TE ROGAMUS, AUDI NOS !
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TE ROGAMUS,
AUDI NOS !
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Cette farce fut sans doute écrite à Rouen vers 1540. Sa seconde partie démarque la farce de Pathelin.
Source : Recueil du British Museum, nº 31. Farce imprimée à Paris pour Pierre Sergent, au plus tard en 1547.
Structure : Rimes plates, avec 2 triolets et 5 quatrains à refrain.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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Farce nouvelle
trèsbonne
et fort joyeuse
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À trois personnaiges, c’est assavoir :
LE CHAULDERONNIER
LE SAVETIER
et LE TAVERNIER
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TE ROGAMUS, AUDI NOS ! 1
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LE SAVETIER commence 2 SCÈNE I
« Souliers vieulx !! Houseaulx3 !! »
LE CHAULDERONNIER
« Chaulderons à reffaire4 !! »
LE SAVETIER
« Souliers vieulx !! Houseaulx !! »
LE CHAULDERONNIER
Par saincte Avoye [et sainct Aquaire5] !
5 Ce savetier crye bien hault !
LE SAVETIER
Qu’esse que tu ditz, loquebault6 ?
Te fault-il avoir tant de plet7 ?
LE CHAULDERONNIER
Qu’esse qu’il te fault, [sottelet8,]
Très ort savetier députaire9 ?
10 « Chaulderons à reffaire !! »
LE SAVETIER
« Souliers vieulx !! Houseaulx !! »
En despit de toy entens-tu10 ?
LE CHAULDERONNIER
Et de quel aage les veulx-tu11,
Toy qui cryes en ce point hault ?
LE SAVETIER
15 « Souliers vieulx !! »
LE CHAULDERONNIER
« Argent m’y fault12 !! »
LE SAVETIER
Il m’en fault aussi !
LE CHAULDERONNIER
Quel corbault13 !
Veulx-tu faire du rigoleux14 ?
LE SAVETIER
Voylà : tu faictz, pour ung trou, deux15.
Et pource16 : tu as tant de plet !
LE CHAULDERONNIER
20 Et ! savetier infaict, pugnays17 !
Je te prie, beau sire : tays-toy !
LE SAVETIER
Je ne me tairay pas pour toy.
Dys18 du pis que tu pourras [dire] !
LE CHAULDERONNIER
Par bieu ! il me doit bien suffire :
25 M’a desmenty ung savetier ?
LE SAVETIER frappe
Je me veulx cy de toy vengier :
Pren cela, porte-lay19 bouillir !
LE CHAULDERONNIER
Où est mon [espée et mon bouclier]20 ?
[Malle Mort te puisse tenir !]21
LE SAVETIER [frappe]
30 Pren cela, porte-lay bouillir !
LE CHAULDERONNIER, frappant :
Pren cela, porte-lay rostir !
LE SAVETIER, frappant :
Pren cela et t’en va chier !
[ Pren cela, porte-lay bouillir !
LE CHAUDERONNIER
Où est mon espée et mon bouclier ? ]
[En frappant] 22 :
35 Tien cela et t’en va menger !
LE SAVETIER
Que tu es fol !
LE CHAUDERONNIER
Que tu es saige23 !
LE SAVETIER
Il est aussi ront qu(e) une bille24.
LE CHAUDERONNIER
Quant je te regarde au visaige,
Ce me semble la truye qui25 fille.
LE SAVETIER
40 Ton ventre est comme une sébille26 :
Ce me semble ung pillier qui tremble.
Oncques [h]uis27 de chesne ou de tremble
Ne fust plus dur28 : c’est [dure lame]29 !
LE CHAUDERONNIER
Vien çà, vien, savetier infâme !
45 Veulx-tu dancer, Happe-la-lune30 ?
LE SAVETIER
Dancer ? Et ! tu n’en sçais pas une31.
LE CHAUDERONNIER
Tais-toy, que n’ayes sur la teste32 !
LE SAVETIER
Par bieu ! j’ay couppé mainte teste,
Depuis que ne fus en bataille33.
LE CHAUDERONNIER
50 Il se mussa34 comme une caille,
Tant estoit hardy et vaillant.
LE SAVETIER
Vous y mentez, villain puant !
C’estoit pour faire l’avant-garde.
LE CHAUDERONNIER
Voire : au pot35 à la moustarde…
55 « Argent me fault !! Argent m’y fault !! »
LE SAVETIER
Or çà ! besongner il me fault.
Commencer me fault à ung bout36.
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LE TAVERNIER 37 SCÈNE II
« J’ay moust38, moust !!
Vin vermeil, [vin] cléret et blanc !!
60 Et si, n’est qu’à ung petit blanc39 !!
Et si, faict ‟ aller40 ” et parler !! »
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LE SAVETIER SCÈNE III
Mor bieu ! il nous y fault aller.
LE CHAUDERONNIER
Me veulx-tu tenir compaignie ?
LE SAVETIER
Puisque c’est pour croquer la pie41,
65 Allons-y trèstout42 maintenant !
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LE CHAUDERONNIER 43 SCÈNE IV
Sus, tavernier, venez avant !
Allez-nous bien tost du vin traire44 !
LE TAVERNIER
Or çà, quel vin voulez-vous boire ?
Vous en aurez incontinent.
70 Voulez-vous du rouge, ou du blanc,
Ou de Vanves, ou de Baygneux45 ?
LE SAVETIER
Nous en burons46 de tous les deux ;
Ne ferons pas ?
LE CHAUDERONNIER
M’aït Dieux47, voyre !
LE TAVERNIER
Voylà ung vin tant amoureux48 !
75 Vous diriez « c’est succre », à le boire.
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LE CHAUDERONNIER SCÈNE V
J’ay espérance de bien boire.
LE SAVETIER
Et moy, [j’]en empliray ma pance,
Car j’en auray meilleur(e) mémoire49.
LE CHAUDERONNIER
Et moy, meilleure patience.
LE SAVETIER
80 Tais-toy, nous en aurons dispense50.
LE CHAUDERONNIER
La mort bieu, voicy bien sifflé51 !
LE SAVETIER
Celluy qu’on boyt en la despence52
Est bien aultrement baptizé !
LE CHAUDERONNIER
Par m’âme53 ! tu ditz vérité.
85 Comptons54 !
LE SAVETIER
Je n’ay pas ung tournois55.
LE CHAUDERONNIER
Par les patins bieu56 ! je n’ay croix.
LE SAVETIER
Par mon [serment ! et]57 je n’ay pille.
Tastes-y58, se tu ne m’en croys.
LE CHAUDERONNIER
Par les patins bieu ! je n’ay croix.
90 Et toy ?
LE SAVETIER
Ouy dea : [j’en ay là] trois
Tous neufz59, à compter riffle-à-riffle.
LE CHAUDERONNIER
Par les patins bieu ! je n’ay croix.
LE SAVETIER
Par mon serment ! et je n’ay pille.
LE CHAUDERONNIER
Tout60 aussi vray que l’Évangille,
95 Nous demourrons (i)cy.
LE SAVETIER
Çà, ce pot61 !
Or çà, il nous fault dire ung mot
De chanson62, et je t’en supplye !
LE CHAUDERONNIER
Or, commençons à chère lye63
Tout maintenant ! Gaudéamus64 !
LE SAVETIER, en chantant 65 :
100 Je requiers au Dieu de lassus66
Qu’il nous envoye cent mille escus
Pour boire tousjours à plains potz !
LE CHAUDERONNIER, [en chantant :]
Te rogamus, audi nos !
LE SAVETIER
Tousjours puissons avoir assez
105 De tartres67, râtons et pastéz,
Rost[z] de perdris et videcoqz68 !
LE CHAUDERONNIER
Te rogamus, audi nos !
LE SAVETIER
Sire Dieu, faictz croistre les blédz
Affin que ne soyons trouvéz
110 En faisant la beste à deux dos69 !
LE CHAUDERONNIER
Te rogamus, audi nos !
LE SAVETIER
Jamais ne puisse tavernier
Vendre son vin plus d’ung denier :
Si en burons à voulenté.
LE CHAUDERONNIER
115 Libera nos, Domine !70
LE SAVETIER, en chantant :
Et quant l’hoste71 viendra compter,
Qu’il ne saiche nomplus72 parler
Que faict ung enfant nouveau-né !
LE CHAUDERONNIER
Libera nos, Domine !
LE SAVETIER
120 Ho ! il suffist, en vérité !
LE CHAUDERONNIER
Huchons l’hoste73, si compterons.
LE SAVETIER
Hoste !
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LE TAVERNIER SCÈNE VI
Qui est là74 ?
LE CHAUDERONNIER
Nous voulons
Sçavoir combien devons ensemble.
LE TAVERNIER
Et ! vous devez (comme il me semble)
125 Six solz, quatre deniers et maille75.
LE CHAUDERONNIER
Est-il vray ?
LE TAVERNIER
Ouy, sans [nulle] faille76 !
LE SAVETIER
Çà, mon hoste, je vous diray :
Demain au matin vous pairay.
De mon escot, il en est faict.
130 Pensez : j’en seray diligent.
LE TAVERNIER
Par ma foy ! il m’en fault argent,
Ne foy que [je] doy [à] sainct Christofle77 !
LE CHAUDERONNIER
Foy que [je] doy [à] sainct A[r]nofle78 !
Vous serez payé tout contant79.
135 Adieu !
LE TAVERNIER
Vous aurez ung sergent80,
Foy que doy à Dieu de lassus !
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LE SAVETIER 81 SCÈNE VII
Nostre hoste ferons bien camus82,
Se tu me veulx croyre.
LE CHAUDERONNIER
Comment ?
LE SAVETIER
Tu t’en yras hastivement
140 Habiller en guyse83 de femme.
Et je m’en iray, par mon âme,
(Entens-tu ?) faire le mallade ;
Et feray tant par ma ballade84,
Certes, que le feray desver85.
LE CHAULDERONN[I]ER
145 Or, pensons donc de le tromper.
Dépeschons-nous, il en est heure86.
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LE TAVERNIER 87 SCÈNE VIII
Il me semble que je demeure
Trop d’aller quérir mon argent.
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LE SAVETIER SCÈNE IX
Despeschons-nous légèrement88 !
150 Voicy nostre hoste icy près.
Le chauderonnier vest habit de femme,
et le savetier faict l’enraigé 89.
LE CHAULDERONNIER
Vienne qui vouldra : je suis prês.
LE SAVETIER
Aussi suis-je, par Nostre-Dame !
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LE TAVERNIER SCÈNE X
Holà !
LE CHAUDERONNIER, en femme.
Qui est là ?
LE TAVERNIER
Dieu gard, dame !
Vostre mary est-il céans ?
LE CHAULDERONNIER, [en femme.]
155 Hélas ! il est tout hors du sens.
Je ne sçay qu’il90 luy peult faloir.
LE TAVERNIER
Comment ? Pourroit-il bien avoir
La malladie sainct Aquaire91 ?
LE SAVETIER vient, comme enraigé.
Et frappe, et dit :
[Arrière, arrière, arrière, arrière]92 !
160 Voylà là malle bestïolle93.
Par la mortbieu, elle s’en volle94 !
A, dea ! Je l’auray, par ce « point95 ».
LE TAVERNIER
Beau sire, vous souvient[-il] point
Qu(e) arsoir96, à soupper, vous prestay97
165 Six soulz, quatre98 deniers ?
LE CHAULDERONNIER, en femme.
À qui, à moy ?
LE TAVERNIER 99
Vous [b]eustes trois quartes, hïer100.
LE SAVETIER [comme enraigé.]
Voylà le clocher Sainct-Sever101
Qui tremble de senglantes fièbvres ;
Et vous allez chasser aux lièpvres102 ?
170 Haro103, haro ! Hau, je le voy !
LE CHAULDERONNIER, en femme.
Qu’il vous souvienne de la foy
De Jésus, qui mourut pour nous104 !
LE SAVETIER, [comme enraigé.]
Regardez : que de loups-garoux !
LE CHAULDERONNIER, [en femme.]
[Et] où sont-ilz ?
LE SAVETIER
En ce quignet105.
Le savetier frappe sur le tavernier et sus
le chaulderonnier, et dit en chantant :
175 Au jolys boucquet 106…
Tenez : par ma foy, il s’en volle107 !
LE TAVERNIER
Ha ! tenez-lay, qu’il ne m’affolle108 !
Morbieu, j’ay eu belle vésarde109 !
LE SAVETIER
Et ! venez çà, vieille paillarde110 !
LE CHAULDERONNIER, en femme.
180 [Laissez cela]111, paillart infâme !
LE SAVETIER, chantant :
Hé ! faulx villain112, tant tu as belle femme !
La morbieu ! je seray gendarme113 :
Je te turay, se tu viens cy !
LE TAVERNIER
Pour Dieu, tenez vostre mary,
185 Puisqu’il est ainsi enragé !
La mort bieu ! je seray payé
Ou jà n’yray hors de céans !
Prestez vostre argent à telz gens
Qui n’ont pas vaillant ung festu114 !
190 Encores ay-je esté battu ;
Qui pis vault, j’ay esté trompé.
LE SAVETIER
Par ma foy ! je suis eschappé115
[De luy payer son vin cléret.]
LE CHAULDERONNIER
Je veulx qu’on m’appelle Huet116
195 Se, de moy, il a jà tournoys !
LE TAVERNIER
Adieu, Messïeurs ! Je m’en voys117.
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LE CHAULDERONNIER 118 SCÈNE XI
Par la morbieu ! tu m’as blessé.
LE SAVETIER 119
[Moy ?] Et comment ?
LE CHAULDERONNIER
Tu m’as frappé
Si grant coup dessus la cervelle !
LE SAVETIER
200 Mais ne l’ay-je pas bien farcé120 ?
LE CHAULDERONNIER
Par mon serment, il l’a [eue] belle121 !
Je ne sçay comment on l’apelle,
Se ce n’est Martin de Cambray122.
LE SAVETIER
Allons-nous-en !
LE CHAULDERONNIER
Où ?
LE SAVETIER
Je ne sçay.
LE CHAULDERONNIER
205 En ceste rue aurons nouvelles,
Car le chemin demanderé123.
LE SAVETIER
[Mais] s’il vous plaist, prenez en gré124 !
Adieu, dames et damoyselles125 !
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FINIS
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1 [Seigneur,] nous t’implorons, écoute-nous ! Ce titre sert de refrain aux quatrains des vers 100-111. 2 Il arpente la rue, avec un sac sur le dos, et pousse le « cri » public de sa profession, comme sur cette image. En face de lui, un chaudronnier ambulant fait la même chose, ce qui nous vaut une de ces disputes entre commerçants dont les spectateurs étaient friands : voir par exemple le Pardonneur où, comme ici, les deux rivaux se mettront d’accord en allant boire gratis dans une taverne. 3 Bottes. « Je criray icy : ‟Houseaulx vieulx !/ Soulliers vieulx !” » (Le Savetier Audin.) Dans les farces, les cris de métiers n’obéissent pas toujours à l’octosyllabe. 4 Cri des chaudronniers ambulants. « N’avez-vous chaudron à reffaire ? » Le Chauldronnier. 5 Lacune. Saint Acaire, le patron des fous, est nommé au vers 158. Quant à sainte Avoye, elle devait crier très fort, « étant ‟sainte à voix” », comme nous le révèle Jacques Merceron dans son Dictionnaire des saints imaginaires et facétieux, p. 977. En outre, Merceron signale p. 976 que « saint Avoie (…) est ‟le saint qui a voix” ». 6 Loqueteux. Cf. les Femmes qui plantent leurs maris, vers 578. 7 De plaid, de bagout. Idem vers 19. 8 Lacune. « Maistre sotelet éventé ! » Guillerme qui mengea les figues. 9 BM : pugnais (De basse extraction. « Bon ribaut députaire. » Le Patinier, F 35.) 10 Est-ce que tu m’entends malgré toi ? 11 De quel âge veux-tu des souliers « vieux » ? 12 C’est le cri des émouleurs, mais il peut servir à tout homme qui manque d’argent. Cf. la Pippée, vers 166, 171, 175 et 181. 13 Quel corbeau, quel croasseur. 14 Prononciation normande de « rigoleur » : mauvais plaisant. 15 Au lieu de colmater un trou dans un chaudron, tu en fais deux. « Je suis si bon ouvrier/ Que, pour un trou, je sçay deulx faire. » Le Chauldronnier. 16 Et pour cause. 17 Punais, puant. Les savetiers, qui manipulent de vieilles semelles et de la poix, sont très sales : « Savetier plain de punaysie. » La Laitière. 18 BM : Fays (Dis ce que tu pourras dire de plus grave. « Quant on est fasché, on dit du pis que l’on peult. » Pierre Ragu.) 19 Porte-le. Même pronom normand dans la suite de ce triolet, ainsi qu’au vers 177. Nos deux larrons s’expriment comme les bourreaux de plusieurs Mystères : « Portez-le boullir,/ Rostir, ou faire des pastéz ! » Mistère de la Conception. 20 BM : bouclier et mon espee (Correction d’André TISSIER : Recueil de farces, t. II, 1987, pp. 201-226.) « Où est » se prononce « wé » en 1 syllabe, et on scandait « bou-clier » en 2 syllabes. Le chaudronnier s’arme d’une cuillère à pot et d’un couvercle de casserole, qui font partie de son attirail professionnel. 21 Il manque le 3e vers de ce triolet lacunaire : AB(a)Aab(AB). Je lui supplée le vers 313 des Trois amoureux de la croix, une autre farce normande dont le vocabulaire présente quelques analogies avec celle-ci. 22 BM : le chauderonnier en femme. (Cette didascalie n’intervient qu’à partir du vers 153.) 23 Constatation ironique. « –Vous estes fol ! –Vous estes sage ! » L’Arbalestre. 24 Il est obèse à force de boire du vin. 25 BM : que (La Truie que file est cantonnée au sud de la Loire : Nîmes, Arles, etc. Plus au Nord, on disait « qui ».) Cette enseigne représentait une grosse truie tenant une quenouille. On la croisait dans d’innombrables villes : Bourges, Arras, Angers, Reims, Paris, Le Mans, etc. La truie qui file donna son nom à plusieurs rues qui existent toujours. À Rouen, elle servait d’enseigne à un tisserand, rue Martainville. Cette cochonne grassouillette prêtait à des comparaisons peu flatteuses ; Charles Fontaine la mit à contribution pour railler le style ampoulé d’un ennemi de Marot : « Quant à part moy je regarde le stille/ De ce Sagon, grand asnier maigre et sec,/ Il me souvient d’une truye qui file. » 26 Une sébile, une coupe ronde. 27 Jamais une porte cochère en bois. 28 BM : dure/ 29 BM : une enclume. (Voir la note d’André Tissier.) Lame = pierre tombale : « Dessoubz la dure lame/ Fut enterré. » Clément Marot. 30 Ahuri. Cf. la Résurrection Jénin à Paulme, vers 200 et note. 31 Tu ne connais pas une seule chanson pour me faire danser. Le répertoire vocal des savetiers est intarissable : voir par exemple les 36 chansons du savetier Calbain. 32 Que tu ne reçoives des coups. « De mon poing aurez sur la teste ! » Le Raporteur. 33 Depuis la fin de la guerre où j’ai combattu. Les paroisses normandes envoyaient des civils accomplir une sorte de service militaire dans une compagnie de francs-archers : voir la note 27 des Frans-archiers qui vont à Naples. La locution « depuis que ne fus » traduit une action révolue dont l’effet se poursuit encore : « Regardez comme il a changé,/ Depuis qu’il ne fut à nourrice. » (D’un qui se fait examiner.) André Tissier a donc tort de remplacer « ne » par « je ». 34 Il se cacha à l’abri des combats. « Je ne sçay par où je me musse ! » Maistre Mymin qui va à la guerre. 35 Au pot de chambre. La moutarde symbolise les excréments : cf. les Rapporteurs, vers 280 et note. Bref, le savetier eut la « trouille », au sens propre et au sens figuré. 36 Tout de suite. 37 Devant sa taverne, il pousse le « cri » de sa profession. 38 Du moût, du vin fruité. « L’on a crié du moûlt de Rin. » Le Clerc qui fut refusé. 39 Et pourtant, il ne coûte qu’un sou. « Vin blanc,/ Rouge, cléret, tout à un blanc. » (Le Savatier et Marguet.) Le clairet est un vin rosé. 40 Et même, il fait aller à la selle : il combat la constipation. « Au bon vin cler avalle, avalle,/ Qui fait aller et parler. » Ung Fol changant divers propos. 41 Pour avaler du vin. « Le prescheur va croquer la pye. » Sermon joyeux de bien boire. 42 BM : trestous (Immédiatement. « Je m’y en voy tout maintenant. » Le Tesmoing.) 43 Il s’assied à la table de la taverne, avec son complice. 44 Allez vite tirer du vin au tonneau. Rime avec « baire », à la manière normande : « Du meilleur vin y veulent baire. » La Muse normande. 45 De Bagneux. L’auteur rouennais dénigre ces vins de la région parisienne, qui ne coûtent pas cher parce qu’ils ne valent rien. 46 Nous en boirons. Idem vers 114. Cette forme est notamment usitée en Normandie : cf. les Brus, vers 127. 47 M’aid Dieu : que Dieu m’assiste ! La diérèse est surtout normande : cf. la Confession Rifflart, vers 124, 219 et 265. 48 Digne d’être aimé. « Que dictes-vous de mon vin blanc ?/ Est-il friant et amoureux ? » Le Capitaine Mal-en-point. 49 Le vin est censé augmenter la mémoire. « Me donnez à boyre :/ J’en eusse ung peu meilleur mémoyre. » Trote-menu et Mirre-loret. 50 Une autorisation spéciale. « Bons beuveurs ont dispense. » (Godefroy.) Le savetier vide son gobelet d’un trait. 51 Bu. « À bien sifler ne faulx jamais. » (Le Retraict.) Nous disons toujours : Siffler un verre. 52 À la cave : « Du vin qui est en la despense. » (Sermon joyeux de bien boire.) Dans les collèges et les séminaires, le responsable de la dépense « baptise » le vin en y versant de l’eau : cf. Maistre Jehan Jénin, vers 165-7. 53 BM : mon ame (Cf. le Pourpoint rétréchy, vers 14, 771, 800, 817.) 54 Comptons l’argent dont nous disposons. Les deux buveurs se fouillent vainement. 55 Un sou. Idem vers 195. 56 Par les semelles de Dieu : euphémisme pour éviter de jurer par les plaies de Dieu. Toujours dans le registre vestimentaire, on jurait aussi « par la tocque bieu ». (La Mauvaistié des femmes.) La croix est une pièce de monnaie dont le côté face est frappé d’une croix. 57 BM : dieu (Correction Tissier, d’après le refrain de 93.) N’avoir ni croix ni pile = N’avoir pas un sou. « Je n’ay ne crois ne pille », comme l’avouent les clochards de la farce des Coquins (F 53) lorsqu’ils doivent régler le tavernier. 58 Mets ta main dans ma braguette. Sur la coutume qu’ont les hommes de cacher leur argent dans leur braguette, voir Saincte-Caquette, vers 424 et note. 59 J’ai 3 écus tous neufs. On use de cette plaisanterie pour dire qu’on n’a pas d’argent. « Ouy dea, il en a troyz tout neufz ! » (La Pippée.) Riffle-à-riffle = avec parcimonie. On dit plutôt « ric-à-ric » : cf. le Résolu, vers 15 et note. 60 BM : Pour (« Tout aussi vray que l’Évangille,/ Elle le fera. » Serre-porte.) 61 Passe-moi le pot de vin. Le savetier le vide jusqu’à la dernière goutte. 62 Nous allons chanter. « Je vous supply que vous et moy/ Nous disons ung mot de chanson. » Deux hommes et leurs deux femmes. 63 Avec une figure épanouie. « Si, vueil chanter à chière lye. » La Confession Rifflart. 64 Réjouissons-nous. « Gaudeamus ! Vive bon temps ! » (Les Sotz qui remetent en point Bon Temps.) Peut-être avons-nous affaire à un titre : beaucoup de chansons d’étudiants s’intitulaient Gaudeamus, et leur refrain était en latin, comme ici. 65 Cette chanson n’est pas connue, mais on en chante une autre aux vers 435-472 du Pèlerinage de Mariage*, avec la même structure en quatrains aabB et le même refrain. *Cette farce sera jouée en 1556 à Rouen. 66 De là-haut. Idem vers 136. On exigeait de Dieu des espèces sonnantes et trébuchantes : « Dieu gard les gallans ! Et vous doint/ À ung chascun cent mile escus ! » Les Coppieurs et Lardeurs. 67 De tartes : cf. Jehan qui de tout se mesle, vers 144. Les rastons sont des crêpes : « Rastons, tartes, gasteaux. » ATILF. 68 Coqs de bruyère. Ce mot vient de Picardie, de même que le raston du vers précédent et le burons normanno-picard de 114 (cf. le Pourpoint rétréchy, vers 64, 388 et 881) : cette chanson pourrait donc être picarde. 69 Seigneur, fais en sorte que l’herbe soit assez haute pour cacher les couples qui forniquent dans les champs. Ce vers et le refrain figurent dans le Pèlerinage de Mariage : « Qu’aultres ne leur batent les cus/ Et facent leurs maris coqus/ En faisant la beste à deulx dos,/ Te rogamus, audi nos ! » 70 Libère-nous, Seigneur ! Même refrain pour les quatrains 398-434 du Pèlerinage de Mariage, et pour les quatrains 54-65 des Trois nouveaulx martirs (F 40). Les tercets 66-75 de cette farce normande ont pour refrain « te rogamus, audi nos ». 71 L’hôtelier, l’aubergiste. Idem vers 121, 122, 127, etc. 72 Pas plus. « Il ne ramonne plus/ Non plus q’un enfant nouveau-né. » Le Ramonneur de cheminées. 73 Appelons le tavernier. 74 Que désirez-vous ? 75 Et 1 centime. 76 Sans aucun doute. « Que vous sachez sans nulle faille/ Qu’il ne s’en fauldra une maille. » L’Aveugle et Saudret. 77 « Foy que je doy à saint Amant ! » (Les Trois amoureux de la croix.) Même tournure archaïque aux vers 133 et 136. 78 Saint Arnoul, patron des maris trompés. Ce n’est pas un hasard si Molière a baptisé « Arnolphe » le cocu de l’Escole des femmes ; voir la note de Tissier. 79 « Payé en sera tout comptant. » Le Raporteur. 80 Je vais vous faire assigner en justice par un sergent. 81 ACTE 2. Nous sommes le lendemain matin (vers 128 et 164), chez le savetier, puisque c’est lui qui a promis de défrayer le tavernier. 82 Penaud, piteux. 83 En manière. « Vous vestir en guise de prestre. » Les Trois amoureux de la croix. 84 Par mes balivernes. « Que je racontasse bourderies ne des balladeries. » Godefroy. 85 Devenir fou. 86 BM : temps. (« Metz-moy dedens, il en est heure. » Cautelleux, Barat et le Villain.) 87 L’auteur démarque la scène de Pathelin (vers 498-986) où le drapier se rend chez son emprunteur pour lui réclamer l’argent qu’il lui doit. 88 Rapidement. « Qu’on s’avance/ Légèrement ! Despeschons-nous ! » (La Nourrisse et la Chambèrière.) Le savetier regarde par la fenêtre et voit approcher le tavernier. 89 BM : lenraiger. (L’enragé, le possédé du diable.) Le chaudronnier s’approprie la robe et la coiffe de la défunte épouse du savetier, lequel se cache derrière le rideau de fond, après avoir ébouriffé ses cheveux pour mieux jouer le rôle d’un « démoniacle » : voir la note 91 du Cousturier et Ésopet. 90 Ce qu’il. 91 « Mal de saint Acaire : opiniastreté, humeur acariastre. » (Antoine Oudin.) « Du mal monseigneur saint Aquaire/ Puisse-tu estre tourmenté ! » La Mauvaistié des femmes. 92 BM : Aquatre/aquatre/aquatre/ (« Arrière ! » est le cri des charlatans qui attirent la foule en lui faisant croire que ce qu’ils montrent est d’essence diabolique. « Arière, arière, arière, arière ! » Le Bateleur.) 93 BM : bestialle (La mauvaise bête désigne l’Antéchrist : cf. la Fille bastelierre, vers 90 et note.) 94 On représente les démons avec des ailes de chauve-souris. « Vélà ung moisne noir qui vole ! » Farce de Pathelin. 95 De cette manière. Jeu de mots sur « poing ». Le savetier frappe le tavernier. 96 Que hier soir. « Je beu tant, arsoir, à souper. » Les Maraux enchesnéz. 97 BM : preste (Je vous prêtai : je vous fis crédit.) Rime avec « mai », à la manière normande : « –Qui esse là ? –C’est mé ! » Messire Jehan. 98 BM : trois (Voir le vers 125.) 99 BM ajoute dessous : Pas ne le nyez (L’éditeur parisien, qui n’a pas repéré la rime normande « mai », introduit une rime plus commune, au détriment de la mesure.) 100 BM : de vin (Vous avez bu 3 pichets hier soir. « Fort vin beustes hïer. » Aye d’Avignon.) 101 BM : sainct seuerain (L’ancienne église Saint-Sever de Rouen fut terminée en 1538. L’éditeur parisien ajoute 3 lettres à son nom pour former celui d’une église de Paris.) 102 Alors qu’on sonne la messe, vous allez à la chasse ? Double sens : Vous allez vous gaver de viande ? « Faites ces mains chasser aux lièvres,/ L’une au plat et l’autre aux baulièvres ! » Le Capitaine Mal-en-point. 103 C’est un des hurlements que poussent les diables des Mystères. Dans le Munyer, Lucifer s’exclame : « Haro ! deables d’Enffer ! » Voir la note de Tissier. 104 Emprunt à la farce normande du Testament Pathelin, où l’épouse dit au moribond : « Souvienne-vous du Roy des Cieulx/ Qui, pour nous, en croix, mort souffrit. » 105 Dans ce recoin. Les démons hantent volontiers la maison des pécheurs. BM descend cette réplique sous la didascalie. 106 Bosquet. « Au joly bocquet/ Croist la violette. » Pour s’en tenir au théâtre, cette chanson résonne dans la moralité des Enfans de Maintenant (BM 51) et dans celle des Enfans ingratz, ainsi que dans le Mystère de saint Sébastien. 107 Le savetier frappe le tavernier pour l’empêcher de « s’envoler ». 108 De peur qu’il ne m’assomme de coups. Cf. Serre-porte, vers 197 ; dans cette farce où la taverne joue un rôle primordial, un savetier revêt les habits de sa propre épouse et cogne sur des hommes. 109 Frayeur. « J’eusse eu belle vésarde ! » Beaucop-veoir et Joyeulx-soudain. 110 Il tente de trousser sa prétendue femme. 111 BM : Et ca (Formule de refus que les femmes honnêtes réservent à leur mari : « –Çà, la bouchette !/ –Laissez cela ! » Jolyet.) 112 Paysan matois : « Me marier/ À ce faulx villain. » (La Fontaine de Jouvence.) Probable rappel d’une chanson de Jehan L’Héritier, publiée en 1530 puis en 1535 : « Jan, petit Jan, quant tu as belle femme,/ Garde-la bien mais n’en soys point jaleux. » Je ne serais pas surpris que le savetier, qui fait tout pour embarrasser son concurrent de la veille, chante : « Tant tu es belle femme. » 113 Soldat. « Je seray gendarme parfaict. » (Troys Gallans et Phlipot.) Le savetier se jette à nouveau sur le tavernier. 114 Qui n’ont pas même un fétu de paille. Le tavernier vient de reconnaître le chaudronnier travesti, et comprend qu’on l’a berné. Il se dirige vers la porte. 115 Dispensé. « Dieu mercy, je suys eschapé/ De craincte et de douleur mortelle. » (Lucas Sergent.) Le vers suivant est perdu. 116 Je veux bien qu’on me traite de nigaud. « Si j’y metz, de l’année, le pié,/ Je vueil qu’on m’appelle Huet ! » (Les Enfans de Borgneux.) Le chaudronnier retire sa coiffe et recommence à parler de lui au masculin : Guillemette redevient Huet. 117 Je m’en vais. Le tavernier se retire. Son « messieurs » n’est pas destiné aux spectateurs mais au couple d’hommes. 118 BM : sauetier. (Le chaudronnier a été blessé par son prétendu mari au vers 175.) 119 BM : tauernier. (Le tavernier vient de partir.) 120 Abusé, ridiculisé. 121 On la lui a baillée belle. « Par le sang bieu, nous l’avons belle ! » Les Botines Gaultier. 122 Les Normands donnaient ce nom à des dupes : cf. les Trois amoureux de la croix, vers 203 et note. Une farce normande s’intitule Martin de Cambray (F 41). 123 BM : demanderons. (Je demanderai.) L’éditeur a fait ce que font tous les éditeurs quand ils perdent le dernier feuillet de leur manuscrit de base : il l’a remplacé par la fin d’une autre pièce. Et donc, il a donné les noms de nos personnages à deux maraudeurs sans abri, qui ne connaissent pas la ville dans laquelle ils errent. 124 Ce vers, tel que je le complète, est le vers 94 de Jehan qui de tout se mesle. 125 Après avoir féminisé son compagnon de beuverie, le savetier féminise les spectateurs.
LE POURPOINT RÉTRÉCHY
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LE POURPOINT
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RÉTRÉCHY
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Ce Pourpoint rétréci1 est l’une des nombreuses et excellentes pièces que des fatistes picards composèrent pour Paris2 dans le premier tiers du XVIe siècle : voir la notice du Mince de quaire. Celle-ci a l’ampleur de deux longues farces ; mais si elle commence comme une farce, elle finit comme une tragédie.
Source : Recueil de Florence, nº 44.
Structure : Rimes plates.
Cette édition : Cliquer sur Préface. (Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.) Le nombre considérable de particularismes picards m’oblige à inclure une traduction juxtalinéaire pour ne pas surcharger les notes.
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Farce nouvelle très
bonne et fort joyeuse
À .III. personnaiges3, c’est assavoir :
RICHARD [NÉGOCE]
GAULTIER [SAULCERON]
TIERRY [MÂCHOUE]
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LE POURPOINT RÉTRÉCHY.
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La farce du Pourpoint rétréchy, trèsjoyeuse.
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RICHART commence 4 RICHARD SCÈNE I
Sang bieu ! es-tu desjà levé ? Sambleu ! tu es déjà levé ?
Tu n’as pas encore achevé Tu n’as pas encore achevé
De dormir ton vin. De cuver ton vin.
GAULTIER GAUTIER
Tu dis bien. Tu as raison.
Et toy, as-tu dormy le tien ? Et toi, as-tu cuvé le tien ?
5 Par le sang de moy ! tu estoyes Bon sang ! tu étais
Si yvre que tu ne sçavoyes Si ivre que tu ne savais plus
Dire ne « papa » ne « menmen5 ». Dire « papa » ni « maman ».
RICHARD RICHARD
Maudit soit il qui en men[t] ! Maudit soit ce menteur !
GAULTIER GAUTIER
Amen6 ! Amen !
Or, prenez qu’ainsi soit il, beau sire : Supposez qu’il en soit ainsi, beau sire :
10 Mais que gaignez-vous ad ce dire ? Mais que gagnez-vous à l’avouer ?
Je me fois fort7 qu’il me souvient Je me vante de me souvenir
— Puisque8 dire le me convient — — Puisqu’il faut que je le dise —
De trèstout quanque9 je fais[i]on De tout ce que je faisais
[Arsoir10]. Hier soir.
RICHARD RICHARD
Par m’âme ! je baision11 Par mon âme !
15 Plus souvent que chat ne se mouche12 Plus souvent qu’un chat ne se mouche,
Les hanaps. J’embrassais les coupes.
GAULTIER GAUTIER
Et voire, o13 la bouche, Et même, avec la bouche,
Je beu[vion] tant que j’en suis mate14. Je buvais tant que j’en suis moite.
RICHARD RICHARD
Il n’y avoit ne pié ne paste15 Il n’y avait personne
Qui ne fust yvre, à nostre16 feste ; Qui ne soit ivre, à notre fête ;
20 Fors moy, qui hurté de la teste Sauf moi, qui me suis cogné la tête
Tant que je cheu sur les thisons. Au point de choir sur les tisons de l’âtre.
GAULTIER GAUTIER
Je te prie que nous advisons17 Avisons, je te prie,
Où les gallans desjeuneront : Où nous déjeunerons :
Car certes le ventre me rompt Car, certes, mon ventre se creuse
25 (Ce m’est advis) par cy endroit. Par ici, à mon avis.
RICHARD RICHARD
Et, par saint Jaques ! Qui prendroit Eh, par saint Jacques ! Si nous soignions
Du poil de chien18, à ce matin, Le mal par le mal, ce matin,
Ce ne seroit pas faulx latin19 : Ce ne serait pas abusif :
Car je me médecine à boyre Car je me soigne en buvant
30 Du meilleur vin, certes. Du meilleur vin, certes.
GAULTIER GAUTIER
Et ! voire. C’est sûr.
Mais il nous [y] faulsist ung tiers20. Mais il nous faudrait un troisième.
RICHARD RICHARD
Cestuy y vendra21 vollentiers, Il viendra volontiers, celui
D’arsoir. D’hier soir.
GAULTIER GAUTIER
Qui ? Colin Renbouré22 ? Qui ? Colin le rembourré ?
RICHARD RICHARD
Hahay ! nenny : je ne pouré Ha ! non : car je ne pourrais pas
35 Assener ung pet en sa joue23. Flanquer un pet entre ses deux joues.
C’est ce meschant Tierry Mâchoue24 ; Je parle de ce vilain Thierry Mâchoue.
[Moy,] je n’y pou[r]oye advenir. Moi, je ne pourrais pas payer.
GAULTIER GAUTIER
Tierry ? Il n’y pourroit venir Thierry ? Pardieu ! il ne pourrait venir
(Se m’aist Dieux25) n’en pièce, n’en pose26. Ni en personne, ni en peinture.
RICHARD RICHARD
40 Non ? Et pourquoy ? Non ? Et pourquoi ?
GAULTIER GAUTIER
Il se repose Il se repose
En son lict et reposera ; Dans son lit et il continuera ;
Et dict qu’il ne besongnera Et il dit qu’il ne fera aucune besogne
Anuyt27 qu’il ne soit près de nonne. Aujourd’hui avant midi.
RICHARD RICHARD
Il a la seconde personne28, Il a le second rôle,
45 Doncques, puisqu’il ne s’est levé ; Donc, puisqu’il ne s’est pas levé ;
Ou il fut, arsoir, abruvé29 Ou bien il fut, hier soir, abreuvé
Ung petit plus qu’i ne soulloit. Un peu plus qu’il n’avait coutume.
Car j’ay apprins qu’il se soûloit30 Car j’ai appris qu’il se soûlait
Tous les jours avant qu’il allast Tous les jours avant d’aller
50 Nulle part31 et qu’il se gallast, Quelque part, ni de s’amuser,
Ne qu’il entrast en la taverne. Ni d’entrer à la taverne.
GAULTIER GAUTIER
Dieu scet comment il se gouverne Dieu sait comment il se comporte
Dedans son lit en paillardoys32 ! Dans son lit, en paresseux !
Par Dieu ! se tu le regardoys, Pardieu ! si tu le regardais,
55 Je sçay bien qu’il te fero[i]t rire : Je sais bien qu’il te ferait rire :
Il romfle, il soufle [et] il souppire Il ronfle, il souffle et il soupire
Par emblées33 en esternuant, Bruyamment en éternuant,
Tellement qu’il sent si puant Tellement que ça pue beaucoup
En sa chambre. Dans sa chambre.
RICHARD RICHARD
Dort-il encores ? Dort-il encore ?
GAULTIER GAUTIER
60 Ouÿ, par Dieu ! J’en venoye ores Oui, par Dieu ! J’en venais juste
Ung peu davant que tu venisse[s]. Un peu avant que tu n’arrives.
RICHARD RICHARD
Allons le prendre par les cuisses34 Allons le soulever par les cuisses
(Dy-je bien ?), et le traîneron (Dis-je bien ?), et nous le traînerons
En la taverne : et si, buron À la taverne : et ainsi, nous boirons
65 Sur sa robbe35 trois solz ou quatre. À ses frais pour 3 ou 4 sous.
GAULTIER GAUTIER
Pour le faire bien fort débatre, Pour le faire enrager bien fort,
Je te pry que nous advisons Je te prie que nous avisions
Comment bien le cabuserons, Comment nous le bernerons bien,
Qu’il en soit à long temps mémoire. Pour qu’on s’en souvienne longtemps.
RICHARD RICHARD
70 Par saint Mor ! Faisons-luy acroyre Par saint Maur ! Faisons-lui croire
Qu’il a tonné et esparty36 Qu’il y a eu du tonnerre et des éclairs
Si fort, que le ciel est party37 ; Si forts que le ciel s’est ouvert en deux ;
Et tant, qu’il est bien cheu à terre Tellement qu’il est bien tombé sur terre
Deux cens mille anges ; et saint Pierre 200 000 anges ; et saint Pierre
75 Chéoit, s’il ne se fust bien tenu Serait tombé, s’il ne s’était tenu
Au mantel Dieu, qui est venu, Au manteau de Dieu, qui est venu,
Et en chéant, le releva. Et qui le releva dans sa chute.
Et dirons que le monde va Et nous lui dirons que tout le monde va
À miracles véoir les anges Par merveille voir les anges,
80 Pource que ce sont gens estranges. Parce que ce sont des gens étranges.
Et je te prometz qu’il yra. Et je te promets qu’il ira.
GAULTIER GAUTIER
Voire. Mais quant on luy dira, D’accord. Mais quand on le lui dira,
Il ne fauldra point que l’en rie. Il ne faudra pas qu’on rie.
RICHARD RICHARD
Ha ! non, par la Vierge Marie ! Ha ! non, par la Vierge Marie !
85 Mais l’afermer38 comme Évangille. Mais l’affirmer comme parole d’Évangile.
C’e[st] qu’ilz estoient bien cent mille C’est qu’ils étaient bien 100 000
Anges au39 mains, ou troys ou quatre, Anges au moins, ou trois ou quatre,
Qui s’aloient arsoir40 esbatre ; Qui allaient hier soir se divertir ;
Et [tout] ainsi comme ilz courroient, Et tandis qu’ils courraient,
90 La nue sur quoy ilz estoient Le nuage sur lequel ils étaient
Cheut à terre [tout d’une tire41]. Tomba sur terre tout d’un coup.
GAULTIER GAUTIER
C’est bien dit. Et luy faudra dire C’est bien dit. Et il faudra lui dire
Que les povres anges gravissent42 Que les pauvres anges escaladent
Les montaignes affin qu’ilz puissent Les montagnes afin de pouvoir
95 Arrière remonter ès cieulx. Remonter dans les cieux.
Et y en a jà sur les haulx lieux Et il y en a déjà sur les hauteurs
Comme sur les tours Nostre-Dame. Comme les tours de Notre-Dame.
RICHARD RICHARD
Et ! par le péril de mon âme ! Eh ! par mon âme !
C’est si bien dit qu’il n’y fault rien. C’est si bien dit qu’il n’y manque rien.
100 Au tertre de Mont Valérien, Au sommet du Mont Valérien,
Sont jà montés sur l’ermitaige43 Sont déjà montés sur l’ermitage
Tel nombre d’anges que c’est raige, Un tel nombre d’anges que c’est fou,
Si trèsbeaux et si très précïeux. Si beaux et si vénérables.
Et dirons qu’on voyt Dieu, des cieux Et nous lui dirons qu’on voit Dieu,
105 De là-dessus, chantant la messe. Du haut des cieux, chanter la messe.
GAULTIER GAUTIER
Or seroit-ce trop grant simplesse Ce serait une trop grande crédulité
À luy de croyre tel baierie44. De sa part que de croire un tel baratin.
RICHARD RICHARD
Non seroit, par sainte Marie ! Non, par sainte Marie !
Ne luy fi-ge pas entendant45 Ne lui fis-je pas croire
110 Arsoir mesmes, en actendant, Hier soir même, en attendant le vin,
Que l’en avoit, ceste sepmaine, Qu’on avait cette semaine
Pesché trois harencs sortz en Seine Pêché trois harengs saurs dans la Seine,
Tous vifs46 ; et devoient deux andoulles Vivants, et que deux andouilles devaient
Jouster contre eulx de leurs queno[u]illes ; Jouter contre eux avec leur quenouille ?
115 Et doibt Karesme-prenant47 estre Et que Mardi-gras doit être
Leur juge (aussi est-il leur maistre). Leur arbitre, car il est leur maître ?
Mais il m’en croyoit plainement. Mais Thierry me croyait pleinement.
Et puis luy dis si, proprement, Et puis je lui dis aussi, littéralement,
Que les .XV. Vings48 appreno[i]ent Que les aveugles apprenaient
120 Mestier49, et que les ungs estoient Un métier, et que les uns étaient
Cousturiers et poigneurs50 d’alesne ; Couturiers et cordonniers ;
Et les aultres, clercs de taverne51 ; Et les autres, serveurs de tavernes ;
Et d’aultres — ung grant cariaige — Et d’autres — une pleine charrette —
Si bons barbiers que c’estoit raige ; Si bons barbiers que c’était fou ;
125 Et les aultres, faiseurs de greaulx52… Et les autres, faiseurs de graux…
GAULTIER GAUTIER
[Quoy ?] Comment dea ? Quoi ? Comment ?
RICHARD RICHARD
« Graveurs de seaulx », « Graveurs de sceaux »,
Et si bons osteurs de sirons53 Et si bons piqueurs de pustules
Que merveille ! Que c’est prodigieux !
GAULTIER GAUTIER
Nous luy dirons Nous dirons à Thierry
Une chose plus évident : Une chose plus crédible :
130 Dy-luy que je suis président Dis-lui que je suis président
En Parlement, ou chancelier, Au Parlement, ou chancelier,
Et suis mussé en ung cellier Et que je me suis caché dans un cellier
Pour ce que je ne le vueil estre ; Parce que je ne veux plus l’être ;
Et par ma foy, le gentil maistre Et par ma foi, notre gentil maître
135 L’yra impétrer pour luy54. Ira demander cette charge pour lui.
RICHARD RICHARD
Voire, Certes,
Jamais [il] ne m’en vouldroit croire55. Jamais il ne voudrait me croire.
Pensons une aultre tromperie. Pensons à une autre tromperie.
GAULTIER GAUTIER
Vécy quoy, par saincte Marie ! En voici une, par sainte Marie !
Vien çà : nous lui demanderon Approche : nous lui demanderons
140 Son songe, et l[uy] exposeron De raconter son rêve, et nous lui dirons
— Quelconque chose qu’il nous dye — — Quoi qu’il nous raconte —
Que c’est signe de maladie. Que c’est un signe de maladie.
Et si, luy ferons entendant Et même, nous lui ferons croire
Qu’il s’en yra par le pendant56 Qu’il finira pendu
145 — Et que son songe le devise — — Et que son rêve l’atteste —
S’il ne se boute57 en franchise S’il ne se réfugie en religion
Tantost, tout nud, sans arrester, Bien vite, tout nu, sans tarder,
Et qu’il se voise apprester58 Et qu’il aille se faire prêtre
Au moustier. Et nous porteron Au monastère. Et nous lui apporterons
150 À lui sa robe. Sa robe.
RICHARD RICHARD
Non feron : Nous ne la lui apporterons pas :
Nous la porteron aultre part59, Nous la porterons ailleurs,
Et sçaurons chacun d’une part, Et saurons, en ayant chacun sa part,
Tout au long, ce qu’elle vauldra. Combien elle vaut de haut en bas.
Mais, par Nostre Dame, il fauldra Mais, Sainte Vierge, il faudra
155 Qu’on face bien l’eschauffouray60. Que nous menions bien notre attaque.
GAULTIER GAUTIER
Par le sang bieu ! je ne pourray, Palsambleu ! je ne pourrai
[Se m’aist Dieux,] moy tenir de rire. Me retenir de rire, sans l’aide de Dieu.
RICHARD RICHARD
Dea, si feras ! Et fauldra dire Mais si ! Et il faudra dire à Thierry
Que sergens la nous ont emblée61, Que des sergents nous ont volé sa robe,
160 Et [qu’ilz] sont jà telle assemblée Et qu’il y en a déjà une telle troupe
Qui le quèrent que c’est merveille ! Qui le cherchent que c’est fou !
GAULTIER GAUTIER
Je te donneray ma dextre oreille Je donnerai mon oreille droite
S’il en croyt rien et s’i le fait. S’il le croit et s’il le fait.
Ho ! j’ay visé ung62 aultre fait : Oh ! je songe à autre chose :
165 Mais qu’on luy puisse faire entendre Si nous pouvons lui faire admettre
Qu’il est mort, nous luy pourrons prendre Qu’il est mort, nous pourrons lui prendre
Quanqu’il a devant son visaige. Tout ce qu’il possède.
Et puis, s’il mue son courage Et s’il change d’avis
En disant qu’il n’est mie mort, En disant qu’il n’est pas mort,
170 Disons-luy qu’il regibe et mort63 Disons-lui qu’il se rebelle
Et qu’il est tout mal couraigé. Et qu’il n’a aucun courage.
RICHARD RICHARD
Voire, et [est] trèstout enragé, Oui, et qu’il est tout enragé,
Et point64 aux dens comme ung lyon. Et montre les dents comme un lion.
GAULTIER GAUTIER
[Il fauldra que nous le lion]65 Il faudra que nous l’attachions
175 Comme s’il estoit forcené ; Comme si c’était un forcené ;
Et dirons qu’il sera mené Et nous dirons qu’il doit être mené
À Sainct-Mathurin66. À l’asile des fous.
RICHARD RICHARD
Je pensoye Je pensais,
(Ce m’est advis) trop meilleur voye ; À mon avis, à un meilleur moyen ;
Et si, diras bien qu’elle est bonne. Et tu diras bien qu’il est bon.
180 Je ne congnoys guère personne Je ne connais presque personne
Qui s’en scéust appercevoir, Qui puisse s’en apercevoir,
Mais qu’on face bien son devoir. Si nous faisons bien notre travail.
GAULTIER GAUTIER
Et qu’esse ? Et qu’est-ce que c’est ?
RICHARD RICHARD
Je le te diray : Je vais te le dire :
Tu t’en yras — ou moy g’iray — Tu iras — ou j’irai moi-même —
185 En sa chambre tout67 gentement, Dans sa chambre tout doucement,
Et prendras trèstout bellement68 Et tu prendras en silence
Son pourpoint sans ce qu’il s’esveille. Son pourpoint sans qu’il s’éveille.
Et puis fauldra qu’on s’apareille Puis il faudra qu’on se débrouille
Tellement qu’il en soit osté Tant et si bien qu’on en enlève
190 Troys [bons] doys de chascun costé. Cinq bons centimètres de chaque côté.
Et puis quant il s’esveillera, Et puis quand il s’éveillera,
Voys-tu bien, et il trouvera Vois-tu bien, et qu’il trouvera
Son pourpoint ainsi rétroissé Son pourpoint ainsi rétréci
Sans ce qu’il le voye deffroissé. Sans qu’il le voie en désordre.
195 Et puis nous le recouldrons arrière, Puis nous le recoudrons comme avant,
Ce croy-je, par ytel(le) manière Je pense, d’une telle manière
Et si trèsbien qu’il n’y perra69. Et si bien qu’il n’y paraîtra rien.
Par mon serment ! quant il verra Par mon serment ! quand Thierry verra
Que70 son pourpoint ne pourra joindre, Qu’il ne pourra plus fermer son pourpoint,
200 Tu luy verras la chair espoindre71, Tu le verras avoir la chair de poule,
[Et] frémir, et muer coulleur72, Et frémir, et rougir,
Si fort que ce sera doulleur. À un point que ce sera terrible.
Et puis fauldra bien qu’on luy dye Et il faudra qu’on lui dise bien
Qu’il est enflé par maladye, Qu’il est enflé par la maladie,
205 Et que, se tantost n’y pourvoie73, Et que s’il n’y pourvoit bien vite,
Qu’il est mort. Il est mort.
GAULTIER GAUTIER
Se Dieu me doint joye, Que Dieu me bénisse !
Vécy trèsbon appointement ! Voilà un très bon tour.
RICHARD RICHARD
N’est pas ? N’est-ce pas ?
GAULTIER GAUTIER
Si est, par mon serment ! Oui, par mon serment !
On ne pourroit mieux deviser. On ne pourrait inventer mieux.
210 Il ne s’en sçauroit adviser, Thierry ne pourrait se douter de rien,
Par le sang que Dieu m’a donné ! Par ma vie !
RICHARD RICHARD
Cuidera il estre empoisonné Il croira avoir été empoisonné
Par advis74. Subrepticement.
GAULTIER GAUTIER
Ouÿ, fermement. Oui, sûrement.
Et bauldra75, au commencement, Et il nous donnera, dès le début,
215 Argent pour monstrer son orrine76. De l’argent pour faire examiner son urine.
RICHARD RICHARD
Voire, par saincte Katherine ! Oui, par sainte Catherine !
Nous en aurons du moins deux francs Nous aurons de lui au moins 2 francs
Pour bailler aux phisicïens77 Pour donner aux prétendus médecins
— Ou ung escu, que je ne mente. — Ou un écu, pour être précis.
GAULTIER GAUTIER
220 Se nous n’en avons plus de trente, Si nous n’en avons pas plus de 30
Des francs, au moins, se tu m’en croys, Pour le moins, des francs, crois-moi,
Je vueil estre tondu en croyx78 ! Je veux bien être tondu comme un fou !
[Hier,] il a gaigné tout le nostre Hier soir, il a gagné tout notre argent
Aux détz. Aux dés.
RICHARD RICHARD
Par saint Pere79 l’appostre ! Par saint Pierre l’apôtre !
225 Tu dis voir ; mais il le rendra. Tu dis vrai ; mais il nous le rendra.
Or[e] ne sçai-ge où on prendra Je ne sais pas où nous trouverons
Une [esguille. Et]80 ! en as-tu point ? Une aiguille. Hé ! n’en as-tu pas ?
GAULTIER GAUTIER
Ouÿ. Va querre le pourpoint, Si. Va chercher son pourpoint,
Ne te soucye d’aultre chose. Ne te soucie pas d’autre chose.
RICHARD RICHARD
230 Par l’âme qui en moy repose ! Par mon âme !
J’y81 voys. J’y vais.
GAULTIER GAUTIER
Or va tout bellement ! Vas-y silencieusement !
RICHARD RICHARD
Ore, par le Dieu qui ne ment, Maintenant, par Dieu,
Je doubte qu’il ne dorme pas. Je redoute que Thierry ne dorme pas.
Mais g’iray si délyé pas Mais j’irai d’un pas si léger
235 Que je croy qu’il ne m’orra goute82. Que je crois qu’il ne m’entendra pas.
GAULTIER GAUTIER
Quant tu seras là, si escoute Quand tu seras à sa porte, écoute
S’il souppire point, ne s’il hongne. S’il ne soupire pas, ou ne grogne pas.
.
RICHARD 83 RICHARD
Vé-le cy. Sus, sus, en besongne ! Voici le pourpoint. Allons, au travail !
Descouson84 ! Décousons-le !
GAULTIER GAUTIER
Si dort-il ? Dort-il ?
RICHARD RICHARD
Ouÿ, Oui,
240 Si fort qu’il ne m’a point ouÿ. Si fort qu’il ne m’a pas entendu.
J’eusse bien prins toute sa robe, J’aurais pu prendre toute sa robe,
Par le sang Dieu ! Il ne se hobe Palsambleu ! Il ne bouge
Ne que fait ung pourceau qui pisse. Pas plus qu’un pourceau qui pisse.
GAULTIER GAUTIER
Par Nostre Dame ! Que je puisse85, Sainte Vierge ! Si je peux,
245 Mes co[u]stures ne perront point. Mes coutures n’apparaîtront pas.
RICHARD RICHARD
Coulx-moy, coux86, hardiement bon point ! Couds, cocu, et fais de beaux points !
Tu coulx tro(u)p pontifficalment. Tu couds trop solennellement.
GAULTIER GAUTIER
Il le fault faire esgallement, Il faut le faire d’une manière égale,
Qu’il n’apperçoyve la cousture : Pour que Thierry n’aperçoive pas la couture :
250 S’il l’appercevoit d’adventure, S’il l’apercevait par extraordinaire,
Tout nostre fait se gasteroit87. Toute notre affaire se gâterait.
RICHARD RICHARD
Le diable s’en adviseroit ! Seul le diable la remarquerait !
Il ne s’en sçauroit adviser. Thierry ne pourrait pas s’en aviser.
GAULTIER GAUTIER
Pour mieulx nostre fait deviser, Pour mieux organiser notre action,
255 Je te diray qu’il convendra : Je vais te dire ce qu’il faudra faire :
Je vendray ainsi qu’il tendra J’entrerai tandis que Thierry tiendra
Son pourpoint, et le hucheray ; Son pourpoint, et je l’appellerai ;
Et quant je le regarderay, Et quand je le regarderai,
Je me seigneray88. Voys-tu bien ? Je me signerai. Vois-tu bien ?
RICHARD RICHARD
260 Prens-moy ce fil, tu ne fais rien ! Prends ce fil, tu ne fais rien !
Enfille ceste esguille, enfille ! Enfile cette aiguille, enfile-la !
GAULTIER GAUTIER
Mais toy ! Tu n’es de rien habille, Mais plutôt toi ! Tu n’es bon à rien,
Se n’est tousjours à deviser. Si ce n’est à toujours bavarder.
RICHARD RICHARD
Il fault saigement adviser Il faut examiner avec sagesse
265 Comment la besongne en ira. Comment se déroulera notre affaire.
GAULTIER GAUTIER
Par le sang bieu ! On luy dira Palsambleu ! Nous dirons à Thierry,
— Quant vendra au faire et au prendre — Quand nous viendrons au vif du sujet,
Tant, qu’il ne sçaura où entendre. Tant de choses qu’il en sera perdu.
Quant tu auras encommencé, Quand tu auras commencé à parler,
270 Mais que tu n’ayes avancé Si tu n’as pas assez avancé
La besongne sans que g’y soye… La besogne sans moi…
RICHARD RICHARD
Par Dieu ! c’est ce que je pensoye, Pardieu ! c’est ce que je pensais,
[Et] ainsi le voulloy-ge dire. Et je voulais le dire ainsi.
GAULTIER GAUTIER
Quoy ? Que veulx-je dire, beau sire ? Quoi ? Que veux-je dire, beau sire ?
275 Sces-tu ? Le sais-tu ?
RICHARD RICHARD
Par mon serment, nenny. Par mon serment, non.
GAULTIER GAUTIER
M’aist Dieux ! je t’en croy. Entens-y Dieu ! je t’en crois. Réfléchis-y
Doncques, et puis tu le sçauras. Donc, et puis tu le sauras.
Je te dy que quant tu auras Je te dis que quand tu auras
Sans moy commencé la besongne… Commencé sans moi la besogne…
RICHARD RICHARD
280 Par Nostre Dame de Boulongne ! Par Notre Dame de Boulogne !
Ce fut bien dit. C’était bien dit.
GAULTIER GAUTIER
Le quoy, bien dit ? Qu’est-ce qui était bien dit ?
RICHARD RICHARD
Par le sang que Dieu respandyt ! Par le sang du Christ !
Je ne sçay. Mais [ce devoit]89 estre Je ne sais pas. Mais ce devait être
Bien parlé, et de main de maistre90. Bien parlé, et de main de maître.
285 Dy toujours ! Dis toujours !
GAULTIER GAUTIER
Or escoutes doncques : Alors écoute donc :
Quant j’entreray… Quand j’entrerai dans sa chambre…
RICH[A]RD RICHARD
Je ne vy oncques, Je n’ai jamais vu
Certes, mieulx dire, que je sçaiche ! Mieux dire, certes, que je sache !
GAULTIER GAUTIER
Si, ne sces-tu ne q’une vache, Tu ne sais pas plus qu’une vache
Vrayement, à quel fin je vueil tendre ! Où je veux en venir, vraiment !
RICHARD RICHARD
290 Ne te chault ! Je n’y vueil entendre Qu’importe ! Je n’entends que ceci,
(Pour Dieu) que, sans plus sermonner, Pour Dieu : sans plus de discours,
G’iray doncques l’araisonner. J’irai donc apostropher Thierry.
Et puis vien après ? Et puis après ?
GAULTIER GAUTIER
Et puis g’iray Et puis je viendrai
Assez tost après, et diray, Assez vite après toi, et je dirai,
295 Mais que sa chambre ne soit close91… Si sa chambre n’est pas fermée…
RICHARD RICHARD
Que vécy [une] bonne chose ! Que voilà une bonne chose !
Hélas, tu dis le mieulx du monde ! Ah ! tu parles le mieux du monde.
GAULTIER GAUTIER
Par sainct Mor ! je vueil qu’on me tonde Par saint Maur ! j’accepte qu’on me tonde
Se tu sces dire ne penser Si tu peux dire ni même penser
300 Ce que je vueil en[c]ommencer ! Ce que je veux entreprendre !
Comment sces-tu ce que je pense ? Comment saurais-tu ce que je pense ?
RICHARD RICHARD
Et ! si fais (par ma conscience) Eh ! sur ma conscience, je le sais
Mieulx que tu ne fais quatre foiz ! Quatre fois mieux que toi !
GAULTIER GAUTIER
Tu le sces mieulx que je ne fais ? Tu le sais mieux que moi ?
305 Or le dy doncques, et je t’en prie ! Alors dis-le donc, je t’en prie !
Que fu-ce ? Qu’est-ce que c’était ?
RICHARD RICHARD
Par saincte Marie ! Par sainte Marie !
Je ne sçay, ny ne m’en souvient. Je ne sais pas, et ne m’en souviens plus.
GAULTIER GAUTIER
Et ! je te dy qu’il esconvient Eh ! je te dis qu’il vaut mieux
Que tu ne me die [plus] rien. Que tu ne me dises plus rien.
RICHARD RICHARD
310 Hen, voire, tu dis bien. Oui, vraiment, tu dis bien.
Je t’entens sans en faillir rien. Je comprends tout sans rien rater.
Ha ! bien sera bonne devise ! Ah ! ce sera un bien bon projet !
Il sera prins par bonne guise, Thierry sera pris d’une bonne manière,
Mieulx que poussin n’est d’une escouffle92. Mieux qu’un poussin par un milan.
GAULTIER GAUTIER
315 Quoy dea ! tu sembles sainte Pentouffle93 : Ah ! tu ressembles à sainte Pantoufle :
Tu responds aux pensées. Tu réponds aux pensées.
RICHARD RICHARD
Voire : C’est vrai :
J’ay ainsi esgu le mémoire94, J’ai une mémoire si aiguë
Et l’engin95 si vif que c’est raige ! Et un esprit si vif que c’est fou !
GAULTIER GAUTIER
Je sçay bien que tu es trop saige96 ; Je sais bien que tu es trop sage ;
320 Mais je te pry, pour Dieu, beau sire, Mais pour Dieu, beau sire, je te prie
Que tu me laisses trèstout dire Que tu me laisses dire tout
Quanque je pense, se tu veuilx. Ce que je pense, si tu veux bien.
RICHARD RICHARD
Or, par le sang bieu, je le veulx ; Palsambleu ! je suis d’accord ;
Je ne te destourberay97 point. Je ne te troublerai plus.
GAULTIER GAUTIER
325 Par sainct Mor, et ! Vécy le point Par saint Maur ! Voici le moyen
Comment je l’espoventeray, Par lequel je ferai peur à Thierry,
Voys-tu ? Vécy que je feray : Vois-tu ? Voici ce que je ferai :
Or… Par le sainct souleil qui raye98 ! Donc… Par le saint soleil qui luit !
Je ne sçay de quoy je parloye ; Je ne sais plus de quoi je parlais ;
330 Tu le m’as fait entr’oublier. Tu me l’as fait oublier.
RICHARD RICHARD
C’est que nous l’allissons lier C’est que nous allions ligoter Thierry
Parmy les bras et par99 les cuisses. Aux bras et aux cuisses.
GAULTIER GAUTIER
Or, par le sang bieu ! Que tu puisses, Palsambleu ! Alors, si tu peux,
Homme que toy ne parlera ? Aucun homme, à part toi, ne parlera ?
335 Ho, et ! Vécy qu’il en sera : Oh ! voici ce qui sera fait :
Pour mieulx nostre fait confermer, Pour mieux assurer notre besogne,
Luy yras100 dire et affermer Tu iras dire et affirmer à Thierry
Que deux des gallans qui souppèrent Que deux des noceurs qui soupèrent
Et s’esbatirent, et jouèrent Et se divertirent, et jouèrent aux dés
340 Arsoir101 o nous, sont trespasséz ; Hier soir avec nous, sont trépassés ;
Et sont jà les gens amasséz Et que les gens sont déjà rassemblés
Pour les veoir aller enterrer. Pour aller à leur enterrement.
RICHARD RICHARD
Se je ne luy fais bien serrer Si je ne lui serre bien
Le cueur, je vueil que l’en me tonde ! Le cœur, j’accepte qu’on me tonde !
345 Je le feray le mieulx du monde, Je le ferai le mieux du monde,
Et diray qu’ilz sont mors d’enflure Et je lui dirai qu’ils sont morts d’enflure
Et de poysons. Et à cause d’un poison.
GAULTIER GAUTIER
Et ! je t’asseure Eh ! je t’assure
Qu’il aura bien chault, s’il ne tremble102 : Qu’il aura bien chaud, s’il ne tremble pas :
Car puisqu’ilz souppèrent ensemble, Car puisqu’ils ont soupé ensemble,
350 Il cuidera estre brouÿ103. Thierry pensera déjà brûler en enfer.
RICHARD RICHARD
Ce pourpoint est-il bien ? Ce pourpoint est-il terminé ?
GAULTIER GAUTIER
Ouÿ, Oui,
Si que n’y a que régaller104. Si bien qu’il n’y a plus qu’à se régaler.
RICHARD RICHARD
Or, entrons cy : je vueil aller Entrons dans sa chambre : je veux aller
Le remettre sur luy arrière. Remettre le pourpoint chez lui.
GAULTIER GAUTIER
355 Va doncques, par bonne manière. Va donc, de la manière qui convient.
Et garde qu’il ne se resveille ! Et prends garde qu’il ne se réveille pas.
RICHARD RICHARD
Il aura la pusse en l’oreille105, Il aura l’oreille qui siffle,
Ce croy-ge, ains que le jeu depparte106. Je crois, avant la fin du jeu.
GAULTIER GAUTIER
Et s’il [entroit en fièvre quarte]107 Et s’il attrapait une jaunisse
360 De [la] peur que nous luy feron, À cause de la peur que nous lui ferons,
Ou qu’il meure ? Nous en seron Ou s’il en mourrait ? Nous en serons
Tenus et pugnis laidement. Arrêtés et punis vilainement.
RICHARD RICHARD
Tais-toy, ce n’est qu(e) esbatement. Tais-toi, ce n’est qu’un jeu.
[Mais] s’il mouroit, nous luy dirion Mais s’il mourrait, nous lui dirions
365 Que c’est[oit] jeu, et le ferion Que c’était un jeu, et nous le ferions
Menger, [pour] qu’il en [p]eust revivre. Manger, pour qu’il puisse revivre.
GAULTIER GAUTIER
Va-t’en doncques, et te108 délivre ! Vas-y donc, et fais ton travail !
Metz109 bien le pourpoint en [son] lieu. Remets bien le pourpoint à sa place.
.
RICHARD 110 RICHARD
Par les sainctes engoisses bieu111 ! Par la Passion du Christ !
370 Il dort proprement comme ung lièvre : Il dort vraiment comme un lièvre :
Et ! [il] reuvre ainsi la baulièvre Eh ! il ouvre comme ceci la lèvre
De dessoubz, et a l’œil ouvert112. Du bas, et il a un œil ouvert.
GAULTIER GAUTIER
Et ne l’as-tu pas recouvert Et tu ne l’as pas recouvert
Du pourpoint, par bonne manière ? Avec le pourpoint, comme il se doit ?
RICHARD RICHARD
375 Et quoy donc ? Et puis quoi, encore ?
GAULTIER GAUTIER
Iras-tu arrière, Y retourneras-tu,
Ou moy qui ira[y] le premier ? Ou est-ce moi qui irai le premier ?
RICHARD RICHARD
Tu yras ; g’iray le dernier : Tu iras, et j’irai après toi :
Je me fois fort, par bonne guise113, Je sais que selon les bonnes manières,
Pour Dieu, que la table114 soit mise Pour Dieu, la table sera alors mise
380 Pour115 [l’]entremetz. Pour cette surprise du chef.
GAULTIER GAUTIER
Or ne t’en116 doubte ! N’en doute pas !
SCÈNE II
Hau ! Tierry ! [Tierry !] Il n’oit goutte. Ho ! Thierry ! Thierry ! Il n’entend rien.
Tierry ! Fais-tu la sourde oreille ? Thierry ! Fais-tu la sourde oreille ?
TIERRY, en faisant la croix.117 THIERRY, en se signant.
Quel118 dyable esse-là qui m’esveille Quel diable est-ce-là qui m’éveille
(Amen !), qui est plus noir que meûre ? (Amen !), plus noir qu’une mûre ?
GAULTIER GAUTIER
385 Sang bieu, et ! Dors-tu à ceste heure ? Sambleu ! Dors-tu à cette heure ?
[Par ma foy,] es-tu bien fétard119 ! Par ma foi, tu es bien cossard !
TIERRY THIERRY
Mauldit soys-je se, sus le tard, Que je sois maudit si, plus tard,
Je buray tant que120 ceste année ! Je bois autant que cette année !
J’ay la teste si estonnée J’ai la tête si assommée
390 D’arsoir ! D’hier soir !
GAULTIER 121 GAUTIER
Ja[ques122] ! Saincte Marie ! Saint Jacques ! Sainte Marie !
Qu’esse-cy ? Vécy deablerie ! Qu’est-ce-là ? C’est une diablerie !
Et ! ne sens-tu point de doulleur ? Eh ! ne ressens-tu pas de douleur ?
[Onc ne fut plus fade coulleur !]123 On ne vit jamais une couleur plus pâle.
TIERRY THIERRY
Va chier, va ! Quel coulleur ai-ge ? Va chier, va ! Quelle couleur ai-je ?
GAULTIER GAUTIER
395 Benoiste Dame, quel visaige ! Bonne Mère, quel visage !
Par mon serment, tu m’espoventes ! Par mon serment, tu m’épouvantes !
Et ! n’est-il chose que tu sentes ? Eh ! ne ressens-tu rien ?
TIERRY THIERRY
Ouÿ, [de la seuf]124. Si, de la soif.
GAULTIER GAUTIER
Ha, sainct George ! Ah, saint Georges !
Taste ton visaige et ta gorge ! Tâte ton visage et ton cou !
400 Tant plus te voy, et plus t’empire. Plus je te regarde, et plus tu empires.
TIERRY THIERRY
Par le sang bieu ! tu me fais rire. Palsambleu ! tu me fais rire.
Mais qu’as-tu, se Dieu te doint joye ? Mais qu’as-tu, au nom de Dieu ?
GAULTIER GAUTIER
Par ma foy ! se Dieu n’y pourvoye, Ma foi ! si Dieu n’y pourvoit,
Jamais ne verras nouveau125 jour. Tu ne verras jamais un nouveau jour.
405 Levez-vous126 sans faire séjour, Levez-vous sans tarder,
Se vous povez, je vous conseille. Si vous pouvez, je vous le conseille.
Vray(e)ment, vécy la nonpareille Vraiment, voilà la plus singulière
Maladie que je vis[se] oncques ! Maladie que j’aie jamais vu !
TIERRY THIERRY
Et si, ne sens-je riens quelconques, Et pourtant, je ne sens rien du tout,
410 Se ce n’est ung peu en la teste ; Si ce n’est un peu dans la tête ;
Mais ce n’est que de la tempeste Mais ce n’est dû qu’à la tempête
Du vin d’ersoir127, je le sçay bien. Du vin d’hier soir, je le sais bien.
GAULTIER GAUTIER
Or escoutez : ne croyez rien Écoutez : ne me croyez pas
Se vous ne voullez. Si vous ne voulez pas.
TIERRY THIERRY
Et ! quel « croire » ? Eh ! quel « croire » ?
415 Je voys me lever : si yrons [boire], Je vais me lever : nous irons boire,
Et le boire me guérira. Et la boisson me guérira.
GAULTIER GAUTIER
Dieu scet comment il en ira, Dieu sait comment il en ira,
Mais je me doubte que non face. Mais je redoute que non.
Ha ! benoiste Dame, quel face ! Ah ! bonne Mère, quelle figure !
420 Voz joes ressemblent vrayment Vos joues ressemblent vraiment
À voz deux fesses proprement, À vos deux fesses, véritablement,
Tant sont enflées et bouffies. Tant elles sont enflées et bouffies.
TIERRY THIERRY
Sang de moy, que tu te soucyes ! Bon sang, que tu t’inquiètes pour rien !
Que deable dis-tu ? Que diable dis-tu ?
GAULTIER GAUTIER
Que je dy ? Ce que je dis ?
425 Jamais ne verrez vendredy, Jamais vous n’atteindrez vendredi,
Se tantost [il] n’y est pourveu. Si on n’y pourvoit rapidement.
TIERRY THIERRY
Quoy ! que deable ai-ge ? [Qu’as-tu veu]128 ? Quoi ! que diable ai-je ? Que vois-tu ?
Et ! suis-je enflé, sans mocquerie ? Eh ! suis-je enflé, sans moquerie ?
GAULTIER GAUTIER
Et ! levez-vous, je vous en prie : Eh ! levez-vous, je vous en prie :
430 Si irons aux phisicïens. Nous irons chez le médecin.
TIERRY THIERRY
Il soit lié de maulx lïens129, Que je sois enchaîné en Enfer
Qui en sçau[r]oit rien, que je soye130 ! Si je suis celui qui le saurait !
Encore (se Dieu me doint joye) Pourtant (si Dieu m’assiste)
Croy-ge que tu me veulx tempter : Je crois que tu veux me mettre à l’épreuve :
435 Tu le dis pour m’espoventer. Tu dis cela pour me faire peur.
Je suis enflé ? C’est bon à croire ! Je suis enflé ? C’est difficile à croire !
GAUTIER GAUTIER
Vous estes enflé, Jaques ! voire, Vous êtes enflé, par saint Jacques, oui,
Dont il me poise. Se je peusse Ce qui me peine. Si je pouvais
Y remédïer… Y remédier…
TIERRY THIERRY
Je t’en creusse ; Je te croirais bien ;
440 Ma[i]s tu es [ung] si fort tromperre131 ! Mais tu es un si grand trompeur !
Et ! qu’esse-cy ? Maulgré saint Pere ! Eh ! qu’est-ce-là ? Par saint Pierre !
Ce pourpoint icy n’est pas mien. Ce pourpoint-ci n’est pas le mien.
Hélas ! si est. Or, voi-ge bien Hélas si ! Là, je vois bien
Que je suis enflé, maintenant. Que je suis enflé, maintenant.
GAULTIER GAUTIER
445 Vous estoit-il goute-prenant132, Votre pourpoint était-il si court
Avant ce [jour-]cy, par les rains ? Sur les reins, avant ce jour-ci ?
TIERRY THIERRY
Par le sang dont je fusmes raims133 ! Par le sang du Christ !
Nenny. Ançzoys le boutonnoye Non. Avant, je le boutonnais
Si aise comme je vouloie Aussi facilement que je voulais
450 Sans y tire[r] ne sans sacher. Sans tirer ni arracher. Aujourd’hui,
Et je ne le sçay tant lascher Je ne peux le détendre assez sans
Qu’à deux piéz il s’i puisse joindre. Qu’il ne manque 65 cm pour le fermer.
GAULTIER GAUTIER
Sentez-vous point la chair espoindre, Ne sentez-vous pas votre chair piquer,
Et [si], frémir en aulcuns lieux ? Et aussi frémir à certains endroits ?
TIERRY THIERRY
455 Je croy que je ne sçay. Hé, Dieux ! Je crois que je ne sais pas. Eh, Dieu !
Que puis-je avoir ? Suis-je ydroppicque, Que puis-je avoir ? Suis-je hydropique,
[Moy qui mourois de seuf éthique ?]134 Moi qui mourais d’une soif dévorante ?
Et si, ne sens mal ne moleste, Pourtant, je ne sens ni mal, ni douleur,
Se ce135 n’est ung peu en la teste. Si ce n’est un peu à la tête.
460 Mais que peult[-ce] estre, Nostre Dame ? Mais qu’est-ce que ça peut être ?
.
RICHARD 136 RICHARD SCÈNE III
[Hau !] qui est léans ? Aucune âme ?137 Ho ! qui est là ? Personne ?
Dyeux aist à mon amy Gaultier ! Que Dieu assiste mon ami Gautier !
Faisons tantost dire ung psaultier Faisons vite dire des psaumes
Pour l’âme d’eux, nous ferons bien. Pour leur âme, nous ferons bien.
GAULTIER GAUTIER
465 Et ! qu’esse-là ? Y a-il rien ? Qu’est-ce-là ? Y a-t-il quelque chose ?
RICHARD RICHARD
Par ma foy, c’est moult grant dommaige ! Ma foi, c’est une bien grande perte !
S’il pleust à Dieu, il estoit saige. Avec l’aide de Dieu, c’eût été un sage.
GAULTIER GAUTIER
Qui esse ? Qui est-ce ?
RICHARD RICHARD
Henry l’Atirail Henri l’Attirail
— Qui avoit si doulx souppirail — Qui avait une si bonne trappe
470 À mectre vin en son gosier — Pour mettre du vin dans son gosier —
Est mort. Et Perrot le Closier138 Est mort. Et Perrot le Closier
Est allé à quando celis139. Est allé au Paradis.
Ilz [seront jà]140 ensevelis, Ils seront déjà ensevelis sans nous,
Hélas ! Aprestez-vous grant erre : Hélas ! Préparez-vous vite :
475 Si serons à les mettre en terre. Nous serons là pour les mettre en terre.
Ilz estoient bons à tout faire141. Ils étaient bons à tout faire.
TIERRY THIERRY
Ha ! beau trèsdoux Dieu débonnaire ! Ah ! bon Dieu ! Sont-ils morts ?
Sont-ilz mors ? Hélas ! nous soupasmes Hélas ! nous avons soupé
Arsoir ensemble, et [nous] menasmes Hier soir ensemble, et nous avons mené
480 Si bonne vie et si liée142 ! Une si bonne et si joyeuse vie !
GAULTIER GAUTIER
Or n’est-il jour qui ne mesch[i]ée Il n’est pas de jour qui ne soit néfaste
À qui que soit [tout uniment]143. À quelqu’un, sans distinction.
[TIERRY] THIERRY
Vécy grant esbahissement ! Voilà une grande stupéfaction !
Ha ! sainte Royne couronnée ! Ah ! sainte Reine des cieux !
RICHARD RICHARD
485 Ceste poison leur fut donnée144 Ce poison leur fut donné
Arsoir, je ne m’en doubte mye. Hier soir, je n’en doute pas.
TIERRY THIERRY
Ha ! c’est ce faulx espidimye145 Ah ! c’est cette sournoise épidémie
Qui en cest point les a[ura] mis. Qui les aura mis dans cet état.
RICHARD RICHARD
Espidimye, beaulx amys ? Une épidémie, mes beaux amis ?
490 Hélas ! n’y a-il aultre chose ? Hélas ! n’y a-t-il pas autre chose ?
Par mon serment ! je ne vous ose Par mon serment ! je n’ose vous
Dire leur mal et leur martire : Décrire leur mal et leur martyre :
Il n’est homme, s’i l’oyoit dire, Il n’est nul homme, s’il l’entendait,
Tant eust le cueur dur, gros ne ferme, Tant eût-il le cœur dur, gros et ferme,
495 Qui ne pleurast à chaulde lerme146. Qui ne pleurerait à chaudes larmes.
Oncques-mais je ne vy telz raiges ; Jamais je ne vis de telles horreurs ;
Car, en bonne foy, leur[s] visaige[s] Car, en bonne foi, leur visage
Et le[ur]s corps leur sont eslevéz Et leur corps ont boursouflé
Et enfléz tant, qu’ilz sont crevéz Et enflé tellement qu’ils ont crevé
500 Par les ventres. Par le ventre.
TIERRY THIERRY
Ha, saincte Dame ! Ah ! Sainte Vierge !
Enfléz ? Las ! Enflé ? Las !
RICHARD RICHARD
Voire, par cest âme ! Oui, par mon âme !
Et la femme qui les gardoit147, Et la femme qui les soignait,
Si comme elle(s) les regardoit Tandis qu’elle les regardait
Crever148 (mon doux amy loyaux), Crever (mon doux ami loyal),
505 Par ma foy, ung de leurs boyaulx Par ma foi, un de leurs boyaux
La [vint assener]149 droictement Vint la frapper tout droit
En l’ung des yeulx, si roidement Dans un des yeux, si fort
Qu’il est crevé et ne voit goute. Qu’il est crevé et n’y voit plus.
TIERRY THIERRY
Hélas ! mes amis, je me doubte Hélas ! mes amis, je redoute
510 Que j[’en] aye des gants des nopces150. De subir les mêmes effets qu’eux.
GAULTIER GAUTIER
Et n’avoient-ilz nulles bosses, Et n’avaient-ils aucun bubon,
Ne maladie que d’enfleure ? Ni d’autre maladie que cette enflure ?
RICHARD RICHARD
Nenny, Gaultier, je t’en asseure Non, Gautier, je te le jure sur Dieu.
Par Dieu. Qui croira [que]…151 Sainct George ! Qui croira que… Saint Georges !
515 Quel gros visaige, et quelle gorge ! Quel gros visage il a, et quel cou !
Il est, par le Dieu qui ne ment, Par le Dieu de vérité ! Thierry est
Enflé comme eulx, pareillement ! Enflé comme eux, pareillement !
Ne t’en apperceuz-tu mèshuy ? Ne t’en es-tu pas aperçu avant ?
TIERRY THIERRY
Ha ! je voy trop bien que je suy Ah ! je vois trop bien que je suis
520 Mort, tout mort, il n’y a remède. Mort, tout mort, il n’y a pas de remède.
GAULTIER GAUTIER
Ilz ont eu, en porée de bède, Ils ont eu dans leur bouillie de blettes
Quelque poison, eulx troys ensemble. Du poison, tous les trois ensemble.
Et en bonne foy, il me semble Et en bonne foi, il me semble
— Sauf meilleur conseil que le mien —, — Sauf meilleur avis que le mien —,
525 Tierry, ce ne seroit que bien, Thierry, que ce serait une bonne chose
Mon doulx amy, d’avoir le prestre152 : D’avoir un prêtre, mon doux ami :
Car vous n’en pourrez que mieux estre. Car vous ne pourrez que mieux en être.
Sy n’avez-vous, si Dieu plaist, garde ? N’y prenez-vous pas garde, par Dieu ?
RICHARD RICHARD
Garde ? Doulce Dame ! Regarde Garde ? Bonne Mère ! Regarde
530 Ses [deux] yeulx, son nez et sa bouche. Ses deux yeux, son nez et sa bouche.
Monstrez ce bras, qu(e) icy [je] touche Montrez votre bras, pour que je le tâte
[Et vostre poulx ung peu je taste.]153 Et que je prenne un peu votre pouls.
Hélas ! pour Dieu, qu[e l’]on se haste ! Hélas ! au nom de Dieu, qu’on se hâte !
Penson qu’il ait son ordonnance154. Permettons-lui de recevoir l’extrême-onction.
GAULTIER GAUTIER
535 Comment va ? Comment va-t-il ?
RICHARD RICHARD
Il est en ballance, Il est dans un état critique,
Il en est pic155. Tenez, sentez ! Il est fichu. Tenez, sentez son pouls.
GAULTIER GAUTIER
Beau sire, vous l’espoventez : Beau sire, vous l’épouvantez :
Parlez bas, qu’il ne vous entende. Parlez plus bas, qu’il ne vous entende .
RICHARD 156 RICHARD
Venez çà ! Je veulx qu’on me pende Approchez ! Je veux qu’on me pende
540 Par cy se jamais en eschappe ! Par le cou si jamais il en réchappe !
Gardons157 que le Mort ne le happe Prenons garde que la Mort ne le happe
(Entendez-vous ?) soubdainement. Sans confession, entendez-vous ?
Car les aultres, pareillement, Car les deux autres, pareillement,
Sont mors de telle maladie. Sont morts de la même maladie.
TIERRY THIERRY
545 Pour Dieu, mes amys : qu’on me dye Pour Dieu, mes amis : qu’on me parle
Tout hault ! Ne me celez plus rien, Tout haut ! Ne me cachez plus rien,
Ne conseillez158 plus ! Je voy bien Ne chuchotez plus ! Je vois bien
Que je meurs. Que je meurs.
GAULTIER GAUTIER
Non ferez, beau sire, Mais non, beau sire,
Se Dieu plaist, s’il ne vous empire, Grâce à Dieu, si cela ne s’aggrave pas,
550 Ou qu(e) aulcune bosse vous prenne, Ou qu’aucun bubon n’apparaisse,
Ou que la fièvre vous surprenne Ou que la fièvre ne vous prenne
Tant que vous perdiez le mémoire. Au point que vous perdiez conscience.
— Dont Dieu vous gard, touteffois ! — Que Dieu vous en garde, toutefois !
RICHARD RICHARD
Voire. Certes.
[Mais] qu’il ne159 faille aucunement Mais que Thierry ne manque pas
555 À160 recongnoistre dignement D’honorer dignement
Son Créateur. Son Créateur.
TIERRY THIERRY
Mon trèsdoulx maistre Mon très doux maître
Richard, je vous requiers le prestre, Richard, je vous demande le prêtre,
Puisque vous voyez qu’il m’enpire. Puisque vous voyez que mon état empire.
Si, ne sens (à vérité dire) Pourtant, à dire vrai, je ne ressens
560 Guères de mal que j’aperçoyve. Aucune douleur perceptible.
RICHARD RICHARD
Je croy qu’il sera bon qu’il boive, Je crois qu’il serait bon qu’il boive
[Ore,] ung bien petit de triacle161 : Maintenant un petit peu de thériaque :
Il devient tout démonïacle162, Il devient comme un possédé,
Ce me semble à163 sa contenance. Il me semble, à voir son comportement.
GAULTIER GAUTIER
565 Je vous en prie, que l’en s’avance ! Je vous en prie, avançons !
Je m’en voys au phisicïen, Je vais chez le médecin,
Et vous au prestre (di-ge bien ?) Et vous chez le prêtre (dis-je bien ?)
Sans luy dire plus rien quelconques. Sans plus rien dire d’autre à Thierry.
RICHARD RICHARD
Or avant, venez-vous-en doncques !164 Allons, Gautier, venez donc !
SCÈNE IV
570 Est-il point prins, Tierry Mâchoue ? N’est-il pas pris, Thierry Mâchoue ?
GAULTIER GAUTIER
Prins ? Dea ! il est prins par sa moue165 Pris ? Il est pris à ses propres grimaces
Si trèsbien qu’on ne pourroit mieulx. Si bien qu’il ne pourrait l’être mieux.
RICHARD RICHARD
Or, par le sang bieu, se tu v[i]eulx166, Palsambleu ! maintenant, si tu veux,
Nous sçaurons quanqu’il a ou167 ventre. Nous saurons ce qu’il a dans le ventre.
575 Mais il convient que l’en y entre Mais il faut qu’on y entre
Par bonne manière, et soubtille. Par une bonne méthode, et subtile.
GAULTIER GAUTIER
Ou[ÿ] : s’il y a filz ou fille, Oui : s’il y a dedans un fils ou une fille,
Il le couvendroit168 doncques fendre. Il faudra donc lui faire une césarienne.
RICHARD RICHARD
Quoy ? Tu ne me sçais [pas] entendre : Quoi ? Tu ne me comprends pas :
580 Je te dy que je sçauray bien, Je te dis que je saurai bien,
Sans faillir, le mal et le bien Sans faute, le mal et le bien
Qu’il a fait, [ne] pensé, ne dit. Qu’il a fait, ou pensé, ou dit.
GAULTIER GAUTIER
Et comment ? Et comment ?
RICHARD RICHARD
S’il ne le me dit, S’il ne me le dit pas,
Ou à toy, je vueil qu’on me tonde ! Ou à toi, je veux bien qu’on me tonde !
GAULTIER GAUTIER
585 Ce seroit le mieulx fait du monde169, Ce serait fait le mieux du monde,
Par l’âme qui en moy repose ! Par mon âme !
Il a fait mainte faulse chose, Il a fait maintes choses mauvaises,
Je te prometz, puis qu’il nasqui. Depuis qu’il est né, je te le dis.
RICHARD RICHARD
Il ne fist oncques chose qui Il n’a jamais fait aucune chose qui
590 Ne nous soit ennuyt170 révélé. Ne nous soit aujourd’hui révélée.
Sans ce qu’il en soit plus flavelé171, Sans plus caqueter,
Je te diray toute la guise : Je vais te dire toutes mes intentions :
Il fault qu’un172 de nous se desguise ; Il faut qu’un de nous deux se déguise ;
Celluy qui mieux semblera estre Celui qui sera le plus ressemblant
595 Se mectra en habit de prestre Se mettra en habit de prêtre
Et yra pour le confesser. Et ira confesser Thierry.
Mais il se fault bien bas baisser, Mais il faudra baisser la tête bien bas,
Qu’il n’apperçoive le visaige173 ; Pour qu’il n’aperçoive pas le visage ;
Et fauldra muer son langaige Et il faudra modifier notre langage
600 (Voys-tu bien ?) le mieulx qu’on po[u]ra. Le mieux qu’on pourra, vois-tu ?
Et riens qui soit ne demourra174 Et il ne demeurera rien
Qu’il ne die en confession. Qui ne soit dit par lui en confession.
GAULTIER GAUTIER
Se Dieu me doint rédemption, Dieu me pardonne !
Vécy saigement advisé ! Voilà sagement avisé.
605 Tel conseil doyt estre prisé, Un tel conseil doit être estimé,
Par celuy Dieu qui me fist naistre ! Par le Dieu qui m’a créé !
Je sçauré bien faire le prestre, Je saurai bien faire le prêtre,
Se tu vieulx ; et si, parleré Si tu veux ; et même, je parlerai
Breton ou picard, et175 feray Breton ou picard, et j’aurai
610 La conten[an]ce si trèsbien Une si bonne contenance
Que, je croy, qui ne me fauldra rien, Qu’il n’y manquera rien, je crois,
Tant qu’il [luy] semblera vrayment Au point qu’il lui semblera vraiment
Que c’est le prestre proprement. Que c’est le prêtre en personne.
Ou [bien] toy-mesmes, se tu vieulx, Ou bien toi-même, si tu veux,
615 [Le ferois]176 trèsbien. Tu le ferais très bien.
RICHARD RICHARD
Se m’aist Dieux ! Que Dieu m’assiste !
Ne me chault lequel d’une177 maille. Peu m’importe lequel de nous deux.
GAULTIER GAUTIER
Par le sang bieu ! Vaille que vaille, Palsambleu ! Vaille que vaille,
Puisqu’ainsi va, je le feray. Puisque c’est comme ça, je le ferai.
RICHARD RICHARD
C’est bien dit. Je t’abilleray, C’est bien dit. Je t’habillerai
620 Je te prometz, bien proprement. Bien convenablement, je te jure.
GAULTIER GAUTIER
Hélas ! les habitz, voirement, Mais les habits, vraiment,
Sont-ilz prestz ? Sont-ils prêts ?
RICHARD RICHARD
Ouÿ, par saint P(i)erre ! Oui, par saint Pierre !
Actends178 ung peu, je les voys querre. Attends un peu, je vais les chercher.
Despouille-toy, tandis. Déshabille-toi, cependant.
GAULTIER GAUTIER
C’est bien.179 Très bien.
.
RICHARD RICHARD
625 Sont-ilz bien ? Te fault-il plus rien ? Sont-ils bien ? Te faut-il autre chose ?
Vestz premièr[e]ment ceste robe. Enfile d’abord ce froc.
GAULTIER 180 GAUTIER
Sang que Dieu me fit181 ! Sambleu !
RICHARD RICHARD
Dea, ne te hobe ! Ne bouge pas sans y voir !
Je le mectray tantost à point, J’ajusterai ce capuchon tout à l’heure,
Si qu’il ne te congnoistra point. Si bien que Thierry ne te reconnaîtra pas.
630 Tien cy : sains-moy ceste sainture ! Tiens : attache cette ceinture.
GAULTIER GAUTIER
On y danceroit la turlure182 Dedans, on pourrait danser la turlure
(Par le sang bieu) ou la morisque183 ! Ou la morisque, palsambleu !
Je suis habillé sur le frisque. Je suis habillé à la dernière mode.
Je suis bien, devant et derrière ? Je suis bien, devant et derrière ?
RICHARD RICHARD
635 Tu es (par monseigneur saint Pere) Par l’apôtre saint Pierre ! tu as
Bien espaullé parmy le ventre184. Les épaules sur le ventre.
Regardon : est-il bon que j’entre Réfléchissons : est-il bon que j’entre
Aussitost que tu entreras ? Chez Thierry dès que tu entreras ?
GAULTIER GAUTIER
Ouÿ, mais tu te musseras Oui, mais tu te cacheras
640 Pour ouÿr ce qu’il me dira. Pour entendre ce qu’il me dira.
Mais (par mon serment) qui rira, Mais si on rit, par mon serment,
Ce sera pour trèstout gaster. Cela gâchera tout.
RICHARD RICHARD
Allons-m’en185, il nous fault haster ; Allons-y, il faut nous hâter ;
Va devant ! Va devant !
GAULTIER GAUTIER
G’iray en présence. J’y vais à l’instant présent.
645 Mais dy-moy, par ta conscience, Mais dis-moi en ton âme et conscience
Se je semble bien estre prestre. Si je semble bien être un prêtre.
RICHARD RICHARD
Sembles ? Dea, tu me sembles estre Si tu sembles ? Hé ! tu me sembles être
Ung espoventail de chènevière186 Un épouvantail dans une chènevière,
(Par Dieu qui187 me fist) par-derrière. Vu de derrière, par Dieu qui me créa !
650 Va-t’en, entre premièrement ! Vas-y, entre d’abord !
GAULTIER GAUTIER
Vien après, le plus bellement Viens après moi, le plus doucement
Que tu pouras oncques venir. Que tu pourras venir.
RICHARD RICHARD
Attens, je ne me puis tenir Attends, je ne peux pas me retenir
De rire, quant je te regarde. De rire, quand je te regarde.
GAULTIER GAUTIER
655 Si feras, le deable en soit garde ! Tu te retiendras, au nom du diable !
Tu gasterois tout. [Or,] va-t’en ! Tu gâcherais tout. Maintenant, va-t’en !
RICHARD RICHARD
Non feray, bon gré [bieu188] ! Aten Pas encore, nom de Dieu ! Attends
Que j’aye avant ris. Que j’aie ri, avant.
GAULTIER GAUTIER
Ris assez ! Ris suffisamment !
RICHARD RICHARD
Quant je voy tes soulliers lasséz189 Quand je vois tes souliers à lacets
660 Dessoubz cest habit prestratif, Sous cet habit ecclésiastique,
[Et ton visaige potatif,]190 Et ton visage aviné,
Je m’en ry, quant je te regarde. J’en ris, quand je te regarde.
GAULTIER GAUTIER
Or tu ris191 bien ; or t’en prens garde ! Ici tu ris bien ; là, prends-y garde !
Mais je ne doubte que si face.192 Mais je ne crains pas que tu fasses ainsi.
SCÈNE V
665 Ha, mon amy ! Dieu, par sa grâce, Ah, mon ami ! Que Dieu, par sa grâce,
Vous v[u]eille donner patience Veuille vous donner constance
Et santé, par ma conscience ! Et santé, par ma conscience !
Voicy grant esbahissement193 : Voilà une grande stupéfaction :
Les deux aultres, pareillement, Les deux autres, pareillement,
670 Sont mors de telle maladie. Sont morts de la même maladie.
TIERRY THIERRY
Pour Dieu, sire, que je vous die Pour Dieu, mon Père, il faut que je vous dise
Quatre motz en confession. Quatre mots de confession.
GAULTIER GAUTIER
Pensez bien à la Passion Pensez bien à la Passion
De Jhésucrist, vous ferez bien. De Jésus Christ, vous ferez bien.
675 De vostre corps n’est-il plus rien194 ; Il n’est plus rien de votre corps ;
Dictes-moy ce que vous vouldrez. Dites-moi ce que vous voudrez.
TIERRY THIERRY
Je ne sçay se vous m’absouldrez, Je ne sais si vous m’absoudrez,
Et se vous avez la puissance : Et si vous en avez le pouvoir :
Car (par ma foy) dès mon enffance, Car depuis mon enfance, par ma foi,
680 Je ne cessay onc de mal faire. Je n’ai jamais cessé de mal faire.
GAULTIER GAUTIER
Vous me povez dire et retraire Vous pouvez me dire et me raconter,
Trèstout, en article de mort, Étant à l’article de la mort, tout
Dont conscience vous remord ; Ce que votre conscience vous reproche.
Et je vous absouldray, amys. Et je vous absoudrai, mon ami.
TIERRY THIERRY
685 Hélas, sire ! Péché m’a mis Hélas, mon Père ! C’est le péché qui m’a mis
En ce point195, je n’e[n] fais pas doubte. En ce point, je n’en doute pas.
A-il âme qui nous escoute ? Y a-t-il quelqu’un qui nous écoute ?
GAULTIER GAUTIER
Nenny, dictes tout seurement. Non, dites tout sans crainte.
TIERRY THIERRY
Je suis si trèsfaulx garnement Je suis un si mauvais garnement
690 Qu’il n’est homme qui le sceust dire. Que nul homme ne pourrait le dire.
Hélas ! vous congnoissez bien, sire, Hélas, mon Père, vous connaissez bien,
Ce croy-ge, ces deux jeunes hommes Je crois, ces deux jeunes hommes
Qui me gardent ? Qui me soignent ?
GAULTIER GAUTIER
Voire : nous sommes, Oui : nous sommes
Je vous promectz, amys ensemble. Amis, je vous l’assure.
TIERRY THIERRY
695 L’un d’eulx est allé, ce me semble, L’un d’eux est allé, me semble-t-il,
Veoir se vous estiez point venu. Voir si vous n’étiez pas arrivé.
GAULTIER GAUTIER
Ouÿ dea. Oui.
TIERRY THIERRY
Las ! ilz m’ont tenu Las ! ils m’ont tenu
Et tiennent, en ma maladie, Et me tiennent, pendant cette maladie,
Tous deux si bonne compaignie, Tous deux si bonne compagnie,
700 Comme s’ilz estoient mon frère. Comme s’ils étaient mes frères.
GAULTIER GAUTIER
Tirez-vous ung petit arrière196 ! Reculez-vous un peu !
Dic[t]es tousjours ! Dites toujours !
TIERRY THIERRY
Et ! par mon âme, Eh ! par mon âme,
Sire : je n[e v]oy homme ou197 femme Mon Père : je ne vois ni homme ni femme
— Se ce ne sont eulx — qui me garde198. Qui me soigne, si ce n’est eux.
705 Mais ilz ont prins de moy le199 garde, Mais ils tiennent à me veiller,
Com vous povez appercevoir. Comme vous pouvez le voir.
Et par ma foy, à dire voir, Et par ma foi, à dire vrai,
Je fusse mort soubdainement, Je serais mort soudainement,
Tout mort, sans ce qu’aulcunement Tout mort, sans que jamais
710 Moy-mesmes l’eusse peu sçavoir. J’aie pu moi-même le savoir.
Certes, je ne cuidoye point avoir Certes, je ne croyais avoir
Aulcun mal, quant ilz m’esveillèrent ; Aucun mal, quand ils m’éveillèrent ;
Mais si tost qu’ilz me regardèrent, Mais aussitôt qu’ils me regardèrent,
Ilz me dirent ma maladie. Ils me dévoilèrent ma maladie.
715 Or est-il temps que je vous die Maintenant, il est temps que je vous dise
La faulceté, la traïson, La fausseté, la trahison,
Le mal et la grant desraison Le mal et la grande folie
Que je leur ay fait à tous deux. Que je leur ai faits à tous deux.
J’ay esté si acointé d’eulx J’ai été si proche d’eux
720 Que, par ma foy, mon acoinctance Que, par ma foi, ma proximité
Leur a fait [grant] mal et grevence. Leur a fait beaucoup de mal et de tort.
Et voicy la manière, sire : Et voici comment, mon Père :
Vous avez piéçà ouÿ dire Vous avez déjà ouï dire
Comment l’ung d’eux si fut batu ? Comment l’un d’eux fut battu ?
GAULTIER GAUTIER
Voire. Certes.
TIERRY THIERRY
725 Hélas ! il n’eust jamais peu croyre, Hélas ! il n’aurait jamais pu croire,
Veu qu’il cuidoyt que je l’aimasse, Vu qu’il pensait que je l’aimais bien,
Que tel mal je luy pourchassasse200 ; Que je lui procurerais un tel mal ;
Mais [si fu-ge qui]201 le fis batre Mais je fus celui qui le fit battre
À ung soir. Et estions bien quatre Un soir. Et nous étions bien quatre
730 Qui frappions [tous] sur luy en tasche202. Qui frappions tous sur lui au hasard.
Le povre Richart n’eut onc(ques) lasche203 Le pauvre Richard n’eut pas de relâche
Tant que nous fussions tous lasséz Jusqu’à ce que nous soyons tous las
Et cuidions qu’il fust trespasséz ; Et que nous pensions qu’il était mort ;
Et s’il se fust point remué, Et s’il avait remué,
735 Par ma foy, nous l’eussions tué. Par ma foi, nous l’aurions tué.
Il fut batu plus q’ung vieil chien, Il fut plus battu qu’un vieux chien,
Tant qu’il ne sera204 jamais bien : Tellement qu’il n’ira jamais bien :
Nous luy baillasmes des coups orbes205 Nous lui avons donné tant de coups sourds
Tant qu’il en a tous les rains co(u)rbes, Qu’il en garde le dos courbé
740 Et sur luy mainte grosse bosse. Et plusieurs grosses bosses sur lui.
GAULTIER GAUTIER
Ha ! le povre Richard Négoce ! Ah ! le pauvre Richard Négoce !
Il est venu trèstout venant206 Il est venu tout à l’heure
Moy quérir pour vous. Maintenant, Me chercher pour vous. Maintenant,
Je croy qu’il ne vous en mescroit207 Je crois qu’il ne vous soupçonne
745 Ne peu, ne goutte208. Si peu que ce soit.
TIERRY THIERRY
Hélas ! [il croit]209 Hélas ! il croit
(Par mon serment) tout le contraire ; Tout le contraire, par mon serment !
Et si, fu-ge qui le fist faire, Pourtant, je suis celui qui le fit battre,
Comme faulx traist[r]e que j’estoye. Comme un traître sournois que j’étais.
Et moy-mesmes le vous frappoye Et moi-même je le frappais
750 Tant que je povoye férir. Tant que je pouvais cogner.
Il a, depuis, fait enquérir Depuis, il a fait chercher
Qui [ce avoit]210 fait ; mais vrayment, Qui a fait cela ; mais vraiment,
Nous le fismes si caultement Nous l’avons fait si secrètement
Qu’onques riens n’en a peu savoir. Qu’il n’a jamais rien pu en savoir.
GAULTIER GAUTIER
755 Quel haine povoit-il avoir Quelle haine pouvait-il y avoir
Entre vous deux, ne quel rancune ? Entre vous deux, et quelle rancune ?
TIERRY THIERRY
Certes, sire, ce fut pour une Certes, mon Père, ce fut à cause d’une
Femme que j’ayme et que j’aymoye Femme que j’aime, et que j’aimais
Dès lors, dont je le mescréoye211 Déjà : je le soupçonnais
760 Et cuidoye, pour ce qu’il hantoit Et me méfiais de lui parce qu’il fréquentait
Avec son mary, et chantoit212, Son mari, et qu’il chantait,
Et estoient tousjours ensemble. Et qu’ils étaient toujours ensemble.
Si estoie-je, [à] ce qu’il me semble, J’en étais au point, me semble-t-il,
Que j’en entray en jalousie, Que j’en suis devenu jaloux,
765 Tellement qu’il ne failloit mye Tellement qu’il ne pouvait manquer
À en avoir de la donnée213, D’en avoir une distribution de taloches,
Com j’ay dit, de tel randonnée214 Comme j’ai dit, avec une telle force
Qu’onques ne sentit mieulx ses coups. Que jamais il ne sentit mieux des coups.
GAULTIER GAUTIER
Or me dictes : le pouvre coux Mais dites-moi : le pauvre cocu
770 À qui vous maintenez215 sa femme, Dont vous entretenez la femme,
En scet-il riens ? Le sait-il ?
TIERRY THIERRY
Nenny, par m’âme ! Non, par mon âme !
Il n’en scet riens, ainçzoys se fye Il n’en sait rien, mais il se fie
Tout en moy, n’il ne se deffye Totalement à moi, et ne se méfie
Nemplus qu’il feroit de son frère. Pas plus de moi que de son frère.
775 Et, par ma foy, c’est chose clère Et, par ma foi, il est clair
Que216 deux filz qu’il cuide estre siens Que deux fils qu’il croit être de lui
Ne le sont pas, ainçzoys sont miens. Ne le sont pas, mais sont de moi.
Or[e], je vien en repentance, Maintenant, je me repends,
Et [je] vous requiers pénitance, Et je vous demande une pénitence,
780 Cher sire, et absolucion. Mon bon Père, et l’absolution.
GAULTIER GAUTIER
Affin que la confession, Pour que la confession
Mon amy, soit plus entérine, Soit plus entière, mon ami,
Il fault que l’on me détermine Il faut qu’on me précise
De tout ce fait-cy la muance, Les détails de toute cette histoire,
785 Et les nons, et la dépendance, Et les noms, et la filiation,
Affin — s’ilz sont de ma parroisse, Afin — s’ils sont de ma paroisse,
Véez-vous [bien] — que je congnoisse Voyez-vous bien — que je connaisse
Vostre péché plus clèrement. Votre péché plus clairement.
TIERRY THIERRY
Le fault-il ? Le faut-il ?
GAULTIER GAUTIER
Ouÿ, vrayement : Oui, vraiment :
790 La confession en vault mieulx. La confession en vaut mieux.
TIERRY THIERRY
Et ! quant il vous plaist, je le v[i]eulx ; Eh ! si cela vous plaît, je le veux bien.
La chose n’en peut que mieulx estre. Notre affaire n’en peut que mieux aller.
GAULTIER GAUTIER
Puisque c’est oreille217 de prestre, Puisque c’est une oreille de prêtre,
D’aultre ne sera jà scéu. Cela ne sera jamais su par un autre.
TIERRY THIERRY
795 Ore, vous avez bien véu Aujourd’hui, vous avez bien vu
Ces deux compaigno[n]s qui me tiennent Ces deux compagnons qui me tiennent
Compaingnie, et [qui] vont et viennent Compagnie, et qui vont et viennent
Partout pour quérir ma santé ? Partout pour garantir ma santé ?
GAULTIER GAUTIER
C’est voir. C’est vrai.
TIERRY THIERRY
Ilz m’ont trèstant hanté Ils m’ont tant fréquenté
800 Qu’il leur en est du218 pis, par m’âme ! Qu’ils en ont eu du mal, par mon âme !
L’un d’eulx est mary de la femme L’un d’eux est le mari de la femme
Que je maintien, dont je parloye. Que j’entretiens et dont je vous parlais.
Tirez-vous plus près, qu’i ne l’oye219 ! Venez plus près, qu’il ne l’entende pas !
Et je batis l’aultre pour elle. Et j’ai battu Richard à cause d’elle.
GAULTIER GAUTIER
805 Et comment220 esse qu’on l’appelle ? Et comment est-ce qu’on l’appelle ?
TIERRY THIERRY
La femme ? La femme ?
GAULTIER GAUTIER
Voire. Oui.
TIERRY THIERRY
Alizon. Alison.
GAULTIER GAUTIER
Alizon !? Venez çà ! Dison Alison !? Approchez ! Disons
Alizon ; le mary, comment ? Alison ; et le mari, comment ?
Dictes tost, car en ung moment, Parlez vite, car dans un moment,
810 Par ma foy, nous vous laisseron221. Par ma foi, nous vous quitterons.
TIERRY THIERRY
Il a non Gaultier Saulceron222, Il a pour nom Gautier Sauceron :
Qui m’a aujourd’huy esveillé, C’est lui qui aujourd’hui m’a réveillé,
Et fut trèstout esmerveillé Et qui fut tout ébahi
Quant il me vit ainsi enflé. Quand il m’a vu enflé.
GAULTIER GAUTIER
Gaultier ? Gautier ?
815 Celluy qui est si présentier223 ? Celui qui a si bonne mine ?
TIERRY 224 THIERRY
Et qui est tousjours prest de boire. Et qui est toujours prêt à boire.
Hélas, par m’âme, sire, voire ! Hélas oui, mon Père, par mon âme !
GAULTIER GAUTIER
Voire dea ? Et si, n’ouÿs-je oncques Vraiment ? Pourtant, je n’entendis jamais
À homme n’à femme quelconques Homme ou femme que ce soit
820 Dire nul mal ne nul diffame Dire aucun mal ni aucune infamie
(Qu’il me souvien[n]e) de sa femme. De sa femme, à mon souvenir.
TIERRY THIERRY
Escoutez : puis cinq ans en çà Écoutez : depuis cinq ans
Que l’acoinctance commença, Que notre relation commença,
Par ma foy, je n’euz d’aultre amye. Je n’eus pas d’autre maîtresse, ma foi.
GAULTIER GAUTIER
825 Et ! par Dieu, elle n’en a mye Eh ! par Dieu, elle n’en a pas
Le renon. La réputation.
TIERRY THIERRY
Je vous en croy bien. Je veux bien le croire.
GAULTIER GAUTIER
Demourez illec, je revien ; Restez ici, je reviens ;
Actendez-moy ung seul petit225 ! Attendez-moi un petit peu !
.
RICHARD RICHARD SCÈNE VI
Qu’a-il dit ? J’ay tel appétit Qu’a-t-il dit ? J’ai une si grande envie
830 De le reveoir. Sus ! quelz nouvelles ? De le revoir ! Alors, quelles nouvelles ?
GAULTIER GAUTIER
Maugré bieu ! Ne bonnes, ne belles, Nom de Dieu ! Ni bonnes, ni belles,
Par226 le sang que Dieu respendit ! Par le sang du Christ !
RICHARD RICHARD
Et ! qu’esse-là ? A-il rien dit ? Eh ! qu’est-ce ? A-t-il dit quelque chose?
[As-tu]227 ne sçay quoy entr’ouÿ ? As-tu entendu je ne sais quoi ?
GAULTIER GAUTIER
835 S’il a rien dit ? Sainct Jehan ! ouÿ, S’il a dit quelque chose ? Saint Jean ! oui,
Qui m’a jusques au cueur frappé ! Et qui m’a frappé jusqu’au cœur !
Haro ! je suis bien attrappé : Hélas ! je suis bien attrapé :
Je suis coux, il maintient ma femme. Je suis cocu, il entretient ma femme.
RICHARD RICHARD
Que deable dis-tu228 ? Que diable dis-tu ?
GAULTIER GAUTIER
Par cest âme ! Par mon âme !
840 Confessé le m’a de sa bouche. Il me l’a confessé de sa bouche.
RICHARD RICHARD
Et n’a-il riens dit qui me touche ? Et n’a-t-il rien dit qui me concerne ?
GAULTIER GAUTIER
Si a : c’est il229 qui te fist tant batre. Si : c’est lui qui te fit battre.
Allons-m’en sans plus nous débatre Allons sans plus débattre
Le tuer, et luy couper la gorge ! Le tuer, lui couper la gorge !
RICHARD RICHARD
845 Fist-il230 ce ? Que mau gré sainct George ! Me fit-il cela ? Par saint George !
Ha ! le senglant traistre prouvé ! Ah ! le foutu traître fieffé !
Je fus231 villainement trouvé ! Je suis bien mal tombé !
Vrayement, nous sommes trop mieulx Vraiment, nous sommes beaucoup plus
Trompéz qu’il n’est232. Mais se tu v[i]eulx, Trompés qu’il ne l’est. Mais si tu veux,
850 Jamais il ne nous trompera… Jamais plus il ne nous trompera…
GAULTIER GAUTIER
Mais je te pry ! Parle, je t’en prie !
RICHARD RICHARD
Vécy qu’il fauldra : Voici ce qu’il faudra faire :
Allons le prendre ; et luy diron Allons le chercher ; et nous lui dirons
Qu’il a mal air cy environ, Qu’il y a un mauvais air par ici,
Et que le phisicïen mande, Et que le médecin ordonne
855 Comment qu’il soit, et le commande, Et commande, quoi qu’il en résulte,
Qu’il change [d’]air, et qu’on le porte Qu’il change d’air, et qu’on l’emporte
D’illec. Et puis hors de la Porte233 D’ici. Et puis à l’extérieur de Paris
(Voys-tu ?), nous l’envelopperon (Comprends-tu ?) nous l’envelopperons
En ung drap, et le gecteron Dans un drap, et nous le jetterons
860 En [la boue dans]234 ung fossé : Dans la boue d’un fossé :
Et là sera-il enfossé235, Et là Thierry sera enfoui,
Ne jamais n’en sera nouvelle. Et jamais plus on n’en aura de nouvelles.
GAULTIER GAUTIER
Par saincte Marie la Belle ! Par sainte Marie la Belle !
Tu dis bien. Sus, allons le prendre ! Tu dis bien. Vite, allons le prendre !
865 [Puis] nous l’irons noyer ou pendre, Puis nous irons le noyer ou le pendre,
Par le sang que Dieu print à Romme236 ! Par le sang du Christ !
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TIERRY THIERRY SCÈNE VII
Hélas ! ne viendra-il [nul] homme ? Hélas ! ne viendra-t-il personne ?
Où povent-ilz [bien] trèstous estre ? Où peuvent-ils bien être, tous ?
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GAULTIER GAUTIER SCÈNE VIII
Oste-moy cest habit de prestre ! Ôte-moi cet habit de prêtre !
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RICHARD 237 RICHARD SCÈNE IX
870 Que faictes-vous ? Que faites-vous ?
TIERRY THIERRY
Ha ! Richard, rien. Ah ! Richard, rien.
RICHARD RICHARD
Écoutez : vous n’estes pas bien, Écoutez : vous n’êtes pas bien,
Cy238. Vostre phisicïen tient Ici. Votre médecin pense
(Entendez[-vous] ?) qu’il vous conv[i]ent (Entendez-vous ?) qu’il vous faut
Muer l’air et [vuider239] la place. Changer d’air et quitter la place.
TIERRY THIERRY
875 Hélas, mes amys ! Qu’on me face Hélas, mes amis ! Faites-moi autant
Tant de bien que m’en aperçoyve ; De bien que je puisse en constater ;
Mais je vous requier que je boyve, Mais par pitié, donnez-moi à boire,
Car j’ay tel seuf que plus n’en puis. Car j’ai si soif que je n’en peux plus.
GAULTIER GAUTIER
Vous ne bustes autant, depuis Vous n’aurez pas bu autant, depuis
880 Six jours en çà, que vous ferez. Six jours, que vous allez le faire.
RICHARD RICHARD
Vous burez tant, que vous serez Vous boirez tellement que vous serez
Guéry de tous maulx, je me vant240. Guéri de tous vos maux, je l’affirme.
Prenez à charrier devant241 ! Gautier, prenez-le par les pieds et passez devant !
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FINIS
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D’UNG COUSTURIER & UNG VICONTE 242
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… Jehan Galéace, viconte, fut père de l’ancien duc de Millan, & estoit ung grant homme gras qui voulentiers emplissoyt son ventre de vins & de viandes.
Advint qu’il fist faire à son cousturier ung pourpoint propre243 pour lui. Lequel pourpoint fait, il vestit par ung matin, & le trouva trèsbien.
Quant ce vint au soir, cestuy Jehan — qui avoit accoustumé de faire grant chère — beut & mengea tant, que le ventre luy enfla. Si que son pourpoint luy sembla trop estroit. Si, manda son cousturier, & en le blâmant, luy dist qu’il luy avoit fait son pourpoint trop estroit, et que incontinent il luy allast eslargir. Le cousturier, qui n’osa pas contredire, dist que aussi feroit-il. Et print le pourpoint, & le getta sur la perche244 sans y faire autre chose. Adoncques, les autres serviteurs luy demandèrent pourquoy il n’alloyt eslargir le pourpoint qui contraignoit trop le ventre de Monseigneur. Respondit le cousturier : « Au pourpoint je ne feray riens. Demain, à son lever, après qu’il aura faicte sa digestion & après qu’il aura esté au retrait245, je luy bailleray son pourpoint, & il le trouvera trop large. »
À ce faire ne faillit pas le cousturier, qui vint au lever du seigneur & luy aporta son pourpoint, lequel il trouva assez large, car son ventre estoit désenflé….
*
1 « RESTRÉCHIR : rétrécir. » René Debrie, Glossaire du moyen picard. 2 Elle nomme la cathédrale Notre-Dame (v. 97), le Mont Valérien (v. 100), la Seine (v. 112), l’hospice des Quinze-Vingts (v. 119), la chapelle Saint-Mathurin (v. 177), et l’une des Portes de la ville (v. 857). 3 Ce mot est donné par l’édition de Gustave Cohen en 1949, mais a été omis dans celle de Jelle Koopmans : Le Recueil de Florence, Paradigme, 2011, pp. 607-628. 4 Les deux fêtards, encore passablement éméchés, se rencontrent en fin de matinée devant la maison de Thierry, leur compagnon de débauche. Ils ont la gueule de bois, et leurs idées sont loin d’être claires. 5 Ni maman. « Se tu as papa ou memmen. » Sottie des Menus propos. 6 Ce mot, prononcé à la française, rime en -an : voir la note 160 de Régnault qui se marie. Gautier répond en écho au « en ment » de Richard. 7 Je me fais fort = Je me vante. Idem vers 378. 8 F : Puis qua (« Puisque dire le fault. » Le Povre Jouhan.) 9 Tout quanque = tout ce que. Même picardisme aux vers 167, 322 et 574. Je faision = je faisais. Cette tournure picarde reviendra souvent, à commencer par le prochain vers. 10 Hier soir. Même idiotisme picard aux vers 33, 46, 88, 110, 340, 390, 412, 479, 486. 11 J’embrassais les hanaps : je buvais. Sur cette conjugaison picarde, voir la note 9. 12 Vers proverbial. Le Livre de la deablerie, du Picard Éloy d’Amerval, nous le ressert trois fois. 13 Préposition picarde qui signifie « avec ». Idem vers 340. 14 « MATE, adj., moite. » (Debrie, Glossaire du moyen picard.) L’adjectif mat [abattu] serait au masculin. 15 Ni pied, ni patte : rien ni personne. « Il n’y en a ne pié ne pate. » ATILF. 16 F : la 17 Même vers que 67. L’auteur a laissé passer plusieurs doublons, qui trahissent plutôt des réminiscences qu’un manque de temps. 18 Si on recommençait à boire : voir le vers 416. « Se, pour trop boire, l’endemain/ Vous tremble teste, bras ou main,/ Avoir vous fault, sans contredit,/ Du poil du chien qui vous mordit. » (Recepte pour guérir les yvrongnes.) On dit aussi : « Prendre du poil de la beste : boire le jour d’après que l’on s’est enyvré. » Antoine Oudin. 19 Un abus. « Encor, qui est plus faulx latin,/ Affin de venir plus matin,/ J’ay couché trèstout embasté. » Les Femmes qui font baster leurs maris aux corneilles, F 29. 20 Il nous faudrait un 3e larron auquel nous ferions payer le tavernier. 21 Viendra. Nous retrouvons ce futur picard aux vers 255, 256 et 267. 22 Surnom d’un obèse. « Rembourrer le pourpoint : manger. » Oudin. 23 Dans sa bouche. « Merde en tes joues ! » (Le Savetier Audin.) Colin est si lourd qu’on ne peut pas le soulever pour jouer au pet-en-gueule. 24 F : bachoue (Mais au vers 570 : Machoue. Ce mot qui dérive de « mâchoire » convient mieux à un solide mangeur.) 25 Si m’aid Dieu : que Dieu m’assiste. Idem vers 276 et 615. 26 Ni après avoir posé pour un portraitiste. 27 Aujourd’hui. Idem vers 590. L’heure de none = midi. 28 Le second rôle. « Jhésus son filz, seconde personne de la Trinité. » Miracle de un marchant et un larron. 29 F : abuure (« ABRUVER : Abreuver. » Jules Corblet, Glossaire du patois picard ancien et moderne.) 30 F : leuoit 31 F : pert (Se galer = s’amuser.) 32 En homme qui ne se lève plus de sa paillasse. « Gargantua (…) paillardoit parmy le lict. » Gargantua, 21. 33 Bruyamment. « Faire bien de l’emblée : faire du bruit. » Debrie, Glossaire du moyen picard. 34 Nos deux ivrognes aiment les jeux d’enfants. 35 Les buveurs qui ne peuvent pas payer le tavernier lui laissent un vêtement en garantie. 36 Et qu’il y a eu des éclairs. « Espartir mervilleusement/ Et tonner très horriblement. » ATILF. 37 S’est partagé, s’est ouvert. « Il veoit la mer estre par le mylieu partye. » ATILF. 38 F : lafermes (Mais affirmer que c’est vrai.) 39 F : ou (Au mains = au moins. Cf. l’Aveugle et Saudret, vers 396.) 40 F : assoir (Voir la note 10.) 41 Tout d’un coup. « Tout d’une tire,/ Il m’a bien mis en resverie. » Les Esveilleurs du chat qui dort. 42 F : garnissent (Correction proposée par J. Koopmans.) 43 Au sommet de cette colline proche de Paris, des ermites avaient construit deux chapelles assez hautes. 44 F : bauerie (Baierie = discours trompeur. « Je ne vueil plus de ta baierie :/ Paye tost ! » Farce de Pathelin.) 45 Nouvel emprunt à Pathelin : « Me voulez-vous faire entendant/ De vécies que sont lanternes ? » Idem vers 143. 46 Les harengs saurs, qu’on a séchés puis salés, survivent rarement à un pareil traitement. Le Carnaval se clôt sur une bataille entre le maigre Carême (défendu par des harengs saurs) et le gras Charnage (défendu par des andouilles). Voir la note 284 du Résolu. Dans le Quart Livre <chap. 40>, un des cuisiniers qui vont combattre les Andouilles se nomme Aransor. 47 Mardi-gras. « Yl tura Karesme-prenant. » (Le Pèlerinage de Mariage.) La pièce fut peut-être jouée lors des festivités du Mardi gras. 48 Les Quinze-Vingts est un hospice parisien qui nourrissait 300 aveugles. 49 F : Mestrier (Les aveugles n’ont en général pas d’autre profession que la mendicité : ils chantent dans les rues en s’accompagnant à la vielle.) 50 F : pouigneurs (Le poigneur d’alêne coud le cuir à l’aide d’un poinçon. « Des poigneurs d’alesne et tanneurs. » ATILF.) Des aveugles auraient du mal à passer un fil dans le chas d’une aiguille. 51 Les serveurs doivent avoir l’œil pour remplir immédiatement le pichet vide d’un client. Voir le Monologue d’ung clerc de taverne (Montaiglon, XI, 46-54.) 52 En Picardie, les graux sont des égratignures dues à des coups de griffes, d’où l’étonnement de Gautier. Mais Richard a commis une contrepèterie involontaire qu’il va rectifier au vers suivant : graveurs de sceaux. Elle recèle d’autres solutions : graisseurs de faux, fesseurs de gros, etc. 53 Le ciron est une pustule provoquée par des acariens ; on le perce avec une aiguille rougie, ce qui n’est pas un travail d’aveugle. Les femmes ont une autre méthode : « J’ay ung siron sur la motte ;/ Je croy qu’i my rendra morte/ Si je ne le fais oster./ Il y fault de la ‟chair vive”/ Ung tronsson à y bouter./ Mon amy a une chose/ Que je disse (mais je n’ose),/ Qui me le pourroit oster./ Il me la mist dans le ventre./ Entre vous, jeunes fillettes,/ Quant les sirons si vous blessent,/ Faictes-les ainsi oster. » Loyset Compère. 54 Le paysan de Cautelleux, Barat et le Villain est victime d’une blague analogue aux vers 280-405. 55 La cupidité des hauts fonctionnaires est telle que cette histoire ne serait pas crédible. 56 Qu’il finira pendu : « Plusieurs estoient alléz par le pendant, & d’autres avoient esté jettéz en l’eau. » F. de Belleforest. 57 F : bonte (Se bouter en franchise = se réfugier dans un monastère, sous la protection de Dieu. « [Il] se bouta en franchise au dit moustier. » ATILF.) 58 S’aprester = se faire prêtre. « Il se fist apreisteir/ [Par] l’archevesque de Colongne. » ATILF. 59 Nous la vendrons à un fripier. 60 L’échauffourée. Jeu de mots sur « les chats fourrés » [les hypocrites], que les Picards prononçaient exactement de la même façon : les cots fourrés. Nous disons aujourd’hui : les coups fourrés. 61 F : ostee (Volée. « Et porte Dismas une robe sur ses espaules comme s’il l’avoit emblée. » Les Tyrans.) 62 F : une (Visé = avisé.) 63 Regimber et mordre = se rebeller. « Quant je voys d’aulcuns folyer,/ Ou d’aultres regiber ou mordre. » Le Monde qu’on faict paistre. 64 Verbe poindre : piquer, mordre. 65 Vers manquant. Avant l’invention de la camisole de force, on attachait les gens qui étaient « fous à lier ». « Se j’eusse aide, je vous liasse :/ Vous estes trèstout forcené. » Pathelin. 66 Chapelle parisienne, rue des Mathurins-Saint-Jacques, où l’on expédiait les fous pour les guérir. « Envoyer à Saint-Maturin : Faire passer pour fol. » Oudin. 67 F : tant 68 Silencieusement. Idem vers 231 et 651. « Tout bellement,/ Qu’elle ne m’oye [afin qu’elle ne m’entende pas]. » Les Drois de la Porte Bodés. 69 Futur du verbe paroir : paraître. Idem vers 245. Cf. la Laitière, vers 146. Le pourpoint rétréci fait partie des mauvaises blagues, comme le lit en portefeuille. Le Jeu du Prince des Sotz nomme une autre de ses victimes : « Qui est variable en substance [en étoffe],/ Comme le pourpoint (de) Jehan Gippon. » 70 F : Qua (« Regardez mon pourpoinct :/ Il est beau, fort bien faict, délicatement joinct. » Lasphrise.) 71 F : espraindre (Lui démanger. « Tout le sang et la chair m’espoint. » ATILF.) Voir les vers 453-4. 72 Et rougir. « Sans muer couleur en la face. » Le Gallant quy a faict le coup. 73 F : pouruoit (Voir le vers 403.) 74 Avec subtilité, par traîtrise. Cf. le Tournoy amoureux, vers 94. 75 F : fauldra (Il nous baillera. « Tu me bauldras/ Mon beau demy escu. » Le Mince de quaire.) 76 Procédure normale. Dans la Seconde Moralité, on apporte un flacon d’urine au médecin, auquel on donne de l’argent pour qu’il en tire un diagnostic sans avoir vu le malade (vers 223-8). 77 Aux médecins. Idem vers 430, 566, 854, 872. « Ces phisiciens m’ont tué. » (Pathelin.) Les Picards prononçaient « physician », comme ils prononçaient bian [bien] ou rian [rien]. 78 Dans les siècles précédents, on infligeait aux fous une tonsure en forme de couronne centrée d’une croix. « Si je ne m’en sçay venger, je vueil qu’on me tonde en croix comme ung folz ! » (Ph. de Vigneulles.) Idem vers 298, 344 et 584. 79 Forme picarde de « saint Pierre ». Idem vers 441 et 635. 80 F : esguillette (L’aiguillette désigne surtout le cordon qui ferme une braguette. Beaucoup plus rarement, c’est une petite aiguille ; mais vu l’épaisseur du pourpoint, il faut une aiguille normale, comme au vers 261.) 81 F : Je (J’y vais. Cf. l’Aveugle et le Boiteux, vers 175.) 82 Futur de « n’ouïr goutte » : ne rien entendre. 83 Les deux hommes entrent chez Thierry. Gautier reste dans la pièce principale, tandis que Richard va subtiliser dans la chambre le pourpoint du dormeur. 84 F : Descauson (Décousons le pourpoint pour le couper.) Les deux hommes s’assoient autour de la table et se livrent à leurs travaux de couture en imitant les propos « décousus » que tiennent les fileuses en pareil cas : voir les Évangiles des Quenouilles. 85 Si je peux. Idem vers 333. Cf. les Frans-archiers qui vont à Naples, vers 102. 86 Jeu de mots sur coux, qui signifie cocu, comme aux vers 769 et 838. Mais Richard ne croit pas si bien dire… 87 F : gastaroit (Voir le vers 656.) 88 Je ferai le signe de la croix, comme devant un spectacle diabolique. Voir la didascalie du vers 383. 89 F : se deuroit 90 Cette plaisanterie n’était pas nouvelle : « C’est parlé/ Proprement et de main de maistre. » Le Dorellot. 91 Gautier sera dans la pièce principale, et il parlera fort pour être entendu de Thierry, à condition que la porte de sa chambre ne soit pas fermée. 92 Par un milan, un oiseau de proie. « L’escoufle a emporté voz poucyns. » Godefroy. 93 À la mule du pape, qui représente par synecdoque le pape lui-même. Or, le pape avait réponse à tout, y compris aux questions qu’on ne lui posait pas. De là à dire qu’il pensait avec ses pieds… 94 Ce mot était parfois masculin, comme au vers 552 : cf. le Sermon pour une nopce, vers 47. En outre, les Picards employaient l’article « le » au lieu de « la » : voir ma note 199. 95 F : lengen (L’intellect, du latin ingenium. « Sans engin, science et mémoire. » Marchebeau et Galop.) 96 Dans l’esprit de Gautier, cette phrase est négative : « Jéninot est le nom d’un sot ;/ Mais aussi n’es-tu pas trop sage. » Jéninot qui fist un roy de son chat. 97 « DESTORBER : détourner, embarrasser, troubler. » Debrie, Glossaire du moyen picard. 98 Qui rayonne, qui brille. « Par le soleil qui roye ! » (Serre-porte.) « A ! par le saint soleil qui luist ! » (Goguelu, F 45.) 99 F : parmy (Voir le vers 62.) Sous l’effet de l’alcool, Richard oublie la nouvelle tromperie, et en revient à celle des vers 174-7, qui consiste à ligoter Thierry. 100 F : voys 101 F : Assoir (Voir la note 10.) « O » = avec. Note 13. 102 « Il aura grand peur, s’il ne tramble. » Le Raporteur. 103 Bruï, brûlé en enfer. « Du feu d’Enfer je suis brouÿ. » Vie de saincte Barbe. 104 F : rigaller (Qu’à prendre du plaisir. « Ou soit pour rire ou pour galer/ Tant qu’i n’y ait que régaller. » Pierre Chastellain.) 105 « Avoir la pulce à l’oreille : Estre dans quelque appréhension. » (Oudin.) « Qui me met la puce à l’oreille/ Et m’esmoye par tel façon. » Le Capitaine Mal-en-point. 106 Avant que notre jeu (ou notre farce) s’achève. « Devant que nostre jeu départe. » Le Raporteur. 107 F : entre en fieure quartaine (Cf. la Fièbvre quarte.) 108 Cohen : te — Koopmans : le (Acquitte-toi de ce que tu as à faire. « Je te pri que tu te délivre. » La Confession Rifflart.) 109 F : Metez (« Je la veulx remectre en son lieu. » Le Poulier à quatre personnages.) 110 Il sort de la chambre de Thierry. 111 « Juron tout à fait original dont je ne connais pas d’autre exemple. » (Jelle Koopmans, p. 616.) « Par les angoisses Dieu, moy lasse ! » (Farce de Pathelin, vers 571.) 112 Autrement dit, il ressemble à un cadavre, dont on doit recouvrir le visage avec un linge. 113 Je suis sûr que dans le respect des bonnes manières. « La table sera tantoust mise/ Et servye de bonne guise. » ATILF. 114 F : chose (« Que la table soit bientost mise ! » Le Gentil homme et Naudet.) 115 F : Bien (L’entremets désigne un plat, mais aussi une mauvaise surprise. « Voicy ung piteux entremetz ! » Frère Frappart.) 116 F : tien (« Tu [te] trouveras/ En grans despens, [or] ne t’en doubte. » Pathelin, ms. fr. 25467.) Gautier va dans la chambre de Thierry. 117 Il fait le signe de la croix parce que, mal réveillé et mal dessoûlé, il s’imagine voir « le grant dyable plus noir que meûre » (Vie de saincte Barbe). 118 F : Qui (« Quel deable est-ce-là ?/ Il ne redoubte riens. » Cuvelier.) 119 Fétard — et non fêtard — veut dire paresseux : cf. le Résolu, vers 191 et note. 120 F : de (Je boirai autant que.) 121 Il feint de découvrir que Thierry a enflé. 122 Par saint Jacques ! Voir le vers 437. 123 Vers manquant. « Vous estes malade :/ Oncques couleur ne fut plus fade. » Le Ribault marié. 124 F : despassay assoir (Voir le vers 878.) 125 F : plus beau (Tu ne vivras pas jusqu’à demain.) 126 Gautier vouvoie désormais Thierry, avec le respect qu’on doit à un mort. Il l’oblige à se lever pour qu’il mette son fameux pourpoint. 127 F : dessoir (Synonyme de « arsoir » : hier soir. Cf. le Gentil homme et Naudet, vers 12.) 128 F : heu (« En ? Qu’as-tu veu ? » Le Temps-qui-court.) 129 F : lieus (Ces liens maléfiques sont les chaînes des damnés : « Et les âmes des trespasséz/ Vueillent garder de maulx liens ! » Consolacion de Boèce.) 130 Dans une imprécation, « que je sois qui » = plutôt que je sois celui qui. « Mais pendu soit-il, que je soye/ Qui luy laira escu ne targe ! » (Villon.) « Meschoir puist-il de corps et d’âme,/ Que je soye qui sauroit dire/ Qui a le meilleur ou le pire ! » (Pathelin.) 131 F : trompierre (Trompeur. « Par saint Pere !/ Il a mon drap, le faux tromperre ! » Pathelin. À la rime, je corrige Pierre d’après les vers 224 et 635.) Thierry se lève, et tente de mettre son pourpoint. 132 Se dit d’un vêtement trop court, susceptible de nous faire attraper des rhumatismes. « Cornette fourrée du moins,/ Cela est bien gouteprenant. » Guillaume Coquillart. 133 Grâce auquel je suis racheté. Participe passé fluctuant du vieux verbe raiembre : « Tous fusmes raimpns. » ATILF. 134 Vers manquant. La soif étique est une soif dévorante : « Requier avoir un bruvaige autentique (…)/ Pour rafréner d’elle ma soif éthique. » (Eustache Deschamps.) Thierry se plaint régulièrement de la soif : vers 398 et 878. On pensait que l’hydropisie frappait ceux qui buvaient trop. 135 F : si (Doublon du vers 410.) 136 Il est toujours dans la pièce principale, et fait semblant d’entrer dans la maison. 137 Il va dans la chambre, mais tourne le dos à Thierry, qu’il ne regardera qu’au vers 514. 138 En Picardie, ce mot désigne le concierge d’un domaine. J’ignore s’il s’agit de son patronyme ou de sa profession, mais au Moyen Âge, c’est à-peu-près la même chose. 139 Quando cœli [quand les cieux] est chanté lors de la Messe des morts. « Ou ilz m’envoiroient promptement/ Tout fin droit à quando céli. » Les Menus propos. 140 F : sont desia (En contradiction avec les 2 vers suivants.) 141 F : feire (Les personnages de farces qui sont bons à tout faire sont des bons à rien ; voir Jehan qui de tout se mesle.) 142 Pleine de liesse (picardisme). « En faisant bonne chière et liée. » ATILF. 143 F : uraiment (Sans faire de distinction. « Nature féméninne,/ Qui tout unyement veult aimer. » Villon.) 144 F : donnue (« Poison » était souvent féminin : cf. le Savatier et Marguet, vers 137 et note.) 145 Peut-être la meurtrière épidémie de coqueluche (ou de grippe ?) qui a sévi en 1510. 146 « LERME : larme. » Debrie, Glossaire du moyen picard. 147 F : regardoit (À la rime. Voir les vers 693 et 704.) 148 F : creuez 149 F : assena (« ASSENER : Frapper. » Debrie, Glossaire du moyen picard.) « Il le vint assener par-derrière le doz. » Galien Réthore. 150 Lors d’un mariage, on chausse ses mains de mitaines, et on donne des petits coups de poing aux parents de la bru, pour leur laisser un souvenir des noces. Au figuré, les gants des noces désignent des conséquences funestes : « Qu’il se consenti à ce qui a esté fait de la dite fille, et n’ot nulz gans des nopces. » Arch. nat. 151 Richard se retourne enfin vers Thierry, et fait un signe de croix en prenant un air épouvanté. 152 Il fallait se confesser avant de mourir. 153 Vers manquant. « Que je taste ung peu vostre poux. » (Chagrinas.) Richard, lui aussi, se met à vouvoyer le prétendu mourant. 154 « Mort s’en ensuy, et (il) eust toutes ses ordonnances. » Godefroy. 155 « Il est perdu, il en est pic. » Arnoul Gréban. 156 Il s’adresse à Gautier, mais suffisamment fort pour que Thierry n’en perde pas un mot. 157 F : Affin (« Garde que la Mort ne te hape ! » Le Ribault marié.) En Picardie, « le » = « la ». Voir ma note 199. 158 F : conscilles (Conseiller : tenir conseil à voix basse.) 159 F : ny 160 F : Et (Le ms. de base portait &.) 161 Le thériaque est un contrepoison. Cf. les Vigilles Triboullet, vers 149-150. 162 Démoniaque : sous l’emprise du démon. Cf. le Cousturier et Ésopet, vers 230 et note. 163 F : par 164 Les deux trompeurs sortent devant la maison. 165 Être pris par la moue : être abusé par des grimaces. Cf. Chagrinas, vers 320. 166 Si tu veux. Même picardisme aux vers 608 et 614. 167 « OU : Au. » (Corblet, Glossaire du patois picard.) « Aussi sçauray-je bien,/ Par Dieu, [ce] qu’elle a ou ventre ! » Les Sotz fourréz de malice. 168 Conviendrait : il faudrait donc lui fendre le ventre pour en extraire ce bébé. 169 Double sens : Ce serait la meilleure chose du monde si on te tondait. 170 Anuit = aujourd’hui. Idem vers 43. 171 Cliqueté avec notre langue, bavardé. « De trufes [à propos de bêtises tu] flavelles ;/ Tais-toy ! » Miracle de saint Ignace. 172 F : que lun 173 Le faux prêtre aura le haut du visage dissimulé sous un capuchon, et il devra baisser la tête pour cacher le reste. 174 F : demouea (Ne demeurera.) 175 F : ou (Autodérision de la part d’un dramaturge et de comédiens qui sont originaires de Picardie.) 176 F : Me fais (Voir le vers 618.) 177 F : pas de (Cela ne m’importe pas plus qu’une pièce de 1 centime. « Il ne m’en chault pas d’une maille. » La Nourrisse et la Chambèrière.) 178 F : Actendes (Dans beaucoup de farces, un des personnages possède providentiellement un habit de prêtre : voir la note 54 du Ribault marié.) 179 Pendant que Gautier enlève sa robe, Richard, qui est un voisin de Thierry, court chez lui et revient vite avec un vieux froc à capuchon, une ceinture, et l’inévitable bréviaire. 180 Il tente vainement d’ajuster le capuchon, qui est beaucoup trop grand et qui lui couvre tout le visage. 181 Même juron abrégé à 627. Des deux amis, c’est celui qui blasphème le plus qui va jouer le prêtre. 182 F : burelure (C’est une chanson à danser. « La Turelure/ Y chanterons en passant temps. » Les Esveilleurs du chat qui dort. Les vers 27-33 de Calbain en proposent une version.) Le froc est deux fois trop grand pour Gautier, qui « danse » dedans. 183 Cette bacchanale orientalisante requiert des mouvements très amples. 184 Les épaules de la soutane te tombent sur le ventre. 185 F : Allons nous en (Allons-y ! Idem vers 843.) 186 Qu’on place dans un champ où l’on a semé des graines de chanvre que les oiseaux risquent de picorer. 187 F : quil (Voir le vers 606.) 188 Euphémisme pour Dieu. 189 Contrairement aux bourgeois, les prêtres ne portent pas de chaussures à lacets mais des sandales en cuir, avec ou sans lanières. 190 Vers manquant. L’auteur pioche souvent dans la farce de Pathelin ; d’une façon toute arbitraire, je le ferai aussi : « Il n’a pas le visaige/ Ainsi potatif. » Potatif = digne d’un alcoolique, ce qui dépeint parfaitement Gautier. 191 F : dis (Une fois tu ris bien ; une autre fois, prends-y garde. « Or rit, or pleure. » ATILF.) 192 Gautier rentre dans la maison, suivi par Richard (qui restera dans la pièce principale), et il retourne seul dans la chambre de Thierry. Il enfonce la tête dans son bréviaire et modifie sa voix. 193 Doublon du vers 483. Les deux suivants reproduisent les vers 543-4. 194 Étant presque mort, vous n’êtes plus qu’une âme. 195 Les accidents de la vie étaient vus comme des punitions de nos péchés. Aujourd’hui encore, même les athées s’exclament : Qu’est-ce que j’ai fait au bon Dieu pour mériter ça ? 196 « Probablement, Gaultier feint d’être repoussé par la puanteur de l’haleine de Tierry, mais en fait il a peur d’être reconnu. » J. Koopmans, p. 623. 197 F : ne 198 F : gardent (Le sujet, « homme » ou « femme », est singulier.) 199 Les Picards employaient l’article « le » au lieu de « la », comme aux vers 317, 541 et 552. Je pioche au hasard dans un poème de Jehan Molinet : « Le basse danse. Vous jousterez à le quintaine. Lever le teste. Le toux, qui fort me diminue. Il a trop fort mors en le gueulle. » 200 Je lui procure. « De pourchasser à aultruy mal. » Les Esveilleurs du chat qui dort. 201 F : se fige quil (Voir le vers 747.) 202 Sans ordre ni méthode. « Robin danse en tache. » Le Monde qu’on faict paistre. 203 Relâche, répit. « Sans point faire de lâche. » Les Drois de la Porte Bodés. 204 F : fera (Le « f » et le « ſ » long sont souvent confondus.) Il ne sera jamais en bonne santé. 205 Contondants, qui ne provoquent pas de plaies ouvertes. « Et luy baillèrent plusieurs coups orbes et sourds. » ATILF. 206 À l’instant. « Il en vient tout venant. » Pathelin. 207 Mécroire = soupçonner. Idem vers 759. Cf. Frère Frappart, vers 278. 208 Pas du tout. « Point ne cesse/ Ne po, ne goute. » ATILF. 209 F : mestoit 210 F : sauoit (Qui avait fait cela.) 211 Je le soupçonnais d’être lui aussi son amant, ou de vouloir le devenir. 212 Un homme qui chante a une maîtresse : tel est le sujet du Ribault marié, auquel on fait croire aussi qu’il est mourant, et dont un faux prêtre obtient une confession gênante. 213 Un don de coups. « Avoir vous fault de la donnée ?/ Tenez, recevez ce tatin [coup] ! » Godefroy. 214 Avec une telle force. « Frappez ! Bastez de randonnée ! » ATILF. 215 Maintenir une femme : l’avoir pour maîtresse. Idem vers 802 et 838. « Un mary (…)/ Qui gardît bien son mariage,/ Qui n’ayt Thomyne ne Lucette/ À maintenyr. » Le Trocheur de maris. 216 F : De 217 F : a bouche (Les prêtres doivent respecter le secret de la confession.) 218 F : de (Du pire. « Fais du pis que tu sçauras faire. » La Nourrisse et la Chambèrière.) 219 Afin que Gautier — qui est censé attendre dans la pièce contiguë — n’entende pas. 220 F : c’nent (« Et comment esse qu’on apelle/ Une auge à paistrir ? » Jolyet.) 221 C’est une des nombreuses litotes pour dire : Vous mourrez. 222 En Picardie, ce mot désigne sans surprise une écuelle. 223 Qui présente si bien, qui a une si belle prestance. « Quant je estoie jeune et présentier. » (Godefroy.) Gautier se flatte lui-même. 224 F descend cette rubrique sous le vers suivant. 225 Un tout petit peu. Craignant de trahir sa colère, Gautier rejoint Richard dans la pièce principale. 226 F : Ha (« Par le sang que bieu respendit ! » Beaucop-veoir.) 227 F : A il ie 228 F : distes (Voir le vers 424.) 229 Lui. « C’est il qui me doit adresser. » Serre-porte. 230 F : Fut il 231 F : fut 232 C’est une variante de la moralité « À trompeur, trompeur et demy », qui conclut tant de farces et de sotties. 233 Les fossés parisiens se trouvaient aux abords des Portes de la ville. « Les fosséz de la Porte Sainct-Honoré. » (Journal d’un bourgeois de Paris sous le règne de François Ier.) Voir le vers 366 des Maraux enchesnéz. 234 F : leau dedans (Vers trop court, alors que « bou-e » compte pour 2 syllabes. De plus, si Thierry sait nager, il ne mourra pas. Et si on découvre son cadavre flottant sur l’eau, ses meurtriers seront exécutés.) Comme en témoignent les Maraux enchesnéz, les fossés parisiens sont pleins de boue, et non d’eau : « –En ce bourbier,/ Nestoyez-moy bien ces fosséz !…./ –Nous sommes à la boue,/ Maintenant, jusques aux genoulx. » 235 F : estoffe (Rime faible et sens douteux.) Enlisé dans un fossé : « En un fossé,/ Com un larron, l’ont enfossé. » Godefroy. 236 On retrouve ce curieux juron au vers 512 des Trois amoureux de la croix. 237 Il retourne dans la chambre, avec Gautier, qui a remis sa robe personnelle. 238 F : Car 239 Vider, quitter. « Yl conviendra vuyder la place. » Le Sourd, son Varlet et l’Yverongne. 240 Je m’en flatte. Cf. l’Aveugle et Saudret, vers 327 et 1113. 241 Les deux hommes soulèvent leur victime, Gautier par-devant, Richard par-derrière. À la fin de la Laitière, deux furieux décident d’aller noyer un sergent dans une fosse septique ; l’un d’entre eux le porte par-devant, et dit à l’autre : « Je veil (…)/ Que le soustenez par-derrière. » 242 Cet extrait de la 17e Facétie du Pogge, traduite par Guillaume Tardif vers 1492, pourrait avoir fourni l’idée du pourpoint rétréci. 243 Sur mesure. 244 Sur la tringle horizontale où les couturiers accrochent les cintres qui portent les vêtements à retoucher. 245 Au cabinet. Voir la farce du Retraict.