CUISINE INFERNALE
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CUISINE
INFERNALE
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Les diables des Mystères sont anthropophages. Quatre siècles et demi avant la Cuisine cannibale de Roland Topor, Claude Chevalet nous met l’eau à la bouche avec leurs recettes les plus savoureuses.
Source : La Vie de sainct Christofle, élégamment composée en rime françoise et par personnages par maistre Chevalet. Imprimé à Grenoble en 1530. Bibliothèque nationale de France, Rés. Yf. 116. Édition critique de Pierre SERVET : La Vie de sainct Christofle ; Droz, 2006. L’édition Servet comporte 19 920 vers ; la mienne en présente le dixième, soit 1 942 vers répartis en six farces : Cuisine infernale, l’Aveugle et Picolin, les Tyrans au bordeau, L’Andureau et L’Andurée, le Fol et la Folle, les Basteleurs.
Structure : Rimes abab/bcbc, rimes plates.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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Lucifer, enchaîné devant la gueule béante de l’enfer1, ne peut se déplacer. Il passe donc son temps à faire venir près de lui ses diables (voir la Chanson des dyables), pour leur confier des missions grotesques, et pour les faire corriger par leurs rivaux lorsque lesdites missions échouent. Pour l’instant, il appelle Cerbère ; ce dernier revient de la terre, où il a fourré dans son grand sac l’âme de plusieurs pécheurs.
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CERBÉRUS SCÈNE I
Que te fault, beste abhominable ?
J’ay logé dedans ton estable
Une vieille jument2 prebstresse
Que j’estranglay hier d’ung gros câble,
5 Comme3 le prebstre disoit messe.
Si ay, pour luy chauffer la fesse,
Appresté de fin feu grégoys4,
Pour luy faire fondre la gresse
Du cropïon autour du joys5.
10 Et ainsi que je revenoys,
Ung musnier alla à basac6 ;
Je le griffay7, comme tu voys,
Et le fourray dedans mon sac.
Et puis, pour faire du bo[u]ssac8,
15 Deux bigards9, une papelarde.
Et encor, au fons du bissac,
Une grosse putain paillarde :
Il ne fault jà que l’on la larde10,
Car ell’ est [bien] grosse et espesse.
20 Le rouge fin feu d’Enfer l’arde,
L’orde puant lo[u]dière yvresse11 !
Elle a tant fait la « haulce-besse12 »
Qu’elle en a le ventre pelé.
La glace fust d’ung pied espesse13
25 Avant qu’ell’ eust le cul gelé !
LUCIFER
Sanglant clabaud14 démuselé,
Porte-moy le sac et l’espice15
Au feu, pour estre desgelé16 !
Car je vueil que tout se rôtisse
30 Pour Proserpine, celle lysse17,
Et pour sa belle nourriture :
Car tu sces bien qu’ell’ est nourrisse18.
Donne-luy cela pour pasture !
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CERBÉRUS 19 SCÈNE II
Empoigne cela sans demeure,
35 Beste serpentine20 cruelle !
Ce sera une bonne cure
Pour toy conserver la cervelle.
PROSERPINE
C’est pour mon dé et ma chandelle21
Que j’auray ces frians morceaulx.
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40 Venez tost, quant je vous appelle, SCÈNE III
Pour riffler22 trippes et boyaulx !
Tenez, mes petitz diableteaulx
Que je tiens et nourris si cher23,
Esperits faulx24 et desloyaulx :
45 Mengez-moy les otz25 et la chair !
MAMMONA
Nous l’avalerons sans mascher,
Puis que nous sommes en besoigne26.
Je n’ay garde de rien lascher,
Quant je me tiens à la charoigne.
ASMODÉUS
50 Je rechigne, je mors, je groigne,
Quant je me treuve à la pasture ;
Mais Mammona tousjours me hoigne27
Quant je vueil faire ma morsure.
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FLÉGÉAS, à tout [une hotte]28. SCÈNE IV
Lucifer, monstre-moy ta hure,
55 Fronce ton horrible museau !
J’ay prins ung villain plain d’usure29,
Qui est plus puant q’ung méseau30 ;
Mais harsoir31, ainsi qu’ung oyseau,
J’empoignay32 la caille d’ung vol.
60 Je le vous serray comme ung veau,
De nuyct, et luy tordis le col !
Si sera mengé, dur ou mol33,
Qui m’en croyra34, à la moustarde,
Avec ung marran35 espaignol
65 Qui est aussi dur q’une oustarde36.
Ou, s’on les rôtist, qu’on les larde
Du lart de ce paillart gourmant
Qui mourust avec sa paillarde
La nuyt passée, en [son] dormant37 !
70 Ou qu’ilz soient, en grief38 tourment,
Tous par menus morseaulx hachéz,
Là où ilz vivront en mourant
Sans jamais estre relâchéz39 !
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ASTAROT SCÈNE V
J’en apporte deux, attachéz
75 Ensemble a[vec] une cordelle40 :
Ung ruffien (que vous le sachez),
Et une vieille macquerelle
Qui vendit sa fille pucelle
À ung milor[t]41, argent content,
80 Contre toute amour naturelle
Quant la mère vent son enfant.
Mais Dieu — qui tout péché deffent42 —
Permist que la vieille mauldicte,
Plus venimeuse q’ung serpent,
85 Mourust harsoir de mort subite43.
Si, conseille qu’elle soit fricte
— Puisqu’ainsi est qu’ell’ est griffée44 —
Et, comme des Cieulx interdicte,
[Soit] mise à la galimafrée45,
90 Et de tous les diables briffée46
Dedans nostre noire maison.
Et le ruffien sera, d’entrée,
Rousty ainsi comme ung oyson.
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BELZÉBUTH SCÈNE VI
Lucifer, voicy venoison47
95 Qui ne veult que vin et vinaigre48.
Je ne sçay s’ell’ est de saison49 :
C’est ung bigard50 qui est bien maigre.
Je l’ay empoigné à ce vespre51.
Si luy fault faire sa raison52,
100 Puisqu’on le tient, le maistre prebstre :
Car il est pire que poison,
Pour chanter « Kiriélèyson53 »
Sur le cul de quelque truande,
Fust54 Gu[i]llemette ou Alyson.
105 Il ne demandoit55 autre offrande,
Et disoit nocturne56 et légende
Tousjours en « parchemyn velu57 »,
Et tenoit la beste en commande58
En sa maison, le goguelu59 !
110 De chanter estoit résolu60
Sur la plume61, soubz les courtines,
Voyre sur le « livre fendu62 »,
En lieu de cloches les tétines,
Dont il sonnoit souvent matines
115 Quant il estoit à son privé63.
Fussent commères64 ou cousines,
Tout estoit coigné et rivé !
Là, despendoit à cul levé65
Les biens de Dieu et sa prébende.
120 Si le fault[-il] mettre au civé,
Ainsi que veneyson demande66.
LUCIFFER
Allez, paillars ! Que l’on le pende
En la grant roue circulaire
De rouge feu67, chaulde et friande68 !
125 Et luy baillez là ung « clistère69 » !
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BÉLIAL SCÈNE VII
Voicy l’âme d’ung faulx notaire70,
Rongeur de la Court des excès71,
Qui scet bien ung seing72 contrefaire
Et falsifier ung procès73.
130 Il avoit plain sac de procèz74,
Dont il prenoit à toutes mains75.
Mais harsoir, d’ung soudain décèz,
Il se laissa choir en mes mains.
Il a commis cas inhumains
135 Plus que Judas Ascarïot76 !
Mais je l’ay serré par les rains
Et amené sans charïot77.
LUCIFER
Allez-moy acoup78 ce magot
Par menus morceaux découpper !
140 Et m’en apportez ung gigot
Farcy de beaux aux79, pour soupper !
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Appartenant somme toute au genre femelle, Proserpine s’occupe de la cuisine ; Lucifer, qui est pourtant un fin gourmet, le lui reproche parfois : « Sortiras-tu de la cuysine, / Crapaude ? » Proserpine fait un usage très personnel de sa poêle, comme elle va le démontrer sur le pauvre Satan.
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LUCIFFER SCÈNE VIII
Apporte, faulce80 Proserpine,
La grant poyle de la cuysine,
Toute rouge81, friande et chaulde !
145 Despêche-toy, acoup, crapaulde !
Et que nul de vous ne reculle !
Prenez Sathan ! Qu’on le baculle82
Acoup, desloyaulx esperitz !
Que tous puissez estre péritz,
150 Car l’on vous en deust autant faire !
CERBÉRUS
Sathan, ce sera ton sallaire
Pour ton dé et pour ta chandelle.
PROSERPINE
Tenez ! Empoignez ceste poyle,
Et luy faictes son petit pain83 !
155 Car c’est ung faulx84 filz de putain :
J’ay grant joye qu’il soit batu.
ASTAROT
Empoigne delà85 ! M’entens-tu,
Cerbérus, et toy, Bélïal ?
Et je jouray, ce86 férïal,
160 De ceste « poyle87 » sur ses fesses.
FLÉGÉAS
Tien ferme, car si tu le laisse[s],
Tu seras bo[u]tté88 en sa place !
BELZÉBUTH
Tu as beau faire la grimace89,
Car il te fault par là passer.
ASTAROT
165 Tenez bien ! Je voys90 commencer,
Et compteray sans rien rabatre :
Ampreux91 ! Et deux ! Et troys ! Et quatre !
Cinq ! Six ! Sept ! Est-ce point assez ?
SATHAN
A ! traistres !
LUCIFFER
Sus, recommencez !
170 Et vous gardez bien qu’il n’eschappe !
PROSERPINE
Tenez ferme, que je le frappe,
Le sanglant yvroigne gourmant !
Tien, voylà pour ton payement !
À ce coup, je m’en vengeray.
SATHAN
175 Traistres, je vous estrangleray !
Et deust Luciffer enrager92,
J’en auray ung93 pour me venger,
Et le mengeray d’ung morceau !
BÉLIAL
Fuyons tous devant ce pourceau,
180 Car je cuyde qu’il est en ruyt94 !
S’il entre, il fera beau bruyt !
En Enfer, si, se fault retraire95.
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L’âme de deux prostituées vient d’échapper à nos diables. Ces faux jetons accusent Satan d’être responsable du gâchis.
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LUCIFFER SCÈNE IX
Usez-vous bien de voz praticques,
D’avoir laissé hors noz lÿens
185 Aller ces putains malléficques
Qui n’avoient esbat que des reins ?96
FLÉGÉAS
Si l’on a perdu ces putains,
Sathan en est cause du faict,
Qui nous a donné ung banquet,
190 Au relever97 de Proserpine,
D’ung mès à la saulce Robert98
Sur ung moyne de grace myne99.
CERBÉRUS
Mais à la saulce cameline100
En fust la pluspart acoustrée101 ;
195 Et de s[es] piedz, à la dodine102,
Nous en fîmes belle levée103.
BÉLIAL
« Le saupicquet104, la gratonnée,
Le haricot105, la sallemine106… »
De trippes frictes, à l’entrée
200 Mengeasmes, avec pouldre fine107.
ASTAROT
Nous n’avallasmes pas chopine108,
Mais du meilleur à grans plains potz,
Qui a tant faict prendre repos109
À Sathan, ce meschant yvroigne,
205 Lequel tousjours contre nous hoigne110
Quant nous parlons à Proserpine.
BELZÉBUTH
Nous gardasmes tant la cuysine
Que fusmes ensaincts d’esthomac111.
Tous noz potz en sont à basac112.
210 Mais si toy, grant prince des chiens113,
Fusses [du convive]114, je tiens
Que nous eussions maint boyau vuyde115 !
SATHAN
Nous pense-tu tenir la bride,
Vieulx mastin116, contrefaict dragon ?
215 Si nous portons la venaison
Pour fournir le gouffre infernal,
Je veulx — estant117 le principal —
Avoir118 la première lippée.
LUCIFFER
Harou, teste démuselée !
220 Me veulx-tu du Règne119 expulser ?
SATHAN
Te fault-il tant braire et prescher
Pour la perte de deux putains ?
S’ilz ont esté souvent à « Rains120 »,
Elles veullent ores121 repos.
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1 Pierre Servet explique (note 5983) : « Lucifer attend les diables sur la scène, hors de l’enfer. On peut penser que ceux-ci vont sortir de la gueule d’enfer pour se placer ‟devant”, c’est-à-dire sur l’espace scénique situé devant les structures fixes du décor. » 2 Une femme qui se laisse chevaucher par n’importe qui ; cf. Légier d’Argent, vers 217. Une prêtresse est la concubine d’un prêtre ; cf. les Chambèrières et Débat, vers 229, 369 et 373. 3 Pendant que. 4 J’ai préparé du feu grégeois. Ce mélange est si corrosif qu’on l’utilise comme bombe incendiaire. 5 Du sexe. « Aussi chault comme feu grégoys,/ Pour t’ardre [te brûler] le trou et le joys. » L’Andureau et L’Andurée. 6 Mourut. « Maladye/ Qui te puisse mettre à basac. » (Digeste Vieille.) Les meuniers commettent tant d’exactions qu’ils sont damnés. La farce du Munyer montre un diable qui recueille dans son sac l’âme d’un meunier pour l’apporter à Lucifer. 7 Je l’agrippai. Idem vers 87. 8 Préparation contenant des épices et du verjus <note 98>. 9 Voici deux bigots, deux hypocrites qui se font passer pour dévots. Idem vers 97. « Bigars et ypocrites. » (ATILF.) La papelarde est leur version féminine. 10 Il n’est pas nécessaire de la barder avec du lard pour la faire rôtir. 11 La brûle, cette sale pute alcoolique. 12 La hausse-baisse : le va-et-vient du coït. 13 Elle a tellement le feu au cul qu’il faudrait qu’elle s’assoie sur de la glace de 32 cm d’épaisseur… 14 Maudit aboyeur. Les Grecs représentaient Cerbère en chien à trois têtes : voir la note 113. Démuselé = sans muselière ; idem vers 219. 15 Et son précieux contenu. 16 Déglacé, dégraissé. 17 Cette lice, cette chienne. 18 Qu’elle est enceinte : elle a donc besoin de manger pour deux, elle qui mange déjà comme quatre. 19 Il donne son sac à Proserpine, qui vient d’entrer. Le comédien qui la joue est affublé d’un énorme ventre. 20 Depuis la tentation d’Ève, le serpent est l’animal diabolique par excellence. Proserpine lui est souvent comparée, malgré son abondant système pileux : « Faulce lisse [sournoise chienne],/ Beste hideuse, serpentine. » St Christofle. 21 Pour mes menus plaisirs. Idem vers 152. Cf. l’Aveugle et Picolin, vers 143. Proserpine n’aime que la viande baptisée : « Mais d’ung chrestïen, d’ung ermite,/ Ce seroit viande appétissant…./ Car cela seroit venayson/ Que j’aymerois plus cher que cresme [sperme]. » St Christofle. 22 Bâfrer. Proserpine appelle ses charmants bambins, Mammon et Asmodée, pour qu’ils viennent s’empiffrer. Les deux diablotins sont emmaillotés de langes, et coiffés d’un béguin d’où dépassent leurs cornes ; ils se frappent mutuellement avec un hochet. 23 Tenir cher = chérir. « Estes-vous cy, ma chier tenue ? » St Christofle. 24 Sournois. Idem vers 126, 142 et 155. Un peu plus tôt, ces deux trompeurs se faisaient passer pour les pages de Satan. 25 Mangez ces os. Proserpine tend le sac de Cerbère à ses rejetons, qui s’en disputent violemment le contenu. 26 Maintenant que nous sommes à l’ouvrage. 27 Grogne contre moi. Idem vers 205. 28 Éd : ung mõstre (Anticipation du vers suivant.) Avec une hotte sur le dos, pour emporter les âmes damnées. « S’enporteray ceste curie/ D’âmes dampnées en ceste hotte,/ Affin que Lucifer, mon hoste,/ Les festoie de grants tourmens. » Mistère de saint Adrien. 29 Les usuriers ne sont pas damnés pour des raisons morales, mais parce qu’ils spéculent sur le temps, qui n’appartient qu’à Dieu. 30 Qu’un lépreux. 31 Hier soir. Idem vers 85 et 132. 32 Éd : Empoigne (Tel un oiseau de proie, je pris cette « caille » en plein vol. « Car qui n’entent le jobelin/ N’a garde de prendre la caille. » Les Tyrans au bordeau.) 33 Bon an, mal an. Mais Phlégias prend cette expression au premier degré : qu’il soit dur ou qu’il soit tendre. 34 Si l’on m’en croit. 35 Un marrane est un juif d’Espagne qui fait semblant de se convertir au catholicisme pour ne pas être expulsé. 36 L’outarde est un échassier. 37 Pendant son sommeil, donc sans avoir reçu l’absolution. « La nuit passée, en mon dormant. » (Les Sotz escornéz.) La mort en état de péché mortel est encore évoquée aux vers 85 et 132. 38 Grave, pénible. 39 Sans connaître de relâche, de répit. 40 En des temps plus anciens, les adultères, attachés l’un à l’autre par le sexe, devaient traverser la ville entièrement nus. 41 À un milord, un richard. Cf. Digeste Vieille, vers 274. « Sa mère mesmes la vendra. » Éloy d’Amerval. 42 Défend, interdit. Astaroth prêche la morale chrétienne, sans laquelle l’enfer n’aurait aucune raison d’être. De la même façon, Dieu n’est rien sans les diables : c’est eux qui font régner la justice divine en punissant les pécheurs. Le camp du Bien et le camp du Mal collaborent pour défendre leurs intérêts communs ; dans le Mystère de sainte Agathe, deux anges vont chercher les diables aux enfers pour qu’ils châtient des hommes qui ont « grandement mespris envers Dieu », que Satan s’empresse d’aller venger : « G’y feray tel dilligence/ Qu’ilz reconnoistront bien l’offence ! » L’ambiguïté du discours diabolique s’affiche tout au long du Livre de la deablerie, d’Éloy d’Amerval, où Lucifer et Satan combattent verbalement l’immoralité comme de vieux théologiens. 43 Donc, sans confession <note 37>. 44 Puisqu’elle est entre mes griffes. 45 Cuisinée en fricassée <note 98>. 46 Bouffée. 47 De la venaison, du gibier humain. Idem vers 121 et 215. 48 Ce gibier sera préparé en civet (vers 120) avec du vin rouge, et les épices seront délayées « de verjus et de vin aigre », comme le préconise la recette du « civé de lièvres » de Taillevent. 49 Si elle est opportune. 50 Un bigot <note 9>. 51 Ce soir. 52 Aussi, il faut lui régler son compte. « On leur fera leur raison. » Digeste Vieille. 53 Kyrie eleison. Voir la note 41 du Clerc qui fut refusé. 54 Que ce soit. Les peu farouches Guillemette et Alison sont deux des Femmes qui aprennent à parler latin. 55 Éd : demãde 56 L’office de nuit. La légende est le récit de la vie d’un saint. 57 Sur le pubis de sa maîtresse. Cf. les Tyrans au bordeau, vers 519-520. 58 La commende est un bénéfice ecclésiastique, tel celui que s’est arrogé l’abbé de Plate Bource dans le Jeu du Prince des Sotz : « Je vueil bien que chascun entende/ Que tiens [l’abbaye de] la Courtille en commande. » 59 Ce godelureau. Cf. la farce de Goguelu, F 45. 60 Il était résolu à dire la messe. « Ton père chante la grant-messe. » Les Miraculés. 61 Sur le lit. Cf. L’Andureau et L’Andurée, vers 449. 62 Sur la fente de sa maîtresse. « Ma belle, à ce concert, gentille,/ Ouvrit son livre allaigrement. » Ung jour que j’accollois m’amie. 63 Chez lui. 64 Que ce soient ses voisines. Cogner et river = coïter. 65 Il dépensait à coups de cul. « Ces bonnes femmes (…) ont joué du serre-cropière à cul levé à tous venans. » Pantagruel, 17. 66 Aussi, il faut le préparer en civet <note 98>, comme ce gibier l’exige. 67 La mythologie chrétienne ne s’est pas contentée de transformer les faunes et les satyres en diables ; elle a également recyclé Proserpine (l’épouse de Pluton, auquel Lucifer doit beaucoup), Phlégias, Cerbère et quelques autres. Quant à la présente roue enflammée, elle n’est autre que celle du supplice d’Ixion dans les Enfers grecs. 68 Adjectif formé sur le verbe frire. Nous avons à peu près le même vers à 144. « Et luy allez bailler/ Ung clistère chault et friant ! » St Christofle. 69 P. Servet voit là une « allusion à l’empalement ». Mais on pourrait y voir une allusion à la sodomie, comme aux vers 179-180. Sur l’intérêt que Claude Chevalet porte à cette pratique, voir la note 244 des Tyrans au bordeau. 70 D’un officier de justice véreux. En tant que procureur et avocat des Enfers, Bélial fréquente le milieu juridique, où un démon a fort à faire. 71 Cette cour tentait de mettre bon ordre aux excès commis par les clercs. « Son procès/ Plaidoit à la Court des excès./ Et après son tort [sa condamnation], pour refuge,/ Alla monstrer son cul au juge. » La Grant malice des femmes. 72 Une signature, un sceau. 73 Un procès-verbal. 74 Éd : faulcez (« On appelle sac de procèz un sac où l’on met les pièces d’un procèz. » Dict. de l’Académie françoise.) L’éditeur a voulu éviter ce qu’il prenait pour une rime du même au même, alors que les deux sens sont différents. 75 De tous les côtés. « Je prens argent à toutes mains. » Le Retraict. 76 Judas Iscariote. 77 Sans recourir à un corbillard : en le portant dans mon sac. 78 Tout à coup ; idem vers 145 et 148. Un magot est un singe : cf. les Tyrans au bordeau, vers 73. 79 Truffé d’ail. 80 Sournoise <note 24>. 81 Chauffée au rouge. Friante = bouillante <note 68>. 82 Qu’on lui frappe sur le cul. « Baculer/ Et frapper culs. » Sermon joyeux des Frappe-culs. 83 Faites-lui du tort. « Pour leur faire leur petit pain. » St Christofle. 84 Sournois <note 24>. 85 Tiens-le par là ! 86 Éd : du (En ce jour de fête.) 87 On prononçait pelle. Chevalet transporte à la cuisine l’expression « frapper la pelle au cul » : flanquer une fessée. « Et luy frappa au cul la pelle. » François Villon. 88 Tu seras mis à sa place. Chevalet ne dit jamais « botter les fesses », mais « écorcher d’un patin » (les Basteleurs, vers 197). 89 Satan, tu fais inutilement la grimace. 90 Je vais. Astaroth empoigne la poêle que Proserpine lui tend obligeamment. 91 Et un ! Le même décompte accompagne des bastonnades aux vers 787-791 de l’Aveugle et Saudret, aux vers 226-237 de la Veuve, etc. 92 Et même si Lucifer devait enrager encore plus que d’habitude. 93 J’attraperai l’un d’entre vous. Satan échappe à l’étreinte de ses tortionnaires, et se met à les poursuivre tout autour de Lucifer. 94 En rut : il risque de nous sodomiser. Voir la note 69. 95 Nous devons nous réfugier dans les enfers. Jusque-là, les diables étaient à l’extérieur, auprès de Lucifer ; voir la note 1. Ils sautent donc dans leur terrier, et abandonnent au « rut » de Satan leur chef enchaîné. 96 Il semble manquer un vers en -ains, et un autre en -et. 97 Une accouchée reprenait sa vie ordinaire et sa vie paroissiale après le « banquet de relevailles ». Proserpine, qui était enceinte au vers 32, a donc pondu un nouveau diablotin, dont on ne connaîtra jamais le père. 98 Un mets en sauce épicée ; voir la note 214 du Capitaine Mal-en-point. La rime est faible parce que Chevalet emprunte ce passage culinaire à la Condamnacion de Bancquet (publiée en 1507), qu’on attribue au poète Nicole de la Chesnaye : « –Voz saulces sont-elles bien faictes,/ Escuyer ? –Ma dame honnorée,/ Veez-en cy de trop plus parfaictes/ Que cyvé ne galimaffrée./ Tout premier vous sera donnée/ Saulse Robert et cameline,/ Le saupiquet, la crétonnée,/ Le haricot, la salemine (…),/ Boussac montée avec dodine. » 99 De grasse apparence. 100 Sauce à la cannelle et au gingembre <note 98>. 101 La plus grande partie de son corps fut accommodée. 102 Sauce à l’oignon et au pain grillé <n. 98>. 103 Nous en avons prélevé une belle tranche. D’habitude, le vorace Cerbère n’attend pas que la sauce soit prête et que la viande soit cuite : « Et Cerbérus, ce faulx mâtin [ce perfide chien],/ A mengé le rost en la broche. » St Christofle. 104 La sauce piquante. La crétonnée est à base de grattons de porc. Chevalet recopia ces deux vers dans la Condamnacion de Bancquet : voir ma note 98. 105 Ragoût composé de morceaux de viande harigotés, c.-à-d. coupés en morceaux <n. 98>. 106 Éd : sallequine (Voir Marthe PAQUANT : Réforme, Humanisme, Renaissance, 2007, nº 65, p.190.) Plat composé de divers poissons <n. 98>. 107 Mélange d’épices réduites en poudre. Mais dans le Mystère des trois Doms, auquel avait collaboré Claude Chevalet, Pouldrefine est la « putain du bourreau » ; voyant un homme éventré, elle s’écrie telle une diablesse cannibale : « Ha ! quels boyaux à composer andouilles ! » Et devant un autre supplicié : « Bon seroyt pour le mettre au jus. » Quelques spectateurs devaient s’en souvenir, car les Trois Doms furent créés en 1509 à Romans-sur-Isère, et St Christofle en 1527 à Grenoble, non loin de Romans. Notons que dans ce mystère, Proserpine apportait déjà la preuve de ses talents culinaires : voir la note 173 des Trois amoureux de la croix. 108 Une petite chope de vin. 109 Somnoler. 110 Grogne. 111 Nous sommes restés à table si longtemps que notre estomac gonfla. 112 Sont vides. « Voylà nostre bourse à basac. » St Christofle. 113 Ailleurs, ce titre désigne Cerbère : « Toy, Cerbérus, prince des chiens. » Or, le portier des Enfers était présent au banquet de relevailles, comme il le confirme aux vers 193-6. Le seul qui ne pouvait y être à cause de ses chaînes, c’est ce goinfre de Lucifer, qui est donc ici visé ; on le traite d’ailleurs de chien quatre vers plus bas. 114 Éd : de conuoyes (Lucifer, si tu avais été de ce banquet, glouton comme tu l’es. « Je ne semons [n’invite] en mon convive/ Que tous bons rustres avoyés. » Bon Temps.) 115 Que nous aurions le ventre vide. « Je n’ay mangé que tout à point ;/ Encor y a-il ung boyau vuyde. » La Condamnacion de Bancquet. 116 Un mâtin est un gros chien. Les révoltes contre Lucifer sont fréquentes mais brèves. 117 Éd : estre (Satan est le diable principal, après Lucifer — dont il est le lieutenant, et qu’il voudrait bien évincer.) 118 Éd : Dauoir (Je veux en avoir la première bouchée.) 119 Du royaume infernal. 120 Si elles ont été souvent à Reims. Calembour sur les reins du vers 186. Cf. L’Andureau et L’Andurée, vers 467. 121 Désormais.
L’AVEUGLE ET PICOLIN
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L’AVEUGLE
ET PICOLIN
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Dans sa Vie de sainct Christofle (~1510-1514), Claude Chevalet nous donne en exemple un clochard aveugle et son valet, qui profitent de la naïveté des chrétiens. Ce duo comique intervient dans beaucoup de farces et de mystères : voir la notice de l’Aveugle, son Varlet et une Tripière.
Source : La Vie de sainct Christofle, élégamment composée en rime françoise et par personnages par maistre Chevalet. Imprimé à Grenoble en 1530. Bibliothèque nationale de France, Rés. Yf. 116. Édition critique de Pierre SERVET : La Vie de sainct Christofle ; Droz, 2006.
Structure : Rimes plates, avec 2 triolets.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
*
Deux mendiants — un vieil aveugle et son valet — sont assis par terre, dans la rue. L’aveugle porte une vielle en bandoulière ; Picolin boit à une énorme bouteille, puis il la repose discrètement près de son maître.
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PICOLIN SCÈNE I
Nous deussions bien amasser mousse1 :
On ne bouge plus d’une place.
L’AVEUGLE
Que diable veulx-tu que je face ?
Tous les jours courons par ces portes2,
5 Mais les aulmosnes sont si courtes
Que vers nous ne peuvent venir.
PICOLIN
Vous voulez-vous icy tenir
Pour les avoir ? On les vous forge3 !
Ne faictes que bailler la gorge4 :
10 Vous aurez vostre compte rond
Pour avaller…
L’AVEUGLE
Quoy ?
PICOLIN
Ung estront,
Affin que bien vous le sachez !
Car (par Dieu !) si vous ne marchez,
Je ne sçay plus de quel boys tordre5.
L’AVEUGLE
15 Et ! comment ? N’avons-nous que mordre
Ne que boyre en la bouteille ?
Ce seroit une grant merveille
Qu’elle fust vuyde, somme toute !
PICOLIN
Il n’en y6 a pas une goutte :
20 Soyez seur qu’ell’ est despêchée.
L’AVEUGLE
Ta gorge l’a ainsi séchée ;
Elle porte ung mauvais vent.
PYCOLIN
Ou vous la baisez7 trop souvent,
Dont nous vient celle sécheresse.
25 Cuydez-vous que le vin y croisse,
De tousjours oster et rien mettre ?
L’AVEUGLE
C’est trop hault parlé à son maistre !
Pour te déclairer la teneur8,
Tu ne me porte point d’honneur,
30 Puisqu’il convient que je le die.
PICOLIN
Et quel honneur (maulgré ma vie !)
Voulez-vous donc que je vous face ?
Je vous ay servy long espace9 ;
Et si, n’ay ne denier ne maille10.
L’AVEUGLE
35 Je n’ay rien que je ne te baille,
Soit ou andoulle11 ou jambon.
Et qui nous donne rien de bon12,
Tu en as le premier lopin.
PICOLIN
Le premier ? Non ay, par Jupin !
40 Le premier n’a garde de choir :
Vous le prenez sur mon trenchoir13
Aulcuneffoys, par souspeçon14.
L’AVEUGLE
Tu es cault15 — j’entens bien le son —,
Et prens du meilleur qu’on me baille.
45 Mais allons avant, ne te chaille,
Pour sçavoir s’on nous donra rien16.
PICOLIN
A ! par Dieu, je vous entens bien !
Vous ne demandez que desbat17.
L’AVEUGLE
Je ne le dis que pour esbat18,
50 Puisque la matière est ouverte19.
Mais tu as la teste si verte20
Et si creuse que c’est pitié !
PICOLIN
Vous l’avez pire la moytié,
Et l’aurez tant que vous vivrez.
55 Despêchez-vous et me suyvez,
Ou (par Dieu) je vous laisseray.
L’AVEUGLE
Allons ! Car je ne cesseray
De faire sonner ma vïelle21
Tant que j[’en] aye ou pied ou hèle22
60 — Dont tu auras tousjours ta part.
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PICOLIN SCÈNE II
Si vostre vï[e]lle fust preste,
Nous eussions escus à milliers :
Ne voyez-vous ces chevaliers ?
Allez leur dire23 une note !
L’AVEUGLE
65 Comment dea, « voyr » ? Je n’y voy goutte
Autant du cul que de la teste24 !
Mais encores es-tu plus beste
De me dire que je le[s] voye.
PICOLIN
Disons quelque chançon qu’on oye,
70 Affin que nous ayons argent.
L’AVEUGLE
« Donnez au pouvre indigent
(Mes beaulx seigneurs) qui ne voit rien,
Une maille ! »
PICOLIN
[Ung] estront de chien !
Demandez plus grosse monnoye !
75 Et parlez hault — qu’on ne vous oye25 —,
Sans demander denier ne maille26 !
L’AVEUGLE
Et ! cuyde-tu bien qu’on nous baille
Escus ?
PICOLIN
Et pourquoy non, beau sire ?
Il n’en griève non plus à dire
80 « Ung ducat » qu’il fait « ung denier »27.
L’AVEUGLE
Dea ! si tu estois aulmonyer,
Je ne te cognois point si large
Qu’on eust de toy escu ne targe28 :
Tu es trop rouge à la taille29.
PICOLIN
85 Et s’il advient qu(e) escus on baille,
Maistre, les reffuserez-vous ?
L’AVEUGLE
Ce n’est pas monnoye pour nous,
Si tu entens le jobelin30.
PICOLIN
« En l’honneur du dieu Apolin,
90 Et d’Herculès le fort géant,
Donnez au pouvre non-voyant
— Qui a perdu le luminaire31
À la taverne pour trop boyre —
De voz ducatz une douzaine ! »
L’AVEUGLE
95 Mais ta forte fièbvre quartayne !
Tu me porte bien peu d’honneur !
Dy que je suis ung grant seigneur
Adveuglé par [la] tyrannye32
Des Turcs au siège d’Albanye :
100 Tu les en debvrois advertir.
PICOLIN
Que gaignerois-je de mentir ?
« Le vin l’a faict33, sans contredire !! »
L’AVEUGLE
Vérité n’est pas belle à dire
Tousjours : il y a temps et lieu.
*
Les deux païens ont la chance de tomber sur des nouveaux chrétiens que leur conversion a rendus gâteux. Tous les quatre donnent leur bourse au mécréant Picolin.
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LE CONTE SCÈNE III
105 Tien, mon amy : prens cest[e] aulmosne !
GRACIEN
Et moy cela, que je te donne
En l’honneur de Jésus, mon maistre.
FLORIDÈS
Prens cela ! Pense de le mettre
En ton sac, pour te secourir.
BROADAS
110 Jésuchrist, qui voulut mourir34,
Veulle [ceste aumosne]35 en gré prendre !
L’AVEUGLE
Juppiter le vous veulle rendre,
Et Vénus, la belle déesse !36
.
Je croy qu’il y a grant richesse ? SCÈNE IV
115 Regarde comme cecy poyse37 ;
Et affin qu’il n’y ai[t d]e noyse,
Ne me cache rien, somme toute.
PICOLIN
Jamais vous ne fustes sans doubte38
De moy et de voz compaignons.
120 Ce sont sachèz d’aulx39 et d’oignons
Qu’on vous a donné[z] pour bien boyre.
L’AVEUGLE
Le me cuyde-tu faire acroire ?
Encor n’a[s-]tu pas prou vescu40 !
Je cognoistray mieulx ung escu
125 Que tu ne feras ung patas41.
PICOLIN
Comment se fait cela ?
L’AVEUGLE
Au tas[t]42.
Car, combien que rien je n’y voye,
Je cognois la bonne monnoye
Comme le43 lièvre les brachetz.
130 Pour tant44, baille-moy ces sachetz,
Car je vueil garder le butin.
PICOLIN
Vous ne demandez que hutin45
Et noyse ! Pour vous advertir,
Si nous convient noz biens partir46,
135 Puisque n’avez en moy fiance.
L’AVEUGLE
Dea ! n’emporte point la finance !
As-tu entendu, mon varlet ?
Car si je te prens au collet,
Tu auras de moy la secousse47 !
140 Où es-tu, dis ? Hau48 !
PICOLIN
En Escosse !
Attendez-moy jusqu’à demain,
Car voicy ma dernière main49
Pour mon dé et pour ma chandelle50.
L’AVEUGLE
Approuche-toy, quant on t’appelle !
145 Me veulx-tu laisser tout seullet ?
PICOLIN
Tu as dit vray, Jehan de Nyvelle ! 51
L’AVEUGLE
Approuche-toy, quant on t’apelle !
PICOLIN
Par noz dieux ! il a la cervelle
Plus estourdie q’ung mullet.
L’AVEUGLE
150 Approuche-toy, quant on t’appelle !
Me veulx-tu laisser tout seullet ?
PICOLIN
À Dieu, maistre !
L’AVEUGLE
Hé, mon varlet !
Approuche-toy, et n’aye doubte52.
Tu scez bien que je n’y voy goutte
155 Nen plus53 q’une vielle lanterne.
Va me mener à la taverne :
Et là, nous burons ung tatin54,
Et partirons55 nostre butin
Ainsi que je deviseray56.
PICOLIN
160 Vous partirez ? Je choisiray !
Avez-vous ouÿ la teneur57 ?
Car à vous [n’]appartient l’honneur58 ;
La coustume [n’]est tousjours telle59.
L’AVEUGLE
Tu ne le dis que par cautelle60
165 Et pour me tromper, j’en suis seur.
PICOLIN
Comment ? M’appellez-vous « trompeur » ?
C’est pour recommencer la noyse !
L’AVEUGLE
Laissons cela, et que l’on voyse61
À la taverne, je le veulx !
170 Et là, nous despendrons62 tous deux
Tous les biens qu’on nous a donnéz.
*
Deux prostituées, que nous avons découvertes dans les Tyrans au bordeau, reversent aux mendiants une partie de l’argent qu’elles ont gagné à la sueur de leur… front.
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NYCETTE SCÈNE V
Il nous63 fauldroit donner, m’amye,
L’aulmosne à ces [deux] pouvres gens.
AQUELINE
C’est bien dit, car telz indigens
175 Ne sçavent de quoy desjuner.
NYCETTE
Tien, mon amy ! C’est pour disner.
Prie pour moy qui le te donne.
L’AVEUGLE
Grant mercy !64
.
Juppin, quelle aulmosne ! SCÈNE VI
PICOLIN
Mais qu’elle [soit] monnoye exquise65,
180 Elle doit bien estre de mise66,
Puisqu’elle vient de telle main.
L’AVEUGLE
Ma foy ! j’en vueil faire demain
Ung brevet67 pour guérir des fièbvres.
PICOLIN
Morbieu ! il feroit sallir68 chièvres
185 Avant qu’ilz69 eussent queue levée.
L’AVEUGLE
Allons ail[l]eurs faire levée70,
Et jouerons de tricherie.
*
Le bourreau Morgalant et son valet Pascalet <voir L’Andureau et L’Andurée, vers 50-379> ont besoin d’aide pour charger une meule de moulin sur une claie tirée par deux chevaux. Ils aperçoivent les mendiants, au loin.
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PASQUALET SCÈNE VII
Çà, villain[s] ! Venez sans targer71
— Avant que je vous aille querre
190 Tous deux — pour charger ceste pierre !
Acoup ! Et soyez diligens !
L’AVEUGLE
A ! mon varlet, qui sont ces gens ?
J’ay paour que ce soient gens d’armes.
S’ilz nous preignent, ce sont les termes
195 De nous endosser de beau boys72 !
PYCOLIN, varlet de l’Aveugle.
Ce sont deux sergens (je les voys73)
Qui ont deux chevaulx, et la traŷne74
Dont au gibet souvent on meyne
Les larons. Av’ous entendu ?
MORGALANT
200 Vien çà ! Que tu soye pendu !
Me feras-tu mèshuy attendre ?
L’AVEUGLE
Hélas, nous veult-on mener pendre ?
Fuyons-nous-en, comment qu’il aille75 !
PASQUALET
Qu’en despit de la villennaille76 !
205 Vous fault-il tant de foys requerre77 ?
Venez, ou je vous iray querre,
Et tous deux prendray78 au collet !
PYCOLIN
C’est le bourreau et son varlet,
Mon maistre. Nous sommes perdus !
210 S’il nous prent, nous serons pendus,
Tant seullement pour la despoulle79.
L’AVEUGLE
Je vouldrois estre en la Poulle80,
Ou en mer, puis avoir bon vent !
MORGALANT
Avant, de par le Diable, avant,
215 Vostre seigneur et vostre maistre81 !
Et nous venez ayder à mettre
Ceste meulle sur ceste traŷne,
À celle fin que l’on la meyne
Au Roy, qui nous attent sans doubte82.
L’AVEUGLE
220 Hélas, Monsieur : je n’y voy goutte.
Laissez-moy, en l’honneur des dieux !
PASQUALET
Tu ne m(e) ayderas pas des yeulx83.
As-tu entendu, mon mignon ?
Prens delà, et ton compaignon !
225 Aultrement, il y aura noyse.
PYCOLIN
Ventre sainct Gris84, comme elle poise !
Je me suis quasi rompu l’anche85.
MORGALANT
Prenons chescum une gazanche86,
Et la bouterons en coulant87.
PASQUALET
230 C’est bien dict. Boutte, Morgalant,
Par cy, et chescum t’aydera.
Tenez, elle m’eschappera !
Que maulgré en ait Barratron88 !
MORGALANT
Vous ne valez pas ung estron !
235 Soustenez bien, et ne vous chaille !
Et ! voylà89 bien, vaille que vaille.
Mais j’ay cy rompu une veyne.
L’AVEUGLE
Or nous donnez, pour nostre peine,
Quelque chose en payement !
PASQUALET
240 Vous serez payé gayement
De la monnoye que je porte90 :
Tenez, tenez ! Voicy la sorte
Dont on paye telle canaille !
L’AVEUGLE
Pour Dieu, que plus on ne m’en baille !
245 Je vous quitte tout91, de ce pas !
PASCALET
Par noz dieux ! ne l’espargne92 pas :
Tout est à ton commandement93.
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L’AVEUGLE SCÈNE VIII
Voylà « payé » trop lourdement !
Nous avons esté bien batus.
PYCOLIN
250 Voyre ? [Mais] vous94, par mon serment !
L’AVEUGLE
Voylà « payé » trop lourdement !
Et toy ?
PYCOLIN
Je [m’en fuis]95 vaillamment,
Aussi hardiment comme Artus96.
L’AVEUGLE
Voylà « payé » trop lourdement !
255 Nous avons esté bien batus.
PYCOLIN
Vous estiez encor plus testus97
De leur demander de l’argent !
Car vous sçavez bien q’ung sergent
N’a rien acoustumé que prendre.
*
1 Allusion au « proverbe commun qui dit que ‟pierre qui roule n’amasse mousse” ». (Jean Boyron.) « Nous n’amassons plus mousse. » St Christofle. 2 Nous mendions d’une porte à l’autre. Rime dauphinoise en -ourtes. 3 Réponse narquoise qu’on fait à une personne trop exigeante. Cf. le Sermon joyeux de bien boire, vers 189. 4 Vous vous contentez d’avancer votre gorge, comme un oisillon qui réclame la becquée. 5 De quel bois faire flèche. Cf. les Tyrans au bordeau, vers 127. 6 Éd : ny 7 Baiser la bouteille = boire. « Me fault ma bouteille baiser. » Mystère de St Clément de Metz. 8 Le point principal. Idem vers 161. 9 Pendant un long espace de temps. 10 Et pourtant, je n’ai ni un denier, ni un centime. Chevalet fait dire le même vers au valet des Basteleurs. 11 De l’andouille. 12 Quand on nous donne quelque chose de bon. 13 Après un banquet, on distribue aux pauvres les tranchoirs (ou tailloirs), épaisses tranches de pain qui ont tenu lieu d’assiettes, et sur lesquelles on abandonne quelques reliefs. 14 En soupçonnant que j’ai raflé le meilleur morceau. 15 Cauteleux, rusé. J’entends le son = je connais la chanson ! 16 Si on nous donnera quelque chose. 17 Vous ne cherchez que des disputes. 18 Que pour plaisanter. « Je ne l’ay faict que par esbat. » Deux jeunes femmes. 19 Puisque le sujet est abordé. 20 Si peu mûre. Cf. l’Arbalestre, vers 152 et note. 21 Éd : uiolle (La viole est un instrument aristocratique, alors que la vielle est populaire : c’est l’instrument dont les mendiants aveugles s’accompagnent pour chanter dans la rue. Je corrige la même faute au vers 61.) Si votre vielle était accordée. Dans l’Aveugle, sa Chambèrière et son Varlet (F 45), le valet accorde la vielle de l’aveugle : « Cependant, Gauguelu refait la vielle. / Quant [maintenant que] vostre vielle est refaicte,/ Quelque plaisante chansonnette/ Disons ! » 22 Jusqu’à ce que j’en obtienne une cuisse ou une aile. « Pour Dieu, donnez-moy cuisse ou elle ! » (Conversion S. Denis.) Cette expression culinaire signifie : obtenir quelque chose, si peu que ce soit. « Il en apporte ou pied ou elle. » Gournay et Micet. 23 Leur chanter. Rime dauphinoise en -oute : « Qu’il vous plaise dire une no[u]tte !/ Adieu vous dy, trèstous et toute ! » Le Roy des Sotz. 24 Quand Daru se fait passer pour un aveugle, il chante ceci : « (Je) ne voy où le pied je metz/ Non plus du cul que de la teste. » 25 Renversement de la formule consacrée : « Or parlez bas, qu’on ne vous oye ! » Le Vilain et la Tavernière. 26 Une monnaie trop faible. 27 Cela ne coûte pas plus de demander un ducat qu’un vulgaire denier. 28 Je ne sache pas que tu sois assez généreux pour qu’on ait de toi la moindre monnaie. « Il n’a escu ne targe : s’entend de ceux qui n’ont aucune monnoie. » Claude Fauchet. 29 Trop roublard. « Vous estes trop rouges en la taille. » Les Tyrans. 30 Si tu me comprends à demi-mot. Cf. les Tyrans au bordeau, vers 292. 31 La lumière, la vue. Cf. l’Aveugle et Saudret, vers 328. 32 Rendu aveugle par la barbarie des musulmans vis-à-vis des chrétiens. « Secourir les Christiens, oppresséz de la tyrannie des Turcz. » P. de Saint-Julien. 33 C’est le vin qui l’a rendu aveugle. 34 L’Église cautionne le suicide du Christ et celui des saints, mais elle condamne tous les autres. 35 Éd : laumosne (Veuille me tenir gré de l’aumône que je vous fais. La charité chrétienne n’est jamais désintéressée : on donne dans cette vie pour que ce don nous soit rendu au centuple dans l’autre vie.) 36 Les mendiants s’esquivent. C’est Picolin qui porte les quatre bourses. 37 Combien cela pèse, vaut. 38 Sans méfiance. 39 Des sachets d’ails. L’ail et l’oignon donnent soif : « L’oignon (…) est inflammatif & provoque la soif. » La Nef de Santé. 40 Tu n’as pas assez d’expérience pour me le faire croire. 41 Que tu ne reconnaîtrais un patac, une pièce de monnaie provençale qui avait cours jusqu’à Grenoble, où fut créé ce Mystère. « Deux deniers tournoys, ou ung patas. » Archives de l’Isère. 42 Au tact, au toucher. « Nostre sens du tast. » ATILF. 43 Éd : la (Comme le lièvre reconnaît les braquets, les chiens de chasse : à l’oreille.) 44 Pour cette raison. 45 Des affrontements. « Sans noyse et sans hutin. » ATILF. 46 Nous devons partager nos biens. Idem vers 158 et 160. 47 Je te pendrai. Dans ce Mystère, le roi dit au bourreau : « Ne luy donne point la secousse/ Jusqu’à ce qu’on donne l’assault./ Alors fais-luy prendre ung sault/ Au gibet. » 48 Interjection interpellative. « Où es-tu ? Hau ! » Les Basteleurs. 49 Mon ultime vol. « À l’insigne voleur, ô merveille profonde,/ Qui, compagnon d’honneur du Roy de tout le monde,/ Pour sa dernière main luy desroba les cieux. » César Nostradamus. 50 Pour mes menus plaisirs. Cf. Cuisine infernale, vers 38 et 152. 51 Étant donné que Picolin vouvoie toujours son maître, on peut conclure que nous avons ici le refrain d’une des chansons qui furent consacrées à Jean de Nivelle ; voir celle qui ouvre la farce du Pauvre et le Riche. Il en subsiste un vague écho dans le Démon travesti, du chanoine Jacques : « Tu n’es qu’un vray Jean de Nivelle. » 52 N’aie pas peur. Le vers suivant était prononcé par l’Aveugle de la Vie et passion de monseigneur sainct Didier, de Guillaume Flamang. 53 Pas plus. Cf. les Maraux enchesnéz, vers 258. 54 Nous boirons un coup. Cf. les Basteleurs, vers 227. 55 Nous partagerons (note 46). 56 Comme je le déciderai. 57 Le point principal. 58 L’honneur de partager notre butin ne vous appartient pas. 59 La coutume n’est pas immuable. Louis XII était alors en train de simplifier le droit coutumier ; voir la notice de Digeste Vieille. 60 Par ruse. 61 Et allons. 62 Nous dépenserons. 63 Éd : vous (Correction de P. Servet.) Il faudrait que nous donnions. 64 Les prostituées s’en vont. L’aveugle soupèse l’argent (vers 126). 65 Pour peu que ce soit une monnaie recherchée, rare (lat. exquisita). « Partout est la monnoye exquise :/ Le peuple n’a plus maille ne denier. » Eustache Deschamps. 66 Elle doit avoir cours. La monnaie que gagnent les prostituées circule très vite et n’a pas le temps d’être décriée. 67 Je veux pendre cette bourse à mon cou, comme une amulette miraculeuse. « Brevet, ou autre chose, qu’on pend au col (…) pour préserver ou guarir de quelque maladie ou poison. » Godefroy. 68 Saillir, couvrir. Lors de la saillie, les quadrupèdes femelles lèvent leur queue pour que le mâle puisse s’introduire. Picolin sous-entend que l’aveugle va vite en besogne, et oublie encore de partager. 69 Qu’elles. 70 Jouer aux cartes. 71 Sans tarder. 72 C’est la certitude qu’ils nous chargeront le dos de coups de bâtons. 73 Picolin n’y voit pas beaucoup mieux que son patron : les sergents sont immédiatement reconnaissables parce qu’ils portent une « masse » ou une « verge », ce qui n’est pas le cas des bourreaux. 74 La claie. Idem vers 217. Sur la peine infamante de la claie, voir la note 24 de Massons et charpentiers. Le roi Danus, qui est un raffiné, prépare à saint Christophe un supplice plus personnel : « Luy estachez [attachez-lui] une grant meulle/ De moulin (ainsi je le veulx)/ Par le col et par les cheveulx,/ Et le traŷnez par monts et vaulx/ À belles queues de chevaulx ! » 75 Quoi qu’il en soit. 76 N’en déplaise à cette canaille. « Paix, qu’en despit de Saturnus ! » St Christofle. 77 Faut-il vous requérir tant de fois ? 78 Éd : prendre 79 Pour que les bourreaux prennent nos dépouilles, nos vêtements. Cf. Gournay et Micet, vers 468 et 505. 80 Dans la région italienne des Pouilles : loin d’ici. 81 Allons, de par le Diable, qui est votre seigneur et maître ! 82 Sans craindre que nous ne venions pas. 83 Tu ne m’aideras pas avec tes yeux mais avec tes bras. 84 Par le ventre de saint François d’Assise. Dans une circonstance analogue, le Fol du mystère a lui aussi recours à ce juron chrétien : « Ventre sainct Gris, comme tu poyse ! » 85 La hanche. 86 Un pieu en bois pour faire levier. « Pour six grosses pièces de chane [chêne] appeléz gazanches pour besoigner esdits fossés de St-Just. » Marthe PAQUANT : Réforme, Humanisme, Renaissance, 2007, nº 65, p.191. 87 En la glissant sous la meule. 88 Les Mystères attribuent ce dieu fantaisiste aux musulmans, et en règle générale aux païens. Βάραθρον = gouffre. « Maulgré Barratron et Mercure ! » St Christofle. 89 Éd : uoyle la (C’est bien.) La meule est installée sur la claie. 90 Pascalet, qui tient un des pieux du v. 228, en donne des coups aux mendiants. Picolin s’abrite derrière son maître, lequel reçoit toute la bastonnade. 91 Je vous tiens quitte de tout paiement. « Je vous quitte tout pour sauver ma vie. » Le Nouveau Panurge. 92 Éd : lespargnez (Ne ménage pas mon paiement. Les hommes généreux disaient toujours : « N’espargnez pas ma bourse ! ») 93 À ton entier service. Les mendiants s’enfuient. 94 Vraiment ? Surtout vous. 95 fais (Je pris la fuite.) 96 Le roi Arthur ne fuyait jamais. 97 Éd : natus (« Fussiez-vous encor plus testu. » Le Nouveau marié.)
LES TYRANS AU BORDEAU
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LES TYRANS
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AU BORDEAU
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Les « tyrans » sont des reîtres de sac et de corde auxquels des notables qui ne veulent pas se salir les mains confient les basses besognes : service d’ordre, tortures, intimidations, meurtres, et tous les coups tordus que peuvent accomplir des miliciens au-dessus des lois. Les tyrans ne croient en rien, mais ils sont prêts à tout pour se procurer l’argent qu’ils dilapident à la taverne ou au bordel. À grand renfort d’argot1, ils mettent une joyeuse animation dans la Vie de sainct Christofle (~1510-1514), de Claude Chevalet : voir les vers 252-389 de L’Andureau et L’Andurée.
Source : La Vie de sainct Christofle, élégamment composée en rime françoise et par personnages par maistre Chevalet. Imprimé à Grenoble en 1530. Bibliothèque nationale de France, Rés. Yf. 116. * Édition critique de Pierre SERVET : La Vie de sainct Christofle ; Droz, 2006. * Lazare SAINÉAN publia mes actuels vers 1 à 215 dans les Sources de l’argot ancien, tome I, 1912, pp. 277-293. Son glossaire figure au tome II (1912), pp. 264-468. * Les mêmes vers se trouvent dans les Études de philologie comparée sur l’argot, de Francisque MICHEL, 1856, pp. xli-xlvi ; son dictionnaire, peu utile, occupe les pages 1-422. * Les vers 1 à 72 furent publiés et annotés par Jacques CHOCHEYRAS : le Théâtre religieux en Dauphiné ; Droz, 1975, pp. 270-272. * À titre de curiosité, ces mêmes vers agrémentaient déjà, en 1747, le tome III de l’Histoire du théâtre françois des frères PARFAICT, pp. 5-9. * Le Dictionnaire des Mystères, de Jules de DOUHET, reproduisit leur travail en 1854, pp. 234-236. Bref, cette longue scène argotique a intrigué beaucoup de monde, et elle le mérite.
Structure : Rimes abab/bcbc, rimes plates, avec 1 triolet.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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Barraquin est un spadassin picard. En l’absence de guerre, les temps sont durs pour les aventuriers de son espèce, qui doivent se reconvertir en « escorcheurs » et autres « routiers » ; aussi, Barraquin est devenu bandit de grands chemins. Ses proies sont elles-mêmes des victimes de la paix : un soudard gascon nommé Brandimas, puis deux mercenaires en vadrouille — le Suisse allemand Fréminaud, et le Lombard Alibraquin. Leur langue commune est l’argot des truands, que l’auteur a surtout puisé dans les Ballades en jargon de François Villon — du moins dans celles qui étaient connues par l’édition de 1489.
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BARRAQUIN, premier tyrant. SCÈNE I
Hé ! Chou2 plais[t] Dieu ? Et qu’esche-chy ?
N’aray-je jamais de l’aubert3 ?
Je suis, en ce boys, tout transy.
Donc, j’ay fait endosse de vert4.
5 Je porte le cul descouvert5.
Mes tirandes6 sont desquirées ;
Les passans7 rompus : il y pert.
Et porte la lyme nouée8.
.
BRANDIMAS, deuxiesme tirant. SCÈNE II
Tous mes grains9 ont pris la brouée.
10 Cap de Dio[u]10 ! tout est despendu :
J’ay mon arbaleste flouée11,
Et le galier piéçà vendu12.
Le ront13 est pelé et tondu,
[Et] mon comble14 est à la tâtière
15 Gagé15. Que ne suis-je pendu ?
Mon jorget16 n’a pièce entière.
.
BARRAQUIN, assaillant. SCÈNE III
Demeure !
BRANDIMAS, défendant.
Tire-toy arrière !
BARRAQUIN
À mort, ribault !
BRANDIMAS
Rien de la main17 !
BARRAQUIN
Ha ! crapaudeau18 !
BRANDIMAS
Filz de loudière19 !
BARRAQUIN
20 Demeure !
BRANDIMAS
Tire-toy arrière !
BARRAQUIN
Quel mynois !
BRANDIMAS
Quel(le) fière manière !
BARRAQUIN
Es-tu narquin20 ?
BRANDIMAS
Ouÿ, compain21.
BARRAQUIN
Demeure !
BRA[N]DIMAS
Tire-toy arrière !
BARRAQUIN
À mort, ribault !
BRANDIMAS
Rien de la main !
BARRAQUIN
25 Broues-tu22 ?
BRANDIMAS
Je cours le terrain23.
BARRAQUIN
Où vas-tu ?
BRANDIMAS
À mon adventure.
BARRAQUIN
Tu es deschiré.
BRANDIMAS
Tout à plain,
De dormir vestu sur la dure24.
BARRAQUIN
Et ! par Juppiter, je te jure
30 Que j’en ay de mesme que ty25.
BRANDIMAS
Tout ung ?
BARRAQUIN
N’ayes paour.
BRANDIMAS
Je t’asseure.
BARRAQUIN
Me recognoys-tu point ?
BRANDIMAS
Nenny.
BARRAQUIN
« Gaulthier, où as-tu tant dormy ? »26
BRANDIMAS
Hé ! gueux, advance-moy la poue27 !
BARRAQUIN
35 Es-tu là ? Hé, hau ! chardemy28 !
BRANDIMAS
Il est bien force que l’on floue29.
BARRAQUIN
Où est Arquin ?
BRANDIMAS
Il fait la moue30
À la lune.
BARRAQUIN
Est-il au juc31 ?
BRANDIMAS
Il fust gruppé32, et mis en roue
40 Par deffault[e] d’ung allegruc33.
BARRAQUIN
Et toy ?
BRANDIMAS
J’eus longuement le pluc34
De pain et d’eau, tenant au[x] gectz35.
BARRAQUIN
Comment eschappas-tu ?
BRANDIMAS
Ce fut
Pour [perdre] une ance36 et [les fargets]37.
BARRAQUIN
45 Le rouastre38 et ses subjectz
Me mirent aux coffres massis39,
Par les piedz tenant aux gros septz40.
BRANDIMAS
Y couchas-tu ?
BARRAQUIN
J’estois assis41.
Quant ce vint entre cinq et six42,
50 Dedans les septz laissay ma guêtre43
Et, de paour d’estre circoncis
Des ances44, saultay la fenestre.
BRANDIMAS
Cela fust bien ung tour de maistre !
BARRAQUIN
Pourquoy ?
BRANDIMAS
Hé ! povre bérouart45 :
55 Ta sentence estoit [dé]jà preste ;
L’on n’atendoit que le télart46
Pour te pendre hault comme ung lart47,
Nonobstant tout ton babinage48.
BARRAQUIN
Je m’en brouay au Gourd Pïard 49.
BRANDIMAS
60 Et je demouray au passage.
BARRAQUIN
J’eschaquay50.
BRANDIMAS
Et j’estois en cage.
BARR[A]QUIN
Je piétonnay51 toute la nuict.
BRANDIMAS
Et l’embourreur52, pour tout potage,
Me mist dehors par saulconduyt53,
65 À torches54 de fer.
BARRAQUIN
Quel desduit55 !
BRANDIMAS
Tousjours, quant la guerre est finée,
L’on trouveroit de pain mal cuyt
Ainsi que nous une fournée56.
BARRAQUIN
Embuschons-nous soubz la feullée57
70 Pour attendre quelque syrois58.
BRANDIMAS
S’il avoit des grains, à l’emblée59,
On luy raseroit le mynois60.
.
…………………………….61
FRÉMINAUD SCÈNE IV
Je mengerois comme ung magot62,
Maintenant, si j’avoys chair crue,
75 Sans broc ne sans drinc63.
ALIBRAQUIN
Ydïot,
Espère que le temps se mue64 !
FRÉMINAUD
Bref, j’ayme mieulx que l’on me tue
Que d’estre tousjours en ce point.
ALIBRAQUIN
Il fera bien chault, se l’on sue,
80 Quant nous n’avons que le pourpoint65.
FRÉMINAUD
A ! capiteine…
ALIBRAQUIN
Mal en point66 !
FRÉMINAUD
Qu’avons-nous gaigné ?
ALIBRAQUIN
La veyrolle
Et la caquesangue67.
FRÉMINAUD
À point.
Et la roigne68
ALIBRAQUIN
Qui nous affolle.
FRÉMINAUD
85 Desplumés
ALIBRAQUIN
Affin qu’on ne volle.
FRÉMINAUD
Sans argent
ALIBRAQUIN 69
Pour courir les champs.
Sur la terre, [soit] dure ou molle70,
Nous dormons, comme chiens couchans71.
.
BARRAQUIN SCÈNE V
Brandimas, voicy des marchans :
90 Il est force qu’on les assaille.
BRANDIMAS
Quelz « marchans » ? Ce sont deux meschans72
Qui ne vallent pas une maille73.
BARRAQUIN
Sont-ilz affranchis de la taille74 ?
BRANDIMAS
L’on cognoit à leur haucqueton75
95 Que ce ne sont que quoquinaille76
Qui n’on[t] pas vaillant ung bouton.
BARRAQUIN
L’ung porte la peau d’ung mouton,
Et sa picque comme une Brode77.
BRANDIMAS
Et l’aultre, mynce78 de coton,
100 Est lombard : regardez sa mode79…
BARRAQUIN
Leurs soliers sont liéz de corde.
BRANDIMAS
Ilz sont pendans comme clabaulx80.
BARRAQUIN
Assaillons-les !
BRANDIMAS
Je m’y accorde.
BARRAQUIN
Sortons81 sus eulx !
.
BRANDIMAS SCÈNE VI
À mort, ribaulx !
FRÉMINAUD
105 Tu té riche82 ?
BRANDIMAS
Ouÿ, de beaulx83 !
BARRAQUIN
Çà84, le baston !
FRÉMINAUD
Gon [Goth zenand]85 !
BRANDIMAS
Ilz n’ont ne bonnetz, ne chapeaulx.
BARRAQUIN
Vien çà ! N’es-tu pas allemant ?
FRÉMINAUD
Ya, [ya], verlis86.
BRANDIMAS
L’abillement
110 Monstre que c’est ung vray droncart87.
BARRAQUIN
Et cestuy-cy ?
BRANDIMAS
Par mon serment !
Je le juge[asse] estre lombart88.
ALIBRAQUIN
Laissé-mé staré89 !
BARRAQUIN
A ! coquart90 !
BRANDIMAS
N’est-il pas vray ?
ALIBRAQUIN
Messéré, sy91.
BRANDIMAS
115 Ne vous tirez point à l’escart !
BARRAQUIN
N’ayez paour !
BRANDIMAS
Demourez icy !
BARRAQUIN
Ce sont bléfleurs92.
BRANDIMAS
Il est ainsi.
BARRAQUIN
Narquins93.
BRANDIMAS
De si près échicqués94
Que leur habit est tout transsy ;
120 Et sont, comme nous, desbifféz95.
BARRAQUIN
Je cognois à leurs afficquetz96,
En effect, qu’il n’y a que mordre97.
BRANDIMAS
L’on vous poindra, si vous picquez98 !
BARRAQUIN
Approuchez, vous estes de l’Ordre99 !
125 Et pensons comme[nt] nous ressourdre100
Pour brouer sur le hault verdis101.
FRÉMINAUD
Nous ne sçavons plus quel boys tordre102.
Les gueux103 sont friz, je le vous dis.
ALIBRAQUIN
La guerre nous eust104 desgourdis.
BRANDIMAS
130 Il fault que l’on y remédie.
FRÉMINAUD
Allons-nous-en, comme estourdis,
Tout droit à la mathe gaudie105.
BARRAQUIN
Va, va ! [tu iras]106 la landie
Ta mère !
BRANDIMAS
Nous irons aux changes107.
BARRAQUIN
135 As-tu de l’or, teste estourdie ?
BRANDIMAS
Nous en aurons à ces108 vendanges.
ALIBRAQUIN
Se le rouastre109 et ses anges
Nous trovoi[en]t à la Gourde Pie110…
BARRAQUIN
Ilz nous menroient à double renge
140 Liéz, pour faire la croppie111.
BRANDIMAS
Il vault trop mieulx que l’on espie
Ung bon marchant, et qu’on le guette.
FRÉMINAUD
Mais le prendre par112 la pépie
Pour luy empoigner sa bougette113.
ALIBRAQUIN
145 Embûchons-nous cy !
BARRAQUIN
Qu’on s’i mette !
Et que quelc’um d’entre nous aille
Pour nous apporter (sans brouette !)
Pain et vin, et autre victaille114.
BRANDIMAS
Va-y, toy-mesmes.
BARRAQUIN
Qu’on me baille
150 Argent !
BRANDIMAS
Tien, voylà dix deniers.
FRÉMINAUD
Sus, après !
BARRAQUIN
Je reçoys la taille115 :
Apportez escuz à milliers !
ALIBRAQUIN
Argent, qui en a ?
FRÉMINAUD
Voulentiers
Tiens ces six deniers !
ALIBRAQUIN
Prens ces quatre !
BARRAQUIN
155 Et j’en ay quatre tous entiers.
BRANDIMAS
Ce sont deux solz116, sans rien rabatre.
FRÉMINAUD
Prens-toy bien garde du rouastre !
ALIBRAQUIN
Et des anges !
BARRAQUIN
J[e] les cognois117.
BRANDIMAS
Ilz seroient batus comme plastre,
160 Par noz dieux, si je les tenois !
BARRAQUIN
Ne bougez d’icy ! Je m’en voys118.
Et quelque chose qu’il adviengne119,
Ne sortez point dehors du boys
Jusques à ce que je revienne !
*
En ville, Barraquin apprend que l’empereur de Rome recrute des « aventuriers » pour faire la guerre, et qu’ils seront bien rétribués.
.
BARRAQUIN SCÈNE VII
165 A ! par tous noz dieux ! Voicy rage,
Pour povres gallans morfondus120,
Qui ont tous leurs grains despendus
À la tâtière121, au temps passé.
……………………………
Hé ! Gueux ! Gueux ! Sus ! Bonnes novelles ! SCÈNE VIII
170 Laissez la feullade grant erre122,
Et vous en venez à la guerre,
Que l’Empereur a fait crier
À son de trompe et publier,
Dont mon cueur de joye tressaulte !
BRANDIMAS
175 Que n’avons-nous chescun sa gaulpe123
Pour triumpher sur le bigard124 !
FRÉMINAUD
Quelque grosse putain ribaulde
Prinse au fin fons du cagnart125 !
ALIBRAQUIN
Levons sus !
BRANDIMAS
Flouons du gigard126 !
FRÉMINAUD
180 Saultons !
ALIBRAQUIN
Aussi hault q’ung chevreau !
BRANDIMAS
Fy de pain bis127 !
FRÉMINAUD
Fy de viel lart !
BARRAQUIN
Que veulx-tu ?
ALIBRAQUIN
Belle chair de veau.
BARRAQUIN
Boyre bon vin.
BRANDIMAS
Voyre sans eau.
FRÉMINAUD
Et puys quoy ?
ALIBRAQUIN
Jouer au « billard128 ».
BARRAQUIN
185 Le pain croysé129 vient.
BRAN[D]IMAS
Chantons Nau130 !
FRÉMINAUD
Va, ruffïen !
ALIBRAQUIN
Mais toy, paillart !
BARRAQUIN
Sortons du boys !
BRANDIMAS
Laissons ce parc131 !
FRÉMINAUD
Brief132 il nous faul[t] avoir des pages.
ALIBRAQUIN
Il fault attendre, coquillard133 !
FRÉMINAUD
190 Et quoy ?
ALIBRAQUIN
Que nous ayons noz gaiges134.
BARRAQUIN
Nous sommes deffaiz135.
BRANDIMAS
Tous sauvages.
FRÉMINAUD
Nous n’avons pièce de harnoys.
BARRAQUIN
Allons, pour trouver avantages,
À l’Empereur : je le cognois.
ALIBRAQUIN
195 N’as-tu rien apporté ?
BARRAQUIN
Troys, troys136 !
Par noz dieux ! j’ay tout oublié,
Quant j’ay ouÿ à plaine voix
Qu’on a la guerre publié.
*
En se rendant chez l’empereur, les tyrans croisent la soldatesque, qui fait de même. Ils n’ont pas la conscience tranquille, et sous le coup de l’émotion, Barraquin retrouve son accent picard.
.
BARRAQUIN SCÈNE IX
Je quie de paour137, par noz dieux !
200 Ces gens viennent pour nous frapper.
Cheroit-che point le marïeux138
Qui vient ichy pour nous graffer139 ?
BRANDIMAS
S’il vient, qu’on pense de frapper,
Et nous deffendons corps pour corps !
205 Si nous nous laissons attraper
Aux140 raiz, lio[n]z, nous sommes mors !
L’ADMIRAL
Quelz grans ribaulx puissans et fors !
Regardez-moy leur contenance !
Ilz sont gens pour faire deffence,
210 S’ilz estoient ung peu mis en point.
Mais ilz n’ont robe, ne pourpoint,
[Ne] chausses, ne chemise entière.
……………………………….
Venez-vous-en donc avec moy !
Et vous aurez sçavez-vous quoy ?
215 Force d’aubert en la follouse141.
*
Les tyrans sont embauchés par l’empereur. Ayant la bourse et les bourses pleines, ils décident d’aller les vider au bordel. Ce lieu et ses pensionnaires sont peints sur le vif par un fin observateur, dans deux scènes dont l’intérêt n’a pas été suffisamment souligné : nous avons là le premier reportage qui donne la parole à des prostituées, sans critique sociale ni condamnation religieuse.
.
BARRAQUIN SCÈNE X
Nous « besoignerons » de courage142,
Puisque nous payez voulentiers.
Et cuyde que les taverniers
Et les putains y auront part.
BRANDIMAS
220 Allons !
FRÉMINAUD
Cherchons !
ALIBRAQUIN
Quoy ?
BARRAQUIN
Le cagnart143.
.
BRANDIMAS 144 SCÈNE XI
Il y a venaisonl45 nouvelle.
FRÉMINAUD
Et que voulez-vous, Damoiselle ?
Qu’actendez-vous ? Le picotin146 ?
AQUELINE
Je suis icy dès le matin,
225 Et si147, ne treuve point de gaing.
NYCÈTE
Av’ous à faire de putain ?
Voy-nous cy148, prestes [de] « combatre ».
ALIBRAQUIN
Ouÿ ; mais si nous sommes quatre,
Trouverons-nous chescum la sienne ?
MARRAGONDE, [maistresse du bordeau149, commence.]
230 On sera — de ce vous souvienne —
À la paille jusques au ventre150.
Venez hardiment ! Qu’on y entre,
Mais qu’ayez à force pécune151.
Ne serviray-je pas pour une ?
235 Je ne suis pas trop affoncée152.
BARRAQUIN
Juppin ! ell’ est si affamée
Qu’el153 l’avalleroit sans mascher !
MARRAGONDE
Si tu prens bien garde à ma chèr154,
Tu t’en servirois bien les festes155 ;
240 Car (par mon sacrement) vous estes
Assez mal séant[z] au mestier.
BRANDIMAS
Mais regardez ce gros fumier
Qui contrefaict de la mignonne !
AQUELINE
Hé ! quel marault !
NYCÈTE
Quel gros yvroigne !
MARRAGONDE
245 Pour faire ung ouvrage jà faict156 !
FRÉMINAUD
Allez, paillardes !
AQUELINE
Qu’il est lait !
ALIBRAQUIN
Allez, truandes !
NYCÈTE
Quel raclet
Pour souffler poil157 d’ung cul foireux !
BARRAQUIN
Dea ! ilz158 sont de séjour, ces deux !
250 Ilz enragent que l’on n’enrage.
MARRAGONDE
Tirez voz chausses159 !
AQUELINE
Au pilliage160,
Vous n’aurez de nous nul desduit.
BRANDIMAS
Allons !
NYCÈTE
Pissez161 toute la nuyct,
Et le ventre se vuydera.
FRÉMINAUD
255 Par le sang ! L’on vous frotera,
Et vous ferons cueillir les poix162 !
MARRAGONDE
Juppiter ! qu’il a bonne voix
À « combatre » comme vaillant !
AQUELINE
Il [ne] fuyroit, en assaillant :
260 C’est ung valeureux champïon.
NYCÈTE
Il est plus hardy q’ung chappon163 :
Garde, garde qu’il ne te « frappe164 » !
ALIBRAQUIN
On te batra !
MARAGONDE
Si je n’eschappe.
[BARRAQUIN165]
Ou si je ne [te]166 couche à terre.
BRANDIMAS
265 Ailleurs fault nostre desduyt querre167.
FRÉMINAUD
Nous ne sommes plus de recepte168.
AQUELINE
Pou169, le goulu !
NYCÈTE
Pou, la grant beste !
ALIBRAQUIN
Pou, le vil groing !
BARRAQUIN
Pou, viel carcas170 !
[Pou, loudière171 ! Pou, viel cabas172 !]
MARAGONDE
270 Fy du belin173 !
AQUELINE
Fy du sotart !
BRANDIMAS
Fy du cabas !
NYCÈTE
Fy du paillart !
*
Au fond de son cachot, saint Christophe refuse d’abjurer le christianisme. Le roi païen Danus va donc le soumettre à la tentation ; pour cela, il ordonne aux tyrans d’aller « quérir deux ou troys jeunes filles / Au bordeau » afin de déconvertir le saint. Naturellement, c’est l’ancien adorateur de Jupiter et de Satan qui va convertir les pécheresses, en deux répliques bâclées auxquelles on ne croit pas. Cette idée risible n’émane pas du mauvais esprit de Claude Chevalet : toutes les hagiographies de saint Christophe en rendent compte.
.
FRÉMINAUD SCÈNE XII
Nous cognoissons tel marchandise
Mieulx que nous ne faisons satin174 :
Elles ont de nostre butin
275 Plus souvent que n’ont pas les prebstres !
………………………………..
BARRAQUIN
Vous aurez tantost marée fresche175,
Puisqu’il fault qu’on s’i détermine ;
Mais ce n’est pas de la marine176,
Vous entendez bien la raison.
.
BRANDIMAS SCÈNE XIII
280 Sus, allons à la venaison177 !
Entendez-vous, mes compaignons ?
Si nous n’y mettons des oignons,
Nous y mettrons du « vin » à force178.
FRÉMINAUD
Je n’en donne pas une [e]scorce,
285 Mais179 que la besoigne soit faicte.
.
MARRAGONDE, maistresse du bordeau, commence.
Aqueline, et vous, Nycette, SCÈNE XIV
Que faictes-vous icy seullettes ?
Vous sçavez qu’entre vous, fillettes180,
Debvez — pour avoir bon encontre181 —
290 Faire de voz corps belle monstre
Pour amener l’eau au moulin.
Car qui n’entent le jobelin182
N’a garde de prendre la caille183.
AQUELINE
Nostre mestier ne vault pas maille ;
295 Et pour cela, tout bien nous fault184.
Il n’y a si meschant briffault185
En la ville (c’est la manière)
Qui n’ait maistresse ou chamb[è]rière,
Ou toutes deux à ung besoing186.
300 Si ne leur fault pas aller loing
Pour estre fourny[s] de femelles.
NYCETTE
Voyre. Et puis ces macquerelles
En fournissent secrètement,
À bon marché et largement,
305 Et en font tous les jours la vante.
Il n’est celuy187 qui ne se vante
D’avoir chair fresche à [son] plaisir.
Si avons icy bon loysir
De piller188 le sucre à la porte !
MARRAGONDE
310 Allez, le diable vous emporte !
Tousjours vient-il quelque paillart.
Si vous ne sçavez faire l’art,
Serrez189 hardiment la boutique !
Car il fault faire la praticque190,
315 Au moins, si vous voulez gaigner.
AQUELINE
Huy, je ne gaignay ung denier,
Maistresse. A[vez-]vous entendu ?
Et croy que mon « engin fendu191 »
Me lairra192 mourir de famyne.
MARRAGONDE
320 Tu ne vaulx plus rien, Aqueline ;
Et ! j’ay veu que tu faisois rage193.
Que ne farde-tu ton visage
Pour attraper quelque grant blanc194,
Ou leur monstrer si beau semblant195
325 Que chescum y courre à [grant] haste ?
NYCETTE
Il y a ung point qui nous gaste,
Maistresse, dont je deviens folle.
MARRAGONDE
Quoy doncques ?
NYCETTE
La grosse vérolle196,
Que l’on [doit aux]197 Neapolitains :
330 C’est ce qui gaste les putains,
Car chescum s’en cuyde garder198.
AQUELINE
J’ay veu qu’il souloit aborder
En ce bordeau gens à puissance199 ;
Mais maintenant, selon l’usance,
335 Des bordeaulx y a plus de mille.
MARRAGONDE
Où sont-ilz ?
NYCÈTE
Par toute la ville ;
Et tant, que je ne m’y cognois.
Chescune200 y fourbit son « harnoys »,
Et mesmement les vielz escus201.
AQUELINE
340 Et puis ces marchandes de culz
Gastent maintenant le potage.
C’est ce qui nous porte dommage,
Maistraisse, je le vous plévis202.
NYCETTE
De ce que je gaigne, je vis.
345 La reste, en l’honneur de [no]z dieux,
Je donne aux pouvres pour le mieulx,
Tous les jours ordinairement.
AQUELINE
Et moy aussi, pareillement.
Je n’en prens rien — voylà la note —
350 Fors que ma vie203, somme toute.
Aultres biens n’en ay retenus.
Si, prie la belle Vénus
De nous donner bonne adventure,
De laquelle la pourtraicture
355 J’ay to[u]sjours en grant révérence.
MARRAGONDE 204
Or paix, et tenez contenance !
Et de ce faict, plus ne parlez !
Car voicy des gens du Palais205
Qui vous viennent revisiter206.
360 Et pour ce, s’en fault acquiter
Et entretenir doulcement.
NYCETTE
Laissez-les venir hardiment,
Car nous leur ferons bonne myne.
Allons au-devant, Aqueline,
365 Et les recepvons bien et beau !
.
ALIBRAQUIN SCÈNE XV
Compaignons, voylà le bordeau.
Les fillettes sont là, à l’huys.
Si les emmenrons, si je puys :
Elles ne se peuvent cacher.
BARRAQUIN 207
370 Voyre ! Qui les devroit chercher
Jusques au fin fons du caignart208,
Nous flouerons sur le bigart209
En quelque coing, sur la paillade210.
BRANDIMAS
Deux à deux, chescum sa paillarde !
375 Il n’est [pas d’]aultre vie au monde.
.
FRÉMINAUD SCÈNE XVI
Hau ! Que faictes-vous, Marragonde ?
Enseignez-moy ce que je cherche :
S’il y a point céans chair fresche,
Faictes cy la venir en champt211 !
MARRAGONDE
380 Quelz gallans pour tenir le ranc212 !
Je n’en fais mise ne recepte213.
Voylà Aqueline et Nycette
Qui ne demandent que la jouste214.
ALIBRAQUIN
Est-il vray ?
AQUELINE
Que tu es fin ho[u]ste215 !
385 Tu sces ailleurs où te repaistre :
Les garces ne sont pas sans maistre,
Qui tombent dedans ton lïen.
NYCETTE 216
Quant à luy, pour ung ruffïen217
Il est parfaict, je le suppose.
ALIBRAQUIN
390 Mais toy, tu ne vis d’aultre chose !
Que vas-tu broullant le papier218 ?
BRANDIMAS
Va[-t’en] prendre garde au clappier219,
Et te prens avec ta pareille220 !
MARRAGONDE
Il n’ayme plus que la bouteille :
395 Son « instrument » est desmanché221.
FRÉMINAUD
Par noz dieux, c’est trop [d]estaché222 !
Laissons ces argumens cornus223.
ALIBRAQUIN
Marragonde : le roy Danus,
Par manière de nous esbatre,
400 Nous a cy envoyé tous quatre
Pour luy mener .II. de voz garces.
MARRAGONDE
A ! Alibraquin, tu te farces ;
Mais farceurs sont tousjours farcéz.
Le Roy a de la « chair » assez ;
405 Il ne luy fault rien que du « pain224 »…
BARRAQUIN
Pour vous le dire tout à plain,
Il dit vray, et je le tesmoigne :
Le Roy, pour aucune besoigne225,
Les veult avoir. Voylà le point.
MARRAGONDE
410 A ! que mauldict soit le tesmoing
Qui vient avant qu’on le demande !
BARRAQUIN
Vous mocquez-vous de moy, truande ?
Que le feu d’enfer vous allume !
Par tous noz dieux, si je me fume226,
415 Il vous vauldroit mieulx estre à Romme227 !
MARRAGONDE
« Trois Mouches, tenez-moy cest homme »228
Qui monstre si terrible myne !
BRANDIMAS
Sus, [sus] ! Nycette et Aqueline,
Venez, car il nous fault aller
420 Tout maintenant au Roy parler.
Venez-vous-en légièrement229 !
NYCETTE
Mais que nous veult-il, voyrement ?
Dictes-le-moy ains230 que g’y aille.
FRÉMINAUD
On le vous dira, ne vous chaille,
425 Sitost que serez à la Court.
ALIBRAQUIN
Dépeschez-vous, faictes-le court !
Venez au Roy à diligence !
AQUELINE
Nous luy ferons obéyssance ;
Et si, ne dirons point de « non ».
430 Puisque vous venez à son nom,
Nous y irons sans plus de plait231.
MARRAGONDE
Au moins, quant vous en aurez faict,
Retournez céans avec elles ;
Et les rendez232 aussi pucelles
435 Comme céans les aurez prises !
BARRAQUIN
Marragonde, tu en devises
À ton aise, pour tout potage.
Mais au regart du pucellage,
Aussi [bien eusses-tu]233 de cotte !
BRANDIMAS
440 Je voys prendre ceste mygnotte.
FRÉMINAUD
Et j’auray ceste-cy pour moy.
.
ALIBRAQUIN SCÈNE XVII
Or nous en allons vers le Roy,
Maintenant, à tout nostre espice234.
NYCETTE
Allons, pour luy faire service,
445 Puisqu’ainsi est que vous le dictes.
BARRAQUIN
Nous n’y irons point comme hermites235,
Ne comme le « faulcon » sans proye236.
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BRANDIMAS SCÈNE XVIII
Les dieux veu[i]llent tenir en joye
Et en to[u]te prospérité
450 Danus — roy de ceste cité —,
Ses chevaliers et ses barons !
Chier sire, nous vous amenons
Ces gracïeuses jouvencelles.
Pourtant s’elles237 ne sont pucelles,
455 Elles n’en vallent guères mieulx.
*
Le roi explique aux deux prostituées qu’elle vont devoir induire le géant saint Christophe à la tentation. Voyant qu’on ne peut se passer de leurs services, elles tentent d’obtenir une prime de risque.
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AQUELINE SCÈNE XIX
Pour vous nous voulons travaillier,
Et pour avoir des dieux la grâce.
Mais j’ay paour qu’il ne nous mefface238,
Puisqu’il est si grant que vous dictes,
460 Et nous sommes femmes petites :
S’il vient à nous, nous en mourrons.
NYCETTE
Elle dit vray : nous ne pourrons
Fournir à son esbatement.
Car s’il a si grant instrument
465 Comme il est grant, je me fais forte
Que je vaulx une femme morte !
Ce n’est pas cela que je serche239.
NYCOSTRATÈS
Je n’en vis [onc périr]240 en perche,
De femmes, quoy que vous di[si]ez.
470 Allez, et ne vous soulcÿez,
Car de la mort je vous asseure241.
ÉPIGRAMUS
Elle n’a garde qu’elle [en] meure,
Quelque chose qu’elle en caquette242.
Mais ell’ est [bien] rusée et faicte243,
475 On le cognoit à son langaige.
ORLANT
S’elles en meurent, si feray-je244,
N’est-il pas vray ? Vous le sçavez :
Car je cuyde que vous avez
Ung bon « engin », pour bien comprendre…
SÉRAPION
480 N’ayez soulcy : le cuyr est tendre245
Mieulx que celuy du pelletier.
Et sçavez selon le mestier,
Ma fille, qu’il n’y a nulz ots246.
ORLANT
Par noz dieux ! il seroit bien gros,
485 S’elles en faisoient deux morceaulx247 !
N’est-il pas vray ?
AQUELINE
Ouÿ, de beaulx248 !
Vous en devisez à vostre aise ;
Toutesfoys (au Roy ne desplaise),
Vous ne dictes chose qui vaille.
LE ROY DANUS
490 Allez-vous-en249, et ne vous chaille !
Car si les dieux vous donnent grâce,
Que ma voulenté se parface250 :
Vous aurez des biens largement,
Et vous mariray richement,
495 Pour estre de chescum prisées.
NYCETTE
Nous sommes de ce faict rusées251 ;
Et croy — qui nous y conduyra252 —,
L’une ou l’aultre le sesduyra,
Ou je seray bien esbahye.
AQUELINE
500 Il sera de nostre abbaye253,
Et fust-il encor plus bigot !
Je ne vueil seullement q’ung mot254
Pour faire lever la « cropière255 ».
NYCETTE
Chescune est si bonne ouvrière,
505 Pour le vous donner à entendre,
Qu’il ne nous convient rien aprendre256 :
Nous sommes maistresses du « cas257 ».
*
Le messager Sautereau <voir L’Andureau et L’Andurée, vers 1-41> conduit les filles devant la porte de la prison, gardée par le geôlier Mallepart <L’Andureau, vers 253-380>.
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SAUTEREAU SCÈNE XX
Je soulois estre messagier258 ;
Mais259, je suis ung chasse-marée.
………………………………
510 Vous ferez la beste à deux do[u]s260.
NYCETTE
Pensez qu’on met quatre genoulx261,
Bien souvent, dedans ma chemise.
Mais si tu apperçoys la prise,
Corne262 hardiment par-derrière !
SAUTEREAU
515 Par noz dieux, tu es fine263 ouvrière !
Laisse ce264, le diable t’emporte !
.
Hau ! Mallepar[t] ! Ouvre ta porte SCÈNE XXI
À ces fillettes de chemyn,
Qui ont faict sur leur « parchemin
520 Velu »265 souventeffoys escripre !
MALLEPART
Je ne me puis tenir de rire
Quant je te voy, pouvre lourdeau :
Es-tu devenu macquereau ?
Ne scez-tu d’aultre mestier vivre ?
*
1 Sur l’argot dans les Mystères, voir la notice de Gautier et Martin. 2 Éd : chouq (Dialecte picard : « Cela plaît-il à Dieu ? Et qu’est-ce-ci ? ») 3 De l’argent. Même mot d’argot à 215. 4 En dormant par terre, je me suis fait un manteau d’herbe. « Je seray de verd affublée. » (Les Femmes qui plantent leurs maris.) Jeu de mots sur le vair, une coûteuse fourrure d’écureuil. 5 Mon haut-de-chausses est décousu. 6 Mes chausses, sur lesquelles je tire pour les ajuster : cf. Gournay et Micet, vers 411 et 484. Desquiré = déchiré. Au vers 27, l’éditeur n’a pas reproduit cette prononciation picarde. 7 Mes souliers. Il y pert = cela se voit (verbe paroir). 8 Je porte ma chemise nouée. Un loqueteux noue ensemble les lambeaux de sa chemise décousue : « La robe en plusieurs lieux trouée,/ Et la chemise renouée. » Le Capitaine Mal-en-point. 9 Mes écus d’or, dorés comme des grains de blé. Même mot d’argot aux vers 71 et 167. Prendre la brouée = prendre la fuite. 10 Par la tête de Dieu ! Juron gascon. Dépendu = dépensé ; idem vers 167. 11 J’ai joué (et perdu) mon arbalète. Même verbe argotique aux vers 36, 179 et 372. 12 Et j’ai depuis longtemps vendu mon cheval. 13 Mon manteau. Cf. Gournay et Micet, vers 372. Sainéan définit ce mot « sou », Chocheyras « visage », et Auguste Vitu « chapeau ». 14 Mon chapeau, qui surmonte l’édifice. 15 Éd : Oray (Tâtière = taverne ; même mot d’argot à 168. Boire du vin se dit taster.) Les clients insolvables laissent un vêtement en gage au tavernier : cf. Massons et charpentiers, vers 234, 242 et 312. 16 Mon pourpoint. « (En tant que bourreau,) c’est le fruict de mon bénéfice/ D’avoir le jorget, les tirandes [chausses]. » St Christofle. 17 Tu n’auras rien de ma main. 18 Petit crapaud : nom affectueux que Lucifer donne aux diables. Cf. la Chanson des dyables, vers 22. 19 Fils de pute. 20 « Narquin (…), qui signifie mandian contrefaisant le soldat détroussé. » (Laurens Bouchel.) Même mot d’argot à 118. 21 Compagnon d’infortune. 22 Es-tu en fuite ? Même verbe argotique à 59. 23 Je traverse le territoire. Cf. Gautier et Martin, vers 85. 24 Par terre. Cf. les Maraux enchesnéz, vers 172. 25 Que toi <picardisme>. Cf. le Pasté et la tarte, vers 237 et 278. 26 Nous avons là un « mot du guet », c’est-à-dire une phrase absurde que les soldats utilisent comme mot de passe pour se reconnaître. « Mais nul quidam ne s’apareille/ À me dire le mot du guet. » (La Fille esgarée.) Les deux grognards, qui ont fait la guerre et des pillages ensemble, se reconnaissent. 27 La patte : serre-moi la main. Cf. Gournay et Micet, vers 478. 28 Par la chair de moi ! Juron picard. 29 Que nous jouions aux dés <note 11>, pour fêter nos retrouvailles entre tricheurs. 30 La grimace, comme tous les suppliciés. « Et vous gardez bien de la roue,/ Qui aux sires plante ses gris [ses griffes]/ En leur faisant faire la moue. » Villon, Jargon 6. 31 Perché sur une potence. 32 Capturé. 33 Et roué vif faute de gibet. « Ou par deffaulte du bourreau. » (Saoul-d’ouvrer et Maudollé.) « À la branche du allegruc,/ Pour faire la moue aux planettes. » St Christofle. 34 Le gain. J’ai été emprisonné au pain sec et à l’eau. 35 À cause de mes tricheries aux dés. On jette les dés sur la table : « Par sort et ject des déz vous faictes voz jugemens. » Rabelais, Tiers Livre, 40. 36 En y laissant une oreille <note 44>. On coupe une oreille aux voleurs, et la deuxième aux récidivistes. Le comédien porte donc son bonnet incliné sur une oreille. 37 Éd : lesparges (En y laissant mes cheveux.) Par commodité ou pour les humilier, le bourreau tond les condamnés qu’il va essoriller, décapiter ou pendre. « De voz fargés serez bésifles [rasés],/ Tout debout [pendus] et nompas assis [dans une basse-fosse]. » Villon, Jargon 4. 38 Le prévôt, le chef de la police. Même mot d’argot aux vers 137 et 157. 39 Dans leurs cachots aux murs massifs. « Gardez-vous des coffres massis ! » Villon, Jargon 4. 40 Les ceps sont des planches qui entravent les chevilles des prisonniers. Idem vers 50. 41 Les ceps étant horizontaux, ceux qui en sont entravés ne peuvent allonger leurs jambes. « Les piéz ès ceps, qu’il ne se couche. » Mystère de saint Remi. 42 Entre 5 h et 6 h. « Entre sis et sept, c’est bonne heure. » Le Poulier à sis personnages. 43 Le dessus de mes chaussures. Tirer ses guêtres = déguerpir. 44 De peur qu’on me coupe les oreilles, comme aux voleurs <note 36>. « Eschéquez-moy tost ces coffres massis [évitez ces cachots] :/ Car vendengeurs [coupeurs de bourses] des ances circuncis/ S’en brouent [s’enfuient] du tout à néant. » Villon, Jargon 1. 45 Jobard. 46 Le bourreau. « Que le télart et le rouastre [le prévôt]/ Vous estranglent ! » St Christofle. 47 Pour fumer le lard, on le pend à l’intérieur d’une cheminée, suffisamment haut pour qu’il ne fonde pas. 48 Tes aveux. 49 Je m’en allai à la Bonne Pie. « Et brouons à la Gourde Pyenche. » (Les Premiers gardonnéz.) Sur les dérivés argotiques de ce nom de taverne, voir la note 50 de Trote-menu et Mirre-loret. Notre vers 138 en fournit une autre forme : la Gourde Pie. 50 Je me mis à l’abri (Chocheyras). « Et eschicquez tost en brouant [fuyant]. » Villon, Jargon 2. 51 Je marchai. « Et piétonnez au large sus les champs. » Villon, Jargon 1. 52 Le bourreau. Pour tout potage = en tout et pour tout ; idem vers 437. 53 Grâce à un sauf-conduit, une lettre de rémission. 54 À coups de barre. Cf. les Brus, vers 220. 55 Quel plaisir. Idem vers 252 et 265. 56 On trouverait, comme nous, une fournée de pain mal cuit. En temps de guerre, les soudards réquisitionnent ou dérobent le meilleur pain. 57 Embusquons-nous sous la feuillée. Nos détrousseurs se cachent aux abords d’un chemin forestier. 58 Quelque dupe. « S’il venoit quelque gourt [riche] siroys/ De qui nous fussions estrénéz [récompensés]. » Les Coquins. 59 Des écus d’or <note 9>, à la dérobée. 60 On lui couperait la tête. Idem vers 21. Sainéan : « Visage, nez. » 61 Je saute un dialogue d’une vingtaine de vers entre le Suisse allemand Fréminaud, et le Lombard Alibraquin, qualifiés respectivement de 3ème et 4ème tyrans : l’éditeur n’y a visiblement rien compris, et il a fait n’importe quoi. 62 Comme un singe, salement. 63 Sans pain ni sans boisson. Dans son baragouin teuton, le Suisse disait un peu plus tôt : « Je n’ay broc ne drinc, à ceste foys./ Par my foy, je suis mort de fain. » 64 Que les temps deviennent meilleurs : que la guerre revienne enfin. 65 Alors que nous n’avons pas de manteau sur notre pourpoint. 66 La farce du Capitaine Mal-en-point fut écrite peu après 1516. Mais ce capitaine en guenilles était déjà connu de Claude Chevalet, qui avait collaboré en 1509 au Mystère des trois Doms, dans lequel est incluse une farce de Baudet, Blondète et Mal-enpoint. 67 La dysenterie. Les soldats français rapportèrent ces maladies des guerres d’Italie. Nous ne sommes plus à un anachronisme près. 68 La rogne est une maladie de peau due au mal de Naples : « Que la maudicte roigne,/ Grayne de Naples, vous tiengne sans respit ! » André de La Vigne. 69 L’imprimeur descend cette rubrique sous le vers, qu’il répartit pourtant sur 2 lignes. 70 « Et arriva, soit dur ou mol,/ Emprès une grant vieille porte. » Les Repues franches de maistre Françoys Villon. 71 « Comme beaulx chiens couchans,/ (ils) coucheront de nuict par les champs. » St Christofle. 72 Deux misérables. 73 Un centime. Idem vers 294. 74 De nous verser un péage. Idem vers 151. 75 On voit à leur hoqueton. Ce corset militaire n’est visible que si le pourpoint est déchiré. 76 Que des mendiants. Cf. Turelututu et Granche-vuyde, vers 90 et 275. 77 Comme un « lustiger Bruder », un joyeux drille allemand. « Aller rompre la teste à ces Brodes allemandes. » Jean Le Frère. 78 Dépourvu. Cf. le Mince de quaire. 79 Sa dégaine. La « mode lombarde », ou « mode milanaise », n’est pas que vestimentaire : elle symbolise également l’homosexualité. 80 Comme les oreilles d’un chien. 81 Faisons une sortie, une attaque. 82 L’Allemand a peut-être dit : « Unter-Richter ? » C’est-à-dire : « Un sous-juge ? » Quoi qu’il en soit, Brandimas comprend : « Tu es riche ? » 83 Des beaux mots, des promesses ! Idem vers 486. « Vous m’aimez ? Dea, voire, de beaux ! » Les Trois amoureux de la croix. 84 Éd : Sa (Donne-moi ta pique ! Voir les vers 98 et 123.) 85 Éd : gothzenaud (Sainéan suggère : « In Gott’s Nam ! ‟Au nom de Dieu !” ») 86 Sainéan suggère : « Ja, währli ‟oui, vraiment.” » 87 Ivrogne. Son habit est taché de vin. « Boyvent mon vin comme droncquars. » (La Condamnacion de Bancquet.) Dans le Mystère, un soudard suisse est nommé Droncart. 88 Je dirais qu’il est lombard. Voir la note 79. 89 Pierre Servet traduit : « Laisse-moi tranquille. » 90 Corniaud. 91 Éd : cy (« Oui, Monsieur. » Par la suite, Alibraquin fera deux fois la même réponse.) 92 Des tricheurs, des filous. Cf. Gournay et Micet, vers 455 et 524. 93 Des mendiants qui se font passer pour des militaires <note 20>. 94 Tenus en échec, appauvris. 95 En mauvais état. Cf. les Chambèrières qui vont à la messe, vers 68. 96 Éd : esticquetz (À leurs ornements sans valeur.) 97 Qu’il n’y a rien à nous mettre sous la dent. 98 Si vous nous donnez un coup de pique. 99 Vous appartenez comme nous à l’Ordre de Bélître, ancêtre de la Cour des Miracles. « Qui n’ont ne chausse ne pourpoint :/ C’est selon l’Ordre de Bélistre. » (Le Capitaine Mal-en-point.) La Chanson sur l’Ordre de Bélistrie, de Jehan Molinet, détaille la vie des mendiants. 100 Nous relever, nous rétablir. 101 Pour aller en étant élégants. « Vous estes sur le hault verdus. » Le Monde qu’on faict paistre. 102 Nous ne savons plus de quel bois faire flèche. Cf. l’Aveugle et Picolin, vers 14. 103 Jeu de mots sur « les œufs ». 104 Éd : a (Nous aurait ranimés.) 105 À la ville joyeuse. « À Parouart [Paris], la grant mathe gaudie. » Villon, Jargon 1. 106 Éd : ie feray (L’éditeur n’a pas compris cette expression rare. « Jehannin Faulchon dist au suppliant qu’il alast à la landye sa mère. » Godefroy.) Aller à la landie de sa mère = retourner dans le ventre de sa mère. Nous dirions : Va te faire voir ! 107 Nous irons changer notre or contre de la monnaie. À Paris, les changeurs occupaient le Pont-au-Change. 108 Éd : ses (En argot, un vendangeur est un coupeur de bourse.) 109 Si le prévôt <note 38>. Les anges sont les sergents ; même mot d’argot à 158. 110 À la taverne <note 49>. 111 Ils nous mèneraient attachés deux par deux pour nous faire accroupir. Le plafond des culs de basse-fosse était si bas que les prisonniers ne pouvaient se tenir debout. (Au sens propre, la croupie est la position du chasseur à l’affût.) 112 Éd : a (Par la gorge, que la pépie assèche. La lexicographie argotique ignore cette acception.) 113 Sa sacoche. 114 Éd : uictuaille (Chevalet écrit toujours victaille : « Vous mengez toute la victaille. ») L’iconographie de l’époque associe la vitaille [les vits] aux brouettes. 115 J’encaisse vos impôts. 116 24 deniers valent 2 sous. Sans rien rabattre = sans marchander : cf. les Femmes qui font refondre leurs maris, vers 484. 117 On croit plus facilement Barraquin lorsqu’il déplore connaître le prévôt et ses sergents, que lorsqu’il s’enorgueillit de connaître l’empereur, au vers 194. 118 Je m’en vais à la ville pour faire les courses. 119 Quoi qu’il arrive. 120 Frigorifiés. 121 Qui ont dépensé tous leurs écus à la taverne <note 15>. Barraquin court annoncer la bonne nouvelle à ses complices. 122 Laissez vite votre abri de feuillage. 123 Sa catin. Chacun imagine les pillages et les viols que la guerre va lui permettre d’assouvir. 124 Sur le lit. Même mot d’argot à 372. 125 Prise au fond du lupanar. Même mot d’argot aux vers 220 et 371. 126 Éd : guigard (Jouons du gigot, de la cuisse : dansons, ou bien copulons. « Remuer le gigot : faire l’acte vénérien. » Antoine Oudin.) 127 Ce pain noir est réservé aux pauvres. « Arrière, pain bis ! » Colinet et sa tante. 128 Pénis. « J’ey un billard de quoy ‟biller” souloye ;/ Mais mon billard est usé par le bout :/ C’est de trop souvent fraper en la raye. » Le Savatier et Marguet. 129 Pain blanc de bonne qualité sur lequel on grave une croix. 130 Noël : poussons des cris de joie. « Il est né, le Messiau !/ Chantons Nau ! » Chantons Nau. 131 P. Servet rappelle que ce mot « est aussi un terme de scénographie médiévale désignant tantôt l’aire de jeu des acteurs, tantôt l’emplacement des spectateurs, tantôt le théâtre dans son ensemble ». 132 Rapidement. Le page est le premier objet de luxe que s’offrent les nouveaux riches. « Ung paige après moy, voire deux. » Mallepaye et Bâillevant. 133 Benêt. Mais un coquillart est aussi un voleur caché parmi les pèlerins qui se rendent à Saint-Jacques-de-Compostelle sous l’insigne de la coquille Saint-Jacques. 134 Que nous ayons reçu notre solde. 135 Mal vêtus. 136 3 écus. Boutade notifiant qu’on n’a rien à donner. « Trois, trois !/ Je le puis bien, de par mon âme ! » (Le Povre Jouhan.) On la rencontre sous d’autres formes : « Trois tous neufs ! » (Daru, la Pippée, Te rogamus audi nos, etc.) « Oui dia, trois ! » (Beaucop veoir, le Dorellot, etc.) 137 « Je chie de peur ! » L’Andureau et L’Andurée. 138 Ne serait-ce pas le bourreau ? Cf. Gautier et Martin, vers 92 et note. 139 Ici pour nous « agrafer ». Cf. Gautier et Martin, vers 84. 140 Éd : O (Dans ses rets, ses filets. « Ce lion fut pris dans des rets. » La Fontaine.) Déjà au vers 159, Brandimas menaçait de battre le prévôt et ses sergents. 141 Beaucoup d’argent <note 3> dans votre fouillouse, dans votre bourse. Cf. les Deux pouvres, vers 6. L’amiral parodie le langage des tyrans. 142 Nous copulerons de bon cœur. « J’y ay besongné de courage. » Raoullet Ployart. 143 Le lupanar <note 125>. 144 Les tyrans constatent qu’il y a une fille nouvelle devant la porte ouverte de la maison — les petits-bourgeois n’avaient pas encore inventé les maisons « closes ». 145 Du gibier féminin. Idem vers 280. « Une macquerelle/ Promect, en secrette maison,/ Produyre fresche venaison. » Pour le Cry de la Bazoche. 146 Votre ration de sperme. Cf. le Fol et la Folle, vers 124. 147 Et pourtant, je… 148 Nous voici. Vieux calembour sur « con battre » : copuler. Idem vers 258. « Il ne sçait pas qu’est-ce que de combatre,/ Cil qu’entreprend de plusieurs cons batre. » Gratien Du Pont. 149 Du bordel : mère maquerelle. Je récupère la didascalie du vers 286, qui aurait dû figurer ici. 150 « Estre à la paille jusqu’au ventre : estre fort à son aise. » (A. Oudin.) Mais les prostituées déchues copulent réellement sur une paillasse. 151 À condition que vous ayez quantité d’argent. La tenancière fait entrer les quatre hommes. 152 Défoncée par mes innombrables amants. 153 Éd : Quil (Qu’au cours de la fellation préliminaire, elle avalerait notre pénis sans le mâcher.) 154 Si tu regardes bien ma chair, mon physique. 155 Même les jours de fêtes, où l’abstinence sexuelle est pourtant de rigueur : cf. le Sermon pour une nopce, vers 254. 156 Pour ouvrir ce qui est déjà ouvert. Les clients des prostituées s’apparentent aux « dépuceleurs de nourrices ». 157 Quel racleur pour enlever les poils. Aux étuves, les femmes se font raser le devant (et donc le derrière) par un ratisseur. 158 Elles. Idem au vers suivant. Les prostituées — et à plus forte raison les maquerelles — sont jouées par des hommes travestis. Être de séjour = être reposé. 159 Ce n’est pas là une incitation au déshabillage, mais un ordre de fuite : « N’y reviens plus, se tu es sage !/ Tyre tes chausses ! » L’Aveugle, son Varlet et une Tripière. 160 Par la violence. 161 Éd : Pissant (Votre bas-ventre se videra sans que vous ayez besoin d’éjaculer.) 162 Nous vous mettrons à genoux, dans une posture érotique passive. 163 Qu’un coq châtré. D’après la rime, on attendait plutôt le héros Jason : « Maint homme, par son blason [sa forfanterie],/ Semble plus hardy que Jason. » Guillaume Haudent. 164 Prends garde qu’il ne te besogne pas ! « Je n’aymeray jamais grant homme,/ Car le petit frappe de près et congne. » Tu as dict que j’en mourrès. 165 Pour des raisons mnémotechniques, les noms des tyrans se succèdent dans le même ordre. Il manque donc ici une réplique de Barraquin. 166 Éd : me 167 Il nous faut chercher notre plaisir ailleurs. 168 Nous ne faisons plus recette. 169 Pouah ! 170 Vieux vagin. « Oste-toy d’icy, viel carcas ! » L’Andureau et L’Andurée. 171 Putain. Idem vers 19. Ce mot vient de Picardie, comme Barraquin. 172 Vieux vagin. Idem vers 271. « Vieille loudière [pute], viel cabas ! » Le Raporteur. 173 Du mouton, du nigaud. 174 Nous nous y connaissons mieux en matière de prostituées qu’en matière de satin. 175 « De la marée fraische : une putain. » (Oudin.) Idem vers 509. 176 Ces « morues » ne viendront pas de la mer. « Allez-vous dessus la marine ? » St Christofle. 177 Au gibier <note 145>. 178 En quantité. Le gibier se prépare en civet, avec des oignons et du vin rouge. Mais le vin blanc symbolise le sperme. 179 Pourvu. 180 Filles de joie. Idem vers 367 et 518. 181 Du succès. 182 Celle qui ne connaît pas les finesses du métier. « G’y vays pourvoir,/ Car j’entens bien le jobelin. » (St Christofle.) Le jobelin est aussi l’argot des tyrans ; les ballades dont Chevalet s’inspire ont pour titre : « Le Jargon et jobellin dudit Villon. » 183 N’a aucune chance d’attraper le pigeon, le client. 184 La fortune nous fait défaut. 185 De si misérable crève-la-faim. 186 En cas de besoin. Comme d’habitude, Chevalet décrit les mœurs contemporaines, indépendamment du Mystère. 187 Il n’y a personne. La Fille égarée des Povres deables se plaint aussi de la concurrence déloyale faite par les nombreuses prostituées occasionnelles : « Il n’y a guère rue/ Où il n’y ayt des sœurs secrètes. » 188 Éd : cueillir (De piler du sucre pour faire des confitures. « Le sucre que vous ferez piller bien petit. » Pour confir des demie-pièces de coings.) On manipulait le sucre et la farine devant la porte pour ne pas salir la maison. Nos prostituées sans clients n’ont donc rien de mieux à faire que de préparer des confitures. 189 Fermez. La boutique est également le sexe d’une femme. « La boutique est fermée : se dit d’une femme qui ne fait plus d’enfans. » Oudin. 190 Il faut acquérir une clientèle. 191 Mon sexe. « Tu es trop neufve, et ne scez rien./ Ton engin n’est point bien ouvert. » Digeste Vieille. 192 Me laissera. 193 J’ai connu un temps où tu faisais merveille. 194 Une pièce en argent. C’est le salaire des prostituées de bas étage : « Ung beau grand blanc — qui n’est pas trop grant somme —/ Fist le marché. » Les Sept marchans de Naples. 195 Une si belle apparence. 196 La syphilis, par opposition à la petite vérole, ou variole. 197 Éd : dit (Les soldats français revenus des guerres d’Italie accusaient les prostituées napolitaines de leur avoir inoculé le mal de Naples.) « Ce mal que les François appellent ‟mal de Naples”, et que les Neapolitains appellent ‟mal françois”. » Charles Sorel. 198 Veut les éviter. 199 J’ai connu un temps où il venait quotidiennement ici des gens en quantité. 200 Éd : Chescum (Seules les femmes font fourbir leur harnais, leur sexe : « Femme n’estoit, tant preude ou vieille feust, qui ne feist fourbir son harnoys. » Rabelais, Tiers Livre, Prologue.) 201 Les vieilles vulves. « Pource qu’elle avoit trouvé la lance de son champion si grosse, ne luy avoit osé bailler l’escu, doubtant qu’il ne la tuast. » Cent Nouvelles nouvelles, 86. 202 Je vous le garantis. 203 Sauf ce qu’il me faut pour vivre. 204 Par la porte ouverte, elle voit venir les tyrans. 205 Du palais royal. 206 Double sens érotique : « Je vueil perdre cent sous/ Se, dessus et dessoubz,/ N’est bien revisitée. » Les Sotz fourréz de malice. 207 Éd : Alibraquin 208 Même si on devait les chercher au fond du lupanar <note 125>. 209 Nous jouerons sur le lit <note 124>. 210 Sur la paille d’une écurie. « Coucher vestue sur la paillade. » Ung jeune moyne. 211 Faites-la venir sur ce champ de bataille. 212 Le rang des combattants de Vénus. Marragonde reste dans le registre militaire, pour se moquer des faux braves. 213 Je n’en tiens aucun compte. « De toutes ces accusations, je n’en fais ne recepte, ne mise. » J.-B. de Glen. 214 La joute, le combat contre votre lance virile. « Je feroye une jouste seulle,/ Mais ma pouvre lancette ploie. » Jehan Molinet. 215 Une fine mouche. « Que tu es ung fin hoste ! » (Les Enfans de Borgneux.) Rime dauphinoise en -oute : « N’estoient pas si fins houstes. » (La Pippée.) Pour Aqueline, ce « fin hôtelier » tient un hôtel de passe : elle traite Alibraquin de proxénète. 216 Éd : Barraquin 217 Comme maquereau. Idem vers 186. 218 Brouiller le papier, ou le parchemin, c’est causer des embrouilles. 219 Au bordel. « Une garse de plain clappier. » Les Chambèrières et Débat. 220 Va t’en prendre à ta consœur. 221 Débandé. « Soudain que la gouge on emmanche,/ Luy rebailler le picotin [sa ration de sperme],/ Si l’instrument ne se desmanche. » Guillaume Coquillart. 222 Percer de traits (ATILF). 223 Éd : menus (Ces syllogismes. « De jeune logicien, argument cornu. De jeune médecin, cimetière bossu. » Proverbe.) 224 Il ne lui faut qu’un pénis. « Pour mettre au ‟four” leur pain. » (La Fluste à Robin.) La note 244 revient sur les mœurs suspectes de celui que Chevalet a malicieusement choisi de nommer le « roi Danus » [roide anus]. Au siècle précédent, le Mistère du trèsglorieux martir monsieur sainct Christofle nommait ce roi imaginaire « Dagus » ; mais l’auteur anonyme dudit Mystère ne brillait ni par son humour, ni par sa liberté de ton. 225 Pour qu’elles accomplissent une certaine besogne. 226 Si je me mets en colère. Cf. L’Andureau et L’Andurée, vers 450. 227 Loin d’ici. « Mieux vaudroit qu’eusse esté à Rome ! » L’Antéchrist. 228 Chevalet connaît bien les pièces de Triboulet, dont il a donné le nom à l’un des messagers du Mystère. Il emprunte ce vers fautif à la première édition du Roy des Sotz, aujourd’hui perdue ; voir la note 24 de cette sottie. 229 Prestement. 230 Avant. 231 De plaidoiries, de contestations. 232 Rendez-les-moi. 233 Éd : loing fusse tu (Tu aurais aussi vite fait de te payer une cotte, un jupon. « –As-tu le contract ? –Aussi bien eusses-tu l’argent ! » Pierre de Larivey.) 234 Avec notre précieux chargement. 235 Servet traduit : « Aller les mains vides. » 236 Qui n’a pas rapporté de proie au fauconnier. Mais le « faux con » désigne la vulve, qui se repaît de proies phalliques : « Il craind un peu le dangereux faux con. » (Lasphrise.) Les tyrans et les deux filles entrent dans le Palais royal. 237 Même si elles. 238 J’ai peur que le géant saint Christophe ne nous fasse du mal. 239 Cherche. Le son « s » est très voisin du son « ch ». De même, à la rime suivante, il faut lire « perce » et non « perche ». 240 Éd : õcques peau (« Mettre une fille en perce : la despuceler. » Oudin.) 241 Je vous rassure : vous n’en mourrez pas. 242 Elle ne risque pas d’en mourir, quoi qu’elle en dise. 243 Experte. La maquerelle du Dorellot se nomme Faicte-au-mestier. 244 J’en mourrai moi aussi, car vous avez un gros engin. Chevalet fait souvent des allusions à la sodomie : voir la note 69 de Cuisine infernale, ou la note 217 de L’Andureau et L’Andurée. Le roi Danus [roide anus], dont les mœurs sont mises en doute au vers 405, a pour chevalier Orlant, qui aime beaucoup les tyrans : c’est lui qui a fait venir de Rome ces « mauvais garsons », et qui a eu l’idée d’envoyer « ces quatre gallans au bordeau ». 245 Mademoiselle, votre peau est élastique. 246 Qu’il n’y a pas d’os dans un pénis. 247 « Il seroit bien gros, par ma foy,/ Si elle en faisoit à deux fois ! » Les Chambèrières qui vont à la messe. 248 Des mots ! Voir la note 83. 249 Allez dans la cellule de Christophe. 250 Que ma volonté s’accomplisse. 251 Bien informées. « Je suis tout rusé de ce fait. » Trote-menu et Mirre-loret. 252 Que si on nous y conduit. 253 De notre religion. 254 Je n’aurai qu’un mot à dire. 255 Son harnais viril. Cf. L’Andureau et L’Andurée, vers 409 et 455. 256 Que nous n’avons plus rien à apprendre. 257 Du pénis (ital. cazzo). « Du temps que mon cas estoit beau,/ Que ma ‟chose” bien se portoit. » Les Sotz fourréz de malice. 258 J’étais jusqu’à présent un messager. 259 Désormais, je suis un amateur de « morues ». Voir cette Ballade, vers 2 et note. 260 La bête à deux dos = le coït. Rime dauphinoise en -ou : « Vous faictes la beste à deux doulx. » Le Badin qui se loue. 261 Les miens et ceux de mon amant. « Tu bouteras tous les coups/ Deulx culz avec quatre genoulx,/ Après que seras maryée. » Les Bâtars de Caulx, LV 48. 262 Si tu vois qu’il me prend sexuellement, pète ! Jeu de mots : corner prise = sonner du cor quand la bête est prise. « Car tous ensemble cornent prise. » (Godefroy.) Nicette souffle dans la corne que le messager porte en bandoulière. 263 Éd : une (« Vous avez le bruit [la réputation]/ D’estre encore plus fine ouvrière. » La Pippée.) 264 Laisse cette corne ! 265 Sur leur pubis. Cf. Cuisine infernale, vers 107. « –Estudiras-tu bien ?/ –Ouÿ, en parchemin velu. » Pernet qui va à l’escolle.
LE FOL ET LA FOLLE
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LE FOL ET
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LA FOLLE
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En dehors des sotties, le théâtre médiéval ne fait guère appel aux folles : les farces s’en tiennent aux fous, et les prétendues « folles » des Mystères ne sont que des hystériques qui se croient possédées par le diable. Pourtant, Claude Chevalet1 dissimula dans sa Vie de sainct Christofle (~1510-1514) une authentique sottie, où une Folle rivalise de hardiesse avec un Fol.
Ce Mystère narre aussi les tribulations d’une troupe de bateleurs itinérants : ils sont à la fois clowns, jongleurs, montreurs d’animaux plus ou moins savants, faiseurs de bons tours, joueurs de mauvais tours, accompagnateurs de danses, marchands de fausses gravures pieuses et de partitions, chansonniers, etc. Leur troupe minable a beaucoup de points communs avec celle de la farce du Bateleur.
Source : La Vie de sainct Christofle, élégamment composée en rime françoise et par personnages par maistre Chevalet. Imprimé à Grenoble en 1530. Bibliothèque nationale de France, Rés. YF 116. Je recommande l’édition critique de Pierre SERVET : La Vie de sainct Christofle ; Droz, 2006.
Structure : Rimes plates, avec 3 triolets, et une ballade sans envoi.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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LE FOL 2 SCÈNE I
Gare ! Gare ! Faictes-moy place !
Reculle-toy, fol ydïot !
Car je suis ung estradïot3
Aussi légier4 q’ung lymasson.
5 Pour menger soit cher5 ou poisson,
Jamais ne m’en treuve malade.
Seray-je point de l’ambassade ?
Aray-je perdu mon crédit ?
Vous sçavez bien que chescum dit :
10 « Souvent, en ung mauvais passage6,
Ung fol enseigne bien7 ung saige
Quant le saige voyt qu’il se noye8. »
Si j’eusse la robe de soye,
Je m’en yrois en Gastinoys :
15 Car, quant on verra mon mynois,
On dira que je suis ung Conte9.
Fait-on testes de folz de fonte,
Ainsi que l’on fait une cloche ?
Celuy qui me fit la caboche
20 La me fit ung petit trop creuse10.
LA FOLLE
Il a dit vray ! Et bien fumeuse11 :
Elle va tousjours fumassant.
L’on ne trouveroit, en ung cent,
Teste que mieulx [vercoquin pille]12 :
25 Elle est ronde comme une bille
Et légière comme une plume.
LE FOL
Il fault donc, si ma teste fume,
Que je porte13 le feu au cul :
Car en effect, oncque ne fut
30 Fumée qu’il n’y eust du feu14.
Viens çà ! Il n’y a point de jeu15,
Car mon cul souffle si souvent
Que j’ay paour qu’il face, du vent,
Allumer le feu à la forge16,
35 Qui me sortira par la gorge
Et me brûlera le museau.
LA FOLLE
Va-t’en mettre le cul en l’eau
Prestement en celle rivière :
Si le feu est en ton derrière,
40 Il sera incontinent mort.
LE FOL
Je le veulx bien, j’en suis d’acord.
Viens-moy ayder et sera fait.
LA FOLLE
Garde-toy bien de faire ung pet,
Affin que le feu ne s’alume.
LE FOL 17
45 Regarde ! Voy-tu rien qui fume ?
LA FOLLE
Ne bouge le cul d’une place !
LE FOL
Ceste eau est plus froide que glace.
LA FOLLE
Ne te chault : prens en pacience
Sans bouger.
LE FOL
Par ma conscience !
50 Je suis en ung aultre danger :
Ces poissons me veullent18 menger
Tout vif 19. Il me fault reculler.
Et pour me garder de brûler,
Je ne sçay remède que boire.20
*
LE FOL SCÈNE II
55 Qui m’aura emblé21 ma marote,
Si me la rende incontinent
Sur peine d’excommuniment22 !
Ou [bien] j’en feray faire une aultre
Qui aura la teste de peaultre23,
60 Le cul de fer, d’acier le joys24 ;
Et l’une de[s] jambes, de boys ;
Et l’aultre, de pierre de taille ;
Le bec grant comme une poullaille25,
Et les tétins de deux molettes26.
65 « Venez achepter ces lunettes27
(Estront de chien) pour vostre nez !
Or advancez-vous, advancez
Pour parler à ce Jehan Testu28 ! »
.
Holà, ma sotte ! Où es-tu ? SCÈNE III
70 Je croy que tu fais l’arquimye29.
Viens çà ! approuche-toy, m’amye :
Il te fault recouldre le ventre30,
Car je me doubte que g’y entre,
Quelque jour, chaussé et vestu.
.
LA FOLLE SCÈNE IV
75 Me voicy ! Que demandes-tu ?
Je viens pour te faire merveilles :
Il te fault coupper les oreilles
À faire deux manches d’estrilles31.
Et si, te raseray les « billes »
80 Rasibus du cul32, par-derrière.
Ne tire point le cul arrière33,
Car je les auray, par mon âme !
LE FOL
Alarme, bonnes gens, alarme !
Gardez-moy qu’elle ne me tue !
85 Elle me veult, dessoubz la « queue »,
Couper les bataulx34 de la cloche,
Les oreilles de la caboche35.
[Hare ! hare]36 ! Qu’elle soit prise !
.
Seigneurs, je demande franchise37. SCÈNE V
90 Hé ! Jupiter, secourez-moy,
Et je vous voue38 (sur ma foy)
Boire tousjours le vin sans eau ;
Et ne mengeray beuf, ne veau,
Mouton, chevreau, qui ne soit cuyct ;
95 Et juneray toute toute la nuyct,
Au moins si je ne me réveille.
Mesmement39 le jour de la veille
De vostre grant solemnité40,
Car je serois déshérité
100 D’avoir perdu ung tel « joyau41 ».
.
LA FOLLE 42 SCÈNE VI
Où est-il allé, mon luneau43 ?
Je te44 trouveray, quoy qu’il t’arde.
LE FOL
Je suis en franchise, regarde !
N’aprouche point de moy, Babeau45 !
LA FOLLE
105 Je vous auray, ou le feu m’arde46 !
LE FOL
Je suis en franchise, regarde !
LA FOLLE
Je te chastieray — quoy qu’il t’arde —
Tout maintenant, de ce cousteau !
LE FOL
Je suis en franchise, regarde !
110 N’aprouche point de moy, Babeau !
Voicy le Temple bon et beau :
Garde-toy bien de faire noyse !
LA FOLLE
Qui me garde que je n’y voyse47 ?
Oncques nul des dieux n’en parla.
115 Et si, vous fault passer par là,
Au moins s’ilz ne sont les plus fors48.
LE FOL
A ! jambes, saulvez-moy le corps49,
Et je vous donray chausse[s] neufves !
Tu n’as garde que tu me treuves,
120 Et fust la lune en [son croissant]51.
*
LA FOLLE 52 SCÈNE VII
Hau, follaton ! Viens-moy passer
Maintenant delà la marine53,
Car je suis bonne pèlerine
Qui, pour avoir le « picotin54 »,
125 M’en vueil aller à Sainct-Trotin55,
Où je gaigneray le pardon56.
LE FOL
Scez-tu pas bien que mon « bourdon57 »
Est trop court pour trouver le fons58 ?
Il est aussi foible que joncs
130 Pour ployer. Entens-tu la note59 ?
LA FOLLE
Ne sces-tu prendre ta « marotte60 »,
Celle qui a la teste rouge61 ?
Approuche-toy, et ne te bouge !
Il n’est pas temps que l’on rechigne.
135 Je te voys monter sur l’eschine62 ;
Garde-toy bien de répiter63.
LE FOL
Mais te garde bien de péter
Ainsi que tu as de coustume !
Car, par Dieu, s’il fault que j’en hume,
140 Je sçay bien que nous aurons noyse.
Ventre sainct Gris, comme tu poyse64 !
Oncques ne portay tel fardeau.65
LA FOLLE
Je te rendray ce tour, lourdeau !
M’as-tu laissé tomber par terre ?
145 Or te metz là, que je te serre66 !
Ou, par Dieu, je te froteray67.
LE FOL
Que veulx-tu ?
LA FOLLE
Je remonteray,
Il ne fault point estre rebelle !
LE FOL
Il fault donc avoir une eschelle,
150 Ou tout versera, j’en suis seur.
LA FOLLE
Tien-toy ferme et [n’aye pas peur]68 ;
Et garde bien de me lascher !
Je suis bien. Pense de marcher69
— As-tu entendu ? — fort et rède !
LE FOL 70
155 Aay, ay, ay ! Que ceste eau est froide !
Elle entre dedans mon soullier.
LA FOLLE
Sus avant, maistre lymonnyer71 !
Nous serons tantost au millieu.
LE FOL
Et ! qu’est cecy ? Bon gré ’n72 ayt Dieu !
160 Paillarde, avez-vous vécy73 ?
Descendez, et m’attendez cy,
Que j’aye l’eschine plus forte.74
LA FOLLE
Alarme, alarme ! Je suis morte,
Je suis noyée, somme toute.
LE FOL
165 Je luy ay faict de son cul souppe75,
Non pas en vin mais en bel[le] eau.
Scez-tu quoy ? Attens-moy, Babeau,
Et je voy quérir ung cheval76.
Avez-vous faict le vent d’aval77,
170 Et vescy à vostre privé78 ?
Vous en avez le cul lavé,
Affin que l’on y remédie !
.
*
LES BASTELEURS 79
*
.
MAULOUÉ80, basteleur, commence. SCÈNE I
Où es-tu ? Hau, Mal-assegnée81,
Apporte-moy tous mes bateaux82,
Estrilles, focilles, cousteaux83 ;
Bastons, bacins84, siffléz85, timballe ;
5 Les gobeletz, les noys de galle86 ;
Le synge, la chièvre, le chien
Et l’ours (que nous n’oublions rien),
Avec le mole87 des ymages,
Pour courir villes et villages.
10 Maufourbie [es]t-elle [où ell’ est]88 ?
Où est Henriet, mon varlet,
Pour chanter avec sa guiterne89 ?
MAL-ASSEGNÉE
Il est allé à la taverne.
Qu’à tous les diables puist tout estre,
15 Autant le varlet que le maistre !
L’on me laisse cy toute seulle.
L’ours brayt de fain et le chien ule90 ;
Le singe dit sa pateno[u]stre91.
Et si, vous dis encor en oultre
20 Que nous n’avons denier ne maille.
MAULOUÉ
Hé ! nous en aurons — ne te chaille —,
Quelque jour, de l’argent content…
S’il en pleust, dea, cela s’entent !
MAL-ASSEGNÉE
Esse donc tout ?
MAULOUÉ
Ma [donna, sy]92 !
MAL-ASSEGNÉE
25 N’en prendrez-vous autre soussy ?
Je suis bien de mal heure93 née !
MAULOUÉ
Et ! n’es-tu pas Mal-assegnée ?
Le nom est de mesme l’ouvrage94.
Acoup, qu’on charge le bagage !
.
30 Henriet, vien çà ! Qu’on se haste ! SCÈNE II
HENRIET, varlet.
Laissez-moy mouller la gargatte95,
Qui est si sèche, pour le hâle96.
Qu’en buvant, jamais je ne parle :
Ma mère me le deffendy.
MAULOUÉ
35 Qu’est cecy ? Es-tu estourdy ?
Dont te vient ce mal, mon varlet ?
Est-ce point de menger du laict
Que tu as la couleur vermeille ?
HENRIET
Je l’ay prins en ceste bouteille.
MAL-ASSEGNÉE
40 Je cuyde qu’il a veu les anges
Qui tumbent du ciel en vendanges.
C’est la douleur qui le travaille97.
HENRIET
Je l’ay pris en ceste bo[u]teille.
MAULOUÉ
Tu as vendangé sans cousteau98.
45 Mais tu y jouras du basteau
Et99 du bassin, je le conseille.
HENRIET
Je l’ay pris en ceste bouteille.
MAL-ASSEGNÉE
Pour vous guérir de ce farcin100,
Avallez-moy ce plain bassin
50 D’eau claire ! C’est la médecine,
Il ne fault point faire la myne101.
Tenez, et vous lavez la gorge !
HENRIET
Qu’ell’ est froide, bon gré sainct George !
J’aymoys mieulx celle du barry102.
MAULOUÉ
55 Or viens çà ! N’es-tu point guéry ?
HENRIET
Je n’entens point la guérison :
J’en ay pris une trancheyson103
Qui me fera les boyaulx fendre.
MAULOUÉ
Sus devant ! Car il nous fault prendre
60 Le chemin tout droit à Damas.
Mais je ne sçay point que tu m’as
Fait104, aujourd’huy, de ma trompette.
HENRIET
Voy là cy105, maistre.
MAULOUÉ
Qu’on se mette
En voye, c’est le principal.
65 [Que] chescum preigne son bestial
Du trein de la bastellerie106.
N’avons-nous pas d’ymagerie107 ?
C’est le principal du mestier108.
MAL-ASSEGNÉE
Il en y a ung cent entier109 ;
70 C’est assez pour une sepmaine.
MAULOUÉ
Henriet ! Il fault que tu meine,
Pour ta part, l’ours avec le chien.
Garde que nous n’oublions rien,
Mon varlet ! As-tu entendu ?
HENRIET
75 Je vouldrois que tout fust vendu.
Car incessamment je travaille,
Et si110, n’ay ne denier ne maille
Ne, souvent, de quoy me repaistre.
MAULOUÉ
Tais-toy ! Je te passeray maistre111
80 Avant que soit jamais troys moys.
Et si, auras quatre tournoys
Toutes les sepmaines pour boyre.
MAL-ASSEGNÉE
Il ne boyt que trop !
HENRIET
Voyre, voyre,
Belle dame, laissez-moy vivre !
85 Si, d’aventure, je suis yvre,
Je me couche bien tout vestu112.
MAL-ASSEGNÉE
Et de quoy [donc t’esbranles-tu]113 ?
HENRIET
J’ay en la teste la migraine.
Puis après, il fault que je traîne
90 Ce bestial114 à force de corps.
Mais, par tous les dieux, si tu mors,
Tu auras une bastonade !
MAULOUÉ
Nous deussions jà estre à Grenade115,
Pour le vous dire à brief parler.
95 Avançons, et pensons d’aller !
Et qu’on me laisse ce desbat !
*
MAULOUÉ 116 SCÈNE III
Dieu gart et le Roy et la Court,
Les dames et les damoiselles !
MAL-ASSEGNÉE
Ostez vostre chapeau, tout lourt117 !
HENRIET
100 Dieu gart et le Roy et la Court !
MAULOUÉ
Nous sommes, pour le temps qui court,
Mynces118 d’argent et sans rouelles.
MAL-ASSEGNÉE
Dieu gart et le Roy et la Court,
Les dames et les damoiselles !
LE ROY DE DAMAS
105 Scez-tu nulles chançons nouvelles ?
Voulentiers les vouldrois ouÿr
Pour la compaignie resjouyr.
Si tu scez rien119, que l’on le voye !
MA[U]LOUÉ
Je fais, d’une chièvre, blanche120 oye ;
110 D’ung ourseau121, ung molin à vent ;
Et d’ung franc, dix solz122, bien souvent.
Henriet, acoup, ma trompette !
Bran123 ! qu’est cecy ? Ell’ est maulnette124.
Je cuyde que Mal-assegnée
115 Ou mon varlet l’ont embrenée.
C’est merde, que vous le sachez.
Advancez-vous et vous mouchez,
Petitz enfans125 ! Çà : Maufourbie,
Que j’ay porté de Conturbie126
120 Pour [y] en faire une levée127 :
Puisqu’ell’ est ung petit roullée128,
Ne vous chaille, c’est bien du moins129 !
[Car] pour une espée à deux mains,
Au monde n’en a point de telle.
125 Regardez-moy quelle alumelle130 !
Elle reluyct comme charbon131.
HENRIET
Et ! par tous noz dieux, voylà bon !
Pourquoy me frappez-vous, beausire ?
Je ne dis pas pour vous mauldire,
130 Mais tous les diables y ai[en]t part132 !
MAULOUÉ
Et ! par Dieu, voylà bon coquart133 !
Quant tu cognois134 que je m’esbas
De Maufourbie [et] hault et bas135,
Ne te scez-tu tirer arrière ?
135 Tu sces bien que c’est la manière
[Que] de faire136 à son maistre place.
HENRIET
Bref, je n’en sçay ne gré, ne grâce ;
Et de vray, n’en suis point content.
Et vous en desportez à tant137,
140 Car, par Dieu, le jeu ne vault rien !
MAULOUÉ
Or çà ! il fault jouer138 du chien :
Admeyne-le-moy cy en place.
Hau ! Le boys tost passe139 !… Repasse !…
Saultez, et vous ferez que saige140 !…
HENRIET
145 Il est en son aprentissage,
Et n’est pas encores bon maistre141.
MAULOUÉ
Pensez : qui le laissera croistre142,
Ce sera ung chien tout de mesme143
Pour menger [du] beurre en Caresme
150 Par faulte de chair144.
HENRIET
Hé, caroigne145 !
Par le sang que Dieu fist ! il groigne.
Je146 croy qu’il a, de paour, la fièvre.
MAULOUÉ
Çà, le singe !
MAL-ASSEGNÉE
Mais bien147 la chièvre,
Qui vous mettra au cul la corne !
MAULOUÉ
155 Laisse-la là ; qu’elle séjourne148 :
Ell’ est ung peu mal disposée149.
HENRIET
Mais faisons-en une espousée,
Et luy mettons ung couvrechef
Sur les cornes, dessus le chef,
160 Pour luy donner en mariage
Le synge.
MAULOUÉ
Tu devise rage150 !
Je suis bien content qu’il151 se face.
Ameine tout !
MAL-ASSEGNÉE
Quel chiche-face152
Pour [bien] faire ung charivary !
HENRIET
165 L[e] synge, qui est son mary,
Vouldroit bien qu’elle fust à Can…153
MAULOUÉ
Dancez, madame de Bo[u]can154 !
Et je vous mèneray la feste155.
MAL-ASSEGNÉE
Hé ! que mauldicte soit la beste !
170 Regardez quelle contenance !
MAULOUÉ
Henriet, tu menras la dance.
Et me tiens le singe de près156 !
Et ma femme yra après,
Qui fera la chièvre dancer.
HENRIET
175 Je suis tout prest de commencer.
MAL-ASSEGNÉE
Et moy, de [me] mettre au millieu157.
MAULOUÉ
Or sus ! Hay advant, de par Dieu !
Et je menray du flajolet158.
HENRIET
Hé ! Dieu, que le synge est lait !
MAL-ASSEGNÉE
180 Que la chièvre fait bonne troigne !
HENRIET
Tire avant, teste de mulet159 !
MAL-ASSEGNÉE
Hé ! Dieu, que le synge est lait !
HENRIET
La chièvre tiens par le collet.
MAULOUÉ
Oncques ne vistes tel besoigne.
MAL-ASSEGNÉE
185 Hé ! Dieu, que le synge est lait !
HENRIET
Que la chièvre fait bonne troigne !
MAULOUÉ
Elle semble une cygoigne160.
Hau ! c’est assez, laissez la dance !
Mal-assegnée, qu’on commence
190 Faire monstre de noz ouvrages :
Il fault vendre de noz ymages,
Voylà la cause qui nous meine.
MAL-ASSEGNÉE
Voyez-en cy une douzaine.161
Desployez tout à l’adventure.
MAULOUÉ
195 Seigneurs, voicy la pourtraicture
Du glorieux sainct Al[i]pantin162,
Qui fust escorché d’ung patin163
Le jour de Karesme-Prenant164.
Après, voicy sainct Pimponant
200 Avecques sainct Tribolandeau,
Qui furent tous deux d’ung seau d’eau
Décolléz165, dont ce fut dommage…
Puis voicy le dévot ymage
Du glorïeux martir sainct Pran166,
205 Qui fust jadis boully en bran
Et lapidé de pommes cuyctes167 ;
Et par ses glorïeux mérites,
Je le maintiendray devant tous :
Il guérit les chatz de la touz168,
210 Quant ilz y ont dévotion.
Si vous avez intention
De les avoir, je les vous baille
Les deux pour .III. deniers et maille ;
Mais toutesfoys, argent content169 !
215 Ung peintre n’en feroit pas tant
De bonnes couleurs pour .II. francs.
Avant170, avant, petitz enfans !
Vous n’en payez pas la façon171.
MAL-ASSEGNÉE
Il [nous] fault dire une chançon172
220 En attendant qu’on les vendra173.
MAULOUÉ
Je le veulx bien. Qui m’aydera ?
HENRIET
Tous deux ensemble, je l’entens.
MAULOUÉ ET LES AUTRES
Resveillez-vous, gentilz gallans,
Et entendez bien mon latin174 !
225 Gentilz pïons175, mes bons chalans,
Ne vous levez point trop matin.
Quant vous aurez beu ung tatin176,
Cela vous réconfortera.
Mais si vous mettez d’eau au vin,
230 Le diable vous emportera.
.
Ne rompez point les huys ouvers177,
C’est sur peine178 d’estre pendu ;
Et mettez femmes à l’envers,
Car cela n’est point deffendu.
235 Joingnez « tendu » contre « fendu » :
La besoigne se parfera.
Ou sinon — av’ous entendu ? —
Le diable vous emportera.
.
Nourrisses ne dépucellez179 !
240 Vous entendez bien le trippot 180 ?
Et quant aux tavernes allez,
Ne payez point deux foys l’escot :
Car qui mengera ung fagot 181
Sans boyre, il s[’en] estranglera.
245 Et si vous faictes le bigot,
Le diable vous emportera.
LE ROY DE DAMAS
Bénédicité ! Marïa !
Oncques je n’ouÿs chançon telle.
Je croy qu’il [l’]a faicte nouvelle
250 Tout maintenant dessus les rans182.
Séneschal, donnez-luy dix francs
Pour boyre et pour l’esbatement !
LE SÉNESCHAL
Tiens, prens cela légièrement :
C’est argent pour crocquer la pie183.
MAULOUÉ
255 Chier sire, je vous remercie.
Je ne gaignay tant de dix jours.
Tout est vostre : le synge, et l’ours,
La chièvre, et Mal-assegnée.
Je vouldrois qu’on l’en [l’]eust menée,
260 Affin d’en estre despêché184 !
J’en ferois tousjours bon marché,
Et n’en eussé-je [qu’]une maille185.
*
1 Sur ce fatiste de Vienne, voir la notice des Deux pouvres. 2 Imitant les Sots des sotties, il traite les spectateurs de fous, et les bouscule pour monter sur scène. 3 Un cavalier albanais qu’on envoie en éclaireur. Cf. le vers 287 de L’Andureau et L’Andurée, autre farce provenant du même Mystère. Le Fol chevauche sa marotte. 4 Rapide. 5 De la chair, de la viande. 6 Quand un sage s’est mis dans un mauvais pas. 7 Fait la leçon à. « J’ay souvent ouÿ en proverbe vulgaire [populaire] qu’un fol enseigne bien un saige. » Rabelais, Tiers Livre, 37. 8 Le fou donne une leçon de prudence au sage qui est en train de se noyer, au lieu de le secourir, « comme celuy qui, estant sur le bord d’une rivière, assiste de parolles son amy qui se noye ». (Cardinal de Richelieu.) 9 Il y a bien longtemps que le Gâtinais n’était plus un comté. 10 Un peu trop creuse : ma tête sonne creux comme si c’était une cloche en fonte. 11 Sa tête est bien fantasque. « La teste verte,/ Fumeuse et toute lunatique. » L’Arbalestre. 12 Éd : uerticoquille (Le ver coquin* est logé dans la tête des gens qui ont une lubie. « Leurs femmes ont mis ce ver coquin amoureux dans leurs testes. » Brantôme.) Il faut comprendre : Parmi cent personnes, on ne trouverait pas une tête que la folie dévaste mieux. *Ce Mystère emploie aussi la variante avertin : « Puis qu’elles ont prins l’avertin/ En la teste, tout est perdu. » 13 Que j’aie. Le Vendeur de livres signale une farce de Ceulx qui ont le feu au cul. 14 Il n’y a pas de fumée sans feu. Les Fols des sotties prennent toujours les expressions au pied de la lettre. 15 Il ne faut pas plaisanter. 16 J’ai peur que mon cul ne se transforme en soufflet de forge. 17 Il baisse ses chausses et plonge son postérieur dans la rivière, laquelle joue un rôle prépondérant dans ce Mystère ; nous la retrouverons aux vers 121-172. 18 Éd : uueillent 19 Les spectateurs ont entendu « tout vit », qui se prononce de la même façon : tout mon pénis. « Femmes enseintes/ Qui ont esté au ‟ vif ” atainctes. » Sermon pour un banquet. 20 Le Fol boit, mais pas l’eau de la rivière. La sottie ne reprend qu’au bout de 4 550 vers. 21 Que celui qui m’aura volé. 22 Sous peine d’excommunication. Même vers dans Saincte-Caquette. 23 D’étain. Cf. Ung biau miracle, vers 2751. 24 Le sexe. Cf. L’Andureau et L’Andurée, vers 418. « Pour luy faire fondre la gresse/ Du cropion autour du joys. » St Christofle. 25 Comme le bec d’une poule. Ou bien : comme une poule. 26 Les seins rembourrés par du molleton. « Pour mauvais tétins/ Et pour ceulx qui portent mollettes. » Maistre Pierre Doribus. 27 Sur les fous à lunettes, voir la note 72 du Monde qu’on faict paistre. 28 Pour parler à Jehan le Fol. 29 L’alchimie : que tu es en train de faire l’amour avec un autre. « N’avez-vous pas eu assez temps/ De faire vostre paillardise ?/ Faictes-vous encor l’arquemye ? » St Christofle. 30 Il faut te recoudre le bas-ventre, la vulve. 31 Il faut couper tes oreilles de Sot pour en faire deux manches de brosses. 32 Et aussi, je te trancherai les testicules d’un coup de rasoir, au ras du cul. 33 Ne recule pas. Cf. L’Andureau et L’Andurée, vers 146. 34 Les batteaux : les battants, qui pendent. Ce mot désigne les testicules. « Un bel ‟ouvrier de nature”, fort bandé, qui à bon droit mérite estre appelé membre, accompagné de deux battans au-dessoubs qui luy servent d’ornement. » Nous sommes bluteurs. 35 Les oreilles de ma tête (vers 77). Mais aussi : les testicules de ma verge. « Le membre de Colin, deffaict,/ Se retira, penchant l’oreille. » (Cabinet satyrique.) « Au moyen du vin de Baccus,/ Pour lequel souvent on bat culz,/ Sa grosse caboche dressa. » (Sermon de Billouart.) 36 Éd : Pare pare (Cri par lequel on excite les chiens pour qu’ils attrapent une proie. « Hare ! hare ! Si me mordez,/ Je le diray à l’empereur. » Daru.) 37 L’asile en zone franche, comme au vers 103. Le Fol se réfugie dans l’inviolable temple de Jupiter. 38 Je vous jure. Ces promesses ne coûtent rien : le Fol boit déjà le vin sans eau, mange déjà sa viande cuite, et il jeûne déjà pendant qu’il dort. 39 Je jeûnerai aussi. 40 « La feste de l’immortel/ Jupiter. » Mystère de sainte Barbe. 41 Mes bijoux de famille, dont j’ai hérité de mon père. 42 Elle pénètre dans le temple de Jupiter. 43 Mon lunatique. « Parlez tout doulx, car il tient de la lune…./ Il est luneau, vous le ferez troublé. » Marchandise et Mestier, BM 59. 44 Éd : le (Ce vers sert de modèle au v. 107.) Quoi qu’il t’arde = même si tu es ardent, en érection. Jeu de mots sur deux verbes qu’on distinguait mal : arder [brûler], et arser [bander]. Idem vers 107. 45 La Folle se prénomme Isabeau, dont Babeau est le diminutif, comme à 167. « ‟Certes, je n’y entreray point”,/ Respond à la mère Ysabeau…./ Elle y entra. Babeau se couche. » (Le Banquet des chambrières.) On traite de « Babeau » les femmes de mauvaise vie : cf. L’Andureau et L’Andurée, vers 54. « Approuchez-vous, dame hydeuse !/ Avez-vous entendu, Babeau ? » St Christofle. 46 Ou que le feu de l’Enfer me brûle. La châtreuse poursuit le Fol dans le temple, en brandissant un couteau. 47 Qui m’empêche d’y aller ? 48 Si les dieux ne sont pas plus forts que moi. 49 Courez assez vite pour que je puisse échapper à la châtreuse. L’Andureau, voulant échapper à sa mégère, s’écrie : « Jambes, portez le corps arrière ! » 51 Éd : decroissant (« De la lune en son croissant. » Ronsard.) Tu ne risques pas de me trouver, même avec l’aide du clair de lune. La sottie reprend au bout de 3 000 vers. 52 Elle veut passer de l’autre côté de la rivière (vers 38) en montant sur les épaules du Fol. Chevalet parodie la légende de saint Christophe, qui exerce le métier de passeur ; son plus notable client n’est autre que Jésus, auquel il vient de faire traverser la même rivière juché sur ses épaules. Chevalet parodie aussi Tristan qui, déguisé en lépreux, fait franchir un gué à Iseut en la portant sur son dos ; Tristan et Iseut deviennent donc Jean Têtu et Babeau. 53 De l’autre côté de l’eau. 54 Ma ration de sperme. « Sottes qui veulent avoir leur picotin. » Jeu du Prince des Sotz. 55 Pèlerinage où les épouses vont trotter sans leur mari. Dans ce Mystère, un cocu dit à sa femme : « Or va (sans faire le revien)/ Au diable et à Sainct-Trotin ! » 56 Où je commettrai un péché pour faire pardonner les précédents. « En divers lieux (elles) vont gaigner les pardons/ Pour en leurs lacs attraper la ‟vitaille”. » L’Advocat des dames de Paris touchant les pardons Sainct-Trotet. 57 Mon bâton de pèlerin. Double sens : mon pénis. Cf. le Pèlerinage de Mariage, vers 137 et note. 58 Le fond de la rivière. Double sens : le fond de ton vagin. « J’en ay une que j’aime ung peu./ On n’y treuve ne fons, ne rive. » Les Sotz qui remetent en point Bon Temps. 59 Comprends-tu mes paroles ? 60 Ton phallus. La marotte est un emblème phallique composé d’un bâton surmonté d’une tête. 61 Celle qui est munie d’un gland. « Ell’ avoit/ La teste bien rouge devant. » La Confession Margot. 62 Je vais monter sur ton dos. 63 D’exiger un répit, de différer. 64 Ventre de saint François d’Assise, que tu pèses ! 65 Le Fol laisse tomber la Folle par terre. 66 Afin que je te serre entre mes cuisses. 67 Je te battrai. 68 Éd : nay paour (« Et n’ayez peur que je vous faille. » Colin qui loue et despite Dieu.) 69 Je suis bien installée, dépêche-toi de traverser la rivière. « Pense d’aller et de marcher ! » Folconduit. 70 Il entre dans la rivière avec la Folle sur ses épaules. 71 Cheval d’attelage. Elle donne au Fol un coup de cravache avec sa marotte. 72 Aphérèse du pronom en. « Bon gré ’n ait bieu ! » Le Capitaine Mal-en-point. 73 Vessi, lâché une vesse, un pet. Idem vers 170. « Ell’ a du cul vessy. » (La Ruse et meschanceté des femmes.) Les vers 137-8 nous ont informé des problèmes aérophagiques de la Folle. 74 Il laisse tomber la Folle dans la rivière. 75 La soupe est un morceau de pain qu’on trempe dans le vin. « Ilz sont plus ivres qu’une soupe. » Massons et charpentiers. 76 Éd : cheuau (Je vais chercher un cheval.) 77 Éd : dariau (En terme de marine, le vent d’aval désigne le vent arrière : « Que désirons-nous ? Vent d’aval. » Gautier et Martin. Dans un registre plus scatologique, on devine d’où provient ce vent de derrière…) 78 Et pété discrètement. Mais les privées sont aussi les latrines : « (Ton père) curoit les privées. » Le Savetier Audin. 79 Cette farce en deux actes est un peu mieux intégrée au Mystère que la sottie. 80 Mal loué, mal considéré. 81 Mal assenée = mal mariée. C’est le nom générique des épouses insatisfaites. La nôtre fit l’objet d’une chanson : « C’est la femme d’un basteleur/ Qu’on apelle Mal-assenée. » (L’Arbalestre. Pour d’autres références, voir la note 60 de cette farce.) 82 Mes accessoires de bateleur. Idem vers 45. « Je susse jouer de bateaux,/ Se j’eusse ung ours ou une chièvre. » Les Menus propos. 83 Pour impressionner le public, on jongle avec des outils ou des armes munis de lames (soigneusement émoussées). 84 Le bâton est une baguette par-dessus laquelle on fait sauter le chien, comme au vers 143. Le bassin, encore nommé à 46, est un récipient qu’on utilise pour la quête : « Et faire cracher au bassin/ Ceulx-là. » Pour le cry de la Bazoche. 85 Éd : soufflez (Nos clowns sont bardés d’instruments de musique : une guitare, une trompette, un flageolet ; et donc, un sifflet [un mirliton] et une timbale [un tambour].) 86 Les gobelets servent pour les tours de passe-passe ; dans l’Escamoteur, Jérôme Bosch en a peint deux. (Nous remarquerons, au pied du bateleur, son chien savant, qui est assis près d’un cerceau en attendant de sauter au travers.) La noix de galle sert à faire de l’encre, peut-être pour réaliser les images pieuses que vendent nos baladins. Pour Pierre Servet, « il s’agit sans doute d’un élément de maquillage des jongleurs ». 87 Le moule, le pochoir avec lequel nous confectionnons des images coloriées qui représentent des saints. Voir les vers 191-216. La troupe du Bateleur vend elle aussi des portraits médiocres, mais ils représentent des comédiens. 88 Éd : quellest (Est-elle à sa place, dans le fourreau que je porte à ma ceinture ?) Maufourbie = Mal astiquée. C’est le nom que le bateleur donne à son épée, à l’instar d’un archer du Mystère de Saint Louis : « Vécy mon espée, Mal-fourbye. » Voir les vers 118 et 133. Chevalet parodie Excalibur (l’épée du roi Arthur), et Durandal (celle de Roland). 89 En s’accompagnant à la guitare. 90 Hurle. 91 « Quand un homme gronde & murmure entre ses dents, on dit qu’il dit la patenôtre du singe. » Le Roux, Dictionaire comique, satyrique. 92 Éd : donne cy (Probable refrain d’une de ces chansons que les musiciens français de l’époque composaient sur des paroles italiennes.) 93 À une mauvaise heure, sous une mauvaise étoile. Même vers dans le Nouveau marié, notamment. 94 Le nom correspond à la chose. 95 Mouiller mon gosier. « Arouse souvent la gargatte. » (Philippe Bouton.) Le valet boit à la bouteille ; il titube et sa figure est rouge. 96 À cause de la chaleur du soleil. « Ces pÿons [ivrognes] en avalleront/ Mainte chopine, pour le halle. » St Christofle. 97 C’est là son unique maladie. 98 Tu as tout perdu à la taverne. « Il n’y a plus denier ne maille ;/ Tout est vendangé sans cousteau. » Gautier et Martin. 99 Éd : Cest (Tu te renfloueras en utilisant nos accessoires de bateleurs, et tu feras la quête pour que le public crache au bassinet.) 100 Vos taches éthyliques ressemblent à une maladie qui affecte la peau des chevaux. 101 La grimace. Mal-assenée pince le nez du valet pour qu’il ouvre la bouche, dans laquelle elle verse l’eau du bassin. 102 Du baril de vin de la taverne. Cf. L’Andureau et L’Andurée, vers 84. 103 Des tranchées intestinales, des coliques. Il est exact que l’eau, pas toujours potable, provoquait un certain nombre de maladies. Les hommes du moyen âge n’ont pas attendu Louis Pasteur pour découvrir que « le vin peut être à bon droit considéré comme la plus saine, la plus hygiénique des boissons ». 104 Ce que tu as fait. 105 La voici. Henriet montre la trompette qui déforme avantageusement le devant de ses chausses tachées de crotte. 106 Que chacun prenne un des animaux de notre ménagerie. 107 D’images représentant des saints. Voir la note 87. 108 C’est ce qui nous rapporte le plus. 109 Une bonne centaine. 110 Et pourtant. 111 Je te ferai accéder au grade de maître bateleur. Ce grade imaginaire est employé comme insulte : « O ! que tu la nous vends trop chère,/ Maistre basteleur ! » Satyres chrestiennes de la cuisine papale. 112 Je ne vous demande pas de venir me déshabiller. 113 Éd : doncques branle tu (De quoi te mets-tu en peine, pourquoi t’énerves-tu ? « T’esbranles-tu au souffle du vent d’une seulle adversité ? » Jean du Croset.) 114 Cet ours et ce chien. Justement, le chiot se rebiffe. 115 Nous devrions déjà être ailleurs. « Quant il nous aura veu,/ Il vouldroit estre à Grenade ! » St Christofle. 116 La troupe rencontre le roi de Damas et la reine. Mauloué les salue sans retirer son chapeau. 117 Lourdaud. « Il avoit l’entendement tout lourd. » Histoire maccaronique de Merlin Coccaïe. 118 Dépourvus : cf. le Mince de quaire. Une rouelle est une pièce de monnaie : cf. la Confession du brigant, vers 55. 119 Si tu sais quelque chose. Le roi ne s’intéresse qu’aux chansons : voir les vers 247-252. 120 Éd : une (Une oie blanche est une pucelle ; or, aux vers 157-161, on déguise la chèvre en jeune mariée.) 121 Éd : pourceau (Nos bateleurs ont une chèvre et un ours, mais pas de porc. « Ourse alaittant ses ourseaux. » ATILF.) 122 Je fais 10 sous, une somme bien moindre. 123 Merde ! Ce juron est bien choisi : Henriet extirpe de ses chausses breneuses une trompette qui ne l’est pas moins, victime des coliques du vers 57. 124 Mal nette, malpropre. 125 Les bonimenteurs commencent toujours par cette phrase afin d’obtenir le silence : cf. le Bateleur, vers 3 et note. Sauf qu’ici et au vers 217, ces « petits enfants » auxquels on parle de merde désignent un roi et une reine. Le saltimbanque dégaine Maufourbie, sa piteuse épée (note 88). 126 Canterbury, qui est rebaptisé « Canthorbie » dans le Messager et le Villain. Les Mystères mettent un point d’honneur à ridiculiser tout ce qui rappelle la perfide Albion. 127 Pour livrer un assaut aux Anglais. « Que les François si ont esté/ Ès Anglois faire une levée. » ATILF. 128 Si elle est un peu rouillée. 129 C’est la moindre des choses. 130 Quelle lame. 131 Mauloué n’ayant pas précisé « comme du charbon ardent », force est de s’en tenir à ce qu’il a dit : Elle reluit aussi peu que du charbon. Le bateleur mime un assaut d’escrime contre son valet désarmé, qu’il touche avec le plat de sa lame. 132 Que tous les diables vous emportent ! Si ce n’est pas une malédiction, qu’est-ce que c’est ? 133 Un bon corniaud. 134 Quand tu as connaissance, quand tu vois. 135 Dans toutes les directions. « Prens tost tes fouetz, et le batz/ Du long, du lé [de long en large], et hault et bas ! » Daru. 136 Que c’est la règle de laisser. 137 Abstenez-vous-en pour le moment. « Je vous prie que vous vous déportez atant de ceste requeste faire. » ATILF. 138 Se servir. 139 Saute par-dessus la baguette ! Naturellement, le petit chien passe dessous. Même jeu dans l’autre sens. Ce gag fut longtemps au répertoire des clowns de cirques. 140 Vous ferez sagement. Le chien repasse sous la baguette. 141 Une œillade aux spectateurs suffit à faire comprendre qu’Henriet ne parle pas du chien mais de Mauloué, qui a prétendu le faire passer maître (vers 79). 142 Si on le laisse grandir. 143 Pareillement. 144 Pour s’adapter à toutes les situations. Pendant le jeûne du Carême, les catholiques ne consommaient ni beurre, ni viande, à moins d’acheter des dispenses à l’Église. 145 Charogne ! Le chiot l’a mordu. 146 Éd : Et (Je crois que la peur qu’il a eue lui a donné la fièvre.) 147 Mais plutôt. « Les chièvres alloient tout de reng./ La corne de la dèrenière/ Fut mise au cul de la première./ Quelle chièvre pourroit mieulx dire :/ ‟J’ay la corne au cul.” » Les Sotz escornéz. 148 Qu’elle se repose. 149 Elle n’est pas dans de bonnes dispositions. « Il dort, sire :/ Il est un peu mal disposé. » Le Poulier à sis personnages. 150 Tu dis bien. 151 Que cela. 152 Ce loup-garou se nourrit exclusivement d’épouses qui obéissent à leur mari ; voilà pourquoi il est d’une maigreur squelettique. Les charivaris admettent les déguisements les plus bestiaux. 153 Loin de Damas, où la scène se déroule. Henriet est interrompu après avoir prononcé la première syllabe de Cancale, qu’un passage similaire donne en entier : « Mieulx vous vauldroit estre à Cancalle ! » 154 C’est le nom de la chèvre, qui aimerait se faire boucaner, se faire saillir. « Boucaner, ou bouquaner, faire le bouc. » Godefroy. 155 Je mènerai la danse avec ma flûte (vers 178). 156 Par crainte qu’il ne consomme le mariage devant tout le monde. Les singes ont une réputation de lubricité. 157 Éd : meilleu (Voir le vers 158 du Fol et la Folle.) 158 Je mènerai la danse avec ma flûte champêtre. 159 Avance, tête de mule ! Henriet s’adresse à la chèvre. 160 Couverte par le voile nuptial, elle est blanche en haut et noire en bas, comme une cigogne. 161 On pourrait supprimer ce point en considérant que « déployés » est un participe passé qui se rapporte aux images du vers 191. « Image » était souvent masculin, par exemple au vers 203. 162 Les saints dont nos bateleurs vendent le portrait relèvent de la plus haute fantaisie. On se reportera aux notes de Pierre SERVET, ainsi qu’au Dictionnaire des saints imaginaires et facétieux, de Jacques MERCERON. Rabelais a définitivement rattaché Saint Alipentin à la scatologie : « Le pauvre Lymosin conchioit toutes ses chausses (…), dont dist Pantagruel : “Sainct Alipentin, quelle civette [puanteur] !” » (Pantagruel, 6.) 163 Par une semelle de bois : il reçut des coups de pied au cul qui lui écorchèrent les fesses. « Ung bien vaillant homme/ Qui n’est pas escous [secoué] d’ung patin. » Le Capitaine Mal-en-point. 164 Le Mardi-gras. Tout ce passage a une couleur fortement carnavalesque. 165 Traditionnellement, on jette un seau d’eau pour décoller deux chiens qui s’accouplent sur la voie publique. Ici, on sépare deux hommes dans la même posture. Le Carnaval autorise toutes les inversions. Chevalet évoquera encore la sodomie homosexuelle dans les Tyrans au bordeau (vers 476-9), et la sodomie hétérosexuelle aux vers 456-7 de L’Andureau et L’Andurée. 166 Prends ! On faisait bouillir les faux-monnayeurs, mais pas dans de la merde. 167 « Que j’abatis/ Les chièvres, et que combatis/ Ces marmotes [guenons] de pommes cuytes. » L’Arbalestre. 168 Cette expression revient dans de nombreux textes. Mais ici, Carnaval oblige, nous sommes encore dans la scatologie : « C’est mon cul qui a la toux. » (Chansons des comédiens françois.) On voyait en effet des enseignes représentant un chat qui pète. 169 Vous paierez tout de suite, pour que je ne me fasse pas rouler par vous. Rappelons que Mauloué s’adresse à un roi. 170 En avant, allons ! « Avant, avant, petit naquet ! » (Trote-menu et Mirre-loret.) Les « petits enfants » sont toujours le roi et la reine, comme au vers 118. 171 Pour ce prix-là, vous ne payez même pas le coût de leur fabrication. 172 Ce vers, tel que je le complète, est le vers 565 de la Pippée. 173 Ce n’est pas clair : vont-ils vendre leurs images, ou bien les partitions des chansons ? Les chanteurs des rues vendent la chanson qu’ils viennent d’interpréter : « Il me convient/ De vostre chanson acheter/ Plusieurs coppies. » (L’Aveugle et Saudret.) Au bas de cette planche, sur une estrade, on voit deux chanteurs proposer leurs partitions. 174 Mon langage. 175 Buveurs de vin (vers 254). « Pÿon, yvrongne et sac à vin. » (Le Raporteur.) Les chalands sont les bons compagnons. 176 Bu un coup. « Va me mener à la taverne ;/ Et là, nous burons ung tatin. » (L’Aveugle et Picolin.) Beaucoup de chansons reprochent aux moines de faire la grasse matinée et de ne se lever que pour boire. Par exemple celle-ci : « L’Ordre ne dit mye de lever matin./ Dormir jusqu’à prime et boire bon vin,/ Et chanter matines sur ung pot de vin. » La Résurrection Jénin à Paulme. 177 N’enfoncez pas les portes ouvertes. Ces « huis » béants désignent le sexe des femmes. « Je suis (celui) qui romps les huis ouvers/ Et despucelle les nourrisses. » Sermon joyeux d’un Dépucelleur de nourrices. 178 Sous peine. « Et sur peine d’estre pendu. » Légier d’Argent. 179 Éd : de pucelles (Voir la note 177.) Une nourrice a du lait parce qu’elle a eu un enfant ; malgré quelques précédents illustres, elle a donc peu de chances d’être encore pucelle. « Saint Velu (…)/ Despucella maintes nourrisses. » Sermon de saint Velu. 180 L’affaire. Mais aussi : le coït. « En faisant l’amoureux tripot. » Pernet qui va au vin. 181 Celui qui avalera un fagot. Mais aussi : celui qui dépensera un fagot. Les taverniers facturent aux clients le bois de chauffage (et la chandelle). « Brûler le fagot : aller boire bouteille ensemble au cabaret, & y brûler un fagot pour se chauffer en buvant. » Le Roux. 182 Ici même : qu’il vient de l’improviser. 183 Pour boire du vin. Cf. Te rogamus audi nos, vers 64. 184 Qu’on l’ait emmenée, afin que j’en sois débarrassé. 185 Je la céderais à bas prix, même si cela ne me rapportait qu’un centime.