LE FOL ET LA FOLLE
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LE FOL ET
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LA FOLLE
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En dehors des sotties, le théâtre médiéval ne fait guère appel aux folles : les farces s’en tiennent aux fous, et les prétendues « folles » des Mystères ne sont que des hystériques qui se croient possédées par le diable. Pourtant, Claude Chevalet1 dissimula dans sa Vie de sainct Christofle (~1510-1514) une authentique sottie, où une Folle rivalise de hardiesse avec un Fol.
Ce Mystère narre aussi les tribulations d’une troupe de bateleurs itinérants : ils sont à la fois clowns, jongleurs, montreurs d’animaux plus ou moins savants, faiseurs de bons tours, joueurs de mauvais tours, accompagnateurs de danses, marchands de fausses gravures pieuses et de partitions, chansonniers, etc. Leur troupe minable a beaucoup de points communs avec celle de la farce du Bateleur.
Source : La Vie de sainct Christofle, élégamment composée en rime françoise et par personnages par maistre Chevalet. Imprimé à Grenoble en 1530. Bibliothèque nationale de France, Rés. YF 116. Je recommande l’édition critique de Pierre SERVET : La Vie de sainct Christofle ; Droz, 2006.
Structure : Rimes plates, avec 3 triolets, et une ballade sans envoi.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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LE FOL 2 SCÈNE I
Gare ! Gare ! Faictes-moy place !
Reculle-toy, fol ydïot !
Car je suis ung estradïot3
Aussi légier4 q’ung lymasson.
5 Pour menger soit cher5 ou poisson,
Jamais ne m’en treuve malade.
Seray-je point de l’ambassade ?
Aray-je perdu mon crédit ?
Vous sçavez bien que chescum dit :
10 « Souvent, en ung mauvais passage6,
Ung fol enseigne bien7 ung saige
Quant le saige voyt qu’il se noye8. »
Si j’eusse la robe de soye,
Je m’en yrois en Gastinoys :
15 Car, quant on verra mon mynois,
On dira que je suis ung Conte9.
Fait-on testes de folz de fonte,
Ainsi que l’on fait une cloche ?
Celuy qui me fit la caboche
20 La me fit ung petit trop creuse10.
LA FOLLE
Il a dit vray ! Et bien fumeuse11 :
Elle va tousjours fumassant.
L’on ne trouveroit, en ung cent,
Teste que mieulx [vercoquin pille]12 :
25 Elle est ronde comme une bille
Et légière comme une plume.
LE FOL
Il fault donc, si ma teste fume,
Que je porte13 le feu au cul :
Car en effect, oncque ne fut
30 Fumée qu’il n’y eust du feu14.
Viens çà ! Il n’y a point de jeu15,
Car mon cul souffle si souvent
Que j’ay paour qu’il face, du vent,
Allumer le feu à la forge16,
35 Qui me sortira par la gorge
Et me brûlera le museau.
LA FOLLE
Va-t’en mettre le cul en l’eau
Prestement en celle rivière :
Si le feu est en ton derrière,
40 Il sera incontinent mort.
LE FOL
Je le veulx bien, j’en suis d’acord.
Viens-moy ayder et sera fait.
LA FOLLE
Garde-toy bien de faire ung pet,
Affin que le feu ne s’alume.
LE FOL 17
45 Regarde ! Voy-tu rien qui fume ?
LA FOLLE
Ne bouge le cul d’une place !
LE FOL
Ceste eau est plus froide que glace.
LA FOLLE
Ne te chault : prens en pacience
Sans bouger.
LE FOL
Par ma conscience !
50 Je suis en ung aultre danger :
Ces poissons me veullent18 menger
Tout vif 19. Il me fault reculler.
Et pour me garder de brûler,
Je ne sçay remède que boire.20
*
LE FOL SCÈNE II
55 Qui m’aura emblé21 ma marote,
Si me la rende incontinent
Sur peine d’excommuniment22 !
Ou [bien] j’en feray faire une aultre
Qui aura la teste de peaultre23,
60 Le cul de fer, d’acier le joys24 ;
Et l’une de[s] jambes, de boys ;
Et l’aultre, de pierre de taille ;
Le bec grant comme une poullaille25,
Et les tétins de deux molettes26.
65 « Venez achepter ces lunettes27
(Estront de chien) pour vostre nez !
Or advancez-vous, advancez
Pour parler à ce Jehan Testu28 ! »
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Holà, ma sotte ! Où es-tu ? SCÈNE III
70 Je croy que tu fais l’arquimye29.
Viens çà ! approuche-toy, m’amye :
Il te fault recouldre le ventre30,
Car je me doubte que g’y entre,
Quelque jour, chaussé et vestu.
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LA FOLLE SCÈNE IV
75 Me voicy ! Que demandes-tu ?
Je viens pour te faire merveilles :
Il te fault coupper les oreilles
À faire deux manches d’estrilles31.
Et si, te raseray les « billes »
80 Rasibus du cul32, par-derrière.
Ne tire point le cul arrière33,
Car je les auray, par mon âme !
LE FOL
Alarme, bonnes gens, alarme !
Gardez-moy qu’elle ne me tue !
85 Elle me veult, dessoubz la « queue »,
Couper les bataulx34 de la cloche,
Les oreilles de la caboche35.
[Hare ! hare]36 ! Qu’elle soit prise !
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Seigneurs, je demande franchise37. SCÈNE V
90 Hé ! Jupiter, secourez-moy,
Et je vous voue38 (sur ma foy)
Boire tousjours le vin sans eau ;
Et ne mengeray beuf, ne veau,
Mouton, chevreau, qui ne soit cuyct ;
95 Et juneray toute toute la nuyct,
Au moins si je ne me réveille.
Mesmement39 le jour de la veille
De vostre grant solemnité40,
Car je serois déshérité
100 D’avoir perdu ung tel « joyau41 ».
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LA FOLLE 42 SCÈNE VI
Où est-il allé, mon luneau43 ?
Je te44 trouveray, quoy qu’il t’arde.
LE FOL
Je suis en franchise, regarde !
N’aprouche point de moy, Babeau45 !
LA FOLLE
105 Je vous auray, ou le feu m’arde46 !
LE FOL
Je suis en franchise, regarde !
LA FOLLE
Je te chastieray — quoy qu’il t’arde —
Tout maintenant, de ce cousteau !
LE FOL
Je suis en franchise, regarde !
110 N’aprouche point de moy, Babeau !
Voicy le Temple bon et beau :
Garde-toy bien de faire noyse !
LA FOLLE
Qui me garde que je n’y voyse47 ?
Oncques nul des dieux n’en parla.
115 Et si, vous fault passer par là,
Au moins s’ilz ne sont les plus fors48.
LE FOL
A ! jambes, saulvez-moy le corps49,
Et je vous donray chausse[s] neufves !
Tu n’as garde que tu me treuves,
120 Et fust la lune en [son croissant]51.
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LA FOLLE 52 SCÈNE VII
Hau, follaton ! Viens-moy passer
Maintenant delà la marine53,
Car je suis bonne pèlerine
Qui, pour avoir le « picotin54 »,
125 M’en vueil aller à Sainct-Trotin55,
Où je gaigneray le pardon56.
LE FOL
Scez-tu pas bien que mon « bourdon57 »
Est trop court pour trouver le fons58 ?
Il est aussi foible que joncs
130 Pour ployer. Entens-tu la note59 ?
LA FOLLE
Ne sces-tu prendre ta « marotte60 »,
Celle qui a la teste rouge61 ?
Approuche-toy, et ne te bouge !
Il n’est pas temps que l’on rechigne.
135 Je te voys monter sur l’eschine62 ;
Garde-toy bien de répiter63.
LE FOL
Mais te garde bien de péter
Ainsi que tu as de coustume !
Car, par Dieu, s’il fault que j’en hume,
140 Je sçay bien que nous aurons noyse.
Ventre sainct Gris, comme tu poyse64 !
Oncques ne portay tel fardeau.65
LA FOLLE
Je te rendray ce tour, lourdeau !
M’as-tu laissé tomber par terre ?
145 Or te metz là, que je te serre66 !
Ou, par Dieu, je te froteray67.
LE FOL
Que veulx-tu ?
LA FOLLE
Je remonteray,
Il ne fault point estre rebelle !
LE FOL
Il fault donc avoir une eschelle,
150 Ou tout versera, j’en suis seur.
LA FOLLE
Tien-toy ferme et [n’aye pas peur]68 ;
Et garde bien de me lascher !
Je suis bien. Pense de marcher69
— As-tu entendu ? — fort et rède !
LE FOL 70
155 Aay, ay, ay ! Que ceste eau est froide !
Elle entre dedans mon soullier.
LA FOLLE
Sus avant, maistre lymonnyer71 !
Nous serons tantost au millieu.
LE FOL
Et ! qu’est cecy ? Bon gré ’n72 ayt Dieu !
160 Paillarde, avez-vous vécy73 ?
Descendez, et m’attendez cy,
Que j’aye l’eschine plus forte.74
LA FOLLE
Alarme, alarme ! Je suis morte,
Je suis noyée, somme toute.
LE FOL
165 Je luy ay faict de son cul souppe75,
Non pas en vin mais en bel[le] eau.
Scez-tu quoy ? Attens-moy, Babeau,
Et je voy quérir ung cheval76.
Avez-vous faict le vent d’aval77,
170 Et vescy à vostre privé78 ?
Vous en avez le cul lavé,
Affin que l’on y remédie !
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LES BASTELEURS 79
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MAULOUÉ80, basteleur, commence. SCÈNE I
Où es-tu ? Hau, Mal-assegnée81,
Apporte-moy tous mes bateaux82,
Estrilles, focilles, cousteaux83 ;
Bastons, bacins84, siffléz85, timballe ;
5 Les gobeletz, les noys de galle86 ;
Le synge, la chièvre, le chien
Et l’ours (que nous n’oublions rien),
Avec le mole87 des ymages,
Pour courir villes et villages.
10 Maufourbie [es]t-elle [où ell’ est]88 ?
Où est Henriet, mon varlet,
Pour chanter avec sa guiterne89 ?
MAL-ASSEGNÉE
Il est allé à la taverne.
Qu’à tous les diables puist tout estre,
15 Autant le varlet que le maistre !
L’on me laisse cy toute seulle.
L’ours brayt de fain et le chien ule90 ;
Le singe dit sa pateno[u]stre91.
Et si, vous dis encor en oultre
20 Que nous n’avons denier ne maille.
MAULOUÉ
Hé ! nous en aurons — ne te chaille —,
Quelque jour, de l’argent content…
S’il en pleust, dea, cela s’entent !
MAL-ASSEGNÉE
Esse donc tout ?
MAULOUÉ
Ma [donna, sy]92 !
MAL-ASSEGNÉE
25 N’en prendrez-vous autre soussy ?
Je suis bien de mal heure93 née !
MAULOUÉ
Et ! n’es-tu pas Mal-assegnée ?
Le nom est de mesme l’ouvrage94.
Acoup, qu’on charge le bagage !
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30 Henriet, vien çà ! Qu’on se haste ! SCÈNE II
HENRIET, varlet.
Laissez-moy mouller la gargatte95,
Qui est si sèche, pour le hâle96.
Qu’en buvant, jamais je ne parle :
Ma mère me le deffendy.
MAULOUÉ
35 Qu’est cecy ? Es-tu estourdy ?
Dont te vient ce mal, mon varlet ?
Est-ce point de menger du laict
Que tu as la couleur vermeille ?
HENRIET
Je l’ay prins en ceste bouteille.
MAL-ASSEGNÉE
40 Je cuyde qu’il a veu les anges
Qui tumbent du ciel en vendanges.
C’est la douleur qui le travaille97.
HENRIET
Je l’ay pris en ceste bo[u]teille.
MAULOUÉ
Tu as vendangé sans cousteau98.
45 Mais tu y jouras du basteau
Et99 du bassin, je le conseille.
HENRIET
Je l’ay pris en ceste bouteille.
MAL-ASSEGNÉE
Pour vous guérir de ce farcin100,
Avallez-moy ce plain bassin
50 D’eau claire ! C’est la médecine,
Il ne fault point faire la myne101.
Tenez, et vous lavez la gorge !
HENRIET
Qu’ell’ est froide, bon gré sainct George !
J’aymoys mieulx celle du barry102.
MAULOUÉ
55 Or viens çà ! N’es-tu point guéry ?
HENRIET
Je n’entens point la guérison :
J’en ay pris une trancheyson103
Qui me fera les boyaulx fendre.
MAULOUÉ
Sus devant ! Car il nous fault prendre
60 Le chemin tout droit à Damas.
Mais je ne sçay point que tu m’as
Fait104, aujourd’huy, de ma trompette.
HENRIET
Voy là cy105, maistre.
MAULOUÉ
Qu’on se mette
En voye, c’est le principal.
65 [Que] chescum preigne son bestial
Du trein de la bastellerie106.
N’avons-nous pas d’ymagerie107 ?
C’est le principal du mestier108.
MAL-ASSEGNÉE
Il en y a ung cent entier109 ;
70 C’est assez pour une sepmaine.
MAULOUÉ
Henriet ! Il fault que tu meine,
Pour ta part, l’ours avec le chien.
Garde que nous n’oublions rien,
Mon varlet ! As-tu entendu ?
HENRIET
75 Je vouldrois que tout fust vendu.
Car incessamment je travaille,
Et si110, n’ay ne denier ne maille
Ne, souvent, de quoy me repaistre.
MAULOUÉ
Tais-toy ! Je te passeray maistre111
80 Avant que soit jamais troys moys.
Et si, auras quatre tournoys
Toutes les sepmaines pour boyre.
MAL-ASSEGNÉE
Il ne boyt que trop !
HENRIET
Voyre, voyre,
Belle dame, laissez-moy vivre !
85 Si, d’aventure, je suis yvre,
Je me couche bien tout vestu112.
MAL-ASSEGNÉE
Et de quoy [donc t’esbranles-tu]113 ?
HENRIET
J’ay en la teste la migraine.
Puis après, il fault que je traîne
90 Ce bestial114 à force de corps.
Mais, par tous les dieux, si tu mors,
Tu auras une bastonade !
MAULOUÉ
Nous deussions jà estre à Grenade115,
Pour le vous dire à brief parler.
95 Avançons, et pensons d’aller !
Et qu’on me laisse ce desbat !
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MAULOUÉ 116 SCÈNE III
Dieu gart et le Roy et la Court,
Les dames et les damoiselles !
MAL-ASSEGNÉE
Ostez vostre chapeau, tout lourt117 !
HENRIET
100 Dieu gart et le Roy et la Court !
MAULOUÉ
Nous sommes, pour le temps qui court,
Mynces118 d’argent et sans rouelles.
MAL-ASSEGNÉE
Dieu gart et le Roy et la Court,
Les dames et les damoiselles !
LE ROY DE DAMAS
105 Scez-tu nulles chançons nouvelles ?
Voulentiers les vouldrois ouÿr
Pour la compaignie resjouyr.
Si tu scez rien119, que l’on le voye !
MA[U]LOUÉ
Je fais, d’une chièvre, blanche120 oye ;
110 D’ung ourseau121, ung molin à vent ;
Et d’ung franc, dix solz122, bien souvent.
Henriet, acoup, ma trompette !
Bran123 ! qu’est cecy ? Ell’ est maulnette124.
Je cuyde que Mal-assegnée
115 Ou mon varlet l’ont embrenée.
C’est merde, que vous le sachez.
Advancez-vous et vous mouchez,
Petitz enfans125 ! Çà : Maufourbie,
Que j’ay porté de Conturbie126
120 Pour [y] en faire une levée127 :
Puisqu’ell’ est ung petit roullée128,
Ne vous chaille, c’est bien du moins129 !
[Car] pour une espée à deux mains,
Au monde n’en a point de telle.
125 Regardez-moy quelle alumelle130 !
Elle reluyct comme charbon131.
HENRIET
Et ! par tous noz dieux, voylà bon !
Pourquoy me frappez-vous, beausire ?
Je ne dis pas pour vous mauldire,
130 Mais tous les diables y ai[en]t part132 !
MAULOUÉ
Et ! par Dieu, voylà bon coquart133 !
Quant tu cognois134 que je m’esbas
De Maufourbie [et] hault et bas135,
Ne te scez-tu tirer arrière ?
135 Tu sces bien que c’est la manière
[Que] de faire136 à son maistre place.
HENRIET
Bref, je n’en sçay ne gré, ne grâce ;
Et de vray, n’en suis point content.
Et vous en desportez à tant137,
140 Car, par Dieu, le jeu ne vault rien !
MAULOUÉ
Or çà ! il fault jouer138 du chien :
Admeyne-le-moy cy en place.
Hau ! Le boys tost passe139 !… Repasse !…
Saultez, et vous ferez que saige140 !…
HENRIET
145 Il est en son aprentissage,
Et n’est pas encores bon maistre141.
MAULOUÉ
Pensez : qui le laissera croistre142,
Ce sera ung chien tout de mesme143
Pour menger [du] beurre en Caresme
150 Par faulte de chair144.
HENRIET
Hé, caroigne145 !
Par le sang que Dieu fist ! il groigne.
Je146 croy qu’il a, de paour, la fièvre.
MAULOUÉ
Çà, le singe !
MAL-ASSEGNÉE
Mais bien147 la chièvre,
Qui vous mettra au cul la corne !
MAULOUÉ
155 Laisse-la là ; qu’elle séjourne148 :
Ell’ est ung peu mal disposée149.
HENRIET
Mais faisons-en une espousée,
Et luy mettons ung couvrechef
Sur les cornes, dessus le chef,
160 Pour luy donner en mariage
Le synge.
MAULOUÉ
Tu devise rage150 !
Je suis bien content qu’il151 se face.
Ameine tout !
MAL-ASSEGNÉE
Quel chiche-face152
Pour [bien] faire ung charivary !
HENRIET
165 L[e] synge, qui est son mary,
Vouldroit bien qu’elle fust à Can…153
MAULOUÉ
Dancez, madame de Bo[u]can154 !
Et je vous mèneray la feste155.
MAL-ASSEGNÉE
Hé ! que mauldicte soit la beste !
170 Regardez quelle contenance !
MAULOUÉ
Henriet, tu menras la dance.
Et me tiens le singe de près156 !
Et ma femme yra après,
Qui fera la chièvre dancer.
HENRIET
175 Je suis tout prest de commencer.
MAL-ASSEGNÉE
Et moy, de [me] mettre au millieu157.
MAULOUÉ
Or sus ! Hay advant, de par Dieu !
Et je menray du flajolet158.
HENRIET
Hé ! Dieu, que le synge est lait !
MAL-ASSEGNÉE
180 Que la chièvre fait bonne troigne !
HENRIET
Tire avant, teste de mulet159 !
MAL-ASSEGNÉE
Hé ! Dieu, que le synge est lait !
HENRIET
La chièvre tiens par le collet.
MAULOUÉ
Oncques ne vistes tel besoigne.
MAL-ASSEGNÉE
185 Hé ! Dieu, que le synge est lait !
HENRIET
Que la chièvre fait bonne troigne !
MAULOUÉ
Elle semble une cygoigne160.
Hau ! c’est assez, laissez la dance !
Mal-assegnée, qu’on commence
190 Faire monstre de noz ouvrages :
Il fault vendre de noz ymages,
Voylà la cause qui nous meine.
MAL-ASSEGNÉE
Voyez-en cy une douzaine.161
Desployez tout à l’adventure.
MAULOUÉ
195 Seigneurs, voicy la pourtraicture
Du glorieux sainct Al[i]pantin162,
Qui fust escorché d’ung patin163
Le jour de Karesme-Prenant164.
Après, voicy sainct Pimponant
200 Avecques sainct Tribolandeau,
Qui furent tous deux d’ung seau d’eau
Décolléz165, dont ce fut dommage…
Puis voicy le dévot ymage
Du glorïeux martir sainct Pran166,
205 Qui fust jadis boully en bran
Et lapidé de pommes cuyctes167 ;
Et par ses glorïeux mérites,
Je le maintiendray devant tous :
Il guérit les chatz de la touz168,
210 Quant ilz y ont dévotion.
Si vous avez intention
De les avoir, je les vous baille
Les deux pour .III. deniers et maille ;
Mais toutesfoys, argent content169 !
215 Ung peintre n’en feroit pas tant
De bonnes couleurs pour .II. francs.
Avant170, avant, petitz enfans !
Vous n’en payez pas la façon171.
MAL-ASSEGNÉE
Il [nous] fault dire une chançon172
220 En attendant qu’on les vendra173.
MAULOUÉ
Je le veulx bien. Qui m’aydera ?
HENRIET
Tous deux ensemble, je l’entens.
MAULOUÉ ET LES AUTRES
Resveillez-vous, gentilz gallans,
Et entendez bien mon latin174 !
225 Gentilz pïons175, mes bons chalans,
Ne vous levez point trop matin.
Quant vous aurez beu ung tatin176,
Cela vous réconfortera.
Mais si vous mettez d’eau au vin,
230 Le diable vous emportera.
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Ne rompez point les huys ouvers177,
C’est sur peine178 d’estre pendu ;
Et mettez femmes à l’envers,
Car cela n’est point deffendu.
235 Joingnez « tendu » contre « fendu » :
La besoigne se parfera.
Ou sinon — av’ous entendu ? —
Le diable vous emportera.
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Nourrisses ne dépucellez179 !
240 Vous entendez bien le trippot 180 ?
Et quant aux tavernes allez,
Ne payez point deux foys l’escot :
Car qui mengera ung fagot 181
Sans boyre, il s[’en] estranglera.
245 Et si vous faictes le bigot,
Le diable vous emportera.
LE ROY DE DAMAS
Bénédicité ! Marïa !
Oncques je n’ouÿs chançon telle.
Je croy qu’il [l’]a faicte nouvelle
250 Tout maintenant dessus les rans182.
Séneschal, donnez-luy dix francs
Pour boyre et pour l’esbatement !
LE SÉNESCHAL
Tiens, prens cela légièrement :
C’est argent pour crocquer la pie183.
MAULOUÉ
255 Chier sire, je vous remercie.
Je ne gaignay tant de dix jours.
Tout est vostre : le synge, et l’ours,
La chièvre, et Mal-assegnée.
Je vouldrois qu’on l’en [l’]eust menée,
260 Affin d’en estre despêché184 !
J’en ferois tousjours bon marché,
Et n’en eussé-je [qu’]une maille185.
*
1 Sur ce fatiste de Vienne, voir la notice des Deux pouvres. 2 Imitant les Sots des sotties, il traite les spectateurs de fous, et les bouscule pour monter sur scène. 3 Un cavalier albanais qu’on envoie en éclaireur. Cf. le vers 287 de L’Andureau et L’Andurée, autre farce provenant du même Mystère. Le Fol chevauche sa marotte. 4 Rapide. 5 De la chair, de la viande. 6 Quand un sage s’est mis dans un mauvais pas. 7 Fait la leçon à. « J’ay souvent ouÿ en proverbe vulgaire [populaire] qu’un fol enseigne bien un saige. » Rabelais, Tiers Livre, 37. 8 Le fou donne une leçon de prudence au sage qui est en train de se noyer, au lieu de le secourir, « comme celuy qui, estant sur le bord d’une rivière, assiste de parolles son amy qui se noye ». (Cardinal de Richelieu.) 9 Il y a bien longtemps que le Gâtinais n’était plus un comté. 10 Un peu trop creuse : ma tête sonne creux comme si c’était une cloche en fonte. 11 Sa tête est bien fantasque. « La teste verte,/ Fumeuse et toute lunatique. » L’Arbalestre. 12 Éd : uerticoquille (Le ver coquin* est logé dans la tête des gens qui ont une lubie. « Leurs femmes ont mis ce ver coquin amoureux dans leurs testes. » Brantôme.) Il faut comprendre : Parmi cent personnes, on ne trouverait pas une tête que la folie dévaste mieux. *Ce Mystère emploie aussi la variante avertin : « Puis qu’elles ont prins l’avertin/ En la teste, tout est perdu. » 13 Que j’aie. Le Vendeur de livres signale une farce de Ceulx qui ont le feu au cul. 14 Il n’y a pas de fumée sans feu. Les Fols des sotties prennent toujours les expressions au pied de la lettre. 15 Il ne faut pas plaisanter. 16 J’ai peur que mon cul ne se transforme en soufflet de forge. 17 Il baisse ses chausses et plonge son postérieur dans la rivière, laquelle joue un rôle prépondérant dans ce Mystère ; nous la retrouverons aux vers 121-172. 18 Éd : uueillent 19 Les spectateurs ont entendu « tout vit », qui se prononce de la même façon : tout mon pénis. « Femmes enseintes/ Qui ont esté au ‟ vif ” atainctes. » Sermon pour un banquet. 20 Le Fol boit, mais pas l’eau de la rivière. La sottie ne reprend qu’au bout de 4 550 vers. 21 Que celui qui m’aura volé. 22 Sous peine d’excommunication. Même vers dans Saincte-Caquette. 23 D’étain. Cf. Ung biau miracle, vers 2751. 24 Le sexe. Cf. L’Andureau et L’Andurée, vers 418. « Pour luy faire fondre la gresse/ Du cropion autour du joys. » St Christofle. 25 Comme le bec d’une poule. Ou bien : comme une poule. 26 Les seins rembourrés par du molleton. « Pour mauvais tétins/ Et pour ceulx qui portent mollettes. » Maistre Pierre Doribus. 27 Sur les fous à lunettes, voir la note 72 du Monde qu’on faict paistre. 28 Pour parler à Jehan le Fol. 29 L’alchimie : que tu es en train de faire l’amour avec un autre. « N’avez-vous pas eu assez temps/ De faire vostre paillardise ?/ Faictes-vous encor l’arquemye ? » St Christofle. 30 Il faut te recoudre le bas-ventre, la vulve. 31 Il faut couper tes oreilles de Sot pour en faire deux manches de brosses. 32 Et aussi, je te trancherai les testicules d’un coup de rasoir, au ras du cul. 33 Ne recule pas. Cf. L’Andureau et L’Andurée, vers 146. 34 Les batteaux : les battants, qui pendent. Ce mot désigne les testicules. « Un bel ‟ouvrier de nature”, fort bandé, qui à bon droit mérite estre appelé membre, accompagné de deux battans au-dessoubs qui luy servent d’ornement. » Nous sommes bluteurs. 35 Les oreilles de ma tête (vers 77). Mais aussi : les testicules de ma verge. « Le membre de Colin, deffaict,/ Se retira, penchant l’oreille. » (Cabinet satyrique.) « Au moyen du vin de Baccus,/ Pour lequel souvent on bat culz,/ Sa grosse caboche dressa. » (Sermon de Billouart.) 36 Éd : Pare pare (Cri par lequel on excite les chiens pour qu’ils attrapent une proie. « Hare ! hare ! Si me mordez,/ Je le diray à l’empereur. » Daru.) 37 L’asile en zone franche, comme au vers 103. Le Fol se réfugie dans l’inviolable temple de Jupiter. 38 Je vous jure. Ces promesses ne coûtent rien : le Fol boit déjà le vin sans eau, mange déjà sa viande cuite, et il jeûne déjà pendant qu’il dort. 39 Je jeûnerai aussi. 40 « La feste de l’immortel/ Jupiter. » Mystère de sainte Barbe. 41 Mes bijoux de famille, dont j’ai hérité de mon père. 42 Elle pénètre dans le temple de Jupiter. 43 Mon lunatique. « Parlez tout doulx, car il tient de la lune…./ Il est luneau, vous le ferez troublé. » Marchandise et Mestier, BM 59. 44 Éd : le (Ce vers sert de modèle au v. 107.) Quoi qu’il t’arde = même si tu es ardent, en érection. Jeu de mots sur deux verbes qu’on distinguait mal : arder [brûler], et arser [bander]. Idem vers 107. 45 La Folle se prénomme Isabeau, dont Babeau est le diminutif, comme à 167. « ‟Certes, je n’y entreray point”,/ Respond à la mère Ysabeau…./ Elle y entra. Babeau se couche. » (Le Banquet des chambrières.) On traite de « Babeau » les femmes de mauvaise vie : cf. L’Andureau et L’Andurée, vers 54. « Approuchez-vous, dame hydeuse !/ Avez-vous entendu, Babeau ? » St Christofle. 46 Ou que le feu de l’Enfer me brûle. La châtreuse poursuit le Fol dans le temple, en brandissant un couteau. 47 Qui m’empêche d’y aller ? 48 Si les dieux ne sont pas plus forts que moi. 49 Courez assez vite pour que je puisse échapper à la châtreuse. L’Andureau, voulant échapper à sa mégère, s’écrie : « Jambes, portez le corps arrière ! » 51 Éd : decroissant (« De la lune en son croissant. » Ronsard.) Tu ne risques pas de me trouver, même avec l’aide du clair de lune. La sottie reprend au bout de 3 000 vers. 52 Elle veut passer de l’autre côté de la rivière (vers 38) en montant sur les épaules du Fol. Chevalet parodie la légende de saint Christophe, qui exerce le métier de passeur ; son plus notable client n’est autre que Jésus, auquel il vient de faire traverser la même rivière juché sur ses épaules. Chevalet parodie aussi Tristan qui, déguisé en lépreux, fait franchir un gué à Iseut en la portant sur son dos ; Tristan et Iseut deviennent donc Jean Têtu et Babeau. 53 De l’autre côté de l’eau. 54 Ma ration de sperme. « Sottes qui veulent avoir leur picotin. » Jeu du Prince des Sotz. 55 Pèlerinage où les épouses vont trotter sans leur mari. Dans ce Mystère, un cocu dit à sa femme : « Or va (sans faire le revien)/ Au diable et à Sainct-Trotin ! » 56 Où je commettrai un péché pour faire pardonner les précédents. « En divers lieux (elles) vont gaigner les pardons/ Pour en leurs lacs attraper la ‟vitaille”. » L’Advocat des dames de Paris touchant les pardons Sainct-Trotet. 57 Mon bâton de pèlerin. Double sens : mon pénis. Cf. le Pèlerinage de Mariage, vers 137 et note. 58 Le fond de la rivière. Double sens : le fond de ton vagin. « J’en ay une que j’aime ung peu./ On n’y treuve ne fons, ne rive. » Les Sotz qui remetent en point Bon Temps. 59 Comprends-tu mes paroles ? 60 Ton phallus. La marotte est un emblème phallique composé d’un bâton surmonté d’une tête. 61 Celle qui est munie d’un gland. « Ell’ avoit/ La teste bien rouge devant. » La Confession Margot. 62 Je vais monter sur ton dos. 63 D’exiger un répit, de différer. 64 Ventre de saint François d’Assise, que tu pèses ! 65 Le Fol laisse tomber la Folle par terre. 66 Afin que je te serre entre mes cuisses. 67 Je te battrai. 68 Éd : nay paour (« Et n’ayez peur que je vous faille. » Colin qui loue et despite Dieu.) 69 Je suis bien installée, dépêche-toi de traverser la rivière. « Pense d’aller et de marcher ! » Folconduit. 70 Il entre dans la rivière avec la Folle sur ses épaules. 71 Cheval d’attelage. Elle donne au Fol un coup de cravache avec sa marotte. 72 Aphérèse du pronom en. « Bon gré ’n ait bieu ! » Le Capitaine Mal-en-point. 73 Vessi, lâché une vesse, un pet. Idem vers 170. « Ell’ a du cul vessy. » (La Ruse et meschanceté des femmes.) Les vers 137-8 nous ont informé des problèmes aérophagiques de la Folle. 74 Il laisse tomber la Folle dans la rivière. 75 La soupe est un morceau de pain qu’on trempe dans le vin. « Ilz sont plus ivres qu’une soupe. » Massons et charpentiers. 76 Éd : cheuau (Je vais chercher un cheval.) 77 Éd : dariau (En terme de marine, le vent d’aval désigne le vent arrière : « Que désirons-nous ? Vent d’aval. » Gautier et Martin. Dans un registre plus scatologique, on devine d’où provient ce vent de derrière…) 78 Et pété discrètement. Mais les privées sont aussi les latrines : « (Ton père) curoit les privées. » Le Savetier Audin. 79 Cette farce en deux actes est un peu mieux intégrée au Mystère que la sottie. 80 Mal loué, mal considéré. 81 Mal assenée = mal mariée. C’est le nom générique des épouses insatisfaites. La nôtre fit l’objet d’une chanson : « C’est la femme d’un basteleur/ Qu’on apelle Mal-assenée. » (L’Arbalestre. Pour d’autres références, voir la note 60 de cette farce.) 82 Mes accessoires de bateleur. Idem vers 45. « Je susse jouer de bateaux,/ Se j’eusse ung ours ou une chièvre. » Les Menus propos. 83 Pour impressionner le public, on jongle avec des outils ou des armes munis de lames (soigneusement émoussées). 84 Le bâton est une baguette par-dessus laquelle on fait sauter le chien, comme au vers 143. Le bassin, encore nommé à 46, est un récipient qu’on utilise pour la quête : « Et faire cracher au bassin/ Ceulx-là. » Pour le cry de la Bazoche. 85 Éd : soufflez (Nos clowns sont bardés d’instruments de musique : une guitare, une trompette, un flageolet ; et donc, un sifflet [un mirliton] et une timbale [un tambour].) 86 Les gobelets servent pour les tours de passe-passe ; dans l’Escamoteur, Jérôme Bosch en a peint deux. (Nous remarquerons, au pied du bateleur, son chien savant, qui est assis près d’un cerceau en attendant de sauter au travers.) La noix de galle sert à faire de l’encre, peut-être pour réaliser les images pieuses que vendent nos baladins. Pour Pierre Servet, « il s’agit sans doute d’un élément de maquillage des jongleurs ». 87 Le moule, le pochoir avec lequel nous confectionnons des images coloriées qui représentent des saints. Voir les vers 191-216. La troupe du Bateleur vend elle aussi des portraits médiocres, mais ils représentent des comédiens. 88 Éd : quellest (Est-elle à sa place, dans le fourreau que je porte à ma ceinture ?) Maufourbie = Mal astiquée. C’est le nom que le bateleur donne à son épée, à l’instar d’un archer du Mystère de Saint Louis : « Vécy mon espée, Mal-fourbye. » Voir les vers 118 et 133. Chevalet parodie Excalibur (l’épée du roi Arthur), et Durandal (celle de Roland). 89 En s’accompagnant à la guitare. 90 Hurle. 91 « Quand un homme gronde & murmure entre ses dents, on dit qu’il dit la patenôtre du singe. » Le Roux, Dictionaire comique, satyrique. 92 Éd : donne cy (Probable refrain d’une de ces chansons que les musiciens français de l’époque composaient sur des paroles italiennes.) 93 À une mauvaise heure, sous une mauvaise étoile. Même vers dans le Nouveau marié, notamment. 94 Le nom correspond à la chose. 95 Mouiller mon gosier. « Arouse souvent la gargatte. » (Philippe Bouton.) Le valet boit à la bouteille ; il titube et sa figure est rouge. 96 À cause de la chaleur du soleil. « Ces pÿons [ivrognes] en avalleront/ Mainte chopine, pour le halle. » St Christofle. 97 C’est là son unique maladie. 98 Tu as tout perdu à la taverne. « Il n’y a plus denier ne maille ;/ Tout est vendangé sans cousteau. » Gautier et Martin. 99 Éd : Cest (Tu te renfloueras en utilisant nos accessoires de bateleurs, et tu feras la quête pour que le public crache au bassinet.) 100 Vos taches éthyliques ressemblent à une maladie qui affecte la peau des chevaux. 101 La grimace. Mal-assenée pince le nez du valet pour qu’il ouvre la bouche, dans laquelle elle verse l’eau du bassin. 102 Du baril de vin de la taverne. Cf. L’Andureau et L’Andurée, vers 84. 103 Des tranchées intestinales, des coliques. Il est exact que l’eau, pas toujours potable, provoquait un certain nombre de maladies. Les hommes du moyen âge n’ont pas attendu Louis Pasteur pour découvrir que « le vin peut être à bon droit considéré comme la plus saine, la plus hygiénique des boissons ». 104 Ce que tu as fait. 105 La voici. Henriet montre la trompette qui déforme avantageusement le devant de ses chausses tachées de crotte. 106 Que chacun prenne un des animaux de notre ménagerie. 107 D’images représentant des saints. Voir la note 87. 108 C’est ce qui nous rapporte le plus. 109 Une bonne centaine. 110 Et pourtant. 111 Je te ferai accéder au grade de maître bateleur. Ce grade imaginaire est employé comme insulte : « O ! que tu la nous vends trop chère,/ Maistre basteleur ! » Satyres chrestiennes de la cuisine papale. 112 Je ne vous demande pas de venir me déshabiller. 113 Éd : doncques branle tu (De quoi te mets-tu en peine, pourquoi t’énerves-tu ? « T’esbranles-tu au souffle du vent d’une seulle adversité ? » Jean du Croset.) 114 Cet ours et ce chien. Justement, le chiot se rebiffe. 115 Nous devrions déjà être ailleurs. « Quant il nous aura veu,/ Il vouldroit estre à Grenade ! » St Christofle. 116 La troupe rencontre le roi de Damas et la reine. Mauloué les salue sans retirer son chapeau. 117 Lourdaud. « Il avoit l’entendement tout lourd. » Histoire maccaronique de Merlin Coccaïe. 118 Dépourvus : cf. le Mince de quaire. Une rouelle est une pièce de monnaie : cf. la Confession du brigant, vers 55. 119 Si tu sais quelque chose. Le roi ne s’intéresse qu’aux chansons : voir les vers 247-252. 120 Éd : une (Une oie blanche est une pucelle ; or, aux vers 157-161, on déguise la chèvre en jeune mariée.) 121 Éd : pourceau (Nos bateleurs ont une chèvre et un ours, mais pas de porc. « Ourse alaittant ses ourseaux. » ATILF.) 122 Je fais 10 sous, une somme bien moindre. 123 Merde ! Ce juron est bien choisi : Henriet extirpe de ses chausses breneuses une trompette qui ne l’est pas moins, victime des coliques du vers 57. 124 Mal nette, malpropre. 125 Les bonimenteurs commencent toujours par cette phrase afin d’obtenir le silence : cf. le Bateleur, vers 3 et note. Sauf qu’ici et au vers 217, ces « petits enfants » auxquels on parle de merde désignent un roi et une reine. Le saltimbanque dégaine Maufourbie, sa piteuse épée (note 88). 126 Canterbury, qui est rebaptisé « Canthorbie » dans le Messager et le Villain. Les Mystères mettent un point d’honneur à ridiculiser tout ce qui rappelle la perfide Albion. 127 Pour livrer un assaut aux Anglais. « Que les François si ont esté/ Ès Anglois faire une levée. » ATILF. 128 Si elle est un peu rouillée. 129 C’est la moindre des choses. 130 Quelle lame. 131 Mauloué n’ayant pas précisé « comme du charbon ardent », force est de s’en tenir à ce qu’il a dit : Elle reluit aussi peu que du charbon. Le bateleur mime un assaut d’escrime contre son valet désarmé, qu’il touche avec le plat de sa lame. 132 Que tous les diables vous emportent ! Si ce n’est pas une malédiction, qu’est-ce que c’est ? 133 Un bon corniaud. 134 Quand tu as connaissance, quand tu vois. 135 Dans toutes les directions. « Prens tost tes fouetz, et le batz/ Du long, du lé [de long en large], et hault et bas ! » Daru. 136 Que c’est la règle de laisser. 137 Abstenez-vous-en pour le moment. « Je vous prie que vous vous déportez atant de ceste requeste faire. » ATILF. 138 Se servir. 139 Saute par-dessus la baguette ! Naturellement, le petit chien passe dessous. Même jeu dans l’autre sens. Ce gag fut longtemps au répertoire des clowns de cirques. 140 Vous ferez sagement. Le chien repasse sous la baguette. 141 Une œillade aux spectateurs suffit à faire comprendre qu’Henriet ne parle pas du chien mais de Mauloué, qui a prétendu le faire passer maître (vers 79). 142 Si on le laisse grandir. 143 Pareillement. 144 Pour s’adapter à toutes les situations. Pendant le jeûne du Carême, les catholiques ne consommaient ni beurre, ni viande, à moins d’acheter des dispenses à l’Église. 145 Charogne ! Le chiot l’a mordu. 146 Éd : Et (Je crois que la peur qu’il a eue lui a donné la fièvre.) 147 Mais plutôt. « Les chièvres alloient tout de reng./ La corne de la dèrenière/ Fut mise au cul de la première./ Quelle chièvre pourroit mieulx dire :/ ‟J’ay la corne au cul.” » Les Sotz escornéz. 148 Qu’elle se repose. 149 Elle n’est pas dans de bonnes dispositions. « Il dort, sire :/ Il est un peu mal disposé. » Le Poulier à sis personnages. 150 Tu dis bien. 151 Que cela. 152 Ce loup-garou se nourrit exclusivement d’épouses qui obéissent à leur mari ; voilà pourquoi il est d’une maigreur squelettique. Les charivaris admettent les déguisements les plus bestiaux. 153 Loin de Damas, où la scène se déroule. Henriet est interrompu après avoir prononcé la première syllabe de Cancale, qu’un passage similaire donne en entier : « Mieulx vous vauldroit estre à Cancalle ! » 154 C’est le nom de la chèvre, qui aimerait se faire boucaner, se faire saillir. « Boucaner, ou bouquaner, faire le bouc. » Godefroy. 155 Je mènerai la danse avec ma flûte (vers 178). 156 Par crainte qu’il ne consomme le mariage devant tout le monde. Les singes ont une réputation de lubricité. 157 Éd : meilleu (Voir le vers 158 du Fol et la Folle.) 158 Je mènerai la danse avec ma flûte champêtre. 159 Avance, tête de mule ! Henriet s’adresse à la chèvre. 160 Couverte par le voile nuptial, elle est blanche en haut et noire en bas, comme une cigogne. 161 On pourrait supprimer ce point en considérant que « déployés » est un participe passé qui se rapporte aux images du vers 191. « Image » était souvent masculin, par exemple au vers 203. 162 Les saints dont nos bateleurs vendent le portrait relèvent de la plus haute fantaisie. On se reportera aux notes de Pierre SERVET, ainsi qu’au Dictionnaire des saints imaginaires et facétieux, de Jacques MERCERON. Rabelais a définitivement rattaché Saint Alipentin à la scatologie : « Le pauvre Lymosin conchioit toutes ses chausses (…), dont dist Pantagruel : “Sainct Alipentin, quelle civette [puanteur] !” » (Pantagruel, 6.) 163 Par une semelle de bois : il reçut des coups de pied au cul qui lui écorchèrent les fesses. « Ung bien vaillant homme/ Qui n’est pas escous [secoué] d’ung patin. » Le Capitaine Mal-en-point. 164 Le Mardi-gras. Tout ce passage a une couleur fortement carnavalesque. 165 Traditionnellement, on jette un seau d’eau pour décoller deux chiens qui s’accouplent sur la voie publique. Ici, on sépare deux hommes dans la même posture. Le Carnaval autorise toutes les inversions. Chevalet évoquera encore la sodomie homosexuelle dans les Tyrans au bordeau (vers 476-9), et la sodomie hétérosexuelle aux vers 456-7 de L’Andureau et L’Andurée. 166 Prends ! On faisait bouillir les faux-monnayeurs, mais pas dans de la merde. 167 « Que j’abatis/ Les chièvres, et que combatis/ Ces marmotes [guenons] de pommes cuytes. » L’Arbalestre. 168 Cette expression revient dans de nombreux textes. Mais ici, Carnaval oblige, nous sommes encore dans la scatologie : « C’est mon cul qui a la toux. » (Chansons des comédiens françois.) On voyait en effet des enseignes représentant un chat qui pète. 169 Vous paierez tout de suite, pour que je ne me fasse pas rouler par vous. Rappelons que Mauloué s’adresse à un roi. 170 En avant, allons ! « Avant, avant, petit naquet ! » (Trote-menu et Mirre-loret.) Les « petits enfants » sont toujours le roi et la reine, comme au vers 118. 171 Pour ce prix-là, vous ne payez même pas le coût de leur fabrication. 172 Ce vers, tel que je le complète, est le vers 565 de la Pippée. 173 Ce n’est pas clair : vont-ils vendre leurs images, ou bien les partitions des chansons ? Les chanteurs des rues vendent la chanson qu’ils viennent d’interpréter : « Il me convient/ De vostre chanson acheter/ Plusieurs coppies. » (L’Aveugle et Saudret.) Au bas de cette planche, sur une estrade, on voit deux chanteurs proposer leurs partitions. 174 Mon langage. 175 Buveurs de vin (vers 254). « Pÿon, yvrongne et sac à vin. » (Le Raporteur.) Les chalands sont les bons compagnons. 176 Bu un coup. « Va me mener à la taverne ;/ Et là, nous burons ung tatin. » (L’Aveugle et Picolin.) Beaucoup de chansons reprochent aux moines de faire la grasse matinée et de ne se lever que pour boire. Par exemple celle-ci : « L’Ordre ne dit mye de lever matin./ Dormir jusqu’à prime et boire bon vin,/ Et chanter matines sur ung pot de vin. » La Résurrection Jénin à Paulme. 177 N’enfoncez pas les portes ouvertes. Ces « huis » béants désignent le sexe des femmes. « Je suis (celui) qui romps les huis ouvers/ Et despucelle les nourrisses. » Sermon joyeux d’un Dépucelleur de nourrices. 178 Sous peine. « Et sur peine d’estre pendu. » Légier d’Argent. 179 Éd : de pucelles (Voir la note 177.) Une nourrice a du lait parce qu’elle a eu un enfant ; malgré quelques précédents illustres, elle a donc peu de chances d’être encore pucelle. « Saint Velu (…)/ Despucella maintes nourrisses. » Sermon de saint Velu. 180 L’affaire. Mais aussi : le coït. « En faisant l’amoureux tripot. » Pernet qui va au vin. 181 Celui qui avalera un fagot. Mais aussi : celui qui dépensera un fagot. Les taverniers facturent aux clients le bois de chauffage (et la chandelle). « Brûler le fagot : aller boire bouteille ensemble au cabaret, & y brûler un fagot pour se chauffer en buvant. » Le Roux. 182 Ici même : qu’il vient de l’improviser. 183 Pour boire du vin. Cf. Te rogamus audi nos, vers 64. 184 Qu’on l’ait emmenée, afin que j’en sois débarrassé. 185 Je la céderais à bas prix, même si cela ne me rapportait qu’un centime.
LE POULIER à quatre personnages
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LE POULIER
à quatre personnages
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Le manuscrit La Vallière contient deux farces normandes du XVIe siècle qui se nomment le Poulier [le poulailler] : celle-ci, à quatre personnages, et une autre, fort différente, qui compte six personnages. Le Poulier à quatre personnage est un digne ancêtre du théâtre de Boulevard : dès que la femme infidèle crie « Ciel, mon mari ! » (ou en l’occurrence : « Voici mon mari ! »), son amant se cache dans un poulailler, faute de placard.
En 1616, Béroalde de Verville réutilisa la scène des « jamais » (vers 230-263) :
On hurta à la porte assez espouventablement. Lors elle, comme surprise : « Hélas, Monsieur, où vous mettrez-vous ? Je suis perdue ! » D’autre costé, on frappoit, disant : « Ouvrez-moy, Françoise, ouvrez vistement ! Je suis mort ! Je te prie, ouvre viste ! » Elle crioit : « Mon mary, je me lève en si grand haste que je ne sçay que je fay. » Cependant, elle aydoit au curé à monter sur un travers [une soupente] où les poules nichoyent. Cela fait, comme tout hors de soy, elle vint ouvrir la porte à son mary, & luy dit : « –Et où allez-vous si tard ? Il est belle heure de venir ! –Ha ! m’amie, excusez-moy. Je suis mort. Ne te fasche point. Tu ne me verras plus guère, je me meurs. Envoyez quérir monsieur le curé, que je me confesse. » Il se tenoit le ventre auprès du feu comme s’il eut eu la colique, & faisoit semblant parfois de s’esvanouyr. Il fait appeller des voisins à l’aide, qui s’assemblent à le réconforter, & le mettent sur un lict à terre. Mais il ne faisoit plus que souspirer, & dire : « –Jamais, jamais… –Hé ! compère, prenez courage. –Jamais… –Ce ne sera rien. Or sus, mon amy ! Là, aydez-vous. –Jamais… –Il faut avoir monsieur le curé. –Jamais… –Il vous dira quelque bonne parole. –Jamais… –Encor ne faut-il pas se laisser ainsi aller. –Jamais… –Il semble que vous ne nous cognoissiez point. –Jamais… –Voilà mon compère cetuy-cy, mon cousin cettuy-là, qui vous sont venus voir. –Jamais… » Quand presque toute la parroisse fut assemblée, & que l’on lui va dire : « Or çà, compère, debout ! Allons au lict, vous y serez mieux. Et bien, que vous faut-il ? » Adonc, jettant les yeux & dressant la main vers le curé, il va dire : « Jamais je ne vy un tel jau1 avec mes poules. » <Le Moyen de parvenir, chap. 69.>
Source : Manuscrit La Vallière, nº 45.
Structure : Rimes aabaab/bbcbbc, abab/bcbc, rimes plates, avec un triolet.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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La farce du
Poulier
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À quatre personnages, c’est assavoir :
LE MARY 2
LA FEMME
et L’AMOUREULX
et LA VOYSINE
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L’AMOUREULX 3 commence et dict :
Est-il [donc] un plus grand plaisir SCÈNE I
Que de joÿr à son désir
D’une dame de bonne grâce,
Au lict aveq elle gésir,
5 Et l’acoler à son loysir
Pendant qu’on a lieu ou espasse4 ?
Je croys que non et, sans falasse5,
[Poinct ne vouldroys laisser ma place.]
Par une, mon cœur est ravy ;
10 De la baiser, poinct ne m’en lasse.
En la voyant, je me solasse6.
C’est la plus belle qu(e) onques vy.
Mais elle a un sot de mary :
De l’ostel n’eslongne7 d’un pas.
15 Sang bieu ! je le feray mar[r]y.
Sans luy, je feroys bien mon cas8.
Sy perdre debvoys9 mon repas,
Je feray encore un voyage
Par-devant son logis.
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LE MARY 10 SCÈNE II
Je gaige
20 Que c’est l’un de nos amoureulx ;
Je ne séroys dormir, pour eulx11 :
Il ne cessent toutes les nuictz.
L’un viendra heurter à mon huys,
Puys l’autre à mes fenestres rue12 ;
25 L’un sifle ou chante amy13 la rue.
C’est pityé, je n’ay nul repos.
Encore, sy j’en tiens propos
À ma femme, elle me veult batre.
« Quoy ! (faict-elle), laissez-les esbatre :
30 Ce sont jeunes gens. » Quel raison !
Mais [qu’ont à faire ma]14 maison,
Ma rue, ma fenestre ou ma porte,
Ma femme [ou] moy, qu’on leur aporte
Telz réveillemens, sur la nuyct ?
35 Par la mort ! cela trop me nuyt.
Mais s’il advient c’un je rencontre,
Je luy bailleray mal encontre15,
Me deust-il couster cent escus16 !
Le grand deable y ayt part, aulx cus !
40 Je dis : ceulx qui sont plains de noise17,
Comme celuy de ma bourgoise.
Mais sy j’en veulx avoir raison,
Tenir18 me fault en ma maison
Afin d’en garder le pissot19.
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LA FEMME 20 SCÈNE III
45 Femme qui a un mary sot
Est bien malheureuse, en ce monde.
J’en ay un (que Dieu le confonde !)
Sot, malaustru21 et tant jaloux !
Que menger le puissent les loups !
50 Je ne séroys22 avoir loysir
D’acomplir en rien mon plaisir.
Contemplez un peu sa manyère.23
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LE MARY SCÈNE IV
D’où venez-vous ?
LA FEMME
De là-derière,
D’aruner24 un peu mon ménage.
LE MARY
55 Par la mort bieu ! vous faictes rage
D’aler. Tenez-vous à l’ostel25 !
LA FEMME
Qui vist jamais un homme tel
Que vous ? Mais quant je vous escouste,
Il semble que soyez en doubte
60 De moy26.
LE MARY
A ! par ma foy, non suys !
Mais toutesfoys, sy je poursuys27,
Et28 qu’en poursuyvant…
LA FEMME
Quoy ?
LE MARY
Rien, rien,
Vous estes trop femme de bien ;
Mais le cul…
LA FEMME
Quoy ?
LE MARY
Il est honneste,
65 Je n’en dis mot.
LA FEMME
Estes-vous beste !
Je m’ébaÿs que n’avez honte.
LE MARY
Ma mye, sy j’ey la langue prompte
À dire quelque petit mot,
Il n’y a icy que vous qui m’ot29.
70 Mais sy j’en trouvès un…
LA FEMME
[Un quoy]30 ?
N’est poinct vostre esprit à requoy31 !
LE MARY
N’en parlons plus, et nous taison.
LA FEMME
Il me semble qu’il fust saison
De nous estorer32 de pourceaulx :
75 Y nous en fault deulx ou troys beaulx
Pour nostre estorment33.
LE MARY
In Jehan34, voyre !
LA FEMME
Irez-vous demain à la foyre35,
Mon amy, veoir s’on en aron36 ?
LE MARY
Ouy, ouy, nous y aviseron.
LA FEMME
80 Ou gardez icy37, et g’iray.
LE MARY
Non feray, tudieu38, non feray !
G’y veulx aler moy-mesmes. Mais…
LA FEMME
Et ! tousjours a son entremais39.
Dea ! n’arez-vous jamais repos ?40
LE MARY
85 Pourquoy leur tenez-vous propos ?
LA FEMME
À qui ?
LE MARY
Je n’en parle plus. Mais…
LA FEMME
Quel « mais » ?
LE MARY
Qu’i n’y viennent jamais !
Gardez-vous de les escouter.
LA FEMME
Vous vous voulez donques doubter41
90 De moy ?
LE MARY
Je ne daigneroys42 ! Mais…
LA FEMME
Quel « mais » ? Quel « mais » ?
LE MARY
Je vous promais
(Touchez là43 !), sy je les tenoys,
Sans espargner foyble ne fort,
Je ruroys tant que je pouroys
95 Dessus : « Tip ! Toup ! Tap ! Tu es mort ! »
LA FEMME
Sans confession44 ?
LE MARY
Droict ou tort45.
Et pour tant46, qu’il vous en souvyenne !
LA FEMME
Je garderay bien qu’il n’en vienne
Pièce47 céans.
LE MARY
Je vous en prye,
100 Se n’en voulez estre marrye :
Je les turoys tous sans pityé !
LA FEMME
Je ne vous cherches qu’amytié ;
Tout vostre bon plaisir feray.
LE MARY
Çà donc, de l’argent48 ! Et g’iray,
105 À la foyre, des pourceaulx quère.
LA FEMME
Or tenez ! Et alez grand erre49,
Afin que vous revenez d’heure50.
.
L’AMOUREULX 51 SCÈNE V
Mon homme s’en va grand aleure52.
Je m’en voys53 visiter sa femme,
110 Puysqu’il est party.
.
Bon jour, Dame ! SCÈNE VI
Et54 ce mary, il est en voye ?
LA FEMME
Pour l’amour de vous, je l’envoye
À la foyre, mon amy doulx ;
Car il est de moy tant jaloux
115 Qu’il ne s’oze alongner55 d’un pas.
L’AMOUREULX
Ma doulce amye, croyez d’un cas56
Que j’ey faict plus de mile tours57
Par cy-devant, depuys huict jours,
Désirant fort à vous parler ;
120 Mais tousjours le voyès aler
Ou venir à l’entour de vous.
LA FEMME
Il en faict autant tous les coups,
Tant est plain de sote folye.
.
LE MARY SCÈNE VII
Au ! vertu goy58, voécy la pluye !
125 Bren ! Et le temps estoyt tant beau !
Je m’envoys quérir mon chapeau :
D’estre mouillé seroys marry.59
.
LA FEMME SCÈNE VIII
Mon amy, voécy mon mary !
L’AMOUREULX
Et ! vertu bieu, que ferons-nous ?
LA FEMME
130 Métez-vous souldain à genous
Icy, soublz ceste couverture60.
L’AMOUREULX
Voécy pour moy male adventure.
Le deable en emport le vilain !
.
LA FEMME 61 SCÈNE IX
Où retournez-vous sy souldain ?
135 Av’ous62 amené un pourceau ?
LE MARY
Je venoys quérir mon chapeau,
Car vous voyez, le temps se brouille ;
Et puys, vous savez, la pluye mouille.
Je le veulx porter, puysqu’i pleust.
LA FEMME
140 Et esse tout ce qui vous meust63 ?
Tenez, le voélà. Que d’ensongne64 !
LE MARY
Voécy une belle besongne :
Que faict cy ceste couverture ?
LA FEMME
Laissez-la, sote créature !
145 Alez où vous devez aler !
LE MARY
Non feray, tu as beau parler !
Je la65 veulx remectre en son lieu.
LA FEMME
Et ! non ferez, sire, par Dieu !
On en puisse avoir froide joye66 !
LE MARY
150 Et pourquoy ?
LA FEMME
Je ne veulx pas qu’on voye
En ce poinct mes67 nécessités.
LE MARY
Je congnoistray vos vérités,
À ce coup-cy !
LA FEMME
Estes-vous yvre ?
Je prye à Dieu qu’i m’en délivre !
155 Puysqu’il vous fault conter l’afaire,
Là-dessoublz sont tous mes menus68…
LE MARY
Quelz menus ? D’où sont-ilz venus,
Ces menus ? Hau ! et qu’esse à dire,
Ses menus ? Je n’en congnoys nus.
160 « Ses menus » ? Voécy [bien] pour rire !
LA FEMME
Mais vous le fault-il tant redire ?
Ce sont mes menus drapelés.
Quant ilz sont [sy] sales et lais,
Encores les fault-il blanchir69.
LE MARY
165 Bien, va, je te laisse ves[t]ir70.
Je voys parfaire mon voyage.
LA FEMME
Et alez !71
.
Que la male rage SCÈNE X
M’en puisse bien tost despescher72 !
Sortez dehors, mon amy cher.
170 J’ey eu pour vous belle bésarde73.
L’AMOUREULX
Que le feu sainct Anthoine74 l’arde !
Je n’en seray d’une heure asseur75.
Je n’ay membre qui ne me tremble.
Que debvons-nous faire, ma seur76 ?
LA FEMME
175 Y nous fault banqueter ensemble77 ;
C’est le meilleur, comme il me semble.
Je voys aprester le dîner.
.
LE MARY SCÈNE XI
Au ! voécy bon pour retourner :
Quant mes afaires je recordes78,
180 Je n’ay poinct aporté de cordes
Pour mes deulx pourceaulx amener.
Y fault à l’hostel retourner
En quérir.79
.
LA FEMME SCÈNE XII
Jésus ! Mon amy,
Voécy revenir mon mary !
185 La Mort m’en puisse despescher !
L’AMOUREULX
Et où me pourai-ge cacher ?
Pleust à Dieu qu’i fust en la bière80 !
LA FEMME
Entrez souldain icy derière81,
Et montez à nostre poulier.
L’AMOUREULX
190 La fièbvre le puisse relier !
Y me donne bien de la paine.
.
LA FEMME SCÈNE XIII
Mais qui esse qui vous ramaine ?
D’aler et venir ne cessez.
LE MARY
Et, [in] Jen ! g’ay82 du trouble assez.
195 Puysqu’il fault que je le recorde83,
J’avoys omblyé84 une corde
Pour [nos deulx pourceaulx]85 amener ;
C’est ce qui86 me faict retourner.
S’y s’enfuy[oy]ent, je les perdroye.
LA FEMME
200 On en puisse avoir male joye !
Et esse tout ce qu’il vous fault ?
J’en voys quérir une là-hault.
LE MARY
Va tost87 !
LA FEMME
Atendez-moy à l’uys.
.
LE MARY 88 SCÈNE XIV
À l’uys ? Non feray, sy je puys.
205 À l’uys ? Vertu bieu, qu’esse à dire ?
À l’uys ? À l’uys ? Voécy pour rire !
À l’uys ? Et ! je feray89 le deable !
À l’uys ? Voécy pas bonne fable ?
À l’uys, vilaine ? À l’uys, infâme ?
210 « À l’uys ! », faict ma deable de femme.
« À l’uys ! » Il y a quelque chose90…
À l’uys91 fault entrer, mais je n’ose :
Se c’est un homme de courage,
Y m’enpongnera au visage.
215 À l’uys. Mot92 ! je [le vay]93, en traïson,
Atendre à l’uys de ma maison :
[S’il vient] à l’uys, par le grand Dieu,
Le feray mourir en ce lieu !
Voélà une trop grosse honte94…
220 A ! vertu bieu, voécy mon compte !
À l’uys95 ! Voélà un de mes gens96.
À l’uys ! Et ! venez-vous céans
Humer les œufz de nos guélines97 ?
Y me fault faire bonnes mynes,
225 Mais que98 des cordes el m’aporte.
.
LA FEMME SCÈNE XV
Tenez, en voélà une bien forte ;
C’est assez pour en lier deulx.
Hastez-vous bien tost, car je veulx
Nous estorer mieulx qu’onques-mais99.
LE MARY 100
230 Jamais, jamais, jamais, jamais…
LA FEMME
Et pourquoy ? Voécy la saison
Qu’i fault estorer la maison
De blé, de lard, je vous promais.
LE MARY
Jamais, jamais, jamais, jamais…
LA FEMME
235 Hélas ! et qu’esse qui vous poinct101 ?
Hau ! mon amy, parlez-vous poinct ?
Av’ous faily à vos amès102 ?
LE MARY
Jamais, jamais, jamais, jamais…
LA FEMME 103
Hélas ! à l’ayde, bonnes gens !
240 Mon mary est troublé de sens !
Venez tost icy, je vous prye !
.
LA VOISINE 104 SCÈNE XVI
Et ! qu’esse ?
LA FEMME
Mon mary, ma mye :
Hélas ! je cuyde qu’il afolle105.
LA VOISINE
Alez, alez, vous estes folle,
245 Voisine ! Ne vous tuez mye.
LA FEMME
Hélas ! [ma] voisine, ma mye :
Voécy un piteulx entremais106.
LE MARY
Jamais, jamais, jamais, jamais…
LA VOISINE
Hélas ! mon voisin, mon amy :
250 Seignez-vous107, c’est quelque ennemy
Qui ne vous veult laisser en pais.
LE MARY
Jamais, jamais, jamais, jamais…
LA FEMME
Hélas ! mon amy, bon courage !
Pour vous je feray un voyage
255 À Sainct-Mary108, je vous promais.
LE MARY
Jamais, jamais, jamais, jamais…
LA VOISINE
Ma voisine, courez bien vite109 :
Alez quérir de l’eau bénite,
Car je croy qu’i voyt le Mauvais.
LE MARY
260 Jamais, jamais, jamais, jamais,
Jamais ne me fusse doubté
Qu’i se fust au poulier bouté
Pour faire pondre nos guélines.
LA VOISINE
Et ! qu’esse qu’il110 montre par signes ?
265 Nostre Dame ! Et ! esse cela ?
[LE MARY]
Sus, sus ! Sortez, galant, de là !
Maintenant serez chaponné111 !
LA FEMME
Hélas ! il est tout estonné,
Le povre homme : y n’y pence poinct112.
270 Mais je vous veulx dire le poinct
Pourquoy en ce poulier s’est mys.
Deulx gros ribaulx, ses ennemys,
Le cachoyent113 à grans coups d’espée ;
La teste luy eussent coupée,
275 S’y ne l’eust gaigné au courir114.
Et pour le povre secourir,
Je l’ay faict entrer en ce lieu.
Et m’a pryé, au nom de Dieu,
Que je ne l’encuse115 à personne.
280 Aussytost est venu un homme
Le chercher, son baston tout nu116,
Sy furé117 que s’y l’eust tenu,
Y l’eust tué et despesché.
LE MARY
A ! vertu bieu, c’est trop presché !
285 Vous ne m’en ferez plus mouler118.
Çà ! hastez-vous de dévaler119,
Que je ne vous face descendre !
L’AMOUREULX 120
Pour Dieu, veuilez-leur donc deffendre
[D’entrer : ce]121 sont mauvais garçons !
LA VOISINE
290 Encor fault-il que nous sachons
Le débat122.
L’AMOUREULX
Pour un coup d’espieu123…
LE MARY
Estes-vous monté de par Dieu ?
Or124, dessendez de par le deable
(Puysqu’il fault que tant je m’endiable125) !
295 Santo126 santorun, dessendez !
L’AMOUREULX
Pour l’honneur de Dieu, atendez
Qu’i soyent bien loing de la maison !
LE MARY
Et ! vertu bieu, que de blason127 !
Et ! alez faire vostre plaincte128 !
L’AMOUREULX
300 Non feray. Je n’ay poinct de craincte :
Mais que j’aye l’espée au poing,
Je ne les doubte près ne loing129.
Sang bieu, je leur rompray les dens !
LE MARY
A ! voécy mes bateurs de gens.
305 Je puisse estre de mort oultré
Se maintenant n’êtes chastré !
LA FEMME 130
Hé, mon mary !
LA VOISINE
Hé, mon voisin !
Hélas, et ! c’est vostre cousin,
Bien prochain de vostre lygnage131.
LE MARY
310 Et ! vertu bieu, quel cousinage !
C’est donc[ques] lignage de cul.
Cousin, me faictes-vous coqu ?
A ! je vous feray fauverète132.
Et ! vertu bieu, langue safrète133 !
315 Mais quoy, vous le venez deffendre ?
Et ! vous avez le cul134 trop tendre,
De par tous les grandz deables, commère135 !
LA VOISINE
Çà ! vous avez tort, mon compère.
Pour Dieu, cessez ceste querelle !
LE MARY
320 Et ! vous en estes maquerelle136,
De par tous les grands deables, voyre !
Vous servez pour avoir à boyre :
Vostre nés en est tout violet.
LA VOISINE
Maquerelle ? Ce mot est let137 !
LE MARY
325 Par sainct Jehan, sy le faictes paindre138 !
L’AMOUREULX
Vous avez tort, cousin.
LE MARY
Tant gaindre139,
Morbieu ! Et ! y revenez-vous ?
LA VOISINE
On nous debv(e)royt meurdrir140 de coups,
De nous laisser tant lédenger141.
330 Sus, voisine, sans calenger142,
Qu’i me soyt de coups tout noircy143 !
LE MARY 144
Mes amys, je vous crye mercy,
Au nom de Dieu et des apostres !
LA VOISINE
Que dis-tu ?
LE MARY
Tous mes biens sont vostres !
LA VOISINE
335 Suis-je telle comme tu dys145 ?
LE MARY
Sy j’ey rien dict146, je m’en desdis.
Pour Dieu, laisson tous ces débas !
LA FEMME
Je te mectray en Paradis147 !
LE MARY
Sy j’ey rien dict, je m’en desdis.
[L’AMOUREULX]
340 [Quoy ! tu m’injuries]148 ou mauldis,
Mon cousin, à cause du « bas149 » ?
[LE MARY]
Sy j’ey rien dict, je m’en desdis.
Pourdieu, laisson tous ces débas !
Tout est à vous, et hault et « bas » :
345 N’espargnez poinct nostre maison.
L’AMOUREULX
Grand mercy, cousin !
LE MARY
C’est raison.
Couvrez-vous150 ! (Il n’y a de quoy151,
Dont y me fault taire tout quoy152.)
.
Pour congnoistre et venir à fin,
350 Il n’y a homme, tant soyt fin,
Et tant [e]ust-il la teste fine153,
Que fine femme, en fin, n’afine154.
Et ! pour oster nostre mérenc[o]lye155,
Une chanson, je vous emprye !
.
FINIS
*
1 Les éditions donnent « Jan », et de fait, le curé adultère s’appelle messire Jan. Mais le « jau » est un coq, mieux à sa place dans un poulailler : « Ils n’auroient pas assez de demye douzaine de femmes, non plus qu’ung jau de poulles. » Nicolas de Troyes. 2 LV : maistre 3 Il est dans la rue. L’auteur va enchaîner trois monologues dans lesquels les personnages se présentent eux-mêmes. 4 Du temps. « Durant quelque espace. » Marchebeau et Galop. 5 Sans mentir. Le vers suivant est perdu. 6 Je prends du soulas, du plaisir. 7 LV : neslongneroyt (De la maison il ne s’éloigne jamais d’un pas. Voir le vers 115.) 8 Ma petite affaire. 9 Quitte à sauter. 10 Il est à sa fenêtre et aperçoit l’amoureux qui, l’ayant vu, passe devant lui sans ralentir. 11 Je ne saurais dormir, à cause d’eux. 12 Il jette des petits cailloux contre la vitre afin d’attirer l’attention de sa maîtresse. « Ledit Amoureux (…) vint ruer deux ou trois grosses pelottes de neige contre les fenestres de sadite Dame. » Martial d’Auvergne. 13 Enmi : parmi. 14 LV : qua afaire la 15 Une malchance, un malheur. 16 D’amende. 17 Aux culs qui sont pleins de bruit et de fureur. « Tu me remplis le cul de noyse. » Trote-menu et Mirre-loret. 18 Me tenir, rester. 19 L’appareil urinaire de ma femme. 20 Elle s’approche de sa maison. 21 Malotru. 22 Je ne saurais, je ne pourrais (normandisme). Idem vers 21. 23 Elle entre dans la maison. 24 De mettre en ordre. 25 Au logis. Idem vers 14 et 182. 26 Que vous doutiez de ma fidélité. 27 Si j’enquête sur vous. 28 LV et LV2 : en 29 Qui m’oit, qui m’entend. LV2 : lot 30 LV : et quoy un — LV2 : quoy 31 En repos. 32 De nous fournir, en prévision de l’hiver. (Idem vers 229 et 232.) Par association d’idées, l’épouse passe de ses amants aux cochons. 33 LV : estoyrerement — LV2 : estorement (Pour notre provision. « Quar qui a bon vin d’estorment,/ Il ne doit pas boire à la mare. » ATILF.) 34 Forme normande de « saint Jean », comme au vers 194. « In Gen ! c’est mon : c’est mon frérot. » Le Bateleur. 35 La foire du Pardon s’ouvrait à Rouen le 23 octobre ; c’est là que les Rouennais se fournissaient pour l’hiver. Cf. les Veaux, vers 72. 36 Si nous en aurons, des porcs. 37 Sinon, gardez la maison. 38 LV : vertu bieu — LV2 : tu dieu 39 Il a toujours une objection toute prête. 40 Le scribe, sans même s’en apercevoir, duplique ensuite les vers 57-84. J’ai tenu compte de sa seconde copie (LV2) lorsqu’elle est plus satisfaisante que la première. 41 Méfier. 42 Je n’oserais pas. 43 Topez là pour accepter ma promesse. « Touchez là, le marché est fait ! » L’Homme à mes pois. 44 Vous les laisseriez mourir sans confession ? 45 À bon droit ou à tort. 46 Pour cette raison. 47 Un seul. « Il n’y en a pièce : Il n’y a personne d’entr’eux. » Antoine Oudin. 48 Donnez-moi de l’argent. C’est souvent l’épouse qui gère la cagnotte du ménage : cf. le Ramonneur de cheminées, vers 108. 49 En toute hâte. 50 De bonne heure. 51 Il voit le mari s’en aller. Cet amoureux se comporte exactement comme le Résolu : « Est-il party, est-il vuydé ?/ Comme ung amoureux bien guydé,/ Derrièr’ la porte, d’une tire,/ Gaillardement je me retire. » 52 D’une bonne allure. 53 Vais. Idem vers 166, 177, 202. 54 LV : ou est 55 Éloigner. Voir le vers 14. 56 Croyez bien. « Si nourrices n’ont point de laict/ Ès mammelles, croyez d’un cas/ Qu’il leur faut quelque gros varlet/ Pour leur battre souvent leur “bas”. » La Médecine de maistre Grimache. 57 Dans le Badin qui se loue, l’Amoureux se plaint de même à la Femme : « Certes, m’amye, je vous asseure/ Que depuis environ huyt jours,/ J’ay fait plus de quarante tours/ Icy entour vostre logis./ Mais tousjours vostre grand longis/ De mary présent y estoit. » 58 Ho ! par la vertu de Dieu ! 59 Il revient sur ses pas, et frappe à sa porte. 60 Dans Frère Guillebert aussi, la femme expédie son époux au marché ; mais il revient à l’improviste parce qu’il a oublié son bissac. Elle cache alors sous du linge le postérieur de son amant agenouillé. 61 Elle ouvre, et son mari entre. 62 Avez-vous (normandisme). Idem vers 237. 63 Vous meut, vous motive. 64 Que de soins, de tracas ! 65 LV : le (Il veut remettre la couverture à sa place, mais son épouse l’empêche d’y toucher.) 66 Mauvaise joie, malheur. « Qu’il en ait froide joye ! » Serre-porte. 67 LV : vos (Mes affaires intimes.) 68 Son mari l’interrompt avant qu’elle ait eu le temps d’ajouter drapelets : chiffons qui tenaient lieu de serviettes hygiéniques. Voir le vers 162. 69 Nettoyer. Pour porter le linge au lavoir, on l’enveloppait dans un drap noué. 70 Mettre ton manteau pour aller au lavoir. 71 Elle referme la porte sur son mari. 72 Débarrasser. Idem vers 185 et 283. 73 Forme normande de vésarde : frayeur. « Ma foy, j’avoys belle bésarde ! » Les Sotz nouveaulx farcéz. 74 LV : anthoeine (Que le mal des ardents [l’ergotisme] le brûle !) 75 LV : aseur (Je n’en serai pas rassuré avant une heure.) 76 Ma sœur : terme affectueux. 77 Avant de passer à l’acte, les amants prennent toujours des forces. Cf. le Poulier à sis personnages. 78 Je récapitule. 79 Il revient sur ses pas, et frappe à sa porte. 80 Dans un cercueil. Mais le public normand a pu comprendre : noyé dans la bière. 81 Derrière le rideau de fond, une échelle permet de monter dans le poulailler, qui n’est autre qu’une mezzanine, un demi plafond à claire-voie : il suffit de lever la tête pour voir l’individu qui s’y cache. 82 Le « g » dur normand remplace le « j » : bourgoise (v. 41), guéline (v. 223), gaindre (v. 326). 83 Que je le raconte. 84 Oublié (normandisme). Cf. l’Homme à mes pois, vers 260, 278, etc. 85 LV : nostre pourceau (Voir le vers 181.) 86 LV : quil 87 Vas-y vite. Mais le public normand a pu comprendre que le mari traitait sa femme de chiasse : « N’apportez point de vin nouveau,/ Car il faict avoir la va-tost. » (Testament Pathelin.) C’est également une maladie vénérienne : « Les ungz font la beste à deux dos…./ Les autres gaignent le vatos/ Et la chaudepisse. » Jehan Molinet. 88 Il reste sur le seuil (à l’huis), pendant que sa femme passe derrière le rideau de fond. 89 J’attendrai. (Faire est subrogé au verbe du vers 203.) 90 De loin, il entrevoit quelque chose dans le poulailler. 91 Par la porte. 92 Ne disons pas un mot. 93 LV : laray 94 Honteux d’avoir exprimé une idée aussi lâche, le mari entre, lève la tête, et aperçoit l’amoureux. 95 À lui ! C’est-à-dire : À l’attaque ! Cf. le Roy des Sotz, vers 141 et 183. 96 Un de ces prétendants qui me font passer des nuits blanches. 97 Forme normande de « géline » : poule. « Au poulier à noz guélines. » (Le Poulier à sis personnages.) Pour « humer » un œuf : prenez un œuf cru du jour. Percez avec la pointe d’un couteau le sommet de sa coquille. Bouchez ce trou avec l’index. Retournez l’œuf et percez l’autre côté. Renversez la tête en arrière. Appliquez ce nouveau trou contre vos lèvres. Enlevez l’index qui bouche le trou du dessus. Aspirez lentement le contenu de l’œuf. 98 Je ne dois faire semblant de rien en attendant que… 99 Que jamais. 100 Les yeux au ciel, il arbore un air extatique. 101 Qu’est-ce qui vous prend ? 102 Êtes-vous à cours de (questions) pièges ? « Vous y estes sy très propice/ Et si soubtil en tous ametz. » ATILF. 103 Elle ouvre la porte et crie dans la rue. 104 Elle entre. 105 Qu’il devient fou. 106 Divertissement. C’est le vers 238 de Frère Frappart. 107 Signez-vous : faites le signe de la croix, car vous êtes possédé. L’Ennemi, ou le Mauvais du v. 259, c’est le diable, qu’on chasse avec l’eau bénite du v. 258. La voisine est très superstitieuse. 108 Au pèlerinage de Notre-Dame-des-Miracles, à Mauriac, où on adorait les reliques de saint Mary. Ce nom prête à un calembour facile : saint mari. 109 À l’église. 110 LV : y (La voisine lève la tête et voit l’amoureux.) 111 Châtré comme un coq. Le mari réitère sa menace au vers 306. 112 Il n’est pas venu là pour faire la bagatelle. 113 Le chassaient (prononciation normande). « Vive Bon Temps ! Cachons [chassons] mélancolie,/ Qui nous engendre une pure folie ! » La Muse normande. 114 S’il n’avait pas couru plus vite qu’eux. 115 Que je ne le dénonce. 116 Avec son arme dégainée. « Et les troiziesmes bastons estoient deux dagues. » ATILF. 117 Furieux (normandisme). « Il est entré tout furé au logis et, prenant un baston, s’est mis à nous charger. » Huguet. 118 « On dit qu’on en fera bien mouler à quelqu’un, pour dire qu’on lui en donnera bien de la peine. » Le Roux. 119 De descendre du poulailler. 120 Il juge plus prudent de rester perché, en prétextant la fiction inventée par sa maîtresse. 121 LV : quilz nentrent se 122 Quel contentieux vous avez avec eux. 123 L’amoureux commence à forger une histoire ; mais il s’arrête net quand il se souvient que l’épieu a un double sens phallique. 124 Maintenant. 125 LV : rable (« Judas (…) commença à s’endiabler. » Gabriel Chappuys.) 126 LV : santy (Sancto sanctorum ! Par le Saint des saints : au nom de Dieu !) 127 Que de discours. 128 Allez vous plaindre d’eux aux autorités. 129 Je ne les redoute ni de près, ni de loin. 130 Les deux femmes se désolent devant une perspective si regrettable. Dans une circonstance analogue, la maîtresse de Frère Guillebert se lamente aussi, au vers 237. 131 Dans le Munyer, on veut aussi faire admettre au cocu qu’il est le cousin de l’amant de sa femme : « –Dieu vous doinct bon jour, mon cousin !/ –Il suffit bien d’estre voisin/ Sans estre de si grant lignaige. » Même jeu dans Pernet qui va au vin : « C’est vostre grant cousin germain. » 132 Si vous faites de moi un coucou, je ferai de vous une fauvette : j’irai pondre dans votre nid. « Coqu ne pond qu’un œuf, qu’il met au nid de la Fauvette. » Pierre Belon, Histoire de la nature des oyseaux. 133 Frétillante. Le mari vitupère la voisine, qui a inventé ce cousinage pour sauver les attributs de l’amoureux. 134 En principe, on dit « le cœur ». Mais voir Deux Hommes et leurs deux femmes, dont l’une a malle teste, et l’autre est tendre du cul. 135 LV : voyre (Il n’y a aucune raison que ce vers, qui n’est pas un refrain, soit identique au vers 321.) 136 Vous êtes son entremetteuse. 137 Laid, injurieux. 138 Faites repeindre ce mot, pour qu’il soit moins laid ; ou votre nez, pour qu’il soit moins rouge. 139 Geindre. 140 On devrait nous tuer. Meurtrir = commettre un meurtre. 141 Injurier. Cf. le Poulier à sis personnages, vers 700. 142 Sans contester. Forme normande du vieux verbe « challenger ». 143 LV : noiercy (Les deux femmes tapent sur le mari.) 144 LV : la mere (Le copiste a vainement gribouillé un « y » sur le « e » final.) 145 Suis-je toujours une maquerelle ? 146 Si j’ai dit quoi que ce soit. 147 Je vais te tuer. 148 LV : ou inimres 149 Du sexe de ta femme. Cf. les Femmes qui font renbourer leur bas. Même jeu de mots à 344. 150 Remettez votre chapeau. Cf. le Povre Jouhan, vers 198-201. 151 Il n’y a pas la place : le plafond est trop près du poulailler pour que l’amoureux puisse mettre son chapeau. 152 Tout coi, sans parler. « Mais j’y ay fait des escolliers/ Taire tout coy. » Serre-porte. 153 L’esprit fin. 154 Ne trompe. Les mêmes jeux de langage alimentent ce Rondeau. 155 Ma mélancolie. « Et pour oster mérencolie. » Charles d’Orléans.
JEHAN DE LAGNY
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JEHAN DE LAGNY
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Cette farce rouennaise fut écrite en 1515. L’auteur a pioché le nom des trois femmes de sa pièce dans des chansons gaillardes, aujourd’hui perdues. Le nom du personnage principal vient d’une autre chanson : « Leus-tu jamais en Fierabras / La Chanson de Jean de Laigni ? » (L’Amoureux passetemps.) Cette chanson – également perdue – raillait le fait que Jean sans Peur, en 1416, cantonnait depuis longtemps à Lagny-sur-Marne, et qu’il n’arrivait pas à se décider sur la suite des opérations. Ses ajournements perpétuels lui valurent les quolibets des Parisiens, ce dont il se fâcha tout rouge. « Le duc Jehan de Bourgoingne (…) alla logier à Lagny-sur-Marne, où il fut grant temps. Et tant y fut, que ceulx de Paris (…) l’apeloient Jehan de Lagny. » <Mémoires de Pierre de Fénin.> À défaut de la chanson, nous avons conservé deux proverbes sur les atermoiements de Jean sans Peur : « Jehan de Lagny, qui n’a point de haste. » Et : « Il est des gens de Lagny, il n’a pas haste. »1
Le héros de notre farce est baptisé Jean de Lagny parce qu’il promet toujours le mariage à ses conquêtes, mais qu’il temporise indéfiniment : « J’ey promis et promais encore/ Vous espouser je ne say quant. » Dans la farce du Retraict, qui appartient au même manuscrit, on disait déjà d’un homme velléitaire : « Voylà un bon Jehan de Lagny ! »
Après le succès de la pièce, Jacquet de Berchem composa cette chanson, qui fut publiée en 1540 :
Jehan de Lagny,
Mon bel amy,
Vous m’avez abusée.
Se ce n’eust esté vostre amour,
Je fusse mariée.
Vous avez ouvert le « guichet »,
La « mouche » y est entrée2.
Se j’avois connu vos façons,
Fille serois restée.
On doist bien brider le « mulet »,
S’il entre à l’escurie.
Dans la farce du Tesmoing, un prévenu refuse d’épouser une femme, qu’il a subornée en lui promettant le mariage. Or, le juge est un official, comme il se doit dans ce genre d’affaires. Ici, trois femmes séduites par un seul homme veulent l’épouser, et font appel à un juge laïc qui n’est pas compétent dans ce domaine. En outre, ce fantoche de juge rend la justice en pleine rue, et n’a aucun moyen de faire appliquer ses sentences, qui sont d’ailleurs illégales. On le traite de « fol » à l’avant-dernier vers, et tout laisse croire que ce suppôt des Conards de Rouen fut effectivement joué par un Sot.
Source : Manuscrit La Vallière, nº 31. Le texte est dans un état si décourageant que nul ne s’est risqué à en donner une édition critique.
Structure : Rimes plates, avec 4 triolets.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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*
Farce joyeuse
À sis personnages, c’est assavoir :
JEHAN DE LAGNY, Badin
MESSIRE JEHAN [VIRELINQUIN]
TRÉTAULDE 3
OLIVE 4
PÉRÈTE VENEZ-TOST 5
et LE JUGE
.
*
TRÉTAULDE 6 commence,
tenant un baston à sa main. SCÈNE I
Tant, pour chercher Jehan de Lagny,
J’ey de douleur et de destresse !
À Parys, à Troys7, à Magny,
Tant, pour chercher Jehan de Laigny.
5 Pendu soyt-il comme Margny8
En un gibet de grand haultesse,
Tant, pour chercher Jehan de Laigny,
J’ey de douleur et [de] détresse !
PÉRÈTE VENEZ-TOST
Et moy, par semblable finesse9,
10 Jehan de Laigny [m’a engyné]10.
Pensez qu’il sera démené,
Se je le tiens bref en rudesse !
OLIVE
Il ne m’a pas tenu promesse,
Jehan de Laigny, ce trompereau.
15 Je requiers Dieu que le boureau
Le puisse atraper à son erse11 !
PÉRÈTE
Dictes-moy, s’y vous plaist, comme esse
Qu’i vous trompa, et en quel rue.
Ainsy que vous ay aperceue12,
20 Il vous a mys le corps en presse13 ?
TRÉTAULDE
Il me feist choir en la reverse14
En me disant :
« Grosse trongnaulde15 !
Combien que vous soyez courtaulde16,
J’éray la copie17 de ce corps ! »
25 Et vous, [qui estes-vous, pour lors] ?
PÉRÈTE
Pérète Venez-tost.
TRÉTAULDE
« Pérète,
Vous ma seurète »18,
Dont on parle parmy19 ces rus ?
Enda ! à peu20 que ne mourus
D’entendre21, par un samedy,
30 Un grand Sot, garson estourdy,
Estant22 aveques un supost,
Chantant :
« Pérète, venez tost !
Gay là, gay23 ! la chose [est] preste. »
Et l’ort vilain Sot désonneste
35 Prononsoyt en dict et propos
Qu’i l’avoyt « aussy dur c’un os ».
[S]y esse vous, doulce compa(i)gne ?
PÉRÈTE
Ouy, c’est moy.
OLIVE
Pour Dieu, qu’on n’espargne
Jehan de Lagny, se on24 le treuve !
40 Et qu’i n’ayt relâche ne treuve25
Jusqu(es) à ce que la mort s’ensuyve26 !
TRÉTAULDE
Et vostre nom ?
OLIVE
Moy, c’est Olive.
TRÉTAULDE
[Quoy ! estes-vous « la belle fille » ?]27
Y vous a serré la « quoquille »,
Se disent enfans à leurs chans28.
45 Ceulx qui vont le pavé marchans
Vous chantent29 aussy bien que nous.
PÉRÈTE
Je requier Dieu à deulx genoulx
Qu’on cherchon30 tant qu’il soyt trouvé.
S’y n’est de par moy esprouvé
50 Méchant31, que je soys difam[é]e !
OLIVE
Jehan de Laigny ?
TRÉTAULDE
Sa renommée
Sera perdue, ce coup icy.
Non obstant, vous veulx dire un sy32
Qui nous servyra bien.
PÉRÈTE
Et quoy ?
TRÉTAULDE
55 Que chascun se taise [tout coy]33,
Et tenons icy un concille.
Ayons un clerc de ceste ville,
Ou un prestre qui soyt savant,
Qui vienne avec nous poursuyvant
60 Jehan de Lagny, ce faulx nerquin34.
OLIVE
Messire Jehan Virelinquin35
Est bien homme pour nous conduyre.
Vous plaist-il que luy aille dyre
Qu’i vienne à vous parler souldain ?
PÉRÈTE
65 Alez souldain ou tost !
TRÉTAULDE
Mais ne targez grain36.
OLIVE
Le voécy, c’est Dieu qui l’envoye !
.
Messire Jehan, Dieu vous doinct joye SCÈNE II
De ce que vostre cœur désire !
Vous est-il bien37 ?
MESSIRE JEHAN [VIRELINQUIN]
Gras comme [une oye]38 !
TRÉTAULDE
70 Messire Jehan, Dieu vous doinct joye !
MESSIRE JEHAN
Tant [je voy cy]39 une mont-joye
De bonnes commères pour rire !
PÉRÈTE
Messire Jehan, Dieu vous doinct joye
De ce que vostre cœur désire !
TRÉTAULDE
75 Escoutez un petit40 mon dyre
Aussy vray comme le soleil41 :
Aydez-nous de vostre conseil,
En vous payant42 de vostre paine.
MESSIRE JEHAN
Prononcez !
PÉRÈTE
C’est chose certaine
80 Que Jehan de Lagny on cherchon.
Fust-il pendu à Alenson,
Ou son corps brullé à Bréban43 !
MESSIRE JEHAN
Faictes-lay adjourner à ban44,
Citer45 à ouÿe de paroisse.
85 Y fauldra qu’i boyve l’engoysse46,
Fust-il des gens de Hanequin47.
OLIVE
Et ! monsieur Jehan Virelinquin,
Tant on sommes à vous tenu[e]s !
MESSIRE JEHAN
S’il estoyt caché48 soublz les nu[e]s
90 On le trouveron, sy Dieu plaist.
TRÉTAULDE 49
Escrivez-nous [cy] nostre explet50,
Et narez en vostre registre
Que c’est moy-mesme qui le cite,
Tout par despist de sa ribaulde.
[MESSIRE JEHAN] 51 escript.
95 Vostre non à vous ?
TRÉTAULDE
C’est Trétaulde.
MESSIRE JEHAN
Trétaulde52 ?! Dieu de Nazaret !
TRÉTAULDE
Qu’i ne s’en faille un tiret
Qu’i ne compare53, le coquin !
PÉRÈTE 54
Messire Jehan Virelinquin,
100 Mectez que c’est moy qui le cherche.
Sy tenir le puys à mon erse,
Il éra la prison pour lot55.
J’ey non56 Pérète Venez-tost,
Afin que pas ne l’ombliez57.
105 Ne luy ne toulz ses alyés58
Ne valent pas le[s] mestre au feu59.
MESSIRE JEHAN
Mais ayez pacience un peu,
Que j’[ay]es escript ce mot icy.
OLIVE
Virelinquin, mectez aussy,
110 Monsieur, que dire doys premyer60
Qu’il est aussy sot c’un prunyer
D’aler tant de filles tromper.
Et sy on le puist atraper,
Rien ne luy vauldra son moquer61.
MESSIRE JEHAN
115 Il ne [me séroyt]62 révoquer,
Puysque j’ey procuration.
TRÉTAULDE
Faictes-luy assignation
De comparer63 à ma requeste.
PÉRÈTE
Et moy aussy.
MESSIRE JEHAN
A ! j’ey la teste
120 Assez ferme pour le bien faire.
OLIVE
Monsieur Virelinquin, mon Frère :
[Que] n’omblyez pas à m’y mectre !
MESSIRE 64 JEHAN
Nennin. Mais signez ceste lestre,
Et puys me laissez faire, moy.
.
LE BADIN 65 entre en chantant : SCÈNE III
125 C’est à ce joly moys de may
Que toutes herbes renouvelles.
Et vous présenteray, les belles,
Entièrement le cœur de moy.66
.
TRÉTAULDE 67 SCÈNE IV
Aussy vray qu’i n’est c’une Loy,
130 J’ey entendu Jehan de Laigny !
Je vous suply qu’i soyt pugny,
Messire Jehan, s’il est possible.
MESSIRE JEHAN
Uson de finesse paisible68.
Que l’une de vo[u]s troys l’amuse69,
135 En parlant doulcement, de ruse ;
Et [moy], j’escousteray de loing.
Je vous servyray de tesmoing
Au besoing, plus que ne font sis70.
PÉRÈTE
Aussy vous érez des mersis71,
140 Sy Dieu plaist, plus de quatre cens.
.
LE BADIN 72 SCÈNE V
Sainct Jehan ! depuys les Innocens73
Que je suys party de Rouen,
Je fais [le] veu à sainct Ouen74
Que je n’ay veu femme ne fille,
145 Quelle qu’el soyt, tant soyt habille
Qu’il sont icy75 ! Très âprement,
Voir je m’en voys bénignement76
Trétaulde, Pérète et Olyve,
Et faire le petit convyve77
150 Avec eulx78 gratieusement.
Et puys pensez que l’instrument 79
Y fauldra bien que l’on me preste.
TRÉTAULDE, en dèrière 80
In Gen81 ! beau sire, sy je le preste,
Que l’on me pende sans mercy !
PÉRÈTE
155 Non pas moy.
OLYVE
[Et] ne moy aussy82.
.
LE BADIN SCÈNE VI
Dieu gard les belles sans soulcy !
TRÉTAULDE, en ruze.
Et ! Jehan de Lagny, Dieu vous gard !
LE BADIN
Vous est-il bien ?
PÉRÈTE
Ouy, Dieu mercy !
LE BADIN
Dieu gard les belles sans soulsy !
160 Tousjours seulètes ?
OLYVE
Il est ainsy.
LE BADIN
Joyeulx suys de vostre regard.
Dieu gard les belles sans soulsy !
LES TROYS ensemble
Et ! Jehan de Lagny, Dieu vous gard !
LE BADIN
Ma foy, je suys frapé du dard
165 D’Amours, tant de vous suys joyeulx.
TRÉTAULDE
En tout temps estes amoureulx ;
Jamais ne vous en passerez ?
(Mydieulx ! vous récompenserez
Mon honneur, qui est difamé !)
LE BADIN
170 Ouy dea, je pence estre famé83
Et renommé en tant de lieux.
Sy vostre cœur est envyeux
De chose qui soyt en ce monde,
Je suys d’acord qu’on me confonde
175 Sy ne l’avez pour souhaiter84.
TRÉTAULDE
Y vous plaira me relater85
La promesse que m’avez faict :
Combien qu’il soyt gardé segret86,
Avoir la veulx en ma mémoyre87.
LE BADIN
180 J’ey promys et promais encore
Vous espouser je ne say quant.
MESSIRE JEHAN 88
(Sainct Jehan ! vous vélà prins pour tant89 :
Cétuy mot pas je n’omblyray.)
PÉRÈTE
Et quant esse que je seray
185 En honneur mise de par vous ?
LE BADIN
Quant et90 Trétaulde.
OLYVE
Et moy ?
LE BADIN
Et91 vous.
TRÉTAULDE
M’y deust-il couster trente soublz,
Je vous éray ou vous m’érez !
LE BADIN
Afin que le cas assurez92,
190 Alon, pour le temps advenir,
Le fère93 un coup pour souvenir.
Et puys la chère nous94 feron.
MESSIRE JEHAN 95
Esse pas cy mon aulteron96,
Dont j’ey sur luy lestre de prinse97 ?
195 Puysque j’ey sus vous la main myse,
Parler vous viendrez à Monsieur98 !
LE BADIN
Me prenez-vous pour transgresseur99 ?
Estes-vous oficier100 du Roy ?
MESSIRE JEHAN
Vous viendrez présent quant et moy101 !
200 Par Dieu j’en jure et jureray !
LE BADIN loche 102 la teste
Et ! par la vertu, non feray !
J’ey comme toy une caboce103.
Me pence-tu mener à force
Aulx prisons ? Jen ! tu as beau nes104.
MESSIRE JEHAN
205 Pourtant y fault que vous venez
Malgré vos dens et vostre cœur105.
LE BADIN
Par la mort ! vous serez menteur106.
MESSIRE JEHAN
Le deable m’enport ! non seray.
Maintenant je te montreray
210 Que j’ey de te prendre licence107.
.
LE JUGE 108 SCÈNE VII
J’ey entendu quelqu(e) un qui tence
En blaphémant Dieu de sang meu109.
Y fault sçavoir dont est esmeu
Le débat de leur diférent110.
215 Car je n’ay amy ne parent,
Pourveu que mon Dieu y blaphesme,
Qu’en dure prison je n’enferme
Long temps sans boyre que de l’eau !
MESSIRE JEHAN
Monsieur, voyez cest estourneau
220 Qui pour le présent se rebelle.
J’ey dessus luy plaincte formelle,
Et ne vous veult pas obaïr.
LE BADIN
Monsieur, y vous plaira ouÿr
Comme c’est qu’il m’a voulu prendre
225 En lieu honneste sans m’entendre111.
Je m’en croys aulx femmes de bien112.
LE JUGE
En vos propos je n’entens rien.
Dictes-moy que luy demandez.
MESSIRE JEHAN
Monsieur, voulontiers. Atendez :
230 Examynez113 ces créatures,
Puys vous voy(e)rez les escriptures114
Que j’ey par procuration.
LE BADIN
Je demande relation115
De luy, qui se dict ma partye116.
LE JUGE
235 Ta harengue sera ouÿe
Comme la sienne en cestuy lieu.
MESSIRE [JEHAN] lict :
« Françoys117, par la grâce de Dieu
Roy de France, et cetera… »
LE BADIN
On voi(e)ra bien que ce118 sera…
240 Monsieur, au moingtz, [qu’ayt les]119 despens.
Et sy, qu’i demeure suspens120,
S’y n’a du bien121 à sa maison.
LE JUGE
On te fera toulte raison ;
[Ay]es pacïence, mon amy.
LE BADIN
245 Je ne seray pas endormy,
Sy je vous rencontre à la chaulde122.
MESSIRE JEHAN lict :
« Tout premièrement, j’ey Trétaulde,
– Honneste fille et [fort] poulsyve123 –,
Pérète Venez-tost, et Olyve,
250 Qui font sus Jehan de Laigny plainctes
Et veulent que toutes contrainctes
Souent124 faictes de luy par les villes :
Car c’est un violleur de filles,
Un abuseur, un séducteur,
255 Un babillard, vanteur, menteur,
Qui promect de les espouser ;
Et puys il les va abuser
Et se moque d’eulx tous les jours.
Pour avoir plus d’aide et secours
260 À faire [l’]information125,
On passon procuration
À messire Jehan Vir(e)linquin,
Trop plus congnoissant c’un Turquin
En lard 126 et sçavoir de pratique. »
LE BADIN
265 Monsieur, [ce poinct dessus]127 me pique,
Et en ce mot-là je m’areste :
Comment ! il est sergent, et prestre,
Et procureur, et advocat ?
Alez chanter Magnyficat128
270 À l’église, et [cy] vous tésez !
MESSIRE JEHAN
Il a les filles abusés,
Monsieur, de quoy c’est grand pityé.
TRÉTAULDE
Par sa méchante mauvestyé129,
Y m’a faict telle comme telle130.
PÉRÈTE
275 Et moy aussy.
LE BADIN
A ! j’en apelle131,
S’on me faict tort, au Gras132 Conseil ;
Et là, [en mon hault]133 apareil,
[J’oposeray de ce]134 procès.
LE JUGE
Femmes, vous a-il faict excès
280 De vous presser oultre mesure ?
LES FEMMES ensemble
Ouy ! Ouy ! Ouy !
LE BADIN
A ! nénin.
MESSIRE JEHAN
Monsieur, je jure
Que sy a135 : c’est chose certaine.
LE BADIN
Et j’ey faict vos fièbvres cartainnes !
Alez, procureur mengereau136 !
285 Sang bieu ! vous estes maquereau
De trèstoustes, je le soutiens !
TRÉTAULDE
Monsieur le Juge, je retiens
Jehan de Lagny pour mon espoulx.
PÉRÈTE VENEZ-TOST
Je le veulx avoir devant137 vous !
OLYVE
290 Et moy, je l’aray la premyère !
LE JUGE
Je n’entens à ceste matyère
Nul propos, par le Dieu vyvant138 !
LE BADIN
Monsieur, estre veulx poursuyvant
Contre luy comme faulx taquin139.
295 C’est que ledict Virelinquin
A plus de bruict [p]a[r]my les rus140
Que jamais à ma vye je n’us,
Dont je demandes intérest141.
LE JUGE
Par qui esse qu’on le sérest142 ?
300 Rien n’a en cause qu’i ne prouve143.
MESSIRE JEHAN
Monsieur, voyez comme il controuve
À parler dessus mon estat144.
LE BADIN
Je soutiens qu’il est apostat,
Tesmoingtz les femmes que voécy.
MESSIRE JEHAN
305 Monsieur, je vous déclare aussy
Qu’i veult toutes femmes séduyre.
LE JUGE
Sav’ous145 quoy ? Y vous fault produyre
Vostre procès avant ma main146
Aujourd’uy, pource que demain,
310 J’en feray expédition.
MESSIRE JEHAN produict 147
Voélà la procuration
D(e) Olive et [aussy] de Trétaulde,
Et de Pérète la pétaulde148.
Je ne plède poinct à faulx fret149.
LE BADIN produict.
315 Moy, je produyray mainct brevet
De vostre vye, et la légende150,
Afin que le monde l’entende151.
Monsieur, faictes[-en] la lecture
Sans nous faire de forfaicture ;
320 Et qui a bon droict, sy le garde !
LE JUGE lict :
« Primo, cestuy que je regarde,
Messire Jehan Virelinquin,
Plus paillard que n’est un bouquin152.
Un jour qu’il n’avoyt que deulx lyars153,
325 On l’envoya teurdre des hars154
En la forest de Rouverey155. »
MESSIRE JEHAN
Je luy nye !
LE BADIN
Je le prouveray.
MESSIRE JEHAN
Le deable en emport qui en ment !
LE BADIN
Je m’en croys du tout156 au serment
330 De Trétaulde, la plus sensible.
LE JUGE faict faire serment à Trétaulde.
Par l’Évangille de la Bible,
Nous direz-vous pas vérité
De ce mot que j’ey récité157 ?
Est-il mensonge, ou [est-il] vray ?
TRÉTAULDE
335 C’est bien force que je diray
Vérité, sy je la congnoys.
Il y a envyron deulx moys
Que messire Jehan Vir(e)linquin
Vint descouvrir son manequin158
340 Sans marabès159 ne sans teston.
Mais il laissa le hoqueton160
Et gaignyst chemin161 o plus tost.
LE JUGE 162
Or çà, Pérète Venez-tost,
Dictes-en ce que vous sçavez.
MESSIRE JEHAN
345 Et ! comment, Monsieur ? Vous rêvez !
Qu’esse qu’el séroyt de moy dire ?
LE BADIN 163
Monsieur, ne me veuillez desdire.
Laissez-la, Vir(e)linquin, [parler] ;
Y fault Pérète examyner,
350 Ou que dannée [el] soyt au deable !
LE JUGE
Or me faictes serment valable164,
Pérète, et vous despeschez !
PÉRÈTE
Il est vray que ces jours passés,
Aulx Troys Mores 165 (ou Morequin)
355 Vint messire Je[ha]n Vir(e)linquin
Pour une fille desbaucher.
Quant ce vint à se rechausser166,
Y dict qu’il n’avoyt grand blanc nul167.
Lors luy convint ouvrir le cul168
360 Au plus tost, et gaigner les boys169.
LE BADIN
Ouvrir le cul170 ?! Vray Roy des roys !
Vrayment, il le faisoyt beau voir !
LE JUGE
Or çà, or çà ! Il fault sçavoir
S’Olive en a rien retenu :
365 Çà, Olyve, le contenu
Des sermens qu’avez ouÿ faire171 !
Y ne fault poinct que l’on172 difère,
Sur paine de dannation.
OLIVE
Un peu devant l’Ascention173,
370 Auprès des chambres Hamelin174
Vint à moy monsieur Vir(e)linquin
En me disant :
« La belle fille,
J’aperçoy que vostre quoquille
A bien métier175 de resserrer. »
LE BADIN
375 Et vous voulez considérer
Que s’elle tumboyt, d’avanture,
Que ce seroyt double enfouture176 ;
Par quoy vous le lessâtes faire.
OLYVE
Il est vray.
LE BADIN
Or177, veu la matière,
380 Monsieur, ordonnez la sentence.
LE JUGE
Quant au faict de vo[u]s deulx je pence,
Jehan de Lagny et Vir(e)linquin,
Tous deulx ne valez178 un coquin,
[D’où qu’on]179 doyve de vous parler.
385 Jehan de Lagny s’en doibt aler
Franc et quicte avec ses despens.
Et Vir(e)linquin sera suspens180
De ses faultes, deisjà prescrites181.
OLIVE 182
Veu les parolles que vous dictes,
390 Il doibt avoir pugnition ;
Ou faire restitution183
À Jehan de Lagny, sa partye.
LE JUGE
Et bien, qu’il ayt une partye
De sa génitoyre coupée.
[MESSIRE JEHAN] 184
395 [Las !] fault-il qu’el soyt départye185 ?
LE BADIN
Ouy, Vir(e)linquin, unne partye.
[PÉRÈTE]
Voécy térible départye186,
Qu’il l’ayt187 en ce poinct découpée188 !
LE BADIN
Y fault qu’il ayt une partye
400 De sa génitore coupp[é]e.
TRÉTAULDE
Il payera de tous la soupée189
Pour faire nostre apoinctement190.
.
Seigneurs, regardez bien comment
Jehan de Lagny a sy bien faict
405 Qu’il est exemp191 de son méfaict.
L’autre, qui n’estoyt ocuppé192,
A esté de vice achoppé193.
Comme on pugnyst en tous cartiers
De plusieurs gens entremetiers 194
410 De quoy on a la congnoissance,
Aussy, je diroys volontiers
Un mot ou deulx, voi(e)re le tiers195 :
De fol juge, brèfve sentence196.
Une chanson pour récompence !
.
FINIS
*
1 Par dérision, le duc de Parme, Alexandre Farnèse, sera lui-même surnommé Jean de Lagny après avoir conquis provisoirement cette ville en 1590. Ce qui nous valut un nouveau proverbe : « Jean prist Lagny, et Lagny Jean. » Satyre Ménippée. 2 « Tu m’as bien bourdonnée,/ Tu t’es rompu le fillet./ Tu m’as ouvert le guichet ;/ La mouche y est entrée. » B. Jeffery, Chanson verse of the early Renaissance, t. I, p. 118. 3 C’est le nom d’une vieille maquerelle dans une autre farce du ms. La Vallière, les Brus. 4 Dans l’Enqueste, de Guillaume Coquillart, une prostituée se nomme Olive de Gatte-fatras. 5 La chanson Perrette, venez tost est signalée par Noël Du Fail en 1547 (Propos rustiques, VI). Une autre farce du ms. La Vallière, Frère Phillebert, donne par erreur le nom de Perrette Venez-tost à Perrette Povre-garce, à qui il faut d’urgence un « chose qui se dresse ». 6 Les trois femmes ne se connaissent pas. Elles se rencontrent sur une place de Rouen, et découvrent qu’elles cherchent le même homme. 7 À Troyes. Plusieurs communes de l’actuel Calvados ont pour nom Magny. 8 Le Normand Enguerrand de Margny (ou Marigny) avait été pendu en 1315 après un procès à charge ; en Normandie, cette injustice avait marqué les esprits durablement. 9 LV : sans cesse (Une finesse est une ruse, comme à 133.) 10 LV : de la guyne (Enginer = tromper, séduire. « Yl la vouleyt à sa volenté avèr, ou par promesse ou par don engyner, ou par force ravyr. » Godefroy.) Jeu de mots sur enguinner [engainer, pénétrer] : « Roydement (il) l’enguinna & accomplit son désir. » Les Joyeuses adventures. 11 Confusion entre la herse et l’esse, qui est un crochet de boucher. (Idem vers 101.) Dessous, LV fait répéter à Trétaude les vers 7 et 8. 12 D’après ce que je vois. 13 Il s’est couché sur vous. Mais aussi : Il vous a aplatie (allusion impertinente au fait que Trétaude est obèse). Pour la rime, on pourrait lire : il vous a mise en perce (comme une barrique). 14 À la renverse. Cf. Frère Phillebert, vers 76. 15 Trogne, figure bouffie. 16 LV : tretaulde (Inconnu en tant que substantif.) « De ceste courtaude fessue. » J.-A. de Baïf. 17 J’aurai la jouissance. « De l’ostesse avoir la coppie. » (G. Coquillart.) La copie est aussi l’abondance : « En grande copie ou habondance. » (ATILF.) Trétaude est visiblement très grosse. 18 Extrait de la chanson Perrette, venez tost (note 5). Ce refrain est donc chanté, comme les autres emprunts distillés par Trétaude, qui se venge du vers 20. 19 LV : amy (Enmi = parmi, mais le vers est trop court. Je fais la même correction à 296.) L’auteur, qui adore les chansons, connaissait forcément Quant je vous voy parmy les rues (1505). 20 LV : peur (Il s’en fallut de peu que je ne meure. « À peu que n’en ay encouru/ La mort. » Le Poulier.) Enda est un juron féminin. Cf. Frère Guillebert, vers 112 et 149. 21 LV : de fere 22 LV : chantant (1er mot du vers suivant.) Notre farce est associée au répertoire des Conards de Rouen, qui se présentaient comme les suppôts de leur abbé. « Pour mieulx servir l’Abbé et ses suppostz. » (Triomphes de l’Abbaye des Conards.) Certains jours de l’année, ils sortaient déguisés en Sots, et passaient en revue les scandales de Rouen. « On devisoit mainte sornette/ Plus estimée de noz Sotz/ Que d’ung advocat la cornette. » (Triomphes…) 23 Cette interjection revient dans beaucoup de chansons normandes : « Gay ! gay, ma mère !/ J’ay de l’argent pour bère. » La chose a une acception phallique : cf. le Prince et les deux Sotz, vers 102. 24 LV : nous 25 Ni trêve. 26 LV : en ensuyue 27 Vers manquant. « La belle fille » est un extrait de la chanson qui s’en prenait à Olive, dont on rajuste la « coquille* » en tapant dessus. Il en est encore question aux vers 372-378. *« Une belle fille/ Fait souvent fourbir sa coquille. » Digeste Vieille. 28 LV : champs (Dans leurs chansons.) Les enfants qui « vont à la moutarde » s’attroupent aux carrefours et chantent des couplets qui dénoncent les nouveaux scandales de la ville. 29 Vous chansonnent. 30 Que nous le cherchions (normandisme). Voir le vers 80. 31 Si je ne prouve pas sa méchanceté. 32 Une condition, une remarque. Cf. Frère frappart, vers 67. 33 Rime manquante. « Mais j’y ay fait mes escolliers/ Taire tout coy. » Serre-porte. 34 Ce maudit gueux. « Narquin (…), qui signifie mandian, contrefaisant le soldat détroussé. » Laurens Bouchel. 35 Le nom de ce prêtre paillard fait penser au virebrequin [pénis] : « Le virebrequin de maistre Aliborum. » (Chansons folastres.) L’auteur a commis une maladresse en le prénommant Jehan, comme Lagny. 36 Ne tardez pas. 37 Vous portez-vous bien ? Idem vers 158. 38 LV : un oyee (Le copiste du ms. La Vallière, qui ne brille pas par son intelligence, croit que la rime -oyee transcrit la prononciation normande -oé. Ailleurs, je corrige tacitement.) 39 LV : vous voesy (Que je vois ici un grand nombre.) 40 Un peu. 41 Aussi réel que le soleil. 42 Nous vous paierons. Et plutôt « en chair qu’en argent », comme le procureur du Balet des Andouilles l’exige des dames. 43 Ces deux villes ne sont là que pour la rime. 44 Faites-le assigner en justice. Cf. les Povres deables, vers 42. 45 LV : ou siter (Dénoncer publiquement. « Les préconizacions avoient esté faites à oÿe de parroesse solempnement. » ATILF.) 46 Qu’il mange la poire d’angoisse [instrument de torture qui écarte les mâchoires]. « Mengier d’angoisse mainte poire. » François Villon. 47 Même s’il faisait partie des chevaliers fantômes de la « maisnie Hannequin » (ou Hellequin). Voir le Roman de Fauvel. 48 LV : chase (Même s’il était caché sous les nuages ; ou sous les femmes nues…) 49 À l’oreille du prêtre, pour que les « ribaudes » n’entendent pas. 50 Notre exploit, notre acte d’assignation. Cf. Lucas Sergent, vers 241. Comme tous les clercs, le prêtre porte une écritoire pendue à sa ceinture. Voir Maistre Mymin qui va à la guerre atout sa grant escriptoire pour mettre en escript tous ceulx qu’il y tuera. 51 LV : monsieur 52 Visiblement, le prêtre connaît la chanson gaillarde qui met en scène Trétaude. 53 Qu’aucun oubli ne vienne empêcher qu’il ne comparaisse au tribunal. 54 À l’oreille du prêtre. 55 LV : ost (Il aura la prison pour récompense.) 56 J’ai pour nom. 57 Que vous ne l’oubliiez pas. 58 Ni lui, ni tous ses alliés. 59 Ne valent pas le bois pour les brûler. 60 Que je dois dire au préalable. 61 Sa moquerie. 62 LV : se seroyt pas (Il ne pourra pas me révoquer.) 63 De comparaître. 64 LV : monsieur 65 Jehan de Lagny est typiquement un rôle de Badin, de demi-sot. Voir la notice de Troys Galans et un Badin. 66 Chanson normande tirée du ms. de Bayeux : « C’est à ce jolly moys de may,/ Que toute chose renouvelle,/ Et que je vous présentay, belle,/ Entièrement le cueur de moy. » L’Église chante ce couplet au début d’une Moralité à troys personnages du ms. La Vallière (LV 23). 67 Les femmes et le prêtre sont de l’autre côté de l’estrade, et ne voient pas encore Lagny. 68 LV : posible (L’encre est très effacée. En 1837, Le Roux de Lincy et F. Michel ont lu posible, mais ce mot est à la rime.) Usons d’une ruse qui endormira sa méfiance. 69 Le trompe par ruse. 70 Mon témoignage en vaudra six. Le prêtre se cache à proximité. 71 Vous aurez des remerciements. 72 Il aperçoit les trois femmes. 73 Depuis la fête des Saints-Innocents, le 28 décembre. C’est aussi le jour de la Fête des Fous, où les Conards de Rouen se déchaînent. 74 Ce saint rime presque toujours avec Rouen, où il fut évêque. Cf. le Tesmoing, vers 207. 75 LV : ne sy (Aussi habile au jeu de l’amour qu’elles le sont ici.) Âprement = vivement. « Chevauchons asprement ! » ATILF. 76 Je m’en vais voir courtoisement. 77 Un banquet. « Ledit grant Turcq luy fist ung grand disner et convive. » Godefroy. 78 Avec elles. Les trois femmes sont jouées par des hommes, et l’auteur s’en amuse encore aux vers 55, 146 et 258. 79 Leur sexe. « L’official condamna la pauvre fille à prester son beau et joly instrument à son mary pour y besongner. » Bonaventure Des Périers. 80 En aparté. 81 Abréviation normande de « par saint Jean ! ». Elle est encore réduite à « Jen » au vers 204. 82 Perrette et Olive aimeraient bien prêter de nouveau leur « instrument » à Lagny. 83 Réputé. 84 Selon votre souhait. 85 Vous trouverez bon de me rappeler. 86 Bien qu’elle soit secrète. 87 Les Normands prononçaient mémore, comme ils prononçaient génitore au vers 400. Cf. le Bateleur, vers 159-160. 88 Toujours caché, il note l’aveu de Lagny. 89 Pour ce que vous venez de dire. 90 En même temps que. Nous avons là 3 rimes en -ous, dont les deux premières sont identiques. 91 LV : quant (Vous aussi.) Lagny compte donc épouser trois femmes le même jour et devant le même curé. 92 Afin de sceller nos fiançailles. Sur cette tradition populaire, voir la note 18 du Tesmoing. 93 Faire l’amour. « Ung jeune fils qui se fiança,/ À sa fiancée emprunta/ Ung coup sur le temps advenir. » Sermon joyeux d’un Fiancé. 94 LV : on (Et puis nous banquetterons.) « –Dînerons-nous, ma chère, ou si nous le ferons ?/ –Tout comme il vous plaira (dit-elle)./ Et puis après, nous dînerons. » Henri Pajon. 95 Voyant que ses trois clientes sont sur le point de céder, Virelinquin jaillit de sa cachette et empoigne Lagny. 96 En Normandie, un aoûteron est un journalier qui moissonne sur les terres des autres. « Vous estes un bon aulteron ! » Le Gallant quy a faict le coup. 97 Une lettre de prise de corps. 98 Au juge. 99 Pour un homme qui transgresse les lois. 100 Un sergent. 101 Avec moi. 102 Secoue négativement. 103 Une caboche, une tête de mule. 104 Tu as le nez rouge : tu as bu. 105 Malgré vous et à contrecœur. 106 Votre injonction ne sera pas vraie. 107 La permission. 108 Habillé en juge, il passe là par hasard (comme tous les autres intervenants), et se dirige vers les chicaneurs. 109 En ayant le sang ému par la colère. Naturellement, le blasphémateur n’est autre que le prêtre. 110 D’où est né leur différend. 111 LV : me prendre (Sans écouter ma défense.) 112 Je m’en rapporte à ces trois femmes. 113 Interrogez. (Idem vers 349.) Le mot créature désigne souvent une prostituée. 114 Les documents. 115 Le rapport où mes faits délictueux sont relatés. Cf. le Tesmoing, vers 63. 116 Ma partie adverse. Idem vers 392. 117 En 1515, François Ier venait d’accéder au trône. 118 LV : se (Ce que Virelinquin va dire.) Sous-entendu politique : On verra bien ce que sera le règne de ce nouveau roi. 119 LV : que ies (Que Virelinquin paye les frais de justice.) 120 Et même, qu’il soit suspendu de son ministère. On voit qu’il s’agit d’une pièce de Carnaval : un juge civil n’avait pas le droit de juger un clerc, qui relevait de la cour d’Église. 121 De l’argent pour payer les dépens. 122 Dans le feu de l’action, très bientôt. 123 Poussive : Trétaude est obèse (notes 13 et 17). 124 Soient. 125 L’instruction, l’enquête. 126 En l’art judiciaire. La gestuelle du comédien devait mettre en valeur la graphie « lard » du ms., laquelle ironise sur l’embonpoint du prêtre (vers 69), et sur les Turcs qui ne mangent pas de lard. Jadis, on disait à la Comédie française que le maquillage de Cyrano était un effet de l’art (un nez fait de lard). 127 LV : desus se poinct (Le point ci-dessus me chiffonne.) 128 « L’Abbé (des Conards), estant en son pontificat,/ Après avoir chanté Magnificat,/ Fait à sçavoir à ses joyeux supposts,/ Autres aussi aimans vuider les pots. » Triomphes… 129 Mauvaiseté, déloyauté. 130 Telle que je suis. Grosse et délurée ? 131 J’interjette un appel. 132 LV : grand (Au « Gras Conseil des Conardz ». Triomphes…) « Sçavoir faisons qu’avec le Gras Conseil/ Avons, ces jours, faict édict nompareil/ Pour abolir la longueur des procès. » (Ibid.) Cf. les Veaux, vers 32 et 48. 133 LV : un nouueau (En tenue d’apparat. « Le grandissime, magnifiquissime et potentissime sieur Abbé, accoustré en son haut appareil. » Triomphes…) 134 LV : je imposeray de (Je ferai opposition. « Pour plaidier ne pour opposer. » ATILF.) 135 Qu’il l’a fait. 136 Pillard. 137 Avant. 138 L’ennemi des blasphémateurs (vers 211-218) se met à jurer le nom de Dieu. 139 Parce qu’il est un sournois coquin. Cf. les Mal contentes, vers 108. « Et luy, avecques ce coquin (…)/ Et ne sçay quel aultre tacquin,/ Se promenoyent. » ATILF. 140 A plus de mauvaise réputation dans la rue. Voir la note 19. 141 Des dommages et intérêts. 142 Qu’on le saurait, qu’on pourrait le savoir. 143 Il n’y a rien dans la cause qu’il ne prouve. 144 Comme il invente des calomnies sur mon état de prêtrise. 145 Savez-vous (normandisme). Cf. le Poulier, vers 409 et 520. 146 Préalablement. 147 Il donne son papier au juge. 148 La péteuse. « Mouflarde [joufflue], pétaude fessue ! » Lacurne. 149 « On appelle faux frais toutes les menues despenses qu’on est obligé de faire. » Furetière. 150 Leur explication. Comme par hasard, Lagny a tous les papiers dans sa poche. 151 La comprenne. 152 Un vieux bouc. 153 2 liards, 2 piécettes : ce n’était pas suffisant pour payer la prostituée. « On n’excommuniera point, au prosne,/ Ceux qui “hocheront” sans argent,/ S’ils n’ont le vit plus long qu’une aulne. » La Grande et véritable pronostication des cons sauvages (…) nouvellement imprimée par l’autorité de l’Abbé des Conars. 154 Tresser des harts, des cordes. « On ne pourroit sèche hart tordre. » Proverbe. 155 La forêt du Rouvray, au sud de Rouen, était infestée de brigands qui ficelaient leurs victimes à des arbres, quand ils ne les y pendaient pas purement et simplement. Rue Eau-de-Robec, on peut encore voir l’ex-voto d’un drapier qui fut dépouillé par ces brigands, et qui dut la vie à son cheval, parti chercher du secours. 156 Je m’en remets totalement. 157 Au sujet du passage que je viens de lire. 158 LV : maroquin (Vint découvrir son pénis à une de mes pensionnaires. « Que nous fissions, vous et moy, un transon de chère lie, jouans des manequins à basses marches. » Pantagruel, 21.) 159 Sans avoir un seul maravédis [monnaie espagnole]. Le teston est une petite pièce d’argent. Dans les Brus, la maquerelle Trétaulde refuse de louer ses pensionnaires aux hommes d’Église s’ils ne paient pas d’avance. 160 Son corset, en gage. 161 Prit la route, s’enfuit. 162 LV met sur la même ligne, plus loin : greffier 163 Il s’adresse d’abord au juge, puis à Virelinquin. 164 LV : saluable (Le serment valable prend Dieu à témoin. « Si, par serment vallable, & sans y estre forcé, il leur promet cent escus. » Jacques Jacquet.) 165 Hôtel borgne sis rue Beauvoisine, à Rouen. Morequin aurait pu désigner le Petit More, un jeu de paume assez mal fréquenté. 166 LV : deschauser (Quand il remit son haut-de-chausses, son pantalon.) 167 Aucune pièce de monnaie. Le grand blanc est le salaire des prostituées de bas étage. « Ung beau grand blanc –qui n’est pas trop grant somme–/ Fist le marché. » Les Sept marchans de Naples. 168 Faire la révérence. « S’il advient que quelqu’un entre (…),/ La révérence à cul ouvert/ Je fais. » (Chambrière à louer, à tout faire.) « Elle fit une révérence à cul ouvert à la compagnie. » (Charles Sorel.) 169 La forêt du Rouvray (vers 326). 170 Lagny feint de prendre cette expression au pied de la lettre. 171 Prononcez le serment que vos deux compagnes ont prononcé aux vers 331 et 351. 172 LV : nous (Que vous fassiez un serment différent.) 173 LV : la sention (C’est à des fautes de ce genre qu’on évalue le niveau d’un copiste…) 174 Auberge que les Triomphes de l’abbaye des Conards nomment le « trou Hamelin ». Les trous sont des lieux mal famés : les Rouennais fréquentaient aussi « le Grand Grédil, qu’on dit le trou ». (Montaiglon, XI, 75.) Paris avait « le trou de la Pomme-de-Pin ». (Villon.) 175 Besoin. Pour cette référence à une chanson qui se moquait d’Olive, v. la note 27. 176 Que vous seriez doublement foutue pour que votre coquille soit remise en place. 177 LV : on 178 LV : valent (L’expression exacte est : ne pas valoir un sequin.) 179 LV : dont on (D’où qu’on se place pour parler de vous.) 180 Aura un sursis. 181 LV : predites (Prescrites : annulées parce qu’il y a prescription.) 182 LV : le greffier (Voir la note 162.) Il est inconcevable qu’on introduise un nouveau personnage – absent de la liste initiale – pour déclamer 4 vers. La très mauvaise édition de 1837 attribue les vers 396-398 à ce greffier inexistant. Tout ce passage est confus. 183 Il doit restituer les trois femmes. 184 LV : tretaulde (Au vers 396, Lagny répond à Virelinquin.) Les refrains de ce triolet ne sont même pas identiques ! 185 Partagée en deux. On veut lui enlever un testicule ; dans beaucoup de fabliaux et de nouvelles, les moines paillards perdent les deux. 186 Division, amputation. 187 LV : est 188 LV : ocupe (Découper : trancher chirurgicalement.) 189 Le souper. 190 Pour que nous fassions la paix avec lui. 191 Acquitté. 192 Qui n’était pas concerné par cette affaire. 193 Pris. 194 Qui se mêlent des affaires des autres. 195 Et même un troisième. 196 Sentence immédiate. « Sage est le juge qui escoute, & tard juge ; car de fol juge, brièfve sentence. » Anthoine Loisel.