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CUISINE INFERNALE

Bibliothèque nationale de France

Bibliothèque nationale de France

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CUISINE

INFERNALE

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Les diables des Mystères sont anthropophages. Quatre siècles et demi avant la Cuisine cannibale de Roland Topor, Claude Chevalet nous met l’eau à la bouche avec leurs recettes les plus savoureuses.

Source : La Vie de sainct Christofle, élégamment composée en rime françoise et par personnages par maistre Chevalet. Imprimé à Grenoble en 1530. Bibliothèque nationale de France, Rés. Yf. 116. Édition critique de Pierre SERVET : La Vie de sainct Christofle ; Droz, 2006. L’édition Servet comporte 19 920 vers ; la mienne en présente le dixième, soit 1 942 vers répartis en six farces : Cuisine infernale, l’Aveugle et Picolin, les Tyrans au bordeau, L’Andureau et L’Andurée, le Fol et la Folle, les Basteleurs.

Structure : Rimes abab/bcbc, rimes plates.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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Lucifer, enchaîné devant la gueule béante de l’enfer1, ne peut se déplacer. Il passe donc son temps à faire venir près de lui ses diables (voir la Chanson des dyables), pour leur confier des missions grotesques, et pour les faire corriger par leurs rivaux lorsque lesdites missions échouent. Pour l’instant, il appelle Cerbère ; ce dernier revient de la terre, où il a fourré dans son grand sac l’âme de plusieurs pécheurs.

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                        CERBÉRUS                                              SCÈNE  I

        Que te fault, beste abhominable ?

        J’ay logé dedans ton estable

        Une vieille jument2 prebstresse

        Que j’estranglay hier d’ung gros câble,

5      Comme3 le prebstre disoit messe.

        Si ay, pour luy chauffer la fesse,

        Appresté de fin feu grégoys4,

        Pour luy faire fondre la gresse

        Du cropïon autour du joys5.

10    Et ainsi que je revenoys,

        Ung musnier alla à basac6 ;

        Je le griffay7, comme tu voys,

        Et le fourray dedans mon sac.

        Et puis, pour faire du bo[u]ssac8,

15    Deux bigards9, une papelarde.

        Et encor, au fons du bissac,

        Une grosse putain paillarde :

        Il ne fault jà que l’on la larde10,

        Car ell’ est [bien] grosse et espesse.

20    Le rouge fin feu d’Enfer l’arde,

        L’orde puant lo[u]dière yvresse11 !

        Elle a tant fait la « haulce-besse12 »

        Qu’elle en a le ventre pelé.

        La glace fust d’ung pied espesse13

25    Avant qu’ell’ eust le cul gelé !

                        LUCIFER

        Sanglant clabaud14 démuselé,

        Porte-moy le sac et l’espice15

        Au feu, pour estre desgelé16 !

        Car je vueil que tout se rôtisse

30    Pour Proserpine, celle lysse17,

        Et pour sa belle nourriture :

        Car tu sces bien qu’ell’ est nourrisse18.

        Donne-luy cela pour pasture !

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                        CERBÉRUS 19                                           SCÈNE  II

        Empoigne cela sans demeure,

35    Beste serpentine20 cruelle !

        Ce sera une bonne cure

        Pour toy conserver la cervelle.

                        PROSERPINE

        C’est pour mon dé et ma chandelle21

        Que j’auray ces frians morceaulx.

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40    Venez tost, quant je vous appelle,                                SCÈNE  III

        Pour riffler22 trippes et boyaulx !

        Tenez, mes petitz diableteaulx

        Que je tiens et nourris si cher23,

        Esperits faulx24 et desloyaulx :

45    Mengez-moy les otz25 et la chair !

                        MAMMONA

        Nous l’avalerons sans mascher,

        Puis que nous sommes en besoigne26.

        Je n’ay garde de rien lascher,

        Quant je me tiens à la charoigne.

                        ASMODÉUS

50    Je rechigne, je mors, je groigne,

        Quant je me treuve à la pasture ;

        Mais Mammona tousjours me hoigne27

        Quant je vueil faire ma morsure.

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                        FLÉGÉAS,  à tout [une hotte]28.               SCÈNE  IV

        Lucifer, monstre-moy ta hure,

55    Fronce ton horrible museau !

        J’ay prins ung villain plain d’usure29,

        Qui est plus puant q’ung méseau30 ;

        Mais harsoir31, ainsi qu’ung oyseau,

        J’empoignay32 la caille d’ung vol.

60    Je le vous serray comme ung veau,

        De nuyct, et luy tordis le col !

        Si sera mengé, dur ou mol33,

        Qui m’en croyra34, à la moustarde,

        Avec ung marran35 espaignol

65    Qui est aussi dur q’une oustarde36.

        Ou, s’on les rôtist, qu’on les larde

        Du lart de ce paillart gourmant

        Qui mourust avec sa paillarde

        La nuyt passée, en [son] dormant37 !

70    Ou qu’ilz soient, en grief38 tourment,

        Tous par menus morseaulx hachéz,

        Là où ilz vivront en mourant

        Sans jamais estre relâchéz39 !

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                        ASTAROT                                                  SCÈNE  V

        J’en apporte deux, attachéz

75    Ensemble a[vec] une cordelle40 :

        Ung ruffien (que vous le sachez),

        Et une vieille macquerelle

        Qui vendit sa fille pucelle

        À ung milor[t]41, argent content,

80    Contre toute amour naturelle

        Quant la mère vent son enfant.

        Mais Dieu — qui tout péché deffent42

        Permist que la vieille mauldicte,

        Plus venimeuse q’ung serpent,

85    Mourust harsoir de mort subite43.

        Si, conseille qu’elle soit fricte

        — Puisqu’ainsi est qu’ell’ est griffée44

        Et, comme des Cieulx interdicte,

        [Soit] mise à la galimafrée45,

90    Et de tous les diables briffée46

        Dedans nostre noire maison.

        Et le ruffien sera, d’entrée,

        Rousty ainsi comme ung oyson.

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                        BELZÉBUTH                                            SCÈNE  VI

        Lucifer, voicy venoison47

95    Qui ne veult que vin et vinaigre48.

        Je ne sçay s’ell’ est de saison49 :

        C’est ung bigard50 qui est bien maigre.

        Je l’ay empoigné à ce vespre51.

        Si luy fault faire sa raison52,

100  Puisqu’on le tient, le maistre prebstre :

        Car il est pire que poison,

        Pour chanter « Kiriélèyson53 »

        Sur le cul de quelque truande,

        Fust54 Gu[i]llemette ou Alyson.

105  Il ne demandoit55 autre offrande,

        Et disoit nocturne56 et légende

        Tousjours en « parchemyn velu57 »,

        Et tenoit la beste en commande58

        En sa maison, le goguelu59 !

110  De chanter estoit résolu60

        Sur la plume61, soubz les courtines,

        Voyre sur le « livre fendu62 »,

        En lieu de cloches les tétines,

        Dont il sonnoit souvent matines

115  Quant il estoit à son privé63.

        Fussent commères64 ou cousines,

        Tout estoit coigné et rivé !

        Là, despendoit à cul levé65

        Les biens de Dieu et sa prébende.

120  Si le fault[-il] mettre au civé,

        Ainsi que veneyson demande66.

                        LUCIFFER

        Allez, paillars ! Que l’on le pende

        En la grant roue circulaire

        De rouge feu67, chaulde et friande68 !

125  Et luy baillez là ung « clistère69 » !

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                        BÉLIAL                                                      SCÈNE  VII

        Voicy l’âme d’ung faulx notaire70,

        Rongeur de la Court des excès71,

        Qui scet bien ung seing72 contrefaire

        Et falsifier ung procès73.

130  Il avoit plain sac de procèz74,

        Dont il prenoit à toutes mains75.

        Mais harsoir, d’ung soudain décèz,

        Il se laissa choir en mes mains.

        Il a commis cas inhumains

135  Plus que Judas Ascarïot76 !

        Mais je l’ay serré par les rains

        Et amené sans charïot77.

                        LUCIFER

        Allez-moy acoup78 ce magot

        Par menus morceaux découpper !

140  Et m’en apportez ung gigot

        Farcy de beaux aux79, pour soupper !

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Appartenant somme toute au genre femelle, Proserpine s’occupe de la cuisine ; Lucifer, qui est pourtant un fin gourmet, le lui reproche parfois : « Sortiras-tu de la cuysine, / Crapaude ? » Proserpine fait un usage très personnel de sa poêle, comme elle va le démontrer sur le pauvre Satan.

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                        LUCIFFER                                                 SCÈNE  VIII

        Apporte, faulce80 Proserpine,

        La grant poyle de la cuysine,

        Toute rouge81, friande et chaulde !

145  Despêche-toy, acoup, crapaulde !

        Et que nul de vous ne reculle !

        Prenez Sathan ! Qu’on le baculle82

        Acoup, desloyaulx esperitz !

        Que tous puissez estre péritz,

150  Car l’on vous en deust autant faire !

                        CERBÉRUS

        Sathan, ce sera ton sallaire

        Pour ton dé et pour ta chandelle.

                        PROSERPINE

        Tenez ! Empoignez ceste poyle,

        Et luy faictes son petit pain83 !

155  Car c’est ung faulx84 filz de putain :

        J’ay grant joye qu’il soit batu.

                        ASTAROT

        Empoigne delà85 ! M’entens-tu,

        Cerbérus, et toy, Bélïal ?

        Et je jouray, ce86 férïal,

160  De ceste « poyle87 » sur ses fesses.

                        FLÉGÉAS

        Tien ferme, car si tu le laisse[s],

        Tu seras bo[u]tté88 en sa place !

                        BELZÉBUTH

        Tu as beau faire la grimace89,

        Car il te fault par là passer.

                        ASTAROT

165  Tenez bien ! Je voys90 commencer,

        Et compteray sans rien rabatre :

        Ampreux91 ! Et deux ! Et troys ! Et quatre !

        Cinq ! Six ! Sept ! Est-ce point assez ?

                        SATHAN

        A ! traistres !

                        LUCIFFER

                              Sus, recommencez !

170  Et vous gardez bien qu’il n’eschappe !

                        PROSERPINE

        Tenez ferme, que je le frappe,

        Le sanglant yvroigne gourmant !

        Tien, voylà pour ton payement !

        À ce coup, je m’en vengeray.

                        SATHAN

175  Traistres, je vous estrangleray !

        Et deust Luciffer enrager92,

        J’en auray ung93 pour me venger,

        Et le mengeray d’ung morceau !

                        BÉLIAL

        Fuyons tous devant ce pourceau,

180  Car je cuyde qu’il est en ruyt94 !

        S’il entre, il fera beau bruyt !

        En Enfer, si, se fault retraire95.

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L’âme de deux prostituées vient d’échapper à nos diables. Ces faux jetons accusent Satan d’être responsable du gâchis.

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                        LUCIFFER                                                SCÈNE  IX

        Usez-vous bien de voz praticques,

        D’avoir laissé hors noz lÿens

185  Aller ces putains malléficques

        Qui n’avoient esbat que des reins ?96

                        FLÉGÉAS

        Si l’on a perdu ces putains,

        Sathan en est cause du faict,

        Qui nous a donné ung banquet,

190  Au relever97 de Proserpine,

        D’ung mès à la saulce Robert98

        Sur ung moyne de grace myne99.

                        CERBÉRUS

        Mais à la saulce cameline100

        En fust la pluspart acoustrée101 ;

195  Et de s[es] piedz, à la dodine102,

        Nous en fîmes belle levée103.

                        BÉLIAL

        « Le saupicquet104, la gratonnée,

        Le haricot105, la sallemine106… »

        De trippes frictes, à l’entrée

200  Mengeasmes, avec pouldre fine107.

                        ASTAROT

        Nous n’avallasmes pas chopine108,

        Mais du meilleur à grans plains potz,

        Qui a tant faict prendre repos109

        À Sathan, ce meschant yvroigne,

205  Lequel tousjours contre nous hoigne110

        Quant nous parlons à Proserpine.

                        BELZÉBUTH

        Nous gardasmes tant la cuysine

        Que fusmes ensaincts d’esthomac111.

        Tous noz potz en sont à basac112.

210  Mais si toy, grant prince des chiens113,

        Fusses [du convive]114, je tiens

        Que nous eussions maint boyau vuyde115 !

                        SATHAN

        Nous pense-tu tenir la bride,

        Vieulx mastin116, contrefaict dragon ?

215  Si nous portons la venaison

        Pour fournir le gouffre infernal,

        Je veulx — estant117 le principal —

        Avoir118 la première lippée.

                        LUCIFFER

        Harou, teste démuselée !

220  Me veulx-tu du Règne119 expulser ?

                        SATHAN

        Te fault-il tant braire et prescher

        Pour la perte de deux putains ?

        S’ilz ont esté souvent à « Rains120 »,

        Elles veullent ores121 repos.

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1 Pierre Servet explique (note 5983) : « Lucifer attend les diables sur la scène, hors de l’enfer. On peut penser que ceux-ci vont sortir de la gueule d’enfer pour se placer ‟devant”, c’est-à-dire sur l’espace scénique situé devant les structures fixes du décor. »   2 Une femme qui se laisse chevaucher par n’importe qui ; cf. Légier d’Argent, vers 217.  Une prêtresse est la concubine d’un prêtre ; cf. les Chambèrières et Débat, vers 229, 369 et 373.   3 Pendant que.   4 J’ai préparé du feu grégeois. Ce mélange est si corrosif qu’on l’utilise comme bombe incendiaire.   5 Du sexe. « Aussi chault comme feu grégoys,/ Pour t’ardre [te brûler] le trou et le joys. » L’Andureau et L’Andurée.   6 Mourut. « Maladye/ Qui te puisse mettre à basac. » (Digeste Vieille.) Les meuniers commettent tant d’exactions qu’ils sont damnés. La farce du Munyer montre un diable qui recueille dans son sac l’âme d’un meunier pour l’apporter à Lucifer.   7 Je l’agrippai. Idem vers 87.   8 Préparation contenant des épices et du verjus <note 98>.   9 Voici deux bigots, deux hypocrites qui se font passer pour dévots. Idem vers 97. « Bigars et ypocrites. » (ATILF.)  La papelarde est leur version féminine.   10 Il n’est pas nécessaire de la barder avec du lard pour la faire rôtir.   11 La brûle, cette sale pute alcoolique.   12 La hausse-baisse : le va-et-vient du coït.   13 Elle a tellement le feu au cul qu’il faudrait qu’elle s’assoie sur de la glace de 32 cm d’épaisseur…   14 Maudit aboyeur. Les Grecs représentaient Cerbère en chien à trois têtes : voir la note 113.  Démuselé = sans muselière ; idem vers 219.   15 Et son précieux contenu.   16 Déglacé, dégraissé.   17 Cette lice, cette chienne.   18 Qu’elle est enceinte : elle a donc besoin de manger pour deux, elle qui mange déjà comme quatre.   19 Il donne son sac à Proserpine, qui vient d’entrer. Le comédien qui la joue est affublé d’un énorme ventre.   20 Depuis la tentation d’Ève, le serpent est l’animal diabolique par excellence. Proserpine lui est souvent comparée, malgré son abondant système pileux : « Faulce lisse [sournoise chienne],/ Beste hideuse, serpentine. » St Christofle.   21 Pour mes menus plaisirs. Idem vers 152. Cf. l’Aveugle et Picolin, vers 143. Proserpine n’aime que la viande baptisée : « Mais d’ung chrestïen, d’ung ermite,/ Ce seroit viande appétissant…./ Car cela seroit venayson/ Que j’aymerois plus cher que cresme [sperme]. » St Christofle.   22 Bâfrer. Proserpine appelle ses charmants bambins, Mammon et Asmodée, pour qu’ils viennent s’empiffrer. Les deux diablotins sont emmaillotés de langes, et coiffés d’un béguin d’où dépassent leurs cornes ; ils se frappent mutuellement avec un hochet.   23 Tenir cher = chérir. « Estes-vous cy, ma chier tenue ? » St Christofle.   24 Sournois. Idem vers 126, 142 et 155. Un peu plus tôt, ces deux trompeurs se faisaient passer pour les pages de Satan.   25 Mangez ces os. Proserpine tend le sac de Cerbère à ses rejetons, qui s’en disputent violemment le contenu.   26 Maintenant que nous sommes à l’ouvrage.   27 Grogne contre moi. Idem vers 205.   28 Éd : ung mõstre  (Anticipation du vers suivant.)  Avec une hotte sur le dos, pour emporter les âmes damnées. « S’enporteray ceste curie/ D’âmes dampnées en ceste hotte,/ Affin que Lucifer, mon hoste,/ Les festoie de grants tourmens. » Mistère de saint Adrien.   29 Les usuriers ne sont pas damnés pour des raisons morales, mais parce qu’ils spéculent sur le temps, qui n’appartient qu’à Dieu.   30 Qu’un lépreux.   31 Hier soir. Idem vers 85 et 132.   32 Éd : Empoigne  (Tel un oiseau de proie, je pris cette « caille » en plein vol. « Car qui n’entent le jobelin/ N’a garde de prendre la caille. » Les Tyrans au bordeau.)   33 Bon an, mal an. Mais Phlégias prend cette expression au premier degré : qu’il soit dur ou qu’il soit tendre.   34 Si l’on m’en croit.   35 Un marrane est un juif d’Espagne qui fait semblant de se convertir au catholicisme pour ne pas être expulsé.   36 L’outarde est un échassier.   37 Pendant son sommeil, donc sans avoir reçu l’absolution. « La nuit passée, en mon dormant. » (Les Sotz escornéz.) La mort en état de péché mortel est encore évoquée aux vers 85 et 132.   38 Grave, pénible.   39 Sans connaître de relâche, de répit.   40 En des temps plus anciens, les adultères, attachés l’un à l’autre par le sexe, devaient traverser la ville entièrement nus.   41 À un milord, un richard. Cf. Digeste Vieille, vers 274. « Sa mère mesmes la vendra. » Éloy d’Amerval.   42 Défend, interdit. Astaroth prêche la morale chrétienne, sans laquelle l’enfer n’aurait aucune raison d’être. De la même façon, Dieu n’est rien sans les diables : c’est eux qui font régner la justice divine en punissant les pécheurs. Le camp du Bien et le camp du Mal collaborent pour défendre leurs intérêts communs ; dans le Mystère de sainte Agathe, deux anges vont chercher les diables aux enfers pour qu’ils châtient des hommes qui ont « grandement mespris envers Dieu », que Satan s’empresse d’aller venger : « G’y feray tel dilligence/ Qu’ilz reconnoistront bien l’offence ! » L’ambiguïté du discours diabolique s’affiche tout au long du Livre de la deablerie, d’Éloy d’Amerval, où Lucifer et Satan combattent verbalement l’immoralité comme de vieux théologiens.   43 Donc, sans confession <note 37>.   44 Puisqu’elle est entre mes griffes.   45 Cuisinée en fricassée <note 98>.   46 Bouffée.   47 De la venaison, du gibier humain. Idem vers 121 et 215.   48 Ce gibier sera préparé en civet (vers 120) avec du vin rouge, et les épices seront délayées « de verjus et de vin aigre », comme le préconise la recette du « civé de lièvres » de Taillevent.   49 Si elle est opportune.   50 Un bigot <note 9>.   51 Ce soir.   52 Aussi, il faut lui régler son compte. « On leur fera leur raison. » Digeste Vieille.   53 Kyrie eleison. Voir la note 41 du Clerc qui fut refusé.   54 Que ce soit.  Les peu farouches Guillemette et Alison sont deux des Femmes qui aprennent à parler latin.   55 Éd : demãde   56 L’office de nuit. La légende est le récit de la vie d’un saint.   57 Sur le pubis de sa maîtresse. Cf. les Tyrans au bordeau, vers 519-520.   58 La commende est un bénéfice ecclésiastique, tel celui que s’est arrogé l’abbé de Plate Bource dans le Jeu du Prince des Sotz : « Je vueil bien que chascun entende/ Que tiens [l’abbaye de] la Courtille en commande. »   59 Ce godelureau. Cf. la farce de Goguelu, F 45.   60 Il était résolu à dire la messe. « Ton père chante la grant-messe. » Les Miraculés.   61 Sur le lit. Cf. L’Andureau et L’Andurée, vers 449.   62 Sur la fente de sa maîtresse. « Ma belle, à ce concert, gentille,/ Ouvrit son livre allaigrement. » Ung jour que j’accollois m’amie.   63 Chez lui.   64 Que ce soient ses voisines.  Cogner et river = coïter.   65 Il dépensait à coups de cul. « Ces bonnes femmes (…) ont joué du serre-cropière à cul levé à tous venans. » Pantagruel, 17.   66 Aussi, il faut le préparer en civet <note 98>, comme ce gibier l’exige.   67 La mythologie chrétienne ne s’est pas contentée de transformer les faunes et les satyres en diables ; elle a également recyclé Proserpine (l’épouse de Pluton, auquel Lucifer doit beaucoup), Phlégias, Cerbère et quelques autres. Quant à la présente roue enflammée, elle n’est autre que celle du supplice d’Ixion dans les Enfers grecs.   68 Adjectif formé sur le verbe frire. Nous avons à peu près le même vers à 144. « Et luy allez bailler/ Ung clistère chault et friant ! » St Christofle.   69 P. Servet voit là une « allusion à l’empalement ». Mais on pourrait y voir une allusion à la sodomie, comme aux vers 179-180. Sur l’intérêt que Claude Chevalet porte à cette pratique, voir la note 244 des Tyrans au bordeau.   70 D’un officier de justice véreux. En tant que procureur et avocat des Enfers, Bélial fréquente le milieu juridique, où un démon a fort à faire.   71 Cette cour tentait de mettre bon ordre aux excès commis par les clercs. « Son procès/ Plaidoit à la Court des excès./ Et après son tort [sa condamnation], pour refuge,/ Alla monstrer son cul au juge. » La Grant malice des femmes.   72 Une signature, un sceau.   73 Un procès-verbal.   74 Éd : faulcez  (« On appelle sac de procèz un sac où l’on met les pièces d’un procèz. » Dict. de l’Académie françoise.)  L’éditeur a voulu éviter ce qu’il prenait pour une rime du même au même, alors que les deux sens sont différents.   75 De tous les côtés. « Je prens argent à toutes mains. » Le Retraict.   76 Judas Iscariote.   77 Sans recourir à un corbillard : en le portant dans mon sac.   78 Tout à coup ; idem vers 145 et 148.  Un magot est un singe : cf. les Tyrans au bordeau, vers 73.   79 Truffé d’ail.   80 Sournoise <note 24>.   81 Chauffée au rouge.  Friante = bouillante <note 68>.   82 Qu’on lui frappe sur le cul. « Baculer/ Et frapper culs. » Sermon joyeux des Frappe-culs.   83 Faites-lui du tort. « Pour leur faire leur petit pain. » St Christofle.   84 Sournois <note 24>.   85 Tiens-le par là !   86 Éd : du  (En ce jour de fête.)   87 On prononçait pelle. Chevalet transporte à la cuisine l’expression « frapper la pelle au cul » : flanquer une fessée. « Et luy frappa au cul la pelle. » François Villon.   88 Tu seras mis à sa place. Chevalet ne dit jamais « botter les fesses », mais « écorcher d’un patin » (les Basteleurs, vers 197).   89 Satan, tu fais inutilement la grimace.   90 Je vais. Astaroth empoigne la poêle que Proserpine lui tend obligeamment.   91 Et un ! Le même décompte accompagne des bastonnades aux vers 787-791 de l’Aveugle et Saudret, aux vers 226-237 de la Veuve, etc.   92 Et même si Lucifer devait enrager encore plus que d’habitude.   93 J’attraperai l’un d’entre vous. Satan échappe à l’étreinte de ses tortionnaires, et se met à les poursuivre tout autour de Lucifer.   94 En rut : il risque de nous sodomiser. Voir la note 69.   95 Nous devons nous réfugier dans les enfers. Jusque-là, les diables étaient à l’extérieur, auprès de Lucifer ; voir la note 1. Ils sautent donc dans leur terrier, et abandonnent au « rut » de Satan leur chef enchaîné.   96 Il semble manquer un vers en -ains, et un autre en -et.   97 Une accouchée reprenait sa vie ordinaire et sa vie paroissiale après le « banquet de relevailles ». Proserpine, qui était enceinte au vers 32, a donc pondu un nouveau diablotin, dont on ne connaîtra jamais le père.   98 Un mets en sauce épicée ; voir la note 214 du Capitaine Mal-en-point. La rime est faible parce que Chevalet emprunte ce passage culinaire à la Condamnacion de Bancquet (publiée en 1507), qu’on attribue au poète Nicole de la Chesnaye : « –Voz saulces sont-elles bien faictes,/ Escuyer ? –Ma dame honnorée,/ Veez-en cy de trop plus parfaictes/ Que cyvé ne galimaffrée./ Tout premier vous sera donnée/ Saulse Robert et cameline,/ Le saupiquet, la crétonnée,/ Le haricot, la salemine (…),/ Boussac montée avec dodine. »   99 De grasse apparence.   100 Sauce à la cannelle et au gingembre <note 98>.   101 La plus grande partie de son corps fut accommodée.   102 Sauce à l’oignon et au pain grillé <n. 98>.   103 Nous en avons prélevé une belle tranche. D’habitude, le vorace Cerbère n’attend pas que la sauce soit prête et que la viande soit cuite : « Et Cerbérus, ce faulx mâtin [ce perfide chien],/ A mengé le rost en la broche. » St Christofle.   104 La sauce piquante. La crétonnée est à base de grattons de porc. Chevalet recopia ces deux vers dans la Condamnacion de Bancquet : voir ma note 98.   105 Ragoût composé de morceaux de viande harigotés, c.-à-d. coupés en morceaux <n. 98>.   106 Éd : sallequine  (Voir Marthe PAQUANT : Réforme, Humanisme, Renaissance, 2007, nº 65, p.190.)  Plat composé de divers poissons <n. 98>.   107 Mélange d’épices réduites en poudre. Mais dans le Mystère des trois Doms, auquel avait collaboré Claude Chevalet, Pouldrefine est la « putain du bourreau » ; voyant un homme éventré, elle s’écrie telle une diablesse cannibale : « Ha ! quels boyaux à composer andouilles ! » Et devant un autre supplicié : « Bon seroyt pour le mettre au jus. » Quelques spectateurs devaient s’en souvenir, car les Trois Doms furent créés en 1509 à Romans-sur-Isère, et St Christofle en 1527 à Grenoble, non loin de Romans. Notons que dans ce mystère, Proserpine apportait déjà la preuve de ses talents culinaires : voir la note 173 des Trois amoureux de la croix.   108 Une petite chope de vin.   109 Somnoler.   110 Grogne.   111 Nous sommes restés à table si longtemps que notre estomac gonfla.   112 Sont vides. « Voylà nostre bourse à basac. » St Christofle.   113 Ailleurs, ce titre désigne Cerbère : « Toy, Cerbérus, prince des chiens. » Or, le portier des Enfers était présent au banquet de relevailles, comme il le confirme aux vers 193-6. Le seul qui ne pouvait y être à cause de ses chaînes, c’est ce goinfre de Lucifer, qui est donc ici visé ; on le traite d’ailleurs de chien quatre vers plus bas.   114 Éd : de conuoyes  (Lucifer, si tu avais été de ce banquet, glouton comme tu l’es. « Je ne semons [n’invite] en mon convive/ Que tous bons rustres avoyés. » Bon Temps.)   115 Que nous aurions le ventre vide. « Je n’ay mangé que tout à point ;/ Encor y a-il ung boyau vuyde. » La Condamnacion de Bancquet.   116 Un mâtin est un gros chien. Les révoltes contre Lucifer sont fréquentes mais brèves.   117 Éd : estre  (Satan est le diable principal, après Lucifer — dont il est le lieutenant, et qu’il voudrait bien évincer.)   118 Éd : Dauoir  (Je veux en avoir la première bouchée.)   119 Du royaume infernal.   120 Si elles ont été souvent à Reims. Calembour sur les reins du vers 186. Cf. L’Andureau et L’Andurée, vers 467.   121 Désormais.

L’AVEUGLE ET PICOLIN

Bibliothèque nationale de France

Bibliothèque nationale de France

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*

L’AVEUGLE

ET  PICOLIN

*

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Dans sa Vie de sainct Christofle (~1510-1514), Claude Chevalet nous donne en exemple un clochard aveugle et son valet, qui profitent de la naïveté des chrétiens. Ce duo comique intervient dans beaucoup de farces et de mystères : voir la notice de l’Aveugle, son Varlet et une Tripière.

Source : La Vie de sainct Christofle, élégamment composée en rime françoise et par personnages par maistre Chevalet. Imprimé à Grenoble en 1530. Bibliothèque nationale de France, Rés. Yf. 116. Édition critique de Pierre SERVET : La Vie de sainct Christofle ; Droz, 2006.

Structure : Rimes plates, avec 2 triolets.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

*

Deux mendiants — un vieil aveugle et son valet — sont assis par terre, dans la rue. L’aveugle porte une vielle en bandoulière ; Picolin boit à une énorme bouteille, puis il la repose discrètement près de son maître.

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                        PICOLIN                                                   SCÈNE  I

        Nous deussions bien amasser mousse1 :

        On ne bouge plus d’une place.

                        L’AVEUGLE

        Que diable veulx-tu que je face ?

        Tous les jours courons par ces portes2,

5      Mais les aulmosnes sont si courtes

        Que vers nous ne peuvent venir.

                        PICOLIN

        Vous voulez-vous icy tenir

        Pour les avoir ? On les vous forge3 !

        Ne faictes que bailler la gorge4 :

10    Vous aurez vostre compte rond

        Pour avaller…

                        L’AVEUGLE

                             Quoy ?

                        PICOLIN

                                       Ung estront,

        Affin que bien vous le sachez !

        Car (par Dieu !) si vous ne marchez,

        Je ne sçay plus de quel boys tordre5.

                        L’AVEUGLE

15    Et ! comment ? N’avons-nous que mordre

        Ne que boyre en la bouteille ?

        Ce seroit une grant merveille

        Qu’elle fust vuyde, somme toute !

                        PICOLIN

        Il n’en y6 a pas une goutte :

20    Soyez seur qu’ell’ est despêchée.

                        L’AVEUGLE

        Ta gorge l’a ainsi séchée ;

        Elle porte ung mauvais vent.

                        PYCOLIN

        Ou vous la baisez7 trop souvent,

        Dont nous vient celle sécheresse.

25    Cuydez-vous que le vin y croisse,

        De tousjours oster et rien mettre ?

                        L’AVEUGLE

        C’est trop hault parlé à son maistre !

        Pour te déclairer la teneur8,

        Tu ne me porte point d’honneur,

30    Puisqu’il convient que je le die.

                        PICOLIN

        Et quel honneur (maulgré ma vie !)

        Voulez-vous donc que je vous face ?

        Je vous ay servy long espace9 ;

        Et si, n’ay ne denier ne maille10.

                        L’AVEUGLE

35    Je n’ay rien que je ne te baille,

        Soit ou andoulle11 ou jambon.

        Et qui nous donne rien de bon12,

        Tu en as le premier lopin.

                        PICOLIN

        Le premier ? Non ay, par Jupin !

40    Le premier n’a garde de choir :

        Vous le prenez sur mon trenchoir13

        Aulcuneffoys, par souspeçon14.

                        L’AVEUGLE

        Tu es cault15 — j’entens bien le son —,

        Et prens du meilleur qu’on me baille.

45    Mais allons avant, ne te chaille,

        Pour sçavoir s’on nous donra rien16.

                        PICOLIN

        A ! par Dieu, je vous entens bien !

        Vous ne demandez que desbat17.

                        L’AVEUGLE

        Je ne le dis que pour esbat18,

50    Puisque la matière est ouverte19.

        Mais tu as la teste si verte20

        Et si creuse que c’est pitié !

                        PICOLIN

        Vous l’avez pire la moytié,

        Et l’aurez tant que vous vivrez.

55    Despêchez-vous et me suyvez,

        Ou (par Dieu) je vous laisseray.

                        L’AVEUGLE

        Allons ! Car je ne cesseray

        De faire sonner ma vïelle21

        Tant que j[’en] aye ou pied ou hèle22

60    — Dont tu auras tousjours ta part.

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                        PICOLIN                                                    SCÈNE  II

        Si vostre vï[e]lle fust preste,

        Nous eussions escus à milliers :

        Ne voyez-vous ces chevaliers ?

        Allez leur dire23 une note !

                        L’AVEUGLE

65    Comment dea, « voyr » ? Je n’y voy goutte

        Autant du cul que de la teste24 !

        Mais encores es-tu plus beste

        De me dire que je le[s] voye.

                        PICOLIN

        Disons quelque chançon qu’on oye,

70    Affin que nous ayons argent.

                        L’AVEUGLE

        « Donnez au pouvre indigent

        (Mes beaulx seigneurs) qui ne voit rien,

        Une maille ! »

                        PICOLIN

                               [Ung] estront de chien !

        Demandez plus grosse monnoye !

75    Et parlez hault — qu’on ne vous oye25 —,

        Sans demander denier ne maille26 !

                        L’AVEUGLE

        Et ! cuyde-tu bien qu’on nous baille

        Escus ?

                        PICOLIN

                    Et pourquoy non, beau sire ?

        Il n’en griève non plus à dire

80    « Ung ducat » qu’il fait « ung denier »27.

                        L’AVEUGLE

        Dea ! si tu estois aulmonyer,

        Je ne te cognois point si large

        Qu’on eust de toy escu ne targe28 :

        Tu es trop rouge à la taille29.

                        PICOLIN

85    Et s’il advient qu(e) escus on baille,

        Maistre, les reffuserez-vous ?

                        L’AVEUGLE

        Ce n’est pas monnoye pour nous,

        Si tu entens le jobelin30.

                        PICOLIN

        « En l’honneur du dieu Apolin,

90    Et d’Herculès le fort géant,

        Donnez au pouvre non-voyant

        — Qui a perdu le luminaire31

        À la taverne pour trop boyre —

        De voz ducatz une douzaine ! »

                        L’AVEUGLE

95    Mais ta forte fièbvre quartayne !

        Tu me porte bien peu d’honneur !

        Dy que je suis ung grant seigneur

        Adveuglé par [la] tyrannye32

        Des Turcs au siège d’Albanye :

100  Tu les en debvrois advertir.

                        PICOLIN

        Que gaignerois-je de mentir ?

        « Le vin l’a faict33, sans contredire !! »

                        L’AVEUGLE

        Vérité n’est pas belle à dire

        Tousjours : il y a temps et lieu.

*

Les deux païens ont la chance de tomber sur des nouveaux chrétiens que leur conversion a rendus gâteux. Tous les quatre donnent leur bourse au mécréant Picolin.

.

                        LE  CONTE                                              SCÈNE  III

105  Tien, mon amy : prens cest[e] aulmosne !

                        GRACIEN

        Et moy cela, que je te donne

        En l’honneur de Jésus, mon maistre.

                        FLORIDÈS

        Prens cela ! Pense de le mettre

        En ton sac, pour te secourir.

                        BROADAS

110  Jésuchrist, qui voulut mourir34,

        Veulle [ceste aumosne]35 en gré prendre !

                        L’AVEUGLE

        Juppiter le vous veulle rendre,

        Et Vénus, la belle déesse !36

.

        Je croy qu’il y a grant richesse ? SCÈNE IV

115  Regarde comme cecy poyse37 ;

        Et affin qu’il n’y ai[t d]e noyse,

        Ne me cache rien, somme toute.

                        PICOLIN

        Jamais vous ne fustes sans doubte38

        De moy et de voz compaignons.

120  Ce sont sachèz d’aulx39 et d’oignons

        Qu’on vous a donné[z] pour bien boyre.

                        L’AVEUGLE

        Le me cuyde-tu faire acroire ?

        Encor n’a[s-]tu pas prou vescu40 !

        Je cognoistray mieulx ung escu

125  Que tu ne feras ung patas41.

                        PICOLIN

        Comment se fait cela ?

                        L’AVEUGLE

                                           Au tas[t]42.

        Car, combien que rien je n’y voye,

        Je cognois la bonne monnoye

        Comme le43 lièvre les brachetz.

130  Pour tant44, baille-moy ces sachetz,

        Car je vueil garder le butin.

                        PICOLIN

        Vous ne demandez que hutin45

        Et noyse ! Pour vous advertir,

        Si nous convient noz biens partir46,

135  Puisque n’avez en moy fiance.

                        L’AVEUGLE

        Dea ! n’emporte point la finance !

        As-tu entendu, mon varlet ?

        Car si je te prens au collet,

        Tu auras de moy la secousse47 !

140  Où es-tu, dis ? Hau48 !

                        PICOLIN

                                            En Escosse !

        Attendez-moy jusqu’à demain,

        Car voicy ma dernière main49

        Pour mon dé et pour ma chandelle50.

                        L’AVEUGLE

        Approuche-toy, quant on t’appelle !

145  Me veulx-tu laisser tout seullet ?

                        PICOLIN

        Tu as dit vray, Jehan de Nyvelle ! 51

                        L’AVEUGLE

        Approuche-toy, quant on t’apelle !

                        PICOLIN

        Par noz dieux ! il a la cervelle

        Plus estourdie q’ung mullet.

                        L’AVEUGLE

150  Approuche-toy, quant on t’appelle !

        Me veulx-tu laisser tout seullet ?

                        PICOLIN

        À Dieu, maistre !

                        L’AVEUGLE

                                   Hé, mon varlet !

        Approuche-toy, et n’aye doubte52.

        Tu scez bien que je n’y voy goutte

155  Nen plus53 q’une vielle lanterne.

        Va me mener à la taverne :

        Et là, nous burons ung tatin54,

        Et partirons55 nostre butin

        Ainsi que je deviseray56.

                        PICOLIN

160  Vous partirez ? Je choisiray !

        Avez-vous ouÿ la teneur57 ?

        Car à vous [n’]appartient l’honneur58 ;

        La coustume [n’]est tousjours telle59.

                        L’AVEUGLE

        Tu ne le dis que par cautelle60

165  Et pour me tromper, j’en suis seur.

                        PICOLIN

        Comment ? M’appellez-vous « trompeur » ?

        C’est pour recommencer la noyse !

                        L’AVEUGLE

        Laissons cela, et que l’on voyse61

        À la taverne, je le veulx !

170  Et là, nous despendrons62 tous deux

        Tous les biens qu’on nous a donnéz.

*

Deux prostituées, que nous avons découvertes dans les Tyrans au bordeau, reversent aux mendiants une partie de l’argent qu’elles ont gagné à la sueur de leur… front.

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                        NYCETTE                                                  SCÈNE  V

        Il nous63 fauldroit donner, m’amye,

        L’aulmosne à ces [deux] pouvres gens.

                        AQUELINE

        C’est bien dit, car telz indigens

175  Ne sçavent de quoy desjuner.

                        NYCETTE

        Tien, mon amy ! C’est pour disner.

        Prie pour moy qui le te donne.

                        L’AVEUGLE

        Grant mercy !64

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                                 Juppin, quelle aulmosne !                   SCÈNE  VI

                        PICOLIN

        Mais qu’elle [soit] monnoye exquise65,

180  Elle doit bien estre de mise66,

        Puisqu’elle vient de telle main.

                        L’AVEUGLE

        Ma foy ! j’en vueil faire demain

        Ung brevet67 pour guérir des fièbvres.

                        PICOLIN

        Morbieu ! il feroit sallir68 chièvres

185  Avant qu’ilz69 eussent queue levée.

                        L’AVEUGLE

        Allons ail[l]eurs faire levée70,

        Et jouerons de tricherie.

*

Le bourreau Morgalant et son valet Pascalet <voir L’Andureau et L’Andurée, vers 50-379> ont besoin d’aide pour charger une meule de moulin sur une claie tirée par deux chevaux. Ils aperçoivent les mendiants, au loin.

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                        PASQUALET                                             SCÈNE  VII

        Çà, villain[s] ! Venez sans targer71

        — Avant que je vous aille querre

190  Tous deux — pour charger ceste pierre !

        Acoup ! Et soyez diligens !

                        L’AVEUGLE

        A ! mon varlet, qui sont ces gens ?

        J’ay paour que ce soient gens d’armes.

        S’ilz nous preignent, ce sont les termes

195  De nous endosser de beau boys72 !

                        PYCOLIN,  varlet de l’Aveugle.

        Ce sont deux sergens (je les voys73)

        Qui ont deux chevaulx, et la traŷne74

        Dont au gibet souvent on meyne

        Les larons. Av’ous entendu ?

                        MORGALANT

200  Vien çà ! Que tu soye pendu !

        Me feras-tu mèshuy attendre ?

                        L’AVEUGLE

        Hélas, nous veult-on mener pendre ?

        Fuyons-nous-en, comment qu’il aille75 !

                        PASQUALET

        Qu’en despit de la villennaille76 !

205  Vous fault-il tant de foys requerre77 ?

        Venez, ou je vous iray querre,

        Et tous deux prendray78 au collet !

                        PYCOLIN

        C’est le bourreau et son varlet,

        Mon maistre. Nous sommes perdus !

210  S’il nous prent, nous serons pendus,

        Tant seullement pour la despoulle79.

                        L’AVEUGLE

        Je vouldrois estre en la Poulle80,

        Ou en mer, puis avoir bon vent !

                        MORGALANT

        Avant, de par le Diable, avant,

215  Vostre seigneur et vostre maistre81 !

        Et nous venez ayder à mettre

        Ceste meulle sur ceste traŷne,

        À celle fin que l’on la meyne

        Au Roy, qui nous attent sans doubte82.

                        L’AVEUGLE

220  Hélas, Monsieur : je n’y voy goutte.

        Laissez-moy, en l’honneur des dieux !

                        PASQUALET

        Tu ne m(e) ayderas pas des yeulx83.

        As-tu entendu, mon mignon ?

        Prens delà, et ton compaignon !

225  Aultrement, il y aura noyse.

                        PYCOLIN

        Ventre sainct Gris84, comme elle poise !

        Je me suis quasi rompu l’anche85.

                        MORGALANT

        Prenons chescum une gazanche86,

        Et la bouterons en coulant87.

                        PASQUALET

230  C’est bien dict. Boutte, Morgalant,

        Par cy, et chescum t’aydera.

        Tenez, elle m’eschappera !

        Que maulgré en ait Barratron88 !

                        MORGALANT

        Vous ne valez pas ung estron !

235  Soustenez bien, et ne vous chaille !

        Et ! voylà89 bien, vaille que vaille.

        Mais j’ay cy rompu une veyne.

                        L’AVEUGLE

        Or nous donnez, pour nostre peine,

        Quelque chose en payement !

                        PASQUALET

240  Vous serez payé gayement

        De la monnoye que je porte90 :

        Tenez, tenez ! Voicy la sorte

        Dont on paye telle canaille !

                        L’AVEUGLE

        Pour Dieu, que plus on ne m’en baille !

245  Je vous quitte tout91, de ce pas !

                        PASCALET

        Par noz dieux ! ne l’espargne92 pas :

        Tout est à ton commandement93.

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                        L’AVEUGLE                                             SCÈNE  VIII

        Voylà « payé » trop lourdement !

        Nous avons esté bien batus.

                        PYCOLIN

250  Voyre ? [Mais] vous94, par mon serment !

                        L’AVEUGLE

        Voylà « payé » trop lourdement !

        Et toy ?

                        PYCOLIN

                    Je [m’en fuis]95 vaillamment,

        Aussi hardiment comme Artus96.

                        L’AVEUGLE

        Voylà « payé » trop lourdement !

255  Nous avons esté bien batus.

                        PYCOLIN

        Vous estiez encor plus testus97

        De leur demander de l’argent !

        Car vous sçavez bien q’ung sergent

        N’a rien acoustumé que prendre.

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1 Allusion au « proverbe commun qui dit que ‟pierre qui roule n’amasse mousse” ». (Jean Boyron.) « Nous n’amassons plus mousse. » St Christofle.   2 Nous mendions d’une porte à l’autre. Rime dauphinoise en -ourtes.   3 Réponse narquoise qu’on fait à une personne trop exigeante. Cf. le Sermon joyeux de bien boire, vers 189.   4 Vous vous contentez d’avancer votre gorge, comme un oisillon qui réclame la becquée.   5 De quel bois faire flèche. Cf. les Tyrans au bordeau, vers 127.   6 Éd : ny   7 Baiser la bouteille = boire. « Me fault ma bouteille baiser. » Mystère de St Clément de Metz.   8 Le point principal. Idem vers 161.   9 Pendant un long espace de temps.   10 Et pourtant, je n’ai ni un denier, ni un centime. Chevalet fait dire le même vers au valet des Basteleurs.   11 De l’andouille.   12 Quand on nous donne quelque chose de bon.   13 Après un banquet, on distribue aux pauvres les tranchoirs (ou tailloirs), épaisses tranches de pain qui ont tenu lieu d’assiettes, et sur lesquelles on abandonne quelques reliefs.   14 En soupçonnant que j’ai raflé le meilleur morceau.   15 Cauteleux, rusé.  J’entends le son = je connais la chanson !   16 Si on nous donnera quelque chose.   17 Vous ne cherchez que des disputes.   18 Que pour plaisanter. « Je ne l’ay faict que par esbat. » Deux jeunes femmes.   19 Puisque le sujet est abordé.   20 Si peu mûre. Cf. l’Arbalestre, vers 152 et note.   21 Éd : uiolle  (La viole est un instrument aristocratique, alors que la vielle est populaire : c’est l’instrument dont les mendiants aveugles s’accompagnent pour chanter dans la rue. Je corrige la même faute au vers 61.)  Si votre vielle était accordée. Dans l’Aveugle, sa Chambèrière et son Varlet (F 45), le valet accorde la vielle de l’aveugle : « Cependant, Gauguelu refait la vielle. / Quant [maintenant que] vostre vielle est refaicte,/ Quelque plaisante chansonnette/ Disons ! »   22 Jusqu’à ce que j’en obtienne une cuisse ou une aile. « Pour Dieu, donnez-moy cuisse ou elle ! » (Conversion S. Denis.) Cette expression culinaire signifie : obtenir quelque chose, si peu que ce soit. « Il en apporte ou pied ou elle. » Gournay et Micet.   23 Leur chanter. Rime dauphinoise en -oute : « Qu’il vous plaise dire une no[u]tte !/ Adieu vous dy, trèstous et toute ! » Le Roy des Sotz.   24 Quand Daru se fait passer pour un aveugle, il chante ceci : « (Je) ne voy où le pied je metz/ Non plus du cul que de la teste. »   25 Renversement de la formule consacrée : « Or parlez bas, qu’on ne vous oye ! » Le Vilain et la Tavernière.   26 Une monnaie trop faible.   27 Cela ne coûte pas plus de demander un ducat qu’un vulgaire denier.   28 Je ne sache pas que tu sois assez généreux pour qu’on ait de toi la moindre monnaie. « Il n’a escu ne targe : s’entend de ceux qui n’ont aucune monnoie. » Claude Fauchet.   29 Trop roublard. « Vous estes trop rouges en la taille. » Les Tyrans.   30 Si tu me comprends à demi-mot. Cf. les Tyrans au bordeau, vers 292.   31 La lumière, la vue. Cf. l’Aveugle et Saudret, vers 328.   32 Rendu aveugle par la barbarie des musulmans vis-à-vis des chrétiens. « Secourir les Christiens, oppresséz de la tyrannie des Turcz. » P. de Saint-Julien.   33 C’est le vin qui l’a rendu aveugle.   34 L’Église cautionne le suicide du Christ et celui des saints, mais elle condamne tous les autres.   35 Éd : laumosne  (Veuille me tenir gré de l’aumône que je vous fais. La charité chrétienne n’est jamais désintéressée : on donne dans cette vie pour que ce don nous soit rendu au centuple dans l’autre vie.)   36 Les mendiants s’esquivent. C’est Picolin qui porte les quatre bourses.   37 Combien cela pèse, vaut.   38 Sans méfiance.   39 Des sachets d’ails. L’ail et l’oignon donnent soif : « L’oignon (…) est inflammatif & provoque la soif. » La Nef de Santé.   40 Tu n’as pas assez d’expérience pour me le faire croire.   41 Que tu ne reconnaîtrais un patac, une pièce de monnaie provençale qui avait cours jusqu’à Grenoble, où fut créé ce Mystère. « Deux deniers tournoys, ou ung patas. » Archives de l’Isère.   42 Au tact, au toucher. « Nostre sens du tast. » ATILF.   43 Éd : la  (Comme le lièvre reconnaît les braquets, les chiens de chasse : à l’oreille.)   44 Pour cette raison.   45 Des affrontements. « Sans noyse et sans hutin. » ATILF.   46 Nous devons partager nos biens. Idem vers 158 et 160.   47 Je te pendrai. Dans ce Mystère, le roi dit au bourreau : « Ne luy donne point la secousse/ Jusqu’à ce qu’on donne l’assault./ Alors fais-luy prendre ung sault/ Au gibet. »   48 Interjection interpellative. « Où es-tu ? Hau ! » Les Basteleurs.   49 Mon ultime vol. « À l’insigne voleur, ô merveille profonde,/ Qui, compagnon d’honneur du Roy de tout le monde,/ Pour sa dernière main luy desroba les cieux. » César Nostradamus.   50 Pour mes menus plaisirs. Cf. Cuisine infernale, vers 38 et 152.   51 Étant donné que Picolin vouvoie toujours son maître, on peut conclure que nous avons ici le refrain d’une des chansons qui furent consacrées à Jean de Nivelle ; voir celle qui ouvre la farce du Pauvre et le Riche. Il en subsiste un vague écho dans le Démon travesti, du chanoine Jacques : « Tu n’es qu’un vray Jean de Nivelle. »   52 N’aie pas peur.  Le vers suivant était prononcé par l’Aveugle de la Vie et passion de monseigneur sainct Didier, de Guillaume Flamang.   53 Pas plus. Cf. les Maraux enchesnéz, vers 258.   54 Nous boirons un coup. Cf. les Basteleurs, vers 227.   55 Nous partagerons (note 46).   56 Comme je le déciderai.   57 Le point principal.   58 L’honneur de partager notre butin ne vous appartient pas.   59 La coutume n’est pas immuable. Louis XII était alors en train de simplifier le droit coutumier ; voir la notice de Digeste Vieille.   60 Par ruse.   61 Et allons.   62 Nous dépenserons.   63 Éd : vous  (Correction de P. Servet.)  Il faudrait que nous donnions.   64 Les prostituées s’en vont. L’aveugle soupèse l’argent (vers 126).   65 Pour peu que ce soit une monnaie recherchée, rare (lat. exquisita). « Partout est la monnoye exquise :/ Le peuple n’a plus maille ne denier. » Eustache Deschamps.   66 Elle doit avoir cours. La monnaie que gagnent les prostituées circule très vite et n’a pas le temps d’être décriée.   67 Je veux pendre cette bourse à mon cou, comme une amulette miraculeuse. « Brevet, ou autre chose, qu’on pend au col (…) pour préserver ou guarir de quelque maladie ou poison. » Godefroy.   68 Saillir, couvrir. Lors de la saillie, les quadrupèdes femelles lèvent leur queue pour que le mâle puisse s’introduire. Picolin sous-entend que l’aveugle va vite en besogne, et oublie encore de partager.   69 Qu’elles.   70 Jouer aux cartes.   71 Sans tarder.   72 C’est la certitude qu’ils nous chargeront le dos de coups de bâtons.   73 Picolin n’y voit pas beaucoup mieux que son patron : les sergents sont immédiatement reconnaissables parce qu’ils portent une « masse » ou une « verge », ce qui n’est pas le cas des bourreaux.   74 La claie. Idem vers 217. Sur la peine infamante de la claie, voir la note 24 de Massons et charpentiers. Le roi Danus, qui est un raffiné, prépare à saint Christophe un supplice plus personnel : « Luy estachez [attachez-lui] une grant meulle/ De moulin (ainsi je le veulx)/ Par le col et par les cheveulx,/ Et le traŷnez par monts et vaulx/ À belles queues de chevaulx ! »   75 Quoi qu’il en soit.  76 N’en déplaise à cette canaille. « Paix, qu’en despit de Saturnus ! » St Christofle.   77 Faut-il vous requérir tant de fois ?   78 Éd : prendre   79 Pour que les bourreaux prennent nos dépouilles, nos vêtements. Cf. Gournay et Micet, vers 468 et 505.   80 Dans la région italienne des Pouilles : loin d’ici.   81 Allons, de par le Diable, qui est votre seigneur et maître !   82 Sans craindre que nous ne venions pas.   83 Tu ne m’aideras pas avec tes yeux mais avec tes bras.   84 Par le ventre de saint François d’Assise. Dans une circonstance analogue, le Fol du mystère a lui aussi recours à ce juron chrétien : « Ventre sainct Gris, comme tu poyse ! »   85 La hanche.   86 Un pieu en bois pour faire levier. « Pour six grosses pièces de chane [chêne] appeléz gazanches pour besoigner esdits fossés de St-Just. » Marthe PAQUANT : Réforme, Humanisme, Renaissance, 2007, nº 65, p.191.   87 En la glissant sous la meule.   88 Les Mystères attribuent ce dieu fantaisiste aux musulmans, et en règle générale aux païens. Βάραθρον = gouffre. « Maulgré Barratron et Mercure ! » St Christofle.   89 Éd : uoyle la  (C’est bien.)  La meule est installée sur la claie.   90 Pascalet, qui tient un des pieux du v. 228, en donne des coups aux mendiants. Picolin s’abrite derrière son maître, lequel reçoit toute la bastonnade.   91 Je vous tiens quitte de tout paiement. « Je vous quitte tout pour sauver ma vie. » Le Nouveau Panurge.   92 Éd : lespargnez  (Ne ménage pas mon paiement. Les hommes généreux disaient toujours : « N’espargnez pas ma bourse ! »)   93 À ton entier service. Les mendiants s’enfuient.   94 Vraiment ? Surtout vous.   95 fais  (Je pris la fuite.)   96 Le roi Arthur ne fuyait jamais.   97 Éd : natus  (« Fussiez-vous encor plus testu. » Le Nouveau marié.)

LES TYRANS AU BORDEAU

Bibliothèque nationale de France

Bibliothèque nationale de France

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LES  TYRANS

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AU  BORDEAU

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Les « tyrans » sont des reîtres de sac et de corde auxquels des notables qui ne veulent pas se salir les mains confient les basses besognes : service d’ordre, tortures, intimidations, meurtres, et tous les coups tordus que peuvent accomplir des miliciens au-dessus des lois. Les tyrans ne croient en rien, mais ils sont prêts à tout pour se procurer l’argent qu’ils dilapident à la taverne ou au bordel. À grand renfort d’argot1, ils mettent une joyeuse animation dans la Vie de sainct Christofle (~1510-1514), de Claude Chevalet : voir les vers 252-389 de L’Andureau et L’Andurée.

Source : La Vie de sainct Christofle, élégamment composée en rime françoise et par personnages par maistre Chevalet. Imprimé à Grenoble en 1530. Bibliothèque nationale de France, Rés. Yf. 116. * Édition critique de Pierre SERVET : La Vie de sainct Christofle ; Droz, 2006. * Lazare SAINÉAN publia mes actuels vers 1 à 215 dans les Sources de l’argot ancien, tome I, 1912, pp. 277-293. Son glossaire figure au tome II (1912), pp. 264-468. * Les mêmes vers se trouvent dans les Études de philologie comparée sur l’argot, de Francisque MICHEL, 1856, pp. xli-xlvi ; son dictionnaire, peu utile, occupe les pages 1-422. * Les vers 1 à 72 furent publiés et annotés par Jacques CHOCHEYRAS : le Théâtre religieux en Dauphiné ; Droz, 1975, pp. 270-272. * À titre de curiosité, ces mêmes vers agrémentaient déjà, en 1747, le tome III de l’Histoire du théâtre françois des frères PARFAICT, pp. 5-9. * Le Dictionnaire des Mystères, de Jules de DOUHET, reproduisit leur travail en 1854, pp. 234-236. Bref, cette longue scène argotique a intrigué beaucoup de monde, et elle le mérite.

Structure : Rimes abab/bcbc, rimes plates, avec 1 triolet.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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Barraquin est un spadassin picard. En l’absence de guerre, les temps sont durs pour les aventuriers de son espèce, qui doivent se reconvertir en « escorcheurs » et autres « routiers » ; aussi, Barraquin est devenu bandit de grands chemins. Ses proies sont elles-mêmes des victimes de la paix : un soudard gascon nommé Brandimas, puis deux mercenaires en vadrouille — le Suisse allemand Fréminaud, et le Lombard Alibraquin. Leur langue commune est l’argot des truands, que l’auteur a surtout puisé dans les Ballades en jargon de François Villon — du moins dans celles qui étaient connues par l’édition de 1489.

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                        BARRAQUIN,  premier tyrant.               SCÈNE  I

        Hé ! Chou2 plais[t] Dieu ? Et qu’esche-chy ?

        N’aray-je jamais de l’aubert3 ?

        Je suis, en ce boys, tout transy.

        Donc, j’ay fait endosse de vert4.

5      Je porte le cul descouvert5.

        Mes tirandes6 sont desquirées ;

        Les passans7 rompus : il y pert.

        Et porte la lyme nouée8.

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                        BRANDIMAS,  deuxiesme tirant.            SCÈNE  II

         Tous mes grains9 ont pris la brouée.

10    Cap de Dio[u]10 ! tout est despendu :

        J’ay mon arbaleste flouée11,

        Et le galier piéçà vendu12.

        Le ront13 est pelé et tondu,

        [Et] mon comble14 est à la tâtière

15    Gagé15. Que ne suis-je pendu ?

        Mon jorget16 n’a pièce entière.

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                        BARRAQUIN,  assaillant.                         SCÈNE  III

        Demeure !

                        BRANDIMAS,  défendant.

                            Tire-toy arrière !

                        BARRAQUIN

        À mort, ribault !

                        BRANDIMAS

                                   Rien de la main17 !

                        BARRAQUIN

        Ha ! crapaudeau18 !

                        BRANDIMAS

                                        Filz de loudière19 !

                        BARRAQUIN

20    Demeure !

                        BRANDIMAS

                           Tire-toy arrière !

                        BARRAQUIN

        Quel mynois !

                        BRANDIMAS

                              Quel(le) fière manière !

                        BARRAQUIN

        Es-tu narquin20 ?

                        BRANDIMAS

                                    Ouÿ, compain21.

                        BARRAQUIN

        Demeure !

                        BRA[N]DIMAS

                           Tire-toy arrière !

                        BARRAQUIN

        À mort, ribault !

                        BRANDIMAS

                                  Rien de la main !

                        BARRAQUIN

25    Broues-tu22 ?

                        BRANDIMAS

                              Je cours le terrain23.

                        BARRAQUIN

        Où vas-tu ?

                        BRANDIMAS

                            À mon adventure.

                        BARRAQUIN

        Tu es deschiré.

                        BRANDIMAS

                                  Tout à plain,

        De dormir vestu sur la dure24.

                        BARRAQUIN

        Et ! par Juppiter, je te jure

30    Que j’en ay de mesme que ty25.

                        BRANDIMAS

        Tout ung ?

                        BARRAQUIN

                         N’ayes paour.

                        BRANDIMAS

                                              Je t’asseure.

                        BARRAQUIN

        Me recognoys-tu point ?

                        BRANDIMAS

                                              Nenny.

                        BARRAQUIN

        « Gaulthier, où as-tu tant dormy ? »26

                        BRANDIMAS

        Hé ! gueux, advance-moy la poue27 !

                        BARRAQUIN

35    Es-tu là ? Hé, hau ! chardemy28 !

                        BRANDIMAS

        Il est bien force que l’on floue29.

                        BARRAQUIN

        Où est Arquin ?

                        BRANDIMAS

                                  Il fait la moue30

        À la lune.

                        BARRAQUIN

                          Est-il au juc31 ?

                        BRANDIMAS

        Il fust gruppé32, et mis en roue

40    Par deffault[e] d’ung allegruc33.

                        BARRAQUIN

        Et toy ?

                        BRANDIMAS

                     J’eus longuement le pluc34

        De pain et d’eau, tenant au[x] gectz35.

                        BARRAQUIN

        Comment eschappas-tu ?

                        BRANDIMAS

                                                 Ce fut

        Pour [perdre] une ance36 et [les fargets]37.

                        BARRAQUIN

45    Le rouastre38 et ses subjectz

        Me mirent aux coffres massis39,

        Par les piedz tenant aux gros septz40.

                        BRANDIMAS

        Y couchas-tu ?

                        BARRAQUIN

                                  J’estois assis41.

        Quant ce vint entre cinq et six42,

50    Dedans les septz laissay ma guêtre43

        Et, de paour d’estre circoncis

        Des ances44, saultay la fenestre.

                        BRANDIMAS

        Cela fust bien ung tour de maistre !

                        BARRAQUIN

        Pourquoy ?

                        BRANDIMAS

                            Hé ! povre bérouart45 :

55    Ta sentence estoit [dé]jà preste ;

        L’on n’atendoit que le télart46

        Pour te pendre hault comme ung lart47,

        Nonobstant tout ton babinage48.

                        BARRAQUIN

        Je m’en brouay au Gourd Pïard 49.

                        BRANDIMAS

60    Et je demouray au passage.

                        BARRAQUIN

        J’eschaquay50.

                        BRANDIMAS

                                Et j’estois en cage.

                        BARR[A]QUIN

        Je piétonnay51 toute la nuict.

                        BRANDIMAS

        Et l’embourreur52, pour tout potage,

        Me mist dehors par saulconduyt53,

65    À torches54 de fer.

                        BARRAQUIN

                                      Quel desduit55 !

                        BRANDIMAS

        Tousjours, quant la guerre est finée,

        L’on trouveroit de pain mal cuyt

        Ainsi que nous une fournée56.

                        BARRAQUIN

        Embuschons-nous soubz la feullée57

70    Pour attendre quelque syrois58.

                        BRANDIMAS

        S’il avoit des grains, à l’emblée59,

        On luy raseroit le mynois60.

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        …………………………….61

                        FRÉMINAUD                                           SCÈNE  IV

        Je mengerois comme ung magot62,

        Maintenant, si j’avoys chair crue,

75    Sans broc ne sans drinc63.

                        ALIBRAQUIN

                                                 Ydïot,

        Espère que le temps se mue64 !

                        FRÉMINAUD

        Bref, j’ayme mieulx que l’on me tue

        Que d’estre tousjours en ce point.

                        ALIBRAQUIN

        Il fera bien chault, se l’on sue,

80    Quant nous n’avons que le pourpoint65.

                        FRÉMINAUD

        A ! capiteine…

                        ALIBRAQUIN

                                  Mal en point66 !

                        FRÉMINAUD

        Qu’avons-nous gaigné ?

                        ALIBRAQUIN

                                            La veyrolle

        Et la caquesangue67.

                        FRÉMINAUD

                                         À point.

        Et la roigne68

                        ALIBRAQUIN

                                Qui nous affolle.

                        FRÉMINAUD

85    Desplumés

                        ALIBRAQUIN

                          Affin qu’on ne volle.

                        FRÉMINAUD

        Sans argent

                        ALIBRAQUIN 69

                          Pour courir les champs.

        Sur la terre, [soit] dure ou molle70,

        Nous dormons, comme chiens couchans71.

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                        BARRAQUIN                                            SCÈNE  V

        Brandimas, voicy des marchans :

90    Il est force qu’on les assaille.

                        BRANDIMAS

        Quelz « marchans » ? Ce sont deux meschans72

        Qui ne vallent pas une maille73.

                        BARRAQUIN

        Sont-ilz affranchis de la taille74 ?

                        BRANDIMAS

        L’on cognoit à leur haucqueton75

95    Que ce ne sont que quoquinaille76

        Qui n’on[t] pas vaillant ung bouton.

                        BARRAQUIN

        L’ung porte la peau d’ung mouton,

        Et sa picque comme une Brode77.

                        BRANDIMAS

        Et l’aultre, mynce78 de coton,

100  Est lombard : regardez sa mode79

                        BARRAQUIN

        Leurs soliers sont liéz de corde.

                        BRANDIMAS

        Ilz sont pendans comme clabaulx80.

                        BARRAQUIN

        Assaillons-les !

                        BRANDIMAS

                                 Je m’y accorde.

                        BARRAQUIN

        Sortons81 sus eulx !

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                        BRANDIMAS                                           SCÈNE  VI

                                       À mort, ribaulx !

                        FRÉMINAUD

105  Tu té riche82 ?

                        BRANDIMAS

                               Ouÿ, de beaulx83 !

                        BARRAQUIN

        Çà84, le baston !

                        FRÉMINAUD

                                  Gon [Goth zenand]85 !

                        BRANDIMAS

        Ilz n’ont ne bonnetz, ne chapeaulx.

                        BARRAQUIN

        Vien çà ! N’es-tu pas allemant ?

                        FRÉMINAUD

        Ya, [ya], verlis86.

                        BRANDIMAS

                                     L’abillement

110  Monstre que c’est ung vray droncart87.

                        BARRAQUIN

        Et cestuy-cy ?

                        BRANDIMAS

                              Par mon serment !

        Je le juge[asse] estre lombart88.

                        ALIBRAQUIN

        Laissé-mé staré89 !

                        BARRAQUIN

                                        A ! coquart90 !

                        BRANDIMAS

        N’est-il pas vray ?

                        ALIBRAQUIN

                                      Messéré, sy91.

                        BRANDIMAS

115  Ne vous tirez point à l’escart !

                        BARRAQUIN

        N’ayez paour !

                        BRANDIMAS

                                 Demourez icy !

                        BARRAQUIN

        Ce sont bléfleurs92.

                        BRANDIMAS

                                       Il est ainsi.

                        BARRAQUIN

        Narquins93.

                        BRANDIMAS

                            De si près échicqués94

        Que leur habit est tout transsy ;

120  Et sont, comme nous, desbifféz95.

                        BARRAQUIN

        Je cognois à leurs afficquetz96,

        En effect, qu’il n’y a que mordre97.

                        BRANDIMAS

        L’on vous poindra, si vous picquez98 !

                        BARRAQUIN

        Approuchez, vous estes de l’Ordre99 !

125  Et pensons comme[nt] nous ressourdre100

        Pour brouer sur le hault verdis101.

                        FRÉMINAUD

        Nous ne sçavons plus quel boys tordre102.

        Les gueux103 sont friz, je le vous dis.

                        ALIBRAQUIN

        La guerre nous eust104 desgourdis.

                        BRANDIMAS

130  Il fault que l’on y remédie.

                        FRÉMINAUD

        Allons-nous-en, comme estourdis,

        Tout droit à la mathe gaudie105.

                        BARRAQUIN

        Va, va ! [tu iras]106 la landie

        Ta mère !

                        BRANDIMAS

                       Nous irons aux changes107.

                        BARRAQUIN

135  As-tu de l’or, teste estourdie ?

                        BRANDIMAS

        Nous en aurons à ces108 vendanges.

                        ALIBRAQUIN

        Se le rouastre109 et ses anges

        Nous trovoi[en]t à la Gourde Pie110

                        BARRAQUIN

        Ilz nous menroient à double renge

140  Liéz, pour faire la croppie111.

                        BRANDIMAS

        Il vault trop mieulx que l’on espie

        Ung bon marchant, et qu’on le guette.

                        FRÉMINAUD

        Mais le prendre par112 la pépie

        Pour luy empoigner sa bougette113.

                        ALIBRAQUIN

145  Embûchons-nous cy !

                        BARRAQUIN

                                          Qu’on s’i mette !

        Et que quelc’um d’entre nous aille

        Pour nous apporter (sans brouette !)

        Pain et vin, et autre victaille114.

                        BRANDIMAS

        Va-y, toy-mesmes.

                        BARRAQUIN

                                    Qu’on me baille

150  Argent !

                        BRANDIMAS

                       Tien, voylà dix deniers.

                        FRÉMINAUD

        Sus, après !

                        BARRAQUIN

                           Je reçoys la taille115 :

        Apportez escuz à milliers !

                        ALIBRAQUIN

        Argent, qui en a ?

                        FRÉMINAUD

                                     Voulentiers

        Tiens ces six deniers !

                        ALIBRAQUIN

                                           Prens ces quatre !

                        BARRAQUIN

155  Et j’en ay quatre tous entiers.

                        BRANDIMAS

        Ce sont deux solz116, sans rien rabatre.

                        FRÉMINAUD

        Prens-toy bien garde du rouastre !

                        ALIBRAQUIN

        Et des anges !

                        BARRAQUIN

                              J[e] les cognois117.

                        BRANDIMAS

        Ilz seroient batus comme plastre,

160  Par noz dieux, si je les tenois !

                        BARRAQUIN

        Ne bougez d’icy ! Je m’en voys118.

        Et quelque chose qu’il adviengne119,

        Ne sortez point dehors du boys

        Jusques à ce que je revienne !

*

En ville, Barraquin apprend que l’empereur de Rome recrute des « aventuriers » pour faire la guerre, et qu’ils seront bien rétribués.

.

                        BARRAQUIN                                            SCÈNE  VII

165  A ! par tous noz dieux ! Voicy rage,

        Pour povres gallans morfondus120,

        Qui ont tous leurs grains despendus

        À la tâtière121, au temps passé.

        ……………………………

        Hé ! Gueux ! Gueux ! Sus ! Bonnes novelles !             SCÈNE  VIII

170  Laissez la feullade grant erre122,

        Et vous en venez à la guerre,

        Que l’Empereur a fait crier

        À son de trompe et publier,

        Dont mon cueur de joye tressaulte !

                        BRANDIMAS

175  Que n’avons-nous chescun sa gaulpe123

        Pour triumpher sur le bigard124 !

                        FRÉMINAUD

        Quelque grosse putain ribaulde

        Prinse au fin fons du cagnart125 !

                        ALIBRAQUIN

        Levons sus !

                        BRANDIMAS

                            Flouons du gigard126 !

                        FRÉMINAUD

180  Saultons !

                        ALIBRAQUIN

                        Aussi hault q’ung chevreau !

                        BRANDIMAS

        Fy de pain bis127 !

                        FRÉMINAUD

                                      Fy de viel lart !

                        BARRAQUIN

        Que veulx-tu ?

                        ALIBRAQUIN

                               Belle chair de veau.

                        BARRAQUIN

        Boyre bon vin.

                        BRANDIMAS

                                 Voyre sans eau.

                        FRÉMINAUD

        Et puys quoy ?

                        ALIBRAQUIN

                               Jouer au « billard128 ».

                        BARRAQUIN

185  Le pain croysé129 vient.

                        BRAN[D]IMAS

                                              Chantons Nau130 !

                        FRÉMINAUD

        Va, ruffïen !

                        ALIBRAQUIN

                              Mais toy, paillart !

                        BARRAQUIN

        Sortons du boys !

                        BRANDIMAS

                                   Laissons ce parc131 !

                        FRÉMINAUD

        Brief132 il nous faul[t] avoir des pages.

                        ALIBRAQUIN

        Il fault attendre, coquillard133 !

                        FRÉMINAUD

190  Et quoy ?

                        ALIBRAQUIN

                       Que nous ayons noz gaiges134.

                        BARRAQUIN

        Nous sommes deffaiz135.

                        BRANDIMAS

                                                Tous sauvages.

                        FRÉMINAUD

        Nous n’avons pièce de harnoys.

                        BARRAQUIN

        Allons, pour trouver avantages,

        À l’Empereur : je le cognois.

                        ALIBRAQUIN

195  N’as-tu rien apporté ?

                        BARRAQUIN

                                          Troys, troys136 !

        Par noz dieux ! j’ay tout oublié,

        Quant j’ay ouÿ à plaine voix

        Qu’on a la guerre publié.

*

En se rendant chez l’empereur, les tyrans croisent la soldatesque, qui fait de même. Ils n’ont pas la conscience tranquille, et sous le coup de l’émotion, Barraquin retrouve son accent picard.

.

                        BARRAQUIN                                            SCÈNE  IX

        Je quie de paour137, par noz dieux !

200  Ces gens viennent pour nous frapper.

        Cheroit-che point le marïeux138

        Qui vient ichy pour nous graffer139 ?

                        BRANDIMAS

        S’il vient, qu’on pense de frapper,

        Et nous deffendons corps pour corps !

205  Si nous nous laissons attraper

        Aux140 raiz, lio[n]z, nous sommes mors !

                        L’ADMIRAL

        Quelz grans ribaulx puissans et fors !

        Regardez-moy leur contenance !

        Ilz sont gens pour faire deffence,

210  S’ilz estoient ung peu mis en point.

        Mais ilz n’ont robe, ne pourpoint,

        [Ne] chausses, ne chemise entière.

        ……………………………….

        Venez-vous-en donc avec moy !

        Et vous aurez sçavez-vous quoy ?

215  Force d’aubert en la follouse141.

*

Les tyrans sont embauchés par l’empereur. Ayant la bourse et les bourses pleines, ils décident d’aller les vider au bordel. Ce lieu et ses pensionnaires sont peints sur le vif par un fin observateur, dans deux scènes dont l’intérêt n’a pas été suffisamment souligné : nous avons là le premier reportage qui donne la parole à des prostituées, sans critique sociale ni condamnation religieuse.

.

                        BARRAQUIN                                           SCÈNE  X

        Nous « besoignerons » de courage142,

        Puisque nous payez voulentiers.

        Et cuyde que les taverniers

        Et les putains y auront part.

                        BRANDIMAS

220  Allons !

                        FRÉMINAUD

                    Cherchons !

                        ALIBRAQUIN

                                       Quoy ?

                        BARRAQUIN

                                                   Le cagnart143.

.

                        BRANDIMAS 144                                      SCÈNE  XI

        Il y a venaisonl45 nouvelle.

                        FRÉMINAUD

        Et que voulez-vous, Damoiselle ?

        Qu’actendez-vous ? Le picotin146 ?

                        AQUELINE

        Je suis icy dès le matin,

225  Et si147, ne treuve point de gaing.

                        NYCÈTE

        Av’ous à faire de putain ?

        Voy-nous cy148, prestes [de] « combatre ».

                        ALIBRAQUIN

        Ouÿ ; mais si nous sommes quatre,

        Trouverons-nous chescum la sienne ?

                   MARRAGONDE,  [maistresse du bordeau149commence.]

230  On sera — de ce vous souvienne —

        À la paille jusques au ventre150.

        Venez hardiment ! Qu’on y entre,

        Mais qu’ayez à force pécune151.

        Ne serviray-je pas pour une ?

235  Je ne suis pas trop affoncée152.

                        BARRAQUIN

        Juppin ! ell’ est si affamée

        Qu’el153 l’avalleroit sans mascher !

                        MARRAGONDE

        Si tu prens bien garde à ma chèr154,

        Tu t’en servirois bien les festes155 ;

240  Car (par mon sacrement) vous estes

        Assez mal séant[z] au mestier.

                        BRANDIMAS

        Mais regardez ce gros fumier

        Qui contrefaict de la mignonne !

                        AQUELINE

        Hé ! quel marault !

                        NYCÈTE

                                      Quel gros yvroigne !

                        MARRAGONDE

245  Pour faire ung ouvrage jà faict156 !

                        FRÉMINAUD

        Allez, paillardes !

                        AQUELINE

                                     Qu’il est lait !

                        ALIBRAQUIN

        Allez, truandes !

                        NYCÈTE

                                    Quel raclet

        Pour souffler poil157 d’ung cul foireux !

                        BARRAQUIN

        Dea ! ilz158 sont de séjour, ces deux !

250  Ilz enragent que l’on n’enrage.

                        MARRAGONDE

        Tirez voz chausses159 !

                        AQUELINE

                                             Au pilliage160,

        Vous n’aurez de nous nul desduit.

                        BRANDIMAS

        Allons !

                        NYCÈTE

                       Pissez161 toute la nuyct,

        Et le ventre se vuydera.

                        FRÉMINAUD

255  Par le sang ! L’on vous frotera,

        Et vous ferons cueillir les poix162 !

                        MARRAGONDE

        Juppiter ! qu’il a bonne voix

        À « combatre » comme vaillant !

                        AQUELINE

        Il [ne] fuyroit, en assaillant :

260  C’est ung valeureux champïon.

                        NYCÈTE

         Il est plus hardy q’ung chappon163 :

        Garde, garde qu’il ne te « frappe164 » !

                        ALIBRAQUIN

        On te batra !

                        MARAGONDE

                             Si je n’eschappe.

                        [BARRAQUIN165]

        Ou si je ne [te]166 couche à terre.

                        BRANDIMAS

265  Ailleurs fault nostre desduyt querre167.

                        FRÉMINAUD

        Nous ne sommes plus de recepte168.

                        AQUELINE

        Pou169, le goulu !

                        NYCÈTE

                                    Pou, la grant beste !

                        ALIBRAQUIN

        Pou, le vil groing !

                        BARRAQUIN

                                      Pou, viel carcas170 !

        [Pou, loudière171 ! Pou, viel cabas172 !]

                        MARAGONDE

270  Fy du belin173 !

                        AQUELINE

                                     Fy du sotart !

                        BRANDIMAS

        Fy du cabas !

                        NYCÈTE

                               Fy du paillart !

*

Au fond de son cachot, saint Christophe refuse d’abjurer le christianisme. Le roi païen Danus va donc le soumettre à la tentation ; pour cela, il ordonne aux tyrans d’aller « quérir deux ou troys jeunes filles / Au bordeau » afin de déconvertir le saint. Naturellement, c’est l’ancien adorateur de Jupiter et de Satan qui va convertir les pécheresses, en deux répliques bâclées auxquelles on ne croit pas. Cette idée risible n’émane pas du mauvais esprit de Claude Chevalet : toutes les hagiographies de saint Christophe en rendent compte.

.

                        FRÉMINAUD                                             SCÈNE  XII

        Nous cognoissons tel marchandise

        Mieulx que nous ne faisons satin174 :

        Elles ont de nostre butin

275  Plus souvent que n’ont pas les prebstres !

        ………………………………..

                        BARRAQUIN

        Vous aurez tantost marée fresche175,

        Puisqu’il fault qu’on s’i détermine ;

        Mais ce n’est pas de la marine176,

        Vous entendez bien la raison.

.

                        BRANDIMAS                                             SCÈNE  XIII

280  Sus, allons à la venaison177 !

        Entendez-vous, mes compaignons ?

        Si nous n’y mettons des oignons,

        Nous y mettrons du « vin » à force178.

                        FRÉMINAUD

        Je n’en donne pas une [e]scorce,

285  Mais179 que la besoigne soit faicte.

.

                        MARRAGONDE,  maistresse du bordeau,  commence.

        Aqueline, et vous, Nycette,                                          SCÈNE  XIV

        Que faictes-vous icy seullettes ?

        Vous sçavez qu’entre vous, fillettes180,

        Debvez — pour avoir bon encontre181

290  Faire de voz corps belle monstre

        Pour amener l’eau au moulin.

        Car qui n’entent le jobelin182

        N’a garde de prendre la caille183.

                        AQUELINE

        Nostre mestier ne vault pas maille ;

295  Et pour cela, tout bien nous fault184.

        Il n’y a si meschant briffault185

        En la ville (c’est la manière)

        Qui n’ait maistresse ou chamb[è]rière,

        Ou toutes deux à ung besoing186.

300  Si ne leur fault pas aller loing

        Pour estre fourny[s] de femelles.

                        NYCETTE

        Voyre. Et puis ces macquerelles

        En fournissent secrètement,

        À bon marché et largement,

305  Et en font tous les jours la vante.

        Il n’est celuy187 qui ne se vante

        D’avoir chair fresche à [son] plaisir.

        Si avons icy bon loysir

        De piller188 le sucre à la porte !

                        MARRAGONDE

310  Allez, le diable vous emporte !

        Tousjours vient-il quelque paillart.

        Si vous ne sçavez faire l’art,

        Serrez189 hardiment la boutique !

        Car il fault faire la praticque190,

315  Au moins, si vous voulez gaigner.

                        AQUELINE

        Huy, je ne gaignay ung denier,

        Maistresse. A[vez-]vous entendu ?

        Et croy que mon « engin fendu191 »

        Me lairra192 mourir de famyne.

                        MARRAGONDE

320  Tu ne vaulx plus rien, Aqueline ;

        Et ! j’ay veu que tu faisois rage193.

        Que ne farde-tu ton visage

        Pour attraper quelque grant blanc194,

        Ou leur monstrer si beau semblant195

325  Que chescum y courre à [grant] haste ?

                        NYCETTE

        Il y a ung point qui nous gaste,

        Maistresse, dont je deviens folle.

                        MARRAGONDE

        Quoy doncques ?

                        NYCETTE

                                    La grosse vérolle196,

        Que l’on [doit aux]197 Neapolitains :

330  C’est ce qui gaste les putains,

        Car chescum s’en cuyde garder198.

                        AQUELINE

        J’ay veu qu’il souloit aborder

        En ce bordeau gens à puissance199 ;

        Mais maintenant, selon l’usance,

335  Des bordeaulx y a plus de mille.

                        MARRAGONDE

        Où sont-ilz ?

                        NYCÈTE

                             Par toute la ville ;

        Et tant, que je ne m’y cognois.

        Chescune200 y fourbit son « harnoys »,

        Et mesmement les vielz escus201.

                        AQUELINE

340  Et puis ces marchandes de culz

        Gastent maintenant le potage.

        C’est ce qui nous porte dommage,

        Maistraisse, je le vous plévis202.

                        NYCETTE

        De ce que je gaigne, je vis.

345  La reste, en l’honneur de [no]z dieux,

        Je donne aux pouvres pour le mieulx,

        Tous les jours ordinairement.

                        AQUELINE

        Et moy aussi, pareillement.

        Je n’en prens rien — voylà la note —

350  Fors que ma vie203, somme toute.

        Aultres biens n’en ay retenus.

        Si, prie la belle Vénus

        De nous donner bonne adventure,

        De laquelle la pourtraicture

355  J’ay to[u]sjours en grant révérence.

                        MARRAGONDE 204

        Or paix, et tenez contenance !

        Et de ce faict, plus ne parlez !

        Car voicy des gens du Palais205

        Qui vous viennent revisiter206.

360  Et pour ce, s’en fault acquiter

        Et entretenir doulcement.

                        NYCETTE

        Laissez-les venir hardiment,

        Car nous leur ferons bonne myne.

        Allons au-devant, Aqueline,

365  Et les recepvons bien et beau !

.

                        ALIBRAQUIN                                          SCÈNE  XV

        Compaignons, voylà le bordeau.

        Les fillettes sont là, à l’huys.

        Si les emmenrons, si je puys :

        Elles ne se peuvent cacher.

                        BARRAQUIN 207

370  Voyre ! Qui les devroit chercher

        Jusques au fin fons du caignart208,

        Nous flouerons sur le bigart209

        En quelque coing, sur la paillade210.

                        BRANDIMAS

        Deux à deux, chescum sa paillarde !

375  Il n’est [pas d’]aultre vie au monde.

.

                        FRÉMINAUD                                            SCÈNE  XVI

        Hau ! Que faictes-vous, Marragonde ?

        Enseignez-moy ce que je cherche :

        S’il y a point céans chair fresche,

        Faictes cy la venir en champt211 !

                        MARRAGONDE

380  Quelz gallans pour tenir le ranc212 !

        Je n’en fais mise ne recepte213.

        Voylà Aqueline et Nycette

        Qui ne demandent que la jouste214.

                        ALIBRAQUIN

        Est-il vray ?

                        AQUELINE

                            Que tu es fin ho[u]ste215 !

385  Tu sces ailleurs où te repaistre :

        Les garces ne sont pas sans maistre,

        Qui tombent dedans ton lïen.

                        NYCETTE 216

        Quant à luy, pour ung ruffïen217

        Il est parfaict, je le suppose.

                        ALIBRAQUIN

390  Mais toy, tu ne vis d’aultre chose !

        Que vas-tu broullant le papier218 ?

                        BRANDIMAS

        Va[-t’en] prendre garde au clappier219,

        Et te prens avec ta pareille220 !

                        MARRAGONDE

        Il n’ayme plus que la bouteille :

395  Son « instrument » est desmanché221.

                        FRÉMINAUD

        Par noz dieux, c’est trop [d]estaché222 !

        Laissons ces argumens cornus223.

                        ALIBRAQUIN

        Marragonde : le roy Danus,

        Par manière de nous esbatre,

400  Nous a cy envoyé tous quatre

        Pour luy mener .II. de voz garces.

                        MARRAGONDE

        A ! Alibraquin, tu te farces ;

        Mais farceurs sont tousjours farcéz.

        Le Roy a de la « chair » assez ;

405  Il ne luy fault rien que du « pain224 »…

                        BARRAQUIN

        Pour vous le dire tout à plain,

        Il dit vray, et je le tesmoigne :

        Le Roy, pour aucune besoigne225,

        Les veult avoir. Voylà le point.

                        MARRAGONDE

410  A ! que mauldict soit le tesmoing

        Qui vient avant qu’on le demande !

                        BARRAQUIN

        Vous mocquez-vous de moy, truande ?

        Que le feu d’enfer vous allume !

        Par tous noz dieux, si je me fume226,

415  Il vous vauldroit mieulx estre à Romme227 !

                        MARRAGONDE

        « Trois Mouches, tenez-moy cest homme »228

        Qui monstre si terrible myne !

                        BRANDIMAS

        Sus, [sus] ! Nycette et Aqueline,

        Venez, car il nous fault aller

420  Tout maintenant au Roy parler.

        Venez-vous-en légièrement229 !

                        NYCETTE

        Mais que nous veult-il, voyrement ?

        Dictes-le-moy ains230 que g’y aille.

                        FRÉMINAUD

        On le vous dira, ne vous chaille,

425  Sitost que serez à la Court.

                        ALIBRAQUIN

        Dépeschez-vous, faictes-le court !

        Venez au Roy à diligence !

                        AQUELINE

        Nous luy ferons obéyssance ;

        Et si, ne dirons point de « non ».

430  Puisque vous venez à son nom,

        Nous y irons sans plus de plait231.

                        MARRAGONDE

        Au moins, quant vous en aurez faict,

        Retournez céans avec elles ;

        Et les rendez232 aussi pucelles

435  Comme céans les aurez prises !

                        BARRAQUIN

        Marragonde, tu en devises

        À ton aise, pour tout potage.

        Mais au regart du pucellage,

        Aussi [bien eusses-tu]233 de cotte !

                        BRANDIMAS

440  Je voys prendre ceste mygnotte.

                        FRÉMINAUD

        Et j’auray ceste-cy pour moy.

.

                        ALIBRAQUIN                                         SCÈNE  XVII

        Or nous en allons vers le Roy,

        Maintenant, à tout nostre espice234.

                        NYCETTE

        Allons, pour luy faire service,

445  Puisqu’ainsi est que vous le dictes.

                        BARRAQUIN

        Nous n’y irons point comme hermites235,

        Ne comme le « faulcon » sans proye236.

.

                        BRANDIMAS                                           SCÈNE  XVIII

        Les dieux veu[i]llent tenir en joye

        Et en to[u]te prospérité

450  Danus — roy de ceste cité —,

        Ses chevaliers et ses barons !

        Chier sire, nous vous amenons

        Ces gracïeuses jouvencelles.

        Pourtant s’elles237 ne sont pucelles,

455  Elles n’en vallent guères mieulx.

*

Le roi explique aux deux prostituées qu’elle vont devoir induire le géant saint Christophe à la tentation. Voyant qu’on ne peut se passer de leurs services, elles tentent d’obtenir une prime de risque.

.

                        AQUELINE                                               SCÈNE  XIX

        Pour vous nous voulons travaillier,

        Et pour avoir des dieux la grâce.

        Mais j’ay paour qu’il ne nous mefface238,

        Puisqu’il est si grant que vous dictes,

460  Et nous sommes femmes petites :

        S’il vient à nous, nous en mourrons.

                        NYCETTE

        Elle dit vray : nous ne pourrons

        Fournir à son esbatement.

        Car s’il a si grant instrument

465  Comme il est grant, je me fais forte

        Que je vaulx une femme morte !

        Ce n’est pas cela que je serche239.

                        NYCOSTRATÈS

        Je n’en vis [onc périr]240 en perche,

        De femmes, quoy que vous di[si]ez.

470  Allez, et ne vous soulcÿez,

        Car de la mort je vous asseure241.

                        ÉPIGRAMUS

        Elle n’a garde qu’elle [en] meure,

        Quelque chose qu’elle en caquette242.

        Mais ell’ est [bien] rusée et faicte243,

475  On le cognoit à son langaige.

                        ORLANT

        S’elles en meurent, si feray-je244,

        N’est-il pas vray ? Vous le sçavez :

        Car je cuyde que vous avez

        Ung bon « engin », pour bien comprendre…

                        SÉRAPION

480  N’ayez soulcy : le cuyr est tendre245

        Mieulx que celuy du pelletier.

        Et sçavez selon le mestier,

        Ma fille, qu’il n’y a nulz ots246.

                        ORLANT

        Par noz dieux ! il seroit bien gros,

485  S’elles en faisoient deux morceaulx247 !

        N’est-il pas vray ?

                        AQUELINE

                                     Ouÿ, de beaulx248 !

        Vous en devisez à vostre aise ;

        Toutesfoys (au Roy ne desplaise),

        Vous ne dictes chose qui vaille.

                        LE  ROY  DANUS

490  Allez-vous-en249, et ne vous chaille !

        Car si les dieux vous donnent grâce,

        Que ma voulenté se parface250 :

        Vous aurez des biens largement,

        Et vous mariray richement,

495  Pour estre de chescum prisées.

                        NYCETTE

        Nous sommes de ce faict rusées251 ;

        Et croy — qui nous y conduyra252 —,

        L’une ou l’aultre le sesduyra,

        Ou je seray bien esbahye.

                        AQUELINE

500  Il sera de nostre abbaye253,

        Et fust-il encor plus bigot !

        Je ne vueil seullement q’ung mot254

        Pour faire lever la « cropière255 ».

                        NYCETTE

        Chescune est si bonne ouvrière,

505  Pour le vous donner à entendre,

        Qu’il ne nous convient rien aprendre256 :

        Nous sommes maistresses du « cas257 ».

*

Le messager Sautereau <voir L’Andureau et L’Andurée, vers 1-41> conduit les filles devant la porte de la prison, gardée par le geôlier Mallepart <L’Andureau, vers 253-380>.

.

                        SAUTEREAU                                           SCÈNE  XX

        Je soulois estre messagier258 ;

        Mais259, je suis ung chasse-marée.

        ………………………………

510  Vous ferez la beste à deux do[u]s260.

                        NYCETTE

        Pensez qu’on met quatre genoulx261,

        Bien souvent, dedans ma chemise.

        Mais si tu apperçoys la prise,

        Corne262 hardiment par-derrière !

                        SAUTEREAU

515  Par noz dieux, tu es fine263 ouvrière !

        Laisse ce264, le diable t’emporte !

.

        Hau ! Mallepar[t] ! Ouvre ta porte                               SCÈNE  XXI

        À ces fillettes de chemyn,

        Qui ont faict sur leur « parchemin

520  Velu »265 souventeffoys escripre !

                        MALLEPART

        Je ne me puis tenir de rire

        Quant je te voy, pouvre lourdeau :

        Es-tu devenu macquereau ?

        Ne scez-tu d’aultre mestier vivre ?

*

1 Sur l’argot dans les Mystères, voir la notice de Gautier et Martin.   2 Éd : chouq  (Dialecte picard : « Cela plaît-il à Dieu ? Et qu’est-ce-ci ? »)   3 De l’argent. Même mot d’argot à 215.   4 En dormant par terre, je me suis fait un manteau d’herbe. « Je seray de verd affublée. » (Les Femmes qui plantent leurs maris.) Jeu de mots sur le vair, une coûteuse fourrure d’écureuil.   5 Mon haut-de-chausses est décousu.   6 Mes chausses, sur lesquelles je tire pour les ajuster : cf. Gournay et Micet, vers 411 et 484.  Desquiré = déchiré. Au vers 27, l’éditeur n’a pas reproduit cette prononciation picarde.   7 Mes souliers.  Il y pert = cela se voit (verbe paroir).   8 Je porte ma chemise nouée. Un loqueteux noue ensemble les lambeaux de sa chemise décousue : « La robe en plusieurs lieux trouée,/ Et la chemise renouée. » Le Capitaine Mal-en-point.   9 Mes écus d’or, dorés comme des grains de blé. Même mot d’argot aux vers 71 et 167.  Prendre la brouée = prendre la fuite.   10 Par la tête de Dieu ! Juron gascon.  Dépendu = dépensé ; idem vers 167.   11 J’ai joué (et perdu) mon arbalète. Même verbe argotique aux vers 36, 179 et 372.   12 Et j’ai depuis longtemps vendu mon cheval.   13 Mon manteau. Cf. Gournay et Micet, vers 372. Sainéan définit ce mot « sou », Chocheyras « visage », et Auguste Vitu « chapeau ».   14 Mon chapeau, qui surmonte l’édifice.   15 Éd : Oray  (Tâtière = taverne ; même mot d’argot à 168. Boire du vin se dit taster.)  Les clients insolvables laissent un vêtement en gage au tavernier : cf. Massons et charpentiers, vers 234, 242 et 312.   16 Mon pourpoint. « (En tant que bourreau,) c’est le fruict de mon bénéfice/ D’avoir le jorget, les tirandes [chausses]. » St Christofle.   17 Tu n’auras rien de ma main.   18 Petit crapaud : nom affectueux que Lucifer donne aux diables. Cf. la Chanson des dyables, vers 22.   19 Fils de pute.   20 « Narquin (…), qui signifie mandian contrefaisant le soldat détroussé. » (Laurens Bouchel.) Même mot d’argot à 118.   21 Compagnon d’infortune.   22 Es-tu en fuite ? Même verbe argotique à 59.   23 Je traverse le territoire. Cf. Gautier et Martin, vers 85.   24 Par terre. Cf. les Maraux enchesnéz, vers 172.   25 Que toi <picardisme>. Cf. le Pasté et la tarte, vers 237 et 278.   26 Nous avons là un « mot du guet », c’est-à-dire une phrase absurde que les soldats utilisent comme mot de passe pour se reconnaître. « Mais nul quidam ne s’apareille/ À me dire le mot du guet. » (La Fille esgarée.) Les deux grognards, qui ont fait la guerre et des pillages ensemble, se reconnaissent.   27 La patte : serre-moi la main. Cf. Gournay et Micet, vers 478.   28 Par la chair de moi ! Juron picard.   29 Que nous jouions aux dés <note 11>, pour fêter nos retrouvailles entre tricheurs.   30 La grimace, comme tous les suppliciés. « Et vous gardez bien de la roue,/ Qui aux sires plante ses gris [ses griffes]/ En leur faisant faire la moue. » Villon, Jargon 6.   31 Perché sur une potence.   32 Capturé.   33 Et roué vif faute de gibet. « Ou par deffaulte du bourreau. » (Saoul-d’ouvrer et Maudollé.) « À la branche du allegruc,/ Pour faire la moue aux planettes. » St Christofle.   34 Le gain. J’ai été emprisonné au pain sec et à l’eau.   35 À cause de mes tricheries aux dés. On jette les dés sur la table : « Par sort et ject des déz vous faictes voz jugemens. » Rabelais, Tiers Livre, 40.   36 En y laissant une oreille <note 44>. On coupe une oreille aux voleurs, et la deuxième aux récidivistes. Le comédien porte donc son bonnet incliné sur une oreille.   37 Éd : lesparges  (En y laissant mes cheveux.)  Par commodité ou pour les humilier, le bourreau tond les condamnés qu’il va essoriller, décapiter ou pendre. « De voz fargés serez bésifles [rasés],/ Tout debout [pendus] et nompas assis [dans une basse-fosse]. » Villon, Jargon 4.   38 Le prévôt, le chef de la police. Même mot d’argot aux vers 137 et 157.   39 Dans leurs cachots aux murs massifs. « Gardez-vous des coffres massis ! » Villon, Jargon 4.   40 Les ceps sont des planches qui entravent les chevilles des prisonniers. Idem vers 50.   41 Les ceps étant horizontaux, ceux qui en sont entravés ne peuvent allonger leurs jambes. « Les piéz ès ceps, qu’il ne se couche. » Mystère de saint Remi.   42 Entre 5 h et 6 h. « Entre sis et sept, c’est bonne heure. » Le Poulier à sis personnages.   43 Le dessus de mes chaussures. Tirer ses guêtres = déguerpir.   44 De peur qu’on me coupe les oreilles, comme aux voleurs <note 36>. « Eschéquez-moy tost ces coffres massis [évitez ces cachots] :/ Car vendengeurs [coupeurs de bourses] des ances circuncis/ S’en brouent [s’enfuient] du tout à néant. » Villon, Jargon 1.   45 Jobard.   46 Le bourreau. « Que le télart et le rouastre [le prévôt]/ Vous estranglent ! » St Christofle.   47 Pour fumer le lard, on le pend à l’intérieur d’une cheminée, suffisamment haut pour qu’il ne fonde pas.   48 Tes aveux.   49 Je m’en allai à la Bonne Pie. « Et brouons à la Gourde Pyenche. » (Les Premiers gardonnéz.) Sur les dérivés argotiques de ce nom de taverne, voir la note 50 de Trote-menu et Mirre-loret. Notre vers 138 en fournit une autre forme : la Gourde Pie.   50 Je me mis à l’abri (Chocheyras). « Et eschicquez tost en brouant [fuyant]. » Villon, Jargon 2.   51 Je marchai. « Et piétonnez au large sus les champs. » Villon, Jargon 1.   52 Le bourreau. Pour tout potage = en tout et pour tout ; idem vers 437.   53 Grâce à un sauf-conduit, une lettre de rémission.   54 À coups de barre. Cf. les Brus, vers 220.   55 Quel plaisir. Idem vers 252 et 265.   56 On trouverait, comme nous, une fournée de pain mal cuit. En temps de guerre, les soudards réquisitionnent ou dérobent le meilleur pain.   57 Embusquons-nous sous la feuillée. Nos détrousseurs se cachent aux abords d’un chemin forestier.   58 Quelque dupe. « S’il venoit quelque gourt [riche] siroys/ De qui nous fussions estrénéz [récompensés]. » Les Coquins.   59 Des écus d’or <note 9>, à la dérobée.   60 On lui couperait la tête. Idem vers 21. Sainéan : « Visage, nez. »   61 Je saute un dialogue d’une vingtaine de vers entre le Suisse allemand Fréminaud, et le Lombard Alibraquin, qualifiés respectivement de 3ème et 4ème tyrans : l’éditeur n’y a visiblement rien compris, et il a fait n’importe quoi.   62 Comme un singe, salement.   63 Sans pain ni sans boisson. Dans son baragouin teuton, le Suisse disait un peu plus tôt : « Je n’ay broc ne drinc, à ceste foys./ Par my foy, je suis mort de fain. »   64 Que les temps deviennent meilleurs : que la guerre revienne enfin.   65 Alors que nous n’avons pas de manteau sur notre pourpoint.   66 La farce du Capitaine Mal-en-point fut écrite peu après 1516. Mais ce capitaine en guenilles était déjà connu de Claude Chevalet, qui avait collaboré en 1509 au Mystère des trois Doms, dans lequel est incluse une farce de Baudet, Blondète et Mal-enpoint.   67 La dysenterie. Les soldats français rapportèrent ces maladies des guerres d’Italie. Nous ne sommes plus à un anachronisme près.   68 La rogne est une maladie de peau due au mal de Naples : « Que la maudicte roigne,/ Grayne de Naples, vous tiengne sans respit ! » André de La Vigne.   69 L’imprimeur descend cette rubrique sous le vers, qu’il répartit pourtant sur 2 lignes.   70 « Et arriva, soit dur ou mol,/ Emprès une grant vieille porte. » Les Repues franches de maistre Françoys Villon.   71 « Comme beaulx chiens couchans,/ (ils) coucheront de nuict par les champs. » St Christofle.   72 Deux misérables.   73 Un centime. Idem vers 294.   74 De nous verser un péage. Idem vers 151.   75 On voit à leur hoqueton. Ce corset militaire n’est visible que si le pourpoint est déchiré.   76 Que des mendiants. Cf. Turelututu et Granche-vuyde, vers 90 et 275.   77 Comme un « lustiger Bruder », un joyeux drille allemand. « Aller rompre la teste à ces Brodes allemandes. » Jean Le Frère.   78 Dépourvu. Cf. le Mince de quaire.   79 Sa dégaine. La « mode lombarde », ou « mode milanaise », n’est pas que vestimentaire : elle symbolise également l’homosexualité.   80 Comme les oreilles d’un chien.   81 Faisons une sortie, une attaque.   82 L’Allemand a peut-être dit : « Unter-Richter ? » C’est-à-dire : « Un sous-juge ? » Quoi qu’il en soit, Brandimas comprend : « Tu es riche ? »   83 Des beaux mots, des promesses ! Idem vers 486. « Vous m’aimez ? Dea, voire, de beaux ! » Les Trois amoureux de la croix.   84 Éd : Sa  (Donne-moi ta pique ! Voir les vers 98 et 123.)   85 Éd : gothzenaud  (Sainéan suggère : « In Gott’s Nam ! ‟Au nom de Dieu !” »)   86 Sainéan suggère : « Ja, währli ‟oui, vraiment.” »   87 Ivrogne. Son habit est taché de vin. « Boyvent mon vin comme droncquars. » (La Condamnacion de Bancquet.) Dans le Mystère, un soudard suisse est nommé Droncart.   88 Je dirais qu’il est lombard. Voir la note 79.   89 Pierre Servet traduit : « Laisse-moi tranquille. »   90 Corniaud.   91 Éd : cy  (« Oui, Monsieur. » Par la suite, Alibraquin fera deux fois la même réponse.)   92 Des tricheurs, des filous. Cf. Gournay et Micet, vers 455 et 524.   93 Des mendiants qui se font passer pour des militaires <note 20>.   94 Tenus en échec, appauvris.   95 En mauvais état. Cf. les Chambèrières qui vont à la messe, vers 68.   96 Éd : esticquetz  (À leurs ornements sans valeur.)   97 Qu’il n’y a rien à nous mettre sous la dent.   98 Si vous nous donnez un coup de pique.   99 Vous appartenez comme nous à l’Ordre de Bélître, ancêtre de la Cour des Miracles. « Qui n’ont ne chausse ne pourpoint :/ C’est selon l’Ordre de Bélistre. » (Le Capitaine Mal-en-point.) La Chanson sur l’Ordre de Bélistrie, de Jehan Molinet, détaille la vie des mendiants.   100 Nous relever, nous rétablir.   101 Pour aller en étant élégants. « Vous estes sur le hault verdus. » Le Monde qu’on faict paistre.   102 Nous ne savons plus de quel bois faire flèche. Cf. l’Aveugle et Picolin, vers 14.   103 Jeu de mots sur « les œufs ».   104 Éd : a  (Nous aurait ranimés.)   105 À la ville joyeuse. « À Parouart [Paris], la grant mathe gaudie. » Villon, Jargon 1.   106 Éd : ie feray  (L’éditeur n’a pas compris cette expression rare. « Jehannin Faulchon dist au suppliant qu’il alast à la landye sa mère. » Godefroy.)  Aller à la landie de sa mère = retourner dans le ventre de sa mère. Nous dirions : Va te faire voir !   107 Nous irons changer notre or contre de la monnaie. À Paris, les changeurs occupaient le Pont-au-Change.   108 Éd : ses  (En argot, un vendangeur est un coupeur de bourse.)   109 Si le prévôt <note 38>.  Les anges sont les sergents ; même mot d’argot à 158.   110 À la taverne <note 49>.   111 Ils nous mèneraient attachés deux par deux pour nous faire accroupir. Le plafond des culs de basse-fosse était si bas que les prisonniers ne pouvaient se tenir debout. (Au sens propre, la croupie est la position du chasseur à l’affût.)   112 Éd : a  (Par la gorge, que la pépie assèche. La lexicographie argotique ignore cette acception.)   113 Sa sacoche.   114 Éd : uictuaille  (Chevalet écrit toujours victaille : « Vous mengez toute la victaille. »)  L’iconographie de l’époque associe la vitaille [les vits] aux brouettes.   115 J’encaisse vos impôts.   116 24 deniers valent 2 sous.  Sans rien rabattre = sans marchander : cf. les Femmes qui font refondre leurs maris, vers 484.   117 On croit plus facilement Barraquin lorsqu’il déplore connaître le prévôt et ses sergents, que lorsqu’il s’enorgueillit de connaître l’empereur, au vers 194.   118 Je m’en vais à la ville pour faire les courses.   119 Quoi qu’il arrive.   120 Frigorifiés.   121 Qui ont dépensé tous leurs écus à la taverne <note 15>.  Barraquin court annoncer la bonne nouvelle à ses complices.   122 Laissez vite votre abri de feuillage.   123 Sa catin. Chacun imagine les pillages et les viols que la guerre va lui permettre d’assouvir.   124 Sur le lit. Même mot d’argot à 372.   125 Prise au fond du lupanar. Même mot d’argot aux vers 220 et 371.   126 Éd : guigard  (Jouons du gigot, de la cuisse : dansons, ou bien copulons. « Remuer le gigot : faire l’acte vénérien. » Antoine Oudin.)   127 Ce pain noir est réservé aux pauvres. « Arrière, pain bis ! » Colinet et sa tante.   128 Pénis. « J’ey un billard de quoy ‟biller” souloye ;/ Mais mon billard est usé par le bout :/ C’est de trop souvent fraper en la raye. » Le Savatier et Marguet.   129 Pain blanc de bonne qualité sur lequel on grave une croix.   130 Noël : poussons des cris de joie. « Il est né, le Messiau !/ Chantons Nau ! » Chantons Nau.   131 P. Servet rappelle que ce mot « est aussi un terme de scénographie médiévale désignant tantôt l’aire de jeu des acteurs, tantôt l’emplacement des spectateurs, tantôt le théâtre dans son ensemble ».   132 Rapidement. Le page est le premier objet de luxe que s’offrent les nouveaux riches. « Ung paige après moy, voire deux. » Mallepaye et Bâillevant.   133 Benêt. Mais un coquillart est aussi un voleur caché parmi les pèlerins qui se rendent à Saint-Jacques-de-Compostelle sous l’insigne de la coquille Saint-Jacques.   134 Que nous ayons reçu notre solde.   135 Mal vêtus.   136 3 écus. Boutade notifiant qu’on n’a rien à donner. « Trois, trois !/ Je le puis bien, de par mon âme ! » (Le Povre Jouhan.) On la rencontre sous d’autres formes : « Trois tous neufs ! » (Daru, la Pippée, Te rogamus audi nos, etc.) « Oui dia, trois ! » (Beaucop veoir, le Dorellot, etc.)   137 « Je chie de peur ! » L’Andureau et L’Andurée.   138 Ne serait-ce pas le bourreau ? Cf. Gautier et Martin, vers 92 et note.   139 Ici pour nous « agrafer ». Cf. Gautier et Martin, vers 84.   140 Éd : O  (Dans ses rets, ses filets. « Ce lion fut pris dans des rets. » La Fontaine.)  Déjà au vers 159, Brandimas menaçait de battre le prévôt et ses sergents.   141 Beaucoup d’argent <note 3> dans votre fouillouse, dans votre bourse. Cf. les Deux pouvres, vers 6. L’amiral parodie le langage des tyrans.   142 Nous copulerons de bon cœur. « J’y ay besongné de courage. » Raoullet Ployart.   143 Le lupanar <note 125>.   144 Les tyrans constatent qu’il y a une fille nouvelle devant la porte ouverte de la maison — les petits-bourgeois n’avaient pas encore inventé les maisons « closes ».   145 Du gibier féminin. Idem vers 280. « Une macquerelle/ Promect, en secrette maison,/ Produyre fresche venaison. » Pour le Cry de la Bazoche.   146 Votre ration de sperme. Cf. le Fol et la Folle, vers 124.   147 Et pourtant, je…   148 Nous voici. Vieux calembour sur « con battre » : copuler. Idem vers 258. « Il ne sçait pas qu’est-ce que de combatre,/ Cil qu’entreprend de plusieurs cons batre. » Gratien Du Pont.   149 Du bordel : mère maquerelle. Je récupère la didascalie du vers 286, qui aurait dû figurer ici.   150 « Estre à la paille jusqu’au ventre : estre fort à son aise. » (A. Oudin.) Mais les prostituées déchues copulent réellement sur une paillasse.   151 À condition que vous ayez quantité d’argent.  La tenancière fait entrer les quatre hommes.   152 Défoncée par mes innombrables amants.   153 Éd : Quil  (Qu’au cours de la fellation préliminaire, elle avalerait notre pénis sans le mâcher.)   154 Si tu regardes bien ma chair, mon physique.   155 Même les jours de fêtes, où l’abstinence sexuelle est pourtant de rigueur : cf. le Sermon pour une nopce, vers 254.   156 Pour ouvrir ce qui est déjà ouvert. Les clients des prostituées s’apparentent aux « dépuceleurs de nourrices ».   157 Quel racleur pour enlever les poils. Aux étuves, les femmes se font raser le devant (et donc le derrière) par un ratisseur.   158 Elles. Idem au vers suivant. Les prostituées — et à plus forte raison les maquerelles — sont jouées par des hommes travestis.  Être de séjour = être reposé.   159 Ce n’est pas là une incitation au déshabillage, mais un ordre de fuite : « N’y reviens plus, se tu es sage !/ Tyre tes chausses ! » L’Aveugle, son Varlet et une Tripière.   160 Par la violence.   161 Éd : Pissant  (Votre bas-ventre se videra sans que vous ayez besoin d’éjaculer.)   162 Nous vous mettrons à genoux, dans une posture érotique passive.   163 Qu’un coq châtré. D’après la rime, on attendait plutôt le héros Jason : « Maint homme, par son blason [sa forfanterie],/ Semble plus hardy que Jason. » Guillaume Haudent.   164 Prends garde qu’il ne te besogne pas ! « Je n’aymeray jamais grant homme,/ Car le petit frappe de près et congne. » Tu as dict que j’en mourrès.   165 Pour des raisons mnémotechniques, les noms des tyrans se succèdent dans le même ordre. Il manque donc ici une réplique de Barraquin.   166 Éd : me   167 Il nous faut chercher notre plaisir ailleurs.   168 Nous ne faisons plus recette.   169 Pouah !   170 Vieux vagin. « Oste-toy d’icy, viel carcas ! » L’Andureau et L’Andurée.   171 Putain. Idem vers 19. Ce mot vient de Picardie, comme Barraquin.   172 Vieux vagin. Idem vers 271. « Vieille loudière [pute], viel cabas ! » Le Raporteur.   173 Du mouton, du nigaud.   174 Nous nous y connaissons mieux en matière de prostituées qu’en matière de satin.   175 « De la marée fraische : une putain. » (Oudin.) Idem vers 509.   176 Ces « morues » ne viendront pas de la mer. « Allez-vous dessus la marine ? » St Christofle.   177 Au gibier <note 145>.   178 En quantité. Le gibier se prépare en civet, avec des oignons et du vin rouge. Mais le vin blanc symbolise le sperme.   179 Pourvu.   180 Filles de joie. Idem vers 367 et 518.   181 Du succès.   182 Celle qui ne connaît pas les finesses du métier. « G’y vays pourvoir,/ Car j’entens bien le jobelin. » (St Christofle.) Le jobelin est aussi l’argot des tyrans ; les ballades dont Chevalet s’inspire ont pour titre : « Le Jargon et jobellin dudit Villon. »   183 N’a aucune chance d’attraper le pigeon, le client.   184 La fortune nous fait défaut.   185 De si misérable crève-la-faim.   186 En cas de besoin. Comme d’habitude, Chevalet décrit les mœurs contemporaines, indépendamment du Mystère.   187 Il n’y a personne. La Fille égarée des Povres deables se plaint aussi de la concurrence déloyale faite par les nombreuses prostituées occasionnelles : « Il n’y a guère rue/ Où il n’y ayt des sœurs secrètes. »   188 Éd : cueillir  (De piler du sucre pour faire des confitures. « Le sucre que vous ferez piller bien petit. » Pour confir des demie-pièces de coings.)  On manipulait le sucre et la farine devant la porte pour ne pas salir la maison. Nos prostituées sans clients n’ont donc rien de mieux à faire que de préparer des confitures.   189 Fermez. La boutique est également le sexe d’une femme. « La boutique est fermée : se dit d’une femme qui ne fait plus d’enfans. » Oudin.   190 Il faut acquérir une clientèle.   191 Mon sexe. « Tu es trop neufve, et ne scez rien./ Ton engin n’est point bien ouvert. » Digeste Vieille.   192 Me laissera.   193 J’ai connu un temps où tu faisais merveille.   194 Une pièce en argent. C’est le salaire des prostituées de bas étage : « Ung beau grand blanc — qui n’est pas trop grant somme —/ Fist le marché. » Les Sept marchans de Naples.   195 Une si belle apparence.   196 La syphilis, par opposition à la petite vérole, ou variole.   197 Éd : dit  (Les soldats français revenus des guerres d’Italie accusaient les prostituées napolitaines de leur avoir inoculé le mal de Naples.)  « Ce mal que les François appellent ‟mal de Naples”, et que les Neapolitains appellent ‟mal françois”. » Charles Sorel.   198 Veut les éviter.   199 J’ai connu un temps où il venait quotidiennement ici des gens en quantité.   200 Éd : Chescum  (Seules les femmes font fourbir leur harnais, leur sexe : « Femme n’estoit, tant preude ou vieille feust, qui ne feist fourbir son harnoys. » Rabelais, Tiers Livre, Prologue.)   201 Les vieilles vulves. « Pource qu’elle avoit trouvé la lance de son champion si grosse, ne luy avoit osé bailler l’escu, doubtant qu’il ne la tuast. » Cent Nouvelles nouvelles, 86.   202 Je vous le garantis.   203 Sauf ce qu’il me faut pour vivre.   204 Par la porte ouverte, elle voit venir les tyrans.   205 Du palais royal.   206 Double sens érotique : « Je vueil perdre cent sous/ Se, dessus et dessoubz,/ N’est bien revisitée. » Les Sotz fourréz de malice.   207 Éd : Alibraquin   208 Même si on devait les chercher au fond du lupanar <note 125>.   209 Nous jouerons sur le lit <note 124>.   210 Sur la paille d’une écurie. « Coucher vestue sur la paillade. » Ung jeune moyne.   211 Faites-la venir sur ce champ de bataille.   212 Le rang des combattants de Vénus. Marragonde reste dans le registre militaire, pour se moquer des faux braves.   213 Je n’en tiens aucun compte. « De toutes ces accusations, je n’en fais ne recepte, ne mise. » J.-B. de Glen.   214 La joute, le combat contre votre lance virile. « Je feroye une jouste seulle,/ Mais ma pouvre lancette ploie. » Jehan Molinet.   215 Une fine mouche. « Que tu es ung fin hoste ! » (Les Enfans de Borgneux.) Rime dauphinoise en -oute : « N’estoient pas si fins houstes. » (La Pippée.) Pour Aqueline, ce « fin hôtelier » tient un hôtel de passe : elle traite Alibraquin de proxénète.   216 Éd : Barraquin   217 Comme maquereau. Idem vers 186.   218 Brouiller le papier, ou le parchemin, c’est causer des embrouilles.   219 Au bordel. « Une garse de plain clappier. » Les Chambèrières et Débat.   220 Va t’en prendre à ta consœur.   221 Débandé. « Soudain que la gouge on emmanche,/ Luy rebailler le picotin [sa ration de sperme],/ Si l’instrument ne se desmanche. » Guillaume Coquillart.   222 Percer de traits (ATILF).   223 Éd : menus  (Ces syllogismes. « De jeune logicien, argument cornu. De jeune médecin, cimetière bossu. » Proverbe.)   224 Il ne lui faut qu’un pénis. « Pour mettre au ‟four” leur pain. » (La Fluste à Robin.)  La note 244 revient sur les mœurs suspectes de celui que Chevalet a malicieusement choisi de nommer le « roi Danus » [roide anus]. Au siècle précédent, le Mistère du trèsglorieux martir monsieur sainct Christofle nommait ce roi imaginaire « Dagus » ; mais l’auteur anonyme dudit Mystère ne brillait ni par son humour, ni par sa liberté de ton.   225 Pour qu’elles accomplissent une certaine besogne.   226 Si je me mets en colère. Cf. L’Andureau et L’Andurée, vers 450.   227 Loin d’ici. « Mieux vaudroit qu’eusse esté à Rome ! » L’Antéchrist.   228 Chevalet connaît bien les pièces de Triboulet, dont il a donné le nom à l’un des messagers du Mystère. Il emprunte ce vers fautif à la première édition du Roy des Sotz, aujourd’hui perdue ; voir la note 24 de cette sottie.   229 Prestement.   230 Avant.   231 De plaidoiries, de contestations.   232 Rendez-les-moi.   233 Éd : loing fusse tu  (Tu aurais aussi vite fait de te payer une cotte, un jupon. « –As-tu le contract ? –Aussi bien eusses-tu l’argent ! » Pierre de Larivey.)   234 Avec notre précieux chargement.   235 Servet traduit : « Aller les mains vides. »   236 Qui n’a pas rapporté de proie au fauconnier. Mais le « faux con » désigne la vulve, qui se repaît de proies phalliques : « Il craind un peu le dangereux faux con. » (Lasphrise.)  Les tyrans et les deux filles entrent dans le Palais royal.   237 Même si elles.   238 J’ai peur que le géant saint Christophe ne nous fasse du mal.   239 Cherche. Le son « s » est très voisin du son « ch ». De même, à la rime suivante, il faut lire « perce » et non « perche ».   240 Éd : õcques peau  (« Mettre une fille en perce : la despuceler. » Oudin.)   241 Je vous rassure : vous n’en mourrez pas.   242 Elle ne risque pas d’en mourir, quoi qu’elle en dise.   243 Experte. La maquerelle du Dorellot se nomme Faicte-au-mestier.   244 J’en mourrai moi aussi, car vous avez un gros engin. Chevalet fait souvent des allusions à la sodomie : voir la note 69 de Cuisine infernale, ou la note 217 de L’Andureau et L’Andurée. Le roi Danus [roide anus], dont les mœurs sont mises en doute au vers 405, a pour chevalier Orlant, qui aime beaucoup les tyrans : c’est lui qui a fait venir de Rome ces « mauvais garsons », et qui a eu l’idée d’envoyer « ces quatre gallans au bordeau ».   245 Mademoiselle, votre peau est élastique.   246 Qu’il n’y a pas d’os dans un pénis.   247 « Il seroit bien gros, par ma foy,/ Si elle en faisoit à deux fois ! » Les Chambèrières qui vont à la messe.   248 Des mots ! Voir la note 83.   249 Allez dans la cellule de Christophe.   250 Que ma volonté s’accomplisse.   251 Bien informées. « Je suis tout rusé de ce fait. » Trote-menu et Mirre-loret.   252 Que si on nous y conduit.   253 De notre religion.   254 Je n’aurai qu’un mot à dire.   255 Son harnais viril. Cf. L’Andureau et L’Andurée, vers 409 et 455.   256 Que nous n’avons plus rien à apprendre.   257 Du pénis (ital. cazzo). « Du temps que mon cas estoit beau,/ Que ma ‟chose” bien se portoit. » Les Sotz fourréz de malice.   258 J’étais jusqu’à présent un messager.   259 Désormais, je suis un amateur de « morues ». Voir cette Ballade, vers 2 et note.   260 La bête à deux dos = le coït. Rime dauphinoise en -ou : « Vous faictes la beste à deux doulx. » Le Badin qui se loue.   261 Les miens et ceux de mon amant. « Tu bouteras tous les coups/ Deulx culz avec quatre genoulx,/ Après que seras maryée. » Les Bâtars de Caulx, LV 48.   262 Si tu vois qu’il me prend sexuellement, pète ! Jeu de mots : corner prise = sonner du cor quand la bête est prise. « Car tous ensemble cornent prise. » (Godefroy.)  Nicette souffle dans la corne que le messager porte en bandoulière.   263 Éd : une  (« Vous avez le bruit [la réputation]/ D’estre encore plus fine ouvrière. » La Pippée.)   264 Laisse cette corne !   265 Sur leur pubis. Cf. Cuisine infernale, vers 107. « –Estudiras-tu bien ?/ –Ouÿ, en parchemin velu. » Pernet qui va à l’escolle.

L’ANDUREAU ET L’ANDURÉE

Bibliothèque nationale de France

Bibliothèque nationale de France

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L’ANDUREAU

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ET  L’ANDURÉE

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La Vie de sainct Christofle (~1510-1514), de Claude Chevalet, contient une sottie (le Fol et la Folle) ainsi que plusieurs farces, dont les Basteleurs et les Tyrans au bordeau. En voici une autre, qui met en scène un couple de paysans. Leur nom — L’Andureau et L’Andurée — provient d’une chanson picarde : « Au chant de ‟Marchons la dureau, la durée”, une chanson vulgaire [populaire] qui lors estoit en bruit. » (Jehan Molinet.) Une autre chanson, que j’ai publiée dans la notice du Bateleur, a pour refrain : « Dureau la duroye. »

Source : La Vie de sainct Christofle, élégamment composée en rime françoise et par personnages par maistre Chevalet. Imprimé à Grenoble en 1530. Bibliothèque nationale de France, Rés. YF 116. Édition critique de Pierre SERVET : La Vie de sainct Christofle ; Droz, 2006.

Structure : Rimes plates avec beaucoup de « troisièmes rimes », et 2 triolets.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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Dans nombre de Mystères, un messager demande sa route à un paysan qui ne veut pas la lui indiquer ; voir, entre autres, le Messager et le Villain.

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                        SAUTEREAU SCÈNE  I

        … Et si, ne cognois où je vois1,

        Bien ou mal, ne quel chemin suyvre.

        Toutesfoys ne suis-je pas yvre,

        Nonobstant que j’aye bien beu2.

5      Voylà ung villain3 que j’ay veu ;

        Si, m’en voys à luy le droit pas4.

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        Hau, bon homme5 !                                                     SCÈNE  II

                        L’ANDUREAU,  villain.

                                         Il n’y est pas6.

                        SAUTEREAU

        Où va ce chemyn, mon amy ?

                        L’ANDUREAU

        Il ne va ne pas, ne demy7 ;

10    Oncques il n’ala nulle part.

                        SAUTEREAU

        Mais où tire-il8 ?

                        L’ANDUREAU

                                     Il n’a point d’arc

        Ne de flesche.

                        SAUTEREAU

                                Quel(le) resverie9 !

        Est-ce le chemyn de Surie10 ?

                        L’ANDUREAU

        Nenny, c’est le chemin publicque.

                        SAUT[E]REAU

15    Voicy ung propos bien oblicque !

        Que broulles-tu le parchemyn11 ?

        Dis-moy : qui suyvroit12 le chemyn,

        Où yroit-on ?

                        L’ANDUREAU

                               Par mon serment !

        Si le chemyn alloit devant,

20    Vous le suyvriez bien une espace13 ;

        Mais il ne bouge de sa place

        Pas pour telz gens comme vous estes.

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                        LA  VIELLE  ANDURÉE 14                    SCÈNE  III

        Est-ce le labeur que vous faictes,

        Viellart rassouté15, estourdy ?

25    Par noz dieux ! vous serez ho[u]rdi16

        Tout maintenant, de chaulde colle17 !

                        SAUTEREAU

        Et ! qu’est cecy ? Estes-vous folle ?

        Fault-il batre vostre mary ?

                        L’ANDURÉE

        Venez-vous au charivary18 ?

30    Par tous noz dieux, vous en aurez19 !

        Tenez !

                        SAUTEREAU

                      Gardez que vous ferez20 !

                        L’ANDURÉE 21

        Empoigne ce coup de queno[u]ille !

                        SAUTEREAU

        Que fera ceste troulle-broulle22 ?

                        L’ANDURÉE

        Mais que fault-il à ce baveur23 ?

                        L’ANDUREAU

35    Il a esté bon24 recepveur,

        Ce messagier.

                        L’ANDURÉE

                               Sus, qu’on besoigne25 !

        Par noz dieux ! si je vous empoigne,

        Je vous feray plus bas parler.

                        SAUTEREAU

        Le diable m’en fit bien mesler !

40    Jamais je ne fus à tel(le) feste26.

                        L’ANDURÉE

        Retourne, tu auras ta reste27 !

*

La ville de Samos est close par un rempart dont la porte reste ouverte sur la campagne. Une tour du guet domine ce mur ; elle est dépourvue d’escalier : on y accède par une échelle qui est ensuite retirée, pour que le guetteur soit en sécurité, ou pour qu’il ne prenne pas la fuite. « Nous ne sçavons par où descendre : / On nous a mis à faire guet. » (Les Rapporteurs.)

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                        LE  CONTE  DE  TRIPLE                      SCÈNE  IV

        Or çà ! qui montera là-hault,

        Sur la tour, pour faire la guette ?

        Il est force que l’on y mette

45    Quelc’um, ce sera le plus beau28.

                        PASQUELON

        Voylà mon voisin L’Andureau :

        Envoyer luy fault tout le pas29.

                        L’ANDURÉE

        Faictes-y monter le bourreau !

                        NYCOLIN

        Montez, mon voisin L’Andureau !

                        MORGALANT,  bourreau.

50    Vielle guêtre30, traŷne-péneau !

        Il y ira, voylà le cas !

                        NYCOLIN

        Voylà mon voisin L’Andureau :

        Envoyer luy fault tout le pas.

                        L’ANDURÉE

        Tu y mentiras !

                        PASQUALET,  varlet du bourreau.

                                  Ha ! Babeau31 !

                        MORGALANT

55    Oste-toy d’icy, viel carcas32 !

                        PASQUELON

        L’Andureau ne seroit pas las,

        S’il y demouroit troys sepmaines33.

                        L’ANDURÉE

        Il fera voz fièvres quarteynes !

        Avez-vous entendu, beau sire ?

60    N’en sçavez-vous ung aultre eslire34

        Sans le venir du guet charger,

        Qui35 n’a pas du pain à menger

        Sans labourer en sa maison36 ?

                        NYCOLY[N]

        On luy fournyra — c’est raison —,

65    Et à vous, sa vie ordinaire37.

        Et si, est force de le faire,

        Car trop chier seroit le deffault38.

                        LE  CONTE  [DE  TRIPLE]

        Sus, Andureau ! Monte là-hault

        Et prens garde de tous costéz,

70    Si39 que noz ennemys mortelz

        Soient apperceuz de bien loing.

                        L’ANDUREAU

        Ne vous chaille, j’en prendray soing.

        Je voys monter dedans la loge40.

        Et quoy41 que j’ay l’œil ung peu roge,

75    Si ay-je encor[e] bonne veue.

                        BROADAS

        Si tu apperçois rien, si hue

        Et cloche menu42 et souvent !

        Puis metz la bannerolle43 au vent

        Contre ceulx que verras venir.

                        L’ANDUREAU

80    Sçav’ous quoy ? Faictes-moy tenir44

        Ou apporter une bouteille :

        Car c’est cela qui me resveille

        Quant ce vient au charivary.

                        ANDROMADÈS

        Tien : empoigne-moy ce barry45,

85    Et fais le guet tant seullement !

*

L’Andurée ramasse du bois devant le rempart, non loin de la tour où veille son mari. Un soldat sort de la ville et s’approche d’elle.

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                        BARDON                                                    SCÈNE  V

        … Çà, m’amye, a[vez-]vous point veu

        Gens de guerre parmy ces champs,

        Allans à pied ou chevauchans ?

        Dictes-le, affin qu’on le sache.

                        L’ANDURÉE

90    Mon mary en est à l’estache46

        — Dont il n’estoit pas grant besoing —

        Hault jusché pour le[s] voir de loing.

        Le grant diable ait part en la guerre47 !

                        BARDON

        Et  que faictes-vous icy ?

                        L’ANDURÉE

                                                Je serre

95    Du boys pour [en] faire ung fagot

        Pour mettre cuyre ung gigot.

        Laissez-m’en paix et passez oultre !

                        BARDON

        Vouldriez-vous point prester le voustre48

        Près ce buysson, en quelque coing ?

                        L’ANDURÉE

100  Mon gigot ?

                        BARDON

                             Voire, ou [le] maujoinct49 :

        Car je vous embrasseray ferme50.

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                        L’ANDUREAU,  au guet.51                       SCÈNE  VI

        Allarme, bonnes gens, alarme52 !!

        Je saulteray par ce créneau !

                        NYCOLIN 53

        Qu’as-tu ?

                        L’ANDUREAU

                         Je voy ung gendarmeau

105  Qui veult ma femme brimballer54.

        Descendez-moy, g’y veulx aller !

        Je pers le sens, je suis deffait.

                        PASQUELON

        N’ayes soussy : c’est peu de fait55.

        Tais-toy, car c’est assez presché !

                        L’ANDUREAU

110  Pour Dieu, que je soye desjuché56 !

                        NYCOLIN

        La raison ?

                        L’ANDUREAU

                            Il me fait cornu.

                        PASQUELON

        Tu y serois trop tart venu57.

                        L’ANDUREAU

        Je saulteray, comme qu’il soit58 !

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                        L’ANDURÉE                                             SCÈNE  VII

        Ostez-vous ! Mon mary me voit,

115  Qui [nous] crie à plaine caboche59.

        Vous luy ferez rompre la cloche60.

        Allez-vous-en sans parler plus !

                        BARDON

        Nous ne ferons pas le surplus,

        Puisque nous sommes descouvers.

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120  Je voy des gens, sur ce renvers61,                                SCÈNE  VIII

        Qui vont crians parmy la plaine.

        Je le voys dire62 au capitaine,

        Affin que l’on y remédie.

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                        L’ANDUREAU 63                                     SCÈNE  IX

        Alarme !!

                        NYCOLIN

                         Qu’as-tu ? Qu’on le die !

                        L’ANDUREAU

125  Il n’est pas temps de se truffer64.

        Alarme !! Que de gens de fer,

        Autant le corps comme les manches !

        Ilz portent de[s] perches ferrenches65

        Pour venir ruer66 ceste ville.

                        PASQUELON

130  Combien sont-ilz ?

                        L’ANDUREAU

                                      Plus de cent mille.

        Alarme, bonnes gens, alarme !!

        Ilz me chevaulcheront ma femme

        Aux champs, atout leur vit d’acier67 ;

        Puis sera grosse d’ung archier68

135  Qui mengera nostre poullaille69.

        Tout est perdu ! Que l’on me baille

        Une eschelle ! Descendez-moy !

*

Quelque temps plus tard, L’Andurée traîne son mari au temple de Jupiter, où la Folle du mystère essaiera bientôt de châtrer le sien.

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                        L’ANDURÉE                                             SCÈNE  X

        Sus ! au Temple (de par le diable,

        Entens-tu ?) pour sacrifier !

140  Le Roy l’a fait partout crier70,

        Et ce paillart-cy n’en tient compte.

                        L’ANDUREAU

        Et ! qu’est-ce cy ? N’a[s-]tu pas honte

        De crier ainsi en la place ?

        Par Juppin ! tu as peu de grâce.

145  Va-y toy-mesmes la première !

                        L’ANDURÉE

        Fault-il tirer le cul arrière71 ?

        Avant72, de par le diable, avant !

        Ne sont pas les hommes devant ?

        Veulx-tu jouer du contrepoint73 ?

                        L’ANDUREAU

150  Scez-tu quoy ? Ne me frappe point,

        Car je voys assez sans toucher74.

                        L’ANDURÉE

        Tout droit ! il ne faut point clocher75.

        Dépesche-toy sans plus parler !

                        L’ANDUREAU

        Tu m’y fais par [la] force aller.

155  Mais je despendray une terne

        De solz, anuyt76, à la taverne,

        Quelque chose qu’il en advienne.

*

Le païen Reprobe — futur saint Christophe — est un géant dont la laideur terrifie tout le monde. Mais il se confesse avec une humilité déjà toute chrétienne :

       Quant je suis soûl, je suis content

       De jeûner tant* que j’aye fain.                      *Jusqu’à ce.

       Mais si je treuve rien* en main                     *Quelque chose.

       Au matin, quant l’appettit touche,

       Je le fourre dedans ma bouche. »

Pour l’heure, il cherche le diable afin de se mettre à son service.

.

                        SAINCT  CHRISTOFLE                         SCÈNE  XI

        Je ne sçay comme je pourroye

        Trouver le Diable, que je quiers.

160  J’en demandasse voulentiers

        À ce villain quelque nouvelle.

.

        Comment est-ce que l’on t’apelle ?…                          SCÈNE  XII

        Parle à moy !… As-tu entendu ?

                        L’ANDUREAU

        A ! Jupiter, je suis perdu !

165  Cest homme-cy me mengera77 ;

        [Et] puis ma femme enragera,

        S(i) une foys je passe le pas78.

        A ! Monsieur, ne me tuez pas !

        Pour Dieu, ayez de moy mercy !

                        SAINCT  CHRISTOFLE

170  Et ! nenny non, n’aye soussy !

        Es-tu yvré79, ou si tu resve ?

                        L’ANDUREAU

        Ne faictes pas ma femme vefve80

        Pour prendre ung aultre mary,

        Car j’en serois le plus marry,

175  Et l’aymeroys beaucoup mieulx estre81.

        Par Jupit[er] qui me fit naistre82 !

        Je serois hors de grant esmoy.

                        SAINCT  CHRISTOFLE

        N’aye plus paour, et parle à moy83,

        Et me respons tout à ceste heure :

180  Scez-tu où le Diable demeure,

        Ne où il fait sa résidence ?

        Je quiers d’avoir son acointance.

        Monstre-le-moy à ma requeste.

                        L’ANDUREAU

        Vous quérez une faulce84 beste

185  Qui a les mâchouères de fer85.

        L’on dit qu’il se tient en Enfer.

        Quérir le diable, c’est simplesse86 ;

        Mais si vous quérez la diablesse,

        Voylà là où elle se cache87.

                        SAINCT  CHRISTOFLE

190  Où est Enfer ? Que je le sache !

        Monstre-moy le chemin grant erre88.

                        L’ANDUREAU 89

        L’on dit qu’il est dedans la terre,

        Mais le chemin ne sçay-je point.

        Et si90, y a ung aultre point :

195  Car je croy qu’il y fait bien chault.

                        SAINCT  CHRISTOFLE

        De tout cela il ne me chault :

        Il n’est chaleur que je n’endure.

        Et si, trouveray (quoy qu’il dure91)

        Le Diable, que je serviray.

200  À tant de gens m’en enquerray

        Que quelc’um m’en dira nouvelle.

        Puisque je sçay comme on l’appelle,

        Je le trouveray, si je puis.

                        L’ANDUREAU

        Vous le quérez et je le fuys :

205  Car l’on dit qu’il a le visa(i)ge

        De bien trente couldées de large,

        Corne devant, corne derrière.

        Quant il fait bransler sa paupière,

        C’est une chose merveilleuse92 !

210  Dedans le trou d’une dent creuse

        Que le paillart a en la gorge93

        A ung mareschal94 et sa forge,

        Qui ferre les chevaulx à glace95.

        ……………………………

                         L’ANDURÉE                                            SCÈNE  XIII

        M’avez-vous appellé « diablesse » ?

215  Par noz dieux, vous serez ho[u]rdy96 !

                        L’ANDUREAU

        Viens-tu ainsi à l’estourdy97

        Frapper sur moy sans dire gare ?

        C’est la journée de malle hare98 !

        Je voy bien qu’il me fault deffendre99.

                        L’ANDURÉE

220  Tu ne perdras rien de m’attendre100.

        Tien, empoigne cela, yvroigne !

                        L’ANDUREAU

        Ne frappe point de la queloigne101,

        Ne des ongles encores moins !

                        L’ANDURÉE

        Je frapperay de toutes mains

225  Tant que je t’en pourray donner !

        Fault-il les femmes blasonner102

        Comme tu fais, sanglante beste ?

                        L’ANDUREAU

        Ne me frappe point sur la teste :

        C’est le pot au vin103. Entens-tu ?

                        L’ANDURÉE

230  Par noz dieux, vous serez batu !

        A ! paillart, vous fault-il hongner104 ?

                        L’ANDUREAU

        Je le voys, [à fouÿr, gaigner]105 :

        Jambes, portez le corps arrière106 !

        Que le diable emport la loudière107

235  Et qui oncques m’en empescha108 !

                        L’ANDURÉE

        Jamais femme mieulx ne torcha109

        Homme que je te torcheray !

.

                        L’ANDUREAU                                         SCÈNE  XIV

        Par Juppin ! je me cacheray

        À quatre piedz, comme ung marmot110.

240  Voicy mon fait111. Ne sonne mot,

        Pour crainte de ceste estourdie !

.

                        L’ANDURÉE                                             SCÈNE  XV

        Qui le sçaura, que l’on me die

        Du112 paillart qui s’en est fouy.

        Je cuyde que je l’ay ouÿ,

245  Ou ung autre qui le ressemble.

.

                        L’ANDUREAU                                          SCÈNE  XVI

        A ! Juppiter, comme je tremble !

        S’elle me treuve, je suis mort.

        Hélas, pour me donner confort113,

        Vueillez-moy estre pitéable114 !

250  Elle est pire que n’est ung diable.

        Cachez-vous, vous serez batus !

*

L’Andureau se propose de suivre des « tyrans » (un douteux ramassis de sergents, bourreaux, tortionnaires et geôliers) qui veulent dévaliser des passants pour aller dîner gratis.

.

                        L’ANDUREAU                                          SCÈNE  XVII

        Dea ! je seray des vostres.

                        ALIBRAQUIN

                                                 Non !

                        MALLEPART

        Vous estes trop couhart aux armes.

                        BARRAQUIN

        Mais foible115.

                        L’ANDUREAU

                                  Et vous aux alarmes !

                        BRANDIMAS

255  Gaillards116 !

                        FRÉMINAUD

                             Dehaitz117 !

                        L’ANDUREAU

                                                O ! quelz gensdarmes

        Pour bien tost assaillir ung pot118 !

                        ALIBRAQUIN

257  Tais-toy !

                        MORGALANT

                       Chut !

                        PASQUALET

                                 Paix !

                        MALLEPART

                                          Gényn le Sot119 !

                        BARRAQUIN

        Garde de desrober plasm[e]use120 !

        L’entens-tu ?

                        L’ANDUREAU

                             Ma121 teste fumeuse

260  Vous fera chevalier passer122 !

                        BRANDIMAS

        Ventre123 !

                        FRÉMINAUD 124

                            Ha ! laissez-le passer :

        Sa coulère est [trop] dangereuse.

                        L’ANDUREAU

        Si j’eschauffe ma teste creuse125,

        Je te batray, dea, comme ung page126 !

                        ALIBRAQUIN

265  Tais-toy, truant !

                        L’ANDUREAU

                                     Vostre courage

        Vous fera une foys mouri[r] !

                        MORGALANT

        Cherchons…

                        PASQUALLET

                            Cherchons ?

                        L’ANDUREAU

                                               Boutte boullir127 :

        Tu y feras de beaulx vacarmes128.

                        MALLEPART

        Si une foys je suis aux armes,

270  Vous me verrez bien advancer129.

                        L’ANDUREAU

        Ilz vous feront maistre passer…

        Auprès du cul de Aqueline130.

                        BARRAQUIN

        Et moy, j’assauldray131

                        L’ANDUREAU

                                               La cuysine.

        Ou quelque souppe grasse au plat.

                        BRANDIMAS

275  Compaignons !

                        FRÉMINAUD

                               Hau132 ?

                        ALIBRAQUIN

                                             Bon guet !

                        MORGALANT

                                                             Eschac133 !

                        PASQUALET

276  J’ay…

                        MALLEPART

                 Quoy ?

                        BARRAQUIN

                            Trop vuyde

                        BRANDIMAS

                                               L’estomac.

                        FRÉMINAUD

277  Les dens

                        ALIBRAQUIN

                      Longues

                        MORGALANT

                                    Comme liépart134.

                        L’ANDUREAU

        Qui leur vouldroit bail[l]er du lart135,

        Ilz en feroient de gros morceaulx136.

                        PASQUALET

280  Prestz,

                        MALLEPART

                  En point,

                        BARRAQUIN

                                Arméz

                        BRANDIMAS

                                           Aux assaulx.

.

                        FRÉMINAUD 137

281  Voicy…

                        ALIBRAQUIN

                     Qui ?

                        MORGALANT

                               Ce que demandons.

                        PASQUALET

282  À luy138 !

                        MALLEPART

                        À luy !

                        BARRAQUIN

                                   Sus !

                        BRANDIMAS

                                           Empoignons !

                        FRÉMINAUD

        Je voys139 devant.

                        ALIBRAQUIN

                                      Et moy derrière.

                        MORGALANT

284  Frappe !

                        PASQUALET

                     Lorgne140 !

                        MALLEPART

                                        Hay !

                        BARRAQUIN

                                                 Assaillons !

                        BRANDIMAS

285  Qu’on cherche…

                        FRÉMINAUD

                                  Quoy ?

                        ALIBRAQUIN

                                              La gibessière141.

.

                        SAINCT  CHRISTOFLE                         SCÈNE  XVIII

        Retirez-vous bien tost arrière,

        Naintz, sotz, couhars, estradïotz142 !

                        MORGALANT

        Baille

                        PASQUALET

                  Çà l’argent !

                        MALLEPART

                                      Ou le dos

        On te secoura, et bien fort !

                        BARRAQUIN

290  À mort !

                        BRANDIMAS

                       À mort !

                        FRÉMINAUD

                                      Villain143, à mort !

                        SAINCT  CHRISTOFLE

        Vous ne serez jà le plus fort,

        Ou je renie Tarvagant144 !

        Par Jupin ! batus serez tant

        Qu’il fauldra que chiez145 vinaigre.

295  Et verrez si ma main est aigre

        Ou bien [est] rude à batre bourre146.

                        L’ANDUREAU

        (Je ne vis oncques mieulx secourre147 !

        Ilz n’ont garde des artisons148.)

                        SAINCT  CHRISTOFLE

        Tenez ! Tenez !

                        ALIBRAQUIN

                                 Nous nous nous rendons !

                        MORGALANT

300  Alarme !

                        PASQUALET

                       Alarme !

                        MALLEPART

                                      Je suis mort !

                        BARRAQUIN

301  Hay ! hay !

                        BRANDIMAS

                          Hay ! hay !

                        L’ANDUREAU

                                             (Quel réconfort !)

                        SAINCT  CHRISTOFLE

        Ce n’est rien, s’il n’y a de plus fort.

        Vient-on cy les gens assaillir ?

        Sang bieu ! je vous feray mourir

305  Cruellement !

                        L’ANDUREAU

                              [De loing] fouyr

        Il me convient149, ou je suis pris.

                        SAINCT  CHRISTOFLE 150

        Ma foy, vous y serez compris,

        Maistre gallant ! Estes-vous cy151 ?

                        L’ANDUREAU

        Monsieur, je vous crye mercy !

                        SAINCT  CHRISTOFLE

310  Tenez, tenez, vilain infâme !

                        L’ANDUREAU

        Ha ! ne faictes point que ma femme,

        Qui [manye si bien les ergos]152,

        Se remarye !

                        SAINCT  CHRISTOFLE

                               Tiens ces coups !

        Es-tu larron ?

                        L’ANDUREAU

                              Hay ! Hay ! le153 dos !

315  Las, je meurs ! Je chie de peur154 !

                        SAINCT  CHRISTOFLE

        Vient-on icy estre aguetteur155

        De chemyn, pour les gens surprendre ?

        Par Jupiter ! je vous voys pendre

        [Tous huyt]156, deussé-je estre bourreau !

                        L’ANDUREAU

320  Si je vous baille mon appeau157,

        N’aurez-vous pas pitié de moy ?

                        FRÉMINAUD

        Quel de profundis158 !

                        ALIBRAQUIN

                                           Quel effroy !

                        MORGALANT

        Il en est fait.

                        PASQUALET

                             Nous sommes friz.

                        MALLEPART

        Nous sommes bien des dieux mauldictz,

325  De nous trouver en telle bende !

                        SAINCT  CHRISTOFLE

        Venez, venez, que l’on vous pende,

        Vilains assailleurs estourdis !

        Et ! serez derechef ho[u]rdis159.

                        BARRAQUIN

        Je meurs !

                        BRANDIMAS

                        Je pasme160 !

                        FRÉMINAUD

                                              Trop hardis

330  Vous fustes à donner l’assault.

                        L’ANDUREAU

        Je vous donray ung gasteau chault

        Et ung tournoys161, pour ma rançon.

                        SAINCT  CHRISTOFLE

        Va, va, tu es mauvais garson162 :

        Tu ne vauls pas que l’on te gaige163.

                        L’ANDUREAU

335  Je suis trop plus heure[u]x que saige,

        Puisque j’ay eschappé sa pate164.

        J’ay quarante et cinq165, l’advantage.

                        ALIBRAQUIN

        Tu es trop plus heureux que saige.

                        MORGALANT

        Si166 as-tu ta part au pillage.

                        PASQUALET

340  Il t’a bien guéry de la gratte167.

                        L’ANDUREAU

        Je suis trop plus heureux que saige,

        Puisque j’ay eschappé sa pate.

                        MALLEPART

        Puisque nous avez rendu matte168,

        Ayez pitié, nous vous prions !

                        SAINCT  CHRISTOFLE

345  Vous avez gaignéz…

                        L’ANDUREAU

                                        Horïons169 ?

                        SAINCT  CHRISTOFLE

        Mais d’estre pendus hault et court !

                        L’ANDUREAU

        (Voylà ung terrible milourt170,

        Quant je regarde son mynois.

        Qu’il seroit bon à cueillir noys !

350  Il ne luy fauldroit point d’eschelle.)

                        SAINCT  CHRISTOFLE

        Rien ne vous sert ceste querelle,

        Car je vous lairay estachéz171.

                        L’ANDUREAU

        Je veulx estre — que le sachez —

        Des vostres : quant vient172 aux effors,

355  Je suis tousjours vers les plus fors.

        N’est-ce pas le meilleur conseil173 ?

                        SAINCT  CHRISTOFLE

        Je te bailleray ung resveil

        Qui te gardera de dormir !

        Va-t’en avec ceulx[-là] gémyr,

360  Si tu ne veulx [col comme]174 grue.

        Par mon serment ! presque je sue

        De tant férir ces truandeaulx175.

.

                        BARRAQUIN                                           SCÈNE  XIX

        Que ferons-nous ?

                        L’ANDUREAU

                                     Brides à veaulx176 ;

        Et si, disnerez aux dîmages177.

                        BRANDIMAS

365  Quelz alarmes !

                        L’ANDUREAU

                                 Vous faisiez rages,

        Quant ce vint l’heure d’assaillir.

                        FRÉMINAUD

        Je me178 cuydé esvanouÿr.

                        ALIBRAQUIN

        Et moy, cuyday passer le pas179.

                        L’ANDUREAU

        Vous valez ung aultre, à fouyr180

370  Quant on combat. Ne faictes pas181 ?

                        MORGALANT

        J’aloys…

                        L’ANDUREAU

                       Plus viste que le pas ;

        Mais il vous a tost recueilly.

                        PASQUALET

        Laissons tout ce charivary !

                        MALLEPART

        Ayde-moy182 !

                        BARRAQUIN

                                Hay ! Et qu’est cecy ?

                        BRANDIMAS

375  Je suis tout las.

                        FRÉMINAUD

                                 Et moy aussi.

                        ALIBRAQUIN

        Je suis boyteux.

                        MORGALANT

                                   Et moy, cassé.

                        L’ANDUREAU

        Vous estes chevalier(s) passé183.

        Tout beau !

                        PASQUALET

                           L’on m’a bien compassé184

        L’eschine, du long et du large.

                        MALLEPART

380  Desliez-nous !

                        L’ANDUREAU

                                J’en ay la charge,

        Cuydé-je : a[llons] les deslier.

        Es-tu le chien au gros collier185

        Qui186 faisois tant de la gendarme ?

                        BARRAQUIN

        Je ne puis aller, par mon âme,

385  Pour le coup que j’ay cy endroit187.

                        L’ANDUREAU

        Tout beau, hau ! Allez ung peu droit !

        Quoy ! me voulez-vous contrefaire188 ?

                        BRANDIMAS

        Allons ! Cherchons aultre repaire

        Pour trouver aulcun secourable189.

*

12 000 vers plus tard, L’Andureau est remonté dans la tour où il exerce « le guet qui est dessus la porte ». Il voit venir une armée. Sa femme est à l’extérieur du rempart, moins effrayée que lui par cette arrivée de violeurs potentiels. Les protagonistes jurent toujours comme des mécréants, mais leurs jurons, s’ils restent aussi orduriers, sont devenus chrétiens : cela est dû à la récente conversion du roi.

.

                        L’ANDUREAU,  villain.                           SCÈNE  XX

390  Saincte Marie, que de gens !

        Que d’estandars ! Que de banières !

        Ilz ressemblent, à leurs manières,

        Que ce soyent diables d’Enfer.

        Ilz portent de[s] robes de fer,

395  Et les bonnetz trèstous de mesmes.

        Par mon serment ! ce sont gensdarmes190

        Tous assembléz à grans monceaulx

        Ainsi comme sont les pourceaulx.

        Tout est perdu ! Alarme, alarme191 !!

400  Et ! par Dieu, s’il[z] treuve[nt] ma femme,

        Ilz luy mettront la « queue » devant.

                        LA  VIELLE  ENDURÉE

        Avant, de par le diable, avant !

        Qu’as-tu trouvé, à si hault braire ?

        La croix Dieu ! on te fera taire,

405  Si tu crye mèshuy192 si hault.

                        L’ANDUREAU

        Alarme, alarme, à l’assault !!

        Tout est pris, qui193 n’y prendra garde.

        Va-t’en cacher, putain paillarde,

        Ou ilz te mettront la « cropière194 »

410  Par devant, non pas par derrière,

        S’ilz peuvent gaigner la muraille195.

                        L’ANDURÉE

        J’ay mon saulconduyt196, ne te chaille,

        Tout prest dessoubz le bout du ventre,

        Et n’ay pas paour que nul y entre

415  Qui n’en saille197 bien à son aise.

                        L’ANDUREAU

        Que le feu fust en la fournaise198

        Aussi chault comme feu grégoys199,

        Pour [t’]ardre le trou et le joys200,

        Et mettre fin à la « beso[i]ngne » !

.

                        NYCOLIN,  bourgeoys.                            SCÈNE  XXI

420  Mais qu’as-tu trouvé, dy, yvroigne ?

        As-tu jà parfaict201 tes vendanges ?

                        PASQUALON

        Je cuyde qu’il a veu les anges202

        Au fons d’ung pot ou en ung verre.

                       L’ANDUREAU

        Armez-vous, car toute la terre

425  Est couverte de gens arméz !

        Et si légier203 vous ne fermez

        Les portes, nous sommes tous frictz.

                        NYCOLIN

        Il a dit vray : les rats sont pris204 !

                        PASQUALON 205

        Paix, puisque dire le convient !

430  Car c’est le secours qui nous vient,

        De cela suis [b]ie[n] adverty206 :

        Ce sont gens de nostre party

        Qui, du Roy (ainsi que j’entens),

        Ensemble207 tous les habitans,

435  Seront receuz à moult grant joye.

                        L’ANDUREAU

        Messeigneurs, la paour que j’avoye

        M’a faict faire ce grant effroy.

*

Malgré ses piètres résultats, le vigneron est à nouveau réquisitionné comme guetteur, sous les quolibets de sa femme.

.

                        PASQUALON                                           SCÈNE  XXII

        L’Andureau, il te fault monter

        Pour veoir de loing noz ennemys,

440  Et pour sonner cy pris, cy mis208 :

        Car tu es, à ce faict, propice.

                        L’ANDUREAU

        Laissez-moy, je quitte l’office.

                        NYCOLIN

        La raison ?

                        L’ANDUREAU

                          Car j’ay la veue209 trouble,

        Et n’ay pas le jarret si soupple210

445  Comme j’ay eu le temps passé.

                        L’ANDURÉE

        Bref, il est de gaiges cassé211

        Pour « monter212 », je vous en asseure !

        Si, luy conseille qu’il demeure,

        Pour mèshouan, dessus la plume213.

                        PASQUALON

450  Monte tost, car si je me fume,

        Je te donray une venue214 !

                        L’ANDUREAU

        Je deusse avoir [bien] belle « queue »,

        De juscher215 tous les jours si hault !

                        L’ANDURÉE

        La queue, devant, rien ne vault216,

455  Au moins pour mettre la « cropière » ;

        Quant est de celle217 de derrière,

        Elle sent son dyamerdis218.

                        NYCOLIN

        Monte tost, puisque je le dis !

        Il n’est pas temps de babiller.

460  Et prens garde de bien veiller

        Aux ennemys, car ilz sont près.

                        L’ANDUREAU

        Çà, ma bouteille ! Puis après,

        Je monteray sans plus attendre.

                        L’ANDURÉE 219

        Or tien ! Et monte sans descendre

465  Et sans retour, villain gros-bec220 !

                        L’ANDUREAU

        Va moy attendre au gibet,

        Non pas à « Reins221 », dont tu t’esbas !

        As-tu entendu, viel cabas222 ?

        Que du mau feu soyes-tu arse223 !

                        PASQUALON

470  Monte ! Et puis [tu] jouras la farce224,

        Et ta femme joura du cul.

                        L’ANDUREAU

        Je sçay bien que je suis coqu225,

        Pour dire le cas tel qu’il est ;

        Mais je ne suis pas tout seullet :

475  J’ay des compaignons plus de mille,

        Autant au[x] champs comme à la ville.

        C’est [là] maladie incurable.

                        NYCOLIN

        Monte, villain, de par le diable !

        Fault-il playdoier maintenant ?

                        L’ANDUREAU

480  Estes-vous du Roy lieutenant226 ?

        Attendez, [ne vous en]227 desplaise,

        Et je monteray à mon ayse,

        Puisqu’il est force qu’il se face228.

        Et toy, mauldicte chiche-face229,

485  Va moy aprester à menger !

                        L’ANDURÉE

        Attens-moy là sans te bouger :

        Si auras ung estront tout chault !

                        L’ANDUREAU

        Bren ! De tout cela, ne m’en chault ;

        Masche230 cela sans moy attendre !

*

L’Andureau finit par remonter dans la tour du guet. Cette fois, ce ne sera pas pour rien. Mais il a tant crié au loup qu’il aura du mal à être pris au sérieux.

.

                        L’ANDUREAU                                          SCÈNE  XXIII

490  Alarme, alarme !! Que de gens

        Arméz par boys, par préz, par champs !

        Courez tost, bourgeois et marchans,

        Embastonnéz, sur la muraille231 !

                        SAUTEREAU

        Mais qu’a ce fol qui si hault [b]raille232 ?

495  Je croy qu’il a veu les Angloys233 !

                        L’ANDUREAU

        Va tost faire armer les roys

        Tout d’acier, testes, piedz et mains :

        Car voicy venir les Romains.

        Descendez-moy, je meurs de peur234 !

500  Despêchez-vous, ou je suis seur

        Qu’ilz viendront Samos desconfire !

*

1 Et aussi, je ne sais pas où je vais. Un sautereau est un saute-ruisseau, un porteur de messages ; mais le sottereau n’est pas loin : « Soctars, soctereaulx, socteletz,/ Les vrays filz de Haulte Follie. » Les Sotz ecclésiasticques.   2 Bien que j’aie beaucoup bu. Les messagers, qui arpentent des chemins poussiéreux, ont toujours soif : voir la notice du Messager et le Villain.   3 Un paysan. Celui-ci est vigneron (vers 421).   4 Aussi, je vais tout droit vers lui.   5 On surnommait les paysans « Jacques Bonhomme ». Cf. Monsieur de Delà et monsieur de Deçà, vers 148 et note.   6 Je ne suis pas là. Cette insolence est mise en général dans la bouche des valets que leur maître réclame : « –Rince-hanaps ! –Il n’y est pas. » Le Porteur de pénitence.   7 Il ne se déplace ni d’un pas, ni de la moitié d’un pas. Cette plaisanterie était tellement éculée qu’on en faisait des chansons : « –Où va ce chemin qui verdoie ?/ –Tu vois bien qu’il ne se bouge. » (Nicolas Gombert.) Au chapitre 25 du Cinquième Livre, Rabelais parle d’une île où « les chemins cheminent comme animaux…. Les voyagiers, servans et habitans du païs demandoient : ‟va ce chemin ?” »   8 Où mène-t-il ?   9 Quelle folie ! Cf. la Folie des Gorriers, vers 239.   10 De Syrie. Mais la « suerie » est la fournaise dans laquelle on fait suer les vérolés atteints du mal de Naples : « –Fustes-vous oncques à Naples ?/ –Sy ay, sy ay, g’y ay esté./ –Et en Surie ? » Farce de quattre femmes, F 46.   11 Brouiller le parchemin = créer des embrouilles. « C’est un brouilleur de parchemin,/ Un rassoté. » Le Pèlerinage de Mariage.   12 Si on suivait.   13 Un espace de temps, un moment.   14 Cette prétendue « vieille » est beaucoup moins âgée que son mari, qui craint qu’elle ne se fasse engrosser (vers 134). Armée de sa quenouille, elle vient voir si L’Andureau travaille la vigne.   15 Vieillard rassoté : vieux sot.   16 Hourdi, chargé de coups. Idem vers 215 et 328.   17 Sous l’effet de ma colère <χολή = bile>. « Tout enflammé & plein de chaulde cole,/ Subitement prend ses armes & sort. » (Hugues Salel.) L’Andurée administre des coups de quenouille à son mari.   18 Vous mêlez-vous de notre conflit ? Idem vers 83 et 373.   19 « Vous en aurez, de ce baston ! » Serre-porte.   20 Prenez garde à ce que vous faites.   21 Éd : Landureau.  (C’est toujours la femme qui donne des coups de quenouille aux hommes, comme au vers 222.)   22 Une trouille-brouille est sans doute la femme d’un mauvais vigneron. « Leur vin trouillé, brouillé. » Complainte des Bons Vins à l’encontre des maistres de Brouillerie.   23 Ce bavard, ce médisant. Sautereau s’éloigne un peu.   24 Éd : mon  (Il a bien reçu tes coups. « Receveurs du bois [du bâton]. » Le Pasté et la tarte.)   25 L’Andurée donne à son mari l’ordre de travailler.   26 « Il ne fust oncques à tel feste,/ Se je le tenoye ! » (Serre-porte.) Allusion aux coups qu’on assène aux parents de la bru pendant la fête des fiançailles : « –J’ey eu plus de cinq cens/ Gros coups de poing dessus ma teste./ –Et ! c’est à cause de ma feste. » La Veuve.   27 Reviens, tu auras la monnaie que je te dois encore.   28 Ce sera le mieux. Pâquelon fait semblant de comprendre qu’on va choisir le plus bel homme de Samos, et il propose ironiquement le vieux L’Andureau.   29 Il faut l’y envoyer de ce pas.   30 Vieille guenille ! Le bourreau insulte L’Andurée, qui le désignait comme guetteur à la place de son mari. Un traîne-panneaux est un clochard couvert de pans de tissu, de loques. « Vestu de meschans panneaux de mendians. » Godefroy.   31 Diminutif d’Isabeau qu’on inflige aux femmes de mauvaise vie. Voir la note 45 du Fol et la Folle.   32 Le carquois symbolise le vagin dans lequel l’homme introduit sa flèche virile. « Vieulx carcas/ Barbuz à bouter viretons [pour y mettre notre flèche]. » Sermon joyeux des barbes et des brayes.   33 S’il y restait 3 semaines sans devoir supporter cette harpie.   34 Ne pouvez-vous en choisir un autre ?   35 Lui qui.   36 Sans travailler chez lui. Ou bien : Sans labourer sa vigne.   37 Son pain quotidien.   38 Car une défection lui coûterait trop cher.   39 De sorte.   40 Je vais monter dans la guérite de la tour par l’échelle. L’Andureau s’exprime enfin. Pour lui, résider dans la tour n’offre que des avantages : il est débarrassé de sa virago, il n’a plus besoin de travailler, et il peut boire sans qu’on le lui reproche.   41 Éd : puis  (Quoique j’aie les yeux rouges, comme tous les alcooliques. Cf. l’Antéchrist, vers 301.)   42 Si tu aperçois quelque chose, crie, et agite la cloche vivement. À l’approche des ennemis, on sonne le tocsin.   43 Éd : banuerolle  (La bannière de notre roi.)   44 Éd : uenir  (Rime du même au même.)  Faites-moi obtenir. « Faictes-moy tenir du blé & de l’argent ! » Jan de Amelin.)   45 Ce baril de vin. Cf. les Basteleurs, vers 54.   46 Passe pour cela sa tête par un créneau de la tour comme s’il était exposé au pilori. Estache = pilori : « Ilz sont mis à l’estache,/ Ilz n’ont garde de s’en voler. » St Christofle.   47 Que le diable ait sa part de guerre ! « Le diable y ait part, en la guerre ! » L’Aveugle et Saudret.   48 Le vôtre, de gigot, pour que j’y introduise ma broche. « Gigos en brocque. » (Jehan Molinet.) Ce mot désigne la cuisse d’une dame : « Remuer le gigot : faire l’acte vénérien. » Antoine Oudin.   49 Votre mal joint, votre sexe. « Il a donc heurté au maujoint. » Les Queues troussées.   50 Je vous « baiserai » fermement. Cf. Rouge-affiné, vers 235. Bardon enlace L’Andurée, qui ne s’en plaint pas.   51 Voyant que sa femme se laisse peloter par le soldat, il se met à crier tout en secouant la cloche.   52 Ce vers, identique au vers 131, est celui que clame le Fol du mystère quand la Folle veut le châtrer. L’Andureau et L’Andurée sont les substituts du Fol et de la Folle.   53 Nicolin et Pâquelon, les deux habitants de Samos qui avaient refilé la corvée du guet à L’Andureau, montent la garde au bas de la tour. C’est eux qui s’occupent de l’échelle.   54 Secouer, au sens érotique. « Ta femme future brimballant avecques deux rustres. » Rabelais, Tiers Livre, 25.   55 C’est peu de chose, ce n’est pas grave.   56 Descendu de ce perchoir.   57 Tu arriverais en bas trop tard.   58 Je vais sauter, puisqu’il en est ainsi.   59 À tue-tête.   60 Le mari jaloux est en train de sonner le tocsin : voir le vers 77.   61 De ce côté. Bardon voit arriver l’armée romaine, que L’Andureau n’a pas vue, trop occupé à surveiller sa femme.   62 Je vais le dire.   63 En relevant la tête, il aperçoit les ennemis. Il hurle et agite la cloche.   64 De plaisanter. Cf. Massons et charpentiers, vers 276.   65 Des lances ferrées.   66 Éd : tuer  (Abattre. « Tu as rué par terre/ La ville (de) Sainct-Quentin. » La Ville de Calais.)   67 Avec leur pénis couvert d’une armure.   68 Elle sera engrossée par un franc-archer.   69 Les francs-archers sont des voleurs de poules : « J’ay ouÿ poullaille/ Chanter chez quelque bonne vieille. » Le Franc-archier de Baignollet.   70 Annoncer.   71 Reculer. En ce même lieu, et avec les mêmes mots, la Folle retiendra l’homme qu’elle veut châtrer : « Ne tire point le cul arrière ! »   72 En avant ! Même vers que 402.   73 Veux-tu faire autrement que les autres, qui se placent aux premières loges lors des sacrifices à Jupiter ?   74 Je vais assez vite sans qu’on ait besoin de me toucher avec un pique-bœuf. « Il ne fault que toucher noz bestes. » St Christofle.   75 Boiter, marcher de biais. Le vieux paysan est boiteux (vers 386-7).   76 Mais je dépenserai 3 sous, ce soir.   77 On peint souvent saint Christophe avec une tête de chien. Notre Mystère le soupçonne d’anthropophagie : « C’est ung géant (je le cognois)/ Qui menge gens plus dru que noys ;/ S’il nous prent, il nous mengera. »   78 Si je trépasse, dévoré par ce monstre. Idem vers 368.   79 Enivré. Cf. le Messager et le Villain, vers 215 et note.   80 Veuve.   81 J’aimerais mieux être veuf moi-même.   82 Le futur saint use lui-même de ce juron païen : « Par Jupiter qui me fit naistre,/ Et le dieu Mars où je me fonde ! »   83 Le monstre est obligé de se faire annoncer par cette phrase rassurante : « N’ayez paour, et parlez à moy ! » « Parle à moy/ Et n’aye paour ! »   84 Maléfique. Armée de sa quenouille, L’Andurée vient contrôler si son mari travaille, comme au vers 23. Effrayée par le géant, elle se cache derrière un arbre.   85 Dans les Mystères, l’enfer d’où jaillissent les diables est une gueule qui s’ouvre et se ferme.   86 C’est de la simplicité d’esprit, de la bêtise.   87 L’Andureau montre l’arbre qui dissimule sa mégère.   88 Rapidement.   89 Éd : Landuree  (La « diablesse » ne quitte sa cachette qu’au vers 214.)   90 Éd : sil  (Et aussi. Idem vers 1, 66, 198 et 364.)   91 Quel que soit le temps que cela prenne.   92 Effrayante. « C’estoit une chose trop horrible et merveilleuse à racompter ! » Guillaume Tardif.   93 Dans la bouche.   94 Il y a un maréchal-ferrant. Gargantua fit mieux que le diable : il logea dans sa dent creuse « cinquante prisonniers » et « ung jeu de paulme pour esbattre lesditz prisonniers ». Les Grandes et inestimables Cronicques du grant et énorme géant Gargantua.   95 Avec des fers spéciaux qui s’incrustent dans la glace. Le futur saint part en quête de l’enfer, et L’Andurée sort de derrière l’arbre.   96 Chargé de coups (note 16). L’Andurée abat sa quenouille sur la tête de son mari.   97 Sans réfléchir. « Frappons dessus à l’estourdy ! » Les Tyrans.   98 Le paysan confond la male heure [l’heure funeste] avec la male hart [la maudite corde]. « À malle hart soit-il pendu ! » La Confession du Brigant.   99 Qu’il faut que je me défende. « Il nous fault deffendre. » L’Aveugle et Saudret.   100 Tu ne perds rien pour attendre.   101 Éd : quenoille  (Avec ta quenouille. « Or me fault filer ma queloigne. » Godefroy.)   102 Diffamer.   103 « Le moulle du bonnet [le crâne], c’est le pot au vin. » Gargantua, 9.   104 Éd : hougnyr  (Cette forme n’existe pas.)  Devez-vous grogner ? « Vous fault-il hongner maintenant ? » Turelututu et Granche-vuyde.   105 Éd : gaigner a fouyr  (Je vais remporter cette bataille en fuyant.)   106 Pour éviter la castration, le Fol du mystère s’écrie : « A ! jambes, saulvez-moy le corps ! »   107 Cette garce.   108 Et celui qui jamais m’en encombra : celui qui nous a mariés. Les époux, dans les farces, vouent aux gémonies les marieurs et les marieuses ; voir la note 256 des Mal contentes.   109 Ne battit. « Je te torcheray : tien ! » Grant Gosier.   110 À quatre pattes, comme un singe.   111 Voilà ce qu’il me faut. « Vécy nostre fait. » (Les Botines Gaultier.) L’Andureau s’accroupit derrière le socle de la statue de Jupiter, auquel il se met à parler, comme aux vers 246-251.   112 Éd : Le  (Si on le sait, qu’on me dise quelque chose du paillard qui s’est enfui. « Je te prie que tu me die de noz vignes : les copera-l’on ? » Arch. dép. Côte-d’Or.)   113 Réconfort.   114 Veuillez avoir pitié de moi. Cf. les Coquins, vers 242.   115 Et aussi, vous êtes trop faible.   116 Nous sommes vaillants. Cette écriture fragmentée est propre aux sotties ; voir, entre autres exemple, Mallepaye et Bâillevant.   117 Nous sommes joyeux.   118 « Je sçay bien tel qui assaillir/ Oseroit bien ung pot de vin. » Massons et charpentiers.   119 Plusieurs personnages de sotties se nomment Jénin. « Quel glorieulx sot ! Quel jényn ! » Les Coppieurs et Lardeurs.   120 Garde-toi de prendre une gifle. « Donner une plamuse, ou plamouse : un soufflet. » Oudin.   121 Éd : La  (Ma tête coléreuse. Le Fol du mystère a lui aussi une tête fumeuse, au vers 21.)   122 Je vais vous donner un coup sur la nuque, de même qu’on applique une colée au nouveau chevalier. Idem vers 377.   123 Ce juron vient de Gascogne, comme Brandimas.   124 L’imprimeur a interverti cette rubrique et la suivante. Fréminaud se moque des prétentions de L’Andureau.   125 Le Fol du mystère a aussi la tête creuse (vers 20). Teste Creuse est un personnage de sotties.   126 À coups de bâton. « Tendez-vous ung baston ?/ Cela debvez faire à ung paige. » Le Gouteux.   127 Va faire bouillir l’eau ! C’est à Pascalet, l’assistant du bourreau (vers 54), que revient cette charge quand il faut exécuter un faux-monnayeur.   128 Des troubles à l’ordre public. « Amans, prenez les armes !/ On ravit [enlève] Marion./ Faites de beaux vacarmes ! » La Meilleraye.   129 Avoir de l’avancement, monter en grade.   130 Éd : iaqueline  (Dans ce Mystère, Aqueline est une prostituée bien connue des tyrans.)   131 J’assaillirai. Voir le vers 256.   132 Éd : Hault  (« Sus, compaignons ! Hau ! vous dormez ? » St Christofle.)   133 Prise de guerre, rançon. « L’avoir et l’eschac qu’il conquist. » Godefroy.   134 Éd : cheuaulx  (Je suis affamé comme un léopard. « Le lyépart (…) peult nuyre et par dens, & par ongles. » Lancelot du Lac.)   135 Si on leur donnait des lardons, des brocards. « Tant bien sçavez l’art/ De farser gracieusement,/ De baillier aux aultres du lart ! » (ATILF.)  Autre sens figuré : Si on leur donnait du sexe. « Elle a trop bien baillé du lart/ À ung qui portoit grant couronne…./ Chascun l’aura, mais qu’on luy donne. » Jardin de Plaisance. <Guillaume Apollinaire, fin connaisseur de l’érotisme médiéval, reprit cette expression dans ses Mamelles de Tirésias.>   136 Ils en feraient de grosses bouchées.   137 Il voit venir Christophe sur le chemin forestier.   138 À l’attaque ! Cf. le Roy des Sotz, vers 141 et 183.   139 Je vais.   140 Cogne ! Cf. Troys Gallans et Phlipot, vers 489.   141 La bourse en cuir qui est attachée à la ceinture de Christophe.   142 Nains, sots, couards, mercenaires. Voir la note 3 du Fol et la Folle.   143 Bouseux. « –À mort, vilain ! À mort, à mort !/ –‟Vilain”, dictes-vous ? C’est oultrage. » L’Avantureulx.   144 Les fatistes médiévaux inventèrent le dieu païen Tervagant : c’était une rime commode. « Mars, Apolin et Tervagant. » St Christofle.   145 Éd : lõ chie  (Chier du vinaigre = s’enfuir de peur. « Soyez asseuré, de ce glorieux Angloys, que je vous le feray demain chier vinaigre devant tout le monde. » Pantagruel, 18.)  Nous disons aujourd’hui : chier du poivre.   146 Si ma main est faible ou forte pour battre un tapis. « Frappons sur eulx comme sur bourre ! » (St Christofle.) Christophe donne des coups de bâton aux tyrans. L’Andureau se tient à l’écart.   147 Secouer, battre un tapis.   148 Ils ne risquent plus d’avoir des larves de mites sur eux, maintenant qu’on les a battus comme des tapis.   149 Je dois fuir au loin. « Quand vient ainsi une fureur,/ De loing fuïr est bien propice. » Première Moralité.   150 Il attrape L’Andureau, qui s’esquivait.   151 Êtes-vous ici ? Christophe reconnaît le paysan, qu’il appelle d’ailleurs « vilain » 2 vers plus bas.   152 Éd : meyne si bien les argos  (En latin, ergo = donc.)  Dans les écoles, un ergo est un argument spécieux : « Ces gallans trouvent tousjours certains ergos sofistiquéz qui ont apparence de vérité. » Godefroy.   153 Éd : du  (« Hay ! Hay ! la teste ! » Le Povre Jouhan.)   154 Éd : paour  (Ce gag revient dans beaucoup de farces. « J’ay tel paour que je me conchie. » St Christofle.)   155 Éd : agresseur  (Un aguetteur de chemins est un bandit de grands chemins qui se met en aguet pour surprendre les voyageurs. « De brusleurs d’église, de violeurs de femmes et aguaiteurs de chemin. » J. Molinet.)   156 Éd : Touthuyt  (Je vais vous pendre tous les huit.)  Christophe extrait des cordelettes de sa besace, et il attache les tyrans aux arbres : les bandits de grands chemins ficelaient ainsi leurs victimes pour mieux les dépouiller.   157 Mon sifflet de braconnier, avec lequel j’attire les oiseaux. Les campagnards pratiquent toutes les formes de braconnage sur les terres des nobles.   158 Prière qu’on récite pour les défunts : « Ilz auront leur de profundis ! » (St Christofle.)  L’imprimeur a interverti les répliques de Fréminaud et d’Alibraquin, privant de rime le vers précédent.   159 Chargés de coups (note 16). Christophe matraque les tyrans.   160 Je me pâme : je m’évanouis. Voir le vers 367. « Ah ! je pasme, je meurs ! » Racan.   161 Un denier tournois. À titre de comparaison, la rançon de Charles d’Orléans, prisonnier en Angleterre, s’élevait à 220 000 écus d’or.   162 Tu es un misérable.   163 Éd : batte  (Tu ne vaux pas la peine qu’on te mette à rançon. « C’estoit grand honte que eulx deux s’estoient lessiéz gaiger par un seul homme. » ATILF.)  Christophe continue d’attacher les tyrans, mais il épargne L’Andureau.   164 À sa patte. L’imprimeur a interverti ces 2 premiers refrains du triolet ABaAabAB.   165 Éd : eulx  (Au jeu de paume, le score maximal de 45 donne l’avantage. « On dit figurément & par métaphore prise du jeu de paume, qu’un homme a quarante-cinq sur la partie, pour dire qu’il a de grands avantages dans une affaire. » Dict. de l’Académie françoise.)   166 Pourtant.   167 De la gale, en te « frictionnant » la peau.   168 Abattus. « Matte et confus. » ATILF.   169 Éd : Dorions  (Des coups. « Par les horïons qu’ay receu/ Dessus la teste et sur le dos. » Les Drois de la Porte Bodés.)   170 Milord, bourgeois. Ironique : Christophe est un géant hideux.   171 Je vous laisserai attachés aux arbres.   172 Éd : uiẽdra  (Quand on en vient aux hostilités. « Les Grégois [Grecs] sont trop fors,/ Au pris des tiens, quand ce vient aux effors. » Michel d’Amboise.)  Le vieux gringalet boiteux propose son aide au colosse.   173 Avis.   174 Éd : cocque sur  (« La gorge plus longue que le col d’une grue. » ATILF.)  Si tu ne veux pas que je te rallonge le cou en te pendant. Aux vers 318, 326 et 346, Christophe a menacé les tyrans de pendaison. Cette plaisanterie de bourreaux revient dans notre Mystère, quand Morgalant va pendre un condamné : « Je vous feray ung col de grue/ Pour mieulx faire de loing le guet. »   175 De tant frapper ces gueux. Christophe s’en va. Les tyrans sont ficelés aux arbres ; seul L’Andureau est libre.   176 Des cordes pour attacher les imbéciles aux arbres. Mallepart dira de Barraquin : « Mais qui m’a deslié ce veau ? »  Jeu de mots : « On apelle des brides à vaux les raisons qui persuadent les sots, & dont se moquent les gens éclairéz. » Le Roux.   177 Éd : ymages  (Et ainsi, vous mangerez le jour où on engraissera les veaux de dîme dans votre genre.)  La dîme est une redevance que les paroissiens versent à l’église sous la forme d’un veau gras : cf. les Veaux, vers 4. Jeu de mots : « Un veau de disme : un grand sot. » Oudin.   178 Éd : suis  (J’ai cru m’évanouir.)   179 J’ai pensé mourir. Idem vers 167.   180 Vous en valez un autre, pour fuir…   181 N’est-ce pas ? « Vous vous retirez à l’escart/ Là où on fait de bonnes chières./ Ne faictes pas ? » Faulte d’argent, F 47.   182 L’Andureau commence à détacher les tyrans ; ils tiennent à peine debout et ils boitent.   183 Vous avez reçu un coup sur la nuque. Voir la note 122.   184 Mesuré à coups de règle.   185 Le riche notable. « Tu es le chien au gros collier ? » (La Pippée.) Barraquin est attaché à l’arbre comme un chien en laisse.   186 Éd : Que  (Faire la gent d’armes : jouer au soldat, faire le brave.)   187 Que j’ai reçu à cet endroit. Barraquin montre sa braguette.   188 Voulez-vous boiter autant que moi ? Ce verbe n’est pas choisi au hasard : un contrefait désigne un boiteux.   189 Quelqu’un qui nous soignera.   190 Des hommes d’armes. Il faut ici prononcer « genderme » ; le « r » est très amuï, comme aux vers 131, 383 et 399.   191 L’Andureau crie en sonnant le tocsin.   192 Maintenant.   193 Éd : quil  (Si l’on n’y prend pas garde.)   194 Ce harnais qu’on passe sous la croupe d’une jument devient ici le harnais viril, comme au vers 455. Cf. les Tyrans au bordeau, vers 503. « Elle estoit dessoubz son amy, qui faisoit merveille de jouer de la croupière. » ATILF.   195 Atteindre ce rempart.   196 Mon sauf-conduit, mon laisser-passer.   197 Sans en ressortir.   198 En enfer.   199 Le feu grégeois est une bombe incendiaire.   200 Pour te brûler le trou et le sexe. Cf. le Fol et la Folle, vers 60 et note.   201 Achevé. Les vignerons sont les premiers à goûter leur vin.   202 « Je cuyde qu’il a veu les anges/ Qui tumbent du ciel en vendanges. » Les Basteleurs.   203 Rapidement.   204 Nous sommes pris au piège.   205 L’imprimeur a descendu cette rubrique entre les vers 431 et 432.   206 Informé. « J’en suis bien adverty. » Actes des Apostres.   207 En présence de.   208 « Cy prins, cy mis : aussi tost faict que dict. » Proverbe.   209 La vue. Encore un effet du vin : cf. Grant Gosier, vers 194.   210 Pour monter à l’échelle.   211 Il est cassé de gages, mis au rancart, y compris dans le domaine sexuel.   212 Pour monter sur moi. Ou bien : pour avoir une érection. « Ces plaisans visages et doulz tétins font bien souvent monter, tendre et dressier les vi[t]s. » Bruno Roy, Devinettes françaises du Moyen Âge.   213 Pour maintenant, couché sur le lit. Cf. Cuisine infernale, vers 111.   214 Si je me mets en colère, je te donnerai une rouste. « Une venuë de coups : une quantité. » Oudin.   215 De me jucher sur toi. Ou bien : de te pénétrer. « Puis Martin jusche et lourdement engaine. » Clément Marot.   216 Ta queue ne vaut plus rien, quand tu me la mets devant.   217 Éd : cela  (Quant à la queue que tu me mets derrière. Chevalet goûte fort les allusions à la sodomie : voir les vers 199-202 des Basteleurs, ou les vers 476-9 des Tyrans au bordeau.)   218 La merde. « De bran ou de dyamerdys. » Sermon pour une nopce.   219 Elle lui donne une bouteille.   220 Les diseurs d’injures lançaient déjà des « noms d’oiseaux » à leurs victimes. « Ne t’en soulcye point, gros-bec ! » St Christofle.   221 Vieux calembour sur la ville de Reims et les reins. « Te fault-il tant braire et prescher/ Pour la perte de deux putains ?/ S’ilz [si elles] ont esté souvent à Rains,/ Elles veullent ores repos. » (Cuisine infernale.)  S’ébattre = se livrer à des ébats sexuels.   222 Vieille prostituée au sexe trop large. « Vieille loudière [pute], viel cabas ! » Le Raporteur.   223 Que tu sois brûlée par le mal des ardents ! Cf. le Ribault marié, vers 64.   224 Tu feras ton travail. Clin d’œil de l’auteur : tu joueras la Farce.   225 Chevalet emprunte ce vers au Munyer, d’André de La Vigne.   226 Tenez-vous lieu de roi ?   227 Éd : et nen uous   228 Puisque cela doit se faire. « Car il est force qu’il se face. » Le Fossoieur et son Varlet.   229 Dans les Basteleurs, c’est une chèvre que Chevalet compare à ce loup-garou maigrichon ; ici, c’est une femme.   230 On répond ainsi au malotru qui prononce le mot étron. « –Tu ne vaulx pas ung estront ! –Masche ! » (St Christofle.) C’est l’équivalent de l’actuel : « –Merde ! –Mange ! »   231 Courez vite sur le rempart, munis d’une arme. « Armé et embastonné. » St Christofle.   232 Qui brait si fort. Voir le vers 403.   233 Lors de la guerre de Cent Ans, on sonnait l’alarme dès que les Anglais s’approchaient des côtes normandes. L’action que décrit Chevalet se déroule dans l’île de Samos au IIIe siècle ; mais comme tous les auteurs de Mystères, il joue avec les anachronismes.   234 Éd : paour

LE FOL ET LA FOLLE

Bibliothèque nationale de France

Bibliothèque nationale de France

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LE  FOL  ET

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LA  FOLLE

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En dehors des sotties, le théâtre médiéval ne fait guère appel aux folles : les farces s’en tiennent aux fous, et les prétendues « folles » des Mystères ne sont que des hystériques qui se croient possédées par le diable. Pourtant, Claude Chevalet1 dissimula dans sa Vie de sainct Christofle (~1510-1514) une authentique sottie, où une Folle rivalise de hardiesse avec un Fol.

Ce Mystère narre aussi les tribulations d’une troupe de bateleurs itinérants : ils sont à la fois clowns, jongleurs, montreurs d’animaux plus ou moins savants, faiseurs de bons tours, joueurs de mauvais tours, accompagnateurs de danses, marchands de fausses gravures pieuses et de partitions, chansonniers, etc. Leur troupe minable a beaucoup de points communs avec celle de la farce du Bateleur.

Source : La Vie de sainct Christofle, élégamment composée en rime françoise et par personnages par maistre Chevalet. Imprimé à Grenoble en 1530. Bibliothèque nationale de France, Rés. YF 116. Je recommande l’édition critique de Pierre SERVET : La Vie de sainct Christofle ; Droz, 2006.

Structure : Rimes plates, avec 3 triolets, et une ballade sans envoi.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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                        LE  FOL 2                                                  SCÈNE  I

        Gare ! Gare ! Faictes-moy place !

        Reculle-toy, fol ydïot !

        Car je suis ung estradïot3

        Aussi légier4 q’ung lymasson.

5      Pour menger soit cher5 ou poisson,

        Jamais ne m’en treuve malade.

        Seray-je point de l’ambassade ?

        Aray-je perdu mon crédit ?

        Vous sçavez bien que chescum dit :

10    « Souvent, en ung mauvais passage6,

        Ung fol enseigne bien7 ung saige

        Quant le saige voyt qu’il se noye8. »

        Si j’eusse la robe de soye,

        Je m’en yrois en Gastinoys :

15    Car, quant on verra mon mynois,

        On dira que je suis ung Conte9.

        Fait-on testes de folz de fonte,

        Ainsi que l’on fait une cloche ?

        Celuy qui me fit la caboche

20    La me fit ung petit trop creuse10.

                        LA  FOLLE

        Il a dit vray ! Et bien fumeuse11 :

        Elle va tousjours fumassant.

        L’on ne trouveroit, en ung cent,

        Teste que mieulx [vercoquin pille]12 :

25    Elle est ronde comme une bille

        Et légière comme une plume.

                        LE  FOL

        Il fault donc, si ma teste fume,

        Que je porte13 le feu au cul :

        Car en effect, oncque ne fut

30    Fumée qu’il n’y eust du feu14.

        Viens çà ! Il n’y a point de jeu15,

        Car mon cul souffle si souvent

        Que j’ay paour qu’il face, du vent,

        Allumer le feu à la forge16,

35    Qui me sortira par la gorge

        Et me brûlera le museau.

                        LA  FOLLE

        Va-t’en mettre le cul en l’eau

        Prestement en celle rivière :

        Si le feu est en ton derrière,

40    Il sera incontinent mort.

                        LE  FOL

        Je le veulx bien, j’en suis d’acord.

        Viens-moy ayder et sera fait.

                        LA  FOLLE

        Garde-toy bien de faire ung pet,

        Affin que le feu ne s’alume.

                        LE  FOL 17

45    Regarde ! Voy-tu rien qui fume ?

                        LA  FOLLE

        Ne bouge le cul d’une place !

                        LE  FOL

        Ceste eau est plus froide que glace.

                        LA  FOLLE

        Ne te chault : prens en pacience

        Sans bouger.

                        LE  FOL

                              Par ma conscience !

50    Je suis en ung aultre danger :

        Ces poissons me veullent18 menger

        Tout vif 19. Il me fault reculler.

        Et pour me garder de brûler,

        Je ne sçay remède que boire.20

*

                        LE  FOL                                                    SCÈNE  II

55    Qui m’aura emblé21 ma marote,

        Si me la rende incontinent

        Sur peine d’excommuniment22 !

        Ou [bien] j’en feray faire une aultre

        Qui aura la teste de peaultre23,

60    Le cul de fer, d’acier le joys24 ;

        Et l’une de[s] jambes, de boys ;

        Et l’aultre, de pierre de taille ;

        Le bec grant comme une poullaille25,

        Et les tétins de deux molettes26.

65    « Venez achepter ces lunettes27

        (Estront de chien) pour vostre nez !

        Or advancez-vous, advancez

        Pour parler à ce Jehan Testu28 ! »

.

        Holà, ma sotte ! Où es-tu ?                                          SCÈNE  III

70    Je croy que tu fais l’arquimye29.

        Viens çà ! approuche-toy, m’amye :

        Il te fault recouldre le ventre30,

        Car je me doubte que g’y entre,

        Quelque jour, chaussé et vestu.

.

                        LA  FOLLE                                              SCÈNE  IV

75    Me voicy ! Que demandes-tu ?

        Je viens pour te faire merveilles :

        Il te fault coupper les oreilles

        À faire deux manches d’estrilles31.

        Et si, te raseray les « billes »

80    Rasibus du cul32, par-derrière.

        Ne tire point le cul arrière33,

        Car je les auray, par mon âme !

                        LE  FOL

        Alarme, bonnes gens, alarme !

        Gardez-moy qu’elle ne me tue !

85    Elle me veult, dessoubz la « queue »,

        Couper les bataulx34 de la cloche,

        Les oreilles de la caboche35.

        [Hare ! hare]36 ! Qu’elle soit prise !

.

        Seigneurs, je demande franchise37.                              SCÈNE  V

90    Hé ! Jupiter, secourez-moy,

        Et je vous voue38 (sur ma foy)

        Boire tousjours le vin sans eau ;

        Et ne mengeray beuf, ne veau,

        Mouton, chevreau, qui ne soit cuyct ;

95    Et juneray toute toute la nuyct,

        Au moins si je ne me réveille.

        Mesmement39 le jour de la veille

        De vostre grant solemnité40,

        Car je serois déshérité

100  D’avoir perdu ung tel « joyau41 ».

.

                        LA  FOLLE 42                                           SCÈNE  VI

        Où est-il allé, mon luneau43 ?

        Je te44 trouveray, quoy qu’il t’arde.

                        LE  FOL

        Je suis en franchise, regarde !

        N’aprouche point de moy, Babeau45 !

                        LA  FOLLE

105  Je vous auray, ou le feu m’arde46 !

                        LE  FOL

        Je suis en franchise, regarde !

                        LA  FOLLE

        Je te chastieray — quoy qu’il t’arde —

        Tout maintenant, de ce cousteau !

                        LE  FOL

        Je suis en franchise, regarde !

110  N’aprouche point de moy, Babeau !

        Voicy le Temple bon et beau :

        Garde-toy bien de faire noyse !

                        LA  FOLLE

        Qui me garde que je n’y voyse47 ?

        Oncques nul des dieux n’en parla.

115  Et si, vous fault passer par là,

        Au moins s’ilz ne sont les plus fors48.

                        LE  FOL

        A ! jambes, saulvez-moy le corps49,

        Et je vous donray chausse[s] neufves !

        Tu n’as garde que tu me treuves,

120  Et fust la lune en [son croissant]51.

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                        LA  FOLLE 52                                           SCÈNE  VII

        Hau, follaton ! Viens-moy passer

        Maintenant delà la marine53,

        Car je suis bonne pèlerine

        Qui, pour avoir le « picotin54 »,

125  M’en vueil aller à Sainct-Trotin55,

        Où je gaigneray le pardon56.

                        LE  FOL

        Scez-tu pas bien que mon « bourdon57 »

        Est trop court pour trouver le fons58 ?

        Il est aussi foible que joncs

130  Pour ployer. Entens-tu la note59 ?

                        LA  FOLLE

        Ne sces-tu prendre ta « marotte60 »,

        Celle qui a la teste rouge61 ?

        Approuche-toy, et ne te bouge !

        Il n’est pas temps que l’on rechigne.

135  Je te voys monter sur l’eschine62 ;

        Garde-toy bien de répiter63.

                        LE  FOL

        Mais te garde bien de péter

        Ainsi que tu as de coustume !

        Car, par Dieu, s’il fault que j’en hume,

140  Je sçay bien que nous aurons noyse.

        Ventre sainct Gris, comme tu poyse64 !

        Oncques ne portay tel fardeau.65

                        LA  FOLLE

        Je te rendray ce tour, lourdeau !

        M’as-tu laissé tomber par terre ?

145  Or te metz là, que je te serre66 !

        Ou, par Dieu, je te froteray67.

                        LE  FOL

        Que veulx-tu ?

                        LA  FOLLE

                                 Je remonteray,

        Il ne fault point estre rebelle !

                        LE  FOL

        Il fault donc avoir une eschelle,

150  Ou tout versera, j’en suis seur.

                        LA  FOLLE

        Tien-toy ferme et [n’aye pas peur]68 ;

        Et garde bien de me lascher !

        Je suis bien. Pense de marcher69

        — As-tu entendu ? — fort et rède !

                        LE  FOL 70

155  Aay, ay, ay ! Que ceste eau est froide !

        Elle entre dedans mon soullier.

                        LA  FOLLE

        Sus avant, maistre lymonnyer71 !

        Nous serons tantost au millieu.

                        LE  FOL

        Et ! qu’est cecy ? Bon gré ’n72 ayt Dieu !

160  Paillarde, avez-vous vécy73 ?

        Descendez, et m’attendez cy,

        Que j’aye l’eschine plus forte.74

                        LA  FOLLE

        Alarme, alarme ! Je suis morte,

        Je suis noyée, somme toute.

                        LE  FOL

165  Je luy ay faict de son cul souppe75,

        Non pas en vin mais en bel[le] eau.

        Scez-tu quoy ? Attens-moy, Babeau,

        Et je voy quérir ung cheval76.

        Avez-vous faict le vent d’aval77,

170  Et vescy à vostre privé78 ?

        Vous en avez le cul lavé,

        Affin que l’on y remédie !

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*

LES  BASTELEURS 79

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                        MAULOUÉ80,  basteleur,  commence.      SCÈNE  I

        Où es-tu ? Hau, Mal-assegnée81,

        Apporte-moy tous mes bateaux82,

        Estrilles, focilles, cousteaux83 ;

        Bastons, bacins84, siffléz85, timballe ;

5      Les gobeletz, les noys de galle86 ;

        Le synge, la chièvre, le chien

        Et l’ours (que nous n’oublions rien),

        Avec le mole87 des ymages,

        Pour courir villes et villages.

10    Maufourbie [es]t-elle [où ell’ est]88 ?

        Où est Henriet, mon varlet,

        Pour chanter avec sa guiterne89 ?

                        MAL-ASSEGNÉE

        Il est allé à la taverne.

        Qu’à tous les diables puist tout estre,

15    Autant le varlet que le maistre !

        L’on me laisse cy toute seulle.

        L’ours brayt de fain et le chien ule90 ;

        Le singe dit sa pateno[u]stre91.

        Et si, vous dis encor en oultre

20    Que nous n’avons denier ne maille.

                        MAULOUÉ

        Hé ! nous en aurons — ne te chaille —,

        Quelque jour, de l’argent content…

        S’il en pleust, dea, cela s’entent !

                        MAL-ASSEGNÉE

        Esse donc tout ?

                        MAULOUÉ

                                   Ma [donna, sy]92 !

                        MAL-ASSEGNÉE

25    N’en prendrez-vous autre soussy ?

        Je suis bien de mal heure93 née !

                        MAULOUÉ

        Et ! n’es-tu pas Mal-assegnée ?

        Le nom est de mesme l’ouvrage94.

        Acoup, qu’on charge le bagage !

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30    Henriet, vien çà ! Qu’on se haste !                                SCÈNE  II

                        HENRIET,  varlet.

        Laissez-moy mouller la gargatte95,

        Qui est si sèche, pour le hâle96.

        Qu’en buvant, jamais je ne parle :

        Ma mère me le deffendy.

                        MAULOUÉ

35    Qu’est cecy ? Es-tu estourdy ?

        Dont te vient ce mal, mon varlet ?

        Est-ce point de menger du laict

        Que tu as la couleur vermeille ?

                        HENRIET

        Je l’ay prins en ceste bouteille.

                        MAL-ASSEGNÉE

40    Je cuyde qu’il a veu les anges

        Qui tumbent du ciel en vendanges.

        C’est la douleur qui le travaille97.

                        HENRIET

        Je l’ay pris en ceste bo[u]teille.

                        MAULOUÉ

        Tu as vendangé sans cousteau98.

45    Mais tu y jouras du basteau

        Et99 du bassin, je le conseille.

                        HENRIET

        Je l’ay pris en ceste bouteille.

                        MAL-ASSEGNÉE

        Pour vous guérir de ce farcin100,

        Avallez-moy ce plain bassin

50    D’eau claire ! C’est la médecine,

        Il ne fault point faire la myne101.

        Tenez, et vous lavez la gorge !

                        HENRIET

        Qu’ell’ est froide, bon gré sainct George !

        J’aymoys mieulx celle du barry102.

                        MAULOUÉ

55    Or viens çà ! N’es-tu point guéry ?

                        HENRIET

        Je n’entens point la guérison :

        J’en ay pris une trancheyson103

        Qui me fera les boyaulx fendre.

                        MAULOUÉ

        Sus devant ! Car il nous fault prendre

60    Le chemin tout droit à Damas.

        Mais je ne sçay point que tu m’as

        Fait104, aujourd’huy, de ma trompette.

                        HENRIET

        Voy là cy105, maistre.

                        MAULOUÉ

                                            Qu’on se mette

        En voye, c’est le principal.

65    [Que] chescum preigne son bestial

        Du trein de la bastellerie106.

        N’avons-nous pas d’ymagerie107 ?

        C’est le principal du mestier108.

                        MAL-ASSEGNÉE

        Il en y a ung cent entier109 ;

70    C’est assez pour une sepmaine.

                        MAULOUÉ

        Henriet ! Il fault que tu meine,

        Pour ta part, l’ours avec le chien.

        Garde que nous n’oublions rien,

        Mon varlet ! As-tu entendu ?

                        HENRIET

75    Je vouldrois que tout fust vendu.

        Car incessamment je travaille,

        Et si110, n’ay ne denier ne maille

        Ne, souvent, de quoy me repaistre.

                        MAULOUÉ

        Tais-toy ! Je te passeray maistre111

80    Avant que soit jamais troys moys.

        Et si, auras quatre tournoys

        Toutes les sepmaines pour boyre.

                        MAL-ASSEGNÉE

        Il ne boyt que trop !

                        HENRIET

                                        Voyre, voyre,

        Belle dame, laissez-moy vivre !

85    Si, d’aventure, je suis yvre,

        Je me couche bien tout vestu112.

                        MAL-ASSEGNÉE

        Et de quoy [donc t’esbranles-tu]113 ?

                        HENRIET

        J’ay en la teste la migraine.

        Puis après, il fault que je traîne

90    Ce bestial114 à force de corps.

        Mais, par tous les dieux, si tu mors,

        Tu auras une bastonade !

                        MAULOUÉ

        Nous deussions jà estre à Grenade115,

        Pour le vous dire à brief parler.

95    Avançons, et pensons d’aller !

        Et qu’on me laisse ce desbat !

*

                        MAULOUÉ 116                                          SCÈNE  III

        Dieu gart et le Roy et la Court,

        Les dames et les damoiselles !

                        MAL-ASSEGNÉE

        Ostez vostre chapeau, tout lourt117 !

                        HENRIET

100  Dieu gart et le Roy et la Court !

                        MAULOUÉ

        Nous sommes, pour le temps qui court,

        Mynces118 d’argent et sans rouelles.

                        MAL-ASSEGNÉE

        Dieu gart et le Roy et la Court,

        Les dames et les damoiselles !

                        LE  ROY  DE  DAMAS

105  Scez-tu nulles chançons nouvelles ?

        Voulentiers les vouldrois ouÿr

        Pour la compaignie resjouyr.

        Si tu scez rien119, que l’on le voye !

                        MA[U]LOUÉ

        Je fais, d’une chièvre, blanche120 oye ;

110  D’ung ourseau121, ung molin à vent ;

        Et d’ung franc, dix solz122, bien souvent.

        Henriet, acoup, ma trompette !

        Bran123 ! qu’est cecy ? Ell’ est maulnette124.

        Je cuyde que Mal-assegnée

115  Ou mon varlet l’ont embrenée.

        C’est merde, que vous le sachez.

        Advancez-vous et vous mouchez,

        Petitz enfans125 ! Çà : Maufourbie,

        Que j’ay porté de Conturbie126

120  Pour [y] en faire une levée127 :

        Puisqu’ell’ est ung petit roullée128,

        Ne vous chaille, c’est bien du moins129 !

        [Car] pour une espée à deux mains,

        Au monde n’en a point de telle.

125  Regardez-moy quelle alumelle130 !

        Elle reluyct comme charbon131.

                        HENRIET

        Et ! par tous noz dieux, voylà bon !

        Pourquoy me frappez-vous, beausire ?

        Je ne dis pas pour vous mauldire,

130  Mais tous les diables y ai[en]t part132 !

                        MAULOUÉ

        Et ! par Dieu, voylà bon coquart133 !

        Quant tu cognois134 que je m’esbas

        De Maufourbie [et] hault et bas135,

        Ne te scez-tu tirer arrière ?

135  Tu sces bien que c’est la manière

        [Que] de faire136 à son maistre place.

                        HENRIET

        Bref, je n’en sçay ne gré, ne grâce ;

        Et de vray, n’en suis point content.

        Et vous en desportez à tant137,

140  Car, par Dieu, le jeu ne vault rien !

                        MAULOUÉ

        Or çà ! il fault jouer138 du chien :

        Admeyne-le-moy cy en place.

        Hau ! Le boys tost passe139 !… Repasse !…

        Saultez, et vous ferez que saige140 !…

                        HENRIET

145  Il est en son aprentissage,

        Et n’est pas encores bon maistre141.

                        MAULOUÉ

        Pensez : qui le laissera croistre142,

        Ce sera ung chien tout de mesme143

        Pour menger [du] beurre en Caresme

150  Par faulte de chair144.

                        HENRIET

                                             Hé, caroigne145 !

        Par le sang que Dieu fist ! il groigne.

        Je146 croy qu’il a, de paour, la fièvre.

                        MAULOUÉ

        Çà, le singe !

                        MAL-ASSEGNÉE

                              Mais bien147 la chièvre,

        Qui vous mettra au cul la corne !

                        MAULOUÉ

155  Laisse-la là ; qu’elle séjourne148 :

        Ell’ est ung peu mal disposée149.

                        HENRIET

        Mais faisons-en une espousée,

        Et luy mettons ung couvrechef

        Sur les cornes, dessus le chef,

160  Pour luy donner en mariage

        Le synge.

                        MAULOUÉ

                         Tu devise rage150 !

        Je suis bien content qu’il151 se face.

        Ameine tout !

                        MAL-ASSEGNÉE

                                Quel chiche-face152

        Pour [bien] faire ung charivary !

                        HENRIET

165  L[e] synge, qui est son mary,

        Vouldroit bien qu’elle fust à Can…153

                        MAULOUÉ

        Dancez, madame de Bo[u]can154 !

        Et je vous mèneray la feste155.

                        MAL-ASSEGNÉE

        Hé ! que mauldicte soit la beste !

170  Regardez quelle contenance !

                        MAULOUÉ

        Henriet, tu menras la dance.

        Et me tiens le singe de près156 !

        Et ma femme yra après,

        Qui fera la chièvre dancer.

                        HENRIET

175  Je suis tout prest de commencer.

                        MAL-ASSEGNÉE

        Et moy, de [me] mettre au millieu157.

                        MAULOUÉ

        Or sus ! Hay advant, de par Dieu !

        Et je menray du flajolet158.

                        HENRIET

        Hé ! Dieu, que le synge est lait !

                        MAL-ASSEGNÉE

180  Que la chièvre fait bonne troigne !

                        HENRIET

        Tire avant, teste de mulet159 !

                        MAL-ASSEGNÉE

        Hé ! Dieu, que le synge est lait !

                        HENRIET

        La chièvre tiens par le collet.

                        MAULOUÉ

        Oncques ne vistes tel besoigne.

                        MAL-ASSEGNÉE

185  Hé ! Dieu, que le synge est lait !

                        HENRIET

        Que la chièvre fait bonne troigne !

                        MAULOUÉ

        Elle semble une cygoigne160.

        Hau ! c’est assez, laissez la dance !

        Mal-assegnée, qu’on commence

190  Faire monstre de noz ouvrages :

        Il fault vendre de noz ymages,

        Voylà la cause qui nous meine.

                        MAL-ASSEGNÉE

        Voyez-en cy une douzaine.161

        Desployez tout à l’adventure.

                        MAULOUÉ

195  Seigneurs, voicy la pourtraicture

        Du glorieux sainct Al[i]pantin162,

        Qui fust escorché d’ung patin163

        Le jour de Karesme-Prenant164.

        Après, voicy sainct Pimponant

200  Avecques sainct Tribolandeau,

        Qui furent tous deux d’ung seau d’eau

        Décolléz165, dont ce fut dommage…

        Puis voicy le dévot ymage

        Du glorïeux martir sainct Pran166,

205  Qui fust jadis boully en bran

        Et lapidé de pommes cuyctes167 ;

        Et par ses glorïeux mérites,

        Je le maintiendray devant tous :

        Il guérit les chatz de la touz168,

210  Quant ilz y ont dévotion.

        Si vous avez intention

        De les avoir, je les vous baille

        Les deux pour .III. deniers et maille ;

        Mais toutesfoys, argent content169 !

215  Ung peintre n’en feroit pas tant

        De bonnes couleurs pour .II. francs.

        Avant170, avant, petitz enfans !

        Vous n’en payez pas la façon171.

                        MAL-ASSEGNÉE

        Il [nous] fault dire une chançon172

220  En attendant qu’on les vendra173.

                        MAULOUÉ

        Je le veulx bien. Qui m’aydera ?

                        HENRIET

        Tous deux ensemble, je l’entens.

                        MAULOUÉ  ET  LES  AUTRES

        Resveillez-vous, gentilz gallans,

        Et entendez bien mon latin174 !

225  Gentilz pïons175, mes bons chalans,

        Ne vous levez point trop matin.

        Quant vous aurez beu ung tatin176,

        Cela vous réconfortera.

        Mais si vous mettez d’eau au vin,

230  Le diable vous emportera.

.

        Ne rompez point les huys ouvers177,

        C’est sur peine178 d’estre pendu ;

        Et mettez femmes à l’envers,

        Car cela n’est point deffendu.

235  Joingnez « tendu » contre « fendu » :

        La besoigne se parfera.

        Ou sinon — av’ous entendu ? —

        Le diable vous emportera.

.

        Nourrisses ne dépucellez179 !

240  Vous entendez bien le trippot 180 ?

        Et quant aux tavernes allez,

        Ne payez point deux foys l’escot :

        Car qui mengera ung fagot 181

        Sans boyre, il s[’en] estranglera.

245  Et si vous faictes le bigot,

        Le diable vous emportera.

                        LE  ROY  DE  DAMAS

        Bénédicité ! Marïa !

        Oncques je n’ouÿs chançon telle.

        Je croy qu’il [l’]a faicte nouvelle

250  Tout maintenant dessus les rans182.

        Séneschal, donnez-luy dix francs

        Pour boyre et pour l’esbatement !

                        LE  SÉNESCHAL

        Tiens, prens cela légièrement :

        C’est argent pour crocquer la pie183.

                        MAULOUÉ

255  Chier sire, je vous remercie.

        Je ne gaignay tant de dix jours.

        Tout est vostre : le synge, et l’ours,

        La chièvre, et Mal-assegnée.

        Je vouldrois qu’on l’en [l’]eust menée,

260  Affin d’en estre despêché184 !

        J’en ferois tousjours bon marché,

        Et n’en eussé-je [qu’]une maille185.

*

1 Sur ce fatiste de Vienne, voir la notice des Deux pouvres.   2 Imitant les Sots des sotties, il traite les spectateurs de fous, et les bouscule pour monter sur scène.   3 Un cavalier albanais qu’on envoie en éclaireur. Cf. le vers 287 de L’Andureau et L’Andurée, autre farce provenant du même Mystère. Le Fol chevauche sa marotte.   4 Rapide.   5 De la chair, de la viande.   6 Quand un sage s’est mis dans un mauvais pas.   7 Fait la leçon à. « J’ay souvent ouÿ en proverbe vulgaire [populaire] qu’un fol enseigne bien un saige. » Rabelais, Tiers Livre, 37.   8 Le fou donne une leçon de prudence au sage qui est en train de se noyer, au lieu de le secourir, « comme celuy qui, estant sur le bord d’une rivière, assiste de parolles son amy qui se noye ». (Cardinal de Richelieu.)   9 Il y a bien longtemps que le Gâtinais n’était plus un comté.   10 Un peu trop creuse : ma tête sonne creux comme si c’était une cloche en fonte.   11 Sa tête est bien fantasque. « La teste verte,/ Fumeuse et toute lunatique. » L’Arbalestre.   12 Éd : uerticoquille  (Le ver coquin* est logé dans la tête des gens qui ont une lubie. « Leurs femmes ont mis ce ver coquin amoureux dans leurs testes. » Brantôme.)  Il faut comprendre : Parmi cent personnes, on ne trouverait pas une tête que la folie dévaste mieux.  *Ce Mystère emploie aussi la variante avertin : « Puis qu’elles ont prins l’avertin/ En la teste, tout est perdu. »   13 Que j’aie. Le Vendeur de livres signale une farce de Ceulx qui ont le feu au cul.   14 Il n’y a pas de fumée sans feu. Les Fols des sotties prennent toujours les expressions au pied de la lettre.   15 Il ne faut pas plaisanter.   16 J’ai peur que mon cul ne se transforme en soufflet de forge.   17 Il baisse ses chausses et plonge son postérieur dans la rivière, laquelle joue un rôle prépondérant dans ce Mystère ; nous la retrouverons aux vers 121-172.   18 Éd : uueillent   19 Les spectateurs ont entendu « tout vit », qui se prononce de la même façon : tout mon pénis. « Femmes enseintes/ Qui ont esté au ‟ vif ” atainctes. » Sermon pour un banquet.   20 Le Fol boit, mais pas l’eau de la rivière. La sottie ne reprend qu’au bout de 4 550 vers.   21 Que celui qui m’aura volé.   22 Sous peine d’excommunication. Même vers dans Saincte-Caquette.   23 D’étain. Cf. Ung biau miracle, vers 2751.   24 Le sexe. Cf. L’Andureau et L’Andurée, vers 418. « Pour luy faire fondre la gresse/ Du cropion autour du joys. » St Christofle.   25 Comme le bec d’une poule. Ou bien : comme une poule.   26 Les seins rembourrés par du molleton. « Pour mauvais tétins/ Et pour ceulx qui portent mollettes. » Maistre Pierre Doribus.   27 Sur les fous à lunettes, voir la note 72 du Monde qu’on faict paistre.   28 Pour parler à Jehan le Fol.   29 L’alchimie : que tu es en train de faire l’amour avec un autre. « N’avez-vous pas eu assez temps/ De faire vostre paillardise ?/ Faictes-vous encor l’arquemye ? » St Christofle.   30 Il faut te recoudre le bas-ventre, la vulve.   31 Il faut couper tes oreilles de Sot pour en faire deux manches de brosses.   32 Et aussi, je te trancherai les testicules d’un coup de rasoir, au ras du cul.   33 Ne recule pas. Cf. L’Andureau et L’Andurée, vers 146.   34 Les batteaux : les battants, qui pendent. Ce mot désigne les testicules. « Un bel ‟ouvrier de nature”, fort bandé, qui à bon droit mérite estre appelé membre, accompagné de deux battans au-dessoubs qui luy servent d’ornement. » Nous sommes bluteurs.   35 Les oreilles de ma tête (vers 77). Mais aussi : les testicules de ma verge. « Le membre de Colin, deffaict,/ Se retira, penchant l’oreille. » (Cabinet satyrique.) « Au moyen du vin de Baccus,/ Pour lequel souvent on bat culz,/ Sa grosse caboche dressa. » (Sermon de Billouart.)   36 Éd : Pare pare  (Cri par lequel on excite les chiens pour qu’ils attrapent une proie. « Hare ! hare ! Si me mordez,/ Je le diray à l’empereur. » Daru.)   37 L’asile en zone franche, comme au vers 103. Le Fol se réfugie dans l’inviolable temple de Jupiter.   38 Je vous jure. Ces promesses ne coûtent rien : le Fol boit déjà le vin sans eau, mange déjà sa viande cuite, et il jeûne déjà pendant qu’il dort.   39 Je jeûnerai aussi.   40 « La feste de l’immortel/ Jupiter. » Mystère de sainte Barbe.   41 Mes bijoux de famille, dont j’ai hérité de mon père.   42 Elle pénètre dans le temple de Jupiter.   43 Mon lunatique. « Parlez tout doulx, car il tient de la lune…./ Il est luneau, vous le ferez troublé. » Marchandise et Mestier, BM 59.   44 Éd : le  (Ce vers sert de modèle au v. 107.)  Quoi qu’il t’arde = même si tu es ardent, en érection. Jeu de mots sur deux verbes qu’on distinguait mal : arder [brûler], et arser [bander]. Idem vers 107.   45 La Folle se prénomme Isabeau, dont Babeau est le diminutif, comme à 167. « ‟Certes, je n’y entreray point”,/ Respond à la mère Ysabeau…./ Elle y entra. Babeau se couche. » (Le Banquet des chambrières.) On traite de « Babeau » les femmes de mauvaise vie : cf. L’Andureau et L’Andurée, vers 54. « Approuchez-vous, dame hydeuse !/ Avez-vous entendu, Babeau ? » St Christofle.   46 Ou que le feu de l’Enfer me brûle. La châtreuse poursuit le Fol dans le temple, en brandissant un couteau.   47 Qui m’empêche d’y aller ?   48 Si les dieux ne sont pas plus forts que moi.   49 Courez assez vite pour que je puisse échapper à la châtreuse. L’Andureau, voulant échapper à sa mégère, s’écrie : « Jambes, portez le corps arrière ! »   51 Éd : decroissant  (« De la lune en son croissant. » Ronsard.)  Tu ne risques pas de me trouver, même avec l’aide du clair de lune. La sottie reprend au bout de 3 000 vers.   52 Elle veut passer de l’autre côté de la rivière (vers 38) en montant sur les épaules du Fol. Chevalet parodie la légende de saint Christophe, qui exerce le métier de passeur ; son plus notable client n’est autre que Jésus, auquel il vient de faire traverser la même rivière juché sur ses épaules. Chevalet parodie aussi Tristan qui, déguisé en lépreux, fait franchir un gué à Iseut en la portant sur son dos ; Tristan et Iseut deviennent donc Jean Têtu et Babeau.   53 De l’autre côté de l’eau.   54 Ma ration de sperme. « Sottes qui veulent avoir leur picotin. » Jeu du Prince des Sotz.   55 Pèlerinage où les épouses vont trotter sans leur mari. Dans ce Mystère, un cocu dit à sa femme : « Or va (sans faire le revien)/ Au diable et à Sainct-Trotin ! »   56 Où je commettrai un péché pour faire pardonner les précédents. « En divers lieux (elles) vont gaigner les pardons/ Pour en leurs lacs attraper la ‟vitaille”. » L’Advocat des dames de Paris touchant les pardons Sainct-Trotet.   57 Mon bâton de pèlerin. Double sens : mon pénis. Cf. le Pèlerinage de Mariage, vers 137 et note.   58 Le fond de la rivière. Double sens : le fond de ton vagin. « J’en ay une que j’aime ung peu./ On n’y treuve ne fons, ne rive. » Les Sotz qui remetent en point Bon Temps.   59 Comprends-tu mes paroles ?   60 Ton phallus. La marotte est un emblème phallique composé d’un bâton surmonté d’une tête.   61 Celle qui est munie d’un gland. « Ell’ avoit/ La teste bien rouge devant. » La Confession Margot.   62 Je vais monter sur ton dos.   63 D’exiger un répit, de différer.   64 Ventre de saint François d’Assise, que tu pèses !   65 Le Fol laisse tomber la Folle par terre.   66 Afin que je te serre entre mes cuisses.   67 Je te battrai.   68 Éd : nay paour  (« Et n’ayez peur que je vous faille. » Colin qui loue et despite Dieu.)   69 Je suis bien installée, dépêche-toi de traverser la rivière. « Pense d’aller et de marcher ! » Folconduit.   70 Il entre dans la rivière avec la Folle sur ses épaules.   71 Cheval d’attelage. Elle donne au Fol un coup de cravache avec sa marotte.   72 Aphérèse du pronom en. « Bon gré ’n ait bieu ! » Le Capitaine Mal-en-point.   73 Vessi, lâché une vesse, un pet. Idem vers 170. « Ell’ a du cul vessy. » (La Ruse et meschanceté des femmes.) Les vers 137-8 nous ont informé des problèmes aérophagiques de la Folle.   74 Il laisse tomber la Folle dans la rivière.   75 La soupe est un morceau de pain qu’on trempe dans le vin. « Ilz sont plus ivres qu’une soupe. » Massons et charpentiers.   76 Éd : cheuau  (Je vais chercher un cheval.)   77 Éd : dariau  (En terme de marine, le vent d’aval désigne le vent arrière : « Que désirons-nous ? Vent d’aval. » Gautier et Martin. Dans un registre plus scatologique, on devine d’où provient ce vent de derrière…)   78 Et pété discrètement. Mais les privées sont aussi les latrines : « (Ton père) curoit les privées. » Le Savetier Audin.   79 Cette farce en deux actes est un peu mieux intégrée au Mystère que la sottie.   80 Mal loué, mal considéré.   81 Mal assenée = mal mariée. C’est le nom générique des épouses insatisfaites. La nôtre fit l’objet d’une chanson : « C’est la femme d’un basteleur/ Qu’on apelle Mal-assenée. » (L’Arbalestre. Pour d’autres références, voir la note 60 de cette farce.)   82 Mes accessoires de bateleur. Idem vers 45. « Je susse jouer de bateaux,/ Se j’eusse ung ours ou une chièvre. » Les Menus propos.   83 Pour impressionner le public, on jongle avec des outils ou des armes munis de lames (soigneusement émoussées).   84 Le bâton est une baguette par-dessus laquelle on fait sauter le chien, comme au vers 143. Le bassin, encore nommé à 46, est un récipient qu’on utilise pour la quête : « Et faire cracher au bassin/ Ceulx-là. » Pour le cry de la Bazoche.   85 Éd : soufflez  (Nos clowns sont bardés d’instruments de musique : une guitare, une trompette, un flageolet ; et donc, un sifflet [un mirliton] et une timbale [un tambour].)   86 Les gobelets servent pour les tours de passe-passe ; dans l’Escamoteur, Jérôme Bosch en a peint deux. (Nous remarquerons, au pied du bateleur, son chien savant, qui est assis près d’un cerceau en attendant de sauter au travers.)  La noix de galle sert à faire de l’encre, peut-être pour réaliser les images pieuses que vendent nos baladins. Pour Pierre Servet, « il s’agit sans doute d’un élément de maquillage des jongleurs ».   87 Le moule, le pochoir avec lequel nous confectionnons des images coloriées qui représentent des saints. Voir les vers 191-216. La troupe du Bateleur vend elle aussi des portraits médiocres, mais ils représentent des comédiens.   88 Éd : quellest  (Est-elle à sa place, dans le fourreau que je porte à ma ceinture ?)  Maufourbie = Mal astiquée. C’est le nom que le bateleur donne à son épée, à l’instar d’un archer du Mystère de Saint Louis : « Vécy mon espée, Mal-fourbye. » Voir les vers 118 et 133. Chevalet parodie Excalibur (l’épée du roi Arthur), et Durandal (celle de Roland).   89 En s’accompagnant à la guitare.   90 Hurle.   91 « Quand un homme gronde & murmure entre ses dents, on dit qu’il dit la patenôtre du singe. » Le Roux, Dictionaire comique, satyrique.   92 Éd : donne cy  (Probable refrain d’une de ces chansons que les musiciens français de l’époque composaient sur des paroles italiennes.)   93 À une mauvaise heure, sous une mauvaise étoile. Même vers dans le Nouveau marié, notamment.   94 Le nom correspond à la chose.   95 Mouiller mon gosier. « Arouse souvent la gargatte. » (Philippe Bouton.) Le valet boit à la bouteille ; il titube et sa figure est rouge.   96 À cause de la chaleur du soleil. « Ces pÿons [ivrognes] en avalleront/ Mainte chopine, pour le halle. » St Christofle.   97 C’est là son unique maladie.   98 Tu as tout perdu à la taverne. « Il n’y a plus denier ne maille ;/ Tout est vendangé sans cousteau. » Gautier et Martin.   99 Éd : Cest  (Tu te renfloueras en utilisant nos accessoires de bateleurs, et tu feras la quête pour que le public crache au bassinet.)   100 Vos taches éthyliques ressemblent à une maladie qui affecte la peau des chevaux.   101 La grimace. Mal-assenée pince le nez du valet pour qu’il ouvre la bouche, dans laquelle elle verse l’eau du bassin.   102 Du baril de vin de la taverne. Cf. L’Andureau et L’Andurée, vers 84.   103 Des tranchées intestinales, des coliques. Il est exact que l’eau, pas toujours potable, provoquait un certain nombre de maladies. Les hommes du moyen âge n’ont pas attendu Louis Pasteur pour découvrir que « le vin peut être à bon droit considéré comme la plus saine, la plus hygiénique des boissons ».   104 Ce que tu as fait.   105 La voici. Henriet montre la trompette qui déforme avantageusement le devant de ses chausses tachées de crotte.   106 Que chacun prenne un des animaux de notre ménagerie.   107 D’images représentant des saints. Voir la note 87.   108 C’est ce qui nous rapporte le plus.   109 Une bonne centaine.   110 Et pourtant.   111 Je te ferai accéder au grade de maître bateleur. Ce grade imaginaire est employé comme insulte : « O ! que tu la nous vends trop chère,/ Maistre basteleur ! » Satyres chrestiennes de la cuisine papale.   112 Je ne vous demande pas de venir me déshabiller.   113 Éd : doncques branle tu  (De quoi te mets-tu en peine, pourquoi t’énerves-tu ? « T’esbranles-tu au souffle du vent d’une seulle adversité ? » Jean du Croset.)   114 Cet ours et ce chien. Justement, le chiot se rebiffe.   115 Nous devrions déjà être ailleurs. « Quant il nous aura veu,/ Il vouldroit estre à Grenade ! » St Christofle.   116 La troupe rencontre le roi de Damas et la reine. Mauloué les salue sans retirer son chapeau.   117 Lourdaud. « Il avoit l’entendement tout lourd. » Histoire maccaronique de Merlin Coccaïe.   118 Dépourvus : cf. le Mince de quaire. Une rouelle est une pièce de monnaie : cf. la Confession du brigant, vers 55.   119 Si tu sais quelque chose. Le roi ne s’intéresse qu’aux chansons : voir les vers 247-252.   120 Éd : une  (Une oie blanche est une pucelle ; or, aux vers 157-161, on déguise la chèvre en jeune mariée.)   121 Éd : pourceau  (Nos bateleurs ont une chèvre et un ours, mais pas de porc. « Ourse alaittant ses ourseaux. » ATILF.)   122 Je fais 10 sous, une somme bien moindre.   123 Merde ! Ce juron est bien choisi : Henriet extirpe de ses chausses breneuses une trompette qui ne l’est pas moins, victime des coliques du vers 57.   124 Mal nette, malpropre.   125 Les bonimenteurs commencent toujours par cette phrase afin d’obtenir le silence : cf. le Bateleur, vers 3 et note. Sauf qu’ici et au vers 217, ces « petits enfants » auxquels on parle de merde désignent un roi et une reine. Le saltimbanque dégaine Maufourbie, sa piteuse épée (note 88).   126 Canterbury, qui est rebaptisé « Canthorbie » dans le Messager et le Villain. Les Mystères mettent un point d’honneur à ridiculiser tout ce qui rappelle la perfide Albion.   127 Pour livrer un assaut aux Anglais. « Que les François si ont esté/ Ès Anglois faire une levée. » ATILF.   128 Si elle est un peu rouillée.   129 C’est la moindre des choses.   130 Quelle lame.   131 Mauloué n’ayant pas précisé « comme du charbon ardent », force est de s’en tenir à ce qu’il a dit : Elle reluit aussi peu que du charbon. Le bateleur mime un assaut d’escrime contre son valet désarmé, qu’il touche avec le plat de sa lame.   132 Que tous les diables vous emportent ! Si ce n’est pas une malédiction, qu’est-ce que c’est ?   133 Un bon corniaud.   134 Quand tu as connaissance, quand tu vois.   135 Dans toutes les directions. « Prens tost tes fouetz, et le batz/ Du long, du lé [de long en large], et hault et bas ! » Daru.   136 Que c’est la règle de laisser.   137 Abstenez-vous-en pour le moment. « Je vous prie que vous vous déportez atant de ceste requeste faire. » ATILF.   138 Se servir.   139 Saute par-dessus la baguette ! Naturellement, le petit chien passe dessous. Même jeu dans l’autre sens. Ce gag fut longtemps au répertoire des clowns de cirques.   140 Vous ferez sagement. Le chien repasse sous la baguette.   141 Une œillade aux spectateurs suffit à faire comprendre qu’Henriet ne parle pas du chien mais de Mauloué, qui a prétendu le faire passer maître (vers 79).   142 Si on le laisse grandir.   143 Pareillement.   144 Pour s’adapter à toutes les situations. Pendant le jeûne du Carême, les catholiques ne consommaient ni beurre, ni viande, à moins d’acheter des dispenses à l’Église.   145 Charogne ! Le chiot l’a mordu.   146 Éd : Et  (Je crois que la peur qu’il a eue lui a donné la fièvre.)   147 Mais plutôt. « Les chièvres alloient tout de reng./ La corne de la dèrenière/ Fut mise au cul de la première./ Quelle chièvre pourroit mieulx dire :/ ‟J’ay la corne au cul.” » Les Sotz escornéz.   148 Qu’elle se repose.   149 Elle n’est pas dans de bonnes dispositions. « Il dort, sire :/ Il est un peu mal disposé. » Le Poulier à sis personnages.   150 Tu dis bien.   151 Que cela.   152 Ce loup-garou se nourrit exclusivement d’épouses qui obéissent à leur mari ; voilà pourquoi il est d’une maigreur squelettique. Les charivaris admettent les déguisements les plus bestiaux.   153 Loin de Damas, où la scène se déroule. Henriet est interrompu après avoir prononcé la première syllabe de Cancale, qu’un passage similaire donne en entier : « Mieulx vous vauldroit estre à Cancalle ! »   154 C’est le nom de la chèvre, qui aimerait se faire boucaner, se faire saillir. « Boucaner, ou bouquaner, faire le bouc. » Godefroy.   155 Je mènerai la danse avec ma flûte (vers 178).   156 Par crainte qu’il ne consomme le mariage devant tout le monde. Les singes ont une réputation de lubricité.   157 Éd : meilleu  (Voir le vers 158 du Fol et la Folle.)   158 Je mènerai la danse avec ma flûte champêtre.   159 Avance, tête de mule ! Henriet s’adresse à la chèvre.   160 Couverte par le voile nuptial, elle est blanche en haut et noire en bas, comme une cigogne.   161 On pourrait supprimer ce point en considérant que « déployés » est un participe passé qui se rapporte aux images du vers 191. « Image » était souvent masculin, par exemple au vers 203.   162 Les saints dont nos bateleurs vendent le portrait relèvent de la plus haute fantaisie. On se reportera aux notes de Pierre SERVET, ainsi qu’au Dictionnaire des saints imaginaires et facétieux, de Jacques MERCERON. Rabelais a définitivement rattaché Saint Alipentin à la scatologie : « Le pauvre Lymosin conchioit toutes ses chausses (…), dont dist Pantagruel : “Sainct Alipentin, quelle civette [puanteur] !” » (Pantagruel, 6.)   163 Par une semelle de bois : il reçut des coups de pied au cul qui lui écorchèrent les fesses. « Ung bien vaillant homme/ Qui n’est pas escous [secoué] d’ung patin. » Le Capitaine Mal-en-point.   164 Le Mardi-gras. Tout ce passage a une couleur fortement carnavalesque.   165 Traditionnellement, on jette un seau d’eau pour décoller deux chiens qui s’accouplent sur la voie publique. Ici, on sépare deux hommes dans la même posture. Le Carnaval autorise toutes les inversions. Chevalet évoquera encore la sodomie homosexuelle dans les Tyrans au bordeau (vers 476-9), et la sodomie hétérosexuelle aux vers 456-7 de L’Andureau et L’Andurée.   166 Prends ! On faisait bouillir les faux-monnayeurs, mais pas dans de la merde.   167 « Que j’abatis/ Les chièvres, et que combatis/ Ces marmotes [guenons] de pommes cuytes. » L’Arbalestre.   168 Cette expression revient dans de nombreux textes. Mais ici, Carnaval oblige, nous sommes encore dans la scatologie : « C’est mon cul qui a la toux. » (Chansons des comédiens françois.) On voyait en effet des enseignes représentant un chat qui pète.   169 Vous paierez tout de suite, pour que je ne me fasse pas rouler par vous. Rappelons que Mauloué s’adresse à un roi.   170 En avant, allons ! « Avant, avant, petit naquet ! » (Trote-menu et Mirre-loret.) Les « petits enfants » sont toujours le roi et la reine, comme au vers 118.   171 Pour ce prix-là, vous ne payez même pas le coût de leur fabrication.   172 Ce vers, tel que je le complète, est le vers 565 de la Pippée.   173 Ce n’est pas clair : vont-ils vendre leurs images, ou bien les partitions des chansons ? Les chanteurs des rues vendent la chanson qu’ils viennent d’interpréter : « Il me convient/ De vostre chanson acheter/ Plusieurs coppies. » (L’Aveugle et Saudret.) Au bas de cette planche, sur une estrade, on voit deux chanteurs proposer leurs partitions.   174 Mon langage.   175 Buveurs de vin (vers 254). « Pÿon, yvrongne et sac à vin. » (Le Raporteur.)  Les chalands sont les bons compagnons.   176 Bu un coup. « Va me mener à la taverne ;/ Et là, nous burons ung tatin. » (L’Aveugle et Picolin.) Beaucoup de chansons reprochent aux moines de faire la grasse matinée et de ne se lever que pour boire. Par exemple celle-ci : « L’Ordre ne dit mye de lever matin./ Dormir jusqu’à prime et boire bon vin,/ Et chanter matines sur ung pot de vin. » La Résurrection Jénin à Paulme.   177 N’enfoncez pas les portes ouvertes. Ces « huis » béants désignent le sexe des femmes. « Je suis (celui) qui romps les huis ouvers/ Et despucelle les nourrisses. » Sermon joyeux d’un Dépucelleur de nourrices.   178 Sous peine. « Et sur peine d’estre pendu. » Légier d’Argent.   179 Éd : de pucelles  (Voir la note 177.)  Une nourrice a du lait parce qu’elle a eu un enfant ; malgré quelques précédents illustres, elle a donc peu de chances d’être encore pucelle. « Saint Velu (…)/ Despucella maintes nourrisses. » Sermon de saint Velu.   180 L’affaire. Mais aussi : le coït. « En faisant l’amoureux tripot. » Pernet qui va au vin.   181 Celui qui avalera un fagot. Mais aussi : celui qui dépensera un fagot. Les taverniers facturent aux clients le bois de chauffage (et la chandelle). « Brûler le fagot : aller boire bouteille ensemble au cabaret, & y brûler un fagot pour se chauffer en buvant. » Le Roux.   182 Ici même : qu’il vient de l’improviser.   183 Pour boire du vin. Cf. Te rogamus audi nos, vers 64.   184 Qu’on l’ait emmenée, afin que j’en sois débarrassé.   185 Je la céderais à bas prix, même si cela ne me rapportait qu’un centime.