TROYS PÈLERINS ET MALICE
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TROYS PÈLERINS
ET MALICE
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Cette « farce morale1 » est en fait une sottie. Comme toutes les vraies sotties, elle donne la parole à un trio de Sots. La pernicieuse Malice veut les conduire en pèlerinage chez Désordre. Le mot « malice » avait un sens beaucoup plus négatif qu’aujourd’hui, en référence au Malin, au diable ; voir les Sotz fourréz de malice.
L’œuvre fait allusion à des événements de 1535. Elle est donc contemporaine d’une autre sottie normande conservée dans le même manuscrit, les Sobres Sotz, qui pourrait être du même auteur anonyme.
Source : Manuscrit La Vallière, nº 67.
Structure : Rimes plates, avec 4 triolets, et un douzain d’hexasyllabes en rimes croisées.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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Farce moralle de
Troys Pèlerins
et Malice
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[MALICE], qui commence 2 SCÈNE I
Où sont ces pèlerins des maulx3 ?
Veulent-il poinct suyvre Malice
Par chans, vi[l]ages et hameaulx ?
Où sont ces pèlerins des maulx ?
5 Quoy ! veulent-il estre énormaulx4 ?
Sortez, ou g’y métray police5 !
Où sont ces pèlerins des maulx ?
Veulent-y poinct suyvir Malice ?
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LE PREMYER PÈLERIN NOMMÉ SCÈNE II
Quant à moy, j’en tendray6 la lice,
10 Car je ne [m’en] saroye tenir7.
LE IIe PÈLERIN
Aussy la veulx-je « entretenir » ;
Je ne le veulx pas aultrement.
LE IIIe PÈLERIN, BADIN 8
Ne moy aussy pareillement.
Et sy, ne suys pas sy jénin9
15 Que je ne fache10 du chemin
Au millieu11 de la compaignye.
MALICE
[Quoy ?] Que dis-tu ?
LE IIIe [PÈLERIN] 12
A ! je renye
Sy je faulx13 à courir, troter
Pour le voyage descroter14 !
20 Car j’ey vouloir, de ma nature,
Faire voyage à l’avanture ;
Ne me chault sy je me forvoye15.
LE PREMYER PÈLERIN
Premyer que de se16 metre en voye,
Chantons !
LE IIe PÈLERIN
Mais en nous esbatant,
25 Chemynons tousjours en chantant !
LE PREMYER PÈLERIN [chante]
Vélà bien alé ! Sus avant !
Marchons et nous métons en ordre17 !
MALICE 18
Or, alons pour voir la Désordre19
Qui se faict maintenant au monde !
LE IIIe PÈLERIN
30 Ne me chault, mais que j’aye à mordre20.
Or, alons [pour voir à la Désordre]21 !
MALICE
Ces22 bras et jambes fault destordre23.
LE PREMYER PÈLERIN
Or chemynons !
LE IIe PÈLERIN
Alons comme une onde24 !
LE IIIe PÈLERIN
Or, alons pour veoir la Désordre
35 Qui se faict maintenant au monde !
MALICE
Sus dont, alez !
LE PREMYER PÈLERIN
Comme une aronde25.
Mais en alant, veulx bien sçavoir
En quel lieu on26 la pourons veoir,
Et comment el est convertye27.
MALICE
40 Taisez-vous, je suys avertye28 :
Premyèrement, says les contrés29
Où plusieurs se sont acoustrés
Et estat de fémynin gerre30.
LE IIIe PÈLERIN
A ! ce ne sont poinct gens de guerre,
45 Ne vray[s] supos du dieu Bacus31,
Car ilz ne bataillent q’aulx cus32.
[ Comment ilz sont fort embridés !
Par Nostre Dame ! ilz sont bridés ]33
Comme ces barbes34 morfondus
50 Qui sont demy mors et fondus
D’estre senglés parmy les rains.
Ces hanteurs35 de chemins forains,
Ces coquars afulés en gresne36,
Désordre les tient [c]y en renne37
55 Comme un trupelu38, un mymin
Qui veult devenir fémynin.
C’est envers eulx qu’elle se tient39.
LE IIe PÈLERIN
C’est mon40 ! Désordre se maintient
Avec telz gens, dont j’en arage41.
LE IIIe PÈLERIN
60 Il est de trop lâche courage42,
Qui43 se contrefaict et desguise.
LE PREMYER PÈLERIN
Or çà ! n’est-el poinct à l’église44 ?
MALICE
Ouy, car ceulx de « Religion45 »
Veulent tenir sa région46.
65 Et mesmes grans histoyrïens47
Veulent estre luthérïens ;
N’esse pas Désordre, cela ?
LE IIe PÈLERIN
Ouy, sceurement !
LE IIIe PÈLERIN
Et puys voylà
Pourquoy vient yver en48 esté,
70 Qui nous maintient en pauvreté,
Et de quoy le grand maleur vient.
Mais vrayment, quant [il] me souvyent49,
Justice la détient-el poinct50 ?
MALICE
Quoy donc51 !
LE PREMYER PÈLERIN
Sainct Jehan ! voy(e)là le poinct :
75 Je veulx venir à cest endroict52.
MALICE
Justice faict [ou] tort, ou droict,
Voyre, mais c’est à qui el veult.
LE IIe PÈLERIN
On veoyt mainct pauvre qui s’en deult53.
LE IIIe PÈLERIN
On voyt mainct riche qui s’en rit.
LE PREMYER PÈLERIN
80 Par argent, Justice s’esmeult54.
LE IIe PÈLERIN
On veoyt mainct pauvre qui s’en deult.
LE IIIe PÈLERIN
On veoyt qui à grand paine peult
Se nourir, qui aultre nourist55.
LE PREMYER PÈLERIN
On veoyt mainct pauvre qui s’en deult.
LE IIe PÈLERIN
85 On veoyt mainct riche qui s’en rit,
Et tel qui en terre pourit :
Et c’est du tort qu’on luy a faict.
MALICE
Que vous en semble ?
LE IIIe PÈLERIN
C’est très mal faict.
MALICE
C’est Désordre, n’est pas ?
LE PREMYER PÈLERIN
Ouy, ouy !
90 De l’Estat, nul n’est resjouy ;
Un jour, à l’Audictoyre56, on faict
Des choses de [bien] grand éfaict
Qui sont quelquefoys cavilleux57.
Faire un exploict bien mervilleux.
LE IIe PÈLERIN
95 L’on58 juge ce cas périlleux ;
Mais de peur d’en estre hérité59,
Y fault juger la Vérité :
Ainsy, Désordre sera mise
Hors de ceulx qui l’airont submise60
100 Et entour d’eulx entretenue.
LE IIIe PÈLERIN
Or çà ! Ne s’est-el(le) poinct tenue
En marchandise61 ?
MALICE
[Où n’est-el]62 don !
LE PREMYER PÈLERIN
Pencez-vous qu’el en ayt pardon63,
Sy Désordre ne s’en retire ?
LE IIe PÈLERIN
105 Ma foy, nénin ! Et pour vous dire,
Les faulx sermens, les tricheryes,
Les regnymens, les tromperyes,
Les moqueryes64 et faulx marchés
Qui se font sont tant [myeulx] cachés
110 Entour Désordre.
LE IIIe PÈLERIN
Dont je dis
— Et croys — que Dieu de paradis
Se course à nous65 de telle afaire.
LE PREMYER PÈLERIN
Il est vray.
LE IIe PÈLERIN
Çà ! il fault parfaire66.
En quel lieu peult-el encor estre ?
MALICE
115 Je vous le feray acongnoistre
Devant que de moy séparer67.
LE IIIe PÈLERIN
Ne se faict-el poinct aparoir68
En guerre, par terre ou par mer ?
MALICE
Et quoy donc ! Mainct faict inhumer69
120 Loing d’une église ou cymetière,
Et sans faire confessïon entière ;
Et fault qu’i meurent en ce lieu,
Ouy, sans souvenance de Dieu
Ne de sa Mère, rien quelconques70.
LE PREMYER PÈLERIN
125 A ! vrayment c’est Désordre, donques :
En son71 cas n’a poinct d’amytié.
LE IIe PÈLERIN
Mais voicy où est la pityé72 :
Quant ce vient à donner les coups,
Ceulx-là qui sont les myeulx secous73,
130 Bras coupés, jambes avalés74,
C’est la Désordre, allez, alez !
Dont vérité [je] vous confesses :
Je ne veulx gu[e]rrïer75 qu’aulx fesses,
[Abatre une]76 bonne vendenge,
135 Que soufrir sy grosse lédenge77
D’estre en ce poinct martirisé.
LE IIIe PÈLERIN
En la fin, nul n’en est prisé
De hanter guerre.
LE PREMYER PÈLERIN
A ! j’espères,
Sy on [s’en] va sur les luthères78,
140 Employer ma langue pour dire
Que bien tost leur convyent desdire79 ;
Ou, par moy80, sans qu’ilz ayent remors,
De par mes mains seront tous mors !
Et puys y s’en repentiront,
145 [Ces breneulx]81. Il en mentiront,
De ce qu’i veulent metre sus82.
LE IIe PÈLERIN
En la fin, en seront déceups83.
LE IIIe PÈLERIN
Je le voyer[oy]s volontiers84 !
Mais sur les chemins et sentiers
150 D’Amours, y pouroit-on trouver
Désordre ?
MALICE
Ouy, ouy !
LE PREMYER PÈLERIN
Y [le] fault prouver,
Afin qu’en ayons congnoissance.
MALICE
Depuys le jour de ma naissance,
En amours je l’ay veue85 régner.
LE IIe PÈLERIN
155 C’est donc mal faict de nous mener
En tel voyage, mes amys.
MALICE
Quant on a en amours promys
Et la promaisse ne tient poinct,
Désordre y est.
LE IIIe PÈLERIN
Voicy le poinct.
160 Et sy la femme, d’avanture,
Est mauvaise de sa nature86,
Qu’el veuille fraper ou mauldire,
Ou le povre sot escondire :
C’est Désordre, n’est pas, aussy ?
LE PREMYER PÈLERIN
165 Ouy, vrayment !
LE IIe PÈLERIN
Je le croys ainsy.
Au moins, assez souvent m’y nuict.
LE IIIe PÈLERIN
Et sy l’amant, sur la mynuict,
Est à trembler87 parmy la rue,
Et que sans cesser son œuil rue
170 Vers la fenestre, fort pensant,
Baisant la la cliquète88 en passant,
En danger d’engendrer les mulles89 ;
Et d’amours n’a nouvelles nulles,
Synon qu[’a] — la chose est certaine —
175 Bien souvent, la fièvre cartaine90.
C’est Désordre ?
MALICE
C’est mon, ce croi-ge.
LE PREMYER PÈLERIN
Et davantage91… Le dirai-ge ?
MALICE
Que feras-tu don ? Ne crains rien(s) !
LE PREMYER92 PÈLERIN
Sy le mary se doubte bien
180 Que sa femme face un amy :
N’est-il pas bien sot et bémy93
De s’en couroucer tellement
Qu’il en perde l’entendement
Tant que son bon sens soyt osté ?
LE IIIe PÈLERIN
185 Y doibt faire94 de son costé,
Pour éviter plus grans dangers.
LE PREMYER PÈLERIN
Aussy messieurs les estrangers :
Y sont tousjour[s] myeulx soutenus,
Entretenus et bienvenus,
190 Mille foys plus que nos voésins
Dans95 les pays circonvoysins.
Désordre y est-el(le) pas ?
LE IIe PÈLERIN
Quoy donques !
Je n’ay veu nul pays quelconques
Où on leur face ce qu’on faict96.
LE IIIe PÈLERIN
195 Vous en voirez l’air sy infaict97
Qu’en la fin en aurons dommage.
MALICE
Or, achevons nostre voyage.
Mais retenez tous ces notas98,
Que Désordre est en tous estas99.
200 Sus ! récréons-nous un petit
De chanter !
LE PREMYER PÈLERIN
J’en ay apétit.
LE IIe PÈLERIN
Et aussy, pour nous resjouir,
Chantons !
LE IIIe PÈLERIN
Sus, faisons-nous ouïr !
Ilz chantent.
LE PREMYER PÈLERIN
Sy j’estoys tout prest d’enfouyr100,
205 De joye seroys res[s]ucité.
LE IIe PÈLERIN
Gectons hors toute a[d]versité !
LE IIIe PÈLERIN
Gectons hors ennuy et soulcy !
LE PREMYER PÈLERIN
Soulcy n’est que simplicité 101.
LE IIe PÈLERIN
Gectons hors toulte advercité !
LE IIIe PÈLERIN
210 Chascun de nous soyt incité
De chanter !
LE PREMYER PÈLERIN
Je le veulx ainsy.
LE IIe PÈLERIN
Gectons hors toulte advercité ! 102
LE IIIe PÈLERIN
Gectons hors ennuy et soulcy !
MALICE
Devant que vous partez d’icy,
215 Sy voirez-vous Désordre en poinct.
LE PREMYER PÈLERIN
Chantons ! On ne la voullons poinct103 !
MALICE
Qui commence et ne veult parfaire104,
C’est mal faict. Voulez-vous pas faire
Le voyage qu’avez emprins105 ?
LE IIe PÈLERIN
220 Nénin !
MALICE
Vous en serez reprins106 !
Et maintenant, serez surprins
De Désordre : vous [la voirez]107 !
LE IIIe PÈLERIN
Sortez d’icy, car vous errez108 !
Nous ne voulons poinct de Désordre,
225 Et [vous trouverez qu’on peult]109 mordre !
Sus, sus, chantons myeulx que devant ! [Il chante :]
Arière, vilain ! Avant 110, avant !
Ilz chassent Malice.
SCÈNE III
LE PREMYER [PÈLERIN] rentre, abillé en
Désordre111, qui dict :
Malice112 est embûchée
Non pas [bien] loing d’icy.
230 El est mal embouchée :
C’est sa nature, aussy.
Mais tout incontinent,
Chascun de nous labeure113
— Sans estre impertinent —
235 De la gecter au feurre114 !
Malice soyt cachée115
D’entre nous sans mercy,
Ou qu’el soyt esmouch[é]e116 !
Sans faire demourée
240 On le voulons ainsy.
LE IIe PÈLERIN
C’est bien dict ! Marchons sur la brune117,
Et parlons des mengeurs de lune118,
Qui119 ont mengé mainct bon repas
Et ne séroyent marcher un pas120,
245 Synon « danser121 » aveq fillète.
Ce sont ceulx qui Désord[r]e ont faicte
Et f[er]ont tousjours. Mais argent
Les maintient en leur entregent122.
L’un saillet, l’aultre regibet123 ;
250 Mais ne vous chaille : le gibet
Sonnera tousjours son bon droict,
[Qui met les choses à leur droict.]124
En prenant congé de ce lieu,
Une chanson pour dire adieu !
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FINIS
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1 Dans sa table des matières, le copiste va même jusqu’à nommer cette pièce Moralité. 2 Elle est devant la maison des trois Sots. 3 De malheur. Calembour sur les pèlerins d’Emmaüs, qu’on prononçait émo : « Au plus fort de mes maulx (…),/ Dieu, qui les pèlerins d’Esmaus/ Conforta. » Villon. 4 En dehors de la norme : être les seuls à ne pas suivre Malice. 5 Sortez de votre maison, ou j’y mettrai bon ordre. 6 Tiendrai (normandisme). Je combattrai pour Malice. Mais « tenir la lice » = se livrer à un combat érotique : « Petiz tétins, hanches charnues,/ Eslevées, propres, faictisses/ À tenir amoureuses lices. » Villon. 7 Je ne pourrais pas me retenir, m’en empêcher. C’est le vers 155 des Femmes qui font refondre leurs maris, avec le même sous-entendu grivois. 8 Les rôles de Badins, sortes de demi-fous, se distinguent des rôles de Sots : les Sobres Sotz confrontent 5 Sots et un Badin. 9 Si niais. Cf. les Botines Gaultier, vers 138 et 438. Mais beaucoup de Badins se nomment réellement Jénin : « Jénin-ma-Fluste, Badin. » Satyre pour les habitans d’Auxerre. 10 Que je ne fasse : au point de ne pas faire. La chuintante est normande : « Car encor que je fache une grande despense. » La Muse normande. 11 LV : milleur (Au milieu.) Que je ne vous dépasse tous. 12 Je compléterai tacitement les rubriques abrégées par le copiste. 13 Je renie Dieu si je manque. 14 Expédier rapidement. « Beau despescheur d’Heures, beau desbrideur de messes, beau descroteur de Vigiles. » Gargantua, 27. 15 Si je me fourvoie, si je me trompe de route. 16 LV : me (Avant qu’on ne se mette en route.) 17 « Marchons et nous ostons d’icy ! » (Seconde Moralité.) Les pèlerins se mettent en route au rythme d’une marche militaire, qui n’a pas été conservée. 18 LV : le iie (C’est Malice qui sait où se trouve Désordre, et qui propose d’aller en pèlerinage vers elle.) 19 Ce personnage allégorique est ici représenté par une femme. Le mot désordre était rarement féminin. 20 Peu m’importe, du moment que j’ai à manger. 21 LV attribue ces mots à Malice, alors que les refrains 28 et 34 tiennent en un seul vers. 22 LV : cens (Ces = vos. « Faites ces mains chasser aux lièvres…./ Ployez ces genoulz. » Le Capitaine Mal-en-point.) 23 LV : desteurdre (Il vous faut déployer vos bras et vos jambes.) 24 Aussi vite que l’eau qui coule. 25 Aussi vite qu’une hirondelle. Cf. Frère Frappart, vers 136. 26 Nous. Même normandisme aux vers 216 et 240. 27 À quoi elle ressemble. Double sens : convertie au protestantisme. 28 Je m’y connais. 29 Je connais les contrées. 30 Genre. « Esse à vous à congnoistre/ Que c’est que du féminin gerre ? » (Les Brus.) La sottie dénonce d’abord le désordre sexuel : les femmes règnent sur des hommes efféminés. François Ier vivait dans une mollesse tout italienne, dominé par sa favorite, Anne de Pisseleu, et surtout par sa mère, Louise de Savoie, qui fut plusieurs fois régente du pays. Voir la préface d’Émile PICOT : Recueil général des sotties, t. II, pp. 299-303. 31 Ni des bons buveurs. « Car y sont supos de Bacus. » Troys Galans et un Badin. 32 Les courtisans efféminés ne s’intéressent qu’aux culs. Jeu de mots sur « cocus ». 33 Il y a ici une lacune qui décrit le corsetage androgyne des courtisans. Je la comble grâce aux vers 425 et 426 des Femmes qui plantent leurs maris. 34 Ces chevaux de Barbarie. « Va tirer mon barbe de l’estable ! » (Godefroy.) Mais la plus célèbre barbe de l’époque était celle de François Ier ; voir la note d’Édouard FOURNIER : le Théâtre français avant la Renaissance, p. 407. 35 LV : senteurs (« Hanteurs de tavernes. » Godefroy.) Les chemins forains sont des chemins à l’écart où des homosexuels peuvent se rencontrer. 36 Ces frimeurs affublés de vêtements écarlates. « Deux paires de fines chausses, dont les unes sont de graine. » ATILF. 37 En rêne, en bride. 38 Un naïf ; cf. le Cousturier et son Varlet, vers 204. Un mimin est un sot ; cf. le Monde qu’on faict paistre, vers 189. 39 On appelait la sodomie le « péché désordonné ». 40 C’est mon avis. Idem vers 176. 41 Ce qui me fait enrager. Cf. le Temps-qui-court, vers 238. 42 Il a un cœur lâche. « Ung homme de laische couraige. » Régnault qui se marie. 43 LV : quil (Celui qui se travestit.) 44 Désordre n’a-t-elle pas perverti l’Église ? 45 De la religion réformée. « Ceulx de religion s’estoient saisiz de la ville et tuent les catholicques. » Consulat de Lyon. 46 Son fief. « Il seroit moult bien digne de tenir région. » ATILF. 47 Les raconteurs d’histoires. 48 LV : y (Pourquoi nous avons eu du mauvais temps cet été.) En 1535, la pluie endommagea les récoltes, qui sont la richesse du pays : « L’année fut si pluvieuse, et furent les blédz et vignes coulléz. » Cronique du roy Françoys, premier de ce nom. 49 Maintenant que j’y pense. « Touteffoys, quant il me souvient. » Les Femmes qui se font passer maistresses. 50 Justice (autre personnage allégorique) n’a-t-elle pas emprisonné Désordre ? 51 Et comment donc ! Aujourd’hui, nous dirions : « Ben voyons ! » Idem vers 119 et 192. 52 Je veux parler de cela. 53 Qui s’en plaint, verbe douloir. 54 Se met en branle. 55 Il s’agit des paysans. « On a trouvé, en bonne politique, le secret de faire mourir de faim ceux qui, en cultivant la terre, font vivre les autres. » Voltaire. 56 Au Parlement. 57 Trompeuses. « Chose » était parfois masculin. 58 LV : son 59 LV : irite (Être hérité de = Devoir supporter les conséquences. « Le mary ne faict que songier,/ Tant est hérité de soucy. » Les Ténèbres de mariage.) 60 Hors d’atteinte de ceux qui l’auront soumise. 61 Désordre ne se tient-elle pas dans le commerce ? 62 LV : quest elle 63 Que le commerce puisse obtenir le pardon. 64 Les duperies. 65 Se courrouce contre nous. « Je croy que Dieu soyt yrité/ De nos fais. » L’Avantureulx. 66 Il faut en finir. 67 Avant que vous ne vous sépariez de moi. 68 Désordre ne se fait-elle pas voir. 69 Désordre fait inhumer maint homme loin de chez lui. Allusion aux guerres d’Italie, où des Français meurent pour rien. 70 Rien du tout. Cf. le Pourpoint rétréchy, vers 409 et 568. 71 LV : ce (Dans son cas il n’y a aucune excuse.) 72 La chose la plus pitoyable. Le scribe met ce vers entre deux +, comme il le fait quand il veut déplacer un vers. 73 Les plus secoués, malmenés. Cf. les Trois amoureux de la croix, vers 457. 74 Cassées. « À l’un faisoit voler le bras, à l’autre la teste. L’un tombe, une jambe avalée. » Claude Colet. 75 Guerroyer, au sens érotique. Cf. la Nourrisse et la Chambèrière, vers 338. 76 LV : a batre uin (Boire du bon vin. « De bonne vendange : de bon vin. » Antoine Oudin.) Dans le même sens, on disait également : « Abattre la rosée. » 77 Injure. Cf. les Sobres Sotz, vers 101. 78 Si on va faire la guerre aux luthériens. Cf. Thévot le maire, Perruche sa femme, et Colin Gendeguerre leur fils, lequel s’en va sur les Turcz. 79 Qu’ils ont intérêt à abjurer bien vite. 80 LV : la (Par mon œuvre.) 81 LV : ses bronaulx (Ces merdeux se repentiront d’être morts.) 82 Mettre sur pied une armée. 83 Déçus, bien attrapés. 84 Je verrais cela avec plaisir. « Je le verrois voluntiers ! » La Résurrection de Jénin Landore. 85 LV : faict (J’ai vu Désordre régner sur les choses de l’amour. « Le mauvais exemple des désordres que nous y avons veu régner en nostre temps. » François Hédelin.) 86 « Elle est de nature maulvaise. » Les Femmes qui font refondre leurs maris. 87 Tremble de froid sous la fenêtre de sa belle. 88 Les amants ont coutume d’embrasser le heurtoir pendu à la porte de leur maîtresse. Cf. le Sermon pour une nopce, vers 176 et note. 89 D’attraper des engelures aux talons. Cf. les Sotz escornéz, vers 57. 90 Si ce n’est qu’il attrape une fièvre quarte. 91 Et en plus. Sous la chape de plomb que fut le règne de François Ier, même les Sots* hésitaient à s’exprimer : « Je le diroys bien, mais je n’ose,/ Car le parler m’est deffendu. » (Les Sobres Sotz.) *Voir la note 48 du Jeu du Prince des Sotz. 92 LV : iie (Le 1er Pèlerin termine sa phrase.) 93 Stupide (mot normand). « Ce grand bémy, ce sotelet. » La Veuve. 94 Il doit faire la même chose : être infidèle. « C’est tout un, s’il prend sa lifrée/ De son costé, et moy du myen. » Lucas Sergent. 95 LV : ne (Mille fois mieux que nos proches voisins ne le sont dans les pays frontaliers de la France.) 96 Où on les traite si bien. Ce reproche vise les Italiens, qui se comportaient chez nous en arbitres des élégances. Les Sobres Sotz déplorent qu’en France, on laisse mourir de faim « le commun [l’autochtone], et non l’estranger ». 97 Vous verrez que l’air sera si infecté par les étrangers. « De telz gens, l’air en est infaict. » (Les Langues esmoulues, LV 65.) Les vers 187-196 sont d’une actualité brûlante. 98 Ces remarques. 99 A investi tous les domaines. 100 Si j’étais à l’article de la mort, près d’être inhumé. Cette chanson n’est pas connue. 101 LV : mendicite (N’est qu’une preuve de simplicité d’esprit, de bêtise. « Mais ce n’est que simplicité/ D’y penser. » Livre d’Amours.) 102 LV intervertit les refrains 212 et 213 de ce triolet. 103 Nous ne voulons pas la voir. Le 1er Pèlerin s’esquive derrière le rideau de scène afin de se déguiser en Désordre. 104 Celui qui commence et ne veut pas achever. 105 LV : comprins (Que vous avez entrepris. « Le saint voiage avez empris. » ATILF.) 106 Repris, blâmés. « Et jamais n’en serez reprins. » Les Vigilles Triboullet. 107 LV : le voieres 108 Vous faites erreur, vous déraillez. « On dit qu’errez contre la loy. » Jeu du Prince des Sotz. 109 LV : a la fin vous trouuers quon ne peul (Et vous allez constater que nous pouvons mordre.) 110 LV : ariere (Refrain de la chanson anonyme Et quant je suys couchée, publiée en 1532 : « Arière, villain ! Avant, avant !/ Je pleure et maulditz l’heure/ De quoy le villain vit tant. ») 111 Ce déguisement ne coûte pas cher : il suffit de créer du désordre dans ses habits et sa coiffure pour que les spectateurs comprennent le symbole. 112 LV : desordre (D’après le vers 236, le pèlerin parle de Malice, qui se cache à proximité.) Embûchée = embusquée. 113 Que chacun de nous s’évertue. 114 LV : vent (Sur la paille d’un cachot. On dit aussi : « L’envoyer fouler le foin. » Les Premiers gardonnéz.) 115 Chassée (prononciation normande). « Ses ennemys/ Le cachoyent [le chassaient] à grans coups d’espée. » Le Poulier à quatre personnages. 116 Battue. « Pensons de courir/ Devant que quelc’un nous esmouche ! » (Godefroy.) On pourrait traduire émoussée : « Vitement qu’el soyt esmouquée ! » Les Langues esmoulues, LV 65. 117 À la tombée du soir. Cf. les Botines Gaultier, vers 538. 118 Des profiteurs. « Menger la lune à belles dens. » Les Sobres Sotz. 119 LV : quilz 120 Et qui ne sauraient faire un pas, car ils sont ivres. 121 Pour copuler. « À dancer dehors quelque ‟dance”,/ En esté, avec ces fillètes. » La Fille esgarée. 122 Dans leur familiarité avec les grands. 123 Tels des chevaux, l’un sautait, l’autre ruait. 124 Lui qui remet les choses en ordre. « Je suys Ordre,/ Qui mets les choses à leur droict. » (Le Monde qu’on faict paistre.) Notre copiste a remplacé le dernier vers par le distique dont il signe la plupart des pièces du ms. La Vallière.
LES DROIS DE LA PORTE BODÉS
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LES DROIS DE
LA PORTE BODÉS
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La Porte Baudais fut d’abord une des entrées de l’ancien rempart qui protégeait Paris. Au début du XVIe siècle, l’époque qui nous intéresse, elle abritait un marché, et sa promenade était un lieu de rendez-vous bien connu : « Cela est plus commun, en France, / Qu’à Paris la Porte Baudés. » (Moral de Tout-le-Monde.) Jadis, pour vendre sous cette porte, les poissonniers payaient un droit qu’ils estimaient déraisonnable et injuste, et qui passa en proverbe pour critiquer les aberrations de la justice : « Il fut bien fondé à raison, / Le droit de la Porte Baudaiz ! » (Les Menus propos.) La farce que nous allons lire feint de croire que ce droit injuste est une nouvelle loi qui donne systématiquement raison aux femmes contre les hommes. Le juriste misogyne Guillaume Coquillart s’effarouchait déjà d’une telle perspective1 :
Advisé me suis, au matin,
De vous lire des droytz nouveaulx.
Droytz nouveaulx, droytz espéciaulx,
Droys dont on use par exprès.
Ce ne sont pas droytz fériaulx,
Les droys de la Porte Baudais !
Nenny non : ce sont droytz tous frays,
Droitz de maintenant, bref et court,
Par les mondains du temps qui court….
Ce droit deffend à povre, à riche,
De laisser, par longues journées,
Povres femmelettes en friche
Par faulte d’estre labourées.
Et tout le reste à l’avenant. Ailleurs2, le même Coquillart donne ainsi la parole aux femmes :
Nous avons pour nous, sur ce pas,
Loys, chappitres gros et menus,
La règle de droit, au surplus….
Ce sont des paraphes nouveaulx
Du droit de la Porte Baudet.
Il n’était pas rare qu’un acteur joue deux rôles distincts dans une même pièce. Nous en avons la preuve grâce aux quelques Mystères qui nous ont conservé le nom des comédiens face au nom des personnages qu’ils interprétaient. On appliqua ces restrictions de personnel à certaines farces : le Premier Voisin de l’Homme à mes pois, ayant fini sa prestation, revient sous le déguisement d’un Vicaire. Mais le régisseur et le copiste n’ont pas pris la peine de noter le nom du Vicaire dans les rubriques, destinées aux interprètes, et ils s’en tiennent au Premier Voisin. Nous constatons le même cas de figure et le même défaut de notation dans la présente farce : le comédien qui tient le petit rôle du Galant puis le rôle capital du Juge n’est inscrit que pour ce dernier. J’ai rendu au Galant les deux tirades qu’il prononce.
Source : Recueil de Florence, nº 20. Ce recueil comporte deux autres farces qui font mine d’accorder aux femmes des droits égaux — voire supérieurs — à ceux des hommes : les Femmes qui se font passer Maistresses (F 16), et les Femmes qui aprennent à parler latin (F 17).
Structure : Rimes abab/bcbc, rimes plates, avec 1 triolet.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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Farce nouvelle trèsbonne des
Drois de la Porte Bodés
& de fermer l’huis
*
À quatre3 personnages :
[ LE SAVETIER
LA FEMME
LE GALLANT
LE JUGE ]
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LE SAVESTIER commence 4 SCÈNE I
Dieu gard tous ceulx de nostre office5
Et les autres pareillement !
C’est ung mestier bon et propice,
Mais c’on y gai[g]nast de l’argent.
5 J’ay telle soif, par mon serment !
[Mais je n’ose]6 boire servoise :
Quant j’en boy, elle fait tel noise
En mon ventre que c’est merveille.
S’une fois le vin les7 réveille,
10 Sav[e]tiers seront riches gens.
Il me fault estre diligens
Devers mon hostel me retraire8.
Il me semble que j’os jà braire9
Ma femme, et [si]10, en suis bien loing.
15 Dieu sçait comme j’auray du groing11,
Maiz que venir elle me voye.
Elle dira : « Bien froide joye12
Puissiez-vous avoir des genoux ! »
Et je diray : « Saint Jehan, mais vous ! »
20 Mais ce sera tout bellement13,
Qu’elle ne m’oye : car vrayment,
Se une foiz m’avoit ouÿ,
Mieulx me vauldroit estre enfouy14.
Elle est si malle15 que c’est raige !
.
25 Çà ! il fault faire mon ouvr[a]ige SCÈNE II
Affin de gaigner ma journée.
Que nostre feu fait de fumée !
Il m’enfume toute la teste ;
Mais qu’a-il à fumer ?
LA FEMME
Hé, beste
30 Que vous estes ! Si a couvert16 :
C’est pour cest huis qui est ouvert,
De derrière, par telle guise
Que le froit vent qui vient de bise
Souffle céans de tous costés.
LE SAVETIER
35 Allez le fermer !
LA FEMME
Escoutez,
J’ay bien autre besongne à faire.
Mais vous, c’est vostre droit affaire.
LE SAVETIER
Allez le farmer17, je vous prie.
LA FEMME
Non feray, par saincte Marie !
40 Je ne suis pas encor(e) si serve18.
Et ! cuidez-vous que je vous serve
Comme ung prince ? Vous n’avez garde19 !
LE SAVETIER
Faictes donques que le feu arde20,
Je ne puis laisser ma besongne.
LA FEMME
45 Et j’ay à filler ma quelongne21,
Qui me touche22 bien d’aussi près
Que vostre ouvrage.
LE SAVETIER
Or sus ! après,
Il fault que l’ung de nous y voise23,
Ou certes il y aura noyse.
50 Je le vous dy à ung mot ront24.
LA FEMME
Il ne m’en chault pas d’ung estront25 !
Et ! te26 cuide-tu faire craindre ?
Quel hoste, [qui me]27 veult contraindre
Qu’aille fermer l’huis de derrière !
55 Louez28 varlet ou chambèrière,
De par Dieu ou de par le dyable !
Je suis assez femme notable
Pour tenir varlet ou servante.
LE SAVETIER
Se ne le fermez, je me vante
60 Que vous vous en repentirez !
LA FEMME
Par la croix bieu, vous mentirez29 !
Qui, moy, que je fermasse l’uys ?
Ainsy meschante30 que je suis,
J’aymeroye mieulx estre assommée !
LE SAVETIER
65 Que bon gré bieu de la fumée !
Je me gâte tous les deulx yeulx.
Allez fermer l’uys, pour le mieulx,
Ains qu’il y ayt plus orde feste31 !
LA FEMME
Puisqu’i m’est monté en la teste32,
70 Se33 les yeulx vous devoient crever,
Si ne me pourroye lever.
Ne vous y attendez pas qu’i voise.
LE SAVETIER
Par ma foy ! le cul trop vous poise34,
Ou c’est paresse qui vous tient.
LA FEMME
75 Et à vous, coy ?
LE SAVETIER
Pas n’apartient
Q’ung homme s’abesse à sa femme :
On me réputeroit infâme
Devant Dieu et devant le monde.
Vas le fermer !
LA FEMME
On me confonde
80 Se g’y voys35 ne se je le ferme !
Mais allez-y !
LE SAVETIER
Je vous afferme
Que se plus m’en faictes parler,
Je vous y feray bien aller.
Vas fermer cest huis !
LA FEMME
Non feray !
LE SAVETIER
85 Non feras ?36
LA FEMME
Non !
LE SAVETIER
[Donc, je verray]37
Se tu seras mestresse ou non.
Sui-ge point homme de renon ?
Va tost fermer cest huis !
LA FEMME
Mais toy !
LE SAVETIER
En grant paine vit, par ma foy,
90 Qui ne peut jouir38 de sa femme.
Va tost fermer cest huis !
LA FEMME
Mais toy !
Tu yras, se tu veulx, toy-mesme.
LE SAVETIER
Esse tout ?
LA FEMME
Ouÿ, par mon âme !
Je le vous dis sans point de fable39.
LE SAVETIER frappe.
95 Farmez cest huis, de par le diable !
Je le vous ay tant de fois dit !
LA FEMME
Ha ! que de Dieu soyes mauldit !
M’as-tu frappé, villain [mastin]40 ?
Foy que je doy à saint Martin,
100 Mieulx te vaulsist41 estre à Boulongne !
Tu sentiras se ma quelongne42
Porte bon son pour toy43 esbatre.
LE SAVETIER
Haro, ma femme me veult batre !
Au meurdre44 ! À l’aide, bonnes gens !
[LA FEMME]
105 Et ! me batras-tu ?
LE SAVETIER
Je me rends,
Par ma foy, et mercys vous crie !
Mais d’une chose je vous prie,
Pour garder l’onneur de nous deux :
Que criez ung cry très hideux ;
110 Et les voisins qui vous orront
Si hault crier, ilz cuideront
Que je vous bats45, entendez-vous ?
Mais quoy ! j’endureray les coups
Paciamment, soit droit ou tort46.
LA FEMME
115 Je vous entens bien.47 « À la mort !!
Au meurdre !! Mon mary me tue !!
S’on ne m’aide, je suis perdue !!
Ha, le mauvais !! Ha, le truant !!
Me turas-tu, dy, chien puant ?
120 Las48, la teste il m’a assommée !! »
LE SAVETIER
Dyable y ait part, à la fumée !
Par Dieu ! le cueur me disoit bien
Qu’il n’en povoit venir nul bien ;
Et trèsbien m’en suis apperceu
125 Par les horïons qu’ay receu49
Dessus la teste et sur le dos.
LA FEMME
C’est par50 nostre huys qui n’est pas clos.
Vous en fault-il tant sermonner ?
Jamais n’en deussiez mot sonner51.
130 Vous dictes bien qu’entre nous, femmes,
Caquetons tousjours ; mais52 vous-mesmes
Ne vous en povez pas tenir.
LE SAVETIER 53
L’espaulle m’en fait souvenir,
Je ne l’ay pas en oubly mis.
135 Çà ! Te feray ung compromis :
Quiconques premier parlera
D’entre nous deulx, l’uys fermera.
En estes-vous [pas] bien contente54 ?
LA FEMME
In Jhen55, ouÿ !
LE SAVETIER
Et mon entente56
140 Est que vous le fermerez donques.
LA FEMME
La cause ?
LE SAVETIER
Car je ne viz onques
La femme qui se peust passer
De caqueter ou de tencer.
Leur langue [est] – par saint Matelin57 –
145 Est comme le claquet58 du moulin :
Jamaiz nul jour n’est à repos.
LA FEMME
N’esse pas, à nostre propos,
Vous-mesmes qui l’avez conclus
Et préposé59 ? Vous parlez plus
150 Que je ne fois60 de la moitié.
LE SAVETIER
Or je vous pry par amitié
Que le premier qui dira mot,
Qu’il ferme l’huis tout aussi tost
Sans plus dire ne si ne quoy61.
LA FEMME
155 Je le veulx bien.
LE SAVETIER
Et [aussi] moy.
Or nous taison donc. Au surplus,
Ne me dictes mot.
LA FEMME
Il est conclus62.
(Que male mort vous puisse abatre !)
.
LE GALLANT 63 SCÈNE III
Il me convient aller esbatre
160 À Saint-Lorens, il est mestier64.
Je voy droit là ung savetier ;
Demander luy vois à court plet65
Par où g’iray, pour le plus net,
À Saint-Lorens.
.
Dictes, beau sire… SCÈNE IV
165 Respondez-vous point ?… Qu’esse à dire ?…
Hau ! mon amy, estes-vous sourt ?…
Par ma foy, il fait bien le lourt !
De malle fièvre soit-il oingt !
Je cuide qu’i ne m’entent point.
Le Savetier luy fait des signes du doy.
LE [GALLANT] dit :
170 Et ! vécy pour estre esbahis.
Il fait des signes, .V. ou .VI.66,
De ses dois. Pas n’entens cela.
Que devisent67 ces signes-là ?
[Tu ne sçays]68 parler hault, Huet ?
175 Ha ! je voy bien qu’il est muet ;
J’ay sans cause trop estrivé69.
In Jehan, je suis bien arrivé70 !
Et vous, ma doulce famelète :
Estes-vous, comme luy, muecte ?
180 Ou, se vous ne daignez parler,
Venez çà : il nous fault aller
Parler d’une chose secrète.
Car je vous tiens71 assez discrète,
Si sage, [si] plaine de soing,
185 Que pas ne fauldroit72 au besoing.
Venez après moy, s’il vous plaist.
LA FEMME
Ton corps soit mené au gibet,
Fol malostru, meschant coquart73 !
.
Il part bien74 que tu n’es qu’un paillart ! SCÈNE V
190 Et n’a mye tenu à toy
Que n’a fait son plaisir de moy,
Cest homme ; maiz il n’avoit garde !
Par ma foy ! quant je te regarde,
Tu ayme[s trop] mieulx estre infâme
195 Que d’avoir secourru75 ta fame
Aulcunement, pour la deffendre.
On te dev(e)roit la teste fendre,
Ou [te] gecter dedens ung puis76 !
LE SAVATIER
Par saint Jehan ! vous ferm[e]rez l’uys,
200 Car vous avez parlé premier77.
LA FEMME
Puisque je suis sur mon fumier78,
La croix bieu, je seray maistresse !
LE SAVETIER
Comment ? Vous avez fait promesse
Que le premier qui parleroit
205 D’entre nous deulx, l’uys fermeroit.
Je n’y entens ne fons ne rive79.
LA FEMME
Estrive80 hardiment, estrive :
Tu n’y gaigneras jà, à moy.
LE SAVETIER
Hé ! dame, tenez vostre foy81
210 Et faictes ce qu’avez promis,
Et obéissez à mes diz :
L’uys devez fermer, c’est raison.
LA FEMME
Non feray, n’en nulle saison
N’obéiray à ton affaire !
LE SAVETIER
215 Par saint Jehan ! si pourrez bien faire.
Hé ! belle dame, je vous prie,
Ou non82 de la Vierge Marie,
Que vous fermez l’huys83 de derrière.
Cela ne vous coustera guère(s).
220 C’est de droit, vous le savez bien.
LA FEMME
Par ma foy ! je n’en feray rien,
Ne jà n’obaïray à toy.
Ainçoys84, obéiras à moy,
Et feray pire que devant85.
LE SAVETIER
225 Bien vous feray passer avant86,
Et devant le juge venir !
Car je puis dire et maintenir
Que fermer devez l’uys par droit.
Si le fermerez orendroit87,
230 Et deusse88 cent escus despendre !
LA FEMME
Hé ! méchant, tu te dev(e)roies pendre :
Tu ne saur[o]ies finer d’ung blanc89.
LE SAVETIER
J’ay bon droit !
LA FEMME
Il ne90 sera franc,
On en verra l’expérience.
LE SAVETIER
235 Et ! par Dieu, dame, en [la] présence
Je vous cyte91 devant le juge,
Car à luy doit treuver92 refuge
Chacun, [que] par droit luy amende93.
LA FEMME
La cro[i]x bieu ! tu payras l’amende.
240 Et si, endureras de moy,
Entens-tu bien ?
LE SAVETIER
En bonne foy,
Tu auras don[c] bon procureur94 !
LA FEMME
Cuides-tu, meschant maleureux,
Que te craignes, ne ta puissance ?
245 Et ! je foiz ta95 malle méchance,
Qu’afluber te puist96, et abatre,
Et rompre le col !
LE SAVETIER
Quel emplaistre97 !
Venez-vous-en avecques moy.
LA FEMME
G’y seray aussi tost que toy.
250 Cuides-tu que j’e[n] aye peur98 ?
.
LE SAVETIER SCÈNE VI
Dieu vous doint bon jour, monsïeur99 !
Je vien icy plus100 que le cours
Devers vous, pour avoir secours,
Se c’estoit vostre bon pl[a]isir.
LE JUGE
255 Dire povez bien à loisir ;
Voulentiers vous escouteray.
LE SAVETIER
Monsïeur, je le vous diray.
Il est vray que j’ay fait fermaille101
Avecques ma femme, sans faille,
260 Que le premier qui parleroit,
D’elle ou de moy, l’huys fermeroit
Sans penser mal ne villenie.
LE JUGE
Est-il vray ?
LA FEMME
Pas je ne le nie.
LE SAVETIER
Je vous requiers qu’on la condampne !
LE JUGE
265 Ce seroit trop fait en béjaune102
À moy, de juger quelque chose
Se je n’entens et teste et glose103.
Esse tout ce que tu veulx dire ?
LE SAVETIER
Elle ne me fait que maudire
270 En disant « la fièvre cartaine
Vous tiengne en [très] male sepmaine »,
Monsïeur, plus de .XII. foiz.
LE JUGE
Cella n’est pas bon, toutesfoiz,
À bien trèstout considérer.
LE SAVETIER
275 Quant je luy dis « vas l’uys fermer »,
Elle dit que riens n’en fera.
De mauldire104 ne cessera
De « maleur » et de « malencontre »,
[Et] de « malle rage ». À l’encontre
280 De vous, monsïeur, ne soit dit !
Et veult, par son caquet mauldit105,
Estre mestresse comme moy.
LE JUGE
Elle est malle fame106 pour toy,
J’entens bien. Puisqu’il est ainsi,
285 Avant qu’elle parte de cy,
Il convient qu’elle soit pugnie.
Or çà ! que dicte-vous, m’amye ?
C’est raison que je vous escoute.
LA FEMME
Sire, ne faictes nulle doubte
290 Que [se] je n’aye premier parlé107,
Et mon mary bien ravallé
Pour luy remonstrer la falace108,
Force m’estoit que je parlasse :
Selon nostre droit et raison,
295 Les hommes, en toute saison,
Doivent estre sugès à nous109.
LE JUGE
Et dea ! desquelz droitz usez-vous ?
Dictes-le-moy, pour abréger,
Affin que je puisse juger :
300 Car ung homme, tant soit meschant,
Ne doit point estre obaïssant110
À sa femme se111 non en bien.
LA FEMME
Monsïeur, je vous diray bien
Quelz prévilèges nous avons.
305 Sachez, de vray, que nous devons
Trèsbien chastier et reprendre
Noz mariz s’il veulent mesprendre
En riens qui soit112 qu’il no[u]s desplaise :
Nous les debvons, tout à nostre aise,
310 Chastier et bastre trèsbien.
Et oultre plus, s’il y a rien
À besongner113 en la maison,
Selon nostre droit et raison,
L’homme est tenu de faire tout.
315 Et [si j’en]114 veulx venir à bout,
Il n’y doit jamaiz contredire,
Ne nulle chose nous mesdire,
Mais l’acomplir trèsvoulentiers.
Vélà les estatus115 entiers
320 Que les femmes doivent avoir.
LE JUGE
Vraiement, je vouldroye bien sçavoir
Dont sont venus les ordonnances,
[Les estatus et les sentences]116
Que vous m’avez cy récité.
LA FEMME
325 D’ung des lieux de ceste cité
Viennent, sans point faire de lâche117.
LE JUGE
Et dia ! il convient que je sache
Qui est le hault Provincial118
Qui a esté si libéral
330 De vous donner telle franchise119.
LA FEMME
C’est ung prévost que chascun prise,
C’on dit de la Porte Bodés120,
Dont nous sommes à tousjours-maiz
Sur noz piéz121. Et d’ancienneté122,
335 Nous en avons l’auctorité.
Lisez là tout le contenu.
LE JUGE regarde la lettre, et puis dit :
Vécy, pour vous, trèsbien venu.
Je treuve en escript cy-devant
Que : « L’homme doit estre servant
340 De sa femme en toutes manières
Pour escurer poilles, chaudières123,
Faire lis124, hous[s]er la maison.
Et s’il fault, que toute saison
Il soit levé tout le premier125
345 Et qu’il se couche le dernier,
Et qu’il destaigne126 la chandelle.
Et de ce127, ne soit point rebelle.
Les escuelles aussi laver.
Et si, ne doit jamais baver128
350 De chose que face sa femme,
Ou on le tiendra pour imfâme.
La farine luy fault sasser.
Et si, luy convient sans cesser
Filler129 et faire la lessive
355 (Sans que jamais il en estrive130),
Aller au moulin131, et au four132.
Et puis quant viendra ou133 retour,
S’il n’a trèsbien fait la besongne,
Il doit avoir de la quelongne134
360 Deulx ou trois coups sans contredire. »
Je ne sçay plus icy que dire135.
Oncques ne vis si beaulx chapitres
Pour les femmes, et plus beaulx tiltres.
Il n’en fault plus tenir procès :
365 Les drois de la Porte Bodés136
Doresnavent veulx maintenir.
Or çà ! il vous fauldra137 chevir
Aux estatus comme dit est.
Et veulx (sans faire plus lons plès)
370 Que, incontinent que serez
En vostre hostel, l’huis fermerez ;
Et ainsi je le vous commande
— Sur peine de trèsgrosse amende —
Par nostre sentence et par droit.
LE SAVETIER
375 Assavoir, qui appelleroit138,
S’on y seroit jamais reçu ?
Par ma foiz ! je suis bien déçu.
Je n’y voy point de bon moyen.
LE JUGE
On doit prendre en gré mal et bien ;
380 Qui ne le veult faire, le lesse139.
LE SAVETIER
Chères dames, par ma simplesse,
Il me conviendra140 fermer l’uys.
Et ma femme sera mestresse,
[Chères dames, par ma simplesse].
LA FEMME
385 Se vous dictes chose qui blesse,
Je vous jett[e]ré en ung puis !
LE SAVETIER
Chères dames, par ma simplesse,
Il me conviendra fermer l’uys.
.
Adieu vous dis tant que je puis,
390 Vous supliant [que], hault et bas,
Recevez en gré nos esbas.
.
EXPLICIT
*
Giovan Francesco Straparola, dans le Piacevoli Notti, adaptera cette histoire en italien. Pierre de Larivey l’a remise en français dans les Facécieuses Nuicts du seigneur Jean Straparole, dont voici l’édition définitive de 1582.
…Sennuce dict à sa femme : « Bédouyne, ferme l’huys, car il est temps de s’aller coucher. » « Fermez-le vous-mesmes si vous voulez ! » respond-elle. « Je n’en feray rien ! » Estans ainsi en ceste dispute, ny l’un ny l’autre ne vouloit fermer la porte, quand Sennuce dict : « Bédouyne, je veux faire un accord avec toy : que le premier qui parlera, de nous deux, fermera l’huys. » La femme, qui estoit toute poltronne de nature, & obstinée par coustume, s’y accorda. Ainsi, & l’un & l’autre n’osoyent parler, de peur de fermer la porte. En fin, la bonne dame, à qui le jeu commençoit à desplaire, d’autant qu’elle estoit abbatue du sommeil, laissa son mary sur un banc, & se despouillant, s’alla bien & beau coucher.
Quelque temps après, le serviteur d’un gentilhomme passa par la rue, auquel, de fortune, le vent avoit estaint sa chandelle en sa lanterne. Et voyant l’huys de ceste maison ouvert, entra dedans, criant : « Holà ! Qui est léans ? Je vous prie allumer un peu ma chandelle. » Mais personne ne respondoit. Ce serviteur marchant un peu plus avant, il trouva Sennuce couché sur ce banc, ayant les yeux ouvers, lequel il pria luy allumer sa chandelle. Mais il ne luy dict un seul mot. Au moyen de quoy, pensant que Sennuce dormist, le print par le bras, & commença à le tirer & secouer, disant : « Holà, mon maistre ! Que faictes-vous ? Parlez ! Allumez-moy ma chandelle ! » Mais Sennuce, encores qu’il ne dormist, de peur d’encourir en la peine de fermer la porte, ne voulut parler. Quoy voyant, le valet marcha un peu plus oultre ; & regardant de toutes pars, vit un peu de clairté qui reluisoit au foyer, duquel s’approchant, alluma sa chandelle.
Ce faict, & jettant sa veue de tous costéz, ne vit personne, sinon Bédouyne seule dans le lict, laquelle il appella par plusieurs fois. Mais elle ne voulut jamais parler, ne se mouvoir, de peur de fermer la porte. Le galant, qui la voyoit belle & gentille, & qui ne vouloit parler, se coucha doucement auprès d’elle. Et ayant mis la main à ses « fers141 », qui estoyent quasi tous rouilléz, les mit en la forge142, chose que Bédouyne endura patiemment sans sonner un seul mot, laissant le jeune homme (combien que son mary y fust présent) exécuter ses désirs.
Lequel party, Bédouyne se leva ; & allant vers la porte, trouva son mary qui dansoit, ses jambes sur un banc. Auquel, comme en tensant, elle dict : « Ô le brave homme que voilà, qui toute nuict a laissé la porte ouverte, & souffert que les hommes ayent entré jusques en son lict, sans toutesfois y avoir donné aucun empeschement ! Vrayement, vous méritez bien que l’on vous face boire en un soulier percé ! » Adonc, le poltron Sennuce, se levant, dict pour toute response : « Or va maintenant fermer l’huys, sotte que tu es ! Tu me le pensois faire fermer, mais tu es bien déceue. Ainsi sont chastiéz les obstinéz. » Bédouyne, se voyant avoir perdu, se leva & alla fermer l’huys, puis se retourna coucher avec son cornu mary.
*
1 Œuvres. Édition de M. J. Freeman, Droz, 1975, pp. 132-134. 2 Œuvres, pp. 18-19. 3 F : trois (Voir ma notice.) 4 Il sort de la taverne et titube vers son domicile. 5 Les savetiers qui sont dans l’assistance. La pièce n’a pas été écrite pour une congrégation de savetiers, qu’elle malmène passablement. On arguë du fait qu’elle se termine sur un procès pour l’attribuer aux basochiens de Paris ; or, le congé final s’adresse aux « chères dames », qui n’étaient pas admises aux représentations que la Basoche donnait dans le Palais de la Cité. Bref, cette farce est destinée à un public populaire. 6 F : Que ie nosse (La bière a un effet laxatif : « De la cervoise ? C’est merveilles/ Pour un homme qui a la foire. » Jehan qui de tout se mesle.) Comme tous ses congénères, le savetier ne boit que du vin (vers 9). 7 F : se (Si le vin incite au travail les savetiers, qui en boivent beaucoup.) 8 De retourner à ma maison. 9 Que j’entends déjà hurler. 10 Et pourtant. 11 Comment elle va me faire la gueule. Cf. les Cris de Paris, vers 389. 12 Qu’une mauvaise joie, qu’un malheur. Cf. Serre-porte, vers 21. Ici, le malheur invoqué prend la forme de la goutte des genoux, un grand classique de l’imprécation : « Que froide joye/ Puist-il avoir de ses genoulx ! » Chagrinas. 13 Je le dirai tout doucement, à voix basse. 14 Enfui. Ou enfoui au cimetière. 15 Mauvaise. Mais comme c’est elle qui porte la culotte, on peut lire « mâle ». Le savetier entre le plus discrètement possible par la porte de derrière en la laissant ouverte pour ne pas faire de bruit, et s’installe devant son établi. Sa femme boude sur une chaise, en filant sa quenouille. La cheminée fume à cause de l’appel d’air que provoque la porte ouverte. Dans le Résolu, au contraire, l’épouse dit qu’elle laisse ouvert pour évacuer la fumée. 16 Le feu a été couvert, sa flamme est étouffée. « Dea ! le feu si estoit couvert. » Légier d’Argent. 17 Fermer l’huis. Même prononciation parisienne au vers 95. 18 Je ne suis pas votre esclave. 19 Vous ne risquez pas. Idem vers 192. 20 Soit ardent, brûle bien. 21 F : quenoille (Même rajeunissement maladroit aux vers 101 et 359.) Je dois filer ma quenouille. « Je m’en vays filler ma quelongne. » Les Femmes qui font refondre leurs maris. 22 Qui m’importe. 23 Y aille. Idem vers 72. 24 En un mot. Même vers dans l’Aveugle et Saudret. 25 Ça n’a pas plus d’importance qu’une crotte. 26 F : me (Crois-tu te faire craindre ?) 27 F : me qui 28 F : Louer (Dans le Badin qui se loue, la femme ne veut plus être la bonne de son mari : « Vous louerez/ Une chambrière ou un varlet ! ») 29 F : mentires (Par la croix de Dieu, vous n’aurez pas dit la vérité.) 30 Aussi misérable. 31 Avant qu’il n’y ait un plus vilain charivari. 32 Puisque je me le suis mis dans la tête. 33 Même si. 34 Pèse : est trop lourd pour que vous le leviez de la chaise. 35 Si j’y vais. Idem vers 162. 36 F répète LE SAVETIER Non feras, comme il va répéter le vers 88. 37 F : Dont tu verras 38 Celui qui ne peut venir à bout. On peut s’en tenir au 1er degré : beaucoup de savetiers alcooliques sont impuissants. 39 F : faille (Je ne plaisante pas. « Ce que je dis, ce n’est pas fable. » Guillerme qui mengea les figues.) 40 Mot manquant, restitué par Jelle Koopmans : le Recueil de Florence, Paradigme, 2011, p. 310. Un mâtin est un gros chien : « L’avez-vous dit, villain mastin ? » Le Munyer. 41 Il vaudrait mieux pour toi. 42 F : guenoulle (Note 21.) Dans les Queues troussées, l’épouse d’un savetier menace son mari : « Vous aurez ung coup de quenouille,/ Aussi, se vous ne besongnez ! » 43 F : tox (Si ma quenouille sonne bien sur ta tête vide, pour que tu prennes plaisir à cette musique.) 44 F : meurdrier (Au meurtre ! Voir le vers 116.) 45 F : bates 46 À tort ou à raison. 47 Elle frappe son mari silencieux, tout en poussant des clameurs de mauvaise tragédienne en direction de la porte ouverte. 48 F : Helas (La femme cesse de taper.) 49 Par les coups que j’ai reçus. 50 Par la faute de. 51 Vous n’auriez jamais dû en parler. 52 F : mes (Mais vous-même, prononcé « mame » à la parisienne.) 53 Il masse ses contusions. 54 « Et ! n’estes-vous pas bien contens ? » Les Esbahis. 55 Par saint Jean ! Idem vers 177. Cf. Messire Jehan, vers 74 et 314. 56 Mon intention. 57 Le saint patron des fous. Cf. Tout-ménage, vers 227. 58 Planchette en bois qui, dans un moulin, produit un déclic incessant. « Vostre langue n’a de repos/ Non plus q’ung claquet de moulin. » Actes des Apostres. 59 Proposé. 60 Que je ne fais, que je ne parle. Effectivement, le savetier prononce 26 vers de plus que son épouse. Dans le Pèlerinage de Saincte-Caquette aussi, l’homme parle plus que sa femme bavarde. 61 Ni ceci, ni cela. « Respondre ne sçay cy ne quoy. » Les Miraculés. 62 L’affaire est conclue. 63 F : juge (Idem au vers 170. Voir ma notice. Le rôle du « Galant » est suggéré par Bernard Faivre : Répertoire des farces françaises, p. 136. La nouvelle de Straparole que je publie en appendice évoque aussi « le galant ».) 64 J’en ai besoin. La foire Saint-Laurent se tenait dans l’actuel 10e arrondissement de Paris, en été (ce qui contredit le vers 33). On comprend que le Galant veuille aller s’y ébattre : selon le Tracas de Paris, « c’est le lieu de la goinfrerie,/ Le lieu de la galanterie,/ Où le temps se peut bien passer/ Si l’on veut argent débourser ». Par la porte ouverte, le Galant voit l’échoppe du savetier ; il y entre pour demander son chemin. 65 Je vais lui demander en peu de mots (plaid). Voir le vers 369. 66 Attendez 5 ou 6 minutes, que ma femme ne puisse plus se retenir de parler. Le langage des signes est d’un effet comique sûr : au chapitre 20 du Tiers Livre, le sourd-muet « Nazdecabre par signes respond à Panurge ». 67 Que veulent dire. 68 F : Ie ne scay (Huet est un nom d’imbécile et de cocu : cf. le Roy des Sotz, vers 262.) 69 Contesté. Idem vers 207 et 355. 70 Je suis bien tombé. 71 F : mens 72 Qu’on n’en manquerait pas. Le Galant palpe la femme, et tente de l’emmener avec lui. 73 Elle chasse le Galant à coups de quenouille, puis se tourne vers son mari, qui arbore un sourire triomphant. Dans le Chauldronnier, une scène de ménage aboutit au même concours de silence. Le couple muet subit l’intrusion d’un chaudronnier qui conte fleurette à l’épouse ; mais là, c’est le mari qui réagit, et c’est la femme qui se réjouit d’avoir gagné. 74 Il apparaît bien (verbe paroir). 75 F : secourou de 76 Dans un puits. C’est ce qu’elle menace de lui faire au vers 386. 77 F : premiere (On retrouve l’adverbe « premier » aux vers 136 et 290.) 78 Dans une situation favorable, comme un coq qui règne sur sa basse-cour, au sommet de son tas de fumier. Ici, une poule a détrôné le coq… 79 « Cela n’a ny fonds ny rive : n’a point de raison ny de suitte. » Antoine Oudin. 80 Conteste. 81 Votre parole. 82 Au nom. « Ou nom du benoist Roy de Gloire ! » Serre-porte. 83 F : nostre huys (L’huis de derrière désigne aussi l’anus : « Et n’a-on cure de vostre huys de derrière,/ Car désormais, il est trop bricollé. » Le Vergier d’Honneur. Cf. Ung Fol changant divers propos, vers 233.) 84 Au contraire. 85 Qu’avant. 86 Marcher devant moi, comme un animal de ferme. 87 Maintenant. 88 F : deusies (Même si je devais dépenser 100 écus pour cela.) 89 Tu ne pourrais gagner un sou, et à plus forte raison 100 écus. 90 F : te (Tu ne pourras pas en jouir librement.) 91 Je vous cite à comparaître en personne. 92 F : autre 93 Pour qu’il obtienne réparation par la loi. « Je croy qu’il luy amendera. » ATILF. 94 Un bon avocat. Le Procureur de la Farce du Pet (note 98) veut que le mari de la péteuse avoue être l’auteur du délit. Pour la rime, on prononce « procureux » : « Procureux et advocas. » Satyre pour les habitans d’Auxerre. 95 F : la (Ton mauvais chagrin, ton malheur. « Et ! il fait sa male meschance. » Le Gaudisseur.) 96 Qu’elle puisse t’affecter. 97 Quel remède (ironique). « Quel emplastre/ Contre une forcelle ydropicque ! » La Pippée. 98 F : paour (« Ai-e » compte pour deux syllabes, comme à 290.) Le couple se rend devant un juge. Dans la Farce du Pet, un juge est mis à contribution pour arbitrer une scène de ménage tout aussi urgente : qui, du mari ou de la femme, a pété ? Naturellement, la péteuse obtient gain de cause. 99 F : moult (Mon sieur = monseigneur, comme aux vers 257, 272, 280 et 303.) 100 Plus vite. « Mort vient à nous plus que le cours. » ATILF. 101 Une convention. Mais le fermail est comme par hasard le verrou d’une porte. 102 Comme un blanc-bec, un débutant. Rime en -ane. 103 Le texte et le commentaire : le pour et le contre. « Je n’y congnoys teste ne glose. » Ung Fol changant divers propos. 104 De mal dire, de me menacer. 105 F : mesdit 106 C’est une mauvaise femme : « Qu’elle est male famme ! » (Massons et charpentiers.) Comme au vers 24, il y a un jeu de mots sur « mâle », renforcé par l’ambiguïté du vers qui précède. Et n’oublions pas que le rôle de la femme était tenu par un homme. Jody Enders* propose une troisième lecture : malle fame = mala fama, mauvaise réputation. En effet, le savetier se préoccupe beaucoup de sa réputation vis-à-vis du voisinage : vers 77, 87, 108. *The Farce of the Fart and other ribaldries. University of Pennsylvania Press, 2013, p. 90. 107 Que si je n’ai pas parlé la première. 108 Son discours fallacieux. 109 Doivent être nos sujets, nos domestiques. 110 F : obaillant (Voir le vers 222.) 111 F : ne (Sinon pour de bonnes raisons.) 112 Fauter en quoi que ce soit. 113 S’il y a une tâche ménagère à accomplir. 114 F : sil en (« Veux » est à la 1ère personne du singulier.) Si je veux le violer. 115 Les statuts, les règlements. Idem vers 368. La simple fileuse de quenouille du début argumente désormais comme un vrai légiste. Jody Enders note « the Wife’s linguistic progress. Her grammar, syntax, and vocabulary become increasingly elaborate, formal, and downright legalistic as the action proceeds and as her power takes hold. » 116 Vers manquant. 117 Sans relâche. « Le povre Richart n’eut onc lasche/ Tant que nous fussions tous lasséz. » Le Pourpoint rétréchy. 118 Responsable — ecclésiastique, juridique ou universitaire — d’une province. Ce même Provincial féministe inculque aux Femmes qui aprennent à parler latin les sciences « desquelles on fait plainement/ Entendre q’un mary radote », et notamment le droit. 119 Liberté. 120 Si nous n’avions pas le vers 325, il serait permis de comprendre : un magistrat qu’on appelle M. de La Porte-Baudet. 121 Grâce auquel nous sommes pour toujours solidement établies. 122 De toute ancienneté, depuis longtemps. La femme tire de son corsage un brevet officiel. 123 Pour récurer les poêles à frire et les chaudrons. Le brevet de la femme doit beaucoup au rôlet du Cuvier. 124 « Faire le lict au plus matin. » (Le Cuvier.) Housser = balayer. 125 « Qu’il vous fauldra tousjours lever/ Premier pour faire la besongne ». Le Cuvier. 126 Qu’il éteigne. C’est le devoir du dernier couché. 127 De faire l’amour. « Et puis luy faire aussi cela. » Le Cuvier. 128 Bavarder, se plaindre. 129 Filer la quenouille (vers 45). 130 Il s’y oppose. 131 Porter le blé à moudre au moulin. « Mener la mousture au moulin. » Le Cuvier. 132 Aller faire cuire le pain et les pâtisseries au four du quartier. 133 Au (note 82). 134 F : quenoulle (Note 21.) 135 F : lire 136 F : bouldes (Voir le vers 332.) 137 F : fault (Monsieur, vous devrez vous soumettre aux règlements.) 138 Allez savoir, si on faisait appel de ce verdict. 139 C’est à prendre ou à laisser. 140 F : conunidra (Je devrai.) Fermer l’huis = fermer ma gueule. Jody Enders (p. 89) établit un intéressant parallèle entre « shut it » et « shut up ». 141 Le maréchal-ferrant bat les fers du cheval avec son marteau, et le mari bat les fers de sa femme avec son pénis, quoique Sennuce ait laissé rouiller ceux de son épouse faute de les marteler. « Tousjours avons un fer qui loche,/ Ou quelque trou à restoupper. » Les Femmes qui font escurer leurs chaulderons. 142 « Vous estiez toutes deux soubz forge. » Les Queues troussées.
LES ESBAHIS
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LES ESBAHIS
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Les philosophes disent que la sagesse consiste à ne s’étonner de rien ; voilà pourquoi les trois Fous qui peuplent cette moralité s’étonnent de tout. Leur ébahissement devant le temps qui court et le monde tel qu’il va est un poncif de la littérature morale. Au tout début du XVIe siècle, la Balade des abbuz du monde, de Jehan Bouchet, traitera le même sujet dans les mêmes termes :
1 Je m’esbahis comment seuffre1 la terre
Tant de meschiefz soubz le soleil et lune.
Je m’esbahis que la fouldre et tonnoirre
Ne destruit tout, Hongrie et Pampelune.
Je m’esbahis puis de l’ung, puis de l’une.
Je m’esbahis de ce qu’on fist jadis.
Je m’esbahis que Dieu de Paradis
N(e) absorbist2 tout en abisme profonde.
Je m’esbahys, des ans y a jà dix3,
Des grans abuz que l’on faict en ce monde.
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11 Je m’esbahis dont Charité tant erre4,
Et qu’elle n’est, comme fut, opportune.
Je m’esbahis du Droit, qui fait la guerre
Contre Équité, par moyen5 importune ;
Et que Justice n’est au foible et fort une6
Pour abollir tant de péchéz maulditz.
Je m’esbahis de plusieurs estourdis
Ausquelz semble que tout bien d’eulx redonde7.
Je m’esbahis, tant en faitz comme en ditz,
Des grans abuz que l’on faict en ce monde.
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21 Je m’esbahis où ung homme peult querre
Tant de moyens pour acquérir pécune.
Je m’esbahis dont on n’ose requerre
Son familier8 de prester chose aucune.
Je m’esbahis comme envie et rancune
Dégénèrent9 nobles cueurs et hardys.
Je m’esbahis comment appaillardis
Sont tant de gens : la chose est trop immonde.
Gens vertueux, à présent, sont desditz,
Des10 grans abbuz que l’on faict en ce monde.
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31 Prince mondain : Tout bien pensé, je dis
Que Dieu fera, par arrest ou éditz,
Pugnition des maulx où l’on se fonde,
Si ne laissons la coustume tousdis11
Des grans abbuz que l’on faict en ce monde.
Cette pièce normande fut sans doute écrite vers 1492, au début du règne de Charles VIII, qui promettait beaucoup mais qui ne tiendra jamais rien. (Voir la notice des Sotz qui remetent en point Bon Temps.) Elle s’intitule « farce », mais il s’agit d’une moralité déguisée en sottie. Ses nombreuses références à la culture classique la réservaient à un public restreint. Elle n’a aucun rapport avec la comédie des Esbahis de Jacques Grévin (1560), sinon quelques notations fortuites sur le temps présent, les gens de Cour, le prix du pain, et la Justice qui ferme l’oreille.
Source : Recueil de Florence, nº 3.12 La pièce fut imprimée à Paris dans le premier quart du XVIe siècle.
Structure : Rimes plates, avec une ballade en décasyllabes et 9 quatrains à refrain.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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Farce nouvelle des
Esbahis
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À quatre personnaiges, c’est assavoir :
LE PREMIER [SOT] ESBAHY
LE SECOND [SOT] ESBAHY
LE TIERS [SOT] ESBAHY
et JUSTICE qui les adresse 13
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LE PREMIER SOT ESBAHY commence
Je m’esbahis de plusieurs choses. SCÈNE I
LE SECOND SOT ESBAHY
Je m’esbahis de lettres closes14
Et de cent mille oppinions.
LE TIERS SOT ESBAHY
Je m’esbahis des oisillons,
5 Menus pinchons15 et alouettes,
Linottes et bergeronnètes,
Qui se laissent prandre au fillé16.
LE PREMIER
Je m’esbahis…
LE SECOND
De quoy17 ?
LE TIERS
Dis-lé18.
LE PREMIER
Si feray-je en temps et en lieu.
LE SECOND
10 Je m’esbahis…
LE TIERS
De quoy ?
LE SECOND
De Dieu,
Qui distribue19 bénéfices
À gens qui n’y sont pas propices :
N’est-ce pas esbahissement ?
LE TIERS
Je m[’e]sbahis bien autrement
15 Et de plus sauvaige façon.
LE PREMIER
Et de quoy ?
LE TIERS
C’est comment Jason
Peut avoir la Toison dorée20 ;
Et m’esbahis comment Médée
Luy fist menger ses deux enfans.
LE PREMIER
20 Je m’esbahis, depuis dix ans21,
Plus que jamais je n’avois fait.
LE SECOND
Je m’esbahis de ce qu’on fait.
LE TIERS
Je m’esbahis que22 l’en fera.
LE PREMIER
Je m’esbahis quant ce sera
25 Que d’envieux ne sera plus.
LE SECOND
Et je m’esbahis de Phébus,
Qui presta ses23 quatre chevaux
À Phecton, qui fist tant de maux.
LE TIERS
Je m’esbahis (à bref parler)
30 Où, en fin, l’en pourra aller,
Et que24 le monde deviendra.
LE PREMIER
Et [je] m’esbahis de Phédra25,
Qui fut si trèsfort amoureuse
Que ce fut chose merveilleuse ;
35 Et de [Sapho encore plus]26.
LE SECOND
Or ne nous esbahissons plus
De bien, de vertu ne de vice,
Tant que nous sachons à Justice27
De quoy on se doit esbahir.
LE TIERS
40 El28 nous ostera sans faillir
De tous nos esbahissemens.
LE PREMIER
Du tout29 à Justice me rendz.
LE SECOND
C’est celle qui fait la raison.
LE TIERS
Allons vers elle en sa Maison.30
.
45 Véez-la31 là, l’espée en la main. SCÈNE II
LE PREMIER, saluant Justice
Dame, fille du hault Roy souverain,
Throsne d’honneur et de magnificence !
Tous esbahis de veoir le corps humain32,
Nous présentons devant vostre présence33,
50 Vous supliant nous donner congnoissance,
Dont procèdent tant d’esbahissemens,
De fantasies, et tant d’empeschemens.
Car vous estes nostre propre nourrice.
Ainsi qu’il gist à [nostre intelligence]34,
55 Tout ira bien s’il court bonne justice.
LE SECOND
De toutes pars, fantasïes nous sourdent35.
On36 ne voyons riens [en] sécurité.
Les ungz pleurent, [et] les autres bouhourdent37,
Dansans, chantans, menans jocundité38.
60 Les ungs règnent en grant félicité.
L’un gist en bien, l’autre en mal et en vice.
Mais nonobstant, par vous, bien médité39,
Tout yra bien s’il court bonne justice.
LE TIERS
Imbéciles – par qualitéz ob[l]ic[qu]es40,
65 Moitié obscurs et moitié inter[r]estres41 –
[Vous objurguez]42 par vertueuses piques43,
Lours, ineptes ainsi que povres bestes44.
De [Cerbères évacuez]45 les testes,
[Ce faulx félon]46 tout comblé de malice !
70 Mais nonobstant broulemens et molestes47,
Tout ira bien s’il court bonne justice.
LE PREMIER
PRINCESSE où48 GIST TOUT[e] NOSTRE ESPÉRANCE :
CHASCUN DE NOUS S’EN TIENT VOSTRE NOVICE49.
Car nous avons, sur ce, ferme créance :
75 Tout ira bien s’il court bonne justice.
JUSTICE
Enfans, qui vous est [im]propice50,
Qui51 tant de beaux motz blasonnez ?
Vous me semblez tous estonnéz,
Et gens fort mérencolieux52.
LE SECOND
80 Moitié tristes, moitié joyeux ;
Non pas estonnéz proprement,
Mais ravis53 d’esbahissement
Et de petites fantaisies.
JUSTICE
Ce vous vient de mérencolies.
85 Et vostre non ?
LE TIERS
Les Esbahis.
JUSTICE
Les Esbahis ? À54 quelz devis ?
Les Esbahis ? À quel propos ?
Et estes qui ?
LE PREMIER
Vos vrays suppostz,
Vos petits clercs et serviteurs.
JUSTICE
90 Et puis, enfans ? Que dient les cueurs55 ?
Vous me semblez esbahis, tous.
LE SECOND
Pardieu, Dame ! si sommes-nous.
JUSTICE
Esbahis, il court si bon temps56 :
Et ! n’estes-vous pas bien contens ?
95 Craignez-vous à mourir de fain ?
Si57, bon marché avez de pain,
Et aussi avez-vous de vin ;
Et prince tant doulx et bégnin
– Il n’y a de tel soubz58 les cieulx – ;
100 Et puis paix59. Que vous fault[-il] mieux ?
LE TIERS
Nous avons ce que nous avons.
Les blédz sont beaux et les vins bons60.
JUSTICE
N’est-ce pas donc bonne police61 ?
LE PREMIER
Vous n’estes pas partout, Justice.
105 Que sçavez-vous s’en ung tonneau
On met le vieil et le nouveau62 ?
LE SECOND
Que sçavez-vous se boullengiers
Ont blédz puans en leurs guerniers63 ?
LE TIERS
Que sçavez-vous, à Petit-Pont,
110 Le[s] tour[s] que poissonnières font64 ?
LE PREMIER
Que sçavez-vous se les sergens65
Sont bons larrons, ou bons marchan[s] ?
LE SECOND
Que sçavez-vous se chicaneurs66
Desrobent l’argent à plusieurs ?
LE TIERS
115 Que sçavez-vous se médecins
Parvienne[n]t tousjours à leurs fins67 ?
LE PREMIER
Que sçavez-vous si aux villages
Il y a beaucoup de pillages68 ?
LE SECOND
Que sçavez-vous s(i) une nonnain
120 Peult bien avoir le ventre plain69 ?
LE TIERS
Que sçavez-vous [si] une abesse
Se desjune sans ouÿr messe70 ?
LE PREMIER
Que sçavez-vous si ung gendarme
S’enfuit bien quant on crie « à l’arme ! »71 ?
LE SECOND
125 Que sçavez-vous quant une femme
Si est putain ou preudefemme ?
LE TIERS
Que sçavez-vous si, à Paris,72
Les femmes font coux73 leurs maris ?
JUSTICE
Vous estes gens bien esbahis
130 Et de diverses oppinions !
À tant de proposicions,
Respondre ne m’est [pas] propice.
LE PREMIER
Et pourquoy dea ? Dame Justice,
N’en avez-vous pas la puissance ?
JUSTICE
135 Tout ne vient pas à congnoissance,
Car il y a mainte matière
Que plusieurs larrons, par-derrière,
Desrobent (pour vous dire) à tous.
LE SECOND
Pour tant74 nous esbaïssons-nous.
JUSTICE
140 Plusieurs besongnes sont brassées75,
Tant en [f]ait, en dit qu(e) en pensées,
Dont je ne sçay rien, bien souvent.
LE TIERS
C’est dont vient l’esbahissement.
JUSTICE
De tout ce que je puis congnoistre,
145 J(e) y vueil bonne justice mettre.
Mais il est trop de fine gent76.
LE SECOND
C’est dont vient l’esbahissement.
JUSTICE
Quant ung larron est attrappé,
Le sergent qui l’aura happé
150 Le laira77, mais qu’il ait argent.
LE TIERS
C’est dont vient l’esbahissement.
JUSTICE
On m’a bien donné à entendre
Qu’on en a fait noyer ou pendre
Plusieurs, sans mon consentement.
LE PREMIER
155 C’est dont vient l’esbahissement.
LE SECOND
Je m’esbahis des gens de Court,
Qui ont78 tant broué, sur le gourt ;
Et puis après, les vis deffaire.
JUSTICE
J(e) y estois, moy : je le fis faire.
LE TIERS
160 Je m’esbahis d’un coup de main
D’une espée donné soudain,
Dont79 noble teste cheut à bas.
JUSTICE
Par ma foy ! je n’y estois pas.
LE PREMIER
D’Orbatus80 je m’esbahis fort,
165 Qui son nepveu dompta à mort,
Estant en son lict mortuaire.
JUSTICE
J(e) y estois, moy : je le fis faire.
LE SECOND
Et je m’esbahis de David :
Pour81 la femme d(e) Urie, qu’il veit,
170 Le fist mourir. C’est pit[e]ux cas.
JUSTICE
Par ma foy ! je n’y estois pas.
LE PREMIER
Aussi, d(e) Aman82 suis esperdu,
Qui devant son huis fut pendu
Au propre gibet qu’il fist faire.
JUSTICE
175 J(e) y estois, moy : je le fis faire
Pour monstrer qu’il vouloit trahir83.
LE SECOND
Assez ne me puis esbahir
De la tromperie et finesse
D’aucuns84 prestres qui chantent messe
180 Après qu’ils ont mengé et beu.
JUSTICE
Mais, par ta foy, en as-tu veu ?
LE TIERS
Je m’esbahis quant adviendra
Le temps que plus il ne viendra
À mon huis un tas de merdailles
185 Pour demander l’argent des tailles85.
N’est-ce pas l’esbahissement ?
LE PREMIER
Et moy, je m’esbahis comment
Vivront ces gendarmes casséz86.
LE SECOND
Je m’esbahis des trespasséz,
190 Que l’en ne prie Dieu pour eulx.
LE PREMIER
Je m’esbahis de malheureux
Qui sont boutés ès gras offices87.
LE SECOND
Je m’esbahis des bénéfices
Que l’en vend à deniers comptant88.
JUSTICE
195 Ne vous esbaïssez plus tant :
Tant que soyez à ma Maison,
Je vous feray droit et raison.
Mais il convient estudier
À Dieu servir, et le prier,
200 Et puis craindre et aymer Justice
Tant comme il vous sera propice.
Saurez bien, comme je supose89 ?
Mais vous obliez une chose
De quoy vous deussez esbahir90.
LE TIERS
205 De quoy ?
JUSTICE
De ce qu’il fault mourir.
Vous en esbahissez-vous point ?
LE PREMIER
Nenny, pas moy.
LE SECOND
Ne moy.
[LE TIERS] 91
Non92, point.
[JUSTICE]
Aussi, fault passer ce passage
À toutes gens93. Cil n’est pas saige,
210 Qui n’y sçait mettre son penser94.
LE PREMIER
Toutes gens fault par là passer.
Mais puisqu’on ne peult mort fuïr,
De quoy se doit-on esbahir,
Ne entrer en si grant esmoy ?
JUSTICE
215 Voullez-vous demourer95 o moy ?
LE SECOND
Certes, ouÿ, dame Justice,
Tous humbles soubz vostre service,
Espérans avoir de vous biens,
Sans envers vous faillir de riens.
JUSTICE, pour fin et conclusion, dit :
220 Mes96 enfens, donc, je vous retiens.
Car loyaument vous apprendray,
Et garderay et deffendray
De tout oultrage et villennye.
Adieu toute la compaignie !
.
FINIS
*
1 Souffre, permet. 2 N’engloutisse. Verbe absorbir. 3 Depuis déjà dix ans. Voir le vers 20 de la pièce. 4 S’égare. 5 Qui est, par la force des choses. 6 N’est pas égale pour les faibles et pour les forts. 7 Jaillisse comme d’une corne d’abondance. 8 Requérir son ami. 9 Avilissent. 10 Sont contredits, à cause des… 11 Toujours. 12 Voir le Recueil de Florence (éd. Jelle Koopmans), Paradigme, 2011, pp. 73-79. 13 Qui les guide. 14 Cachetées : qui renferment des choses graves. 15 Forme normande de pinsons. « Ils ne prindrent qu’ung pinchon. » Gilles de Gouberville. 16 Au filet. Sur la tendresse quasi familiale qui unit les Sots et les oiseaux, voir la notice de la Pippée. 17 « –De quoy estes-vous esbahis ?/ –Esbahis ? » Le Prince et les deux Sotz. 18 Dis-le. On reconnaît le pronom normand « lay » : « Pourquoy esse ? Dy-lay ! » Messire Jehan. 19 F : disirbue (Sur les bénéfices que l’Église distribue à des hommes qui en sont indignes, voir les Sotz ecclésiasticques qui jouent leurs bénéfices au content.) Il est encore question de ces bénéfices aux vers 193-4. 20 Put conquérir la Toison d’or. Son épouse, Médée, poignarda leurs deux fils. Mais elle ne les lui fit pas manger : l’auteur doit la confondre avec Progné. 21 Le règne de Louis XI laissait un fort mauvais souvenir. Dans la sottie des Sotz qui remetent en point Bon Temps, contemporaine de la nôtre, Bon Temps ne regrette pas ce règne : « Depuis vingt ans, sans mesprison,/ J’ay esté tousjours en prison. » 22 F : quant (De ce que l’on fera.) 23 F : ces (D’après Ovide, Phébus prêta le char du soleil à son fils Phaéton qui, incapable de le conduire, incendia la terre.) 24 Ce que. 25 F : Phedre (« Phédra ayma Hypolite trèsfort,/ Filz naturel de Théseus, son époux. » Ovide.) Phèdre causa la mort de son beau-fils, puis elle se pendit. 26 F : saphire encore plts (L’éditeur la confond avec Saphire qui, d’après les Actes des Apôtres, fut foudroyée par Dieu pour une sordide affaire de malversation : voir la Chanson des dyables qui se réjouissent de sa mort.) La poétesse Sappho, amoureuse du beau Phaon, se jeta dans la mer. 27 Ce personnage allégorique figure dans la distribution des Maraux enchesnéz et de plusieurs Moralités. 28 F : Et (La forme abrégée « el » est surtout normande : « Dea ! s’el ne parle, el vous laira. » Le Bateleur.) 29 De tout cœur. 30 Les 3 Sots vont au Palais de Justice. Cette dernière est assise sur son trône, un glaive à la main. 31 Voyez-la. 32 De vous voir en chair et en os. 33 Nous nous présentons devant vous. « (Il) va luy-mesme se présenter par-devant vostre présence. » Antoine de Guévare. 34 F : noz entendemans (Comme nous le pensons.) Cette première strophe obéit au modèle ababbccdcD, comme la ballade de Bouchet que je publie dans ma notice. Mais les deux autres strophes suivent le modèle ababbcbC, et l’envoi de 4 vers conclut logiquement une ballade en huitains. 35 F : sourdant (Des inquiétudes surgissent en nous.) 36 Nous (normandisme). « On ne l’entendons poinct. » Le Tesmoing. 37 F : bouheurdent (Plaisantent.) 38 Joie. 39 Grâce à vous, tout bien considéré. « Cela bien médité, considère au surplus… » Agrippa d’Aubigné. 40 Les esprits faibles, sinueux par nature. Cette strophe pourrait viser ce nouveau roi peu intelligent, qui avait longtemps laissé la régence du royaume à sa sœur, Anne de Beaujeu. On comprendrait alors pourquoi les copistes de l’époque ont prudemment saboté la strophe dangereuse. 41 Non terrestres : célestes. On devenait roi « par la grâce de Dieu ». 42 F : Tous obfusquez (Vous les aiguillonnez.) 43 F : bestes 44 F : aestes 45 F : cerberez euacues (Éliminez les trois têtes de Cerbère, le chien qui garde l’entrée des Enfers.) Cerbère pourrait être Pierre de Beaujeu, le mari de la régente : le peuple lui prêtait plus de pouvoir qu’il n’en avait, surtout en matière de politique fiscale. 46 F : De fault felix (Ce fourbe traître : « Hérodes, ce faulx félon. » Lucas Le Moigne.) 47 Des brouilleries et des dommages. 48 F : en qui (« Et Hector meismes, où toute nostre espérance estoit, est morz. » Benoît de Sainte-Maure.) L’envoi d’une ballade est toujours adressé à un prince ou à une princesse. 49 Votre élève. 50 Contraire. « L’autre cas,/ Qui leur est dur et impropice. » ATILF. 51 Vous qui. Blasonner = prononcer : « Après tous beaux motz blasonnéz. » Les Premiers gardonnéz. 52 Rendus mélancoliques par des humeurs noires. 53 Emportés. 54 F : mais (À quel sujet êtes-vous ébahis ?) 55 Quelles nouvelles ? « Et puis, Jullien, que dit le cœur ? » Les Hommes qui font saller leurs femmes. 56 La sottie des Sotz qui remetent en point Bon Temps, contemporaine de la nôtre, énonce les mêmes préoccupations. 57 Pourtant. « Le pain (…) est plus grant qu’il ne soulloit. » Les Sotz qui remetent… 58 F : dessoubz 59 La paix entre la France et le duché de Bretagne. Voir les vers 218 et 325 des Sotz qui remetent… 60 « –Les blédz sont beaulx. –Vignes sont belles. » Les Sotz qui remetent… 61 Bon gouvernement. « De la bonne police & justice bien administrée, provient abondance de biens & toute concorde & félicité. » Antoine Le Pois. 62 Les taverniers mélangent leurs vieux fonds de barriques à du vin nouveau. « Taverniers qui brouillent le vin/ Noyent le viel parmy les nouveaulx. » Troys Galans et un Badin. 63 Ont du blé moisi dans leurs greniers. « Les mauvais blédz sont-ilz mengiéz ? » Les Sotz qui remetent… 64 Les harengères du Petit-Pont, à Paris, étaient connues dans toute la France pour leurs pratiques douteuses. Cf. les Laudes et complainctes de Petit-Pont. 65 Ils rançonnaient le peuple, rackettaient les commerçants, et relâchaient les voyous moyennant finances, comme aux vers 148-150. « Sergens ne sont plus larronceaux. » Les Rapporteurs. 66 Les faiseurs de procès. 67 « Faisons que tous les médecins/ Parviennent tousjours en leurs fins/ Et qu’ilz guérissent de tous maulx. » Les Gens nouveaulx. 68 F : pistages (Les soldats français pillaient les campagnes. « J’estoye aussi en ung village/ Allé, d’aventure, en pillage. » Les Maraux enchesnéz.) 69 Peut se retrouver enceinte, comme Sœur Fessue. 70 La première messe devait être suivie à jeun, comme aux vers 177-180. Voir la note 20 des Sotz escornéz. 71 Sur la poltronnerie des soldats, voir la notice de Maistre Mymin qui va à la guerre. 72 Ce vers surnuméraire qui mentionne Paris pourrait bien avoir été ajouté lors d’une représentation dans la capitale, où la pièce fut imprimée. 73 Cocus. Cf. les Queues troussées, vers 231. 74 Pour cela. 75 F : brastees (Sont ourdies. Cf. Frère Guillebert, vers 94.) 76 F : gens (« Il court de si très fine gent !/ Ilz croquent, quant ils peuent, argent. » Mystère de l’Incarnation.) 77 Le laissera. L’auteur a dit presque tout ce qu’il avait à dire ; maintenant, il va se répéter. Nous avons ici un doublon des vers 111-2. 78 F : ant (Qui ont tellement paradé, sur leur trente-et-un. « À tous vrays gueux qui brouent, dessus le gourt. » Testament de Ragot. Cf. le Résolu, vers 107 et note.) Olivier Le Daim, le flamboyant conseiller de Louis XI, avait été pendu après la mort de son bienfaiteur. 79 F : donc 80 Voir la Moralité d’ung Empereur qui tua son nepveu (…), le dit empereur estant au lit de la mort. Dans les deux éditions tardives qui nous sont parvenues (T 16 et BM 53), cet empereur d’Allemagne n’a pas de nom ; mais Gaston Paris a démontré que cette légende s’inspire de Trajan, dont le patronyme est Ulpius. 81 F : Que par (Le roi David envoya Urie se faire tuer à la guerre afin de lui prendre sa femme, Bethsabée.) 82 Cette histoire occupe les vers 341-370 de Gournay et Micet. 83 Le traître n’est pas Haman mais Xerxès, qui autorisa son ministre à tuer les Juifs, et qui le leur livra avant qu’il n’ait eu le temps d’obéir. 84 De certains. Doublon des vers 121-2. 85 Louis XII, successeur de Charles VIII, diminuera cet impôt : « Le Prince est remply de vertu…./ Mesmement, a mys au bas taille. » Jeu du Prince des Sotz. 86 Ces soldats cassés de gages, révoqués sans solde, « plats comme gens d’armes cassés » (Marchebeau et Galop) en raison de la fin de la guerre franco-bretonne. Charles VIII n’allait pas tarder à leur trouver une occupation en Italie. 87 De ces misérables auxquels on confie des charges lucratives. 88 F : complant (Doublon des vers 10-12.) 89 F : presupose 90 Vous dussiez vous ébahir. 91 F : Justice (L’omission de la rubrique du Tiers Sot rompt une alternance presque immuable : le Premier, le Second, le Tiers.) 92 F : Ung 93 Tout le monde doit y passer. 94 Il n’est pas sage, celui qui ne s’en préoccupe pas. C’est une paraphrase de memento mori. 95 F : demoures (Demeurer.) La préposition normande « o » signifie avec : « Plore o moy par douleur amère. » Pates-ouaintes. 96 F : Mais
LES FEMMES QUI DEMANDENT LES ARRÉRAGES
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LES FEMMES QUI
DEMANDENT LES
ARRÉRAGES
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Un arrérage est une rente qu’on paye à échéance régulière. De joyeux drilles ont appliqué ce principe au devoir conjugal : les maris doivent verser à leur épouse des arrérages « en nature ». Ceux qui tardent à payer leurs dettes de lit se voient condamnés à rattraper leur retard. Cette farce, ou plutôt cette « cause grasse », fut écrite par les Conards de Rouen. On pourra lire en appendice un Arrêt sur les arrérages édicté par ces mêmes Conards. En attendant, voici une chanson de leur compatriote Gaultier-Garguille sur le même sujet :
Amour tenoit sa séance Une veuve bien gentille
Il y peut avoir trois mois, Vint jurer par ses beaux yeux
Et j’ouïs à haute voix Qu’on lui en devoit de vieux
Prononcer cette sentence : De quatre ans qu’elle étoit fille :
« Il faut payer nuict et jour Qu’on lui payast nuit et jour
Les arrérages d’amour ! » Les arrérages d’amour !
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Trente femmes de tous âges Une jeune damoiselle
Sont accourues promptement Demandoit à un vielleux1 :
Demander le payement « –As-tu perdu les deux yeux
De tous les vieux arrérages : En jouant de ta vielle ?
« Il faut payer nuict et jour –Non, mais ce fut l’autre jour,
Les arrérages d’amour ! » Payant les debtes d’amour. »
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Une vieille damoiselle Mais je ne me sçaurois taire
Qui caquetoit volontiers De ce rude jugement ;
Alla par tous les quartiers J’en appelle promptement,
Annoncer cette nouvelle : Car ma foy, c’est trop d’affaire
« Il faut payer nuict et jour Que de payer nuict et jour
Les arrérages d’amour ! » Les arrérages d’amour !
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Beaucoup de farces ridiculisent les vieux maris incapables de subvenir aux besoins sexuels de leur jeune épouse. Plus rares sont les farces où l’homme, jeune et en bonne santé, s’abstient parce qu’il n’aime pas les femmes. Le Nouveau marié qui ne peult fournir à l’appoinctement de sa femme montre un jeune homme qui pourrait faire l’amour, mais qui refuse sans aucune raison ; seules des menaces viendront peut-être à bout de sa chasteté volontaire. Le thème de la présente farce est presque identique : le mari a été condamné à verser les arrérages qu’il devait depuis cinq ans à son épouse, laquelle avait alors poussé l’obligeance jusqu’à lui faire cadeau de la moitié de sa dette. Pourtant, il n’a pas remboursé le reste. Sa raison ? Il n’aime pas les femmes.
Sources : Farce nouvelle trèsbonne & fort joyeuse des femmes qui demandent les arrérages de leurs maris & les font obliger par nisi 2. Recueil du British Museum, nº 8. Publié à Paris par Nicolas Chrestien, vers 1550. — Farce joyeuse et récréative d’une Femme qui demande les arrérages à son mary. Recueil de plusieurs farces tant anciennes que modernes. Paris, Nicolas Rousset, 1612, pp. 97-117. Je prends pour base l’édition ancienne (BM), et je la corrige tacitement d’après l’édition Rousset (R).
Structure : Rimes plates, avec 9 triolets et des quatrains à refrain.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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*
Farce nouvelle trèsbonne
& fort joyeuse des
Femmes qui demandent
les arrérages de
leurs maris
& les font obliger par nisi
*
À cinq personnages, c’est assavoir :
LE MARY
LA DAME
LA CHAMBRIÈRE [Collette]
LE SERGENT
et LE VOYSIN
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*
LE MARY commence une chanson à plaisir :
J’ay fait amye nouvellement,3 PROLOGUE
Qui porte un assez beau maintien ;
Elle m’ayme parfaictement.
J’ay fait amye nouvellement.
5 Son petit cas4, tout bellement,
Le mieulx que je peulx j’entretien.
J’ay fait amye nouvellement,
Qui porte un assez beau maintien.
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LA DAME 5 SCÈNE I
Ne te le disois-je pas bien,
10 Qu’il ne me tiendroit point promesse6 ?
LA CHAMBRIÈRE
Quantes foys l’a-il fait7 ?
LA DAME
Rien ! [Rien !]
Ne te le disois-je pas bien ?
LA CHAMBRIÈRE
Il est plus parjure qu’un chien !
Et ! mon doulx Sauveur, quel homme esse !
LA DAME
15 Ne te le disois-je pas bien,
Qu’il ne me tiendroit point promesse ?
Je te pry, faisons-luy finesse8,
En nom de la saincte bonté9.
LA CHAMBRIÈRE
C’est un homme trop eshonté :
20 Il ne fait doubte10 de plaider.
Je feray tant, pour vous ayder,
Qu’il s’e[n] viendra [ronger des oz]11.
Faictes-lay12 citer contra nos13,
Et vous le ferez plus honteux,
25 Plus esbahy, plus marmiteux14
Qu’il fut oncques jour de sa vie.
LA DAME
Collette, je n’ay nulle envie
D’aller plaider en Court d’Église15.
LA CHAMBRIÈRE
Et pourquoy ?
LA DAME
Ilz ont une guise16,
30 Autant au soir comme au matin,
Qu’il ne parlent rien que latin,
Où je n’entendz pas une goute.
LA CHAMBRIÈRE
À bien dire, cela dégoûte,
Néantmoins qu’il soient gens de bien.
35 Mais au jeu où l’on n’entent rien,
Les femmes n’y sçavent que mordre.
En Court laye17, il y a plus d’ordre
(Je le dis sans blasmer nully18) :
Il fault là qu’il soit assailly.
40 Ne portez-vous pas sa cédulle19 ?
LA DAME
Ouy dea.
LA CHAMBRIÈRE
Or bien, sans faulte nulle,
Vous le debvez faire adjourner20
À demain, sans plus séjourner21.
Fermement tenez bonne mine !
45 Mais qu’il recognoisse son signe22,
C’est une suite rigoureuse23.
LA DAME
Et ! tant une femme est heureuse24,
D’avoir mary selon sa sorte !
LA CHAMBRIÈRE
Elle est réputée plus forte.
LA DAME
50 Du mien, je n’ay ne bien ne joye.
Mais le senglent pis25 que je voye :
[Nul] je n’ose en son lieu commettre26.
LA CHAMBRIÈRE
Par ma foy ! j’ay servy un maistre
Qui se faisoit tousjours, sans cesse,
55 Puis à moy, puis à ma maistresse,
Baiser, acoller à désir.
LA DAME
Hélas, c’estoit un grand plaisir !
LA CHAMBRIÈRE
Quand il venoit, du premier sault27
Il me faisoit monter en hault28,
60 Et puis s’esbatoit à loysir.
LA DAME
Hélas, c’estoit un beau plaisir !
LA CHAMBRIÈRE
Mais tant la sceut-il faire poindre29 !
Je ne l’ouÿs oncques [se] plaindre ;
Rien ne prenoit à desplaisir.
LA DAME
65 Hélas, tant c’est un grand plaisir !
[Au mien, je]30 luy donne reproche :
Quand il fault que vers moy s’aproche,
Par ma foy, je l’ose bien dire :
Il luy semble que l’en luy tire
70 Faucille du cul tous les coups.
J’en suis au mourir.
LA CHAMBRIÈRE
Dictes-vous31 ?
LA DAME
Et s’il convient que je me serre
Près de luy, il me fait la guerre
Et me donne plus de cent coups.
75 J’en suis au mourir.
LA CHAMBRIÈRE
Dictes-vous ?
LA DAME
Il m’est procédé32 une toux
Par un vent, qui me serre et lance33.
Et puis me prent une faillance34,
Quand35 ne sens point mon amarris.
LA CHAMBRIÈRE
80 Tant est-il de mauvais maris !
LA DAME
Mais que dictes-vous d’un tel homme36 :
C’est [ce]… comme esse qu’on le nomme ?
Un Monsieur, si terrible sire.
LA CHAMBRIÈRE
Je sçay bien qui vous voulez dire :
85 C’est un trèshonneste seigneur.
LA DAME
Je crois que c’est un bon payeur 37,
À le veoir marcher par la voye.
LA CHAMBRIÈRE
Il ne luy chault à qui il paye,
Mais qu’il s’acquitte.
LA DAME
Midieux, non !
90 Ce n’est point une morte-paye38 :
Il ne luy chault à qui il paye.
LA CHAMBRIÈRE
Ha ! quel bon payeur, saincte Avoye39 !
LA DAME
Au moins en a-il le renom.
LA CHAMBRIÈRE
Il ne luy chault à qui il paye,
95 Mais qu’il s’acquitte.
LA DAME
Midieux, non !
Laisson cela, et revenon
À nostre homme : le cas40 me touche.
Faison-luy un tas d’escarmouche,
Qui pourra sergent recouvrer41.
LA CHAMBRIÈRE
100 Il est bien besoing d(e) y ouvrer
Et le poursuyvir chauldement.
LA DAME
Oncques, puis nostre apoinctement42,
Par ma foy, je n’euz biens ne ayse.
.
LE SERGENT 43 SCÈNE II
Dieu soit céans ! Ne vous desplaise,
105 J’entre privément44.
LA DAME
Dieu vous gard !
Je ne vy huy qui tant me plaise45.
LE SERGENT
Dieu soit céans ! Ne vous desplaise,
Voicy trèsbeau lict46, par sainct Blaise !
LA CHAMBRIÈRE
C’est mon47, et un trèsbeau brocard48.
LE SERGENT
110 [Dieu sois céans ! Ne vous desplaise,]
J’entre privément.
LA DAME
Dieu vous gard !
Bien soyez venu ceste part49 !
J’ay grandement de vous affaire :
Fustes-vous pas présent à faire
115 Nostre appoinctement tout conclus50 ?
LE SERGENT
Nennin, il ne m’en souvient plus.
LA DAME
Bien peu s’en fault que je n’enrages !
C’est pour cinq années d’arrérages
Que mon bon mary me devoit
120 Du tribut que promis m’avoit.
Il vous en fit tant de [longs plets]51 !
LE SERGENT
A ! ouy dea, j’en fis les exploitz52.
De cela j’en suis souvenant,
Car ce fut par tel convenant53
125 Que vous eustes de luy pitié,
Et fust quicte pour la moitié54,
Par tel si qu’il devoit payer55
Et sans cesser continuer56,
Tant jours ouvrables que les festes.
LA DAME 57
130 Je prens sur ma foy ! vous y estes,
C’est bien recordé58 le marché.
Je vous ay tant de foys cherché
Pour avoir conseil sur ce pas59 !
LE SERGENT
Et ! comment cela ? N’a-il pas
135 Satisfait en lieu et temps deu60 ?
LA DAME
Ce fut autant de temps perdu.
Que j’en aye61 la fin somme toute !
LE SERGENT
A-il rien fait ?
LA DAME
Pas une goute62.
LE SERGENT
De cela je m’esbahis fort.
140 Or dictes, que je vous escoute :
A-il rien fait ?
LA DAME
Pas une goute.
Se j’en approche, il me déboute.
LA CHAMBRIÈRE
Je vous prometz qu’il a grand tort.
LE SERGENT
A-il rien fait ?
LA DAME
Pas une goute.
LE SERGENT
145 De cela je m’esbahis fort.
LA DAME
Je le63 doubte plus que la mort,
Sans cause et sans occasion64.
LA CHAMBRIÈRE
Monsïeur, faictes-luy raison65 :
Il luy a fait beaucoup d’excès.
LE SERGENT
150 De le66 tenir en long procès,
Ce luy seroit un trop grand soin.
LA DAME
Hélas ! moy, je n’ay pas besoing
D’atendre, ce67 me seroit gref.
LA CHAMBRIÈRE
Mais se vous pr[és]en[t]iez un bref68
155 Ainsi que feit vostre voysine69 ?
LE SERGENT
Quel ?
LA CHAMBRIÈRE
De nouvelle dessaisine70.
Ressa[i]sie seriez71, sur ce pas.
LE SERGENT
Ce bref-là ne gist pas au cas72,
Ainsi que dire [l’]ay ouÿ.
LA CHAMBRIÈRE
160 Pourquoy ?
LE SERGENT
El73 n’en a pas jouy
Un seul jour la dernière année.
C’est de quoy elle est si tennée74.
Cela en rien ne la soulage.
LA DAME
Se je mettoye un gage-plège75 ?
LE SERGENT
165 Il est – [si] j’en ay bien mémoire –
Propri[é]taire et possessoire,
Mais il demour[r]oit tout confus
S(e) une femme mettoit76 dessus,
Joinct d’estre [encor] mis à l’acul77
170 Et puis d’y78 avoir sus le cul.
[Nostre dame]79, sans fiction,
Gardez vostre possession.
[N’en verrez nul, tant soit]80 hardy
[Ne] tant soit fol ou estourdy,
175 Qui vous osast desposséder.
Il ne vous fauldra point plaider,
S’il ne vient aucun qui s’oppose.
LA CHAMBRIÈRE
Sur ma foy ! vélà bonne chose.
LA DAME
180 [Mon mary doit estre bien oint,]81
Car par rigueur ne l’aurez point.
LA CHAMBRIÈRE 82
Enseignez-luy quelque bon tour.
LE SERGENT
Il le fault avoir par amour…
LA DAME
Pourchassez donc [ce qu’est à faire]83.
LE SERGENT
Je m’y en vois84. En ceste affaire,
185 J’ay vostre cas recommandé85.
.
LE MARY et LE VOYSIN entrent 86 en chantant :
Celle qui m’a demandé SCÈNE III
[ Argent pour estre m’amye,
El(le) m’a faict grant villenye ;
Jamaiz je ne l’aymeray. ]87
LE MARY
190 Jamais ne l’abandonneray,
Fust-elle cent foys plus haultaine88.
LE VOYSIN
Je la laisserois89.
LE MARY
Non feray :
Jamais ne l’abandonneray.
LE VOYSIN
La raison ?
LE MARY
Je la vous diray :
195 J’ay plaisir à luy faire peine90.
Jamais ne l’habandonneray,
Fust-elle cent foys plus haultaine.
LE VOYSIN
Vous vous pleignez de teste saine91.
Je ne faitz doubte, par mon âme,
200 Qu’il n’est point de meilleure femme
Au monde.
LE MARY
Bien je vous en croys.
LE VOYSIN
Je le dy[s] la première foys
Que vous appointastes92 à elle.
LE MARY
Que fist-el, la bonne fumelle93 ?
LE VOYSIN
205 El94 vous quicta pour peu de chose.
Et aussi, comme je suppose,
Vous en avez fait vostre effect95.
LE MARY
En bonne foy, je n’ay rien fait.
Il fault bien qu’elle ayt patience.
LE VOYSIN
210 Craignez-vous point vostre conscience ?
Vous rendrez compte et reliqua96,
Car Dieu mariage applicqua
Pour à l’un et à l’autre complaire.
LE MARY
Si vous ne me voulez desplaire,
215 Ne m’en venez plus tant prescher.
Quand je m’en vouldray empescher97,
Je tiens la clef 98 et le moyen
Par lequel j’en cheviray bien99.
LE VOYSIN
S’elle vous en fait action100 ?
LE MARY
220 Tost je luy feray cession101.
Esse pas le dernier reffuge ?
LE VOYSIN
Sainct Jehan ! je ne sçay se le juge
Vous vouldra à ce recevoir102.
LE MARY
Pourquoy non ?
LE VOYSIN
Vous devez sçavoir,
225 Quand cession est prétendue
Pour une debte qui est deue,
Se la debte est privilégée,
La matière est bien abrégée
Et s’en va comme une chandelle103.
230 Ou, quand on y voit la cautelle104,
Aussi qu’elle est au cas présent…
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LE SERGENT 105 SCÈNE IV
Puisque je vous treuve présent,
C’est force que je m’appareille106
De vous dire un mot à l’oreille,
235 Et n’en desplaise à vostre bende107.
LE MARY
Dictes tout hault, que je l’entende.
Je le sçay bien, c’est de ma dame.
LE SERGENT
Je le croy bien : c’est vostre femme
Qui m’a prié vous adjourner
240 À demain sans plus retourner108.
Et là, vous orrez son libelle109.
LE MARY
Oho ! je voys110 parler à elle.
Voysin, allons-y vous et moy.
Et je vous prometz sur ma foy
245 De parler bien à son sibi 111.
LE SERGENT
Elle est clère comme un ruby ;
C’est dommage qu’elle est112 troublée.
LE VOYSIN
S(e) elle estoit plus souvent houssée113,
El(le) reluyroit comme une ymage114.
250 Ô mon voysin, monstrez-vous sage.
Et se conscience vous remort115,
Cognoissez que vous avez tort.
LE MARY
Avoir tort ? J’ay tort, voyrement ?
Dolent serois amèrement116
255 (Aussi je ne suis pas si fol117)
De luy toucher… Vertu sainct Pol !
Mais je crois qu’elle aura grand joye
Quand il fauldra qu’elle me voye.
Certes, je vous aymeray bien
260 Si vous povez trouver moyen
Que j’aye [un] acord avec elle.118
Je la voy.
Dieu vous gard, ma belle ! SCÈNE V
Vers vous je viens par grand[s] acquêtz119
Affin d’éviter un120 procès.
265 Vous m(e) aurez donc pour excusé121.
LA DAME
Hélas, tant vous estes rusé !
Si vous [vous] mocquez, si le dictes.
LE MARY
La raison veult que je m’aquites :
Aussi, c’est mon intention.
LA CHAMBRIÈRE
270 Tant vélà bonne invention !
Il est plain de grand charité.
LE SERGENT
Vrayement il vous a dit vérité.
C’est pour cela que je l’amayne122.
LA DAME
Je vous remercie de la peine
275 Que vous prenez, mais je sçay bien
Qu’il ne s’aquitera de rien.
Lisez : « Promettre et rien tenir123. »
LE VOYSIN
La fièvre le124 puisse tenir
Si vous n’estes125 tous deux contens !
LE MARY
280 Voicy le Karesme126, et bon temps,
Qu(e) avec vous me vueil resjouyr.
LA DAME
Sainct Jehan ! Dieu vous en vueille ouïr !
LE VOYSIN
Il sera plus doux que mïel127.
LA CHAMBRIÈRE
Ma dame n’a point de fïel :
285 On la peult de peu contenter.
LE VOYSIN
Esse à toy de t’en démenter128,
Du discort129 de l’homme et de la femme ?
LE MARY
Il est temps de nous esventer130.
LE VOYSIN
Esse à toy de t’e[n] démenter ?
LA DAME
290 Allons l’un l’autre contenter :
[Nous n’y]131 pourrons avoir [nul] blasme132.
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LE VOYSIN SCÈNE VI
Esse à toy de te démenter
Du discort de l’homme et de la femm[e] ?
LA CHAMBRIÈRE
Et qu’esse qu’il te fault, infâme133 ?
295 Je parleray !
LE VOYSIN
Tu mentiras134 !
LA CHAMBRIÈRE
Tu te tairas !
LE VOYSIN
Si feras-tu135 !
LA CHAMBRIÈRE
Sainct Jehan ! tu t’en repentiras :
Je parleray !
LE VOYSIN
Tu mentiras !
LA CHAMBRIÈRE 136
Regarde bien que tu feras !
LE VOYSIN
300 Et aussi, pourquoy me bas-tu ?
LA CHAMBRIÈRE
Je parleray !
LE VOYSIN
Tu mentiras !
LA CHAMBRIÈRE
Tu te tairas !
LE VOYSIN
Si feras[-tu] !
LE SERGENT
Le tout ne vault pas un festu137 :
Il[z se] sont ensemble remis.
305 Fol est qui se mesle d’amis
Et d’enfans : c’est abusion138.
À gens de bien n’est point permis139.
Fol est qui se mesle d’amis.
LE VOYSIN
Allons après, c’est [par trop mis]140.
310 C’est pour toute conclusion.
LA CHAMBRIÈRE
Fol est qui se mesle d’amis
Et d’enfans : c’est abusion.
LE SERGENT
Pour oster la d[i]vision,
Chantons une chanson ensemble !
LE VOYSIN
315 C’est le meilleur, comme il me semble.
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FIN
*
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Cinquante-troisiesme
Arrest d’Amours
donné sur le règlement des arrérages
requis par les femmes à l’encontre de leurs mariz.141
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Par-devant l’Abbé des Cornards en ses grans jours tenuz à Rouen, procès s’est meu & assis en première instance entre Catin Huppie142 (demanderesse en action personelle, hipotèque & payement d’arrérages, & encor requérant l’entérinement de certaine requeste143) d’une part, à l’encontre de Pernet Fétart144, son mary (défendeur), d’autre.
Finfrété145, pour la demanderesse, disoit que depuis quatre ans en çà ou environ, ledict défendeur – qui est d’assez belle taille – par plusieurs solicitations auroit tant poursuivy icelle demanderesse, faignant luy porter amitié & estre homme d’escarmouche146, que finalement, par commun accord des parentz, mariage s’en seroit ensuivy ; lequel ayant prins consommation147, depuis, par succession de temps, pensant icelle demanderesse s’estre mariée pour vacquer à procréation de lignée (ainsi que Dieu & nostre mère Saincte Église l’ordonnoyent), se seroit trouvé ledict défendeur, sinon du tout inhabile & malificié148 à tel déduit, pour le moins homme recreu & mal propre149, plus ayant de babil à sa langue que d’exécution à sa lance150. Tellement qu’à chasque propos, fuyant la lice151, subtilisoit152 mille délaiz, subterfuges & exoines153, sans donner le contentement réciproque au mariage, ainsi que le devoir l’obligeoit ; ains154 s’armoit de mille excuses fondées ou sur la saincteté des jours155, ou sur l’impertinence du temps156, ou bien se garantissoit157 de telz actes – requis au soulagement du mesnage – par unes fréquentes & assidues absences, de manière que la pauvrette demouroit nuict & jour en friche158, au grand dommage & intérest d’elle & des siens (…), oultre l’espreuve & expérience qu’elle en avoit faicte par le passé, longtemps devant159 que d’entrer en ce lien de mariage….
Lors de leurs fiançailles, devisans lesdictes deux parties en particulier (comme est la commune usance des accordéz), iceluy défendeur, par plusieurs allèchemens & subornations, sceut si bien surprendre la demanderesse que, ne se povant dépestrer de ses laz160 – joinct la promesse du futur mariage –, fut contraincte de se laisser du tout161 aller à la mercy dudict défendeur, luy prestant par ce moyen plusieurs « pains sur la fournée162 »….
Conséquemment, par coustume généralle, ledit défendeur estoit tenu à payer les arréraiges, ou bien de déguerpir la place. Quant est du déguerpissement, n’y en avoit aucun en la présente matière, attendu que le mariaige contient en soy une hipotecque qui ne périt que par la mort. Restoit donc à fournir par luy au payement des arréraiges escheuz après ses longues tergiversations & absences….
Par plusieurs interpellations, avoit ladicte demanderesse solicité le défendeur de parfournir à ceste debte. Et pour preuve de ce, employoit pour toute production les œillades & jambes coquines163, & mille parolles de mignardise & douceur par elle practiquées, sans que partie adverse y ait jamais presté que l’oreille sourde, tournant à chasque propoz la charrue contre les bœufz164. Au moyen de quoy, après une longue attente, voyant icelle demanderesse que pour quelque instance & poursuyte qu’elle fist par amytié à l’endroict dudict défendeur, néantmoins ne vouloit entendre d’entrer en aulcun payement.
Conseillée par quelques siens parens & amis (gens entenduz165 en cest affaire), avoit esté contraincte de mettre ledict défendeur en procès par-devant l’Abbé des Cornardz. Si, concluoit à l’encontre dudict défendeur à deux fins : c’est à sçavoir qu’iceluy défendeur, comme du tout affecté & hipothecqué à la personne de ladicte demanderesse, fust tenu de payer entièrement les arréraiges escheuz jusques à huy166 des nuitz oiseusement passées depuis leur contract de mariage…. Ou, en tout événement, que permission fust baillée à ladicte demanderesse se pourvoir d’adjoinct & ayde selon qu’elle verroit estre bon de faire….
Disoit ledict Maugarny167 estre semblablement d’accord (car il vouloit recongnoistre vérité) des plaisirs que ledict défendeur avoit receuz de ladicte demanderesse auparavant leurdict mariage…. Partant, si la demanderesse avoit usé à l’endroict dudict défendeur de quelque sorte de gratieuseté, la récompense luy en avoit esté par un mesme moyen rendue, par ce qu’elle ne pouvoit exercer ceste libéralité que le deffendeur, sur le champ, ne luy rendist la pareille, voire avec une usure centiesme168. Et ce pour autant que le plaisir de la femme – non point par jugement humain mais par arrest des oracles169 – est de la centiesme partie & sans comparaison plus grand que celuy que reçoit l’homme en telles opérations….
Si (comme elle avoit soustenu) la vérité estoit telle qu’elle avoit faict espreuve cors à cors de la personne dudict défendeur, soubz correction170, ne pouvoit dire qu’elle eust esté surprinse ; ains se debvoit à elle-mesme imputer si elle s’en trouvoit mal171….
Le mary n’est point plus obligé qu’en tant qu’il y peult satisfaire. Aultrement, si l’hypotecque des mariaiges alloit d’un mesme pas que les autres, certainement à la longue les povres maryz demeureroient percluz & hypothecquéz de tous leurs membres ; & y auroit danger que, de telles actions hypotécaires, on ne créast autres actions d’apoticaires, pour les fraiz & mises qu’il conviendroit faire en drogues, pour substanter & remettre en entier la nature172 des pauvres hommes, lesquelz se débilitent, cuydantz faire plus qu’ilz ne peuvent….
En matière de corvées, n’y escheoyent point d’arréraiges : par conséquent, ny en mariaige, où les baisers & accollementz de mary à femme ne sont que pures corvées. Ainsi, le sort principal payé, demeuroient pareillement absorbéz tous les arréraiges qu’eussent peu les femmes mariées prétendre….
En tant que touchoit le second173, sur l’adjoint par elle requis, respondoit que telle requeste estoit contre toutes bonnes meurs, & chose non jamais usitée, à raison des dissensions, jalouzies, umbraiges & divorces qui se pourroient susciter entre le mary & l’adjoinct ; tellement que, d’aucune mémoire, ceste loy n’avoit jamais eu cours, mais bien avoit-on veu au contraire en plusieurs endroictz du Levant (& de nostre aage & de l’ancienneté) un mary avoir plusieurs femmes….
Le public, à l’occasion des clameurs qui venoient ordinairement de la part des femmes par faulte d’adjoinct, requéroit qu’il pleust audict Abbé & à son Conseil, renouvellant l’ancienne loy, ordonner que désormais, à chasque femme mariée seroit son mary semblablement pourveu d’adjoinct, & ledict Arrest publié à son de trompe par tous les cantons des Cornardz….
Si a ledict Abbé & sa Court veu le procès en grande & meûre délibération, & le tout veu & considéré, a déclaré & déclare ladicte demanderesse bien recevable en ses demandes & conclusions. Et en faisant droict sur icelles, a condemné ledict défendeur à payer les arréraiges deubz par iceluy défendeur, à raison de l’hipotecque procédant de leur mariage. Alias, à faulte de ce faire, a permis à ladicte femme dès à présent comme dès lors, & dès lors comme dès à présent, se pourvoir, à sa volunté, d’adjoinct…. Pour oster d’oresnavant toutes les plainctes qui viennent en ladicte Court de la part desdictes femmes, leur a ladicte Court permis (en cas qu’ilz se trouvent mal payées) se pourveoir semblablement d’adjoint comme ladicte demanderesse, à la charge que tout se face soubz main & sans bruit, au déceu174 de leurs mariz.
*
1 Des mendiants aveugles jouaient de la vielle dans les rues. 2 Par sommation de payer sous peine d’excommunication. Les femmes qui réclament des arrérages à leurs piètres maris sont deux : celle qui intervient dans la farce, et sa voisine, dont on raconte les démarches infructueuses aux vers 154-163. 3 Chanson inconnue, y compris dans la version R : Amie ay fait nouvellement. (Voir Brown, nº 15.) Le terme musical « à plaisir », qui traduit l’italien a piacere, laisse entendre que le chanteur improvise une mélodie sur ce triolet. En ces temps où le moindre maître ès Arts savait mieux le solfège que nos actuels diplômés du Conservatoire, cela n’aurait rien eu d’impossible. 4 Sexe. « Les tétons mignars de la belle,/ Et son petit cas qui tant vault. » Clément Marot. 5 Chez elle, assise au bord du lit, elle discute avec sa chambrière, qui est en quelque sorte son avocate. 6 Qu’il ne me rembourserait pas les coïts qu’il me doit. Voir la notice. 7 Combien de fois vous a-t-il fait l’amour ? On retrouve ce verbe faire aux vers 138 et 208. 8 Jouons-lui un mauvais tour. « Faisons-luy quelque aultre finesse. » Troys Gallans et Phlipot. 9 Au nom de la bonté de Dieu (qu’on invoque ici pour commettre une action diabolique). 10 Il ne redoute pas. 11 BM : renger des noz (Qu’il en sera ruiné.) Puisque le mari est plus parjure qu’un chien (vers 13), il sera traité comme un chien. 12 Faites-le. Au contraire des autres éditeurs parisiens, Chrestien n’a pas trop édulcoré les idiotismes normands. 13 Contre nous. Cf. les Veaux, vers 252. La chambrière, qui prend au sérieux son rôle d’avocate, va même jusqu’à citer du latin. 14 Piteux. 15 Devant l’Official, qui réglait tous les problèmes liés à la sexualité du couple. Cf. le Tesmoing et Jehan de Lagny. 16 Une manie. Le latin était la langue officielle de l’Église. 17 La Cour laie [laïque] est un tribunal séculier, au contraire de la Cour d’Église. Cf. la Réformeresse, vers 254-255. 18 Personne. 19 Sa reconnaissance de dette prouvant qu’il vous doit un certain nombre de coïts. 20 Citer à comparaître. 21 Tarder. 22 Pour peu qu’il reconnaisse sa signature. 23 Il y aura des suites sévères. 24 Ironique : Qu’elle est malheureuse ! 25 Le pire, le plus grave. 26 Je n’ose pas mettre un amant à sa place. « Je ne puis commettre aultre lieutenant général en mon lieu. » (ATILF.) Dans l’Arrêt que je publie en annexe, la femme obtient que son impuissant de mari soit flanqué d’un « adjoint » qui s’occupera d’elle. 27 De prime-saut, d’emblée. Cf. Jehan qui de tout se mesle, vers 148. 28 Dans la chambre. 29 BM : paindre (Pointer, bander. « Lance au bout d’or qui sais et poindre et oindre. » Ronsard.) 30 BM : Du mien il ne — R : Mais au mien ie 31 Vraiment ? 32 J’ai attrapé. Au lit, les femmes se pressaient contre leur mari pour avoir moins froid. 33 Qui m’oppresse et m’élance. 34 Une défaillance, un malaise. « Las ! il m’est pris une faillance. » Le Poulier à sis personnages. 35 BM : Je — R : Que (Quand je ne sens pas contre moi mon voisin de lit. « Pour l’amour de son amarry. » Les Chambèrières qui vont à la messe.) 36 La femme se renseigne afin de pourvoir d’un bon « adjoint » son mari déficient. 37 « “C’est un payeur d’arrérages.” Ces mots se disent en riant pour marquer un homme vigoureux, & bien capable de contenter une Dame en matière d’amour. » Le Roux. 38 Un soldat à la retraite. Sous-entendu : un impuissant. 39 Même les gens qui n’étaient pas de Paris connaissaient de réputation la chapelle Sainte-Avoie : c’est à ce pèlerinage que prétendaient se rendre les épouses qui allaient rejoindre leur amant. Voir la note 106 du Povre Jouhan. 40 Cette affaire. Mais on n’a pas oublié le « petit cas » du vers 5. 41 Si nous pouvons trouver un sergent. 42 Jamais, depuis que nous avons signé une conciliation au sujet des arrérages sexuels qu’il me doit. Voir la notice. 43 Il entre chez la dame. Ce sergent apparaît miraculeusement quand on a besoin de lui, et l’auteur ne tente même pas de justifier cette apparition. 44 Sans me gêner. 45 BM : desplaise (À la rime.) Je n’ai vu aujourd’hui personne que j’aie autant eu envie de voir. 46 BM : lieu (Si le sergent est venu chez la dame à une heure où il devine que le mari est absent, c’est qu’il avait peut-être envie de tester le lit.) 47 C’est vrai. Cf. Régnault qui se marie, vers 256. 48 BM : regard (Le brocard est une étoffe dont on fait notamment des couvre-lits : « Un autre lict de brocard de soye. » Inventaire de Vaux.) Un brocard est aussi une raillerie : cf. les Coppieurs et Lardeurs, vers 324. La chambrière soupçonne le sergent d’avoir des vues sur sa patronne. 49 Par ici. 50 N’étiez-vous pas présent à la signature de notre conciliation ? 51 BM : soupplectz (De longues plaidoiries. « En fault-il faire tant de plaist ? » Les Femmes qui font refondre leurs maris.) 52 La notification. « Aucun sergent du Roy ne puisse (…) faire adjornemens ou aucuns exploiz de justice. » (ATILF.) Exploit rime en « è », à la manière normande : « Escrivez-nous cy nostre explet. » Jehan de Lagny. 53 De telle manière. 54 Vous lui fîtes cadeau de la moitié des arrérages qu’il vous devait. 55 BM : songer — R : payeroit (Par telle condition qu’il vous paye en nature ces arrérages.) 56 R : continueroit (Ce vers manque dans BM.) 57 BM : chambriere. — R : Femme. 58 Rappelé, résumé. 59 Sur ce point. Idem vers 157. « Je vous respondray sur ce pas. » Pour le Cry de la Bazoche. 60 Dû, prévu. J’emprunte à R ce mot qui manque dans BM. 61 BM : ays (Que j’en vienne à bout.) 62 Le mari doit payer les arrérages en liquide… Cf. les Chambèrières qui vont à la messe, vers 136. 63 BM : ne (Je le redoute.) 64 Sans raison. 65 Réglez son compte au mari. Cf. les Chambèrières et Débat, vers 245. 66 BM : les (De maintenir son mari.) 67 BM+R : cela (Cela me serait pénible.) 68 Une lettre officielle. 69 La femme du Voisin, lequel est l’ami intime du mari. Donc, aucun de ces deux « amis » ne veut coucher avec son épouse. 70 Spoliation. « Briefz de nouvelles dessaisines. » ATILF. 71 BM : serois (Vous seriez remise en possession de vos droits, sur ce point.) 72 Ne concerne pas ce cas. Double jeu de mots : Ce petit pénis ne gît pas dans le sexe de la voisine. 73 BM : Et (Elle : la voisine.) 74 BM : tencee (Tannée, tourmentée. « De ma vie, ne fus plus tenné/ Que je fus à ceste heure-là. » Les Maraux enchesnéz.) 75 Un gage-pleige, un brevet. « De quelque bref ou gaige-plège. » (Pates-ouaintes.) Rime avec soulaige. 76 BM : nestoit (Au jeu de paume, « mettre dessus », c’est envoyer l’éteuf par-dessus la corde.) Allusion à une posture où la femme virile chevauche l’homme efféminé. 77 D’être acculé. Cf. Frère Guillebert, vers 253. 78 BM : luy (D’être fessé par la Justice.) 79 BM : Vostre clame (Madame, sans mentir.) 80 BM : Par apres nul sanson (« Et n’est nul, tant soit hardy, qui pour ceste querelle s’oze mettre en champ à l’encontre de lui. » Messire Gilles de Chin.) 81 Vers manquant. Oint = amadoué. 82 Au sergent. 83 BM : cest affaire (À la rime.) Accomplissez ce qu’il y a à faire. 84 J’y vais. 85 J’ai votre cas sous ma protection. Mais le cas désigne encore et toujours le sexe de la femme : voir les notes 4, 40 et 72. 86 Ces deux amis inséparables sont dehors, non loin de la maison du mari. 87 BM : &c. (Et cetera.) Cette chanson étant fort connue au XVIe siècle, l’éditeur résume le 1er couplet dans un « etc. » qui n’était pas gênant à l’époque, mais qui nous prive aujourd’hui de la rime du vers 190. Je complète donc ce couplet d’après le ms. de Bayeux. 88 Réminiscence d’une autre chanson qui dit : « Et fust-elle cent fois plus belle. » Voir le vers 260 du Povre Jouhan, et le vers 214 de l’Antéchrist. 89 Si j’étais vous, je la quitterais. 90 R échange ce vers sadique contre un vers masochiste qui ne reflète pas la profonde misogynie de l’époux : Je treuve plaisir en ma peine. 91 « Vous plaignez-vous de teste saine ? » Testament Pathelin. 92 BM : appointactes (Voir la note 50.) 93 Ma femme (normandisme). 94 BM : Et — R : elle (Elle vous tint quitte.) 95 Vous avez agi en conséquence. 96 Vous en rendrez un compte exhaustif. « Qu’ils feussent condempnés et contrains à rendre compte et reliqua de l’administration par eulx eue des biens dudit Henry. » ATILF. 97 Quand je voudrai m’y mettre. 98 La clé, qu’on enfonce dans le trou d’une serrure, est une métaphore priapique courante. « –Il y a, sans comparaison,/ Un cul qui a perdu sa clef./ –Ha ! je l’auray tost retrouvée,/ Car je la porte à ma ceinture. » La Ruse, meschanceté et obstination d’aucunes femmes. 99 J’en viendrai bien à bout. 100 Une action en justice. Le voisin se transforme lui aussi en avocat. 101 Abandon de mes biens. « Je feray, avant, cession,/ Et vous abandonne mes biens. » Jehan qui de tout se mesle. 102 L’acceptera. 103 Et finit par s’éteindre. 104 Une ruse du débiteur. 105 Dehors, il rencontre les deux hommes par hasard. Décidément, les dieux du théâtre sont avec lui ! 106 Que je m’apprête. 107 À votre compagnon, par allusion à « la bande sacrée des jeunes Thébains, qui autrement s’appelloit la bande des amis ». (François de La Noue.) Les mignons d’Henri III seront accusés d’y appartenir : « Quelqu’un de la bande sacrée eut des chancres en mauvais endroits. » (Agrippa d’Aubigné.) 108 Sans que vous reveniez sur vos pas. 109 Vous entendrez sa requête. 110 Je vais. 111 À elle. Ce mot latin est un peu menaçant : « Le diray à maistre Antitus,/ Qui parlera à ton sibi ! » Deux jeunes femmes qui coifèrent leurs maris. 112 BM : nest 113 BM : houblee (Dépoussiérée. Au second degré : ramonée. Cf. le Ramonneur de cheminées, vers 30 et passim.) 114 Une médaille fixée à la coiffure. 115 Si vous avez des remords de conscience. 116 BM met ce vers juste après 252, suivi sur la même ligne par la rubrique Le mary. 117 BM : sot 118 La femme et sa chambrière sortent de la maison. 119 BM : aceptz (Pour mon plus grand profit. « Et n’avez pas eu grand acquest/ Ny proffit à parler ainsi. » L’Antéchrist.) 120 BM : a 121 Vous me tiendrez pour excusé : vous accepterez mes excuses. 122 BM : layme. 123 Proverbe recueilli tel quel dans les Adages françoys. 124 BM : la (L’encrage de ces 2 vers est très défectueux : on devine plus qu’on ne lit.) 125 BM : nettes 126 La pièce est donc jouée lors du Carnaval, que va suivre le Carême, qui est une longue période d’abstinence peu favorable aux plaisirs de la chair. La femme ne se rend pas compte que son mari la berne une fois de plus. 127 Diérèse normande. Lorsque maître Pathelin imite le patois normand, il dit à propos d’une mouche à miel : « Ou à une mousque à mïel. » 128 De t’en préoccuper. Les deux « avocats » commencent à s’écharper. 129 De la discorde. 130 De changer d’air, de quitter les lieux. Cf. Pour porter les présens, vers 26. 131 BM : Ny nous 132 « Elle n’y peult avoir nul blasme. » (Les Queues troussées.) Le couple rentre dans sa maison. Dans R, le Voisin commente ce départ :
Il s’en sont alléz là-derrière,
Pensez, cheviller leur accort
Afin qu’il en tienne plus fort.
C’est ainsi qu’il faut appaiser
Les femmes, quand veulent noiser.
Les voilà ensemble remis.
133 Homosexuel. « Les infâmes/ Bougerons [bougres] plains de forfaicture,/ Pécheurs contre Dieu et Nature. » (La Nef des folz du monde.) Voir la note 95 des Sotz fourréz de malice. 134 Tu n’auras pas dit la vérité. Cf. l’Aveugle, son Varlet et une Tripière, vers 111. 135 C’est toi qui te tairas. 136 Elle tape sur les fesses du voisin. 137 Cessez de vous battre, cela n’en vaut plus la peine. « Tout n’en valloit pas ung festu. » Les Premiers gardonnéz. 138 Le sergent condamne à la fois la sodomie et la pédophilie. « (Néron) s’esforça de transformer .I. filz masle en nature de femme quant il lui fist trenchier les .II. génitoires. De celui temps vint le proverbe que “l’usage des biaus enfans est abusion”. » Denis Foulechat. 139 BM : promi (C’est indigne des gens de bien.) 140 L’encrage de ces 2 vers est défectueux. Ici, on lit vaguement : le toup mis. « C’est par trop mys, je vous assure. » (La Mère de ville.) Il faut comprendre : Nous sommes restés là trop longtemps. « Que chascun s’en aille,/ Car, par Dieu, nous avons trop mys. » (Le Monde qu’on faict paistre.) 141 Cet Arrêt composé par les Conards de Rouen clôt certaines éditions des 51 Arrests d’Amours, de Martial d’Auvergne. 142 Huppée, galante. « En faitz d’amours, j’estoye huppé. » Beaucop-veoir et Joyeulx-soudain. 143 Cette requête consiste à faire aider le mari impuissant par un adjoint. 144 Paresseux. Cf. le Résolu, vers 191 et note. 145 C’est l’avocat de la femme. Fin frété = rusé. « Un fin frété renard. » Godefroy. 146 Un bon amant. « (Il) commença à allentir les “coups” et n’estre plus si aspre en ses escarmouches. » Straparole. 147 Ayant été consommé. 148 Victime d’un maléfice qui rend impuissant, comme le nouement d’aiguillette. 149 Épuisé et peu propre à ce genre d’exercice. 150 Verge. « Je suis mal fourny de grosse lance telle qu’el espère et voy bien qu’el désire d’estre rencontrée. » Cent Nouvelles nouvelles, 15. 151 Le combat amoureux. « Petiz tétins, hanches charnues,/ Eslevées, propres, faictisses/ À tenir amoureuses lices. » Villon. 152 Il invoquait subtilement. 153 Des empêchements. 154 Mais il. 155 L’Église prohibait les rapports conjugaux certains jours de l’année. 156 Sur des conditions météorologiques défavorables au coït. 157 Se protégeait. 158 N’était jamais labourée. Cf. Raoullet Ployart, vers 43. 159 Avant. La jeune fille n’était donc plus vierge depuis longtemps. 160 De ses lacs, de ses pièges. 161 Totalement. 162 Couchant plusieurs fois avec lui. Cf. les Chambèrières qui vont à la messe, vers 237 et note. 163 Les appels du pied. 164 Lui tournant le dos dans le lit. 165 Expérimentés. Cf. l’Amoureux, vers 95. « N’est-il pas temps que vous emmenche ?/ J’ay desjà trois jours attendu :/ C’est trop, pour un homme entendu. » Bonaventure Des Périers. 166 Jusqu’à aujourd’hui. 167 Mal garni, mal équipé. C’est évidemment l’avocat du mari impuissant. 168 Sans que le mari ne lui rende ce plaisir au centuple. 169 Le devin Tirésias, qui avait été métamorphosé en femme, avouait que celles-ci prenaient dix fois plus de plaisir que les hommes : « Thyrésïas point ne menti/ Quand il dit que plus, de luxure,/ Quand il estoit femme senti/ Que quand avoit nostre nature. » L’Amoureux passetemps. 170 Sauf erreur. Cf. les Mal contentes, vers 483. 171 S’en prendre, si elle n’était pas contente de son mari, alors qu’elle l’avait essayé « corps à corps » avant de l’épouser. 172 La verge. « La créature/ Se venoit assoir à ses piéz/ Pour luy eschauffer la nature. » Guillaume Coquillart. 173 En ce qui concerne le second point : l’adjoint qui épaulera le mari déficient. 174 À l’insu.
JEHAN DE LAGNY
*
JEHAN DE LAGNY
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Cette farce rouennaise fut écrite en 1515. L’auteur a pioché le nom des trois femmes de sa pièce dans des chansons gaillardes, aujourd’hui perdues. Le nom du personnage principal vient d’une autre chanson : « Leus-tu jamais en Fierabras / La Chanson de Jean de Laigni ? » (L’Amoureux passetemps.) Cette chanson – également perdue – raillait le fait que Jean sans Peur, en 1416, cantonnait depuis longtemps à Lagny-sur-Marne, et qu’il n’arrivait pas à se décider sur la suite des opérations. Ses ajournements perpétuels lui valurent les quolibets des Parisiens, ce dont il se fâcha tout rouge. « Le duc Jehan de Bourgoingne (…) alla logier à Lagny-sur-Marne, où il fut grant temps. Et tant y fut, que ceulx de Paris (…) l’apeloient Jehan de Lagny. » <Mémoires de Pierre de Fénin.> À défaut de la chanson, nous avons conservé deux proverbes sur les atermoiements de Jean sans Peur : « Jehan de Lagny, qui n’a point de haste. » Et : « Il est des gens de Lagny, il n’a pas haste. »1
Le héros de notre farce est baptisé Jean de Lagny parce qu’il promet toujours le mariage à ses conquêtes, mais qu’il temporise indéfiniment : « J’ey promis et promais encore/ Vous espouser je ne say quant. » Dans la farce du Retraict, qui appartient au même manuscrit, on disait déjà d’un homme velléitaire : « Voylà un bon Jehan de Lagny ! »
Après le succès de la pièce, Jacquet de Berchem composa cette chanson, qui fut publiée en 1540 :
Jehan de Lagny,
Mon bel amy,
Vous m’avez abusée.
Se ce n’eust esté vostre amour,
Je fusse mariée.
Vous avez ouvert le « guichet »,
La « mouche » y est entrée2.
Se j’avois connu vos façons,
Fille serois restée.
On doist bien brider le « mulet »,
S’il entre à l’escurie.
Dans la farce du Tesmoing, un prévenu refuse d’épouser une femme, qu’il a subornée en lui promettant le mariage. Or, le juge est un official, comme il se doit dans ce genre d’affaires. Ici, trois femmes séduites par un seul homme veulent l’épouser, et font appel à un juge laïc qui n’est pas compétent dans ce domaine. En outre, ce fantoche de juge rend la justice en pleine rue, et n’a aucun moyen de faire appliquer ses sentences, qui sont d’ailleurs illégales. On le traite de « fol » à l’avant-dernier vers, et tout laisse croire que ce suppôt des Conards de Rouen fut effectivement joué par un Sot.
Source : Manuscrit La Vallière, nº 31. Le texte est dans un état si décourageant que nul ne s’est risqué à en donner une édition critique.
Structure : Rimes plates, avec 4 triolets.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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*
Farce joyeuse
À sis personnages, c’est assavoir :
JEHAN DE LAGNY, Badin
MESSIRE JEHAN [VIRELINQUIN]
TRÉTAULDE 3
OLIVE 4
PÉRÈTE VENEZ-TOST 5
et LE JUGE
.
*
TRÉTAULDE 6 commence,
tenant un baston à sa main. SCÈNE I
Tant, pour chercher Jehan de Lagny,
J’ey de douleur et de destresse !
À Parys, à Troys7, à Magny,
Tant, pour chercher Jehan de Laigny.
5 Pendu soyt-il comme Margny8
En un gibet de grand haultesse,
Tant, pour chercher Jehan de Laigny,
J’ey de douleur et [de] détresse !
PÉRÈTE VENEZ-TOST
Et moy, par semblable finesse9,
10 Jehan de Laigny [m’a engyné]10.
Pensez qu’il sera démené,
Se je le tiens bref en rudesse !
OLIVE
Il ne m’a pas tenu promesse,
Jehan de Laigny, ce trompereau.
15 Je requiers Dieu que le boureau
Le puisse atraper à son erse11 !
PÉRÈTE
Dictes-moy, s’y vous plaist, comme esse
Qu’i vous trompa, et en quel rue.
Ainsy que vous ay aperceue12,
20 Il vous a mys le corps en presse13 ?
TRÉTAULDE
Il me feist choir en la reverse14
En me disant :
« Grosse trongnaulde15 !
Combien que vous soyez courtaulde16,
J’éray la copie17 de ce corps ! »
25 Et vous, [qui estes-vous, pour lors] ?
PÉRÈTE
Pérète Venez-tost.
TRÉTAULDE
« Pérète,
Vous ma seurète »18,
Dont on parle parmy19 ces rus ?
Enda ! à peu20 que ne mourus
D’entendre21, par un samedy,
30 Un grand Sot, garson estourdy,
Estant22 aveques un supost,
Chantant :
« Pérète, venez tost !
Gay là, gay23 ! la chose [est] preste. »
Et l’ort vilain Sot désonneste
35 Prononsoyt en dict et propos
Qu’i l’avoyt « aussy dur c’un os ».
[S]y esse vous, doulce compa(i)gne ?
PÉRÈTE
Ouy, c’est moy.
OLIVE
Pour Dieu, qu’on n’espargne
Jehan de Lagny, se on24 le treuve !
40 Et qu’i n’ayt relâche ne treuve25
Jusqu(es) à ce que la mort s’ensuyve26 !
TRÉTAULDE
Et vostre nom ?
OLIVE
Moy, c’est Olive.
TRÉTAULDE
[Quoy ! estes-vous « la belle fille » ?]27
Y vous a serré la « quoquille »,
Se disent enfans à leurs chans28.
45 Ceulx qui vont le pavé marchans
Vous chantent29 aussy bien que nous.
PÉRÈTE
Je requier Dieu à deulx genoulx
Qu’on cherchon30 tant qu’il soyt trouvé.
S’y n’est de par moy esprouvé
50 Méchant31, que je soys difam[é]e !
OLIVE
Jehan de Laigny ?
TRÉTAULDE
Sa renommée
Sera perdue, ce coup icy.
Non obstant, vous veulx dire un sy32
Qui nous servyra bien.
PÉRÈTE
Et quoy ?
TRÉTAULDE
55 Que chascun se taise [tout coy]33,
Et tenons icy un concille.
Ayons un clerc de ceste ville,
Ou un prestre qui soyt savant,
Qui vienne avec nous poursuyvant
60 Jehan de Lagny, ce faulx nerquin34.
OLIVE
Messire Jehan Virelinquin35
Est bien homme pour nous conduyre.
Vous plaist-il que luy aille dyre
Qu’i vienne à vous parler souldain ?
PÉRÈTE
65 Alez souldain ou tost !
TRÉTAULDE
Mais ne targez grain36.
OLIVE
Le voécy, c’est Dieu qui l’envoye !
.
Messire Jehan, Dieu vous doinct joye SCÈNE II
De ce que vostre cœur désire !
Vous est-il bien37 ?
MESSIRE JEHAN [VIRELINQUIN]
Gras comme [une oye]38 !
TRÉTAULDE
70 Messire Jehan, Dieu vous doinct joye !
MESSIRE JEHAN
Tant [je voy cy]39 une mont-joye
De bonnes commères pour rire !
PÉRÈTE
Messire Jehan, Dieu vous doinct joye
De ce que vostre cœur désire !
TRÉTAULDE
75 Escoutez un petit40 mon dyre
Aussy vray comme le soleil41 :
Aydez-nous de vostre conseil,
En vous payant42 de vostre paine.
MESSIRE JEHAN
Prononcez !
PÉRÈTE
C’est chose certaine
80 Que Jehan de Lagny on cherchon.
Fust-il pendu à Alenson,
Ou son corps brullé à Bréban43 !
MESSIRE JEHAN
Faictes-lay adjourner à ban44,
Citer45 à ouÿe de paroisse.
85 Y fauldra qu’i boyve l’engoysse46,
Fust-il des gens de Hanequin47.
OLIVE
Et ! monsieur Jehan Virelinquin,
Tant on sommes à vous tenu[e]s !
MESSIRE JEHAN
S’il estoyt caché48 soublz les nu[e]s
90 On le trouveron, sy Dieu plaist.
TRÉTAULDE 49
Escrivez-nous [cy] nostre explet50,
Et narez en vostre registre
Que c’est moy-mesme qui le cite,
Tout par despist de sa ribaulde.
[MESSIRE JEHAN] 51 escript.
95 Vostre non à vous ?
TRÉTAULDE
C’est Trétaulde.
MESSIRE JEHAN
Trétaulde52 ?! Dieu de Nazaret !
TRÉTAULDE
Qu’i ne s’en faille un tiret
Qu’i ne compare53, le coquin !
PÉRÈTE 54
Messire Jehan Virelinquin,
100 Mectez que c’est moy qui le cherche.
Sy tenir le puys à mon erse,
Il éra la prison pour lot55.
J’ey non56 Pérète Venez-tost,
Afin que pas ne l’ombliez57.
105 Ne luy ne toulz ses alyés58
Ne valent pas le[s] mestre au feu59.
MESSIRE JEHAN
Mais ayez pacience un peu,
Que j’[ay]es escript ce mot icy.
OLIVE
Virelinquin, mectez aussy,
110 Monsieur, que dire doys premyer60
Qu’il est aussy sot c’un prunyer
D’aler tant de filles tromper.
Et sy on le puist atraper,
Rien ne luy vauldra son moquer61.
MESSIRE JEHAN
115 Il ne [me séroyt]62 révoquer,
Puysque j’ey procuration.
TRÉTAULDE
Faictes-luy assignation
De comparer63 à ma requeste.
PÉRÈTE
Et moy aussy.
MESSIRE JEHAN
A ! j’ey la teste
120 Assez ferme pour le bien faire.
OLIVE
Monsieur Virelinquin, mon Frère :
[Que] n’omblyez pas à m’y mectre !
MESSIRE 64 JEHAN
Nennin. Mais signez ceste lestre,
Et puys me laissez faire, moy.
.
LE BADIN 65 entre en chantant : SCÈNE III
125 C’est à ce joly moys de may
Que toutes herbes renouvelles.
Et vous présenteray, les belles,
Entièrement le cœur de moy.66
.
TRÉTAULDE 67 SCÈNE IV
Aussy vray qu’i n’est c’une Loy,
130 J’ey entendu Jehan de Laigny !
Je vous suply qu’i soyt pugny,
Messire Jehan, s’il est possible.
MESSIRE JEHAN
Uson de finesse paisible68.
Que l’une de vo[u]s troys l’amuse69,
135 En parlant doulcement, de ruse ;
Et [moy], j’escousteray de loing.
Je vous servyray de tesmoing
Au besoing, plus que ne font sis70.
PÉRÈTE
Aussy vous érez des mersis71,
140 Sy Dieu plaist, plus de quatre cens.
.
LE BADIN 72 SCÈNE V
Sainct Jehan ! depuys les Innocens73
Que je suys party de Rouen,
Je fais [le] veu à sainct Ouen74
Que je n’ay veu femme ne fille,
145 Quelle qu’el soyt, tant soyt habille
Qu’il sont icy75 ! Très âprement,
Voir je m’en voys bénignement76
Trétaulde, Pérète et Olyve,
Et faire le petit convyve77
150 Avec eulx78 gratieusement.
Et puys pensez que l’instrument 79
Y fauldra bien que l’on me preste.
TRÉTAULDE, en dèrière 80
In Gen81 ! beau sire, sy je le preste,
Que l’on me pende sans mercy !
PÉRÈTE
155 Non pas moy.
OLYVE
[Et] ne moy aussy82.
.
LE BADIN SCÈNE VI
Dieu gard les belles sans soulcy !
TRÉTAULDE, en ruze.
Et ! Jehan de Lagny, Dieu vous gard !
LE BADIN
Vous est-il bien ?
PÉRÈTE
Ouy, Dieu mercy !
LE BADIN
Dieu gard les belles sans soulsy !
160 Tousjours seulètes ?
OLYVE
Il est ainsy.
LE BADIN
Joyeulx suys de vostre regard.
Dieu gard les belles sans soulsy !
LES TROYS ensemble
Et ! Jehan de Lagny, Dieu vous gard !
LE BADIN
Ma foy, je suys frapé du dard
165 D’Amours, tant de vous suys joyeulx.
TRÉTAULDE
En tout temps estes amoureulx ;
Jamais ne vous en passerez ?
(Mydieulx ! vous récompenserez
Mon honneur, qui est difamé !)
LE BADIN
170 Ouy dea, je pence estre famé83
Et renommé en tant de lieux.
Sy vostre cœur est envyeux
De chose qui soyt en ce monde,
Je suys d’acord qu’on me confonde
175 Sy ne l’avez pour souhaiter84.
TRÉTAULDE
Y vous plaira me relater85
La promesse que m’avez faict :
Combien qu’il soyt gardé segret86,
Avoir la veulx en ma mémoyre87.
LE BADIN
180 J’ey promys et promais encore
Vous espouser je ne say quant.
MESSIRE JEHAN 88
(Sainct Jehan ! vous vélà prins pour tant89 :
Cétuy mot pas je n’omblyray.)
PÉRÈTE
Et quant esse que je seray
185 En honneur mise de par vous ?
LE BADIN
Quant et90 Trétaulde.
OLYVE
Et moy ?
LE BADIN
Et91 vous.
TRÉTAULDE
M’y deust-il couster trente soublz,
Je vous éray ou vous m’érez !
LE BADIN
Afin que le cas assurez92,
190 Alon, pour le temps advenir,
Le fère93 un coup pour souvenir.
Et puys la chère nous94 feron.
MESSIRE JEHAN 95
Esse pas cy mon aulteron96,
Dont j’ey sur luy lestre de prinse97 ?
195 Puysque j’ey sus vous la main myse,
Parler vous viendrez à Monsieur98 !
LE BADIN
Me prenez-vous pour transgresseur99 ?
Estes-vous oficier100 du Roy ?
MESSIRE JEHAN
Vous viendrez présent quant et moy101 !
200 Par Dieu j’en jure et jureray !
LE BADIN loche 102 la teste
Et ! par la vertu, non feray !
J’ey comme toy une caboce103.
Me pence-tu mener à force
Aulx prisons ? Jen ! tu as beau nes104.
MESSIRE JEHAN
205 Pourtant y fault que vous venez
Malgré vos dens et vostre cœur105.
LE BADIN
Par la mort ! vous serez menteur106.
MESSIRE JEHAN
Le deable m’enport ! non seray.
Maintenant je te montreray
210 Que j’ey de te prendre licence107.
.
LE JUGE 108 SCÈNE VII
J’ey entendu quelqu(e) un qui tence
En blaphémant Dieu de sang meu109.
Y fault sçavoir dont est esmeu
Le débat de leur diférent110.
215 Car je n’ay amy ne parent,
Pourveu que mon Dieu y blaphesme,
Qu’en dure prison je n’enferme
Long temps sans boyre que de l’eau !
MESSIRE JEHAN
Monsieur, voyez cest estourneau
220 Qui pour le présent se rebelle.
J’ey dessus luy plaincte formelle,
Et ne vous veult pas obaïr.
LE BADIN
Monsieur, y vous plaira ouÿr
Comme c’est qu’il m’a voulu prendre
225 En lieu honneste sans m’entendre111.
Je m’en croys aulx femmes de bien112.
LE JUGE
En vos propos je n’entens rien.
Dictes-moy que luy demandez.
MESSIRE JEHAN
Monsieur, voulontiers. Atendez :
230 Examynez113 ces créatures,
Puys vous voy(e)rez les escriptures114
Que j’ey par procuration.
LE BADIN
Je demande relation115
De luy, qui se dict ma partye116.
LE JUGE
235 Ta harengue sera ouÿe
Comme la sienne en cestuy lieu.
MESSIRE [JEHAN] lict :
« Françoys117, par la grâce de Dieu
Roy de France, et cetera… »
LE BADIN
On voi(e)ra bien que ce118 sera…
240 Monsieur, au moingtz, [qu’ayt les]119 despens.
Et sy, qu’i demeure suspens120,
S’y n’a du bien121 à sa maison.
LE JUGE
On te fera toulte raison ;
[Ay]es pacïence, mon amy.
LE BADIN
245 Je ne seray pas endormy,
Sy je vous rencontre à la chaulde122.
MESSIRE JEHAN lict :
« Tout premièrement, j’ey Trétaulde,
– Honneste fille et [fort] poulsyve123 –,
Pérète Venez-tost, et Olyve,
250 Qui font sus Jehan de Laigny plainctes
Et veulent que toutes contrainctes
Souent124 faictes de luy par les villes :
Car c’est un violleur de filles,
Un abuseur, un séducteur,
255 Un babillard, vanteur, menteur,
Qui promect de les espouser ;
Et puys il les va abuser
Et se moque d’eulx tous les jours.
Pour avoir plus d’aide et secours
260 À faire [l’]information125,
On passon procuration
À messire Jehan Vir(e)linquin,
Trop plus congnoissant c’un Turquin
En lard 126 et sçavoir de pratique. »
LE BADIN
265 Monsieur, [ce poinct dessus]127 me pique,
Et en ce mot-là je m’areste :
Comment ! il est sergent, et prestre,
Et procureur, et advocat ?
Alez chanter Magnyficat128
270 À l’église, et [cy] vous tésez !
MESSIRE JEHAN
Il a les filles abusés,
Monsieur, de quoy c’est grand pityé.
TRÉTAULDE
Par sa méchante mauvestyé129,
Y m’a faict telle comme telle130.
PÉRÈTE
275 Et moy aussy.
LE BADIN
A ! j’en apelle131,
S’on me faict tort, au Gras132 Conseil ;
Et là, [en mon hault]133 apareil,
[J’oposeray de ce]134 procès.
LE JUGE
Femmes, vous a-il faict excès
280 De vous presser oultre mesure ?
LES FEMMES ensemble
Ouy ! Ouy ! Ouy !
LE BADIN
A ! nénin.
MESSIRE JEHAN
Monsieur, je jure
Que sy a135 : c’est chose certaine.
LE BADIN
Et j’ey faict vos fièbvres cartainnes !
Alez, procureur mengereau136 !
285 Sang bieu ! vous estes maquereau
De trèstoustes, je le soutiens !
TRÉTAULDE
Monsieur le Juge, je retiens
Jehan de Lagny pour mon espoulx.
PÉRÈTE VENEZ-TOST
Je le veulx avoir devant137 vous !
OLYVE
290 Et moy, je l’aray la premyère !
LE JUGE
Je n’entens à ceste matyère
Nul propos, par le Dieu vyvant138 !
LE BADIN
Monsieur, estre veulx poursuyvant
Contre luy comme faulx taquin139.
295 C’est que ledict Virelinquin
A plus de bruict [p]a[r]my les rus140
Que jamais à ma vye je n’us,
Dont je demandes intérest141.
LE JUGE
Par qui esse qu’on le sérest142 ?
300 Rien n’a en cause qu’i ne prouve143.
MESSIRE JEHAN
Monsieur, voyez comme il controuve
À parler dessus mon estat144.
LE BADIN
Je soutiens qu’il est apostat,
Tesmoingtz les femmes que voécy.
MESSIRE JEHAN
305 Monsieur, je vous déclare aussy
Qu’i veult toutes femmes séduyre.
LE JUGE
Sav’ous145 quoy ? Y vous fault produyre
Vostre procès avant ma main146
Aujourd’uy, pource que demain,
310 J’en feray expédition.
MESSIRE JEHAN produict 147
Voélà la procuration
D(e) Olive et [aussy] de Trétaulde,
Et de Pérète la pétaulde148.
Je ne plède poinct à faulx fret149.
LE BADIN produict.
315 Moy, je produyray mainct brevet
De vostre vye, et la légende150,
Afin que le monde l’entende151.
Monsieur, faictes[-en] la lecture
Sans nous faire de forfaicture ;
320 Et qui a bon droict, sy le garde !
LE JUGE lict :
« Primo, cestuy que je regarde,
Messire Jehan Virelinquin,
Plus paillard que n’est un bouquin152.
Un jour qu’il n’avoyt que deulx lyars153,
325 On l’envoya teurdre des hars154
En la forest de Rouverey155. »
MESSIRE JEHAN
Je luy nye !
LE BADIN
Je le prouveray.
MESSIRE JEHAN
Le deable en emport qui en ment !
LE BADIN
Je m’en croys du tout156 au serment
330 De Trétaulde, la plus sensible.
LE JUGE faict faire serment à Trétaulde.
Par l’Évangille de la Bible,
Nous direz-vous pas vérité
De ce mot que j’ey récité157 ?
Est-il mensonge, ou [est-il] vray ?
TRÉTAULDE
335 C’est bien force que je diray
Vérité, sy je la congnoys.
Il y a envyron deulx moys
Que messire Jehan Vir(e)linquin
Vint descouvrir son manequin158
340 Sans marabès159 ne sans teston.
Mais il laissa le hoqueton160
Et gaignyst chemin161 o plus tost.
LE JUGE 162
Or çà, Pérète Venez-tost,
Dictes-en ce que vous sçavez.
MESSIRE JEHAN
345 Et ! comment, Monsieur ? Vous rêvez !
Qu’esse qu’el séroyt de moy dire ?
LE BADIN 163
Monsieur, ne me veuillez desdire.
Laissez-la, Vir(e)linquin, [parler] ;
Y fault Pérète examyner,
350 Ou que dannée [el] soyt au deable !
LE JUGE
Or me faictes serment valable164,
Pérète, et vous despeschez !
PÉRÈTE
Il est vray que ces jours passés,
Aulx Troys Mores 165 (ou Morequin)
355 Vint messire Je[ha]n Vir(e)linquin
Pour une fille desbaucher.
Quant ce vint à se rechausser166,
Y dict qu’il n’avoyt grand blanc nul167.
Lors luy convint ouvrir le cul168
360 Au plus tost, et gaigner les boys169.
LE BADIN
Ouvrir le cul170 ?! Vray Roy des roys !
Vrayment, il le faisoyt beau voir !
LE JUGE
Or çà, or çà ! Il fault sçavoir
S’Olive en a rien retenu :
365 Çà, Olyve, le contenu
Des sermens qu’avez ouÿ faire171 !
Y ne fault poinct que l’on172 difère,
Sur paine de dannation.
OLIVE
Un peu devant l’Ascention173,
370 Auprès des chambres Hamelin174
Vint à moy monsieur Vir(e)linquin
En me disant :
« La belle fille,
J’aperçoy que vostre quoquille
A bien métier175 de resserrer. »
LE BADIN
375 Et vous voulez considérer
Que s’elle tumboyt, d’avanture,
Que ce seroyt double enfouture176 ;
Par quoy vous le lessâtes faire.
OLYVE
Il est vray.
LE BADIN
Or177, veu la matière,
380 Monsieur, ordonnez la sentence.
LE JUGE
Quant au faict de vo[u]s deulx je pence,
Jehan de Lagny et Vir(e)linquin,
Tous deulx ne valez178 un coquin,
[D’où qu’on]179 doyve de vous parler.
385 Jehan de Lagny s’en doibt aler
Franc et quicte avec ses despens.
Et Vir(e)linquin sera suspens180
De ses faultes, deisjà prescrites181.
OLIVE 182
Veu les parolles que vous dictes,
390 Il doibt avoir pugnition ;
Ou faire restitution183
À Jehan de Lagny, sa partye.
LE JUGE
Et bien, qu’il ayt une partye
De sa génitoyre coupée.
[MESSIRE JEHAN] 184
395 [Las !] fault-il qu’el soyt départye185 ?
LE BADIN
Ouy, Vir(e)linquin, unne partye.
[PÉRÈTE]
Voécy térible départye186,
Qu’il l’ayt187 en ce poinct découpée188 !
LE BADIN
Y fault qu’il ayt une partye
400 De sa génitore coupp[é]e.
TRÉTAULDE
Il payera de tous la soupée189
Pour faire nostre apoinctement190.
.
Seigneurs, regardez bien comment
Jehan de Lagny a sy bien faict
405 Qu’il est exemp191 de son méfaict.
L’autre, qui n’estoyt ocuppé192,
A esté de vice achoppé193.
Comme on pugnyst en tous cartiers
De plusieurs gens entremetiers 194
410 De quoy on a la congnoissance,
Aussy, je diroys volontiers
Un mot ou deulx, voi(e)re le tiers195 :
De fol juge, brèfve sentence196.
Une chanson pour récompence !
.
FINIS
*
1 Par dérision, le duc de Parme, Alexandre Farnèse, sera lui-même surnommé Jean de Lagny après avoir conquis provisoirement cette ville en 1590. Ce qui nous valut un nouveau proverbe : « Jean prist Lagny, et Lagny Jean. » Satyre Ménippée. 2 « Tu m’as bien bourdonnée,/ Tu t’es rompu le fillet./ Tu m’as ouvert le guichet ;/ La mouche y est entrée. » B. Jeffery, Chanson verse of the early Renaissance, t. I, p. 118. 3 C’est le nom d’une vieille maquerelle dans une autre farce du ms. La Vallière, les Brus. 4 Dans l’Enqueste, de Guillaume Coquillart, une prostituée se nomme Olive de Gatte-fatras. 5 La chanson Perrette, venez tost est signalée par Noël Du Fail en 1547 (Propos rustiques, VI). Une autre farce du ms. La Vallière, Frère Phillebert, donne par erreur le nom de Perrette Venez-tost à Perrette Povre-garce, à qui il faut d’urgence un « chose qui se dresse ». 6 Les trois femmes ne se connaissent pas. Elles se rencontrent sur une place de Rouen, et découvrent qu’elles cherchent le même homme. 7 À Troyes. Plusieurs communes de l’actuel Calvados ont pour nom Magny. 8 Le Normand Enguerrand de Margny (ou Marigny) avait été pendu en 1315 après un procès à charge ; en Normandie, cette injustice avait marqué les esprits durablement. 9 LV : sans cesse (Une finesse est une ruse, comme à 133.) 10 LV : de la guyne (Enginer = tromper, séduire. « Yl la vouleyt à sa volenté avèr, ou par promesse ou par don engyner, ou par force ravyr. » Godefroy.) Jeu de mots sur enguinner [engainer, pénétrer] : « Roydement (il) l’enguinna & accomplit son désir. » Les Joyeuses adventures. 11 Confusion entre la herse et l’esse, qui est un crochet de boucher. (Idem vers 101.) Dessous, LV fait répéter à Trétaude les vers 7 et 8. 12 D’après ce que je vois. 13 Il s’est couché sur vous. Mais aussi : Il vous a aplatie (allusion impertinente au fait que Trétaude est obèse). Pour la rime, on pourrait lire : il vous a mise en perce (comme une barrique). 14 À la renverse. Cf. Frère Phillebert, vers 76. 15 Trogne, figure bouffie. 16 LV : tretaulde (Inconnu en tant que substantif.) « De ceste courtaude fessue. » J.-A. de Baïf. 17 J’aurai la jouissance. « De l’ostesse avoir la coppie. » (G. Coquillart.) La copie est aussi l’abondance : « En grande copie ou habondance. » (ATILF.) Trétaude est visiblement très grosse. 18 Extrait de la chanson Perrette, venez tost (note 5). Ce refrain est donc chanté, comme les autres emprunts distillés par Trétaude, qui se venge du vers 20. 19 LV : amy (Enmi = parmi, mais le vers est trop court. Je fais la même correction à 296.) L’auteur, qui adore les chansons, connaissait forcément Quant je vous voy parmy les rues (1505). 20 LV : peur (Il s’en fallut de peu que je ne meure. « À peu que n’en ay encouru/ La mort. » Le Poulier.) Enda est un juron féminin. Cf. Frère Guillebert, vers 112 et 149. 21 LV : de fere 22 LV : chantant (1er mot du vers suivant.) Notre farce est associée au répertoire des Conards de Rouen, qui se présentaient comme les suppôts de leur abbé. « Pour mieulx servir l’Abbé et ses suppostz. » (Triomphes de l’Abbaye des Conards.) Certains jours de l’année, ils sortaient déguisés en Sots, et passaient en revue les scandales de Rouen. « On devisoit mainte sornette/ Plus estimée de noz Sotz/ Que d’ung advocat la cornette. » (Triomphes…) 23 Cette interjection revient dans beaucoup de chansons normandes : « Gay ! gay, ma mère !/ J’ay de l’argent pour bère. » La chose a une acception phallique : cf. le Prince et les deux Sotz, vers 102. 24 LV : nous 25 Ni trêve. 26 LV : en ensuyue 27 Vers manquant. « La belle fille » est un extrait de la chanson qui s’en prenait à Olive, dont on rajuste la « coquille* » en tapant dessus. Il en est encore question aux vers 372-378. *« Une belle fille/ Fait souvent fourbir sa coquille. » Digeste Vieille. 28 LV : champs (Dans leurs chansons.) Les enfants qui « vont à la moutarde » s’attroupent aux carrefours et chantent des couplets qui dénoncent les nouveaux scandales de la ville. 29 Vous chansonnent. 30 Que nous le cherchions (normandisme). Voir le vers 80. 31 Si je ne prouve pas sa méchanceté. 32 Une condition, une remarque. Cf. Frère frappart, vers 67. 33 Rime manquante. « Mais j’y ay fait mes escolliers/ Taire tout coy. » Serre-porte. 34 Ce maudit gueux. « Narquin (…), qui signifie mandian, contrefaisant le soldat détroussé. » Laurens Bouchel. 35 Le nom de ce prêtre paillard fait penser au virebrequin [pénis] : « Le virebrequin de maistre Aliborum. » (Chansons folastres.) L’auteur a commis une maladresse en le prénommant Jehan, comme Lagny. 36 Ne tardez pas. 37 Vous portez-vous bien ? Idem vers 158. 38 LV : un oyee (Le copiste du ms. La Vallière, qui ne brille pas par son intelligence, croit que la rime -oyee transcrit la prononciation normande -oé. Ailleurs, je corrige tacitement.) 39 LV : vous voesy (Que je vois ici un grand nombre.) 40 Un peu. 41 Aussi réel que le soleil. 42 Nous vous paierons. Et plutôt « en chair qu’en argent », comme le procureur du Balet des Andouilles l’exige des dames. 43 Ces deux villes ne sont là que pour la rime. 44 Faites-le assigner en justice. Cf. les Povres deables, vers 42. 45 LV : ou siter (Dénoncer publiquement. « Les préconizacions avoient esté faites à oÿe de parroesse solempnement. » ATILF.) 46 Qu’il mange la poire d’angoisse [instrument de torture qui écarte les mâchoires]. « Mengier d’angoisse mainte poire. » François Villon. 47 Même s’il faisait partie des chevaliers fantômes de la « maisnie Hannequin » (ou Hellequin). Voir le Roman de Fauvel. 48 LV : chase (Même s’il était caché sous les nuages ; ou sous les femmes nues…) 49 À l’oreille du prêtre, pour que les « ribaudes » n’entendent pas. 50 Notre exploit, notre acte d’assignation. Cf. Lucas Sergent, vers 241. Comme tous les clercs, le prêtre porte une écritoire pendue à sa ceinture. Voir Maistre Mymin qui va à la guerre atout sa grant escriptoire pour mettre en escript tous ceulx qu’il y tuera. 51 LV : monsieur 52 Visiblement, le prêtre connaît la chanson gaillarde qui met en scène Trétaude. 53 Qu’aucun oubli ne vienne empêcher qu’il ne comparaisse au tribunal. 54 À l’oreille du prêtre. 55 LV : ost (Il aura la prison pour récompense.) 56 J’ai pour nom. 57 Que vous ne l’oubliiez pas. 58 Ni lui, ni tous ses alliés. 59 Ne valent pas le bois pour les brûler. 60 Que je dois dire au préalable. 61 Sa moquerie. 62 LV : se seroyt pas (Il ne pourra pas me révoquer.) 63 De comparaître. 64 LV : monsieur 65 Jehan de Lagny est typiquement un rôle de Badin, de demi-sot. Voir la notice de Troys Galans et un Badin. 66 Chanson normande tirée du ms. de Bayeux : « C’est à ce jolly moys de may,/ Que toute chose renouvelle,/ Et que je vous présentay, belle,/ Entièrement le cueur de moy. » L’Église chante ce couplet au début d’une Moralité à troys personnages du ms. La Vallière (LV 23). 67 Les femmes et le prêtre sont de l’autre côté de l’estrade, et ne voient pas encore Lagny. 68 LV : posible (L’encre est très effacée. En 1837, Le Roux de Lincy et F. Michel ont lu posible, mais ce mot est à la rime.) Usons d’une ruse qui endormira sa méfiance. 69 Le trompe par ruse. 70 Mon témoignage en vaudra six. Le prêtre se cache à proximité. 71 Vous aurez des remerciements. 72 Il aperçoit les trois femmes. 73 Depuis la fête des Saints-Innocents, le 28 décembre. C’est aussi le jour de la Fête des Fous, où les Conards de Rouen se déchaînent. 74 Ce saint rime presque toujours avec Rouen, où il fut évêque. Cf. le Tesmoing, vers 207. 75 LV : ne sy (Aussi habile au jeu de l’amour qu’elles le sont ici.) Âprement = vivement. « Chevauchons asprement ! » ATILF. 76 Je m’en vais voir courtoisement. 77 Un banquet. « Ledit grant Turcq luy fist ung grand disner et convive. » Godefroy. 78 Avec elles. Les trois femmes sont jouées par des hommes, et l’auteur s’en amuse encore aux vers 55, 146 et 258. 79 Leur sexe. « L’official condamna la pauvre fille à prester son beau et joly instrument à son mary pour y besongner. » Bonaventure Des Périers. 80 En aparté. 81 Abréviation normande de « par saint Jean ! ». Elle est encore réduite à « Jen » au vers 204. 82 Perrette et Olive aimeraient bien prêter de nouveau leur « instrument » à Lagny. 83 Réputé. 84 Selon votre souhait. 85 Vous trouverez bon de me rappeler. 86 Bien qu’elle soit secrète. 87 Les Normands prononçaient mémore, comme ils prononçaient génitore au vers 400. Cf. le Bateleur, vers 159-160. 88 Toujours caché, il note l’aveu de Lagny. 89 Pour ce que vous venez de dire. 90 En même temps que. Nous avons là 3 rimes en -ous, dont les deux premières sont identiques. 91 LV : quant (Vous aussi.) Lagny compte donc épouser trois femmes le même jour et devant le même curé. 92 Afin de sceller nos fiançailles. Sur cette tradition populaire, voir la note 18 du Tesmoing. 93 Faire l’amour. « Ung jeune fils qui se fiança,/ À sa fiancée emprunta/ Ung coup sur le temps advenir. » Sermon joyeux d’un Fiancé. 94 LV : on (Et puis nous banquetterons.) « –Dînerons-nous, ma chère, ou si nous le ferons ?/ –Tout comme il vous plaira (dit-elle)./ Et puis après, nous dînerons. » Henri Pajon. 95 Voyant que ses trois clientes sont sur le point de céder, Virelinquin jaillit de sa cachette et empoigne Lagny. 96 En Normandie, un aoûteron est un journalier qui moissonne sur les terres des autres. « Vous estes un bon aulteron ! » Le Gallant quy a faict le coup. 97 Une lettre de prise de corps. 98 Au juge. 99 Pour un homme qui transgresse les lois. 100 Un sergent. 101 Avec moi. 102 Secoue négativement. 103 Une caboche, une tête de mule. 104 Tu as le nez rouge : tu as bu. 105 Malgré vous et à contrecœur. 106 Votre injonction ne sera pas vraie. 107 La permission. 108 Habillé en juge, il passe là par hasard (comme tous les autres intervenants), et se dirige vers les chicaneurs. 109 En ayant le sang ému par la colère. Naturellement, le blasphémateur n’est autre que le prêtre. 110 D’où est né leur différend. 111 LV : me prendre (Sans écouter ma défense.) 112 Je m’en rapporte à ces trois femmes. 113 Interrogez. (Idem vers 349.) Le mot créature désigne souvent une prostituée. 114 Les documents. 115 Le rapport où mes faits délictueux sont relatés. Cf. le Tesmoing, vers 63. 116 Ma partie adverse. Idem vers 392. 117 En 1515, François Ier venait d’accéder au trône. 118 LV : se (Ce que Virelinquin va dire.) Sous-entendu politique : On verra bien ce que sera le règne de ce nouveau roi. 119 LV : que ies (Que Virelinquin paye les frais de justice.) 120 Et même, qu’il soit suspendu de son ministère. On voit qu’il s’agit d’une pièce de Carnaval : un juge civil n’avait pas le droit de juger un clerc, qui relevait de la cour d’Église. 121 De l’argent pour payer les dépens. 122 Dans le feu de l’action, très bientôt. 123 Poussive : Trétaude est obèse (notes 13 et 17). 124 Soient. 125 L’instruction, l’enquête. 126 En l’art judiciaire. La gestuelle du comédien devait mettre en valeur la graphie « lard » du ms., laquelle ironise sur l’embonpoint du prêtre (vers 69), et sur les Turcs qui ne mangent pas de lard. Jadis, on disait à la Comédie française que le maquillage de Cyrano était un effet de l’art (un nez fait de lard). 127 LV : desus se poinct (Le point ci-dessus me chiffonne.) 128 « L’Abbé (des Conards), estant en son pontificat,/ Après avoir chanté Magnificat,/ Fait à sçavoir à ses joyeux supposts,/ Autres aussi aimans vuider les pots. » Triomphes… 129 Mauvaiseté, déloyauté. 130 Telle que je suis. Grosse et délurée ? 131 J’interjette un appel. 132 LV : grand (Au « Gras Conseil des Conardz ». Triomphes…) « Sçavoir faisons qu’avec le Gras Conseil/ Avons, ces jours, faict édict nompareil/ Pour abolir la longueur des procès. » (Ibid.) Cf. les Veaux, vers 32 et 48. 133 LV : un nouueau (En tenue d’apparat. « Le grandissime, magnifiquissime et potentissime sieur Abbé, accoustré en son haut appareil. » Triomphes…) 134 LV : je imposeray de (Je ferai opposition. « Pour plaidier ne pour opposer. » ATILF.) 135 Qu’il l’a fait. 136 Pillard. 137 Avant. 138 L’ennemi des blasphémateurs (vers 211-218) se met à jurer le nom de Dieu. 139 Parce qu’il est un sournois coquin. Cf. les Mal contentes, vers 108. « Et luy, avecques ce coquin (…)/ Et ne sçay quel aultre tacquin,/ Se promenoyent. » ATILF. 140 A plus de mauvaise réputation dans la rue. Voir la note 19. 141 Des dommages et intérêts. 142 Qu’on le saurait, qu’on pourrait le savoir. 143 Il n’y a rien dans la cause qu’il ne prouve. 144 Comme il invente des calomnies sur mon état de prêtrise. 145 Savez-vous (normandisme). Cf. le Poulier, vers 409 et 520. 146 Préalablement. 147 Il donne son papier au juge. 148 La péteuse. « Mouflarde [joufflue], pétaude fessue ! » Lacurne. 149 « On appelle faux frais toutes les menues despenses qu’on est obligé de faire. » Furetière. 150 Leur explication. Comme par hasard, Lagny a tous les papiers dans sa poche. 151 La comprenne. 152 Un vieux bouc. 153 2 liards, 2 piécettes : ce n’était pas suffisant pour payer la prostituée. « On n’excommuniera point, au prosne,/ Ceux qui “hocheront” sans argent,/ S’ils n’ont le vit plus long qu’une aulne. » La Grande et véritable pronostication des cons sauvages (…) nouvellement imprimée par l’autorité de l’Abbé des Conars. 154 Tresser des harts, des cordes. « On ne pourroit sèche hart tordre. » Proverbe. 155 La forêt du Rouvray, au sud de Rouen, était infestée de brigands qui ficelaient leurs victimes à des arbres, quand ils ne les y pendaient pas purement et simplement. Rue Eau-de-Robec, on peut encore voir l’ex-voto d’un drapier qui fut dépouillé par ces brigands, et qui dut la vie à son cheval, parti chercher du secours. 156 Je m’en remets totalement. 157 Au sujet du passage que je viens de lire. 158 LV : maroquin (Vint découvrir son pénis à une de mes pensionnaires. « Que nous fissions, vous et moy, un transon de chère lie, jouans des manequins à basses marches. » Pantagruel, 21.) 159 Sans avoir un seul maravédis [monnaie espagnole]. Le teston est une petite pièce d’argent. Dans les Brus, la maquerelle Trétaulde refuse de louer ses pensionnaires aux hommes d’Église s’ils ne paient pas d’avance. 160 Son corset, en gage. 161 Prit la route, s’enfuit. 162 LV met sur la même ligne, plus loin : greffier 163 Il s’adresse d’abord au juge, puis à Virelinquin. 164 LV : saluable (Le serment valable prend Dieu à témoin. « Si, par serment vallable, & sans y estre forcé, il leur promet cent escus. » Jacques Jacquet.) 165 Hôtel borgne sis rue Beauvoisine, à Rouen. Morequin aurait pu désigner le Petit More, un jeu de paume assez mal fréquenté. 166 LV : deschauser (Quand il remit son haut-de-chausses, son pantalon.) 167 Aucune pièce de monnaie. Le grand blanc est le salaire des prostituées de bas étage. « Ung beau grand blanc –qui n’est pas trop grant somme–/ Fist le marché. » Les Sept marchans de Naples. 168 Faire la révérence. « S’il advient que quelqu’un entre (…),/ La révérence à cul ouvert/ Je fais. » (Chambrière à louer, à tout faire.) « Elle fit une révérence à cul ouvert à la compagnie. » (Charles Sorel.) 169 La forêt du Rouvray (vers 326). 170 Lagny feint de prendre cette expression au pied de la lettre. 171 Prononcez le serment que vos deux compagnes ont prononcé aux vers 331 et 351. 172 LV : nous (Que vous fassiez un serment différent.) 173 LV : la sention (C’est à des fautes de ce genre qu’on évalue le niveau d’un copiste…) 174 Auberge que les Triomphes de l’abbaye des Conards nomment le « trou Hamelin ». Les trous sont des lieux mal famés : les Rouennais fréquentaient aussi « le Grand Grédil, qu’on dit le trou ». (Montaiglon, XI, 75.) Paris avait « le trou de la Pomme-de-Pin ». (Villon.) 175 Besoin. Pour cette référence à une chanson qui se moquait d’Olive, v. la note 27. 176 Que vous seriez doublement foutue pour que votre coquille soit remise en place. 177 LV : on 178 LV : valent (L’expression exacte est : ne pas valoir un sequin.) 179 LV : dont on (D’où qu’on se place pour parler de vous.) 180 Aura un sursis. 181 LV : predites (Prescrites : annulées parce qu’il y a prescription.) 182 LV : le greffier (Voir la note 162.) Il est inconcevable qu’on introduise un nouveau personnage – absent de la liste initiale – pour déclamer 4 vers. La très mauvaise édition de 1837 attribue les vers 396-398 à ce greffier inexistant. Tout ce passage est confus. 183 Il doit restituer les trois femmes. 184 LV : tretaulde (Au vers 396, Lagny répond à Virelinquin.) Les refrains de ce triolet ne sont même pas identiques ! 185 Partagée en deux. On veut lui enlever un testicule ; dans beaucoup de fabliaux et de nouvelles, les moines paillards perdent les deux. 186 Division, amputation. 187 LV : est 188 LV : ocupe (Découper : trancher chirurgicalement.) 189 Le souper. 190 Pour que nous fassions la paix avec lui. 191 Acquitté. 192 Qui n’était pas concerné par cette affaire. 193 Pris. 194 Qui se mêlent des affaires des autres. 195 Et même un troisième. 196 Sentence immédiate. « Sage est le juge qui escoute, & tard juge ; car de fol juge, brièfve sentence. » Anthoine Loisel.
LE TESMOING
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LE TESMOING
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On a pris l’habitude injustifiée de baptiser cette farce sans titre l’Oficial, du nom d’un de ses personnages qui ne déclame que 79 vers. Le rôle principal (187 vers) n’est pas ce juge qui – circonstance aggravante dans une farce – est honnête et compétent, ni la fille déshonorée qui voudrait bien épouser son joli suborneur, ni le garçon qui abusa de sa naïveté en lui promettant le mariage, ni la mère un tant soit peu maquerelle qui connaît mieux les lois qu’un juriste. Non, le clou du spectacle, c’est le témoin : ce vieux radoteur au langage archaïque et patoisant ne cesse d’opposer la perfection (toute relative) de l’ancien temps, à la décadence du monde moderne. Au Moyen Âge, on trouvait déjà que c’était mieux avant. Au XIVe siècle, le poète Eustache Deschamps regrettait le XIIIe siècle, où on préférait le XIIe, qui ne valait pourtant pas le XIe, tellement inférieur au Xe… Faute de titre, j’ai donc pris la liberté de mettre en valeur le Tesmoing.
Cette farce rouennaise date de la première moitié du XVIe siècle. L’auteur connaît son métier : il commence in medias res et expose son intrigue avec un grand naturel.
Je recommande la mise en scène de la Farce du Témoin menée tambour battant (20 minutes !) par des étudiants diplômés et des professeurs de l’Université de Western Ontario, à London (Canada).
Source : Manuscrit La Vallière, nº 22.1 Un censeur a barré en tout 14 vers qui avaient un lointain rapport avec l’Église, et leur a substitué des niaiseries dont je n’ai pas tenu compte. (Voir la notice du Raporteur.) Dans les rubriques, il a systématiquement remplacé L’OFICIAL par LE JUGE : un official est un juge ecclésiastique ; tout ce qui entoure le sacrement du mariage dépend de lui, et non d’un juge civil. La farce du Clerc qui fut refusé à estre prestre fait aussi appel à l’official de Rouen.
Structure : Rimes plates.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
.
*
Farce nouvelle
à cinq personnages
C’est asçavoir :
LA MÈRE
LA FILLE [Marion]
LE TESMOING [Guillot des Noix]
L’AMOUREULX [le beau Colin]
et L’OFICIAL
.
*
LA MÈRE commence SCÈNE I
Par la † Dieu2 ! j’aymeroys myeulx
Luy avoir crevé les deulx yeulx
Que je n’en eusses la raison3 !
Faire à4 ma fille, en ma maison,
5 Et puys dire, pour tout potage :
« Y n’y a poinct de tesmoingnage
Pour le preuver5. » On le voeyra6…
LA FILLE
Par ma foy ! bien faict ce sera :
C’est un trompeur, est pas7, ma mère ?
LA MÈRE
10 A ! que j’ey de douleur amère
De ta fortune8, Marion !
Il fault que nous te marion,
S’y debvoyt9 tout fol enrager.
LA FILLE
Et, dea ! pourquoy vint-il rager10
15 Tant de foys, comme vous savez ?
LA MÈRE
A ! Marion, pas vous n’avez
L’esprit encor assez propice
Pour vous garder de la malice
De tel deable.
LA FILLE
Vous dictes vray.
LA MÈRE
20 Sy veulx-je sçavoir [et sçauray]11
Qu’en dira le juge, par Dieu !
Je me suys trouvée en mainct lieu
Où j’ay faict consultation
Du cas ; mais la probation12
25 Nous fera gaigner nostre cause
Avec, se j’entens bien, la clause13.
Tu congnoys bien Guillot des Noix14 ?
LA FILLE 15
Ouy, ma mère, je le congnoys :
C’est celuy qui trèsbien l’oÿst,
30 Quant à ma16 chambre m’encloÿst,
Et qu’il disoyt :
« Ma Marion,
Trèsbien ensemble nous serion ;
Voulez-vous pas estre ma femme ? »
Quant luy respondis, sur mon âme,
35 Que j’en estoys trèsbien contente,
Lo[r]s y fist tout à son entente17,
Car ainsy vous me l’aviez dict18.
Guillot est homme de crédict,
On le croiera du premier coup.
LA MÈRE
40 C’est très bien dict. À coup19, à coup !
Je m’en voys, sans me contrister20,
Chercher sergent pour le citer21.
Je croy qu’il n’y faillira pas.
LA FILLE
Alon, ma mère, pas à pas ;
45 Sa maison22 n’est pas loing d’icy.
.
L’OFICIAL entre SCÈNE II
Il y a long temps que n’issy23
Hors du logis pour aler veoir
Mes24 gens, et faire mon debvoir ;
Je m’y en voy tout maintenant.
50 Celuy qui est Droict maintenant25
Est prisé de Dieu et des hommes.
.
La Fille et la Mère, parlant ensemble
dens la salle 26, revenant du sergent.
LA FILLE SCÈNE III
Mère, c’est icy, nous y sommes.
LA MÈRE
Ce chemin est beaucoup plus court.
LA FILLE
Par mon serment ! voécy la Court,
55 Je le congnoy27. Et ! que de gens !
Que l’on médise des sergens
Qui28 vouldra ; trèsbien je m’en loue.
Il ne me fera plus la moue29,
Le trompeur30. Monsieur le sergent
60 A esté bien fort diligent
De le citer31 : voécy la lestre,
Où il ne fault oster ne mectre32.
La voélà, la relation33 !!
L’OFICIAL
Mon Dieu, quel exclamation !
65 D’où vient ce grand bruict et tempeste ?
LA MÈRE
Marion, tu es fine beste :
I[l] fault finement sermonner34.
L’OFICIAL
Ceulx[-cy me fault questionner]35
De leur procès.
LA MÈRE
Dieu vous gard, sire !
L’OFICIAL
70 Or çà ! qu’avez-vous à me dire ?
LA MÈRE
Monsieur, la plus grand traÿson,
Meschante[té] et déraison36
Que vous ouÿstes de vostre âge37 !
L’OFICIAL
Or bien. Qui est le personnage
75 Qui vous a faict tel déshonneur ?
LA MÈRE
Ce n’est pas un trop grand seigneur,
C’est un nommé le beau Colin.
Que le chault mal sainct Mathelin38
Luy puisse ronger la cervelle !
80 J’avoys une fille très belle ;
Le meschant l’a déshonorée.
Et voécy la povre esplourée,
Qui de luy justice requiert.
L’OFICIAL
Est-il cité comme il afiert39 ?
85 Aultrement, n’y saroys que fère40.
LA FILLE 41
Que pour cela on ne diffère42 :
En voécy la relation.
LA MÈRE
O ! quelle babillation43 !
Laisse-moy parler, sy tu veulx !
90 Monsieur, de Colin je me deulx44,
Qui a ma fille viollée,
Puys dict qu’i ne l’a acollée,
Combien qu’i luy ayt, sur bon gage,
Promys sa foy en mariage.
L’OFICIAL, parlant à la Fille :
95 Est-il vray ? Or dictes, ma mye.
LA FILLE
Je n’estoyes pas sy endormye
Que ne me soyes bien aperceue
D’avoir esté ainsy déceue.
Mais à nul mal je n’y pensoy[e]s.
L’OFICIAL
100 Colin, vien cy, où que tu soyes !
Aultrement, te mès en deffault45.
.
LE BEAU COLIN entre SCÈNE IV
Il [ne] me fault crier plus hault46 :
Me voécy à vostre présence.
L’OFICIAL
Or vien çà ! Par ta concience,
105 As-tu congneu charnellement
Ceste fille icy ?
COLIN
Elle ment,
Je m’en raporte à tout le monde.
LA MÈRE
Y ment, le malureux immunde !
Je le veulx prouver fermement.
L’OFICIAL 47
110 Or le prouvez donc vitement,
Je vous en donne tout loysir.
[COLIN]
Male mort me puisse saisir
Sy je luy fis48 rien de ma vie !
LA MÈRE 49
Par la doulce Vierge Marye !
115 Monsieur, sans atendre plus loing,
Voécy à présent mon tesmoing ;
Examinez-le50, s’il vous plaist.
.
L’OFICIAL SCÈNE V
Tesmoing, parlez sans plus de plaist51.
Vous jurrez52 par la Passion
120 De Dieu, par53 la salvation
Ou dannation de vostre âme
(Ou vous puissez estre soublz lame54
Dedens quatre jours enfouy),
Que vous me direz vray ?
LE TESMOING entre 55
Ouÿ,
[Je le jure par l’Évangille !]56
125 Monsieur, je ne suy sy habille57
Pour en sçavoir juger sy bien.
Je ne vous mentiray de rien.
Je vous diray ce que j’en say58.
Au temps passé, que commensay
130 À devenir frisque59 et dispos,
On mectoyt chopines et pos60
Sur la table, et ne servoyt-on
En buffect61 par un valeton,
Comme on faict en ce temps icy62.
L’OFICIAL
135 Et à quel propos tout cecy ?
LE TESMOING
Monsieur, monsieur, sauf vostre grâce,
Il ne faloyt farder sa face
Pour sembler belle à son amy.
On ne parloyt mot ne demy63
140 De mules qui ne mengent poinct64.
L’OFICIAL
Vrayment, voécy un aultre poinct ;
Que veulx-tu dire par ce dict ?
LE TESMOING
Je dis qu’on chevauche à crédict,
En espargnant avoyne et foing.
145 Il n’estoyt poinct sy grand besoing
De décroter65 robe à vasquine
Pour madame la musequine66 ;
Ny de Monsieur l’acoustrement,
Qui chevauche en cuir seulement67.
150 Ô chambèrières bien fasch[é]es
De veoir sy bien enharnach[é]es
Voz mêtresses de belle crote !
Page, alez quérir une hote :
Vous l’emplirez certainnement
155 Des fenges qui ont plainement
Gasté la robe à vostre maistre.
Par mon âme ! on deust mener paistre
Ces muletons, muleurs68, muliers69
Qui, pour ne gaster leurs souliers,
160 Mectent grand-peine, pour [ce jour]70,
Se rompre le col nuict et jour
À faire la tourne-bouelle71.
Au temps de la dague à rouelle72
Et des souliers à la poulaine73,
165 On ne faisoyt telle fredaine
Ne74 telles folyes, mydieulx !
L’OFICIAL
Mais qu’esse-cy ?
LE TESMOING
Je suys des vieulx :
Je parle de long temps, Monsieur.
L’OFICIAL
Vous estes un plaisant rieur.
170 Respondez à ce qu’on demande.
LE TESMOING
Monsieur, monsieur, la chose est grande75 :
Il y fault de plus loing venir.
J’ey veu c’on faisoyt convenir
Tout le monde en Court de l’Église76.
175 J’ey veu qu’on ne prenoyt chemise
Fors que de deulx moys en deulx moys77.
J’ey veu la mesure de boys
Estre pour six beaulx soublz donnée78,
Qui a bien valu ceste année
180 Quarante-six ! C’est piteulx cas.
J’ey veu qu’i n’estoyt advocas
Que deulx ou troys en ceste ville79.
J’ey veu deulx cens cas, voyre mille,
Qui sont au renq des trespassés80.
L’OFICIAL
185 Encore n’esse pas assez81 ?
Sus, respondez82 sans faulte nulle !
LE TESMOING
J’ey veu qu’i n’estoyt83 c’une mulle,
Et une seulle Damoyselle84
En ceste ville, layde ou belle ;
190 Maintenant, on en voidt un cent.
Je ne say pas que cela sent85,
Sinon que tous nobles deviennent86 ;
Et sy plus d’aultres en surviennent,
Adieu vous dy la marchandise87 !
195 J’ey veu qu’on ne parloyt de Frise,
De vasquines ne vertugales88 ;
Mais la maladye de galles 89
En a trouvé l’invention.
J’ey veu qu’on disoyt un « s[a]yon90 » ;
200 Maintenant, c’est un « casaquin ».
Dont est venu le damasquin91
Qu’on grave en espée ou [en] dague ?
Pour vray, ma dame saincte Brague92
En fust la première inventrice.
205 J’ey veu qu’on ne trouvoyt nourice93
Dedens la ville de Rouen ;
Mais94, j’asseure, par sainct Ouen,
Que pour une, on en trouve douse.
D’où vient que tout chacun se house95
210 Pour se pourmener à l’église ?
Par mon âme ! quant je m’avise,
Tout est tourné à la rebours96.
Les moutons d’or97 n’ont plus le cours :
On ne parle que de ducas98.
215 Et pour99 l’or à douze caras,
On en faict bien à .X., et huict100.
J’ey veu qu’on ne blessoyt de nuict
Les passans, comme l’on veoyt fère.
Maintenant, tout est à refère,
220 Et tourné c’en dessus dessoublz.
Du temps qu’on disoyt mésuroulz101,
On ne parloyt poinct de catère102 ;
Maintenant, n’y a eau103 ne terre
Qui ne soyt toute catéreuse104.
225 Ô que la femme estoyt heureuse
Et riche, qui au temps passé,
Portoyt [un surcot]105 rebrassé
De belle sarge ou ostadine106 !
Ô qu’elle sembloyt [bien] godinne107,
230 Qui avoyt en toute108 saison
Robe de drap en sa maison,
Fourée de beaulx dos de gris109
Ou de grignos ! Ventre sainct Gris !
Y m’est advis que je les voy.
L’OFICIAL
235 (Je croy qu’il est tout hors de soy.)
Mon amy, parle[z] à propos.
Je croy qu’avez rinché les pos110.
Je ne parle du temps jadis.
Respondez à mes propres dis :
240 Avez-vous veu le beau Colin
Avoir faict le « heurte-belin111 »
Avec ceste fille présente ?
LE TESMOING
Vous ne voulez pas que je mente ;
Aussy ne veulx-je, mon seigneur.
245 Acoustez112, voécy le greigneur
Compte que vous oÿstes onques113.
L’OFICIAL
Or sus, amy, despeschez donques !
Je ne veuil estre icy mèsuy114.
LE TESMOING
Encor[e] ne say-ge où j’en suy…
250 Atendez, Monsieur : je disoys
Que le monde est crû de .X. foys
Plus grand qu’il n’estoyt de mon temps115.
Et pource que bien je n’entens116
(Car tout est changé, comme on voyt)
255 Sy on le faict comme on souloyt117,
Je ne say que je vous doys dire.
Mais sy vous dirai-ge sans rire
Et sans mentir, que sy on faict
L’œuvre118 des noces en effaict
260 Comme on faisoyt au temps passé,
Tout en est moulu et cassé119.
Je le jure certainnement.
L’OFICIAL
Tu le pence donc vrayement ?
LE TESMOING
Ouy, Monsieur. Et sy, le tesmoingne120,
265 Sy on faict ainsy la beso[i]ngne
Comme on faisoyt quant je fus né.
L’OFICIAL
C’est honnestement tesmoingné.
Tu les vis donc tous deulx ensemble ?
LE TESMOING
Ouÿ, Monsieur, comme il me semble.
270 Mais Marion estoyt dessoublz.
L’OFICIAL
Quans escus, quans testons ou soublz121
Luy bail[l]a-il ?
LE TESMOING
Je n’en say rien,
[Monsieur.] Mais je vous diray bien
– Et jurray122 sur ma conscience –
275 Qu’el prenoyt tout en pacience,
Et sans crier fort haultement.
« Faictes ! » (dict-el tout bellement.)
« Colin, vous estes bel et sage :
Mais c’est à nom123 de mariage,
280 Entendez-vous, mon doulx amy ? »
Colin ne faisoyt l’endormy,
Mais ce mot un peu luy despleust124.
L’OFICIAL
Toutefoys, en fin, le voulust ;
Feist-il pas ?
LE TESMOING
Ouy, Monsieur, sans faulte.
285 Car elle avoyt la jambe haulte,
L’une sur l’aultre fermement125,
Qui n’estoyt grand esbatement
Au pauvre Colin, qui mouvoyt126.
Mais elle dict qu’il ne feroyt
290 Rien qui fust sans qu’il fist promesse
De l’espouser à la grand-messe,
En l’église de leur vilage.
Colin disoyt :
« Huy, huy : formage127 ! »
(Contrefaisant la basse voix.)128
295 « Un formage ? Par saincte Croix !
Pour un fourmage, n’en feray
Un coup tant que vive seray ! »
(Dict-elle.) Ce voyant, Colin
Se laissa mener en belin129
300 Et bender130. Tout à son bel aise,
Y vous la tâtonne, y la baise,
Y vous la couche sur le dos,
Et après cinq ou sis bons mos,
Feist entrer Geufray au bissaq131 !
305 Le châlic[t]132 faisoyt tic et taq,
Cric, crac, cric, croq ! C’estoyt merveille.
L’OFICIAL
Par où l’oyès-tu ?
LE TESMOING
Par l’oreille,
Car on n’ot pas du boult du nes133.
J’avoys rompu le boult d’un ays134
310 D’entre leur maison et la mienne,
Bien que chascune m’apartienne ;
Et par là, voy[oy]es clèrement
Tout leur joly contentement
Que je vous ay cy racompté.
L’OFICIAL
315 Vraiment, tu m’en as bien compté !
Faictes aprocher les partyes135 !
LA MÈRE
Et bien, serons-nous départyes136 ?
Avons-nous bien prouvé le cas ?
L’OFICIAL
Poinct ne fault avoir d’avocas,
320 Car la matière est to[u]te claire.
LA FILLE
Qu’en esse ?
L’OFICIAL
Vous voulez-vous taire ?
Nous disons Colin avoir tort.
Et de ce, doibt estre bien fort
Blasmé, et en payer l’amende,
325 Oultre combien qu’il se deffende
(Mais à tort) d’avoir rien promys137
À Marion. La Court l’a mys
Et mect, pour aulx povres donner,
À cent soublz (sans plus sermonner)
330 D’amende ; et le condampne aussy
De demander grâce et mercy
À Marion, à deulx genoulx138,
Nues jambes. Entendez-vous ?
Et sy, pay(e)ra à la Justice
335 Les frais, sans que sortir y[l] puisse
De prison premier que139 payer.
LA MÈRE
Or sus, as-tu bel abayer140 ?
L’OFICIAL
Tout beau ! Et sy, l’a condamné
D’estre en son église amené
340 Aveq flutte141, tabour et loure ;
Et là, sans que plus loing on coure,
Il espousera142 Marion
En grande consolation.
Voeylà ma sentence donnée.
LA MÈRE
345 Dieu vous envoye bonne journée,
Tant vous estes homme de bien143 !
COLIN
Un gros vilain estron de chien
Luy puisse estouper les babines !
Voylà des frauldes féminines !
350 J’en ay144 !
LE TESMOING
Y te convient [de] prendre
En gray145.
COLIN
Que l’on te puisse pendre !
C’est par toy que je suys ainsy !
LE TESMOING
Pourquoy luy faisoys-tu, aussy ?
.
Messieurs : celuy146 qui veult promectre SCÈNE VI
355 (Soyt par foy, par tesmoingtz ou lestre),
Y doibt sa parolle tenir.
Car on doibt quelque jour venir
Devant le très souverain Juge,
Qui [les] vis147 et trespassés juge ;
360 Et qui148 menteur trouvé sera,
Pour149 ses meffaictz le jugera.
Il n’est donc qu’estre véritable
Et, en foy, très constant et stable.
Nous ne pensons avoir dict chose
365 Où aulcuns puissent faire glose150 :
Sy on s’en sent piqué ou poinct151,
Messieurs, on ne l’entendons poinct152.
Mais prions le Dieu supernel153
Nous154 donner repos éternel.
370 En prenant congé de ce lieu,
Une chanson pour dire « à Dieu »155 !
FINIS
*
.
D’UNE JEUNE FILLE 156
.
Une jeune fille, ayant fait mettre prisonnier un jeune homme, [et] qui avoit – à ce qu’elle disoit – eu parole de luy de l’espouser, ce jeune homme, qui fut arresté par elle157, nia absolument d’avoir eu affaire avec elle. Elle, maintenant son accusation, demande être receue à en faire la preuve. Il faut examiner plusieurs tesmoins, & entre autres un, aagé de plus de quatre-vingt ans. On l’interrogea sur l’accusation de la fille ; on l’obligea de dire ce qu’il avoit veu. Il dit avoir veu que cet homme mena cette fille dans l’estable aux vaches158.
« Mais que vistes-vous de plus ? » dit le Juge.
« Je vis (dit le bon homme) qu’il la jetta sur le lict. »
« Et que vistes-vous de plus ? » dit le Juge.
« Je vis (dit le bon homme) qu’il monta dessus. »
« Et bien (dit le Juge), que faisoient-ils ? »
« Je ne vis pas (dit le bon vieillard) ce qu’ils faisoient. Mais si on le fait de ce temps icy comme on le faisoit du nostre, par ma foy, Monsieur, il luy faisoit tout ainsi comme autrefois je faisois à nostre femme pour avoir des enfans. »
Si le tesmoignage fut valable ou non, je m’en rapporte à ce qui en est.
.
*
1 Pour les divers problèmes que pose ce texte, je renvoie à deux éditions critiques : EMMANUEL PHILIPOT, Six farces normandes du Recueil La Vallière. Plihon, 1939. ANDRÉ TISSIER, Recueil de farces, tome II. Droz, 1987. 2 Par la croix de Dieu. Notre copiste a beaucoup utilisé cet emblème (voir l’illustration) dans un recueil de palinods, poèmes religieux destinés à concourir au Puy de Rouen <BnF, ms. fr. 19184>. 3 Plutôt qu’un juge ne me fasse raison de Colin. 4 LV : en (Faire l’amour à ma fille. Le verbe faire a le même sens elliptique aux vers 255, 277 et 353.) La fille, qui est très jeune, habite chez sa mère. 5 LV : premier (Correction Philipot.) 6 On verra ça. 7 N’est-ce pas. 8 À cause de ton sort. 9 Même si ton suborneur devait. 10 Me reprocher de ne pas me donner à lui. 11 LV : de vray (Rime du même au même et vers trop court.) Cette manière de renforcer un verbe est plutôt normande : « Par Dieu j’en jure et jureray ! » Jehan de Lagny. 12 La preuve apportée par notre témoin. 13 Et nous fera aussi gagner la conclusion du procès. 14 C’est leur vieux voisin, et leur propriétaire. On compare à des noix ce qui n’a plus aucune valeur : « Ma trompe ne vault pas deux noix. » Les Sotz triumphans. 15 LV : femme 16 LV : sa (Quand Colin m’enferma dans ma chambre. L’acte a été commis dans la maison des deux femmes : vers 4.) 17 Selon ses désirs. 18 La Mère a conseillé à sa fille de coucher avec Colin à condition qu’il promette de l’épouser, afin de sceller leurs fiançailles. On disait alors que le fiancé « empruntait un pain sur la fournée ». 19 Allons ! 20 LV : consister (Sans me lamenter. « Le Roy ne pouvoit voir ces choses si funestes sans se contrister. » Pierre Matthieu.) 21 Pour citer Colin à comparaître. 22 La maison du sergent. 23 Que je ne sortis. 24 LV : mais (L’official se rend à la salle d’audience de l’archevêché de Rouen.) 25 Qui maintient le Droit, qui applique la Justice. 26 Dans la salle de l’Officialité. 27 Je le devine. « Que de gens » s’applique aux spectateurs. 28 Celui qui. Sur la haine qu’on vouait aux sergents, voir les vers 469-472 du Testament Pathelin. 29 Il ne se moquera plus de moi. 30 Colin, son séducteur. 31 LV : cister (De le citer à comparaître. Même fantaisie graphique du copiste à 84, mais pas à 42.) 32 Parce qu’elle est parfaite. « L’on n’y sçauroit oster ni mettre », dit-on d’une lettre dans la Première Moralité de Genève. 33 Le rapport du sergent où les faits délictueux sont relatés. (Cf. Jehan de Lagny, vers 233.) La Fille dit ces derniers mots très fort. 34 Plaider. 35 LV : sy ne me font questonner (Corr. Philipot.) 36 LV : deraission (La méchanteté, qui est le vice du méchant, peut s’employer pour un violeur : « Ne pouvant obtenir ce qu’il désiroit du gré de Lysca, il la força, aydé par un valet complice de sa meschanteté. » Jean-Pierre Camus.) 37 De toute votre vie. 38 Que la folie. Cf. Tout-ménage, vers 227. 39 LV : apert (Corr. Philipot.) Comme il convient. « Moult belle dame, et qui parler sçavoit/ Comme il affiert & comme elle devoit. » Alain Chartier. 40 Je ne pourrai rien faire. 41 Elle donne à l’official la lettre du sergent. 42 Qu’on n’ajourne pas le procès pour cela ! 43 Que de bavardage ! La Mère, qui s’y connaît en Droit et qui, en tant que veuve, est habilitée à plaider devant un tribunal, veut empêcher son idiote de fille de nuire à ses intérêts. 44 Je me plains. 45 Je te condamne par défaut, par contumace. Colin, qui est dans le public, monte sur la scène. 46 Il n’est pas nécessaire de m’appeler plus fort. 47 LV : colin 48 LV : fus (Si je lui fis quelque chose.) 49 Elle remarque Guillot des Noix dans le public. 50 Interrogez-le. Guillot monte sur la scène. C’est un vieillard, vêtu comme au siècle précédent et chaussé de souliers à la poulaine. 51 De plaid, de perte de temps. 52 LV : jureres (Contraction du futur normand, comme jurray au vers 274. « Regardez à qui vous lairrez :/ Je demourray povre et seullette. » Testament Pathelin.) 53 LV : a 54 Sous une pierre tombale. « Quant est du corps, il gist soubz lame. » François Villon. 55 En jargon théâtral, ce verbe signifie : commence à parler. Voir la note 35 du Bateleur. 56 Dans Jehan de Lagny, « le Juge faict faire serment à Trétaulde par l’Évangille de la Bible ». À la place de ce vers manquant, LV porte en vedette, de la main du scribe puis du censeur : loficial le Juge 57 Habile. Ce vers n’ayant plus de rime, il a été raturé. 58 Trop heureux d’avoir enfin un auditoire qui écoute ses radotages sans le faire taire, Guillot fait durer son plaisir. 59 Frais. 60 Les pots : les marmites. On ne mangeait pas encore dans des assiettes mais sur des tranchoirs, et on se servait directement dans le plat, avec les doigts. Tissier cite la Comédie de proverbes (1633), d’Adrien de Monluc : « Il ne fut jamais si bon temps que quand le feu roy Guillot vivoit : on mettoit les pots sur la table, on ne servoit point au buffet. » 61 Dans de la vaisselle. « Agatocle (…) se faisoit servir à buffet de terre, en commémoration de ce qu’il estoit fils d’un potier. » Godefroy. 62 LV : sy (Voir le vers 106.) 63 Pas du tout, car cela n’existait pas. 64 Chacun était propriétaire de sa mule, et avait intérêt à bien la nourrir. Aujourd’hui qu’on les loue, elles ne mangent plus à leur faim. 65 LV : denoster (Corr. Philipot.) Les robes à la basquine furent à la mode au tout début du siècle. Cf. le Cousturier et son Varlet, vers 177. Les satiristes brocardent souvent les femmes qui passent leur temps dehors, et qui rentrent crottées par la fange des rues : « Johan nétoye la robe/ De sa femme, qui est crotée. » Le Povre Jouhan. 66 LV : mousequine (Le petit museau : la mignonne. « [Il] s’amouracha d’une musequine friande, blondelette, mignardelette. » Marcellin Allard.) 67 Aujourd’hui, les cavaliers sont contraints de s’habiller tout en cuir, pour qu’on puisse nettoyer plus facilement les éclaboussures provoquées par leur cheval. Guillot sous-entend que les rues sont beaucoup plus sales que jadis. 68 Ces gens qui montent sur une mule pour ne pas salir leurs souliers. 69 Ces épouses (lat. mulier). « Je ne vi dammoisele, pucelle ne moullier. » ATILF. 70 LV : seiour (Corr. Philipot.) « Jour » a ici le sens de date, et à la rime le sens de journée. 71 La culbute (les Sotz nouveaulx, vers 221) : à tomber de leur mule. 72 Cette arme d’un maniement délicat était périmée. (Cf. Colin, filz de Thévot, vers 84.) Clément Marot traite de la sorte une ancienne coquette : « Retirez-vous, vieille dague à rouelle !/ Retirez-vous, car vous n’estes plus celle/ Qui jadis sceut aux hommes tant complaire. » 73 Ces chaussures fragiles et peu pratiques se prolongent d’une corne en tissu qui se tordait sous la semelle et provoquait des accidents. Leur mauvaise réputation les réservait aux Fous et aux hommes efféminés. « Du temps qu’on portoit souliers à la poullaine, mes amys, et que on mettoit le pot sur la table. » Noël Du Fail. 74 LV : qne 75 Importante. 76 Qu’on faisait venir tout le monde à la cour de l’Officialité ; aujourd’hui, les calvinistes refusent ses convocations. « Mon procureur en Court d’Église. » Villon. 77 On ne changeait de chemise que tous les deux mois. 78 Être vendue 6 sous. 79 L’avocat normand Robert Angot dira la même chose un siècle plus tard : « Où cent cliens souloient parêtre,/ Ils n’avoient que six avocas ;/ Où cent avocas on voit être,/ Six cliens ne se trouvent pas. » 80 J’ai vu 200 personnes mises au rang des trépassés. Plus Guillot vieillit, plus il voit mourir de gens de sa génération. 81 On peut comprendre : Ce n’est pas bientôt fini ? Ou bien : Il n’en meurt pas encore assez (puisque vous êtes toujours vivant). 82 LV : respons 83 Qu’il n’y avait. Dans les grandes villes, la mule était le moyen de transport des élites appartenant à l’université, la magistrature ou le haut clergé. 84 Femme noble. « Les deulx femmes des deulx gentilz hommes, abillées en damoyselles. » Le Poulier à sis personnages. 85 Ce que cela nous annonce. 86 Tout le monde se fait anoblir. 87 Le commerce disparaîtra, puisque les nobles refusent de travailler. 88 De robes de Frise, de robes à la basquine (note 65), ni de jupons évasés par un bourrelet. « Ô la gente musquine !/ Qu’elle a une belle basquine !/ Sa vertugalle est bien troussée/ Pour estre bien tost engrossée. » Le Blason des basquines et vertugalles. 89 Des galants, qui ne pensent qu’à galer, qu’à s’amuser. « Jeulx, gales ou esbatemens. » ATILF. 90 Une casaque avec des manches. 91 Les lames damasquinées, incrustées d’or ou d’argent. 92 La sainte patronne des bragards, des élégants. « Pour mieulx gorrer [frimer] et faire de grans bragues,/ Le beau pourpoinct, la cappe bigarrée. » ATILF. 93 Les mères allaitaient elles-mêmes, alors qu’aujourd’hui, elles craignent de flétrir leur poitrine. 94 Désormais. 95 Chausse des bottes de cavalier. Guillot ne précise pas que de son temps, on se plaignait des nobles qui entraient dans l’église en tenue de fauconnier avec leur meute : « Qui sur son poing porte espervier/ Dedans le temple, et faict bruyt (…)/ De ses chiens. » Le Grand nauffraige des Folz. 96 « En contre-sens, à l’envers, au rebours. » Mémento du patois normand, p. 235. 97 Anciennes pièces d’or. 98 Le ducat est une monnaie vénitienne. Or, Guillot est foncièrement xénophobe : il n’aime pas les robes de Frise (italiennes), les vertugales (espagnoles), les vasquines (basques), ni les lames de Damas. Il ignore apparemment que les chaussures à la poulaine sont originaires de Pologne… 99 Au lieu de. 100 À 10 carats, et même à 8. 101 À l’époque qu’on qualifiait de malheureuse. (Méshuroux est un normandisme pour mésheureux.) « Ce meschant mésurous. » Le Triomphe des Normans. 102 On n’attrapait pas de catarrhe : de sinusite avec complications bronchiques. « Vif fust encores, si ne fust ung caterre/ Qui trop soubdain l’a tombé jusqu’à terre. » ATILF. 103 Tous mes prédécesseurs ont lu : can 104 Qui ne favorise l’apparition d’un catarrhe. « La chambre est froide et caterreuse. » Godefroy. 105 LV : en son cul (Corr. Philipot.) Rebrassé = retroussé. « Sottes doulces qui rebrassez voz cottes. » Jeu du Prince des Sotz. 106 La serge et l’ostadine sont des étoffes légères. 107 Réjouie. 108 LV : tante (Celle qui avait en toute saison.) 109 De fourrure d’écureuil. Le grignot du vers suivant semble être la même chose. 110 Que vous avez rincé les pots : que vous avez bu. 111 Litt. : frappe, bélier ! Ce mot fut contaminé par heurtebiller, qui signifie coïter, et par beliner, qui a le même sens. 112 Écoutez. Cf. Lucas Sergent, vers 218. 113 Voici le meilleur conte que vous ayez jamais entendu. 114 LV : messuy (Maishui = indéfiniment. Cf. le Gentil homme et son Page, vers 117.) 115 Guillot a quand même entendu parler de la découverte de l’Amérique. 116 Je ne sais. 117 Si on fait l’amour comme on le faisait. Dans son édition, Philipot cite Guillaume Bouchet : « Si on le fait comme on faisoit de mon temps. » (Les Sérées, 1584.) Le même Philipot a repéré cette formule proverbiale dans un conte de d’Ouville que je publie en appendice. 118 LV : doeuure (L’œuvre des noces : le coït. « L’Apostre exempte de tout crime l’œuvre des nopces, disant : & quand bien tu auras prins femme, tu n’as pas péché pour cela. » Pierre Coton.) 119 Tout est consommé : l’acte a bien eu lieu. 120 Et même, je vous l’atteste. 121 Combien d’écus, de testons ou de sous. 122 LV : jureray (Note 52.) 123 Sous condition. Le noble vieillard, en contrefaisant les gestes et la voix d’une pucelle, devait obtenir un beau succès public. 124 Lui déplut. 125 Sur les conseils de sa mère, elle croisait les jambes pour empêcher la pénétration. 126 Qui bougeait le bassin. 127 Oui, oui, (plutôt que de vous épouser, je vous donnerai un) fromage. « Hui » semble être une minoration de « oui » ; à moins qu’il ne s’agisse d’un sifflement : voir la note 93 du Capitaine Mal-en-point. Tissier se réfère aux Nouvelles récréations de Bonaventure Des Périers (1558) : l’Enfant de Paris qui fit le fol pour jouyr de la jeune vefve ne cesse de dire devant elle : « Ha ! ha ! formage ! » 128 Parlant à voix basse. Mais il pourrait s’agir là d’une didascalie : le Témoin, après avoir contrefait la voix aiguë de la fille, contrefait la voix grave du garçon. Dans ce cas, le vers suivant est apocryphe. 129 Comme un mouton. Ou comme un bélier : cf. le sens érotique du « heurte-belin » (vers 241) et de « beliner » (Pantagruel, 23). 130 Bander les yeux. Mais pas seulement les yeux : « Le paillard outil d’un amant se bande sans guindal [treuil], de luy-mesme. » Béroalde de Verville. 131 LV : bisaq (Cf. Frère Guillebert, vers 14.) Tissier rappelle qu’on trouve cette expression chez le Normand Philippe d’Alcripe, et chez Gabriel Chappuys, rouennais d’adoption : « Elle commença à mettre la main sur son braquemard à fin de le loger (…), & mit Geoffroy au bissac. » 132 Le châlit. « Je vous souhaide toute nue/ Entre mes bras, dessus mon lyt,/ Pour assayer se le châly/ Endure bien qu’on s’y remue. » Quant je vous voy. 133 On n’entend pas avec le nez. 134 D’une planche. Ce n’est plus un témoin, c’est un voyeur ! « Je regardois par une fente/ Qui est à l’huys de ma chambrette,/ Où je l’ay veu sur la couchette/ Avec ma fille Madalêne. » Jacques Grévin. 135 Les plaignants. Jeu de mots sur les parties sexuelles. 136 Départagés. 137 D’avoir promis quelque chose. 138 À genoux sur le lit pour coïter avec elle. « Je vous amèneray la nonnette jolie ;/ Boutez-vous en prières trèstous à deux genoulx,/ Et devant qu’i soit nonne, nous fringuerons trèstous. » (Fringuez, moynes, fringuez.) Cf. Sœur Fessue, vers 71. 139 Avant de. 140 As-tu un bel aboiement : as-tu encore une grande gueule ? (Le sarcasme s’adresse à Colin.) « Tu as bel abbayer, mastin [chien] ! » Louis Des Masures. 141 LV : un (La flûte et le tambourin sont les instruments traditionnels pour faire danser une noce. « Soyez-y avecques vostre flutte et tabour. Les parolles dictes, et la mariée baisée au son du tabour… » Rabelais.) La loure est une cornemuse. 142 LV : espoussera (= il époussettera. Mais « il épousera » est plus logique.) 143 Dans les Cent Nouvelles nouvelles (nº 86), une mère plaide avec sa fille devant l’official de Rouen pour une histoire de sexe ; ayant obtenu gain de cause, elle s’écrie : « Grand mercy, monseigneur l’Official ! Vous avez trèsbien jugé. » 144 Je suis pris. « J’en ay pour une ! » Testament Pathelin. 145 De le prendre en gré, de faire contre mauvaise fortune bon cœur. 146 LV : colin (Corr. Philipot.) 147 Les vifs, les vivants. 148 Et celui qui. 149 LV : par 150 Trouver à critiquer. 151 Ou piqué. 152 « Nous ne comprenons pas pourquoi. » (Tissier.) La tournure est normande. 153 Suprême. 154 LV : vous (De nous.) 155 Cette ultime scène, tellement moralisatrice que le censeur n’y a rien trouvé à redire, n’est peut-être pas du même auteur que le reste. Elle est dépourvue de la moindre originalité, et le distique final sert de conclusion à de nombreuses pièces. Le ms. La Vallière inflige le même traitement à Sœur Fessue, et à l’Avantureulx ; mais dans cette dernière farce, la fin moralisatrice et le congé banal ont carrément été biffés. 156 La farce du Tesmoing demeura longtemps populaire en Normandie. En 1643, un dramaturge normand, Antoine Le Métel d’Ouville, en publia ce résumé dans ses Contes aux heures perdues. 157 À sa demande. 158 D’Ouville ne mentionne pas la chambre (et le trou percé dans la cloison) ; mais plus bas, il parle d’un lit, qui n’a rien à faire dans une étable.
LES MARAUX ENCHESNÉZ
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LES MARAUX
ENCHESNÉZ
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Les personnages de cette farce parisienne écrite en 1527 n’ont rien de traditionnel : deux marauds1 curent les fossés2 de la capitale, sous la férule de Justice.
À la demande réitérée des bourgeois et des marchands, on voulut empêcher les vagabonds de traîner dehors. Les mesures d’encadrement à leur encontre se multiplièrent. Le 7 mai 15263, François Ier s’inquiéta de voir rôder dans Paris ces « adventuriers et vagabonds, oysifs et mal vivans4, de sorte que plusieurs larcins et pilleries y se commettent, et plusieurs meurtres, forcemens de filles et autres grandes insolences en procèdent ». Il est incontestable que ces marauds alcooliques et bagarreurs n’étaient pas des petits anges. Parmi eux, il y avait beaucoup de soldats révoqués, comme le sont nos deux « héros », qui ne parlent que de tuer. On capturait les sans-logis, on leur mettait des chaînes aux chevilles, et on les occupait à des travaux d’utilité publique pendant quelques jours ou quelques semaines. Seuls étaient concernés les « mendians sains de leurs corps, pouvant autrement gagner leur vie », c’est-à-dire les fainéants valides. Les mendiants invalides ou âgés étaient pris en charge par les églises.
En 1532, une semblable ordonnance inspira Claude Jamin, qui s’en servit l’année suivante pour écrire une comédie de collège en latin : Marabeus 5.
Source : Recueil de Florence, nº 42.
Structure : Rimes plates. L’auteur n’a pas osé recourir à des rimes enchaînées…
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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Farce nouvelle des
Maraux enchesnéz
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À trois personnages, c’est assavoir :
JUSTICE
SOUDOUVRER 6
COQUILLON 7
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*
LES .II. MARAUX8 commencent en chantant
Nous somes maraux, meschans, malostrus, SCÈNE I
Tant las de rien 9 faire que n’en povons plus,
Les piedz enferréz, et tous morfondus 10.
Hé, Dieu ! Et, Dieux !
5 Se l’yver ne cesse, nous sommes perdus.
SOUDOUVRER
Se nous eussions estéz rendus
En quelque église, pour chanter,
Par Dieu, je m’ose bien vanter
Que nous deux, [nous] eussions fait rage !
COQUILLON
10 Hé ! ce n’est point [de] bon courage11
Ne du bon du cueur que je chante.
SOUDOUVRER
Ceste malheureuse meschante
Fortune nous est bien contraire.
COQUILLON
Rien n’y vault le crier ne braire :
15 C’est pour neant12. Il fault endurer.
SOUDOUVRER
Quel moyen, pour nous defferrer,
Puissons-nous [bien], à ton advis,
Trouver ? Car je seuffre13 envys
[D’]estre en cest estat garotté.
COQUILLON
20 Je sçay bien une abilité14
–Se n’estoit crainte de Justice15–
Qui(l) nous seroit assez propice ;
Mais nous ferions pis que devant.
.
JUSTICE SCÈNE II
Sus, paillars, [sus] ! tirez avant16 !
25 Acoup, besongnez vistement !
COQUILLON
Dame, le plus diligemment
Que je puis, je fais ma besongne.
SOUDOUVRER
Hé ! mau gré17…
JUSTICE
Qui esse qui hongne18 ?
Et ! qu’esse-là ? Fault-il grongner ?
COQUIL[LON]
30 Je fais rage de besongner,
Regardez ; voulez-vous mieulx faire ?19
.
SOUDOUVRER SCÈNE III
Puisque Justice nous esclaire20
De si trèsprès, il est bien force
Que nous endurons ceste endosse21 :
35 Il n’y a point d’autre remide22.
COQUIL[LON]
Puisqu’ainsi est qu’el[le] nous guide23
Et marche si près des tallons24,
[Et] que, partout où nous allons,
Elle nous suyt, corps bieu, je n’ose
40 Maintenant dire ou25 faire chose
Qui soit contre son Ordonnance26.
SOUDOUVRER
Se je puis eschapper, je pense
Qu’el(le) ne me tiendra mais en pièce27.
COQUILLON
Se depuis prime jusqu’à tierce28
45 Elle me veult laisser courir
Tout defferré, je veulx mourrir
Si à beau pié ne vois29 à Tours
Seullement en mains de trois jours !
Vélà, j’e[n] feray l’entreprise30.
SOUDOUVRER
50 Se tu me véoys31 en ma chemise
Courir, se j’estoye eschappé,
Le coul vouldroye avoir couppé
Ou avoir la sanglante fièvre
Se ne courroye plus fort32 q’ung lièvre
55 Qui soit au royaulme de France !
[COQUILLON]
Ha ! jamais ne fût diligence
Faicte si grande, à mon advis.
SOUDOUVRER33
Pleust à Dieu que fussions ravis34
SOUDOUVRER
Toy et moy, gentil Coquillon,
60 En l’air comme ung estourbillon35,
Jusques à Lyon sur le Rosne !
COQUILLON
Par le sang Dieu (qui36 me pardonne) !
Nous aurions bon temps, toy et moy.
SOUDOUVRER
Nous cririons bien hault : « Le roy boy37 ! »
COQUILLON
65 Par le sang de moy, Soudouvrer,
Toy et moy [sçaurions gouverner]38
[Tout] incontinant de quelque prince.
SOUDOUVRER
Et pourtant, se nous sommes mince39
Maintenant, il n’en peult chaloir40.
COQUILLON
70 Mais41 que nous [nous] fassions valoir,
Ce sera grant-chose que de nous.
.
JUSTICE SCÈNE IV
Corps bieu ! [plus tost]42 aurez des poux
Pour faire de l’huylle en Karesme !
SOUDOUVRER
Se nous ne faillons à nostre esme43,
75 Je suis seur que aurons du bien ;
Du nombre, je ne sçay combien.
COQUILLON
Cent mil escuz ou au-dessoubz.
JUSTICE
Sang bieu ! [plus tost]44 aurez des poux
Et ung maillet pour les casser !45
.
COQUILLON SCÈNE V
80 Mais vien çà ! Tu me fais penser :
Quant nous aurons or ou argent,
Pour entretenir le cueur gent,
À quoy passerons-nous le temps ?
SOUDOUVRER
À hanter les gens esbatans46
85 Aux jeux de cartes [ou] aux quilles,
Aux jeuz de déz, aux belles filles,
À la taverne jour et nuyt47.
COQUILLON
Que sera-ce que de nous ?
SOUDOUVRER
Tout le bruit48,
Deux gaudisseurs49 de l’autre monde ;
90 Tenir tous les jours table ronde50
À tous ceulx qui vouldront venir.
COQU[ILLON]
Nous sommes gens pour parvenir
À ces fins-là.
SOU[DOUVRER]
Point je n’en doubte.
COQUI[LLON]
Mais vien çà, Soudouvrer, escoute :
95 Sçaurions-nous trouver le moyen
D’estre mis hors de ce lyen
De Justice –en quoy nous sommes–,
En baillant pleige51 de deux hommes
Pour bonne et seure cauction ?
SOU[DOUVRER]
100 Ho ! vray, c’est mon intencion ;
Que le tour ne seroit pas mauvais.
COQUI[LLON]
Foy que [je] doy à saint Gervais,
Ce seroit moult belle adventure.
SOU[DOUVRER]52
Se quelque bonne créature
105 Nous vouloit faire ce plaisir,
La fin53 de tout nostre désir
Seroit acomply. Mais aussi,
[Il] ne fauldroit estre en soucy54
Qu’ilz n’en fussent récompenséz
110 Et qu’il n’eussent des biens assez,
Mais que nous fussions en vertu55.
COQUI[LLON]
Hé dea, Soudouvrer : enten-tu
Que nous donnissions tout le nostre56 ?
SOU[DOUVRER]
Nenny, par saint Pierre l’appostre !
115 [Mais] touteffois, mocquin mocquart57…
Ha ! je ne suis pas si coquart58
D’en bailler, sinon par raison59.
COQUI[LLON]
Si fauldroit-il tenir maison60,
À tout le moins, cela s’entend.
SOU[DOUVRER]
120 Quant là viendra61, je suis content
Que nous facions tousjours grant chière.
COQUI[LLON]
Premièr(e)ment, fault trouver manière
Comme nous puissons eschaper.
SOU[DOUVRER]
Hélas ! se nous sçavions tromper
125 Justice, nostre maistresse,
Qui nous tient à si grant détresse,
Nostre fait seroit à louer.
COQUI[LLON]
Ha ! il ne s’i fault pas jouer :
Je la congnois, elle est trop fine.
SOU[DOUVRER]
130 Quel remède, don ?
COQUI[LLON]
Bonne myne62,
Endurer tout paciemment.
Et puis, par quelque apointement63,
On trouv(e)ra façon de vuyder64.
SOUDOUVRER
Or sus, donc ! Dieu nous vueille aider !
135 Rien n’y vaul[droi]t le déconfort65.
COQUILLON
Se maistre Henry66 ne fust mort,
Nous fussions piéçà despêchés67.
SOU[DOUVRER]
[Que] Dieu luy pardoint ses péchéz !
Hélas, c’estoit nostre bon père.
COQUI[LLON]
140 Nous estions la meilleure paire
Des pigons de son coulombier68.
.
JUSTICE SCÈNE VI
Sus, paillars, [sus] ! En ce bourbier,
Nestoyez-moy bien ces fosséz !
COQUI[LLON]
Nous avons tous les rains casséz.
145 Dieu ait bon gré du labouraige !
JUSTICE
Quel[le] rencontre69, à ung passaige,
Ces deux maraux dedens ung bois !70
.
SOU[DOUVRER] SCÈNE VII
Il y a plus de quinze moys,
Par la mère Dieu de Boulongne71,
150 Que ne fis autant de besongne,
Pour ung jour, que j’ay fait ennuyt72 !
COQUI[LLON]
Hélas ! povres enfans mauduit[z]73,
Nous fault-il avoir tant de peine ?
SOU[DOUVRER]
Sur mon corps, n[’y] a nerf ne vaine,
155 Par le sang bieu, qui ne s’en sente !
COQUI[LLON]
Des jours y a plus de soixante
Que je n’euz autant de meschef74.
SOU[DOUVRER]
Se nous en povons venir à chef75,
Croire pourrez tout seurement
160 Qu’il jouera bien finement,
Qui nous y fera atraper76 !
COQUI[LLON]
Je beu tant, arsoir77 à souper,
De citre78 ! Le deable y ait part !
Je vouldroye que d’une hart79
165 On eust parmy le col pendu
Le faulx villain80 qui l’a vendu !
J’en ay si trèsmal à ma pance
Qu’i me semble, en ma conscience,
Qu’on me fent [en deux] les boyaulx.
SOU[DOUVRER]
170 Ce n’est que bruvage à pourceaulx ;
Pour abréger, ce n’est qu(e) ordure.
COQUI[LLON]
Et puis il fault coucher sur la dure81
Toute nuyt, à trembler de froit.
SOU[DOUVRER]
Cuyde-tu : qui nous regard(e)roit
175 De nuyt couchéz à nostre peaultre82,
Entremeslé l’ung parmy l’autre
Ensemble, il83 nous feroit beau veoir !
COQUILLON
Dieu nous vueille trèstous84 pourveoir !
SOUDOUVRER
Et ainsi soit-il, par Sa grâce !
COQUI[LLON]
180 Il fault que jeunesse se passe,
Vélà, nous sommes fortunéz85.
SOU[DOUVRER]
Nous sommes de malle86 heure néz,
Il ne fault point dire autrement.
COQUI[LLON]
Esse faulte d’entendement ?
SOU[DOUVRER]
185 Nenny, car nous sommes trop saiges.
COQUI[LLON]
Se les bonnes gens des villages
Estoient aussi sages que nous,
Ilz auroient de l’argent trèstous
Autant comme ung chien a de pusses87.
SOU[DOUVRER]
190 Que88 cuide-tu, se je ne fusses
Enferré de ceste féraille89,
Que je feroie ?
COQUI[LLON]
Ne te chaille90,
Je ne dy pas ce que j’en pense.
SOU[DOUVRER]
L’en nous fait dancer une dance
195 Que n’avons pas acoustumé.
COQUI[LLON]
Ha ! se j’eusse esté armé,
Quant les sergens vindrent à moy91,
Je puisse renier92 la Loy
Se je n’en eusse tué ung !
SOU[DOUVRER]
200 Et moy, j’estoie encor jeun93
Au matin, ainsi qu’on se liève ;
Entre le Port-au-Fain94 et Grève,
Entre ses [grans] chantiers95 de busches,
Trois sergens estoient en embusches,
205 Qui m’empoignèrent au collet
Et me mirent96 en Chastellet.
[Et] vélà comme je fus prins.
COQUI[LLON]
Comme qu’il soit, nous sommes pris ;
Nous n’avons garde de voller97.
SOU[DOUVRER]
210 C’est tout, il n’en fault plus parler.
Changon98 propos, n’en parlons plus.
COQUI[LLON]
Pensez que povres truppellus99
N’ont pas tousjours toutes leurs aises.
SOU[DOUVRER]
Mais100 que les poux ou les punaises
215 Ne nous estranglent, en prison,
J’ay bien encore intencion
D’avoir bon temps, n’en doubtez point.
J’ay veu que j’estoye fricque et coint101,
Du temps que j’estoye coustiller102.
220 Ha ! qui me fust venu railler103
Ainsi qu’on [le] fait maintenant,
J’eusse baillé incontinent,
Par le sang bieu, dessus104 la joue !
COQUILLON
Vélà, nous sommes à la boue,
225 Maintenant, jusques au[x] genoulx ;
[On ne tient plus compte de nous.]105
SOU[DOUVRER]
Une autre fois, nous aurons mieulx.
COQUI[LLON]
Hélas ! j’ay bien veu (se m’ai Dieux106),
Du temps que j’estoye pâticier,
Que j’estoye tenu aussi ch[i]er107
230 Comme cresme, et plus encoire.
SOU[DOUVRER]
Hé ! je faisoye rage de boire
Et de hanter108 bons compaignons.
COQUI[LLON]
Et que fis-je des109 Bourguignons,
À Beauvais ? Saincte Katherine !
235 Je tuay d’une coulevrine110
Des Bourguignons plus d’ung mill[ie]r.
Sang bieu ! qui m’eust voulu bailler111
La charge de toute l’armée,
[Ne croyt-on]112 point qu’à ma fumée
240 Je ne les eusse tous deffaitz ?
Mémoire eust esté de mes fais
Plus de cent ans après ma mort.
SOU[DOUVRER]
Et moy, je fis bien aussi fort
Devant Amÿens113, où j’estoye :
245 Atout114 ung baston que j’avoye,
Ung voulge115 et une hallebarde,
Je passay oultre l’avant-garde
En despit de tous les Flamens,
Et vins tuer trois Allemans
250 Droit au millieu de la bataille.
O ! j’estoie chault comme une caille.
Je frapoie à tort, et à travers.
Sang bieu ! j’abatis d’ung revers
[Et] aussi net comme ung naveau116
255 La teste d’ung cheval fauveau117
Sur quoy118 ung homme d’arme estoit :
Pouac ! Ung homme n’arrestoit119
Devant moy nen plus q’ung festu.
La mort bieu ! j’en eusse [a]batu
260 Tout seul, à ceste heure-là, cent !
Et si, n’estoie qu(e) ung innoscent120 :
Je n’avoye point plus de .XVI. ans121.
Par la chair bieu ! les plus puissans
Me craignoient comme le tonnerre.
COQUI[LLON]
265 Je fus courir devant Auxerre122
Une fois, sus ung bon cheval.
(Je pry à Dieu qu’i gard de mal
Celuy qui le m’avoit donné123.)
De ma vie, ne fus plus tenné124
270 Que je fus à ceste heure-là.
Ma brigandine m’affolla125,
Car à peine y povoie entrer.
[Incontinent vins]126 rencontrer
Ung homme armé, blanc comme signe127 ;
275 Je luy vins contre la poytrine
Frapper si grant coup de ma lance,
Que je fis sortir de sa pense
Plus de dix aulnes128 de boyaux.
SOUDOUVRER
Et moy, que fis-je, auprès de Meaulx129,
280 Une fois, d’une javeline ?
J’ouÿs chanter une géline130
Qui estoit emmy une court ;
Je m’en vins (pour le faire court)
Frapper dessus de mon baston.
285 Incontinant, ung gros garson,
Tout estourdy comme ung coquart131,
Me vint dire : « Maistre paillart,
Vous avez tué nostre poulle. »
Il chargea une bûche de moulle132
290 Qu’il trouva [des]sus ung fumier,
Ensemble avecques le fermier
Et les autres de la maison.
Ainsi, pour faire ma raison133,
–L’ung ung voulge, l’autre une haste134–,
295 Mectoyent tous les mains à la paste
Pour me brasser ung beau levain135,
Cuidant que j’eusse le cueur vain136,
Que ne m(e) osasse revancher.
Incontinant, sans plus prescher,
300 Charge[ay] dessus à tour de bras.
Mais (je regny saint Ypocras137)
Se j’eusse [ung peu] creu138 mon courage,
J’eusse fait le plus beau mesnage
Qui oncques fut fait au pays.
305 Ha ! si ne s’en fussent fouïz139,
Par ma foy, j’eusse tout tué !
Mais vraiement (Dieu soit loué),
Pour tant140, il n’en mourut pas ung.
COQUILLON
À ce propos, près de Mellun141,
310 J’estoye aussi en ung village
Allé, d’aventure, en pillage.
Et [je] me logé chez ung prestre ;
Puis luy demandé, pour repaistre,
Du pain, du vin, de la vïande.
315 Inconti[n]ant, une truande142
Qu’il avoit à sa chambèrière,
Par ma foy, qui estoit bien fière,
Me commença à rechigner ;
Et je la vous voys143 empoigner
320 Incontinant devant le prestre,
Et fis semblant, par la fenestre,
De la gecter emmy la rue.
Mais quoy ? Je n’estoye pas si grue144 :
Je le faisoye pour mieulx jouir
325 D’elle, et pour faire fouïr
Le curé, qui à desloger
Ne mist guères. Pour abréger,
Je vous troussay la godinette145
Tout subit sus une couchette.
330 Ce pendant que l’huys estoit clos,
Je la vous despesché en gros,
Gaillart, à deux fil[z] de coton146 !
Le curé, ce povre mouton,
Revint [quant] c’estoit desjà fait.
335 Je luy ouvris l’huis en effect.
Le prestre et la chambèrière
Me firent la meilleure chière147
Que [je] vis oncques faire à homme.
SOUDOUVRER
C’est rage que de nos faitz !
COQUILLON
En somme,
340 On n’en viendroit jamais à bout.
SOUDOUVRER
Voire, qui vouldroit dire tout,
Par ma foy, ce ne feroit mon148.
COQUILLON
On [en feroit trop long]149 sermon,
Qui dureroit (par mon serment)
345 Jusques au jour du Jugement150.
SOUDOUVRER
Je croy qu’il ne s’en fauldroit guères.
Qui vive151 ?
COQUILLON
Qui ?
SOUDOUVRER
Les pauvres hères152 !
[Qui les a ainsi acoustré ?]153
COQUILLON
Ceulx qui ont tout clos et serré
Le leur154, et n’osent riens despendre ;
350 Qui se lerroient155 aussitost pendre
Que d’e[n] oster ung seul denier,
Et jeûner pour en espargner
Encore tant plus largement.
Quel(le) joye et quel esbatement
355 Peuvent-ilz156 avoir en ce monde ?
SOUDOUVRER
Sur tous biens –que Dieu [me confonde]157 –,
Il n’est trésor que de liesse.
COQUILLON
Mais que vault couroux ?
SOUDOUVRER
Mais158 tristesse ?
COQUILLON
Mais [que vault] soucy ne chagrin ?
SOUDOUVRER
360 Riens qui soit.
Mais pour faire la fin,
Prenez en gré l’esbatement.
COQUI[LLON]
Se failly avons nullement159,
Plaise-vous le nous pardonner.
SOUDOUVRER
Se n’eussions paour de vous tenner,
365 [Nous eussions]160 bien dit autre chose.
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JUSTICE SCÈNE VIII
Messieurs, se la Porte161 [n’]est close,
[Mectez-vous tost]162 hors de cëans.
COQUIL[LON]
Et ! gardez aussi que vos chiens,
[Lors,] ne nous facent aucun mal.
SOUDOUVRER
370 À Dieu trèstous en général !
Nous reviendrons une autre fois.
COQUILLON
Adieu ! Nous en allons tous trois.
FINIS
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1 Maraudeurs, mendiants. « Quant on enchaŷne les maraulx,/ Que n’enchaîne-on les marauldes ? » Les Sotz escornéz. 2 « Ceulx qui furent prins comme vagabons furent enchesnéz deux à deux ; et fut ordonné qu’ilz cureroient et nettoyroient les fosséz de la porte Sainct-Honoré par ordonnance de la Cour. Et pour ce faire, (ils) furent bailléz aux prévost et eschevins de la ville. Et ce fut au moys de juing, audict an 1524. » Journal d’un bourgeois de Paris sous le règne de François Ier. 3 Cette ordonnance fut enregistrée au Parlement de Paris le 14 décembre 1526. 4 Gens de mauvaise vie. 5 « Toutefois, il existe bien une autre pièce du XVIe siècle où les travaux forcés des fossores ad evacuandas valli luteciani fossas sont mis en scène : il s’agit de la farce latine Marabeus (BnF lat. 8439). » Jelle Koopmans, le Recueil de Florence, p. 590. 6 Soûl d’œuvrer : fatigué de travailler. Voir la note 1 de Saoul-d’ouvrer et Maudollé. 7 Étudiant en Droit qui passe son temps à jouer à la paume et à danser au lieu de travailler. « Un esteuf en la braguette,/ En la main une raquette,/ Une loy en la cornette,/ Une basse-dance au talon :/ Vous voylà passé coquillon. » Pantagruel, 5. 8 Vêtus d’une chemise longue, enchaînés l’un à l’autre par les chevilles, ils se reposent en s’appuyant sur le manche de leur pelle, plantée dans le sol. 9 F : bien (« Pusilanimes & lasséz de rien faire. » Antoine du Saix.) Jelle Koopmans rappelle, p. 581, qu’ « il existe un mandement joyeux intitulé La Confrérie des saouls d’ouvrer et enragez de rien faire (…) ce qui suggère de corriger bien faire en rien faire ». 10 Enrhumés. Cf. la Chanson des dyables, vers 27. 11 De bon cœur : c’est pour me réchauffer. 12 Cela ne sert à rien. On scande « nian » en 1 syllabe. 13 F : senffre (Je souffre.) Envis = malgré moi. 14 Une habileté, une ruse. 15 C’est le nom de leur gardienne. 16 Avancez 17 Que maudit soit… 18 Qui grommelle. 19 Justice s’éloigne ; les marauds s’appuient de nouveau sur leur pelle. 20 Nous surveille avec son « flambeau de Justice ». 21 Ce fardeau. 22 F : remede (Je corrige pour la rime ; on trouve la forme régulière à 130. Cf. L’Avantureulx, vers 67.) « Car je n’y voy sans miracle remide./ Je l’ay perdu, & n’y ha croix ne guide. » Marguerite de Navarre. 23 Qu’elle nous tient par les guides, par les rênes, comme des chevaux. 24 Qu’elle marche sur nos talons. 25 F : ne 26 Contre l’Ordonnance de justice qui s’attaquait au vagabondage. Voir ma notice. 27 Qu’elle ne me tiendra de longtemps. « Vous ne la verrez mais en pièce :/ Elle s’en viendra avecques moy. » ATILF. 28 De 6 heures à 9 heures. 29 Si d’un bon pas je ne vais. Tours n’est là que pour la rime. 30 F : ceste entreprise (Je l’entreprendrai.) 31 Si tu me voyais. Les forçats sont en chemise : on leur confisque leurs vêtements pour dissuader les évasions. 32 Si je ne courais plus vite. 33 F : Coquillon 34 Emportés. 35 Une tornade. 36 F : le (Coquillon demande pardon à Dieu d’avoir juré son nom. Aux vers 155 et 223, on jure « par le sang bieu ».) L’ordonnance contre les marauds met dans le même sac les « blasphémateurs du nom de Dieu, ruffiens, mendians ». 37 À l’Épiphanie, quand celui qui avait trouvé la fève dans le gâteau buvait, on criait « le roi boit », pour obliger tous les convives à en faire autant. « Tenez, voylà de la boisson :/ N’espargnez pas ce vin cléret./ Le roy boit ! le roy boit ! le roy boit ! » Jéninot qui fist un roy de son chat. 38 F : serions gouuerneur (« Mais gouverner vueil à ma poste/ Mon filz le Prince. » Jeu du Prince des Sotz.) 39 Minces de caire, pauvres d’argent. Cf. Mallepaye et Bâillevant, vers 14. 40 Peu importe. 41 Pour peu. 42 F : vous (« Mais trois boysseaux de poux/ Pour faire de l’uylle en Karesme. » Ung Fol changant divers propos.) 43 Si nous ne nous trompons pas dans nos prévisions. Même vers dans les Sotz escornéz. 44 F : vous (Voir le vers 72.) 45 Justice s’éloigne ; les marauds s’appuient sur leur pelle. 46 À fréquenter les gens qui jouent. 47 L’influence de Villon est palpable : « Gaigne au berlanc [dés], au glic [cartes], aux quilles :/ Aussi bien va (or escoutez)/ Tout aux tavernes et aux filles. » François Ier assimilait aux marauds les « joueurs de cartes et de dés, quilles et autres jeux prohibés et défendus ». 48 Bonne réputation. 49 Jouisseurs. Cf. le Gaudisseur. De l’autre monde = incroyables. « Faisans choses de l’autre monde, et quasy incrédibles. » ATILF. 50 Table ouverte. 51 Une garantie : des otages qui prendront notre place. En 1526, François Ier avait pu quitter les geôles madrilènes de Charles Quint en lui livrant ses deux fils de 7 et 8 ans, qui restèrent prisonniers des Espagnols durant quatre longues années. 52 Il s’adresse au public afin d’y trouver deux volontaires pour les travaux forcés. 53 L’assouvissement. 54 Nos remplaçants n’auraient pas à craindre. 55 Pour peu que nous soyons en puissance (de les dédommager). 56 Veux-tu que nous leur donnions tout notre argent ? 57 À malin, malin et demi. Voir la note 66 des Sotz fourréz de malice. 58 Sot. Idem vers 286. 59 En quantité raisonnable. 60 Avoir un grand train de maison. 61 Quand on en viendra là. 62 Lui faire bonne figure. 63 Arrangement. 64 De vider les lieux, de partir. On scandait à la parisienne « trou-vra », « pre-mièr-ment » (v. 122), re-gar-drait (v. 174), etc. 65 Il ne servirait à rien de se lamenter. 66 « Maistre Henry Cousin, maistre bourreau en ladicte ville de Paris », mourut à une date inconnue mais postérieure à 1486. 67 Nous serions depuis longtemps expédiés ad patres. 68 Des pigeons de son colombier : nous étions ses meilleurs clients. Le bourreau ne se contentait pas d’exécuter, il appliquait aussi la torture et les punitions courantes : « Unze-vings coups luy en ordonne,/ Livréz par la main de Henry. » Villon. 69 F : rencontrer (Quelle horrible rencontre que ces deux marauds, dans un coupe-gorge, au fond d’un bois !) 70 Justice s’éloigne, et les prisonniers s’appuient sur leur pelle. 71 « Par Nostre-Dame-de-Boulongne ! » Le Testament Pathelin. 72 Aujourd’hui. 73 Mal duits, mal élevés. (L’un des Bélistres s’appelle Mauduit.) L’imprimeur a corrigé un pluriel gênant pour la rime. 74 De malheur. 75 À bout : si nous pouvons en sortir. 76 Celui qui nous y reprendra. 77 Hier soir. 78 De cidre. La ville se débarrassait de celui qui avait tourné en le donnant aux forçats. 79 D’une corde. 80 Le maudit paysan. 81 À même la terre. « J’ay beu chaud, mangé froid, j’ay couché sur la dure. » Mathurin Régnier. 82 Sur notre paillasse. « Jényn couchoit au peaultre. » La Résurrection Jénin à Paulme. 83 F : qui 84 F : trestout 85 Chanceux (ironique). 86 F : ceste (Nous sommes nés sous une mauvaise étoile.) 87 La Chanson sur l’Ordre de Bélistrie, où Jehan Molinet donne la parole à des mendiants, s’achève ainsi : « Nous prions Dieu (qui voit les siens)/ Qu’autant vous doint de marcs de fiens [de grammes de merde]/ Qu’ung vieu chien a de puces ! » 88 F : He 89 De ces chaînes. 90 Ne t’en déplaise. 91 Vinrent m’arrêter. 92 F : regnier 93 À jeun, ainsi qu’on l’est quand on se lève. 94 Entre le Port-au-Foin et la place de Grève, au bord de la Seine. Les clochards venaient y dormir. « Compaignons vacabondes (…) alèrent couchier sur le Port-au-Fain, en Grève. » Registre criminel du Châtelet de Paris. 95 Pièces de bois en X destinées à supporter les tonneaux qu’on embarquait ou qu’on débarquait. « Grans chantiers de busche. » ATILF. 96 F : menerent (Le roi fit « mettre èz prisons du Châtelet de Paris » les « vagabonds, oisifs, mal vivans, gens sans aveu ».) 97 De nous envoler. Mais aussi : de dérober. Une abondante littérature montre les tours qu’inventaient les marauds pour voler les commerçants. Voir par exemple la farce de la Trippière, F 52. 98 Changeons de. Cf. la Résurrection Jénin à Paulme, vers 202. 99 Sots. 100 Pour peu. 101 Élégant et gracieux. 102 Valet d’un soldat. 103 Si on était venu se moquer de moi. 104 F : sur (J’aurais distribué des gifles.) 105 Vers manquant. J’emprunte le vers 162 de Mallepaye et Bâillevant. 106 Si Dieu m’aide : que Dieu m’assiste ! 107 Cher. « Drap est chier comme cresme. » Farce de Pathelin. 108 De fréquenter. 109 F : par les (Beauvais fut assiégé par le duc de Bourgogne en 1472.) Les bravaches se vantent toujours d’avoir pris part à des événements qu’ils n’ont pu connaître. L’Avantureulx vainquit Talbot à une époque où lui-même n’était pas né, le capitaine Mal-en-point combattit avec Hannibal et Nabuchodonosor, etc. 110 À l’aide d’un canon long et fin. 111 Si on avait voulu me confier. 112 F : Je croy (Fumée = colère.) 113 En 1471, Amiens fut repris aux Bourguignons, dont l’armée, faite de bric et de broc, comptait beaucoup de Flamands et quelques Allemands. 114 Avec. 115 Long bâton prolongé par une lame ou une serpe. 116 Aussi nettement qu’un navet. « (Il la) coupa en deux pièces, aussi net qu’un naveau. » Philippe d’Alcripe. 117 Fauve, roux, comme le cheval du Roman de Fauvel. 118 F : lequel (N’en déplaise à Vaugelas, « sur quoi » pouvait s’appliquer à un cheval : « Le cheval sur quoy il estoit. » Christine de Pizan.) 119 Ne résistait. 120 Et pourtant, je n’étais qu’un enfant. 121 Soudouvrer aurait donc aujourd’hui 70 ans ; or, on ne faisait pas travailler de force les vieillards. Au vers 180, nos marauds avouent qu’ils sont encore jeunes. 122 Entre 1471 et 1477, les partisans du roi firent de sanglantes incursions dans le comté d’Auxerre, acquis au duc de Bourgogne. 123 Entendez : celui à qui je l’avais volé. Les soldats ne se gênaient pas pour s’approprier des chevaux ; cf. Troys Gallans et Phlipot, vers 398. 124 Tanné, fatigué par les ennemis. 125 Mon pourpoint ferré me meurtrit. Le pâtissier Coquillon (vers 228) est trop gros pour y entrer. 126 F : Incontinens vint (L’imprimeur a interverti les finales « t » et « s ».) Rencontrer = attaquer. 127 Comme un cygne. Blanc de peur. Nous dirions : blanc comme un linge. 128 11,80 mètres. Nos deux marauds ont une légère tendance à l’exagération. 129 Prétend-il avoir fait partie de la garde royale qui escorta Louis XI à Meaux, en 1468 ? 130 Une poule. Le soldat se révèle enfin pour ce qu’il est : un voleur de poules, comme tous ses congénères. (Cf. Colin, filz de Thévot, vers 73 et 195.) Le Franc-archier de Baignollet s’écrie lui aussi : « J’ay ouÿ poullaille/ Chanter chez quelque bonne vieille ! » 131 Un imbécile. 132 Un morceau de bois à brûler. « Et se prindrent à jecter (…) pierres, busches de moulle, tables, tresteaulx et autres choses pour grever iceulx Angloyz. » ATILF. 133 Pour me régler mon compte (au sens propre et au sens figuré). 134 Un bâton prolongé d’une serpe, et une broche à rôtir. 135 Pour me mettre dans le pétrin. 136 Vide, sans courage. 137 L’hypocras, vin médicinal, doit son nom au médecin païen Hippocrate. En reniant un saint qui n’existe pas, on ne risque plus de passer pour un blasphémateur. 138 Accru. 139 S’ils ne s’étaient pas enfuis. 140 Pour cette raison : parce qu’ils se sont enfuis. Le second brigand du Mystère de saint Martin, d’André de La Vigne, se nomme également Souldouvrer ; il a le même instinct meurtrier que le nôtre : « S’il venoit riches ne meschans,/ Tout passoit dessoubz noz espées./ Tant de gorges avons coppées ! » 141 Pour ne pas être en reste, Coquillon fait croire qu’il a escorté Louis XI à Melun en 1465. 142 Une mendiante qui épaule les servantes pour les tâches les plus dures, de même que les mendiants étaient « tournebroches » dans les cuisines. 143 Vais. Les viols font partie des exploits dont se vantent les soldats. « Il empoigna ma chambèrière,/ Et si, luy fist deux ou troys foys. » Colin, filz de Thévot. 144 Si dinde. Cf. la Complainte d’ung Gentilhomme, vers 62. 145 Cette mignonne : la « truande », puisque la chambrière s’est enfuie en même temps que le curé. 146 Rapidement. « Despêcher à deux fils de coton. » (Le Roux de Lincy, Livre des proverbes français.) Ce proverbe vise les fabricants de chandelles qui, pour aller plus vite, ne mettaient que 2 fils de coton dans leurs mèches, au lieu des 3 réglementaires. 147 Figure. 148 Il ne le ferait pas. 149 F : nen feroit trop ung (Jeu de mots sur « sermon » et « serment ».) 150 Du Jugement dernier. Mais aussi : du jugement du tribunal. 151 Cri de reconnaissance des soldats. Cf. Maistre Mymin qui va à la guerre, vers 230 et 302. 152 F : maraulx enchesnes (L’imprimeur a essayé de reconstituer le vers suivant, perdu.) 153 Vers manquant. « (Le roy) s’escria tout haut en luy demandant qui l’avoit ainsi accoustré, & pourquoy. » Pierre Saliat. 154 Ceux qui ont enfermé leur bien. Dépendre = dépenser. La satire des avares est commune à tous les dépensiers. 155 Qui se laisseraient. 156 F : peult il 157 F : habonde 158 Un mastic a transposé ici le « que vault » qui aurait dû se trouver au vers suivant. 159 Si nous avons commis des fautes. 160 F : Jeussions 161 Les fossés qu’entretiennent les marauds se trouvent aux Portes de Paris. V. la note 2. Une fois libérés, les vagabonds devaient quitter la ville. 162 F : Mectez nous (« Céans », prononcé « ci-an », rime avec chian. « Je vous prie de vous retraire/ Et de ne plus venir cëans :/ Mieulx aymeroye que les chiens/ M’eussent mengé les piedz trèstous. » De l’art d’aymer.)