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LE BADIN
QUI SE LOUE
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Janot, le Badin qui se loue, offre plus d’un rapport avec Jéninot qui fist un roy de son chat : dans ces deux farces nordiques, publiées par le même éditeur et tardivement réunies dans le même recueil, un personnage de Badin, de demi-fou, est embauché comme valet par un couple qui va s’en mordre les doigts.
Le gag principal du Badin qui se loue sert de moteur à d’autres farces (le Pasté, Messire Jehan, Pernet qui va au vin, etc.) : un couple illégitime, pour se débarrasser d’un importun, l’envoie faire une commission à l’autre bout de la ville. Mais le gêneur, qui ne comprend pas — ou fait semblant de ne pas comprendre — ce qu’on lui demande, exécute des va-et-vient ininterrompus qui empêchent le couple de se livrer à un autre genre de va-et-vient.
Beaucoup de vers ne comportent que 7 syllabes, et une bonne quinzaine d’autres, surtout vers la fin, font entre 3 et 5 syllabes. L’auteur1 n’a pas eu le temps, du moins sur le manuscrit que l’éditeur a publié, de « remplir » tous les octosyllabes ; mais il en a sauvé l’essentiel : la signification et la rime.
Source : Recueil du British Museum, nº 11. La pièce, écrite peu avant 1500, fut publiée vers 1550 à Paris par Nicolas Chrestien.
Structure : Rimes plates.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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Farce nouvelle
trèsbonne et fort joyeuse
À quatre personnages, c’est assavoir :
LE MARY
LA FEMME [Guillemette]
LE BADIN qui se loue [Janot]
et L’AMOUREUX
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LE MARY commence 2 SCÈNE I
[Où estes-vous ? Hau,3] Guillemette !
LA FEMME
Le diable vous rompe la teste !
Jamais je ne vis un tel homme.
Il ne fauldroit [plus] faire, en somme,
5 Autre chose qu’estre après vous4.
LE MARY
Je vous prie, parlez tout doulx !
Je croy que vous me mengerez5.
LA FEMME
Par mon serment ! vous louerez
Une chambrière ou varlet6.
10 Car pensez que cela est laid
Qu’il faille7 que tousjours je voyse
Au vin et à la cèr[e]voyse8
Comme une pauvre chambrière.
LE MARY
Hé ! mon Dieu, que [tant] tu es fière9 !
15 Fault-il qu’ainsi parles à moy ?
LA FEMME
Je vous prometz, en bonne foy,
Que plus si beste ne seray,
Ne si bien ne vous serviray
Que j’ay fait par icy devant10.
20 Parquoy, louez quelque servant
Ou quelque bonne chambrière
Qui voyse quérir de la bière,
Du vin et de la cèr[e]voise.
Il n’y a si pauvre bourgeoyse
25 Qui n’ait chambrière ou varlet.
LE MARY
Et ! bien, bien, ainsi11 sera fait :
Vous en aurez un. Sus donc, [beste12] !
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LE BADIN,13 en chantant : SCÈNE II
Parlez à Binette, dureau la dure[tt]e,
Parlez à Binette, plus belle que moy.
30 Sang bieu ! je suis en grand esmoy
Que je ne puis maistre trouver14.
Et si15, ne cesse de crier :
« Varlet à louer16 ! Varlet à louer !
Varlet (tous17 les diables) à louer ! »
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LE MARY 18 SCÈNE III
35 J’ay là ouÿ quelqu’un crier,
Ce me semble, en ceste rue.
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LE BADIN SCÈNE IV
Par la mort bieu ! je pette et rue,
De rage de fain que je sens.
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LA FEMME SCÈNE V
Il semble qu’il soit hors du sens,
40 À l’ouÿr crier et besler.
Je m’en le vois appeller19.
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Venez çà, hé, mon amy !
LE BADIN
Hen ? Je vous ay bien ouÿ ;
Je m’en voys à vous parler.
LA FEMME
45 Es-tu pas varlet à louer ?
LE BADIN
Et ! Jan20, ouy !
LA FEMME
[Sans plus discourir,]
Se tu me veulx venir servir,
Assez bien je te traicteray.
LE BADIN
Bien doncq[ues] : je vous serviray
50 De toute ma puissance, vrayement.
LA FEMME 21
Il le fault louer vistement,
S’il est bon à vostre appétit22.
LE BADIN
Mort bieu, que j’ay bon appétit !
Pensez que [je] desgourdirois
55 Un jambon, se je le tenois,
Avecq une quarte de vin.
LE MARY
Dy-moy, sans faire [icy] le fin23,
Comme c’est qu[’à droit24] on te nomme.
LE BADIN
Les aucuns m’appellent « bon homme25 »,
60 Les autres m’appellent Janot.
LE MARY
Janot26 est le vray nom d’un sot.
Veulx-tu demourer avecq moy ?
LE BADIN
Et ! j’en suis content, par ma foy !
LE MARY
Mais combien, [dy,] te donneray-je ?
LE BADIN
65 Et ! [mais27 que soys nourry,] que sçay-je ?
Ha ! escoutez, j’auray six francs pour le moins.
Et si, ne veulx avoir de groings28,
Au moins s’ilz ne sont de pourceau29.
LE MARY
Ha ! par monseigneur sainct Marceau,
70 Tu en auras [bien] davantage !
LA FEMME
Il fauldra faire le30 mesnage
Et balier31 nostre maison.
LE BADIN
Bailleray-je du foing à Gryson32,
Ou de la fourche sur la teste ?
LA FEMME
75 Je ne [te] ditz pas cela, beste !
Je dis que ballies la maison33.
LE BADIN
[Sainct] Jean ! ce n’est pas là raison.
LE MARY
Voylà la clef de la maison,
Pour fermer l’huys et la cloison34
80 Quand tu vouldras aller dehors.
LE BADIN
Ce n’est pas tout ce qu’i fault [lors] :
Baillez-moy, je vous prie, la clef
De la cave, et [si]35, du célier,
Du lard, du pain et de l’argent.
85 Je m’y monstreray diligent :
J’ay esté frippon36 d’un collège.
LE MARY
Les femmes ont le privilège
Porter les clefz en leurs pochettes.
LE BADIN
J’en auray donc, si vous n’y estes,
90 Privilège de rompre l’huys.
[Si me nourrissez de pain bis,]37
Vous me ferez mourir de fain.
LA FEMME
Tu ne chaumeras38 de pain, de vin,
Ne d’aucune39 chose quelconque.
LE BADIN
95 Je vous prie, donnez-moy doncque
À disner, ma bonne maistresse.
LA FEMME
Tiens40, voylà une grosse pièce
De pain bis41 : disne si tu veulx.
LE BADIN
Vous [disiez que seroye]42 heureux,
100 Et que me traicteriez si bien.
LA FEMME
Si vous n’avez aujourd’huy bien,
Vous aurez mieulx une autre foys.
Et ! vous mengez tout à la foys ?
Il y fault aller gentement43.
LE BADIN
105 Je ne sçauroys, par mon serment,
Car mes dentz sont trop aguisées.
LA FEMME
Quel bailleur de billevesées !
Voyez un peu comment il masche44 !
LE BADIN
Par la mort bieu ! [fort] il me fasche45
110 Que je n’ay quelque bon bruvage46.
LE MARY
Pensez à faire le mesnage,
Car je m’en voys à mon affaire47.
LE BADIN
Sang bieu ! que [diable] en ay-je affaire ?
Je demande à boyre du vin.
LE MARY
115 Par ma foy ! tu en auras demain
(De cela, très48 bien je t’asseure),
[Car] je m’en voys tout à cest heure
À mes affaires pourveoir.
LE BADIN
Adieu donc(ques) jusques au revoir !
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L’AMOUREUX SCÈNE VI
120 Si fault-il que je voise veoir,
Quelque chose que l’on en dye49,
Se je trouveray mon amye
Seule50, affin de la gouverner
Et avec elle raisonner.
125 Je m’y en voys sans [plus] targer51,
Car riens n’y vault le songer52.
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Ma dame et [ma] trèsbonne amye, SCÈNE VII
Dieu vous doi[n]t bonne et longue vie
Avec[ques] tous voz bons désirs !
LA FEMME
130 Jésus, le roy de Paradis,
Vueille acomplir vostre vouloir !
Je vous prie, venez vous asseoir
Pour prendre un peu resjouyssance.
L’AMOUREUX
Certes, de toute ma puissance
135 Mettray peine53 à vous obéyr,
Et feray vostre bon plaisir,
S’il vous plaist me le commander54.
LE BADIN
Sang bieu ! vous venez sans mander55.
Et qui vous a mené icy ?
LA FEMME
140 Te tairas-tu, dy ? [Qu’esse-cy ?56]
C’est un de noz meilleurs amys.
LE BADIN
Et ! il aura donc[ques], vraymis57,
Un bonnadiès58 de ma personne :
Dieu [vous] gard[e] de santé59 bonne,
145 Monsieur [nostre] meilleur amy !
L’AMOUREUX
À vous aussi, [à vous aussi] !
M’amye60, dictes-moy, je vous prie :
Qui vous a ainsi bien garnye
De ce bon serviteur icy ?
LA FEMME
150 Moy-mesmes, certes, mon amy,
Pource que beaucoup me faschoit
Que tousjours aller me failloit61
Au vin et aux autres prochas62,
Quant venez pour faire le cas63
155 [À la desrobée64] avec moy.
L’AMOUREUX
Il me suffist. Mais dictes-moy :
Où est allé vostre mary ?
LA FEMME
Je vous asseure, mon amy,
Qu’il est allé à sa besongne.
160 Dieu sçait que c’est [bien], car il hongne65
Sans cesse, quand il est céans.
LE BADIN
Ce bonnet vous e[s]t bien céant66,
Voyre, ou le dyable vous emport67 !
L’AMOUREUX
Par mon serment, vous avez tort !
165 Ne vous sçauriez-vous un peu taire ?
LA FEMME
Tu gaste[ra]s tout le mystère68 ;
Je te prie, ne nous dy plus mot.
LE BADIN
Non feray-je69, par sainct Charlot70 !
Croyez-moy, puisque j’en jure.
L’AMOUREUX
170 Certes, m’amye, je vous asseure
Que depuis environ huyt jours,
J’ay fait plus de quarante tours
Icy entour71 vostre logis ;
Mais tousjours vostre grand longis72
175 De mary présent y estoit.
LA FEMME
Il me pense tenir estroit
Les mains, comme on fait [à] une oye73,
Voyre dea. Et si, n’ay de joye
Pas un seul bien, avec[ques] luy.
180 Encor(es) — par nenda74 ! — aujourd’huy,
Je pensoys qu’il me deust menger.
Si estroit ne me puis renger75
Que encores je ne luy nuyse.
LE BADIN
Quand il vous haulse la chemise76,
185 Vous n’avez garde d(e) ainsi dire.
LA FEMME
Ha, ha ! vous avez fain77 de rire.
[Par mon serment]78, c’est bien raison !
L’AMOUREUX 79
Je vous prie, madame Alyson :
Un doulx baiser de vostre bouche ! Il la baise.
LE BADIN 80
190 Là, là ! [Les yeulx] fort je me bousche
Affin de ne vous veoir pas.
Vous n’y allez pas par compas81 ;
Tout doulx ! tout doulx, et que dyable faictes-vous ?
Vous faictes la beste à deux doulx82 ?
195 Je le diray à mon [bon] maistre.83
LA FEMME
Te tairas-tu, [dy,] filz de prebstre84 ?
LE BADIN
Je le diray à mon [bon] maistre.
Je sçay bien que85 je vous ay veu faire.
LA FEMME
Mercy Dieu ! je te feray taire,
200 Si je metz la patte sur toy.
LE BADIN
Quoy ? Mort bieu ! [qu’on s’esbatte] o86 moy ?
Je le diray à mon [bon] maistre.
L’AMOUREUX
Tais-toy ! Si tu me veulx promettre
Qu(e) aucune chose ne diras
205 À ton maistre, [un don] tu auras,
Et un bonnet te donneray87.
LE BADIN
Rien doncques [jà] je n’en diray.
Mais ne vous mocquez pas de moy !
LA FEMME
Je te prometz, en bonne foy,
210 Que tu l’auras [bien] promptement.
L’AMOUREUX
Mais tien : va-t’en dès maintenant
Achepter quelque bon pasté88.
LE BADIN
Et ! mais89 que je l’ay[e] apporté,
M’en donrez-vous [un bout90], au moins ?
L’AMOUREUX
215 Ouy, toutes plaines tes deux mains91,
Sans y avoir aulcune92 faulte.
LE BADIN
Çà donc[ques] ! De l’argent, mon hoste93 !
Mais escoutez : j’en mengeray ?
L’AMOUREUX
Vrayement je t’en donneray.
220 Tien, hay, [prens] : voylà de l’argent.
LE BADIN
Hé ! qu’il est [un entregent] gent94 !
J’en achepteray un pasté.95
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LA FEMME SCÈNE VIII
Ce [fol] folastre96 a tout gasté ;
Je me repens de l’avoir prins.
L’AMOUREUX
225 Ma foy, il a bien fort mesprins97 !
Et sans luy, nous estions trop bien.
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LE BADIN SCÈNE IX
Hé, mon Dieu ! Je ne sçay combien
C’est qu’ilz m’ont dit que j’en apporte.
Je retourneray à la porte.98
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230 Combien de pastéz voulez-vous ? SCÈNE X
LA FEMME
Hé ! [quel gaudisseur99,] vray Dieu doulx !
Apporte-en un. Tant tu es fol !
Que tu te puisses rompre le col
Je prie Dieu, en retournant100 !
LE BADIN
235 Je m’y en vois [très]tout courant101 ;
Et si, je n’arresteray point.
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L’AMOUREUX SCÈNE XI
Cecy ne vient pas bien à point.
Mais rien n’y vault le desconfort :
Prenez, je vous prie, réconfort102,
240 Et à cela plus ne songez.
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LE BADIN SCÈNE XII
De quel pris esse que voulez,
[Dictes-le-moy,] que je l’achepte ?
LA FEMME
Hélas ! mon Dieu, que tu es beste !
Et ! ne sçaurois-tu marchander ?
LE BADIN
245 Hé ! mais je vous veulx demander
Comment esse que l’on marchande ;
Je ne sçay, par saincte Marande,
Que c’est à dire [de] cela103.
L’AMOUREUX
Mon amy, mais que tu soys là104,
250 Demande un pasté de trois so[u]lz.
LE BADIN
Bien. Allez ! pour l’amour de vous,
[Tout maintenant105] je m’y en vois.
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L’AMOUREUX SCÈNE XIII
Ma foy, voylà un grand lourdois106 !
Il a moins d’esp(e)rit qu(e) un thoreau107.
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LE BADIN SCÈNE XIV
255 Porteray-je108 un pasté de veau,
Ou un de poulle, ou de chappon ?
L’AMOUREUX
Ce m’est tout un, mais qu’il soit bon.
[Mon amy doulx,] dépesche-toy109 !
LE BADIN
Je n(e) iray ja[mais], sur ma foy,
260 Si ne dictes lequel110 voulez.
LA FEMME
(Nous sommes certes demouréz111.)
Demande un pasté de chappon.
LE BADIN
Je m’y en voys, par sainct Bon112 !
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LA FEMME SCÈNE XV
Voylà un merveilleux113 garson !
265 Je n’en vis oncques de la sorte.
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LE BADIN SCÈNE XVI
Qu’esse que voulez que j(e) apporte ?
L’AMOUREUX
Apporte un pasté de chappon.
LE BADIN
Mais escoutez : où les vend-on,
Affin que plus [je] ne revienne ?
LA FEMME
270 Au bout de la rue d’Albène114,
À l’enseigne du Pot d’estain.
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Monsieur, vous estes tout chagrin ; SCÈNE XVII
Je vous prie, prenez en patience,
[Mon amy.]
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LE BADIN SCÈNE XVIII
Silence, silence !
275 J’ay oublié ce que m’avez dit.
Si ce n’estoit pour l’appétit115,
Je n’y tournerois116, par bieu, jà !
L’AMOUREUX
Et ! es-tu encore[s] yla117 ?
Demande un pasté de chappon !
LE BADIN
280 Bien. J’en apporteray un bon.
Mais le voulez-vous froit ou chault ?
L’AMOUREUX
[Je le veulx] chault.
LE BADIN
N’esse pas au…
Où [dictes-vous] ?
LA FEMME
Au Pot d’estain !
LE BADIN 118
Je voy mon maistre en ce chemin,
285 Qui s’en vient cy, par Nostre Dame !
L’AMOUREUX
Adieu vous dy doncques, madame !
[Adieu donc] jusques au reveoir !119
LE BADIN
Par bieu ! si veulx-je [tost] avoir
Mon bonnet, entendez-vous ?
LA FEMME
290 Monsieur, je prens congé de vous,
Vous priant m’avoir excusée.
LE BADIN
Soubz telle manière rusée120,
Perd[e]ray-je ainsi mon bonnet ?
Et ! je l’auray, par sainct Bonnet,
295 Avant que partiez hors d’icy121 !
LA FEMME
Je vous prie, rendez-le-luy ;
Et demain en aurez un autr[e].
LE BADIN
Ma maistresse, parlez-moy d’autre122 :
Car, par bieu, il ne l’aura jà !
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LE MARY SCÈNE XIX
300 Ho, ho ! Quel bonnet est-ce-là ?
C’est le bonnet d’un123 grand gallant.
LE BADIN
C’est mon124, c’est mon : c’est un alland.
Il a luyté125 à ma maistresse ;
Mais de prime126 luyte [et] adresse,
305 Il la vous a couchée en bas.
LA FEMME
Mon mary, ne le croyez pas !
LE MARY
Je vueil estre informé du cas.
Que demandoit-il ? Dis-le-moy !
LE BADIN
Il vouloit faire, com(me) je croy127,
310 Un hault-de-cha[u]sse à ma maistresse,
Car il regardoit que sa pièce128
Estoit assez haulte pour elle.
LE MARY
Vieille paillarde ! Macquerelle !
Orde souillon ! Salle putain !
315 Vous fault-il mener un tel train,
Quand je suis hors de ma maison ?
LA FEMME
N’estes-vous homme de raison ?
Pourquoy ainsi me diffamez ?
LE MARY
Et, mort bieu ! fault-il que causez ?
320 Du cas suis assez informé.
Par Dieu (qui m’a fait et formé),
Je vous batt[e]ray tout mon saoul !129
LA FEMME
Fault-il que pour un meschant foul
Je sois ainsi mal démenée ?
325 Mon Dieu, il m’a presque assommée !
Je vous [en] prie, abstenez-vous !
LE BADIN
Hon, hon ! [Ma maistresse,] quelz coups !
[LA FEMME]130
Ha ! mort bieu, suis-je encore(s) icy131 ?
Mon mary, je vous crie mercy !
330 Je vous prie que me pardonnez !
LE MARY
Si jamais vous y retournez,
Pas ne serez quitte à tel pris.
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Si en riens nous avons mespris132,
Nous prirons à la compagnie
335 Qui est icy ensemble unie
Qu’i luy plaise, sans reffuser,
Nous vouloir trèstous excuser.
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FIN
*
1 Peut-être s’agit-il d’un comédien qui, voulant reconstituer la pièce de mémoire, a surtout retenu les hémistiches rimés. 2 Le couple est chez lui. Pour l’instant, Guillemette est derrière le rideau de fond. 3 Je comble cette lacune en recopiant à l’identique le vers 5 du Testament Pathelin. L’épouse de Pathelin sert d’ailleurs son mari avec autant de mauvaise grâce que celle-ci. 4 Que vous suivre pour vous servir de bonne. 5 Que vous allez me mordre. Idem vers 181. 6 La petite bourgeoisie lorgnait du côté de la grande, et même de la noblesse. « Louez varlet ou chambèrière…./ Je suis assez femme notable/ Pour tenir varlet ou servante. » Les Drois de la Porte Bodés. 7 BM : fault 8 Que j’aille chercher du vin ou de la bière à la cave. Nous avons là une scansion populaire de cervoise, comme au vers 23. « Boire ung pot de cèrevoise. » Les Ordonnances, Édictz, Statuz. 9 C’est une tournure normande : « A ! Cuider, que tant tu es cault ! » La Pippée. 10 Auparavant. 11 BM : /il (« Ainsi sera faict, Monseigneur. » Actes des Apostres.) 12 J’ajoute pour la rime ce petit mot affectueux qu’on retrouve à la fin du vers 75 ; les maris l’appliquent sans méchanceté à leur femme : cf. le Savatier et Marguet, vers 226. 13 Dans la rue, face à la maison. Il interprète le 3e couplet d’une vieille chanson normande que j’ai publiée dans la notice du Bateleur, où elle est également chantée. 14 Dans le Cousturier et le Badin, le Badin en question cherche de l’embauche comme valet : « –Trouver quelque maistre y me fault…./ –Vous voulez-vous louer à moy ? » 15 Et pourtant. 16 Ce cri public sert de titre à un monologue de Christofle de Bordeaux : Varlet à louer à tout faire. 17 BM : de par tous (« Que, tous les diables, faictes-vous ? » Pour porter les présens.) 18 Il ouvre la porte. 19 Je m’en vais l’appeler. Guillemette sort devant la porte. 20 Raccourci normand de : « Par saint Jean ! » Cf. Deux hommes et leurs deux femmes, vers 359. 21 Elle fait entrer le Badin, et parle à son époux. 22 S’il est à votre goût, s’il vous convient. 23 Le malin. « Ainsi, sans faire icy le fin. » C. Huguet. 24 Officiellement. « Mais je te nomme à droit Bacus le Vendomois. » Ronsard. 25 Simplet. Cf. Jéninot qui fist un roy de son chat, vers 86. 26 Tous les dérivés de « Jean » désignent des naïfs. « Jéninot est le nom d’un sot. » Jéninot qui fist un roy. 27 Pour peu. Voir le vers 249. 28 Et aussi, je ne veux pas qu’on me fasse la gueule. Cf. les Drois de la Porte Bodés, vers 15. 29 Le museau de porc est un plat réputé. « Groins de pourceaux, et ung gigot farcy d’aulx [d’ail], que le roy donna au Bailly. » ATILF. 30 BM : nostre (Voir le vers 111.) 31 Balayer. Le soi-disant valet ignore ce mot, qu’il confond avec « bailler » : donner. 32 BM : loyson (Le couple, qui habite en ville, ne possède pas d’oies. Mais il a sûrement un cheval, comme tous les bourgeois. Grison est le nom dont on baptise spontanément les chevaux gris : « Il a bridé Grison et luy a mis la selle. » Ne sçauroit-on trouver.) 33 Elle donne un balai à Janot, qui ne sait pas comment on doit le tenir. 34 La grille, ou le portail. 35 Et aussi. La clé du cellier intéresse beaucoup les ivrognes, et donc les Badins : « Baillez-moy la clef du chélier. » Le Gentil homme et Naudet. 36 Gâte-sauce, ou plutôt goûte-sauces, toujours prêt à grappiller dans les casseroles. « Un gourmand, un frippon qui guette les morceaux pour les avaler. » Dict. de l’Académie françoise. 37 Vers manquant. Janot sera bel et bien nourri de pain bis au vers 98. 38 Tu ne manqueras. Cf. le Poulier à sis personnages, vers 455. On chôme certains jours fériés en faisant maigre, en ne mangeant presque rien. 39 BM : dautre 40 BM : Tenez (Au vers suivant, Guillemette continue à tutoyer son valet.) 41 BM : pis/ (Les pauvres et les domestiques se contentent de ce pain noir. Cf. Colinet et sa Tante, vers 24.) 42 BM : diriez que seriez si 43 Il faut manger avec noblesse, modération. 44 BM : me fasche (à la rime.) 45 Cela me contrarie. « Fort il me fasche/ Quand vous parlez de desloger. » Jacques Jacques. 46 Breuvage alcoolisé. « Quand tu éras gousté de chu bruvage. » La Muse normande. 47 Je m’en vais à mes affaires, à mon travail. 48 BM : et 49 Que j’aille voir, quoi qu’on en dise. 50 BM : Pour (Gouverner une femme = obtenir ses faveurs, y compris sexuelles. Cf. les Brus, vers 263.) 51 Tarder. « Sans plus targer,/ Vers la croix vais. » Les Trois amoureux de la croix. 52 La rêverie, la perte de temps. « Qu’i vault le songer ? » (Le Résolu.) L’Amoureux toque à la porte de Guillemette. 53 Je m’efforcerai. 54 BM : recommander. (L’Amoureux entre avec Guillemette, et s’assoit. Près de lui, avec des gestes dangereux, Janot essaie de comprendre le délicat maniement du balai.) 55 Sans y être invité. « Car je suis venus sans mander. » ATILF. 56 Je comble cette lacune d’après Jénin filz de rien : « Te tairas-tu point ? Qu’esse-cy ? » 57 Euphémisme normand pour « vrai Dieu ». Cf. la Farce du Pet, vers 130. 58 En latin de collégiens, bona dies = bonjour. Cf. le Mince de quaire, vers 165. 59 BM : sorte (Salutation parodique de collégiens : « Dieu vous gard/ De bien et de bonne santé ! » Les Cris de Paris. Le jeune clerc Guillerme s’en gargarise aux vers 177-8.) 60 BM : Mais (Voir le vers 170.) 61 Qu’il fallait que j’aille toujours. 62 Pourchas, provisions. 63 Pour faire l’amour. Cf. Frère Guillebert, vers 364. 64 En cachette. « Licurgue ordonna que les mariéz de Lacédémone ne se pourroient “prattiquer” qu’à la desrobée. » Montaigne. 65 Il grogne. Cf. le Ribault marié, vers 37. 66 Seyant. Les élégants portent leur bonnet incliné sur l’œil. Les Badins sont coiffés d’un béguin [bonnet de nourrisson] sur lequel ils peuvent mettre un bonnet grotesque : « Et coiffé d’un béguin d’enfant/ Et d’un hault bonnet triumphant. » (Marot : De Jean Serre, excellent joueur de Farces.) 67 Encore une formule de politesse inversée. Un homme bien élevé doit dire : Ou que le diable m’emporte ! 68 Ce mot couvre aussi les mystères de la chambre à coucher. « Je gasterois tout le mistère./ J’ayme beaucoup mieulx vous le faire. » Le Gentil homme et Naudet. 69 Cette réponse ambiguë est bien digne d’un Badin. On peut comprendre : « Je ne dirai plus un mot. » Ou, au contraire : « Je ne me tairai pas. » 70 Saint Charles. Le peuple était proche des saints, qu’il invoquait familièrement, avec des diminutifs dénués de toute moquerie. 71 Autour de. L’Amoureux du Poulier à quatre personnages sert les mêmes platitudes à sa maîtresse : « Ma doulce amye, croyez d’un cas/ Que j’ey faict plus de mile tours/ Par cy-devant depuys huict jours..../ Mais tousjours le [votre mari] voyais aler/ Ou venir à l’entour de vous. » 72 Lambin. Voir le Glossaire du patois normand, de Louis Du Bois. 73 On attache les pattes d’une oie qu’on veut aller vendre au marché. Ici, l’oie a des mains ; au vers 200, la femme a des pattes… 74 C’est une des multiples déformations du juron féminin « par mon enda ». « Par ma nanda ! j’en jure la bonne feste de madame la Sainct-Jean ! » Béroalde de Verville. 75 Je ne peux me faire si petite. 76 Quand il vous trousse. 77 Faim, envie. Cf. D’un qui se fait examiner, vers 184. 78 BM : Vrayment (La patronne du Badin Jéninot dit de son valet : « C’est bien raison ! Par mon serment,/ Ce coquin ne fait que railler. ») 79 Il chante un air à la mode. Sa maîtresse a pour nom Guillemette (vers 1), et non Alison. 80 Il met la main sur ses yeux pour ne pas voir, mais il regarde entre ses doigts. 81 Avec modération. 82 La bête à deux dos. « Et faisoient eulx deux souvent ensemble la beste à deux douz. » Gargantua, 3. 83 Les vers 195-202, avec leur triple refrain, révèlent un vestige de triolet. 84 Beaucoup de Badins ont pour père un homme d’Église : voir Jénin filz de rien, D’un qui se fait examiner pour estre prebstre, Messire Jehan, etc. 85 Janot n’a rien vu du tout, puisque les amants n’ont rien fait. Mais les Badins, qui ont un sixième sens, ne voient pas et n’entendent pas la même chose que nous. 86 Cette préposition normande signifie avec. « Voulez-vous demourer o moy ? » (Les Esbahis.) Janot croit comprendre que sa patronne veut coucher avec lui. 87 C’est le plus beau cadeau qu’on puisse faire à un Badin. Celui du Retraict réclame à sa patronne le prix de son silence : « Donnez-moy un bonnet poinctu. » Le Porteur de pénitence veut soudoyer un Badin en lui disant : « Je te donray un beau bonnet. » 88 De la pâte fourrée de viande ou de poisson et cuite au four. Les taverniers, tout comme les rôtisseurs et les boulangers, en font de la vente à emporter. 89 Pour peu. 90 Un morceau, un quignon. « Envoyez-luy ung bout de rost [de rôti]. » Légier d’Argent. 91 BM : moins (Le vers précédent rimait en « au mains », à la manière normande : « Si je ne suis payé au mains/ Du labeur qui vient de mes mains. » L’Aveugle et Saudret.) Tu en auras les mains pleines. 92 BM : nulle (Sans faute.) 93 Par cette injonction d’hôtelier, Janot réclame de quoi payer le pâté. 94 Comme cet argent est un bon intermédiaire ! « D’entregent gent ont nobles Franchois choix. » (Guillaume Crétin.) Janot complique le jeu en agglutinant un 3e gen au début du vers qui suit ; les Grands Rhétoriqueurs nommaient cette prouesse une « triple équivoque ». 95 Janot sort en laissant son balai par terre. Les amants s’embrassent. 96 Guillemette répond dans le même style, en commettant ce que les Grands Rhétoriqueurs appellent un « vrai kakemphaton ». « Folz folastres, serveaux asserveléz. » Folle Bobance, BM 40. 97 Il a mal agi. Idem vers 333. 98 Janot rentre dans la maison sans frapper, dérangeant les tourtereaux. Ce jeu de scène va se reproduire encore quatre fois. 99 Quel mauvais plaisant. « Quel gaudisseur ! » Moral de Tout-le-Monde. 100 Je prie Dieu pour que tu puisses te rompre le cou, au retour. 101 Immédiatement. « Car je m’en voys trèstout courant. » Maistre Doribus. 102 Du plaisir. 103 Ce que cela veut dire. « Adverty que c’est à dire de ladicte renonciation. » (Le Guidon des practiciens.) Les Badins, vissés à leur propre conception du réel, n’ont aucun sens du marchandage : voir par exemple Mahuet qui donne ses œufz au Pris du Marché. 104 Quand tu seras là-bas, chez le tavernier. 105 Immédiatement. « Je m’y en voy tout maintenant. » Le Tesmoing. 106 Lourdaud (normandisme). Cf. le Trocheur de maris, vers 27. 107 « Vous estes plus lourt q’ung taureau. » Les Queues troussées. 108 BM : Apporteray ie 109 L’amant du Gentil homme et Naudet, pour se débarrasser d’un Badin, l’envoie quérir du vin dans une taverne. Au gêneur, qui revient poser des questions saugrenues, l’amant répond : « Mon amy doulx, despesche-toy ! » 110 BM : quel le (Correction d’André Tissier.) 111 Retardés. 112 Ce saint normand existe : cf. les Brus, vers 70. Mais pour la mesure, et pour rester dans la nourriture, on peut lui préférer saint Jambon, qui est le héros d’un sermon joyeux. « Par sainct Jambon de Maïance ! » (La Resjouissance des harangères.) Enfin, il serait injuste de ne pas rendre l’hommage qu’il mérite à saint Jean Bon, l’ermite mantouan qui fonda en 1217 l’ordre des Jeanbonites. 113 Un effarant. 114 BM : de bieure (L’éditeur parisien a remplacé une rue rouennaise par la rue de Bièvre.) La taverne du Pot-d’étain faisait le coin de la rue d’Albène, prononciation normande et graphie attestée de la rue d’Albane, qui deviendra la rue des Quatre-Vents. 115 BM : un petit (Janot vante son appétit au vers 53.) 116 BM : retournerois (« COLIN, en s’en allant : Tu dis vray, g’y tourne. » Colin qui loue et despite Dieu.) 117 En latin, illa = par là. Cf. la Farce du Pet, vers 45 et note. 118 Il se retourne vers la porte ouverte comme s’il allait sortir encore une fois. 119 Je reprends le vers 119. 120 La politesse est une convention étrangère à l’univers des Badins. Nous avons eu des exemples de leur politesse personnelle aux vers 144 et 163. 121 Tandis que l’Amoureux passe devant lui pour fuir, Janot lui arrache son bonnet, et s’en coiffe d’une manière ridicule. 122 Parlez d’autre chose. 123 BM : en 124 C’est vrai. Cf. Lucas Sergent, vers 172. Un allant est un homme à femmes : « Il se dit père, oyez-vous, d’Olivier Galland./ O ! de par Dieu, c’est un allant ! » Godefroy. 125 Lutté corps à corps. « “La belle,/ Jouons-nous et luyttons bien fort !”/ Mais mon maistre est bien le plus fort :/ Il la gette tousjours en bas. » Guillerme qui mengea les figues. 126 BM : la premiere (De prime lutte = au premier assaut : « Maistre Bidault de Cullebute,/ Chappellain d’Emmanche-Faucille,/ Grant abbateur de prime lute. » Guillaume Coquillart.) De prime adresse = directement : « De prime adresse jusques en Castille. » ATILF. 127 « La loy punist par glayve, com je croys. » L’Ystoire de Eurialus et Lucresse. 128 BM : brayette (La pièce est le coupon de tissu dans lequel on taille un haut-de-chausses [un pantalon]. C’est également le pénis : « Vécy des coustures bien faictes :/ J’ay mis la pièce auprès [à côté] du trou. » Les Botines Gaultier.) 129 Le mari ramasse le balai que Janot a laissé par terre, et cogne sur son épouse. 130 BM descend cette rubrique sous le vers suivant. 131 Suis-je encore de ce monde ? 132 Si nous avons fauté en quoi que ce soit.