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LES HOMMES QUI
FONT SALLER
LEURS FEMMES
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Face au théâtre médiéval, le prétendu « Grand Siècle » fut moins obtus qu’on ne le dit : en témoignent le Recueil de Copenhague (1619), qui comprend neuf pièces des XVe et XVIe siècles, ou le Recueil Rousset (1612), qui en compte sept, et ne parlons pas du Porteur d’eau, composé au XVe siècle et publié en 1632 ! La farce des Hommes qui font saller leurs femmes, caractéristique du début du XVIe siècle, fut sauvée un siècle plus tard, après avoir subi une cure de rajeunissement qui ne la défigure pas trop. Cette pièce est la contrepartie masculine d’une farce de la même époque, les Femmes qui font refondre leurs maris.
Je publie sous la farce un poème inédit concernant des femmes qui salent leur mari.
Sources : Discours facétieux des Hommes qui font saller leurs femmes. (Bibliothèque nationale de France, Rothschild 1087.) Publié entre 1598 et 1605 à Paris, chez Pierre Ménier. — Discours facétieux des Hommes qui font saller leurs femmes. (Bibliothèque nationale de France, Rés. Ye. 2029.) Publié au plus tard en 1628, à Rouen, chez Abraham Cousturier. Les éditions de 1829 et 1830, la thèse inédite de Michel Rousse en 1974, la délicieuse traduction américaine de Jody Enders1 en 2017 et l’édition critique de Tess Wensink (université d’Utrecht) en 2020 s’appuient toutes sur le texte de Rouen ; par esprit de la contradiction, je m’appuierai donc sur celui de Paris, que personne n’a lu. Cousturier l’a plagié d’une manière très fidèle, mais il y a introduit 11 fautes.
Structure : Rimes plates, avec 2 triolets, indissociables du théâtre médiéval.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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Discours facétieux des
Hommes qui font
saller leurs femmes
à cause qu’elles sont trop douces.
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À cinq personnages, à sçavoir :
MARCEAU
JULLIEN
GILLETTE, femme de Marceau
FRANÇOISE, femme de Jullien
MAISTRE MACÉ, philosophe de Bretaigne 2
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MARCEAU commence SCÈNE I
Et puis, Jullien, que dit le cœur ?
JULLIEN
Marceau, mon amy : le malheur,
À présent, plus ne me dépitte.
Je suis un second Démocrite3.
MARCEAU
5 Comment, voisin ?
JULLIEN
Je ry sans cesse,
Loing de fascherie et tristesse,
Le plus heureux en son4 mesnage
Qui5 jamais se vid [de son âge]6.
MARCEAU
Par ma foy ! j’en suis tout ainsi,
10 Mon voisin Jullien : le soucy
Ne fait point avec moy demeure.
Et suis obéy à toute heure
De ma femme mieux que jamais.
JULLIEN
Je vy joyeusement en paix.
15 Ce que je veux ma femme veut.
Elle fait plus qu’elle ne peut
Envers moy. Et si je la baise7,
Affin de me tenir à l’aise8,
El’ me donne mil accollades.
MARCEAU
20 Mes faits ne gisent qu’en bravades,
Qu’en pïaphes9, qu’en volupté.
O ! qu’à la mienne volonté10
J’eusse plus tost pris telle femme,
Qui est plus douce, par mon âme,
25 Que n’est le succre ou l’ambroisie !
JULLIEN
Je suis mieux à ma fantasie11
Servy que n’est un petit roy.
Ma femme a si grand soin12 de moy
Qu’estant une heure sans me veoir,
30 Elle entre en un tel désespoir
Que souvent on la tient pour morte.
Puis sitost que suis à la porte,
Pour me recevoir elle avance
Une si grande révérence
35 Que chacun me tient, pour le seur13,
Quelque conte14 ou quelque seigneur.
MARCEAU
La mienne me chauffe, au dimanche,
Humblement ma chemise15 blanche ;
Puis en la baisant, me la baille.
40 Elle me chausse, elle travaille
À me pigner et testonner16.
Brief, el(le) ne sçait que me donner
De peur que je ne me courrouce.
Et me dit d’une voix si douce :
45 « Bon jour, mon grand amy Marceau !17 »
Pense-tu que cela est beau ?
JULLIEN
Beau ? Je te dis qu’en faits et dits,
Cela est un vray paradis18.
Je n’en ment[s] de rien, mon mignon.
50 Toutesfois, il n’est pas trop bon
Qu’une femme soit si doucette.
MARCEAU
Que ce propos l’on m’interprette :
Pourquoy cela ?
JULLIEN
Et ! vertu bieu !
Si quelqu’un venoit en ce lieu
55 – Ainsi que nous voyons tousjours –
La supplier du jeu d’amours,
Elle se le laisseroit faire.
MARCEAU
Tu entends fort bien cet affaire19.
Elle seroit en grand danger,
60 Voirement, si quelque estranger
De l’aimer luy faisoit requeste.
JULLIEN
Il n’en faut point faire d’enqueste,
Car il n’est pas à son pouvoir
De résister.
MARCEAU
Il faut pourveoir
65 À si grande incommodité.
JULLIEN
Tu ne dis que la vérité.
Mais qu’est-ce que nous y ferons ?
MARCEAU
Tout de ce pas, nous en irons
À maistre Macé, lequel est
70 Grand philosophe20. S’il luy plaist,
Aigres21 les fera toutes deux.
JULLIEN
Ma foy, nous serions bien-heureux
Si cela pouvoit advenir.
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MAISTRE MACÉ 22 SCÈNE II
Tout homme qui veut parvenir,
75 Il doit apprendre la magie
Avec[ques] la philosophie23 ;
Ou pour le moins, en toute affaire,
Le philosophe contrefaire,
Pour faire aux petits enfans peur.
80 Car par ce point, l’on est tout seur
D’avoir force argent amassé.
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MARCEAU SCÈNE III
Le bien trouvé24, maistre Macé !
MAISTRE MACÉ
Et à vobis, compéribus25 !
JULLIEN
Nous venons à vous sans abus
85 Pour sçavoir si, sans nuls diffames,
Vous pourriez bien guarir nos femmes
Malades d’une estrange sorte.
MAISTRE MACÉ
Ouy. Que leur urine on m’apporte26 !
Toutes deux les rendray guaries,
90 « Saines comme pommes pourries27 »,
Eussent-ils28 vos fièvres quartaines.
MARCEAU
Maistre Macé, j’ay les mains pleines29 :
Ser[r]ez fort !
MAISTRE MACÉ
Prenez30 tout pour vous,
Et me dictes cy, entre nous,
95 Que peuvent vos femmes avoir31.
JULLIEN
De le dire ferons devoir :
Elles sont trop douces ; et si
Quelque mignon prenoit soucy
De les prier de déshonneur,
100 Elles n’y pourroient, de malheur,
Résister.
MARCEAU
Voilà le vray mot :
Nous craignons que dans leur « tripot32 »,
Quelques-uns viennent bricoller33.
MAISTRE MACÉ
Ce seroit pour vous affoller !
105 Elles sont trop douces, n’est pas ?
JULLIEN
Nous vous avons compté34 le cas
Touchant les fascheries nostres.
MAISTRE MACÉ
Elles passent donc beaucoup d’autres35,
Qui ont la teste diabolique.
MARCEAU
110 Mais que faut-il qu’on leur applique ?
MAISTRE MACÉ
Il les faut saller seulement.
JULLIEN
Saller ? Que dictes-vous ? Comment
Seroient-el(le)s aigres par ce point ?
MAISTRE MACÉ
Qui36 leur bailleroit sel à point,
115 On les amenderoit37 vrayment.
Sçavez-vous pas certainement
Que quand les vivres38 sont trop doux
– Soit en chair, potages ou choux –
Il les faut saller bravement ?
JULLIEN
120 Mais comment les saller ?
MAISTRE MACÉ
Comment ?
Et ! c’est bien demandé, beau sire.
Maintenant n’ay-je à le vous dire,
Et non pas vous à m’en parler39.
MARCEAU
Or çà ! les sçauriez-vous saller,
125 Qui bon argent vous donneroit ?
MAISTRE MACÉ
Ouy, qui me les amèneroit.
Je fay40 si bien qu’el(le)s garderont,
Quand par moy sallées seront,
Leur droict41 encontre tous venans.
JULLIEN
130 Maistre Macé, voilà dix frans.
Sallez (suivant vostre manière)
La mienne devant et derrière,
Si bien – sans luy faire douleur –
Qu’elle ayt un peu moins de douceur.
MAISTRE MACÉ
135 Amenez-les-moy, amenez !
MARCEAU
Quérir vois42 la mienne. Tenez,
Maistre Macé : voilà pour boire43.
MAISTRE MACÉ
Dépeschez ! De fresche mémoire,
Je m’en vois mon sel apprester44.
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JULLIEN SCÈNE IV
140 À ce coup aurons, sans douter,
Des femmes douces et à point.
MARCEAU
Mais ne se mocquera-on point
De nous ? Que t’en semble ?
JULLIEN
Non, non.
Maistre Macé a le renom
145 D’avoir un notable cerveau.
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MARCEAU 45 SCÈNE V
Gillette !
GILLETTE
Que vous plaist, Marceau,
Amy parfaict et singulier46 ?
MARCEAU
(Sçauroit-on mieux s’humilier ?
Sa contenance est trop douçastre.)
150 Venez avec moy vous esbatre
Icy près.
GILLETTE
À vostre plaisir !
Vostre vouloir est mon désir ;
Avec vous n’auray jamais noise47.
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JULLIEN 48 SCÈNE VI
Où estes-vous, dame Françoise ?
FRANÇOISE 49
155 Me voicy, mon amy Jullien.
JULLIEN
Venez tost (entendez-vous bien ?)
Avec moy chez un certain maistre
Qui m’a promis sans rien obmettre
Que bien vous médecinera.
FRANÇOISE
160 Je feray ce qu’il vous plaira ;
Mes faits vous sont assez cognus50.
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MARCEAU SCÈNE VII
Maistre, nous sommes revenus,
Et amenons icy nos femmes.
JULLIEN
Nous vous prions faire des dames
165 Comme vous nous avez promis.
MAISTRE MACÉ
Ne vous souciez, mes amis :
Fort bien mon devoir j’en feray51…
Dames, entrez ! Je vous verray
Tantost52.
MARCEAU
Nous vous laissons seulettes.
170 Ce que le maistre dira faictes,
Sans en rien luy contrarier.
GILLETTE
Nous le ferons sans varier ;
Fiez-vous à nous hardiment.53
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MAISTRE MACÉ SCÈNE VIII
Despouillez cet habillement
175 Sans faire icy les éperdues ;
Car si vous n’estes toutes nues,
À vous besongner je ne puis54.
FRANÇOISE
Ce n’est pas ce que je poursuis55 !
Quel « besongner » ?
MAISTRE MACÉ
Despouillez-vous,
180 Et ne vous mettez en courroux.
Tost, dépeschez !
GILLETTE
Et ! qu’est-ce-cy ?
FRANÇOISE
Rien n’en feray !
GILLETTE
Ny moy aussi :
Pas je ne me despouilleray.
MAISTRE MACÉ
Comment donc est-ce que pourray
185 Vous saller ?
GILLETTE
Quoy, saller ?
FRANÇOISE
Saller ?
De ce, jamais n’oÿ parler.
Vous me contez un nouveau cas.
MAISTRE MACÉ
Et ! vos marys vous ont-ils pas
Pour cela fait icy venir ?
GILLETTE
190 De ce, vueillez vous abstenir ;
Ne soyez si outrecuidé.
MAISTRE MACÉ
Par la morbieu ! j’ay marchandé56 :
Par quoy, vous saller je désire.
FRANÇOISE
Mais sçachons ce qu’ils veulent dire.
195 Tels faits ne nous semblent honnestes.
MAISTRE MACÉ
Parce que trop douces vous estes,
Et pour oster ceste douceur,
Saller vous convient, pour le seur57.
GILLETTE
Et ! comment, voisine ? Nous sommes
200 Donc trop douces pour nos deux hommes ?
Voyez la belle resverie !
FRANÇOISE
Pour les fascher, je vous en prie :
Que nous soyons doresnavant
Plus aigres, contre eux estrivant58
205 Sans aucune miséricorde !
GILLETTE
Voisine, je le vous accorde :
Désormais, plus rude seray,
Et mon mary bien chastieray,
Puisque je l’ay mis en ma teste59.
FRANÇOISE
210 Maistre Macé, je vous proteste
Que de nous-mesmes tant ferons
Qu’assez bien nou[s] nous sallerons60
Sans que vous y mettiez la… main.
GILLETTE
Au demeurant, de cœur humain,
215 Pour le vin vous aurez cecy61.
MAISTRE MACÉ
Mais sallez-vous si bien, aussi,
Que soyez aigres, je vous prie ;
Ou il faudra que vous manie62.
GILLETTE
Ne vous chaille, pas n’y faudrons63.
FRANÇOISE
220 Jamais céans ne reviendrons,
Quelque chose qu’il en advienne.64
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MARCEAU SCÈNE IX
Voicy ta femme avec la mienne,
Qui reviennent drues et saines.
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GILLETTE SCÈNE X
Sont vos fortes fièvres quartaines,
225 Vilains et gaudisseurs65 infâmes !
Faictes-vous donc saller vos femmes,
Pour acquérir du66 déshonneur ?
FRANÇOISE
Malheureux, estes-vous sans cœur ?
Estes-vous sans entendement,
230 De nous bailler vilainement,
Comme des trippes, à saller67 ?
MARCEAU
Nous vous prions, à bref parler,
Supporter un peu nostre offence.
JULLIEN
Elle est de peu de conséquence :
235 Nous le fais[i]ons sans mal penser.
GILLETTE
Et ! pour nous en récompenser68,
Voisine, sans plus arrester,
Il nous faut dessus eux jetter69
Et les rebatre, dos et ventre !
FRANÇOISE
240 Puisqu’en ma fantasie il entre70,
Ils seront si bien bastonnés
Qu’en leur vie plus estonnéz71
Ils ne furent pour leur forfaict !
GILLETTE 72
Par ma foy, ce sera bien faict !
245 Sus ! allons, Marceau !
FRANÇOISE
Çà, Jullien !
Par mes coups, recognoissez bien
Si je suis bien sallée ainsi !
JULLIEN
Ma femme, faictes-moy mercy73 !
Jamais saller ne vous feray.
GILLETTE
250 Marceau, vous en aurez aussi !
MARCEAU
Ma femme, faictes-moy mercy !
FRANÇOISE
Ha ! les vilains, ils ont vessi74 !
Mais de mes coups les chargeray75.
JULLIEN
Ma femme, faictes-moy mercy !
255 Jamais saller ne vous feray.
FRANÇOISE
Encor ces coups leur donneray,
Pour les faire plus murmurer !
GILLETTE
Faisons-les crier et plorer :
Ils ont eu fort beau passe-temps.76
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MARCEAU SCÈNE XI
260 Je suis, ce coup, des mal-contens.
Le diable emporte le sallage !
JULLIEN
Ce triacleur77, à bref langage,
Les a gast[é]es meschamment.
MARCEAU
Allons vers luy légèrement78,
265 Et luy remonstrons telle chose79.
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JULLIEN SCÈNE XII
Maistre Macé, à quelle cause
Avez-vous mal sallé nos femmes ?
MARCEAU
Ce sont pour vous de grands diffames,
Car je vous dy certainement
270 Qu’elles nous ont extrêmement
Battus, ce que pas ne voulons.
MAISTRE MACÉ 80
Il faut que nous les resallons ?
JULLIEN
El(le)s le sont trop, de par le diable !
MARCEAU
C’est une chose véritable :
275 Encor oyons-nous81 leurs goullées.
MAISTRE MACÉ
Quoy ! sont-elles trop peu sallées ?
JULLIEN
Au contraire, el(le)s le sont beaucoup !
Par quoy vous prions, à ce coup,
Qu’elles se puissent amender.
MAISTRE MACÉ
280 Il leur faut doncques demander.
MARCEAU
Par trop nous couste la follie ;
Nostre liesse est abolie.
Ainsi ne nous deviez82 tromper !
MAISTRE MACÉ
Si vous les pouviez détremper83,
285 Je croy qu’elles adouciroient.
JULLIEN
Ha ! jamais ne le souffriroient84.
[MARCEAU]
En la maison n’ozons aller.
MAISTRE MACÉ
Les douces je sçay bien saller ;
Mais touchant de désaller, point.
JULLIEN
290 Le diable vous en fit mesler !
MAISTRE MACÉ
Les douces je sçay bien saller.
MARCEAU
Mais dictes-nous, à bref parler :
Demour[r]ons-nous85 donc en ce point ?
MAISTRE MACÉ
Les douces je sçay bien saller ;
295 Mais touchant de désaller, point.
JULLIEN
Nous voicy donc en piteux point.
Or, bien il nous faut endurer
Sans aucunement murmurer.
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Ainsi, [qui oncq]86 ne se contente
300 D’une femme douce et plaisante
Qui faict un honneste devoir,
Mérite (comme avez peu veoir)
D’en avoir une fort fascheuse,
Mal plaisante et mal gracieuse.
305 Et vous en vueille souvenir !
À Dieu jusques au revenir87 !
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Il y a encore la Farce de Pied-à-boulle,
où les hommes font venir leurs femmes à jubé88.
FIN
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LES FEMMES SALLENT LEURS MARIS
POUR DU DOUX LES RENDRE GUÉRIS.
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Vers 1557, les Hommes qui salent leurs femmes furent détrônés par les Femmes qui salent leurs maris. Cette réponse du « sexe faible » tient dans quatre dizains décasyllabiques, qui entourent une gravure89 où l’on voit des femmes répandre du sel sur les fesses et les organes génitaux de leurs maris trop doux, afin de leur rendre un peu de vigueur. À croire qu’elles ont lu ce que Plutarque disait du sel : « Il provocque, par sa chaleur, ceulx qui en usent à luxure & à se mesler avec les femmes. » Voici la première édition critique de cette mini-farce :
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LE SOT LIBRE 90
1 Encor n’est-il qu’estre91 garson toujours
Pour éviter un fâcheux coqüage ;
Ou – pour garder92 des femmes les faux tours –
Se93 monstrer maistre en son chétif ménage94.
Car si trop doux vous estes95 en vostre aage,
Incontinant la femme abusera
De la douceur, et lors vous sallera96
Comme ceux-cy, qui ne me vouloient97 croire :
Sont tant saléz que le corps leur cuira.
Gardez-vous doncq de semblable accessoire98 !
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LA VIEILLE
11 Dames, avant99 ! Prenez voz maris tous !
Despouillez-les100 comme sçavez l’usage !
Salez-les bien101, [puis]qu’ilz vous sont trop doux
Et humblement ilz vous rendent102 hommage.
Pour mon regard103, avec vous feray rage
De les saller (sans craindre aucun méchef)
Depuis le bout des piedz jusque[s] au chef.
Tant que le[ur] cul – tant soit puant – s’esvente104,
Sallez, sallez, je le dy derechef.
À si beaux faictz, je veux estre présente.
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LES DAMES QUI SALLENT LEURS MARIS
21 Nos maris sont si doux et débonnaires
Qu’ilz souffrent tout ce que faire voullons.
Comme varlets, en nos105 privés affaires,
Pour nous servir sont près106 de nos tallons.
Voilà pourquoy ainsi nous les sallons
En ce salloir, par-devant et derrière107,
Affin de vœir leur nature108 plus fière,
Et les ranger si bien dessoubz nos loix.
Que de ce sel109 la vertu singulière
Confond[e] tout ce qui est trop110 courtoys !
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LES MARIS SALLÉZ
31 Prennez pitié de ces douleureux hommes
Qu’en ce salloir vous tenez enserréz !
Vous voyez bien qu’assez salléz nous sommes ;
D’oresnavant, plus aygres111 nous verrez.
Si, sottement, nous sommes égaréz112
Pour estre doux à vostre ingrat service113,
Dames, pensez que ce n’est [point par vice]114
Ains115 pour complaire à vostre grand beauté.
Puis donq qu’avez la rig[u]eur plus propice116,
Nous n’aurons plus en nous que cruauté.
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1 Holy Deadlock and further ribaldries. (University of Pennsylvania Press, Philadelphia.) Je remercie vivement Jody Enders, qui m’a communiqué la thèse de M. Rousse, dont la copie a mystérieusement disparu d’Internet. 2 Maître Macé est un faux savant, un mauvais latiniste, un alcoolique et un trousseur de jupons. Son nom fait croire qu’il est maître passé : qu’il est passé maître apothicaire. (Notons la contrepèterie sur maître passé et prêtre Massé.) « [Nous] ordonnons à tous les nostres/ De ne faire grande despense pour estre maistre passé :/ Pour estre maistre Massé,/ Ut omnes reficiat,/ L’on fera proficiat. » (Ordonnances conardes.) « De Bretagne » indique une forte propension à l’alcoolisme : « –Je y suis maistre passé ! –A brum ! A brum ! Je suis prebstre Macé ! –O les beuveurs ! O les altéréz !…. –Diriez-vous q’une mousche y eust bu ? –À la mode de Bretaigne ! » Gargantua, 5. 3 Philosophe grec qui riait de tout. « Démocritus (…) ne sortoit en public qu’avec un visage moqueur et riant. » Montaigne. 4 Éd : mon 5 Éd : Que 6 Éd : personnage. (En son temps.) « La plus grand traÿson (…)/ Que vous ouÿstes de vostre âge. » Le Tesmoing. 7 Même sens qu’aujourd’hui. Voir la note 130 du Povre Jouhan, et la note 29 du Trocheur de maris. 8 En érection. Cf. le Tesmoing, vers 300. 9 En esbroufes. « Certaine vaillance (…) laquelle ne consiste qu’en bravades, piaffes, injures de paroles. » (François de La Noue.) Ce terme du jargon équestre a conquis les littérateurs dans les années 1560, mais il devait être connu des cavaliers depuis longtemps. Toutes ces expressions un peu « cavalières » appartenaient de droit au registre érotique. 10 Si mes parents me l’avaient permis tout de suite. Les deux éditeurs ont soudé « plustost », comme cela ce faisait ; mais du coup, le sens est différent. Voir la note 13 de Jody Enders, p. 511. 11 À mon gré. 12 Souci. 13 D’après M. Rousse, « on peut avancer l’hypothèse que cette farce aurait été composée dans une région normanno-picarde ». Il en donne pour preuves la rime seur [sûr] ici et au vers 80, pigner pour peigner (v. 41), ils pour elles (v. 91), et varier dans le sens d’hésiter (v. 172). 14 Me prend à coup sûr pour un comte. 15 Cf. le Cuvier, vers 86. 16 Elle me peigne et me bichonne. 17 « Jamais [elle] ne me dira sinon :/ “Mon amy, bien soyez venu !” » Deux hommes et leurs deux femmes. Le second mari de cette farce vante dans les mêmes termes que Jullien et Marceau les joies du bonheur conjugal au côté d’une épouse agréable. Malheureusement, cette dernière est un peu « tendre du cul » et collectionne les amants. C’est d’ailleurs ce que les maris de notre farce vont craindre de leur trop douce moitié. Voir la préface de M. Rousse, p. 4. 18 « C’est/ Ung vray paradis que d’y estre ! » Deux hommes et leurs deux femmes. Voir la note 17. 19 Originellement, le mot « affaire » était masculin. Le féminin l’a emporté vers le milieu du XVIe siècle. Nos deux éditeurs l’ont féminisé –et donc modernisé– au vers 77, mais ils ont laissé passer plusieurs autres tournures révolues. Michel Rousse, qui milite pour une datation récente de l’œuvre, y reconnaît lui-même « un certain nombre d’archaïsmes » : à la mienne volonté (v. 22), les fascheries nostres (v. 107), sans en rien luy contrarier (v. 171), le subjonctif resallons (v. 272). J’en signalerai d’autres, qui prouvent que l’original était bien antérieur aux réfections du XVIIe siècle. 20 Alchimiste, qui cherche la pierre philosophale. Idem vers 78. Cf. la Pippée, vers 475. 21 Rébarbatives vis-à-vis des galants. 22 À la devanture de son officine, il distille de l’eau de vie avec son alambic et la goûte de temps en temps. 23 « L’art d’alchymie, qui est la plus subtille partie de philosophie naturelle. » (Nicolas de Grosparmy.) Les deux éditeurs ont modernisé « avecques », au détriment de la mesure, mais ils ont laissé passer un vieux « doncques » au vers 280. 24 Heureux de vous trouver ici ! 25 Et vous aussi, mes compères ! Tous les charlatans écorchent du latin pour qu’on les prenne au sérieux (voir la note 2). « Bref, comme dit maistre Macé :/ Dès que chacun fut “in pace”. » D’Assoucy. 26 Le diagnostic reposait sur l’examen des urines, même en l’absence du malade. « Portez de mon urine/ Au médecin ! » Seconde Moralité. 27 Figure dans la liste des proverbes du Jardin de récréation : « Ilz sont sains comme pommes pourries. » 28 Même si elles avaient. Le pronom féminin « ils » était encore usité dans la première moitié du XVIe siècle. Partout ailleurs, nos éditeurs l’ont remplacé par « elles », quitte à rendre le vers trop long. 29 Pleines de pièces de monnaie. 30 Gardez. Cet argent, le guérisseur « le prend très-bien, en le refusant quelque peu après l’avoir en sa main, à la façon des médecins ». (Histoire maccaronique de Merlin Coccaïe.) Il en acceptera d’autre sans faire autant de manières aux vers 130 et 137. 31 Ce que peuvent bien avoir vos femmes comme maladie. 32 Dans leur sexe. « Nous sommes six chasseurs portant balle et raquette [testicules et pénis],/ Qui voulons, s’il vous plaist, jouer en vos tripots, / Mes dames…./ Et nous tiendrons tousjours nos balles toutes prestes/ Afin de bricoler aux trous mieux défendus. » Le Labyrinthe d’amour. 33 Copuler. « Allons toute nuit/ Prester nostre habit-à-vit [notre vagin]/ À quelque bon drosle/ Qui bien nous bricolle. » (Ma femme m’a tant batu.) Cf. le Sermon pour une nopce, vers 58 et note. 34 Conté. Les éditeurs moderniseront cette vieille graphie au vers 187. 35 Elles sont supérieures aux autres femmes, qui sont de vraies diablesses. Parmi les personnages de farces, Gillette et Françoise sont des cas presque uniques d’épouses obéissantes et fidèles ; on ne voit guère que Marguet pour leur faire concurrence, dans le Savatier et Marguet. L’auteur, qui sait bien que le théâtre repose sur un conflit, n’introduit ces deux nunuches que dans la seconde moitié de la pièce, et il se hâte de corrompre leur caractère idyllique. 36 Si on. Idem vers 125 et 126. 37 On les améliorerait. Idem vers 279. 38 Les mets. Doux = fade. « Doux de sel : qui n’est pas assez salé. » Antoine Oudin. 39 L’apothicaire veut garder ses secrets de fabrication. Ou plutôt, il ne sait pas encore comment il va s’y prendre pour saler des femmes. 40 Éd : dy 41 Leur droiture, leur honneur. 42 Je vais. 43 Voici vos honoraires. Mais le pourboire convient mieux à un ivrogne, comme le précise le vers 215. 44 Tant que j’y pense, je vais préparer le sel. Il compte saler des femmes comme on sale des tripes (vers 231) : en les mettant dans une vasque nommée le saloir, et en les saupoudrant de gros sel. Voir la gravure que j’étudie en appendice. 45 Il rentre chez lui. 46 Unique. 47 De dispute. Dans Deux hommes et leurs deux femmes, l’épouse idéale fait la même remarque : « Jamais de noyse/ Nous n’avons en nostre maison. » 48 Il rentre chez lui. 49 Elle lui fait une grande révérence (vers 32-36). 50 Connus. Les deux couples vont chez l’apothicaire. Les bourgeoises qui veulent passer pour bonnes ménagères emportent toujours leur quenouille quand elles vont en visite. 51 Sous-entendu : Je les besognerai bien ! « Car vostre puissance est trop vaine/ Pour bien faire vostre devoir. » Ung jeune moyne et ung viel gendarme. 52 Cette réplique s’adresse aux deux hommes, que Macé veut faire partir. 53 Les maris vont attendre dans la rue. 54 Je ne peux pas travailler sur vous. Le double sens grivois de « besogner » n’échappe pas à Françoise. Saler une femme paraphrase l’expression érotique seller une femme : la chevaucher. « –Chacun la tient pour pucelle./ –Et ! que voullez-vous : on la selle. » Le Ribault marié. 55 Ce n’est pas le but que je recherche. 56 J’ai conclu un marché pour lequel on m’a payé. 57 Il faut vous saler, c’est plus sûr. « Car n’estant si salée, elle sera plus douce. » Capitaine Lasphrise. 58 Contestant. « Partons, affin que plus n’estrive/ Contre nous. » Les Cris de Paris. 59 Même vers dans la Mauvaistié des femmes, une farce contemporaine de celle-ci. 60 Nous aurons un caractère plus épicé sans avoir besoin de votre sel. 61 Voici un pourboire (note 43). 62 Que je vous prenne en mains médicalement… et sexuellement : « Après moy vinstes peu à peu/ Me manier en mon lict. » Le Badin, la Femme et la Chambrière, BM 16. 63 Nous n’y manquerons pas. 64 Les deux femmes sortent avec un air furieux, et foncent sur leurs époux, qui attendent dehors. 65 Plaisantins. Cf. le Gaudisseur. 66 Éd : vn 67 « Qui voudroit des tripes saller. » Les Cris de Paris. 68 Pour nous venger. 69 Nous devons nous jeter sur eux. 70 Puisque je l’ai dans l’idée. 71 Frappés par la foudre, ou en l’occurrence, par la quenouille de leur femme. 72 Les deux épouses tapent sur leur mari, comme dans beaucoup de farces de cette époque. 73 Grâce. 74 Un homme qui reçoit des coups sur les fesses a tendance à péter : cf. Frère Fécisti, vers 498. 75 Éd : armeray (« Armer de coups » n’existe pas, contrairement à « charger de coups ».) « L’achepteur estoit par terre, chargé de coups de poing. » Bonaventure Des Périers. 76 Les femmes rentrent à la maison. 77 Ce vendeur de thériaque, de contrepoisons : ce charlatan. Cf. la Farce d’un Pardonneur, d’un Triacleur et d’une Tavernière. 78 Vivement. 79 Reprochons-lui cela. 80 Il est tellement soûl qu’il comprend tout de travers. 81 Éd : auons nous (Nous entendons encore leurs gueulantes.) « Chascun a getté sa goulée,/ Parlant sur nous à la volée. » ATILF. 82 Éd : conuient (Vous n’auriez pas dû nous tromper ainsi.) 83 Les faire tremper. Après avoir voulu saler ces pauvres femmes comme des tripes, on veut maintenant les dessaler comme de la morue. 84 Quand les Femmes qui font refondre leurs maris demandent au charlatan de remettre ces messieurs dans leur état primitif, elles obtiennent une réponse analogue : « Ilz diroyent/ Que jamais n’y consentiroyent. » 85 Demeurerons-nous (ancienne forme du futur). « Demourrons-nous icy ? » Guillaume Le Heurteur. 86 Éd : quiconque (Modernisation intempestive des éditeurs.) Celui qui jamais. 87 Jusqu’à ce que notre troupe revienne jouer. Ces deux vers concluent la farce des Femmes qui demandent les arrérages de leurs maris, non pas dans l’édition ancienne (BM 8), mais dans la version remaniée en 1612 (Rousset, p. 117). 88 Venir à jubé = se soumettre : cf. les Veaux, vers 87. Notre farce était donc suivie par une autre, aujourd’hui perdue. S’agissait-il d’une suite comprenant les mêmes personnages ? Ce complément de programme n’est même pas mentionné par le plagiaire rouennais. Tenir pied à boule = résister fermement : cf. Colin filz de Thévot, vers 112. 89 Cabinet des Estampes de la Bibliothèque nationale. Tf 2, Réserve, folio 96 verso. 90 Célibataire. La littérature morale confie souvent à des fous le discours le plus sensé. 91 Éd : que destre (Il n’y a qu’à rester vieux garçon.) 92 Pour se garder de leurs mauvais tours. 93 Encore n’est-il que se = il n’y a qu’à se. 94 Emprunt à la farce : « Le plus heureux en son mesnage. » 95 Emprunt à la farce : « Parce que trop douces vous estes. » 96 Emprunt à la farce : « Comment donc est-ce que pourray/ Vous saller. » 97 Éd : veulent 98 Complication. 99 En avant ! À l’attaque ! 100 Emprunt à la farce : « Despouillez-vous ! » 101 Emprunt à la farce : « Assez bien nous nous sallerons. » 102 Éd : tendent (Et qu’ils vous rendent leurs hommages conjugaux trop modestement.) 103 En ce qui me concerne. 104 Est nu, exposé à l’air. 105 Éd : uos (Le « n » est à l’envers.) Même quand nous allons aux toilettes. 106 Éd : prests (Ils sont juste derrière nous.) 107 Emprunt à la farce : « Sallez, suivant vostre manière,/ La mienne devant et derrière. » 108 Leur verge. « La créature/ Se venoit assoir à ses piéz/ Pour luy eschauffer la nature. » Guillaume Coquillart. 109 Éd : Cel (On jetait du sel sur la queue d’un oiseau pour l’empêcher de s’envoler. Nos dames prêtent-elles la même « vertu singulière » au sel qu’elles jettent sur la queue de leur mari ?) 110 Éd : de (Trop respectueux, trop platonique.) 111 Emprunt à la farce : « Que nous soyons doresnavant/ Plus aigres. » 112 Nous nous sommes détournés de ce que nous aurions dû faire. 113 Les époux ne sont visiblement pas guéris du radotage courtois : « Le commencement/ De vostre ingrat service est la fin de la vie. » Constant désir de mourir d’Amour pour sa Dame. 114 Éd : vice Ains pour 115 Mais. 116 Puisque donc vous préférez la rigueur.