MONSIEUR DE DELÀ ET MONSIEUR DE DEÇÀ
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MONSIEUR DE DELÀ
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ET MONSIEUR DE DEÇÀ
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Roger de Collerye1 composa ce dialogue en 1533. Les affinités avec son Dyalogue de Messieurs de Mallepaye et de Bâillevant sont nombreuses. Toutefois, messieurs de Deçà et de Delà sont moins dégourdis que leurs deux prédécesseurs. Ils ne sont là que pour délivrer un « message » au roi : ils veulent que ce dernier prête main forte à son rival Charles Quint, qui tente de protéger la civilisation contre les Turcs. Mais François Ier, allié des barbaresques, manquera ce rendez-vous avec l’Histoire comme il en a manqué tant d’autres. (Voir la note 19 des Sobres Sotz.) Dans la Satyre pour les habitans d’Auxerre, Collerye réprouvait d’autres compromissions du triste Sire que fut François Ier.
Source : Les Œuvres de maistre Roger de Collerye, publiées en 1536 à Paris, chez la veuve de Pierre Roffet. Collerye a sans doute donné ses manuscrits à l’éditeur, mais n’a certainement pas revu les épreuves, à en juger par le nombre et la gravité des fautes qui gâchent ce livre.
Structure : Quintils enchaînés (aabaa/bbcbb).
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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S’ensuyt ung petit dialogue de
Monsieur de Delà &
de Monsieur de Deçà,
composé l’an mil cinq cens trente-troys.
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MONSIEUR DE DEÇÀ commence.
Monsieur de Delà !
MONSIEUR DE DELÀ
Qu’i a-il ?
MONSIEUR [DE] DEÇÀ
À vostre advis, plaisant babil
Est-il estimé ?
M. DE DELÀ
N’en doubtez !
M. DE DEÇÀ
J’ay esté long temps en exil,
5 Et en grant danger de péril
De ma personne.
M. DE DELÀ
[Or] escoutez :
Nous avons esté déboutéz
Par le moyen2 de tel et telle,
Monsieur de Deçà.
M. DE DEÇÀ
Les gens telz,
10 Qui ont rentes, chasteaux, hostelz,
Nous ont fort nuy3.
M. DE DELÀ
La chose est telle.
M. DE DEÇÀ
J’ay advisé une cautelle4.
[Ma belle]5 est de haulte entreprise ;
Se je me trouve de coste elle6,
15 Supposé qu’el(le) n’est immortelle7,
De mon amour sera surprise.
M. DE DELÀ
Une chose qui est bien prise
Doibt-on louer.
M. DE DEÇÀ
Et ! ce faict mon8.
C’est une Dame bien aprise,
20 Laquelle presque autant je prise
Que le sage roy Salomon.
M. DE DELÀ
J’oz9 voluntiers vostre sermon.
Est-elle dame de respec10 ?
MONSIEUR DE DEÇÀ
Voire ! Sans tirer au lymon11,
25 Dè[s] cinquante escuz, son12 moumon,
Elle le baille chault et sec13.
Elle a bon recueil et bon bec14,
Bon maintien et bonne manière.
De regrectz, el n’en compte ung zec15.
30 À la fleûte, au luc16, au rebec
Dance tous les jours.
M. DE DELÀ
Singulière
Est en ses faictz, et familière,
Comme je croy.
M. DE DEÇÀ
Il est ainsi.
Dueil et chagrin sont mis arière
35 Hors de son cueur ; et est ouvrière17
De laisser ennuy et soulcy.
MONSIEUR DE DELÀ
Ce sont grans choses.
M. DE DEÇÀ
Et aussi,
Pour bien diviser18 d’amourettes,
C’est la nompareille. Transy19
40 Je suis — il n’y a qua ne si20 —
De ses façons tant guillerettes.
MONSIEUR DE DELÀ
Ses grâces, quelles ?
M. DE DEÇÀ
Sadinettes21.
M. DE DELÀ
Son entretien22 ?
M. DE DEÇÀ
Délicieux.
Or brief : entre les godinettes23,
45 En ris et petites minettes24,
Elle a le bruyt25 jusques aux cieulx.
MONSIEUR DE DELÀ
Quel est son regart ?
M. DE DEÇÀ
Gracieux.
M. DE DELÀ
Et son racueil26 ?
M. DE DEÇÀ
Très excellent.
M. DE DELÀ
Son devis ?
M. DE DEÇÀ
Fort solacieux27.
M. DE DELÀ
50 Et son maintien ?
M. DE DEÇÀ
Moult précieux.
M. DE DELÀ
Son vouloir, quel ?
M. DE DEÇÀ
Bénivolant28.
M. DE DELÀ
Homme n’est point lasche29 ne lent,
Quant de telle dame jouyt ;
Et ne sçaroit estre dolent30
55 En la baisant et acollant31.
MONSIEUR DE DEÇÀ
Ung jour passé, elle m’ouÿt
Joyeusement et sans grant bruyt
Luy faisant mes regrectz et plainctes.
MONSIEUR DE DELÀ
Le ravy d’amours s’esbluyt32,
60 Monsieur de Deçà, s’il ne fuyt
Du dangier d’amours les ataintes.
MONSIEUR DE DEÇÀ
Peu vallent amours par contraintes,
Monsieur de Delà.
M. DE DELÀ
Pour certain.
J’en ay congneu [et] maints et maintes
65 Qui ne s’entr’aymoient que par faintes.
M. DE DEÇÀ
De vraye amour n’est pas le train33.
MONSIEUR DE DELÀ
Laissons ce propos.
M. DE DEÇÀ
Pour refrain,
Quel bruyt court en Court34 ?
M. DE DELÀ
Je ne sçay.
Or, d’or ne d’argent je n’ay grain35 ;
70 Et ronger maulgré moy mon frain
Me fault, comme mule à l’essay36.
MONSIEUR DE DEÇÀ
Monsieur de Delà, bague37 j’ay
Qui vault (sans mentir) quelque chose.
MONSIEUR DE DELÀ
De caqueter trop mieulx qu’ung geay
75 Je sçay la façon ; mais je n’ay
Meuble n’argent, dire je l’ose.
M. [DE] DEÇÀ
En ce cas n’y a texte et glose
Qui vaille38, monsieur de Delà.
M. DE DELÀ
L’homme propose et Dieu dispose,
80 Monsieur de Deçà39.
M. DE DEÇÀ
Je suppose
Qu(e) avant-hyer on vous en parla40.
M. DE DELÀ
Il nous convient passer par là
Où noz ancestres ont passé.
M. DE DEÇÀ
Depuis que mon bruyt41 s’en alla,
85 De chanter « ré my fa sol la »,
Pour eulx42 je ne puis, n(e) in pacé 43.
M. DE DELÀ
Le bon temps n’est pas [tré]passé44,
Monsieur de Deçà45.
M. DE DEÇÀ
Et ! non, non,
Monsieur de Delà. Effacé
90 Et aussi aux gaiges cassé
Je suys46, et sans bruyt et renon.
MONSIEUR DE DELÀ
Dÿomédès, Agaménon47
Ne firent jamais les prouesses
Que faict nous avons, ne Ménon48.
MONSIEUR DE DEÇÀ
95 Cela est tout vray.
M. DE DELÀ
Nostre nom
Partout est co[n]gnu.
M. DE DEÇÀ
Noz largesses49
Nous font souffrir ennuyctz, tristesses,
Qui est ung courroux inhumain.
M. DE DELÀ
Et de noz parens les richesses :
100 Qui en [a donc]50 eu les adresses ?
MONSIEUR DE DEÇÀ
Ilz en donnoient à plaine main.
M. DE DELÀ
Noz cousins monsieur de Demain
Et monsieur d’Aujourdhuy trop plus51.
M. DE DEÇÀ
Le[ur] cueur estoit si très humain
105 Que mainct Lombart et maint Rommain
Les ont fort priséz52.
M. DE DELÀ
Au surplus,
Que demandions-nous ?
M. DE DEÇÀ
Je conclus
Qu’il53 fault avanturer noz corps
Sur ces meschans Mahommetz turcs54,
110 Et sur ces luthérïens55 durs
À la Foy.
M. DE DELÀ
Ce sont bons accords.
Mais premier, fault que les discords56
De nos princes soient aboliz.
M. DE DEÇÀ
En ce faisant57, miséricors
115 Dieu nous sera, j’en suis recors58.
MONSIEUR DE DELÀ
Ces voulloirs-là treuve joliz.
M. DE DEÇÀ
Riches harnoys et bien poliz
Fait bon voir, et courrir la lance59.
M. DE DELÀ
Trop mieulx beaucoup que ces couliz60
120 Pour les malades en leurs lictz,
Qu’on faict pour amolir leur61 pence.
M. DE DEÇÀ
Le très chrétïen roy de France,
Acompaigné de ses vassaulx
Et bons gendarmes62, en substance
125 Leur donnera (comme je pence),
De bien brief63, merveilleux assaulx.
MONSIEUR DE DELÀ
J’ay vouloir de faire mes saulx64
De cueur gay avant que je meure.
MONSIEUR DE DEÇÀ
Nous n’avons mulectz ne chevaulx.
MONSIEUR DE DELÀ
130 Endurer je veulx les travaulx65
De la guerre.
M. DE DEÇÀ
Je vous asseure,
Monsieur de Delà : chose est seure
Que je désire batailler
Ces infidelles !
M. DE DELÀ
D’heure en heure
135 J’en66 ay le vouloir.
M. DE DEÇÀ
Sans67 demeure
Y voy[s]68, se g’y suis chevalier.
MONSIEUR DE DELÀ
Prouvende69, pour avitailler
Les gendarmes et pïétons70,
Il y fauldra.
M. DE DEÇÀ
Or sans railler,
140 Turcs nous y verrons détailler71
Par Françoys, Picards et Bretons !
MONSIEUR DE DELÀ
Harnoys, pourpoincts et hoquetons
Y seront coupéz, détranchéz.
MONSIEUR DE DEÇÀ
Comme tourbes de hanetons72,
145 Turquins, laquetz73 et valetons
L’on voirra aux arbres branchéz74.
M. DE DELÀ
Avanturiers plus espanchéz75
Chez Jacques Bons-homs76 on ne voit.
MONSIEUR DE DEÇÀ
De bien près, fort escarmouchéz
150 On les a, et effarouchéz,
Ainsi que raison le debvoit.
MONSIEUR DE DELÀ
Dieu — qui tout sçait et tout pourvoit —
Les a pugniz ; et nous aussi77.
MONSIEUR DE DEÇÀ
Les gens qui sont bons Il pourvoit ;
155 Et les mauvais, Il les renvoit
À dueil, à tourment et soucy.
MONSIEUR DE DELÀ
Pour conclusion, tout ainsi
Nous nous y trouvons, [en ce point78].
MONSIEUR DE DEÇÀ
Or est le temps partir d’icy
160 Pour aller boire à Irency79
Et engager80 robbe et pourpoint.
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LA FIN
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1 Voir la notice du Résolu. 2 Par la faute. 3 Éd : nuyt. (Les riches nous ont beaucoup nui.) 4 Une ruse pour obtenir la femme que j’aime. 5 Éd : La quelle (Ma belle est difficile à conquérir.) 6 À côté d’elle. « Sans cautelle/ Je fuz surprins, devisant de coste elle. » Collerye. 7 À condition que ce ne soit pas une déesse indifférente à l’amour d’un humain. 8 C’est exact. Cf. le Porteur de pénitence, vers 239. 9 J’ois, j’entends. 10 Respectable. « Bergères de respec. » Clément Marot. 11 Sans se fatiguer. Les limons sont les deux branches d’une charrette que tire un cheval. L’imprimé intervertit ce vers et le suivant. 12 Éd : vng (Son sexe. « Il luy couvra son mommon : il la besongna. » Cotgrave.) 13 Elle le donne avec ardeur. Mais « chaud et sec » est à prendre au premier degré. Collerye utilise les mêmes rimes en -ec dans son Monologue du Résolu, vers 13-20. 14 Elle est accueillante et elle a une bonne bouche. 15 Elle n’en tient pas plus compte que d’une coquille de noix. « C’est tout ung, je n’en donne ung zec. » Collerye, le Résolu. 16 Au luth. Le rebec est un violon à trois cordes. « La fluste, le luc, le rebec. » Collerye, le Résolu. 17 Elle est habile. 18 Deviser, parler. 19 Transporté. « Je suys, de vostre amour, transy. » Lucas Sergent. 20 Déformation populaire de « ni quoi, ni si » : ni ceci, ni cela. « D’estre despit, il n’y a qua ne si. » Collerye. 21 Mignonnettes. 22 « L’amoureulx entretien. » La Pippée. 23 Les mignonnes. 24 En matière de risettes et de minauderies. 25 Elle est réputée. 26 Son accueil, notamment d’un point de vue sexuel. Idem vers 27. « En racueil excellente,/ Joyeuse en dict. » Collerye. 27 Plein de soulas, d’agrément. 28 Bienveillant. 29 Mou. « Un verd gallant bien ataché,/ Et qui ne soyt lâche amanché. » Le Trocheur de maris. 30 Il ne saurait être malheureux. 31 Ces deux verbes ont un sens érotique fort : « Baiser, acoller et fourbir [copuler]. » Le Cuvier. 32 Celui qui est emporté par l’amour est ébloui, aveuglé. 33 Ce n’est pas la coutume du véritable amour. 34 Collerye guettait les nouvelles de la Cour : « Que dict-on en Court ? » Satyre pour les habitans d’Auxerre. 35 Je n’ai pas du tout. 36 Il me faut ronger mon frein malgré moi, comme une mule qu’on met à l’épreuve, qu’on oblige à courir. 37 C’est la première chose que met en gage un homme qui a des dettes. « Engagez bagues et saintures. » Colin qui loue et despite Dieu. 38 Il n’y a pas de solution. 39 Éd : dela (Même inadvertance à 88.) 40 Deçà se moque de son interlocuteur, qui a l’air de découvrir ce proverbe antédiluvien. 41 Depuis que ma bonne réputation. Idem vers 46 et 91. L’imprimé intervertit ce vers et le suivant. 42 À cause de mes ancêtres, qui ont dilapidé mon héritage. 43 Et je ne peux même pas chanter requiescat in pace. « Vostre pouvoir est trespassé./ Chantez Requiescant in pace,/ Ou aprenez faire autre chose. » Discours sur les pions. 44 « Or est le bon temps trépassé. » Collerye, Dyalogue des Abuséz du temps passé. 45 Éd : dela 46 Je suis mis au rancart. « Que je ne soye cassé aux gaiges. » Les Frans-archiers qui vont à Naples. 47 Diomède et Agamemnon assiégèrent victorieusement la ville de Troie. 48 Ni Memnon, qui fut pourtant l’un des guerriers troyens les plus redoutables. 49 Notre magnanimité. 50 Éd : auoient (Qui en a eu le renfort, le secours ?) Nos héritiers de coffres vides poussent les mêmes plaintes que les Gens nouveaulx, vers 77-102. 51 Ces deux cousins donnaient encore plus leurs richesses que nos autres parents. 52 Les usuriers lombards ruinent les nobles : « Et les nobles emprunteront/ À belle usure des Lombars. » (Henri Baude.) L’Église romaine vend des indulgences et des pardons qui ruinent aussi les nobles. 53 Éd : Quid 54 Sur ces damnés musulmans turcs. Voir la note que consacre à l’expansion ottomane Sylvie LÉCUYER : Roger de Collerye. Un héritier de Villon. Champion, 1997, p. 510. 55 Éd : Lhuteriens (Le prêtre Collerye ne manque pas une occasion de dénoncer les « leuthérïens meschans et hérétiques ».) 56 Les discordes entre Charles Quint et François Ier. « Tant qu’en discord seront princes et roys. » Collerye, Rondeau contre discord. 57 Si nous faisons cela. 58 J’en suis informé, j’en suis sûr. Cf. le Fossoieur et son Varlet, vers 68. 59 Et jouter contre un cavalier ennemi. 60 Cela vaut bien mieux que ces sucs roboratifs. Cf. le Monde qu’on faict paistre, vers 235. 61 Éd : leurs (Leur panse.) Pour combattre leur constipation. Dans les farces, la peur suffit à faire déféquer. 62 Gens d’armes, soldats. Idem vers 138. 63 Très bientôt. 64 Mes sauts, mes voltes de cavalier. Le vers 129 s’y oppose. 65 Les épreuves. 66 Éd : 𝖨e y 67 Éd : Mon (Sans tarder. « Allons-y sans demeure ! » Frère Frappart.) 68 J’y vais. « J’y voys sans songier [tarder]. » Le Pasté et la tarte. 69 Éd : Pourviure, (Provende, ravitaillement. « Prouvendes de pain. » Godefroy.) Les deux affamés comptent se faire nourrir par l’armée. 70 Les soldats et les fantassins. 71 Être taillés en pièces. 72 Comme des nuées de hannetons qui se posent sur les arbres. 73 Éd : laqueltz (Les Turcs, leurs laquais.) 74 Pendus. « Il les fit tous brancher aux arbres. » Godefroy. 75 Éd : espauchez (On ne voit pas d’aventuriers plus répandus chez les paysans.) Les aventuriers sont des mercenaires qui pillent la campagne : « Les avanturiers ont bon temps,/ Quant ilz sont parmy ces villages,/ Et font souvent de gros dommages. » Troys Gallans et Phlipot. 76 Jacques Bonhomme est le nom générique du paysan qui supporte tout. « Cessez, cessez, gendarmes et piétons [soldats et fantassins],/ De pilloter [piller] et menger le bon homme/ Qui de long temps Jaques Bon-homs se nomme,/ Duquel blédz, vins et vivres achetons. » (Collerye.) Nos deux utopistes se voient déjà vainqueurs des Turcs : ils troquent désormais le futur de l’hypothèse contre le présent de l’acte accompli. 77 Dieu nous a punis nous aussi. 78 Lacune comblée par Sylvie Lécuyer, p. 259. Nous sommes punis par Dieu autant que les mauvais. 79 Le village d’𝖨rancy, près d’Auxerre (où vivait Collerye), était déjà célèbre pour son vin de Bourgogne. 80 Donner en gage au tavernier.
TROYS PÈLERINS ET MALICE
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TROYS PÈLERINS
ET MALICE
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Cette « farce morale1 » est en fait une sottie. Comme toutes les vraies sotties, elle donne la parole à un trio de Sots. La pernicieuse Malice veut les conduire en pèlerinage chez Désordre. Le mot « malice » avait un sens beaucoup plus négatif qu’aujourd’hui, en référence au Malin, au diable ; voir les Sotz fourréz de malice.
L’œuvre fait allusion à des événements de 1535. Elle est donc contemporaine d’une autre sottie normande conservée dans le même manuscrit, les Sobres Sotz, qui pourrait être du même auteur anonyme.
Source : Manuscrit La Vallière, nº 67.
Structure : Rimes plates, avec 4 triolets, et un douzain d’hexasyllabes en rimes croisées.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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Farce moralle de
Troys Pèlerins
et Malice
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[MALICE], qui commence 2 SCÈNE I
Où sont ces pèlerins des maulx3 ?
Veulent-il poinct suyvre Malice
Par chans, vi[l]ages et hameaulx ?
Où sont ces pèlerins des maulx ?
5 Quoy ! veulent-il estre énormaulx4 ?
Sortez, ou g’y métray police5 !
Où sont ces pèlerins des maulx ?
Veulent-y poinct suyvir Malice ?
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LE PREMYER PÈLERIN NOMMÉ SCÈNE II
Quant à moy, j’en tendray6 la lice,
10 Car je ne [m’en] saroye tenir7.
LE IIe PÈLERIN
Aussy la veulx-je « entretenir » ;
Je ne le veulx pas aultrement.
LE IIIe PÈLERIN, BADIN 8
Ne moy aussy pareillement.
Et sy, ne suys pas sy jénin9
15 Que je ne fache10 du chemin
Au millieu11 de la compaignye.
MALICE
[Quoy ?] Que dis-tu ?
LE IIIe [PÈLERIN] 12
A ! je renye
Sy je faulx13 à courir, troter
Pour le voyage descroter14 !
20 Car j’ey vouloir, de ma nature,
Faire voyage à l’avanture ;
Ne me chault sy je me forvoye15.
LE PREMYER PÈLERIN
Premyer que de se16 metre en voye,
Chantons !
LE IIe PÈLERIN
Mais en nous esbatant,
25 Chemynons tousjours en chantant !
LE PREMYER PÈLERIN [chante]
Vélà bien alé ! Sus avant !
Marchons et nous métons en ordre17 !
MALICE 18
Or, alons pour voir la Désordre19
Qui se faict maintenant au monde !
LE IIIe PÈLERIN
30 Ne me chault, mais que j’aye à mordre20.
Or, alons [pour voir à la Désordre]21 !
MALICE
Ces22 bras et jambes fault destordre23.
LE PREMYER PÈLERIN
Or chemynons !
LE IIe PÈLERIN
Alons comme une onde24 !
LE IIIe PÈLERIN
Or, alons pour veoir la Désordre
35 Qui se faict maintenant au monde !
MALICE
Sus dont, alez !
LE PREMYER PÈLERIN
Comme une aronde25.
Mais en alant, veulx bien sçavoir
En quel lieu on26 la pourons veoir,
Et comment el est convertye27.
MALICE
40 Taisez-vous, je suys avertye28 :
Premyèrement, says les contrés29
Où plusieurs se sont acoustrés
Et estat de fémynin gerre30.
LE IIIe PÈLERIN
A ! ce ne sont poinct gens de guerre,
45 Ne vray[s] supos du dieu Bacus31,
Car ilz ne bataillent q’aulx cus32.
[ Comment ilz sont fort embridés !
Par Nostre Dame ! ilz sont bridés ]33
Comme ces barbes34 morfondus
50 Qui sont demy mors et fondus
D’estre senglés parmy les rains.
Ces hanteurs35 de chemins forains,
Ces coquars afulés en gresne36,
Désordre les tient [c]y en renne37
55 Comme un trupelu38, un mymin
Qui veult devenir fémynin.
C’est envers eulx qu’elle se tient39.
LE IIe PÈLERIN
C’est mon40 ! Désordre se maintient
Avec telz gens, dont j’en arage41.
LE IIIe PÈLERIN
60 Il est de trop lâche courage42,
Qui43 se contrefaict et desguise.
LE PREMYER PÈLERIN
Or çà ! n’est-el poinct à l’église44 ?
MALICE
Ouy, car ceulx de « Religion45 »
Veulent tenir sa région46.
65 Et mesmes grans histoyrïens47
Veulent estre luthérïens ;
N’esse pas Désordre, cela ?
LE IIe PÈLERIN
Ouy, sceurement !
LE IIIe PÈLERIN
Et puys voylà
Pourquoy vient yver en48 esté,
70 Qui nous maintient en pauvreté,
Et de quoy le grand maleur vient.
Mais vrayment, quant [il] me souvyent49,
Justice la détient-el poinct50 ?
MALICE
Quoy donc51 !
LE PREMYER PÈLERIN
Sainct Jehan ! voy(e)là le poinct :
75 Je veulx venir à cest endroict52.
MALICE
Justice faict [ou] tort, ou droict,
Voyre, mais c’est à qui el veult.
LE IIe PÈLERIN
On veoyt mainct pauvre qui s’en deult53.
LE IIIe PÈLERIN
On voyt mainct riche qui s’en rit.
LE PREMYER PÈLERIN
80 Par argent, Justice s’esmeult54.
LE IIe PÈLERIN
On veoyt mainct pauvre qui s’en deult.
LE IIIe PÈLERIN
On veoyt qui à grand paine peult
Se nourir, qui aultre nourist55.
LE PREMYER PÈLERIN
On veoyt mainct pauvre qui s’en deult.
LE IIe PÈLERIN
85 On veoyt mainct riche qui s’en rit,
Et tel qui en terre pourit :
Et c’est du tort qu’on luy a faict.
MALICE
Que vous en semble ?
LE IIIe PÈLERIN
C’est très mal faict.
MALICE
C’est Désordre, n’est pas ?
LE PREMYER PÈLERIN
Ouy, ouy !
90 De l’Estat, nul n’est resjouy ;
Un jour, à l’Audictoyre56, on faict
Des choses de [bien] grand éfaict
Qui sont quelquefoys cavilleux57.
Faire un exploict bien mervilleux.
LE IIe PÈLERIN
95 L’on58 juge ce cas périlleux ;
Mais de peur d’en estre hérité59,
Y fault juger la Vérité :
Ainsy, Désordre sera mise
Hors de ceulx qui l’airont submise60
100 Et entour d’eulx entretenue.
LE IIIe PÈLERIN
Or çà ! Ne s’est-el(le) poinct tenue
En marchandise61 ?
MALICE
[Où n’est-el]62 don !
LE PREMYER PÈLERIN
Pencez-vous qu’el en ayt pardon63,
Sy Désordre ne s’en retire ?
LE IIe PÈLERIN
105 Ma foy, nénin ! Et pour vous dire,
Les faulx sermens, les tricheryes,
Les regnymens, les tromperyes,
Les moqueryes64 et faulx marchés
Qui se font sont tant [myeulx] cachés
110 Entour Désordre.
LE IIIe PÈLERIN
Dont je dis
— Et croys — que Dieu de paradis
Se course à nous65 de telle afaire.
LE PREMYER PÈLERIN
Il est vray.
LE IIe PÈLERIN
Çà ! il fault parfaire66.
En quel lieu peult-el encor estre ?
MALICE
115 Je vous le feray acongnoistre
Devant que de moy séparer67.
LE IIIe PÈLERIN
Ne se faict-el poinct aparoir68
En guerre, par terre ou par mer ?
MALICE
Et quoy donc ! Mainct faict inhumer69
120 Loing d’une église ou cymetière,
Et sans faire confessïon entière ;
Et fault qu’i meurent en ce lieu,
Ouy, sans souvenance de Dieu
Ne de sa Mère, rien quelconques70.
LE PREMYER PÈLERIN
125 A ! vrayment c’est Désordre, donques :
En son71 cas n’a poinct d’amytié.
LE IIe PÈLERIN
Mais voicy où est la pityé72 :
Quant ce vient à donner les coups,
Ceulx-là qui sont les myeulx secous73,
130 Bras coupés, jambes avalés74,
C’est la Désordre, allez, alez !
Dont vérité [je] vous confesses :
Je ne veulx gu[e]rrïer75 qu’aulx fesses,
[Abatre une]76 bonne vendenge,
135 Que soufrir sy grosse lédenge77
D’estre en ce poinct martirisé.
LE IIIe PÈLERIN
En la fin, nul n’en est prisé
De hanter guerre.
LE PREMYER PÈLERIN
A ! j’espères,
Sy on [s’en] va sur les luthères78,
140 Employer ma langue pour dire
Que bien tost leur convyent desdire79 ;
Ou, par moy80, sans qu’ilz ayent remors,
De par mes mains seront tous mors !
Et puys y s’en repentiront,
145 [Ces breneulx]81. Il en mentiront,
De ce qu’i veulent metre sus82.
LE IIe PÈLERIN
En la fin, en seront déceups83.
LE IIIe PÈLERIN
Je le voyer[oy]s volontiers84 !
Mais sur les chemins et sentiers
150 D’Amours, y pouroit-on trouver
Désordre ?
MALICE
Ouy, ouy !
LE PREMYER PÈLERIN
Y [le] fault prouver,
Afin qu’en ayons congnoissance.
MALICE
Depuys le jour de ma naissance,
En amours je l’ay veue85 régner.
LE IIe PÈLERIN
155 C’est donc mal faict de nous mener
En tel voyage, mes amys.
MALICE
Quant on a en amours promys
Et la promaisse ne tient poinct,
Désordre y est.
LE IIIe PÈLERIN
Voicy le poinct.
160 Et sy la femme, d’avanture,
Est mauvaise de sa nature86,
Qu’el veuille fraper ou mauldire,
Ou le povre sot escondire :
C’est Désordre, n’est pas, aussy ?
LE PREMYER PÈLERIN
165 Ouy, vrayment !
LE IIe PÈLERIN
Je le croys ainsy.
Au moins, assez souvent m’y nuict.
LE IIIe PÈLERIN
Et sy l’amant, sur la mynuict,
Est à trembler87 parmy la rue,
Et que sans cesser son œuil rue
170 Vers la fenestre, fort pensant,
Baisant la la cliquète88 en passant,
En danger d’engendrer les mulles89 ;
Et d’amours n’a nouvelles nulles,
Synon qu[’a] — la chose est certaine —
175 Bien souvent, la fièvre cartaine90.
C’est Désordre ?
MALICE
C’est mon, ce croi-ge.
LE PREMYER PÈLERIN
Et davantage91… Le dirai-ge ?
MALICE
Que feras-tu don ? Ne crains rien(s) !
LE PREMYER92 PÈLERIN
Sy le mary se doubte bien
180 Que sa femme face un amy :
N’est-il pas bien sot et bémy93
De s’en couroucer tellement
Qu’il en perde l’entendement
Tant que son bon sens soyt osté ?
LE IIIe PÈLERIN
185 Y doibt faire94 de son costé,
Pour éviter plus grans dangers.
LE PREMYER PÈLERIN
Aussy messieurs les estrangers :
Y sont tousjour[s] myeulx soutenus,
Entretenus et bienvenus,
190 Mille foys plus que nos voésins
Dans95 les pays circonvoysins.
Désordre y est-el(le) pas ?
LE IIe PÈLERIN
Quoy donques !
Je n’ay veu nul pays quelconques
Où on leur face ce qu’on faict96.
LE IIIe PÈLERIN
195 Vous en voirez l’air sy infaict97
Qu’en la fin en aurons dommage.
MALICE
Or, achevons nostre voyage.
Mais retenez tous ces notas98,
Que Désordre est en tous estas99.
200 Sus ! récréons-nous un petit
De chanter !
LE PREMYER PÈLERIN
J’en ay apétit.
LE IIe PÈLERIN
Et aussy, pour nous resjouir,
Chantons !
LE IIIe PÈLERIN
Sus, faisons-nous ouïr !
Ilz chantent.
LE PREMYER PÈLERIN
Sy j’estoys tout prest d’enfouyr100,
205 De joye seroys res[s]ucité.
LE IIe PÈLERIN
Gectons hors toute a[d]versité !
LE IIIe PÈLERIN
Gectons hors ennuy et soulcy !
LE PREMYER PÈLERIN
Soulcy n’est que simplicité 101.
LE IIe PÈLERIN
Gectons hors toulte advercité !
LE IIIe PÈLERIN
210 Chascun de nous soyt incité
De chanter !
LE PREMYER PÈLERIN
Je le veulx ainsy.
LE IIe PÈLERIN
Gectons hors toulte advercité ! 102
LE IIIe PÈLERIN
Gectons hors ennuy et soulcy !
MALICE
Devant que vous partez d’icy,
215 Sy voirez-vous Désordre en poinct.
LE PREMYER PÈLERIN
Chantons ! On ne la voullons poinct103 !
MALICE
Qui commence et ne veult parfaire104,
C’est mal faict. Voulez-vous pas faire
Le voyage qu’avez emprins105 ?
LE IIe PÈLERIN
220 Nénin !
MALICE
Vous en serez reprins106 !
Et maintenant, serez surprins
De Désordre : vous [la voirez]107 !
LE IIIe PÈLERIN
Sortez d’icy, car vous errez108 !
Nous ne voulons poinct de Désordre,
225 Et [vous trouverez qu’on peult]109 mordre !
Sus, sus, chantons myeulx que devant ! [Il chante :]
Arière, vilain ! Avant 110, avant !
Ilz chassent Malice.
SCÈNE III
LE PREMYER [PÈLERIN] rentre, abillé en
Désordre111, qui dict :
Malice112 est embûchée
Non pas [bien] loing d’icy.
230 El est mal embouchée :
C’est sa nature, aussy.
Mais tout incontinent,
Chascun de nous labeure113
— Sans estre impertinent —
235 De la gecter au feurre114 !
Malice soyt cachée115
D’entre nous sans mercy,
Ou qu’el soyt esmouch[é]e116 !
Sans faire demourée
240 On le voulons ainsy.
LE IIe PÈLERIN
C’est bien dict ! Marchons sur la brune117,
Et parlons des mengeurs de lune118,
Qui119 ont mengé mainct bon repas
Et ne séroyent marcher un pas120,
245 Synon « danser121 » aveq fillète.
Ce sont ceulx qui Désord[r]e ont faicte
Et f[er]ont tousjours. Mais argent
Les maintient en leur entregent122.
L’un saillet, l’aultre regibet123 ;
250 Mais ne vous chaille : le gibet
Sonnera tousjours son bon droict,
[Qui met les choses à leur droict.]124
En prenant congé de ce lieu,
Une chanson pour dire adieu !
.
FINIS
*
1 Dans sa table des matières, le copiste va même jusqu’à nommer cette pièce Moralité. 2 Elle est devant la maison des trois Sots. 3 De malheur. Calembour sur les pèlerins d’Emmaüs, qu’on prononçait émo : « Au plus fort de mes maulx (…),/ Dieu, qui les pèlerins d’Esmaus/ Conforta. » Villon. 4 En dehors de la norme : être les seuls à ne pas suivre Malice. 5 Sortez de votre maison, ou j’y mettrai bon ordre. 6 Tiendrai (normandisme). Je combattrai pour Malice. Mais « tenir la lice » = se livrer à un combat érotique : « Petiz tétins, hanches charnues,/ Eslevées, propres, faictisses/ À tenir amoureuses lices. » Villon. 7 Je ne pourrais pas me retenir, m’en empêcher. C’est le vers 155 des Femmes qui font refondre leurs maris, avec le même sous-entendu grivois. 8 Les rôles de Badins, sortes de demi-fous, se distinguent des rôles de Sots : les Sobres Sotz confrontent 5 Sots et un Badin. 9 Si niais. Cf. les Botines Gaultier, vers 138 et 438. Mais beaucoup de Badins se nomment réellement Jénin : « Jénin-ma-Fluste, Badin. » Satyre pour les habitans d’Auxerre. 10 Que je ne fasse : au point de ne pas faire. La chuintante est normande : « Car encor que je fache une grande despense. » La Muse normande. 11 LV : milleur (Au milieu.) Que je ne vous dépasse tous. 12 Je compléterai tacitement les rubriques abrégées par le copiste. 13 Je renie Dieu si je manque. 14 Expédier rapidement. « Beau despescheur d’Heures, beau desbrideur de messes, beau descroteur de Vigiles. » Gargantua, 27. 15 Si je me fourvoie, si je me trompe de route. 16 LV : me (Avant qu’on ne se mette en route.) 17 « Marchons et nous ostons d’icy ! » (Seconde Moralité.) Les pèlerins se mettent en route au rythme d’une marche militaire, qui n’a pas été conservée. 18 LV : le iie (C’est Malice qui sait où se trouve Désordre, et qui propose d’aller en pèlerinage vers elle.) 19 Ce personnage allégorique est ici représenté par une femme. Le mot désordre était rarement féminin. 20 Peu m’importe, du moment que j’ai à manger. 21 LV attribue ces mots à Malice, alors que les refrains 28 et 34 tiennent en un seul vers. 22 LV : cens (Ces = vos. « Faites ces mains chasser aux lièvres…./ Ployez ces genoulz. » Le Capitaine Mal-en-point.) 23 LV : desteurdre (Il vous faut déployer vos bras et vos jambes.) 24 Aussi vite que l’eau qui coule. 25 Aussi vite qu’une hirondelle. Cf. Frère Frappart, vers 136. 26 Nous. Même normandisme aux vers 216 et 240. 27 À quoi elle ressemble. Double sens : convertie au protestantisme. 28 Je m’y connais. 29 Je connais les contrées. 30 Genre. « Esse à vous à congnoistre/ Que c’est que du féminin gerre ? » (Les Brus.) La sottie dénonce d’abord le désordre sexuel : les femmes règnent sur des hommes efféminés. François Ier vivait dans une mollesse tout italienne, dominé par sa favorite, Anne de Pisseleu, et surtout par sa mère, Louise de Savoie, qui fut plusieurs fois régente du pays. Voir la préface d’Émile PICOT : Recueil général des sotties, t. II, pp. 299-303. 31 Ni des bons buveurs. « Car y sont supos de Bacus. » Troys Galans et un Badin. 32 Les courtisans efféminés ne s’intéressent qu’aux culs. Jeu de mots sur « cocus ». 33 Il y a ici une lacune qui décrit le corsetage androgyne des courtisans. Je la comble grâce aux vers 425 et 426 des Femmes qui plantent leurs maris. 34 Ces chevaux de Barbarie. « Va tirer mon barbe de l’estable ! » (Godefroy.) Mais la plus célèbre barbe de l’époque était celle de François Ier ; voir la note d’Édouard FOURNIER : le Théâtre français avant la Renaissance, p. 407. 35 LV : senteurs (« Hanteurs de tavernes. » Godefroy.) Les chemins forains sont des chemins à l’écart où des homosexuels peuvent se rencontrer. 36 Ces frimeurs affublés de vêtements écarlates. « Deux paires de fines chausses, dont les unes sont de graine. » ATILF. 37 En rêne, en bride. 38 Un naïf ; cf. le Cousturier et son Varlet, vers 204. Un mimin est un sot ; cf. le Monde qu’on faict paistre, vers 189. 39 On appelait la sodomie le « péché désordonné ». 40 C’est mon avis. Idem vers 176. 41 Ce qui me fait enrager. Cf. le Temps-qui-court, vers 238. 42 Il a un cœur lâche. « Ung homme de laische couraige. » Régnault qui se marie. 43 LV : quil (Celui qui se travestit.) 44 Désordre n’a-t-elle pas perverti l’Église ? 45 De la religion réformée. « Ceulx de religion s’estoient saisiz de la ville et tuent les catholicques. » Consulat de Lyon. 46 Son fief. « Il seroit moult bien digne de tenir région. » ATILF. 47 Les raconteurs d’histoires. 48 LV : y (Pourquoi nous avons eu du mauvais temps cet été.) En 1535, la pluie endommagea les récoltes, qui sont la richesse du pays : « L’année fut si pluvieuse, et furent les blédz et vignes coulléz. » Cronique du roy Françoys, premier de ce nom. 49 Maintenant que j’y pense. « Touteffoys, quant il me souvient. » Les Femmes qui se font passer maistresses. 50 Justice (autre personnage allégorique) n’a-t-elle pas emprisonné Désordre ? 51 Et comment donc ! Aujourd’hui, nous dirions : « Ben voyons ! » Idem vers 119 et 192. 52 Je veux parler de cela. 53 Qui s’en plaint, verbe douloir. 54 Se met en branle. 55 Il s’agit des paysans. « On a trouvé, en bonne politique, le secret de faire mourir de faim ceux qui, en cultivant la terre, font vivre les autres. » Voltaire. 56 Au Parlement. 57 Trompeuses. « Chose » était parfois masculin. 58 LV : son 59 LV : irite (Être hérité de = Devoir supporter les conséquences. « Le mary ne faict que songier,/ Tant est hérité de soucy. » Les Ténèbres de mariage.) 60 Hors d’atteinte de ceux qui l’auront soumise. 61 Désordre ne se tient-elle pas dans le commerce ? 62 LV : quest elle 63 Que le commerce puisse obtenir le pardon. 64 Les duperies. 65 Se courrouce contre nous. « Je croy que Dieu soyt yrité/ De nos fais. » L’Avantureulx. 66 Il faut en finir. 67 Avant que vous ne vous sépariez de moi. 68 Désordre ne se fait-elle pas voir. 69 Désordre fait inhumer maint homme loin de chez lui. Allusion aux guerres d’Italie, où des Français meurent pour rien. 70 Rien du tout. Cf. le Pourpoint rétréchy, vers 409 et 568. 71 LV : ce (Dans son cas il n’y a aucune excuse.) 72 La chose la plus pitoyable. Le scribe met ce vers entre deux +, comme il le fait quand il veut déplacer un vers. 73 Les plus secoués, malmenés. Cf. les Trois amoureux de la croix, vers 457. 74 Cassées. « À l’un faisoit voler le bras, à l’autre la teste. L’un tombe, une jambe avalée. » Claude Colet. 75 Guerroyer, au sens érotique. Cf. la Nourrisse et la Chambèrière, vers 338. 76 LV : a batre uin (Boire du bon vin. « De bonne vendange : de bon vin. » Antoine Oudin.) Dans le même sens, on disait également : « Abattre la rosée. » 77 Injure. Cf. les Sobres Sotz, vers 101. 78 Si on va faire la guerre aux luthériens. Cf. Thévot le maire, Perruche sa femme, et Colin Gendeguerre leur fils, lequel s’en va sur les Turcz. 79 Qu’ils ont intérêt à abjurer bien vite. 80 LV : la (Par mon œuvre.) 81 LV : ses bronaulx (Ces merdeux se repentiront d’être morts.) 82 Mettre sur pied une armée. 83 Déçus, bien attrapés. 84 Je verrais cela avec plaisir. « Je le verrois voluntiers ! » La Résurrection de Jénin Landore. 85 LV : faict (J’ai vu Désordre régner sur les choses de l’amour. « Le mauvais exemple des désordres que nous y avons veu régner en nostre temps. » François Hédelin.) 86 « Elle est de nature maulvaise. » Les Femmes qui font refondre leurs maris. 87 Tremble de froid sous la fenêtre de sa belle. 88 Les amants ont coutume d’embrasser le heurtoir pendu à la porte de leur maîtresse. Cf. le Sermon pour une nopce, vers 176 et note. 89 D’attraper des engelures aux talons. Cf. les Sotz escornéz, vers 57. 90 Si ce n’est qu’il attrape une fièvre quarte. 91 Et en plus. Sous la chape de plomb que fut le règne de François Ier, même les Sots* hésitaient à s’exprimer : « Je le diroys bien, mais je n’ose,/ Car le parler m’est deffendu. » (Les Sobres Sotz.) *Voir la note 48 du Jeu du Prince des Sotz. 92 LV : iie (Le 1er Pèlerin termine sa phrase.) 93 Stupide (mot normand). « Ce grand bémy, ce sotelet. » La Veuve. 94 Il doit faire la même chose : être infidèle. « C’est tout un, s’il prend sa lifrée/ De son costé, et moy du myen. » Lucas Sergent. 95 LV : ne (Mille fois mieux que nos proches voisins ne le sont dans les pays frontaliers de la France.) 96 Où on les traite si bien. Ce reproche vise les Italiens, qui se comportaient chez nous en arbitres des élégances. Les Sobres Sotz déplorent qu’en France, on laisse mourir de faim « le commun [l’autochtone], et non l’estranger ». 97 Vous verrez que l’air sera si infecté par les étrangers. « De telz gens, l’air en est infaict. » (Les Langues esmoulues, LV 65.) Les vers 187-196 sont d’une actualité brûlante. 98 Ces remarques. 99 A investi tous les domaines. 100 Si j’étais à l’article de la mort, près d’être inhumé. Cette chanson n’est pas connue. 101 LV : mendicite (N’est qu’une preuve de simplicité d’esprit, de bêtise. « Mais ce n’est que simplicité/ D’y penser. » Livre d’Amours.) 102 LV intervertit les refrains 212 et 213 de ce triolet. 103 Nous ne voulons pas la voir. Le 1er Pèlerin s’esquive derrière le rideau de scène afin de se déguiser en Désordre. 104 Celui qui commence et ne veut pas achever. 105 LV : comprins (Que vous avez entrepris. « Le saint voiage avez empris. » ATILF.) 106 Repris, blâmés. « Et jamais n’en serez reprins. » Les Vigilles Triboullet. 107 LV : le voieres 108 Vous faites erreur, vous déraillez. « On dit qu’errez contre la loy. » Jeu du Prince des Sotz. 109 LV : a la fin vous trouuers quon ne peul (Et vous allez constater que nous pouvons mordre.) 110 LV : ariere (Refrain de la chanson anonyme Et quant je suys couchée, publiée en 1532 : « Arière, villain ! Avant, avant !/ Je pleure et maulditz l’heure/ De quoy le villain vit tant. ») 111 Ce déguisement ne coûte pas cher : il suffit de créer du désordre dans ses habits et sa coiffure pour que les spectateurs comprennent le symbole. 112 LV : desordre (D’après le vers 236, le pèlerin parle de Malice, qui se cache à proximité.) Embûchée = embusquée. 113 Que chacun de nous s’évertue. 114 LV : vent (Sur la paille d’un cachot. On dit aussi : « L’envoyer fouler le foin. » Les Premiers gardonnéz.) 115 Chassée (prononciation normande). « Ses ennemys/ Le cachoyent [le chassaient] à grans coups d’espée. » Le Poulier à quatre personnages. 116 Battue. « Pensons de courir/ Devant que quelc’un nous esmouche ! » (Godefroy.) On pourrait traduire émoussée : « Vitement qu’el soyt esmouquée ! » Les Langues esmoulues, LV 65. 117 À la tombée du soir. Cf. les Botines Gaultier, vers 538. 118 Des profiteurs. « Menger la lune à belles dens. » Les Sobres Sotz. 119 LV : quilz 120 Et qui ne sauraient faire un pas, car ils sont ivres. 121 Pour copuler. « À dancer dehors quelque ‟dance”,/ En esté, avec ces fillètes. » La Fille esgarée. 122 Dans leur familiarité avec les grands. 123 Tels des chevaux, l’un sautait, l’autre ruait. 124 Lui qui remet les choses en ordre. « Je suys Ordre,/ Qui mets les choses à leur droict. » (Le Monde qu’on faict paistre.) Notre copiste a remplacé le dernier vers par le distique dont il signe la plupart des pièces du ms. La Vallière.
POUR LES HABITANS D’AUXERRE
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SATYRE POUR LES
HABITANS D’AUXERRE
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L’auteur de cette pièce à la fois populaire et allégorique est Roger de Collerye ; pour de plus amples détails sur l’homme et son œuvre, voir la notice du Résolu. La table des matière de l’édition originale donne à ce texte énigmatique un titre qui ne l’est pas moins : Une Satyre pour l’entrée de la Royne à Auxerre. Or, l’entrée royale d’Éléonore de Habsbourg et de François Ier dans cette ville n’eut lieu qu’en 1541, cinq ans après la publication du livre.
Cette inclassable sottie fait, comme son nom l’indique, la « satire » du petit monde auxerrois. S’élevant jusqu’à la moralité, elle salue — non sans esprit critique — trois événements profitables au royaume : le 3 août 1529 fut signée à Cambrai la Paix des Dames, qui mit fin (provisoirement) aux hostilités entre la France et le Saint-Empire. Le 1er juillet 1530 furent libérés les deux enfants de François Ier ; le roi les avait livrés comme otages à Madrid, pour échapper lui-même aux geôles de Charles Quint, qui l’avait emprisonné après la défaite de Pavie. Le 7 juillet 1530, François Ier prit pour épouse Éléonore d’Autriche (ou de Habsbourg), sœur de Charles Quint, afin de mieux garantir la paix.
Le commanditaire de la sottie jugea peut-être qu’elle tardait trop à encenser la Paix enfin revenue : Collerye, après l’avoir écrite, ajouta les vers 4, 5 et 6, qui troublent l’immuable régularité des quintils ; dans sa hâte, il oublia même de faire rimer le vers 6 !
Source : Les Œuvres de maistre Roger de Collerye, publiées en 1536 à Paris, chez la veuve de Pierre Roffet. Collerye a sans doute donné ses manuscrits à l’éditeur, mais n’a certainement pas revu les épreuves, à en juger par le nombre et la gravité des fautes qui gâchent ce livre.
Structure : Quintils enchaînés (aabaa/bbcbb), rimes plates, quintils enchaînés.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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Satyre pour les
habitans d’Auxerre
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Les personnaiges :
PEUPLE FRANÇOIS
JOYEUSETÉ
LE VIGNERON
JÉNIN-MA-FLUSTE, Badin
BON TEMPS
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*
PEUPLE FRANÇOIS commence SCÈNE I
Puisqu’après grant mal vient grant bien…1
.
Ainsi qu’on dit en brief langaige,
D’avoir soulcy n’est que bagage2.
Qu’il soit ainsi, je l’entens bien.
5 La paix nous avons ; mais combien
Que nous l’ayons, fault3 qu’on la garde.
Or, Prudence4 et Subtil Moyen
Ont bien joué leur personnaige :
Car tel qui a perte et dommage,
10 De brief recouvrera le sien5.
Puisqu’après grant mal vient grant bien…
Quant est de moy, sur toute rien6,
Désormais me veulx resjouyr ;
Et aussi, de va et de vien7,
15 Se je puis recouvrer le mien8,
Pourray de mon plaisir jouyr.
.
JOIEUSETÉ 9 SCÈNE II
Peuple François se faict ouÿr
– Je l’entens bien à sa parolle –
D’autant qu’il veult soucy fouyr10
20 Et chagrin en terre enfouyr.
Il fault qu’i me baise et accolle11 :
Pour bien donner une bricolle12,
Il en sçait assez la manière.
Et puisqu’il fault que le récole13,
25 Il a fréquenté mainte escolle14
Sans tirer le cul en arrière.
Affin de gaigner la barrière15,
Je m’envoys16 à luy, somme toute.
.
Dieu gard17, seigneur ! SCÈNE III
PEUPLE FRANÇOIS 18
[Et] vous, gorrière19 !
30 Que vous dit le cueur ?
JOYEUSETÉ
Bonne ch[i]ère20.
PEUPLE FRANÇOIS
Faire la convient, quoy qu’il couste.
JOYEUSETÉ
Avant qu’à parler je me boute21,
Et de vous dire où j’ay esté,
Et sans arrester grain ne gouste22,
35 Accollez-moy !
PEUPLE FRANÇOIS
Je vous escoute :
Qui estes-vous ?
JOYEUSETÉ
Joyeuseté.
PEUPLE FRANÇOYS
Joyeuseté ?
JOYEUSETÉ
En gayeté,
La plus plaisante soubz la nue,
Qui souvent vous ay regrecté
40 — Mais c’est en toute honnes[te]té.
PEUPLE FRANÇOIS
Vous soyez la trèsbien venue !
JOIEUSETÉ
Peuple Françoys : entretenu[e]
J’ay esté, gaillard23, brief et court,
Prisée, aymée et soustenue,
45 Et pour singulière24 tenue
Des plus grans seigneurs de la Court.
Les vestuz de long et de court25
Se sont devers moy retyréz
Aussi tost qu’ung poste26 qui court.
50 Brief, en effect chascun accourt
Vers moy comme gens inspiréz27.
PEUPLE FRANÇOIS
Les gens ne voit-on empiréz
Pour Joyeuseté maintenir.
Car dès lors que les « aspirez »,
55 S’ilz ont ennuytz, les respirez28
Pour en liesse les tenir.
JOYEUSETÉ
Or, je veulx dire et soustenir
Que d’engendrer mélencolye,
Il n’en peult jamais bien venir.
PEUPLE FRANÇOIS
60 Quant à moy, je veulx retenir
Que ce n’est que toute folye.
Or çà, Joyeuseté jolye,
Que dict-on en Court ?
JOYEUSETÉ
Qu’on y dit ?
Du tout29 Tristesse est abolye ;
65 Et Joyeuseté recueillye,
Quant on m’y voit, sans contredit.
PEUPLE FRANÇOIS
Qui sont ceulx qui ont le crédit ?
JOYEUSETÉ
Noblesse pri[n]cipallement.
PEUPLE FRANÇOIS
Et puis, après ?
JOYEUSETÉ
Par ung esdit30,
70 Ceulx qui sont en faict et en dit
Loyaulx en cueur entièrement.
PEUPLE FRANÇOIS
Qui triumphe ?
JOIEUSETÉ
L’entendement31
À peine le pourroit comprendre.
PEUPLE FRANÇOIS
Qui a le bruyt32 ?
JOIEUSETÉ
Totalement
75 Et sans y mectre empeschement,
Bon Conseil33 (qui n’est à reprendre).
Peuple François, il fault entendre
Que possible n’est raconter
Ny en son entendement prendre
80 Du triumphe de Court le mendre34,
Ne de mot à mot le compter35.
PEUPLE FRANÇOIS
Monsieur le dauphin36 ?
JOIEUSETÉ
Surmonter
Pas-dessus tous le sang royal.
PEUPLE FRANÇOIS
Et monsieur d’Orléans37 ?
JOIEUSETÉ
Dompter
85 Coursiers devant luy, puis monter
Sur eulx d’ung cueur seigneurial.
PEUPLE FRANÇOIS
[Et] la royne38 ?
JOYEUSETÉ
En espécïal39,
Triumphe en beaulté et faconde.
Et croyez qu’amont et à val40,
90 Seule est41, tant à pied qu’à cheval,
Qui de beau maintien n’a seconde42.
PEUPLE FRANÇOIS
Le point où du tout je me fonde :
Nous avons paix ?
JOIEUSETÉ
Pour tout certain.
PEUPLE FRANÇOYS
Joieuseté, parolle ronde43,
95 Puisque paix avons en ce monde,
Fouyr debvons tout44 meschant train.
.
LE VIGNERON SCÈNE IV
Or, par le vray Dieu, j’ay grant fain45
De voir le bléd à bon marché !
J’ay regardé et remarché46
100 La façon de noz boulengiers
Qui vont – faignant estre estrangiers –
Au-devant des blédz qu’on amaine47.
Que pleust à Dieu qu’en male estraine48
Feussent entréz ! Quant les achèptent,
105 Ilz vont barguynant49, et puis guectent
S’on les regarde ou près ou loing.
Ha ! par ma foy, il est besoing
Qu’on y mette bonne police !
PEUPLE FRANÇOIS
Vigneron, vous n’estes pas nice50 ;
110 Çà ! voz propos sont de valleur.
LE VIGNERON
Et ! n’esse pas ung grant malheur
De souffrir telle deablerie ?
Il y a plus de mengerie51
(Par le vray Dieu) en ceste ville
115 Qu’à Paris, par monsieur sainct Gille !
Mais quoy ! c’est faulte de Justice.
Tous les jours, le pain appetice52,
Et n’est labouré bien ne beau53.
PEUPLE FRANÇOIS
Il dict vray. Et ne sent54 que l’eau,
120 De quoy le peuple est desplaisant.
LE VIGNERON
C’est pour le faire plus pesant.
Hé ! quelz gaultier[s]55 plains de malice !
JOYEUSETÉ
Je croy qu’ilz ressemblent l’escrevice56,
Qui va tousjours à reculons.
.
JÉNYN-MA-FLUSTE, acoustré en Badin.57
125 Il fault qu’ilz ayent supra culons 58, SCÈNE V
Ou on n’en viendra point à bout.
Faictes-les soustenir debout59 !
Entendez-vous, Peuple François ?
Ilz sont larrons comm’ Escossoys
130 Qui vont pillotant60 les villaiges.
PEUPLE FRANÇOYS
Boullengiers payéz de leurs gages
Seront, pour vray, quelque matin.
JÉNIN
Se je sçavoys parler latin
Ainsi que font ces Cordeliers61,
135 J’arois de blé les plains garniers ;
Et si, en ferois bon marché62.
Toutesfoys, si ont-ilz craché
Depuis peu de temps au bassin63,
Maulgré leurs dents64, pour leur larcin.
140 Mais quoy ! il font pis que devant.
PEUPLE FRANÇOIS
Laissons ce propos.
JÉNIN
T[r]out avant65 !
On scet bien qu’ilz66 ne valent rien.
Or je m’envois par bon moyen
Entretenir Joyeuseté.
145 La belle, où avez-vous esté,67
Depuis le temps que ne vous veiz ?
JOIEUSETÉ
Jénin-ma-Flûte, à ton advis,
Que te semble de ma personne ?
JÉNIN
Quant ce vient que la cloche sonne,
150 Je m’envois courir au moustier68.
JO[Y]EUSETÉ
C’est bien rentré69 !
JÉNIN
J’ay bon mestier70
D’avaller ung verre de vin.
Hé, hé ! J’ay esté au devin
Pour sçavoir quant Bon Temps viendra
155 En ce pays et s’i tiendra.
Ma foy, j’ay grant fain de le veoir !
Ha ! se Bon Temps je puis avoir,
Vous verrez bien Jénin-ma-Flûte
Tirer souvent contre la bute71…
160 J’entens au pot et au godet.
Jamais ce folâtre bodet72
Ne fut si brave que [je] suis.
Quantz chevilles en ung pertuys73
Y en fault-il ? Dictes-le-moy.
JOIEUSETÉ
165 Tu n’es74 qu’un sot !
JÉNIN
J’ay veu le Roy,
Et aussi la royne Aliénor75,
Qui est richement parée d’or,
Voire, vrayment, qui est bien fin ;
Et aussi, monsieur le daulphin
170 Et le petit duc d’Orléans.
LE VIGNERON
Tu les a[s] veuz ?
JÉNIN
J’estois léans76
Et vous y veiz, Joieuseté.
PEUPLE FRANÇOIS
Jénin, c’est assez caqueté ;
Parler nous fault d’autre matière.
JÉNIN
175 Je prins arsoir77 en ma ratière
Plus de quatre-vingts souriceaux.
PEUPLE FRANÇOIS
Taix-toy, ou tu aras les seaulx78 !
Entens-tu bien, Jénin-ma-Flûte ?
JÉNIN
Pour tirer d’une « hacquebute79 »,
180 Je n’en crains Martin ne Gaultier80.
LE VIGNERON
Il fault mectre sur le mestier81
Aucuns82 usuriers dépravéz,
Gros et gras, et plus détravéz83
Que [des] pourceaulx en la mengeoire.
JÉNIN
185 Coupper leur fault, comme à ung haire84,
La queue près du cul !
LE VIGNERON
C’est raison.
Car par finesse et traïson,
En se monstrant fier et rebarbe85,
Vont achepter le blé en herbe86,
190 En n’en font point de conscience87.
PEUPLE FRANÇOIS
Et par leur damnable science88,
Sur aucuns jeunes marjolletz89,
Sotz amoureux et nyvelletz90,
Preinent prouffit à grant mesure,
195 Leur prestant argent à usure
Affin de tenir en hommage91
D’iceulx usuriers.
LE VIGNERON
Davantage,
Pour contrefaire les bravars92,
Se laissent tumber aux hazars93
200 De malheureté infinie
Pour maintenir leur seigneurie94,
Et se treuvent mal appointés95.
PEUPLE FRANÇOIS
Jeunes gens se sont accointéz
De ces gras usuriers publiques.
205 Fins gaultiers – car plains de traffiques –
Sont par trop.
JÉNIN
Sainct Jehan ! ce sont mon96.
J’ay bien ouÿ dire, au sermon,
Que tous usuriers sont dampnéz.
LE VIGNERON
Aussi sommes97 gens condempnéz,
210 Maintenant que gens de pratique98
Sont larrons.
JOIEUSETÉ
Leur dit est éthique99,
Et trop sotement allégué.
PEUPLE FRANÇOIS
Long temps a qu’on a divulgué
– Et mesmement touchant ce cas100 –
215 Que procureux101 et advocas
Ont le bruyt d’estre grans larrons.
Mais ces propos là nous lerrons102.
Pour autant (ainsi qu’il me semble),
Bon larron est qui larron emble103,
220 N’est-il pas vray ?
JÉNIN
Et ouy, par Dieu !
Usuriers y a en ce lieu,
Lesquelz ne sçaroient eschapper
Que l’on ne les vienne happer
Au râtellier104, tous en ung tas,
225 Et105 procureurs et advocas,
Veullent ou non !
LE VIGNERON
Il est certain.
JOIEUSETÉ
Pour éviter leur mauvais train106
Et tous ces propos ennuyeulx,
Chanter nous fault107 de cueur joyeulz
230 Quelque gaillarde chanssonnète.
PEUPLE FRANÇOIS
Joieuseté, ma mignonnette,
Vous n’en serez jà escond(u)icte,
Et en sera la chanson dicte.
Chanson.
Par Joyeuseté,
235 En honnesteté,
Comme jà pensois,
Vivra en seurté 108
Yver et esté
Le Peuple Françoys.
240 Des princes et roys
Verra les arroys 109
Mieulx que bienvenu ;
Et sans désarroys
Et sans nulz desroys 110,
245 Tousjours soustenu.
.
BON TEMPS 111 SCÈNE VI
Vive le Roy ! Vive le Roy ! 112
Et tous bons compaignons ! Et moy !
Je suis Bon Temps qui, d’Angleterre113,
Suis icy venu de grant erre114
250 En ce pays de l’Auxerrois.
J’ay gouverné princes, ducs, roys,
Deçà, delà, en plusieurs lieux,
Et ay veu des cas mermeilleux115
Qu’i n’est jà besoing de vous116 dire.
PEUPLE FRANÇOIS
255 Approchez de nous !
BON TEMPS
Contredire
Je ne vous veulx aucu[ne]ment.
JOIEUSETÉ
Receu serez joieusement
De ma part.
PEUPLE FRANÇOIS
De la mienne [aussi].
LE VIGNERON
Ce ne sera qu’esbatement
260 [Que] de vivre amoureusement
Avec Bon Temps.
JOIEUSETÉ
[C’est] tout ainsi.
PEUPLE FRANÇOIS
C’est assez pour fouyr Soucy,
D’avoir Paix et Bon Temps ensemble.
LE VIGNERON
Tel a eu le cueur tout transy
265 Et de pouvreté endurcy
Qui s’esjouyra, ce me semble.
JÉNIN
Quant bon pain, bon vin je rassemble,
Et ces petis frians morceaulx,
De sanglante frayeur je tremble
270 Que quelque gaultier me les emble
Pour les envoyer aux pourceaulx.
PEUPLE FRANÇOIS
Tu es taillé d’avoir les seaulx,
Se tu ne te taix.
JÉNIN
Non feray !
Et si, diray des motz nouveaulx
275 Devant vous et ung tas de veaulx117.
Veullez ou non, je parleray.
BON TEMPS
Je croy que bienvenu seray118
De vous, et des grans et petis.
JOIEUSETÉ
Du bon du cueur119 vous baiseray
280 Par amour, et accoleray,
Gentil Bon Temps.
BON TEMPS
Voz appétis
Tant gracieux, doulz et trétis120,
Me plaisent fort, Jo[y]euseté.
………………………… 121
JOIEUSETÉ
Les vostres aus[s]i.
PEUPLE FRANÇOIS
Souhecté122
285 Peuple Françoys vous a souvent.
BON TEMPS
Jà piéçà123 me suis apresté
Pour venir icy.
LE VIGNERON
Arresté124
Vous y serez, dorénavant.
BON TEMPS
J’entens qu’i n’y court que bon vent,
290 Par quoy je m’y veulx bien tenir.
JÉNIN
Ne vous logez pas au couvent
Des Cordelliers, car on n’y vend
Pain ne vin pour vous soustenir125.
BON TEMPS
Peuple Françoys, entretenir
295 Je vous veulx cordiallement.
Et de moy devez retenir
Qu’autant126 que n’ay peu cy venir,
Il m’en a despleu longuement.
JOIEUSETÉ
Receu serez joieusement,
300 Se vous y voullez résider.
BON TEMPS
Je le veulx ainsi.
JOIEUSETÉ
Seurement
Ne me puis tenir127 bonnement
D’incessamment vous regarder.
PEUPLE FRANÇOIS
Puisqu’avons Bon Temps, sans tarder,
305 Il nous fault mener bonne vie,
Et dorénavant nous garder
[De gaudir et de brocarder,]128
De faire mal avoir envye129.
JOIEUSETÉ
Je suis en cueur presques ravye
310 De veoir Bon Temps devant mes yeulx.
Or, à tousjours je me convye130
De n’estre jamais assouvye
De vous aymer de mieulx en mieulx.
BON TEMPS
Demourer avec vous je veulx.
315 Mais ung mot vous diray, non plus :
Se vous n’estes bons (se131 m’eist Dieux !),
Je m’en iray en aultres lieux.
Vélà que je diz et conclus.
LA FIN
*
BON TEMPS 132
.
Or, qui m’aymera, si me suyve !
Je suys Bon Temps, vous le voyez.
En mon banquet, nul n’y arrive
Pourveu qu’il se fume ou133 estrive,
5 Ou ait ses espritz fourvoyéz.
Gens sans amour, gens desvoyéz
Je ne veulx, ne les y appelle ;
Mais qu’ilz soient gectéz à la pelle134 !
.
Je ne semons en mon convive135
10 Que tous bons rustres avoyéz136.
Moy, mes suppostz, à plaine rive137
Nous buvons d’une138 façon vive
À ceulx qui y sont convoyéz.
Danceurs, saulteurs, chantres : oyez !
15 Je vous retiens de ma chapelle
Sans estre gectéz à la pelle.
.
Grognars, fongnars, hongnars139 je prive140 :
Les biens leurs141 sont mal employéz.
Ma volunté n’est point rétive ;
20 Sur toutes est consolative,
Frisque142, gaillarde, et le croyez.
Jureurs, blasphémateurs noyez !
S’il en143 vient quelc’un, [j’]en appelle :
Qu’il me soit gecté à la pelle !
.
25 Prince Bacchus144 : telz gens sont rayez,
Car d’avec moy je les expelle145.
De mon vin clairet essayez146,
Qu’on ne doibt gecter à la pelle.
*
.
CRY POUR L’ABBÉ
DE L’ÉGLISE D’AUSSERRE
ET SES SUPPOSTZ 147
.
Sortez, saillez, venez de toutes pars,
Sottes et Sotz, plus promps que lÿépars148,
Et escoutez nostre Cry magnifique !
Lessez chasteaux, murailles et rampars,
5 Et voz jardins, et voz cloz et voz parcs,
Gros usuriers qui avez l’or qui clique !
Faictes fermer, marchans, vostre boutique !
Grans et petiz, destoupez149 voz oreilles !
Car par l’Ab[b]é, sans quelconque traffique,
10 Et ses suppostz, orrez150 demain merveille[s].
.
N’y faillez pas, Messieurs de la Justice !
Et vous aussi, gouverneurs de police !
Admenez-y voz femmes sadinettes151 ;
En voz maisons, lessez-y la nourrice
15 Qui aux enfans petis leur est propice
Pour les nourir de ses deux mamellettes.
Jeunes tendrons, gaillardes godinettes152,
Vous y viendrez sans flacons et bouteilles153 :
Car par l’Abbé (sans porter ses lunettes)
20 Et ses suppostz, orrez demain merveilles.
.
Marchans, bourgeoys, vous, gens de tous mestiers
— Bouchers, barbiers, cordonniers154, savetiers,
Trompeurs, flateurs, joueux de chalumeaux155 —
Trouvez-vous-y ! Aussi ménestrïers,
25 Hapelopins156, macquereaux, couratiers !
Et apportez de voz bons vins nouveaulx,
Badins, touyns157 aussi mondains que veaulx !
Vous, vignerons, laissez vignes et treilles !
Car par l’Abbé, sans troubler voz cerveaux,
30 Et ses suppostz, orrez demain merveilles.
.
Faict et donné en ung beau jardinet158,
Tout au plus prèz d’un joly cabinet159
Où bons buveurs ont planté maint rosier160.
Scellé161 en « queue » et signé du signet162,
35 Comme il appert, de Desbride-gozier163.
*
1 Ce refrain de chanson est exclu du schéma des rimes, de même qu’au vers 11. 2 Qu’une chose encombrante. Cf. le Résolu, de Collerye, vers 125. 3 Éd. : cest 4 Cette entité allégorique représente Louise de Savoie, mère du roi et cosignataire de la Paix des Dames. Subtil Moyen désigne le roi lui-même : subtil veut dire fourbe, traître, un qualificatif qui décrit bien François Ier, lequel ne respectera pas mieux le traité de Cambrai qu’il n’avait respecté celui de Madrid trois ans plus tôt. 5 Retrouvera vite les biens qu’il avait perdus. Allusion à la remise en liberté des deux fils aînés du roi. 6 Quant à moi, par-dessus tout. 7 En glanant de-ci et de-là. « Pasteurs y vont (ne demandez combien),/ Portant présens et de va et de vien. » Jehan Daniel. 8 L’argent que les impôts royaux m’ont fait perdre : Charles Quint avait revendu ses deux petits otages à leur père pour la somme de 2 millions d’écus d’or. 9 Elle entre derrière Peuple Français, qui ne la voit pas encore. 10 Fuir. Idem vers 96 et 262. 11 Joyeuseté veut se faire baiser et accoler par tous les hommes qu’elle rencontre : vers 35, 279, 280. « Homme n’est point lasche ne lent/ Quant de telle dame jouyt,/ Et ne sçaroit estre dolent/ En la baisant et acollant. » Collerye, Delà et Deçà. 12 Pour coïter. « Il me baise, et si, m’accolle…./ Il me donne une briscolle/ Quatre coups sans desbrider. » Mon père mariez-moy. 13 Que je le rappelle. 14 En matière de sexe, il a été à la bonne école. 15 Pour réussir mon coup. Cette expression militaire passa, comme tant d’autres, dans le jargon érotique. Joyeuseté mêle ces deux nuances, comme l’avait fait Jehan Cabaret : « Et feirent les gens du duc de Bourbon, devant la porte, la plus belle barrière [barricade] que l’on veist piéçà, & la nommèrent “la barrière amoureuse”…. Les Anglois s’advancèrent pour cuider gaigner la barrière. » 16 Je m’en vais. Idem vers 143 et 150. 17 Éd. : gar le (Que Dieu vous garde. « –Dieu gard ! –Et à vous, sire ! » Le Pauvre et le Riche.) 18 Voulant économiser le plus de place possible, l’éditeur abrège souvent les noms, et les imprime sur la même ligne que les mots qui précèdent, comme on peut le voir ici. 19 Et vous aussi, femme à la mode. Cf. la Folie des Gorriers, vers 63. 20 Je fais bonne figure. Double sens : j’ai envie de plaisir. « Je te veux donner un maistre qui fait bonne chère : tu es encores jolie. » Agrippa d’Aubigné. 21 Avant que je me mette à parler. 22 Sans tarder une seconde. Cf. les Trois amoureux de la croix, vers 539. 23 Gaillardement. « Vous serez gaillard assouvye. » (Collerye.) Bref et court = en peu de mots. 24 Pour une amie intime. 25 Les professions libérales sont de robe longue, et la Noblesse est de robe courte. Cf. le Prince et les deux Sotz, vers 105 et note. 26 Aussi vite qu’un messager. « Par-devers moy on faict courir ung poste. » Collerye. 27 Illuminés par une inspiration divine. 28 S’ils ont des ennuis, vous leur rendez le souffle, la vie. On se demande si elle leur fait un bouche-à-bouche ou un tête-à-queue… 29 Totalement. Idem vers 92. 30 À la demande de la cour. « Vous demandez, par voz esditz,/ Une qu’aymez de cueur entier. » Collerye. 31 La raison. Joyeuseté botte en touche pour ne pas répondre. Elle doit faire allusion aux flatteurs, qui avaient tout pouvoir sur François Ier. Collerye leur a décoché une Ballade contre les flateurs de Court et un rondeau Contre les flateurs. 32 La meilleure réputation. 33 Antoine Duprat, principal conseiller du roi et organisateur de la Paix des Dames. 34 Le moindre faste de la cour. 35 Ni de le raconter en détail. 36 François, le fils aîné du roi. Âgé de 12 ans, il venait de rentrer en France, après quatre ans de captivité en Espagne. Collerye en reparle au vers 169. 37 Le futur Henri II, alors âgé de 11 ans, libéré en même temps que son frère. On en reparle au vers 170. 38 La reine Éléonore, la nouvelle épouse de François Ier. 39 En particulier, elle… 40 En haut et en bas : ici et là. 41 Allusion perfide au fait que le roi la laissait seule et préférait la compagnie de sa favorite, Anne de Pisseleu. 42 N’a pas sa pareille. 43 En un mot. Cf. Frère Frappart, vers 134. 44 Éd. : tous (Nous devons fuir toute mauvaise conduite.) 45 Grande envie. Une des principales préoccupations du peuple est le prix et la qualité du pain, et par conséquent du blé qui le compose. 46 Remarqué, observé. Cf. la Folie des Gorriers, vers 62. 47 Ils vont à la rencontre des livreurs de grains des Halles, pour être servis avant tout le monde et monopoliser la marchandise. C’est pourtant interdit : voir la note 49. 48 Qu’en mauvaise fortune. Cf. le Testament Pathelin, vers 267. 49 Éd. : daguynant (Ils barguignent : ils marchandent.) La loi défend que les « meusniers & boulengiers (…) n’allent au-devant desdicts grains, n’iceux marchandent, barguinent ou enerrent [ne versent des arrhes] ». Ordonnances de tous les roys de France. 50 Bête. 51 D’exactions. 52 Devient de plus en plus petit, pour le même prix. « Boulengers font le petit pain. » Troys Galans et un Badin. 53 Il n’est pas fabriqué selon les règles. « Labourer le pain. » Godefroy. 54 Éd. : scent (Le pain étant vendu au poids, les boulangers l’imbibent d’eau pour qu’il pèse plus lourd.) 55 Quels compagnons (péjoratif). Idem vers 205 et 270. « Colin Guarguille, ce bon gautier. » Noël Du Fail. 56 Cet animal qui marche dans le sens inverse des autres est une monture idéale pour les Fols. « Ne cheminez ainsi que l’escrevice. » Collerye. 57 En demi-Sot ; le Badin des Sobres Sotz nous détaille la spécificité de son emploi. Maistre Mymin qui va à la guerre est lui aussi « habillé en Badin d’une longue jacquette, et enbéguyné d’ung béguin ». De même, Colinet « est abillé en Badin » ; et le clerc d’Ânerie, dans Science et Asnerye, est « en Badin ». 58 Prononciation à la française du latin supra culum : (des coups de verges) sur le cul. « Vous avez eu supra culum/ Quant la leçon vous ne sçavez ? » Les Femmes qui se font passer Maistresses. 59 Faites-les pendre. 60 Pillant : « Cessez, gendarmes et piétons [soldats et fantassins],/ De pilloter et menger le bon homme ! » (Collerye.) Les archers de la garde écossaise au service de nos rois ne se comportaient pas toujours mieux que les soldats français. Pour la petite histoire, c’est un de leurs chefs qui blessera mortellement Henri II (note 37) au cours d’un tournoi. On dit que 38 ans plus tôt, son père, capitaine de la garde écossaise de François Ier, avait brûlé le roi au visage, l’obligeant dès lors à porter la barbe. 61 Les greniers (et les caves) des monastères avaient la réputation d’être toujours bien garnis, et la charité chrétienne des moines laissait à désirer. Collerye, qui était prêtre, se gausse encore de la gourmandise des Cordeliers aux vers 291-293. 62 Et aussi, je ne le vendrais pas cher. 63 Les boulangers ont payé pour leurs fraudes. (Cf. Pour le cry de la Bazoche, vers 145. Nous disons toujours : « Cracher au bassinet. ») Chaque fois qu’on réitérait une ordonnance contre les boulangers indélicats, on condamnait quelques-uns d’entre eux pour l’exemple ; les autres s’abstenaient de frauder pendant trois semaines, puis ils recommençaient impunément jusqu’au prochain édit. Voir la notice des Sotz qui remetent en point Bon Temps. 64 Malgré eux. Cf. les Queues troussées, vers 303. 65 Allons ! « Trout avant ! » Farce des Coquins, F 53. 66 Éd. : quelz 67 Ce vers étant mis en exergue, Émile Picot se demande si nous n’avons pas là le début d’une chanson. Bonne question. 68 Quand je suis en rut, je cours au monastère : les lieux de culte servent aux rendez-vous galants, et abritent même des prostituées, comme celle du Dorellot (vers 108-109). Ce personnage de Badin aime les sous-entendus graveleux, comme son nom l’indique : Jénin = cocu ; Flûte = pénis. 69 C’est bien envoyé ! Double sens : rentrer = pénétrer. Même réponse grivoise au vers 6 du Dyalogue pour jeunes enfans, de Collerye. 70 J’ai bien besoin. 71 Contre le monticule auquel on adosse la cible. Double sens : contre votre mont de Vénus. 72 Un baudet est un âne, symbole phallique bien connu. 73 Combien de verges dans un trou. « Vous cuidez bien, par voz engins,/ À tous pertuis trouver chevilles. » Charles d’Orléans. 74 Éd. : nest 75 La reine Éléonore. 76 Là-dedans : à la Cour, où se trouvait Joyeuseté, d’après les vers 63-66. 77 Hier soir. Les souriceaux désignent les courtisans, ces nuisibles qui rongent tout ce qu’ils attrapent. Le Dit du Ratz porteur les traite de « ratons de Court ». 78 Déformation de sauts. « Bailler les seaux : Prendre une personne par les bras & les jambes, & luy faire donner du cul en terre. » (Antoine Oudin.) Menace identique au vers 272. 79 Avec mon arquebuse : ma verge. 80 Je ne crains personne. 81 Sur la roue (instrument de torture). « Firent condamner ce pauvre malheureux à estre roué. Et auparavant, estant mis sur le mestier, il confessa le tout. » Godefroy. 82 Certains. 83 Déchaînés. 84 Un hère est un animal domestique dont on a coupé la queue. « Et luy avoit-on couppé la queue ; et pour ce, on l’appelloit “le hère”. » Bonaventure Des Périers. 85 Rébarbatifs, intraitables. 86 Avant qu’il ne soit mûr, pour empêcher leurs concurrents de l’avoir, et pour spéculer dessus. 87 N’en ont aucun remords de conscience. 88 « La vaine, impie & damnable science de magie. » (Pierre Le Loyer.) On soupçonnait les usuriers juifs de connaître la cabale. 89 Sur certains freluquets. Cf. Saincte-Caquette, vers 410. 90 Jeunes idiots. C’est le nom d’un Sot dans les Coppieurs et Lardeurs. 91 Afin qu’ils deviennent tributaires, comme des vassaux. On reprochait aux jeunes gens de bonne famille d’hypothéquer leur héritage : « Et les nobles emprunteront/ À belle usure. » (Henri Baude.) En 1398, on avait brûlé toutes les reconnaissances de dettes trouvées chez les usuriers juifs d’Auxerre. 92 Les gens à la mode. 93 Tombent dans des aléas. 94 Leur train de vie princier. 95 Mal en point, financièrement. 96 Ils le sont bien. « Mon » est une particule de renforcement : cf. la Seconde Moralité, vers 198. 97 Éd. : cõme (Nous sommes fichus.) 98 Que les hommes de loi. 99 Leur discours est étique, maigrichon. 100 Et surtout à ce sujet. 101 Que les procureurs. 102 Nous laisserons là. 103 Vole. Idem vers 270. 104 Sans qu’on ne vienne les prendre devant leur gamelle. 105 Éd. : Des (Ainsi que les.) 106 Leur mauvaise conduite. Idem vers 96. 107 Éd. : faulx 108 En sûreté. « The fact that characters from the play are mentioned in the text suggests that the words are newly written. » Brown, nº 332. 109 Il verra les arrangements. 110 Sans aucun désordre. 111 Ce personnage est central dans beaucoup de sotties, même et surtout quand il est absent. « Mais Bon Temps (qui tout bien compasse)/ Et Bonne Paix m’ont mis debout. » (Les Sotz qui remetent en point Bon Temps.) L’identification de Roger de Collerye à Roger Bontemps est un anachronisme qui n’a plus lieu d’être ; voir la note 2 du Résolu. 112 D’innombrables chansons eurent pour incipit ou pour refrain « vive le Roy ». C’est peut-être celle-ci que Pierre Gringore fit chanter à la gloire de François Ier dans la Sotye des Croniqueurs, au vers 228. 113 Cette mention a fait couler beaucoup d’encre. Je pense qu’il ne faut pas chercher midi à quatorze heures : Bon Temps résidait en Angleterre parce que les Anglais, après avoir pillé et rançonné la France, pouvaient se permettre de prendre du bon temps. Dans la Première Moralité de Genève, Bon Temps mène la dolce vita en Italie. 114 Au grand galop. 115 Merveilleux. Il pourrait s’agir d’une lubie de l’éditeur Roffet, qui fait encore dire à Collerye : « Et ung pourchatz bien mermeilleux. » Roffet imprimera dans les Vies des sainctz Pères : « Une soubdaine & mermeilleuse guerre. » Les poèmes de Collerye que son ami Pierre Grosnet inséra dans les Motz doréz de Cathon sont écrits normalement. 116 Éd. : les 117 Devant les spectateurs. 118 Que je serai bien accueilli. 119 De bon cœur. Cf. les Maraux enchesnéz, vers 11. 120 Traitifs : agréables 121 Il manque deux vers en -tis et un vers en -té. 122 Souhaité, désiré. 123 Depuis longtemps. 124 Fixé définitivement. 125 Ironique : voir la note 61. 126 Éd. : Dautant (Que pendant tout le temps que je n’ai pu venir ici.) 127 Je ne peux me retenir. 128 Vers manquant. « [Le moyne] doibt estre lardé :/ Parquoy je croy que gaudi, brocardé/ Sera de brief. » (Collerye.) Ces deux verbes signifient railler, médire. 129 Et d’avoir envie de mal faire. 130 Pour toujours je me propose. 131 Éd. : Ce (Si m’aid Dieu : que Dieu m’assiste ! Cf. le Résolu, de Collerye, vers 244.) 132 On ignore si Collerye a composé cette ballade avant ou après la Satire. Bon Temps convie tous les joyeux compagnons à un banquet bien arrosé. 133 Éd. : au (S’il se fâche ou s’il se querelle.) 134 Rejetés à coups de pelle ? Cet ustensile sert à chasser les gens ou les animaux dont on veut se débarrasser : cf. le Testament Pathelin, vers 347-348. 135 Je n’invite en mon banquet. Cf. Jehan de Lagny, vers 149. 136 Qui suivent la bonne voie. 137 À ras bord. Les suppôts de Bon Temps ressemblent fort aux suppôts de l’Abbé des Fous dans la ballade qui suit. 138 Éd. : du’une (C’est la faute préférée de l’éditeur Roffet.) 139 Les grogneurs, les râleurs et les rouspéteurs. « Puis le mary, à sa fumelle/ Hongne, frongne, grongne, grumelle. » Collerye. 140 Je bannis. 141 Les biens à eux : leurs deniers. 142 Vigoureuse. 143 Éd. : vient (S’il en vient un, je fais appel contre lui. Cf. l’Aveugle et Saudret, vers 781.) 144 Dieu du vin. C’est le surnom d’un chanoine de l’église d’Auxerre, ami de Collerye, lequel célébra ce bon vivant dans une épître « à Monseigneur de Gurgy, nommé Bacchus,/ Par qui est régy le déduict des bas culz ». Roger composera son épitaphe dans le meilleur style bouffon : « Cy-gist Bachus, le vaillant champyon/ Qui en son temps, ainsi qu’un franc pyon [ivrogne],/ A mainct godet et mainct verre esgouté… » 145 Je les chasse. 146 Goûtez. « Ces vins cléretz de Beaulne et d’Auxerroys. » Collerye. 147 L’Abbé des Fous est le chef d’une confrérie joyeuse qui organise des spectacles parodiques difficilement tolérés par les autorités civiles et religieuses. Le prédicateur Gerson désapprouvait la Fête des Fous d’Auxerre : « Festum hoc Fatuorum a Deo approbatum esse sicut festum Conceptionis Virginis Mariæ. » (Sur ladite fête, voir les Preuves de l’histoire d’Auxerre, de l’abbé Lebeuf, pp. 310-313.) Cette ballade est un « cri » de sottie, une parade destinée à faire venir du monde au spectacle. Ce cri est très proche de celui qui annonce le Jeu du Prince des Sotz, de Gringore, dont Collerye possédait forcément un exemplaire. 148 Plus rapides que des léopards. « Venez avant, saillez de toutes pars !/ Esveillez-vous plus aspres que liépars,/ Sotz de bémol ! » Cri des Sotz triumphans. 149 Débouchez. « Destoupez vos oreilles ! » Le Chant des oyseaulx. 150 Vous entendrez, futur du verbe ouïr. 151 Gracieuses. 152 Mignonnes délurées. Cf. les Sotz qui remetent en point Bon Temps, vers 84. 153 « Quelle différence est entre bouteille et flaccon ? Grande, car bouteille est fermée à bouchon, & flac con à vitz [un flasque con est fermé par des vits]. » Gargantua, 1e édition, chap. 4. 154 Éd. : cordanniers (Confusion avec la forme originale « cordouannier » : qui travaille le cordouan, le cuir de Cordoue.) 155 Joueurs de pipeau, de pénis, comme Jénin-ma-Flûte. « Son chalumeau, son gros bedon,/ Sa pièce de chair, son bidault. » Jodelle, Épitaphe du membre viril de frère Pierre. 156 Goinfres, pique-assiette. « Ces macquereaulx,/ Ruffiens, meschans lappereaulx,/ Happeloppins. » (Les Sotz fourréz de malice.) Les couratiers, ou courtiers, sont des entremetteurs : « Couratiers et gens de meschante vie, comme dansseurs, flateurs. » ATILF. 157 Villageois. « Un villageois l’a eue…./ Mais le touyn l’a faulcement déceue. » Collerye. 158 Un pubis de femme. « Cultivez tost mon joly jardinet,/ Et l’arrousez pour la semence espandre. » Fleur de poésie françoise. 159 D’un vagin. « Vive la jeune fillette/ Qui preste le cabinet/ Qui fait lever la brayette [la verge] ! » Chanson nouvelle. 160 Leur « tige ». Au 1er degré, planter un rosier = laisser des dettes : cf. Gautier et Martin, vers 222 et note. 161 Éd. : S’ellê (On scelle une lettre en appliquant un sceau sur la bande de parchemin qui se nomme la queue.) Sceller = coïter. « Je viens d’avecque la femelle :/ J’ay tant scellé que plus n’en puis. » Les Sotz qui remetent en point Bon Temps. 162 Marqué par le sceau qu’on enfonce dans la cire molle. 163 Qui libère son gosier de la soif. La signature au bas d’un acte est celle du secrétaire qui l’a écrit ; on peut donc voir dans celle-ci un pseudonyme de Collerye. Un émule de Rabelais apposera la même signature au bas de son Épistre du Lymosin de Pantagruel : « Ainsi signé : Desbride Gousier. »
LES SOBRES SOTZ
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LES SOBRES
SOTZ
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Le titre de cette sottie est un calembour. En effet, les Sots n’ont jamais été particulièrement « sobres », que ce soit en matière de vin, ou en matière de paroles. En revanche, ils ont un jeu de scène plutôt acrobatique, et sont passés maîtres dans l’art du sobresaut (ou soubresaut, ou souple saut), qui est une sorte de cabriole : « C’est ung grant tour d’abilité/ Que de bien faire ung sobressault. » Sotie de Estourdi et Coquillart (T 2).
Nos sobres Sots sont également des scieurs d’ais [de planches]. On inflige ce quolibet aux maris qui ne sont pas maîtres dans leur ménage. Les deux scieurs de long qui débitent un tronc tiennent chacun un bout de la scie, et celui qui est en bas dirige le mouvement : « Il n’y auroit pas tant de scieurs d’ais qu’il y a pour le présent. On appelle ainsi ceux qui sont valets de leurs femmes ; car entre les scieurs d’ais, le maistre est tousjours dessous. » (Les Récréations françoises.) Les époux qui s’imaginent avoir le dessus ne maîtrisent rien ; voilà des « sotz maistres comme cïeurs d’aictz ». (Monologue des Sotz joyeulx.)
Édouard Fournier1 et Émile Picot2 présument que cette sottie fut créée au Palais de justice de Rouen par ses basochiens, lors du Carnaval de 1536. La pièce est truffée d’allusions satiriques qui étaient comprises desdits basochiens à cette date, mais qui aujourd’hui nous échappent. À l’époque, on n’écrivait pas pour la postérité ; une farce était jetable et biodégradable.
Source : Manuscrit La Vallière, nº 64. Pour une fois, le scribe a eu sous la main une copie d’excellente qualité, peut-être même l’original.
Structure : Rimes plates, avec 3 triolets.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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Farce moralle et joyeuse des
Sobres Sotz
entremellé[s] avec
les Sÿeurs d’ais
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À .VI. personnages, c’est asçavoir :
[Cinq SOTZ] 3
et LE BADIN
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LE PREMYER SOT commence SCÈNE I
J’en ay4 !
LE .IIe. SOT 5
J’en say.
LE .IIIe. SOT
J’en voy.
LE .IIIIe. SOT
J’en tiens6.
LE .Ve. SOT
Et moy, j’en faictz come de cire7.
LE P[REMYER SOT]
Voulez-vous pas estre des myens ?
J’en ay.
LE .IIe. [SOT]
J’en say.
LE .IIIe. [SOT]
J’en voy.
LE .IIIIe. [SOT]
J’en tiens.
LE .Ve. [SOT]
5 J’espoire [en] avoir plus de biens
C’on n’en séroyt8 conter ou dire.
LE P[REMYER SOT]
J’en ay.
LE .IIe. [SOT]
J’en sçay.
LE .IIIe. [SOT]
J’en voy.
LE .IIIIe. [SOT]
J’en tiens.
LE .Ve. [SOT]
Et moy, j’en faictz comme de cire.
LE P[REMYER SOT]
Dictes-moy lequel est le pire :
10 Le trop boyre, ou le trop menger ?
LE .IIe. [SOT]
Le commun9, et non l’estranger,
En pouroyt dire quelque chose.
LE .IIIe. [SOT]
Je le diroys bien, mais je n’ose,
Car le parler m’est deffendu10.
LE .IIIIe. [SOT]
15 C’est tout un : on n’a pas rendu
Compte de tout ce qu’on pensoyt.
Tel commençoyt et ne cessoyt
De poursuyvir tousjours son conte11,
Qui là, pourtant, n’a pas son compte ;
20 Tout froidement de[ut] le quicter12.
LE .Ve. [SOT]
On ne se peult plus aquicter
Tout en un coup de grosses debtes.
LE P[REMYER SOT]
Faulte d’avoir grosses receptes,
Ou un bon recepveur commys.
25 La mort bieu ! s’il m’estoyt permys
D’avoir cent mile escus de rente…
Tel au monde ne se contente
Qui bien tost se contenteroyt !
LE .IIe. SOT
Le plus sage, pour lors, seroyt
30 Mys au reng des sos « malureulx »13.
LE .IIIe. SOT
On véroyt le temps rigoureulx
Revenir à son premyer estre14.
LE .IIIIe. SOT
Ceulx qui espluchent le salpaistre15
Auront fort temps16, l’anée qui vient.
LE .Ve. SOT
35 À tel le menton on soutient17,
En plusieurs lieux favorisé,
Qui ne seroyt pas trop prisé
S’il ne changoyt d’acoutumance18.
LE P[REMYER] S[OT]
C’est grand cas, d’avoir souvenance
40 De deulx cens ans ou envyron.
LE .IIe. S[OT]
Qui eust pensé que l’avyron
Eust eu sy grand bruyct19, ceste anée ?
LE .IIIe. S[OT]
Pour tant que la gent obstinée20
Est plaine de rébellions.
LE .IIIIe. S[OT]
45 Qui eust pencé que « pavillons »
Eussent esté sy cher vendus21 ?
LE .Ve. S[OT]
Qui eust pensé que gens tous nus,
Qui ne servent synon de monstre22,
Eussent porté sy bonne encontre
50 Que d’estre en un camp estimés ?
LE P[REMYER] S[OT]
Qui eust pensé gens anymés23
Fondre au soleil comme la glace ?
LE .IIe. S[OT]
Qui eust pencé qu’en forte place24
On fust entré plus aisément ?
LE .IIIe. S[OT]
55 C’est pource que le bastiment
Ne se sairoyt tout seul deffendre.
LE .IIIIe. S[OT]
Voylà que c’est que d’entreprendre
Menger la lune25 à belles dens.
LE .Ve. SOT
Tel se treuve en gros acidens26
60 Qui en pence bien eschaper.
LE P[REMYER] S[OT]
Tel ne sairoyt un coup fraper,
Qui toutefoys se faict bien craindre.
LE .IIe. S[OT]
Tel prent grand plaisir à veoir paindre27
Qui ne saroyt bien faire un traict28.
LE .IIIe. S[OT]
65 Tel va bien souvent au retraict29
Qui de chier n’a poinct d’envye.
LE .IIIIe. S[OT]
Vive le temps !
LE .Ve. S[OT]
Vive la vye !
Elle vault myeulx, comme j’entens.
LE P[REMYER] S[OT]
Or, vive la vie et le temps,
70 Mais qu’ilz ne soyent poinct rigoureulx !
LE .IIe. S[OT]
Chasson au loing ces gens peureulx
Qui sont éfrayés de leur ombre.
LE .IIIe. S[OT]
Ne prenons jamais garde au nombre,
Mais au bon vouloir seullement ;
75 Car où la volonté ne ment,
Tousjours est bonne l’entrepri(n)se.
.
LE BADIN entre SCÈNE II
À gens qui [n’]ont la barbe grise30
Ne vous fiez, se me croyez ;
J’entens de ceulx que vous voyez
80 Qui sont gris par la couverture31.
TOUS ENSEMBLE
Pourquoy cela ?
LE BADIN
Car de nature,
Y sont prodigues de propos.
Or, Dieu vous gard, les Sobres Sos !
J’avoys omblyé32 à le dire.
85 Mais dictes-moy, avant que rire :
Vous apelle-on pas ainsy ?
LE .IIIIe. S[OT]
Ouy, vrayment : ailleurs et icy,
Tousjours les Sobres Sos nous sommes.
LE BADIN
Je le croy. Mais estes-vous hommes
90 Ainsy c’un aultre, comme moy ?
LE .Ve. S[OT]
Nénin, dea.
LE BADIN
Nennyn ? Et pourquoy ?
Que j’en sache l’intelligence.
LE P[REMYER] S[OT]
Pource qu’il y a bien différence
Entre badins, sages et sos.
95 Les badins ne sont pas vrays fos33,
Mais ilz ne sont ne sos, ne sages.
LE BADIN
Je n’entens pas bien vos langages.
Vous estes de ces sïeurs d’ais :
Vous me semblez assez naudès34
100 Pour estre sortis de leur enge35.
LE .IIe. S[OT]
Ne nous faictz poinct telle lédenge36,
Ou tu te feras bien froter !
Qu’esse que tu viens barboter37 ?
Dis-nous tost que c’est qui te maine38.
LE BADIN
105 Par la benoiste Madalaine !
Y sont tous de la grand frarye39
Des sïeurs d’ays. Saincte Marye,
Que j’en voy, devant moy deboult40 !
Deçà, delà, en bas41, partout,
110 Tout est perfumé de Sirye42.
LE .IIIe. S[OT]
Tu es plain de grand moquerye.
Le deable en emport le lourdault !
LE .IIIIe. S[OT]
Mais gectons-lay43 de bas en hault !
Doi-ge dire : de hault en bas44 ?
LE P[REMYER] S[OT]
115 Y fault bien qu’i parle plus bas,
S’y ne veult se taire tout quoy45…
LE BADIN
Je me tairay ? Gen46 ! je ne say.
Vous estes tous sos, n’estes pas ?
LE [.IIe. SOT] 47
Ouy, vrayment.
LE BADIN
A ! voi(e)cy le cas :
120 Sy vous estes sos en tout temps,
Fault que soyez, comme j’entens,
Sos par nature ou par usage.
Un sot ne sera pas un sage ;
Vous ne le serez donq jamais.
LE .IIIe. S[OT]
125 Povre badin, je te promais
Qu’il ne t’apartient pas de l’estre48.
LE BADIN
Non, vrayment : car il fault congnoistre
C’un badin qui ne pence à rien
Sçayt plus d’honneur ou plus de bien
130 C’un sot ne sçayt toute sa vye.
LE .IIIIe. S[OT]
Pour ce mot, j’airoys grand envye
De te soufleter à plaisir !
LE BADIN
Vous n’en auriez pas le loisir.
Ne faictes poinct sy lourde omosne :
135 J’ey maincte foys esté au prosne,
Mais le curé n’en disoyt rien49.
Or çà, messieurs, vous voyez bien
Quelle prudence gist en eulx.
Soufleter ? Dea ! alez, morveulx !
140 Un badin vault myeulx en chiant,
Mengant, buvant, dansant, riant,
Que ne font tous les sos ensemble.
LE .Ve. S[OT]
Es-tu badin ?
LE BADIN
Ouy, ce me semble.
Suys-je tout seul donc ? Nennin, non :
145 Je sçay des gens de grand renon
Qui le sont bien autant que moy,
Pour le moins.
LE P[REMYER] S[OT]
Pense un peu à toy50 !
Tu ne sçays pas que51 tu veulx dire.
LE BADIN
Je ne sçay ? Mais voécy pour rire !
150 Je ne parle grec ne latin :
Je vous dis que je suys badin.
Et tel, souvent, on chaperonne52
« Homme savant », à qui on donne
Le bruict53 d’entendre bien les loix,
155 Qui est vray badin, toutefoys.
Mais prenez54 qu’il n’en sache rien.
LE .IIe. S[OT]
Coment se faict cela ?
LE BADIN
Trèsbien.
Le veulx-tu sçavoir ? Or, escouste !
Y ne fault poinct faire de doubte
160 Que l’homme qui a belle femme
– Combien que sage on le réclame55,
Bien estimé en plusieurs lieux,
Qu’i soyt mys au nombre des dieux –,
Eust-il cent mille frans de rente,
165 Sy sa femme ne se contente56,
Il sera badin en tout poinct.
LE .IIIe. S[OT]
Pour vray, je ne l’entendès poinct.
(Je ne le pensoys pas sy sage.)
LE BADIN
Un sot – retenez ce passage –,
170 Fust-il au nombre des neuf Preux57,
Sy d’avanture y vient aulx lieux
Où il soyt congneu58 seulement,
On luy dira tout plainement :
« Un sïeur d’ays, luy ? C’est un sot ! »
175 Mais d’un badin, on n’en dict mot,
Car partout on l’estime et crainct.
LE .IIIIe. S[OT]
À ce coup, tu as bien atainct59.
Or, parlons des fos, maintenant.
LE BADIN
Je le veulx bien, le cas avenant,
180 Que sy ma parolle est despite60,
Je seray tousjour[s] franq et quicte,
Comme le jour du Mardy gras61.
LE .Ve. S[OT]
Tu mérite[s] le tour du bras62 ;
Quicte seras, je t’en as[se]ure.
LE BADIN
185 Je vous veulx compter en peu d’heure
Un cas qui, puys huict jours en çà63,
Est avenu, et [par deçà]64,
D’un grand lourdault qui porte barbe.
Contre luy, sa femme rebarbe65,
190 Luy faict balier66 la maison ;
Souvent, el vous prent un tison,
Luy gectant au travers la teste67,
En luy faisant telle tempeste
Tellement qu’i fault qu’il s’enfuye.
LE P[REMYER] S[OT]
195 C’est un des « docteurs de Sirye68 » :
Il a souvent des poys [en grain]69.
Dictes, a-il [poinct nom]70 Sandrin ?
Sy je pouvoys sçavoir son non,
Je luy feroys un tel renon,
200 Par Dieu, qu’il seroyt croniqué71 !
Où, grand deable, s’est-il fiqué72 ?
Se va-il jouer à son maistre73 ?
LE .IIe. S[OT]
Mais, dictes-moy, peult-il poinct estre
De nos paroissiens74, en somme ?
LE BADIN
205 Luy, mon amy ? C’est un bon homme.
Y n’est pas grain de Sainct-Vivien75 :
Je vous dis en bon essien
Qu’i n’y demoura de sa vye.
LE .IIIe. S[OT]
On76 n’en parlons pas par envye,
210 Certainement je vous asseure !
LE BADIN
Avant qu’il soyt la demye-heure,
Tout aultre vous m’estimerez
Que ne pensez et penserez.
Venons à ces fos77, il est temps.
LE P[REMYER] S[OT]
215 Nous aurons nostre passetemps,
Pour le moins.
LE BADIN
Nous avons des fos
Qui n’ont cervelle ne propos.
Çà78 ! s’y vous trouvent en la rue,
Gardez-vous d’un coup de massue79,
220 Ou pour le moins, de leur poing clos !
Ceulx-là sont très dangereulx fos,
Et ne s’y frote qui vouldra.
LE .IIe. S[OT]
Passons oultre, il m’en souvyendra
D’icy à long temps, sy je puys.
LE BADIN
225 Or çà, où esse que j’en suys ?
A ! j’estoys aulx fos dangereulx.
Il est des fos qui sont joyeulx,
Comme Jouen, Pernot ou Josse,
Qui n’ont pas la teste plus grosse
230 C’une pomme de capendu80.
De ceulx-là, on en a vendu
Cent escus ou deulx cens la pièce81.
Ces sos-là sont plains de lyesse ;
Ce sont singes en la maison.
235 Ilz ont mains82 de sens c’un oyson.
Toutefoys, ce sont les meilleurs ;
Et volontiers les grans seigneurs
En ont, qu’i gardent chèrement.
LE .IIIe. S[OT]
Ilz sont traictés humainement
240 Par le commandement du maistre.
LE BADIN
Par le cors bieu ! je vouldroys estre
De ces folz-là en compaignye,
Ou pour le moins, de la lygnye83 :
Car ilz sont en tout temps requis.
245 Quant on voyt un sot bien exquis84
Et qui est des folz l’outre-passe85,
On en veult avoir de la race
Ne plus ne moins que de lévrie[r]s.
LE .IIIIe. S[OT]
Ceulx-là sont logés par fouriers86,
250 Quelque temps qui puisse venir.
LE BADIN
Y m’est venu à souvenir
D’un homme, il n’y a pas long temps,
Qui de sa femme eust sept enfans,
Tous mâles, ainsy le fault-il croire.
255 Vendist le plus jeune à la foyre
Beaucoup d’argent, cela est seur,
Et jura à son achateur
Que des sept, c’estoyt le plus sage ;
Mais, par mon âme, pour son âge,
260 C’est le plus fol qu’on vist jamais !
LE .Ve. S[OT]
Aulx aultres donq, je vous promais,
N’y avoyt guères de prudence.
LE BADIN
Le marchant en eust récompence
De sinquante ou soixante escus.
LE P[REMYER] S[OT]
265 Et d’aultres fos, n’en est-il plus ?
Or sus, amy, faictz ton devoir !
LE BADIN
Messieurs, je vous fais asçavoir
Qu’il est des folz acariâtres,
Estourdis et opiniâtres
270 Comme femme qui vent harens87.
Ceulx-là ont beaucoup de parens
Qui sont quasy aussy fos qu’eulx.
J’en nommeroys bien un ou deulx,
Sy je vouloys ; mais chust, chust, mot !
275 Je suys badin, et non pas sot88 ;
Ces sos que voyez maintenant
L’eussent nommé incontinent,
Car ilz sont « sobres », ce dict-on.
LE .IIe. S[OT]
Je te prye, oste ce dicton :
280 Nous ne parlon que sagement.
LE BADIN
Je croy bien ; mais c’est largement89,
Et ne vous en sariez garder.
On ne saroyt par trop farder
Le penser qu’on a sur le cœur.
285 A ! messieurs, sy je n’avoys peur
Qu’on me serrast trop fort les doys,
En peu de mos, je vous diroys
Des choses qui vous feroyent rire.
LE .IIIe. S[OT]
À ces jours-cy, y fault tout dyre
290 Ce qu’on sayt : on le prent à bien.
LE BADIN
Par sainct Jehan ! je n’en diray rien,
Y m’en pouroyt venir encombre.
LE [.IIIIe. SOT] 90
Vien çà ! En sçays-tu poinct le nombre91 ?
De le sçavoir il est besoing.
LE [.Ve. SOT]
295 Qui les peult esviter de loing
Est, en ce monde, bien heureulx.
LE P[REMYER] S[OT]
Ceulx qui se peuvent moquer d’eulx
Font bien du ramyna-gros-bis92.
LE BADIN
S’on les congnoissoyt aulx abis,
300 Et c’un chascun portast massue,
Je croy qu’i n’y a, à Rouen, rue
Où on n’en trouvast plus d’un cent93.
LE .IIe. S[OT]
Ton parler me semble dessent,
Et qui resjouyst les souldars94.
LE .IIIIe. S[OT]
305 Parlons des glorieulx cocars95 ;
Ce sont sos de mauvaise grâce.
LE BADIN
Quant on voyt ces fos en la face,
Et s’on leur donne le loysir
D’estre escoustés, c’est le plaisir !
310 Mais y se fault garder de rire.
LE .Ve. S[OT]
Et qui les vouldroyct contredire
Ne seroyt pas le bien venu.
LE BADIN
Cétuy-là seroyt fol tenu,
Aussy bien que le glorieulx.
LE P[REMYER] S[OT]
315 Je suys grandement curieulx
D’avoir les aultres en mémoyre96.
LE BADIN
En poursuyvant, il vous fault croire
Que les folz qu’on nomme subtilz
Et ingénieux sont gentilz
320 Et plains de récréations.
Ilz trouvent des inventions
Sy parfondes97, en leurs espritz,
Qu’en donnant foy à leurs escriptz98,
Y sont cousins germains de Dieu99 !
LE .IIe. S[OT]
325 Je désire sçavoir le lieu
Dont viennent ces fos que vous dictes.
LE BADIN
Je croy que jamais vous n’en vîtes.
Et sy100, n’en sçay rien toutefoys,
Car il s’en trouve aulcune foys101 ;
330 Mais c’est bien peu, comme je pence.
LE .IIIe. S[OT]
Sy ne sont-y pas sans prudence.
LE .IIIIe. S[OT]
Laisses-lay parler : c’est à luy !
LE BADIN
C’est assez, tantost, pour mèshuy102 :
Encor[e] dis ou douze mos.
335 Venons maintenant à ces fos
Qui sont mutins103 et obstinés.
Ces fos, sy bien le retenez,
Ce sont ceulx (ainsy que l’on dict)
Qui se font bruller à crédit
340 Pour dire : « C’est moy qui babille !
Je suys le reste de dix mille,
Qui pour le peuple voys104 mourir. »
LE .Ve. S[OT]
On ne gaigne guère à nourir
Ces gens-là, qui sont sy mutins.
LE BADIN
345 Ny Grectz, ny Ébreutz, ne Latins105
Ne me feront croyre au parler
Qu’i se faille laisser bruller.
Bren, bren, bren ! Y n’est que de vivre !
LE P[REMYER] S[OT]
Or sus, sus ! y nous fault poursuyvre ;
350 C’est assez parlé de telz veaulx.
LE BADIN
Y fault parler des fos nouveaulx106 :
Messieurs, n’en vistes-vous jamais ?
On en void tant, en ce Palais,
Qui les uns les aultres empeschent !
355 Les uns vont, les aultres despeschent107 ;
Les uns escoustent ce qu’on dict108 ;
Les aultres sont encor au lict,
Qui despeschent tousjours matierre
Et par-devant, et par-derierre.
360 Et de cracher gloses et loix
Aussy dru que mouches de boys109 !
J’entens110 ceulx qui sont aprentys :
Incontinent qu’i sont sortis
Hors d’Orliens ou de Potiers111,
365 Quoter112 y vouldroyent volontiers ;
Toutefoys, y sont sy morveulx
Que, de cent, on n’en voyt pas deulx
À qui ne faille baverète.
LE .IIe. S[OT]
Cela leur sert d’une cornète
370 Pour contrepéter113 l’avocat.
LE BADIN
Chacun veult estre esperlucat114,
Pour estre estimé davantage.
LE P[REMYER] S[OT]
Tout homme qui s’estime sage,
Il doibt estre fol réputé.
LE .IIe. S[OT]
375 C’est assez des fos disputé,
Des sos et des badins aussy.
LE .IIIe. S[OT]
Il est temps de partir d’icy :
Ce badin nous faict arager !
LE BADIN
Par Dieu ! j’oseroys bien gager
380 Que la pluspart de tous ces gens
Qui nous sont venus veoir céans
Pour escouster nos beaulx propos
Sont sïeurs d’ays, ou folz, ou sos
(Prenez lesquelz que vous vouldrez).
LE .IIIIe. S[OT]
385 Je croys bien. Mais vous nous tiendrez
Plus sages que badins ou fos,
Ne ferez pas ?
LE BADIN
Ouy. À propos,
Je t’ay dict en d’aulcuns passages115
Que sos ne séroyent estre sages ;
390 Mais badins le pevent bien estre.
LE .Ve. S[OT]
C’est abus : y sera le maistre,
Car il est par trop obstiné !
LE P[REMYER] S[OT]
A ! c’est un badin afiné116,
On le congnoist apertement117.
LE BADIN
395 Y fault bien parler aultrement118
De nostre sïage ; à quant esse ?
LE .IIe. S[OT]
A ! tu nous eslourdes119 sans cesse ;
Veulx-tu poinct changer ton propos ?
LE BADIN
Sÿeurs d’ays ne sont en repos. 120
400 Sÿeurs d’ays sont en grand détresse.
LE .IIIe. S[OT]
A ! tu nous eslourdes sans cesse.
LE BADIN
Y sont logés cheulx leur mêtresse121,
Qui leur torche122 bien sur le dos.
LE .IIIIe. S[OT]
A ! tu nous eslourdes sans cesse ;
405 Veulx-tu poinct changer ton propos ?
LE BADIN
Nostre procès n’est encor clos :
J’ay bien aultre chose à plaider ;
Car je veulx un petit larder123
Cinq ou sis qui sont cy présens.
410 Ilz ont grand nombre de parens
Logés chascun jour cheulx leur maistre124.
LE .Ve. S[OT]
Y vauldroict myeulx s’en aller paistre
Qu’estre sy martir marié !
Quant un homme est sy harié125,
415 Il est bien fâché de sa vye.
LE BADIN
Mon amy, c’est une farye126
Que de femmes ; car il est dict
Et en leurs grans Livres escript :
In usu de quelongnybus127.
420 De leur rien dire128, c’est abus.
S’ilz se prennent129 par les costés,
Y fault que bien tost vous trotez :
Avisez l’huys de la maison130 !
Ne dictes mot, c’est bien raison ;
425 Y seront mêtresses, pour vray.
LE P[REMYER] S[OT]
Et ! je sçay bien que je feray.
Sy je suys hors de mariage,
Je puisse mourir de la rage
Sy je m’y reboulte131, beau syre !
430 Le mectre hors132 ? Dea, qu’esse à dyre ?
Et ! c’est trop faict de la mêtresse133 !
Et sy, n’oseroyt contredire ?
Le mectre hors ! Dea, qu’esse à dire ?
Par Dieu ! je me mectroys en ire134
435 Et la turoys ! A ! la tritresse135 !
Le mectre hors ? Dea, qu’esse à dire ?
Et ! c’est trop faict de la mêtresse !
Or ne m’en faictes plus de presse136,
Car je seray le maistre, en somme.
LE BADIN
440 Y fault que la teste [il] luy sonne137,
S(y) el ne veult se taire [tout] quoy138.
LE .IIe. S[OT]
Je feray bien aultrement, moy :
De peur de me trouver aulx coups,
Sang bieu, je m’enfuyray tousjours,
445 Car je ne veulx estre batu.
LE BADIN
Tu me sembles un sot testu.
Et ! n’as-tu poinct d’aultre courage ?
Mon amy, sy ta femme arage,
Arage deulx foy[s] contre elle une139,
450 Et te saisist de quelque lune140
Qui sente Colin du Quesnay141,
En luy disant : « Jen ! sy j’en ay142,
Vous arez cent coups contre deulx ! »
LE .Ve. S[OT]
Quant un homme est prins aulx cheveulx,
455 Comme esse qu’il en chevira143 ?
Le deable emport qui s’y fira !
Y vault myeulx s’en courir bien loing.
LE BADIN
Comment ? N’avez-vous pas un poing
Qu’on apelle Martin Baston144,
460 Pour faire paix en la maison ?
Mais gardez d’estre le plus fièble145.
LE P[REMYER] S[OT]
Myeulx vauldroict assaillir un deable
Que d’assaillir aucunes146 femmes !
LE BADIN
Aulx bonnes ne faisons difemmes147,
465 Qu’i148 ne le prennent pas en mal ;
Mais, qui veult149 dire en général
Le bien, l’honneur et la prudence
Que l’on veoit aulx femmes de France,
Ce seroyt grand confusion.
.
470 Sÿeurs d’ays, pour conclusion,
Sans vous tenir plus long propos,
Sont plus sages que fos ne sos ;
Et ne peult estre convaincu
Sïeur d’ays que d’estre cocu.
475 Mais à vous tous je m’en raport[e]…
Tout le monde est de telle sorte ;
Y n’en fault poinct prendre d’ennuy.
Chantez, c’est assez pour mèshuy !
.
FINIS
*
1 Le Théâtre français avant la Renaissance, 1872, pp. 429-437. 2 Recueil général des Sotties, t. 3, 1912, pp. 45-77. 3 LV : v galans (Il n’y a aucun rôle de Galant dans cette œuvre. L’index personæ n’est presque jamais de l’auteur. On lit au-dessous : le premy galant comence) 4 Je suis pris : je suis cocu. Cf. le Tesmoing, vers 350. 5 LV alterne systématiquement le 1er sot, le 2e, le 3e, le 4e, et le 5e.* Mais le copiste a redonné par erreur la seconde réplique au 1er Sot ; du coup, il a cafouillé jusqu’au vers 2. Voir l’illustration. *Ce schéma mécanique sera rompu à cinq reprises sans qu’on puisse déceler la moindre lacune. 6 Je porte des cornes. 7 Je modèle ma femme comme si elle était en cire. Cf. Raoullet Ployart, vers 186. 8 Saurait (même normandisme aux vers 56, 61, 389). On reprochait aux maris complaisants de s’enrichir grâce aux amants de leur épouse. 9 Le peuple de cette ville, qui n’a ni pain ni vin, « pour ce que l’année [1535] fut si fort pluvieuse, et furent les blédz et vignes coulléz ». (Cronique du roy Françoys, premier de ce nom.) Les Français se plaignaient d’être moins bien traités que les étrangers, en l’occurrence les Italiens bichonnés par François Ier. 10 La censure –dont il est encore question aux vers 285-292– pouvait prendre des formes assez brutales. 11 LV : compte — Rime suivante : conte 12 Il dut abandonner le conte [le récit] qu’il était en train de faire, à cause de la censure. 13 Voudrait être mis au rang des malheureux sots devenus si riches. « Sots malheureux, Sots misérables,/ Sots mariés, Sots amoureux,/ Sots maistres comme sïeux d’ais. » Monologue des Nouveaulx Sotz (je montre le texte original parce que l’édition de Montaiglon le rend méconnaissable). 14 À son premier état : à l’Âge d’or. 15 Qui récoltent du salpêtre sur les parois humides. On en faisait de la poudre à canon. 16 Auront beaucoup de travail. « Les princes voisins dudict royaulme [de France], tant des Allemaignes, Espaigne que Italye, se armoyent et faisoyent de grands préparatifz pour la guerre. » Cronique du roy Françoys. 17 On permet que tel courtisan garde la tête hors de l’eau. « Soutenir le menton : Manière de parler pour dire protéger, ou favoriser. » Le Roux. 18 S’il ne changeait pas son naturel pour flatter ses soutiens. Nous arrivons à un exercice de style fort goûté des auteurs de sotties : l’écriture en « menus propos » ; c’est un enchaînement de coq-à-l’âne greffés sur des distiques dont le second vers fournit la première rime au prochain intervenant, pour soulager sa mémoire. 19 Que les rames des galères auraient tant fait parler. Le 21 juillet 1535, Charles Quint et les galères occidentales avaient conquis Tunis, libérant 20 000 chrétiens réduits en esclavage par les barbaresques. Toute la France fut admirative, excepté son roi qui, jaloux de l’empereur espagnol, avait refusé de se joindre aux européens. 20 C’est parce que les fanatiques musulmans. 21 En ce mois de février 1536, François Ier venait à nouveau de se déshonorer vis-à-vis du monde chrétien en signant avec les Turcs un « traité des capitulations », par lequel l’empire ottoman accordait un « droit de pavillon » aux bateaux français qui faisaient du commerce en Méditerranée. Pour parvenir à ses fins, le roi dut offrir au sultan une tiare qui avait coûté aux contribuables la bagatelle de 115 000 ducats. 22 Qu’à être montrés. En septembre 1534, l’explorateur Jacques Cartier était venu montrer à François Ier deux jeunes Iroquois vêtus de leur costume tribal. 23 On retourne à Tunis, et aux Arabes enflammés par leur religion. 24 Dans la place forte de La Goulette, qui protégeait Tunis. 25 Le croissant, l’emblème des musulmans. 26 Inconvénients. 27 Caricaturer quelqu’un. Cf. le Dorellot, vers 251. 28 Un trait d’esprit. 29 Au cabinet. Cf. le Retraict. Jeu de mots sur « rester en retrait », comme François Ier quand il n’avait pas voulu prendre part à la coalition européenne montée par Charles Quint. 30 Aux hommes qui se teignent la barbe. « L’aultre fera sa barbe taindre/ En noir, pour faire la fanfare [pour fanfaronner]. » Blason des barbes. 31 Par leur chevelure. 32 Oublié (normandisme). 33 Précisons une fois pour toutes que les sos sont les sots, et que les fos sont les fols. Cette sottie est importante parce qu’elle nous fournit une nomenclature détaillée des Sots (personnages de théâtre), des fous (psychopathes, simples d’esprit et bouffons), des sages (fous qui s’ignorent), et des badins (demi-fous). Malheureusement, cette nomenclature n’a été mise en pratique que par l’auteur de la présente pièce. 34 Niais. Naudet est le nom d’un badin dans plusieurs farces, notamment le Gentil homme et Naudet. 35 De leur engeance, de leur race. 36 Injure. 37 Marmonner. 38 Ce qui t’amène ici. 39 Confrérie. 40 Que la représentation ait lieu dehors ou dedans, les spectateurs restaient debout. 41 Au bas de l’estrade : les hommes qui composent le public font évidemment partie de la grande famille des scieurs d’ais. 42 Jeu de mots sur la « scierie » des scieurs d’ais. Idem vers 195. Édouard Fournier flaire là un calembour scatologique sur « parfumé de chierie ». 43 Jetons-le. On retrouve le pronom normand lay [le] au vers 332. 44 En le faisant dégringoler de l’estrade. 45 Tout coi, pour toujours. 46 Abréviation normande de : « Par saint Jean ! » Idem vers 452. Cf. Jehan de Lagny, vers 153. 47 LV : ve 48 Que tu n’es pas digne d’être un sot comme nous. 49 Ne disait pas de donner une aumône sous forme de gifle. Le Badin s’adresse maintenant au public. 50 Parle pour toi. 51 Ce que. 52 On qualifie. Le chaperon fourré est la coiffure des hommes de loi : nous sommes dans le Palais de justice de Rouen, où travaillent les basochiens qui jouent cette pièce. 53 La réputation. 54 Admettons. 55 On le clame, on le déclare. 56 Ne se contente pas de lui et prend un amant. 57 Hector, Alexandre le Grand, Jules César, Judas Macchabée, le roi David, le roi Arthur, Charlemagne, Roland, Godefroy de Bouillon. 58 Connu en tant que sot. 59 Tu as touché juste. 60 Rejetée, censurée. 61 Ce jour-là, les acteurs de sotties avaient plus de liberté d’expression que d’habitude. Voir les vers 289-290. Le Badin prend ses précautions au cas où l’on croirait qu’il s’attaque à François Ier. 62 Qu’on tourne le bras : qu’on tourne le pouce, en signe de condamnation. 63 Il y a 8 jours. 64 LV : de pieca (De ce côté-ci : dans les environs.) 65 Est rébarbative, regimbe. 66 Balayer. Émile Picot publie une Chanson nouvelle des Scieurs d’ais, dans laquelle un mari dominé par sa femme se plaint : « Tous les jours, sans faute,/ Je balie la maison. » 67 Le lui jetant en travers de la tête. En 1521, François Ier avait reçu un tison brûlant sur la tête ; depuis, ce « grand lourdaud » de 1,98 m portait la barbe. 68 On donne ce titre à des docteurs de l’Église dont le plus connu est saint Luc. 69 LV : landrin (Sa femme lui fait manger des pois crus. Cf. le Capitaine Mal-en-point, vers 248-9 et note.) 70 LV : non poinct (Correction Picot.) Sandrin est le diminutif d’Alexandre ; or, les flatteurs comparaient François Ier à Alexandre le Grand. 71 Que les auteurs de satires parleraient de lui. 72 Fiché (normandisme). 73 Se jouer à = copuler avec ; cf. Guillerme qui mengea les figues, vers 238 et 240. Le « maître » est l’épouse dominatrice, comme au vers 411, ou la « maîtresse » dans tous les sens du terme. Il est vrai qu’Anne de Pisseleu, la favorite royale, avait son petit caractère. 74 Un scieur d’ais, comme nous. 75 Il n’est pas du tout de Saint-Vivien. Cette paroisse de Rouen abritait les « purins », la plèbe des ouvriers du textile. Le fastueux François Ier n’a donc aucun rapport avec ce quartier ; sauf que, dans le ms. La Vallière, la farce rouennaise qui suit notre sottie a pour titre : Farce joyeuse des Langues esmoulu[e]s pour avoir parlé du Drap d’Or de Sainct-Vivien. Le camp du Drap d’Or, en 1520, restait pour le peuple un sommet indépassable du gaspillage royal : « Tel se moque du Drap d’Or (…),/ Qui n’a vaillant une estamyne/ Quant ses debtes seront payés. » Les Langues esmoulues, LV 65. 76 Nous. Ce « purinisme » révèle que celui qui l’emploie est né à Saint-Vivien. 77 LV : sos (Le « s » et le « f » sont presque identiques.) Le badin parle maintenant des vrais fous, puis des attardés mentaux que les grands de ce monde embauchent comme bouffons. 78 LV : car 79 De marotte. Idem vers 300. 80 Variété de pomme rouge. Triboulet, le bouffon de René d’Anjou, était microcéphale : voir la note 78 des Vigilles Triboullet. 81 Pour la somme de 100 ou de 200 écus chacun. 82 Moins (normandisme). 83 De leur lignée. 84 Remarquable. 85 L’apogée. 86 Sont bien logés. 87 Sur le caractère buté des harengères, voir l’Antéchrist et Grant Gosier. 88 Au théâtre et dans les palais royaux, seuls les Sots pouvaient s’exprimer sans aucune limite, puisqu’ils étaient fous. De nouveau, le Badin s’adresse au public. 89 Vous parlez abondamment. 90 LV : ve s (Interversion avec la rubrique suivante, que j’ai corrigée : iiiie s) 91 Le nombre des fous, qui est infini, comme nul ne l’ignorait : « Stultorum infinitus est numerus. » L’Ecclésiaste. 92 Sont des personnages importants. « Font-ilz du raminagrosbis ? » Maistre Mymin qui va à la guerre. 93 D’une centaine. 94 En réalité, ce qui réjouissait les soudards était rarement décent… 95 Des prétentieux imbéciles. 96 Que vous me rappeliez les autres types de fous. 97 Profondes, pénétrantes. 98 Que si on en croit leurs livres. Le poète qui a composé ce texte n’épargne pas la folie proverbiale de ses confrères. 99 C’est un des points communs entre les poètes et les ivrognes : « Qui bien boit (dire le vueil)/ Tant que la larme vient à l’œil,/ Ceulx sont cousins germains de Dieu. » Sermon joyeux de bien boire. 100 Et cependant. 101 On en voit quelquefois. 102 Pour maintenant. Idem vers 478. 103 Mutinés, révoltés. Idem vers 344. Nous arrivons aux fous de Dieu. 104 Vais. Picot consacre une longue note aux protestants rouennais qui choisirent le bûcher plutôt que l’abjuration : « Le 5 mai 1535, un hérétique qui se disait “le promis de la Loi”, fut brûlé à Rouen…. C’est lui peut-être qui avait prononcé les paroles rapportées dans la sottie. » 105 Aucun protestant. La connaissance de ces trois langues permettait un accès direct aux écrits bibliques, enfin débarrassés de l’exégèse catholique. « Quand cest Hébrieu, Grec et Latin/ Rendirent en prose et en vers/ Le pot aux roses descouvers. » (Satyres chrestiennes de la cuisine papale.) « Ce Grec, cest Hébreu, ce Latin/ Ont descouvert le pot aux roses. » (Clément Marot.) 106 À la mode. 107 Bâclent les procès. 108 Nous espionnent. 109 « Les mouches de jardin ou de bois volent par bandes ou essaims. » M. Perrault. 110 J’entends discourir. 111 Des facultés de droit d’Orléans et de Poitiers. Pantagruel (chap. 5), qui a fréquenté les deux, affirme que leurs étudiants ne font rien d’autre que « banqueter à force flacons », ou « danser et jouer à la paulme ». 112 LV : quoy (Coter : gloser un texte de loi. « Ès décretz ne ès Droitz cotéz. » Guillaume Coquillart.) 113 Contrefaire. La cornette est le chaperon qui coiffe les avocats ; voir la note 4 du Testament Pathelin. L’écharpe de cette cornette, enroulée autour du cou, est ici comparée à un bavoir. 114 Porteur de perruque : juge. Voir la note 29 du Poulier à sis personnages. 115 À un certain moment : au vers 123. 116 Fin, rusé. 117 On le voit clairement. 118 Un autre jour. 119 Tu nous étourdis. Cf. la Veuve, vers 240. 120 N’ayant pas vu qu’il recopiait un triolet, le scribe ajouta ce vers pour rimer avec le précédent. 121 Chez leur femme, qui est le véritable maître de la maison. 122 Frappe. « Torche ! Frappe ! » Colin, filz de Thévot. 123 Piquer. 124 Chez leur femme (note 121). 125 Malmené. 126 Une féerie, un prodige. (Mes prédécesseurs ont lu furye.) « Dieu ! voicy faerie ! » Jolyet. 127 Les clercs de justice, qui parlent très bien le latin, se moquent ici des femmes, qui l’ignorent mais qui en font des livres. Quelogne = quenouille. De l’usage des quenouilles est à rapprocher des Évangiles des Quenouilles. 128 Si on leur dit quelque chose. 129 LV : fument (Si elles mettent leurs poings sur leurs hanches dans une posture frondeuse, comme la Grosse Margot : « Par les costés se prent cest antécrist./ Crie, et jure par la mort Jhésucrist/ Que non fera ! » François Villon.) 130 Prenez la porte ! « Advisez l’huis ou la fenestre ! » Resjouy d’Amours. 131 Si je m’y remets. « Il n’eut garde de se rebouter en mariage ! » (Cent Nouvelles nouvelles.) Cf. la Veuve, vers 193. 132 Mettre son mari dehors, comme au vers 423. 133 Elle joue trop à la patronne. 134 En colère, si j’étais à la place du mari expulsé. 135 La traîtresse. 136 N’insistez pas. 137 Qu’il lui frappe sur la tête comme sur une cloche. 138 Tout coi. Voir le vers 116. 139 Enrage deux fois plus qu’elle. 140 Foucade, coup de folie. 141 Prononciation normande du chenet. Cette pièce métallique de la cheminée pouvait servir à battre une femme en cas de besoin : « S’estant saisi de l’un des chenets du foyer, il voulut en descharger un coup sur le dos de Clorinde. » (Oudin de Préfontaine.) Colin du Chenet est donc l’alter ego de Martin Bâton (vers 459). La commune normande de Portbail possède encore aujourd’hui une rue Colin du Quesnay. 142 Par saint Jean ! si je reçois des coups. (Mes prédécesseurs et mes successeurs ont lu : J’en ay, j’en ay.) 143 Qu’il viendra à bout de sa femme. 144 Cf. la farce de Martin Bâton qui rabbat le caquet des femmes. 145 Gardez-vous d’être le plus faible du couple. Rime avec « dièble » : « Dièbles d’enfer. » La Muse normande. 146 Certaines. 147 Diffamation, injures. 148 Qu’elles. 149 Si on voulait.
JEHAN DE LAGNY
*
JEHAN DE LAGNY
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Cette farce rouennaise fut écrite en 1515. L’auteur a pioché le nom des trois femmes de sa pièce dans des chansons gaillardes, aujourd’hui perdues. Le nom du personnage principal vient d’une autre chanson : « Leus-tu jamais en Fierabras / La Chanson de Jean de Laigni ? » (L’Amoureux passetemps.) Cette chanson – également perdue – raillait le fait que Jean sans Peur, en 1416, cantonnait depuis longtemps à Lagny-sur-Marne, et qu’il n’arrivait pas à se décider sur la suite des opérations. Ses ajournements perpétuels lui valurent les quolibets des Parisiens, ce dont il se fâcha tout rouge. « Le duc Jehan de Bourgoingne (…) alla logier à Lagny-sur-Marne, où il fut grant temps. Et tant y fut, que ceulx de Paris (…) l’apeloient Jehan de Lagny. » <Mémoires de Pierre de Fénin.> À défaut de la chanson, nous avons conservé deux proverbes sur les atermoiements de Jean sans Peur : « Jehan de Lagny, qui n’a point de haste. » Et : « Il est des gens de Lagny, il n’a pas haste. »1
Le héros de notre farce est baptisé Jean de Lagny parce qu’il promet toujours le mariage à ses conquêtes, mais qu’il temporise indéfiniment : « J’ey promis et promais encore/ Vous espouser je ne say quant. » Dans la farce du Retraict, qui appartient au même manuscrit, on disait déjà d’un homme velléitaire : « Voylà un bon Jehan de Lagny ! »
Après le succès de la pièce, Jacquet de Berchem composa cette chanson, qui fut publiée en 1540 :
Jehan de Lagny,
Mon bel amy,
Vous m’avez abusée.
Se ce n’eust esté vostre amour,
Je fusse mariée.
Vous avez ouvert le « guichet »,
La « mouche » y est entrée2.
Se j’avois connu vos façons,
Fille serois restée.
On doist bien brider le « mulet »,
S’il entre à l’escurie.
Dans la farce du Tesmoing, un prévenu refuse d’épouser une femme, qu’il a subornée en lui promettant le mariage. Or, le juge est un official, comme il se doit dans ce genre d’affaires. Ici, trois femmes séduites par un seul homme veulent l’épouser, et font appel à un juge laïc qui n’est pas compétent dans ce domaine. En outre, ce fantoche de juge rend la justice en pleine rue, et n’a aucun moyen de faire appliquer ses sentences, qui sont d’ailleurs illégales. On le traite de « fol » à l’avant-dernier vers, et tout laisse croire que ce suppôt des Conards de Rouen fut effectivement joué par un Sot.
Source : Manuscrit La Vallière, nº 31. Le texte est dans un état si décourageant que nul ne s’est risqué à en donner une édition critique.
Structure : Rimes plates, avec 4 triolets.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
.
*
Farce joyeuse
À sis personnages, c’est assavoir :
JEHAN DE LAGNY, Badin
MESSIRE JEHAN [VIRELINQUIN]
TRÉTAULDE 3
OLIVE 4
PÉRÈTE VENEZ-TOST 5
et LE JUGE
.
*
TRÉTAULDE 6 commence,
tenant un baston à sa main. SCÈNE I
Tant, pour chercher Jehan de Lagny,
J’ey de douleur et de destresse !
À Parys, à Troys7, à Magny,
Tant, pour chercher Jehan de Laigny.
5 Pendu soyt-il comme Margny8
En un gibet de grand haultesse,
Tant, pour chercher Jehan de Laigny,
J’ey de douleur et [de] détresse !
PÉRÈTE VENEZ-TOST
Et moy, par semblable finesse9,
10 Jehan de Laigny [m’a engyné]10.
Pensez qu’il sera démené,
Se je le tiens bref en rudesse !
OLIVE
Il ne m’a pas tenu promesse,
Jehan de Laigny, ce trompereau.
15 Je requiers Dieu que le boureau
Le puisse atraper à son erse11 !
PÉRÈTE
Dictes-moy, s’y vous plaist, comme esse
Qu’i vous trompa, et en quel rue.
Ainsy que vous ay aperceue12,
20 Il vous a mys le corps en presse13 ?
TRÉTAULDE
Il me feist choir en la reverse14
En me disant :
« Grosse trongnaulde15 !
Combien que vous soyez courtaulde16,
J’éray la copie17 de ce corps ! »
25 Et vous, [qui estes-vous, pour lors] ?
PÉRÈTE
Pérète Venez-tost.
TRÉTAULDE
« Pérète,
Vous ma seurète »18,
Dont on parle parmy19 ces rus ?
Enda ! à peu20 que ne mourus
D’entendre21, par un samedy,
30 Un grand Sot, garson estourdy,
Estant22 aveques un supost,
Chantant :
« Pérète, venez tost !
Gay là, gay23 ! la chose [est] preste. »
Et l’ort vilain Sot désonneste
35 Prononsoyt en dict et propos
Qu’i l’avoyt « aussy dur c’un os ».
[S]y esse vous, doulce compa(i)gne ?
PÉRÈTE
Ouy, c’est moy.
OLIVE
Pour Dieu, qu’on n’espargne
Jehan de Lagny, se on24 le treuve !
40 Et qu’i n’ayt relâche ne treuve25
Jusqu(es) à ce que la mort s’ensuyve26 !
TRÉTAULDE
Et vostre nom ?
OLIVE
Moy, c’est Olive.
TRÉTAULDE
[Quoy ! estes-vous « la belle fille » ?]27
Y vous a serré la « quoquille »,
Se disent enfans à leurs chans28.
45 Ceulx qui vont le pavé marchans
Vous chantent29 aussy bien que nous.
PÉRÈTE
Je requier Dieu à deulx genoulx
Qu’on cherchon30 tant qu’il soyt trouvé.
S’y n’est de par moy esprouvé
50 Méchant31, que je soys difam[é]e !
OLIVE
Jehan de Laigny ?
TRÉTAULDE
Sa renommée
Sera perdue, ce coup icy.
Non obstant, vous veulx dire un sy32
Qui nous servyra bien.
PÉRÈTE
Et quoy ?
TRÉTAULDE
55 Que chascun se taise [tout coy]33,
Et tenons icy un concille.
Ayons un clerc de ceste ville,
Ou un prestre qui soyt savant,
Qui vienne avec nous poursuyvant
60 Jehan de Lagny, ce faulx nerquin34.
OLIVE
Messire Jehan Virelinquin35
Est bien homme pour nous conduyre.
Vous plaist-il que luy aille dyre
Qu’i vienne à vous parler souldain ?
PÉRÈTE
65 Alez souldain ou tost !
TRÉTAULDE
Mais ne targez grain36.
OLIVE
Le voécy, c’est Dieu qui l’envoye !
.
Messire Jehan, Dieu vous doinct joye SCÈNE II
De ce que vostre cœur désire !
Vous est-il bien37 ?
MESSIRE JEHAN [VIRELINQUIN]
Gras comme [une oye]38 !
TRÉTAULDE
70 Messire Jehan, Dieu vous doinct joye !
MESSIRE JEHAN
Tant [je voy cy]39 une mont-joye
De bonnes commères pour rire !
PÉRÈTE
Messire Jehan, Dieu vous doinct joye
De ce que vostre cœur désire !
TRÉTAULDE
75 Escoutez un petit40 mon dyre
Aussy vray comme le soleil41 :
Aydez-nous de vostre conseil,
En vous payant42 de vostre paine.
MESSIRE JEHAN
Prononcez !
PÉRÈTE
C’est chose certaine
80 Que Jehan de Lagny on cherchon.
Fust-il pendu à Alenson,
Ou son corps brullé à Bréban43 !
MESSIRE JEHAN
Faictes-lay adjourner à ban44,
Citer45 à ouÿe de paroisse.
85 Y fauldra qu’i boyve l’engoysse46,
Fust-il des gens de Hanequin47.
OLIVE
Et ! monsieur Jehan Virelinquin,
Tant on sommes à vous tenu[e]s !
MESSIRE JEHAN
S’il estoyt caché48 soublz les nu[e]s
90 On le trouveron, sy Dieu plaist.
TRÉTAULDE 49
Escrivez-nous [cy] nostre explet50,
Et narez en vostre registre
Que c’est moy-mesme qui le cite,
Tout par despist de sa ribaulde.
[MESSIRE JEHAN] 51 escript.
95 Vostre non à vous ?
TRÉTAULDE
C’est Trétaulde.
MESSIRE JEHAN
Trétaulde52 ?! Dieu de Nazaret !
TRÉTAULDE
Qu’i ne s’en faille un tiret
Qu’i ne compare53, le coquin !
PÉRÈTE 54
Messire Jehan Virelinquin,
100 Mectez que c’est moy qui le cherche.
Sy tenir le puys à mon erse,
Il éra la prison pour lot55.
J’ey non56 Pérète Venez-tost,
Afin que pas ne l’ombliez57.
105 Ne luy ne toulz ses alyés58
Ne valent pas le[s] mestre au feu59.
MESSIRE JEHAN
Mais ayez pacience un peu,
Que j’[ay]es escript ce mot icy.
OLIVE
Virelinquin, mectez aussy,
110 Monsieur, que dire doys premyer60
Qu’il est aussy sot c’un prunyer
D’aler tant de filles tromper.
Et sy on le puist atraper,
Rien ne luy vauldra son moquer61.
MESSIRE JEHAN
115 Il ne [me séroyt]62 révoquer,
Puysque j’ey procuration.
TRÉTAULDE
Faictes-luy assignation
De comparer63 à ma requeste.
PÉRÈTE
Et moy aussy.
MESSIRE JEHAN
A ! j’ey la teste
120 Assez ferme pour le bien faire.
OLIVE
Monsieur Virelinquin, mon Frère :
[Que] n’omblyez pas à m’y mectre !
MESSIRE 64 JEHAN
Nennin. Mais signez ceste lestre,
Et puys me laissez faire, moy.
.
LE BADIN 65 entre en chantant : SCÈNE III
125 C’est à ce joly moys de may
Que toutes herbes renouvelles.
Et vous présenteray, les belles,
Entièrement le cœur de moy.66
.
TRÉTAULDE 67 SCÈNE IV
Aussy vray qu’i n’est c’une Loy,
130 J’ey entendu Jehan de Laigny !
Je vous suply qu’i soyt pugny,
Messire Jehan, s’il est possible.
MESSIRE JEHAN
Uson de finesse paisible68.
Que l’une de vo[u]s troys l’amuse69,
135 En parlant doulcement, de ruse ;
Et [moy], j’escousteray de loing.
Je vous servyray de tesmoing
Au besoing, plus que ne font sis70.
PÉRÈTE
Aussy vous érez des mersis71,
140 Sy Dieu plaist, plus de quatre cens.
.
LE BADIN 72 SCÈNE V
Sainct Jehan ! depuys les Innocens73
Que je suys party de Rouen,
Je fais [le] veu à sainct Ouen74
Que je n’ay veu femme ne fille,
145 Quelle qu’el soyt, tant soyt habille
Qu’il sont icy75 ! Très âprement,
Voir je m’en voys bénignement76
Trétaulde, Pérète et Olyve,
Et faire le petit convyve77
150 Avec eulx78 gratieusement.
Et puys pensez que l’instrument 79
Y fauldra bien que l’on me preste.
TRÉTAULDE, en dèrière 80
In Gen81 ! beau sire, sy je le preste,
Que l’on me pende sans mercy !
PÉRÈTE
155 Non pas moy.
OLYVE
[Et] ne moy aussy82.
.
LE BADIN SCÈNE VI
Dieu gard les belles sans soulcy !
TRÉTAULDE, en ruze.
Et ! Jehan de Lagny, Dieu vous gard !
LE BADIN
Vous est-il bien ?
PÉRÈTE
Ouy, Dieu mercy !
LE BADIN
Dieu gard les belles sans soulsy !
160 Tousjours seulètes ?
OLYVE
Il est ainsy.
LE BADIN
Joyeulx suys de vostre regard.
Dieu gard les belles sans soulsy !
LES TROYS ensemble
Et ! Jehan de Lagny, Dieu vous gard !
LE BADIN
Ma foy, je suys frapé du dard
165 D’Amours, tant de vous suys joyeulx.
TRÉTAULDE
En tout temps estes amoureulx ;
Jamais ne vous en passerez ?
(Mydieulx ! vous récompenserez
Mon honneur, qui est difamé !)
LE BADIN
170 Ouy dea, je pence estre famé83
Et renommé en tant de lieux.
Sy vostre cœur est envyeux
De chose qui soyt en ce monde,
Je suys d’acord qu’on me confonde
175 Sy ne l’avez pour souhaiter84.
TRÉTAULDE
Y vous plaira me relater85
La promesse que m’avez faict :
Combien qu’il soyt gardé segret86,
Avoir la veulx en ma mémoyre87.
LE BADIN
180 J’ey promys et promais encore
Vous espouser je ne say quant.
MESSIRE JEHAN 88
(Sainct Jehan ! vous vélà prins pour tant89 :
Cétuy mot pas je n’omblyray.)
PÉRÈTE
Et quant esse que je seray
185 En honneur mise de par vous ?
LE BADIN
Quant et90 Trétaulde.
OLYVE
Et moy ?
LE BADIN
Et91 vous.
TRÉTAULDE
M’y deust-il couster trente soublz,
Je vous éray ou vous m’érez !
LE BADIN
Afin que le cas assurez92,
190 Alon, pour le temps advenir,
Le fère93 un coup pour souvenir.
Et puys la chère nous94 feron.
MESSIRE JEHAN 95
Esse pas cy mon aulteron96,
Dont j’ey sur luy lestre de prinse97 ?
195 Puysque j’ey sus vous la main myse,
Parler vous viendrez à Monsieur98 !
LE BADIN
Me prenez-vous pour transgresseur99 ?
Estes-vous oficier100 du Roy ?
MESSIRE JEHAN
Vous viendrez présent quant et moy101 !
200 Par Dieu j’en jure et jureray !
LE BADIN loche 102 la teste
Et ! par la vertu, non feray !
J’ey comme toy une caboce103.
Me pence-tu mener à force
Aulx prisons ? Jen ! tu as beau nes104.
MESSIRE JEHAN
205 Pourtant y fault que vous venez
Malgré vos dens et vostre cœur105.
LE BADIN
Par la mort ! vous serez menteur106.
MESSIRE JEHAN
Le deable m’enport ! non seray.
Maintenant je te montreray
210 Que j’ey de te prendre licence107.
.
LE JUGE 108 SCÈNE VII
J’ey entendu quelqu(e) un qui tence
En blaphémant Dieu de sang meu109.
Y fault sçavoir dont est esmeu
Le débat de leur diférent110.
215 Car je n’ay amy ne parent,
Pourveu que mon Dieu y blaphesme,
Qu’en dure prison je n’enferme
Long temps sans boyre que de l’eau !
MESSIRE JEHAN
Monsieur, voyez cest estourneau
220 Qui pour le présent se rebelle.
J’ey dessus luy plaincte formelle,
Et ne vous veult pas obaïr.
LE BADIN
Monsieur, y vous plaira ouÿr
Comme c’est qu’il m’a voulu prendre
225 En lieu honneste sans m’entendre111.
Je m’en croys aulx femmes de bien112.
LE JUGE
En vos propos je n’entens rien.
Dictes-moy que luy demandez.
MESSIRE JEHAN
Monsieur, voulontiers. Atendez :
230 Examynez113 ces créatures,
Puys vous voy(e)rez les escriptures114
Que j’ey par procuration.
LE BADIN
Je demande relation115
De luy, qui se dict ma partye116.
LE JUGE
235 Ta harengue sera ouÿe
Comme la sienne en cestuy lieu.
MESSIRE [JEHAN] lict :
« Françoys117, par la grâce de Dieu
Roy de France, et cetera… »
LE BADIN
On voi(e)ra bien que ce118 sera…
240 Monsieur, au moingtz, [qu’ayt les]119 despens.
Et sy, qu’i demeure suspens120,
S’y n’a du bien121 à sa maison.
LE JUGE
On te fera toulte raison ;
[Ay]es pacïence, mon amy.
LE BADIN
245 Je ne seray pas endormy,
Sy je vous rencontre à la chaulde122.
MESSIRE JEHAN lict :
« Tout premièrement, j’ey Trétaulde,
– Honneste fille et [fort] poulsyve123 –,
Pérète Venez-tost, et Olyve,
250 Qui font sus Jehan de Laigny plainctes
Et veulent que toutes contrainctes
Souent124 faictes de luy par les villes :
Car c’est un violleur de filles,
Un abuseur, un séducteur,
255 Un babillard, vanteur, menteur,
Qui promect de les espouser ;
Et puys il les va abuser
Et se moque d’eulx tous les jours.
Pour avoir plus d’aide et secours
260 À faire [l’]information125,
On passon procuration
À messire Jehan Vir(e)linquin,
Trop plus congnoissant c’un Turquin
En lard 126 et sçavoir de pratique. »
LE BADIN
265 Monsieur, [ce poinct dessus]127 me pique,
Et en ce mot-là je m’areste :
Comment ! il est sergent, et prestre,
Et procureur, et advocat ?
Alez chanter Magnyficat128
270 À l’église, et [cy] vous tésez !
MESSIRE JEHAN
Il a les filles abusés,
Monsieur, de quoy c’est grand pityé.
TRÉTAULDE
Par sa méchante mauvestyé129,
Y m’a faict telle comme telle130.
PÉRÈTE
275 Et moy aussy.
LE BADIN
A ! j’en apelle131,
S’on me faict tort, au Gras132 Conseil ;
Et là, [en mon hault]133 apareil,
[J’oposeray de ce]134 procès.
LE JUGE
Femmes, vous a-il faict excès
280 De vous presser oultre mesure ?
LES FEMMES ensemble
Ouy ! Ouy ! Ouy !
LE BADIN
A ! nénin.
MESSIRE JEHAN
Monsieur, je jure
Que sy a135 : c’est chose certaine.
LE BADIN
Et j’ey faict vos fièbvres cartainnes !
Alez, procureur mengereau136 !
285 Sang bieu ! vous estes maquereau
De trèstoustes, je le soutiens !
TRÉTAULDE
Monsieur le Juge, je retiens
Jehan de Lagny pour mon espoulx.
PÉRÈTE VENEZ-TOST
Je le veulx avoir devant137 vous !
OLYVE
290 Et moy, je l’aray la premyère !
LE JUGE
Je n’entens à ceste matyère
Nul propos, par le Dieu vyvant138 !
LE BADIN
Monsieur, estre veulx poursuyvant
Contre luy comme faulx taquin139.
295 C’est que ledict Virelinquin
A plus de bruict [p]a[r]my les rus140
Que jamais à ma vye je n’us,
Dont je demandes intérest141.
LE JUGE
Par qui esse qu’on le sérest142 ?
300 Rien n’a en cause qu’i ne prouve143.
MESSIRE JEHAN
Monsieur, voyez comme il controuve
À parler dessus mon estat144.
LE BADIN
Je soutiens qu’il est apostat,
Tesmoingtz les femmes que voécy.
MESSIRE JEHAN
305 Monsieur, je vous déclare aussy
Qu’i veult toutes femmes séduyre.
LE JUGE
Sav’ous145 quoy ? Y vous fault produyre
Vostre procès avant ma main146
Aujourd’uy, pource que demain,
310 J’en feray expédition.
MESSIRE JEHAN produict 147
Voélà la procuration
D(e) Olive et [aussy] de Trétaulde,
Et de Pérète la pétaulde148.
Je ne plède poinct à faulx fret149.
LE BADIN produict.
315 Moy, je produyray mainct brevet
De vostre vye, et la légende150,
Afin que le monde l’entende151.
Monsieur, faictes[-en] la lecture
Sans nous faire de forfaicture ;
320 Et qui a bon droict, sy le garde !
LE JUGE lict :
« Primo, cestuy que je regarde,
Messire Jehan Virelinquin,
Plus paillard que n’est un bouquin152.
Un jour qu’il n’avoyt que deulx lyars153,
325 On l’envoya teurdre des hars154
En la forest de Rouverey155. »
MESSIRE JEHAN
Je luy nye !
LE BADIN
Je le prouveray.
MESSIRE JEHAN
Le deable en emport qui en ment !
LE BADIN
Je m’en croys du tout156 au serment
330 De Trétaulde, la plus sensible.
LE JUGE faict faire serment à Trétaulde.
Par l’Évangille de la Bible,
Nous direz-vous pas vérité
De ce mot que j’ey récité157 ?
Est-il mensonge, ou [est-il] vray ?
TRÉTAULDE
335 C’est bien force que je diray
Vérité, sy je la congnoys.
Il y a envyron deulx moys
Que messire Jehan Vir(e)linquin
Vint descouvrir son manequin158
340 Sans marabès159 ne sans teston.
Mais il laissa le hoqueton160
Et gaignyst chemin161 o plus tost.
LE JUGE 162
Or çà, Pérète Venez-tost,
Dictes-en ce que vous sçavez.
MESSIRE JEHAN
345 Et ! comment, Monsieur ? Vous rêvez !
Qu’esse qu’el séroyt de moy dire ?
LE BADIN 163
Monsieur, ne me veuillez desdire.
Laissez-la, Vir(e)linquin, [parler] ;
Y fault Pérète examyner,
350 Ou que dannée [el] soyt au deable !
LE JUGE
Or me faictes serment valable164,
Pérète, et vous despeschez !
PÉRÈTE
Il est vray que ces jours passés,
Aulx Troys Mores 165 (ou Morequin)
355 Vint messire Je[ha]n Vir(e)linquin
Pour une fille desbaucher.
Quant ce vint à se rechausser166,
Y dict qu’il n’avoyt grand blanc nul167.
Lors luy convint ouvrir le cul168
360 Au plus tost, et gaigner les boys169.
LE BADIN
Ouvrir le cul170 ?! Vray Roy des roys !
Vrayment, il le faisoyt beau voir !
LE JUGE
Or çà, or çà ! Il fault sçavoir
S’Olive en a rien retenu :
365 Çà, Olyve, le contenu
Des sermens qu’avez ouÿ faire171 !
Y ne fault poinct que l’on172 difère,
Sur paine de dannation.
OLIVE
Un peu devant l’Ascention173,
370 Auprès des chambres Hamelin174
Vint à moy monsieur Vir(e)linquin
En me disant :
« La belle fille,
J’aperçoy que vostre quoquille
A bien métier175 de resserrer. »
LE BADIN
375 Et vous voulez considérer
Que s’elle tumboyt, d’avanture,
Que ce seroyt double enfouture176 ;
Par quoy vous le lessâtes faire.
OLYVE
Il est vray.
LE BADIN
Or177, veu la matière,
380 Monsieur, ordonnez la sentence.
LE JUGE
Quant au faict de vo[u]s deulx je pence,
Jehan de Lagny et Vir(e)linquin,
Tous deulx ne valez178 un coquin,
[D’où qu’on]179 doyve de vous parler.
385 Jehan de Lagny s’en doibt aler
Franc et quicte avec ses despens.
Et Vir(e)linquin sera suspens180
De ses faultes, deisjà prescrites181.
OLIVE 182
Veu les parolles que vous dictes,
390 Il doibt avoir pugnition ;
Ou faire restitution183
À Jehan de Lagny, sa partye.
LE JUGE
Et bien, qu’il ayt une partye
De sa génitoyre coupée.
[MESSIRE JEHAN] 184
395 [Las !] fault-il qu’el soyt départye185 ?
LE BADIN
Ouy, Vir(e)linquin, unne partye.
[PÉRÈTE]
Voécy térible départye186,
Qu’il l’ayt187 en ce poinct découpée188 !
LE BADIN
Y fault qu’il ayt une partye
400 De sa génitore coupp[é]e.
TRÉTAULDE
Il payera de tous la soupée189
Pour faire nostre apoinctement190.
.
Seigneurs, regardez bien comment
Jehan de Lagny a sy bien faict
405 Qu’il est exemp191 de son méfaict.
L’autre, qui n’estoyt ocuppé192,
A esté de vice achoppé193.
Comme on pugnyst en tous cartiers
De plusieurs gens entremetiers 194
410 De quoy on a la congnoissance,
Aussy, je diroys volontiers
Un mot ou deulx, voi(e)re le tiers195 :
De fol juge, brèfve sentence196.
Une chanson pour récompence !
.
FINIS
*
1 Par dérision, le duc de Parme, Alexandre Farnèse, sera lui-même surnommé Jean de Lagny après avoir conquis provisoirement cette ville en 1590. Ce qui nous valut un nouveau proverbe : « Jean prist Lagny, et Lagny Jean. » Satyre Ménippée. 2 « Tu m’as bien bourdonnée,/ Tu t’es rompu le fillet./ Tu m’as ouvert le guichet ;/ La mouche y est entrée. » B. Jeffery, Chanson verse of the early Renaissance, t. I, p. 118. 3 C’est le nom d’une vieille maquerelle dans une autre farce du ms. La Vallière, les Brus. 4 Dans l’Enqueste, de Guillaume Coquillart, une prostituée se nomme Olive de Gatte-fatras. 5 La chanson Perrette, venez tost est signalée par Noël Du Fail en 1547 (Propos rustiques, VI). Une autre farce du ms. La Vallière, Frère Phillebert, donne par erreur le nom de Perrette Venez-tost à Perrette Povre-garce, à qui il faut d’urgence un « chose qui se dresse ». 6 Les trois femmes ne se connaissent pas. Elles se rencontrent sur une place de Rouen, et découvrent qu’elles cherchent le même homme. 7 À Troyes. Plusieurs communes de l’actuel Calvados ont pour nom Magny. 8 Le Normand Enguerrand de Margny (ou Marigny) avait été pendu en 1315 après un procès à charge ; en Normandie, cette injustice avait marqué les esprits durablement. 9 LV : sans cesse (Une finesse est une ruse, comme à 133.) 10 LV : de la guyne (Enginer = tromper, séduire. « Yl la vouleyt à sa volenté avèr, ou par promesse ou par don engyner, ou par force ravyr. » Godefroy.) Jeu de mots sur enguinner [engainer, pénétrer] : « Roydement (il) l’enguinna & accomplit son désir. » Les Joyeuses adventures. 11 Confusion entre la herse et l’esse, qui est un crochet de boucher. (Idem vers 101.) Dessous, LV fait répéter à Trétaude les vers 7 et 8. 12 D’après ce que je vois. 13 Il s’est couché sur vous. Mais aussi : Il vous a aplatie (allusion impertinente au fait que Trétaude est obèse). Pour la rime, on pourrait lire : il vous a mise en perce (comme une barrique). 14 À la renverse. Cf. Frère Phillebert, vers 76. 15 Trogne, figure bouffie. 16 LV : tretaulde (Inconnu en tant que substantif.) « De ceste courtaude fessue. » J.-A. de Baïf. 17 J’aurai la jouissance. « De l’ostesse avoir la coppie. » (G. Coquillart.) La copie est aussi l’abondance : « En grande copie ou habondance. » (ATILF.) Trétaude est visiblement très grosse. 18 Extrait de la chanson Perrette, venez tost (note 5). Ce refrain est donc chanté, comme les autres emprunts distillés par Trétaude, qui se venge du vers 20. 19 LV : amy (Enmi = parmi, mais le vers est trop court. Je fais la même correction à 296.) L’auteur, qui adore les chansons, connaissait forcément Quant je vous voy parmy les rues (1505). 20 LV : peur (Il s’en fallut de peu que je ne meure. « À peu que n’en ay encouru/ La mort. » Le Poulier.) Enda est un juron féminin. Cf. Frère Guillebert, vers 112 et 149. 21 LV : de fere 22 LV : chantant (1er mot du vers suivant.) Notre farce est associée au répertoire des Conards de Rouen, qui se présentaient comme les suppôts de leur abbé. « Pour mieulx servir l’Abbé et ses suppostz. » (Triomphes de l’Abbaye des Conards.) Certains jours de l’année, ils sortaient déguisés en Sots, et passaient en revue les scandales de Rouen. « On devisoit mainte sornette/ Plus estimée de noz Sotz/ Que d’ung advocat la cornette. » (Triomphes…) 23 Cette interjection revient dans beaucoup de chansons normandes : « Gay ! gay, ma mère !/ J’ay de l’argent pour bère. » La chose a une acception phallique : cf. le Prince et les deux Sotz, vers 102. 24 LV : nous 25 Ni trêve. 26 LV : en ensuyue 27 Vers manquant. « La belle fille » est un extrait de la chanson qui s’en prenait à Olive, dont on rajuste la « coquille* » en tapant dessus. Il en est encore question aux vers 372-378. *« Une belle fille/ Fait souvent fourbir sa coquille. » Digeste Vieille. 28 LV : champs (Dans leurs chansons.) Les enfants qui « vont à la moutarde » s’attroupent aux carrefours et chantent des couplets qui dénoncent les nouveaux scandales de la ville. 29 Vous chansonnent. 30 Que nous le cherchions (normandisme). Voir le vers 80. 31 Si je ne prouve pas sa méchanceté. 32 Une condition, une remarque. Cf. Frère frappart, vers 67. 33 Rime manquante. « Mais j’y ay fait mes escolliers/ Taire tout coy. » Serre-porte. 34 Ce maudit gueux. « Narquin (…), qui signifie mandian, contrefaisant le soldat détroussé. » Laurens Bouchel. 35 Le nom de ce prêtre paillard fait penser au virebrequin [pénis] : « Le virebrequin de maistre Aliborum. » (Chansons folastres.) L’auteur a commis une maladresse en le prénommant Jehan, comme Lagny. 36 Ne tardez pas. 37 Vous portez-vous bien ? Idem vers 158. 38 LV : un oyee (Le copiste du ms. La Vallière, qui ne brille pas par son intelligence, croit que la rime -oyee transcrit la prononciation normande -oé. Ailleurs, je corrige tacitement.) 39 LV : vous voesy (Que je vois ici un grand nombre.) 40 Un peu. 41 Aussi réel que le soleil. 42 Nous vous paierons. Et plutôt « en chair qu’en argent », comme le procureur du Balet des Andouilles l’exige des dames. 43 Ces deux villes ne sont là que pour la rime. 44 Faites-le assigner en justice. Cf. les Povres deables, vers 42. 45 LV : ou siter (Dénoncer publiquement. « Les préconizacions avoient esté faites à oÿe de parroesse solempnement. » ATILF.) 46 Qu’il mange la poire d’angoisse [instrument de torture qui écarte les mâchoires]. « Mengier d’angoisse mainte poire. » François Villon. 47 Même s’il faisait partie des chevaliers fantômes de la « maisnie Hannequin » (ou Hellequin). Voir le Roman de Fauvel. 48 LV : chase (Même s’il était caché sous les nuages ; ou sous les femmes nues…) 49 À l’oreille du prêtre, pour que les « ribaudes » n’entendent pas. 50 Notre exploit, notre acte d’assignation. Cf. Lucas Sergent, vers 241. Comme tous les clercs, le prêtre porte une écritoire pendue à sa ceinture. Voir Maistre Mymin qui va à la guerre atout sa grant escriptoire pour mettre en escript tous ceulx qu’il y tuera. 51 LV : monsieur 52 Visiblement, le prêtre connaît la chanson gaillarde qui met en scène Trétaude. 53 Qu’aucun oubli ne vienne empêcher qu’il ne comparaisse au tribunal. 54 À l’oreille du prêtre. 55 LV : ost (Il aura la prison pour récompense.) 56 J’ai pour nom. 57 Que vous ne l’oubliiez pas. 58 Ni lui, ni tous ses alliés. 59 Ne valent pas le bois pour les brûler. 60 Que je dois dire au préalable. 61 Sa moquerie. 62 LV : se seroyt pas (Il ne pourra pas me révoquer.) 63 De comparaître. 64 LV : monsieur 65 Jehan de Lagny est typiquement un rôle de Badin, de demi-sot. Voir la notice de Troys Galans et un Badin. 66 Chanson normande tirée du ms. de Bayeux : « C’est à ce jolly moys de may,/ Que toute chose renouvelle,/ Et que je vous présentay, belle,/ Entièrement le cueur de moy. » L’Église chante ce couplet au début d’une Moralité à troys personnages du ms. La Vallière (LV 23). 67 Les femmes et le prêtre sont de l’autre côté de l’estrade, et ne voient pas encore Lagny. 68 LV : posible (L’encre est très effacée. En 1837, Le Roux de Lincy et F. Michel ont lu posible, mais ce mot est à la rime.) Usons d’une ruse qui endormira sa méfiance. 69 Le trompe par ruse. 70 Mon témoignage en vaudra six. Le prêtre se cache à proximité. 71 Vous aurez des remerciements. 72 Il aperçoit les trois femmes. 73 Depuis la fête des Saints-Innocents, le 28 décembre. C’est aussi le jour de la Fête des Fous, où les Conards de Rouen se déchaînent. 74 Ce saint rime presque toujours avec Rouen, où il fut évêque. Cf. le Tesmoing, vers 207. 75 LV : ne sy (Aussi habile au jeu de l’amour qu’elles le sont ici.) Âprement = vivement. « Chevauchons asprement ! » ATILF. 76 Je m’en vais voir courtoisement. 77 Un banquet. « Ledit grant Turcq luy fist ung grand disner et convive. » Godefroy. 78 Avec elles. Les trois femmes sont jouées par des hommes, et l’auteur s’en amuse encore aux vers 55, 146 et 258. 79 Leur sexe. « L’official condamna la pauvre fille à prester son beau et joly instrument à son mary pour y besongner. » Bonaventure Des Périers. 80 En aparté. 81 Abréviation normande de « par saint Jean ! ». Elle est encore réduite à « Jen » au vers 204. 82 Perrette et Olive aimeraient bien prêter de nouveau leur « instrument » à Lagny. 83 Réputé. 84 Selon votre souhait. 85 Vous trouverez bon de me rappeler. 86 Bien qu’elle soit secrète. 87 Les Normands prononçaient mémore, comme ils prononçaient génitore au vers 400. Cf. le Bateleur, vers 159-160. 88 Toujours caché, il note l’aveu de Lagny. 89 Pour ce que vous venez de dire. 90 En même temps que. Nous avons là 3 rimes en -ous, dont les deux premières sont identiques. 91 LV : quant (Vous aussi.) Lagny compte donc épouser trois femmes le même jour et devant le même curé. 92 Afin de sceller nos fiançailles. Sur cette tradition populaire, voir la note 18 du Tesmoing. 93 Faire l’amour. « Ung jeune fils qui se fiança,/ À sa fiancée emprunta/ Ung coup sur le temps advenir. » Sermon joyeux d’un Fiancé. 94 LV : on (Et puis nous banquetterons.) « –Dînerons-nous, ma chère, ou si nous le ferons ?/ –Tout comme il vous plaira (dit-elle)./ Et puis après, nous dînerons. » Henri Pajon. 95 Voyant que ses trois clientes sont sur le point de céder, Virelinquin jaillit de sa cachette et empoigne Lagny. 96 En Normandie, un aoûteron est un journalier qui moissonne sur les terres des autres. « Vous estes un bon aulteron ! » Le Gallant quy a faict le coup. 97 Une lettre de prise de corps. 98 Au juge. 99 Pour un homme qui transgresse les lois. 100 Un sergent. 101 Avec moi. 102 Secoue négativement. 103 Une caboche, une tête de mule. 104 Tu as le nez rouge : tu as bu. 105 Malgré vous et à contrecœur. 106 Votre injonction ne sera pas vraie. 107 La permission. 108 Habillé en juge, il passe là par hasard (comme tous les autres intervenants), et se dirige vers les chicaneurs. 109 En ayant le sang ému par la colère. Naturellement, le blasphémateur n’est autre que le prêtre. 110 D’où est né leur différend. 111 LV : me prendre (Sans écouter ma défense.) 112 Je m’en rapporte à ces trois femmes. 113 Interrogez. (Idem vers 349.) Le mot créature désigne souvent une prostituée. 114 Les documents. 115 Le rapport où mes faits délictueux sont relatés. Cf. le Tesmoing, vers 63. 116 Ma partie adverse. Idem vers 392. 117 En 1515, François Ier venait d’accéder au trône. 118 LV : se (Ce que Virelinquin va dire.) Sous-entendu politique : On verra bien ce que sera le règne de ce nouveau roi. 119 LV : que ies (Que Virelinquin paye les frais de justice.) 120 Et même, qu’il soit suspendu de son ministère. On voit qu’il s’agit d’une pièce de Carnaval : un juge civil n’avait pas le droit de juger un clerc, qui relevait de la cour d’Église. 121 De l’argent pour payer les dépens. 122 Dans le feu de l’action, très bientôt. 123 Poussive : Trétaude est obèse (notes 13 et 17). 124 Soient. 125 L’instruction, l’enquête. 126 En l’art judiciaire. La gestuelle du comédien devait mettre en valeur la graphie « lard » du ms., laquelle ironise sur l’embonpoint du prêtre (vers 69), et sur les Turcs qui ne mangent pas de lard. Jadis, on disait à la Comédie française que le maquillage de Cyrano était un effet de l’art (un nez fait de lard). 127 LV : desus se poinct (Le point ci-dessus me chiffonne.) 128 « L’Abbé (des Conards), estant en son pontificat,/ Après avoir chanté Magnificat,/ Fait à sçavoir à ses joyeux supposts,/ Autres aussi aimans vuider les pots. » Triomphes… 129 Mauvaiseté, déloyauté. 130 Telle que je suis. Grosse et délurée ? 131 J’interjette un appel. 132 LV : grand (Au « Gras Conseil des Conardz ». Triomphes…) « Sçavoir faisons qu’avec le Gras Conseil/ Avons, ces jours, faict édict nompareil/ Pour abolir la longueur des procès. » (Ibid.) Cf. les Veaux, vers 32 et 48. 133 LV : un nouueau (En tenue d’apparat. « Le grandissime, magnifiquissime et potentissime sieur Abbé, accoustré en son haut appareil. » Triomphes…) 134 LV : je imposeray de (Je ferai opposition. « Pour plaidier ne pour opposer. » ATILF.) 135 Qu’il l’a fait. 136 Pillard. 137 Avant. 138 L’ennemi des blasphémateurs (vers 211-218) se met à jurer le nom de Dieu. 139 Parce qu’il est un sournois coquin. Cf. les Mal contentes, vers 108. « Et luy, avecques ce coquin (…)/ Et ne sçay quel aultre tacquin,/ Se promenoyent. » ATILF. 140 A plus de mauvaise réputation dans la rue. Voir la note 19. 141 Des dommages et intérêts. 142 Qu’on le saurait, qu’on pourrait le savoir. 143 Il n’y a rien dans la cause qu’il ne prouve. 144 Comme il invente des calomnies sur mon état de prêtrise. 145 Savez-vous (normandisme). Cf. le Poulier, vers 409 et 520. 146 Préalablement. 147 Il donne son papier au juge. 148 La péteuse. « Mouflarde [joufflue], pétaude fessue ! » Lacurne. 149 « On appelle faux frais toutes les menues despenses qu’on est obligé de faire. » Furetière. 150 Leur explication. Comme par hasard, Lagny a tous les papiers dans sa poche. 151 La comprenne. 152 Un vieux bouc. 153 2 liards, 2 piécettes : ce n’était pas suffisant pour payer la prostituée. « On n’excommuniera point, au prosne,/ Ceux qui “hocheront” sans argent,/ S’ils n’ont le vit plus long qu’une aulne. » La Grande et véritable pronostication des cons sauvages (…) nouvellement imprimée par l’autorité de l’Abbé des Conars. 154 Tresser des harts, des cordes. « On ne pourroit sèche hart tordre. » Proverbe. 155 La forêt du Rouvray, au sud de Rouen, était infestée de brigands qui ficelaient leurs victimes à des arbres, quand ils ne les y pendaient pas purement et simplement. Rue Eau-de-Robec, on peut encore voir l’ex-voto d’un drapier qui fut dépouillé par ces brigands, et qui dut la vie à son cheval, parti chercher du secours. 156 Je m’en remets totalement. 157 Au sujet du passage que je viens de lire. 158 LV : maroquin (Vint découvrir son pénis à une de mes pensionnaires. « Que nous fissions, vous et moy, un transon de chère lie, jouans des manequins à basses marches. » Pantagruel, 21.) 159 Sans avoir un seul maravédis [monnaie espagnole]. Le teston est une petite pièce d’argent. Dans les Brus, la maquerelle Trétaulde refuse de louer ses pensionnaires aux hommes d’Église s’ils ne paient pas d’avance. 160 Son corset, en gage. 161 Prit la route, s’enfuit. 162 LV met sur la même ligne, plus loin : greffier 163 Il s’adresse d’abord au juge, puis à Virelinquin. 164 LV : saluable (Le serment valable prend Dieu à témoin. « Si, par serment vallable, & sans y estre forcé, il leur promet cent escus. » Jacques Jacquet.) 165 Hôtel borgne sis rue Beauvoisine, à Rouen. Morequin aurait pu désigner le Petit More, un jeu de paume assez mal fréquenté. 166 LV : deschauser (Quand il remit son haut-de-chausses, son pantalon.) 167 Aucune pièce de monnaie. Le grand blanc est le salaire des prostituées de bas étage. « Ung beau grand blanc –qui n’est pas trop grant somme–/ Fist le marché. » Les Sept marchans de Naples. 168 Faire la révérence. « S’il advient que quelqu’un entre (…),/ La révérence à cul ouvert/ Je fais. » (Chambrière à louer, à tout faire.) « Elle fit une révérence à cul ouvert à la compagnie. » (Charles Sorel.) 169 La forêt du Rouvray (vers 326). 170 Lagny feint de prendre cette expression au pied de la lettre. 171 Prononcez le serment que vos deux compagnes ont prononcé aux vers 331 et 351. 172 LV : nous (Que vous fassiez un serment différent.) 173 LV : la sention (C’est à des fautes de ce genre qu’on évalue le niveau d’un copiste…) 174 Auberge que les Triomphes de l’abbaye des Conards nomment le « trou Hamelin ». Les trous sont des lieux mal famés : les Rouennais fréquentaient aussi « le Grand Grédil, qu’on dit le trou ». (Montaiglon, XI, 75.) Paris avait « le trou de la Pomme-de-Pin ». (Villon.) 175 Besoin. Pour cette référence à une chanson qui se moquait d’Olive, v. la note 27. 176 Que vous seriez doublement foutue pour que votre coquille soit remise en place. 177 LV : on 178 LV : valent (L’expression exacte est : ne pas valoir un sequin.) 179 LV : dont on (D’où qu’on se place pour parler de vous.) 180 Aura un sursis. 181 LV : predites (Prescrites : annulées parce qu’il y a prescription.) 182 LV : le greffier (Voir la note 162.) Il est inconcevable qu’on introduise un nouveau personnage – absent de la liste initiale – pour déclamer 4 vers. La très mauvaise édition de 1837 attribue les vers 396-398 à ce greffier inexistant. Tout ce passage est confus. 183 Il doit restituer les trois femmes. 184 LV : tretaulde (Au vers 396, Lagny répond à Virelinquin.) Les refrains de ce triolet ne sont même pas identiques ! 185 Partagée en deux. On veut lui enlever un testicule ; dans beaucoup de fabliaux et de nouvelles, les moines paillards perdent les deux. 186 Division, amputation. 187 LV : est 188 LV : ocupe (Découper : trancher chirurgicalement.) 189 Le souper. 190 Pour que nous fassions la paix avec lui. 191 Acquitté. 192 Qui n’était pas concerné par cette affaire. 193 Pris. 194 Qui se mêlent des affaires des autres. 195 Et même un troisième. 196 Sentence immédiate. « Sage est le juge qui escoute, & tard juge ; car de fol juge, brièfve sentence. » Anthoine Loisel.
LES MARAUX ENCHESNÉZ
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LES MARAUX
ENCHESNÉZ
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Les personnages de cette farce parisienne écrite en 1527 n’ont rien de traditionnel : deux marauds1 curent les fossés2 de la capitale, sous la férule de Justice.
À la demande réitérée des bourgeois et des marchands, on voulut empêcher les vagabonds de traîner dehors. Les mesures d’encadrement à leur encontre se multiplièrent. Le 7 mai 15263, François Ier s’inquiéta de voir rôder dans Paris ces « adventuriers et vagabonds, oysifs et mal vivans4, de sorte que plusieurs larcins et pilleries y se commettent, et plusieurs meurtres, forcemens de filles et autres grandes insolences en procèdent ». Il est incontestable que ces marauds alcooliques et bagarreurs n’étaient pas des petits anges. Parmi eux, il y avait beaucoup de soldats révoqués, comme le sont nos deux « héros », qui ne parlent que de tuer. On capturait les sans-logis, on leur mettait des chaînes aux chevilles, et on les occupait à des travaux d’utilité publique pendant quelques jours ou quelques semaines. Seuls étaient concernés les « mendians sains de leurs corps, pouvant autrement gagner leur vie », c’est-à-dire les fainéants valides. Les mendiants invalides ou âgés étaient pris en charge par les églises.
En 1532, une semblable ordonnance inspira Claude Jamin, qui s’en servit l’année suivante pour écrire une comédie de collège en latin : Marabeus 5.
Source : Recueil de Florence, nº 42.
Structure : Rimes plates. L’auteur n’a pas osé recourir à des rimes enchaînées…
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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Farce nouvelle des
Maraux enchesnéz
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À trois personnages, c’est assavoir :
JUSTICE
SOUDOUVRER 6
COQUILLON 7
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LES .II. MARAUX8 commencent en chantant
Nous somes maraux, meschans, malostrus, SCÈNE I
Tant las de rien 9 faire que n’en povons plus,
Les piedz enferréz, et tous morfondus 10.
Hé, Dieu ! Et, Dieux !
5 Se l’yver ne cesse, nous sommes perdus.
SOUDOUVRER
Se nous eussions estéz rendus
En quelque église, pour chanter,
Par Dieu, je m’ose bien vanter
Que nous deux, [nous] eussions fait rage !
COQUILLON
10 Hé ! ce n’est point [de] bon courage11
Ne du bon du cueur que je chante.
SOUDOUVRER
Ceste malheureuse meschante
Fortune nous est bien contraire.
COQUILLON
Rien n’y vault le crier ne braire :
15 C’est pour neant12. Il fault endurer.
SOUDOUVRER
Quel moyen, pour nous defferrer,
Puissons-nous [bien], à ton advis,
Trouver ? Car je seuffre13 envys
[D’]estre en cest estat garotté.
COQUILLON
20 Je sçay bien une abilité14
–Se n’estoit crainte de Justice15–
Qui(l) nous seroit assez propice ;
Mais nous ferions pis que devant.
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JUSTICE SCÈNE II
Sus, paillars, [sus] ! tirez avant16 !
25 Acoup, besongnez vistement !
COQUILLON
Dame, le plus diligemment
Que je puis, je fais ma besongne.
SOUDOUVRER
Hé ! mau gré17…
JUSTICE
Qui esse qui hongne18 ?
Et ! qu’esse-là ? Fault-il grongner ?
COQUIL[LON]
30 Je fais rage de besongner,
Regardez ; voulez-vous mieulx faire ?19
.
SOUDOUVRER SCÈNE III
Puisque Justice nous esclaire20
De si trèsprès, il est bien force
Que nous endurons ceste endosse21 :
35 Il n’y a point d’autre remide22.
COQUIL[LON]
Puisqu’ainsi est qu’el[le] nous guide23
Et marche si près des tallons24,
[Et] que, partout où nous allons,
Elle nous suyt, corps bieu, je n’ose
40 Maintenant dire ou25 faire chose
Qui soit contre son Ordonnance26.
SOUDOUVRER
Se je puis eschapper, je pense
Qu’el(le) ne me tiendra mais en pièce27.
COQUILLON
Se depuis prime jusqu’à tierce28
45 Elle me veult laisser courir
Tout defferré, je veulx mourrir
Si à beau pié ne vois29 à Tours
Seullement en mains de trois jours !
Vélà, j’e[n] feray l’entreprise30.
SOUDOUVRER
50 Se tu me véoys31 en ma chemise
Courir, se j’estoye eschappé,
Le coul vouldroye avoir couppé
Ou avoir la sanglante fièvre
Se ne courroye plus fort32 q’ung lièvre
55 Qui soit au royaulme de France !
[COQUILLON]
Ha ! jamais ne fût diligence
Faicte si grande, à mon advis.
SOUDOUVRER33
Pleust à Dieu que fussions ravis34
SOUDOUVRER
Toy et moy, gentil Coquillon,
60 En l’air comme ung estourbillon35,
Jusques à Lyon sur le Rosne !
COQUILLON
Par le sang Dieu (qui36 me pardonne) !
Nous aurions bon temps, toy et moy.
SOUDOUVRER
Nous cririons bien hault : « Le roy boy37 ! »
COQUILLON
65 Par le sang de moy, Soudouvrer,
Toy et moy [sçaurions gouverner]38
[Tout] incontinant de quelque prince.
SOUDOUVRER
Et pourtant, se nous sommes mince39
Maintenant, il n’en peult chaloir40.
COQUILLON
70 Mais41 que nous [nous] fassions valoir,
Ce sera grant-chose que de nous.
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JUSTICE SCÈNE IV
Corps bieu ! [plus tost]42 aurez des poux
Pour faire de l’huylle en Karesme !
SOUDOUVRER
Se nous ne faillons à nostre esme43,
75 Je suis seur que aurons du bien ;
Du nombre, je ne sçay combien.
COQUILLON
Cent mil escuz ou au-dessoubz.
JUSTICE
Sang bieu ! [plus tost]44 aurez des poux
Et ung maillet pour les casser !45
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COQUILLON SCÈNE V
80 Mais vien çà ! Tu me fais penser :
Quant nous aurons or ou argent,
Pour entretenir le cueur gent,
À quoy passerons-nous le temps ?
SOUDOUVRER
À hanter les gens esbatans46
85 Aux jeux de cartes [ou] aux quilles,
Aux jeuz de déz, aux belles filles,
À la taverne jour et nuyt47.
COQUILLON
Que sera-ce que de nous ?
SOUDOUVRER
Tout le bruit48,
Deux gaudisseurs49 de l’autre monde ;
90 Tenir tous les jours table ronde50
À tous ceulx qui vouldront venir.
COQU[ILLON]
Nous sommes gens pour parvenir
À ces fins-là.
SOU[DOUVRER]
Point je n’en doubte.
COQUI[LLON]
Mais vien çà, Soudouvrer, escoute :
95 Sçaurions-nous trouver le moyen
D’estre mis hors de ce lyen
De Justice –en quoy nous sommes–,
En baillant pleige51 de deux hommes
Pour bonne et seure cauction ?
SOU[DOUVRER]
100 Ho ! vray, c’est mon intencion ;
Que le tour ne seroit pas mauvais.
COQUI[LLON]
Foy que [je] doy à saint Gervais,
Ce seroit moult belle adventure.
SOU[DOUVRER]52
Se quelque bonne créature
105 Nous vouloit faire ce plaisir,
La fin53 de tout nostre désir
Seroit acomply. Mais aussi,
[Il] ne fauldroit estre en soucy54
Qu’ilz n’en fussent récompenséz
110 Et qu’il n’eussent des biens assez,
Mais que nous fussions en vertu55.
COQUI[LLON]
Hé dea, Soudouvrer : enten-tu
Que nous donnissions tout le nostre56 ?
SOU[DOUVRER]
Nenny, par saint Pierre l’appostre !
115 [Mais] touteffois, mocquin mocquart57…
Ha ! je ne suis pas si coquart58
D’en bailler, sinon par raison59.
COQUI[LLON]
Si fauldroit-il tenir maison60,
À tout le moins, cela s’entend.
SOU[DOUVRER]
120 Quant là viendra61, je suis content
Que nous facions tousjours grant chière.
COQUI[LLON]
Premièr(e)ment, fault trouver manière
Comme nous puissons eschaper.
SOU[DOUVRER]
Hélas ! se nous sçavions tromper
125 Justice, nostre maistresse,
Qui nous tient à si grant détresse,
Nostre fait seroit à louer.
COQUI[LLON]
Ha ! il ne s’i fault pas jouer :
Je la congnois, elle est trop fine.
SOU[DOUVRER]
130 Quel remède, don ?
COQUI[LLON]
Bonne myne62,
Endurer tout paciemment.
Et puis, par quelque apointement63,
On trouv(e)ra façon de vuyder64.
SOUDOUVRER
Or sus, donc ! Dieu nous vueille aider !
135 Rien n’y vaul[droi]t le déconfort65.
COQUILLON
Se maistre Henry66 ne fust mort,
Nous fussions piéçà despêchés67.
SOU[DOUVRER]
[Que] Dieu luy pardoint ses péchéz !
Hélas, c’estoit nostre bon père.
COQUI[LLON]
140 Nous estions la meilleure paire
Des pigons de son coulombier68.
.
JUSTICE SCÈNE VI
Sus, paillars, [sus] ! En ce bourbier,
Nestoyez-moy bien ces fosséz !
COQUI[LLON]
Nous avons tous les rains casséz.
145 Dieu ait bon gré du labouraige !
JUSTICE
Quel[le] rencontre69, à ung passaige,
Ces deux maraux dedens ung bois !70
.
SOU[DOUVRER] SCÈNE VII
Il y a plus de quinze moys,
Par la mère Dieu de Boulongne71,
150 Que ne fis autant de besongne,
Pour ung jour, que j’ay fait ennuyt72 !
COQUI[LLON]
Hélas ! povres enfans mauduit[z]73,
Nous fault-il avoir tant de peine ?
SOU[DOUVRER]
Sur mon corps, n[’y] a nerf ne vaine,
155 Par le sang bieu, qui ne s’en sente !
COQUI[LLON]
Des jours y a plus de soixante
Que je n’euz autant de meschef74.
SOU[DOUVRER]
Se nous en povons venir à chef75,
Croire pourrez tout seurement
160 Qu’il jouera bien finement,
Qui nous y fera atraper76 !
COQUI[LLON]
Je beu tant, arsoir77 à souper,
De citre78 ! Le deable y ait part !
Je vouldroye que d’une hart79
165 On eust parmy le col pendu
Le faulx villain80 qui l’a vendu !
J’en ay si trèsmal à ma pance
Qu’i me semble, en ma conscience,
Qu’on me fent [en deux] les boyaulx.
SOU[DOUVRER]
170 Ce n’est que bruvage à pourceaulx ;
Pour abréger, ce n’est qu(e) ordure.
COQUI[LLON]
Et puis il fault coucher sur la dure81
Toute nuyt, à trembler de froit.
SOU[DOUVRER]
Cuyde-tu : qui nous regard(e)roit
175 De nuyt couchéz à nostre peaultre82,
Entremeslé l’ung parmy l’autre
Ensemble, il83 nous feroit beau veoir !
COQUILLON
Dieu nous vueille trèstous84 pourveoir !
SOUDOUVRER
Et ainsi soit-il, par Sa grâce !
COQUI[LLON]
180 Il fault que jeunesse se passe,
Vélà, nous sommes fortunéz85.
SOU[DOUVRER]
Nous sommes de malle86 heure néz,
Il ne fault point dire autrement.
COQUI[LLON]
Esse faulte d’entendement ?
SOU[DOUVRER]
185 Nenny, car nous sommes trop saiges.
COQUI[LLON]
Se les bonnes gens des villages
Estoient aussi sages que nous,
Ilz auroient de l’argent trèstous
Autant comme ung chien a de pusses87.
SOU[DOUVRER]
190 Que88 cuide-tu, se je ne fusses
Enferré de ceste féraille89,
Que je feroie ?
COQUI[LLON]
Ne te chaille90,
Je ne dy pas ce que j’en pense.
SOU[DOUVRER]
L’en nous fait dancer une dance
195 Que n’avons pas acoustumé.
COQUI[LLON]
Ha ! se j’eusse esté armé,
Quant les sergens vindrent à moy91,
Je puisse renier92 la Loy
Se je n’en eusse tué ung !
SOU[DOUVRER]
200 Et moy, j’estoie encor jeun93
Au matin, ainsi qu’on se liève ;
Entre le Port-au-Fain94 et Grève,
Entre ses [grans] chantiers95 de busches,
Trois sergens estoient en embusches,
205 Qui m’empoignèrent au collet
Et me mirent96 en Chastellet.
[Et] vélà comme je fus prins.
COQUI[LLON]
Comme qu’il soit, nous sommes pris ;
Nous n’avons garde de voller97.
SOU[DOUVRER]
210 C’est tout, il n’en fault plus parler.
Changon98 propos, n’en parlons plus.
COQUI[LLON]
Pensez que povres truppellus99
N’ont pas tousjours toutes leurs aises.
SOU[DOUVRER]
Mais100 que les poux ou les punaises
215 Ne nous estranglent, en prison,
J’ay bien encore intencion
D’avoir bon temps, n’en doubtez point.
J’ay veu que j’estoye fricque et coint101,
Du temps que j’estoye coustiller102.
220 Ha ! qui me fust venu railler103
Ainsi qu’on [le] fait maintenant,
J’eusse baillé incontinent,
Par le sang bieu, dessus104 la joue !
COQUILLON
Vélà, nous sommes à la boue,
225 Maintenant, jusques au[x] genoulx ;
[On ne tient plus compte de nous.]105
SOU[DOUVRER]
Une autre fois, nous aurons mieulx.
COQUI[LLON]
Hélas ! j’ay bien veu (se m’ai Dieux106),
Du temps que j’estoye pâticier,
Que j’estoye tenu aussi ch[i]er107
230 Comme cresme, et plus encoire.
SOU[DOUVRER]
Hé ! je faisoye rage de boire
Et de hanter108 bons compaignons.
COQUI[LLON]
Et que fis-je des109 Bourguignons,
À Beauvais ? Saincte Katherine !
235 Je tuay d’une coulevrine110
Des Bourguignons plus d’ung mill[ie]r.
Sang bieu ! qui m’eust voulu bailler111
La charge de toute l’armée,
[Ne croyt-on]112 point qu’à ma fumée
240 Je ne les eusse tous deffaitz ?
Mémoire eust esté de mes fais
Plus de cent ans après ma mort.
SOU[DOUVRER]
Et moy, je fis bien aussi fort
Devant Amÿens113, où j’estoye :
245 Atout114 ung baston que j’avoye,
Ung voulge115 et une hallebarde,
Je passay oultre l’avant-garde
En despit de tous les Flamens,
Et vins tuer trois Allemans
250 Droit au millieu de la bataille.
O ! j’estoie chault comme une caille.
Je frapoie à tort, et à travers.
Sang bieu ! j’abatis d’ung revers
[Et] aussi net comme ung naveau116
255 La teste d’ung cheval fauveau117
Sur quoy118 ung homme d’arme estoit :
Pouac ! Ung homme n’arrestoit119
Devant moy nen plus q’ung festu.
La mort bieu ! j’en eusse [a]batu
260 Tout seul, à ceste heure-là, cent !
Et si, n’estoie qu(e) ung innoscent120 :
Je n’avoye point plus de .XVI. ans121.
Par la chair bieu ! les plus puissans
Me craignoient comme le tonnerre.
COQUI[LLON]
265 Je fus courir devant Auxerre122
Une fois, sus ung bon cheval.
(Je pry à Dieu qu’i gard de mal
Celuy qui le m’avoit donné123.)
De ma vie, ne fus plus tenné124
270 Que je fus à ceste heure-là.
Ma brigandine m’affolla125,
Car à peine y povoie entrer.
[Incontinent vins]126 rencontrer
Ung homme armé, blanc comme signe127 ;
275 Je luy vins contre la poytrine
Frapper si grant coup de ma lance,
Que je fis sortir de sa pense
Plus de dix aulnes128 de boyaux.
SOUDOUVRER
Et moy, que fis-je, auprès de Meaulx129,
280 Une fois, d’une javeline ?
J’ouÿs chanter une géline130
Qui estoit emmy une court ;
Je m’en vins (pour le faire court)
Frapper dessus de mon baston.
285 Incontinant, ung gros garson,
Tout estourdy comme ung coquart131,
Me vint dire : « Maistre paillart,
Vous avez tué nostre poulle. »
Il chargea une bûche de moulle132
290 Qu’il trouva [des]sus ung fumier,
Ensemble avecques le fermier
Et les autres de la maison.
Ainsi, pour faire ma raison133,
–L’ung ung voulge, l’autre une haste134–,
295 Mectoyent tous les mains à la paste
Pour me brasser ung beau levain135,
Cuidant que j’eusse le cueur vain136,
Que ne m(e) osasse revancher.
Incontinant, sans plus prescher,
300 Charge[ay] dessus à tour de bras.
Mais (je regny saint Ypocras137)
Se j’eusse [ung peu] creu138 mon courage,
J’eusse fait le plus beau mesnage
Qui oncques fut fait au pays.
305 Ha ! si ne s’en fussent fouïz139,
Par ma foy, j’eusse tout tué !
Mais vraiement (Dieu soit loué),
Pour tant140, il n’en mourut pas ung.
COQUILLON
À ce propos, près de Mellun141,
310 J’estoye aussi en ung village
Allé, d’aventure, en pillage.
Et [je] me logé chez ung prestre ;
Puis luy demandé, pour repaistre,
Du pain, du vin, de la vïande.
315 Inconti[n]ant, une truande142
Qu’il avoit à sa chambèrière,
Par ma foy, qui estoit bien fière,
Me commença à rechigner ;
Et je la vous voys143 empoigner
320 Incontinant devant le prestre,
Et fis semblant, par la fenestre,
De la gecter emmy la rue.
Mais quoy ? Je n’estoye pas si grue144 :
Je le faisoye pour mieulx jouir
325 D’elle, et pour faire fouïr
Le curé, qui à desloger
Ne mist guères. Pour abréger,
Je vous troussay la godinette145
Tout subit sus une couchette.
330 Ce pendant que l’huys estoit clos,
Je la vous despesché en gros,
Gaillart, à deux fil[z] de coton146 !
Le curé, ce povre mouton,
Revint [quant] c’estoit desjà fait.
335 Je luy ouvris l’huis en effect.
Le prestre et la chambèrière
Me firent la meilleure chière147
Que [je] vis oncques faire à homme.
SOUDOUVRER
C’est rage que de nos faitz !
COQUILLON
En somme,
340 On n’en viendroit jamais à bout.
SOUDOUVRER
Voire, qui vouldroit dire tout,
Par ma foy, ce ne feroit mon148.
COQUILLON
On [en feroit trop long]149 sermon,
Qui dureroit (par mon serment)
345 Jusques au jour du Jugement150.
SOUDOUVRER
Je croy qu’il ne s’en fauldroit guères.
Qui vive151 ?
COQUILLON
Qui ?
SOUDOUVRER
Les pauvres hères152 !
[Qui les a ainsi acoustré ?]153
COQUILLON
Ceulx qui ont tout clos et serré
Le leur154, et n’osent riens despendre ;
350 Qui se lerroient155 aussitost pendre
Que d’e[n] oster ung seul denier,
Et jeûner pour en espargner
Encore tant plus largement.
Quel(le) joye et quel esbatement
355 Peuvent-ilz156 avoir en ce monde ?
SOUDOUVRER
Sur tous biens –que Dieu [me confonde]157 –,
Il n’est trésor que de liesse.
COQUILLON
Mais que vault couroux ?
SOUDOUVRER
Mais158 tristesse ?
COQUILLON
Mais [que vault] soucy ne chagrin ?
SOUDOUVRER
360 Riens qui soit.
Mais pour faire la fin,
Prenez en gré l’esbatement.
COQUI[LLON]
Se failly avons nullement159,
Plaise-vous le nous pardonner.
SOUDOUVRER
Se n’eussions paour de vous tenner,
365 [Nous eussions]160 bien dit autre chose.
.
JUSTICE SCÈNE VIII
Messieurs, se la Porte161 [n’]est close,
[Mectez-vous tost]162 hors de cëans.
COQUIL[LON]
Et ! gardez aussi que vos chiens,
[Lors,] ne nous facent aucun mal.
SOUDOUVRER
370 À Dieu trèstous en général !
Nous reviendrons une autre fois.
COQUILLON
Adieu ! Nous en allons tous trois.
FINIS
*
1 Maraudeurs, mendiants. « Quant on enchaŷne les maraulx,/ Que n’enchaîne-on les marauldes ? » Les Sotz escornéz. 2 « Ceulx qui furent prins comme vagabons furent enchesnéz deux à deux ; et fut ordonné qu’ilz cureroient et nettoyroient les fosséz de la porte Sainct-Honoré par ordonnance de la Cour. Et pour ce faire, (ils) furent bailléz aux prévost et eschevins de la ville. Et ce fut au moys de juing, audict an 1524. » Journal d’un bourgeois de Paris sous le règne de François Ier. 3 Cette ordonnance fut enregistrée au Parlement de Paris le 14 décembre 1526. 4 Gens de mauvaise vie. 5 « Toutefois, il existe bien une autre pièce du XVIe siècle où les travaux forcés des fossores ad evacuandas valli luteciani fossas sont mis en scène : il s’agit de la farce latine Marabeus (BnF lat. 8439). » Jelle Koopmans, le Recueil de Florence, p. 590. 6 Soûl d’œuvrer : fatigué de travailler. Voir la note 1 de Saoul-d’ouvrer et Maudollé. 7 Étudiant en Droit qui passe son temps à jouer à la paume et à danser au lieu de travailler. « Un esteuf en la braguette,/ En la main une raquette,/ Une loy en la cornette,/ Une basse-dance au talon :/ Vous voylà passé coquillon. » Pantagruel, 5. 8 Vêtus d’une chemise longue, enchaînés l’un à l’autre par les chevilles, ils se reposent en s’appuyant sur le manche de leur pelle, plantée dans le sol. 9 F : bien (« Pusilanimes & lasséz de rien faire. » Antoine du Saix.) Jelle Koopmans rappelle, p. 581, qu’ « il existe un mandement joyeux intitulé La Confrérie des saouls d’ouvrer et enragez de rien faire (…) ce qui suggère de corriger bien faire en rien faire ». 10 Enrhumés. Cf. la Chanson des dyables, vers 27. 11 De bon cœur : c’est pour me réchauffer. 12 Cela ne sert à rien. On scande « nian » en 1 syllabe. 13 F : senffre (Je souffre.) Envis = malgré moi. 14 Une habileté, une ruse. 15 C’est le nom de leur gardienne. 16 Avancez 17 Que maudit soit… 18 Qui grommelle. 19 Justice s’éloigne ; les marauds s’appuient de nouveau sur leur pelle. 20 Nous surveille avec son « flambeau de Justice ». 21 Ce fardeau. 22 F : remede (Je corrige pour la rime ; on trouve la forme régulière à 130. Cf. L’Avantureulx, vers 67.) « Car je n’y voy sans miracle remide./ Je l’ay perdu, & n’y ha croix ne guide. » Marguerite de Navarre. 23 Qu’elle nous tient par les guides, par les rênes, comme des chevaux. 24 Qu’elle marche sur nos talons. 25 F : ne 26 Contre l’Ordonnance de justice qui s’attaquait au vagabondage. Voir ma notice. 27 Qu’elle ne me tiendra de longtemps. « Vous ne la verrez mais en pièce :/ Elle s’en viendra avecques moy. » ATILF. 28 De 6 heures à 9 heures. 29 Si d’un bon pas je ne vais. Tours n’est là que pour la rime. 30 F : ceste entreprise (Je l’entreprendrai.) 31 Si tu me voyais. Les forçats sont en chemise : on leur confisque leurs vêtements pour dissuader les évasions. 32 Si je ne courais plus vite. 33 F : Coquillon 34 Emportés. 35 Une tornade. 36 F : le (Coquillon demande pardon à Dieu d’avoir juré son nom. Aux vers 155 et 223, on jure « par le sang bieu ».) L’ordonnance contre les marauds met dans le même sac les « blasphémateurs du nom de Dieu, ruffiens, mendians ». 37 À l’Épiphanie, quand celui qui avait trouvé la fève dans le gâteau buvait, on criait « le roi boit », pour obliger tous les convives à en faire autant. « Tenez, voylà de la boisson :/ N’espargnez pas ce vin cléret./ Le roy boit ! le roy boit ! le roy boit ! » Jéninot qui fist un roy de son chat. 38 F : serions gouuerneur (« Mais gouverner vueil à ma poste/ Mon filz le Prince. » Jeu du Prince des Sotz.) 39 Minces de caire, pauvres d’argent. Cf. Mallepaye et Bâillevant, vers 14. 40 Peu importe. 41 Pour peu. 42 F : vous (« Mais trois boysseaux de poux/ Pour faire de l’uylle en Karesme. » Ung Fol changant divers propos.) 43 Si nous ne nous trompons pas dans nos prévisions. Même vers dans les Sotz escornéz. 44 F : vous (Voir le vers 72.) 45 Justice s’éloigne ; les marauds s’appuient sur leur pelle. 46 À fréquenter les gens qui jouent. 47 L’influence de Villon est palpable : « Gaigne au berlanc [dés], au glic [cartes], aux quilles :/ Aussi bien va (or escoutez)/ Tout aux tavernes et aux filles. » François Ier assimilait aux marauds les « joueurs de cartes et de dés, quilles et autres jeux prohibés et défendus ». 48 Bonne réputation. 49 Jouisseurs. Cf. le Gaudisseur. De l’autre monde = incroyables. « Faisans choses de l’autre monde, et quasy incrédibles. » ATILF. 50 Table ouverte. 51 Une garantie : des otages qui prendront notre place. En 1526, François Ier avait pu quitter les geôles madrilènes de Charles Quint en lui livrant ses deux fils de 7 et 8 ans, qui restèrent prisonniers des Espagnols durant quatre longues années. 52 Il s’adresse au public afin d’y trouver deux volontaires pour les travaux forcés. 53 L’assouvissement. 54 Nos remplaçants n’auraient pas à craindre. 55 Pour peu que nous soyons en puissance (de les dédommager). 56 Veux-tu que nous leur donnions tout notre argent ? 57 À malin, malin et demi. Voir la note 66 des Sotz fourréz de malice. 58 Sot. Idem vers 286. 59 En quantité raisonnable. 60 Avoir un grand train de maison. 61 Quand on en viendra là. 62 Lui faire bonne figure. 63 Arrangement. 64 De vider les lieux, de partir. On scandait à la parisienne « trou-vra », « pre-mièr-ment » (v. 122), re-gar-drait (v. 174), etc. 65 Il ne servirait à rien de se lamenter. 66 « Maistre Henry Cousin, maistre bourreau en ladicte ville de Paris », mourut à une date inconnue mais postérieure à 1486. 67 Nous serions depuis longtemps expédiés ad patres. 68 Des pigeons de son colombier : nous étions ses meilleurs clients. Le bourreau ne se contentait pas d’exécuter, il appliquait aussi la torture et les punitions courantes : « Unze-vings coups luy en ordonne,/ Livréz par la main de Henry. » Villon. 69 F : rencontrer (Quelle horrible rencontre que ces deux marauds, dans un coupe-gorge, au fond d’un bois !) 70 Justice s’éloigne, et les prisonniers s’appuient sur leur pelle. 71 « Par Nostre-Dame-de-Boulongne ! » Le Testament Pathelin. 72 Aujourd’hui. 73 Mal duits, mal élevés. (L’un des Bélistres s’appelle Mauduit.) L’imprimeur a corrigé un pluriel gênant pour la rime. 74 De malheur. 75 À bout : si nous pouvons en sortir. 76 Celui qui nous y reprendra. 77 Hier soir. 78 De cidre. La ville se débarrassait de celui qui avait tourné en le donnant aux forçats. 79 D’une corde. 80 Le maudit paysan. 81 À même la terre. « J’ay beu chaud, mangé froid, j’ay couché sur la dure. » Mathurin Régnier. 82 Sur notre paillasse. « Jényn couchoit au peaultre. » La Résurrection Jénin à Paulme. 83 F : qui 84 F : trestout 85 Chanceux (ironique). 86 F : ceste (Nous sommes nés sous une mauvaise étoile.) 87 La Chanson sur l’Ordre de Bélistrie, où Jehan Molinet donne la parole à des mendiants, s’achève ainsi : « Nous prions Dieu (qui voit les siens)/ Qu’autant vous doint de marcs de fiens [de grammes de merde]/ Qu’ung vieu chien a de puces ! » 88 F : He 89 De ces chaînes. 90 Ne t’en déplaise. 91 Vinrent m’arrêter. 92 F : regnier 93 À jeun, ainsi qu’on l’est quand on se lève. 94 Entre le Port-au-Foin et la place de Grève, au bord de la Seine. Les clochards venaient y dormir. « Compaignons vacabondes (…) alèrent couchier sur le Port-au-Fain, en Grève. » Registre criminel du Châtelet de Paris. 95 Pièces de bois en X destinées à supporter les tonneaux qu’on embarquait ou qu’on débarquait. « Grans chantiers de busche. » ATILF. 96 F : menerent (Le roi fit « mettre èz prisons du Châtelet de Paris » les « vagabonds, oisifs, mal vivans, gens sans aveu ».) 97 De nous envoler. Mais aussi : de dérober. Une abondante littérature montre les tours qu’inventaient les marauds pour voler les commerçants. Voir par exemple la farce de la Trippière, F 52. 98 Changeons de. Cf. la Résurrection Jénin à Paulme, vers 202. 99 Sots. 100 Pour peu. 101 Élégant et gracieux. 102 Valet d’un soldat. 103 Si on était venu se moquer de moi. 104 F : sur (J’aurais distribué des gifles.) 105 Vers manquant. J’emprunte le vers 162 de Mallepaye et Bâillevant. 106 Si Dieu m’aide : que Dieu m’assiste ! 107 Cher. « Drap est chier comme cresme. » Farce de Pathelin. 108 De fréquenter. 109 F : par les (Beauvais fut assiégé par le duc de Bourgogne en 1472.) Les bravaches se vantent toujours d’avoir pris part à des événements qu’ils n’ont pu connaître. L’Avantureulx vainquit Talbot à une époque où lui-même n’était pas né, le capitaine Mal-en-point combattit avec Hannibal et Nabuchodonosor, etc. 110 À l’aide d’un canon long et fin. 111 Si on avait voulu me confier. 112 F : Je croy (Fumée = colère.) 113 En 1471, Amiens fut repris aux Bourguignons, dont l’armée, faite de bric et de broc, comptait beaucoup de Flamands et quelques Allemands. 114 Avec. 115 Long bâton prolongé par une lame ou une serpe. 116 Aussi nettement qu’un navet. « (Il la) coupa en deux pièces, aussi net qu’un naveau. » Philippe d’Alcripe. 117 Fauve, roux, comme le cheval du Roman de Fauvel. 118 F : lequel (N’en déplaise à Vaugelas, « sur quoi » pouvait s’appliquer à un cheval : « Le cheval sur quoy il estoit. » Christine de Pizan.) 119 Ne résistait. 120 Et pourtant, je n’étais qu’un enfant. 121 Soudouvrer aurait donc aujourd’hui 70 ans ; or, on ne faisait pas travailler de force les vieillards. Au vers 180, nos marauds avouent qu’ils sont encore jeunes. 122 Entre 1471 et 1477, les partisans du roi firent de sanglantes incursions dans le comté d’Auxerre, acquis au duc de Bourgogne. 123 Entendez : celui à qui je l’avais volé. Les soldats ne se gênaient pas pour s’approprier des chevaux ; cf. Troys Gallans et Phlipot, vers 398. 124 Tanné, fatigué par les ennemis. 125 Mon pourpoint ferré me meurtrit. Le pâtissier Coquillon (vers 228) est trop gros pour y entrer. 126 F : Incontinens vint (L’imprimeur a interverti les finales « t » et « s ».) Rencontrer = attaquer. 127 Comme un cygne. Blanc de peur. Nous dirions : blanc comme un linge. 128 11,80 mètres. Nos deux marauds ont une légère tendance à l’exagération. 129 Prétend-il avoir fait partie de la garde royale qui escorta Louis XI à Meaux, en 1468 ? 130 Une poule. Le soldat se révèle enfin pour ce qu’il est : un voleur de poules, comme tous ses congénères. (Cf. Colin, filz de Thévot, vers 73 et 195.) Le Franc-archier de Baignollet s’écrie lui aussi : « J’ay ouÿ poullaille/ Chanter chez quelque bonne vieille ! » 131 Un imbécile. 132 Un morceau de bois à brûler. « Et se prindrent à jecter (…) pierres, busches de moulle, tables, tresteaulx et autres choses pour grever iceulx Angloyz. » ATILF. 133 Pour me régler mon compte (au sens propre et au sens figuré). 134 Un bâton prolongé d’une serpe, et une broche à rôtir. 135 Pour me mettre dans le pétrin. 136 Vide, sans courage. 137 L’hypocras, vin médicinal, doit son nom au médecin païen Hippocrate. En reniant un saint qui n’existe pas, on ne risque plus de passer pour un blasphémateur. 138 Accru. 139 S’ils ne s’étaient pas enfuis. 140 Pour cette raison : parce qu’ils se sont enfuis. Le second brigand du Mystère de saint Martin, d’André de La Vigne, se nomme également Souldouvrer ; il a le même instinct meurtrier que le nôtre : « S’il venoit riches ne meschans,/ Tout passoit dessoubz noz espées./ Tant de gorges avons coppées ! » 141 Pour ne pas être en reste, Coquillon fait croire qu’il a escorté Louis XI à Melun en 1465. 142 Une mendiante qui épaule les servantes pour les tâches les plus dures, de même que les mendiants étaient « tournebroches » dans les cuisines. 143 Vais. Les viols font partie des exploits dont se vantent les soldats. « Il empoigna ma chambèrière,/ Et si, luy fist deux ou troys foys. » Colin, filz de Thévot. 144 Si dinde. Cf. la Complainte d’ung Gentilhomme, vers 62. 145 Cette mignonne : la « truande », puisque la chambrière s’est enfuie en même temps que le curé. 146 Rapidement. « Despêcher à deux fils de coton. » (Le Roux de Lincy, Livre des proverbes français.) Ce proverbe vise les fabricants de chandelles qui, pour aller plus vite, ne mettaient que 2 fils de coton dans leurs mèches, au lieu des 3 réglementaires. 147 Figure. 148 Il ne le ferait pas. 149 F : nen feroit trop ung (Jeu de mots sur « sermon » et « serment ».) 150 Du Jugement dernier. Mais aussi : du jugement du tribunal. 151 Cri de reconnaissance des soldats. Cf. Maistre Mymin qui va à la guerre, vers 230 et 302. 152 F : maraulx enchesnes (L’imprimeur a essayé de reconstituer le vers suivant, perdu.) 153 Vers manquant. « (Le roy) s’escria tout haut en luy demandant qui l’avoit ainsi accoustré, & pourquoy. » Pierre Saliat. 154 Ceux qui ont enfermé leur bien. Dépendre = dépenser. La satire des avares est commune à tous les dépensiers. 155 Qui se laisseraient. 156 F : peult il 157 F : habonde 158 Un mastic a transposé ici le « que vault » qui aurait dû se trouver au vers suivant. 159 Si nous avons commis des fautes. 160 F : Jeussions 161 Les fossés qu’entretiennent les marauds se trouvent aux Portes de Paris. V. la note 2. Une fois libérés, les vagabonds devaient quitter la ville. 162 F : Mectez nous (« Céans », prononcé « ci-an », rime avec chian. « Je vous prie de vous retraire/ Et de ne plus venir cëans :/ Mieulx aymeroye que les chiens/ M’eussent mengé les piedz trèstous. » De l’art d’aymer.)