LES COQUINS
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LES COQUINS
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Les coquins sont des mendiants professionnels qui sont trop paresseux pour travailler. Mais ils dépensent une telle énergie pour mendier qu’ils se fatigueraient moins s’ils exerçaient un métier honnête. Le Miroir des enfants ingrats est une Moralité1 qu’on attribue au musicien Eustorg de Beaulieu (~1495-1552), prêtre catholique, puis pasteur protestant, marié bien qu’homosexuel, divorcé, remarié, et auteur de poèmes érotiques. On lui doit les Plaintes d’un vérollé (qui relatent sa propre expérience), et le Blason du Cul, où le roi Saül tente de sodomiser le jeune David. En bonne logique, ce Blason du Cul précède un tonitruant Blason du Pet & de la Vesse. Amateur de théâtre, Beaulieu constatait : « On n’escoute que les Badins, / Car c’est le meilleur d’une farce. » Fort de ce principe, il confie les 69 premiers vers de sa Moralité à un duo de farceurs, qui n’apparaît nullement dans les sources latines ou françaises de ce conte tiré de la Vie des anciens Pères.
Sources : Le Mirouèr et exemple moralle des enfans ingratz. Bibliothèque Méjanes d’Aix-en-Provence <Vovelle Patrimoine Fonds ancien, Inc. D. 76>. Paris, Jean Saint-Denis, 1525. — Réédition revue et corrigée : Le Mirouèr et exemple moral des enfans ingratz. Bibliothèque nationale de France <Rés. Yf. 1587>. Paris, Alain Lotrian et Denis Janot, entre 1529 et 1545. L’édition lyonnaise de 1589 n’apporte rien de nouveau. Je prends pour base la version « Aix », et j’adopte tacitement la plupart des corrections proposées par « BnF ».
Structure : Rimes abab/bcbc, rimes plates, avec 2 rondels doubles. Beaucoup de vers, sans doute apocryphes, échappent au schéma des rimes.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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Deux clochards philosophent en attendant de trouver un pigeon à plumer.
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LE PREMIER COQUIN, en chantant. SCÈNE I
Entre vous, folastres coquars2,
Meschan[te]s gens d(e) orde3 façon,
Estourdis, coquibus, paillars :
Entendez à nostre leçon !
LE SECOND COQUIN
5 Par Dieu ! j’ay entendu le son
— Se l’armonye n’en est faulce —
D’aucun4 gentilhomme de Beausse
Qui se repaist d’une chançon.
LE PREMIER COQUIN
Comme l’oyseau en ung buysson,
10 Se repaissent les gallopins
De chanter5.
LE SECOND COQUIN
Ainsi temps passon ;
Mais c’est par faulte de lopins6.
LE PREMIER COQUIN
Présent7, povres turelupins
Ont l’entendement fort troublé,
15 Puis que pinars8 et goursfarins9
Ont ainsi enchéry le blé10.
LE SECOND COQUIN
Hé ! tant il en est d(e) assemblé !
J’entens : du blé qui porte croix11.
LE PREMIER COQUIN
Moins de bien12 acquis que d’emblé :
20 Tous larrons13 ne sont pas au bois.
LE SECOND COQUIN
En aurons-nous point, une fois,
Pour prester à usure ?
LE PREMIER COQUIN
Nous ?
Ha ! saint Jehan, [des fois] plus de trois14 !
Mais j’entens que ce seront poux15.
LE S[E]COND COQUIN
25 Pourquoy ne baille Dieu, à tous,
Chacun sa part esgalement ?
LE PREMIER COQUIN
C’est à quoy je pense par coups ;
Mais je m’y romps l’entendement.
LE SECOND COQUIN
Après le jour du Jugement,
30 Que vauldra toute la pécune
Que l’on forge d’or et d’argent ?
LE PREMIER COQUIN
Tout ne vauldra16 pas une prune.
Nous serons delà Pampelune17,
Ou plus loing que Nicomédie18.
LE SECOND COQUIN
35 Je cherche ma bonne fortune ;
Mais aucun ne sçay, ou aucune,
Qui la sache ou qui la me die19.
Pour quoy20, il fault que je mendie,
Et vive par prières haultes.
LE PREMIER COQUIN
40 Corps bieu ! se ne fussent les faultes21,
Ce seroit une seigneurie
Que le train de Bélistrerie22 :
Ung chacun vouldroit caÿmander23.
Demandez-vous plus belle vie
45 Que l’avoir pour la demander24 ?
LE SECOND COQUIN
Gaultier25, si fault-il regarder
S’il y a point quelque gourt coys26,
Là où nous puissons aborder
Pour avoir du pain et des poys.
50 Quant au regart27 d’escus de poix,
Il ne nous en fault point charger.
LE PREMIER COQUIN
Vray(e)ment, il y auroit danger :
Larrons courent, aucunesfois28.
LE SECOND COQUIN
Ne demandons ne deux, ne troiz
55 Pièces d’or.
LE PREMIER COQUIN
Ho ! pour abréger,
Quant au regart d’escus de poix,
Il ne nous en fault point charger.
LE SECOND COQUIN
Advis m’est qu’il y a troys moys
Que je n’euz mon saoul à menger.
LE PREMIER COQUIN
60 Par Dieu ! si fault-il bien songer
D’avoir à bauffrer29, toutesfois.
Quant au regart d’escus de pois,
Il ne nous en fault point charger.
LE SECOND COQUIN
Vray(e)ment, il y auroit danger :
65 Larrons courent, aucunesfois.
LE PREMIER COQUIN
S’il venoit quelque gourt sirois30
De qui nous fussions estrénéz31,
Pour chascun son double tournoys,
Nous en serions bien desjeunéz !
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Les mendiants repèrent un homme riche, mais il ne veut donner son argent qu’à son fils. En effet, la « moralité » que défend cette Moralité paraît un peu immorale : il vaut mieux donner ses biens à des escrocs plutôt qu’à ses propres enfants.
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LE PREMIER COQUIN SCÈNE II
70 Je ne sçay qui nous donnera
À menger, dont je suis marry.
LE SECOND COQUIN
Puis que le pain est enchéry32,
Je ne sçay que faire on pourra.
LE PREMIER COQUIN
Gueux sont au pont33.
LE SECOND COQUIN
Il en mourra34.
75 Bon Temps, en effect, est péry35.
LE PREMIER COQUIN
Je ne sçay qui nous donnera
À menger, dont je suis marry.
LE SECOND COQUIN
Qui le moyen ne trouvera36
De bien jouer à « Sainct-Marry37 »,
80 On ne sçauroit estre nourry.
Plus homme ne s’eslargira38.
Je ne sçay qui nous donnera
À menger, dont je suis marry.
LE PREMIER COQUIN
Puis que le pain est enchéri,
85 Je ne sçay que faire on pourra.
LE SECOND COQUIN
Allons-nous-en, qui m’en croyra,
Veoir ce mangon39, qui des biens tant
Assemble ; et si, n’a q’ung enfant.
Prions-le par façon si bonne
90 Qu’aucun peu40 de ses biens nous donne,
Tant pour Dieu que pour amitié.
LE PREMIER COQUIN
Comme41 luy ferons-nous pitié ?
Advisons quelque floc42 nouveau.
LE SECOND COQUIN
Faignons avoir perdu sus l’eau(e)
95 Le nostre43, par force de guerre.
LE PREMIER COQUIN
Mais povres laboureurs de terre44
Qui, par coup de malle45 fortune
Et feu, plus n’avons chose aucune,
Et n’avons sceu remédïer
100 Qu’il ne nous faille mendïer.
On a voulentiers de telz gens
Pitié, quant ilz sont indigens :
Car celluy n’y a qui ne soit
Subgect à Fortune46.
LE SECOND COQUIN
On le sçait
105 Assez bien par expérience !
S’il est homme de conscience,
À nous voir en si piteux point,
Il ne nous escondira point.
Faisons tant qu’à luy [nous] parlons !
LE PREMIER COQUIN
110 Ne disons point que nous allons
Vers la Basme-à-la-Magdaleine,
Ne devers Sainct-Hubert-d’Ardaine47 :
On le dit trop communément.
LE SECOND COQUIN
Ne baillons point tant seullement
115 Que [ruses ! Vienne à noz convis]48
Qui a tout rifflé, [grain, espis]49,
[En dés, jetons]50 et berlendie[r]s !
LE PREMIER COQUIN
Quant au regard des merca[n]die[r]s51,
Cestuy n’y [enterveroit termes]52.
LE SECOND COQUIN
120 Il nous fault tenir aultres termes53.
Jonchons54 ! Le voicy à sa porte.
LE PREMIER COQUIN
Jonchons fort ! Et soyons si fermes
Que sachons quelle bille55 il porte.
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LE SECOND COQUIN SCÈNE III
Bon crestïen, Dieu vous conforte
125 Si vous estes desconforté,
Et vous tienne en bonne santé !
Confortez-nous, nudz et desprins56 !
LE PREMIER COQUIN
Hélas, nous n’avons pas apprins
À vivre de mendicité.
LE PÈRE
130 Et dont vient ceste povreté ?
Pourquoy n’allez-vous besongner ?
Il me semble, à la vérité,
Que vous estes gens pour gaigner57.
LE PREMIER COQUIN
Monseigneur, ung povre denier
135 Pour Dieu, sans [rien] plus !
LE PÈRE
C’est cela !
Ung denier icy, l’autre là.
Vrayment, s’ainsi les départoye58
À chascun, peu en garderoye
Pour mettre mon filz en bon lieu59.
LE SECOND COQUIN
140 Certes, sire, donner pour Dieu
N(e) apovrist homme.
LE PÈRE
Saint Anthoine !
Si n’essairay-je pas l’essoine60.
J’ayme trop bien mieulx que de quoy
Trouve mon enfant après moy61,
145 Que qu’il dist62 : « Le dyable y ait part !
Mon père a fait trop grant départ63. »
Gaignez ! Chacun de vous est fort.
LE PREMIER COQUIN
Et ! sire, quant vous serez mort,
Qu’esse que vostre bien vauldra ?
LE PÈRE
150 Beaucoup : car mon filz le prendra
Comme [ung] héritier ordinaire,
Qui fera mon service faire64.
Je sçay bien que point n’y fauldra65.
LE SECOND COQUIN
Par Dieu ! la journée viendra
155 Que vous maudirez mille foys
La vie qui vous sourviendra66,
Et le denier ou le tournois
Que vous acquistes une fois
Pour vostre enfant.
LE PÈRE
(Ha, quelz bélistres67 !
160 Tant ilz congnoissent bien les tiltres68
Des saintz qui font venir argent,
Pour attraper la povre gent !
Pas ne suis baud69 de leurs raisons.
Il n’y a maistre ne régent
165 Qui sceust fournir à leurs blasons70.)
LE PREMIER COQUIN
Tout est ars71, granges et maisons :
Il ne nous est rien demouré.
LE PÈRE
Je n’en puis mais. J’espargneray,
Pour mon enfant mettre en hault lieu.
170 Qui vouldroit tout donner pour Dieu,
Il ne trouveroit de quoy frire72.
LE SECOND COQUIN
Sire, j(e) ouÿs une foys dire73
D’un homme qui vous ressembloit,
Et pour son enfant assembloit
175 Biens mondains delà et deçà.
En fin, son enfant le laissa
Mourir de fain sus ung fumier.
Advenir peult comme piéçà74 :
Vous ne serez pas le premier.
LE PÈRE
180 (Mon Dieu ! quel vaillant coustumier75
Voicy, pour prescher paraboles
Plus fermement, en ung monstier76,
Qu(e) Évangiles ou Épistoles77 !)
Va, va, mon amy ! Tes parolles
185 Me fâchent. Pour conclusion,
Quérez ailleurs provision !
Car jà, de chose que vous baille,
Mon filz n’apovrira de maille78.
Se j’ay de quoy, il me duyt bien79 ;
190 Pas n’est à celle coquinaille
Que je doy départir le mien80.
LE PREMIER COQUIN
Or eschéquons81, nous n’aurons rien.
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Pleust à la Saincte Trinité SCÈNE IV
Que le veisse en mendicité
195 Et que son enfant n’en tînt compte !
Jamais on ne dist tant de honte82
À homme que luy en diroye.
LE SECOND COQUIN
Je croy que son filz sera conte
(S’il peult), ou baillif, ou viconte83,
200 Par force d’or ou de monnoye.
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Deux jours après, les mendiants reviennent à la charge avec d’autres arguments. Sous le coup de la colère, ils laissent échapper beaucoup plus d’argot.
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LE PREMIER COQUIN SCÈNE V
Que dis-tu de ce pinart-là84,
Qui tant, pour son filz, est eschars85,
Que des biens du monde qu’il a
Ne veult point conforter ces fars86 ?
LE SECOND COQUIN
205 Il ne fault point estre couars :
Retournons à luy hardiment !
Quelques harpelus87 ou lÿars
En aurons par beau preschement.
LE PREMIER COQUIN
Pour babiller piteusement88
210 Et joncher beau89, c’est mon mestier !
LE SECOND COQUIN
Et moy, mentir plus fermement
Q’un pardonneur en ung monstier90,
Car c’est le train.
LE PREMIER COQUIN
Amen, Gaultier !
Chascun doit estre résolu.
215 Si ne peusmes-nous, devant-hyer,
De luy, greffir ung harpelu91.
LE SECOND COQUIN
Si eussions bien[s]92, s’il eust voulu.
Mais s(e) ung pinot avoit donné93,
Il cuideroit l’avoir tolu94
220 À son filz, tant est obstiné !
LE PREMIER COQUIN
Brief, si suis-je déterminé
De luy faire encor ung assault ;
Car s’il povoit estre affiné95,
Ce seroit vray tour de marault96.
LE SECOND COQUIN
225 Entre nous deux, aviser fault
Quelque floc de nouvalité97
Pour tirer de luy froit ou chault98 :
Ce ne sera qu’abilité99.
LE PREMIER COQUIN
Desguisons-nous !
LE SECOND COQUIN
C’est bien chanté100.
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230 Nous sommes assez desguiséz :
Pour les habitz de Povreté,
Nul n’en vit101 de mieulx débriséz.
Quant Dieu les auroit deviséz102,
À grant-peine trouveroit-on
235 Habitz plus meschans et briséz103
Que ceulx que maintenant porton.
LE PREMIER COQUIN
Où est qui sus mon hoqueton
Presteroit cent escus de poix104 ?
LE SECOND COQUIN
Mais plustost cent coups de baston !
240 Il ne vault maille ne tournois105.
LE PREMIER COQUIN
Si fault-il encore une fois
Veoir s’il sera point pitéable106 ;
Des heures sont, aucunesfois,
Q’un riche est plus chiche q’un dyable.
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LE SECOND COQUIN SCÈNE VI
245 Homme de bien, doulx, amÿable107 :
J’ay ouÿ dire à plus de mille
Qu(e) estes l’homme plus108 charitable
Qu’on sache par champs ne par ville.
Las ! nous n’avons ne croix ne pille109
250 Pour vivre, ne plus froit que l’astre110.
LE PÈRE
Escoutez comment il babille
Pour en avoir !
LA MÈRE
Han ! quel follastre !
Il en abatroit plus que quatre,
Qui le croyroit111.
LE PÈRE
Voire que dix !
255 Il feroit rage d’en abatre,
Mais que les gens crussent ses ditz112.
LE PREMIER COQUIN
Au nom de Dieu de Paradis,
Qui tant de maulx pour nous souffrit,
Qui113 par grant charité offrit
260 En une croix son digne corps :
Aydez à nous retirer hors
De povreté !
LE PÈRE
C’est bien presché !
Vrayment, je tiendroye à péché
D(e) aller distribuer114 mon bien
265 À telz gens qui ne vallent rien.
LA MÈRE
Que ne labourez-vous ès champs,
Et trouvez de vivre moyen
Sans vous tenir ainsi meschans115 ?
Pensez-vous que riches marchans
270 Vous tendent le pain en la main ?
LE PREMIER COQUIN
Hélas, Madame : femmes et enfans,
En noz maisons, meurent de fain116.
Or avez-vous des biens tout plain,
Lesquelz Dieu vous vueille sauver !
275 Donnez-nous, pour avoir du pain :
Cela ne vous sçauroit grever117.
LE PÈRE
Ne cuidez pas si beau baver
Que, de moy, denier puissiez traire118 !
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Le père marie son fils à la fille d’un noble. Au cours des agapes fut jouée une farce de noces119, qui n’a malheureusement pas été conservée. La farce conclusive est également perdue. Car un spectacle théâtral comprenait un lever de rideau — sottie ou monologue comique —, une moralité, puis une farce qu’on annonçait à la fin de la moralité, comme en témoigne le dernier vers de la Bouteille : « Atendez, vous aurez la Farce.120 » Aussi, la version BnF de notre moralité ajoute ce quatrain final : « Homme ne se tire à l’escart [que nul ne s’en aille], / Mais garde bien chascun sa place ! / Car pour le département gaillard [pour se quitter de bonne humeur], / J’entens que vous aurez la Farce. »
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LE CURÉ SCÈNE VII
Nous aurons quelque esbatement,
280 Ce croy-je.
LE PREMIER VOYSIN
Quelque farcerie.
LE SECOND VOISIN
Feste ne vault rien autrement,
S’il n’y a farce ou mommerie121.
Icy jouent une farce. Et puis, la
farce jouée, le seigneur parle.
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Les mendiants, selon la coutume, ont reçu les restes du banquet de noces. Ils s’en lèchent encore les babines le lendemain.
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LE PREMIER COQUIN, en chantant. SCÈNE VIII
Au joly bosquet 122
Croist la vïolette.
LE SECOND COQUIN, [en chantant.]
285 C’est bien dit, Jaquet !
Ton cueur se goguette123.
LE PREMIER COQUIN
Je me resjouy de la feste
Qui fut hier faicte.
LE SECOND COQUIN
Pour le moins,
Ung lopin m’est cheu entre les mains124,
290 Qui estoit de bon appétit :
Ce fut de la tarte ung petit125,
Que j’euz tout soudain avallée.
LE PREMIER COQUIN
Comment rosty, tarte, gellée
Venoit en estat triumphant,
295 Pour la feste de cest enfant !
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Les dernières nouvelles sont bonnes : le riche avare, qui a tout donné à son fils ingrat, est enfin ruiné. L’heure de la revanche approche ; aussi, nos mendiants astiquent leur plus bel argot.
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LE PREMIER COQUIN SCÈNE IX
Et puis, gaultier : qui se rescaille126 ?
Qui bruyt127, à présent ?
LE SECOND COQUIN
Je me marmouse128,
Car (pardieu) dedans ma fouillouse129
Il n’y a harpelu ne maille130.
LE PREMIER COQUIN
300 Qui pire est, le monde se raille,
Présent, des povres souffreteux131 :
On les appelle « coquinaille132 ».
LE SECOND COQUIN
Il fault que desrisïon saille133
Tousjours sur les calamiteux.
LE PREMIER COQUIN
305 Mais ce gros pinart maupiteux134,
Qui jamais ne fist aucun bien,
Qui est maintenant marmiteux135 :
Dont vient cela ?
LE SECOND COQUIN
Je n’en sçay rien.
Peult-estre qu’il n’a plus du sien
310 Comme il souloit136 le temps passé.
Puis il est vieil et ancïen.
LE PREMIER COQUIN
Par le corps bieu, c’est bien pensé !
Ou que son filz l’a délaissé
De tous poins, et n’en tient plus compte,
315 Après qu’il l’a eu avançay137.
LE SECOND COQUIN
S’il est ainsi et je le sçay138,
Je luy en diray plus de honte
Que l’eaue de la grant mer ne monte :
Trop desprisoit mendicité.
LE PREMIER COQUIN
320 Aussi vray que je [le] raconte,
Il cherra en nécessité139.
LE SECOND COQUIN
Plust à Dieu que ma voulenté
Fist140 son filz ! Plustost le verroit
Mourir141 qu’il ne luy donneroit
325 Ung morceau de pain seulement.
Et si, feroit vray jugement,
Car jamais ne le vis en lieu
Qu’il voulsist142 rien donner pour Dieu.
Mais se jamais vient à ung huis
330 Pour en demander et g’y suis143,
Lourdement je l’en chasseray !
LE PREMIER COQUIN
Aussi feray-je, se je puis.
Et son filz luy reprocheray.
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La situation de l’ancien riche s’aggrave, pour le plus grand bonheur des mendiants.
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LE PREMIER COQUIN SCÈNE X
Vélà le mastin144 qui se plaint
335 À sa femme — j’ay entendu —
Que tout son grant feu est destaint145,
Et est tout le sien despendu146.
LE SECOND COQUIN
Ha, que le vélà esperdu !
Tousjours avoye en fantasie147
340 De le voir une fois rendu
À l’Ordre de Bélistrerie148,
[Ainsi qu’une povre personne.]149
LE PREMIER COQUIN
Il s’en va demander l’aumosne
À son filz.
LE SECOND COQUIN
S’il luy dit : « Adieu,
345 Mon amy, vuidez de ce lieu ! »,
Ce sera une dyablerie.
LE PREMIER COQUIN
Et puis Dieu sçait la mocquerie
Qui en trotera par les champs,
Entre bélistres et meschans150,
350 Par emprès151 entre seigneurie !
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Avec une délectation proche du sadisme, les mendiants interceptent le père et la mère à l’heure où, vêtus de loques, ils vont quémander auprès de leur fils ingrat.
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LE PREMIER COQUIN SCÈNE XI
Quoy ! vous estes tout deschiré.
Vostre filz vous congnoist-il point ?
Plus n’avez robe ne pourpoint
Qui vaille : où est tout demouré ?
LE SECOND COQUIN
355 Quant serez-vous bien réparé ?
Dictes, hay, maistre [A]lipentin152 :
Vous a vostre filz honnoré,
Et en sa maison retiré153 ?
LE PREMIER COQUIN
Ouy dea : [feu] soufflez bien matin154.
LE PÈRE
360 Ha ! le chien, [l’]infâme mastin !
Père et mère ne recongnoist.
LE PREMIER COQUIN
Allez, ord infâme coquin !
Maintenant, dessus vostre fin155,
De povreté sçaurez que c’est.
LE SECOND COQUIN
365 Se vostre filz vous descongnoist,
Maintenant, il vient bien à lieu156 :
Car jamais les povres de Dieu
N(e) aymastes ; il Luy en desplaist.
LE PREMIER COQUIN
Jamais n’eustes ung denier prest157
370 Pour faire œuvre de charité.
LE SECOND COQUIN
À ceulx qui sçavent le Donnest 158,
Fault qu’il monstre sa povreté.
LE PREMIER COQUIN
Et ! paillart, vous avez esté
Tant riche, et acquis des biens tant :
375 Où sont-ilz ?
LE PÈRE
Las ! j’ay tout bouté
À avantager mon enfant.
LE SECOND COQUIN
Or, allez sçavoir, maintenant,
S’il a de quoy bien vous pourvoir !
LA MÈRE
Comment ? Seulement de nous veoir
380 Il est honteux et desplaisant.
LE PREMIER COQUIN
C’est la raison, puis qu’il est grant159
Et qu’il a des biens largement.
Dire estre filz d’ung caÿmant160 ?!
Père et mère ne servent rien.
385 Ce seroit honte, voyrement.
LA MÈRE
Présent161 nous a fait seulement
De162 pain bis. Bien mauldire dois
L’heure de nostre engendrement163,
Enfantement, nourrissement,
390 Et que le conceuz une fois164 !
LE SECOND COQUIN
Il a le vostre165, touteffois :
Allez dire qu’il vous soustienne !
LE PREMIER COQUIN
C’est droit (par monsieur166 sainct Françoys)
Que malle167 povreté vous tienne.
LE SECOND COQUIN
395 À ceste heure-cy, vous souvienne
Que jamais vous ne tîntes compte
Des povres ; mais injures et honte
[Vous] leur disiez, et qu’ilz perdoient
Leurs peines quant vers vous alloient.
400 Car jamais n’en eurent denier,
Quelque beau prier qu’ilz vous ayent168.
LE PÈRE
Hélas, c’estoit pour espargner
Pour cest infâme pautonnier169
Qui me descongnoist et regnie,
405 Maintenant, à mon temps dernier170.
Se Dieu est juge droicturier171,
Point ne croy qu’Il ne le mauldie172 !
LE PREMIER COQUIN
Allez, plain de villenie,
Bélistre en bélistrerie,
410 D’huys en autre173 mendïer
Et demander vostre vie174 !
On ne peult, par mocquerie,
Trop fort vous injurïer.
Car, pour Dieu ou pour prier
415 Qu’on vous sceust approprier175,
Onc n’eustes la courtoisie
D(e) ung povre [homme] conseillier176,
Pour tout bouter [sans cillier]177
À celluy [filz] qui vous nie178.
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LE SECOND COQUIN SCÈNE XII
420 C’est ma prophécie,
Dont Dieu je mercie
Que point ne mentoye179.
Car, par sa folie,
Convient qu’il mendie
425 Comme je disoye.
*
Le père prodigue est contraint de vendre ses frusques aux deux mendiants, qui sont désormais plus riches que lui. Mais dans les Moralités, bien mal acquis ne profite jamais.
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LE PÈRE SCÈNE XIII
Or n’ay-je ne denier ne maille,
Ne chose du monde qui vaille,
Fors que ce vestement maleureux.
Encore me le vault-il mieulx
430 Vendre à aucun, ou engaiger180,
Que la laisser181 en ce dangier
De mourir de fain.
LE PREMIER COQUIN
Que dis-tu,
Meschant coquin, asne vestu182 ?
Par droit on te deveroit pendre !
435 As-tu argent ?
LE PÈRE
Pas ung festu.
Et si, [je] n’en sçauroye où prendre183.
LE SECOND COQUIN
Vien çà, paillart ! Me veulx-tu vendre
Ta robe ? Je l’achetteray.
LE PREMIER COQUIN
Non feras ! Mais je changeray
440 La mienne à luy, qui ne vault rien184,
Et argent luy retourneray.
LE PÈRE
Il me fauldroit sçavoir combien.
LE PREMIER COQUIN
Vingt solz tournoys elle vault bien.
Et se tu veulx que marché tienne,
445 Despouille-toy et prens la mienne :
C’est droictement ce qu’il te fault
Pour estre vestu en marault.
Point plus je ne t’en donneray.
LE SECOND COQUIN
Escoute, Gautier, bien mieulx vault ;
450 Mais c’est tout ung : g’y partiray185.
LE PÈRE
Çà ! de par Dieu, je le feray.186
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Dieu m’envoye ce qu’il luy plaira ! SCÈNE XIV
Mais tant de foys je mauldiray
Le paillart qu’il luy mescherra187.
455 Hé, Jésus ! Qu’esse que dira
Le monde de ma congnoissance188,
Maintenant, quant il me verra
En ceste grièfve doléance189 ?
Au fort, je fais la pénitance
460 Du grant péché que j’ay commis
Par orgueil et oultrecuidance
Pour mettre mon filz à plaisance.
Je n’ay plus, au monde, d’amys.
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LE SECOND COQUIN SCÈNE XV
Viens çà ! Ne m’as-tu pas promis
465 Qu’à ceste robe auray ma part,
Rabbatus ce que tu as mis190 ?
LE PREMIER COQUIN
Ta fièvre quartaine, paillart !
Par la chair bieu, pas ung hallart191 !
C’est à moy ! Je la retiendray,
470 Et à ung fripier la vendray
Pour y gaigner ung franc [ou deux192].
LE SECOND COQUIN
Comment ! Veulx-tu faire du gueux ?
S(e) une foys j’ay la teste enflée193,
Garde-toy de moy, se tu veux !
475 Car je maintiendray par les dieux194,
Devant tous, que tu l’as besflée195 !
LE PREMIER COQUIN
Va, va, yvrongne, à ta siflée
Des pipeurs196, car c’est ton droit lieu197 !
LE SECOND COQUIN 198
Et, çà ! Que bon gré en ait Dieu !
480 Fault-il tant de foys caqueter ?
LE PREMIER COQUIN
Au larron, qui me veult oster
Ma robe !!
LE SECOND COQUIN
Je renye sainct Gris199 !
G’y auray ma part, pour le pris,
Ou je t(e) assommeray de coups !
LE PREMIER COQUIN
485 Prens-la, et me baille vingt soulz :
C’est l’argent que j’en ay donné.
LE SECOND COQUIN
Et puis200 ? C’est ung bien entre nous,
Que Dieu nous avoit amené.
*
1 À la fin de la version BnF, le colophon de l’éditeur l’intitule : Mistère du crapault. 2 Sots. Chanson inconnue : voir H. M. Brown, nº 100. 3 Sale. Idem vers 362. 4 De quelque. La misère des nobles beaucerons était proverbiale ; voir la note 99 de Maistre Mymin qui va à la guerre. Celui-ci se nourrit de chansons, alors que pour Rabelais, « les gentilzhommes de Beauce desjeunent de bâiller ». Gargantua, 16. 5 Les jeunes coursiers, faute de mieux, se nourrissent de notes. « Entre nous, petis gallopins,/ Aurons-nous point quelques loppins [morceaux à manger] ? » ATILF. 6 Par manque de bons morceaux à manger. Idem vers 289. 7 À présent ; idem vers 301. « Turlupin : un fainéant, un homme de rien. » (Le Roux.) Jeu de mots sur « tire-lopin », pique-assiette : « Hume-brouet meine à la dance/ Le maistre des tirelopins. » Geu saint Denis. 8 Depuis que les scélérats. Même terme argotique aux vers 201 et 305. « Tel semble estre bonne personne/ Qui est un très mauvais pinard. » Les Povres deables. 9 En argot, un gourfarin est un amateur de bonne chère. Gourd pharynx = grand gosier. « Bons compaignons, rustres et gourfarins. » A. de la Vigne. 10 Ont rendu le blé plus cher. Idem vers 72. 11 Je veux dire : de l’argent*. La croix est le côté face d’une monnaie, comme au vers 249. En argot moderne, le « blé » symbolise toujours l’argent. *Ou plus exactement, de l’or, qui a la couleur du blé doré. Dans l’argot de l’époque, les grains désignent des écus d’or. 12 BnF : biens — Aix : ble (Il y a moins d’argent honnêtement acquis que d’argent volé.) 13 Tous les voleurs. Les « brigands des bois » détroussent les voyageurs dans la forêt. On remarquera l’humour de nos deux voleurs, ici et aux vers 53 et 481. 14 Plutôt deux fois qu’une ! C’est une réponse au vers 21. « Et pour mieux passer le temps,/ En ce voyage/ Boiront des foys plus de trois. » Noëls lavallois. 15 Nos grains de blé ne seront pas autre chose que des poux. 16 Éd : vault (Tout cet argent ne vaudra plus rien.) 17 Au-delà de la patrie des mal nourris, qui mangent le clair de lune faute de mieux. « –Et d’où est-il ? –De Panpelune :/ Le pouvez veoir à ses abitz. » Baudet, Blondète et Mal-enpoint. 18 Jeu de mots sur « comédie ». Les argotiers jouent beaucoup sur les toponymes : Aller à Niort (nier), à Bordeaux (au bordel), à Reims (aux reins d’une femme), à Angoulême (engouler = manger), à Saint-Trottin (trotter en ville), etc. 19 Je ne connais personne qui sache où elle est, ou qui me l’indique. 20 Pour cette raison. 21 S’il n’y avait pas des manques : le manque d’argent, ou de nourriture. 22 Que le métier de la mendicité. Idem vers 341 et 409. « Au monde, n’a plus belle vie/ Que le train de Bélîtrerie. » Hystoire de la vie du glorieulx sainct Martin. 23 Forme argotique de « quémander ». Voir le vers 383. « Gens vagabonds et oyseux [oisifs] : qu’ilz les facent labourer [travailler], et ne les souffrent point caÿmander. » Ordonnance contre les caÿmans et bélistres. 24 Que de gagner sa vie en la demandant. « Car ceste manière de quester est plus utile, pour avoir sa vie, que aultrement. » La Nef des Folz du monde. 25 Compagnon. Idem vers 213, 296 et 449. « Je veulx rebigner [surveiller] le gaultier/ Et, par signes, l’admonnester/ De mignonnement se traicter [se tenir]. » (Mirouèr des enfans ingratz.) Mais il semble bien que nos coquins s’appellent tous deux Gautier, ce nom étant fort répandu chez les voyous : voir Gautier et Martin. 26 Une riche maison. Mots d’argot. « Ung gier coys de la vergne Cygault [de la ville de Paris]. » Villon, Ballades en jargon, 9. 27 En ce qui concerne ; idem vers 118. Les écus de poids ont le poids réglementaire ; idem vers 238. 28 Les voleurs sont souvent en libertés. Voir la note 13. 29 De quoi bâfrer <argot>. Cf. les Bélistres, vers 312. 30 Quelque riche dupe. Mots d’argot. « Embuschons-nous soubz la feuillée/ Pour attendre quelque syrois. » Les Tyrans au bordeau. 31 Étrenner un commerçant, c’est lui procurer son premier paiement de la journée. 32 Maintenant que le pain est devenu trop cher. 33 « Estre au pont aux asnes : estre confus, estre renversé, ne sçavoir que dire, en demeurer là. » Antoine Oudin. 34 De nombreux gueux mourront. 35 La mort de Bon Temps est le sujet de plusieurs sotties. 36 Si nous ne trouvons pas le moyen. 37 « ‟Jehan Aymes, qui avoit joué aux marelles à six tables, appelé le jeu Saint-Marry.” C’est un jeu de mots qui rappelle la confusion du joueur dupé et ‟marri”. » Lazare SAINÉAN, les Sources de l’argot ancien, t. I, p. 86. Malheureusement, Sainéan n’avait pas lu le Mirouèr des enfans ingratz. 38 Plus aucun homme ne sera large, généreux. 39 Cet accapareur. « Les riches et ces gros mangons, et ces gouffres [goinfres] qui ne demandent qu’à tout ravir. » Godefroy. 40 Qu’un peu. 41 Comment. Les deux filous vont imaginer des histoires émouvantes pour apitoyer leur victime. 42 Une tromperie. Même mot d’argot à 226. 43 Notre argent. Les marchands au long cours pouvaient tout perdre si leur bateau était coulé par la flotte anglaise. 44 Faisons-nous plutôt passer pour des fermiers. 45 Mauvaise. Idem vers 394. Les mendiants qui font croire qu’ils ont tout perdu dans un incendie constituent une catégorie à part entière, qu’on nomme en argot les « riffaudés ». 46 Car il n’y a personne qui ne soit sujet aux revers de Fortune. 47 La grotte de la Sainte-Baume (qui passe pour avoir hébergé Marie Madeleine), et l’abbaye de Saint-Hubert-en-Ardenne. Ces deux pèlerinages drainaient de bons chrétiens, auxquels les autochtones faisaient la charité, mais aussi des « coquillards » qui abusaient de la naïveté ambiante. 48 Aix : de rusfes cheu en nos conais — BnF : russes cheu a noz conais (Qu’il vienne à notre invitation.) Ce quatrain argotique a dérouté les éditeurs, et sans doute les copistes qui les ont précédés. Je ne garantis pas mes corrections. 49 Aix : grenoys — BnF : grenois (Celui qui a tout bouffé, aussi bien le grain que les épis. Gautier et Martin propose une formule similaire : « Il n’y a plus denier ne maille ;/ Tout est riflé, jusqu’à la paille. ») 50 Aix : Andres petons — BnF : Andres yetons (Les brelandiers tiennent des cabarets où l’on joue au brelan, c.-à-d. aux dés. « Berlandiers, taverniers, cabaretiers, basteleurs & autre personne faisans exercice de jeux dissolus. » Ordonnance royale.) Je traduis ces 4 vers ainsi : « Ne nous en tenons pas aux ruses. Que suive notre combine celui qui a tout perdu au jeu ! » 51 Les marcandiers accusent un innocent d’avoir volé leur marchandise, puis l’obligent à rembourser le prétendu vol. « Marcandiers : classe de gueux, prétendus marchands qui se disaient avoir été volés. » L. Sainéan, II, 391. 52 Éd : enteneroit harmes (Ce bourgeois n’y « entraverait » pas un mot, n’y comprendrait rien. « Il le leut, mais n’entervoit que floutière [que dalle]. » Le Jargon de l’argot réformé.) 53 Il nous faut parler autrement qu’en argot. 54 Trompons ! Même verbe argotique aux vers 122 et 210. Cf. Gournay et Micet, vers 216 et 480. 55 Éd : bielle (En argot, la bille est une monnaie en billon. « De la monnoye, c’est de la bille. » Guillaume Bouchet.) Les mendiants abordent le riche. 56 Nous qui sommes nus, et dépris de tous biens. 57 Que vous êtes capables de gagner votre vie. Idem vers 147. 58 Si je les répartissais ainsi. Idem vers 191. 59 Dans une bonne situation. Idem vers 169. 60 Je ne prendrai pas ce risque. 61 J’aime mieux que mon enfant trouve de quoi vivre après ma mort. 62 Plutôt qu’il dise. 63 Partage de ses richesses. 64 Qui paiera pour faire dire des messes après ma mort. 65 Qu’il n’y manquera pas. 66 Éd : soustiendra (Qui surviendra, qui vous adviendra. « Ce qui sourviendra de par delà. » Louis XI.) 67 Mendiants. Idem 349 et 409. 68 Les noms. 69 Éd : beau (Je ne suis pas avide. « Ribauds/ Qui de tout prendre sont si bauds. » Godefroy.) 70 Il n’y a aucun débatteur qui puisse répondre à leurs discours. 71 Tout ce que je possédais a brûlé. Le 1er Coquin expérimente l’histoire qu’il a imaginée aux vers 96-98. 72 Il n’aurait plus rien à mettre dans sa poêle. 73 Raconter une anecdote. 74 Il peut vous en advenir comme cette fois-là. 75 Ce légiste n’a rien à faire là ; il faudrait un homme d’Église, par exemple un aumônier, ce qui enrichirait le vers suivant d’un calembour : prêcher par oboles. 76 Dans un moutier, un monastère. Idem vers 212. 77 Ou les Épîtres de saint Paul. 78 Pour ce que je vous donnerai, mon fils ne s’appauvrira pas d’un centime. 79 Si j’ai de l’argent, cela me convient bien. 80 Ce n’est pas à cette canaille que je dois partager mon bien. 81 Partons <argot>. Cf. les Tyrans au bordeau, vers 61. Les coquins s’en vont. 82 On n’aura jamais dit tant d’injures. Idem vers 317 et 397. 83 Comte, baillis ou vicomte. 84 De ce scélérat <note 8>. 85 Avare. 86 Ces farceurs, ces bons vivants que nous sommes. Argot. « Dorelotz et fars/ Qui par usaige, à la vergne [ville] jolye,/ Abrouèrent au flot de toutes pars/ Pour maintenir la joyeuse folye. » Villon, Jargon, 11. 87 Quelques liards : des piécettes. Même terme argotique aux vers 216 et 299. « Un liard : un herpelu. » G. Bouchet. 88 Pour ce qui est de me plaindre pitoyablement. 89 D’user d’une belle tromperie. « Par une fainte,/ Par ung beau joncher évident. » Gournay et Micet. 90 Qu’un marchant de pardons dans un monastère. Voir la farce du Pardonneur. 91 Nous n’avons pu, avant-hier, empoigner un liard de lui. Mots d’argot. 92 Nous aurions des biens. 93 S’il nous avait donné un denier <argot>. 94 Enlevé. Verbe tolir. 95 Trompé. « Affiner/ Et abuser les bonnes gens. » Le Pardonneur. 96 De maraudeur. Idem vers 447. Voir les Maraux enchesnéz. 97 Une tromperie nouvelle. Cf. le vers 93. 98 Ceci ou cela. 99 Ce n’est qu’une question d’habileté. « Ce n’a esté qu’abilité/ À vous. » Mirouèr des enfans ingratz. 100 C’est bien dit. Les deux clochards tirent de leur balluchon des nippes encore plus miteuses que celles qu’ils portent, et ils s’en accoutrent. Voir la note 94 du Pasté et la tarte, une farce où « deux coquins » se déguisent pour retourner voir leur victime sans être reconnus. 101 Éd : voit (Débrisés = déchiquetés.) 102 Même si c’était Dieu qui les avait divisés, décousus. 103 Plus misérables et lacérés. 104 Où est le fou qui me prêterait 100 écus de poids sur le gage de mon corset ? 105 Ton corset ne vaut ni un centime, ni un denier tournois. 106 Si ce père aura pitié de nous. Cf. L’Andureau et L’Andurée, vers 249. Les deux mendiants retournent frapper à la porte du riche. 107 Aimable. « Il est tant doulx et amÿable ! » Sœur Fessue. 108 Le plus. 109 Ni le côté face, ni le côté pile d’une monnaie. 110 Et nous n’avons rien de plus froid que l’âtre de notre cheminée. 111 Si on le croyait, il raflerait plus de pain que quatre hommes. « Et abatre pain à deux mains. » Villon. 112 Pour peu que les gens croient ses paroles. 113 Éd : Que 114 Éd : diminuer (« Ses biens distribuer. » ATILF.) 115 Misérables. Idem vers 2, 235, 349 et 433. 116 Assertion destinée à émouvoir une mère. Si nos gueux avaient une maison, une épouse et des enfants, nous le saurions. 117 Cela ne peut pas vous ruiner. 118 Ne croyez pas plaider si bien que vous puissiez tirer de moi un seul denier. 119 Sur ces gaudrioles où toutes les obscénités sont permises, voir la notice de la Présentation des joyaux. La farce de noces du Mirouèr des enfans ingratz fut jouée par notre duo de coquins : tous les personnages ont déjà un rôle dans la scène du banquet, sauf eux ; or ils sont présents, puisqu’on leur distribue les reliefs du festin. 120 Une farce pouvait également succéder à une autre ; à la fin des Hommes qui font saller leurs femmes, on avertit les spectateurs : « Il y a encore la Farce de Pied-à-boulle. » 121 Ou un spectacle au cours duquel on danse la morisque. « Farces, mommeries et sotteries [sotties]. » Brantôme. 122 Sur la faveur théâtrale dont a joui cette chanson érotique, voir la note 106 de Te rogamus audi nos. 123 Exulte. Le 2e Coquin brode sur la suite de la chanson : « Je vis hier Jacquet/ Dire à Michelette. » 124 Un bon morceau a chu entre mes mains. « Pense-tu qu’on te puist bailler/ Tousjours des chappons entre mains ? » Le Capitaine Mal-en-point. 125 Un peu de tarte. 126 Qui fait peau neuve, comme un serpent qui mue. 127 Qui est en vogue ? « –Qui bruit ? –Qui ? Moy ! » Les Sotz qui corrigent le Magnificat. 128 Je grogne. « Que ravissans loups/ M’estranglent se plus je marmouse ! » Le Retraict. 129 Dans ma bourse <argot>. « Nous luy ramplirons sa foulliouse. » Les Deux pouvres. 130 Ni un liard, ni un centime. Note 87. 131 À présent, des pauvres nécessiteux. Effectivement, il y eut une farce du Povre souffreteux, nommée dans les Vigilles Triboullet. 132 Le père a commis cette raillerie au vers 190. 133 Éd : voise (Il faut toujours que la dérision saute sur les infortunés.) 134 Ce scélérat sans pitié. 135 Pauvre. « Et le povre, et le marmiteux. » L’Aveugle et Saudret. 136 Plus autant d’argent qu’il en avait l’habitude. 137 Après que le père a contribué à l’avancement de son fils. 138 Et si je le sais. 139 Il tombera dans la misère. Verbe choir. 140 Éd : Eust (Plût à Dieu que le fils du riche fasse selon ma volonté !) 141 Il préférerait alors voir mourir son père. 142 Jamais je ne vis son père en état de vouloir… 143 Si son père vient à une porte pour demander du pain, et si j’y suis déjà. 144 Voilà ce mâtin, ce chien. Idem vers 360. 145 Éteint. « Je destains le feu. » Mallepaye et Bâillevant. 146 Et que tout son argent est dépensé. 147 J’avais toujours à l’idée. 148 Sur cet ancêtre de la Cour des miracles, voir la note 99 des Tyrans au bordeau. 149 Vers manquant. « Par charité et par aulmosne,/ Affin que la pouvre personne/ Y puisse recouvrer santé. » Les Miraculés. 150 Parmi les mendiants et les miséreux. 151 Éd : expres (Et plus tard parmi la noblesse. « Et par emprès, l’amenèrent en une aultre taverne. » Lettre de rémission.) Par son mariage, le fils de l’ancien riche fréquente désormais l’aristocratie. 152 Le très rabelaisien saint Alipantin reçut un coup de pied au cul le jour du Mardi gras : cf. les Basteleurs, vers 196 et note. Maître Alipentin paraît être un croisement entre ce vénérable saint Alipentin et le faux savant maître Aliboron. En tout cas, il n’a aucun rapport avec le roi Alipantin, un ennemi du roi Arthur. 153 Accordé une retraite, logé. 154 Vous allumez le feu de bonne heure, comme les riches qui peuvent se payer du bois. « Souffler le feu : pour dire ‟souffler sur le feu pour l’allumer”. » (Dict. de l’Académie françoise.) Cette plaisanterie est cruelle : d’après le vers 336, le couple n’a plus de bois pour se chauffer. 155 Alors que vous allez sur votre fin. 156 Cela tombe bien. « Tout vient à lieu, qui peult atendre. » Proverbe. 157 Contrepèterie, sans doute involontaire : Un dernier pet. 158 Traité de grammaire latine de Donatus : « Où avez-vous mis mon Donnest ? » (D’un qui se fait examiner.) Jeu de mots traditionnel sur « donner » : « Le Donat est pour eulx trop rude. » Villon. 159 Maintenant que c’est un grand personnage. 160 D’un quémandeur, d’un mendiant. Argot. Cf. le Mince de quaire, vers 252 et note. 161 Éd : Presenter (Il nous a seulement fait cadeau de pain noir, en disant à un domestique : « Varlet, donne-leur du pain bis ! ») 162 Éd : Du 163 De notre accouplement. 164 Et l’heure où je l’ai conçu. 165 Votre argent. 166 Aix : mõseigñr — BnF : monseigñr (« Monsieur sainct Françoys ! Que peult-ce estre ?…./ Les brayes de monsieur sainct François. » Frère Guillebert.) 167 La mauvaise. Idem vers 97. 168 Aussi fort qu’ils vous aient prié. 169 Vaurien. 170 À ma dernière heure. 171 Juste. 172 Les 2 négations s’annulent : Je crois qu’il le maudira. 173 D’une porte à l’autre. 174 Votre subsistance. 175 Qu’on puisse vous rendre favorable à nos demandes. 176 Consoler. « Consoillier les déshéritéz. » Godefroy. 177 Éd : en cellier (Sans sourciller, sans hésiter. « On lui doibt dire sans cillier :/ Passe delà ! » ATILF.) 178 Qui vous renie. Les parents du fils ingrat s’en vont. 179 Qu’il ne m’ait pas fait mentir : qu’il ait réalisé ma prophétie. 180 Ou le mettre en gage contre de l’argent. 181 Que de laisser ma femme. 182 Âne habillé en homme. Comme au vers 362, les Coquins traitent de « coquin » l’ancien riche. 183 Et même, je ne saurais où en prendre. 184 La mienne, qui ne vaut rien, contre la sienne, qui est encore luxueuse. 185 Je participerai à l’achat. 186 Le père prodigue échange sa robe contre celle du 1er coquin, puis il s’éloigne en maudissant son fils. 187 Qu’il lui arrivera malheur. Verbe méchoir. 188 Le voisinage. 189 Dans cette cruelle affliction. 190 En soustrayant la somme que tu as mise. 191 Tu n’en auras pas un sou <argot>. « –Argent contan ! –Pas ung halart ! » Moralité de la Croix Faubin. 192 Je comble cette lacune. « Ung franc ou deux pour leur despens. » Ph. de Vigneulles. 193 Si ma tête s’échauffe. 194 Ce juron païen est commun dans les Mystères qui décrivent les temps bibliques ou antiques ; mais notre Moralité se situe en France au XVIe siècle. 195 Extorquée <argot>. Cf. Gournay et Micet, vers 455-6 et 524. 196 Des chasseurs qui sifflent dans un appeau pour attirer les passereaux ; voir la Pippée. Mais un pipeur est aussi un tricheur qui pipe les dés. 197 C’est l’endroit qui te convient le mieux. 198 Il tente d’arracher sa robe au 1er Coquin. 199 St François d’Assise, dont la robe était grise. 200 Et après ? Il s’agit d’une fin de non-recevoir. « –Nous vous avons servy. –Et puis ? » (Les Premiers gardonnéz.) Les Coquins sortent définitivement ; renonçant aux guenilles et à l’argot, ils vont sans doute jouer les rôles de l’évêque et du pape à la fin de la pièce.
L’AVEUGLE ET PICOLIN
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L’AVEUGLE
ET PICOLIN
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Dans sa Vie de sainct Christofle (~1510-1514), Claude Chevalet nous donne en exemple un clochard aveugle et son valet, qui profitent de la naïveté des chrétiens. Ce duo comique intervient dans beaucoup de farces et de mystères : voir la notice de l’Aveugle, son Varlet et une Tripière.
Source : La Vie de sainct Christofle, élégamment composée en rime françoise et par personnages par maistre Chevalet. Imprimé à Grenoble en 1530. Bibliothèque nationale de France, Rés. Yf. 116. Édition critique de Pierre SERVET : La Vie de sainct Christofle ; Droz, 2006.
Structure : Rimes plates, avec 2 triolets.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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Deux mendiants — un vieil aveugle et son valet — sont assis par terre, dans la rue. L’aveugle porte une vielle en bandoulière ; Picolin boit à une énorme bouteille, puis il la repose discrètement près de son maître.
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PICOLIN SCÈNE I
Nous deussions bien amasser mousse1 :
On ne bouge plus d’une place.
L’AVEUGLE
Que diable veulx-tu que je face ?
Tous les jours courons par ces portes2,
5 Mais les aulmosnes sont si courtes
Que vers nous ne peuvent venir.
PICOLIN
Vous voulez-vous icy tenir
Pour les avoir ? On les vous forge3 !
Ne faictes que bailler la gorge4 :
10 Vous aurez vostre compte rond
Pour avaller…
L’AVEUGLE
Quoy ?
PICOLIN
Ung estront,
Affin que bien vous le sachez !
Car (par Dieu !) si vous ne marchez,
Je ne sçay plus de quel boys tordre5.
L’AVEUGLE
15 Et ! comment ? N’avons-nous que mordre
Ne que boyre en la bouteille ?
Ce seroit une grant merveille
Qu’elle fust vuyde, somme toute !
PICOLIN
Il n’en y6 a pas une goutte :
20 Soyez seur qu’ell’ est despêchée.
L’AVEUGLE
Ta gorge l’a ainsi séchée ;
Elle porte ung mauvais vent.
PYCOLIN
Ou vous la baisez7 trop souvent,
Dont nous vient celle sécheresse.
25 Cuydez-vous que le vin y croisse,
De tousjours oster et rien mettre ?
L’AVEUGLE
C’est trop hault parlé à son maistre !
Pour te déclairer la teneur8,
Tu ne me porte point d’honneur,
30 Puisqu’il convient que je le die.
PICOLIN
Et quel honneur (maulgré ma vie !)
Voulez-vous donc que je vous face ?
Je vous ay servy long espace9 ;
Et si, n’ay ne denier ne maille10.
L’AVEUGLE
35 Je n’ay rien que je ne te baille,
Soit ou andoulle11 ou jambon.
Et qui nous donne rien de bon12,
Tu en as le premier lopin.
PICOLIN
Le premier ? Non ay, par Jupin !
40 Le premier n’a garde de choir :
Vous le prenez sur mon trenchoir13
Aulcuneffoys, par souspeçon14.
L’AVEUGLE
Tu es cault15 — j’entens bien le son —,
Et prens du meilleur qu’on me baille.
45 Mais allons avant, ne te chaille,
Pour sçavoir s’on nous donra rien16.
PICOLIN
A ! par Dieu, je vous entens bien !
Vous ne demandez que desbat17.
L’AVEUGLE
Je ne le dis que pour esbat18,
50 Puisque la matière est ouverte19.
Mais tu as la teste si verte20
Et si creuse que c’est pitié !
PICOLIN
Vous l’avez pire la moytié,
Et l’aurez tant que vous vivrez.
55 Despêchez-vous et me suyvez,
Ou (par Dieu) je vous laisseray.
L’AVEUGLE
Allons ! Car je ne cesseray
De faire sonner ma vïelle21
Tant que j[’en] aye ou pied ou hèle22
60 — Dont tu auras tousjours ta part.
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PICOLIN SCÈNE II
Si vostre vï[e]lle fust preste,
Nous eussions escus à milliers :
Ne voyez-vous ces chevaliers ?
Allez leur dire23 une note !
L’AVEUGLE
65 Comment dea, « voyr » ? Je n’y voy goutte
Autant du cul que de la teste24 !
Mais encores es-tu plus beste
De me dire que je le[s] voye.
PICOLIN
Disons quelque chançon qu’on oye,
70 Affin que nous ayons argent.
L’AVEUGLE
« Donnez au pouvre indigent
(Mes beaulx seigneurs) qui ne voit rien,
Une maille ! »
PICOLIN
[Ung] estront de chien !
Demandez plus grosse monnoye !
75 Et parlez hault — qu’on ne vous oye25 —,
Sans demander denier ne maille26 !
L’AVEUGLE
Et ! cuyde-tu bien qu’on nous baille
Escus ?
PICOLIN
Et pourquoy non, beau sire ?
Il n’en griève non plus à dire
80 « Ung ducat » qu’il fait « ung denier »27.
L’AVEUGLE
Dea ! si tu estois aulmonyer,
Je ne te cognois point si large
Qu’on eust de toy escu ne targe28 :
Tu es trop rouge à la taille29.
PICOLIN
85 Et s’il advient qu(e) escus on baille,
Maistre, les reffuserez-vous ?
L’AVEUGLE
Ce n’est pas monnoye pour nous,
Si tu entens le jobelin30.
PICOLIN
« En l’honneur du dieu Apolin,
90 Et d’Herculès le fort géant,
Donnez au pouvre non-voyant
— Qui a perdu le luminaire31
À la taverne pour trop boyre —
De voz ducatz une douzaine ! »
L’AVEUGLE
95 Mais ta forte fièbvre quartayne !
Tu me porte bien peu d’honneur !
Dy que je suis ung grant seigneur
Adveuglé par [la] tyrannye32
Des Turcs au siège d’Albanye :
100 Tu les en debvrois advertir.
PICOLIN
Que gaignerois-je de mentir ?
« Le vin l’a faict33, sans contredire !! »
L’AVEUGLE
Vérité n’est pas belle à dire
Tousjours : il y a temps et lieu.
*
Les deux païens ont la chance de tomber sur des nouveaux chrétiens que leur conversion a rendus gâteux. Tous les quatre donnent leur bourse au mécréant Picolin.
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LE CONTE SCÈNE III
105 Tien, mon amy : prens cest[e] aulmosne !
GRACIEN
Et moy cela, que je te donne
En l’honneur de Jésus, mon maistre.
FLORIDÈS
Prens cela ! Pense de le mettre
En ton sac, pour te secourir.
BROADAS
110 Jésuchrist, qui voulut mourir34,
Veulle [ceste aumosne]35 en gré prendre !
L’AVEUGLE
Juppiter le vous veulle rendre,
Et Vénus, la belle déesse !36
.
Je croy qu’il y a grant richesse ? SCÈNE IV
115 Regarde comme cecy poyse37 ;
Et affin qu’il n’y ai[t d]e noyse,
Ne me cache rien, somme toute.
PICOLIN
Jamais vous ne fustes sans doubte38
De moy et de voz compaignons.
120 Ce sont sachèz d’aulx39 et d’oignons
Qu’on vous a donné[z] pour bien boyre.
L’AVEUGLE
Le me cuyde-tu faire acroire ?
Encor n’a[s-]tu pas prou vescu40 !
Je cognoistray mieulx ung escu
125 Que tu ne feras ung patas41.
PICOLIN
Comment se fait cela ?
L’AVEUGLE
Au tas[t]42.
Car, combien que rien je n’y voye,
Je cognois la bonne monnoye
Comme le43 lièvre les brachetz.
130 Pour tant44, baille-moy ces sachetz,
Car je vueil garder le butin.
PICOLIN
Vous ne demandez que hutin45
Et noyse ! Pour vous advertir,
Si nous convient noz biens partir46,
135 Puisque n’avez en moy fiance.
L’AVEUGLE
Dea ! n’emporte point la finance !
As-tu entendu, mon varlet ?
Car si je te prens au collet,
Tu auras de moy la secousse47 !
140 Où es-tu, dis ? Hau48 !
PICOLIN
En Escosse !
Attendez-moy jusqu’à demain,
Car voicy ma dernière main49
Pour mon dé et pour ma chandelle50.
L’AVEUGLE
Approuche-toy, quant on t’appelle !
145 Me veulx-tu laisser tout seullet ?
PICOLIN
Tu as dit vray, Jehan de Nyvelle ! 51
L’AVEUGLE
Approuche-toy, quant on t’apelle !
PICOLIN
Par noz dieux ! il a la cervelle
Plus estourdie q’ung mullet.
L’AVEUGLE
150 Approuche-toy, quant on t’appelle !
Me veulx-tu laisser tout seullet ?
PICOLIN
À Dieu, maistre !
L’AVEUGLE
Hé, mon varlet !
Approuche-toy, et n’aye doubte52.
Tu scez bien que je n’y voy goutte
155 Nen plus53 q’une vielle lanterne.
Va me mener à la taverne :
Et là, nous burons ung tatin54,
Et partirons55 nostre butin
Ainsi que je deviseray56.
PICOLIN
160 Vous partirez ? Je choisiray !
Avez-vous ouÿ la teneur57 ?
Car à vous [n’]appartient l’honneur58 ;
La coustume [n’]est tousjours telle59.
L’AVEUGLE
Tu ne le dis que par cautelle60
165 Et pour me tromper, j’en suis seur.
PICOLIN
Comment ? M’appellez-vous « trompeur » ?
C’est pour recommencer la noyse !
L’AVEUGLE
Laissons cela, et que l’on voyse61
À la taverne, je le veulx !
170 Et là, nous despendrons62 tous deux
Tous les biens qu’on nous a donnéz.
*
Deux prostituées, que nous avons découvertes dans les Tyrans au bordeau, reversent aux mendiants une partie de l’argent qu’elles ont gagné à la sueur de leur… front.
.
NYCETTE SCÈNE V
Il nous63 fauldroit donner, m’amye,
L’aulmosne à ces [deux] pouvres gens.
AQUELINE
C’est bien dit, car telz indigens
175 Ne sçavent de quoy desjuner.
NYCETTE
Tien, mon amy ! C’est pour disner.
Prie pour moy qui le te donne.
L’AVEUGLE
Grant mercy !64
.
Juppin, quelle aulmosne ! SCÈNE VI
PICOLIN
Mais qu’elle [soit] monnoye exquise65,
180 Elle doit bien estre de mise66,
Puisqu’elle vient de telle main.
L’AVEUGLE
Ma foy ! j’en vueil faire demain
Ung brevet67 pour guérir des fièbvres.
PICOLIN
Morbieu ! il feroit sallir68 chièvres
185 Avant qu’ilz69 eussent queue levée.
L’AVEUGLE
Allons ail[l]eurs faire levée70,
Et jouerons de tricherie.
*
Le bourreau Morgalant et son valet Pascalet <voir L’Andureau et L’Andurée, vers 50-379> ont besoin d’aide pour charger une meule de moulin sur une claie tirée par deux chevaux. Ils aperçoivent les mendiants, au loin.
.
PASQUALET SCÈNE VII
Çà, villain[s] ! Venez sans targer71
— Avant que je vous aille querre
190 Tous deux — pour charger ceste pierre !
Acoup ! Et soyez diligens !
L’AVEUGLE
A ! mon varlet, qui sont ces gens ?
J’ay paour que ce soient gens d’armes.
S’ilz nous preignent, ce sont les termes
195 De nous endosser de beau boys72 !
PYCOLIN, varlet de l’Aveugle.
Ce sont deux sergens (je les voys73)
Qui ont deux chevaulx, et la traŷne74
Dont au gibet souvent on meyne
Les larons. Av’ous entendu ?
MORGALANT
200 Vien çà ! Que tu soye pendu !
Me feras-tu mèshuy attendre ?
L’AVEUGLE
Hélas, nous veult-on mener pendre ?
Fuyons-nous-en, comment qu’il aille75 !
PASQUALET
Qu’en despit de la villennaille76 !
205 Vous fault-il tant de foys requerre77 ?
Venez, ou je vous iray querre,
Et tous deux prendray78 au collet !
PYCOLIN
C’est le bourreau et son varlet,
Mon maistre. Nous sommes perdus !
210 S’il nous prent, nous serons pendus,
Tant seullement pour la despoulle79.
L’AVEUGLE
Je vouldrois estre en la Poulle80,
Ou en mer, puis avoir bon vent !
MORGALANT
Avant, de par le Diable, avant,
215 Vostre seigneur et vostre maistre81 !
Et nous venez ayder à mettre
Ceste meulle sur ceste traŷne,
À celle fin que l’on la meyne
Au Roy, qui nous attent sans doubte82.
L’AVEUGLE
220 Hélas, Monsieur : je n’y voy goutte.
Laissez-moy, en l’honneur des dieux !
PASQUALET
Tu ne m(e) ayderas pas des yeulx83.
As-tu entendu, mon mignon ?
Prens delà, et ton compaignon !
225 Aultrement, il y aura noyse.
PYCOLIN
Ventre sainct Gris84, comme elle poise !
Je me suis quasi rompu l’anche85.
MORGALANT
Prenons chescum une gazanche86,
Et la bouterons en coulant87.
PASQUALET
230 C’est bien dict. Boutte, Morgalant,
Par cy, et chescum t’aydera.
Tenez, elle m’eschappera !
Que maulgré en ait Barratron88 !
MORGALANT
Vous ne valez pas ung estron !
235 Soustenez bien, et ne vous chaille !
Et ! voylà89 bien, vaille que vaille.
Mais j’ay cy rompu une veyne.
L’AVEUGLE
Or nous donnez, pour nostre peine,
Quelque chose en payement !
PASQUALET
240 Vous serez payé gayement
De la monnoye que je porte90 :
Tenez, tenez ! Voicy la sorte
Dont on paye telle canaille !
L’AVEUGLE
Pour Dieu, que plus on ne m’en baille !
245 Je vous quitte tout91, de ce pas !
PASCALET
Par noz dieux ! ne l’espargne92 pas :
Tout est à ton commandement93.
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L’AVEUGLE SCÈNE VIII
Voylà « payé » trop lourdement !
Nous avons esté bien batus.
PYCOLIN
250 Voyre ? [Mais] vous94, par mon serment !
L’AVEUGLE
Voylà « payé » trop lourdement !
Et toy ?
PYCOLIN
Je [m’en fuis]95 vaillamment,
Aussi hardiment comme Artus96.
L’AVEUGLE
Voylà « payé » trop lourdement !
255 Nous avons esté bien batus.
PYCOLIN
Vous estiez encor plus testus97
De leur demander de l’argent !
Car vous sçavez bien q’ung sergent
N’a rien acoustumé que prendre.
*
1 Allusion au « proverbe commun qui dit que ‟pierre qui roule n’amasse mousse” ». (Jean Boyron.) « Nous n’amassons plus mousse. » St Christofle. 2 Nous mendions d’une porte à l’autre. Rime dauphinoise en -ourtes. 3 Réponse narquoise qu’on fait à une personne trop exigeante. Cf. le Sermon joyeux de bien boire, vers 189. 4 Vous vous contentez d’avancer votre gorge, comme un oisillon qui réclame la becquée. 5 De quel bois faire flèche. Cf. les Tyrans au bordeau, vers 127. 6 Éd : ny 7 Baiser la bouteille = boire. « Me fault ma bouteille baiser. » Mystère de St Clément de Metz. 8 Le point principal. Idem vers 161. 9 Pendant un long espace de temps. 10 Et pourtant, je n’ai ni un denier, ni un centime. Chevalet fait dire le même vers au valet des Basteleurs. 11 De l’andouille. 12 Quand on nous donne quelque chose de bon. 13 Après un banquet, on distribue aux pauvres les tranchoirs (ou tailloirs), épaisses tranches de pain qui ont tenu lieu d’assiettes, et sur lesquelles on abandonne quelques reliefs. 14 En soupçonnant que j’ai raflé le meilleur morceau. 15 Cauteleux, rusé. J’entends le son = je connais la chanson ! 16 Si on nous donnera quelque chose. 17 Vous ne cherchez que des disputes. 18 Que pour plaisanter. « Je ne l’ay faict que par esbat. » Deux jeunes femmes. 19 Puisque le sujet est abordé. 20 Si peu mûre. Cf. l’Arbalestre, vers 152 et note. 21 Éd : uiolle (La viole est un instrument aristocratique, alors que la vielle est populaire : c’est l’instrument dont les mendiants aveugles s’accompagnent pour chanter dans la rue. Je corrige la même faute au vers 61.) Si votre vielle était accordée. Dans l’Aveugle, sa Chambèrière et son Varlet (F 45), le valet accorde la vielle de l’aveugle : « Cependant, Gauguelu refait la vielle. / Quant [maintenant que] vostre vielle est refaicte,/ Quelque plaisante chansonnette/ Disons ! » 22 Jusqu’à ce que j’en obtienne une cuisse ou une aile. « Pour Dieu, donnez-moy cuisse ou elle ! » (Conversion S. Denis.) Cette expression culinaire signifie : obtenir quelque chose, si peu que ce soit. « Il en apporte ou pied ou elle. » Gournay et Micet. 23 Leur chanter. Rime dauphinoise en -oute : « Qu’il vous plaise dire une no[u]tte !/ Adieu vous dy, trèstous et toute ! » Le Roy des Sotz. 24 Quand Daru se fait passer pour un aveugle, il chante ceci : « (Je) ne voy où le pied je metz/ Non plus du cul que de la teste. » 25 Renversement de la formule consacrée : « Or parlez bas, qu’on ne vous oye ! » Le Vilain et la Tavernière. 26 Une monnaie trop faible. 27 Cela ne coûte pas plus de demander un ducat qu’un vulgaire denier. 28 Je ne sache pas que tu sois assez généreux pour qu’on ait de toi la moindre monnaie. « Il n’a escu ne targe : s’entend de ceux qui n’ont aucune monnoie. » Claude Fauchet. 29 Trop roublard. « Vous estes trop rouges en la taille. » Les Tyrans. 30 Si tu me comprends à demi-mot. Cf. les Tyrans au bordeau, vers 292. 31 La lumière, la vue. Cf. l’Aveugle et Saudret, vers 328. 32 Rendu aveugle par la barbarie des musulmans vis-à-vis des chrétiens. « Secourir les Christiens, oppresséz de la tyrannie des Turcz. » P. de Saint-Julien. 33 C’est le vin qui l’a rendu aveugle. 34 L’Église cautionne le suicide du Christ et celui des saints, mais elle condamne tous les autres. 35 Éd : laumosne (Veuille me tenir gré de l’aumône que je vous fais. La charité chrétienne n’est jamais désintéressée : on donne dans cette vie pour que ce don nous soit rendu au centuple dans l’autre vie.) 36 Les mendiants s’esquivent. C’est Picolin qui porte les quatre bourses. 37 Combien cela pèse, vaut. 38 Sans méfiance. 39 Des sachets d’ails. L’ail et l’oignon donnent soif : « L’oignon (…) est inflammatif & provoque la soif. » La Nef de Santé. 40 Tu n’as pas assez d’expérience pour me le faire croire. 41 Que tu ne reconnaîtrais un patac, une pièce de monnaie provençale qui avait cours jusqu’à Grenoble, où fut créé ce Mystère. « Deux deniers tournoys, ou ung patas. » Archives de l’Isère. 42 Au tact, au toucher. « Nostre sens du tast. » ATILF. 43 Éd : la (Comme le lièvre reconnaît les braquets, les chiens de chasse : à l’oreille.) 44 Pour cette raison. 45 Des affrontements. « Sans noyse et sans hutin. » ATILF. 46 Nous devons partager nos biens. Idem vers 158 et 160. 47 Je te pendrai. Dans ce Mystère, le roi dit au bourreau : « Ne luy donne point la secousse/ Jusqu’à ce qu’on donne l’assault./ Alors fais-luy prendre ung sault/ Au gibet. » 48 Interjection interpellative. « Où es-tu ? Hau ! » Les Basteleurs. 49 Mon ultime vol. « À l’insigne voleur, ô merveille profonde,/ Qui, compagnon d’honneur du Roy de tout le monde,/ Pour sa dernière main luy desroba les cieux. » César Nostradamus. 50 Pour mes menus plaisirs. Cf. Cuisine infernale, vers 38 et 152. 51 Étant donné que Picolin vouvoie toujours son maître, on peut conclure que nous avons ici le refrain d’une des chansons qui furent consacrées à Jean de Nivelle ; voir celle qui ouvre la farce du Pauvre et le Riche. Il en subsiste un vague écho dans le Démon travesti, du chanoine Jacques : « Tu n’es qu’un vray Jean de Nivelle. » 52 N’aie pas peur. Le vers suivant était prononcé par l’Aveugle de la Vie et passion de monseigneur sainct Didier, de Guillaume Flamang. 53 Pas plus. Cf. les Maraux enchesnéz, vers 258. 54 Nous boirons un coup. Cf. les Basteleurs, vers 227. 55 Nous partagerons (note 46). 56 Comme je le déciderai. 57 Le point principal. 58 L’honneur de partager notre butin ne vous appartient pas. 59 La coutume n’est pas immuable. Louis XII était alors en train de simplifier le droit coutumier ; voir la notice de Digeste Vieille. 60 Par ruse. 61 Et allons. 62 Nous dépenserons. 63 Éd : vous (Correction de P. Servet.) Il faudrait que nous donnions. 64 Les prostituées s’en vont. L’aveugle soupèse l’argent (vers 126). 65 Pour peu que ce soit une monnaie recherchée, rare (lat. exquisita). « Partout est la monnoye exquise :/ Le peuple n’a plus maille ne denier. » Eustache Deschamps. 66 Elle doit avoir cours. La monnaie que gagnent les prostituées circule très vite et n’a pas le temps d’être décriée. 67 Je veux pendre cette bourse à mon cou, comme une amulette miraculeuse. « Brevet, ou autre chose, qu’on pend au col (…) pour préserver ou guarir de quelque maladie ou poison. » Godefroy. 68 Saillir, couvrir. Lors de la saillie, les quadrupèdes femelles lèvent leur queue pour que le mâle puisse s’introduire. Picolin sous-entend que l’aveugle va vite en besogne, et oublie encore de partager. 69 Qu’elles. 70 Jouer aux cartes. 71 Sans tarder. 72 C’est la certitude qu’ils nous chargeront le dos de coups de bâtons. 73 Picolin n’y voit pas beaucoup mieux que son patron : les sergents sont immédiatement reconnaissables parce qu’ils portent une « masse » ou une « verge », ce qui n’est pas le cas des bourreaux. 74 La claie. Idem vers 217. Sur la peine infamante de la claie, voir la note 24 de Massons et charpentiers. Le roi Danus, qui est un raffiné, prépare à saint Christophe un supplice plus personnel : « Luy estachez [attachez-lui] une grant meulle/ De moulin (ainsi je le veulx)/ Par le col et par les cheveulx,/ Et le traŷnez par monts et vaulx/ À belles queues de chevaulx ! » 75 Quoi qu’il en soit. 76 N’en déplaise à cette canaille. « Paix, qu’en despit de Saturnus ! » St Christofle. 77 Faut-il vous requérir tant de fois ? 78 Éd : prendre 79 Pour que les bourreaux prennent nos dépouilles, nos vêtements. Cf. Gournay et Micet, vers 468 et 505. 80 Dans la région italienne des Pouilles : loin d’ici. 81 Allons, de par le Diable, qui est votre seigneur et maître ! 82 Sans craindre que nous ne venions pas. 83 Tu ne m’aideras pas avec tes yeux mais avec tes bras. 84 Par le ventre de saint François d’Assise. Dans une circonstance analogue, le Fol du mystère a lui aussi recours à ce juron chrétien : « Ventre sainct Gris, comme tu poyse ! » 85 La hanche. 86 Un pieu en bois pour faire levier. « Pour six grosses pièces de chane [chêne] appeléz gazanches pour besoigner esdits fossés de St-Just. » Marthe PAQUANT : Réforme, Humanisme, Renaissance, 2007, nº 65, p.191. 87 En la glissant sous la meule. 88 Les Mystères attribuent ce dieu fantaisiste aux musulmans, et en règle générale aux païens. Βάραθρον = gouffre. « Maulgré Barratron et Mercure ! » St Christofle. 89 Éd : uoyle la (C’est bien.) La meule est installée sur la claie. 90 Pascalet, qui tient un des pieux du v. 228, en donne des coups aux mendiants. Picolin s’abrite derrière son maître, lequel reçoit toute la bastonnade. 91 Je vous tiens quitte de tout paiement. « Je vous quitte tout pour sauver ma vie. » Le Nouveau Panurge. 92 Éd : lespargnez (Ne ménage pas mon paiement. Les hommes généreux disaient toujours : « N’espargnez pas ma bourse ! ») 93 À ton entier service. Les mendiants s’enfuient. 94 Vraiment ? Surtout vous. 95 fais (Je pris la fuite.) 96 Le roi Arthur ne fuyait jamais. 97 Éd : natus (« Fussiez-vous encor plus testu. » Le Nouveau marié.)
LES BÉLISTRES
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LES BÉLISTRES
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Simon Gréban intégra cette farce au troisième livre de son Mystère, les Actes des Apostres, terminé vers 1470. Les bélîtres dont il est question sont des fainéants qui préfèrent mendier — d’une façon parfois agressive — plutôt que de travailler. Ils portent un nom prédestiné : MAUDUIT = mal duit, mal élevé ; les gueux des Maraux enchesnéz se qualifient de « povres enfans mauduytz ». TOULIFAUT, ou Tout-lui-faut = tout lui manque ; le mendiant Saudret a pour « surnom Tout-luy-fault ». TROUILLARD = foireux.
Source : Actes des Apostres. Édition parisienne d’Arnoul et Charles Les Angeliers, 1541. <Munich, Bayerische StaatsBibliothek, Res/2 P.o.gall. 27-1.> En ce qui concerne spécifiquement la farce, les éditions de 1538 (nouveau style) et 1540 sont moins correctes, et surtout beaucoup moins complètes : voir Daru.
Structure : Rimes plates, avec 3 triolets.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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Icy commencent
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les Bélistres.
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MAUDUYT, le premier povre.1 SCÈNE I
Bon jour, Tout-luy-fault !
TOUT-LUY-FAULT, .IIe. povre.
Hé ! Mauduit,
Mettez là la main !
MAUDUIT
Sauf le gant2 !
TOULIFAULT
Il s’entend ainsi.
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TROUILLARD SCÈNE II
Que de bruit !
Bon jour, Toutlifault ! Hé ! Mauduit,
5 Com’ vous va ? Y a-il rien cuyt3 ?
TOULIFAULT
Mauduit, congnois-tu ce brigant ?
TROUILLARD
Bon jour, Toulifault et Mauduit !
« Mettez là la main, sauf le gant !4 »
MAUDUIT
Quel appétit ?
TROUILLARD
Fringant, fringant
10 Pour [soupper d’ung]5 clou de charette.
MAUDUIT
Tu t’en vas donc ?
TROUILLARD
Mais je m’arreste
Pour veoir si vous avez que frire6.
TOULIFAULT
Mais qui est-il ?
MAUDUIT
Qui ? Il fault dire
Que son estat n’est pas meschant7.
TOULIFAULT
15 Je cuide que c’est ung marchant
De quelque estrange8 région,
Qui a plus d’une légion9
Du métail10 qui soubz l’ongle crocque.
MAUDUIT
Tu es donc marchant ?
TROUILLARD
Il se mocque
20 Des maulx chausséz11.
TOULIFAULT
Va te pisser12 !
C’est, vous dit-on, ung espicier13 :
Il ne maine autre marchandise.
MAUDUIT
Il y pert14 bien à sa chemise :
Elle est plus jaulne15 que haran.
TROUILLARD
25 Voire soret16.
TOULIFAULT
C’est de saffran :
Il en a tout plain sa bougette17 ;
Et de paour d’en payer la traicte,
Il en emplist tout plain ses brayes18.
MAUDUIT
Tu en bailles enseignes vrayes19,
30 Toulifault.
TOULIFAULT
Quoy ?
MAUDUIT
Tu ne mentz point.
Metz cy le nez sur son pourpoint…
Que sent-il ?
TOULIFAULT
Ce n’est pas civette20 !
MAUDUIT
C’est donc pouldre de vïolette ?
TOULIFAULT
Non est ; il tire sur le musch21.
MAUDUIT
35 Je croy, pour vray, qu’il soit de Tusc22,
Ou23 quelque marchant de coton.
TOULIFAULT
Pour cause, [il] faict son hocqueton
Sentir bon24, je l’ay bien congneu25.
MAUDUIT
Pourquoy ?
TOULIFAULT
Pour estre bienvenu
40 Entre les dames, le mignon.
TROUILLARD
Si j’ay espice plus qu(e) ongnon,
Deux chefz d’aulx et une eschalotte26,
Ne si pour Jehan ne pour Charlotte27
Meine marchandise du monde,
45 Je suis content28 que l’on me tonde
Rasibus comme cul de cinge !
TOULIFAULT
[Vis-tu]29 de draps ?
TROUILLARD
De draps de linge30.
Je n’ay, par Dieu, rond que le cu31.
MAUDUIT
Par mon serment, c’est bien vescu !
50 Apprenez, paillard, apprenez !
TROUILLARD
Tel me voyez, tel me prenez.
Je suis légier comme une plume32.
Quant j’ay ung double33 ou deux, je hume.
Qui34 me donne, je tendz la poche.
55 Ung jour voys35 droit, l’autre je cloche.
Je fais du fol et du raillard.
Et ! que fault-il à ung paillard,
Sinon ung bissac soubz l’esselle
Et deux ou trois marcs de vaisselle
60 De beau boys ? Ainsi l’entend-on.
TOULIFAULT
Quel valeton36, quel valeton !
Ainsi plain de bonnes humeurs,
S’il estoit prins des escumeurs37
Ou d’ung coursaire à ung destroit38…
MAUDUIT
65 Ha, quel dommaige ce seroit !
Le pays on verroit destruit :
Car je croy qu’il fera grant bruit39,
Cest enfant. Le voyez-vous bien ?
TROUILLARD
Ha ! pensez que j’ay eu du mien40
70 Autant qu(e) homme qui s’appartienne41.
Mais je suis…
TOULIFAULT
Quoy42 ? Dieu te maintienne !
Tu es bien mince de pécune ?
TROUILLARD
Et ! que voulez-vous ? C’est Fortune
Qui tousjours bons marchans guerroye.
TOULIFAULT
75 Ha, dea ! c’est ce que je disoye :
Il est marchant, ou des facteurs
D’ung lombard43.
TROUILLARD
Vrayement, Messieurs,
Il y pert44 bien à mon pourpoint.
MAUDUIT
Rien, rien, on ne t’en croira point !
80 Car tu es ung marchant publicque45.
TOULIFAULT
Comment ? J’ay veu en sa bouticque
De laz46, d’espingles, d’esguillettes,
De fillet47 noir et des sonnettes
Pour plus de six blancs48 et demy.
TROUILLARD
85 Rien ! Tu t’abuses, mon amy.
Tu as destourné mon advis.
TOULIFAULT
Je regny sainct Gris49 ! Je te veiz,
Ou le diable dedans ton jaques50.
TROUILLARD
Quant me veiz-tu ?
TOULIFAULT
Ce fut aux Pasques.
TROUILLARD
90 Tu n’as pas bien leu ton registre51.
TOULIFAULT
Comment ?
TROUILLARD
Ce fut à la bésistre52,
Quant moy et ta fille Maunette
Allions jouer à l’esguillette53,
À la bisette54 de l’autonne…
TOULIFAULT
95 (S’il est vray ce qu’il me jargonne,
En fin nous trouverons parens55.)
TROUILLARD
… Quant nous goussasmes56 les harens
Que nous trouvasmes au caignard57.
TOULIFAULT
Et comment t’appelle-on58 ?
TROUILLARD
Trouillard.
100 Tu le dev(e)rois fort bien sçavoir.
TOULIFAULT
(Mauldit soys-je s’il ne dit voir59 !
Je ne le sçauroye nyer.)
Quoy ! tu es grant comme ung pommier60,
Mais regardez quel loquebault61 !
MAUDUIT
105 Pensez que c’est ung beau ribault62,
S’il estoit bien enharnaché63.
TOULIFAULT
C’est le père, tout fin craché64 :
Il estoit ainsi laid truant65,
Qui tousjours pétoit en suant,
110 Et ne fist-il66 que quatre pas.
TROUILLARD
Où prenez-vous vostre repas,
Compaignons ?
MAUDUIT
C’est bien sermonné67 !
Pource que tu n’as point disné ?
Tu deis bien ; fais-le-nous acroire68 !
TROUILLARD
115 S(e) on me veit huy manger ne boire
Depuis que je feuz deslogé69,
Par Dieu, je te donne congé
De faire de mon cul mittaines70 !
MAUDUIT
Et ! tu fais tes fièbvres cartaines,
120 Paillard infâme, mal en point71 !
TOULIFAULT
Seigneurs, ne vous combatez point !
Remettez au col le bissac72.
MAUDUIT
Se chargé n’eusse l’estomach73,
Tout sur piedz74 m’en feusse vengé.
TOULIFAULT
125 Trouillard a aussi tant mangé
Qu’il en a le ventre plus rond
Qu(e) ung tabourin.
TROUILLARD
Mais ung estronc !
Je suis plus plat qu(e) une punaise75.
TOULIFAULT
Ha ! que tu eusses esté aise,
130 Si tu feusse esté avecq nous !
TROUILLARD
Mais de quel diable76 venez-vous,
Qui estes en ce point bouffis ?
TOULIFAULT
Luy et moy avons desconfis
Deux grans plains platz de pois au lard…
TROUILLARD
135 Hélas ! que n’y estoit Trouillard ?
TOULIFAULT
… Pastéz, et beaulx oysons petis,
Chappons, et les connins77 rostis.
J’en suis encores tout enflé.
TROUILLARD
Comment ! Avez-vous tant rifflé78
140 Sans mettre ung lopin en réserve ?
MAUDUIT
Escoutez comment il enterve79 !
Et ! par Dieu, c’est bien à propos !
Tout fut mengé, et chair et os ;
Il80 n’y demoura que la plume.
TROUILLARD
145 Mauduit, c’est tousjours ta coustume
Que d’estre en ce point sur ta bouche81.
Et quel vin ?
TOULIFAULT
Ha ! Dieu scet qu’il touche82 !
Ung vin qui la rosette efface83.
TROUILLARD
Or, que mau senglant preu vous face84 !
150 J’en ay tel despit que j’en sue.
MAUDUIT
Toulifault, comptes-luy l’issue85,
Beau sire, pour le resjouir !
TOULIFAULT
Voicy…
TROUILLARD
Je n’en vueil plus ouïr !
Car quant je vous en oys parler,
155 Dieu scet comment je fais aller
Ma langue autour de mes baulièvres86.
MAUDUIT
Encor oublions-nous les lièvres,
Que nous mangeasmes au civé87.
TROUILLARD
Ung peu trop tard me suis levé ;
160 Et ne me failloit que secourre
L’oreille88. Mais, pour me rescourre89,
Iray de bonne heure à la queste.
TOULIFAULT
Attendz-nous, dy, hay, grosse teste90,
Et nous te tiendrons compaignie.
TROUILLARD
165 Maydieux91 ! ce seroit grant follie,
Puisque mèshuy92 ne mengerez.
MAUDUIT
Nenny, vray(e)ment. Mais vous serez
Avec nous plus honnestement93
Que tout seulet.
TROUILLARD
Par mon serment !
170 Mèshuy iray seul, si je puis :
Car tant de povres à ung huys,
Ce n’est pas bien ce qu’il me fault94.
MAUDUIT
Allons après luy, Toulifault :
Si, aurons part à son butin.
.
TROUILLARD, à la porte de SCÈNE III
Cornélius, centurion.
175 Donnez au povre pèlerin95,
Au nom de Dieu de paradis !
TOULIFAULT
Hélas ! pour passer son chemin,
Donnez au povre pèlerin !
Je ne mengeay puis le matin96.
TROUILLARD
180 (Et si, a des fois plus de dix97.)
Donnez au povre pèlerin,
Au nom de Dieu de paradis !
CORNÉLIUS 98
Vous ne serez pas esconditz,
Mes enfans. Car, pour abréger,
185 Vous aurez tous bien à menger,
Puisque pour Dieu le demandez.
Émélïus !
ÉMÉLIUS
Sire ?
CORNÉLIUS
Entendez :
Voilà trois povres à la porte.
Et pour tant99, je vueil qu’on leur porte
190 À menger assez largement.
Ilz crient moult piteusement :
Je pense qu’ilz ont bien grant fain.
ÉMÉLIUS
Voicy de la chair et du pain,
Seigneur, que je leur vois100 porter.
CORNÉLIUS
195 Nous les devons réconforter,
Mon filz, nous y sommes tenuz ;
Les revestir quant ilz sont nudz,
Leur donner à boire et menger,
Les réchauffer et les loger
200 Quant agravéz sont par traveil101 ;
Et leur donner aussi conseil
Qu’ilz prennent tout en patïence,
Car ce ne seroit pas science
S’ilz le faisoient tout autrement.
ÉMÉLIUS
205 Il sera faict entièrement.
.
Recevez pour Dieu ceste aulmosne102 SCÈNE IV
Que dom Cornélïus vous donne !
Ainsi le devez-vous entendre.
TROUILLARD
Je pry Dieu qu’Il luy vueille rendre
210 Lassus103, au royaulme divin.
Il ne me fault mais que du vin,
Et je seray trèsbien souppé104.
TOULIFAULT
Voire nous !
TROUILLARD
J’ay icy happé
Ung trèsbon lopin, toutesfois,
215 Truffant105, mocquant.
MAUDUIT
Mais pour nous trois,
Je le te dirois106 voluntiers.
TROUILLARD
Et pourquoy ?
MAUDUIT
Tu n’y as qu(e) ung tiers.
Tu n’y viendrois jamais à bout.
TROUILLARD
Sainct Jehan ! je sçay bien que j’ay tout.
220 En aille ainsi comme il pourra,
Mais ce gobet107 me demourra
Pour soupper, c’est pour abréger.
Aussi, vous ne pourriez manger :
Vous estes plains jusques à l’œil,
225 Ce dictes-vous108.
TOULIFAULT
(Que j’ay grant dueil
De ce qu’il a en son bissac
Nostre soupper !)
TROUILLARD
Vostre estomach
N’en sera mèshuy plus enflé.
MAUDUIT
Quaré 109 ?
TROUILLARD
Vous avez trop rifflé110 :
230 La dïette vous sera bonne.
MAUDUIT
N’avons-nous pas part à l’aumosne,
Dy, paillard coquin que tu es ?
TOULIFAULT
Il en y aura de tuéz111
Avant que d’icy eschappons112.
TROUILLARD
235 Quoy113 ! gens qui ont mangé chappons
Mangeroient voluntiers du beuf ?
MAUDUIT
Par mon âme, tu es bien neuf114 !
Quant le disner je devisoye115,
Comment l’entendz-tu ? Je farsoye116,
240 Ouÿ, par le dieu d’Orient !
TROUILLARD
Et ! je fais à bon escïent117,
Quant à moy : je ne farce point.
TOULIFAULT
Si fais ! Mais pour venir au poinct,
Tu peulx assez ymaginer
245 Qu’on ne nous eust pas faict disner
De perdris ne de chappons gras.
TROUILLARD
Comment ?
MAUDUIT 118
Nous mentons à plain[s] bras :
Bien suffiroit beuf ou mouton,
Ou des pois au lard.
TROUILLARD
Que scet-on ?
250 Quant à moy, je le croy ainsi119.
TOULIFAULT
Scez-tu quoy ? Départons120 icy,
Ou bref tu te feras escourre121.
TROUILLARD
Katherine, fourre-luy, fourre ! 122
S(e) une fois en mes fèbves entre123,
255 Je vous feray et dos et ventre
Plus platz qu(e) une vieille punaise124.
TOULIFAULT
Et ! fault-il donc que je me taise ?
À grant-peine je m’y consens.
MAUDUIT
Je te dis qu’il est hors du sens,
260 Et frappe comme ung enragé.
TOULIFAULT
Au diable soit-il hébergé,
Qu’i l’entraŷne sans retourner125 !
MAUDUIT
Il le nous fault faire adjourner126 :
Il rendra127 tout, s’il ne le nye.
TROUILLARD
265 Je plaideray la main garnye128,
Vous en devez estre adverty,
Enfans : beati garniti
(Comme dit maistre Aliborum129)
Vault mieulx que beati quorum130.
270 Retenez ceste auctorité !131
……………………………..
.
TROUILLARD 132 SCÈNE V
Qui pourroit133 sçavoir en quelz lieux
Il seroit bon faire la queste,
J’aurois tantost une requeste
Despeschée en piteux propoz134,
275 Non par escript mais en doulx motz,
Ainsi que bien je sçay user135.
TOULIFAULT
Et aussi pour tost abuser
Tous tes compaignons de l’ostière136 !
MAUDUIT
L’aulmosne emporta toute entière,
280 Que Cornélïus nous donna.
TOULIFAULT
Si finement en ordonna137
Qu’en la chose à nous impartie
Ne nous en feit part ne partie138,
Mais print tout, sauf… nostre deffence139.
MAUDUIT
285 Il nous feit une grant offence,
Dont j’ay empensé me venger,
J’entens s’il ne se veult renger140
Comme on doit en fraternité.
TROUILLARD
Croyez, par ma virginité141,
290 Que je ne vous feray jamais
Maulvais tour, je le vous promectz ;
Et me pardonnez le commis142 !
TOULIFAULT
Ha ! quel bon « vierge », mes amys !
Pensez qu’il soit encores « vierge »,
295 Luy qui a esté le consierge
D’ung bordeau143 plus de quatorze ans ?
MAUDUIT
Voire ! Et si, a faict dix enfans
À une vieille macquerelle.
TROUILLARD
Je ne veulx point prendre querelle
300 Contre vous : car avant midy
Je ne me trouve point hardy
Se, le matin, n’ay résiné144.
Mais quant j’ay bien mon saoul disné,
Je ne cherche que l’escarmouche !
TOULIFAULT
305 (Garder se fault de ceste mouche,
Comme j’entens, quant il est yvre.)
TROUILLART
Je vaulx des solz plus d’une livre145,
Quant j’ay bien la bedaine emplie ;
Pour ce, de bon cueur vous supplie
310 Que nous aillons tendre la patte146
En quelque lieu : car j’ay tel haste
De baufrer que le cueur me fault147.
MAUDUIT
Sçavez-vous que faire nous fault ?
Voyant que nostre argent est court,
315 Allons-nous-en tous en la Court
De Gondoforus148, le bon roy.
Nous y profiterons, je croy,
Car là est ung sainct aumosnier149.
TOULIFAULT
Il me donna son aumosne, hyer,
320 De quoy m’en repeus150 tout le jour.
TROUILLARD
Allons-y doncques sans séjour151 !
MAUDUIT
Allons !
TOULIFAULT
Allons sans plus attendre !
Et que chascun se face entendre
En contrefaisant le piteux152.
……………………………..
.
TROUILLARD, povre.153 SCÈNE VI
325 Ha ! très sainct homme, Dieu te rende
Les grans biens que tu nous as faictz !
TOULIFAULT
Ha ! le plus parfaict des parfaictz,
Grâces te rendz de cueur entier.
MAUDUIT
Tenir vueil la voye et sentier
330 Que tu presches, à mon povoir154.
……………………………..
.
MAUDUYT 155 SCÈNE VII
Hélas !
TOUTLIFAULT
Hélas !
TROUILLART
Hélas ! Hélas !
Fortune nous est bien contraire156.
MAUDUYT
Perdu avons nostre soulas157.
TOUTLIFFAULT
Hélas !
TROUILLART
Hélas !
MAUDUYT
Hélas ! Hélas !
TOUTLIFFAULT
335 Malheur, qui nous tient en ses las,
Est venu nostre bien substraire158.
TROUILLART
Hélas !
MAUDUYT
Hélas !
TOUTLIFFAULT
Hélas ! Hélas !
Fortune nous est bien contraire.
TROUILLART
Vers qui nous yrons-nous retraire159 ?
MAUDUYT
340 Vers qui yrons-nous à recours160,
Quant la Mort a nostre secours
— Pour nostre161 grant malheure — pris ?
TOUTLIFFAULT
C’estoit de charité le pris162,
Et d’humilité la lumière.
TROUILLART
345 Jamais elle n’eut sa première,
Et jamais n’aura sa seconde163.
MAUDUYT
C’estoit la plus doulce du monde.
TOUTLIFFAULT
C’estoit l’oultrepasse164 en bonté :
Car oncques ne l’a surmonté
350 Péché, et n’en feit onc approche165.
TROUILLART
C’estoit la Dame sans reproche.
Et ay ouÿ dire en maint lieu
Qu’elle a porté le filz de Dieu
Et conceu166 virginallement.
MAUDUYT
355 Je ne le croy point autrement,
Quoy que les juifz en veullent dire.
TOUTLIFFAULT
Ilz sont si remplis de mesdire
Que le meilleur d’eulx ne vault rien.
TROUILLART
Jamais ilz ne nous firent bien,
360 Tant sont de perverse nature.
MAUDUYT
Puisque la bonne créature
Marie nous avons perdue,
C’est convenable chose, et bien deue167,
De chercher ailleurs nostre mieulx168.
TOUTLIFFAULT
365 Or, regardez donc en quelz lieux
Nous seroit bon faire demande169.
TROUILLART 170
Les vierges, en troupe bien grande,
Acompaignèrent le sainct corps.
MAUDUYT
Nous en sommes tous bien records171,
370 Qui fut une excellente chose.
Parquoy, présent, bien dire j(e) ose
Que jamais n’a eu sa pareille.
Parquoy, bien fault qu’on s’appareille
À chercher pour en trouver une
375 Qui voulentiers, de sa pécune,
Luy plaise de nous guerdonner172.
TOUTLIFFAULT
On ne voit point souvent donner
Aux grans bigotz173 ; ny aux bigottes
Qui, contrefaisant les dévotes,
380 Font souvent de bien sotz ouvrages174.
TROUILLART
Il y a des femmes fort sages,
Et en charité renommées ;
Mais elles sont clères semées175 :
Difficile est trouver leur porte.
MAUDUYT
385 Nécessaire est qu’on se transporte
Tendre la main en aucun lieu176,
À celle fin qu’au nom de Dieu
Donner on nous vueille à repaistre.
TOUTLIFFAULT
Par ma loy177 ! j’ay grant désir estre
390 Où il y ait prou à disner :
Le jeusner me faict indigner
Et me rompt toute la cervelle.
TROUILLART
Une andouille cuyte nouvelle
Et ung gros tronson de jambon
395 Avec des pois, seroit-ce bon
Pour en faire quelque offertoire178 ?
MAUDUYT
Après cela, fauldroit-il boire,
Pour le remplage du bacquet179.
TOUTLIFFAULT
Or, sans tenir plus long caquet,
400 Allons chercher nostre adventure !
Possible180, quelque créature
Nous rencontrera en chemin,
Qui remplira le parchemin181,
Lequel est vuyde et bien fort creux.
TROUILLART
405 Allons, donc !
MAUDUYT
Allons !
TOUTLIFFAULT
Je le veulx.
Et chascun de nous ne se faigne
De182 bien demander, que l’enseigne
Ne183 soit en commun rapportée
Telle qu’on l’aura apportée.
*
1 Les deux bélîtres se rencontrent dans une rue. Trouillard les écoute sans être vu. 2 Les gentilshommes ôtent leur gant pour se serrer la main. En réalité, Mauduit sous-entend que Toulifaut pourrait bien lui voler son gant. Nos bélîtres parodient la politesse aristocratique et affectent de se vouvoyer ; leur naturel ne va pas tarder à revenir. 3 Avez-vous pu vous procurer quelque chose à manger ? La nourriture et la boisson constituent le principal sujet de conversation des bélîtres. 4 Trouillard tend la main à ses deux confrères, tout en parodiant leur dialogue du vers 2. 5 Éd : coupper ung (J’ai assez d’appétit pour manger des clous.) 6 Si vous avez de l’argent. D’après le vers 5, l’expression est prise au premier degré : si vous avez quelque chose que nous pourrions faire cuire. 7 Que sa tenue n’est pas misérable. Ironique : Trouillard est vêtu de loques jaunâtres. 8 Étrangère. 9 D’une multitude. 10 Du métal. On fait sonner une pièce avec l’ongle ou la dent pour vérifier, d’après le bruit obtenu, qu’elle n’est pas fausse. 11 De moi, qui suis mal chaussé. 12 Nous dirions : Va chier ! 13 Un riche marchand d’épices. 14 Il y paraît. Idem vers 78. 15 La chemise de Trouillard [foireux] est jaune d’excréments : « Jaulne comme le cul d’ung singe. » Le Capitaine Mal-en-point. 16 Et même, plus jaune qu’un hareng saur. « Harenc soret ! » Les Cris de Paris. 17 Coffret dans lequel les marchands d’épices transportent les produits précieux, en particulier le safran qu’ils vont chercher eux-mêmes en Orient : « Une bougette à espisserie. » Godefroy. 18 De peur de payer la taxe sur les marchandises importées, il cache le safran dans ses braies : voilà pourquoi elles sont jaunes. Mais le public n’ignorait pas que le safran symbolisait les excréments : « C’est saffren ou merde. » Tarabin, Tarabas (F 13). 19 Tu en donnes de vraies preuves. 20 Ce n’est pas du parfum. 21 Cela ressemble plutôt à l’odeur musquée de la merde, comme les draps du bébé dans le Cuvier : « Que ce linge est ort [sale] !/ Il fleure bien le musc de couche. » 22 De Toscane. Les parfumeurs toscans étaient réputés. 23 Ou que ce soit. Le coton brut diffuse une senteur caractéristique. 24 Il parfume son corset. 25 Je m’en suis bien aperçu en y appliquant mon nez. 26 Si j’ai d’autres épices qu’un oignon, deux têtes d’ail et une échalote. 27 Et si pour tel ou telle. 28 Je veux bien. Les singes ont le cul pelé. 29 Éd : Dis tu (Gagnes-tu ta vie en vendant des étoffes ? « Les habitans vivent de la draperie & d’agriculture. » Lucas Chartier.) 30 De lin. « Sans drap vestir, de linge ne de laine. » Villon. 31 Je n’ai de rond que mon anus. L’adjectif « rond » se rapporte à la forme des pièces de monnaie : « Or, par saint Jaque, n’a plus ront/ En tout mon hostel qu’une bille. » Les Menus propos. 32 Je n’ai rien mangé. Même vers dans le Gaudisseur. 33 Pièce valant 2 deniers. Humer = boire : « Pour humer un tastin/ De muscat. » Frère Fécisti. 34 Quand on. 35 Je vais. Idem vers 194. Beaucoup de mendiants font mine de boiter pour attirer les dons. 36 Quel gaillard. « Quel valeton ! » Le Prince et les deux Sotz. 37 Par les écumeurs des mers. Les corsaires barbaresques enlevaient des voyageurs chrétiens pour obtenir une rançon. 38 Dans un bras de mer. 39 Qu’il acquerra une grande renommée. 40 De l’argent. « Il n’emportera rien du mien. » La Laitière. 41 Éd : mappartienne (Qui se respecte.) Jeu de mots : Qui sa part tienne. 42 Éd : Ouay 43 Ou il fait partie des commissionnaires d’un usurier. 44 Il y paraît. Voir le v. 23. 45 N’ayant pas les moyens de tenir une boutique, tu vends sur les marchés. 46 Des lacets. Toulifaut prétend que Trouillard possède une mercerie. 47 De fil. Les sonnettes sont les grelots cousus au costume et au bonnet des fous. « Mymin à sonnètes ! » Le Monde qu’on faict paistre. 48 Pièces de monnaie valant 5 deniers. 49 Je renie saint François d’Assise. « Je regny sainct Gris ! c’est ung cul ! » Trote-menu et Mirre-loret. 50 Ou le diable avait revêtu ton justaucorps et avait pris ton apparence. 51 Ton calendrier. 52 Éd : belistre (Le bésistre désigne le jour bissexte, le 29 février.) 53 L’aiguillette est le cordon qui ferme une braguette. Idem vers 82. On devine de quel « jeu » il s’agit. 54 Quand soufflait le petit vent. Les bélîtres font l’amour en plein air, comme en témoigne la Chanson sur l’ordre de Bélistrie, de Jehan Molinet. 55 À la fin, nous nous trouverons parents : il sera mon gendre. 56 Éd : iouasmes (Les éditions antérieures donnent goussasmes ; pour une fois, c’est elles qui ont raison.) Mot d’argot : « Gousser, c’est manger. » (Guillaume Bouchet.) Sur l’argot dans les Mystères, voir la notice de Gautier et Martin. 57 « Cagnard, qui est un lieu à l’abri du vent, exposé au soleil, où les vaut-riens & fainéants s’assemblent à rien faire & estre le ventre au soleil. » (Jean Nicot.) Cf. Gautier et Martin, vers 48. 58 Trouillard et Toulifaut ressemblent fort à Paillart et Briffaut, deux vagabonds du Capitaine Mal-en-point : « –Comment m’appelle-t-on ? –Paillart./ –Je puisse mourir enragé/ Se ces parolles ne sont vrayes ! » 59 Vrai. 60 Tu es très grand. 61 Loqueteux. « Ce n’est c’un loquebault. » Le Trocheur de maris. 62 Gaillard. 63 Pour peu qu’il soit bien habillé. 64 C’est le portrait de son père tout craché. On reconnaît la scène où maître Pathelin compare le drapier à son père : « Que resemblez-vous bien, de chière/ Et de tout, à vostre bon père…./ C’estes vous (fais-je), tout crachié. » 65 Mendiant. 66 Même s’il n’avait fait. 67 Question idiote ! 68 Tâche de nous convaincre que tu n’as pas dîné. 69 Depuis que je fus expulsé de mon logis. 70 Je te donne l’autorisation de réchauffer tes mains dans mon cul. 71 Cf. le Capitaine Mal-en-point, dont l’un des bélîtres se nomme Paillart. Mauduit pose son bissac pour montrer qu’il veut en venir aux mains avec Trouillard. 72 Le double sac que les mendiants portent sur leur épaule ou sur leur col. Idem vers 58 et 226. « Le povre bélistre,/ Il avoit le bisac au col. » La Mocqueresse mocquée. 73 Si mon estomac n’était pas si chargé, après le festin que Toulifaut et moi venons de faire. Ce festin imaginaire est invoqué pour taquiner Trouillard. 74 Sur le champ. Cf. le Capitaine Mal-en-point, vers 670. 75 Voir le v. 256. 76 D’où diable. 77 Des lapins. Personne n’aurait servi des mets aussi fins à des clochards, comme ils le reconnaîtront eux-mêmes aux vers 244-9. 78 Bâfré. Même mot d’argot à 229. 79 Comment il nous interroge (argot). « Qu’on en enterve/ Puis l’ung, puis l’autre ; et là, orrez/ Se remède trouver pourrez. » Mystère de l’Incarnation. 80 Éd : Quil 81 De ne penser qu’à manger. « C’est laide chose qu’ung servant/ Qui est en ce point sur sa bouche. » Le Capitaine Mal-en-point. 82 Que ce vin va droit au cœur. « Le vin d’Espagne touche au cœur. » Dict. de l’Académie françoise. 83 Qui fait oublier le rosette, un vin blanc du Périgord. « Vin d’Arragon, vin de rosette. » Le Gaudisseur. 84 Que ce vin vous fasse un mauvais profit ! 85 Raconte-lui le dessert. 86 Je me lèche les lèvres avec gourmandise. 87 En sauce au vin et à l’oignon (cive). « Voulez-vous ce lièvre au boussac,/ Ou s’on le mectra au civé ? » Le Capitaine Mal-en-point. 88 Il n’aurait fallu que me secouer l’oreille pour me réveiller. 89 Pour me secourir, me reconstituer. 90 Tête de mule. Cf. Ung Fol changant divers propos, vers 177. 91 M’aid Dieu : que Dieu me vienne en aide. 92 Aujourd’hui. Idem vers 170 et 228. 93 Plus honorablement. 94 On se méfiait des mendiants qui opéraient en équipe. « Y n’est poinct plus grand desplaisir/ Que tant de truans [mendiants] à un huys. » Les Mal contentes. 95 Certains mendiants accaparent le titre de pèlerins pour que les bons chrétiens soient tenus de leur faire la charité. Le faux pèlerin des Premiers gardonnéz s’écrie : « (Celui) qui me donne,/ Il fait bien et grant charité. » 96 Depuis ce matin. 97 Et pourtant, Toulifaut a mangé plus de dix fois. 98 Le centurion romain Cornélius, qui va bientôt devenir chrétien, est une dupe idéale pour nos trois filous. Son aide de camp, le chevalier Émélius, paraît un peu moins naïf. 99 Pour cela. 100 Vais. 101 Quand ils sont grevés par les tourments. Les éditions antérieures indiquent en marge que ce prêche emprunte au Psaume 40, à St Luc et au Livre de Tobie. 102 Émélius donne une grosse quantité de nourriture à Trouillard, qui la met dans son bissac (vers 226). 103 Que Dieu le lui rende, là-haut. 104 Nourri. « Vous serez souppéz en plénier [en abondance]. » (Le Capitaine Mal-en-point.) Émélius feint de ne pas entendre, et retourne chez le centurion. 105 Éd : Toussant (Les éditions antérieures donnent : Touffault.) L’expression « truffant, moquant », ou « truffant, bourdant », signifie : soit dit sans vouloir vous offenser. 106 Éd : lairrois 107 Ce morceau. 108 D’après ce que vous dites. Trouillard devine enfin que les agapes dont se vantent ses rivaux relèvent de la mystification ; maintenant, c’est lui qui va rire des autres. 109 Pour quelle raison (mot latin). « Dy-moy quaré/ Tu me viens faire ce meschef. » Les Trois amoureux de la croix. 110 Bâfré. Même mot d’argot à 139. 111 Il va y avoir un mort. « Il y en aura de mors :/ Il y moura l’un de nous deulx. » L’Avantureulx. 112 Nous partions. « Jamais d’icy n’eschaperon. » Saincte-Caquette. 113 Éd : Ouay (Au vers 137, Mauduit et Toulifaut ont prétendu avoir mangé du chapon.) 114 Bien naïf, pour avoir cru nos fanfaronnades. « Vous estes bien neuf ! » Le Dorellot. 115 Je te décrivais. 116 Je plaisantais. 117 Je parle sérieusement. 118 Éd : Maudine. (Mau dîné = mal nourri. Mais la rime des vers 1, 4 et 7 confirme Mauduit, tout comme les éditions antérieures. Je corrige la même inadvertance aux rubriques 259 et 263.) 119 Je crois que vous avez réellement fait ce banquet. 120 Partageons. « Voicy mignons hardis et promptz/ Pour faire départir ung rost [rôti]. » Régnault qui se marie. 121 Secouer, battre comme un tapis. 122 Probable refrain de chanson. Le 5ème Livre de Rabelais <chap. 32 bis> énumère des chansons réelles, dont l’une, qu’on n’a pas retrouvée, s’intitule Catherine. En outre, il y a peut-être un nouveau clin d’œil à la Farce de Pathelin : « Il luy fault or ? On le luy fourre ! » 123 Si j’entre dans un accès de folie. « Mais ès fèves plus en entra,/ Cuidant par ung désir volaige/ La tourner à son avantaige/ Pour en jouir légièrement. » (Alain Chartier.) C’est là le développement d’un proverbe : « Quand les fèbves sont flories,/ Les sots commencent leurs folies. » Cotgrave. 124 Voir le v. 128. Trouillard tape sur Mauduit (vers 260). 125 Que le diable l’entraîne en enfer sans retour. 126 Nous devons le faire assigner devant un tribunal. On songe à cet escroc de Pathelin qui, lui-même escroqué par un berger, menace de le faire pendre ou emprisonner. 127 Il restituera. Double sens : il vomira. Jeu de mots semblable dans Pathelin : « –Ilz m’ont fait tout rendre…./ –Mes neufz frans ne sont point rendus. » 128 En ayant la main garnie de nourriture, pour soudoyer le juge. Un avocat du Plaidoyer de Coquillart se nomme « maistre Oudard de Main Garnie ». 129 Un maître Aliboron est un conseiller qui masque son incompétence derrière du mauvais latin. « Quel maistre Aliborum !/ Comme il fait ce latin trembler ! » Maistre Mimin estudiant. 130 « On dit proverbialement & populairement : Beati garniti vaut mieux que beati quorum, pour enseigner qu’il faut tâcher d’avoir toûjours la main garnie quand on a à contester quelque chose. » (Furetière.) Le Fol de la Moralité du Lymon et de la Terre (T 19) déclame ce dicton, que Monluc reprendra dans sa Comédie de proverbes. 131 La farce s’interrompt provisoirement. Le vers suivant du Mystère, qui rime avec celui-ci, est prononcé par Jésus. 132 Cet épisode se déroule un peu plus tard. Il ne figure pas dans les éditions antérieures : quand il fallait faire des coupures dans un Mystère, on sacrifiait toujours la farce (voir ma notice de Baudet, Blondète et Mal-enpoint). Pour des raisons pratiques, je numérote ces vers à la suite des précédents. 133 Si l’on pouvait. 134 Je ferais aux dupes une requête énoncée avec des paroles plaintives. 135 Selon mon usage. 136 Argot. Les « gueux de l’ostière » constituent une confrérie de mendiants qui vont de porte en porte. « Par l’artifice des meschans bélistres de l’ostière. » Godefroy. 137 Trouillard s’organisa si finement. 138 Il ne nous en laissa pas une seule part. 139 Nous avons là un superbe zeugma : il prit tout, mais il ne prit pas notre défense. 140 S’il ne veut pas se conduire. Cette Fraternité n’est autre que la confrérie des gueux de l’ostière, dont les règles étaient fort strictes. 141 Dans les farces, un tel serment fait toujours rire. Le prêtre des Povres deables n’hésite pas à jurer : « Et ouy, par ma virginité ! » 142 Le mauvais tour que j’ai commis à vos dépens. 143 D’un bordel, pendant… 144 Si je n’ai bu du jus de raisin fermenté, du vin. 145 Une livre = 20 sous. Mais « sols » se prononçait comme « sots » ; le public a donc pu comprendre : Je vaux mieux qu’une livre de sots. Cf. la Folie des Gorriers, vers 640 et note. 146 Mendier. 147 De bâfrer que mon cœur défaille. Cf. les Coquins, vers 61. 148 Gondopharès, roi des Indes. 149 Encore un pigeon chrétien qu’on va pouvoir plumer. Malheureusement, cette scène a été omise ou supprimée par les trois éditions : voir la note 132. 150 Je me suis repu de nourriture et de vin. 151 Sans délai. 152 En faisant le dévot. Cette revendication du droit à l’hypocrisie va être mise en pratique dès la scène suivante. 153 Saint Thomas donne aux bélîtres une grosse somme qu’il a extorquée au roi, et qu’il accompagne d’un sermon rébarbatif. Trop heureux de remplir leurs poches à si bon compte, les mendiants lui font croire qu’il est parvenu à les convertir au christianisme ; si Paris vaut bien une messe, une aumône importante vaut bien une fausse conversion. Notons que dans le 4ème Livre du mystère, Mauduit et Toulifaut, devenus respectivement sergent et geôlier, persécuteront les chrétiens. Saint Thomas ne l’aurait pas cru ! 154 Selon mon (faible) pouvoir. 155 Nous retrouvons les trois bélîtres à la fin du 5ème Livre. Ils déplorent la mort de leur plus généreuse donatrice. Au bout d’un suspense hitchcockien de 23 vers, nous découvrons qu’il s’agit de la Vierge Marie. Cet épisode irrévérencieux, qui ne figure pas dans les éditions antérieures (note 132), est apocryphe : l’orthographe des noms propres a changé ; mais surtout, on ne reconnaît plus le style fluide de Gréban, qui était mort depuis belle lurette quand ses Actes des Apostres parurent, après avoir subi les inévitables retouches induites par les représentations de 1536 et de 1541. 156 Adverse. Même vers dans les Maraux enchesnéz où, comme ici, des bélîtres se plaignent de leur sort. 157 Notre réconfort. Ces plaintes démarquent mot pour mot celles des amants qui ont perdu leur bien-aimée. Sauf que chez nos bélîtres, l’amour de l’andouille et du jambon va bientôt supplanter l’amour de Marie (vv. 393-4). 158 Nous soustraire notre bien. 159 Retirer. 160 Réclamer de l’aide. 161 Éd : nous a (Quand la Mort a pris notre bienfaitrice, pour notre plus grand malheur. « Ilz s’en départirent à leur grant malheure. » Perceforest.) 162 Le premier prix : elle était le summum de la charité. 163 Nulle ne l’a précédée, et nulle ne lui succédera. 164 La meilleure. Vocabulaire amoureux : « Ma Dame est l’outrepasse des dames. » ATILF. 165 Car le péché ne l’a jamais vaincue, et ne s’approcha jamais d’elle. 166 Et qu’elle l’a conçu. 167 Due, normale. 168 Notre bien. 169 La quête. 170 L’ex-tenancier de bordel (vers 296) a l’esprit ailleurs. 171 Informés. « Tu es par toy-mesme record/ Que deux coquins [mendiants] ne vallent rien/ À un mesme huys. » Le Pardonneur. 172 De nous récompenser. 173 On ne voit pas souvent les bigots donner aux pauvres. 174 Font l’ouvrage de reins. « Je besongne occultement [copule secrètement]/ En contrefaisant la bigotte. » Farce de quattre femmes, F 46. 175 Clairsemées, rares. 176 Pour mendier en quelque lieu. 177 Par ma religion, le paganisme. Cf. Gournay et Micet, vers 85, 96, 319 et 335. 178 Éd : inuentoire. (Pour nous en faire une offrande. « Pour faire offertoire/ Du pain de vie. » N. Osmont.) L’imprimeur a dû craindre un amalgame — d’ailleurs voulu par l’auteur — avec l’Offertoire liturgique. 179 Éd : bancquet. (Pour le remplissage de notre ventre.) 180 Peut-être. Cf. le Poulier à sis personnages, vers 113. 181 La peau de notre ventre. 182 Éd : Si (Ne feigne pas, ne fasse pas semblant de.) 183 Éd : En (Afin que notre bissac ne soit pas rapporté aussi vide qu’à l’aller.) Le bissac est l’enseigne des mendiants, leur emblême : voir la note 72.
BAUDET, BLONDÈTE ET MAL-ENPOINT
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BAUDET,
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BLONDÈTE ET
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MAL-ENPOINT
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Une farce est une pièce comique jouée par un petit nombre d’acteurs. Elle se compose d’une entrée en matière qui « plante le décor », d’un développement qui pousse jusqu’à l’absurde un sujet dérisoire, et d’une conclusion qui se prétend morale sans l’être. C’est donc bien une farce à part entière qui arrive comme un cheveu sur la soupe dans la seconde journée du Mystère des trois Doms. Son action et les 3 personnages qui la font vivre n’appartiennent pas au Mystère ; elle fut d’ailleurs supprimée lors de la création, faute de temps. Il n’était pas rare d’inclure une farce dans un Mystère, pour réveiller les spectateurs : voir la notice des Tyrans. Dans ce cas, et nous le vérifions ici, le début et la fin de la farce riment avec le vers antérieur ou postérieur du Mystère.
Le Mystère des trois Doms, composé par le chanoine Pra, fut créé en 1509 à Romans-sur-Isère. La farce était prévue pour la matinée du 28 mai.
Ce Mystère est d’une totale invraisemblance historique, avec ses anachronismes et ses personnages qui ont vécu à des époques et en des lieux différents — pour peu qu’ils aient existé. Nous assistons à la mort de l’empereur Septime Sévère, en l’an 211 ; mais les actes que le chanoine Pra lui attribue concernent plutôt Marc Aurèle, mort en 180. En tout cas, il faut faire un gros effort d’imagination pour admettre que la farce, où achèvent de rouiller des armures rescapées de la guerre de Cent Ans, se déroule dans la Gaule romaine.
Source : Bibliothèque nationale de France, ms. NAF 18995, folios 115 vº à 120 rº.
Structure : Rimes abab/bcbc, rimes plates, avec 2 poèmes à refrains.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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BLONDÈTE, quoquine1, femme de
Baudet, commance.
Baudet ! SCÈNE I
BAUDET, coquin, commance.
Hau ! qu’esse ?
BLONDÈTE
Dormirez-vous toute journée2 ?
Levez-vous sus !
BAUDET
Laisse-moy, laisse,
Vielhe putain déshordonnée3 !
BLONDÈTE
5 La guerre a esté cryée
De par les empereurs romains4.
BAUDET
C’est bien soufflé5 !
BLONDÈTE
Ouy ? Pour ces mains,
La journée [e]n est assignée6 :
Ne les tenez pas en paresse.
BAUDET
10 Point n’yrey avant la dîgnée7 :
À moy seroit trop grant simplesse8.
BLONDÈTE
Baudet !
BAUDET
Hau ! qu’esse ?
BLONDÈTE
Dormirez-vous toute journée ?
Levez-vous sus !
BAUDET
Laisse-moy, laisse,
Vielle putayn déshordonnée !
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MAL-ENPOINT 9, coquin, commance.
15 Bonne matinée ! SCÈNE II
BLONDÈTE
Si10 me soit donnée
Pour mon passe-temps !
MAL-EN-POINT
Sans querre noyses ny contans11,
Soucy, chagrin hors je veux mettre.
20 Mars12 gard les gueux !
BAUDET
Et à vous, maistre !
MAL-ENPOINT
Qu’est cecy ? Es-tu sus l’embûche13 ?
Que fais-tu là ?
BAUDET 14
Je m’esperluche15.
BLONDÈTE
Il a santy quelque picard16.
BAUDET
Il y demourra, le rifflard17 !
25 Besoing n’est jà que l’on l’embûche18.
MAL-ENPOINT
Que fais-tu là ?
BAUDET
Je m’esperluche.
BLONDÈTE
Il a santy quelque picard.
BAUDET
Où va le seigneur, ainssi tart,
Tenant gravité honnorable19 ?
MAL-ENPOINT
30 Je m’en voys20 dessoubz l’estandart
De Noblesse la favorable.
BAUDET
Vostre parler est raisonnable.
Estes-vous de la21 Gentillesse ?
MAL-ENPOINT
Voyre : des chouses22 de sa prouesse,
35 Raige j’ay fait par mons et vaux.
BAUDET
Pour fournir deux grans hôpitaux,
Voustre personne est [bien] propice23.
Ha ! gentil-homme ?
MAL-ENPOINT 24
D(e) haulte lisse25.
[BAUDET]
Gentil-homme de basse taille26
40 Qui, par deffaulte d’une maille27,
Demourriez seiché28 au gibet.
MAL-ENPOINT
À toy dresse29 le quolibet !
Esse cy le chemin de Romme ?
BAUDET
Où veult aller vostre personne ?
45 Quérez-vous quelque prélature30 ?
MAL-EN-POINT
Nenny : je vois, à m’avanture31,
Me présenter à l’Empereur.
BAUDET
Et là, que fère32 ?
MAL-ENPOINT
Querre honneur ;
Je serey des chiefz [de] la guerre.
BAUDET
50 De joye tout le cueur me serre.
Vous serez ung vaillant archier33 !
Meilleur trongne de pâtissier
Vous avez34 que de capitayne.
MAL-ENPOINT
Et ! je l’ay ? Ta fièvre cartayne35,
55 Poulieux infâme, ort bellistre36 !
BAUDET
Bien déclairez cy vostre tiltre37.
Il y pert bien à vous abis38,
À vous ocqués39, à vous rubis
Que vous portez sus le visaige :
60 Oncques je ne vis tel ymaige
Mieulx resamblant à ung yvroigne.
MAL-ENPOINT
Si je puys, feray ma besoigne.
Pourveu serey40 avant dix jours.
BAUDET
Le[s] poux ont sus vous beaux séjours41.
65 Vostre pourpoint n’est costonné42 :
Garde n’avez d’estre estonné43,
[Mais que]44 vous soyez en bataille ?
MAL-ENPOINT
Dix francs [par moys]45.
BAUDET
Voire, sans faille46,
Tout vostre argent est jà conté47 ;
70 Autant en yver qu’en esté,
Vous serez sus la morte-paye48.
MAL-ENPOINT
Vestu serey49…
BAUDET
Leynne de soye
L’on vous gettera sus le doux50.
MAL-ENPOINT
… [D]e draps d’argent.
BAUDET
Voyre de « poux51 » :
75 Ce sera vostre couverture52.
BLONDÈTE 53
Endure, pouvre cueur, endure !
Endurer fauldra meintenant,
Car je vois mon mary venant54
Tout seuremant à la guerre à s’avanture55.
BAUDET
80 Je cuyde que ma femme pleure ;
Ou aulmoins, elle en fait semblant.
BLONDÈTE
Que fait le gueulx56 ?
BAUDET
Trèstout tremblant
M’avez randu, à vostre crye57.
BLONDÈTE
Que dit Baudet ?
BAUDET
Je dis, m’amye,
85 Que j’ay compaignie de [ma] sorte58
Qui s’en va — d’où je me conforte —
À la guerre gaigner pécune.
BLONDÈTE
Et d’où est-il ?
BAUDET
De Panpelune59 :
Le pouvez veoir à ses abitz.
MAL-ENPOINT
90 Je ne prans garde à blanc n’à bis60,
Autant vestu comme en pourpoint61.
BLONDÈTE
Et vostre non ?
MAL-ENPOINT
C’est Mal-enpoint,
Le capitaine advanturier.
BAUDET
À luy seray sans varier62,
95 [Mais que bons gaiges]63 il me donne.
MAL-ENPOINT
Garde n’as que nully t’estonne64,
Mais que tu soyes soubz ma bande65.
BAUDET
C’est, ma foy, tout ce que demande,
Car estonné ne vouldrois estre.
BLONDÈTE
100 Baudet a trouvé cy son maistre,
Ung capitaine de renon66.
Vous y yrez ?
BAUDET
Juppin ! c’est mon67 :
Refuser ne veulx l’advanture.
MAL-ENPOINT
N’ayez soucy : mays qu’il endure68,
105 Riche sera en peu de temps.
As-tu armure ?
BAUDET
De long temps
J’ay les arnois69 de mon grant-père.
MAL-ENPOINT
Avoir les fault !
BAUDET
Çà, ma commère,
Y convient cy que vous m’armez.
BLONDÈTE
110 Par mon âme ! vous m’estonnez,
Quant me parlez de tel langaige.
BAUDET
Où est mon jacques70 ?
BLONDÈTE
Et que sçay-je ?
Despuis71 vous, je ne l’ay tenu…
BAUDET
Si en serey-je revêtu ;
115 Apourtez-le-moy, si voulez.
BLONDÈTE
Vestu vrayement en serez.
Velle cy72, trèsbel et honneste.
BAUDET
Ne seray-je pas de la teste73 ?
Si seray, dea : çà, ma sallade74 !
BLONDÈTE
120 J’ay peur que ne soyez malade,
De tant vestir d’accoustremans.
BAUDET
Hardy seray !
BLONDÈTE
Ouy, si ne mans75.
Par où esse qu’i la76 fault mettre ?
BAUDET
Ma teste dedans fault remettre.
125 Maintenant ell’ est à ma guise.
Mes gantellés77 !
BLONDÈTE
Belle devise78 !
Vous convient-il armer les mains ?
BAUDET
Mes garde-bras79 !
BLONDÈTE
Cella, du moins,
Trop vous affeublez80, sus mon âme !
130 Hé ! mon amy…
BAUDET
Qu’i a, Madame ?
BLONDÈTE
S’on vous frappe sus les… tallons81,
Que direz-vous ?
BAUDET
Mes esperons,
De quoy serviront-ilz, Blondète ?
MAL-EMPOINT
Est-il en point ?
BLONDÈTE
Veez-le cy, preste82,
135 Tout armé comme ung beau saint George.
Vous y ferez…?
BAUDET
Randre la gorge
À celluy quy ne me doit rien,
S’il ne baille sces-tu combien ?
Des escutz une plaine tace83.
BLONDÈTE
140 N’obliez pas vostre besasse84,
Pour réduyre tous ces arnas.
BAUDET
Vestu me verras de damas85,
Blondète, quant je reviendrey.
BLONDÈTE
Et vostre espée ?
BAUDET
Je la larrey :
145 Ce sera pour86 ta saulvegarde.
BLONDÈTE
Et s(i) on vous bat ?
BAUDET
En ce cas, garde87,
Garde n’ay de tant m’approucher !
BLONDÈTE
Vous serez donc bon franc-archier,
Pour vous tenir à l’uys derrière88.
150 S’on vous assault ?
BAUDET
Et ! moy arrière
Me recullant tout le beau pas89.
BLONDÈTE
Et direz ?
BAUDET
Que je n’y suys pas90 :
Aultremant, l’on m’affoleroit91.
MAL-ENPOINT
Départir il nous conviendroit,
155 Car nous pardons avancemant92.
BAUDET
Où yrons-nous ?
MAL-EMPOINT
Premièramant
Yrons à l’Empereur romain,
Qui nous tendra (ce croy) la main,
Nous fournissant de quelque place.
BLONDÈTE
160 Et s’il93 dîgne ?
BAUDET
Bon pro[u] luy face94 !
Je le verrey aulmoins de l’uys.
MAL-ENPOINT
Je vois davant95.
BAUDET
Et je vous suys.
Hélas, Blondète !
BLONDÈTE
Hélas, Baudet !
Gardez-vous bien !
BAUDET
Mon cas est nest96 :
165 À la guerre, ma foy, m’en voys.
.
MAL-EMPOINT SCÈNE III
Marches avant !
BAUDET
Point je97 n’y vois :
Ceste armure m’ouste la veue98.
MAL-EMPOINT
Si ta personne est cogneue
Une foys de dedans l’Empire,
170 J’ay peur que ne deveignes pire99 :
Tu ne recognoistras personne.100
BAUDET
Où est la guerre ?
MAL-EMPOINT
Mot ne sonne101 !
Nous sonmes prestz de l’Empereur102.
Avant, Baudet103 !
BAUDET
Et si104, j’ay peur :
175 Orïons me feront esmay105.
MAL-EMPOINT
As-tu soucy ?
BAUDET
Ouy, par ma foy !
Au diable soit la guerre toute !
Et ! qu’e[s]t cecy106 ? L’on n’y voit goutte.
Ma femme le me disoit bien.
MAL-EMPOINT
180 Veulx-tu venir ?
BAUDET
Estron de chien !
Allez-vous-en là où vouldrez,
Car d’annuyt107 vous ne m’y tiendrez.
Je m’en revois108 devers ma femme.
MAL-ENPOINT
Qu’esse qui bruyt109 ?
BAUDET
Alarme ! Alarme !
185 Me murtrirez-vous110, en ce point ?
Bien de guerre [n’]aurey besoing,
Si jamais je la tourne veoir.
Esse de quoy l’on scet pourveoir111 ?
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Blondète, je retourne toust112. SCÈNE IV
BLONDÈTE
190 Où avez-vous rôti le roust113,
Quant eschoffé estes si fort ?
BAUDET
Blondète, je n’estois pas fort,
Pour retourner ces114 coups de lance.
Si plate m’ont randu la pance115
195 Qu’à peinne povois-je souffler116.
BLONDÈTE
Vous n’aviez garde117 de ronfler.
Mettez-vous ung peu en repous,
Et je vous couvrirey le doux118
Affin qu’esvitez l’esquillance119.
200 Estes-vous bien ?
BAUDET
Ouÿ, ce120 pance.
BLONDÈTE
Or, repousez tout à vostre ayse.
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*
LES DEUX POUVRES
*
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Le Mystère des trois Doms prête la parole à deux autres pauvres qui vivent de mendicité121. Les trois saints du Mystère leur donnent des vêtements et des bijoux en échange de leurs prières. Telle est, du moins, la vision angélique du chanoine Pra. Hélas ! elle va être anéantie par Claude Chevalet, que les commanditaires des Trois Doms ont payé pour revoir la copie du bon chanoine, jugée un peu molle du genou. Ce futur auteur d’une Vie de sainct Christofle épicée d’argot ne patauge pas dans l’eau bénite : les deux mendiants deviennent des bonimenteurs qui se prétendent chrétiens pour exploiter la naïveté des saints. (La Vie de sainct Christofle prêtera le même subterfuge à l’Aveugle et son valet Picolin.) Les deux escrocs commentent leur forfait dans la langue verte des bas-fonds, avant d’aller boire la sainte donation à la taverne, comme Clique-pate et Malaisé buvaient l’argent de sainte Barbe. Voici le dialogue ajouté par Chevalet ; ce brouillon presque illisible fut inséré dans le ms., et folioté tardivement 108 rº et vº. Je ne reproduis pas le premier mot, « debvoir », qui n’est autre qu’un rappel de la rime précédente, prononcée par Exupère.
*
LE PREMIER POUVRE
Que te samble de nostre advoir122 ?
Avons-nous pour fère grant chière ?
N’esse pas pour fère debvoir123,
Et gaudir124, brouer sus l’enchière ?
5 Si nostre mille125 n’en est fière,
Nous luy ramplirons sa foulliouse126.
Que te samble de la matière ?
LE SECOND POUVRE
Je ne scey sus quoy l’on proupose127.
S’on povoit advoir une [a]louse128
10 Pour aubert qu’on mist sus la dure129,
Nous serions bien.
LE P[REMIER POUVRE]
N’est130 aultre chose
À mordre ? Tu renies ta cure131 !
LE SECOND [POUVRE]
Ne sçavez, quant l’on a monture132
Pour marcher sus les chans à l’aise,
15 Qu’on doit gaudir133 sus la verdure ?
Et ! ne [regardez, quoy]134 qu’i poise :
Flascon, bouteille[s] et simaise135
Devez ramplir jusqu’au bondon136,
Poulle trouver, aussi pigon137,
20 Puisque vous santez ramplumés138.
LE P[REMIER POUVRE]
Parlez plus bas ! Vous m’enfumez
Le cerveau139 pour y estre jà.
Oncques mareschal ne forja
(Ce me samble) telle monoye140 :
25 Pasté de veau, lapereau141, oye
Maintenant se desgordira142 ;
Vin de Tornon l’on trouvera
(Ce me samble), pour la pécune143.
Allons-an à nostre fortune,
30 Quar j’entens que serons ramplis.
LE S[ECOND POUVRE]
Où yrons-nous ?
LE P[REMIER POUVRE]
La Fleur du Lis144
Se trouvera assez propice.
LE S[ECOND POUVRE]
Vous conviendra-il point d’espice
Trouver, pour avoir appétit ?
35 J’ay grant peur qu’en ayez despit,
Si honneur chascun ne vous porte145.
LE P[REMIER POUVRE]
Maine-moy jusques à la porte
Des Trois Rois146, au my de la place ;
Car il est fort [bon] que j’amasse
40 Aulcune chose pour substance147.
LE S[ECOND POUVRE]
Avez-vous fein ?
LE P[REMIER POUVRE]
Platte la pance :
Ne le vois-tu à l’estomac ?
Escoute comme[nt] il fait « flac148 » ;
Tu dirois qu’il se veult retandre149.
LE S[ECOND POUVRE]
45 Quant bellîtres ont à despandre150,
Se voians sus eux six tournois151,
Il veulle[n]t faire carreaulz fandre152
Aussi bien que font les bourgois.
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1 Les 3 personnages sont qualifiés de « coquins », c’est-à-dire de clochards. De bon matin, Baudet ronfle bruyamment près du feu, devant son taudis. Sa femme, Blondette, rapporte du marché des nouvelles alarmantes. 2 C’est exactement ce que la meunière dit à son mari au vers 168 du Poulier à sis personnages. 3 Débauchée. 4 « La guerre/ Que l’Empereur a fait crier/ À son de trompe et publier. » (Claude Chevalet.) L’empereur Septime Sévère a décrété la mobilisation des réservistes gaulois pour défendre Vienne contre les menées de l’usurpateur africain Clodius Albinus, cantonné à Lyon. Par conséquent, les Gaulois se battront aux côtés de l’empereur romain. 5 C’est du vent ! Cf. le Ribault marié, vers 99. 6 Pour vos mains que voici, le jour de la bataille est prévu. Afin de faciliter la lecture, je rétablis le « e » du pronom « en », dont ce manuscrit dauphinois fait souvent l’économie : « La puissance vous ‛n est remise/ De par Jhésus le Rédempteur. » 7 Je n’irai pas à la guerre avant le dîner. En bon personnage de farce, Baudet ne songe qu’à la nourriture. 8 De ma part, ce serait de la simplicité d’esprit. « Ce seroit à moy grant simplesse. » Les Trois amoureux de la croix. 9 Il s’arrête devant le taudis du couple. Chevalet reparlera de lui au vers 81 des Tyrans au bordeau. Quelques années plus tard, une farce anonyme du Capitaine Mal-en-point glorifiera ce vieux rêveur pitoyable ; on y reconnaît de nombreux emprunts à celle-ci. 10 Aussi, qu’elle… 11 Sans chercher des sujets de noise ni de contentieux. 12 Formule de salutation entre vagabonds. Les chrétiens disent : « Dieu gard le gueux ! » (Beaucop-veoir.) Mais le capitaine, qui est gallo-romain, jure par le dieu de la guerre. De même, Baudet jurera par Jupiter au vers 102. 13 En embuscade. Jeu de mots : Être sur la bouche = ne penser qu’à manger. « C’est laide chose qu’ung servant/ Qui est en ce point sur sa bouche. » Le Capitaine Mal-en-point. 14 Il attrape un pou dans sa tignasse et il le jette au feu. Voir la note 61 du Capitaine Mal-en-point. 15 Je m’épluche, je m’épouille. « Soi espeluchier : se débarrasser de la vermine. » (FEW.) C’est là un sens argotique, peut-être influencé par les esperlucats [porteurs de perruque], dont la propreté capillaire n’était pas garantie. La 3e Ballade en jargon de Villon s’adresse aux espélicans [épouilleurs]. 16 La piqûre d’un pou. « Des picards : des poüils, parce qu’ils picquent. » (Antoine Oudin.) Ce Mystère est un de ceux qui, grâce à son coauteur Claude Chevalet, contiennent le plus d’argot. Voir l’article de Laetitia SAUWALA : Le jargon dans le Mystère des Trois Doms. Argotica, nº 1 (3), 2014, pp. 178-192. <L. Sauwala rédigea en 2016 une Édition critique du Mystère des trois doms. Cette thèse inédite n’est pas accessible au public, qui s’en tiendra donc à la remarquable édition de Giraud et Chevalier parue en 1887.> 17 Il y restera, ce goinfre ! Encore un mot d’argot. 18 Qu’on l’enchaîne dans un cachot. « Qu’il soyt en prison embûché ! » (Le Marchant de pommes.) Familiers des geôles et de leur jargon, les gueux sont bien placés pour connaître cette acception rare. 19 Le Capitaine Mal-en-point marchera « d’une bonne gravité ». 20 Je vais. Idem vers 46, 162 et 165. 21 Ms : sa (De la Noblesse. « À Gentillesse est dû honneur. » Gautier et Martin ; notons que ce dialogue argotique composé vers 1500 octroie une particule au « cappitaine de Mal-empoint ».) 22 Des choses, des actes. La farce du Capitaine Mal-en-point racontera ces prouesses guerrières. Notre manuscrit dauphinois remplace souvent « o » par « ou » : vous = vos ; doux = dos. 23 On emplirait deux hôpitaux avec tous les ennemis que vous avez blessés. Mais les sans-abri, qu’on autorise à se réfugier dans les hôpitaux, ne les emplissent que de poux : « À l’hospital prenons repos./ Puces et gros poux à piccos/ Nous font cent milles playes. » (Molinet, Chanson sur l’ordre de Bélistrie [mendicité].) Les Sotz nouveaulx farcéz résument ce rapprochement : « À l’hospital ! Des poux, des poux ! » 24 Le ms. remonte cette rubrique sous le vers 37, et met ici le nom de Baudet. 25 De haute lignée. Notre Mystère écrit souvent « haut » avec un « h » muet : « Ô Jupiter d’haulte excellence ! » « Nous servirons l’haulte noblesse. » 26 De basse extraction. « La nécessité, qui menasse aussi bien gens de basse taille que les plus grans. » Montaigne. 27 Ms : maillie (Le ms. n’harmonise pas toujours ce genre de rimes : les acteurs s’en chargeaient.) S’il vous manquait un seul centime. 28 Ms : caiche (Resteriez séché. À l’extérieur des villes, on laissait les pendus sur le gibet jusqu’à ce qu’ils tombent. « Et le soleil [nous a] desséchiéz et noircis. » Villon, Ballade des pendus.) Vous ne seriez pas assez riche pour soudoyer des juges. « Son père qui, par plusieurs foiz,/ Du gibet l’avoit racheté. » Éloy d’Amerval. 29 Adresse-toi ce sarcasme à toi-même. 30 Allez-vous chercher à Rome une sinécure de cardinal ou d’archevêque ? Posée à un païen, cette question est injurieuse. 31 Je vais, pour le meilleur et pour le pire. Le vétéran veut profiter de la mobilisation pour reprendre du service actif. 32 Le Mystère dit deux autres fois : « Et là, que fère ? » 33 Les archers sont des pleutres qui restent toujours derrière et ne s’exposent jamais, comme le stipulent les vers 148-9. 34 Vous avez plutôt une tête de pâtissier. 35 Meurs de la fièvre quarte ! Cf. Science et Asnerye, vers 291. 36 Infâme pouilleux, sale mendiant. « Est-il bellistre !/ Il est poilleux, vellà son tiltre./ Il est villain, ort et infâme. » Mistère du Viel Testament. 37 Votre propre titre de noblesse. « Gentilhomme, c’est ung beau tiltre./ (Ne dictes pas qu’il est bélistre.) » Légier d’Argent. 38 Cela apparaît bien aux taches de vin qui maculent vos habits. « Je suis bien de la morte-paye [au rancart],/ Il y pert bien à mes habitz. » (Les Sotz qui remetent en point Bon Temps.) Vous = vos, comme au vers suivant ; v. la note 22. 39 À vos hoquets éthyliques. Le rubis est une pustule rouge ornant le nez des alcooliques : « Boyre vous fait sortir rubis/ Et illumine le visaige. » Trois Doms. 40 Je serai pourvu d’un poste de commandement. 41 Une belle résidence. Le Capitaine Mal-en-point a tellement de poux qu’il embauchera un gratteur (vers 176-9). 42 A perdu son rembourrage de coton. « Dieu gart le gallant au pourpoint/ Dont on voit saillir le coton ! » Le Capitaine Mal-en-point. 43 Ne craignez-vous pas d’être frappé ? Idem vers 96 et 99. 44 Ms : maisques (Pour peu que. Idem vers 95, 97 et 104.) 45 Ms : pour moy (Je gagnerai 10 francs par mois. Anachronisme : le franc ne sera créé qu’en 1360.) Entre les vers 63 et 74, Mal-enpoint poursuit à haute voix son rêve de gloire, sans écouter les contradictions. 46 Ms : maillie (Sans faute. « Et je le vous diray sans faille. » Les Frans-archiers qui vont à Naples.) 47 Votre argent est vite compté, puisque vous n’en avez pas. « –Vous ne voyez pas nostre argent./ –Tant il seroit fort [difficile] à conter ! » Le Monde qu’on faict paistre. 48 Vous toucherez une demi-solde, comme les vétérans mis au rancart. Cf. Turelututu et Granche-vuyde, vers 194 ; cette autre farce antimilitariste est incluse elle aussi dans un Mystère. 49 On me donnera un uniforme. 50 On vous jettera sur le dos la « laine » d’un cochon. Le poil rêche des porcs se nomme la soie : « De la soye de pourceau. » Les Queues troussées. 51 Le « pou-de-soie » est une étoffe de soie épaisse et dépourvue de lustre. Mais nous avons là un calembour sur les poux, dont Mal-enpoint est infesté. 52 C’est tout ce qui vous couvrira. 53 Elle se lamente et pousse des cris. 54 Prêt à aller. 55 À son destin. Le ms. dauphinois fait rimer aventure avec pl(e)ure, comme il le fait rimer avec dem(e)ure, avec h(e)ure ou avec lab(e)ure. 56 Les textes argotiques offrent plusieurs variantes de cette formule de reconnaissance, à commencer par les Trois Doms : « Où vont les gueux ? » « Que font les gueulx ? » 57 Avec votre cri. À partir de maintenant, Baudet vouvoie son épouse, jusqu’au vers 130, où il se contraint même à l’appeler « madame », et non plus « vieille putain désordonnée ». Il croit déjà être le héros courtois d’une chanson de geste. 58 De ma sorte. « Pourroys-je trouver quelque part/ Compaignie de ma consorte ? » Trois Doms. 59 Pampe-lune est la patrie des mal nourris, qui mangent le clair de lune faute de mieux. « Je suis venu tout en jergault [en pourpoint]/ De la contrée de Pampelune. » Les Sotz nouveaulx farcéz. 60 Je ne regarde pas ces détails. Jeu de mots : les riches mangent du pain blanc, et les pauvres du pain bis. 61 Que je sois habillé ou que je sois en simple pourpoint. 62 Je serai sous ses ordres sans hésiter. 63 Ms : maisques bon gaige (Pourvu qu’une bonne solde. « Qui veullent avoir de bons gaiges/ Du capitaine Sot-voulloir. » Maistre Mymin qui va à la guerre.) 64 Tu ne risques pas que quelqu’un te frappe. 65 Pour peu que tu sois sous ma bannière. 66 « Mal-en-point,/ Ung capitaine de renom. » Le Capitaine Mal-en-point. 67 Par Jupiter, c’est mon avis ! 68 Pour peu qu’il soit endurant. Ou bien : pour peu qu’il supporte les coups de nos adversaires. 69 Le harnachement, l’armure. Idem vers 141. 70 Mon jaque, mon justaucorps. « Le jacques bien garny de poulx. » Le Capitaine Mal-en-point. 71 Après. Double sens érotique : « Frère Jacques : le membre viril. » (Oudin.) Blondette est beaucoup plus fine que son mari ; elle use d’un langage plein de sous-entendus qu’il ne perçoit pas. 72 Le voici. Blondette donne à son époux un justaucorps en lambeaux, raidi par la crasse. Honnête = propre, décent. « Un habit honneste. » Le Cousturier et Ésopet. 73 Ms : feste (Ne serai-je pas vêtu de la tête ?) 74 Mon casque. 75 Si je ne mens pas : si je ne m’abuse. « Sy je ne mans,/ Boyre yrons. » Trois Doms. 76 Ms : le (Par où faut-il vous mettre la salade ? Un sous-entendu rectal n’est pas à exclure de la part de cette finaude.) Blondette apporte un vieux casque beaucoup trop grand. 77 Le gantelet est un gant d’armure. « Sa salade et ses ganteletz. » Maistre Mymin qui va à la guerre. 78 Beau projet ! 79 Partie d’une armure qui couvre l’avant-bras. 80 Vous affublez, vous revêtez. « Il afuble son bassinet [casque]. » La Laitière. 81 Blondette, qui veut surtout protéger les parties viriles de son époux, a failli dire couillons. « Celle qui veid son mary, tout armé/ Fors la braguette, aller à l’escarmouche,/ Luy dist : ‟Amy, de paour qu’on ne vous touche,/ Armez cela, qui est le plus aymé !” » Rabelais, Tiers Livre, 8. 82 Ms : prestz (Auréolé de prestance.) 83 Bourse. « Prens dix escus en ma tasse. » (Le Ramonneur de cheminées.) Non contents de se livrer au pillage, les soudards mettaient à rançon leurs prisonniers ; ils égorgeaient ceux qui n’étaient pas solvables. 84 Blondette semble dire : Pour y mettre tout cet argent. Mais elle sous-entend que Baudet n’aura besoin d’une besace que pour rassembler son harnachement, son barda. 85 D’étoffe précieuse. « Vestus de damas blanc. » ATILF. 86 Ms : par (Je la laisserai pour que tu puisses te défendre contre les violeurs. Baudet ne va pas à la guerre pour se battre mais pour s’enrichir.) 87 On croit comprendre : Je garde l’épée. Mais le vers suivant précise la pensée du couard. 88 À la porte de derrière : à l’arrière-garde. Anachronisme : les francs-archers ne seront créés qu’en 1448. 89 Je me reculerai en arrière d’un bon pas. 90 Que je ne suis pas là. Cette excuse de poltron se décline sous plusieurs formes ; par exemple, maître Mymin affirme aux assaillants qu’il s’est enfui de peur (v. 309) et que ce n’est donc pas lui qu’ils ont en face d’eux (vv. 312 et 314). 91 On m’assommerait. 92 Nous perdons notre avance. 93 Ms : ceil (Et s’il est en train de dîner.) 94 Nous boirons à sa santé. « –Je bois à vous d’autant !/ –Bon preu te face ! » L’Aveugle et Saudret. 95 Je vais devant. 96 Net, sans ambiguïté. 97 Ms : ne (Je n’y vois pas : mon casque trop grand me tombe sur les yeux.) 98 Ms : vyeue (M’ôte la vue.) 99 Ms : sire (« Et la maulvaise en devient pire. » Deux hommes et leurs deux femmes.) 100 Une didascalie précise que, non loin de là, les spectateurs peuvent voir un officier et des sergents conduire à Vienne les trois héros du Mystère. Les Mystères mobilisaient plusieurs plateaux simultanément ; l’attention du public allait vers les endroits où l’on parlait, mais l’œil captait le reste. Voir la notice du Brigant et le Vilain. 101 Ne dis plus un mot ! 102 Les deux bravaches n’ont fait que quelques mètres et ne sont donc pas à Rome ; c’est l’empereur Sévère lui-même qui doit venir protéger Vienne : « De vous armer vous fault haster,/ Car l’Empereur s’en va en France. » Trois Doms. 103 C’est le cri que poussent les âniers pour faire avancer leur bête. « Avant, baudet !…./ Hay avant, bodet ! » Cautelleux, Barat et le Villain. 104 Cependant. 105 Les horions que m’assèneront nos ennemis me donneront de l’émoi. 106 Son casque lui est retombé sur les yeux. 107 De tout aujourd’hui. « D’anuyt, besoing n’auront d’estre évantéz. » Trois Doms. 108 Revais, retourne. Dans une circonstance analogue, le jeune troupier Phlipot a la même réaction : « Je m’en revoys cheulx mes amys. » 109 Sous l’effet de la peur — tel qu’il se traduit dans les farces —, Baudet vient de lâcher un pet sonore bien digne de l’animal dont il porte le nom. Mais il croit que Mal-enpoint a entendu venir l’ennemi. 110 Me tuerez-vous ? Aveuglé par son casque, Baudet implore la clémence des prétendus ennemis. 111 Peut-on prévoir le résultat d’une guerre ? Baudet retourne sur ses pas en courant. 112 Plus tôt que prévu. Baudet arrive en sueur. 113 Devant quel feu avez-vous tourné la broche, pour transpirer ainsi ? Les soldats des farces passent plus de temps à rôtir les poules qu’ils ont volées qu’à combattre. 114 Ms : ses (Pour rendre à mon adversaire.) 115 Ils m’ont tellement affamé, pendant le long quart d’heure que j’ai passé à la guerre. Voir le vers 41 du dialogue que je publie sous la farce. 116 Respirer, avoir un souffle de vie. 117 Vous ne risquiez pas. 118 Le dos. Idem vers 73. Blondette pose sur les épaules de son mari la peau de porc que mentionne le vers 72. 119 L’esquinance, l’angine ; cf. le Roy des Sotz, vers 214. Les femmes des farces déforment systématiquement les termes techniques : voir la note 58 du Vendeur de livres. 120 Ms : se (Je pense.) 121 Le premier fut d’ailleurs joué par « messire Loÿs de l’Omosne », ça ne s’invente pas ! 122 Le 1er Pauvre, qui est aveugle (vers 37), ignore quelle somme vient d’être extorquée aux trois dupes. Son valet minore ce gain commun pour augmenter sa part. 123 Pour boire. « Vien boire avec nous, s’il te plaist ;/ Et fais, comme nous, ton devoir ! » Gournay et Micet. 124 Se réjouir. Idem vers 15. En argot, brouer sur l’enchère = surenchérir. 125 En argot, la mille est une concubine que les gueux se partagent : « Une garse, c’est une mille ; & en bon patois [argot], on dit : ‟River le bis [la vulve] à la mille.” » (Guillaume Bouchet.) « Ha ! mille escus, seroit mon conte rond/ Pour desgordir [pour les engloutir] avecques nostre mille. » (Trois Doms.) Ce mot, qui rime avec Camille et non avec Émile, est une prononciation caricaturale de « mi-e » [amie] : « Ma mÿe, donnons-nous soulas. » Le Pèlerinage de Mariage. 126 Mot d’argot. « Fouille, ou fouillouze : bourse. » (La Vie généreuse des mercelots, gueuz et boësmiens.) « Qui pourroyt ung marchant junchier [tromper],/ L’on desgreveroit [allégerait] sa foulliouse. » Trois Doms. 127 Je ne sais de quoi vous parlez. 128 Une alose, un poisson bon marché. « Autant m’est lamproye qu’alouze. » Trois Doms. 129 Pour le peu d’argent qu’on mettrait sur la table. En argot, l’aubert désigne l’argent : « Mince [pauvre] d’aubbert, quérans fortune. » (Trois Doms.) Et la dure désigne la terre : « On a couru les champs/ Et broué [couru] longtamps sus la dure. » Trois Doms. 130 Ms : cest (N’y a-t-il pas.) 131 Ta religion. Les chrétiens mangent du poisson les jours maigres, mais les païens ne sont pas concernés. 132 Quand on a les moyens de se payer un cheval. 133 Folâtrer. « Mais que maleur ne nous enchante,/ Nous gauldirons sur la verdure. » Mystère de saint Martin. 134 Ms : regarder que (Ne regardez pas à la dépense, quoi que cela pèse, coûte. « Non feray, car trop yl me poise. » L’Arbalestre.) 135 Une cimaise, un pot à vin. Cf. le Sermon joyeux de bien boire, vers 86. 136 Ms : donꞥon (Jusqu’au bouchon.) 137 Et un pigeon. 138 Puisque vous vous sentez remplumé financièrement. Jeu de mots sur les plumes de la poule et du pigeon. 139 Vous m’enivrez. « Le vin débile [faible en alcool] est celui qui moins eschauffe et moins enfume le cerveau. » Godefroy. 140 Une telle nourriture. 141 Ms : lapette (Le jeune lapin est un mets de choix ; cf. Légier d’Argent, vers 229.) 142 Sera vite expédié. « Je desgourdirois/ Un jambon ! » Le Badin qui se loue. 143 Pour ce prix, on trouvera du vin de Tournon-sur-Rhône. 144 Anachronisme : cette auberge de Romans accueillait des personnalités venues pour le Mystère. 145 Si chacun ne vous porte un toast. 146 Autre auberge de Romans ; nous savons que le chanoine Pra y logeait. Au my = au milieu de la salle. « Au my de la place. » Mystère de saint Sébastien. 147 Quelque chose pour me sustenter. 148 Onomatopée imitant le bruit flasque produit quand un joueur de paume frappe un éteuf dégonflé. 149 Regonfler. 150 Quand des mendiants ont de l’argent à dépenser. 151 Voyant qu’ils ont sur eux 6 deniers. 152 Ils veulent que la chaleur fende le carrelage qui est devant la cheminée du cuisinier.
UNG BIAU MIRACLE
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UNG BIAU
MIRACLE
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Le fatiste inconnu qui composa vers la fin du XIVe siècle les Miracles madame sainte Geneviève a parfaitement rempli son cahier des charges : ce Mystère de 3127 vers1 baigne dans un prêchi-prêcha qui, à l’époque, faisait hausser les yeux vers le Ciel, et qui aujourd’hui ne nous fait plus hausser que les épaules. Mais le naturel comique de cet auteur transparaît à plusieurs reprises, au point qu’il s’éloigne parfois de son austère modèle latin pour faire rire le public. Par exemple, avec une précision d’inquisiteur, sainte Geneviève accuse une nonne de s’être laissé déflorer par le berger de Gautier Chantelou, dans le jardin de celui-ci, très exactement sous un pêcher, le 3 avril, à la tombée du jour. Nul doute que si le bracelet-montre avait existé, la sainte nous eût révélé l’heure du crime ! Ailleurs, on assiste à une bataille entre des anges et des diables qui se cognent dessus en jurant comme des charretiers. Plus loin, deux porchers dialoguent dans le plus pur style de leur profession :
2129 —Foucault, veulz-tu oïr nouvèles ? —Foucaud, veux-tu entendre des nouvelles ?
—Oïl bien, mèz qu’ilz soiënt tèles —Oui, pourvu qu’elles soient d’une gaîté telle
Que mon ventre breneus s’en sente2…. Que mon ventre plein de merde en soit déchargé.
2161 —Tu as le cul tourné au prône. —Tu tournes le cul à l’église.
Foy que je doy saint Grisogone3 ! Par la foi que je dois à saint Grisogone !
Se tant ne quant tu m’atouchoies, Si tu me touchais si peu que ce soit,
Jamaiz ne heurtebilleroies4 Jamais plus tu ne serais en état de tamponner
Fame qui soit des[so]uz la lune ! Une femme en ce bas monde !
Dans un langage tout aussi fleuri, deux maçons et un charpentier se plaignent d’avoir soif ; sainte Geneviève, égalant Jésus, reproduit pour eux le miracle qu’il avait accompli aux noces de Cana :
2343 Dieu, qui muastes l’iaue en vin Mon Dieu, qui avez transformé l’eau en vin
Ès nopces chiez Archédéclin5 : Aux noces chez Architriclin :
Vueilliez cy vostre grâce estandre ! Veuillez étendre votre grâce jusqu’ici !
Et donc, les trois ouvriers se soûlent grâce à Geneviève :
2412 —Qui oncques-mèz vit tel bevrage ? —Qui vit jamais un si bon breuvage ?
Emplez, pour Dieu, encor ma coupe ! Remplissez encore ma coupe, par Dieu !
—Tu es plus yvre qu’une soupe6 : —Tu es plus imbibé qu’une mouillette :
Comment pourras-tu jà douler ? Comment pourras-tu manier ta doloire ?
—Je feray les asnes voler7, —Je ferai voler les ânes,
Mèz que je boive une foys seule. Pour peu que je boive encore un dernier coup.
À propos d’ânes, douze fous (dont l’un est représenté dans le manuscrit) chantent la messe en imitant le braiment de ces quadrupèdes :
2546 Je suis Cordelier, c’est assez Je suis Cordelier, c’est suffisant
Pour deschanter messe et canon. Pour chanter la messe et le canon.
Sy die en chantant : Qu’il dise en chantant :
« Hynhan ! » dit l’ânesse. « Hinhan ! » dit l’asnon. « Hi han ! » dit l’ânesse. « Hi han ! » dit l’ânon.
Ces fous ne se lassent pas de parodier la messe :
2554 —J’ay clère voiz comme .I. tourel ; —J’ai la voix aussi claire que celle d’un taureau ;
Pour ce, veil-je chanter la messe. Pour cela, je veux chanter la messe.
—Fyfy8, tu as fait une vesse ! —Vidangeur, tu as fait un pet !
En chantant au chant de En chantant sur l’air du
« Sanctus » de Requien : « Sanctus » du Requiem :
—Sanz-tu9 ? Sanz-tu ? Sanz-tu ? Etc. —Sens-tu ? Sens-tu ? Sens-tu ? Sens-tu ?
Nos fous sont possédés par des diables que la sainte va mettre en fuite d’un coup de prière magique. Aussi, les diables s’interrogent à propos de Geneviève :
2509 Sathan, qui est celle viellote Satan, qui est cette petite vieille
Qui tous jours, en alant, barbote Qui toujours, en allant, marmonne
Avéz Maras, Patrès Nostrues, Des Ave Maria et des Pater Noster,
Comme s’el deust voler aux nues ; Comme si elle devait monter aux Cieux ;
Et se défripe, et fait la lipe, Et se démène, et fait la moue,
Et me porte fueilles de tripe10 Et porte des feuilles de mauvais parchemin
2515 Comme .I. livre, soubz sez essèles ? Sous son aisselle, comme un livre ?
Avec ly, maine .II. pucelles Elle mène avec elle deux jeunes filles
Qu’el enchante trop fort, en tant Qu’elle ensorcelle trop bien, de sorte
Que, se tant ne quant vont sentant Que si elles sentent un tant soit peu
Que je leur eschaufe lez rains, Que je leur échauffe les reins de désir,
2520 Lors me prendront branches et rains Elles prendront alors des branches et des rameaux
De boul, d’osières ou d’orties, De bouleau, d’osier ou d’orties,
Ou chardons, ou bonnes courgies ; Ou des chardons, ou de bonnes courroies ;
Batront espaules ou culière : Et elles battront leurs épaules ou leur croupe :
N’y remaindra jà pel entière. Il n’y restera pas un bout de peau intact.
2525 Dessus leur pis, dez poing[s] tabeurent. Elles tambourinent leur poitrine avec leurs poings.
Orent11, pleurent, veillent, labeurent, Elles prient, pleurent, veillent, peinent,
Cengnent12 cordes, vestent la haire. Se ceignent d’une corde, portent la haire.
Satan affirme que Geneviève est « l’abesse de Tirelopines », les turlupins étant des religieux hypocrites connus pour leur liberté sexuelle.
La partie la plus drôle du Mystère, c’est la fin : l’auteur nous dit qu’il va y greffer des scènes de farce pour que ce soit moins ennuyeux. Déboulent alors quelques-uns de ces mendiants infirmes dont riait le théâtre médiéval. Le lépreux réclame de bons petits plats :
2599 .I. tentet de vïande sade ! Donnez-moi un tantinet de bonne viande !
Halas, chétis ! je suis gasté Las, pauvre de moi ! je suis mort
Se je n’ay d’un petit pasté Si je n’ai pas un morceau d’un petit pâté
Et plaine escuèle de boschet Et une pleine écuelle d’hydromel
Ou, au mains, de vin de buffet. Ou, au moins, de vin de cuisine.
Le bossu est atteint par surcroît d’une maladie vénérienne :
2654 Le chancre m’a rongié le menbre. Un chancre m’a rongé le membre.
Las, doulant ! Quant je me remembre Las, malheureux ! Quand je songe
Du dueil que ma fame en démaine, Au chagrin qu’en témoigne ma femme,
C’est mal suz mal, peine suz paine ! C’est un mal qui s’ajoute à un mal !
L’hydropique a lui aussi de bonnes raisons d’aller consulter une sainte :
2636 J’ay au cul lez esmorroïdes ; J’ai des hémorroïdes au cul ;
Sy ne puis chier, c’est grant hides ! Si je ne peux plus chier, c’est l’horreur !
Ces éclopés, qui n’attendent plus rien de la coûteuse et impuissante « merdefine », viennent se faire guérir gratuitement par Geneviève. Quand on voit à combien d’aveugles elle a rendu la vue, à commencer par sa propre mère, on se demande pourquoi les ophtalmologistes ne l’ont pas choisie comme sainte patronne ! Je publie ci-dessous l’incontournable duo de l’Aveugle et de son Valet, duo dont beaucoup de farces et de Mystères proposent une version à peine différente : voir la notice de l’Aveugle, son Varlet et une tripière. On lira ensuite deux extraits de l’ultime miracle : il concerne une vieille maquerelle qui a subtilisé les chaussures de Geneviève.
Source : Paris, bibliothèque Sainte-Geneviève. Ms. 1131, folios 212 rº à 216 rº. Copié au milieu du XVe siècle. Ce manuscrit contient aussi le Geu saint Denis, dont j’ai extrait les Sergents, et la Vie monseigneur saint Fiacre, qui renferme la farce du Brigant et le Vilain.
Structure : Rimes plates.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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Miracles de plusieurs malades.
En farses, pour estre mains fades.
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Ung biau miracle.
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Cy après sont autres miracles de madame sainte Geneviève. Sachiez que chascun emporte13 plusieurs personnages de plus[i]eurs malades, pour cause de briété14. Et a, parmy, farsses entées15, afin que le Jeu soit meins fade et plus plaisans.
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L’AVEUGLE L’AVEUGLE
2715 Varlet ! Mon valet !
LE VARLÉ LE VALET
Maistre ? Mon maître ?
L’AVEUGLE L’AVEUGLE
Par là m’enpiègne16 ! Empoigne-moi par le bras !
Il fust temps d’aler en la ville. Il est temps d’aller quêter en ville.
LE VARLET LE VALET
Maistre, prenez-vous crois, ou pille17 ? Maître, quelles pièces accepterez-vous ?
L’AVEUGLE L’AVEUGLE
Tez-toy ! Alons ! Tais-toi ! Allons-y !
LE VARLET LE VALET
Où ? Où ?
L’AVEUGLE L’AVEUGLE
Au pourchas. À la quête.
LE VARLET LE VALET
Petis poissons sont bons pour chas. Les petits poissons, c’est bon pour les chats.
L’AVEUGLE L’AVEUGLE
2720 Hé ! Diex, quel varlet ! Hé ! Dieu, quel valet !
LE VARLET LE VALET
Diex, quel maistre ! Dieu, quel maître !
L’AVEUGLE L’AVEUGLE
Maine-moy, maine, va, chevestre18 ! Conduis-moi, va, pendard de guide !
LE VARLET LE VALET
Par où ? En passant par où ?
L’AVEUGLE L’AVEUGLE
Par Froit-Vaulx19. Par Froids-Vaux.
LE VARLET LE VALET
Par là ? Par là ?
L’AVEUGLE L’AVEUGLE
Voire. Oui.
.
LE VARLET LE VALET
Chantez, vous estes à la Foire20 : Chantez, vous êtes au Lendit :
Tout est plain d’ommes et de fames. C’est plein d’hommes et de femmes.
L’AVEUGLE, hault et à trait 21 : L’AVEUGLE chante d’une voix ferme :
2725 « Halas, mez Seignieurs et mez Dames : « Las, seigneurs et dames :
Pour l’amour saint Pere22 de Romme, Pour l’amour de saint Pierre de Rome,
Faites vostre aumosne au povre homme Faites l’aumône au pauvre homme
Qui ne voit n’oncques ne vit goute Qui ne voit et n’a jamais vu mieux
Nient plus23 dez yelx qu’il fait du coute ! Avec ses yeux qu’avec son coude !
2730 Ainssy vous vueille Diex aidier ! » Et que Dieu vous le rende ! » À part :
Je puis bien seurement plaidier : Je peux bien raconter ce que je veux :
Il n’y a âme qui responne. Il n’y a personne qui me réponde.
Diex ! n’y a-il qui riens me donne, Dieu ! nul ne me donnera-t-il rien,
Ne qui me tende pié ne main ? Même un coup de main, ou de pied ?
2735 Oïl, oïl, c’est à demain24 : Oui, oui, ce sera pour une autre fois :
Madame va à Bèsençon25… Madame va à Baisançon…
Je parole de « Cusençon26 ». Je veux dire : à Cul-zançon.
Nul n’a cure de povre gent. Nul ne se soucie des pauvres gens.
Se je fusse roy ou régent, Si j’étais un roi ou un régent,
2740 Ou .I. grant maistre Aliboron27, Ou un grand ministre,
Chascun ostast son chaperon, Chacun ôterait son chapeau,
Ou m’enclinast, ou me fist rage ; Ou s’inclinerait, ou me servirait ;
Je feusse tenu pour trop sage. Je serais tenu pour un grand sage.
Or me tient-en pour une ordure, Maintenant, on me tient pour une crotte,
2745 Pour .I. fol, pour .I. burelure ; Pour un demeuré, pour un simplet ;
Il n’y a ne grant ne petit Il n’y a personne, grand ou petit,
Qui de moy voir ait appétit. Qui ait envie de me voir. Mon Dieu !
Diex ! qu’il est povre, qui ne voit28 ! Qu’il est pauvre, celui qui n’y voit pas !
S’il va, s’il vient, s’il dort, s’il poit, Qu’il aille, vienne, dorme ou pète,
2750 Autant de l’un comme de l’autre. C’est du pareil au même. L’aveugle
C’est .I. droit ymage de peautre29. N’est qu’un vil médaillon en étain. Au valet :
Hélas, mon filz Hanequinet : Hélas, mon petit Hannequin :
Meine-moy, en ce matinet, Conduis-moi ce matin
À celle bonne et sainte dame À cette bonne et sainte dame
2755 Qui de meschief oste maint[e] âme, Qui tire de malheur maint homme,
Que lez gens nomment Geneviève. Et que les gens nomment Geneviève.
LE VARLET LE VALET
Sire, j’ay tel dueil que je criève Monsieur, j’ai tant de mal que je crève
De ce que je suis sy gouteus Du fait d’être si goutteux
Que dez .II. hanches suis boisteus30 ; Que je boite des deux fémurs ;
2760 Et ay la tous, maise31 poitrine, Et j’ai la toux, de l’asthme,
Clous, pous, cirons32, lentes, vermine ; Des furoncles, des poux, des pustules, des lentes, des vers ;
J’ay la rougole et la vérole33 ; J’ai la rougeole et la variole ;
J’ay, chascun jour, la feinterole34 ; J’ai chaque jour la chiasse ;
J’ay le jaunice35 et suis éthique. J’ai la jaunisse et je suis squelettique.
2765 Ne guérir n’en puis par phisique. Et je ne peux guérir grâce à la science.
Merdefins36 et c[h]iurgïens Les merdecins et les chie-rurgiens
M’ont eu long temps en leurs lïens ; M’ont longtemps tenu en leurs filets ;
Maintenant, quant je n’ay que frire37, Maintenant que je n’ai plus que frire,
Que riens n’a en ma tirelire, Qu’il n’y a plus rien dans ma tirelire,
2770 Par m’âme, il n’ont cure de moy. Ils n’ont plus cure de moi, par ma foi !
L’AVEUGLE L’AVEUGLE
Par mon serment, [bien] je t’en croy ! Je te jure que je veux bien te croire !
Aussy, Hanequin (sy m’aist Diex38 !), Aussi, Hannequin (que Dieu m’assiste !),
Il m’ont du tout crevé lez yeulz. Ils m’ont complètement crevé les yeux.
Mengier puissent-il leur[s] boiaus ! Puissent-ils manger leurs boyaux !
2775 Je dy ceulx qui ne sont loyaus Je parle de ceux qui n’appliquent pas
Selonc leur povoir et savoir. Leurs compétences et leur savoir.
Alons où j’ay dit ! Car là, voir, Allons où je t’ai dit ! Car là, vraiment,
Nous trouverons miséricorde. Nous trouverons de la pitié.
LE VARLET, en baillant LE VALET, en lui faisant
la corde39 : tenir le bout de sa ceinture :
Alons, donc ! Tenez bien la corde ! Allons-y, donc ! Tenez bien ma corde !
*
.
Sainte Geneviève voise en son oratoire40, Que sainte Geneviève aille dans sa
et là se tiegne en oroison, et lez autres chapelle et s’y tienne en prière, et que
où ilz vourront. les miraculés aillent où ils voudront.
.
Cy après est DE UNE FAME À QUI Suit le MIRACLE D’UNE FEMME
MADAME SAINTE GENEVIÈVE À QUI SAINTE GENEVIÈVE
RENDIT LA VUE, qu’elle avoit RENDIT LA VUE, qu’elle avait
perdue pour ce qu’elle avoit emblé les perdue parce qu’elle avait volé les
soulers de la dicte vierge. chaussures de ladite sainte.
.
LA VIELLE 41 LA VIEILLE
2818 Pour lez boiaus sainte Géline42 ! Par les boyaux de sainte Géline !
Vélà dame Genevéline43, Voilà madame Je-ne-sais-lire,
(en la monstrant) (en la montrant)
2820 Qui ne fait que pseaumes broullier44, Qui ne fait qu’embrouiller les psaumes,
Sez yeulx essuier et moullier, Essuyer ses yeux et les mouiller de larmes,
Qui scet45 trop bien la main où metre. Et qui sait bien où tendre sa main.
Et je puis bien fondre et remetre46 : Moi, je peux bien fondre et maigrir :
Je n’ay que frire ne que daire47. Je n’ai plus rien à frire, ni que dalle.
2825 Lamproiës, luz, barbeaus de Laire Les lamproies, les brochets et les barbeaux de Loire
Ne me prennent pas à la gorge. Ne risquent pas de m’étrangler !
À grant paine ay-je du pain d’orge, À peine puis-je avoir du pain noir,
Qui souloië (las !) sy bien vivre. Moi qui jadis vivais si bien, las !
Tous jours estoie ou plaine48 ou yvre. J’étais toujours bourrée ou ivre.
2830 Et plus me fesoië « coignier 49 » Et je me faisais « cogner » plus souvent
Qu’il [n’est] de coings en .I. coignier. Qu’il n’y a de coings sur un cognassier.
Coignant coign[é]e onc ne coigna Une cognée cognante ne cogna jamais
Tant de coing[s] comme on me coigna ; Autant de coins que je fus cognée.
Et lez coigneurs50, qui me coignoient Et les cogneurs, qui me cognaient
2835 Le coing51, le52 poing d’or me coignoient. Le con, remplissaient d’or mon poing.
Plus n’y seray de coing53 coignie, Je ne serai plus cognée par un poinçon,
Car ma coignie54 est descoignie : Car ma cognée n’a plus de « manche » :
Tant est cuisans, et vielle, et dure, Elle est si sèche, si vieille et si dure
Qu’il n’est coigneur qui en ait cure, Que nul cogneur n’en a cure,
2840 N’argent n’y veult en[s]55 metre, et « coing ». Et ne veut y mettre ni son argent ni son poinçon.
En monstrant sainte Geneviève. En montrant sainte Geneviève.
Et vélà Madame, en son coing56, Et voilà Madame, dans son recoin,
Qui de « coignier » ne sceut onc note Qui n’a jamais su l’art de « cogner »
(Ce dit-on), tant est nice et sote ; (Dit-on), tant elle est naïve et sotte ;
Qui a de l’argent à poignies Qui a de l’argent par poignées
2845 Com s’en le forjast à coignies57. Comme si on le forgeait à la hache.
Chascun ly donne tire-à-tire58 Chacun lui en donne sans relâche,
Et tous jours bret, pleure et soupire. Et pourtant, toujours elle brait, pleure et soupire.
Coigne fort son huis et recoigne, Qu’elle claque et reclaque fort sa porte,
Car je ly baudray tel engroigne59 Car je lui flanquerai un tel coup
2850 (Foy que je doy saint Andrieu le Scot60) (Par saint André d’Écosse)
Que je bevray à son escot Que je boirai à ses frais,
Ou je faurray à faire tente61. Ou j’aurai mal tendu mon piège.
Cy62, la regarde, et puis Ici, qu’elle la regarde, et dise
die en hochant la main : en secouant la main :
Elle est nuz-piéz. Ho ! j’ay m’entente63. Elle est déchaussée. Oh ! j’ai un plan.
.
Cy, die à sainte Céline et à Margot : Ici, qu’elle dise à sainte Céline et à Margot :
Dieu vous doint bon jour, Damoysèles ! Une bonne journée, mesdemoiselles !
SAINTE CÉLINE SAINTE CÉLINE
2855 Bien veigniez, Dame ! Quelz nouvelles ? Bienvenue, Madame ! Qu’y a-t-il ?
LA VIELLE, en soy asséant.64 LA VIEILLE, en s’asseyant.
Je me vueil soèr, ne vous desplaise. Je veux m’asseoir, s’il vous plaît.
MARGOT MARGOT
Ha ! Dame, estes-vous en malaise ? Ah ! Madame, avez-vous un malaise ?
LA VIELLE, en prenant lez LA VIEILLE, en chaussant
soullers secrètement : discrètement les souliers :
Oïl, j’ay .I. pou mal au cuer. Oui, j’ai un peu mal au cœur.
SAINTE CÉLINE SAINTE CÉLINE
Diex vous doint santé, bèle suer ! Que Dieu vous donne la santé, ma sœur !
LA VIELLE, en soy levant. LA VIEILLE, en se levant.
2860 Amen ! Adieu, je suis garie ! Amen ! Adieu, je suis guérie !
SAINTE CÉLINE et MARGOT SAINTE CÉLINE et MARGOT
Alez à la Vierge Marie ! Allez remercier la Vierge Marie !
.
Cy, s’en voise LA VIELLE, Ici, que LA VIEILLE s’en
en monstrant lez soullers et aille en montrant au public
en disant : les chaussures, et en disant :
Or, dië Madame sez hinnes ! Que Madame récite donc ses hymnes !
Comment que soit, j’ay sez botines. Quoi qu’il en soit, j’ai ses bottines.
Voist nuz-piéz, s’el veult, par la rue ! Qu’elle aille pieds nus par la rue, si elle veut.
2865 Et s’el a froit, sy esternue ! Et si elle a froid aux pieds, qu’elle éternue !
En souriant : En souriant :
Sa pucelle65 me sermonnoit. Sa pucelle me serinait. Les souliers,
Je lez prins : Diex lez me donnoit. Je les ai pris : Dieu me les donnait.
Ay-je bien fait ? Oïl, sans doubte ! Ai-je bien fait ? Oui, sans doute.
…………………………… 66 …………………………..
.
3048 Sire, quant à parler apris, Monseigneur, dès que j’appris à parler,
À mentir, à jurer me pris, Je me mis à mentir, à blasphémer,
3050 À jouer, chanter et dancier, À jouer aux dés, à chanter et danser,
À père et mère courouscier, À courroucer mon père et ma mère,
À embler noiz, poires et pommes, À voler des noix, des poires et des pommes,
À accoler ces jeunes hommes. À enlacer les jeunes hommes.
Tantost perdy mon pucellaige. Je perdis bientôt mon pucelage.
3055 J’ay tout honny, et67 mariage. J’ai tout déshonoré, même le mariage.
Et puis ay-je esté maquerelle, Et puis j’ai été maquerelle,
Qui trop empire ma querelle. Ce qui aggrave beaucoup mon cas.
Je suy orguilleuse, envieuse, J’ai commis les péchés d’orgueil, d’envie,
Gloute, yreuse, avaricïeuse, De gourmandise, de colère et d’avarice.
3060 Mesdisant et de maise affaire, Je suis médisante et de mauvaise compagnie,
Et paréceuse de bien faire, Et paresseuse de bien faire,
Janglerresse en oiant lez messes. Et hypocrite en écoutant la messe.
J’ay veuz enfrains, jeûnes, promesses, J’ai enfreint les vœux, les jeûnes, les promesses,
Les commandemens de la Loy. Et les commandements de la loi divine.
3065 Il n’a ne cuer ne sens sur moy Il n’y a rien en toute ma personne
Dont je n’ayë Dieu courouscié, Dont je n’aie offensé Dieu,
Et moy et mon proisme blécié. Et blessé moi et mon prochain.
Dire ne sauroië la disme Je ne saurais vous dire le dixième
De mes péchiéz : c’est ung abisme ! De mes péchés : c’est un gouffre !
*
1 Je donne les numéros des vers d’après l’édition de Gabriella PARUSSA : Les Mystères du manuscrit 1131 de la bibliothèque Sainte-Geneviève de Paris. Classiques Garnier, vol. II, 2023, pp. 1552-1810. 2 S’en ressente favorablement. L’humour guérissait déjà la constipation. 3 Confusion populaire entre saint Gris [surnom de saint François d’Assise, qui était vêtu de gris], et l’insignifiant saint Chrysogone. 4 Tu ne frapperais, au sens érotique. « Hurtebillier Hennon et Jennette. » Jehan Molinet. 5 Architriclin était le maître d’hôtel des noces de Cana. « Quant le vin fut failly,/ Aux nopces de Archédéclin,/ (Dieu) ne mua-il pas l’eau en vin ? » Sermon joyeux de bien boire. 6 La soupe est un morceau de pain qu’on trempe dans le vin. « Ilz sont plus ivres qu’une soupe. » Massons et charpentiers. 7 Nous dirions aujourd’hui : Je verrais voler des éléphants roses. 8 Sur cette interjection hautement scatologique, voir la note 24 du Savetier Audin. 9 Prononciation à la française du mot Sanctus. La suite parodie, d’une manière qu’on qualifierait aujourd’hui de sacrilège, Dominus Deus sabaoth. 10 « Les feuilles de tripe sont des feuilles de parchemin de mauvaise qualité obtenues de la peau du cochon. » Gabriella Parussa, p. 1761. 11 Ms : Et eurent (Elles se mettent en oraison. Le v. 3110 dit : « Plorez, orez, jeûnez, veilliez. ») 12 Elles exhibent une corde en guise de ceinture, comme les Cordeliers. La haire est une chemise de crin que les pénitents les plus fanatiques portent à même la peau. On sent que l’auteur désapprouve ce masochisme ostentatoire. 13 Comporte, rassemble. Ce frontispice figure dans l’illustration ci-dessus, où le sous-titre est en rouge. 14 De brièveté. Tous les malades sont réunis dans un seul miracle. 15 Greffées. 16 Ms : mon piegne (Tous les valets d’aveugles guident leur maître quand il va mendier.) 17 Littéralement : voulez-vous jouer à pile ou face ? En fait, le valet ironise sur la modicité des dons, qui ne laisse aucun choix. Sous ce vers, qui est au bas de la colonne, le ms. ajoute entre des plumes dessinées : degrace 18 Le chevêtre est la bride par laquelle on mène un cheval ou un âne. Par extension, c’est également la corde du pendu, et le gibier de potence qui la mérite : « Tu mens, chevestres ! » ATILF. 19 Froids-Vaux = froides vallées. Cette abbaye mythique désigne un taudis glacial peuplé de clochards. Voir la note 155 du Monde qu’on faict paistre. 20 La foire du Lendit se tenait du 11 au 24 juin près de Saint-Denis, où se déroule cette partie du Mystère. Notre manuscrit l’évoque dans le Geu saint Denis : « Fuions-nous-en (dyables l’emportent !)/ Tout droit à la foire au Lendit. » 21 Fermement. Les mendiants aveugles chantent dans les rues. La chanson qui suit rappelle les vers 127-130 de l’Aveugle et Saudret, une autre farce incluse dans un Mystère. 22 Forme picarde de saint Pierre, le premier pape. « Vous serez sainct Pere de Rome. » Le Chauldronnier. 23 Non plus. Niant est la forme normanno-picarde de néant. En Normandie, coute = coude. 24 Cf. les Botines Gaultier, vers 417 et 479. Dans notre manuscrit, l’aveugle de la Conversion saint Denis entend les mêmes excuses : « –Donnez-moy, pour Dieu, quelque chose !/ –Parlez bas, Madame repose./ –Au mains, me tendez vostre main !/ –Oïl, oïl, c’est à demain ! » 25 Jeu de mots sur « baiser ». Avec un calembour similaire, on dit que les femmes qui sortent rejoindre leur amant vont à Saint-Béset ; cf. Tout-ménage, vers 236. Soulignons que le scribe ne note pas les cédilles, et que l’acteur eût été parfaitement compris s’il avait prononcé « baise en con » et « culs en cons ». 26 Cuisançon = peine, tourment. Mais il y a ici un jeu de mots sur « cul ». 27 Un incompétent qui s’occupe d’une quantité d’affaires auxquelles il n’entend rien. Cf. le Temps-qui-court, vers 180. 28 Dans notre manuscrit, l’aveugle de la Conversion saint Denis fait le même constat : « Il est trop povres, qui ne voit. » 29 C’est une vraie médaille d’étain : un objet dépourvu de valeur. 30 En conformité avec la parabole de l’aveugle et du paralytique, beaucoup de valets farcesques qui guident un non-voyant sont eux-mêmes handicapés : « Faictes quelque bien au boiteux/ Qui bouger ne peult, pour [à cause de] la goucte. » (L’Aveugle et le Boiteux.) Voir aussi l’Aveugle et son Varlet tort, de François Briand. 31 Mauvaise. Même picardisme au v. 3060. 32 Pustules provoquées par un acarien. Les lentes sont des œufs de poux. 33 Il s’agit de la petite vérole, ou variole. La grande vérole, ou syphilis, n’apparaîtra qu’un siècle plus tard. 34 Mot inconnu. Peut-être faut-il lire « fienterole ». 35 Le ms., en dépit de son dernier éditeur, donne ce mot au masculin. « Ceste maladie est dicte vulgalment le jaunisse. » (ATILF.) Étique = amaigri par la maladie. « Oncques pauvre paralitique/ Ne fut tant que je suis éthique. » (Le Gouteux.) Cette accumulation de mots et de maux avait le même effet cocasse que la chanson d’Ouvrard : « J’ai la rate/ Qui s’dilate,/ J’ai le foie/ Qu’est pas droit,/ J’ai le ventre/ Qui se rentre,/ J’ai l’pylore/ Qui s’colore,/ J’ai l’gésier/ Anémié… » 36 Les médecins, qui font leur diagnostic en examinant les excréments des malades, sont des spécialistes de la « merde fine ». Au v. 2659, le personnage du Bossu dénonce leur cupidité : « J’ay despendu [dépensé] tout mon argent/ En merdesfines et en mires [médecins]./ Je croy qu’ou monde n’a gents pires :/ Soit tort, soit droit, hapent, ravissent…./ On ne puet mielx lez gens pillier. » Je rétablis la chuintante normanno-picarde de chiurgien, qui permet un autre calembour scatologique sur « chiure ». 37 Plus rien à mettre dans ma poêle. Idem au v. 2824. 38 Si m’aid Dieu : que Dieu m’assiste ! 39 Les pauvres — et les zélatrices de sainte Geneviève — se contentent d’une corde en guise de ceinture. Les aveugles se cramponnaient à celle de leur valet : « Empongnez-moy par la saincture,/ Et nous yrons à l’avanture. » (L’Aveugle, son Varlet et une Tripière.) Voir aussi le vers 360 des Miraculés. 40 Elle l’a fait bâtir à l’Estrée, près de Saint-Denis et du Lendit. 41 Elle est pauvrement vêtue et ne porte pas de chaussures. 42 Jeu de mots irrévérencieux : la Vieille a sous les yeux sainte Céline, une adoratrice de sainte Geneviève. Mais sainte Géline est une poule, sanctifiée par un sermon joyeux, la Vie madame Guéline. 43 En picard, « je ne vé line » = je ne vois pas une ligne. 44 Ce verbe signifie : embrouiller un texte auquel on ne comprend rien ; cf. la Folie des Gorriers, vers 359. Il peut également signifier : salir ; cf. Mahuet, vers 194. D’une manière ou d’une autre, Geneviève fait partie des « brouilleurs de parchemins ». 45 Ms : a (Qui sait où il faut mettre les mains pour amasser de l’argent.) 46 Ces 2 verbes synonymes vont souvent de pair : « Je ne suis fondu ne remis,/ Que ne le luy face à deux coups. » Frère Frappart. 47 Locution inconnue qu’on retrouve dans ce ms. : « S’il eussent que daire,/ Je leur feisse le bien-veignant. » (Geu saint Denis.) On peut la rapprocher de « n’avoir que raire » : n’avoir plus rien à tondre, à gratter. À la limite, ce pourrait être une contrepèterie argotique sur « n’avoir de caire » : ne pas avoir d’argent. Cf. le Mince de quaire. 48 Soûle. Nous dirions : J’étais pleine comme un boudin. 49 Le verbe cogner et le substantif coin, pris au sens érotique, vont générer 14 vers. Le personnage du Fiévreux s’était livré <vv. 2688-2712> à un jeu tout aussi virtuose sur le radical dur. 50 Les amants. « Il m’a très-bien cognée :/ Jamais je ne veis tel coigneux./ Mais moy qui suis obstinée,/ Pour un coup j’en rendis deux. » Gaultier-Garguille. 51 Ma vulve. « Qui luy frapperoit sus son coing/ D’ung gros ‟martel” pesant et lourt. » Jehan Molinet. 52 Ms : du (Me graissaient la patte. « Les poins dorés d’argent. » Le Jeu du capifol.) Dans ce vers, cogner = mettre de force : « Et que dans mon ventre je cogne/ Vin blanc muscat et vin vermeil. » Godefroy. 53 Par un pénis. « Son long coing tremblotant,/ Son coing rouge orangé. » Ronsard, la Bouquinade. 54 Ma vulve. La cognée [hache] possède un trou dans lequel on enfonce le manche. Comme le dit Priape, « coingnée sans manche/ Ne sert de rien ». Rabelais, Prologue du Quart Livre. 55 Dedans. Notre fatiste écrit au v. 1908 : « Ne hors, ne ens. » 56 Sainte Geneviève prie à genoux dans une chapelle ouverte. Elle a laissé ses chaussures à l’entrée, sous un banc où sont assises sa disciple, sainte Céline, et leur servante Margot. 57 À grands coups de hache, sans compter. 58 Cf. le Temps-qui-court, vers 75. 59 Un tel coup sur le groin. « Le villain grongne ?/ Bien luy donray d’une engrongne/ Sur les dentz ! » (Godefroy.) On pourrait lire engaigne : mauvais tour, fourberie. Auquel cas, ce mot rimerait avec « recaigne », à la manière normande. 60 À saint André, le saint patron de l’Écosse. 61 Je faudrai (futur picard de faillir) à poser une tente, un collet tendu. Cf. le Temps-qui-court, vers 114. 62 Ms : Cil (Voir la prochaine didascalie.) 63 Mon intention. Devant ce mot, les Picards apocopent les pronoms mon et son : « Mais qui n’y met toute s’entente. » Les Femmes qui aprennent à parler latin. 64 Feignant d’avoir un malaise, elle s’assoit sur le banc, juste au-dessus des souliers de Geneviève, qui sont par terre. 65 Peut désigner Céline ou Margot : voir le v. 2516. Pour la Vieille, ce terme est injurieux. 66 Après moult péripéties édifiantes, la Vieille va se confesser à l’évêque de Paris, qui n’en perd pas la foi pour autant, ce qui prouve qu’il est lui-même confessé de frais. 67 Ms : en (Et aussi.)
L’AVEUGLE ET LE BOITEUX
.
*
L’AVEUGLE ET
LE BOITEUX
*
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Cette farce d’André (ou Andrieu) de La Vigne conclut son Mystère de saint Martin, dont fait aussi partie la farce du Munyer, à laquelle je renvoie pour de plus amples détails.
L’Aveugle et le Boiteux est en deux parties. La première est annoncée au folio 220 vº du Mystère, quand saint Martin, mourant, donne ses ultimes consignes. La marge porte : « Nota qu’en ce passage conviendra jouer la farce1. » La seconde partie se joue à la fin du Mystère, quand le corps du saint a été sorti de l’église : « Icy se mectent en ordre de procession lesdits moynes et tous les joueurs les [ungs] après les aultres, et s’en vont en chantant. »
Le thème de cette farce (comment échapper à un miracle pour ne pas avoir à travailler) sera repris et amplifié en 1565 dans un Mystère anonyme, l’Hystoire de la vie du glorieulx sainct Martin :
L’AVEUGLE Compagnon, je te veux compter :
Tout à cest heure, on doibt porter
Le corps de sainct Martin en terre.
Aller nous y fault à grand erre
Pour nous asseoir devant l’esglise ;
Là, mendiant à nostre guise,
Nous aurons (si on nous veult croire)
De l’argent pour largement boire.
LE CONTREFAIT Emporte-moy, par sainct Guérin,
Pour ne rancontrer en chemin
Son corps, lequel nous guériroit,
Ce que mal à point nous seroit.
De guérir je n’ay nul soucy !
L’AVEUGLE Par la chair bieu, ny moy aussi !
Au monde, n’a plus belle vie
Que le train de Bélîtrerie* : * Mendicité.
Car sans endurer nulz travaux*, * Nulle peine.
On y a de friandz morceaux
Et d’argent grande quantité.
LE CONTREFAICT J’ay prouffité, pour un esté,
Pour demander piteusement
Cent florins, que gorgiasement
J’ay mangés avec les filliettes.
L’AVEUGLE J’ay prouffité de presque aultant
En moins de cinq ou de six festes,
Que j’ay despendu quand et quand*, * Dépensé en même temps.
Et n’ay pas ung denier de restes.
Ilz rencontreront le corps de St Martin et seront guéris.
L’AVEUGLE Maudit soyt Dieu ! je voy tout clèr.
Le diable puisse l’emporter !
De Dieu à jamais soit maudit
Celluy qui par cy a conduict
Le corps du sainct homme Martin !
Maudit soit-il soir et matin !
À mes yeux a baillié clarté
Contre ma propre voulonté.
LE CONTREFAICT J’estois bossu, tortu, vousté ;
Et ores — dont je suys marry —
Maulgré mes dens*, je suys guéry. * Malgré moi.
Las ! je vivois sans travailler
De ce qu’on me venoit baillier ;
Je triomphois et faisois rage.
Ores, à sueur de visage,
En regret et mélancolie,
Il me fauldra gagner ma vie.
Car se veux aller demandant,
On me dira : « Allez, truand !
Travailliez pour havoir à vivre ! »
L’AVEUGLE Jamais je ne seray délivre
D’ennuy, car je n’ay pas courage
De m’adonner au labourage.
Car jusques icy, j’ay esté
Nourry en toute oisiveté.
LE CONTREFAICT Chantons doncques d’ung mesme accord
Nostre mal et griefz desconfort
Pour y donner quelque allégeance.
L’AVEUGLE Je veux bien, compagnon. Commence !
LE CONTREFAICT chante la chanson :
Ores, il fault qu’allie chantant :
« Adieu, adieu, Bellîtrerie,
Et à celle plaisante vie
Que nous avions en te suyvant !
Hélas ! avecques toy vivant,
Au cueur n’avions mélancolie.
Et bien peu rarement s’ennuye
Qui selon tes loix va vivant.
Bellistre n’a aulcunement
Ny son cueur, ny sa fantaisie
De regret et soulcy saisye
Si le bléd est gasté du vent.
Le bellistre se rassasie
Du bien d’aultruy joyeulsement.
Hélas, hélas, Bellîtrerie,
Doulce dame : à Dieu te commant* ! » * Je te recommande.
Il nous fauldra doresnavant
Travaillier comme des juïfz,
Et nous vivions auparavant
Gays et fallotz par tous les huys.
LE FOL Mes compagnons, il vous fault fère
— Pour parvenir à quelque honneur —
Ung chescung de vous secrétayre
Des gallères de Monseignieur :
Chescung de vous aura la plume* * Une rame.
De quinze piedz ou environ,
Pour escrire ainsi, de coustume,
De beaux cadeaux ou aviron.
Vous ne boirez que de vin blanc* * De l’eau.
Qui vous rendra le cueur très aise,
Et serez assis sur ung banc.
Vouldriez-vous mieux estre à vostre aise ?
Et lhorsque serez desgoustés
Fère le debvoir à la rame,
Vos espaules seront frottés
D’ung bon fouet à la bonne game.
Source : Ms. fr. 24332 de la Bibliothèque nationale de France, folios 234 rº à 240 vº. Cette pièce, copiée d’après le manuscrit original, est bourrée de fautes, contrairement au reste. Certains pensent qu’elle fut écrite pendant la représentation, pour conclure le spectacle à la place du Munyer, qu’on avait dû jouer au début à cause du mauvais temps. « Cette précipitation expliquerait que la copie de cette nouvelle farce ait été, elle aussi, faite hâtivement et que sa transcription soit çà et là hésitante. » (André Tissier, Recueil de farces, t. XI, Droz, 1997, p. 306.)
Structure : Rimes abab/bcbc, rimes plates, rimes fratrisées (vers 223-230).
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
.
*
L’AVEUGLE 2 SCÈNE I
L’aumosne au povre diséteux3
Qui jamais, nul jour, ne vit goucte !
LE BOITEUX
Faictes quelque bien au boiteux
Qui bouger ne peult, pour la goucte4 !
L’AVEUGLE
5 Hellas ! je mourray cy, sans doubte,
Pour la faulte d’un serviteur5.
LE BOITEUX
Cheminer ne puis, somme toute.
Mon Dieu, soyez-moy protecteur !
L’AVEUGLE
Hellas ! le mauvaix détracteur6
10 Qu’en ce lieu m’a laissé ainsi !
En luy n’avoye bon conducteur :
Robé m’a7, puis m’a planté cy.
LE BOITEUX
Hellas ! je suis en grant soucy,
Mèshouan8, de gaigner ma vie.
15 Partir je ne pourroye d’icy,
En eussé-je9 bien grant envie.
L’AVEUGLE
Ma povreté est assouvie10,
S’en brief temps ne treuve ung servant.
LE BOITEUX
Maleurté11 m’a si fort suyvye
20 Qu’à elle je suis asservant12.
L’AVEUGLE
Pour bon service desservant13,
Trouverai-ge poinct ung valet ?
Ung bon en eus en mon vivant14,
Qui jadis s’appelloit Gillet ;
25 Seur estoit15, combien qu’il fust let.
J’ay beaucoup perdu en sa mort.
Plaisant estoit et nouvellet16.
Mauldit[e] celle qui l’a mort17 !
LE BOITEUX
N’aurai-ge de nully confort18 ?
30 Ayez pitié de moy, pour Dieu !
L’AVEUGLE
Qui es-tu, qui te plains si fort ?
Mon amy, tire-t’en ce lieu19.
LE BOITEUX
Hellas ! je suis cy au millieu
Du chemin, où je n’ay puissance
35 D’aller avant. A ! sainct Mathieu,
Que j’ay de mal !
L’AVEUGLE
Viens, et t’avence
Par-devers moy : pour ta plaisance,
Ung petit nous esjoÿrons20.
LE BOITEUX
De parler tu as bien l’aisance21 !
40 Jamais de bien ne joÿrons.
L’AVEUGLE
Viens à moy ! Grant chière ferons,
S’il plaist à Dieu de Paradis.
À nully nous ne mesferons22,
Combien que soyons estourdis23.
LE BOITEUX
45 Mon amy, tu pers bien tes ditz24 :
D’icy bouger je ne sçauroye.
Que de Dieu soyent ceulx maulditz
Par qui je suis en telle voye25 !
L’AVEUGLE
S’à toy aller droit je povoye,
50 Contant seroye de te porter
– Au moins se la puissance avoye –
Pour ung peu ton mal supporter26.
Et toy, pour me réconforter,
Me conduyroye27 de lieux en lieux.
LE BOITEUX
55 De ce, ne nous fault depporter28 :
Possible n’est de dire mieulx.
L’AVEUGLE
À toy, droit m’en voys29, se je peulx.
Voi-ge bon chemin ?
LE BOITEUX
Oy, sans faille.
L’AVEUGLE 30
Pour ce que tomber je ne veulx,
60 À quatre piedz vault mieulx que j’aille.
Voi-ge bien ?
LE BOITEUX
Droit comme une caille31 !
Tu seras tantost devers moy.
L’AVEUGLE
Quant seray près, la main me baille32.
LE BOITEUX
Aussi ferai-ge, par ma foy.
65 Tu ne va[s] pas bien, tourne-toy.
L’AVEUGLE
Par-deçà ?
LE BOITEUX
Mais à la main destre33.
L’AVEUGLE
Ainsi ?
LE BOITEUX
Oy.
L’AVEUGLE
Je suis hors d’émoy34
Puisque je te tiens, mon beau maistre.
Or çà ! ve[u]ille-toy sur moy mectre :
70 Je croy que bien te porteray.
LE BOITEUX
Ad cella me fault entremectre35 ;
Puis apprès, je te conduyray.
L’AVEUGLE
Es-tu bien ?
LE BOITEUX
Oÿ, tout pour vray36.
Garde bien de me laisser choir !
L’AVEUGLE
75 Quant en ce poinct je le feray37,
Je pry Dieu qu’il me puist meschoir !
Mais conduys-moy bien.
LE BOITEUX
Tout pour voir ;
À cella, j’ay [fait le serment]38.
Tiens cecy39 ! Je feray debvoir
80 De te conduyre seurement.
L’AVEUGLE
A ! dea, tu poise40 grandement !
Dont vient cecy ?
LE BOITEUX
Chemine bien,
Et fais nostre cas sagement.
Entens-tu, hay ?
L’AVEUGLE
Oÿ, combien
85 Que trop tu poise[s].
LE BOITEUX
Et ! rien, rien :
Je suis plus légier c’une plume41,
Ventre bieu !
L’AVEUGLE
Tien-té bien [dru],42 tien,
Se tu veulx que je te remplume43.
Par le sainct44 sang bieu ! Onc enclume
90 De mareschal si trèspesante
Ne fut ! De grant chaleur je fume.
Dont vient cecy ?
LE BOITEUX
A ! je me vente
Que charge jamais plus plaisante
Ne fut au monde que tu as
95 Maintenant.
L’AVEUGLE
Mais plus desplaisante !
Trois moys y a que ne chyas !
LE BOITEUX
Mesdieux45 ! Quant de ce ralias46,
[Pource qu’en fus tousjours distraict47,]
Six jours a, par sainct Nycolas,
100 Que bien ne fus à mon retrect48.
L’AVEUGLE
Et ! m’av’ous joué de ce trect49 ?
Par mon serment ! vous descendrez
Et yrez faire aulcun pourtraict50
D’un estron où que vous vouldrez.
LE BOITEUX
105 Contant suis, pourveu qu’atendrez
Que venu soye.
L’AVEUGLE
Oÿ, oÿ.51
Sur ce poinct, le Boiteux descent.52 Et l’Official va
voir se les moynes dorment. Et quant les chanoynes
emportent le corps, ilz 53 recommancent à parler.
*
L’AVEUGLE 54 SCÈNE II
Que dit-on de nouveau ?
LE BOITEUX
Commant !
L’on dit des choses sumptueuses.
Ung sainct est mort nouvellement,
110 Qui fait des euvres merveilleuses :
Malladies les plus p[é]rilleuses
Que l’on sauroit pencer ne dire
Il guérist. S’elles55 sont joyeuses ?
Icy suis pour le contredire !
L’AVEUGLE
115 Commant cela ?
LE BOITEUX
Je n’en puis rire.
L’on dit que s’il passoit par cy,
Que guéry seroye tout de tire56 ;
Semblablement et vous aussi.
Venez çà : s’il estoit ainsi
120 Que n’eussions ne mal ne douleur,
De vivre aurions plus grant soucy
Que nous n’avons.
L’AVEUGLE
Pour le milleur57
Et pour nous oster de malleur,
Je diroye que nous aliss[i]ons58
125 Là où il est.
LE BOITEUX
Se j’estoye seur
Que de tout ne garississ[i]ons59,
Bien le vouldroye. Mais que feussions
De tout guéris, ryen n’en feray !
Trop myeulx vauldroit que fuÿssions60
130 Bien tost d’icy !
L’AVEUGLE
[Mais] dy-tu vray ?
LE BOITEUX
Quant seray gary, je mourray
De fain, car ung chascun dira :
« Allez ouvrer61 ! » Jamais n’yray
En lieu où celuy sainct sera.
135 S’en poinct suis62, l’on m’appellera
Truant63 en disant : « Quel paillart
Pour mectre en gallée64 ! Velle-là65,
Assez propre, miste66 et gaillart. »
L’AVEUGLE
Oncques ne vys tel babillart !
140 Je confesse que tu as droit :
Tu sces bien de ton babil l’art.
LE BOITEUX
Je ne vouldroye poinct aller droit67,
Ny aussi estre plus adroit
Que je suis, je le vous promectz.
L’AVEUGLE
145 Qu’aller là vouldroit se tordroit68.
Et pour tant69, n’y allons jamais.
LE BOITEUX
Se guéry tu estoye, je mectz
Qu’en brief70 courroucé en seroyes.
L’on ne te donroit, pour tous mectz,
150 Que du pain ; jamais tu n’auroyes
Rien de friant.
L’AVEUGLE
Mieulx j’ameroyes
Que grant maleurté me fust cheue71
Qu’au corps l’on m’ostast deux courroyes72,
Que ce qu’on m’eust rendu la veue !
LE BOITEUX
155 Ta bource seroit despourveue
Tantost d’argent.
L’AVEUGLE
Bien je t’en croys !
LE BOITEUX
Jamais jour ne seroit pourveue,
Ne n’y auroit pille ne crois73.
L’AVEUGLE
Mais dy-tu vray ?
LE BOITEUX
Oy, par la Croys !
160 Ainsi seroit que je devise74.
L’AVEUGLE
Jamais de rien ne te mescrois,
Quant pour mon grant bien tu m’avise.
LE BOITEUX
L’on m’a dit qu’il est en l’église ;
Aller ne nous fault celle part75.
L’AVEUGLE
165 Se là nous trouvons, sans faintise,
Le deable en nous auroit bien part !
Pause.76
LE BOITEUX
Tirons par-delà à l’escart.
L’AVEUGLE
Par où ?
LE BOITEUX
Par cy.
L’AVEUGLE
Légièrement77.
LE BOITEUX
Ma foy ! je seroye bien coquart78
170 S’à luy j’aloye79 présentement.
L’AVEUGLE
Allons !
LE BOITEUX
À quel part80 ?
L’AVEUGLE
Droictement
Où le gallant joyeux s’iverne81.
LE BOITEUX
Que82 vellà parlé saigement !
Où yrons-nous ?
L’AVEUGLE
En la taverne :
175 J’y vois83 bien souvant sans lanterne.
LE BOITEUX
Je te dis qu’aussi foy-ge84, moy,
Plus voluntiers qu’en la citerne
Qui est playne d’eau, par ma foy !
Allons acoup !
L’AVEUGLE 85
Escoute…
LE BOITEUX
Quoy ?
L’AVEUGLE
180 Cella qui mayne si grant bruyt.
LE BOITEUX
Se c’estoit ce sainct ?
L’AVEUGLE
Quel esmoy !
Jamais nous ne seryons en bruyt86.
Que puist-ce estre ?
LE BOITEUX 87
Chascun le suyt.
L’AVEUGLE
Regarde voir que ce puist estre.
LE BOITEUX
185 Maleurté de près nous poursuyt :
C’est ce sainct, par ma foy, mon maistre !
L’AVEUGLE
Fuyons-nous-en tost en quelque estre88 !
Hellas ! j’ay grant peur d’estre pris.
LE BOITEUX
Cachons-nous soubz quelque fenestre,
190 Ou au coing de quelque pourpris89.
Garde de choir !
L’AVEUGLE 90
J’ay bien mespris91,
D’estre tumbé si mal appoint !
[Tu fus sage quant tu me pris
Par le collet de mon pourpoint.]92
LE BOITEUX
195 Pour Dieu ! Qu’il ne nous voye poinct,
Car ce seroit trop mal venu !
L’AVEUGLE
De grant peur tout le cueur me poinct.
Il nous est bien mal advenu.
LE BOITEUX
Garde bien d’estre retenu93,
200 Et nous traynons soubz quelque vis94.
L’AVEUGLE (Nota qu’il est guary.)
À ce sainct suis bien entenu95 :
Las ! je voy ce qu’onques ne vis.
Bien sot estoie, je vous plévis96,
De m’estre de luy escarté.
205 Car rien n’y a (à mon advis)
Au monde qui vaille clarté.
LE BOITEUX 97
Le deable le puisse emporter,
Et qui luy scet ne gré ne grâce !
Je me fusse bien déporté98
210 D’estre venu en ceste place.
Las ! je ne sçay plus que je face99.
Mourir me conviendra de fain.
De dueil, j’en mâchure100 ma face.
Mauldit soit le filz de putain101 !
L’AVEUGLE
215 J’estoye bien fol, je suis certain,
D’ainsi foÿr102 la bonne voye,
Tenant le chemin incertain
Lequel, par foleur103, pris j’avoye.
Hellas ! le grant bien ne sçavoye
220 Que c’estoit de voir clèrement.
Bourgoigne104 voys, France, Sçavoye,
Dont Dieu remercye humblement.
LE BOITEUX
Or me va-il bien meschamment.
Meschant qui n’a d’ouvrer105 appris,
225 Pris est ce jour maulvaisement.
Maulvais suis d’estre ainsi surpris.
Seur106, pris seray, aussi repris,
Reprenant107 ma malle fortune.
Fortune108 ! Suis des folz compris109,
230 Comprenant ma grant infortune.
L’AVEUGLE
La renommée est si commune
De tes faitz, noble sainct Martin,
Que plusieurs gens viennent comme une
Merveille vers toy, ce matin.
235 En françoys, non pas en latin,
Te rens grâce de ce bienfait.
Se j’ay esté vers toy mutin110,
Pardon111 requiers de ce meffait.
LE BOITEUX
Puisque de tout je suis reffait112
240 Maulgré mes dens113 et mon visaige,
Tant feray que seray deffait
Encore ung coup de mon corsa[i]ge114.
Car je vous dis bien qu(e) encor sçai-ge
La grant pratique et aussi l’art,
245 Par oignement et par herbaige115,
Combien que soye miste et gaillart,
Qu(e) huy on dira que ma jambe art116
Du cruel mal de sainct Anthoyne.
Reluysant seray plus que lart117 :
250 Ad ce faire, je suis ydoyne118.
Homme n’aura qui ne me donne119
Par pitié et compassion.
Je feray120 bien de la personne
Playne de désolacion :
255 « En l’onneur de la Passion
(Dirai-ge), voyez ce povre homme,
Lequel, par grant extorcion121,
Est tourmenté vous voyez comme ! »
Puis diray que je viens de Romme ;
260 Que j’ay tenu prison en Acre122 ;
Ou que d’icy m’en vois, en somme,
En pèlerinage123 à Sainct-Fiacre.
*
1 Pour l’auteur, il s’agit donc bien d’une farce, et non d’une moralité, comme on nous le serine depuis le XIXe siècle. 2 Nous sommes à Candes-sur-Loire en 397. L’Aveugle mendie dans un coin de la scène, tandis que le Boiteux, qu’il ne connaît pas encore, mendie dans un autre coin. 3 Qui souffre de disette, de faim. L’aveugle et le boiteux du Mystère de saint Quentin, de Jehan Molinet, travaillent dans le même registre : « –Donnez l’aumosne au diséteux/ Qui n’a forme d’œil en sa face !/ –Donnez à ce povre boiteux/ Qui n’a jambe qui bien luy face ! » 4 À cause de la goutte. Ce nom englobe toutes sortes de maladies invalidantes. Cf. le Gouteux. 5 Faute d’avoir un serviteur. Tout ce début démarque celui de l’Aveugle et Saudret, que La Vigne avait dû lire dans l’édition récente d’Antoine Vérard. 6 Enjôleur qui… 7 Il m’a dérobé mon argent. Au théâtre, c’est le reproche – justifié – que font tous les aveugles à leur valet. 8 Désormais. 9 Même si j’en avais. 10 Sera complète. 11 Le malheur, la malchance. Idem vers 152 et 185. 12 Asservi. 13 Pour me rendre service. 14 J’en ai eu un seul de bon dans toute ma vie. 15 Il était sûr, fiable. Et tellement laid que même l’aveugle s’en est aperçu. 16 Naïf. Gillet (diminutif de Gilles) n’est pas le nom d’un valet naïf : celui du Mistère de la Saincte hostie engrosse une chambrière. 17 Celle qui l’a tué : la Mort. « Cil qui l’a mort/ Est évesque. » (ATILF.) Mais le public a pu comprendre « qui l’a mors » : la femme enragée qui l’a mordu. 18 Nul ne me réconfortera-t-il financièrement ? 19 Viens ici. 20 Nous nous réjouirons un peu. 21 Tu en parles à ton aise. 22 À nul homme nous ne ferons de tort. 23 Frondeurs. « Il est des folz acariâtres,/ Estourdis et opiniâtres. » Les Sobres Sotz. 24 Tes paroles, ta salive. 25 Maudits soient ceux qui m’ont déposé sur ce chemin (vers 34). 26 Alléger. 27 Tu me guiderais par la voix. C’est la parabole de l’aveugle et du paralytique. 28 Nous ne devons pas nous écarter de cette bonne idée. 29 Je vais. Idem vers 58, 61, 175, 261. 30 Il avance à quatre pattes vers le Boiteux. 31 Qui se jette dans le filet du chasseur. 32 Tends-moi la main. 33 Dextre : sur ta droite. 34 De danger. « Il nous ostera hors d’esmoy. » (Les Queues troussées.) « Vous rirez,/ Mais [pour peu] que vous soyez hors d’esmoy. » (Frère Phillebert.) 35 M’employer difficilement. L’infirme grimpe sur le dos de l’aveugle. 36 Pour tout vrai. Idem vers 77. 37 Si je le faisais. 38 Ms. : le fermement serement (« Serment » fait deux syllabes au vers 102.) 39 Appuie-toi sur ma béquille. 40 Tu pèses. Idem vers 85. 41 Ms. : enclume (À la rime du vers 89.) « Je suis ligier comme une plume. » Le Gaudisseur. 42 Tiens-toi bien fermement. « Tiens-té bien ferme ! » (Farce de Pathelin.) « Nous tenir drut et fort ensamble. » (ATILF.) 43 Que je t’aide à gagner de l’argent. 44 Ms. : saing 45 M’aid Dieu : que Dieu m’assiste ! 46 Quant à ce divertissement. 47 Dérangé par un passant. Il manque ici un vers, que je supplée. 48 Le retrait est le lieu où l’on se retire pour faire ses besoins. Cf. le Retraict. 49 Ce trait : m’avez-vous joué ce mauvais tour ? 50 Le moulage. 51 Il manque un vers en -drez, et un vers en -y. L’auteur n’a pas eu le temps d’intégrer parfaitement cette farce au Mystère (v. ma notice). 52 Il se traîne derrière un buisson pour déféquer. Il y reste jusqu’à la fin du Mystère, en écoutant ce que chuchotent les religieux qui passent près de lui sans le voir. 53 L’Aveugle et le Boiteux. Vers la fin du Mystère, l’Official endort « comme pourceaux » les moines qui veillent le corps de St Martin ; aidé par ses chanoines, il vole ledit corps pour aller l’inhumer à Tours. Nous arrivons au moment où les voleurs sortent avec le catafalque sur lequel repose le saint, qui en profite pour accomplir quelques miracles. « Les maladies fuyoient à la venue du corps sainct Martin, à Quande. » Tiers Livre, 47. 54 Le Boiteux étant de retour, il lui demande ce que disaient les religieux qui passaient près de lui. 55 Ms. : Celles (Si ses œuvres.) 56 Tout d’un coup. 57 Le meilleur parti à suivre. 58 Que nous allions, pour qu’il nous guérisse. Les 4 rimes sont en -sions. 59 Que nous ne guérissions pas de tout, qu’il nous laisse une petite infirmité pour apitoyer nos clients. 60 Que nous fuyions. 61 Œuvrer, travailler. Les mendiants valides étaient suspects ; voir la notice des Maraux enchesnéz. 62 Si je suis en bonne santé par sa faute. 63 Mendiant, avec une connotation péjorative. Voir l’Hystoire de la vie de sainct Martin dans ma notice. 64 On envoyait les vagabonds aux galères. En 1494 et 1495, La Vigne avait pu les voir à Naples, où il suivait Charles VIII. « Ilz sont en gallée, gallée,/ Les maraulx. » La Résurrection Jénin à Paulme. 65 Voyez-le là. 66 Fringant. Idem vers 246. 67 Marcher sans boiter. 68 Celui qui voudrait aller là où est ce saint ferait un grand détour. « Je me tordroye/ De beaucoup, à aler par là. » Farce de Pathelin. 69 Pour cette raison. 70 J’affirme que bien vite. 71 Ms. : dehue (Chue.) 72 J’aimerais mieux qu’il me soit arrivé le grand malheur qu’on m’ôte deux lanières de peau, plutôt qu’on m’ait rendu la vue. « Ils traisnèrent par la ville les corps du Connestable (…) & d’autres seigneurs, enlevèrent des couroyes de la peau de quelques-uns. » Pierre Coppin. 73 Ni côté pile, ni côté face : pas un sou. 74 Ce serait comme je te le dis. 75 De ce côté. 76 Le Boiteux remonte sur le dos de l’Aveugle. Ils s’éloignent de l’église. 77 Prestement. 78 Stupide. Cf. les Maraux enchesnéz, vers 116. 79 Si j’allais devant St Martin. 80 De quel côté ? 81 Là où le bon vivant passe l’hiver. Les tavernes sont chauffées. 82 Ms. : Je 83 J’y vais les yeux fermés. La phrase est comique parce qu’elle est dite par un aveugle. 84 Que je le fais aussi. 85 L’Aveugle a l’ouïe fine : il entend les chants liturgiques du cortège de St Martin, qui se rapproche dangereusement. 86 Nous perdrions notre réputation d’invalides. 87 Juché sur les épaules de l’Aveugle, il voit arriver la procession. 88 En quelque lieu. 89 Jardin. Cf. la Pippée, vers 21. En courant, l’Aveugle trébuche. 90 Il tombe, avec le Boiteux, qui s’accroche à son cou. 91 J’ai commis une belle erreur. 92 Ces deux vers manquent. J’emprunte le second aux Sotz triumphans. 93 Retardé. 94 Sous un escalier extérieur en colimaçon. Le cortège funèbre passe tout près des infirmes, et le facétieux Martin ne peut s’empêcher de les guérir. 95 Tenu : je lui ai des obligations. « Je suys entenu de faire honneur à mon cousin. » Godefroy. 96 Je vous le garantis. Cf. Maistre Mimin estudiant, vers 405. 97 Il est guéri lui aussi. 98 Je me serais bien passé. 99 Plus quoi faire. 100 J’en meurtris. 101 Le Boiteux fait comme les diables du Mystère, qui rappellent par cette injure que la mère* du saint a été infidèle au paganisme : « Ce paillardeau filz de putain, Martin. » « Ce ribauldeau Martin, filz de putain. » *On la surnommait « la Belle Hélène de Constantinople ». Dans le Mystère, son rôle fut tenu par Étienne Bossuet, l’arrière-grand-oncle de l’évêque. 102 De fuir ainsi. 103 Par folie. 104 Le Mystère et ses deux farces furent représentés à Seurre, en Bourgogne ; leur commanditaire était le gendre du duc de Savoie, le futur employeur de La Vigne. 105 D’œuvrer, de travailler. 106 C’est sûr. Le Grand Rhétoriqueur André de La Vigne n’a pas pu se retenir de caser ici des rimes fratrisées, ou enchaînées. 107 Ms. : Reprenanant (Maudissant ma mauvaise fortune.) 108 Invocation à la Fortune, qui personnifie le destin. « Fortune nous est bien contraire. » Les Maraux enchesnéz. 109 Je fais partie des fous. 110 Si je me suis mutiné contre toi. 111 Ms. : Parton 112 Je suis rétabli, guéri. 113 Malgré moi. Voir l’Hystoire de la vie de sainct Martin dans ma notice. 114 Que mon corps sera encore une fois maladif. « Un bœuf de grand corsage. » Godefroy. 115 Les mendiants se fabriquaient de faux abcès, gangrènes et autres maladies de peau grâce à des onguents et à certaines herbes. 116 Est enflammée par le feu de saint Antoine, l’érésipèle. 117 Mes jambes couvertes de fausses inflammations luiront comme du lard. 118 Expert. 119 Il n’y aura aucun homme qui ne me donne de l’argent. 120 Je contreferai. 121 Luxation d’un membre. Là encore, les truqueurs déployaient beaucoup d’imagination, et au bout du compte, se fatiguaient infiniment plus que s’ils avaient travaillé. 122 Qu’en tant que chrétien, j’ai été enfermé dans la citadelle de Saint-Jean-d’Acre par les Turcs. 123 Ms. : voyage (Ceux qui souffrent d’hémorroïdes font un pèlerinage au monastère de Saint-Fiacre-en-Brie.)
L’AVEUGLE ET SAUDRET
.
*
L’AVEUGLE
ET SAUDRET
*
.
Originellement, et étymologiquement, une farce est une préparation bien salée qui farcit un Mystère un peu trop sucré. Pour allécher le public, on truffait certains Mystères avec une ou deux farces : voir ma notice des Tyrans. Mais le Mistère de la Résurrection est farci d’un bout à l’autre par une farce coupée en sept tranches, de même que celui de saint Martin est farci par les deux tranches de l’Aveugle et le Boiteux. La sauce est tellement bien liée que chaque tranche rime au début avec le vers du Mystère qui précède, et à la fin avec celui qui suit. Pourtant, la farce n’est là que pour pimenter le Mystère, comme l’avoue le prologue de la seconde journée :
Aussi y sont, par intervalles,
Aucuns esbatemens et galles
D’un Aveugle et de son Varlet,
Qui guères ne servent au fait,
Si ce n’est pour vous resjouir
Et vos esperis rafreschir.
Cette farce dépourvue de titre met en scène un aveugle et son valet, comme beaucoup d’autres : voir la notice de l’Aveugle, son Varlet et une Tripière.
Le Mistère de la Résurrection fut joué en 1456 à Angers. Certains l’attribuent à Jean Du Prier, un des fournisseurs de théâtre du roi René d’Anjou, devant qui l’œuvre fut représentée. À défaut d’en être l’auteur, il pourrait être le remanieur de la version copiée dans le ms. BnF, qui fait preuve d’un instinct théâtral absent des deux autres sources : dans la farce qui nous intéresse, le remanieur ajoute des scènes comiques, et il gomme des argumentaires juridiques superflus. Enfin, il limite à 50 vers une chanson interminable, et il en remplace une autre, encore plus fastidieuse, par un air à la mode laissé au libre choix des comédiens.
La farce est un peu longue (1 315 vers sur 20 000), mais pas inintéressante : l’auteur, doté d’un humour féroce, nous fait partager la vie des musiciens de rues et des vendeurs de chansons, d’autant plus méconnue que les musicologues ignorent cette source.
Il est longuement question d’un jeu d’enfants, le broche-en-cul : les deux adversaires, courbés, ont les poignets liés à leurs chevilles. Munis d’une broche [d’un bâton], ils doivent piquer le cul si bien exposé de l’autre joueur. Un aveugle est également victime de ce jeu dans l’Aveugle, sa Chambèrière et son Varlet (ou farce de Goguelu, F 45) :
–Advisée me suis d’ung desduit
Auquel le fault faire jouer.
–Quel déduyt c’est ?
–À broche-en-cul.
Luy et moy, par mains et par piedz
Serons en tel façon liéz,
Et aurons entre nos deux mains
Chascun sa broche, c’est du moins.
Tu nous lieras, note cela,
Mais mon lien se deslira,
Non pas le sien, entens-tu bien ?
Son cul je luy rebrasseray,
Et de verges le froteray.
On attache les mains de l’aveugle à ses chevilles afin qu’il soit courbé :
Vous me liez par trop estroit !
Le feu saint Anthoine vous arde
Dont vous m’avez si fort courbé !
Le valet modifie sa voix :
Ma parolle contreferay….
Si bien, ennuit, je ne vous touche,
Je vueil estre sans eaue tondu !
Hau ! jouez-vous à broche-en-cu ?
Le jeu bien cher vous coustera.
L’aveugle a beau être armé d’une broche pour piquer les fesses de sa rivale, cette dernière le renverse : « Vous estes à bas, / J’ay gaigné. » Et revoilà « le Varlet, en faignant sa voix et en lui troussant le cul et en frappant ». Comme il est de tradition, l’aveugle se conchie : « Je chie sus et jus, / Tout partout, devant et derrière. » Les antagonistes se rabibochent « au son de la vielle / Pour dire une chanson nouvelle ». L’auteur de cette farce emprunte beaucoup d’éléments à l’Aveugle et Saudret.
Sources : Mistère de la Résurrection Nostre Seigneur. Ms. fr. 972 de la Bibliothèque nationale de France, copié en 1491. — Manuscrit 615 (632) du Musée Condé de Chantilly, copié avant celui de la BnF. — Antoine Vérard a publié vers 1492 une édition qui attribue faussement le Mystère et la farce à Jehan Michel. Dans son édition intégrale du Mystère (et donc de la farce), Pierre Servet1 s’appuie sur le ms. de Chantilly. Je m’appuierai sur celui de la BnF : la farce y est plus percutante que dans les deux autres versions, que j’utilise pour corriger les fautes, rajouter les vers manquants, et moderniser certaines graphies pour ne pas trop abuser des notes de traduction. Tout ce qu’on va lire provient d’une de ces trois sources, à part les rares choses que j’ai mises entre [ ].
Structure : Rimes plates, deux chansons en dizains, un triolet final.
Cette édition : Cliquer sur Préface. (Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.) Mon but est de faire découvrir aux amateurs de farces une pièce drôle, enfin débarrassée de la gangue qui nuisait à sa lecture. Vu le nombre élevé des notes explicatives, j’ai dû renoncer à mettre en plus un relevé des variantes, sauf lorsque j’introduis une correction personnelle ; les curieux se reporteront à l’édition exhaustive de Pierre Servet.
.
*
[ SAUDRET TOUT-LUY-FAULT, varlet
L’AVEUGLE Gallebois
LE MESSAGIER
L’APOTICAIRE
LE VARLET DU TAVERNIER, ou de l’Oste
L’OSTE ]
.
*
SAUDRET SCÈNE I
J’ay jà cheminé plus d’ung an,
Et suis tant las que plus n’en puis.
[Ce] non obstant, bien près je suis
D’une assez godine[tte]2 ville.
5 Ores, je n’ay ne croix ne pille3,
Qui est ung bon commancement
D’estre logé bien pouvrement :
Car tous houstes4, par droit usaige,
Si ayment mieulx argent que gaige.
10 Or, je n’ay gaige ne argent.
Si fault que je soie diligent
D’aller cercher aucun aveugle5
Qui me donnera quelque meuble6
Pour le conduire bien et bel.
.
L’AVEUGLE SCÈNE II
15 Une aumosne à ce povre orbel7
Qui ne voit goutte, bonne gent !
Donnez-lui ou pain ou argent,
Pour l’amour du Dieu de nature !
Car trop est povre créature,
20 Qui point conduire ne se voit.
Je vy que mon corps se savoit
Chevir8, au temps de ma jeunesse ;
Mais par maladie et vieillesse,
Je suis aveugle devenu.
25 Et si, [je] suis au point venu
Que je ne sauroie gaigner maille9.
Et, pour Dieu ! qu(e) aucun se travaille10
D’aucun bon varlet me trouver,
Pour moy mener et ramener
30 Nous pourchacer11. Tous deux ensemble,
Nous trouvassions (comme il me semble)
Trèsbien à boire et à mangier,
Et à chauffer, et à loger
Ainsi comme les autres font,
35 Qui par pays viennent et vont
Pour quérir leur povre de vie12.
Par ma foy ! j’auroie grant envie
D’en avoir ung sans nul deffault.
.
SAUDRET 13 SCÈNE III
Voilà trèstout quant qu’il14 me fault,
40 Car c’est à tel sainct, tel offrende15.
Vers luy m’en vais sans plus d’actende16,
Incontinent, je vous affie.
Eat, et dicat ceco : 17
Mon amy, avez-vous envie SCÈNE IV
D’un bon varlet ?
L’AVEUGLE
Ouÿ, pour voir18 !
SAUDRET
45 Se vous en voulez ung avoir,
Je suis content de vous servir.
L’AVEUGLE
Et je le vueil bien desservir19
Sur ce que nous pourrons gaigner.
SAUDRET
À peu parler, bien besongner20 :
50 Que me donrez-vous pour ung an ?
Et je vous menray, mèsouan21,
D’huys en huys et de place en place ;
Et feray si bien la grimace,
Et le povre, et le marmiteux22,
55 Que ceulx seront bien despiteux23
Qui ne nous donront quelque chose.
J’ay servy de varlet grant pose24
L’omme qui fut aveugle né,
Que Jésus a enluminé25,
60 Le saint et glorieux prophète.
Vostre chose sera bien faicte,
Si je m’en mesle : je m’en vant26 !
L’AVEUGLE
Je te demande, mon enfant,
Si tu scez lire ne escripre.
SAUDRET
65 Ouy dea, en papier ou en cire27
Selon mon estat28, sans faillir.
L’AVEUGLE
Se tu me veulx doncques servir,
Je vueil bien que ton maistre soie
Pour ung an, et que je te paie
70 Salaire bon et compétent29.
Mais cependant, vois-tu, j’entent
Que tu escriras des chançons
Qu’entre toy et moy chanterons,
De quoy nous aurons de l’argent30.
75 Cent solz31 auras.
SAUDRET
J’en suis content.
Mais vous me querrez32 ma vesture
Et pareillement ma chaussure ;
Et si, paierez tous mes despens.
L’AVEUGLE
Si les as comme moy33 le temps
80 De ton service, il doit suffire.
Car je ne suis, pour brief te dire,
Pas de mieulx te faire conclus34.
SAUDRET
Aussi n’en demandé-je plus.
Touchez cy35, vous estes mon maistre !
85 Je sauray aussi bien mon estre36,
Mon maintien et mon entregent
Pour truander37 pain et argent,
De la soupe et de la cuisine,
Et de bon vin pinte ou chopine,
90 Ou ung voirre38 tout à la foiz,
Comme homme que je vy jamais39.
Et si, me sauray bien enquerre
Où nous devrons herberge querre40 ;
Et, quant deux festes41 en ung jour
95 Seront, où sera la meillour
Pour y estre plus à nostre aise.
Mais en cas qu’il ne vous desplaise42,
Maistre, comment avez-vous nom ?
L’AVEUGLE
Ne le scays-tu pas43 ?
SAUDRET
Certes non :
100 Je ne le demanderoye mie.
L’AVEUGLE
J’ay nom Gallebois44, je t’affie.
Et toy, comment ?
SAUDRET
J’ay nom Saudret,
Qui fuz sevré ung poy45 tendret.
Et en mon surnom46, Tout-luy-fault.
105 Mon père avoit nom Rien-ne-vault,
Et ma mère Mal-assenée47,
Qui fut fille Lasche-journée48.
Et mon parrain, sans contredit,
Si avoit nom Gaingne-petit,
110 Ainsi que le disoit ma mère.
L’AVEUGLE
Foy que doy l’âme de mon père !
Je suis joyeux de ce marché.
SAUDRET
Vous avez bien à point marché49,
Pour recouvrer tel[l]e adventure ;
115 Car je suis, je le vous assure,
Bien propice pour vous mener.
Maistre, allons-nous-en desjeuner.
Puis nous en irons, comme saiges,
Par pays quérir nos avantages.
120 Il est temps de nous pourchasser.
L’AVEUGLE
Tu dis vray : il y fault chasser
Afin de gaigner de l’argent.
Mais je te pry, soies diligent
De recorder que tu diras50.
SAUDRET
125 À cella ne fauldray-je pas,
Car vostre raison est bien bonne :
« Bonnes gens, faictes vostre aumosne
À cestuy pouvre, ou51 nom de Dieu,
Qui ne voit en place ne lieu,
130 Ne ne vit onc soleil ne lune !
Que sainct Anthoine si l’alume52,
Et ceulx qui du bien luy feront ! »
L’AVEUGLE
Par ainsi, ilz nous donneront
Pain ou vin, ou de la pitance.
*
L’AVEUGLE 53 SCÈNE V
135 Saudret !
SAUDRET
Hau !
L’AVEUGLE
Quel « hau54 » ? Mais ung bel
Estront emmy55 vostre visage !
Tu deusses, se tu fusses saige,
Respondre : « Monseigneur mon Maistre. »
SAUDRET
Mais ung gibet et ung chevestre56
140 À vous pendre ! Et ! qui estes-vous57 ?
Ce n’est pas à ung tel poilloux58
Que je dois « Monseigneur » respondre.
L’en me puisse sans eaue tondre59
Si je vous dy jà « Monseigneur » !
145 Ce ne me feroit point d’onneur
D’y appeller ung tel truant60.
L’AVEUGLE
« Truant » ? Paillard !
SAUDRET
Mais vous, puant
Vilain remply de punaisie61 !
L’AVEUGLE
Par celuy Dieu qui ne fault mye62 !
150 Tu as mauvaisement menti !
SAUDRET
Et qu’est-ce donc que j’ay senti ?
Vous puez comme ung viel souyn63.
L’AVEUGLE
Ne me dy touyn ne mouyn64,
Saudret, et je le te conseille :
155 Car si j’ay la puce en l’oreille65,
Je te monstreray qui je suy
À tes despens.
SAUDRET
Et je dy : fy
De vous et de vostre puissance !
Je vous pourroie faire nuysance
160 Plus que vous à moy mille fois.
Vous avez à nom Gallebois,
Qui ne sauriez [seul] vous conduire ;
Et moy Saudret, qui m’en puis fuire
Et vous laisser, se bon me semble.
165 Ou, tant que nous sommes ensemble,
Vous tromper, ou tuer, ou batre.
N’est-il pas vray ?
L’AVEUGLE
Sans plus débatre,
Je conseille, comment qu’il voise66,
Que nous ne facions plus de noise ;
170 Et que, quant je t’appelleray,
Tu me respondes sans délay
En disant : « Que vous plaist, mon Maistre ? »
Car tu sçays bien que je doy estre
De toy appellé Maistre ou rien.
SAUDRET
175 Et, dea ! « Mon maistre » vueil-je bien
Vous respondre et vous appeller ;
Mais de me vouloir compeller67
Par maistrise à vous seigneurir68,
J’aymeroie mieux vous veoir mourir,
180 Car il n’y a point de raison !
L’AVEUGLE
Or je te prye, Saudret, faison
Icy ung bon appointement69
Par lequel nostre accointement70
S’entretienne, et nostre alliance.
185 Ouquel cas, j’ay en toy fiance71
D’avoir des biens, mon amy doulx.
SAUDRET
Quel appointement voulez-vous
Que façons ? Or le blasonnez72.
L’AVEUGLE
Que tous mautalens73 pardonnés
190 Soient. Entens-tu, mon enfanson ?
Et que chantons une chanson
Par accord, afin qu’on nous donne
Or ou argent, ou autre aumosne
De quoy nous nous puissons chevir.
SAUDRET
195 Je ne vis oncques advenir
Qu’à mon autre maistre74 on donnast
Or, pour sermon qu’il sermonnast,
Ne pour hault crier, ne pour braire.
Mais je suis bien content de faire
200 – Soit en chantant, ou en criant,
Ou en plaignant, ou en priant –
Nostre proffit à toutes hertes75
Le mieulx que je pourray. Mais certes,
Qui pourra, si boive ou mangusse76 :
205 Car qui a de l’or, si le musse77
Plustost que le donner pour Dieu78.
L’AVEUGLE
Or chantons doncques en ce lieu,
Et puis questerons de l’argent.
GALLEBOIS et SAUDRET chantent une chanson.79
Or faictes paix, ma bonne gent,
210 Et vous orrez 80 présentement
Une chanson nouvelle
Des biens qu’on a communément
En mariage. Vrayement,
C’est chose bonne et belle.
215 Ce ne sont point motz controuvés 81
Ne plains de menterie,
Mais sont certains et esprouvés,
Je le vous certifie !
.
Quant homme vient en sa maison,
220 Tost ou tard, en quelque saison,
Sa femme l’uys luy euvre 82.
Et s’on luy a fait desraison,
Elle l’oste de marrisson 83
Et le couche, et le ceuvre 84.
225 Le feu luy fait, et puis luy cuyt
La belle poire molle.
Joygnant de luy 85, se met au lit
Et le baise, et l’acolle.
.
Après, ses jambes met en croix
230 Sous 86 son mary, comme je croix,
Et puis si l’admonneste
De faire dresser le « harnoys 87 »
Pour faire sonner le hault boys 88
Et luy faire la chosète 89.
235 Les trippes lave et fait boudins,
Le beurre et le fromaige.
Poullaille nourrist, et poussins,
Et oiseletz en caige 90.
.
Le lit despièce 91 et le refait.
240 Son mary deschausse et deffait 92,
S’il est yvre ou malade.
Et pour le baigner, de l’eau trait 93.
Et de folie le retrait,
Et luy est douce et sade 94.
245 Quant il se couche le premier,
Elle tient la chandelle ;
Et puis après, le va baiser,
Et son « amy » l’appelle 95.
.
Ses petis enfans luy nourrit 96,
250 Dont se l’un pleure, l’autre rit,
L’autre l’acolle ou baise.
Et s’il advient qu’il se marrit
De rien 97 qu’on luy ait fait ou dit,
Sa femme le rapaise.
255 Moult vault femme, en fais et en ditz,
Soit riche, basse ou haulte.
Mariez-vous, grans et petis :
Si verrez si c’est faulte.
Cy finist la chançon.
L’AVEUGLE 98
Il n’a icy femme si caute99,
260 Pour soy de bien en mieulx muer100,
Qui ne deust trèsbien désirer
À en avoir une copie101
Que je donne, je vous affie,
Pour ung grant blanc102 sans point d’usure.
SAUDRET
265 Avant103 ! Galans qui l’aventure
Voulez prendre à vous marier,
Vous ne povez mieulx charrier104
Qu’à femme avoir qui vueille faire
Ce que ceste chanson déclaire105
270 Des biens qui sont en mariages.
Prenez-en, si ferez que saiges106.
Si saurez quelz biens il en vient.
.
LE MESSAGIER 107 SCÈNE VI
Certainement il me convient
De vostre chanson acheter
275 Plusieurs coppies pour porter
Avecques moy et les revendre.
Car moult de gens si veulent tendre108,
Par où je passe, à s’enquérir
D’où je viens, et me requérir
280 Que je leur die des nouvelles.
Mais je leur en diray de belles
En leur lisant ceste chanson !
Or me respondez sans tençon109 :
Combien me coustera le cent110 ?
L’AVEUGLE
285 Je vous en vendray, à présent,
Ung cent pour dix deniers la pièce.
LE MESSAGIER
Je prie à Dieu qu’il me meschesse111
Si ce n’est ung trèsbon marché !
Si j’eusse par ailleurs marché112,
290 Pas n’eusse ouÿ si bonne chose.
SAUDRET
Par l’âme qui en moy repose !
Mon amy, vous devez savoir
Qu’il nous fault chanter pour avoir
Nostre povre meschante vie.
LE MESSAGER
295 C’est bien fait, je vous certifie.
Baillez çà ! Vécy vostre argent.
Je pense que beaucoup de gent
La vouldront voulentiers apprendre.
Mais on me puist par le col pendre
300 S’ilz en ont de moy, soir ne main113,
Mot114, que n’en soie avant la main115
Payé de plus que je n’en paye.
Tenez !
Nuncius [le Messager] baille argent à Saudret.
L’AVEUGLE
Vise bien la monnoye,
Saudret, qu’il n’y ait rien mauvais116.
SAUDRET
305 Mon maistre, savoir je vous fais
Que tout est bon, n’en doubtez mye.
Saudret baille l’argent à l’Aveugle.
L’AVEUGLE
Beau sire, se Dieu vous bégnye,
De nouveau me direz-vous rien117 ?
LE MESSAGIER
Je ne sçay se vous savez bien
310 La mort de Jésus le prophète,
Dont l’exécucion fut faicte
Au jour d’ier au mont de Calvaire.
L’AVEUGLE
Hélas ! Et qui a ce fait faire ?
Ç’a esté ung cas merveilleux118 !
LE MESSAGIER
315 Trop en parler est périlleux,
Car noz princes de la Loy haient
Ceulx qui en parlent et y croient.
Mais je vous dy bien, si j’estoie
Comme vous estes119, que g’iroye
320 À son sépulcre vitement
Pour luy supplier humblement
Qu’il luy pleust moy enluminer.
Et vers luy me feroie mener.
L’Aveugle-né, quant il vivoit120,
325 Il enlumina, tant qu’il voit
Aussi cler comme homme vivant.
Se vous y allez, je me vant
Qu’il vous rendra le luminaire121.
L’AVEUGLE
Où est son sépulcre ?
LE MESSAGIER
En Calvaire,
330 Qui est dehors ceste cité.
L’AVEUGLE
G’iray doncques, en vérité.
Adieu vous dy, et vous mercie !
LE MESSAGIER
À Dieu donc !
.
SAUDRET SCÈNE VII
Maistre, je vous prye
Qu(e) aillons [tost] quester de l’argent.
*
L’AVEUGLE SCÈNE VIII
335 Saudret ! Meyne-moy sans tarder,
Présentement, à ce tombeau
Où ce prophète bon et beau,
Jhésus, si est ensevely.
SAUDRET
Il puisse mescheoir à celuy
340 Qui vous y menra que je soie122,
Si je n’ay de vostre monnoye
Paiement comptant, et si plainier123
Qu’il ne s’en faille124 ung seul denier
De ce que j’ay gaigné o125 vous !
L’AVEUGLE
345 Tu le seras, mon amy doulx,
Quant nous en serons retournés126.
SAUDRET
Par ma Loy127 ! vous me pardonrez.
Car bien me souvient que mon maistre
Avecques qui je souloye estre,
350 L’Aveugle-né, tant me cria
« Pour Dieu, mercy ! » et me pria,
Qu’à Jésus fust par moy mené.
Mais quant il l’eut enluminé128
Et que je voulu[s] mon salaire
355 De lui avoir, j’avoye beau braire
Et crier, et siffler à baude129 :
Dieu sçait qu’il la me bailla chaude130 !
Car il ne me prisa plus rien,
Ne ne paya. Pour ce, vueil bien
360 Que vous sachez sans nulle faille
Qu’il ne s’en fauldra une maille131
Du sallaire que me devez,
Se g’y voys132. Car quoy ! Vous savez
Qu’il vault mieulx croire que mescroire133.
365 C’est grant péril du sien acroire134
Quant l’en peut bien estre payé.
Je n’en seray jamais rayé135
Comme je fus à l’autre fois.
L’AVEUGLE
Saudret, promesse je te fais
370 Sur mon honneur et mon serment
Que tu seras entièrement
Paié de moy, au retourner136.
SAUDRET
Vous povez assez flagorner137,
Car vous perdez vostre langage.
375 Je seray ung petit138 plus sage
Qu’à l’autre foiz, je m’en fais fort.
L’AVEUGLE
Je m’oblige et te fais transport139
De trèstout quant que j’ay vaillant140,
Si je suis sans plus deffaillant141
380 Par une nuyt ou par ung jour
De toy payer à mon retour.
C’est bien raison que je te poye142.
SAUDRET
Cuidez-vous que je vous en croye ?
Nenny, par la Loy que je tien !
385 On dit que trop mieux vault ung tien
Que ne font deux fois tu l’auras.
L’AVEUGLE
Je te prometz que tu seras
Payé content143, je te dy bien.
SAUDRET
Par ma foy ! je n’en feray rien.
390 Il ne s’en fault jà esmoyer144.
Vous avez bien de quoy paier,
Car icy receu vous avez
Grant argent (comme vous savez)
Qui vous vient de mon industrie145.
395 Je dy fy de vostre maistrie146,
Si je ne suis payé au mains147
Du labeur qui vient de mes mains148.
Et croyez que je le seray,
Ou jà ne vous y mèneray.
400 Je ne seray jà si meschant149.
L’AVEUGLE
Entens, Saudret…
SAUDRET
Hau ! quel marchant !
Vous ne croyez ne Dieu, ne homme.
Je seray payé (c’est la somme)
Du tout ains que j’en bouge jà150.
L’AVEUGLE
405 Puisqu’ainsi le fault faire, or çà !
Avisons combien je te doy[s].
SAUDRET
Quarante solz, [au denier près]151,
Vous me devez tout justement.
L’AVEUGLE
Non fais !
SAUDRET
Si faictes, vrayement.
410 Tant en auray ains que j’en bouge.
Pas n’estes encor assez rouge152
Pour ung denier m’en mescompter153.
L’AVEUGLE
Or avant ! Je les vays compter
Et te payer, puisqu’ainsi est.
Cecus computet pecuniam, et
tradat Saudret, dicendo ei : 154
415 Tien ! Et me meyne sans arrest155
Où je t’ay dit, et sans tarder.
SAUDRET
À ce coup vous vueil-je mener
Où il vous plaira, n’en doubtez.
Et guérissez si vous povez ;
420 Ou si non, il ne m’en chault guière.
L’AVEUGLE
Or allons par bonne manière156 !
N’y sçais-tu pas bien le chemin ?
SAUDRET
Que says-je donc ?
L’AVEUGLE
Mon amy fin,
Saches que se tu me sers bien,
425 Tu auras encore du bien
Par mon moyen, de quelque part.
SAUDRET
Dieux ! que vous estes grant flatart !
Je vous congnois comme pain tendre.
Allons ! Dieu nous vueille deffendre
430 De tout mal et de tout péril !
L’AVEUGLE
Amen, Saudret, ainsi soit-il !
Et me vueille ma clarté157 rendre !
Icy, l’Aveugle et son Varlet s’en vont droit au sépulchre.
Et quant ilz se approuchent dudit tombeau, Sauldret
voit les gardes du tombeau et dit :
SAUDRET
Maistre !
L’AVEUGLE
Quoy ?
SAUDRET
Il nous fault deffendre
Ou fouÿr158, ou nous sommes mors !
L’AVEUGLE
435 Hélas ! pourquoy ?
SAUDRET
Autour du corps
Sont gens armés de pié en cappe159.
L’AVEUGLE
N’allons point en lieu où l’en frappe,
Je te requiers !
SAUDRET
Fuyez, fuyez !
Et si vous povez, vous sauvez !
440 Ou sinon, vous estes perdu.
Car je suys si très esperdu
Que je n’y voy remède[s] nulz
Sinon de faire ung vidimus
À la Mort160. Bénédicité !
445 Venez tost ou, en vérité,
Je vous lerray en l’escrémye161.
L’AVEUGLE
Et ! pour Dieu, ne me laisse mye !
Saudret, je te requier mercy !
SAUDRET
Fuyons-nous-en tantost par cy !
450 Courez tost sans faire délay !
Ou, certes, je vous planteray,
Mais ce sera pour reverdir162.
L’AVEUGLE
Tu me fais tout le cueur frédir163.
Regarde s’ilz nous suivent point,
455 Et se tu verras lieu ne point
Pour nous musser ou nous ruser164.
SAUDRET
Me cuidez-vous cy amuser
À regarder derrière moy ?
Trotez, ou – foy que je vous doy –
460 Je vous lerray pour mieulx165 courir.
L’AVEUGLE
Hé ! Dieu nous vueille secourir !
Nous suivent-ilz ?
SAUDRET
Las ! je ne sçay.
Venez tost, ou je vous lerray,
Par la Loy que je tien de Dieu !
465 A, dea ! il n’y a point de jeu,
D’estre icy tué maintenant.
Ce sont Anglois166 certainement,
Qui nous tueront, soit droit ou tort167.
Saudret mutet vocem et dicat adhuc : 168
À mort, à mort ! Vous futy169 mort !
470 Sainct Georg(e)170 ! Vous demourity cy !
Saudret loquatur suam primam vocem : 171
Las, messeigneurs ! Et ! qu’est-ce cy ?
Voulez-vous tuer ce pouvre homme
Qui s’en vient tout fin droit de Romme
Pour impétrer ung grant pardon172 ?
L’AVEUGLE
475 Las ! je vous requiers en pur don
Que me laissez, soit bel ou lait173 !
SAUDRET mutet iterum vocem, et dicat :
Par sainct Trignan174 ! Vostre varlet
Et vous, mourity sans délay !
Loquatur Saudret suam primam vocem.
Las ! mon maistre, deffendez-moy,
480 Ou je mourray sans plus actendre !
L’AVEUGLE
Las ! Monseigneur, vueillez nous prandre
À rençon, je le vous requier.
Je vous donray sans varier
Dyx beaux solz, je vous certiffy !
SAUDRET mutet suam vocem :
485 Donne dix solz ? Et ! où suty175 ?
Monstre-les-my sans plus resver176 !
L’AVEUGLE 177
Vez-les là, sans plus babiller ;
Et vous suffise de les prandre.
SAUDRET mutet vocem suam :
Bien gardyty-vous de mesprandre !
490 Bigot ! [Bru]lare178 ! Adieu vous dy !
L’AVEUGLE
Sang bieu ! je suis tout estourdy.
Le diable y ait part, en la guerre !
Ce sont des archiers d’Angleterre
Qui nous ont ainsi ravallés.
SAULDRET
495 [Encore y]179 vouliez-vous aller !
Mais nous l’avons eschappé belle.
Cheminons par ceste sentelle180,
C’est le meilleur, pour maintenant.
L’AVEUGLE
Hélas ! Saudret, mon doulx enfant,
500 Et mon seigneur, et mon amy :
Ne me laisse point (las, hémy181 !),
Et vous ne perdrez pas ta peine182.
Car je suis à la grosse alaine183,
Et tout conchié de paour184.
SAUDRET
505 Ha ! fy ! Je ne sens que puour185.
Chié avez, à Dieu l’affy186 !
Fy, de par le grant diable, fy !
Ce n’est que merde que de vous.
Sang bieu ! s’ilz viennent après nous,
510 Ilz nous trouveront à la trace.
L’AVEUGLE
Arrestons-nous en ceste place
Pour savoir s’ilz viennent ou non.
Tu ne vois rien ?
SAUDRET
Ce ne fais mon187.
Je croi que nous n’avons plus garde188.
L’AVEUGLE
515 Il est bien gardé, qui189 Dieu garde.
Dieu soit loué de l’eschappée !
Je n’euz oncques si grant vésée190
De paour comme à ceste fois.
SAUDRET
Certes, mon maistre Gallebois,
520 Vous courez bien pesantement.
*
SAUDRET 191 SCÈNE IX
Si vous voulez que plus vous meyne,
Mon maistre, [or] il me convient boire.
L’AVEUGLE
Boire192, mon enfant ?
SAUDRET
Certes, voire.
Qui eust193 ung morcellet d’andoille
525 Et de bon vin friant qui moille194,
G’y entendisse195 voulentiers !
L’AVEUGLE
Saudret !
SAUDRET
Quoy196 ?
L’AVEUGLE
Quel « quoy » ?
SAUDRET
Quelz pannyers197 ?
L’AVEUGLE
Où sommes-nous198 !
SAUDRET
Icy endroit.
L’AVEUGLE
Certes, Saudret, il conviendroit
530 Désormais « Monseigneur » respondre.
SAUDRET
Le grant diable puisse confondre
Qui « Monseigneur » vous respondra !
L’AVEUGLE
Certainement il le fauldra,
Garçon paillart, vueillez ou non !
SAUDRET
535 Par mon serment ! ne199 fauldra mon.
Ce say-je bien, quant est de moy.
L’AVEUGLE
Or me respons cause pourquoy,
Veu que je suis homme de bien.
SAUDRET
Vous estes ung estron de chien
540 Au milieu de vostre gargate200 !
L’AVEUGLE
Or te tais, que je ne te bate,
Saudret ! Et je le te conseille !
SAUDRET
Vous feriez, ce croy-je, merveille
De ruer, qui vous lairoit faire201 !
L’AVEUGLE
545 Ne parle point de mon affaire
Sinon en bien et en honneur,
Car je suis assez grant seigneur
Pour toy, je vueil que tu le saches.
SAUDRET
C’est bien dit ! « Rechassez202 ces vaches,
550 Puisque Monseigneur le commande ! »
L’AVEUGLE
Vien çà, Saudret : je te demande
Pourquoy ne m(e) honnoreras-tu ?
Si feras, ou seras batu,
Par le grant Dieu, jusqu’au mourir !
SAUDRET
555 S’il vous meschiet de me férir203,
Je vous ferray, soit bel ou let !
L’AVEUGLE
Puisque tu n’es que mon varlet,
Tu me dois faire révérence.
SAUDRET
Et je vous dis en la présence204
560 Que je ne vous en feray rien.
L’AVEUGLE
Se tu fusses homme de bien,
Tu ne te feisses pas prier
De le faire.
SAUDRET
Allez vous chier205,
Et chauffer, et boire de l’eau !
565 Je ne donne pas ung naveau206
De vous ne de vostre « maistrie207 » !
L’AVEUGLE
Or vien çzà, Saudret, je te prie.
Appelle-moy au moins ton Maistre,
Car par raison je le doy estre,
570 Puisque je te donne sallaire.
SAUDRET
A, dea ! Cela vueil-je bien faire ;
Pour « mon maistre » vous appeler,
Je ne m’y vueil point rebeller.
Mais estes ung parfait vilain208 :
575 Pas n’estes digne, pour certain,
Que je vous appelle « mon maistre ».
L’AVEUGLE
Par celluy Dieu qui me fist naistre !
Gars truant209, paillart ! Vous mentez !
SAUDRET
Mais vous, faulx vilain redoublés210,
580 Vilain remply de vilennie !
L’AVEUGLE
L’as-tu dit ?
SAUDRET
Oÿ.
L’AVEUGLE
Je regnye
Trèstout le sang de mon lignaige
Si je ne t’en gecte mon gaige211
En disant que tu as menty,
585 Non pas moy !
SAUDRET
Qu’avez-vous senty212,
De vouloir maintenant combatre ?
Ha ! se vous y voulez esbatre,
Le corps de moy vous actendra213.
L’AVEUGLE
Gars paillart, on vous aprendra
590 De parler ainsi à ton Maistre !
Mieulx te vaulsist214 loing d’icy estre
Qu’en telz parolles habonder215 !
SAUDRET
Et sur quoy vouldriez-vous fonder
Vostre cas et vostre querelle ?
L’AVEUGLE
595 La plaincte que je faiz est telle
Contre toy, en disant vraiment
Que tu as menty faulsement
De m’avoir appellé « vilain ».
Et te combatray main à main,
600 Si tu ne t’en desdiz sans faille.
Et sur ce, je t’en gecte et baille
Mon gaige comme faulx et traïstre !
SAUDRET 216
Et je le liève sur ce tiltre
En disant que j’ay bonne cause.
605 Mais dictes-moy sans plus de pause,
Puisqu’il fault que nous combatons,
Quelles armes et quielx bastons
Voulez avoir pour cest affaire.
Car quant de moy217, g’y pense faire
610 Mon devoir, selon mon endroit218.
L’AVEUGLE
Je suis content en champ estroit219,
Que l’on appelle « broche-en-cul220 ».
Mais je ne sçay s’il y a nul
Homme qui bien nous habillast
615 Et liast, et aussi jugeast
De noz coups et de nostre guerre.
SAUDRET
Taisez-vous, je vous en vais querre
Ung qui bien nous habillera ;
Tout le premier qui passera
620 Par icy en fera l’office.
Demourez cy tant que j’en puisse
Trouver ung… Holà, mon amy !!
Icy faint Saudret sa voix, et s’appelle
FICTUS 221
Que vous plaist-il ?
SAUDRET, en sa voix
Venez à my222,
S’il vous plaist, et je vous en prie !
625 Fine223 fleur de chevallerie,
Vous me semblez homme de bien.
L’AVEUGLE
Voire, pour Dieu !
FICTUS
Je le vueil bien.
Que voulez-vous que je vous face ?
L’AVEUGLE
Mon chier amy, sans longue espace
630 Le vous diray. Vécy le cas :
Nous avons eu aucuns débas,
Mon varlet (qui cy est) et moy.
Et par oultraige, en grant desroy224,
M’a dit injure et desmenti225
635 Sans s’en estre oncques repenti.
Et qui pis est, m’a appellé
« Vilain », tant qu’il m’a compellé
Gecter mon gaige à le combatre
(Afin du grant orgueil abatre
640 De quoy le ribault se vantoit)
En luy respondant qu’il mentoit ;
Et lequel gaige il a levé.
Sur quoy, nous avons accepté
De combatre à ung jeu notable
645 De champ estroit sur une table226,
Mais qu’il y eust227 qui nous liast
Et jugeast, et nous desliast
Sans fallace ne tromperie.
Pour ce, chier amy, je vous prie
650 Que nous y gardez loyaulté.
FICTUS
Je vous promet[z] que féauté228
G’y garderay de tous costés.
Mais il fauldra que vous ostez
Le mantel et la symphonie229.
L’AVEUGLE
655 Je le vueil, se Dieu me bénie !
FICTUS
Or çà, varlet ! Est-il ainsi
Comme cest homme a dit icy ?
SAUDRET
Il vous a bien compté230 son droit.
FICTUS
Comment avez-vous nom ?
SAUDRET
Saudret.
FICTUS
660 Et vous, mon amy ?
L’AVEUGLE
Galleboys.
FICTUS
Or bien, tantost à vous je vois,
Mais que j’aye lié ce varlet.
SAUDRET
Amy, je vous diray qu’il est231 :
Liez-moy bien courtoisement232,
665 Je vous en pry ; ou autrement,
Vous orrez qu’il en ystra noise233.
L’AVEUGLE
Liez-le bien, comment qu’il voise,
Sans luy donner point d’avantaige.
FICTUS
Certes, Gallebois, si feray-je ;
670 Il n’y aura point de faveur.
L’AVEUGLE
Je n’auray point de déshonneur,
Ce croy-je, pour ceste journée.
Car oncques César ne Pompée
Ne se monstrèrent plus vaillans
675 (Se mes sens ne sont deffaillans)
Que je seray, ce m’est advis.
SAUDRET
Ha ! je vous promet[z] et plévis234
Que je suis durement estraint235.
FICTUS
Mais escoutez comment il jaint !
680 Croyez qu’il est bien enserré.
SAUDRET
J’aymeroye mieulx estre enterré
Qu’estre longuement en ce point.
L’AVEUGLE
Croy que je ne te fauldray point236.
Il vous vaulsist mieux toy desdire
685 De ce que tu m’as osé dire
Vilennie, à237 mon desplaisir ;
Car j’ameroie autant mourir
Comme t’en laisser impugni !
FICTUS
Demandes-tu plus rien ?
SAUDRET
Nenny.
690 Je suis habillié et lié.
L’AVEUGLE
Avant ! T’es-tu humilié ?
Te repens-tu de l’entreprise ?
SAUDRET
Si je ne l’avoie entreprise,
Croyez que je l’entreprendroie
695 À mon honneur ; et apprendroie
À vous, mon maistre Gallebois,
De bien vous garder, autres fois,
D’esmouvoir guerre ne débat.
L’AVEUGLE
(Je le serviray au rabat238,
700 Mais que je le puisse tenir.)
FICTUS
Or çà ! Dieu y puisse advenir !
Puisque vostre varlet est prest,
Lier je vous vais sans arrest.
Or me courbez ceste pansète239 !
L’AVEUGLE (Fictus le lie.)
705 Il me fauldra une lancette
Pour festoyer240 mon adversaire.
FICTUS
C’est bien dit. Or, me laissez faire :
Et si je ne vous arme bien,
Si dictes que je ne sçay rien
710 D’abiller gens en fait de guerre.
L’AVEUGLE
(Par ma foy ! il me fauldra perre241 :
Je suis trop malement courbé.)
FICTUS
Puis que je me suis destourbé242
À vous lier et habiller,
715 Je le feray sans sommeiller
Et sans y faire tromperie.
L’AVEUGLE
Je tiens ta querelle périe,
Mon varlet, se tu ne te rens.
SAUDRET
Nenny, rien ! Mais je me deffens
720 Et deffendray de vostre assault,
Et vous feray tomber [d’]ung saut243,
Si je ne faux à mon entente244.
L’AVEUGLE
Si je t’atains, il fauldra tente245
Ès playes que je te feray.
725 Holà, mon amy ! Je perray,
Si me liez si fort les mains.
FICTUS
Vous ne l’estes ne plus ne mains
Qu’est Saudret, je le vous asseure.
L’AVEUGLE
Baillez-moy lance qui soit seure,
730 Mon cher amy, je vous en prye.
FICTUS
Vélà cy246, je vous certifie.
Avant ! Estes-vous bien armé ?
L’AVEUGLE
Se tantost ne suis deffermé247,
Je croy qu’il me fauldra chier.
735 Pour ce, venez-moy deslier,
Mon amy, si je vous appelle.
Avant ! Soustiens-tu ta querelle,
Saudret ?
SAUDRET
Oy !
L’AVEUGLE
Et ! je te deffy
Présentement !
SAULDRET
Et je dy fy248
740 De vous et de vostre puissance !
FICTUS
Chascun de vous a bonne lance :
Pour ce, faictes vostre devoir.
L’AVEUGLE
Saudret ?
SAUDRET
Hau249 !!
L’AVEUGLE
Je te fais savoir
Et te somme que vous desdites
745 Des injures que tu m’as dictes !
Ou si non, que vous deffendez250 !
SAUDRET
Et moy vous251, que vous vous rendez !
L’AVEUGLE
Tu n’as garde que je me rende
À toy !
SAUDRET
Ne vous que ne deffende
750 Ma querelle252 jusques au bout.
FICTUS
Vécy bien commencé partout.
SAUDRET
Je ne le crains !
L’AVEUGLE
Je ne te doubte253 !
SAUDRET
Vous perdrez ceste saqueboute254,
À ce coup, puisque je la tiens !
L’AVEUGLE
755 Holà, holà ! Jà255 n’en fais riens :
Plus n’ay de quoy mestier mener256.
SAUDRET
Si je vous puis les piedz lever,
Vous tomberez de l’autre part.
L’AVEUGLE
Dieux, aidez-moy !
SAUDRET
Il est trop tard.
760 Vous tomberez, comment qu’il soit257.
L’AVEUGLE
Et ! holà ! Que le diable y soit !
Saudret ?
SAUDRET
Hau !!
L’AVEUGLE
Laisse-moy aller 258.
SAUDRET
G’iray, avant, à vous parler259 !
Pas n’échapperez en ce point.
L’AVEUGLE
765 Holà ! Et ! ne me pique point !
Je t’en supplye, mon gentil-homme !
SAUDRET
Je prie à Dieu que l’en m’assomme
Se vous eschappez jà si aise ! Pungat.260
L’AVEUGLE
Je te prie, Sauldret, qu’il te plaise
770 Me laisser aller de bon cueur.
Hé ! Dieu, souverain Créateur :
Me lairrez-vous icy tuer ?
Hau ! hau !
SAUDRET
Vous avez beau huer :
Je vous aprendray à combatre !
FICTUS
775 Il nous fault d’aultre jeu esbatre
Ung peu, avant qu’on se repose.
L’AVEUGLE
Comment ?
FICTUS
[Or], il fault qu’on arrouse
À ung chascun de vous le cul :
Il appartient à broche-en-cul
780 Luy faire261, quoy qu’on se rebelle.
SAUDRET
Ha ! Par le sang bieu, j’en appelle262 !
L’AVEUGLE
Et moy aussi, sans demourée.
FICTUS jactet aquam, dicendo : 263
Vous deux aurez ceste seiglée264,
Je vous promet[z], soit tort ou droit.
785 Tenez !
L’AVEUGLE
Je demande [mon] droit
À ung chascun, et sus et jus !
FICTUS
Il vous fault essuyer les culz,
Après qu’ilz ont esté lavéz.
De ce baston, sans plus baver265,
790 Vous feray doulx comme une turtre266.
Empreu267 ! Et deux ! [Et trois !]
L’AVEUGLE
Au meurtre !
Le sang bieu ! je me conchieray268.
SAUDRET
Par la mort bieu, je lancerray269 !
L’AVEUGLE
N’en fais plus, car je me desdis
795 De trèstout quanque je te dis270 !
Souffist-il, Monseigneur mon Maistre271 ?
SAUDRET
[D’ung estron je vouldrois repaistre]272
Le ribault qu’ainsi nous festye !
FICTUS
Brief ! si voulez que vous deslie,
800 Entre vous deux, me pardonrez
Ce que j’ay fait, et me donrez
Chascun six blans pour aller boire.
SAUDRET
Je le vueil bien, par ma mémoire !
L’AVEUGLE
Et moy aussi, sans varier.
FICTUS
805 Saudret, je vous vais deslier,
Et puis deslierez vostre maistre.
SAUDRET
Par le vray Dieu qui me fist naistre !
Maistre, se plus me r’assaillez,
Je vueil mourir se vous faillez
810 À bien en estre chastié !
L’AVEUGLE
Puisque je t’ay merci crié,
Et qu’à vous je me suis rendu
Sans avoir guères actendu,
Et aussi que me suis desdit
815 De tout cela que je t’ay dit,
Je croy qu’il te doit bien suffire.
Encor, se mestier est273, beau sire,
Je vous pardonne mon injure274.
SAUDRET
Faictes ?
L’AVEUGLE
Ouÿ, je le vous jure,
820 Sans vous savoir mal gré275 quelconques.
SAUDRET
Or avant ! Et ! je le vueil, doncques.
Mais par ma foy, premièrement,
Nous baillerez de vostre argent
Dix solz d’erres276 pour aller boire.
L’AVEUGLE
825 Bien me plaist.
SAULDRET
Comme j’ay dit ?
L’AVEUGLE
Voire.
Deslie[z-]moy, mon amy doulx :
Si vous bailleray ces dix soulz.
Car j’ay esté cy longue pose277.
FICTUS
Si feray-je.
SAULDRET
Je m’y oppose
830 Jusqu’à ce que nous les ayons.
Pensez que se nous le croyons
Et deslions sans les avoir,
Il nous pourroit bien décevoir278
Et donner ung tour de botines279 :
835 Je congnois ses fais et ses signes
Comme moy-mesmes, proprement.
FICTUS
Mais280 qu’il soit deslié, vrayment,
Je croy qu’il fera son devoir.
L’AVEUGLE
Par mon serment ! vous dictes voir :
840 Parjurer ne m’en daigneroye281.
FICTUS
Se c’estoit moy, je le feroye,
Saudret : il semble homme de bien.
SAUDRET
Par ma Loy ! je n’en feray rien.
Nous en serons, avant, payés.
L’AVEUGLE
845 Et ! pour Dieu, que vous les ayez !
Puisqu’ainsi est, or les prenez.
SAUDRET
En quel lieu ?
L’AVEUGLE
Vous les trouverez
En ma manche282, en ung drappelet.
SAUDRET
Y a-il or ?
L’AVEUGLE
Pas ung pellet283 :
850 Je n’en ay point, mon amy fin.
SAUDRET
Touteffois, maistre, à celle fin
Que l’on ne me puisse imposer
Larrecin284, ou rien mal gloser
Contre moy, cest homme de bien
855 Les prendra. Le voulez-vous bien ?
Respondez franchement.
L’AVEUGLE
Ouÿ !
Car je me fie bien en luy,
Pource qu’il me semble bon homme.
FICTUS
J’aymeroye plus chier285 estre à Romme
860 Tout nu en ma propre chemise
Que d’avoir une maille prise
Du vostre sans vostre congié286 !
Vez-les cy.
SAUDRET
N’y ait plus songié287.
Doncques, qu’il me288 soit deslié.
865 Aussi s’est-il humilié
Et congnoist assez son deffault289.
FICTUS
Irons-nous disner ?
SAUDRET
Il le fault.
FICTUS
Mais où ?
L’AVEUGLE
Allons chez le premier
– Ou hostelier, ou tavernier –
870 Qui aura de bon vin à vendre,
Des pois, du lart, de bon pain tendre,
Du rost290, de la pâticerie
Ou de quelque autre lécherie291.
Et nous y disnons bien et fort !
SAUDRET
875 Par mon serment, j’en suis d’accort !
Or y allons nous troys ensemble,
Car nous y boyrons (ce me semble)
Du meilleur vin en paix faisant.
*
L’AVEUGLE 292 SCÈNE X
Saudret !
SAUDRET
Maistre ?
L’AVEUGLE
Je suis refait293
880 Et bien dîné, mon amy doulx,
Dieu mercy !
SAUDRET
Aussi sommes-nous,
Cest homme de bien cy et moy.
FICTUS
Loué soit le souverain Roy294 !
Bien en devons estre contens.
885 Or çà, mes amys, il est temps
Que je m’en aille à mon affaire.
Se plus avez de moy affaire,
Je suis tout au commandement.
SAUDRET
Je vous en mercie grandement
890 Quant de ma part295. Et aussi fait
Mon maistre qui cy est ; de fait,
À son povoir296 je m’en fais fors.
L’AVEUGLE
Voire, par la foy de mon corps !
Mon cher amy, je vous mercie.
SAUDRET
895 Mon maistre, je vous certifie
Que bien estes à luy tenu
De ce qu’il est icy venu
Franchement à nostre débat.
Et si, a laissé son esbat297
900 Ou sa besongne en destourbance298
Pour nous faire la secourance
Que vous savez qu’il nous a faicte.
Si, est droit que luy en soit faicte
Quelque rémunéracion.
L’AVEUGLE
905 Mais combien ?
SAUDRET
Numéracion
De cinq solz de vostre monnoye.
Si Dieu me doint honneur et joye,
Je croy qu’il l’ait bien desservi299.
Oncques-puis que je vous servy,
910 Je ne vis si gracieux300 homme.
L’AVEUGLE
Tu devroies payer ceste somme,
Puisque tu as eu la victoire.
SAUDRET
Sauf vostre grâce ! Mais encoire
Devriez-vous payer tous les frais
915 Quelconques, qui ont esté fais
À cause de nostre discord.
L’AVEUGLE
Pourquoy ?
SAUDRET
Car vous aviez [le] tort.
Puisqu’avez perdu la bataille,
Il esconvient que l’en vous taille301
920 De tous les frais qui en dépendent.
Ainsi le font ceulx qui se rendent,
En bataille : et si, paient rançon.
L’AVEUGLE
Je te prie donc, mon enfançon :
Preste-moy de cinq solz la somme
925 Pour bailler à ce vaillant homme
Qui cy est, avant qu’il s’en aille.
Car je n’ay plus denier ne maille
Sur mon corps. Et je te prometz
Que je les vous rendray [huymais]302,
930 [Mais] que nous en ayons receu.
Ou si tu crains estre déceu
Par moy, demain ou l’en303 demain,
Je suis content que par ta main
Toy-mesmes vous le recevez304.
SAUDRET
935 Par la foy que vous me devez305 !
Maistre, voulez-vous, orendroit306,
Que je les prengne, tort ou droit,
Sur le premier307 de nostre queste,
S’ainsi est que je les vous preste
940 De ma bourse présentement ?
L’AVEUGLE
Ouÿ, Saudret, par mon serment !
Je vous en donne auctorité.
SAUDRET baille cinq solz [à l’Aveugle].
Véez-les cy donc, en vérité :
Ung, deux, trois, quatre, cinq, et six308.
L’AVEUGLE
945 Or venez à moy, beaux amys309 !
Vous me semblez bonne personne :
Vécy cinq solz que je vous donne
De monnoye, en recongnoissance
De voz peines. Car sans doubtance,
950 Vous me semblez homme de bien.
FICTUS
Je vous mercie ! Et s’il est rien
Que vous me vueillez commander,
Ne faictes sinon me mander,
Et vous m’aurez, je vous affie.
955 À Dieu !
L’AVEUGLE
À Dieu, qui vous conduye !
Mais dictes-moy – s’il vous agrée –
Vostre nom, et en quel contrée
Demourez.
FICTUS
J’ay nom Chosefainte310,
Qui suis en Jhérusalem Sainte,
960 La merci de Dieu, qui tout fist !
Vous ne trouverez si petit311
Qui ne vous dye où je demeure.
À Dieu soiez !
L’AVEUGLE
En la bonne heure,
Mon amy, puissez-vous aller !312
SAUDRET
965 Ouÿstes-vous oncques parler,
Maistre, plus gracieusement
Ne plus mélodieusement
Que fait cest homme qui s’en part
D’avecques nous ? Quant de ma part,
970 Je m’en tiens à trèsbien content.
L’AVEUGLE
Aussi l’ay-je payé content :
Il emporte cinq solz du mien.
SAUDRET
Certainement je croy et tien
Qu’ilz sont bien employés, sans doubte.
975 Maistre, vécy une grant route
De gens d’estat et de façon313 ;
Se [nous] chantions une chançon,
Ce seroit bien, je vous plévis.
L’AVEUGLE
Tu es homme de bon advis.
980 Commençons doncques en apert314.
Chançon 315
Dieu, qui le monde a recouvert 316,
Doint bonne destinée
À qui dire sçait 317 de quoy sert
Celle bonne vinée !
.
985 Cil 318 qui par sa bonté nous fist
Soit loué en fais et en dit,
Qui tant de biens nous donne !
De chanter m’est prins appétit
Du fait des beveurs ung petit 319.
990 Quant la vinée est bonne,
À qui n’en prent que par raison
Elle est moult profitable,
Et ne s’en ensuit si bien non 320 :
C’est chose véritable !
.
995 Elle eschauffe et nourrist le corps,
Qui plus en est joyeux et fors ;
Mieulx en parle et devise.
Couleur luy donne, par-dehors,
Plus belle que s’il estoit mors 321,
1000 Et son engin aguise 322.
Médecines fait le vin blanc 323,
Et le cueur réconforte ;
Et le vermeil 324 fait le bon sang,
S’il est de bonne sorte.
.
1005 Il fait gens d’Église coucher,
Souvent, quant ilz deussent veiller
Et dire leur service ;
Escoliers rire ou sommeiller
Quant ilz deussent estudïer,
1010 Comme c’est leur office ;
Nobles chevaliers, escuiers,
Mener vie joyeuse ;
Bourgois, marchans, gens de mestiers
Fait tenir en oyseuse 325.
.
1015 Quant povres gens boivent ung poy,
Ilz sont plus riches que le Roy
Tant comment ilz 326 sont yvres ;
Mais l’endemain est le desroy,
Povre chère et piteux arroy 327,
1020 Quant ilz en sont délivres 328.
Car qui les verroit le matin,
C’est piteuse levée :
Ilz ne parlent plus tel latin
Comment à la sérée 329.
.
1025 En beuvant bon vin près du feu,
Se l’un dit « heu ! », l’autre dit « beu ! »,
L’autre pert le langage.
Il fait à l’un faire son preu 330,
L’autre n’y penser que trop peu,
1030 L’autre se cuider sage.
L’un fait des autres mal parler,
L’autre crier ou braire,
Gens accorder ou discorder,
Et mariages faire.
.
1035 Raconter [nous] ne vous saurions
Tous ces fais et ces signes.
Dieu sauve tous bons compaignons
Et le brouet des vignes !
Cy fine la chanson.
L’AVEUGLE
Je te prie que tu en assignes331,
1040 Saudret, pour dix deniers la pièce,
À celle fin que l’argent chiesse332
Dedens ma bourse sans respit.
Car long temps a que l’on n’y mist
Rien, et qu’on ne cessa d’y prendre.
SAUDRET
1045 Ne vous souvient-il pas que rendre
Vous me devez, avant tout euvre333,
Cinq solz, et que je les receuvre334,
Que vous baillastes au bon homme ?
L’AVEUGLE
Si fais bien ; mais je ne sçay comme
1050 Les te rendray s’il ne m’en vient.
.
LE MESSAGIER SCÈNE XI
Çà, mes amis ! Bien me souvient
Que l’autre jour, vous me vendistes
Une autre chanson, et en pristes
Dix deniers de chascun roullet335.
1055 Si me dictes, gentil varlet,
Combien ung cent me coustera
De ceste336 ?
SAUDRET
Mon maistre en aura
De chascun roulet dix deniers.
LE MESSAGIER
Je les en paieray voulentiers.
1060 Baillez-les çà ! Vécy l’argent.
L’AVEUGLE
Saudret, baille-luy-en ung cent,
Et pren cent grans blans de monnoye.
Sur quoy, prens cinq solz et t’en paye ;
Et m’en baille le remenant337.
1065 Mais advise bien, mon enfant,
Que tout soit bon. Entens-tu bien ?
SAUDRET
Or ne vous soucïez de rien,
Mon maistre, fors de bien dancer338.
LE MESSAGIER
À Dieu !
SAUDRET
Adieu !
.
Allons lancer. SCÈNE XII
L’AVEUGLE
1070 Que veulx-tu que lancer aillons ?
SAUDRET
Du meilleur vin sur noz couillons339,
Puisque nous avons de l’aubert340.
Vous savez bien de quoy vous sert
Le prouffit de mon escripture
1075 Et mon beau chanter.
L’AVEUGLE
Je te jure
Qu(e) aussi te feray-je des biens !
SAUDRET se paye des cinq solz.
Vécy cinq solz que je retiens,
Maistre, et [je] vous rens le surplus.
L’AVEUGLE
Y est-il tout ?
SAUDRET
Ouÿ.
L’AVEUGLE
Or sus !
1080 Allons où nous avons disné,
Car on y est bien aviné341.
Recordons-y nostre leçon342,
Et que nous nous y repesson343 :
As-tu point ne trippe ne foye344 ?
SAUDRET
1085 Et ! si ay. Si Dieu me doint joye,
Certes, vous ne m’avez point veu345
Ny esbahy, ne despourveu.
Allons boire, puisqu’il vous plaist.
*
L’AVEUGLE 346 SCÈNE XIII
Saudret !
SAUDRET
Maistre ?
L’AVEUGLE
Je te demande
1090 Si tu as aucune vitaille347 ;
Et si tu en as, si m’en baille !
Car certes, j’ay grant appétit
De mangier.
SAUDRET
Ne grant, ne petit
N’y en a, foy que je vous doy !
L’AVEUGLE
1095 Hélas, mon amy ! Quelque poy
M’en donne, à ce pressant348 besoing !
SAUDRET
Par ma foy ! je n’ay que le poing,
Dont je puisse férir aux dens349.
L’AVEUGLE
Et pourquoy ?
SAUDRET
Pource que les gens
1100 Ne donnent plus chose qui vaille.
L’AVEUGLE
Si font au moins de la mengea[i]lle
Qui assez est à grant marché350.
Et n’est que par ta mauvaisté
Si nous n’avons bien à manger.
1105 Mais tu fais d’en quérir danger351,
Et chiez352 au péché de paresse.
Je te requiers : or nous adresse353
À quester parmy ceste ville.
Tu te disoys si très habille354,
1110 Quant tu vins o moy demourer,
Et te vantoies de truander
Aussi bien comme homme vivant.
Il ne deust avoir355 (je me vant),
En la cité, bourde356 ne loge
1115 En quoy homme demeure ou loge,
Où tu ne t’allasses bouter :
Tu y trouvasses, sans doubter,
Assez à manger et à boire.
SAUDRET
En la cité ?
L’AVEUGLE
Par la Loy, voire !
1120 Et crier357 haultement et fort.
Or m’y meyne : je me fais fort
Que j’en auray, mais que je crie.
SAUDRET
Je verray donc vostre maistrie358.
Or y allons, et criez bien.
Icy vont devant l’ouvrèr 359 de l’Apoticaire,
et crye l’Aveugle en disant :
L’AVEUGLE
1125 Chères gens, faictes-nous du bien,
Pour l’amour de Dieu, s’il vous haite360 !
Ung denier ou une maillette361 !
Du pain, de la char362, de la souppe,
Et des verses363 de vostre couppe,
1130 Ou du relief, ou quoy que soit
À ce povre qui point ne voit !
Et grant charité vous ferez.
.
L’APOTICAIRE SCÈNE XIV
Venez çà, mes amis, venez,
Et vous arrestez en ce lieu !
1135 Et je vous y donray pour Dieu
Pain et vin, et de la vïande.
SAUDRET
Monseigneur, je vous recommande
Ce povre homme qui ne voit goutte,
Et a tel fain, sans nulle doubte,
1140 Que c’est pitié, bien le sachez.
L’APOTICAIRE 364
Tenez, mes amis : or, mangez
Et beuvez trèstout à vostre aise.
L’AVEUGLE
Grans mercis, des fois plus de treize,
Sire ! Dieu le vous vueille rendre !
1145 Saudret, il seroit bon de prendre
Icy endroit nostre repas.
A ! dea, je ne mentoye pas,
En présent, quant je te disoye
Qu’assez à menger trouveroye
1150 S’il advenoit que je criasse.
SAUDRET
Or nous séons365, car je mengeasse
Aussi voulentiers comme vous.
L’AVEUGLE
Or tranche donc, mon amy doulx,
Pour nous deux, dessus ung volet366.
1155 Et me donne du pain molet367,
Se tu en as, car j’ay grant fain.
SAUDRET
Pain molet ? Il n’y en a grain,
Par l’âme qui en moy repose !
Avoy368, dea ! Vécy bonne chose,
1160 Par ma Loy ! Mon maistre gentilz,
Il n’y a que du pain faitis369 ;
Si en mengez, et louez Dieux.
L’AVEUGLE
C’est bien ; mais s’il y avoit mieulx,
Saudret, j’en vouldroye bien avoir.
SAUDRET
1165 Mon maistre, vous devez savoir
De certain que se j’en avoye,
Jamais ne le vous cèleroye :
Car je suis tousjours coustumier
De vous servir tout le premier
1170 De ce que Dieu nous a presté.
L’AVEUGLE
Par tous les benois jours d’esté !
Il te vauldra, se j’ay à vivre370.
SAULDRET
Vécy le tailloèr371, que je livre
Devant vous, garni de cuisine.
1175 Or mengeon, et que chascun disne.
Et faisons icy, sans renchière372,
Ung tronsonnet373 de bonne chière.
Maistre, je bois à vous d’autant ! Potet.374
L’AVEUGLE
Bon preu te face, mon enfant !
1180 Or verse doncques, et m’en donne ! Potet.
A ! par mon serment, vécy bonne
Vinée, Saudret, mon amy !
Icy, l’Aveugle et Sauldret boyvent.
SAUDRET
Il y a bien moys et demy
Que je ne beu meilleur boisson.
[ L’AVEUGLE
1185 Or verse donc, mon enfançon !
SAUDRET
S’il en reste, qu’on me puist pendre !
L’AVEUGLE ] 375
Dy, hau, Saudret : il fault entendre
D’aller boire chascun sa foiz376.
Car, ainsi comme je le croys,
1190 Il est bien fol qui rien espargne.
SAUDRET
Allons-nous-en [en] la taverne
Sans plus tarder ne çà, ne là.
.
Hau ! Tavernier ! SCÈNE XV
Servus taberne dicat : 377
[LE VARLET DU TAVERNIER]
Qui est-ce là ?
L’AVEUGLE
Sont gens de bien, soiez saichans378.
LE VARLET DU TAVERNIER
1195 Ha ! Nostre Dame, quelx marchans
Pour faire riche une taverne !
Ce sont [des] gens de Mau-Gouverne379,
Je le voy bien à leur livrée.
SAUDRET
Or sus ! à coup nous soit livrée
1200 Une pinte du meilleur vin,
Du plus doulcet380 et du plus fin
Qui soit en toute ceste ville !
LE VARLET
Mais regardez qu’il est habille,
À toute sa roube de toille381 !
1205 C’est à l’enseigne de l’Estoille 382
Que devez boire, mes mignons.
SAUDRET
Dea ! nous sommes bons compaignons,
Pourtant que sommes383 mal vestus.
Nous avons laissé mil escuz
1210 (Par Dieu qui me fist !) à la banque
De Lion384.
LE VARLET DE L’OSTE
Ha, [ha] ! c’est tout quanque
Je disoie présentement.
Car vous estes certainement
Gros marchans et gros usuriers.
1215 Vous en avez bien des deniers,
Et des escuz, et des ducatz.
Ha, vous ne les emporterez pas
Quant vous partirez de ce monde.
L’AVEUGLE
Je pry à Dieu que l’en me tonde385,
1220 Saudret, se de nous ne se mocque !
SAUDRET
Voire, que la fièvre le tocque386 !
De nous se mocque en général387.
Ha, dea ! si nous estions à cheval388,
Et bien habillés et en point,
1225 Il ne nous reffuseroit point,
Je le sçay bien, sans dilatoire389.
L’AVEUGLE
Et ! pour Dieu, donnez-nous à boire :
Nous paieron comme bon[ne] gent390.
LE VARLET DE L’OSTE
Baillez-moy tout premier l’argent,
1230 Et vous en aurez voulentiers.
SAUDRET
À combien est-il ?
LE VARLET
À six deniers
Le pot : vous n’en rabatrez rien.
L’AVEUGLE
Allez-y donc.
LE VARLET
Je le vueil bien ;
Mais je verray, premier, la croix391.
L’AVEUGLE
1235 Vez là six deniers, je le croix.
Regardez-y sans plus songier392.
SAUDRET
Voir(e), mais nous n’avons que mangier393 :
Nous ne mangeasmes, anuyt394, rien.
L’AVEUGLE
Par sainct Pierre395 ! tu diz trèsbien,
1240 Car de fain suis tout translaté396.
LE VARLET
Il (y) a céans ung bon pasté
De bons pigeons et de pollés397,
Que vous aurez se vous voulez,
Car vous n’en povez avoir moins.
L’AVEUGLE
1245 [Et] combien vault-il ?
LE VARLET
Trois unzains398
En baillerez, se vous l’avez399.
L’AVEUGLE
Dea ! c’est trop.
LE VARLET
Ha ! vous ne sçavez
Comme la char est icy chière.
Il n’y a boucher ne bouchière
1250 Qui le vous donnast pour le pris400,
J’en suis certain.
SAUDRET
Il sera prins,
Puisqu’ainsi est. Se par Dieu me gart,
Je paieroie avant de ma part401
Quatre blans que nous ne l’eusson !
1255 Mon maistre, sans plus long sermon,
Tirez bien tost au chevrotin402.
L’AVEUGLE 403
Vez-les là.
SAUDRET
Venez, mon cousin404 !
Allez quérir vin et pictance.
Bien paié serez, sans doubtance,
1260 Je vous promet[z], de bout en bout.
.
LE VARLET SCÈNE XVI
Je ne perdray pas, mèshuy405, tout,
Puisqu’ilz me paient avant la main.
Si chascun le fist, pour certain,
On ne fist nully adjourner406.
1265 Devers eulx m’en vais retourner
Leur porter pain, vin et pictance.
.
Je suis retourné407, sans doubtance. SCÈNE XVII
Tenez, repaissez à vostre aise.
L’AVEUGLE
Mangons sans nous donner malaise,
1270 Car quelq’ung nostre escot paiera,
Certes, qui ne s’en ventera.
Sus ! tastons de ceste boisson !
*
Icy s’assist Jhésus, et sa mère, et les disciples ;
et mangent pendant que l’Aveugle parle.
L’AVEUGLE SCÈNE XVIII
Saudret, puisqu’avons bien408 mangé,
Sans qu’il y ait plus cy songé,
1275 À chemin nous fault advoyer409.
LE VARLET
Il vous convient, avant, payer
Ce que devez, comme je croys.
Car vous avez eu, du su[r]croys,
Pinte de vin, j’en suis certain.
1280 Et aussi avez eu ung pain
Qu’il vous fault payer, s’il vous haicte.
SAUDRET
Aux gallans de Saincte-Souffrète410,
Vueillez despartir411 de voz biens !
Et certes, vous n’y perdrez riens
1285 Que l’actende412, combien qu’il tarde.
LE VARLET
Vous seriez plus fins que moustarde413,
Se414 vous en peussez nullement
Aller sans me faire payement
De ce que me devez, orendroit.
1290 Car aultrement, le me fauldroit
Payer au maistre, de ma bourse.
L’AVEUGLE
Pour Dieu, amy, qu’on ne se cource415 !
O nous416, dommaige vous n’aurez ;
Mais de nous, bien payé serez…
1295 Au retour de nostre voiage.
LE VARLET DE L’OSTE
Ha ! brief j’auray argent ou gaige,
Je le vous dy à ung mot rond417 !
.
L’OSTE 418 SCÈNE XIX
Le grant diable le col te rompt
En brief419, fol vilain et testu !
1300 Et pourquoy ne420 desgaiges-tu
Ces pouvres coquins421 qui n’ont rien ?
Je vueil qu’on leur face du bien,
Désormais, en toute saison.
Or sus ! chantez une chanson
1305 Pour la despence qu’avez faicte.
L’AVEUGLE
Nostre Maistre, puisqu’il vous haicte,
Très voulentiers nous le ferons.
Icy chantent l’Aveugle et Saudret une chançon plaisante et belle,
puis dit SAUDRET :
Chier sire, de vostre pictance
Vous mercÿons en tout degré.
L’OSTE
1310 Amys, prenez en pacience422.
L’AVEUGLE
Chier sire, de vostre pictance,
SAUDRET
Le Dieu qui a toute puissance
Vous en vueille sçavoir bon gré !
L’AVEUGLE et SAUDRET dient emsemble :
Chier sire, de vostre pictance
1315 Vous mercÿons en tout degré !
Icy, Cecus [l’Aveugle] et Saudret s’en vont, et dit Jhésus…423
*
1 Le Mystère de la Résurrection. Angers, 1456. Droz, 1993. 2 volumes. 2 Jolie. (Cf. la Présentation des joyaux, v. 63.) La « godinette ville » dans laquelle entre Saudret n’est autre que Jérusalem, en plein drame biblique. Mais on se croirait à Angers en 1450. Saudret déambule en cherchant de l’embauche comme valet. 3 Ni côté face, ni côté pile : pas un sou. 4 Tous les hôteliers. 5 De chercher un aveugle. Les mendiants aveugles ne peuvent rien faire sans un valet. L’Aveugle du Mystère des Actes des Apostres s’en plaint : « Aller ne sçay par ville ne cité/ Se guyde n’ay tousjours à mon costé. » Il a pourtant « le plus maulvais varlet/ Qui soit, ce croy, en tout le Monde…./ Las ! fiez-vous en telz varletz/ De qui toute malice sourt ! » 6 De l’argent, qui est une chose facile à transporter. 7 Aveugle. 8 Savait se tirer d’affaire. Idem v. 194. 9 Gagner une pièce de monnaie. Idem vers 361, 861, 927, 1127. Je ne répéterai pas les notes de traduction ; donc, prenez des… notes. 10 Que quelqu’un s’efforce. 11 Nous pourvoir de nourriture. Idem v. 120. 12 Leur pauvre vie. « N’en vueil riens avoir fors que ma povre de vie. » P. de la Sippade. 13 Il a entendu les jérémiades de l’Aveugle. 14 Tout ce qu’il. Idem vers 378, 795, 1211. 15 Tel maître, tel valet. Cf. Légier d’Argent, v. 222. 16 D’attente. Idem v. 1285. 17 « Il va, et dit à l’Aveugle. » Les rubriques (que je traduis systématiquement) et les didascalies, réservées aux lecteurs, sont souvent écrites en latin. Cecus = l’Aveugle. Nuncius = le Messager. 18 Pour vrai. Idem v. 839. 19 Rembourser. 20 Parlons peu, parlons bien. La farce va opposer deux hommes qui ont un rapport à l’argent contractuel et procédurier. 21 Désormais. 22 L’hypocrite. Cf. Daru, vers 122. 23 Qu’ils seront bien méprisants, ceux… 24 Une grande pause = pendant longtemps. Idem v. 828. 25 Auquel il a rendu par un miracle la lumière, la vue. Idem vers 322, 325, 353. 26 Je m’en vante. Idem vers 327 et 1113. 27 Pour économiser le papier, on gravait les brouillons sur des tablettes de cire réutilisables. 28 Selon le poste que j’occupe. 29 Approprié. 30 Beaucoup de mendiants aveugles chantaient en s’accompagnant à la vielle (vers 654). Celui-là vend aussi des partitions. 31 100 sous pour l’année. 32 Vous me procurerez. 33 Si tu es aussi mal vêtu et chaussé que moi. 34 Décidé. 35 Topez là ! Cf. Cautelleux, Barat et le Villain, vers 39. 36 Ma manière d’être : ma conduite. 37 Mendier. Idem v. 1111. Ce verbe commençait à prendre une connotation péjorative. 38 Voirre se prononçait verre, tout comme fois se prononçait fais. 39 Comme personne. 40 Chercher un hébergement. « En un bon hostel vous menray/ Où herberge pour vous prendray. » ATILF. 41 Chaque fête paroissiale faisait affluer les mendiants devant la porte de l’église concernée, car les fidèles y étaient plus nombreux et plus généreux que d’habitude. 42 Si vous n’y voyez pas d’inconvénient. 43 L’Aveugle, qui veut passer pour noble, est extrêmement imbu de sa personne. 44 Qui s’amuse et qui boit. « Après boire et après galler. » (ATILF.) Mais la prononciation Gallebais (voir la note 151) nous rapproche de « gueule bée » [bouche ouverte], qui est un beau nom pour un chanteur des rues : « Chantons à gueulle bée ! » Les Sotz triumphans. 45 Un peu. (Idem vers 1015 et 1095.) Qu’on cessa d’allaiter un peu trop tôt : qui est orphelin. 46 Pour nom de famille. Tout lui fault = Tout lui manque : il ne possède rien. C’est, entre autres exemples, le nom d’un mendiant dans les Bélistres. 47 Mal mariée, ce qui est normal pour la femme d’un vaurien. Dans le Messager et le Villain, l’épouse du paysan porte le même nom. Cf. le Munyer, v. 34. 48 La fille de la Paresse. « Sainct Fait-néant : c’est le patron des lasches journées, des paresseux & gaudisseurs. » Pierre Viret. 49 Vous êtes venu au bon endroit. Voir les vers 289-290. 50 De te remémorer ce que tu diras pour émouvoir nos donateurs. 51 Au. 52 Lui rende la lumière, la vue. Mais aussi, et surtout : Que le feu de St Antoine lui donne des hémorroïdes ! « Le cul qui tousjours pète et chie,/ Le feu sainct Anthoine l’alume ! » Tarabin, Tarabas (F 13). 53 Presque cinq mois plus tard. 54 Répondre « hau ! » à quelqu’un qui nous appelle est le comble de l’impolitesse. « –Sottinet ! –Hau ! –Quel “hau” ? » Le Roy des Sotz, qui fut également joué devant le roi René vers la même époque. 55 Parmi, sur. 56 Une corde. 57 Pour qui vous prenez-vous ? 58 Pouilleux. 59 On tondait les fous. Les tonsures se faisaient à l’eau savonneuse chaude : « Je vueil estre sans eau tondu ! » Goguelu (voir ma notice). 60 D’appeler ainsi un mendiant. Idem v. 578. Voir la note 37. 61 De mauvaise odeur. Cf. les Veaux, v. 222. 62 Qui ne commet jamais de faute. Cf. le Messager et le Villain, vers 427. 63 Un vieux cochon, de la famille des suidés. « Hou ! le souin ! » J.-A. de Baïf. 64 Ceci ni cela : ne m’insulte pas. 65 Si ça me démange. Cf. le Capitaine Mal-en-point, v. 282. 66 Quoi qu’il en soit. Idem v. 667. 67 Contraindre. Idem v. 637. 68 À vous appeler « seigneur ». Cf. le Capitaine Mal-en-point, vers 357-8. 69 Un arrangement. Idem v. 187. 70 Notre association. 71 L’assurance. 72 Que nous fassions. Expliquez-le-moi. 73 Tous nos conflits. 74 À l’Aveugle-né (vers 58). 75 En toute occasion. 76 Que celui qui en aura les moyens boive ou mange. 77 Il le cache. 78 Donner pour Dieu = faire la charité. Idem v. 1135. 79 Ils chantent, dansent (vers 1068), et l’Aveugle joue de la vielle. Cette chanson est inconnue. La musique doit être identique à celle de la chanson qui commence au v. 981 : elle est écrite sur les mêmes dizains AAbAAbCdCd (je mets les hexamètres en minuscules). Cette bluette qui prétend louer « les biens qu’on a en mariage » prend le contre-pied des « maux qu’on a en mariage » d’une manière tellement grosse que nul n’est dupe : il s’agit bien d’une chanson antimatrimoniale. 80 Taisez-vous et vous entendrez. 81 Des maux inventés. Cf. le Sermon joyeulx de tous les maulx que l’homme a en mariage. 82 Lui ouvre la porte. Dans les farces, l’épouse n’ouvre au mari qu’après avoir caché son amant. 83 De souci. 84 Elle le couvre. 85 Contre lui. 86 Original : De 87 « Ma foy, dit-elle, vous ne serez pas en mon livre enregistré (…) que je ne sache quel harnois vous portez. » Cent Nouvelles nouvelles, 15. 88 Ce bois qui se lève bien haut est une métaphore phallique. Cf. le Ramonneur, v. 276. 89 « Lors il luy a fait la chosette/ Qu’une fille peut désirer. » Gaultier-Garguille. 90 Dans la Mauvaistié des femmes, l’épouse met en cage un cocu [un coucou]. 91 Elle en enlève les draps sales. 92 Elle le déshabille. 93 Elle tire de l’eau du puits. 94 Gracieuse. 95 Elle l’appelle son ami. Mais on peut comprendre : Son amant l’appelle. 96 Lui, il nourrit ses enfants à elle. 97 Qu’il se met en colère pour quoi que ce soit. Le jeu de mots sur « marri » et « mari » n’est pas nouveau : « Le mary fut fort marry. » Les Joyeuses adventures. 98 Aux femmes du public. Puis son valet s’adressera aux hommes, pour être sûr de n’omettre aucun acheteur potentiel. 99 Il n’y a pas ici de femme si rusée. 100 Pour s’améliorer encore en matière de ruse. 101 Une partition. 102 Pour une pièce de monnaie. Idem vers 802, 1062, 1254. 103 Allons ! Idem vers 413, 691, 732, 737, 821. 104 Vous conduire. « Tant charia/ Qu’en la parfin se maria,/ Comme fols. » ATILF. 105 Déclare, révèle. 106 Prenez nos chansons, vous ferez sagement. 107 Ce personnage du Mystère a écouté la chanson parmi le public. Il monte sur scène. Dans la vie, il aime deux choses : le vin et les chansons misogynes. Ailleurs, il entonne celle-ci : « Je revenoye de cure./ Trouvay une vieille dure/ Qui avoit une grant hure/ Plaine de toute laidure. » 108 S’évertuent. Le Messager sillonne le pays dans tous les sens. 109 Sans contestation. 110 Une centaine de partitions. Idem vers 286, 1056, 1061. L’Aveugle est à la fois détaillant et grossiste. 111 Qu’il me vienne malheur (verbe méchoir). 112 Si j’étais passé ailleurs. 113 Ni soir, ni matin. Cf. Saincte-Caquette, v. 288. 114 Un seul mot. 115 Par avance. Idem v. 1262. 116 Qu’il n’y ait pas de pièce fausse ou rognée. Même méfiance de l’Aveugle aux vers 1065-6. 117 On demande toujours les dernières nouvelles aux messagers, qui voyagent beaucoup (vers 277-280). 118 Une chose terrible. Cf. D’un qui se fait examiner, v. 284. 119 Si j’étais aveugle. 120 Quand Jésus était vivant. 121 La lumière, la vue. Cf. l’Aveugle et Picolin, vers 92. 122 Que ce soit moi. Cf. la Laitière, vers 120 et note. 123 Plénier, complet. 124 Qu’il n’en manque. 125 Avec. Idem vers 1110 et 1293. Cf. les Esbahis, v. 215. Les serviteurs étaient payés une fois par an, et Saudret ne travaille pour l’Aveugle que depuis 146 jours. Mais s’étant fait rouler par son précédent maître, qui a retrouvé la vue grâce à un miracle, il exige d’être payé tout de suite au cas où Gallebois serait lui-même guéri par un miracle. 126 Quand nous serons revenus du sépulcre. 127 Par la loi des chrétiens, opposée à la loi des juifs, qu’on critique au v. 316. Idem vers 384, 464, 843, 1119, 1160. 128 Quand Jésus lui eut rendu la vue. 129 Siffler comme on siffle un chien. Un baude est un chien de chasse. Un des chiens de Charles d’Orléans portait même ce nom : « Laissez Baude buissonner ! » 130 Qu’il me l’a baillée belle. L’aveugle-né s’est vengé d’un hypocrite qui piochait dans son escarcelle, comme il le lui reproche dans le Mystère de la Passion d’Arras : « Oste ta main hors de ma tasse,/ Hardeaux ! Je t’y sens bien aler. » 131 Qu’il ne manquera pas un sou. 132 Si j’y vais, au sépulcre. 133 Il vaut mieux être sûr que de rester dans le doute. 134 De faire crédit de son argent. 135 Rayé de votre livre de comptes. Dans le Mystère de S. Bernard de Menthon, un aveugle recouvre miraculeusement la vue et refuse de payer son valet, dont il n’a plus besoin : V. Payez-moy avant que partez,/ Ou débat à moy vous aurez,/ Car je vous ay très bien serviz./ A. Mon amy, jamais ne te vy/ Jusques or ; ne sçay qui tu es./ V. Mal jour doint Dieu (à celui) qui t’a les yeulx/ Anssy gariz ! Dolent j’en suis./ Ne resteray de quérir huy/ Tant que je treuve ung aultre orbache [aveugle]. » 136 À notre retour du sépulcre. 137 Bavarder. 138 Un peu. Idem v. 989. 139 Cession. 140 De tout mon argent disponible. 141 Négligent. 142 Que je te paye. 143 Comptant, intégralement. Idem v. 971. 144 Il ne faut plus s’en émouvoir, s’en préoccuper. 145 De mon travail de copiste. 146 Je renonce à vous avoir pour maître. 147 Au moins. Cf. la Pippée, v. 764. 148 De mes copies de partitions. 149 Si méprisable, en acceptant de travailler pour rien. 150 Avant que je ne bouge de là. Idem v. 410. 151 Original : ung denier poy (« -ois » rime en « -ais », comme aux vers 90 et 368.) 152 Assez malin. Cf. le Capitaine Mal-en-point, v. 185. 153 Me soustraire. 154 « L’Aveugle compte l’argent et le remet à Saudret en lui disant. » 155 Sans retard. Idem v. 703. 156 Comme il convient. 157 Et qu’Il veuille bien me rendre la vue. 158 Fuir. 159 De pied en cap : des pieds à la tête. 160 De renvoyer la Mort en lui opposant un « vidimus sans queue ». Voir le v. 281 de Marchebeau et Galop, et le v. 247 du Dorellot. 161 Je vous laisserai dans ce combat d’escrime. 162 Je vous planterai là. Cf. les Femmes qui plantent leurs maris pour reverdir. 163 Refroidir. 164 Nous éloigner. « Un peu arrière se rusa. » Godefroy. 165 Orig. : men 166 Des archers anglais de la guerre de Cent Ans. L’auteur joue habilement avec les anachronismes. 167 Qu’ils aient raison ou tort. Idem vers 784 et 937. Saudret s’immobilise tout à coup, et l’Aveugle pendu à ses basques en fait donc autant. 168 « Saudret modifie sa voix, et dit alors. » Il se fait passer pour un soudard anglais, avec un accent caricatural. Le gag du changement de voix remonte au moins au XIIIe siècle : dans la farce du Garçon et de l’Aveugle, un valet gifle son maître aveugle en se faisant passer pour quelqu’un d’autre. Dans la farce de Goguelu (voir ma notice), le valet bat son employeur aveugle en usurpant la voix d’un sergent. 169 Vous êtes (accent anglais). 170 Il sera, un jour lointain, le protecteur de l’Angleterre. Ce mot compte pour 1 syllabe : « Tout Angleter plory, point n’a-ti fable./ Car, by saint Georg ! tout l’a-ty malheureux. » Regrect que faict un Angloys de millort Havart. 171 « Saudret parle avec sa première voix. » Il reprend sa voix naturelle. 172 Pour obtenir du pape le pardon de ses péchés. Encore un anachronisme ! 173 Que cela vous plaise ou pas. Idem v. 556. 174 Il s’agit de saint Ninian, qui évangélisera l’Écosse, quand il sera né… « Sainct Treignan ! foutys-vous d’Escoss ? » (Pantagruel, 9.) Cf. Frère Fécisti, v. 416. 175 Où sont-ils ? 176 L’original semble porter rasler, qui n’a ici aucun sens. Rêver = perdre son temps. « Dea ! Jaquinot, sans plus resver,/ Ayde-moy à lever ta femme ! » Le Cuvier. 177 Il tend 10 sous au faux Anglais. 178 Déformation de : by God ! by’r Lord ! « Foy que doy brulare bigot ! » Villon. 179 Orig. : Encores ny 180 Par ce sentier, plutôt que par la route. Les deux hommes retournent en ville, et il ne sera plus question d’un pèlerinage au sépulcre. 181 Pauvre de moi ! 182 Voulant montrer du respect à son serviteur en le vouvoyant, l’Aveugle commence à mélanger le « tu » et le « vous ». Son trouble ne fera que s’amplifier, jusqu’à en devenir pathologique. 183 Haleine : j’ai le souffle court. 184 De peur. Scandé pa-our, comme à 518. 185 Puanteur. 186 Je l’affirme à Dieu. Eustache Deschamps l’épingle dans sa Ballade des jurons : « (Il) n’y a/ Si meschant qui encor ne die/ “Je regni Dieu !” chascune fie,/ “À Dieu le veu !”, “À Dieu l’affy !” » 187 Je ne vois rien. « Mon » est une particule de renforcement, comme à 535. 188 Plus de raison d’avoir peur. 189 Celui que. 190 Vésarde, frayeur. 191 Les deux mendiants sont revenus à Jérusalem. 192 Or. : Voire 193 Si quelqu’un avait un morceau d’andouille. Saudret se tourne vers le public. 194 Qui mouille le gosier. 195 J’y prêterais attention. 196 Cette réponse est aussi impolie que le « hau ! » de 135. 197 Saudret répond à une question absurde par une autre question encore plus absurde. 198 Dans quel monde vit-on ! Cf. le Ribault marié, vers 99 et 391. Mais Saudret feint d’y voir une question, à laquelle il répond. 199 Or. : ce (Il ne le faudra pas.) 200 De votre gorge. Cf. la Résurrection Jénin à Paulme, v. 122. 201 Si on vous laissait faire ; mais je n’ai pas l’intention de vous laisser faire. 202 Ramenez à l’étable. C’est un ordre qu’on donne aux bouviers. 203 Si vous avez le malheur de me frapper. 204 En votre présence. 205 Allez chier ! Cf. Ung jeune moyne, v. 323. 206 La valeur d’un navet. 207 De votre qualité de maître. Idem v. 395. 208 Un paysan, un roturier. Le mot « vilain » pique au vif le faux noble, et va mettre le feu aux poudres. 209 Misérable mendiant. 210 Or. : redoubtes (Double péquenot sournois.) 211 Quand on provoque un homme en duel, on lui jette un gant, qu’il doit relever (comme au v. 603) s’il accepte le combat. Nous entrons dans une parodie des romans de chevalerie. 212 Qu’est-ce qui vous est passé par la tête. 213 Je vous attends. 214 Te valût, te vaudrait. Idem v. 684. 215 Te répandre. 216 Il ramasse la mitaine sale que l’Aveugle a jetée par terre. 217 Quant à moi. 218 En ce qui me concerne. 219 Je choisis un duel dans un espace limité. 220 Voir ma notice. Seuls les nobles se battaient en duel. L’offensé avait le choix des armes. Ici, tout le cérémonial est ramené à un jeu d’enfants. 221 Après avoir imité la voix d’un soudard, Saudret va contrefaire un preux chevalier, plus susceptible de plaire à l’Aveugle qui, voulant passer pour noble, arbore des sentiments chevaleresques. Ce rôle est à la fois vocal et physique ; c’est pourquoi l’auteur crée un personnage fictif qu’il baptise Fictus. L’écriture de cette scène est d’une modernité qu’aucune avant-garde n’a daigné relever. 222 À moi. « Vous soubvienne de boyre à my pour la pareille ! » Gargantua, Prologue. 223 Or. : Par (« On disoit autrefois d’un chevalier extrêmement accompli, que c’estoit fine fleur de chevalerie. » Dict. de l’Académie françoise.) 224 Tort. Idem v. 1018. 225 Et un démenti à mes paroles. 226 Sur une planche. L’estrade fera l’affaire. 227 Pour peu qu’il y ait quelqu’un. En terme de duel, on nomme cela un témoin. 228 Que la fidélité aux règles du tournoi féodal. 229 La vielle que vous portez en bandoulière. « Dous sons/ De harpes et de simphonies. » ATILF. 230 Conté, exposé. 231 Ce qu’il en est. 232 Délicatement, sans trop serrer. 233 Vous entendrez qu’il en sortira une querelle. 234 Et je vous garantis. Idem v. 978. 235 Attaché. Naturellement, il ne l’est pas. 236 Que je ne te ferai pas défaut. 237 Or. : et — en 238 Au jeu de paume, servir au rabat c’est feinter l’adversaire en rabattant l’éteuf vers le sol. « Mais un tas de mal gratieux/ Veulent tous servir au rabat. » Le Pèlerinage de Mariage. 239 Descendez votre panse, pour que je puisse attacher vos chevilles à vos poignets. 240 Pour lui faire sa fête. Idem v. 798. La broche en bois sert à piquer les fesses de l’adversaire. 241 Péter. Idem v. 725. « Mais quoy ! s’on l’oit vécir ne poire,/ En oultre aura les fièvres quartes ! » (Villon.) Quand il a peur, l’Aveugle ne maîtrise plus son sphincter : voir les vers 504, 734 et 792. 242 Dérangé. 243 Le meilleur moyen pour parvenir à piquer l’adversaire, c’est de le faire tomber en le bousculant. 244 Si je n’échoue pas dans mon intention. Cf. le Ribault marié, v. 134. 245 Une sonde. « Se playe avoit patente,/ Y fauldroit une tente. » Les Sotz fourréz de malice. 246 La voici. Fictus-Saudret donne un bâton court à l’Aveugle et en prend un long pour lui. 247 Libéré, détaché. 248 Le ms. BnF omet ce vers, qui est d’ailleurs litigieux : lui et le suivant reprennent les vers 157-8. 249 Par provocation, Saudret décoche à son adversaire le « hau ! » qu’il lui a défendu au v. 135. Il va récidiver à 762 250 Que vous vous défendiez. Chez l’Aveugle, la confusion des pronoms est à son comble ; comme on dit familièrement, c’est ni toi ni vous. 251 Et moi, je vous somme (dans la continuité du v. 744). 252 Un esprit mal tourné pourrait comprendre « maquerelles ». 253 Je ne te redoute pas. 254 Votre lance. « Saqueboutes, picquetz, estocz. » (ATILF.) Saudret, dont les mains sont libres, arrache à l’Aveugle son bâton. 255 Or. : je 256 Je n’ai plus de lance pour continuer le métier des armes. 257 Saudret agrippe les chevilles de l’Aveugle et le fait tomber à quatre pattes. 258 Aller à la selle. Idem v. 770. L’Aveugle est rattrapé par ses problèmes intestinaux (vers 733-6). 259 J’irai vous dire deux mots ! Avec son bâton, Saudret pique les fesses de l’Aveugle. 260 « Il le pique. » 261 De le faire. Le soi-disant témoin du duel ajoute une règle qui n’était pas prévue. Il est vrai qu’un « fictus testis » est un faux témoin. 262 Je fais appel, je m’y oppose. 263 « Fictus jette de l’eau, disant. » Fictus-Saudret vide un seau d’eau sur le postérieur de l’Aveugle, qui est à quatre pattes. Dans l’Aveugle et son Varlet tort, de François Briand, le valet fait mine de tondre son maître et lui verse de l’eau sur la tête : « L’eau me descend jusques au cul ! » Ledit valet abuse l’Aveugle en prenant une voix de femme : « Vous musez cy trop longuement./ Et ! par Dé, vous aurez de l’eau ! » Il se fera même passer pour Jésus, censé rendre la vue à son maître 264 Cette seillée, ce seau d’eau. 265 Bavarder. 266 Comme le plumage d’une tourterelle. Fictus-Saudret donne des coups de bâton sur les fesses de l’Aveugle, comme on frappe du linge mouillé pour l’essorer. 267 Et d’un ! Cf. Maistre Mymin qui va à la guerre, v. 137. 268 Or. : couscheray (Je vais me conchier. Voir le v. 504.) 269 Je le piquerai de ma lance. 270 De tout ce que je proférai contre toi. 271 Au v. 138, l’Aveugle voulait être honoré de ce titre. 272 Vers manquant. « Mais un estron pour te repaistre ! » (Le Bateleur.) Saudret fait semblant d’être lui aussi victime des coups donnés par Fictus. 273 Si besoin est. 274 L’injure que vous m’avez faite en me traitant de « vilain ». 275 Sans vous garder de mauvais ressentiment. Cf. la Fille esgarée, v. 149. 276 D’arrhes. « Il lui avoit baillé un escu de XVIII s[ous] d’erres. » (ATILF.) Cf. le Mince de quaire, vers 187, 226 et 228. 277 Pause : j’ai été longtemps ficelé. 278 Tromper. 279 Et s’enfuir en courant, « jouer de la botte », comme on dit dans Raoullet Ployart. Remarquons la cruauté de Saudret, qui feint de croire que le vieil Aveugle peut piquer un sprint dans le noir, alors qu’il court « bien pesantement » (vers 520). 280 Pour peu. 281 Je n’oserais. 282 Dans la manche du manteau que l’Aveugle a dû retirer au v. 654 : c’est pour cela qu’il ne peut pas donner l’argent lui-même. Faute de poches, on mettait la bourse dans sa braguette ou dans sa manche ; voir le vers 319 de Massons et charpentiers. Le drapel est un mouchoir noué dans lequel on enveloppe des pièces. « Un petit drappel noué ensemble, ouquel avoit environ LXXVI pièces d’or. » ATILF. 283 Pas un poil. 284 Qu’on ne puisse m’accuser de vol. 285 J’aimerais mieux. Même vers dans Raoullet Ployart. 286 Que d’avoir pris un centime de votre argent sans votre permission. Fictus-Saudret trouve le mouchoir dans la manche du manteau, et en prélève au moins 10 sous. 287 Qu’on n’en parle plus. « Et n’y ait plus dit ne songié. » ATILF. 288 Or. : ne (Que mon maître soit détaché.) Saudret libère l’Aveugle de ses liens. 289 Reconnaît sa faute. 290 De la viande rôtie. Une pâtisserie est une pâte fourrée de viande ou de poisson et cuite au four, comme le pâté de pigeon des vers 1241-2. 291 Gourmandise. 292 L’aveugle et Saudret sortent de la taverne, où le valet a bu et mangé pour deux, sans doute avec le concours intéressé du tavernier. Saudret aurait pu renoncer plus tôt à son alias, Fictus ; mais, étourdi par sa propre virtuosité, il veut s’en griser jusqu’au bout. D’autant que l’Aveugle a encore de l’argent à perdre. 293 Restauré. 294 Dieu. 295 Quant à moi. Idem v. 969. 296 En son nom. 297 Ses occupations. 298 En péril. 299 Mérité. Cf. la Chanson des dyables, vers 122. 300 Serviable. 301 Qu’on vous mette à l’amende. La taille est un impôt. 302 Or. : ne mais (Huimais = aujourd’hui. « Nous yrons huymais à une mienne maison. » La Curne.) 303 Or. : pour (L’en demain = le jour suivant. Idem v. 1018. « L’en demain, le mena le roy Phelippe à Paris. » Gestes au bon roy Phelippe.) 304 Que tu te verses à toi-même cet argent prélevé sur le produit de notre quête. 305 Saudret se prend pour Dieu. 306 Maintenant. 307 Sur le prochain produit. 308 Afin de montrer leur bonne foi dans une transaction verbale, les escrocs ajoutent une petite pièce « pour Dieu ». Ainsi, quand maître Pathelin arnaque le drapier : « Dieu sera/ Payé des premiers, c’est rayson :/ Vécy ung denier. » 309 Mon ami. Cette forme fossile représente un singulier : cf. la Confession Rifflart, v. 185. 310 Une chose feinte est une illusion. 311 D’habitant si modeste. 312 Le soi-disant Chose-feinte est censé partir. Saudret usera de sa voix naturelle jusqu’à la fin. 313 Un grand cortège de gens d’un rang élevé. Cf. le Maistre d’escolle, vers 82. 314 Sans nous cacher. 315 Le remanieur du texte copié dans le ms. BnF (voir ma notice) remplace par une didascalie cette chanson à boire qui n’en finit pas : Icy chantent tous deux quelque belle chançon. À titre indicatif, j’en ai sauvé quelques strophes. 316 A peuplé. 317 Or. : oura — saura (À celui qui sait dire. L’auteur de la chanson parle de lui-même.) 318 Celui : Dieu. 319 J’ai eu envie de chanter un peu la vie des buveurs. 320 Sinon du bien. « En bonne amour n’a se bien non. » Christine de Pizan. 321 Mort. 322 Et la vinée aiguise son esprit. Ou son « engin »… 323 Le vin blanc fait des guérisons. 324 Or. : vermeille (Le vin rouge.) 325 Dans l’oisiveté. 326 Tant qu’ils. 327 Triste figure et piteuse contenance. Bref, la gueule de bois ! 328 Délivrés, dessoûlés. 329 Comme pendant la soirée. 330 Son profit. Idem v. 1179. 331 Que tu distribues nos partitions. 332 Tombe (verbe choir). 333 Avant toute œuvre : avant toute chose. 334 Que je puisse les recouvrer, les récupérer. 335 De chaque rôlet, de chaque exemplaire. Idem v. 1058. 336 De celle-ci. 337 Le restant. 338 L’Aveugle a coutume de danser pendant qu’il chante et joue de la vielle. 339 Sur nos rognons, nos reins. Cf. le Gaudisseur, v. 192. 340 De l’argent. Ce mot d’argot se lit notamment dans le Mistère de la Passion, vers 177 et 186. 341 Bien servi en vin. 342 Révisons nos chansons. Les répétitions pouvaient donc se tenir dans une taverne. 343 Que nous nous y repaissions de nourriture et de vin. 344 Ni foie. N’as-tu pas faim et soif ? 345 Vu, devant une table bien garnie. Mais le sadisme de Saudret refait surface : l’Aveugle n’a rien « vu ». 346 Quelques jours plus tard, alors que le gueuleton à la taverne est depuis longtemps digéré. 347 Si tu as des victuailles. 348 Or. : grant — present 349 Que je puisse frapper avec mes dents. Sous-entendu : Dont je puisse frapper vos dents. 350 Ils nous donnent au moins de la nourriture à bon marché. 351 Scrupule. « Or ne faisons donques dangier/ Ne de boire ne de mengier. » ATILF. 352 Tu chois, tu tombes. 353 Guide-nous. 354 Habile. Idem v. 1203. 355 Il ne devrait y avoir. 356 Ni chaumière. Cf. les Rapporteurs, v. 312. 357 Déclamer un « cri » de mendiants, comme celui des vers 1125-32. 358 Votre talent. Ce mot s’applique aux artisans qui sont passés maîtres dans leur art. 359 L’ouvroir, l’officine. L’Apothicaire tient un rôle dans le Mystère. 360 S’il vous plaît. Idem vers 1281 et 1306. 361 Une petite maille, une piécette. Voir la note 9. 362 De la chair : de la viande. Idem v. 1248. 363 Ce qui déborde. « Pleuvoir à la verse : bien fort, comme qui verseroit de l’eau. » Oudin. 364 Il dépose une cruche et des restes de repas au coin de son étal, et y place deux chaises. 365 Asseyons-nous. Saudret met tous les bons morceaux dans sa bouche ou dans sa besace, et ne donne à l’Aveugle que des miettes. 366 Sur une planche à pain. 367 « On appelle pain mollet un petit pain dont la mie est légère & tendre. » Furetière. 368 Allons donc ! 369 Du pain bis, mal raffiné. 370 Cela te vaudra une récompense, s’il me reste du temps à vivre. 371 Le tailloir est une épaisse tranche de pain qui, sur les tables riches, tient lieu d’assiette. Après le repas, quand il est imbibé de sauce et de graisse, on le donne aux pauvres, si on n’a pas de chien. 372 Sans faire de difficultés. Cf. Frère Frappart, v. 48. 373 Un tronçon, un peu. 374 « Il boit. » 375 J’ajoute ces 2 vers pour les rimes, en recyclant les vers 1180 et 299. Saudret a fini le pot. 376 Chacun son tour. « Allons boire chacun sa foys. » Pierre Gringore. 377 « Le valet de taverne dit. » Dans le Mystère, ce serviteur et son patron tiennent la taverne du village d’Emmaüs. Les deux mendiants ne vont donc pas dans leur taverne habituelle. 378 Sachez-le. 379 Des gens qui ont dilapidé leur bien en se gouvernant mal. « Tu as prins l’estat de taverne,/ Où les enfans de Maugouverne/ Ont mengé tous leurs revenus. » Godefroy. 380 Or. : doulx 381 Habile, avec sa robe de toile, moins riche qu’une robe de laine ou de soie. 382 À l’auberge de la belle étoile. « Car bon vin il y a tousjours/ Au logis de la Belle Estoille. » Mystère des Trois Doms. 383 Bien que nous soyons. Mais on pourrait mettre « si » à la place de « que » : « Pourtant, si je suis mal vestu,/ Doy-je estre ravalé de vous ? » Vie de sainct Didier. 384 Des banquiers genevois étaient installés à Lyon. 385 Qu’on me tonde comme un fou. Voir la note 59. 386 Le touche, le frappe. 387 Devant tout le monde. 388 Dans le Mystère, l’aubergiste explique pourquoi les cavaliers sont plus rentables que les gens à pied : « Il fait grant mal/ À hostelliers de reffuser/ Gens à cheval pour s’amuser/ À loger chez eulx gens à pié,/ Où il n’a pas de la moitié/ Tant de prouffit comme en chevaulx. » 389 Sans hésitation. 390 Comme de braves gens. Idem vers 16 et 209. 391 Votre monnaie, sur laquelle est frappée une croix. Voir la note 3. Il s’agit bien sûr d’un anachronisme. 392 Sans perdre plus de temps. Idem v. 1274. 393 Rien à manger. 394 Aujourd’hui. 395 Le Mystère le qualifie de « saint », alors qu’il n’était encore qu’un disciple de Jésus parmi d’autres. 396 Or. : alastre (Trépassé. « S’il avient que aucuns desdiz évesques (…) soit translaté ou alé de vie à trespas. » Godefroy.) 397 De poulets. 398 Le onzain vaut 10 deniers. Cf. les Sotz triumphans, v. 35. 399 Cette farce fut créée à la cour de René d’Anjou en 1456. Au même endroit, l’année suivante, fut créée la Farce de Pathelin, qui s’inspire du présent marchandage : « –Tant m’en fault-il, se vous l’avez./ –Dea, c’est trop ! –Ha ! vous ne sçavez/ Comment le drap est enchéri. » Voir TRIBOULET : La Farce de Pathelin. GKC, 2011. 400 Pour ce prix. 401 Je paierais plutôt de ma poche. 402 De votre bourse en peau de chevreau. Double sens : « Tirer au chevrotin : To eat, or drink exceeding much. » Cotgrave. 403 Il donne 3 onzains au garçon. 404 Le valet de l’Aveugle nomme le valet de taverne son « cousin », pour le remettre à sa place. 405 Aujourd’hui. 406 Nous ne ferions pas citer à comparaître nos mauvais payeurs. 407 Revenu. Il pose tout sur la table et retourne en cuisine. 408 Or. : beu et 409 Nous mettre en voie, en route. 410 Pénurie. « L’abbaye de Saincte-Souffrète » (Lettre d’escorniflerie) est l’un de ces couvents joyeux dont les adeptes n’ont rien à manger. Dans les Repues franches, « les Gallans sans soucy » ont fait allégeance « à l’abbé de Saincte-Souffrette ». 411 Partager, distribuer. 412 Dieu vous le rendra. « Vous n’y perdrez seulement que l’attente. » Villon. 413 Très malins. Cf. les Sotz triumphans, v. 292. 414 Or. : Que (Si vous pouviez.) 415 Ne vous courroucez pas. 416 Avec nous (note 125), à cause de nous. 417 En un mot. Même vers dans les Drois de la Porte Bodés. 418 L’hôtelier sort de la cuisine en entendant du bruit. 419 Brièvement, bien vite. 420 Or. : me (Pourquoi ne les libères-tu pas de leurs gages ?) 421 Gueux, mendiants. Voir les « deux Coquins » du Pasté et la tarte. 422 Supportez votre pauvreté. 423 L’âme de Jésus, avant de se mettre à prêcher, a eu l’obligeance d’attendre que les resquilleurs aient fini leur dispute et leur chanson. Mais elle n’est pas allée jusqu’à rendre la vue à notre aveugle. Le Brigant et le Vilain, une farce incluse dans la Vie monseigneur saint Fiacre, se termine par une scène de taverne dont le dernier vers donne également la parole à Jésus.
LE PASTÉ ET LA TARTE
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*
LE PASTÉ
ET LA TARTE
*
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Le public des farces aime rire de ce qui l’inquiète, d’où le succès des duos de clochards : voir Gautier et Martin, les Maraux enchesnéz, l’Aveugle, son Varlet et une Tripière, etc.
La farce du Pasté et de la tarte n’a aucun point commun avec celle du Pasté (F 19).
Source : Recueil du British Museum, nº 27. Cette pièce picarde, composée dans les années 1480, fut imprimée à Paris par Nicolas Chrestien, vers 1550.
Structure : Rimes plates, avec 5 triolets.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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*
Farce nouvelle du
Pasté et de
la tarte
*
À quatre personnages, c’est assavoir :
Deux COQUINS
LE PÂTICIER [Gautier]
Et LA FEMME [Marion]
*
LE PREMIER COQUIN 1 commence SCÈNE I
Ou[y]che2 !!
LE SECOND COQUIN
Qu’as-tu ?
LE PREMIER
Si froyt que tremble.
Et si, n’ay tissu ne fillé3.
LE SECOND
Sainct Jehan ! nous sommes bons ensemble4.
Ouyche !!
LE PREMIER
Qu’as-tu ?
LE SECOND
Si froit que tremble.
LE PREMIER
5 Pauvres bribeurs5 (comme il me semble)
Ont bien, pour ce jourd’huy, v[i]ellé6.
Ouyche !!
LE SECOND
Qu’as-tu ?
LE PREMIER
Si froit que tremble.
Et si, n’ay tissu ne fillé.
Par ma foy, je suis bien pelé7 !
LE SECOND
10 Mais moy !
LE PREMIER
Mais moy encore plus,
Car je suis de fain tout velus8 ;
Et si, n’ay forme de monnoye.
LE SECOND
Ne sçaurions-nous trouver la voye
Que nous eussions [bribe] à menger9 ?
LE PREMIER
15 Aller nous fault, pour abréger,
Briber d’huys en huys10 quelque part.
LE SECOND
Voire. Mais ferions-nous à part11,
Tous deux ?
LE PREMIER
Et ouÿ, se tu veulx :
Soit de chair, [vin], pain, beurre ou d’œufz,
20 Chascun en aura la moytié ;
Le veulx-tu bien ?
LE SECOND
Ouÿ, Magnié 12.
Il ne reste qu’à commencer.
.
LE PÂTICIER 13 SCÈNE II
Marion !
LA FEMME
Que vous plaist, Gautier ?
LE PÂTICIER
Je m’en voys14 disner à la ville.
25 Je vous laisse un pasté d’anguille15
Que je vueil que vous m’envoyez
Se je le vous mande.
LA FEMME
Soyez
Tout certain qu’il vous sera fait.
.
LE PREMIER [COQUIN] 16 SCÈNE III
Commençons cy, c’est nostre fait17.
LE SECOND
30 Il n’y en fault que l’un, au18 plus.
[LE PREMIER]
Et ! je m’y en voys. Au surplus,
Va veoir se tu gaigneras rien.
[LE SECOND]
[Commence là]19.
LE PREMIER
Je le veulx bien.20
.
[Dame,] en l’honneur de sainct Ernou, SCÈNE IV
35 De sainct Anthoine et sainct Marcou21,
Vueillez me donner une aulmosne !
LA FEMME 22
Mon amy, il n’y a personne
Pour te bien faire23 maintenant ;
Reviens une autre fois.
LE PÂTICIER 24
En tant
40 Qu’i me souvient de ce pâté25,
Ne le faicte[s] point apporté26
À personne s’i n’a enseigne27
Certaine.
LA FEMME
J’en auroye engaigne28.
Envoyez-moy, si29, seur Message,
45 Ou point ne l’aurez.
LE PÂTICIER
Voicy rage !
À tel enseigne comme on doyt30 :
Mais que vous preigne par le doigt31.
M’avez-vous entendu ?
LA FEMME
Oÿ.
LE PREMIER
(J’ay voulentiers32 ce mot oÿ ;
50 Je l’ay entendu plainnement.)33
.
Hélas, bonne Dame ! comment ? SCÈNE V
N’aurez-vous point pitié de my34 ?
Il y a deux jours et demy
Que de pain je ne mengay goute35.
LA FEMME 36
55 Dieu vous vueille ayder !
LE PREMIER
Que la goute
De sainct Mor et de sainct Guylain37
Vous puist trébucher [tout] à plain38,
Ainsi que les enragés sont39 !
.
LE SECOND SCÈNE VI
De fain, tout le cueur me morfont.
60 Mon compagnon ne revient point.
Y me verroit trop mal apoint,
S’i me chyfroit de son gaignage40.
Le voicy.
.
Comment va ? SCÈNE VII
LE PREMIER
J’enrage !
Je n’ay rien gagné, par ma foy !
65 Et toy, comment ?
LE SECOND
Foy que je doy
À sainct Damien et [à] sainct Cosme !
Je ne trouvay, aujourd’huy, homme
Qui me donnast un seul nicquet41.
LE PREMIER
Sainct Jehan ! c’est un povre conquest42,
70 Pour faire aujourd’huy bonne chère.
LE SECOND
Ne sçaurois-tu trouver manière
Ne tour pour avoir à mouller43 ?
LE PREMIER
Si feray, se tu veulx aller
Où te diray.
LE SECOND
Mon amy cher,
75 [Dis] où esse.
LE PREMIER 44
À ce pâticier,
Droit, là. Et demande un pasté
D’anguille. Et soies45 affronté
(M’entends-tu bien ?) ainsi qu’on d[o]it46.
Si, prens la femme par le doigt,
80 Et luy [dis : « Vo mary m’a dit]47
Que me baille[z] sans contredit
Ce pasté d’anguille ! » Voy-tu ?
LE SECOND
Et s’il estoit jà revenu,
Que diray-je, pour mon honneur ?
LE PREMIER
85 Il ne l’est point, j’en suis tout seur,
Car il s’en va tout maintenant.
LE SECOND
Si seray doncq la main tenant48.
Je m’en voys.
LE PREMIER
Va tost, [gros testu]49 !
LE SECOND
Sang bieu ! je crains d’estre batu,
90 Et qu’il n’y soit, m’entens-tu bien ?
LE PREMIER
Qui ne s’aventure50, il n’a rien.
LE SECOND
Tu dy vray. J(e) y voys sans songier51.
.
Madame, vueillez envoyer SCÈNE VIII
Ce pasté à vostre mary,
95 D’anguille52, oyez-vous ?
LA FEMME
Mon amy,
À quelle enseigne ?
LE SECOND
Il m’a [bien] dit
Que vous preigne sans contredit,
Pour bonne enseigne, par le doigt.
Çà, vo main !
LA FEMME
C’est ainsi qu’on doit
100 Bailler l’enseigne. Or, porte[z]-luy ;
Tenez-le.
LE SECOND
Par le bon Jourd’huy53 !
Porter le voys, sans point doubter.54
.
Maintenant me puis-je venter SCÈNE IX
Que je suis un Maistre parfait55.
105 Je l’ay ! Je l’ay ! Il en est fait !
Regarde cy !
LE PREMIER
Es-tu56 fourny ?
LE SECOND
Si je le suis ? Ouÿ, ouÿ.
Qu’en dy-tu ?
LE PR[E]MIER
Tu es un droit Maistre.
Voicy assez pour nous repaistre
110 Quand nous serions encores trois57.
.
LE PÂTICIER 58 SCÈNE X
Je m’apperchois59, par cest[e] croix,
Que mes gens m’ont joué d’abus.
Et ! je suis bien un coquibus60,
De si longuement séjourner61.
115 Sainct Jehan ! je m’en revoys disner
De mon pasté avecq ma femme,
Car je seroye bien infâme
S’on se mocquoit ainsi de my62.
.
Ma dame, je revien ! SCÈNE XI
LA FEMME
Sainct Remy !
120 Et ! avez[-vous] desjà disné ?
LE PÂTICIER
Sainct Jehan, non ! Je suis indigné !
Que le dyable y puist avoir part !
LA FEMME
Et qui vous a meu63, donc, coquart,
D’envoyer quérir le pasté ?
LE PÂTICIER
125 Comment, « quérir » ?
LA FEMME
Mais escouté64
Comment il fait de l’esperdu65 !
LE PÂTICIER 66
Quoy, « esperdu » ? Tout entendu,
L’avez-vous baillé à quelqu’un ?
LA FEMME
Ouÿ : il est cy venu un
130 Compagnon qui m’est venu prendre
Par le doigt, disant sans attendre
Que je luy baillasse, médieu67 !
LE PÂTICIER
Comment, « bailler » ? Par le sang bieu !
Doncq, seroit perdu mon pasté ?
LA FEMME
135 Par sainct Jehan ! vous l’avez mandé
Aux enseignes que m’avez dit.
LE PÂTICIER
Vous mentez, car j’ay68 contredit.
Si, me direz qu’en avez fait.
LA FEMME
Et ! que vous estes bon69. Si fait :
140 Je l’ay baillé à ce Message.70
LE PÂTICIER
Fault-il que je prengne un baston ?
Tu l’as mengé !
LA FEMME
Tant de langage !
Je l’ay baillé à ce Message.
LE PÂTICIER
Vous en aurez le désarréage71 !
145 Pensez-vous que soye un mouton72 ?
Tu l’as mengé !
LA FEMME
Et ! voicy rage !73
LE PÂTICIER
Fault-il que je preigne un baston ?
Vous en aurez sus le menton,
Tenez74 ! Dictes la vérité :
150 Qu’avez-vous fait de ce pasté75 ?
LA FEMME
Le meurdre76 ! Me veulx-tu77 meurdry,
Coquin, truant, sot rassoté78 ?
LE PÂTICIER
Qu’avez-vous fait de ce pasté ?
Vous en aurez le dos froté79.
155 L’avez-vous doncq mengé sans my80 ?
Qu’avez-vous fait de ce pasté ?
LA FEMME
Le meurdre ! Me veulx-tu meurdry ?
Et si, l’est-on venu quérir
Aux enseigne[s] (et si le baillay)
160 Que m’aviez dit.
LE PÂTICIER
Sainct Nicolay81 !
Voicy assez pour enrager :
J’ay fain, et si, n’ay que menger.
J’en enrage [vif].82
.
LE PREMIER SCÈNE XII
Que dis-tu ?
LE SECOND
Le pasté estoit fafelu83.
165 Se tu voulois faire debvoir,
Encore auroit-on bien, pour voir84,
Par ma foy, une belle tarte
Que je vis là.
LE PREMIER
A ! saincte Agatte !
Vas-y doncques ainsi qu’on doit85,
170 Et prends la femme par le doigt ;
Puis luy dy[ras] que son mary
La t’envoye encore quérir.
LE SECOND
Ne parle plus de tel(le) sotie86,
Car bien sçay que je n’yray mye.
175 Aussi, j’ay fait mon fait devant87 ;
C’est à toy à faire.
LE PREMIER
Or avant !
J(e) y voy dont88. Mais garde ma part
De ce remenant89.
LE SECOND
Sus la hart90,
Sois91 seur que ce qu’avons promis
180 Te tenray92, enten-tu, amis ?
Et à cecy ne touchera nulz
Tant que93 tu seras revenus ;
Je le te prometz, par ma foy !
LE PREMIER 94
C’est95 trop bon. Or bien, je m’en voy.
185 A attens-moy cy.
.
LA FEMME 96 SCÈNE XIII
Aÿe ! mon costé !
Que mauldit soit le beau pasté97 !
LE PÂTICIER
Y vous a fait sentir voz os98.
Or, paix ! Je voys fendre du boys
Là derrière99.
LA FEMME
Allez dehors en haste !
.
LE PREMIER 100 SCÈNE XIV
190 Madame, envoyez celle tarte
Que vostre mary a laissé :
Il est presque vif enragé
Pour tant que ne luy portiez101 point
Avec le pasté.
LA FEMME
Bien apoint
195 Vous venez. Entrez, s’il vous plaist.
.
LE PÂTICIER SCÈNE XV
Et ! coquin, estes-vous si fait ?
Sainct Jehan ! vous serez dorloté102.
Qu(e) avez-vous fait de mon pasté,
Que vous estes venu quérir ?
LE PREMIER
200 Hélas ! ce103 n’ay-je point esté.
LE PÂTICIER
Qu’avez-vous fait de mon pasté ?
Vrayement, vous en serez frotté.
LE PREMIER
Las ! me voulez-vous cy meurdry[r] ?
LE PÂTICIER
Qu’avez-vous fait de mon pasté,
205 Que vous estes venu quérir ?
LE PREMIER
Je le vous diray sans mentir,
Se vous ne me voullez plus batre.
LE PÂTICIER
Nenny. Dis-le doncq, hé, follastre,
Ou prestement je te tueray !
LE PREMIER
210 Par ma foy, je le vous diray :
Orain, [j’estoys ici]104 venu
Demander l’ausmosne ; mais nul
Ne me donna, en vérité.
J(e) ouÿ l’enseigne du pasté
215 Que [vous envoyer on]105 debvoit,
Prenant vo femme par le doigt.
Et moy qui suis (beau doulx amis)
Plus que n’est point un loup famis106,
Je retrouvay mon compagnon,
220 Qui est plus fin qu’esmerillon107.
Et s’avons108 foy et loyaulté
Promis ensemble, or escouté :
Car de tout ce que nous gaignons,
Justement nous le partissons109.
225 Se, luy dis le tour de l’enseigne110 ;
Cy111 vint, dont [trop] je m’en engaigne112.
Et quand c’est venu au menger,
Le dyable luy a fait songer
Qu(e) une tarte y avoit céans.
230 Cy [vins ; dont ce ne fut point sens
À my de la]113 venir quérir.
LE PÂTICIER
Sang bieu ! je te feray mourir
Se tu114 ne me prometz de faire
Ton compagnon la115 venir querre.
235 Car puisque vous faictes à part116,
C’est raison qu(e) il en ayt sa part
Tout tel et aussi bien que ty117.
LE PREMIER
Je le vous prometz, mon amy.
Mais je vous prie droictement
240 Qu’i soit bien escoux118 vivement.
LE PÂTICIER
Or va dont, et faitz bonne myne.
LE PREMIER
Foy que doy à saincte Katherine119 !
Il en aura comme j’ay eu.120
.
LE SECOND SCÈNE XVI
Comment ! [rien ne raportes-tu]121 ?
LE PREMIER
245 Hau ! el(le) m’a dit, à brief langage,
Que j(e) y renvoie le Message
Qui alla le pasté quérir,
Et qu’il [l’]aura, sans point faillir.
LE SECOND
J’y122 voy dont, sans cy plus songer.
250 Sang bieu, qu’il en fera bon menger !
Boute cela en [ta cotelle]123.
.
Haulà ! SCÈNE XVII
LA FEMME
Qu’est là ?
LE SECOND
Çà, Damoyselle124,
Baillez-moy bien tost celle tarte
Pour vo mary !
LA FEMME
A ! saincte Agathe !
255 Entre[z] ens125.
.
LE PÂTICIER SCÈNE XVIII
Et ! trahistre126 larron !
On vous pendera d’un las ron. 127
Vous aurez cent coups d’un baston !
Tenez, voylà pour no128 pasté !
LE SECOND
Pour Dieu, je vous requiers pardon !
LA FEMME
260 Vous aurez cent coup[s] d’un baston ;
[Faictes qu’il]129 vous trouve à tâton !
Pour vous, j’ay eu mon dos frotté.
LE PÂTICIER
Vous aurez cent coups de baston !
Tenez, vélà pour no pasté !
LE SECOND
265 Hélas, ayez de moy pitié !
Jamais plus y ne m’advenra130.
À tousjours-mais il y perra131.
Hélas, [hé ! je vaulx moins]132 que mort.
LA FEMME
Gaultier, [tousjours allez]133 ! Au fort,
270 Du pasté aura souvenance.
LE PÂTICIER 134
Va ! Qu’on te puist percer la pance
D’une dague135, et tous les boyaulx !
.
LE SECOND 136 SCÈNE XIX
A ! [A ! faulx]137 trahistre déloyaux :
Tu m’as bien fait aller meurdryr138.
LE PREMIER
275 Et ! ne devois-tu point partir139
Aussi bien au mal comme au bien ?
Qu’en dy-tu, hé, bélîtrien140 ?
J’en ay eu sept foys plus que ty.
LE SECOND
Dea ! si tu m’eusse[s] adverty,
280 Je n’y fusse jamais allé.
Hélas ! je suis tout affollé141.
LE PREMIER
Sçays-tu142 point bien qu(e) on dit qu’en fin,
« Le compaignon n’est point bien fin
Qui ne trompe son compagnon143 » ?
LE SECOND
285 Or bien, laissons cela. Mengon144
No pasté sans avoir la tarte,
Et s’en fournissons no gargatte145.
.
Nous sommes – nottez146 bien ces motz –
Par ma foy, [receveurs du]147 bos.
LE PREMIER
290 Se sommes-nous. Mais sans doubter,
Il ne nous en fault point vanter
En quelque lieu, ne hault ne bas.
Et prenez en gré noz esbas !
.
EXPLICIT
*
1 Un coquin est un mendiant : on trouve un rôle de Coquin dans les Premiers gardonnéz, deux dans le Mirouèr des enfans ingratz, et trois dans la Farce des Coquins (F 53). Ici, deux mendiants tremblent de froid dans leur « cagnard », leur abri de fortune : voir la note 34 de Gautier et Martin. 2 Il éternue. Au vers 158 des Sotz qui corrigent le Magnificat, l’éternuement est transcrit « stinch ! ». 3 Ni tricot filé. 4 Nous allons bien ensemble. 5 Mendieurs de bribes, de rogatons. Voir le vers 16. 6 Les mendiants aveugles, ou se faisant passer pour tels, jouaient de la vielle. Aussi, vieller était devenu synonyme de faire la manche : « Les aveugles sont ordinairement ceux qui gagnent leur vie à vieller. » (Furetière.) Les mendiants de la farce de Goguelu (F 45) ne s’en privent pas : « –Nostre vielle est bien d’acord [accordée] :/ Allons nous trois, sans nul discord,/ Chanter de maison en maison./ –C’est trèsbien dit ; et nous auron/ Assez pour la gueulle fournir. » 7 Ratiboisé, ruiné. Cf. le Dorellot, vers 135 et 159. 8 « Velu de famine » (ATILF.) Jeu de mots sur fain [foin] : les vagabonds couchent dans le foin, dont les brindilles restent sur eux comme des poils. 9 Dans la Trippière (F 52), l’un des mendiants reproche à l’autre : « Tu t’en fuis à celle fin/ Que de tes bribes (je) n’aye point. » Cf. la Résurrection Jénin à Paulme, vers 217. 10 Mendier de la nourriture de porte en porte. 11 À part égale, en partageant nos gains. Idem vers 235. 12 Le 2ème Coquin est un jeune clerc en rupture de ban, comme le fut Villon quelques années plus tôt. Il a encore des renvois de latin de cuisine. Le vocatif Magne (qu’on prononçait manié), servait à interpeller un grand homme : « Vale, magne vir ! » Notre jeune gueux fait son apprentissage dans le domaine de la truanderie ; il parle donc avec respect au 1er Coquin, qui en est un maître confirmé. 13 Il est chez lui, et non dans sa pâtisserie. Sur la table reposent un long pâté d’anguille et une tarte. 14 Je vais. La « ville » désigne le centre, par rapport au faubourg où habite le pâtissier. 15 Un pâté en croûte, composé de chair d’anguille enrobée de pâte et cuite au four. Les pâtissiers ressemblent à nos actuels traiteurs. 16 Dans la rue, les clochards se rapprochent de la maison du pâtissier. 17 C’est ce qu’il nous faut. 18 BM : du (Tout au plus.) On se méfiait des mendiants qui opéraient en duo : l’un des deux détournait l’attention de la victime pendant que l’autre la volait. Voir la note 103 de Gautier et Martin. 19 BM : Comment cela (Voir le vers 29.) L’éditeur n’a pas compris ce petit dialogue. 20 Pendant que son acolyte s’éloigne, le 1er Coquin frappe à la porte du pâtissier. Il se rabougrit comme un vieil infirme pour cacher son visage, et parle avec une voix chevrotante. 21 Saint Arnoul est le patron des cocus. Saint Antoine vivait avec un porc. Un marcou est un gros chat reproducteur. 22 Elle sort sur le pas de la porte. Elle ne voit pas le visage de son interlocuteur, qui courbe le dos. 23 Pour te faire du bien. 24 Il parle à son épouse depuis l’intérieur de la maison, sans voir le clochard, qui l’entend fort bien. 25 Pour en revenir à ce pâté. 26 Nous avons bien là un infinitif, comme nous avons deux impératifs aux vers 125 et 222. Les exigences de la rime obligent notre auteur à prendre quelques libertés avec la conjugaison. 27 Un signe de reconnaissance : un mot de passe ou, comme ici, un geste particulier. 28 J’en aurais du dépit. 29 BM : aussi (Un messager sûr. Idem vers 140 et 246.) 30 BM : doyte 31 Il faut que le messager vous prenne par un doigt. 32 BM : voulente (Volontiers, avec la plus grande attention.) 33 Le mari sort sans voir le mendiant, qui revient à la charge auprès de la femme. 34 Moi. Même picardisme aux vers 118, 155, 231. 35 Je n’ai pas mangé une miette. 36 En fermant sa porte au nez du mendiant. 37 Le mal de saint Maur est la goutte. Le mal de saint Ghislain affecte les épileptiques, qui écument par terre comme s’ils avaient la rage. 38 Puisse vous abattre complètement. 39 BM : font (Le « s » et le « f » gothiques se ressemblent beaucoup.) Le 1er Coquin retourne au cagnard, où son comparse l’attend. 40 S’il me privait de son gain. « Chifréz et privés des loyers de la vie éternelle. » Godefroy. 41 Une piécette. 42 Gain. 43 Pour que nos mâchoires puissent moudre « comme une meule de moulin ». Le Capitaine Mal-en-point. 44 BM : second. 45 BM : soient (Prends un air effronté.) 46 Comme on doit l’être, d’après le proverbe : « Il a passé devant l’huis d’un pasticier, il a ses hontes perdues. » Antoine Oudin cite ce proverbe et le traduit ainsi : « Il est effronté. » 47 BM : dit vostre mary ma doit (L’apocope picarde « vo » [votre] réapparaît aux vers 99, 216 et 254.) 48 Je tiendrai le doigt de la femme. 49 BM : grosse teste (Cf. Colin, filz de Thévot, vers 36.) 50 Celui qui ne prend pas de risques. Sur ce vers proverbial, voir la note 3 de la Mère de ville. 51 J’y vais sans tarder. Idem vers 249. Le mendiant va frapper à la porte du pâtissier ; la femme lui ouvre. 52 Les vers 158-160 contiennent un janotisme comparable à celui-ci. 53 Par le saint du jour ! « Sainct Jourd’huy ! esse cela ? » (Le Pont aux Asgnes, BM 25.) Cf. Serre-porte, vers 183 et 307. 54 Le vagabond rejoint son chef en portant triomphalement le pâté d’anguille. 55 Pour obtenir leur maîtrise, les gueux devaient accomplir un exploit illégal ; c’était l’équivalent du chef-d’œuvre pour un apprenti. « Mon compagnon me trouva passé maistre, dont il fut bien resjouy. » Péchon de Ruby, la Vie généreuse des mercelots, gueuz et boësmiens. 56 BM : Est tu 57 Quand bien même nous serions trois de plus. 58 Il ne voit personne à l’endroit où il avait rendez-vous. 59 BM : mapprochois bien (Je m’aperçois. La graphie picarde a trompé l’éditeur parisien.) « Par cette croix » atténue le juron « par sainte Croix » : cf. les Sotz triumphans, vers 291 et note. 60 Un imbécile. Cf. le Pauvre et le Riche, vers 252. 61 De poireauter ici. 62 BM : moy (Note 34.) Le pâtissier retourne chez lui. 63 Mu, poussé. Un coquart est un sot : les Maraux enchesnéz, vers 116. 64 Écoutez. Même aberration grammaticale à 222. 65 Comme il fait l’étonné. 66 BM : premier. 67 M’aid Dieu : que Dieu m’assiste ! 68 BM : ie y (J’ai annulé cet ordre.) 69 Aujourd’hui, on remplacerait le « b » par un « c ». 70 BM ajoute un vers à ce triolet : Qui vint aurain. / Le paticier / Et voicy rage 71 Hapax dérivé de désarréer : maltraiter. « Voz ditz gentz, en tel manière, me désaraièrent et despouillèrent. » ATILF. 72 Un naïf. 73 Ce 3e refrain A du triolet (ABaAabAB) devrait être identique aux deux précédents : « Je l’ay baillé à ce Message. » 74 Le mari frappe son épouse avec un rouleau à pâtisserie. 75 Le pâtissier rabâche 3 fois ce refrain dans le présent triolet, et 3 autres fois dans le triolet 198-205 : bel exemple de comique de répétition, auquel on n’a pas tort de comparer le « Que diable alloit-il faire dans cette galère ? » ressassé par Géronte, un autre avare. 76 Au meurtre ! 77 BM : veult tu (Je corrige la même faute au refrain de 157.) Veux-tu m’assassiner ? Le « r » final de meurtrir est amuï. 78 « –Vous estes bien sos rassotés !/ –Sy conterons-nous vos pastés. » Le Monde qu’on faict paistre. 79 Frappé. Idem vers 202 et 262. 80 Sans moi (note 34). Le public a pu comprendre : Sans mie, sans pain. 81 Nicolas. En Flandre et en Picardie, beaucoup de lieux se nomment encore Saint-Nicolay. 82 Même expression au vers 192. Le pâtissier exagère : il peut toujours manger la tarte, ou aller chercher un autre pâté à sa boutique. 83 Grassouillet. « Elle a ung chose [un mont-de-Vénus] (…)/ Ainsi fafelu et douillet. » Le Gentil homme et Naudet. 84 BM : veoir (Pour vrai, en vérité. Aucun rapport avec le verbe « voir ».) 85 Effrontément (note 46). 86 D’une telle folie. Depuis que le 2ème Coquin a obtenu son diplôme ès gueuseries, il conteste les ordres du chef. 87 J’ai accompli mon haut fait avant. 88 Allons, j’y vais donc. 89 Du reste de ce pâté d’anguille. 90 Sous peine de la corde du gibet. 91 BM : soit (Sois sûr.) 92 Je te le tiendrai. Futur picard, comme à 266. 93 Jusqu’à ce que. 94 Il improvise un déguisement sommaire pour que la femme ne reconnaisse pas le quémandeur qu’elle a éconduit. Les deux clochards de la Trippière (F 52) se déguisent plusieurs fois pour tromper leur victime : « Aultre habit,/ De peur que congneu je ne soye. » « Changer me fault d’aultre habit/ Pour m’en aller à son devant. » 95 BM : Test (Le 1er Coquin rafle une dernière bouchée pour la route.) 96 BM : fmeme. (Elle se plaint de ses ecchymoses.) 97 Dans le conte Pasté d’anguille, La Fontaine écrira : « Au diable ces pastéz maudits ! » 98 Grâce à lui, vous sentez que vous avez des os, puisqu’ils vous font mal. 99 Derrière le rideau de fond, qui est censé donner sur la cour ou sur le jardin. 100 En adoptant une attitude et une diction arrogantes pour n’être pas reconnu, il frappe à la porte du pâtissier. La femme ouvre ; son mari, qui allait sortir par-derrière, suspend son pas. 101 BM : porte (De ce que vous ne la lui ayez pas apportée.) 102 Caressé par mon rouleau à pâtisserie. Cf. le Ribault marié, vers 69. 103 BM : se (Ce n’est pas moi qui suis venu.) 104 BM : iestoy si (Tout à l’heure, j’étais venu ici.) 105 BM : enuoyer on vous 106 Moi qui suis plus affamé qu’un loup. « Loups famis quérans leurs proyes. » ATILF. 107 BM : quun esmerillon (Plus malin qu’un petit faucon.) Le chef rejette la responsabilité sur son jeune subalterne, comme il se doit. 108 BM : scauons (Nous nous sommes.) 109 Nous le partageons. Idem vers 275. 110 Aussi, je lui révélai le truc du signe de reconnaissance. 111 BM : Si (Ce vers prépare le vers 230.) 112 Il vint ici, ce dont je suis très en colère. « Ne respons point,/ Car trop s’en pourroit engaignier. » ATILF. 113 BM : vint dont se ne fut point cens / Amy de le (Je vins ici ; mais ce ne fut pas une preuve de bon sens de ma part, de venir la chercher, la tarte.) 114 BM : te 115 BM : le (Venir chercher la tarte.) 116 Vous partagez tout (note 11). 117 Toi. Même picardisme à 278. 118 Secoué, battu comme un tapis. « J’ay vu donner de beaulx coups ;/ À peu que ne fus bien escoux. » Tout-ménage. 119 Ce vers, tel que je l’ai corrigé, se lit notamment dans la Mauvaistié des femmes. 120 Le 1er Coquin retourne au cagnard. 121 BM : tu ne raporte rien 122 BM : Sy (J’y vais donc. Voir le vers 177.) Songer = tarder, comme à 92. 123 BM : tes cautellez (Tu pourras mettre cette tarte sous ta cotte : dans ton ventre. Cf. les Sotz fourréz de malice, vers 124.) Le 2ème Coquin va frapper à la porte du pâtissier. 124 Le 1er Coquin s’était moqué de la commerçante en la saluant avec des noms de saints douteux (note 21), et le 2ème fait semblant de croire qu’elle appartient à la Noblesse. 125 Dedans. Cf. le Testament Pathelin, vers 463. 126 Traître. Idem vers 273. On scande traï-tre en 2 syllabes : cf. le Nouveau marié, vers 199. 127 Avec un lacet en forme de boucle. Le « e » svarabhaktique de pendera est picard, ce qui prouve que ce vers superfétatoire et nanti d’une rime équivoquée fut ajouté avant que la pièce ne quitte sa région natale. 128 Notre. Même picardisme aux vers 286 et 287. 129 BM : Estes (Faites en sorte que ce bâton vous tâte le dos.) « Or frappons sur luy à tastons ! » Mistère de la Passion. 130 Cela ne m’adviendra. Futur picard. 131 Il y paraîtra (verbe paroir) : ces bleus seront apparents pour toujours. 132 BM : helas ie vault (Je vaux moins que si j’étais mort.) 133 BM : a tousiours aller (Continuez toujours. « Ainsi de mesme allez tousjours ! » D’Assoucy.) Au fort = au reste. 134 Il ouvre la porte pour laisser partir le voleur. 135 BM : dangue 136 Il rejoint son complice au cagnard. 137 BM : fault (Faux = sournois : « À ce faulx traistre desloyal. » Le Ribault marié.) Traï-tre fait 2 syllabes, comme à 255. 138 BM : meuldryr (Tu m’as envoyé me faire tuer.) 139 Partager avec moi. 140 Misérable. Cf. les Sotz fourréz de malice, vers 146. 141 Assommé de coups. Cf. le Ribault marié, vers 58. 142 BM : Ce tu 143 « Celuy qui le plus subtilement trompe son compaignon est le plus sage. » (Philibert de Vienne.) Pourtant, l’Histoire des larrons l’affirme : « Il est bien difficile qu’un larron trompe son compagnon qui est aussi fin que luy. » À croire que le 2ème Coquin est toujours apprenti, et qu’il n’est pas encore passé Compagnon. 144 BM : mignon (Mangeons.) Le « g » dur normanno-picard se retrouve dans « mengay », au vers 54. 145 BM : gorgette (En Picardie, la gargate est la gorge : « Attacqué [attaché] parmy sa gargate. » La Résurrection Jénin à Paulme.) La rime -arte / -ate est commune en Picardie : dans la présente pièce, tarte rime 2 fois avec Agathe, et une fois avec hâte. 146 BM : nottes (La conclusion s’adresse au public.) 147 BM : receuant de (Le receveur du bois gère les revenus d’une forêt domaniale. « Nostre thrésorier général et recepveur des bois d’Avesnes. » Charles de Croÿ.) Nos deux receveurs de « bois » –ou de bos en Picardie– reçoivent effectivement des coups de bâton. Cf. L’Andureau et L’Andurée, vers 35.
L’AVEUGLE, SON VARLET ET UNE TRIPIÈRE
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L’AVEUGLE,
SON VARLET ET
UNE TRIPIÈRE
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Cette farce normande remonte à la seconde moitié du XVe siècle. À l’époque, d’innombrables faux infirmes exploitaient la générosité des braves gens ; de sorte que les vrais infirmes, s’ils voulaient obtenir une aumône, devaient faire preuve d’autant de roublardise que les simulateurs. Au XIIIe siècle déjà, les dons se faisaient rares ; on peut en juger par la plus ancienne de toutes les farces, Du Garçon et de l’Aveugle, qui met en scène un duo de mendiants constitué d’un aveugle et de son serviteur. Des couples du même acabit provoqueront l’hilarité dans l’Aveugle et son Varlet tort (de François Briand), l’Aveugle et Saudret, Ung biau miracle, l’Aveugle et le Boiteux (d’André de la Vigne), l’Aveugle et Picolin (de Claude Chevalet), ou encore l’Aveugle, sa Chambèrière et son Varlet 1.
D’un naturel peu charitable, les tripières furent elles aussi victimes des rieurs. Dans notre farce, tout comme dans celle de la Trippière (F 52), deux mendiants réclament de la nourriture à une marchande de tripes qui, faute de la leur avoir donnée, se la fera voler.
Source : Manuscrit La Vallière, nº 13. Le texte est dans un état pitoyable, et certains passages ressemblent à de la prose. Je renonce à égaliser les vers trop courts.
Structure : Rimes plates, avec quelques rimes croisées.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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Farce joyeuse
À .III. personnages, c’est asçavoir :
un AVEUGLE
et son VARLET [Goulpharin]
et une TRIPIÈRE [Phlipotes]
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LE VARLET 2 commence SCÈNE I
Sui-ge poinct ung gentil mygnon
Et un bon petit garçon,
Pour un Goulpharin3 ? Ne suys poinct ?
Par le corps bieu ! je seray oingt4,
5 Sy ne retourne vers mon maistre.
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L’AVEUGLE 5 SCÈNE II
Celuy Dieu qui tout a faict naistre
Garde de mal la compaignye !
Ma joye est bien abolye ;
Et sy, ne sçay plus que g’y face6.
10 Mes amys, regardez la face
Du7 bon homme qui ne voyt goute,
Et sy, ne sçayt où il se boute8 ;
Car mon varlet cy m’a lessé.
Je suys jà viel homme cassé,
15 Et assourdy des deulx horeilles.
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LE VARLET SCÈNE III
Maistre, vouécy vos bouteilles.
L’AVEUGLE
Qu’esse que j’os9 ?
LE VARLET
C’est vostre varlet Goulpharin.
L’AVEUGLE
Et d’où viens-tu ?
LE VARLET
Je viens du vin,
Du vin qui est cler et qui est fin10.
L’AVEUGLE
20 Tu me la bailles bien cornue11 !
LE VARLET
Et tout pour la gentille repue12,
Nous vous ferons bien vos raisons13.
L’AVEUGLE
J’ay veu de sy bonnes saisons14…
Dea ! et reviendra poinct nostre temps ?
LE VARLET
25 Ouy, ouy, après ces15 Rouvèsons.
Que nous serons trètous contens !
Et sy, aron argent et or.
Et seron armés (par16 sainct Mor !)
Du pié jusques à la sonnète17.
30 N’ayron besache ne pouquète18
Qui [ne] nous serve plus de rien19.
L’AVEUGLE
Dis-tu ? Et ! tant nous serons bien !
LE VARLET
Maistre, y nous fault aler assaillyr,
S’yl est possible, sans faillyr,
35 Quelque maison de plaine face20,
Et [y] faire un trèsbeau « prouface21 ».
[Que vous en semble :] di-ge bien ?
L’AVEUGLE
Ouy, vrayment. Mais tu sçays [com]bien,
Par ma foy, je [me] meurs de fain !
LE VARLET
40 Nous n’yrons plus guères loing.
[Allons prier quelque tripière
Qu’elle nous face bonne chière.]
L’AVEUGLE
Quoy ! et qu’e[n] pourions-nous avoir ?
LE VARLET
Nous ne povons que [le] sçavoir22.
L’AVEUGLE
45 Et sçays-tu bien là où elle vent23 ?
Dy, despesche-toy vitement !
LE VARLET
Ouy, ouy, je la voy bien, d’icy.
Mais il eschet24, en ce cas-cy,
Maistre, que vous [ne parlerez]25.
L’AVEUGLE
50 Par sainct Pierre, vous mentirez !
Aprochez près26 ; vous luy direz
Que je suys du tout assourdy27,
Et que je n’os grain ne demy28,
Ainsy que luy sérez29 bien dire.
LE VARLET
55 Je ne l’oseroys contredire.
Empongnez-moy par la saincture30,
Et nous yrons à l’avanture31.
Or çà ! Dieu nous veuile conduyre,
Et nous gardons bien de mal dire32 !
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60 Dame Phlip[ot]es33 : Nostre Dame SCÈNE IV
Vous veuile sauver et garder !
Nous vous prions de cœur et d’âme
Qu’i vous plaise icy regarder
[Vers] les povres menbres de Dieu34
65 Qui vous viennent vouèr35 en ce lieu.
Cestuy36 ne voyt, et sy, n’ot gouste.
LA TRIPIÈRE
Y m’est avys sans nule doubte
Que ce bon homme icy oyt37 bien.
LE VARLET
Par ma foy, [ma] dame, y n’ot rien.
LA TRIPIÈRE
70 Comme est son nom ?
LE VARLET
Et ! c’est Marault38.
LA TRIPIÈRE
Je le voys dont crier bien hault39 :
Hau ! [Hau !] Marault, veulx-tu du fée40 ?
L’AVEUGLE
J’estoys plus yvre que la née41
L’endemain de la Sainct-Martin42.
LA TRIPIÈRE
75 Vien çà ! Veulx-tu un boudin ?
Parle à moy : veulx-tu poinct menger ?
As-tu perdu43 ton apétys ?
L’AVEUGLE
J’ey cuydé bien [fort] arager44,
Quant je suys party du logis.
………………………….. 45
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LE VARLET SCÈNE V
80 Dea ! m’en iray-ge [en ce droict poinct]46 ?
Dame, ne m’escondisez47 poinct.
Dame, me donnerez-vous rien ?
LA TRIPIÈRE
Dea ! [Croys-tu qu’on donne son bien]48 ?
Sy tu en veulx avoir, y fault
85 Argent bailler [du premier sault49],
Et [qu’il y coure]50 un double ou deulx.
LE VARLET
Baillez-moy de ce que je veulx.
Et me faictes bonne doublée51 :
Ma besache sera gastée,
90 Se ne le metez au cornet.
LA TRIPIÈRE
Ce que je te baille [est moult]52 net :
[Yl est]53 du mileur de ma gate ;
Yl est fleury comme une mate54,
Et sy, [yl] est blanc55 comme un œuf.
LE VARLET
95 Baillez-moy de ce pié de beuf,
De la panchète, du gras bouel56 ;
Onq(ues), puys la veille de Nouël,
Je n’en mengis grain ne demy57.
LA TRIPIÈRE
Or, saquez58 argent, mon amy,
100 Car [vez-en là]59 pour vostre double.
LE VARLET
Cecy, et qu’esse ? [Du gras double60 ?]
LA TRIPIÈRE
C’est un boudin [tout] plain de gresse.
Sy tu [n’en veulx, je]61 les reverse.
Ne les viens poinct cy patrouiller62,
105 Et va[-t-en] alieurs marchander.
LE VARLET
Et ! baillez-m’ent plus largement,
Sy voulez avoir mon argent,
[Dame.]
LA TRIPIÈRE
Par sainct Jehan, non feray !
LE VARLET
Donques je les reverseray.63
LA TRIPIÈRE
110 Par la croix bieu, tu les pouéras64 !
LE VARLET
Par la mort bieu, [tu mentiras !
Tu ne vaulx rien, orde tripière]65 !
LA TRIPIÈRE
Je vaulx mieulx [que tu ne vaulx] toy,
Ne que [ne valust]66 onq ton père.
115 Me viens-tu faire tant d’esmoy ?
Par l’âme [du bon sainct André]67 !
Huy je te desvisageray68 !
LE VARLET
Au ! [par] ma dame69 saincte Agate !
Elle m’a baillé de sa pate70,
120 Et sy, m’a rompu le visage.
LA TRIPIÈRE
N’y reviens plus, se tu es sage !
Tyre tes chausses71, Poy-d’aquest !
LE VARLET
Adieu, la fille Loriquet72 !
LA TRIPIÈRE
À Dieu, le filz à sa Marguet73 !
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125 Cesser y nous fault le caquet,
Car nous ferions cy la sérye74.
Prenez en gré, la compaignye !
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FINIS
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1 Cette farce est également connue sous le titre de Goguelu (F 45). 2 Dans la rue, il boit du vin à la bouteille, tandis que son patron aveugle attend son retour un peu plus loin. 3 Ce surnom du valet désigne un amateur de bonne chère. « Bons compaignons, rustres et gourfarins. » A. de la Vigne. 4 Battu. 5 Il s’adresse au public. 6 Et même, je ne sais plus que faire. 7 LV : de ce (Ne voir goutte = ne rien y voir. « L’aumosne au povre diséteux/ Qui jamais, nul jour, ne vit goucte ! » L’Aveugle et le Boiteux.) 8 Ne sait pas où il va. 9 Que j’ois, que j’entends. L’aveugle est à moitié sourd, comme il l’a dit au vers 15. 10 Ce vers surnuméraire est probablement le refrain d’une chanson à boire. 11 Tu me la bailles belle. « Vous me la baillez bien cornue ! » L’Homme à mes pois. 12 LV : fue (?) Une repue est un festin. Cf. les Repues franches de maistre Françoys Villon. 13 Je vous ferai concurrence. 14 Des temps meilleurs. 15 LV : ses (Les Rovaisons, ou Rogations, précèdent l’Ascension. « Gardons-le pour les Rouvaisons. » Les Sotz nouveaulx farcéz.) 16 LV : de (Les deux clochards se voient déjà gentilshommes, lesquels avaient seuls le droit de sortir armés.) 17 Jusqu’à la tête, sur laquelle les Sots portent des grelots. « Attache-moy une sonnette/ Sur le front d’un moyne crotté (…) :/ Voylà un Sot de la Bazoche. » Clément Marot, Du coq-à-l’asne. 18 Nous n’aurons plus de besace ni de poche en tissu. C’est là-dedans que les mendiants mettent la nourriture qu’on leur donne : voir le vers 89. Le Valet a un fort accent normand. 19 Qui ne nous serve plus à quoi que ce soit. Rien [chose] avait une valeur positive. 20 À visage découvert, sans nous cacher. 21 Prou vous fasse : (Que cela) vous fasse profit. « PROUFACE est un salut qu’on fait au sortir de table aux conviéz, en souhaittant que ce qu’ils ont mangé leur profite. » Furetière. 22 Nous le saurons bientôt. 23 Les tripières ambulantes vendaient au marché des tripes chaudes que les clients consommaient sur place, dans une écuelle, une chope, ou un cornet de papier fort. Voir la Confession du Brigant, vers 157-160. 24 Il échoit, il convient. 25 LV : parles (Le valet craint que son patron ne soit pas assez fin pour berner une tripière. Il insiste au vers 59.) 26 Il parle à l’oreille du valet, pour ne pas être entendu par la tripière, dont le stand est tout proche (vers 47). 27 Totalement sourd. 28 Que je n’entends ni un mot, ni même la moitié d’un. 29 Saurez (normandisme). 30 Les aveugles se cramponnaient aux basques de leur guide. 31 « Or allons à nostre avanture ! » L’Aveugle, sa Chambèrière et son Varlet (F 45). 32 Gardons-nous de nous trahir. 33 Phélipotte est une des Femmes qui font baster leurs maris aux corneilles (F 29). Ce prénom est souvent abrégé en Phlipote, ou même en Flipote, comme en témoigne le premier vers du Tartuffe : « Allons, Flipote, allons ! Que d’eux je me délivre. » Le valet connaît donc déjà la tripière, puisqu’il sait son nom. 34 « Les povres gens, je le dis sciemment,/ Ce sont membres de Dieu. » L’Ardant miroir de grâce. 35 Voir (normandisme). 36 LV : lequel (Celui-ci n’y voit pas, et même, il n’oit goutte [il n’entend rien].) 37 LV : voyt 38 Un maraud est un maraudeur, un mendiant. Cf. les Maraux enchesnéz. 39 Je vais donc l’appeler très fort. 40 Du foie (normandisme). « Du faye et ung pié de mouton ! » La Trippière, F 52. 41 La naie : l’étoupe avec laquelle on colmate un tonneau de vin. « Quant ung tonneau bien on ne perce,/ Si bien ne l’estoupe-on de naye,/ Que le vin ne suinte. » ATILF. 42 Cette fête des vendanges, le 11 novembre, donnait lieu à des beuveries. « À la Saint-Martin, l’on boit le bon vin. » (Proverbe.) Le lendemain, l’étoupe qui bouchait le tonneau n’avait donc pas eu le temps de sécher. 43 LV : poinct 44 Devenir fou de rage. Ces coq-à-l’âne de Maraut annoncent déjà ceux de Marot (note 17). 45 Il manque ici un long passage, ce qui explique l’anormale brièveté de la pièce. Le faux sourd, habilement « cuisiné » par la tripière, finit par se trahir. Les deux mendiants repartent sans avoir rien obtenu. Ils se disputent, et le valet revient seul pour tenter d’émouvoir la commerçante. 46 LV : ainsy droict joinct (Dans un tel état.) Séparé de son acolyte, le valet parle maintenant à la 1ère personne du singulier. 47 LV : mescondisses (Ne m’éconduisez pas.) 48 LV : os tu on ne me les donne poinct (Ces 4 vers sont encore plus abîmés que les autres. J’ai tenté de mettre un peu d’ordre dans la métrique.) Les biens désignent la marchandise ; dans la Trippière (F 52), un mendiant implore qu’on lui donne des tripes : « En l’honneur de Nostre Seigneur,/ Dame, ung morceau de vos biens ! » 49 De prime-saut, d’emblée. Cf. le vers 65 des Sotz nouveaulx et le vers 148 de Jehan qui de tout se mesle. 50 LV : qui ly coure du tien (Courir = circuler ; se dit d’une monnaie qui a cours.) Un double vaut 2 deniers. 51 Doublure : doublez l’épaisseur de papier du cornet, pour ne pas salir ma besace. Voir la note 23. 52 LV : nest pas trop (Est parfaitement sain.) 53 LV : cest (Voir le vers suivant.) Cela vient du meilleur de ma jatte (normandisme). « C’est une jatte à tripière : il y a des andouilles, des rognons, des trippes. » Bruscambille. 54 Comme la croûte du lait caillé. 55 Les tripes doivent être bien blanches, c’est un signe de fraîcheur. « La blanche trippe, et grasse. » La Trippière, F 52. 56 De la pansette [de la ventrèche], du boyau. Ces deux graphies sont normandes. 57 Je n’en mangeai si peu que ce soit. 58 Tirez de votre bourse (normandisme). « Nul ne paie voulentiers, ne sacque argent hors de sa bourse. » Froissart. 59 LV : vesen la (Voyez-en là : en voilà pour la valeur de votre double denier.) 60 « Gras double : espèce de trippe que vendent les trippières ; c’est le second des quatre ventricules du bœuf, ou des autres animaux qui ruminent. » Furetière. 61 LV : ne les veulx sy (Je les remets dans mon baquet.) 62 Tripoter. « Ne les patrouillez poinct ainsy ! » Le Marchant de pommes. 63 Il fait mine de remettre les tripes dans le baquet avec ses mains douteuses. La tripière l’en empêche. 64 Tu les paieras (normandisme). Les tripes étant souillées, elles deviennent invendables, et le valet peut les garder. Les écoliers des Repues franches emploient la même ruse pour se procurer des tripes gratuitement : « Françoys (…)/ Les voulut tout incontinent/ Remettre dedans le baquet./ El ne les voulut pas reprendre. » 65 LV : tripiere tu mentiras (Le passage 111-116 est corrompu.) La saleté des tripières, qu’on ramène toujours aux excréments contenus dans les intestins, est passée en proverbe. « Ou une orde tripière aussi,/ En vendant du foye ou du (gras) double/ Pour ung denier ou pour ung double,/ Du boyau cullier ou du mol [du mou],/ Jurera saint Pierre ou saint Pol. » (Éloy d’Amerval.) Dans la Trippière (F 52), l’injure « orde trippière » apparaît deux fois. 66 LV : fist 67 LV : de ton grand pere (St André est toujours qualifié de bon : « Ô bon sainct André, que vous aviez bien raison de ne vouloir point quitter la Croix ! » Jacques d’Arbouze.) On reprochait aux tripières de jurer sur les saints : voir le vers 108 et la note 65. 68 Je vais te défigurer. 69 LV : deme (On appelait les saintes madame. « Il fist faire ung monastère en l’honneur de madame saincte Agathe. » Jehan Platine.) 70 Elle m’a donné un coup de patte, une gifle. 71 LV : chauses (Va-t’en !) Peu d’acquêt = rien à gagner. C’est notamment le nom d’un gueux dans la farce des Coquins (F 53), et le nom d’un pauvre dans Marchandise et Mestier (BM 59). 72 Un loricard est un fanfaron : cf. le Résolu, vers 88. Loriquet et sa fille furent sans doute des personnages de farce. Leur nom était prédestiné au théâtre : de 1840 à 1882, plusieurs comédies mettront en scène un mari faible nommé Loriquet. Sa fille paraîtra dans les Noces de mademoiselle Loriquet, de Grenet-Dancourt. 73 LV : mere (qui ne rime pas. Marguet est une épouse échangiste dans le Savatier et Marguet.) Une Marguet, ou une Margot, est une prostituée ; son fils est donc un fils de pute : « Le filz à la grosse Margot ! » Trote-menu et Mirre-loret. 74 Nous y passerions la soirée (normandisme).
LES MARAUX ENCHESNÉZ
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LES MARAUX
ENCHESNÉZ
*
Les personnages de cette farce parisienne écrite en 1527 n’ont rien de traditionnel : deux marauds1 curent les fossés2 de la capitale, sous la férule de Justice.
À la demande réitérée des bourgeois et des marchands, on voulut empêcher les vagabonds de traîner dehors. Les mesures d’encadrement à leur encontre se multiplièrent. Le 7 mai 15263, François Ier s’inquiéta de voir rôder dans Paris ces « adventuriers et vagabonds, oysifs et mal vivans4, de sorte que plusieurs larcins et pilleries y se commettent, et plusieurs meurtres, forcemens de filles et autres grandes insolences en procèdent ». Il est incontestable que ces marauds alcooliques et bagarreurs n’étaient pas des petits anges. Parmi eux, il y avait beaucoup de soldats révoqués, comme le sont nos deux « héros », qui ne parlent que de tuer. On capturait les sans-logis, on leur mettait des chaînes aux chevilles, et on les occupait à des travaux d’utilité publique pendant quelques jours ou quelques semaines. Seuls étaient concernés les « mendians sains de leurs corps, pouvant autrement gagner leur vie », c’est-à-dire les fainéants valides. Les mendiants invalides ou âgés étaient pris en charge par les églises.
En 1532, une semblable ordonnance inspira Claude Jamin, qui s’en servit l’année suivante pour écrire une comédie de collège en latin : Marabeus 5.
Source : Recueil de Florence, nº 42.
Structure : Rimes plates. L’auteur n’a pas osé recourir à des rimes enchaînées…
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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Farce nouvelle des
Maraux enchesnéz
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À trois personnages, c’est assavoir :
JUSTICE
SOUDOUVRER 6
COQUILLON 7
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*
LES .II. MARAUX8 commencent en chantant
Nous somes maraux, meschans, malostrus, SCÈNE I
Tant las de rien 9 faire que n’en povons plus,
Les piedz enferréz, et tous morfondus 10.
Hé, Dieu ! Et, Dieux !
5 Se l’yver ne cesse, nous sommes perdus.
SOUDOUVRER
Se nous eussions estéz rendus
En quelque église, pour chanter,
Par Dieu, je m’ose bien vanter
Que nous deux, [nous] eussions fait rage !
COQUILLON
10 Hé ! ce n’est point [de] bon courage11
Ne du bon du cueur que je chante.
SOUDOUVRER
Ceste malheureuse meschante
Fortune nous est bien contraire.
COQUILLON
Rien n’y vault le crier ne braire :
15 C’est pour neant12. Il fault endurer.
SOUDOUVRER
Quel moyen, pour nous defferrer,
Puissons-nous [bien], à ton advis,
Trouver ? Car je seuffre13 envys
[D’]estre en cest estat garotté.
COQUILLON
20 Je sçay bien une abilité14
–Se n’estoit crainte de Justice15–
Qui(l) nous seroit assez propice ;
Mais nous ferions pis que devant.
.
JUSTICE SCÈNE II
Sus, paillars, [sus] ! tirez avant16 !
25 Acoup, besongnez vistement !
COQUILLON
Dame, le plus diligemment
Que je puis, je fais ma besongne.
SOUDOUVRER
Hé ! mau gré17…
JUSTICE
Qui esse qui hongne18 ?
Et ! qu’esse-là ? Fault-il grongner ?
COQUIL[LON]
30 Je fais rage de besongner,
Regardez ; voulez-vous mieulx faire ?19
.
SOUDOUVRER SCÈNE III
Puisque Justice nous esclaire20
De si trèsprès, il est bien force
Que nous endurons ceste endosse21 :
35 Il n’y a point d’autre remide22.
COQUIL[LON]
Puisqu’ainsi est qu’el[le] nous guide23
Et marche si près des tallons24,
[Et] que, partout où nous allons,
Elle nous suyt, corps bieu, je n’ose
40 Maintenant dire ou25 faire chose
Qui soit contre son Ordonnance26.
SOUDOUVRER
Se je puis eschapper, je pense
Qu’el(le) ne me tiendra mais en pièce27.
COQUILLON
Se depuis prime jusqu’à tierce28
45 Elle me veult laisser courir
Tout defferré, je veulx mourrir
Si à beau pié ne vois29 à Tours
Seullement en mains de trois jours !
Vélà, j’e[n] feray l’entreprise30.
SOUDOUVRER
50 Se tu me véoys31 en ma chemise
Courir, se j’estoye eschappé,
Le coul vouldroye avoir couppé
Ou avoir la sanglante fièvre
Se ne courroye plus fort32 q’ung lièvre
55 Qui soit au royaulme de France !
[COQUILLON]
Ha ! jamais ne fût diligence
Faicte si grande, à mon advis.
SOUDOUVRER33
Pleust à Dieu que fussions ravis34
SOUDOUVRER
Toy et moy, gentil Coquillon,
60 En l’air comme ung estourbillon35,
Jusques à Lyon sur le Rosne !
COQUILLON
Par le sang Dieu (qui36 me pardonne) !
Nous aurions bon temps, toy et moy.
SOUDOUVRER
Nous cririons bien hault : « Le roy boy37 ! »
COQUILLON
65 Par le sang de moy, Soudouvrer,
Toy et moy [sçaurions gouverner]38
[Tout] incontinant de quelque prince.
SOUDOUVRER
Et pourtant, se nous sommes mince39
Maintenant, il n’en peult chaloir40.
COQUILLON
70 Mais41 que nous [nous] fassions valoir,
Ce sera grant-chose que de nous.
.
JUSTICE SCÈNE IV
Corps bieu ! [plus tost]42 aurez des poux
Pour faire de l’huylle en Karesme !
SOUDOUVRER
Se nous ne faillons à nostre esme43,
75 Je suis seur que aurons du bien ;
Du nombre, je ne sçay combien.
COQUILLON
Cent mil escuz ou au-dessoubz.
JUSTICE
Sang bieu ! [plus tost]44 aurez des poux
Et ung maillet pour les casser !45
.
COQUILLON SCÈNE V
80 Mais vien çà ! Tu me fais penser :
Quant nous aurons or ou argent,
Pour entretenir le cueur gent,
À quoy passerons-nous le temps ?
SOUDOUVRER
À hanter les gens esbatans46
85 Aux jeux de cartes [ou] aux quilles,
Aux jeuz de déz, aux belles filles,
À la taverne jour et nuyt47.
COQUILLON
Que sera-ce que de nous ?
SOUDOUVRER
Tout le bruit48,
Deux gaudisseurs49 de l’autre monde ;
90 Tenir tous les jours table ronde50
À tous ceulx qui vouldront venir.
COQU[ILLON]
Nous sommes gens pour parvenir
À ces fins-là.
SOU[DOUVRER]
Point je n’en doubte.
COQUI[LLON]
Mais vien çà, Soudouvrer, escoute :
95 Sçaurions-nous trouver le moyen
D’estre mis hors de ce lyen
De Justice –en quoy nous sommes–,
En baillant pleige51 de deux hommes
Pour bonne et seure cauction ?
SOU[DOUVRER]
100 Ho ! vray, c’est mon intencion ;
Que le tour ne seroit pas mauvais.
COQUI[LLON]
Foy que [je] doy à saint Gervais,
Ce seroit moult belle adventure.
SOU[DOUVRER]52
Se quelque bonne créature
105 Nous vouloit faire ce plaisir,
La fin53 de tout nostre désir
Seroit acomply. Mais aussi,
[Il] ne fauldroit estre en soucy54
Qu’ilz n’en fussent récompenséz
110 Et qu’il n’eussent des biens assez,
Mais que nous fussions en vertu55.
COQUI[LLON]
Hé dea, Soudouvrer : enten-tu
Que nous donnissions tout le nostre56 ?
SOU[DOUVRER]
Nenny, par saint Pierre l’appostre !
115 [Mais] touteffois, mocquin mocquart57…
Ha ! je ne suis pas si coquart58
D’en bailler, sinon par raison59.
COQUI[LLON]
Si fauldroit-il tenir maison60,
À tout le moins, cela s’entend.
SOU[DOUVRER]
120 Quant là viendra61, je suis content
Que nous facions tousjours grant chière.
COQUI[LLON]
Premièr(e)ment, fault trouver manière
Comme nous puissons eschaper.
SOU[DOUVRER]
Hélas ! se nous sçavions tromper
125 Justice, nostre maistresse,
Qui nous tient à si grant détresse,
Nostre fait seroit à louer.
COQUI[LLON]
Ha ! il ne s’i fault pas jouer :
Je la congnois, elle est trop fine.
SOU[DOUVRER]
130 Quel remède, don ?
COQUI[LLON]
Bonne myne62,
Endurer tout paciemment.
Et puis, par quelque apointement63,
On trouv(e)ra façon de vuyder64.
SOUDOUVRER
Or sus, donc ! Dieu nous vueille aider !
135 Rien n’y vaul[droi]t le déconfort65.
COQUILLON
Se maistre Henry66 ne fust mort,
Nous fussions piéçà despêchés67.
SOU[DOUVRER]
[Que] Dieu luy pardoint ses péchéz !
Hélas, c’estoit nostre bon père.
COQUI[LLON]
140 Nous estions la meilleure paire
Des pigons de son coulombier68.
.
JUSTICE SCÈNE VI
Sus, paillars, [sus] ! En ce bourbier,
Nestoyez-moy bien ces fosséz !
COQUI[LLON]
Nous avons tous les rains casséz.
145 Dieu ait bon gré du labouraige !
JUSTICE
Quel[le] rencontre69, à ung passaige,
Ces deux maraux dedens ung bois !70
.
SOU[DOUVRER] SCÈNE VII
Il y a plus de quinze moys,
Par la mère Dieu de Boulongne71,
150 Que ne fis autant de besongne,
Pour ung jour, que j’ay fait ennuyt72 !
COQUI[LLON]
Hélas ! povres enfans mauduit[z]73,
Nous fault-il avoir tant de peine ?
SOU[DOUVRER]
Sur mon corps, n[’y] a nerf ne vaine,
155 Par le sang bieu, qui ne s’en sente !
COQUI[LLON]
Des jours y a plus de soixante
Que je n’euz autant de meschef74.
SOU[DOUVRER]
Se nous en povons venir à chef75,
Croire pourrez tout seurement
160 Qu’il jouera bien finement,
Qui nous y fera atraper76 !
COQUI[LLON]
Je beu tant, arsoir77 à souper,
De citre78 ! Le deable y ait part !
Je vouldroye que d’une hart79
165 On eust parmy le col pendu
Le faulx villain80 qui l’a vendu !
J’en ay si trèsmal à ma pance
Qu’i me semble, en ma conscience,
Qu’on me fent [en deux] les boyaulx.
SOU[DOUVRER]
170 Ce n’est que bruvage à pourceaulx ;
Pour abréger, ce n’est qu(e) ordure.
COQUI[LLON]
Et puis il fault coucher sur la dure81
Toute nuyt, à trembler de froit.
SOU[DOUVRER]
Cuyde-tu : qui nous regard(e)roit
175 De nuyt couchéz à nostre peaultre82,
Entremeslé l’ung parmy l’autre
Ensemble, il83 nous feroit beau veoir !
COQUILLON
Dieu nous vueille trèstous84 pourveoir !
SOUDOUVRER
Et ainsi soit-il, par Sa grâce !
COQUI[LLON]
180 Il fault que jeunesse se passe,
Vélà, nous sommes fortunéz85.
SOU[DOUVRER]
Nous sommes de malle86 heure néz,
Il ne fault point dire autrement.
COQUI[LLON]
Esse faulte d’entendement ?
SOU[DOUVRER]
185 Nenny, car nous sommes trop saiges.
COQUI[LLON]
Se les bonnes gens des villages
Estoient aussi sages que nous,
Ilz auroient de l’argent trèstous
Autant comme ung chien a de pusses87.
SOU[DOUVRER]
190 Que88 cuide-tu, se je ne fusses
Enferré de ceste féraille89,
Que je feroie ?
COQUI[LLON]
Ne te chaille90,
Je ne dy pas ce que j’en pense.
SOU[DOUVRER]
L’en nous fait dancer une dance
195 Que n’avons pas acoustumé.
COQUI[LLON]
Ha ! se j’eusse esté armé,
Quant les sergens vindrent à moy91,
Je puisse renier92 la Loy
Se je n’en eusse tué ung !
SOU[DOUVRER]
200 Et moy, j’estoie encor jeun93
Au matin, ainsi qu’on se liève ;
Entre le Port-au-Fain94 et Grève,
Entre ses [grans] chantiers95 de busches,
Trois sergens estoient en embusches,
205 Qui m’empoignèrent au collet
Et me mirent96 en Chastellet.
[Et] vélà comme je fus prins.
COQUI[LLON]
Comme qu’il soit, nous sommes pris ;
Nous n’avons garde de voller97.
SOU[DOUVRER]
210 C’est tout, il n’en fault plus parler.
Changon98 propos, n’en parlons plus.
COQUI[LLON]
Pensez que povres truppellus99
N’ont pas tousjours toutes leurs aises.
SOU[DOUVRER]
Mais100 que les poux ou les punaises
215 Ne nous estranglent, en prison,
J’ay bien encore intencion
D’avoir bon temps, n’en doubtez point.
J’ay veu que j’estoye fricque et coint101,
Du temps que j’estoye coustiller102.
220 Ha ! qui me fust venu railler103
Ainsi qu’on [le] fait maintenant,
J’eusse baillé incontinent,
Par le sang bieu, dessus104 la joue !
COQUILLON
Vélà, nous sommes à la boue,
225 Maintenant, jusques au[x] genoulx ;
[On ne tient plus compte de nous.]105
SOU[DOUVRER]
Une autre fois, nous aurons mieulx.
COQUI[LLON]
Hélas ! j’ay bien veu (se m’ai Dieux106),
Du temps que j’estoye pâticier,
Que j’estoye tenu aussi ch[i]er107
230 Comme cresme, et plus encoire.
SOU[DOUVRER]
Hé ! je faisoye rage de boire
Et de hanter108 bons compaignons.
COQUI[LLON]
Et que fis-je des109 Bourguignons,
À Beauvais ? Saincte Katherine !
235 Je tuay d’une coulevrine110
Des Bourguignons plus d’ung mill[ie]r.
Sang bieu ! qui m’eust voulu bailler111
La charge de toute l’armée,
[Ne croyt-on]112 point qu’à ma fumée
240 Je ne les eusse tous deffaitz ?
Mémoire eust esté de mes fais
Plus de cent ans après ma mort.
SOU[DOUVRER]
Et moy, je fis bien aussi fort
Devant Amÿens113, où j’estoye :
245 Atout114 ung baston que j’avoye,
Ung voulge115 et une hallebarde,
Je passay oultre l’avant-garde
En despit de tous les Flamens,
Et vins tuer trois Allemans
250 Droit au millieu de la bataille.
O ! j’estoie chault comme une caille.
Je frapoie à tort, et à travers.
Sang bieu ! j’abatis d’ung revers
[Et] aussi net comme ung naveau116
255 La teste d’ung cheval fauveau117
Sur quoy118 ung homme d’arme estoit :
Pouac ! Ung homme n’arrestoit119
Devant moy nen plus q’ung festu.
La mort bieu ! j’en eusse [a]batu
260 Tout seul, à ceste heure-là, cent !
Et si, n’estoie qu(e) ung innoscent120 :
Je n’avoye point plus de .XVI. ans121.
Par la chair bieu ! les plus puissans
Me craignoient comme le tonnerre.
COQUI[LLON]
265 Je fus courir devant Auxerre122
Une fois, sus ung bon cheval.
(Je pry à Dieu qu’i gard de mal
Celuy qui le m’avoit donné123.)
De ma vie, ne fus plus tenné124
270 Que je fus à ceste heure-là.
Ma brigandine m’affolla125,
Car à peine y povoie entrer.
[Incontinent vins]126 rencontrer
Ung homme armé, blanc comme signe127 ;
275 Je luy vins contre la poytrine
Frapper si grant coup de ma lance,
Que je fis sortir de sa pense
Plus de dix aulnes128 de boyaux.
SOUDOUVRER
Et moy, que fis-je, auprès de Meaulx129,
280 Une fois, d’une javeline ?
J’ouÿs chanter une géline130
Qui estoit emmy une court ;
Je m’en vins (pour le faire court)
Frapper dessus de mon baston.
285 Incontinant, ung gros garson,
Tout estourdy comme ung coquart131,
Me vint dire : « Maistre paillart,
Vous avez tué nostre poulle. »
Il chargea une bûche de moulle132
290 Qu’il trouva [des]sus ung fumier,
Ensemble avecques le fermier
Et les autres de la maison.
Ainsi, pour faire ma raison133,
–L’ung ung voulge, l’autre une haste134–,
295 Mectoyent tous les mains à la paste
Pour me brasser ung beau levain135,
Cuidant que j’eusse le cueur vain136,
Que ne m(e) osasse revancher.
Incontinant, sans plus prescher,
300 Charge[ay] dessus à tour de bras.
Mais (je regny saint Ypocras137)
Se j’eusse [ung peu] creu138 mon courage,
J’eusse fait le plus beau mesnage
Qui oncques fut fait au pays.
305 Ha ! si ne s’en fussent fouïz139,
Par ma foy, j’eusse tout tué !
Mais vraiement (Dieu soit loué),
Pour tant140, il n’en mourut pas ung.
COQUILLON
À ce propos, près de Mellun141,
310 J’estoye aussi en ung village
Allé, d’aventure, en pillage.
Et [je] me logé chez ung prestre ;
Puis luy demandé, pour repaistre,
Du pain, du vin, de la vïande.
315 Inconti[n]ant, une truande142
Qu’il avoit à sa chambèrière,
Par ma foy, qui estoit bien fière,
Me commença à rechigner ;
Et je la vous voys143 empoigner
320 Incontinant devant le prestre,
Et fis semblant, par la fenestre,
De la gecter emmy la rue.
Mais quoy ? Je n’estoye pas si grue144 :
Je le faisoye pour mieulx jouir
325 D’elle, et pour faire fouïr
Le curé, qui à desloger
Ne mist guères. Pour abréger,
Je vous troussay la godinette145
Tout subit sus une couchette.
330 Ce pendant que l’huys estoit clos,
Je la vous despesché en gros,
Gaillart, à deux fil[z] de coton146 !
Le curé, ce povre mouton,
Revint [quant] c’estoit desjà fait.
335 Je luy ouvris l’huis en effect.
Le prestre et la chambèrière
Me firent la meilleure chière147
Que [je] vis oncques faire à homme.
SOUDOUVRER
C’est rage que de nos faitz !
COQUILLON
En somme,
340 On n’en viendroit jamais à bout.
SOUDOUVRER
Voire, qui vouldroit dire tout,
Par ma foy, ce ne feroit mon148.
COQUILLON
On [en feroit trop long]149 sermon,
Qui dureroit (par mon serment)
345 Jusques au jour du Jugement150.
SOUDOUVRER
Je croy qu’il ne s’en fauldroit guères.
Qui vive151 ?
COQUILLON
Qui ?
SOUDOUVRER
Les pauvres hères152 !
[Qui les a ainsi acoustré ?]153
COQUILLON
Ceulx qui ont tout clos et serré
Le leur154, et n’osent riens despendre ;
350 Qui se lerroient155 aussitost pendre
Que d’e[n] oster ung seul denier,
Et jeûner pour en espargner
Encore tant plus largement.
Quel(le) joye et quel esbatement
355 Peuvent-ilz156 avoir en ce monde ?
SOUDOUVRER
Sur tous biens –que Dieu [me confonde]157 –,
Il n’est trésor que de liesse.
COQUILLON
Mais que vault couroux ?
SOUDOUVRER
Mais158 tristesse ?
COQUILLON
Mais [que vault] soucy ne chagrin ?
SOUDOUVRER
360 Riens qui soit.
Mais pour faire la fin,
Prenez en gré l’esbatement.
COQUI[LLON]
Se failly avons nullement159,
Plaise-vous le nous pardonner.
SOUDOUVRER
Se n’eussions paour de vous tenner,
365 [Nous eussions]160 bien dit autre chose.
.
JUSTICE SCÈNE VIII
Messieurs, se la Porte161 [n’]est close,
[Mectez-vous tost]162 hors de cëans.
COQUIL[LON]
Et ! gardez aussi que vos chiens,
[Lors,] ne nous facent aucun mal.
SOUDOUVRER
370 À Dieu trèstous en général !
Nous reviendrons une autre fois.
COQUILLON
Adieu ! Nous en allons tous trois.
FINIS
*
1 Maraudeurs, mendiants. « Quant on enchaŷne les maraulx,/ Que n’enchaîne-on les marauldes ? » Les Sotz escornéz. 2 « Ceulx qui furent prins comme vagabons furent enchesnéz deux à deux ; et fut ordonné qu’ilz cureroient et nettoyroient les fosséz de la porte Sainct-Honoré par ordonnance de la Cour. Et pour ce faire, (ils) furent bailléz aux prévost et eschevins de la ville. Et ce fut au moys de juing, audict an 1524. » Journal d’un bourgeois de Paris sous le règne de François Ier. 3 Cette ordonnance fut enregistrée au Parlement de Paris le 14 décembre 1526. 4 Gens de mauvaise vie. 5 « Toutefois, il existe bien une autre pièce du XVIe siècle où les travaux forcés des fossores ad evacuandas valli luteciani fossas sont mis en scène : il s’agit de la farce latine Marabeus (BnF lat. 8439). » Jelle Koopmans, le Recueil de Florence, p. 590. 6 Soûl d’œuvrer : fatigué de travailler. Voir la note 1 de Saoul-d’ouvrer et Maudollé. 7 Étudiant en Droit qui passe son temps à jouer à la paume et à danser au lieu de travailler. « Un esteuf en la braguette,/ En la main une raquette,/ Une loy en la cornette,/ Une basse-dance au talon :/ Vous voylà passé coquillon. » Pantagruel, 5. 8 Vêtus d’une chemise longue, enchaînés l’un à l’autre par les chevilles, ils se reposent en s’appuyant sur le manche de leur pelle, plantée dans le sol. 9 F : bien (« Pusilanimes & lasséz de rien faire. » Antoine du Saix.) Jelle Koopmans rappelle, p. 581, qu’ « il existe un mandement joyeux intitulé La Confrérie des saouls d’ouvrer et enragez de rien faire (…) ce qui suggère de corriger bien faire en rien faire ». 10 Enrhumés. Cf. la Chanson des dyables, vers 27. 11 De bon cœur : c’est pour me réchauffer. 12 Cela ne sert à rien. On scande « nian » en 1 syllabe. 13 F : senffre (Je souffre.) Envis = malgré moi. 14 Une habileté, une ruse. 15 C’est le nom de leur gardienne. 16 Avancez 17 Que maudit soit… 18 Qui grommelle. 19 Justice s’éloigne ; les marauds s’appuient de nouveau sur leur pelle. 20 Nous surveille avec son « flambeau de Justice ». 21 Ce fardeau. 22 F : remede (Je corrige pour la rime ; on trouve la forme régulière à 130. Cf. L’Avantureulx, vers 67.) « Car je n’y voy sans miracle remide./ Je l’ay perdu, & n’y ha croix ne guide. » Marguerite de Navarre. 23 Qu’elle nous tient par les guides, par les rênes, comme des chevaux. 24 Qu’elle marche sur nos talons. 25 F : ne 26 Contre l’Ordonnance de justice qui s’attaquait au vagabondage. Voir ma notice. 27 Qu’elle ne me tiendra de longtemps. « Vous ne la verrez mais en pièce :/ Elle s’en viendra avecques moy. » ATILF. 28 De 6 heures à 9 heures. 29 Si d’un bon pas je ne vais. Tours n’est là que pour la rime. 30 F : ceste entreprise (Je l’entreprendrai.) 31 Si tu me voyais. Les forçats sont en chemise : on leur confisque leurs vêtements pour dissuader les évasions. 32 Si je ne courais plus vite. 33 F : Coquillon 34 Emportés. 35 Une tornade. 36 F : le (Coquillon demande pardon à Dieu d’avoir juré son nom. Aux vers 155 et 223, on jure « par le sang bieu ».) L’ordonnance contre les marauds met dans le même sac les « blasphémateurs du nom de Dieu, ruffiens, mendians ». 37 À l’Épiphanie, quand celui qui avait trouvé la fève dans le gâteau buvait, on criait « le roi boit », pour obliger tous les convives à en faire autant. « Tenez, voylà de la boisson :/ N’espargnez pas ce vin cléret./ Le roy boit ! le roy boit ! le roy boit ! » Jéninot qui fist un roy de son chat. 38 F : serions gouuerneur (« Mais gouverner vueil à ma poste/ Mon filz le Prince. » Jeu du Prince des Sotz.) 39 Minces de caire, pauvres d’argent. Cf. Mallepaye et Bâillevant, vers 14. 40 Peu importe. 41 Pour peu. 42 F : vous (« Mais trois boysseaux de poux/ Pour faire de l’uylle en Karesme. » Ung Fol changant divers propos.) 43 Si nous ne nous trompons pas dans nos prévisions. Même vers dans les Sotz escornéz. 44 F : vous (Voir le vers 72.) 45 Justice s’éloigne ; les marauds s’appuient sur leur pelle. 46 À fréquenter les gens qui jouent. 47 L’influence de Villon est palpable : « Gaigne au berlanc [dés], au glic [cartes], aux quilles :/ Aussi bien va (or escoutez)/ Tout aux tavernes et aux filles. » François Ier assimilait aux marauds les « joueurs de cartes et de dés, quilles et autres jeux prohibés et défendus ». 48 Bonne réputation. 49 Jouisseurs. Cf. le Gaudisseur. De l’autre monde = incroyables. « Faisans choses de l’autre monde, et quasy incrédibles. » ATILF. 50 Table ouverte. 51 Une garantie : des otages qui prendront notre place. En 1526, François Ier avait pu quitter les geôles madrilènes de Charles Quint en lui livrant ses deux fils de 7 et 8 ans, qui restèrent prisonniers des Espagnols durant quatre longues années. 52 Il s’adresse au public afin d’y trouver deux volontaires pour les travaux forcés. 53 L’assouvissement. 54 Nos remplaçants n’auraient pas à craindre. 55 Pour peu que nous soyons en puissance (de les dédommager). 56 Veux-tu que nous leur donnions tout notre argent ? 57 À malin, malin et demi. Voir la note 66 des Sotz fourréz de malice. 58 Sot. Idem vers 286. 59 En quantité raisonnable. 60 Avoir un grand train de maison. 61 Quand on en viendra là. 62 Lui faire bonne figure. 63 Arrangement. 64 De vider les lieux, de partir. On scandait à la parisienne « trou-vra », « pre-mièr-ment » (v. 122), re-gar-drait (v. 174), etc. 65 Il ne servirait à rien de se lamenter. 66 « Maistre Henry Cousin, maistre bourreau en ladicte ville de Paris », mourut à une date inconnue mais postérieure à 1486. 67 Nous serions depuis longtemps expédiés ad patres. 68 Des pigeons de son colombier : nous étions ses meilleurs clients. Le bourreau ne se contentait pas d’exécuter, il appliquait aussi la torture et les punitions courantes : « Unze-vings coups luy en ordonne,/ Livréz par la main de Henry. » Villon. 69 F : rencontrer (Quelle horrible rencontre que ces deux marauds, dans un coupe-gorge, au fond d’un bois !) 70 Justice s’éloigne, et les prisonniers s’appuient sur leur pelle. 71 « Par Nostre-Dame-de-Boulongne ! » Le Testament Pathelin. 72 Aujourd’hui. 73 Mal duits, mal élevés. (L’un des Bélistres s’appelle Mauduit.) L’imprimeur a corrigé un pluriel gênant pour la rime. 74 De malheur. 75 À bout : si nous pouvons en sortir. 76 Celui qui nous y reprendra. 77 Hier soir. 78 De cidre. La ville se débarrassait de celui qui avait tourné en le donnant aux forçats. 79 D’une corde. 80 Le maudit paysan. 81 À même la terre. « J’ay beu chaud, mangé froid, j’ay couché sur la dure. » Mathurin Régnier. 82 Sur notre paillasse. « Jényn couchoit au peaultre. » La Résurrection Jénin à Paulme. 83 F : qui 84 F : trestout 85 Chanceux (ironique). 86 F : ceste (Nous sommes nés sous une mauvaise étoile.) 87 La Chanson sur l’Ordre de Bélistrie, où Jehan Molinet donne la parole à des mendiants, s’achève ainsi : « Nous prions Dieu (qui voit les siens)/ Qu’autant vous doint de marcs de fiens [de grammes de merde]/ Qu’ung vieu chien a de puces ! » 88 F : He 89 De ces chaînes. 90 Ne t’en déplaise. 91 Vinrent m’arrêter. 92 F : regnier 93 À jeun, ainsi qu’on l’est quand on se lève. 94 Entre le Port-au-Foin et la place de Grève, au bord de la Seine. Les clochards venaient y dormir. « Compaignons vacabondes (…) alèrent couchier sur le Port-au-Fain, en Grève. » Registre criminel du Châtelet de Paris. 95 Pièces de bois en X destinées à supporter les tonneaux qu’on embarquait ou qu’on débarquait. « Grans chantiers de busche. » ATILF. 96 F : menerent (Le roi fit « mettre èz prisons du Châtelet de Paris » les « vagabonds, oisifs, mal vivans, gens sans aveu ».) 97 De nous envoler. Mais aussi : de dérober. Une abondante littérature montre les tours qu’inventaient les marauds pour voler les commerçants. Voir par exemple la farce de la Trippière, F 52. 98 Changeons de. Cf. la Résurrection Jénin à Paulme, vers 202. 99 Sots. 100 Pour peu. 101 Élégant et gracieux. 102 Valet d’un soldat. 103 Si on était venu se moquer de moi. 104 F : sur (J’aurais distribué des gifles.) 105 Vers manquant. J’emprunte le vers 162 de Mallepaye et Bâillevant. 106 Si Dieu m’aide : que Dieu m’assiste ! 107 Cher. « Drap est chier comme cresme. » Farce de Pathelin. 108 De fréquenter. 109 F : par les (Beauvais fut assiégé par le duc de Bourgogne en 1472.) Les bravaches se vantent toujours d’avoir pris part à des événements qu’ils n’ont pu connaître. L’Avantureulx vainquit Talbot à une époque où lui-même n’était pas né, le capitaine Mal-en-point combattit avec Hannibal et Nabuchodonosor, etc. 110 À l’aide d’un canon long et fin. 111 Si on avait voulu me confier. 112 F : Je croy (Fumée = colère.) 113 En 1471, Amiens fut repris aux Bourguignons, dont l’armée, faite de bric et de broc, comptait beaucoup de Flamands et quelques Allemands. 114 Avec. 115 Long bâton prolongé par une lame ou une serpe. 116 Aussi nettement qu’un navet. « (Il la) coupa en deux pièces, aussi net qu’un naveau. » Philippe d’Alcripe. 117 Fauve, roux, comme le cheval du Roman de Fauvel. 118 F : lequel (N’en déplaise à Vaugelas, « sur quoi » pouvait s’appliquer à un cheval : « Le cheval sur quoy il estoit. » Christine de Pizan.) 119 Ne résistait. 120 Et pourtant, je n’étais qu’un enfant. 121 Soudouvrer aurait donc aujourd’hui 70 ans ; or, on ne faisait pas travailler de force les vieillards. Au vers 180, nos marauds avouent qu’ils sont encore jeunes. 122 Entre 1471 et 1477, les partisans du roi firent de sanglantes incursions dans le comté d’Auxerre, acquis au duc de Bourgogne. 123 Entendez : celui à qui je l’avais volé. Les soldats ne se gênaient pas pour s’approprier des chevaux ; cf. Troys Gallans et Phlipot, vers 398. 124 Tanné, fatigué par les ennemis. 125 Mon pourpoint ferré me meurtrit. Le pâtissier Coquillon (vers 228) est trop gros pour y entrer. 126 F : Incontinens vint (L’imprimeur a interverti les finales « t » et « s ».) Rencontrer = attaquer. 127 Comme un cygne. Blanc de peur. Nous dirions : blanc comme un linge. 128 11,80 mètres. Nos deux marauds ont une légère tendance à l’exagération. 129 Prétend-il avoir fait partie de la garde royale qui escorta Louis XI à Meaux, en 1468 ? 130 Une poule. Le soldat se révèle enfin pour ce qu’il est : un voleur de poules, comme tous ses congénères. (Cf. Colin, filz de Thévot, vers 73 et 195.) Le Franc-archier de Baignollet s’écrie lui aussi : « J’ay ouÿ poullaille/ Chanter chez quelque bonne vieille ! » 131 Un imbécile. 132 Un morceau de bois à brûler. « Et se prindrent à jecter (…) pierres, busches de moulle, tables, tresteaulx et autres choses pour grever iceulx Angloyz. » ATILF. 133 Pour me régler mon compte (au sens propre et au sens figuré). 134 Un bâton prolongé d’une serpe, et une broche à rôtir. 135 Pour me mettre dans le pétrin. 136 Vide, sans courage. 137 L’hypocras, vin médicinal, doit son nom au médecin païen Hippocrate. En reniant un saint qui n’existe pas, on ne risque plus de passer pour un blasphémateur. 138 Accru. 139 S’ils ne s’étaient pas enfuis. 140 Pour cette raison : parce qu’ils se sont enfuis. Le second brigand du Mystère de saint Martin, d’André de La Vigne, se nomme également Souldouvrer ; il a le même instinct meurtrier que le nôtre : « S’il venoit riches ne meschans,/ Tout passoit dessoubz noz espées./ Tant de gorges avons coppées ! » 141 Pour ne pas être en reste, Coquillon fait croire qu’il a escorté Louis XI à Melun en 1465. 142 Une mendiante qui épaule les servantes pour les tâches les plus dures, de même que les mendiants étaient « tournebroches » dans les cuisines. 143 Vais. Les viols font partie des exploits dont se vantent les soldats. « Il empoigna ma chambèrière,/ Et si, luy fist deux ou troys foys. » Colin, filz de Thévot. 144 Si dinde. Cf. la Complainte d’ung Gentilhomme, vers 62. 145 Cette mignonne : la « truande », puisque la chambrière s’est enfuie en même temps que le curé. 146 Rapidement. « Despêcher à deux fils de coton. » (Le Roux de Lincy, Livre des proverbes français.) Ce proverbe vise les fabricants de chandelles qui, pour aller plus vite, ne mettaient que 2 fils de coton dans leurs mèches, au lieu des 3 réglementaires. 147 Figure. 148 Il ne le ferait pas. 149 F : nen feroit trop ung (Jeu de mots sur « sermon » et « serment ».) 150 Du Jugement dernier. Mais aussi : du jugement du tribunal. 151 Cri de reconnaissance des soldats. Cf. Maistre Mymin qui va à la guerre, vers 230 et 302. 152 F : maraulx enchesnes (L’imprimeur a essayé de reconstituer le vers suivant, perdu.) 153 Vers manquant. « (Le roy) s’escria tout haut en luy demandant qui l’avoit ainsi accoustré, & pourquoy. » Pierre Saliat. 154 Ceux qui ont enfermé leur bien. Dépendre = dépenser. La satire des avares est commune à tous les dépensiers. 155 Qui se laisseraient. 156 F : peult il 157 F : habonde 158 Un mastic a transposé ici le « que vault » qui aurait dû se trouver au vers suivant. 159 Si nous avons commis des fautes. 160 F : Jeussions 161 Les fossés qu’entretiennent les marauds se trouvent aux Portes de Paris. V. la note 2. Une fois libérés, les vagabonds devaient quitter la ville. 162 F : Mectez nous (« Céans », prononcé « ci-an », rime avec chian. « Je vous prie de vous retraire/ Et de ne plus venir cëans :/ Mieulx aymeroye que les chiens/ M’eussent mengé les piedz trèstous. » De l’art d’aymer.)