, 486. 11 J’embrassais les hanaps : je buvais. Sur cette conjugaison picarde, voir la note 9. 12 Vers proverbial. Le Livre de la deablerie, du Picard Éloy d’Amerval, nous le ressert trois fois. 13 Préposition picarde qui signifie « avec ». Idem vers 340. 14 « MATE, adj., moite. » (Debrie, Glossaire du moyen picard.) L’adjectif mat [abattu] serait au masculin. 15 Ni pied, ni patte : rien ni personne. « Il n’y en a ne pié ne pate. » ATILF. 16 F : la 17 Même vers que 67. L’auteur a laissé passer plusieurs doublons, qui trahissent plutôt des réminiscences qu’un manque de temps. 18 Si on recommençait à boire : voir le vers 416. « Se, pour trop boire, l’endemain/ Vous tremble teste, bras ou main,/ Avoir vous fault, sans contredit,/ Du poil du chien qui vous mordit. » (Recepte pour guérir les yvrongnes.) On dit aussi : « Prendre du poil de la beste : boire le jour d’après que l’on s’est enyvré. » Antoine Oudin. 19 Un abus. « Encor, qui est plus faulx latin,/ Affin de venir plus matin,/ J’ay couché trèstout embasté. » Les Femmes qui font baster leurs maris aux corneilles, F 29. 20 Il nous faudrait un 3e larron auquel nous ferions payer le tavernier. 21 Viendra. Nous retrouvons ce futur picard aux vers 255, 256 et 267. 22 Surnom d’un obèse. « Rembourrer le pourpoint : manger. » Oudin. 23 Dans sa bouche. « Merde en tes joues ! » (Le Savetier Audin.) Colin est si lourd qu’on ne peut pas le soulever pour jouer au pet-en-gueule. 24 F : bachoue (Mais au vers 570 : Machoue. Ce mot qui dérive de « mâchoire » convient mieux à un solide mangeur.) 25 Si m’aid Dieu : que Dieu m’assiste. Idem vers 276 et 615. 26 Ni après avoir posé pour un portraitiste. 27 Aujourd’hui. Idem vers 590. L’heure de none = midi. 28 Le second rôle. « Jhésus son filz, seconde personne de la Trinité. » Miracle de un marchant et un larron. 29 F : abuure (« ABRUVER : Abreuver. » Jules Corblet, Glossaire du patois picard ancien et moderne.) 30 F : leuoit 31 F : pert (Se galer = s’amuser.) 32 En homme qui ne se lève plus de sa paillasse. « Gargantua (…) paillardoit parmy le lict. » Gargantua, 21. 33 Bruyamment. « Faire bien de l’emblée : faire du bruit. » Debrie, Glossaire du moyen picard. 34 Nos deux ivrognes aiment les jeux d’enfants. 35 Les buveurs qui ne peuvent pas payer le tavernier lui laissent un vêtement en garantie. 36 Et qu’il y a eu des éclairs. « Espartir mervilleusement/ Et tonner très horriblement. » ATILF. 37 S’est partagé, s’est ouvert. « Il veoit la mer estre par le mylieu partye. » ATILF. 38 F : lafermes (Mais affirmer que c’est vrai.) 39 F : ou (Au mains = au moins. Cf. l’Aveugle et Saudret, vers 396.) 40 F : assoir (Voir la note 10.) 41 Tout d’un coup. « Tout d’une tire,/ Il m’a bien mis en resverie. » Les Esveilleurs du chat qui dort. 42 F : garnissent (Correction proposée par J. Koopmans.) 43 Au sommet de cette colline proche de Paris, des ermites avaient construit deux chapelles assez hautes. 44 F : bauerie (Baierie = discours trompeur. « Je ne vueil plus de ta baierie :/ Paye tost ! » Farce de Pathelin.) 45 Nouvel emprunt à Pathelin : « Me voulez-vous faire entendant/ De vécies que sont lanternes ? » Idem vers 143. 46 Les harengs saurs, qu’on a séchés puis salés, survivent rarement à un pareil traitement. Le Carnaval se clôt sur une bataille entre le maigre Carême (défendu par des harengs saurs) et le gras Charnage (défendu par des andouilles). Voir la note 284 du Résolu. Dans le Quart Livre <chap. 40>, un des cuisiniers qui vont combattre les Andouilles se nomme Aransor. 47 Mardi-gras. « Yl tura Karesme-prenant. » (Le Pèlerinage de Mariage.) La pièce fut peut-être jouée lors des festivités du Mardi gras. 48 Les Quinze-Vingts est un hospice parisien qui nourrissait 300 aveugles. 49 F : Mestrier (Les aveugles n’ont en général pas d’autre profession que la mendicité : ils chantent dans les rues en s’accompagnant à la vielle.) 50 F : pouigneurs (Le poigneur d’alêne coud le cuir à l’aide d’un poinçon. « Des poigneurs d’alesne et tanneurs. » ATILF.) Des aveugles auraient du mal à passer un fil dans le chas d’une aiguille. 51 Les serveurs doivent avoir l’œil pour remplir immédiatement le pichet vide d’un client. Voir le Monologue d’ung clerc de taverne (Montaiglon, XI, 46-54.) 52 En Picardie, les graux sont des égratignures dues à des coups de griffes, d’où l’étonnement de Gautier. Mais Richard a commis une contrepèterie involontaire qu’il va rectifier au vers suivant : graveurs de sceaux. Elle recèle d’autres solutions : graisseurs de faux, fesseurs de gros, etc. 53 Le ciron est une pustule provoquée par des acariens ; on le perce avec une aiguille rougie, ce qui n’est pas un travail d’aveugle. Les femmes ont une autre méthode : « J’ay ung siron sur la motte ;/ Je croy qu’i my rendra morte/ Si je ne le fais oster./ Il y fault de la ‟chair vive”/ Ung tronsson à y bouter./ Mon amy a une chose/ Que je disse (mais je n’ose),/ Qui me le pourroit oster./ Il me la mist dans le ventre./ Entre vous, jeunes fillettes,/ Quant les sirons si vous blessent,/ Faictes-les ainsi oster. » Loyset Compère. 54 Le paysan de Cautelleux, Barat et le Villain est victime d’une blague analogue aux vers 280-405. 55 La cupidité des hauts fonctionnaires est telle que cette histoire ne serait pas crédible. 56 Qu’il finira pendu : « Plusieurs estoient alléz par le pendant, & d’autres avoient esté jettéz en l’eau. » F. de Belleforest. 57 F : bonte (Se bouter en franchise = se réfugier dans un monastère, sous la protection de Dieu. « [Il] se bouta en franchise au dit moustier. » ATILF.) 58 S’aprester = se faire prêtre. « Il se fist apreisteir/ [Par] l’archevesque de Colongne. » ATILF. 59 Nous la vendrons à un fripier. 60 L’échauffourée. Jeu de mots sur « les chats fourrés » [les hypocrites], que les Picards prononçaient exactement de la même façon : les cots fourrés. Nous disons aujourd’hui : les coups fourrés. 61 F : ostee (Volée. « Et porte Dismas une robe sur ses espaules comme s’il l’avoit emblée. » Les Tyrans.) 62 F : une (Visé = avisé.) 63 Regimber et mordre = se rebeller. « Quant je voys d’aulcuns folyer,/ Ou d’aultres regiber ou mordre. » Le Monde qu’on faict paistre. 64 Verbe poindre : piquer, mordre. 65 Vers manquant. Avant l’invention de la camisole de force, on attachait les gens qui étaient « fous à lier ». « Se j’eusse aide, je vous liasse :/ Vous estes trèstout forcené. » Pathelin. 66 Chapelle parisienne, rue des Mathurins-Saint-Jacques, où l’on expédiait les fous pour les guérir. « Envoyer à Saint-Maturin : Faire passer pour fol. » Oudin. 67 F : tant 68 Silencieusement. Idem vers 231 et 651. « Tout bellement,/ Qu’elle ne m’oye [afin qu’elle ne m’entende pas]. » Les Drois de la Porte Bodés. 69 Futur du verbe paroir : paraître. Idem vers 245. Cf. la Laitière, vers 146. Le pourpoint rétréci fait partie des mauvaises blagues, comme le lit en portefeuille. Le Jeu du Prince des Sotz nomme une autre de ses victimes : « Qui est variable en substance [en étoffe],/ Comme le pourpoint (de) Jehan Gippon. » 70 F : Qua (« Regardez mon pourpoinct :/ Il est beau, fort bien faict, délicatement joinct. » Lasphrise.) 71 F : espraindre (Lui démanger. « Tout le sang et la chair m’espoint. » ATILF.) Voir les vers 453-4. 72 Et rougir. « Sans muer couleur en la face. » Le Gallant quy a faict le coup. 73 F : pouruoit (Voir le vers 403.) 74 Avec subtilité, par traîtrise. Cf. le Tournoy amoureux, vers 94. 75 F : fauldra (Il nous baillera. « Tu me bauldras/ Mon beau demy escu. » Le Mince de quaire.) 76 Procédure normale. Dans la Seconde Moralité, on apporte un flacon d’urine au médecin, auquel on donne de l’argent pour qu’il en tire un diagnostic sans avoir vu le malade (vers 223-8). 77 Aux médecins. Idem vers 430, 566, 854, 872. « Ces phisiciens m’ont tué. » (Pathelin.) Les Picards prononçaient « physician », comme ils prononçaient bian [bien] ou rian [rien]. 78 Dans les siècles précédents, on infligeait aux fous une tonsure en forme de couronne centrée d’une croix. « Si je ne m’en sçay venger, je vueil qu’on me tonde en croix comme ung folz ! » (Ph. de Vigneulles.) Idem vers 298, 344 et 584. 79 Forme picarde de « saint Pierre ». Idem vers 441 et 635. 80 F : esguillette (L’aiguillette désigne surtout le cordon qui ferme une braguette. Beaucoup plus rarement, c’est une petite aiguille ; mais vu l’épaisseur du pourpoint, il faut une aiguille normale, comme au vers 261.) 81 F : Je (J’y vais. Cf. l’Aveugle et le Boiteux, vers 175.) 82 Futur de « n’ouïr goutte » : ne rien entendre. 83 Les deux hommes entrent chez Thierry. Gautier reste dans la pièce principale, tandis que Richard va subtiliser dans la chambre le pourpoint du dormeur. 84 F : Descauson (Décousons le pourpoint pour le couper.) Les deux hommes s’assoient autour de la table et se livrent à leurs travaux de couture en imitant les propos « décousus » que tiennent les fileuses en pareil cas : voir les Évangiles des Quenouilles. 85 Si je peux. Idem vers 333. Cf. les Frans-archiers qui vont à Naples, vers 102. 86 Jeu de mots sur coux, qui signifie cocu, comme aux vers 769 et 838. Mais Richard ne croit pas si bien dire… 87 F : gastaroit (Voir le vers 656.) 88 Je ferai le signe de la croix, comme devant un spectacle diabolique. Voir la didascalie du vers 383. 89 F : se deuroit 90 Cette plaisanterie n’était pas nouvelle : « C’est parlé/ Proprement et de main de maistre. » Le Dorellot. 91 Gautier sera dans la pièce principale, et il parlera fort pour être entendu de Thierry, à condition que la porte de sa chambre ne soit pas fermée. 92 Par un milan, un oiseau de proie. « L’escoufle a emporté voz poucyns. » Godefroy. 93 À la mule du pape, qui représente par synecdoque le pape lui-même. Or, le pape avait réponse à tout, y compris aux questions qu’on ne lui posait pas. De là à dire qu’il pensait avec ses pieds… 94 Ce mot était parfois masculin, comme au vers 552 : cf. le Sermon pour une nopce, vers 47. En outre, les Picards employaient l’article « le » au lieu de « la » : voir ma note 199. 95 F : lengen (L’intellect, du latin ingenium. « Sans engin, science et mémoire. » Marchebeau et Galop.) 96 Dans l’esprit de Gautier, cette phrase est négative : « Jéninot est le nom d’un sot ;/ Mais aussi n’es-tu pas trop sage. » Jéninot qui fist un roy de son chat. 97 « DESTORBER : détourner, embarrasser, troubler. » Debrie, Glossaire du moyen picard. 98 Qui rayonne, qui brille. « Par le soleil qui roye ! » (Serre-porte.) « A ! par le saint soleil qui luist ! » (Goguelu, F 45.) 99 F : parmy (Voir le vers 62.) Sous l’effet de l’alcool, Richard oublie la nouvelle tromperie, et en revient à celle des vers 174-7, qui consiste à ligoter Thierry. 100 F : voys 101 F : Assoir (Voir la note 10.) « O » = avec. Note 13. 102 « Il aura grand peur, s’il ne tramble. » Le Raporteur. 103 Bruï, brûlé en enfer. « Du feu d’Enfer je suis brouÿ. » Vie de saincte Barbe. 104 F : rigaller (Qu’à prendre du plaisir. « Ou soit pour rire ou pour galer/ Tant qu’i n’y ait que régaller. » Pierre Chastellain.) 105 « Avoir la pulce à l’oreille : Estre dans quelque appréhension. » (Oudin.) « Qui me met la puce à l’oreille/ Et m’esmoye par tel façon. » Le Capitaine Mal-en-point. 106 Avant que notre jeu (ou notre farce) s’achève. « Devant que nostre jeu départe. » Le Raporteur. 107 F : entre en fieure quartaine (Cf. la Fièbvre quarte.) 108 Cohen : te — Koopmans : le (Acquitte-toi de ce que tu as à faire. « Je te pri que tu te délivre. » La Confession Rifflart.) 109 F : Metez (« Je la veulx remectre en son lieu. » Le Poulier à quatre personnages.) 110 Il sort de la chambre de Thierry. 111 « Juron tout à fait original dont je ne connais pas d’autre exemple. » (Jelle Koopmans, p. 616.) « Par les angoisses Dieu, moy lasse ! » (Farce de Pathelin, vers 571.) 112 Autrement dit, il ressemble à un cadavre, dont on doit recouvrir le visage avec un linge. 113 Je suis sûr que dans le respect des bonnes manières. « La table sera tantoust mise/ Et servye de bonne guise. » ATILF. 114 F : chose (« Que la table soit bientost mise ! » Le Gentil homme et Naudet.) 115 F : Bien (L’entremets désigne un plat, mais aussi une mauvaise surprise. « Voicy ung piteux entremetz ! » Frère Frappart.) 116 F : tien (« Tu [te] trouveras/ En grans despens, [or] ne t’en doubte. » Pathelin, ms. fr. 25467.) Gautier va dans la chambre de Thierry. 117 Il fait le signe de la croix parce que, mal réveillé et mal dessoûlé, il s’imagine voir « le grant dyable plus noir que meûre » (Vie de saincte Barbe). 118 F : Qui (« Quel deable est-ce-là ?/ Il ne redoubte riens. » Cuvelier.) 119 Fétard — et non fêtard — veut dire paresseux : cf. le Résolu, vers 191 et note. 120 F : de (Je boirai autant que.) 121 Il feint de découvrir que Thierry a enflé. 122 Par saint Jacques ! Voir le vers 437. 123 Vers manquant. « Vous estes malade :/ Oncques couleur ne fut plus fade. » Le Ribault marié. 124 F : despassay assoir (Voir le vers 878.) 125 F : plus beau (Tu ne vivras pas jusqu’à demain.) 126 Gautier vouvoie désormais Thierry, avec le respect qu’on doit à un mort. Il l’oblige à se lever pour qu’il mette son fameux pourpoint. 127 F : dessoir (Synonyme de « arsoir » : hier soir. Cf. le Gentil homme et Naudet, vers 12.) 128 F : heu (« En ? Qu’as-tu veu ? » Le Temps-qui-court.) 129 F : lieus (Ces liens maléfiques sont les chaînes des damnés : « Et les âmes des trespasséz/ Vueillent garder de maulx liens ! » Consolacion de Boèce.) 130 Dans une imprécation, « que je sois qui » = plutôt que je sois celui qui. « Mais pendu soit-il, que je soye/ Qui luy laira escu ne targe ! » (Villon.) « Meschoir puist-il de corps et d’âme,/ Que je soye qui sauroit dire/ Qui a le meilleur ou le pire ! » (Pathelin.) 131 F : trompierre (Trompeur. « Par saint Pere !/ Il a mon drap, le faux tromperre ! » Pathelin. À la rime, je corrige Pierre d’après les vers 224 et 635.) Thierry se lève, et tente de mettre son pourpoint. 132 Se dit d’un vêtement trop court, susceptible de nous faire attraper des rhumatismes. « Cornette fourrée du moins,/ Cela est bien gouteprenant. » Guillaume Coquillart. 133 Grâce auquel je suis racheté. Participe passé fluctuant du vieux verbe raiembre : « Tous fusmes raimpns. » ATILF. 134 Vers manquant. La soif étique est une soif dévorante : « Requier avoir un bruvaige autentique (…)/ Pour rafréner d’elle ma soif éthique. » (Eustache Deschamps.) Thierry se plaint régulièrement de la soif : vers 398 et 878. On pensait que l’hydropisie frappait ceux qui buvaient trop. 135 F : si (Doublon du vers 410.) 136 Il est toujours dans la pièce principale, et fait semblant d’entrer dans la maison. 137 Il va dans la chambre, mais tourne le dos à Thierry, qu’il ne regardera qu’au vers 514. 138 En Picardie, ce mot désigne le concierge d’un domaine. J’ignore s’il s’agit de son patronyme ou de sa profession, mais au Moyen Âge, c’est à-peu-près la même chose. 139 Quando cœli [quand les cieux] est chanté lors de la Messe des morts. « Ou ilz m’envoiroient promptement/ Tout fin droit à quando céli. » Les Menus propos. 140 F : sont desia (En contradiction avec les 2 vers suivants.) 141 F : feire (Les personnages de farces qui sont bons à tout faire sont des bons à rien ; voir Jehan qui de tout se mesle.) 142 Pleine de liesse (picardisme). « En faisant bonne chière et liée. » ATILF. 143 F : uraiment (Sans faire de distinction. « Nature féméninne,/ Qui tout unyement veult aimer. » Villon.) 144 F : donnue (« Poison » était souvent féminin : cf. le Savatier et Marguet, vers 137 et note.) 145 Peut-être la meurtrière épidémie de coqueluche (ou de grippe ?) qui a sévi en 1510. 146 « LERME : larme. » Debrie, Glossaire du moyen picard. 147 F : regardoit (À la rime. Voir les vers 693 et 704.) 148 F : creuez 149 F : assena (« ASSENER : Frapper. » Debrie, Glossaire du moyen picard.) « Il le vint assener par-derrière le doz. » Galien Réthore. 150 Lors d’un mariage, on chausse ses mains de mitaines, et on donne des petits coups de poing aux parents de la bru, pour leur laisser un souvenir des noces. Au figuré, les gants des noces désignent des conséquences funestes : « Qu’il se consenti à ce qui a esté fait de la dite fille, et n’ot nulz gans des nopces. » Arch. nat. 151 Richard se retourne enfin vers Thierry, et fait un signe de croix en prenant un air épouvanté. 152 Il fallait se confesser avant de mourir. 153 Vers manquant. « Que je taste ung peu vostre poux. » (Chagrinas.) Richard, lui aussi, se met à vouvoyer le prétendu mourant. 154 « Mort s’en ensuy, et (il) eust toutes ses ordonnances. » Godefroy. 155 « Il est perdu, il en est pic. » Arnoul Gréban. 156 Il s’adresse à Gautier, mais suffisamment fort pour que Thierry n’en perde pas un mot. 157 F : Affin (« Garde que la Mort ne te hape ! » Le Ribault marié.) En Picardie, « le » = « la ». Voir ma note 199. 158 F : conscilles (Conseiller : tenir conseil à voix basse.) 159 F : ny 160 F : Et (Le ms. de base portait &.) 161 Le thériaque est un contrepoison. Cf. les Vigilles Triboullet, vers 149-150. 162 Démoniaque : sous l’emprise du démon. Cf. le Cousturier et Ésopet, vers 230 et note. 163 F : par 164 Les deux trompeurs sortent devant la maison. 165 Être pris par la moue : être abusé par des grimaces. Cf. Chagrinas, vers 320. 166 Si tu veux. Même picardisme aux vers 608 et 614. 167 « OU : Au. » (Corblet, Glossaire du patois picard.) « Aussi sçauray-je bien,/ Par Dieu, [ce] qu’elle a ou ventre ! » Les Sotz fourréz de malice. 168 Conviendrait : il faudrait donc lui fendre le ventre pour en extraire ce bébé. 169 Double sens : Ce serait la meilleure chose du monde si on te tondait. 170 Anuit = aujourd’hui. Idem vers 43. 171 Cliqueté avec notre langue, bavardé. « De trufes [à propos de bêtises tu] flavelles ;/ Tais-toy ! » Miracle de saint Ignace. 172 F : que lun 173 Le faux prêtre aura le haut du visage dissimulé sous un capuchon, et il devra baisser la tête pour cacher le reste. 174 F : demouea (Ne demeurera.) 175 F : ou (Autodérision de la part d’un dramaturge et de comédiens qui sont originaires de Picardie.) 176 F : Me fais (Voir le vers 618.) 177 F : pas de (Cela ne m’importe pas plus qu’une pièce de 1 centime. « Il ne m’en chault pas d’une maille. » La Nourrisse et la Chambèrière.) 178 F : Actendes (Dans beaucoup de farces, un des personnages possède providentiellement un habit de prêtre : voir la note 54 du Ribault marié.) 179 Pendant que Gautier enlève sa robe, Richard, qui est un voisin de Thierry, court chez lui et revient vite avec un vieux froc à capuchon, une ceinture, et l’inévitable bréviaire. 180 Il tente vainement d’ajuster le capuchon, qui est beaucoup trop grand et qui lui couvre tout le visage. 181 Même juron abrégé à 627. Des deux amis, c’est celui qui blasphème le plus qui va jouer le prêtre. 182 F : burelure (C’est une chanson à danser. « La Turelure/ Y chanterons en passant temps. » Les Esveilleurs du chat qui dort. Les vers 27-33 de Calbain en proposent une version.) Le froc est deux fois trop grand pour Gautier, qui « danse » dedans. 183 Cette bacchanale orientalisante requiert des mouvements très amples. 184 Les épaules de la soutane te tombent sur le ventre. 185 F : Allons nous en (Allons-y ! Idem vers 843.) 186 Qu’on place dans un champ où l’on a semé des graines de chanvre que les oiseaux risquent de picorer. 187 F : quil (Voir le vers 606.) 188 Euphémisme pour Dieu. 189 Contrairement aux bourgeois, les prêtres ne portent pas de chaussures à lacets mais des sandales en cuir, avec ou sans lanières. 190 Vers manquant. L’auteur pioche souvent dans la farce de Pathelin ; d’une façon toute arbitraire, je le ferai aussi : « Il n’a pas le visaige/ Ainsi potatif. » Potatif = digne d’un alcoolique, ce qui dépeint parfaitement Gautier. 191 F : dis (Une fois tu ris bien ; une autre fois, prends-y garde. « Or rit, or pleure. » ATILF.) 192 Gautier rentre dans la maison, suivi par Richard (qui restera dans la pièce principale), et il retourne seul dans la chambre de Thierry. Il enfonce la tête dans son bréviaire et modifie sa voix. 193 Doublon du vers 483. Les deux suivants reproduisent les vers 543-4. 194 Étant presque mort, vous n’êtes plus qu’une âme. 195 Les accidents de la vie étaient vus comme des punitions de nos péchés. Aujourd’hui encore, même les athées s’exclament : Qu’est-ce que j’ai fait au bon Dieu pour mériter ça ? 196 « Probablement, Gaultier feint d’être repoussé par la puanteur de l’haleine de Tierry, mais en fait il a peur d’être reconnu. » J. Koopmans, p. 623. 197 F : ne 198 F : gardent (Le sujet, « homme » ou « femme », est singulier.) 199 Les Picards employaient l’article « le » au lieu de « la », comme aux vers 317, 541 et 552. Je pioche au hasard dans un poème de Jehan Molinet : « Le basse danse. Vous jousterez à le quintaine. Lever le teste. Le toux, qui fort me diminue. Il a trop fort mors en le gueulle. » 200 Je lui procure. « De pourchasser à aultruy mal. » Les Esveilleurs du chat qui dort. 201 F : se fige quil (Voir le vers 747.) 202 Sans ordre ni méthode. « Robin danse en tache. » Le Monde qu’on faict paistre. 203 Relâche, répit. « Sans point faire de lâche. » Les Drois de la Porte Bodés. 204 F : fera (Le « f » et le « ſ » long sont souvent confondus.) Il ne sera jamais en bonne santé. 205 Contondants, qui ne provoquent pas de plaies ouvertes. « Et luy baillèrent plusieurs coups orbes et sourds. » ATILF. 206 À l’instant. « Il en vient tout venant. » Pathelin. 207 Mécroire = soupçonner. Idem vers 759. Cf. Frère Frappart, vers 278. 208 Pas du tout. « Point ne cesse/ Ne po, ne goute. » ATILF. 209 F : mestoit 210 F : sauoit (Qui avait fait cela.) 211 Je le soupçonnais d’être lui aussi son amant, ou de vouloir le devenir. 212 Un homme qui chante a une maîtresse : tel est le sujet du Ribault marié, auquel on fait croire aussi qu’il est mourant, et dont un faux prêtre obtient une confession gênante. 213 Un don de coups. « Avoir vous fault de la donnée ?/ Tenez, recevez ce tatin [coup] ! » Godefroy. 214 Avec une telle force. « Frappez ! Bastez de randonnée ! » ATILF. 215 Maintenir une femme : l’avoir pour maîtresse. Idem vers 802 et 838. « Un mary (…)/ Qui gardît bien son mariage,/ Qui n’ayt Thomyne ne Lucette/ À maintenyr. » Le Trocheur de maris. 216 F : De 217 F : a bouche (Les prêtres doivent respecter le secret de la confession.) 218 F : de (Du pire. « Fais du pis que tu sçauras faire. » La Nourrisse et la Chambèrière.) 219 Afin que Gautier — qui est censé attendre dans la pièce contiguë — n’entende pas. 220 F : c’nent (« Et comment esse qu’on apelle/ Une auge à paistrir ? » Jolyet.) 221 C’est une des nombreuses litotes pour dire : Vous mourrez. 222 En Picardie, ce mot désigne sans surprise une écuelle. 223 Qui présente si bien, qui a une si belle prestance. « Quant je estoie jeune et présentier. » (Godefroy.) Gautier se flatte lui-même. 224 F descend cette rubrique sous le vers suivant. 225 Un tout petit peu. Craignant de trahir sa colère, Gautier rejoint Richard dans la pièce principale. 226 F : Ha (« Par le sang que bieu respendit ! » Beaucop-veoir.) 227 F : A il ie 228 F : distes (Voir le vers 424.) 229 Lui. « C’est il qui me doit adresser. » Serre-porte. 230 F : Fut il 231 F : fut 232 C’est une variante de la moralité « À trompeur, trompeur et demy », qui conclut tant de farces et de sotties. 233 Les fossés parisiens se trouvaient aux abords des Portes de la ville. « Les fosséz de la Porte Sainct-Honoré. » (Journal d’un bourgeois de Paris sous le règne de François Ier.) Voir le vers 366 des Maraux enchesnéz. 234 F : leau dedans (Vers trop court, alors que « bou-e » compte pour 2 syllabes. De plus, si Thierry sait nager, il ne mourra pas. Et si on découvre son cadavre flottant sur l’eau, ses meurtriers seront exécutés.) Comme en témoignent les Maraux enchesnéz, les fossés parisiens sont pleins de boue, et non d’eau : « –En ce bourbier,/ Nestoyez-moy bien ces fosséz !…./ –Nous sommes à la boue,/ Maintenant, jusques aux genoulx. » 235 F : estoffe (Rime faible et sens douteux.) Enlisé dans un fossé : « En un fossé,/ Com un larron, l’ont enfossé. » Godefroy. 236 On retrouve ce curieux juron au vers 512 des Trois amoureux de la croix. 237 Il retourne dans la chambre, avec Gautier, qui a remis sa robe personnelle. 238 F : Car 239 Vider, quitter. « Yl conviendra vuyder la place. » Le Sourd, son Varlet et l’Yverongne. 240 Je m’en flatte. Cf. l’Aveugle et Saudret, vers 327 et 1113. 241 Les deux hommes soulèvent leur victime, Gautier par-devant, Richard par-derrière. À la fin de la Laitière, deux furieux décident d’aller noyer un sergent dans une fosse septique ; l’un d’entre eux le porte par-devant, et dit à l’autre : « Je veil (…)/ Que le soustenez par-derrière. » 242 Cet extrait de la 17e Facétie du Pogge, traduite par Guillaume Tardif vers 1492, pourrait avoir fourni l’idée du pourpoint rétréci. 243 Sur mesure. 244 Sur la tringle horizontale où les couturiers accrochent les cintres qui portent les vêtements à retoucher. 245 Au cabinet. Voir la farce du Retraict.
L’AMOUREUX
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L’AMOUREUX
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Cette farce a vu le jour en Picardie vers 1500. Elle a beaucoup circulé : un grand nombre d’octosyllabes débordent sur deux vers, et ont subi des coupures ou des additions qui perturbent la métrique et les rimes. J’ai tenté de mettre un peu d’ordre dans la versification pour que la pièce redevienne jouable.
Dans les farces, l’Amoureux est un amant ou un futur amant. Il n’est pas là pour parler d’amour à sa dulcinée, mais pour la tringler le plus vite possible pendant que le cocu est dehors. Son caractère est un mélange de fatuité et de lâcheté ; quand le mari débarque à l’improviste, l’Amoureux perd tous ses moyens et dépend totalement de sa maîtresse, qui est la seule à garder son sang-froid. On comprend mal pourquoi la pièce a été baptisée l’Amoureux ; ce personnage falot disparaît définitivement derrière le rideau de fond après le vers 135. Le comédien qui jouait son rôle a probablement tenu, à partir du vers 202, celui de maître Éloi : déjà à moitié nu, il n’avait qu’à mettre une robe et un chapeau de médecin, et à prendre un urinal. Ces doubles emplois étaient monnaie courante : voir la notice des Drois de la Porte Bodés.
Source : Recueil du British Museum, nº 13. Farce publiée vers 1550 par Nicolas Chrestien. Contrairement à ses habitudes, cet éditeur parisien n’a pas traduit les nombreux particularismes picards qui émaillent le texte, sans doute parce qu’il ne les comprenait pas.
Structure : Rimes plates, avec 1 triolet.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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Farce nouvelle trèsbonne
et fort joyeuse d’un
Amoureux
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À quatre personnages, c’est assavoir :
L’HOMME [Roger]
LA FEMME [Alison]
L’AMOUREUX
et LE MÉDECIN [maistre Éloy]
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L’AMOUREUX
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L’HOMME commence SCÈNE I
Ma femme !
LA FEMME
Que vous plaist, Roger1 ?
L’HOMME
Et ! venez avant, [orderon2] !
Vous fault-il [céans] tant jocquer3 ?
Ma femme !
LA FEMME
Que vous plaist, Roger ?
L’HOMME
5 À Dinan m’en veulx, sans targer4,
Aller achepter un chauld(e)ron.
Ma femme !
LA FEMME
Que vous plaist, Roger ?
L’HOMME
Et ! venez avant, orderon !
Vous fault-il tant jocquer ?
LA FEMME
10 [Or çà]5 ! me voicy, mon baron.
Que vous plaist-il que je [vous] face6 ?
L’HOMME
Que tu me baille ma besasse ;
Et de paour d’avoir fain aux dens7,
Boute un morseau de pain dedans
15 Et un morceau de chair sallée.
LA FEMME
J(e) y voys8.
L’HOMME
Pleure ma bien-allée9 !
LA FEMME
Pleurer, Roger ? Et ! je varye10.
Que pleust à la vierge Marie
Que vo11 voyage fût jà fait !
20 Car j’ay le courage deffait
Incontinent12 que ne vous voy.
L’HOMME
Or bien, Alison, je m’en voy.
Garde[z] bien [tout], dessoubz, et desseure13 :
S(e) autrement faicte[s] — soyez seure —
25 Que doit faire [une] preude femme
[Qui a paour de honte et de blasme,]14
Je compteray au retourner15 !
LA FEMME
Mais escoutez[-le] soubsonner16 !
Que malle sanglante17 journée
30 Vous soit aujourd’hüy donnée !
Venez çà, Roger, mon amy :
Avez-vous trouvé faulte en my18,
Parquoy me devez cela dire ?
Vous me faictes [tressuer d’ire]19.
35 Je ne suis point du lieu20 venue.
Me suis-je avecq vous maintenue21
Autrement qu’e[n] femme de bien ?
L’HOMME
Nostre Dame ! je n’en sçay rien.
Aussi n’en veulx-je rien sçavoir.
LA FEMME
40 Je ne vouldroye, pour mal avoir22,
Vous faire telle villennie.
L’HOMME
Alison, je ne le dy mye ;
[Ains je]23 le croys certainement.
LA FEMME
Vous souppesonnez moysement24 :
45 À cela ne vous fault arter25.
L’HOMME
Je n’en veulx point trop enquester :
Je crains bien d’en avoir26, en somme.
LA FEMME
Vous este(s) une moise27 personne.
Partez-vous28 tost, je vous requière29 !
L’HOMME
50 Or bien, Alison que j’ay tant chère :
Baise-moy un peu, au département30 !
LA FEMME
Je le veulx bien.
L’HOMME
Doulcettement,
[Baisez-moy31] droit à la bouchette.
Mon Dieu, que vous estes doulcette32 !
55 Gramercy33 [vous dy], Alison.
[Adieu !] Gardez bien no(z) maison.
Je m’en yray jusques yla34 sans paistre35.
Adieu, no(z) dame !
LA FEMME
Adieu, no(z) maistre !
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Il s’en est allé longuement36. SCÈNE II
60 Je ne plourerois point gramment37,
Quand38 il ne reviendroit jamais.
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L’AMOUREUX 39 SCÈNE III
Il est jà temps, je vous prometz,
D’aller veoir Alison, m’amye.
Son mary Roger n’y est mye :
65 Je l’ay veu en aller dehors.
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Dieu vous gard, belle au gentil corps SCÈNE IV
Mieulx fait que s’il estoit de cire40 !
LA FEMME
[Ce seroit]41 pour vous faire occire,
S’on vous avoit cy veu venir.
L’AMOUREUX
70 Nennin, ma foy, mon souvenir42 :
Il n’y avoit nulluy par voye43.
LA FEMME
Entrez céans, qu’on ne vous voye,
Car je crains le parler des gens.
L’AMOUREUX 44
Aussi fais-je. De voz bras gentz,
75 Vous me don(ne)rez à peu de plaist45
Une acolée, s’il vous plaist
[Et si le cueur ne vous en deult.]46
LA FEMME
Sus, de par Dieu : le cueur le veult.
Acole[z-]moy doncq à deux bras !
L’AMOUREUX
80 (Que ne vous tiens-je entre deux draps !
Je rabaisseroye bien vo(z) quaquet47.)
LA FEMME
Il [nous] fault faire le bancquet48,
Mon amy, avant qu(e) on se couche.
L’AMOUREUX
Nous le ferons tantost, ma doulce.
85 Hastons-nous tost d’aller coucher :
J’ay grand désir à49 vous aprocher
Entre deux draps, mon joly con50.
Ceste bouteille de vin bon
Nous bouterons, par grand délit,
90 Icy auprès de nostre lict,
Affin — s(e) aucun de nous51 s’esveille —
Qu’il52 puist prendre ceste bouteille
Et en taster un sapïon53.
LA FEMME
Vous este(s) un vaillant champïon,
95 Et bien entendu54 en cest affaire.
L’AMOUREUX
Çà, Alison, qu’est-il de faire55 ?
LA FEMME
Et ! que sçay-je ? Despouillons-nous56.
L’AMOUREUX
Avant ! tire là57 !
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L’HOMME SCÈNE V
Mes genoulx
[S]ont froitz, aussi [s]ont mes menettes58 ;
100 Je les mettray en ma braguette
Pour estre un peu plus chauldement.
J’ay [un] si bel entendement59 !…
Que le sang du cul me rebourse60 !
Quoy ? [mon Dieu], j’ay perdu ma bourse !
105 Je l’ay laissée en no(z) maison.
A, tu y fouilleras, Alison :
T(u) es femme pour me desrober.
C’estoit bien [fait] pour m’adober61,
D’aller marchander sans argent.
110 Il me fault estre diligent
De retourner tout maulgré my62.
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LA FEMME SCÈNE VI
Estes-vous point prest, mon amy ?
L’AMOUREUX
Je n’ay mais que cest[e] esguillette63.
Couchez-vous tousjours, ma fillette ;
115 Incontinent vous suiveray.
LA FEMME
(Je ne sçay où je pisseray
Un peu d’eauë ; voicy merveille !
Dedans ceste vieille bouteille
Je pisseray, c’est le meilleur.)64
.
L’HOMME SCÈNE VII
120 Loué en soit Nostre Seigneur !
Je suis bien près de no(z) maison.
.
Hau65 ! Où este[s-]vous, Alison ? SCÈNE VIII
Haulà, hau ! [Ouvrez l’huis ! Hau, hau !66]
LA FEMME 67
Bucquez bas68, ce n’est point bordeau69 !
125 Que bucquez-vous ? Qu[i] esse-là ?
L’HOMME
C’est Roger, qui vous accolla
Au soir70, et gaigna le chauldeau.
L’AMOUREUX
Pendre le puist-on d’un cordeau !
Je suis bien de malheure né71.
130 [Vrayment, je suis tout estonné.]72
Las ! où me bout(e)ray-je, Alison ?
Il me tura comme un oyson ;
S’il me trouve, je suis destruit73.
LA FEMME
Boutez-vous [icy] soubz no(z) lict ;
135 Cachez-vous soubz no(z) couverture74.
L’HOMME
Ne me ferez-vous point ouverture ?
Demoureray-je icy ?
LA FEMME
On va à vous.75
.
Las ! je me meurs, Roger.
L’HOMME
Et ! qu’avez-vous, m’amye ?
LA FEMME
Je suis à mon deffinement76.
L’HOMME
140 Si tost et si hastivement ?
LA FEMME
Hélas, voir[e], depuis orains77.
L’HOMME
Et où vous tient ce mal ?
LA FEMME
Au[x] reims
Et partout.
L’HOMME
Voicy grand pitié !
Ayez le cueur [ferme, et le pié]78 !
145 A, Dieu79 ! Jésuchrist, roy divin !
Vous yrai-ge quérir du vin80 ?
LA FEMME
Je ne sçay.
L’HOMME
[Dea !] c’est le meilleur de vostre fait.
N’avez-vous rien dessus81 le cueur
Qu’à no(z) curé vous vueillez dire ?
150 Le chemin vous convient eslire82 :
Vous n’en povez que de mieulx estre.
LA FEMME
Point n’est maladie de prebstre83
Pour ceste foys-[cy, ce]84 me semble.
Sentez un peu comment il tremble ;
155 Oncques ne fut en tel mestier85.
L’HOMME
Mon Dieu, que vous devez86 cauquier !
Ne vous sçaurois-je en rien ayder ?
LA FEMME
Rien n’y povez remédïer
Se ne faictes ce que je diray :
160 Ceste bouteille vous prendré,
Où j’ay laissé de mon excloy87 ;
La88 porterez à maistre Éloy
— Qui est médecin bien appert89 —
Affin qu’il vous die en espert
165 Dont90 ce grand mal icy me vient.
L’HOMME
J(e) y vois, belle dame, en tant qu’il m’en souvient91.
Le vray en sauray droicte voye92.
.
Hélas ! se ma femme perdoye, SCÈNE IX
Je sçay, de vray, que je mourroye :
170 Après elle [je ne vivroye]93.
Mon Dieu, que j’ay soif, [par mon âme] !
Sang bieu ! De l’orine94 ma femme
Me fault icy boire [d’]un traict95.
Et fust de l’eauë du retrait96,
175 Par la mort bieu, s’en buveray-je97 !…
[Cecy me semble vin, je gaige.]98
Quel[le] dyable[rie]99 esse-cy ?
Quoy ! ma femme pisse-elle ainsi ?
Foy que je doys au Roy divin !
180 Ce pissat a tel goust de vin…
C’est vin ! Cecy m’est bien propice.
Puisque son con tel(le) chose pisse,
Pour moy, grand dommage seroit
[Se,] sans mon retour, el(le) mourroit.
185 Il m’en fault encore taster100…
Je veulx la bouteille esgouter101
Pour sçavoir se plus rien n’y a.
C’est droit glorïa-filïa102
Pour laver ses dens ! Alison,
190 Mais103 que je soye en no(z) maison,
Puisque vous pissez tel(le) vinée104,
Je veulx, chascune matinée,
Moy-mesmes vuider vo(z) bassin105.
Mais que diray-je au médecin ?
195 J’ay tout beu l’orine ma femme.
Pou, pou ! Je y pisseray moy-mesme
En la bouteille : il cuydera,
Quand l’orine regardera,
Que ma femme l’eust uriné.
200 Je tromperay le domine106
Bien finement, par ceste sorte.107
.
LE MÉDECIN 108 SCÈNE X
Quoy ! médecine est-elle morte ?
El(le) ne me fait plus rien gaigner.
C’est [bien] assez pour enrager,
205 Tant en suis[-je] fort tourmenté.
Si109, suis bien espérimenté
Pour la santé du patïent.
.
L’HOMME SCÈNE XI
J’ay fait comme un homme sïent110,
De pisser en ma boutelette111 :
210 [Car] j’apperçoy en la voyette112
Le médecin, ce m’est advis.
.
Sire, le Dieu de Paradis SCÈNE XII
Vous doint paix et bonne santé113 !
Je vous ay [de l’eaue apporté]114
215 [De ma femme115.] Or, visitez-la116,
[Pour congnoistre quel mal elle a.]117
LE MÉDECIN 118
Versez[-la] cy, que je la voye…
Fy, fy, ruez cela en voye119 !
L’HOMME
Y a-il à dire en son fait ?
LE MÉDECIN
220 C’est [d’]une femme qui a fait
Cela120 cent foys sans son mary.
L’HOMME
Cent foys cela ? J’en suis marry !
LE MÉDECIN
Son urine ainsi le descœuvre.
L’HOMME
(Sang bieu ! ce n’est point de mon œuvre,
225 Car je ne m’en mesle plus gouste121.)
N’en parlez-vous point [dans le]122 doubte ?
LE MÉDECIN
Nenny, certe(s), il est vérité.
L’HOMME
(Que diable esse-cy ! je suis copauldé123.
Je ne sçay de qui ce peult estre ;
230 Ne seroit-ce point de vous, no prestre ?
Vous passez bien souvent par là.)
Or tenez, médecin : voylà
Un peu d’argent124 que je vous donne.
LE MÉDECIN
Gramercy ! Je vous abandonne
235 Tout mon logis entièrement125.
L’HOMME
Je vous remercie grandement126.
.
Suis-je cocu ? C’est chose voire127. SCÈNE XIII
Toutesfoys, je ne le puis croire.
Mais qui en soit le père, [j’en seray] 128 le papa.
240 Jamais femme ne me trompa
Que ceste-cy, sans nul129 excet.
Mais130 c’est un bien que nul ne scet
[Qu’on m’a fait grand honte et diffame,]131
Sauf132 le médecin et ma femme,
245 Et celuy qui m’a copaud[é]
Et [est tant]133 fin.
Prenez en gré,
Seigneurs qui estes en134 présent !
Prenez en gré l’esbatement !135
.
FIN
*
1 Le couple est chez lui. On songe au début du Nouveau marié, publié vers la même époque par le même éditeur : « –Thomasse ! –Que vous plaist, Roger ? » Ce rapprochement est signalé par André TISSIER : Recueil de farces, t. IV, 1989, pp. 69-109. Son édition est d’autant plus intéressante que, par extraordinaire, lui et moi ne sommes d’accord sur à peu près rien. 2 Venez ici, souillon ! Orderon [orde = sale] n’est noté qu’au refrain du vers 8. « Mais avez ouÿ l’orderon,/ Comment elle est bien gracieuse ? » Le Chauldronnier. 3 Musarder. Sauf rares exceptions, je ne signalerai pas les termes et les tournures issus du patois picard : il y en a trop. 4 Sans tarder. La ville belge de Dinant, proche de la Picardie, avait pour spécialité les articles de « dinanderie » : chaudrons, poêles, etc. 5 BM : Sa (« Mon baron » est un titre goguenard que les épouses donnent à leur mari tyrannique. Cf. le Bateleur, vers 78.) 6 Que puis-je faire pour votre service ? Cette formule de politesse est réservée aux domestiques : « Que voulez-vous que je vous face ? » L’Aveugle et Saudret. 7 De peur que j’aie faim. Cf. le Capitaine Mal-en-point, vers 151. 8 J’y vais. Idem vers 22 et 166. Alison remplit la besace de son époux, mais elle se garde bien d’y mettre du vin, qu’il a omis de réclamer. 9 Mon départ. 10 Je me retiens. Cf. Frère Guillebert, vers 350. 11 BM : vostre (Les pronoms picards no [notre] et vo [votre] jalonnent la pièce. L’éditeur parisien a cru bien faire en y ajoutant presque toujours un « z ». Je les signale ici une fois pour toutes. No : vers 56, 58, 121, 134, 149, 190, 230. Vo : vers 19, 81, 193.) 12 Dès. 13 Dessus. Gardez la maison et vous-même. « Gardez bien tout ! » Le Povre Jouhan. 14 Vers manquant. Paour = peur, comme au vers 13. « Il n’est dame nulle qui, en sa pensée, ne vive amoureusement. Et nulle autre chose ne la restraint sinon que elle a paour de honte et de blasme. » Livre de Troïlus. 15 Nous réglerons nos comptes à mon retour. 16 Me soupçonner. La graphie de ce mot est encore plus hétéroclite au vers 44. 17 Qu’une mauvaise et maudite. 18 En moi. Même pronom picard au vers 111. 19 BM : bien tresues de oye (Transpirer de colère. Cette locution est banale en ancien français, mais inusitée en moyen français, d’où l’embarras de l’imprimeur. « Sa femme, qui d’ire tressue. » Roman du comte d’Anjou.) 20 Du mauvais lieu, du bordel. « De mon corps/ N’ay jà faict chose (…)/ Dont j’aye déshonneur et reproche,/ Car je ne suis du lieu venue. » (Pernet qui va au vin.) Ce rapprochement est signalé par André Tissier. 21 BM : maintenant (Comportée.) 22 Quoi qu’il m’en coûte. 23 BM : Ainsi (Mais je.) 24 Vous me soupçonnez mauvaisement, à tort. 25 Arrêter. 26 D’avoir des cornes de cocu. 27 Mauvaise. 28 Partez ! « Partez-moy plus tost que plus tart ! » Le Poulier à sis personnages. 29 BM : requiers (Forme picarde de l’indicatif. « Si vous requière humblement que vuilhiez recordier… » Jean d’Outremeuse.) Partez vite, je vous prie ! 30 À mon départ. « Baisez-moy, mon doulx plaisir,/ Au moins à vo département. » Le Povre Jouhan. 31 Lacune. « Je baise ung petit [un peu], nu à nue,/ Sa bouchète. » Serre-porte. 32 Les Picards prononçaient « douchette », comme ils prononçaient « douche » au vers 84. 33 Grand merci. Idem v. 234. 34 En latin, illa = par là. Cf. le Badin qui se loue, vers 278. 35 BM : repaistre (Sans flâner comme un cheval qui broute en chemin.) 36 Pour longtemps. 37 Grandement. 38 Au cas où. 39 Vêtu comme un noble et muni d’une bouteille, il se dirige vers la demeure d’Alison. 40 « Elle vous a ung corps tant gent (…)/ Et est faicte comme de cire. » Serre-porte. 41 BM : Seroit assez (« Ce seroit pour vous affoller ! » Les Hommes qui font saller leurs femmes.) 42 Mon amour. « Adieu vous dy, mon souvenir ! » Le Povre Jouhan. 43 Personne sur la route. 44 Il entre chez Alison. 45 De plaids : en peu de mots. 46 Vers manquant. Et si votre cœur n’en est pas chagriné. « Le cueur m’en deult, j’en suis marry. » Ung Fol changant divers propos. 47 Cf. le Dorellot, vers 97. 48 La collation qui fortifie les amants avant qu’ils ne passent à l’acte. Cf. Pour le Cry de la Bazoche, vers 589. 49 De. « J’ay désir/ À y aller. » Mistère du Siège d’Orléans. 50 Métonymie par laquelle la partie la plus spécifique de la femme représente la femme tout entière. « Mon con,/ Ne dictes mot ! » Colin qui loue et despite Dieu. 51 Si l’un de nous deux. 52 BM : Vous 53 En goûter une gorgée. L’Amoureux pose à côté du lit sa bouteille, non loin d’une autre qui est vide. 54 Vous vous y entendez. « Gens entenduz en cest affaire. » (Arrests d’Amours.) La question que l’Amoureux va poser montre qu’il n’a pas autant d’expérience qu’il veut le faire croire. 55 Que faut-il faire ? Le gentilhomme est un peu perdu : il n’a pas son valet pour le dévêtir et le déchausser. 56 Déshabillons-nous. Cf. la Fille bastelierre, vers 20. 57 Le gentilhomme tente de retirer tout seul ses houseaux de cavalier. Par habitude, il crie l’ordre qu’il donne à son valet pour que ce dernier le déchausse. 58 Mes menottes, mes petites mains. 59 Présence d’esprit. Double sens involontaire : Pénis. « Je ne vey aussi dur engin/ Comment il a, par mon serment !/ Ha ! il a bel entendement. » Pernet qui va à l’escolle. 60 BM : rebrousse (Aille à rebours, se retire. « Et mon sens dedens moy rebourse. » J. le Fèvre de Ressons.) Roger se rend compte que sa bourse n’est pas dans sa braguette. Sur la coutume qu’ont les hommes de cacher leur argent dans la braguette, voir Saincte-Caquette, vers 424 et note. 61 Pour me faire adouber, pour recevoir (symboliquement) des coups d’épée. « S’il n’eust tantost faict le départ,/ Je l’eusse moult bien adoubé ! » ATILF. 62 De retourner à la maison malgré moi. Le mari rebrousse chemin. 63 Je n’ai plus qu’à défaire le cordon qui attache mon haut-de-chausses à mon pourpoint. Voir la note 55. 64 Alison prend la bouteille vide, s’accroupit dessus, vêtue d’une chemise longue, et fait semblant d’uriner. Ce genre d’exhibition, dont nous verrons plus loin l’équivalent masculin, devait plaire au public ; voir les vers 179-186 de Saincte-Caquette. 65 Roger frappe à sa porte. 66 Lacune. « Holà, hau ! Ouvrez l’uys ! » Le Retraict. 67 Derrière la porte fermée. 68 Frappez moins fort. « –Holà, hau ! –Vous buquez bien fort ! » Le Retraict. 69 Ce n’est pas un bordel. BM intervertit ce vers et le suivant. 70 Hier soir. Le chaudeau flamand est un reconstituant que l’on sert aux amants qui se sont surmenés. Roger l’a d’autant plus mérité qu’il ne se mêle plus beaucoup de ces choses, comme il l’avoue au vers 225. Pour se faire ouvrir une porte, il est d’usage de fournir une « enseigne », une phrase de reconnaissance que la personne qui est derrière la porte est seule à pouvoir interpréter. 71 Je suis né à une mauvaise heure, sous une mauvaise étoile. 72 Vers manquant. Étonné = foudroyé par le tonnerre. « Je suis bien de malheure née./ Comment ! je suis toute estonnée. » Le Nouveau marié. 73 Ces jérémiades ressemblent beaucoup à celles que chevrote l’Amoureux du Retraict <vers 238-243>, qui voudrait s’abriter sous le lit de sa maîtresse. 74 La couverture qui pend de chaque côté du lit dissimulera l’Amoureux. 75 Alison ouvre à son mari, et fait semblant de s’évanouir dans ses bras. 76 Je décline. 77 BM : au rens (Depuis orains = Depuis tout à l’heure. « On t’a hideusement,/ Puis orains, brouillé le visaige. » Mahuet.) 78 BM : fermy (Ayez aussi le pied ferme. « Et de vous tous, je ne sçay qu’ung/ Où je puisse trouver pié ferme. » Pates-ouaintes.) 79 BM : bien (Roger pose sa femme sur le lit sous lequel tremble l’Amoureux.) 80 On se soignait avec des vins médicinaux, dont le plus célèbre était l’hypocras. Le vin est le remède favori de l’ivrogne Roger, comme c’est celui de l’ivrogne Pathelin : « Que j’aye une foys de bon vin,/ Ou mourir il me conviendra. » 81 BM : sur (Il fallait se confesser avant de mourir. Roger se voit déjà veuf.) 82 Vous devez choisir la bonne voie, celle qui mène au Paradis. « Quel chemin vous devez eslire. » G. de Machaut. 83 « C’est-à-dire une maladie mortelle, qui nécessite la présence d’un prêtre pour l’administration des derniers sacrements. » A. Tissier. 84 BM : icy se (La maladie d’Alison affecte son « con », sur lequel elle pose d’ailleurs la main de son mari.) 85 Mon con ne fut jamais dans un tel besoin. 86 BM : auez (Que vous devez être meurtrie.) Double sens involontaire : le verbe cauquier, forme picarde de côcher, signifie copuler. « Cons rechiniés, froissiés et desbauchiés,/ Plus effûtés [disposés] de culer et caucquier. » Jehan Molinet. 87 De mon escloi, de mon urine. « Et estoient tellement martiriiés de soif que il leur convenoit souventesfois boire leur escloyt. » (ATILF.) Alison se trompe de bouteille, et montre à Roger le vin que son amant a posé là. 88 BM : Puis le 89 Habile. 90 D’où. 91 J’y vais, dans la mesure où je m’en souviens. Roger n’a aucune mémoire : il a oublié sa bourse, et il va oublier pourquoi il a besoin d’un médecin. 92 Tout droit, rapidement. Roger sort en emportant la bouteille de vin blanc. 93 BM : il nen fault doubter. (« S’il estoit ainsi, je ne vivroye sans toy, ma Camille. » F. de Belleforest.) 94 Un peu d’urine de. Idem vers 195 et 198. Roger a oublié de mettre une boisson dans sa besace (vers 12-15). 95 « Pour boire tout d’ung traict/ Ung pot de vin. » Le Gaudisseur. 96 Quand bien même ce serait de l’eau des latrines. 97 J’en boirai malgré tout. Roger boit au goulot. 98 Vers manquant. « Cecy me semble une vessie. » Grant Gosier. 99 Quelle tentation du diable. « Quel diablerie ! » Le Prince et les deux Sotz. 100 Goûter. Il finit la bouteille. 101 BM : escouter (« A mainct godet et mainct verre esgouté. » R. de Collerye.) 102 C’est un vrai caryophyllum, une giroflée qui a l’odeur du clou de girofle et dont la décoction, prise en gargarisme, atténue la mauvaise haleine. 103 À condition. Roger est complètement ivre, ce qui explique les réactions et les paroles invraisemblables qui vont être les siennes. 104 BM : vrinee (Un si bon vin. « Mais je pisse cent foiz soir et matin…./ Tel vinée me mettra à la fin [me tuera]. » Eustache Deschamps.) 105 Votre pot de chambre. 106 Le savant. Bien avant Diafoirus, les médicastres se paraient de titres latins. 107 Roger oublie que le médecin ne pourra pas prescrire de remède s’il ne peut déterminer la maladie dont souffre Alison. Il tourne le dos aux spectateurs et urine dans la bouteille. À propos des comédiens qui pissent devant le public, voir la note 50 de la Seconde Moralité. 108 Devant chez lui. 109 Pourtant, je. 110 Scient, avisé. 111 Dans ma petite bouteille. Cf. le Villain et son filz Jacob, vers 77. 112 Dans cette ruelle. 113 BM : vie 114 BM : apporte un peu deaue (Je vous ai apporté de l’urine.) 115 Lacune. On précise toujours aux médecins, qui ne veulent pas se faire piéger, d’où provient cette urine : « C’est l’eau d’Oudin, mon bon espoulx. » Le Gallant quy a faict le coup. 116 Examinez son urine. Double sens involontaire : Pénétrez ma femme. De fait, Alison et le médecin se connaissent : vers 162-3. 117 Vers manquant. « Je vous apporte ici/ De l’urine de nostre maistre,/ Afin que vous puissiez cognoistre/ Quel mal il a. » Seconde Moralité. 118 Il tend un urinal à Roger pour qu’il y vide sa bouteille, qui n’est pas assez transparente pour être examinée. Le « médecin » qui scrute un urinal ressemble à madame Irma devant sa boule de cristal. Dans Jénin filz de rien, c’est d’ailleurs un devin qui lit dans les urines ; cet art divinatoire se nomme l’uromancie. 119 Jetez cette urine dans la rue. Le charlatan fait comme s’il y avait vu des choses qui heurtent sa morale. 120 L’amour. « Doulces fillettes/ Qui aimez bien faire cela. » Frère Guillebert. 121 Plus goutte, plus beaucoup. Roger est tellement soûl qu’il ne se rappelle plus que l’urine révélatrice est la sienne. 122 BM : en (Sans savoir. « Dans le doubte & l’irrésolution. » Jean de Silhon.) 123 BM : copault (Idem v. 245. « Coupauder : Pour faire cocu, planter des cornes. “Parce qu’il étoit sûr que sa femme ne le coupauderoit point.” » Le Roux.) Roger se parle à lui-même. 124 Roger a retrouvé quelques pièces au fond de sa braguette. 125 « Vous êtes ici chez vous. » A. Tissier. 126 Non, merci. Roger s’en va. Dans son ivresse, il oublie de réclamer un remède pour son épouse ; à moins qu’il n’ait l’intention de laisser mourir cette dépravée. 127 Vraie. 128 BM : Il fault que ien soye (Cette chanson est chantée dans Régnault qui se marie : « Et qui qu’en soit le père, tu seras le papa. ») H. M. Brown <nº 273> n’a pas repéré la présente occurrence. 129 BM : nulz (Sans nul except : sans aucune exception.) Nous pouvons donc supposer que Roger n’a pas eu d’autre femme avant Alison. 130 BM : Pourtant (Mais c’est une bonne chose que nul ne sache.) 131 Vers manquant. « M’a fait grant honte et grant diffame. » Le Ribault marié. 132 BM : Se 133 BM : atant (Et qui est si rusé. « L’omme tant fin/ Dont l’on parle tant. » La Pippée.) 134 BM : icy (Dans cette phrase, « présent » est un substantif, et non un adjectif, qui serait au pluriel.) En présent [en personne] figure dans plusieurs congés de farces : « Vous qui estes ci en présent. » Le Mince de quaire. 135 Ce vers conclut beaucoup d’autres congés de farces : les Trois amoureux de la croix, Légier d’Argent, etc.
LA RÉSURRECTION DE JÉNIN LANDORE
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LA RÉSURRECTION
DE JÉNIN LANDORE
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La Résurrection de Jénin Landore, farce normande écrite en 1516, doit beaucoup à la Résurrection Jénin à Paulme, sottie parisienne composée dix-sept ans plus tôt. Jénin à Paulme revenait de l’Enfer en parlant le dialecte picard ; Jénin Landore revient du Paradis en bredouillant du latin de sacristie.
Un jénin est un niais ; en Normandie, un landore est un endormi, un paresseux. Accessoirement « Frère Landore » est un des petits noms du pénis : « Elle avoit peur que l’on vît le Frère Landore de son mary…. Quand le petit Frère Landore sentit les mains de madame ainsi le toucher & manier, commence à lever la teste. » (Les Délices de Verboquet.) Dans notre farce, Jénin Landore est surtout un soûlard : il est entré dans un coma éthylique si profond qu’on le croit mort, alors qu’il n’est qu’ivre mort. Et il rêve qu’il est au paradis. L’auteur de la farce a visiblement lu la 6ème des Cent Nouvelles nouvelles :
–Si à ceste heure je mouroye, n’yrois-je pas en Paradis ? dit l’yvroigne. –Tout droit, tout droit, sans faillir, dit le curé…. Ilz perceurent ce bon yvroigne, couché comme s’il fust mort, les dens contre la terre…. Si le prindrent par teste, par piéz et par jambes, et tout en air le sourdirent et tant huchèrent1 qu’il ouvrit les yeulx. Et quand il parla, il dist : “–Laissez-moy, laissez ; je suis mort. –Non estes, non, dirent ses compaignons. Il vous en fault venir avecques nous. –Non feray, dist l’yvroigne. Où yrois-je ? Je suis mort et desjà en Paradis. –Vous vous en viendrez, dirent les aultres : il nous fault aller boire. –Boire ? dit l’autre. Jamais ne buray, car je suis mort…. –Si vous porterons en terre sur nostre chariot, au cimitère de nostre ville, ainsi qu’il appartient à ung crétian ; aultrement, n’yrez pas en Paradis.” Quand l’yvroigne entendit que encores le falloit enterrer, ains2 qu’il montast en Paradis, il fut tout content d’obéyr. Si fut tantost troussé et mis dessus le chariot, où guères ne fut sans dormir…. Ce bon yvroigne fut descendu tout devant sa maison. Sa femme et ses gens furent appelléz, et leur fut ce bon corps saint rendu, qui si trèsfort dormoit que, pour le porter du chariot en sa maison et sur son lit le gecter, jamais ne s’esveilla. Et là fut-il ensevely entre deux linceux3, sans s’esveiller bien de deux jours après.
Entre les vers 45 et 84, l’auteur transpose au paradis la cinquième Guerre d’Italie (1515-1516). Chaque nation et chaque grande ville y est représentée par un saint qui guerroie contre les autres.
Source : Recueil du British Museum, nº 24. Publié à Paris par Nicolas Chrestien, vers 1550.
Structure : Rimes plates, avec 3 triolets.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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*
Farce nouvelle trèsbonne
et fort joyeuse de
la Résurrection
de Jénin Landore
*
À quatre personnages, c’est assavoir :
JÉNIN [LANDORE]
SA FEMME
LE CURÉ
et LE CLERC
.
LA RÉSURRECTION
DE JÉNIN LANDORE
*
LA FEMME 4 commence SCÈNE I
Or est-il mort, hélas, hélas,
Jénin Landore, mon mary,
Mon espoir, mon bien, mon soulas5 !
Or est-il mort, hélas, hélas !
5 Quand m’en souvient, je pers esbas6,
Et ay le cueur triste et marry.
Or est-il mort, hélas, hélas,
Jénin Landore, mon mary !
LE CURÉ
Quand il estoit ensepvely7,
10 Il demandoit au clerc à boire8.
LE CLERC
Toutesfois, il est mort.
LA FEMME
Las9, voire !
LE CURÉ
Il mourut de soif10.
LA FEMME
Se fist mon11.
LE CURÉ
S[i] estoit un bon biberon12 :
En son voirre13 ne laissoit rien.
LE CLERC
15 De cela, vous ressembloit bien :
Car voluntiers vins alloit tâtant14.
LA FEMME
Failloit-il, puisque l’aymois tant,
Que Mort le vînt ainsi abatre ?
LE CURÉ
Il estoit assez bon folastre.
20 Et se, marchoit de bon bïes15.
.
JÉNIN LANDORE 16 SCÈNE II
Bona [journus ! Bona dïès !]17
C’est à dire, en latin : « Dieu gard18 ! »
Retirez-vous ! À part, à part19 !
J’en viens, j’en viens, j(e) y ay esté.
LA FEMME
25 Qu’esse icy ? Bénédicité !
Nostre Dame de Réconfort !
JÉNIN
C’est vostre mary.
LA FEMME
Il est mort.
Jamais ne fus si esbahye !
JÉNIN
Je suis mort, et je suis en vie,
30 Tout aussi vray que je le dis.
LA FEMME
D’où venez-vous ?
JÉNIN
De Paradis.
Qu’esse icy ? C’est trop quaqueté.
Mon suaire en ay apporté.
Et suis passé par Purgatoire20.
LA FEMME
35 Vous n’estes point Jénin Landore ;
Ne sçay que faire icy venez.
JÉNIN
Si suis-je Jénin par le nez,
Et Landore par le menton21.
LE CURÉ
C’est luy, sans autre.
JÉNIN
Se suis mon22.
LA FEMME
40 Si, ne veulx-je pas qu’il me touche !
JÉNIN
Si je voulois ouvrir la bouche,
Je vous dirois bien des nouvelles.
LA FEMME
Et ! je vous prie, dictes-nous quelles :
Icy, rien celer ne vous fault.
JÉNIN
45 J’ay veu faire un terrible assault.
LE CURÉ
Y a-il eu quelque meschef23 ?
JÉNIN
J’ay veu sainct Pierre à tout sa clef24 ;
Et sainct Paul25 à tout son espée,
Qui avoit la teste coupée
50 À sainct Denys26, se luy sembloit27.
Et sainct Françoys28 les combatoit,
Frappant sur eulx, patic patac29.
Alors y arriva sainct Marc30,
Qui trèsbien secoua leur plisse31.
55 Puis vint sainct Jacques en Galisce32,
À tout sa chappe33 bien doublée.
Quand Dieu vit toute l’assemblée
Ainsi frapper, il est notoire
Qu’à sainct Françoys donna victoire34.
60 Mais je m’en vins, de paour35 des coups.
LE CURÉ
Jénin Landore, dictes-nous
[Ce] que faisoit alors sainct George36.
JÉNIN
Il n’estoit point en bonne forge37,
Car il craignoit fort l’intérest38.
LE CURÉ
65 Ainsi, comme il nous apparoist,
Il y eut terrible bataille ?
JÉNIN
Il falut39 clorre la muraille
De Paradis soubdainement.
Autour a esté seurement
70 Plain de Suysses et lansquenetz40
Qui eussent fait, je vous prometz,
Terrible guerre en Paradis,
Tous aussi vray que je le dis !
Dieu leur fist, plus tost que plus tart,
75 À chascun un Paradis à part,
Car de long temps hayent41 l’un l’autre.
LE CLERC
Tout beau ! il y a de la faulte42
[Dans ce que vous dictes. Tout beau !]
C’est donc un Paradis nouveau,
80 Fait et construyt nouvellement ?
JÉNIN
Or c’est mon, [dea], par mon serment !
Mais ainsi qu’on s’entrebatoit,
Sainct Laurens43 [veis], qui s’esbatoit
À rostir sus son gril Souÿsses
85 Tout ainsi qu’on fait les saulsices
À une taverne, en yver.
Garde n’avoys de m’y trouver !
LE CURÉ
Raison ?
JÉNIN
Je crains trop coups de picques44.
LA FEMME
Dictes-nous sans plus de réplicques
90 Que c’est de Paradis.
JÉNIN
[Hélas !]
Je vous prometz que ce n’est pas
Ainsi comme le temps passé
[On voyoit.]
LE CLERC
C’est bien dist, Massé45 !
Raison46 ?
JÉNIN
Il n’est47 rien qui [ne] change :
95 Soubz les piedz de sainct Michel l’ange48,
A une femme en lieu d’un diable.
LE CURÉ
Cela n’est pas bien convenable.
JÉNIN
Si est-il ainsi demidieulx49…
Il y a sainct Benoist le vieulx50
100 Qui tient bien la Loy ancienne ;
Mais certes, sainct Benoist le jeune51
De l’Église ne prent plus soing :
Il porte l’oyseau sur le poing52
Et contrefait du gentilhomme,
105 Et trenche du bragard53.
LE CURÉ
En somme,
Jénin Landore en parle bien.
JÉNIN
J’en puis bien parler, quand j’en vien(s)
Tout aussi droit qu’une faucille54.
Se j[e n’]eusse esté bien habille55,
110 Je ne fusse pas retourné56.
LA FEMME
Avez-vous long temps séjourné
En Paradis ?
JÉNIN
Certes, m’amye.
Je vous prometz qu’i n’y ennuye
Non plus que quand on est à table.
LE CURÉ
115 Je croy bien qu’il est véritable,
Et qu’on n’y endure nul mal.
JÉNIN
Sainct Christofle57 y va à cheval.
LE CLERC
Sainct Martin58, qu’esse que de luy ?
JÉNIN
Il va à pied, pour le jourd’huy.
LA FEMME
120 Dictes qu’i faisoient les apostres.
JÉNIN
Ilz disent tous leurs patenostres59.
LE CURÉ
En Paradis, fait-on excès ?
JÉNIN
Il n’y a ne plet60, ne procès,
Colère61, envie ne débat.
125 Car il n’y a qu’un advocat62 ;
Parquoy il n’y fault nulx plaideurs.
LE CLERC
Combien y a-il de procureurs ?
Dictes-nous s’il y en a point.
JÉNIN
Ma foy, je n’en mentiray point,
130 Je le diray devant chascun :
Je n’en y ay pas veu [mesme] un.
La vérité vous en raporte.
Il en vint un jusqu(es) à la porte ;
Mais quand vint à entrer au lieu,
135 Il rompit tant la teste à Dieu
Qu’on le chassa hors de léans63.
LE CLERC
Çà, Jénin : quand est de sergens64,
Paradis en est bien pourveu ?
JÉNIN
Corbieu ! je n’y en ay point veu.
LE CURÉ
140 Tout fait, tout dit et tout comprins,
Quelque chose y av’ous65 aprins ?
JÉNIN
C’est66 mon, dea.
LE CURÉ
Or nous l’aprenez !
JÉNIN
J’ay aprins… Si, le retenez,
Mais [à chascun] faictes silence.
145 [J’ay aprins…]
LE CLERC
Quoy ?
JÉNIN
Une science.
LA FEMME
Quelle ? Ne la vueillez celer !
JÉNIN
Garder les femmes de parler
Quant je veulx.
LE CURÉ
C’est une grand chose,
Par l’âme qui en moy repose !
150 Je [le] verrois voluntiers l’usage.
JÉNIN
Voyre ?
LA FEMME
Et comment Jénin ?
JÉNIN
Baillez-leur à boire :
Car je croy, tandis qu’ilz bevront67,
Qu(e) alors point ilz ne parleront68.
Il est tout vray, la chose est telle.
LE CLERC
155 Quelle autre science nouvelle
Sçavez-vous, Jénin ?
JÉNIN
J’en sçay bien une :
Je dis bien la bonne fortune69
Des gens sitost que voy leurs mains.
LE CLERC
Est-il vray ?
JÉNIN
Tout ne plus ne moins,
160 Voire, par sainct Pierre l’apostre !
Curaté 70, monstrez-moy la vostre
Hardiement !
LE CURÉ
Tenez, beau sire :
[Voicy livre ouvert pour y lire.]71
JÉNIN
Je voy ce que [dire je n’ose]72…
LE CURÉ
165 Je vous avoue que l’on propose73
Tout ce qu’on vouldra proposer.
JÉNIN
Pour la vérité exposer,
Vous estes yreux74 et gourmant ;
Parquoy vous vivrez longuement.
170 Et si, aymez le féménin75,
Et appétez76 boire bon vin.
Ailleurs ne vous voulez esbatre77.
LE CURÉ
Dieu met en mal an78 le folastre !
JÉNIN
Tibi soli 79 !
LA FEMME
Et dea, Jénin !
175 Qu’esse-cy ? Vous parlez latin ?
Je ne puis entendre voz dis80.
JÉNIN
C’est du latin de Paradis
Qui m’avoit enflé tout le corps ;
Se ne l’eusse bouté dehors,
180 Crevé fusse, pour tout certain.
LE CLERC
Çà, çà, regardez [en] ma main !
JÉNIN
Que tu es une bonne beste !
LE CLER[C]
Dea ! Jénin, vous hochez la teste ?
JÉNIN
C’est pour le sang de ma servelle,
185 Qui dedans ma teste se mesle,
Car mon engin81 est trop subtil.
LE CLERC
Sus ! que suis-je ?
JÉNIN
Poisson d’apvril82.
LE CLERC
Poisson d’apvril ?
JÉNIN
Voylà le cas.
LE CLERC
Et, voire ! Mais je n’entens pas
190 Que c’est à dire.
JÉNIN
Voicy rage !
Quand on met une pie en cage83,
Que luy aprent-on de nouveau
À dire ? Parle !
LE CLERC
« Macquereau. »
JÉNIN
Clericé 84, tu es tout gentil
195 Macquereau : c’est poisson d’apvril.
Ainsi es-tu, je le te jure.
La fin de ta bonne adventure,
C’est que tu aymes long repos.
LA FEMME
Or çà, mon amy : quelz propos
200 Direz-vous [maintenant] de moy ?
JÉNIN
[Ostez vostre main,] par ma foy !
Je ne veulx rien sçavoir, ma femme,
De paour de trouver quelque blasme ;
Car s’en voz mains je regardoye,
205 Peult-estre que je trouveroye
Quelque cas qui me desplairoit.
Et puis…
LA FEMME
Et puis quoy ?
JÉNIN
Jénin se tairoit.
LA FEMME
En85 auriez-vous bien le courage ?
JÉNIN
Ma foy, ma femme, un homme sage
210 Ne s’enquiert jamais de sa femme
Que le moins qu’il peult.
LE CURÉ
C’est la game86 ;
Cela évite mains courroux.
LA FEMME
Jénin, quel(le) science avez-vous
Encor(es) aprins en Paradis ?
JÉNIN
215 Se vous n’estes tous bien hardis87,
Belle paour vous feray tantost.
LE CLERC
Et comment ?
JENIN
Or ne dictes mot,
Et vous verrez chose terrible :
Car je me feray invisible
220 Quand je veulx, plus n’en fault enquerre.
Voicy les rethz88 de quoy sainct Pierre
Et sainct Andry peschent tous deux.
LE CLERC
Je vous en croy bien, par mes dieux89 !
Vous sçavez procurer vostre cas90.
JÉNIN 91
225 Ma foy, vous ne me voyez pas,
[Maintenant, et je vous voy bien.]
LE CLERC
Mais dis-nous où c’est92 que tu vas.
[ JÉNIN
Ma foy, vous ne me voyez pas.
LE CURÉ
Où estes-vous, Jénin, hélas ? ]
JÉNIN
230 Le corps bieu ! vous n’en sçaurez rien.
Or sus ! Vous ne me voyez pas,
Maintenant, et je vous voy bien.
LA FEMME
Dea ! Jénin Landore, combien
Serez-vous bien en ceste mode93 ?
JÉNIN
235 Autant que fut le roy Hérode
À décoler les Innocens94.
Ennuict95, verrez que par mon sens
Auray bruyt entre les hardis96.
LE CURÉ
Gens qui viennent de Paradis,
240 Sans faulte, sont tous invisibles ?
LA FEMME
On ne voit point, sans contredis,
Ceulx qui viennent de Paradis.
JÉNIN
Bon jour ! Bon soir ! Adieu vous dis !
LE CLERC
Jénin fait choses impossibles.
LE CURÉ
245 Ceulx qui viennent de Paradis,
Sans doubte, sont tous invisibles97.
JÉNIN
Je ferois des choses terribles,
Se j’estoys un peu reposé ;
Adieu vous dis : je prens congé98.
.
FINIS
*
1 Ils le projetèrent et tant l’appelèrent. 2 Avant. 3 Enveloppé entre deux draps. Voir le vers 9 de la farce. 4 Jénin Landore, couvert d’un linceul, repose sur son lit, au milieu de la scène. La veillée funèbre réunit sa femme, le curé, et le clerc du curé. On songe aux Vigilles Triboullet où, pendant sa veillée funèbre, ledit Triboulet fait le pitre dans son cercueil ouvert. Jody Enders* pense que le triolet initial est chanté, ce qui ne serait certes pas un cas unique. *Immaculate Deception and Further Ribaldries, University of Pennsylvania Press, 2022, p. 379. 5 Mon réconfort. 6 Mes ébats : ma joie. Mais aussi, mes ébats sexuels. 7 Pendant qu’on l’enveloppait dans un linceul. Voir la note 3. 8 Triboulet réclamait encore à boire après sa mort : cf. les Vigilles Triboullet, vers 297-299. 9 BM : Helas 10 Encore un souvenir de Triboulet : « Or est-il mort et trespassé ;/ Mais se c’est de soif, je ne sçay. » Les Vigilles Triboullet. 11 C’est ce qu’il fit, oui. La particule de renforcement « mon » revient aux vers 39, 81 et 142. 12 Buveur, du latin bibere [boire]. « Les bons biberons/ Qui du bon vin font mouillerons. » Troys Galans et un Badin : dans cette sottie normande, un Badin alcoolique a rêvé qu’il était « Dieu en Paradis ». La peinture qu’il fait de ce lieu dont les sergents et les femmes bavardes sont exclus diffère peu de celle qu’en fait Jénin. 13 Verre. 14 Goûtant. Le curé aime boire, d’après le vers 171. 15 Il marchait en biais, en zigzaguant. « L’une tout droit, et l’autre de biès. » ATILF. 16 Il reste allongé sur le lit. 17 BM : dies bona iournus / A dechifre par les menus (Les deux hémistiches ayant été inversés, l’éditeur a cru devoir ajouter un vers pour la rime.) Les salutations de collégiens bona dies et bona journus se lisent aux vers 34-36 de Serre-porte. 18 Que Dieu vous garde ! 19 Arrière ! « À part, à part !…./ Faiz, à coup, de ce lieu départ ! » (André de La Vigne.) Jénin se met debout, avec le suaire sur la tête. 20 Il faut rétablir la rime normanno-picarde purgatore : voir la note 85 du Bateleur. 21 Les comédiens qui jouaient un rôle d’alcoolique avaient le nez peint en rouge. Lever le menton = boire. 22 Je le suis vraiment. Voir la note 11. 23 Quelque événement fâcheux. 24 Avec sa clé. Les clés de saint Pierre symbolisent la papauté. (Voir Frère Fécisti.) Pierre est donc le représentant du pape Léon X. 25 Un des protecteurs de Rome. Bien que l’épée soit un de ses attributs, ce n’est pas lui qui décapita saint Denis ; il s’est juste contenté de lapider saint Étienne. 26 Protecteur des rois de France, qui se firent longtemps sacrer et inhumer dans sa basilique. L’art médiéval le montre debout après sa décapitation, portant sa tête dans ses mains. 27 Du moins, il le croyait. 28 François Ier. À peine monté sur le trône, il voulut s’arroger le duché de Milan. 29 Onomatopée courante. Cf. le Résolu, vers 21. 30 Protecteur de la république de Venise, qui était alors aux côtés de la France. Rappelons que la bataille de Marignan n’est pas une victoire de la France contre l’Italie, mais une victoire des Vénitiens contre les Suisses. 31 Leur pelisse. 32 Saint Jacques de Compostelle, protecteur de l’empire espagnol, représente Ferdinand II d’Aragon. 33 Avec sa « cape à l’espagnole ». 34 À Marignan, le 14 septembre 1515. 35 De peur. Idem vers 203 et 216. 36 Protecteur de l’Angleterre. Pendant que la France perdait ses forces en Italie, Henri VIII faisait la guerre à la France. C’est bien le seul monarque auquel les guerres d’Italie auront profité ! 37 « Gens de bonne forge : People (…) of an honest disposition. » Cotgrave. 38 Des retombées préjudiciables. 39 BM : fault 40 De mercenaires suisses et allemands. 41 Depuis longtemps ils se haïssent. 42 « Et jà soit que communément l’on estime les gens de pied souysses et les [in]fanteries hespaignolles estre invincibles, ce nonobstant, en tous les deux il y a de la faulte, qui pourroit estre cause qu’une ordonnance mieulx bastye les pourroit surmonter et deffaire. » (Jacques de Vintimille.) Le vers suivant est perdu. 43 Il fut martyrisé sur un gril. Ce plaisantin demanda au bourreau de le retourner pour que l’autre côté puisse cuire également : « Tu as rosty une partie/ De mon corps…./ Mais tourne-moy premièrement/ De l’autre part ! » Mistère de sainct Laurens. 44 On pique les saucisses pour les empêcher d’éclater en grillant. 45 Expression d’origine obscure, dont on connaît une autre variante : « Il a dit vray, Macé ! » Le Capitaine Mal-en-point. 46 BM : La raison. (La même question sans article figure en tête du vers 88.) 47 BM : nya (Tout change.) Les deux négations s’annulent : « Or n’est-il riens qui ne me faille. » La Confession du Brigant au Curé. 48 Cet archange guerrier foula aux pieds un dragon. 49 « (Ilz) devienent, d’hommes, saincts ; & de saincts, demidieulx. » Jacques Amyot. 50 Benoît de Nursie est toujours peint avec un livre contenant la « règle bénédictine ». 51 Benoît d’Aniane, conseiller des rois. Il faut rétablir la rime normande jenne : « Hélas ! jenne bru crestïenne,/ Vous avez la chair tendre et jenne. » Les Brus. 52 Il chasse avec un épervier, comme les nobles. 53 Il fait l’élégant. Cf. le Pauvre et le Riche, vers 267. 54 « Droit comme une faucille : de travers. » (Antoine Oudin.) Cf. Maistre Jehan Jénin, vers 273. Jénin est revenu du Paradis en zigzaguant. 55 Habile. 56 Revenu. 57 Saint Christophe allait toujours à pied. 58 Ce légionnaire romain est souvent portraituré à cheval. « Car si j’alloye en Paradis/ À cheval, comme fist jadis/ Sainct Martin et aussi sainct George. » Le Franc-archier de Baignollet. 59 Ils égrènent leur chapelet : ils se tournent les pouces, n’ayant plus rien à faire. 60 Ni plaidoiries. 61 BM : Guerre (Nous avons vu que l’endroit est fort belliqueux.) 62 Il s’agit bien sûr de saint Yves. 63 De là-dedans. 64 En ce qui concerne les sergents. Sur ces bandits que tout le monde détestait, voir les vers 469-472 du Testament Pathelin. 65 BM : auez vous (Sur cette contraction normande, cf. Messire Jehan, vers 61 et 295.) Y avez-vous appris. 66 BM : Say (Voir le vers 81.) C’est mon avis. 67 Qu’elles boiront. « Ils », forme normande de « elles », se retrouve au vers suivant. 68 La Médecine de maistre Grimache propose le même traitement : « Si vostre femme brait et crie, (…)/ Envoyez-luy quérir foison/ De bon vin, quoy que couster doyve ;/ Et je vous dy que par raison,/ Ne criera point tant qu’elle boyve. » 69 BM : aduenture (Je lis dans les lignes de la main. « Une femme appellée Semnon, qui se mesloit de dire la bonne fortune. » Blaise de Vigenère.) 70 Curé. On lit ce latinisme au vers 34 de la Confession du Brigant au Curé. 71 L’éditeur a supprimé un vers parce qu’il croyait avoir ses deux rimes en -ire. 72 BM : ie nose dire (« En devisant de toutes choses/ Et aultres dont dire je n’oses. » La Fille esgarée.) 73 J’accepte qu’on expose, qu’on énonce. 74 BM : yure (Sujet à l’ire, coléreux.) On notera que ce curé pratique assidûment plusieurs péchés mortels. 75 Le sexe féminin. « Pour contenter le féményn. » Mallepaye et Bâillevant. 76 Vous cherchez à. 77 Vous ne voulez rien faire d’autre. 78 Que Dieu mette en mauvaise année, en malheur. 79 Contre toi seul. Extrait du Psaume 51. 80 Comprendre vos paroles. Jénin en est tout de même à sa quatrième citation latine. Sa femme en a d’ailleurs commis une au vers 25. 81 Mon esprit. 82 « Poisson d’avril : Macquereau. Parce que d’ordinaire, les macquereaux se prennent & se mangent environ ce mois-là. » (Oudin.) Cf. le Povre Jouhan, vers 76 et note. 83 On mettait cet oiseau parleur en cage pour lui apprendre à traiter les visiteurs de maquereaux. Cf. la Mauvaistié des femmes, vers 33-37 et note 13. 84 Clerc (latinisme). Dans Régnault qui se marie, le clerc du curé s’appelle Clericé. 85 BM : Et (Il est vrai que Jénin est plus bavard que ses trois comparses réunis : la recette qui consiste à faire boire les femmes pour qu’elles se taisent ne fonctionne pas sur les hommes.) 86 C’est la bonne manière d’agir. 87 Courageux. Idem vers 238. 88 Les rets, le filet. Pierre et son frère André pêchaient au filet dans le lac de Tibériade. Jénin désigne le linceul qu’il a sur la tête. 89 Le clerc du curé emploie un juron musulman. « Par mes dieux, crestien, tu me parles de grant folie ! » Croniques et Conquestes de Charlemaine. 90 Avancer votre affaire. « Il m’a procuré/ Aulcun cas. » Le Munyer. 91 Il se recouche et remet sur lui le linceul. Le triolet 225-232 est bancal, contrairement à celui de 239-246. 92 BM : esse 93 Combien de temps resterez-vous invisible ? 94 À faire décapiter les enfants qui avaient moins de 2 ans. « C’est un Inocent inocent :/ Sy le roy Hérodes le sent,/ Y luy fera couper la teste. » (Troys Gallans et Phlipot.) La fête des Saints-Innocents, le 28 décembre, était plus connue sous le nom de Fête des Fous. 95 Anuit, aujourd’hui. 96 J’aurai une bonne réputation parmi les gens courageux. 97 « J’ay choses quasi impossibles :/ J’ay pour faire gens invisibles. » Maistre Doribus. 98 Il se met à ronfler bruyamment.
LE SOURD, SON VARLET ET L’YVERONGNE
*
LE SOURD, SON
VARLET ET
L’YVERONGNE
*
.
Comme tous les hommes affligés d’un handicap, les sourds étaient des personnages providentiels pour les auteurs comiques : la farce du Gouteux en montre deux, qui malmènent un infirme ! Les ivrognes étaient aussi de bons clients : l’auteur de cette parade normande a fait appel à des valeurs sûres. Des points communs existent entre cette farce et l’Aveugle, son Varlet et une Tripière.
Source : Manuscrit La Vallière, nº 21. Cette pièce est en bien meilleur état que les autres : elle n’avait pas eu le temps de circuler beaucoup quand on l’a copiée, vers 1575.
Structure : Rimes plates.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
.
*
Farce nouvelle
À troy[s] personnages, c’est asçavoir :
LE SOURD
SON VARLET
et L’YVERONGNE
.
*
LE SOURD 1 commence SCÈNE I
Or çà ! Y fault que je m’aplicque
À trouver moyen et praticque
De gaigner quelque peu d’argent.
Mon varlet !
LE VARLET 2
Je suys diligent
5 Quant vous m’apelez. Que vous plaist ?
[Ne] fais-je pas bien le souplaist3 ?
LE SOURD
Laisse4 ta besongne et t’avance !
Entens-tu5 ?
LE VARLET
Ouy dea, c’est dimence6
Que nous irons à la grand-messe.
LE SOURD
10 Ne t’ai-ge pas faicte promesse
De t’abiller ? Tu seras brave7.
LE VARLET
Par Dieu ! ce ne sera que bave8 :
Sai-ge pas bien quant vous mentez ?
LE SOURD
Assez souvent me contentez,
15 Mais…
LE VARLET
Ouy, ouy : [Metz9], c’est en Loraine !
LE SOURT
Devant qu’en passe la sepmaine10,
Y tombera quelque advanture11.
LE VARLET
Vous me donrez vostre saincture12,
Je le sçay bien.
LE SOURD
Je te feray
20 Un riche homme, et [te] donneray
De l’argent.
LE VARLET
Gardez-lay13 pour vous.
LE SOURT
Quoy ? Qu’esse-là ? Me bastrez-vous ?
A ! je ne m’y accordes pas.
LE VARLET
Escoustez !… Il ne m’entent pas14 ;
25 Il est sourt, en ? Que vous en semble ?
Jamais nous n’acordons ensemble :
Cela me rompt tant le cerveau15 !
LE SOURD
Ouy ! mon varlet m’apelle veau,
Badin, badault, ainsy qu’i veult.
30 A ! par ma foy, le cœur me deult16
Tèlement qu’i vous fauldra…
LE VARLET
Quoy ? Quoy ?
Je vous feray taire tout quoy17,
À ce jourd’uy, sy je m’enpongne18 !
LE SOURD
J’entens bien : c’est vostre besongne
35 Qui est aucune foys19 bien faicte,
Aucune foys el est mal faicte.
Mais je n’en parles pas.
LE VARLET
Non, non,
Y ne fault poinct tant de sermon :
Payez-moy, et je m’en iray.
LE SOURT
40 J’entens bien20 : je vous aymeray
Autant qu’il y ayt sur terre homme,
Mais que tu fasses ta besongne.
LE VARLET
Le deable en emporte le sot !
LE SOURD
Pendant qu’il y aura au pot
45 Du vin, a ! nous burons d’audace21.
LE VARLET
Y conviendra vuyder la place22,
Car il ne vient poinct à propos23.
LE SOURD
Ouy dea, nous en aurons deulx pos
Pour nous donner dessus l’oreille24.
LE VARLET
50 Qui vit jamais raison pareille ?
Je n’y trouve sens ne raison.
LE SOURD
Je vuyderay de ma maison ?
Et ! par la chair bieu, non feray !
LE VARLET
Le sang bieu ! je me fascheray
55 De vivre en un tel desconfort.
LE SOURT
Dictes que vous estes sy fort ?
LE VARLET
Je vous feray la teste fendre25 !
LE SOURD
Ouy, ouy, je me says bien deffendre
En un besoing, tant hault que bas !
.
L’YVRONGNE entre 26 SCÈNE II
60 Hau ! [hau !] Tarabin, tarabas27 !
En ! Qu’esse ? [Holà,] hau ! l’ôtesse28,
Venez cy ! Respondez ! En ! Qu’esse ?
N’aron-nous poinct encor pochine29 ?
.
LE VARLET SCÈNE III
Ne vous, ne luy, ne sa vouésine,
65 Ne son vouésin Pierre, ou Guillot,
Trubert, Lambert, Roger, Phlipot,
Jehan, Jénin, Jouan ou Janote,
Périn, Pérot, Pierre, Pérote
Ne me feront nul desplaisir !
LE SOURD
70 J’entens bien que me faictes plaisir30
De besongner, à ma boutique !
Bren31 pour vous !
LE VARLET
Ouy dea : je pratique
Soublz vous, et vous [aussy] soublz moy32…
Mais ne vivons plus en esmoy.
.
L’YVRONGNE SCÈNE IV
75 Bon boyre faict33. Et puys, quel bruict34 ?
Que dict-on de moy ? Fais-je bruict
Pour avoir crédict, sur les champs35 ?
.
LE SOURD SCÈNE V
Besongnons !
.
L’YVRONGNE 36 SCÈNE VI
Dieu gard les gallans !
Et puys, qui veult payer d’un pot ?
80 Sera-ce toy ?
LE VARLET
Ne me dis mot,
Par bieu : je suys furelufé37 !
L’YVRONGNE
Et ! comment ? Qui t’a escauffé38 ?
Qu’as-tu ? Qui t’a mis en [tel] colle39,
Dy : asse esté maistre Nicolle40 ?
85 Es-tu de couroulx relié41 ?
LE VARLET
Je suys [triste et fantasié]42.
Mon maistre, ce sourdault43 icy,
M’a de deuil tout mys en soucy.
L’YVRONGNE
Va, va, ne te cou[rou]ce poinct.
90 Chantons fleurtis44 ou contrepoinct,
Et puys je vous apaiseray.
LE VARLET
Pour luy, poinct [je] ne me tairay45 !
Mauldict soyt-il qui se taira46 !
[LE SOURD] 47
Quoy ? Dict-il pas qu’i me bastra ?
95 Y n’oseroyt !
LE VARLET
Voécy pour rire !
L’YVRONGNE
Par bieu ! vous érez bien du pire48.
Taisez-vous !
LE SOURD
Je vous ayme bien,
Car vous estes homme de bien,
Sage et entendeu.
L’YVRONGNE
Mot ! Silence !
100 Apaisez-vous, car quant je pence,
Noyse ne vault rien sans débat49.
LE VARLET
Y ne fault poinct tant de sabat50 !
Ventre bieu ! fault-y tant de bave ?
LE SOURD
Dieu ! il dict tousjours que je bave :
105 A-il pas tort ?
L’YVRONGNE
Mais il a droict !
LE SOURD
Et ! vraiment, quant il y fauldroict51,
Je ne veulx pas qu’il prengne peine.
LE VARLET
Il ne veult sa fièbvre quartaine !
L’YVRONGNE
Chantons, et laissons tout cecy.
LE SOURT
110 Mort bieu ! dis-tu que j’ey vessy52 ?
À mort ! [À mort53 !]
L’YVRONGNE
À vie ! [À vie !]
LE VARLET 54
Par la chair bieu ! je vous deffye :
Sy vous causez, vous estes mort !
L’YVRONGNE
Corps bieu ! dictes-vous que j’ey tort ?
LE SOURD
115 Hélas, [pour moy] laissez-lay vivre55 !
LE VARLET 56
Frapons tous deulx sur cest homme yvre :
Il est cause de noz débas.
Frapons, tarabin, tarabas57 !
N’espargnons poingz58 : il a bon dos.
L’YVRONGNE
120 Le deable en emporte les sos59 !
Et ! laissez-moy, de par le deable !
Tout doulx, tout doulx ! Ce n’est pas fable60 :
Vous frapez à bon essien61.
LE VARLET
Laudez, laudez ce passien62
125 Sans l’espargner !
[ LE SOURD
Frapons63 ! ]
L’YVRONGNE
Tout doulx !
Et ! comment ? [Dea !] vous moquez-vous ?
Au lieu de paix, suys en souffrance.
LE VARLET
Onques on ne veist dedens France
Gens sy meslés comme nous sommes.
.
L’YVRONGNE 64 SCÈNE VII
130 Vertu bieu ! je porte les sommes65.
[Qui qu’ayt]66 chanté, j’ey respondu.
Mais content suys d’estre tondu67
Sy jamais en un tel sabat,
[Parmy ce]68 tumulte ou débat,
135 [Je reviens ! Lors,] je m’en remue69.
.
LE VARLET SCÈNE VIII
[Poinct n’en aurons brèfve venue…]70
Nostre cas71 est très fort meslé.
Que nous avons bien querellé !
.
Mais je conclus, comme il me semble,
140 Q’un yvrongne et un sourd ensemble
Ne peult durer : car l’un est sourd,
Et l’aultre, langaige luy sourd72.
Le sourd ne peult pas bien oÿr,
Et l’autre se veult resjouir.
145 Et pour conclure la matière,
Une chanson voulons chanter,
Affin que vous ayez manière
D’aveques vous chagrin chasser.
En prenant congé de ce lieu,
150 Une chanson pour dire adieu ! 73
.
FINIS
*
1 Il exerce la profession de potier d’étain. L’auteur met en scène l’expression « être sourd comme un pot ». 2 Le Valet, i. e. l’ouvrier, travaille devant son établi. 3 Le souple, le lèche-cul. « Encor ferai-ge le souplaist. » (Frère Phillebert.) Cet aparté s’adresse au public. 4 LV : fais 5 Le Sourd a une prédilection pour le verbe « entendre » : vers 34, 40, 70, 99. 6 Prononciation normande de « dimanche » : cf. les Povres deables, vers 93. Le Valet s’amuse à entamer un dialogue de sourds. 7 Élégant, grâce aux habits que je vais t’acheter. « Estre braves en accoustremens. » Godefroy. 8 Du bavardage, des promesses en l’air. 9 La ville de Metz se prononçait « mè », d’où le jeu de mots sur mais. 10 « Avant que passe la sepmaine. » Les Sotz fourréz de malice. 11 Nous ferons une bonne affaire. 12 Vous me donnerez des coups de ceinture. 13 Gardez-le, vous êtes plus miteux que moi. Le pronom normand « lay » reparaît au vers 115. Le Sourd comprend quelque chose comme « frapperai sur vous ». 14 Le Valet se tourne vers le public. 15 « Vous vous rompez tout le cerveau. » Testament Pathelin. 16 Me fait mal, du verbe douloir. 17 Tout coi. « S’y ne veult se taire tout quoy. » Les Sobres Sotz. 18 Si j’en prends la peine. 19 Parfois. 20 Quand on leur réclame de l’argent, les sourds mettent en application ce proverbe : « Il n’est point de plus maulvais sours/ Que ceulx qui ne veullent ouÿr. » Le Gouteux. 21 Nous boirons de bon cœur. 22 Il faudra que je m’en aille. 23 Il ne parle pas de mon salaire. 24 Pour nous taper sur les oreilles. Les chopes sont très larges et leur bord monte jusqu’aux oreilles du buveur. 25 LV : rendre (« Fendre la teste. » Le Faulconnier de ville.) 26 Cette didascalie marque le début d’un rôle, en non un déplacement. L’Ivrogne est toujours dans la rue ; en apercevant les chopes d’étain alignées sur la fenêtre du potier, il croit être devant une taverne. 27 Cette interjection qui marque l’exaspération peut à la rigueur se traduire par : « Allons ! » Panurge l’emploie quand il s’impatiente des réponses d’un philosophe : « –Mais conseillez-moy, de grâce : que doibs-je faire ? –Ce que vouldrez. –Tarabin, tarabas ! » (Tiers Livre, 36.) Cette locution aux multiples sens donna lieu à une chanson (v. le vers 45 des Queues troussées), et même à une farce : Tarabin, Tarabas (F 13). Ici, elle revient au vers 118. 28 Tavernière ! « Où l’hostesse est belle, le vin est bon. » Godefroy. 29 L’Ivrogne confond la chopine, et le pochin, qui est une mesure de vin différente : « Pour un pochin de vin. » Godefroy. 30 Je veux que vous me fassiez le plaisir. 31 Merde ! « Bren pour toy ! » La Nourrisse et la Chambèrière. 32 Double sens du verbe pratiquer : Je travaille sous vos ordres, et vous gagnez de l’argent grâce à moi. « Quel bien ? J’ay un pourpoinct de serge :/ C’est tout ce que j’ay pratiqué. » La Réformeresse. 33 Il fait bon boire. 34 Quelles nouvelles ? Toujours dans la rue, l’Ivrogne interroge le public. 35 Ai-je une assez bonne réputation pour qu’on me fasse crédit, en ces lieux ? 36 Il entre dans l’atelier de poterie, et s’installe à l’établi où travaille le Valet. 37 Fou furieux (normandisme). Cf. Jolyet, vers 10. « Furluféz ainchin que des coqs/ Qui ont mangé de la tôtée. » La Muse normande. 38 Qui t’a échauffé la bile (graphie normande). 39 Dans une telle disposition. « Aultrefoys m’a mis en tel colle. » Deux hommes et leurs deux femmes. 40 A-ce été le médecin ? « Qui bien dort, pisse et crolle [se remue]/ N’a mestier [besoin] de maistre Nicolle. » (Thrésor de sentences dorées.) « Tu m’affranchis de chancre et de vérole,/ De maistre Ambroise [Paré] et de maistre Nicole. » (Philippe Desportes.) Par dérision, c’est également un nom de bourreau, comme dans le Mystère des Trois Doms : « Maistre Nycolle, bourreau. » 41 LV : deslie (Atteint. « Que de la fièvre cartaine/ Puissez-vous estre relié ! » Le Povre Jouhan.) 42 LV : bisti fantarie (Il se peut que l’auteur ait écrit biscarié [en mauvais état] : « Je suys toute biscariée. » Le Povre Jouhan.) Je suis perturbé. « –Vous me semblez fantasiée./ –Je suys avec vous sy troublée ! » Deulx Gallans et Sancté, LV 12. 43 Ce sourdingue. Cf. le Gouteux, vers 25, 37 et 265. 44 Des fioritures, des ornements du plain-chant. « Réprouvant les fleuretis en la musique. » Godefroy. 45 LV : mectreay 46 LV : bastra (À la rime.) 47 LV : liurongne 48 Vous aurez bien pire. Il parle au Sourd qui, pour une fois, croit entendre une phrase positive à son égard. 49 Même proverbe dans Guillerme qui mengea les figues et dans le Pèlerinage de Mariage. 50 De tumulte, d’agitation. Idem vers 133. 51 Quand bien même mon ouvrier y manquerait (à se fatiguer en travaillant). 52 Que j’ai pété. Le Sourd tape sur l’Ivrogne. 53 Le manuscrit que le copiste a recopié ne dupliquait pas les interjections, sachant que les comédiens le feraient naturellement. Voir le second hémistiche et le vers 60. 54 À l’Ivrogne. L’ouvrier prend le parti de son patron. 55 Laissez-le-moi vivant ! 56 À son patron. 57 Allons ! Voir la note 27. 58 LV : poinct (Nos poings.) 59 Les sots. Voir le vers 43. 60 LV : paille (Ce n’est pas une blague. « Ce que je dis, ce n’est pas fable. » Guillerme qui mengea les figues.) Cf. l’Antéchrist, vers 220. 61 Vraiment. Cf. l’Avantureulx, vers 316. 62 Frappez ce patient [celui qui subit]. « Lauder : frapper, battre. » Louis Du Bois, Glossaire du patois normand. 63 LV attribue ce mot à l’Ivrogne. Les deux artisans se livrent contre lui à une véritable mêlée. 64 Il s’échappe de la mêlée. 65 On m’a chargé de coups comme une bête de somme est chargée de marchandise. « Asnes qui portent somes. » ATILF. 66 LV : quique ayt (Quel que soit celui qui a chanté le thème.) 67 LV : tondeu (Je mériterais qu’on me traite de fou. Voir les notes 31 et 86 des Sotz triumphans.) 68 LV : pour moy se 69 Je m’en éloigne. « Il nous fault d’icy remuer. » (ATILF.) Le bord gauche du manuscrit de base devait être déchiré à cet endroit. 70 LV : en brefue nue (Nous ne le verrons pas revenir de sitôt. « L’on nous donne espoir de sa brèfve venue icy. » Cardinal de Granvelle.) 71 Notre cause : nous sommes réconciliés. 72 Sa parole jaillit hors de propos. 73 Ces 2 derniers vers sont greffés par le copiste lui-même à la fin de beaucoup de pièces du ms. La Vallière : le Tesmoing, l’Avantureulx, Sœur Fessue, Frère Phillebert, le Trocheur de maris, etc.
DEUX HOMMES ET LEURS DEUX FEMMES
*
DEUX HOMMES
ET LEURS
DEUX FEMMES
*
.
Sous le nom de Farce moralisée, voire de Moralité, nous avons là cinq dialogues normands dont la conclusion est assez peu morale : il vaut mieux avoir une épouse infidèle mais agréable à vivre, plutôt qu’une mégère irréprochable.
Sources : Recueil du British Museum, nº 10. « Imprimé à Lyon, à la maison de feu Barnabé Chaussard, près Nostre-Dame-de-Confort », vers 1550. Une autre version lyonnaise, imprimée en 1619, figure dans un recueil conservé à la bibliothèque royale de Copenhague, pp. 78-121 : cette édition prend pour base BM (British Museum), en ajoutant quelques fautes, et en proposant de rares corrections que j’adopte tacitement.
Structure : Rimes plates, rimes enchaînées, rimes abab/bcbc, avec un rondel double, 9 triolets, un double rondeau.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
.
*
Farce moralisée
à quatre personnaiges :
C’est assavoir deux hommes
et leur[s] deux femmes,
dont l’une a malle teste
et l’aultre est tendre du cul. 1
*
[ LE PREMIER MARY, Colin
LE SECOND MARY, Mathieu
LA PREMIÈRE FEMME, Alix, épouse du Premier Mary
LA SECONDE FEMME, Jehanne, épouse du Second Mary ]
.
*
LE PREMIER MARY 2 commence SCÈNE I
Qui3 n’a jamais, en sa maison,
De plaisir une seulle dragme4,
Que peult-il5 avoir ?
LE SECOND MARY
Sur mon âme :
Mal6 temps en chascune7 saison.
5 Dont8 te vient ce mal ?
LE PREMIER MARY
De tenson(s)9.
LE SECOND MARY
Voire, mais de qui ?
LE PREMIER MARY
De ma femme,
Qui n’a jamais, en sa maison,
De plaisir une seulle dragme.
LE SECOND MARY
La mienne est d[’une] aultre façon :
10 El(le) chante et devise. C’est basme10 !
LE PREMIER MARY
La mienne crye, tempeste et blasme.
Par quoy demande, en ma raison :
Qui n’a jamais, en sa maison,
De plaisir une seulle dragme,
15 Que peult-il avoir ?
LE SECOND MARY
Sur mon âme :
Mal temps en chascune saison.
LE PREMIER MARY
Se je vouloys recorder sa11 leçon…
Laissons-la là, car c’est pis que des Mors12 :
Verset[z]13 de dueil et respons de tenson.
20 Son bec d’aspic14 gecte, par marrisson15,
Son feu16 sourdant, dont tous les jours suis mors17.
Mors18 ay esté, et je m’y suis amors19,
Mort souhaitant plus que joye et soulas.
Lassé en suis, car j’ay receu le mors20
25 Mordant en bouche, dont souvent je dis : « Las21 ! »
LE SECOND MARY
De la mienne, jamais je n’en fus las.
LE PREMIER MARY
Et la raison ?
LE SECOND MARY
Tout mon plaisir accorde22.
LE PREMIER MARY
Corps de moy Dieu ! tenu je suis ès laqs23
De la mère24 de Haine et de Discorde.
30 Oncques corde qui le larron encorde
Encor(es) de l’an ne sera si diverse25
Envers celuy qu’elle estrangle ou encorde.
Recorde-toy26 que ma femme est perverse.
LE SECOND MARY
Elle est preude27.
LE PREMIER MARY
Je le confesse.
35 Et si28, suis tout seur et certain
Qu’el(le) n’est paillarde ne putain.
Mais vélà, elle est magistralle29
De soy-mesme. Et si, est si malle
À ce propos, que bien luy semble
40 Qu’il n’y a nul qui luy ressemble.
Incessamment el(le) m’y frételle30 :
« Voire dea, je ne suis point celle
Qui ayt faict cecy, qui ayt faict cela. »
Somme, il n’y a [ne] sol ne la 31
45 (Tant froye32 hault en ses riottes)
[Qu’el n’excédera]33 de troys nottes.
C’est horreur de l’ouÿr tencer !
LE SECOND MARY
Impossible [il] est de penser
Le plaisir qu’ay avec la mienne.
50 Car de quelque part que je viengne
(Je luy porteray ce regnom),
Jamais ne me dira sinon34 :
« Mon amy, bien soyez venu ! »
Et puis je suis entretenu
55 Scez-tu comment ? Impossible est
De le sçavoir dire, car c’est
Ung vray paradis que d’y estre.
LE PREMIER MARY
Ergo 35 doncques, tu es le maistre
En ta maison ?
LE SECOND MARY
En doubtez-vous ?
LE PREMIER MARY
60 Mais — en parlant icy entre nous —36,
Te feroit-elle point janin37,
Ta femme ?
LE SECOND MARY
Par bieu, [non] ! Nenny[n] !
LE PREMIER MARY
Dictes, compère :
Il n’y auroit pas trop affaire
65 « À femme qui faict bonne chère38
À son mary, gard le derrière39 ! »
Qu’en dictes-vous ?
LE SECOND MARY
A ! il y a ung bien40.
Mauldit soit-il qui en scet rien41 !
Aussi, je n’en veulx rien sçavoir.
LE PREMIER MARY
70 Voire, mais tu pourroys avoir
Reproche42, quant il seroit ainsi.
LE SECOND MARY
Mauldit soit-il qu(i) en a soulcy !
Quant à moy, car il y a ung poinct :
De son faict je ne m’enquiers point.
LE PREMIER MARY
75 Et pourquoy ?
LE SECOND MARY
Que dyable ay-je affaire
De cercher43 ce qui m’est contraire
Et ce que ne vouldroys point trouver ?
LE PREMIER MARY
Par bieu ! si fault-il esprouver
Tout secrètement se ma femme
80 Est point à cela44.
LE SECOND MARY
Sur mon âme,
Il me semble que ton espreuve45
Est ung grant mal. Si tu la treuve46,
Que feras-tu ?
LE PREMIER MARY
Que je feray ?
Par le sang bieu, je la tueray !
LE SECOND MARY
85 Si tu la tues, tu es perdu.
LE PREMIER MARY
Et pourquoy ?
LE SECOND MARY
Tu seras pendu.
LE PREMIER MARY
Je feray donc[ques] aultrement :
Je la battray [bien fort].
LE SECOND MARY
Comment !
La bonne, à [la] battre, s’empire ;
90 Et la maulvaise en devient pire.
Scez-tu point que dit ung proverbe,
Qu(e) à battre la maulvaise gerbe
Se pert la peine du villain47 ?
Oultre, se tu es inhumain
95 Et [qu’à la]48 battre tu l’assaille
Trop souvent, tu gastes49 la paille
Qu’encores pourroit proffiter.
LE PREMIER MARY
Quel remède donc ?
LE SECOND
N’atoucher
À ta femme en nulle manière.
100 Mais qu’el(le) te face bonne chère,
C’est le plus fort50.
LE PREMIER
Je n’ay pas peur
De la mienne, j’en suis trop seur51.
LE SECOND MARY
Que dyable crains-tu donc ?
LE PREMIER
Sa teste52,
Car je n’ay que bruyt et tempeste
105 En la maison, dont que je vienne.
LE SECOND MARY
Et je crains le cul de la mienne.
LE PREMIER MARY
Le cul ? Quoy ?
LE SECOND MARY
On m’a faict entendre,
Puis ung peu53, qu’elle a le cul tendre.
LE PREMIER MARY
Le cul tendre ? Tu me faictz rire.
110 Pleust à Dieu, le souverain Sire,
Que test54 et teste de la mienne
Ressemblast55 le cul de la tienne !
Conseille-moy sur cest affaire.
LE SECOND MARY
Il luy fault prendre ung [bon] clystère
115 Pour luy alléger le cerveau.
LE PREMIER MARY
De vray ?
LE SECOND MARY
Pour la bien faire taire,
Il luy fault prendre ung bon clystère.
LE PREMIER MARY
Et si el(le) veult crier et braire
Comme tousjours ?
LE SECOND MARY
Sans larme d’eau56,
120 Il luy fault prendre ung bon clystère
Pour luy alléger le cerveau.
LE PREMIER
Mais encoire ?
LE SECOND MARY
Il n’est rien si beau57,
Pour la chaleur et la tempeste,
Et la maulvaistié58 de sa teste.
125 S’el(le) prent médecine par bas,
Jamais tu n’auras nulz débas.
Il fault que le bas soit ouvert,
Aultrement, la teste se pert.
Car, voys-tu, la challeur qu’elle a
130 S’esvacuera par ce lieu-là59
Incontinent et sans arrest.
LE PREMIER
Le dyable m’emport si [ce] n’est
Bonne chose s’il est ainsi !
Et de la tienne, Dieu mercy,
135 Que tu dis qui a le cul tendre,
Qu’y feras-tu ?
LE SECOND MARY
Il luy fault prendre
Ung restraintif60, entens-tu bien ?
LE PREMIER MARY
Corps bieu ! Et ! vous n’y sçavez rien :
Tu dis que le cerveau61 se pert
140 Si le bas n’est tousjours ouvert,
Et puis tu dis qu’il luy fault prendre
Ung restrainctif ? Tu doys entendre
Que la fumée62 retournera
Au cerveau, qui la te fera
145 Incessamment [crier et] braire63.
LE SECOND MARY
J’ayme mieulx qu’elle ayt ung clystère !
LE PREMIER MARY
Esse tout ?
LE SECOND MARY
Ouÿ, sur mon âme !
LE PREMIER MARY
Ergo, tu conclus qu’il n’est femme
Qui n’ayt mal cul ou malle teste64 ?
LE SECOND MARY
150 Sans emmoindrir en rien leur fame65,
Icy nous disons qu’il n’est femme
Qui ne crie, tempeste ou blasme,
Ou à quelc’un le « bas66 » ne preste.
LE PREMIER MARY
Icy concluons qu’il n’est femme
155 Qui n’ayt mal cul ou malle teste.
.
LA PREMIÈRE FEMME 67 SCÈNE II
Commère, me conseillez-vous
Que [tant] j’endure68 ?
LA SECONDE FEMME
Par bieu, non !
LA PREMIÈRE FEMME
Mais — parlant icy entre nous —,
Commère, me conseillez-vous ?
160 Considérez mes amys, tous
Sans reproche, et mon bon regnom.
Commère, me conseillez-vous
Que [tant] j’endure ?
LA SECONDE FEMME
Par bieu, non !
Car vous estes femme de nom69
165 Plus qu’il n’est, et de meilleur lieu70
Qu’il n’est, dea !
LA PREMIÈRE FEMME
Je faictz veu à Dieu
Et à tous les sainctz, ma commère,
Que71 monsieur de la Haultivière
Me fist demander72 cinq cens foys
170 À mon père.
LA SECONDE FEMME
Je vous en croys.
Mais certes, m’amye, il falloit
Que vous l’eussiez, car Dieu vouloit
Le vous donner de telle sorte.
LA PREMIÈRE FEMME
Mais le grant dyable (qui l’emporte !),
175 Car jamais Dieu ne s’en mesla73.
LA SECONDE FEMME
Communément on dit cela,
Tant soit à Paris comme à Romme :
« À femme de bien, ung fol homme ;
Et à quelque meschante femme,
180 Ung bon homme. » [Aussi], sur mon âme,
Jamais [on] n’en veit aultre chose.
LA PREMIÈRE FEMME
Mauldit[e] soye se je repose
Une heure en paix, avecques luy !
J’en ay le cueur si très failly74,
185 Quant j’y pense ! (Plorando.) 75
LA SECONDE FEMME
[Et !] estes-vous folle76 ?
LA PREMIÈRE FEMME
Aultresfoys m’a mis en tel(le) colle77
Que je n’eusse point faict de compte
D’avoir faict78…
LA SECONDE FEMME
N’av’ous79 point de honte ?
Sainct Pierre ! vous n’estes pas saige.
LA PREMIÈRE FEMME
190 Par bieu, si j’eusse eu le couraige
D’aulcunes (je ne nomme rien80),
J’eusse faict… vous m’entendez bien81.
Mais prie à Dieu qu’il me confonde
Si jamais, à homme du monde82,
195 De riens me voulus consentir !
Et si, vous veulx bien advertir
Que j’ay esté autant requise
De gens de Court et gens d’Église
Que femme qui soit en la ville.
LA SECONDE FEMME
200 Que grant dyable vous falloit-ille83 ?
LA PREMIÈRE FEMME
Voylà, j’ay tousjours vescu, jusqu’icy,
Sans reproche, las84, Dieu mercy,
Et feray, tant que je vivray.
LA SECONDE FEMME
Et ! par sainct Jacques, je feray
205 À gens de bien (ainsi l’entens)
Plaisir tant, qu’ils seront contens.
Mais qu’il soit faict secrètement,
Ce n’est qu’honneur.
LA PREMIÈRE FEMME
Par mon serment,
Commère, vous n’estes pas saige !
LA SECONDE FEMME
210 Taisez-vous, ce n’est que l’usage.
Pensez-vous point que quelque jour
Vous ne tombez en vostre tour ?
A ! par bieu, vous n’estes pas quitte !
LA PREMIÈRE FEMME
Premier85, je soys de Dieu mauldicte
215 Et mengée de chiens et de loups !
LA SECONDE FEMME
Par bieu ! j’ay dit ainsi que vous ;
Aussi d’aultres, qui pis ont faict
Que86 les aultres font [en effect]87.
Congneustes-vous point, ma88 commère,
220 L’ante89 de la seur à mon frère ?
Elle attendit bien, la meschante :
Car elle avoit des ans cinquante,
À l’heure qu’el(le) s’abandonna
À son clerc.
LA PREMIÈRE FEMME
Ave Maria !
225 On la devoit brusler ou pendre !
LA SECONDE FEMME
Et voyre, vrayement, de tant attendre.
LA PREMIÈRE FEMME
Mais d’avoir commis le forfaict !
LA SECONDE FEMME
Mais qu’el(le) ne l’avoit plus tost faict !
LA PREMIÈRE FEMME
Plus tost faict ? Le dyable y ayt part !
230 Elle y vint trop tost !
LA SECONDE FEMME
Mais trop tard !
Que pensez-vous, commère ? Anné90 !
Le péché est tout pardonné
Quant on ne le faict qu’en cachettes91.
Ung tas de menues tendrettes92,
235 Ce n’est que chose naturelle.
Par mon serment, m’amye : la belle
Eaue93 benoiste efface tout.
LA PREMIÈRE FEMME
Vous le dictes !
LA SECONDE FEMME
Par sainct Griboult94 !
(Le bon Griboult, c’est bien juré…)
240 J’ouÿs dire à nostre curé
Que Dieu dit : « En cathimini,
Ève95, multiplicamini,
Crescite, et replete terram !96 »
Et si les dames, mèshouan,
245 Font de Dieu le commandement,
Offencent-el(le)s ?
LA PREMIÈRE FEMME
Nenny, vrayement ;
Mais il s’entend : à leur(s) mary(s)97.
LA SECONDE FEMME
Mais s’ilz ne peuent98 ?
LA PREMIÈRE FEMME
Je vous empry,
N’en parlez plus, vous estes folle.
250 Puisque vous estes en tel(le) colle,
Faictes-en ce qu’il vous plaira.
Mais mon corps jà ne touchera
Qu’à mon mary, en brièfve somme.
Si99, est-ce le plus maulvais homme
255 Qui soit d’icy jusqu(es) à Paris.
LA SECONDE FEMME
Touchant moy100, de tous les marys
Qui furent oncq, j’ay le meilleur.
Quant il vient, « Venez çà, ma fleur ! »,
Ce me dist-il ; puis je l’acolle.
260 Après, je vous entre en parolle
En luy disant : « – Ha ! mon amy,
Je ne vous voys pas à demy101.
Souffrez au moins, puisque je vous tien,
[Qu’ung peu]102 je vous baise ! » « – Et ! bien, bien »,
265 Ce me dict-il. Puis je le baise.
Et par ce point, jamais de noyse
Nous n’avons en nostre maison.
LA PREMIÈRE FEMME
Nous chantons bien aultre chanson103 :
« – Va, va, villain ! – Va, va, villaine !
270 – Malle bosse ! – Fièbvre quartaine ! »
Et cent mille aultres mauldissons104
[À] chascun coup nous nous disons.
Brief, il n’y a point d’amytié
Entre nous.
LA SECONDE FEMME
Voylà grant pitié !
275 Mais d’où vous vient ceste riotte
Entre vous ?
LA PREMIÈRE FEMME
Que vous estes sotte !
Sçavez-vous pas que j’ay esté,
Que je suis et tousjours seray
Celle qui jamais ne meffist105
280 De son corps ?
LA SECONDE FEMME
[Bon, bon,]106 il suffist !
Nous entendons [trop] bien cela.
LA PREMIÈRE FEMME
Et pour ceste cause, voylà,
Commère : je veulx soustenir
Qu’il me doibt mieulx entretenir
285 Qu(e) une aultre.
LA SECONDE FEMME
Vous avez raison.
LA PREMIÈRE FEMME
Retourner fault à la maison.
Commère, je vous dis « à Dieu » !
LA SECONDE FEMME
Sans point tenir tant de blason107,
Retourner fault à la maison.
LA PREMIÈRE FEMME
290 Aussi est-il temps et saison
De s’en aller.
LA SECONDE FEMME
Vuydons le lieu.
LA PREMIÈRE FEMME
Retourner fault à la maison.
Commère, je vous dis adieu !
.
LE PREMIER MARY SCÈNE III
Je te pry, compère Mathieu,
295 Que tu viengnes à mon hostel108
Pour ouÿr ung peu le frétel109
De ma femme. Esse pas bien dit ?
LE SECOND MARY
J(e) yray, en faisant cest édict110
Que tu viendras ouÿr la mienne
300 Après que auray ouÿ la tienne.
LE PREMIER MARY
Mais il fauldra que tu te tiengne
En ung lieu caché ou tapys.
LE SECOND MARY
Derrière ung dressouèr ou tapis111,
S’il en y a, je m’yray mettre.
.
LE PREMIER MARY 112 SCÈNE IV
305 Hou là, hou !
LA PREMIÈRE FEMME
Voicy nostre maistre :
Il est venu, dressez la table113 !
LE PREMIER MARY 114
Dieu gard, Alix !
LA PREMIÈRE FEMME
Hé ! le grant dyable
Puisse sçavoir d’où vous venez !115
Hélas, que vous entretenez
310 Ung bel estat !
LE PREMIER MARY
Héé, belle dame,
Ne tençons point.
LA PREMIÈRE FEMME
[Mais] sur mon âme,
Vous deussiez [en] avoir grant honte !
LE PREMIER MARY
Soupperons-nous ?
LA PREMIÈRE FEMME
Voilà mon compte :
Il est yvre comme une souppe116,
315 Et puis demande que l’on souppe.
Mauldy soyt-il117 ! Qui luy tortroit
Ung peu le nez, il en ystroit118
Plus de troys chopines de vin.
LE SECOND MARY, caché, dit :
(Escoutez le sermon divin !
320 Ce n’est encor(es) que l’introïte 119.)
LE PREMIER MARY
Mais encores la potée120 est-elle cuytte ?
Truffant, bourdant121, il est saison
De soupper.
LA PREMIÈRE FEMME
Vous avez raison.
Mais, beau sire, je vous demande
325 Où est l’argent, et la vïande
Que vous nous avez mise en voye122.
LE PREMIER MARY
Par Nostre Dame ! je cuidoye
Qu’il y en eust.
LA PREMIÈRE FEMME
Vous le cuydiez ?
LE PREMIER MARY
Voyre, vrayement.
LA PREMIÈRE FEMME
Et ! vous faisiez
330 Voz sanglantes fièbvres quartaines,
Qui vous puisse[nt] serrer les vaines
Et vous puissent rompre le col !
Villain follastre ! Meschant fol !
Qu’au dyable soyez-vous donné !
LE SECOND MARY, caché
335 (Par Dieu ! vélà bien entonné123,
Et fusse pour ung contrepoint !
Sus, Colin ! respondez-vous point ?
Estes-vous recrus124 ?)
LA PREMIÈRE FEMME
Quel « seigneur »125 !
Hélas, que c’est ung bel honneur
340 À vous, d’estre dès126 le matin
À la taverne, à boire vin
Et despendre127 neuf ou dix blancs !
Et ses pouvres petis enfans,
Et moy avec, le plus souvent
345 Nous convient desjeuner de vent
En mourant de fain et de soif128.
LE PREMIER MARY
Par le corps bieu, il n’est pas vray !
LA PREMIÈRE FEMME
Monsieur Colin, sauf vostre grâce129 !
LE PREMIER MARY
De dire qu’en ayez jeusné,
350 Par le corps bieu, il n’est pas vray !
LA PREMIÈRE FEMME
Mauldit soys-je si du pain j’ay
Demy mon saoul130 !
LE PREMIER MARY
Paix, paix, bécasse !
Par le corps bieu, il n’est pas vray !
LA PREMIÈRE FEMME
Monsieur Collin, sauf vostre grâce !
LE SECOND MARY, caché
355 (Ce n’est encor(e) que la Préface131 ;
Nous serons tantost au Sanctus.)
LE PREMIER MARY
Mauldit[e] soit l’heure que j’euz
Oncques de toy la congnoissance !
LA PREMIÈRE FEMME
In Jan132, amen ! Ne133 qui l’acointance
360 Me bailla jamais de ton corps !
LE SECOND134 MARY
(Voylà bien de plaisans acordz !)
[LE PREMIER MARY]
Après, Alix ?
LA PREMIÈRE FEMME
Ma foy, villain,
Il te falloit une putain, (Plorando)
[Et] non une femme de bien135.
LE PREMIER MARY
365 Le corps bieu ! vous ne valez rien
À rost, [à] bouilly, n(e) à potaige136 !
LA PREMIÈRE FEMME
Je vaulx mieulx que tout ton lignaige,
Villain marault !
LE PREMIER MARY
Ouy dea, soufflez137 !
LA PREMIÈRE FEMME
Allez, de par le dyable, allez !
370 Il n’y en a point, en ma lignie138,
Qui ayt faict…
LE PREMIER MARY
Quoy ?
LA PREMIÈRE FEMME
La villennie139,
Comme a faict ta seur Guillemine.
LE PREMIER MARY
Par la chair bieu, vieille mastine140 !
Quoquelicocq141, alleluya !
375 Je vous tueray !
LA PREMIÈRE FEMME
Scez-tu qu’il y a ?
Par la croix bieu ! se tu me touche,
Je t’arracheray la bouche !
Advise bien que tu feras. (Il la bat.)
LE PREMIER MARY
Par bieu, tu t’en repentiras !
LA PREMIÈRE FEMME
380 Mais que dyable me veulx-tu faire ?
LE PREMIER MARY
Le corps bieu ! je vous feray taire
Toute coy[t]e142, ou [bien] je verray
Qui sera le plus fort.
LA PREMIÈRE FEMME
De vray ?
[Me taire ?] Mais qui l’eust pensé ?
LE PREMIER MARY
385 Quant tu auras assez tensé,
Tu te tairas.
LA PREMIÈRE FEMME
Par advanture143.
LE PREMIER MARY
Or es-tu [bien] la créature
Du144 monde que plus doy haÿr.
Hélas ! tu me deusse(s) obéyr,
390 Et je t’obéyz, c’est au contraire.
LA PREMIÈRE FEMME
Tu145 faictz cela que tu doys faire,
Se tu le fais. Ha ! le feu m’arde146 !
Se tu avoys une paillarde
Espousée, tu la traicteroys
395 De trèsbon cueur, et l’aimeroys
Cent foys plus que tu ne fais moy.
LE PREMIER MARY
Il est possible.
LA PREMIÈRE FEMME
Par ma foy !
J’ose147 bien dire et maintenir
Que jamais tu ne vis venir
400 Ces gaudelereaux148 à mon huys,
Prescher avec moy, [car ne suis]149
Comme d’aultres.
LE PREMIER MARY
Pour Dieu, tais-toy !
Je sçay bien la raison pourquoy :
Ilz ne cerchent point de telz rosses.
405 T(u) es trop layde.
LA PREMIÈRE FEMME
Tes malles bosses !
C’est du soulcy que m’as donné.
LE PREMIER MARY
En effect, pour dancer aux nopces,
T(u) es trop layde.
LA PREMIÈRE FEMME
Tes malles bosses !
LE PREMIER MARY
Qu’on te priast de telz négoces ?
410 L’homme seroit bien abusé :
T(u) es trop layde.
LA PREMIÈRE FEMME
Tes malles bosses !
C’est du soulcy que m’as donné.
Au jour [n’heureux ne]150 fortuné
Que tu me prins, estoys-je telle ?
LE PREMIER MARY
415 Nenny, vrayement, tu estoys belle.
LA PREMIÈRE FEMME
Qui m’a faict doncques si villaine ?
LE PREMIER MARY
La maulvaistié dont tu es plaine ;
Car maulvaistié est de tel(le) sorte
Que où elle est, beaulté est morte.
420 L’on ne dit point, ne te desplaise,
« Ceste femme est belle et maulvaise »,
Car le langaige mieulx s’ordonne151
En disant : « Elle est belle et bonne. »
Mais toy, tu n’es bonne ne belle.
LA PREMIÈRE FEMME
425 Que dyable suis-je donc ?
LE PREMIER MARY
Rebelle,
Mal gracieuse et mal plaisante.
LA PREMIÈRE FEMME
Je ne suis que trop advenante
Pour le « sainct » à qui je suis offerte.
LE PREMIER MARY
Mais, pour Dieu, regardez quel(le) perte
430 Ce seroit de ce gentil corps !
Que de fièbvre soit-il retors152 !
Aussi bien, est-il mal fillé153.
LA PREMIÈRE FEMME
Sçais-tu qu’il y a154, Jehan l’Anguillé ?
Se t(u) es bien ayse, si t’y tien155.
LE PREMIER MARY
435 Dea, m’amye, je ne vous dis rien.
(Que Dieu vous doint maladventure156 !)
Car vous estes la créature
Du157 monde que j’ayme le mieulx.
LA PREMIÈRE FEMME
Elle le prent au visaige, et dit : 158
Par la croix bieu !
LE PREMIER MARY
Gardez les yeulx159 !
440 (Vertu bieu, comme elle esgratigne !)
Ma femme, ma doulce poupine,
Corps advenant, plaisante et belle,
Fassonnée160 comme une chandelle :
Je vous ayme tant, que c’est raige.
LA PREMIÈRE FEMME
445 Je t’arracheray161 le visaige,
Traistre, marault, villain infâme162 !
LE PREMIER MARY
Non feras, car, par Nostre Dame,
Je m’en voys163, pour le plus sortable.
À Dieu, Alix !
LA PREMIÈRE FEMME
Et toy, au dyable,
450 Qui te puisse rompre le col !
LE PREMIER MARY
Escoutez : qu’elle est amyable164 !
Adieu, Alix !
LA PREMIÈRE FEMME
Et toy, au dyable !
LE PREMIER MARY
N’est pas bien l’homme misérable,
Qui se marie ? [Il est]165 bien fol.
455 À Dieu, Alix !
LA PREMIÈRE FEMME
Et toy, au dyable !
LE PREMIER MARY
Qui te puisse rompre le col !166
.
Corbieu ! si j’avoys ung licol, SCÈNE V
Je croy que je m[’en] iroys pendre.
LE SECOND MARY
Dea, Colin, il te fault attendre :
460 Ta pénitence n’est pas faicte167.
LE PREMIER MARY
Si joué n’eusse de retraicte168,
Le corps bieu, elle m’eust battu !
Mais que t’en semble ? Qu’en dis-tu ?
En veis-tu jamais de la sorte ?
LE SECOND MARY
465 Nenny, ou le dyable m’emporte !
LE PREMIER MARY
Conseille-moy que je feray.
LE SECOND MARY
Endure.
LE PREMIER MARY
C’est bien enduré !
Je mourray donc en endurant.
LE SECOND MARY
Puisque [à] ta femme as169 tant duré,
470 Endure.
LE PREMIER MARY
C’est bien enduré !
Avant l’an, maint hahan auray170.
LE SECOND MARY
Je te diray : cest [an durant]171,
Endure.
LE PREMIER MARY
C’est bien enduré !
Je mourray donc en endurant.
LE SECOND MARY
475 Sus ! après, à ce demeurant,
Il fault aller ouÿr la mienne.
Mais il fauldra que tu te tienne
Caché ainsi comme j’ay faict.
LE PREMIER MARY
Ne me dictz mot, il sera parfaict172.
LE SECOND MARY
480 Je voys devant, à la maison.
.
Holà, ho !173 SCÈNE VI
LA SECONDE FEMME
J’ay ouÿ le son
De mon mary. Qu(i) est là ?
LE SECOND MARY
C’est moy !
LA SECONDE FEMME
Esse vous, mon mary ?
LE SECOND MARY
Je croy
Qu’en voycy174 ung qui luy ressemble.
485 Et puis, m’amour, que vous en semble ?
Suis-je celuy que vous quérez ?
LA SECONDE FEMME
S’il vous plaist, vous me baiserez175 ;
Et puis après, je vous diray
Ce qui en est.
LE SECOND MARY
Je le feray
490 Voluntiers, de bon cueur et de bon couraige176.
Il baise sa femme.
LE PREMIER MARY, [caché]
(Je fais veu à Dieu : voylà raige !
Est-il rien plus doulx ne plus beau ?
Ilz s’entre-leschent le morveau177
Comme les chatz au moys de may.)
LA SECONDE FEMME
495 Je vous supply que vous et moy
[Nous] disons ung mot de chanson.
LE SECOND MARY
C’est bien dit. Or sus, commençon !
Ilz chantent.178
LA SECONDE FEMME
Mon mary, à mon appétit,
Que nous banquetons ung petit179.
500 Dis-je bien ?
LE SECOND MARY
Vous me faictes rire !
Impossible [il] est de mieulx dire :
Qui ne vouldroit [boire et menger]180 ?
LA SECONDE FEMME
Voicy de la perdrix d’arsoir181,
Que vostre compère182 apporta.
LE SECOND MARY
505 Ce m’est tout ung183, mettez-la là.
Et de vin ?
LA SECONDE FEMME
Ne vous souciez.
Mais aussi, vous me promettez…
Escoutez184… L’avez-vous ouÿ ?
[Me] le ferez-vous185 ?
LE SECOND MARY
Par bieu, ouy !
510 Apportez vin tant seullement.
LA SECONDE FEMME
Je le veulx. Mais, par mon serment,
Je voys [en] boire la première186.
LE SECOND MARY
C’est bien dit ! Faisons bonne chère.
Est-il bon187 ?
LA SECONDE FEMME
Il n’est rien meilleur.
LE SECOND MARY
515 Or en versez ! Et ! la couleur
En est rouge comme sendal188.
LA SECONDE FEMME
Et puis189, Mathieu ?
LE SECOND MARY
Il n’(y) a rien mal.
Où l’avez-vous eu ?
LA SECONDE FEMME
Ne vous en chaille :
Nous n’en devons denier ne maille190 ;
520 Je l’ay payé en beau contant191.
LE SECOND MARY
Comment, Jehanne ? En avez-vous tant192 ?
LA SECONDE FEMME
Se j’en ay ? Et ! qu’auray-je doncques ?
Par sainct Jacques ! il n’en fut oncques
Que193 je n’en eusse quelque croix194,
525 La Dieu mercy !
LE SECOND MARY
Je vous en croy[s].
Mais, belle dame, je vous en prie :
Versez là !
LA SECONDE FEMME
Par saincte Marie,
Vous me baiserez doncques !
LE SECOND MARY
Je le veulx.
Et si, ferons, par bieu, nous deux,
530 Ceste195 nuyct… vous m’entendez bien.
LA SECONDE FEMME
J’ay grant peur que n’en faciez rien :
Vous faictes assez de parolle196 ;
Mais quoy, c’est tout.
LE SECOND MARY
Vous estes folle !
Versez à boyre seullement.
LA SECONDE FEMME
535 Par sainct Jehan ! c’est entendement,
Et au[r]ez trèsbonne mémoyre197.
LE SECOND MARY
Le marché est faict : j’en voys boire
À vous, c’est d’autant198.
LA SECONDE FEMME
Grant mercys.
Vous bevrez aussi bien assis
540 Comme debout.
LE SECOND MARY
Ce m’est tout ung.
LA SECONDE FEMME
Il fault que je boyve, à mon rum199 ;
Ne faict pas ?
LE SECOND MARY
Vous avez raison.
LA SECONDE200 FEMME
Or, tenez, soufflez le thyson201,
Entretant202 que je mengeray.
LE PREMIER MARY, [caché]
545 (Corps bieu ! mon homme est demouré203.)
Mathieu, hau ! Viendrez-vous ?
LE SECOND MARY
Je voys204.
Mais que j’aye beu neuf ou dix foys,
Je seray tout prest, attendez.
LA SECONDE FEMME
Il fault bien que vous entendez
550 Que vous n’yrez mèshuy205 dehors !
LE SECOND MARY
M’amour, par la foy de mon corps,
Présent206 me verrez revenir.
LA SECONDE FEMME 207
Le dyable l’a bien faict venir,
[Et] non pas Dieu ! (Plorando.)
LE SECOND MARY
Estes-vous sotte !
555 Fault-il pleurer ? Que de riotte !
Je reviendray tout à ceste heure208.
.
Tu ne sçais pas ? SCÈNE VII
LE PREMIER MARY, parlant à Mathieu 209
Et quoy ?
LE SECOND MARY
El(le) pleure.
LE PREMIER MARY
Non faict ?
LE SECOND MARY
Si faict, sur mon âme !
LE PREMIER MARY
Par bieu, c’est une bonne femme !
560 Et vouldroys — le dyable l’emporte210 —
Que la mienne fust de sa211 sorte,
Quelque tendre du cul qu’el(le) soit212.
LE SECOND MARY
Mais si ma femme le faisoit ?
LE PREMIER MARY
Par ma foy, Martin le Bécu213 :
565 À peine de perdre ung escu214
Qu’elle le faict !
LE SECOND MARY
Ha ! je n’en croy rien.
LE PREMIER MARY
Par le corps bieu ! vous estes coqu,
À peine de perdre [ung escu]215 !
LE SECOND MARY
Certes, ce seroit mal vescu216,
570 S’el(le) le faisoit.
LE PREMIER MARY
Il y a ung bien.
À peine de perdre ung escu
Qu’elle le faict !
LE SECOND MARY
Je n’en croy rien.
Encor(es) qu’il soit vray217, je maintien
Que je suis mille foys plus ayse
575 Que tu n’es.
LE PREMIER MARY
Point ne le confesse218,
Se tu ne me dis la manière.
LE SECOND MARY
Une foys219, ta femme en est maistresse220,
Tencerresse, orguilleuse et fière.
LE PREMIER MARY
La tienne est tendre du derrière.
LE SECOND MARY
580 Et la tienne est dure de teste.
LE PREMIER MARY
Aussi, elle est seine et entière
De son corps, sans riens déshonneste.
LE SECOND MARY
Aussi, en douleur et tempeste
Uses ta vie, [et] en tourment221.
585 Et ! [tu] scès bien que l’homme est beste,
S’il n’a ung petit222 d’aisement.
Se ma femme, secrètement,
Le preste223 à ung [homme] ou à deux,
C’est tout ung. Car, par mon serment,
590 J’en ay encor(e) plus que ne veulx224.
Oultre plus, congnoistre tu peulx
Comment ta femme est acoustrée225 :
Femmes ne tiennent compte d’eulx226,
S’ilz ne s’aydent de leur denrée227.
LE PREMIER MARY
595 Tu dis vray : elle est évantrée228,
La plus orde229, la plus villaine,
La plus crottée et mal coiffée
Qui soit en [la] nature230 humaine.
LE SECOND MARY
Il n’est qu’une femme mondaine231
600 Pour estre propre et mignonnette.
Raison pourquoy ? Elle prent peine
À s’acoustrer et tenir nette.
Aulcunesfoys, on se déshette232.
Mais, tant soit [ung] homme esbahy233,
605 Quant il voit sa femme proprette,
Il s’en treuve tout esjouy.
N’est-il pas vray ?
LE PREMIER MARY
Par bieu, ouÿ,
Et est ta raison bien entière234.
Par quoy conclus, ton cas ouÿ
610 Et le mien235 sur ceste matière,
Qu’il vault trop mieulx femme de bonne chère236
— Présupposé qu’el(le) preste son237 derrière
Secrettement — que femme à malle teste,
Ce néantmoins qu’el(le) soit chaste et honneste.
615 Pour vivre en paix, l’autre est plus singulière238.
LE SECOND MARY
Ne me parlez jamais de femme fière :
Il vauldroit mieulx qu’homme fût [mis] en bière
Que d’en avoir !
LE PREMIER MARY
Il est tout manifeste239
Qu’il vauldroit trop mieulx femme de bonne chère,
620 Présupposé qu’el(le) preste son derrière.240
La raison est : el(le) vous a la manière
De vous traicter. La peine n’est point chère241.
El(le) rit tousjours, chante, ou [bien vous] faict feste.
Mais de l’autre, qui pleure puis tempeste,
625 N’en parlez point !
MATHIEU 242
Conclusion dernière243 :
Il vauldroit mieulx femme de bonne chère
— Présupposé qu’el(le) preste [son] derrière
Secrètement — que femme à malle teste,
Ce néantmoins qu’el(le) soit chaste et honneste.
630 Pour vivre en paix, l’autre est plus singulière.
.
COLIN SCÈNE VIII
Avant que tirez plus arrière244,
Ainsi comme il est de raison,
La petite chanson gorrière245.
Ce faisant, « à Dieu » vous dison !
.
Cy fine la farce des
Deux marys
et de leur[s] deux femmes.
.
*
1 Titre dans le recueil de Copenhague : MORALITÉ ET FARCE NOUVELLE, très belle, & fort joyeuse, à quatre personnages. C’est à sçavoir : Deux hommes, & leur <sic ! La faute est commune aux deux imprimés, et se retrouve dans le colophon de BM.> deux femmes, dont l’une a male <BM : molle, qui est une erreur.> teste, & l’autre est tendre de cul. 2 Les deux amis sortent d’une taverne. 3 Celui qui. 4 Une seule drachme, un seul gramme. On prononçait « drame ». Voir la note 149 de Saincte Caquette. 5 BM : veult il (Refrain correct au vers 15.) 6 Mauvais. Idem vers 38, 149, 270, 405, 436, 613. 7 BM : toute (Refrain correct au vers 16.) 8 D’où. Idem vers 105. 9 La tançon est le fait de tancer, de quereller pour rien. Idem vers 19. 10 C’est du baume : c’est un plaisir. Cf. les Coppieurs et Lardeurs, vers 184. 11 BM : ta — Copenhague : sa (Me remémorer. « Jour et nuict/ Me fault recorder ma leçon. » Le Cuvier.) Ces 17 décasyllabes sont écrits en rimes enchaînées, à la manière des Grands Rhétoriqueurs. La difficulté de l’entreprise est telle, qu’il ne faut pas y chercher un sens logique avec trop d’exigence. 12 Les Leçons des Morts, tirées du Livre de Job, faisaient partie des Vigiles des Morts. Voir « les neuf Lissons des Mors faictes par le saint homme Job », de Pierre de Nesson. Elles se composent de versets et de répons, comme dans les Vigilles Triboullet. 13 Il eût fallu un mot comportant la syllabe mor-, ce qu’interdit la rime du vers précédent. 14 De vipère, de dragon. « Ung grant serpent et dangereux aspic. » (Clément Marot.) Sa gueule jette des flammes, et sa langue fourchue symbolise la médisance. 15 Par courroux. 16 BM : oeil (« Un grand feu sourd d’une bluette. » J.-A. de Baïf.) 17 Brûlé comme par la morsure d’une flamme. 18 Mordu. 19 Blessé, du verbe amordre. « Le dueil qui maintenant m’amort. » ATILF. 20 Pièce métallique qu’on met dans la bouche d’un cheval pour le diriger. 21 BM : helas 22 Elle s’accorde à tous mes plaisirs. 23 BM : latz — Cop. : laqs (Dans les lacs, les filets.) 24 Nyx (la Nuit) est la mère de Némésis (la Vengeance) et d’Éris (la Discorde). 25 Défavorable. 26 Souviens-toi. 27 Prude, chaste. 28 Et même. Idem vers 38 et 529. 29 Elle règne en maître. 30 Ressasse (normandisme). Cf. Saincte Caquette, vers 140. 31 Cf. Frère Frappart, vers 95. 32 BM : seffroye (Tant elle vise haut. Verbe frayer.) Riote = querelle. Idem vers 275 et 555. 33 BM : Quelle excedera bien (Elle crie encore plus haut que toutes les autres.) 34 Autre chose que. 35 Donc, comme au vers 148. Cette redondance est typique des farces de collège : « Ergo donc, se j’estoyes fourmy. » (Les Sotz escornéz.) « Ergo donc, selon l’Escripture. » (L’Avantureulx.) 36 Même vers que 158, où le « en » superflu disparaît. 37 Cocu. « Que ma femme m’ayt faict jénin. » Ung Mary jaloux. 38 Une figure agréable. Idem vers 100 et 611. 39 Attention à ses ruades ! Cf. cet autre proverbe : « Garde le derrière, Moreau rue ! » Mais dans notre farce, derrière a toujours une acception anatomique. 40 Cela se peut bien. (Idem vers 570.) « Y a » est scandé « ya » en 1 syllabe, comme aux vers 375, 433, 517 et 570. 41 Celui qui en sait quelque chose. 42 Les cocus trop complaisants n’étaient pas bien vus. Voir la note 75 du Povre Jouhan. 43 Chercher (normandisme). Idem vers 404. 44 Ne serait pas portée sur la chose. 45 Ton idée d’éprouver ta femme. 46 Si tu la trouves avec un homme. 47 Le paysan perd son temps. 48 BM : que a 49 BM : gasteras — Cop. : gaste 50 Du moment qu’elle te fait bonne figure, c’est l’essentiel. 51 Je suis sûr de sa fidélité. 52 Sa mauvaise tête. La femme se réduit à une tête et un cul, comme le résument les vers 148-149. Dans la farce de Tarabin, Tarabas (F 13), le cul intempérant représente aussi l’épouse, mais la mauvaise « teste qui à tous propos tence » représente le mari. 53 Depuis peu. C’est Colin qui vient de lui en parler, aux vers 61-66. 54 Le crâne. 55 Soient aussi tendres, aussi malléables que. 56 BM : dieu (Sans attendre qu’elle se mette à pleurer.) 57 Il n’y a rien de mieux. BM ajoute dessous : Comme te dis 58 La méchanceté, la malignité. Idem vers 417 et 418. Cf. la Mauvaistié des femmes. 59 Elle n’aura plus la tête chaude, puisque sa chaleur s’évacuera par l’anus. 60 Un restringent pour resserrer ses ouvertures naturelles. Dans Tout-ménage, on dit à une fille qui souffre du mal d’amour : « Mais il vous fault ung rétrainctif. » 61 BM : hault (Voir les vers 121 et 144.) 62 « Les fumositéz, ne se pouvans évaporer, sont cause de leur folie, opiniastreté, & de leur maladie commune du mal de teste. » Guillaume Bouchet, Troisiesme Sérée. 63 Je complète d’après le vers 118. 64 « Il vaut mieux, à une femme, avoir bonne teste que mauvais cul…. Son mary n’avoit jamais pu remédier à ceste teste, encores qu’il se fust aidé de deux poings. » G. Bouchet. 65 Sans diminuer leur réputation. 66 Cf. les Femmes qui font renbourer leur bas. 67 Les deux amies sortent du marché. La première, Alix, est mal vêtue et mal coiffée (vers 595-8). La seconde, Jeanne, est « propre et mignonnette » (vers 600). 68 « De tant endurer, je ne puys…./ A ! je n’en puys endurer tant ! » Le Poulier. 69 De renom. 70 Origine. 71 BM : Le filz (On songe à M. de la Hanetonnière qui, dans le Poulier, poursuit de ses assiduités la femme d’un meunier.) 72 En mariage. 73 On note la pruderie de la bigote, qui ne veut pas mélanger le sacré avec le profane. 74 BM : treffailly — Cop. : tres failly (Le cœur me manque, me fait défaut. « Ilz semblent tous malades, tant ont lez visages fades et palles, et lez cuers faillis. » ATILF.) 75 En pleurant. 76 Les deux femmes vont se renvoyer mutuellement cette accusation aux vers 249, 276, 533 et 554. Elles emploient la variante « Vous n’êtes pas sage » aux vers 189 et 209. 77 Disposition. (Idem vers 250.) « Qu’il suive encor l’escole,/ Car il est de si bonne cole/ Qu’il apprendra tant c’on vouldra. » (Godefroy.) Cf. le Sourd, son Varlet et l’Yverongne, vers 83. 78 BM : faict etc. 79 BM : Nauez vous (« N’av’ous » en est une forme normande. « Et ! comment ? N’av’ous point de honte ? » Serre-porte.) 80 De certaines que je ne nommerai pas… 81 Litote courante. « Car il fault… vous m’entendez bien. » (Serre-porte.) Idem vers 530. 82 Qui soit en ce monde. 83 Il, lui. Pronom picard ou normand. « C’est ille ! » Frère Guillebert. 84 Copenhague corrige : la (La merci de Dieu, comme au vers 525.) Je conserve le « las ! » de BM, où l’on sent poindre un regret d’avoir vécu sans profiter des plaisirs de la vie. 85 BM : Premiere (Auparavant, que je sois…) 86 BM : comme 87 En réalité. « –Je ne vueil point nuyre à l’Église./ –Sy ne ferez-vous en effect. » Jeu du Prince des Sotz. 88 BM : la 89 Ma tante. « Qui ont pères, mères et antes. » (Villon.) Le vers est en forme de devinette : voir la note 2 du Clerc qui fut refusé. 90 Enné ! Ce juron synonyme de vraiment est réservé aux femmes. « Et Ysabeau qui dit :/ “Enné !” » (Villon.) Cf. le Résolu, vers 50 et 244. 91 « Faisons-le tout secrètement,/ Il sera demy pardonné. » Les Femmes qui font escurer leurs chaulderons. 92 Gestes tendres, caresses. 93 BM : Leaue (L’eau bénite : la confession. Eau-e compte ici pour 2 syllabes.) « Belle » ne peut s’appliquer à Alix, qui reconnaît elle-même sa laideur aux vers 405-6. On emploie cet adjectif pour mettre en valeur le mot qui suit : « À ma grand’soif, la belle eaue se présente. » (Clément Marot.) « La belle eaue [de] roze à laver mains. » (Guillaume Coquillart.) 94 Personnage inconnu. Les femmes invoquaient plusieurs saints priapiques : Couillebaud, Alivergaut, Velu, Foutin, etc. Saint Gris (St François d’Assise), qui est le fondateur des Cordeliers, réputés comme les moines les plus paillards, ne serait-il pas devenu « saint gris bout » ? 95 BM : A eue (« Ce qu’on fait a catimini / Touchant multiplicamini,/ Mais qu’il soit bien fait en privé,/ Sera tenu pour excusé. » Jardin de Plaisance.) 96 En cachette, multipliez-vous, croissez, remplissez la terre. Le « croissez et multipliez » de la Genèse servit bien souvent d’excuse aux débauchés… Prononcé à la française, « terran » rime avec « maisouan » [désormais]. 97 Elles doivent se multiplier avec leur mari. 98 Peuvent (normandisme : cf. la Fille bastelierre, vers 54). S’ils ne peuvent plus faire l’amour. 99 Et pourtant. 100 En ce qui me concerne. 101 Suffisamment. 102 BM : Que (Que je vous baise/ Ung poy ! » Frère Guillebert.) 103 BM : lecon (« Vous chanterez d’aultre chançon ! » Mistère de la Passion.) 104 Malédictions. 105 Ne fit un mauvais usage. On songe inévitablement à Rabelais : « Il est marié…. Il est doncques, ou a esté, ou sera, ou peult estre coqu. » Tiers Livre, 32. 106 BM : Boo — Cop. : Bon 107 De discours futiles. « Ne me tenez plus de blason ! » L’Homme à mes pois. 108 À ma maison. 109 Le bavardage (normandisme). Cf. Saincte Caquette, vers 279. 110 En posant cette condition. 111 Un buffet ou une tenture. « Je me mectoie/ Derrière ung vieil tapis troué/ Parmy [à travers] lequel ung œil boutoye. » Martial d’Auvergne. 112 Devant chez lui, il appelle sa femme pour qu’elle vienne lui ouvrir. 113 Posez sur des tréteaux les planches qui tiennent lieu de table. Alix ouvre la porte en distillant des propos ironiques : mon époux ne rentre au bercail que pour mettre les pieds sous la table. 114 Il entre. Son camarade reste dehors et observe par la fenêtre ouverte. 115 Elle sent son haleine avinée. 116 Il est imbibé comme un morceau de pain trempé dans du vin. 117 BM : soys ie 118 Il en sortirait (verbe issir). 119 L’introït, le début du sermon. 120 Le contenu du pot en terre qu’on laisse mijoter dans la cheminée. 121 BM : bordant il est — Cop. : bourdant, il est, (Soit dit sans vouloir vous offenser. Voir la note 29 de la Pippée.) 122 Que vous nous avez fait envoyer par le boucher. Cf. Tout-ménage, vers 178-186. 123 Chanté. 124 BM : reus — Cop. : recrus (Recru = fatigué ; lâche.) 125 Dans le Povre Jouhan, Affriquée dit la même chose à son mari qu’elle accable d’insultes. 126 BM : depuis 127 Dépenser. Le blanc est une petite pièce en argent. 128 Les Normands prononcent « sé », qui rime avec vrai. Voir la note 33 de Troys Galans et un Badin. 129 Je vous en prie ! 130 À moitié autant que j’en voudrais. 131 La partie de la messe qui précède le Sanctus. Cf. Colin qui loue et despite Dieu, vers 387-388. À la française, on prononçait « Santu ». 132 Saint Jean (normandisme). Cf. Jehan de Lagny, vers 153 et 204. 133 Et que soit maudit aussi celui… 134 BM : premier (Matthieu, toujours à la fenêtre, continue à filer sa métaphore musicale du sermon chanté : vers 319-320, 335-336, 355-356.) 135 « Ces tant femmes de bien ont communément maulvaise teste. » Tiers Livre, 9. 136 Quelle que soit la manière dont on vous accommode, vous n’êtes pas bonne. 137 Causez toujours ! Cf. les Mal contentes, vers 91. On dit parfois : « Souffle, Michaut ! » 138 BM : lignee (-ie est une terminaison normanno-picarde.) « N’y en » est scandé « nyen » en 1 syllabe ; voir la note 40. 139 Un adultère. « Ilz faisoient la vilanie. » Opuscules tabariniques. 140 Chienne, femelle du mâtin. 141 Cocorico ! Cette double interjection sonne comme un cri de guerre. Cf. Colin, filz de Thévot, vers 90 et note. 142 Coite, muette. 143 Par extraordinaire. 144 BM : De ce (Voir le vers 194.) 145 BM : Je 146 Que l’Enfer me brûle. 147 BM : Je lose 148 Ces godelureaux, ces galants. 149 BM : ne gaudir (Voir les vers 42-43.) 150 BM : malheureux (Ni heureux, ni chanceux. « La femme estoit eureuse et bien fortunée, qui de tel mary estoit douée. » Cent Nouvelles nouvelles.) 151 BM : sadonne (Les mots viennent plus naturellement.) 152 Tordu. 153 Mal filé, mal fait. 154 Ce qu’il y a. Anguillé se dit d’un galérien qui a subi une anguillade : qu’on a fouetté avec une peau d’anguille. En Normandie, « anguiller » = se glisser dans une rue : « En anguillant dez Augustins la rue. » (La Muse normande.) Enfin, l’anguille désignant notoirement le pénis, un anguillé pourrait à la rigueur être un sodomite passif. G. Bouchet parle d’une femme qui traite son époux de « maquereau, rufien, paillard, ribaud, fouetté, larron, bougre ». 155 Contente-toi de ce que tu as. 156 Une mésaventure, un accident. 157 BM : De ce (Voir le vers 94.) 158 BM intervertit la rubrique et la didascalie. 159 Faites attention à mes yeux ! 160 Façonnée, droite. C’est une comparaison ironique : « Dame Flourence l’Escornée,/ Longue eschine et plate fourcelle [poitrine] (…),/ Façonnée comme une chandelle. » (G. Coquillart.) Notons qu’au vers 428, Alix se compare elle-même à une chandelle qu’on offre à un saint. Le comédien qui jouait son rôle devait être grand et maigre, ce qui correspond à l’idée qu’on se fait d’une femme revêche. 161 BM : ten arracheray 162 La farce du Savatier et Marguet présente deux couples similaires aux nôtres ; la harpie traite son souffre-douleur de « meschant vilain infâme ». 163 Vais. Idem vers 480, 512, 537, 546. Sortable = convenable. 164 Amicale. 165 BM : et — Cop. : il est (« Il est bien fol, qui se marie. » Le Savetier qui ne respond que chansons, F 37.) 166 Il sort et rejoint Matthieu. 167 Ton séjour au purgatoire n’est pas terminé. 168 Si je n’avais pas battu en retraite. 169 BM : ta (Puisque tu la supportes depuis si longtemps.) 170 BM : duray (Ahan = peine, épreuve. Cf. le Prince et le deux Sotz, vers 128.) « Ysaac, Jacob, qui maint ahan/ Eurent. » ATILF. 171 BM : en endurant (Durant cette année. « Cest an durant, furent desconfits les Anglois devant Patay. » Cronique martiniane.) 172 Ce sera fait. 173 Devant chez lui, il appelle sa femme. 174 BM : voyez cy 175 Vous m’embrasserez, pour que je puisse juger si vous êtes bien mon mari. Matthieu entre, et Colin se poste devant la fenêtre ouverte. 176 De bon cœur. 177 Le museau. « Léquer le morveau » est une expression normande. « Luy demander comment elle se porte, et luy lécher le morveau (…) sans exécuter ce qui importe le plus. » Odet de Turnèbe. 178 Cette chanson à la mode, interchangeable au gré des représentations, n’a pas été conservée. Dans le Savatier et Marguet, le couple heureux passe son temps à chanter, alors que le couple hargneux s’injurie en permanence. 179 Restaurons-nous un peu. 180 BM : recommencer (« Venez céans asseurément/ Boire et menger ! » Les Femmes qui font escurer leurs chaulderons.) 181 D’hier soir. Les Normands prononçaient « essair », qui rime avec mangèr. « Voulant souper, essair, à la c[h]andelle. » La Muse normande. 182 Il ne s’agit pas de Colin mais d’un des amants de Jeanne. Il était d’usage d’apporter à boire et à manger aux rendez-vous galants. Par exemple dans le Poulier : « J’aporteray, pour le repas,/ Un gras chapon avec une ouée./ Et du vin. » 183 Ça m’est égal. Matthieu exprime la même indifférence aux vers 540 et 589. 184 Avec une pudeur qui devait être fort comique, elle parle à l’oreille de son époux, afin qu’il s’acquitte du devoir conjugal. 185 « Vous ne me le ferez plus : ma mère m’a mariée. » Brantôme. 186 Elle boit dans le verre de son mari, selon un vieux rituel amoureux. 187 « –Voyelà du vin. –Est-il bon ? » Troys Gallans et Phlipot. 188 Comme du cendal, de la soie rouge. 189 Comment trouvez-vous ce vin ? 190 Quand maître Pathelin montre à sa femme le drap qu’il a volé, il dit : « –Je n’en doy rien./ Il est payé, ne vous en chaille./ –Vous n’aviez denier ne maille. » 191 Comptant. Il y a peut-être un clin d’œil au public : « Mais avant, fus privé de mon argent comptant,/ Dont je fus par trop fol d’achetter ung con tant. » Jehan Molinet. 192 Avez-vous tellement d’argent ? 193 Il n’y eut jamais d’argent sans que… 194 BM : peu (Quelque pièce frappée d’une croix. Cf. le Bateleur, vers 147.) 195 BM : Encores 196 Avec des mots. C’est l’éternelle opposition entre Dire et Faire, illustrée dans Raoullet Ployart. 197 Le vin vous donnera de la mémoire (note 77 des Coppieurs et Lardeurs), et ainsi, vous vous souviendrez que nous devons faire l’amour. 198 Boire d’autant à quelqu’un : boire à sa santé pour sceller un marché. Afin de porter ce toast, Matthieu se lève en chancelant. 199 À mon run, à mon tour. Cf. Mallepaye et Bâillevant, vers 48. 200 BM : premiere 201 Ravivez le feu de la cheminée. 202 BM : Entreprenant (Entre-temps, pendant que. « Entretant que le fer est chault, on le doibt batre. » Godefroy.) 203 BM : demonte (Matthieu a pris racine. « Vuidez tost, c’est trop demouré ! » Ung jeune moyne.) Sans plus se cacher, Colin appelle Matthieu par la fenêtre. 204 J’y vais : je viens. Dans le Savatier et Marguet, l’un des deux maris appelle l’autre : « –Jaquet, hay ! hay ! –Je voys, je voys. » 205 Aujourd’hui, maintenant. 206 Présentement, tout de suite. 207 Elle désigne Colin, qui attend devant la fenêtre. 208 Tout à l’heure. Mais on peut comprendre : à 7 heures. Matthieu sort et rejoint Colin. 209 BM intervertit la rubrique et la didascalie. 210 BM : memporte (Que le diable emporte la mienne ! Voir le vers 174.) 211 BM : la 212 Quoique la tienne ait le cul tendre. « Et ! vous avez le cul trop tendre. » (Le Poulier à quatre personnages.) Dans Saincte Caquette, il est question de « femmes tendres du bas ». 213 Encore un personnage non identifié. Bécu = pointu comme un bec, ou comme les cornes d’un « becque-cornu » (Le Roux), c’est-à-dire d’un cornard. Bécu qualifie également le nez d’un alcoolique : « De jeune femme (portée) sur le vin, nez rouge et beccu. » Trésor des sentences. 214 Je parie un écu. 215 BM : la vie (Rime correcte aux refrains 565 et 571.) 216 Elle mènerait une mauvaise vie. 217 Quand bien même ce serait vrai. 218 Je refuse de le reconnaître. 219 D’abord. 220 Porte la culotte. Dans le Savatier et Marguet, l’époux de la femme acariâtre se plaint : « Suys-je pas de malle heure né,/ De te voir estre ainsy mêtresse ? » 221 L’auteur a bien lu –et bien retenu– les XV Joyes de Mariage, où le pauvre mari « use sa vie en douleurs et en tourmens ». 222 BM : peu (Un peu d’aise, de plaisir.) 223 Prête son « bas » (vers 153), ou son derrière (vers 612). 224 Matthieu aime mieux boire que faire l’amour : vers 248, et 531-533. 225 Si elle est bien vêtue, c’est la preuve qu’elle se fait entretenir par un amant. 226 De leurs soupirants du vers 588. 227 BM : derriere (De leurs deniers. « Ung chappon [vault] XV denrées, et une géline, XII denrées. » ATILF.) Les galants doivent payer pour obtenir les faveurs des dames. 228 Débraillée. 229 Sale. 230 Dans toute l’espèce. 231 Il n’y a qu’une aguicheuse. « Ceste femme estoit fort mondaine, désiroit estre fort bien vestue et parée, et si, aymoit le desduit d’amours. » ATILF. 232 Parfois, on se plaint d’elle. 233 Aussi ahuri que soit un homme. 234 Il n’y manque rien. 235 Après avoir examiné ton cas et le mien. 236 Qui montre une figure agréable à son mari. Ce double rondeau est probablement chanté, comme Jehan Molinet le suggère dans l’Art de Rhétorique : « Et ceste manière de rondeler sert aux chansons de musique. » 237 BM : en (Forme correcte au refrain de 620, mais faute identique à celui de 627.) 238 La femme volage est plus précieuse. 239 Il est évident. 240 Dessous, BM répète inutilement le refrain B : Secrettement que femme a malle teste 241 La peine qu’elle vous cause n’est pas grave. 242 BM restitue leur nom aux deux hommes : ne voulant pas faire déborder cette ultime colonne, l’éditeur a placé les rubriques sur la même ligne que le texte en décasyllabes ; et pour qu’elles y entrent, il a dû les raccourcir. 243 BM : derriere 244 Que vous ne repartiez. 245 À la mode. Cf. le Résolu, vers 127, 202 et 279. Avant le salut, il est de tradition que les comédiens chantent une chanson dans l’air du temps.