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LE GOUTEUX

British Library

British Library

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LE  GOUTEUX

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On pense que maître Mimin et Richard le Pelé, nommés uniquement dans la liste des personnages de cette farce rouennaise, sont les acteurs qui l’ont créée1. Les comédiens s’appropriaient parfois le nom du personnage qui était à l’origine de leur renommée ; par exemple, Pierre le Carpentier se rebaptisa « le Pardonneur » après avoir joué ce rôle dans la farce éponyme, et Pierre Gringore signait couramment « Mère Sotte2 », profitant du succès populaire de ce personnage dont il endossait le travesti. Nous ne savons rien de Richard le Pelé, mais il nous reste deux farces3 — elles aussi normandes — à la gloire de maître Mimin : Maistre Mymin qui va à la guerre, et Maistre Mimin estudiant. La présente pièce étant dépourvue de titre et ne comportant aucun maître Mimin, je l’intitule donc le Goutteux, en conformité avec les rubriques.

Sur l’usage que les farceurs faisaient des dialogues de sourds, voir le Sourd, son Varlet et l’Yverongne, le Marchant de pommes et les Miraculés.

Un valet croit soulager la crise de goutte de son maître en lui racontant les aventures de Gargantua. Il s’agit d’un des volets — d’ailleurs inconnu — des Chroniques gargantuines4, qui parurent sans doute à partir de 1526, et dont Rabelais s’inspira. Notons que dans son prologue de Pantagruel, le docteur Rabelais prescrit le même remède : « Mais que diray-je des pauvres véroléz et goutteux ? Toute leur consolation n’estoit que de ouÿr lire quelque page dudict livre [les Grandes et inestimables chronicques de l’énorme géant Gargantua]. Et en avons veu qui se donnoyent à cent pipes de vieulx diables en cas que ilz n’eussent senty allégement manifeste à la lecture dudict livre. »

Source : Recueil du British Museum, nº 35. Publié à Lyon, en la maison de feu Barnabé Chaussard, entre 1532 et 1550.

Structure : Rimes plates, avec 2 triolets. La versification est extrêmement soignée, malgré un grand nombre d’hiatus qu’on aurait pu combler sans difficulté.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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Farce nouvelle trèsbonne

et fort joyeuse

À troys personnaiges, c’est assavoir :

       [ LE  GOUTEUX,  Philipot 5

       SON  VARLET  SOURD,  Pinsonnet ]

       et  LE  CHAUSSETIER

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                        Cy commence  LE  GOUTEUX 6            SCÈNE  I

        Hé ! Dieu, hélas ! Mauldicte goutte,

        Qui7 tant mon povre cueur desgouste !

        Fault-il que par toy cy je meure ?

        Mon varlet, hau ! Vien çà ! Escouste :

5      Va moy quérir — quoy qu’il me couste —

        Ung médecin, et sans demeure8 !

                        LE  VARLET  SOURD

        Monsieur, quant la grappe fut meûre9,

        Incontinent l’on vendengea.

        Gargantua beut, et mengea

10    À son desjeuner seullement

        Douze-vingt miches de fourment10,

        Ung beuf, deux moutons et ung veau.

        Et si, a mis du vin nouveau,

        À deux petis traictz, dans sa trippe11 :

15    Deux poinçons avec une pipe12,

        En attendant qu’on deust disner13.

                        LE  GOUTEUX

        J’ay bien cause de m(e) indigner

        Contre toy, sourd de Dieu mauldit14 !

        Entens-tu point que15 je t’ay dit ?

20    Va moy chercher ung médecin,

        Ou me viens chauffer ung bacin16.

        Tant tu me faictz crier et braire !

                        LE  VARLET

        Mon serment ! j’en croy le libraire :

        Il m’a cousté six karolus17.

                        LE  GOUTEUX

25    Sourdault18, va quérir ung bolus

        Et ung cyrot bien délyé19 !

                        LE  VARLET

        J’en eusse prins ung relyé,

        Mais il eust cousté davantaige.

                        LE  GOUTEUX

        Faictz-moy faire quelque potaige20

30    Au médecin ! Entens-tu bien,

        Mon varlet sourd ? Va et revien !

        Auras-tu point l’esp(e)rit ouvert ?

                        LE  VARLET

        Vous voulez donc qu’il soit couvert

        De cuyr ou de fort parchemin ?

                        LE  GOUTEUX

35    Hélas ! je suis bien prins sans vert.

        Mourray-je icy, en [c]e termin21,

        Par ce meschant varlet sourdault ?

                        LE  VARLET

        Le libraire n’est point lourdault :

        Couvert sera mignonnement.

40    Tenez-vous tousjours chauldement,

        Car j’entens trèsbien vostre affaire.

        Et du livre laissez-moy faire :

        Vous en aurez du passetemps.

                        Vadit.22

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                        LE  GOUTEUX                                        SCÈNE  II

        De mourir icy je m’atens,

45    Car je n’ay plus sang ne couleur.

        Tu m’agraves bien ma douleur !

        Oncques pauvre paralitique23

        Ne fut tant que je suis éthique24.

        À crier je me romps la teste.

50    Hélas ! ung homme est bien beste

        Qui prent servant à sourde oreille ;

        C’est une teste nompareille,

        Et qui n’entend « ne my, ne gourd25 ».

        Que mauldit de Dieu soit le sourd,

55    Et qui oncques le m(e) adressa !

        Jamais que mal ne me brassa26.

        Il cognoist bien que suis malade,

        Et que nuyt et jour ne repose :

        Il me vient lyre une Balade !

60    Propos ne tient d’aulcune chose27.

        Ha, Nostre Dame de Briose28 !

        Je suis de luy mal rencontré29.

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                        LE  VARLET 30                                       SCÈNE  III

        Or çà ! il est tout acoustré,

        Vostre livre, [et] est bien empoint.

                        LE  GOUTEUX

65    Voyre bien, amaines-tu point

        De médecin pour mon affaire ?

                        LE  VARLET

        Il y a tousjours à reffaire !

        Comment ! est-il cousu trop large ?

        Vrayment, il est de bonne marge

70    Et [est] de belle impressïon.

                        LE  GOUTEUX

        Tant tu me faictz d’oppression !

        M’as-tu faict chauffer ung bassin ?

        Ouÿ dea31 ! Et de médecin ?

        (Autant entent l’ung32 comme l’autre.)

75    Si j’estois sain, t(u) yrois au peaultre33 !

        Sçaurois-tu barbier34 attrapper ?

        (Autant gaignerois à frapper

        Ma teste contre la muraille.)

                        LE  VARLET

        Il m’a cousté sept solz et maille35,

80    Car j’ay baillé demy trézain36,

        Deux solz tournois37 puis ung unzain :

        Autant le convint achapter38.

        Attendez, je m’en vois getter39 ;

        Ung, et deux, et trois : ce sont quatre.

85    Et puis il nous [en] fault rabatre40

        Justement toute la moytié.

        C’est le compte. Sans l’amytié41,

        Je ne l’eusse eu pour le pris.

                        LE  GOUTEUX

        C’est bien à propos entrepris42 !

90    Dieu me doint avoir patience !

                        LE  VARLET

        Il a du livre en la science43,

        À qui bien la sçauroit gouster.

        Or pensez, Maistre, d’écouster44,

        Et vous voirrez icy comment

95    Gargantua faict argument45,

        Lequel estoit bona46 quercus :

        Ung béd[o]uault47 a quinze culz ;

        Or, si par48 ung apoticaire

        Luy estoit baillé ung clistoire,

100  Queritur comment49, et par où ?

        Par quel50 pertuys ou [par] quel trou ?

        Que diriez-vous, sur ce passaige51 ?

                        LE  GOUTEUX

        Tu monstres que tu n’es pas saige.

        Ton livre et toy n’est que follie.

105  Il est plus que fol, qui follye52

        Avec toy. Pour bien conquérir53,

        Fuis-toy d’icy et va quérir

        Ung médecin ! Entens-tu bien ?

                        LE  VARLET

        (Qu’esse qu’il dict ? Qui en sçait rien ?

110  Par Dé54 ! à ce que je puis cognoistre,

        Je croy bien que ce soit le prestre

        Qu’il demande. À vostre advis ?)

        Ha ! j’entens tout vostre devis :

        Demandez-vous pas le curé ?

                        LE  GOUTEUX

115  Hée, Dieu, que je suis escuré55 !

        Nenny non : c’est l’apoticaire.

                        LE  VARLET

        Or bien : le curé ou vicaire,

        Ce vous est ung, ou56 chappelain.

        Vous estes en maulvais pelin57 :

120  Pensez de vostre conscience58.

                        LE  GOUTEUX

        Tu me fais perdre patience

        Par tes responces et lardons59.

                        LE  VARLET

        Ouÿ dea, il y eust60 pardons,

        Se estiez confèz à61 celuy

125  Lequel a chanté aujourd’huy,

        À Rouen62, sa première messe.

        Je le voys quérir, et promesse

        Vous fais qu’il viendra, si le treuve.

                        LE  GOUTEUX

        Voys-en cy une toute neufve63 !

130  Va-t’en, que bon gré en ayt bieu64 !

                        LE  VARLET

        (Trouver me fault en quelque lieu

        Ung chappellain soubdainement.)

        Si faictes quelque testament,

        N’oubliez pas ce qu’il m’est deû65.

                        LE  GOUTEUX

135  Si maistre Jehan Babault66 m’eust veu,

        Il me pourroit tout sain guarir ;

        Et de ma jambe oster le feu.

        Je te supplie, va le quérir !67

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        Hé ! Dieu me vueille secourir.                                   SCÈNE  IV

140  Je croy qu’il m’a bien entendu.

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                        LE  VARLET                                           SCÈNE  V

        Parmy le col68 je soys pendu

        Se je sçay par69 où ce peult estre

        Que je rencontreray ung prebstre,

        Lequel mon maistre ainsi demande.

145  Faire convient ce qu’il commande.

        J’en70 voys chercher tout à ceste heure.

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                        LE  CHAUSSETIER 71                          SCÈNE  VI

        Se ce drap icy me demeure,

        J’en feray des chausses pour moy.

        Plus ne vient marchant72, à ceste heure.

150  Si73 ce drap icy me demeure,

        Je prie Dieu qu’il me sequeure74 !

        Je l’acheptay à la Guibray75.

        Si ce drap icy me demeure,

        J’en feray des chausses pour moy.

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                        LE  VARLET                                           SCÈNE  VII

155  Hau, le chaussetier ! Dictes-moy

        Si m’enseignerez le vicaire

        Où demeure le presbitaire76

        (Que dis-je ?)  Où c’est que peult estre

        Ung bon chapellain pour mon maistre,

160  Qu’il luy pleust77 donner réconfort ?

                        LE  CHAUSSETIER

        Voylà bon drap : ung morquin78 fort,

        De la tainture de Paris.

                        LE  VARLET

        (Il dit vray, il n’y a pas ris79 :

        Sa robe [en] est de la couleur80.)

                        LE  CHAUSSETIER

165  J’en ay encores de meilleur

        Qui n’est point gros, ne trop pressé81.

                        LE  VARLET

        Il demande estre confessé

        Et ne peult venir à l’église.

                        LE  CHAUSSETIER

        Regardez quelle marchandise :

170  C’est ung fin drap comme satin.

                        LE  VARLET

        Dea ! s’il n’eust chanté si matin82,

        Je luy eusse faict avoir messe83.

                        LE  CHAUSSETIER

        Vous estes homme de promesse84,

        Mais je seray payé content85.

                        LE  VARLET

175  Sa douleur le va surmontant ;

        Empiré luy est aujourd’huy.

        Il fault que quelc’ung vienne à luy,

        Puisqu’il veult estre confessé.

                        LE  CHAUSSETIER

        Dictes-vous qu’il est trop pressé ?

180  Voyez qu’il a la lèse grande86.

                        LE  VARLET

        C’est ung prestre que je demande.

                        LE  CHAUSSETIER

        Je le vous dis, je le vous mande :

        Quarante solz, tout à ung mot87.

                        LE  VARLET

        Par Dé ! de ce, suis bien marmot88 :

185  Il n’entend pas ce que je dy.

                        LE  CHAUSSETIER

        Quant vous les aurez ? Samedy.

        Mais vous pay(e)rez ou pinte ou pot89.

                        LE  VARLET

        Qui c’est ? Mon maistre Philipot,

        [Qui ne vivra deux jours entiers.]90

                        LE  CHAUSSETIER

190  Il vous en fauldroit trois quartiers91 ;

        Aultrement, vous tiendroyent trop gourd92.

                        LE  VARLET

        (Mon serment ! je croy qu’il est sourd

        Comme moy.)  Adieu, teste dure !

                        LE  CHAUSSETIER

        Prendre fault, premier93, la mesure :

195  Qu’à besongner nous esbaton94 !

                        LE  VARLET

        Comment ! tendez-vous ung baston

        Sur moy pour demander95 ung prebstre ?

        Je m’en vois le dire à mon maistre !

        Cela debvez faire à ung paige96.

                        LE  CHAUSSETIER

200  Ce n’est donc pas pour vostre usaige ?

        Allons donc sa mesure prendre.97

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                        LE  GOUTEUX                                       SCÈNE  VIII

        Hélas ! j’ay beau icy attendre

        Pinsonnet98 ou l’apoticaire.

        Mon varlet ne me peult entendre.

205  Hélas ! j’ay beau icy attendre.

        Que la foyre99 le puisse prendre

        Tout royde de mort s’il met100 plus guère !

        Hélas ! j’ay beau icy attendre

        Pinsonnet ou l’apoticaire.

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                        LE  VARLET 101                                    SCÈNE  IX

210  En luy demandant ung vicaire

        Qui vînt mon maistre confesser,

        Voyez comme(nt) il me veult fesser !

        Je m’en plaindray à la Justice.

                        LE  CHAUSSETIER

        Si la chausse n’est bien faict[ic]e102,

215  J’en attend[e]ray103 le repro[u]che.

        Marche[z] devant !

                        LE  VARLET

                                         Dea, ne me touche !

        (Voicy ung sourd hors de raison.)

                        LE  CHAUSSETIER

        Bevrons-nous point, à la maison ?

        Ouÿ, puisque c’est pour le maistre.

                        LE  VARLET

220  Cité serez à comparoistre,

        À ma requeste, en jugement !

        Demain auray (par mon serment)

        Trefves104 de vous et asseurance !

                        LE  CHAUSSETIER

        Monstrez-moy tost la demeurance105,

225  Car j’ay haste de besongner.

                        LE  VARLET

        Ha ! je vous feray empoigner,

        Car vous me suyvez de trop court106.

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        Mon maistre, hau ! Voicy ung sourt                           SCÈNE  X

        Qui me veult battre et faire ennuy.

230  Et n’ay onc sceu107 sçavoir de luy

        Où est l’homme que demandez.

                        LE  GOUTEUX

        Au diable soyez commandéz108,

        Tant vous me faictes de laydure109 !

                        LE  CHAUSSETIER

        Prendre fauldroit vostre mesure ;

235  Çà, la jambe ! Bon soir, mon Maistre !

                        LE  GOUTEUX

        Tu me faictz bien besler et paistre110 !

        [Ha !] que mauldit soit le coquin !

                        LE  CHAUSSETIER 111

        Voicy la pièce de morquin

        De quoy bien je le[s] vous feray.

240  Mais, Monsïeur, je vous diray :

        Vostre varlet ne m’entent pas.

                        LE  GOUTEUX

        (Bien voy que suis à mon trespas.)

        Ce n’est pas ce que je demande !

                        LE  CHAUSSETIER

        Une chausse doibt estre grande,

245  Pour y entrer plus à son ayse112.

        Çà, la jambe ! Ne vous desplayse :

        Elles seront prestes matin113.

                        LE  GOUTEUX

        À l’ayde !! Larron !! Chien mastin !!

        Tu m’as bien achevé de paindre114.

                        LE  CHAUSSETIER

250  Le drap, Monsieur115 ? Je l’ay faict taindre

        [En beau pourprin]116, sans faulte nulle.

                        LE  GOUTEUX

        Hélas ! j’avoy icy la mulle117,

        Que ce larron m’a faict seigner.

                        LE  VARLET

        Il ne m’a voulu enseigner

255  La maison, aussi le vicaire

        Où demeure le presbitaire118

        Que vous [me] demandez ainsi.

                        LE  CHAUSSETIER

        Dea ! je fourniray bien aussi

        De doubleure, cela s’entend.

                        LE  VARLET

260  Ma foy, mon Maistre : il prétend

        Tirer de vous je ne sçay quoy.

        Voyre, et ce congnoist autant

        En médecine comme moy.

                        LE  GOUTEUX

        Que j’ay soulcy et grant esmoy

265  Par ces deux sourdaulx119 inscïens !

        Allez-vous-en hors de cëans,

        Que jamais je ne vous revoye !

                        LE  CHAUSSETIER

        Je borderay ung peu la braye

        Et la découperay [dès jà]120.

                        LE  VARLET

270  Par ma foy ! vous n’en bevrez jà,

        Puisque vous m’avez voulu battre.

                        LE  GOUTEUX

        La malle mort vous puisse abatre

        Sans que puissez avoir secours !

        Il n’est point de plus maulvais sours

275  Que ceulx qui ne veullent ouÿr121.

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        Messeigneurs : pour vous resjouyr,

        Oyons tous [que] la comédye

        Supplyé122 a la maladie.

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                                        FINIS

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1 Voir notamment Bernard FAIVRE : Répertoire des farces françaises, 1993, note de la p. 242.   2 Voir son Jeu du Prince des Sotz et Mère Sotte.   3 Nous avons perdu le Testament maistre Mymin, que mentionne le Vendeur de livres : c’était peut-être une œuvre dramatique, comme le Testament Pathelin.   4 Voir Abel LEFRANC : Œuvres de François Rabelais, t. 1, 1913, pp. XXXII-XXXV. La Mère de ville, une autre farce normande, contemporaine de la nôtre, évoque les aventures de Gargantua aux enfers, qui appartenaient sans doute au même livre perdu. Voir André TISSIER : Recueil de farces, t. 5, 1989, p. 68.   5 C’est le nom que lui attribue le vers 188. Le nom du valet se lit au vers 203. À des fins publicitaires, l’éditeur introduit dans ces deux lignes les noms des comédiens, qui ne figurent nulle part dans le texte : Maistre Mimin le gouteux. / Son varlet Richard lepele sourd.   6 « Celui-ci est assis dans une sorte de fauteuil, une couverture lui couvrant les jambes (voir v. 40). » <A. Tissier, p. 79.> Son valet sourd lui résume un exemplaire broché des Chroniques gargantuines.   7 BM : Que  (Qui ôtes à mon cœur le goût de vivre.)   8 Sans tarder.   9 Mûre. Les Chroniques gargantuines font une large place au vin.   10 240 pains de froment.   11 Et aussi, en deux petites gorgées, il a mis du vin nouveau dans son intestin. Du côté de Caen, les chansons à boire cuisinent le mot tripe [intestin] à toutes les sauces : « Ceux qui breuvage d’eau/ Ne mettent dans leur trippe. » (Vaux de Vire.) « De sidre et de bon vin ils se lavaient la trippe. » (Muse normande.)   12 Deux tonneaux et une barrique.   13 Qu’il soit l’heure de dîner. Cette tirade rappelle les vers 139-145 des Vigilles Triboullet.   14 Les infirmités sont vues comme une malédiction divine.   15 Ce que.   16 Une bassinoire de cuivre dans laquelle on dépose des braises et dont on se sert pour « bassiner » le lit ou, en l’occurrence, pour se chauffer les pieds. Idem vers 72. La chaleur était le seul traitement contre la goutte : « Il n’a garde de sentir goute :/ Il est fourré bien chauldement. » (Le Mince de quaire.) Voir le vers 40.   17 60 deniers. Les valets de farces profitent du handicap de leur maître pour l’escroquer : voir par exemple l’Aveugle et Saudret.   18 Sourdingue. Idem vers 37 et 265. Cf. le Sourd, son Varlet et l’Yverongne, vers 87. Le bolus est l’ancêtre de la gélule : « Un homme de quarante ans contracta une chaude-pisse par un atouchement impur. Je lui ordonay au commencement un bolus d’une once de casse avec une dragme de rhubarbe pulvérisée, & autant de cristal de tartre. » François de Boze.   19 Un sirop bien fin.   20 Un bouillon curatif. « En après, donnoit un potaige d’alica [de semoule]. Ces trois remèdes souffisent (…) pour la cure des maladies aguës. » Jehan Canappe.   21 En cet instant. « Véchi grant larrechin/ Que par che chevalier m’avient, en ce termin. » Bauduin de Sebourc.   22 Il s’en va (chez le relieur).   23 Certaines paralysies passaient pour une forme de goutte. L’Aveugle et le Boiteux nous montre un paralytique « qui bouger ne peult pour [à cause de] la goucte ».   24 Ne fut étique [maigre] autant que je le suis.   25 Ni nuit, ni jour. Le goutteux imite la manière dont son valet déforme ses propos.   26 Il ne me mijota jamais que du mal.   27 Il n’a aucune suite dans les idées.   28 De Briouze, en Normandie.   29 Malencontré : mal loti.   30 Il revient de chez le relieur.   31 Cause toujours ! « Me parlez-vous de marier ?/ Ouy dea ! » Le Povre Jouhan.   32 BM : lune  (Je mets entre parenthèses tous les apartés qui s’adressent au public.)   33 Au diable. Cf. Beaucop-veoir, vers 222.   34 Les barbiers pratiquent certains actes médicaux simples.   35 7 sous et 1 centime. Le valet gonfle la facture ; à titre de comparaison, dans l’Homme à mes pois, 13 kg de pois coûtent 7 sous et 1 denier.   36 Le treizain est difficilement divisible par 2. L’embrouillamini monétaire auquel se livre le valet n’a d’autre but que de dissimuler ses prévarications. « Dix-sept solz et un onzain, et vingt-et-cinq solz moings un trézain, combien vallent-ils ? » Bonaventure Des Périers.   37 BM : et trois  (2 sous du monnayage de Tours. « Un cent de souz tournoix. » Le Poulier à sis personnages.)  Le onzain vaut 10 deniers : notre mal-entendant improvise des chiffres qui dépassent… l’entendement.   38 Il a fallu que je l’achète à ce prix-là.   39 Je vais calculer avec des jetons. « Compter et gecter soubz maistre Jehan Blondel, singulier arisméticien. » (ATILF.) Mais on se demande si le valet ne fait pas rouler trois dés par terre : « Ung homme a getté troys déz. » (ATILF.)   40 Soustraire. « Vous comptez sans rabatre. » Farce de Pathelin.   41 BM : lamoytie  (Si je n’avais pas été un ami du relieur, je ne l’aurais jamais eu à un si bon prix.)   42 BM : ilz sont prins  (Voilà qui est fait au bon moment ! « Sur ma foy, c’est bien à propos ! » Jénin filz de rien.)   43 Le valet, qui a tendance à inverser les propositions (v. la note 76), a voulu dire : Il y a de la science dans ce livre. Le prologue de Gargantua parlera de « substantificque mouelle ».   44 BM : degouster  (D’écouter ma lecture. François Ier se faisait lire Rabelais à haute voix.)   45 Les arguments sont les sophismes qu’égrènent les professeurs de logique : cf. les Femmes qui aprennent à parler latin, vers 354-7. Ce passage égratigne l’enseignement sclérosé que dispensait la faculté de théologie de la Sorbonne. Voir Emmanuel PHILIPOT : Revue des Études Rabelaisiennes, t. 9, 1911, pp. 378-9.   46 BM : bonum  (Son argument était solide comme un bon chêne. Quercus est féminin.)  Pietro Bembo créa ce calembour étymologique dans son éloge du pape Jules II, qui s’appelait della Rovere [du chêne] : « Bona quercus honores. » Cette lourde flatterie était connue en France : Du Bellay en enduira l’évêque Jérôme de la Rovère en 1559. Emmanuel Philipot <pp. 382-3> ignorait ces éléments, mais il a pu établir que le « Chêne » dont se moque notre farce est Guillaume Du Chesne, un très rétrograde docteur en Sorbonne que la Farce des Théologastres surnomme « la maxima Quercus » [la grandissime Du Chesne].   47 Un blaireau. « Ces manteaulx de loup et de bédouault. » (Rabelais, Quart Livre, 24.) Un blaireau doté de 15 anus et un donneur de clystères figuraient donc dans cet épisode des Chroniques gargantuines ; on regrette vivement qu’il soit perdu ! Philipot <pp. 382-4> identifie ce bédouault à Noël Béda, syndic de la Sorbonne. Il nous dit que le calviniste Théodore de Bèze, « parlant des deux docteurs Quercus et Béda, les appelle ‟deux grosses bestes qui estoient lors les chefs de cette faculté”. » Bref, la Sorbonne est ici représentée par une tête de bois et un blaireau !   48 BM : pour  (Les apothicaires fabriquent et administrent les clystères.)  Les corrections des vers 98-101 reviennent à E. Philipot, p. 379, note 2.   49 BM : conuient  (Il est demandé comment. Cette question imite le charabia franco-latin de la scolastique sorbonicole, qui n’est guère plus ridicule que le charabia inclusif de la Sorbonne actuelle. « Quæritur comment il y peut remédier. » Charles Loyseau.)   50 BM : quelque  (Pertuis = anus. « Au derrière estoit encores un aultre pertuys. » Pantagruel, 15.)   51 Sur ce point. « Qu’en dictes-vous, sur ce passage ? » (La Confession Margot.) Nous avons là l’archétype des rimes équivoquées : « Tu voids bien que tu n’es pas saige/ D’estre tout nu en ce passaige. » Moralité du Lymon et de la Terre, T 19.   52 Celui qui fait le fou. « Fol qui follie, il n’est follet. » Le Prince et les deux Sotz.   53 Pour acquérir des biens : pour que je t’accorde une prime.   54 Par Dieu. Même euphémisme au vers 184. Cet aparté s’adresse au public.   55 Lessivé, fatigué.   56 BM : quel  (Pour vous, c’est tout un, ou bien un chapelain. Il est question de ce chapelain aux vers 132 et 159.)   57 Le pelain est un bain de chaux vive destiné à faire tomber les poils qui restent sur le cuir. Au figuré : Vous êtes dans une situation délicate. « Brichemers est en mal pelain. » Godefroy.   58 C’est ce qu’on dit aux mourants : « Si près estes de vostre fin,/ Pensez de vostre conscience. » Le Testament Pathelin.   59 Et tes sarcasmes. Cf. la Pippée, vers 46, 481 et 770.   60 BM : a  (Vous gagneriez des pardons, des indulgences.)   61 Si vous étiez confessé par.   62 BM : romme  (En contradiction avec les 2 vers qui suivent. Notre éditeur lyonnais remplace trop souvent les toponymes normands par d’autres plus neutres.)  Un jeune curé qui célèbre sa première messe accorde une indulgence plénière aux fidèles, afin de les attirer. « [Il] chante au jourd’huy sa première messe, à l’assistence de laquelle y a une infinité de grands pardons. » Antoine de Saint-Denis.   63 En voilà une bien bonne !   64 Euphémisme pour « Dieu ».   65 Ce qui m’est dû. Il est d’usage qu’un mourant fasse un petit legs aux serviteurs, afin d’obtenir leurs prières et non leur malédiction.   66 C’est apparemment le nom du médecin. Non loin de là, en Picardie, un babau désigne un nigaud.   67 Le valet se précipite dans la rue.   68 Que par le cou. C’est le vers 366 de Pathelin, auquel notre auteur emprunte beaucoup.   69 BM : pas  (Le valet ignore le chemin qui mène au presbytère. Nous sommes donc à une heure tardive où l’église est fermée : voir le vers 149.)   70 BM : Je y  (Je vais en chercher un. « J’en voys chercher. » L’Arbalestre.)   71 Le fabricant de chausses guette les clients à la devanture de son atelier. Il est aussi sourd que le valet. Contrairement aux couturiers, et surtout aux savetiers, les chaussetiers n’ont pas fait carrière au théâtre ; on ne peut citer que celui des Deux jeunes femmes qui coifèrent leurs maris.   72 De marchandeurs, de clients. Cf. Cautelleux, Barat et le Villain, vers 252.   73 BM : Car  (Refrains corrects aux vers 147 et 153.)   74 Qu’il me secoure : que Dieu me pardonne !   75 Importante foire près de Rouen ; les artisans y achètent leurs fournitures au prix de gros. Guibray rime avec may, à la manière normande.   76 Le valet inverse encore les propositions (note 43) ; il veut dire : Indiquez-moi le presbytère où demeure le vicaire. Il commet le même cafouillage aux vers 255-6.   77 Qui veuille bien lui.   78 Le molequin, ou morquin, est un tissu précieux. Idem vers 238.   79 Il n’y a pas de blague. Les chaussetiers, comme les couturiers, prélèvent discrètement une « bannière », c.-à-d. un lambeau de l’étoffe payée par le client ; puis ils s’en servent pour se confectionner leurs propres habits. Pour une fois, le valet n’a pas été dur d’oreille.   80 Est de la même couleur, preuve qu’il l’a taillée dans le même tissu.   81 On met les draps sous presse afin de les rendre plus unis, mais pas trop longtemps pour ne pas les durcir. Idem vers 179.   82 Si le prêtre ne s’était pas levé aux aurores pour chanter les matines. C’est une moquerie des huguenots contre les moines : « De quoy servent tant de libelles,/ Tant en françoys comme en latin,/ Disant qu’on chante trop matin ? » La Bouteille.   83 Je lui aurais acheté une messe pour mon maître. Sur les ventes de messes — qui étaient aussi dans le collimateur des protestants —, voir la Seconde Moralité de Genève, vers 191-207.   84 De parole : auquel on peut se fier.   85 Comptant. « Tu seras/ Payé content. » L’Aveugle et Saudret.   86 Mon tissu a un grand lé, une grande largeur.   87 C’est mon dernier mot. « –Voulez-vous à ung mot ? –Ouy./ –Chascune aulne vous coustera/ Vingt-et-quattre solz. » Pathelin.   88 Bête (un marmot est un singe). « Je tiens qu’il faut estre marmot/ De vous aymer sans dire mot. » Adam Billaut.   89 Un professionnel travaille en priorité pour un client s’il lui offre à boire ou un pourboire. « Que je paye pinte ou chopine,/ Et que j’en aye pour mon argent ! » Tout-ménage.   90 « Deux jours entiers en vie ne sera. » (Octovien de Saint-Gelais.) Pour remplacer ce vers perdu, BM duplique le vers 193.   91 Trois quarts d’une aune. « Me fault .III. quartiers de brunette [drap]/ Ou une aulne. » Pathelin.   92 Des chausses trop serrées vous gêneraient.   93 Premièrement.   94 BM : esbatons.  (Mettons-nous au travail.)  Le chaussetier empoigne son aune, qui est une longue règle graduée.   95 Parce que je demande.   96 Les pages turbulents peuvent recevoir des coups de règle sur les fesses, comme les cancres : « Ilz font fouetter monsieur du paige. » (Pantagruel, 17.) Le valet s’éloigne.   97 Armé de son aune, le chaussetier emboîte le pas au valet, qui tente de le semer.   98 Ce n’est pas le médecin, qui s’appelle Jehan Babault ; c’est donc le valet. « Petit pinson » convient bien à une tête de linotte.   99 Que la dysenterie.   100 BM : est  (S’il met encore plus de temps à revenir. « Mais où sont-y ? Il mectent trop ! » La Mère de ville.)   101 Il court de plus en plus vite pour échapper au chaussetier, qui lui colle au train en brandissant son aune.   102 Faite sur mesure. « J’ai chauces de Bruges faitices. » D’un mercier.   103 Pour le rythme, j’introduis un « e » svarabhaktique normanno-picard. « De ces choses n’ay jusques icy fet nulle poursuite, mès en atenderay leur plèsir. » Philippe de Commynes.   104 BM : Trefuez  (Une injonction de cesser vos menaces. « [Si, en plaids] ou en assises, aucun demande à avoir trêves d’aucun, le juge doit contendre que donnés feussent. » ATILF.)   105 La demeure de votre maître.   106 De trop près. Le valet s’engouffre dans la maison et se jette aux pieds du goutteux, ou plutôt sur ses pieds ; le chaussetier fait de même.   107 Et je n’ai jamais pu.   108 Recommandés. Cf. Digeste Vieille, vers 474.   109 De douleur. « Vous souffez grant laidure,/ Grant peinne et doleur importune. » ATILF.   110 Faire bêler et paître quelqu’un : le traiter comme un mouton promis à l’abattoir.   111 Il laisse tomber son rouleau de drap sur les cuisses du goutteux.   112 Et surtout, pour que le chaussetier puisse détourner le plus d’étoffe possible à son profit.   113 Demain matin. Le chaussetier manipule sans douceur la jambe malade du goutteux.   114 Tu m’as donné le coup de grâce. « On me puist estraindre/ S’il n’est bien achevay de paindre ! » Le Dorellot.   115 BM : mõseigneur   116 BM : Pour perrin  (En pourpre. « Une thunique de taffetas pourprin. » Jehan Lemaire de Belges.)   117 Un abcès au pied : le fait qu’on le crève explique la guérison miraculeuse du prétendu goutteux à la fin de la pièce. Le cas le plus connu d’une telle guérison est celui de la Papesse Jeanne, dont les protestants faisaient alors des gorges chaudes.   118 Même vers que 157, avec la même inversion des mots vicaire et presbytère.   119 BM : lourdaulx  (Voir les vers 25 et 37.)  Inscients = dépourvus de science, ignorants. Ce mot rime avec « cians », à la manière normande.   120 BM : qui vouldra.  (Vers trop long et rime pauvre.)  Dès à présent. Le valet comprend : Et là, des coupes (de vin) aurai déjà.   121 Jehan de Meung écrivait : « N’est si mal [mauvais] sourd comme cil qui ne veut ouïr goutte. » N’ouïr goutte résume bien cette farce. Le goutteux se lève, et chasse les deux sourds à coups de pied au derrière.   122 Supplyez  (A suppléé la maladie, y a remédié. « Il vous fault un amy gaillard/ Pour supplier à l’escripture. » Frère Guillebert.)  Le goutteux est guéri grâce au théâtre.

LUCAS SERGENT

Manuscrit La Vallière

Manuscrit La Vallière

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LUCAS  SERGENT

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Cette farce normande fut composée vers 1519. Son « héros » exerce la profession peu recommandable de sergent, ce qui lui vaut le surnom de Lucas Sergent. Aujourd’hui encore, ce patronyme est porté par des personnes dont un lointain ancêtre était sergent.

Le premier vers évoque une ordonnance royale appliquée à la Normandie en 1518, laquelle confirme plusieurs ordonnances antérieures qui, comme d’habitude, n’avaient pas été suivies d’effet : « En relevant nostre peuple des griefs, exactions & vexations qu’ils ont souffert & souffrent à cause de la multitude des sergens extraordinaires qui sont en nostre pays de Normandie, avons ordonné & ordonnons que le nombre ancien de nosdits sergens par les Bailliages, Vicomtéz & Jurisdictions de nostre pays de Normandie sera réduit & remis, en rejettant tous autres sergens extraordinaires outre ledit nombre, pourveu que ceux qui demeureront esdits Offices de sergent seront de bonne & honneste vie, & sçauront lire & escrire. » Inutile de préciser que notre Lucas ne fait pas partie des sergents « de bonne et honnête vie » qui ont été gardés, même s’il porte encore les attributs de son ancienne profession.

Se rendant compte qu’une seule anecdote n’eût pas rempli les 300 vers réglementaires, l’auteur anonyme de la farce a combiné deux histoires qui circulaient depuis longtemps. Après tout, l’auteur de Sœur Fessue n’a pas fait autre chose. Je n’énumérerai pas les œuvres latines, italiennes ou françaises qui, depuis le XIIe siècle1, ont popularisé la deuxième de ces histoires2 ; les curieux consulteront la préface des éditions Fournier, Mabille et Tissier, ou le Répertoire de Petit de Julleville. Pour le moins, l’auteur connaissait forcément la version qui se trouve dans les Cent Nouvelles nouvelles, et que je publie sous la farce à titre de comparaison.

Lucas le borgne inspira un proverbe : « “Au cas que Lucas n’ait qu’un œil, sa femme espousera un borgne.” C’est une raillerie vulgaire [populaire] dont on se sert lorsque quelqu’un entame un discours par ces mots : au cas que. » (Antoine Oudin, Curiositéz françoises, 1640.) Ce proverbe fut assez durable pour avoir les honneurs du dictionnaire de Furetière en 1690.

Source : Manuscrit La Vallière, nº 53. Cette farce est d’un grand intérêt pour les amateurs de patois normand.

Structure : Rimes plates.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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Farce nouvelle

À .IIII. personnaiges, c’est asçavoir :

       LUCAS  SERGENT,  bouéteulx3 et borgne

       LE  BON  PAYEUR

       et  [AMELINE  FINE]4,   femme du sergent

       et  LE   VERT  GALANT

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                        LUCAS  commence                                 SCÈNE  I

        Puysque sergens ne font plus rien,

        Y me fault chercher le moyen

        De trouver quelque vielle amende

        À mon roulle5 ; g’y ay atente,

5      Il est [bien] vray, par sainct Saulveur6 !

        Mort bieu ! voicy ce Bon Payeur7

        Qui me doibt, il y a long temps8,

        Cinquante [escus] ; dont je prétemps

        Luy9 mectre en son colet la main.

10    Tousjours, de demain en demain,

        Me baille [jour10] pour me bien tenir11 ;

        Mais ce demain, ne peult venir.

        Ce n’est c’un menteur ordinaire.

        Quel remède ? Il est nécessaire

15    Que je le prenne au sault du lict :

        G’y voys12.

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                        [LE  BON  PAYEUR]                            SCÈNE  II

                             A ! mort bieu, quel déduict13 !

        Est-il heure de se lever ?

                        [LUCAS  SERGENT]

        Or sus ! Me veulx-tu poinct payer

        Cest[e] amende que tu me doibtz ?

                        LE  BON  PAYEUR

20    Lucas le borgne ? Hélas ! tu voys

        Que je me lève. Et ! mon amy,

        Je suys encor tant14 endormy

        Que je ne sçay où est ma bource.

        Ce seroyt chose bien rebource15

25    De bailler argent sy matin.

        Mais te16 donray d’un pot de vin

        Tantost, et d’un petit pasté.

                        LUCAS  SERGENT

        Vray Dieu, tant tu es enhasté17 !

        Tu ne traches18 qu’eschapatoyre.

                        LE  BON  PAYEUR

30    Tu voys : pas ne suys prest encoyre19.

        Au moingtz, lesse-moy habiller.

                        LUCAS

        Sy tu ne veulx argent bailler,

        La mort bieu, je prendray des nans20 !

        Te veulx-tu moquer des sergans21,

35    Qui sont les oficiers du Roy ?

                        LE  BON  PAYEUR 22

        Monsieur, nénin, dea, par ma foy,

        Monsieur le sergant ! Mais, de faict,

        Y me fault aler au retraict23 ;

        Par quoy, voulez24 vous retirer.

40    Et puys nous yrons desjuner ;

        Et là, je vous contenteray.

                        LUCAS

        Retirer ? Par Dieu ! non feray

        Jusqu(e) à tant que tu m[’ay]es payé.

                        LE  BON  PAYEUR

        An ! j’ey le ventre desvoyé25.

45    Retirez-vous, sergant à mache26 !

                        LUCAS

        Se tu debvoys faire27 en la place,

        Je ne me retireray poinct.

                        LE  BON  PAYEUR

        An ! vray Dieu, le ventre m’espoinct

        D’une sorte mauvaise et faulce28.

50    Vous me ferez faire en ma chausse29 ;

        Ce ne seroyt pas chose honneste.

        De vous tirer vous admonneste30.

        Et je promais vous advertir

        D’une chose, [avant de partir]31,

55    [Qui vous tient au cœur32.]

                        LUCAS  SERGENT

                                                   Et de quoy,

        Bon Payeur, [de quoy] ?

                        LE  BON  PAYEUR

                                                Par ma foy !

        Guétez-vous33, monsieur le sergant.

                        LUCAS

        De qui « guéter » ?

                        LE  BON  PAYEUR

                                        Du Vert Galant34,

        Car il entretient Ameline,

60    Qui est  ta femme.

                        LUCAS  SERGENT

                                       Saincte Katherine !

        J’en ay ouÿ parler, beau sire.

        À d’aultres35 !

                        LE  BON  PAYEUR

                                Dea ! j’ose bien dire

        Qu’il [l’]entretient, je le sçay bien.

                        LUCAS

        Sy croi-ge, moy, qu’i n’en soyt rien,

65    Car ma femme ne daigneroyt36.

                        LE  BON  PAYEUR

        Daigner ? Bo, bo ! qui s’y firoyt37,

        Le danger n’en seroit jà mendre38.

                        LUCAS

        Sy suis-je assez fin pour entendre

        Le cas : pas ne suys sy bémy39.

                        LE  BON  PAYEUR

70    Le cas40 ? Tu n’y voys qu’à demy ;

        Tu es borgne, et sy, es bouéteulx41.

                        LUCAS

        Myeulx voys d’un œuil que toy de deulx.

        Je me tien tousjours sus mes gardes.

                        LE  BON  PAYEUR

        C’est pour nient42 : car tu ne regardes,

75    La sepmaine43, que de travers.

                        LUCAS

        Tu me sers de mos tant dyvers

        Que tu me cuydes abuser.

        Sçays-tu quoy ? Il te fault payer,

        Ou j’éray des nans44.

                        LE  BON  PAYEUR

                                            C’est raison,

80    Se j’eusse des biens à foyson ;

        Mais de prendre45 ? Rien n’(y) a, cïens46.

        Monstrez-vous des plus paciens,

        Ne soyez pas des plus mauvais.

                        LUCAS  SERGENT 47

        J’auray pos et plas.

                        LE  BON  PAYEUR

                                        Lesse-lays48,

85    Monsieur, y n’y a rien dessus.

                        LUCAS  S[ERGENT]

        Et49 ! comme sergans sont déceuz50 !

        Corbieu, tu viendras en prison !

                         LE  BON  PAYEUR

        Ne vous monstrez pas trop félon,

        Monsieur, ce seroyt mal congneu.

90    Je n’yray pas (par sainct Symon)

        Un pié chaussé et l’aultre nu51.

        Le payment vous52 sera tenu,

        Mais que me prométez d’atendre

        Que [parchaussé soys]53. Sans mesprendre,

95    Je vous payeray incontinent.

                        LUCAS  SERGENT

        Bien donc. Chausse-toy vitement54.

        Je promais que rien ne payeras

        Tant que [parchaussé ne]55 seras.

                        LE  BON  PAYEUR

        Le promectez-vous ?

                        LUCAS  S[ERGENT]

                                           Ouy dea, ouy.

                        LE  BON  PAYEUR

100  Je ne parchausseray mèshuy56,

        Par ma foy, donc ! Ne de sepmaine !

        Non pas de l’an !

                        LUCAS  S[ERGENT]

                                    Dieu, quel(le) fredaine57 !

        Voicy un homme de bien, loing58.

                        LE  BON  PAYEUR 59

        J’apelle les gens à tesmoing :

105  Cela vault une quinquernelle60.

        Ma chausse, à la mode nouvelle

        Je chausseray, sans cousturier61 ;

        Me voylà en advanturier62.

        Je suys quicte, par sainct Saulveur !

                        LUCAS  SER[GENT]

110  Voylà le faict d’un [bon] payeur !

        Il en sçavoyt deulx, j’en ay d’une63.

        Mais s’y plaist à dame Fortune,

        Je luy en bailleray d’un aultre…64

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                        LE  BON  PAYEUR                               SCÈNE  III

        Il est payé. Au peaultre65 ! au peaultre !

115  Me voylà quicte de l’amende.

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                 AMELINE,  femme de Lucas Sergant.       SCÈNE  IV

            Ce beau touflet66 de lavende

            Garny de plusieurs flourètes…

        Je le don(ne)ray, par amourètes,

        À mon amy le Vert Galant.

120  A ! s’il sçavoyt que le sergant,

        Lucas le borgne, mon mary,

        Fust dehors, bien seroyt mar[r]y

        Qu’il ne me viensît67 bientost voir.

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                        LE  VERD  GALANT  entre68.             SCÈNE  V

        Quant à moy, je m’en voys sçavoir

125  Se Lucas Sergant est dehors.

        D’ajourner y faict ses effors69 :

        Il est à l’ofice bien digne70 !

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        Qu’esse-là ? Je voy Amelyne71,                                SCÈNE  VI

        Sa femme, qui fille à son huys72.

130  O ! que tant malureux je suys

        Que je ne suys venu plus tost !

.

                        AMELINE  FINE                                  SCÈNE  VII

        Verd Galant, chacoustez73 un mot :

        Mon amy, prenez, par amour,

        Ce touffeau74 faict de maincte flour

135  Par les mains de vostre humble amye.

                        LE  VERD  GALANT

        Je ne le refuseray mye.

        Mais en le recepvant, ma seur,

        Je vous baiseray de bon cœur

        Pour l’amour du présent gentil.

140  Mais vostre mary, où est-il ?

                        AMELINE  FINE

        Où il est ? Hélas, Dieu le sache !

        Sur le vilage, [à tout sa mache]75,

        Où [il tourmente]76 povre gent.

        Il est actif et diligent.

145  Y rend maincte personne effrée.

        À cela, sçayt son entregent.

        Quant ces femmes n’ont poinct d’argent,

        On dict qu’il se paye en dérée77.

        C’est toult un, s’il prend sa lifrée78

150  De son costé, et moy du myen.

                        LE  VERD  GALANT

        Et ! voire, voire : j’entens bien

        Qu’i fault faire de tel pain soupe79.

        Mais quoy ! sy fault-il que je soupe

        Aveques vous par quelque soir,

155  Soyt de la brune ou de noir,

        [Mais80] qu’il soyt dehors.

                        AMELINE  FINE

                                                   Mon debvoir

        Je feray81 de vous advertir.

        Mais présent, nous fault départir82,

        Car incontinent revyendra.

                        LE  VERT  GALANT

160  Adieu donq ! On vous revoyra

        Plus à loisir, ma doulce amye.

.

                        LUCAS  SERGENT 83                          SCÈNE  VIII

        Mais qu’esse-là ? Ne voi-ge mye

        Un galant qui jase à ma femme ?

.

        Esse vostre cas, belle dame,                                     SCÈNE  IX

165  De tenir plet84 à ce jaseur ?

        Vous n’y aquérez poinct d’honneur.

        Et ! aussy, on me l’a bien dict.

                        AMELINE  FINE

        Et ! que de Dieu soyt-il mauldict,

        Qui onq y pensa à désonneur85 !

170  Je croy que c’est le Bon Payeur

        Qui ce faulx blason86 vous raporte.

                        LUCAS  SERGENT

        C’est mon87. Le grand deable l’emporte,

        Car il m’a joué d’un faulx tour88 !

                        AMELINE  FINE

        Et comment ?

                        LUCAS  SER[GENT]

                                Huy89, au poinct du jour,

175  Je le surprins en se cauchant90.

        Je luy dis : « Paye maintenant

        Ceste amende que tu me doibtz ! »

        Lors il me dist, se je vouloys

        Atendre qu’il fust parcauché91,

180  Qu’il me payroit. J’en fis marché,

        Et luy promys sans plus tencer92.

        Par quoy ne se veult parchausser93,

        Afin qu’il ne paye en éfaict.

                        AMELINE  FINE 94

        A ! rien, rien ! Prenez un fouet

185  Bien acoustré de [court baston]95 ;

        Et tout ainsy c’un careton96,

        Faictes-lay devant luy claquer.

        Et puys, s’y ne vous veult payer,

        Taillez-luy chausse(s) au long du cuyr97.

                        LUCAS  SERGANT

190  Bien98 voylà parlé à plaisir !

        J’ey désir d’un fouet trouver,

        Et [de] ton conseil esprouver

        D’une bonne sorte assez fine.

        A ! il n’est c’une femme fine

195  Pour quelque(s) fin tour aviser.99

.

        Et puys, ne veulx-tu poinct [br]aver100,                   SCÈNE  X

        Bon Payeur ? Sus, de par le deable !

        Chaussez vos chaulses, misérable !      Il le fouète.

        Chaulsez-vous !

                        LE  BON  PAYEUR

                                 [Sainct Jeh]an ! Nostre Dame !

200  Jésus ! Je payeray, par mon âme !

        Je me caucheray, sy je peulx.

        Tiens101, voylà cinquante [escus vieulx]102.

.

        C’est mal-encontre d’un bouéteux103 !                     SCÈNE  XI

        Le grand deable emporte le borgne,

205  Que tant d’un mauvais œuil il borgne104 !

        Tromperye tousjours retourne

        À son maistre105.

.

                        LUCAS  SERGANT 106                        SCÈNE  XII

                                       Je les atourne107,

        Ces bons payeurs : c’on me les baille,

        Afin c’une chausse vous taille108

210  Quant y ne viennent à raison !

        Je m’en revoys en ma maison,

        Puysque j’ey receu mon payement.

.

                        AMELINE  FINE 109                            SCÈNE  XIII

        Et puys ? Mon conseil, vrayement,

        Est-il bon ?

                        LUCAS  SERGANT

                            Ouy, par Dieu, de faict !

215  Mais garde d’avoir le fouet :

        On taille110 souvent (l’entens-tu ?)

        Le baston dont l’on est batu.

        Garde d’acouster111, sans long plait,

        Ce Vert Galant : y112 me desplaict.

220  Du temps passé113 je luy pardonne ;

        À l’avenir, mort bieu, j’ordonne114

        — S’ensemble je vous puys trouver —

        Incontinent de vous tuer !

        Il n’y aura poinct de remède.

                        AMELINE  FINE

225  Je ne sçay dont115 il vous procède,

        Synon que c’est par faulx raport116.

        A ! mon mary, vous avez tort

        De m’inputer un tel oultrage.

        Je n’ay poinct un sy méchant courage117.

230  Je suys de gens de bien extraicte,

        Et de ligne118 bonne et parfaicte ;

        Jamais y n’y eust que redire.

        À poy que ne me voys occire119

        Ou gecter en une malière120 !

235  Sy, en devant ny en dèrière,

        Vous voyez en moy déshonneur,

        Ne m’espargnez poinct.

                        LUCAS  SERGANT

                                              Bien, ma sceur121.

        Gouvernez-vous bien, en un mot.

        Maintenant m’en voys au plus tost

240  À dis lieues122 d’icy (ce n’est pas près)

        Pour [y] recorder mes explays123.

        À demain124 ! Gardez bien à l’ostel125 !

.

                        AMELINE  FINE                                  SCÈNE  XIV

        Mais en est-il encor un tel126 ?

        Borgne, boyteulx : Dieu, quel rencontre !

245  Y porte plus grand mal-encontre127,

        Par Dieu, que le boys du gibet !

        Y n’est rien plus ort, ne plus let128.

        Voise129 au deable le malhureulx !

        Ceste nuyct, de mon amoureulx

250  Jouyray, puysqu’il va dehors.

.

                        LUCAS 130                                             SCÈNE  XV

        Y fault mectre tous mes effors

        À me mucher icy endroict131,

        Et voiré tout132 ; car elle croit

        Que je m’en suys dehors alé.

255  J’espiray du long et du lé133,

        Pour voir se le galant viendra.

.

                        AMELINE  FINE 134                            SCÈNE  XVI

        Par Dieu ! en parle qui vouldra135 :

        Je voys atendre icy devant

        Mon cher amy le Verd Galant

260  Pour le fère céans entrer.

.

                        LE  VERT  GALANT 136                      SCÈNE  XVII

        Amour veult mon cœur pénestrer :

        De sa sayète137 noble et digne

        Je suys navré138, sans poinct doubter.

        Icy ne puys plus arester139 :

265  Je veulx aler voir Amelyne140.

.

        La voilà, la gente godine141,

        Mon soulas142, ma joye et plaisance.

        A ! il fault bien que je m’avance

        Pour l’aler saluer souldain.

.

270  Honneur, ma Dame au cœur humain !                      SCÈNE  XVIII

        Où est le faulx143 borgne Lucas ?

                        AMELINE  FINE

        Ceste nuyct ferons nostre cas,

        Car il est alé sur les champs144.

                        LE  VERT  GALANT

        Ainsy que deulx parfaictz amans,

275  Nous ferons bien nostre paquet145.

                        AMELINE  FINE

        En despit des jaloux meschans,

        Passons le temps en ris et chans146.

        Siéchons-nous béquet à béquet147,

        Car j’ey préparé le banquet.

280  Récréon-nous, faison grand chère !

                        LE  VERD  GALANT

        Je n’ey choze au monde sy chère.

        Je suys, de vostre amour, transy148.

                        AMELINE  FINE

        Aussy suys-je de vous, aussy.

        Prenons passe-temps sans esmoy.

                        LE  VERT  GALANT

285  Ma chère amye, baisez-moy

        Pour rassasier149 mon désir.

        Disons quelque mot à plaisir.

        Monstrez qu’avez le cœur joyeulx.

                        AMELINE  FINE

        En despit du borgne boéteulx,

290  Nous prendrons passetens, nos deulx150,

        Tant que la nuyct durera toute.

.

                        LUCAS  SE[R]GA[N]Z 151                   SCÈNE  XIX

        Vous rirez ensemble, vos deulx ?

        Tantost serez bien roupieulx152 !

        Le borgne est près, qui vous escouste.153

                        LE  VERT  GALANT

295  Qu’esse que j’os154 ? Dieu ! qu’on me boute

        Dehors155, car nous sommes perdus !

                        LUCAS  SERGANT

        Mort bieu ! les us156 seront rompus,

        Se tu n’ouvres bien tost, vilaine !

                        AMELINE  FINE

        Jésus ! Benoiste Madalaine !

300  C’est mon mary ! Dieu ! que feray ?

                        LE  VERD  GALANT

        Dictes où je me bouteray.

        Y me tura de mort cruelle.

                        AMELINE  FINE

        J’ouvriray à tout157 la chandelle ;

        Tenez-vous bien dèrière moy158.

                        LE  VERD  GALANT

305  Jésus ! Madame saincte Foy !

        Hélas ! qu’esse que nous ferons ?

                        AMELIN[E]  FINE

        Sy Dieu plaist, nous escamperons159 ;

        Ne vous chaille160, laissez-moy faire.

                        LUCAS  S[ERGENT]

        Ouvre,  ouvre tost !

                        AMELINE  FINE 161

                                      Qu’avez-vous à braire ?

310  Jamais ne fus plus resjouye

        Que quant j’ey vostre voys ouÿe.

                        LUCAS  SERGANT

        Ta male mort !

                        AMELINE  FINE

                                 Je me dormoye ;

        Et en me dormant, je songoye162

       Que Dieu vous avoyt, pour le myeulx,

315  Enlumyné163 tous les deulx yeulx.

        Je n’us oncques aussy grand joye.

        Hélas, mon amy : que je voye,

        Car g’y ay ma crédence ferme164.

        Voyez-vous pas cler, quant je ferme

320  Cestuy-cy qui est destouppé165 ?

                        Elle luy clost l’œuil de quoy il voyt.

                        LE  VERT  GALANT 166

        Dieu mercy, je suys eschapé

        De craincte et de douleur mortelle !

        Voylà la meilleure cautelle167

        Qui jamais peust estre advisée168.

                        LUCAS  SERGENT 169

325  Où est-il170, vilaine rusée,

        Ce paillard à qui tu t’esbas ?

                        AMELINE  FINE

        Lucas, cherchez bien, hault et bas :

        Car céans il n’y a poinct d’homme171.

                        LUCAS  SERGENT

        Bien peu s’en fault que ne t’assomme !

330  Tu m’es venu l’œuil estouper

        Afin de le faire eschaper.

        Tu m’as bien déceu172, en éfaict.

        Je te prendray dessus le faict

        Une aultre foys, sans long babil.

.

                        LE  VERT  GALANT 173                     SCÈNE  XX

335  Combien c’un borgne s[oyt s]ubtil,

        Un bouéteulx cauteleux e[t] fin174,

        [Il] sera conclus175, à la fin.

        Vous avez veu, [quant le temps presse]176,

        Que, pour trouver une finesse

340  Souldain, il n’est que femme fine177.

        Par ceste fin, la farce finne178.

        En prenant congé de ce lieu,

        Une chanson pour dire adieu !

.

                                                  FINIS

*

.

D’UNG  CHEVALIER  DE  PICARDIE 179

.

Créez que l’uys180 n’estoit pas ouvert, à cause du lieu-tenant181, qui tout esbahy fut, et madame aussi, quant monseigneur heurta de son baston ung très lourt coup.

« –Qui esse-là (ce dit madame) ?  –C’est moy (ce dit monseigneur). Ouvrez, ouvrez ! »

Madame, qui tantost a congneu182 monseigneur à son parler, ne fut pas des plus asseurées. Néantmoins, fait habillier incontinent son escuier, qui met peine de s’advancier183 le plus qu’il peult, pensant comment il pourra eschapper sans dangier. Madame, qui faint d’estre encores toute endormie et non recongnoistre monseigneur, après le second heurt qu’il fait à l’uys, demande encores :

« –Qui esse-là ?  –C’est vostre mary, Dame. Ouvrez bien tost, ouvrez !  –Mon mary (dist-elle) ? Hélas ! il est bien loing de cy. Dieu le ramaine à joie, et brief !  –Par ma foy, Dame, je suis vostre mary. Et ! ne me congnoissez-vous au parler ? Sitost que je vous ay ouÿ respondre, je congneuz bien que c’estiez vous.  –Quant il viendra, je le sçauray beaucoup devant184, pour le recepvoir ainsi comme je doy, et aussi pour mander messeigneurs ses parens et amis pour le festoier et convoier à sa bienvenue. Allez, allez, et me laissez dormir !  –Saint Jehan ! je vous en garderay bien (ce dit monseigneur). Il fault que vous ouvrez l’uys. Et ! ne voulez-vous congnoistre vostre mary ? »

Alors l’appelle par son nom. Et elle, qui voit que son amy est jà tout prest, le fait mettre derrière l’uys, et puis va dire à monseigneur :

« –Estes-vous ce ? Pour Dieu, pardonnez-moy ! Et estes-vous en bon point ?  –Oÿ, Dieu mercy (ce dit monseigneur) !  –Or, loué en soit Dieu (ce dit madame) ! Je vien incontinant vers vous, et vous mettray dedans185, mais que je soye ung peu habillée & que j’aye de la chandelle.  –Tout à vostre aise (ce dit monseigneur) !  –En vérité (ce dit madame), tout à ce coup que vous avez heurté, monseigneur, j’estoye bien empeschée d’ung songe qui est de vous186.  –Et quel est-il, m’amye ?  –Par ma foy, monseigneur, il me sembloit à bon escient que vous estiez revenu, et que vous parliez à moy ; et si, voyez187 tout aussi cler d’ung œil comme de l’autre.  –Pleust ores à Dieu (ce dit monseigneur) !  –Nostre Dame (ce dit madame), je croy que aussi faictes-vous188.  –Par ma foy (dit monseigneur), vous estes bien beste ! Et comment se pourroit-il faire ?  –Je tiens, moy (dit-elle), qu’il est ainsi.  –Il n’en est riens, non (dit monseigneur). Estes-vous bien si fole de le penser ?  –Dea ! monseigneur (dit-elle), ne me créez jamais s’il n’est ainsi ! Et pour la paix de mon cueur, je vous requier que nous l’esprouvons189. »

Et à ce coup, elle ouvra l’uys, tenant la chandelle ardant en sa main. Et monseigneur, qui est content de ceste espreuve, et s’i accorde par les parolles de sa femme. Et ainsi le pouvre homme endure bien que madame luy bouchast son bon œil d’une main ; et de l’autre, elle tenoit la chandelle devant l’œil de monseigneur qui crevé estoit. Et puis luy demanda :

« –Monseigneur, ne véez-vous pas bien, par vostre foy ?  –Par mon serment, non (ce dit monseigneur). »

Et entretant que ces devises se faisoient, le lieu-tenant de mondit seigneur sault190 de la chambre sans qu’il fût apparceu de luy.

« –Or attendez, monseigneur (ce dit-elle). Et maintenant, vous me voiez bien, ne faictes pas ?  –Par Dieu, m’amye, nennil (respond monseigneur). Comment vous verroy-je ? Vous avez bouchié mon dextre œil191, et l’autre est crevé passé192 plus de dix ans.  –Alors (dit-elle), or voy-je bien que c’estoit songe, voyrement, qui ce rapport me fist. Mais quoy que soit, Dieu soit loué et gracié que vous estes cy !  –Ainsi soit-il (ce dit monseigneur) ! »

Et à tant, s’entr’acolèrent et baisèrent par plusieurs fois, & firent grant feste…. Et ce fait, se bouta ou lit avec madame, qui le repeut du demourant193 de l’escuier, qui s’en va son chemin lyé194 & joyeux d’estre ainsi eschapé.

*

1 Plusieurs spécialistes nomment parmi les sources un fabliau de la Male dame, ou de la Mauvaise femme. Ce fabliau n’existe pas. Il s’agit d’un exemplum figurant dans la Disciplina clericalis, composée par Petrus Alfonsi au tout début du XIIe siècle. Ce livre fut traduit en français au XIIIe siècle, et l’Exemplum de vindemiatore dont il est question reçut alors pour titre : De la Male feme.   2 Henri Estienne, avant de la narrer à son tour, nous informe de cette popularité : « Je commenceray par un tour lequel il me souvient avoir ouÿ conter cent et cent fois à Paris ; et depuis, l’ay trouvé entre les contes de la roine de Navarre [dans l’Heptaméron, 6]. »   3 Boiteux. Le héros de l’histoire n’a cette particularité que dans notre farce. Le créateur du rôle boitait peut-être, comme l’argumente André Tissier : Recueil de farces, t. VI, 1990, pp. 265-307.   4 LV : fine myne  (Cette confusion se reproduira 2 fois. Fine Mine est le nom d’un jeune Sot dans les Sotz fourréz de malice et dans les Sotz triumphans.)   5 Le « rôle » est ici le registre des exploits, qui catalogue les justiciables condamnés à une amende. Avoir attente = avoir bon espoir.   6 Ce saint providentiel est encore invoqué au vers 109.   7 Lucas lit dans son registre le surnom que les créanciers donnent à ce mauvais payeur.   8 Depuis longtemps.   9 LV : et  (Je prétends lui mettre la main au collet : le capturer.)   10 Il me donne rendez-vous. « Et luy fut baillé jour au vendredi. » Olivier de La Marche.   11 Pour me faire le paiement. Voir le vers 92 : « Le payment vous sera tenu. »   12 J’y vais. Lucas entre chez le Bon Payeur, qui dort, et il le secoue.   13 Tu parles d’un plaisir ! « Quatre frans, sans plus ? Quel déduyt ! » Les Chambèrières et Débat.   14 LV : tout   15 Rébarbative. Cf. les Queues troussées, vers 227.   16 LV : Je  (Le pot-de-vin avait déjà son sens actuel : « Je vous donré ung pot de vin,/ Beau sire, et soyons amys. » La Confession du Brigant.)  La corruption des sergents est proverbiale : « Quant ung larron est attrappé,/ Le sergent qui l’aura happé/ Le lairra, mais qu’il ait argent. » Les Esbahis.   17 Hâtif, pressé de me voir partir. « La mère des deux enfans s’enhasta (…) : elle désiroit à veoir son filz. » Perceforest.   18 Tu ne cherches. « Aller tracher à baire [à boire] à la fontaine. » La Muse normande.   19 Je ne suis pas encore prêt. Inexplicablement, les quatre éditions modernes de cette farce ponctuent après « pas », alors que la même formule, par ailleurs banale, revient à 69. Cf. les Frans-archiers qui vont à Naples, vers 75.   20 Des nants [des nantissements] : des objets personnels à titre de gage. Idem vers 79. « Bons beuveurs ont dispense :/ Sergent, pour nans, ne doit/ Prendre par violence/ Les vaisseaux où l’on boit. » Godefroy.   21 Des sergents. Le « g » dur normanno-picard est fréquent dans cette pièce.   22 Afin de prendre Lucas par la flatterie, il se met à le vouvoyer en l’appelant Monsieur.   23 Au cabinet. Dans ce manuscrit, notre farce est suivie par celle du Retraict.   24 Pour cela, veuillez.   25 Je souffre d’un dévoiement de ventre : de diarrhée.   26 Un sergent à masse a pour attribut un bâton de plomb argenté. Cf. l’Antéchrist, vers 231.   27 Même si tu devais faire tes besoins.   28 Me tourmente d’une manière mauvaise et pernicieuse.   29 C’est une expression courante. En réalité, le Bon Payeur est encore au lit, en chemise longue : il ne porte donc pas de chausses.   30 Je vous adjure de vous retirer.   31 LV : vous aduertir  (à la rime.)   32 Je comble cette lacune d’après le Nouveau marié : « Ce qui me tient le plus au cueur. »   33 Méfiez-vous. « Guettez-vous là/ Que vous n’ayez fructus ventris [que vous ne tombiez pas enceintes]. » Frère Guillebert.   34 Ce sobriquet, dont bénéficiera Henri IV, qualifiait les coureurs de jupons. « Et puis prendre la “raverdie”/ Avecques quelque verd gallant. » Tout-ménage.   35 Racontez ces balivernes à quelqu’un d’autre. « Il n’est à croire [ce n’est pas crédible]./ À d’autres ! » Le Pauvre et le Riche.   36 N’oserait pas. « Cuideriez-vous que ma commère/ Vous fist coqu ? C’est chose clère/ Qu’el ne daigneroit. » Ung Mary jaloux.   37 Quand bien même on se fierait à elles.   38 Moindre. Cf. les Trois amoureux de la croix, vers 2.   39 Naïf. Cf. D’un qui se fait examiner, vers 84.   40 Certains corrigent « Lucas » ; mais les protagonistes répètent souvent, et de manière interrogative, les paroles de leur interlocuteur : vers 42, 58, 66, 141.   41 Et en plus, tu es boiteux.   42 Pour néant, pour rien. Cette forme normande compte pour 1 syllabe : cf. le Clerc qui fut refusé, vers 86.   43 En tout temps.   44 Ou j’aurai des gages. Voir la note 20.   45 Que voulez-vous prendre ?   46 Céans, ici. Cf. l’Homme à mes pois, vers 74.   47 Il saisit des pots et des plats.   48 Laisse-les. Même pronom normand à 187. On pourrait corriger « laissez-les, Monsieur », mais cela gâcherait un effet comique : le débiteur mélange le tutoiement de la familiarité amicale avec le vouvoiement du faux respect. Le Bon Payeur sort du lit en chemise longue, et il commence à enfiler ses chausses, un caleçon long qui est porté sous le haut-de-chausses.   49 LV : cest   50 LV : deceptz  (Voir le vers 332.)  Je suis trompé : les plats et les carafes sont vides.   51 Le Bon Payeur n’a enfilé qu’un côté : l’autre jambe est toujours nue.   52 LV : ne   53 LV : ք chance  (Être parchaussé : avoir mis ses chausses complètement, aux deux jambes. Idem vers 98, 100, 179 et 182. Le copiste ignorait ce mot, qu’il déforme presque toujours. Le « p » tranché abrège notamment la syllabe « par ».)  Sans méprendre = sans faute. Cf. Frère Frappart, vers 180.   54 LV : incontinent  (à la rime.)   55 LV : ք chanse tu   56 Je ne mettrai pas mes chausses aux deux jambes aujourd’hui.   57 Quelle blague. Cf. le Cousturier et Ésopet, vers 320.   58 Vu de loin. « Tu es ung très homme de bien,/ Voire, loing. » Moralité de Pouvre peuple.   59 Il s’adresse au public.   60 Une quinquenelle est un délai de 5 ans qu’on accorde à un débiteur. Cf. la Folie des Gorriers, vers 318.   61 Les couturiers à la mode habillaient les jambes avec des couleurs différentes. Le Bon Payeur va faire mieux qu’eux, puisqu’il n’habillera qu’une seule de ses jambes.   62 Les mercenaires qui n’avaient plus de solde se retrouvaient vite en haillons ; voir le Capitaine Mal-en-point.   63 Il connaissait deux bons tours, j’en ai expérimenté un. André Tissier cite Tahureau : « Vous en sçavez de deux, vous nous en avez baillé d’une. »   64 Lucas s’en va.   65 Au diable ! Cf. les Sotz qui corrigent le Magnificat, vers 321.   66 Bouquet. D’après Tissier, ces deux vers, « qui ont sept syllabes, étaient peut-être chantés ». L’entrée d’un nouveau personnage est souvent mise en valeur par une chanson.   67 Vînt : de ne pas venir bien vite me voir.   68 Il entre en scène, et se dirige vers la maison de Lucas et d’Ameline.   69 Il s’évertue à porter des ajournements, des assignations en justice. Les sergents sont des huissiers aux pouvoirs étendus. Cf. les Botines Gaultier, vers 295.   70 Il est bien digne de cet office méprisable.   71 LV : fine myne  (Note 4.)   72 Qui file sa quenouille devant la porte, pour profiter de la lumière du jour. Nous sommes l’après-midi ; la pièce a commencé le matin, et s’achèvera le soir.   73 Écoutez. « Et chacoutez la nouvelle nouvelle/ Du tret nouviau qui vo[us] sera contay. » La Muse normande.   74 Bouquet. « De gros toufiaux plaquent à leu capel [sur leur chapeau]. » La Muse normande.   75 LV : ou toult marche  (Avec sa masse. Nous trouvons « à tout » [avec] au v. 303, et « mache » [masse de sergent] au v. 45.)   76 LV : ilz tourmentent  (Il rançonne le pauvre peuple.)   77 En denrée féminine, en nature. « Un verd gallant bien ataché/ Et qui ne soyt lâche amanché,/ Quant la derrée sy le vault. » Le Trocheur de maris.   78 Sa ration. « Car tout checun me donnet la lifrée. » La Muse normande.   79 Qu’il faut lui rendre la pareille. « Si on luy faict de tel pain souppe qu’il a faict à autruy. » Antoine Le Maçon.   80 Pourvu. « Il soufist, mais qu’il soit dedans. » Les Femmes qui font renbourer leur bas.   81 Quand c’est une épouse honnête qui dit « je ferai mon devoir », elle stipule qu’elle sera fidèle à son mari.   82 À présent, il faut nous séparer.   83 Il voit le Vert Galant prendre congé d’Ameline et s’en aller.   84 Des plaids, des discussions. Idem vers 218.   85 Celui qui jamais y vit une chose déshonorante.   86 Ce sournois cafardage.   87 C’est vrai. Cf. Maistre Mimin estudiant, vers 361.   88 Un mauvais tour.   89 LV : yer  (Aujourd’hui.)   90 LV : couchant  (En se chaussant : alors qu’il enfilait ses chausses. « Cauchant ses biaux soulliais. » La Muse normande.)  Ma correction prépare le vers 179.   91 LV : ք cauche  (Forme normande de parchaussé. « Ayant cauché leu brais [chaussé leurs braies]. » La Muse normande.)   92 LV : tencher  (Tancer, récriminer. Cette forme en -cher a beau être normande, elle ne rime pas bien. Ou alors, elle rimait avec parcaucher.)   93 LV : ք chauser  (De sorte qu’il ne veut pas finir de mettre ses chausses.)   94 Elle va se venger de son délateur, qui s’était lui-même vengé de Lucas en lui distillant les incartades de son épouse.   95 LV : chareton  (Un fouet nanti d’un manche court cingle plus fort.)  Fou-et compte pour 2 syllabes.   96 Tel un charretier. « Un careton/ Qui enmeine une c[h]aretée. » Godefroy.   97 Taillez-lui la peau à coups de fouet.   98 LV : cors bieu   99 Lucas prend son fouet, puis retourne chez le Bon Payeur, qui n’est toujours pas habillé.   100 « BRAVER : Se parer. » (Édélestand et Duméril, Dictionnaire du patois normand.) « On engageait souliers, corsets, vaisselle/ Pour se braver. » La Muse normande.   101 LV : tenes  (Le Bon Payeur tutoie Lucas aux vers 20-31, 60, 70-75.)   102 LV : deulx  (Voir le vers 8.)  « Et n’ay grant planté [quantité] d’escuz vieulx. » La Confession du Brigant. On avait décrié cette monnaie en 1511. Lucas s’en va.   103 Croiser un boiteux était de mauvais augure : Pluton, le dieu des Enfers, boitait. Talleyrand, le « diable boiteux », n’aura pas non plus une bonne réputation.   104 Il regarde de travers, il lorgne. « Ilz ne pevent personne (…) regarder de droit œil, maiz tousdiz de travers aussi que en borgniant. » ATILF.   105 « À trompeur, tromperye luy vient. » Le Poulier à sis personnages.   106 Dans la rue, il s’adresse au public.   107 Je les habille.   108 Pour que je vous taille une chausse dans leur peau. Voir le vers 189.   109 À son mari, qui rentre, toujours armé du fouet.   110 LV : baille  (« Taillié a le baston/ De quoy il est batu. » ATILF. Nous disons toujours : Tailler le bâton pour se faire battre.)   111 Garde-toi d’écouter. Cf. le Tesmoing, vers 245. Sans long plaid : sans que j’aie besoin de t’en parler longuement.   112 Cela.   113 Pour ce qu’il t’a fait dans le passé.   114 Je suis disposé.   115 LV : donc  (D’où cela vous vient.)   116 C’est à cause d’un hypocrite rapportage.   117 Cœur.   118 D’une lignée. « On dict qu’il est de bonne ligne,/ Et de gens de bien. » La Veuve.   119 Il s’en faut de peu que je n’aille me tuer. « À poy qu’il ne la tua ! » Chronique normande.   120 Dans une marnière, une fondrière. « Icellui Polart (…) avoit esté porté et geté en une mallière. » Godefroy.   121 « Ma sœur » est le titre respectueux qu’on accorde à une religieuse. Ici, c’est un peu ironique.   122 10 lieues normandes = 44,5 km. Lucas veut simplement dire qu’il n’est pas près de rentrer.   123 Pour y signifier mes notifications de justice. « Exploit » rime en -ait, à la manière normande : cf. Jehan de Lagny, vers 91.   124 LV : dieu  (Cf. la Seconde Moralité, vers 271.)  Lucas fait croire à son épouse qu’il sera absent toute la nuit : vers 249, 272 et 291.   125 Gardez la maison. « Garde bien l’hostel, hault et bas ! » (Le Ribault marié.) Lucas s’éloigne un peu du logis.   126 En fait-on encore des comme lui ?   127 Il est encore plus malencontreux qu’un gibet : on a encore moins envie de le rencontrer.   128 Il n’y a rien de plus sale ni de plus laid que lui.   129 LV : voige  (Qu’il aille. « Me veut-elle donc gouverner ? Voise au diable gouverner l’Enfer ! » Le Miroir des mesnagères.)   130 Il se cache près de sa maison.   131 À me musser, me cacher ici même. Cf. Frère Guillebert, vers 230 et 247.   132 Je verrai tout.   133 J’épierai en long et en large. Cf. Daru, vers 82.   134 Elle sort devant la porte, au cas où son amant passerait.   135 Que le Bon Payeur cafarde s’il veut.   136 À l’autre bout du tréteau, il fredonne une chanson d’amour, non identifiée.   137 De sa sagette, de sa flèche. On tombe amoureux parce que le dieu Amour (Cupidon) nous a décoché une flèche dans le cœur. « Cupido a pris l’arc turquois ;/ La saïette trait du carquois. » ATILF.   138 Blessé. Cf. le Gallant quy a faict le coup, vers 150.   139 Rester.   140 LV : fine myne  (Note 4.)  Le Vert Galant se dirige vers la maison de sa maîtresse, laquelle est toujours devant la porte.   141 La mignonne. Cf. Maistre Mimin estudiant, vers 66.   142 Mon plaisir.   143 Le perfide. Paradoxalement, les gens qui n’ont qu’un œil traînent une réputation de duplicité : « Faulse borgne, traître, envieuse ! » (ATILF.) « On apelle aussi un faux borgne un qui fait le niais, qui feint de n’avoir pas bonne vue, & qui toutefois tâche à tromper. » (Le Roux.)   144 Hors du village où nous habitons (vers 142). Cf. Ung Mary jaloux, vers 48. Ameline fait entrer son amant et verrouille la porte.   145 Nos affaires. Allusion graveleuse au « paquet d’Amour » (Béroalde de Verville) et au « pacquet de mariage » (Rabelais).   146 En rires et en chansons.   147 Asseyons-nous bec à bec : l’un en face de l’autre.   148 Transporté. Cf. le Dyalogue pour jeunes enfans, vers 9.   149 LV : rasafier  (Le « f » et le « ſ » long sont à peu près la même lettre.)   150 Tous les deux. Même idiotisme normand au vers 292.   151 Le copiste a d’abord écrit, puis mal rectifié : le verd galant chante  (Cette chanson du Vert Galant, qui devait être aussi niaise que la précédente, a donc été sacrifiée par le copiste.)  Lucas observe par la fenêtre.   152 Honteux, comme quelqu’un qui a la roupie au nez. « Car qui est grup [condamné], il est tout roupieulx. » Villon.   153 Lucas cogne contre la porte avec sa masse.   154 Qu’est-ce que j’ois, que j’entends ?   155 Faites-moi sortir. La couardise de l’amant surpris est un des clichés du genre.   156 Les huis, les portes. « N’a-il pas la clef de nostre us/ De dèrière ? Y n’y passe plus. » Messire Jehan.   157 Avec, en tenant. Une chandelle produit plus d’ombre que de lumière.   158 Dans la version des Cent Nouvelles nouvelles, l’amant prêt à fuir se cache derrière la porte. Mais ici, la porte est stylisée : « C’est pourquoi le galant se cache non derrière cette porte, comme dans le conte, mais derrière Ameline. » (A. Tissier.) Dans le Résolu, l’amant raconte qu’il s’est caché derrière la porte à l’arrivée du mari, mais la scène n’est pas montrée.   159 S’il plaît à Dieu, nous en réchapperons. « Le drille escampe et s’enf[u]it. » La Muse normande.   160 Ne vous inquiétez pas. C’est le vers 356 de Frère Frappart.   161 Elle ouvre à Lucas, tandis que son amant se colle derrière elle, dans son ombre.   162 Je songeais, je rêvais.   163 Rendu la lumière, la vue. Cf. l’Aveugle et Saudret, vers 59, 322, 325, etc.   164 J’ai dans ce rêve prémonitoire une croyance ferme.   165 L’œil qui n’est pas caché par un bandeau.   166 Profitant de ce que le borgne est momentanément aveugle, il s’enfuit par la porte laissée ouverte.   167 Ruse.   168 Put être inventée.   169 Il écarte la main de sa femme.   170 LV : est la   171 Sous-entendu : Vous-même, vous n’êtes pas un homme.   172 Trompé.   173 Dehors, il tire la « morale » de l’histoire.   174 Et qu’un boiteux soit retors. Ici et au vers précédent, je restitue entre [ ] des caractères couverts par une tache d’encre.   175 LV : pour conclure  (Il se fera clouer le bec. « [Le mari,] il sera conclus et vaincu, en la parfin. » XV Joyes de Mariage.)   176 LV : quel finnesse   177 Il n’y a qu’une femme maligne. Reprise du vers 194.   178 Finit. Le dernier distique, apocryphe, est la signature habituelle du copiste de ce manuscrit La Vallière.   179 L’auteur de la farce a pu piocher sa seconde histoire dans la 16ème des Cent Nouvelles nouvelles, dont voici un extrait.   180 Croyez que la porte.   181 De l’amant de la dame, qui lui tenait lieu de mari. Quand le vrai mari débarque à l’improviste, son épouse est au lit avec un écuyer.   182 Qui a tout de suite reconnu.   183 De se dépêcher.   184 Longtemps à l’avance.   185 Je vous ferai entrer.   186 Qui vous concerne.   187 Et aussi, que vous y voyiez désormais.   188 Que vous y voyez.   189 Que nous en fassions l’expérience.   190 Bondit hors.   191 Mon œil droit. Sur la gravure, la femme bouche l’œil gauche.   192 Depuis.   193 Qui le régala avec les restes.   194 En liesse.