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L’ANTÉCHRIST
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Les poissonnières parisiennes avaient toujours le dernier mot, et ce mot était rarement pudique. Villon les admirait :
Brettes, Suysses n’y sçavent guières,
Gasconnes, n’aussi Toulousaines :
De Petit-Pont deux harengières
Les concluront [leur cloueront le bec]….
Il n’est bon bec que de Paris !
Nous entendrons parler ces harengères du Petit-Pont1 dans un texte que je publie en appendice. Les joutes verbales des poissonnières trouvèrent leur consécration au théâtre. En effet, bien avant le théâtre « poissard » du XVIIIe siècle, de nombreuses farces ont campé ces personnages hauts en couleur et en odeur. Il nous en reste deux : Grant Gosier, et l’Antéchrist, que voici.
Source : Recueil de plusieurs farces tant anciennes que modernes, lesquelles ont esté mises en meilleur ordre & langage qu’auparavant. Imprimé à Paris en 1612 par Nicolas Rousset, pp. 77-95. Cette farce parisienne date de la fin du XVe siècle : les karolus dont il est question au vers 89 furent frappés sous Charles VIII.
Structure : Rimes aabaab, rimes plates, avec 3 triolets raccourcis par l’éditeur : en 1612, les rondels simples étaient passés de mode et alourdissaient le dialogue.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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Farce nouvelle de
l’Antéchrist
et de trois femmes :
une Bourgeoise, et
deux Poissonnières.
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À quatre personnages, c’est à sçavoir :
HAMELOT, première poissonnière
COLECHON, deuxiesme poissonnière
LA BOURGEOISE
L’ANTÉCRIST
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HAMELOT 3 commence SCÈNE I
Colechon, à ce que j’entens4,
Ce Caresme5, avons eu bon temps.
Aussi, nous en estoit mestier6.
COLECHON
Vinssent pauvres ou riches gens,
5 À payer n’estoient diligens ;
Ailleurs leur en falloit chercher7 !
HAMELOT
Nostre plaisir faisions entier.
Tu vendois bien harancs pourris.
COLECHON
Et toy, quoy ? Moruë puante8.
HAMELOT
10 T’en oyant parler, je m’en ris !
Tu vendois bien harancs pourris.
COLECHON
Pourris ? Si, en ay-je eu bon pris9.
HAMELOT
Aussi ay-je moy, je m’en vante.
[ Tu vendois bien harancs pourris.
COLECHON
15 Et toy, quoy ? Moruë puante.
HAMELOT ]
Mais au fort, ce10 fut ma belle ante
Qui m’enseigna de faire ainsi.
COLECHON
Et à tromper les gens, aussi :
Pour vendre, tu es fine11 femme.
HAMELOT
20 Et toy, tu sçais par cœur ta game12
Pour débiter merlans passéz13,
Harancs et maquereaux laisséz14,
Comme venans droict de la mer15.
COLECHON
Sur toy y a plus à blasmer,
25 Car tu vens moulles de Roquay16,
Pareillement celles du quay,
Disant que de [Dieppe elles]17 sont.
HAMELOT
Ce que je faits, les autres font.
Mais toy, tu vends puant poisson
30 Gardé long temps en la maison18.
Que n’en est Justice informée !
La chose seroit réformée ;
On t’empescheroit de ce faire.
COLECHON
S’elle cognoissoit ton affaire…
35 Tu es cent fois pire que moy !
HAMELOT
De quoy sommes-nous en esmoy ?
Que chacun proffite s’il peut.
COLECHON
Da ! il ne le faict pas qui veut,
Aujourd’huy, comme au temps passé :
40 Or et argent est trespassé,
Et n’est commun19 à plusieurs gens.
HAMELOT
Vendu avons force harans,
Saulmon, morue et poisson frais.
Et si, nous n’avons fait grands prests20 ;
45 Au moins, moy, j’ay eu du comptant21.
COLECHON
Et, là, là ! On ne gaigne tant,
Comme il [m’]est advis.
[HAMELOT]
Dieu mercy,
Ne despend-on rien22.
[COLECHON]
Si faict, si !
[HAMELOT]
Cil gaigne assez qui a sa vie23.
50 Après le beau temps vient la pluie.
[COLECHON] 24
Après Pasques viennent les veaux,
Et au mois d’avril, maquereaux25.
Or faut-il vendre, qui pourra26…
Qui en aura, qui en aura,
55 De mes beaux maquereaux tout frais ?
HAMELOT
Qui est-ce qui m’estrènera27 ?
Qui en aura, qui en aura ?
COLECHON
Da ! qui des miens acheptera,
Pour cuire les rendray tout prests28.
60 [Qui en aura, qui en aura,
De mes beaux maquereaux tout frais ?]
HAMELOT
Colechon, c’est, je te promets,
Bonne denrée et nourriture.
Dieu nous donne bonne advanture
65 Et bonne gaigne, à ce poisson !
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LA BOURGEOISE 29 SCÈNE II
Il faut voir s’on vend à raison30
Les maquereaux ; car de la chair31,
On ne peut, ce jour, approcher !
Et si32, n’y a nul bon morceau.
70 Qu’est-ce à dire ? Que c’est tout veau33,
Et qu’il n’y a mouton ni bœuf ?
J’aymerois, de ma part, un œuf
Beaucoup mieux que telle vïande.
Et puis mon mary me demande
75 Que [j’en achepte]34 de la bonne :
Il semble, à l’ouÿr, qu’on la donne !
Mais il aura beau s’en fâcher.
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COLECHON 35 SCÈNE III
Tenons nostre denrée cher :
Tout est vendu, tout est vendu !
HAMELOT
80 C’est à toy très bien entendu :
Vois-tu la Bourgeoise approcher ?
Elle n’a peu avoir de chair.
Faisons haut36.
COLECHON
C’est bien entendu.
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LA BOURGEOISE SCÈNE IV
J’ay bien longuement attendu
85 À venir. N’y a-il plus rien ?
Çà, Hamelot : cela, combien ?
Tout en un mot, dites-le-moy.
HAMELOT
Madame, en un mot, sur ma foy,
Deux karolus37 vous en payrez.
LA BOURGEOISE
90 Meilleur marché vous en ferez :
Je vous en donneray deux liards38.
HAMELOT
Voire, Madame, ou deux chiards39.
Il est vendu40, allez, allez !
LA BOURGEOISE
Vous, Colechon, à moy parlez :
95 Que les vendez-vous, en un mot ?
COLECHON
Par l’âme de mon fils Janot !
Je les vends deux doubles41 chacun.
LA BOURGEOISE
M’en donnerez-vous deux pour un42 ?
Barguiner43 ne veux nullement.
COLECHON
100 Deux pour un seul44 ? Par mon serment !
À peine en auriez un pour deux45.
LA BOURGEOISE
Nous mangerons doncques des œufs,
Si ne treuve meilleur marché.
HAMELOT
Madame a-elle bien cherché
105 Partout, avec son grand panier,
Offrant un double ou un denier
De ce qui en vaut plus de dix ?
Il luy semble (à ouïr ses dits46)
Qu’aujourd’huy macquereaux on donne.
LA BOURGEOISE
110 Vrayment, voicy bonne besongne !
Da ! n’oseroit-on marchander ?
N’aussi, bon marché demander ?
Si ne voulez, n’en faites rien.
COLECHON
Et, là, là ! Madame, on sçait bien
115 Qui vous estes : destallez tost !
LA BOURGEOISE
Qui suis-je, dy, truande47 ?
COLECHON
Mot
Je ne vous dy.
LA BOURGEOISE
En male estraine48
Eusse-tu la fièvre quartaine49 !
Où est-ce que tu m’as trouvée ?
120 Dy, hé ! Responds, grosse crevée !
Et ! tu cognois50 ta male rage !
De ma main dessus ton visage
Auras, pour t’apprendre à parler !51
HAMELOT
Souffriray-je sans m’en mesler
125 Que battiez ainsi ma voisine ?
LA BOURGEOISE
Et ! par la mère de Dieu digne52 !
Comme elle, aussi tu en auras53 !
Et une autre fois, ne seras
Si prompte à prendre54 sa querelle.
130 [Faut-il que sur moy on grumelle55]
En me blasonnant56 en ce point ?
Je57 monstreray que ne suis point
Telle comme il vous est advis.
Ces truandes tiennent devis58
135 Sans respect de nous, preudes femmes,
Comme si nous estions infâmes.
Et à cela, sont toutes faictes59.
Il leur semble que soyons bestes,
Quand à elles nous marchandons.
140 Da ! Si bon marché nous demandons,
Faut-il, pour ce, nous dire injure ?
Celle est bien simple qui l’endure60.
Qui ne veut vendre, si se taise !
HAMELOT
Hé da ! Madame la Bourgeoise,
145 Le poisson n’est à si vil pris.
En quoy donc61 vous ay-je mespris,
Pour me donner de si lourds coups ?
De par le diable ! allez tout doux,
Sans les gens battre ny frapper.
150 S’une fois vous peux attrapper,
Croyez qu’il vous en desplaira !
Donc, désormais, on nous battra,
Voire, si le voulons souffrir.
COLECHON
Je choisirois plustost mourir
155 De male mort, je vous promets,
Que battre me laisser jamais,
Quelque chose qui en advienne !
Ha ! Madame, qu’il vous souvienne
De cela que vous avez faict.
160 En rien ne vous avons62 meffaict.
Voylà mesdames les Bourgeoises :
Partout où voudront, feront noises.
Et portent à la boucherie,
À la Halle et poissonnerie,
165 Paniers grands et profonds assez
Pour y estre tous bien63 mucéz.
Toutes choses marchanderont,
Et toutefois, n’achèteront
Rien que pour neuf ou dix deniers.
170 De quoy servent si grands paniers,
Que pour monstre64 et abusion ?
LA BOURGEOISE
Tu parle sans sens ny raison,
Ainsi qu’un perroquet en cage.
Tay-toy, et tu feras que sage65 !
HAMELOT
175 Et quoy ! ne vous vendrons-nous rien ?
LA BOURGEOISE
Quand est de moy66, je sçay fort bien
Que rien de vous n’achepteray.
HAMELOT
Je vous en prie.
LA BOURGEOISE
Non feray.
Mèshuy me67 passeray-je à tant.
180 Vous estes payées comptant
(Me semble) de vostre cacquet,
Et n’avez [pas] eu grand acquest
Ny proffit à parler ainsi.
Vous ayant monstré (Dieu mercy)
185 À parler mieux une autrefois,
Sans achepter68 rien, je m’en vois.
Adieu, adieu ! Adieu vous dis.69
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COLECHON SCÈNE V
Et ! benoist Dieu de Paradis !
Quel marchande70 avons-nous trouvée ?
190 Sur nous a sa force esprouvée ;
Mais si n’y eust eu qu’elle et moy,
Monstré luy eusse sans esmoy
Qu’ainsi faire ne devoit pas.
HAMELOT
Son mary aura bon repas,
195 Ayant attendu jusqu’à nonne71.
Vray Dieu, comment elle blasonne !
Elle en sçait bien plus que nous toutes72.
COLECHON
Si n’eust esté aucunes doubtes73
[Et si personne ne m’eust veu,]
200 Par mon serment, elle en eust eu !
Mais vien çà : n’as-tu point pris garde
À sa façon fière et hagarde74,
Quand marchandoit nostre poisson ?
HAMELOT
Mais je [n’en prise]75 la façon.
205 Pour dire76 qu’on la cognoist bien,
Nous battit77 sans dire « combien ? »78,
Toutes deux, sans cause et à tord.
COLECHON
Si mon mary ne fust point mort,
J’en eusse eu la raison79, vrayment.
210 Si ne feray-je appointement80
Jusqu’à tant que je sois vangée.
HAMELOT
Je me fusse bien revanchée,
Si je n’eusse craint autre qu’elle.
Et fust-elle cent fois plus belle,81
215 Senti eust que poisent mes poings82 !
COLECHON
Nous n’en aurons pour mèshuy83 moins,
Et n’aurons vendu ny donné…
L’Antécrist est né84 ! L’Antécrist est né !
Le voicy venir, le grand diable !
HAMELOT
220 Ouy, je le voy, ce n’est pas fable.
Fuyons ! À luy, n’y a nul jeu.
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L’ANTÉCRIST, jettant leur poisson 85 SCÈNE VI
Morbieu, charbieu et vertubieu86 !
Et ! qu’est-ce-cy, vieilles putains ?
Ostez, ostez tout de ce lieu !
225 [Morbieu, charbieu et vertubieu !]
Qu’on porte tout à l’Hostel-Dieu87 :
Si, en seront les pauvres plains88.
Morbieu, charbieu et vertu-bieu !
Et ! qu’est-ce-cy, vieilles putains ?
HAMELOT, battant l’Antéchrist
230 Si de mes griffes vous attains,
Et fussiez-vous sergent à masse89,
Je vous arracheray la face !
Après, allez où vous pourrez.
COLECHON, le battant aussi
Parbieu, vilain, vous en aurez !
235 Nostre poisson avez gasté.
Voilà pour vostre lascheté !
Tenez, meschant ! Vilain ! Infâme !
Oncques n’aviez esté de femme
Mieux estrillé que vous serez90.
L’ANTÉCHRIST
240 Qu’est-ce-cy ? Vous ne cesserez
(Ce croy-je) de frapper, mèshuy ?
HAMELOT
Perd-on ainsi le bien d’autruy ?
Il ne vous a guères cousté !
L’ANTÉCHRIST
Sanbieu, je suis bien accoustré !
245 Quels horions, du premier sault91 !
COLECHON, le battant encore
Or, tenez ! Apprendre vous fault
À nostre denrée jetter.
Cher le vous ferons acheter.
Tenez, tenez, meschand paillard !
L’ANTÉCHRIST
250 Le diable d’enfer y ait part,
Aux macquereaux et maquerelles92 !
[De frapper ne cesseront-elles ?]93
Maudit soit le jour et aussi l’heure
Que je vins en ceste demeure94 !
255 Faut-il que sois ainsi battu ?
Au moins, si l’on s’est esbattu95
À me battre, que je m’en voise96.
HAMELOT
Par toy vient tout débat et noise.
Nous devrions icy t’assommer.
260 Destale tost et sans chommer,
Ny faire desplaisir à âme97 !
Da ! et te semble-il qu’une femme
N’ait courage aussi bien qu’un homme ?
L’ANTÉCHRIST
Mieux vaudroit qu’eusse esté à Rome98,
265 À l’heure que je vins icy.
Colechon, je te prie, aussi
Toy, Hamelot, qu’on ne le sache99.
COLECHON
Vuidez, vuidez de ceste place !
Qu’on ne vous y voye jamais !
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HAMELOT SCÈNE VII
270 Par mon serment ! je te promets
Qu’il a eu très beau payement.
Voise100 s’en plaindre en jugement !
Encore s’en mocquera-on.
COLECHON
À propos, où est mon poisson101 ?
275 C’est cestuy-cy.
HAMELOT
Non est !
COLECHON
Si est !
HAMELOT
Le mien auray sans nul arrest.
COLECHON
Il n’est à toy, faulce102 paillarde !
HAMELOT
Que le feu sainct Anthoine t’arde103 !
Tu as menty, vieille putain !
COLECHON
280 Plus que104 toy j’ay le cœur hautain.
Ce n’est pas le tien, non, regarde.
HAMELOT
Reprens ton poisson et le garde
Si tu veux, mais j’auray le mien !
COLECHON 105
Ce coup de poing aussi : tien ! Tien !
[HAMELOT]
285 Te le rendray tout maintenant !
COLECHON 106
Ce coup auras auparavant,
Pour sçavoir ce que ma main poise !
[HAMELOT]
Tu commence tousjours la noise :
À chacun as hayne et rancune.
COLECHON
290 Et, va, va ! tu es plus commune107
Que ne sont celles du bordeau.
HAMELOT
Si me taisois en champ si beau108,
On jugeroit que j’aurois tord.
Tu resveille le chat qui dort.
295 Laide yvrongnesse que tu es :
Tu burois109 et avallerois
Paris, Tours, Lyon et Bordeaux,
S’ils estoient vin !
COLECHON
Les maquereaux110
Tu entretiens, et si, les vends.
HAMELOT
300 Toy, tu burois (point je ne ments,
Cela se juge à tes yeux rouges)
Rome, Rouen, Gand, aussi Bourges,
Si muées estoient en vin !
COLECHON
On sçait sans aller au devin
305 Que tes habits en sont en gage111.
HAMELOT
Mes habits ? Et ! ils sont ta rage !
Tu as menty : ce sont les tiens112 !
Je sçay bien là où sont les miens.
Va, va desmesler tes fuzées113 !
COLECHON
310 Mais sommes-nous pas abusées,
De dire l’une à l’autre injure ?
Et ! par mon serment, je te jure
Qu’envers toy, ma paix faire veux.
HAMELOT
En estre contente ne peux,
315 Si je n’ay ce qui m’appartient.
COLECHON
Il est meslé, à moy ne tient114 ;
Il le nous faut prendre en commun.
HAMELOT
Je le veux bien, ce m’est tout un.
Et ne faisons plus tels débats.
COLECHON
320 Ce n’est rien, ce ne sont qu’esbats.
Un pot de vin, quand tu voudras,
Je payray.
HAMELOT
Tu m’accoleras
Tout maintenant, en paix faisant.
COLECHON
Rien n’est qui tant me soit plaisant :
325 Je le veux [bien], par mon serment !115
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HAMELOT
Nous vous prions très instamment
Qu’il vous plaise tous en gré prendre
Cestuy présent esbattement.
Chacun soigne à l’hostel se rendre116 !
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FIN
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En complément de programme, voici une bagarre de poissonnières tirée des Laudes et complainctes de Petit-Pont 117, un poème de JEHAN LE HAPPÈRE.
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115 Puis l’une dit, quant elle a beu vingt foys :
« Va, villaine, ta marée est puante,
Tes macquereaulx estoient à huyt jours fraiz118 !
Ta raye put119 : ne la metz plus en vente !
Tes rougetz sont tous blancz, et doz et ventre ;
120 Tu les as tins120 par trop en ta bouticle121.
Ton bacquet122 est crasseulx, puant meschante !
Tu n’es pas bonne à revendre relicque123. »
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« Saincte Marie (respond l’autre et réplique),
Vieille putain, paillarde, macquerelle,
125 Vieille moynesse124 et houllière publicque !
Ma marée est plus que la tienne belle.
Va a[u] Heulleu125, où est ta kirielle126 !
Tu es passée127, ridée et descriée.
Tous les estas (exceptéz les femelles)
130 T’ont chevauchée, batue, tirée, traingnée.
Va, vieille dacgue128 ! Va, vieille hacquenée129 ! »
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« Va, va, vieille hacquebute130 à crochet !
Tu as esté sept foys pyloriée131.
Va, maraulde ! Les ladres te l’on[t] fait132. »
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135 « Vieille esdentée, va te pendre au gibet !
Tu l’as gaigné passé133 plus de vingt ans :
Plus de vingtz hommes, par toy, se sont deffaitz134.
Va au Hault-Pas135 avecques les meschans ! »
« Et toy, rompue136, puante entre les dens137,
140 Vieille galleuse, naplière138, pouacresse !
Qui t’eust faict droit139, passé plus de dix ans,
Rendue fusse à clicqueter140, ladresse ! »
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Bien débatu, tensé, mauldit en presse141,
À beaulx cheveux — s’ilz [en ont]142 — touz se prennent.
145 Parmy les boues se traînent et oppressent.
D’esgrataigner les visaiges ne faignent143.
Puis leurs bacquetz, harens et morues baignent
Parmy les boues et la fresche marée.
*
1 Ce pont est un des lieux parisiens (avec la porte Baudais, les Halles et la porte de Paris) où les harengères avaient le droit de vendre. Voir la note 4 des Sotz escornéz. 3 Aux Halles de Paris, elle est en train d’installer son stand de poissons variés et surtout avariés. Le stand voisin est tenu par Colechon. « Va, va aux Halles, vielz harnois :/ Ta marée si ne vault rien./ Mon poisson vault mieulx que le tien. » Cette réplique tirée de Grant Gosier rappelle que les poissonnières des Halles étaient jalousées par celles qui œuvraient à l’extérieur : ces dernières étaient contraintes de venir chercher leur marchandise devant les Halles, sur le « parquet à la marée », le seul endroit où les grossistes pouvaient la leur livrer. 4 À mon avis. 5 Pendant le jeûne du Carême, on remplaçait la viande par du poisson. 6 Nous en avions besoin, parce que notre poisson se vend mal. 7 Qu’ils aillent acheter ailleurs ! Les deux marchandes ont un caractère opposé : Hamelot est incurablement optimiste, et Colechon, veuve et alcoolique, ne voit que le mauvais côté des choses. 8 Accusation inévitable. Cf. Grant Gosier, vers 44. 9 Pourtant, je les ai vendus à un bon prix. 10 Éd. : ou (C’est ma tante. « La bonne Laurence,/ Vostre belle ante, mourut-elle ? » Farce de Pathelin.) 11 Habile. 12 Ton boniment. 13 Périmés. 14 Éd. : assez (Laissés pour compte, invendus.) 15 Comme venant d’être pêchés. 16 L’auteur a peut-être mentionné le port de Malaquest (l’actuel quai Malaquais), aux berges duquel s’accrochaient des moules d’eau douce. 17 Éd. : Dieppes ils (Les moules normandes, appréciées des Parisiens, coûtaient cher à cause du transport.) 18 « Le grand règlement du Parlement de 1414 (…) donne aux détailleurs la liberté de porter leurs poissons, après l’heure de la vente passée, en leurs maisons. » (Nicolas Delamare, Traité de la Police, t. 3.) Les marchandes ne devaient pas stocker le poisson de mer plus de deux jours entre le 1er octobre et Pâques, et plus d’un jour le restant de l’année. 19 Abondant. 20 Nous n’avons pas vendu à crédit. 21 Mes clients m’ont payée comptant. 22 Nous ne dépensons rien. L’éditeur a uniformisé ce dialogue entre l’optimiste Hamelot et la pessimiste Colechon. 23 Il gagne assez, celui qui a de quoi vivre. 24 Elle paraphrase son euphorique consœur en accumulant des proverbes facétieux. 25 « Poisson d’avril : macquereau. Parce que d’ordinaire, les macquereaux se prennent & se mangent environ ce mois-là. » Antoine Oudin. 26 Celle qui pourra. Les deux étals sont prêts ; les poissonnières se mettent à crier pour attirer le chaland. 27 Qui sera mon premier client de la journée ? Cf. l’Homme à mes pois, vers 238. 28 Je lui viderai ses poissons et je leur couperai la tête. 29 Ayant marchandé vainement auprès des bouchers, elle se dirige vers les poissonnières, avec son grand panier vide. 30 À un prix raisonnable. Elle est riche, mais avare. 31 De la viande. Chair rime avec approchèr, comme aux vers 81-82. 32 Et pourtant. 33 Qu’il n’y a que du veau, dont la viande est onéreuse. 34 Éd. : ie n’achepte 35 Les poissonnières voient venir la Bourgeoise, dont elles connaissent les marchandages mesquins. Sachant qu’elles ne pourront rien lui vendre de toute façon, elles décident d’augmenter leurs tarifs pour se débarrasser d’elle plus vite. 36 Faisons-lui des prix élevés. 37 20 deniers pour deux maquereaux, c’est évidemment dissuasif ! 38 Deux petites pièces. « Le liard qu’une bourgeoise m’offrit hier sur le marché d’un autre qui marchandoit un maquereau. » (La Resjouissance des harangères et poissonnières des Halles de Paris.) Ce mot compte pour une seule syllabe : « Un jour qu’il n’avoyt que deulx lyards. » Jehan de Lagny. 39 Deux merdeux. 40 Ces maquereaux sont réservés par un autre client. 41 Éd. : douzains (Voir le vers 106.) 2 douzains représentent 24 deniers !! 2 doubles = 4 deniers, ce qui est déjà beaucoup pour un maquereau. 42 Deux maquereaux pour un seul double [pour 2 deniers]. 43 Barguigner, marchander. 44 Éd. : sol (1 sou = 12 deniers.) Deux maquereaux pour un seul double [pour 2 deniers], comme au vers 98. 45 Un maquereau pour 2 doubles [pour 4 deniers], comme au vers 97. 46 À l’entendre. 47 Misérable. Idem vers 134. Une des poissonnières de Grant Gosier traite sa consœur de « truande » à trois reprises. La Bourgeoise commence à tutoyer les vendeuses. 48 Qu’en mauvaise fortune. Cf. Testament Pathelin, vers 267. 49 Cette intoxication alimentaire pouvait être causée par du hareng avarié : « La fièbvre quarte assaillit Lohéac/ Par le morceau d’un harenc célerin. » La Fièbvre quarte. 50 Tu connais. C’est une réponse aux vers 114-115. 51 Elle frappe Colechon. 52 Par la digne mère de Dieu. 53 Tu auras des coups. Idem vers 200 et 234. 54 À épouser. 55 On grommelle. (Cf. le Jeu du Prince des Sotz, vers 345, 358 et 360.) Ce vers est perdu. 56 En me critiquant. Idem vers 196. Cf. le Vendeur de livres, vers 66 et 106. 57 Éd. : Et 58 Devisent, bavardent. 59 Habituées. 60 Elle est bien bonne, celle qui le tolère. 61 Éd. : vous 62 Éd. : ayans 63 Éd. : biens (Pour que nous y soyons tous bien cachés.) 64 Si ce n’est pour faire étalage de ses richesses. 65 Tu feras sagement. « J’ay fait que saige de moy taire. » Les Sotz ecclésiasticques. 66 Quant à moi. 67 Éd. : ne (Je me contenterai de cela. « Bien au vin je me passeray. » Testament Pathelin.) 68 Éd. : accepter (Voir les vers 58, 75 et 177.) 69 La Bourgeoise retourne en coulisses. Il est fort probable que l’acteur qui joue son rôle va se déguiser en sergent pour jouer celui de l’Antéchrist. 70 Quelle marchandeuse, quelle cliente. 71 L’heure de none : midi. 72 On en vient à se demander si cette parvenue, avant de mettre le grappin sur un riche bourgeois, n’était pas elle-même poissonnière. 73 Si je n’avais eu aucune crainte. Le vers suivant est perdu. 74 Sauvage. 75 Éd. : vous prie (« J’en prise beaucoup la façon. » Les Coppieurs et Lardeurs.) 76 Pour avoir dit. L’imprimé intervertit ce vers et le suivant. 77 Éd. : battre 78 Sans prévenir. « L’on taste, l’on manie, et sans dire “combien ?”,/ On se peut retirer. » Mathurin Régnier. 79 J’aurais eu raison d’elle. 80 Un accord avec elle. 81 Ce refrain à la mode est aussi chanté dans le Povre Jouhan. 82 Elle aurait senti ce que pèsent mes poings (v. le vers 287). Les marchandages houleux entre les poissonnières et leurs clientes furent si communs qu’une ordonnance du 9 août 1700 « fait défenses à toutes marchandes de marées (…) d’exiger des bourgeois ou bourgeoises aucune chose au-delà du prix raisonnable qu’ils offrent volontairement de leurs marchandises, ni de proférer contre eux aucunes injures ou user d’aucune violence ». N. Delamare. 83 Maintenant. Idem vers 179 et 241. 84 C’est le cri des prêcheurs publics qui annoncent l’apocalypse. Dans le cas qui nous occupe, il équivaut à : « 22, voilà les flics ! » En effet, Colechon vient d’apercevoir le « sergent-gardien de la marchandise de poisson de mer » (Delamare). Ce sergent à verge du Châtelet, qui fait régner l’ordre dans les Halles, est ici surnommé « l’Antéchrist ». De fait, les sergents étaient tenus pour des créatures sans foi ni loi : cf. Troys Galans et un Badin, vers 127-130. Un proverbe disait : « Je suis à vous comme le sergent au Diable. » (A. Oudin.) 85 Le sergent-gardien peut faire déplacer tout ce qui gêne le passage, dans les Halles et à l’extérieur ; mais il n’a pas le droit de renverser les baquets de poisson. 86 Ce mécréant jure sur la mort de Dieu, la chair de Dieu, la vertu de Dieu, et, au vers 244, le sang de Dieu. 87 Les produits confisqués aux Halles étaient donnés à cet hospice, ou aux prisons du Châtelet et de la Conciergerie. 88 Rassasiés. L’Antéchrist feint d’avoir agi par charité chrétienne. 89 Un sergent armé d’un bâton de plomb argenté, comme Lucas Sergent, alors que notre sergent à verge est armé d’une baguette. Les victimes de ces redoutables officiers ne rêvaient que de leur taper dessus : « Qui bien bat un sergent à mace,/ Il gaigne cent jours de pardon ! » Les Menus propos. 90 En général, c’est l’homme qui « étrille » la femme, qui lui fait l’amour. « Elle est d’aage que l’on l’estrille. » Le Nouveau marié. 91 Quels coups, sans prévenir ! 92 Ce calembour va de soi, et les poissonnières de Grant Gosier se traitent mutuellement de maquerelles, tout comme celles des Laudes de J. Le Happère. 93 Je reconstitue ce vers manquant d’après les vers 240-241. 94 Dans cette Halle. 95 Si vous avez pris suffisamment de plaisir. 96 Permettez que je m’en aille. 97 À personne. Mais l’antéchrist causera du déplaisir aux âmes des défunts. 98 L’Antéchrist regrette de ne pas s’être réfugié au Vatican, pour se mettre à l’abri de ces diablesses. 99 Que personne ne sache que vous m’avez battu. 100 Qu’il aille. 101 Les poissons que le sergent-gardien à jetés par terre sont mélangés : leurs propriétaires essaient de les reconnaître pour les vendre malgré tout. 102 Sournoise. 103 Que le mal des ardents [l’ergotisme] te brûle ! 104 Éd. : qu’à (J’ai le cœur plus élevé que toi : je suis moins putain.) 105 Elle frappe Hamelot. 106 Éd. : Hamelot 107 Plus publique que les pensionnaires d’un bordel. 108 Alors que j’ai le champ libre, que je suis sûre de vaincre. « On ne sçait quel motif en si beau champ l’arreste. » Diéreville. 109 Tu boirais. 110 Double sens proxénète/poisson. 111 Sont hypothéqués. « Ny habis qui ne soient en gage. » Le Gentil homme et son Page. 112 Qui sont hypothéqués. 113 Tes écheveaux de fil. Mais aussi : Va cuver ton vin. 114 Notre poisson est mélangé, ce n’est pas ma faute. 115 Elles se donnent l’accolade, en tenant un poisson dans chaque main. 116 Que chacun fasse en sorte de venir boire à la taverne ! Ce vin d’honneur offert au public semble avoir été de tradition : cf. le Chauldronnier, vers 194-8. 117 Cette édition des Laudes fut acquise en 1535 par le fils cadet de Christophe Colomb. En 1913, Jean Babelon la publia dans : Mélanges offerts à M. Émile Picot, tome 1, pp. 83-89. 118 Étaient frais il y a 8 jours. 119 La raie de tes fesses pue : « Il y a de marée à Paris tant de fresche que de salée & puante, & des macquereaulx frais & salléz, & de grans rayes & de petites, tant de fresches que puantes, tant que plusieurs s’assiéent dessus. » (Les Rues et églises de Paris.) Le rouget désigne le gland rouge : « J’ay la “ligne” tendue./ Je mesle le rouget avecque la “barbue”./ Je ne prens point la raye –ô puanteur extresme !–/ Ni le bon maquereau, bien qu’un grand monde l’aime./ Je rejecte la “seiche”, et vous la molle “plie” :/ Jamais femme de cueur n’achepte ce poisson ! » L’Allusion du Capitaine Lasphrise. 120 Jeu de mots tenus/teints. 121 Ton vagin, d’où s’écoulent des pertes blanches. « Je luy donnay mon “pistolet”,/ Qu’elle a mis comme relique/ Dans le tronc de sa boutique. » Une Fille de village. 122 Ton vagin. « Nourrices qui n’ont point de laict/ Par deffaulte d’ung gros varlet/ Qui leur fouillast en leur bacquet. » Sermon joyeux des Frappes-culz. 123 Éd. : replicque (Tu n’es pas capable de revendre ton reliquat, c.-à-d. les restes du poisson de la veille.) 124 Maîtresse d’un moine. Une des harengères de Grant Gosier dit à l’autre : « De qui euz-tu ce cotillon ?/ N’a-ce pas esté ung vieulz moyne/ Qui te l’a donné ? » Houlière = débauchée. 125 Rue chaude qui était sise dans l’actuel 3ème arrondissement. « Telle qui le Heuleu & Champ-Gaillard hantoit ;/ Telle qui, pour un rien, à chacun se prestoit. » (Flaminio de Birague.) « La punition des ribaudes à Paris étoit de les mener publiquement, avec la fluste & le bedon, jusqu’à leur asyle du Heuleu. » (Furetière.) 126 Ton cortège d’amants. 127 Périmée. 128 Dague : galante. « Retirez-vous, vieille dague à rouelle !/ Retirez-vous, car vous n’estes plus celle/ Qui jadis sceut aux hommes tant complaire. » Clément Marot. 129 Pouliche. 130 Arquebuse. 131 Exposée au pilori. « On vous pilloria :/ Vous sçavez que chascun cria/ Sur vous pour vostre tromperie. » Farce de Pathelin. 132 Les lépreux t’ont fait l’amour. 133 Depuis. 134 Par ta faute se sont tués. 135 L’hôpital Saint-Jacques-du-Haut-Pas, dans l’actuel 5ème arrondissement, accueillait les déshérités. Méchant = clochard. 136 Rouée : condamnée au supplice de la roue. 137 Éd. : gens 138 Atteinte du mal de Naples. Pouacre : atteint de la gale. Cf. les Rapporteurs, vers 138. 139 Si on t’avait rendu justice. 140 Tu en serais réduite à signaler ton approche en agitant des cliquettes [castagnettes], comme les ladres, les lépreux. 141 Précipitamment. 142 Éd. : ne sont (Par les cheveux, si elles en ont, elles s’attrapent. « Nous veinmes à nous empongner/ À beaulx cheveulx et dépeigner. » Le Pionnier de Seurdre.) L’auteur applique une convention théâtrale : il parle au masculin de ces viragos passablement chauves. Dans les Chambèrières et Débat, deux servantes jouées par des hommes s’arrachent mutuellement la perruque en se bagarrant, et un autre personnage parle d’elles au masculin. 143 Elles ne font pas semblant.