LE GOUTEUX
.
*
LE GOUTEUX
*
.
On pense que maître Mimin et Richard le Pelé, nommés uniquement dans la liste des personnages de cette farce rouennaise, sont les acteurs qui l’ont créée1. Les comédiens s’appropriaient parfois le nom du personnage qui était à l’origine de leur renommée ; par exemple, Pierre le Carpentier se rebaptisa « le Pardonneur » après avoir joué ce rôle dans la farce éponyme, et Pierre Gringore signait couramment « Mère Sotte2 », profitant du succès populaire de ce personnage dont il endossait le travesti. Nous ne savons rien de Richard le Pelé, mais il nous reste deux farces3 — elles aussi normandes — à la gloire de maître Mimin : Maistre Mymin qui va à la guerre, et Maistre Mimin estudiant. La présente pièce étant dépourvue de titre et ne comportant aucun maître Mimin, je l’intitule donc le Goutteux, en conformité avec les rubriques.
Sur l’usage que les farceurs faisaient des dialogues de sourds, voir le Sourd, son Varlet et l’Yverongne, le Marchant de pommes et les Miraculés.
Un valet croit soulager la crise de goutte de son maître en lui racontant les aventures de Gargantua. Il s’agit d’un des volets — d’ailleurs inconnu — des Chroniques gargantuines4, qui parurent sans doute à partir de 1526, et dont Rabelais s’inspira. Notons que dans son prologue de Pantagruel, le docteur Rabelais prescrit le même remède : « Mais que diray-je des pauvres véroléz et goutteux ? Toute leur consolation n’estoit que de ouÿr lire quelque page dudict livre [les Grandes et inestimables chronicques de l’énorme géant Gargantua]. Et en avons veu qui se donnoyent à cent pipes de vieulx diables en cas que ilz n’eussent senty allégement manifeste à la lecture dudict livre. »
Source : Recueil du British Museum, nº 35. Publié à Lyon, en la maison de feu Barnabé Chaussard, entre 1532 et 1550.
Structure : Rimes plates, avec 2 triolets. La versification est extrêmement soignée, malgré un grand nombre d’hiatus qu’on aurait pu combler sans difficulté.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
.
*
Farce nouvelle trèsbonne
et fort joyeuse
À troys personnaiges, c’est assavoir :
[ LE GOUTEUX, Philipot 5
SON VARLET SOURD, Pinsonnet ]
et LE CHAUSSETIER
*
Cy commence LE GOUTEUX 6 SCÈNE I
Hé ! Dieu, hélas ! Mauldicte goutte,
Qui7 tant mon povre cueur desgouste !
Fault-il que par toy cy je meure ?
Mon varlet, hau ! Vien çà ! Escouste :
5 Va moy quérir — quoy qu’il me couste —
Ung médecin, et sans demeure8 !
LE VARLET SOURD
Monsieur, quant la grappe fut meûre9,
Incontinent l’on vendengea.
Gargantua beut, et mengea
10 À son desjeuner seullement
Douze-vingt miches de fourment10,
Ung beuf, deux moutons et ung veau.
Et si, a mis du vin nouveau,
À deux petis traictz, dans sa trippe11 :
15 Deux poinçons avec une pipe12,
En attendant qu’on deust disner13.
LE GOUTEUX
J’ay bien cause de m(e) indigner
Contre toy, sourd de Dieu mauldit14 !
Entens-tu point que15 je t’ay dit ?
20 Va moy chercher ung médecin,
Ou me viens chauffer ung bacin16.
Tant tu me faictz crier et braire !
LE VARLET
Mon serment ! j’en croy le libraire :
Il m’a cousté six karolus17.
LE GOUTEUX
25 Sourdault18, va quérir ung bolus
Et ung cyrot bien délyé19 !
LE VARLET
J’en eusse prins ung relyé,
Mais il eust cousté davantaige.
LE GOUTEUX
Faictz-moy faire quelque potaige20
30 Au médecin ! Entens-tu bien,
Mon varlet sourd ? Va et revien !
Auras-tu point l’esp(e)rit ouvert ?
LE VARLET
Vous voulez donc qu’il soit couvert
De cuyr ou de fort parchemin ?
LE GOUTEUX
35 Hélas ! je suis bien prins sans vert.
Mourray-je icy, en [c]e termin21,
Par ce meschant varlet sourdault ?
LE VARLET
Le libraire n’est point lourdault :
Couvert sera mignonnement.
40 Tenez-vous tousjours chauldement,
Car j’entens trèsbien vostre affaire.
Et du livre laissez-moy faire :
Vous en aurez du passetemps.
Vadit.22
.
LE GOUTEUX SCÈNE II
De mourir icy je m’atens,
45 Car je n’ay plus sang ne couleur.
Tu m’agraves bien ma douleur !
Oncques pauvre paralitique23
Ne fut tant que je suis éthique24.
À crier je me romps la teste.
50 Hélas ! ung homme est bien beste
Qui prent servant à sourde oreille ;
C’est une teste nompareille,
Et qui n’entend « ne my, ne gourd25 ».
Que mauldit de Dieu soit le sourd,
55 Et qui oncques le m(e) adressa !
Jamais que mal ne me brassa26.
Il cognoist bien que suis malade,
Et que nuyt et jour ne repose :
Il me vient lyre une Balade !
60 Propos ne tient d’aulcune chose27.
Ha, Nostre Dame de Briose28 !
Je suis de luy mal rencontré29.
.
LE VARLET 30 SCÈNE III
Or çà ! il est tout acoustré,
Vostre livre, [et] est bien empoint.
LE GOUTEUX
65 Voyre bien, amaines-tu point
De médecin pour mon affaire ?
LE VARLET
Il y a tousjours à reffaire !
Comment ! est-il cousu trop large ?
Vrayment, il est de bonne marge
70 Et [est] de belle impressïon.
LE GOUTEUX
Tant tu me faictz d’oppression !
M’as-tu faict chauffer ung bassin ?
Ouÿ dea31 ! Et de médecin ?
(Autant entent l’ung32 comme l’autre.)
75 Si j’estois sain, t(u) yrois au peaultre33 !
Sçaurois-tu barbier34 attrapper ?
(Autant gaignerois à frapper
Ma teste contre la muraille.)
LE VARLET
Il m’a cousté sept solz et maille35,
80 Car j’ay baillé demy trézain36,
Deux solz tournois37 puis ung unzain :
Autant le convint achapter38.
Attendez, je m’en vois getter39 ;
Ung, et deux, et trois : ce sont quatre.
85 Et puis il nous [en] fault rabatre40
Justement toute la moytié.
C’est le compte. Sans l’amytié41,
Je ne l’eusse eu pour le pris.
LE GOUTEUX
C’est bien à propos entrepris42 !
90 Dieu me doint avoir patience !
LE VARLET
Il a du livre en la science43,
À qui bien la sçauroit gouster.
Or pensez, Maistre, d’écouster44,
Et vous voirrez icy comment
95 Gargantua faict argument45,
Lequel estoit bona46 quercus :
Ung béd[o]uault47 a quinze culz ;
Or, si par48 ung apoticaire
Luy estoit baillé ung clistoire,
100 Queritur comment49, et par où ?
Par quel50 pertuys ou [par] quel trou ?
Que diriez-vous, sur ce passaige51 ?
LE GOUTEUX
Tu monstres que tu n’es pas saige.
Ton livre et toy n’est que follie.
105 Il est plus que fol, qui follye52
Avec toy. Pour bien conquérir53,
Fuis-toy d’icy et va quérir
Ung médecin ! Entens-tu bien ?
LE VARLET
(Qu’esse qu’il dict ? Qui en sçait rien ?
110 Par Dé54 ! à ce que je puis cognoistre,
Je croy bien que ce soit le prestre
Qu’il demande. À vostre advis ?)
Ha ! j’entens tout vostre devis :
Demandez-vous pas le curé ?
LE GOUTEUX
115 Hée, Dieu, que je suis escuré55 !
Nenny non : c’est l’apoticaire.
LE VARLET
Or bien : le curé ou vicaire,
Ce vous est ung, ou56 chappelain.
Vous estes en maulvais pelin57 :
120 Pensez de vostre conscience58.
LE GOUTEUX
Tu me fais perdre patience
Par tes responces et lardons59.
LE VARLET
Ouÿ dea, il y eust60 pardons,
Se estiez confèz à61 celuy
125 Lequel a chanté aujourd’huy,
À Rouen62, sa première messe.
Je le voys quérir, et promesse
Vous fais qu’il viendra, si le treuve.
LE GOUTEUX
Voys-en cy une toute neufve63 !
130 Va-t’en, que bon gré en ayt bieu64 !
LE VARLET
(Trouver me fault en quelque lieu
Ung chappellain soubdainement.)
Si faictes quelque testament,
N’oubliez pas ce qu’il m’est deû65.
LE GOUTEUX
135 Si maistre Jehan Babault66 m’eust veu,
Il me pourroit tout sain guarir ;
Et de ma jambe oster le feu.
Je te supplie, va le quérir !67
.
Hé ! Dieu me vueille secourir. SCÈNE IV
140 Je croy qu’il m’a bien entendu.
.
LE VARLET SCÈNE V
Parmy le col68 je soys pendu
Se je sçay par69 où ce peult estre
Que je rencontreray ung prebstre,
Lequel mon maistre ainsi demande.
145 Faire convient ce qu’il commande.
J’en70 voys chercher tout à ceste heure.
.
LE CHAUSSETIER 71 SCÈNE VI
Se ce drap icy me demeure,
J’en feray des chausses pour moy.
Plus ne vient marchant72, à ceste heure.
150 Si73 ce drap icy me demeure,
Je prie Dieu qu’il me sequeure74 !
Je l’acheptay à la Guibray75.
Si ce drap icy me demeure,
J’en feray des chausses pour moy.
.
LE VARLET SCÈNE VII
155 Hau, le chaussetier ! Dictes-moy
Si m’enseignerez le vicaire
Où demeure le presbitaire76…
(Que dis-je ?) Où c’est que peult estre
Ung bon chapellain pour mon maistre,
160 Qu’il luy pleust77 donner réconfort ?
LE CHAUSSETIER
Voylà bon drap : ung morquin78 fort,
De la tainture de Paris.
LE VARLET
(Il dit vray, il n’y a pas ris79 :
Sa robe [en] est de la couleur80.)
LE CHAUSSETIER
165 J’en ay encores de meilleur
Qui n’est point gros, ne trop pressé81.
LE VARLET
Il demande estre confessé
Et ne peult venir à l’église.
LE CHAUSSETIER
Regardez quelle marchandise :
170 C’est ung fin drap comme satin.
LE VARLET
Dea ! s’il n’eust chanté si matin82,
Je luy eusse faict avoir messe83.
LE CHAUSSETIER
Vous estes homme de promesse84,
Mais je seray payé content85.
LE VARLET
175 Sa douleur le va surmontant ;
Empiré luy est aujourd’huy.
Il fault que quelc’ung vienne à luy,
Puisqu’il veult estre confessé.
LE CHAUSSETIER
Dictes-vous qu’il est trop pressé ?
180 Voyez qu’il a la lèse grande86.
LE VARLET
C’est ung prestre que je demande.
LE CHAUSSETIER
Je le vous dis, je le vous mande :
Quarante solz, tout à ung mot87.
LE VARLET
Par Dé ! de ce, suis bien marmot88 :
185 Il n’entend pas ce que je dy.
LE CHAUSSETIER
Quant vous les aurez ? Samedy.
Mais vous pay(e)rez ou pinte ou pot89.
LE VARLET
Qui c’est ? Mon maistre Philipot,
[Qui ne vivra deux jours entiers.]90
LE CHAUSSETIER
190 Il vous en fauldroit trois quartiers91 ;
Aultrement, vous tiendroyent trop gourd92.
LE VARLET
(Mon serment ! je croy qu’il est sourd
Comme moy.) Adieu, teste dure !
LE CHAUSSETIER
Prendre fault, premier93, la mesure :
195 Qu’à besongner nous esbaton94 !
LE VARLET
Comment ! tendez-vous ung baston
Sur moy pour demander95 ung prebstre ?
Je m’en vois le dire à mon maistre !
Cela debvez faire à ung paige96.
LE CHAUSSETIER
200 Ce n’est donc pas pour vostre usaige ?
Allons donc sa mesure prendre.97
.
LE GOUTEUX SCÈNE VIII
Hélas ! j’ay beau icy attendre
Pinsonnet98 ou l’apoticaire.
Mon varlet ne me peult entendre.
205 Hélas ! j’ay beau icy attendre.
Que la foyre99 le puisse prendre
Tout royde de mort s’il met100 plus guère !
Hélas ! j’ay beau icy attendre
Pinsonnet ou l’apoticaire.
.
LE VARLET 101 SCÈNE IX
210 En luy demandant ung vicaire
Qui vînt mon maistre confesser,
Voyez comme(nt) il me veult fesser !
Je m’en plaindray à la Justice.
LE CHAUSSETIER
Si la chausse n’est bien faict[ic]e102,
215 J’en attend[e]ray103 le repro[u]che.
Marche[z] devant !
LE VARLET
Dea, ne me touche !
(Voicy ung sourd hors de raison.)
LE CHAUSSETIER
Bevrons-nous point, à la maison ?
Ouÿ, puisque c’est pour le maistre.
LE VARLET
220 Cité serez à comparoistre,
À ma requeste, en jugement !
Demain auray (par mon serment)
Trefves104 de vous et asseurance !
LE CHAUSSETIER
Monstrez-moy tost la demeurance105,
225 Car j’ay haste de besongner.
LE VARLET
Ha ! je vous feray empoigner,
Car vous me suyvez de trop court106.
.
Mon maistre, hau ! Voicy ung sourt SCÈNE X
Qui me veult battre et faire ennuy.
230 Et n’ay onc sceu107 sçavoir de luy
Où est l’homme que demandez.
LE GOUTEUX
Au diable soyez commandéz108,
Tant vous me faictes de laydure109 !
LE CHAUSSETIER
Prendre fauldroit vostre mesure ;
235 Çà, la jambe ! Bon soir, mon Maistre !
LE GOUTEUX
Tu me faictz bien besler et paistre110 !
[Ha !] que mauldit soit le coquin !
LE CHAUSSETIER 111
Voicy la pièce de morquin
De quoy bien je le[s] vous feray.
240 Mais, Monsïeur, je vous diray :
Vostre varlet ne m’entent pas.
LE GOUTEUX
(Bien voy que suis à mon trespas.)
Ce n’est pas ce que je demande !
LE CHAUSSETIER
Une chausse doibt estre grande,
245 Pour y entrer plus à son ayse112.
Çà, la jambe ! Ne vous desplayse :
Elles seront prestes matin113.
LE GOUTEUX
À l’ayde !! Larron !! Chien mastin !!
Tu m’as bien achevé de paindre114.
LE CHAUSSETIER
250 Le drap, Monsieur115 ? Je l’ay faict taindre
[En beau pourprin]116, sans faulte nulle.
LE GOUTEUX
Hélas ! j’avoy icy la mulle117,
Que ce larron m’a faict seigner.
LE VARLET
Il ne m’a voulu enseigner
255 La maison, aussi le vicaire
Où demeure le presbitaire118
Que vous [me] demandez ainsi.
LE CHAUSSETIER
Dea ! je fourniray bien aussi
De doubleure, cela s’entend.
LE VARLET
260 Ma foy, mon Maistre : il prétend
Tirer de vous je ne sçay quoy.
Voyre, et ce congnoist autant
En médecine comme moy.
LE GOUTEUX
Que j’ay soulcy et grant esmoy
265 Par ces deux sourdaulx119 inscïens !
Allez-vous-en hors de cëans,
Que jamais je ne vous revoye !
LE CHAUSSETIER
Je borderay ung peu la braye
Et la découperay [dès jà]120.
LE VARLET
270 Par ma foy ! vous n’en bevrez jà,
Puisque vous m’avez voulu battre.
LE GOUTEUX
La malle mort vous puisse abatre
Sans que puissez avoir secours !
Il n’est point de plus maulvais sours
275 Que ceulx qui ne veullent ouÿr121.
.
Messeigneurs : pour vous resjouyr,
Oyons tous [que] la comédye
Supplyé122 a la maladie.
.
FINIS
*
1 Voir notamment Bernard FAIVRE : Répertoire des farces françaises, 1993, note de la p. 242. 2 Voir son Jeu du Prince des Sotz et Mère Sotte. 3 Nous avons perdu le Testament maistre Mymin, que mentionne le Vendeur de livres : c’était peut-être une œuvre dramatique, comme le Testament Pathelin. 4 Voir Abel LEFRANC : Œuvres de François Rabelais, t. 1, 1913, pp. XXXII-XXXV. La Mère de ville, une autre farce normande, contemporaine de la nôtre, évoque les aventures de Gargantua aux enfers, qui appartenaient sans doute au même livre perdu. Voir André TISSIER : Recueil de farces, t. 5, 1989, p. 68. 5 C’est le nom que lui attribue le vers 188. Le nom du valet se lit au vers 203. À des fins publicitaires, l’éditeur introduit dans ces deux lignes les noms des comédiens, qui ne figurent nulle part dans le texte : Maistre Mimin le gouteux. / Son varlet Richard lepele sourd. 6 « Celui-ci est assis dans une sorte de fauteuil, une couverture lui couvrant les jambes (voir v. 40). » <A. Tissier, p. 79.> Son valet sourd lui résume un exemplaire broché des Chroniques gargantuines. 7 BM : Que (Qui ôtes à mon cœur le goût de vivre.) 8 Sans tarder. 9 Mûre. Les Chroniques gargantuines font une large place au vin. 10 240 pains de froment. 11 Et aussi, en deux petites gorgées, il a mis du vin nouveau dans son intestin. Du côté de Caen, les chansons à boire cuisinent le mot tripe [intestin] à toutes les sauces : « Ceux qui breuvage d’eau/ Ne mettent dans leur trippe. » (Vaux de Vire.) « De sidre et de bon vin ils se lavaient la trippe. » (Muse normande.) 12 Deux tonneaux et une barrique. 13 Qu’il soit l’heure de dîner. Cette tirade rappelle les vers 139-145 des Vigilles Triboullet. 14 Les infirmités sont vues comme une malédiction divine. 15 Ce que. 16 Une bassinoire de cuivre dans laquelle on dépose des braises et dont on se sert pour « bassiner » le lit ou, en l’occurrence, pour se chauffer les pieds. Idem vers 72. La chaleur était le seul traitement contre la goutte : « Il n’a garde de sentir goute :/ Il est fourré bien chauldement. » (Le Mince de quaire.) Voir le vers 40. 17 60 deniers. Les valets de farces profitent du handicap de leur maître pour l’escroquer : voir par exemple l’Aveugle et Saudret. 18 Sourdingue. Idem vers 37 et 265. Cf. le Sourd, son Varlet et l’Yverongne, vers 87. Le bolus est l’ancêtre de la gélule : « Un homme de quarante ans contracta une chaude-pisse par un atouchement impur. Je lui ordonay au commencement un bolus d’une once de casse avec une dragme de rhubarbe pulvérisée, & autant de cristal de tartre. » François de Boze. 19 Un sirop bien fin. 20 Un bouillon curatif. « En après, donnoit un potaige d’alica [de semoule]. Ces trois remèdes souffisent (…) pour la cure des maladies aguës. » Jehan Canappe. 21 En cet instant. « Véchi grant larrechin/ Que par che chevalier m’avient, en ce termin. » Bauduin de Sebourc. 22 Il s’en va (chez le relieur). 23 Certaines paralysies passaient pour une forme de goutte. L’Aveugle et le Boiteux nous montre un paralytique « qui bouger ne peult pour [à cause de] la goucte ». 24 Ne fut étique [maigre] autant que je le suis. 25 Ni nuit, ni jour. Le goutteux imite la manière dont son valet déforme ses propos. 26 Il ne me mijota jamais que du mal. 27 Il n’a aucune suite dans les idées. 28 De Briouze, en Normandie. 29 Malencontré : mal loti. 30 Il revient de chez le relieur. 31 Cause toujours ! « Me parlez-vous de marier ?/ Ouy dea ! » Le Povre Jouhan. 32 BM : lune (Je mets entre parenthèses tous les apartés qui s’adressent au public.) 33 Au diable. Cf. Beaucop-veoir, vers 222. 34 Les barbiers pratiquent certains actes médicaux simples. 35 7 sous et 1 centime. Le valet gonfle la facture ; à titre de comparaison, dans l’Homme à mes pois, 13 kg de pois coûtent 7 sous et 1 denier. 36 Le treizain est difficilement divisible par 2. L’embrouillamini monétaire auquel se livre le valet n’a d’autre but que de dissimuler ses prévarications. « Dix-sept solz et un onzain, et vingt-et-cinq solz moings un trézain, combien vallent-ils ? » Bonaventure Des Périers. 37 BM : et trois (2 sous du monnayage de Tours. « Un cent de souz tournoix. » Le Poulier à sis personnages.) Le onzain vaut 10 deniers : notre mal-entendant improvise des chiffres qui dépassent… l’entendement. 38 Il a fallu que je l’achète à ce prix-là. 39 Je vais calculer avec des jetons. « Compter et gecter soubz maistre Jehan Blondel, singulier arisméticien. » (ATILF.) Mais on se demande si le valet ne fait pas rouler trois dés par terre : « Ung homme a getté troys déz. » (ATILF.) 40 Soustraire. « Vous comptez sans rabatre. » Farce de Pathelin. 41 BM : lamoytie (Si je n’avais pas été un ami du relieur, je ne l’aurais jamais eu à un si bon prix.) 42 BM : ilz sont prins (Voilà qui est fait au bon moment ! « Sur ma foy, c’est bien à propos ! » Jénin filz de rien.) 43 Le valet, qui a tendance à inverser les propositions (v. la note 76), a voulu dire : Il y a de la science dans ce livre. Le prologue de Gargantua parlera de « substantificque mouelle ». 44 BM : degouster (D’écouter ma lecture. François Ier se faisait lire Rabelais à haute voix.) 45 Les arguments sont les sophismes qu’égrènent les professeurs de logique : cf. les Femmes qui aprennent à parler latin, vers 354-7. Ce passage égratigne l’enseignement sclérosé que dispensait la faculté de théologie de la Sorbonne. Voir Emmanuel PHILIPOT : Revue des Études Rabelaisiennes, t. 9, 1911, pp. 378-9. 46 BM : bonum (Son argument était solide comme un bon chêne. Quercus est féminin.) Pietro Bembo créa ce calembour étymologique dans son éloge du pape Jules II, qui s’appelait della Rovere [du chêne] : « Bona quercus honores. » Cette lourde flatterie était connue en France : Du Bellay en enduira l’évêque Jérôme de la Rovère en 1559. Emmanuel Philipot <pp. 382-3> ignorait ces éléments, mais il a pu établir que le « Chêne » dont se moque notre farce est Guillaume Du Chesne, un très rétrograde docteur en Sorbonne que la Farce des Théologastres surnomme « la maxima Quercus » [la grandissime Du Chesne]. 47 Un blaireau. « Ces manteaulx de loup et de bédouault. » (Rabelais, Quart Livre, 24.) Un blaireau doté de 15 anus et un donneur de clystères figuraient donc dans cet épisode des Chroniques gargantuines ; on regrette vivement qu’il soit perdu ! Philipot <pp. 382-4> identifie ce bédouault à Noël Béda, syndic de la Sorbonne. Il nous dit que le calviniste Théodore de Bèze, « parlant des deux docteurs Quercus et Béda, les appelle ‟deux grosses bestes qui estoient lors les chefs de cette faculté”. » Bref, la Sorbonne est ici représentée par une tête de bois et un blaireau ! 48 BM : pour (Les apothicaires fabriquent et administrent les clystères.) Les corrections des vers 98-101 reviennent à E. Philipot, p. 379, note 2. 49 BM : conuient (Il est demandé comment. Cette question imite le charabia franco-latin de la scolastique sorbonicole, qui n’est guère plus ridicule que le charabia inclusif de la Sorbonne actuelle. « Quæritur comment il y peut remédier. » Charles Loyseau.) 50 BM : quelque (Pertuis = anus. « Au derrière estoit encores un aultre pertuys. » Pantagruel, 15.) 51 Sur ce point. « Qu’en dictes-vous, sur ce passage ? » (La Confession Margot.) Nous avons là l’archétype des rimes équivoquées : « Tu voids bien que tu n’es pas saige/ D’estre tout nu en ce passaige. » Moralité du Lymon et de la Terre, T 19. 52 Celui qui fait le fou. « Fol qui follie, il n’est follet. » Le Prince et les deux Sotz. 53 Pour acquérir des biens : pour que je t’accorde une prime. 54 Par Dieu. Même euphémisme au vers 184. Cet aparté s’adresse au public. 55 Lessivé, fatigué. 56 BM : quel (Pour vous, c’est tout un, ou bien un chapelain. Il est question de ce chapelain aux vers 132 et 159.) 57 Le pelain est un bain de chaux vive destiné à faire tomber les poils qui restent sur le cuir. Au figuré : Vous êtes dans une situation délicate. « Brichemers est en mal pelain. » Godefroy. 58 C’est ce qu’on dit aux mourants : « Si près estes de vostre fin,/ Pensez de vostre conscience. » Le Testament Pathelin. 59 Et tes sarcasmes. Cf. la Pippée, vers 46, 481 et 770. 60 BM : a (Vous gagneriez des pardons, des indulgences.) 61 Si vous étiez confessé par. 62 BM : romme (En contradiction avec les 2 vers qui suivent. Notre éditeur lyonnais remplace trop souvent les toponymes normands par d’autres plus neutres.) Un jeune curé qui célèbre sa première messe accorde une indulgence plénière aux fidèles, afin de les attirer. « [Il] chante au jourd’huy sa première messe, à l’assistence de laquelle y a une infinité de grands pardons. » Antoine de Saint-Denis. 63 En voilà une bien bonne ! 64 Euphémisme pour « Dieu ». 65 Ce qui m’est dû. Il est d’usage qu’un mourant fasse un petit legs aux serviteurs, afin d’obtenir leurs prières et non leur malédiction. 66 C’est apparemment le nom du médecin. Non loin de là, en Picardie, un babau désigne un nigaud. 67 Le valet se précipite dans la rue. 68 Que par le cou. C’est le vers 366 de Pathelin, auquel notre auteur emprunte beaucoup. 69 BM : pas (Le valet ignore le chemin qui mène au presbytère. Nous sommes donc à une heure tardive où l’église est fermée : voir le vers 149.) 70 BM : Je y (Je vais en chercher un. « J’en voys chercher. » L’Arbalestre.) 71 Le fabricant de chausses guette les clients à la devanture de son atelier. Il est aussi sourd que le valet. Contrairement aux couturiers, et surtout aux savetiers, les chaussetiers n’ont pas fait carrière au théâtre ; on ne peut citer que celui des Deux jeunes femmes qui coifèrent leurs maris. 72 De marchandeurs, de clients. Cf. Cautelleux, Barat et le Villain, vers 252. 73 BM : Car (Refrains corrects aux vers 147 et 153.) 74 Qu’il me secoure : que Dieu me pardonne ! 75 Importante foire près de Rouen ; les artisans y achètent leurs fournitures au prix de gros. Guibray rime avec may, à la manière normande. 76 Le valet inverse encore les propositions (note 43) ; il veut dire : Indiquez-moi le presbytère où demeure le vicaire. Il commet le même cafouillage aux vers 255-6. 77 Qui veuille bien lui. 78 Le molequin, ou morquin, est un tissu précieux. Idem vers 238. 79 Il n’y a pas de blague. Les chaussetiers, comme les couturiers, prélèvent discrètement une « bannière », c.-à-d. un lambeau de l’étoffe payée par le client ; puis ils s’en servent pour se confectionner leurs propres habits. Pour une fois, le valet n’a pas été dur d’oreille. 80 Est de la même couleur, preuve qu’il l’a taillée dans le même tissu. 81 On met les draps sous presse afin de les rendre plus unis, mais pas trop longtemps pour ne pas les durcir. Idem vers 179. 82 Si le prêtre ne s’était pas levé aux aurores pour chanter les matines. C’est une moquerie des huguenots contre les moines : « De quoy servent tant de libelles,/ Tant en françoys comme en latin,/ Disant qu’on chante trop matin ? » La Bouteille. 83 Je lui aurais acheté une messe pour mon maître. Sur les ventes de messes — qui étaient aussi dans le collimateur des protestants —, voir la Seconde Moralité de Genève, vers 191-207. 84 De parole : auquel on peut se fier. 85 Comptant. « Tu seras/ Payé content. » L’Aveugle et Saudret. 86 Mon tissu a un grand lé, une grande largeur. 87 C’est mon dernier mot. « –Voulez-vous à ung mot ? –Ouy./ –Chascune aulne vous coustera/ Vingt-et-quattre solz. » Pathelin. 88 Bête (un marmot est un singe). « Je tiens qu’il faut estre marmot/ De vous aymer sans dire mot. » Adam Billaut. 89 Un professionnel travaille en priorité pour un client s’il lui offre à boire ou un pourboire. « Que je paye pinte ou chopine,/ Et que j’en aye pour mon argent ! » Tout-ménage. 90 « Deux jours entiers en vie ne sera. » (Octovien de Saint-Gelais.) Pour remplacer ce vers perdu, BM duplique le vers 193. 91 Trois quarts d’une aune. « Me fault .III. quartiers de brunette [drap]/ Ou une aulne. » Pathelin. 92 Des chausses trop serrées vous gêneraient. 93 Premièrement. 94 BM : esbatons. (Mettons-nous au travail.) Le chaussetier empoigne son aune, qui est une longue règle graduée. 95 Parce que je demande. 96 Les pages turbulents peuvent recevoir des coups de règle sur les fesses, comme les cancres : « Ilz font fouetter monsieur du paige. » (Pantagruel, 17.) Le valet s’éloigne. 97 Armé de son aune, le chaussetier emboîte le pas au valet, qui tente de le semer. 98 Ce n’est pas le médecin, qui s’appelle Jehan Babault ; c’est donc le valet. « Petit pinson » convient bien à une tête de linotte. 99 Que la dysenterie. 100 BM : est (S’il met encore plus de temps à revenir. « Mais où sont-y ? Il mectent trop ! » La Mère de ville.) 101 Il court de plus en plus vite pour échapper au chaussetier, qui lui colle au train en brandissant son aune. 102 Faite sur mesure. « J’ai chauces de Bruges faitices. » D’un mercier. 103 Pour le rythme, j’introduis un « e » svarabhaktique normanno-picard. « De ces choses n’ay jusques icy fet nulle poursuite, mès en atenderay leur plèsir. » Philippe de Commynes. 104 BM : Trefuez (Une injonction de cesser vos menaces. « [Si, en plaids] ou en assises, aucun demande à avoir trêves d’aucun, le juge doit contendre que donnés feussent. » ATILF.) 105 La demeure de votre maître. 106 De trop près. Le valet s’engouffre dans la maison et se jette aux pieds du goutteux, ou plutôt sur ses pieds ; le chaussetier fait de même. 107 Et je n’ai jamais pu. 108 Recommandés. Cf. Digeste Vieille, vers 474. 109 De douleur. « Vous souffez grant laidure,/ Grant peinne et doleur importune. » ATILF. 110 Faire bêler et paître quelqu’un : le traiter comme un mouton promis à l’abattoir. 111 Il laisse tomber son rouleau de drap sur les cuisses du goutteux. 112 Et surtout, pour que le chaussetier puisse détourner le plus d’étoffe possible à son profit. 113 Demain matin. Le chaussetier manipule sans douceur la jambe malade du goutteux. 114 Tu m’as donné le coup de grâce. « On me puist estraindre/ S’il n’est bien achevay de paindre ! » Le Dorellot. 115 BM : mõseigneur 116 BM : Pour perrin (En pourpre. « Une thunique de taffetas pourprin. » Jehan Lemaire de Belges.) 117 Un abcès au pied : le fait qu’on le crève explique la guérison miraculeuse du prétendu goutteux à la fin de la pièce. Le cas le plus connu d’une telle guérison est celui de la Papesse Jeanne, dont les protestants faisaient alors des gorges chaudes. 118 Même vers que 157, avec la même inversion des mots vicaire et presbytère. 119 BM : lourdaulx (Voir les vers 25 et 37.) Inscients = dépourvus de science, ignorants. Ce mot rime avec « cians », à la manière normande. 120 BM : qui vouldra. (Vers trop long et rime pauvre.) Dès à présent. Le valet comprend : Et là, des coupes (de vin) aurai déjà. 121 Jehan de Meung écrivait : « N’est si mal [mauvais] sourd comme cil qui ne veut ouïr goutte. » N’ouïr goutte résume bien cette farce. Le goutteux se lève, et chasse les deux sourds à coups de pied au derrière. 122 Supplyez (A suppléé la maladie, y a remédié. « Il vous fault un amy gaillard/ Pour supplier à l’escripture. » Frère Guillebert.) Le goutteux est guéri grâce au théâtre.
L’AVEUGLE ET LE BOITEUX
.
*
L’AVEUGLE ET
LE BOITEUX
*
.
Cette farce d’André (ou Andrieu) de La Vigne conclut son Mystère de saint Martin, dont fait aussi partie la farce du Munyer, à laquelle je renvoie pour de plus amples détails.
L’Aveugle et le Boiteux est en deux parties. La première est annoncée au folio 220 vº du Mystère, quand saint Martin, mourant, donne ses ultimes consignes. La marge porte : « Nota qu’en ce passage conviendra jouer la farce1. » La seconde partie se joue à la fin du Mystère, quand le corps du saint a été sorti de l’église : « Icy se mectent en ordre de procession lesdits moynes et tous les joueurs les [ungs] après les aultres, et s’en vont en chantant. »
Le thème de cette farce (comment échapper à un miracle pour ne pas avoir à travailler) sera repris et amplifié en 1565 dans un Mystère anonyme, l’Hystoire de la vie du glorieulx sainct Martin :
L’AVEUGLE Compagnon, je te veux compter :
Tout à cest heure, on doibt porter
Le corps de sainct Martin en terre.
Aller nous y fault à grand erre
Pour nous asseoir devant l’esglise ;
Là, mendiant à nostre guise,
Nous aurons (si on nous veult croire)
De l’argent pour largement boire.
LE CONTREFAIT Emporte-moy, par sainct Guérin,
Pour ne rancontrer en chemin
Son corps, lequel nous guériroit,
Ce que mal à point nous seroit.
De guérir je n’ay nul soucy !
L’AVEUGLE Par la chair bieu, ny moy aussi !
Au monde, n’a plus belle vie
Que le train de Bélîtrerie* : * Mendicité.
Car sans endurer nulz travaux*, * Nulle peine.
On y a de friandz morceaux
Et d’argent grande quantité.
LE CONTREFAICT J’ay prouffité, pour un esté,
Pour demander piteusement
Cent florins, que gorgiasement
J’ay mangés avec les filliettes.
L’AVEUGLE J’ay prouffité de presque aultant
En moins de cinq ou de six festes,
Que j’ay despendu quand et quand*, * Dépensé en même temps.
Et n’ay pas ung denier de restes.
Ilz rencontreront le corps de St Martin et seront guéris.
L’AVEUGLE Maudit soyt Dieu ! je voy tout clèr.
Le diable puisse l’emporter !
De Dieu à jamais soit maudit
Celluy qui par cy a conduict
Le corps du sainct homme Martin !
Maudit soit-il soir et matin !
À mes yeux a baillié clarté
Contre ma propre voulonté.
LE CONTREFAICT J’estois bossu, tortu, vousté ;
Et ores — dont je suys marry —
Maulgré mes dens*, je suys guéry. * Malgré moi.
Las ! je vivois sans travailler
De ce qu’on me venoit baillier ;
Je triomphois et faisois rage.
Ores, à sueur de visage,
En regret et mélancolie,
Il me fauldra gagner ma vie.
Car se veux aller demandant,
On me dira : « Allez, truand !
Travailliez pour havoir à vivre ! »
L’AVEUGLE Jamais je ne seray délivre
D’ennuy, car je n’ay pas courage
De m’adonner au labourage.
Car jusques icy, j’ay esté
Nourry en toute oisiveté.
LE CONTREFAICT Chantons doncques d’ung mesme accord
Nostre mal et griefz desconfort
Pour y donner quelque allégeance.
L’AVEUGLE Je veux bien, compagnon. Commence !
LE CONTREFAICT chante la chanson :
Ores, il fault qu’allie chantant :
« Adieu, adieu, Bellîtrerie,
Et à celle plaisante vie
Que nous avions en te suyvant !
Hélas ! avecques toy vivant,
Au cueur n’avions mélancolie.
Et bien peu rarement s’ennuye
Qui selon tes loix va vivant.
Bellistre n’a aulcunement
Ny son cueur, ny sa fantaisie
De regret et soulcy saisye
Si le bléd est gasté du vent.
Le bellistre se rassasie
Du bien d’aultruy joyeulsement.
Hélas, hélas, Bellîtrerie,
Doulce dame : à Dieu te commant* ! » * Je te recommande.
Il nous fauldra doresnavant
Travaillier comme des juïfz,
Et nous vivions auparavant
Gays et fallotz par tous les huys.
LE FOL Mes compagnons, il vous fault fère
— Pour parvenir à quelque honneur —
Ung chescung de vous secrétayre
Des gallères de Monseignieur :
Chescung de vous aura la plume* * Une rame.
De quinze piedz ou environ,
Pour escrire ainsi, de coustume,
De beaux cadeaux ou aviron.
Vous ne boirez que de vin blanc* * De l’eau.
Qui vous rendra le cueur très aise,
Et serez assis sur ung banc.
Vouldriez-vous mieux estre à vostre aise ?
Et lhorsque serez desgoustés
Fère le debvoir à la rame,
Vos espaules seront frottés
D’ung bon fouet à la bonne game.
Source : Ms. fr. 24332 de la Bibliothèque nationale de France, folios 234 rº à 240 vº. Cette pièce, copiée d’après le manuscrit original, est bourrée de fautes, contrairement au reste. Certains pensent qu’elle fut écrite pendant la représentation, pour conclure le spectacle à la place du Munyer, qu’on avait dû jouer au début à cause du mauvais temps. « Cette précipitation expliquerait que la copie de cette nouvelle farce ait été, elle aussi, faite hâtivement et que sa transcription soit çà et là hésitante. » (André Tissier, Recueil de farces, t. XI, Droz, 1997, p. 306.)
Structure : Rimes abab/bcbc, rimes plates, rimes fratrisées (vers 223-230).
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
.
*
L’AVEUGLE 2 SCÈNE I
L’aumosne au povre diséteux3
Qui jamais, nul jour, ne vit goucte !
LE BOITEUX
Faictes quelque bien au boiteux
Qui bouger ne peult, pour la goucte4 !
L’AVEUGLE
5 Hellas ! je mourray cy, sans doubte,
Pour la faulte d’un serviteur5.
LE BOITEUX
Cheminer ne puis, somme toute.
Mon Dieu, soyez-moy protecteur !
L’AVEUGLE
Hellas ! le mauvaix détracteur6
10 Qu’en ce lieu m’a laissé ainsi !
En luy n’avoye bon conducteur :
Robé m’a7, puis m’a planté cy.
LE BOITEUX
Hellas ! je suis en grant soucy,
Mèshouan8, de gaigner ma vie.
15 Partir je ne pourroye d’icy,
En eussé-je9 bien grant envie.
L’AVEUGLE
Ma povreté est assouvie10,
S’en brief temps ne treuve ung servant.
LE BOITEUX
Maleurté11 m’a si fort suyvye
20 Qu’à elle je suis asservant12.
L’AVEUGLE
Pour bon service desservant13,
Trouverai-ge poinct ung valet ?
Ung bon en eus en mon vivant14,
Qui jadis s’appelloit Gillet ;
25 Seur estoit15, combien qu’il fust let.
J’ay beaucoup perdu en sa mort.
Plaisant estoit et nouvellet16.
Mauldit[e] celle qui l’a mort17 !
LE BOITEUX
N’aurai-ge de nully confort18 ?
30 Ayez pitié de moy, pour Dieu !
L’AVEUGLE
Qui es-tu, qui te plains si fort ?
Mon amy, tire-t’en ce lieu19.
LE BOITEUX
Hellas ! je suis cy au millieu
Du chemin, où je n’ay puissance
35 D’aller avant. A ! sainct Mathieu,
Que j’ay de mal !
L’AVEUGLE
Viens, et t’avence
Par-devers moy : pour ta plaisance,
Ung petit nous esjoÿrons20.
LE BOITEUX
De parler tu as bien l’aisance21 !
40 Jamais de bien ne joÿrons.
L’AVEUGLE
Viens à moy ! Grant chière ferons,
S’il plaist à Dieu de Paradis.
À nully nous ne mesferons22,
Combien que soyons estourdis23.
LE BOITEUX
45 Mon amy, tu pers bien tes ditz24 :
D’icy bouger je ne sçauroye.
Que de Dieu soyent ceulx maulditz
Par qui je suis en telle voye25 !
L’AVEUGLE
S’à toy aller droit je povoye,
50 Contant seroye de te porter
– Au moins se la puissance avoye –
Pour ung peu ton mal supporter26.
Et toy, pour me réconforter,
Me conduyroye27 de lieux en lieux.
LE BOITEUX
55 De ce, ne nous fault depporter28 :
Possible n’est de dire mieulx.
L’AVEUGLE
À toy, droit m’en voys29, se je peulx.
Voi-ge bon chemin ?
LE BOITEUX
Oy, sans faille.
L’AVEUGLE 30
Pour ce que tomber je ne veulx,
60 À quatre piedz vault mieulx que j’aille.
Voi-ge bien ?
LE BOITEUX
Droit comme une caille31 !
Tu seras tantost devers moy.
L’AVEUGLE
Quant seray près, la main me baille32.
LE BOITEUX
Aussi ferai-ge, par ma foy.
65 Tu ne va[s] pas bien, tourne-toy.
L’AVEUGLE
Par-deçà ?
LE BOITEUX
Mais à la main destre33.
L’AVEUGLE
Ainsi ?
LE BOITEUX
Oy.
L’AVEUGLE
Je suis hors d’émoy34
Puisque je te tiens, mon beau maistre.
Or çà ! ve[u]ille-toy sur moy mectre :
70 Je croy que bien te porteray.
LE BOITEUX
Ad cella me fault entremectre35 ;
Puis apprès, je te conduyray.
L’AVEUGLE
Es-tu bien ?
LE BOITEUX
Oÿ, tout pour vray36.
Garde bien de me laisser choir !
L’AVEUGLE
75 Quant en ce poinct je le feray37,
Je pry Dieu qu’il me puist meschoir !
Mais conduys-moy bien.
LE BOITEUX
Tout pour voir ;
À cella, j’ay [fait le serment]38.
Tiens cecy39 ! Je feray debvoir
80 De te conduyre seurement.
L’AVEUGLE
A ! dea, tu poise40 grandement !
Dont vient cecy ?
LE BOITEUX
Chemine bien,
Et fais nostre cas sagement.
Entens-tu, hay ?
L’AVEUGLE
Oÿ, combien
85 Que trop tu poise[s].
LE BOITEUX
Et ! rien, rien :
Je suis plus légier c’une plume41,
Ventre bieu !
L’AVEUGLE
Tien-té bien [dru],42 tien,
Se tu veulx que je te remplume43.
Par le sainct44 sang bieu ! Onc enclume
90 De mareschal si trèspesante
Ne fut ! De grant chaleur je fume.
Dont vient cecy ?
LE BOITEUX
A ! je me vente
Que charge jamais plus plaisante
Ne fut au monde que tu as
95 Maintenant.
L’AVEUGLE
Mais plus desplaisante !
Trois moys y a que ne chyas !
LE BOITEUX
Mesdieux45 ! Quant de ce ralias46,
[Pource qu’en fus tousjours distraict47,]
Six jours a, par sainct Nycolas,
100 Que bien ne fus à mon retrect48.
L’AVEUGLE
Et ! m’av’ous joué de ce trect49 ?
Par mon serment ! vous descendrez
Et yrez faire aulcun pourtraict50
D’un estron où que vous vouldrez.
LE BOITEUX
105 Contant suis, pourveu qu’atendrez
Que venu soye.
L’AVEUGLE
Oÿ, oÿ.51
Sur ce poinct, le Boiteux descent.52 Et l’Official va
voir se les moynes dorment. Et quant les chanoynes
emportent le corps, ilz 53 recommancent à parler.
*
L’AVEUGLE 54 SCÈNE II
Que dit-on de nouveau ?
LE BOITEUX
Commant !
L’on dit des choses sumptueuses.
Ung sainct est mort nouvellement,
110 Qui fait des euvres merveilleuses :
Malladies les plus p[é]rilleuses
Que l’on sauroit pencer ne dire
Il guérist. S’elles55 sont joyeuses ?
Icy suis pour le contredire !
L’AVEUGLE
115 Commant cela ?
LE BOITEUX
Je n’en puis rire.
L’on dit que s’il passoit par cy,
Que guéry seroye tout de tire56 ;
Semblablement et vous aussi.
Venez çà : s’il estoit ainsi
120 Que n’eussions ne mal ne douleur,
De vivre aurions plus grant soucy
Que nous n’avons.
L’AVEUGLE
Pour le milleur57
Et pour nous oster de malleur,
Je diroye que nous aliss[i]ons58
125 Là où il est.
LE BOITEUX
Se j’estoye seur
Que de tout ne garississ[i]ons59,
Bien le vouldroye. Mais que feussions
De tout guéris, ryen n’en feray !
Trop myeulx vauldroit que fuÿssions60
130 Bien tost d’icy !
L’AVEUGLE
[Mais] dy-tu vray ?
LE BOITEUX
Quant seray gary, je mourray
De fain, car ung chascun dira :
« Allez ouvrer61 ! » Jamais n’yray
En lieu où celuy sainct sera.
135 S’en poinct suis62, l’on m’appellera
Truant63 en disant : « Quel paillart
Pour mectre en gallée64 ! Velle-là65,
Assez propre, miste66 et gaillart. »
L’AVEUGLE
Oncques ne vys tel babillart !
140 Je confesse que tu as droit :
Tu sces bien de ton babil l’art.
LE BOITEUX
Je ne vouldroye poinct aller droit67,
Ny aussi estre plus adroit
Que je suis, je le vous promectz.
L’AVEUGLE
145 Qu’aller là vouldroit se tordroit68.
Et pour tant69, n’y allons jamais.
LE BOITEUX
Se guéry tu estoye, je mectz
Qu’en brief70 courroucé en seroyes.
L’on ne te donroit, pour tous mectz,
150 Que du pain ; jamais tu n’auroyes
Rien de friant.
L’AVEUGLE
Mieulx j’ameroyes
Que grant maleurté me fust cheue71
Qu’au corps l’on m’ostast deux courroyes72,
Que ce qu’on m’eust rendu la veue !
LE BOITEUX
155 Ta bource seroit despourveue
Tantost d’argent.
L’AVEUGLE
Bien je t’en croys !
LE BOITEUX
Jamais jour ne seroit pourveue,
Ne n’y auroit pille ne crois73.
L’AVEUGLE
Mais dy-tu vray ?
LE BOITEUX
Oy, par la Croys !
160 Ainsi seroit que je devise74.
L’AVEUGLE
Jamais de rien ne te mescrois,
Quant pour mon grant bien tu m’avise.
LE BOITEUX
L’on m’a dit qu’il est en l’église ;
Aller ne nous fault celle part75.
L’AVEUGLE
165 Se là nous trouvons, sans faintise,
Le deable en nous auroit bien part !
Pause.76
LE BOITEUX
Tirons par-delà à l’escart.
L’AVEUGLE
Par où ?
LE BOITEUX
Par cy.
L’AVEUGLE
Légièrement77.
LE BOITEUX
Ma foy ! je seroye bien coquart78
170 S’à luy j’aloye79 présentement.
L’AVEUGLE
Allons !
LE BOITEUX
À quel part80 ?
L’AVEUGLE
Droictement
Où le gallant joyeux s’iverne81.
LE BOITEUX
Que82 vellà parlé saigement !
Où yrons-nous ?
L’AVEUGLE
En la taverne :
175 J’y vois83 bien souvant sans lanterne.
LE BOITEUX
Je te dis qu’aussi foy-ge84, moy,
Plus voluntiers qu’en la citerne
Qui est playne d’eau, par ma foy !
Allons acoup !
L’AVEUGLE 85
Escoute…
LE BOITEUX
Quoy ?
L’AVEUGLE
180 Cella qui mayne si grant bruyt.
LE BOITEUX
Se c’estoit ce sainct ?
L’AVEUGLE
Quel esmoy !
Jamais nous ne seryons en bruyt86.
Que puist-ce estre ?
LE BOITEUX 87
Chascun le suyt.
L’AVEUGLE
Regarde voir que ce puist estre.
LE BOITEUX
185 Maleurté de près nous poursuyt :
C’est ce sainct, par ma foy, mon maistre !
L’AVEUGLE
Fuyons-nous-en tost en quelque estre88 !
Hellas ! j’ay grant peur d’estre pris.
LE BOITEUX
Cachons-nous soubz quelque fenestre,
190 Ou au coing de quelque pourpris89.
Garde de choir !
L’AVEUGLE 90
J’ay bien mespris91,
D’estre tumbé si mal appoint !
[Tu fus sage quant tu me pris
Par le collet de mon pourpoint.]92
LE BOITEUX
195 Pour Dieu ! Qu’il ne nous voye poinct,
Car ce seroit trop mal venu !
L’AVEUGLE
De grant peur tout le cueur me poinct.
Il nous est bien mal advenu.
LE BOITEUX
Garde bien d’estre retenu93,
200 Et nous traynons soubz quelque vis94.
L’AVEUGLE (Nota qu’il est guary.)
À ce sainct suis bien entenu95 :
Las ! je voy ce qu’onques ne vis.
Bien sot estoie, je vous plévis96,
De m’estre de luy escarté.
205 Car rien n’y a (à mon advis)
Au monde qui vaille clarté.
LE BOITEUX 97
Le deable le puisse emporter,
Et qui luy scet ne gré ne grâce !
Je me fusse bien déporté98
210 D’estre venu en ceste place.
Las ! je ne sçay plus que je face99.
Mourir me conviendra de fain.
De dueil, j’en mâchure100 ma face.
Mauldit soit le filz de putain101 !
L’AVEUGLE
215 J’estoye bien fol, je suis certain,
D’ainsi foÿr102 la bonne voye,
Tenant le chemin incertain
Lequel, par foleur103, pris j’avoye.
Hellas ! le grant bien ne sçavoye
220 Que c’estoit de voir clèrement.
Bourgoigne104 voys, France, Sçavoye,
Dont Dieu remercye humblement.
LE BOITEUX
Or me va-il bien meschamment.
Meschant qui n’a d’ouvrer105 appris,
225 Pris est ce jour maulvaisement.
Maulvais suis d’estre ainsi surpris.
Seur106, pris seray, aussi repris,
Reprenant107 ma malle fortune.
Fortune108 ! Suis des folz compris109,
230 Comprenant ma grant infortune.
L’AVEUGLE
La renommée est si commune
De tes faitz, noble sainct Martin,
Que plusieurs gens viennent comme une
Merveille vers toy, ce matin.
235 En françoys, non pas en latin,
Te rens grâce de ce bienfait.
Se j’ay esté vers toy mutin110,
Pardon111 requiers de ce meffait.
LE BOITEUX
Puisque de tout je suis reffait112
240 Maulgré mes dens113 et mon visaige,
Tant feray que seray deffait
Encore ung coup de mon corsa[i]ge114.
Car je vous dis bien qu(e) encor sçai-ge
La grant pratique et aussi l’art,
245 Par oignement et par herbaige115,
Combien que soye miste et gaillart,
Qu(e) huy on dira que ma jambe art116
Du cruel mal de sainct Anthoyne.
Reluysant seray plus que lart117 :
250 Ad ce faire, je suis ydoyne118.
Homme n’aura qui ne me donne119
Par pitié et compassion.
Je feray120 bien de la personne
Playne de désolacion :
255 « En l’onneur de la Passion
(Dirai-ge), voyez ce povre homme,
Lequel, par grant extorcion121,
Est tourmenté vous voyez comme ! »
Puis diray que je viens de Romme ;
260 Que j’ay tenu prison en Acre122 ;
Ou que d’icy m’en vois, en somme,
En pèlerinage123 à Sainct-Fiacre.
*
1 Pour l’auteur, il s’agit donc bien d’une farce, et non d’une moralité, comme on nous le serine depuis le XIXe siècle. 2 Nous sommes à Candes-sur-Loire en 397. L’Aveugle mendie dans un coin de la scène, tandis que le Boiteux, qu’il ne connaît pas encore, mendie dans un autre coin. 3 Qui souffre de disette, de faim. L’aveugle et le boiteux du Mystère de saint Quentin, de Jehan Molinet, travaillent dans le même registre : « –Donnez l’aumosne au diséteux/ Qui n’a forme d’œil en sa face !/ –Donnez à ce povre boiteux/ Qui n’a jambe qui bien luy face ! » 4 À cause de la goutte. Ce nom englobe toutes sortes de maladies invalidantes. Cf. le Gouteux. 5 Faute d’avoir un serviteur. Tout ce début démarque celui de l’Aveugle et Saudret, que La Vigne avait dû lire dans l’édition récente d’Antoine Vérard. 6 Enjôleur qui… 7 Il m’a dérobé mon argent. Au théâtre, c’est le reproche – justifié – que font tous les aveugles à leur valet. 8 Désormais. 9 Même si j’en avais. 10 Sera complète. 11 Le malheur, la malchance. Idem vers 152 et 185. 12 Asservi. 13 Pour me rendre service. 14 J’en ai eu un seul de bon dans toute ma vie. 15 Il était sûr, fiable. Et tellement laid que même l’aveugle s’en est aperçu. 16 Naïf. Gillet (diminutif de Gilles) n’est pas le nom d’un valet naïf : celui du Mistère de la Saincte hostie engrosse une chambrière. 17 Celle qui l’a tué : la Mort. « Cil qui l’a mort/ Est évesque. » (ATILF.) Mais le public a pu comprendre « qui l’a mors » : la femme enragée qui l’a mordu. 18 Nul ne me réconfortera-t-il financièrement ? 19 Viens ici. 20 Nous nous réjouirons un peu. 21 Tu en parles à ton aise. 22 À nul homme nous ne ferons de tort. 23 Frondeurs. « Il est des folz acariâtres,/ Estourdis et opiniâtres. » Les Sobres Sotz. 24 Tes paroles, ta salive. 25 Maudits soient ceux qui m’ont déposé sur ce chemin (vers 34). 26 Alléger. 27 Tu me guiderais par la voix. C’est la parabole de l’aveugle et du paralytique. 28 Nous ne devons pas nous écarter de cette bonne idée. 29 Je vais. Idem vers 58, 61, 175, 261. 30 Il avance à quatre pattes vers le Boiteux. 31 Qui se jette dans le filet du chasseur. 32 Tends-moi la main. 33 Dextre : sur ta droite. 34 De danger. « Il nous ostera hors d’esmoy. » (Les Queues troussées.) « Vous rirez,/ Mais [pour peu] que vous soyez hors d’esmoy. » (Frère Phillebert.) 35 M’employer difficilement. L’infirme grimpe sur le dos de l’aveugle. 36 Pour tout vrai. Idem vers 77. 37 Si je le faisais. 38 Ms. : le fermement serement (« Serment » fait deux syllabes au vers 102.) 39 Appuie-toi sur ma béquille. 40 Tu pèses. Idem vers 85. 41 Ms. : enclume (À la rime du vers 89.) « Je suis ligier comme une plume. » Le Gaudisseur. 42 Tiens-toi bien fermement. « Tiens-té bien ferme ! » (Farce de Pathelin.) « Nous tenir drut et fort ensamble. » (ATILF.) 43 Que je t’aide à gagner de l’argent. 44 Ms. : saing 45 M’aid Dieu : que Dieu m’assiste ! 46 Quant à ce divertissement. 47 Dérangé par un passant. Il manque ici un vers, que je supplée. 48 Le retrait est le lieu où l’on se retire pour faire ses besoins. Cf. le Retraict. 49 Ce trait : m’avez-vous joué ce mauvais tour ? 50 Le moulage. 51 Il manque un vers en -drez, et un vers en -y. L’auteur n’a pas eu le temps d’intégrer parfaitement cette farce au Mystère (v. ma notice). 52 Il se traîne derrière un buisson pour déféquer. Il y reste jusqu’à la fin du Mystère, en écoutant ce que chuchotent les religieux qui passent près de lui sans le voir. 53 L’Aveugle et le Boiteux. Vers la fin du Mystère, l’Official endort « comme pourceaux » les moines qui veillent le corps de St Martin ; aidé par ses chanoines, il vole ledit corps pour aller l’inhumer à Tours. Nous arrivons au moment où les voleurs sortent avec le catafalque sur lequel repose le saint, qui en profite pour accomplir quelques miracles. « Les maladies fuyoient à la venue du corps sainct Martin, à Quande. » Tiers Livre, 47. 54 Le Boiteux étant de retour, il lui demande ce que disaient les religieux qui passaient près de lui. 55 Ms. : Celles (Si ses œuvres.) 56 Tout d’un coup. 57 Le meilleur parti à suivre. 58 Que nous allions, pour qu’il nous guérisse. Les 4 rimes sont en -sions. 59 Que nous ne guérissions pas de tout, qu’il nous laisse une petite infirmité pour apitoyer nos clients. 60 Que nous fuyions. 61 Œuvrer, travailler. Les mendiants valides étaient suspects ; voir la notice des Maraux enchesnéz. 62 Si je suis en bonne santé par sa faute. 63 Mendiant, avec une connotation péjorative. Voir l’Hystoire de la vie de sainct Martin dans ma notice. 64 On envoyait les vagabonds aux galères. En 1494 et 1495, La Vigne avait pu les voir à Naples, où il suivait Charles VIII. « Ilz sont en gallée, gallée,/ Les maraulx. » La Résurrection Jénin à Paulme. 65 Voyez-le là. 66 Fringant. Idem vers 246. 67 Marcher sans boiter. 68 Celui qui voudrait aller là où est ce saint ferait un grand détour. « Je me tordroye/ De beaucoup, à aler par là. » Farce de Pathelin. 69 Pour cette raison. 70 J’affirme que bien vite. 71 Ms. : dehue (Chue.) 72 J’aimerais mieux qu’il me soit arrivé le grand malheur qu’on m’ôte deux lanières de peau, plutôt qu’on m’ait rendu la vue. « Ils traisnèrent par la ville les corps du Connestable (…) & d’autres seigneurs, enlevèrent des couroyes de la peau de quelques-uns. » Pierre Coppin. 73 Ni côté pile, ni côté face : pas un sou. 74 Ce serait comme je te le dis. 75 De ce côté. 76 Le Boiteux remonte sur le dos de l’Aveugle. Ils s’éloignent de l’église. 77 Prestement. 78 Stupide. Cf. les Maraux enchesnéz, vers 116. 79 Si j’allais devant St Martin. 80 De quel côté ? 81 Là où le bon vivant passe l’hiver. Les tavernes sont chauffées. 82 Ms. : Je 83 J’y vais les yeux fermés. La phrase est comique parce qu’elle est dite par un aveugle. 84 Que je le fais aussi. 85 L’Aveugle a l’ouïe fine : il entend les chants liturgiques du cortège de St Martin, qui se rapproche dangereusement. 86 Nous perdrions notre réputation d’invalides. 87 Juché sur les épaules de l’Aveugle, il voit arriver la procession. 88 En quelque lieu. 89 Jardin. Cf. la Pippée, vers 21. En courant, l’Aveugle trébuche. 90 Il tombe, avec le Boiteux, qui s’accroche à son cou. 91 J’ai commis une belle erreur. 92 Ces deux vers manquent. J’emprunte le second aux Sotz triumphans. 93 Retardé. 94 Sous un escalier extérieur en colimaçon. Le cortège funèbre passe tout près des infirmes, et le facétieux Martin ne peut s’empêcher de les guérir. 95 Tenu : je lui ai des obligations. « Je suys entenu de faire honneur à mon cousin. » Godefroy. 96 Je vous le garantis. Cf. Maistre Mimin estudiant, vers 405. 97 Il est guéri lui aussi. 98 Je me serais bien passé. 99 Plus quoi faire. 100 J’en meurtris. 101 Le Boiteux fait comme les diables du Mystère, qui rappellent par cette injure que la mère* du saint a été infidèle au paganisme : « Ce paillardeau filz de putain, Martin. » « Ce ribauldeau Martin, filz de putain. » *On la surnommait « la Belle Hélène de Constantinople ». Dans le Mystère, son rôle fut tenu par Étienne Bossuet, l’arrière-grand-oncle de l’évêque. 102 De fuir ainsi. 103 Par folie. 104 Le Mystère et ses deux farces furent représentés à Seurre, en Bourgogne ; leur commanditaire était le gendre du duc de Savoie, le futur employeur de La Vigne. 105 D’œuvrer, de travailler. 106 C’est sûr. Le Grand Rhétoriqueur André de La Vigne n’a pas pu se retenir de caser ici des rimes fratrisées, ou enchaînées. 107 Ms. : Reprenanant (Maudissant ma mauvaise fortune.) 108 Invocation à la Fortune, qui personnifie le destin. « Fortune nous est bien contraire. » Les Maraux enchesnéz. 109 Je fais partie des fous. 110 Si je me suis mutiné contre toi. 111 Ms. : Parton 112 Je suis rétabli, guéri. 113 Malgré moi. Voir l’Hystoire de la vie de sainct Martin dans ma notice. 114 Que mon corps sera encore une fois maladif. « Un bœuf de grand corsage. » Godefroy. 115 Les mendiants se fabriquaient de faux abcès, gangrènes et autres maladies de peau grâce à des onguents et à certaines herbes. 116 Est enflammée par le feu de saint Antoine, l’érésipèle. 117 Mes jambes couvertes de fausses inflammations luiront comme du lard. 118 Expert. 119 Il n’y aura aucun homme qui ne me donne de l’argent. 120 Je contreferai. 121 Luxation d’un membre. Là encore, les truqueurs déployaient beaucoup d’imagination, et au bout du compte, se fatiguaient infiniment plus que s’ils avaient travaillé. 122 Qu’en tant que chrétien, j’ai été enfermé dans la citadelle de Saint-Jean-d’Acre par les Turcs. 123 Ms. : voyage (Ceux qui souffrent d’hémorroïdes font un pèlerinage au monastère de Saint-Fiacre-en-Brie.)