LE MARCHANT DE POMMES ET D’EULX
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LE MARCHANT DE
POMMES ET D’EULX
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Ce Marchand de pommes et d’œufs mêle cinq thèmes comiques qui ont fait leurs preuves séparément : 1> Un paysan madré mais peu doué qui va vendre à la ville. (Voir Cautelleux, Barat et le Villain.) 2> Un sourd qui répond toujours à côté. (Voir le Sourd, son Varlet et l’Yverongne.) 3> Une bagarre de femmes sur un marché. (Voir l’Antéchrist.) 4> Des fonctionnaires de justice corrompus. (Voir Lucas Sergent.) 5> Des bavardes impénitentes. (Voir Saincte Caquette.)
Source : Manuscrit La Vallière, nº 71. L’état relativement bon de cette pièce rouennaise démontre qu’elle n’était pas écrite depuis longtemps lorsqu’elle fut copiée dans ce manuscrit, vers 1575. Beaucoup de rubriques sont abrégées : je les complète tacitement.
Structure : Rimes abab/bcbc, rimes plates, avec 4 triolets.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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Farce nouvelle
À .V. personnages, c’est asçavoir :
LE MARCHANT DE POMMES ET D’EULX
L’APOINCTEUR
LE SERGENT
et DEULX FEMMES
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LE MARCHANT commence en chantant SCÈNE I
Hélas ! Jehan ! Je ne me puys lever au matin.1
Y m’est prins à mon avertin2
D’aller au marché. Dont3, irai-ge ?
Je ne sçay. Mais, par sainct Martin,
5 Y m’est prins à mon avertin.
S’y survyent Bardin ou Bertin4,
Combien marchandise vendrai-ge ?
Y m’est prins à mon avertin
D’aller au marché. Dont, irai-ge ?
10 Mais à qui m’en consilerai-ge5 ?
G’y voys6 : c’est le myeulx, ce me semble.
Et dont, se g’y voys, porterai-ge
Mes eux7 et mes pommes ensemble ?
Ouy, y fault que je les assemble8.
15 Et bien, les voylà amassés.
Mais de grand peur le cul me tremble9
De mes eux, qu’i ne soyent cassés.
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L’APOINCTEUR 10 commence SCÈNE II
Sommes-nous tennés11 et lassés
D’amasser et de profiter ?
LE SERGENT entre
20 L’on ne nous séroyt effriter12,
Sy nous voyons quelque débat,
Que nous n’en eussions pour l’esbat,
Au moins, un bien petit13 d’argent.
L’APOINCTEUR
Voyre pour vous, gentil sergent.
25 De cela ne vous suys flateur14.
LE SERGENT
Mais pour vous, monsieur l’apoincteur !
Vous estes tousjours prest de prendre.
L’APOINCTEUR
Ma foy, on ne nous doibt reprendre15
De prendre : c’est nostre entreprise16.
LE SERGENT
30 Je comprens qu’on doibt nul17 su[r]prendre
De prendre, qu’on ne nous desprise.
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LE MARCHANT SCÈNE III
Que tant marchandise je prise18 !
Aussy, tout mon bien g’y consommes.
C’est pourquoy marchandise ay prise
35 Pour la vendre. Adieu, pommes, pommes ! 19
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L’APOINCTEUR SCÈNE IV
Maintenant au marché nous sommes.
Y n’est pas qu’i n’y vienne plaict20.
LE SERGENT
Tournÿons21 un peu, s’y vous plaict,
Atendans le cours du marché22.
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LA PREMIÈRE FEMME entre 23 SCÈNE V
40 Hay avant ! c’est assez presché,
Voysine. Voulez-vous venir ?
LA IIe FEMME entre
Mon pié est deisjà desmarché24.
Hay avant !
LA PREMIÈRE FEMME
C’est assez presché.
LA IIe FEMME
Mais que marché ayons cherché25,
45 Achèterons-nous ?
LA PREMIÈRE FEMME
Tant tenir26 !
Hay avant !
LA IIe FEMME
C’est assez presché,
Voysine.
LA PREMIÈRE FEMME
Voulez-vous venir ?
LA IIe FEMME
Dea ! quoy qu’il en doybve advenir,
Au marché veulx bien achater.
50 Et premyer qu’achaster, taster27,
De peur que je ne soys trompée.
LA PREMIÈRE FEMME
Sy d’engin28 je suys atrapée,
Ce sera le commencement29.
LA IIe FEMME
Jamais d’engin ne fus frapée,
55 Que de mon mary seulement.
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LE MARCHANT SCÈNE VI
Or voécy quelque assemblement.
Je voys30 desployer par exprès
Mes pommes et mes eulx, vrayment.
Qui en veult ? « À mes beaulx eulx31 frais !! »
LA PREMIÈRE FEMME
60 Mon amy, qu’esse que tu brais ?
Que veulx-tu vendre ? Tout cecy ?
LA IIe FEMME
Tout cecy ne vault pas…
LE MARCHANT
Mes brays32 !
Ne les patrouillez poinct ainsy33 !
L’une34 de vos deulx a vessy :
65 C’est de malice, je m’en gage.
LA PREMIÈRE FEMME
La bonne dérée35 est icy ;
Tout des[so]us, ce n’est que bagage36.
LE MARCHANT
Ilz sont ponnus37 dens une cage,
Vous ne cuydez pas sy bien dire.
LA IIe FEMME 38
70 Voicy une poyre bocage.
LE MARCHANT
Je ne vous veulx poinct escondire39.
Tendez40 !
LA PREMIÈRE FEMME
Combien, sans contredire ?
Mais que vos pommes sont menus !
LE MARCHANT
Mais vous, me venez-vous mauldire ?
75 Ilz sont vrayment nouveaulx ponnus,
Voyez.
LA IIe FEMME
Nous sommes bien venus,
Et ne sarions myeulx adresser41.
LE MARCHANT
S’y ne sont [dignes de Vénus]42,
Je veulx estre prest d’escorcher !
[LA IIe FEMME]43
80 Quans eux pour un blanc44 ?
LE MARCHANT
Tant prescher !
Je les plévys de reuvÿel45.
LA IIe FEMME
Sont y frais ?
LE MARCHANT
Alez en chercher !
Y46 sont plus doulces que mÿel.
LA PREMIÈRE FEMME
Il est sourd.
LE MARCHANT
Queuillyes de nou[v]el47,
85 Vous di-ge. Est-il pas bon à voir ?
LA IIe FEMME
Combien le cent48 ?
LE MARCHANT
C’est fruyct nouvel,
De bon goust49, qui en veult avoir.
Meilleures on n’en peult trouver.
Mais de vous je suys trop fâché
90 Sy je ne vens comme au marché.
Pourquoy marchandez-vous à moy
Sy n’avez argent50 ?
LA PREMIÈRE FEMME
Tant d’esmoy !
LE MARCHANT
Troys blans.
LA [PREMIÈRE FEMME]51
Myeulx proposer ne vis.
LE MARCHANT
Quoy ? Dictes-vous qu’i sont couvys52 ?
95 Vous mentez, c’est chose certaine !
Tendez, vous en aurez l’étraine53.
Venez-moy voir une aultre foys.
[Tendez] ! En preult54, et deulx,55 et troys.
Y portent leur chucre avec56 eulx.
100 Vos tabliers sont bien estroys.
Tendez57 ! En preult, et deulx, et troys.
LA PREMIÈRE FEMME
Des pommes vous avez le choys58.
LA IIe FEMME
Et le choys vous avez des eulx.
LE MARCHANT
[Tendez ! En]59 preu, [et] deulx, [et] troys.
105 Y portent leur chucre avec eux.
………………………….. 60
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L’APOINCTEUR SCÈNE VII
Maintenant ne sommes pas seulx61 :
Voycy le marché qui s’assemble.
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LE MARCHANT SCÈNE VIII
Servies62 ne sériez estre ensemble ;
Targez63 un peu.
LA PREMIÈRE FEMME
Servye seray !
LA IIe FEMME
110 Aussy serai-ge, ce me semble !
LA PREMIÈRE FEMME, remétant les eux 64 :
Et moy, quoy ?
LE MARCHANT
Je m’en passeray.
LA IIe FEMME
Aussy bien que vous [je feray]65 !
LA PREMIÈRE FEMME
Sy de ma main je vous atains…
LE MARCHANT
Là, là !
LA IIe FEMME
Je vous avanceray…
LA PREMIÈRE FEMME
115 Et quoy ?
LA IIe FEMME
Ma main dessus vos crains66 !
LA PREMIÈRE FEMME
Qui, vous ?
LA IIe FEMME
Guères je ne vous crains.
LA PREMIÈRE FEMME
Vos fièbvres cartaines, alez !
LA IIe FEMME
Mais à vous-mesmes, bien estrains67 !
LA PREMIÈRE FEMME
Regardez à qui vous parlez !
LE MARCHANT
120 Hardiment crévechers volez68.
LA IIe FEMME
M’a[s-]tu pas toute deffulée69 ?
LE MARCHANT
Et ! ho ! ho ! Vous vous entre-afolez70.
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LE SERGENT 71 SCÈNE IX
Corps bieu ! il y aura meslée72 :
Alons-y comme à la volée,
125 Car il y gist apoinctement73.
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LE MARCHANT SCÈNE X
Ma derrée est bien estallée74 !
LA PREMIÈRE FEMME
En as-tu75 ?
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L’APOINCTEUR SCÈNE XI
Alons vitement !
Qu’esse-cy ? Hau ! tout bellement76 !
Je vous envoyray là-dedens77.
LA IIe FEMME
130 Un coup n’auras pas seulement78 !
LA PREMIÈRE FEMME
Tu mentiras parmy les dens79 !
L’APOINCTEUR
Ostez-moy tous ces accidens80 !
Pourquoy est ainsy meu[e]81 leur noyse ?
LE MARCHANT
Y82 sentent comme la framboyse ;
135 Mylleures qu’e[ux] ne vistes onques.
LA IIe FEMME
Monsieur !
LA PREMIÈRE FEMME
Monsieur !
L’APOINCTEUR
Taisez-vous donques83 !
Sergent, mectez-les en prison !
LE MARCHANT
Monsieur, je n’en says rien quelconques.
Je croys qu’on l’apelle Alyson.
LE SERGENT
140 Ce n’est poinct ce qu’on devison84 :
D’où vient leur débat ?
LE MARCHANT
Par mydieulx !
Que je soys payé ! C’est raison :
Ilz85 ont mes pommes et mes eux.
LA IIe FEMME
Monsieur !
LA PREMIÈRE FEMME
Et !
L’APOINCTEUR
Taisez-vous tous deulx86 !
LE SERGENT
145 Mais pour quoy sont [meus leurs]87 débas ?
LE MARCHANT
Et de tirer à beaulx cheveulx88 !
Jamais je ne vis telz esbas.
LA IIe FEMME
El m’a faict…
LE MARCHANT
Y font les combas.
LA PREMIÈRE FEMME
Monsieur, el m’a…
LE MARCHANT
Monsieur, mes pommes,
150 Qui m’en payera ?
L’APOINCTEUR
Paix ! Parlez bas !
LE MARCHANT
Grand mercys !
L’APOINCTEUR
Où esse que nous sommes !
Faictes-vous tel honneur aulx hommes
Qui sont de Justice ?
LE SERGENT
Paix là !
LE MARCHANT
J’en avoys envyron deulx sommes89
155 Que j’ey vendus.
LA IIe FEMME
Monsieur !
LA PREMIÈRE FEMME
Elle a…
L’APOINCTEUR
Enda90 !
LE MARCHANT 91
La pire, la vélà ;
Regardez-là entre deulx yeulx.
LA IIe FEMME
C’est elle !
LA PREMIÈRE FEMME
Mais elle !
L’APOINCTEUR
Hollà !
LE MARCHANT
Da ! ceste-là tence le myeulx.
LE SERGENT
160 Tous troys ne serez pas joyeulx,
S’y fault qu’en la prison vous mène92.
LA IIe FEMME
Monsieur !
LA PREMIÈRE FEMME
Elle…
L’APOINCTEUR
Y sont hors d’alaine.
Contez vostre cas tout en paix !
LA IIe FEMME
Et, Monsieur !
LA PREMIÈRE FEMME
Monsieur !
L’APOINCTEUR
Paix là !
LE SERGENT
Paix !
LE MARCHANT
165 Elle a commencé la premyère.
LA IIe FEMME
Monsieur, c’est ma…
LA PREMIÈRE FEMME
C’est ma commère !
LA IIe FEMME
C’est ma…
LE MARCHANT
Que payement on m’assine93 !
LE SERGENT
Paix !
LA IIe FEMME
[Monsieur,] c’est…
LA PREMIÈRE FEMME
C’est ma voisine !
LE MARCHANT
Y m’ont — par Dieu, Monsieur — mauldict,
170 Après qu’ilz ont eu…
LA IIe FEMME
El m’a dict…
LA PREMIÈRE FEMME
C’est elle qui a commencé.
LA IIe FEMME
El m’a dict…
L’APOINCTEUR
Esse assez tencé ?
LA IIe FEMME
Je dy : Le deable vous emporte !
LA PREMIÈRE FEMME
El(le) m’a frapé.
LE MARCHANT
C’est la plus forte.
LA IIe FEMME
175 J’en apelle94 !
LE MARCHANT
Atout le mains95,
Que j’ayes…
L’APOINCTEUR
Bren ! Métez-y les mains96,
Sergent, sans faire long caquet.
LE MARCHANT
Par ma foy, Monsieur, c’est [peu d’aquêt]97 :
Au moins, aurai-ge pas argent
180 De mes eux ?
LA PREMIÈRE FEMME
Monsieur le sergent !
LA IIe FEMME
Escoustez !
LE MARCHANT
Da ! s’elle soupire…
LA PREMIÈRE FEMME
Je quiers98 justice !
LE MARCHANT
C’est la pire
Qui pissa onc de con à terre99.
L’APOINCTEUR
Sergent, c’on les maine grand erre100
185 En la prison !
LE MARCHANT 101
Par Nostre Dame !
Voyez, en voécy une qui se pasme.
LE SERGENT
Entre vos bras vous la prendrez.
LE MARCHANT
Devant Dieu vous en respondrez,
Monsieur le juge.
L’APOINCTEUR
C’est tout un102 :
190 Tel mal aux femmes est commun ;
Ce ne sont poinct grans acidens.
LE SERGENT
Y ly fault déserrer les dens103.
L’APOINCTEUR
Coupez son lacet, y la grefve104.
[LA PREMIÈRE FEMME]105
Monsieur !
LE MARCHANT
Faictes justice brefve,
195 Et me faictes payer106 !
L’APOINTEUR
Allez !
Rien n’aurez, puysque vous parlez.
LE SERGENT
Monsieur, qu’i soyt mys en amende !
LE MARCHANT
Acomplicez-vous ma demande ?
L’APOINCTEUR
Qu’i soyt en prison embûché107 !
LE MARCHANT
200 A[u] marché, n’y a que marché108.
Entre nous, marchans, délarrons109
Le marché : car, messieurs, larons
Nous serions sans en avoir rien110.
L’APOINCTEUR
Faictes arest111 sur tout son bien
205 Entre vos mains !
LE SERGENT 112
Arest je fais.
LE MARCHANT
Et ! vous casserez mes eux frais.
Atendez, prenez garde à elle113.
L’APOINCTEUR
Prenez un petit de chandelle114 :
Femmes sont assez tost guéris.
LE MARCHANT
210 Y luy tient à son amaris115.
Mais l’une et l’autre guérira.
Et puys chascune maudira
Tout ainsy que pierres amères116,
Comme font aintelles117 commères.
215 Par la benoiste Madalaine !
Ceste aultre-cy n’a plus d’alaine118.
Je m’en voys, je quicte la place.
L’APOINCTEUR
Alons, sergent, que l’on desplace119 !
Nous n’aurons poinct icy d’aquest120.
LE MARCHANT
220 Juges, sans faire long caquest,
Faictes raison à tout le moins !
Plus121 examyner de tesmoings,
Plus d’arês, de cytations,
D’intérês, d’amonicions122,
225 Plus d’ajournemens et défaulx123.
Et puys en fin, juger124 le faulx,
Tous ceulx qui mengent povres gens
En la présence des sergens.
Mais prenez bien garde à ces femmes !
LE SERGENT
230 En la fin, nous serons infâmes125.
Rien ne gaignons126 d’y faire exployt.
L’APOINCTEUR
Pour petit procès, peu de plet.
Aultrement, y romprions nos testes.
LE MARCHANT
Gens de vilages ne sont bestes.
LE SERGENT
235 Dict-il vray ?
L’APOINCTEUR 127
Bénédicité !
LE MARCHANT 128
Regardez que d’aversité129.
LE SERGENT
Qu’i ferons-nous ?
LE MARCHANT
C’est mal vescu130 ;
Chascun en fut131 bien incité !
Regardez !
L’APOINCTEUR
Que d’avercité !
LE SERGENT
240 Que leur mal nous soyt récité132 !
LE MARCHANT
Sy en payerez-vous mainct escu.
Regardez !
LE SERGENT
Que d’aversité !
L’APOINCTEUR
Qu’i ferons-nous ?
LE MARCHANT
C’est mal vescu :
Y n’ont alaine que du cu133.
245 Je m’en voys, y fault détaler134.
LE SERGENT
Je crains qu’il ne nous soyt mécu135.
Vitement y s’en fault aler.
L’APOINCTEUR
Qui garde136 femmes de parler,
Il en sont malades et palles,
250 Et n’en séroyent que pirs valoir137.
On le voyt, ilz sont ainsy males138.
LE MARCHANT
Chantons devant139 que je détalles,
Et ce pendant, y revyendront140.
Pommes, trongnons, eulx et escalles141,
255 Au marché mèshuy142 ne v[i]endront.
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FINIS
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1 Chanson inconnue, à moins qu’elle n’estropie Nous sommes de l’Ordre de saint Babouin, que chante Jénin à Paulme : « L’Ordre ne dit mye de lever matin. » Le paysan est encore dans sa ferme, devant une corbeille de pommes et une corbeille d’œufs. 2 Il m’a pris la fantaisie. C’est le vers 31 du Cousturier et le Badin. 3 Donc. Idem vers 12. 4 Un acheteur quelconque. « Gorget Bardin ?/ Y demeure auprès du marché. » L’Homme à mes pois. 5 À qui demanderai-je conseil ? 6 J’y vais. Idem vers 12, 57, 217, 245. 7 Mes œufs. Cette graphie aberrante court tout au long de la pièce. 8 Le marchand mélange des pommes et des œufs dans un panier, ce qui prouve qu’il n’y connaît rien : les pommes risquent de casser les œufs. 9 Mon cul tremble. Cf. Frère Guillebert, vers 233. 10 Ce fonctionnaire juridique est un médiateur qui a le pouvoir de régler des conflits comme ceux qui fleurissent sur les marchés. Pour mieux rançonner les vendeurs et les clients, il fait équipe avec un sergent aussi corrompu que lui. Les deux racketteurs se dirigent vers le marché. 11 LV : venes (Tanné = fatigué. « Et ! mon Dieu, que je suys tennée. » L’Arbalestre.) 12 On ne saurait nous effrayer. « Ces ordonnances (…) donnèrent quelque terreur, au commencement, aux facilles à effriter. » (Triomphes de l’Abbaye des Conards.) Cf. le Porteur de pénitence, vers 127. 13 Un peu. 14 Je le dis sans vouloir vous flatter. 15 Blâmer. On remarquera les rimes batelées des vers 29 et 31. 16 LV : enteprinse (C’est notre but.) 17 LV : mal (Nous devons surprendre quelqu’un en train de voler, pour qu’on ne nous dénigre pas.) 18 Que j’aime le métier de marchand ! 19 Sans doute un extrait de chanson. Le paysan arrive au marché, encore désert, et pose son panier. 20 Il n’est pas possible qu’il n’y vienne aucun plaid, aucune dispute. 21 Faisons un tour dans le marché. 22 Un barème était fixé quotidiennement pour les marchandises de base. On l’appelait aussi le prix du marché ; la farce de Mahuet qui donne ses œufz au Pris du Marché dépeint, comme la nôtre, l’incompétence d’un paysan venu vendre ses œufs à la ville. 23 Les deux voisines bavardent dans la rue. 24 Est déjà en marche. Nous dirions : J’ai déjà le pied levé. 25 Si nous trouvons une bonne affaire. 26 Tant rester sur place ! 27 Avant d’acheter, je veux tâter la marchandise. 28 Si par la roublardise d’un commerçant. Le double sens phallique du mot « engin » va surgir deux vers plus bas, comme il se doit dans une conversation entre femmes. 29 Ce sera bien la première fois. 30 Je vais. Le marchand tend aux deux femmes ses mains, qui contiennent une pomme et un œuf. 31 Œufs. Ce « cri » convient à tous les marchands : « À mes beaux épinars !…/ À mes belles pommes ! » Les Cris de Paris. 32 Mes braies, ma culotte ! « Quel grant conseillier de mes brayes ! » (Le Capitaine Mal-en-point.) Aujourd’hui, nous dirions carrément : Mon cul ! 33 Ne tripotez pas ainsi mes pommes. « Ne les viens poinct cy patrouiller/ Et va-t-en alieurs marchander ! » L’Aveugle, son Varlet et une Tripière. 34 LV : quelcune (L’une de vous deux a lâché une vesse en se penchant sur le panier qui est posé par terre. Un malheur analogue est le sujet de la Farce du Pet.) 35 Denrée. Même normandisme à 126. La 1ère femme examine les pommes. 36 Ce n’est que de la camelote. « D’argent ? Point : ce n’est que bagage. » (Le Résolu.) Les commerçants mettent les beaux fruits dessus, et les pourris dessous. 37 Pondus. Idem vers 75. « L’œuf d’un moyne/ Qui fut ponnu en Barbarie. » (Le Pardonneur.) Le marchand est sourd : quand on lui parle de pommes, il répond à propos d’œufs, et réciproquement. 38 Elle découvre une poire des bois parmi les pommes. À moins que cette bonne poire villageoise ne soit le marchand lui-même. 39 Éconduire : refuser de vous vendre mes pommes. 40 Tendez-moi la poche de votre tablier, pour que j’y mette vos achats. Idem vers 96 et 101. 41 Et nous ne saurions mieux tomber. Cette remarque est ironique. 42 LV : du lieu deuenus (Vénus est célèbre — entre autres raisons — pour la pomme d’or qui consacra sa beauté. Les pommes du marchand vont, elles aussi, devenir des pommes de discorde.) 43 LV : lapf (C’est la 2e femme qui s’intéresse aux œufs.) 44 Combien aurai-je d’œufs pour 5 deniers ? 45 LV : dauyel (Je vous les garantis comme étant des pommes de rovel : des reinettes rouges. « Pommes de blandurel, de reuviel ou de chaucennin. » ATILF.) 46 Mes pommes. « Mi-el » dissyllabique est une particularité normande : cf. les Femmes qui demandent les arrérages, vers 283 et note. 47 Elles ont été cueillies récemment. 48 La centaine d’œufs. Quand on connaît ce prix rond, il est facile de diviser par le nombre d’œufs qu’on souhaite acheter. 49 LV : houlx (Qui a bon goût, si vous voulez en avoir. Les Normands prononçaient « avèr », qui rime avec « trouvèr », comme « valèr » rime avec « parlèr » à 250.) 50 LV : marche 51 LV : ii f (C’est la 1ère femme qui, à son corps défendant, va recevoir les œufs.) 52 Que mes œufs ont été couvés, ce qui les rend immangeables. 53 La première vente de la journée. Le marchand dépose des œufs dans le tablier de la 1ère femme, qui voulait des pommes. 54 Et un ! « Empreu, et deux, et trois, et quatre ! » (Farce de Pathelin.) Le marchant dépose trois pommes dans le tablier de la 2e femme, qui voulait des œufs. 55 LV ajoute : la ii f / contes bien / le marchant (Ce refrain A du triolet doit servir de modèle aux vers 101 et 104.) 56 LV : auant (Je corrige la même faute au refrain de 105. « Chucre » est une chuintante normanno-picarde.) Ces pommes sont naturellement sucrées. « Ce laict (…) porte son sucre avec soy. » Laurent Bouchet. 57 Le marchant dépose encore trois pommes dans le tablier de la 2e femme. 58 Voilà le sujet de la brouille entre les deux voisines : la 1ère voulait des pommes, mais le sourd lui a donné les œufs que sa commère convoitait. La 2e voulait des œufs, mais elle a eu les pommes que désirait sa voisine. 59 LV : cest pepin fanas (Ce débris de la locution « fatrin-fatras » <Jolyet, v. 58> n’a que faire dans ce refrain A du triolet.) Le marchant ajoute trois pommes dans le tablier de la 2e femme. 60 Il manque un vers en -eux et un vers en -emble. Chacune des clientes exige d’avoir enfin le produit qu’elle désire, et d’en être servie la première. 61 Seuls. Les Normands prononçaient « seu », qui rime avec « eux ». 62 LV : seruir (Vous ne sauriez être servies en même temps.) 63 Attendez. 64 Elle repose les œufs dans le panier. 65 LV : danfẽray (Elle repose les pommes dans le panier.) 66 Sur vos crins : je vous arracherai les cheveux. 67 Bien virulentes. 68 Vous faites voler vos couvre-chefs. Cf. les Mal contentes, vers 511 et note. 69 Défublée, découverte. Les harpies qui se crêpent le chignon sont jouées par des hommes ; dans un gag très attendu, chacun arrache la perruque de l’autre. Aux vers 148, 162, 169, 170, 244, 249, 251 et 253, l’auteur désignera les deux femmes par le pronom « ils », comme le fit Jehan Le Happère pour ses harengères bagarreuses : « À beaulx cheveux — s’ilz en ont — touz se prennent. » Dans les Chambèrières et Débat, deux servantes jouées par des hommes s’arrachent mutuellement la perruque, si bien qu’un autre personnage peut parler d’elles au masculin : « Je requiers Dieu qu’il me pardoint/ Se sur tous deux ne frapperay ! » Ce « tous deux » désigne les prétendues femmes de notre pièce au vers 144. 70 Vous vous blessez mutuellement. 71 Il entend les hurlements des deux belligérantes. 72 Il doit y avoir une bagarre. 73 Car il y a là de l’argent à gagner. 74 LV : destallee (Mes denrées sont bien mises en valeur sur leur étal. « En plain marché, le plus souvent,/ J’estalle ma desrée en vente. » Les Mal contentes.) 75 En as-tu assez reçu, des coups ? Cf. la Laitière, vers 270. 76 Tout beau ! 77 Je vais vous envoyer dans un cachot. Au service militaire, l’adjudant, auquel je répondais respectueusement en latin, me disait toujours : Je vais vous fourrer dedans ! 78 Tu n’auras pas qu’un seul coup. 79 Tu n’auras pas dit la vérité. 80 Tous ces détails secondaires. 81 Mue. De quoi est née leur querelle ? 82 Mes pommes. Au Moyen Âge, les fruits étaient bons s’ils avaient goût à framboise. « Cela sont poyres trop fascheuses :/ Y ne sentent point leur framboyse. » (Le Pèlerinage de Mariage.) Aujourd’hui, tous les aliments sont priés d’avoir un goût de noisette, depuis les huîtres jusqu’au vin, alors que les huîtres devraient avoir un goût d’huîtres, et le vin un goût de vin, nom de Dieu ! 83 Ce vœu — maintes fois réitéré — de faire taire les deux plaignantes, porte le dénouement de la pièce. 84 De cela que nous parlons. 85 Elles. Voir la note 69. Le vendeur passe sous silence le fait que les clientes lui ont rendu sa marchandise. 86 Toutes deux. Voir la note 69. 87 LV : meulx / leques (Voir le vers 133.) 88 Par les cheveux. « Nous veinmes à nous empongner/ À beaulx cheveulx et dépeigner. » Le Pionnier de Seurdre. 89 Deux fois le chargement d’une bête de somme. Le marchand surévalue le contenu de son modeste panier pour en tirer un gros dédommagement. 90 Dans une pièce qui parle des femmes au masculin, quoi de plus normal que de voir un homme user d’un juron strictement féminin ? Voir les vers 5, 113 et 138 des Chambèrières qui vont à la messe, ou les vers 112, 149 et 224 de Frère Guillebert. 91 Il montre la 2e femme. 92 LV : mete 93 LV : me asine (Qu’on m’assigne [m’accorde] le paiement de ce qu’elles me doivent.) 94 Je fais appel. L’appel est impossible tant que le jugement n’a pas été prononcé. 95 Pour le moins (normandisme). 96 Merde ! Faites-les taire. Mais un esprit mal tourné pourrait comprendre : Mettez vos mains dans la merde. 97 LV : lequet (Au vers 219, « d’acquêt » rime aussi avec « sans faire long caquet ».) C’est un petit profit. « Poissonnyères ont peu d’aquest. » (Les Mal contentes.) Mais notre auteur se souvient plutôt de la farce de Pathelin : « C’est Peu-d’aquest. » 98 LV : requiers 99 Qui pissa jamais par terre avec son con. « Puisque son con tel chose pisse. » L’Amoureux. 100 Rapidement. 101 Il soutient la 2e femme, qui s’évanouit. 102 Ce n’est pas grave. 103 On desserrait les dents des épileptiques. Pour les bavardes, ce traitement est contre-indiqué ; dans Saincte Caquette, un mari qui veut faire taire son épouse lui dit : « Mot, mot ! Les dens serrez tousjours ! » 104 Coupez le cordon qui ferme sa robe, il la gêne pour respirer. L’acteur qui joue la 2e femme va donc se retrouver quasiment torse nu. 105 LV : lapoincteur (C’est malheureusement la dernière réplique déclamée par une des deux femmes.) 106 Faites en sorte qu’elles me payent. 107 Entravé. 108 Les affaires sont les affaires. 109 Nous délaisserons. Menace syndicale : Si vous continuez à nous embêter, nous ne viendrons plus vendre chez vous. Voir le dernier vers de la farce. 110 Nous volerions nos clients sans aucun profit. 111 Un arrêt, une saisie. 112 Il empoigne le panier du marchand. 113 Occupez-vous de la 1ère femme. Elle s’évanouit également. Le sergent repose le panier pour la soutenir. 114 Ne prenez pas beaucoup de chandelle pour la veiller. 115 Cela est dû à sa maladie de langueur. (Louis Du Bois, Glossaire du patois normand, p.382.) Mais les dames ont aussi une défaillance quand elles ne sentent plus leur amant à leur côté dans le lit : « Et puis me prent une faillance/ Quand ne sens point mon amarris. » Les Femmes qui demandent les arrérages. 116 Expression normande : « Les modiront chent fais pu [cent fois plus] que pierres amères. » La Muse normande. 117 De telles. 118 N’a plus de souffle. Croyant que la 2e femme va mourir et qu’il risque alors d’avoir des ennuis, le marchand la laisse tomber par terre. 119 Changeons de place, partons. 120 Nous ne gagnerons rien ici. 121 Vous devez encore plus. 122 D’admonitions : de citations à comparaître. 123 D’assignations en justice et de constats de non-comparution. 124 Condamner. 125 Déshonorés. 126 LV : gaigneron (Un exploit est une notification de justice. Les Normands prononçaient « explait », qui rime avec « plaid ». Cf. Lucas Sergent, vers 241.) 127 Il voit que le sergent laisse tomber par terre la 1ère femme. 128 Il montre les deux malades étendues sur le sol. 129 Quelle adversité, quelle calamité. 130 C’est une mauvaise chose. 131 LV : est (Vous avez été mal inspirés. « De ce fustes bien incité ! » La Correxion des Liégois.) 132 Qu’on nous dise de quelle maladie elles souffrent. Ce mal, qui frappe les femmes qu’on empêche de caqueter, « c’est le mal de saincte Caquette », comme le nomme la farce de Saincte Caquette. 133 Elles n’ont plus de souffle ailleurs qu’en leur cul. Le vers 64 confirme ce diagnostic. 134 Ranger mon étal, partir. Idem vers 252. C’est l’origine du moderne « détaler ». Cf. l’Antéchrist, vers 115 et 260. 135 Méchu (forme normande). Je crains qu’il ne nous soit arrivé un malheur. Les deux fonctionnaires pensent que les bavardes qu’ils ont fait taire vont en mourir. 136 Si on empêche les. Jénin Landore a rapporté du paradis le don de « garder les femmes de parler ». 137 Et elles ne peuvent que valoir pis. 138 Elles sont si mauvaises. Mais on peut entendre : Ils sont ainsi mâles. 139 Avant. 140 Pendant ce temps, elles se ranimeront. 141 Œufs et coquilles. 142 Maishui, désormais.
LE SOURD, SON VARLET ET L’YVERONGNE
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LE SOURD, SON
VARLET ET
L’YVERONGNE
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Comme tous les hommes affligés d’un handicap, les sourds étaient des personnages providentiels pour les auteurs comiques : la farce du Gouteux en montre deux, qui malmènent un infirme ! Les ivrognes étaient aussi de bons clients : l’auteur de cette parade normande a fait appel à des valeurs sûres. Des points communs existent entre cette farce et l’Aveugle, son Varlet et une Tripière.
Source : Manuscrit La Vallière, nº 21. Cette pièce est en bien meilleur état que les autres : elle n’avait pas eu le temps de circuler beaucoup quand on l’a copiée, vers 1575.
Structure : Rimes plates.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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Farce nouvelle
À troy[s] personnages, c’est asçavoir :
LE SOURD
SON VARLET
et L’YVERONGNE
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LE SOURD 1 commence SCÈNE I
Or çà ! Y fault que je m’aplicque
À trouver moyen et praticque
De gaigner quelque peu d’argent.
Mon varlet !
LE VARLET 2
Je suys diligent
5 Quant vous m’apelez. Que vous plaist ?
[Ne] fais-je pas bien le souplaist3 ?
LE SOURD
Laisse4 ta besongne et t’avance !
Entens-tu5 ?
LE VARLET
Ouy dea, c’est dimence6
Que nous irons à la grand-messe.
LE SOURD
10 Ne t’ai-ge pas faicte promesse
De t’abiller ? Tu seras brave7.
LE VARLET
Par Dieu ! ce ne sera que bave8 :
Sai-ge pas bien quant vous mentez ?
LE SOURD
Assez souvent me contentez,
15 Mais…
LE VARLET
Ouy, ouy : [Metz9], c’est en Loraine !
LE SOURT
Devant qu’en passe la sepmaine10,
Y tombera quelque advanture11.
LE VARLET
Vous me donrez vostre saincture12,
Je le sçay bien.
LE SOURD
Je te feray
20 Un riche homme, et [te] donneray
De l’argent.
LE VARLET
Gardez-lay13 pour vous.
LE SOURT
Quoy ? Qu’esse-là ? Me bastrez-vous ?
A ! je ne m’y accordes pas.
LE VARLET
Escoustez !… Il ne m’entent pas14 ;
25 Il est sourt, en ? Que vous en semble ?
Jamais nous n’acordons ensemble :
Cela me rompt tant le cerveau15 !
LE SOURD
Ouy ! mon varlet m’apelle veau,
Badin, badault, ainsy qu’i veult.
30 A ! par ma foy, le cœur me deult16
Tèlement qu’i vous fauldra…
LE VARLET
Quoy ? Quoy ?
Je vous feray taire tout quoy17,
À ce jourd’uy, sy je m’enpongne18 !
LE SOURD
J’entens bien : c’est vostre besongne
35 Qui est aucune foys19 bien faicte,
Aucune foys el est mal faicte.
Mais je n’en parles pas.
LE VARLET
Non, non,
Y ne fault poinct tant de sermon :
Payez-moy, et je m’en iray.
LE SOURT
40 J’entens bien20 : je vous aymeray
Autant qu’il y ayt sur terre homme,
Mais que tu fasses ta besongne.
LE VARLET
Le deable en emporte le sot !
LE SOURD
Pendant qu’il y aura au pot
45 Du vin, a ! nous burons d’audace21.
LE VARLET
Y conviendra vuyder la place22,
Car il ne vient poinct à propos23.
LE SOURD
Ouy dea, nous en aurons deulx pos
Pour nous donner dessus l’oreille24.
LE VARLET
50 Qui vit jamais raison pareille ?
Je n’y trouve sens ne raison.
LE SOURD
Je vuyderay de ma maison ?
Et ! par la chair bieu, non feray !
LE VARLET
Le sang bieu ! je me fascheray
55 De vivre en un tel desconfort.
LE SOURT
Dictes que vous estes sy fort ?
LE VARLET
Je vous feray la teste fendre25 !
LE SOURD
Ouy, ouy, je me says bien deffendre
En un besoing, tant hault que bas !
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L’YVRONGNE entre 26 SCÈNE II
60 Hau ! [hau !] Tarabin, tarabas27 !
En ! Qu’esse ? [Holà,] hau ! l’ôtesse28,
Venez cy ! Respondez ! En ! Qu’esse ?
N’aron-nous poinct encor pochine29 ?
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LE VARLET SCÈNE III
Ne vous, ne luy, ne sa vouésine,
65 Ne son vouésin Pierre, ou Guillot,
Trubert, Lambert, Roger, Phlipot,
Jehan, Jénin, Jouan ou Janote,
Périn, Pérot, Pierre, Pérote
Ne me feront nul desplaisir !
LE SOURD
70 J’entens bien que me faictes plaisir30
De besongner, à ma boutique !
Bren31 pour vous !
LE VARLET
Ouy dea : je pratique
Soublz vous, et vous [aussy] soublz moy32…
Mais ne vivons plus en esmoy.
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L’YVRONGNE SCÈNE IV
75 Bon boyre faict33. Et puys, quel bruict34 ?
Que dict-on de moy ? Fais-je bruict
Pour avoir crédict, sur les champs35 ?
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LE SOURD SCÈNE V
Besongnons !
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L’YVRONGNE 36 SCÈNE VI
Dieu gard les gallans !
Et puys, qui veult payer d’un pot ?
80 Sera-ce toy ?
LE VARLET
Ne me dis mot,
Par bieu : je suys furelufé37 !
L’YVRONGNE
Et ! comment ? Qui t’a escauffé38 ?
Qu’as-tu ? Qui t’a mis en [tel] colle39,
Dy : asse esté maistre Nicolle40 ?
85 Es-tu de couroulx relié41 ?
LE VARLET
Je suys [triste et fantasié]42.
Mon maistre, ce sourdault43 icy,
M’a de deuil tout mys en soucy.
L’YVRONGNE
Va, va, ne te cou[rou]ce poinct.
90 Chantons fleurtis44 ou contrepoinct,
Et puys je vous apaiseray.
LE VARLET
Pour luy, poinct [je] ne me tairay45 !
Mauldict soyt-il qui se taira46 !
[LE SOURD] 47
Quoy ? Dict-il pas qu’i me bastra ?
95 Y n’oseroyt !
LE VARLET
Voécy pour rire !
L’YVRONGNE
Par bieu ! vous érez bien du pire48.
Taisez-vous !
LE SOURD
Je vous ayme bien,
Car vous estes homme de bien,
Sage et entendeu.
L’YVRONGNE
Mot ! Silence !
100 Apaisez-vous, car quant je pence,
Noyse ne vault rien sans débat49.
LE VARLET
Y ne fault poinct tant de sabat50 !
Ventre bieu ! fault-y tant de bave ?
LE SOURD
Dieu ! il dict tousjours que je bave :
105 A-il pas tort ?
L’YVRONGNE
Mais il a droict !
LE SOURD
Et ! vraiment, quant il y fauldroict51,
Je ne veulx pas qu’il prengne peine.
LE VARLET
Il ne veult sa fièbvre quartaine !
L’YVRONGNE
Chantons, et laissons tout cecy.
LE SOURT
110 Mort bieu ! dis-tu que j’ey vessy52 ?
À mort ! [À mort53 !]
L’YVRONGNE
À vie ! [À vie !]
LE VARLET 54
Par la chair bieu ! je vous deffye :
Sy vous causez, vous estes mort !
L’YVRONGNE
Corps bieu ! dictes-vous que j’ey tort ?
LE SOURD
115 Hélas, [pour moy] laissez-lay vivre55 !
LE VARLET 56
Frapons tous deulx sur cest homme yvre :
Il est cause de noz débas.
Frapons, tarabin, tarabas57 !
N’espargnons poingz58 : il a bon dos.
L’YVRONGNE
120 Le deable en emporte les sos59 !
Et ! laissez-moy, de par le deable !
Tout doulx, tout doulx ! Ce n’est pas fable60 :
Vous frapez à bon essien61.
LE VARLET
Laudez, laudez ce passien62
125 Sans l’espargner !
[ LE SOURD
Frapons63 ! ]
L’YVRONGNE
Tout doulx !
Et ! comment ? [Dea !] vous moquez-vous ?
Au lieu de paix, suys en souffrance.
LE VARLET
Onques on ne veist dedens France
Gens sy meslés comme nous sommes.
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L’YVRONGNE 64 SCÈNE VII
130 Vertu bieu ! je porte les sommes65.
[Qui qu’ayt]66 chanté, j’ey respondu.
Mais content suys d’estre tondu67
Sy jamais en un tel sabat,
[Parmy ce]68 tumulte ou débat,
135 [Je reviens ! Lors,] je m’en remue69.
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LE VARLET SCÈNE VIII
[Poinct n’en aurons brèfve venue…]70
Nostre cas71 est très fort meslé.
Que nous avons bien querellé !
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Mais je conclus, comme il me semble,
140 Q’un yvrongne et un sourd ensemble
Ne peult durer : car l’un est sourd,
Et l’aultre, langaige luy sourd72.
Le sourd ne peult pas bien oÿr,
Et l’autre se veult resjouir.
145 Et pour conclure la matière,
Une chanson voulons chanter,
Affin que vous ayez manière
D’aveques vous chagrin chasser.
En prenant congé de ce lieu,
150 Une chanson pour dire adieu ! 73
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FINIS
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1 Il exerce la profession de potier d’étain. L’auteur met en scène l’expression « être sourd comme un pot ». 2 Le Valet, i. e. l’ouvrier, travaille devant son établi. 3 Le souple, le lèche-cul. « Encor ferai-ge le souplaist. » (Frère Phillebert.) Cet aparté s’adresse au public. 4 LV : fais 5 Le Sourd a une prédilection pour le verbe « entendre » : vers 34, 40, 70, 99. 6 Prononciation normande de « dimanche » : cf. les Povres deables, vers 93. Le Valet s’amuse à entamer un dialogue de sourds. 7 Élégant, grâce aux habits que je vais t’acheter. « Estre braves en accoustremens. » Godefroy. 8 Du bavardage, des promesses en l’air. 9 La ville de Metz se prononçait « mè », d’où le jeu de mots sur mais. 10 « Avant que passe la sepmaine. » Les Sotz fourréz de malice. 11 Nous ferons une bonne affaire. 12 Vous me donnerez des coups de ceinture. 13 Gardez-le, vous êtes plus miteux que moi. Le pronom normand « lay » reparaît au vers 115. Le Sourd comprend quelque chose comme « frapperai sur vous ». 14 Le Valet se tourne vers le public. 15 « Vous vous rompez tout le cerveau. » Testament Pathelin. 16 Me fait mal, du verbe douloir. 17 Tout coi. « S’y ne veult se taire tout quoy. » Les Sobres Sotz. 18 Si j’en prends la peine. 19 Parfois. 20 Quand on leur réclame de l’argent, les sourds mettent en application ce proverbe : « Il n’est point de plus maulvais sours/ Que ceulx qui ne veullent ouÿr. » Le Gouteux. 21 Nous boirons de bon cœur. 22 Il faudra que je m’en aille. 23 Il ne parle pas de mon salaire. 24 Pour nous taper sur les oreilles. Les chopes sont très larges et leur bord monte jusqu’aux oreilles du buveur. 25 LV : rendre (« Fendre la teste. » Le Faulconnier de ville.) 26 Cette didascalie marque le début d’un rôle, en non un déplacement. L’Ivrogne est toujours dans la rue ; en apercevant les chopes d’étain alignées sur la fenêtre du potier, il croit être devant une taverne. 27 Cette interjection qui marque l’exaspération peut à la rigueur se traduire par : « Allons ! » Panurge l’emploie quand il s’impatiente des réponses d’un philosophe : « –Mais conseillez-moy, de grâce : que doibs-je faire ? –Ce que vouldrez. –Tarabin, tarabas ! » (Tiers Livre, 36.) Cette locution aux multiples sens donna lieu à une chanson (v. le vers 45 des Queues troussées), et même à une farce : Tarabin, Tarabas (F 13). Ici, elle revient au vers 118. 28 Tavernière ! « Où l’hostesse est belle, le vin est bon. » Godefroy. 29 L’Ivrogne confond la chopine, et le pochin, qui est une mesure de vin différente : « Pour un pochin de vin. » Godefroy. 30 Je veux que vous me fassiez le plaisir. 31 Merde ! « Bren pour toy ! » La Nourrisse et la Chambèrière. 32 Double sens du verbe pratiquer : Je travaille sous vos ordres, et vous gagnez de l’argent grâce à moi. « Quel bien ? J’ay un pourpoinct de serge :/ C’est tout ce que j’ay pratiqué. » La Réformeresse. 33 Il fait bon boire. 34 Quelles nouvelles ? Toujours dans la rue, l’Ivrogne interroge le public. 35 Ai-je une assez bonne réputation pour qu’on me fasse crédit, en ces lieux ? 36 Il entre dans l’atelier de poterie, et s’installe à l’établi où travaille le Valet. 37 Fou furieux (normandisme). Cf. Jolyet, vers 10. « Furluféz ainchin que des coqs/ Qui ont mangé de la tôtée. » La Muse normande. 38 Qui t’a échauffé la bile (graphie normande). 39 Dans une telle disposition. « Aultrefoys m’a mis en tel colle. » Deux hommes et leurs deux femmes. 40 A-ce été le médecin ? « Qui bien dort, pisse et crolle [se remue]/ N’a mestier [besoin] de maistre Nicolle. » (Thrésor de sentences dorées.) « Tu m’affranchis de chancre et de vérole,/ De maistre Ambroise [Paré] et de maistre Nicole. » (Philippe Desportes.) Par dérision, c’est également un nom de bourreau, comme dans le Mystère des Trois Doms : « Maistre Nycolle, bourreau. » 41 LV : deslie (Atteint. « Que de la fièvre cartaine/ Puissez-vous estre relié ! » Le Povre Jouhan.) 42 LV : bisti fantarie (Il se peut que l’auteur ait écrit biscarié [en mauvais état] : « Je suys toute biscariée. » Le Povre Jouhan.) Je suis perturbé. « –Vous me semblez fantasiée./ –Je suys avec vous sy troublée ! » Deulx Gallans et Sancté, LV 12. 43 Ce sourdingue. Cf. le Gouteux, vers 25, 37 et 265. 44 Des fioritures, des ornements du plain-chant. « Réprouvant les fleuretis en la musique. » Godefroy. 45 LV : mectreay 46 LV : bastra (À la rime.) 47 LV : liurongne 48 Vous aurez bien pire. Il parle au Sourd qui, pour une fois, croit entendre une phrase positive à son égard. 49 Même proverbe dans Guillerme qui mengea les figues et dans le Pèlerinage de Mariage. 50 De tumulte, d’agitation. Idem vers 133. 51 Quand bien même mon ouvrier y manquerait (à se fatiguer en travaillant). 52 Que j’ai pété. Le Sourd tape sur l’Ivrogne. 53 Le manuscrit que le copiste a recopié ne dupliquait pas les interjections, sachant que les comédiens le feraient naturellement. Voir le second hémistiche et le vers 60. 54 À l’Ivrogne. L’ouvrier prend le parti de son patron. 55 Laissez-le-moi vivant ! 56 À son patron. 57 Allons ! Voir la note 27. 58 LV : poinct (Nos poings.) 59 Les sots. Voir le vers 43. 60 LV : paille (Ce n’est pas une blague. « Ce que je dis, ce n’est pas fable. » Guillerme qui mengea les figues.) Cf. l’Antéchrist, vers 220. 61 Vraiment. Cf. l’Avantureulx, vers 316. 62 Frappez ce patient [celui qui subit]. « Lauder : frapper, battre. » Louis Du Bois, Glossaire du patois normand. 63 LV attribue ce mot à l’Ivrogne. Les deux artisans se livrent contre lui à une véritable mêlée. 64 Il s’échappe de la mêlée. 65 On m’a chargé de coups comme une bête de somme est chargée de marchandise. « Asnes qui portent somes. » ATILF. 66 LV : quique ayt (Quel que soit celui qui a chanté le thème.) 67 LV : tondeu (Je mériterais qu’on me traite de fou. Voir les notes 31 et 86 des Sotz triumphans.) 68 LV : pour moy se 69 Je m’en éloigne. « Il nous fault d’icy remuer. » (ATILF.) Le bord gauche du manuscrit de base devait être déchiré à cet endroit. 70 LV : en brefue nue (Nous ne le verrons pas revenir de sitôt. « L’on nous donne espoir de sa brèfve venue icy. » Cardinal de Granvelle.) 71 Notre cause : nous sommes réconciliés. 72 Sa parole jaillit hors de propos. 73 Ces 2 derniers vers sont greffés par le copiste lui-même à la fin de beaucoup de pièces du ms. La Vallière : le Tesmoing, l’Avantureulx, Sœur Fessue, Frère Phillebert, le Trocheur de maris, etc.
L’ANTÉCHRIST
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L’ANTÉCHRIST
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Les poissonnières parisiennes avaient toujours le dernier mot, et ce mot était rarement pudique. Villon les admirait :
Brettes, Suysses n’y sçavent guières,
Gasconnes, n’aussi Toulousaines :
De Petit-Pont deux harengières
Les concluront [leur cloueront le bec]….
Il n’est bon bec que de Paris !
Nous entendrons parler ces harengères du Petit-Pont1 dans un texte que je publie en appendice. Les joutes verbales des poissonnières trouvèrent leur consécration au théâtre. En effet, bien avant le théâtre « poissard » du XVIIIe siècle, de nombreuses farces ont campé ces personnages hauts en couleur et en odeur. Il nous en reste deux : Grant Gosier, et l’Antéchrist, que voici.
Source : Recueil de plusieurs farces tant anciennes que modernes, lesquelles ont esté mises en meilleur ordre & langage qu’auparavant. Imprimé à Paris en 1612 par Nicolas Rousset, pp. 77-95. Cette farce parisienne date de la fin du XVe siècle : les karolus dont il est question au vers 89 furent frappés sous Charles VIII.
Structure : Rimes aabaab, rimes plates, avec 3 triolets raccourcis par l’éditeur : en 1612, les rondels simples étaient passés de mode et alourdissaient le dialogue.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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Farce nouvelle de
l’Antéchrist
et de trois femmes :
une Bourgeoise, et
deux Poissonnières.
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À quatre personnages, c’est à sçavoir :
HAMELOT, première poissonnière
COLECHON, deuxiesme poissonnière
LA BOURGEOISE
L’ANTÉCRIST
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HAMELOT 3 commence SCÈNE I
Colechon, à ce que j’entens4,
Ce Caresme5, avons eu bon temps.
Aussi, nous en estoit mestier6.
COLECHON
Vinssent pauvres ou riches gens,
5 À payer n’estoient diligens ;
Ailleurs leur en falloit chercher7 !
HAMELOT
Nostre plaisir faisions entier.
Tu vendois bien harancs pourris.
COLECHON
Et toy, quoy ? Moruë puante8.
HAMELOT
10 T’en oyant parler, je m’en ris !
Tu vendois bien harancs pourris.
COLECHON
Pourris ? Si, en ay-je eu bon pris9.
HAMELOT
Aussi ay-je moy, je m’en vante.
[ Tu vendois bien harancs pourris.
COLECHON
15 Et toy, quoy ? Moruë puante.
HAMELOT ]
Mais au fort, ce10 fut ma belle ante
Qui m’enseigna de faire ainsi.
COLECHON
Et à tromper les gens, aussi :
Pour vendre, tu es fine11 femme.
HAMELOT
20 Et toy, tu sçais par cœur ta game12
Pour débiter merlans passéz13,
Harancs et maquereaux laisséz14,
Comme venans droict de la mer15.
COLECHON
Sur toy y a plus à blasmer,
25 Car tu vens moulles de Roquay16,
Pareillement celles du quay,
Disant que de [Dieppe elles]17 sont.
HAMELOT
Ce que je faits, les autres font.
Mais toy, tu vends puant poisson
30 Gardé long temps en la maison18.
Que n’en est Justice informée !
La chose seroit réformée ;
On t’empescheroit de ce faire.
COLECHON
S’elle cognoissoit ton affaire…
35 Tu es cent fois pire que moy !
HAMELOT
De quoy sommes-nous en esmoy ?
Que chacun proffite s’il peut.
COLECHON
Da ! il ne le faict pas qui veut,
Aujourd’huy, comme au temps passé :
40 Or et argent est trespassé,
Et n’est commun19 à plusieurs gens.
HAMELOT
Vendu avons force harans,
Saulmon, morue et poisson frais.
Et si, nous n’avons fait grands prests20 ;
45 Au moins, moy, j’ay eu du comptant21.
COLECHON
Et, là, là ! On ne gaigne tant,
Comme il [m’]est advis.
[HAMELOT]
Dieu mercy,
Ne despend-on rien22.
[COLECHON]
Si faict, si !
[HAMELOT]
Cil gaigne assez qui a sa vie23.
50 Après le beau temps vient la pluie.
[COLECHON] 24
Après Pasques viennent les veaux,
Et au mois d’avril, maquereaux25.
Or faut-il vendre, qui pourra26…
Qui en aura, qui en aura,
55 De mes beaux maquereaux tout frais ?
HAMELOT
Qui est-ce qui m’estrènera27 ?
Qui en aura, qui en aura ?
COLECHON
Da ! qui des miens acheptera,
Pour cuire les rendray tout prests28.
60 [Qui en aura, qui en aura,
De mes beaux maquereaux tout frais ?]
HAMELOT
Colechon, c’est, je te promets,
Bonne denrée et nourriture.
Dieu nous donne bonne advanture
65 Et bonne gaigne, à ce poisson !
.
LA BOURGEOISE 29 SCÈNE II
Il faut voir s’on vend à raison30
Les maquereaux ; car de la chair31,
On ne peut, ce jour, approcher !
Et si32, n’y a nul bon morceau.
70 Qu’est-ce à dire ? Que c’est tout veau33,
Et qu’il n’y a mouton ni bœuf ?
J’aymerois, de ma part, un œuf
Beaucoup mieux que telle vïande.
Et puis mon mary me demande
75 Que [j’en achepte]34 de la bonne :
Il semble, à l’ouÿr, qu’on la donne !
Mais il aura beau s’en fâcher.
.
COLECHON 35 SCÈNE III
Tenons nostre denrée cher :
Tout est vendu, tout est vendu !
HAMELOT
80 C’est à toy très bien entendu :
Vois-tu la Bourgeoise approcher ?
Elle n’a peu avoir de chair.
Faisons haut36.
COLECHON
C’est bien entendu.
.
LA BOURGEOISE SCÈNE IV
J’ay bien longuement attendu
85 À venir. N’y a-il plus rien ?
Çà, Hamelot : cela, combien ?
Tout en un mot, dites-le-moy.
HAMELOT
Madame, en un mot, sur ma foy,
Deux karolus37 vous en payrez.
LA BOURGEOISE
90 Meilleur marché vous en ferez :
Je vous en donneray deux liards38.
HAMELOT
Voire, Madame, ou deux chiards39.
Il est vendu40, allez, allez !
LA BOURGEOISE
Vous, Colechon, à moy parlez :
95 Que les vendez-vous, en un mot ?
COLECHON
Par l’âme de mon fils Janot !
Je les vends deux doubles41 chacun.
LA BOURGEOISE
M’en donnerez-vous deux pour un42 ?
Barguiner43 ne veux nullement.
COLECHON
100 Deux pour un seul44 ? Par mon serment !
À peine en auriez un pour deux45.
LA BOURGEOISE
Nous mangerons doncques des œufs,
Si ne treuve meilleur marché.
HAMELOT
Madame a-elle bien cherché
105 Partout, avec son grand panier,
Offrant un double ou un denier
De ce qui en vaut plus de dix ?
Il luy semble (à ouïr ses dits46)
Qu’aujourd’huy macquereaux on donne.
LA BOURGEOISE
110 Vrayment, voicy bonne besongne !
Da ! n’oseroit-on marchander ?
N’aussi, bon marché demander ?
Si ne voulez, n’en faites rien.
COLECHON
Et, là, là ! Madame, on sçait bien
115 Qui vous estes : destallez tost !
LA BOURGEOISE
Qui suis-je, dy, truande47 ?
COLECHON
Mot
Je ne vous dy.
LA BOURGEOISE
En male estraine48
Eusse-tu la fièvre quartaine49 !
Où est-ce que tu m’as trouvée ?
120 Dy, hé ! Responds, grosse crevée !
Et ! tu cognois50 ta male rage !
De ma main dessus ton visage
Auras, pour t’apprendre à parler !51
HAMELOT
Souffriray-je sans m’en mesler
125 Que battiez ainsi ma voisine ?
LA BOURGEOISE
Et ! par la mère de Dieu digne52 !
Comme elle, aussi tu en auras53 !
Et une autre fois, ne seras
Si prompte à prendre54 sa querelle.
130 [Faut-il que sur moy on grumelle55]
En me blasonnant56 en ce point ?
Je57 monstreray que ne suis point
Telle comme il vous est advis.
Ces truandes tiennent devis58
135 Sans respect de nous, preudes femmes,
Comme si nous estions infâmes.
Et à cela, sont toutes faictes59.
Il leur semble que soyons bestes,
Quand à elles nous marchandons.
140 Da ! Si bon marché nous demandons,
Faut-il, pour ce, nous dire injure ?
Celle est bien simple qui l’endure60.
Qui ne veut vendre, si se taise !
HAMELOT
Hé da ! Madame la Bourgeoise,
145 Le poisson n’est à si vil pris.
En quoy donc61 vous ay-je mespris,
Pour me donner de si lourds coups ?
De par le diable ! allez tout doux,
Sans les gens battre ny frapper.
150 S’une fois vous peux attrapper,
Croyez qu’il vous en desplaira !
Donc, désormais, on nous battra,
Voire, si le voulons souffrir.
COLECHON
Je choisirois plustost mourir
155 De male mort, je vous promets,
Que battre me laisser jamais,
Quelque chose qui en advienne !
Ha ! Madame, qu’il vous souvienne
De cela que vous avez faict.
160 En rien ne vous avons62 meffaict.
Voylà mesdames les Bourgeoises :
Partout où voudront, feront noises.
Et portent à la boucherie,
À la Halle et poissonnerie,
165 Paniers grands et profonds assez
Pour y estre tous bien63 mucéz.
Toutes choses marchanderont,
Et toutefois, n’achèteront
Rien que pour neuf ou dix deniers.
170 De quoy servent si grands paniers,
Que pour monstre64 et abusion ?
LA BOURGEOISE
Tu parle sans sens ny raison,
Ainsi qu’un perroquet en cage.
Tay-toy, et tu feras que sage65 !
HAMELOT
175 Et quoy ! ne vous vendrons-nous rien ?
LA BOURGEOISE
Quand est de moy66, je sçay fort bien
Que rien de vous n’achepteray.
HAMELOT
Je vous en prie.
LA BOURGEOISE
Non feray.
Mèshuy me67 passeray-je à tant.
180 Vous estes payées comptant
(Me semble) de vostre cacquet,
Et n’avez [pas] eu grand acquest
Ny proffit à parler ainsi.
Vous ayant monstré (Dieu mercy)
185 À parler mieux une autrefois,
Sans achepter68 rien, je m’en vois.
Adieu, adieu ! Adieu vous dis.69
.
COLECHON SCÈNE V
Et ! benoist Dieu de Paradis !
Quel marchande70 avons-nous trouvée ?
190 Sur nous a sa force esprouvée ;
Mais si n’y eust eu qu’elle et moy,
Monstré luy eusse sans esmoy
Qu’ainsi faire ne devoit pas.
HAMELOT
Son mary aura bon repas,
195 Ayant attendu jusqu’à nonne71.
Vray Dieu, comment elle blasonne !
Elle en sçait bien plus que nous toutes72.
COLECHON
Si n’eust esté aucunes doubtes73
[Et si personne ne m’eust veu,]
200 Par mon serment, elle en eust eu !
Mais vien çà : n’as-tu point pris garde
À sa façon fière et hagarde74,
Quand marchandoit nostre poisson ?
HAMELOT
Mais je [n’en prise]75 la façon.
205 Pour dire76 qu’on la cognoist bien,
Nous battit77 sans dire « combien ? »78,
Toutes deux, sans cause et à tord.
COLECHON
Si mon mary ne fust point mort,
J’en eusse eu la raison79, vrayment.
210 Si ne feray-je appointement80
Jusqu’à tant que je sois vangée.
HAMELOT
Je me fusse bien revanchée,
Si je n’eusse craint autre qu’elle.
Et fust-elle cent fois plus belle,81
215 Senti eust que poisent mes poings82 !
COLECHON
Nous n’en aurons pour mèshuy83 moins,
Et n’aurons vendu ny donné…
L’Antécrist est né84 ! L’Antécrist est né !
Le voicy venir, le grand diable !
HAMELOT
220 Ouy, je le voy, ce n’est pas fable.
Fuyons ! À luy, n’y a nul jeu.
.
L’ANTÉCRIST, jettant leur poisson 85 SCÈNE VI
Morbieu, charbieu et vertubieu86 !
Et ! qu’est-ce-cy, vieilles putains ?
Ostez, ostez tout de ce lieu !
225 [Morbieu, charbieu et vertubieu !]
Qu’on porte tout à l’Hostel-Dieu87 :
Si, en seront les pauvres plains88.
Morbieu, charbieu et vertu-bieu !
Et ! qu’est-ce-cy, vieilles putains ?
HAMELOT, battant l’Antéchrist
230 Si de mes griffes vous attains,
Et fussiez-vous sergent à masse89,
Je vous arracheray la face !
Après, allez où vous pourrez.
COLECHON, le battant aussi
Parbieu, vilain, vous en aurez !
235 Nostre poisson avez gasté.
Voilà pour vostre lascheté !
Tenez, meschant ! Vilain ! Infâme !
Oncques n’aviez esté de femme
Mieux estrillé que vous serez90.
L’ANTÉCHRIST
240 Qu’est-ce-cy ? Vous ne cesserez
(Ce croy-je) de frapper, mèshuy ?
HAMELOT
Perd-on ainsi le bien d’autruy ?
Il ne vous a guères cousté !
L’ANTÉCHRIST
Sanbieu, je suis bien accoustré !
245 Quels horions, du premier sault91 !
COLECHON, le battant encore
Or, tenez ! Apprendre vous fault
À nostre denrée jetter.
Cher le vous ferons acheter.
Tenez, tenez, meschand paillard !
L’ANTÉCHRIST
250 Le diable d’enfer y ait part,
Aux macquereaux et maquerelles92 !
[De frapper ne cesseront-elles ?]93
Maudit soit le jour et aussi l’heure
Que je vins en ceste demeure94 !
255 Faut-il que sois ainsi battu ?
Au moins, si l’on s’est esbattu95
À me battre, que je m’en voise96.
HAMELOT
Par toy vient tout débat et noise.
Nous devrions icy t’assommer.
260 Destale tost et sans chommer,
Ny faire desplaisir à âme97 !
Da ! et te semble-il qu’une femme
N’ait courage aussi bien qu’un homme ?
L’ANTÉCHRIST
Mieux vaudroit qu’eusse esté à Rome98,
265 À l’heure que je vins icy.
Colechon, je te prie, aussi
Toy, Hamelot, qu’on ne le sache99.
COLECHON
Vuidez, vuidez de ceste place !
Qu’on ne vous y voye jamais !
.
HAMELOT SCÈNE VII
270 Par mon serment ! je te promets
Qu’il a eu très beau payement.
Voise100 s’en plaindre en jugement !
Encore s’en mocquera-on.
COLECHON
À propos, où est mon poisson101 ?
275 C’est cestuy-cy.
HAMELOT
Non est !
COLECHON
Si est !
HAMELOT
Le mien auray sans nul arrest.
COLECHON
Il n’est à toy, faulce102 paillarde !
HAMELOT
Que le feu sainct Anthoine t’arde103 !
Tu as menty, vieille putain !
COLECHON
280 Plus que104 toy j’ay le cœur hautain.
Ce n’est pas le tien, non, regarde.
HAMELOT
Reprens ton poisson et le garde
Si tu veux, mais j’auray le mien !
COLECHON 105
Ce coup de poing aussi : tien ! Tien !
[HAMELOT]
285 Te le rendray tout maintenant !
COLECHON 106
Ce coup auras auparavant,
Pour sçavoir ce que ma main poise !
[HAMELOT]
Tu commence tousjours la noise :
À chacun as hayne et rancune.
COLECHON
290 Et, va, va ! tu es plus commune107
Que ne sont celles du bordeau.
HAMELOT
Si me taisois en champ si beau108,
On jugeroit que j’aurois tord.
Tu resveille le chat qui dort.
295 Laide yvrongnesse que tu es :
Tu burois109 et avallerois
Paris, Tours, Lyon et Bordeaux,
S’ils estoient vin !
COLECHON
Les maquereaux110
Tu entretiens, et si, les vends.
HAMELOT
300 Toy, tu burois (point je ne ments,
Cela se juge à tes yeux rouges)
Rome, Rouen, Gand, aussi Bourges,
Si muées estoient en vin !
COLECHON
On sçait sans aller au devin
305 Que tes habits en sont en gage111.
HAMELOT
Mes habits ? Et ! ils sont ta rage !
Tu as menty : ce sont les tiens112 !
Je sçay bien là où sont les miens.
Va, va desmesler tes fuzées113 !
COLECHON
310 Mais sommes-nous pas abusées,
De dire l’une à l’autre injure ?
Et ! par mon serment, je te jure
Qu’envers toy, ma paix faire veux.
HAMELOT
En estre contente ne peux,
315 Si je n’ay ce qui m’appartient.
COLECHON
Il est meslé, à moy ne tient114 ;
Il le nous faut prendre en commun.
HAMELOT
Je le veux bien, ce m’est tout un.
Et ne faisons plus tels débats.
COLECHON
320 Ce n’est rien, ce ne sont qu’esbats.
Un pot de vin, quand tu voudras,
Je payray.
HAMELOT
Tu m’accoleras
Tout maintenant, en paix faisant.
COLECHON
Rien n’est qui tant me soit plaisant :
325 Je le veux [bien], par mon serment !115
.
HAMELOT
Nous vous prions très instamment
Qu’il vous plaise tous en gré prendre
Cestuy présent esbattement.
Chacun soigne à l’hostel se rendre116 !
.
FIN
*
.
En complément de programme, voici une bagarre de poissonnières tirée des Laudes et complainctes de Petit-Pont 117, un poème de JEHAN LE HAPPÈRE.
.
115 Puis l’une dit, quant elle a beu vingt foys :
« Va, villaine, ta marée est puante,
Tes macquereaulx estoient à huyt jours fraiz118 !
Ta raye put119 : ne la metz plus en vente !
Tes rougetz sont tous blancz, et doz et ventre ;
120 Tu les as tins120 par trop en ta bouticle121.
Ton bacquet122 est crasseulx, puant meschante !
Tu n’es pas bonne à revendre relicque123. »
.
« Saincte Marie (respond l’autre et réplique),
Vieille putain, paillarde, macquerelle,
125 Vieille moynesse124 et houllière publicque !
Ma marée est plus que la tienne belle.
Va a[u] Heulleu125, où est ta kirielle126 !
Tu es passée127, ridée et descriée.
Tous les estas (exceptéz les femelles)
130 T’ont chevauchée, batue, tirée, traingnée.
Va, vieille dacgue128 ! Va, vieille hacquenée129 ! »
.
« Va, va, vieille hacquebute130 à crochet !
Tu as esté sept foys pyloriée131.
Va, maraulde ! Les ladres te l’on[t] fait132. »
.
135 « Vieille esdentée, va te pendre au gibet !
Tu l’as gaigné passé133 plus de vingt ans :
Plus de vingtz hommes, par toy, se sont deffaitz134.
Va au Hault-Pas135 avecques les meschans ! »
« Et toy, rompue136, puante entre les dens137,
140 Vieille galleuse, naplière138, pouacresse !
Qui t’eust faict droit139, passé plus de dix ans,
Rendue fusse à clicqueter140, ladresse ! »
.
Bien débatu, tensé, mauldit en presse141,
À beaulx cheveux — s’ilz [en ont]142 — touz se prennent.
145 Parmy les boues se traînent et oppressent.
D’esgrataigner les visaiges ne faignent143.
Puis leurs bacquetz, harens et morues baignent
Parmy les boues et la fresche marée.
*
1 Ce pont est un des lieux parisiens (avec la porte Baudais, les Halles et la porte de Paris) où les harengères avaient le droit de vendre. Voir la note 4 des Sotz escornéz. 3 Aux Halles de Paris, elle est en train d’installer son stand de poissons variés et surtout avariés. Le stand voisin est tenu par Colechon. « Va, va aux Halles, vielz harnois :/ Ta marée si ne vault rien./ Mon poisson vault mieulx que le tien. » Cette réplique tirée de Grant Gosier rappelle que les poissonnières des Halles étaient jalousées par celles qui œuvraient à l’extérieur : ces dernières étaient contraintes de venir chercher leur marchandise devant les Halles, sur le « parquet à la marée », le seul endroit où les grossistes pouvaient la leur livrer. 4 À mon avis. 5 Pendant le jeûne du Carême, on remplaçait la viande par du poisson. 6 Nous en avions besoin, parce que notre poisson se vend mal. 7 Qu’ils aillent acheter ailleurs ! Les deux marchandes ont un caractère opposé : Hamelot est incurablement optimiste, et Colechon, veuve et alcoolique, ne voit que le mauvais côté des choses. 8 Accusation inévitable. Cf. Grant Gosier, vers 44. 9 Pourtant, je les ai vendus à un bon prix. 10 Éd. : ou (C’est ma tante. « La bonne Laurence,/ Vostre belle ante, mourut-elle ? » Farce de Pathelin.) 11 Habile. 12 Ton boniment. 13 Périmés. 14 Éd. : assez (Laissés pour compte, invendus.) 15 Comme venant d’être pêchés. 16 L’auteur a peut-être mentionné le port de Malaquest (l’actuel quai Malaquais), aux berges duquel s’accrochaient des moules d’eau douce. 17 Éd. : Dieppes ils (Les moules normandes, appréciées des Parisiens, coûtaient cher à cause du transport.) 18 « Le grand règlement du Parlement de 1414 (…) donne aux détailleurs la liberté de porter leurs poissons, après l’heure de la vente passée, en leurs maisons. » (Nicolas Delamare, Traité de la Police, t. 3.) Les marchandes ne devaient pas stocker le poisson de mer plus de deux jours entre le 1er octobre et Pâques, et plus d’un jour le restant de l’année. 19 Abondant. 20 Nous n’avons pas vendu à crédit. 21 Mes clients m’ont payée comptant. 22 Nous ne dépensons rien. L’éditeur a uniformisé ce dialogue entre l’optimiste Hamelot et la pessimiste Colechon. 23 Il gagne assez, celui qui a de quoi vivre. 24 Elle paraphrase son euphorique consœur en accumulant des proverbes facétieux. 25 « Poisson d’avril : macquereau. Parce que d’ordinaire, les macquereaux se prennent & se mangent environ ce mois-là. » Antoine Oudin. 26 Celle qui pourra. Les deux étals sont prêts ; les poissonnières se mettent à crier pour attirer le chaland. 27 Qui sera mon premier client de la journée ? Cf. l’Homme à mes pois, vers 238. 28 Je lui viderai ses poissons et je leur couperai la tête. 29 Ayant marchandé vainement auprès des bouchers, elle se dirige vers les poissonnières, avec son grand panier vide. 30 À un prix raisonnable. Elle est riche, mais avare. 31 De la viande. Chair rime avec approchèr, comme aux vers 81-82. 32 Et pourtant. 33 Qu’il n’y a que du veau, dont la viande est onéreuse. 34 Éd. : ie n’achepte 35 Les poissonnières voient venir la Bourgeoise, dont elles connaissent les marchandages mesquins. Sachant qu’elles ne pourront rien lui vendre de toute façon, elles décident d’augmenter leurs tarifs pour se débarrasser d’elle plus vite. 36 Faisons-lui des prix élevés. 37 20 deniers pour deux maquereaux, c’est évidemment dissuasif ! 38 Deux petites pièces. « Le liard qu’une bourgeoise m’offrit hier sur le marché d’un autre qui marchandoit un maquereau. » (La Resjouissance des harangères et poissonnières des Halles de Paris.) Ce mot compte pour une seule syllabe : « Un jour qu’il n’avoyt que deulx lyards. » Jehan de Lagny. 39 Deux merdeux. 40 Ces maquereaux sont réservés par un autre client. 41 Éd. : douzains (Voir le vers 106.) 2 douzains représentent 24 deniers !! 2 doubles = 4 deniers, ce qui est déjà beaucoup pour un maquereau. 42 Deux maquereaux pour un seul double [pour 2 deniers]. 43 Barguigner, marchander. 44 Éd. : sol (1 sou = 12 deniers.) Deux maquereaux pour un seul double [pour 2 deniers], comme au vers 98. 45 Un maquereau pour 2 doubles [pour 4 deniers], comme au vers 97. 46 À l’entendre. 47 Misérable. Idem vers 134. Une des poissonnières de Grant Gosier traite sa consœur de « truande » à trois reprises. La Bourgeoise commence à tutoyer les vendeuses. 48 Qu’en mauvaise fortune. Cf. Testament Pathelin, vers 267. 49 Cette intoxication alimentaire pouvait être causée par du hareng avarié : « La fièbvre quarte assaillit Lohéac/ Par le morceau d’un harenc célerin. » La Fièbvre quarte. 50 Tu connais. C’est une réponse aux vers 114-115. 51 Elle frappe Colechon. 52 Par la digne mère de Dieu. 53 Tu auras des coups. Idem vers 200 et 234. 54 À épouser. 55 On grommelle. (Cf. le Jeu du Prince des Sotz, vers 345, 358 et 360.) Ce vers est perdu. 56 En me critiquant. Idem vers 196. Cf. le Vendeur de livres, vers 66 et 106. 57 Éd. : Et 58 Devisent, bavardent. 59 Habituées. 60 Elle est bien bonne, celle qui le tolère. 61 Éd. : vous 62 Éd. : ayans 63 Éd. : biens (Pour que nous y soyons tous bien cachés.) 64 Si ce n’est pour faire étalage de ses richesses. 65 Tu feras sagement. « J’ay fait que saige de moy taire. » Les Sotz ecclésiasticques. 66 Quant à moi. 67 Éd. : ne (Je me contenterai de cela. « Bien au vin je me passeray. » Testament Pathelin.) 68 Éd. : accepter (Voir les vers 58, 75 et 177.) 69 La Bourgeoise retourne en coulisses. Il est fort probable que l’acteur qui joue son rôle va se déguiser en sergent pour jouer celui de l’Antéchrist. 70 Quelle marchandeuse, quelle cliente. 71 L’heure de none : midi. 72 On en vient à se demander si cette parvenue, avant de mettre le grappin sur un riche bourgeois, n’était pas elle-même poissonnière. 73 Si je n’avais eu aucune crainte. Le vers suivant est perdu. 74 Sauvage. 75 Éd. : vous prie (« J’en prise beaucoup la façon. » Les Coppieurs et Lardeurs.) 76 Pour avoir dit. L’imprimé intervertit ce vers et le suivant. 77 Éd. : battre 78 Sans prévenir. « L’on taste, l’on manie, et sans dire “combien ?”,/ On se peut retirer. » Mathurin Régnier. 79 J’aurais eu raison d’elle. 80 Un accord avec elle. 81 Ce refrain à la mode est aussi chanté dans le Povre Jouhan. 82 Elle aurait senti ce que pèsent mes poings (v. le vers 287). Les marchandages houleux entre les poissonnières et leurs clientes furent si communs qu’une ordonnance du 9 août 1700 « fait défenses à toutes marchandes de marées (…) d’exiger des bourgeois ou bourgeoises aucune chose au-delà du prix raisonnable qu’ils offrent volontairement de leurs marchandises, ni de proférer contre eux aucunes injures ou user d’aucune violence ». N. Delamare. 83 Maintenant. Idem vers 179 et 241. 84 C’est le cri des prêcheurs publics qui annoncent l’apocalypse. Dans le cas qui nous occupe, il équivaut à : « 22, voilà les flics ! » En effet, Colechon vient d’apercevoir le « sergent-gardien de la marchandise de poisson de mer » (Delamare). Ce sergent à verge du Châtelet, qui fait régner l’ordre dans les Halles, est ici surnommé « l’Antéchrist ». De fait, les sergents étaient tenus pour des créatures sans foi ni loi : cf. Troys Galans et un Badin, vers 127-130. Un proverbe disait : « Je suis à vous comme le sergent au Diable. » (A. Oudin.) 85 Le sergent-gardien peut faire déplacer tout ce qui gêne le passage, dans les Halles et à l’extérieur ; mais il n’a pas le droit de renverser les baquets de poisson. 86 Ce mécréant jure sur la mort de Dieu, la chair de Dieu, la vertu de Dieu, et, au vers 244, le sang de Dieu. 87 Les produits confisqués aux Halles étaient donnés à cet hospice, ou aux prisons du Châtelet et de la Conciergerie. 88 Rassasiés. L’Antéchrist feint d’avoir agi par charité chrétienne. 89 Un sergent armé d’un bâton de plomb argenté, comme Lucas Sergent, alors que notre sergent à verge est armé d’une baguette. Les victimes de ces redoutables officiers ne rêvaient que de leur taper dessus : « Qui bien bat un sergent à mace,/ Il gaigne cent jours de pardon ! » Les Menus propos. 90 En général, c’est l’homme qui « étrille » la femme, qui lui fait l’amour. « Elle est d’aage que l’on l’estrille. » Le Nouveau marié. 91 Quels coups, sans prévenir ! 92 Ce calembour va de soi, et les poissonnières de Grant Gosier se traitent mutuellement de maquerelles, tout comme celles des Laudes de J. Le Happère. 93 Je reconstitue ce vers manquant d’après les vers 240-241. 94 Dans cette Halle. 95 Si vous avez pris suffisamment de plaisir. 96 Permettez que je m’en aille. 97 À personne. Mais l’antéchrist causera du déplaisir aux âmes des défunts. 98 L’Antéchrist regrette de ne pas s’être réfugié au Vatican, pour se mettre à l’abri de ces diablesses. 99 Que personne ne sache que vous m’avez battu. 100 Qu’il aille. 101 Les poissons que le sergent-gardien à jetés par terre sont mélangés : leurs propriétaires essaient de les reconnaître pour les vendre malgré tout. 102 Sournoise. 103 Que le mal des ardents [l’ergotisme] te brûle ! 104 Éd. : qu’à (J’ai le cœur plus élevé que toi : je suis moins putain.) 105 Elle frappe Hamelot. 106 Éd. : Hamelot 107 Plus publique que les pensionnaires d’un bordel. 108 Alors que j’ai le champ libre, que je suis sûre de vaincre. « On ne sçait quel motif en si beau champ l’arreste. » Diéreville. 109 Tu boirais. 110 Double sens proxénète/poisson. 111 Sont hypothéqués. « Ny habis qui ne soient en gage. » Le Gentil homme et son Page. 112 Qui sont hypothéqués. 113 Tes écheveaux de fil. Mais aussi : Va cuver ton vin. 114 Notre poisson est mélangé, ce n’est pas ma faute. 115 Elles se donnent l’accolade, en tenant un poisson dans chaque main. 116 Que chacun fasse en sorte de venir boire à la taverne ! Ce vin d’honneur offert au public semble avoir été de tradition : cf. le Chauldronnier, vers 194-8. 117 Cette édition des Laudes fut acquise en 1535 par le fils cadet de Christophe Colomb. En 1913, Jean Babelon la publia dans : Mélanges offerts à M. Émile Picot, tome 1, pp. 83-89. 118 Étaient frais il y a 8 jours. 119 La raie de tes fesses pue : « Il y a de marée à Paris tant de fresche que de salée & puante, & des macquereaulx frais & salléz, & de grans rayes & de petites, tant de fresches que puantes, tant que plusieurs s’assiéent dessus. » (Les Rues et églises de Paris.) Le rouget désigne le gland rouge : « J’ay la “ligne” tendue./ Je mesle le rouget avecque la “barbue”./ Je ne prens point la raye –ô puanteur extresme !–/ Ni le bon maquereau, bien qu’un grand monde l’aime./ Je rejecte la “seiche”, et vous la molle “plie” :/ Jamais femme de cueur n’achepte ce poisson ! » L’Allusion du Capitaine Lasphrise. 120 Jeu de mots tenus/teints. 121 Ton vagin, d’où s’écoulent des pertes blanches. « Je luy donnay mon “pistolet”,/ Qu’elle a mis comme relique/ Dans le tronc de sa boutique. » Une Fille de village. 122 Ton vagin. « Nourrices qui n’ont point de laict/ Par deffaulte d’ung gros varlet/ Qui leur fouillast en leur bacquet. » Sermon joyeux des Frappes-culz. 123 Éd. : replicque (Tu n’es pas capable de revendre ton reliquat, c.-à-d. les restes du poisson de la veille.) 124 Maîtresse d’un moine. Une des harengères de Grant Gosier dit à l’autre : « De qui euz-tu ce cotillon ?/ N’a-ce pas esté ung vieulz moyne/ Qui te l’a donné ? » Houlière = débauchée. 125 Rue chaude qui était sise dans l’actuel 3ème arrondissement. « Telle qui le Heuleu & Champ-Gaillard hantoit ;/ Telle qui, pour un rien, à chacun se prestoit. » (Flaminio de Birague.) « La punition des ribaudes à Paris étoit de les mener publiquement, avec la fluste & le bedon, jusqu’à leur asyle du Heuleu. » (Furetière.) 126 Ton cortège d’amants. 127 Périmée. 128 Dague : galante. « Retirez-vous, vieille dague à rouelle !/ Retirez-vous, car vous n’estes plus celle/ Qui jadis sceut aux hommes tant complaire. » Clément Marot. 129 Pouliche. 130 Arquebuse. 131 Exposée au pilori. « On vous pilloria :/ Vous sçavez que chascun cria/ Sur vous pour vostre tromperie. » Farce de Pathelin. 132 Les lépreux t’ont fait l’amour. 133 Depuis. 134 Par ta faute se sont tués. 135 L’hôpital Saint-Jacques-du-Haut-Pas, dans l’actuel 5ème arrondissement, accueillait les déshérités. Méchant = clochard. 136 Rouée : condamnée au supplice de la roue. 137 Éd. : gens 138 Atteinte du mal de Naples. Pouacre : atteint de la gale. Cf. les Rapporteurs, vers 138. 139 Si on t’avait rendu justice. 140 Tu en serais réduite à signaler ton approche en agitant des cliquettes [castagnettes], comme les ladres, les lépreux. 141 Précipitamment. 142 Éd. : ne sont (Par les cheveux, si elles en ont, elles s’attrapent. « Nous veinmes à nous empongner/ À beaulx cheveulx et dépeigner. » Le Pionnier de Seurdre.) L’auteur applique une convention théâtrale : il parle au masculin de ces viragos passablement chauves. Dans les Chambèrières et Débat, deux servantes jouées par des hommes s’arrachent mutuellement la perruque en se bagarrant, et un autre personnage parle d’elles au masculin. 143 Elles ne font pas semblant.